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Full text of "Formation de la nation française: textes -- linguistique --palethnologie -- anthropologie"

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I>'«2 1'tMi.tliiN? LIMillsiTIÇrEJ! 

K'ppait. acquérait un srand éclat, puis peu à peu s'cHa^t 
la laniïuc 'Jvnl.uiie l'voluliim analotrue se produisait dans le 
>Ii«ii, on Ci* 'lui ooncorno la langue il'Oc, parrois désignée 
!i.>u* le nom jn-nt-rimio lU' l'roveneal. 

Les XII- et \ni' sieile? furx'nt rAcedordelaliltti'ralurcpro- 
ven'.a't-, lii-nl les [iliis aui.iens ducumentâ romonlenl à une 
Pl*>"iue bien aiilérifiire. 








Catalan en France, por A. HoveijicevE. 



Le Provent;nl pri>|in.'nient dit existe encore, éclipst* par 1* 
inçais. ijui se p'uéralise partout. Il va sans dii-e que !■ 
Vgue d'Oïl au;>si bien que la Inn^^ue d'Oc se sulxlivisaien 
41 un grand iKunbix' d'idiomes ou simples dialectes |)orlan 

/te noms de nos diverses provinces. Plusieurs ont eu dos li* 
Uratures sjKViales. Peu A peu l'unité de la langue frani;ais< 
prenant plus de consistance, les divers idiomes et dialectes d< 
vinrent successivement de simples patois, dont bon nonibi' 
existent encore, quoique ayant une tendance à disparaître. 
Catalan. — Le Catalan, qu'il soit une langue bien dî- 
liocte ou tout simplement un dialcclo novo-latin, se Aév*. 
ioppc on Espagne et pénètre encore de nos jours en Franc 



LANGUES DE FRANCE 



l63 



dans une grande partie du département des Pyrénées-Orien- 
tales (fig. 25). 

Allemand et Flamand. — Si maintenant^ remontant vers 
le Nord, nous étudions la partie de Tancienne Gaule qui est 
comprise entre le Rhin et les côtes de la mer du Nord, nous 




\j0raÊfelùtes,' 



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tSaurbeurq 




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\}\*yVizt£en. ^ 



LimUf en. France, 

éii^françaiMet.ttu.^/îemtanéù 
d. 'eunrt Cotxssemœker. 

Limite dee d^ftart ^ 

du Non/ et daPaetle Calait 



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^ WiHa* ^'^W^I^ASTîi '" ^kttfMeratua, 

Aire. • ^ — --^N ^«ttir/^by^*"*'^ 



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Fio. 26. — Carte du Flamand en France, par A. Hovelacque* 



nve 



y trouvons l'Allemand en Alsace et en remontant la 
gïuche du Rhin ; puis le Hollandais vers les embouchui 
^ fleuve et le Flamand en redescendant le long des côl 
«mer du Nord. Tous les trois font partie de la branchi 
'•ngues germaniques. Nous n'avons rien à dire de TAllei 
fût pour le moment, ne dépasse presque plus la frontiJ 
l^wus nous devons nous occuper du Flamand, qui des 
i^ue dans une partie du département du Nord (fig. 26). 
flamand et Hollandais appartiennent au Vieux-Saxon, 
^ûslituent le Néerlandais. Ils sont très voisins et ont été ro» J 
ptrdés comme de simples dialectes, ce que n'admet méin6 



FORMATION 



DE LA 



NATION FRANÇAISE 

TEXTES — LINGUISTIQUE 
PALETHNOLOGIE — ANTHROPOLOGIE 



PAR 



Gabriel DE MORTiLLET 

Professeur à l'École d'Anthropologie 



AVEC 153 GRAVURES ET CARTES DANS LE TEXTE 






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PARIS 

ANCIENNE LIBRAIRIE GERMER BAILLIÈRE ET c'® 

FÉLIX ALCAN, ÉDITEUR 

108, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, I08 

Tous droits reséry^s 



THENEWYORK 

publ::l;:-rary 

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AS7 0H, LbNUX ANO 
TILO£N FOUNDATiONS. 

1Ô97. 



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M. LE D" DESPAGNET 

C'est grâce aux progrès des sciences médicales que fai pu 
terminer ce livre. Œuvre de longue haleine^ mon travail a 
été interrompu par une affection de la vue. Le D^ Despagnet, 
en m'opérant de la cataracte^ m'a permis de le mener à bonne 
fin. Le lui dédier n'est que justice, 

G. DE MORTILLET, 



FORMATION 



DE LA 



NATION FRANÇAISE 



INTRODUCTION 



CHAPITRE PREMIER 



PROGRAMME 



Origine du livre et plan. — Noire regretté maître et 
ami Paul Broca, grâce au concours simultané de collègues 
dévoués, de donateurs généreux, de la Ville de Paris et du 
Gouvernement, fondait, en 1875, T École d'anthropologie de 
Paris, œuvre capitale de TAssociation pour renseignement 
des sciences anthropologiques. Association et École ont été 
reconnues d'utilité publique par une loi spéciale le 22 mai 1889. 
C'est le premier établissement d'instruction privée et, jusqu'à 
présent, le seul qui a eu cet honneur, honneur qui nous a créé 
des devoirs. Nous nous sommes efforcés d'épurer et d'élar- 
gir notre enseignement. Le nombre des professeurs, qui pri- 
mitivement était de cinq, est monté à dix. 

Comme député, j'avais pris avec mon collègue et ami Yves 
Guyot une part active à la reconnaissance d'utilité publicpie. 
Par un sentiment tout à la fois de patriotisme et de reconnais- 
sance, j'ai cru devoir consacrer mon cours de 1889-90 aux 
Origines de la nation française. C'est ce cours qui a donné 
naissance au présent livre. 

G. DE MORTILLET. 



INTRODUCTION 



Loin de moi la pensée de produire une nouvelle histoire de 
France. Nous en possédons de tous les formats et de toutes 
les dimensions, écrites dans les styles, les tendances d'esprit 
et les points de vue les plus variés. Parmi elles, il en est 
d'excellentes ; le remarquable travail d'Henri Martin (i); entre 
autres, me semble contenir tous les renseignements historiques 
actuellement connus. Mais par où me paraissent pécher 
toutes ces histoires, même celle d'Henri Martin, bien que cet 
auteur ait été président de la Société d'anthropologie de 
Paris, c'est par leur point de départ. Dans leur début, 
dans leur commencement, toutes ont donné trop de place à la 
légende et à l'imagination, pas assez à l'histoire naturelle de 
l'homme et à la palethnologie. C'est la méthode inverse que 
je me propose de suivre. Je ne veux tenir compte que de 
l'observation directe et ne m'appuyer que sur la discussion 
impartiale et précise des textes et des faits. 

Textes, documents et faits deviennent de plus en plus rares 
à mesure qu'oi>remonte dans le temps. Je les recueillerai et 
les examinerai tous avec le plus grand soin afin d'éclairer 
autant que possible nos origines et d'élargir le cadre de notre 
histoire. Je ferai successivement appel à toutes les sciences 
d'observation, et, quand j'aurai recours aux textes, je les sou- 
mettrai à la plus froide critique et à l'analyse la plus com- 
plète. 

Telle est ma manière, tel est mon plan. Mais, avant d'entrer 
en matière, il est bon, je pense, de jeter un coup d'oeil sur la 
marche qu'a suivie l'étude de nos origines. Nous pourrons 
ainsi apprécier la valeur des diverses bases sur lesquelles oa 
s'est successivement appuyé. 

V base : la Bible. — De prime abord, on a eu recours 
à la Bible, Elle était considérée comme le livre par excellence, 
ainsi que l'indique son nom. Ce livre était censé tout conte- 
nir. C'était un livre révélé, qui ne pouvait par conséquent ni 
se tromper ni nous tromper. 

Mais il suffit d'un examen sommaire pour reconnaître que 
celle belle réputation n'est pas le moins du monde méritée. 
En effet, la Bible prétend, chapitres i et 2 de la Genèse, que les 



(i) Ukmu Maiîtin, Flisloire de France, 4" édition refondue, i855 à 
i8()o, iG volumes in-8. 



PROGRAMME 



premiers hommes créés ont été Adam et Eve. Pourtant, deux 
chapitres plus loin, on trouve un verset i4 dans lequel Caïn, 
fils d'Adam, dit à Dieu : « Je serai fugitif et vagabond sur la 
terre. Quiconque donc me trouvera, me tuera (i). » Il y avait 
donc des Quiconques en dehors de la famille du premier 
homme : ce ne sont pas là des documents bien précis. Mais 
passons et arrivons au déluge. 

« Noé avait trois fils qui sortirent de Tarche : Sem, Cham 
et Japhet. Or Cham est le père de Chanaan. 

« Ce sont là les trois fils de Noé, et c'est d'eux qu'est sortie 
toute la race des hommes qui sont sur la terre (2). » 

Cham ayant regardé d'un air moqueur la nudité de son 
père, Noé, qui probablement n'était pas encore complètement 
dégrisé, a maudit Chanaan, qui était parfaitement innocent, 
et Dieu, tout aussi injuste, a asservi ses descendants, encore 
bien plus innocents, à ceux des deux frères de Cham. Tous 
les hommes, qu'ils soient blancs, jaunes ou noirs, descendent, 
d'après la Bible, de cette famille blanche. Les changements se 
firent avec la plus grande rapidité, puisque les documents his- 
toriques nous montrent les nègres existant dès la plus haute 
antiquité. Jamais les plus ardents transformistes n'auraient 
osé admettre une pareille modification en si peu de temps. 

D'après la chronologie biblique, le déluge a eu lieu il y a 
environ 5ooo ans. Or nous savons que la civilisation et 
le royaume d'Egypte existent depuis 7000 ans environ. 
Cela suffit pour établir qu'on ne peut s'appuyer sur le récit 
biblique, qui est purement et simplement une légende. D'au- 
tant plus qu'un déluge universel est impossible : toutes les 
eaux du globe terrestre, même en faisant appel aux cata- 
ractes du ciel et aux abîmes, ne peuvent couvrir en môme 
temps toutes les plaines et surtout toutes les plus hautes mon- 
tagnes de la terre. JLa Bible, du reste, est pleine de légendes 
et de mythes, comme le montrent les 969 ans de Mathusalem 
et l'enlèvement d'Hénoch monté au ciel tout vivant. 

2® base : les Légendes. — Les légendes ayant partout 
précédé l'histoire, on les a examinées, étudiées, scrutées, espé- 



(1) La Bible, Genèse, ch. iv, v. i4i traduction Le Maislre de Sacy, la 
plus généralement adoptée. 

(2) Genèse^ <îh. ix, v. 18 et 19, traduction Le Maistre de Sacy; 



4 INTHODICTION 

rant y puiser quelques documents concernant nos origines. 
Vain espoir. Elles n'ont rien fourni de positif, de certain. Pro- 
duits de rimagination, elles alimentent l'esprit de chimères 
ou tout au plus de données et d'idées vagues et générales, 
aussi les laisserons-nous habituellement de côté. Pourtant, il 
me paraît nécessaire de démontrer (|u'elless'infdtrent partout, 
qu'elles se forment avec la plus grande? facilité et qu'elles sont 
fort difficiles à détruire une fois établies. 11 faut donc grande- 
ment s'en méfier. 

Il y a 3ooo ans, la ( irèce était encore en pleine époque légen- 
daire avec l'expédition des Argonautes et le siège de Troie. Elle 
touchait même encore aux temps mythologiques, les héros des 
deux légendes étant presque des demi-dieux. Castor et Pollux 
ainsi (|u'Orphée faisaient partie des Argonautes. Un siècle ou 
deux auparavant, Apollon avait bâti les murs de Troie. 

La fondation de Rome, d'après les Romains eux-mômes, ne 
date que de 2()49 ans ou en d'autres termes de 768 ans avant 
notre ère, pourtant la naissance de ses fondateurs est une pure 
légende. Romulus et Rémus, fils de Mars et de la vestale Rhéa 
Sylvia, abandonnés, furent nourris par une louve sauvage. 
Certains auteurs, parmi lesquels plusieurs d'un grand renom, 
sont allés jusqu'à considérer non seulement Romulus et Ré- 
mus, mais encore leur successeur Numa Pompilius comme 
des créations légendaires. 

Naturellement, la légende brille de tout son éclat encore 
bien plus tard en France qu'en Italie. Nous nous contenterons 
de citer celle qui concerne la fondation de Marseille. 

599 ans, dit-on, avant notre ère, Protos, venant de Phocée, 
ville grecque de l'Asie Mineure, avec une flotte, aborde vers les 
bouches du Rhône. Voulant entrer en relations amicales avec 
les habitants du pays, il se rendit aui)rès de Nans, leur chef. 
Il arriva juste le jour où la fille de ce chef, Gyptis, suivant 
l'habitude locale, devait se choisir un mari en ofîrant sa 
coupe pleine au jeune homme choisi. Protos et les Phocéens 
qui l'accompagnaient furent invités à la fête. Mais quel ne 
fut pas Téton neiuent général quand Gyptis, au lieu de choisir 
un de ses compatriotes, présenta la coupe à Protos. 

Malgré sa surprise, le père, fidèle aux traditions, sanctionna 
ce choix et céda aux Phocéens un territoire, sur lequel ils 
s'empressèrent de construire Marseille. 



PROGRAMME D 

A la mort de Nans, Coman son successeur, hostile aux 
Phocéens, n^solut de les surprendre et de les détruire. 

II projeta de profiter du moment où les Marseillais célé- 
braient la fêle de Flore. Sous prétexte de prendre part à la 
fête, il devait envoyer dans la ville des chars couverts de 
feuillage cachant des hommes armés. Lui-même embusqué 
dans le voisinage se tenait prêt à pénétrer dans la ville. Ce 
complot fut dévoilé par une femme indigène amoureuse d'un 
Phocéen. Les Marseillais avertis s'avancèrent et tombèrent 
sur Coman, qu'ils battirent et tuèrent. 

N'est-ce pas le cas de dire avec Anatole de Barthélémy: 
« Pour peu que Ton ait étudié l'histoire et ses sources, on 
est surpris, quelle que soit l'époque dont on s'occupe, de 
constater combien les récits légendaires s'imposent vite et 
facilement (i). » 

En effet, les légendes se forment à très courtes échéances, 
parfois elles sont presque contemporaines des événements 
qu'elles dénaturent complètement ; elles se répandent très ra- 
pidement malgré l'opposition des hommes éclairés et de bonne 
foi ; enfin il est fort difficile de les déraciner. Je ne citerai que 
quelques faits à l'appui, faits dont j'ai été témoin. 

Il y a une douzaine d'années, allant avec les auditeurs de 
mon cours de l'Ecole d'Anthropologie visiter les monuments 
mégalithiques de Maintenon, les habitants de cette char- 
mante localité nous montrèrent avec orgueil le château dans 
lequel M™® de Maintenon venait faire ses farces avec Louis XIV, 
et un peu plus loin les magnifiques ruines de Vaqïieduc ro- 
main. 

Ce fut en 1674 que Louis XIV acheta le château de Mainte- 
non pour le donner à la veuve Scarron, et les travaux du gi- 
gantesque aqueduc destiné à amener l'eau de l'Eure à Ver- 
sailles furent exécutés de 1684 à 1688. Ainsi, malgré d'abon- 
dants documents historiques, malgré les nombreux ouvrages 
écrits sur le règne de Louis XIV, malgré l'instruction qui se 
répand de plus en plus, il a fallu moins de deux cents ans 
pour faire attribuer, par toute une population, aux Romains 
les constructions grandioses du grand roi et pour faire mé- 



(1) Anatole de Barthélk.my, Tempa antiques de la Gaule^ \k o, \^Tl^ 
extrait de la Revue des questions hist. 



6 INTRODUCTION 

connaître les relations mystico-religieuses qu'il eut avec 
M"»« de Mainlenon. 

Plus fort encore, en plein Paris, immédiatement après les 
journées de juin i848, s'établit une cruelle et sanglante 
légende qui, la passion politique aidant, envahit en quelques 
jours la France et le monde entier. On prétendait que des 
dragons faits prisonniers par les insurgés avaient eu les 
poignets coupés et que des mobiles avaient été sciés 
vivants entre deux planches par des femmes. Une d'elles fut 
arrêtée sous cette terrible inculpation. Elle passa en conseil 
de guerre. Ces conseils étaient très sévères mais justes. 
Après enquête faite à la Place, il fut reconnu, non seule- 
ment qu'aucun soldat n'avait été mutilé ni torturé, mais qiie 
dans le cas présent l'accusée s'était dévouée à soigner 
les blessés insurgés et militaires. Elle fut acquittée en rece- 
vant les compliments des juges. Ainsi tomba la légende, qui, 
pourtant, a probablement encore quelques croyants. Cela 
suffit pour montrer ce que valent les légendes. Aussi les 
laisserons-nous de côté. Et, si exceptionnellement nous 
sommes forcé d'y avoir recours, nous ne nous en servirons 
qu'avec beaucoup de prudence et de circonspection. 

3® base : les Textes. — Nous arrivons aux textes dits 
historiques, qui souvent ne sont que des légendes écrites. 
Même en les acceptant comme bons, peuvent-ils nous être 
fort utiles? 

Non, car ils ne remontent qu'à une antiquité très res- 
treinte. 

Le nom des Aquitains ne paraît que dans le V^^ siècle 
avant notre ère. 

Celui des Belges et des Cimbres dans le second. 

Les Germains et les Celto-Ligures dans le troisième. 

Timée, vers l'an 264 avant notre ère, dans son Histoire^ est 
le premier qui parla de Galatcs, FaXaTat. 

Caton, dans ses Origines^wev» l'an i65,cite pour la première 
fois les Gaulois, Galli, Je sais qu'on dit qu'il a puisé ses 
renseignements dans les Annales maximi des Pontifes. Mais 
nous ne connaissons pas ces Annales des Pontifes, et dans 
tous les cas elles ne remonteraient qu'au iv*' siècle. 

Hécatéc de Milet, qui vécut de 525 à 475, fournit la pre- 
mière mention des Celles, KeXxoi, eA des Ibères. 



PROGRAMME 



Peu après, Hérodote, 46o à 4o6, parle aussi des Ibères. 

La population de France et de ses environs la plus ancien- 
nement citée est celle des Ligures. Pourtant son nom ne 
remonte pas aU delà d'Hésiode, dont on ne connaît pas bien 
Tépoque, mais qui probablement vécut au vin® siècle avant 
notre ère. Son œuvre n'est qu'une légende mise en vers. 
Pour retrouver le nom des Ligures dans des documents his- 
toriques, il faut descendre à Hécatée et à Hérodote. 

On peut donc dire carrément que les plus anciens rensei- 
gnements écrits concernâlit les populations de l'Occident ne 
remontent pas à plus de 5oo ans avant notre ère, ou d'une 
manière générale à 2400 ans. 

Ce n'est pas la moitié du temps accordé à l'ensemble des 
évolutions humaines même par les chronologies les plus mo- 
dérées. La chronologie biblique, la plus courte de toutes, fait 
créer l'homme 4ooo ans avant notre ère, c'est-à-dire il y a 
5900 ans. Quant à la chronologie égyptienne, basée sur des 
données solides, elle nous reporte à plus de 7000 ans. Une 
belle civilisation florissait déjà au bord du Nil sous Menés, 
5ooo ans avant notre ère. 

Nous passerons en revue les textes anciens, en ayant soin 
de tenir bien compte de leur date, ce qui a été trop négligé 
jusqu'à présent. Un texte est d'autant plus important qu'il se 
rapproche davantage du fait qu'il concerne. Un autre texte 
bien postérieur n'est généralement qu'une simple répétition 
ou l'énoncé d'une légende. 

Nous tirerons des textes, comme nos devanciers, tout le 
parti possible. Malheureusement, en ce qui concerne les popu- 
lations de l'ouest de l'Europe, la période chronologique reste 
pour plus de la moitié de sa durée dans l'obscurité la plus 
complète. Les documents écrits font entièrement défaut. Dans 
les cinq premiers siècles, ces documents sont môme si rares, 
si concis, si peu précis, qu'on peut les considérer comme 
presque nuls. On n'en compte à peu près qu'une centaine 
avant César. Pour nous, la période historique basée sur le 
récit des auteurs ne remonterait donc qu'à environ 2000 ans, 
ou au commencement de notre ère. Au delà, ces textes 
ne sont le plus souvent que de simples citations de noms. 
Fréquemment ils se réduisent à des reproductions de rensei- 
gnements erronés. C'est ainsi que, dans la çvcrcvV^Ye ^^\\Afô ^\5l 



INTRODUCTION 



iv*^ siècle avant notre ère, Hérodote, auteur des plus sérieux 
qui a bien mérité le surnom de Père de F histoire^ raconte que 
rister, le Danube actuel,* prend sa source ù Pyrène, dans les 
Pyrénées, et de Pyrène cet auteur fait une ville, au lieu 
d'une chaîne de montagnes. 

S'il est un fait qui dut frapper les Romains, ce fut certaine- 
ment l'invasion de l'Italie par Annibal. Ils subirent les plus 
cruelles défaites qu'ils aient jamais éprouvées, et ils furent à 
deux doigts de leur perte. Ce fait eut lieu seulement 216 ans 
avant notre ère. Deux auteurs anciens ont écrit sur ce sujet : 
Polybe,né seulement^ ans après l'événement, et Tite-Live, iSy, 
mais ce dernier eut en main tous les documents désirables. Eh 
bien, les récits des deux auteurs ne concordent pas. Ces récils 
oifrent les plus grandes variantes et sont si peu clairs, que le 
seul passage des Alpes a donné lieu à quatre-vingts disserta- 
tions dont les résultats sont des plus disparates. 

On fait passer l'armée carthaginoise par six cols différents, 
échelonnés du Mont-Viso, entre les départements des Basses 
et des Hautes-Alpes, au Grand-Saint- Bernard, en Suisse. 

Les textes anciens sont si peu clairs, que nous discutons 
depuis plus de 200 ans pour savoir si les mots Celtes et Gau- 
lois sont synonymes ou non ! 

4" base : la Linguistique. — Des textes si peu précis et 
surtout remontant à une antiquité si peu reculée ne pou- 
vaient être d'une grande utilité pour déterminer les origines 
des F'ranrais. Nous avons donc dirigé nos études vers les 
sciences nouvelles qui ont plus ou moins de rapports avec la 
question qui nous occupe : 

La Linguistique ; 

L'Histoire des religions ; 

L'Anthropologie ; 

La Palethnologie. 

L'étude approfondie des mots et des grammaires a fait 
reconnaître que les langues sont des êtres que l'on peut dé- 
finir et classer, tout comme les plantes et les animaux. Elles 
se rapprochent plus ou moins par des caractères communs, ou 
s'éloignent les unes des autres par des caractères différentiels, 
bien tranchés et bien déterminés. On peut donc ranger les 
langues par groupes et par grandes familles. C'est ce qu'on 
appelle la filiation des langues. 



PROGRAMME 9 

Parmi ces grandes (amilles, il on osl une qui a (^l? bien défi- 
nie et fort étudiée. C'est celle des langues dites aryennes ou 
indo-européennes. 

Elles tirent leur nom de TArya, ancienne région asiatique, 
qui occupait à peu près la Bactriane. De ce point d'origine, la 
langue mère se serait répandue, en se modifiant de plus en plus, 
d'une part dans l'Inde, tandis que de l'autre elle aurait envahi 
presque toute l'Europe. 

Cette diffusion delà langue a été attribuée à des migrations 
de populations. Il y aurait eu surtout deux grands flots enva- 
hisseurs de l'Europe, qu'on a baptisés des noms de Gaëls et de 
Kimris. 

C'est simple et séduisant, aussi la théorie nouvelle fit-elle ra- 
pidement son chemin. Elle fut généralement admise et devint 
presque, vers le milieu du xix® siècle, un article de foi. Pour- 
tant quelques esprits moins enthousiastes, tout en reconnais- 
sant l'importance des données de la linguistique, examinèrent 
si elles avaient la portée et toute la généralité qu'on leur attri- 
buait. Ils examinèrent surtout leurs corrélations avec l'anthro- 
pologie, et se demandèrent s'il y avait un rapport aussi intime 
qu'on le prétendait tout d'abord entre les langues et les races. 
Question majeure que nous approfondirons au chapitre sui- 
vant, car il est bien nécessaire de nettement définir les termes 
et de fixer leur véritable sens. 

Pour montrer qu'il n'est pas besoin d'un changement de 
population pour qu'il y ait changement complet de langue, il 
suffît de citer la conquête des Gaules. Le territoire français 
n'a jamais été occupé que par une quantité relativement infime 
de Romains, et pourtant la langue gauloise a complètement et 
rapidement disparu devant le latin. 

5® base : Histoire des religions. — L'histoire des croyances 
et des rites religieux, si bien exposée par André Lefèvre à 
l'Ecole d'anthropologie, a marché parallèlement avec la lin- 
guistique. On en a voulu tirer des conclusions analogues. 
Elles sont encore moins concluantes, car il suffit d'un petit 
nombre de missionnaires pour convertir des régions en- 
tières. 

Qui oserait, par exemple, émettre l'idée que tous les chré- 
tiens, ou bien tous les musulmans, appartiennent à une seule 
et même race? 



lO INTRODUCTION 

N'importe, nous examinerons les données fournies par ces 
deux sciences. 

6® base : TAnthropologie. — Nous arrivons maintenant 
à une science qui pour nous a une bien autre importance, 
c'est l'Anthropologie ou étude de l'homme. 

Elle devrait nous suffire, les vivants nous faisant connaître 
la population actuelle, les morts nous renseignant sur les 
populations anciennes. Sous ce double rapport, Tillustre fonda- 
teur de la Société d'anthropologie, Paul Broca, ft donné une vi- 
goureuse impulsion. Non seulement il a publié de mémorables 
travaux, mais il a su grouper autour de lui bon nombre d'in- 
vestigateurs qui ont puissamment contribué à l'œuvre com- 
mune. L'un d'eux, Gustave Lagneau, résumant toutes les 
recherches, tous les travaux, et les rapprochant des textes 
anciens, a publié, en 1879, sous le titre d'Anthropologie de la 
France (1) un excellent ouvrage, destiné à servir de base à 
toutes les recherches à venir. 

Mais tous les travaux sur la population de la France démon- 
trent une chose, c'est que ce pays non seulement n'est pas 
occupé par une race spéciale qu'on pourrait appeler race fran- 
çaise, mais qu'il y a en fait de population un mélange de types 
et de races des plus compliqués. 

C'est tout naturel. 

La palethnologie nous révèle dès les temps les plus reculés 
plusieurs flux et reflux de populations dans les régions qui 
forment la F'rance actuelle. 

La linguistique a fait admettre au moins deux grandes inva- 
sions de l'Europe occidentale : celle des Gaëls et celle des 
Kimris. 

L'histoire, plus près de nous, dans la seconde moitié de 
l'existence des peuples, est pleine d'invasions, d'expéditions, de 
conquêtes. Du moment où il en est ainsi pour la seconde 
moitié, on peut bien supposer qu'il en a été de même pour la 
première. 

Aussi des pays voisins de bien moindre dimension contien- 
nent-ils plusieurs races. La Belgique en compte au moins 
deux, les Wallons et les Flamands. D'après Rûtimeyer et His, 



(i) G. Lagneau, Anlhropolocjie de la France ; Paris, 1879, in-8. Extrait 
du Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales . 



\ 



PROGRAMME 1 1 

la Suisse en renferme quatre. La France, beaucoup plus 
étendue, avec des conditions lopographiques et climatériques 
plus variées, des points d'accès plus nombreux dirigés dans 
des sens fort divers, doit en compter bien davantage. Ces 
diverses rades, avec beaucoup de soin et de critique, on peut 
encore les débrouiller. Mais bientôt ce ne sera plus possible. 
La facilité des communications, postes, télégraphes, télé- 
phones, chemins de fer, la concentration des populations dans 
les villes et les centres industriels, Thabitude des villégiatures, 
les mouvements d'ouvriers produits par les grands travaux, et 
principalement la dissémination des fonctionnaires sur tout le 
territoire, ainsi que le service mihtaire obligatoire, occasion- 
nent des déplacements et des mélanges qui tendent à fondre 
ensemble toutes nos races. 

Ainsi, étant maire de Saint-Germain-en-Laye (Seine-et-Oise)^ 
j'ai fait le relevé des mariages qui ont eu lieu dans cette ville 
de 1878 a 1882(1). 

Pendant cette période de cinq ans, le nombre des mariages 
s'est élevé à 598, représentant 1,186 conjoints qui se répartis- 
sent ainsi : 

Hommes Femmes 

De Saint-Germain 98 182 - 

De Seine et 5eine-et-0ise i45 i3i 

,De 77 autres départements, compris le Haut 

et le Bas-Rhin 829 264 - 

De l'Algérie 3 1 

De 11 pays étrangers 18 i5 

Si nous considérons les conjoints sans distinction de sexe, 

nous aurons : 

Pour cent. 

Saint-Germain 280 28,61 

Seine et Seine-et-Oise 276 28,27 ^ 

Autres départements et Algérie 697 5o,34 

Pays étrangers 33 2,78 

1 186 100,00 
Parmi les mariés de Saint-Germain-en-Laye, il n y en a donc 

(i) Gabriel de Mortillet, Mélange des popu/afions, i884,iiv-8. E^Vx^vV. 
de r Homme, 1884, p. 204. 



12 INTRODUCTION 

pas un quart ijui soient de la ville. Et ceux-ci, joints à ceux 
(les départements de Seine-et-Oise et de la Seine, ne montent 
pas à la moiti;\ En chiffres ronds, ceux de la ville, de Seine-et- 
Oise et de la Seine ne s'élèvent qu'à 47 pour loo, tandis que 
ceux des autres départements et des pays étrangers attei- 
gnent 53. 

D'après Jacques Bertillon, sur i.ooo habitants de Paris, il 
n'y en a que 822, moins du tiers, nés dans cette ville, 38 sont 
des autres communes de la Seine, 565 des départements et 
des colonies, enfin 75 de l'étranger. 

Ce mélange, cet amalgame, cette fusion des races fran- 
çaises, augmente tous les jours dans les plus fortes propor- 
tions, si bien qu'avant peu il ne sera plus possible de faire un 
travail d'ensemble sérieux sur les divers éléments de la popu- 
lation française. Frappé de cet état de choses, l'Association 
pour l'enseignement des sciences anthropologiques a fait un 
appel à l'Association française afin de pouvoir réunir et 
publier le plus rapidement possible nos types ethniques. 
Excellent travail, des plus nécessaires, mais qui ne nous fera 
connaître que la population actuelle. 

7^ base : la Palethnologie. — C'est beaucoup, mais ce 
n'est pas assez. Il faut forcément remonter dans le passé. 
Nous le pouvons en étudiant avec soin les ensevelissements 
des diverses époques, à une condition : c'est de faire appel à . 
l'archéologie et à la palethnologie pour bien définir et dater 
les ossements fournis par chaque ensevelissement. L'archéo- 
logie est d'un grand secours jusqu'à l'invasion romaine. Mais 
au delà nous entrons dans le domaine du protohistorique et 
du préhistorique, qui constituent la palethnologie. C'est donc 
cette science qui nous fournira les plus précieux documents 
pour reconnaître nos origines. Elle seule peut nous procurer 
des données certaines. C'est sur elle que nous appuierons 
surtout nos recherches. Mais, comme c'est elle qui doit ga- 
rantir rauthcnticitéde la plupart des ossements que nous au- 
rons à étudier, nous ferons précéder la partie anthrolopogique 
par la partie palethnologique. 



RACE, LANGUE, NATIONALITE l3 



CHAPITRE II 

RACE, LANGUE, NATIONALITÉ 

Les trois termes. — Avant d'entrer dans le cœur de la 
question, il est utile de bien préciser la valeur de certains 
termes dont nombre de personnes saisissent mal le sens. 

Ces termes sont : 

Race; 

Langue ; 

Nationalité. 

Mon ancien collègue et ami Abel Ilovelacque a, dès 1874, 
publié sur ce sujet un excellent mémoire qui a eu une seconde 
édition en 1875(1). Je lui fais naturellement de nombreux em- 
prunts. 

Les trois termes se rattachent du reste à trois branches bien 
distinctes des sciences : 

La race se rattache directement à l'anthropologie propre- 
ment dite ; 

La langue le plus souvent à la religiosité et à la politique ; 

La nationalité toujours à la sociologie. 

Race. — La race se compose d'un ensemble d'individus 
présentant des caractères communs transmissibles par héré- 
dité, caractères les rapprochant entre eux, en les ditîérenciant 
des autres individus de même espèce. 

Il y a trois modes principaux de race : 

La race d'origine formée d'individus descendant tous d'une 
seule et môme souche et constituant pour ainsi dire une V(u4- 
table famille; '^ 

La race de milieu produite par une action prolongée des 
mêmes circonstances de vie et des mêmes conditions d'habita- 
tion ; 

La race de fusion, composée d'éléments divers qui, par suite 
d'un long mélange, se sont tellement amalgamés, qu'ils ont 
fini par acquérir un type moyen commun. 



(1) Abel Hovelacque, Langues, 7?aces, Nationalités, 1875, -i^ édit., 
in-8. 



»4 



INTRODUCTION 



Enfin on désigne sous le nom de race pure une race qui, une 
fois formée et bien fixée, quelle que soit du reste son origine, 
n'a pas reçu et ne reçoit plus d'éléments différents. Il n'y a 
pas de race absolument pure. Il se fait partout des mélanges, 
et plus nous allons, plus ces mélanges se multiplient. Si l'on 
veut étudier les races humaines dans de bonnes conditions, il 
faut donc se hâter. La propagande religieuse, les occupations 
politiques, l'extension et le développement ioujours croissants 
du commerce et surtout les progrès incessants des moyens de 





FiG. 1. — CrAne lon^ ou dolicho- 
céphale (1/4 gV' nal.). 



FiG. 2. — Crâne rond ou bracbycé* 
phale (]/4 gt- nak.)* 



transport tendent de plus en plus à mêler et à altérer 
races. 

La même race peut faire partie de diverses nations. Ainsi 
dans les Alpes se trouve une race trapue, vigoureuse, bra- 
chycéphale, qui, sous le rapport delà nationalité, se répartit en 
France, en Suisse, en Italie, dans le Tyrol allemand.- 

Réciproquement, une nation peut être composée de plu- 
sieurs races. Rûtimever et His dans leur Crania Helvetica 
ont reconnu dans la population suisse quatre races parfai- 
tement distinctes. 

S'il n'y a pas une race suisse, à plus forte raison il n'y a pas 
une race française. La population de la France est très variée, 
elle appartient à diverses races fort distinctes. 

La tôle est la partie la plus importante pour la différencia- 



RACE, LANGUE, NATIONALITÉ l5 

Lion des races. Il y a des hommes à tête longue désignés sous 
le nom de dolichocéphales (fig. i): ce sont ceux dont l'indice 
eéphalique, ou rapport entre les diamètres longitudinal et 
Lransversal du crâne, est au-dessous de 78 ; et des hommes à 
Lête ronde ou brachycéphales (fig. 2) : ceux dont l'indice atteint 
DU dépasse 80. Eh bien, il existe en France des populations 
dolichocéphales, surtout dans le Nord, et des populations 
brachycéphales, comme les Bretons, les Auvergnats, les Sa- 
voyards. Cela suffit pour démontrer que parmi nos compa- 
triotes il en est qui appartiennent à des races bien distinctes. 

Langue. — Si les races ne caractérisent pas les nations, 
les langues ne les caractérisent pas davantage. L'unité de lan- 
gage constituant un principe d'unité nationale, est une for- 
mule politique qui peut être pleine de chauvinisme, mais j 
qui est fausse et sans le moindre fondement. 

Le panslavisme, unité des populations de langues slaves ; 

Le pangermanisme, unité des populations de langues alle- 
mandes ; 

L'irrédentisme, unité des populations de langues italiennes; 

Le panlatinisme, union des nations parlant des langues d'ori- 
gine latine ; 

Sont de simples conceptions politiques, dont on se sert 
quand il y a profit et que l'on repousse dès qu'il y a désavan- 
tage. 

Le panslavisme n'a pas empêché le démembrement de la 
Pologne et n'a pas fait disparaître l'antagonisme qui existe 
entre la Pologne et la Russie. 

L'Allemagne, quand elle a voulu s'agrandir, s'est proclamée 
ouvertement pangermanique. 

« Toute terre où l'on parle l'allemand doit être allemande, » 
s'est-elle écriée, ce qui ne l'a pas empêchée d'oublier tous les 
pan du monde quand elle s'est emparée de pays ne parlant 
pas allemand. Ainsi, dans sa guerre avec le Danemark, qu'elle 
se soit annexé le Holstein en invoquant la doctrine du pan- 
germanisme, passe encore, l'allemand était parlé dans ce 
pays (fig. 3). Mais pourquoi s'est-elle annexé le Schleswig, où 
toute la partie nord, la plus étendue, ne parlait que danois? 

De même pour la France, l'Allemagne a trouvé bon le sys- 
tème de la concordance des langues et des nationalités quand 
il s'est agi de l'Alsace, où Ton parlait allemand, el ^ xio\tt^\^- 



leraent o\ih\i(i ce système dès qu'il a éti^ question tic la Lor- 
raine, tiii l'on parlait pre8(|ue exclusivement français. 

Avee son principe : Toute terre où l'on parle allemand doil 
âlre allemande, l'Allemagne devrait s'annexer la plus garnie 
partie de la Siiissn. 




Et puis, comment limiter ce prétendu principe? Les langues 
se divisent en langues mères, en langues dérivées, provenanl 
des langues mères, el eu idiomes, altérations plus ou moins 
profondes des langues mères et dérivées. Où doit s'arrékr 
l'action '? Doit-elle emtirasser tout le ^troupe ou seulemenl iim' 
partie ? 

L'alsaeien est un idiome.- 

Le llamantl et le hollandais, (jni ne dillei'onl .|iir par des 



nACK, LANGUE, NATIONALITE 



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r. — Limilc lie In Inii^uc fr.i/ir.ii^.- en Alloina}^\U'. \>i\v \. \\o\'Y.\.\c^i\:v. 
G. DE MOHTILLEr. -X 



dôlails de prononciîition, cotistitiicnl une laiijfui! (iérivôt'. Le 
pangermanisme tloil-il IVnglobei- comme il a englobé l'alsa- 

Mais, MÎ le pangermanisme engage l'Allemagne à sV-U^ndrP 
dans certaines dircelions, il doil aussi la pousser à abandon- 
ner certaines torn-s ifiii ne parlent pas allemand. 

Lii eff I I di I s I 1/ / ad (e ( alla le iH 4 1 mp re 



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L'EMPIRE D'AU. EMABNE 





















d'Allemagne possède 87.820.000 habitants parlant l'alle- 
mand, il compte aussi 3.i5o.ooo habitants |»arlant d'antres 
langues (fig. 5), qui se dt^iomposenl ainsi : 





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5o'ow 


Litlumn 


ins et Coui'landnis , . . 




Frini<;ai 


el Wallons 





3.150.00O 
L'irrédentisme italien réclame à l'Anlriclie Trieste el à 



llAr.K, LANGUE, NATIONALITK I9 

n OU Tyroi de langue italienne; à la Suisse, le canton 
îsin ; à la France, ia Corse et Nice, 
rquoi Nice ? A \iee on ne parle pas italien ; la langue 
na bien élevés esl le français, et la langue populaire le 
sous dialecte du provençal ; or le provençal est un des 
s de la langue d oc Linguisliquonienl parlant, Nice 
ne bien fran^aib 
rquoi les irrédentistes ne réclamenl-ils pas Malte 



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.nglais'? Malte est bien plus italien que Nice. 
*, d'après leurs principes, les irrédentistes devraient 
à l'Autriche les Sclle-Communi de la Vénétie, où l'on 
illeinand, ce qui nous ferait tomber dans le système des 
es, le pire de tous, et à la France le Val d'Aoste et les 
ivaudoisesqui parlent français. Que deviendraient alors 
iniières naturelles ? L'Italie n'aurait plus à organiser de 
rurs alpins. Y aurait-il grand mal î Ce serait en tout cas 
Tilable économie |)our nos voisins. 
•anlatinisnie concerne les langues dérivées du latin (Og. 6); 
iguessont : le portugais, l'espagnol, le catalan, la tangue 
la liingue d'oïl, le roninancbe, l'italien, le roumain. 11 
j;it j)as de foire une seule et mt^me nation des Portugais, 



;mI ISTUdDI CTKIN 

iIcH KspaKiiolw, .los Ki-;nu;iiis. ilc la iiioiliL' di's Belges, des 
Rnuniaiirlics de In Suisse, des Italiens el des RoumaiDS. 11 
n'est i|ueslioii (]ue d'une union. C'est liîpn différenl, et c'est 
l>cnucou|) |diis|»'alii(ue Oriromprend très bien que des popu- 
lal u ib ] ai lait 1 t n^ 1 aialo lies, ayant des origines 



FDAItCEUNeUISnCUQ 




comniiKU's, des lidhitiidps et des mœurs à peu [irÈs semblables, 
se IrovivanI dans des eondilions diniat ériques presque iden- 
liques, aieni des synijmlldes eninniunes et ehcrchent, tout 
en fjardanl leur individiialil:'', i\ s'unir pour faire respecter en 
tnni el jinrlout leur pcrsonnalili* el défendre leurs intérêts. 
C'est tout rationnel, r'esl on ne peut plus avantageux et cer- 
tainement nous verrons un jour t;ctle union. Les pays du via 
el du soleil se donneront fraternel lenieni la main. 

I.ii nation l'rane.nise, qui esl |ieul-(Mii' uoinim- nation la pl'i» 



RACK, l..\>-GLK, >ATIONAt,tTK 31 

homo_<ii< df loulf •> lonlif ni pouitanti! sliomiiKsj niant des 
langTie'5 toit difK^roiilos Ifip 7 ) Le Lcnilont dt la 1 laïuc-cdi- 
Mbc mdciix pailles \|>f upiLstgaksdont ((lltiUi Nord parle la 
langue dod cl colledubud If- 1 lionic-dil il in^utdoi rtsduix 
langues se subdnisent en iiombrenv pati ]•- 1 n idiomes du ti s. 




A IIOVELACQUÏ. 



Dans le Sud, à lVxlr(^milé orientait J s Pjrc^nées, le cntalan 
pousse une pointe en France. 

En Corse, l'italien, ou plulôl un palois italien, est la langue 
de la gén(^ralit6 de la population. 

Dans le Nonl-Esl, les Alsaciens, bien que parlant un idiome 
.-ilicmand. élnienl et sont restés de bons Fran<jais. 

Vers lextr^mc Nord, de nombreux Flamands onl conservé 
I "usage de leur langue. 

La moitié de )a Brolugnc parle le breton, (\u\ ï\t "àc tcW 



•2l> 



INTRODUCTION 



/ 



(Hi'avec dos langues do la (irande-BiTlapie et de Tlrlande. 
Eidiu, à rexlrémité du sud-ouesl de la France se rencontre 
une langue bien plus spéciale encore, dont on ne connaît pas 
la filiation, le basque. 

Et pourtant, qu'ils parlent catalan, italien, allemand, fla- 
mand, breton ou basque, tous les habitants de la France, 
môme ceux qui en ont été détachés de force, aiment prof ondé- 
ment leur pays et sont d'excellents Français. 

Les Basques, à cheval sur les Pyrénées, sont partie en 
France, partie en Espagne. Cependant, malgré leur unité de 
langage, qui les distingue de toutes les populations voisines, il 
n'y a pas unité de race. Les Basques français sont plutôt 
brachycéphales, et les Basques espagnols dolichocéphales. 

Les Bretons montrent aussi d'une manière des plus évidentes 
qu'on ne peut pas identifier les indications de race et de lan- 
gage. En eiïVt, la Bretagne, avec une population tout à fait 
semblable, se divise en deux parties, l'une où l'on parle fran- 
çais, et l'autre où l'on parle breton. Les habitants de la partie 
où l'on parle français, que l'on désigne sous le nom de Gallots, 
tout aussi bien que les bretonnants qui ne parlent que breton, 
se divisent en deux races bien caractérisées, l'une petite et 
brune, l'autre grande et blonde. Les deux races, répandues 
à peu près en proportion égale dans tout le pays, se trouvent 
indistinctement dans la partie de langue française et dans la 
partie de langue bretonne. 

Les politiciens allemands se sont emparés de force de la 
Lorraine, dont la majeure partie, Metz et Château-Salins, 
210.000 habitants en 1874, parle français. Les irrédentistes ita- 
liens réclament la Corse. Les Français ne réclament que de ren- 
trer en possession de leur ancien territoire, et pourtant, en de- 
hors de chez eux, bien despopulationsparlentfrançais(fig.8) : 

Malmédy dans la Prusse Bhénane ; 

La majeure partie du grand-duché de Luxembourg; 

Environ la moitié de la Belgique, tout le pays wallon, 
Bruxelles, Tournai, Mons, Naniur, Liège, Spa, Vervins ; 

Les îles normandes de l'Angleterre, Jersey et Guernesey; 

En Suisse : (jenève, Vaud, partie du Valais, Fribourg, Neu- 
châtel, Jura bernois, 59G. 000 personnes d'après le recensement 
de 1871 ; 

En Italie, les vallées piémonlaises owoecidentalesdes Alpes, 



RACE, LANGUE, NATIONALITÉ 23 

des vallées vaudoises au Val d'Aosle, estimées en 1861 à 
io/|.ooo individus. 

Il n'est venu à personne l'idée de revendiquer ces diverses 
populations. L'irrédentisme est si loin de noire esprit et de 
nos mœurs, qu'il n'existe pas dans la langue française un 
mot pour désigner la chose. Le terme pangallisme n'est pas 
même connu. 

Une des meilleures preuves de l'indépendance qui existe 
entre les races et les langues, c'est qu'une langue peut dispa- 
raître sans que les races changent. Tel a été le fait de la dispa- 
rition du latin. 

On peut, il est vrai, dire que le latin n'a pas disparu, mais 




^-^.^4 B E L G I Q u E 

^Î^)rc8 Courtrai 



Ltmifc Nord. de. La, 
Lanniu.^fhanfaise. 

^ ^ ^ ^ ^ limite, d^- 2 Etats. 

***** *( France.. SeL^tijue,) 



\ ^^..w^ikj^HSh. . ©BRUXELLES 

Atre AfrrviUe \ Hibou " ryartmme. EttnAt 

2^ \^ Limbotêf 

^ ^ iSi r ^ *'"•'• 

^ -P* \ JlJfjULLOril^ 



FiG. 9. — Limites du Français et du Flamand, par A. Hovelacoue. 

qu'il a évolué, produisant les langues d'origine latine. C'est 
là un remarquable effet de transformisme. Mais les évolutions 
ne peuvent être invoquées pour expliquer la disparition com- 
plète du gaulois, opérée par le latin dès son apparition en 
France, sans pour cela que les races occupant alors la France 
aient changé. 

En Bretagne, nous voyons dans la région occupée par les 
deux races bretonnes, la langue resserrer progressivement 
les limites de son aire d'occupation. D'intéressants travaux 
ont été faits sur ce sujet. 

Nationalité. — La nationalité est une union politique 
volontaire ou acceptée de plein gré, basée sur des sentiments 
et des intérêts communs. 

Les nationalités ne se créent pas par simple conquête. 

Le conquérant classique par excellence est Alexandre de 
Macédoine surnommé le Grand. Élevé daivs \e^ \A(i^"$v ^^. 



24 INTRODI'CTION 

revanche des (irees contre les Perses, il sut habilement pro- 
filer de ce sentiment patrioti((uc et national. Il partit au prin- 
temps de l'an 33^ avant notre ère, et en neuf ans il conquit un 
vaste empire allant de la Grèce à l'Inde et de l'Egypte â la 
Bactriane, ces quatre i)ays compris. Cet empire, composé de 
nationalités fort dilTérenles, ne dura que deux à trois ans. 
Alexandre étant mort en avril 3^3, l'empire si brillamment 
conquis s'efTondra rapidement. 

Les empires de Charlemagne et de Napoléon ^''" ont eu le 
même sort sans moditier sensiblement les nationalités. C/esl 
que les nationalités reposent sur des bases tout autres que 
la conquête brutale. Les nationalités se rattachent essentiel- 
lement à des questions de sentiment et d'intérôt. Aussi les vérita- 
bles nationalités sont-elles très vivaces et se maintiennent-elles 
vigoureuses malgré les difTérences de langues et de races. 

Ainsi en Belgique le sentiment national est très développé, 
bien qu'il y ait deux races s'équilibrant à peu près, les Wallons 
et les Flamands ^^fig. 9), bien que ces deux races parlent deux 
langues, non seulement distinctes, mais môme d'origines dif- 
férentes. Les Wallons parlent le français d'origine latine; les 
Flamands, le hollandais d'origine germaine. 

En Suisse, le sentiment national est peut-être' encore plus 
vif, bien (ju'on ait constaté dans la p()j)ulation quatre races 
fort distinctes et (|ue celte population parle quatre langues (1) : 

Le rounvanche employé par 38. 000 habitants. 

L'italien 145.000 — 

Li) français 596.000 — 

L'allemand 1.755.000 — 

Le sentiment national, malgré diverses races, malgré di- 
verses langues, a si profondément pénétré t(mtes les popula- 
tions de la France, qu'on nous reproche de l'avoir exagéré et 
qu'on nous accuse de chauvinisme. Accusation qui, dans ce 
cas, est un véritable éloge adressé à la nation française. 

Le sentiment de nationalité est si grand et si vif dans tous 
les éléments de la nation française, que les Alsaciens, arrachés 
de force a la mère-patrie, sont restés, malgré la race, malgré 
la langue, sincèrement et profondément Français. 

\i} Gersleh et Webeh, Allas poliliqiie cl historique de la Suisse, 1871. 



PREMIERE PARTIE 



DOCUMENTS HISTORIQUES 



CHAPITRE PREMIER 



ATLANTES 



Atlantide de Platon. — D'après les textes, le peuple le 
plus ancien de rOccideni serait les Atlantes, ''ÀT^avreç, 'At- 
Xàvretot, Atlantœ. 

Voici ce qu'en dit Platon (429-8^17 ans avant notre ère), 
dans un dialogue, le Critias, qu'il a consacn*^ tout entier à 
l'Atlantide. 

Neuf mille ans avant Socrate (469-400 avant notre ère) 
« s'éleva une guerre générale entre les peuples qui sont en 
deçà et ceux qui sont au delà des Colonnes crilercule (le 
détroit de Gibraltar) . Athènes fut à la tôle de la première 
ligue, et à elle seule acheva toute cette guerre. L'autre ligue 
était dirigée par les rois de l'Atlantide. Cette île était plus 
grande que l'Asie et la Libye (c'est-à-dire l'Afrique), mais elle 
fut submergée par des tremblements de terre, et, à sa place, 
on ne rencontre plus qu'un limon qui arrête les navigateurs 
et rend la mer impraticable. » 

Platon, dans son Timée^ raconte ([ue Solon, le législateur 
d'Athènes (638-558 avant notre ère), dont il était par sa mère 
l'arrière-petit-neveu, tenait le fait des prêtres de Sais, qui le 
lui contèrent pendant un voyage en Egypte. L'Atlantide dis- 
parut en un jour et une nuit. Les Atlantes, d'aboTÀNc^VM^xi.^ 



aO DOC'.IMKNTS lIlSTOniQUES 

el reli*i^icux, f'iaicnl Tort lieureux; mais, (»lanl devenus vicieux 
et ennemis des dieux, ils lurent tous submergés. Qui ne voit 
là une de ees légendes religieuses où le bon dieu se venge 
cruellement de ses adversaires ? Des légendes analogues se 
retrouvent de tout temps et partout, les prêtres de tous les 
cultes ayant le plus grand intérêt à les créer et à les propager. 

La Bible nous en fournit deux grands exemples : le 
premier, le déluge de Noé ; le second, la destruction de So- 
dome et de Gomorrhe. Sans sortir de la Grèce, nous en avons 
un autre exemple bien connu, le déluge de Deucalion. 

Celte explication, pourtant si simple et si naturelle, de la 
légende de Platon sur l'Atlandide, n'a pas satisfait un grand 
nombres d'auteurs. Ils se sont livrés à de longues dissertations 
et sont arrivés à des conclusions tellement diverses, que nous 
sommes forcé de reconnaître que le récit de Platon et de ses 
commentateurs dans ranti([uité doit laisser beaucoup à dési- 
rer comme précision et comme clarté. 

Ainsi : 

Baer, théologien protestant de Strasbourg, désireux de 
faire confirmer la Bible par Platon, écrit que les prêtres de 
Sais ont dans leur récit fait allusion à la destruction de Sodome 
et de Gomorrhe. Il place donc l'Atlantide en Palestine. 

Latreille la pousse plus avant dans l'Asie et l'indique en 
Perse, où bien d'autres ont casé le paradis terrestre, rêverie 
(jui a même été enseignée et dévelopj)ée il y a peu d'années à 
la Faculté des lettres de Lyon. 

Bailly, l'astronome distingué qui eut l'honneur de présider 
la fameuse séance du Jeu de Paume, premier acte de la Révo- 
lution de 1789, a écrit tout un ouvrage (1) pour établir que 
l'Atlantide était située sur le plateau de la Mongolie. Cela 
rentrait dans la démonstration de l'hypothèse qu'il avait 
émise de l'invention des sciences par un peuple du Nord 
(jui aurait disparu de la terre. 

Olav Rudbeck, savant suédois qui a découvert les vaisseaux 
lymphatiques, mû par un sentiment patriotique exagéré, 
croyait aussi avoir découvert (jue l'emplacement de TAtlan- 
lide se trouve en Scandinavie (2). 

(1) Bailly, Lellrcs sur rAllanlule de Plalon, 1779. 
('2)0.RvmiK(:KfAllandellerManheim,AllanticasiueManheim,veraJapheH 
posferorum sedes el patria, 1075-1698, 3 volumes en suédois et en latin. 



ATLANTES 27 

Bulï'on l'in(li(ju(» loiil simplemenl on Aniôrique. 

L'écossais Mac-Culloch croit que TAtlanlide occupait la 
mer des Antilles, dont les diverses îles ne seraient que les 
débris de cet ancien continent. 

Buache, géographe français du xviii® siècle, place TAtlan- 
tide au Brésil. 

L'espagnol Oviedo, précisant davantage, Tavait depuis 
longtemps indiquée dans le bassin de l'Amazone. 

Terres entre l'Afrique et l'Amérique. — Mais l'opinion 
la plus généralement admise par les partisans de la réalité 
de l'Atlantide est qu'elle se trouvait entre l'Afrique et l'Amé- 
rique, dans l'Océan Atlantique (fig. lo). C'est en effet le point 
que Platon dans sa légende semble nettement indiquer. Dans 
ce cas, les îles du Cap- Vert, les Canaries, Madère et les Açores 
seraient les témoins et les débris de cette vaste terre engloutie. 

Pour défendre cette opinion, on a fait intervenir les sciences 
d'observation. En elfet, ce sont elles qui doivent avoir le der- 
nier mot. On a réclamé leur témoignage pour et contre. Évi- 
demment les uns ou les autres se trompent. Recherchons 
impartialement de quel côté est la vérité. 

Une observation incontestable et maintenant incontestée 
par tous les naturalistes, c'est que la faune de l'Amérique 
centrale et méridionale est absolument distincte de la faune 
de l'Europe méridionale et de l'Afrique. Ne parlons que des 
mammifères qui ont la locomotion facile et qui, vu leur 
taille, sont plus connus. Avec eux la démonstration ne laisse 
aucun doute. Les mammifères des deux continents sont 
totalement différents. Non seulement ils diffèrent tous sans 
exception comme espèces et comme genres, mais môme en 
grande partie comme familles. Ainsi les tatous sont exclusi- 
vement américains. ^ 

Les singes se divisent en deux grands groupes : les catar- 
rhiniens, à 82 dents et sans queue prenante, qui habitent 
uniquement l'ancien continent , et les platyrrhiniens, à 36 dents, 
avec queue prenante, qui sont tous américains. Il n'y a donc 
pas eu jonction ni même communication entre rAfri([ue et 
l'Amérique à l'époque actuelle. La séparation des deux conti- 
nents date d'une manière certaine des temps géologiques, 
car la division des deux groupes de singes existe déjà dans les 
débris fossiles, et les tatous, très déveVoççès» vi \^\)oa^^ \fôç- 



I I 1 I I ) ni 

II I I 1 n ni . 
1 l 1 t I I ( îl-s FnrliL 

I ' ' b I loiTfst 



iiiyri:s 
en AiiH''ni|iii', iiiaiH[iiinl 



quii ri 



(li's antions. 

ne sOiie de 

pi t ni aijst'ntcs sur lo conli- 




ncnt afr 

1.1 <lishii 



linrlc 



iiin li'i's voisin, éloigné si'iilcmonl (le i5o kilomètres, 
(• (Je PiiHh îi Al>bovi!lc, ou de Lvon soif A Bcauno 
loil i'i Mniifôlirnai- an sud. OHe fauno rlail d<'jâ dis- 
fin du ferfiîiii'e. iJoiic, de ce côfé aiissi, il n'y a eu 
aiiciiiie joiu-fion cnfre un conliiienl dÎKjiani el l'Afrique. 

Tivs liicn ! Mais l'ialoti dif qne l'Allanfide élait une Ile, 
grande contme l'Asiii ef l'Afrique ivuiiios. Dès lors, Canaries, 
Iles du Cap-Verf, Madère ol A<;orcs en sonl les restes et les 
tàino'ms. Ces débris d'une même terre devraient donc avoir 



ATLANTES 29 

des caractères communs. Eh bien! il n'en est rien. L'Atlantide 
étant très peuplée, des habitants auraient ^dû rester sur 
toutes ces îles. Or, au moment de leur découverte, Madère en 
1344 et les Açores en i432, il n'y avait dans ces îles aucune 
3opulation. 11 n'y avait pas môme, au moins pour les A(;ores, 
ie mammifères terrestres ni de reptiles, ce qui montre bien 
jue ces îles n'ont jamais été liées à aucune grande terre. Cha- 
jue groupe a une faune et une flore particulières ne s'enchaî- 
lant pas Tune à l'autre, ce qui démontre qu'elles n'ont pas eu 
le rapports entre elles. Nous sommes parfaitement fondé à 
iire, nous basant sur l'histoire naturelle, qu'aucune grande 
.erre n'a existé depuis la fin des temps tertiaires entre l'Afrique 
3t l'Amérique méridionale ou centrale. Nouvelle et formelle 
preuve que l'Atlantide de Platon est une simple légende reli- 
gieuse associée à une œuvre d'imagination suscitée par un 
amour-propre national exagéré. En elfet, Platon fait remonter 
les événements à 9,000 ans avant Socrate, qui but la ciguë 
l'an 4oo avant notre ère, de sorte que les Athéniens ont eu 
l'immense mérite de remporter une grande victoire bien 
longtemps avant la fondation d'Athènes, c'est-à-dire avant 
leur existence. Le Critias et le Timée sont donc tout simple- 
ment des conceptions socio-philosophiques dans le genre du 
Voyage en I carie de Cabet. Ce qui le montre bien, c'est 
qu'Elien (1), mort vers l'an 260 de notre ère, rapporte une 
légende de Théophraste (371-264 avant notre ère), analogue à 
celle de Platon. 11 s'agit de la Méropide, continent tellement 
merveilleux qu'il est de toute impossibilité de le prendre au 
sérieux. Or Théophraste a été pendant vingt-quatre ans le 
contemporain de Platon. On voit qu'à cette époque l'esprit en 
Grèce était à ce genre de conceptions. C'était le règne des 
romans à la Jules Verne. 

Habitants de l'Atlas. — A coté des Atlantes imaginaires 
de la légende religieuse et théocratique de Platon, il y avait 
des Atlantes vrais. Ce sont les habitants de l'Atlas et des 
plaines qui se développent au pied de cette chaîne de mon- 
tagnes. Ces Atlantes occupaient l'extrémité nord-ouest de 
l'Afrique, le Maroc océanien actuel. Pour les rejoindre, il fal- 
lait traverser le détroit de Gibraltar et tourner au sud. C'est 

(1 Elien, De Animalihiis. liv. 111. 



3o DOCUMENTS lllSTOUIQUES 

ce qui a fait dire aux auteurs anciens qu'ils habitaient au 
delà des Colonnes d'Hercule. Cette côte océanienne de 
l'Afrique n'était pas inconnue des anciens, puisqu'ils connais- 
saient les îles Fortunées, les Canaries, qui se trouvent en 
face. 

Hérodote (/|84-4o6 avant notre ère) cite ces Atlantes, qu'il 
nomme Atarantes, 'ATapavTe; (i). 

Vers le commencement de notre ère, un auteur grec, Dio- 
dore de Sicile, et un auteur latin, Pomponius Mêla, parlent 
aussi de ces habitants de l'Atlas sous le nomd'ArXavTeiot (2) et 
d'Atlantes (3). Mais il n'est pas établi, pas môme indiqué, que 
ces peuples, qui ont dû se joindre aux Libyens pour combattre 
les Égyptiens, se soient jetés sur l'Europe dans la haute anti- 
quité. Les Atlantes, au point de vue de nos recherches parti- 
culières, doivent donc être laissés de côté. 



CHAPITRE II 



EGYPTE 



Grande Mer et Grand Circuit. — Comme documents 
historiques sérieux, les premiers en date sont ceux laissés 
par rÉgypte. Ces documents remontent à 5ooo ans avant 
notre ère. Mais alors l'occident de l'Europe n'existait pas pour 
les peuples de l'Orient, chez lesquels se développait l'his- 
toire. En effet, la première pièce historique dans laquelle il est 
fait mention de peuples européens occidentaux, est une stèle 
découverte par Mariette, datant du nouvel empire. 

Cette stèle rappelle la victoire remportée sur les Libyens cl 
leurs alliés par Thothmès IH, connu aussi sous le nom de 
Miphramouthosis. Thothmès III, d'après Mariette, vivait en 
1625 avant notre ère. Dans l'énumération des vaincus, il y a 

(1) ïlÉRODOTi:, liv. IV, § 184. 

(2) DioDonE DE Sicile, liv. III, S 56. \ 

(3) PoMPOMUs Mêla, liv. I, ch, iv. 



32 DOCIMKNTS lIlSTOlUgiES 

onze articles, parmi lesquels on remarque les deux suivanTs 
traduits littéralement : 

(( Ceux qui habitent les îles dans rinlérieur de la Grande 
Mer (fig. ïi). 

<( Les extrémités des ternes et le Pourtour du Grand Cir- 
cuit. » 

11 est évident que pour les Égyptiens la Grande Mer était la 
Méditerranée. Il s'agit donc, dans le premier passage, des îles 
de la Méditerranée, parmi lescpielles se trouvent la Sicile, la 
Sardaigne et la Corse. 

Les extrémités des terres désignent le détroit de Gibraltar 
et les côtes qui se développent au delà, soit vers le nord, côles 
d'Espagne et de Portugal, soit vers le sud, côtes du Maroc, que 
nous avons vues habitées par les Atlantes, peuple de TAtlas. 

Quant au Pourtour du Grand Circuit, c'est le pourtour de 
la Méditerranée, pourtour dont (ont partie les côtes de France. 

Ce sont là des données bien vagues comme indications, mais 
pourtant bien certaines. Tel est le premier enseignement liiî^- 
torique. 11 faut avouer qu'il est d'un bien maigre intérêt. H 
date de la fin du xvn*^ siècle avant notre ère. 

Pour en trouver un second, il faut, franchissant plus de deux 
cents ans, descendre jusqu'au commencement de xn*" siècle. 
Sous Ramsès 11, i[ui d'après Mariette régnait en 1^07, et en 
i388 d'après Chabas, nous voyons des Sardes faits prisonniers 
entrer comme auxiliaires dans l'armée égyptienne. Ils prirent 
part à la lutte contre la confédération asiatique. 

Les documents égyptiens nous apprennent encore que sous 
Meneptah P% (ils de Ramsès 11, i32i avant notre ère, les Li- 
byens formèrent une nouvelle confédération des peuples du 
Grand Circuit et de la (irande Mer pour attaquer l'Egypte. 
Cette confédération, ([ui fut battue, comprenait entre autres 
les : 

Shakalshas ou Sicules. 

Shardanas ou Sardiniens. 

Tourshas ou Etrusques. 

Enfin au xni" siècle avant notre ère, Ramsès 111, 1288, d'après 
Chabas (1), eut à combattre dans l'Asie occidentale une inva- 



(1) F. CiiAiJAS, Études aur Vantiquilé hislori<iue d'après les sources 
éfjyplicnnes, i>.c éd., 1878. p. 280. 



PHÉNICIENS ET CARTHAGINOIS 33 

considérable de populations européennes, parmi lesquelles 
cuvaient les Sicules. 

fait constaté par les monuments égyptiens est fort 
Ttant parce qu'il établit d'une manière certaine que les 
dons de TOrient par les peuples de TOccident datent de 
coup plus loin qu'on ne les fait remonter d'habitude, 
i au xiii^ siècle avant notre ère, les Européens occidentaux 
laient déjà sur l'Asie Mineure, qui alors était soumise à 
fple. 



CHAPITRE III 

PHÉNICIENS ET CARTHAGINOIS 

éniciens. — Les Phéniciens sont le peuple de l'anti- 
! qui passe pour avoir le plus parcouru la Grande Mer et 

le plus de colonies dans ses îles et sur ses côtes, 
mmés par les Grecs : (I>oivixe(7, et par les Latins : Phœ- 
, ils habitaient sur la côte orientale de la Méditerranée, 
pays a fréquemment varié de limites. On peut estimer sa 
leur à 200 kilomètres. Mais, étroitement resserré entre la 
;t les montagnes du Liban et de l'Anli-Liban, sa largeur 
t en moyenne que de l\0 kilomètres. C'était donc un 
e essentiellement maritime. Ce territoire est désigné 
la Bible sous le nom de Terre de Chanaan. Les deux prin- 
îs villes étaient Tyr et Sidon. Ces villes ne formaient pas 
it proprement dit, mais une confédération, chaque ville 

son administration particulière. 

premier souverain de Tyr cité dans la Bible est Hiram 1®^ 
vait en io5o avant notre ère. Son fils Hiram II, en looo, 
at un traité de commerce avec Salomon. 
. données historiques fournies par l'Egypte remontent 
;oup plus haut. Les Phéniciens, nommés Kefat par les 
Liens, d'après Chabas (i), apparaissent pour la première 

HABAS, Éludes sur V antiquité historique^ 1878, p. 119. 

G. DE }A0BT1LLET. ^ 




34 DOtXMENTS lllSTOlUgUES 

fois sur les monuments vers Tépoque de Thothmès III, clans le 
xvir' siècle^ avani noire ère. Ils y sont déjà donnés comme des 
commeiranls. Ils étaient aussi iorl estimés comme marins ; car, 
lors(iue Nechao 1 1 , de la XXVP dynastie égyptienne, qui régnait 
cnT)!!, voulut faire explorer le (irand Circuit, c'est à des 
navigateurs phéniciens qu'il s'adressa. 

Les Phéniciens établirent de nombreux comptoirs dans la 
Grande Mer et ménie au delà. Plusieurs de ces comptoirs 
devinrent des villes importantes. 11 nous suffira de citer Gar- 
thage, dont nous aurons à parler tout à Theure. 

Des irac(^s de leur passage se retrouvent dans la péninsule 
Ibéricpie, sur certaines monnaies se groupant autour des Pyré- 
nées vers les côtes de la Méditerranée, en Espagne et en France. 

Les Ibères ont emprunté leurs signes 
alphabétiques aux Phéniciens et à 
d'autres peuples asiatiques; on les 
voit plus ou moins altérés sur les 
FiG. 12. - Monnaie ceitibû- moimaics ccltibériennes et ibéro- 

rienne avec caractères ibères, ligurCS. 

conimunicniée par A. de Bar- «xii j u «n t < 

TiiÉLEMY. Gr. nai. Stèlc de Marseille. — La trace 

des Phéniciens s'est aussi retrouvée 
à Marseille. Kn démolissant une vieille maison située non loin 
de rempla(!ement du temple de Diane, vers i845, on décou- 
vrit deux fragments d'une plaque en pierre brune s'ajustani 
exactement et portant une inscription phénicienne (fig. i3). 
Gontrairement à ce (jui a été dit, la ro(?he n'est pas de prove- 
nance provencjale. Vasseur, professeur de géologie à Marseille, 
l'ayant étudiée avec soin (T;, a reconnu qu'elle est tout à fait 
analogue à (relie d'une inscription découverte dans les ruines 
de (^4arthage. Examinant au microscope des fragments des 
deux roches, il v a rencontré des foraminifères semblables 
dans un état tout particulier de fossilisation. L'inscription de 
Mars(Mlle provient donc très probablement de Garthage. Elle 
occup(^ actuellement une place d'honneur au Musée Borély. 
Gette inscription contient 21 lignes plus ou moins complètes. 
G'est le texte d'une loi ou ordonnance concernant les sacri- 
fices, signée de deux noms. On a supposé ([ue c'étaient les suf- 

Vi; Vasskih, As:iO('ialion fram^'ahe, réunion do Marseille, 1891, u* sec- 
lion. 



PHÉNICIENS ET CAHTllA(;iN(>IS 35 

fêtes ou magistrats suprômcs de Carthage. Abstraction faite 
des préfixes, du copulatif et de l'article, cette inscription se 
compose de 89 mots, que Munk partage ainsi : 

59 appartiennent h riu'^breu biblique. 

8 à riiébreu avec forme ou acception diff(''reiite. 

4 expliqués par Thébrcu, interprétation peu certaine. 
10 font partie d'autres dialectes sémitiques. 

8 sont inconnus ; on est réduit h des conjectures. 

89 sur lesquels 67 mots hébreux. 

Ce sont les trois quarts. C'est donc une langue sémi- 
tique et non khamitique, bien qu'elle soit la langue de la Terre 
de Chanaan qui, d'après la jB/6/e, est le fils de Cham^ C'est là un 
exemple des plus frappants des graves inconvénients de l'em- 
ploi dans la science de noms tirés de l'histoire. Il y a là un 
contresens flagrant. 

Les rapports de cette inscription phénicienne avec l'hébreu 
ne doivent pas surprendre. Nous lisons dans Texcellent traité 
la Linguistique d'Hovelacque(i) : « On peut dire sans crainte 
qu'il exista une langue chananéenne commune qui donna 
naissance, par la suite du temps, à l'hébreu et au phénicien. 
Ces deux idiomes sont frères, il faut les placer sur le même 
rang, et l'on exprime une opinion tout à fait inexacte en 
^ disant que le phénicien est un dialecte hébraïque. » Ces deux 
dialectes de la môme famille, si produis parenls, ne sont pas 
mère et fils, comme bien des personnes le pensent, mais bien 
deux frères, fils d'une môme mère. 

Renan et Barges (2) croient l'inscription phénicienne 
de Marseille antérieure à l'arrivée des (irecs, c'est-à-dire 
au VI® siècle. Movers, Munk et Ewald la rajeunissent, 
pensant qu'elle a été gravée sous la domination grecque, 
mais par le groupe des commenjants phéniciens habitant la 
cité. 

Nîmes. — La ville de Nîmes, appelée d'abord Nemosus, 
puis Colonia Nemausensis Augusta, passe aussi pour une co- 

(1) HovELACQUE, La Linguistique^ 1876, p. 177.— (Je volume fait partie 
de la Bibliothèque des sciences contemporaines. 

(2) Renan, Histoire comparée des langues sémitiques, — Barges, Mé- 
moire sur trente-neuf nouvelles inscriptions puniques, 1882. 



36 DOCUMENTS HISTORIQUES 

lonie pliénicipnno personnifiée par IHtrcuIc Tjrion daprùs 
de La Saussavc et Vmédée Tliicrrv ( 1 1 

En effet un géogiaphe grec du vi^ suele htienne de Bj 
zince pr(!lend que "Nîmes fut fondée par Nemausus fils 
d Hercule qui d après ts( liyle Slrabon Eustathe aunit élc 
vainqueur des Ligures dans le ( hampdes Pu rre nom qu on 




' 'nimyihi'lKfmi «°«"»nf 

Fi(i. 1^. — liiscrlpUon pliéniciunnc du Musùe Borôly. à Marseille. 

allribiiu sans grands fondpnipnls à la Plaine de la Crau. 
C'esl encore et toujours la légende qui déborde snr l'his- 
toire. 

Les Phéniciens ot les Carthaginois émnicmment naviga 
leurs et commerijants, n'auraient pas fondé une ville loin de 
la mer et sans cours d'eau navifçable 

Mais il est inutile de s'étendre (la\anlage siiT les Pheni 
ciens. Évideminenl, il en est venu sur le sol liintais imi 
d'un pays forl restreint; ils n'ont jaimts pu étie tris nom 

(I) De 1 



PHÉNICIENS ET CARTHAGINOIS 87 

breux et, avant tout commerçants, ils répandaient plutôt 
les produits des autres que les leurs. C'est ce qui fait que les 
antiquités positivement phéniciennes sont si peu abondantes, 
je dirai même si rares. Aussi Lagneau (i) a-t-il pu dire avec 
beaucoup de raison : « Les colons Phéniciens et Carthagi- 
nois de notre littoral méditerranéen et des Pyrénées ont dû 
laisser quelques souvenirs historiques et archéologiques, ils 
ne paraissent pas avoir laissé de descendants. » 

Carthaginois. — A propos des Carthaginois, les Kapxy)8ovtot 
des Grecs et les Carthaginenses ou tout simplement les Pœni 
des Romains, il nous reste à parler de leur passage à travers 
la France sous la conduite d'Annibal. Ce fait, connu de tout 
le monde, a été raconté par deux historiens : l'un grec, presque 
contemporain, Polybe (210-128 avant notre ère), qui a visité 
Carthage avec Scipion Émilien; Tautre latin, Tite-Live (69 ans 
avant notre ère à 17 après), vivant donc environ 200 ans 
après l'événement qui avait produit la plus grande sensation 
à Rome. 

Voici lès détails fournis par ces auteurs. Annibal, qui venait 
de s'emparer de Sagonte, l'an 219, rassembla en Espagne une 
armée composée dit-on de : 

90,000 fantassins, 
12,000 cavaliers. 

Il se porta sur les Pyrénées, qu'il franchit en 218, seulement 
avec : 

5o,ooo fantassins, 
9,000 cavaliers, 
37 éléphants. 

11 laissa le reste en Espagne pour maintenir le pays et 
résister aux Romains. Lorsqu'il eut passé les Alpes, il avait 
perdu en cinq mois de marches : 

3o,ooo fantassins, 
6,000 cavaliers. 

Il ne faut pas croire que tout ce monde était mort. Beau- 
coup certainement étaient restés en route ou avaient déserté. 
Mais, en admettant que les chiffres soient exacts, ce qui est 

(1) Lagneau, Anthropologie de la France, 1879, p. GG4. 



38 DOCUMENTS HISTORIQUES 

loin d'être prouvé^ (|U 'est-ce ([uc vingt mille personnes semées 
sur un trajet de plus de 700 kilomètres? C'est un nombre insi- 
gnifiant qui ne peut modifier la population. En admettant 
môme qu'il y ait eu modification, elle ne pourrait être attri- 
buée c^ l'élément carthaginois qui était en minorité dans Tar- 
mée d'Annibal, formée surtout de mercenaires. L'infanterie se 
composait d'Ibères et de divers peuples d'Afrique ; la cavale- 
rie, de Numides. La traversée de la France par Annibal ne 
contrarie donc en rien la conclusion de Lagneau. 

En évaluant la longueur de cette traversée, j'ai dit 700 kilo- 
mètres au moins. Ce n'est là qu'une approximation, car, en 
effet, quelle qu'ait été l'importance du passage des Alpes par 
Annibal, nous sommes loin d'être fixés sur le point où s'est 
effectué ce passage. Il a donné sujet à de fort nombreuses 
dissertations, et la question n'en est pas plus avancée pour 
cela (fig. i/|). Sur quatre-vingts dissertations : 

19 concluent pour le Grand-Saint-Bernard, 

23 pour le Petit-Saint-Bernard, 
1 pour Roche-Melon, 

10 pour le mont Ccnis, 

24 pour le mont Genèvre, 
3 pour le mont Viso. 

Brillant exemple de la clarté des textes historiques et de la 
valeur des conclusions qu'on peut en tirer. 

Les fatigues du passage des Alpes décourageaient les sol- 
dats d'Annibal ; mais le chef carthaginois ranima leur ardeur 
en leur montrant, du sommet des Alpes, les riches plaines 
d'Italie, arrosées par le Pô. Or, d'aucun des passages cités et 
discutés, on n'aperçoit ces plaines, si ce n'est peut-être du 
mont Viso, celui qui justement, après Roche-Melon, a eu le 
moins de partisans. 

La concision et surtout le peu de précision des textes ne 
sont pas la seule cause des erreurs. Il en est une autre très 
fré(|uente : la consonance des noms. On en tire les conclu- 
sions les plus hasardées et les plus fausses. Nous pouvons en 
citer deux exemples à propos de la Libye, dénomination an- 
tique de la partie de l'Afrique où se trouvait Carthage. 
Pline signale (1) une bouche occidentale du Rhône, qu'il 

(1) Plink, Histoire naturelle, 1.1, ch. ni. 



PHÉNICIENS ET 



A1ITI1AI11NOIR 




4o DOCUMENTS HISTORIQUES 

nommé Ora Libica. On en a supposé, en raison de la conso- 
nance, un comptoir ou station libyenne. Il n'en est rien. Cette 
bouche du fleuve emprunte tout bonnement son nom aux 
Libici^ tribu locale, qui plus lard, de l'avis de Pline lui- 
même (i), a émigré, ainsi que les Salyes, leurs voisins, dans 
la vallée du Pô ou Gaule cisalpine. 

Le second exemple est bien plus récent. Un archéologue de 
TArdèche, Ollier de Marichard, ayant fouillé des sépultures 
dans une petite vallée nommée Liby, à 4 kilomètres du Bourg- 
Saint-Andéol, trompé par la consonance de nom, a publié 
en 1870 un mémoire sous le titre : Les Carthaginois en 
France ; colonie lib y o- phénicienne du Liby [Ardèche). Malheu- 
reusement l'archéologie vient détruire entièrement cette con- 
clusion basée sur une simple similitude de nom. Les poteries 
rencontrées dans les sépultures sont du iv*' au vii^ siècle de 
notre ère, et ces sépultures elles-mêmes se rencontrent au 
milieu de substructions romaines (2). 

Les détails historiques qui précèdent démontrent que l'in- 
fluence phénicienne sur la composition de la population 
française est presque nulle. La variété des opinions émises 
sur le passage des Alpes par Annibal, un des faits les plus 
remarquables de l'histoire romaine, prouve que les auteurs 
anciens étaient bien peu précis sous le rapport géographique. 
Qu'attendre d'eux sous le rapport anthropologique? fis com- 
prenaient la valeur de la géographie et attachaient peu d'im- 
portance à la description des types humains. Les descriptions 
des hommes doivent être encore bien plus vagues et incer- 
taines que celles des lieux! 



(1) Pline, Histoire naturelle^ 1. I, ch. m. 

(2) G. DE MoRTiLLET, Grotlcs de l' Ardèche; Grecs et Carthaginois y 
séance du 5 juin 1878, do la Société d'Anthropologie, Bulletins, 
p. 557. 



GRECS 4l 



CFIAPITRE IV 



GRECS 



Archéologie, monnaies, inscriptions. — Les fouilles d'Ol- 
lier (le Marichard dans le sud de l'Ardèche, si elles n'ont 
pas fait constater la présence des Libyens, ont eu le mérite de 
nous fournir de fort intéressants matériaux concernant les 
Grecs. 

La grotte d'Ebbou, à 5 kilomètres de Vallon, a fourni un 
vase en poterie noire, fine, d'un galbe très élégant, qui était 
associé à un miroir de forme grecque, soit disque métallique 
à long manche. 

La grotte de Grena, à Ruoms (i), contenait de nombreux 
fragments de poterie très fine, de teinte grise, parfaitement 
cuite, affectant des formes élégantes, semblables à celles que 
l'on trouve en Grèce. C'étaient, entre autres, des coupes plates 
à base ou pied assez élevé, avec deux anses latérales en forme 
de fer à cheval (fig. i5 et 16). J'ai reconnu dans la collection 
Ollier de Marichard les débris d'au moins sept de ces coupes. 
Il y avait aussi une anse d'amphore, en terre jaune, fort élé- 
gante, rappelant les anses des amphores du meilleur temps 
grec. 

Tournai nous apprend (2) que sur un autre point de la 
France méditerranéenne, à Montlaurès, près de Narbonne, 
en 1864, des ouvriers ont découvert un beau vase orné de 
peintures ; malheureusement il a été brisé. 

A ces observations il faut ajouter les nombreuses ins- 
criptions grecques rencontrées dans le midi de la France, 
surtout le long de la côte. — Comme inscriptions de l'occupa- 
tion grecque, nous pouvons citer : Antibes, Aix, Carpentras, 
Vienne, Nîmes, Béziers; comme inscriptions grecques de l'oc- 
cupation romaine : Antibes, Fréjus, Avignon, Vaison, Die, 
Nîmes. Rien que dans les Alpines, Bouches-du-Rhône, L. Ro- 

(1) Gabriel DE Mortillet, Les Grecs du bassin du liliône. dans Bull. 
Soc. d'anthrop. Lyon, 10 avril i883, p. 53. 

(2) TouRNAL, Catalogue du Musée de Narhonne, 18O4, p. 8. 



42 



DOCUMENTS HISTORIQUES 



chclin il) file quatre inscriptions à Saint-Rémy, une t 
Oi^on pt un graffitc sur polerie à vernis noir aux Baux 
nom CD caractères grecs du propriétaire gaulois du vaso 
D'après Almei ces inscriptions des AJpines sont en grer 
corrompu ou en idiomes gaulois cents en caractères grecs , 

Si daulie part nous tenons 
compte des monnaies dites gau- 
loises poilant des légendes grec- 
ques monnaies très abondantes 
dans le sud-est, communes en- 
core tn allant vers le centre et 
se montrant parfois jusque vers 
le nord de la France, nous som- 
mes forces dadmcttrc que l'in- 
lluence giecque a été bien plus 
grande en France que celle 
de tons les peuples que nous 
avons examines jusqu a présent. 

Les populations qui occupaient la France avant l'arrivée 
des Grecs des Hellcnes, "EXi^ijvtî, sur la côte méditerra- 
néenne, n avaient poinl d'écriture, aussi adoptèrent-elles très 








facilement l'alphabet des nouveaux venus, alphabet qui se 
propagea de proche en proche bien au delà des régions occu- 
pées par les Grecs. 
De même, pour les inscriptions, loulcs celles écrites en 

(i) L. RociiETiN, Les Baux dons l'anlitjaité, 1890. 



GRECS 43 

caractères grecs ne sont pas en langue grecque. A côté des 

■ 

inscriptions complètement grecques, il s'en trouve de gau- 
loises écrites avec des lettres grecques. Mais tout cela prouve 
que l'influence et l'action des Grecs ont été considérables, 
bien plus importantes que celles des Phéniciens et des ("artha- 
ginois. C'est le contraire qui a eu lieu en Espagne, 0(1 les 
légendes monétaires sont, comme nous l'avons déjà dit, 
non en lettres grecques, mais en caractères d'origine asia- 
tique. 

Une autre preuve de l'influence grecque dans le midi de la 
France peut être tirée des monnaies. Tandis que dans tout 
l'intérieur de la Gaule et dans le nord, les types monétaires 
dégénéraient rapidement et devenaient informes, le long de 
la côte méditerranéenne ils se maintenaient beaux et artis- 
Uques. Le génie de la Grèce se manifestait brillamment et se 
conservait avec plus ou moins de pureté. 

Colonies grecques. — Aussi, longue est la liste des villes 
grecques de notre littoral méditerranéen mentionnées par 
Scymnos, Strabon, César, Pline, Pomponius Mêla, Ptolémée, 
Stéphane de Byzance et maints autres auteurs (fig. i4). La 
voici telle que Lagneau a eu la patience de la résumer (1) : 

(( ^HpaxXeoç Movoixoç, Portas Herciilis Monœci^ le Port de la 
Maison-isolée d'Hercule, actuellement Monaco; Nixata, Nicœa^ 
la Victorieuse, actuellement Nice ; 'AvTt7ro>itç, Antipolis^ la 
Citadelle, actuellement Antibes ; Alhenopolis Massiliensium, 
la ville marseillaise de Minerve; 'OXêia, l'Heureuse, aujour- 
d'hui Eaube, selon Am. Thierry ; 'lepov, le Sanctuaire, actuel- 
lement Hyères ; Kupi^vy) et TpotîV), Cyrène et Trœzène, peut-être 
actuellement Correns et Tretz ; Lacydon^ Lacydon ; KtOapîcjTa, 
Citharista, Citharisten^ la Joueuse de Harpe,, actuellement la 
Ciotat ; TaupoévTtov, Taupoetç, Tauroin^ Tauroenta Castellum 
Massiliensium^ le Fort marseillais du Taureau, actuellement 
le bras de Saint-Georges et de l'Evescat ; "Ilpax^ea, Heraclea, 
la ville d'Hercule, près d'une des embouchures du Rhône, 
aujourd'hui Saint-Gilles; 'Poyj 'Ayaôri, 'AyaOr, Tu/y), Agatlia 
Massiliensium, la Bonne-Fortune, la Fortunée, actuellement 
Agde à l'embouchure de l'Hérault ; et enfin en Ibérie, au sud 
des Pyrénées, 'EfxTioptov, Emporium, le Marché, actuellement 

(1) Lagneau, Anthropologie de la France^ 1^791 ï> . ^^- 



44 DOCUMENTS HISTORIQUES 

Ampurias. A relatas, Arelate, Arles, reçut des colons qui s'y 
étaient fixés le nom de (=)y,Xuvy,, Theline, la Nourricière, la 
Féconde, mentionnée par Festus Avienus. Par suite de la 
présence de nombreux immigrants grecs, certaines villes de 
peuplades celtiques ou ligures du sud-est de notre pays, 
entre autres des Cavares, comme 'Aouevwov, Avenio, Avignon, 
et KaêeXXwov, Cabellio, Cavaillon, furent considérées comme 
des villes fondées par les Marseillais. Il en fut de même de 
Ngjxauffoç, Nemausus, Nîmes. » 

A cette longue énumération on peut ajouter Narbonne. 

Les textes anciens, comme la citation que nous venons de 
faire, montrent bien que de toutes ces colonies grecques, 
plus ou moins directes, la plus importante était Marseille. Elle 
fut, paraît-il, la première colonie grecque établie sur les côtes 
de France, et devint la colonie mère. 

MaaaaXia, Massilia, Marseille, fut fondée tout à fait au 
commencement du vi° siècle, vers 699 avant notre ère, par 
des Grecs de l'Asie Mineure. Ils étaient partis de Phocée, 
ville de l'Ionie, à l\i kilomètres de Smyrne actuel ' vers le 
nord-ouest. Ce fait historique est rapporté par Aristote(i), qui 
écrivait environ 260 ans après, et par Justin (2) au bout de dix 
siècles. Aussi l'un et l'autre, surtout le dernier, l'entourent-ils 
de détails légendaires que nous avons racontés précédemment 
(p. 4). D'accord sur le fait fondamental, les deux auteurs ne 
le sont plus sur les noms. Le chef de l'émigration phocéenne 
est Euxènc, Protos ou Simos. La jeune fdle s'appelle Petta, 
d'après Aristote, Gyptis, d'après Justin. Elle épouse soit le 
père, Euxène, soit le fils, Protos. On voit que les détails pure- 
ment historiques sont eux-mêmes peu précis. 

