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I>'«2 1'tMi.tliiN? LIMillsiTIÇrEJ!
K'ppait. acquérait un srand éclat, puis peu à peu s'cHa^t
la laniïuc 'Jvnl.uiie l'voluliim analotrue se produisait dans le
>Ii«ii, on Ci* 'lui ooncorno la langue il'Oc, parrois désignée
!i.>u* le nom jn-nt-rimio lU' l'roveneal.
Les XII- et \ni' sieile? furx'nt rAcedordelaliltti'ralurcpro-
ven'.a't-, lii-nl les [iliis aui.iens ducumentâ romonlenl à une
Pl*>"iue bien aiilérifiire.
Catalan en France, por A. HoveijicevE.
Le Provent;nl pri>|in.'nient dit existe encore, éclipst* par 1*
inçais. ijui se p'uéralise partout. Il va sans dii-e que !■
Vgue d'Oïl au;>si bien que la Inn^^ue d'Oc se sulxlivisaien
41 un grand iKunbix' d'idiomes ou simples dialectes |)orlan
/te noms de nos diverses provinces. Plusieurs ont eu dos li*
Uratures sjKViales. Peu A peu l'unité de la langue frani;ais<
prenant plus de consistance, les divers idiomes et dialectes d<
vinrent successivement de simples patois, dont bon nonibi'
existent encore, quoique ayant une tendance à disparaître.
Catalan. — Le Catalan, qu'il soit une langue bien dî-
liocte ou tout simplement un dialcclo novo-latin, se Aév*.
ioppc on Espagne et pénètre encore de nos jours en Franc
LANGUES DE FRANCE
l63
dans une grande partie du département des Pyrénées-Orien-
tales (fig. 25).
Allemand et Flamand. — Si maintenant^ remontant vers
le Nord, nous étudions la partie de Tancienne Gaule qui est
comprise entre le Rhin et les côtes de la mer du Nord, nous
\j0raÊfelùtes,'
\
tSaurbeurq
S^Om
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\}\*yVizt£en. ^
LimUf en. France,
éii^françaiMet.ttu.^/îemtanéù
d. 'eunrt Cotxssemœker.
Limite dee d^ftart ^
du Non/ et daPaetle Calait
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^ WiHa* ^'^W^I^ASTîi '" ^kttfMeratua,
Aire. • ^ — --^N ^«ttir/^by^*"*'^
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Fio. 26. — Carte du Flamand en France, par A. Hovelacque*
nve
y trouvons l'Allemand en Alsace et en remontant la
gïuche du Rhin ; puis le Hollandais vers les embouchui
^ fleuve et le Flamand en redescendant le long des côl
«mer du Nord. Tous les trois font partie de la branchi
'•ngues germaniques. Nous n'avons rien à dire de TAllei
fût pour le moment, ne dépasse presque plus la frontiJ
l^wus nous devons nous occuper du Flamand, qui des
i^ue dans une partie du département du Nord (fig. 26).
flamand et Hollandais appartiennent au Vieux-Saxon,
^ûslituent le Néerlandais. Ils sont très voisins et ont été ro» J
ptrdés comme de simples dialectes, ce que n'admet méin6
FORMATION
DE LA
NATION FRANÇAISE
TEXTES — LINGUISTIQUE
PALETHNOLOGIE — ANTHROPOLOGIE
PAR
Gabriel DE MORTiLLET
Professeur à l'École d'Anthropologie
AVEC 153 GRAVURES ET CARTES DANS LE TEXTE
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PARIS
ANCIENNE LIBRAIRIE GERMER BAILLIÈRE ET c'®
FÉLIX ALCAN, ÉDITEUR
108, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, I08
Tous droits reséry^s
THENEWYORK
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TILO£N FOUNDATiONS.
1Ô97.
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M. LE D" DESPAGNET
C'est grâce aux progrès des sciences médicales que fai pu
terminer ce livre. Œuvre de longue haleine^ mon travail a
été interrompu par une affection de la vue. Le D^ Despagnet,
en m'opérant de la cataracte^ m'a permis de le mener à bonne
fin. Le lui dédier n'est que justice,
G. DE MORTILLET,
FORMATION
DE LA
NATION FRANÇAISE
INTRODUCTION
CHAPITRE PREMIER
PROGRAMME
Origine du livre et plan. — Noire regretté maître et
ami Paul Broca, grâce au concours simultané de collègues
dévoués, de donateurs généreux, de la Ville de Paris et du
Gouvernement, fondait, en 1875, T École d'anthropologie de
Paris, œuvre capitale de TAssociation pour renseignement
des sciences anthropologiques. Association et École ont été
reconnues d'utilité publique par une loi spéciale le 22 mai 1889.
C'est le premier établissement d'instruction privée et, jusqu'à
présent, le seul qui a eu cet honneur, honneur qui nous a créé
des devoirs. Nous nous sommes efforcés d'épurer et d'élar-
gir notre enseignement. Le nombre des professeurs, qui pri-
mitivement était de cinq, est monté à dix.
Comme député, j'avais pris avec mon collègue et ami Yves
Guyot une part active à la reconnaissance d'utilité publicpie.
Par un sentiment tout à la fois de patriotisme et de reconnais-
sance, j'ai cru devoir consacrer mon cours de 1889-90 aux
Origines de la nation française. C'est ce cours qui a donné
naissance au présent livre.
G. DE MORTILLET.
INTRODUCTION
Loin de moi la pensée de produire une nouvelle histoire de
France. Nous en possédons de tous les formats et de toutes
les dimensions, écrites dans les styles, les tendances d'esprit
et les points de vue les plus variés. Parmi elles, il en est
d'excellentes ; le remarquable travail d'Henri Martin (i); entre
autres, me semble contenir tous les renseignements historiques
actuellement connus. Mais par où me paraissent pécher
toutes ces histoires, même celle d'Henri Martin, bien que cet
auteur ait été président de la Société d'anthropologie de
Paris, c'est par leur point de départ. Dans leur début,
dans leur commencement, toutes ont donné trop de place à la
légende et à l'imagination, pas assez à l'histoire naturelle de
l'homme et à la palethnologie. C'est la méthode inverse que
je me propose de suivre. Je ne veux tenir compte que de
l'observation directe et ne m'appuyer que sur la discussion
impartiale et précise des textes et des faits.
Textes, documents et faits deviennent de plus en plus rares
à mesure qu'oi>remonte dans le temps. Je les recueillerai et
les examinerai tous avec le plus grand soin afin d'éclairer
autant que possible nos origines et d'élargir le cadre de notre
histoire. Je ferai successivement appel à toutes les sciences
d'observation, et, quand j'aurai recours aux textes, je les sou-
mettrai à la plus froide critique et à l'analyse la plus com-
plète.
Telle est ma manière, tel est mon plan. Mais, avant d'entrer
en matière, il est bon, je pense, de jeter un coup d'oeil sur la
marche qu'a suivie l'étude de nos origines. Nous pourrons
ainsi apprécier la valeur des diverses bases sur lesquelles oa
s'est successivement appuyé.
V base : la Bible. — De prime abord, on a eu recours
à la Bible, Elle était considérée comme le livre par excellence,
ainsi que l'indique son nom. Ce livre était censé tout conte-
nir. C'était un livre révélé, qui ne pouvait par conséquent ni
se tromper ni nous tromper.
Mais il suffit d'un examen sommaire pour reconnaître que
celle belle réputation n'est pas le moins du monde méritée.
En effet, la Bible prétend, chapitres i et 2 de la Genèse, que les
(i) Ukmu Maiîtin, Flisloire de France, 4" édition refondue, i855 à
i8()o, iG volumes in-8.
PROGRAMME
premiers hommes créés ont été Adam et Eve. Pourtant, deux
chapitres plus loin, on trouve un verset i4 dans lequel Caïn,
fils d'Adam, dit à Dieu : « Je serai fugitif et vagabond sur la
terre. Quiconque donc me trouvera, me tuera (i). » Il y avait
donc des Quiconques en dehors de la famille du premier
homme : ce ne sont pas là des documents bien précis. Mais
passons et arrivons au déluge.
« Noé avait trois fils qui sortirent de Tarche : Sem, Cham
et Japhet. Or Cham est le père de Chanaan.
« Ce sont là les trois fils de Noé, et c'est d'eux qu'est sortie
toute la race des hommes qui sont sur la terre (2). »
Cham ayant regardé d'un air moqueur la nudité de son
père, Noé, qui probablement n'était pas encore complètement
dégrisé, a maudit Chanaan, qui était parfaitement innocent,
et Dieu, tout aussi injuste, a asservi ses descendants, encore
bien plus innocents, à ceux des deux frères de Cham. Tous
les hommes, qu'ils soient blancs, jaunes ou noirs, descendent,
d'après la Bible, de cette famille blanche. Les changements se
firent avec la plus grande rapidité, puisque les documents his-
toriques nous montrent les nègres existant dès la plus haute
antiquité. Jamais les plus ardents transformistes n'auraient
osé admettre une pareille modification en si peu de temps.
D'après la chronologie biblique, le déluge a eu lieu il y a
environ 5ooo ans. Or nous savons que la civilisation et
le royaume d'Egypte existent depuis 7000 ans environ.
Cela suffit pour établir qu'on ne peut s'appuyer sur le récit
biblique, qui est purement et simplement une légende. D'au-
tant plus qu'un déluge universel est impossible : toutes les
eaux du globe terrestre, même en faisant appel aux cata-
ractes du ciel et aux abîmes, ne peuvent couvrir en môme
temps toutes les plaines et surtout toutes les plus hautes mon-
tagnes de la terre. JLa Bible, du reste, est pleine de légendes
et de mythes, comme le montrent les 969 ans de Mathusalem
et l'enlèvement d'Hénoch monté au ciel tout vivant.
2® base : les Légendes. — Les légendes ayant partout
précédé l'histoire, on les a examinées, étudiées, scrutées, espé-
(1) La Bible, Genèse, ch. iv, v. i4i traduction Le Maislre de Sacy, la
plus généralement adoptée.
(2) Genèse^ <îh. ix, v. 18 et 19, traduction Le Maistre de Sacy;
4 INTHODICTION
rant y puiser quelques documents concernant nos origines.
Vain espoir. Elles n'ont rien fourni de positif, de certain. Pro-
duits de rimagination, elles alimentent l'esprit de chimères
ou tout au plus de données et d'idées vagues et générales,
aussi les laisserons-nous habituellement de côté. Pourtant, il
me paraît nécessaire de démontrer (|u'elless'infdtrent partout,
qu'elles se forment avec la plus grande? facilité et qu'elles sont
fort difficiles à détruire une fois établies. 11 faut donc grande-
ment s'en méfier.
Il y a 3ooo ans, la ( irèce était encore en pleine époque légen-
daire avec l'expédition des Argonautes et le siège de Troie. Elle
touchait même encore aux temps mythologiques, les héros des
deux légendes étant presque des demi-dieux. Castor et Pollux
ainsi (|u'Orphée faisaient partie des Argonautes. Un siècle ou
deux auparavant, Apollon avait bâti les murs de Troie.
La fondation de Rome, d'après les Romains eux-mômes, ne
date que de 2()49 ans ou en d'autres termes de 768 ans avant
notre ère, pourtant la naissance de ses fondateurs est une pure
légende. Romulus et Rémus, fils de Mars et de la vestale Rhéa
Sylvia, abandonnés, furent nourris par une louve sauvage.
Certains auteurs, parmi lesquels plusieurs d'un grand renom,
sont allés jusqu'à considérer non seulement Romulus et Ré-
mus, mais encore leur successeur Numa Pompilius comme
des créations légendaires.
Naturellement, la légende brille de tout son éclat encore
bien plus tard en France qu'en Italie. Nous nous contenterons
de citer celle qui concerne la fondation de Marseille.
599 ans, dit-on, avant notre ère, Protos, venant de Phocée,
ville grecque de l'Asie Mineure, avec une flotte, aborde vers les
bouches du Rhône. Voulant entrer en relations amicales avec
les habitants du pays, il se rendit aui)rès de Nans, leur chef.
Il arriva juste le jour où la fille de ce chef, Gyptis, suivant
l'habitude locale, devait se choisir un mari en ofîrant sa
coupe pleine au jeune homme choisi. Protos et les Phocéens
qui l'accompagnaient furent invités à la fête. Mais quel ne
fut pas Téton neiuent général quand Gyptis, au lieu de choisir
un de ses compatriotes, présenta la coupe à Protos.
Malgré sa surprise, le père, fidèle aux traditions, sanctionna
ce choix et céda aux Phocéens un territoire, sur lequel ils
s'empressèrent de construire Marseille.
PROGRAMME D
A la mort de Nans, Coman son successeur, hostile aux
Phocéens, n^solut de les surprendre et de les détruire.
II projeta de profiter du moment où les Marseillais célé-
braient la fêle de Flore. Sous prétexte de prendre part à la
fête, il devait envoyer dans la ville des chars couverts de
feuillage cachant des hommes armés. Lui-même embusqué
dans le voisinage se tenait prêt à pénétrer dans la ville. Ce
complot fut dévoilé par une femme indigène amoureuse d'un
Phocéen. Les Marseillais avertis s'avancèrent et tombèrent
sur Coman, qu'ils battirent et tuèrent.
N'est-ce pas le cas de dire avec Anatole de Barthélémy:
« Pour peu que Ton ait étudié l'histoire et ses sources, on
est surpris, quelle que soit l'époque dont on s'occupe, de
constater combien les récits légendaires s'imposent vite et
facilement (i). »
En effet, les légendes se forment à très courtes échéances,
parfois elles sont presque contemporaines des événements
qu'elles dénaturent complètement ; elles se répandent très ra-
pidement malgré l'opposition des hommes éclairés et de bonne
foi ; enfin il est fort difficile de les déraciner. Je ne citerai que
quelques faits à l'appui, faits dont j'ai été témoin.
Il y a une douzaine d'années, allant avec les auditeurs de
mon cours de l'Ecole d'Anthropologie visiter les monuments
mégalithiques de Maintenon, les habitants de cette char-
mante localité nous montrèrent avec orgueil le château dans
lequel M™® de Maintenon venait faire ses farces avec Louis XIV,
et un peu plus loin les magnifiques ruines de Vaqïieduc ro-
main.
Ce fut en 1674 que Louis XIV acheta le château de Mainte-
non pour le donner à la veuve Scarron, et les travaux du gi-
gantesque aqueduc destiné à amener l'eau de l'Eure à Ver-
sailles furent exécutés de 1684 à 1688. Ainsi, malgré d'abon-
dants documents historiques, malgré les nombreux ouvrages
écrits sur le règne de Louis XIV, malgré l'instruction qui se
répand de plus en plus, il a fallu moins de deux cents ans
pour faire attribuer, par toute une population, aux Romains
les constructions grandioses du grand roi et pour faire mé-
(1) Anatole de Barthélk.my, Tempa antiques de la Gaule^ \k o, \^Tl^
extrait de la Revue des questions hist.
6 INTRODUCTION
connaître les relations mystico-religieuses qu'il eut avec
M"»« de Mainlenon.
Plus fort encore, en plein Paris, immédiatement après les
journées de juin i848, s'établit une cruelle et sanglante
légende qui, la passion politique aidant, envahit en quelques
jours la France et le monde entier. On prétendait que des
dragons faits prisonniers par les insurgés avaient eu les
poignets coupés et que des mobiles avaient été sciés
vivants entre deux planches par des femmes. Une d'elles fut
arrêtée sous cette terrible inculpation. Elle passa en conseil
de guerre. Ces conseils étaient très sévères mais justes.
Après enquête faite à la Place, il fut reconnu, non seule-
ment qu'aucun soldat n'avait été mutilé ni torturé, mais qiie
dans le cas présent l'accusée s'était dévouée à soigner
les blessés insurgés et militaires. Elle fut acquittée en rece-
vant les compliments des juges. Ainsi tomba la légende, qui,
pourtant, a probablement encore quelques croyants. Cela
suffit pour montrer ce que valent les légendes. Aussi les
laisserons-nous de côté. Et, si exceptionnellement nous
sommes forcé d'y avoir recours, nous ne nous en servirons
qu'avec beaucoup de prudence et de circonspection.
3® base : les Textes. — Nous arrivons aux textes dits
historiques, qui souvent ne sont que des légendes écrites.
Même en les acceptant comme bons, peuvent-ils nous être
fort utiles?
Non, car ils ne remontent qu'à une antiquité très res-
treinte.
Le nom des Aquitains ne paraît que dans le V^^ siècle
avant notre ère.
Celui des Belges et des Cimbres dans le second.
Les Germains et les Celto-Ligures dans le troisième.
Timée, vers l'an 264 avant notre ère, dans son Histoire^ est
le premier qui parla de Galatcs, FaXaTat.
Caton, dans ses Origines^wev» l'an i65,cite pour la première
fois les Gaulois, Galli, Je sais qu'on dit qu'il a puisé ses
renseignements dans les Annales maximi des Pontifes. Mais
nous ne connaissons pas ces Annales des Pontifes, et dans
tous les cas elles ne remonteraient qu'au iv*' siècle.
Hécatéc de Milet, qui vécut de 525 à 475, fournit la pre-
mière mention des Celles, KeXxoi, eA des Ibères.
PROGRAMME
Peu après, Hérodote, 46o à 4o6, parle aussi des Ibères.
La population de France et de ses environs la plus ancien-
nement citée est celle des Ligures. Pourtant son nom ne
remonte pas aU delà d'Hésiode, dont on ne connaît pas bien
Tépoque, mais qui probablement vécut au vin® siècle avant
notre ère. Son œuvre n'est qu'une légende mise en vers.
Pour retrouver le nom des Ligures dans des documents his-
toriques, il faut descendre à Hécatée et à Hérodote.
On peut donc dire carrément que les plus anciens rensei-
gnements écrits concernâlit les populations de l'Occident ne
remontent pas à plus de 5oo ans avant notre ère, ou d'une
manière générale à 2400 ans.
Ce n'est pas la moitié du temps accordé à l'ensemble des
évolutions humaines même par les chronologies les plus mo-
dérées. La chronologie biblique, la plus courte de toutes, fait
créer l'homme 4ooo ans avant notre ère, c'est-à-dire il y a
5900 ans. Quant à la chronologie égyptienne, basée sur des
données solides, elle nous reporte à plus de 7000 ans. Une
belle civilisation florissait déjà au bord du Nil sous Menés,
5ooo ans avant notre ère.
Nous passerons en revue les textes anciens, en ayant soin
de tenir bien compte de leur date, ce qui a été trop négligé
jusqu'à présent. Un texte est d'autant plus important qu'il se
rapproche davantage du fait qu'il concerne. Un autre texte
bien postérieur n'est généralement qu'une simple répétition
ou l'énoncé d'une légende.
Nous tirerons des textes, comme nos devanciers, tout le
parti possible. Malheureusement, en ce qui concerne les popu-
lations de l'ouest de l'Europe, la période chronologique reste
pour plus de la moitié de sa durée dans l'obscurité la plus
complète. Les documents écrits font entièrement défaut. Dans
les cinq premiers siècles, ces documents sont môme si rares,
si concis, si peu précis, qu'on peut les considérer comme
presque nuls. On n'en compte à peu près qu'une centaine
avant César. Pour nous, la période historique basée sur le
récit des auteurs ne remonterait donc qu'à environ 2000 ans,
ou au commencement de notre ère. Au delà, ces textes
ne sont le plus souvent que de simples citations de noms.
Fréquemment ils se réduisent à des reproductions de rensei-
gnements erronés. C'est ainsi que, dans la çvcrcvV^Ye ^^\\Afô ^\5l
INTRODUCTION
iv*^ siècle avant notre ère, Hérodote, auteur des plus sérieux
qui a bien mérité le surnom de Père de F histoire^ raconte que
rister, le Danube actuel,* prend sa source ù Pyrène, dans les
Pyrénées, et de Pyrène cet auteur fait une ville, au lieu
d'une chaîne de montagnes.
S'il est un fait qui dut frapper les Romains, ce fut certaine-
ment l'invasion de l'Italie par Annibal. Ils subirent les plus
cruelles défaites qu'ils aient jamais éprouvées, et ils furent à
deux doigts de leur perte. Ce fait eut lieu seulement 216 ans
avant notre ère. Deux auteurs anciens ont écrit sur ce sujet :
Polybe,né seulement^ ans après l'événement, et Tite-Live, iSy,
mais ce dernier eut en main tous les documents désirables. Eh
bien, les récits des deux auteurs ne concordent pas. Ces récils
oifrent les plus grandes variantes et sont si peu clairs, que le
seul passage des Alpes a donné lieu à quatre-vingts disserta-
tions dont les résultats sont des plus disparates.
On fait passer l'armée carthaginoise par six cols différents,
échelonnés du Mont-Viso, entre les départements des Basses
et des Hautes-Alpes, au Grand-Saint- Bernard, en Suisse.
Les textes anciens sont si peu clairs, que nous discutons
depuis plus de 200 ans pour savoir si les mots Celtes et Gau-
lois sont synonymes ou non !
4" base : la Linguistique. — Des textes si peu précis et
surtout remontant à une antiquité si peu reculée ne pou-
vaient être d'une grande utilité pour déterminer les origines
des F'ranrais. Nous avons donc dirigé nos études vers les
sciences nouvelles qui ont plus ou moins de rapports avec la
question qui nous occupe :
La Linguistique ;
L'Histoire des religions ;
L'Anthropologie ;
La Palethnologie.
L'étude approfondie des mots et des grammaires a fait
reconnaître que les langues sont des êtres que l'on peut dé-
finir et classer, tout comme les plantes et les animaux. Elles
se rapprochent plus ou moins par des caractères communs, ou
s'éloignent les unes des autres par des caractères différentiels,
bien tranchés et bien déterminés. On peut donc ranger les
langues par groupes et par grandes familles. C'est ce qu'on
appelle la filiation des langues.
PROGRAMME 9
Parmi ces grandes (amilles, il on osl une qui a (^l? bien défi-
nie et fort étudiée. C'est celle des langues dites aryennes ou
indo-européennes.
Elles tirent leur nom de TArya, ancienne région asiatique,
qui occupait à peu près la Bactriane. De ce point d'origine, la
langue mère se serait répandue, en se modifiant de plus en plus,
d'une part dans l'Inde, tandis que de l'autre elle aurait envahi
presque toute l'Europe.
Cette diffusion delà langue a été attribuée à des migrations
de populations. Il y aurait eu surtout deux grands flots enva-
hisseurs de l'Europe, qu'on a baptisés des noms de Gaëls et de
Kimris.
C'est simple et séduisant, aussi la théorie nouvelle fit-elle ra-
pidement son chemin. Elle fut généralement admise et devint
presque, vers le milieu du xix® siècle, un article de foi. Pour-
tant quelques esprits moins enthousiastes, tout en reconnais-
sant l'importance des données de la linguistique, examinèrent
si elles avaient la portée et toute la généralité qu'on leur attri-
buait. Ils examinèrent surtout leurs corrélations avec l'anthro-
pologie, et se demandèrent s'il y avait un rapport aussi intime
qu'on le prétendait tout d'abord entre les langues et les races.
Question majeure que nous approfondirons au chapitre sui-
vant, car il est bien nécessaire de nettement définir les termes
et de fixer leur véritable sens.
Pour montrer qu'il n'est pas besoin d'un changement de
population pour qu'il y ait changement complet de langue, il
suffît de citer la conquête des Gaules. Le territoire français
n'a jamais été occupé que par une quantité relativement infime
de Romains, et pourtant la langue gauloise a complètement et
rapidement disparu devant le latin.
5® base : Histoire des religions. — L'histoire des croyances
et des rites religieux, si bien exposée par André Lefèvre à
l'Ecole d'anthropologie, a marché parallèlement avec la lin-
guistique. On en a voulu tirer des conclusions analogues.
Elles sont encore moins concluantes, car il suffit d'un petit
nombre de missionnaires pour convertir des régions en-
tières.
Qui oserait, par exemple, émettre l'idée que tous les chré-
tiens, ou bien tous les musulmans, appartiennent à une seule
et même race?
lO INTRODUCTION
N'importe, nous examinerons les données fournies par ces
deux sciences.
6® base : TAnthropologie. — Nous arrivons maintenant
à une science qui pour nous a une bien autre importance,
c'est l'Anthropologie ou étude de l'homme.
Elle devrait nous suffire, les vivants nous faisant connaître
la population actuelle, les morts nous renseignant sur les
populations anciennes. Sous ce double rapport, Tillustre fonda-
teur de la Société d'anthropologie, Paul Broca, ft donné une vi-
goureuse impulsion. Non seulement il a publié de mémorables
travaux, mais il a su grouper autour de lui bon nombre d'in-
vestigateurs qui ont puissamment contribué à l'œuvre com-
mune. L'un d'eux, Gustave Lagneau, résumant toutes les
recherches, tous les travaux, et les rapprochant des textes
anciens, a publié, en 1879, sous le titre d'Anthropologie de la
France (1) un excellent ouvrage, destiné à servir de base à
toutes les recherches à venir.
Mais tous les travaux sur la population de la France démon-
trent une chose, c'est que ce pays non seulement n'est pas
occupé par une race spéciale qu'on pourrait appeler race fran-
çaise, mais qu'il y a en fait de population un mélange de types
et de races des plus compliqués.
C'est tout naturel.
La palethnologie nous révèle dès les temps les plus reculés
plusieurs flux et reflux de populations dans les régions qui
forment la F'rance actuelle.
La linguistique a fait admettre au moins deux grandes inva-
sions de l'Europe occidentale : celle des Gaëls et celle des
Kimris.
L'histoire, plus près de nous, dans la seconde moitié de
l'existence des peuples, est pleine d'invasions, d'expéditions, de
conquêtes. Du moment où il en est ainsi pour la seconde
moitié, on peut bien supposer qu'il en a été de même pour la
première.
Aussi des pays voisins de bien moindre dimension contien-
nent-ils plusieurs races. La Belgique en compte au moins
deux, les Wallons et les Flamands. D'après Rûtimeyer et His,
(i) G. Lagneau, Anlhropolocjie de la France ; Paris, 1879, in-8. Extrait
du Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales .
\
PROGRAMME 1 1
la Suisse en renferme quatre. La France, beaucoup plus
étendue, avec des conditions lopographiques et climatériques
plus variées, des points d'accès plus nombreux dirigés dans
des sens fort divers, doit en compter bien davantage. Ces
diverses rades, avec beaucoup de soin et de critique, on peut
encore les débrouiller. Mais bientôt ce ne sera plus possible.
La facilité des communications, postes, télégraphes, télé-
phones, chemins de fer, la concentration des populations dans
les villes et les centres industriels, Thabitude des villégiatures,
les mouvements d'ouvriers produits par les grands travaux, et
principalement la dissémination des fonctionnaires sur tout le
territoire, ainsi que le service mihtaire obligatoire, occasion-
nent des déplacements et des mélanges qui tendent à fondre
ensemble toutes nos races.
Ainsi, étant maire de Saint-Germain-en-Laye (Seine-et-Oise)^
j'ai fait le relevé des mariages qui ont eu lieu dans cette ville
de 1878 a 1882(1).
Pendant cette période de cinq ans, le nombre des mariages
s'est élevé à 598, représentant 1,186 conjoints qui se répartis-
sent ainsi :
Hommes Femmes
De Saint-Germain 98 182 -
De Seine et 5eine-et-0ise i45 i3i
,De 77 autres départements, compris le Haut
et le Bas-Rhin 829 264 -
De l'Algérie 3 1
De 11 pays étrangers 18 i5
Si nous considérons les conjoints sans distinction de sexe,
nous aurons :
Pour cent.
Saint-Germain 280 28,61
Seine et Seine-et-Oise 276 28,27 ^
Autres départements et Algérie 697 5o,34
Pays étrangers 33 2,78
1 186 100,00
Parmi les mariés de Saint-Germain-en-Laye, il n y en a donc
(i) Gabriel de Mortillet, Mélange des popu/afions, i884,iiv-8. E^Vx^vV.
de r Homme, 1884, p. 204.
12 INTRODUCTION
pas un quart ijui soient de la ville. Et ceux-ci, joints à ceux
(les départements de Seine-et-Oise et de la Seine, ne montent
pas à la moiti;\ En chiffres ronds, ceux de la ville, de Seine-et-
Oise et de la Seine ne s'élèvent qu'à 47 pour loo, tandis que
ceux des autres départements et des pays étrangers attei-
gnent 53.
D'après Jacques Bertillon, sur i.ooo habitants de Paris, il
n'y en a que 822, moins du tiers, nés dans cette ville, 38 sont
des autres communes de la Seine, 565 des départements et
des colonies, enfin 75 de l'étranger.
Ce mélange, cet amalgame, cette fusion des races fran-
çaises, augmente tous les jours dans les plus fortes propor-
tions, si bien qu'avant peu il ne sera plus possible de faire un
travail d'ensemble sérieux sur les divers éléments de la popu-
lation française. Frappé de cet état de choses, l'Association
pour l'enseignement des sciences anthropologiques a fait un
appel à l'Association française afin de pouvoir réunir et
publier le plus rapidement possible nos types ethniques.
Excellent travail, des plus nécessaires, mais qui ne nous fera
connaître que la population actuelle.
7^ base : la Palethnologie. — C'est beaucoup, mais ce
n'est pas assez. Il faut forcément remonter dans le passé.
Nous le pouvons en étudiant avec soin les ensevelissements
des diverses époques, à une condition : c'est de faire appel à .
l'archéologie et à la palethnologie pour bien définir et dater
les ossements fournis par chaque ensevelissement. L'archéo-
logie est d'un grand secours jusqu'à l'invasion romaine. Mais
au delà nous entrons dans le domaine du protohistorique et
du préhistorique, qui constituent la palethnologie. C'est donc
cette science qui nous fournira les plus précieux documents
pour reconnaître nos origines. Elle seule peut nous procurer
des données certaines. C'est sur elle que nous appuierons
surtout nos recherches. Mais, comme c'est elle qui doit ga-
rantir rauthcnticitéde la plupart des ossements que nous au-
rons à étudier, nous ferons précéder la partie anthrolopogique
par la partie palethnologique.
RACE, LANGUE, NATIONALITE l3
CHAPITRE II
RACE, LANGUE, NATIONALITÉ
Les trois termes. — Avant d'entrer dans le cœur de la
question, il est utile de bien préciser la valeur de certains
termes dont nombre de personnes saisissent mal le sens.
Ces termes sont :
Race;
Langue ;
Nationalité.
Mon ancien collègue et ami Abel Ilovelacque a, dès 1874,
publié sur ce sujet un excellent mémoire qui a eu une seconde
édition en 1875(1). Je lui fais naturellement de nombreux em-
prunts.
Les trois termes se rattachent du reste à trois branches bien
distinctes des sciences :
La race se rattache directement à l'anthropologie propre-
ment dite ;
La langue le plus souvent à la religiosité et à la politique ;
La nationalité toujours à la sociologie.
Race. — La race se compose d'un ensemble d'individus
présentant des caractères communs transmissibles par héré-
dité, caractères les rapprochant entre eux, en les ditîérenciant
des autres individus de même espèce.
Il y a trois modes principaux de race :
La race d'origine formée d'individus descendant tous d'une
seule et môme souche et constituant pour ainsi dire une V(u4-
table famille; '^
La race de milieu produite par une action prolongée des
mêmes circonstances de vie et des mêmes conditions d'habita-
tion ;
La race de fusion, composée d'éléments divers qui, par suite
d'un long mélange, se sont tellement amalgamés, qu'ils ont
fini par acquérir un type moyen commun.
(1) Abel Hovelacque, Langues, 7?aces, Nationalités, 1875, -i^ édit.,
in-8.
»4
INTRODUCTION
Enfin on désigne sous le nom de race pure une race qui, une
fois formée et bien fixée, quelle que soit du reste son origine,
n'a pas reçu et ne reçoit plus d'éléments différents. Il n'y a
pas de race absolument pure. Il se fait partout des mélanges,
et plus nous allons, plus ces mélanges se multiplient. Si l'on
veut étudier les races humaines dans de bonnes conditions, il
faut donc se hâter. La propagande religieuse, les occupations
politiques, l'extension et le développement ioujours croissants
du commerce et surtout les progrès incessants des moyens de
FiG. 1. — CrAne lon^ ou dolicho-
céphale (1/4 gV' nal.).
FiG. 2. — Crâne rond ou bracbycé*
phale (]/4 gt- nak.)*
transport tendent de plus en plus à mêler et à altérer
races.
La même race peut faire partie de diverses nations. Ainsi
dans les Alpes se trouve une race trapue, vigoureuse, bra-
chycéphale, qui, sous le rapport delà nationalité, se répartit en
France, en Suisse, en Italie, dans le Tyrol allemand.-
Réciproquement, une nation peut être composée de plu-
sieurs races. Rûtimever et His dans leur Crania Helvetica
ont reconnu dans la population suisse quatre races parfai-
tement distinctes.
S'il n'y a pas une race suisse, à plus forte raison il n'y a pas
une race française. La population de la France est très variée,
elle appartient à diverses races fort distinctes.
La tôle est la partie la plus importante pour la différencia-
RACE, LANGUE, NATIONALITÉ l5
Lion des races. Il y a des hommes à tête longue désignés sous
le nom de dolichocéphales (fig. i): ce sont ceux dont l'indice
eéphalique, ou rapport entre les diamètres longitudinal et
Lransversal du crâne, est au-dessous de 78 ; et des hommes à
Lête ronde ou brachycéphales (fig. 2) : ceux dont l'indice atteint
DU dépasse 80. Eh bien, il existe en France des populations
dolichocéphales, surtout dans le Nord, et des populations
brachycéphales, comme les Bretons, les Auvergnats, les Sa-
voyards. Cela suffit pour démontrer que parmi nos compa-
triotes il en est qui appartiennent à des races bien distinctes.
Langue. — Si les races ne caractérisent pas les nations,
les langues ne les caractérisent pas davantage. L'unité de lan-
gage constituant un principe d'unité nationale, est une for-
mule politique qui peut être pleine de chauvinisme, mais j
qui est fausse et sans le moindre fondement.
Le panslavisme, unité des populations de langues slaves ;
Le pangermanisme, unité des populations de langues alle-
mandes ;
L'irrédentisme, unité des populations de langues italiennes;
Le panlatinisme, union des nations parlant des langues d'ori-
gine latine ;
Sont de simples conceptions politiques, dont on se sert
quand il y a profit et que l'on repousse dès qu'il y a désavan-
tage.
Le panslavisme n'a pas empêché le démembrement de la
Pologne et n'a pas fait disparaître l'antagonisme qui existe
entre la Pologne et la Russie.
L'Allemagne, quand elle a voulu s'agrandir, s'est proclamée
ouvertement pangermanique.
« Toute terre où l'on parle l'allemand doit être allemande, »
s'est-elle écriée, ce qui ne l'a pas empêchée d'oublier tous les
pan du monde quand elle s'est emparée de pays ne parlant
pas allemand. Ainsi, dans sa guerre avec le Danemark, qu'elle
se soit annexé le Holstein en invoquant la doctrine du pan-
germanisme, passe encore, l'allemand était parlé dans ce
pays (fig. 3). Mais pourquoi s'est-elle annexé le Schleswig, où
toute la partie nord, la plus étendue, ne parlait que danois?
De même pour la France, l'Allemagne a trouvé bon le sys-
tème de la concordance des langues et des nationalités quand
il s'est agi de l'Alsace, où Ton parlait allemand, el ^ xio\tt^\^-
leraent o\ih\i(i ce système dès qu'il a éti^ question tic la Lor-
raine, tiii l'on parlait pre8(|ue exclusivement français.
Avee son principe : Toute terre où l'on parle allemand doil
âlre allemande, l'Allemagne devrait s'annexer la plus garnie
partie de la Siiissn.
Et puis, comment limiter ce prétendu principe? Les langues
se divisent en langues mères, en langues dérivées, provenanl
des langues mères, el eu idiomes, altérations plus ou moins
profondes des langues mères et dérivées. Où doit s'arrékr
l'action '? Doit-elle emtirasser tout le ^troupe ou seulemenl iim'
partie ?
L'alsaeien est un idiome.-
Le llamantl et le hollandais, (jni ne dillei'onl .|iir par des
nACK, LANGUE, NATIONALITE
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r. — Limilc lie In Inii^uc fr.i/ir.ii^.- en Alloina}^\U'. \>i\v \. \\o\'Y.\.\c^i\:v.
G. DE MOHTILLEr. -X
dôlails de prononciîition, cotistitiicnl une laiijfui! (iérivôt'. Le
pangermanisme tloil-il IVnglobei- comme il a englobé l'alsa-
Mais, MÎ le pangermanisme engage l'Allemagne à sV-U^ndrP
dans certaines dircelions, il doil aussi la pousser à abandon-
ner certaines torn-s ifiii ne parlent pas allemand.
Lii eff I I di I s I 1/ / ad (e ( alla le iH 4 1 mp re
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CMTE LINEUISTIQUE
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L'EMPIRE D'AU. EMABNE
d'Allemagne possède 87.820.000 habitants parlant l'alle-
mand, il compte aussi 3.i5o.ooo habitants |»arlant d'antres
langues (fig. 5), qui se dt^iomposenl ainsi :
■^
5o'ow
Litlumn
ins et Coui'landnis , . .
Frini<;ai
el Wallons
3.150.00O
L'irrédentisme italien réclame à l'Anlriclie Trieste el à
llAr.K, LANGUE, NATIONALITK I9
n OU Tyroi de langue italienne; à la Suisse, le canton
îsin ; à la France, ia Corse et Nice,
rquoi Nice ? A \iee on ne parle pas italien ; la langue
na bien élevés esl le français, et la langue populaire le
sous dialecte du provençal ; or le provençal est un des
s de la langue d oc Linguisliquonienl parlant, Nice
ne bien fran^aib
rquoi les irrédentistes ne réclamenl-ils pas Malte
j"h" ''
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.„^
^ ™, , — ,
.nglais'? Malte est bien plus italien que Nice.
*, d'après leurs principes, les irrédentistes devraient
à l'Autriche les Sclle-Communi de la Vénétie, où l'on
illeinand, ce qui nous ferait tomber dans le système des
es, le pire de tous, et à la France le Val d'Aoste et les
ivaudoisesqui parlent français. Que deviendraient alors
iniières naturelles ? L'Italie n'aurait plus à organiser de
rurs alpins. Y aurait-il grand mal î Ce serait en tout cas
Tilable économie |)our nos voisins.
•anlatinisnie concerne les langues dérivées du latin (Og. 6);
iguessont : le portugais, l'espagnol, le catalan, la tangue
la liingue d'oïl, le roninancbe, l'italien, le roumain. 11
j;it j)as de foire une seule et mt^me nation des Portugais,
;mI ISTUdDI CTKIN
iIcH KspaKiiolw, .los Ki-;nu;iiis. ilc la iiioiliL' di's Belges, des
Rnuniaiirlics de In Suisse, des Italiens el des RoumaiDS. 11
n'est i|ueslioii (]ue d'une union. C'est liîpn différenl, et c'est
l>cnucou|) |diis|»'alii(ue Oriromprend très bien que des popu-
lal u ib ] ai lait 1 t n^ 1 aialo lies, ayant des origines
FDAItCEUNeUISnCUQ
comniiKU's, des lidhitiidps et des mœurs à peu [irÈs semblables,
se IrovivanI dans des eondilions diniat ériques presque iden-
liques, aieni des synijmlldes eninniunes et ehcrchent, tout
en fjardanl leur individiialil:'', i\ s'unir pour faire respecter en
tnni el jinrlout leur pcrsonnalili* el défendre leurs intérêts.
C'est tout rationnel, r'esl on ne peut plus avantageux et cer-
tainement nous verrons un jour t;ctle union. Les pays du via
el du soleil se donneront fraternel lenieni la main.
I.ii nation l'rane.nise, qui esl |ieul-(Mii' uoinim- nation la pl'i»
RACK, l..\>-GLK, >ATIONAt,tTK 31
homo_<ii< df loulf •> lonlif ni pouitanti! sliomiiKsj niant des
langTie'5 toit difK^roiilos Ifip 7 ) Le Lcnilont dt la 1 laïuc-cdi-
Mbc mdciix pailles \|>f upiLstgaksdont ((lltiUi Nord parle la
langue dod cl colledubud If- 1 lionic-dil il in^utdoi rtsduix
langues se subdnisent en iiombrenv pati ]•- 1 n idiomes du ti s.
A IIOVELACQUÏ.
Dans le Sud, à lVxlr(^milé orientait J s Pjrc^nées, le cntalan
pousse une pointe en France.
En Corse, l'italien, ou plulôl un palois italien, est la langue
de la gén(^ralit6 de la population.
Dans le Nonl-Esl, les Alsaciens, bien que parlant un idiome
.-ilicmand. élnienl et sont restés de bons Fran<jais.
Vers lextr^mc Nord, de nombreux Flamands onl conservé
I "usage de leur langue.
La moitié de )a Brolugnc parle le breton, (\u\ ï\t "àc tcW
•2l>
INTRODUCTION
/
(Hi'avec dos langues do la (irande-BiTlapie et de Tlrlande.
Eidiu, à rexlrémité du sud-ouesl de la France se rencontre
une langue bien plus spéciale encore, dont on ne connaît pas
la filiation, le basque.
Et pourtant, qu'ils parlent catalan, italien, allemand, fla-
mand, breton ou basque, tous les habitants de la France,
môme ceux qui en ont été détachés de force, aiment prof ondé-
ment leur pays et sont d'excellents Français.
Les Basques, à cheval sur les Pyrénées, sont partie en
France, partie en Espagne. Cependant, malgré leur unité de
langage, qui les distingue de toutes les populations voisines, il
n'y a pas unité de race. Les Basques français sont plutôt
brachycéphales, et les Basques espagnols dolichocéphales.
Les Bretons montrent aussi d'une manière des plus évidentes
qu'on ne peut pas identifier les indications de race et de lan-
gage. En eiïVt, la Bretagne, avec une population tout à fait
semblable, se divise en deux parties, l'une où l'on parle fran-
çais, et l'autre où l'on parle breton. Les habitants de la partie
où l'on parle français, que l'on désigne sous le nom de Gallots,
tout aussi bien que les bretonnants qui ne parlent que breton,
se divisent en deux races bien caractérisées, l'une petite et
brune, l'autre grande et blonde. Les deux races, répandues
à peu près en proportion égale dans tout le pays, se trouvent
indistinctement dans la partie de langue française et dans la
partie de langue bretonne.
Les politiciens allemands se sont emparés de force de la
Lorraine, dont la majeure partie, Metz et Château-Salins,
210.000 habitants en 1874, parle français. Les irrédentistes ita-
liens réclament la Corse. Les Français ne réclament que de ren-
trer en possession de leur ancien territoire, et pourtant, en de-
hors de chez eux, bien despopulationsparlentfrançais(fig.8) :
Malmédy dans la Prusse Bhénane ;
La majeure partie du grand-duché de Luxembourg;
Environ la moitié de la Belgique, tout le pays wallon,
Bruxelles, Tournai, Mons, Naniur, Liège, Spa, Vervins ;
Les îles normandes de l'Angleterre, Jersey et Guernesey;
En Suisse : (jenève, Vaud, partie du Valais, Fribourg, Neu-
châtel, Jura bernois, 59G. 000 personnes d'après le recensement
de 1871 ;
En Italie, les vallées piémonlaises owoecidentalesdes Alpes,
RACE, LANGUE, NATIONALITÉ 23
des vallées vaudoises au Val d'Aosle, estimées en 1861 à
io/|.ooo individus.
Il n'est venu à personne l'idée de revendiquer ces diverses
populations. L'irrédentisme est si loin de noire esprit et de
nos mœurs, qu'il n'existe pas dans la langue française un
mot pour désigner la chose. Le terme pangallisme n'est pas
même connu.
Une des meilleures preuves de l'indépendance qui existe
entre les races et les langues, c'est qu'une langue peut dispa-
raître sans que les races changent. Tel a été le fait de la dispa-
rition du latin.
On peut, il est vrai, dire que le latin n'a pas disparu, mais
^-^.^4 B E L G I Q u E
^Î^)rc8 Courtrai
Ltmifc Nord. de. La,
Lanniu.^fhanfaise.
^ ^ ^ ^ ^ limite, d^- 2 Etats.
***** *( France.. SeL^tijue,)
\ ^^..w^ikj^HSh. . ©BRUXELLES
Atre AfrrviUe \ Hibou " ryartmme. EttnAt
2^ \^ Limbotêf
^ ^ iSi r ^ *'"•'•
^ -P* \ JlJfjULLOril^
FiG. 9. — Limites du Français et du Flamand, par A. Hovelacoue.
qu'il a évolué, produisant les langues d'origine latine. C'est
là un remarquable effet de transformisme. Mais les évolutions
ne peuvent être invoquées pour expliquer la disparition com-
plète du gaulois, opérée par le latin dès son apparition en
France, sans pour cela que les races occupant alors la France
aient changé.
En Bretagne, nous voyons dans la région occupée par les
deux races bretonnes, la langue resserrer progressivement
les limites de son aire d'occupation. D'intéressants travaux
ont été faits sur ce sujet.
Nationalité. — La nationalité est une union politique
volontaire ou acceptée de plein gré, basée sur des sentiments
et des intérêts communs.
Les nationalités ne se créent pas par simple conquête.
Le conquérant classique par excellence est Alexandre de
Macédoine surnommé le Grand. Élevé daivs \e^ \A(i^"$v ^^.
24 INTRODI'CTION
revanche des (irees contre les Perses, il sut habilement pro-
filer de ce sentiment patrioti((uc et national. Il partit au prin-
temps de l'an 33^ avant notre ère, et en neuf ans il conquit un
vaste empire allant de la Grèce à l'Inde et de l'Egypte â la
Bactriane, ces quatre i)ays compris. Cet empire, composé de
nationalités fort dilTérenles, ne dura que deux à trois ans.
Alexandre étant mort en avril 3^3, l'empire si brillamment
conquis s'efTondra rapidement.
Les empires de Charlemagne et de Napoléon ^''" ont eu le
même sort sans moditier sensiblement les nationalités. C/esl
que les nationalités reposent sur des bases tout autres que
la conquête brutale. Les nationalités se rattachent essentiel-
lement à des questions de sentiment et d'intérôt. Aussi les vérita-
bles nationalités sont-elles très vivaces et se maintiennent-elles
vigoureuses malgré les difTérences de langues et de races.
Ainsi en Belgique le sentiment national est très développé,
bien qu'il y ait deux races s'équilibrant à peu près, les Wallons
et les Flamands ^^fig. 9), bien que ces deux races parlent deux
langues, non seulement distinctes, mais môme d'origines dif-
férentes. Les Wallons parlent le français d'origine latine; les
Flamands, le hollandais d'origine germaine.
En Suisse, le sentiment national est peut-être' encore plus
vif, bien (ju'on ait constaté dans la p()j)ulation quatre races
fort distinctes et (|ue celte population parle quatre langues (1) :
Le rounvanche employé par 38. 000 habitants.
L'italien 145.000 —
Li) français 596.000 —
L'allemand 1.755.000 —
Le sentiment national, malgré diverses races, malgré di-
verses langues, a si profondément pénétré t(mtes les popula-
tions de la France, qu'on nous reproche de l'avoir exagéré et
qu'on nous accuse de chauvinisme. Accusation qui, dans ce
cas, est un véritable éloge adressé à la nation française.
Le sentiment de nationalité est si grand et si vif dans tous
les éléments de la nation française, que les Alsaciens, arrachés
de force a la mère-patrie, sont restés, malgré la race, malgré
la langue, sincèrement et profondément Français.
\i} Gersleh et Webeh, Allas poliliqiie cl historique de la Suisse, 1871.
PREMIERE PARTIE
DOCUMENTS HISTORIQUES
CHAPITRE PREMIER
ATLANTES
Atlantide de Platon. — D'après les textes, le peuple le
plus ancien de rOccideni serait les Atlantes, ''ÀT^avreç, 'At-
Xàvretot, Atlantœ.
Voici ce qu'en dit Platon (429-8^17 ans avant notre ère),
dans un dialogue, le Critias, qu'il a consacn*^ tout entier à
l'Atlantide.
Neuf mille ans avant Socrate (469-400 avant notre ère)
« s'éleva une guerre générale entre les peuples qui sont en
deçà et ceux qui sont au delà des Colonnes crilercule (le
détroit de Gibraltar) . Athènes fut à la tôle de la première
ligue, et à elle seule acheva toute cette guerre. L'autre ligue
était dirigée par les rois de l'Atlantide. Cette île était plus
grande que l'Asie et la Libye (c'est-à-dire l'Afrique), mais elle
fut submergée par des tremblements de terre, et, à sa place,
on ne rencontre plus qu'un limon qui arrête les navigateurs
et rend la mer impraticable. »
Platon, dans son Timée^ raconte ([ue Solon, le législateur
d'Athènes (638-558 avant notre ère), dont il était par sa mère
l'arrière-petit-neveu, tenait le fait des prêtres de Sais, qui le
lui contèrent pendant un voyage en Egypte. L'Atlantide dis-
parut en un jour et une nuit. Les Atlantes, d'aboTÀNc^VM^xi.^
aO DOC'.IMKNTS lIlSTOniQUES
el reli*i^icux, f'iaicnl Tort lieureux; mais, (»lanl devenus vicieux
et ennemis des dieux, ils lurent tous submergés. Qui ne voit
là une de ees légendes religieuses où le bon dieu se venge
cruellement de ses adversaires ? Des légendes analogues se
retrouvent de tout temps et partout, les prêtres de tous les
cultes ayant le plus grand intérêt à les créer et à les propager.
La Bible nous en fournit deux grands exemples : le
premier, le déluge de Noé ; le second, la destruction de So-
dome et de Gomorrhe. Sans sortir de la Grèce, nous en avons
un autre exemple bien connu, le déluge de Deucalion.
Celte explication, pourtant si simple et si naturelle, de la
légende de Platon sur l'Atlandide, n'a pas satisfait un grand
nombres d'auteurs. Ils se sont livrés à de longues dissertations
et sont arrivés à des conclusions tellement diverses, que nous
sommes forcé de reconnaître que le récit de Platon et de ses
commentateurs dans ranti([uité doit laisser beaucoup à dési-
rer comme précision et comme clarté.
Ainsi :
Baer, théologien protestant de Strasbourg, désireux de
faire confirmer la Bible par Platon, écrit que les prêtres de
Sais ont dans leur récit fait allusion à la destruction de Sodome
et de Gomorrhe. Il place donc l'Atlantide en Palestine.
Latreille la pousse plus avant dans l'Asie et l'indique en
Perse, où bien d'autres ont casé le paradis terrestre, rêverie
(jui a même été enseignée et dévelopj)ée il y a peu d'années à
la Faculté des lettres de Lyon.
Bailly, l'astronome distingué qui eut l'honneur de présider
la fameuse séance du Jeu de Paume, premier acte de la Révo-
lution de 1789, a écrit tout un ouvrage (1) pour établir que
l'Atlantide était située sur le plateau de la Mongolie. Cela
rentrait dans la démonstration de l'hypothèse qu'il avait
émise de l'invention des sciences par un peuple du Nord
(jui aurait disparu de la terre.
Olav Rudbeck, savant suédois qui a découvert les vaisseaux
lymphatiques, mû par un sentiment patriotique exagéré,
croyait aussi avoir découvert (jue l'emplacement de TAtlan-
lide se trouve en Scandinavie (2).
(1) Bailly, Lellrcs sur rAllanlule de Plalon, 1779.
('2)0.RvmiK(:KfAllandellerManheim,AllanticasiueManheim,veraJapheH
posferorum sedes el patria, 1075-1698, 3 volumes en suédois et en latin.
ATLANTES 27
Bulï'on l'in(li(ju(» loiil simplemenl on Aniôrique.
L'écossais Mac-Culloch croit que TAtlanlide occupait la
mer des Antilles, dont les diverses îles ne seraient que les
débris de cet ancien continent.
Buache, géographe français du xviii® siècle, place TAtlan-
tide au Brésil.
L'espagnol Oviedo, précisant davantage, Tavait depuis
longtemps indiquée dans le bassin de l'Amazone.
Terres entre l'Afrique et l'Amérique. — Mais l'opinion
la plus généralement admise par les partisans de la réalité
de l'Atlantide est qu'elle se trouvait entre l'Afrique et l'Amé-
rique, dans l'Océan Atlantique (fig. lo). C'est en effet le point
que Platon dans sa légende semble nettement indiquer. Dans
ce cas, les îles du Cap- Vert, les Canaries, Madère et les Açores
seraient les témoins et les débris de cette vaste terre engloutie.
Pour défendre cette opinion, on a fait intervenir les sciences
d'observation. En elfet, ce sont elles qui doivent avoir le der-
nier mot. On a réclamé leur témoignage pour et contre. Évi-
demment les uns ou les autres se trompent. Recherchons
impartialement de quel côté est la vérité.
Une observation incontestable et maintenant incontestée
par tous les naturalistes, c'est que la faune de l'Amérique
centrale et méridionale est absolument distincte de la faune
de l'Europe méridionale et de l'Afrique. Ne parlons que des
mammifères qui ont la locomotion facile et qui, vu leur
taille, sont plus connus. Avec eux la démonstration ne laisse
aucun doute. Les mammifères des deux continents sont
totalement différents. Non seulement ils diffèrent tous sans
exception comme espèces et comme genres, mais môme en
grande partie comme familles. Ainsi les tatous sont exclusi-
vement américains. ^
Les singes se divisent en deux grands groupes : les catar-
rhiniens, à 82 dents et sans queue prenante, qui habitent
uniquement l'ancien continent , et les platyrrhiniens, à 36 dents,
avec queue prenante, qui sont tous américains. Il n'y a donc
pas eu jonction ni même communication entre rAfri([ue et
l'Amérique à l'époque actuelle. La séparation des deux conti-
nents date d'une manière certaine des temps géologiques,
car la division des deux groupes de singes existe déjà dans les
débris fossiles, et les tatous, très déveVoççès» vi \^\)oa^^ \fôç-
I I 1 I I ) ni
II I I 1 n ni .
1 l 1 t I I ( îl-s FnrliL
I ' ' b I loiTfst
iiiyri:s
en AiiH''ni|iii', iiiaiH[iiinl
quii ri
(li's antions.
ne sOiie de
pi t ni aijst'ntcs sur lo conli-
ncnt afr
1.1 <lishii
linrlc
iiin li'i's voisin, éloigné si'iilcmonl (le i5o kilomètres,
(• (Je PiiHh îi Al>bovi!lc, ou de Lvon soif A Bcauno
loil i'i Mniifôlirnai- an sud. OHe fauno rlail d<'jâ dis-
fin du ferfiîiii'e. iJoiic, de ce côfé aiissi, il n'y a eu
aiiciiiie joiu-fion cnfre un conliiienl dÎKjiani el l'Afrique.
Tivs liicn ! Mais l'ialoti dif qne l'Allanfide élait une Ile,
grande contme l'Asiii ef l'Afrique ivuiiios. Dès lors, Canaries,
Iles du Cap-Verf, Madère ol A<;orcs en sonl les restes et les
tàino'ms. Ces débris d'une même terre devraient donc avoir
ATLANTES 29
des caractères communs. Eh bien! il n'en est rien. L'Atlantide
étant très peuplée, des habitants auraient ^dû rester sur
toutes ces îles. Or, au moment de leur découverte, Madère en
1344 et les Açores en i432, il n'y avait dans ces îles aucune
3opulation. 11 n'y avait pas môme, au moins pour les A(;ores,
ie mammifères terrestres ni de reptiles, ce qui montre bien
jue ces îles n'ont jamais été liées à aucune grande terre. Cha-
jue groupe a une faune et une flore particulières ne s'enchaî-
lant pas Tune à l'autre, ce qui démontre qu'elles n'ont pas eu
le rapports entre elles. Nous sommes parfaitement fondé à
iire, nous basant sur l'histoire naturelle, qu'aucune grande
.erre n'a existé depuis la fin des temps tertiaires entre l'Afrique
3t l'Amérique méridionale ou centrale. Nouvelle et formelle
preuve que l'Atlantide de Platon est une simple légende reli-
gieuse associée à une œuvre d'imagination suscitée par un
amour-propre national exagéré. En elfet, Platon fait remonter
les événements à 9,000 ans avant Socrate, qui but la ciguë
l'an 4oo avant notre ère, de sorte que les Athéniens ont eu
l'immense mérite de remporter une grande victoire bien
longtemps avant la fondation d'Athènes, c'est-à-dire avant
leur existence. Le Critias et le Timée sont donc tout simple-
ment des conceptions socio-philosophiques dans le genre du
Voyage en I carie de Cabet. Ce qui le montre bien, c'est
qu'Elien (1), mort vers l'an 260 de notre ère, rapporte une
légende de Théophraste (371-264 avant notre ère), analogue à
celle de Platon. 11 s'agit de la Méropide, continent tellement
merveilleux qu'il est de toute impossibilité de le prendre au
sérieux. Or Théophraste a été pendant vingt-quatre ans le
contemporain de Platon. On voit qu'à cette époque l'esprit en
Grèce était à ce genre de conceptions. C'était le règne des
romans à la Jules Verne.
Habitants de l'Atlas. — A coté des Atlantes imaginaires
de la légende religieuse et théocratique de Platon, il y avait
des Atlantes vrais. Ce sont les habitants de l'Atlas et des
plaines qui se développent au pied de cette chaîne de mon-
tagnes. Ces Atlantes occupaient l'extrémité nord-ouest de
l'Afrique, le Maroc océanien actuel. Pour les rejoindre, il fal-
lait traverser le détroit de Gibraltar et tourner au sud. C'est
(1 Elien, De Animalihiis. liv. 111.
3o DOCUMENTS lllSTOUIQUES
ce qui a fait dire aux auteurs anciens qu'ils habitaient au
delà des Colonnes d'Hercule. Cette côte océanienne de
l'Afrique n'était pas inconnue des anciens, puisqu'ils connais-
saient les îles Fortunées, les Canaries, qui se trouvent en
face.
Hérodote (/|84-4o6 avant notre ère) cite ces Atlantes, qu'il
nomme Atarantes, 'ATapavTe; (i).
Vers le commencement de notre ère, un auteur grec, Dio-
dore de Sicile, et un auteur latin, Pomponius Mêla, parlent
aussi de ces habitants de l'Atlas sous le nomd'ArXavTeiot (2) et
d'Atlantes (3). Mais il n'est pas établi, pas môme indiqué, que
ces peuples, qui ont dû se joindre aux Libyens pour combattre
les Égyptiens, se soient jetés sur l'Europe dans la haute anti-
quité. Les Atlantes, au point de vue de nos recherches parti-
culières, doivent donc être laissés de côté.
CHAPITRE II
EGYPTE
Grande Mer et Grand Circuit. — Comme documents
historiques sérieux, les premiers en date sont ceux laissés
par rÉgypte. Ces documents remontent à 5ooo ans avant
notre ère. Mais alors l'occident de l'Europe n'existait pas pour
les peuples de l'Orient, chez lesquels se développait l'his-
toire. En effet, la première pièce historique dans laquelle il est
fait mention de peuples européens occidentaux, est une stèle
découverte par Mariette, datant du nouvel empire.
Cette stèle rappelle la victoire remportée sur les Libyens cl
leurs alliés par Thothmès IH, connu aussi sous le nom de
Miphramouthosis. Thothmès III, d'après Mariette, vivait en
1625 avant notre ère. Dans l'énumération des vaincus, il y a
(1) ïlÉRODOTi:, liv. IV, § 184.
(2) DioDonE DE Sicile, liv. III, S 56. \
(3) PoMPOMUs Mêla, liv. I, ch, iv.
32 DOCIMKNTS lIlSTOlUgiES
onze articles, parmi lesquels on remarque les deux suivanTs
traduits littéralement :
(( Ceux qui habitent les îles dans rinlérieur de la Grande
Mer (fig. ïi).
<( Les extrémités des ternes et le Pourtour du Grand Cir-
cuit. »
11 est évident que pour les Égyptiens la Grande Mer était la
Méditerranée. Il s'agit donc, dans le premier passage, des îles
de la Méditerranée, parmi lescpielles se trouvent la Sicile, la
Sardaigne et la Corse.
Les extrémités des terres désignent le détroit de Gibraltar
et les côtes qui se développent au delà, soit vers le nord, côles
d'Espagne et de Portugal, soit vers le sud, côtes du Maroc, que
nous avons vues habitées par les Atlantes, peuple de TAtlas.
Quant au Pourtour du Grand Circuit, c'est le pourtour de
la Méditerranée, pourtour dont (ont partie les côtes de France.
Ce sont là des données bien vagues comme indications, mais
pourtant bien certaines. Tel est le premier enseignement liiî^-
torique. 11 faut avouer qu'il est d'un bien maigre intérêt. H
date de la fin du xvn*^ siècle avant notre ère.
Pour en trouver un second, il faut, franchissant plus de deux
cents ans, descendre jusqu'au commencement de xn*" siècle.
Sous Ramsès 11, i[ui d'après Mariette régnait en 1^07, et en
i388 d'après Chabas, nous voyons des Sardes faits prisonniers
entrer comme auxiliaires dans l'armée égyptienne. Ils prirent
part à la lutte contre la confédération asiatique.
Les documents égyptiens nous apprennent encore que sous
Meneptah P% (ils de Ramsès 11, i32i avant notre ère, les Li-
byens formèrent une nouvelle confédération des peuples du
Grand Circuit et de la (irande Mer pour attaquer l'Egypte.
Cette confédération, ([ui fut battue, comprenait entre autres
les :
Shakalshas ou Sicules.
Shardanas ou Sardiniens.
Tourshas ou Etrusques.
Enfin au xni" siècle avant notre ère, Ramsès 111, 1288, d'après
Chabas (1), eut à combattre dans l'Asie occidentale une inva-
(1) F. CiiAiJAS, Études aur Vantiquilé hislori<iue d'après les sources
éfjyplicnnes, i>.c éd., 1878. p. 280.
PHÉNICIENS ET CARTHAGINOIS 33
considérable de populations européennes, parmi lesquelles
cuvaient les Sicules.
fait constaté par les monuments égyptiens est fort
Ttant parce qu'il établit d'une manière certaine que les
dons de TOrient par les peuples de TOccident datent de
coup plus loin qu'on ne les fait remonter d'habitude,
i au xiii^ siècle avant notre ère, les Européens occidentaux
laient déjà sur l'Asie Mineure, qui alors était soumise à
fple.
CHAPITRE III
PHÉNICIENS ET CARTHAGINOIS
éniciens. — Les Phéniciens sont le peuple de l'anti-
! qui passe pour avoir le plus parcouru la Grande Mer et
le plus de colonies dans ses îles et sur ses côtes,
mmés par les Grecs : (I>oivixe(7, et par les Latins : Phœ-
, ils habitaient sur la côte orientale de la Méditerranée,
pays a fréquemment varié de limites. On peut estimer sa
leur à 200 kilomètres. Mais, étroitement resserré entre la
;t les montagnes du Liban et de l'Anli-Liban, sa largeur
t en moyenne que de l\0 kilomètres. C'était donc un
e essentiellement maritime. Ce territoire est désigné
la Bible sous le nom de Terre de Chanaan. Les deux prin-
îs villes étaient Tyr et Sidon. Ces villes ne formaient pas
it proprement dit, mais une confédération, chaque ville
son administration particulière.
premier souverain de Tyr cité dans la Bible est Hiram 1®^
vait en io5o avant notre ère. Son fils Hiram II, en looo,
at un traité de commerce avec Salomon.
. données historiques fournies par l'Egypte remontent
;oup plus haut. Les Phéniciens, nommés Kefat par les
Liens, d'après Chabas (i), apparaissent pour la première
HABAS, Éludes sur V antiquité historique^ 1878, p. 119.
G. DE }A0BT1LLET. ^
34 DOtXMENTS lllSTOlUgUES
fois sur les monuments vers Tépoque de Thothmès III, clans le
xvir' siècle^ avani noire ère. Ils y sont déjà donnés comme des
commeiranls. Ils étaient aussi iorl estimés comme marins ; car,
lors(iue Nechao 1 1 , de la XXVP dynastie égyptienne, qui régnait
cnT)!!, voulut faire explorer le (irand Circuit, c'est à des
navigateurs phéniciens qu'il s'adressa.
Les Phéniciens établirent de nombreux comptoirs dans la
Grande Mer et ménie au delà. Plusieurs de ces comptoirs
devinrent des villes importantes. 11 nous suffira de citer Gar-
thage, dont nous aurons à parler tout à Theure.
Des irac(^s de leur passage se retrouvent dans la péninsule
Ibéricpie, sur certaines monnaies se groupant autour des Pyré-
nées vers les côtes de la Méditerranée, en Espagne et en France.
Les Ibères ont emprunté leurs signes
alphabétiques aux Phéniciens et à
d'autres peuples asiatiques; on les
voit plus ou moins altérés sur les
FiG. 12. - Monnaie ceitibû- moimaics ccltibériennes et ibéro-
rienne avec caractères ibères, ligurCS.
conimunicniée par A. de Bar- «xii j u «n t <
TiiÉLEMY. Gr. nai. Stèlc de Marseille. — La trace
des Phéniciens s'est aussi retrouvée
à Marseille. Kn démolissant une vieille maison située non loin
de rempla(!ement du temple de Diane, vers i845, on décou-
vrit deux fragments d'une plaque en pierre brune s'ajustani
exactement et portant une inscription phénicienne (fig. i3).
Gontrairement à ce (jui a été dit, la ro(?he n'est pas de prove-
nance provencjale. Vasseur, professeur de géologie à Marseille,
l'ayant étudiée avec soin (T;, a reconnu qu'elle est tout à fait
analogue à (relie d'une inscription découverte dans les ruines
de (^4arthage. Examinant au microscope des fragments des
deux roches, il v a rencontré des foraminifères semblables
dans un état tout particulier de fossilisation. L'inscription de
Mars(Mlle provient donc très probablement de Garthage. Elle
occup(^ actuellement une place d'honneur au Musée Borély.
Gette inscription contient 21 lignes plus ou moins complètes.
G'est le texte d'une loi ou ordonnance concernant les sacri-
fices, signée de deux noms. On a supposé ([ue c'étaient les suf-
Vi; Vasskih, As:iO('ialion fram^'ahe, réunion do Marseille, 1891, u* sec-
lion.
PHÉNICIENS ET CAHTllA(;iN(>IS 35
fêtes ou magistrats suprômcs de Carthage. Abstraction faite
des préfixes, du copulatif et de l'article, cette inscription se
compose de 89 mots, que Munk partage ainsi :
59 appartiennent h riu'^breu biblique.
8 à riiébreu avec forme ou acception diff(''reiite.
4 expliqués par Thébrcu, interprétation peu certaine.
10 font partie d'autres dialectes sémitiques.
8 sont inconnus ; on est réduit h des conjectures.
89 sur lesquels 67 mots hébreux.
Ce sont les trois quarts. C'est donc une langue sémi-
tique et non khamitique, bien qu'elle soit la langue de la Terre
de Chanaan qui, d'après la jB/6/e, est le fils de Cham^ C'est là un
exemple des plus frappants des graves inconvénients de l'em-
ploi dans la science de noms tirés de l'histoire. Il y a là un
contresens flagrant.
Les rapports de cette inscription phénicienne avec l'hébreu
ne doivent pas surprendre. Nous lisons dans Texcellent traité
la Linguistique d'Hovelacque(i) : « On peut dire sans crainte
qu'il exista une langue chananéenne commune qui donna
naissance, par la suite du temps, à l'hébreu et au phénicien.
Ces deux idiomes sont frères, il faut les placer sur le même
rang, et l'on exprime une opinion tout à fait inexacte en
^ disant que le phénicien est un dialecte hébraïque. » Ces deux
dialectes de la môme famille, si produis parenls, ne sont pas
mère et fils, comme bien des personnes le pensent, mais bien
deux frères, fils d'une môme mère.
Renan et Barges (2) croient l'inscription phénicienne
de Marseille antérieure à l'arrivée des (irecs, c'est-à-dire
au VI® siècle. Movers, Munk et Ewald la rajeunissent,
pensant qu'elle a été gravée sous la domination grecque,
mais par le groupe des commenjants phéniciens habitant la
cité.
Nîmes. — La ville de Nîmes, appelée d'abord Nemosus,
puis Colonia Nemausensis Augusta, passe aussi pour une co-
(1) HovELACQUE, La Linguistique^ 1876, p. 177.— (Je volume fait partie
de la Bibliothèque des sciences contemporaines.
(2) Renan, Histoire comparée des langues sémitiques, — Barges, Mé-
moire sur trente-neuf nouvelles inscriptions puniques, 1882.
36 DOCUMENTS HISTORIQUES
lonie pliénicipnno personnifiée par IHtrcuIc Tjrion daprùs
de La Saussavc et Vmédée Tliicrrv ( 1 1
En effet un géogiaphe grec du vi^ suele htienne de Bj
zince pr(!lend que "Nîmes fut fondée par Nemausus fils
d Hercule qui d après ts( liyle Slrabon Eustathe aunit élc
vainqueur des Ligures dans le ( hampdes Pu rre nom qu on
' 'nimyihi'lKfmi «°«"»nf
Fi(i. 1^. — liiscrlpUon pliéniciunnc du Musùe Borôly. à Marseille.
allribiiu sans grands fondpnipnls à la Plaine de la Crau.
C'esl encore et toujours la légende qui déborde snr l'his-
toire.
Les Phéniciens ot les Carthaginois émnicmment naviga
leurs et commerijants, n'auraient pas fondé une ville loin de
la mer et sans cours d'eau navifçable
Mais il est inutile de s'étendre (la\anlage siiT les Pheni
ciens. Évideminenl, il en est venu sur le sol liintais imi
d'un pays forl restreint; ils n'ont jaimts pu étie tris nom
(I) De 1
PHÉNICIENS ET CARTHAGINOIS 87
breux et, avant tout commerçants, ils répandaient plutôt
les produits des autres que les leurs. C'est ce qui fait que les
antiquités positivement phéniciennes sont si peu abondantes,
je dirai même si rares. Aussi Lagneau (i) a-t-il pu dire avec
beaucoup de raison : « Les colons Phéniciens et Carthagi-
nois de notre littoral méditerranéen et des Pyrénées ont dû
laisser quelques souvenirs historiques et archéologiques, ils
ne paraissent pas avoir laissé de descendants. »
Carthaginois. — A propos des Carthaginois, les Kapxy)8ovtot
des Grecs et les Carthaginenses ou tout simplement les Pœni
des Romains, il nous reste à parler de leur passage à travers
la France sous la conduite d'Annibal. Ce fait, connu de tout
le monde, a été raconté par deux historiens : l'un grec, presque
contemporain, Polybe (210-128 avant notre ère), qui a visité
Carthage avec Scipion Émilien; Tautre latin, Tite-Live (69 ans
avant notre ère à 17 après), vivant donc environ 200 ans
après l'événement qui avait produit la plus grande sensation
à Rome.
Voici lès détails fournis par ces auteurs. Annibal, qui venait
de s'emparer de Sagonte, l'an 219, rassembla en Espagne une
armée composée dit-on de :
90,000 fantassins,
12,000 cavaliers.
Il se porta sur les Pyrénées, qu'il franchit en 218, seulement
avec :
5o,ooo fantassins,
9,000 cavaliers,
37 éléphants.
11 laissa le reste en Espagne pour maintenir le pays et
résister aux Romains. Lorsqu'il eut passé les Alpes, il avait
perdu en cinq mois de marches :
3o,ooo fantassins,
6,000 cavaliers.
Il ne faut pas croire que tout ce monde était mort. Beau-
coup certainement étaient restés en route ou avaient déserté.
Mais, en admettant que les chiffres soient exacts, ce qui est
(1) Lagneau, Anthropologie de la France, 1879, p. GG4.
38 DOCUMENTS HISTORIQUES
loin d'être prouvé^ (|U 'est-ce ([uc vingt mille personnes semées
sur un trajet de plus de 700 kilomètres? C'est un nombre insi-
gnifiant qui ne peut modifier la population. En admettant
môme qu'il y ait eu modification, elle ne pourrait être attri-
buée c^ l'élément carthaginois qui était en minorité dans Tar-
mée d'Annibal, formée surtout de mercenaires. L'infanterie se
composait d'Ibères et de divers peuples d'Afrique ; la cavale-
rie, de Numides. La traversée de la France par Annibal ne
contrarie donc en rien la conclusion de Lagneau.
En évaluant la longueur de cette traversée, j'ai dit 700 kilo-
mètres au moins. Ce n'est là qu'une approximation, car, en
effet, quelle qu'ait été l'importance du passage des Alpes par
Annibal, nous sommes loin d'être fixés sur le point où s'est
effectué ce passage. Il a donné sujet à de fort nombreuses
dissertations, et la question n'en est pas plus avancée pour
cela (fig. i/|). Sur quatre-vingts dissertations :
19 concluent pour le Grand-Saint-Bernard,
23 pour le Petit-Saint-Bernard,
1 pour Roche-Melon,
10 pour le mont Ccnis,
24 pour le mont Genèvre,
3 pour le mont Viso.
Brillant exemple de la clarté des textes historiques et de la
valeur des conclusions qu'on peut en tirer.
Les fatigues du passage des Alpes décourageaient les sol-
dats d'Annibal ; mais le chef carthaginois ranima leur ardeur
en leur montrant, du sommet des Alpes, les riches plaines
d'Italie, arrosées par le Pô. Or, d'aucun des passages cités et
discutés, on n'aperçoit ces plaines, si ce n'est peut-être du
mont Viso, celui qui justement, après Roche-Melon, a eu le
moins de partisans.
La concision et surtout le peu de précision des textes ne
sont pas la seule cause des erreurs. Il en est une autre très
fré(|uente : la consonance des noms. On en tire les conclu-
sions les plus hasardées et les plus fausses. Nous pouvons en
citer deux exemples à propos de la Libye, dénomination an-
tique de la partie de l'Afrique où se trouvait Carthage.
Pline signale (1) une bouche occidentale du Rhône, qu'il
(1) Plink, Histoire naturelle, 1.1, ch. ni.
PHÉNICIENS ET
A1ITI1AI11NOIR
4o DOCUMENTS HISTORIQUES
nommé Ora Libica. On en a supposé, en raison de la conso-
nance, un comptoir ou station libyenne. Il n'en est rien. Cette
bouche du fleuve emprunte tout bonnement son nom aux
Libici^ tribu locale, qui plus lard, de l'avis de Pline lui-
même (i), a émigré, ainsi que les Salyes, leurs voisins, dans
la vallée du Pô ou Gaule cisalpine.
Le second exemple est bien plus récent. Un archéologue de
TArdèche, Ollier de Marichard, ayant fouillé des sépultures
dans une petite vallée nommée Liby, à 4 kilomètres du Bourg-
Saint-Andéol, trompé par la consonance de nom, a publié
en 1870 un mémoire sous le titre : Les Carthaginois en
France ; colonie lib y o- phénicienne du Liby [Ardèche). Malheu-
reusement l'archéologie vient détruire entièrement cette con-
clusion basée sur une simple similitude de nom. Les poteries
rencontrées dans les sépultures sont du iv*' au vii^ siècle de
notre ère, et ces sépultures elles-mêmes se rencontrent au
milieu de substructions romaines (2).
Les détails historiques qui précèdent démontrent que l'in-
fluence phénicienne sur la composition de la population
française est presque nulle. La variété des opinions émises
sur le passage des Alpes par Annibal, un des faits les plus
remarquables de l'histoire romaine, prouve que les auteurs
anciens étaient bien peu précis sous le rapport géographique.
Qu'attendre d'eux sous le rapport anthropologique? fis com-
prenaient la valeur de la géographie et attachaient peu d'im-
portance à la description des types humains. Les descriptions
des hommes doivent être encore bien plus vagues et incer-
taines que celles des lieux!
(1) Pline, Histoire naturelle^ 1. I, ch. m.
(2) G. DE MoRTiLLET, Grotlcs de l' Ardèche; Grecs et Carthaginois y
séance du 5 juin 1878, do la Société d'Anthropologie, Bulletins,
p. 557.
GRECS 4l
CFIAPITRE IV
GRECS
Archéologie, monnaies, inscriptions. — Les fouilles d'Ol-
lier (le Marichard dans le sud de l'Ardèche, si elles n'ont
pas fait constater la présence des Libyens, ont eu le mérite de
nous fournir de fort intéressants matériaux concernant les
Grecs.
La grotte d'Ebbou, à 5 kilomètres de Vallon, a fourni un
vase en poterie noire, fine, d'un galbe très élégant, qui était
associé à un miroir de forme grecque, soit disque métallique
à long manche.
La grotte de Grena, à Ruoms (i), contenait de nombreux
fragments de poterie très fine, de teinte grise, parfaitement
cuite, affectant des formes élégantes, semblables à celles que
l'on trouve en Grèce. C'étaient, entre autres, des coupes plates
à base ou pied assez élevé, avec deux anses latérales en forme
de fer à cheval (fig. i5 et 16). J'ai reconnu dans la collection
Ollier de Marichard les débris d'au moins sept de ces coupes.
Il y avait aussi une anse d'amphore, en terre jaune, fort élé-
gante, rappelant les anses des amphores du meilleur temps
grec.