Mais il y a plus encore. Vere le milieu du vi*^ siècle avant 
notre ère, d'après Hérodote (3) qui écrivait moins de i5o ans 
plus tard, Harpale, général de Cyrus, s'étant emparé de Pho- 
cée, une partie des habitants ne voulurent pas se soumettre 
aux Perses. Ils s'embarquèrent, avec femmes et enfants, sur 
des vaisseaux à cinquante rames d'invention phocéenne et se 
rendirent à Aléria, colonie grecque fondée depuis peu en 



(1) AiusTOTE, Fragmenta, frag. XIII, apud Alhénée. 

(2) Justin, liv. XLIII, § 3. 

(3) HÉRODOTE, liv. I, Ch. CLXIV et CLXV. 



UHECS 45 

Corse. Inquiétés par les Tyrrhénicnsou Élmsqueii et les Car- 
thaginois, une partie des uoiiveaux venus se rendirent j'i Mar- 
seille. Ont-ils simplement renforcé la colonie primitive dont 
nous venons de parler, ou bien sont-ils les véritables colonisa- 
teurs? Sur ce point, il y a encore des doutes. Toujours est-il 
ceriain que la fondation de Marseille date du vi" siècle avant 
notre ère, tout à fait au commencement ou vers le milieu. 

Corse et Sardaigne. — Puisque nous venons de parler 
le la Corse, nous allons tout de suite épuiser ce que nous 
ivons à en dire. Son nom se trouve mClé à la légende de 
'AHanlide de Platon. D'après Murcus Terenlius Varro, Phor- 
-vs, roi de Corse 
;tde Sardaigne, 
'ut vaincu dans 
'ne bataille na- 
tale par le roi 
Uiante. 

Comme on le 
oit, les anciens 
ccou plaie nt as- 
'!■ volontiers la 
orso et la Sar- 
aigne. Cette 
srnière île a été 

I première citée. Nous avons vu (p. 3a), dans les xiv et 
:»" siècles avant notre ère, des Sardiniens associés aux Li- 
yens pour envahir l'Egypte, ou bien servant comme merce- 
ïires dans l'armée égyptienne. Très probablement avec ces 
ardihicns il devait y avoir des Corses : les deux ries sont si 
^isines et ont tant de rapports ensemble! 
Le contact cl les relations de la Sardaigne avec les t^gyp- 
ïns sont parfaitement établis par l'archéologie. Il suffira de 
t^er les tombeaux de Tharros, près Oristano, dont une partie 
>ntientdesmobiHersfunérairesessentiellemenl égyptiens. Les 
arabées s'y rencontrent fréquemment (fig. 17 et 18). Cesobjets 
aient même parfois fabriqués dans l'île, comme le prouve 
'tat de dégénérescence artistique de certains d'entre eux. 
Des inscriptions phéniciennes et des stèles funéraires avec 

figure triangulaire, à bras relevés et coudés, à tète for- 
^e par des emblèmes astronomiques, le soleil et le crois- 




Scorabie éayplien en ilii 
Je Timrros (Sur 



4& DOCUMENTS HISTORIQUES 

sant, type complètement punique, rappellent les Carthagi- 
nois. 

Les Grecs sont révélés par les monnaies et les inscriptions 
en caractères grecs qui sont disséminées dans toute l'île. 

Des Romains, nous n'en parlons pas, les témoignages de 
leur passage abondent en Sardaigne comme dans tous les lieux 
qu'ils ont occupés. Ces témoignages se rencontrent aussi en 
Corse, mais les précédents y ont encore été très peu 
recueillis. 

Pausanias, géographe grec du n*' siècle de notre ère, con- 
sacre tout un chapitre (i) de son livre X, Voyage de la Pho- 
cide^ à la Sardaigne. C'est un amas de légendes sans fonde- 
ment, comme le prouvent ce qui a rapport à l'histoire naturelle 
et les données concernant les Egyptiens, nouvelle démonstra- 
tion de la prudence que l'on doit apporter dans l'inlerpréta- 
tion et l'application des textes anciens. 

Dans ce chapitre, il est question des Corses. 

« Près de la Sardaigne est une autre île, que les Libyens 
nojnment l'île de Corse et que les Grecs appellent Cyrnos. Une 
partie considérable des habitants de cette île, chassée par 
l'autre dans une sédition (jui les divisait, passa en Sardaigne. 
De là un peuple que, dans la Sardaigne môme, on nomme 
les Corses, du nom qu'il portait dans son propre pays. Dans 
la suite, les Carthaginois vinrent s'emparer de la Sardaigne 
et en soumirent tous les peuples, sauf les Iliens et les Corses, 
que leurs montagnes défendaient contre cette invasion. » 

La Corse, Kupvoç d'abord, Kopcrtç et Kopatxa ensuite, Corsas 
et Corsicanus des Latins. Suivant l'habitude antique, on a fait 
dériver son nom de récits mythologiques et légendaires. 
Kyrnos, le premier nom qui lui a été attribué par les Grecs, 
serait aussi le nom d'un héros, fils d'Hercule. D'autre part, la 
légende veut que Korsis ou Corsus vienne de Corsa, nom 
d'une femme ligure qui aurait découvert l'île. Cette légende 
est rapportée par Solinus ou Solin, géographe latin du m® siè- 
cle, qui considère les Ligures comme les premiers colonisa- 
teurs de l'île. 

Sénèque (2), né à Cordouc au commencement de notre ère, 



(1) Pausanias, Ilinéraire delà Grèce, liv. X, ch. xvii. 

(2) SÉNÈQUE, Consolalio ad llelviam, ch. viii. 



LIGURES 47 

pense toutnalurellement à ses compatriotes. Il prétend qu'une 
partie des premiers habitants de la Corse est venue d'Espagne 
et par conséquent se compose d'Ibères. Il s'appuie sur des 
similitudes de coutumes, de vêtement et de langage. 

D'après Hérodote, que nous avons déjà cité à propos de Mar- 
seille, une colonie grecque existait sur la côte orientale de la 
Corse depuis le commencement du vi** siècle avant notre ère 
C'est 'AÀaX^Y], -4 /a/ia, actuellement Aléria, ville fondée aussi par 
les Phocéens, les premiers et les plus habiles navigateurs de 
la Grèce. 

Cette colonie fut soijvent inquiétée par les Carthaginois et 
les Tyrrhéniens ou Étrusques. Ce contact de la Corse avec les 
Grecs, les Carthaginois et les Étrusques n'empêcha pas Stra- 
bon, vers le commencement de notre ère, de dire que les habi- 
tants de l'île étaient plus sauvages que des animaux. 

La population de la Corse, qui contient des éléments li- 
gures, ibères, carthaginois, grecs, romains et vandales, 
ces derniers s'étant emparés de l'île, parle un idiome italien et 
se rapproche beaucoup de la population de la Sardaigne et de 
l'Italie en général. Pourtant elle est sincèrement attachée à la 
France. C'est une des preuves que nous verrons se manifester 
et se développer de plus en plus, en poursuivant cette étude, 
que la nationalité est tout à fait indépendante de la race et de 
la langue, et que la nationalité française est une des plus 
franchement établies. 



CHAPITRE V 



LIGURES 



Liste chronologique des auteurs. — Passons maintenant 
aux populations de l'Europe occidentale. Paimi ces popula- 
tions, les Ligures, AtyoEç des Grecs, Ligures des Latins, sont les 
premiers indiqués par les auteurs anciens. Nous trouvons leur 
nom dans Hésiode, poète grec dont l'époque n'est pas très 



48 DOCUMENTS HISTORIQUES 

bien déterminée, mais qui peut remonter au vin'* siècle avant 
notre ère. Seulement, la citation dont nous parlons n'est pas 
une citation directe, c'est une citation par ricochet. Cela 
demande explication. 

Grand nombre d'ouvrages anciens ne sont pas arrivés jus- 
qu'à nous. Ils ont été perdus. Nous ne les connaissons que par 
des lambeaux détachés ou des citations faites par des auteurs 
postérieurs. r4'est ce qu'on appelle les Fragments, Fragmenta. 
Or le passage d'Hésiode dans lequel il est question des Ligures 
est justement un IVagmeiit cité par Strabon, ce qui en réalité 
le rajeunit de sept à huit siècles. 

Pour bien faire connaître la valeur des extraits que nous 
citerons des divers auteurs anciens, nous allons donner le 
tableau chronologique et critique de ceux qui peuvent être 
consultés pour ce qui concerne les populations antiques qui 
ont eu plus ou moins de rapports avec le sol de la France. 

Avant notre ère : 

VIII" siècle : Hésiode, poète grec. On ne sait pas au juste le 
siècle où il vivait, le vin'' est un maximum. Suivant les uns, 
il était antérieur ou contemporain d'Homère; suivant les 
autres, postérieur. Il y a d(*s interpolations dans ses œuvresen 
partie perdues. 

v*^ siècle : fournit quatre auteurs : Hécatée de Milet, poète 
grec, né en 5î>5, mort en 47Î> ; 

Eschyle, poète grec, 525-/|5() ; 

Hérodote, (irec, appelé le Père de l'histoire, 4^o-4o6; 

Thucydide, (Irec, /| 7 1-390. 

Hérodore ou Hérodote d'Héraclée surnommé rHéracléole 
ouïe Pontique, Héraclée étant une ville du Pont, Grec, du 
V" siècle, dit-on. Il n'en reste (|ue des fragments cités par 
divers auteurs. 

iv*^ siècle, le plus fertile, le grand siècle : sept auteurs: 

Xénophon, Grec, 445-355. 

Philiste de Syracuse, (irec, 435-35(), dont il ne reste que 
des fragments. 

Platon, Grec, 429-347. 

Arislote, (irec, 384-322. 

Scylax, navigateur grec du vi'^ siècle, dont le nom a été 
donné à un périple ou récit d'une navigation autour d une 
mer, le Périple de Scylax. (''est une œuvre incertaine comme 



auteur et comme date ; elle a élo plusieurs fois ivinanit'e. 
D'Arbois de Jubainville pense (fiio le dernier ivmanicMiieiil a eu 
lieu sous Alexandre le Grand, milieu du iv" siècle. 

Ephore, Grec, entre 38o et 3oo; nous n'avons de lui que 
quelques fragments. 

Théophraste, Grec, 874-287. 

111" siècle : deux auteurs : 

Timée, (jrec, 352-256, fragments. 

Eratosthène, Grec, 276-196. 

II® siècle : Apollonius de Rhodes, poète, grec, né vers 25(), 
mort en 186. 

IHolémée, Grec, première moitié du n" siècle. 

l^aiisanias. Grec, se fixa à Rome en 170. 
Caton, Latin, vers i65. 
l^olybe. Grec, 210-128. 
*Vpollodore, Grec, florissait vers i/fO. 
^^^^ siècle avant notre ère : 
l^osidonius. Grec, i35-49. 

Seymnos de Chio, poète grec, époque un peu inrerlaine, 
^'^**s 90 avant notre ère. Compilateur qui a beaucoup écrit, 
^^près Timée. 

l^ycophron, poète grec, du iii** siècle avant noire ère. Mais il 
pourrait bien y avoir un autre auteur dont les écrits porlonl 
le mt^me nom vers le milieu du i*^"^ siècle avant. 

Varron, Latin, 1 16-27. 

^ésar, Latin, ioo-44- 

Denys d'Halicarnasse, Grec, né Tan 54 avant noire ère, a 
P'iWic son ouvrage l'an 7 avant. 

Au commencement de notre ère, sous Auguste, nouvelle 
<^poque d'épanouissement intellectuel : 

'Strabon, (irec, né 60 ans avant notre ère, mort dans l'ère 
actuelle. 
Tite-Live, Latin, né vers 59 avant, mort 17 après notre ère. 
Diodore de Sicile, Grec, sous Auguste. 
Trogue-Pompée, Latin, sous Auguste. Ouvrage perdu, mais 
résumé par Justin. 
Ère actuelle : 

1" siècle : Pomponius Mêla, Latin, vers 42. 
Sénèque, Latin, 2-63. 
Lucain, poète latin, 39-65. 

(i. DE VoriTfLLFJT. \ 



50 DOCUMENTS HISTORIQUES 

Pline r Ancien, Latin, 28-79. 

Pline le Jeune, Latin, 61-118. 

Flavius Josèphe, Grec, 87, mort de 97 à 100. 

Valerius Flaceus, poète latin, sous Vespasien, Titus elTra- 
jan, fin du i*"^ siècle. 

Silius Italicus, poète latin, 20-100. 

Martial, poète latin, 48-104. 

11*^ siècle : Tacite, Latin, né vers5o, mort au commencement 
du règne d'Adrien, 117. 

Plutarque, Grec, 5o-i20. 

L.-A. Florus, Latin, contemporain des Antonins, milieu du 
ir' siècle. 

Marcellus, Latin, 11*^ siècle. 

Flavius Arrien, Grec, 11'' siècle. 

Appien, Grec, 11" siècle. 

nV siècle : Dion Cassius, Grec, i55-24o. 

Elien, Grec, mort en 260. 

Entre le ii'^ siècle et le commencement du v" : 

Justin, Lalin, résumé ou abrégé de Trogue-Pompée, dune 
époque inconnue. 

iv*^ siècle : Dcnys le Périégète, poète grec, d'époque incer- 
taine. D'après son meilleur éditeur, il aurait vécu dans la 
seconde moitié du iii^ siècle ou au commencement du iv®. 

Marciend'lléraclée, Grec, périple du monde entier, commen- 
cement du iv'^ siècle, il n'en reste que des fragments. 

Festus Avienus, poète latin, qui a utilisé des documents 
antérieurs. On prétend môme qu'il s'est surtout servi des 
écrits d'un anonyme carthaginois du v® siècle avant notre ère. 
Rien n'est moins prouvé. 

vi^ siècle : Ammien Marcellin, Latin. 

Stéphane ou Etienne de Byzance, Grec. 

Grégoire de Tours, Latin, 544-^9Î>- 

x*' siècle, r*" moitié : Constantin Porphyrogénèle, Grec, 
9or)-95(). Rapporte des fragments d'Hérodore, qui seraient 
du \^ siècle avant notre ère. 

xir' siècle : Eustathe, Grec, mort en 1198, a publié des Corn- 
menlaircs sur Denijs le Périégète, 

Nous sommes là en présence d'une série de documents 
écrits qui s'échelonnent dans un espace d'environ 2000 ans. 
(^es documents ont-ils toujours été bien écrits? bien lus? 



LIGURES 5l 

oien compris? bien interprétés? Un grand nombre de ces 
documents sont en vers et par conséquent leur rigueur histo- 
ï*ique et géographique a dû souvent céder devant les exigences 
de la versification, les règles de la prosodie et les entraîne- 
lûeiits de l'imagination. Parmi les auteurs que nous venons 
de citer, il y a beaucoup de compilateurs. Quelques-uns ont 
fait des résumés, d'autres des amplifications ; enfin, en grand 
nombre ils ont inséré des citations plus ou moins impor- 
tantes. Or nous savons tous combien, quand on cite, résume 
ou amplifie un auteur, on a une tendance à lui donner sa pro- 
pre nuance. Les documents que nous possédons — en laissant 
de côté les erreurs des copistes — sont donc en grande 
partie de seconde et môme de troisième main, ce qui doit 
grandement multiplier les obscurités, pour ne pas dire les 
erreurs. 

VHP siècle avant notre ère. — Dans la citation d'Hé- 
siode (i), rapportée d'après Strabon, le poète grec rapproche 
les Ligures des Éthiopiens et des Scythes. Pour lui, ce sont 
évidemment les trois populations extrêmes, sur lesquelles il 
n'avait que de vagues connaissances parce qu'elles occupaient 
le bout du monde, les Ethiopiens au sud, les Scythes au nord- 
est et les Ligures à l'ouest. 

Nous parlions tout à l'heure du danger des citations, surtout 
des citations tronquées; le passage d'Hésiode dont il vient 
d'être question nous en fournit un exemple d'autant plus 
concluant qu'il est puisé dans un ouvrage des plus sérieux et 
des plus importants, œuvre de parfaite bonne foi, V Anthropo- 
logie de la France, On y lit page 696 : « Ibères et Ligures 
d'Asie, Hésiode parle des Ligures ainsi que des Scythes 
mangeurs de lait de jument. » Hésiode, dans le passage en 
question, cite les Éthiopiens, les Ligures et les Scythes. 
M. Lagneau, n'ayant que faire des Éthiopiens, les laisse de côté 
et ne mentionne que les Ligures et les Scythes. Mais ce rap- 
prochement suivant immédiatement le sous-titre Ligures d'Asie 
induit en erreur. Il fait croire que les Ligures et les Scythes 
étaient voisins et se trouvaient les uns comme les autres sur 
les limites de l'Europe occidentale et de l'Asie orientale. Cela 
fausse complètement le sens donné par le poète de l'antiquité 

(1) HÉSIODE, Frar/m. cxxxii. 



52 i)or:uMi:NT.s historioues 

(jui cite trois peuples aux confins opposés du monde, les 
Éthiopiens au sud, les Li*i;ures à Foucst et les Scythes au 
nord-est. Ces trois populations sont citées sur le môme pied; 
si le nom de Tune d'elles, les Scythes, est accompagné d une 
épithète, mangeurs de lait de jument, cela tient tout simple- 
ment aux nécessités de la versification. 

V** siècle. — Du vni*' siècle nous passons au v®. Nous 
avons mentionné ([ualre auteurs, tous les quatre parlent des 
Ligures. Des deux premiers, Ilécatée de ]\ïilet et Eschyle, ce 
sont de simples fragments; des deux autres, Hérodote el 
Thucydide, nous avons des œuvres plus complètes. 

Héca! 'e i i , (pii plaiMî Monaco et Marseille dans la Ligurie, 
cite aussi comme IJgures une peuplade des environs de Nar- 
bonne, les lielysices, i)eu[)lade nommée également dans le 
IV'' siècle par Festus Avienus i2!. A Tappui de l'existence des 
T^igures près de Xarl)onne, (irégoire de Tours (3) mentionne 
(pi'au vi*' siècle une localité tort agréable aux environs de 
cette ville portait (Micore le nom de Liguria. 

Le fragment d'Eschyie (4), entièrement mythologique 
comme t'ait, peut pourtant être invoipié comme donnée géo- 
graphique. Prométhée indi([uant à Hercule le chemin du 
Caucase aux Ilespérides lui dit : « Tu arriveras chez le peuple 
intrépide des Ligures. Tu auras éi)uisé tes flèches, mais Jupiter, 
pour te venir en aide, fera tomber une pluie de pierres dont 
tu t'armeras j)our mettre les IJgun^s en fuite. » Strabon (^5), 
en rapportant ce fragment, [)lace le lieu du combat entre Mar- 
seille et le llhone dans la plaine de la Cran, plaine qui, comme 
on le sait, esl couverte de cailloux roulés. Apollodore, com- 
plétant cette légendes mythologiciue, fait encore traverser la 
Ligurie par Hercule à son retour d'Espagne pour aller en 
Etrurie. 

Hérodote ((V), en énumérant les mercenaires de Tannée levée 
en /|8o par le général carthaginois Amilcar, pour faire la 
guerre en Sicile, cite les Phéniciens, les Libyens, les Ibères, 



i IIkcatki:, Fntfjni. xx, xxii, xxur. 
•2. Festus Aviem:s, Ora m'irilinvi, vers 584- 
•3 Grégohœ de T()Uf<s, Di (jloria innrî'jriim, eh. lu. 
'4: Eschyle, Frcujm. lxvi. 
5; STiîAiiON, Géoijraphie A\\ . IV, di. i, § 7. 
IIÉiioDOTr:. Ilisfoirr liv VII c-li. clxv. 



los Ligures, les Helysices et les Sardones. Le groupement 
de ces populations montre bien qu'il s'agit des Ligures de 
nos côles méditerranéennes. La présence des Helysices, dont 
ïious venons de préciser la position, ne laisse aucun doute 
à cet égard. Dans une autre énumération de l'armée de Da- 
rius, en 490, Hérodote (1) cite des Ligures avec des Mantié- 
niens, des Mariandyniens, des Syriens et des Paphlagoniens. 
Les Mariandyniens sont un ancien peuple de l'Asie Mineure ? 
voisin de la Bithynie et de la Paphlagonie. Cette association 
de Ligures avec un groupe de populations de l'Asie fait pré- 
sumer qu'il s'agit de Ligures habitant ces régions. 

Quant à Thucydide (2), il raconte que les Ligures antérieu- 
rement à la guerre de Troie, c'est-à-dire avant le xui^ siècle, 
avaient déjà chassé les Sicanes, populations ibériques des 
bords du Sicanus, cours d'eau de l'Espagne. 

De ces divers textes primitifs, on peut déduire que les Li- 
gures occupaient le littoral de la Méditerranée entre l'Etrurie 
nommée alors Tyrrhénie et les Pyrénées, qu'ils ont envahi 
l'Espagne et qu'il y avait en Asie des populations portant leur 
nom. 

Ligures de la mer Noire. — D'un passage d'Hérodote 
nous avons déduit qu'il devait y avoir des Ligures dans les 
parages de la mer Noire. Eustathe, au xu® siècle, dans ses 
Commentaires sur Denys le Périégcie (3), poète du iv® siècle, 
place ces Ligures dans la Colchide. Lycophron, autre poète 
grec, plus ancien, antérieur à notre ère, nous permet de pré- 
ciser davantage. Il parle de la ville Ligure, AtyuaTixrjV, de 
Ivutaia. Or Kutaia, de l'ancienne Colchide, n'est autre que 
la ville russe actuelle Khotatis ou Khotaïs. La Ligurie de 
l'Orient se trouvait donc au sud du Caucase, à l'extrémité 
orientale du Pont-Euxin ou mer Noire, entre la chaîne de 
montagnes et la mer. C'est tout ce que nous en savons. Etait- 
ce une colonie de véritables Ligures, débris d'invasions venues 
de l'Occident, ou une simple similitude de nom toute for- 
tuite ? 
Ligures en Italie. — Pour retrouver les Ligures, il nous 



1) HÉRODOTE, Histoire, liv. \U, § 12. 

(2) Thucydide, liv. VI, ch. 11. 

(3) Eustathe, Commentaire sur le vers 7G. 



54 DOCUMENTS HISTORIQUES 

laiil faiiv (.-onnuc Hercule, en parlant du Caucase, Iraver- 
ser [)rcsque toute l'Europe et arriver sur la côte nord de la 
Méditerranée. C'est là qu'existait et qu'existe encore la véri- 
table Ligurie. Nous exécutons à peu près le même trajet 
qu'Apollonius de Rhodes fi ), à la fin du m*' ou au commence- 
ment du II" siècle avant notre ère, faisait suivre à ses Argo- 
nautes venant de la Colcliide. Après avoir quitté l'Éridan, 
ancien nom du Pô, et dépassé les grands lacs, évidemment 
les lacs du nord de lllalie, dont l'un se nomme le lac Majeur, 
en sortant de chez les Celtes, ils traversent le territoire des 
Ligures, se dirigeant vci's les îles Stœchades. Ces Stœchades 
sont les îles d'IIyères, que l'auteur grec déclare se trouver en 
face des Ligures. 

Festus Avienus (r») pousse la Ligurie jusqu'au Rhône. En 
effet, nous avons vu Ilécatée, dès le v" siècle avant notre ère, 
placer Monaco et Marseille dans la Ligurie. Huit à neuf cents 
ans après, Justin (3) fait encore aborder les Phocéens chez les 
Ligures, et Marcien d'IliM^aclée rappelle que Marseille a été 
fondée en Ligurie. 

Florus(4),au milieu du second siècle, résumant le sentiment 
de la plupart des auteurs groupés autour du commencement 
de notre ère, un peu avant, un peu après, limite le pays des 
Ligures entre le Var du côté de la France et la Macra du 
côté de la Toscane. 

Quelques auteurs ont cherché à étendre l'occupation des 
Ligures dans l'Italie centrale et méridionale. On leur a vague- 
ment attribué l'envahissement de toute la péninsule. D'une 
manière un peu plus probable, on a dit que, quittant les côtes 
à partir de la Macra, ils avaient pénétré beaucoup plus avant 
dans le ccxîur de la Toscane et étaient allés jusqu'à Arezzo. 

Enfin d'après Philiste de Syracuse, qui écrivait dans la 
première moitié du iv^ siècle avant notre ère, des auteurs 
venus environ ({uatre cents ans plus tard disent que la 
Sicile a été occupée par des Ligures. Silius Italicus, vers 
la (in du i'*^ siècle, a môme prétendu que, les envahisseurs 
étaient conduits par un chef appelé Siculus, qui a donné son 

(i) Apollonius de I^iiooks, Anjonautea, liv. IV, vers 635. 
;2) Festus Avienus, Ora maritima, vers 699. 

(3) Justin, liv. XLIII, ch. m. 

(4) Florus, Histoire romaine^ Viv. \\, c\v. \\\, 



LIGURES ;)D 

lom à l'île. Tout cela se serait passé un demi-sièele on nn 
lècle avant la prise de Troie. C'est donc de la i)ure légende. 

La Corse aurait aussi été colonisée par les Ligures et là en- 
core nous rencontrons ave.c Corsica la légende dont nous 
avons déjà parlé. Ce sont des données qui ne doivent pas nous 
arrêter. 

Le seul fait historique sérieux que nous rencontrons dans 
3ette direction est l'existence d'une petite colonie de Ligures 
m milieu de la péninsule italique, dans les environs de Béné- 
ent. Des Ligures Apuans (i), sur la Macra, ayant été battus 
ar les proconsuls Cornélius et Bœbius, furent, 180 ans avant 
otre ère, transportés au nombre de 12.000, avec femmes et 
ifants, dans le Samnium, sur un territoire confisqué aux 
aurasiniens. 

Ligures en Espagne. — Du côté de l'ouest la Ligurie, avant 
être limitée au Var, allait jusqu'au Rhône, et Marseille en 
lisait partie. Précédemment, elle s'étendait même jus- 
ii'aux Pyrénées et occupait toute la côte méditerranéenne, 
n effet, nous avons vu Hécatée indiquant à Narbonne les 
elysices, peuplade ligurienne, et Scylax (2) nous dit qu'au 
îlà des Ibères de l'Espagne habitent jusqu'au Rhône les Li- 

■ 

ures et les Ibères mêlés. 

Cette citation semblerait indiquer que les Ligures, vers 
accident, finissaient aux Pyrénées. Pourtant plusieurs au- 
urs les font pénétrer en Espagne et même occuper tout le 
lys. Cette tradition date de loin. Elle est rapportée par Thu- 
^dide au v^ siècle avant notre ère. D'après lui (3) des Ligures 
iraient chassé d'Espagne lesSicanes, qui habitaient les bords 
1 Sicanus, fleuve dont on ne connaît pas la position exacte. 
3 fait aurait eu lieu avant le siège de Troie, épo({ue antérieure 
l'histoire chez les Grecs. Par conséquent, renseignement de 
;u de valeur. Il en est de même de celui fourni par Stéphane 
î Byzance, d'après Hécatée. Suivant Stéphane les anciens Li- 
ires auraient possédé en Espagne une ville nommée Ligustine. 
C'est sur ces données que certains auteurs ont basé l'exis- 
nce de populations ligures dans le sud de l'Espagne. Il en 



;i) TiTE-LiVE, Histoire, liv. III, § 16, et liv. XL, S 38. 

(2) Scylax, Périple^ ^ 3. 

(3) Thucydide, Histoire, liv. VI. §2. 



56 nociMK.NTs iiisTOiuyri:s 

est même (jiii, sur dos données beaucoup moins importantes B^ 
encore, ont avancé i\uc les Li<^ures étaient originaires delà 
partie extrême de rKsj)a^ne nommée Bétique dans Tantiquilé 
et formant actuellement l'Andalousie. 

Ligures du nord-ouest et de la Loire. — Mais on ne s'est 
pas contenté de faire descendre, sans motifs sérieux, les 
Ligures au Sud-Ouest, on les a aussi, sans raisons plus sé- 
rieuses, fait remonter au Nord-Ouest. 

C'est ainsi que, se basant sur des légendes galloises, on a 
rapporté aux Ligures les Lloegrys, Locyers, Locgrwys, quien 
Angleterre habitaient les bords de TOuse, au nord de la Tamise. 

Certains Belges et certains Français du Nord ont aussi, sans 
plus de fondement, voulu avoir des Ligures chez eux. 

Plus au sud, une similitude de nom a fait émettre l'idée 
que des Ligures avaient habité la vallée de la Loire. En effet, 
la Loire était nommée Liger par les Latins, et AeiVipo; par les 
Grecs. Artémidore, cité par Stéphane de Byzance, ainsi 
qu'Eustathe, font dériver le nom Ligures^ Atyupeç, de Aivupo;, 
Loire (i). Nous ferons s£îulement observer que c'^est la pre- 
mière fois qu'apparaît le mot grec AiYupe; (Ligures); jusque-là 
tous les auteurs grecs employaient le mot Ai^ueç (Ligues). 
Cette modification n'a-t-elle pas été faite pour les besoins de 
la cause? Maximin Deloche (2) appuie cette interprétation en 
in(li({uant (pie la partie du sud-ouest du Limousin a été 
appelée au moyen Age pays de Ligoure. 

Feslus Avienus i3j men lionne des Ligures au voisinage des 
îles OEstrymnides. Ouelles sont ces îles? Le golfe de (jas- 
cogne ayant été nommé golfe Œstrymnique, si les îles de ce 
nom sont les îles des cotes de France au nord du golfe, cela 
viendrait confii*mc*r l'assertion de l'existence de Ligures dans 
le bassin de la Loire, dont rembouchure est peu éloignée de 
ces îles. ^lais si, selon Lagneau (/§), ces îles sont les Cassitérides 
ou îles Sorlingues auxcpielles les Phéniciens se rendaient en 
traversant le golfe, ce serait en faveur des Ligures de TAngle- 
terre. Tout cela est bien vague. 



(1) Ki^sTATiiE, Commentaires sur Denys Périégèle^ sur le vers 76. 
(î>.) Maximin Deloche, Eliiih sur la rjéographie historique de la Gaule^ 
iSGi, p. 137. 

3 I'estus AviEMTS, Ora maritima. vers 129. 

V I^Ac.NEAU, Antliropolor/ie de la France. 1879, ]>. Go4. 



LIGURES 57 

Valeur du mot Ligure. — Ce qui ressort très clairement 
de Tétude critique et impartiale des auteurs anciens, c'est que 
le terme Ligures était tout d'abord un mot pris dans une ac- 
ception générale et mal définie. Au vui^ siècte avant notre 
ère, Hésiode appliquait ce nom à tous les peuples de l'ex- 
trême Occident. 

Plus tard, bien que restant encore très vague, le sens du 
terme s'est peu à peu resserré, perdant l'Angleterre, la Bel- 
gique, la France, l'Espagne, la Sicile, le sud et le centre de 
l'Italie. Les Ligures se sont alors trouvés occuper toute la 
côte méditerranéenne des Pyrénées à la Macra en Toscane, 
puis ils ont perdu l'espace compris entre les Pyrénées et le 
Rhône et enfin celui qui sépare le Rhône du Var. 

Comme développement dans les terres, nous observons les 
mêmes réductions successives. Au sud de la Macra, le terri- 
toire des Ligures s'étendait jusque vers Arezzo et TOmbrie. 
A l'est, il confinait aux Boïens des Romagnes. Il s'est peu à 
peu retiré jusqu'à la Trebbie, rivière qui se jette dans le Pô 
près de Plaisance. Au nord, dans les Alpes surtout, ce terri- 
toire avait pris un grand développement. D'après Strabon, les 
Caturiges d'Embrun (Hautes- Alpes), les Centrons de la Taren- 
taise (Savoie) et même les Salasses du Val d'Aoste (Piémont), 
les Veragres du Chablais (Haute-Savoie) et les Nantuates du 
Bas- Valais auraient été des Ligures. 

C'est en 287 avant notre ère que les Ligures eurent leur 
premier engagement avec les Romains. 

SousAuguste, deux cents ans plus tard, la Ligurie formait la 
neuvième région de l'Italie. Cette province romaine s'étendait 
le long de la mer Tyrrhénienne, golfe de Gênes, du Var, fron- 
tière de la Gaule, jusqu'à la Macra, frontière de l'Étrurie, et la 
Trebbie, frontière de la Cispadane. Le cours du Pô la bornait 
au nord, et les sommets des Alpes à l'ouest. Elle occupait 
ainsi près de la moitié du Piémont. 

Plus tard, elle se resserra beaucoup du côté du nord et 
devint la République de Gênes. Enfin maintenant elle se 
trouve resserrée entre les sommets de l'Apennin et la mer. 

Ce court exposé suffit pour montrer que le terme Ligurie, 
comme les termes que nous allons examiner successivement, 
n'a pas une valeur ethnique réelle. Ce n'est qu'une simple 
expression géographique variant avec l'étendue et la précision 



58 DOCUMENTS HISTORIQUES 

(lo nos comiaissances, cl soumise aux fluctuations politiques. 

Le territoire occupé par les anciens Ligures était subdivisé 
en une foule de petites peuplades, ayant chacune son nom, 
énumérées par Strabon et surtout par Pline (i), mais nous 
n'avons pas à entrer dans ces détails. 

Caractères ethniques. — Ce qui nous importerait da- 
vantage serait de connaître les caractères ethniques des Li- 
gures de Tanticpiité. Malheureusement, les auteurs nous ont 
transmis bien peu de détails sous ce rapport. Voici ce qu'ils 
en disent et ce (jue l'on peut déduire de leurs écrits. 

De la configuration de la Ligurie, nous pouvons con- 
clure que les Ligures étaient essentiellement marins et mon- 
tfignards. Gomme marins, nous les voyons s'étendre le long 
de la côte méditerranéeime, entre le Rhône et surtout le 
Var et la Macra. Leur territoire se resserre de plus en plus 
en largeur, mais ils n'abandonnent jamais la côte. Leurs 
descendants les Génois se sont distingués entre les navigateurs 
et ont donné Christophe Golomb. 

Gomme montagnards, ils se seront développés dans les Alpes 
et les Apennins. Lorsqu'ils ont abandonné une petite por- 
tion de la côte, c'est la moins montagneuse, celle entre le 
Rhône et le Var, qu'ils ont perdue. Quand vers le sud-est ils 
se sont arrêtés, le long de la côte, aux rives de la Macra, c'est 
(jue là cessait la côte abrupte. Leur développement s'est fait 
encore plus au sud, mais dans la partie montueuse. La mon- 
tagne abandonnant la côte, ils ont quitté la côte pour suivre 
la montagne. 

Et, rapprochement curieux, quand nous retrouvons leur 
nom aux confins de l'Europe et de l'Asie, c'est encore dans 
une position tout à fait analogue. Les Ligures de la Colchide 
étaient resserrés entre la côte de la Mer Noire et une partie 
des montagnes constituant la chaîne du Gaucase. 

Les Ligures avaient été considérés dans la haute antiquité 
comme une race tout à fait distincte, si distincte même qu'on 
ne lui attribuait que sept paires de côtes, erreur contre la 
quelle Aristote (2), déjà trois bons siècles avant notre ère, a 
cru devoir s'élever. 



(1) Pline, Histoire naturelle, liv. III, ch. vi, § 1 et 2. 

(2) Aristote, llist. animaux, liv. I, ch. xv. 



IBÈRES 59 

Diodore de Sicile (1), trois siècles après, nous présente les 
-igures comme maigres, de petites proportions, mais ro- 
>iistes, effet d'un constant exercice. Il ne pouvait en être 
Liitremenl, la vie de ces hommes étant partagée entre les 
langers de la mer et les fatigues de la montagne. D'autres 
tuteurs, parmi lesquels Tite-Live (2) et Plutarque, les dé- 
Tivcnl comme intraitables, courageux, belliqueux et suppor- 
ant facilement les fatigues de la guerre. 

Cette énergie des Ligures a donné lieu à plusieurs anec- 
lûtes. Ainsi Tacite (3) parle d'une femme qui, à la prise 
l'Intemelium, actuellement Vintimille, fit cacher son fils et 
e laissa torturer par les Romains, se contentant de répondre 
usqu'au dernier soupir : 

— Il est dans mon sein. 

Ces femmes étaient si vigoureuses, que, prises des douleurs 
e l'enfantement pendant leur travail, elles allaient, dit-on, 
ccoucher et revenaient continuer la tâche commencée. 



CHAPITRE VI 



IBÈRES 



Ibères en Espagne. — Au commencement du v*' siècle 
ivant notre ère, deux noms de populations de l'Europe occi- 
lentale font leur apparition dans Hécatée de Milct, qui vivait 
le 525 à 473. Impossible d'indiquer d'une manière plus pre- 
sse, car on n'avait pas encore l'habitude de dater les éditions. 

Ces noms sont: Celtes et Ibères. 

Nous allons tout d'abord étudier les Ibères, pour trois mo- 
ifs: 

1° Parce qu'ils ont droit d'aînesse, étant cités non seule- 
nent par Hécatée, mais encore par un autre auteur de la 

(1) Diodore de Sicile, liv. IV, | 20, et liv. V, § 89. 

(2) TiTE-LiVE, liv. XXVII, ch. xlviii. 

(3) Tacite, Histoire, liv. II, ch. viii. 



Go DOCUMENTS IIISTOIUgUES 

seconde moilié du v^ siècle, Hérodote, qui vivait de !fiokl\Q^. 
Les Ibères él aient doue plus connus au v siècle que les 
Celtes. 

2» Parce que, comme nous l'avons vu dans le chapitre pré- 
cédent, les Ibères se relient plus intimement avec les Ligures 
qu'avec les Celtes. 

3° Enfin parce qu'avec les Ibères, succédant aux Ligures et 
précédant les Celtes, nous marchons progressivement vers les 
populations antiques qui se rattachent plus intimement à noire 
histoire. Nous pourrons les étudier d'une manière d'autant 
plus nette et plus précise que nous aurons débarrassé notre 
étude des nombreux accessoires qui l'encombraient. 

Tout d'abord les auteurs de la haute antiquité n'ont eu sur 
les Ibères que des notions très vagues et fort incomplètes. Je 
suis loin d'être le premier à le constater. Dès la fin du i®' siècle 
de notre ère, Flavius Josèphe (i ) écrivait : 

« Les historiens anciens les plus exacts étaient d'une entière 
ignorance relativement aux Celtes et aux Ibères, au point 
qu'Ephore parle des Ibères comme d'habitants d'une ville uni- 
que, quand personne n'ignore aujourd'hui que ce peuple 
occupe une grande contrée à l'Occident. » 

Eschyle, d'après une citation de Pline (2), place l'Eridan en 
Ibérie. On sait que l'Eridan n'est autre que le Pô, qui prend 
sa source dans les Alpes du Piémont et coule en Italie bien 
loin de l'Espagne, véritable Ibérie. 

Les Ibères, Iheri des Latins, ^^lêr^peç des Grecs, tiraient leur 
nom de l'Èbre, Iberiis, "lê/io, fleuve d'Espagne dont les Grecs 
d'après Pline (3) appliquèrent le nom à l'Hispanie tout 
entière. Polybe {^).k partir du milieu du u'' siècle avant notre 
ère, jusqu'à Marcien d'Héraclée (5) au iv^ siècle, en passant 
par Strabon et Diodore de Sicile du début de notre ère, nom- 
ment Ibérie toute l'Espagne, des Pyrénées aux Colonnes 
d'Hercule ou détroit de Gibraltar, la grande contrée de l'Oc- 
cident dont parle Flavius Josèphe. 

Quelques auteurs ont pourtant prétendu que les Ibères 

(1) Flavius Josèphe, Contre Appien.Viv. I, ch. xii. 

(2) Pline, JJhloire nalurcUe, liv. XXXVII, rli, 11, % 11. 

(3) Pltne, h ht o ire naturelle, liv. III, ch. iv. 
[f\) Polyue, Uhtoire, liv. III, ch. xxxvii, § 10. 
(5) Marcien, Périple mer extérieure, liv. H, ^ G. 



IBÈRES 61 

•ccupaient que les pays attenants aux côtes de la Méditer- 
lée, mais que le Sud et les côtes de l'Ouest étaient habités 
? d'autres populations. Ces auteurs n'ont-ils pas confondu 
5 noms de divisions secondaires avec le grand nom général 
bérie? En effet, la péninsule ibérique a été subdivisée de 
isieurs manières simultanément ou à des époques diffé- 
ites. Il y a eu d'abord, en allant des divisions les plus simples 
X plus composées : l'Hispanie citérieure, embrassant tout le 
rd-estdela péninsule, et l'Hispanie ultérieure, comprenant le 
d-ouest. Vient ensuite une division en trois : la Bétique au 
d, la Lusitanie au nord-ouest et la Tarraconaise, la plus 
5te, au nord-est. Enfin la péninsule ibérique, comme la 
ule, comme l'Italie, comme la Ligurie que nous venons 
tudier, était subdivisée en une foule de petits peuples 

tout au moins de populations diverses ayant chacune son 
m. Ainsi les Tartessiens de Scymnos de Chio et de Festus 
ienus paraissent n'être qu'une de ces subdivisions infé- 
ures. Ce sont les habitants de l'île de Tartesse, qui est for- 
e par l'embouchure du Bétis, fleuve qui a donné son nom 
1 Bétique. 

bères en France. — Les Ibères occupaient donc l'Es- 
^ne tout entière, ils s'étendaient môme au delà. Passant 
Pyrénées, ils occupaient primitivement la côte française 
qu'au Rhône comme nous l'apprend Hérodore d'Héra- 
3(1), qui vivait, dit-on, au v*^ siècle avant notre ère, mais 
it l'opinion ne nous est parvenue que par une citation bien 
térieure. Scymnos de Chio (2), de la première moitié du 
liècle avant notre ère, résumant des auteurs antérieurs, dit 

les colonies grecques d'Agde, à l'embouchure de THé- 
It, et de Rhodanasia, sur une des bouches occidentales du 
ine, sont en Ibérie. Festus Avienus (3) donnant aussi l'avis 
iciens auteurs pousse la limite des Ibères jusqu'à la rive 
ite du Rhône, fleuve qui, suivant cet auteur, sépare les 
res des Ligures. Quant à Scylax (4), il nous montre les 
ures mêlés aux Ibères entre les Pyrénées et le Rhône, cous- 
ant ainsi les Ibéro-Ligures. 

HÉRODORE, Fragments, 20. 
Scymnos, vers 2o5, 
Festus Avienus, Ora^ vers Goj. 
S<:vLAX, Périple, % 3. 



62 DOCUMENTS HISTORIQUES 

Slrabon nous prouve qu'un peu avant le commencement de 
notre ère, les Ibères avaient quitté la côte française de la 
Méditerranée. « Autrefois, dit-il, on donnait le nom d'Ibérie à 
la contrée comprise entre le Rhône et Tisthme formé par les 
deux golfes galaticjues, tandis qu'aujourd'hui on regarde les 
Pyrénées comme la limite de Tlbérie, à laquelle on donne le 
nom d'Hispanie. » 

Les deux golfes galatiques sont le golfe du Lion et le golfe 
de Gascogne. Le texte de Strabon nous montre que, si les 
Ibères débordaient sur la France du côté de la Méditerranée, 
ils devaient aussi débbrder du côté de l'Océan. En effet, c'est 
ce qui avait lieu, et leur extension de ce côté était même plus 
considérable que de l'autre. Sous le nom d'Aquitains, ils occu- 
paient le territoire situé entre les Pyrénées et la Garonne, 
borné à l'occident par la mer. 

Aquitains, Basques, Silures. — Le nom des Aquitains, 
Aquitani, 'Axouïxavoi, n'apparaît qu'au i^^ siècle avant notre 
ère. D'après Strabon (i), « les Aquitains diffèrent absolument 
des autres Gaulois, soit pour la conformation, du corps, soit 
pour le langage ; ils ressemblent aux Ibères. » Il ajoute que 
les Celtes et les Ibères, bien que différents, ont un caractère 
commun, V extérieur g alate^ raXarixT^v. 

César, au début de ses Commentaires (2), divise la Gaule en 
trois parties : la Belgique, la Celtique et l'Aquitaine, qui diffè- 
rent par le langage, les institutions et les lois. Mais il ne dis- 
tingue pas d'une manière spéciale l'Aquitaine des deux autres. 
Il donne à cette partie les mêmes limites que Strabon, et la 
subdivise en un certain nombre de petits peuples. 

Slrabon en indique vingt, Pline plus encore. Auguste agran- 
dit l'Aquitaine, sur la rive droite de la Garonne. Il y ajoute 
quatorze populations nouvelles dans la direction de la 
Loire. 

Si les Aquitains sont considérés comme des Ibères, à plus 
forte raison les Basques. Divers auteurs les présentent comme 
« les plus purs descendants de la race des Ibères ». 

Les Basques seraient les descendants directs des Vascons, 
Vascones^ Oùaaxwveç (ouaskônes), population ancienne de l'His- 



(i) Stiiadon, Géographie, liv. IV, ch. i, 1 1, et ch. 11, § 1. 
(2) CÉSAR, Guerre des Gaules, \\\. I,ch. i. 






IBÈRES 63 

panie ou Ibérie. Silius Italicus (i), vers la fin de notre i^" siè- 
cle, parle des « Vascons légers et agiles ». 

Les Ibères remonteraient encore bien plus au nord que la 
Vasconie et TAquitaine. Suivant Denys le Périégète (2) et 
Festus Avienus (3), ils auraient peuplé des îles de TOcéan 
Atlantique que ces deux poètes appellent les Hespérides. Les 
Hespérides, ce nom nous rappelle les pommes d'or, les 
oranges. On serait tenté d'aller chercher ces îles vers le sud 
et non vers le nord. Mais nos deux auteurs nous disent 
que leurs Hespérides sont des îles à étain. Il nous faut donc 
forcément remonter jusqu'aux Sorlinguesou Scilly, en face de 
la pointe de Cornouailles, les seules îles qui contiennent ce 
métal si recherché des anciens. Hespérides serait donc ici syno- 
nyme de Cassitérides. Les Ibères, voire mômes les Aquitains, 
étaient habiles dans l'art d'exploiter les mines ; il ne serait pas 
étonnant de les retrouver dans un district minier comme les 
îles Sorlingues. 

Tacite (4) étend leur occupation encore plus loin. Il nous dit : 

« Le teint basané des Silures, population de l'ouest de l'An- 
gleterre, dans la partie méridionale du pays de Galles, les che- 
veux bouclés de la plupart d'entre eux, leur pays qui regarde 
l'Hispanie, autorisent cette croyance que jadis les Ibéricns ont 
abordé ces côtes et s'y sont établis. » 

Enfin, Lagneau (5), s'emparant de ces caractères physiques 
et de plusieurs autres motifs mis en avant parles auteurs mo- 
dernes, poursuit la recherche des Basques et des Ibères sur 
divers points de la France, en Angleterre, en Irlande et jus- 
qu'en Amérique. 

Méditerranée et mer Noire. — Dans la Méditerranée, en 
se dirigeant vers l'est, on rencontre les Baléares, si voisines de 
l'Espagne qu'on peut dire qu'elles en font partie. Aussi les 
considère-t-on comme ayant été habitées par les Ibères. 

C'est même sur leur nom qu'on se fonde pour introduire les 
Ibères en Corse. Il y aurait eu dans cette dernière île des 
Baléares. 



(1) Silius Italicus, Puniques, liv. III, vers 359. 

(2) Denys le Périégète, vers 563. 

(3) Festus Avienus, Description de la terre, vers 742, 

(4) Tacite, Vie d'Agricola, xi. 

(5) Lagneau. Anthropologie delà France, 1879, p. 633. 



()/| I)i>Cl MKNTS IIISTOKIÇJUES 

Pausanias (i), dans son Voyage en Phocide, raconte que les 
Ibères passèrent en Sardai^ne sous la conduite deNorax. Ils y 
fondèrent Nora, la première ville établie dans Tîle, à son 
extrémité sud. 

D'après Éphore et Slrabon (2), les Lif^ures, qui avaient en- 
vahi TEspa^ne, en chassèrent les Sicanes, population ibé- 
rienne des bords du Sicanus, et les refoulèrent jusqu'en Sicile, 
qu'ils avaient, dit-on, occupée eux-mêmes précédemment. 

dette habitation des Ibères en Hispanie, incontestée, tout 
au moins pour ce qui concerne la côte de l'est ; leur dissémi- 
nation dans les grandes îles de Ja Méditerranée, jusqu'à la 
Sicile, ont engagé Abel llovelacque à les appeler Race Médi- 
terranéenne Occidentale (3). 

Les Ibères, comme les Ligures, après une grande étendue de 
pays où il n'y a pas trace d'eux, se retrouvent entre la mer 
Noire et la Caspienne. Un pays nommé Ibérie existait dans 
l'antiquité au sud du Caucase. Il était limité à l'ouest par les 
Ligures de la Colchide ; à l'est par les Albanes, population 
dont nous allons avoir à parler un peu plus loin ; au sud par 
l'Arménie ; c'est à peu près la Géorgie actuelle. Ce pays était 
arrosé par le Cyrus, le Kour actuel, qui comptait parmi ses 
affluents un I bénis. L'existence de cette Ibérie caucasienne a 
été attestée par Ptolémée f^j dès la première partie du n*^ siè- 
cle avant notre ère, par Pline (5) au milieu du r^ siècle de 
notre ère et par plusieurs auteurs contemporains de Pline ou 
postérieurs. Elle fut soumise aux Romains, par Pompée, vers 
l'antio avant notre ère. C'était pourtant un pays puissant, car, 
si nous en croyons Appien ((>!, un siècle avant notre ère, réu- 
nis aux Albanes, population voisine et sœur, ils pouvaient 
lever une armée de 70.000 hommes. Comme origine, le 
même Appien (7) est des plus indécis; il les considère 
soit comme des ancêtres, soit comme des colons, soit 
simplement comme des homonymes de ceux d'Europe, 



(1) Paisanias, Voijageii, liv. X, ch. xvu. 
(2} Sthabon, Géo(/raphie, liv. VI, ch. 11, % f^. 
(3i Abp:l Hovelacque, Revue anthropologique, 1877. 
(/jj Ptolkmkp:, liv. V, ch. x. 

(5: Pline, IlUloire naturelle, liv. VI, ch. xi et xn; liv. VII, ch. xxvii. 
G. Appien, Guerre de Mittiridate, cm. 
'7 Idem. Ihid., ci. 



IBÈRES 65 

observant qu'ils ont des coutumes et un langage dilTérenls. 
Tacite (i), au commencement de notre n° siècle, rappelle que 
les récits mythologiques ou tout au moins héroïques font 
descendre les Ibères du Caucase et les Albanes des Thessa- 
liens compagnons de Jason. Strabon (2), moins hésitant 
qu'Appien, paraît être bien plus dans le vrai que Tacite, lors- 
qu'il fait venir les Ibères du Caucase des Ibères de THispanie. 
« Les Ibères se sont trouvés transplantés des régions de l'Oc- 
cident dans les pays situés au-dessus du Pont et de la Col- 
chide, où leurs possessions se trouvent séparées de TArménie 
par TAraxes, au dire d'Apollodore, mais plutôt par le Cyrus et 
par les monts Moschiques. » 

C'est très simple, très clair et 1res net ; ce qui n'empêche 
pas Alexandre Bertrand (3) de faire candidement, après la 
citation précédente, l'observation suivante : 

« Strabon se trompe évidemment ; ce sont, selon toute pro- 
babilité, les Ibères du Caucase qui ont émigré en Espagne. » 

Voilà comment les adversaires de la palethnologie savent 
interpréter les textes, qu'ils nous accusent de trop ne'gli- 
ger. 

Eh bien, non, Strabon ne se trompe pas. Bien que l'his- 
toire écrite remonte beaucoup plus haut en Orient qu'en 
Occident, les Ibères du Caucase ne sont cités que deux siècles 
avant notre ère, tandis que les Ibères de l'Hispanie sont déjà 
mentionnés trois siècles plus tôt, au v*' siècle avant notre ère, et 
cela par trois auteurs différents, tous les trois orientaux. On 
voit donc bien que dans la haute antiquité il n'y avait des 
Ibères qu'en Europe occidentale. Ceux de l'Asie ne sont arri- 
vés que longtemps après. Ce sont donc les Ibères de l'His- 
panie qui ont dû essaimer sur l'Asie. Strabon a pleinement 
raison, quoi qu'en dise A. Bertrand I 

Les invasions de l'Orient par les populations de l'Occident 
sont prouvées par des documents historiques. Nous en ver- 
rons un grand nombre en nous occupant des Gaulois ou Ca- 
lâtes. Les documents égyptiens nous en ont déjà fait con- 
naître une datant du xni® siècle avant notre ère, invasion qui 

(1) Tacite, AnnaleSyliv, VI. ch. xxxiv. 

(2) Strabon, Géographie, liv. I, ch. m, § 21. 

(3) Alexandre Bertrand, Celtes, Gaulois et Francs, 1878, p. 7. 

G. DE MORTILLET. ^ 



(K) DOCUMENTS HISTORIQUES 

a eu lieu en Asie Mineure, par conséquent dans la région de 
la mer Noire. 

Certains auteurs prétendent que les Ligures et les Ibères 
ne forment qu'une seule et même population et qu'ils doivent 
être confondus. Qu'il y ait eu quelques incertitudes, quelques 
indications vagues à propos de ces populations chez les auteurs 
anciens, c'est certain. Mais, dès que nous rencontrons des 
auteurs mieux renseignés, il n'y a plus de confusion : les 
Ligures sont bien confinés du côté de l'Italie, et les Ibères du 
côté de l'Espagne. Divers écrivains disent nettement que le 
Rhône servait de limite entre les Ligures à l'est et les Ibères 
à l'ouest. Pourtant il y eut mélange entre des Ligures et des 
Ibères, entre le Rhône et les Pyrénées ; les habitants de celte 
partie de la côte furent alors appelés Ibéroligures. Ce nom 
n'aurait plus de sens en admettant que les Ibères et les Li- 
gures ne forment qu'une seule et même population. De même 
que les anciens séparaient les Ligures et les Ibères en Europe, 
ils les séparaient aussi en Asie. C'étaient donc bien, pour eux, 
deux populations voisines mais tout à fait distinctes. 

Bebryces. — Lagneau, qui a publié un des meilleurs et 
des plus érudits travaux sur les Ligures et les Ibères, y joint 
les Bcbryces. Le premier auteur qui les a nommés est Scym- 
nos de Chio (i) dans la première moitié du i®^ siècle avant 
notre ère. 

Après viennent Silius Italicus (2) à la fin de notre i®"" siècle, 
Dion Cassius (3) au commencement du ni**, Festus Avie- 
nus (4) au IV®, Zonaras (5), (îrec, commencement du xn% et 
Tzetzes (Gj, poète grec, deuxième moitié du xn® siècle. 

Polybe, Tite-Live, Strabon, Mêla, Pline, ne parlent pas des 
Bebrvces. 

Si Festus Avienus est cité (romme les avant mentionnés, 
c'est grûce à une rectification de texte proposée par Cclla- 
rius. 

Les Bebryces auraient habité près de Narbonne, et pourtant 



11) ScYMNos, vers 199. 

(2^. Silius Italicus, Passaqe iVAnnibal^ liv. III, 

(3) Dion Cassius, liv. XXXIV. 

(4) Festus Avienus, vers 585. 

(5) Zonaras, liv. VIII. 

lO; Tzetzes, vers 5i6 et iSoO. 



CELTES 67 

lésar ne les mentionne pas. Ils auraient aussi été signalés en 
►ithynie, côte méridionale de la mer Noire. Mais Lagneau (1), 
ui leur accorde une certaine importance, est obligé d'avouer 
ue cette « région est mal déterminée ». 

II s'agit donc là d'une population d'ordre secondaire, peu 
onnue, dont nous avons d'autant moins à nous occuper ici, 
u'on ne sait à quelle autre population elle se rattachait. 

Il vaut mieux nous en tenir aux grandes coupes, les plus 
n vue. Ce sont celles sur lesquelles nous avons le plus de 
locuments ; elles sont les plus étudiées, les plus discutées, par 
conséquent les mieux connues. Et cependant elles nous lais- 
lent encore souventdans de cruels embarras. Que serait-ce si 
lous allions nous perdre dans le dédale de toutes les subdi- 
visions inférieures ? 



CHAPITRE VII 



CELTES 



Méthode chronologique. — Avec les Ligures, nous avons 
ouché au sud-est de la France ; avec les Ibères, nous avons 
>énétré un peu plus avant du côte du sud-ouest; avec les 
leltes, nous entrons en plein dans notre pays. Mais aussi nous 
bordons le sujet le plu^ embrouillé, le plus mal défini qu'il 
oit possible d'imaginer. Voici ce qu'en dit un des plus 
rdents partisans des textes (2). 

« J'ai essayé de démontrer que les auteurs anciens, grecs et 
DHiains, antérieurs à Polybe, aussi bien les géographes que 
;s historiens, manquaient de toute donnée précise sur ce 
u'ils appelaient la Celtique; j'ai ajouté qu'ils ne nous avaient 
lissé aucun document de nature à nous éclairer sur les qua 
tés, tant physiques que morales, des Celtes ; que tout tend 



(1) Lagneau, Anthropologie de la France, 1879, p. 597. 

(2) ALE3CANDRE BERTRAND, Celles^ Gauloïs et Francs^ i5 juillet 1878, 
. 17. 



68 DOCUMENTS HISTORIQUES 

à prouver que sous ce nom générique, mais vague, se cache 
un nombre très considérable de nations très diverses, et que 
par conséquent, archéologues et anthropologistes pouvaient 
se considérer, quand il s'agit des Celtes de cette époque, comme 
ayant devant eux un champ d'exploration parfaitement neuf, 
pour l'étude duquel ils n'ont rien ou presque rien à attendre 
des textes. » 

Pour débrouiller et bien caractériser ce sujet, nous allons, 
employer le procédé qui nous a si bien réussi à propos 
des Ligures et des Ibères. Bien que la question des Celtes 
se lie intimement à celle des Gaulois, nous les étudierons cha- 
cune séparément et, les connaissant bien isolément, nous 
pourrons nous rendre compte avec plus de sûreté et de préci- 
sion des rapports qu'elles ont entre elles. 

Pour chacune d'elles, comme nous l'avons fait pour les 
Ligures et les Ibères, nous allons passer en revue, dans l'ordre 
chronologique, les diverses données historiques qui les con- 
cernent. 

Le nom des Celtes, Celtœ, ReXtoi (Keltoi) ou les mots Cel- 
tiques, Celtici^ KeXrDcoi (Keltikoi) n'apparaissent que dans la 
première moitié du v® siècle avant notre ère. 

V® siècle. — Hécatée de Milet (i), mort en 47^1 est le 
premier qui emploie ce terme. Cet auteur désigne Marseille 
comme « ville de la Ligustique (Ligurie), près de la Cel- 
tique. » 

D'Arbois de Jubainville, admettant que Festus Avienus, 
poète latin probablement du iv^ siècle actuel, a décrit l'Es- 
pagne et la Gaule méridionale d'après un auteur anonyme du 
commencement du v® siècle avant notre ère, voudrait intercaler 
là cet anonyme parce qu'Avienus parle des Celtes. C'est une 
pure hypothèse dont nous ne pouvons nous servir. Quoi qu'il 
en soit, d'Arbois de Jubainville (2) conclut : 

« Hécatée et cet auteur anonyme sont les plus anciens écri- 
vains qui parlent des Celtes. Ils sont de mille ans postérieurs 
à cette date de i,5oo ans avant J.-C. qui a été proposée mais 
qu'aucun texte ne justifie. La présence des Celtes en Gaule 



(1) HÉCATÉE DE Milet, Fragm. 22. 

(2) D'Arbois de Jubainville, Les Celtes, les Galaies, les Gaulois, 1875, 
p. 2. Extr. Revue arch. 



CELTES 69 

antérieurement au vi® siècle avant J.-C. n'est donc qu'une 
hypothèse. » 

Pourtant, cette hypothèse a été mise en avant et adoptée 
par plusieurs de ceux qui nous accusent de faire du roman 
préhistorique. 

Dans la seconde moitié du v® siècle avant notre ère, Héro- 
dote, mort en 4o6, parle aussi deux fois des Celtes. Mais les 
erreurs géographiques grossières dont il entoure la citation de 
ce nom montrent bien que le Père de l'Histoire ne connais- 
sait ni le sud de l'Afrique, ni l'Europe occidentale. Jugez 
plutôt : 

« Le Nil, dit-il (1) vient de la Libye et la coupe par le 
milieu, et s'il est permis de tirer des choses connues des con- 
jectures sur les inconnues, je pense qu'il part des mêmes points 
que l'ister. Ce dernier fleuve commence en effet dans le pays 
des Celtes, auprès de la ville de Pyrène et traverse l'Europe 
par le milieu. Les Celtes sont au delà des Colonnes d'Hercule 
et touchent aux Cynésiens, qui sont les derniers peuples de 
TEurope du côté du couchant. 

« On ne doit pas, ajoute-t-il, s'étonner que l'ister reçoive 
tant de rivières, puisqu'il traverse toute l'Europe. Il prend sa 
source dans le pays des Celtes ; ce sont les derniers peuples de 
l'Europe du côté de l'Occident, si l'on excepte les Cynètes, et, 
après avoir traversé l'Europe entière, il entre dans la Scythie 
par une de ses extrémités. » 

La Libye pour les Grecs était le nord de l'Afrique, pour les 
Égyptiens l'ouest. Le Nil vient du sud, de l'Ethiopie de tous les 
anciens. L'ister est le Danube. Hérodote pensait donc que le 
Nil et le Danube prenaient leur source au môme point. Mais 
il avoue franchement que c'est l'inconnu pour lui. Le Danube 
qui traverse toute l'Europe prend sa source dans les Pyrénées 
qui pour Hérodote ne sont pas une chaîne de montagnes, mais 
une ville. Si le célèbre historien grec ne connaissait pas mieux 
la géographie de l'Europe occidentale, c'est qu'à son époque 
elle était complètement inconnue de la Grèce, de l'Egypte et 
du reste du monde civilisé. Il ne ressort de son récit qu'une 
chose, c'est que les Celtes étaient les derniers peuples du côté 
de l'Occident si l'on excepte les Cynètes, population restée 

(l) HÉRODOTE, liv. II, Ch. XXXIII. 



70 DOCUMENTS HISTORIQUES 

indéterminée et oubliée par les auteurs suivants. La simple 
constatation de cette ignorance nous paraît une preuve de 
plus que d'Arbois de Jubainville a raison de traiter d'hypothèse 
sans fondement les i ,5oo ans avant notre ère que quelques 
auteurs actuels veulent attribuer aux Celtes. 

Quand Hérodote (i) parle de l'armée levée en 48o avant notre 
ère par Amilcar chez différents peuples de la Méditerranée 
occidentale, Afrique et Europe, il ne cite pas les Celtes. C'est 
en 370, plus de cent ans après, qu'apparaissent les premiers 
mercenaires celtes. Des débris des bandes qui avaient pris 
Rome en 388, passèrent en Sicile et offrirent, d'après Xéno- 
phon (2) confirmé par Diodore de Sicile et Justin, leurs services 
à Denys l'Ancien. 

IV® siècle. — Platon (3), qui se trouvait en Sicile au 
moment où se groupaient les mercenaires, cite parmi eux des 
Carthaginois, des Celtes, des Ibères et des Thraces, « nations 
guerrières », ajoute-t-il. 

Si l'on consulte Aristote, qui écrivait de 5o à 75 ans après 
Hérodote, on voit que, sous le rapport de la géographie de 
l'Europe occidentale, les Grecs n'avaient fait que de bien 
faibles progrès. 

« De Pyrène, dit Aristote (4) (Pyrène est une montagne 
située au couchant équinoxial dans la Celtique), coulent Tlster 
et le Tartessos. » 

Le Danube ou Ister prend toujours sa source dans les Pyré- 
nées, mais Pyrène n'est plus une ville, c'est une montagne. 
Cette montagne ne donne pas seulement naissance à Tlster 
ou Danube, elle donne naissance aussi au Tartessos, syno- 
nyme de l'ancien Bétis, Guadalquivir actuel, fleuve qui a son 
embouchure dans l'Océan Atlantique, non loin du détroit de 
Gibraltar, mais qui provient du centre de l'Espagne, bien loin 
des Pyrénées. 

A propos de l'âne, Aristote parle deux fois des Celtes. 

« L'âne est un animal frileux, on ne peut en élever dans 
les pays du nord, comme chez les Scythes et chez les Celtes, 

(1) HÉRODOTE, liv. IV, Ch. XLIX. 

(2) XÉNOPHON, Uelléniques, liv. VU, ch. i, § 20. — Diodore de Sicile, 
liv. XV, ch. xLvii. — Justin, liv. XX. 

(3) Platon, Des Lois^ liv. I. 
(7j) Aristote, Météorologie, liv . 1, ch. xii. 



CELTES 71 

qui sont au-dessus de ribérie (1). Dans rillyrie, la Thrace et 
TEpire, les ânes sont petits. Dans la Celtique et la Scythie, 
il n'y en a pas du tout, parce que le froid y est trop rigou- 
reux (2). » 

La Celtique, au-dessus de Tlbérie, est bien placée, mais elle 
est poussée jusqu'au nord, pays à froid rigoureux. 

Scylax (3) dans son Périple^ qu'on rapporte au milieu du 
rv* siècle avant notre ère, ne mentionne pas les Celtes sur les 
côtes de France. Il ne parle que de Celtes situés sur TAdria- 
tique, entre les Tyrrhéniens et les Vénètcs, soit Rimini et 
Venise. Ce seraient les restes d'une expédition ou invasion. 

Ephore (4), dans la seconde moitié du iv® siècle avant notre 
ère, indiquant les populations extrêmes de la terre aux quatre 
points cardinaux, cite les Indiens à l'orient, les Éthiopiens 
au midi, les Celtes à l'occident et les Scythes au septentrion. 
N'oublions pas qu'Ephore écrivait dans l'Éolide, province de 
l'Asie Mineure. Il vient confirmer ce que nous avons dit de 
l'Afrique à propos d'Hérodote. Ce sont bien les Éthiopiens 
qui limitaient le monde ancien au sud. Comme les Celtes le 
limitaient à l'occident, on en a déduit que, d'après Ephore, 
partant des Colonnes d'Hercule ou détroit de Gibraltar, extré- 
mité de l'Espagne du côté de l'Afrique, ils allaient, par la val- 
lée du Danube, jusqu'auprès des Scythes, vers l'embou- 
chure de ce fleuve dans le Pont-Euxin ou mer Noire. 

II« siècle. Polybe. — A la fin du ni** ou tout à fait au 
commencement du n'' siècle avant notre ère, Apollonius de 
Rhodes (5), conduisant les Argonautes de la Colchide aux îles 
d'Hyères , dit qu'après avoir quitté TÉridan, dépassé les 
grands lacs, ils sortirent de chez les Celtes pour traverser le 
territoire des Ligures. L'Éridan, qui n'est autre que le Pô, el 
les grands lacs du nord de l'Italie se trouvaient donc en pays 
celtes. 

Ptolémée (6), dans la première moitié du ii** siècle avant 
notre ère, raconte que des Celtes de l'Adriatique auraient. 



(1) Aristote, Histoire des animaux^ liv. II, ch. vin. 

(2) Idem, /6/cf., liv. VIII, ch. xxviii. 

(3) Scylax, Fragm. 18. 

(4) Ephore, Fragm, 38. — Cité par Strabon, liv. 1, ch. 11, § 28. 

(5) Apollonius de Rhodes, Argonautes, liv. IV, vers t)35. 

(6) Ptolémée, Histoire (V Alexandre . 



72 DOCUMENTS HISTORIQUES 

en 336, adressé une ambassade à Alexandre le Grand. Appien, 
au II*' siècle de notre ère, dans son Expédition d'Alexandre, 
les appelle Celtes du golfe Ionien. 

Pausanias et Polybe, qui ont écrit à peu près à la même 
époque, vers le milieu du ii® siècle avant notre ère, joignent 
le mot Galate au mot Celte. Nous nous occuperons dans le 
chapitre suivant de ce nouveau nom, déjà introduit environ 
75 ans auparavant par Timée. Pour le moment, nous allons 
continuer à examiner ce qui concerne d'une manière spéciale 
et indubitable les Celtes seuls. 

Une tradition antique considérait les Celtes comme des 
géants. « Je n'ai rien vu, dit Pausanias (i), qui justifiât une 
telle réputation. Les Celtes qui habitent les extrémités du 
monde, près, des contrées que le froid rend désertes, ne sont 
pas plus grands que les autres hommes. Leurs cadavres 
n'indiquent pas une taille supérieure à celle des Ég}'p- 
tiens. » 

Les détails que donne Polybe sur les Celtes et les Gaulois 
concernent ceux qui habitaient le nord de l'Italie et le sud- 
est de la France, surtout la région des Alpes. Cela confirme 
bien la présence des Celtes en Italie. 

Mais l'auteur qui a le mieux fait connaître les populations 
dites celtiques, en restreignant considérablement leur lieu 
d'habitation, est, sans contredit. César, qui a fait huit cam- 
pagnes en Gaule et qui, par conséquent, s'est longuement 
trouvé en contact le plus direct avec les populations de ce 
pays. Ses Commentaires sur la guerre des Gaules sont un 
riche répertoire où l'on peut largement puiser de précieux 
renseignements qui remontent au milieu du i" siècle avant 
notre ère. 

pr siècle. César, Strabon. — Restreignant beaucoup la 
question des Celtes , César les parque au milieu de la 
France. 

« L'ensemble de la Gaule, dit-il (2), se divise en trois par- 
tics : l'une est habitée par les Belges, l'autre par les Aqui- 
tains, la troisième par ceux qui, dans leur langue, s'appellent 
Celtes et que nous appelons Gaulois. Tous ces peuples dif- 



(1) Pausanias, liv. I, Attique, ch. xxxv. 

(2) Cksar, Guerre des Gaules, liv. I, cli. i^'. 



CELTES 73 

fèrent entre eux par le langage, par le gouvernement et par 
les lois. La Garonne sépare les Gaulois des Aquitains ; la 
Marne et la Seine forment leur frontière du quartier des 
Belges. » 

Strabon, qui écrivait 3o ou ^o ans après César, donne 
d'abord l'opinion des auteurs anciens : 

« Ainsi, dit-il (1), en me reportant aux opinions des anciens 
Grecs, en voyant tout ce qu'ils connaissaient de peuples sep- 
tentrionaux sous le seul et môme nom de Scythes, ou celui 
de Nomades qu'emploie Homère, et comment, plus tard, avec 
le progrès des découvertes dans l'occident, ils adoptèrent 
aussi pour cette partie de la terre des dénominations géné- 
rales, soit les noms simples de Celtes et d'Ibères, soit les noms 
mixtes de Celtibères et de Celtoscythes, étant réduits par 
ignorance à ranger ainsi sous une seule et même dénomina- 
tion des peuples séparés et distincts : je crois pouvoir affirmer 
que le nom d'Ethiopie désignait de môme pour eux toute la 
région méridionale de la terre baignée par l'Océan. » 

Dans son livre II, il ajoute : 

« Bornons-nous donc en ce moment à dire que Timosthène 
et Eratosthène, comme tous ceux qui les ont précédés, 
ignoraient parfaitement tout ce qui concernait l'Ibérie et la 
Celtique, à plus forte raison la Germanie, la Bretagne, les 
pays Gètes et les Bastarnes. » 

Eratosthène étant mort l'an 192, il en résulte que d'après 
Strabon, qui en cela a peut-être voulu un peu se faire valoir, 
on ne connaissait à peu près rien concernant l'Europe 
occidentale antérieurement au 11® siècle avant notre ère. 

Pourtant on peut conclure, du moment où il y avait des 
Celtibères et des Celtoscythes, que les Celtes devaient, d'après 
les anciens, s'étendre depuis l'Ibérie, c'est-à-dire l'Espagne, 
jusqu'à la Scythie, partie de la Bussie confinant à l'Asie. 
Strabon (2) appuie môme sur cette extension des Celtes au 
nord des Alpes jusque dans l'Europe orientale, en ajoutant : 
« Les historiens grecs ont dès longtemps compris tous les 
peuples du Nord sous la dénomination générale de Scythes et 
de Celtoscythes. » 



(1) Strabon, Géographie^ liv. I, ch. 11, | 27. 

(2) Idem, /6id., liv. XI, ch. vi, % 2. 



74 DOCUMENTS IIISTOIUQUES 

Sur le bord de la Méditerranée, du côté de rilalie, il limite 
les Celtes à la Ligurie, plaçant aussi de ce côté des Keko- 
/lyuaç (Keltoliguas), Celtoligures (i). Ils occupaient Tespace 
qui s'étend du Rhône au Var. 

Comme la conquête des Gaules était terminée depuis plu- 
sieurs années quand écrivait Strabon, comme César avait 
déjà publié ses Commentaires, Tauteur grec, ainsi que Fau- 
teur latin et probablement en lui empruntant ses documents, 
restreint la Celtique à la partie centrale des Gaules. 

« Ici, dit-il (2^, finit ce qui se rapporte aux peuples de la 
province Narbonnaiso, autrement dit aux Celtes, pour nous 
servir de Tancienne dénomination. Car j'ai idée que c'est aux 
habitants de ladite province que les Grecs ont emprunté ce 
nom de Celtes, qu'ils ont ensuite étendu à l'ensemble des 
populations de la Gaule, soit que ce nom leur ait paru plus 
illustre que les autres, soit que l'avantage qu'avait la tribu 
qui le portait d'être si proche voisine des Massaliotes ait con- 
tribué surtout à le leur faire choisir. » 

En même temps que Strabon et probablement sous les 
mêmes influences, Diodore de Sicile écrivait (3) : 

« Il est bon de définir ici un point ignoré de beaucoup de 
personnes : c'est que le nom de Celtes ne doit s'appliquer 
qu'aux peuples qui habitent au-dessus de Marseille, près des 
Alpes et en deçà des Pyrénées. » 

Pourtant Strabon (4) a placé des Celtici à l'angle sud-ouest 
de ribérie entre le Tage et la Guadiana qui portait alors le 
nom d'Anas. 

Non content de donner des détails précis de géographie, Dio- 
dore rapporte aussi une légende concernant l'origine du nom 
des Celtes. Une fille du roi Britannius, nommée Celtine, était 
d'une rare beauté et avait une taille extraordinaire. Très fière 
de ses avantages physiques, elle repoussait avec mépris tous 
ceux qui voulaient l'épouser. Mais ayant vu Hercule, elle fut 
éprise de lui et saisie du désir de s'en faire aimer. Elle lui 
enleva les bœufs de Géryon qu'il emmenait comme butin et 
ne consentit à les lui rendre que lorsqu'il eut cédé à son 

(i) Sthabon, Géographie, liv. IV, ch. vi, % 3. 

(2) Idem, ibid., liv. IV, ch. i^', fin du | 14. 

(3) Diodore de Sicile, liv. V, ch. xxxiii. 

(4) Strabon, Géographie, liv. III, ch. 11, § i5. 



CELTES 75 

caprice. Un fils appelé Celtus naquît de cette union et donna 
son nom aux Celtes. Nous ne reproduisons cette légende que 
pour montrer que dans l'antiquité héroïque on reliait Britan- 
nius à Celtus, ou, en termes moins mythologiques et plus 
positifs, les Celtes aux Bretons. On les faisait de la même 
famille. 

Les anciens tiraient généralement leurs étymologies de 
noms propres que Ton créait suivant les besoins ; c'était simple 
et commode, même charmant quand il s'y mêlait de l'imagina- 
tion et de la poésie, mais cela n'avait rien de scientifique. 

Ère actuelle. — Nombre d'auteurs de notre ère ont encore 
parlé de la grande extension des Celtes. 

Ainsi au n® siècle, Plutarque (1) développe encore la Celtique 
de la Mer Extérieure au Palus Méotide et à la Scythie Pon- 
tique, c'est-à-dire de l'océan Atlantique et de la mer du Nord 
aux régions de la mer d'Azof et de la mer Noire. 

Au m®, Dion Cassius (2), qui fut gouverneur de la Pannonic, 
région arrosée par rister ou Danube, écrit que les deux rives 
du Rhin appartiennent aux Celtes. 

Au IV®, Festus Avienus (3) rappelle que les Ligures furent 
chassés du voisinage des îles OEstrymnides par les Celtes, nou- 
velle preuve que ces îles, dont la position n'est pas encore par- 
faitement déterminée, doivent être les îles des côtes de la Ven- 
dée et des Charcutes, ou mieux encore les îles des côtes 
d'Espagne et de Portugal, de la GaHce. 

En effet l'Hispanie a, paraît-il, été pénétrée par diverses 
populations celtiques. Plusieurs auteurs anciens en men- 
tionnent dans la péninsule ibérique. 

Dans la partie occidentale, du nord au sud, Pline signale : 
« Le promontoire celtique... Les Celtiques surnommés Né- 
riens... Les Celtiques surnommés Prœsamarques... La ville 
Agusta (4) des Bracaris au-dessus desquels est la Galicie... 
Le fleuve Durius sépare les Galleces de la Lusitanie (5). » 
Avant il avait écrit : « Le ressort de Lucus (6) comprend les 



(i) Plutarque, Vie de Marias, § 11. 

(2) Dion Cassius, Histoire Romaine, liv. XXXIX, ch. xlix. 

(3) Festus Avienus, Ora, vers 129. 

(4) Ville actuelle de Braga. 

(5) Pline, Histoire naturelle, liv. IV, ch. xxxiv. 

(6) Lugo actuel. 



76 DOCUMENTS HISTORIQUES 

Celtiques (1) ». Au sud Polybe et Strabon (2) donnent comme 
Celtiques les Turdétans. 

Les Celtibères, Celiiberiy Kùri^riptç, occupaient le cours 
supérieur du Douro, du Tage et de la Guadiana, au centre 
de THispanie. Diodore les pousse jusqu'aux Pyrénées. C'était, 
d'après lui, un mélange de Celtes venus de la Gaule et d'Ibères 
qui, à la suite de luttes violentes, s'étaient fondus ensemble. 
D'autres auteurs admettent que c'était tout simplement des 
Celtes venus sur les bords de l'iberus, l'Èbre actuel. 

A côté de ceux qui étendent le domaine des Celtes, nous 
devons placer ceux qui le restreignent. Cette dernière ten- 
dance, imprimée surtout par César, s'est développée au com- 
mencement de notre ère. Nous voyons, à peu près en même 
temps, Pline (3) assigner pour limites à la Celtique la Seine et 
la Garonne, et Pomponius Mêla (4), la Garonne et la Seine. 

Sous Auguste, ces limites s'étaient encore rétrécies. En 
effet, nous avons vu précédemment que cet empereur romain 
avait agrandi l'Aquitaine en lui adjoignant quatorze popula- 
tions situées sur la rive droite de la Garonne. C'était autant 
d'enlevé à la Celtique. 

Conclusions. — Des diverses citations qui précèdent on 
peut tirer les conclusions suivantes : 

Le nom des Celtes n'apparaît pas dans les auteurs anciens 
avant le v*' siècle au delà de notre ère. 

Tout d'abord, ce nom n'avait qu'un sens très vague et fort 
indéterminé. Les Celtes représentaient en bloc toutes les popu- 
lations inconnues occupant les extrémités du monde du côté 
de l'Occident, sans limites arrêtées. Nous avons vu qu'il en a 
été de même, mais d'une manière moins générale, pour les 
Ligures vers le vni^ siècle, ainsi que pour les Ibères. C'est la 
période de l'inconnu et de l'ignorance. 

Peu à peu les limites des Celtes, tout d'abord complètement 
ignorées, se sont précisées. C'était vers le sud-ouest les Pyré- 
nées, et encore admettait-on que des Celtes avaient franchi 
ces montagnes pour s'établir en Hispanie, et pour se mêler 
aux Ibères, ce quia donné naissance aux Celtibères. A l'autre 

(1) Pline, Histoire Naturelle, liv. III, ch. iv. 

(2) Strabon, Géographie, liv. III, ch. i, § 6. 

(3) Pline, //zs/o/re naturelle^ liv, IV, ch. xxxi. 

(4) Pomponius Mêla, Régions du Globe, liv. III, ch. 11. 



% CELTES 77 

bout, vers le nord-est, les Celtes allaient, en suivant la vallée 
du Danube, se heurter aux Scythes et former même, au point 
de contact, les .Celtoscy thés. Entre ces deux limites extrêmes, 
tout était celte. C'est pour cela que, d'après le Dictionnaire 
de la Gaule (i), « des faits relatifs à la Grande-Bretagne, aux 
pays Scandinaves; à la Germanie du Nord et du Sud, à l'Ulyrie, 
à ritalie septentrionale et à Tlbérie sont classés, sans distinc- 
tion aucune, sous cette môme appellation de faits celtiques. « 

« Il n'est pas douteux que le nom de Celtes n'ait été, dans 
le principe, pour les Grecs, un nom vague appliqué d'une 
manière générale à toute une série de populations de l'ouest 
de l'Europe très mal connues des anciens, comme aujourd'hui 
encore, par exemple, pour les Orientaux, le nom de Francs 
est indistinctement donné, en Asie Mineure et en Syrie, aux 
Anglais, aux Allemands, aux Italiens et aux Espagnols aussi 
bien qu'aux Français (2). » 

Cette comparaison, excellente pour bien faire comprendre 
l'esprit et les connaissances du gros public, ne peut, pour l'an- 
tiquité comme pour l'Orient, s'appliquer aux esprits d'élite 
qui devancent toujours l'opinion générale. Les auteurs grecs 
et romains du iv° et du m^ siècle avant notre ère se tenaient au 
courant des découvertes qui se multipliaient à mesure que les 
relations de peuples à peuples s'étendaient vers le septentrion 
et vers l'occident. A cette époque, la Grèce et surtout Rome 
donnaient pour ainsi dire la main au nord de l'Italie. Ils con- 
naissaient bien les populations qui habitaient les plaines du 
Pô et les bords de l'Adriatique. Ils les connaissaient d'autant 
mieux que ces populations avaient plusieurs fois fait irruption 
chez eux, comme envahisseurs ou comme mercenaires. Et 
pourtant ils les appelaient Celtes. Nous ne pouvons donc refu- 
ser de reconnaître que les Celtes ont occupé ces régions. 

Plus tard, vers le milieu du i®' siècle avant notre ère. César 
a restreint de beaucoup la Celtique. Il l'a confinée entre l'Océan 
Atlantique à l'ouest, les Alpes à Test, la Garonne au sud, la 
Seine et la Marne au nord. 

Quelque dix ans plus tard encore, Auguste, dans un but 
politique et surtout administratif, a encore réduit la Celtique, 

(i) Dictionnaire archéologique de la Gaule, p. 422, art. Galli. 
(2) Ibid., p. 247, arl. Cellœ, 



78 DOCUMENTS HISTORIQUES 

déjà si restreinte, de César, en lui enlevant au nord de la 
Garonne un certain nombre de peuples qu'il a adjoints à l'Aqui- 
taine, province qui, ainsi que nous l'avons vu, était attribuée 
aux Ibères. 

En présence de toutes ces variations, on se demande quelle 
est la région qui doit fournir le type celtique ? Faut-il le cher- 
cher dans ce qu'on pourrait appeler le monde Celtique ou la 
grande Celtique allant des Pyrénées aux bouches du Danube? 
Nous sommes alors dans un milieu bien mal défini et qui 
paraît composé d'éléments fort divers. Ou bien faut-il le 
prendre dans la Celtique réduite de César? Mais ce n'est plus 
qu'un type peu étendu. Ce n'est plus un type général... Et 
encore serait-on bien embarrassé pour définir ce type, car 
cette Celtique, quoique réduite, présente néanmoins des types 
très variés. 

Notre embarras est grand ! 

L'étude des Gaulois ne fera que l'accroître !I1 



CHAPITRE VIII 



GALATES ET GAULOIS 



Apparition du nom. Pausanias. — Les Gaulois, Galli des 
Latins ne sont que les Calâtes, raXarai, des Grecs. 

Leur nom, sous la forme grecque, Galatai, en français 
(îalates, n'apparaît qu'avec les écrits de Timée dans la pre- 
mière moitié du ni® siècle, c'est-à-dire deux cents ans après 
celui des Celtes. Sous la forme latine. Gaulois, il est encore 
plus récent. Caton s'en servit le premier vers le milieu du 
H® siècle avant notre ère, soit cent ans après Timée. D'Arbois 
de Jubainvillc (1) cherche à le vieillir. « Bien que, dit-il, la 
première mention s'en trouve dans les Origines de Caton, 
écrites un siècle après Timée, on peut dater leur nom du 

(1) D'Arbois dp: Judainville, Celtes, GalateSj Gaulois, 1875, extrait 
Revue arch,, p. 2. 



CALATES ET GAULOIS 



79 



IV® siècle, si Ton suppose que les récits de leurs premières 
guerres avec les Romains ont été empruntés par les écrivains 
latins aux Annales maximi rédigées par les pontifes au fur et 
à mesure des événements. » C'est là une pure hypothèse, basée, 
comme le dit Tauteur lui-même, sur une supposition. Elle ne 
saurait rentrer dans notre discussion, devant rester dans la 
simple et stricte appréciation des faits, qui sont rigoureuse- 
ment : 

Apparition du mot Galates dans la première moitié du 
ni® siècle. 

Apparition du mot Gaulois seulement au milieu du n® siècle 
avant notre ère. 

Avant Timée, tous les auteurs, Hécatée de Milet, Hérodote, 
Scylax, Platon, Aristote, Ephore, auxquels il faut joindre 
Apollonius de Rhodes, qui est un peu postérieur, parlent ex- 
clusivement des Celtes. Les auteurs plus récents parlent des 
Celtes et des Gaulois, et parfois même les mêlent tellement, 
qu'il est bien difficile, sinon impossible, de les séparer. Nous 
les examinerons donc tous les deux ensemble, mais sans 
nous départir de notre méthode chronologique, qui nous a été 
si utile jusqu'à présent. 

Le premier, vers la fin du ni® siècle, Eratosthène, applique 
le mot Galates aux Celtes d'Espagne. 

Vers le milieu du ii® siècle avant notre ère, Pausanias (i), 
parlant des Gaulois qui prirent et pillèrent Delphes, dit : « Le 
nom de Galates n'a prévalu que très tard. Anciennement on 
appelait ces peuples Celtes; c'était le nom qu'ils se donnaient 
à eux-mêmes... Les Galates habitent les extrémités de l'Eu- 
rope vers une mer immense dont on ne connaît pas les extré- 
mités, qui est sujette au flux et au reflux, semée d'écueils et 
remplie de monstres ne ressemblant en rien aux monstres de 
nos mers. Leur pays est traversé par l'Éridan, sur les bords 
duquel les filles du Soleil pleurent la mort de Phaéton, leur 
frère. » 

Pausanias, qui a visité et décrit la Grèce et qui a habité 
Rome, était plus que tout autre à même de constater que le 
nom de Galates était assez récent, et qu'il avait été adopté 
comme succédané ou remplaçant du mot Celtes employé plus 

(1; Pausanias, liv. I, eh. m et xxxiii. 