Tournai nous apprend (2) que sur un autre point de la
France méditerranéenne, à Montlaurès, près de Narbonne,
en 1864, des ouvriers ont découvert un beau vase orné de
peintures ; malheureusement il a été brisé.
A ces observations il faut ajouter les nombreuses ins-
criptions grecques rencontrées dans le midi de la France,
surtout le long de la côte. — Comme inscriptions de l'occupa-
tion grecque, nous pouvons citer : Antibes, Aix, Carpentras,
Vienne, Nîmes, Béziers; comme inscriptions grecques de l'oc-
cupation romaine : Antibes, Fréjus, Avignon, Vaison, Die,
Nîmes. Rien que dans les Alpines, Bouches-du-Rhône, L. Ro-
(1) Gabriel DE Mortillet, Les Grecs du bassin du liliône. dans Bull.
Soc. d'anthrop. Lyon, 10 avril i883, p. 53.
(2) TouRNAL, Catalogue du Musée de Narhonne, 18O4, p. 8.
42
DOCUMENTS HISTORIQUES
chclin il) file quatre inscriptions à Saint-Rémy, une t
Oi^on pt un graffitc sur polerie à vernis noir aux Baux
nom CD caractères grecs du propriétaire gaulois du vaso
D'après Almei ces inscriptions des AJpines sont en grer
corrompu ou en idiomes gaulois cents en caractères grecs ,
Si daulie part nous tenons
compte des monnaies dites gau-
loises poilant des légendes grec-
ques monnaies très abondantes
dans le sud-est, communes en-
core tn allant vers le centre et
se montrant parfois jusque vers
le nord de la France, nous som-
mes forces dadmcttrc que l'in-
lluence giecque a été bien plus
grande en France que celle
de tons les peuples que nous
avons examines jusqu a présent.
Les populations qui occupaient la France avant l'arrivée
des Grecs des Hellcnes, "EXi^ijvtî, sur la côte méditerra-
néenne, n avaient poinl d'écriture, aussi adoptèrent-elles très
facilement l'alphabet des nouveaux venus, alphabet qui se
propagea de proche en proche bien au delà des régions occu-
pées par les Grecs.
De même, pour les inscriptions, loulcs celles écrites en
(i) L. RociiETiN, Les Baux dons l'anlitjaité, 1890.
GRECS 43
caractères grecs ne sont pas en langue grecque. A côté des
■
inscriptions complètement grecques, il s'en trouve de gau-
loises écrites avec des lettres grecques. Mais tout cela prouve
que l'influence et l'action des Grecs ont été considérables,
bien plus importantes que celles des Phéniciens et des ("artha-
ginois. C'est le contraire qui a eu lieu en Espagne, 0(1 les
légendes monétaires sont, comme nous l'avons déjà dit,
non en lettres grecques, mais en caractères d'origine asia-
tique.
Une autre preuve de l'influence grecque dans le midi de la
France peut être tirée des monnaies. Tandis que dans tout
l'intérieur de la Gaule et dans le nord, les types monétaires
dégénéraient rapidement et devenaient informes, le long de
la côte méditerranéenne ils se maintenaient beaux et artis-
Uques. Le génie de la Grèce se manifestait brillamment et se
conservait avec plus ou moins de pureté.
Colonies grecques. — Aussi, longue est la liste des villes
grecques de notre littoral méditerranéen mentionnées par
Scymnos, Strabon, César, Pline, Pomponius Mêla, Ptolémée,
Stéphane de Byzance et maints autres auteurs (fig. i4). La
voici telle que Lagneau a eu la patience de la résumer (1) :
(( ^HpaxXeoç Movoixoç, Portas Herciilis Monœci^ le Port de la
Maison-isolée d'Hercule, actuellement Monaco; Nixata, Nicœa^
la Victorieuse, actuellement Nice ; 'AvTt7ro>itç, Antipolis^ la
Citadelle, actuellement Antibes ; Alhenopolis Massiliensium,
la ville marseillaise de Minerve; 'OXêia, l'Heureuse, aujour-
d'hui Eaube, selon Am. Thierry ; 'lepov, le Sanctuaire, actuel-
lement Hyères ; Kupi^vy) et TpotîV), Cyrène et Trœzène, peut-être
actuellement Correns et Tretz ; Lacydon^ Lacydon ; KtOapîcjTa,
Citharista, Citharisten^ la Joueuse de Harpe,, actuellement la
Ciotat ; TaupoévTtov, Taupoetç, Tauroin^ Tauroenta Castellum
Massiliensium^ le Fort marseillais du Taureau, actuellement
le bras de Saint-Georges et de l'Evescat ; "Ilpax^ea, Heraclea,
la ville d'Hercule, près d'une des embouchures du Rhône,
aujourd'hui Saint-Gilles; 'Poyj 'Ayaôri, 'AyaOr, Tu/y), Agatlia
Massiliensium, la Bonne-Fortune, la Fortunée, actuellement
Agde à l'embouchure de l'Hérault ; et enfin en Ibérie, au sud
des Pyrénées, 'EfxTioptov, Emporium, le Marché, actuellement
(1) Lagneau, Anthropologie de la France^ 1^791 ï> . ^^-
44 DOCUMENTS HISTORIQUES
Ampurias. A relatas, Arelate, Arles, reçut des colons qui s'y
étaient fixés le nom de (=)y,Xuvy,, Theline, la Nourricière, la
Féconde, mentionnée par Festus Avienus. Par suite de la
présence de nombreux immigrants grecs, certaines villes de
peuplades celtiques ou ligures du sud-est de notre pays,
entre autres des Cavares, comme 'Aouevwov, Avenio, Avignon,
et KaêeXXwov, Cabellio, Cavaillon, furent considérées comme
des villes fondées par les Marseillais. Il en fut de même de
Ngjxauffoç, Nemausus, Nîmes. »
A cette longue énumération on peut ajouter Narbonne.
Les textes anciens, comme la citation que nous venons de
faire, montrent bien que de toutes ces colonies grecques,
plus ou moins directes, la plus importante était Marseille. Elle
fut, paraît-il, la première colonie grecque établie sur les côtes
de France, et devint la colonie mère.
MaaaaXia, Massilia, Marseille, fut fondée tout à fait au
commencement du vi° siècle, vers 699 avant notre ère, par
des Grecs de l'Asie Mineure. Ils étaient partis de Phocée,
ville de l'Ionie, à l\i kilomètres de Smyrne actuel ' vers le
nord-ouest. Ce fait historique est rapporté par Aristote(i), qui
écrivait environ 260 ans après, et par Justin (2) au bout de dix
siècles. Aussi l'un et l'autre, surtout le dernier, l'entourent-ils
de détails légendaires que nous avons racontés précédemment
(p. 4). D'accord sur le fait fondamental, les deux auteurs ne
le sont plus sur les noms. Le chef de l'émigration phocéenne
est Euxènc, Protos ou Simos. La jeune fdle s'appelle Petta,
d'après Aristote, Gyptis, d'après Justin. Elle épouse soit le
père, Euxène, soit le fils, Protos. On voit que les détails pure-
ment historiques sont eux-mêmes peu précis.
Mais il y a plus encore. Vere le milieu du vi*^ siècle avant
notre ère, d'après Hérodote (3) qui écrivait moins de i5o ans
plus tard, Harpale, général de Cyrus, s'étant emparé de Pho-
cée, une partie des habitants ne voulurent pas se soumettre
aux Perses. Ils s'embarquèrent, avec femmes et enfants, sur
des vaisseaux à cinquante rames d'invention phocéenne et se
rendirent à Aléria, colonie grecque fondée depuis peu en
(1) AiusTOTE, Fragmenta, frag. XIII, apud Alhénée.
(2) Justin, liv. XLIII, § 3.
(3) HÉRODOTE, liv. I, Ch. CLXIV et CLXV.
UHECS 45
Corse. Inquiétés par les Tyrrhénicnsou Élmsqueii et les Car-
thaginois, une partie des uoiiveaux venus se rendirent j'i Mar-
seille. Ont-ils simplement renforcé la colonie primitive dont
nous venons de parler, ou bien sont-ils les véritables colonisa-
teurs? Sur ce point, il y a encore des doutes. Toujours est-il
ceriain que la fondation de Marseille date du vi" siècle avant
notre ère, tout à fait au commencement ou vers le milieu.
Corse et Sardaigne. — Puisque nous venons de parler
le la Corse, nous allons tout de suite épuiser ce que nous
ivons à en dire. Son nom se trouve mClé à la légende de
'AHanlide de Platon. D'après Murcus Terenlius Varro, Phor-
-vs, roi de Corse
;tde Sardaigne,
'ut vaincu dans
'ne bataille na-
tale par le roi
Uiante.
Comme on le
oit, les anciens
ccou plaie nt as-
'!■ volontiers la
orso et la Sar-
aigne. Cette
srnière île a été
I première citée. Nous avons vu (p. 3a), dans les xiv et
:»" siècles avant notre ère, des Sardiniens associés aux Li-
yens pour envahir l'Egypte, ou bien servant comme merce-
ïires dans l'armée égyptienne. Très probablement avec ces
ardihicns il devait y avoir des Corses : les deux ries sont si
^isines et ont tant de rapports ensemble!
Le contact cl les relations de la Sardaigne avec les t^gyp-
ïns sont parfaitement établis par l'archéologie. Il suffira de
t^er les tombeaux de Tharros, près Oristano, dont une partie
>ntientdesmobiHersfunérairesessentiellemenl égyptiens. Les
arabées s'y rencontrent fréquemment (fig. 17 et 18). Cesobjets
aient même parfois fabriqués dans l'île, comme le prouve
'tat de dégénérescence artistique de certains d'entre eux.
Des inscriptions phéniciennes et des stèles funéraires avec
figure triangulaire, à bras relevés et coudés, à tète for-
^e par des emblèmes astronomiques, le soleil et le crois-
Scorabie éayplien en ilii
Je Timrros (Sur
4& DOCUMENTS HISTORIQUES
sant, type complètement punique, rappellent les Carthagi-
nois.
Les Grecs sont révélés par les monnaies et les inscriptions
en caractères grecs qui sont disséminées dans toute l'île.
Des Romains, nous n'en parlons pas, les témoignages de
leur passage abondent en Sardaigne comme dans tous les lieux
qu'ils ont occupés. Ces témoignages se rencontrent aussi en
Corse, mais les précédents y ont encore été très peu
recueillis.
Pausanias, géographe grec du n*' siècle de notre ère, con-
sacre tout un chapitre (i) de son livre X, Voyage de la Pho-
cide^ à la Sardaigne. C'est un amas de légendes sans fonde-
ment, comme le prouvent ce qui a rapport à l'histoire naturelle
et les données concernant les Egyptiens, nouvelle démonstra-
tion de la prudence que l'on doit apporter dans l'inlerpréta-
tion et l'application des textes anciens.
Dans ce chapitre, il est question des Corses.
« Près de la Sardaigne est une autre île, que les Libyens
nojnment l'île de Corse et que les Grecs appellent Cyrnos. Une
partie considérable des habitants de cette île, chassée par
l'autre dans une sédition (jui les divisait, passa en Sardaigne.
De là un peuple que, dans la Sardaigne môme, on nomme
les Corses, du nom qu'il portait dans son propre pays. Dans
la suite, les Carthaginois vinrent s'emparer de la Sardaigne
et en soumirent tous les peuples, sauf les Iliens et les Corses,
que leurs montagnes défendaient contre cette invasion. »
La Corse, Kupvoç d'abord, Kopcrtç et Kopatxa ensuite, Corsas
et Corsicanus des Latins. Suivant l'habitude antique, on a fait
dériver son nom de récits mythologiques et légendaires.
Kyrnos, le premier nom qui lui a été attribué par les Grecs,
serait aussi le nom d'un héros, fils d'Hercule. D'autre part, la
légende veut que Korsis ou Corsus vienne de Corsa, nom
d'une femme ligure qui aurait découvert l'île. Cette légende
est rapportée par Solinus ou Solin, géographe latin du m® siè-
cle, qui considère les Ligures comme les premiers colonisa-
teurs de l'île.
Sénèque (2), né à Cordouc au commencement de notre ère,
(1) Pausanias, Ilinéraire delà Grèce, liv. X, ch. xvii.
(2) SÉNÈQUE, Consolalio ad llelviam, ch. viii.
LIGURES 47
pense toutnalurellement à ses compatriotes. Il prétend qu'une
partie des premiers habitants de la Corse est venue d'Espagne
et par conséquent se compose d'Ibères. Il s'appuie sur des
similitudes de coutumes, de vêtement et de langage.
D'après Hérodote, que nous avons déjà cité à propos de Mar-
seille, une colonie grecque existait sur la côte orientale de la
Corse depuis le commencement du vi** siècle avant notre ère
C'est 'AÀaX^Y], -4 /a/ia, actuellement Aléria, ville fondée aussi par
les Phocéens, les premiers et les plus habiles navigateurs de
la Grèce.
Cette colonie fut soijvent inquiétée par les Carthaginois et
les Tyrrhéniens ou Étrusques. Ce contact de la Corse avec les
Grecs, les Carthaginois et les Étrusques n'empêcha pas Stra-
bon, vers le commencement de notre ère, de dire que les habi-
tants de l'île étaient plus sauvages que des animaux.
La population de la Corse, qui contient des éléments li-
gures, ibères, carthaginois, grecs, romains et vandales,
ces derniers s'étant emparés de l'île, parle un idiome italien et
se rapproche beaucoup de la population de la Sardaigne et de
l'Italie en général. Pourtant elle est sincèrement attachée à la
France. C'est une des preuves que nous verrons se manifester
et se développer de plus en plus, en poursuivant cette étude,
que la nationalité est tout à fait indépendante de la race et de
la langue, et que la nationalité française est une des plus
franchement établies.
CHAPITRE V
LIGURES
Liste chronologique des auteurs. — Passons maintenant
aux populations de l'Europe occidentale. Paimi ces popula-
tions, les Ligures, AtyoEç des Grecs, Ligures des Latins, sont les
premiers indiqués par les auteurs anciens. Nous trouvons leur
nom dans Hésiode, poète grec dont l'époque n'est pas très
48 DOCUMENTS HISTORIQUES
bien déterminée, mais qui peut remonter au vin'* siècle avant
notre ère. Seulement, la citation dont nous parlons n'est pas
une citation directe, c'est une citation par ricochet. Cela
demande explication.
Grand nombre d'ouvrages anciens ne sont pas arrivés jus-
qu'à nous. Ils ont été perdus. Nous ne les connaissons que par
des lambeaux détachés ou des citations faites par des auteurs
postérieurs. r4'est ce qu'on appelle les Fragments, Fragmenta.
Or le passage d'Hésiode dans lequel il est question des Ligures
est justement un IVagmeiit cité par Strabon, ce qui en réalité
le rajeunit de sept à huit siècles.
Pour bien faire connaître la valeur des extraits que nous
citerons des divers auteurs anciens, nous allons donner le
tableau chronologique et critique de ceux qui peuvent être
consultés pour ce qui concerne les populations antiques qui
ont eu plus ou moins de rapports avec le sol de la France.
Avant notre ère :
VIII" siècle : Hésiode, poète grec. On ne sait pas au juste le
siècle où il vivait, le vin'' est un maximum. Suivant les uns,
il était antérieur ou contemporain d'Homère; suivant les
autres, postérieur. Il y a d(*s interpolations dans ses œuvresen
partie perdues.
v*^ siècle : fournit quatre auteurs : Hécatée de Milet, poète
grec, né en 5î>5, mort en 47Î> ;
Eschyle, poète grec, 525-/|5() ;
Hérodote, (irec, appelé le Père de l'histoire, 4^o-4o6;
Thucydide, (Irec, /| 7 1-390.
Hérodore ou Hérodote d'Héraclée surnommé rHéracléole
ouïe Pontique, Héraclée étant une ville du Pont, Grec, du
V" siècle, dit-on. Il n'en reste (|ue des fragments cités par
divers auteurs.
iv*^ siècle, le plus fertile, le grand siècle : sept auteurs:
Xénophon, Grec, 445-355.
Philiste de Syracuse, (irec, 435-35(), dont il ne reste que
des fragments.
Platon, Grec, 429-347.
Arislote, (irec, 384-322.
Scylax, navigateur grec du vi'^ siècle, dont le nom a été
donné à un périple ou récit d'une navigation autour d une
mer, le Périple de Scylax. (''est une œuvre incertaine comme
auteur et comme date ; elle a élo plusieurs fois ivinanit'e.
D'Arbois de Jubainville pense (fiio le dernier ivmanicMiieiil a eu
lieu sous Alexandre le Grand, milieu du iv" siècle.
Ephore, Grec, entre 38o et 3oo; nous n'avons de lui que
quelques fragments.
Théophraste, Grec, 874-287.
111" siècle : deux auteurs :
Timée, (jrec, 352-256, fragments.
Eratosthène, Grec, 276-196.
II® siècle : Apollonius de Rhodes, poète, grec, né vers 25(),
mort en 186.
IHolémée, Grec, première moitié du n" siècle.
l^aiisanias. Grec, se fixa à Rome en 170.
Caton, Latin, vers i65.
l^olybe. Grec, 210-128.
*Vpollodore, Grec, florissait vers i/fO.
^^^^ siècle avant notre ère :
l^osidonius. Grec, i35-49.
Seymnos de Chio, poète grec, époque un peu inrerlaine,
^'^**s 90 avant notre ère. Compilateur qui a beaucoup écrit,
^^près Timée.
l^ycophron, poète grec, du iii** siècle avant noire ère. Mais il
pourrait bien y avoir un autre auteur dont les écrits porlonl
le mt^me nom vers le milieu du i*^"^ siècle avant.
Varron, Latin, 1 16-27.
^ésar, Latin, ioo-44-
Denys d'Halicarnasse, Grec, né Tan 54 avant noire ère, a
P'iWic son ouvrage l'an 7 avant.
Au commencement de notre ère, sous Auguste, nouvelle
<^poque d'épanouissement intellectuel :
'Strabon, (irec, né 60 ans avant notre ère, mort dans l'ère
actuelle.
Tite-Live, Latin, né vers 59 avant, mort 17 après notre ère.
Diodore de Sicile, Grec, sous Auguste.
Trogue-Pompée, Latin, sous Auguste. Ouvrage perdu, mais
résumé par Justin.
Ère actuelle :
1" siècle : Pomponius Mêla, Latin, vers 42.
Sénèque, Latin, 2-63.
Lucain, poète latin, 39-65.
(i. DE VoriTfLLFJT. \
50 DOCUMENTS HISTORIQUES
Pline r Ancien, Latin, 28-79.
Pline le Jeune, Latin, 61-118.
Flavius Josèphe, Grec, 87, mort de 97 à 100.
Valerius Flaceus, poète latin, sous Vespasien, Titus elTra-
jan, fin du i*"^ siècle.
Silius Italicus, poète latin, 20-100.
Martial, poète latin, 48-104.
11*^ siècle : Tacite, Latin, né vers5o, mort au commencement
du règne d'Adrien, 117.
Plutarque, Grec, 5o-i20.
L.-A. Florus, Latin, contemporain des Antonins, milieu du
ir' siècle.
Marcellus, Latin, 11*^ siècle.
Flavius Arrien, Grec, 11'' siècle.
Appien, Grec, 11" siècle.
nV siècle : Dion Cassius, Grec, i55-24o.
Elien, Grec, mort en 260.
Entre le ii'^ siècle et le commencement du v" :
Justin, Lalin, résumé ou abrégé de Trogue-Pompée, dune
époque inconnue.
iv*^ siècle : Dcnys le Périégète, poète grec, d'époque incer-
taine. D'après son meilleur éditeur, il aurait vécu dans la
seconde moitié du iii^ siècle ou au commencement du iv®.
Marciend'lléraclée, Grec, périple du monde entier, commen-
cement du iv'^ siècle, il n'en reste que des fragments.
Festus Avienus, poète latin, qui a utilisé des documents
antérieurs. On prétend môme qu'il s'est surtout servi des
écrits d'un anonyme carthaginois du v® siècle avant notre ère.
Rien n'est moins prouvé.
vi^ siècle : Ammien Marcellin, Latin.
Stéphane ou Etienne de Byzance, Grec.
Grégoire de Tours, Latin, 544-^9Î>-
x*' siècle, r*" moitié : Constantin Porphyrogénèle, Grec,
9or)-95(). Rapporte des fragments d'Hérodore, qui seraient
du \^ siècle avant notre ère.
xir' siècle : Eustathe, Grec, mort en 1198, a publié des Corn-
menlaircs sur Denijs le Périégète,
Nous sommes là en présence d'une série de documents
écrits qui s'échelonnent dans un espace d'environ 2000 ans.
(^es documents ont-ils toujours été bien écrits? bien lus?
LIGURES 5l
oien compris? bien interprétés? Un grand nombre de ces
documents sont en vers et par conséquent leur rigueur histo-
ï*ique et géographique a dû souvent céder devant les exigences
de la versification, les règles de la prosodie et les entraîne-
lûeiits de l'imagination. Parmi les auteurs que nous venons
de citer, il y a beaucoup de compilateurs. Quelques-uns ont
fait des résumés, d'autres des amplifications ; enfin, en grand
nombre ils ont inséré des citations plus ou moins impor-
tantes. Or nous savons tous combien, quand on cite, résume
ou amplifie un auteur, on a une tendance à lui donner sa pro-
pre nuance. Les documents que nous possédons — en laissant
de côté les erreurs des copistes — sont donc en grande
partie de seconde et môme de troisième main, ce qui doit
grandement multiplier les obscurités, pour ne pas dire les
erreurs.
VHP siècle avant notre ère. — Dans la citation d'Hé-
siode (i), rapportée d'après Strabon, le poète grec rapproche
les Ligures des Éthiopiens et des Scythes. Pour lui, ce sont
évidemment les trois populations extrêmes, sur lesquelles il
n'avait que de vagues connaissances parce qu'elles occupaient
le bout du monde, les Ethiopiens au sud, les Scythes au nord-
est et les Ligures à l'ouest.
Nous parlions tout à l'heure du danger des citations, surtout
des citations tronquées; le passage d'Hésiode dont il vient
d'être question nous en fournit un exemple d'autant plus
concluant qu'il est puisé dans un ouvrage des plus sérieux et
des plus importants, œuvre de parfaite bonne foi, V Anthropo-
logie de la France, On y lit page 696 : « Ibères et Ligures
d'Asie, Hésiode parle des Ligures ainsi que des Scythes
mangeurs de lait de jument. » Hésiode, dans le passage en
question, cite les Éthiopiens, les Ligures et les Scythes.
M. Lagneau, n'ayant que faire des Éthiopiens, les laisse de côté
et ne mentionne que les Ligures et les Scythes. Mais ce rap-
prochement suivant immédiatement le sous-titre Ligures d'Asie
induit en erreur. Il fait croire que les Ligures et les Scythes
étaient voisins et se trouvaient les uns comme les autres sur
les limites de l'Europe occidentale et de l'Asie orientale. Cela
fausse complètement le sens donné par le poète de l'antiquité
(1) HÉSIODE, Frar/m. cxxxii.
52 i)or:uMi:NT.s historioues
(jui cite trois peuples aux confins opposés du monde, les
Éthiopiens au sud, les Li*i;ures à Foucst et les Scythes au
nord-est. Ces trois populations sont citées sur le môme pied;
si le nom de Tune d'elles, les Scythes, est accompagné d une
épithète, mangeurs de lait de jument, cela tient tout simple-
ment aux nécessités de la versification.
V** siècle. — Du vni*' siècle nous passons au v®. Nous
avons mentionné ([ualre auteurs, tous les quatre parlent des
Ligures. Des deux premiers, Ilécatée de ]\ïilet et Eschyle, ce
sont de simples fragments; des deux autres, Hérodote el
Thucydide, nous avons des œuvres plus complètes.
Héca! 'e i i , (pii plaiMî Monaco et Marseille dans la Ligurie,
cite aussi comme IJgures une peuplade des environs de Nar-
bonne, les lielysices, i)eu[)lade nommée également dans le
IV'' siècle par Festus Avienus i2!. A Tappui de l'existence des
T^igures près de Xarl)onne, (irégoire de Tours (3) mentionne
(pi'au vi*' siècle une localité tort agréable aux environs de
cette ville portait (Micore le nom de Liguria.
Le fragment d'Eschyie (4), entièrement mythologique
comme t'ait, peut pourtant être invoipié comme donnée géo-
graphique. Prométhée indi([uant à Hercule le chemin du
Caucase aux Ilespérides lui dit : « Tu arriveras chez le peuple
intrépide des Ligures. Tu auras éi)uisé tes flèches, mais Jupiter,
pour te venir en aide, fera tomber une pluie de pierres dont
tu t'armeras j)our mettre les IJgun^s en fuite. » Strabon (^5),
en rapportant ce fragment, [)lace le lieu du combat entre Mar-
seille et le llhone dans la plaine de la Cran, plaine qui, comme
on le sait, esl couverte de cailloux roulés. Apollodore, com-
plétant cette légendes mythologiciue, fait encore traverser la
Ligurie par Hercule à son retour d'Espagne pour aller en
Etrurie.
Hérodote ((V), en énumérant les mercenaires de Tannée levée
en /|8o par le général carthaginois Amilcar, pour faire la
guerre en Sicile, cite les Phéniciens, les Libyens, les Ibères,
i IIkcatki:, Fntfjni. xx, xxii, xxur.
•2. Festus Aviem:s, Ora m'irilinvi, vers 584-
•3 Grégohœ de T()Uf<s, Di (jloria innrî'jriim, eh. lu.
'4: Eschyle, Frcujm. lxvi.
5; STiîAiiON, Géoijraphie A\\ . IV, di. i, § 7.
IIÉiioDOTr:. Ilisfoirr liv VII c-li. clxv.
los Ligures, les Helysices et les Sardones. Le groupement
de ces populations montre bien qu'il s'agit des Ligures de
nos côles méditerranéennes. La présence des Helysices, dont
ïious venons de préciser la position, ne laisse aucun doute
à cet égard. Dans une autre énumération de l'armée de Da-
rius, en 490, Hérodote (1) cite des Ligures avec des Mantié-
niens, des Mariandyniens, des Syriens et des Paphlagoniens.
Les Mariandyniens sont un ancien peuple de l'Asie Mineure ?
voisin de la Bithynie et de la Paphlagonie. Cette association
de Ligures avec un groupe de populations de l'Asie fait pré-
sumer qu'il s'agit de Ligures habitant ces régions.
Quant à Thucydide (2), il raconte que les Ligures antérieu-
rement à la guerre de Troie, c'est-à-dire avant le xui^ siècle,
avaient déjà chassé les Sicanes, populations ibériques des
bords du Sicanus, cours d'eau de l'Espagne.
De ces divers textes primitifs, on peut déduire que les Li-
gures occupaient le littoral de la Méditerranée entre l'Etrurie
nommée alors Tyrrhénie et les Pyrénées, qu'ils ont envahi
l'Espagne et qu'il y avait en Asie des populations portant leur
nom.
Ligures de la mer Noire. — D'un passage d'Hérodote
nous avons déduit qu'il devait y avoir des Ligures dans les
parages de la mer Noire. Eustathe, au xu® siècle, dans ses
Commentaires sur Denys le Périégcie (3), poète du iv® siècle,
place ces Ligures dans la Colchide. Lycophron, autre poète
grec, plus ancien, antérieur à notre ère, nous permet de pré-
ciser davantage. Il parle de la ville Ligure, AtyuaTixrjV, de
Ivutaia. Or Kutaia, de l'ancienne Colchide, n'est autre que
la ville russe actuelle Khotatis ou Khotaïs. La Ligurie de
l'Orient se trouvait donc au sud du Caucase, à l'extrémité
orientale du Pont-Euxin ou mer Noire, entre la chaîne de
montagnes et la mer. C'est tout ce que nous en savons. Etait-
ce une colonie de véritables Ligures, débris d'invasions venues
de l'Occident, ou une simple similitude de nom toute for-
tuite ?
Ligures en Italie. — Pour retrouver les Ligures, il nous
1) HÉRODOTE, Histoire, liv. \U, § 12.
(2) Thucydide, liv. VI, ch. 11.
(3) Eustathe, Commentaire sur le vers 7G.
54 DOCUMENTS HISTORIQUES
laiil faiiv (.-onnuc Hercule, en parlant du Caucase, Iraver-
ser [)rcsque toute l'Europe et arriver sur la côte nord de la
Méditerranée. C'est là qu'existait et qu'existe encore la véri-
table Ligurie. Nous exécutons à peu près le même trajet
qu'Apollonius de Rhodes fi ), à la fin du m*' ou au commence-
ment du II" siècle avant notre ère, faisait suivre à ses Argo-
nautes venant de la Colcliide. Après avoir quitté l'Éridan,
ancien nom du Pô, et dépassé les grands lacs, évidemment
les lacs du nord de lllalie, dont l'un se nomme le lac Majeur,
en sortant de chez les Celtes, ils traversent le territoire des
Ligures, se dirigeant vci's les îles Stœchades. Ces Stœchades
sont les îles d'IIyères, que l'auteur grec déclare se trouver en
face des Ligures.
Festus Avienus (r») pousse la Ligurie jusqu'au Rhône. En
effet, nous avons vu Ilécatée, dès le v" siècle avant notre ère,
placer Monaco et Marseille dans la Ligurie. Huit à neuf cents
ans après, Justin (3) fait encore aborder les Phocéens chez les
Ligures, et Marcien d'IliM^aclée rappelle que Marseille a été
fondée en Ligurie.
Florus(4),au milieu du second siècle, résumant le sentiment
de la plupart des auteurs groupés autour du commencement
de notre ère, un peu avant, un peu après, limite le pays des
Ligures entre le Var du côté de la France et la Macra du
côté de la Toscane.
Quelques auteurs ont cherché à étendre l'occupation des
Ligures dans l'Italie centrale et méridionale. On leur a vague-
ment attribué l'envahissement de toute la péninsule. D'une
manière un peu plus probable, on a dit que, quittant les côtes
à partir de la Macra, ils avaient pénétré beaucoup plus avant
dans le ccxîur de la Toscane et étaient allés jusqu'à Arezzo.
Enfin d'après Philiste de Syracuse, qui écrivait dans la
première moitié du iv^ siècle avant notre ère, des auteurs
venus environ ({uatre cents ans plus tard disent que la
Sicile a été occupée par des Ligures. Silius Italicus, vers
la (in du i'*^ siècle, a môme prétendu que, les envahisseurs
étaient conduits par un chef appelé Siculus, qui a donné son
(i) Apollonius de I^iiooks, Anjonautea, liv. IV, vers 635.
;2) Festus Avienus, Ora maritima, vers 699.
(3) Justin, liv. XLIII, ch. m.
(4) Florus, Histoire romaine^ Viv. \\, c\v. \\\,
LIGURES ;)D
lom à l'île. Tout cela se serait passé un demi-sièele on nn
lècle avant la prise de Troie. C'est donc de la i)ure légende.
La Corse aurait aussi été colonisée par les Ligures et là en-
core nous rencontrons ave.c Corsica la légende dont nous
avons déjà parlé. Ce sont des données qui ne doivent pas nous
arrêter.
Le seul fait historique sérieux que nous rencontrons dans
3ette direction est l'existence d'une petite colonie de Ligures
m milieu de la péninsule italique, dans les environs de Béné-
ent. Des Ligures Apuans (i), sur la Macra, ayant été battus
ar les proconsuls Cornélius et Bœbius, furent, 180 ans avant
otre ère, transportés au nombre de 12.000, avec femmes et
ifants, dans le Samnium, sur un territoire confisqué aux
aurasiniens.
Ligures en Espagne. — Du côté de l'ouest la Ligurie, avant
être limitée au Var, allait jusqu'au Rhône, et Marseille en
lisait partie. Précédemment, elle s'étendait même jus-
ii'aux Pyrénées et occupait toute la côte méditerranéenne,
n effet, nous avons vu Hécatée indiquant à Narbonne les
elysices, peuplade ligurienne, et Scylax (2) nous dit qu'au
îlà des Ibères de l'Espagne habitent jusqu'au Rhône les Li-
■
ures et les Ibères mêlés.
Cette citation semblerait indiquer que les Ligures, vers
accident, finissaient aux Pyrénées. Pourtant plusieurs au-
urs les font pénétrer en Espagne et même occuper tout le
lys. Cette tradition date de loin. Elle est rapportée par Thu-
^dide au v^ siècle avant notre ère. D'après lui (3) des Ligures
iraient chassé d'Espagne lesSicanes, qui habitaient les bords
1 Sicanus, fleuve dont on ne connaît pas la position exacte.
3 fait aurait eu lieu avant le siège de Troie, épo({ue antérieure
l'histoire chez les Grecs. Par conséquent, renseignement de
;u de valeur. Il en est de même de celui fourni par Stéphane
î Byzance, d'après Hécatée. Suivant Stéphane les anciens Li-
ires auraient possédé en Espagne une ville nommée Ligustine.
C'est sur ces données que certains auteurs ont basé l'exis-
nce de populations ligures dans le sud de l'Espagne. Il en
;i) TiTE-LiVE, Histoire, liv. III, § 16, et liv. XL, S 38.
(2) Scylax, Périple^ ^ 3.
(3) Thucydide, Histoire, liv. VI. §2.
56 nociMK.NTs iiisTOiuyri:s
est même (jiii, sur dos données beaucoup moins importantes B^
encore, ont avancé i\uc les Li<^ures étaient originaires delà
partie extrême de rKsj)a^ne nommée Bétique dans Tantiquilé
et formant actuellement l'Andalousie.
Ligures du nord-ouest et de la Loire. — Mais on ne s'est
pas contenté de faire descendre, sans motifs sérieux, les
Ligures au Sud-Ouest, on les a aussi, sans raisons plus sé-
rieuses, fait remonter au Nord-Ouest.
C'est ainsi que, se basant sur des légendes galloises, on a
rapporté aux Ligures les Lloegrys, Locyers, Locgrwys, quien
Angleterre habitaient les bords de TOuse, au nord de la Tamise.
Certains Belges et certains Français du Nord ont aussi, sans
plus de fondement, voulu avoir des Ligures chez eux.
Plus au sud, une similitude de nom a fait émettre l'idée
que des Ligures avaient habité la vallée de la Loire. En effet,
la Loire était nommée Liger par les Latins, et AeiVipo; par les
Grecs. Artémidore, cité par Stéphane de Byzance, ainsi
qu'Eustathe, font dériver le nom Ligures^ Atyupeç, de Aivupo;,
Loire (i). Nous ferons s£îulement observer que c'^est la pre-
mière fois qu'apparaît le mot grec AiYupe; (Ligures); jusque-là
tous les auteurs grecs employaient le mot Ai^ueç (Ligues).
Cette modification n'a-t-elle pas été faite pour les besoins de
la cause? Maximin Deloche (2) appuie cette interprétation en
in(li({uant (pie la partie du sud-ouest du Limousin a été
appelée au moyen Age pays de Ligoure.
Feslus Avienus i3j men lionne des Ligures au voisinage des
îles OEstrymnides. Ouelles sont ces îles? Le golfe de (jas-
cogne ayant été nommé golfe Œstrymnique, si les îles de ce
nom sont les îles des cotes de France au nord du golfe, cela
viendrait confii*mc*r l'assertion de l'existence de Ligures dans
le bassin de la Loire, dont rembouchure est peu éloignée de
ces îles. ^lais si, selon Lagneau (/§), ces îles sont les Cassitérides
ou îles Sorlingues auxcpielles les Phéniciens se rendaient en
traversant le golfe, ce serait en faveur des Ligures de TAngle-
terre. Tout cela est bien vague.
(1) Ki^sTATiiE, Commentaires sur Denys Périégèle^ sur le vers 76.
(î>.) Maximin Deloche, Eliiih sur la rjéographie historique de la Gaule^
iSGi, p. 137.
3 I'estus AviEMTS, Ora maritima. vers 129.
V I^Ac.NEAU, Antliropolor/ie de la France. 1879, ]>. Go4.
LIGURES 57
Valeur du mot Ligure. — Ce qui ressort très clairement
de Tétude critique et impartiale des auteurs anciens, c'est que
le terme Ligures était tout d'abord un mot pris dans une ac-
ception générale et mal définie. Au vui^ siècte avant notre
ère, Hésiode appliquait ce nom à tous les peuples de l'ex-
trême Occident.
Plus tard, bien que restant encore très vague, le sens du
terme s'est peu à peu resserré, perdant l'Angleterre, la Bel-
gique, la France, l'Espagne, la Sicile, le sud et le centre de
l'Italie. Les Ligures se sont alors trouvés occuper toute la
côte méditerranéenne des Pyrénées à la Macra en Toscane,
puis ils ont perdu l'espace compris entre les Pyrénées et le
Rhône et enfin celui qui sépare le Rhône du Var.
Comme développement dans les terres, nous observons les
mêmes réductions successives. Au sud de la Macra, le terri-
toire des Ligures s'étendait jusque vers Arezzo et TOmbrie.
A l'est, il confinait aux Boïens des Romagnes. Il s'est peu à
peu retiré jusqu'à la Trebbie, rivière qui se jette dans le Pô
près de Plaisance. Au nord, dans les Alpes surtout, ce terri-
toire avait pris un grand développement. D'après Strabon, les
Caturiges d'Embrun (Hautes- Alpes), les Centrons de la Taren-
taise (Savoie) et même les Salasses du Val d'Aoste (Piémont),
les Veragres du Chablais (Haute-Savoie) et les Nantuates du
Bas- Valais auraient été des Ligures.
C'est en 287 avant notre ère que les Ligures eurent leur
premier engagement avec les Romains.
SousAuguste, deux cents ans plus tard, la Ligurie formait la
neuvième région de l'Italie. Cette province romaine s'étendait
le long de la mer Tyrrhénienne, golfe de Gênes, du Var, fron-
tière de la Gaule, jusqu'à la Macra, frontière de l'Étrurie, et la
Trebbie, frontière de la Cispadane. Le cours du Pô la bornait
au nord, et les sommets des Alpes à l'ouest. Elle occupait
ainsi près de la moitié du Piémont.
Plus tard, elle se resserra beaucoup du côté du nord et
devint la République de Gênes. Enfin maintenant elle se
trouve resserrée entre les sommets de l'Apennin et la mer.
Ce court exposé suffit pour montrer que le terme Ligurie,
comme les termes que nous allons examiner successivement,
n'a pas une valeur ethnique réelle. Ce n'est qu'une simple
expression géographique variant avec l'étendue et la précision
58 DOCUMENTS HISTORIQUES
(lo nos comiaissances, cl soumise aux fluctuations politiques.
Le territoire occupé par les anciens Ligures était subdivisé
en une foule de petites peuplades, ayant chacune son nom,
énumérées par Strabon et surtout par Pline (i), mais nous
n'avons pas à entrer dans ces détails.