8o DOCUMENTS HISTORIQUES 

anciennement. Comme habitation des Galaies, il indique les 
régions situées entre l'océan Atlantique et les plaines du Pô, 
Érid^n des anciens. 

Les Galates qui attaquèrent Delphes, dit Pausanias (i), ne 
demandaient point de trêve pour enlever leurs morts, ce qui 
scandalisait beaucoup les Grecs. Ces Galates sont toujours 
présentés comme n'ayant ni culte, ni établissements religieux; 
au contraire ils pillaient volontiers les temples, où ils étaient 
sûrs de rencontrer des richesses. 

Celtes et Galates. Polybe. — Presque à la même époque 
que Pausanias, un de ses compatriotes ^ui avait également 
séjourné à Rome, Polybe, publiait son Histoire universelle 
embrassant les événements qui se sont passés de l'an 220 à 
Tan i4i. Celtes et Gaulois y sont fréquemment nommés. 
Alexandre Bertrand (2) a eu la patience de faire le relevé de 
ces deux mots. 

Sur les 40 livres qui composent V Histoire de Polybe, 22 con- 
tiennent les mots Celtes et Galates. 

Celtes se trouve seul dans 3 livres. 

Galates seul dans 12 Hvres. 

Celtes et Galates se trouvent ensemble dans 7 livres. 

Ces mots sont répétés 227 fois. 

117 fois Celtes. 

110 fois Galates. 

Mais ils sont répartis d'une manière fort irrégulière. Ainsi 
les trois premiers livres ont à eux seuls 100 Celtes et 67 Ga- 
lates. Les 37 suivants ne renferment que 17 fois le mot Celtes 
et 53 celui de Galates. L'emploi des deux mots s'enchevêtre 
tellement dans le texte, ces mots ont chacun un sens si peu 
tranché, si peu distinct, que bon nombre de personnes les ont 
considérés comme synonymes et ont pensé que l'auteur les 
employait indifféremment l'un pour l'autre. Ce sentiment s'est 
répandu à un tel point que la plupart des traducteurs ont 
uniformément rendu ces deux mots d'une manière cons- 
tante par celui de Gaulois. La statistique de M. Bertrand 
(jue nous venons de résumer a été faite dans le but de démon- 



(1) Pausanias, liv. X, ch. xxi. 

(2) Alexandre Berthand, De la Valeur des expressions KeXto^ el 
FaXatiai dans Polybe^ 1876, extr. Revue arch. 



CALATES ET GAULOIS 8l 

Irerle contraire. Fidèle à nos principes, nous allons étudier 
hquestion sans parti pris, sans aucune idée préconçue. Nous 
accepterons le sens simple et naturel des phrases, et nous 
l'éclairerons au besoin en tenant compte de la valeur et des 
détails des récits. 

Les mots Celtes et Galates sont surtout accumulés dans 
les trois premiers livres de Polybe, 167 fois sur 227, parce que 
ces trois livres concernent principalement TEspagne, la France 
Diéditerranéenne et Tltalie, régions plus particulièrement 
celtiques et gauloises. Dans le chapitre précédent, nous 
«vons vu que les Celtes occupaient la plaine du Pô des Alpes 
4 l'Adriatique. Polybe confirme cette donnée géographique 
®n parlant des Celtes d'Italie (1). 11 leur fait occuper les Alpes 
^t habiter encore au delà. Ceux du Pô sont les Celtes cisal- 
pins, les autres les Celtes transalpins. Mais l'auteur grec ne 
donne pas une grande extension à ces derniers. Partant de 
* AUobrogie, Dauphiné et Savoie actuels, il les prolonge jus- 
qu'à Narbonne, déclarant que du Narbo, l'Aude, au Tanaïs, le 
Ûon, tout le pays lui est inconnu. Les Pyrénées et le Don 
^ont justement les limites assignées par les anciens aux 
Celtes, mais ne nous occupons que des régions désignées et 
-mbrassées par Polybe. Ayant affaire à une région éminem- 
ment celtique, c'est ce mot qu'il emploie le plus fréquemment, 
00 Celtes contre 57 Galates. 

Voyons pourquoi, et dans quel sens, il emploie le mot Gala- 
es. Il emploie le mot Galates toutes les fois qu'il s'agit de 
uelque chose d'officiel. Quand le Sénat romain désigne le 
ays, ce n'est pas la Celtique, mais bien la Galatie. (^est la 
rovince galate, les Consuls vont combattre les Galates. En 
ffel pour les Romains les plaines du Pô étaient la Gaule cir- 
umpadane. Plus tard cette Gajule devint la Gaule cisalpine 
n opposition de la Gaule transalpine qui se développait de 
autre côté des Alpes. La Cisalpine fut elle-même divisée en 
iaule cispadane, la plus rapprochée de Rome, entre l'Apen- 
in et le Pô, et en Gaule transpadane, au delà du Pô. 
En outre, Polybe applique généralement l'épithète de Gala- 
ique à tout ce qui concerne la guerre. 11 cite successivement et 
ans différents passages les armes, l'épée, le bouclier, la tac- 
Ci) Polybe, Hv. II, ch. xiii. 

G. DE MORTILLET. ^ 



82 DOCUMENTS HISTORIQUES 

lique, les embûches, etc. galaiiques. 11 va môme jusquàdoft- 
ner l'armement galaiique , roeXotTtxà, aux Celtes, Kùm, ea 
rapprochant les deux mots. 

Quel était cet armement galatique ? 

Quels étaient ces Galates? 

Dans Tarmement, la pièce la plus caractéristique consistait 
en une longue épée, à deux tranchants, en fer si mal trempé 
qu'elle se pliait en s'en servant et qu'il fallait la redresser avec 
le pied. On s'en servait de taille et non pas de pointe. 

Les Galates combattaient parfois nus. Est-ce bien par for- 
fanterie, comme le dit Polybe, ne serait-ce pas pour être plus 
agiles et avoir leurs mouvements plus libres? Déjà dans la 
haute antiquité égyptienne, nous trouvons des représentations 
de jeunes gens s'exerçant à tirer de l'arc ou bien prenant 
une leçon d'équiiation ; ils sont entièrement nus pour être 
plus souples. Les Grecs eux-mêmes, qui s'étonnaient de voir 
les Galates combattre nus, se dépouillaient de leurs vêle- 
ments pour les diverses luttes du cirque. Enfin les bas-reliefs 
de Tare de triomphe d'Orange nous donnent la clef de la 
question. On y voit les Gaulois, avec casque et bouclier, 
avoir le haut du corps entièrement nu. Pour tout vêtement 
ils ont une braye, espèce de pantalon collant, et un plaid, 
grand manteau jeté sur l'épaule (fig. 19). 

Gomme type ethnique, les Galates de Polybe étaient grands 
de taille, à peau blanche lactée, à cheveux blond ardent, à 
yeux bleus. Ce portrait des Galates de la Cisalpine a été con- 
firmé par Tite-Live et d'autres auteurs de son temps. Il a été 
répété jusque dans le vi® siècle de notre ère par Ammien Mar- 
cellin et par Jordanès vers 55o. 

« Ces peuplades, ajoute Polybe, étaient dispersées dans des 
villages sans murailles et ignoraient absolument les mille 
choses qui font le bien-être de la vie. Ne connaissant de lit 
que le gazon, ne mangeant que de la chair, elles menaient la 
vie la plus agreste. Etrangères à tout ce qui n'était pas guerre 
ou travail de la terre, elles n'avaient ni science ni art quel- 
conques. Leurs richesses consistaient en or et en troupeaux. 
C'étaient, en effet, les seules choses qu'elles pussent en toute 
circonstance emporter avec elles et déplacer à leur gré. Enfin 
elles attachaient un grand prix à ce que l'on peut appeler 
clientèle, parce que chez elles le plus puissant et le plus 



GAIATES ET 

redoutable était celui qui voyait autour de sa personne le plus 
d'hommes prêts à lui rendre hommage et à suivre ses volon- 
téa. >. 

Ils étaient sans prêtres, sans culte, sans religion. Pourtant 
Poiybe parle d'un établissement à Alhéné, duquel les Insubres, 
habitants du Milanais actuel, 220 ans avant notre ère, tirèrent 
comme signe de guerre à outrance des oriHammes d'or, 
qui y étaient enfermés. 
Qu'était cet établisse- 
menlî Était-ce un tem- 
ple? N'était-ce pas plu- 
Wt une salle de conseil, 
de délibération, un lieu 
de réunion ? Sur ce point 
Poiybe et les autres au- 
teurs ne fournissent au- 
cun renseignement. 

Tels sont les Galates 
décrits par Poiybe, au 
milieu du 11^ siècle avant 
notre ère. Et il ajoute (1): 
« La crainte des Galates 
a plus d'une fois ému 
non seulement la Grèce 
de nos jours, mais en- 
core fa Grèce ancienne, » 
Cette citation du se- 
cond livre de Poiybe va nous servir de transition pour passer 
à l'examen des trente-sept derniers livres, qui ne contiennent 
que dix-sept fois le mot Celtes et cinquante-trois fois celui 
de Galates. Ces Irente-sepl livres concernent surtout les 
affaires de Grèce et d'Asie. C'est ce qui fait que les deux 
mots y sont beaucoup moins fréquents. Pourtant ils n'y 
sont pas distribués d'une manière indifférente. Si le mot 
Gfdates est trois fois plus abondant que celui de Celtes, 
c'est qa'il s'agit surtout de faits de guerre et que les œuvres 
galatiques, comme pillage de temples, envahissement das- 
semblées en temps de paix, dévastation de villes, assassinat 




19. - Gaulois COI 
■noins.Froiîmentd'un has-rel 
Irioiiiplio d'Orange (Va ii cl us 



(1} PoLïBE, liv. II, ch. s 



84 DOCUMENTS HISTORIQUES 

de princes et autres prouesses de ce genre, sont nombreuses.] 
Il s'agit de bandes conduites par des commandants nati( 
naux : Brennus, Comentorius, Apatorius, Cavarus ; de me^] 
cenaires au service d'une ville comme Dymae, en Achaïe, 
ou cavalerie et infanterie au service de divers princes : Phi- 
lippe III, roi de Macédoine, Antiochus le Grand, roi de Syrie, 
Ptolémée V, roi d'Egypte, Atlale, roi de Pergame. Brennus, 
ayant envahi la Macédoine en 279 avant notre ère, fut battu 
et tué en Grèce. Vingt mille, dit-on, de ses hommes passèrent 
en Asie Mineure et fondèrent sur les bords de la mer Noire un 
petit État qui prit le nom de Galatie. Polybe (1) désigne net 
temcnt ces Galates sous le nom caractéristique de Galales 
d'Asie, 'Adia; TaXaTwv. Dans son livre XXII (2), il raconte que, 
les Galates de l'Asie Mineure ayant soutenu Antiochus contre 
les Romains, G. Manlius leur déclara la guerre. 

Ces Galates, qui envahissent à plusieurs reprises la Grèce 
et l'Asie Mineure, qui vont, comme mercenaires, servir les 
rois de Macédoine, de Pergame, de Syrie et d'Egypte, ces Ga- 
Jates viennent, d'après Pausanias, Polybe et Plutarque, des 
bords du Danube et surtout de la Pannonie. 

Quant au mot Celtes, dans les trente-sept derniers livres 
de Polybe, il revient peu souvent, et il est surtout apphqué 
à des événements concernant l'Italie, égrenés en dehors des 
trois premiers livres. 

Il est d'abord question (3) des Romains qui ont soumis les 
Celtes de la Cisalpine. 

Au livre VIII, Polybe (4) raconte la prise de Tarente par Anni- 
bal. Ce général choisit dans son armée des Celtes, qui, conjointe- 
ment avec des Carthaginois, s'introduisirent la nuit dans la ville. 
Les soldats romains, surpris et affolés, se jetèrent en fuyant soit 
du côté des Celtes, soit du cbté des Carthaginois, qui les mas- 
sacrèrent. Le matin les habitants de Tarente épargnés d'après 
l'ordre exprès d'Annibal virent les Galates dépouillant les 
morts. Comme troupes régulières, obéissant à une consigne, 
il n'y avait que des Celtes, mais ces Celtes devinrent des Ga- 
lales en dépouillant les morts ; ce pillage sacrilège était une 

(1) Polybe, liv. XXXI, ch. 11. 

(2) Idem, liv. XXII, ch. xvi, xx, xxi, xxii, xxiv, etc. 

(3) Idem, liv. VI, ch. i. 

(4) Idem, liv. VIII, ch. xxxii. 



CALATES ET GAULOIS 85 

CBUvre galatique. Ce passage donne on ne peut mieux le sens 
que Polybe attribue à chacun des deux mots. 

L'existence des Celtes de l'armée d'Annibal est confirmée 
dans le livre XI (i). Ce sont des Celtes recrutés dans les 
plaines du Pô. 

Dans le même livre (2), il est question des troupes qui se 
trouvaient dans le camp d'Asdrubal. Parmi les mercenaires, 
à deux chapitres de distance, il cite les Galates et les Celtes. 
Ne devons-nous pas conclure que ce sont les mômes merce- 
naires désignés sous deux noms différents qui ont la même va- 
leur ethnique et géographique ? Pour se tirer d'affaire, A. Ber- 
trand se demande s'il n'y avait pas là des mercenaires appelés 
de deux contrées différentes : les Celtes du nord de l'Italie et 
les Galates du haut Danube ou des Alpes septentrionales. On 
pourrait lui répondre : en employant pour une seule et même 
chose les deux mots nord et septentrion, vous faites exacte- 
ment ce qu'a fait Polybe en désignant les mômes hommes 
sous les noms de Celtes et de Galates. Autre supposition 
d'Alexandre Bertrand : « Peut-être aussi n'avons nous affaire 
qu'à une mauvaise lecture. » 

Dans le cas actuel, nous devons d'autant moins admettre la 
supposition qui précède qu'elle nous entraînerait fort loin. En 
effet, livre VIII, chapitre xxxii et livre XII, chapitre iv, Polybe 
se sert successivement et indifféremment des deux termes 
Celtes et Galatesl S'il y a mauvaise lecture livre XI, il faut 
aussi admettre une mauvaise lecture pour les deux autres 
livres. Où irions-nous avec un pareil système? 

Ce qui prouve bien que les Galates sont tout simplement 
dans l'esprit des anciens auteurs des Celtes, c'est que Po- 
lybe (3) appelle exclusivement Galates les Tectosages au ser- 
vice d'Antiochus, en Syrie, tandis que les Tectosages de César 
et des auteurs latins sont en pleine Celtique. 

Enfin, livre XVII (4), Polybe nous montre le Sénat romain 
envoyant les consuls en Galatie pour réprimer les révoltes des 
Celtes. C'est presque une interversion de rôle. Il semble qu'il 
aurait, d'après l'esprit général de Polybe, dû dire : le Sénat 

(1) Polybe, liv. XI, ch. xix. 

(2) Idem, liv. XI, ch. i et ni. 

(3) Idem, liv. V, ch. xxxni. 

(4) Idem, liv. XVII, ch. xi. 



86 DOCUMENTS HISTORIQUES 

envoya en Celtique, nom le plus ancien du pays, les consuls 
pour réprimer les révoltes des Galates, la révolte étant une 
œuvre galatique. Mais ici nous sommes en face d'un fait offi- 
ciel, et le nom officiel de la Circumpadane pour les Romains 
est Gaule, Galatie. 

En résumé, Polybe s'est surtout occupé des Celtes et Ca- 
lâtes d'Italie, habitant les plaines du Pô et guerroyant dans la 
péninsule. Il a aussi donné d'intéressants détails sur les Ca- 
lâtes de la vallée du Danube qui, plusieurs fois, ont envahi la 
Grèce et, passant la mer, sont devenus les Galales d'Asie. 
Quant aux Celtes et Galates du versant français des Alpes, il 
y a à peine touché. 

Gaulois de France. César. — En effet, les Celtes et Cau- 
lois de la France ne sont réellement connus que depuis César, 
milieu du i^"^ siècle avant notre ère. Il n'est pas inutile de rap- 
peler que Galates et Gaulois sont un seul et même mot, tra- 
duction littérale de la forme grecque Galatai et de la forme 
latine Galli. 

Rappelons aussi que, dès le début de ses Commentaires sur 
la guerre des Gaules^ César s'exprime ainsi : « L'ensemble 
de la Gaule se divise en trois parties : l'une est habitée parles 
Relges, l'autre par les Aquitains, la troisième par ceux qui, 
dans leur langue, s'appellent Celtes et que nous appelons Gau- 
lois. » Ce passage est on ne peut plus clair. Belges, Aquitains 
et Celtes font partie de la Gaule, ils sont donc Gaulois. Les 
Romains ne reconnaissent pas plus les Celtes de la Gaule 
transalpine que ceux de la Gaule cisalpine. Ils les appellent 
tous Gaulois ou Galates, suivant que l'auteur est latin ou 
grec. 

« Il n'y a en Gaule, ajoute César (i), que deux classes qui 
comptent et qui aient de l'influence ; le menu peuple est presque 
en (Hat de servitude, il n'ose rien par lui-même et n'est jamais 
consulté. Ces deux classes sont celle des druides et celle des 
chevaliers. » Il y avait donc le peuple, le clergé et la noblesse, 
tout comme en 1789. Triste preuve delà persistance des orga- 
nisations vicieuses et de la marche lente du progrès. 

Le peuple était asservi ; le clergé, formant une puissante 
unité, divisait autant que possible pour régner; la noblesse, 

(1) CÉSAR, Guerre des Gaules, liv. VI, ch. xnr. 



CALATES ET GAULOIS 87 

désireuse de posséder titres et pouvoir, poussée par le 
clergé, morcelait le territoire à l^infini. Aussi César, outre 
les trcHS grandes divisions géographiques mentionnées ci- 
dessus, cite et énumère de nombreuses subdivisions, ayant 
chacune leur chef et leur aristocratie. Nous n'avons pas à en- 
trer dans ces détails. Nous ne citerons en passant que quelques- 
anes de ces divisions quand nous aurons d'intéressantes dé- 
ductions à en tirer; c'est ce que nous avons déjà fait pour les 
Tectosages, que Strabon (i), tout comme Polybe, nous signale 
comme faisant partie des Galates de l'Asie Mineure, bien que 
se retrouvant en France, d'après César, dans sa Celtique 
proprement dite. 

Entre le passage de César que nous venons de citer et ccr- 
^ines déductions tirées de Polybe, il paraît à première vue 
y avoir contradiction. D'après Polybe, dans la Gaule cisalpine 
M n'y avait ni religion ni prêtres ; d'après César, dans la Gaule 
^*^salpine, les druides — c'est-à-dire les prêtres — possé- 
daient une grande influence. 

César nous fournit lui-même l'explication de cette contra- 
action apparente. Polybe écrivait cent ans avant César sur 
Une région diamétralement opposée à la Grande-Bretagne. Or 
César (2) dit : « On pense que l'institution druidique trouvée 
înlllede Bretagne a été de là transportée dans la Gaule. » 
C'est une importation nouvelle que n'avaient pas les anciens 
Celtes, les anciens Galates ou Gaulois. 

Strabon, Tite-Live. Ère actuelle. — Passons à Strabon. 
[I raconte aussi que les Galates de l'Adriatique vinrent saluer 
Uexandre le Grand, pendant qu'il était chez les Gètes. Ce 
K)nt les mêmes ambassadeurs que Ptolémée et Appien ont 
ippelés Celtes. 

Mais ce qui prouve bien que Strabon ne faisait pas de dilfé- 
eiice entre les Celtes et les Galates, c'est que dans le même 
ivre, à un chapitre de distance, il s'exprime ainsi : 
« Les Taurisques sont Galates (3). » 

« Les Taurisques sont du nombre des nations celti- 
[ues(4). 

(1) Strabow, Géographie, iiv. XII, eh. v,§ 2. 

(2) CÉSAR, Guerre des Gaules, Iiv. VI, ch. xni, 

(3) Strabon, Géographie, Iiv. VII. ch. 2, | 2 

(4) Idem, ibid., Iiv. VII, ch. 3, | 2. 



88 DOCUMENTS HISTORIQUES 

Tite-Live (i), qui comme Strabon écrivait au commencement 
de notre ère, mais Tite-Live seul, rapporte une légende qui, 
si elle était vraie, serait le plus ancien document important 
sur les migrations gauloises. Vers le commencement du 
VI® siècle avant notre ère, au temps de Tarquin l'Ancien, deux 
frères, Bellovèze et Sigovèze, fils d'Ambigat, roi des Bituriges, 
peuple du centre de la Celtique, partirent pour des migrations 
lointaines. Bellovèze se dirigea vers le sud, secourut les Mar- 
seillais, traversa les Alpes et s'établit dans la vallée du Pô qui 
prit le nom de Gaule cisalpine. Quant à Sigovèze, il s'ache- 
mina dans la direction du nord, il traversa le Rhin et s'établit , 
dans la région de la forêt Hercynienne, qui, dit-on, se pro- 
longeait jusqu'à la Vistule. Les hordes des deux frères étaient 
surtout composées de Volces Tectosages, c'est-à-dire de 
Celtes du sud. 

Cette légende si complète sur une époque qui ne noHS a 
fourni que des renseignements incomplets doit faire naître en 
nous des doutes bien naturels, doutes d'autant plus justifiésque 
Polybe n'en parle pas et que César n'y fait aucune allusion. 

A peu près en même temps que Tite-Live publiait sa 
légende de Bellovèze et Sigovèze, Diodore de Sicile (2), s'inspi- 
rant évidemment de César, écrivait: 

« Il est bon de définir ici un point ignoré de beaucoup de 
personnes : c'est que le nom de Celtes ne doit s'appliquer 
qu'aux peuples qui habitent au-dessus de Marseille, près des 
Alpes et en deçà des Pyrénées. Ceux qui sont établis au-dessus 
et qui habitent le long de l'Océan et la forêt Hercynienne et 
toutes les contrées qui s'étendent de là jusqu'à la Scythie, se 
nomment Galates. Mais les Romains, confondant ces peuples 
sous une même dénomination, les nomment indistinctement 
Gain, » 

Plutarque (3), au commencement de notre 11® siècle, parle 
des « Galates de race celtique. » Ce qui n'empêche pas les 
partisans de la distinction des deux mots de s'écrier : Plu- 
tarque (4), ainsi que Dion Cassius (5) et quelques autres au- 

(1) Tite-Live, Décades y liv. V, ch. 34- 

(2) DioooRE DE Sicile, Histoire universelle, liv. V, ch. xxxiii. 

(3) Plutarque, Vie de Camille^ ch. xv. 

(4) Idem, Consolations à Apollonius, 

(5) Dion Cassius, liv. LVI, ch. xxiii. 



CALATES ET GAULOIS 89 

leurs, disent : « les Celtes et les Galates. » Si ces deux mots 
n'avaient pas des sens différents, les auteurs ne les auraient 
pas accolés ensemble. Mais ne les ont-ils pas accolés juste- 
ment parce que, ne sachant pas les différencier exactement et 
ne comprenant pas complètement leur portée, ils ont voulu 
être plus généraux et plus affirmatifs en les joignant Tun à 
l'autre ? 

Le passage suivant d'Appien (i), du ii® siècle de notre ère, 
viendrait appuyer cette dernière manière de voir : « Au levant 
des Pyrénées habitent les Celtes, appelés aujourd'hui Galates 
et Gaulois. » 

Terminons cette liste déjà bien longue par trois dernières 
citations qui se rapprochent de nous et qui pourtant contien- 
nent au milieu d'indications utiles de grossières erreurs. 

Dion Cassius (2), au commencement de notre m® siècle, 
nous donne les détails suivants : « Le Rhin sort des Alpes 
Celtiques, un peu au-dessus des Rhétiens. Il coule vers l'oc- 
cident à travers la Galatie et les Galates à gauche, les Celtes 
à droite et se jette ensuite dans l'Océan ; car le Rhin est la 
limite des deux peuples depuis Tépoque où on leur a donné 
des noms différents. Autrefois on donnait indifféremment le 
nom de Celtes aux peuples de l'une et l'autre rive. » Dion en 
plaçant les Celtes sur la rive droite du Rhin, c'est-à-dire en 
Allemagne, est tout à fait en opposition avec César qui place 
les Celtes au centre de la France. 

Bien que la Galatie d'Asie ait été située dans une région 
où l'on employait la langue grecque, bien que ce petit pays 
soit devenu province romaine dès l'an 25 de notre ère, saint 
Jérôme nous apprend qu'à la fin de notre iv® siècle les Galates 
de l'Asie Mineure ne parlaient pas grec, mais bien un idiome 
gaulois. 

Enfin au vi® siècle de notre ère, Ammien Marcellin (3) 
s'exprime ainsi en parlant de la Gaule : « Il en est qui affir- 
ment que tout d'abord on a vu dans ces pays les aborigènes 
dits Celtes... et qu'en effet les Druides racontent qu'une partie 
de la population est indigène, mais que d'autres sont venus 



(1) ÂPPiENfLes Choses d'Espagne, ch. i. 

(2) Dion Cassius, liv. XXXIX. 

(3) Ammien Marcellin, liv. XV; ch. ix. 



go DOCUMENTS HISTORIQUES 

d'îles éloignées et d'oulre-Rhin, chassés de leur propre pays 
par la fréquence des guerres et par les inondations de la mer. » 
L'idée d'Ammien Marcellin, de deux populations dont Tune 
ancienne, attachée au sol, et l'autre plus récente, produit d'une 
invasion, est très certainement vraie. C'est pour cela que nous 
avons poussé jusqu'à cette citation, malgré les erreurs pro- 
pagées par les druides au sujet de l'origine et de la cause de 
l'invasion. 

Temps modernes. — La question des Celtes et des Gau- 
lois a été fort discutée à diverses reprises, notamment il y a 
quelques années, sur l'initiative de la Société d'anthropologie 
de Paris. Elle n'a pas encore obtenu de solution. Aussi 
Fauvelle en i885 (i) écrivait-il dans L'Homme : « Cette ques- 
tion des Celtes et des Gaulois est non pas résolue, mais classée, 
comme on dit en style judiciaire. » De fait, on l'a laissée dor- 
mir momentanément. Je la reprends, espérant être plus heu- 
reux que mes devanciers et pensant la résoudre grâce à la mé- 
thode simple et rigoureuse que je cherche à introduire. 

Dom Bouquet, dans la première moitié du xviii® siècle, résu- 
mant dans sa préface du Recueil des Historiens de France les 
travaux concernant les Celtes et les Gaulois, s'exprime ainsi: 
« Je suis persuadé que tous les Gaulois étaient Celtes, mais 
que tous les Celtes n'étaient pas Gaulois. » 

A peu près en même temps, Pelloutier dans son Histoire des 
Celtes confond les Celtes avec les Calâtes ou Gaulois. 

Henri Martin dans son excellente Histoire de France consi- 
dère les Gaulois comme de grands blonds aux yeux bleus. Ces 
Gaulois étaient complètement Celtes. Quant à la population 
petite et brave du centre de la France, il ne l'admettait pas 
comme Celtique d'origine, mais comme celtisée par les 
grands blonds. 

Dès 1873, Lemière soutenait que les Celtes étaient distincts 
des Gaulois, 11 admettait, non pas un simple changement 
de nom, mais une fâcheuse confusion dont on peut citer des 
exemples analogues dans l'histoire. 

Dans la grande discussion qui a eu lieu à la Société d'an- 
thropologie, discussion fort remarquable, les éléments ont 

(i) Fauvelle, L'Homme, y ourna/ des sciences anthropologiques, 10 octo- 
bre i885. 



CALATES ET GAULOIS 9I 

été très variés. Mais nous n'avons à nous occuper ici que des 
documents historiques. Ces documents ont surtout été pro- 
duits par Alexandre Bertrand et Lagneau. De la Société d'an- 
thropologie, la discussion a passé à l'Académie des inscrip- 
tions et belles-lettres, où d'Arbois de Jubainville est entré en 
hce. Ce sont les assertions de ces trois auteurs que nous 
allons rapidement examiner. 

Les idées de Bertrand sur la question sont résumées en deux 
articles du Dictionnaire archéologique de la Gaule. 

Dans le premier, Celtœ^ on peut lire : « Polybe lui-même leur 
donne alternativement, et l'on peut dire indistinctement, les 
noms de KêXtw et de FaXarai. » Les Celtes étaient donc appelés 
Keltoi et Galatai. La différence de sens n'est donc pas bien 
grande ni bien apparente, puisqu'elle n'a pas frappé Alexandre 
Bertrand, qui n'a pas signé l'article, mais qui l'a rédigé. 

Bertrand ajoute : « Il est d'ailleurs probable que les termes 
FaXarat et Galli ne sont, comme nous le verrons, qu'une forme 
un peu plus adoucie de l'ethnique KeXtoi. » Eh bien, au lieu 
de donner l'explication promise, Bertrand admet plus tard 
que les deux mots ont une origine tout à fait distincte, des sens 
bien différents : roXomriç, galates, voulant dire guerrier, et 
KeXroç, keltos, signifiant haut. 

Dans le second article du Dictionnaire : Galli^ publié long- 
temps après l'autre et signé, l'auteur éclairé par les discus- 
sions dont nous parlions tout à l'heure et par un examen mi- 
nutieux des textes, a complètement changé d'avis. 11 soutient 
la thèse que les deux mots ne sont pas synonymes et ont des 
sens différents. C'est aussi l'opinion qu'il cherche à établir 
dans son travail intitulé : De la valeur des expressions KeXtoi 
et FaXorai, KeXtixt) et FaXaTia dans Polybe^ 1876. Pourtant, malgré 
toute son érudition et ses efforts, il est forcé de reconnaître 
que les Celtes et les Gaulois paraissent rattachés par des liens 
très étroits (1). 

Galate est « le nom du nouveau rameau celtique implanté 
en Italie (2). » 

« Le terme FaXarat a un sens propre et distinct du mot KêXtoi ; 
il s'applique à des populations de race celtique, sans doute, 

(1) Al. Bertrand, Valeur des expressions de Polybe^ 1876, p. 8. 

(2) Idem, 16/d., p. 18. 



92 DOCUMEryTS HISTORIQUES 

mais ayant certainement une organisation particulière et qu^ 
Ton peut délimiter géographiquement (i). » 

« KcXtoi el FaXarai, dans Tesprit de Thistorien grec, ne sont 
point synonymes ; ils jouent tout au plus, dans certains cas, le 
rôle de mots équivalents (2). » 

D'Arbois de Jubainville a répondu à Bertrand : « La preuve 
que le nom de Galates désigne un groupe ethnographique dis- 
tinct des Celtes n'a pas été produite (3) ». En commençant 
son travail, il avait déjà fait la déclaration : « Je crois qu'entre 
les termes de Keatoi, de Galli et de raXàrat, il n'y a, ethnogra- 
phiquement parlant, aucune différence de sens (4). » 

Gustave Lagneau, loin de partager l'avis de d'Arbois de 
Jubainville, va beaucoup plus loin que Bertrand. Ce dernier 
admet que les Galates sont de race celtique, bien que diffé- 
rents sous certains rapports des Celtes proprement dits. La- 
gneau range les Celtes et les Gaulois dans deux races diffé- 
rentes. Les premiers sont les types de la race celtique, les 
seconds appartiennent à la race germanique (5). Cela tient à 
ce que Gustave Lagneau mêle les données historiques avec 
les données d'observation. Voulant fondre le tout sans avoir 
au préalable nettement précisé les éléments divers, il obtient 
un mélange naturellement indigeste. Après un travail très 
sérieux et fort savant, il arrive à un résultat, à une conclusion 
erronés. 

Celtes et Gaulois sjrnonymes. — Sans vouloir répéter ce 
que nous avons exposé précédemment, nous rappellerons 
seulement que : 

D'après Pausanias, le nom de Galates n'a prévalu que très 
tard ; antérieurement, ils s'appelaient Celtes. 

D'après Polybe, les Celtes entrés dans Tarente comme sol- 
dats, sont désignés comme Galates quand ils dépouillent les 
morts. Les mercenaires d'Asdrubal, à deux chapitres de dis- 
tance, sont nommés Celtes et Galates. 



(1) Al. Bertrand, Valeur des expressions de Polybe, 1876, p. 19. 

(2) Idem, ibid., p. 33. 

(3) D'Arbois de Jubainville, Les Celtes, les Galates^ les Gaulois, 1876, 
p. 10. 

(4) Idem, ibid., p. 1. 

(5) Gustave Lagneau, Anthropologie de la France, 1879; Race cel- 
tique, p. 637. Race germanique, p. 6go. 



GALATES ET GAULOIS gS 

D'après César, la troisième partie de la Gaule est habitée 

par ceux qui dans leur langue s'appellent Celtes et que les 

Romains nomment Gaulois. 
D'après Strabon, les Taurisques sont Galates et de nation 

celtique. 

D'après Appien, les Celtes sont appelés de son temps 
Galates et Gaulois. 

Ces citations d'époques et d'auteurs divers suffisent, je 
crois, pour établir que dans l'antiquité les mots Celtes, Galates 
et Gaulois s'appliquaient aux mêmes populations. 

Quand deux populations considérées comme différentes se 
trouvaient en contact, les auteurs anciens avaient l'habitude 
de donner au mélange un nom composé. C'est ainsi que nous 
avons rencontré les Ibéroligures, les Celtibères, les Celto- 
ligures, les Celtoscythes. Nous verrons même plus tard les 
Galloromains. Mais nulle part nous ne trouvons des Celto- 
galates ou des Celtogaulois. Cela prouve que les Celtes et les 
Galates ou Gaulois ne pouvaient s'allier, se fondre ensemble, 
étant un seul et même peuple. 

Il ne s'agit donc que d'un simple changement de nom. Celtes 
est le terme le plus ancien, généralement admis. Puis les Ro- 
mains ont abandonné ce vieux nom et l'ont remplacé par celui 
de Gaulois, que les Grecs ont traduit par le mot Galates. Le 
premier auteur qui emploie ce dernier terme est Timée de Sy- 
racuse, qui avait vu en Sicile les mercenaires, débris des bandes 
celtiques, gauloises d'après les Romains, qui s'étaient empa- 
rées de Rome. 

Dans les premiers temps, il y eut souvent confusion et 
emploi simultané, puis le mot Galate ou Gaulois l'emporta. 

C'est là un fait entièrement analogue à celui qui s'est passé 
chez nous. La population de la France était tout d'abord dési- 
gnée sous le nom de Gauloise, elle prit plus tard le nom de 
Française. 

Plus concluant et plus large encore est le cas des anciens 
habitants de la Palestine, qui ont reçu, sans changer de type, 
de nationalité et de religion, les noms d'Hébreux, d'Israélites 
et de Juifs. 

Maintenant, prétendre qu'il n'y avait pas des nuances entre 
les deux termes Celtes et Gaulois, serait aller trop loin. Mais ce 
n'étaient que de simples nuances, auxquelles on n'avait qu'ex- 



^ DOCUMENTS HISTORIQUES 

ceptionnellement recours. Il est évident, d'après Texposé qiiî 
précède, que, lorsque les deux mots existaient simultanément, 
on a de préférence employé le mot Celtes pour désigner les 
sédentaires, les réguliers, les pays, les institutions ; et le mot 
Galates ou Gaulois pour ce qui concerne les bandes envahis- 
santes, les faits, les objets et surtout les abus de guerre. Aussi, 
lorsqu'il s'agit d'introduire des troupes régulières dans Ta- 
rente, Polybe nomme-t-il les soldats des Celtes : mais, dès qu'il 
est question de dépouiller les morts, il les qualifie de Galates. 

Des nuances analogues ont toujours existé quand les popu- 
lations d'un pays portaient plusieurs noms. Le terme de Gaulois 
pour les Français est abandonné depuis fort longtemps et 
d'une manière bien générale ; pourtant on le reprend, et l'on 
s'en sert encore lorsqu'il s'agit de choses gaies et égrillardes: 
c'est de l'esprit gaulois, ce sont des gauloiseries, et l'auteur qui 
les écrit se montre vraiment gaulois. 

Les mots Hébreux, Israélites et Juifs ne sont-ils pas aussi 
employés parfois, souvent môme, pour indiquer des mœurs ou 
des habitudes déterminées? Hébreu est à peu près abandonné, 
c'est de l'histoire ancienne ; Juif est souvent pris en mauvaise 
part ; Israélite est généralement employé d'une manière bien- 
veillante. Pourtant ce sont bien, dera\is de tout le monde, trois 
synonymes qui désignent une seule et même population des 
mieux caractérisées et des plus connues. 

Il en est certainement de môme pour ce qui concerne les 
termes Celtes et Gaulois. Nous concluons donc que les Celtes 
et les Galates ou Gaulois ne formaient qu'une seule et même 
population, comme les Hébreux, les Israélites et les Juifs. 
Que, comme eux aussi, ils se sont répandus sur une grande 
étendue de pays. Qu'en fait de différence entre les deux mots, 
il n'y a qu'une question de chronologie, le mot Celtes étant 
plus ancien et ayant été remplacé plus tard par celui de Galates 
ou Gaulois, ainsi qu'une question de géographie, les Celtes 
occupant surtout le nord de l'Italie et la France, leur pays 
primitif, et les Galates ou Gaulois parcourant la Grèce et l'Asie 
Mineure et se fixant même dans ce dernier pays, mais à une 
époque plus récente. A ces deux différences chronologique et 
géographique s'en joint une autre sociologique. Ce qui re- 
garde la guerre, les armes, les engagements militaires et 
surtout les horreurs de la guerre, comme les pillages et les 



CALATES ET GAULOIS gS 

dévastations, a été qualifié plus spécialement de Galatique ou 
Gaulois. 

Valeur relative des textes. — La peine que nous avons 
eue pour arriver à cette conclusion si simple et si naturelle, 
Jes grandes divergences qui ont existé jusqu'à ce jour entre 
les appréciations et les opinions des divers commentateurs et 
interprètes des auteurs anciens, démontrent combien les textes 
sont peu clairs, peu nets et peu précis. Comment dès lors ad- 
mettre que les Celtes et les Galates ou Gaulois constituaient 
un type bien défini, une race parfaitement caractérisée ? Les 
documents historiques que nous possédons sont trop géné- 
raux, trop vagues, trop incomplets pour appuyer sérieusement 
une pareille conclusion. Les termes race celtique ou race 
gauloise s'emploient couramment. Mais, si Ton demandait à 
ceux qui s'en servent de caractériser nettement et complète- 
ment cette ou ces races au moyen de citations d'auteurs an- 
ciens, ils seraient fort embarrassés. Aussi les hommes sérieux 
qui, comme Gustave Lagneau, admettent ces races, sont-ils 
obligés d'aller chercher leurs caractères et leurs preuves dans 
d'autres branches des sciences. Quant à nous, nous nous con- 
tentons de constater ici qu'il n'est pas possible de définir des 
races d'une manière nette et précise au moyen des simples 
citations des auteurs anciens, surtout pour ce qui concerne 
les populations européennes. L'étude de ces auteurs, excel- 
lente, indispensable même, au lieu de servir de base à l'an- 
thropologie de nos régions, ne doit être employée que pour 
fournir des renseignements accessoires, de simples pièces à 
l'appui. A ceux qui veulent faire passer les documents histo- 
riques avant l'observation directe des débris humains et 
l'étude de l'homme vivant, on peut dire dans le langage pro- 
verbial, si expressif : Vous mettez la charrue avant les bœufs! 



96 DOCUMENTS HISTORIQUES 



CHAPITRE IX 

ROMAINS 

Occupation romaine. — L'élément celte et gaulois, quel 
qu'il soit, est certainement largement représenté dans la 
population française. En est-il de même de l'élément romain 
qui lui a succédé? 

Les Romains ont occupé l'Espagne longtemps avant de pé- 
nétrer en France. Ils y allaient combattre l'influence des Car- 
thaginois et surtout rechercher les métaux précieux : Tétain, 
l'argent et l'or, dont les mines ont été fort exploitées dans l'an- 
tiquité. 

La première incursion des Romains sur le sol de la France 
a eu lieu l'an 160 avant notre ère. Marseille, Antibes et Nice, 
colonies grecques, étaient menacées par les Salyens, popula- 
tion gauloise du voisinage. Comme Marseille était depuis long- 
temps alliée avec Rome, elle réclama le secours des armées 
romaines. Le consul Quintus Epinius répondit à cet appel, 
repoussa les Salyens, les obligea à rendre leurs armes et remit 
à la confédération grecque de Marseille une partie du terri- 
toire des vaincus. 

Quelques années après, vers 126 avant notre ère, les Sa- 
lyens, ayant réparé leurs pertes, voulurent prendre leur 
revanche. Marseille et ses colonies, menacées de nouveau, 
réclamèrent encore l'assistance des Romains. Fulvius vint à 
leur secours. Et l'année suivante, le consul Sextius remporta 
une grande victoire sur les Salyens, s'empara de presque tout 
leur territoire et y fonda une ville romaine, Aquœ-Sextiœ, les 
eaux de Sextius, ainsi nommée à cause des sources thermales 
qui y surgissent. C'est Aix en Provence. 

L'impulsion était donnée ; en 121 le consul Fabius Quintus 
Maximus, à son tour, passa en Gaule et, après une victoire 
remportée sur les Allobroges, soumit tout le pays situé entre 
le Rhône et les Alpes. La même année Nemausui^ (Nîmes), 
capitale desVolces Arécomices, se soumit volontairement aux 
Romains. 

Pourtant la véritable conquête des Gaules n'a été faite 



ROMAINS 



97 



qu'une soixantaine d'années plus lard par Jules César, de 
Tan 58 à 5o avant notre ère, après huit campagnes consécu- 
lives. 

A partir de ce moment la France entière a été soumise, 
sans discontinuité, à la domination romaine, jusqu'à la chute 
de TEmpire d'Occident, vers la fin du v*" siècle. Glovis est le 
premier souverain qui a remplacé, en 4^6, cette domination. 
Déjà, quelque temps avant la présente date, les Burgundes 
ou Bourguignons occupaient les vallées de la Saône et du 
Rhône. De même les Wisigoths occupaient une grande partie 
du midi de la France. 

On peut donc dire que la domination romaine sur le sol 
complet de la France actuelle a duré au moins cinq 
siècles. 

— Quelle a été l'influence ethnique de cette longue et per- 
sistante domination ? 

Conquête. — Pour répondre à cette importante question, 
il faut tout d'abord nous rendre compte d'une manière nette 
et précise de la portée anthropologique de certains termes 
très souvent employés, mais habituellement mal compris : 
conquête, enrôlement, asservissement, transportation, refou- 
lement, incursion, migration, invasion. 

La conquête est la prise de possession par un pays séden- 
taire d'un autre pays. Alexandre le Grand nous fournit un 
brillant exemple de conquête. Roi d'un petit pays, la Macé- 
doine, il profita habilement de l'animosité ({ue les Grecs 
nourrissaient contre les Perses qui étaient venus les attaquer 
jusque chez eux, pour sonner la guerre de la revanche. Après 
avoir assuré ses derrières en soumettant les peuples habitant 
au nord de la Macédoine, il groupa autour de lui toute la 
Grèce et partit au printemps de 334 avant notre ère. Il tra- 
versa l'Asie Mineure, la Syrie, se rendit en Egypte, s'empara 
de la Perse, traversa la Médie et la Bactriane, alla jusqu'à la 
Caspienne battre les Scythes, et fut ensuite soumettre Tlnde 
d'où il revint à Babylone l'an 325. Ainsi en moins de 9 ans il 
créa un vaste empire grec, allant de la Macédoine à l'Inde et 
de rÉgyple au Turkestan. Cet empire ne subsista dans son 
intégrité que deux ou trois ans. Alexandre mourut en avril 
323, et son empire se disloqua. Géographiquement et surtout 
politiquement, c'était bien un empire grec; anthropologique- 

G. DE MORTILLET. *] 



98 DOCUMENTS HISTORIQUES 

ment, non. En effet, les historiens nous apprennent qu'au 
début de son expédition, Alexandre était à la tête d'une 
armée composée de So.ooo fantassins, et 4-5oo cavaliers. 
Admettons que ces 34.5oo hommes aient tous été des Grecs, 
qu'il n'en soit point rentré en Grèce après la dislocation de 
l'empire, qu'il n'en soit môme point mort dans les- violents 
combats qu'ils eurent à soutenir, que représentent ces34.5oo 
hommes auprès des nombreuses populations occupant les 
vastes régions parcourues et soumises par Alexandre ? Bien 
peu de chose en réalité, rien au point de vue anthropologique, 
une goutte d'eau dans une mer. 

L'exemple, nous dira-t-on peut-être, est mal choisi parce 
que la conquête a été trop rapide et la destruction de l'empire 
trop prompte? C'est intentionnellement que nous nous en 
sommes servi. Etant très net et parfaitement délimité, il 
nous a paru très propre à frapper les esprits. 

Mais, si on le désire, prenons en un autre dans un sens tout 
à fait opposé. Passons de la Grèce à Rome. Les Romains 
étaient des conquérants on ne peut plus sérieux ; ils mar- 
chaient progressivement de conquête en conquête ; ils 
étaient fort experts dans l'art d'organiser les pays conquis, 
et très habiles à les conserver. Eh bien, ont-ils sérieusement 
modifié les régions occupées, au point de vue anthropolo- 
gique? Ils ont conquis la (irèce, l'Egypte, l'Espagne, qui 
ont été sous leur domination plus longtemps que la Gaule; 
pourtant est-ce que la Grèce, l'Egypte et l'Espagne romaines 
ne sont pas restées, comme par le passé, grecque, égyp- 
tienne, espagnole ? Chacun de ces pays a gardé sous la domi- 
nation romaine et malgré la durée de cette domination son 
caractère ethnique particulier, caractère qui s'est maintenu 
après l'occupation. La conquête n'a donc qu'une très faible 
influence sur l'anthropologie locale. 

Enrôlement. — U enrôlement est habituellement une con- 
séquence de la conquête. On enrôle des hommes soit pour 
faire la conquête, soit pour lui résister. Dans l'antiquité, les 
troupes étaient en grande partie composées de mercenaires. 
C'est de l'enrôlement de ces mercenaires qu'il s'agit. Nous 
avons vu des exemples de ces enrôlements: Hérodote nous 
apprend que l'armée formée par Amilcar pour guerroyer en 
Sicile se composait de mercenaires phéniciens, libyens, 



ROMAINS 99 

ibères, ligure», hélysices et sardones. Environ loo ans plus 
tard, Platon nous parle d'une autre armée sicilienne com- 
posée de mercenaires carthaginois, celtes, ibères et thraces. 
La présence de ces étrangers dans un pays circonscrit comme 
la Sicile ne pouvait manquer d'occasionner un certain mé- 
lange de sang. Mais la variété des origines et la faible propor- 
tionnalité des individus, tout en altérant un peu les types 
primitifs, ne devaient pas apporter des modifications bien sen- 
sibles, bien durables. Dans des régions plus étendues, l'action 
était encore moindre. Cependant il faut en tenir compte. 

Asservissement. Transportation. — Un des résultats de la 
conquête et des invasions, était V asservissement. Des popula- 
tions entières étaient parfois enlevées d'un pays, transférées 
dans un autre et vendues comme esclaves. C'est ainsi que 
César, pendant la guerre des Gaules, fît vendre 53.ooo Belges. 
Les esclaves étaient disséminés, venant souvent de localités 
fort diverses; Ils s'unissaient entre eux, souvent aussi ils 
avaient des rapports avec la population au milieu de laquelle 
ils vivaient. C'était encore là un puissant modificateur des 
types et des races. 

La transportation consiste dans le déplacement, le trans- 
port d'un lieu dans un autre d'un groupe de population. Nous 
en avons signalé un exemple en éiudiant les Ligures. Nous 
avons vu les proconsuls Cornélius et Bœbius battre les 
Ligures Apuans, l'an 180 avant notre ère, et en transporter 
12.000 avec femmes et enfants dans le Samnium, sur un ter- 
rain confisqué à une autre peuplade, les Taurasiniens. Ces 
Ligures ont formé là, non loin de Bénévent, une petite colo- 
nie conservant son type ethnique. Les transportations de ce 
genre, quand elles n'ont pas laissé de traces historiques, 
peuvent étonner l'anthropologue, mais n'altèrent pas les 
races. 

Refoulement. — L'idée du refoulement est née de la théo- 
rie du mouvement des populations dans un sens donné et 
continu. On s'est dit : si un peuple avance dans une direc- 
tion, il ne peut le faire qu'en refoulant les populations qui 
occupent le pays. Ce refoulement s'accentue de plus en plus 
à mesure que le peuple en question marche en avant. Les 
populations refoulées refoulent à leur tour les populations 
qui sont devant elles. Mais, comme la ma^cji^ rénovant se fait 



lOO DOCUMENTS HISTORIQUES 

par une poussée, portant tout d'abord sur un point central et 
s élargissant successivement des deux côtés, le peuple en 
marche forme comme un coin pénétrant de plus en plus dans 
le pays des populations refoulées, qui, dès lors, décrivent une 
courbe en fer à cheval entourant la tête du coin. Cette forme 
se reproduit dans les populations qui sont devant la première, 
la courbe devenant de moins en moins profonde au centre et 
de plus en plus atténuée sur les côtés à mesure qu'elle s'éloi- 
gne du peuple en mouvement. Telle est la théorie qui a régné 
pendant un certain temps, mais qui n'a pas été confirmée par 
l'observation. 

D'abord les faits montrent que les mouvements de popula- 
tions, loin de se faire toujours dans un même sens, de l'est à 
l'ouest, ont lieu dans toutes les directions. Nous avons vu les 
Ligures et les Ibères de l'Occident aller s'établir en Orient, au 
pied du Caucase. Nous avons assisté aux pérégrinations des 
Galates se rendant du nord au sud, des bords du Danube en 
(irèce et en Asie Mineure. Nous verrons plus loin des popula- 
tions parties de l'Allemagne traverser la Gaule, l'Hispanie, 
et passer en Afrique. Nous trouverons les Arabes, sous le 
nom de Sarrazins, répéter ce qu'avaient déjà fait les Libyens 
avec les Carthaginois, suivre la direction inverse et passer 
d'Afrique en Europe, montant du sud au nord. 

Les faits montrent aussi que les refoulements ne sont jamais 
réguHers, comme on le supposait, et qu'ils sont même fort 
exceptionnels. Les populations en mouvement détruisent les 
peuples qui s'opposent à leur passage, les subjuguent et se 
superposent à eux en les asservissant, ou bien les traversent 
et vont au delà. Mais, dans les mouvements des peuples, il 
n'y a rien de régulier, comme on l'a cru un moment. Ces 
mouvements constituent les Incursions, les Invasions et les 
Migrations. 

Incursions. Invasions. — Les incursions sont les mouve- 
ments de bandes qui s'organisent pour aller saccager cl 
piller des régions plus ou moins éloignées. Lès Celtes de la 
plaine du Pô étaient coutumiers du fait. C'est dans une in- 
cursion qu'ils ont pris Rome. Plus coutumiers encore, les 
Galates des bords du Danube, qui se précipitaient sur la 
Grèce et l'Asie Mineure pour les piller, quand personne ne 
les engageait comme mercenaires. Et même après avoir 



ROMAINS loi 

leur nature les poussait encore au pillage. C'est ainsi 
l'après Polybe (i), Attale ayant licencié ses bandes de 
îs, elles se mirent à dévaster les villes de la Troade d'où 
îhus le Grand fut obligé de les chasser. Les incursions 
u d'action sur l'anthropologie. 

en est pas de même des. invasions. Les invasions sont 
cursions qui, au lieu d'être passagères et momentanées, 
)lus ou moins persistantes. En comparant les inva- 
mx conquêtes, on peut dire qu'elles sont des conquêtes 

peuple conquérant, au lieu de rester chez lui, se 
e et vient s'installer chez le peuple conquis. L'instal- 
des Burgundes et celle des Francks en France sont 
stables invasions. Les invasions produisent toujours 
îtion très importante sur l'anthropologie des pays en- 

:*ations. — Enfin il y a les migrations^ qui sont, 
R les invasions, des déplacements de populations qui 
e fixer ailleurs, mais en chassant et dépossédant les 
s occupants. C'est ainsi que les 20.000 Galates, débris 
mdes de Brennus défait en Grèce, vinrent fonder un 
iltat, la Galatie, sur les bords de la mer Noire, en Asie 
re. C'est ainsi qu'au début des guerres de César en 

378.000 Helvétiens étaient partis de la Suisse pour 
'établir chez les Santons, dans les Charcutes . César les 
lit et les battit près d'Autun, repoussant tout ce qui 
jusque dans leur ancien pays. Les migrations peuvent 
les groupes anthropologiques plus ou moins purs. 
lence romaine. — Nous pouvons maintenant répon- 
a question posée. Quelle a été l'influence ethnique de 
Dation romaine de la Gaule ? 

fluence romaine sous le rapport de la langue a été com- 
Le latin est rapidement devenu la langue générale, le 
s, vite oublié, s'est perdu. Dans les idiomes locaux, les 

c'est encore le latin qui règne en maître. Comme écri- 
es caractères romains ont remplacé les caractères grecs 
us étaient venus par les colonies helléniques des côtes 
trranéennes et qui s'étaient déjà répandus dans une 
partie de la Gaule. 

►LYBE, liV. V, Ch. LXXVII et CXI. 



102 DOCUMENTS HISTORIQUES 

Sous le rapport des mœurs, des coutumes, du vêlement, 
des lois, le changement a été aussi rapide et aussi général. 
L'agriculture, l'industrie, le commerce, les arts de Rome sont 
presque immédiatement devenus l'agriculture, l'industrie, le 
commerce et les arts de la Gaule. La transformation a été 
rapide et complète. 

Sous le rapport religieux, le druidisme, après quelques ré- 
sistances désespérées, a dû céder le pas au paganisme romain, 
qui a de suite pris le haut du pavé. Paganisme qui bientôt 
s'est vu miné en Gaule, comme à Rome, par les my«tèr^ de 
Miihra et surtout par le christianisme naissant. Le mouve- 
ment a été le même dos deux côtés des Alpes. 

Et, malgré cette rapide et parfaite assimilation, l'influence 
anthropologique a été presque nulle. En effet, si l'influence 
morale et matérielle de Rome pouvait se multiplier à l'infini 
par le savoir, l'habileté, l'activité, il n'en était pas de même 
des individus. Rome, en comprenant même les pays voisins, 
ne. possédait qu'une très faLble population en regard de celle de 
tous les pays conquis. Cette population était encore réduite el 
décimée par la guerre, la carrière militaire étant la carrière 
par excellence des Romains et l'état de guerre se trouvant 
leur état habituel. 

Administrateurs et assimilateurs fort habiles, les Romains, 
après chaque conquête, savaient s'attacher les pays conquis 
en améliorant le sort du peuple, en organisant des adminis- 
trations locales, en flattant les sentiments ambitieux des gens 
riches, influents et surtout de mérite. «C'est ainsi qu'après 
avoir conquis la Gaule, ils se sont empressés d'avantager les 
Gaulois qui se ralliaient à eux. Ils leur ont donné des fonc- 
tions, des emplois, de telle sorte que les fonctionnaires 
venus de Rome étaient fort peu nombreux. Ils sont allés 
jusqu'à créer des Sénats locaux. Bien plus, presque immédia- 
tement après la conquête, on a vu, grâce à l'intervention de 
Cicéron, plusieurs habitants de Vienne, alors la capitale de 
la Gaule romaine, entrer au Sénat romain. Nous savons que 
dans l'administration, les vrais Romains, venus de Rome, 
n'étaient qu'en petit nombre en Gaule. Et encore ces Ro- 
mains pouvaient et devaient être mêlés de nombreux élé- 
ments divers, puisque les étrangers pouvaient dans Rome 
même, arriver aux plus hautes positions. 



GERMAINS 103 

Mais les légions, dira-t-on ? 

Les fameuses légions romaines n'étaient pas plus compo- 
sées de véritables enfants de Rome que les administrations. 
Elles étaient levées et recrutées dans tous les pays conquis. 
César nous en fournit lui-même une preuve bien caractéris- 
^<}ue. A peine a-t-il soumis les Gaules qu'il organise une 
égion entière exclusivement composée de Gaulois, la légion 
e l'Alouette, ainsi nommée parce qu'elle avait cet oiseau 
3mme signe distinctif, comme emblème. 
Gela suffît pour montrer que la conquête romaine, qui a eu 
ir la Gaule la plus grande influence au point de vue de la 
tigue, de la législation, de l'agriculture, de l'industrie, des 
œurs et des habitudes, n'a eu qu'une action très faible, 
esque nulle, sous le rapport anthropologique. 



CHAPITRE X 



GERMAINS 



Cimbres et Teutons. — Tout autres ont été les invasions 
s divers peuples du nord de l'Europe qui, au commen- 
ment de notre ère, se sont précipités surla France, peuples 
li étaient désignés par les Romains sous le nom général 
î Barbares. Ces invasions ont eu une très sensible influence 
r la constitution anthropologique de la France. 
La première invasion des Barbares du Nord dont l'histoire 
>us a conservé le souvenir est celle des Cimbres et des Ten- 
us. Elle remonte environ à un siècle avant notre ère. Les 
mbres se portèrent d'abord vers TOrient. L'an ii3, ils 
^firent le consul Papirius Carbon près de Noreia, en Styrie. 
3 fut le début d'une guerre des plus meurtrières, qui dura 
latorze ans et qui coûta aux Romains cinq armées consu- 
ires et la vie de plusieurs généraux. Aussi fut-elle honorée 
j nom de guerre Cimbrique. 
En 107, les Cimbres se rejettent vers l'ouest et, s'unissant 



104 DOCUMENTS HISTORIQUES 

aux Tiguriens, peuple de la Suisse, défont et tuent CassiizM. s. 

Puis, continuant leur marche vers l'Occident, ils rem- 
portent en Gaule méridionale, dans la même année io5, deux 
nouvelles victoires, la première sur le lieutenant consulaire 
Scaurus Aurelius, qui fut tué, la seconde sur le proconsul 
Servilius Gaepio et le consul Manlius Gattus. Leurs armées 
furent taillées en pièces. Rome fut tellement terrifiée, que Ton 
suspendit toutes les exemptions de service. 

Trois ans plus tard, en 102, les Teutons qui avaient envahi 
la Gaule voulaient pénétrer en Italie par la Provence. Marius j 
marcha au devant d'eux pour les arrêter. Il les rejoignit près j 
d'Aix et les défît complètement. La horde envahissante com- 
posée, suivant les uns, de 100.000, suivant les autres, de 
3oo.ooo homn^es, fut entièrement exterminée. Le peu qui 
échappa à la mort fut disséminé et vendu comme esclave. 

Marius, surexcité par cette victoire, se porta Tannée sui- 
vante au devant des Gimbres qui pénétraient en Italie après 
avoir traversé la Suisse. Joint à Gatulus, il les défît et les 
tailla en pièces dans les plaines de Verceil. Il mit ainsi fin à 
cette invasion qui avait ravagé la Gaule et menacé Tltalie. 

Qui étaient et d'où venaient ces Gimbres et ces Teutons? 

Les Gimbres, C/m6r/, Ki{jLêpot, habitaient la Ghersonèse Cim- 
brique, Jutland actuel, entre la mer du Nord et la Baltique 
appelée alors le golfe Godanus. Voici ce qu'en dit Tacite (1) : 
« Voisins de l'Océan, les Gimbres occupent le même bassin 
de la Germanie, petite nation aujourd'hui grande nation par 
sa gloire. Il reste d'immenses vestiges de leur vieille renom- 
mée, des camps sur deux rives à la fois, des enceintes dont 
l'étendue peut servir à mesurer la multitude et les forces de 
ce peuple et rend croyable la grandeur de ses armées. » 

Les campe sur deux rives et les vastes enceintes sont les 
vestiges de castramélation qui existent sur les deux rives du 
Rhin. Gela prouve que ces traces de campement en majeure 
partie sont antérieures sur ce point aux temps historiques. 

S'il nous a été facile de bien déterminer le pays occupé par 
les Gimbres, il n'en est pas de même pour celui des Teutons, 
Teutoni, Pline (2), dans sa division de la Germanie en cinq 



(1) Tacite, Germains, 87. 

(2) Pline, Histoire naturelle, liv. IV, eh. xxviii. 



GERMAINS 105 

races, place Cimbres el Teutons à côté les uns des autres dans 
sa seconde race, les Ingévons. Le naturaliste romain confirme 
celte déduction en nous apprenant que les Teutons sont voi- 
sins du pays de Tambre (i). Or Tambre vient de la mer du 
Nord et de la Baltique. 

Pomponius Mêla (2), qui écrivait à peu près en même temps 
que Pline, vers le milieu du i®"" siècle de notre ère, rapproche 
aussi les Teutons des Cimbres. 

Mais ce qui paraît certain, c'est qu'ils ne formaient qu'une 
population peu importante. En effet, Pline ne les met qu'en 
seconde ligne, après les Cimbres, dans l'énumération de sa 
race ingévone. La guerre soutenue contre les Romains prit le 
nom de guerre cimbrique et non teutonique. Les deux défaites 
des Romains en Gaule ont été portées à l'avoir des Cimbres, 
bien que, suivant toutes les probabilités, l'armée envahissante 
dût contenir tout à la fois des Cimbres et des Teutons. Pline 
en parle dans sa description géographique de la Germanie, 
mais Tacite ne les nomme pas. C'est donc par une extension 
exagérée qu'on a donné parfois le nom de Teutons à tous les 
habitants de l'Allemagne et qu'en linguistique on se sert du 
terme de langues teutonnes, terme d'autant plus impropre 
qu'on ne sait pas au juste quelle était la langue des véritables 
Teutons. Ils avaient, dit-on, envahi la Gaule avec femmes et 
enfants. Ils ont été exterminés par la mort ou l'esclavage 
après leur défaite d'Aix en Provence. Leur influence sur la 
population française n'a dû être que fort insignifiante. 

Suèves. — Lorsque César commença ses campagnes des 
Gaules, il eût tout d'abord à combattre les Suèves, qui, com- 
mandés par Arioviste, voulaient envahir le pays. L'an 58 
avant notre ère, il les rejoignit au delà de Besançon et les re- 
poussa malgré leur nombre, qui s'élevait, dit-il, à 120,000 guer- 
riers. 

Ces Suèves, Suevi, Soriêot, étaient éminemment mobiles. En 
55 et 53, César entreprit contre eux des campagnes au delà 
du Rhin, sans pouvoir les atteindre (3). 
Strabon les considère comme la plus grande nation germa- 



(i) Pline, Histoire naturelle^ XXXVII, eh. xi. 

(2) Pomponius Mêla, Les Sites du globe, liv. III, ch. iii. 

(3) CÉSAR, Guerre des Gaules, liv. IV, ch. iv, vu, vin, xvi, xix. 



106 DOCUMENTS HISTORIQUES 

nique. Cependant Pline, dans sa description de la Germanie, 
ne fait que citer leur nom, à propos des Hermions, qui forment 
sa quatrième race et occupent Tintérieur des terres (i). 

Tacite partage l'opinion de Strabon sur Timportance des 
Suèves. « Ils occupent, dit-il (2), la plus grande partie de la 
Germanie sous des noms et en corps de peuples particuliers, 
quoique sous le nom commun de Suèves. Un trait distinctif 
de ce peuple, c'est de retrousser et de nouer leur chevelure ; 
c'est par là qu'ils se distinguent des Germains et que chez eux 
les hommes libres se distinguent des esclaves. » Un peu plus 
loin, il ajoute (3) : Les Semnons se disent les plus nobles des 
Suèves, occupant le centre du pays, centre religieux. Tous les 
peuples suèves envoient des délégués à certaines époques 
pour célébrer le culte des aïeux dans une forêt. On y sacrifie, 
dit-on, un homme. 

Ce sont ces Suèves qui ont donné leur nom à la Souabe. 

Nous retrouverons les Suèves dans la grande invasioii 
de 407. 

Germanie, coup d'oeil général. — Mais, avant d'aller plus 
loin, il nous faut forcément jeter un coup d*œil général sur la 
Germanie, cette grande officine de Barbares qui, pendant trois 
à quatre siècles, a inondé d'envahisseurs tout le sud-ouest de 
l'Europe et le nord de l'Afrique. 

Les Germains, Germani, repjjiavoi, ont été décrits d'une ma- 
nière toute spéciale par Tacite, vers la fin du i®^ siècle. Les 
Mœurs des Germains^ publiées vers la fin du règne de Nerva, 
sont une œuvre vraiment remarquable. D'après Montesquieu, 
ce livre si court sur un vaste sujet est d'un homme qui abrège 
tout, parce qu'il voit tout. C'est une admirable introduction 
à l'histoire des nations du centre de l'Europe, aussi est-il pour 
nous d'une très grande utilité ! Et pourtant nous allons voir 
que, même en ayant en main, comme guide, ce petit chef- 
d'œuvre, qui jouit auprès des érudits d'une si universelle et 
si légitime réputation, il nous sera impossible d'en tirer des 
conclusions anthropologiques sérieuses. C'est incontestable- 
ment la meilleure preuve que les textes anciens sont complè- 



fi) Pline, Histoire naturelle, liv. IV, ch. xxviii. 

(2) Tacite, Germains, ch. xxxviii. 

(3) lDEM,i6/d., ch. xxxix. 



GERMAINS 107 

iemeiit ilisuffisants pour asseoir d'une manière solide et irré- 
futable les données anthropologiques et même simplement 
ethnographiques. L'école qui a voulu les placer au premier 
rang dans ce genre de recherches a fait fausse route. La véri- 
table science doit se baser sur l'observation directe des faits, 
les textes ne peuvent venir qu'en seconde ligne, comme pièces 
à Tappui, servant à confirmer les faits. 

D'après Tacite : « la Germanie est séparée de la Gaule, des 
Rhétiens et des Pannoniens par le Rhin et le Danube ; des 
Sarmates et des :Daces par une crainte réciproque ou par des 
montagnes. Elle est fermée par l'Océan, dont les flots em- 
brassent de vastes côtes et des îles immenses (1). » 

En fait de nom. Tacite (2) prétend qu'il en est qui disent 
« que celui des Germains est nouveau et d'adjonction ré- 
cente ; que les. premiers qui le prirent furent ceux qui passè- 
rent le Rhin et chassèrent les Gaulois, et sont aujourd'hui les 
Tongres ; que ce nom, propre à une peuplade et non à toute 
une nation, prévalut peu à peu. » 

Le grand descripteur de la Germanie a parfaitement cir- 
conscrit le pays et montré que le nom de Germains n'est pas 
très ancien. Il fut d'abord adopté par une population de Bel- 
gique, les Tongres. Le nom de Belges, comme expression 
géographique, apparaît dès le n^ siècle avant notre ère, bien 
antérieurement au nom de Germains. Il en est de même d«s 
noms de Gimbres et de Bastarnés. 

Résumons maintenant les données historiques fournies sur 
la région par les divers auteurs qui ont plus ou moins parlé 
de la Germanie. 

Celtes. Gaulois. Germains. — César, au milieu du i'^'* siècle 
avant nôtre ère, divise, ainsi que nous l'avons déjà dit, la 
Gaule en trois parties : la Belgique entre le Rhin et la Seine, 
la Celtique entre la Seine et la Garonne, et l'Aquitaine entre 
la Garonne et les Pyrénées. « Ces peuples, ajoute-t-il (3), dif- 
fèrent entre eux par le langage, par le gouvernement et par 
les lois. » On en a conclu qu'on avait affaire à trois types 
ethniques différents. Les Aquitains ont été considérés comme 



(1) Tacite, Germains^ ch. i. 

(2) Idem, ibid, ch. ii, 

(3) CÉSAR, Guerre des Gaules, liv. I, ch. i. 



108 DOCUMENTS HISTORIQUES 

(les Ibères, les Celtes comme les véritables Gaulois et les 
Belges comme des Germains. Mais c'est là une simple 
interprétation constituant une pure hypothèse. Si nous exa- 
minons le passage de César, froidement, sans aucun parti 
pris, nous remarquerons qu'il se trouve tout à fait au début 
de l'ouvrage, livre I®^, chapitre i®"*. C'est un croquis général 
servant d'entrée en matière. Il était donc nécessaire de bien 
accentuer les lignes et de frapper l'esprit en quelques mots. 
Pour préparer le lecteur, c'est parfait ; mais il ne faudrait pas 
accepter les expressions avec la plus rigoureuse acception 
des mots. Il est très certain qu'en Gaule, groupe d'un grand 
nombre de populations diverses, indépendantes les unes des 
autres, il devait y avoir des idiomes et même des langues diffé- 
rentes ; c'est ce qui existe encore en France comme patois. Il en 
est de même pour les lois et les coutumes. Naguère, chacune 
de nos provinces avait son droit coutumier particulier. Le pas- 
sage cité de César n'a donc pas et ne peut avoir la portée que 
certaines personnes lui prêtent. Ge n'est pas une formule ethno- 
graphique positive, mais un simple énoncé géographique 
destiné à éclairer le récit des faits racontés dans l'ouvrage. 

D'après Denys d'Halicarnasse, vers la fin du i®"* siècle avant 
notre ère, la Germanie n'est qu'une simple subdivision de la 
Celtique. Effectivement, la Celtique a pour limites les Pyré- 
nées, les Alpes, le Danube, le pays des Thraces, entre la mer 
de Marmara et la mer Noire, et celui des Scythes, qui s'é- 
tend du côté de la mer Caspienne. Elle se divise en Galatie à 
l'occident du Rhin et en Germanie à l'orient. 

A l'inverse de Denys d'Halicarnasse, Diodore de Sicile, à 
peu près à la même époque, à l'instar de César, restreint la 
Celtique au centre de la Gaule, mais prolonge la Galatie dans 
la Germanie tout entière. « Le nom de Celtes, dit-il, ne doit 
s'appliquer qu'aux peuples qui habitent au-dessus de Mar- 
seille, près des Alpes et en deçà des Pyrénées. Ceux qui sont 
établis au-dessus et qui habitent le long de l'Océan et la forêt 
Hercynienne et toutes les contrées qui s'étendent de là jusqu'à 
la Scythie, se nomment Galates (i). » D'après ce texte, les Ger- 
mains que César fut combattre sur la rive droite du Rhin 
étaient des Galates, les Galates d*au delà du Rhin. 

(i) Diodore de Sicile, Histoire universelle^ liv. V, ch. xxxiii. 



GERMAINS 109 

Un auteur plus récent encore, du commencement du 
m® siècle, Dion Cassius, qui fut consul sous Alexandre 
Sévère, dit (1) : « Le Rhin sort des Alpes celtiques un peu 
au-dessus des Rhétiens. Il coule vers l'occident, à travers la 
Galatie et les Gaulois à gauche, les Celtes à droite, et se jette 
ensuite dans l'Océan; car le Rhin est la limite des deux peuples 
depuis répoque où on leur a donné des noms différents. Autre- 
fois on donnait indifféremment le nom de Celtes aux peuples 
de Tune et de l'autre rive. » 

Dion Cassius, comme d'autres auteurs du reste, confond 
souvent les termes KsXtoi [Keltoi) et Fepfxavot (Germanoi), 

Voilà quatre auteurs qui ont écrit dans une période de 
moins de trois siècles et qui sont arrivés aux conclusions les 
plus disparates. 

Pour César, les Gaulois habitent la rive gauche du Rhin, 
les Germains la rive droite. Les Celtes sont confinés au 
centre delà France. 

Pour Denysd'Halicarnasse, les Celtes, au contraire, habitent 
toute la France et toute l'Allemagne. Ils se subdivisent on 
deux races : les Galates ou Gaulois, rive gauche du Rhin, et 
les Germains, rive droite. 

Pour Diodore de Sicile, les Celtes sont bien confinés dans 
l'intérieur de la France, mais ce sont les Galates ou Gaulois 
qui se développent sur la rive droite du Rhin. 

Enfin pour Dion Cassius, les Galates ou Gaulois occupent 
la rive gauche et les Celtes la rive droite du Rhin. 

Tirez, si vous le pouvez, des conclusions ethnologiques (\c 
ces textes ? 

RllIN 
Rive gauche. Rive droite. 

César Gaulois Germains 

Denysd'Halicarnasse . . | Galates^"'"*' Germains 

Diodore de Sicile Celtes Galates 

Dion Cassius ...... Galates Celtes 

Ces contradictions, on pourrait les multiplier en citant les 
auteurs les plus connus. Ainsi Phne l'Ancien, subissant 
comme Diodore de Sicile l'influence des Commentaires de 

(1) Dion Cassius, ch. xxxix*. 



110 DOCUMENTS HISTORIQUES 

César, admet que « toute la Gaule désignée sous le nom 
général de Chevelue est divisée entre trois peuples séparés 
surtout par des fleuves. La Belgique de l'Escaut à la Seine ; 
de la Seine à la Garonne, la Celtique ou Lyonnaise ; de la 
Garonne à la chaîne des Pyrénées, l'Aquitaine appelée aupara- 
vant Armorique (i) ». Cela n'empêche pas l'auteur latin d'ad- 
mettre, comme on le faisait généralement de son temps, un 
vaste développement de la Celtique. Jen^'en veux pour preuve 
que la citation de deux points extrêmes, diamétralement op- 
posés et qui laissent entre eux de grandes étendues de pays. 
C'est, en parlant de la Scythie, dans les régions les plus 
froides, « le promontoire. Lytarmis de la Celtique (2) », et, 
sur la côte occidentale de l'Hispanie, « le promontoire Cel- 
tique (3)». Npus sommes bien loin, au nord-est et au sud- 
ouest, du centre de la Gaule. 

Germanie d'après Pline. — D'après Pline (4), « il y a 
cinq races germaines : les Vindiles, auxquels appartiennent 
les Burgundes, les Varins, les Carins, les Guttons; seconde 
race, les Ingévons, auxquels appartiennent les Cimbres, les 
Teutons et les nations Chauques; troisième race, la plus voi- 
sine du Rhin, les Istévons, auxquels appartiennent les Cimbres; 
quatrième race, dans l'intérieur des terres, les Hermions, aux- 
quels appartiennent les Suèves, les Hermondures, les Cattes 
et les Chérusques ; cinquième race, les Peuciniens et les Bas- 
tarnes limitrophes des Daces. » 

Il es' évident qu'à propos de la troisième race, le texte de 
l'auteur romain est altéré. 11 y a une répétition des Cimbres 
qui n'a aucune raison d'être; c'est une faute de copiste, d'un 
genre qui se présente souvent. On a voulu corriger la faute 
en remplaçant Cimbres par Sycambres, ou bien en divisant 
les Cimbres en deux parties. Ces corrections peuvent être 
bonnes, mais rien ne les autorise; il vaut donc beaucoup 
mieux dans le doute s'abstenir. L'introduction d'erreurs de 
ce genre dans les textes anciens est une raison de plus pour 
ne pas leur accorder une trop grande importance. 

A propos des Daces dont le nom termine. la citation précé- 

(i) Pline, Histoire naturelle, liv. IV, ch. xxxi. 

(2) Idem, ibid., liv. VJ, ch. xiv. 

(3) Idem, ibid., liv. IV, ch. xxxiv. 
(4; Idem, ibid. y liv. IV, ch. xxviii. 



GERMAINS ] 1 1 

dente, Pline nous apprend (i) que « les Gètes, appelés Daces 
par les Romain» », sont, ainsi que les Sarmates des branches 
sarmatiques se développant au delà de la Germanie. 

Pline divise donc les habitants de la Germanie en cinq races 
principales, se subdivisant en diverses populations. Tacite 
cite nominativement trente-six peuples se groupant parfois en 
espèces de confédérations, comme celle des Suèves et celle 
des Lygiens. 

Cet ensemble de populations devait être extrêmement pro- 
lifiquci car la Germanie a alimenté de fréquentes et abon- 
dantes migrations. Parfois ces migrations, comme celle des 
Teutons dont nous avons parlé, ont été entièrement détruites. 
Parfois même des destructions analogues avaient lieu sanssor.- 
lir de la Germanie. Tacite nous apprend que les Bructères, voi- 
sins des Tenctères, sur les bords du Rhin, furent anéantis par 
une ligue des populations voisines : plus de 60,000 succom- 
bèrent. Des Chamaves et des Angrivariens occupèrent leur 
territoire (2). 

Dans un autre ouvrage, le même auteur (3) rapporte, à pro* 
pos de la guerre contre les Germains, l'an 17 de noire ère, que 
« Germanicus avait ôté son casque, pour être mieux reconnu; 
il criait de s'acharner au carnage, de ne point faire de pri- 
sonniers, qu'on n'aurait la paix que par la destruction entière 
de la nation. » 

Pour suffire à une pareille consommation d'hommes, il fal- 
lait une active production. Aussi en Germanie, d'après Tacile^ 
« limiter le nombre de ses enfants ou faire périr quelqu'un des 
nouveau-nés est un crime, et les bonnes mœurs ont ici plus 
d'empire qu'ailleurs les bonnes lois (4). » 

Pureté de race. Portrait. — Dès le début de son ou- 
vrage. Mœurs des Germains^ chapitre 11, Tacite s'écrie : « Je 
crois les Germains indigènes et nullement mêlés aux autres 
peuples, soit en y allant, soit en les recevant parmi eux. » El 
un peu plus loin, chapitre iv, il revient sur le même sujet : 
« Je me range, quant à moi, à l'opinion de ceux qui pensent 
que les peuples de la Germanie n'ont point été altérés par des 

(1) Pline, Histoire naturelle^ \\\ . IV, ch. xxv. 
,2) Tacite, Germains^ ch. xxxiii. 

(3) Idem, Annales^ liv. II, ch. xxi. 

(4) Idem, Germains, ch. xix. 



112 DOCUMENTS HISTORIQUES 

mariages avec un autre peuple, que c'est une race indigène, 
qui se renouvelle d'elle-môme et ne ressemble qu'à soi. » 

Ces deux affirmations sont fort catégoriques ; pourtant, en 
lisant avec soin l'auteur latin, on s'aperçoit bien vite qu'elles 
n'ont point du tout la précision que nous réclamons comme 
observations d'histoire naturelle. En effet, chapitre xxvui, 
Tacite cite des Helvètes, population qui a toujours été consi- 
dérée par tout le monde comme gauloise, habitant presque 
au centre de sa Germanie, entre la forêt d'Hercynie, le Rhin 
et le Mein. Plus bas^ comme il le dit lui-même, mais toujours 
sur la ligne centrale de la Germanie, il cite les Boïens, autre 
nation gauloise que rappelle le nom de Bohême, mais il 
ajoute « que les habitants ont changé ». En effet, cha- 
pitre xxxxii, il nous apprend que les Boïens ont été expulsés 
par les Marcomans qui ont occupe le pays. 

Plus à l'est encore, les Gothons parlent gaulois et payent 
tribut à titre d'étrangers aux Sarmates et aux Quades, bien 
que Tacite les indique comme Germains, chapitre xxxxiii, 
tout aussi bien que les Quades. 

Les Oses, sur la rive gauche du Danube, en Germanie, et 
les Araviques, sur la rive droite, en Pannonie, ont le même 
langage, les mêmes institutions, des mœurs semblables. Sont- 
ils des Germains émigrés en Pannonie ou des Pannoniens 
réfugiés en Germanie (ch. xxviii) ? Ces Oses parlent le Pan- 
nonien, et payent tribut aux Sarmates et aux Quades à 
titre d'étrangers, chapitre xxxxiii. 

Chapitre xxxxvi. Tacite se demande si les Vénètes et les 
Peucins, qui habitent plus au nord, doivent être rangés parmi 
les Germains ou les Sarmates. 

Si les Peucins, que d'autres appellent Bastarnes, « se rap- 
prochent des Germains par la langue, par l'habit, par des 
demeures fixes, ils sont Sarmates par l'inertie et la saleté de 
tout le peuple, la fainéantise des chefs, par le mélange de 
mariage qui les a marqués de la laideur des Sarmates. 

« Les Vénètes ont pris beaucoup de leurs mœurs. Il faut 
pourtant les rattacher aux Germains parce qu'ils bâtissent des 
maisons, portent des boucliers, et se plaisent à déployer l'agi- 
lité de leurs pieds, habitudes étrangères aux Sarmates, qui 
vivent à cheval et sur des chariots. » 

Enfin, chapitre xxxxv, Tacite parle des Estyensqui habitent 



GERMAINS ll3 

i rive droite de la mer Suévique, c'est-à-dire la côte méridio- 
lale de la Baltique. Ils ont usages et costumes des Suèves. 
^eur langue se rapproche plus du breton. Ils se servent peu 
le fer, mais beaucoup du bâton, cultivent le blé et recherchent 
ambre. Ce rapprochement de leur langue avec le breton 
suffit pour montrer qu'ils ont subi des migrations ou des con- 
tacts. Cet ensemble de citations empruntées à Tacite môme éta- 
blit nettement qu'au point de vue ethnologique il ne faut pas 
accorder trop d'importance à la pureté de la race germanique. 

Voici la description qu'il en donne, description qui depuis 
a été reproduite par tous les géographes et historiens (i) : 

« Je me range, quant à moi, à l'opinion de ceux qui pensent 
que les peuples de la Germanie n'ont point été altérés par des 
mariages avec aucun autre peuple, que c'est une race indi- 
gène, qui se renouvelle d'elle-même et ne ressemble qu'à soi. 
C'est ce que prouve la parfaite analogie de conformation entre 
tous les individus de cette race, quoique si nombreuse, leurs 
yeux bleus et farouches, leurs cheveux d'un blond ardent, 
leurs grands corps, capables seulement d'un premier élan, 
mais incapables de fatigue et de travail, ne supportant ni la 
soif ni la chaleur, mais résistant au froid et à la faim, par l'ha- 
bitude du climat ou du sol. » 

Les Mœurs des Germains montrent qu'il y avait chez Tacite 
deux hommes. Le grand écrivain, je pourrais dire l'artiste, 
qui traçait de remarquables tableaux propres à se graver pro- 
fondément dans l'esprit du lecteur et à le captiver. Il y avait 
^ussi l'observateur consciencieux qui donne tous les détails 
dans l'intérêt des érudits, des critiques et des chercheurs. Si 
ï^ous ne nous en tenions qu'aux grands tableaux où le trait 
caractéristique, le coup de pinceau à effet, est toujours un 
peu exagéré pour bien faire pénétrer dans le public l'idée de 
'auteur, nous nous écarterions de la vérité scientifique. Mais, 
'omme nous venons de le dire, à côté de l'exagération artis- 
^que, nous avons toujours le détail froidement observé qui 
'ous rappelle à la réalité. Ainsi, à côté de la parfaite analogie 
e tous les individus de la race germaine. Tacite nous 
Contre (2) les Cattes voisins de la forêt Hercynienne. « Ce 

(1) Tacite, Germains, eh. iv. 

(2) Idem, ibid., eh. xxx. 

G. DE MORTILLET. S 



Il4 DOCUMENTS HISTORIQUES 

peuple se distingue par des corps plus durs, des membres 
ramassés, un visage menaçant, plus de force d'âme. Ils ont, 
pour des Germains, beaucoup de sens et de conduite. » Tacite 
nous présente aussi les Ariens surpassant les autres en force, 
farouches, se peignant entièrement en noir et ne combattant 
que la nuit (i). 

Strabon attribue aux Germains, bien avant Tacite, une haute 
stature et une chevelure blonde (2). Pline mentionne la peau 
blanche et les cheveux blonds des habitants du Nord (3). Ta- 
cite, en dehors de son traité spécial sur les Germains, parle 
de la chevelure blonde du chef batave Civilis (4) et nous dit 
« que les cheveux roux des Calédoniens, la grandeur de leur 
taille, décèlent une origine germanique (5). » D'après Plu- 
tarque (6), « à la haute stature, aux yeux bleus, on recoimaît 
les Cimbres comme Germains. » Le poète Ausone (7), dans 
une idylle, chante Bissula, née près des sources du Danube, 
au visage germanique, aux yeux bleus et à la blonde cheve- 
lure. Ammien Marcellin (8) parle de la force et de la taille 
élevée des Alamans, peuple de la Germanie. Enfin les divers 
auteurs qui ont écrit sur les Goths les représentent comme de 
haute taille, au teint blanc, à la chevelure blonde, pleins d'ar- 
deur et de courage. 

Similitude des Gaulois «t des Grermains. — Ces divers 
caractères peuvent tout aussi bien se rapporter aux Gaulois 
qu'aux Germains. On peut s'en assurer en rapprochant les 
citations concernant les Gaulois de celles qui regardent les 
Germains. 

Polybe nous apprend que les Galates étaient grands de 
taille, à peau blanche lactée, à cheveux blonds ardents, à yeux 
bleus. Comme je l'ai déjà dit, ce portrait a été confirmé par 
Tite-Live et d'autres auteurs de son temps. Il a été répété 
jusque dans le vi*^ siècle de notre ère par Ammien Marcellin et 
par J or (la nés. C'était donc bien le type traditionnel. 

(1) Tacitk, Germains, ch. xxxxiii. 

(2) Strabon, Géographie, liv. VII, ch. \, § 2. 
(3j Pline, Jlisloire naturelle, liv. II, ch. lxxx. 
(4) Tacitp:, Histoires, liv. IV, ch. lxi. 

(5j Idem, Vie d'Agricola, ch. xi. 
(G) Plutaroue, Marias, ch. xi. 

(7) Ausone, Idylles, Ausonii Bissula. 

(8) Ammien Marcellin, liv. XVI, ch. xii. 



GERMMNS ll5 

Tite-Live n'oublie ni Taspect farouche et terrifiant, ni le 
leint blanc, ni la chevelure blond ardent, mais il attribue aux 
Gaulois, tout comme Tacite le fait pour les Germains,une sta- 
ture très élevée, gigantesque. Bien plus, les deux auteurs se 
rencontrent d'une manière encore plus concluante. Quand 
Tite-Live dit (i) que les Gaulois résistent facilement au froid 
et à l'humidité, mais ne peuvent supporter ni la chaleur, ni la 
soif, ni la fatigue, ne semble-t-il pas entendre Tacite préten- 
dant que les Germains sont incapables de fatigue et de tra- 
vail, ne supportant ni la soif ni la chaleur, mais résistant au 
froid? 

Diodore de Sicile (2) rapporte que les Galates ont dans 
l'enfance des cheveux blancs, tellement ils sont clairs ; à Tûge 
adulte une taille très élevée, une carnation molle, une peau 
blanche et des cheveux naturellement blonds, rendus encore 
plus blonds par des lavages à l'eau de chaux. 

Les poètes latins du commencement de notre ère, comme 
Virgile et Silius Italiens, chantent la blancheur lactée de la 
peau et la chevelure blonde et dorée des Gaulois. Claudien, 
au commencement du iv® siècle, célèbre encore la blonde 
Gaule et les blonds Gaulois. 

D'après Ammien MarcelHn (3), les Gaulois, aptes au service 
militaire, bravant avec leurs membres endurcis par la gelée et 
par le travail assidu, d'un cœur également ferme les plus 
grands périls, se seraient presque tous fait remarquer par leur 
stature élevée, la blancheur de leur teint, leur chevelure rouge, 
leur regard farouche, leur caractère querelleur et extrômc- 
nient arrogant. Leurs femmes, douées d'une grande force, 
auraient eu des yeux verdâtres, de larges épaules d'un blanc 
Je neige. 

Strabon (4) signale la fécondité des femmes gauloises, très 

Pi*opres à allaiter, caractères fort importants chez les Galates 

^t les Germains, races d'émigrants qui avaient besoin pour 

'^ soutenir d'une grande natahté. 

Tite-Live (5) paraît considérer comme identique la con- 



(1) Tite-Live, liv. XXXIV, cli. xxxxvii. 

(2) Diodore de Sicile, liv. V, ch. xxxii et xxviii. 

(3) Ammien Marcellin, liv. XV, ch. xii. 

(4^ Strabon, Géographie, liv. IV, ch. iv, § 3. 
(5) TiTE-LivE, liv. XX, ch. lv. 



1 l6 DOCUMENTS HISTORIQUES 

formation cl la haute stature des Gaulois et des Germains. 

Strabon va encore plus loin et d'une manière beaucoup plus 
nette. 

« Dans les pays situés au delà du Rhin, dit-il (i), après les 
peuples celtiques, vers Torient, habitent les Germains, qui 
diffèrent peu des Gaulois. Ils sont un peu plus farouches, de 
proportions plus fortes et à chevelure plus ardente, mais vrai- 
ment pareils pour le reste, car leurs formes, leurs mœurs 
et leur nourriture sont semblables à celles que nous avons 
décrites en parlant des Gaulois. » 

A la suite de sa description des mœurs des Galates, Strabon 2 ! 
estime (jue les Galates et les Germains n'ont qu'une seule et 
môme origine. 

<( 11 est vrai qu'à présent, soumis aux Romains, ces peuples 
sont obligés de vivre en paix et d'obéir à leurs vainqueurs, 
mais ce que je viens de dire de leurs mœurs n'est pas moins 
fondé sur celles que l'histoire attribue à leurs ancêtres, sur 
celles que l'on voit encore aujourd'hui chez les Germains, car 
ces deux peuples ont une origine commune, soit qu'on les 
considère du côté du caractère et de la manière de vivre eldc 
se gouverner, soit qu'on examine le pays qu'ils habitent. » 

Cette conclusion, qui découle tout naturellement de l'exposé 
général des faits, se confirme de plus en plus si l'on entre dans 
l'examen des détails. 

Ainsi le grand mouvement galate en Orient s'est fait 
remarquer par les nombreuses et importantes invasions de la 
Macédoine, de la Grèce et de l'Asie Mineure. C'est aussi par 
une importante invasion des Cimbres dans la Styrie qu'ont 
commencé les invasions et excursions germaniques. Les deux 
peuples ont agi de môme. 

Peuples envahisseurs, peuples essentiellement nomades, se 
déplaçant avec la plus grande facilité, Tacite nous dit : « H 
est assez connu que les peuples de la Germanie n'habitent 
point des villes (3). » Polybe avait déjà dit des Galates d'Italie: 
« Ces peuplades étaient dispersées dans des villages sans 
murailles. » Donc môme absence de villes des deux côtés. 



(1) Sthabon, Géographie^ liv. VIÏ, ch. i, § 2. 

(2) Idem, ihid., liv. IV, cli. iv, § 2. 
(.3i Tacite. Germains y ç\\. xvi. 



GERMAINS 117 

Des deux côtés aussi il y a absence de temples. Le culte des 
ancêtres en Germanie comme en Gaule se célébrait dans une 
for^t, et, dit-on, il y avait sacrifice d'hommes. 

Sous le rapport militaire, les Gaulois, d'après divers auteurs, 
entre autres Tite-Live, combattaient parfois nus. Ce dire des 
auteurs est confirmé par les grands l)as-reliers de l'arc de 
triomphe d'Orange. On y voit des (iaulois combattant, le 
haut du corps complètement nu à partir de la ceinture. Ils ne 
portent que leurs braies ou culotte. Tacite mentionne la môme 
habitude chez les Germains. « Ils sont, dit-il, nus ou à peine 
embarrassés d'une saie (1). » 

En fait de chevelure, le blond est la couleur dominante chez 
les Gaulois comme chez les Germains. Deux mots latins sont 
employés pour indiquer cette couleur : flavus et rutilus ; flavus 
veut dire jaunâtre, rutilus rougeûtre. On les traduit volontiers 
par blond et blond ardent. Le blond ardent passe au rouge. 
En général, rutilus est employé pour les hommes el flavus 
pour les femmes; c'est une couleur plus douce. 

En Gaule comme en Germanie, la chevelure était très recher- 
chée. En effet, si les Suèves, principal peuple de la Germanie, 
se distinguaient par leur chevelure relevée et nouée sur la 
tète, la Gaule était, d'après Pline (2), honorée du nom général 
Je Gaule Chevelue. Ces chevelures devaient se faire remarquer 
pour l'éclat de leur teinte. Elles devaient être autant que pos- 
[ sible rutilantes. Pour atteindre ce but, en deçà comme au delà 
I du Rhin, on employait les lotions à l'eau de chaux. Et mémo 
Pline (3) nous apprend que Gaulois et Germains, pour rendre 
l^ur chevelure d'un blond plus ardent, employaient un savon 
préparé avec du suif et des cendres. 

Il est impossible de rencontrer deux groupes de populations 

plus semblables dans leurs caractères généraux comme dans 

^^Urs habitudes les plus particulières et les plus excentriques. 

En effet, la caractéristique des deux groupes est exactement 

'^ même et s'applique aussi bien au groupe qui a reçu le nom 

^^ Gaulois qu'au groupe qui depuis les invasions des Cimbres 

^ pris le nom de Germains. 



(1) Tacite, Germains, ch. vi. 

■ 2) Pline, Histoire naturellCj liv. IV, ch. xxxi. 

î3; Idem, ibid., liv. XXVIII, ch. li. 



Il8 DOCUMENTS HISTORIQUES 

Hommes grands et forts, aux membres vigoureux, 

A peau blanche, 

Aux cheveux blonds plus ou moins ardents. 

Aux yeux bleus. 

Les artistes ont suivi l'exemple donné par les écrivains, et 
dans leurs œuvres, statues ou bas-reliefs, ils ont reproduit Je 
môme type pour figurer les Gaulois et les Germains. 

Il est impossible départager en deux ces grands blonds aux 
yeux bleus. 

Ce sont tous des Germains ou tous des Gaulois. Et, comme 
les Gaulois ont reçu leur nom bien avant les Germains, il n'y 
a et il ne doit y avoir que des Gaulois. 



CHAPITRE XI 



PASSAGE DES BARBARES 



Lutte des Romains contre l'envahissement. — A partir 
du dernier siècle avant notre ère, les populations d'au delà du 
Rhin manifestèrent une grande et continuelle tendance à fran- 
chir cette large barrière et à venir envahir plus ou moins la 
Gaule. Nous avons vu tout à fait, à la fin du n® siècle, les 
Cimbres infliger de cruelles défaites aux Romains et les Teu- 
tons, l'an 102 avant notre ère, venir se faire exterminer par 
Marius dans les environs d'Aixen Provence. 

Lorsqu'en 58 avant notre ère, César entreprit sa première 
campagne des Gaules, il se trouva aussi en présence d'une 
puissante nation germaine, les Suèves, qu'il battit auprès de 
Besançon et refoula au delà du Rhin. 

Y avait-il d'autres nations soi-disant germaines sur la rive 
gauche du Rhin ? 

i5o ans après César, Tacite indique que les Tongres (i) se 
seraient installés au nord de la Belgique, dans le Limbourg 

'i; Tacite, Germains, ch. ii. 



PASSAGE DES BARBARES 1 19 

iprès en avoir chassé les Gaulois ; que ce seraient eux 
►remiers auraient pris le nom de Germains, et que 
nom se serait répandu de proche en proche sur la 
3 transrhénane tout entière. 

(1) nous apprend aussi que deux nations énergiques 
tantes de la Belgique affectent de se dire Germains, 
5 s'ils voulaient répudier toute ressemblance avec la 
des Gaulois. » Ce sont d'abord les Nerviens qui habi- 
Flandre française et le Hainaut. Ils arrêtèrent 
mément César au bord de la Sambre. Soumis, ils 
;èrent plusieurs fois. Ils envoyèrent des troupes, 
mmes dit-on, à Vercingétorix, pour l'aider à lutter 

général romain. Ce sont ensuite les Trévires de la 

la Moselle qui, dès l'an 58, acceptèrent la domination 

mais cherchèrent ensuite plusieurs fois à la secouer, 
dance générale des populations germaines à se jeter 
ïrritoire de l'empire romain était telle que les obs- 
turels comme les grands fleuves, le Rhin et le Da- 
venaient insuffisants pour arrêter le mouvement. Les 

s'évertuèrent à lui opposer des obstacles nouveaux, 
blés fortifications humaines. Ils s'emparèrent de terres 
1 delà du cours de ces deux grands fleuves et les 
à des agriculteurs qui payaient simplement une dîme 

protégés contre les excursions des Germains. Cette 
e tampon destiné à amortir le choc des invasions 
s'appelait les Terres Décumanes. 
?n des points, surtout sur le Rhin, ce simple tampon 

d'être suffisant. Aussi les Romains, utilisant les Ger- 
ntre les Germains, eurent recours à des moyens plus 
; et [plus actifs (2). Ainsi ils cédèrent aux Bataves, 
ayement d'aucun droit, d'aucune redevance, d'aucun 
le grande île formée par deux bras du Rhin, vers son 
ure. Ils constituaient tout simplement une réserve 

pouvant toujours être mobilisée en cas de dan. 
1 était de même des Mattiaques, sur la rive droite 

Une population germaine^ d'émigrants, les Ubiens, 
. favorablement par les Romains, ont aussi été placés 



E, Germains^ ch. xxviii. 
i6/d., ch. XXIX et xxviii. 



120 DOCUMENTS HISTORIQUES 

sur la rive droite du fleuve comme alliés, pour défendre le 
passage. 

Vains efforts ! Les flots envahisseurs de populations se suc- 
cédèrent sans interruption avec plus ou moins d'énergie, plus 
ou moins de succès, jusqu'à ce que, dans le courant du 
V® siècle, l'Empire d'Occident fut entièrement submergé. 

Invasions par mer. — Ces peuples envahisseurs venus 
de la Germanie, nous allons les passer successivement en 
revue. C'est avec intention que nous disons venus de la Ger- 
manie et non Germains. En effet, ils ont bien passé à travers 
le pays nommé Germanie, mais comme provenance il y en 
avait d'origines fort diverses. Pour ne parler que des deux 
types extrêmes, à côté des grands blonds aux yeux bleus qui 
formaient toujours la grande majorité, il y avait des petits 
bruns à la figure carrée remplaçant les figures ovales. Ce sont 
là des types provenant d'Asie et ayant traversé l'Europe 
entière. 

Parmi ces peuples envahisseurs, il en est deux dont le rôle 
a été prépondérant au point de vue de la population française: 
ce sont les Burgundes et les Francks. Nous les étudierons en 
dernier lieu, après nous être débarrassé de toutes les popu- 
lations moins importantes et surtout moins intimement liées 
à notre histoire. 

Le Rhin et les Alpes n'ont pas été les deux seules barrières 
franchies par les envahisseurs. Il en est qui sont venus par mer 
ravager et conquérir nos côtes. Parmi ces derniers, il faut 
citer les Saxons, Saxones^ Sà^oveç. Inconnus de Tacite à la fin 
du 1®^ siècle, ils sont cités dans la première moitié du n® siècle 
par Ptolémée (i) comme habitant la Chersonèse cimbrique, au- 
dessous du Jutland,soit le Schleswig-Holstein actuel. Dès 286 
ils infestaient comme pirates les côtes de la Gaule. Plus tard 
vinrent les Normands, habitants de la Scandinavie, qui dès 
81 3 firent des excursions sur nos côtes. Mais, en ce qui 
concerne les Saxons et surtout les Normands, nous avons des 
documents historiques suffisants pour que nous n'ayons pas à 
nous en occuper d'une manière spéciale. 

Invasions par le Rhin. — Un autre peuple très important 
aussi au point de vue de l'histoire moderne est celui des 

(1) Ptolémée, Géographie^ liv. II, ch. x. # 



PASSAGE DES BARBARES 121 

Al amans, ^/ama/im, 'AXxaavot. Pline, au milieu du i^*^ siècle, 
n'en parle pas. Les premiers renseignements que nous possé- 
dons sur eux sont assez confus. 

Grégoire de Tours, dans la deuxième moitié du vi*' siècle, 
nous dit : « Les Suèves, c'est-à-dire les Alamans, s'emparèrent 
de la Gallicie (Gallicia) (i). » 

Procope (2) pourtant, dès la première moitié du vi'^ siècle, 
avait distingué les Suèves des Alamans, peuples puissants 
habitant près des Thuringiens. 

Quant à Jornandès (3), autre auteur du môme siècle, il admet 
que les Alamans sont alliés aux Suèves et habitent dans les 
Alpes. 

Ammien Marcellin (4) raconte que, sous Constance 11, en 
354, les Romains pour aller combattre les Alamans passèrent 
le long du lac de Constance. 

Vers 356 et 357, ^®s Alamans ayant franchi le Rhin, ils 
furent repoussés par Julien, alors gouverneur des (iaules. 

Mais la plus grande invasion des Barbares fut celle qui eut 
lieu au commencement du v° siècle, en 407. D'innombrables 
bandes de populations venant du territoire de la Germanie se 
ruèrent sur la Gaule et la ravagèrent entièrement des bords 
du Rhin jusqu'aux Pyrénées. Les Alamans profitèrent de la 
circonstance pour s'établir sur la rive gauche du Rhin, en 
Alsace et en Lorraine. Une partie des envahisseurs, les Van- 
dales, les Suèves et les Alains, franchirent môme les Pvrénces 
et pénétrèrent en Espagne. 

Les Suèves que nous avons vus en lutte avec César dès le 
début de la guerre des Gaules, nation éminemment mobile et 
émigrante, se retrouvent comme auxiliaires dans Tarniée 
romaine. C'est ainsi qu'au iv*^ siècle la Notice de V Empire cite 
des Suèves parmi les troupes romaines à Bayeux et Coutance, 
au Mans et en Auvergne. 

Ils s'empressèrent de profiter de la belle occasion qui se 
présentait à eux en 407. Ils se joignirent avec empressement 
aux Vandales, aux Alains et autres peuples envahisseurs, tra- 

(1) Grégoire de Tours, Histoire des Francs, liv. II, ch. i. 

(2) Procope, Guerre Gothique^ liv. I, ch. xii. 
(3^, Jornandès, Des Goths, lv. 

(4) Ammien Marcellin, Rer. geslar., liv. XV, ch. iv ; liv. XVI, ch. 11, 
et Uv. XVII, ch. I. 



122 DOCUMENTS HISTORIQUES 

versèrent la France depuis le Rhin jusqu'aux Pyrénées occi- 
dentales. En 4^1) conduits par Hennerich, leur chef, ils pas- 
sent en Espagne, s'emparent de la partie nord-ouest et s'éta- 
blissent dans la Galice et le nord de la Lusitanie. 

Mais ce sont les Vandales, Vandali ou Vindili^ BsvSiXot, 
OuàvBaXoi, qui ont joué le principal rôle dans la grande irrup- 
tion des Barbares de 407. Ce sont eux qui ont donné le pre- 
mier élan, la première impulsion, passant le Rhin dès janvier 
4o6. D'après Pline (1), les Vindiles faisaient partie de la même 
race germaine que les Guttones et les Burgundiones. Suivant 
Tacite, ils sont bien Germains; mais Lagneau, d'après des 
considérations se rapportant plus à l'observation qu'à l'érudi- 
tion, dit qu'ils seraient Sarmates ou Slaves. 

Peuple éminemment dévastateur et pillard, il brûla en 
Gaule soixante-dix villes et s'y fit la plus triste réputatioB, 
tellement que son nom devint un qualificatif couramment 
employé dans le langage commun pour désigner : « celui qui 
hait les sciences et la civilisation et qui détruit les monuments 
des arts (2). » 

Les Vandales, refoulés de la Gaule par Aurélien et Probus, 
pénétrèrent en Espagne en 409. Ils y restèrent une vingtaine 
d'années. Ils se fixèrent surtout dans le Sud, en Bétique, pro- 
vince qui prit le nom de Vandalusia, transformée actuelle- 
ment en Andalousie. 

En 429, leur chef Genséric les conduisit en Afrique et y 
fonda un empire qui combattit les Romains avec avantage et 
vint môme piller Rome en 455. Deux ans après, 457, ils envahi- 
rent la Corse. Ce ne fut qu'en 533, plus de cent ans après son 
installation, que BéUsaire, général de Justinien, parvint à 
détruire la domination vandale en Afrique. 

Les Alains, Alani, 'AXavoi, nation scythique voisine des Sar- 
mates, d'après Pline (3), aux cheveux roux et à l'œil glauque 
d'après Flavius Vopiscus, s'étaient joints aux Vandales. Une 
partie même pénétra avec ces derniers en Espagne et en 
Afrique. Mais il en resta pas mal de disséminés en Gaule, soit 
enrôlés comme légionnaires, soit comme colons. En 44?» nous 



(1) Pline, Histoire naturelle, liv. IV, ch. xxvii. 

(2) Beaujean, Petit Dictionnaire universel. 

(3) Pline, Histoire naturelle, liv. IV, ch. xxv. 



PASSAGE DES BARBARES 123 

en trouvons de fixés dans une partie- de T Armorique qui leur 
avait été livrée par Aétius. En 45i, ils occupaient le cours 
moyen de la Loire, et.ils firent des propositions à Attila. 

Des Sarmaies, Yoisins des Alains en Germanie ou, pour parler 
plus exactement, de l'extrémité orientale de la Germanie, se 
trouvaient aussi engagés comme troupe auxiliaire et occu- 
paient le Poitou. 

Débordés par les peuples envahisseurs, les Romains se virent 
forcés de faire appel à ces peuples eux-mêmes poui> les divi- 
ser et les vaincre en les opposant les uns aux autres. Le géné- 
ral romain Aétius fut celui qui appliqua le plus en grand 
cette tactique. C'est grâce à elle qu'il parvint à arrêter la 
terrible invasion des Huns, et à refouler vers Torient les 
hordes commandées par Attila. 

En 445, les Huns, Hunni, Ouwot, que Ptolémée ( i ) paraît déjà 
fflgnaler, dans la première moitié du ii^ siècle, sous le nom de 
Kounoi, Xouvoi, en les rapprochant des Peucins ou Bastarnes, 
dont nous avons parlé au chapitre des Germains, pénétrèrent 
en Gaule. Leur chef Attila était, dit-on, à la tête de 5oo,ooo hom- 
mes.U jetait partout l'épouvante, épouvante telle qu'on l'avait 
surnommé le Fléau de Dieu. Aétius profita de ce sentiment 
général de terreur pour grouper autour de ses légions les 
Francks de Mérowig, les Sarmates, les Armoricains, les Bur- 
gundions, les Saxons et les Wisigoths de Théodoric. C'est à la 
tête de cette puissante association qu'il arrêta la marche 
Womphale et dévastatrice d'Attila. Il défît d'abord les Huns 
près d'Orléans. Puis une grande bataille eut lieu, en 45i , dans 
J^s Champs Catalauniques, vastes plaines des environs de 
Ghâlons-sur-Marne, correspondant probablement au camp de 
Châlons actuel où s'exerce l'armée française. Attila, complè- 
tement battu, fut contraint de rebrousser chemin. 

D'oii venaient ces Huns, qui ne sont nommés ni par Pline 
tii par Tacite et qui ne le sont que problématiquement par 
F'tolémée ? 

Ammien Marcellin (2), au vi'' siècle, cent ans environ après 
la défaite d'Attila, les place au delà du Palus Méotide ou 
ïcier d'Azof et les étend jusqu'à l'océan Glacial. De tous 



(1) Ptolémée, Géographie, liv. III, ch. v. 

(2) Ammien Marcellin, liv. XXXI, ch. 11. 



124 DOCUMENTS HISTORIQUES 

les envahisseurs, ce sont 'donc les plus orientaux. En outre, fc < 
auteurs qui en parlent sont tous d'accord pour les représent ei 
comme appartenant à un type tout différent de celui cJies 
grands blonds aux yeux bleus que nous avons à peu pires 
seuls rencontrés jusqu'à présent. Les Huns, au lieu d'avoir* k 
peau blanche, étaient basanés, d'une laideur et surtout d'une 
saleté extrêmes. 

Invasions par les Alpes. — Tous les peuples envahisseurs 
par voie terrestre dont nous venons de parler ont franchi Ja 
ligne du Rhin. Il nous reste à signaler ceux qui ont traversé 
les Alpes. 

LesWisigoths, \V7s/^oM/, OùtoriyoTÔoi, ou Goths occidentaux, 
partis des bords de la Vistule et considérés par Procope 
comme Sarmates, ravagèrent la Grèce en 4o2. Ils passèrent 
en Italie sous la conduite d'Alaric. En 4^2, Ataulfe, succes- 
seur d'Alaric, pénétra en Gaule et s'empara du Midi. Delà 
il fut en Espagne, comme auxiliaire des Romains contre les 
autres Barbares. Aussi, en 4^8, Honorius, pour reconnaître 
leurs services, leur concéda l'Aquitaine et Toulouse. C'est de 
là qu'ils s'unirent à Aétius pour combattre Attila. Leur puis- 
sance en Gaule fut combattue par les Francks qui, en 607, 
sous la conduite de Clovis, battirent leur roi Alaric II à 
Vouillé, et les refoulèrent du côté des Pyrénées. Mais leur 
empire en Espagne fut plus brillant et de plus longue durée. H 
se maintint pendant trois siècles environ et ne fut détruit que 
par l'invasion des Arabes, en 760. 

Après les Wisigoths, les Hérules, les Ostrogoths ou Goths 
orientaux, les Lombards^ petite mais énergique nation de la 
Germanie, du temps de Tacite, envahirent successivement 
l'Italie, mais rl'eurent presque pas d'action sur la France. 

Après avoir passé en revue tous ces peuples envahisseurs, 
qui se sont succédé en France sans y laisser de traces bien 

• 

Importantes de leur passage, sauf peut-être pour ce qui con- 
cerne les Wisigoths, qui ont séjourné en nombre pendant un 
temps assez long sur une importante partie de notre territoire, 
il nous reste à nous occuper des deux peuples barbares qui ont 
eu sur notre population l'influence ethnologique la plus im- 
portante. Ce sont, comme date : 

Les Burgundes d'abord. 

Les Francks ensuite. 



BURGUNDES ET FRANCKS 125 



CHAPITRE XII 



BURGUNDES ET FRANCKS 



jundes. — Les Burgundes, Burgundii ou Burgun- 
, BoupYou?i(oveç, sont nommés pour la première fois, vers 
eu du I®' siècle, par Pline (i) : Vindili quorum pars Bur- 
mes^ dit-il ; les Burgundes font partie des Vindiles ou 
les. Ils habitent à côté des Varnes (Varins), des Carnes 
s) et des Guttons. Ils occupaient donc alors le nord-est 
lermanie, auprès de la basse Vistule ou entre la Vistule 
1er. D'après Procope (2), les Vandales étant de race 
[ue, les Burgundes, voisins des Guttons, devaient en 
issi. 

émée, au n® siècle (3), les place aussi dans la môme 
et les nomme ^pouvyoJvStwveç et Boupyiwveç. 
} tard, beaucoup plus tard, dans le vi*^ siècle, Ammien 
llin refuse aux Burgundes la qualité de peuple indé- 
it et de Germains. Il en fait de simples colons romains 
nt les bourgs. C'est Paul Orose qui, un siècle aupara- 
vait prétendu que ces colons avaient été introduits dans 
nanie par Dfusus Germanicus, lorsqu'il fit la guerre 
e pays ; assertion qui ne peut se soutenir, car Drusus 
a bien, paraît-il, jusqu'à l'Elbe, mais ne passa pas cette 
. Comment dès lors aurait-il pu installer des colons au 
e l'Oder, sur les bords de la Vistule? En outre, si le fait 
té par Orose eût été exact, il n'aurait certainement pas 
)é à Pline et à Ptolémée, qui écrivaient peu de temps 
la mort de Drusus. 

» 245, les Burgundes furent vaincus par les Gépides, 
3ranche de la famille Gothique, et obligés d'abandonner 
'ds de la Vistule. Procope (4) nous apprend qu'ils se 
ent sur l'intérieur de la Germanie et cherchèrent à 



JNE, Histoire Naturelle, liv. IV, ch. xxviii. 
lOCOPE, Guerre Gothique, Viv. II, ch. 11. 
rOLÉMÉE, III, v. 

«ocoPE, Guerre Gothique, liv. I, ch. xii. 



126 DOCUMENTS HISTORIQUES 

s'établir près des Souabes, des Thuringiens et des Alama^^iKs. 

Mal installés, les Burgundes voulurent chercher fortune au 
delà du Rhin ; mais, en 277, ils furent repoussés du fleuve jDar 
Probus. 

Sous Valentinien, en 870, les Burgundes s'unirent aux Ro- 
mains pour lutter contre les Alamans. Un peu plus tard, les 
Romains profitèrent de cette alliance pour se prémunir et 
lutter contre la grande invasion des Barbares. Ils incorpo- 
rèrent les Burgundes dans l'empire et les in^allèrent entre 
le Rhin, la Moselle et les Vosges, territoire qui leur fut ac- 
cordé par Honorius. Vaincus par les Huns dès leur entrée en 
France en 445, les Burgundes furent transportés dans l'Ain, 
la Savoie et le sud-ouest de la Suisse. Ils s'y étendirent peu à 
peu et finirent par occuper tout le pays entre la Durance au 
sud et au nord 1<5 sommet de la vallée de la Saône. Lyon leur 
appartenait. Mais leur indépendance ne fut pas de longue 
durée. Vaincus, l'an 5oi, par Clo\'is, puis par ses fils Childe- 
bert l^^ et Clotaire P", en 534, ils furent englobés dans le 
royaume des Francks, sans changer de lieu d'habitation. Us 
ont donc conservé dans la région toute leur influence au point 
de vue des données ethnologiques. 

Francks. — Les Francks, Francis <i>paYYoi, ont une origine 
encore bien plus obscure que les Burgundes, et leur nom 
n'apparaît que deux siècles environ plus tard. Il était com- 
plètement inconnu à Pline, qui, au milieu du i®' siècle, a 
donné une énumération des divers peuples germains. Le des- 
cripteur par excellence de la Germanie, Tacite, à la fin du 
môme siècle, ne le connaissait pas davantage. Dans la première 
moitié du 11® siècle, le géographe grec Ptolémée n'en parle pas 
non plus. 

Les Francks ne furent nommés pour la première fois qu'un 
siècle plus tard, vers l'an 240, par Flavius Vopiscus (1). Cet 
auteur raconte qu'Aurélien, tribun de la sixième légion des 
Gaules, à Mayence, eut à repousser les incursions des Francks. 

A partir de ce moment, pendant deux siècles et demi, nous 
voyons les Francks ne pas cesser d'attaquer le nord de la 
Gaule et s'y installer peu à peu. Continuant leur conquête 
vers le midi, ils finirent, vers l'an 5oo, par prendre complète- 

(1) Flavius Vopiscus, yl^rÊf/Ze/ï, ch . vu. 



BUBGUNBES ET FRANCKS I27 

lieu et place des Romains, et constituer avec Clovis 

me de France. 

6, les Francks passent une première fois le Rhin et en- 

it le nord-est de la Gaule. 

î6, d'après Eutrope (i), Carausius fut chargé de dé- 

es côtes de la Belgique et de l'Armorique ravagées 

îxcursions des Francks et des Saxons. Ce fait est con- 

ir Orose (2), qui mentionne les deux mêmes peuples. 

e commencement du iv® siècle, Constantin arrête une 

î invasion des Francks. Maximin en massacra et re- 

des milliers qui avaient envahi Tîle des Bataves, à 

chure du Rhin. 

Constance, ils parviennent à s'établir dans la Bel- 

i réussit encore à en délivrer la Gaule romaine, 
tinien, pour les empêcher de rentrer, fortifie la ligne 

. • 

3n 438, ils franchissent de nouveau le fleuve, com- 
par Clodion, et malgré Aétius se rendent maîtres du 
nord de la Somme. Ils occupent Tournai, Cambrai et 
, dont ils font leur capitale. 

ans après, sous les ordres de Mérovée, ils figuraient 
alliés dans l'armée avec laquelle Aélius défit Attila 
imps Catalauniques. 

Clovis, en 486, défit Syagrius, le dernier patrice ou 
romain, à Soissons ; en 496, les Alamans à Tolbiac, 
Cologne; en5oi, Goudebaud, roi des Burgundes; en 
iric II, roi des Wisigoths, à Vouillé, près de Poitiers, 
de cette époque, l'empire d'Occident n'existait plus, 
lule appartenait aux Francks. 

le des Francks. — Mais d'où venaient ces Francks ? 
ne voyons apparaître leur nom que lorsqu'ils se pro- 
sur les bords du Rhin pour pénétrer en Gaule. Par 
résentent-ils ? Toujours au nord-ouest de la Gaule, 
partie septentrionale de la Belgique. Ce sont les lé- 
•maines cantonnées à Mayence qui les premières ont à 
msser, en 240. Vers 256, nous les trouvons réunis 



ROPE, Bréviaire d^ histoire romaine, liv. IX, ch. xxi, 
3E, Histoire, liv. VU, ch. xxv. 



128 DOCUMENTS HISTORIQUES 

aux Saxons pour ravager les côtes de la Gaule; enfin, au com- 
mencement du IV® siècle, Maximin, après en avoir massacré 
un grand nombre, les expulsa du pays des Bataves. De ces 
divers faits historiques, on peut et Ton doit conclure que les 
Francks occupaient la partie de la Germanie qui se trouve 
tout à fait au nord de la Gaule, qu'ils étaient voisins des 
Saxons et des côtes de la mer du Nord. 

L'occupation, en 438, de Tournai, Cambrai et Amiens par 
Clodion vient confirmer ces données. En effet, le pays soumis 
par ce chef Franck est voisin des côtes. Il se rapproche aussi 
beaucoup plus des embouchures du Rhin que de tout le reste 
du cours de ce fleuve. 

En 486, Clovis défit les dernières troupes romaines à Sois- 
sons. Les Francks étaient donc séparés du Rhin oriental par 
les anciens possesseurs de la (iaule. Dix ans après, le même 
Clovis battit les Alamans à Tolbiac, près de Cologne. Donc 
<;e n'étaient pas les Francks, mais bien d'autres Germains, qui 
occupaient la rive gauche du Rhin. 

La démonstration nous paraît complète ; pourtant elle 
n'était pas venue à l'esprit des divers historiens qui se sont 
occupés de la question. 

Les uns, frappés de trouver dans T Allemagne centrale une 
région nommée Franconie, n'ont pas hésité à en faire le pays 
d'origine des Francks. La Franconie fait partie de la Bavière. 
Elle se divise en Basse-Franconie, capitale Wurzbourg, en 
Franconie-Moyenne, capitale Anspach, et en Haute-Franconie, 
capitale Baireuth. Elle a formé un Grand-Duché qui a appar- 
tenu à Conrad le Salique. 

Les anciens Francks se divisaient en Ripuaires et en Saliques 
ou Saliens. Les Ripuaires étaient ceux qui habitaient les rivages 
ou rives ; les Saliques se trouvaient dans l'intérieur des terres. 
Pour déterminer ces terres, on a eu recours à des rapproche- 
ments étymologiques ou phonétiques. On a placé ces Francks 
dans la vallée de la Saale. Mais laquelle ? Il y a en Allemagne 
trois rivières qui portent le nom de Saale, coulant dans des 
régions salifères. Deux de ces Saale prennent leur source 
dans les Alpes et doivent être écartées, étant sur la rive droite 
du Danube, qui alors ne faisait pas partie de la Germanie, 
d'après Tacite lui-même. Reste la troisième Saale,dont la source 
se trouve dans l'Allemagne centrale, au nord du Danube. Cette 



BURGUNDES ET FRANCKS I29 

ornière est un affluent de TElbe, dans lequel elle se jette près 
î Magdebourg. Cela nous porte bien au milieu des terres, 
ais tous n'admettent pas cette étymologie. 11 s'en trouve qui 
[•éfèrent faire dériver le nom de Salions de la Sala ou Isala des 
atins qui n'est autre que l'Yssel, nom actuel de deux cours 
eau de la Hollande et d'une branche du Rhin vers son em- 
ouchure. Nous revenons ainsi à notre point de départ, par 
n procédé auquel il nous semble qu'on ne doit pas accorder 
ne trop grande importance. 

Pourtant une citation de Pline (i), tout au moins curieuse, 
iendrait jusqu'à un certain point appuyer cette dernière opi- 
ion. Dans toutes ses descriptions géographiques, le natura- 
ste romain ne cite qu'une fois les Sallyens ; c'est en parlant 
e Verceil en Piémont. Il dit : Vercellœ Libicorum ex Sallyis 
^tœ ; Vercelle des Libiques issue des Sallyens. Or c'est pré- 
isément à Verceil que les Cimhres, i5o ans avant l'époque à 
iquelle écrivait Pline, ont été définitivement battus, ("es 
imbres venaient justement des régions au nord des embou- 
hures du Rhin. 

Le nom de Franck ne paraît pour la première fois que 
an 240. A quelle population les nouveaux dénommés se re- 
aient-ils? On a dit que c'était une fédération, une union de 
euples divers, de petits peuples de la Germanie. Mais, même 
1 admettant ce fait qui n'est pas le moins du monde établi 
istoriquement, il y a eu certainement parmi ces petits peu- 
les un élément plus actif, plus important. Quel est-il? 
Sicambres. — Voyant l'influence romaine déchoir et celle 
3s Francks grandir, Remy, évêque de Reims, noua des 
lations avec Glovis, qui débutait alors. Songeant à l'avenir 

oubliant tout sentiment de reconnaissance et de patrio- 
sme, il s'allia au barbare païen et abandonna la cause des 
omains, bien qu'ils fussent ses coreligionnaires. Par cette 
►nduile plus habile que morale, il parvint, les femmes aidant 

le clergé a toujours eu la môme conduite — ù convertir 
lovis et à le baptiser. D'après Grégoire de Tours (2), au mo- 
ent de la cérémonie, l'évêquedit au roi victorieux : 
« Courbe la tête, Sicambre ! » 



(i) PLïTiE, Histoire Naturelle,\ïy. III, cli. xxi. 

^2) Grégoire de Tours, Histoire dea Francs, liv. H, cli. xxxi. 

G. DE MORTILLET. 



l.So DOCUMENTS lUSTORigUES 

Ce triomphe do l'Eglise sur TEtat nous montre que les 
Francks étaient de race Sicambre. 

Or les Sicambres, Slcambri^ Xluyaaêpoi, habitaient au delà du 
Rhin, vers le nord, près de Bonn ; c'était une nation très entre- 
prenante, très active, fort courageuse et fort énergique. Ils 
luttèrent avec ardeur contre la domination romaine d'Outre- 
Rhin. 

En 55 avant notre ère, on les voit refuser à César (i) de lui 
livrer quelques cavaliers qui avaient cherché refuge chez eux. 

Le général romain, irrité de ce refus, jeta son fameux pont 
sur 1(> Rhin, près de Cologne, pour aller ravager leur pays. 
Comme ils s'étaient retirés dans les forêts, il ne put les attein- 
dre. Pour prendre leur revanche, deux mille cavaliers Sicam- 
bres, deux ans après (2), vinrent en Belgique tenter un coup 
de main contre Aduatuca, ville située sur la Meuse, mais ils 
ne réussirent pas. 

Sous Auguste, une dizaine d'années avant notre ère, les Si- 
cambres, ainsi (|ue leurs voisins les Suèves, furent vaincuspar 
Drusus et Tibère, qui étaient allés les attaquer dans leur propre 
pays. Drusus en prit le surnom de Germanicus. A la suite de ces 
défait(îs, dos plénipotentiaires, arrêtés et internés, préférèrent 
se donner la mort que de perdre leur liberté (3). D'autre part, 
Suétone (4) i^ous apprend qu'après la victoire, 4o.ooo Sicam- 
bres et Suèves furent transportés en Gaule. 

Étymologie du nom Franck. — Une étymologie nette 
et précise du mot Franck pourrait nous fournir de précieux 
renseignements, mais cette étymologie n'existe pas. Ce n'est 
pourtant pas faute de l'avoir cherchée. On en a proposé un 
grand nombre. Diefenbach, sans rien préciser, fait descendre 
ce nom du celtique. Grimm en trouve la racine dans les mots 
freis du gothique ancien et frei de l'allemand moderne qui veu- 
lent dire libre. Delâtre fait dériver le mot /rawcMS, homme libre, 
de bhrcuj et bhrang qui signifient briser, parce que l'homme 
libre a brisé les liens de l'esclavage. Chevallet prétend que 
Franck répond au mot de ferox^ hardi, intrépide, belliqueux, 
fier, hautain. Ces diverses étymologies auraient le mérite de 

(1) CÉSAR, Guerre des Gaules, liv. IV, ch, xvi à xix. 
1-2) Idem, ibid., liv. IV. ch. xxxv. 
\3) Dion Cassius, liv. LV, ch. vi. 
(4) SiKTONE. Tibère, ch. xi. 






BURGUNDES ET IRANGKS l3l 

nous faire connaître le caractère des Francks, si elles ne pé- 
chaient par la base. Elles n'ont été cherchées et proposées 
que lorsque ce caractère était déjà parfaitement connu. 

Enfin tous les essais précédents ne suffisant pas, on a pro- 
posé une autre étymologie. On a fait dériver le nom des Francks 
de l'anglo-saxon franco qui signifie javelot et lanceur de 
javelots. Et en effet les Francks se servaient beaucoup de cette 
arme. 

Armes tfes Germains et des Francks. — Tacite (i), décrivant 
les Germains, dit : « Leurs lances, qu'ils appellent framées, 
sont armées d'un fer étroit, court, mais si acéré et si maniable 
que le même trait peut leur servir, selon l'occasion, à com- 
battre de loin ou de près. Le cavalier n'a que le bouclier et la 
franoiée. Les gens de pied lancent des traits, et le môme en a 
plusieurs ; ils les font voler à d'immenses distances. Ils sont 
nus ou à peine embarrassés d'une saie. » 

Ce passage montre bien que les peuples germains 
avaient de la cavalerie et de l'infanterie. Le coup de main 
tenté par les Sicambres sur Aduatuca prouve qu'ils possé- 
daient de la cavalerie. Mais un peuple voisin, les Cattes, que 
certaines personnes font rentrer dans la confédération francke, 
sont présentés par Tacite (2) comme ayant « toute leur force 
en hommes de pied. » 

A côté de ces excellents fantassins, il y avait de parfaits cava- 
liers. D'après Tacite (3) chez les Tenctères l'équitation « est le 
jeu de l'enfance, l'émulation de la jeunesse, le dernier exer- 
cice des vieillards... Les Tenctères excellent dans les combats 
le cavalerie, et les fantassins ne sont pas plus renommés chez 
es Cattes que chez les Tenctères les cavaliers. » 

Revenant sur la question des armes. Tacite (4), à propos 
les Lygiens, peuple puissant de la Germanie centrale vers 
'extrémité orientale, et d'une huitaine d'autres peuples qui 
;e relient plus ou moins à eux, nous dit : « Tous ces peuples 
)nt un bouclier rond, des épées courtes et des rois. » C'est 
ustement un des caractères des Francks de multiplier les 
'ois. D'autre part, en fouillant leurs tombeaux, riches en 

(1) Tacite, Germains, ch. vi. 

(2) Idem, ibid. ,ch. xxx. 

(3) Idem, /6i'c/., ch. xxxii. 

(4) IdeM; ibid., ch. xxxxiii. 



l32 DOCL'MKNTS HISTORIQUES 

mobilier funéraire, on retrouve les boucliers ronds elles 
épées courtes nommées scramasaxes. 

Croisades. — En fait de recherches historiques, nous 
devons arrêter là nos études. Les auteurs se sont, à partir de 
cette époque, multipliés ; les faits ont été enregistrés d une 
manière plus complète, et les populations mieux décrites. 11 
devient donc beaucoup plus facile et bien moins dangereux 
d'utiliser les citations, parce qu'elles sont plus claires et plus 
précises. 

Nous ne pouvons pourtant résister à l'envie de faire un rap- 
prochement qui montre que les Francks, joints aux Gaulois, 
ont conservé encore longtemps leur caractère aventureux et 
conquérant. Il s'agit des croisades qui ont eu lieu de 1096 
à 1268, c'est-à-dire plus de 5oo ans après l'occupation com- 
plète de la Gaule. Ce fut un moine d'Amiens, Pierre l'Er- 
mite, qui prêcha la première croisade. En l'écoutant, dit Vol- 
taire, « on avait pleuré en Italie, on s'arma en France. » Les 
descendants des Galates et des Francks se jetèrent plusieurs 
fois en masse sur l'Orient, renouvelant les anciennes irrup- 
tions. Leur influence fut telle, que dans tout l'Orient et même 
sur les côtes barbaresqucs, le nom des Francks devint un nom 
générique qu'on appliqua à tous les Européens. 



CHAPITRE Xlll 



CONCLUSIONS 



Palethnologie, objections et progrès. — A la suite de la 
guerre de 1870-71, pendant la Commune, Adrien de Longpé- 
rier, qui était venu chercher asile à Saint-Germain, plaisantait 
avec beaucoup d'esprit le Roman préhistorique. Il déployait 
môme tellement d'esprit et d'entrain, qu'il parvint à gagner à 
sa cause le conservateur du Musée préhistorique, Alexandre 
Bertrand, et le bibliothécaire, Mazard. 

Peu d'années après, Thiers, auquel, pendant son séjour au 



CONCLUSIONS l33 

Pavillon Henri IV, je faisais les honneurs du Musée, me disait 
dans la salle paléolithique : 

— C'est fort intéressant tout ce que vous me contez là, mais 
dépêchez-vous de le publier pendant que c'est de mode. Dans 
dix ans, il n'en sera plus question. 

Il y a une vingtaine d'années de cela, et le préhistorique, au 
lieu d'être passé de mode, se trouve solidement assis sur des 
observations et des recherches sérieuses. Il est devenu, sous le 
nom de Palet hnologie^une importante branche des sciences, qui 
pénètre tous les jours de plus en plus dans l'enseignement. 

Quant au prétendu Roman préhistorique^ les inventeurs et 
propagateurs de cette mauvaise plaisanterie, obligés de battre 
en retraite, se retranchent derrière des faux-fuyants. 

— Vous faites du roman, disent-ils aux palethnologues, 
parce qu'au lieu de partir des données historiques, vous vou- 
lez reconstituer le passé rien (|u'avec vos silex taillés et vos 
os brisés, sans tenir compte des auteurs anciens. 

On peut répondre : 

— Vos auteurs remontent à 3.ooo ans, mettons 7.000, si 
Vous voulez, en tenant compte des hiéroglyphes de l'Egypte. 
Eh bien, que représente ce laps de temps comparé à la durée 
préhistorique de l'époque actuelle et à celle de la période 
géologique du quaternaire ancien? 

Les textes anciens, hiéroglyphes compris, ne nous four- 
nissent aucun renseignement sur ce qui s'est passé alors. Si 
nous voulons faire la lumière sur cet inconnu, il nous faut 
forcément avoir recours aux données palethnologiques. Elles 
seules peuvent nous éclairer sur ce point. 

— Très bien pour le sommet! Mais à la base, à la jonction 
de la palethnologie et de l'histoire, pourquoi ne pas se servir 
des documents historiques ? 

Pourquoi ? 

Pour trois raisons : 

La première, parce que les érudits, fouilleurs et interpréta- 
teurs de textes, avaient leur lit fait. Et vous savez combien il 
est difficile de déranger quelqu'un qui est bien couché, bien 
installé. 

La seconde, parce que les palethnologues, sous Tinfluence 
involontaire des idées généralement admises, idées qui ont 
d'autant plus de force et d'action sur notre esprit <\vi'elk.% 



l34 DOCLMKNTS HISTORIQUES 

nous ont été inculqu(^cs à tous pendant notre enfance, avaient 
à craindre de voir cette influence troubler leurs observations 
et fausser leurs appréciations. 

La troisième, parce qu'on ne pouvait arriver à la vérité qu'en 
se rendant d'abord bien compte de la portée de chaque argu- 
ment. Ce n'est qu'après les avoir étudiés tous séparément 
qu'on pouvait espérer connaître la valeur réelle de chacun 
d'eux et tirer de leur ensemble des déductions certaines. 

Nous sommes maintenant à même de faire le travail de- 
mandé ; c'est ce que j'ai entrepris pour ce qui concerne la 
Nation Française. 

Le roman historique. — J'ai commencé par les docu- 
ments historiques, par les auteurs, parce que c'est la source 
la mieux connue, la première et la plus explorée. Je me suis 
longuement étendu sur tous les renseignements fournis par 
les auteurs. Je les ai exposés le plus clairement possible, sans 
aucun parti pris, cherchant le sens le plus simple et le plus 
naturel de chaque citation. 

Voyons maintenant les conclusions que nous pouvons tirer 
de ce travail. 

Constatons tout d'abord qu'à part quelques courtes indi- 
cations fournies par les monuments égyptiens et atteignant 
de 1 .Goo à i .3oo ans avant notre ère, les premières citations de 
peuples de l'Europe occidentale ne remontent au maximum 
qu'au vni^ siècle avant notre ère et de là descendent au v®. C'est 
bien court. Le désir de connaître nos origines ne doit en être 
que plus vif. 

Quand nous disons que les premiers renseignements donnés 
par les auteurs sur les populations de l'Europe occidentale 
remontent à 2.800 ou 2.5oo ans, cela est rigoureusement exact 
chronologiquement. Mais que valent ces premiers renseigne- 
ments? Rien ou presque rien. Ce sont des indications vagues 
sur des régions inconnues des auteurs qui en parlent. Il faut 
en tenir compte. Nous les avons citées. Mais leur utilité n'est 
pas grande ; pour l'établir, il suffit de rappeler qu'Hérodote, 
nommé avec raison le Père de rilistoire, place la source du 
Danube à Pyrène (Pyrénées), dont il fait une ville au heu 
d'une chaîne de montagnes. Roman historique bien plus fort 
que le prétendu Roman préhistorique. Pline continue ce ro- 
man jusqu'au milieu du i*^'' siècle de notre ère. « L'Ister, dit-il, 



CONCLUSIONS 1 35 

né en Germanie, dans les sommités du mont Abnoba, en 
face de Raurica, ville gauloise (i). » Ville gauloise au delà 
du Rhin, en pleine Germanie, plus de loo ans après la con- 
quête des Gaules ! 

Autre inconvénient, les plus anciens auteurs sont en géné- 
ral des poètes. Or les poèmes sont des œuvres d'imagination 
où la vérité, si elle n'est pas remplacée par la fiction, est tout 
au moins forcée de se plier aux règles de la prosodie et de 
l'harmonie, ce qui fait que la forme l'emporte souvent sur le 
fond. Au Poème historique il faut joindre l'œuvre d'imagination 
en prose, le véritable roman. Nous en avons un exemple frap- 
pant dans le récit de Platon sur l'Atlantide. 

D'importantes causes d'erreur dans les textes sont d'une 
parties changements de nom, d'autre parties migrations. Les 
peuples dont parlent les auteurs anciens changent parfois de 
nom. C'est ce qui est arrivé aux Celtes. Cette dénomination 
était un nom d'ensemble adopté d'abord par les auteurs 
grecs, qui a été remplacé d'une manière générale par celui 
de Gaulois introduit par les Romains et accepté par les Grecs 
sous la forme de Galates. Enfin César a circonscrit les Celtes 
ians une partie de la Gaule, qu'Auguste une cinquantaine 
l'années plus tard a encore rognée en attribuant une portion 
le la Celtique à l'Aquitaine. 

Populations mobiles et flottantes. — Les peuples occi- 
lentaux dont parlent les auteurs anciens sont presque tous 
rès envahisseurs et très émigrants. Ils se déplacent fréquem- 
lent avec la plus grande facilité, de sorte que, suivant les 
împs et les circonstances, divers auteurs peuvent les placer 
ans des régions bien différentes et surtout leur attribuer une 
ictension plus ou moins grande ainsi que des relations fort 
iverses. Pour montrer la mobilité et la fluctuation de ces 
opulations, il suffira de citer deux exemples pris dans les 
opulations attribuées à la Gaule. Les Vénètes de la côte sud 
e la Bretagne, pays de Vannes, se retrouvent non seulement 
1 Angleterre, mais ils sont solidement établis en Italie au 
ord de l'Adriatique et figurent bien plus loin encore, dans 
! bassin du Danube, en Thrace ou Bulgarie, et dans le 
assin de la Vistule jusque vers les bords de la Baltique. 

^0 Pline, Histoire naturelle^ IV, xxiv. 



l36 DOCUMENTS HISTORIQUES 

Les Boïens, signalés en France, d'une part entre la Loire et 
l'Allier, de l'autre au sud-est dans le Bordelais, figurent 
comme occupant en Italie la rive droite du Pô, en Alle- 
magne la Bavière, en Autriche la Bohême, et, des bords du 
Danube descendant jusqu'en Asie Mineure, ils se retrouvent 
sur les bords de la mer Noire, dans une partie de la Ga- 
la tie. 

Les historiens et les géographes, à plus forte raison les 
poètes, signalent les populations les plus en vue, celles qui 
se font le plus remarquer, sans tenir compte des popula- 
tions foncières, calmes et paisibles, attachées au sol, qui 
passent successivement sous la domination d'envahisseurs 
divers. Cela nous explique une des plus curieuses conclusions 
à laquelle nous avons été fatalement conduit par le relevé 
de ce que les auteurs anciens ont écrit sur les Celtes et les 
Gaulois, ainsi que sur les Germains. Comme l'ont constaté 
Bertrand et Reinach (i), du ii° siècle avant notre ère jusqu'au 
milieu de notre iv'^ siècle, tous les auteurs, qu'ils aient écrit 
en grec, comme Polybe, Strabon, Diodore, Arrien, Plutarque, 
Pausanias et Appien, ou en latin, comme César, Virgile, Tite- 
Live, Florus, Silius et Ammien Marcellin, tous sont d'accord 
pour attribuer aux Celtes ou Gaulois et aux Germains des 
caractères identiques. Ils ne sont môme d'accord que sur ce 
point. Tout ce qu'ils ont écrit sur les mœurs et le type des 
Germains peut s'appliquer aux Oltes ou Gaulois, comme tout 
ce qu'ils disent des Celtes ou Gaulois convient parfaitement 
aux (iermains. Les Celtes ou Gaulois, ainsi que les Germains, 
ont le môme type. Ce sont de grands blonds, aux yeux bleus, 
à la peau blanche, très belliqueux, se déplaçant facilement, 
entreprenant de grandes invasions et de vastes migrations; 
semblables môme dans leurs usages les plus excentriques, 
les plus particuliers ; combattant volontiers nus, ne construi- 
sant pas de temples, pas môme de villes, pratiquant le culte 
des ancêtres dans les forôts, accusés de sacrifices humains, 
considérant la chevelure comme l'insigne des hommes libres 
et des guerriers, fabriquant un savon spécial pour donner 
une couleur plus ardente à cette chevelure. En deux mots, 



(i A. Bertrand cl S. Reinach, Les Celtes dans les vallées du Pô et du 
Païuihc i8;)4. p. 3G. 



CONCLUSIONS 187 

il y a, d'après les auteurs, similitude complète et par consé- 
quent unité de race. 

Mais ces grands blonds étaient la partie active, remuante, 
guerrière, dominant dans toute la Celtique, la Gaule, la Ger- 
manie. C'était elle qui se présentait à Tennemi, qui allait le 
chercher, qui combattait partout et qui imposait ses divers 
noms et sa domination par la force Les mêmes noms — qui 
sont plutôt des noms de grandes et nombreuses familles ou 
clans que de véritables peuples — semés sur tous les points 
derEurope, comme ceux de Vénètes, de Boïens, etc., montrent 
qu'il s'agit de mêmes populations. Ces clans se mettaient 
seuls en évidence, seuls ils occasionnaient des événements, 
aussi les auteurs ne parlent que d'eux. 

Populations foncières. — Mais, à côté de ces clans guerriers 
et remuants, il y avait des populations douces, tranquilles, 
attachées au sol et le cultivant, subissant patiemment la do- 
nination de tous ceux qui s'imposaient. Ces utiles et produc- 
ives populations, ne faisant pas de bruit, sont restées ina- 
perçues, les auteurs n'en ont pas ou presque pas parlé. Pour- 
ant ils en ont dit assez pour que nous puissions constater, 
ar leurs propres témoignages, que ces populations séden- 
siires existaient. 

Ainsi Tacite (1), en parlant des Cattes, peuple important de 
intérieur de la Germanie, à peu de distance du Rhin, écrit : 
Ce peuple n'a ni maisons, ni champs, ni soin de quoi que ce 
3it; où ils vont, ils se font nourrir. » D'après ce passage, il 
st évident que, dans les divek*s pays occupés par les Cattes, il 
evait y avoir une population qui les logeait et les nourris- 
ûi. 

Autre considération de même nature : Tacite et les autres 
iiteurs parlent du blé produit par la Germanie ; or les peuples 
uerriers, toujours prêts à se mobiliser et à partir pour une 
çpédition, ne pouvaient travailler la terre, ensemencer les 
[lamps et faire la récolte. Il faut donc forcément admettre 
es sédentaires, qui se livraient à l'agriculture. Le besoin et 
habitude de mobilisation était général en Germanie. En effet, 
ous lisons dans Tacite (2) : les Chauques des Frisons, le plus 

(1) Tacite, Germains, ch. xxxi, traduction Dureau de la Malle. 

(2) Idem, ibid., ch. xxxv. 



l38 DOCUMENTS HISTORIQUES 

noble des peuples Germains, tranquille et solitaire, s'arment 
rapidement au besoin. 

Polybe nous apprend que les Celtes ou Gaulois de l'Italie du 
Nord recherchaient beaucoup la clientèle, c'est-à^ire la sou- 
mission d'hommes qui s'attachaient à eux pour les servir et 
les suivre dans leurs expéditions. Il y avait donc à côté d'eux 
une autre population. La clientèle était recherchée par tous 
les grands blonds de Gaule et de Germanie. 

Un passage des Commentaires de César (i) vient éclairer 
ces déductions et montrer leur réalité. « Il n'y a en Gaule, dit 
le général romain, que deux classes qui comptent et qui aient 
de l'influence ; le menu peuple est presque en état de servi- 
• tude, il n'est rien par lui-même et n'est jamais consulté. Ces 
deux classes sont celle des druides et celle des chevaliers. » 
C'est de cette classe des chevaliers ou des guerriers qu'ont 
parlé tous les auteurs qui ont écrit sur les Gaulois et les Ger- 
mains. Le menu peuple^ comme dit César, était si méprisé par 
César lui-môme, qu'il ne songe à en dire un mot que dans le 
sixième livre de sa Guerre des Gaules^ qui n'a que huit livres 
cl dont le dernier, paraîl-il, n'est pas de lui. Les populations 
foncières, demeurant toujours dans le pays sans être chassées 
par d'autres, ont déjà été indiquées, sept ans avant notre ère, 
par Denys d'Halicarnasse (2). Les mêmes habitants, dit-il, 
demeurent toujours dans le pays sans être jamais chassés 
par d'autres ; ils ne font que changer de noms et de maîtres. 
Les auteurs grecs et romains, sous le nom de Celtes ou 
Gaulois et de Germains, ne nous ont donc parlé que d'une 
seule et môme aristocratie militaire qui a asservi le nord de 
l'Italie, toute la Gaule, pénétré en Espagne et même en 
Afrique, occupé toute la Germanie et, depuis la Pannonie, 
entrepris de nombreuses excursions dans la Grèce et 
l'Asie Mineure. Ce sont eux qui se sont toujours mis en 
évidence et dont on a toujours parlé, oubliant et laissant 
dans l'ombre les populations laborieuses et paisibles fort 
diverses qui, attachées au sol, constituaient les véritables 
habitants de chaque pays. Impossible d'avoir des renseigne- 
ments sur ces populations par les documents historiques. 



(1) CÉSAR, Guerre des Gaulea^Mx. VI, ch. xiii. 

(2) Denys d'Halicarnasse, Antiquités romaines. 



CONCLUSIONS 189 

Mais nous arriverons à les connaître et h les décrire grâce aux 
données palethnologiques et anthropologiques. 

Erreurs de copistes et faux renseignements.— A ce manque 
complet de renseignements se joignent deux causes d'erreur 
propres aux documents écrits. Ce sont les fautes de copistes 
et les fausses indications. 

Les textes modernes môme les plus répandus et les plus 
connus s'altèrent avec la plus grande facilité. Victor Cousin, 
dans un Rapport lu en i8/|2 à T Académie Française, montre 
que le texte des Pensées de Pascal , jusqiuvlà « en possession 
d'une admiration religieuse », demandait à être revisé. « En 
effet, disait-il, toutes les infidélités qu'il est possible de con- 
cevoir s'y rencontrent : omissions, suppositions, altérations. » 
Pascal se rattache aux luttes passionnées de la philosophie et 
(le la religion. On peut comprendre les altérations. Mais A. de 
Candolle, dans un des volumes de la Bibliolhèque inlernatio- 
mie (1) en a cité un exemple bien plus étonnant : « 11 ne faut 
pourtant pas accepter sans examen les assertions des au- 
teurs. Nous verrons, à l'occasion du mais, que des pièces his- 
toriques entièrement forgées peuvent tromper sur l'origine 
J'une espèce. C'est singulier, car pour un fait de culture il 
•Semble que personne n'a intérêt à mentir. » 

Les textes anciens, antérieurs à l'imprimerie, peuvent à 
plus forte raison être altérés. Comme exemple, nous nous con- 
tenterons de rappeler ce que nous avons constaté (p. 110) 
On parlant de la division en cinq races des peuples de la Ger- 
manie, par Pline. Il est évident que les copistes, à propos de 
la troisième race, ont fait une répétition du nom des Cimbres 
au détriment d'autres populations. 

Concernant les faux renseignements, Ammien Marcellin 
nous en fournit un exemple des plus frappants au sujet des 
Burgundes, dont il fait des colons romains dans une région 
où les Romains n'avaient pas pénétré à cette époque. 

Ces défauts des textes sont bien connus. Us sont môme pro- 
clamés par un des érudits qui ont le plus repnxrhé aux palethno- 
logues de ne pas se servir suffisamment des textes, leur oppo- 
sant le prétendu roman préhistorique. « C'est, s'écrie-l-il (2), 



(1) A. DE Candolle, Origine dem plantes ruliivéea, iS83, p. i3. 

(2) Al. Bertrand, CcZ/es, Gaulois cl Francs, 1873, p. 4. 



l4o DOCUMENTS HISTORIQUES 

ce départ des renseignements certains et des renseignements 
vagues, c'est cette délimitation des textes qui doivent faire 
véritablement autorité et de ceux qui ne doivent servir que 
d'appoint, que nous voulons faire. » 

L'intention est excellente, mais comment reconnaître les 
textes faisant véritablement autorité de ceux qui ne doivent 
que servir d'appoint ? Qui nous garantira que le partage des 
renseignements certains et des renseignements incomplets ou 
faux sera bien fait? Il est évident que l'auteur aura toujours 
une tendance à ranger parmi les renseignements vagues ceux 
qui sont gênants pour ses théories et trouvera excellents ceux 
qui les confirment. Alexandre Bertrand lui-même, doublé de 
Salomon Reinach, nous en fournit un exemple curieux. 
Après avoir dit : « Il semble donc que pour Hérodote, comme 
pour Aristote, le Danube aurait pris sa source dans les Pyré- 
nées (i) », il prétend, vingt-huit pages plus loin, qu' «au milieu 
du V® siècle, Hérodote nous montre les Celtes de la vallée du 
haut Danube, dont les sources sont en pays celtique », voulant 
prouver par là que les Celtes habitaient le versant allemand 
des Alpes. 

Telle est la valeur du triage des textes. Est-ce une base 
suffisamment sérieuse pour la science ? 

Directions des mouvements de population. — Pourtant 
l'examen attentif des textes que nous venons de faire permet 
de rectifier une hypothèse généralement admise concernant 
les migrations des peuples. Jusqu'à présent, on a fait cheminer 
toutes les migrations d'Orient en Occident. La grande fabrique 
humaine serait ou du moins aurait été pendant toute l'anti- 
quité en Asie. Eh bien, les documents historiques établissent 
que c'est une assertion erronée. Mais, avant d'aborder le fond 
de la question, commençons par bien nous rendre compte des 
divers modes et variétés de migrations. 

Les mouvements de population peuvent se diviser en cinq 
groupes principaux : 

Les Factoreries, établissements commerciaux disséminés au 
loin par un peuple se livrant activement au commerce. Tels 
sont les établissements semés dans le bassin de la Méditer- 



(i) A. Behtrand el S. 1U:ina(:ii , Les Celtes dans les vallées du Pô et 
du Danube^ 18941 pp. 8 el 35. 



CONCLUSIONS 1^1 

ranée, sur les côtes des îles, de l'Afrique, de TKspagne et 
môme au defà du détroit de Gibraltar, par les Phéniciens. Ces 
factoreries ne nécessitent et n'entraînent qu'un faible déplace- 
ment d'hommes, un simple état-major. 

Les Colonies, déplacement d'un groupe plus important, avec 
femmes et enfants,allant s'établir dans un pays plus ou moins 
éloigné et restant en relation avec la mère-patrie. C'est ainsi 
que les Phocéens ont établi la colonie de Marseille. Entre les 
factoreries et les colonies, il y a de grandes relations et de fré- 
quents passages, (^arthage, d'abord factorerie phénicienne, est 
vite devenue puissante colonie et môme grand état indépen- 
dant. Marseille, dès l'origine colonie grecque, a installé de 
nombreuses factoreries autour d'elle sur la côte ligure et la 
côte gauloise, alors appelée ibère. 

Le Mercenairisme , très répandu dans l'antiquité. Bandes 

plus ou moins nombreuses de militaires qui allaient servir à 

''étranger, moyennant salaire. Nous avons eu à en citer divers 

exemples. Sicules et Sardes en Egypte, Ibères et Celtes ou 

Gaulois dans l'armée d'Annibal, Gaulois ou (ialales en Sicile 

et surtout en Orient, (iermains divers au service de Rome. 

Les Envahissements, bandes d'hommes armés faisant irrup- 
tion dans des pays étrangers pour s'y livrer à la déprédation 
^t au pillage. Les Galates et les Cimbres ont donné de nom- 
breux et brillants exemples de ce genre d'exploits. 

Enfin les Migrations proprement dites, mouvement d'une 
population entière, avec biens, femmes et enfants, cherchant 
Un nouveau lieu d'habitation. Le peuple migrateur a pu être 
complètement détruit , comme les Teutons venus en Pro- 
vence; ou bien, après avoir exécuté un long trajet au milieu 
des dévastations et du pillage, il est allé au loin, comme les 
Vandales, établir un puissant État. 

Mais, entre ces trois dernières catégories, comme entre les 
deux premières, il y a de très fréquents passages. Parfois ce 
sont les envahisseurs qui sont devenus mercenaires, comme 
les Sardes et les Sicules en Egypte, et les Gaulois qui, après 
avoir pris Rome, ont vendu leurs services en Sicile. Parfois 
aussi ce sont les mercenaires (fui se sont transformés en pil- 
lards et envahisseurs, ainsi que cela a eu Heu en Asie Mineure, 
où des Galates mercenaires renvoyés pillèrent les villes de la 
Troade. Il y a aussi passage et tranformation entre les enva- 



l42 DOCUMENTS HISTORIQUES 

hissements et les migrations. C'est ainsi que les débris de 
Tarmée envahissante de Brennus défaite en Grèce, allèrent 
fonder, sous le nom de Galatie, un état indépendant sur les 
bords de la mer Noire. 

Cette fondation vient à Tappui des déductions tirées au 
commencement de ce chapitre. Les Galates qui établirent la 
Galatie n'étaient, disent les anciens historiens, qu'au nombre 
de vingt mille. Vingt mille hommes bien déterminés, c'était 
assez pour s'emparer du pouvoir, mais plus qu'insuffisant pour 
former la population d'un État indépendant. Ces vingt mille 
envahisseurs trouvèrent donc en Galatie une population ter- 
rienne qu'ils soumirent et dominèrent. Pourtant les auteurs 
n'en disent rien. C'est exactement ce qui s'est passé partout 
ailleurs. Nouvelle preuve que les grands blonds aux yeux 
bleus, qui parcouraient l'Europe et faisaient grand bruit, 
n'étaient qu'une simple aristocratie militaire, sous laquelle 
existait une utile, malheureuse et patiente démocratie qui a 
été complètement oubliée par les divers écrivains de l'anti- 
quité. 

Sens des migrations. — Revenons aux mouvements de 
population. Tout en tenant compte du caractère particulier 
de chacun d'eux, on peut les grouper tous sous le nom com- 
mun de migration, qui a le sens le plus large. 

En traçant sur une carte tous ces mouvements, on recon- 
naît qu'ils ne se sont pas opérés dans une seule direction. Il 
y en a dans tous les sens et, pour l'Europe, la direction 
moyenne de l'ouest à l'est est plus importante que celle de 
l'est à l'ouest. 

Deux mobiles principaux stimulent les migrations. 

Les peuples civilisés font des migrations dans le but de 
s'enrichir par le commerce. L'Orient ayant été civilisé avant 
l'Occident, naturellement les premières migrations commer- 
ciales ont dû se produire dans le sens de l'est à l'ouest. C'est 
ce qui a eu lieu en elTet. Les Phéniciens ont semé leurs fac- 
toreries dans les îles de la Méditerranée et sur le pourtour de 
cette mer. Les Grecs sont allés vers l'Occident coloniser la 
Sicile, le sud de l'Italie, la Corse et Marseille. 

Le second mobile concerne les peuples non civilisés qui vont 
rechercher les richesses au moyen de la force, du pillage et 
do la prise de possession. C'est là le mobile qui a occasionné 



CONCLUSIONS 1 43 

les migrations les plus nombreuses et les plus importantes, 
Les plus anciennes connues sont celles des habitants des côtes 
de l'Algérie actuelle, de la Sicile et de la Sardaigne marchant 
sur l'Egypte, c'est-à-dire allant de Fouest à l'est, mouve- 
ment tout à fait inverse du premier. 

Les populations de l'Espagne et des grandes îles de la Mé- 
diterranée se sont aussi ruées sur l'Asie Mineure, allant éga- 
lement de l'ouest à l'est. 

Puis les Celtes et Gaulois, sous le nom de Galates, se sont 
)ortés sur l'Italie, sur la Pannonie, partie de TAutriche 
ît Hongrie actuelles, sont descendus fréquemment sur la 
irèce et sur l'Asie Mineure. La direction de tous ces mou- 
vements est encore en moyenne très sensiblement de l'ouest à 
'est. . 

Restent les mouvements migratoires parlant de la Germa- 
iie, c'est-à-dire du nord ; ils descendent vers le sud, mais in- 
clinent partie vers l'est, partie vers l'ouest. Ce n'est que dans 
e grand mouvement de ^07 que tout s'est jeté sur le sud-ouest, 
^ela tient à ce que ce mouvement a été déterminé par une 
îause spéciale : la poussée d'une grande invasion arrivant 
l'Orient, celle des Huns, qui ne laissait aux populations refou- 
ées comme dégagement que la direction du sud-ouest. Cette 
nigration des Huns est la seule vraie migration, parmi toutes 
îelles que nous avons constatées d'après les auteurs, qui se 
ioit produite de l'orient à l'occident. 

Résumé des conclusions. — Comme résumé de nos con- 
îlusions, nous devons admettre que : 

1° Les données fournies par les auteurs anciens sont insuf- 
îsantes pour résoudre la question de l'origine et de la nature 
ie nos populations. 

2® En fait de Celtes, de Gaulois et de Germains, ces auteurs 
l'ont parlé que d'une seule et môme race, aristocratie mili- 
aire et pillarde, fort remuante et fort changeante au point de 
rue du séjour. 

3<* Les pays parcourus, dominés et momentanément occupés 
)ar cette race, étaient pourvus de populations sédentaires et 
'oncières de races très diverses. 

4° La race gallo-germaine s'est répandue sur presque toute 
'Europe et a même débordé au delà, en Asie et en Afrique. 

5° Chaque bande transportait son nom particulier dans les 



l44 DOCUMENTS HISTORIQUES 

divers pays qu'elle occupait. Ces disséminations d 
nom n'ont donc que fort peu d'intérôt sous le rappo: 
logique. 

6° Enfin les diverses migrations signalées par 1( 
ments historiques se sont opérées dans les directions 
variées. 



DEUXIÈME PARTIE 

DÉDUCTIONS LINGUISTIQUES 



CHAPITRE PREMIER 

LA LINGUISTIQUE OU SCIENCE DES LANGUES 

Ulologie et Linguistique. — La théorie des migrations 
)opulations de TOrient à l'Occident a surtout été émise et 
enue par les linguistes. 

i linguistique, comme science naturelle, est une science 
à fait nouvelle. Elle ne date que de la fin du xvni® siècle. 
. dans la première moitié du xix^ siècle qu'elle s'est sur- 
développée. Avant, il n'y avait que la philologie, qui est 
oire littéraire du langage. 

►us n'avons pas à nous occuper de la philologie, mais la 
is tique se rattache intimement à notre sujet. Un de mes 
^ues de l'Association pour l'enseignement des sciences 
:opologiques, le professeur Abel Hovelacque, a publié 
la Bibliothèque des sciences contemporaines^ un excel- 
traité: la Linguistique (i), auquel nous allons faire de 
)reux emprunts. 

rsqu'on examine les langues avec l'esprit scientifique 
îrne, on reconnaît qu'elles se sont développées suivant 
règles déterminées, qu'elles forment des individualités 

Abel Hovelacque, La Linguistique, 4' éd., revue et augmen' 

887. 

G. DE MORTILLET. \0 



l', DÉDUCTIONS LINGUISTIQUES 

nettement définies, qu'elles se groupent par familles nat ai- 
relles et qu'elles se relient les unes aux autres par des carai<?- 
tères bien déterminés, qui permettent de reconnaître leurs 
relations mutuelles et d'établir leur arbre généalogique. On 
peut classer les langues, tout comme on classe les minéraux, 
les plantes ou les animaux. Ainsi qu'on divise les animaux 
suivant leur degré de développement, par exemple, en verté- 
brés et invertébrés, on peut diviser les langues, d'après leur 
état plus ou moins complexe, en trois grandes classes : 

Les langues monosyllabiques ou isolantes ; 

Les langues agglutinantes ; 

Et les langues à flexion. 

Le type le plus simple, et par conséquent le plus primitif, 
est le monosyllabisme. La racine et le mot ne sont qu'un. La 
phrase n'est qu'une série de racines monosyllabiques isolées, 
se succédant les unes aux autres. Ainsi, si l'on représente la 
racine par R, la phrase sera R + R + R + R... 

L'agglutination donne une phrase moyenne. Les racines 
conservant leur pleine et entière signification s'agglutinent 
comme préfixes ou suffixes d'autres racines qui, perdant leur 
sens propre ou absolu, ne servent plus qu'à exprimer des rela- 
tions actives ou passives. En représentant toujours par R la 
racine principale et par r les racines accessoires, les mots 
seront figurés, s'il s'agit de préfixes, par rR, s'il s'agit de 
suffixes, par Rr, et s'il y a tout à la fois préfixes et suffixes par 
rRr, de sorte que la phrase peut se composer de rR + Rr +rRr 
et même rRrr, etc. 

Enfin la flexion, état le plus supérieur, est la possibilité 
pour une racine principale ou une racine suffixe d'exprimer 
en modifiant sa propre forme une certaine modification de 
sens. Ainsi, si nous exprimons par v comme exposant la varia- 
tion de forme, nous pouvons avoir pour représenter les mots 
R^, rR" rWyr, Y^rv, "RPr^, rRPr^, Rrr^. 

Il va sans dire que les langues agglutinantes et les langues 
à flexion conservent au besoin des racines isolées, comme 
les langues à flexion peuvent avoir des mots simplement 
agglutinés. 

En trois mots on peut définir les trois classes par : 

Isolement, le monosyllabisme se composant de racines indé- 
pendantes ; 



LA LINGUISTIQUE OU SCIENCE DES 




l48 DÉDUCTIONS LINGUISTIQUES 

Groupement^ l'agglutination étant la réunion intime, l'ac- 
couplement de racines ; 

Modification^ cardans la flexion la racine modifie son sens 
en modifiant sa forme. 

Distribution des Langues. — Toutes les langues ont dû 
passer par le monosyllabisme, c'est-à-dire être primitivement 
composées de racines isolées, se succédant entièrement indé- 
pendantes pour former les phrases. Quelques langues de 
l'Asie orientale sont restées monosyllabiques. C'est tout 
d'abord le Chinois, autour duquel se groupent l'Annamite, le 
Siamois, le Birman et le Tibétain. Ces langues sont peu nom- 
breuses, mais elles sont employées par des populations fort 
considérables (fig. 20). 

Les langues agglutinantes, où à une racine principale qui 
conserve sa valeur peuvent s'agglutiner comme préfixe ou 
suffixe une ou plusieurs autres racines dont le rôle consiste 
simplement à nuancer le sens de la racine principale, senties 
plus nombreuses et les plus répandues. Elles occupent la 
plus grande partie de l'Afrique, depuis le Sahara et la Nubie 
jusqu'au Cap de Bonne-Espérance. En Asie, elles couvrent 
encore un espace assez considérable. Le Dravidien de l'Inde 
leur appartient. Elles sont parlées par les Négritos dissémi- 
nés sur divers points. Le Japonais et le Coréen leur appar- 
tiennent. Enfin elles se développent largement dans les régions 
buralo-altaïqucs ; de là elles passent en Amérique qu'elles 
occupent en entier ainsi que les diverses îles de l'Océan. On 
en retrouve des traces en Europe : le Turc, le Finnois et 
même le Basque dans les Pyrénées. 

Les langues à flexion, dont les racines ne sont plus comme 
dans les deux classes précédentes rigides, mais fléchissent et 
se plient à diverses modifications, forment trois familles qui 
sont groupées autour de la Méditerranée en se prolongeant 
du côté de l'Asie jusque dans l'Inde. Ce sont : la famille des 
langues khami tiques qui, embrassant l'Égyptien, l'Éthiopien et 
le Libyen, occupe tout le nord de l'Afrique ; la famille des 
langues sémitiques, du sud-ouest de l'Asie, dont la langue la 
plus importante est l'Arabe et dont font partie l'Assyrien, le 
Syriaque, le Phénicien et l'Hébreu ; enfin la grande famille 
des langues indo-européennes, dont nous nous occuperons 
d'une manière toute spéciale un peu plus loin. Cette der- 



LA LINGUISTIQUE OU SCIENXE DES LANGUES i49 

nière classe est celle des langues les plus perfectionnées. 

Dans chacune de ces classes, les langues qui en font partie 

se divisent naturellement en familles, en branches ou genres, 

en idiomes ou espèces, et en dialectes qui ne sont que de 

simples variétés. 

Les langues ont non seulement subi diverses évolutions et 
transformations, mais on peut dire qu'elles sont le produit de 
ces évolutions. Comme les transformations et les évolutions 
se sont opérées d'après des lois régulières que Tétude raison- 
née de la linguistique met tous les jours de plus en plus en 
lumière, on peut arriver à reconnaître les relations des langues 
entre elles, leur véritable filiation. Deux langues étant don- 
. nées, il est possible d'établir leur degré de parenté. On sait si 
l'une descend de Tautre, si elles sont parentes plus ou moins 
éloignées ou même complètement étrangères Tune à l'autre. 
En effet, il y a des langues et des groupes de langues qui n'ont 
ftucun rapport entre eux. Ces groupes, qu'on appelle irréduc- 
tibles, prouvent que toutes les langues n'ont pas un seul et 
même point de départ. Le langage a donc pris naissance en 
plusieurs endroits. 

D'après ce court exposé des résultats auxquels on est 
arrivé par l'étude des langues, on comprend très bien qu'on a 
été porté à se servir des données de la linguistique pour 
agrandir notre histoire et tracer les migrations des peuples 
dans une antiquité dépassant tous nos documents histo- 
riques. 

On a reconnu que l'ensemble des langues européennes for- 
mait un seul et môme groupe appartenant à la classe la plus 
élevée, c'est-à-dire à la classe des langues à flexion. 

Théorie Aryenne. — Poursuivant ces études, on recon- 
nut aussi que ces langues correspondaient et avaient les plus 
grands rapports avec diverses langues d'Asie, s'élendant jusque 
dans l'Inde et formant également un seul et môme groupe 
tout à fait analogue au groupe européen. On fondit naturel- 
lement ensemble les deux groupes et l'on en fît la famille des 
langues indo-européennes (fîg. 21). Le nom n'est peut-ôtre 
pas aussi précis qu'il serait à désirer, car dans l'Inde il y a 
diverses langues importantes qui ne font pas partie de celte 
famille. Pourtant c'est la moins mauvaise dénomination parmi 
toutes celles qui ont été érnisçs. C*est donc celle que nous 



l5o DÉDUCTIONS LINGUISTIQUES 

acceptons. Les germanisants ont proposé le nom de languies 
indo-germaniques, les celtomanes celui de langues indo-cei- 
tiques. C'était dans les deux cas rendre pour l'Europe le nom 
aussi incomplet qu'il Tétait pour l'Inde. On a, avec raison, 
abandonné ces deux termes. 

« Un nom plus court et qui a paru un moment devoir faire 
son chemin, dit Abel lïovelacque (i), a été proposé, celui de 
langues aryennes. On est parti de ce prétendu fait que les 
anciens Hindous et les anciens Éraniens se donnaient à eux- 
mêmes le nom d'Aryas ; mais il est hors de doute que rien 
n'est moins prouvé, nous dirons même que rien n'est moins 
vraisemblable. » 

N'importe, la théorie aryenne a fait grand bruit. Son prin- 
cipal propagateur et défenseur a été Adolphe Pictet, de 
Genève (2). Il place les Aryas sur le « vaste plateau de l'Iran, 
cet immense quadrilatère qui s'étend de l'Indus au Tigre et à 
l'Euphrate, de l'Oxus et du laxarte au golfe Persique. » 
Précisant davantage, ses disciples et lui placèrent le centre 
du mouvement aryen entre le 33** et le 38° de latitude, dans 
la Bactriane, limitée au sud par l'Hindoukouch, au nord par 
la Boukharie, à l'est par le Belourtagh et à l'ouest par les ter- 
ritoires de Merw et de Hérat. Cette province dépendit succes- 
sivement des Assyriens, des Mèdes, des Perses, d'Alexandre, 
des Séleucides et des Parthes. 

Pline (3) nous apprend que « sur les frontières de l'Inde est 
le pays des Ariens. La Bactriane est voisine. La Perse touche 
à ces contrées. » 

Mais, s'il est vrai que ce fut Alexandre le Grand qui fonda, 
vers Fan 328 avant notre ère, sur les bords de l'Aryus, rivière 
du pays, la ville d'Arya, aujourd'hui Hérat, cela rajeunirait 
terriblement toute la légende aryenne. 

Voici cette légende. 

Le pays appelé Arye était naturellement occupé par les 
Aryens. C'était une population blonde ou du moins à teint 
très clair qui parlait la langue mère d'où sont découlées toutes 

(1) Abel IIovelacque, La Linguistique, 4*» cdit., 1887, p. 268. 

(2) Ad. Pictet, Les Origines indo-européennes ou les Aryas primilifst 
1859, vol. I, p. 35. 

(3) Pline, Histoire naturelle, traduction de Littré, 1848, liv.XII, 
cb. xviii, XIX, et XX, p. 480. 



LA LINGUISTIQUE OU SCIENCE DES LANGUES l5i 

les langues de la famille indo-européenne. De TArye, les 
Aryens ont émigré en rayonnant, dans l'Inde du côté de Test 
et en Europe du côté de Touest. 

Le fait capital et fondamental, bien reconnu, parfaiteiùent 
constaté, c'est qu'il y a une série de langues, ne formant 
qu'une seule et même famille, qui s'étend depuis l'intérieur 
de l'Inde jusqu'aux extrémités de l'Europe occidentale. 

Il s'agit de savoir comment s'est opérée la diffusion de ces 
langues. 

Évidemment il y a eu une langue mère de laquelle toutes 
les autres langues indo-européennes sont issues. Que cette 
langue mère soit maintenant complètement éteinte ou qu'elle 
existe encore profondément modifiée et plus ou moins trans- 
formée, peu importe. L'essentiel serait de reconnaître exacte- 
ment le point initial, le point où elle existait d'abord, le point 
de départ de toute la famille. 

Considérant que les langues qui dans leur ensemble se rap- 
prochent le plus du type commun doivent être celles qui se sont 
le moins éloignées des régions où ce type commun était parlé, 
et, admettant que le Sanskrit est la langue la mieux conservée, 
cette langue doit, d'après Pictet, être regardée comme la moins 
éloignée du centre primitif. Il en est de même des langues 
éraniennes. Les langues celtiques au contraire s'en seraient 
éloignées plus que toutes les autres. Les dialectes grecs au 
sud-est de l'Europe et les langues slaves et lettiques au nord- 
est, furent placés au second degré ; au troisième, les langues 
germaniques au nord et les italiques au sud. Partant de ces 
îonsidérations, Adolphe Pictet a tracé une ellipse assez 
illongée. Il a considéré le foyer de droite de cette ellipse, situé 
m point géographique où il place l'Arye, comme étant le point 
)ù aurait été parlée la langue commune, la langue initiale de 
a grande famille indo-européenne. Cette famille se divise en 
luit branches qui sont : l'Hindou ou le Sanskrit, l'Éranien, 
'Hellénique, l'Italique, le Celtique, le Germanique, le Slave 
et le Lettique. J'en donne le tableau complet avec les subdi- 
visions, d'après l'ouvrage d'Abel Hovelacque. 



l52 



DÉDUCTIONS LINGUISTIQUES 



FAMILLE SOUS-FAMILLES 



Indo-Éranien 



Indo-Euro- 
péen. 



Européen . 



BRANCHES 

ou GENRES 



RAMEAUX 

ou ESPÈCE! 



Ancien Hindou. 
Sanskrit ou H indou{ Néo-Hindou. 

Tsigane. 

Zend. 

Perse. 

Arménien. 

Éranien \ Huzvârèche. 

Parsi. 

Persan. 

Ossète, Kourde, Afg! 



Hellénique. 
Italique 

Celtique. 
Germanique . . 

Slave. 

Lithuanien. 
Lettique ] Lette. 

Vieux 'Prussien. 



( Italique ancien. 
( Novo-Latin. 



Gothique. 
Scandinave. 
Bas Allemand. 
Haut Allemand. 



Mais revenons à Tellipse de Pictet. A peu de distance 
foyer aryen, vers la droite, il place au bas le Sanskrit, [ 
haut la branche des langues éraniennes ; suivant ensuite 
droite à gauche les deux branches de Tellipse, il place 
milieu de la ligne : dans le haut, les langues lettiques et sla 
dans le bas, Thellénique. Ces deux groupes sont encore aj 
rapprochés du foyer de droite, mais moins que ne le sont 
langues hindoues et éraniennes. Poussant encore ven 
gauche, Pictet place les langues germaniques en haut et 
langues italiques en bas, dans la môme position, vis-à-vi^ 
foyer de gauche, qu'occupent les langues éraniennes et 
doues vis-à-vis du foyer de droite. Tout à fait à Textréi 
gauche de l'ellipse se trouve le celte, entre les langues i 
maniques et italiques. Il est le plus éloigné du foyer de drc 
prétendu point de départ. 

C'est fort ingénieux, mais est-ce exact ? 

Certains linguistes prétendent que le point de départ 
lieu de se trouver au foyer de l'ellipse, pourrait bien avoii 
placé en dehors, un peu plus à l'orient, ou mieux au m 
est, du côté de la Chine. Avec cette hypothèse, la distribu 
des langues affiliées resterait la même. Hindou et Érai 
resteraient les premiers ; viendraient ensuite parallèlemer 



UV LINGUISTIQUE OU SCIENCE DES LANGUES l53 

successivement, d'abord le Lette et le Slave ainsi que l'Hellé- 
nique, ensuite le Germain et l'Italique, enfin le Celtique ter- 
minerait l'évolution. 

Langues et migrations. — Mais cette évolution elle-même 
est maintenant contestée. Les documents se sont multi- 
pliés, les recherches se sont élargies, des données nouvelles 



',;.jps>.-' 




^ê^"^ . 






^m^l^^l^v^^*^ 1.'^ ^. 




^■c 




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..A..i i 



'', FiG. 31. — Carie àvs Iniigiica indo-ciiropéenncs, il'oprts A. HovEUCQIIE. 

se sont produites, et les premières conclusions, basées sur des 
études forcément incomplètes et insuffisantes, semblent devoir 
être modifiées sensiblement par les observations nouvelles. 
Pour le moment il y a une tendance très prononcée à rappro- 
cher beaucoup l'ancien Grec de la langue Indo-Èuropéenne 
primitive. 

Voilà où en est la question. 

Peu nous importe d'ailleurs, nous n'avons à nous occuper 
que des conclusions qu'on a voulu en tirer au point de vue 
de l'ethnologie pu distribution des populations. 



l54 DÉDUCTIONS LINGUISTIQUES 

Après avoir créé et mis au monde les Aryens pour les 
besoins de la linguistique, création qui, ainsi que nous venons 
de le voir, prête à la critique, on a songé à s'en servir au 
point de vue de Tethnologie. Les langues n'émigrent pas 
toutes seules, s'est-on dit. Il faut des intermédiaires pour les 
transporter d'un point à un autre. Or migrations de langues 
supposent migrations de populations, et sur ce on a fait voya- 
ger une prétendue race aryenne qui se serait répandue dans 
tous les pays où ont pénétré les langues de ce nom. 

Il n'est pas absolument besoin de migrations pour répandre 
une langue. Les conquêtes ont sous ce rapport une influence 
au moins aussi grande sinon plus. Ainsi les vingt mille Galales 
qui sont allés s'emparer d'une portion de l'Asie Mineure pour 
y fonder la Galatie étaient certainement, comme population, 
une minorité ; pourtant ils ont introduit et généralisé dans le 
pays la langue qu'ils parlaient. Nous avons vu que cette langue 
ne s'est éteinte que dans les premiers siècles de notre ère. 

Nous en avons eu un autre exemple très frappant en Occi- 
dent. Les Romains, en faisant la conquête des Gaules, n'y ont 
introduit, ainsi que nous l'avons établi précédemment, qu'un 
nombre fort restreint d'individus, et cependant ils ont très rapi- 
dement remplacé comme écriture les caractères grecs par les 
caractères latins. Ils ont surtout changé totalement la langue. 
Les langues celtiques ont en peu de temps cédé complète- 
ment le pas à la langue latine, qui, langue officielle, est bien 
vite devenue la langue générale et, après avoir passé par 
divers intermédiaires, a produit en se modifiant le langage 
actuel. 

Le mouvement commercial peut aussi transporter, répandre 
et vulgariser une langue. C'est ainsi que l'écriture et la langue 
grecques se sont momentanément implantées sur la côte de 
la Méditerranée et gagnaient du terrain quand le Latin est venu 
arrêter leur extension et les chasser même complètement de 
France. 