Caractères ethniques. — Ce qui nous importerait da-
vantage serait de connaître les caractères ethniques des Li-
gures de Tanticpiité. Malheureusement, les auteurs nous ont
transmis bien peu de détails sous ce rapport. Voici ce qu'ils
en disent et ce (jue l'on peut déduire de leurs écrits.
De la configuration de la Ligurie, nous pouvons con-
clure que les Ligures étaient essentiellement marins et mon-
tfignards. Gomme marins, nous les voyons s'étendre le long
de la côte méditerranéeime, entre le Rhône et surtout le
Var et la Macra. Leur territoire se resserre de plus en plus
en largeur, mais ils n'abandonnent jamais la côte. Leurs
descendants les Génois se sont distingués entre les navigateurs
et ont donné Christophe Golomb.
Gomme montagnards, ils se seront développés dans les Alpes
et les Apennins. Lorsqu'ils ont abandonné une petite por-
tion de la côte, c'est la moins montagneuse, celle entre le
Rhône et le Var, qu'ils ont perdue. Quand vers le sud-est ils
se sont arrêtés, le long de la côte, aux rives de la Macra, c'est
(jue là cessait la côte abrupte. Leur développement s'est fait
encore plus au sud, mais dans la partie montueuse. La mon-
tagne abandonnant la côte, ils ont quitté la côte pour suivre
la montagne.
Et, rapprochement curieux, quand nous retrouvons leur
nom aux confins de l'Europe et de l'Asie, c'est encore dans
une position tout à fait analogue. Les Ligures de la Colchide
étaient resserrés entre la côte de la Mer Noire et une partie
des montagnes constituant la chaîne du Gaucase.
Les Ligures avaient été considérés dans la haute antiquité
comme une race tout à fait distincte, si distincte même qu'on
ne lui attribuait que sept paires de côtes, erreur contre la
quelle Aristote (2), déjà trois bons siècles avant notre ère, a
cru devoir s'élever.
(1) Pline, Histoire naturelle, liv. III, ch. vi, § 1 et 2.
(2) Aristote, llist. animaux, liv. I, ch. xv.
IBÈRES 59
Diodore de Sicile (1), trois siècles après, nous présente les
-igures comme maigres, de petites proportions, mais ro-
>iistes, effet d'un constant exercice. Il ne pouvait en être
Liitremenl, la vie de ces hommes étant partagée entre les
langers de la mer et les fatigues de la montagne. D'autres
tuteurs, parmi lesquels Tite-Live (2) et Plutarque, les dé-
Tivcnl comme intraitables, courageux, belliqueux et suppor-
ant facilement les fatigues de la guerre.
Cette énergie des Ligures a donné lieu à plusieurs anec-
lûtes. Ainsi Tacite (3) parle d'une femme qui, à la prise
l'Intemelium, actuellement Vintimille, fit cacher son fils et
e laissa torturer par les Romains, se contentant de répondre
usqu'au dernier soupir :
— Il est dans mon sein.
Ces femmes étaient si vigoureuses, que, prises des douleurs
e l'enfantement pendant leur travail, elles allaient, dit-on,
ccoucher et revenaient continuer la tâche commencée.
CHAPITRE VI
IBÈRES
Ibères en Espagne. — Au commencement du v*' siècle
ivant notre ère, deux noms de populations de l'Europe occi-
lentale font leur apparition dans Hécatée de Milct, qui vivait
le 525 à 473. Impossible d'indiquer d'une manière plus pre-
sse, car on n'avait pas encore l'habitude de dater les éditions.
Ces noms sont: Celtes et Ibères.
Nous allons tout d'abord étudier les Ibères, pour trois mo-
ifs:
1° Parce qu'ils ont droit d'aînesse, étant cités non seule-
nent par Hécatée, mais encore par un autre auteur de la
(1) Diodore de Sicile, liv. IV, | 20, et liv. V, § 89.
(2) TiTE-LiVE, liv. XXVII, ch. xlviii.
(3) Tacite, Histoire, liv. II, ch. viii.
Go DOCUMENTS IIISTOIUgUES
seconde moilié du v^ siècle, Hérodote, qui vivait de !fiokl\Q^.
Les Ibères él aient doue plus connus au v siècle que les
Celtes.
2» Parce que, comme nous l'avons vu dans le chapitre pré-
cédent, les Ibères se relient plus intimement avec les Ligures
qu'avec les Celtes.
3° Enfin parce qu'avec les Ibères, succédant aux Ligures et
précédant les Celtes, nous marchons progressivement vers les
populations antiques qui se rattachent plus intimement à noire
histoire. Nous pourrons les étudier d'une manière d'autant
plus nette et plus précise que nous aurons débarrassé notre
étude des nombreux accessoires qui l'encombraient.
Tout d'abord les auteurs de la haute antiquité n'ont eu sur
les Ibères que des notions très vagues et fort incomplètes. Je
suis loin d'être le premier à le constater. Dès la fin du i®' siècle
de notre ère, Flavius Josèphe (i ) écrivait :
« Les historiens anciens les plus exacts étaient d'une entière
ignorance relativement aux Celtes et aux Ibères, au point
qu'Ephore parle des Ibères comme d'habitants d'une ville uni-
que, quand personne n'ignore aujourd'hui que ce peuple
occupe une grande contrée à l'Occident. »
Eschyle, d'après une citation de Pline (2), place l'Eridan en
Ibérie. On sait que l'Eridan n'est autre que le Pô, qui prend
sa source dans les Alpes du Piémont et coule en Italie bien
loin de l'Espagne, véritable Ibérie.
Les Ibères, Iheri des Latins, ^^lêr^peç des Grecs, tiraient leur
nom de l'Èbre, Iberiis, "lê/io, fleuve d'Espagne dont les Grecs
d'après Pline (3) appliquèrent le nom à l'Hispanie tout
entière. Polybe {^).k partir du milieu du u'' siècle avant notre
ère, jusqu'à Marcien d'Héraclée (5) au iv^ siècle, en passant
par Strabon et Diodore de Sicile du début de notre ère, nom-
ment Ibérie toute l'Espagne, des Pyrénées aux Colonnes
d'Hercule ou détroit de Gibraltar, la grande contrée de l'Oc-
cident dont parle Flavius Josèphe.
Quelques auteurs ont pourtant prétendu que les Ibères
(1) Flavius Josèphe, Contre Appien.Viv. I, ch. xii.
(2) Pline, JJhloire nalurcUe, liv. XXXVII, rli, 11, % 11.
(3) Pltne, h ht o ire naturelle, liv. III, ch. iv.
[f\) Polyue, Uhtoire, liv. III, ch. xxxvii, § 10.
(5) Marcien, Périple mer extérieure, liv. H, ^ G.
IBÈRES 61
•ccupaient que les pays attenants aux côtes de la Méditer-
lée, mais que le Sud et les côtes de l'Ouest étaient habités
? d'autres populations. Ces auteurs n'ont-ils pas confondu
5 noms de divisions secondaires avec le grand nom général
bérie? En effet, la péninsule ibérique a été subdivisée de
isieurs manières simultanément ou à des époques diffé-
ites. Il y a eu d'abord, en allant des divisions les plus simples
X plus composées : l'Hispanie citérieure, embrassant tout le
rd-estdela péninsule, et l'Hispanie ultérieure, comprenant le
d-ouest. Vient ensuite une division en trois : la Bétique au
d, la Lusitanie au nord-ouest et la Tarraconaise, la plus
5te, au nord-est. Enfin la péninsule ibérique, comme la
ule, comme l'Italie, comme la Ligurie que nous venons
tudier, était subdivisée en une foule de petits peuples
tout au moins de populations diverses ayant chacune son
m. Ainsi les Tartessiens de Scymnos de Chio et de Festus
ienus paraissent n'être qu'une de ces subdivisions infé-
ures. Ce sont les habitants de l'île de Tartesse, qui est for-
e par l'embouchure du Bétis, fleuve qui a donné son nom
1 Bétique.
bères en France. — Les Ibères occupaient donc l'Es-
^ne tout entière, ils s'étendaient môme au delà. Passant
Pyrénées, ils occupaient primitivement la côte française
qu'au Rhône comme nous l'apprend Hérodore d'Héra-
3(1), qui vivait, dit-on, au v*^ siècle avant notre ère, mais
it l'opinion ne nous est parvenue que par une citation bien
térieure. Scymnos de Chio (2), de la première moitié du
liècle avant notre ère, résumant des auteurs antérieurs, dit
les colonies grecques d'Agde, à l'embouchure de THé-
It, et de Rhodanasia, sur une des bouches occidentales du
ine, sont en Ibérie. Festus Avienus (3) donnant aussi l'avis
iciens auteurs pousse la limite des Ibères jusqu'à la rive
ite du Rhône, fleuve qui, suivant cet auteur, sépare les
res des Ligures. Quant à Scylax (4), il nous montre les
ures mêlés aux Ibères entre les Pyrénées et le Rhône, cous-
ant ainsi les Ibéro-Ligures.
HÉRODORE, Fragments, 20.
Scymnos, vers 2o5,
Festus Avienus, Ora^ vers Goj.
S<:vLAX, Périple, % 3.
62 DOCUMENTS HISTORIQUES
Slrabon nous prouve qu'un peu avant le commencement de
notre ère, les Ibères avaient quitté la côte française de la
Méditerranée. « Autrefois, dit-il, on donnait le nom d'Ibérie à
la contrée comprise entre le Rhône et Tisthme formé par les
deux golfes galaticjues, tandis qu'aujourd'hui on regarde les
Pyrénées comme la limite de Tlbérie, à laquelle on donne le
nom d'Hispanie. »
Les deux golfes galatiques sont le golfe du Lion et le golfe
de Gascogne. Le texte de Strabon nous montre que, si les
Ibères débordaient sur la France du côté de la Méditerranée,
ils devaient aussi débbrder du côté de l'Océan. En effet, c'est
ce qui avait lieu, et leur extension de ce côté était même plus
considérable que de l'autre. Sous le nom d'Aquitains, ils occu-
paient le territoire situé entre les Pyrénées et la Garonne,
borné à l'occident par la mer.
Aquitains, Basques, Silures. — Le nom des Aquitains,
Aquitani, 'Axouïxavoi, n'apparaît qu'au i^^ siècle avant notre
ère. D'après Strabon (i), « les Aquitains diffèrent absolument
des autres Gaulois, soit pour la conformation, du corps, soit
pour le langage ; ils ressemblent aux Ibères. » Il ajoute que
les Celtes et les Ibères, bien que différents, ont un caractère
commun, V extérieur g alate^ raXarixT^v.
César, au début de ses Commentaires (2), divise la Gaule en
trois parties : la Belgique, la Celtique et l'Aquitaine, qui diffè-
rent par le langage, les institutions et les lois. Mais il ne dis-
tingue pas d'une manière spéciale l'Aquitaine des deux autres.
Il donne à cette partie les mêmes limites que Strabon, et la
subdivise en un certain nombre de petits peuples.
Slrabon en indique vingt, Pline plus encore. Auguste agran-
dit l'Aquitaine, sur la rive droite de la Garonne. Il y ajoute
quatorze populations nouvelles dans la direction de la
Loire.
Si les Aquitains sont considérés comme des Ibères, à plus
forte raison les Basques. Divers auteurs les présentent comme
« les plus purs descendants de la race des Ibères ».
Les Basques seraient les descendants directs des Vascons,
Vascones^ Oùaaxwveç (ouaskônes), population ancienne de l'His-
(i) Stiiadon, Géographie, liv. IV, ch. i, 1 1, et ch. 11, § 1.
(2) CÉSAR, Guerre des Gaules, \\\. I,ch. i.
IBÈRES 63
panie ou Ibérie. Silius Italicus (i), vers la fin de notre i^" siè-
cle, parle des « Vascons légers et agiles ».
Les Ibères remonteraient encore bien plus au nord que la
Vasconie et TAquitaine. Suivant Denys le Périégète (2) et
Festus Avienus (3), ils auraient peuplé des îles de TOcéan
Atlantique que ces deux poètes appellent les Hespérides. Les
Hespérides, ce nom nous rappelle les pommes d'or, les
oranges. On serait tenté d'aller chercher ces îles vers le sud
et non vers le nord. Mais nos deux auteurs nous disent
que leurs Hespérides sont des îles à étain. Il nous faut donc
forcément remonter jusqu'aux Sorlinguesou Scilly, en face de
la pointe de Cornouailles, les seules îles qui contiennent ce
métal si recherché des anciens. Hespérides serait donc ici syno-
nyme de Cassitérides. Les Ibères, voire mômes les Aquitains,
étaient habiles dans l'art d'exploiter les mines ; il ne serait pas
étonnant de les retrouver dans un district minier comme les
îles Sorlingues.
Tacite (4) étend leur occupation encore plus loin. Il nous dit :
« Le teint basané des Silures, population de l'ouest de l'An-
gleterre, dans la partie méridionale du pays de Galles, les che-
veux bouclés de la plupart d'entre eux, leur pays qui regarde
l'Hispanie, autorisent cette croyance que jadis les Ibéricns ont
abordé ces côtes et s'y sont établis. »
Enfin, Lagneau (5), s'emparant de ces caractères physiques
et de plusieurs autres motifs mis en avant parles auteurs mo-
dernes, poursuit la recherche des Basques et des Ibères sur
divers points de la France, en Angleterre, en Irlande et jus-
qu'en Amérique.
Méditerranée et mer Noire. — Dans la Méditerranée, en
se dirigeant vers l'est, on rencontre les Baléares, si voisines de
l'Espagne qu'on peut dire qu'elles en font partie. Aussi les
considère-t-on comme ayant été habitées par les Ibères.
C'est même sur leur nom qu'on se fonde pour introduire les
Ibères en Corse. Il y aurait eu dans cette dernière île des
Baléares.
(1) Silius Italicus, Puniques, liv. III, vers 359.
(2) Denys le Périégète, vers 563.
(3) Festus Avienus, Description de la terre, vers 742,
(4) Tacite, Vie d'Agricola, xi.
(5) Lagneau. Anthropologie delà France, 1879, p. 633.
()/| I)i>Cl MKNTS IIISTOKIÇJUES
Pausanias (i), dans son Voyage en Phocide, raconte que les
Ibères passèrent en Sardai^ne sous la conduite deNorax. Ils y
fondèrent Nora, la première ville établie dans Tîle, à son
extrémité sud.
D'après Éphore et Slrabon (2), les Lif^ures, qui avaient en-
vahi TEspa^ne, en chassèrent les Sicanes, population ibé-
rienne des bords du Sicanus, et les refoulèrent jusqu'en Sicile,
qu'ils avaient, dit-on, occupée eux-mêmes précédemment.
dette habitation des Ibères en Hispanie, incontestée, tout
au moins pour ce qui concerne la côte de l'est ; leur dissémi-
nation dans les grandes îles de Ja Méditerranée, jusqu'à la
Sicile, ont engagé Abel llovelacque à les appeler Race Médi-
terranéenne Occidentale (3).
Les Ibères, comme les Ligures, après une grande étendue de
pays où il n'y a pas trace d'eux, se retrouvent entre la mer
Noire et la Caspienne. Un pays nommé Ibérie existait dans
l'antiquité au sud du Caucase. Il était limité à l'ouest par les
Ligures de la Colchide ; à l'est par les Albanes, population
dont nous allons avoir à parler un peu plus loin ; au sud par
l'Arménie ; c'est à peu près la Géorgie actuelle. Ce pays était
arrosé par le Cyrus, le Kour actuel, qui comptait parmi ses
affluents un I bénis. L'existence de cette Ibérie caucasienne a
été attestée par Ptolémée f^j dès la première partie du n*^ siè-
cle avant notre ère, par Pline (5) au milieu du r^ siècle de
notre ère et par plusieurs auteurs contemporains de Pline ou
postérieurs. Elle fut soumise aux Romains, par Pompée, vers
l'antio avant notre ère. C'était pourtant un pays puissant, car,
si nous en croyons Appien ((>!, un siècle avant notre ère, réu-
nis aux Albanes, population voisine et sœur, ils pouvaient
lever une armée de 70.000 hommes. Comme origine, le
même Appien (7) est des plus indécis; il les considère
soit comme des ancêtres, soit comme des colons, soit
simplement comme des homonymes de ceux d'Europe,
(1) Paisanias, Voijageii, liv. X, ch. xvu.
(2} Sthabon, Géo(/raphie, liv. VI, ch. 11, % f^.
(3i Abp:l Hovelacque, Revue anthropologique, 1877.
(/jj Ptolkmkp:, liv. V, ch. x.
(5: Pline, IlUloire naturelle, liv. VI, ch. xi et xn; liv. VII, ch. xxvii.
G. Appien, Guerre de Mittiridate, cm.
'7 Idem. Ihid., ci.
IBÈRES 65
observant qu'ils ont des coutumes et un langage dilTérenls.
Tacite (i), au commencement de notre n° siècle, rappelle que
les récits mythologiques ou tout au moins héroïques font
descendre les Ibères du Caucase et les Albanes des Thessa-
liens compagnons de Jason. Strabon (2), moins hésitant
qu'Appien, paraît être bien plus dans le vrai que Tacite, lors-
qu'il fait venir les Ibères du Caucase des Ibères de THispanie.
« Les Ibères se sont trouvés transplantés des régions de l'Oc-
cident dans les pays situés au-dessus du Pont et de la Col-
chide, où leurs possessions se trouvent séparées de TArménie
par TAraxes, au dire d'Apollodore, mais plutôt par le Cyrus et
par les monts Moschiques. »
C'est très simple, très clair et 1res net ; ce qui n'empêche
pas Alexandre Bertrand (3) de faire candidement, après la
citation précédente, l'observation suivante :
« Strabon se trompe évidemment ; ce sont, selon toute pro-
babilité, les Ibères du Caucase qui ont émigré en Espagne. »
Voilà comment les adversaires de la palethnologie savent
interpréter les textes, qu'ils nous accusent de trop ne'gli-
ger.
Eh bien, non, Strabon ne se trompe pas. Bien que l'his-
toire écrite remonte beaucoup plus haut en Orient qu'en
Occident, les Ibères du Caucase ne sont cités que deux siècles
avant notre ère, tandis que les Ibères de l'Hispanie sont déjà
mentionnés trois siècles plus tôt, au v*' siècle avant notre ère, et
cela par trois auteurs différents, tous les trois orientaux. On
voit donc bien que dans la haute antiquité il n'y avait des
Ibères qu'en Europe occidentale. Ceux de l'Asie ne sont arri-
vés que longtemps après. Ce sont donc les Ibères de l'His-
panie qui ont dû essaimer sur l'Asie. Strabon a pleinement
raison, quoi qu'en dise A. Bertrand I
Les invasions de l'Orient par les populations de l'Occident
sont prouvées par des documents historiques. Nous en ver-
rons un grand nombre en nous occupant des Gaulois ou Ca-
lâtes. Les documents égyptiens nous en ont déjà fait con-
naître une datant du xni® siècle avant notre ère, invasion qui
(1) Tacite, AnnaleSyliv, VI. ch. xxxiv.
(2) Strabon, Géographie, liv. I, ch. m, § 21.
(3) Alexandre Bertrand, Celtes, Gaulois et Francs, 1878, p. 7.
G. DE MORTILLET. ^
(K) DOCUMENTS HISTORIQUES
a eu lieu en Asie Mineure, par conséquent dans la région de
la mer Noire.
Certains auteurs prétendent que les Ligures et les Ibères
ne forment qu'une seule et même population et qu'ils doivent
être confondus. Qu'il y ait eu quelques incertitudes, quelques
indications vagues à propos de ces populations chez les auteurs
anciens, c'est certain. Mais, dès que nous rencontrons des
auteurs mieux renseignés, il n'y a plus de confusion : les
Ligures sont bien confinés du côté de l'Italie, et les Ibères du
côté de l'Espagne. Divers écrivains disent nettement que le
Rhône servait de limite entre les Ligures à l'est et les Ibères
à l'ouest. Pourtant il y eut mélange entre des Ligures et des
Ibères, entre le Rhône et les Pyrénées ; les habitants de celte
partie de la côte furent alors appelés Ibéroligures. Ce nom
n'aurait plus de sens en admettant que les Ibères et les Li-
gures ne forment qu'une seule et même population. De même
que les anciens séparaient les Ligures et les Ibères en Europe,
ils les séparaient aussi en Asie. C'étaient donc bien, pour eux,
deux populations voisines mais tout à fait distinctes.
Bebryces. — Lagneau, qui a publié un des meilleurs et
des plus érudits travaux sur les Ligures et les Ibères, y joint
les Bcbryces. Le premier auteur qui les a nommés est Scym-
nos de Chio (i) dans la première moitié du i®^ siècle avant
notre ère.
Après viennent Silius Italicus (2) à la fin de notre i®"" siècle,
Dion Cassius (3) au commencement du ni**, Festus Avie-
nus (4) au IV®, Zonaras (5), (îrec, commencement du xn% et
Tzetzes (Gj, poète grec, deuxième moitié du xn® siècle.
Polybe, Tite-Live, Strabon, Mêla, Pline, ne parlent pas des
Bebrvces.
Si Festus Avienus est cité (romme les avant mentionnés,
c'est grûce à une rectification de texte proposée par Cclla-
rius.
Les Bebryces auraient habité près de Narbonne, et pourtant
11) ScYMNos, vers 199.
(2^. Silius Italicus, Passaqe iVAnnibal^ liv. III,
(3) Dion Cassius, liv. XXXIV.
(4) Festus Avienus, vers 585.
(5) Zonaras, liv. VIII.
lO; Tzetzes, vers 5i6 et iSoO.
CELTES 67
lésar ne les mentionne pas. Ils auraient aussi été signalés en
►ithynie, côte méridionale de la mer Noire. Mais Lagneau (1),
ui leur accorde une certaine importance, est obligé d'avouer
ue cette « région est mal déterminée ».
II s'agit donc là d'une population d'ordre secondaire, peu
onnue, dont nous avons d'autant moins à nous occuper ici,
u'on ne sait à quelle autre population elle se rattachait.
Il vaut mieux nous en tenir aux grandes coupes, les plus
n vue. Ce sont celles sur lesquelles nous avons le plus de
locuments ; elles sont les plus étudiées, les plus discutées, par
conséquent les mieux connues. Et cependant elles nous lais-
lent encore souventdans de cruels embarras. Que serait-ce si
lous allions nous perdre dans le dédale de toutes les subdi-
visions inférieures ?
CHAPITRE VII
CELTES
Méthode chronologique. — Avec les Ligures, nous avons
ouché au sud-est de la France ; avec les Ibères, nous avons
>énétré un peu plus avant du côte du sud-ouest; avec les
leltes, nous entrons en plein dans notre pays. Mais aussi nous
bordons le sujet le plu^ embrouillé, le plus mal défini qu'il
oit possible d'imaginer. Voici ce qu'en dit un des plus
rdents partisans des textes (2).
« J'ai essayé de démontrer que les auteurs anciens, grecs et
DHiains, antérieurs à Polybe, aussi bien les géographes que
;s historiens, manquaient de toute donnée précise sur ce
u'ils appelaient la Celtique; j'ai ajouté qu'ils ne nous avaient
lissé aucun document de nature à nous éclairer sur les qua
tés, tant physiques que morales, des Celtes ; que tout tend
(1) Lagneau, Anthropologie de la France, 1879, p. 597.
(2) ALE3CANDRE BERTRAND, Celles^ Gauloïs et Francs^ i5 juillet 1878,
. 17.
68 DOCUMENTS HISTORIQUES
à prouver que sous ce nom générique, mais vague, se cache
un nombre très considérable de nations très diverses, et que
par conséquent, archéologues et anthropologistes pouvaient
se considérer, quand il s'agit des Celtes de cette époque, comme
ayant devant eux un champ d'exploration parfaitement neuf,
pour l'étude duquel ils n'ont rien ou presque rien à attendre
des textes. »
Pour débrouiller et bien caractériser ce sujet, nous allons,
employer le procédé qui nous a si bien réussi à propos
des Ligures et des Ibères. Bien que la question des Celtes
se lie intimement à celle des Gaulois, nous les étudierons cha-
cune séparément et, les connaissant bien isolément, nous
pourrons nous rendre compte avec plus de sûreté et de préci-
sion des rapports qu'elles ont entre elles.
Pour chacune d'elles, comme nous l'avons fait pour les
Ligures et les Ibères, nous allons passer en revue, dans l'ordre
chronologique, les diverses données historiques qui les con-
cernent.
Le nom des Celtes, Celtœ, ReXtoi (Keltoi) ou les mots Cel-
tiques, Celtici^ KeXrDcoi (Keltikoi) n'apparaissent que dans la
première moitié du v® siècle avant notre ère.
V® siècle. — Hécatée de Milet (i), mort en 47^1 est le
premier qui emploie ce terme. Cet auteur désigne Marseille
comme « ville de la Ligustique (Ligurie), près de la Cel-
tique. »
D'Arbois de Jubainville, admettant que Festus Avienus,
poète latin probablement du iv^ siècle actuel, a décrit l'Es-
pagne et la Gaule méridionale d'après un auteur anonyme du
commencement du v® siècle avant notre ère, voudrait intercaler
là cet anonyme parce qu'Avienus parle des Celtes. C'est une
pure hypothèse dont nous ne pouvons nous servir. Quoi qu'il
en soit, d'Arbois de Jubainville (2) conclut :
« Hécatée et cet auteur anonyme sont les plus anciens écri-
vains qui parlent des Celtes. Ils sont de mille ans postérieurs
à cette date de i,5oo ans avant J.-C. qui a été proposée mais
qu'aucun texte ne justifie. La présence des Celtes en Gaule
(1) HÉCATÉE DE Milet, Fragm. 22.
(2) D'Arbois de Jubainville, Les Celtes, les Galaies, les Gaulois, 1875,
p. 2. Extr. Revue arch.
CELTES 69
antérieurement au vi® siècle avant J.-C. n'est donc qu'une
hypothèse. »
Pourtant, cette hypothèse a été mise en avant et adoptée
par plusieurs de ceux qui nous accusent de faire du roman
préhistorique.
Dans la seconde moitié du v® siècle avant notre ère, Héro-
dote, mort en 4o6, parle aussi deux fois des Celtes. Mais les
erreurs géographiques grossières dont il entoure la citation de
ce nom montrent bien que le Père de l'Histoire ne connais-
sait ni le sud de l'Afrique, ni l'Europe occidentale. Jugez
plutôt :
« Le Nil, dit-il (1) vient de la Libye et la coupe par le
milieu, et s'il est permis de tirer des choses connues des con-
jectures sur les inconnues, je pense qu'il part des mêmes points
que l'ister. Ce dernier fleuve commence en effet dans le pays
des Celtes, auprès de la ville de Pyrène et traverse l'Europe
par le milieu. Les Celtes sont au delà des Colonnes d'Hercule
et touchent aux Cynésiens, qui sont les derniers peuples de
TEurope du côté du couchant.
« On ne doit pas, ajoute-t-il, s'étonner que l'ister reçoive
tant de rivières, puisqu'il traverse toute l'Europe. Il prend sa
source dans le pays des Celtes ; ce sont les derniers peuples de
l'Europe du côté de l'Occident, si l'on excepte les Cynètes, et,
après avoir traversé l'Europe entière, il entre dans la Scythie
par une de ses extrémités. »
La Libye pour les Grecs était le nord de l'Afrique, pour les
Égyptiens l'ouest. Le Nil vient du sud, de l'Ethiopie de tous les
anciens. L'ister est le Danube. Hérodote pensait donc que le
Nil et le Danube prenaient leur source au môme point. Mais
il avoue franchement que c'est l'inconnu pour lui. Le Danube
qui traverse toute l'Europe prend sa source dans les Pyrénées
qui pour Hérodote ne sont pas une chaîne de montagnes, mais
une ville. Si le célèbre historien grec ne connaissait pas mieux
la géographie de l'Europe occidentale, c'est qu'à son époque
elle était complètement inconnue de la Grèce, de l'Egypte et
du reste du monde civilisé. Il ne ressort de son récit qu'une
chose, c'est que les Celtes étaient les derniers peuples du côté
de l'Occident si l'on excepte les Cynètes, population restée
(l) HÉRODOTE, liv. II, Ch. XXXIII.
70 DOCUMENTS HISTORIQUES
indéterminée et oubliée par les auteurs suivants. La simple
constatation de cette ignorance nous paraît une preuve de
plus que d'Arbois de Jubainville a raison de traiter d'hypothèse
sans fondement les i ,5oo ans avant notre ère que quelques
auteurs actuels veulent attribuer aux Celtes.
Quand Hérodote (i) parle de l'armée levée en 48o avant notre
ère par Amilcar chez différents peuples de la Méditerranée
occidentale, Afrique et Europe, il ne cite pas les Celtes. C'est
en 370, plus de cent ans après, qu'apparaissent les premiers
mercenaires celtes. Des débris des bandes qui avaient pris
Rome en 388, passèrent en Sicile et offrirent, d'après Xéno-
phon (2) confirmé par Diodore de Sicile et Justin, leurs services
à Denys l'Ancien.
IV® siècle. — Platon (3), qui se trouvait en Sicile au
moment où se groupaient les mercenaires, cite parmi eux des
Carthaginois, des Celtes, des Ibères et des Thraces, « nations
guerrières », ajoute-t-il.
Si l'on consulte Aristote, qui écrivait de 5o à 75 ans après
Hérodote, on voit que, sous le rapport de la géographie de
l'Europe occidentale, les Grecs n'avaient fait que de bien
faibles progrès.
« De Pyrène, dit Aristote (4) (Pyrène est une montagne
située au couchant équinoxial dans la Celtique), coulent Tlster
et le Tartessos. »
Le Danube ou Ister prend toujours sa source dans les Pyré-
nées, mais Pyrène n'est plus une ville, c'est une montagne.
Cette montagne ne donne pas seulement naissance à Tlster
ou Danube, elle donne naissance aussi au Tartessos, syno-
nyme de l'ancien Bétis, Guadalquivir actuel, fleuve qui a son
embouchure dans l'Océan Atlantique, non loin du détroit de
Gibraltar, mais qui provient du centre de l'Espagne, bien loin
des Pyrénées.
A propos de l'âne, Aristote parle deux fois des Celtes.
« L'âne est un animal frileux, on ne peut en élever dans
les pays du nord, comme chez les Scythes et chez les Celtes,
(1) HÉRODOTE, liv. IV, Ch. XLIX.
(2) XÉNOPHON, Uelléniques, liv. VU, ch. i, § 20. — Diodore de Sicile,
liv. XV, ch. xLvii. — Justin, liv. XX.
(3) Platon, Des Lois^ liv. I.
(7j) Aristote, Météorologie, liv . 1, ch. xii.
CELTES 71
qui sont au-dessus de ribérie (1). Dans rillyrie, la Thrace et
TEpire, les ânes sont petits. Dans la Celtique et la Scythie,
il n'y en a pas du tout, parce que le froid y est trop rigou-
reux (2). »
La Celtique, au-dessus de Tlbérie, est bien placée, mais elle
est poussée jusqu'au nord, pays à froid rigoureux.
Scylax (3) dans son Périple^ qu'on rapporte au milieu du
rv* siècle avant notre ère, ne mentionne pas les Celtes sur les
côtes de France. Il ne parle que de Celtes situés sur TAdria-
tique, entre les Tyrrhéniens et les Vénètcs, soit Rimini et
Venise. Ce seraient les restes d'une expédition ou invasion.
Ephore (4), dans la seconde moitié du iv® siècle avant notre
ère, indiquant les populations extrêmes de la terre aux quatre
points cardinaux, cite les Indiens à l'orient, les Éthiopiens
au midi, les Celtes à l'occident et les Scythes au septentrion.
N'oublions pas qu'Ephore écrivait dans l'Éolide, province de
l'Asie Mineure. Il vient confirmer ce que nous avons dit de
l'Afrique à propos d'Hérodote. Ce sont bien les Éthiopiens
qui limitaient le monde ancien au sud. Comme les Celtes le
limitaient à l'occident, on en a déduit que, d'après Ephore,
partant des Colonnes d'Hercule ou détroit de Gibraltar, extré-
mité de l'Espagne du côté de l'Afrique, ils allaient, par la val-
lée du Danube, jusqu'auprès des Scythes, vers l'embou-
chure de ce fleuve dans le Pont-Euxin ou mer Noire.
II« siècle. Polybe. — A la fin du ni** ou tout à fait au
commencement du n'' siècle avant notre ère, Apollonius de
Rhodes (5), conduisant les Argonautes de la Colchide aux îles
d'Hyères , dit qu'après avoir quitté TÉridan, dépassé les
grands lacs, ils sortirent de chez les Celtes pour traverser le
territoire des Ligures. L'Éridan, qui n'est autre que le Pô, el
les grands lacs du nord de l'Italie se trouvaient donc en pays
celtes.
Ptolémée (6), dans la première moitié du ii** siècle avant
notre ère, raconte que des Celtes de l'Adriatique auraient.
(1) Aristote, Histoire des animaux^ liv. II, ch. vin.
(2) Idem, /6/cf., liv. VIII, ch. xxviii.
(3) Scylax, Fragm. 18.
(4) Ephore, Fragm, 38. — Cité par Strabon, liv. 1, ch. 11, § 28.
(5) Apollonius de Rhodes, Argonautes, liv. IV, vers t)35.
(6) Ptolémée, Histoire (V Alexandre .
72 DOCUMENTS HISTORIQUES
en 336, adressé une ambassade à Alexandre le Grand. Appien,
au II*' siècle de notre ère, dans son Expédition d'Alexandre,
les appelle Celtes du golfe Ionien.
Pausanias et Polybe, qui ont écrit à peu près à la même
époque, vers le milieu du ii® siècle avant notre ère, joignent
le mot Galate au mot Celte. Nous nous occuperons dans le
chapitre suivant de ce nouveau nom, déjà introduit environ
75 ans auparavant par Timée. Pour le moment, nous allons
continuer à examiner ce qui concerne d'une manière spéciale
et indubitable les Celtes seuls.
Une tradition antique considérait les Celtes comme des
géants. « Je n'ai rien vu, dit Pausanias (i), qui justifiât une
telle réputation. Les Celtes qui habitent les extrémités du
monde, près, des contrées que le froid rend désertes, ne sont
pas plus grands que les autres hommes. Leurs cadavres
n'indiquent pas une taille supérieure à celle des Ég}'p-
tiens. »
Les détails que donne Polybe sur les Celtes et les Gaulois
concernent ceux qui habitaient le nord de l'Italie et le sud-
est de la France, surtout la région des Alpes. Cela confirme
bien la présence des Celtes en Italie.
Mais l'auteur qui a le mieux fait connaître les populations
dites celtiques, en restreignant considérablement leur lieu
d'habitation, est, sans contredit. César, qui a fait huit cam-
pagnes en Gaule et qui, par conséquent, s'est longuement
trouvé en contact le plus direct avec les populations de ce
pays. Ses Commentaires sur la guerre des Gaules sont un
riche répertoire où l'on peut largement puiser de précieux
renseignements qui remontent au milieu du i" siècle avant
notre ère.
pr siècle. César, Strabon. — Restreignant beaucoup la
question des Celtes , César les parque au milieu de la
France.
« L'ensemble de la Gaule, dit-il (2), se divise en trois par-
tics : l'une est habitée par les Belges, l'autre par les Aqui-
tains, la troisième par ceux qui, dans leur langue, s'appellent
Celtes et que nous appelons Gaulois. Tous ces peuples dif-
(1) Pausanias, liv. I, Attique, ch. xxxv.
(2) Cksar, Guerre des Gaules, liv. I, cli. i^'.
CELTES 73
fèrent entre eux par le langage, par le gouvernement et par
les lois. La Garonne sépare les Gaulois des Aquitains ; la
Marne et la Seine forment leur frontière du quartier des
Belges. »
Strabon, qui écrivait 3o ou ^o ans après César, donne
d'abord l'opinion des auteurs anciens :
« Ainsi, dit-il (1), en me reportant aux opinions des anciens
Grecs, en voyant tout ce qu'ils connaissaient de peuples sep-
tentrionaux sous le seul et môme nom de Scythes, ou celui
de Nomades qu'emploie Homère, et comment, plus tard, avec
le progrès des découvertes dans l'occident, ils adoptèrent
aussi pour cette partie de la terre des dénominations géné-
rales, soit les noms simples de Celtes et d'Ibères, soit les noms
mixtes de Celtibères et de Celtoscythes, étant réduits par
ignorance à ranger ainsi sous une seule et même dénomina-
tion des peuples séparés et distincts : je crois pouvoir affirmer
que le nom d'Ethiopie désignait de môme pour eux toute la
région méridionale de la terre baignée par l'Océan. »
Dans son livre II, il ajoute :
« Bornons-nous donc en ce moment à dire que Timosthène
et Eratosthène, comme tous ceux qui les ont précédés,
ignoraient parfaitement tout ce qui concernait l'Ibérie et la
Celtique, à plus forte raison la Germanie, la Bretagne, les
pays Gètes et les Bastarnes. »
Eratosthène étant mort l'an 192, il en résulte que d'après
Strabon, qui en cela a peut-être voulu un peu se faire valoir,
on ne connaissait à peu près rien concernant l'Europe
occidentale antérieurement au 11® siècle avant notre ère.
Pourtant on peut conclure, du moment où il y avait des
Celtibères et des Celtoscythes, que les Celtes devaient, d'après
les anciens, s'étendre depuis l'Ibérie, c'est-à-dire l'Espagne,
jusqu'à la Scythie, partie de la Bussie confinant à l'Asie.
Strabon (2) appuie môme sur cette extension des Celtes au
nord des Alpes jusque dans l'Europe orientale, en ajoutant :
« Les historiens grecs ont dès longtemps compris tous les
peuples du Nord sous la dénomination générale de Scythes et
de Celtoscythes. »
(1) Strabon, Géographie^ liv. I, ch. 11, | 27.
(2) Idem, /6id., liv. XI, ch. vi, % 2.
74 DOCUMENTS IIISTOIUQUES
Sur le bord de la Méditerranée, du côté de rilalie, il limite
les Celtes à la Ligurie, plaçant aussi de ce côté des Keko-
/lyuaç (Keltoliguas), Celtoligures (i). Ils occupaient Tespace
qui s'étend du Rhône au Var.
Comme la conquête des Gaules était terminée depuis plu-
sieurs années quand écrivait Strabon, comme César avait
déjà publié ses Commentaires, Tauteur grec, ainsi que Fau-
teur latin et probablement en lui empruntant ses documents,
restreint la Celtique à la partie centrale des Gaules.