Mais un mouvement bien plus puissant encore est le mou- 
vement religieux. Tous les cultes, toutes les religions ont une 
tendance au prosélytisme. Cette tendance est d'autant plus 
énergique qu'en fait de religion, de deux choses l'une, ou l'on 
croit sincèrement, et alors on est persuadé être dans le vrai 
absolu, on éprouve le besoin de répandre la vérité, on devient 



LA LINGUISTIQUE OU SCIENCE DES LANGUES l55 

TDaîssionnaire actif, ardent, passionné, fanatique ; ou bien, ne 
croyant à rien, on exploite l'idée religieuse. On a en ce cas 
^o\it intérêt à faire triompher les idées sur lesquelles on spé- 
cule. Les étendre est tout avantage ; aussi tous les moyens sont- 
ils bons pour atteindre le but. Dans les deux cas, on cherche 
à dominer les populations, à les soumettre pour mieux leur 
inculquer les idées nouvelles ; les missionnaires sont naturel- 
lement portés à faire adopter leur propre langue. Nous 
voyons cette tendance se produire de toute part. Pourquoi les 
partisans français de la séparation de TÉglise et de TÉtat sont- 
ïls disposés, en partie du moins, à soutenir les missions 
d'Orient? C'est que ces missions répandent en Orient la langue 
6t par suite Tinfluence française. La môme chose se produit 
dans le protestantisme. Les Anglais, quand ils projettent une 
^nexion ou extension de territoire, ont bien soin d'envoyer 
tout d'abord des missionnaires. Ce sont eux qui, en répandant 
J^ langue anglaise, préparent Tinvasion. 

Langues et races. — Dans tous les cas, langue et race sont 

loin d'être synonymes et même analogues. Des races fort dis- 

Unctes peuvent parler la même langue, ou la même race parler 

des langues très différentes. Le sol de la France offre un 

exemple très remarquable de cette double assertion. La Bre- 

*^£igne française se partage en deux parties à peu près égales 

^otnme étendue. Toutes les deux contiennent une population 

semblable, composée de deux races bien distinctes. Tune 

Si'ande, blonde, à visage ovale, l'autre plus petite, brune, à 

^gure carrée, c'est-à-dire à pommettes très saillantes. Mais, 

^'il y a similitude dans les races, il y a discordance complète 

^ans le langage. Dans la portion extrême, la plus occidentale, 

^n ne parle que le Breton, langue de la branche celtique. Dans 

1^ moitié la plus orientale, on ne parle ({ue le Français, langue 

^^ rattachant à la branche italique. Cette distinction est si 

^ette et si caractéristique, que dans la conversation courante 

^n désigne les Bretons occidentaux sous le nom de Bretons 

^retonnants et les orientaux sous celui de Gallots. Chacune 

4es deux langues est donc parlée par deux races différentes, et 

chaque race prise isolément parle les deux langues. 

Mais, dira-t-on, il s'agit là de deux langues appartenant à 
Xine même famille, la famille indo-européenne, soit. La France 
tious fournit un autre exemple pris dans une langue d'une 



J 



l56 DÉDUCTIONS LINGUISTIQUES 

autre classe : le Basque, qui, au lieu d'être, comme les précé- 
dentes, une langue à flexion, est une langue agglutinante. Le 
Basque est parlé dans les Pyrénées, au sud-ouest de la France 
et au nord de TEspagne ; seulement, en France, les Basques 
sont brachycéphales, tandis qu'ils sont dolichocéphales en 
Espagne. Ils appartiennent donc à deux races différentes. 

Cette petite enclave d'une langue agglutinante au milieu 
d'une immense contrée, toute l'Europe centrale et méridionale, 
qui parle des langues à flexion, montre qu'avant l'arrivée des 
langues à flexion, nos régions étaient déjà occupées par des 
populations parlant des langues moins avancées en évolu- 
tion. C'est comme un témoin laissé pour établir le fait. Il 
importe de bien le constater, car ce témoin est condamné à 
disparaître, et cela assez rapidement. 



CHAPITRE II 



LANGUES DE FRANCE 



Basque. — Comme première origine, ainsi que nous 
l'avons déjà dit, toutes les langues doivent remonter au mo- 
nosyllabisme. Mais ce n'est pas à dire qu'elles aient toutes 
passé directement par cette forme. Il se peut très bien que, 
en fait de langues agglutinantes ou à flexion, il n'y ait que les 
types initiaux, irréductibles, qui aient passé par cet état. 

Toujours est-il qu'en France, nous ne rencontrons pas trace 
de langue monosyllabique ou de la classe primitive. 

Il n'en est pas de même pour la seconde classe. Un lambeau 
de ces langues est resté comme témoin de leur existence dans 
le sud-ouest de l'Europe. C'est le Basque. 

Le Basque ou Escuara, suivant l'abbé d'Iharce de Bidas- 
souet, est une langue si belle et si parfaite qu'elle a été choisie 
par le « Seigneur d'en haut », dit le naïf abbé, pour causer 
avec les Juifs. 

Pourtant le Basque n'a pas de mot spécial signifiant dieu. 



LANGUES DE FRANCE 



trimer celte idée en celle langue, on est forcé d'à 
I une périphrase. 



Ml AJ 







oup moins enlhousiaste que l'abbé d'Iharce, un Dic- 
; espagnol , au mot Basque désigne ainsi celle langue : 
i esl si confus et si obscur qu'on ne le peul en- 

■ité est entre ces deux extrêmes. Grâce à la nouvelle 



l58 DÉDUCTIONS LINGUISTIQUES 

direction prise par les études de linguistique, le Basque es^ 
maintenant sérieusement apprécié et commence à être bie^ -^ 
connu. « Cette langue, si remarquable, si intéressante, dt 
Hovelacque (i), n'est guère parlée aujourd'hui en Europe quczL 
par 45o,ooo individus, sans grande originalité sociale, sair:n 
existence politique distincte. Les trois quarts d'entre eux, emr- 
viron, appartiennent à la nationalité espagnole et i/|0,o ( — a 
approximativement à la nationalité française. Sur les rives c^ 
La Plata, on compte à peu près 200,000 Basques émigrés. 

La carte de la langue basque a été donnée par L.-L. Boi 
parte et par Paul Broca (fig. 22). Los localités limites ont 
énumérées par J. Vinson dans l'avant-propos de V Essai sur 
langue basque de Fr. Ribary. Le pays basque comprend < 
France une commune de l'arrondissement d'Oloron, l'arrc^ i 
dissement de Mauléon et celui de Bayonne presque entièMT-e 
ment ; en Espagne, à peu près toute la Biscaye, le Guipuzco a, 
la partie septentrionale de l'Alava et presque la moitié de h 
Navarre. 

Breton et Gaulois. — Les langues à flexion étant plus 
parfaites que les langues agglutinantes et, par suite, répon- 
dant mieux aux besoins de progrès et de civilisation, elles ont 
rapidement supplanté ces dernières et se sont installées dans 
toute l'Europe occidentale. Elles ont même subi en France 
diverses évolutions qui ont abouti à transformer le Latin en 
Français. Mais toutes appartenaient à la grande famille indo- 
européenne. 

La branche celtique aurait d'abord fourni les diverses 
langues parlées en France. De ces langues, il n'en reste plus 
qu'une, le Breton, en usage à l'extrémité de l'ancienne Armo- 
rique. Il est parlé dans tout le Finistère, dans la partie occiden- 
tale du département des Côtes-du-Nord, la majeure portion 
du Morbihan, ainsi que dans une petite enclave de la Loire-Infé- 
rieure, Le Croisic. Paul Sébillot en a soigneusement tracé les 
limites (fig. 28). Cette langue est employée par i,220,oooper- 
sonnes agglomérées et 47,000 habitant la zone mixte. Les plus 
anciens documents en breton remontent au plus au xiv« siècle. 

Telle est la théorie actuelle des linguistes. 

Est-elle exacte ? 

(1) Abel Hovelacque, La Linguistique, t^\èA., 1887, p. i56. 



le le crois pas. 

aDgue parlée en Gaule avant la conquête romaine nous 




'.onnue. Nous ne possédons que quelques courtes ins- 
ins que nous lisons très bien, puisqu'elles sont écrites 
•aclères grecs ou latins, mais que nous ne comprenons 



l60 DÉDUCTIONS LINGUISTIQUES 

pas. Comment, dès lors, classer sérieusement cette langue 
dans la famille indo-européenne et la rattacher au groupe 
celtique ? Ce groupe, qui renferme le Breton, le Gallois et 
rirlandais, ne nous a servi à rien pour déchiffrer les ins- 
criptions gauloises. Il ne doit donc pas y avoir grand 
rapport entre la vraie langue gauloise et les idiomes dits cel- 
tiques. 
Toujours est-il que les transformations du langage en France 



Limibe de UvlanMut d'oiL 
et de^ la- liui^te docdaprtlt 
M.'Cft.dt TourtotUofo. 



YESOUL BBLPORT 



POITIERS j»*i^ jy^i^^ MOULDIS J mmsrâcvsmsk 

C* U Dorai *>"»»«« £Stf»Sv^**^^*W^ • JCÛOQN 

/•Otampaatie. %nfT"»rr itt^otatnm-oeotueu^ 



•LYON 



, Chaùûs'itM^!' •S'BTIBNNB 

L ^.s^Auimfc PBRIGUETX *^ • r> r» 

\^ SCouima • f "Bi ^ 

' ôuboume -^^ ©• ^ 

BORDEAUX ^ XMâmerH 

FiG. 24. — Séparation de la langue d'Oc et de la langue d'Oll, 

d'après Ch. de Tourtouloî*. 

sont une preuve éclatante de l'indépendance des races et des 
langues. 

Nous avons vu une grande, belle et solide langue, le Grec, 
ne pas pouvoir s'acclimater en France, où elle a eu peine à 
prendre pied sur le littoral méditerranéen, tandis que le Latin 
n'a eu, pour ainsi dire, qu'à se montrer, pour chasser le peu 
de Grec introduit sur nos côtes méridionales et faire disparaître 
complètement le Gaulois, dont il n'est pour ainsi dire resté 
aucune trace. 

Latin et Français. — Cela tient à ce que les Romains ont su 
accaparer de suite les forces vives de la nation. Pendant qu'à 
la noblesse ils fournissaient les carrières et les honneurs mili- 
taires, la lançant dans toutes les directions, ce qu'elle aimait et 
pratiquait depuis longtemps, ils émancipaient le tiers état ou 



LANGUES DE FRANCE l6l 

joisie. Le menu peuple, alors sans consistance et sans 
saiion, s'est trouvé entraîné par ces deux courants, la 
et le commerce. Cette émancipation de la bourgeoisie 
se en relief par les nombreuses pierres tombales gallo- 
aes portant des indications de corps de métiers. Bien 
s Romains soient venus en petit nombre en Gaule, leur 
e s'y est rapidement propagée, faisant complètement 
îr le parler local. Les Burgundeset les Francks venus en 
Jus grand nombre ont subi la même influence et aban- 
5 leur ancien langage pour accepter un idiome novo- 
La transformation du langage est donc indépendante 
nationalité, du droit de conquête, du nombre et surtout 
race. 

j l'arrivée des Romains, le Latin classique absorba toute 
érature, et aucun écrit en Gaulois ne fut publié ou tout 
oins ne nous a été conservé. D'autre part, le Latin vul- 
envahit aussi très rapidement la population et devint 
usage général. 

Latin, par suite d'une évolution toute naturelle, se trans- 
i peu à peu et donna naissance au Français, composé des 
2tes d'Oïl dans le Nord : Berry, Normandie, Ile-de-France, 
die, pays Wallon, et des dialectes d'Oc dans le Midi : 
rgne, Provence, Languedoc, etc. (fîg. 24). 
nvasion et l'introduction parmi nous des Burgundes et des 
eks, dont le langage devait avoir de grandes affinités avec 
Itique, le Germain et même le Slave, au lieu d'arrêter la 
formation, ne firent que la hâter. L'influence celtique, ger- 
e et slave baissa complètement pavillon devant l'influence 
[ue. Tandis que l'Allemagne restait alourdie dans les tra- 
tts linguistiques germaines, la France, ainsi que l'Es- 
e, le Portugal et la Roumanie évoluaient vers les données 
légères, plus actives et plus alertes de la linguistique ita- 



'. 



i langue d'Oïl est appelée langue romaine rustique. Le 
ancien document de cette langue est une glose récem- 
t découverte à Reichenau remontant au vni^ siècle. Du 
S à cette époque, on faisait déjà au peuple des sermons 
ngue d'Oïl ; mais, dit Hovelacque, les xi^, xu^ et xni^ siècles 
^té la belle époque de la langue d'Oïl, 
'ûdant que dans le nord de la France se formait, se déve- 

G. DE MOJRTJLLEr. ' \V 



l62 DEDUCTIONS LINGUISTIQUES 

loppait, acquérait un grand éclat, puis peu à peu s'elîatait 
la langue d'Oïl, une évolution analogue se produisait dansle 
Midi, en ce qui concerne la langue d'Oc, parfois désignée 
sous le nom générique de Provençal. 

Les xii° et xiii° siècles furent l'âge d'or delà htttératurepro- 
vençalc, dont les plus anciens documents remontent à une 
époque bien antérieure. 



IMITE SEPTENtmONKlE 

DU OATALKH """^ 

AUDE 










Fia. a5. — Carie du Catalan en France, par A. Hovelacque. 

Le Provençal proprement dit existe encore, éclipsé par le 
Français, qui se généralise partout. Il va sans dire que la 
langue d'Oïl aussi bien que la langue d'Oc se subdivisaient 
en un grand nombre d'idiomes ou simples dialectes portant 
les noms de nos diverses provinces. Plusieurs ont eu des lit- 
tératures spéciales. Peu à peu l'unité de la langue française, 
prenant plus de consistance, les divers idiomes et dialectes de- 
vinrent successivement de simples patois, dont bon nombre 
existent encore, quoique ayant une tendance à disparaître. 

Catalan. — Le Catalan, qu'il soit une langue bien (lis- 
lincle ou tout simplement un dialecte novo-latin, se déve- 
loppe en Espagne et pénètre encore de nos jours en France 



LANGUES DE FRANCE 



l63 



dans une grande partie du déparlement des Pyrénées-Orien- 
tales (fig. 25). 

Allemand et Flamand. — Si maintenant^ remontant vers 
le Nord, nous étudions la partie de l'ancienne Gaule qui est 
comprise entre le Rhin et les côtes de la mer du Nord, nous 




SmOrottelùitsI 



! • 



Amrécurq 



.... LtmUf en, Franet, 
éu,fraaçcdÊet.d»Ljtemuu»d. 
d 'eunrs Coussenuhcktr. 

LUniU de* d^tarl^ 

duKord 9t daPude Cédait 



I \*S'Kerrt-SnmciL 

'\ 



« 



/ \ 



\»Xarifùuifum. 









\\ 



Snyum*\ 



^y ^SMomelùi, 



S^Qm 



Arauea • *\ /^ 

Camfiayru • *C\ 
Wtudrtetnu 



\ 



•Renesoure. 



BaUltuL • 



iJjf, 



wLior* 



^ Wardrfeaues '"K " 

T^ JtaaiuinghtMrCX •Stûrùu^/iem, 

. , —''*Thiatnts 



'^* 



V-^Senpzùy ,/^tttttwerét. 



Aktt/'.BeratUA. 
Zf„,„jug Jistturtsf 
'nekenfiSe. 



Fio. 26. — Carte du Flamand en France, par A. Hovelacque* 



y trouvons l'Allemand en Alsace et en remontant la rive 
gauche du Rhin ; puis le Hollandais vers les embouchures de 
Ce fleuve et le Flamand en redescendant le long des côtes de 
la mer du Nord. Tous les trois font partie de la branche des 
langues germaniques. Nous n'avons rien à dire de l'Allemand, 
qui, pour le moment, ne dépasse presque plus la frontière, 
mais nous devons nous occuper du Flamand, qui descend 
jusque dans une partie du département du Nord (fig. 26). 

Flamand et Hollandais appartiennent au Vieux-Saxon, et 
constituent le Néerlandais. Ils sont très voisins et ont été re- 
gardés comme de simples dialectes, ce que n'admet même 



i64 



DÉDUCTIONS LINGUISTIQUES 



pas Abel Hovelacque (i), qui était d'origine flamande. « Ri^3 
dit-il, n'est plus inexact. Flamand et Hollandais doivent ê^- 
placés sur un pied d'égalité, et ils sont si rapprochés l'un 
l'autre, que Ton a pu dire, avec assez de raison, qu'il kt 
avait entre eux qu'une simple différence de prononciatioi 
Le Hollandais est parlé actuellement par 3.5oo.ooopersoni 
le Flamand par 2.400.000 et même un peu plus y compris 
Flamands qui habitent sur le sol français actuel. 

La linguistique de la France peut se résumer par le tabl* 
suivant : 



TABLEAU LINGUISTIQUE DE LA FRANCE 

Période agglutinai ive, 
Basque. 

Période à flexion, 
Breton. 



Celle. . . . 

Germain. . 
Hellénique. 

Italique . . 



Gaulois. 



Allemand. 
Flamand. 



Vieux-Saxon 

Grec. 

Italien Corse. 

Novo-Latin Catalan. 

Langue d'Oc Provençal. 

Langue d'Oïl Français. 



CHAPITRE III 

ÉCRITURES DE FRANCE 

Alphabets. — Si, après nous ôtre occupé des langues, 
nous étudions les écritures, nous reconnaîtrons que les Celtes 
et les Gaulois ne possédaient pas de lettres en propre. 

Quelques monnaies ccltibériennes portent des caractères 
sémitiques se rapportant aux alphabets phéniciens ou cartha- 
ginois. 



(1) Abel Hovelacque, La Linguistique, 4« 6dit., 1887, p. 357. 



ÉCRITURES DE FRANCE l65 

Bans la Gaule cisalpine on a trouvé du Gaulois écrit en ca- 
•"aclères italiques anciens. Nous reproduisons une inscription 
découverte en i864 à San-Bemardino, commune de Briona, No- 
varais en Piémont, actuellement conservée dans le cloître de la 
cathédrale de Novare (fig.27). Des lettres analogues se voient 
3Ur des monnaies attribuées aux Salasses, nation gauloise. 

Les Grecs, en venant fonder Marseille et en se développant 

Kyix.01 

-i^roirorojcfoj 
^Pxvrofcros 
15/ pr^/<o A î 





sur'toute la côte méditerranéenne de la France, apportèrent 
dans le pays leur langue et leur écriture. 

Les Gaulois en profilèrent ; aussi trouvons-nous diverses 
inscriptions gauloises en caractères grecs (lig. 28), dissémi- 
nées dans le raidi de la France, au milieu d'inscriptions bien 
plus nombreuses en langue et en caractères grecs. 

Puis, à l'arrivée des Romains, le Latin ayant coupé court à 
l'extension du Grec et remplacé le Gaulois, l'alphabel latin 
prit rapidement le lieu et place de l'alphabet grec, et le peu 
de Gaulois restés fidèles à leur vieux langage, employèrent les 
caractères latins pour graver les quelques inscriptions qu'ils 
nous ont laissées (fig. 29). Quant aux inscriptions latines, elles 
furent naturellement toutes gravées en caractères romains. 



i66 



DÉDUCTIONS LINGUISTIQUES 



Rappelons aussi rinscription phénicienne de Marseille 
(fig. i3), antérieure aux inscriptions grecques et romaines. 

Le même mouvement s'ob- 



ûrt\AoW€ôc! 

TOOYTIOYC 

NiAMAYrATlC 



/^^ y Q t\AJ\P û C 1 s^^'ve dans les monnaies gau- 
^^ • ' loises. Considérant comme 

une exception les monnaies 
celtibéricnnes qui, avec leurs 
légendes en caractères sémiti- 
ques, ne se rencontrent que 
dans un espace fort restreint 
vers le sud-ouest de la France, 
les monnaies gauloises, quand 
elles présentent des carac- 
tères, peuvent se diviser en 
monnaies à légendes grecques 
et monnaies à légendes latines. 
Les premières sont surtout abondantes dans le midi de la France 
(fig. 3o), mais s'étendent aussi dans le centre et même dans le 
nord, toutefois en devenant de moins en moins abondantes. 



eiUJPOYBHÀH 

CAmicoci n 



Fio. 28. ~ Inscription gauloise en ca- 
ractères grecs, de Vaison (Vau- 
cluse). Musée d'Avignon. 1/6 gr. nat. 



>* 



%-.. 



ICCAVOSCfl 

lANICNOStEVi 

RVBRICINDON 

CANTAkO 



Fig. 29. — Inscription gauloise en caractères latins, de Volnay 
(Côte-d'Or). Musée de Beaune. 1/8 gr. nat. 



Les monnaies gauloises avec légendes en caractères romains 
(fig. 3i) deviennent peu à peu plus nombreuses que les précé- 
dentes et finissent par se généraliser après la conquête des 
Gaules par César, plusieurs populations gauloises ayant encore 
frappé monnaie pendant les premiers temps de Toccupation, 



ÉCRITURES DE FRANCE 



rares des Mégalithes. — On peut pourtant se de- 
■T si avant l'écriture alphabétique il n'y a pas eu en 
î une écriture symbolique et hiéroglyphique ? En effet, 




Fio. 3i Monnaie gauloise avec 

caractères lalins, cammunl- 
quée par A. de Babthélemt. 



>. — Monpaie massaliole avec 
lires grecs, communiquée par 

: BlRTHjtLBlfT. Gr. DsL. 



ertains monuments mégalithiques, principalement du 

ïian, on trouve des pierres portant des gravures en 

et parfois des sculptures en relief. 

gravures sont-elles de simples motifs d'ornementation 

1 représentent-elles 

ns symbolique ou 

des signes hiéro- 
ques? 

avis sont partagés, 
pports du grand et 
oimen de Gavrinis, 
île de la mer du Mor- 

surchargés de gra- 

s'enchevetrant et 
Uni d'une part à la 
de la pierre, de l'au- 

compo si tion, toutes 
•lies trop siliceuses, 
tnséquent trop du- 
.tantfrustes{fig.33), 




FiG.3î.— Supportcomplètementgravé. 
Dolmen de Gavrinis (Morbitian). 
1/25 gr. naU 



eraient qu'il nes'a- 
ce d'une simple or- 
lation ou décora- 
iécutée, sans parti pris d'avance, suivant la nature et 
ne de la pierre ouvrée. Pourtant, parmi les lignes qui 
ïnt des ornements de fantaisie, on voit un certain nombre 
;hes de pierre polie très nettement représentées (fig, 32). 
lous les autres dolmens, les gravures sont beaucoup 



i68 



DEDUCTIONS LINGUISTIQUES 



moins nombreuses et moins resserrées. Souvent elles sont 
clairsemées et môme isolées. Parmi elles on remarque la repré- 
sentation fréquente decertainesformesgroupéesou isolées sug- 
gérant naturellement l'idée de signes ayant un sens déterminé. 
Nous reproduisons les gravures qui se trouvent sur un grand 
support (fig. 34) du dolmen 
du Petit-Mont, à Arzon (Mo^ 
bihan). Sur la gauche, en 
bas, on voit trois crosses, 
signe très répandu parmi les 
gravures mégalithiques. Au- 
dessus, il y a deux espèces 
d'U fort ouverts, autre signe 
assez commun. Seidler ïoil 
dans ces deux signes des 
lettres de l'alphabet libvqne, 
ta crosse correspondant à C 
et l'autre signe à M. Quel- 
ques personnes ont cru aussi 
reconnaître dans la crosse 
une lettre égyptienne. Em- 
brassant la question d'une 
manière plus générale, dans 
la séance du 19 janvier 189Î 
de la Société d'anthropologie 
de Paris, Lelourneau (i) » 
voulu établir que les gra- 
vures des mégalithes sont 
des inscriptions et que les 
signes graves se rapportent aux lettres des anciens alphabets, 
surtout sémitiques. Adrien de Mortillet a répondu : c< Qui dil 
écriture dit arrangement. Or, il n'y en a aucun dans les 
signes des monuments mégalithiques (2). » 

Reprenant la question un peu plus tard, sous le titre de; J^'- 
gures sculptées sur les monuments mégalitliiques de France (3). 




Morbihan). 



(1) Cii. Letourneau, Signei olphabéli formes dee inscriptions mégaliH"- 

ques. Bull. Soc. Anihrop., iSgS, p. 28, fig. 
(m) Adhien de Mortillet, Bu;(.Soc.yln[ftrop.Pûri's, igjanvier iSgSipi"' 
(j) Idkm, Heuae meneueUe de l'Ecole d'Anthropologie, i5 seplemlK 

1894, p. 273' 



ÉCRITURES DE FRANCE 



169 




\J" 




^ ^vaaO) 



Adrien de Mortillel établit que ce sont des figures représen- 
tatives d'objets di- 
vers, en d'autres 
termes des dessins 
plus ou moins gros- 
siers représentant 
une certaine série 
d'objets bien déter- 
minés . Ainsi les 
signes en U à bran- 
ches très écartées, 
représentent des ba- 
teaux ou navires 
(fig. 35), emblèmes 
des migrations ma- « 0/ t^ ,i x ^^ ^1 

. , o Fig. 34. - - Pieds gravés sur un support du dolmen 

ntimes ; les crosses du Petit-Mont, à Arzon (Morbihan). i/25 gr. nat. 

(fig. 36 et 37) sont 

des bâtons de voyage ou des insignes de chefs, analogues aux 



i;\ 








Vy 







-^^ 




Fig. 35. — Signes naviformes graves sur un support du 
dolmen du Mané-Lud, à Locmariaquer (Morbihan), i/io gr. 
nat. 



crosses d'évêques. La hache polie, isolée (fig. 38), souvent em- 
lûanchée (fig. 89), est fréquemment figurée. C'est l'emblème du 



lyO DÉDUCTIONS UNCUI8TIQUE8 

travail et plus probablement du combat. Les 



û 



IG. 36.~CTosse 


Fie. 37. —Crosse 


FiB.38.-Hache 
polie isolée 


support du 
dolmen dé- 
truit du Roc. 
à Lui£ (Cha- 
rente). Musée 
dAriKOUlCmc. 


gravée sur un 

truilduGros- 
Dognon, à 
Celletlea 
(Charente]. 


gravée surun 
support du 
dolmen du 

glBis,ù EpOne 
(Seine-el- 
Oise). 1/6 er. 



fréquents, sont des boucliers, véritables insignes milita 




Origine des armoiries. — Ces écussons ou boucliers 
habituellement leur intérieur garni de diverses figures d 



ÉCRITURES DE FRANCE I7I 

remment groupées (ûg. 40 cl4i)- Ces figures de l'intérieur des 
ÉctissoDs sont symboliques. Elles servaient évidemment au pro- 
priéUire du bouclier de signe de reconnaissance, d'attribut ca- 
ractéristique, d'armoirie. Ce sont les plus anciennes connues. 
Elles remontent jusqu'à l'âge de la pierre ou tout au moins à 
'a transition de la pierre au bronze. Depuis lors, l'usage de 
%urer surltj bouclier les attributs, les armoiries de son pos- 
sesseur, s'est généralement répandu. Il est descendu jusqu'à 




'3 fin du moyen âge. Les vases peints de l'antiquité classique 
ûous en ont procuré de très nombreux et fort 'curieux exem- 
ples. 

L'interprétation des gravures môgalilhiques peut fournir 
'iï's données, sinon certaines, au moins probables, sur une 
époque qui nous est à peine connue. Ainsi lécusson du dol- 
"•en des Marchands contenant quatre séricsde crosses superpo- 
sées, divisées chacune en deux, soit en tout cinquante-six 
'^fosses (fig. 42), serait les armoiries d'un chef puissant do con- 
'^dération, ou ayant sousses ordres cinquante-six autres chefs 
•ûoins importants. Ce qui confirme cette assertion, c'est la 
'^'mension du monument et une grande hache emmanchée 
Bravée sous la table entre deux autres crosses. 

Près du dolmen des Marchands .[également à Locmariaquer 



172 



DÉDUCTIONS LINGUISTIQUES 



(Morbihan), se trouve, tout près de la mer, le grand tumulas 
du Mané-Hroëck contenant un pelil dolmen qui renfenaail 
un riche mobilier funéraire. Devant l'entrée du caveau, on a 
rencontré une dalle rectangulaire portant sur une des deui 
faces un écussoncontenantdeux crosses, insigne de pouvoir.el 
plusieurs représentations de bateaux très grossièrement figu- 




rés. — Les graveurs de cette époque n'étaient pas des artistes, 
mais des tailleurs de pierre,.très mal outillés et travaillant une 
roche fort dure. Loin de figurer nettement ce qu'ils voulaienl, 
ils faisaient ce qu'ils pouvaient, — Tout autour de l'écusson 
sont semées irrégulièrement des haches emmanchées. Cell* 
épitaphe ne semble-t-clle pas indiquer le tombeau élevé à o" 
chef, marin puissant, par les guerriers, ses compagnons 
d'armes ? 

De ces boucliers on passe à de sommaires représcntalions 
féminines, caractérisées par des colliers concentriques et sur- 
tout par deux seins globuleux très proéminents. Cette sculp- 



ÉCRITURES DE 

enouvelant dans des tombeaux divers du bassin de la 
lolmens (iig. ^Z) et souterrains morluaires artifî- 

44)i pourrait être une représentation religieuse. Dans 
e la France, elle paraît ôtrc remplacée par un véritable 

statues. Telles sont les deux sculptures du dolmen 
irgues (Gard) 

ues primitives 
sur la poitrine 
)se symboli 

45). 

ju'il en soit les 
i mégalithiques 
premiers docu 
3;raphiques de 
toire.Ilesldonc 
)ortant de les 
r et de les con 
\ussi la Sous 
don des Monu 
mégalithiques 
l'honneurdêtre 
înt depuis la 

mon maître et 
iri Martin le's 

soigneusement 

leretmoulerafin 

nserver et de les 

: la disposition 

iilleurs( i ) 

3umé, les gra 

égalithiqucs me 

ot pouvoir se diviser 

simples motifs d ornement Tels sont en général les 

1 de Gavnnis Ces motifs pourront peut être conduire 

essanls rapprocha ments 

gravures figuratives représentant des objets 




-«-^^f- 



pereonncs et les établi s aementa qui désireraient posséder 
igca peuvent se les procurer facilemenl. Ils sont exécutés en 
te, ce qui les retid Tort légers sans nuire A leur netteté. 



■ 74 



DÉDUCTIONS LINGUISTIQUES 



et bieo déterminés, formant des tableaux commémoralifsqui 
peuvent fournir d'importantes indications hisloriquesou légen- 
daires. Ce sont les plus anciens documents de nos archives. 

3" En gravures symboliques bien plus difficiles à déterminer, 
mais paraissant indépendantes de tout alphabet 

Pierres & cupules. — 
Parmi ces dernières, il 
en est une extrêmement 
répandue, la cupule. 
Ceat un godet hémis- 
phénqne irès régulî^ 
rement creusé. I^ois 
la cupule est mêlée i 
d autres gravures, maïs 
habituellement elle E- j 
gure seule Très rare- ; 
ment isolée elle est gé- | 
néralcment groupée en i 
plus ou moins granil 
nombre II arrive même 
qu elle couvre des sll^ 
faces entières. Les 
groupements sont, d» 
moins dans nos régions, 
très variables et sans 
ordre apparent (fig. 46)- 
Les cupules se ren- 
contrent un peu pa'' 
tout sur des rochers 
en place ou sur des blocs isolés qui ont été désignés toat 
d'abord sous le nom de pierres a bassins Ce nom ayant été 
appliqué non seulement aux pierres possédant de véritables 
cupules creusées intentionnellement parl'homme, mais encore 
à beaucoup d'autres qui ont des creux naturels plus ou moins 
grands et très irréguliers, il a été remplacé par celui depiems 
à écaelles. En effet les cupules sont généralement de petiUs 
dimension s ; au lieu d'être des bassins elles ont tout au plus 
les proportions de petites écuelles. Mais ce ne sont Pas des 
écuelles, puisqu'il y en a de creusées sur des parois ve^ 
ticales et même sous la face inférieure de certains blocs. 




Fio. U. — Seul;.! 
d'une ifrotte aÉpul 
yalléB du Peut Mo n 



ÉCRITURES DE FRANCE I75 ' 

de pierres à capalea est donc le plus rationnel, 
le époque remontent les cupules ? Elles sont fort an- 
uisqu'onlesren- 
Sjà dans les dol- 
i dolmen de Ké- 
Locmariaquer , 
;ous de sa table 
ivremenl tout 
d'un très grand 
de cupules, qui 
térieures à la 
tion du monu- 
lisque ces cupu- 
endent jusque 
. parties qui re- 
ur les supports, 
peut y avoir des 
bien plus ré- 
représentent les 
F Nous ne le sa- 
s. Servent^elles 
numériques ou 
il-elles des ma- 
3ns religieuses et 
ieuses 1 Nous 
is. 11 y a donc là 
isantes recher- 
lîre. 

'turcs sur>o- 
— Les cupules 
fois creusées sur 
e de rochers en 
en est de môme 
'Ures qui, dans 
nt été désignées 
nom de sculp- 
r rochers. On en a signalé un peu partout. Les 
liées et les plus intéressantes pour nous sont celles 
I de la Scandinavie. Elles ont la plus grande analogie 




176 DÉDUCTIONS LINGUISTIQUES 

avec les gravures de aos monuments mégalithiques ; aussi 
Adrien de Mortillet s'en est-il largement servi dans la déter- 
mination des figures des mégalithes. 

En Gaule, nous n'en avons qu'un exemple à citer. Nous 
disons en Gaule, parce qu'il est bien sur le territoire de 
l'ancienne Gaule ; mais, quoique très proche de la frontière 
actuelle de la France, département des Alpes-Maritimes, ileat 
situé sur le territoire italien. Ce sont les gravures sur rochers 




Fia. !,S. — Pierre à copules. Anncmasse (Haute-Savoie). École 
il'anthrapologie, Don Reder. 1/10 gr.' nat. 

du lac des Merveilles, dans une vallée latérale, à gauche, 
entre Saint-Dalmazo et Tende. On trouve certaines parois 
de rocher, mais surtout de larges surfaces de blocs détachés, 
toutes recouvertes de ligures fort grossières formées par une 
accumulation de petits creux résultant de percussions fré- 
quemment répétées. Parmi ces figures.groupéessansordreet 
exécutées sans aucune observation des proportions, on a cru 
reconnaître des tfites de bœufs (fig. 4?). de cerfs, de béliers, 
des bonshommes {fig. 48), des haches, des pics, des paniers, 
des poignards ou pointes de lances, etc. On a supposé que 
c'étaient des inscriptions parlantes. 

11 s'agissait de déterminer l'âge de ces gravures. 

Les uns, voyant dans les poignards el les pointes de laDces 



ÉCRITURES DE FRANCE 



177 



mples pointes de flèches en silex, ont fait remonter l'en- 
fle des sculptures à l'Age de la 
'e polie ou néolithique, 
autres, croyant reconnaître des 
nards triangulaires en métal, at- 
lent ces gravures à l'âge du bronze, 
{ue morgienne. 

nfîn il en est à imagination moins 
qui, sachant qu'on a naguère cx- 
lé non loin de là, à Valaurie, une 
e de plomb argentifère, voient par- 
les figures sur rocher des pics, des 
iers et même des lampes, ce qui 
unirait beaucoup ces sculptures, 
es bonshommes sont nombreux, 
nus le sont bien pi 



V 



Fin. 47. — Gravure aur 
rorhcrreprésenlsiilune 
li^le ilu IJiEuC, Lac des 
HervGillcH(Piémontj. 
1/3 gr. not. 



s les tèles d'animaux 
s encore. Il y a peut-être dos cerfs et des 
béliers; quant aux bœufs ou 
vaches, ils abondent. Or, pen- 
dant deux ou trois mois de l'an- 
née, des bergers conduisent et 
surveillent des troupeaux dans 
cette vallée triste ot déserle, si 
triste qu'on l'appelle la Vallée 
de l'Enfer. Qu'y a-t-il d'élon- 
nant que ces malheureux ber- 
gers, ne sachant que faire, aient 
employé leurs loisirs à graver les 
objets qu'ils avaient sous les 
yeux? Ces objets étaient les bes- 
tiaux qui lesentouraicnl,les ou- 
vriers mineurs et ce qui se rap- 
portait à l'exploitation de la mine. 
Mais les poignards et les pointes 
■ de flèche? Ce sont les couteaux et 
' les pointes des bAlons demon- 
''^- tagnc. Les représentations sont si 

mal exécutées, qu'elles laissent 
champ des plus libres à l'interprétation. J'ai moi-même, en 
■Séant la carte géologique de la Savoie, pris des bergers sur le 
t. Étant allé de Moutiers dans la vallée de Dellcville, parvenu 

G. KB HOBTILLET. 13 




178 DÉDUCTIONS LINGUISTIQUES 

au-dessus des forêts, dans la région des pâturages, je rencoo. 
trai un amas de dalles ou grandes plaques de schiste ardoi^ 
sier. Je me mis à examiner ces dalles et à les retourner pour 
voir si je ne trouverais pas quelques empreintes végétales ou 
quelques débris d'ammonites et de bélemnites. Quel ne fol 
pas mon étonnement de rencontrer, au lieu des fossiles que je 
cherchais, des dessins au trait du naturalisme le plus ero- 
tique ! Un pâtre, quelque peu artiste, avait charmé ses loi^rs 
en utilisant ces ardoises. La même chose a dû arriver au lac 
des Merveilles, seulement, au lieu de se servir d'ardoises, on 
a utilisé les faces polies de serpentines tendres, et Ton s'est servi 
d'une pierre aiguë pour les graver. Si les sujets gravés étaient 
aussi anciens qu'on a tout d'abord voulu le supposer, ils 
seraient bien plus effacés, les actions atmosphériques étant 
très actives à cette altitude, au-dessus de la limite des forêts, 
à plus de 2,000 mètres. 

Récapitulation. — Récapitulant ce qui concerne les écri- 
tures de France, nous aurons : 

1^ Écriture figurative. 

Partie des signes gravés dans les monuments mégalithiques. 
Représentation de divers objets rappelant des faits historiques. 
Ces signes remontent au moins au passage de l'âge de la 
pierre à celui du bronze, transition entre le préhistorique et le 
protohistorique. 

2° Écriture symbolique. Autre partie des gravures mégali- 
thiques. Figures emblématiques auxquelles on a donné un 
sens conventionnel. 

Les godets des pierres à cupules rentrent probablement 
dans cette catégorie, à moins que la cupule ne soit un 
simple chiffre d'énumération indiquant des nombres par sa 
répétition. 

3° Écriture alphabétique. 

a, — Écriture sémitique, phénicienne ou plutôt carthagi- 
noise^ qui s'est montrée dans l'inscription de Marseille, et 
sporadiquement, dans le sud de la France, sur des monnaies 
celtibériennes. 

On connaît aussi en France des inscriptions hébraïques 
mais elles sont relativement récentes. 

b. — Écritures indo-européennes ou aryennes. 

Grecque, Inscriptions et monnaies depuis le développement 



ÉTYMOLOGIES I79 

I de Marseille jusqu'après la conquête de César, surtout dans le 

;• midi de la France. Est montée jusqu'au nord pour ce qui con- 

': cerne les monnaies. 

f" Italique antique. Inscription celtique des environs de No- 
vare. 

Latine, Avait déjà pénétré en Gaule avant César ; s'est gé- 
néralisée rapidement après lui, faisant délaisser et oublier 
récriture grecque. 

Gothique, S'est introduite en France au moyen âge. N'a 
jamais prévalu, bien qu'ayant été soutenue par le clergé. Les 
instituteurs cléricaux, connus sous le nom d'Ignorantins ou 
Frères de la doctrine chrétienne, en [faisaient encore usage 
dans la première moitié du xix*^ siècle. 



CHAPITRE IV 

ÉTYMOLOGIES 

Difficultés des étymologies. — Dans son excellent traité 
la Linguistique^ Abel Hovelacque (i) n'hésite pas à proclamer 
que l'étymologie, telle qu'elle est pratiquée le plus souvent, 
n'est qu'une jonglerie, une sorte de jeu d'esprit, une divina- 
tion. L'étymologiste faisant abstraction de toute expérience, 
néglige les difficultés et se contente d'apparences spécieuses. 

Si vous dites que Doire, rivière, et Loire, fleuve, sont loin 
d'avoir la même étymologie, l'étymologiste en général haus- 
sera les épaules sans daigner vous répondre. 

Mais, si vous ajoutez que Doire et Foron sont une seule et 
même chose, qu'ils découlent Tun de l'autre, et forment par 
conséquent un seul et même mot, l'étymologiste jettera les 
hauts cris. Et pourtant il aura tort dans les deux cas. 

Nous allons le démontrer. 

Loire est le nom moderne du grand fleuve français qui, 

(1) Abel Hovelacque, La Linguistique, 4' édit., 1887, p. 16. 



l8o DÉDUCTIONS LINGUISTIQUES 

prenant sa source dans les Cévennes, se jette dans rOcéan au 
sud de la Bretagne. Il était appelé Aei-pop par les auteurs grecs 
et Liger par les auteurs romains. Son nom actuel vient de son 
ancienne dénomination, qui a subi diverses modifications. 

Doire est la traduction française, toute moderne, du nom 
de deux rivières du Piémont appelées Dora : la Dora-Riparia, 
qui coule dans la vallée de Suse, prenant sa source un peu 
au delà du débouché du tunnel dit du Mont-Cenis, et laDora- 
Baltea, prenant sa source au pied du Petit-Saint-Bernard et 
coulant dans la vallée d'Aoste et d'Ivrée. Toutes les deux se 
jettent dans le Pô, en aval de Turin. 

Loire et Doire, malgré leur consonance actuelle, sont deux 
mots qui, en remontant dans le temps, au lieu de se rappro- 
cher, s'éloignent l'un de l'autre ; ils ne sauraient donc avoir la 
môme étymologic. Cette conclusion acquerra encore plus 
de force en examinant la seconde question. 

Dans la Haute-Savoie, plusieurs torrents portent le nom de 
Foron. Il y a entre autres, dans l'arrondissement de Bonne- 
ville, le Foron qui prend sa source dans la petite vallée de 
Bogève et va se jeter dans la Menoge, au-dessous de Fillinges, 
et le Foron qui passe à Taninges et que l'on remonte pour 
aller en Chablais par les Gets. 

Dans le département de la Savoie, F se change en D et les 
rivières torrentielles au lieu d'être des Foron sont desDo- 
ron. Ainsi dans l'arrondissement d'Albertville, la rivière qui 
traverse la vallée de Beaufort et va prendre sa source au delà 
de La Gitte, du côté du Bonhomme, est un Doron. Il en est 
de même de la rivière qui, partant de Moutiers, remonte la 
vallée de Bozel et de Pralognan, et sert, en partie, de dégage- 
ment aux eaux provenant des glaciers de la Valnoise. On la 
nomme Doron, Duron ou Thuron. L'émissaire des eaux des 
mêmes glaciers du côté de l'arrondissement de Saint-Jean- 
de-Maurienne, est aussi un Doron. 

Dans l'arrondissement de Bonneville (Haute-Savoie), on 
trouve également un Doran tout près de Sallanches. 

Et près de Chambéry, entre Saint-Alban et Saint-Jean- 
d'Arvey, on va admirer les belles cascades de la Doria. 

En traversant les Alpes, sur le versant piémontais, coninic 
nous venons de le dire, on rencontre les deux Dora, que nous 
avons nommées Doire en français. 



ÉTYMOLOGIES l8l 

Les mois Foron, Doron, Doran, Doria, Dora et Doire sont 
)pliqués à des cours d'eau torrentiels dans le môme massif 
5s Alpes compris entre la Haute-Savoie, la Savoie et les val- 
es piémontaises d'Ivrée et de Suse. On suit pas à pas la 
ansformation du mot, conservant toujours la même accep- 
3n. On peut donc dire sans hésitation, malgré la différence 
îs extrêmes, que Foron et Doire ont la môme étymolo- 
e. Mais combien y a-t-il d'étymologistes qui se donnent la 
îine de faire un travail analogue à celui que nous venons de 
•ésenter? Et, même après ce travail, nous n'oserions pas, 
)mme certaines personnes l'ont fait, affirmer que Duero 
X Douro, rivière d'Espagne, a la môme étymologie que Dora, 
DUS rappelant que Potamos grec et Potomac américain, 
ien qu'ayant les plus grands rapports et le même sens, 
euve, n'ont certainement pas la même origine. 
Rapprochements exagérés. — A plus forte raison n'irions- 
ous pas, avec de Gobineau, chercher dans le mot sanskrit 
hamara l'origine des mots Cimmériens, Cambric ou pays 
3 Galles, Camaret (Finistère), Cambrai (Flandre), Camarès 
^veyron), Camarine (ItaHe). Le mot Khamara, ajoute de 
obineau, qui signifie vaillant, noble, dépouillé de son aspira- 
3n, se réduit à Amhra d'où on redescend à Ambrones, Umbri, 
mbres, tribus celtes qui ont occupé l'Italie supérieure avant 
s Romains. 

Dans un travail plein de recherches et d'érudition, intitulé 
^éhistoriens et contemporains, étude palet hnologique au point 
' vue du peuple Ligure^ Francesco Molon appuie ses conclu- 
ons sur des comparaisons de mots. Comme démonstration 
'«grandes relations que les Ibères avaient avec les Ligures, il 
pproche (i) cinquante noms géographiques d'Espagne sans 
napter les variantes, avec autant de noms de la haute Ita- 
S pour montrer combien peu ces noms diffèrent entre eux 
land ils ne sont pas semblables, ce qui arrive une huitaine de 
's; puis il conclut (2) : « Une affinité si forte et si grande, 
islant malgré un laps de temps aussi long entre les deux 
ninsules Italique et Ibérique, prpuve non seulement quels 
ni les degrés de parenté qui existent entre les Ibères et 

Francesco Molon, Preislorici e coniemporanei, siudi paleinologici, 
^lazion^r al popolo Ligure^ 1880, p. 16. 
^) Idem, ibid,, p. 17. 



l82 DÉDUCTIONS LINGUISTIQUES 

les Ligures, mais elle entraîne implicitement la démonstration 
que les divers tribus et peuples qui se développent à partir 
des Alpes et des Pyrénées ont une seule et commune prove- 
nance et appartiennent à une même et seule famille. » 

Dérivés de Galli. — Ce rapprochement de noms à conso- 
nances à peu près semblables est fort dangereux. On peut 
en juger par quelques exemples. En ce qui concerne les Gau- 
lois ou Galates, nous pouvons rapprocher, en allant de l'ouest 
à l'est : 

Galloway ou Galway, bourg et comté d'Irlande. 

Galles, pays d'Angleterre, à l'ouest. 

Gallice ou Galice, province qui occupe Tangle nord-ouest 
de l'Espagne entre la mer et la frontière nord du Portugal. 

Gallego, rivière d'Espagne, province d'Huesca, frontière de 
France. 

Galliate, ville d'Italie, Piémont. 

Gallarate, ville d'Italie, Lombardie. 

Gallipoli, ville d'Italie, province de Lecce. 

Galatone, bourg de la. môme province. 

Galicie, division administrative de l'Autriche. 

Galatz, ville de la Moldavie. 

Galitsch ou Galitz, ville et territoire russe sur le Dnieper. 

Galata, faubourg de Constantinople. 

Gallipoli, ville et presqu'île de Turquie, sur les Dardanelles 

Gallo, promontoire de Grèce. 

Galatie, province de l'Asie Mineure. 

Gallus, rivière de Phrygie, également dans l'Asie Mineure. 

Galilée, région de la Palestine. 

Comme le G se change facilement en W, il faut ajouter 
à cette liste divers mots commençant par cette lettre. Tels 
sont : 

Wales, nom donné par les Anglais au pays de Galles. 

Cornwall, comté d'Angleterre. 

Wallons, partie de la population belge. 

Valaques, au nord du Danube inférieur. 

La plupart de ces noms se rapportent aux Gaulois ou Gdr 
lates, qui ont été très mobiles et très envahisseurs, comme nous 
l'ont appris les documents historiques, mais bien certaine- 
ment dans le nombre il en est qui n'ont avec l'ensemble qu'une 
consonance fortuite. Je n'en citerai pour exemple que 1* 






ÉTYMOLOGIES l83 

Galilée, -dont les relations ayec les Gaulois ne sont nullement 
établies. 

Le nom de Gallice ou Galice, province du nord-ouest de 
TEspagne semble tout naturellement rappeler le mot Galli ou 
Ga//ici, Gaulois. Il paraît qu'il n'en est rien. Gallice provien- 
drait de Callaici^ KoXXaïxoi (Kallaikoi), population indiquée par 
Strabon. Cet exemple montre combien il faut être circonspect 
en fait d'étymologie. 

En outre, dans les énumérations du genre de celle que je 
viens de produire, on ne tient généralement aucun compte des 
daies. Dans les noms qui précèdent, il est plus que probable 
qu'il en est d'assez récents, qui ne se relient en rien aux (iau- 
lois anciens, quand ce ne serait que le faubourg de Constan- 
tinople, Galata. 

Après la décoaiverte de l'Amérique et de l'Australie, les Espa- 
gnols ont fondé un royaume de la Nouvelle-Galice au Mexique 
et les Anglais les provinces de la Nouvelle-Galles du Nord en 
Amérique et de la Nouvelle-Galles du Sud en Australie. Si ces 
^^its venaient à être oubliés, ferait -on rentrer ces trois régions 
<lans celles occupées ou parcourues par les anciens Gaulois ? 
Pour montrer le danger du rapprochement des mots de 
'ûême consonance, à la liste que nous venons de donner il 
®iiffit d'ajouter les quelques noms suivants : 
Gallas, peuple d'Afrique, au sud de l'Abyssinie. 
Gallinas, fleuve d'Afrique qui se jette dans l'océan Atlan- 
tique. 
Gallatin, rivière et comté des États-Unis. 
Gallo, île de l'Amérique du Sud. 

Gallegos, fleuve de la Patagonie. Ce nom est d'autant plus 
^Urieux qu'à Lisbonne on appelle Gallegos les montagnards 
S^lliciens. 

Si à cela nous ajoutons les Galles, en latin Galliis et en grec 
^«XXdç, prêtres de Cybèle installés en Phrygie et pratiquant 
^^s rites provenant, paraît-il, de Phénicie, nous aurons de quoi 
^^ire la joie des étymologistes ; mais, d'autre part, nous aurons 
**>tiTni aux personnes sérieuses la meilleure preuve qu'en fait 
^'étymologie il faut être extrêmement circonspect. 

Ce n'est pourtant pas une raison pour repousser d'une 
Manière absolue le groupement des mots ayant une même 
Consonance et surtout étant parfaitement semblables. En 



l84 DÉDUCTIONS LINGUISTIQUES 

tenant compte des données chronologiques et des faits rap- 
portés par les auteurs, on peut en tirer d'intéressants rensei- 
gnements. 

Boiens et Vénôtes. — Les Boïens, Boii des Latins et Bom 
des Grecs, nous en fournissent un exemple. C'est le nom d'une 
population celtique ou gauloise des plus remuantes, dont on 
peut suivre en partie les mouvements et les migrations parla 
distribution de leur nom : 

Boiates, population près de Bordeaux. 

Boii, entre Bordeaux et Dax. 

Boïens, qui, d'après Pline (IV, 82), habitaient la Lyonnais' 
près des Carnutes et des Senones. 

Boii, qui, arrivés avec les Helvètes du temps de César, ^ 
fixèrent chez les Éduens dans le Sancerrois, rive gauche de 1 
Loire, d'après le Dictionnaire de la Gaule, article Boii, 

Boii, autrefois dans les plaines du Pô d'après Strabon (V, 
§ 6), près du Tessin d'après Pline (III, 21). Il raconté (l 
20) que, suivant Caton, cent douze tribus de ce peuple ori 
péri dans l'Emilie. 

Boianum, ville des Samnites, d'après Strabon (V, 4, § 1* 
actuellement Bojano, Italie. 

Boii d'Italie, rejelés par les Romains en Istrie, région de 
côte de l'Adriatique où est actuellement Trieste, d'après Str 
bon (V, 1, § 6). Le même auteur dit que les Daces ont auè 
repoussé de leur côté les Boïens entre les Alpes et l'Istt 
(VII,_5,§2). 

Boiorum Solitudo, déserts des Boïens, région du graï 
Danube, limitrophe des Noriens, d'après Strabon (VII, 1, § 
et Pline (III, 27). 

Bohême, pays dont, d'après Tacite (42), le nom vient d 
Boïens et fut conservé, bien que les Marcomans les aient e 
puisés. 

Boii, limitrophes des Rhétiens et des Vindéliciens d'apr 
Strabon (IV, 6, § 8). Plus bas que les Helvètes de la Gernn 
nie, d'après Tacite (28). 

Boii, mêlés aux Thraces, Turquie d'Europe, d'après Sli 
bon (VII, 3, § 2). 

Boium, montagnes de la Grèce, d'après Strabon (Vfc 
frag. 6). 

Boïon, ville de la Doride, d'après Pline (IV, i3). 



ÉTYMOLOGIES l85 

• 

Tolistobogii ou Tolistoboii, d'après Strabon (XII, 5, § i), 
opulation de la Phrygie, Asie Mineure, avec les Tectosages 
t autres Celtes. 

Prenons une autre population celtique ou gauloise, les Vé- 
èles, Veneti ou Venedi des Latins, 'Evetoi ou OOeWoi des Grecs : 

Veneti, population gauloise, que Strabon indique comme 
dge évidemment par erreur, puisqu'il la place au bord de 
Océan près des Ossimii (IV, 4^ § qui occupaient le dépar- 
ement du Finistère ; Pline (IV, 82) place avec raison les 
'^énètes dans la Lyonnaise, vaste province de son temps. Ils 
•ccupaient le pays de Vannes, Morbihan. 

Veneti, Italie du Nord, entre le Pô et l'Istrie, d'après Stra- 
^^^ (V, 1, § 9), la Vénétie actuelle. Nommés Hénètes par les 
irecs. Ce pays, sous le nom de Venetia, était devenu la X^ ré- 
;ion de l'Italie (Pline, III, 22 et 28). Pline (III, 28, et IV, 82) 
lous apprend que les Vénètes d'Italie étaient voisins des Céno- 
nans qui habitaient du côté de Crémone et de Mantoue, 
omme les Vénètes de Gaule se trouvaient peu éloignés des 
'énomans qui avaient pour capitale Le Mans. 

Venedi, les Vénèdes, voisins des Vandales, au nord-ouest de 
i Germanie, sur la Basse- Vistule. Tacite les croit issus de 
'ennains et de Sarmates. Ptolémée les indique comme tout 

fait Sarmates. Il les place sur les bords du golfe Véné- 
ique, partie sud-est de la Baltique, golfe actuel de Dantzig. 

Henetes ou Veneti, peuple de la Paphlagonie, Asie Mineure, 
Lirles rives de la mer Noire. Homère les cite déjà (Strabon, 
', i,§4. — Pline, VI, 2). 

La plupart des auteurs, Caton, Cornélius Nepos, Strabon, 
'line, etc., se demandent si les Vénètes d'Italie proviennent 
6s Vénètes de Gaule ou des Vénètes d'Asie Mineure. Ils ne 
orient pas de la filiation des Vénètes de la Germanie. Ce qu'il 
^ de curieux et de bon à relever, c'est que ces quatre peuples 
^bitaient tous les quatre les bords de la mer, l'océan Atlan- 
ÏUe, l'Adriatique, la Baltique et la mer Noire. 
F^our tous ou presque tous les autres peuples des Gaules, 
^ pourrait ainsi faire un groupement plus ou moins long de 
^lïis analogues ayant la môme consonance. Cela ne nous 
'^aitpas d'une grande utihté, ne voulant pas faire l'histoire 
'taillée de chacune de ces populations. 

Ces exemples suffisent pour bien établir qu'avec une critique 



l86 DÉDUCTIONS LINGUISTIQUES 

sévère on peut arriver à tirer d'utiles déductions de ces grou- 
pements de mots analogues, mais qu'il faut être très prudent 
dans ce genre d'exercice, sans quoi on s'exposerait à commellre 
de graves erreurs. Ces rapprochements sont surtout bons pour 
tirer des déductions générales. C'est ainsi que la longueur 
des listes de mots qui peuvent ise rapprocher des dénomina- 
tions de Celtes, Gaulois, Galates et des noms des populations 
du groupe vient complètement confirmer ce que les auteurs 
nous ont appris sur la mobilité de ces populations, la facilité 
de leurs migrations et la fréquence de leurs envahissements. 

Valeur des théories ethnologiques. — Bien insuffisantes 
sont l'étymologie et même la linguistique sous le rapport 
ethnologique. On peut facilement s'en convaincre en jetant un 
simple coup d'œil sur ce qu'elles ont produit. 

L'unité et l'égalité françaises, réalisées par la Révolution de 
1789, se préparaient de longue main. Tout devenait un sujet 
de propagande et de combat. Les arts, la littérature, les 
sciences et surtout l'histoire étaient invoqués sciemment et 
inconsciemment à tour de rôle par les divers partis. La no- 
blesse, sentant son influence disparaître, cherchait à se rehaus- 
ser ethnologiquement. Il ne suffisait plus d'avoir des ancêtres 
remontant aux croisades. On voulut d'un seul coup vieillir 
tous les parchemins et leur donner ce qu'alors on appelait une 
base solide. On fit descendre directement l'aristocratie des 
Francks,et l'on représenta les nobles comme les conquérants, 
les maîtres. Cette théorie eut un moment de succès. 

Naturellement elle donna naissance à une théorie inverse, 
théorie qui s'est surtout développée dans le xviii® siècle. 
L'aristocratie, dit-on, descend des Francks. La bourgeoisie ou 
tiers état a une origine bien plus ancienne ! Elle remonte aux 
Celtes. Et alors on attribua aux Celtes, qu'on ne connaissait 
pas, le plus haut mérite, les plus grandes qualités. Leur 
langue, que l'on connaissait encore moins, devint la langue 
primitive. Rien n'était trop grand ni trop beau pour illustrer 
les Celtes, d'après les cellomancs. 

Cette action et cette réaction prouvent combien il est dan- 
gereux de mêler les questions politiques et sociales aux ques- 
tions purement scientifiques. Dans Tordre logique, la science, 
sans parti pris, sans se laisser entraîner par aucune influence, 
doit tout d'abord résoudre impartialement les questions qui 



ÉTYMOLOGIBS 187 

uvent ensuite, la solution acquise, être sérieusement utili- 
es au profit de la politique et des problèmes sociaux. 
Lorsqu'au commencement de notre siècle la linguistique 
t devenue une véritable science, basée sur l'observation, on 
hâta de vouloir la généraliser, et l'on chercha surtout à 
ppliquer à l'ethnologie et à l'histoire. 

Les celtomanes prétendirent que les Celtes, dont le nom 
iprès eux voulait dire hommes des forêts^ furent les premiers 
yens ou aborigènes de l'Asie qui du voisinage de l'Inde se 
rigèrent du côté de l'Europe. Les premières données scien- 
iques de la linguistique avaient déjà profondément modifié 
' idées. Le Celte n'était plus la langue primitive, il devenait 
première langue indo-européenne émigrée d'Asie, c'est-à- 
'e la langue la plus modifiée et la plus altérée de toute la 
nille. 

Vous ne relaterons pas toutes les opinions émises, d'après 
linguistique, sur les migrations aryennes ou indo-euro- 
înnes. Il nous suffira de résumer celle qui a eu le plus de 
entissement, d'autant que c'est celle qui se rapporte le 
is directement à notre sujet, puisqu'elle est empruntée à 
istoire des Gaulois d'Amédce Thierry. Cet ouvrage, publié 
is la Restauration, eut le plus grand succès. Succès bien 
rite par les recherches sérieuses de l'auteur, par son style 
f et animé et par la mise en action des idées nouvelles que 
levait la linguistique. Adoptant la théorie aryenne, Amé- 
Thierry fait non seulement arriver les Indo-Européens de 
'ient en Occident, mais il admet deux migrations. Le pre- 
V ban était composé de Gaëls ou Celtes proprement dits, 
c une constitution aristocratico-monarchique, le second ban 
Kymris, à constitution patriarcale hiérarchique. Ces deux 
es, la gaélique et la kymrique, fixées d'abord en Gaule, se 
andent de là au loin en rayonnant. Elles vont occuper les 
Britanniques, elles versent sur l'Espagne, se rendent en 
rie par le Danube, passent en Italie pour constituer les 
brês et la Gaule cisalpine, envahissent la Grèce, enfin fon- 
it en Asie Mineure la Galatie. Les Kymris se sont surtout 
tés vers les îles Britanniques, les Gaëls dans les autres 
îctions. Tous ces mouvements sont décrits avec soin et 
jnt. C'est fort intéressant... Seulement on peut se deman- 
si c'est fort exact ? 



l88 DÉDUCTIONS LINGUISTIQUES 

L'échafaudage est appuyé, pour ce qui concerne la sccoil ^ 
migration, celle des Kymris, sur une étymologie des plus i"i 
quées. Kymri est un mot breton que l'on a cherché à ratt ^ 
cher au mot Cimmerii par le mot Kumbris, et on a rapproc ii 
le tout des Cimmériens de Crimée et des Cimbres. 

Est-on bien sûr qu'il y ait eu des relations entre les Cixxi 
mériens et les Cimbres ? 

Première question. 

Seconde question, plus grave encore. Le mot Kymri, (qui 
donne son nom au second ban, à la seconde migration, est 
une expression qui, dans la Grande-Bretagne, désigne les 
peuples associés pour résister aux invasions des Saxons. Il 
n'apparaît qu'à dater du xii^ siècle. 

Que devient dès lors le beau récit des temps aryens ? Quelle 
confiance accorder à ces migrations indo-européennes? 

On voit que les données de la linguistique, et encore moins 
celles de l'étymologie, ne peuvent nous servir à résoudre le 
problème de l'origine de nos races françaises. Ces données 
peuvent tout au plus sanctionner et confirmer les conclusions 
tirées de l'observation directe des faits préhistoriques et des 
débris humains. 

C'est donc de ce côté que nous devons porter nos investi- 
gations. 



TROISIÈME PARTIE 

DONNÉES PALETHNOLOGIQUES 



CHAPITRE PREMIER 



CLASSIFICATION 



Préhistorique et protohistorique. — Si la linguistique, comme 
ence naturelle, est toute nouvelle, bien plus nouvelle cn- 
*e est la palethnologie. Après avoir sassé et ressassé les do- 
nents historiques si peu clairs et si peu nombreux qui con- 
nent la France avant notre ère, quelques esprits chercheurs 
irdents, avides de s'éclairer, ont poussé leurs études au delà 
l'histoire. Ils se sont fait ce raisonnement bien simple : 
Vi l'homme a existé avant les textes historiques, il a dû 
jser des traces de son existence. Il s'agit de recueillir ces 
ces avec critique, de les étudier avec un esprit indépen- 
it et d'en tirer le plus grand parti possible. 
Toute la Palethnologie est là ! 

-.es renseignements fournis par des observations portant 
' des objets qui ont précédé tous les documents histo- 
ues, sont naturellement des renseignements préhistoriques, 
ssi la science nouvelle a-t-elie pris d'un commun accord 
lom de Préhistoire ou tout simplement de Préhistorique. 
Tétait très bien quand on avait d'un côté des données 
lées uniquement sur des documents historiques et de 
itre des données ne touchant en rien à ces documents. 
is entre deux se sont présentés en grand nombre des docu- 



igO DONNEES PALETHNOLOGIQUES 

ments intermédiaires tenant plus ou moins à l'histoire et à 
préhistoire. Broca a proposé de grouper tous ces docume^» 
sous le nom de Protohistoire. La coupure était bonne et ut^^ 
Elle fut généralement adoptée. 

Cette coupure, excellente au point de vue du détail, av^^ 
rinconvénient de donner deux noms à la science nouvel 7( 
que Ton nomma alors Paléoethnologie, soît ethnolog7( 
ancienne. Seulement, pour abréger le nom, on admit la fotrne 
italienne Palethnologie. 

Ages de la pierre, du bronze et du fsr. — Ce sont les 
peuples du Nord, les Scandinaves, qui les premiers ont com- 
pris Tutilité et l'importance de la palethnologie. Les docu- 
ments historiques du Danemark, de la Suède et de la Nor- 
vège ne remontent guère qu'à un millier d'années ; pour 
connaître leur vie nationale plus ancienne, les archéologues 
de ces pays ont recueilli avec le plus grand soin tous les 
débris archéologiques qui se produisaient et en ont constitué 
d'importants musées. Thomsen, de i833 à i836, publia sa 
célèbre division des temps préhistoriques du Nord en trois 
âges. Le classement du riche musée de Copenhague lui avait 
fait reconnaître que la matière première servant de base à 
l'industrie palethnologique a changé trois fois. 

Tout d'abord, l'homme, ne connaissant pas les métaux, 
s'est servi simplement de la pierre, surtout du silex, pour 
confectionner la plupart de ses armes et de ses instruments 
usuels. C'est ce qui constitue la première division, la plus 
ancienne, désignée sous le nom d'âge de la pierre. 

Le bronze est le premier métal qui se montre dans le Nord 
Scandinave et dans toute l'Europe. Ce fait est d'autant plus 
remarquable que le bronze n'est pas un métal simple ni un 
alliage naturel de cuivre et d'étain. C'est un produit de l'in- 
dustrie humaine. Pourtant, le fait est certain, c'est bien le 
bronze qui, dans le Nord comme dans le reste de l'Europe, 
est venu, le premier des métaux, remplacer la pierre pour les 
besoins usuels. Aussi Thomsen a-t-il appliqué le nom de cet 
alliage à sa seconde division, l'âge du bronze. 

Le fer, actuellement si répandu et d'un emploi si général, 
n'a été connu en Europe que beaucoup plus tard. Son appa- 
rition et sa substitution au bronze ont donné naissance à la 
troisième division, l'âge du fer. 



CLASSIFICATION I9I 

^ette classification, si ndte et si précise pour ce qui con- 
ne la Scandinavie et surtout le Danemark, a été pleinement 
ifirmée pour le centre de l'Europe, par les découvertes faites 
Suisse et jusque sur nos frontières, dans les Habitations 
ustres ou palafittes, si bien étudiées par Ferdinand Keller. 
^ourtant quelques auteurs, rares il est vrai, ont nié Texis- 
ce de Tâge du bronze en France, malgré la présence des 
afittes des lacs de Genève, d'Annecy et surtout du Bourget. 

démonstration de l'existence de cet âge en France a été 
Uamment faite par la publication du magnifique ouvrage 
Imest Chantre, sur l'âge du bronze en France et en Suisse, 
stence que j'ai confirmée moi-môme par mes recherches 
' les haches de bronze. 

Paléolithique. — Les savants Scandinaves et suisses n'ont 
>rdé que la partie relativement récente de la palethnolo- 
. Beaucoup plus audacieux, les chercheurs français ont 
orté l'homme aux temps géologiques, 
în 1828, Tournai, conservateur du musée de Narbonne, si- 
da dans la grotte de Bise (Aude) de nombreux instruments 
niains associés à des débris de renne également abondants, 
îln i844î Aymard annonça la découverte d'os humains dans 
3 coulée boueuse de l'ancien volcan de Denise, près du 
y (Haute-Loire), 
în 1847 parut la première publication de Boucher de Perthes 

les silex taillés des alluvions quaternaires des environs 
bbeville (Somme). 

Cn 1861, Edouard Lartet, si bon, si sympathique, publiait 
note sur la grotte d'Aurignac (Haute-Garonne). 
^e ne fut qu'en 1859, et, il faut l'avouer, grâce à Tinterven- 
1 de savants anglais, que les découvertes de Boucher de 
'thés ont été définitivement reconnues, 
ûnsi il a fallu plus de trente ans, le concours de quatre 
ants différents, la publication de faits complètement dis- 
ais et indépendants, distribués sur quatre points fort divers 
la France, enfin l'intervention de savants étrangers, pour 
3 nous admettions l'antiquité de l'homme. Cette aatiquité, 
bien établie maintenant, était censée porter atteinte à la 
gion. Il n'en a pas fallu davantage pour maintenir en échec 
longues années une donnée philosophique et naturelle des 
s importantes. Cela doit nous mettre en garde contre 



\ 



192 DONNEES PALETHNOLOGIQUES 

rinfluence de la foi dans l'enseignement. Si nous voulons 
marcher librement dans la voie des progrès en sciences, il 
faut complètement affranchir celles-ci de la foi ! 

Non seulement Thomme est quaternaire, mais il est même 
le type caractéristique de cette division géologique. Dire^ 
homme quaternaire est donc ne rien dire. Mais on peut diviser 
le quaternaire en deux parties : le quaternaire ancien qui ren- 
tre plus directement dans les temps géologiques et le quater- 
naire récent ou actuel. L'âge de la pierre se développe encore 
largement dans le quaternaire actuel et occupe tout le qua- 
ternaire ancien. C'est là que l'on peut introduire une excellente 
coupe, proposée par les Anglais. L'âge de la pierre apparte- 
nant aux temps actuels est désigné sous le nom de Néolithique 
(nouvelle pierre), et la pierre du quaternaire ancien est qualifiée 
de Paléolithique (pierre ancienne). Ce nom de paléolithique 
est des plus utiles pour désigner les temps qui présentent 
des modifications plus ou moins importantes d'orographie et de 
climatologie et par suite des modifications de flore et de 
faune. 

Tableau de classification. — La palethnologie a pris une 
extension si vigoureuse et si rapide, que bientôt les divisions 
précédentes se sont trouvées trop étroites et insuffisantes. 
Pour grouper méthodiquement les observations qui se pro- 
duisent de toutes parts, il faut agrandir les cadres et multi- 
plier les divisions. Déjà, en 1869, après avoir classé l'Expo- 
sition universelle de 1867 et le musée de Saint-Germain, j'ai été 
forcé de subdiviser le paléolithique en quatre époques. C'est 
le début de ma classification. Depuis, tous mes soins et tous 
mes efforts ont tendu à maintenir cette classification au 
niveau des découvertes qui allaient toujours en se multipliant. 
C'est ce qui fait qu'elle a pris un développement nécessaire 
et successif. Une bonne classification — ce qu'on appelle 
une classification naturelle — est le groupement rationnel 
des objets, des faits et des observations, rapprochant tout ce 
qui a des caractères communs, éloignant tout ce qui a des 
caractères différents et spéciaux. Les groupes doivent être, 
pour la facilité de l'étude, toujours tenus au courant des 
progrès de la science. C'est surtout dans les coupes de détail 
que les modifications doivent se faire sentir. Une bonne clas- 
sification doit être comme un tableau synoptique faisant res- 



i 



CLASSIFICATION 



•tir immédiatement les rapports et les différences. C'est ce 
e j'ai cherché à réaliser. 



TEMPS 






o 

en 

o 

u 

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O* 



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AGES 



<Ui Fer. 



«lu Bronze. 



en 

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cr 

O 

«A 

>« 

u 

eu 



(le la 
Pierre. 



PERIODES 



Mérovingienne. 



Romaine. 



Galatienne. 



EPOQUES 



Tsiganicnnc. 



Néolithique. 



Paléolithique. 



Éolithique. 



Wabenienne. 
( Wuben, Pas-de-Calais.) 



Chnmpdolienne. 
[Champdolenl, Seine-el-Oise.) 



Lugdunienne. 
{Lyon, Rhône.) 



Beuvravsienne. 
[Monl-Iieuvraij , Xièvre.) 



Marnienne. 
{Déparlemenl de la Marne.) 



Ilallstatlienne. 
{Ilallstatt, haute Autriche.) 



Larnaudienne. 
{Larnaud, Jura.) 



Morgienne. 
[Marges, canton de Vaud, Suisse.) 



Robenliausienne. 
{liobenhausen, Zurich.) 



Campignyenne. 
{Campigny , Seine-Inférieure.) 



Tardenoisienne 
{Fère-en- Tardenois, Aisne.) 



Tourassienne. 

{La Tourasse, Haute-Garonne.) 

Ancien Hiatus. 



Magdalénienne. 
(La Madeleine, Dordogne.) 



Solutréenne. 
{Solutré, Saône-et-Loire.) 



Moustérienne. 
(Le Moustier, Dordogne.) 



Acheuléenne. 
{Saint- Acheul, Somme.) 



Chelléenne. 
{Chelles, Seine-et-Marne.) 



Puycournienne. 
{Puy-Courny, Cantal.) 



Thenaysienne. 
( Thenay, Loir-et-Cher.) 



G. DE MORTILLET 



\^ 



194 DONNÉES PALETHNOLOGIQUES 



CHAPITRE II 



PALÉONTOLOGIE 



Origine de la vie. — Après avoir mis en ordre tous les 
documents recueillis, tirons les conclusions qui découlenl na- 
turellement de ce groupement rationnel. 

La première question qui doit nous préoccuper est celle de 
Torigine de l'homme. 

D'où provient-il ? 

Quand et comment a-t-il apparu? 

L'origine et le développement de l'homme se lient intime- 
ment à l'origine et au développement de la vie sur notre globe 
Mais, dans l'état actuel des sciences, pouvons-nous remonter ^ 
l'origine de la vie ? Et môme la vie a-t-elle une origine? NoU^ 
voyons ce que nous appelons la vie descendre peu à peu '^ 
quelque chose de si simple, de si primitif, de si embryonnaire^ 
que nous ne pouvons pas préciser d'une manière certaine o^^ 
commence ce qu'on nomme la vie organique. Et, à l'origir^^ 
supposée de cette vie, qui se bifurque immédiatement en v^ ^ 
végétale et vie animale, nous ne savons pas dans laquelle d^^- 
deux branches classer les premières manifestations. 

Pouvons-nous même dire que ce sont là les premières m^*' 
nifestations de la vie ? 

Le minéral, qui naît, qui s'assimile des éléments qu'il v'^ 
parfois môme chercher assez loin, qui grossit, qui prend un^ 
forme régulière, forme subissant l'influence des milieux, qu^ 
se multiplie et finit parla décomposition ou mort, ne vit-il pas 
comme l'animal et la plante, seulement à un degré inférieur i^ 

Cette idée de la vie beaucoup plus largement répandue 
qu'on ne l'admet généralement a quelque chose de si naturel, 
de si entraînant et de si séduisant, qu'un anthropologue des 
plus distingués, de Ouatrcfages, homme tout à la fois de science 
et d'imagination, non content de créer le règne humain — 
simple lambeau du règne animal — a aussi proposé la 
création du règne sidéral, tout disposé à accorder une vie 
propre aux astres. 



PALÉONTOLOGIE IQB 

Mais ce n'est pas ici le lieu de discuter ces graves et impor^ 
intes considérations. Il nous suffira d'étudier la vie végétale 
b animale pour arriver à celle de Thomme. 

IDéveloppement des plantes. — La géologie, grâce aux 
OTiches des terrains divers qui forment la croûte terrestre, 
lous fournit un livre dans les feuillets duquel on peut facile- 
aent lire Thistoire du développement des plantes et des ani- 
ïiaux qui ont successivement occupé la surface de la terre. 
Tout à fait à la base, les couches les plus anciennes nous mon- 
trent des débris variés d'objets organiques d'apparence con- 
fuse et peu caractérisée, par conséquent d'une classification 
difficile. Quand on examine les fossiles organiques les plus 
anciens, tout comme lorsqu'on étudie les éléments organiques 
actuels les plus simples,' on en est réduit à se demander : 
Sommes-nous en présence d'un végétal ou d'un animal? 

Puis les formes se dessinent et s'accentuent. On peut alors 
reconnaître très nettement les ordres, les familles, les genres 
et les espèces végétales aussi bien qu'animales. 

En feuilletant l'herbier des plantes fossiles, on reconnaît 
^^ô leur développement s'est opéré dans l'ordre suivant : 

lertiaire Maximum des Phanérogames angiospermes. 

Crétacé Plianérogames angiospermes mono et dico. 

tylcdones. 
r)ecr\^A ' j Infracrétacé. 

Liasien f Maximum des Phanérogames gymnospermes. 

Trias. 

Carbonifère j Phanérogames gymnospermes. 

t Maximum des Cryptogames vasculaires. 

Dévonien \ Cryptogames vasculaires supérieurs. Fou- 

/ gères. 

Primaire . < Silurien \ ^'^^®" • • Cryptogames vasculaires inférieurs. 
\ ' \ Base . . . Crytogames non vasculaires. Fucus. 

l Sommet . Fossiles indécis, végétaux ou animaux ? 
Cambrien j Base. . . Cryptogames non vasculaires, traces de 
f Fucus. 

Les végétaux se divisent en deux grands groupes. Les 
cryptogames ou végétaux inférieurs et les phanérogames ou 
végétaux supérieurs. Eh bien ! les cryptogames ont apparu 
bien longtemps avant les phanérogames. Et dans les cryp- 
togames ce sont les plus inférieurs qui ont apparu les 
premiers, les fucus, cryptogames composés simplement de cel- 
lules. Les cryptogames vasculaires, c'est-à-dire pourvus de 



196 DONNÉES PALETHNOLOGIQUES 

vaisseaux, ne se sont montrés que plus tard, et encore ont-ils 
débuté par les groupes ou familles inférieures. Les crypto- 
games vasculaires supérieurs, les fougères, sont les derniers 
venus. 

Les plantes phanérogames ou végétaux supérieurs n'ont 
apparu qu'à la fin des terrains primaires, lorsque de nom- 
breuses et luxuriantes végétations de plantes inférieures 
s'étaient plusieurs fois développées à la surface de la terre et 
avaient déjà accumulé la presque totalité des puissantes 
assises d'anthracite et de houille. 

Comme pour les cryptogames, l'apparition des phanéro- 
games s'est faite du simple au composé. Les phanérogames 
se divisent en deux groupes : les gymnospermes et les angio- 
spermes. Les gymnospermes, qui contiennent les conifères, 
les cycadées, etc., sont comme les intermédiaires entre les 
cryptogames et les phanérogames. En tout cas, ils représen- 
tent les phanérogames inférieurs. Eh bien ! les gymnospermes 
ont paru les premiers et, associés aux cryptogames, ont 
régné presque seuls pendant toutes les formations secon- 
daires. Ce n'est que vers la fin de ces terrains, dans les assises 
crétacées, que se sont montrées les plantes angiospermes. 
Les fleurs variées et aux brillantes couleurs ne sont venues 
orner et égayer la surface de la terre qu'à partir de ces 
assises. 

La paléontologie végétale démontre donc de la manière 1^ 
plus nette, la plus précise, la plus incontestable révolution de^ 
plantes. Nous voyons tout d'abord apparaître les formes le^ 
plus simples, des groupements de cellules, puis se montreu*' 
les cryptogames vasculaires qui se développent progressive-' 
ment et dont la famille la plus supérieure, les fougères» 
arrive la dernière. Viennent ensuite les phanérogames le^ 
plus simples, les gymnospermes, qui, après un long dé\^^ 
loppement, se mêlent enfin aux angiospermes. Chaque groupe 
à son tour apparaît, prend son maximun de développement 
et puis subit une décroissance. L'évolution, le développe^ 
ment progressif sont donc établis de la manière la plu^ 
certaine par les plantes. 

Développement des animaux. — Le développement zoo- 
logique, dans les temps géologiques, s'est opéré exacte^ 
ment comme le développement botanique, ainsi que le montre? 



PALÉONTOLOGIE 



197 



eau ci-joint. La seule différence que l'on puisse consla- 
est que le développement animal paraît avoir été plus 
j que le végétal. S'il semble moins apparent, cela tient 
aent à ce que les types étant plus variés, plus com- 
;, les modifications paraissent un peu plus accumulées, 
ie est plus enchevêtrée, mais elle est aussi régulière. 



laire Homme. 



Pliocène. 



Miocène . 



e . 



Sommet. 
Base . . 



Eocène . . \ ^'»^«"- ' 
Base . . 



Anthropopithèque d'Otta et Puy-Courny. 
Anthropopithèque de Thenay. 
Singes. 

Cebochœrus (cochon-singe). 
Mammifères placentaires ou supérieurs. 

Oiseaux sans dents. 



jire 



./ 



Crétacé 

Infracrétacé. 

! Oiseaux à dents, Archœopterix. 
Reptiles supérieurs, Chéloniens. 
Poissons osseux. 

i Mammifères inférieurs didelphes, dévelop- 
pement. 
Insectes supérieurs, Coléoptères, Hymé- 
noptères. 

Trias. .... Sommet. Mammifères didelphes, apparition. 

' Reptiles à vertèbres cartilagineuses ou 

Carbonifère sub-cartilagineuses. 

) Crustacés supérieurs, Décapodes. 
( Mollusques terrestres. 

l Poissons ganoïdes cartilagineux. 

Dévonien < Insectes myriapodes et pseudo-névrop- 

f tères. 

Sommet . Insectes, Scorpionides. 
Silurien. . { Milieu. . Poissons rudimentaires, Placodermes. 
Base. . . Mollusques supérieurs. Céphalopodes. 

Crustacés inférieurs, Trilobites. 
Mollusques inférieurs, Acéphales. 
J2 . Brachyopodes, Lingules. 

/ tjommet . ' Echinodermes inférieurs, Crinoïdes et 
\ I Proto-Oursins. 

Cambrien. ^ ' Protozoaires,. Spongiaires. 

[ Base . . . Annélides. 



îrtébrés. — Les animaux tout comme les végétaux se 
nt en deux groupes bien distincts : les invertébrés, 
ux inférieurs, et les vertébrés, animaux supérieurs, 
it les invertébrés les plus simples qui apparaissent les 
îrs. Leurs manifestations initiales sont si élémentaires, 
se demande si elles appartiennent à des plantes ou à des 
ux. Elles consistent en sillages laissés par des êtres 
u moins mous sur de la vase molle. Ces sillages res- 



198 



DONNEES PALETHNOLOGIQUES 



semblent au balayage produit par les fucus, les plus élémen- 
taires (les plantes, ou aux traces de certaines méduses, ani- 
maux composés uniquement d'une abondante quantité d'eau 
emprisonnée dans une fort petite quantité de matière animale 
gélatineuse. 

A côté de ces traînées ou sillonnages, on remarque des 
couches percées de trous ressemblant à ceux que font cer- 
tains vers. 

Enfin on relève quelques rares formes plus caractérisées. 

Telles sont les Oldhamia antiqua, fines sail- 
lies faisant faisceau de distance en distance 
(fig. 49). Ces traces si indécises, si primitives, 
occupent les assises de la base du Cambrien. 
Vers le sommet de ces terrains, la faune 
est beaucoup plus nette, plus riche et plus 
variée, bien que ne contenant que des inver- 
tébrés. Elle se compose de protozoaires ou 
spongiaires, d'échinodermes inférieurs, cn- 
noïdes et proto-oursins, de brachyopodes de 
la famille des lingules, de mollusques infé- 
rieurs ou acéphales, et de trilobites ou crus- 
tacés inférieurs. Cette faune a été décou- 
verte par Barrande, le savant et pieux insti- 
tuteur du Comte de Chambord (Henri V). Il 
lui a donné le nom de Faune première. Ce 
nom posé et donné comme fait acquis, l'au- 
teur déduit de la variété des types et surtout de la position 
de certains d'entre eux relativement élevés dans la série des 
Olres que cette faune première réduit à néant la théorie du 
développement progressif. 
Erreur. 

D'abord la faune première de Barrande n'est pas du tout la 
première faune, comme nous venons de l'établir. Il y a des 
animaux plus anciens et plus inférieurs à la base du Cam- 
brien. 

Ensuite cette faune est exclusivement composée d'inverté- 
brés. Il y a plus encore : dans chaque groupe elle débute par 
les familles les plus simples et les plus élémentaires. 

Il est du reste tout naturel que le Cambrien ait à son som- 
met une faune bien plus complexe qu'à sa base. La puissance 




Fig. 49. — Oîdha- 
mi a anliqua , 
FoRBEs. Cam- 
brien inférieur 
(l'Irlande. 



PALÉONTOLOGIE I99 

5 dépôts de celte époque démontre que sa durée a été fort 
igue. Ces dépôts atteignent 2.000 mètres dans le Brabant et 
t Ardennes, 3.5oo mètres en Amérique, Territoire de TOuesl, 
kx) à 6.000 mètres en Chine, enfin 8 à 10.000 mètres dans 
i îles Britanniques. 

Pour donner une idée du temps que représente une pâ- 
lie puissance de couches, il suffit de rappeler que dans le 
ssin de la Seine, à Paris, l'ensemble des terrains secon- 
ires et tertiaires, pendant lesquels il s'est opéré les chan- 
ments les plus considérables, n'a que i.5oo mètres de 
lissance. 

Les invertébrés régnent en maîtres dans le Cambrien. Ce 
3st qu'au milieu du Silurien que les vétébrés tout à fait 
imitifs font leur apparition. 

L'ensemble des invertébrés se distingue par sa rapide ap- 
irilion et par ses évolutions plus rapides encore. 
Les invertébrés articulés, crustacés et insectes, ont été plus 
nts. Si parmi les crustacés les types inférieurs, les trilobites, 

sont montrés de bonne heure au sommet du Cambrien, les 
pes supérieurs, les décapodes, n'ont apparu que dans le 
irbonifère. 

L'apparition des insectes et leur évolution sont plus récentes 
icore. Un scorpionide a été signalé au sommet du Silurien, 
est le premier animal terrestre. Le Dévonien a donné des 
yriapodes et des pseudo-né vroptères, insectes à métamor- 
ioses incomplètes. Pour trouver les insectes parfaits, les 
Jéoptères et les hyménoptères, il faut remonter jusqu'au 
asien. 

Vertébrés. — La sériation et l'évolution des invertébrés est 
rfaitement établie, mais celle des vertébrés est encore plus 
tte. Les vertébrés se divisent en quatre groupes, qui sont, 

allant des plus simples aux plus composés : les poissons, 
1 reptiles, les oiseaux et les mammifères. 
Les poissons, formant le groupe tout à fait inférieur, appa- 
ssent les premiers. Ils se montrent dès le Silurien moyen, 
y en a une quarantaine d'espèces connues sur un total d'en- 
•on 10.000 espèces de poissons divers. Ces premiers verté- 
§s sont aussi peu vertébrés que possible. Ce sont des pois- 
as de la famille des placoïdes ou placodermes à vertèbres 
rtilagineuses, dont le corps pour être soutenu a besoin 



200 DONNEES PALETHNOLOGIQUES 

d'être entoure de plaques extérieures. On n'a pas à s'étonner 
du niveau géologique inférieur auquel se montrent ces essais 
de vertébrés. A la prodigieuse puissance du Cambrien, que . 
nous avons fait connaître, il faut ajouter la moitié de celle du 
Silurien qui, comme total, est de i.5oo mètres en Belgique et 
de 5 à 6.000 en Angleterre. Les poissons ganoïdes cartilagi- 
neux, recouverts d'écaillés régulières formant cuirasse, se dé- 
veloppent dans le Dévonien. Pour trouver les poissons osseux, 
il faut remonter jusqu'à l'Oolithique. 

Les reptiles apparaissent avec le Carbonifère et s'y dévelop- 
pent rapidement. Leurs vertèbres, comme pour les poissons, 
sont d'abord cartilagineuses, puis sub-osseuses. i\ussi, (?ran(l 
nombre de reptiles primitifs ne sont connus que par l'em- 
preinte de leurs pas. Albert Gaudry a étudié d'une manière 
remarquable l'ossification partielle et progressive des ver- 
tèbres chez les reptiles permiens, surtout dans le genre 
Stereorachis des schistes d'Autun. Comme les poissons, cer- 
tains reptiles nageurs anciens ont les vertèbres biconcaves. 
Tels sont : YEosaurus du Carboniférien, Ylchthiosaurus et le 
Plesiosaurus du Liasien. 

Parmi les empreintes de pas de reptiles du Trias américain, 
on a remarqué des empreintes de pieds à trois doigts, pieds 
de reptiles qui se tenaient debout. Les labyrinthodontes 
bipèdes ont été constatés dans le Connecticut. L'infracrétace 
de Belgique a aussi donné des Iguanodon longs de lo à 
12 mètres, munis de pieds à trois doigts. Dans l'Oolithese 
sont développés les Plevodaclylus^ reptiles volants. Du Carbo- 
niférien au sommet des coupes secondaires, les reptiles ont 
pris un immense développement et paraissent avoir servi de 
laboratoire d'essai pour la formation des vertébrés supé- 
rieurs. 

Les reptiles supérieurs. Tes chéloniens, ne se sont montrés 
qu'avec r(3oHthique. 

Les reptiles à pieds garnis de trois doigts et les reptiks 
volants sont certainement les précurseurs, comme date d'ap- 
parition, des oiseaux. Etaient-ce des essais ? On pourrait 
l'affirmer en voyant le premier véritable oiseau connu : YAr- 
chœoplerix de l'Oolithique {Y\^. 5o). Si les bras ou pattes de 
devant sont de vraies ailes garnies de plumes, la mâchoire est 
une mûchoire de reptile garnie de dents, et la queue formée 



PALÉONTOLOGIE 201 

S vertèbres comme une queue de replile porte un véritable 
èveloppement de grandes plumes de queue d'oiseau. Les 
'iseaûx sans dents n apparaissent qu avec le Crétacé, Cepen- 




/L^M^I'^t^ 



dant nos oiseaux actuels se relient à leurs prédécesseurs de 
l'Oolithique par des rudiments de dentition qu'ils ont con- 
servés sans grand profil direct. 

Restent les mammifères. Le plus ancien qu'on a signalé est 
attribué au Trias américain. Mais, comme le synchronisme 
de ce Trias avec le nrttre est mal déterminé ou tout au moins 
laisse certains doutes, il pourrait bien n'iîlre que basien. En 
ïffel, on a rencontré des mammifères dans le Liasien de l'an- 



202 DONNEES PALETHNOLOGIQUES 

cien continent. Mais c'est surtout dans TOolilhique, formations 
d'eau douce de Purbeck, en Angleterre, qu'on arenconirédes 
mammifères fossiles. On en cite quatorze espèces de ce gise- 
ment. Tous ces mammifères secondaires sont des didelphes depe- 
tite taille. Ils ont surtout des caractères d'insectivores, pourtant 
quelques-uns se rapprochent des rongeurs et des carnassiers. 

L'apparition des mammifères est assez ancienne ; on peut 
la rapporter ù la base du Liasien et peut-être au sommet du 
Trias. Les nouveaux venus appartenant tous aux mammifères 
les plus inférieurs, les didelphes, se sont peu développés 
comme taille et comme nombre jusqu'à la fin du secondaire, 
pour prendre un essor prodigieux dès le début du tertiaire. Les 
didelphes ont continué à être nombreux, mais les placen 
taires ou mammifères supérieurs se sont montrés et ont bien 
tôt surpassé en nombre, en grandeur et en espèces lesmam 
mifères inférieurs. Les progrès ont été nombreux et on 
abouti à Thomme, caractéristique du quaternaire et couron 
nement actuel de la série animale. 

Succession des faunes. — Cette remarquable évolution 
progressive, qui aboutit actuellement à l'homme, s'est pro- 
duite par une nombreuse succession de flores et de faunes 
diverses. Elle est le résultat d'une immense accumulation 
d'autres évolutions de moindre importance. Tout dans 1^ 
monde évolue. Non seulement l'individu, quel qu'il soit, naîti 
se développe, prospère, vieillit et meurt, mais la réunion des 
individus, (ju'ils forment des espèces, des genres ou des f^' 
milles, subit des évolutions analogues. Le fait est nette 
ment établi par la paléontologie. D'Orbigny qui, l'un d^^ 
premiers, a bien constaté cette évolution générale et qui 1 ^ 
mise en évidence par des tracés graphiques, établissait ving^t,^ 
huit changements complets de faune dans les temps géol<^" 
giques. Les géologues actuels en admettent au moins ur^^ 
douzaine pour l'ensemble des êtres. Mais, comme les pluscoiï^' 
plexes, les plus supérieurs, varient plus facilement et plt^* 
rapidement, Albert Gaudry, dans son excellent ouvrage int^ 
tulé Enchaînement du monde animal^ établit quatorze faunes 
spéciales de mammifères rien que dans le tertiaire. 

Si tous les paléontologues sont et ont été d'accord sur ï ' 
succession des flores et des faunes, il n'en a pas été de mêtn^ 
pour ce qui regarde le mode de succession. D'Orbigny adm^^ 



TRANSFORMISME 203 

bstitutions radicales et subites. L'observation n'a pas 
cette nianière de voir. On a reconnu que les types 
uccessivement, se maintenant plus ou moins long- 
pparaissaient isolément et disparaissaient de même, 
is et disparitions s'enchevôtrant les unes dans les 
es lors, les flores et les faunes caractéristiques de 
poque, au lieu d'être absolues, sont des flores et des 
îlatives, se reliant avec les précédentes et les sui- 
llles sont caractéristiques comme moyenne, ou elles 
^uent par quelques espèces abondantes et de forme 
chée. Toujours est-il que dans les deux cas, plus les 
es faunes sont voisines, plus elles ont de rapports 
îs, plus elles se ressemblent. Tandis que plus les 
les faunes sont géologiqucment éloignées, plus elles 
Cela tient à ce que les types paraissent se relier les 
lutreset ne se modifient que successivement, les plus 
nontrant des modifications plus grandes et plus pro- 
ie ceux qui sont rapprochés davantage. Le fait est si 
i net, qu'il a frappé tout le monde et s'est manifesté 
ingage vulgaire de la manière la plus variée. Nous 
)nstamment sans hésiter : 

m 

e des êtres ; 

îne des êtres ; 

lie des êtres. 

ition et la sériation — non pas la sériation rectiligne, 

1 la sériation avec très nombreuses bifurcations — 

K. faits parfaitement établis, parfaitement démontrés. 

t se sont-ils opérés ? 



CHAPITRE III 



TRANSFORMISME 



onisme. — Deux hypothèses se présentent à l'es- 
toutes les plantes et tous les animaux ont été créés 



204 DONNÉES PALETHNOLOGIQUES 

d'après un plan régulier, ou ils sont le produit de transforma- 
tions successives. C'est ce qu'on appelle d'une part le créatio- 
nisme, de Tautre le transformisme. 11 n'y a pas, il ne peut pas 
y avoir d'autres hypothèses. 

Le créationisme découle de cosmogonies qui admettent une 
force toute-puissante en dehors de la nature. Cette force pro- 
duit des êtres indépendants les uns des autres, qui appa- 
raissent spontanément sans relation aucune avec les êtres 
déjà existants. 

Cette hypothèse d'une force toute puissante est un refuge 
pour l'ignorance. Au lieu de simplifier l'étude de la nature, 
elle surcharge cette étude d'une donnée inutile qui ne fait 
qu'en gêner le développement, tout en engourdissant et para- 
lysant les recherches. 

Les cosmogonies en général, mais surtout celle de la Bible, 
la seule qui a encore des adeptes parmi les nations les plus 
avancées, admettent une création initiale. Les êtres ont été 
créés au commencement. C'est tout. D'après la BibUy les 
plantes un jour ; un autre jour les animaux qui nagent dans 
l'eau et ceux qui volent dans l'air; enfin, un dernier jour, les 
animaux qui stationnent sur la terre. La création s'arrête là. 
En effet, lorsqu'il s'agit du déluge, cette cosmogonie fait 
construire par Noé une arche de grandes dimensions pour 
sauver toutes les espèces d'animaux terrestres et aériens. Une 
création postdiluvienne eût été bien plus simple!... 

Mais l'unité de création ne correspond pas du tout avec les 
données paléontologiques. Les espèces, les genres, les familles 
et même les classes et les ordres, tant en botanique qu'en 
zoologie, apparaissent individuellement et successivement. U 
faudrait donc admettre la création non pas par paquets et en 
une seule fois, mais individuellement et pendant toute la 
durée des temps géologiques. Or, si la création s'est prolongée 
pendant un tel espace de temps, pourquoi se serait-elle arrêtée 
de nos jours? Nous ne voyons plus de créations, et l'on n'a 
jamais pu en constater d'une manière certaine. 

Bien plus, ce sont les partisans du créationisme qui ont déca- 
pité leur théorie. Qu'est-ce en effet qu'une création? C'est 
l'apparition spontanée d'un être. Eh bien, ce sont les parti- 
sans du créationisme qui ont échafaudé la grande réputation 
de Pasteur, parce qu'il a prouvé que dans l'état actuel de la 



TRANSFORMISME . 205 

ïDLce, on ne peut pas constater la formation directe et inde- 
xante d'un être. 

ransformisme. — A la théorie du créalionisme, qui était 
qu'alors article de foi, un illustre savant français — beau- 
iptrop oublié — a opposé la théorie du transformisme, 
li nous n'avons jamais pu constater d'une manière claire, 
cise et certaine une création, il en est tout autrement des 
isformations, qui se montrent partout autour de nous. 
>es industries entières sont basées sur les données de la 
isformation, telles sont entreautres l'horticulture et la zoo- 
finie. Le jardinier transforme, on peut presque dire à son 
, les plantes, les fleurs, les fruits. L'éleveur modifie suivant 
désirs les animaux ; veut-il obtenir des animaux de bou- 
rie, il développe les parties charnues, diminue les os et fait 
me disparaître certains attributs, comme les cornes. L'in- 
se à lieu quand il s'agit d'animaux de travail, 
/homme ne peut pas créer, mais il peut transformer,et il en 
t largement. La nature en use d'une manière bien plus pro- 
de, bien plus persistante et bien plus considérable encore. 
)e même que dans la nature on a reconnu deux forces qui 
font équilibre, la force centripète et la force centrifuge, on 
xi constater parmi les êtres organisés deux tendances 
)osées, qui s'annulent plus ou moins. Ce sont d'une part le 
intien des formes et de l'autre l'impulsion modificatrice, 
d'autres termes, deux principes se balançant : celui de 
ité et celui de variabilité. 

Le maintien des formes est la tendance qui conserve les 
)es. C'est la force qui fait que le produit d'un être lui res- 
nble et subit le même mode de développement. C'est ce qui 
tintient les types, les espèces, les genres et les familles, 
lis cette similitude des types n'est jamais si parfaite qu'on ne 
isse toujours reconnaître les individus. Il y a donc sans 
Jse tendance à variations. 

-a modification des formes s'opère de deux manières, 
t par l'accumulation lente d'une série des petits caractères 
Térentiels qui en tout et partout servent à distinguer les indi- 
ualités, soit par des changements plus importants, excep- 
tinels, qui parfois se produisent chez certains individus. Ces 
3ingements sont souvent héréditaires, et, s'ils sont utiles et 
orables au développement de l'être qui les subit, ils peu- 



206 DONNÉES PALETHNOLOGIQUES 

vent se maintenir et se transmettre de génération en généra- 
tion, formant ainsi un nouveau type, une nouvelle espèce. 
Comme exemple, pris chez l'homme même, il suffit de citer 
la sexdigitation, qui se transmet très bien par hérédité. Si 
l'homme à six doigts était plus avantageusement organisé qne 
l'homme à cinq doigts, nous verrions la race sexdigitée se for- 
mer, devenir régulière et peut-être même remplacer celle à 
cinq doigts. En tout cas, l'exemple que nous venons de citer, 
pris entre un grand nombre d'autres, prouve que de graves 
modifications imprévues, portant sur des organes importants, 
altérant sensiblement les formes, peuvent se produire et se 
maintenir. Il y a donc deux modes de transformation : 

1** La transformation lente, résultat de l'accumulation suc- 
cessive d'une foule de petites modifications. 

2° La transformation par soubresaut, produite par l'appa- 
rition d'une modification de forme imprévue, de ce qu'on 
pourrait appeler un accident pathologique ou mieux encore 
biologique. 

La paléontologie nous a montré les êtres échelonnés dans 
les terrains suivant le plus ou moins de rapports qu'ils ont 
entre eux. Les plantes et animaux d'assises voisines ont beau- 
coup plus de rapports entre eux qu'avec ceux d'assises plus 
éloignées en altitude. C'est tout à fait l'ordre qui doit exister 
en admettant le transformisme. 

D'ailleurs, nous pouvons prendre le transformisme sur le 
fait. 

Preuves du transformisme. — Les faunes isolées ou par- 
quées soit par les mers, soit par des climats extrêmes, subis- 
sent, comme les faunes à extension libre, des modifications 
successives, mais ces modifications se font sur les caractères 
spéciaux propres à la faune isolée. L'Australie, cette grande 
île-continent, nous en fournit un exemple frappant. La faune 
mammalogique australienne — fort pauvre du reste — est par- 
ticulièrement caractérisée par les kangourous (fig.5i). Cesonl 
des marsupiaux à aspect étrange, à tête petite, au devant du 
corps étroit, au derrière fort développé, à queue longue et 
forte, et surtout à membres postérieurs très allongés et exces- 
sivement vigoureux, tandis que les membres antérieurs sont 
courts et grêles. Eh bien î presque toute la faune actuelle se 
compose de marsupiaux participant plus ou moins aux carac- 



TRANSFORMISME 



207 



res énoncés, formant une même famille, se divisant en genres 
en espièees divers. Cette prise de possession de l'Australie par 
s kangourous date des temps géologiques, car les ossements 
ssiles de cette grande !le appartiennent aussi à la famille de» 
tngonroBS. On voit très bien que c'est un type particulier 
lî a pris possession de l'ile, y a subi une longue évolution 




- Kangourou gùsnt d'Australie. 



l'occupe encore après de nombreuses transformations. 
Un autre type tout particulier, très spécial, est celui des 
tous (fig. 52). Ces tatous sont des mammifères recouverts de 
aques solides. Il n'en existe que dans l'Amérique du Sud. 
est là qu'ils ont subi une évolution spéciale. Ils forment une 
mille qui comprend encore quatre genres divisés en diverses 
pèces ; famille qui, dans les derniers temps géologiques, 
;cupait la même région et avait un développement bien plus 
>n^dérable que de nos jours, comme taille et comme varia- 
is de forme (fig. 53), en conservant toujours le caractère 
sentiel de la famille. On voit très bien que c'est la transfor 
alion du même type. 



'208 



DONNEES PALETII NO LOGIQUES 



Si de ces lypes isolés exirèmes nous passons aux types 
plus communs et plus disséminés, nous serons conduit aux 
mêmes conclusions. Les singes, par exemple, Tonnent ub 
groupe composé d'individus ayant des apparences commuoes, 
aussi sont-ils faciles à reconnaître. Pourtant ils se divisenlen 
deux grandes familles : celle des catarrhiniens (fig. 54), qui ont 
trente-deux dents comme l'homme et une queue relativement 
courte quand elle ne fait pas défaut ; celle des platyrrhinieùs 
(fig. 55), à trcnlc-six dents cl à queue longue, prenant«. Eh 
bien ! ces deux familles séparées l'une de l'autre par la mer et 




les climats froids du Nord, son! cantonnées, les catarrhiniens 
dans l'ancien continent, Europe, Afrique et Asie, les platyr- 
rhinieùs dans le nouveau continent, Amérique. Chacune de 
CCS familles a subi de nombreuses modifications dans les temps 
géologiques et actuels. Mais ces modifications fossiles ou 
vivantes se sont opérées dans chacun de ces types sans porter 
atteinte aux caractères essentiels, ce qui montre bien qu'elles 
sont spéciales à chaque type, que chaque type a subi des 
transformations propres. 

Les êtres les plus aptes à éviter les dangers et les mieux 
constitués pour résister aux causes de destruction, sont ceuï 
qui se maintiennent le plus. Faisant souche, ils produisent 
des descendants semblables à eux, ayant les mêmes qualités, 
de sorte qu'au bout d'un certain temps, il se forme un typ* 
plus résistant que les autres. C'est ce que l'on appelle la 



TKAKRFOBMISSIE 20g 

iéleclion. Ainsi dans le désert où loulcs les teintes sont grises, 
es animaux gris sont moins dislingm'ts de leurs ennemis; ils 
'Dtdonc plus de chance de vie. Tout ce qui n'est pas gris est 
étruit rapidement, et le désert finit par n'être habité que par 
es êtres revfitus de teintes grises. 

Dans les hautes montagnes oii la neige persiste, les animaux 
è couleur sont aperçus facilement par leurs ad\ ersaires , le& 
lancs, moms vus, échappent aussi s y forme t il des races 
Ibioes Telle est la perdrix blanche ou albme Mais, comme 




été la neige est fondue, les animaux qui restent blancs sont 
lacs un état d'infériorité, ils sont facilement détruits et dis- 
Mraissent. La sécurité, et par conséquent la conservation est 
icquise à l'animal qui est blanc l'hiver et plus ou moins brun 
été. C'est exactement ce qui s'est produit pour l'albine. 
•lême chose s'observe chez le lièvre des Alpes ou hévre va- 
lable. 11 est ainsi nommé parce que l'hiver il est blanc et l'été 
;risatre. Ces exemples si caractérisés de l'appropriation des 
Ormes et des couleurs monlrenl que la sélection est une 
onfirmation du transformisme. 
Les cavernes et lieux souterrains obscurs viennent corro- 
orer les observations faites au grand soleil du désert et aux 
onimets neigeux des montagnes. Des êtres s'y introduisent, y 
^meurent et s'y transforment. Le manque de lumière tend à 

G. DE MOBTILLET. \\ 



210 DONNÉES PALETHNOLOCIQUES 

modirier profondément leur couleur, qui pâlît et blanchit. Ce 
manque de lumière a encore une action bien plus considérable. 
La vue étant inutile, les espèces cavernicoles deviennent 
aveugles et finissent même par perdre toute trace d'yeuï. 
Ces transformations sont bel et bien établies par la présence 
de toutes les modifications cavernicoles dans les catacombes, 
les galeries d'exploitation, les travaux démine, dus à l'aclioD 
humaine. Ce sont donc certainement des transformations 



Fie. i!,. — Mugol d'Al^rlc, singe b coiirlc queue. 

produites relativement en peu de temps. Nous pouvons les 
observer et les suivre de nos jours. J'ai habité rue de Vau- 
girard auprès d'un soupirail des catacombes de Paris; il y 
avait là une race de souris à poil demi décoloré. Les galeries 
souterraines du Creuzot, près d'Autun, dont les premiers tra- 
vaux datent de 1780, ont déjà fourni des modifications, des 
transformations concernant des coléoptères et des arachnides. 
Les plus curieuses de ces transformations sont celles qui 
s'observent sur les souris. Le miheu obscur aurait dû déco- 
lorer le poil. Pas du tout, le poil est devenu plus noir. C'est 
que l'influence du milieu a été combattue et dominée par la 
lutte pour l'existence. Des souris blanches dans des galeries 
obscures, toutes teintées de noir, seraient tropylsibleselrapi- 



demenl détruites par les mineurs. Il n'y a que les individus 
Hoirs et bruns qui, n'ayant pas été aperçus, se sont maintenus. 
Dès lors, malgré l'influence du milieu, la sélection s'est pro- 
duite dans les teintes noires. La vue n'a pas encore disparu 
chez ces souris, mais les yeux, organes de la vue, ont diminué; 




par contre, l'ouïe étant appelée à remplacer la vue, les oreilles 
sesontdéveloppées. Telle est l'action d'une centaine d'années. 
Un autre exemple bien frappant de transformation est four- 
ni par Kerguélen. C'est une petite île perdue dans l'hémis- 
phère sud. Ckimme toutes les îles fort isolées, celle-ci devait 
être primitivement privée de faune sédentaire. C'est ainsi qu'au 
moment de leur découverte. Madère et les Açores n'avaient 
comme faune que des animaux volants. Pourtant on a trouvé 
à Kerguélen des insectes dépourvus d'ailes. Cette île est 
exposée à tous les vents, qui soufflent d'une manière presque 



212 DONMŒS PALETHNOLOGIQUES 

continue avec une extrême violence. Ces vents ont trans- 
port édans l'île des papillons et des mouches qui y ont fait 
souche. Mais ces pauvres insectes, contrariés continuellement 
par les courants d'air violents, ne pouvant se servir de leurs 
ailes qui étaient nuisibles au lieu d'être utiles, les ont pe^ 
dues. 

Les recherches, toutes modernes, sur la faune des mers pro- 
fondes finissent la démonstration. On a reconnu des séries 
d'animaux qui s'étagent à différents niveaux. Quand il existe 
de très grandes profondeurs, profondeurs empêchant la com- 
munication des animaux habitant sur chaque rive, la faune 
de chacune de ces rives diffère et se rattache de chaque côté 
à la faune de la surface. On peut alors reconnaître que les 
animaux des mers demi-profondes se relient à celle du rivage 
voisin. Il y a là des séries de transformations qu'il est facile 
de constater. 

On pourrait multiplier les preuves : 

Avec Fembryologiste, nous trouverions diverses formes de 
mammifères inférieurs dans les phases successives de l'em- 
bryon humain, sortes de témoins des stades de développe- 
ment subis par l'homme. 

Avec le biologiste, nous voyons souvent les formes an- 
ciennes se reproduire accidentellement, c'est ce qu'on appelle 
l'atavisme. Des chevaux prennent parfois les trois doigts des 
hipparions, qui sont leur type ancestral. 

Avec l'anatomisle, nous pourrions relever de nombreux 
souvenirs d'un passé différent, souvenirs qui ne servent plus 
à rien au type actuel. Ils peuvent même, parfois, être nui- 
sibles, comme l'appendice vermiculaire du caecum au com- 
mencement du gros intestin de Thomme, vieux reste prove- 
nant des herbivores et des rongeurs. 

Si maintenant nous comparons le transformisme avecle 
créationisme, nous sommes forcés de reconnaître que le pre- 
mier s'appuie sur une foule de considérations importantes; 
les preuves débordent. Il en est tout différemment pour le 
second. Le transformisme répond à tout, le créationisme à 
rien ! 

Le transformisme répond même à la question d'amour- 
propre humain, qui, bien que nullement scientifique, a été 
souvent mise en avant. En effet, avec le créationisme, 



PRÉCURSEUR DE l'hOMME ET PITHÉCANTHROPE 2l3 

iomme est déchu. Avec le transformisme, il s'est perfec- 
onné. C'est le cas de répéter le mot bien connu : J'aime 
ieux être un singe perfectionné qu'un Adam dégénéré. 
Ce mot, attribué à divers savants, est d'un de mes élèves de 
142, Edouard Claparède, de Genève, trop tôt enlevé à la 
ience. 



CHAPITRE IV 

PRÉCURSEUR DE l'HOMME ET PITHÉCANTHROPE 

Homme tertiaire. — Le 19 août 1867, l'abbé Bourgeois, 
ologue distingué, directeur du collège de Pontlevoy, annon- 
it à une séance du Congrès international d'anthropologie et 
irchéologie préhistoriques, alors réuni à Paris, qu'il avait 
mvé des traces manifestes de l'homme tertiaire. Cette nou- 
lle, provenant d'un savant estimé et d'un abbé, produisit 
e vive sensation. Il s'agissait de silex craquelés parle feu et 
entionnellement taillés (fig. 56 et 57). La première exhibition 
ces silex, au Congrès de Paris, n'eut pas de succès. Wor- 
le, de Copenhague, seul se déclara convaincu. Bourgeois 
se découragea pas. Il produisit de nouveaux et meilleurs 
lantillons au Congrès international de Bruxelles, en 1872. 
r une Commission de quinze membres nommée à cet effet : 

se déclara incompétent ; 

ne reconnurent aucun travail intentionnel ; 

en admit, mais avec réserve ; 

en reconnurent d'incontestables. 

.a polémique, à propos de la découverte Bourgeois, fut 
gue et vive. Mais l'inventeur ayant eu l'excellente idée de 
oser ses meilleurs échantillons au musée de Saint-Ger- 
in, les silex intentionnellement taillés gagnèrent tout à la 

de nombreux adhérents et le droit de fait acquis. 
les silex proviennent de la formation dite des calcaires de 
luce, qui font partie de l'Aquitanien. Ils ont été recueillis 
[lenay, petite localité toute proche de Pontlevoy (Loir-et- 



I 



2l4 DONNÉES PAI.ETHNOLOGIQUCa 

Cher). Le gisement appartient bien à rAquitanien, entre le 
lertiaii-e inrérieur et le tcrlinire moyen. Les silex proviennent 




FiG. 56. - Silex craqitclÉ. reUu^e 

Thenay (Loir-el-Chcr). Mu56c de Saint-Germain Gr not 

incontestablement des couches bien en place et non remanies 
En 1871, Carlos Ribeiro, directeur des travaux c 




de Portugal, signala â son tour des silex inlentionnellement 
taillés, provenant du Icriiairc de la vallée du Tage. En 1878, 
il en produisit quatre-vingt-cinq à l'Exposition universelle dt 



PRKCUnSEUR DE l.'lIOMME ET PITIlÉCANTIinOPK fJl5 

Paris. Sur ce nombre, assisté des palclhnoloRues les plus 
"^ spéciaux, j'en ai reconnu vingt-deux indubitablement taillés. 
Au Congrès international de Lisbonne, en i88i, une Com- 
mission de dix membres, ayantexaminé une série de silex pré- 
sentée par Ribeiro, reconnut que tons portaient des conchoïdes 
Je percussion (fig. 58 et Sg). Plusieurs conservaient encore 
■ dans des conchoïdes en creux des fragments de la roche, ce 
m lui, comme je l'ai fait observer, leur donnait un certificat 
■ d'origine. Enfin, fi l'excursion d'Olta, Giuseppo BcUucci, de 




* Grouse, a découvert un silex tadié en place dans une couche. 

Les silex taillés de la valWe du Tage,surtout à Olta, sont donc 
^n fait acquis. Ils appartiennent aux assises intermédiaires 
^nlre le sommet du tertiaire moyen et la base du tertiaire 
Supérieur; assises caractérisées par la prcscncedc l'hipparion. 

Enfin, en 1877, Rames, savant naturaliste français, a signalé 
des silex taillés (lig. 60 et 61 ) dans un gisement à peu près de 
la même époque que le prccédcnt, le Puy-Courny, près 
d'Aurillac (Canlal). 

Vers 1895, Nretling a signalé à Rurma (Inde) des silex taillés, 
dans une formation miocène ou tertiaire moyen. Nous n'avons 
pas de renseignements bien précis sur cette découverte. 
R. D. Oldbam croit qu'il y a remaniement. N'importe, les 
considérations exposées concernant les autres gisements mio- 
cëoes s'appliquent aussi à celui-ci. 



2lf> DONNÉES PALETHNOI.OGIQUES 

Nous pouvons donc dire que des couches certainement 
tertiaires ont fourni des silex intentionnellement taillés, c'est 
ce qui a fait admettre Thomme tertiaire. 

L'homme essentiellement quaternaire. -^ Mais Thomme 
tertiaire a-t-il réellement existé ? Nous pouvons répondre net- 
tement : 

— Non ! pour deux raisons. L'une, majeure : les lois de la 
paléontologie s'y opposent. L'autre, d'une importance bien 
moindre, dépendant d'une question de nomenclature. 

La paléontologie nous apprend que les êtres varient et 
changent d'étage en étage. Ces changements sont d'autant 
plus rapides que les ôtres sont plus complexes, cette com- 
plexité favorisant les transformations. 

En 1878, Albert Gaudry, au commencement du premier 
volume de ses Enchaînements du monde animal^ donne le 
tableau des faunes mammalogiques qui se sont succédé pen- 
dant le tertiaire. Il en relève quinze. La faune des marnes de 
Thenay, à silex brûlés et intentionnellement taillés, se rat- 
tache au neuvième étage de Gaudry. Elle se place donc vers 
la base de la moitié supérieure des assises tertiaires. Entre 
elle et la faune quaternaire, il y a six, ou tout au moins cinq 
faunes ditïcrentes. Une forme animale ne peut s'être main- 
tenue pendant un si long espace de temps, d'autant que les 
différences entre les deux faunes ne portent pas seulement sur 
de légers caractères désignés sous le nom de spécifiques, mais 
sur des caractères bien plus importants que les zoologistes 
considèrent comme des caractères génériques. L'homme ne 
pouvait donc pas absolument exister alors. 

Les gisements à silex intentionnellement taillés d'Otlael 
du Puy-Courny sont beaucoup plus récents. Tous les deux 
à peu près du même âge, ils sont classés dans le Tortonien, 
sommet du miocène ou tertiaire moyen. Depuis cet étage la 
faune mammalogique a changé entièrement deux fois. L'homme 

seul serait-il resté invariable, lui qui est à la tête des animaux 
dont l'organisation est la plus complexe? Ce serait contraire 
à toutes les lois de la paléontologie. Et il n'est pas possible 
de réclamer pour l'homme une exception aux lois générales. 
Il suffit de jeter un simple coup d'œil sur les populations 
actuelles des diverses régions du globe pour reconnaître que 
l'homme varie tout autant et même plus que les autres ani- 



r _» / 



PRECURSEUR DE L.HOMME ET PITHECANTHROPE 21 7 

maux. L'homme n'existait donc pas et ne pouvait pas exister 
pendant le Tortonien pas plus que pendant TAquitanien. 

Définition du quaternaire. — Au point de vue zoolo- 
gique, les terrains primaires sont caractérisés par le grand 
développement des animaux inférieurs. Comme vertébrés, les 
poissons et les reptiles seuls font leur apparition et encore 
sous les formes les moins vertébrées possible. 

Les terrains secondaires se distinguent par la grande exten- 
sion et la puissance des reptiles. Les oiseaux et les marsupiaux 
se montrent. 

Les terrains tertiaires brillent parja multiplicité et la variété 
des mammifères placentaires. 

Les terrains quaternaires sont caractérisés par l'apparition 
de l'homme, l'être le plus élevé de toute la série animale, le 
dominateur de tous les autres animaux. 

En résumé, le primaire est l'ère des invertébrés; le secon- 
daire, des reptiles ; le tertiaire, des mammifères; le quater- 
naire, de l'homme. 

Au point de vue géologique, le choix de l'homme comme 
caractéristique du quaternaire est tout aussi fondé qu'au point 
de vue paléontologique. En effet, de l'apparition de l'homme 
date l'apparition d'une force nouvelle, indépendante de toutes 
les forces anciennes, qui modifie puissamment la nature, dé- 
tournant des rivières, créant ou desséchant des lacs, réunis- 
sant des mers, perçant des montagnes, etc. Le quaternaire 
partant de l'apparition de l'homme a duré, dure et durera tant 
que l'homme existera. Nous sommes en plein quaternaire. 

Depuis i883, j'ai émis cette opinion dans le Préhistorique^ 
et depuis 1876, dans mes cours de l'Ecole d'anthropologie. 
A la quatrième session du Congrès géologique international, 
tenue à Londres en septembre 1888, la majorité s'est pro- 
noncée pour le maintien du quaternaire caractérisé par la 
présence de l'homme. Etaient de cet avis : Gaudry, de Lappa- 
rent et Gosselet de France, John Evans et Prestwich d'An- 
gleterre, Pilar de Croatie, etc. Aussi de Lapparent dans son 
magistral Traité de géologie adopte-t-il cette opinion. 

Le difficile est de déterminer d'une manière bien précise 
où commence le point de départ. La contemporanéité de 
l'homme et de VElephas antiquus est bien reconnue. Chelles le 
prouve d'une manière indubitable. C'était la limite inférieure 



21 8 DONNÉES PALETHNDLOGIQUES 

du quaternaire. Mais, depuis deux ou trois ans, les publications 
de Boule, Capitan et d'Ault du Mesnil montrent qu'il faut 
reculer cette limite. Des instruments humains incontestables 
ont été rencontrés avec des débris d'Elephas meridionalis^ 
espèce qui jusqu'à présent passait pour exclusivement ter- 
tiaire. Cela ne change rien au principe. Le résultat est de 
vieillir l'homme et d'agrandir son domaine. 

Précurseur de rbomme. — De tout ce qui précède il reste 
bien établi, d'une part, que l'homme n'existait pas au delà 
du quaternaire ; d'autre part, que pendant le tertiaire un être 
savait exécuter un travail humain rudimcntaire. 

Nous sommes donc forcés d'admettre un précurseur de 
l'homme. 

C'est à la réunion de Lyon de l'Association française pour 
l'avancement des sciences, en 1878 (1), que j'ai posé pour la 
première fois la question du précurseur de l'homme. Mon 
savant et regretté ami Abel Hovelacque vint appuyer ma pro- 
position au nom de la linguistique (2). Nous établissions qu'il 
a existé, pendant le tertiaire, un être intermédiaire entre 
l'homme et les singes anthropoïdes actuels; plus avancé que 
ces derniers, il n'avait pas encore atteint le développement 
intellectuel de l'homme. 

Il fallait baptiser cet être intermédiaire entre les singes an- 
thropoïdes et l'homme. Dans la Revue d'Anthropologie de 
Broca du i5 janvier 1879, je l'ai nommé Anthropopithèque, 
homme-singe. Le nom est très exact comme qualificatif, mais 
il paraît que, d'après les règles de priorité, je n'avais pas le 
droit de l'employer, un auteur ayant déjà appelé anthropo- 
pithèque l'orang-outang, singe anthropoïde vivant des plus 
voisins de l'homme; preuve que le nom était exxîellent. Je 
le conserve donc, mais au lieu de le composer de deux mots 
grecs, je le forme de deux mots latins. L'Anthropopilhèque 
devient l'Homosimien. 

Les habitudes de l'homosimien a({uitanien ou précurseur 
de l'homme deThenay étaient différentes de celles de l'homo- 
simien tortonien ou précurseur de Thommed'Otta et du Puy- 

(1) G. DE MoRTiLLET, Le Préciirsciir de V homme. Comptes rendus 
de la session de Lyon, p. G07. 

(2) Abel Hovelacque, La Linguistique ci le Précurseur de Vhomme, 
ibid., p. 6i3. 



PRÉCURSEUR DE l'iIOMME ET PITHÉCANTHROPE 219 

lourny. Le premier, celui du tertiaire moyen inférieur, faisait 

dater le silex par Faction de la chaleur et retouchait certains 

iclats;le second, celui du tertiaire moyen supérieur, détachait 

?ar percussion des éclats de pierre à bords tranchants. Pour 

rendre hommage aux savants qui ont découvert les œuvres 

de ces homosimiens, j'ai donné le nom d'Anthropopithecus ou 

Homosimius Bourgeoisii à celui de TAquilanien et A'Anthro- 

popiihecus ou Homosimius Riberoï à celui du Tortonien. Mais 

ces deux précurseurs de Thomme étant séparés par trois 

étages paléontologiques, non seulement ils ne peuvent pas 

appartenir à la môme espèce, mais très probablement ils sont 

séparés par des caractères génériques. 

Ces deux précurseurs de l'homme ne sont connus et carac- 
térisés que par leurs œuvres. La seule donnée anatomique 
que nous pouvons déduire de ces œuvres, c'est que ces 
3nthropopithèques ou homosimiens étaient d'une taille infé- 
"'eure à celle de l'homme. Leurs instruments sont petits. 
^Gux de VHomosimius Bourgeoisii moindres que ceux de 
homosimius Riberoï, 

Singes fossiles. — Les singes sont les animaux qui re- 
^tit la série mammalogique inférieure à l'homme. Le fait 
^t. si clair, si net, si frappant, que le grand classificateur 
iriné, fils d'un ministre évangélique, dans son Syslema 
^lurœ^ qui eut douze éditions en moins de trente ans, de 
735 à 1766, n'hésita pas à ranger l'homme dans l'ordre des 
*^îmates. Personne alors ne s'est révolté contre l'idée de 
' homme servant de chef de file aux singes et surtout aux 
anthropoïdes. Cette fausse pudeur était réservée à notre siècle, 
justement quand la science vient démontrer que Linné avait 
très fortement raison. 

L'homme n'a pas pris naissance en Amérique, les singes 
(le cette partie du monde, fossiles ou actuels, sont restés dans 
un état d'infériorité qui les éloigne de l'homme. Pourtant les 
frères Ameghino de La Plata prétendent qu'un singe des plus 
anciens, puisqu'ils le placent vers la base de l'éocène ou 
tertiaire inférieur de Patagonie, VAnihrophps perfecius ^ 
a la mâchoire inférieure à peine plus longue que large. 
Les dents sont disposées en demi cercle. A côté de ces carac- 
tères supérieurs, les Anthropops sont tout petits et ont 
d'autres caractères inférieurs qui les relient auxdidelphesdes 



220 DONNÉES PALETHNOLOGIQUES 

premières faunes mammalogiques. C'est comme un essai, un 
acheminement vers le type humain. 

Revenons à Tancien continent, qui a conservé le monopole 
des Anthropoïdes ou singes les plus voisins de Thomme. Nous 
en connaissons quatre genres vivants, deux des parties les 
plus chaudes de l'Afrique : les Gorilles et les Chimpanzés; 
deux des régions tropicales de TAsie et des îles de la Sonde: 
les Orangs-outangs et les Gibbons ou Hylobates. L'étude de 
ces quatre genres d'anthropoïdes prouve qu'on est en pré- 
sence de proches parents de l'homme mais non d'ancêtres. 11 
y a entre ces anthropoïdes et l'homme, des différences trop 
importantes, surtout au point de vue du développement 
cérébral, pour que l'homme descende directement de l'un 
d'eux. Il faut forcément chercher l'ancêtre de l'homme parmi 
les singes fossiles. 

En Europe, pendant le miocène, période à température 
chaude, il y a eu un brillant épanouissement de singes supé- 
rieurs. Ainsi, pendant le Mayencien ou Langhien, division 
du miocène ou tertiaire moyen, nous trouvons en France et 
dans les pays environnants trois singes de forte taille, très 
avancés comme organisation , se rapportant aux anthro- 
poïdes ou s'en rapprochant beaucoup. Ce sont VOreopi- 
ihecus Bambolii^ le Pliopithecus antiquus et le Dryopithecus 
Fontani, Malheureusement, les échantillons recueillis sont 
encore loin de fournir des renseignements suffisants pour 
savoir quel est de ces trois singes et des suivants ceux que 
l'on peut rapporter au précurseur de l'homme. Je dis les 
suivants parce que les autres assises du tertiaire ont aussi 
fait connaître divers autres singes. Mais la température bais- 
sant graduellement en se rapprochant du quaternaire, les 
singes ont diminué progressivement en nombre et en déve- 
loppement comme espèces. On peut pourtant déduire de ce 
que nous savons que ce n'est probablement pas en Europe 
qu'a apparu l'homme ni même son précurseur immédiat. 
Pour le trouver, il faut aller dans les collines subhima- 
layennes de Siwalik, qui ont donné le Palœopithecus, singe 
se rapprochant du Chimpanzé, l'anthropoïde le plus supérieur 
d'Afrique. 

Et même, d'après une découverte importante qui vient 
d'avoir lieu, il faut diriger nos recherches du côté de Java. 



PRÉCURSEUR DE l'hOMME ET PITHÉCANTHROPE 221 

Pithécanthrope. — En 1894, un médecin militaire hollan- 
dais, Eugène Dubois, a publié, sous le nom de Pithecan- 
thropus erectus^ un mémoire (1) sur quelques ossements 
qu'il attribue à un intermédiaire entre les singes anthropoïdes 
et rhomme. 

Ces ossements consistent en : 

Deux dents, seconde et troisième molaires ; 

Un fémur complet ; 

Une calotte crânienne. 

Ils ont été trouvés à Trinil, sur le Bengawan, cours d'eau 
de rtle de Java, dans une assise composée en majeure partie 
de tufs volcaniques fossilifères. Les quatre débris n'étaient 
pas réunis. Ils ont même été découverts à diverses époques, 
mais tous cependant à peu près au même niveau. 

Les ossements fossiles des couches de tuf volcanique de 
Trinil ont des caractères tout particuliers. Ils ont pris des 
teintes plus ou moins brun chocolat, et se sont fortement 
imprégnés d'éléments pierreux, ce qui les rend très lourds. 
Les quatre débris figurés et décrits par Eug. Dubois, pré- 
sentent ces caractères. Ils proviennent donc bien tous les 
quatre du gisement. Le fémur pèse deux fois plus qu'un 
fémur humain frais de même volume. 

Les quatre fragments appartiennent-ils à un seul et même 
individu? Ce n'est pas prouvé, mais c'est probable. Il n'y a ni 
double emploi, ni autre impossibilité. Ils proviennent d'un 
espace peu étendu, on dit une quinzaine de mètres. Les couches 
fossilifères se prolongent au loin dans la vallée ; des fouilles 
faites autour du gisement et au loin n'ont rien donné se rap- 
prochant des quatre débris décrits. Ces quatre débris appar- 
tiennent donc à des individus de la même espèce et très pro- 
bablement à un seul et même individu. 

Quel est l'âge géologique du gisement? La profonde alté- 
ration des os tend à montrer qu'ils ne sont pas récents et 
qu^ils doivent faire partie du tertiaire plutôt que du quater- 
naire. Cette appréciation est pleinement confirmée par l'exa- 
men des autres ossements. Ils sont fort abondants et 
paraissent appartenir à des espèces éteintes, bien que, comme 



(1) Eug. Dubois, Pithecanihropus ereclus,eine menschenaehnllche Ueber- 
gangs form aus Java^ Batavia, 1894. 



â2â 



DONNEES PALETHNÔLOGIQUES 



genres, se rapprochant beaucoup de la faune actuelle de Java 
et des régions voisines. Le gisement appartient donc au plio- 
cène. Il a de forces affinités avec les dépôts des collines subhi- 
malayennes de Siwalik dans l'Inde, dépôts dont Falconer 
disait : 

— En les fouillant, je croyais toujours voir apparaître 
l'homme ! 

La découverte d'Eugène Dubois fit grand bruit. Le soin 
avec lequel il Ta publiée, l'activité qu'il a déployée et l'heureuse 
idée qu'il a eue de présenter les pièces originales dans tous 
les grands centres de travail, l'ont fait étudier et discuter de 
toute part. Mais les avis ont été on ne peut plus partagés. Us 
se sont tout d'abord groupés par nationalités. Les Anglais, 
compatriotes de Darwin, ont fait de grands efforts pour 
démontrer qu'il ne s'agit que d'un homme, un homme très 
inférieur, mais déjà un véritable homme. Les Allemands au 
contraire se sont froidement ingéniés à prouver qu'il ne 
s'agit que d'un singe. Les Français ont purement et simple- 
ment adopté les déterminations du jeune savant hollandais. 
C'était chose facile pour des compatriotes de Lamarck. Celait 
chose d'autant plus naturelle que la division en parts à peu 
près égales des opinions extrêmes est plus que suffisante pour 
bien établir qu'on est en présence d'un être intermédiaire. 

C'est en effet la conclusion qui découle forcément de l'étude 
des pièces. 

Dans un article publié en septembre 1896 (1), W. Dames a 
fait le relevé de l'opinion de 21 auteurs de nations diverses 
concernant les pièces provenant de Trinil. En voici le résumé: 








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INDICATION 




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DES PIÈCES 




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2me molairo 


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4 




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8 


2 
6 


S"*» molaire 


Féinur 


]3 
6 




6 
8 


1 

C 


Calotte crânienne 



(1) w. Dames dans Dzulsche Rundschau^ sept. 1896, p. 368. 



PRÉCURSEUR DE L^HOMME ET PITHÉCANTHROPE 



223 



■"^N, 



i^ 



ï^-i 




FiG. 62. — Face. 




FiG. 63— Profil. 

Molaire du Pi- 
thécanthrope 
de Java. Gr. 
nat. 



^ents : La troisième molaire (fig. 62 et 63), par ses propor- 
s et récartement de ses racines, s'éloigne de son équiva- 
lente chez l'homme sans pour cela res- 
sembler aux dents analo- 
gues des anthropoïdes. 
La deuxième molaire dif- 
fère aussi, mais moins 
profondément. 

Fémur: Le fémur (fig. 

64) se rapproche beaucoup 

du fémur humain, pour- 

. ^ ^ tant Manouvrier en l'étu- 

"^■"^ ^ diant avec le plus grand 

soin, a reconnu et démon- 
tré qu'il en diffère par 
plusieurs caractères. On 
est à première vue frappé 
par sa gracilité, c'est-à- 
dire son peu d'épaisseur 
par rapport à sa longueur ; ce caractère 
le sépare beaucoup des fémurs des grands 
anthropoïdes, mais non de celui des Gib- 
bons ou Hylobates. Ce fémur porte une 
forte excroissance osseuse accidentelle. 
Si c'est une forme de transition, non en- 
core fixée, il n'est pas étonnant d'y trouver 
une altération. 

Calotte crânienne : Pièce la plus impor- 
tante (fig. 65 et 66). A elle seule elle justifie 
le nom de Pithécanthrope. Examinée avec 
le plus grand soin et la plus complète 
impartialité, il est impossible de dire : 
— Elle représente un crâne humain. 
On ne peut pas davantage dire : 
- Elle appartient à un crâne d'anthropoïde, 
lie est on ne peut plus intermédiaire entre celle du 
le de l'homme le plus inférieur et celles des crânes de 
anthropoïdes. Parmi ces derniers ce sont, sauf pour ce 
concerne les dimensions, caractère de peu d'importance, 
2rânes de Gibbons qui en diffèrent le moins. Les Gibbons 



04. — Fémur du 
hécanthrope de 
ra. 1/4 gr. nat. 



I 




224 DONNÉES PALETHNO LOGIQUES 

sont aussi, de tous lesanlhropoïdes, ccuxdonllamarcheest/s 
plus verticale. Le Pithécanthrope est donc l'intermédiaire qui 
relie les Gibbons ou Hylo- 
bales avec l'Homme le plus 
inférieur actuellement con- 
nu, la race de Néanderthal, 
Développement dn cer- 
veau. — Comme l'hoinme 
doit le développement de 
son intelligence au déve- 
loppement de son cerveau, 
le développement du cer- 
veau devient la meilleure 
caractéristique de rhommc. 
L'homme est le mammi- 
fère dont le cerveau est le 
plus développé. 

Comme qualité, nous ne 
pouvons rien dire du cer- 
veau du Pithécanthrope, 
mais comme quantité nous 
pouvons l'apprécier assez 
exactement, bien que la calotte crânienne de Trinil soit 
assez endommagée. On a dmet assez généralement que 




h- 



cette capacité est de i.ooo centimètres cubes. Elle paraît 
même un peu moindre. Dubois la fait descendre vers 900. 



PRÉCURSEUR DE I 



; ET PITHÉCANTHROPE 



225 



ceptons 1 .000, c'est eocore un chiffre bien iaférieur à celui 
la moyenne des races humaines les plus primitives et les 
>ins développées. Si parfois la capacité crânienne d'un 
mme descend exceptionnellement à ce chiffre, c'est qu'on 
tffaire à un homme dégénéré au moral et au physique. C'est 
i cas pathologique comme organisation ou développement. 




La différence entre la capacité crânienne normale de 
lomme et celle des singes anthropoïdes étant fort considé- 
ile, elle se présentait presque comme une difficulté, une 
ijeetion à opposer au transformisme. La capacité crânienne 
1 Pithécanthrope vient trancher la difficulté et annuler 
>bjection. C'est une preuve de plus qu'il s'agit bien d'un 
termédiaire. 

Les jeunes anthropoïdes et les jeunes hommes ont le plus 
■and rapport, La différence ne s'accentue que lorsqu'ils 
mennent adultes. Le crâne des anthropoïdes s'ossifie plus 
pidement que celui de l'homme, ce qui emprisonne et com- 

G. DE MoRTILLEr. \^ 



226 DONNÉES PALETHNOLOGIQUES 

prime le cerveau, et par conséquent l'empêche de se déve- |*^i 
lopper. En outre, cette ossification s'opère chez les singes fr^ 
d'avant en arrière, ce qui fait que la partie antérieure du cer- 
veau, la plus noble et la plus intellectuelle, est justement 
celle qui a le plus à soufTrir de l'ossification prématurée. 

Parmi les anthropoïdes, le Gorille produit plus qu'il ne faut 
de matière osseuse pour former une belle boîte crânienne, 
mais cette boîte se ferme trop tôt et la matière osseuse ne 
trouvant plus son emploi pour former une élégante voûte 
s'accumule à la surface en épaisseurs formant crêtes (fig.67). 
C'est là incontestablement un acheminement au type humain. 
La matière Crânienne est bien suffisante, seulement elle est 
mal façonnée. 

Chez les Gibbons ou Hylobates, l'afflux de calcaire crânien, 
au Heu d'être surabondant, s'est réglé sur les besoins ; la boîte 
crânienne a pu se développer régulièrement. Aussi remar- 
quons-nous chez le Pithécanthrope des affinités avec lesi 
Gibbons. La transformation se conçoit et s'explique d'autant. 
mieux que les Gibbons, parmi tous les anthropoïdes, sont ceux 
qui sont les plus aptes à la station verticale.il y a, il est! 
vrai, des différences de taille et de dimensions des membres, 
mais ces modifications sont de celles qui ont le moins d'im- 
portance et de valeur. La surabondance de calcaire des bras, i 
qui sont fort allongés, a pu se porter sur le crâne. 

Reste à bien préciser l'âge du Pithécanthrope. A propos de 
cet âge, plusieurs auteurs se sont servis du naot Pleistocène. 

Le Pleistocène est une case à débarras où les Anglais 
placent tout ce qui les gêne entre le pliocène ou tertiaire su- 
périeur et le quaternaire. C'est une division mal définie, à 
abandonner dans la nomenclature géologique actuelle. 11 est 
bien plus clair de dire que le Pithécanthrope est nettement 
Pliocène. C'est du reste la place qui convient au précurseur 
de rhomme. 

Nous voilà à même de bien déterminer l'origine de l'homme, 
sa place dans le monde et son immense importance. 

L'homme, produit de lentes transformations et d'innom- 
brables modifications successives remontant à l'origine des 
êtres, est un mammifère qui occupe le sommet de l'échelle 
animale. 

Son précurseur le plus immédiat connu est le Pithecan- 



PALEOLITHIQUE 227 

thropus erectus de Java, qui a de grandes affinités avec les 
Gibbons, anthropoïdes du sud-est de l'Asie. L'homme est donc 
très probablement originaire de ces régions. 

La caractéristique principale de l'homme est un grand dé- 
veloppement du cerveau et par suite de l'intelligence. 

Cette intelligence est une force nouvelle et spéciale qui 
entre enjeu dans la nature; aussi, avec l'homme commence 
une division géologique nouvelle : le Quaternaire. 



CHAPITRE V 

PALÉOLITHIQUE 

Chelléen et Acbeuléen. — Enfin l'homme parut, et le qua- 
ternaire commença. 

Paléontologiquement, le quaternaire tout à fait inférieur 
est caractérisé par une faune mammalogique contenant des 
types qui se relient intimement aux mammifères pliocènes et 
sont les précurseurs de nos espèces actuelles. Quelques- 
unes de ces espèces se montrent déjà et deviennent suc- 
cessivement plus nombreuses. On remarque le Trogonthé- 
rium, grand rongeur voisin du castor, dont il se distingue 
surtout par la taille ; V Hippopotamus major^ qui ne paraît 
différer de l'hippopotame vivant que par un plus grand 
développement ; des Rhinocéros se rattachant tout d'abord 
aux derniers types pliocènes, puis, devenant plus spéciaux. 
Rhinocéros iichorhinus^ souche de nos divers rhinocéros vi- 
vants; des Éléphants. L'éléphant le plus caractéristique 
de notre quaternaire inférieur est ÏElephas aniiquus , si 
abondant dans les alluvions quaternaires du gisement de 
Chelles. L'E. antiquus est, tout à fait à la base du quater- 
naire, associé à un éléphant plus ancien, VElephas meri- 
dionalis^ association constatée par Boule et Capitan dans 
les balastières quaternaires de Tilloux (Charente-Inférieure) et 
par d'Ault du Mesnil dans les alluvions inférieures d'Abbe- 




aa8 DÛMStES PALET 11 NO LOGIQUE s 

>ille A un nneau plus élevé apparilt et se développe ie 
Mammoulh Elephas pi imigemus qui dans nos régioDssesl 
mainlcnu ju'<qu à 1 1 fin du paléoiilliique 
Les O'îsemenlsddtplianls élanl dune pari fort résistants, 
ils se conservent bien; 
élant d'autre part très 
gros ils attirent l'allen- 
lion (le ceux qui les dé- 
couvrent. On a donc pu 
les étudier avec d'abon- 
dantes pièces à l' appui- 
Cette élude a démontré 
que les trois espèces de 
notre quaternaire se re- 
lient entre elles et 
qu elles passent de l'une 
i I autre. Les deux es- 
pè(es vivantes de nos 
joursse rattachent aussi 
à nos espèces fossiles, 
ce qui vient encore à 
1 appui du transfor- 
misme. 

En fait d'ossements 
humains, moins heu- 
reux que pour ce qui 
concerne les autres ani- 
maux nous n'en cod- 
naissons pas encore ap- 
partenant dune manière 
certaine aux dépôts qua- 
ternaires tout à fait in- 
férieurs. L'existence de l'homme à ce niveau n'en est pas 
moins certaine. Si nous n'avons pas ses os, nous avons ses 



Garonne). Musie de TohIi 



Il ne s'agit plus là, comme au gisement tertiaire de 
Thcnay, de petits silex éclatés par la chaleur et retouchés 
sur les bords, ou bien, ainsi qu'à Olta et au Puy-Coumy, 
de petits éclats de percussion avec bords tranchants, mais 
de gros instruments qui, bien que rudimenlaires tout dabord. 



PALÉOLITHIQUE 



229 



constituent un type nettement défini que nous voyons se 
perfectionner successivement à mesure que nous nous éle- 
vons dans le quaternaire inférieur. Cet instrument, bien 
caractérisé, se maniait à la 
main, ce qui m'a engagé 
à lui donner le nom de 
coup de poing. 

Les coups de poing for- 
ment série. Tout d'abord 
c'était un caillou roulé ou 
un simple morceau de 
pierre dont l'homme tout 
à fait primitif se servait 
pour frapper. Dans cet 
emploi, un large éclat s'est 
accidentellement détaché. 
Un homme de génie s'est 
aperçu que cette cassure 
perfectionnait l'arme ou 
outil. Dès lors on s'est mis 
à produire des éclats inten- 
tionnels sur toutes les 
pierres utilisées (fig. 68}. 
Les coups de poing façon- 
nés à grands éclats se sont 
généralisés et peu à peu 
perfectionnésparsuite 
d'une taille plus soignée, 
plus habile, plus artistique. 
Ce mouvement a été lent, 
très lent, extraordinaire- 
ment lent, et le coup de 
poing est resté lacaractéris- 
tique industrielle de deux 

longues époques paléolithiques : l'époque chelléenne, pen- 
dant laquelle le coup de poing à taille grossière (fig. 69) était 
le seul instrument en pierre employé, et l'époque achcu" 
léenne, où le coup de poing, perfectionné comme taille, a pris 
des formes plus élégantes ainsi que plus réduites (fig. 70), 
et s'est associé peu à peu à d'autres instniments. Cette évolu- 




23o 



DONNÉES PALETHNOLOCIQUES 



lion, facile à constater et à reconnaître quand on à l'habi- 
tude de manier des instruments paléolithiques, a mis à se 
produire autant de temps que les éléphants à se succéder. 
Née du temps de VElephas meridionalis, elle a duré autant 
_ que l'E. anliquus et s'est ter- 

minée en plein développement 
du Mammouth ou E. pri- 
migenius. L'intelligence de 
l'homme, dans les débuts,était 
donc fort alourdie et très pa- 
resseuse. 

La distribution des coups 
de poing montre que ceE 
homme habitait surtout les . 
vallées et les plateaux. Il s'éle- 
vait peu sur les montagnes. 
Quand il a apparu enFniE- 
ce, la température chaude du 
tertiaire se faisait encore un 
peu sentir. Le climat, humide 
et brumeux, empechaille froid 
de se manifester. L'homme 
n'éprouvait pasia nécessité de 
se vêtir. Il devait donc rester 
nu. Son seul instrument, le 
volumineux coup de poing, 
bon comme arme pour la 
défense ou comme oulil pour 
abattre et tailler les arbres, 
ne paraît pas pouvoir servira 
confectionner des vêtements. 
Ce costume tout à fait élémentaire, ou plutôt ce manque de 
costume, était celui de l'humanité tout entière de l'ancien 
continent. En effet, le coup de poing est l'outillage primitif des 
hommes de ce continent. On le retrouve non seulement en 
France, en Belgique, en Angleterre, en Allemagne, en Hon- 
grie, en Italie, en Portugal, en Espagne, mais encore en Algé- 
rie, en Egypte, dans le Sahara, au Cap de Bonne-Espérance, 
chez les Somalis, et en Asie dans la région de la Palestine, en 
Syrie, en Perse et dans l'Inde. Il a même été trouvé dans 1© 




Fio. 70. — Coup da poing en siles. En- 
virons d'Abbevllle (Somme). CoLI. 
d'AultduMeanil. î/3 gr. na' 



PALEOLITHIQUE 23 1 

f nord de la Sibérie. Cette unité de l'iodustrie primitive doit 
l iKius pousser à admettre l'unité du type humain. Dès lors, les 
I Iiommes chelléens de l'Europe pourraient venir du sud-est de 
' l'Asie et se rattacheraient au Pithécanthrope. 

C'est tout ce que nous savons pour le moment sur les pre- 
■ miers habitants de la France. 

lonstérîen. — Pendant l'Achculéen, la température s'est 
peu & peu refroidie. Aussi l'Hippopotame a disparu de nos 
pays ; le Mammouth et le Hhinoceros lickorhinus, animaux 
recouverts d'une épaisse toison de laine, ont complètement 
remplacé les Eleplias ant'iquus et meridionalis 
ainsi que les Rhinocéros de types pliocèncs, 
qui avaient besoin d'une certaine température. 
Ce mouvement climatologiquc est donc par- 
faitement établi. Comme le mammouth et le 
lichorhinus, l'homme a senti la nécessité de se 
' vêtir. C'est cette nécessité qui a mis en mou- 
vement l'activité de son cerveau. Il s'est in- 
génié à fabriquer des intruments en pierre 
pouvant faciliter la confection de vêlements 
en peau. C'étaient les vêtements les plus sim- 
ples; cependant, pour atteindre le but désiré 
«l nécessaire, il fallait un outillage tout parti- 
culier: des lames (fig. 71) pour ouvrir les ani- 
maux etlesécorcher, des racloirs(fig. 72) pour 
rendre les peaux souples, des pointes-coupoirs 
(fig. 73 et 74} pour trancher la peau et au besoin confectionner . 
des cordes ou courroies, pour la percer et obtenir des bou- 
tonnières. 

Ces divers outils ne sont pas le produit d'une seule inven- 
tion. Ils ont apparu peu à peu et, une fois employés, se sont 
maintenus presque sans variations pendant un temps assez 
long. Lames, racloirs et pointes-coupoirs — qui ont com- 
mencé à apparaître pendant l'Acheuléen — caractérisent net- 
tement, comme ensemble, le Mouslérien. 

L'industrie chelléenne diffère complètement de la mousté- 
rienne sous le rapport de la technique. Dans la première, c'est 
le corps ou centre de la pierre qui est utilisé ; dans la seconde, 
ce sont les éclats qu'on détache de ce centre. Le coup de 
poing chelléen et acheuléen formé du corps de la pierre est 





Fio. 71 — Racloir en nllei Le Mouslier 
(Donlagne). CoUectioQ A de Morlillet 
a/3gr. noL. 



282 DONNÉES PALETHNOLOCIÇUES 

taillé tout au pourtour, surtout sur les deux côtés. Dans les ins- 
truments m ou st p rien s formés d "éclats, la face de délachemeM 
reste lisse, l'autre seule est taillée. Pourtant ces deux industries 
procèdent l'une de l'aulre, 
La fabrication du coup de 
poing entraîne forcémenl la 
production d'é<!lats.CesoEl 
ces éclats, négligé; 
d'abord, que l'homme 
mouslérien a eu I idée dn- 
tdiser en les régularisant. 
Les mdustries chelleenDe, 
acheuléenne et mousle- 
'ncnne découlont donc ré' 
guiièrement l'une do l'autre et appartiennent à une seule et 
même race. 

C'est à l'époque mousténenne que 1 on commente à trouver 
des accumulations do débns d habitation, dans dc^ grotlcs, 
au pied d'escarpe- 
ments de rochers, 
etc. Ce sont des sta- 
tions, soit les pre- 
mières traces de vie 
sociale. Il paraît 
qu'auparavant 
l'homme vivaitisolé, 
ou tout au plus par 
couples ou petits 
groupes nomades. 
Les rigueurs de la 
température et les 
nécessités de la vie 
l'ont poussé à se 
grouper. Du reste, 
plus l'outillage se 
comphquait, plus le vêtement devenait important, plus 
l'homme a dû sentir l'utilité de la vie sédentaire. En outre la 
nécessité de se protéger contre le froid a amené la construc- 
tion d'abris qui le fixaient plus ou moins. 
L'industrie raoustérienne a été rencontrée en Angleterre, en 




Musée de Snint-Gcnna n 



^*l. 



:. Le Mouit cr (Dordogne 



i 3 gr nal 



PALÉOLITHIQUE 233 

Belgique, en France, en Italie, en Syrie et en Crimée, limitant 

au sud les régions les plus directement atteintes par les 

influences glaciaires. 
L'époque moustérienne nous a fourni divers ossements 

humains, qui peut-être même remontent en partie plus haut. 

Nous les étudierons dans notre quatrième partie. 

Glaciaire. — La période de froid humide, commencée à 
l'époque acheuléenne et largement développée à Fépoque 
moustérienne, est bien connue des géologues, qui la désignent 
sous le nom de période glaciaire. Il y a même grande discus- 
sion entre eux pour savoir s'il n'y a eu qu'une seule période 
glaciaire ou bien s'il y en a eu plusieurs. L'ancienne école 
n'admet que de simples mouvements d'extension et de retrait ; 
la nouvelle considère ces oscillations comme assez impor- 
tantes en étendue et en durée pour constituer des périodes 
distinctes. Elle en établit deux ou trois. James Geikie admet 
même qu'en Angleterre et en Ecosse il y a cinq de ces pé- 
riodes glaciaires, séparées par quatre périodes interglaciaires 
caractérisées par un radoucissement de température. 

Peu nous importe. Nous n'avons ici à nous occuper de la ou 
des périodes glaciaires qu'au point de vue de la présence de 
l'homme. Les partisans de la pluralité des périodes glaciaires 
font généralement apparaître l'homme pendant une période 
interglaciaire. C'est une erreur. 

En effet, la glaciation, bien qu'ayant parfois pris de vastes 
proportions, a toujours été, même dans son plus grand dé- 
veloppement, un phénomène local et circonscrit. Il existe 
des régions, et la plus grande partie de la France est dans 
ce cas, qui n'ont jamais connu les glaciers. Pendant que le 
territoire recouvert par les glaciers voyait se produire et se dé- 
velopper toutes les actions glaciaires, le territoire libre de glace 
se remplissait d'alluvions. Or les alluvions les plus anciennes 
ont, en France, fourni des coups de poing chelléens. L'homme 
existait donc non seulement dès le commencement de la ou 
des périodes glaciaires, mais même déjà avant. Cette dernière 
assertion est pleinement confirmée par les découvertes récentes 
de coups de poing avec la faune de VElephas meridionalis, 
qui est une faune chaude que les glaciéristes les plus déter- 
minés ne peuvent songer à mettre en contact avec un enva- 
hissement des glaces. 



234 DONNÉES PALETHNOLOGIQUES 

Date de l'apparition de l'homme. — L'homme est donc bien 
vieux ? 

En i883, dans le Préhistorique^ après une longue discussion 
des divers essais chronométriquesje suis arrivé à 280.000 ou 
240.000 ans pour l'antiquité de l'homme. 

CroU va plus loin, il date le glaciaire de 240.000 ans, le fai- 
sant durer 160.000 et donnant au postglaciaire 80.000 ans. 

En 1890, Prestw^ich, qui cherche à restreindre le plus pos- 
sible cette antiquité, admet encore que le maximum de froid 
glaciaire est compris entre i5 et 25. 000 ans et que le postgla- 
ciaire ne dépasse pas 10.000 ans. Mais les calculs de Presl- 
wich sont basés sur les glaciers du Groenland, dont l'extré- 
mité baigne dans la mer. C'est dire qu'ils subissent à leur 
extrémité une ablation d'autant plus considérable qu'elle 
persiste toute l'année, ce qui active beaucoup le mouvement 
général. 

La même année 1890 et également à la Société géologique 
de Londres, Mcllard Reade, se rapprochant de Croll, assigne 
60.000 ans au postglaciaire. 

En 1893, au Congrès géologique de Chicago, A.-M. Hansen, 
de Norvège, assigne de 187 à 209.000 ans aux diverses 
périodes glaciaires et 5. 000 ans au poslglaciaire. 

Au même Congrès, Warren Upham estime que le glaciaire 
peut avoir duré de 100 à 200.000 ans. 

Nous venons de faire de l'érudition, étudions maintenant la 
question en véritable naturaliste, en nous servant des données 
locales, les glaciers des Alpes. 

Une des actions les plus caractéristiques des glaciers est 
de transporter sur leur dos à de très grandes distances des 
blocs de rocher qui, nullement roulés, conservent leurs angles 
et leurs arêtes intacts. C'est ce qu'on appelle les blocs erra- 
tiques. Eh bien, on a étudié la marche de ces blocs, et cette 
étude fournit de précieux renseignements chronologiques. 
18 observations faites sur la marche des glaciers actuels 
ont donné une moyenne d'avancement de 62^,66 par an. 

L'extension en longeur des glaciers alpins de la période gla- 
ciaire varie de 110 à 280 kilomètres. Un bloc erratique parti 
de l'extrémité supérieure du glacier pour aller à l'extrémité 
inférieure — ce qui s'observe — aurait donc mis au moins 
4.468 ans. Mais ce chiffre est beaucoup trop faible, Le§ 18 ob- 



PALÉOLITHIQUE 235 

ervalions dont nous venons de calculer la moyenne ont été 
ïiles dans les hautes montagnes où la pente est très rapide. 
^r l'eau glacée suit la môme loi que l'eau liquide, sa force 
t sa rapidité d'écoulement diminuent quand diminue la pente, 
insi sur huit observations faites au glacier de l'Aar par Agas- 
z, cinq ont eu lieu dans la région médiane du glacier et ont 
onné comme moyenne 65™, 55. Trois étant de la région infé- 
eure, moins rapide, la moyenne d'écoulement n'a plus été 
ue de^i'^ïZ!. La pente générale des glaciers de la période gla- 
aire descendant dans les plaines étant au moins cinq fois 
loindre que celle des glaciers actuels perchés sur les som- 
lels des montagnes, la vitesse doit être cinq fois moindre 
iissi, ce qui transforme les 4-468 ans indiqués ci-dessus en 
2,340 ans. , 

Ce chiffre n'est point trop fort. En effet, les grands glaciers 
e la période glaciaire s'écoulaient dans de larges vallées, où 
es contreforts de rochers et des affluents de glaciers latéraux 
enaient contrarier et retarder leur écoulement. 

Les expériences pour calculer la marche des blocs ont été 
îites sur des glaciers occupant de petites vallées monta- 
neuses étroites, afin de pouvoir repérer facilement sur la 
oche en place de chaque bord le bloc servant à l'expérience. 
>ans ces conditions, ce bloc devait cheminer bien plus rapi- 
ement que les blocs erratiques se trouvant dans des vallées 
eaucoup plus larges. 

Les grands glaciers de la période glaciaire, partant du som- 
et des montagnes, formaient d'abord des torrents de glace 
lalogues aux glaciers actuels. Puis, remplissant les longues 
lUées alpines, ils se transformaient en fleuves de glace, 
afin, débouchant dans les plaines, ils s'y installaient large- 
ent en véritables lacs de glace. La glace suivant les mêmes 
is d'écoulement que l'eau, l'écoulement devait être torren- 
1, c'est-à-dire relativement très rapide, sur les sommets, 
aucoup plus calme et moins développé dans les vallées, qui 
nstituent la plus grande longueur des glaciers ; enfin, très 
Ime et presque nul dans les plaines. Pourtant, on trouve 
leur extrémité inférieure, non pas un bloc, mais des 
cumulations de blocs erratiques provenant en partie du 
int de départ. 
Les glaciers de la période glaciaire se sont maintenus lon^- 



236 



WÉES PALETHNOLOGIÇUES 



temps dans leur plus grande extension, comme rétablissent 
les énormes moraines formant de véritables séries de collines 
à leur extrémité. Enfin l'extension et le retrait des glaciers- 
retrait qui a dû demander à peu prés autant de temps que 
l'extension — n'ont pas eu lieu dune manière continue. De 
l'avis de tous les gUcii- 
ristes, il y a eu des oscil- 
lations, des avancemeDls 
et des recuis successifs, 
qui ont aussi absorbé ud 
temps considérable. On 
reste donc certainement 
au-dessous de lavéritéen 
attribuant à la période gl»- 
ciaire 100,000 ans. C'est 
bien autre chose encore si, 
suivant les tendances ac- 
tuelles, on admet plusiears 
périodes glaciaires sépa- 
rées par des périodes int^^ 
glaciaires. 

Les contreforts des Al- 
pes, en Savoie, présentent 
un autre chronomètre qui 
nous permet d'apprécier 
d'une manière assez exacte 
le temps qui s'est écoulé 
depuis le retrait des grands 
glaciers. Au-dessus d'Aiï- | 
les-Bains, dans la direc- 
tion de Marboz, il y a une colline calcaire dont la roche com- 
pacte a élé entièrement polie et striée par les anciens gls- 
ciers. Partout où il y a de l'argile, le poli et les stries glaciaires 
sont très bien conservés. Mais là où la roche s'est trouvée 
à découvert, elle s'est profondément altérée, Non seulement 
poli et stries ont disparu, mais il s'est formé de profondes 
érosions en forme de puits et de sillons. Au Biolay, les 
Romains ont ouvert dans ce calcaire une carrière qui a fourni 
les pierres de taille des thermes, temples et arc de Irioirphe 
antiques delà ville. Des surfaces ji'exploitaiion et des blocs 




Fio 75 


Fie, 7«. 


Fig 70 - Pointe 
silei Solutr<S(Si 


en feuille de laurier, 
eelLoire).2/3trr.nal. 


FiB j6 - Poinle fl 


oron silex. Grolle de 
eml (Dordogne). Gr. 



PALÉOLITHIQUE 287 

détachés parles procédés anciens sont restés dans la carrière, 
librement exposés depuis 1,800 ans aux actions atmosphé- 
riques. On n'y remarque que de légers sillons de 2 ou, 3 mil- 
limètres de profondeur, tandis que tout à côté, sur le môme 
calcaire, les altérations atteignent en moyenne 1 mètre. En 
portant à 1 centimètre par 2.000 ans Faction corrosive sur le 
calcaire, nous arriverions à 200.000 ans comme époque de la 
disparition des glaciers de la vallée d'Aix-les-Bains. J'ai visité 
et étudié la carrière des Romains du Biolay et je maintiens 
ces chiffres, bien que l'inventeur du chronomètre, Louis 
Pillet, homme de foi, effrayé de son audace, ait en i854, deux 
ans après la publication des chiffres précédents, cherché à les 
Jréduire. 

Les données fournies par la marche des blocs erratiques 
et la corrosion des calcaires compacts suffisent pour établir 
que les glaciéristes cités précédemment ont raison de consi- 
dérer comme fort longue la période glaciaire, et pour justifier 
l'âge que j'ai assigné à l'apparition de l'homme, 280 à 
240.000 ans. 

Solutréen. — Le Solutréen est, comme époque, incontesta- 
blement de beaucoup la moins longue du paléolithique, et la 
moins étendue comme dissémination. L'industrie solutréenne 
*'est surtout rencontrée et développée en France : à Solutré, 
dans le bassin de la Saône, à Thorigné (Mayenne), et sur le 
Versant océanien dans les bassins de la Charente et de la 
Dordogne, de la Garonne et de l'Adour. Elle est caractérisée 
par un perfectionnement de la taille du silex, dû à un progrès 
ïéalisé dans la technique. A la taille par percussion, exclusive- 
ïnent employée jusqu'alors, s'est jointe la taille par pression 
qui a permis de fabriquer des objets en silex plus fins, plus 
déliés, plus élégants. Les deux formes les plus caractéristiques 
sont la pointe en feuille de laurier taillée aux deux bouts et 
sur les deux faces (fig. 75), et la pointe à cran plate d'un côté, 
finement retouchée de l'autre (fig. 76). 

L'industrie solutréenne se relie à l'industrie moustérienne. 
Au musée de Saint-Germain, la belle série de la station type 
du Moustier présente déjà un grossier grattoir et une ébauche 
de pointe taillée aux deux bouts. 

Si le type industriel franchement solutréen paraît se loca- 
liser en France, et même dans une partie de la France, 



238 DONNÉES PALETHNOLOGIQUES 

rhabilelé dans la taille du silex s'est fait sentir un peu par- 
tout. A une température énervante, peu variable, sombre et 
humide, a succédé une température vivifiante, sèche et aller 
nante, égayée par le soleil. Ce grand changement de milieu a 
produit une heureuse et vigoureuse action physiologique et 
intellectuelle sur la population. 

Au point de vue paléontologique, le Mam- 
mouth a persisté. Il était même très abondant; 
car, vers le sommet du Solutréen, il y a des as- 
sises qui en renferment tellement de débris, que 
E. Piette leur a donné le nom d'éburnéennes. 

Par contre, le Rhinocéros iichorhinus paraît 
n'avoir pas ou n'avoir que très peu dépassé les 
limites supérieures du Moustérien. 

Le Renne, rare dans le Moustérien, prend un 
très grand développement dans le Solutréen. 

Le Cheval est très abondamment utilisé comme 
nourriture; à Solutré même, on le compte par 
milliers. 

Hagdalénien. — Le Magdalénien, qui a succédé 
au Solutréen, se relie très intimement à ce der- 
nier. La différence industrielle vient surtout de 
l'introduction dans l'industrie d'une matière nou- 
velle, l'os : os proprement dit, ivoire, cornes de 
f.o «« cervidés. Cette introduction a même commencé 

r IG . 77' ~~ 

Aiguille au sommet du Solutréen pour se développer lar- 
Madeiei^- gement dans le Magdalénien. La taille du silex a 
ne(Dor- dégénéré par suite de l'emploi de cette nouvelle 

dogne). ... 

Gr. nat. matière. 

Une autre caractéristique de l'époque de la Ma- 
deleine est la naissance et le développement de l'art, nais- 
sance et même développement qui datent aussi du sommet 
du Solutréen et qui nous font répéter qu'il y a liaison intime 
entre les deux époques. 

L'animal le plus caractéristique du Magdalénien est, comme 
pour le Solutréen, le Renne, Tarandus rangifer, ce qui fait 
que Edouard Lartet avait donné le nom d'âge du renne aux 
deux époques réunies. 

Le Mammouth, encore assez abondant au commencement 
du Magdalénien, a disparu avec lui. On peut en dire autant 



PALEOLITHIQUE 



289 



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FiG. 78. 



[\^'< 



du Renne, qui a émigré de France vers la fin de cette époque. 

Le Renne nous fournit une précieuse indication sur le climat 
magdalénien. Il était plus froid que ce- 
lui de Stockholm et de Pélersbourg, 
lieux dont le climat est trop élevé pour 
que le Renne y puisse vivre et se repro- 
duire. D'autre part, le manque d'allu- 
vions de cette époque montre que le 
climat était très sec. Cette sécheresse 
était absolument contraire au dévelop- 
pement des glaciers ; aussi, malgré le 
froid, les glaciers des Alpes s'étaient 
retirés, et à leur place s'étaient établies 
des stations magdaléniennes, comme 
celles du canton de Schaffhouse, ancien 
glacier du Rhin ; de Villeneuve, canton 
de Vaud, en amont du lac de Genève, 
ancien glacier du Rhône ; du pied du 
Salève (Haute-Savoie), ancien glacier 
de l'Arve, écoulement du mont Blanc. 
Le même fait s'observe dans les Pyré- 
nées. Les stations magdaléniennes ont 
envahi le territoire des anciens glaciers, 
comme cela a été constaté à Lourdes. 

Ce grand froid nécessitait de bons vê- 
tements. Aussi trouve-t-on, dans les sta- 
tions magdaléniennes, nombre d'outils 
propres à leur confection, entre autres de 
fort jolies aiguilles à chas en os(fig. 77). 

Le froid a également poussé les 
hommes à habiter les grottes et à s'a- 
briter contre les escarpements de ro- 
chers. 

Les hommes de cette époque étaient 
essentiellement pêcheurs et surtout 
chasseurs. Dans leurs rejets d'habitation 
on trouve en abondance des débris de 
poissons et de gibiers divers, parmi lesquels le plus recherché 
était le renne. 

Comme armes, ils avaient le poignard ou épée à poignée 



Vi 



i>fl 



Vr^s:'^^ 



FiG. 79. 



Fig. 78. — Pointe de sa- 
gaie en corne de renne. 
La Madeleine (Dordo- 
gne). 1/2 gr. nat. 

fig- 79- -~ Harpon en 
corne de renne. Lau- 
gerie - Basse ( Dordo - 
gne). 1/2 gr. nal. 



2^0 



DONNÉES PALETHNOLOGIQUES 



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Fio. 80. — Face. Fig. 81. — Profil. 

Propulseur à crochet en corne de 
renne. Laugerie-Basse (Dordogne). 
Musée de Saint-Germain. 1/2 gr. nat. 



fort ornée, qui était certai- 
nement un objet de luxe et 
probablement un insigne de 
commandement . Mais les 
armes usuelles, générales, 
servant à la chasse et à la 
pêche, étaient la sagaie (fig. 
78) ou pointe fixée solide- 
ment à une hampe en bois, 
et le harpon (fig. 79), pointe 
se détachant facilement de 
la hampe tout en y restant 
attachée par un lien plus ou 
moins long. Sagaie et harpon 
se lançaient à la main. Sou- 
vent, pour augmenter la force 
de projection, on employait 
un propulseur, espèce de 
manche terminé par un cro- 
chet (fig. 8oet 81). 

Ces armes servaient sur- 
tout à la pêche et à la chasse. 
On n'a signalé aucune trace 
de guerre. Les mœurs de ces 
populations paraissent avoir 
été fort douces. Leur grande 
préoccupation était d'assurer 
la défense et l'existence du 
groupe par la chasse. Aussi, 
fiers de leurs succès, ils por- 
taient comme trophées de 
chasse des dents percées, 
soit des canines atrophiées 
de cervidés, soit des canines 
plus dangereuses de grands 
félins, de loups, de renards 
et d'ours. On a trouvé égale- 
ment quelques autres pende- 
loques diverses comme pa- 
rure. Ils avaient probable- 



PALÉOLITHIQUE 



2^1 



ent aussi l'habilude de se peindre. Plusieurs stations ont 
urni des fragments d'ocre du plus beau rouge portant des 
iices de raclage au silex, parfois associés à des cailloux 
eusés en godet, propres à triturer une pommade colorante 
L'amour du luxe s'est surtout porté % ers 1 ornementation 
■8 objets usuels, principalement des armes Ce sentiment a 
ansformé les hommes de l'époque de la Madeleme en ^én- 
bles artistes. Au moyen d'un simple burin en sile\ (fig i 
■ som arrivés ù faire de remaniuable8œu\re'5 
art. 

Et pourtant ces hommes doux, ces artistes, 
li travaillaient pour amuser leurs enfants — 
en a plusieurs exemples —n'avaient aucun 
ipecl de leurs morts. Ils ne les ensevelissaient 
s et laissaient leurs os .se mêler aux débris 

leurs habitations. Ce manque de respect 
■ur les morts montre que les hommes de H 
ïdelcine n'avaient aucun sentiment de rcli 
Dsité, le respect du mort étant la base de 
ule religion. Cette déduction est confirmée 
r l'absence de toute oeuvre monslrueu'ie, 
tinaturelle, dans leur industrie artistique 
JUS ne retrouvons, dans leurs pendeloques 

dans leurs œuvres d'art, que des repré 
ntalions, plus ou moins naïves et vraies, 
objets naturels. Les religions, au contraire, 
nt toujours basées sur des faits cxtranatu- 
Is, qui donnent naissance en art aux associations les plus 
Lormales, aux monstruosités les plus baroques. 
Le délaissement des morts et, par suite, l'absence de toute 
ligiosité ont dû exister pendant'tout le paléolithique et sont 
caractéristique de cette longue période . 
Représentations d'hommes magdaléniens. -~ Les Magdalé- 
ens étaient des artistes. Ils ont assez souvent employé leur 
lent à graver ou sculpter des représentations humaines. 
Nous en connaissons de vingt à vingt-cinq; elles sont 
ceptionnellemenl en pierre, habituellement en os et surtout 
i corne de renne et en ivoire. Mais nous sommes loin de 
luvoir tirer parti de toutes ces représentations. Plusieurs 
mt devenues tout à fait frustes par suite des actions atmos. 

G. DE HOnriLLET \ft 




(Dordogne). 
Coll. A. de 
Morlillct.2,'3gr. 



24^ DONNÉES l'AL ETHNOLOGIQUES 

phériques, d'autressont des rebuts ou pièces manquées el de 
œuvre» de débutants irès imparfaites. On peut citer, comn 
type de ces dernières, le petit bonhomme avec bras démesn 
rément gigantesques gravé sur un os de cheval provensc 
de Laugerie-Basso (Dordogne). 

La plupart des autres pièces sont cassées et fort endomm; 
gées, ce qui leur enlève en grande partie leur valeur doci 




mentaire. Pourtant de lenscmble on peut tirer quelques de 
nées qu'il est utile de relever. 

I-es artistes magdaléniens, comme ceux de nos jours, prél 
raient l'académie. Presque sans exception, leurs rcprésenl 
lions humaines sont entièrement nues. Il faisait pourtant tr 
froid A leur époque, et nous savons, par l'outillage, qu'eux 
leurs conicmporains portaient des vêtements, mais ils ne f 
vaienl pas les représenler. 

Les parties génitales sont toujours nettement indiqué* 
non ]»as par un sentiment pornographique, mais pour défir 
et caroelériser les sexes. C'est à lort que la statuette de femn 
i\c La ugcrie- Basse (Dordogne) a été nommée « Vénus impi 
{lique » par de Vibraye. Elle n'a, comme beauté, aucun ra| 



PAi.ÉOLtniiQUE a43 

port avec Vénus, et, ai ses parties gt^ailalcs sont démesurément 
représentées, cela tient à ce qu'elles sont le seul caractère 
de sexualité, le développement de la poitrine étant trop 
élroil pour y sculpter des seins. 

Deux autres statuettes de femmes, celle du Mas-d'Azil 
(Ariège) sculptée sur une incisive de cheval et celle ayant servi 
démanche de poignard (fig. 83et84) de llrassempouy (Landes), 
ac présentent pas de parties génitales, mais onl les seins très 




FiQ. 85. — Femme enceinte Rravi 
sur 09. Lu ugerie- Basse |D ardaient 
Coll. Ed. PLette. 5/3gr. nat. 



accentués. Ces seins sont, dans les deux cas, plaLs et fort 
tombants. Ils forment ce qu'on nomme vulgairement la 
blague à tabac, caractère si fréquent clicz les femmes des po- 
pulations inférieures actuelles. 

Chez la femme enceinte de Laugcric-Basae (fig. 85), gravée 
sur os, c'est le développement du ventre qui sert de caractère 
sexuel. 

La femme sculptée sur ivoire (fig. 83), de iîrassi'nipouy, 
nommée <i la Poire » ù cause de sa forme générale, pièce 
malheureusement fort endommagée, est un véritable chef- 
d'œuvre de sculpture. Il resie à peine Irace des seins ; pour- 



2^4 KONMJtS PALETHNOLOGlgLES 

tant on pcul rpi;onnailrc qirilH (Haienl tombanls. Ce qui frappt 
dans ce débris de slutuctle, c'esl la forme du ventre : ce ventre, 
arrondi, fori proéminent, se projette en avant en tombantsur 
le pubis cl le recouvrant. II ne rejoint pas directement Ifs 
hanclies ; entre les han- 
ches et lui il y a decha- 
(|ue côté comme un àl- 
lon et une zone plaie. 
Eh bien, ce ventre, ac- 
tuellement anormal, je 
l'ai retrouvé dans une 
famille de la même ré- 
gion. Voici (fig. 87) le 
dessin de la femme qui 
présente cette particu- 
larité etqui apassclâge 
critique. Mais, fait bien 
singulier, c'est qu'une 
de3csfilles(fig.88),âgét 
de douze ans, non for- 
mée, présente la même 
tendance pour ce qui 
concerne le ventre et 
offre un phénomène tout 
particulier, des taches 
l)runcs sur la peau, ta- 
ches qui sont en outre 
caractérisées par un dé- 
veloppement pileux as- 
sez prononcé. 

Or le développement 
pileux est un caractère 
des populations mag- 
dalénienues, à en juger par leurs œuvres dart. En effet, la 
femme enceinte de La ugerie- Basse a tout le corps couvert 
de poil. 11 en est de môme du chasseur d'aurochs {fig. 89), 
également de Laugerîe- Basse. 

La sculptun^ chez les artistes magdaléniens, était souvcnl 
dominée par la forme de la matière première et devait parfois 
se plier aux exigences usuelles de l'objet à orner. C'esl ainsi 




pok'ioliUiiii 



s de poils. 



PALÉOLITHIQUE 



qu il 



; faisaient un renne 



poign 



e de F 



- ils claienl obligés, 



u, 



ni il existo plusieurs exemples 
pas blesser la main, de coueher 
es ou bois sur le dos {fig. 90). 
jservalion vient à propos de la 
le Brassempouy servant de poi- 
! morceau d'ivoire employé était 
d'autre part il ne fallait pas trop 
■n un point la poignée. Par con- 
, afin qu'elle puisse plus com- 
nt eire saisie par la main, le 
ir a été obligé de rejeter les 
ur les côtés. C'est ce qu'il a fait 
ant laidement le sillon interfes- 
nous relevons cela, c'est qu'on 
tirer de cette disposition, si 
;t si naturelle, une importante 
>n anthropologique. On a, sur 
nées orlisliques, prétendu que 
on solutréenne et magdalé- 
au moins en partie, était stéa- 
ic ou à développements grais- 
nmc les Bocbimans et les Hot- 
Bien ne justifie cette assertion. 
possédons plusieurs représen- 
de mains, surtout des mains 
ine sur pierre provenant de So- 
Saône-el-Loire), d'autres sur 
renne (fig. 91), de la Dordogne. 
figurées à plat, vues de dessus, 
le quatre doigts indiqués. Le 
! se voit jamais. C'est une preuve 
it beaucoup plus nellement op- 
; autres doigisque de nosjours. 
oignets, aussi bien dans les 
as isolés que dans celui de la 
enceinte, sont garnis de ha- 

■rofondes, formant des groupes variés, mais toujours 
II est assez difficile de bien préciser ce que repré- 
;es hacliuros. Pourtant il ne parait pas possible d'y 



r[>ch<i. gravé sur corne 
de ruiine. Laugerie- 

nn SHe (Do rclogae). Coll . 
E. MasaciiBl. i/i gr. 