« Ici, dit-il (2^, finit ce qui se rapporte aux peuples de la
province Narbonnaiso, autrement dit aux Celtes, pour nous
servir de Tancienne dénomination. Car j'ai idée que c'est aux
habitants de ladite province que les Grecs ont emprunté ce
nom de Celtes, qu'ils ont ensuite étendu à l'ensemble des
populations de la Gaule, soit que ce nom leur ait paru plus
illustre que les autres, soit que l'avantage qu'avait la tribu
qui le portait d'être si proche voisine des Massaliotes ait con-
tribué surtout à le leur faire choisir. »
En même temps que Strabon et probablement sous les
mêmes influences, Diodore de Sicile écrivait (3) :
« Il est bon de définir ici un point ignoré de beaucoup de
personnes : c'est que le nom de Celtes ne doit s'appliquer
qu'aux peuples qui habitent au-dessus de Marseille, près des
Alpes et en deçà des Pyrénées. »
Pourtant Strabon (4) a placé des Celtici à l'angle sud-ouest
de ribérie entre le Tage et la Guadiana qui portait alors le
nom d'Anas.
Non content de donner des détails précis de géographie, Dio-
dore rapporte aussi une légende concernant l'origine du nom
des Celtes. Une fille du roi Britannius, nommée Celtine, était
d'une rare beauté et avait une taille extraordinaire. Très fière
de ses avantages physiques, elle repoussait avec mépris tous
ceux qui voulaient l'épouser. Mais ayant vu Hercule, elle fut
éprise de lui et saisie du désir de s'en faire aimer. Elle lui
enleva les bœufs de Géryon qu'il emmenait comme butin et
ne consentit à les lui rendre que lorsqu'il eut cédé à son
(i) Sthabon, Géographie, liv. IV, ch. vi, % 3.
(2) Idem, ibid., liv. IV, ch. i^', fin du | 14.
(3) Diodore de Sicile, liv. V, ch. xxxiii.
(4) Strabon, Géographie, liv. III, ch. 11, § i5.
CELTES 75
caprice. Un fils appelé Celtus naquît de cette union et donna
son nom aux Celtes. Nous ne reproduisons cette légende que
pour montrer que dans l'antiquité héroïque on reliait Britan-
nius à Celtus, ou, en termes moins mythologiques et plus
positifs, les Celtes aux Bretons. On les faisait de la même
famille.
Les anciens tiraient généralement leurs étymologies de
noms propres que Ton créait suivant les besoins ; c'était simple
et commode, même charmant quand il s'y mêlait de l'imagina-
tion et de la poésie, mais cela n'avait rien de scientifique.
Ère actuelle. — Nombre d'auteurs de notre ère ont encore
parlé de la grande extension des Celtes.
Ainsi au n® siècle, Plutarque (1) développe encore la Celtique
de la Mer Extérieure au Palus Méotide et à la Scythie Pon-
tique, c'est-à-dire de l'océan Atlantique et de la mer du Nord
aux régions de la mer d'Azof et de la mer Noire.
Au m®, Dion Cassius (2), qui fut gouverneur de la Pannonic,
région arrosée par rister ou Danube, écrit que les deux rives
du Rhin appartiennent aux Celtes.
Au IV®, Festus Avienus (3) rappelle que les Ligures furent
chassés du voisinage des îles OEstrymnides par les Celtes, nou-
velle preuve que ces îles, dont la position n'est pas encore par-
faitement déterminée, doivent être les îles des côtes de la Ven-
dée et des Charcutes, ou mieux encore les îles des côtes
d'Espagne et de Portugal, de la GaHce.
En effet l'Hispanie a, paraît-il, été pénétrée par diverses
populations celtiques. Plusieurs auteurs anciens en men-
tionnent dans la péninsule ibérique.
Dans la partie occidentale, du nord au sud, Pline signale :
« Le promontoire celtique... Les Celtiques surnommés Né-
riens... Les Celtiques surnommés Prœsamarques... La ville
Agusta (4) des Bracaris au-dessus desquels est la Galicie...
Le fleuve Durius sépare les Galleces de la Lusitanie (5). »
Avant il avait écrit : « Le ressort de Lucus (6) comprend les
(i) Plutarque, Vie de Marias, § 11.
(2) Dion Cassius, Histoire Romaine, liv. XXXIX, ch. xlix.
(3) Festus Avienus, Ora, vers 129.
(4) Ville actuelle de Braga.
(5) Pline, Histoire naturelle, liv. IV, ch. xxxiv.
(6) Lugo actuel.
76 DOCUMENTS HISTORIQUES
Celtiques (1) ». Au sud Polybe et Strabon (2) donnent comme
Celtiques les Turdétans.
Les Celtibères, Celiiberiy Kùri^riptç, occupaient le cours
supérieur du Douro, du Tage et de la Guadiana, au centre
de THispanie. Diodore les pousse jusqu'aux Pyrénées. C'était,
d'après lui, un mélange de Celtes venus de la Gaule et d'Ibères
qui, à la suite de luttes violentes, s'étaient fondus ensemble.
D'autres auteurs admettent que c'était tout simplement des
Celtes venus sur les bords de l'iberus, l'Èbre actuel.
A côté de ceux qui étendent le domaine des Celtes, nous
devons placer ceux qui le restreignent. Cette dernière ten-
dance, imprimée surtout par César, s'est développée au com-
mencement de notre ère. Nous voyons, à peu près en même
temps, Pline (3) assigner pour limites à la Celtique la Seine et
la Garonne, et Pomponius Mêla (4), la Garonne et la Seine.
Sous Auguste, ces limites s'étaient encore rétrécies. En
effet, nous avons vu précédemment que cet empereur romain
avait agrandi l'Aquitaine en lui adjoignant quatorze popula-
tions situées sur la rive droite de la Garonne. C'était autant
d'enlevé à la Celtique.
Conclusions. — Des diverses citations qui précèdent on
peut tirer les conclusions suivantes :
Le nom des Celtes n'apparaît pas dans les auteurs anciens
avant le v*' siècle au delà de notre ère.
Tout d'abord, ce nom n'avait qu'un sens très vague et fort
indéterminé. Les Celtes représentaient en bloc toutes les popu-
lations inconnues occupant les extrémités du monde du côté
de l'Occident, sans limites arrêtées. Nous avons vu qu'il en a
été de même, mais d'une manière moins générale, pour les
Ligures vers le vni^ siècle, ainsi que pour les Ibères. C'est la
période de l'inconnu et de l'ignorance.
Peu à peu les limites des Celtes, tout d'abord complètement
ignorées, se sont précisées. C'était vers le sud-ouest les Pyré-
nées, et encore admettait-on que des Celtes avaient franchi
ces montagnes pour s'établir en Hispanie, et pour se mêler
aux Ibères, ce quia donné naissance aux Celtibères. A l'autre
(1) Pline, Histoire Naturelle, liv. III, ch. iv.
(2) Strabon, Géographie, liv. III, ch. i, § 6.
(3) Pline, //zs/o/re naturelle^ liv, IV, ch. xxxi.
(4) Pomponius Mêla, Régions du Globe, liv. III, ch. 11.
% CELTES 77
bout, vers le nord-est, les Celtes allaient, en suivant la vallée
du Danube, se heurter aux Scythes et former même, au point
de contact, les .Celtoscy thés. Entre ces deux limites extrêmes,
tout était celte. C'est pour cela que, d'après le Dictionnaire
de la Gaule (i), « des faits relatifs à la Grande-Bretagne, aux
pays Scandinaves; à la Germanie du Nord et du Sud, à l'Ulyrie,
à ritalie septentrionale et à Tlbérie sont classés, sans distinc-
tion aucune, sous cette môme appellation de faits celtiques. «
« Il n'est pas douteux que le nom de Celtes n'ait été, dans
le principe, pour les Grecs, un nom vague appliqué d'une
manière générale à toute une série de populations de l'ouest
de l'Europe très mal connues des anciens, comme aujourd'hui
encore, par exemple, pour les Orientaux, le nom de Francs
est indistinctement donné, en Asie Mineure et en Syrie, aux
Anglais, aux Allemands, aux Italiens et aux Espagnols aussi
bien qu'aux Français (2). »
Cette comparaison, excellente pour bien faire comprendre
l'esprit et les connaissances du gros public, ne peut, pour l'an-
tiquité comme pour l'Orient, s'appliquer aux esprits d'élite
qui devancent toujours l'opinion générale. Les auteurs grecs
et romains du iv° et du m^ siècle avant notre ère se tenaient au
courant des découvertes qui se multipliaient à mesure que les
relations de peuples à peuples s'étendaient vers le septentrion
et vers l'occident. A cette époque, la Grèce et surtout Rome
donnaient pour ainsi dire la main au nord de l'Italie. Ils con-
naissaient bien les populations qui habitaient les plaines du
Pô et les bords de l'Adriatique. Ils les connaissaient d'autant
mieux que ces populations avaient plusieurs fois fait irruption
chez eux, comme envahisseurs ou comme mercenaires. Et
pourtant ils les appelaient Celtes. Nous ne pouvons donc refu-
ser de reconnaître que les Celtes ont occupé ces régions.
Plus tard, vers le milieu du i®' siècle avant notre ère. César
a restreint de beaucoup la Celtique. Il l'a confinée entre l'Océan
Atlantique à l'ouest, les Alpes à Test, la Garonne au sud, la
Seine et la Marne au nord.
Quelque dix ans plus tard encore, Auguste, dans un but
politique et surtout administratif, a encore réduit la Celtique,
(i) Dictionnaire archéologique de la Gaule, p. 422, art. Galli.
(2) Ibid., p. 247, arl. Cellœ,
78 DOCUMENTS HISTORIQUES
déjà si restreinte, de César, en lui enlevant au nord de la
Garonne un certain nombre de peuples qu'il a adjoints à l'Aqui-
taine, province qui, ainsi que nous l'avons vu, était attribuée
aux Ibères.
En présence de toutes ces variations, on se demande quelle
est la région qui doit fournir le type celtique ? Faut-il le cher-
cher dans ce qu'on pourrait appeler le monde Celtique ou la
grande Celtique allant des Pyrénées aux bouches du Danube?
Nous sommes alors dans un milieu bien mal défini et qui
paraît composé d'éléments fort divers. Ou bien faut-il le
prendre dans la Celtique réduite de César? Mais ce n'est plus
qu'un type peu étendu. Ce n'est plus un type général... Et
encore serait-on bien embarrassé pour définir ce type, car
cette Celtique, quoique réduite, présente néanmoins des types
très variés.
Notre embarras est grand !
L'étude des Gaulois ne fera que l'accroître !I1
CHAPITRE VIII
GALATES ET GAULOIS
Apparition du nom. Pausanias. — Les Gaulois, Galli des
Latins ne sont que les Calâtes, raXarai, des Grecs.
Leur nom, sous la forme grecque, Galatai, en français
(îalates, n'apparaît qu'avec les écrits de Timée dans la pre-
mière moitié du ni® siècle, c'est-à-dire deux cents ans après
celui des Celtes. Sous la forme latine. Gaulois, il est encore
plus récent. Caton s'en servit le premier vers le milieu du
H® siècle avant notre ère, soit cent ans après Timée. D'Arbois
de Jubainvillc (1) cherche à le vieillir. « Bien que, dit-il, la
première mention s'en trouve dans les Origines de Caton,
écrites un siècle après Timée, on peut dater leur nom du
(1) D'Arbois dp: Judainville, Celtes, GalateSj Gaulois, 1875, extrait
Revue arch,, p. 2.
CALATES ET GAULOIS
79
IV® siècle, si Ton suppose que les récits de leurs premières
guerres avec les Romains ont été empruntés par les écrivains
latins aux Annales maximi rédigées par les pontifes au fur et
à mesure des événements. » C'est là une pure hypothèse, basée,
comme le dit Tauteur lui-même, sur une supposition. Elle ne
saurait rentrer dans notre discussion, devant rester dans la
simple et stricte appréciation des faits, qui sont rigoureuse-
ment :
Apparition du mot Galates dans la première moitié du
ni® siècle.
Apparition du mot Gaulois seulement au milieu du n® siècle
avant notre ère.
Avant Timée, tous les auteurs, Hécatée de Milet, Hérodote,
Scylax, Platon, Aristote, Ephore, auxquels il faut joindre
Apollonius de Rhodes, qui est un peu postérieur, parlent ex-
clusivement des Celtes. Les auteurs plus récents parlent des
Celtes et des Gaulois, et parfois même les mêlent tellement,
qu'il est bien difficile, sinon impossible, de les séparer. Nous
les examinerons donc tous les deux ensemble, mais sans
nous départir de notre méthode chronologique, qui nous a été
si utile jusqu'à présent.
Le premier, vers la fin du ni® siècle, Eratosthène, applique
le mot Galates aux Celtes d'Espagne.
Vers le milieu du ii® siècle avant notre ère, Pausanias (i),
parlant des Gaulois qui prirent et pillèrent Delphes, dit : « Le
nom de Galates n'a prévalu que très tard. Anciennement on
appelait ces peuples Celtes; c'était le nom qu'ils se donnaient
à eux-mêmes... Les Galates habitent les extrémités de l'Eu-
rope vers une mer immense dont on ne connaît pas les extré-
mités, qui est sujette au flux et au reflux, semée d'écueils et
remplie de monstres ne ressemblant en rien aux monstres de
nos mers. Leur pays est traversé par l'Éridan, sur les bords
duquel les filles du Soleil pleurent la mort de Phaéton, leur
frère. »
Pausanias, qui a visité et décrit la Grèce et qui a habité
Rome, était plus que tout autre à même de constater que le
nom de Galates était assez récent, et qu'il avait été adopté
comme succédané ou remplaçant du mot Celtes employé plus
(1; Pausanias, liv. I, eh. m et xxxiii.
8o DOCUMENTS HISTORIQUES
anciennement. Comme habitation des Galaies, il indique les
régions situées entre l'océan Atlantique et les plaines du Pô,
Érid^n des anciens.
Les Galates qui attaquèrent Delphes, dit Pausanias (i), ne
demandaient point de trêve pour enlever leurs morts, ce qui
scandalisait beaucoup les Grecs. Ces Galates sont toujours
présentés comme n'ayant ni culte, ni établissements religieux;
au contraire ils pillaient volontiers les temples, où ils étaient
sûrs de rencontrer des richesses.
Celtes et Galates. Polybe. — Presque à la même époque
que Pausanias, un de ses compatriotes ^ui avait également
séjourné à Rome, Polybe, publiait son Histoire universelle
embrassant les événements qui se sont passés de l'an 220 à
Tan i4i. Celtes et Gaulois y sont fréquemment nommés.
Alexandre Bertrand (2) a eu la patience de faire le relevé de
ces deux mots.
Sur les 40 livres qui composent V Histoire de Polybe, 22 con-
tiennent les mots Celtes et Galates.
Celtes se trouve seul dans 3 livres.
Galates seul dans 12 Hvres.
Celtes et Galates se trouvent ensemble dans 7 livres.
Ces mots sont répétés 227 fois.
117 fois Celtes.
110 fois Galates.
Mais ils sont répartis d'une manière fort irrégulière. Ainsi
les trois premiers livres ont à eux seuls 100 Celtes et 67 Ga-
lates. Les 37 suivants ne renferment que 17 fois le mot Celtes
et 53 celui de Galates. L'emploi des deux mots s'enchevêtre
tellement dans le texte, ces mots ont chacun un sens si peu
tranché, si peu distinct, que bon nombre de personnes les ont
considérés comme synonymes et ont pensé que l'auteur les
employait indifféremment l'un pour l'autre. Ce sentiment s'est
répandu à un tel point que la plupart des traducteurs ont
uniformément rendu ces deux mots d'une manière cons-
tante par celui de Gaulois. La statistique de M. Bertrand
(jue nous venons de résumer a été faite dans le but de démon-
(1) Pausanias, liv. X, ch. xxi.
(2) Alexandre Berthand, De la Valeur des expressions KeXto^ el
FaXatiai dans Polybe^ 1876, extr. Revue arch.
CALATES ET GAULOIS 8l
Irerle contraire. Fidèle à nos principes, nous allons étudier
hquestion sans parti pris, sans aucune idée préconçue. Nous
accepterons le sens simple et naturel des phrases, et nous
l'éclairerons au besoin en tenant compte de la valeur et des
détails des récits.
Les mots Celtes et Galates sont surtout accumulés dans
les trois premiers livres de Polybe, 167 fois sur 227, parce que
ces trois livres concernent principalement TEspagne, la France
Diéditerranéenne et Tltalie, régions plus particulièrement
celtiques et gauloises. Dans le chapitre précédent, nous
«vons vu que les Celtes occupaient la plaine du Pô des Alpes
4 l'Adriatique. Polybe confirme cette donnée géographique
®n parlant des Celtes d'Italie (1). 11 leur fait occuper les Alpes
^t habiter encore au delà. Ceux du Pô sont les Celtes cisal-
pins, les autres les Celtes transalpins. Mais l'auteur grec ne
donne pas une grande extension à ces derniers. Partant de
* AUobrogie, Dauphiné et Savoie actuels, il les prolonge jus-
qu'à Narbonne, déclarant que du Narbo, l'Aude, au Tanaïs, le
Ûon, tout le pays lui est inconnu. Les Pyrénées et le Don
^ont justement les limites assignées par les anciens aux
Celtes, mais ne nous occupons que des régions désignées et
-mbrassées par Polybe. Ayant affaire à une région éminem-
ment celtique, c'est ce mot qu'il emploie le plus fréquemment,
00 Celtes contre 57 Galates.
Voyons pourquoi, et dans quel sens, il emploie le mot Gala-
es. Il emploie le mot Galates toutes les fois qu'il s'agit de
uelque chose d'officiel. Quand le Sénat romain désigne le
ays, ce n'est pas la Celtique, mais bien la Galatie. (^est la
rovince galate, les Consuls vont combattre les Galates. En
ffel pour les Romains les plaines du Pô étaient la Gaule cir-
umpadane. Plus tard cette Gajule devint la Gaule cisalpine
n opposition de la Gaule transalpine qui se développait de
autre côté des Alpes. La Cisalpine fut elle-même divisée en
iaule cispadane, la plus rapprochée de Rome, entre l'Apen-
in et le Pô, et en Gaule transpadane, au delà du Pô.
En outre, Polybe applique généralement l'épithète de Gala-
ique à tout ce qui concerne la guerre. 11 cite successivement et
ans différents passages les armes, l'épée, le bouclier, la tac-
Ci) Polybe, Hv. II, ch. xiii.
G. DE MORTILLET. ^
82 DOCUMENTS HISTORIQUES
lique, les embûches, etc. galaiiques. 11 va môme jusquàdoft-
ner l'armement galaiique , roeXotTtxà, aux Celtes, Kùm, ea
rapprochant les deux mots.
Quel était cet armement galatique ?
Quels étaient ces Galates?
Dans Tarmement, la pièce la plus caractéristique consistait
en une longue épée, à deux tranchants, en fer si mal trempé
qu'elle se pliait en s'en servant et qu'il fallait la redresser avec
le pied. On s'en servait de taille et non pas de pointe.
Les Galates combattaient parfois nus. Est-ce bien par for-
fanterie, comme le dit Polybe, ne serait-ce pas pour être plus
agiles et avoir leurs mouvements plus libres? Déjà dans la
haute antiquité égyptienne, nous trouvons des représentations
de jeunes gens s'exerçant à tirer de l'arc ou bien prenant
une leçon d'équiiation ; ils sont entièrement nus pour être
plus souples. Les Grecs eux-mêmes, qui s'étonnaient de voir
les Galates combattre nus, se dépouillaient de leurs vêle-
ments pour les diverses luttes du cirque. Enfin les bas-reliefs
de Tare de triomphe d'Orange nous donnent la clef de la
question. On y voit les Gaulois, avec casque et bouclier,
avoir le haut du corps entièrement nu. Pour tout vêtement
ils ont une braye, espèce de pantalon collant, et un plaid,
grand manteau jeté sur l'épaule (fig. 19).
Gomme type ethnique, les Galates de Polybe étaient grands
de taille, à peau blanche lactée, à cheveux blond ardent, à
yeux bleus. Ce portrait des Galates de la Cisalpine a été con-
firmé par Tite-Live et d'autres auteurs de son temps. Il a été
répété jusque dans le vi® siècle de notre ère par Ammien Mar-
cellin et par Jordanès vers 55o.
« Ces peuplades, ajoute Polybe, étaient dispersées dans des
villages sans murailles et ignoraient absolument les mille
choses qui font le bien-être de la vie. Ne connaissant de lit
que le gazon, ne mangeant que de la chair, elles menaient la
vie la plus agreste. Etrangères à tout ce qui n'était pas guerre
ou travail de la terre, elles n'avaient ni science ni art quel-
conques. Leurs richesses consistaient en or et en troupeaux.
C'étaient, en effet, les seules choses qu'elles pussent en toute
circonstance emporter avec elles et déplacer à leur gré. Enfin
elles attachaient un grand prix à ce que l'on peut appeler
clientèle, parce que chez elles le plus puissant et le plus
GAIATES ET
redoutable était celui qui voyait autour de sa personne le plus
d'hommes prêts à lui rendre hommage et à suivre ses volon-
téa. >.
Ils étaient sans prêtres, sans culte, sans religion. Pourtant
Poiybe parle d'un établissement à Alhéné, duquel les Insubres,
habitants du Milanais actuel, 220 ans avant notre ère, tirèrent
comme signe de guerre à outrance des oriHammes d'or,
qui y étaient enfermés.
Qu'était cet établisse-
menlî Était-ce un tem-
ple? N'était-ce pas plu-
Wt une salle de conseil,
de délibération, un lieu
de réunion ? Sur ce point
Poiybe et les autres au-
teurs ne fournissent au-
cun renseignement.
Tels sont les Galates
décrits par Poiybe, au
milieu du 11^ siècle avant
notre ère. Et il ajoute (1):
« La crainte des Galates
a plus d'une fois ému
non seulement la Grèce
de nos jours, mais en-
core fa Grèce ancienne, »
Cette citation du se-
cond livre de Poiybe va nous servir de transition pour passer
à l'examen des trente-sept derniers livres, qui ne contiennent
que dix-sept fois le mot Celtes et cinquante-trois fois celui
de Galates. Ces Irente-sepl livres concernent surtout les
affaires de Grèce et d'Asie. C'est ce qui fait que les deux
mots y sont beaucoup moins fréquents. Pourtant ils n'y
sont pas distribués d'une manière indifférente. Si le mot
Gfdates est trois fois plus abondant que celui de Celtes,
c'est qa'il s'agit surtout de faits de guerre et que les œuvres
galatiques, comme pillage de temples, envahissement das-
semblées en temps de paix, dévastation de villes, assassinat
19. - Gaulois COI
■noins.Froiîmentd'un has-rel
Irioiiiplio d'Orange (Va ii cl us
(1} PoLïBE, liv. II, ch. s
84 DOCUMENTS HISTORIQUES
de princes et autres prouesses de ce genre, sont nombreuses.]
Il s'agit de bandes conduites par des commandants nati(
naux : Brennus, Comentorius, Apatorius, Cavarus ; de me^]
cenaires au service d'une ville comme Dymae, en Achaïe,
ou cavalerie et infanterie au service de divers princes : Phi-
lippe III, roi de Macédoine, Antiochus le Grand, roi de Syrie,
Ptolémée V, roi d'Egypte, Atlale, roi de Pergame. Brennus,
ayant envahi la Macédoine en 279 avant notre ère, fut battu
et tué en Grèce. Vingt mille, dit-on, de ses hommes passèrent
en Asie Mineure et fondèrent sur les bords de la mer Noire un
petit État qui prit le nom de Galatie. Polybe (1) désigne net
temcnt ces Galates sous le nom caractéristique de Galales
d'Asie, 'Adia; TaXaTwv. Dans son livre XXII (2), il raconte que,
les Galates de l'Asie Mineure ayant soutenu Antiochus contre
les Romains, G. Manlius leur déclara la guerre.
Ces Galates, qui envahissent à plusieurs reprises la Grèce
et l'Asie Mineure, qui vont, comme mercenaires, servir les
rois de Macédoine, de Pergame, de Syrie et d'Egypte, ces Ga-
Jates viennent, d'après Pausanias, Polybe et Plutarque, des
bords du Danube et surtout de la Pannonie.
Quant au mot Celtes, dans les trente-sept derniers livres
de Polybe, il revient peu souvent, et il est surtout apphqué
à des événements concernant l'Italie, égrenés en dehors des
trois premiers livres.
Il est d'abord question (3) des Romains qui ont soumis les
Celtes de la Cisalpine.
Au livre VIII, Polybe (4) raconte la prise de Tarente par Anni-
bal. Ce général choisit dans son armée des Celtes, qui, conjointe-
ment avec des Carthaginois, s'introduisirent la nuit dans la ville.
Les soldats romains, surpris et affolés, se jetèrent en fuyant soit
du côté des Celtes, soit du cbté des Carthaginois, qui les mas-
sacrèrent. Le matin les habitants de Tarente épargnés d'après
l'ordre exprès d'Annibal virent les Galates dépouillant les
morts. Comme troupes régulières, obéissant à une consigne,
il n'y avait que des Celtes, mais ces Celtes devinrent des Ga-
lales en dépouillant les morts ; ce pillage sacrilège était une
(1) Polybe, liv. XXXI, ch. 11.
(2) Idem, liv. XXII, ch. xvi, xx, xxi, xxii, xxiv, etc.
(3) Idem, liv. VI, ch. i.
(4) Idem, liv. VIII, ch. xxxii.
CALATES ET GAULOIS 85
CBUvre galatique. Ce passage donne on ne peut mieux le sens
que Polybe attribue à chacun des deux mots.
L'existence des Celtes de l'armée d'Annibal est confirmée
dans le livre XI (i). Ce sont des Celtes recrutés dans les
plaines du Pô.
Dans le même livre (2), il est question des troupes qui se
trouvaient dans le camp d'Asdrubal. Parmi les mercenaires,
à deux chapitres de distance, il cite les Galates et les Celtes.
Ne devons-nous pas conclure que ce sont les mômes merce-
naires désignés sous deux noms différents qui ont la même va-
leur ethnique et géographique ? Pour se tirer d'affaire, A. Ber-
trand se demande s'il n'y avait pas là des mercenaires appelés
de deux contrées différentes : les Celtes du nord de l'Italie et
les Galates du haut Danube ou des Alpes septentrionales. On
pourrait lui répondre : en employant pour une seule et même
chose les deux mots nord et septentrion, vous faites exacte-
ment ce qu'a fait Polybe en désignant les mômes hommes
sous les noms de Celtes et de Galates. Autre supposition
d'Alexandre Bertrand : « Peut-être aussi n'avons nous affaire
qu'à une mauvaise lecture. »
Dans le cas actuel, nous devons d'autant moins admettre la
supposition qui précède qu'elle nous entraînerait fort loin. En
effet, livre VIII, chapitre xxxii et livre XII, chapitre iv, Polybe
se sert successivement et indifféremment des deux termes
Celtes et Galatesl S'il y a mauvaise lecture livre XI, il faut
aussi admettre une mauvaise lecture pour les deux autres
livres. Où irions-nous avec un pareil système?
Ce qui prouve bien que les Galates sont tout simplement
dans l'esprit des anciens auteurs des Celtes, c'est que Po-
lybe (3) appelle exclusivement Galates les Tectosages au ser-
vice d'Antiochus, en Syrie, tandis que les Tectosages de César
et des auteurs latins sont en pleine Celtique.
Enfin, livre XVII (4), Polybe nous montre le Sénat romain
envoyant les consuls en Galatie pour réprimer les révoltes des
Celtes. C'est presque une interversion de rôle. Il semble qu'il
aurait, d'après l'esprit général de Polybe, dû dire : le Sénat
(1) Polybe, liv. XI, ch. xix.
(2) Idem, liv. XI, ch. i et ni.
(3) Idem, liv. V, ch. xxxni.
(4) Idem, liv. XVII, ch. xi.
86 DOCUMENTS HISTORIQUES
envoya en Celtique, nom le plus ancien du pays, les consuls
pour réprimer les révoltes des Galates, la révolte étant une
œuvre galatique. Mais ici nous sommes en face d'un fait offi-
ciel, et le nom officiel de la Circumpadane pour les Romains
est Gaule, Galatie.
En résumé, Polybe s'est surtout occupé des Celtes et Ca-
lâtes d'Italie, habitant les plaines du Pô et guerroyant dans la
péninsule. Il a aussi donné d'intéressants détails sur les Ca-
lâtes de la vallée du Danube qui, plusieurs fois, ont envahi la
Grèce et, passant la mer, sont devenus les Galales d'Asie.
Quant aux Celtes et Galates du versant français des Alpes, il
y a à peine touché.
Gaulois de France. César. — En effet, les Celtes et Cau-
lois de la France ne sont réellement connus que depuis César,
milieu du i^"^ siècle avant notre ère. Il n'est pas inutile de rap-
peler que Galates et Gaulois sont un seul et même mot, tra-
duction littérale de la forme grecque Galatai et de la forme
latine Galli.
Rappelons aussi que, dès le début de ses Commentaires sur
la guerre des Gaules^ César s'exprime ainsi : « L'ensemble
de la Gaule se divise en trois parties : l'une est habitée parles
Relges, l'autre par les Aquitains, la troisième par ceux qui,
dans leur langue, s'appellent Celtes et que nous appelons Gau-
lois. » Ce passage est on ne peut plus clair. Belges, Aquitains
et Celtes font partie de la Gaule, ils sont donc Gaulois. Les
Romains ne reconnaissent pas plus les Celtes de la Gaule
transalpine que ceux de la Gaule cisalpine. Ils les appellent
tous Gaulois ou Galates, suivant que l'auteur est latin ou
grec.
« Il n'y a en Gaule, ajoute César (i), que deux classes qui
comptent et qui aient de l'influence ; le menu peuple est presque
en (Hat de servitude, il n'ose rien par lui-même et n'est jamais
consulté. Ces deux classes sont celle des druides et celle des
chevaliers. » Il y avait donc le peuple, le clergé et la noblesse,
tout comme en 1789. Triste preuve delà persistance des orga-
nisations vicieuses et de la marche lente du progrès.
Le peuple était asservi ; le clergé, formant une puissante
unité, divisait autant que possible pour régner; la noblesse,
(1) CÉSAR, Guerre des Gaules, liv. VI, ch. xnr.
CALATES ET GAULOIS 87
désireuse de posséder titres et pouvoir, poussée par le
clergé, morcelait le territoire à l^infini. Aussi César, outre
les trcHS grandes divisions géographiques mentionnées ci-
dessus, cite et énumère de nombreuses subdivisions, ayant
chacune leur chef et leur aristocratie. Nous n'avons pas à en-
trer dans ces détails. Nous ne citerons en passant que quelques-
anes de ces divisions quand nous aurons d'intéressantes dé-
ductions à en tirer; c'est ce que nous avons déjà fait pour les
Tectosages, que Strabon (i), tout comme Polybe, nous signale
comme faisant partie des Galates de l'Asie Mineure, bien que
se retrouvant en France, d'après César, dans sa Celtique
proprement dite.
Entre le passage de César que nous venons de citer et ccr-
^ines déductions tirées de Polybe, il paraît à première vue
y avoir contradiction. D'après Polybe, dans la Gaule cisalpine
M n'y avait ni religion ni prêtres ; d'après César, dans la Gaule
^*^salpine, les druides — c'est-à-dire les prêtres — possé-
daient une grande influence.
César nous fournit lui-même l'explication de cette contra-
action apparente. Polybe écrivait cent ans avant César sur
Une région diamétralement opposée à la Grande-Bretagne. Or
César (2) dit : « On pense que l'institution druidique trouvée
înlllede Bretagne a été de là transportée dans la Gaule. »
C'est une importation nouvelle que n'avaient pas les anciens
Celtes, les anciens Galates ou Gaulois.
Strabon, Tite-Live. Ère actuelle. — Passons à Strabon.
[I raconte aussi que les Galates de l'Adriatique vinrent saluer
Uexandre le Grand, pendant qu'il était chez les Gètes. Ce
K)nt les mêmes ambassadeurs que Ptolémée et Appien ont
ippelés Celtes.
Mais ce qui prouve bien que Strabon ne faisait pas de dilfé-
eiice entre les Celtes et les Galates, c'est que dans le même
ivre, à un chapitre de distance, il s'exprime ainsi :
« Les Taurisques sont Galates (3). »
« Les Taurisques sont du nombre des nations celti-
[ues(4).
(1) Strabow, Géographie, iiv. XII, eh. v,§ 2.
(2) CÉSAR, Guerre des Gaules, Iiv. VI, ch. xni,
(3) Strabon, Géographie, Iiv. VII. ch. 2, | 2
(4) Idem, ibid., Iiv. VII, ch. 3, | 2.
88 DOCUMENTS HISTORIQUES
Tite-Live (i), qui comme Strabon écrivait au commencement
de notre ère, mais Tite-Live seul, rapporte une légende qui,
si elle était vraie, serait le plus ancien document important
sur les migrations gauloises. Vers le commencement du
VI® siècle avant notre ère, au temps de Tarquin l'Ancien, deux
frères, Bellovèze et Sigovèze, fils d'Ambigat, roi des Bituriges,
peuple du centre de la Celtique, partirent pour des migrations
lointaines. Bellovèze se dirigea vers le sud, secourut les Mar-
seillais, traversa les Alpes et s'établit dans la vallée du Pô qui
prit le nom de Gaule cisalpine. Quant à Sigovèze, il s'ache-
mina dans la direction du nord, il traversa le Rhin et s'établit ,
dans la région de la forêt Hercynienne, qui, dit-on, se pro-
longeait jusqu'à la Vistule. Les hordes des deux frères étaient
surtout composées de Volces Tectosages, c'est-à-dire de
Celtes du sud.
Cette légende si complète sur une époque qui ne noHS a
fourni que des renseignements incomplets doit faire naître en
nous des doutes bien naturels, doutes d'autant plus justifiésque
Polybe n'en parle pas et que César n'y fait aucune allusion.
A peu près en même temps que Tite-Live publiait sa
légende de Bellovèze et Sigovèze, Diodore de Sicile (2), s'inspi-
rant évidemment de César, écrivait:
« Il est bon de définir ici un point ignoré de beaucoup de
personnes : c'est que le nom de Celtes ne doit s'appliquer
qu'aux peuples qui habitent au-dessus de Marseille, près des
Alpes et en deçà des Pyrénées. Ceux qui sont établis au-dessus
et qui habitent le long de l'Océan et la forêt Hercynienne et
toutes les contrées qui s'étendent de là jusqu'à la Scythie, se
nomment Galates. Mais les Romains, confondant ces peuples
sous une même dénomination, les nomment indistinctement
Gain, »
Plutarque (3), au commencement de notre 11® siècle, parle
des « Galates de race celtique. » Ce qui n'empêche pas les
partisans de la distinction des deux mots de s'écrier : Plu-
tarque (4), ainsi que Dion Cassius (5) et quelques autres au-
(1) Tite-Live, Décades y liv. V, ch. 34-
(2) DioooRE DE Sicile, Histoire universelle, liv. V, ch. xxxiii.
(3) Plutarque, Vie de Camille^ ch. xv.
(4) Idem, Consolations à Apollonius,
(5) Dion Cassius, liv. LVI, ch. xxiii.
CALATES ET GAULOIS 89
leurs, disent : « les Celtes et les Galates. » Si ces deux mots
n'avaient pas des sens différents, les auteurs ne les auraient
pas accolés ensemble. Mais ne les ont-ils pas accolés juste-
ment parce que, ne sachant pas les différencier exactement et
ne comprenant pas complètement leur portée, ils ont voulu
être plus généraux et plus affirmatifs en les joignant Tun à
l'autre ?
Le passage suivant d'Appien (i), du ii® siècle de notre ère,
viendrait appuyer cette dernière manière de voir : « Au levant
des Pyrénées habitent les Celtes, appelés aujourd'hui Galates
et Gaulois. »
Terminons cette liste déjà bien longue par trois dernières
citations qui se rapprochent de nous et qui pourtant contien-
nent au milieu d'indications utiles de grossières erreurs.
Dion Cassius (2), au commencement de notre m® siècle,
nous donne les détails suivants : « Le Rhin sort des Alpes
Celtiques, un peu au-dessus des Rhétiens. Il coule vers l'oc-
cident à travers la Galatie et les Galates à gauche, les Celtes
à droite et se jette ensuite dans l'Océan ; car le Rhin est la
limite des deux peuples depuis Tépoque où on leur a donné
des noms différents. Autrefois on donnait indifféremment le
nom de Celtes aux peuples de l'une et l'autre rive. » Dion en
plaçant les Celtes sur la rive droite du Rhin, c'est-à-dire en
Allemagne, est tout à fait en opposition avec César qui place
les Celtes au centre de la France.
Bien que la Galatie d'Asie ait été située dans une région
où l'on employait la langue grecque, bien que ce petit pays
soit devenu province romaine dès l'an 25 de notre ère, saint
Jérôme nous apprend qu'à la fin de notre iv® siècle les Galates
de l'Asie Mineure ne parlaient pas grec, mais bien un idiome
gaulois.
Enfin au vi® siècle de notre ère, Ammien Marcellin (3)
s'exprime ainsi en parlant de la Gaule : « Il en est qui affir-
ment que tout d'abord on a vu dans ces pays les aborigènes
dits Celtes... et qu'en effet les Druides racontent qu'une partie
de la population est indigène, mais que d'autres sont venus
(1) ÂPPiENfLes Choses d'Espagne, ch. i.
(2) Dion Cassius, liv. XXXIX.
(3) Ammien Marcellin, liv. XV; ch. ix.
go DOCUMENTS HISTORIQUES
d'îles éloignées et d'oulre-Rhin, chassés de leur propre pays
par la fréquence des guerres et par les inondations de la mer. »
L'idée d'Ammien Marcellin, de deux populations dont Tune
ancienne, attachée au sol, et l'autre plus récente, produit d'une
invasion, est très certainement vraie. C'est pour cela que nous
avons poussé jusqu'à cette citation, malgré les erreurs pro-
pagées par les druides au sujet de l'origine et de la cause de
l'invasion.
Temps modernes. — La question des Celtes et des Gau-
lois a été fort discutée à diverses reprises, notamment il y a
quelques années, sur l'initiative de la Société d'anthropologie
de Paris. Elle n'a pas encore obtenu de solution. Aussi
Fauvelle en i885 (i) écrivait-il dans L'Homme : « Cette ques-
tion des Celtes et des Gaulois est non pas résolue, mais classée,
comme on dit en style judiciaire. » De fait, on l'a laissée dor-
mir momentanément. Je la reprends, espérant être plus heu-
reux que mes devanciers et pensant la résoudre grâce à la mé-
thode simple et rigoureuse que je cherche à introduire.