246 DONNÉES PALETHNOLCGlQUtS 

voir autre chose qu"iinc parure, un ornement, qui se portail 




à l'avanl-bras. Cet ornement était-il un levetcment en relief, 
espèce de large bracelet recouvrant le poignet, ou bien tout 



simplement un tatouage 7 Les docu 
menls précis manquent pour tranchei 
la question. 

Quant aux têtes, elles sont toutes 
si peu caractérisées ou si diverses 
qu'il est impossible d'en tirer quelque 
caractère. Si elles sont la partie la 
plus importante de l'homme, elles 
sont aussi la plus difficile à bien 
rendre. Tout ce qu'on peut conclure 

delatôtedu chasseurd'aurochs, d'une 

tête isolée de Lautterie-Basse et d'une renne. Bocheberiitr 

,, L 1 . . , (Charente). Ecole dan- 

ébauctie de sculpture sur corne de thmpoiogie. Gr. noi. 

renne (fig. ga), provenant de Roche- 

bertier (Charente), c'est que les hommes de celte époque d^ 
valent avoir le bas de la figure étroit et l'air aussi gai qu'in- 







telligent. 



NKOUTHIQUE 247 



CHAPITRE VI 

NÉOLITHIQUE 

sien. — La vie calme, douce et heureuse des 
de Tépoque de la Madeleine s'est peu à peu altérée 
; d'un changement lent de température. Le Mam- 
ui fournissait aux artistes de cette époque la matière 
•écieuse de leurs petits chefs-d'œuvre, l'ivoire, abon- 

débuts du Magdalénien, a lentement disparu, se 
/ers le nord-est. Le Renne, cet animal si utile, qui 
it en abondance une nourriture excellente, de très 
)eaux souples et garnies d'une épaisse fourrure 
«vêtements, des tendons se divisant en fil fin et so- 
comes faciles à transformer en instruments divers, 
, cet animal si précieux, diminuait progressivement à 
ue la température s'élevait et finissait par disparaître 
Bince ert du centre de l'Europe. Il émigrait vers les 
olaires. 

rtie de la population a émigré avec lui, et, de nos 
us pouvons constater dans le Groenland des peu- 

pêcheurs et de chasseurs, associées au renne, pos- 
i art analogue à celui des magdaléniens, bien que 
L dégénéré, ayant également, sous le rapport anthro- 
5, une très grande affinité avec ces derniers. C'est la 
enne colonisation fran(;aise qu'il nous soit donné de 
. Fait curieux, elle s'est effectuée dans la direction 
a. 

ue le climat se soit adouci dans la mère patrie, et 
? suite de cet adoucissement, vers la fin du Magda- 
population avait diminué et était devenue misérable, 
îhait à remplacer le Renne par le Cerf. Mais cet ani- 
beaucoup moins avantageux que le premier. Pro- 
t aussi il était moins facile à chasser et moins JiK)m- 
)urtant, à la fin du Magdalénien et au comraience- 
Tourassien, époque de transition entre le paléoli- 

le néolithique, il se rencontre très abondaoament 
! dans des stations bien dét-erminées. 



2^8 DONNÉES PALETHNOLOCIQUES 

Cette substilulion <lu Cerf au Renne a profondémenl modifié 
l'induslric. L'arme la plus usuelle, le harpon, au lieu d'être en 
corne de renne (fig. 79) a été fabriquée 
en corne de cerf {fig. 98 el 94). Cette 
matière se taillant plus difficilement, 
le harpon tourassien est beaucoup 
plus grossier que le magdalénien. Ce 
harpon, caracléristique du Touras- 
sien, continue pourtant dans le vé- 
ritable néolithique. Ou le retrouve 
dans certaines habitations lacustres de 



Fio 


93. 




Fi 


■b4- 


Harpon 


à Sai 
. Col 


rne de cerf. 
t-Martorj (H 
Darbas. 1/2 


Lo Toii- 
aule-Gi.- 



Suisse), Coll. Gross. 



la pierre (fig. gB). Il sert donc de passage entre le paléol 
thique et le néolithique. 

La préoccupation des exigences de la vie et la misère 
fait complètement disparaître toule idée d'art. 

Le Tourassien représente surtout la fin des climats etd 



NÉOLITHIQUE 



249 



si spéciales du pali^olilhiquc. Ç.'esl le dernier reflet 
rande et importante p«^riode. 

que tourassienne, qui tire son nom du gisement par- 
it caractérisé de laTourasse, à Saint-Martorj (Haule- 
;), se montre non seulement dans diverses stations 
■énées françaises, maïs aussi dans le Jura bernois et 




igoyen. — Pendant le Tourassien, les indigènes qui 

nt le sol de la France subis- 

es derniers reflets de l'industrie 

lique. 

mt le Campignyen, ils s'appro- 

naladroitement et en talonnant 

iustrie nouvelle, qui leur est 

e de toute pièce. Aussi l'inslru 

i pierre le plus important, tout 

. arme et outil, la hache polie 

)ul d'abord rare el imparfait 

ection de cet instrument néces 

n premier travail de taille assez 

, puis une longue opération de 

ce, ils ont remplacé la hache (Seine-Inftrieure).Mu- 

ir le tranchel, d une fabrication 2/3 gr. nai. 

is facile et plus rapide. Le tran- 

. par suite devenu la caractéristique de cette époque. 

mrassiên et le Campignyen sont des époques relalive- 

■ès courles. Ce sont même, à proprement parler, de 

phases de transition ou passage entre le paléoli- 
ït le néolithique, le Tourassien représentant la lin du 
■ et le Campignyen le commencement du second, 
snoisien. — Pourtant le Tourassien se relie, comme 
nons de le dire, avec le néolithique par ses harpons 
e de cerf à grandes cl fortes barbelures. Il s'y relie 
ilus, comme vient de le démontrer Adrien de Morlillet, 
i industrie toute particulière de petits silex taillés 
[t habituellement des formes géométriques (fig. 97 à 

qui leur a fait donner le nom de Petits silex à formes 
•iqiies. Cette industrie bien spéciale et bien typique se 
disséminée depuis la France, l'Angleterre, la Belgique, 
agne, la Pologne, dans tout le bassin méditerranéen. 



25o 



DONNEES PALETHNOLOGIQUES 



jusque dans l'Inde. Elle se rattache aux stations franche- 
ment néolithiques par la survivance de ses types jusque dans 
le Robenhausien, d'une part. D'autre part, elle remonte 
jusqu'en plein Magdalénien par le mode de taille et la forme 
de certaines petites lames étroites qui ont un de leurs côtés 
abattu par une série de petites retouches très régulières 
(fîg. io6). Des petites lames à tranchant abattu se retrouvent 







FiG. 97. 



FiG. 98. 



FiG. 99. 



FiG. 100. 




FiG. 101. 




FiG. 102. 








FiG. io3. 



FiG. loV FiG. io5. 



Petits silex de formes géométriques. Stations tardenoisiennes des 
environs de Fère-en-Tardenois (Aisne). CoU. E. Taté. Gr. nat. 



très fréquemment dans les dépôts magdaléniens et dans les 
stations de petits silex à formes géométriques. 

Les silex à formes géométriques sont la trace d'une pre- 
mière invasion. L'importance de cette considération et le 
caractère tout spécial de cette industrie méritent un nom 
particuUer. J'ai choisi celui de Tardenoisien, les environs de 
Fère-en-Tardenois en présentant plusieurs gisements. 

V^ invasion de la France. — Il y a eu entre le paléoli- 
thique et le néolithique des difTérences fort considérables, les 
unes dépendant de la température, les autres du développe- 
ment industriel et intellectuel. 

Pendant le Magdalénien, le climat de la France et du centre 
de l'Europe était froid et sec avec des températures extrêmes; 



NÉOLITHIQUE 25 1 

chamois, la marmotte, le bouquetin, se rencontraient 
ins nos plaines. Au néolithique, le climat est devenu tem- 
^ré et beaucoup plus uniforme ; aussi les animaux cités ci- 
3SSUS se sont-ils empressés de gagner le sommet des mon- 
ïgnes. Cette amélioration sensible et importante du climat 
3 la France a attiré dans le pays des populations qui 
avaient jamais pensé à y venir précédemment. 
Si les modifications climatériques ont été grandes, les 
lodifications industrielles et intellectuelles Tout été bien 
lus encore. 

La domestication des animaux, complètement inconnue 
endant le paléolithique, a été largement ap- 
liquée pendant le néolithique. Il y avait six 
limaux domestiques : le chien, le bœuf, la 
lèvre, le mouton, le porc et le cheval. 
En même temps a apparu l'agriculture. Les 
)mmes néolithiques cultivaient le blé, Torge 
le lin, cultures originaires de la mOme ré- p^^ 106. — Pe- 
on que les animaux domestiques. Les ut silex a un 

,^ if i-ti • • • I tranchant 

►tnmes paléohthiques ne connaissaient au- abattu. Bru- 
ne de ces cultures. niquel (Tam- 
r^ • 1 . • 1 f ^•L^ ' !• i_ • et -Garonne). 

t^omme industrie, les néohthiques labri- 2/3gr. nat. 

laient de la poterie, employaient en fait d'ou- 

s la hache polie, et ils 'connaissaient Tare pour lancer au 

in leurs flèches. Les paléolithiques ignoraient complète- 

ent la poterie, ne connaissaient pas la hache polie et n'em- 

oyaient que le propulseur pour lancer leurs armes de jet. 

Tandis que les paléolithiques n'avaient aucun respect pour 

ars morts, les néolithiques les ensevelissaient avec soin et 

ême leur construisaient des demeures plus monumentales 

le celles des vivants, les dolmens. Ce sentiment se joignait 

des idées religieuses fort développées, alors que la religio- 

,é était restée totalement inconnue aux paléolithiques. 

Enfin le sentiment artistique, si développé à l'époque mag- 

Jénienne, s'est engourdi pour se réveiller fort dégénéré tout 

fait à la fin de l'époque robenhausienne. 

Un changement si important, si radical, n'a pu se produire 

le par l'invasion d'une population étrangère. 

D'où venait-elle? 

Nous n'avons qu'à tourner nos regards vers l'Orient. L'in- 



252 DONNÉES PALETIINOLOGIQL'E.S 

vasion néolithique de la France a un caractère essentielleraenl 
religieux. Or FOrient a été le lieu d'origine et de fabricatioa 
de toutes les grandes religions : le brahmanisme, le boud- 
dhisme, le judaïsme, le christianisme, le mahométisme. 

Si la religion donne une indication générale, la domestica- 
tion et Tagricuiture en fournissent de bien plus précises el 
plus certaines. C'est de la région située entre l'Asie Mineure» 
le Caucase, le nord de la Perse et la Tartarie, que nous a été 
apportée la civilisation néolithique. 

Otte grande invasion, qui a si rapidement et si entière- 
ment d(Hruit toute l'industrie paléolithique, a-t-elle anéanti la 
population autochtone de la France? 

Pas le moins du monde. Cette population a été dominée el 
soumise, mais l'industrie campignyenne, imitation mala 
droite de celle des conquérants, prouve que les conquis sont 
restés en nombre à côté de leurs vainqueurs. 

Y a-t-il eu plusieurs invasions pendant le néolithique? 

C'est probable, si nous tenons compte des petites incur- 
sions ; mais ces incursions, sauf celle du Tardenoisien, n'ont 
pas laissé de traces distinctes, du moins on n'en a pas encore 
signalé de bien concluantes. S'il y a eu diverses invasions, 
elles n'ont pas apporté des modifications sensibles dans l'in- 
dustrie ; elles devaient donc venir des mômes régions. 

Toujours est-il que l'on vivait constamment sur lequi-vive; 
aussi les groupes de population s'enfermaient dans des 
retranchements, des camps comme celui de Thenac (Cha- 
rente-Inférieure) et celui d'Hastedon près de Namur. C'est 
encore ce l)esoin de se protéger qui a poussé l'homme à éta- 
blir les palafittes, habitations sur pilotis au bord des lacs. Les 
premières et les plus abondantes datent du néolithique. 

Mais ces palafittes ne sont-elles pas l'œuvre des autochtones 
voulant se préserver contre les envahisseurs anciens ou les 
nouvelles bandes? Ce qui pourrait le faire croire, c'est que les 
harpons ien corne de cerf à grandes barbelures, analogues à 
ceux du Tourassien, proviennent justement de ces pala- 
fittes. 



PnOTOHLSTORIQUE 253 



CHAPITRE VII 

PROTOHISTORIQUE 

Origine de la métallurgie. — Le protohistorique com- 
ence avec l'emploi usuel des métaux. Dans la nature, 
ois métaux surtout se rencontrent à l'état natif : Tor, 
irgent et le cuivre. L'or et l'argent étant toujours rares et 
)ur ainsi dire exceptionnels, nous n'avons pas à nous en 
tcuper ici. Il n'en est pas de môme du cuivre. Disséminé à 
!U près dans toutes les régions, se trouvant en grande 
>ondance sur certains points, il a dû tout d'abord attirer 
ttention de l'homme. C'est donc le métal qui a été em- 
Dyc le premier par l'homme. Il lui était généreusement 
urni par la nature tout prêt à être transformé en arme, outil 
. parure. Mais ce n'est pas en Europe que cet ûge du cui- 
e s'est développé. Les premiers objets en métal à base de 
livre que l'on trouve en Europe sont en bronze. Or le 
onze n'est pas un métal simple. C'est un alliage de cuivre 
d'étain qui ne se rencontre pas dans la nature. C'est un 
oduit humain qui a dû ôtre découvert et employé longtemps 
très le cuivre, métal que l'homme peut recueillir directement 
prêt à être utilisé. 

Si le cuivre à l'état de minerai est abondamment répandu 
irtout, s'il est très fréquent à l'état natif, il n'en est pas de 
ôme de rétain,dont les gisements sont rares et très circons- 
its. On peut donc, par l'étude des gisements d'étain, se 
ndrc compte approximativement de la direction d'où est 
nu le bronze. 

Dans l'ancien continent, l'étain ne se montre qu'à l'ouest en 
irope et à l'est en Asie. Les gisements européens sontbeau- 
up moins importants que les asiatiques. Il est donc à pré- 
mer que c'est le minerai de ces gisements d'Asie qui a été 
premier découvert et utilisé. 

Les gisements d'Europe sont : le nord-ouest de la pénin- 
le ibérique, Espagne et Portugal ; le centre de la France, 
lute-Viennc et Creuse, ainsi que les limites de la Loire-Infé- 
ure et du Morbihan ; Angleterre, îles Scilly, ainsi que les 



PROTOHISTORIQUE 255 

'Onalés de Comouailles et de Devon ; le centre de l'Europe, 
>axe et Bohême; Finlande, près du lac Ladoga; et Italie, en 
foscane. 

En Asie : la Chine, provinces de Yun-nan, Kouang-si, 
ttou-nan, Kiang-si, Hou-pe, Ngan-wei, Shan-tung, Petchili ; 
e Tonkin, le Siam, le Tenasserim et la Birmanie, surtout 
a presqu'île de Malacca et les îles de la Sonde, enfin Geylan» 

Parmi les gisements d'Europe, ceux de Finlande, d'Italie 
t de France sont trop peu considérables. La Saxe et la 
lohôme présentent de l'étain en filons. Or l'emploi primitif 
e l'étain a dû provenir de l'étain d'alluvions si répandu en 
aie. Les alluvions stannifères sont aussi très développées en 
ngleterre, mais sur aucun point de l'Europe on ne retrouve 
ndustrie du cuivre qui a dû précéder celle du bronze. Au 
>ntraire, les objets métalliques les plus anciens constatés en 
iirope sont en très beau bronze. D'autre part, loin de ren- 
►ntrer dans les régions stannifères européennes abondance 
objets en bronze, c'est là qu'il y en a le moins et où il sem- 
e, comme en Angleterre, qu'on a le plus cherché à écono- 
iser le métal. 

En Italie, dans la Péninsule Ibérique, en France, en Angle- 
rre et même en Saxe et en Bohême, on a signalé d'anciens 
avaux d'exploitation, mais rien n'est venu les rapprocher 
3 l'âge de la pierre, comme cela existe pour les premières 
;ploitatioris de cuivre en Espagne et en Autriche. On ne 
;ut pas même constater dans ces travaux l'âge du bronze. 
11 faut donc forcément aller chercher du côté des im- 
enses dépôts d'alluvions stannifères de l'extrême Orient l'in- 
intion et l'origine du bronze. 

Le cuivre natif, bien que disséminé ù peu près partout, n'est 
'*néralement pas extrêmement abondant. Il se trouve facile- 
ent parce qu'il occupe habituellement le sommet des filons, 
ais il s'épuise assez vite. Les fabricants de bronze ont dû 
; trouver à court de cuivre. Il leur a fallu réduire les minc- 
is mêlés au cuivre natif. La tâche n'a pas été très difficile, 
s carbonates de cuivre qui accompagnent le métal natif 
ant^ de tous les minerais de cuivre, ceux dont la réduction 
t la moins difficile. C'est ainsi que s'est créée l'industrie 
inière, que les fabricants de bronze ont répandue partout en 
ême temps que le bronze. 



25G DONNÉES PALETHNOLOGIQUES 

Age du bronze. — L'introduction du bronze s'est faite 
par les inventeurs qui apportaient leurs produits tout fabri- 
qués. C'est pour cela qu'en France et dans le reste de l'Eu- 
rope, tout à fait au début de l'âge du bronze, on trouve des 
pièces très bien fondues en fort beau métal. Mais, rencon- 
trant sur leur chemin des mines de cuivre, ils se sont mis à 
les exploiter en utilisant d'abord le cuivre natif et en réduisant 
ensuite le minerai. Le beau bronze étant composé de neuf 
parties de cuivre pour une d'étain, cela diminuait les frais 
et surtout les difficultés de quatre-vingt-dix pour cent, n'ayant 
plus que l'étain à apporter. 

Il s'est trouvé qu'après un certain temps de ce régime, des 
empêchements, dont la cause nous est inconnue, ont arrêté 
l'importation de l'étain dans Touest de l'Europe. Les provi- 
sions se sont vite épuisées, on a été réduit à utiliser pure- 
ment et simplement le cuivre localement exploité. Cependant, 
pour lui donner à la fusion une fluidité plus grande et pour 
le rendre plus dur, on a môle à ce cuivre local les débris des 
objets en bronze précédemment importés. 

Ce sont justement ces quelques parties d'étain dans des 
cuivres de régions totalement dépourvues de ce minerai qui 
prouvent qu'il ne s'agit pas là d'un âge du cuivre normal 
ayant précédé le bronze, mais bien d'une industrie du cuivre 
tout à fait fortuite provenant d'un simple accident commer- 
cial. 

Ce fait parfaitement constaté vient confirmer que l'étain em- 
ployé n'était pas des gisements de l'ouest de l'Europe, mais 
d'une provenance beaucoup plus lointaine. 

Les métallurgistes ne se présentaient pas comme envahis- 
seurs usant de la force. Ils cherchaient à baser leur domina- 
tion sur la religiosité. C'étaient tout à la fois des commerçants 
et des missionnaires. Missionnaires ardents comme sont les 
Orientaux, ils ont transformé l'ancien culte et, au grand 
détriment de l'anthropologie, ils ont remplacé l'inhumation 
par la crémation. Ardeur religieuse et crémation nous repor- 
tent vers l'Orient. 

Mais à ces caractères moraux, commerce et religiosité, à 
ce caractère rituel, la crémation, s'en joint un bien plus con- 
cluant : un caractère anthropologique. Nous ne pouvons 
pas le prendre sur l'individu lui-même, son corps ayant été 



PROTOHISTORIQUË 207 

implètemenl incinéré. II n'en est pas moins sérieux et ca- 
Ktcristiquc.il s'agit de l'étroitesse des mains el du peu dedt'- 
eloppe me ni comme épaisseur des os de l'avant -bras. C.esdon- 
lées sont fournies, la première 
«r les poignées des armes, la se- 
oade par les bracelets. Ces der- 
iers, ouverts sur le côté, ne lais- 
sai pour le passage du bras 
u'une très étroite ouverture, 
on seulement nos hommes, mais 
plupart de nos femmes ne 
ïuvent pas les entrer. 
Pour ce qui concerne les poi- 
nées de poignards et d'épcVs, 
est encore plus caractéristiiiuc. 
es poignées sont trop pelilrs 
our nos mains. C'est tout au 
lus si nous pouvons y loger 
■ois doigts opposés au pouce. 
I n'y a que certaines popula- 
ions asiatiques du côté de l'Inde 
[ui aient des mains assez élroi- 
es pour pouvoir utiliser comnio- 
lémcnt de pareilles poignôes. 

L'âge du bronze en France se 
Hvise très nettement en <leux 
•pctqucs. C'est justement dans 
a première que se rencontrent 
es poignées les plus courtes. C'é- 
■ail l'époque où les fondeurs de 
ironze se réservaient les armes. ,. „ „ , , 

, , . , FiG. 108. — BouilJIm en lironzu 

Is avaient donc une mam plutôt avec lintinnabutum et sunsti- 

tidienne qu'occidentale. ï/T.'sX'i: ^"^^^ *=«"'"=«=hi. 

D'ailleurs, il y a accumulalion 
le preuves. Parmi les objets en bronze fabri<iués par nos 
ondeurs, nous en avons rencontré en France et en Suisse 
lont la détermination a tout d'abord beaucoup embarrassé, 
le sont des sommets de cannes avec anneaux mobiles qui 
'ont du bruit quand on les remue (fig. 109 el 110). Espèce de 
ihapeau chinois élémentaire, cet instrument de musique — 

G. DB MORTILLET \-, 




258 



DONNÉES PALETHNOLOGIQUES 



si on peut lui donner ce nom — est ce qu'on appelle en ar- 
chéologie un tinlinnabulum, analogue à ceux des prêtres 
bouddhiques de TOrient (fig. 108). 

Avec le bronze, bien longtemps avant le christianisme, 
apparaît aussi dans l'Occident le signe de la croix et surtout 
la croix gammée ou swastika. Ce sont là des signes religieux 
de rOrient. Tout porte donc à admettre que les premiers 




Fig. 109. — Tinlin- 
nabulum en bron- 
ze. Palafitte de 
Grésine, lac du 
Bourgel (Savoie). 
Musée d'Aix-les- 
Bains. i/2gr. nat. 




Fig. 110. — Tintinnabulum en 
bronze. Palafitte de Chevroux, 
lac de Neuchâtel (Suisse). i/3gr. 
nat. 



métallurgistes, les importateurs du bronze en Europe, venaient 
des régions situées à l'est de l'Asie. 

Quelle iniluencc l'arrivée des importateurs du bronze a-l-elle 
exercée sur la Nation française ? Sous le rapport industriel, 
elle a occasionné une révolution complète ; sous le rapport 
religieux, elle a profondément modifié le culte. Mais, au point 
de vue de la composition de la population, elle n'a pas eu une 
grande influence. Les caractères anthropologiques de main 
et d'avant-bras que nous avons constatés se sont fondus, 
dilués dans Tensomble de la population. En effet, les impor- 
tateurs ont toujours été en grande minorité. Malgré leur 
influence morale, ils étaient partout et toujours menacés, 



PHOTOHISTORIQUE aSg 

isi se fionUils volontiers abrités sur les palafilt^s des 
s de France et de Suisse. Leurs habitations sur terre 
me sont rares et cachées dans des lieux retirés. Une 
ïuve plus concluante encore de leur état d'infériorité 
mérique e^ par suite du peu de sécurité dont ils jouis- 
ent, c'est que, fondeurs ou marchands, ils ont été forcés 




— Hache à bords droits, brome Arleuf (Nièsrej i/3gr.naU 

— Hache k talons, bronze. Rochefort (Pu; do DOme). i/3 gr. nal. 

— Hache h ailerons, bronze. Monétay sur Loire (Allier). i/3 gr.ni 

— Hache à douille, bronze. Dculle (Seine- Inférieure). 1/3 gr. no 



! cacher leurs matières premières et leurs pacotilles. Les 
ichettes de bronze sont très nombreuses. II y a quelques 
inées, à la Société d'Anthropologie, j'en ai signalé 43D,décou- 
rles dans 68 départements de la France continentale. L'in- 
lence des importateurs du bronze sur la population fran- 
ise au point de vue de la race a donc été très faible ; elle a 
ulement renforcé le groupe des brachycéphales. Malgré ia 
opagande rehgieuse, nous voyons les anciennes populations 
révéler un peu partout par la conservation de certaines 
ibitudes. C'est ainsi que sur les plateaux calcaires du midi 
! la France appelés causses, les inhumations se main- 
mnenl dans les grottes et les dolmens, tout en étant accom- 



26o DONNÉES PALETHNOLOGIQUES 

pagnées d'objets en bronze et en cuivre. En Bretagne, le 
bronze et Tincinération n'ont pas fait abandonner les sépul- 
tures monumentales. Dans les Alpes, l'inhumation s'est main- 
tenue avec des mobiliers funéraires appartenant complète- 
ment à l'âge du bronze. 

La durée de Tâge du bronze a dû être considérable. En effet, 
pour que des missionnaires de langues et de pays étrangers 
convertissent toute une région aussi vaste que TEurope, il 
faut certainement beaucoup de temps. Des faits matériels 
attestent l'exactitude de cette déduction. Restreignons, pour 
plus de précision, la question à la France. L'étude de Tâgedu 
bronze dans notre pays m'a permis de le diviser en deux 
époques bien tranchées : le Morgien et le Larnaudien. L'in- 
dustrie du bronze a donc dû être fort longue pour qu'elle se 
soit ainsi profondément modiflée. L'étude spéciale de l'ins- 
trument par excellence, la hache, qui est tout à la fois l'outil 
le plus utile et une arme terrible, conduit au môme résultat. 
La forme de la hache a changé quatre fois (fîg. m à ii4) 
pendant les deux époques : Nous voyons, à l'époque mor- 
gicnne, d'abord le type à bords droits, ensuite le type à 
talons, puis, à l'époque larnaudienne, le type à ailerons cl en 
dernier Heu le type à douille. 

Introduction du fer. — Si nous ne sommes pas fixés d'une 
manière bien précise sur le point d'origine du bronze, il n'en 
est pas (le môme pour ce qui concerne le fer. Le fer a une 
origine africaine. 

En Egypte, où les documents historiques remontent à 
7.000 ans, le fer paraît avoir été connu depuis cette époque 
lointaine, sans interposition d'un âge du bronze distinct. 

Cet usage du fer dès la plus haute antiquité historique de 
rÉgypte, qui a été longtemps et vivement contesté, est main- 
tenant généralement accepté. Il ne pouvait en ôtre autrement 
devant les preuves qui l'appuient. Les grandes et belles sta- 
tues égyptiennes en syénite et surtout en porphyre, roches 
des plus dures, n'ont pu ôtre taillées qu'avec le fer passé à 
l'état d'acier. Dans les peintures les plus anciennes qui 
accompagnent les sculptures, des couleurs spéciales sont 
attribuées aux différents matériaux. Les métaux usuels 
sont colorés en rouge ou en gris bleu. Le rouge représente le 
cuivre, et le gris bleu, réservé pour les objets qui doivent être 



PROTOHISTORIQUE 26 1 

îs plus durs et les plus résistants, représente certainement 
5 fer. Du reste le nom du fer, 6aa,se trouve dans les inscrip- 
ons et les textes les plus anciens. Enfin le fer ouvré lui-même 
été retrouvé. Il a été signalé entre autres dans les pyramides 
es premières dynasties. S'il n'est pas plus abondant, cela 
lent à une considération religieuse. Ce métal, qui perd facile- 
aent son éclat en se rouillant, était considéré comme impur 
t voué à Typhon, le dieu du désert et du mal. 

Il est tout naturel de voir le fer connu et employé par les 
ilgyptiens, car c'est le métal par excellence de l'Afrique. Ainsi 
hez les Cafres, le nom du fer, tsipi^ équivaut en même temps 
u nom de métal. Le cuivre est le tsipi ecubitu^ fer rouge ; 
or et même le laiton, le tsipi etseku^ fer jaune; l'argent, le 
sipi echu^ fer blanc. 

Les Africains, qui, comme toutes les autres populations, ont 
lébuté par l'âge de la pierre, ont passé directement de la 
derre au fer. La limonite, peroxyde de fer hydraté, est 
rès répandue en Afrique à la surface du sol ; or c'est un 
ainërai très facilement réductible, d'autant plus réductible 
[u'il est accompagné de divers sels qui peuvent servir de 
ondants. 

Quand la limonite est dure et compacte, on la nomme 
lématite. C'est alors une brillante pierre aux belles couleurs 
ouges. Aussi a-t-elleété fréquemment employée pendant l'âge 
tfricain de la pierre à faire des haches polies. Une de ces 
lâches, tombée accidentellement dans un foyer ou décom- 
posée dans un incendie, aura tout naturellement conduit à 
'invention du fer métallique. 

Les Étrusques ainsi que les Sardes, et très probablement 
es Corses, se sont joints aux Libyens pour envahir l'Egypte, 
'Omme nous l'avons vu dans la partie historique. Ils ont été 
battus par Thothmès III, vers Tan 1625 avant notre ère. Un 
filtre document historique nous montre encore les mêmes 
copulations en contact comme ennemis, puis comme auxi- 
iaires, avec les Égyptiens sous Ramsès II, au commencement 
lu XIV® siècle avant notre ère. Ces contacts avec les Égyptiens 
les habitants des îles italiennes et des Étrusques ont dû leur 
aire connaître le fer. En Sardaigne et en Étrurie, on retrouve 
les antiquités égyptiennes. Rapportant des objets divers, 

plus forte raison ont-ils dû importer chez eux l'usage dw 



202 DONNÉES PALETHNOLOGIQUES 

fer, élément si utile dans Tindustrie. On peut donc con- 
clure que l'introduction du 1er a eu lieu en Italie du xmi* au 
XIV® siècle avant notre ère. 

A cette époque, les communications entre l'Italie et la France , 
étaient fréquentes. On a trouvé des objets de Tâge du bronze 
sur plusieurs cols des Alpes. Le fer a donc dû franchir les 
Alpes environ quatorze siècles avant notre ère. Il a d'abord 
été apporté tout fabriqué par le commerce. Les fondeurs de 
bronze des palafilles de la Suisse l'ont utilisé comme ornement. 
Ils Tincrustèrent dans le bronze des beaux bracelets et des 
poignées d'épées de la fin du Larnaudien. Plus tard, les fabri- 
cants de fer suivirent les marchands, et le nouveau métal se 
vulgarisa. On vit alors en France, comme en Italie et en 
Egypte, le fer traité en métal impur, tandis que le bronze et 
le cuivre étaient considérés comme beaucoup plus nobles. 
Nouvelle preuve que le fer nous est venu d'Egypte, métal et 
traditions ont cheminé ensemble. 

La pierre polie et la civilisation qui l'accompagne nous ont 
été apportées par une invasion violente. 

Le bronze par une lente insinuation religieuse. 

Le fer nous est venu tout simplement par le commerce et 
l'industrie. 

Hallstattien. — La première époque de l'âge du fer, l'Halls- 
tattien a pris son nom des mines de sel de Hallstatt, dans 
la province de Salzbourg (Autriche), vallée alpine qui met 
l'Italie en communication avec l'Europe centrale. C'est là 
qu'un des employés de la mine de sel actuelle, Ramsauer, a 
fouillé avec le plus grand soin un riche cimetière de cette 
époque, dont il a fait le relevé tombe par tombe. Le cimetière 
d'Hallstatl est, sinon le plus riche, certainement un des plus 
riches de celte époque. Cela tient à l'exploitation du sel, au 
milieu des terres. Les mineurs d'alors échangeaient leur sel 
contre les objets les plus beaux, les plus chers, les plus 
recherchés. Il y avait à Hallstatt, grâce au sel, un actif centre 
de commerce, (^.etle localité est donc devenue le type d'une 
grande et importante époque, non seulement par les objets 
industriels usuels et de luxe qu'on y rencontre, mais encore 
par le mouvement commercial qui s'y est développé, mou- 
vement qui est une des caractéristiques les plus importantes 
de l'Hallstattien. 



. 






k 



PROTOHISTOBIQUE 



263 



En Allemagne, en Suisse, en France, ce mouvement avait 
4ncipalement pour objectif l'ambre, qu'on allait chercher sur 
s côtes de la mer du Nord et de la Baltique et que l'on ap- 
Drtait à profusion dans l'Europe centrale et surtout méri- 
onale. 

Ce commerce entre le Sud et le Nord avait 
éjà commencé, au moins du côté de la France, 
^ant la fin de l'âge de bronze. Non seulement 
Q le reconnaît par l'ambre rencontré dans 
iverses stations du bronze, mais encore grâce 
1 jalonnement de la route par des objets par- 
culiers. Tel est un couteau (fig. ii5), à lame 
3urte, à manche fondu du même jet, terminé 
ar un grand anneau et portant sur chaque plat 
n creux allongé bordé au pourtour de petites 
mgueltes, agrafes destinées à retenir une 
arniture logée dans le creux. Ces couteaux 
3nt larnaudiens, associés à des objets de la fin 
e l'âge du bronze. Cette forme très particu- 
ère a été rencontrée : à Rovio (Tessin), ver- 
ant italien des iVlpes; près de Genève, versant 
*ançais ; en France, à Pothières (Côte-d'Or), 

Courtavant (Aube), aux environs de Toul 
Meurthe-et-Moselle) ; à Binningen, près de 
tâle ; près de Darmstadt, sur les bords du Rhin, 
t en Hanovre, près de la Weser. 

Ces couteaux se rencontrent dans des tom- 
bes, indistinctement, à incinération ou à 
nhumation. On voit que le sentiment reli- 
Seux, deuxième manière, s'est très amoindri 
►ar suite du commerce et des pérégrinations. 

Un autre jalonnement (fig. 116), relevé avec beaucoup de 
oin, est celui des cistes à cordons. Les cistes sont des seaux 
ylindriques en bronze, coupés dans leur hauteur par des 
bourrelets au repoussé qui les divisent en une série plus ou 
Doins nombreuse de zones horizontales (fig. 117), unies ou 
►rnées. On connaît 107 de ces cistes à cordons, mais comme i4 
îonstituent une cachette de marchand en Hongrie, extrême 
imite orientale de la distribution, il ne faut pas en tenir compte, 
^este donc 98, ayant servi, disséminés ainsi : 48 en Italie dont 



Fig. ii5.— Cou- 
teau en bronze 
à anneau et 
à languettes, 
lame et man- 
che du même 
jet. Sépulture 
de Courta- 
vant (Aube). 
Coll. Morel. 
1/3 gr. nat. 



2^4 DONNÉES PALETHNOLOGIQUES 

2^ à Bologne ou dans les environs. C'est évidemment là le grand 




centre de consommation ; lo proviennent du versant méridional 
des Alpes. Sur le versant opposi', on en a signalé : 5 en France, 
1 en Belgique, i en Hollande, i en Suisse, 5 dans le Wurleni- 
bcrg, 2 en Bavière, 6 à Hallstall, i dans le Tyrol. Puis, rt- 



PHOTO II ISTO R IQU H 



:!6â 



montant au Nord, on en retrouve 2 dans la vallée du Rhin, 
5 dans ie Hanovre et i dans le Mecklembourg, D'autre part, 
plus à l'est, Il s'étalent dans l'Istrie et la Camiole, et de là 
ils regagnent la Baltique par la Moravie, 1, le duclié de 
Posen, i,et le Brandebourg, 1. Ce jalonnement des cistes à 
cordons de la fin de l'HallsIattien montre que le mouvement 
commercial de l'ambr était à ce moment le même qu à la 
fin de ràgc<lu bronze en élargissant on a rc du côté de 1 est. 

Les sépultures hall j 

stattiennes ont fourni 
aussi un certain nom 
bre à'œnochoés, ou a 
ses à long bec (fig. 118) 
qui jalonnent aussi 1 es 
pace compris entre H 
Baltique et la Méditer 
ranée. Ce que ces \a 
ses, dont plusieurs ont 
été recueillis en France 
ont de particulier, c est 
qu'ils sont parfois orné 
de lions, influence meri 
dionalc.Ccsontdesli n 
à courte crinière, donc 

des lions d'Asie. Les ^^ \-'; \n„ f « ' d l 1%'. 
cenochoés, au moins ^g i 

comme origine , provien 

ncnt du sud-est. Une épultui hallstatfiennc !u canton de 
Berne (Suisse), à <. 11e h«jl fournil un document encore 
plus précis. C'est une grande et belle orne en bronze qui a 
non seulement ses anses formées chacune de deux lions 
orientaux, mais encore un bel ornement [(ig. 119) en bronze 
ajouré, représentant Astarté, divinité syrienne. En France, 
sous le tumulus de la Garenne, à Hainte-Ciolombe (COte- 
d'Or),une autre sépulture a donné un grand bassin orné de 
têtes de griffons, tfites tout à fait orientales. Nous repro- 
duisons figure 120 le bassin de la Garenne et comme terme 
de comparaison, figure 121, une tOte de griffon provenant 
d'OIympie (Grèce). 

Ce sont là autant de preuves qu'il y avait des relations 




a66 



ntlNMÏES PALKTHXOLOGiyUES 



commeiciales ciitit I Orienl et 1 Occideiil Pc» iclalions 
s'étendaient au moins depuis la Syrie jusqu k la Baltique 
coupant 1 Europe en écharpe et ae faisant senlii grande- 
ment en Suibse et en France 

Les sépultures 
halUtattiennes de 
France sont is- 
senliellement ous 
iumulus L épo- 
que est parfaile 
ment caracléri e 
dans son enseni 
bic mais d \ns 
léiat de nos i.on 
naissances il n est 
pas possible de la 
subdiviser II tn 
e l tout autie 
ment en Italie ou 
il existe des ti 
metiere&di\ ei & 
nettement carac- 
térisés et mieux 
encore des cou- 
ches de sépultu- 
res superposées. 
Ces sépultures se 
trouvent dans des 
terres d'alluvions; 
il a donc fallu. 
pour former les 
divers niveaux, un 
temps très long, beaucoup plus long que celui que les ar- 
chéologues classiques leur assignent en se basant seulemcnl 
sur les objets recueillis. 

Le développement de l'industrie hallslatlienne a pris un 
grand essor en Ilalic, dans les régions situées au nord de 
TApennin, Il existait là un cenlre fort actif. On y a trouvé, 
soit à Bologne, soit à Kslc, des vases, surtout des seaus 
on bronze nommés silules, ornés de représentations animales 




: Mb ne). Mu- 



PR0TOHI8TORJQUE 267 

et de scènes de la vie humaine (ilg. 122 et i23). Ces orse- 
ments forment des bandes superposées. Elles débutent gé- 
néralement, en haut, par des défilés militaires, puis, au 




!). îiuate de Berne, i/a gr. nat. 



milieu, viennent des sujets religieux, enfin la vie populaire 
est reléguiie tout à t'ait à la fin et fort écourtée. Cela peint 
bien l'esprit de l'époque. Le peuple n'est rien, le soldat cl le 
prêtre sont tout. 

De la partie inférieure de la vallée du Pô, ces vases illus- 
trés, fort inléressants sous le rapport des mœurs et du cos- 
tume, se dirigent vers le nord-est , l'Autriche, et non vers le 
nord-ouest, la France, Nous ne pouvons donc pas utiliser 



2f»8 DONNEES PALETIINOLOGIQIES 

(l'une manière certaine, les données qu'ils fournissent pour 
riiisloirc (le la Nation française. 

Mais nous avons en France de fort curieuses statues en 
grès (fîg. 124 et 125), à peu près grandeur nature, qui nous 
fournissent des données bien françaises. Ces statues, Irès 




— Bassin en bronze ornÉ de 
s de grilTons, arec non trL'pled. La 
enne (Ceie-dOr). Muste de CM- 
n-Hur-Seine. 1/10 gr. nnl. 



grossières, très primitives, découvertes dans l'arrondissemenl 
de Saint-Affrique (Aveyron), sont au musée de Rodez. Elles 
représentent une femme et trois hommes. La mieux conservée 
est la statue de femme. Sa bouche est recouverte d'un voile, 
comme en portent les fera mes arabes de nosjours. Les hommes, 
armés de poignards, d'arcs et de flèches ont également des vê- 
tements en forme de robe. Cela nous reporte aussi en Orient. 
Ces statues sont-elles bien de Toge du fer? 



PROTOHISTOniQUE 



269 



En les comparant avec les représentations humaines des 
situlesou seaux coniques ornés de l'époque d'Hallstatl, on 
remarque : 

1° Que les hommes dans les statues comme sur les situlcs 
sont recouverts de longues houppelandes: 

a* Que la femme de l'Aveyron a une robe qui recouvre le 
dessus de la tfile. Il en est de mémo des femmes des situles. 
Seulement ces dernières ont la figure découverte au lieu 
d'avoir la bouche cachée par un voile. 

Malgré ces analogies, il se pourrait cependant que les 
statues de l'Aveyron remontent à 
l'âge du bronze et même à la fin du 
ïiéolîtbique. 

Harnien. — La seconde grande 
époque entièrement protobistorique 
de l'âge du fer est l'époque mar- 
Qtenne. Elle est admirablement ca- 
ractérisée en France, surtout dans le 
département de la Marne, par les 
riches cimetières auxquels on donne 
le nom de cimetières gaulois. Peu 
distincte en Italie, où elle est ab- 
sorbée en grande partie par les 
subdivisions de l'Hallstattien et par 
l'Étrusque et le Romain, elle reparaît 
très nette et fort brillante sur les côtes de la Dalmalic, en lïos- 
nie-Herzégovine et dans tout le bassin du Danube. L'indiisliie 
de celte époque, très bien caractérisée, se relie pourtant dans 
ses tiébulsavec celle de la fin de l'époque précédente. Klle est 
facilement reconnaissabic par la forme dun petit objet de toi- 
lette fort répandu, la fibule ou agrafe de vêtement. Les fibules 
mamiennes, qu'elles soient en fer, en bronze ou très rare- 
ment en métal plus précieux, ont l'extrémité destinée à rece- 
voir la pointe de l'épingle très longue et recourbée sur l'arc 
ou corps de la fibule (fig. 126 et 127). 

L'industrie marnienne, partanlde la France, occupant toute 
la partie méridionale de rAllemagnc, s'étalant dans la vallée 
du Danube, abondante sur le versant oriental de l'Adriatique, 
vient confirmer ce que nous avons ditdans la partie historique, 
savoir qu'une population uniforme et très mobile occupait 




lit- la Ciïrtoso 

(Itniie). Masic du Bologiie 

1 Sgr. nal. 



270 DONNEES PALETHNOLOG[QUE8 

OU du moins parcourait et dominait toutes ces régions. 




Le commerce continuait à être très actif; comme par I 



PHOTOHISTORIQU E 



semail 1 ambre de la Baltique en descendant vers 
mais plus complet il semail aussi le corail de la 
anée en remontant vers le nord (fig 




Les Mourels (Aveyron) Mu=ée 



ïrégrinalions commerciales mariiienncs, comme les 
iennes.neparaisseDt pas avoir eu une grande influence 
■mposilion de la population. 

mien s'est largement dévj?loppé avant l'introduction 
naies en France. Dans les milliers de tombes fouillées 
tièrcs marnions de la Champagne, on n'a pas trouvé 
aies gauloises. Les premières monnaies apportées en 
ont de Philippe de Macédoine, qui a régné de 359 ^ 
t notre ère. On peut en conclure que les cimetières 
î étaient eu plein fonctionnement au m" siècle avant 



07*> 



DONNÉES PALETHNOLOGIQUES 



noire ère cl que l'industrie uniforme qu'ils contiennent re- 
monte au moins au iv* siècle. 

Les premières monnaies employées en France sont des mon- 
naies j^rrecriues apportées par les bandes de pillards ou venues 
à Marseille par TetTet du commerce. Ces belles monnaies 




FiG. 126. — Fibule marnienne, bronze. Sépul- 
ture de la Marne. 2 3 gr. net. 




Fio. 127. — Fibule marnienne, bronze. 
Somme-Bionne (Marne). 2/3 gr. nal. 



grecr[uos, imitées, ont rapidement dégénéré et sont deve- 
nues si irrossières, qu'on ne peut en tirer aucune indication 
ethnique. 




FiG. 128. — Fibule en fer de La Tène (Suisse). 2/3 gr. nat. 



Vers la fin de l'époque marnienne, une fabrique ou plutôt 
un dé})ôt commercial l'ut établi à La Tène, au débouché du lac 
de Ncuchûtel (Suisse). Mais cet établissement a fourni des 
monnaies gauloises, entre autres de Marseille. On dit même 
qu'on y a trouvé des monnaies romaines. Pourtant, en Alle- 
ma^çne et en Suisse, on cherche à donner le nom de La Tène 
à l'époque marnienne. C'est à tort, car ce gisement n'est ni 



PROTOHISTORÏQUE 278 

isez précis, ni assez net, ni assez complet. La Tène corres- 
)nd non au Marnien,raaisau Beuvraysicn. C'est l'époque de 
ansition entre le protohistorique et l'historique. La fibule 
iractéristique de La Tène (fig. 128) est elle-même une fibule 
î passage entre les fibules typiques du Marnien et certaines 
Dules romaines. 

Là finit la palethnologie. L'histoire commence en France 
rQQ. l'occupation romaine. 

Récapitulation palethnologique. — L'homme a apparu en 
rance il y a plus de 200,000 ans. Il y vivait en compagnie 
3 deux grands éléphants, ÏElephas antiquus et même YEle- 
has meridionalis. Complètement sauvage, il allait eritière- 
lent nu, sous une température assez douce. Nous ne lui con- 
aissons qu'un seul instrument, un fort morceau de pierre 
rossièrement taillée, qui lui servait, suivant le besoin, d'arme 
u d'outil. 

Cet instrument, le coup de poing, se maniant directement à 
imain, l'homme l'a lentement et successivement amélioré, le 
3iillant avec plus de soin, plus d'art et surtout le rendant plus 
^ger. 

Mais, la température baissant, le froid arrivant, l'homme a 
enti le besoin de se vêtir. Il a alors modifié son outillage de 
•îerre de manière à pouvoir se fabriquer des vêtements avec 
les peaux. 

Cette évolution se suit d'une manière régulière, sans sou- 
bresauts, pendant la première partie du paléolithique, quia été 
xtrêmement longue. Il y a donc eu continuité dans l'occu- 
pation de la France par la même race, sans intervention ni 
Dfluence étrangères. 

Puis à la fin du paléolithique inférieur et moyen vint 
*époque solutréenne, qui est caractérisée par un beau déve- 
oppement de l'industrie de la pierre, développement dû à 
'invention d'un procédé technique nouveau. Pourtant cette 
nduslrie se rattache par des intermédiaires à celle du Mous- 
érien, et son peu d'extension en surface montre que c'est un 
simple épanouissement local, qui ne se relie à aucune indus- 
.rie similaire étrangère. 

En même temps que cette transformation industrielle, s'est 
opérée une transformation climatérique. Le climat froid et 
bumide, assez uniforme, qui a occasionné le déveloççecaftVîA. 

G. DE ^ORTÏLLET \% 



274 DONNÉES PALETHNOLOGIQUES 

glaciaire, a été remplacé par un climat très sec à tempéra- 
tures extrêmes, très froide Thiver et chaude Tété, qui a amené 
le retrait des glaciers et forcé Fhomme à s'abriter dans les 
grottes et contre les escarpements. Joignant Fos à la pierre 
pour fabriquer ses instruments, l'homme a perfectionné son 
industrie sur place, il est même devenu artiste ; pourtant, 
exclusivement pêcheur et surtout chasseur, il ne connaissait 
ni la domestication des animaux, ni Tagriculture ; il ignorait 
l'emploi de l'arc et la poterie. Complètement dépourvu, comme 
tous les paléolithiques, de religiosité, il n'enterrait pas ses 
morts. 

L'animal le plus utile à ces chasseurs était le renne. Mais, 
l'évolution climatérique continuant, la température s'adoucit 
et surtout s'uniformisa peu à peu. Le renne émigra vers le 
pôle, suivi d'une partie de ses chasseurs. Les autres restèrent 
en France, où ils menèrent une vie précaire. C'est alors que 
se produisit une grande invasion qui transforma les usages et 
les mœurs. Le paléolithique était fini, le néolithique commen- 
çait avec l'agriculture et le culte. Cette invasion provenait 
probablement d'Orient, patrie des grandes religions. 

A la suite d'importations commerciales et de propagande 
religieuse, une autre transformation s'opéra en France. Le 
bronze succéda à la pierre, et la crémation prit la place de 
l'inhumation. C'est l'Orient et probablement l'extrême Orient 
qui nous a fourni la nouvelle industrie et le nouveau culte. 

Enfin apparut le fer, provenant d'Afrique par la voie de 
l'Egypte. Il fit son apparition en France 1,000 ans au moins 
avant notre ère. Pendant les temps protohistoriques du fer, 
la palethnologic, si elle ne constate pas des mouvements de 
peuples, reconnaît tout au moins de grandes pérégrinations 
commerciales qui mettaient en relation la Syrie avec la Bal- 
tique. Ce sont là d'utiles données pour tracer l'histoire primi- 
tive de la France et établir l'origine de sa population. 



QUATRIÈME PARTIE 

DOCUMENTS AiNTlIROPOLOGIQUES 



CHAPITRE PREMIER 



RACE DE NÉANDERTHAL 



Squelette de Néanderthal. — Reste à étudier rhomme 
lui-même. Malheureusement, comme nous l'avons établi, 
rhomme paléolithique n'enterrait pas ses morts, aussi leurs 
ossements se dispersaient et se détruisaient rapidement. Les 
documents osseux sont donc fort peu nombreux. Pourtant 
les pionniers de la science sont parvenus à en réunir suffi- 
samment pour établir d'une manière satisfaisante les carac- 
tères de nos premières races humaines. Entraînés par leur 
ardeur, ces pionniers ont môme dépassé le but et encombré le 
champ d'étude de pièces plus ou moins douteuses. Nous écar- 
terons avec soin toutes ces pièces incertaines et ne baserons 
nos conclusions que sur celles qui sont incontestables. 

La première, qui fit grand bruit, fut le squelette et surtout 
la calotte crânienne de Néanderthal. 

Dans un point resserré et encaissé de la vallée de la Dussel, 
à peu près à moitié distance entre Diisseldorf et Elberfeld, 
station de Hochdal, débouche un petit ravin nommé Néander- 
thal. On y exploite, comme marbre, du calcaire dévonicn. La 
carrière, rive droite de la Dussel, côté gauche du ravin, est ou- 
verte dans un escarpement presque abrupt. A 18 mètres au- 
dessus du niveau de l'eau et à 3o mètres au-dessous du i^W 



276 



DOCUMENTS ANTHROPOLOGIQUES 




teau supérieur, existait une étroite terrasse sur laquelle s'ou- 
vrait la petite grotte de Feldhofen. Elle contenait une assise 
de limon très dur de i",(k> d'épaisseur. C'est dans ce limon, à 
o",66 de .profondeur, qu'en août i856, les ouvriers de la car- 
rière découvrirent un squelette humain, couché dans le sens 
de la profondeur de la grotte, la tête du côté de- l'entrée. 
Fiihlrott, d'Elberfeld, averti, s'empressa de se rendre sur les 
lieux et put recueillir la fameuse calotte crânienne (fig. 129) 
et divers os. Le tout était empâté dans du limon, véritable 
lehm ancien fortement tassé, dépôt acheuléen non remanié. A 
i3o pas, du même côté, dans un calcaire semblable, uneaulre 

grotte a donné des dé- 
bris de rhinocéros, d'ours 
et d'hvène contenus dans 
du lehm identique. Enfin, 
la forme toute spéciale 
de la calotte est encore 
une preuve qu'on est en 
présence d'un débris hu- 
main paléolithique. 

En voyant la robustidlé 
et l'épaisseur des osse- 
ments de Néanderthal et la forme toute particulière du crâne, 
avec ses arcades sourcilières démesurément développées, son 
front bas, fuyant, sans façade, la partie postérieure de la tête 
fortement élargie, on s'est demandé si c'était un homme. 
Lorsque Schaafîhausen eut bien établi que ce n'était pas 
douteux, on a voulu voir dans les débris de Néanderthal les 
restes d'un individu anormal, d'un idiot. Mais les découvertes 
subséquentes sont venues détruire cette opinion. 

Fragment de crâne de Canstadt. — La découverte de 
Néanderthal rappela qu'en 1700, le duc Eberhard Ludwigde 
Wurtemberg faisant pratiquer des fouilles dans un oppidum 
romain à Canstadt, tout près de Stuttgart, on avait recueilli 
un débris de crâne humain (flg. i3o)de forme assez bizarre. U 
gisait dans le lehm, associé à des restes d'éléphants, d'ours et 
d'hyènes. Ce fragment, longtemps oublié, avait été retrouvé 
au musée de Stuttgart. Il se compose du frontal et d'une 
grande partie du pariétal droit. Dans son ensemble, ce frag- 
ment de crâne a le plus grand rapport avec la calotte cra- 



FiG, 129. — Crâne de Néanderthal. 
1/4 gr. net. 



i 




RACE DE NEANDERTHAL 277 

nienne de Néanderthal. Les arcades sourcilières, moins déve- 
loppées, le sont pourtant beaucoup plus que dans les races 
actuelles. Ce développement produit un sillon transversal du 
côté du front et une dépression au-dessus de la racine du nez. 
-Le front est étroit et très fuyant, Técaille frontale est fort 
longue. Enfin ce fragment, que possède encore le Musée de 
Stuttgart, a tous les caractères néandcrthaloïdes, mais est-il 
bien celui qui fut découvert en 1700? Nombre de personnes 
en doutent. Il en est même qui nient sa date paléolithique. On 
a prétendu que c'était un débris romain et même mérovingien 
doté de caractères ataviques. Pourtant, de Quatrefages et 
Hamy ont proposé de prendre ce débris comme type de la race 
qui groupe les caractères néandcrthaloïdes, mais ils n'ont pas 
été suivis. Le type de Néan- 
derthal, avec ses ossements 
divers et sa calotte crânienne, 
est bien plus complet, bien 
plus certain, bien mieux con- 
nu. On doit d'autant plus le 
conserver, qu'il a fourni un r. o -n . ^ ^^ » j. 

/ ^ FiG. i3o. — Crûne de Canstadt. 

qualificatif fort commode et 1/4 gr. nat. 

très employé dans le langage 

scientifique. Pour désigner certains caractères, on dit qu'ils 

sont néandcrthaloïdes, et l'on est compris par tout le 

monde. 

Crâne d'Eguisheim. — Maintenant que nous connaissons 
le premier signalement et le nom de la race de Néanderthal» 
abordons la rive gauche du Rhin. 

En creusant une cave à bière dans le lehm qui constitue 
l'extrémité nord de la colline de Buhl, à Eguisheim, près de 
Colmar, alors Haut-Rhin, on découvrit, en novembre i865, 
deux fragments d'un crâne humain (fig. i3i). Faudel, informé 
de la découverte, s'empressa de l'étudier avec le plus grand 
soin et de la faire connaître. 

Ces fragments se composent d'un frontal et d'un pariétal 
droit se rapportant au même crâne. Ils étaient enfouis dans le 
lehm intact, vierge de tout remaniement antérieur, au bout 
d'une tranchée de 5 mètres de long, sous une hauteur verticale, 
c'est-à-dire à une profondeur au-dessous de la surface du sol, 
de ^",5o. Les autres ossements trouvés disséminés en divers 



278 



DOCUMENTS ANTHROPOLOGIQUES 




endroits dans le même lehm sont un métacarpien de petit 
cheval, divers débris d'un petit bovidé, le frontal d'un grand 
cerf et une molaire de mammouth ou Elephas primigenmJ 
Les os humains et les os des autres animaux ont exactement' 
les mêmes caractères physiques et la même composition chi* 
mique, comme Ta constaté Scheurcr-Kestner en faisant 
diverses analyses. 

Le crâne d'Eguisheim, tout en ayant les arcades sourcilières 
très développées, les a moins fortes que celui de Néanderthal; 
par contre, le front est plus fuyant, bien qu'un peu plus large. 
Les sinus frontaux sont très développés. L'écaillé frontale très 
allongée, et, bien que les deux fragments qu'on possède soient 
assez restreints, on reconnaît très bien que ce crâne, comme 

tous ceux de ce type, 
était dolichocéphale et 
avait la portion posté- 
rieure très élargie, et 
l'occipital rejeté en ar- 
rière. Les sutures fort 
simples tendent à se 
souder et à disparaître 
totalement. Les formes 
plus adoucies de ce crâne peuvent le faire attribuer à une femme. 
Marcilly et Bréchamps. — A Marcilly-sur-Eure (Eure), Dorc- 
Delente a recueilli dans la terre rouge ou terre à brique, équi- 
valent du lehm rhénan, un frontal humain (fîg. 182). Il pro- 
vient de la tranchée de la Mésangère, chemin de fer d'Evreuxà 
Dreux. Cette tranchée est ouverte à mi-côte sur l'escarpement 
qui domine l'Eure. La terre à brique repose sur des marnes 
ravinées, aussi la coupe présente de nombreuses ondulations 
ou poches avec débris de silex. C'est dans une de ces poches, 
presque au fond, à 3o ou 4o mètres au-dessus du niveau de 
la rivière et 20 ou 3o mètres au-dessous du plateau, sous 
environ 7 mètres de terre à brique, qu'a été rencontré le crâne. 
Il était, dit-on, entier, mais les ouvriers l'ont brisé. L'on n'a pu 
retrouver que le frontal ne conservant qu'une très petite por- 
tion de l'arcade sourcilière droite. J'ai vu l'os peu après sa 
découverte, les cassures, toutes fraîches, montraient que, si le 
crâne n'était pas entier, il se trouvait certainement beaucoup 
plus complet qu'il ne l'est actuellement, 



m 



FiG. i3i. — CrAne d'Eguisheim. i/Agr. nat. 



RACE DE NKANDERTIIAL 



279 




Fio. 182. — Frafçment du 
crûne de Marcillysur- 
Eure (Eure). 1/4 gr. nat. 



Ce débris humain n'était directement dalc ni par des osse- 
fc.cnts fossiles, ni par des silex taillés, mais son mode de gise- 
li.«nt ne peut laisser aucun doute sur son âge. Dans la vallée 
«5 l'Eure et aux environs de Dreux le même niveau géolo- 
îque, dans les mêmes conditions, a 
liurni sur plusieurs points, associés 
des ossements d'animaux fossiles, 
i«s silex taillés très nettement mous- 
ôriens inférieurs ou acheuléens. On 
• eut citer entre autres la brique- 
Brie de la Hutte, commune de Cré- 
►^-Couvé. Sous une épaisse couche 
le terre rouge à brique, exploitée 
t mi-côte, se trouve un dépôt de silex parfaitement taillés 
ififectant les formes les plus caractéristiques, pointes et ra- 
-loirs moustériens mêlés à quelques coups de poing acheu- 
^ens. Parmi les ossements associés à ces silex taillés, il y a 
ie nombreux débris de marmottes. Le gisement ne saurait 
Itre mieux caractérisé. Le crâne humain de Marcilly-sur- 

Eure, recueilli au même ni- 
veau géologique, est donc 
bien moustéricn inférieur. 

Ce crâne est tout à fait 
néanderthaloïde et se rap- 
proche beaucoup de celui 
d'Eguisheim. Les arcades 
sourcilières devaient être 
très proéminentes. Malheu- 
reusement, il ne reste plus 
qu'une faible portion de la 
partie externe de l'œil droit. 
Elle suffit pour montrer qu'il y avait une forte dépression entre 
es arcades sourcilières et le front. C'est même cette dépression 
jui a facilité la cassure de l'os et la perte des autres portions 
ies orbites. On sait que cette dépression est un des carac- 
tères des crânes néanderthaloïdes. 

Le front est étroit et sans façade ; il est fuyant en ar- 
rière, pourtant les bosses frontales commencent à se mon- 
trer. 
L'écaillé frontale est fort longue. Au delà le crâne est un 




FiG. i33. — CrAnc de Bréchamps (Eure 
el-Loir). 1/4 gr. nat. 



oSo DOCUMENTS ANTHROPOLOGIQUES 

peu déprimé, comme vallonné. Le front est resserré, et laléle 
s'élargit fortement du côté de Toccipital. 

La suture frontale a entièrement disparu, la soudure fron- 
topariétale est fort avancée. On ne voit plus trace des dente- 
lures sur le sommet de la tôte. Elles ne se montrent qu'un peu 
sur le côté. Elles sont allongées, mais fort simples. L'épais- 
seur de Tos est faible. J'ai signalé cette découverte et décrit 
ce frontal dans U Homme ^ numéro du 25 janvier 1884. 

Après cette découverte, Doré-Delente en a fait une nou- 
velle dans les mêmes conditions de gisement. Il a recueilli à 
la briqueterie de Bréchamps, canton de Nogent, près Dreux 
(Eure-et-Loir), un autre crâne néanderthaloïde beaucoup plus 
complet (fig. i33). Il l'a présenté à la réunion d'Elbeuf de la 
Société normande d'études préhistoriques, le 28 mai 189.3, 
où je l'ai vu. Mais, mort peu après, Doré-Delente n'a pas pu 
le publier. 

Ossements de Denise. — H y a cinquante-trois ans, en 
i8/|4, douze ans avant la découverte du squelette de Ncan- 
derthal, on a signalé des ossements humains paléolithiques 
sur un autre point de la France, près du Puy (Haute-Loire). 
Aymard signala, le 24 novembre i844î à la Société géologique 
de France ( 1 ) la découverte d'ossements humains dans une 
couche de laves boueuses de l'ancien volcan de Denise, com- 
mune d'Espaly, au lieu dit l'Ermitage. C'était pour ainsi dire 
le premier fait bien net, bien observé, confirmant l'existence 
de l'homme fossile. Aussi se mit-on à contester le gisement. 
L'homme contemporain des dernières éruptions volcaniques 
du Velay renversait trop complètement la chronologie bibli- 
que, qui faisait loi absolue alors, pour ne pas soulever une 
formidable opposition. On supposa tout d'abord qu'il s'agis- 
sait simplement d'un homme tombé dans une fente. Mais les 
ossements étaient entièrement engagés au milieu de petites 
couches des plus régulières, provenant d*une assise non fis- 
surée. Voyant qu'on ne pouvait fausser la découverte, on prit 
le parti de la nier. Les blocs contenant les ossements humains 
seraient l'œuvre d'un adroit faussaire, d'un marchand inté- 
ressé. Heureusement, on avait affaire à un Havant énergique, 

(1) Aymard, Note sur une découverle de fossiles humains dans un bloc 
de pierre provenant de la montagne volcanique de Denise, dans BulMin 
Soc. géologique dz France^ i^44» sér. 11, vol. I, p. 117. 



^^ 



RACE DE NÉ.VNDERTIIAL 28 1 

qui, au lieu de se laisser abattre par la contradiction, y puisait 
une nouvelle ardeur. Étudiant le fait avec soin, dans ses divers 
détails, toujours sur la brèche, Aymard répondit à toutes les 
objections. Soumettant successivement la question sur place, 
pièces en main, à tous lès hommes spéciaux et indépendants, 
il finit, non sans peine, par faire admettre et triompher la 
vérité ; mais il lui fallut pour cela plus de vingt années, 
tant les vieilles idées enrayaient encore la science. 

Les fossiles humains de Denise, d'après E. Sauvage, qui le pre- 
mierles a étudiés sous lerapportanthropologiqueeni872, sont: 

Un frontal (fig. i34i de la collection Pichot-Dumazel, recueilli 
au commencement de Tannée i844. 

Le bloc du m usée du Puy découvert en septembre de la 

môme année contient un frontal et di- . 

vers os. / ^^"^s. 

Deux blocs faisant aussi partie delà col- 
lection Pichot, avec de nombreux os. Ils 
ont été, dit-on, trouvés assez longtemps 
après le précédent. ^^^ ^3^ _ ^^^^^^^^ 

Un bloc de la collection Aymard avec de calotte crânienne 
une dent et ua métacarpien. tiJ^e^ms^T' 

Enfin une dent trouvée par Paul Gervais. 

L'authenticité du frontal Pichot est parfaitement établie 
par des couches de limonite argileuse qui incrustent tout 
l'intérieur sur une épaisseur assez forte. Le bloc du musée 
est aussi reconnu tout à fait authentique. J'ai pu le constater 
moi-même après l'avoir examiné avec le plus grand soin. En 
est-il de môme des deux blocs Pichot, qui ne se sont produits 
qu'après le bruit occasionné par la découverte du premier ? 
Les avis sont partagés. Le propriétaire ne les donne pas 
comme bons. Laissons-les donc de côté. Cette contrefaçon, si 
contrefaçon il y a, vient confirmer l'authenticité des autres 
pièces : on ne contrefait que ce qui a de la valeur. 

Le frontal du bloc du musée a des caractères néandertha- 
loïdes. D'après Sauvage (i), « la portion de ce frontal que l'on 
peut étudier, nous montre les arcades sourcilières saillantes 
en bourrelet épais, une glabelle proéminente, surmontée d'un 
front fuyant qu'en sépare une partie fortement déprimée. » 

(i) E. Sauvage, Revue d'Anthropologie, 1872, vol. I, p. 294. 



282 DOCUMENTS ANTHROPOLOGIQUES 

Les mômes caractères s'obsers^ent sur le frontal isolé de la 
collection Pichot, mais ils sont plus atténués, cet os n'ayant 
pas atteint son entier développement. 

Le bloc du musée, outre le frontal décrit, contient un frag- 
ment de pariétal, un de maxillaire supérieur avec une canine 
très usée, un de mâchoire inférieure plus jeune avec une 
canine et trois molaires, une vertèbre lombaire, une moitié 
supérieure de radius et deux métacarpiens, le tout trop em- 
pâté dans la roche pour pouvoir être étudié. On n'isole pas 
ces divers os pour conserver au bloc son caractère d'authen- 
ticité. C'est fâcheux au point de vue anthropologique. 

Mâchoire de Malarnaud. — Une mâchoire inférieure 
humaine a été découverte, en 1889, par Bourret et F. Regnaull 
dans la caverne de Malarnaud, près Montseron, vallée de 
l'Arize, affluent de la Garonne (Ariège). Cette caverne est 
composée de galeries et de puits ; de là deux modes de forma- 
tion fort distincts dans les dépôts. Les galeries ont servi de 
repaire au grand ours des cavernes, aussi leur sol est-il encom- 
bré d'ossements d'Uraus spelœus parmi lesquels on a rencontré 
quelques débris d'hyène, de lion, de panthère, de loup, de renne 
et une dent de rhinocéros. Sur ce sol reposent des éboulis, 
provenant de puits, avec ossements de grand bovidé, renne, 
cerf, chamois, bouquetin. Une couche de stalagmite sépare 
nettement les deux formations. C'est dans la formation infé- 
rieure, à 2 mètres au-dessous de la stalagmite, qu'a été ren- 
contrée la mâchoire humaine. Elle appartient donc bien au 
paléolithique ancien ou tout au moins moyen. Elle ne peut 
remonter au delà du Moustérien. 

Cette mâchoire (fig. 149) est complète, sauf quelques por- 
tions des branches montantes. Elle ne possède plus qu'une pre- 
mière molaire. Les troisièmes molaires n'étaient pas encore sor- 
ties, on les aperçoit au fond de leurs alvéoles. Voici ce que dit 
H. Filhol : « A première vue, le maxillaire que je décris frappe 
par un ensemble de caractères étranges. Il est très bas ; la 
symphyse oblique de haut en bas et d'avant en arrière donne 
à la partie antérieure de la mâchoire l'aspect d'un museau ; 
il n'existe pas la moindre saillie représentant le menton; 
l'épaisseur au niveau de la symphyse est considérable; on 
constate un prognathisme interne très accusé ; les alvéoles de 
la première et de la seconde molaire sont |égai:|¥ ; le bprd 



RACE DE NÉANDERTIIAL 283 

postérieur de la branche montante est, par suite de la dispo- 
sition du menton, très redressé ; le bord inférieur du maxillaire 
-st disposé de telle manière, que, la mâchoire placée sur un 
>lan horizontal, il touche ce plan sur presque toute son éten- 
lue. Ce n'est qu'en avant qu'on observe un peu de relève- 
nent ; enfin il n'y a qu'une seule paire d'incisives. » 

Cette absence d'une paire d'incisives paraît n'être qu'une 
iimple anomalie qu'on observe parfois de nos jours. Elle ne 
nodifie en rien les caractères généraux de la mâchoire, carac- 
ères que nous retrouverons dans les mâchoires fournies par 
a Belgique. 

Mâchoire et os de la Naulette. — Si nous passons en Belgi- 
jue, nous y constaterons deux très importantes découvertes. 

C'est d'abord, dans l'ordre chronologique, la mâchoire de la 
Xaulette. Elle a été trouvée en 1866 par Edouard Dupont, 
ians une grotte de la rive gauche de la Lesse, commune dç^ 
F'urfooz, près de Dinant. Le trou de la Naulette s'ouvre dans 
in escarpements à 28 mètres au-dessus du cours de la Lesse, 
^'est un étroit couloir suivi d'une chambre assez grande, 
complètement obscure, renfermant une épaisseur de 8™, 55 à 
)™,4o de limon coupé d'une manière irrégulière par sept 
lappes successives de stalagmites. La mâchoire provient d'une 
couche de o",6o à o'",7o d'épaisseur placée entre la deuxième 
3t la troisième nappes stalagmitiques en partant d'en bas. Bien 
^ue se trouvant à peu près au milieu du dépôt, elle était 
3ncore recouverte de cinq nappes de stalagmite, ce qui est 
plus que suffisant pour garantir d'une manière absolue son 
ancienneté. 

La même couche a donné : 

Un cubitus humain. D'après Dupont : « La grande cavité 
sigmoïde et l'olécrane manquent. La forme de cet os est nor- 
male. Il appartient à un individu de petite taille ; son aspect 
et son tissu laissent pressentir qu'il faisait partie du sque- 
lette d'une femme. Sa longueur, prise à la hauteur de l'arti- 
culation du radius, est de 2i5 millimètres. » 

Un métacarpien et une dent canine humains. 

Une forte portion d'humérus d'éléphant. 

Plusieurs os des membres de rhinocéros. 

Très probablement l'éléphant est le mammouth ou Elepha$ 
primigenius et le rhinocéros, le /?. tichorhinus, 



284 DOCUMENTS ANTHROPOLOGIQUES 

Ossements de renne, mégacéros, chamois, sanglier, etc. 

La mâchoire (fig. i5o) est une mandibule inférieure pri- 
vée de ses dents, des parties montantes et d'une portion de 
la branche horizontale droite. Ses dimensions peuvent bien 
la faire rapporter à une femme, comme le pense Dupont, 
mais à une femme qui, malgré sa petite taille, avait une puis- 
sante mâchoire. En effet, le caractère essentiel de la pièce est 
la robusticité, si je puis m'exprimer ainsi. L'os dans tout son 
ensemble est épais et trapu. Il se rapproche des mâchoires 
d'anthropoïdes par des épaisseurs exceptionnelles. Le menton, 
sans la moindre saillie, au lieu de se projeter en avant de la 
verticale, est légèrement fuyant en arrière. C'est un intermé- 
diaire entre l'homme et le singe. Les alvéoles des dents 
montrent que les molaires, au lieu de décroître de la première 
à la dernière, se développent dans le sens inverse. Enfin au 
milieu de la courbe interne de la mandibule au lieu d'y avoir 
une petite excroissance nommée apophyse géni, il y a un 
creux comme chez les singes. On peut donc dire que ce débris 
humain, précieusement conservé au Musée d'histoire natu- 
relle de Bruxelles, est le plus pithécoïde qui ait été rencontré. 

Squelettes de Spy. — Une découverte plus importante 
encore a eu lieu vingt ans plus tard, également en Belgique. 
Vers la fin de l'été de i885, Marcel de Puydt et Max Lohesl, 
de Liège, ont fouillé une grotte sur le territoire de la com- 
mune de Spy, non loin du moulin de Goyet, au-dessus d'un 
petit cours d'eau, l'Orneau, à 1,200 mètres environ au S.-E. 
de la station d'Onoz. Cette grotte, nommée dans le pays 
Betche-aux-Rotches, avait déjà été explorée plusieurs fois, 
aussi n'offrit-elle rien de bien particulier. Mais les explora- 
teurs liégeois remarquèrent qu'elle était précMée d'une ter- 
rasse ayant en moyenne 1 1 mètres de long si.r 6 mètres de 
large. Ils attaquèrent résolument cette terrasse vierge de 
toute fouille et y trouvèrent, en 1886, deux squelettes hu- 
mains dans un milieu riche en silex taillés palév>lithiques et 
en débris d'animaux où les restes d'éléphants abonrtint. 

Les fouilles conduites avec soin ont donné la coupe Svûvanle 
en allant de hauten bas (fig. i35). Nous conservons autantquc 
possible les termes employés par les fouilleurs eux-mômes (1): 

(1) ?.ÎARCEL DE Puydt et Max Lo::lst, L'Homme conlemporain da 



RACE DE NÉANDERTHAL 285 

A. Eboulis et terre brune variant de 25 centimètres à 
3 mètres d épaisseur. 

B. Terre jaune, très chargée de carbonate de chaux, pas- 
sant même au tuf, épaisseur de 80 centimètres à 1 mètre. 
Le premier dépôt industriel et ossifère se montrait à la partie 
supérieure de cette assise. Assez irrégulièrement caractérisé, 
il ne contenait des silex taillés qu'à Test et ^ l'ouest de Fen- 




Omeau.R. 

FiG. i35. — Coupe du gisement de Spy (Belgique). 

A. — Argile brune et éboulis. 

B. — Tuf argileux Jaune (!*' niveau ossifère). 

C. — Zone colorde en rouge (S* niveau ossifère. 

D. — Argile caicareuse Jaune. 

E. — Ossements humains. 

F. — Argile brune (3* niveau ossifërèU 
K. — calcaire carbonifère. 



Irée de la grotte. Ces silex sont patines plus profondément 
que ceux des dépôts inférieurs. Ossements rares, presque ex- 
clusivement de cerf et de mammouth. 

C. Petit lit ou zone de 5 à 3o centimètres d'épaisseur, 
presque toujours coloré en rouge. Deuxième niveau industriel 
et ossifère. Rhinocéros tichorhinus assez abondant, mam- 
mouth très abondant, cerf, renne. Plusieurs foyers ; nom- 
breux silex et quelques autres roches taillés, i4o pointes 
moustériennes, 3oo racloirs et grattoirs ; objets divers en 

Mammouth à Sptjf province de Namur.iSS'j,— Julien Fraipont et Max 
LoHEST, Recherches ethnographiques sur des ossements humains décou- 
verts à Spy et leur âge géologique y 1887. 



286 DOCUMENTS ANTHROPOLOGIQUES 

ivoire et en os; déchets de la taille de l'ivoire si abondants 
qu'ils forment par place une véritable brèche de lo à 20 cen- 
timètres d'épaisseur. 

D. Terre jaune, passant parfois au tuf vers la partie supé- 
rieure, devenant brune et veinée de noir vers la partie infé- 
rieure. Épaisseur variant entre quelques centimètres et 
1 mètre. Troisième niveau industriel et ossifère. Rhinocéros 
tichorhinus abondant, mammouth commun, cerf rare, renne 
très rare. Fragments de silex parfois très abondants, instru- 
ments caractérisés peu nombreux, types moustériens. 

C'est dans cette assise qu'ont été rencontrés les deux sque- 
lettes humains. 

Toutes les assises renfermaient des fragments anguleux et 
des blocs de calcaire, parfois fort volumineux, éboulîs de la 
roche locale. 

Les squelettes humains renfermés dans l'assise D, franche- 
ment moustérienne, étaient recouverts par la zone C formant 
« au-dessus des ossements humains une brèche dure, résis- 
tant au choc du marteau... La continuité de cette zone C au- 
dessus des ossements humains constitue un fait d'une im- 
portance considérable, en donnant aux ossements un âge 
indiscutable, d'abord, et en rendant ensuite inacceptable 
toute hypothèse de remaniement (1). » 

Malgré toutes les observations de gisement et les apparences 
géologiques qui militent en faveur de la contemporanéité des 
squelettes et de la couche qui les contient, on pourrait soule- 
ver deux objections : 

1° Parmi les objets d'industrie humaine recueillis à Spy, se 
trouvent quatre fragments de poterie. Or nous savons que 
dans l'ouest de l'Europe la poterie ne date que du néohthique. 
Mais cette poterie n'est pas du niveau industriel et ossifère qui 
contient les squelettes. Elle aurait été rencontrée dans le 
niveau qui les recouvre. Bien plus, ces fragments de poterie 
n'ont pas été recueillis par de Puydt et Lohest eux-mêmes, 
mais par un simple ouvrier, et il suffît d'avoir un peu fouillé 
pour savoir ce que valent les affirmations des ouvriers. La 
mâchoire de Moulin-Quignon en est une preuve éclatante. 

iL° Autre objection : pendant le paléolithique, on n'enterrait 

(1) Max Lohest, géologue, p. CG4dc Recherches ethn. sur oss, humaini' 



RACE DE NÉANDERTHAL 



287 




FiG. i36. — Crâne de Spy n» 1. 1/4 gr. nul. 



pas les morts. Grave objection s'il s'agissait bien ici d'ense- 
velissements intentionnels. Mais les squelettes se trouvent au 
milieu d'abondants éboulis, dont quelques débris atteignent 
plusieurs mètres cubes. On est donc probablement en présence 
de victimes d'un éboulement important. Les squelettes ont été 
conservés parce qu'ils se sont trouvés immédiatement recou- 
verts. Les hyènes dont les 
vestiges sont assez abon- 
dants, aussi bien à ce ni- 
veau qu'aux niveaux su- 
périeurs, n'ont pu ronger 
et disperser les os. Ce 
qui vient confirmer Thy- 
pothèse d'un éboule- 
ment, c'est l'observation 
de fractures fort ancien- 
nes des os, fractures qui 
paraissent remonter à la 
période paléolithique , 
comme de Puydt et Lo- 
hest rétablissent. 

Eh bien ! d'après une 
étude des plus attentives 
et des plus complètes de 
ces squelettes faite par 
Julien Fraipont, les crâ- 
nes (fig. i36 et 187) se rap- 
portent de la manière la 
plus frappante à celui de 

Néandcrthal, et les mâchoires inférieures ont beaucoup d'ana- 
logie avec celles de la Naulctte et de Malarnaud. 

Squelette de Tilbury. — Les travaux d'agrandissement 
des docks des Indes Orientales et Occidentales, à Tilbury, sur 
la rive gauche de la Tamise, près de Londres, amenèrent en 
octobre i883 la découverte d'un squelette humain enfoui à 
10°*, 5o de profondeur. La coupe du terrain fut relevée avec 
soin par l'ingénieur D. Baynes, et les ossements décrits et 
figurés par Richard Owcn. Malheureusement, le squelette n'a 
pas pu être retiré en entier. On ne possède que des portions 
assez importantes du crâne et de la mâchoire inférieure, les 




Fig. 187. — Crâne de Spy n" 2. 1/4 gr. nat. 



288 DOCUMENTS ANTHROPOLOGIQUES 

fémurs, les tibias, rhumérus droit, le radius et le cubitus 
gauches, un fragment du bassin et divers petits os. 

Les 1 0^,50 de terrain qui, à partir du niveau actuel du ma- 
rais des bords de la Tamise, recouvraient le squelette se com- 
posent de : 

Couche d'argile • • i">^ 

— de vase 3",3o 

— de vase et de tourbe o™,5o 

— de tourbe o»,32 

— de vase - • i",20 

— de tourbe i",io 

— de vase o^53 

— de vase et de tourbe i°,oo 

— de sable et de bois pourri o"',25 

— de sable o"'^ 

io"",5o 




FiG. i38. — Crâne de Tilbury, Londres 
1/4 gr. nat. 



C'est à cette profondeur, sous 5o centimètres de sable que 

gisait le squelette. Le sa- 
ble se prolongeait encore 
pendant 3™, 25 et reposait 
sur des graviers. 

Le crâne de Tilbury 
(fig. i38) est tout àfaitnéan- 
derthaloïde. Il est très doli- 
chocéphale et dépourvu de 
bosses frontales. La voûte crânienne est peu élevée ; le front 
étroit, bas et fuyant. Sans être aussi développées que celles 
du crâne de Néanderlhal, les arcades sourcilières sont pour- 
tant fort proéminentes. 

L'humérus n'a pas la cavité olécranienne perforée. Les 
fémurs sont excessivement forts et épais ; sur le fémur 
gauche, entre le grand et le petit trochanter, se trouve une 
assez forte tubérosité. Tous ces os ont dû appartenir à un 
homme âgé, doué d'une force et d'une vigueur remarquables. 
Crâne de Bury-Saint-Edmunds. — Un an après la décou- 
verte du squelette de Tilbury, en i884, Henry Prigg signa- 
lait à l'Institut anthropologique de la Grande-Bretagne un 
fragment de crâne néanderthaloïde, provenant de la vallée de 
la Linnet, près de Bury-Saint-Edmunds. Ce crâne trouvé 
isolé ne peut être attribué à une sépulture. Il est allongé. 



RACE DE NÉANDERTÏÎAL 289 

partie postérieure très développée. Il n'a pour ainsi 
re plus de front, la partie antérieure étant très fuyante. 
)mme gisement, il a été rencontré dans un dépôt argileux 
laternaire qui recouvre la craie et remplit de nombreuses 
►ches de ravinement. C'est un gisement tout à fait ana- 
gue à celui des crânes néanderthaloïdes de la vallée de 
luve. Les argiles qui contenaient le crâne de Bury-Saint- 
imunds ont donné aussi, comme faune du mammouth, i^/e- 
lasprimigenius^ et comme industrie des coups de poing en 
ex. Elles sont donc acheuléennes. A cette époque, TAngle- 
rre était soudée à l'Europe continentale. Il est tout 
iturel d'y retrouver le même type humain que dans le bassin 
i Rhin, en Belgique et en France. 

Quant aux deux fragments de crânes signalés en Bohême, 
m à Brûx, l'autre à Podbaba, comme ils sont fortement 
ntestés, nous pouvons ne pas nous en occuper. Il y a d'au- 
Qt moins de mal, que la Bohême est assez éloignée de la 
•ance pour qu'il n'y ait pas lieu d'aller chercher dans ce 
lys les types des premiers Français. 

Si nous écartons aussi le fragment crânien de Canstadt, 
;alem6nt contesté, il nous reste dix découvertes incontes- 
bles : 

Néanderthal dans le lehm, formation éminemment paléoli- 
ique du bassin du Rhin ; Eguisheim également dans le 
hm, bien caractérisé par le mammouth; Marcilly-sur-Eure 
Bréchamps,dans des poches de l'argile à brique, équivalent 
i lehm, nettement acheuléennes ; Bury-Saint-Edmunds, 
paiement dans l'argile à brique caractérisée par des coups 
ï poing en silex et le mammouth ; Tilbury, des sables d'àllu- 
on inférieurs du paléolithique ; Malarnaud, repaire du 
and ours des cavernes avec lion et rhinocéros ; la Naulette, 
compagnée d'éléphants et de rhinocéros ; Spy, au milieu 
is débris de mammouth et de toute une industrie acheu- 
3nne supérieure ou moustérienne; enfin Denise, dans une 
rmation volcanique du centre de la France, peut-être plus 
cienne que les précédentes. 

En tout cas, il est certain que tous les ossements humains 
e nous venons' d'énumérer appartiennent au premier 
•mme qui est venu occuper la France et Fouest- dé l'Eur 
pe. 

G. DE MORTILLET. \^ 



290 



DOCUMENTS ANTHROPOLOGIQUES 



Type de Néanderthal. — Grâce à ces divers débris étu- 
diés avec soin par des anthropologues du plus haut mérite, 
grâce surtout aux travaux de Julien Fraipont sur les deux 
squelettes de Spy, nous sommes à même de reconstituer 
d'une manière satisfaisante le type des premiers habitants 
de la France. 

Crâne : Les dix découvertes incontestées que nous venons 

de passer en revue ont 
fourni dix crânes ou frag- 
ments de crânes, Spy et 
Denise en ayant donné 
chacun deux. Les tracés 
de ces dix débris crâniens, 
vus de dessus (fig. 189) ou 
de profil, se superposent as- 
sez exactement, suffisam- 
ment pour les faire rappor- 
ter à une seule et même 
race. Le sommet de ces 
crânes est très surbaissé. 
Ils sont donc ce que les 
anthropologues appellent 
platycéphales. Par suite de 
l'é troitesse de la partie anté- 
rieure et du développement 
de la partie postérieure, la 
calotte crânienne forme 
un ellipse bien marquée, 
assez allongée. Le crâne est par conséquent dolichocéphale. 
En un mot la race de Néanderthal avait le crâne dolichoplaty- 
céphalc. L'indice céphalique du crâne de Néanderthal est de72 
d'après SchaaiThausen. Celui de Spy n^ 1, de 70 ; de Spy n» 2, 
74 à 76 d'après Fraipont. Pour Néanderthal, Huxley estime 
les courbures : frontale i33, pariétales 119, occipitale seule- 
ment 5i. Les sutures sont généralement très simples. Partie 
supérieure et surtout postérieure du crâne bosselée. Maxi- 
mum d'épaisseur des os du crâne : Eguisheim, o™,oii ; Néan- 
derthal, Spy n® 1 et n°2, o"^,oio; Denise, o"\oo6 1/2 seulement, 
mais il s'agit d'un crâne jeune. 

Cerveau : L'intérieur des crânes de Néanderthal et de Spy 




Fio. i3j. — CrAnc de Néanderthal, vu 
de dessus. i/3 gr. nat. 



RACE DE^NEANDERTHAL 29I 

n'* 1 montre assez bien les circonvolutions principales du cer- 
veau, qui paraissent assez simples. La capacité crânienne 
de Néanderthal a été estimée 1,220 centimètres cubes. 

Partie postérieure : Très élargie, très volumineuse, très 
accidentée, fortement projetée en arrière, surtout dans Spy 
n** 1, un peu moins dans Spy n° 2. 

Frontal : Etroit, surbaissé et fuyant. On pourrait presque 
dire qu'il n'existe pas de front. C'est un caractère tout à fait 
remarquable. Le frontal monte obliquement vers la région 
pariétale sans s'infléchir, ce qui fait qu'il y a absence de 
façade frontale. Ce caractère existe très marqué dans les dix 
crânes. Les frontaux sont généralement allongés, pourtant 
ce caractère n'est pas constant. Ainsi dans les deux crânes 
de Spy, surtout dans le n° 1, les frontaux le sont peu. 