Dom Bouquet, dans la première moitié du xviii® siècle, résu-
mant dans sa préface du Recueil des Historiens de France les
travaux concernant les Celtes et les Gaulois, s'exprime ainsi:
« Je suis persuadé que tous les Gaulois étaient Celtes, mais
que tous les Celtes n'étaient pas Gaulois. »
A peu près en même temps, Pelloutier dans son Histoire des
Celtes confond les Celtes avec les Calâtes ou Gaulois.
Henri Martin dans son excellente Histoire de France consi-
dère les Gaulois comme de grands blonds aux yeux bleus. Ces
Gaulois étaient complètement Celtes. Quant à la population
petite et brave du centre de la France, il ne l'admettait pas
comme Celtique d'origine, mais comme celtisée par les
grands blonds.
Dès 1873, Lemière soutenait que les Celtes étaient distincts
des Gaulois, 11 admettait, non pas un simple changement
de nom, mais une fâcheuse confusion dont on peut citer des
exemples analogues dans l'histoire.
Dans la grande discussion qui a eu lieu à la Société d'an-
thropologie, discussion fort remarquable, les éléments ont
(i) Fauvelle, L'Homme, y ourna/ des sciences anthropologiques, 10 octo-
bre i885.
CALATES ET GAULOIS 9I
été très variés. Mais nous n'avons à nous occuper ici que des
documents historiques. Ces documents ont surtout été pro-
duits par Alexandre Bertrand et Lagneau. De la Société d'an-
thropologie, la discussion a passé à l'Académie des inscrip-
tions et belles-lettres, où d'Arbois de Jubainville est entré en
hce. Ce sont les assertions de ces trois auteurs que nous
allons rapidement examiner.
Les idées de Bertrand sur la question sont résumées en deux
articles du Dictionnaire archéologique de la Gaule.
Dans le premier, Celtœ^ on peut lire : « Polybe lui-même leur
donne alternativement, et l'on peut dire indistinctement, les
noms de KêXtw et de FaXarai. » Les Celtes étaient donc appelés
Keltoi et Galatai. La différence de sens n'est donc pas bien
grande ni bien apparente, puisqu'elle n'a pas frappé Alexandre
Bertrand, qui n'a pas signé l'article, mais qui l'a rédigé.
Bertrand ajoute : « Il est d'ailleurs probable que les termes
FaXarat et Galli ne sont, comme nous le verrons, qu'une forme
un peu plus adoucie de l'ethnique KeXtoi. » Eh bien, au lieu
de donner l'explication promise, Bertrand admet plus tard
que les deux mots ont une origine tout à fait distincte, des sens
bien différents : roXomriç, galates, voulant dire guerrier, et
KeXroç, keltos, signifiant haut.
Dans le second article du Dictionnaire : Galli^ publié long-
temps après l'autre et signé, l'auteur éclairé par les discus-
sions dont nous parlions tout à l'heure et par un examen mi-
nutieux des textes, a complètement changé d'avis. 11 soutient
la thèse que les deux mots ne sont pas synonymes et ont des
sens différents. C'est aussi l'opinion qu'il cherche à établir
dans son travail intitulé : De la valeur des expressions KeXtoi
et FaXorai, KeXtixt) et FaXaTia dans Polybe^ 1876. Pourtant, malgré
toute son érudition et ses efforts, il est forcé de reconnaître
que les Celtes et les Gaulois paraissent rattachés par des liens
très étroits (1).
Galate est « le nom du nouveau rameau celtique implanté
en Italie (2). »
« Le terme FaXarat a un sens propre et distinct du mot KêXtoi ;
il s'applique à des populations de race celtique, sans doute,
(1) Al. Bertrand, Valeur des expressions de Polybe^ 1876, p. 8.
(2) Idem, 16/d., p. 18.
92 DOCUMEryTS HISTORIQUES
mais ayant certainement une organisation particulière et qu^
Ton peut délimiter géographiquement (i). »
« KcXtoi el FaXarai, dans Tesprit de Thistorien grec, ne sont
point synonymes ; ils jouent tout au plus, dans certains cas, le
rôle de mots équivalents (2). »
D'Arbois de Jubainville a répondu à Bertrand : « La preuve
que le nom de Galates désigne un groupe ethnographique dis-
tinct des Celtes n'a pas été produite (3) ». En commençant
son travail, il avait déjà fait la déclaration : « Je crois qu'entre
les termes de Keatoi, de Galli et de raXàrat, il n'y a, ethnogra-
phiquement parlant, aucune différence de sens (4). »
Gustave Lagneau, loin de partager l'avis de d'Arbois de
Jubainville, va beaucoup plus loin que Bertrand. Ce dernier
admet que les Galates sont de race celtique, bien que diffé-
rents sous certains rapports des Celtes proprement dits. La-
gneau range les Celtes et les Gaulois dans deux races diffé-
rentes. Les premiers sont les types de la race celtique, les
seconds appartiennent à la race germanique (5). Cela tient à
ce que Gustave Lagneau mêle les données historiques avec
les données d'observation. Voulant fondre le tout sans avoir
au préalable nettement précisé les éléments divers, il obtient
un mélange naturellement indigeste. Après un travail très
sérieux et fort savant, il arrive à un résultat, à une conclusion
erronés.
Celtes et Gaulois sjrnonymes. — Sans vouloir répéter ce
que nous avons exposé précédemment, nous rappellerons
seulement que :
D'après Pausanias, le nom de Galates n'a prévalu que très
tard ; antérieurement, ils s'appelaient Celtes.
D'après Polybe, les Celtes entrés dans Tarente comme sol-
dats, sont désignés comme Galates quand ils dépouillent les
morts. Les mercenaires d'Asdrubal, à deux chapitres de dis-
tance, sont nommés Celtes et Galates.
(1) Al. Bertrand, Valeur des expressions de Polybe, 1876, p. 19.
(2) Idem, ibid., p. 33.
(3) D'Arbois de Jubainville, Les Celtes, les Galates^ les Gaulois, 1876,
p. 10.
(4) Idem, ibid., p. 1.
(5) Gustave Lagneau, Anthropologie de la France, 1879; Race cel-
tique, p. 637. Race germanique, p. 6go.
GALATES ET GAULOIS gS
D'après César, la troisième partie de la Gaule est habitée
par ceux qui dans leur langue s'appellent Celtes et que les
Romains nomment Gaulois.
D'après Strabon, les Taurisques sont Galates et de nation
celtique.
D'après Appien, les Celtes sont appelés de son temps
Galates et Gaulois.
Ces citations d'époques et d'auteurs divers suffisent, je
crois, pour établir que dans l'antiquité les mots Celtes, Galates
et Gaulois s'appliquaient aux mêmes populations.
Quand deux populations considérées comme différentes se
trouvaient en contact, les auteurs anciens avaient l'habitude
de donner au mélange un nom composé. C'est ainsi que nous
avons rencontré les Ibéroligures, les Celtibères, les Celto-
ligures, les Celtoscythes. Nous verrons même plus tard les
Galloromains. Mais nulle part nous ne trouvons des Celto-
galates ou des Celtogaulois. Cela prouve que les Celtes et les
Galates ou Gaulois ne pouvaient s'allier, se fondre ensemble,
étant un seul et même peuple.
Il ne s'agit donc que d'un simple changement de nom. Celtes
est le terme le plus ancien, généralement admis. Puis les Ro-
mains ont abandonné ce vieux nom et l'ont remplacé par celui
de Gaulois, que les Grecs ont traduit par le mot Galates. Le
premier auteur qui emploie ce dernier terme est Timée de Sy-
racuse, qui avait vu en Sicile les mercenaires, débris des bandes
celtiques, gauloises d'après les Romains, qui s'étaient empa-
rées de Rome.
Dans les premiers temps, il y eut souvent confusion et
emploi simultané, puis le mot Galate ou Gaulois l'emporta.
C'est là un fait entièrement analogue à celui qui s'est passé
chez nous. La population de la France était tout d'abord dési-
gnée sous le nom de Gauloise, elle prit plus tard le nom de
Française.
Plus concluant et plus large encore est le cas des anciens
habitants de la Palestine, qui ont reçu, sans changer de type,
de nationalité et de religion, les noms d'Hébreux, d'Israélites
et de Juifs.
Maintenant, prétendre qu'il n'y avait pas des nuances entre
les deux termes Celtes et Gaulois, serait aller trop loin. Mais ce
n'étaient que de simples nuances, auxquelles on n'avait qu'ex-
^ DOCUMENTS HISTORIQUES
ceptionnellement recours. Il est évident, d'après Texposé qiiî
précède, que, lorsque les deux mots existaient simultanément,
on a de préférence employé le mot Celtes pour désigner les
sédentaires, les réguliers, les pays, les institutions ; et le mot
Galates ou Gaulois pour ce qui concerne les bandes envahis-
santes, les faits, les objets et surtout les abus de guerre. Aussi,
lorsqu'il s'agit d'introduire des troupes régulières dans Ta-
rente, Polybe nomme-t-il les soldats des Celtes : mais, dès qu'il
est question de dépouiller les morts, il les qualifie de Galates.
Des nuances analogues ont toujours existé quand les popu-
lations d'un pays portaient plusieurs noms. Le terme de Gaulois
pour les Français est abandonné depuis fort longtemps et
d'une manière bien générale ; pourtant on le reprend, et l'on
s'en sert encore lorsqu'il s'agit de choses gaies et égrillardes:
c'est de l'esprit gaulois, ce sont des gauloiseries, et l'auteur qui
les écrit se montre vraiment gaulois.
Les mots Hébreux, Israélites et Juifs ne sont-ils pas aussi
employés parfois, souvent môme, pour indiquer des mœurs ou
des habitudes déterminées? Hébreu est à peu près abandonné,
c'est de l'histoire ancienne ; Juif est souvent pris en mauvaise
part ; Israélite est généralement employé d'une manière bien-
veillante. Pourtant ce sont bien, dera\is de tout le monde, trois
synonymes qui désignent une seule et même population des
mieux caractérisées et des plus connues.
Il en est certainement de môme pour ce qui concerne les
termes Celtes et Gaulois. Nous concluons donc que les Celtes
et les Galates ou Gaulois ne formaient qu'une seule et même
population, comme les Hébreux, les Israélites et les Juifs.
Que, comme eux aussi, ils se sont répandus sur une grande
étendue de pays. Qu'en fait de différence entre les deux mots,
il n'y a qu'une question de chronologie, le mot Celtes étant
plus ancien et ayant été remplacé plus tard par celui de Galates
ou Gaulois, ainsi qu'une question de géographie, les Celtes
occupant surtout le nord de l'Italie et la France, leur pays
primitif, et les Galates ou Gaulois parcourant la Grèce et l'Asie
Mineure et se fixant même dans ce dernier pays, mais à une
époque plus récente. A ces deux différences chronologique et
géographique s'en joint une autre sociologique. Ce qui re-
garde la guerre, les armes, les engagements militaires et
surtout les horreurs de la guerre, comme les pillages et les
CALATES ET GAULOIS gS
dévastations, a été qualifié plus spécialement de Galatique ou
Gaulois.
Valeur relative des textes. — La peine que nous avons
eue pour arriver à cette conclusion si simple et si naturelle,
Jes grandes divergences qui ont existé jusqu'à ce jour entre
les appréciations et les opinions des divers commentateurs et
interprètes des auteurs anciens, démontrent combien les textes
sont peu clairs, peu nets et peu précis. Comment dès lors ad-
mettre que les Celtes et les Galates ou Gaulois constituaient
un type bien défini, une race parfaitement caractérisée ? Les
documents historiques que nous possédons sont trop géné-
raux, trop vagues, trop incomplets pour appuyer sérieusement
une pareille conclusion. Les termes race celtique ou race
gauloise s'emploient couramment. Mais, si Ton demandait à
ceux qui s'en servent de caractériser nettement et complète-
ment cette ou ces races au moyen de citations d'auteurs an-
ciens, ils seraient fort embarrassés. Aussi les hommes sérieux
qui, comme Gustave Lagneau, admettent ces races, sont-ils
obligés d'aller chercher leurs caractères et leurs preuves dans
d'autres branches des sciences. Quant à nous, nous nous con-
tentons de constater ici qu'il n'est pas possible de définir des
races d'une manière nette et précise au moyen des simples
citations des auteurs anciens, surtout pour ce qui concerne
les populations européennes. L'étude de ces auteurs, excel-
lente, indispensable même, au lieu de servir de base à l'an-
thropologie de nos régions, ne doit être employée que pour
fournir des renseignements accessoires, de simples pièces à
l'appui. A ceux qui veulent faire passer les documents histo-
riques avant l'observation directe des débris humains et
l'étude de l'homme vivant, on peut dire dans le langage pro-
verbial, si expressif : Vous mettez la charrue avant les bœufs!
96 DOCUMENTS HISTORIQUES
CHAPITRE IX
ROMAINS
Occupation romaine. — L'élément celte et gaulois, quel
qu'il soit, est certainement largement représenté dans la
population française. En est-il de même de l'élément romain
qui lui a succédé?
Les Romains ont occupé l'Espagne longtemps avant de pé-
nétrer en France. Ils y allaient combattre l'influence des Car-
thaginois et surtout rechercher les métaux précieux : Tétain,
l'argent et l'or, dont les mines ont été fort exploitées dans l'an-
tiquité.
La première incursion des Romains sur le sol de la France
a eu lieu l'an 160 avant notre ère. Marseille, Antibes et Nice,
colonies grecques, étaient menacées par les Salyens, popula-
tion gauloise du voisinage. Comme Marseille était depuis long-
temps alliée avec Rome, elle réclama le secours des armées
romaines. Le consul Quintus Epinius répondit à cet appel,
repoussa les Salyens, les obligea à rendre leurs armes et remit
à la confédération grecque de Marseille une partie du terri-
toire des vaincus.
Quelques années après, vers 126 avant notre ère, les Sa-
lyens, ayant réparé leurs pertes, voulurent prendre leur
revanche. Marseille et ses colonies, menacées de nouveau,
réclamèrent encore l'assistance des Romains. Fulvius vint à
leur secours. Et l'année suivante, le consul Sextius remporta
une grande victoire sur les Salyens, s'empara de presque tout
leur territoire et y fonda une ville romaine, Aquœ-Sextiœ, les
eaux de Sextius, ainsi nommée à cause des sources thermales
qui y surgissent. C'est Aix en Provence.
L'impulsion était donnée ; en 121 le consul Fabius Quintus
Maximus, à son tour, passa en Gaule et, après une victoire
remportée sur les Allobroges, soumit tout le pays situé entre
le Rhône et les Alpes. La même année Nemausui^ (Nîmes),
capitale desVolces Arécomices, se soumit volontairement aux
Romains.
Pourtant la véritable conquête des Gaules n'a été faite
ROMAINS
97
qu'une soixantaine d'années plus lard par Jules César, de
Tan 58 à 5o avant notre ère, après huit campagnes consécu-
lives.
A partir de ce moment la France entière a été soumise,
sans discontinuité, à la domination romaine, jusqu'à la chute
de TEmpire d'Occident, vers la fin du v*" siècle. Glovis est le
premier souverain qui a remplacé, en 4^6, cette domination.
Déjà, quelque temps avant la présente date, les Burgundes
ou Bourguignons occupaient les vallées de la Saône et du
Rhône. De même les Wisigoths occupaient une grande partie
du midi de la France.
On peut donc dire que la domination romaine sur le sol
complet de la France actuelle a duré au moins cinq
siècles.
— Quelle a été l'influence ethnique de cette longue et per-
sistante domination ?
Conquête. — Pour répondre à cette importante question,
il faut tout d'abord nous rendre compte d'une manière nette
et précise de la portée anthropologique de certains termes
très souvent employés, mais habituellement mal compris :
conquête, enrôlement, asservissement, transportation, refou-
lement, incursion, migration, invasion.
La conquête est la prise de possession par un pays séden-
taire d'un autre pays. Alexandre le Grand nous fournit un
brillant exemple de conquête. Roi d'un petit pays, la Macé-
doine, il profita habilement de l'animosité ({ue les Grecs
nourrissaient contre les Perses qui étaient venus les attaquer
jusque chez eux, pour sonner la guerre de la revanche. Après
avoir assuré ses derrières en soumettant les peuples habitant
au nord de la Macédoine, il groupa autour de lui toute la
Grèce et partit au printemps de 334 avant notre ère. Il tra-
versa l'Asie Mineure, la Syrie, se rendit en Egypte, s'empara
de la Perse, traversa la Médie et la Bactriane, alla jusqu'à la
Caspienne battre les Scythes, et fut ensuite soumettre Tlnde
d'où il revint à Babylone l'an 325. Ainsi en moins de 9 ans il
créa un vaste empire grec, allant de la Macédoine à l'Inde et
de rÉgyple au Turkestan. Cet empire ne subsista dans son
intégrité que deux ou trois ans. Alexandre mourut en avril
323, et son empire se disloqua. Géographiquement et surtout
politiquement, c'était bien un empire grec; anthropologique-
G. DE MORTILLET. *]
98 DOCUMENTS HISTORIQUES
ment, non. En effet, les historiens nous apprennent qu'au
début de son expédition, Alexandre était à la tête d'une
armée composée de So.ooo fantassins, et 4-5oo cavaliers.
Admettons que ces 34.5oo hommes aient tous été des Grecs,
qu'il n'en soit point rentré en Grèce après la dislocation de
l'empire, qu'il n'en soit môme point mort dans les- violents
combats qu'ils eurent à soutenir, que représentent ces34.5oo
hommes auprès des nombreuses populations occupant les
vastes régions parcourues et soumises par Alexandre ? Bien
peu de chose en réalité, rien au point de vue anthropologique,
une goutte d'eau dans une mer.
L'exemple, nous dira-t-on peut-être, est mal choisi parce
que la conquête a été trop rapide et la destruction de l'empire
trop prompte? C'est intentionnellement que nous nous en
sommes servi. Etant très net et parfaitement délimité, il
nous a paru très propre à frapper les esprits.
Mais, si on le désire, prenons en un autre dans un sens tout
à fait opposé. Passons de la Grèce à Rome. Les Romains
étaient des conquérants on ne peut plus sérieux ; ils mar-
chaient progressivement de conquête en conquête ; ils
étaient fort experts dans l'art d'organiser les pays conquis,
et très habiles à les conserver. Eh bien, ont-ils sérieusement
modifié les régions occupées, au point de vue anthropolo-
gique? Ils ont conquis la (irèce, l'Egypte, l'Espagne, qui
ont été sous leur domination plus longtemps que la Gaule;
pourtant est-ce que la Grèce, l'Egypte et l'Espagne romaines
ne sont pas restées, comme par le passé, grecque, égyp-
tienne, espagnole ? Chacun de ces pays a gardé sous la domi-
nation romaine et malgré la durée de cette domination son
caractère ethnique particulier, caractère qui s'est maintenu
après l'occupation. La conquête n'a donc qu'une très faible
influence sur l'anthropologie locale.
Enrôlement. — U enrôlement est habituellement une con-
séquence de la conquête. On enrôle des hommes soit pour
faire la conquête, soit pour lui résister. Dans l'antiquité, les
troupes étaient en grande partie composées de mercenaires.
C'est de l'enrôlement de ces mercenaires qu'il s'agit. Nous
avons vu des exemples de ces enrôlements: Hérodote nous
apprend que l'armée formée par Amilcar pour guerroyer en
Sicile se composait de mercenaires phéniciens, libyens,
ROMAINS 99
ibères, ligure», hélysices et sardones. Environ loo ans plus
tard, Platon nous parle d'une autre armée sicilienne com-
posée de mercenaires carthaginois, celtes, ibères et thraces.
La présence de ces étrangers dans un pays circonscrit comme
la Sicile ne pouvait manquer d'occasionner un certain mé-
lange de sang. Mais la variété des origines et la faible propor-
tionnalité des individus, tout en altérant un peu les types
primitifs, ne devaient pas apporter des modifications bien sen-
sibles, bien durables. Dans des régions plus étendues, l'action
était encore moindre. Cependant il faut en tenir compte.
Asservissement. Transportation. — Un des résultats de la
conquête et des invasions, était V asservissement. Des popula-
tions entières étaient parfois enlevées d'un pays, transférées
dans un autre et vendues comme esclaves. C'est ainsi que
César, pendant la guerre des Gaules, fît vendre 53.ooo Belges.
Les esclaves étaient disséminés, venant souvent de localités
fort diverses; Ils s'unissaient entre eux, souvent aussi ils
avaient des rapports avec la population au milieu de laquelle
ils vivaient. C'était encore là un puissant modificateur des
types et des races.
La transportation consiste dans le déplacement, le trans-
port d'un lieu dans un autre d'un groupe de population. Nous
en avons signalé un exemple en éiudiant les Ligures. Nous
avons vu les proconsuls Cornélius et Bœbius battre les
Ligures Apuans, l'an 180 avant notre ère, et en transporter
12.000 avec femmes et enfants dans le Samnium, sur un ter-
rain confisqué à une autre peuplade, les Taurasiniens. Ces
Ligures ont formé là, non loin de Bénévent, une petite colo-
nie conservant son type ethnique. Les transportations de ce
genre, quand elles n'ont pas laissé de traces historiques,
peuvent étonner l'anthropologue, mais n'altèrent pas les
races.
Refoulement. — L'idée du refoulement est née de la théo-
rie du mouvement des populations dans un sens donné et
continu. On s'est dit : si un peuple avance dans une direc-
tion, il ne peut le faire qu'en refoulant les populations qui
occupent le pays. Ce refoulement s'accentue de plus en plus
à mesure que le peuple en question marche en avant. Les
populations refoulées refoulent à leur tour les populations
qui sont devant elles. Mais, comme la ma^cji^ rénovant se fait
lOO DOCUMENTS HISTORIQUES
par une poussée, portant tout d'abord sur un point central et
s élargissant successivement des deux côtés, le peuple en
marche forme comme un coin pénétrant de plus en plus dans
le pays des populations refoulées, qui, dès lors, décrivent une
courbe en fer à cheval entourant la tête du coin. Cette forme
se reproduit dans les populations qui sont devant la première,
la courbe devenant de moins en moins profonde au centre et
de plus en plus atténuée sur les côtés à mesure qu'elle s'éloi-
gne du peuple en mouvement. Telle est la théorie qui a régné
pendant un certain temps, mais qui n'a pas été confirmée par
l'observation.
D'abord les faits montrent que les mouvements de popula-
tions, loin de se faire toujours dans un même sens, de l'est à
l'ouest, ont lieu dans toutes les directions. Nous avons vu les
Ligures et les Ibères de l'Occident aller s'établir en Orient, au
pied du Caucase. Nous avons assisté aux pérégrinations des
Galates se rendant du nord au sud, des bords du Danube en
(irèce et en Asie Mineure. Nous verrons plus loin des popula-
tions parties de l'Allemagne traverser la Gaule, l'Hispanie,
et passer en Afrique. Nous trouverons les Arabes, sous le
nom de Sarrazins, répéter ce qu'avaient déjà fait les Libyens
avec les Carthaginois, suivre la direction inverse et passer
d'Afrique en Europe, montant du sud au nord.
Les faits montrent aussi que les refoulements ne sont jamais
réguHers, comme on le supposait, et qu'ils sont même fort
exceptionnels. Les populations en mouvement détruisent les
peuples qui s'opposent à leur passage, les subjuguent et se
superposent à eux en les asservissant, ou bien les traversent
et vont au delà. Mais, dans les mouvements des peuples, il
n'y a rien de régulier, comme on l'a cru un moment. Ces
mouvements constituent les Incursions, les Invasions et les
Migrations.
Incursions. Invasions. — Les incursions sont les mouve-
ments de bandes qui s'organisent pour aller saccager cl
piller des régions plus ou moins éloignées. Lès Celtes de la
plaine du Pô étaient coutumiers du fait. C'est dans une in-
cursion qu'ils ont pris Rome. Plus coutumiers encore, les
Galates des bords du Danube, qui se précipitaient sur la
Grèce et l'Asie Mineure pour les piller, quand personne ne
les engageait comme mercenaires. Et même après avoir
ROMAINS loi
leur nature les poussait encore au pillage. C'est ainsi
l'après Polybe (i), Attale ayant licencié ses bandes de
îs, elles se mirent à dévaster les villes de la Troade d'où
îhus le Grand fut obligé de les chasser. Les incursions
u d'action sur l'anthropologie.
en est pas de même des. invasions. Les invasions sont
cursions qui, au lieu d'être passagères et momentanées,
)lus ou moins persistantes. En comparant les inva-
mx conquêtes, on peut dire qu'elles sont des conquêtes
peuple conquérant, au lieu de rester chez lui, se
e et vient s'installer chez le peuple conquis. L'instal-
des Burgundes et celle des Francks en France sont
stables invasions. Les invasions produisent toujours
îtion très importante sur l'anthropologie des pays en-
:*ations. — Enfin il y a les migrations^ qui sont,
R les invasions, des déplacements de populations qui
e fixer ailleurs, mais en chassant et dépossédant les
s occupants. C'est ainsi que les 20.000 Galates, débris
mdes de Brennus défait en Grèce, vinrent fonder un
iltat, la Galatie, sur les bords de la mer Noire, en Asie
re. C'est ainsi qu'au début des guerres de César en
378.000 Helvétiens étaient partis de la Suisse pour
'établir chez les Santons, dans les Charcutes . César les
lit et les battit près d'Autun, repoussant tout ce qui
jusque dans leur ancien pays. Les migrations peuvent
les groupes anthropologiques plus ou moins purs.
lence romaine. — Nous pouvons maintenant répon-
a question posée. Quelle a été l'influence ethnique de
Dation romaine de la Gaule ?
fluence romaine sous le rapport de la langue a été com-
Le latin est rapidement devenu la langue générale, le
s, vite oublié, s'est perdu. Dans les idiomes locaux, les
c'est encore le latin qui règne en maître. Comme écri-
es caractères romains ont remplacé les caractères grecs
us étaient venus par les colonies helléniques des côtes
trranéennes et qui s'étaient déjà répandus dans une
partie de la Gaule.
►LYBE, liV. V, Ch. LXXVII et CXI.
102 DOCUMENTS HISTORIQUES
Sous le rapport des mœurs, des coutumes, du vêlement,
des lois, le changement a été aussi rapide et aussi général.
L'agriculture, l'industrie, le commerce, les arts de Rome sont
presque immédiatement devenus l'agriculture, l'industrie, le
commerce et les arts de la Gaule. La transformation a été
rapide et complète.
Sous le rapport religieux, le druidisme, après quelques ré-
sistances désespérées, a dû céder le pas au paganisme romain,
qui a de suite pris le haut du pavé. Paganisme qui bientôt
s'est vu miné en Gaule, comme à Rome, par les my«tèr^ de
Miihra et surtout par le christianisme naissant. Le mouve-
ment a été le même dos deux côtés des Alpes.
Et, malgré cette rapide et parfaite assimilation, l'influence
anthropologique a été presque nulle. En effet, si l'influence
morale et matérielle de Rome pouvait se multiplier à l'infini
par le savoir, l'habileté, l'activité, il n'en était pas de même
des individus. Rome, en comprenant même les pays voisins,
ne. possédait qu'une très faLble population en regard de celle de
tous les pays conquis. Cette population était encore réduite el
décimée par la guerre, la carrière militaire étant la carrière
par excellence des Romains et l'état de guerre se trouvant
leur état habituel.
Administrateurs et assimilateurs fort habiles, les Romains,
après chaque conquête, savaient s'attacher les pays conquis
en améliorant le sort du peuple, en organisant des adminis-
trations locales, en flattant les sentiments ambitieux des gens
riches, influents et surtout de mérite. «C'est ainsi qu'après
avoir conquis la Gaule, ils se sont empressés d'avantager les
Gaulois qui se ralliaient à eux. Ils leur ont donné des fonc-
tions, des emplois, de telle sorte que les fonctionnaires
venus de Rome étaient fort peu nombreux. Ils sont allés
jusqu'à créer des Sénats locaux. Bien plus, presque immédia-
tement après la conquête, on a vu, grâce à l'intervention de
Cicéron, plusieurs habitants de Vienne, alors la capitale de
la Gaule romaine, entrer au Sénat romain. Nous savons que
dans l'administration, les vrais Romains, venus de Rome,
n'étaient qu'en petit nombre en Gaule. Et encore ces Ro-
mains pouvaient et devaient être mêlés de nombreux élé-
ments divers, puisque les étrangers pouvaient dans Rome
même, arriver aux plus hautes positions.
GERMAINS 103
Mais les légions, dira-t-on ?
Les fameuses légions romaines n'étaient pas plus compo-
sées de véritables enfants de Rome que les administrations.
Elles étaient levées et recrutées dans tous les pays conquis.
César nous en fournit lui-même une preuve bien caractéris-
^<}ue. A peine a-t-il soumis les Gaules qu'il organise une
égion entière exclusivement composée de Gaulois, la légion
e l'Alouette, ainsi nommée parce qu'elle avait cet oiseau
3mme signe distinctif, comme emblème.
Gela suffît pour montrer que la conquête romaine, qui a eu
ir la Gaule la plus grande influence au point de vue de la
tigue, de la législation, de l'agriculture, de l'industrie, des
œurs et des habitudes, n'a eu qu'une action très faible,
esque nulle, sous le rapport anthropologique.
CHAPITRE X
GERMAINS
Cimbres et Teutons. — Tout autres ont été les invasions
s divers peuples du nord de l'Europe qui, au commen-
ment de notre ère, se sont précipités surla France, peuples
li étaient désignés par les Romains sous le nom général
î Barbares. Ces invasions ont eu une très sensible influence
r la constitution anthropologique de la France.
La première invasion des Barbares du Nord dont l'histoire
>us a conservé le souvenir est celle des Cimbres et des Ten-
us. Elle remonte environ à un siècle avant notre ère. Les
mbres se portèrent d'abord vers TOrient. L'an ii3, ils
^firent le consul Papirius Carbon près de Noreia, en Styrie.
3 fut le début d'une guerre des plus meurtrières, qui dura
latorze ans et qui coûta aux Romains cinq armées consu-
ires et la vie de plusieurs généraux. Aussi fut-elle honorée
j nom de guerre Cimbrique.
En 107, les Cimbres se rejettent vers l'ouest et, s'unissant
104 DOCUMENTS HISTORIQUES
aux Tiguriens, peuple de la Suisse, défont et tuent CassiizM. s.
Puis, continuant leur marche vers l'Occident, ils rem-
portent en Gaule méridionale, dans la même année io5, deux
nouvelles victoires, la première sur le lieutenant consulaire
Scaurus Aurelius, qui fut tué, la seconde sur le proconsul
Servilius Gaepio et le consul Manlius Gattus. Leurs armées
furent taillées en pièces. Rome fut tellement terrifiée, que Ton
suspendit toutes les exemptions de service.
Trois ans plus tard, en 102, les Teutons qui avaient envahi
la Gaule voulaient pénétrer en Italie par la Provence. Marius j
marcha au devant d'eux pour les arrêter. Il les rejoignit près j
d'Aix et les défît complètement. La horde envahissante com-
posée, suivant les uns, de 100.000, suivant les autres, de
3oo.ooo homn^es, fut entièrement exterminée. Le peu qui
échappa à la mort fut disséminé et vendu comme esclave.
Marius, surexcité par cette victoire, se porta Tannée sui-
vante au devant des Gimbres qui pénétraient en Italie après
avoir traversé la Suisse. Joint à Gatulus, il les défît et les
tailla en pièces dans les plaines de Verceil. Il mit ainsi fin à
cette invasion qui avait ravagé la Gaule et menacé Tltalie.
Qui étaient et d'où venaient ces Gimbres et ces Teutons?
Les Gimbres, C/m6r/, Ki{jLêpot, habitaient la Ghersonèse Cim-
brique, Jutland actuel, entre la mer du Nord et la Baltique
appelée alors le golfe Godanus. Voici ce qu'en dit Tacite (1) :
« Voisins de l'Océan, les Gimbres occupent le même bassin
de la Germanie, petite nation aujourd'hui grande nation par
sa gloire. Il reste d'immenses vestiges de leur vieille renom-
mée, des camps sur deux rives à la fois, des enceintes dont
l'étendue peut servir à mesurer la multitude et les forces de
ce peuple et rend croyable la grandeur de ses armées. »
Les campe sur deux rives et les vastes enceintes sont les
vestiges de castramélation qui existent sur les deux rives du
Rhin. Gela prouve que ces traces de campement en majeure
partie sont antérieures sur ce point aux temps historiques.
S'il nous a été facile de bien déterminer le pays occupé par
les Gimbres, il n'en est pas de même pour celui des Teutons,
Teutoni, Pline (2), dans sa division de la Germanie en cinq
(1) Tacite, Germains, 87.
(2) Pline, Histoire naturelle, liv. IV, eh. xxviii.
GERMAINS 105
races, place Cimbres el Teutons à côté les uns des autres dans
sa seconde race, les Ingévons. Le naturaliste romain confirme
celte déduction en nous apprenant que les Teutons sont voi-
sins du pays de Tambre (i). Or Tambre vient de la mer du
Nord et de la Baltique.
Pomponius Mêla (2), qui écrivait à peu près en même temps
que Pline, vers le milieu du i®"" siècle de notre ère, rapproche
aussi les Teutons des Cimbres.
Mais ce qui paraît certain, c'est qu'ils ne formaient qu'une
population peu importante. En effet, Pline ne les met qu'en
seconde ligne, après les Cimbres, dans l'énumération de sa
race ingévone. La guerre soutenue contre les Romains prit le
nom de guerre cimbrique et non teutonique. Les deux défaites
des Romains en Gaule ont été portées à l'avoir des Cimbres,
bien que, suivant toutes les probabilités, l'armée envahissante
dût contenir tout à la fois des Cimbres et des Teutons. Pline
en parle dans sa description géographique de la Germanie,
mais Tacite ne les nomme pas. C'est donc par une extension
exagérée qu'on a donné parfois le nom de Teutons à tous les
habitants de l'Allemagne et qu'en linguistique on se sert du
terme de langues teutonnes, terme d'autant plus impropre
qu'on ne sait pas au juste quelle était la langue des véritables
Teutons. Ils avaient, dit-on, envahi la Gaule avec femmes et
enfants. Ils ont été exterminés par la mort ou l'esclavage
après leur défaite d'Aix en Provence. Leur influence sur la
population française n'a dû être que fort insignifiante.
Suèves. — Lorsque César commença ses campagnes des
Gaules, il eût tout d'abord à combattre les Suèves, qui, com-
mandés par Arioviste, voulaient envahir le pays. L'an 58
avant notre ère, il les rejoignit au delà de Besançon et les re-
poussa malgré leur nombre, qui s'élevait, dit-il, à 120,000 guer-
riers.
Ces Suèves, Suevi, Soriêot, étaient éminemment mobiles. En
55 et 53, César entreprit contre eux des campagnes au delà
du Rhin, sans pouvoir les atteindre (3).
Strabon les considère comme la plus grande nation germa-
(i) Pline, Histoire naturelle^ XXXVII, eh. xi.
(2) Pomponius Mêla, Les Sites du globe, liv. III, ch. iii.
(3) CÉSAR, Guerre des Gaules, liv. IV, ch. iv, vu, vin, xvi, xix.
106 DOCUMENTS HISTORIQUES
nique. Cependant Pline, dans sa description de la Germanie,
ne fait que citer leur nom, à propos des Hermions, qui forment
sa quatrième race et occupent Tintérieur des terres (i).
Tacite partage l'opinion de Strabon sur Timportance des
Suèves. « Ils occupent, dit-il (2), la plus grande partie de la
Germanie sous des noms et en corps de peuples particuliers,
quoique sous le nom commun de Suèves. Un trait distinctif
de ce peuple, c'est de retrousser et de nouer leur chevelure ;
c'est par là qu'ils se distinguent des Germains et que chez eux
les hommes libres se distinguent des esclaves. » Un peu plus
loin, il ajoute (3) : Les Semnons se disent les plus nobles des
Suèves, occupant le centre du pays, centre religieux. Tous les
peuples suèves envoient des délégués à certaines époques
pour célébrer le culte des aïeux dans une forêt. On y sacrifie,
dit-on, un homme.
Ce sont ces Suèves qui ont donné leur nom à la Souabe.
Nous retrouverons les Suèves dans la grande invasioii
de 407.
Germanie, coup d'oeil général. — Mais, avant d'aller plus
loin, il nous faut forcément jeter un coup d*œil général sur la
Germanie, cette grande officine de Barbares qui, pendant trois
à quatre siècles, a inondé d'envahisseurs tout le sud-ouest de
l'Europe et le nord de l'Afrique.
Les Germains, Germani, repjjiavoi, ont été décrits d'une ma-
nière toute spéciale par Tacite, vers la fin du i®^ siècle. Les
Mœurs des Germains^ publiées vers la fin du règne de Nerva,
sont une œuvre vraiment remarquable. D'après Montesquieu,
ce livre si court sur un vaste sujet est d'un homme qui abrège
tout, parce qu'il voit tout. C'est une admirable introduction
à l'histoire des nations du centre de l'Europe, aussi est-il pour
nous d'une très grande utilité ! Et pourtant nous allons voir
que, même en ayant en main, comme guide, ce petit chef-
d'œuvre, qui jouit auprès des érudits d'une si universelle et
si légitime réputation, il nous sera impossible d'en tirer des
conclusions anthropologiques sérieuses. C'est incontestable-
ment la meilleure preuve que les textes anciens sont complè-
fi) Pline, Histoire naturelle, liv. IV, ch. xxviii.
(2) Tacite, Germains, ch. xxxviii.
(3) lDEM,i6/d., ch. xxxix.
GERMAINS 107
iemeiit ilisuffisants pour asseoir d'une manière solide et irré-
futable les données anthropologiques et même simplement
ethnographiques. L'école qui a voulu les placer au premier
rang dans ce genre de recherches a fait fausse route. La véri-
table science doit se baser sur l'observation directe des faits,
les textes ne peuvent venir qu'en seconde ligne, comme pièces
à Tappui, servant à confirmer les faits.
D'après Tacite : « la Germanie est séparée de la Gaule, des
Rhétiens et des Pannoniens par le Rhin et le Danube ; des
Sarmates et des :Daces par une crainte réciproque ou par des
montagnes. Elle est fermée par l'Océan, dont les flots em-
brassent de vastes côtes et des îles immenses (1). »
En fait de nom. Tacite (2) prétend qu'il en est qui disent
« que celui des Germains est nouveau et d'adjonction ré-
cente ; que les. premiers qui le prirent furent ceux qui passè-
rent le Rhin et chassèrent les Gaulois, et sont aujourd'hui les
Tongres ; que ce nom, propre à une peuplade et non à toute
une nation, prévalut peu à peu. »
Le grand descripteur de la Germanie a parfaitement cir-
conscrit le pays et montré que le nom de Germains n'est pas
très ancien. Il fut d'abord adopté par une population de Bel-
gique, les Tongres. Le nom de Belges, comme expression
géographique, apparaît dès le n^ siècle avant notre ère, bien
antérieurement au nom de Germains. Il en est de même d«s
noms de Gimbres et de Bastarnés.