Saillies sourcilières : Autre caractère très frappant, le 
frontal est limité à sa base par des saillies sourcilières fort 
développées. Dans le crâne de Néanderthal et dans le n° 1 de 
Spy, ces saillies sont énormes ; dans les autres, elles sont un 
peu atténuées, mais pourtant toujours prononcées. Ces sail- 
lies viennent se rejoindre au-dessus du nez, laissant au-dessus 
d'elles sur le front une dépression profonde, comme un petit 
valonnement. Ces saillies sourcilières sont moins arquées 
que celles de nos races actuelles. 

Œil : Orbites très courbées, faiblement plus larges que 
hautes. L'œil devait donc être arrondi. 

Mâchoire supérieure: Les deux crânes de Spy montrent que 
la mâchoire supérieure était fort robuste et très développée. 

Nez : Les os nasaux du n** 1 de Spy étaient fortement 
déprimés au-dessous de la saillie sourcihère. Cette dépression, 
la forme arrondie de l'œil et le développement de la mâchoire 
supérieure indiquent que le nez devait être large et épaté. 

Mâchoire inférieure: Il en existe cinq: La Naulette, Malar- 
naud. Tilbury, Spy n° 1 bien conservée et Spy n° 2 en frag- 
ments. Ces mâchoires présentent des caractères très remar- 
quables. Elles sont extrêmement robustes. La branche 
horizontale, très basse, a une forte épaisseur par rapport à sa 
hauteur. Au lieu de présenter un aplatissement sur le côté 
extérieur, ce côté forme bourrelet. Le caractère essentiel des 
mâchoires inférieures néanderthaloïdes est l'absence de men- 
ton. Le menton fait complètement défaut comme à Malar- 



2()2 DOCUMENTS ANTHROPOLOGIQUES 

naud, ou est tout au plus très sommairement indiqué comme 
à la Naulette par une petite empreinte triangulaire. Chez Spy 
n<> 1, ce triangle mentonnier s'observe, mais n'a aucune proé- 
minence. Il est donc permis de dire que ces mâchoires man- 
quent de menton. Autre caractère très important : la ligne 
symphysaire au lieu de se diriger en avant de la perpendicu- 
laire, se rejette en arrière (fig. i49 eti5o). Cette projection ou 
récurrence est très prononcée à la Naulette et à Malarnaud. 
Elle l'est moins bien, quoique existant encore, à Spy n' i. 

Les apophyses géni qui se trouvent juste au milieu de la 
partie interne des mâchoires inférieures, à la jonction des deux 
branches, sont tellement réduites, que tout d'abord on nia 
leur existence à la Naulette. Puis on les a reconnues sous 
des formes variées, mais toujours extrêmement peu déve- 
loppées. 

Les mâchoires néanderthaloïdes sont affectées d'un léger 
prognathisme alvéolaire et dentaire. 

Dents : Les dents sont fortes. A en juger par les alvéoles de 
la Naulette, les prémolaires et surtout les molaires allaient en 
se développant d'avant en arrière. Dans la mâchoire de Spy 
n° 1 , ces dents ont des dimensions respectives sensiblement 
égales avec tendance d'accroissement vers les postérieures. 

L'usure des dents de Spy n° i est transversale avec légère 
obliquité externe pour la mâchoire inférieure et obliquité 
interne pour la mâchoire supérieure. 

Clavicules, i,de Spyn° i ; Omoplates, 3, de Néanderthal et de 
Spy n° 2; Bassin, 3, de Néanderthal, Tilbuiy et Spy : ces 
divers os sont généralement caractérisés par leur robusticité. 

Côtes, 5 débris de Néanderthal et 24 de Spy, montrent que 
les côtés étaient arrondies et avaient une courbure brusque, 
indice d'une grande puissance des muscles thoraciques. La 
poitrine devait être forte et bombée. 

Humérus, 7, de Néanderthal, Tilbury, Spy n<** 1 et 2 : Trapus 
et épais avec forte courbure de torsion. Insertions muscu- 
laires très prononcées, à fortes saillies. Largeur de l'humérus 
intact de Néanderthal, 0^,026. Même mesure, au même point, 
Spy, o™,025. Cavités coronoïdienne et olécranienne très pro- 
noncées. Dans l'humérus intact de Néanderthal, la lame osseuse 
qui les sépare est mince, ayant quelques petits trous à peine 
visibles. Humérus de Tilbury, cavité olécranienne non per- 



BACE DE NI1AI4DERTHAL ZQS 

La perforation nVst donc pas un caractère de notre 

■imitive. 

•tus, 8, Néanderllial, la Naulette, Tilbury, Spy n" i 

Forls et épais, pro- 

mellement moins 

humérus. Les cubi- 

Spy sont caraclé- 
par une courbure 
il une concavité an- 
e fortement mar- 

r'ws, 5, Néan (1er thaï, 
, Tilbury, Spy n"" i 
Bien que celui de 
erlhal, longueur 
, soii épais, les ra- 
omme les cubitus 
icnL un pou moins 

que les humérus. 

les radius ont une 
ire à concavité in- 
opposée à celle du 
s et plus accentuée 
. L'espace inleros- 
dc r avant-bras est 
sensiblement élargi. 
ur, 6, Néandcrthal, 
y, Spy n"* 1 et 2 : 

le crâne, la mù- 

inférieure cl le fé- 
>nt les deux parties 
119 caractéristiques 
ice de Néanderthai. 
nur, d'une robus- 
emarquahle, est lourd et épais (fig. i^o). Les saillies 
dépressions musculaires dénotent des muscles puis- 
Sur le fémur gauche de Tilbury, entre le grand et le 
ochanlcr, on remarque une lubérosité qui mérite par 
'eloppement le nom de troisième trochanier. Elle cor- 
1 presque, en proportion, à la partie du fémur ainsi 




294 DOCUMENTS ANTHROPOLOGIQUES 

nommée chez certains mammifères. La longueur du fémur ^ 
est : Néanderthal o"',442, Spy n'' i, o™,43o. Le sommet est 
essentiellement trapu ; le col est très court ; la tête du fémur 
de Néanderthal mesure o",o5i de diamètre. Le corps de l'os, 
très arrondi, caractérisé par une incurvation à convexité anté- 
rieure, mesure, comme diamètre antéro-postérieur, au milieu \ 
de sa longueur o™,o3o pour Néanderthal et o°*,029 pour les j 
deux Spy, qui cependant varient pour le pourtour au même 
point : ce pourtour étant 0^,090 pour le n° 1 et 0^,098 pour 
le n° 2. Base très volumineuse. Condyles fort développés, 
surface articulaire fort étendue se déjetant sur la face posté- 
rieure des condyles. Le diamètre transversal de Textrémilé 
inférieure, d'un condyle à Tautre, est de o'",o87 dans le fémur 
de Néanderthal. 

Tibia^ 3, Tilbury, 2, et Spy n° 1, un complet, mesurant 
comme longueur o™,33o ; c'est dire qu'il est court, bien que 
épais et robuste. Le plan supérieur est très développé et 
légèrement incliné (fig. i4i). 

Mains et pieds : Outre les os importants que nous venons 
de décrire, Denise a fourni 2 métacarpiens; la Naulette, 1 mé- 
tacarpien ; Tilbury, divers petits os ; Spy, 1 rotule, 1 astragale, 
2 calcanéums, 7 métacarpiens, 2 métatarsiens et 2 phalanges. 
Des os des extrémités, on peut déduire que les mains étaient 
grosses et grandes, les pieds peut-être encore proportionnel- 
lement plus grands. 

Taille : J. Rahon, dans un travail sur la taille appréciée 
d'après l'étude des os longs, arrive aux résultats suivants : 
Néanderthal i'»,6i3, Spy i'",5v)o. Schaaffhausen avait obtenu 
pour Néanderthal i'",6oi. Fraipont, qui d'abord avait estimé 
la taille des hommes de Spy à l'^ïSSy, arrive, à la suite d'études 
nouvelles, ù peu près au même résultat que Rahon. Ces 
tailles sont celles des hommes se tenant complètement droits? 
mais les hommes de la race de Néanderthal ne profitaient pas 
de toute leur taille ; leur taille usuelle ou habituelle était 
moindre. En effet, la forte courbure du fémur, la forme et le 
développement des condyles, la grande étendue de la surface 
articulaire, l'inclinaison du plan supérieur du tibia, montrent 
que les hommes tenaient habituellement leurs jambes légè- 
rement pliées, — ce qui devait diminuer d'autant la hau- 
teur. 



RACE DE LAUGERIE 296 

sont les documents authentiques que nous possédons 
race de Néanderthal, race si tranchée, que d'après les 
) principes on en ferait une espèce distincte. 



CHAPITRE II 

RACE DE LAUGERIE 

ilette de Laugerie-Basse . — Après avoir étudié, avec 
5 sévère et la plus impartiale critique, les restes de 
le du paléolithique inférieur et moyen, soit des époques 
nne, acheuléenne et moustérienne, il nous faut aborder 
olithique supérieur, malheureusement bien pauvre, 
la fin de Thiver de 1872, Massenat a rencontré dans le 
nt magdalénien de Laugerie-Basse (Dordogne) un sque- 
umain. La tête se trouvait vers le talus extérieur, les 
►ar conséquent vers le rocher. Ce squelette (fig. 142) était 
S sur le côté, tout à fait accroupi, la main gauche sous 
3tal gauche, la droite sur le cou, les coudes touchant à 
es les genoux, un pied rapproché du bassin. Les os se 
ient presque en place, il y avait eu à peine un léger tas- 
t des terres, mais la colonne vertébrale était écrasée par 
îd'un gros bloc et le bassin brisé. Il s'agit évidemment 
lomme écrasé par un éboulis de rochers. En effet le 
tte gisait à la partie supérieure d'un épais dépôt archéo- 
e magdalénien recouvert de gros blocs de pierre, déta- 
u surplomb supérieur, qui atteignaient jusqu'à 5 mètres 
gueur sur 2 de largeur et autant d'épaisseur. Tous les 
ices étaient remplis de dépôt magdalénien, dépôt qui 
lit à plus de 1 mètre au dessus, plus puissant encore 
ois, car on en avait déblayé une certaine hauteur pour 
• une bergerie. On n'csl pas là en présence d'une inhuma- 
•ostérieure, les blocs de rocher éboulés s'opposant au 
îment d'une fosse sépulcrale. La victime de l'accident 
uvait recouverte de ses ornements, une série des plus 



Qffi l)Ori-«E".T« ANTUBOPOLOCIQl ES 

grosses porcelaines ou cypn-es «Je la Médilerranée ; les 
quilles élaienl diversement dîslribuées sur le corps. 
Parmi les os les deux plus caraclérisés, à peu près M 




plets, sont riiiimérus et le péroné droits. L'humérus m« 
o",3o5 de long, mais il en manque environ o^.oSo, d"i 
Hamy, ce qui donnerait une longueur totale de o^.SS 
serait donc plus grand que celui de Néanderlhal. La 
olécranienne n'est pas perforée la cloison osseuse est n 
relativement assez épaisse Sur le côté, à un tiers de la 
gueur en partant du sommet il e\iste une empreinte mi 
laire très large, très proémmcnte par suite extrêmement 



RACE DE LAUGERIE 



297 



noncée. Toutes les empreintes musculaires du reste sont fort 
développées. Le péroné est encore plus exceptionnel, plus 
caractérisé sous le rapport -de la puissance musculaire. Il est 
plus fort, plus large et surtout à angles plus accentués que 
les péronés actuels de même taille. Mais ce qui le distingue 
principalement, c'est la profondeur et l'accentuation du sillon 
longitudinal. Ce sillon est transformé en véritable canal, véri- 
table gouttière (fig. i43). C'est encore une preuve de muscula- 
ture extrêmement puissante. L'homme de Laugerie-Basse était 
donc très fort et très vigoureux, surtout des jambes. Il devait 
admirablement courir , 
qualité des plus précieu- 
ses pour des chasseurs. 

Lecrâne(fig. i44),fort 
écrasé, a été restauré et a 
fourni d'intéressantes 
données. Le sommet de 
la tête est assez élevé ; le 
frontal très arrondi; les 
arcades sourcilières peu 
marquées ; la mâchoire 
inférieure très forte, le 
menton proéminent. 
L'indice céphalique se- 
rait 74,87. Le fémur, 
long de o"\45i» indique, d'après Rahon, une taille de i"',649. 

On a aussi cité une calotte crânienne de Laugerie-Basse, 
mais sans détails précis sur son gisement et sur sa décou- 
verte. Nous n'avons donc pas à nous en occuper. 

Squelette de Ghancelade. — Sur la route de Périgucux à 
Brantôme, commune de Chancelade (Dordogne), au pied des 
escarpements de Raymonden, existent des dépôts magdalé- 
niens. Dans l'un d'eux, en octobre 1888, Hardy et Féaux ont 
découvert un squelette humain. Il se trouvait dans le point le 
plus creux d'un abri n'atteignant que 2™, 35 de hauteur, seu- 
lement à i°*,65 au-dessus du cours d'eau voisin, la Beauronne. 
La coupe du terrain (fig. i45) qui remplissait presque com- 
plètement l'abri, était au point où gisait le squelette, en allant 
de haut en bas : 

1** Vide, en grande partie occupé par des stalactites. 




FiG. i44- — Crâne de Laugerie-Basse. 
1/4 gr. nat. 



298 



DOCUMENTS ANTHROPOLOGIQUES 



2° « Couche de limon d'inondation atteignant une épaisseur 
de o'°,55 (i). » On remarque au milieu de cette couche le der- 
nier prolongement d'un dépôt d'habitation qui était le plus 
riche comme ossements et objets. 




•-. - -^ 




y ^ - 



^'^ 




FiG. 145. — Coupe du gisement de Raymonden, à Chancelade 

(Dordogne). 

A. C. E. — Foyers magdaléniens. 

B. D. — Terre limoneuse. 



3* Dépôt d'habitation de o",4o d'épaisseur, grisâtre, riche 
aussi en silex et ossements ouvrés. 

4** Sur une épaisseur de o'",32, « terre jaune, limoneuse, 
mélangée de nombreux débris de calcaire » détachés du 
rocher. 

5° Reposant sur le roc, dépôt d'habitation de o™^,37 d'épais- 



(1) Tout ce qui se trouve entre guillemets est la reproduction exacte 
^ cifes ternies de Hardy, le consciencieux rapporteur de la (Jécouverte. 



BACE DE I.AUGERIE 299 

seur, « sablonneux el très noir ", au milieu duquel on 
remarquait une veinule colorée en rouge par du peroxyde 
de fer. 

C'est à la base de cette dernière couche, à i"',64 de profon- 
deur, que gisait le squelette humain « en contact avec le roc ». 
Les guillemets indiquent les citations textuelles des deux 
consciencieux fouilleurs, Hardy et Féaux. A propos du crâne 
{fig. i46), ils ajoutent : « Nous constatons que ses parois inté- 
rieures étaient tapissées d'une argile fine qui, dans le bas, for- 
mail une couche de ©""jOaS d'épaisseur, relevée sur les bords 
et toute fissurée par l'action du retrait. La ténuité extrême de 
cette argile onctueuse 
au toucher démontre 
qu'elle avait été dépo- 
sée dans une eau tran- 
quille pendant une pé- 
riode d'inondation. » 

Les inondations de 
l'abri sont nettement 
constatées depuis la 
base des dépôts jusqu'à 
leur sommet. Il est 
donc tout naturel de 
voir dans le squelette 
humain une victime de ces inondations. L'absence du mé- 
lange de la couche sablonneuse très noire de la base conte- 
nant le squelette avec le limon jaune qui la recouvre, montre 
qu'il n'y a pas eu creusement de fosse et, par suite, sépulture. 
A cette preuve négative s'en joint une positive. C'est Ichmon 
fin contenu dans le crâne, vrai certificat de noyé. 

Ce noyé reposait sur le côte gauche, la main gauche contre 
la mie, la main droite vers le menton. Les membres inférieurs 
étaient fortement repliés sur le devant du corps, exagérant la 
position de l'homme qui sommeille. Il avait 55à65ans, et portait 
à la région temporale droite les traces d'une fracture très éten- 
due, mais cicatrisée. La taille, indiquée tout d'abord comme 
étant de i"',5o, a été fixée par Rahon à i'",592, d'après la lon- 
gueur du fémur o"',;! 08, de l'humérus o™,3oo, du cubitus o" ,255 
et du radius o",236. D'après Testut, qui l'a étudié avec beau- 
coup de soin, voici les caractères du squelette de Chancelada, 




de Chancclodc. 1/4 gr. noi. 



300 DOCIMEN7S ANTHROPOLOGIQUES 

Tôte volumineuse, par conséquent capacité crânienne 
grande. Crâne fortement dolichocéphale, remarquablement 
haut. Face à la fois très haute et très large ; front redressé, 
arcades sourcilières faiblement proéminentes, orbites hautes, 
nez étroit et allongé. Mâchoire inférieure puissante; molaires 
croissant d'avant en arrière ; menton bien développé. Mains 
moyennes ; pieds grands ; gros orteil considérablement écarté 
et pouvant servir d'organe de préhension ; os robustes, mas- 
sifs, trapus, portant des empreintes musculaires fort accusées, 
dénotant une musculature peu commune. Humérus à extré- 
mité distale incurvée en avant, ainsi que l'extrémité proxi- 
male du cubitus. Fémur également incurvé, ligne âpre sail- 
lante ; enfin tibia aplati et fortement oblique en arrière, indi- 
quant, dans la station debout, la saillie des genoux plus 
proéminente en avant que dans nos races actuelles. 

Squelette inférieur de Sorde. — La grotte Duruthy, à 
Sorde (Landes), explorée et décrite pendant l'hiver de 1872-73 
par Louis Lartet et Chaplain Duparc, contenait tout à la fois 
des sépultures néolithiques et le squelette d'un homme paléo- 
lithique écrasé par des éboulis de rocher. La coupe exacte du 
gisement (fig. 147) est un véritable dessin schématique oflerl 
directement par la nature. Impossible de présenter une dé- 
monstration plus complète. La grotte actuelle n'a guère plus 
de 2 mètres de profondeur, mais s'étale sur une largeur de 8 
à 9 mètres, c'est donc plutôt un abri sous roche qu'une véri- 
table grotte. A en juger par les blocs de roche éboulés, 
cet abri devait être plus considérable autrefois. Sous cet abri 
existait un dépôt archéologique de 2^,70 de puissance. Vers 
la base se trouvait, au milieu de débris du rocher éboulés, un 
crâne humain tellement écrasé et incomplet, que, même après 
une restauration, on ne peut prendre de mesures exactes. On 
reconnaît pourtant qu'il est dolichocéphale, d'une épaisseur 
moyenne et très analogue aux crânes de Laugerie-Basse et de 
Chancclado. Le frontal, bien développé, est à façade régulière. 
Le squelette, mal et irrégulièrement recouvert par l'éboulis, 
était encore plus incomplet, ses os se trouvaient dispersés sans 
ordre et fracturés. La portion la plus importante est une 
demi-diaphyse supérieure de fémur droit. Les os étaient mêlés 
à des silex taillés et environ une cinquantaine de canines per- 
cées, dont trois de lion, les autres d'ours. Ces canines ornées 



3oi 

de gravures étaient, d'après Larlet et Chaplain Duparc, « ré- 
parties en deux gronpos inégalement distants du crâne, comme 
si l'un avait constitué un collier et l'autre une ceinture par 
exemple » Le tout était lecouvert d'une mince couche àhélix 
ou escargots, qui montre que 1 accident a fail abandonner 
momcntanemenl I abri Puis les homme» magdaléniens sont 



^' 



— SépullurD n^oJ'thtqun. 
-' couche magdal^DleoDO I 

— coucha magilaieDleane r 



revenus et ont laissé un épais dépôt de cendres, de charbons, 
d'ossements brisés et de silex taillés. Ces silex sont de formes 
magdaléniennes, comme ceux qui accompagnaient le sque- 
lette. Parmi eux, on a recueilli quelques instruments en os, 
entre autres une de ces pointes de harpon (fig. 79) si caracté- 
ristiques à double rangée de barbelures. La faune permet mfime 
de préciser davantage l'agc de ce dépôt. Bien que contenant du 
renne, le cerf domine, c'est donc du magdalénien supérieur. 
Au-dessus de ce dépôt et même mêlés avec sa partie supé- 
rieure reposaient au moins trente-trois squelettes humains, 
d'après le nombre des mûchoircs inférieures recueillies. « Les 



3o2 DOCUMENTS ANTHROPOLOGIQUES 

ossements humains, disent les explorateurs, se trouvaient 
généralement en relations articulaires ; les vertèbres, rappro- 
chées les unes des autres, les côtes juxtaposées, ainsi que les 
os des bras et des jambes, enfin les phalanges des pieds et des 
mains unies. » Ce sont bien là des sépultures intentionnelles. 
Elles sont parfaitement datées par leur mobilier funéraire 
composé de poinçons en os et de magnifiques pointes de lances 
en silex de formes tout à fait néolithiques. La grotte Duruthy 
offre donc un double ensevelissement bien caractérisé et bien 
daté. A la base, un ensevelissement accidentel magdalénien ; 
au sommet, un groupe d'ensevelissements intentionnels ro- 
benhausiens. 

Race de Laugerie. — Le paléolithique supérieur, beaucoup 
moins riche en ossements humains que le paléolithique in- 
férieur et moyen, ne nous a fourni que trois gisements cer- 
tains, indubitables. Ce sont les squelettes de deux écrasés par 
des éboulis, Laugerie-Basse et Sorde partie inférieure, et le 
squelette d'un noyé, Chancelade. Tous les trois, fort bien dates 
par le milieu dans lequel ils se trouvaient, appartiennent au 
Magdalénien. Nous ne connaissons rien du Solutréen, époque 
qui sépare le Moustérien où nous avons constaté le dernier 
débris néandcrthaloïde du Magdalénien contenant les sque- 
lettes de Laugerie-Basse et de Chancelade, à plus forte raison 
de Sorde, le moins ancien des trois. 

Les squelettes du paléolithique supérieur ont des caractères 
analogues. Mon collègue et ami, Georges Hervé, dans une 
remarquable étude publiée par la Revue de VÉcole (Tanthro- 
pologie/ju'm 1898, a démontré le fait d'une manière concluante, 
en donnant le tableau comparatif des mensurations des têtes 
de Chancelade et de Laugerie-Basse. 

CHÂHCELAOE UUGERIE-BiSSE 

CRANE " 

Diamètre antéro-postérieur maximum 193 194 

— transversal maximum 189 i4o?i42 

— frontal maximum 111 118? 

— frontal minimum 101 98 

Courbe horizontale totale 538 55o? 

— transversale sus-auriculaire 3io 3oo? 

frontale cérébrale 108 ii5 

— frontale totale 130 i35 

— pariétale 147 i3o 135? 

— occipitale cérébrale 62 68 

— occipitale cérébelleuse 57 56 



RACE DE LAUGERIE 3o3 

CHANCELADS LiUGERIS-BASSE 

CRANE 

Angle auriculaire pariétal 69» 64' 

— sus-occipilal 33»,5 35" 

— sous-occipilal '..... 38* 3o» 



FACE 

Largeur biorbitaire externe 112 111 

— interorbitaire 21 24 

Diamètre bizygomatique i4o 142 

Largeur maxima du nez 26 26? 

Hauteur sous-cérébrale frontale 25 23,5 

— intermaxillaire , . . 16 20 

Indice fronto-orbitaire 90,17 88,18 

— fronto-jugal. é .72,14 69 

MANDIBULE 

Largeur transversale, branche montante .... 43 4o 

Hauteur symphysienne 4i 36? 

— 2« molaire 35 34? 

Angle mandibulaire ii4'* no* 

— alvéolo-mentonnier 70» 69» 

Le savant professeur ajoute : « Il résulte de l'examen de 
ces chiffres que la seule différence un peu sensible dans la 
morphologie des squelettes céphaliques concerne la longueur 
de la courbe pariétale. Celle-ci l'emporte de 17 millimètres 
chez le sujet de Chancelade ; mais, comme, d'autre part, l'addi- 
tion des courbes frontale et occipitale donne 10 millimètres 
de plus pour le sujet de Laugerie, la différence finale sur 
l'ensemble de la courbe médiane se réduit à 7 millimètres, ce 
qui est insignifiant. » Hervé est donc très fondé à conclure 
qu'à l'époque de la Madeleine, « les individus se ressemblaient 
assez pour qu'on ne puisse hésiter sur leur rattachement à 
un seul et même type. » 

Mais quel nom donner à ce type ? Hervé lui donne celui de 
l'époque. Il appelle les hommes de l'époque de la Madeleine 
les magdaléniens. Ce nom a l'inconvénient fort grave de trop 
limiter le type. Qui sait si les magdaléniens n'existaient pas 
déjà à l'époque de Solutré ? Hervé, lui-même, constate dans 
son article qu'ils ont largement débordé du paléolithique sur 
le néolithique. Et puis, pourquoi ne pas suivre l'usage habi- 
tuel, tirer le nom de la race d'une localité typique, comme on 
l'a fait pour Néanderthal. Le squelette de Laugerie ayant été le 
premier découvert et le premier décrit, je propose, d'après les 
usages de la nomenclature en histoire naturelle, d'appeler la 



3o4 DOCUMENTS ANTHROPOLOGIQUES 

race humaine du paléolithique supérieur, race de Laugerie. 
Les habitants de cette époque seraient les laugeriens. 

Indications écartées. — En ne tenant compte que des dé- 
couvertes incontestables, et Ton peut presque ajouter incon- 
testées, on reconnaît que pendant l'immense période paléoli- 
thique, il a existé en France deux races bien distinctes, seule- 
ment deux, que nous rencontrons séparées comme temps. La 
première, celle deNéanderthal, a occupé nos régions pendant 
tout le paléolithique ancien et moyen, époques chelléenne, 
acheuléenne et moustérienne. L*autre, celle de Laugerie, n*a 
été reconnue jusqu'à présent que dans la partie supérieure 
du paléolithique récent, époque magdalénienne. 

Peut-être m'accusera-t-on d'avoir été, sous prétexte d'épu- 
ration, beaucoup trop sévère. Je n'ai pourtant, en dehors des 
indications entachées de falsification et de mystification, 
comme la mâchoire de Moulin-Quignon, laissé de côté en 
fait de découvertes que celles qui n'ont pas paru con- 
cluantes aux explorateurs eux-mômes, comme le squelette 
recueilli par Edouard Lartet et Chrisly à la station classique 
de la Madeleine ; celles qui manquent d'un esprit scienti- 
fique suffisant, comme celle des Hotteaux, à Rossillon (Ain), 
avec ses coupes fantaisistes et la photographie plus fantai- 
siste encore du squelette ; celles dont les produits égarés 
ont été retrouvés plus ou moins authentiquement pour 
la plus grande gloire des faiseurs d'articles, comme celle 
des ossements de Lahr ; celles des cavernes sépulcrales 
bien constatées, comme la grotte des Forges, à Bruniquel ; 
celles d'ossements humains dans un milieu paléolithique, 
quand ce milieu est recouvert d'un dépôt néolithique à faible 
distance, comme le crâne féminin du Placard. Ce dernier était 
bien dans un dépôt magdalénien, mais à o™,70 au-dessus il y 
avait une assise néolithique. Il peut donc y avoir eu sépulture. 
C'est d'autant plus probable que ce crâne à un indice cépha- 
lique de 80, qui l'éloigné du type magdalénien et le rappro- 
che du type brachycéphale, qui a apparu et s'est développé 
après l'extinction définitive du paléolithique. J'écarte les décou- 
vertes contenant, avec les ossements humains, des débris de 
poterie, comme Engis et Furfooz, la poterie étant caracté- 
ristique du néolithique ; enfin celles qui contiennent, avec les 
ossements humains, d'autres objets néolithiques, qu'ils soient 



RACE DE LAUGERIE 3o5 

OU non dans des milieux plus anciens : telle est la découverte 
des hommes de Menton ou des Baoussé-Roussé. Le plus 
célèbre, celui transporté au Muséum de Paris, porte sur le 
front un poinçon en os qui le date d'une manière certaine. 
Dans une séance, déjà assez ancienne, de la Société d'anthro- 
pologie de Paris, j'ai mis au défi mon collègue Emile Rivière 
de montrer un poinçon semblable venant d'une manière cer- 
taine d'un dépôt franchement paléolithique. Ce poinçon paléo- 
lithique n'a pas encore été montré. Quant à moi, j'en produi- 
sais un grand nombre de néolithiques des dolmens et des 
palafittes. J'ai donc été aussi juste que sévère dans mes élimi- 
nations. 

Ecarter une bonne indication n'a pas grand inconvénient 
au point de vue des déductions qu'on peut en tirer. Tandis 
qu'en adopter une mauvaise, cela peut fausser tous les résul- 
tats cherchés. Il est donc beaucoup plus prudent et plus utile 
à la science d'être trop sévère que trop coulant. 

Origine de la race de Laugerie. — A première vue, le type 
de Laugerie paraît tout à fait différent de celui de Néander- 
thal. Les caractères les plus saillants de ce dernier semblent 
disparaître à peu près complètement. Les arcades sourcilières, 
si développées dans le type et surtout dans la calotte crâ- 
nienne de Néanderthal, sans manquer entièrement dans le 
type de Laugerie, s'affaiblissent considérablement. Le front, 
au lieu d'être surbaissé et fuyant se relève en façade et s'ar- 
rondit régulièrement au sommet. Le haut du crûne n'est plus 
aplati, ih s'élève au contraire et forme voûte. Le menton 
est bien développé au lieu d'être absent et la symphyse men- 
tonnière ne se rejette plus en arrière; tout au contraire, elle se 
dirige en avant. Si de la tête nous passons aux membres infé- 
rieurs, nous reconnaîtrons d'autres changemements impor- 
tants. Ainsi les tibias épais et arrondis du type de Néanderthal 
s'aplatissent plus ou moins dans celui de Laugerie. 

Si nous étudions avec soin les deux types, nous reconnaî- 
trons que, s'il y a entre eux des difîérences très appréciables à 
première vue, il y a aussi des rapports importants qui les 
rapprochent. 

Tous les deux sont dolichocéphales. Les indices céphaliques 
pour le type néanderthaloïde sont: Néanderthal 72, Spy 
n** 1 , 70, Spy n<> 2 de 74 à 76 ; pour le type laugerien : Laugerie 

G. DE MORTILLET. *»^ 



3o6 DONNÉES ANTHROPOLOGIQUES 

74,87, Chancelade 72,02. Il y a la plus grande analogie. 

Les deux caractères les plus frappants du type de Néander- 
thal sont : une grande robusticité et une forte musculature. 

Les hommes de Néanderthal étaient courts, trapus, à 
ossature épaisse. Il en est de même des hommes de Lau- | 
gerie. Dans les deux types, la taille était plutôt au-dessous de 
la moyenne. Elle s'élevait, d'après Rahon, à : 

^., I ., 1 -^ ( Néanderthal i%6i3 

Néanderthaloides J o « " m c«« 

I Spy n* 1 i",590 

( Laugerie i"»649 

^ I Chancelade. 1^,592 

On voit qu'il y a une aussi grande similitude qu'en ce qui 
concerne l'important caractère de l'indice céphalique. 

Pour ce qui regarde la musculature, toutes les empreintes 
musculaires dans les deux types sont exceptionnellement 
développées. 

La race deLaugerie de la fin du paléolithique supérieur est- 
elle un simple produit par transformation de la race de Néan- 
derthal qui existait seule en France pendant le paléolithique 
ancien et moyen ? Ou bien est-ce une race étrangère qui a 
envahi le pays et détruit l'ancienne race ? 

Les partisans d'une invasion étrangère n'appuient leur 
sentiment que sur une considération théorique. La différence 
entre les deux races, disent-ils, est trop considérable pour 
qu'on puisse admettre une action directe de transformisme. 
Mais, si la transformation n'a pas eu lieu en France, elle s'est 
produite ailleurs. On ne fait donc que déplacer la difficulté 
sans la résoudre. De plus, les partisans de l'invasion ne peu- 
vent pas nous dire d'où elle venait. 

Une invasion qui change complètement la population ne 
peut se produire sans amener de profondes modifications dans 
les mœurs et l'industrie. Or nous ne voyons rien de semblable 
entre le paléolithique moyen et le paléoHthique supérieur. Les 
hommes des deux races n'avaient aucun respect des morts; 
exclusivement pêcheurs et surtout chasseurs, ils ne possédaient 
aucun animal domestique, aucune connaissance agricole ; nj 
les uns ni les autres ne connaissaient la poterie, et, bien que 
grands chasseurs, ils ignoraient l'arc. En fait d'industrie de la 



RACE DE LAUGERIE 3o7 

pierre, dont nous pouvons facilement suivre le développement, 
nous voyons une évolution fort lente mais régulière et continue 
qui ne laisse pas de place au bouleversement ou soubresaut 
qu'aurait occasionné une invasion. L'industrie de la pierre 
chelléenne, très élémentaire, se compose d'un gros fragment 
généralement de silex, de forme amygdaloïde, dans la plus 
large acception du mot. Cet instrument, taillé sur les deux 
faces, est nommé coup de poing par ce qu'il se maniait à la 
main. Pendant l'Acheuléen, le coup de poing continue à régner 
en maître, en s'améliorant comme finesse de taille et en s'as • 
sociant quelques autres instruments taillés sur une seule face. 
Le coup de poing se maintient en se réduisant de volume jus- 
qu'à la base du Moustérien. Pendant cette dernière époque, 
l'outillage taillé sur une seule face se complète et se perfec- 
tionne. Puis arrive le Solutréen, où, grâce à une modification 
dans le mode de taille, les retouches prirent une grande déli- 
catesse. L'outillage devient plus élégant et plus artistique. 
Vers la fin de l'époque, les instruments en os se mêlent à ceux 
en pierre. Ces derniers par suite sont moins soignés. Ils for- 
ment l'outillage de l'époque magdalénienne, qui se relie inti- 
mement à l'outillage solutréen. L'outillage du quaternaire 
ancien forme donc un tout, un seul et même tout, qui, par- 
tant du paléolithique le plus inférieur, se continue jusqu'au 
paléolithique supérieur. Pendant ce long espace de temps, les 
améliorations ne se sont jamais présentées en bloc, comme 
cela aurait eu lieu si elles avaient été importées par des nou- 
veaux venus. Elles se sont produites successivement. C'est 
donc une évolution sur place. 

Examinons maintenant la question au point de vue de 
l'homme même. 

Les nombreux cas d'atavisme reproduisant dans tous les 
temps et de nos jours encore des caractères néanderthaloïdes 
prouvent que nous avons du sang de la race de Néanderthal 
dans nos veines. Nous devons donc faire rentrer cette race 
dans notre arbre généalogique. 

Il est inconstestable que la race de Néanderthal conservait 
beaucoup plus de caractères simiens que la race de Laugerie. 

D'après les lois de l'évolution, ces caractères devaient s'atté- 
nuer et disparaître. C'est exactement ce qui a eu lieu. 

Depuis la base du paléolithique ou apparition de l'homme. 



3o8 DONNÉES ANTHROPOLOGIQUES 

nous avons vu trois éléphants se succéder en France : les 
Elephas meridionalis^ aniiquus et primigenius ; deux rhino- 
céros au moins. Le trogonthérium s'est transformé en cas- 
tor, etc. Il n'y a donc rien d'étonnant qu'une race d'homme ait 
paru puis disparu pour faire place à une race plus élevée et 
beaucoup plus semblable aux races actuelles. C'est en effet ce 
qui est arrivé. 

Mais les deux races sont bien différentes. Cela ne tient-il pas 
à l'influence des milieux? Tout le monde connaît la puissance 
de cette influence. Or entre les temps où vivaient la race de 
Néanderthal et celle de Laugerie,il y a eu un changement radical 
dans la climatologie de la PVance. Pendant toute son existence 
l'homme deNéanderthal a été soumis à un climat très humide, 
d'abord assez chaud, mais qui s'est ensuite refroidi et a donné 
naissance à la grande extension des glaciers, conditions qui se 
sont maintenues jusqu'à la fin du Mouslérien. A partir du Solu- 
tréen les conditions atmosphériques ont complètement changé. 
Le climat uniforme, froid sans excès, mais extrêmement 
humide, du paléolithique ancien et moyen, a cédé la place àun 
climat fort sec, à températures extrêmes, très froide l'hiver, 
chaude l'été. Ce changement, qui a eu la plus grande influence 
sur l'industrie humaine, a dû naturellement en avoir une ana- 
logue sur la constitution de l'homme. 

Le fait ne nous saute pas aux yeux parce que nous ne con- 
naissons pas du tout l'homme du Solutréen, partie inférieure 
du paléolithique récent. On a beaucoup parlé et beaucoup 
écrit sur les squelettes découverts dans la station classique de 
Solutré. Mais il est reconnu maintenant que ces squelettes, 
qu'ils soient restés en place ou qu'ils aient été entraînés par 
un glissement du sol, font partie d'un cimetière relativement 
fort récent. Entre les restes de la race de Néanderthal recueillis 
dans le Moustérien de Spy et dans les poches de l'argile à 
brique de l'Eure, d'une part, et les squelettes de Laugerie- 
Basse et de Chancelade trouvés en plein Magdalénien, d'autre 
part, il y a toute une époque, le Solutréen. Il n'est donc pas 
surprenant que nous n'ayons pas les points de contact et les 
transitions de transformation. 

Mâchoire d'Arcy. — Les transitions de cette transformation 
se dessinent pourtant déjà parmi les restes de la race de Néan- 
derthal qu'on possède. Les caractères typiques varient et s' at- 



RACE DE LAUGERIE Sog 

ténuent parfois singulièrement. Le fait est surtout frappant 
chez les deux squelettes de Spy. Spy n° 2 présente des carac- 
tères néanderthaloïdes beaucoup moins accentués que Spy 
n® 1. Sous le rapport du développement, ces deux squelettes 
sont donc bien numérotés. Le haut du crâne de Spy n° 2, au 
lieu d'être aplati, forme voûte. La même tendance se retrouve 
dans le crûne d'Eguisheim. 

Mais la pièce lai plus concluante sous ce rapport est la mâ- 
choire inférieure humaine d'Arcy-sur-Gure, dont je n'ai pas 
encore parlé, bien que l'authenticité en soit incontestable. Le 
sol meuble de la grotte des Fées, à Arcy-sur-Cure (Yonne), 
était formé de trois assises bien distinctes. Ce sont, en allant de 
haut en bas : 

1** Dépôt superficiel contenant des objets plus ou moins 
récents, remontant jusqu'à quelques silex néolithiques. Frag- 
ments de poterie nombreux. 

2° Couche magdalénienne, avec emplacements de foyers. 
Silex caractéristiques abondants, nombreux ossements brisés, 
surtout de renne. 

3° Repaire d'ours des cavernes avec ossements épars de 
bovidés, de mammouth et de rhinocéros. 

C'est entre cette assise inférieure et l'assise moyenne que 
de Vibraye, en 1869, recueillit une mâchoire inférieure hu- 
maine. Les os de la grotte des Fées étant parfaitement con- 
servés, et, les fouilles très considérables opérées par de Vi- 
braye n'ayant donné que cette mâchoire et une dent d'un 
autre individu, on ne peut pas admettre ni même supposer 
une sépulture intentionnelle postérieure. C'est donc bien un 
débris de la partie supérieure du repaire, antérieur à la base 
du magdalénien. 

La mâchoire d'Arcy (fig. i5i) est en effet intermédiaire 
entre les mâchoires de la race de Néanderthal et celles de la 
race de Laugerie. L'ensemble de l'os, moins épais et moins 
trapu que dans Néanderthal, l'est beaucoup plus que dans 
Laugerie. Si la symphyse mentonnière ne fuit plus en arrière, 
elle ne se projette pas encore en avant. Elle est à peu près 
perpendiculaire, ayant encore une tendance un peu plus pro- 
noncée vers l'arrière que vers l'avant. Les molaires parais- 
sent d'égal développement. Le menton est déjà accusé par une 
saillie triangulaire et une fossette. L*apophyse géni est bien 



3io 



DONNEES ANTHROPOLOGIQUES 




FiG. i48. — Mâchoire J infé- 
rieure de Chimpanzé. 2/3gr. 
nat. 




'iG. 149. —Mâchoire in- 
férieure de Malarnaud 
(Ariège). 2/3 gr. nat. 




10. i5o. — Mâchoire infé- 
rieure de La Naulette (Bel- 
gique). 2/8 gr.'nat. 




FiG. i5i — Mâchoire inférieure d'Arcysur-Cure 
(Yonne) 2/3 gr. nat. 




FiG. i52. — Mâchoire inférieure 
de f Parisien moderne. 2/3 gr. 
nat. 



PREMIÈRES INVASIONS 3ll 

marquée. Comme intermédiaire, on ne peut rien désirer de 
mieux. Nous n'avons plus qu'à rechercher et attendre des 
pièces confirmatives. 

Un autre fait qu'il reste à signaler, mais dont malheureuse- 
ment nous ne pouvons pas tirer toutes les conclusions dési- 
rables faute d'un nombre suffisant d'observations, est la pro- 
gression croissante de la capacité crânienne. 

Pithécanthrope i.ooo centimètres cubes. 

Néanderthal 1.220 — 

Chancelade 1.710 — 

Bien que l'état du crâne de Chancelade n'ait pas permis de 
prendre exactement sa capacité crânienne, on voit pourtant 
que cette capacité est beaucoup plus forte que celle du crâne 
de Néanderthal. 



CHAPITRE III 

PREMIÈRES INVASIONS 

Sépultures de Cro-Magnon. — Si de la gare des Eyzies 
(Dordogne) on se dirige vers le village du même nom, on des- 
cend une courte rampe, vers le bas de laquelle s'étendent 
à gauche^les abris de Cro-Magnori. Ces abris, peu développés, 
sont actuellement masqués par des constructions. Au prin- 
temps de 1868, en prenant des déblais au pied de ces abris, on 
découvrit une petite grotte qui était pleine d'un dépôt magda- 
lénien sur lequel reposaient trois squelettes humains: un 
vieillard, un adulte et une femme. Ces squelettes furent ma- 
gistralement décrits par Paul Broca et devinrent les types de 
la racé dite de Cro-Magnon, race considérée alors comme 
formant la population du paléolithique récent ou Magdalé- 
nien. 

Voici le résumé de la description du Maître : Taille élevée, 
os robustes, tibias aplatis, péronés à gouttière longitu- 



3l2 DONNÉES ANTHROPOLOGIQUES 

dinalc (6g. i43) profonde, la femme avec ligne âpre du fémur 
d'une largeur el d'une épaisseur tout à fait exceptionnelles, 
bassin très large ; têtes volumineuses ; la capacité crânienne 
du vieillard est de i .690 centimètres cubes ; tous les trois doli- 
chocéphales, indice céphalique du vieillard 78,76, de l'adulle 
74,75, de la femme 71,72; arcs sourciliers assez développés, 
racine du nez fort déprimée, front large, vertical et bombé ; 
profil du crâne présentant une ellipse allongée dont Textrémité 
frontale est bien développée et l'extrémité occipitale encore 
plus renflée ; orbites très larges et peu élevées ; face très large 
par rapport à la longueur. Cette description, donnée par Broca, 
est peut-être un peu accentuée par la présence du vieillard, 
la pièce principale d'étude. 

Le travail descriptif de Broca, venant aux débuts de Tanthro- 
pologie, était si remarquable, que la race de Cro-Magnon en bé- 
néficia largement. Cette race obtint un immense succès. Tous 
les anthropologues sérieux et autres, surtout les autres, en 
usèrent et abusèrent. Mais on s'était beaucoup trop pressé de 
dater la découverte. Ayant visité le gisement et étudié les pièces 
originales au musée de Saint-Germain, je démontrai qu'elles 
n'étaient pas du tout paléolithiques ; qu'il s'agissait tout bon- 
nement d'une sépulture néolithique, je ne dirai pas au milieu, 
mais plus exactement, sur un dépôt magdalénien. Le fait est 
maintenant parfaitement reconnu et généralement admis. Le 
nom de race de Cro-Magnon ne peut donc être appliqué aux 
habitants du sol français de la fin du paléolithique. C'est 
pour cela que je leur ai donné le nom de race' de Laugerie, 
l'homme de Laugerie étant bien de l'époque. ' 

On aurait pu conserver le nom de race de Cro-Magnon pour 
désigner la race dolichocéphale des débuts du néohthique. 
Mais, en science, il vaut mieux retrancher un nom que de'lui 
attribuer deux acceptions différentes. C'est le meilleur moyen 
d'éviter les confusions et les fausses interprétations. En outre, 
les trois squelettes de la sépulture de Cro-Magnon représen- 
tent-ils bien le vrai type dolichocéphale des commencements 
du néolithique? Mon savant collègue Georges Hervé ne le 
pense pas. Aussi propose-t-il de remplacer le terme de race 
de Cro-Magnon par celui de race des Baumes-Chaudes, k 
suis tout à fait de son avis. 

Sépultures des Baumes-Chaudes. — Les Baumes-Chaudes 



PREMIÈRES INVASIONS 3l3 

sont des grottes sépulcrales de la Lozère fouillées par Pru- 
nières. Le Tarn lozérien coule dans des gorges étroites et pro- 
fondes, dont les parois à pic s'élèvent à plusieurs centaines de 
mètres. C'est dans les parois d'une de ces gorges, près de 
Saint-Georges-de-Lévejac, village situé sur le causse, que 
s'ouvrent les grottes, environ aux deux tiers de la hauteur de 
l'escarpement. Les deux principales, situées sur une terrasse, 
sont reliées par une espèce d'abri sous roche. Toutes les 
deux débutent par une salle claire et sèche, avec rejets d'habi- 
tation. La grotte du nord, à 35 mètres environ de profondeur, 
se rétrécit, devient sombre et humide ; aussi le sol se recouvre 
de stalagmites contenant de nombreux ossements humains. 
Ils sont si empâtés, qu'il est difficile de les extraire. Prunières 
a pourtant pu constater que ces ossements, datés par des 
fragments de poterie, sont semblables à ceux fournis par la 
grotte du sud. Cette partie obscure et humide aboutit à un 
puits très profond. 

La grotte du sud contenait un ossuaire humain de 25 mètres 
de long sur une moyenne de 4 mètres de large et une épais- 
seur de o™,5o. Les ossements de 3oo sujets d'âges et de sexes 
divers étaient accumulés sans ordre dans cet espace. Les 
crânes seuls paraissaient avoir été groupés ou placés avec 
soin sur certains points. Le mobilier funéraire, très peu abon- 
dant, ne consistait qu'en trois ou quatre rondelles de base de 
corne de cerf trouées, un seul grain de collier, quatre ou cinq 
pointes de flèches en silex isolées et quelques autres engagées 
dans des os, enfin quelques objets en bronze. C'est peu, bien 
peu. Néanmoins cela suffit pour établir de la manière la plus 
certaine que cet ossuaire, date de l'époque morgienne, début 
de l'âge du bronze. Cette appréciation est confirmée par la pré- 
sence, en avant de l'ossuaire d'un squelette complet, percé, 
d'après Prunières, entre deux côtes d'unç pointe de lance en 
bronze. 

Pourtant sur soixante crânes intacts et restaurés il n'y a 
pas un brachycéphale, pas même un mésaticéphale ; tous sont 
dolichocéphales. 

C'est à la séance du i6 mai 1878 de la Société d'anthropo- 
logie de Paris que Prunières a communiqué tous ces détails, 
puis il a produit ses récoltes des Baumes-Chaudes à l'Expo- 
sition universelle de la même année. 



3l4 DONNÉES ANTHROPOLOGIQUES 

Déjà en 1878, à la grande réunion de TAssocialion fran- 
çaise pour ravancement des sciences, Prunières avait signalé 
une autre grotte sépulcrale de la même région, contenant des 
débris humains de la même race. Il s'agit de la grotte de 
l'Homme-Mort, située au fond d'une gorge sauvage qui dé- 
bouche dans la vallée de la Jonte, sud-ouest de la Lozère, une 
des parties les moins fréquentées de ce département, près du 
hameau de la Vialle, commune de Saint-Pierre-de-Tripiés. On 
y a recueilli deux poinçons en os, une pointe de flèche en 
silex et quelques tessons de poterie, mais près de l'entrée. 
« Aucun objet quelconque, dit Broca, autre que des os 
humains n'a été trouvé dans le reste de la caverne. » Les os 
étaient mêlés, mais les crânes groupés sur un point. La ca- 
pacité crânienne moyenne était, sur dix-huit crânes, de 
1543,88 (hommes, i6o6,5 ; femmes, 1607,00). La taille calculée 
par Rahon était : hommes, 1^,628, et femmes, i"^,493. 

La population de l'Homme-Mort est moins pure que celle 
des Baumes-Chaudes, bien que paraissant plus ancienne au 
point de vue industriel. 

Sur trente-cinq crânes mesurés des Baumes-Chaudes, il 
n'y a absolument que des dolichocéphales, variant comme 
indice céphalique entre 64,8 et 76,1 ; trois seulement sont au- 
dessous de 70. 

Sur dix-neuf de l'Homme-Mort, il y en a dix-sept de dolicho- 
céphales, doiit un au-dessous de 70 ; mais les deux derniers 
sont des crânes mésaticéphales, c'est-à-dire intermédiaires , 
les deux indices dépassant 78. Ce caractère mixte se montre 
encore dans les autres observations : sur 9 fémurs, 3 sont à 
ligne âpre prononcée, 8 à ligne moyenne, 8 sans ligne âpre; 
sur 5 tibias, 8 sont aplatis, 1 moyennement et 1 pas du tout ; 
sur 2 péronés, 1 esta gouttière et l'autre non. Les cubitus, au 
nombre de 12, sont aussi partagés soùs le rapport de la tor- 
sion. 

Le professeur Hervé a donc eu raison de ne pas remplacer 
Cro-Magnon par l'Homme-Mort comme le voulaient certains 
anthropologues. Il a choisi comme type les Baumes-Chaudes. 
Voici la description qu'il donne de cette race, dont les carac- 
tères sont tellement voisins de ceux de la race de Laugerie, 
qu'on peut dire que c'est une simple variation de race : 

« Dolichocéphalie occipitale ; indice céphalique moyen, 72,6; 



PREMIÈRES INVASIONS 3l5 

région frontale assez médiocrement large ; capacité crânienne 
grande ; circonférence horizontale du crâne 543 et 533 milli- 
mètres chez les hommes et les femmes ; sutures peu compli- 
quées; face remarquablement orthognathe; indice nasal 
moyen 42,7; indice orbitaire moyen 83,6; fémur à ligne âpre 
épaisse ; tibias pour la plupart notablement aplatis ; péronés 
cannelés à des degrés divers ; cubitus à extrémité inférieure 
parfois incurvée. La longueur moyenne (o'",423) de i5 fémurs 
des Baumes-Chaudes donne comme taille i°\6i. » 

Invasion brachycéphale . — Dans les temps préhisto- 
riques, à la fin du paléolithique et au commencement du néo- 
lithique, il s'est opéré en France la plus grande révolution 
sociale qui ait jamais existé. Nous en avons déjà parlé dans 
la partie palethnologique de cet ouvrage. Cette révolution si 
profonde et si rapide n'a pu se produire que par un flux nou- 
veau de population. En effet, à côté des autochthones qui se 
sont régulièrement développés sur le sol de la France, sans 
mélange, pendant la longue série des temps paléolithiques, 
nous voyons apparaître dès les débuts du néolithique un type 
tout à fait différent. Les autochthones dolichocéphales, c'est- 
à-dire à têtes longues, toujours fort nombreux, se môlent à 
des brachycéphales, hommes à têtes rondes. La première ac- 
tion des nouveaux venus a été d'introduire le respect des 
morts. Ce respect répond si bien aux sentiments d'affec- 
tion, qu'il s'est rapidement généralisé et, comme l'incinération 
n'était pas encore pratiquée, les sépultures néolithiques nous 
fournissent de nombreux et précieux documents anthropolo- 
giques. Philippe Salmon a publié un utile relevé de ces 
documents. Il a réuni les indices céphaliques de 688 crânes 
provenant de i4o sépultures néolithiques : grottes naturelles» 
souterrains ou grottes artificielles et dolmens. Sur les 688 crânes 
mesurés, il y a : 

397 dolichocéphales, soit 57.7 pour cent 

145 mésaticéphales 21.1 — 

146 brachycéphales -, 22 . 1 — 

La présence des mésaticéphales, intermédiaires entre les 
deux types extrêmes, montre que, dès l'arrivée des brachy- 
céphales, il y a eu contact intime, par conséquent une certaine 
Union, entre les envahisseurs et les envahis. 



3l6 DONNÉES ANTHROPOLOGIQUES 

D'où venaient les brachycéphales ? Evidemment des régions 
où ce type domine et règne presque d'une manière absolue, 
de l'Asie centrale et de l'extrême Orient. 

Nous pouvons constater deux flots de populations brachy- 
céphales envahissant la France. Le premier, que je viens de 
signaler, nous a apporté la civilisation néolithique ; le second 
a ouvert les temps protohistoriques en introduisant dans l'Oc- 
cident l'usage des métaux. Tous les deux venaient d'Orient. 
Tous les deux ont eu d'importantes conséquences anthropolo- 
giques, en modifiant le mode de sépulture. Le premier flot nous 
a amené l'inhumation et nous a fourni ainsi de nombreux docu- 
ments ; le second, en nous apportant l'incinération, nous a 
privé de bien précieux renseignements. 

L'incinération des brachycéphales du second flot explique 
la grande diff'érence qui existe entre les dolichocéphales, 897, 
et les brachycéphales, i46, de l'inventaire cité précédemment. 
Cet inventaire naturellement ne contient aucun crâne de la 
seconde arrivée brachycéphale, tous incinérés, tandis qu'il 
mentionne bon nombre de dolichocéphales qui ont conservé 
pendant un certain temps les vieilles habitudes d'inhumation 
qu'ils avaient contractées. Ainsi la grotte des Morts, à Dur- 
fort (Gard), qui contenait du bronze, a donné sur 5 crânes 
mesurés 5 dolichocéphales. L'inventaire contient d'autres 
grottes et des dolmens en certain nombre appartenant égale- 
ment à l'âge du bronze. 

Dans les sépultures purement néolithiques, telles sont celles 
des grottes artificielles de la vallée du Petit-Morin (Marne) 
appartenant à la fin de l'époque robenhausienne, les nombres 
s'équilibrent àpeu près. Sur 44 crânes mesurés, il y ai5 doli- 
chocéphales, 12 brachycéphales et 17 mésaticéphales (indices 
de 77 à 80). La capacité moyenne de ces crânes est de 
1,483 centimètres cubes (hommes, i,535; femmes, 1,407). Sur 
20 tibias, 4 seulement sont aplatis, 6 ne le sont pas, et il y a 
10 intermédiaires ; sur 16 péronés, 6 cannelés, 10 non ; sur 
20 fémurs, 5 ont une ligne âpre et 1 5 ne l'ont pas. La propor- 
tion des caractères paléolithiques diminue. 

A partir du protohistorique, les mélanges se multiplient et se 
compliquent. Ainsi dans le Marnien, bien longtemps avant 
la vulgarisation de la monnaie en France, les cimetières de la 
Marne que l'on désigne sous le nom de cimetières gaulois 



PREMIÈRES INVASIONS 817 

olTrent les indices les plus variés. Sur i5 crânes, l'indice 
moyen est 76,98, bien près, comme on le voit, de la limite 
inférieure de la mésaticéphalie, 77. 

S*il est un point qui résume la population française, c'est 
sans contredit Paris, rendez-vous du pays tout entier. Eh bien, 
884 crânes parisiens du xii® au xix*' siècles ont donné à Broca 
un indice moyen nettement mésaticéphale, 79,45. 

Pourtant,dans la répartition actuelle de la population fran- 
çaise, les brachycéphales se groupent dans certaines régions : 
la Bretagne, 186 crânes des Côtes-du-Nord ont donné comme 
indice 81,64 ; l'Auvergne, indice de 88 crânes 84,07; le Mor- 
van, indice de 192 crânes82,87 ; la Savoie, indice de 60 crânes 
85,4i. De France, la brachycéphalie se poursuit par les Alpes 
dans l'Europe centrale et par l'Apennin dans la Ligurie. 

Cette concentration des brachycéphales dans les régions 
montagneuses se comprend très bien. Ce sont eux qui nous 
ont apporté la métallurgie; ils ont dû rechercher les points 
les plus riches en mines, qui sont généralement les mon- 
tagnes. 

Grands dolichocéphales. — Si, après une étude raisonnée 
et une critique sévère des faits, on arrive pour le préhisto- 
rique à des déductions anthropologiques claires et précises, il 
n'en est plus de même pour le protohistorique. Les types, 
d'abord peu nombreux, se sont multipliés par suite de modifi- 
cations et de transformations successives. Ces types se grou- 
pent, se pénètrent, s'unissent entre eux et produisent des 
intermédiaires, des métis. Cela donne les mélanges les plus 
complexes et les plus difficiles à débrouiller. Nous laissons ce 
soin aux anthropologues spéciaux. Cependant, avant de quit- 
ter l'anthropologie, relevons encore deux ou trois faits inté- 
ressants. 

La palethnologie nous a montré les chasseurs de rennes 
magdaléniens, suivant leur gibier de prédilection, émigrer en 
partie avec lui vers les régions polaires. Les données anthro- 
pologiques viennent confirmer cette déduction. Les crânes des 
Esquimaux ont le plus grand rapport avec ceux de Laugerie. 
Le climat, le genre de vie, le miheu^ en un mot, n'ayant pas 
changé, le type ne s'est pas altéré. D'autre part, population 
adaptée à un milieu climatologique et à un genre de vie peu 
enviables, il n'y a pas eu mélange. 



320 DONNÉES ANTHROPOLOGIQUES 

ment de ce que ces sépultures sont celles de personnages se 
déplaçant facilement et par conséquent ne s'embarrassant 
pas d'objets fragiles. Ne doit-on pas voir en eux les ancêtres 
des Galates et des Gaulois des historiens grecs et romains, de 
ces guerriers de grande taille toujours en mouvement, tou- 
jours en quête d'aventures? 

L'anthropologie vient donc se joindre très avantageuse- 
ment à la palethnologie pour nous fournir de précieux ren- 
seignements sur la race autochtone dejla France, sur son 
développement, ses transformations, ses mœurs, ses migra- 
tions et les invasions qu'elle a subies dans la plus haute anti- 
quité. Grûce à ces deux sciences, d'origine toute nouvelle, 
nous pouvons tracer les premières pages de l'histoire de 
France. 



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CONCLUSIONS 



PREMIÈRES PAGES D'E l'hISTOIRE DE FRANCE 



Les Français remontent haut, très haut, si haut que Ton 
est porté à se récrier quand on donne la date approximative 
de l'apparition de l'homme sur le territoire français : 280 à 
240.000 ans ! 

Il y si loin de ces chiffres à la date légendaire et tradition- 
nelle de 6,000 ans î Pourtant le chiffre que nous venons d'in- 
diquer est basé sur des données certaines d'histoire naturelle. 
L'homme est antérieur à la période glaciaire, et la durée de 
îette période bien étudiée est au moins de i5o à 200.000 ans. 

L'homme, qui occupe la tête de la série animale et qui 
Progresse tous les jours, se rattache comme filiation aux 
inges et surtout aux anthropoïdes. Mais le passage, la trans- 
ormation ne s'est pas faite dans nos régions. Cette transfor- 
ciation a eu lieu sous un climat plus chaud. La découverte 
lu pithécanthrope, intermédiaire entre le singe et l'homme, 
end à nous faire penser que l'homme est venu d'Asie, proba- 
blement de rinde. 

Quand les premiers habitants de la France sont arrivés sur 
\otre sol, ils y ont trouvé une faune bien différente de la 
aune actuelle. Il y avait, entre autres animaux, un énorme 
Uéphant, l'éléphant méridional, en voie de transformation, 
passant à l'éléphant antique, son successeur; un hippopotame 
analogue à l'actuel d'Afrique, mais beaucoup plus gros ; des 
rhinocéros, le leptorhinus et le rhinocéros de Merck, très 
voisins Fun de l'autre; le trogonthérium, qui, en perdant de 

G- DE MORTILLET. 1\ 



322 CONCLUSIONS 

sa taille, a passé au castor ; le lion des cavernes, plus fort 
que les lions actuels ; le magot, qui ne dépasse plus l'Algérie 
et Gibraltar ; des cerfs, des bovidés, des chevaux, etc. En 
somme, une faune quaternaire chaude. Il faisait donc plus 
chaud en France que de nos jours. 

Grâce à la flore, nous pouvons à peu près connaître quelle 
était la différence. Le laurier, le buis, Tarbre de Judée, le 
figuier, vivaient spontanés dans la vallée de la Seine. 11 y 
avait donc quelques degrés de chaleur de plus. Mais ce qui 
distinguait ce climat, c'est qu'il était beaucoup plus humide 
et par suite plus uniforme. 

Quant à l'homme, notre premier ancêtre, il n'était pas 
beau. Oh! non, pas beau du tout! Il avait encore passable- 
ment de caractères simiens. Il était de taille moyenne, plutôt 
petite, d'autant qu'il ne se tenait pas très droit ; à large cor- 
pulence et à formes massives. La tête était longue, assez apla- 
tie au sommet, largement développée en arrière. La figure se 
distinguait par un front des plus fuyants, sans trace de façade ; 
des arcades sourcilières très proéminentes, des yeux arron- 
dis, une forte dépression entre le front et le nez qui était 
large. Léger prognathisme des mâchoires, qu'accentuait 
l'absence de menton et le rejet en arrière de la courbe men- 
tonnière. Poitrine large et bombée. Avant-bras relativement 
aplatis. Jambes plutôt courtes, épaisses, mais peu modelées; 
mains et pieds grands ; corps recouvert de poils à en juger 
par les représentations humaines magdaléniennes. Ces 
hommes, remarquablement musclés, étaient très forts, très 
vigoureux, conditions indispensables pour lutter contre les 
grands animaux au miheu desquels ils vivaient. Tel est le 
portrait des premiers habitants de la France, constituant la 
race de Néanderthal. 

Ils étaient sauvages dans la plus large acception du mot. 
Aussi ne nous ont-ils laissé, comme trace de leur industrie, 
qu'un gros et lourd instrument en pierre de forme amygda- 
loïde, taillé à grands éclats, nommé coup de poing parce qu'il 
se maniait directement à la main, sans la moindre emman- 
chure. Cet instrument servait tout à la fois d'arme et d'outil. 
Outil grossier, propre à tailler du bois, mais ne pouvant être 
utilisé à confectionner des vêtements. L'homme des débuts 
du quaternaire, le plus ancien habitant de la France, allait 



PREMIÈRES PAGES DE l'hISTOIRE DE FRANCE 828 

donc tout nu. Il n'y avait pas grand inconvénient alors, car il 
faisait chaud. 

Le coup de poing a été Tinstrument primitif de Thumanité 
entière ou tout au moins des populations de tout l'ancien 
continent. Non seulement il est fort répandu en Europe, mais 
on le retrouve en Asie et en Afrique. Il y a donc eu relations 
dès les temps les plus anciens entre les habitants de la France 
et ceux de ces trois parties du monde. Relations qui, d'après 
les découvertes faites dans les alluvions anciennes des Etats- 
Unis, ont dû s'étendre jusqu'en Amérique, en ce terops-là 
soudée à l'Europe par le nord. 

Les néanderthaloïdes habitaient surtout les vallées et les 
plateaux peu élevés. Ils grimpaient volontiers sur les arbres, 
comme le prouve leur constitution osseuse. 

La France se refroidit peu à peu, le climat resta très humide 
et le ciel couvert, ce qui maintint une température assez 
uniforme, sans grandes variations d'été et d'hiver. C'est ce 
qui, le froid gagnant toujours du terrain, amena la période 
glaciaire. Ce changement climatérique occasionna la trans- 
formation de certaines espèces animales. Les éléphants, 
méridional et antique, devinrent le mammouth ; les rhino- 
céros, leptorhinus et de Merck, furent remplacés par le rhi- 
nocéros tichorhinus. L'ours féroce ou ours noir, l'isatis ou 
renard bleu, le glouton, l'ovibos ou bœuf musqué, le renne, 
habitants des régions polaires, établirent domicile en France; 
les animaux fréquentant actuellement les régions neigeuses 
de nos montagnes : marmotte, lièvre variable, bouquetin, 
chamois, habil aient nos plaines. C'est ce que les paléonto- 
logues appellent la faune quaternaire froide. 

L'homme, grâce à sa pilosité qui lui servait de fourrure, 
résista assez longtemps à l'envahissement du froid, puis il 
chercha à s'en préserver. Il perfectionna son outillage de 
pierre de manière à pouvoir confectionner des vêtements. On ' 
retrouve les racloirs qui servaient à tanner et à adoucir les 
peaux d'animaux, les pointes à tranchants pour les couper et 
les percer. Les Français d'alors étaient donc habillés de 
peaux. 

Cette lente et extrêmement longue évolution conduisant à 
la fin de la période glaciaire, qui est également la fin de 
l'époque moiistérienne, a épuisé la race de Néanderthal..; 



324 CONCLUSIONS 

Après avoir fourni son cycle naturel, elle s'est éteinte, se 
transformant en une race nouvelle, plus éloignée du singe et 
plus perfectionnée, la race de Laugerie. La filiation des deux 
races est bien établie par des caractères communs, des inter- 
médiaires, la série continue et régulière du développement 
industriel, enfin par Tatavisme, qui fait accidentellement 
réapparaître dans nos populations actuelles des caractères 
néanderthaloïdes. 

Si rhomme de la race de Néanderthal est devenu le pre- 
mier français par le droit du premier occupant, l'homme de 
la race de Laugerie paraît bien être réellement autochthone. 
Sa race s'est formée dans nos régions. 

Cette transformation a eu lieu au moment d'une révolution 
climatérique. 

Le temps humide et brumeux qui avait régné jusqu'alors 
a été remplacé par un temps sec et clair. Aux saisons 
presque uniformes ont succédé les saisons extrêmes, chaudes 
Tété, très froides l'hiver. Ce climat a fait abondamment 
multiplier le renne en France. 

La race humaine de Laugerie, tout en ayant, comme celle 
de Néanderthal la tête allongée, franchement dolichocéphale, 
et la partie occipitale très développée, a le dessus de la tête 
arrondi et le front bien dessiné, avec façade et voussure supé- 
rieure. Les arcades sourcilières sont moyennement dévelop- 
pées, le menton est bien formé et se projette en avant. Une 
taille moyenne, plutôt petite, un corps large et trapu ; une 
ossature robuste et une musculature très vigoureuse rap- 
prochent les deux races. Pourtant l'homme de Laugerie a de 
grands rapports avec nos races actuelles. 

Les représentations laissées par les artistes de cette race 
montrent que les femmes comme les hommes étaient très 
velus par tout le corps. Les membres avaient des formes déjà 
élégantes. Les mains étaient minces et allongées, le pouce très 
opposable aux autres doigts. Les femmes avaient les seins 
pendants et le ventre ballonné ; les hommes la physionomie 

fine et narquoise. 

A la transformation de la race correspond un rapide pro- 
grès de l'industrie. La simplicité des instruments des temps 
primitifs et de la longue période glaciaire ne suffisant plus 
à la race améliorée, elle se mit à perfectionner et à multiplier 



PREMIÈRES PAGES DE l'hISTOIRE DE FRANCE 325 

les objets usuels. L'arme et l'outil se spécialisèrent et prirent 
des formes variées. 

Le premier soin fut de se prémunir contre les grands 
froids ; aussi les grottes et abris sous roches furent-ils très 
recherchés. Les foyers se multiplièrent dans les stations, et le 
souci d'avoir de bons vêtements apparaît clairement dans les 
détails de l'outillage. Il suffit de citer les charmantes aiguilles 
à chas en os de l'époque de la Madeleine. 

La nourriture était aussi une très grande préoccupation 
des habitants de la France de la période paléolithique. Privés 
d'animaux domestiques et de toute agriculture, ils s'adon- 
naient exclusivement à la pêche et surtout à la chasse. Pour- 
tant on n'a constaté dans leurs stations que le poignard en 
ivoire ou en corne de cervidé, la sagaie ou lance pouvant 
servir de javelot et le harpon à pointe mobile. Ignorant l'arc, 
ils connaissaient toutefois le propulseur à crochet pour aug- 
menter la force de jet des sagaies et des harpons. C'est avec 
ces armes qu'ils se défendaient contre les lions, les ours, les 
hyènes, les loups, qui infestaient le sol de la France. Chas- 
seurs habiles, ils s'attaquaient aux mammouths, qui n'avaient 
pas encore disparu de nos contrées, et parfois, comme à 
Cœuvres (Aisne)^ Brassempouy (Landes), etc., ils parvenaient 
à en tuer un grand nombre. 

Le gibier: cheval, renne, bœuf, était abondant; aussi nos 
chasseurs avaient-ils des loisirs. Ils les employaient à fabri- 
quer et orner leurs instruments, armes et outils. Cet amour 
du luxe en fît des artistes. Peu inventifs en fait de dessin de 
fantaisie, ils se mirent à copier la nature et ils atteignirent en 
ce genre une perfection remarquable. Ils possédaient naïveté 
et talent.. La plus ancienne et première manifestation de l'art 
s'est donc produite en France. 

Ces artistes étaient doux et tranquilles, vivant sans que- 
relles, sans luttes et également sans la moindre idée reli- 
gieuse. Leur insouciance, sous ce rapport, était poussée si 
loin, qu'ils n'avaient aucun respect pour les morts ; ils ne se 
donnaient même pas la peine de les enterrer. 

Un nouveau changement climatérique vint tirer cette 
population de sa quiétude. Les grands froids cessèrent ; la 
température se régularisa en s'adoucissant. Le mammouth 
s'éteignit dans l'ouest de l'Europe ; le renne, qui formait le 



326 CONCLUSIONS 

puoduit le plus abondant et le plus régulier des chasses, di- 
minua peu à peu et finit par émigrer complètement vers le 
nord, cherchant un climat plus froid. Une partie de la popu- 
lation le suivit jusque dans les régions polaires de F Amérique 
septentrionale. C'est la première colonie française, voisine du 
Canada. Elle est occupée par les Esquimaux qui, se trouvant 
dans un milieu analogue à celui qui existait; en France à 
l'époque de la Madeleine, ont conservé le même crâae, le 
même corps trapu et large, les mêmes instruments de chasse, 
harpons et propulseurs, les mêmes mœurs douces et paci- 
fiques, le sentiment artistique et l'indifférence pour les morts, 
qui caractérisaient les magdaléniens français. 

Pourtant la majeure partie de la population est restée en 
France. Elle a cherché à remplacer le reniîie par le cerf. Mais 
le cerf était moins abondant, moins facile à chasser, moins 
utile par ses divers produits. Il y eut pénurie et misère, ce qui 
fit complètement disparaître l'art tout à la fois si simple^ et si 
vrai qui s'était développé- pendant l'époque de la. Madeleine. 
Cette profonde modification constitue l'époque tourassienne, 
transition entre le paléolithique et le néolithique. Le climat 
et la faune de France devinrent à peu près ce qu'ils sont de 
nos jours. 

Ce fut dans ces conditions que se produisirent les premières 
invasions. Elles occasionnèrent la plus grande révolution so- 
ciale connue. Non seulement elles introduisirent un élément 
brachycéphale, ou à tête ronde, dans la population autoch- 
thone entièrement dolichocéphale, ou à tête longue, mais elles 
changèrent de la manière la plus radicale les données de la vie 
intellectuelle et matérielle de cette dernière population. Sous 
le rapport intellectuel, les nouveaux' venus apportèrent les 
idées religieuses, complètement inconnues jusqu'alors dès 
habitants de la France. Parmi elles, notons surtout le respect 
et l'ensevelissement des morts, qui cadrent si bien avec les 
sentiments affectueux et sont si utiles au point de vue hygié- 
nique ; aussi ces nouvelles pratiques eurent-elles le plus 
grand succès et se généralisèrent-elles rapidement. Ce fût 
même à un tel point que les demeures des morts, caveaux 
souterrains et dolmens, furent plus belles que celles^ des 
vivants. 

Au point de vue matériel, les envahisseurs ont importé l'in- 



PREMIÈRES PAGES DE l'hISTOIRE DE FRANCE 3c&7 

dustrie de la poterie, la hache de pierre polie emmanchée, 
instrument de travail très perfectionné et casse-tête terrible ; 
en fait d'armes, il ont aussi apporté l'arc. Mais ce n'est pas à 
ces armes qu'ils doivent leurs succès. Ce qui faisait leur prin- 
cipale force, c'était la possession des animaux domestiques et 
la connaissance de l'agriculture, entièrement ignorés des pre- 
miers habitants de la France. Ils avaient ainsi la nourriture 
assurée,^ et ils pouvaient s'établir d'une manière fixe dan» des 
positions fortifiées, tandis que les autochthones, soumis pour 
vivre au hasard de la chasse, étaient plus absorbés par la né- 
cessité de s'alimenter que par celle de défendre leur terri- 
toire. 

D'où venaient les envahisseurs à têtes rondes ? Us venaient 
de l'Asie, région par excellence des races brachycéphales et 
pays d'origine de toutes les grandes religions. L'étude des 
animaux domestiques et des céréales permet de préciser davan- 
tage et de dire qu'ils provenaient des contrées comprises entre 
l'Asie Mineure et le Thibet. 

L'inventaire des individus néolithiques ensevelis dans les 
grottes funéraires, les souterrains sépulcraux, les dolmens 
et les cistes, montre que les autochtones étaient beaucoup 
plus nombreux que les envahisseurs, et que non seulement 
.ces derniers se trouvaient mêlés avec les premiers, mais qu'ils 
se sont alliés à eux, car entre les têtes longues et les têtes 
rondes il y a bon nombre de têtes intermédiaires appartenant 
à des métis. 

A partir des débuts de l'âge du bronze, un second flot de 
brachycéphales s'est lentement et progressivement introduit 
.en France, y apportant la métallurgie. Comme le premier, il a 
en une grande influence religieuse. A l'inhumation des morts 
il a substitué l'incinération. Ces nouveaux brachycéphales 
.venaient certainement de l'Asie, de la région située entre 
l'Afghanistan et l'Inde au sud, la Chine et la Sibérie au nord, 
région qui est, à l'extrême orient, le pays par excellence de 
l'étain. Aussi sous le rapport religieux nous ont-ils apporté 
non seulement l'incinération, mais encore le tintinnabulum 
des prêtres mendiants de l'Asie et le signe de la croix, surtout 
.sous la forme essentiellement asiatique du swastika. La peti- 
tesse des poignées de leurs épées et l'étroitesse de leurs bra- 
.celets de bronze montrent qu'ils avaient les mains étroites et 



328 CONCLUSIONS 

les poignets assez grêles, caraclères qu'on rencontre commu- 
nément si Ton se dirige du côté de Tlnde. 

Le fond de la population est resté composé des autoch- 
tones du paléolithique, que nous avons bien raison de consi- 
dérer comme les premiers Français. 

La race paléolithique de Laugerie, en se modifiant légère- 
ment, a donné naissance à la race néolithique des Baumes- 
Chaudes, qui s'est unie et amalgamée avec les races brachycé- 
phales envahissantes. C'est ce mélange qui a formé le fond de 
la population française. C'est lui qui, malgré Tadj onction 
successive des éléments les plus divers, a de tout temps, et 
surtout pendant le protohistorique, constitué la base essen- 
tielle de la population sédentaire. On peut dire que c'est le 
noyau de la démocratie française. 

Mais, au-dessus de cette démocratie patiente et laborieuse, 
qui restait dans l'ombre et ne faisait pas parler d'elle, il y a 
toujours eu une aristocratie turbulente, bataillarde, mobile, 
qui faisait grand bruit dans le monde et remplissait à elle 
seule les pages de l'histoire. D'où venait cette aristocratie? 
Elle paraît se rattacher aussi à notre race autochtone : le 
vieillard de Cro-Magnon et l'homme de Menton en seraient 
les types. Ayant les plus grands rapports avec les races de 
Laugerie et des Baumes-Chaudes, ils s'en distinguent cepen- 
dant par la taille. Ils semblent être les ancêtres des « grands 
blonds aux yeux bleus » qui, de la France, sont allés occuper 
toute l'Europe centrale et ont plusieurs fois versé sur l'Italie, 
la Grèce et l'Asie Mineure. 

Après le bronze est venu le fer. Ce dernier métal a été ap- 
porté par le commerce et l'industrie. Avec lui se sont multi- 
pliés les mouvements de population protohistoriques et his- 
toriques. L'accord existe sur ce point. Nous n'avons pas à 
rechercher quelle a été l'influence de chacun de ces mouve- 
ments. Il nous suffît de constater que pendant la première 
époque du fer, rHallstattien, l'industrie de l'Europe entre la 
Baltique et la Méditerranée montre une influence méridionale. 
Dans la seconde époque du fer, le Marnien,les formes carac- 
téristiques des cimetières de la Marne, se sont propagées en 
abondance jusqu'en Autriche et dans les Balkans, en se mani- 
festant même dans le nord de l'Italie. Puis vient l'industrie 
romaine. Malgré son caractère absorbant, l'industrie wabé- 



PREMIÈRES PAGES DE l'hISTOIRE DE FRANCE 829 

nienne ou mérovingienne, qui lui a succédé en France et pour 
ainsi dire dans l'Europe entière, a conservé un reflet assez 
important du Marnien, fortement teinté d'influence byzantine. 

Ce reflet marnien doit d'autant moins surprendre, que 
l'industrie mérovingienne a été introduite et généralisée en 
France surtout par les Burgundes et les Francks, qui se 
relient à nos autochtones répandus dans la Germanie 
ancienne. 

Il y a eu des mélanges, de très nombreux mélanges, qui sont 
venus se fondre successivement dans le noyau autochtone. 
Au lieu de le détruire, ils n'ont fait qu'activer sa vitalité. Ce 
sont précisément ces mélanges qui ont donné au caractère na- 
tional ses qualités et ses défauts. Mais, si des éléments fort 
divers sont groupés, il y a un fait incontestable, c'est que la 
nationalité est si bien établie, que, sous le rapport du patrio- 
tisme, un seul et même cœur bat dans la poitrine de tous les 
Français ! 



FIN 



TABLE DES MATIERES 



INTRODUCTION 

Chapitre Premier. — Programme. 

Pages. 

Origine du livre et plan i 

i^c base : la Bible 2 

2" base : les Légendes 3 

3* base : les Textes 6 

4* base : la Linguistique . . . ^ 8 

5^ base : Histoire des religions. . 9 

6c base : l'Anthropologie . 10 

7e base : la Palethnologie 12 

Chapitre IL — Race. Langue. Nationalité. 

Les trois termes i3 

Race i3 

Langue i5 

Nationalité 23 



PREMIÈRE PARTIE 

DOCUMENTS HISTORIQUES 

Chapitre Premier. — Atlantes. 

Atlantide de Platon 25 

Terres entre l'Afrique et l'Amérique . 27 

Habitants de l'Atlas . 29 

Chapitre II. — Egypte. 
Grande Mer et Grand Circuit 3o 



332 TABLE DES MATIÈRES 

Chapitre III. — Phéniciens et Carthaginois. 

Pages. 

Phéniciens 33 

Stèle de Marseille 34 

Nîmes 35 

Carthaginois 3; 

Chapitre IV.— Grecs. 

Archéologie, monnaies, inscriptions f^l 

Colonies grecques 43 

Corse et Sardaigne ." 45 

Chapitre V. — Ligures. 

Liste chronologique des auteurs 47 

viiie siècle avant notre ère 5i 

V® siècle 52 

Ligures de la mer Noire. 53 

Ligures en Italie 53 

Ligures en Espagne K 

Ligures du nord-ouest et de la Loire 56 

Valeur du mot Ligure. 5; 

Caractères ethniques . 58 

Chapitre VI. — Ibères. 

Ibères en Espagne 59 

Ibères en France 6i 

Aquitains, Basques, Silures, .j^ 62 

Méditerranée et mer Noire - 63 

Bebryccs ■ * 66 

Chapitre VII. — Celtes. 

Méthode chronologique 67 

v<î siècle avant notre ère 68 

iv° siècle. 70 

11° siècle. Polybe 71 

ic' siècle. César, Strabon 72 

Ère actuelle 75 

Conclusions. .* 76 

Chapitre VIII. -7 G al at es et Gaulois. 

Apparition du nom. Pauganias 78 

Celtes et Galates. Polybe. - . / 80 

Gaulois de France. César r> 86 

Strabon. Tite-Live. Ère actuelle 87 

Temps modernes 90 

Celtes et Gaulois synonymes ,92 

Valeur relative des textes 95 



I 



TABLE DES MATIÈRES 333 

Chapitre IX. — Romains. 

Pages. 

jpation romaine 96 

quête 97 

élément 98 

îrvissement. Transportation 99 

•ulement 99 

rsions. Invasions loo 

ations 101 

ence romaine . loi 

Chapitre X. — Germains. 

jres et Teutons io3 

^es io5 

Tianie, coup d'œil général . 106 

es. Gaulois. Germains ..... 107 

nanie d'après Pline 110 

îté de race. Portrait ^ 111 

litude des Gaulois et des Germains ii4 

Chapitre XI. — Passage des Barbares. 

e des Romains contre l'envahissement 118 

sions par mer 120 

sions par le Rhin 120 

sions par les Alpes. 124 

Chapitre XII. — Burgundes et Francks. 

^undes i25 

icks 126 

jine des Francks. 127 

imbres 129 

mologie du nom Franck i3o 

les des Germains et des Francks i3i 

isades 182 



Chapitre XIII. — Conclusions. 

îthnologie, objections et progrès 182 

Oman historique i34 

ulations mobiles et flottantes i85 

ulations foncières . 187 

urs de copistes et faux renseignements 189 

étions des mouvements de population i4o 

j des migrations 142 

imé des conclusions . 143 



33/i TABLE DES BfATIÈRES 



DEUXIÈME PARTIE 



DÉDUCTIONS LINGUISTIQUES 



Chapitre Premier. — Linguistique ou science des langues. 

Pages. 

Philologie et Linguistique i45 

Distribution des Langues i48 

Théorie aryenne i49 

Langues et migrations i53 

Langues et races i56 

Chapitre IL — Langues ûe France. 

Basque iBô 

Breton et Gaulois io8 

Latin et Français 160 

Catalan 162 

Allemand et Flamand i63 

Chapitre III. — Ecritures de France. 

Alphabets 164 

Gravures des Mégalithes 167 

Origine des armoiries . . . ' 170 

Pierres à cupules Y]k 

Sculptures sur rochers 175 

Récapitulation 178 

Chapitre IV. — Étymologies. 

Difficultés des étymologies ... 179 

Rapprochements exagérés 181 

Dérivés de Galli 182 

Boïens et Vénètes i84 

Valeur des théories ethnologiques 186 



TROISIEME PARTIE 

DONNÉES PALETHNOLOGIQUES 

Chapitre Premier. — Classification. 

Préhistorique et protohistorique ... 189 

Ages de la pierre, du bronze et du fer 190 

Paléolithique , 191 

Tableau de classification h)2 



TARLE DES MATIÈRES 335' 

Chapitre IL — Paléontologie. 

"-,. ., Pages. 

ine delà vie -r^-. _.' . . . 194 

eloppement des plantes 195 

eloppement des animaux 196 

rtébrés 197 

ébrés . 199 

cession des faunes 202 

Chapitre III. — Transformisme. 

itionismc 2o3 

isformisme ...... 2o5 

ivcs du transformisme . 20p 

'itrp: IV. — Précurseur de l'homme et Pithécanthrope. 

ime tertiaire. 2ï3 

mme essentiellement quaternaire 216 

nition du quaternaire ." . 217 

•urseur de l'homme 218 

jes fossiles . 219 

écanthrope 221 

eloppement du cerveau . 224 

Chapitre V. — Paléolithique. 

léen et Acheuléen 227 

stérien 281 

iaire 233 

î de l'apparition de l'homme 284 

tréen , 287 

dalônien. 2^8 

césentations d'hommes magdaléniens 241 

Chapitre VI. — Néolithique. 

cassien. 247 

pignyen 249 

ienoisien 249 

[îvasion de la France . . 25o 

Chapitre VII. — Protohistorique. 

inc de In métallurgie 253 

du bronze 256 

)duction du fer 260 

îtatlicn 262 

lien 269 

pitulation palethnologiquç s., . .....,.,,..-. 278 



336 TABLE DES MATIÈRES 



QUATRIÈME PARTIE 

DOCUMENTS ANTHROPOLOGIQUES 



Chapitre Premier. — Race de Néanderthal. 

Pages. 

Squelelte.de Néanderthal 275 

Fragment de crâne de Cansladt 276 

Crâne d'Eguishelm 277 

Marcilly et Bréchamps 278 

Ossements de Denise . . 280 

Mâchoire de Malarnaud 282 

Mâchoire et os de la Naulettc 288 

Squelettes de Spy. 284 

Squelette de Tilbury. .......... 287 

Crâne de Bury-Saint-Edmunds 288 

Type de Néanderthal 290 

Chapitre II. — Race de Laugerie. 

Squelette de Laugerie-Basse 295 

Squelette de Chanccladc . 297 

Squelette inférieur de Sordc 3oo 

Race de Laugerie 3o2 

Indications écartées 3o4 

Origine de la race de Laugerie 3c« 

Mâchoire d'Arcy 3o8 

Chapitre III. — Premières Invasions. 

Sépultures de Cro-Magnon 3ii 

Sépultures des Baumes-Chaudes 3i2 

Invasion brachycéphale 3i5 

Grands dolichocéphales 817 



CONCLUSIONS 



Premières pages de l'histoire de Franck 821 



27-1-;. — Tours, imp. E. Arrault et C*. 



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La Bibliothèque scienlifique internationale n'est pas uue entreprise de librai- 
rie, ordinaire. C'est une (puvre dirigée par les auteurs mêmes, en vue des 
intérêts de la science, pour la populariser sous toutes ses formes, et faire con- 
naître immédiatement dans le monde entier les idées originales, les directious 
nouvelles, les découv(>rtes importantes qui se font chaque jour dans tous les 
pays. Chaque savant expose les idées qu'il a introduites dans la science et con- 
dense, pour ainsi dire, ses doctrines les plus originales. On peut ainsi, sans 
(|uitter la France, assister c^t participer au mouvement des esprits eu Angle- 
terre, en Allemagne, en Amérique, en Italie, etc., tout aussi bien que les 
savants mômes de clru'un de ces pays. 

La Bibliollikque scientifique internationale ne comprend pas seulement des 
ouvrages consacrés aux sciences physiques et naturelles, elle aborde aussi les 
sciences morales, conmie l;i pliilosophi«% l'histoire, la politique et l'économie 
sociale, la haute législation, etc. ; mais les livres trait;mt les sujets de ce 
genre se rattachent encore aux sciences naturelles, en leur empruntant les 
méthodes d'observation et d'expérience qui les ont rendues si fécondes depuis 
deux siècles. 



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de M. HelmhoUz sur le même sujet, avec 8 planches tirées à part et nom- 
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Pettigrew. Le locomotion chez les animaux, avec 130 fig. 2® édit. 6 fr. 

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O.Schmidt. Descendance et darwinisme, avec figures. 6® édition . . 6 fr. 

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Herbert Spencer. Les bases de la morale évolutionniste. 5« édition. 6 fr. 
Th.-H. Husley. L'écrevisse, introduction à l'étude de la zoologie, avec 82 fi- 
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