Résumons maintenant les données historiques fournies sur
la région par les divers auteurs qui ont plus ou moins parlé
de la Germanie.
Celtes. Gaulois. Germains. — César, au milieu du i'^'* siècle
avant nôtre ère, divise, ainsi que nous l'avons déjà dit, la
Gaule en trois parties : la Belgique entre le Rhin et la Seine,
la Celtique entre la Seine et la Garonne, et l'Aquitaine entre
la Garonne et les Pyrénées. « Ces peuples, ajoute-t-il (3), dif-
fèrent entre eux par le langage, par le gouvernement et par
les lois. » On en a conclu qu'on avait affaire à trois types
ethniques différents. Les Aquitains ont été considérés comme
(1) Tacite, Germains^ ch. i.
(2) Idem, ibid, ch. ii,
(3) CÉSAR, Guerre des Gaules, liv. I, ch. i.
108 DOCUMENTS HISTORIQUES
(les Ibères, les Celtes comme les véritables Gaulois et les
Belges comme des Germains. Mais c'est là une simple
interprétation constituant une pure hypothèse. Si nous exa-
minons le passage de César, froidement, sans aucun parti
pris, nous remarquerons qu'il se trouve tout à fait au début
de l'ouvrage, livre I®^, chapitre i®"*. C'est un croquis général
servant d'entrée en matière. Il était donc nécessaire de bien
accentuer les lignes et de frapper l'esprit en quelques mots.
Pour préparer le lecteur, c'est parfait ; mais il ne faudrait pas
accepter les expressions avec la plus rigoureuse acception
des mots. Il est très certain qu'en Gaule, groupe d'un grand
nombre de populations diverses, indépendantes les unes des
autres, il devait y avoir des idiomes et même des langues diffé-
rentes ; c'est ce qui existe encore en France comme patois. Il en
est de même pour les lois et les coutumes. Naguère, chacune
de nos provinces avait son droit coutumier particulier. Le pas-
sage cité de César n'a donc pas et ne peut avoir la portée que
certaines personnes lui prêtent. Ge n'est pas une formule ethno-
graphique positive, mais un simple énoncé géographique
destiné à éclairer le récit des faits racontés dans l'ouvrage.
D'après Denys d'Halicarnasse, vers la fin du i®"* siècle avant
notre ère, la Germanie n'est qu'une simple subdivision de la
Celtique. Effectivement, la Celtique a pour limites les Pyré-
nées, les Alpes, le Danube, le pays des Thraces, entre la mer
de Marmara et la mer Noire, et celui des Scythes, qui s'é-
tend du côté de la mer Caspienne. Elle se divise en Galatie à
l'occident du Rhin et en Germanie à l'orient.
A l'inverse de Denys d'Halicarnasse, Diodore de Sicile, à
peu près à la même époque, à l'instar de César, restreint la
Celtique au centre de la Gaule, mais prolonge la Galatie dans
la Germanie tout entière. « Le nom de Celtes, dit-il, ne doit
s'appliquer qu'aux peuples qui habitent au-dessus de Mar-
seille, près des Alpes et en deçà des Pyrénées. Ceux qui sont
établis au-dessus et qui habitent le long de l'Océan et la forêt
Hercynienne et toutes les contrées qui s'étendent de là jusqu'à
la Scythie, se nomment Galates (i). » D'après ce texte, les Ger-
mains que César fut combattre sur la rive droite du Rhin
étaient des Galates, les Galates d*au delà du Rhin.
(i) Diodore de Sicile, Histoire universelle^ liv. V, ch. xxxiii.
GERMAINS 109
Un auteur plus récent encore, du commencement du
m® siècle, Dion Cassius, qui fut consul sous Alexandre
Sévère, dit (1) : « Le Rhin sort des Alpes celtiques un peu
au-dessus des Rhétiens. Il coule vers l'occident, à travers la
Galatie et les Gaulois à gauche, les Celtes à droite, et se jette
ensuite dans l'Océan; car le Rhin est la limite des deux peuples
depuis répoque où on leur a donné des noms différents. Autre-
fois on donnait indifféremment le nom de Celtes aux peuples
de Tune et de l'autre rive. »
Dion Cassius, comme d'autres auteurs du reste, confond
souvent les termes KsXtoi [Keltoi) et Fepfxavot (Germanoi),
Voilà quatre auteurs qui ont écrit dans une période de
moins de trois siècles et qui sont arrivés aux conclusions les
plus disparates.
Pour César, les Gaulois habitent la rive gauche du Rhin,
les Germains la rive droite. Les Celtes sont confinés au
centre delà France.
Pour Denysd'Halicarnasse, les Celtes, au contraire, habitent
toute la France et toute l'Allemagne. Ils se subdivisent on
deux races : les Galates ou Gaulois, rive gauche du Rhin, et
les Germains, rive droite.
Pour Diodore de Sicile, les Celtes sont bien confinés dans
l'intérieur de la France, mais ce sont les Galates ou Gaulois
qui se développent sur la rive droite du Rhin.
Enfin pour Dion Cassius, les Galates ou Gaulois occupent
la rive gauche et les Celtes la rive droite du Rhin.
Tirez, si vous le pouvez, des conclusions ethnologiques (\c
ces textes ?
RllIN
Rive gauche. Rive droite.
César Gaulois Germains
Denysd'Halicarnasse . . | Galates^"'"*' Germains
Diodore de Sicile Celtes Galates
Dion Cassius ...... Galates Celtes
Ces contradictions, on pourrait les multiplier en citant les
auteurs les plus connus. Ainsi Phne l'Ancien, subissant
comme Diodore de Sicile l'influence des Commentaires de
(1) Dion Cassius, ch. xxxix*.
110 DOCUMENTS HISTORIQUES
César, admet que « toute la Gaule désignée sous le nom
général de Chevelue est divisée entre trois peuples séparés
surtout par des fleuves. La Belgique de l'Escaut à la Seine ;
de la Seine à la Garonne, la Celtique ou Lyonnaise ; de la
Garonne à la chaîne des Pyrénées, l'Aquitaine appelée aupara-
vant Armorique (i) ». Cela n'empêche pas l'auteur latin d'ad-
mettre, comme on le faisait généralement de son temps, un
vaste développement de la Celtique. Jen^'en veux pour preuve
que la citation de deux points extrêmes, diamétralement op-
posés et qui laissent entre eux de grandes étendues de pays.
C'est, en parlant de la Scythie, dans les régions les plus
froides, « le promontoire. Lytarmis de la Celtique (2) », et,
sur la côte occidentale de l'Hispanie, « le promontoire Cel-
tique (3)». Npus sommes bien loin, au nord-est et au sud-
ouest, du centre de la Gaule.
Germanie d'après Pline. — D'après Pline (4), « il y a
cinq races germaines : les Vindiles, auxquels appartiennent
les Burgundes, les Varins, les Carins, les Guttons; seconde
race, les Ingévons, auxquels appartiennent les Cimbres, les
Teutons et les nations Chauques; troisième race, la plus voi-
sine du Rhin, les Istévons, auxquels appartiennent les Cimbres;
quatrième race, dans l'intérieur des terres, les Hermions, aux-
quels appartiennent les Suèves, les Hermondures, les Cattes
et les Chérusques ; cinquième race, les Peuciniens et les Bas-
tarnes limitrophes des Daces. »
Il es' évident qu'à propos de la troisième race, le texte de
l'auteur romain est altéré. 11 y a une répétition des Cimbres
qui n'a aucune raison d'être; c'est une faute de copiste, d'un
genre qui se présente souvent. On a voulu corriger la faute
en remplaçant Cimbres par Sycambres, ou bien en divisant
les Cimbres en deux parties. Ces corrections peuvent être
bonnes, mais rien ne les autorise; il vaut donc beaucoup
mieux dans le doute s'abstenir. L'introduction d'erreurs de
ce genre dans les textes anciens est une raison de plus pour
ne pas leur accorder une trop grande importance.
A propos des Daces dont le nom termine. la citation précé-
(i) Pline, Histoire naturelle, liv. IV, ch. xxxi.
(2) Idem, ibid., liv. VJ, ch. xiv.
(3) Idem, ibid., liv. IV, ch. xxxiv.
(4; Idem, ibid. y liv. IV, ch. xxviii.
GERMAINS ] 1 1
dente, Pline nous apprend (i) que « les Gètes, appelés Daces
par les Romain» », sont, ainsi que les Sarmates des branches
sarmatiques se développant au delà de la Germanie.
Pline divise donc les habitants de la Germanie en cinq races
principales, se subdivisant en diverses populations. Tacite
cite nominativement trente-six peuples se groupant parfois en
espèces de confédérations, comme celle des Suèves et celle
des Lygiens.
Cet ensemble de populations devait être extrêmement pro-
lifiquci car la Germanie a alimenté de fréquentes et abon-
dantes migrations. Parfois ces migrations, comme celle des
Teutons dont nous avons parlé, ont été entièrement détruites.
Parfois même des destructions analogues avaient lieu sanssor.-
lir de la Germanie. Tacite nous apprend que les Bructères, voi-
sins des Tenctères, sur les bords du Rhin, furent anéantis par
une ligue des populations voisines : plus de 60,000 succom-
bèrent. Des Chamaves et des Angrivariens occupèrent leur
territoire (2).
Dans un autre ouvrage, le même auteur (3) rapporte, à pro*
pos de la guerre contre les Germains, l'an 17 de noire ère, que
« Germanicus avait ôté son casque, pour être mieux reconnu;
il criait de s'acharner au carnage, de ne point faire de pri-
sonniers, qu'on n'aurait la paix que par la destruction entière
de la nation. »
Pour suffire à une pareille consommation d'hommes, il fal-
lait une active production. Aussi en Germanie, d'après Tacile^
« limiter le nombre de ses enfants ou faire périr quelqu'un des
nouveau-nés est un crime, et les bonnes mœurs ont ici plus
d'empire qu'ailleurs les bonnes lois (4). »
Pureté de race. Portrait. — Dès le début de son ou-
vrage. Mœurs des Germains^ chapitre 11, Tacite s'écrie : « Je
crois les Germains indigènes et nullement mêlés aux autres
peuples, soit en y allant, soit en les recevant parmi eux. » El
un peu plus loin, chapitre iv, il revient sur le même sujet :
« Je me range, quant à moi, à l'opinion de ceux qui pensent
que les peuples de la Germanie n'ont point été altérés par des
(1) Pline, Histoire naturelle^ \\\ . IV, ch. xxv.
,2) Tacite, Germains^ ch. xxxiii.
(3) Idem, Annales^ liv. II, ch. xxi.
(4) Idem, Germains, ch. xix.
112 DOCUMENTS HISTORIQUES
mariages avec un autre peuple, que c'est une race indigène,
qui se renouvelle d'elle-môme et ne ressemble qu'à soi. »
Ces deux affirmations sont fort catégoriques ; pourtant, en
lisant avec soin l'auteur latin, on s'aperçoit bien vite qu'elles
n'ont point du tout la précision que nous réclamons comme
observations d'histoire naturelle. En effet, chapitre xxvui,
Tacite cite des Helvètes, population qui a toujours été consi-
dérée par tout le monde comme gauloise, habitant presque
au centre de sa Germanie, entre la forêt d'Hercynie, le Rhin
et le Mein. Plus bas^ comme il le dit lui-même, mais toujours
sur la ligne centrale de la Germanie, il cite les Boïens, autre
nation gauloise que rappelle le nom de Bohême, mais il
ajoute « que les habitants ont changé ». En effet, cha-
pitre xxxxii, il nous apprend que les Boïens ont été expulsés
par les Marcomans qui ont occupe le pays.
Plus à l'est encore, les Gothons parlent gaulois et payent
tribut à titre d'étrangers aux Sarmates et aux Quades, bien
que Tacite les indique comme Germains, chapitre xxxxiii,
tout aussi bien que les Quades.
Les Oses, sur la rive gauche du Danube, en Germanie, et
les Araviques, sur la rive droite, en Pannonie, ont le même
langage, les mêmes institutions, des mœurs semblables. Sont-
ils des Germains émigrés en Pannonie ou des Pannoniens
réfugiés en Germanie (ch. xxviii) ? Ces Oses parlent le Pan-
nonien, et payent tribut aux Sarmates et aux Quades à
titre d'étrangers, chapitre xxxxiii.
Chapitre xxxxvi. Tacite se demande si les Vénètes et les
Peucins, qui habitent plus au nord, doivent être rangés parmi
les Germains ou les Sarmates.
Si les Peucins, que d'autres appellent Bastarnes, « se rap-
prochent des Germains par la langue, par l'habit, par des
demeures fixes, ils sont Sarmates par l'inertie et la saleté de
tout le peuple, la fainéantise des chefs, par le mélange de
mariage qui les a marqués de la laideur des Sarmates.
« Les Vénètes ont pris beaucoup de leurs mœurs. Il faut
pourtant les rattacher aux Germains parce qu'ils bâtissent des
maisons, portent des boucliers, et se plaisent à déployer l'agi-
lité de leurs pieds, habitudes étrangères aux Sarmates, qui
vivent à cheval et sur des chariots. »
Enfin, chapitre xxxxv, Tacite parle des Estyensqui habitent
GERMAINS ll3
i rive droite de la mer Suévique, c'est-à-dire la côte méridio-
lale de la Baltique. Ils ont usages et costumes des Suèves.
^eur langue se rapproche plus du breton. Ils se servent peu
le fer, mais beaucoup du bâton, cultivent le blé et recherchent
ambre. Ce rapprochement de leur langue avec le breton
suffit pour montrer qu'ils ont subi des migrations ou des con-
tacts. Cet ensemble de citations empruntées à Tacite môme éta-
blit nettement qu'au point de vue ethnologique il ne faut pas
accorder trop d'importance à la pureté de la race germanique.
Voici la description qu'il en donne, description qui depuis
a été reproduite par tous les géographes et historiens (i) :
« Je me range, quant à moi, à l'opinion de ceux qui pensent
que les peuples de la Germanie n'ont point été altérés par des
mariages avec aucun autre peuple, que c'est une race indi-
gène, qui se renouvelle d'elle-même et ne ressemble qu'à soi.
C'est ce que prouve la parfaite analogie de conformation entre
tous les individus de cette race, quoique si nombreuse, leurs
yeux bleus et farouches, leurs cheveux d'un blond ardent,
leurs grands corps, capables seulement d'un premier élan,
mais incapables de fatigue et de travail, ne supportant ni la
soif ni la chaleur, mais résistant au froid et à la faim, par l'ha-
bitude du climat ou du sol. »
Les Mœurs des Germains montrent qu'il y avait chez Tacite
deux hommes. Le grand écrivain, je pourrais dire l'artiste,
qui traçait de remarquables tableaux propres à se graver pro-
fondément dans l'esprit du lecteur et à le captiver. Il y avait
^ussi l'observateur consciencieux qui donne tous les détails
dans l'intérêt des érudits, des critiques et des chercheurs. Si
ï^ous ne nous en tenions qu'aux grands tableaux où le trait
caractéristique, le coup de pinceau à effet, est toujours un
peu exagéré pour bien faire pénétrer dans le public l'idée de
'auteur, nous nous écarterions de la vérité scientifique. Mais,
'omme nous venons de le dire, à côté de l'exagération artis-
^que, nous avons toujours le détail froidement observé qui
'ous rappelle à la réalité. Ainsi, à côté de la parfaite analogie
e tous les individus de la race germaine. Tacite nous
Contre (2) les Cattes voisins de la forêt Hercynienne. « Ce
(1) Tacite, Germains, eh. iv.
(2) Idem, ibid., eh. xxx.
G. DE MORTILLET. S
Il4 DOCUMENTS HISTORIQUES
peuple se distingue par des corps plus durs, des membres
ramassés, un visage menaçant, plus de force d'âme. Ils ont,
pour des Germains, beaucoup de sens et de conduite. » Tacite
nous présente aussi les Ariens surpassant les autres en force,
farouches, se peignant entièrement en noir et ne combattant
que la nuit (i).
Strabon attribue aux Germains, bien avant Tacite, une haute
stature et une chevelure blonde (2). Pline mentionne la peau
blanche et les cheveux blonds des habitants du Nord (3). Ta-
cite, en dehors de son traité spécial sur les Germains, parle
de la chevelure blonde du chef batave Civilis (4) et nous dit
« que les cheveux roux des Calédoniens, la grandeur de leur
taille, décèlent une origine germanique (5). » D'après Plu-
tarque (6), « à la haute stature, aux yeux bleus, on recoimaît
les Cimbres comme Germains. » Le poète Ausone (7), dans
une idylle, chante Bissula, née près des sources du Danube,
au visage germanique, aux yeux bleus et à la blonde cheve-
lure. Ammien Marcellin (8) parle de la force et de la taille
élevée des Alamans, peuple de la Germanie. Enfin les divers
auteurs qui ont écrit sur les Goths les représentent comme de
haute taille, au teint blanc, à la chevelure blonde, pleins d'ar-
deur et de courage.
Similitude des Gaulois «t des Grermains. — Ces divers
caractères peuvent tout aussi bien se rapporter aux Gaulois
qu'aux Germains. On peut s'en assurer en rapprochant les
citations concernant les Gaulois de celles qui regardent les
Germains.
Polybe nous apprend que les Galates étaient grands de
taille, à peau blanche lactée, à cheveux blonds ardents, à yeux
bleus. Comme je l'ai déjà dit, ce portrait a été confirmé par
Tite-Live et d'autres auteurs de son temps. Il a été répété
jusque dans le vi*^ siècle de notre ère par Ammien Marcellin et
par J or (la nés. C'était donc bien le type traditionnel.
(1) Tacitk, Germains, ch. xxxxiii.
(2) Strabon, Géographie, liv. VII, ch. \, § 2.
(3j Pline, Jlisloire naturelle, liv. II, ch. lxxx.
(4) Tacitp:, Histoires, liv. IV, ch. lxi.
(5j Idem, Vie d'Agricola, ch. xi.
(G) Plutaroue, Marias, ch. xi.
(7) Ausone, Idylles, Ausonii Bissula.
(8) Ammien Marcellin, liv. XVI, ch. xii.
GERMMNS ll5
Tite-Live n'oublie ni Taspect farouche et terrifiant, ni le
leint blanc, ni la chevelure blond ardent, mais il attribue aux
Gaulois, tout comme Tacite le fait pour les Germains,une sta-
ture très élevée, gigantesque. Bien plus, les deux auteurs se
rencontrent d'une manière encore plus concluante. Quand
Tite-Live dit (i) que les Gaulois résistent facilement au froid
et à l'humidité, mais ne peuvent supporter ni la chaleur, ni la
soif, ni la fatigue, ne semble-t-il pas entendre Tacite préten-
dant que les Germains sont incapables de fatigue et de tra-
vail, ne supportant ni la soif ni la chaleur, mais résistant au
froid?
Diodore de Sicile (2) rapporte que les Galates ont dans
l'enfance des cheveux blancs, tellement ils sont clairs ; à Tûge
adulte une taille très élevée, une carnation molle, une peau
blanche et des cheveux naturellement blonds, rendus encore
plus blonds par des lavages à l'eau de chaux.
Les poètes latins du commencement de notre ère, comme
Virgile et Silius Italiens, chantent la blancheur lactée de la
peau et la chevelure blonde et dorée des Gaulois. Claudien,
au commencement du iv® siècle, célèbre encore la blonde
Gaule et les blonds Gaulois.
D'après Ammien MarcelHn (3), les Gaulois, aptes au service
militaire, bravant avec leurs membres endurcis par la gelée et
par le travail assidu, d'un cœur également ferme les plus
grands périls, se seraient presque tous fait remarquer par leur
stature élevée, la blancheur de leur teint, leur chevelure rouge,
leur regard farouche, leur caractère querelleur et extrômc-
nient arrogant. Leurs femmes, douées d'une grande force,
auraient eu des yeux verdâtres, de larges épaules d'un blanc
Je neige.
Strabon (4) signale la fécondité des femmes gauloises, très
Pi*opres à allaiter, caractères fort importants chez les Galates
^t les Germains, races d'émigrants qui avaient besoin pour
'^ soutenir d'une grande natahté.
Tite-Live (5) paraît considérer comme identique la con-
(1) Tite-Live, liv. XXXIV, cli. xxxxvii.
(2) Diodore de Sicile, liv. V, ch. xxxii et xxviii.
(3) Ammien Marcellin, liv. XV, ch. xii.
(4^ Strabon, Géographie, liv. IV, ch. iv, § 3.
(5) TiTE-LivE, liv. XX, ch. lv.
1 l6 DOCUMENTS HISTORIQUES
formation cl la haute stature des Gaulois et des Germains.
Strabon va encore plus loin et d'une manière beaucoup plus
nette.
« Dans les pays situés au delà du Rhin, dit-il (i), après les
peuples celtiques, vers Torient, habitent les Germains, qui
diffèrent peu des Gaulois. Ils sont un peu plus farouches, de
proportions plus fortes et à chevelure plus ardente, mais vrai-
ment pareils pour le reste, car leurs formes, leurs mœurs
et leur nourriture sont semblables à celles que nous avons
décrites en parlant des Gaulois. »
A la suite de sa description des mœurs des Galates, Strabon 2 !
estime (jue les Galates et les Germains n'ont qu'une seule et
môme origine.
<( 11 est vrai qu'à présent, soumis aux Romains, ces peuples
sont obligés de vivre en paix et d'obéir à leurs vainqueurs,
mais ce que je viens de dire de leurs mœurs n'est pas moins
fondé sur celles que l'histoire attribue à leurs ancêtres, sur
celles que l'on voit encore aujourd'hui chez les Germains, car
ces deux peuples ont une origine commune, soit qu'on les
considère du côté du caractère et de la manière de vivre eldc
se gouverner, soit qu'on examine le pays qu'ils habitent. »
Cette conclusion, qui découle tout naturellement de l'exposé
général des faits, se confirme de plus en plus si l'on entre dans
l'examen des détails.
Ainsi le grand mouvement galate en Orient s'est fait
remarquer par les nombreuses et importantes invasions de la
Macédoine, de la Grèce et de l'Asie Mineure. C'est aussi par
une importante invasion des Cimbres dans la Styrie qu'ont
commencé les invasions et excursions germaniques. Les deux
peuples ont agi de môme.
Peuples envahisseurs, peuples essentiellement nomades, se
déplaçant avec la plus grande facilité, Tacite nous dit : « H
est assez connu que les peuples de la Germanie n'habitent
point des villes (3). » Polybe avait déjà dit des Galates d'Italie:
« Ces peuplades étaient dispersées dans des villages sans
murailles. » Donc môme absence de villes des deux côtés.
(1) Sthabon, Géographie^ liv. VIÏ, ch. i, § 2.
(2) Idem, ihid., liv. IV, cli. iv, § 2.
(.3i Tacite. Germains y ç\\. xvi.
GERMAINS 117
Des deux côtés aussi il y a absence de temples. Le culte des
ancêtres en Germanie comme en Gaule se célébrait dans une
for^t, et, dit-on, il y avait sacrifice d'hommes.
Sous le rapport militaire, les Gaulois, d'après divers auteurs,
entre autres Tite-Live, combattaient parfois nus. Ce dire des
auteurs est confirmé par les grands l)as-reliers de l'arc de
triomphe d'Orange. On y voit des (iaulois combattant, le
haut du corps complètement nu à partir de la ceinture. Ils ne
portent que leurs braies ou culotte. Tacite mentionne la môme
habitude chez les Germains. « Ils sont, dit-il, nus ou à peine
embarrassés d'une saie (1). »
En fait de chevelure, le blond est la couleur dominante chez
les Gaulois comme chez les Germains. Deux mots latins sont
employés pour indiquer cette couleur : flavus et rutilus ; flavus
veut dire jaunâtre, rutilus rougeûtre. On les traduit volontiers
par blond et blond ardent. Le blond ardent passe au rouge.
En général, rutilus est employé pour les hommes el flavus
pour les femmes; c'est une couleur plus douce.
En Gaule comme en Germanie, la chevelure était très recher-
chée. En effet, si les Suèves, principal peuple de la Germanie,
se distinguaient par leur chevelure relevée et nouée sur la
tète, la Gaule était, d'après Pline (2), honorée du nom général
Je Gaule Chevelue. Ces chevelures devaient se faire remarquer
pour l'éclat de leur teinte. Elles devaient être autant que pos-
[ sible rutilantes. Pour atteindre ce but, en deçà comme au delà
I du Rhin, on employait les lotions à l'eau de chaux. Et mémo
Pline (3) nous apprend que Gaulois et Germains, pour rendre
l^ur chevelure d'un blond plus ardent, employaient un savon
préparé avec du suif et des cendres.
Il est impossible de rencontrer deux groupes de populations
plus semblables dans leurs caractères généraux comme dans
^^Urs habitudes les plus particulières et les plus excentriques.
En effet, la caractéristique des deux groupes est exactement
'^ même et s'applique aussi bien au groupe qui a reçu le nom
^^ Gaulois qu'au groupe qui depuis les invasions des Cimbres
^ pris le nom de Germains.
(1) Tacite, Germains, ch. vi.
■ 2) Pline, Histoire naturellCj liv. IV, ch. xxxi.
î3; Idem, ibid., liv. XXVIII, ch. li.
Il8 DOCUMENTS HISTORIQUES
Hommes grands et forts, aux membres vigoureux,
A peau blanche,
Aux cheveux blonds plus ou moins ardents.
Aux yeux bleus.
Les artistes ont suivi l'exemple donné par les écrivains, et
dans leurs œuvres, statues ou bas-reliefs, ils ont reproduit Je
môme type pour figurer les Gaulois et les Germains.
Il est impossible départager en deux ces grands blonds aux
yeux bleus.
Ce sont tous des Germains ou tous des Gaulois. Et, comme
les Gaulois ont reçu leur nom bien avant les Germains, il n'y
a et il ne doit y avoir que des Gaulois.
CHAPITRE XI
PASSAGE DES BARBARES
Lutte des Romains contre l'envahissement. — A partir
du dernier siècle avant notre ère, les populations d'au delà du
Rhin manifestèrent une grande et continuelle tendance à fran-
chir cette large barrière et à venir envahir plus ou moins la
Gaule. Nous avons vu tout à fait, à la fin du n® siècle, les
Cimbres infliger de cruelles défaites aux Romains et les Teu-
tons, l'an 102 avant notre ère, venir se faire exterminer par
Marius dans les environs d'Aixen Provence.
Lorsqu'en 58 avant notre ère, César entreprit sa première
campagne des Gaules, il se trouva aussi en présence d'une
puissante nation germaine, les Suèves, qu'il battit auprès de
Besançon et refoula au delà du Rhin.
Y avait-il d'autres nations soi-disant germaines sur la rive
gauche du Rhin ?
i5o ans après César, Tacite indique que les Tongres (i) se
seraient installés au nord de la Belgique, dans le Limbourg
'i; Tacite, Germains, ch. ii.
PASSAGE DES BARBARES 1 19
iprès en avoir chassé les Gaulois ; que ce seraient eux
►remiers auraient pris le nom de Germains, et que
nom se serait répandu de proche en proche sur la
3 transrhénane tout entière.
(1) nous apprend aussi que deux nations énergiques
tantes de la Belgique affectent de se dire Germains,
5 s'ils voulaient répudier toute ressemblance avec la
des Gaulois. » Ce sont d'abord les Nerviens qui habi-
Flandre française et le Hainaut. Ils arrêtèrent
mément César au bord de la Sambre. Soumis, ils
;èrent plusieurs fois. Ils envoyèrent des troupes,
mmes dit-on, à Vercingétorix, pour l'aider à lutter
général romain. Ce sont ensuite les Trévires de la
la Moselle qui, dès l'an 58, acceptèrent la domination
mais cherchèrent ensuite plusieurs fois à la secouer,
dance générale des populations germaines à se jeter
ïrritoire de l'empire romain était telle que les obs-
turels comme les grands fleuves, le Rhin et le Da-
venaient insuffisants pour arrêter le mouvement. Les
s'évertuèrent à lui opposer des obstacles nouveaux,
blés fortifications humaines. Ils s'emparèrent de terres
1 delà du cours de ces deux grands fleuves et les
à des agriculteurs qui payaient simplement une dîme
protégés contre les excursions des Germains. Cette
e tampon destiné à amortir le choc des invasions
s'appelait les Terres Décumanes.
?n des points, surtout sur le Rhin, ce simple tampon
d'être suffisant. Aussi les Romains, utilisant les Ger-
ntre les Germains, eurent recours à des moyens plus
; et [plus actifs (2). Ainsi ils cédèrent aux Bataves,
ayement d'aucun droit, d'aucune redevance, d'aucun
le grande île formée par deux bras du Rhin, vers son
ure. Ils constituaient tout simplement une réserve
pouvant toujours être mobilisée en cas de dan.
1 était de même des Mattiaques, sur la rive droite
Une population germaine^ d'émigrants, les Ubiens,
. favorablement par les Romains, ont aussi été placés
E, Germains^ ch. xxviii.
i6/d., ch. XXIX et xxviii.
120 DOCUMENTS HISTORIQUES
sur la rive droite du fleuve comme alliés, pour défendre le
passage.
Vains efforts ! Les flots envahisseurs de populations se suc-
cédèrent sans interruption avec plus ou moins d'énergie, plus
ou moins de succès, jusqu'à ce que, dans le courant du
V® siècle, l'Empire d'Occident fut entièrement submergé.
Invasions par mer. — Ces peuples envahisseurs venus
de la Germanie, nous allons les passer successivement en
revue. C'est avec intention que nous disons venus de la Ger-
manie et non Germains. En effet, ils ont bien passé à travers
le pays nommé Germanie, mais comme provenance il y en
avait d'origines fort diverses. Pour ne parler que des deux
types extrêmes, à côté des grands blonds aux yeux bleus qui
formaient toujours la grande majorité, il y avait des petits
bruns à la figure carrée remplaçant les figures ovales. Ce sont
là des types provenant d'Asie et ayant traversé l'Europe
entière.
Parmi ces peuples envahisseurs, il en est deux dont le rôle
a été prépondérant au point de vue de la population française:
ce sont les Burgundes et les Francks. Nous les étudierons en
dernier lieu, après nous être débarrassé de toutes les popu-
lations moins importantes et surtout moins intimement liées
à notre histoire.
Le Rhin et les Alpes n'ont pas été les deux seules barrières
franchies par les envahisseurs. Il en est qui sont venus par mer
ravager et conquérir nos côtes. Parmi ces derniers, il faut
citer les Saxons, Saxones^ Sà^oveç. Inconnus de Tacite à la fin
du 1®^ siècle, ils sont cités dans la première moitié du n® siècle
par Ptolémée (i) comme habitant la Chersonèse cimbrique, au-
dessous du Jutland,soit le Schleswig-Holstein actuel. Dès 286
ils infestaient comme pirates les côtes de la Gaule. Plus tard
vinrent les Normands, habitants de la Scandinavie, qui dès
81 3 firent des excursions sur nos côtes. Mais, en ce qui
concerne les Saxons et surtout les Normands, nous avons des
documents historiques suffisants pour que nous n'ayons pas à
nous en occuper d'une manière spéciale.
Invasions par le Rhin. — Un autre peuple très important
aussi au point de vue de l'histoire moderne est celui des
(1) Ptolémée, Géographie^ liv. II, ch. x. #
PASSAGE DES BARBARES 121
Al amans, ^/ama/im, 'AXxaavot. Pline, au milieu du i^*^ siècle,
n'en parle pas. Les premiers renseignements que nous possé-
dons sur eux sont assez confus.
Grégoire de Tours, dans la deuxième moitié du vi*' siècle,
nous dit : « Les Suèves, c'est-à-dire les Alamans, s'emparèrent
de la Gallicie (Gallicia) (i). »
Procope (2) pourtant, dès la première moitié du vi'^ siècle,
avait distingué les Suèves des Alamans, peuples puissants
habitant près des Thuringiens.
Quant à Jornandès (3), autre auteur du môme siècle, il admet
que les Alamans sont alliés aux Suèves et habitent dans les
Alpes.
Ammien Marcellin (4) raconte que, sous Constance 11, en
354, les Romains pour aller combattre les Alamans passèrent
le long du lac de Constance.
Vers 356 et 357, ^®s Alamans ayant franchi le Rhin, ils
furent repoussés par Julien, alors gouverneur des (iaules.
Mais la plus grande invasion des Barbares fut celle qui eut
lieu au commencement du v° siècle, en 407. D'innombrables
bandes de populations venant du territoire de la Germanie se
ruèrent sur la Gaule et la ravagèrent entièrement des bords
du Rhin jusqu'aux Pyrénées. Les Alamans profitèrent de la
circonstance pour s'établir sur la rive gauche du Rhin, en
Alsace et en Lorraine. Une partie des envahisseurs, les Van-
dales, les Suèves et les Alains, franchirent môme les Pvrénces
et pénétrèrent en Espagne.
Les Suèves que nous avons vus en lutte avec César dès le
début de la guerre des Gaules, nation éminemment mobile et
émigrante, se retrouvent comme auxiliaires dans Tarniée
romaine. C'est ainsi qu'au iv*^ siècle la Notice de V Empire cite
des Suèves parmi les troupes romaines à Bayeux et Coutance,
au Mans et en Auvergne.
Ils s'empressèrent de profiter de la belle occasion qui se
présentait à eux en 407. Ils se joignirent avec empressement
aux Vandales, aux Alains et autres peuples envahisseurs, tra-
(1) Grégoire de Tours, Histoire des Francs, liv. II, ch. i.
(2) Procope, Guerre Gothique^ liv. I, ch. xii.
(3^, Jornandès, Des Goths, lv.
(4) Ammien Marcellin, Rer. geslar., liv. XV, ch. iv ; liv. XVI, ch. 11,
et Uv. XVII, ch. I.
122 DOCUMENTS HISTORIQUES
versèrent la France depuis le Rhin jusqu'aux Pyrénées occi-
dentales. En 4^1) conduits par Hennerich, leur chef, ils pas-
sent en Espagne, s'emparent de la partie nord-ouest et s'éta-
blissent dans la Galice et le nord de la Lusitanie.
Mais ce sont les Vandales, Vandali ou Vindili^ BsvSiXot,
OuàvBaXoi, qui ont joué le principal rôle dans la grande irrup-
tion des Barbares de 407. Ce sont eux qui ont donné le pre-
mier élan, la première impulsion, passant le Rhin dès janvier
4o6. D'après Pline (1), les Vindiles faisaient partie de la même
race germaine que les Guttones et les Burgundiones. Suivant
Tacite, ils sont bien Germains; mais Lagneau, d'après des
considérations se rapportant plus à l'observation qu'à l'érudi-
tion, dit qu'ils seraient Sarmates ou Slaves.
Peuple éminemment dévastateur et pillard, il brûla en
Gaule soixante-dix villes et s'y fit la plus triste réputatioB,
tellement que son nom devint un qualificatif couramment
employé dans le langage commun pour désigner : « celui qui
hait les sciences et la civilisation et qui détruit les monuments
des arts (2). »
Les Vandales, refoulés de la Gaule par Aurélien et Probus,
pénétrèrent en Espagne en 409. Ils y restèrent une vingtaine
d'années. Ils se fixèrent surtout dans le Sud, en Bétique, pro-
vince qui prit le nom de Vandalusia, transformée actuelle-
ment en Andalousie.
En 429, leur chef Genséric les conduisit en Afrique et y
fonda un empire qui combattit les Romains avec avantage et
vint môme piller Rome en 455. Deux ans après, 457, ils envahi-
rent la Corse. Ce ne fut qu'en 533, plus de cent ans après son
installation, que BéUsaire, général de Justinien, parvint à
détruire la domination vandale en Afrique.
Les Alains, Alani, 'AXavoi, nation scythique voisine des Sar-
mates, d'après Pline (3), aux cheveux roux et à l'œil glauque
d'après Flavius Vopiscus, s'étaient joints aux Vandales. Une
partie même pénétra avec ces derniers en Espagne et en
Afrique. Mais il en resta pas mal de disséminés en Gaule, soit
enrôlés comme légionnaires, soit comme colons. En 44?» nous
(1) Pline, Histoire naturelle, liv. IV, ch. xxvii.
(2) Beaujean, Petit Dictionnaire universel.
(3) Pline, Histoire naturelle, liv. IV, ch. xxv.
PASSAGE DES BARBARES 123
en trouvons de fixés dans une partie- de T Armorique qui leur
avait été livrée par Aétius. En 45i, ils occupaient le cours
moyen de la Loire, et.ils firent des propositions à Attila.
Des Sarmaies, Yoisins des Alains en Germanie ou, pour parler
plus exactement, de l'extrémité orientale de la Germanie, se
trouvaient aussi engagés comme troupe auxiliaire et occu-
paient le Poitou.
Débordés par les peuples envahisseurs, les Romains se virent
forcés de faire appel à ces peuples eux-mêmes poui> les divi-
ser et les vaincre en les opposant les uns aux autres. Le géné-
ral romain Aétius fut celui qui appliqua le plus en grand
cette tactique. C'est grâce à elle qu'il parvint à arrêter la
terrible invasion des Huns, et à refouler vers Torient les
hordes commandées par Attila.
En 445, les Huns, Hunni, Ouwot, que Ptolémée ( i ) paraît déjà
fflgnaler, dans la première moitié du ii^ siècle, sous le nom de
Kounoi, Xouvoi, en les rapprochant des Peucins ou Bastarnes,
dont nous avons parlé au chapitre des Germains, pénétrèrent
en Gaule. Leur chef Attila était, dit-on, à la tête de 5oo,ooo hom-
mes.U jetait partout l'épouvante, épouvante telle qu'on l'avait
surnommé le Fléau de Dieu. Aétius profita de ce sentiment
général de terreur pour grouper autour de ses légions les
Francks de Mérowig, les Sarmates, les Armoricains, les Bur-
gundions, les Saxons et les Wisigoths de Théodoric. C'est à la
tête de cette puissante association qu'il arrêta la marche
Womphale et dévastatrice d'Attila. Il défît d'abord les Huns
près d'Orléans. Puis une grande bataille eut lieu, en 45i , dans
J^s Champs Catalauniques, vastes plaines des environs de
Ghâlons-sur-Marne, correspondant probablement au camp de
Châlons actuel où s'exerce l'armée française. Attila, complè-
tement battu, fut contraint de rebrousser chemin.
D'oii venaient ces Huns, qui ne sont nommés ni par Pline
tii par Tacite et qui ne le sont que problématiquement par
F'tolémée ?
Ammien Marcellin (2), au vi'' siècle, cent ans environ après
la défaite d'Attila, les place au delà du Palus Méotide ou
ïcier d'Azof et les étend jusqu'à l'océan Glacial. De tous
(1) Ptolémée, Géographie, liv. III, ch. v.
(2) Ammien Marcellin, liv. XXXI, ch. 11.
124 DOCUMENTS HISTORIQUES
les envahisseurs, ce sont 'donc les plus orientaux. En outre, fc <
auteurs qui en parlent sont tous d'accord pour les représent ei
comme appartenant à un type tout différent de celui cJies
grands blonds aux yeux bleus que nous avons à peu pires
seuls rencontrés jusqu'à présent. Les Huns, au lieu d'avoir* k
peau blanche, étaient basanés, d'une laideur et surtout d'une
saleté extrêmes.
Invasions par les Alpes. — Tous les peuples envahisseurs
par voie terrestre dont nous venons de parler ont franchi Ja
ligne du Rhin. Il nous reste à signaler ceux qui ont traversé
les Alpes.
LesWisigoths, \V7s/^oM/, OùtoriyoTÔoi, ou Goths occidentaux,
partis des bords de la Vistule et considérés par Procope
comme Sarmates, ravagèrent la Grèce en 4o2. Ils passèrent
en Italie sous la conduite d'Alaric. En 4^2, Ataulfe, succes-
seur d'Alaric, pénétra en Gaule et s'empara du Midi. Delà
il fut en Espagne, comme auxiliaire des Romains contre les
autres Barbares. Aussi, en 4^8, Honorius, pour reconnaître
leurs services, leur concéda l'Aquitaine et Toulouse. C'est de
là qu'ils s'unirent à Aétius pour combattre Attila. Leur puis-
sance en Gaule fut combattue par les Francks qui, en 607,
sous la conduite de Clovis, battirent leur roi Alaric II à
Vouillé, et les refoulèrent du côté des Pyrénées. Mais leur
empire en Espagne fut plus brillant et de plus longue durée. H
se maintint pendant trois siècles environ et ne fut détruit que
par l'invasion des Arabes, en 760.
Après les Wisigoths, les Hérules, les Ostrogoths ou Goths
orientaux, les Lombards^ petite mais énergique nation de la
Germanie, du temps de Tacite, envahirent successivement
l'Italie, mais rl'eurent presque pas d'action sur la France.
Après avoir passé en revue tous ces peuples envahisseurs,
qui se sont succédé en France sans y laisser de traces bien
•
Importantes de leur passage, sauf peut-être pour ce qui con-
cerne les Wisigoths, qui ont séjourné en nombre pendant un
temps assez long sur une importante partie de notre territoire,
il nous reste à nous occuper des deux peuples barbares qui ont
eu sur notre population l'influence ethnologique la plus im-
portante. Ce sont, comme date :
Les Burgundes d'abord.
Les Francks ensuite.
BURGUNDES ET FRANCKS 125
CHAPITRE XII
BURGUNDES ET FRANCKS
jundes. — Les Burgundes, Burgundii ou Burgun-
, BoupYou?i(oveç, sont nommés pour la première fois, vers
eu du I®' siècle, par Pline (i) : Vindili quorum pars Bur-
mes^ dit-il ; les Burgundes font partie des Vindiles ou
les. Ils habitent à côté des Varnes (Varins), des Carnes
s) et des Guttons. Ils occupaient donc alors le nord-est
lermanie, auprès de la basse Vistule ou entre la Vistule
1er. D'après Procope (2), les Vandales étant de race
[ue, les Burgundes, voisins des Guttons, devaient en
issi.
émée, au n® siècle (3), les place aussi dans la môme
et les nomme ^pouvyoJvStwveç et Boupyiwveç.
} tard, beaucoup plus tard, dans le vi*^ siècle, Ammien
llin refuse aux Burgundes la qualité de peuple indé-
it et de Germains. Il en fait de simples colons romains
nt les bourgs. C'est Paul Orose qui, un siècle aupara-
vait prétendu que ces colons avaient été introduits dans
nanie par Dfusus Germanicus, lorsqu'il fit la guerre
e pays ; assertion qui ne peut se soutenir, car Drusus
a bien, paraît-il, jusqu'à l'Elbe, mais ne passa pas cette
. Comment dès lors aurait-il pu installer des colons au
e l'Oder, sur les bords de la Vistule? En outre, si le fait
té par Orose eût été exact, il n'aurait certainement pas
)é à Pline et à Ptolémée, qui écrivaient peu de temps
la mort de Drusus.
» 245, les Burgundes furent vaincus par les Gépides,
3ranche de la famille Gothique, et obligés d'abandonner
'ds de la Vistule. Procope (4) nous apprend qu'ils se
ent sur l'intérieur de la Germanie et cherchèrent à
JNE, Histoire Naturelle, liv. IV, ch. xxviii.
lOCOPE, Guerre Gothique, Viv. II, ch. 11.
rOLÉMÉE, III, v.
«ocoPE, Guerre Gothique, liv. I, ch. xii.
126 DOCUMENTS HISTORIQUES
s'établir près des Souabes, des Thuringiens et des Alama^^iKs.
Mal installés, les Burgundes voulurent chercher fortune au
delà du Rhin ; mais, en 277, ils furent repoussés du fleuve jDar
Probus.
Sous Valentinien, en 870, les Burgundes s'unirent aux Ro-
mains pour lutter contre les Alamans. Un peu plus tard, les
Romains profitèrent de cette alliance pour se prémunir et
lutter contre la grande invasion des Barbares. Ils incorpo-
rèrent les Burgundes dans l'empire et les in^allèrent entre
le Rhin, la Moselle et les Vosges, territoire qui leur fut ac-
cordé par Honorius. Vaincus par les Huns dès leur entrée en
France en 445, les Burgundes furent transportés dans l'Ain,
la Savoie et le sud-ouest de la Suisse. Ils s'y étendirent peu à
peu et finirent par occuper tout le pays entre la Durance au
sud et au nord 1<5 sommet de la vallée de la Saône. Lyon leur
appartenait. Mais leur indépendance ne fut pas de longue
durée. Vaincus, l'an 5oi, par Clo\'is, puis par ses fils Childe-
bert l^^ et Clotaire P", en 534, ils furent englobés dans le
royaume des Francks, sans changer de lieu d'habitation. Us
ont donc conservé dans la région toute leur influence au point
de vue des données ethnologiques.
Francks. — Les Francks, Francis <i>paYYoi, ont une origine
encore bien plus obscure que les Burgundes, et leur nom
n'apparaît que deux siècles environ plus tard. Il était com-
plètement inconnu à Pline, qui, au milieu du i®' siècle, a
donné une énumération des divers peuples germains. Le des-
cripteur par excellence de la Germanie, Tacite, à la fin du
môme siècle, ne le connaissait pas davantage. Dans la première
moitié du 11® siècle, le géographe grec Ptolémée n'en parle pas
non plus.
Les Francks ne furent nommés pour la première fois qu'un
siècle plus tard, vers l'an 240, par Flavius Vopiscus (1). Cet
auteur raconte qu'Aurélien, tribun de la sixième légion des
Gaules, à Mayence, eut à repousser les incursions des Francks.
A partir de ce moment, pendant deux siècles et demi, nous
voyons les Francks ne pas cesser d'attaquer le nord de la
Gaule et s'y installer peu à peu. Continuant leur conquête
vers le midi, ils finirent, vers l'an 5oo, par prendre complète-
(1) Flavius Vopiscus, yl^rÊf/Ze/ï, ch . vu.
BUBGUNBES ET FRANCKS I27
lieu et place des Romains, et constituer avec Clovis
me de France.
6, les Francks passent une première fois le Rhin et en-
it le nord-est de la Gaule.
î6, d'après Eutrope (i), Carausius fut chargé de dé-
es côtes de la Belgique et de l'Armorique ravagées
îxcursions des Francks et des Saxons. Ce fait est con-
ir Orose (2), qui mentionne les deux mêmes peuples.
e commencement du iv® siècle, Constantin arrête une
î invasion des Francks. Maximin en massacra et re-
des milliers qui avaient envahi Tîle des Bataves, à
chure du Rhin.
Constance, ils parviennent à s'établir dans la Bel-
i réussit encore à en délivrer la Gaule romaine,
tinien, pour les empêcher de rentrer, fortifie la ligne
. •
3n 438, ils franchissent de nouveau le fleuve, com-
par Clodion, et malgré Aétius se rendent maîtres du
nord de la Somme. Ils occupent Tournai, Cambrai et
, dont ils font leur capitale.
ans après, sous les ordres de Mérovée, ils figuraient
alliés dans l'armée avec laquelle Aélius défit Attila
imps Catalauniques.
Clovis, en 486, défit Syagrius, le dernier patrice ou
romain, à Soissons ; en 496, les Alamans à Tolbiac,
Cologne; en5oi, Goudebaud, roi des Burgundes; en
iric II, roi des Wisigoths, à Vouillé, près de Poitiers,
de cette époque, l'empire d'Occident n'existait plus,
lule appartenait aux Francks.
le des Francks. — Mais d'où venaient ces Francks ?
ne voyons apparaître leur nom que lorsqu'ils se pro-
sur les bords du Rhin pour pénétrer en Gaule. Par
résentent-ils ? Toujours au nord-ouest de la Gaule,
partie septentrionale de la Belgique. Ce sont les lé-
•maines cantonnées à Mayence qui les premières ont à
msser, en 240. Vers 256, nous les trouvons réunis
ROPE, Bréviaire d^ histoire romaine, liv. IX, ch. xxi,
3E, Histoire, liv. VU, ch. xxv.
128 DOCUMENTS HISTORIQUES
aux Saxons pour ravager les côtes de la Gaule; enfin, au com-
mencement du IV® siècle, Maximin, après en avoir massacré
un grand nombre, les expulsa du pays des Bataves. De ces
divers faits historiques, on peut et Ton doit conclure que les
Francks occupaient la partie de la Germanie qui se trouve
tout à fait au nord de la Gaule, qu'ils étaient voisins des
Saxons et des côtes de la mer du Nord.
L'occupation, en 438, de Tournai, Cambrai et Amiens par
Clodion vient confirmer ces données. En effet, le pays soumis
par ce chef Franck est voisin des côtes. Il se rapproche aussi
beaucoup plus des embouchures du Rhin que de tout le reste
du cours de ce fleuve.
En 486, Clovis défit les dernières troupes romaines à Sois-
sons. Les Francks étaient donc séparés du Rhin oriental par
les anciens possesseurs de la (iaule. Dix ans après, le même
Clovis battit les Alamans à Tolbiac, près de Cologne. Donc
<;e n'étaient pas les Francks, mais bien d'autres Germains, qui
occupaient la rive gauche du Rhin.
La démonstration nous paraît complète ; pourtant elle
n'était pas venue à l'esprit des divers historiens qui se sont
occupés de la question.
Les uns, frappés de trouver dans T Allemagne centrale une
région nommée Franconie, n'ont pas hésité à en faire le pays
d'origine des Francks. La Franconie fait partie de la Bavière.
Elle se divise en Basse-Franconie, capitale Wurzbourg, en
Franconie-Moyenne, capitale Anspach, et en Haute-Franconie,
capitale Baireuth. Elle a formé un Grand-Duché qui a appar-
tenu à Conrad le Salique.
Les anciens Francks se divisaient en Ripuaires et en Saliques
ou Saliens. Les Ripuaires étaient ceux qui habitaient les rivages
ou rives ; les Saliques se trouvaient dans l'intérieur des terres.
Pour déterminer ces terres, on a eu recours à des rapproche-
ments étymologiques ou phonétiques. On a placé ces Francks
dans la vallée de la Saale. Mais laquelle ? Il y a en Allemagne
trois rivières qui portent le nom de Saale, coulant dans des
régions salifères. Deux de ces Saale prennent leur source
dans les Alpes et doivent être écartées, étant sur la rive droite
du Danube, qui alors ne faisait pas partie de la Germanie,
d'après Tacite lui-même. Reste la troisième Saale,dont la source
se trouve dans l'Allemagne centrale, au nord du Danube. Cette
BURGUNDES ET FRANCKS I29
ornière est un affluent de TElbe, dans lequel elle se jette près
î Magdebourg. Cela nous porte bien au milieu des terres,
ais tous n'admettent pas cette étymologie. 11 s'en trouve qui
[•éfèrent faire dériver le nom de Salions de la Sala ou Isala des
atins qui n'est autre que l'Yssel, nom actuel de deux cours
eau de la Hollande et d'une branche du Rhin vers son em-
ouchure. Nous revenons ainsi à notre point de départ, par
n procédé auquel il nous semble qu'on ne doit pas accorder
ne trop grande importance.
Pourtant une citation de Pline (i), tout au moins curieuse,
iendrait jusqu'à un certain point appuyer cette dernière opi-
ion. Dans toutes ses descriptions géographiques, le natura-
ste romain ne cite qu'une fois les Sallyens ; c'est en parlant
e Verceil en Piémont. Il dit : Vercellœ Libicorum ex Sallyis
^tœ ; Vercelle des Libiques issue des Sallyens. Or c'est pré-
isément à Verceil que les Cimhres, i5o ans avant l'époque à
iquelle écrivait Pline, ont été définitivement battus, ("es
imbres venaient justement des régions au nord des embou-
hures du Rhin.
Le nom de Franck ne paraît pour la première fois que
an 240. A quelle population les nouveaux dénommés se re-
aient-ils? On a dit que c'était une fédération, une union de
euples divers, de petits peuples de la Germanie. Mais, même
1 admettant ce fait qui n'est pas le moins du monde établi
istoriquement, il y a eu certainement parmi ces petits peu-
les un élément plus actif, plus important. Quel est-il?
Sicambres. — Voyant l'influence romaine déchoir et celle
3s Francks grandir, Remy, évêque de Reims, noua des
lations avec Glovis, qui débutait alors. Songeant à l'avenir
oubliant tout sentiment de reconnaissance et de patrio-
sme, il s'allia au barbare païen et abandonna la cause des
omains, bien qu'ils fussent ses coreligionnaires. Par cette
►nduile plus habile que morale, il parvint, les femmes aidant
le clergé a toujours eu la môme conduite — ù convertir
lovis et à le baptiser. D'après Grégoire de Tours (2), au mo-
ent de la cérémonie, l'évêquedit au roi victorieux :
« Courbe la tête, Sicambre ! »
(i) PLïTiE, Histoire Naturelle,\ïy. III, cli. xxi.
^2) Grégoire de Tours, Histoire dea Francs, liv. H, cli. xxxi.
G. DE MORTILLET.
l.So DOCUMENTS lUSTORigUES
Ce triomphe do l'Eglise sur TEtat nous montre que les
Francks étaient de race Sicambre.
Or les Sicambres, Slcambri^ Xluyaaêpoi, habitaient au delà du
Rhin, vers le nord, près de Bonn ; c'était une nation très entre-
prenante, très active, fort courageuse et fort énergique. Ils
luttèrent avec ardeur contre la domination romaine d'Outre-
Rhin.
En 55 avant notre ère, on les voit refuser à César (i) de lui
livrer quelques cavaliers qui avaient cherché refuge chez eux.
Le général romain, irrité de ce refus, jeta son fameux pont
sur 1(> Rhin, près de Cologne, pour aller ravager leur pays.
Comme ils s'étaient retirés dans les forêts, il ne put les attein-
dre. Pour prendre leur revanche, deux mille cavaliers Sicam-
bres, deux ans après (2), vinrent en Belgique tenter un coup
de main contre Aduatuca, ville située sur la Meuse, mais ils
ne réussirent pas.
Sous Auguste, une dizaine d'années avant notre ère, les Si-
cambres, ainsi (|ue leurs voisins les Suèves, furent vaincuspar
Drusus et Tibère, qui étaient allés les attaquer dans leur propre
pays. Drusus en prit le surnom de Germanicus. A la suite de ces
défait(îs, dos plénipotentiaires, arrêtés et internés, préférèrent
se donner la mort que de perdre leur liberté (3). D'autre part,
Suétone (4) i^ous apprend qu'après la victoire, 4o.ooo Sicam-
bres et Suèves furent transportés en Gaule.
Étymologie du nom Franck. — Une étymologie nette
et précise du mot Franck pourrait nous fournir de précieux
renseignements, mais cette étymologie n'existe pas. Ce n'est
pourtant pas faute de l'avoir cherchée. On en a proposé un
grand nombre. Diefenbach, sans rien préciser, fait descendre
ce nom du celtique. Grimm en trouve la racine dans les mots
freis du gothique ancien et frei de l'allemand moderne qui veu-
lent dire libre. Delâtre fait dériver le mot /rawcMS, homme libre,
de bhrcuj et bhrang qui signifient briser, parce que l'homme
libre a brisé les liens de l'esclavage. Chevallet prétend que
Franck répond au mot de ferox^ hardi, intrépide, belliqueux,
fier, hautain. Ces diverses étymologies auraient le mérite de
(1) CÉSAR, Guerre des Gaules, liv. IV, ch, xvi à xix.
1-2) Idem, ibid., liv. IV. ch. xxxv.
\3) Dion Cassius, liv. LV, ch. vi.
(4) SiKTONE. Tibère, ch. xi.
BURGUNDES ET IRANGKS l3l
nous faire connaître le caractère des Francks, si elles ne pé-
chaient par la base. Elles n'ont été cherchées et proposées
que lorsque ce caractère était déjà parfaitement connu.
Enfin tous les essais précédents ne suffisant pas, on a pro-
posé une autre étymologie. On a fait dériver le nom des Francks
de l'anglo-saxon franco qui signifie javelot et lanceur de
javelots. Et en effet les Francks se servaient beaucoup de cette
arme.
Armes tfes Germains et des Francks. — Tacite (i), décrivant
les Germains, dit : « Leurs lances, qu'ils appellent framées,
sont armées d'un fer étroit, court, mais si acéré et si maniable
que le même trait peut leur servir, selon l'occasion, à com-
battre de loin ou de près. Le cavalier n'a que le bouclier et la
franoiée. Les gens de pied lancent des traits, et le môme en a
plusieurs ; ils les font voler à d'immenses distances. Ils sont
nus ou à peine embarrassés d'une saie. »
Ce passage montre bien que les peuples germains
avaient de la cavalerie et de l'infanterie. Le coup de main
tenté par les Sicambres sur Aduatuca prouve qu'ils possé-
daient de la cavalerie. Mais un peuple voisin, les Cattes, que
certaines personnes font rentrer dans la confédération francke,
sont présentés par Tacite (2) comme ayant « toute leur force
en hommes de pied. »
A côté de ces excellents fantassins, il y avait de parfaits cava-
liers. D'après Tacite (3) chez les Tenctères l'équitation « est le
jeu de l'enfance, l'émulation de la jeunesse, le dernier exer-
cice des vieillards... Les Tenctères excellent dans les combats
le cavalerie, et les fantassins ne sont pas plus renommés chez
es Cattes que chez les Tenctères les cavaliers. »
Revenant sur la question des armes. Tacite (4), à propos
les Lygiens, peuple puissant de la Germanie centrale vers
'extrémité orientale, et d'une huitaine d'autres peuples qui
;e relient plus ou moins à eux, nous dit : « Tous ces peuples
)nt un bouclier rond, des épées courtes et des rois. » C'est
ustement un des caractères des Francks de multiplier les
'ois. D'autre part, en fouillant leurs tombeaux, riches en
(1) Tacite, Germains, ch. vi.
(2) Idem, ibid. ,ch. xxx.
(3) Idem, /6i'c/., ch. xxxii.
(4) IdeM; ibid., ch. xxxxiii.
l32 DOCL'MKNTS HISTORIQUES
mobilier funéraire, on retrouve les boucliers ronds elles
épées courtes nommées scramasaxes.
Croisades. — En fait de recherches historiques, nous
devons arrêter là nos études. Les auteurs se sont, à partir de
cette époque, multipliés ; les faits ont été enregistrés d une
manière plus complète, et les populations mieux décrites. 11
devient donc beaucoup plus facile et bien moins dangereux
d'utiliser les citations, parce qu'elles sont plus claires et plus
précises.
Nous ne pouvons pourtant résister à l'envie de faire un rap-
prochement qui montre que les Francks, joints aux Gaulois,
ont conservé encore longtemps leur caractère aventureux et
conquérant. Il s'agit des croisades qui ont eu lieu de 1096
à 1268, c'est-à-dire plus de 5oo ans après l'occupation com-
plète de la Gaule. Ce fut un moine d'Amiens, Pierre l'Er-
mite, qui prêcha la première croisade. En l'écoutant, dit Vol-
taire, « on avait pleuré en Italie, on s'arma en France. » Les
descendants des Galates et des Francks se jetèrent plusieurs
fois en masse sur l'Orient, renouvelant les anciennes irrup-
tions. Leur influence fut telle, que dans tout l'Orient et même
sur les côtes barbaresqucs, le nom des Francks devint un nom
générique qu'on appliqua à tous les Européens.
CHAPITRE Xlll
CONCLUSIONS
Palethnologie, objections et progrès. — A la suite de la
guerre de 1870-71, pendant la Commune, Adrien de Longpé-
rier, qui était venu chercher asile à Saint-Germain, plaisantait
avec beaucoup d'esprit le Roman préhistorique. Il déployait
môme tellement d'esprit et d'entrain, qu'il parvint à gagner à
sa cause le conservateur du Musée préhistorique, Alexandre
Bertrand, et le bibliothécaire, Mazard.
Peu d'années après, Thiers, auquel, pendant son séjour au
CONCLUSIONS l33
Pavillon Henri IV, je faisais les honneurs du Musée, me disait
dans la salle paléolithique :
— C'est fort intéressant tout ce que vous me contez là, mais
dépêchez-vous de le publier pendant que c'est de mode. Dans
dix ans, il n'en sera plus question.
Il y a une vingtaine d'années de cela, et le préhistorique, au
lieu d'être passé de mode, se trouve solidement assis sur des
observations et des recherches sérieuses. Il est devenu, sous le
nom de Palet hnologie^une importante branche des sciences, qui
pénètre tous les jours de plus en plus dans l'enseignement.
Quant au prétendu Roman préhistorique^ les inventeurs et
propagateurs de cette mauvaise plaisanterie, obligés de battre
en retraite, se retranchent derrière des faux-fuyants.
— Vous faites du roman, disent-ils aux palethnologues,
parce qu'au lieu de partir des données historiques, vous vou-
lez reconstituer le passé rien (|u'avec vos silex taillés et vos
os brisés, sans tenir compte des auteurs anciens.
On peut répondre :
— Vos auteurs remontent à 3.ooo ans, mettons 7.000, si
Vous voulez, en tenant compte des hiéroglyphes de l'Egypte.
Eh bien, que représente ce laps de temps comparé à la durée
préhistorique de l'époque actuelle et à celle de la période
géologique du quaternaire ancien?
Les textes anciens, hiéroglyphes compris, ne nous four-
nissent aucun renseignement sur ce qui s'est passé alors. Si
nous voulons faire la lumière sur cet inconnu, il nous faut
forcément avoir recours aux données palethnologiques. Elles
seules peuvent nous éclairer sur ce point.
— Très bien pour le sommet! Mais à la base, à la jonction
de la palethnologie et de l'histoire, pourquoi ne pas se servir
des documents historiques ?
Pourquoi ?
Pour trois raisons :
La première, parce que les érudits, fouilleurs et interpréta-
teurs de textes, avaient leur lit fait. Et vous savez combien il
est difficile de déranger quelqu'un qui est bien couché, bien
installé.
La seconde, parce que les palethnologues, sous Tinfluence
involontaire des idées généralement admises, idées qui ont
d'autant plus de force et d'action sur notre esprit <\vi'elk.%
l34 DOCLMKNTS HISTORIQUES
nous ont été inculqu(^cs à tous pendant notre enfance, avaient
à craindre de voir cette influence troubler leurs observations
et fausser leurs appréciations.
La troisième, parce qu'on ne pouvait arriver à la vérité qu'en
se rendant d'abord bien compte de la portée de chaque argu-
ment. Ce n'est qu'après les avoir étudiés tous séparément
qu'on pouvait espérer connaître la valeur réelle de chacun
d'eux et tirer de leur ensemble des déductions certaines.
Nous sommes maintenant à même de faire le travail de-
mandé ; c'est ce que j'ai entrepris pour ce qui concerne la
Nation Française.
Le roman historique. — J'ai commencé par les docu-
ments historiques, par les auteurs, parce que c'est la source
la mieux connue, la première et la plus explorée. Je me suis
longuement étendu sur tous les renseignements fournis par
les auteurs. Je les ai exposés le plus clairement possible, sans
aucun parti pris, cherchant le sens le plus simple et le plus
naturel de chaque citation.
Voyons maintenant les conclusions que nous pouvons tirer
de ce travail.
Constatons tout d'abord qu'à part quelques courtes indi-
cations fournies par les monuments égyptiens et atteignant
de 1 .Goo à i .3oo ans avant notre ère, les premières citations de
peuples de l'Europe occidentale ne remontent au maximum
qu'au vni^ siècle avant notre ère et de là descendent au v®. C'est
bien court. Le désir de connaître nos origines ne doit en être
que plus vif.
Quand nous disons que les premiers renseignements donnés
par les auteurs sur les populations de l'Europe occidentale
remontent à 2.800 ou 2.5oo ans, cela est rigoureusement exact
chronologiquement. Mais que valent ces premiers renseigne-
ments? Rien ou presque rien. Ce sont des indications vagues
sur des régions inconnues des auteurs qui en parlent. Il faut
en tenir compte. Nous les avons citées. Mais leur utilité n'est
pas grande ; pour l'établir, il suffit de rappeler qu'Hérodote,
nommé avec raison le Père de rilistoire, place la source du
Danube à Pyrène (Pyrénées), dont il fait une ville au heu
d'une chaîne de montagnes. Roman historique bien plus fort
que le prétendu Roman préhistorique. Pline continue ce ro-
man jusqu'au milieu du i*^'' siècle de notre ère. « L'Ister, dit-il,
CONCLUSIONS 1 35
né en Germanie, dans les sommités du mont Abnoba, en
face de Raurica, ville gauloise (i). » Ville gauloise au delà
du Rhin, en pleine Germanie, plus de loo ans après la con-
quête des Gaules !
Autre inconvénient, les plus anciens auteurs sont en géné-
ral des poètes. Or les poèmes sont des œuvres d'imagination
où la vérité, si elle n'est pas remplacée par la fiction, est tout
au moins forcée de se plier aux règles de la prosodie et de
l'harmonie, ce qui fait que la forme l'emporte souvent sur le
fond. Au Poème historique il faut joindre l'œuvre d'imagination
en prose, le véritable roman. Nous en avons un exemple frap-
pant dans le récit de Platon sur l'Atlantide.
D'importantes causes d'erreur dans les textes sont d'une
parties changements de nom, d'autre parties migrations. Les
peuples dont parlent les auteurs anciens changent parfois de
nom. C'est ce qui est arrivé aux Celtes. Cette dénomination
était un nom d'ensemble adopté d'abord par les auteurs
grecs, qui a été remplacé d'une manière générale par celui
de Gaulois introduit par les Romains et accepté par les Grecs
sous la forme de Galates. Enfin César a circonscrit les Celtes
ians une partie de la Gaule, qu'Auguste une cinquantaine
l'années plus tard a encore rognée en attribuant une portion
le la Celtique à l'Aquitaine.
Populations mobiles et flottantes. — Les peuples occi-
lentaux dont parlent les auteurs anciens sont presque tous
rès envahisseurs et très émigrants. Ils se déplacent fréquem-
lent avec la plus grande facilité, de sorte que, suivant les
împs et les circonstances, divers auteurs peuvent les placer
ans des régions bien différentes et surtout leur attribuer une
ictension plus ou moins grande ainsi que des relations fort
iverses. Pour montrer la mobilité et la fluctuation de ces
opulations, il suffira de citer deux exemples pris dans les
opulations attribuées à la Gaule. Les Vénètes de la côte sud
e la Bretagne, pays de Vannes, se retrouvent non seulement
1 Angleterre, mais ils sont solidement établis en Italie au
ord de l'Adriatique et figurent bien plus loin encore, dans
! bassin du Danube, en Thrace ou Bulgarie, et dans le
assin de la Vistule jusque vers les bords de la Baltique.
^0 Pline, Histoire naturelle^ IV, xxiv.
l36 DOCUMENTS HISTORIQUES
Les Boïens, signalés en France, d'une part entre la Loire et
l'Allier, de l'autre au sud-est dans le Bordelais, figurent
comme occupant en Italie la rive droite du Pô, en Alle-
magne la Bavière, en Autriche la Bohême, et, des bords du
Danube descendant jusqu'en Asie Mineure, ils se retrouvent
sur les bords de la mer Noire, dans une partie de la Ga-
la tie.
Les historiens et les géographes, à plus forte raison les
poètes, signalent les populations les plus en vue, celles qui
se font le plus remarquer, sans tenir compte des popula-
tions foncières, calmes et paisibles, attachées au sol, qui
passent successivement sous la domination d'envahisseurs
divers. Cela nous explique une des plus curieuses conclusions
à laquelle nous avons été fatalement conduit par le relevé
de ce que les auteurs anciens ont écrit sur les Celtes et les
Gaulois, ainsi que sur les Germains. Comme l'ont constaté
Bertrand et Reinach (i), du ii° siècle avant notre ère jusqu'au
milieu de notre iv'^ siècle, tous les auteurs, qu'ils aient écrit
en grec, comme Polybe, Strabon, Diodore, Arrien, Plutarque,
Pausanias et Appien, ou en latin, comme César, Virgile, Tite-
Live, Florus, Silius et Ammien Marcellin, tous sont d'accord
pour attribuer aux Celtes ou Gaulois et aux Germains des
caractères identiques. Ils ne sont môme d'accord que sur ce
point. Tout ce qu'ils ont écrit sur les mœurs et le type des
Germains peut s'appliquer aux Oltes ou Gaulois, comme tout
ce qu'ils disent des Celtes ou Gaulois convient parfaitement
aux (iermains. Les Celtes ou Gaulois, ainsi que les Germains,
ont le môme type. Ce sont de grands blonds, aux yeux bleus,
à la peau blanche, très belliqueux, se déplaçant facilement,
entreprenant de grandes invasions et de vastes migrations;
semblables môme dans leurs usages les plus excentriques,
les plus particuliers ; combattant volontiers nus, ne construi-
sant pas de temples, pas môme de villes, pratiquant le culte
des ancêtres dans les forôts, accusés de sacrifices humains,
considérant la chevelure comme l'insigne des hommes libres
et des guerriers, fabriquant un savon spécial pour donner
une couleur plus ardente à cette chevelure. En deux mots,
(i A. Bertrand cl S. Reinach, Les Celtes dans les vallées du Pô et du
Païuihc i8;)4. p. 3G.
CONCLUSIONS 187
il y a, d'après les auteurs, similitude complète et par consé-
quent unité de race.
Mais ces grands blonds étaient la partie active, remuante,
guerrière, dominant dans toute la Celtique, la Gaule, la Ger-
manie. C'était elle qui se présentait à Tennemi, qui allait le
chercher, qui combattait partout et qui imposait ses divers
noms et sa domination par la force Les mêmes noms — qui
sont plutôt des noms de grandes et nombreuses familles ou
clans que de véritables peuples — semés sur tous les points
derEurope, comme ceux de Vénètes, de Boïens, etc., montrent
qu'il s'agit de mêmes populations. Ces clans se mettaient
seuls en évidence, seuls ils occasionnaient des événements,
aussi les auteurs ne parlent que d'eux.
Populations foncières. — Mais, à côté de ces clans guerriers
et remuants, il y avait des populations douces, tranquilles,
attachées au sol et le cultivant, subissant patiemment la do-
nination de tous ceux qui s'imposaient. Ces utiles et produc-
ives populations, ne faisant pas de bruit, sont restées ina-
perçues, les auteurs n'en ont pas ou presque pas parlé. Pour-
ant ils en ont dit assez pour que nous puissions constater,
ar leurs propres témoignages, que ces populations séden-
siires existaient.
Ainsi Tacite (1), en parlant des Cattes, peuple important de
intérieur de la Germanie, à peu de distance du Rhin, écrit :
Ce peuple n'a ni maisons, ni champs, ni soin de quoi que ce
3it; où ils vont, ils se font nourrir. » D'après ce passage, il
st évident que, dans les divek*s pays occupés par les Cattes, il
evait y avoir une population qui les logeait et les nourris-
ûi.
Autre considération de même nature : Tacite et les autres
iiteurs parlent du blé produit par la Germanie ; or les peuples
uerriers, toujours prêts à se mobiliser et à partir pour une
çpédition, ne pouvaient travailler la terre, ensemencer les
[lamps et faire la récolte. Il faut donc forcément admettre
es sédentaires, qui se livraient à l'agriculture. Le besoin et
habitude de mobilisation était général en Germanie. En effet,
ous lisons dans Tacite (2) : les Chauques des Frisons, le plus
(1) Tacite, Germains, ch. xxxi, traduction Dureau de la Malle.
(2) Idem, ibid., ch. xxxv.
l38 DOCUMENTS HISTORIQUES
noble des peuples Germains, tranquille et solitaire, s'arment
rapidement au besoin.
Polybe nous apprend que les Celtes ou Gaulois de l'Italie du
Nord recherchaient beaucoup la clientèle, c'est-à^ire la sou-
mission d'hommes qui s'attachaient à eux pour les servir et
les suivre dans leurs expéditions. Il y avait donc à côté d'eux
une autre population. La clientèle était recherchée par tous
les grands blonds de Gaule et de Germanie.
Un passage des Commentaires de César (i) vient éclairer
ces déductions et montrer leur réalité. « Il n'y a en Gaule, dit
le général romain, que deux classes qui comptent et qui aient
de l'influence ; le menu peuple est presque en état de servi-
• tude, il n'est rien par lui-même et n'est jamais consulté. Ces
deux classes sont celle des druides et celle des chevaliers. »
C'est de cette classe des chevaliers ou des guerriers qu'ont
parlé tous les auteurs qui ont écrit sur les Gaulois et les Ger-
mains. Le menu peuple^ comme dit César, était si méprisé par
César lui-môme, qu'il ne songe à en dire un mot que dans le
sixième livre de sa Guerre des Gaules^ qui n'a que huit livres
cl dont le dernier, paraîl-il, n'est pas de lui. Les populations
foncières, demeurant toujours dans le pays sans être chassées
par d'autres, ont déjà été indiquées, sept ans avant notre ère,
par Denys d'Halicarnasse (2). Les mêmes habitants, dit-il,
demeurent toujours dans le pays sans être jamais chassés
par d'autres ; ils ne font que changer de noms et de maîtres.
Les auteurs grecs et romains, sous le nom de Celtes ou
Gaulois et de Germains, ne nous ont donc parlé que d'une
seule et môme aristocratie militaire qui a asservi le nord de
l'Italie, toute la Gaule, pénétré en Espagne et même en
Afrique, occupé toute la Germanie et, depuis la Pannonie,
entrepris de nombreuses excursions dans la Grèce et
l'Asie Mineure. Ce sont eux qui se sont toujours mis en
évidence et dont on a toujours parlé, oubliant et laissant
dans l'ombre les populations laborieuses et paisibles fort
diverses qui, attachées au sol, constituaient les véritables
habitants de chaque pays. Impossible d'avoir des renseigne-
ments sur ces populations par les documents historiques.
(1) CÉSAR, Guerre des Gaulea^Mx. VI, ch. xiii.
(2) Denys d'Halicarnasse, Antiquités romaines.
CONCLUSIONS 189
Mais nous arriverons à les connaître et h les décrire grâce aux
données palethnologiques et anthropologiques.
Erreurs de copistes et faux renseignements.— A ce manque
complet de renseignements se joignent deux causes d'erreur
propres aux documents écrits. Ce sont les fautes de copistes
et les fausses indications.
Les textes modernes môme les plus répandus et les plus
connus s'altèrent avec la plus grande facilité. Victor Cousin,
dans un Rapport lu en i8/|2 à T Académie Française, montre
que le texte des Pensées de Pascal , jusqiuvlà « en possession
d'une admiration religieuse », demandait à être revisé. « En
effet, disait-il, toutes les infidélités qu'il est possible de con-
cevoir s'y rencontrent : omissions, suppositions, altérations. »
Pascal se rattache aux luttes passionnées de la philosophie et
(le la religion. On peut comprendre les altérations. Mais A. de
Candolle, dans un des volumes de la Bibliolhèque inlernatio-
mie (1) en a cité un exemple bien plus étonnant : « 11 ne faut
pourtant pas accepter sans examen les assertions des au-
teurs. Nous verrons, à l'occasion du mais, que des pièces his-
toriques entièrement forgées peuvent tromper sur l'origine
J'une espèce. C'est singulier, car pour un fait de culture il
•Semble que personne n'a intérêt à mentir. »
Les textes anciens, antérieurs à l'imprimerie, peuvent à
plus forte raison être altérés. Comme exemple, nous nous con-
tenterons de rappeler ce que nous avons constaté (p. 110)
On parlant de la division en cinq races des peuples de la Ger-
manie, par Pline. Il est évident que les copistes, à propos de
la troisième race, ont fait une répétition du nom des Cimbres
au détriment d'autres populations.
Concernant les faux renseignements, Ammien Marcellin
nous en fournit un exemple des plus frappants au sujet des
Burgundes, dont il fait des colons romains dans une région
où les Romains n'avaient pas pénétré à cette époque.
Ces défauts des textes sont bien connus. Us sont môme pro-
clamés par un des érudits qui ont le plus repnxrhé aux palethno-
logues de ne pas se servir suffisamment des textes, leur oppo-
sant le prétendu roman préhistorique. « C'est, s'écrie-l-il (2),
(1) A. DE Candolle, Origine dem plantes ruliivéea, iS83, p. i3.
(2) Al. Bertrand, CcZ/es, Gaulois cl Francs, 1873, p. 4.
l4o DOCUMENTS HISTORIQUES
ce départ des renseignements certains et des renseignements
vagues, c'est cette délimitation des textes qui doivent faire
véritablement autorité et de ceux qui ne doivent servir que
d'appoint, que nous voulons faire. »
L'intention est excellente, mais comment reconnaître les
textes faisant véritablement autorité de ceux qui ne doivent
que servir d'appoint ? Qui nous garantira que le partage des
renseignements certains et des renseignements incomplets ou
faux sera bien fait? Il est évident que l'auteur aura toujours
une tendance à ranger parmi les renseignements vagues ceux
qui sont gênants pour ses théories et trouvera excellents ceux
qui les confirment. Alexandre Bertrand lui-même, doublé de
Salomon Reinach, nous en fournit un exemple curieux.
Après avoir dit : « Il semble donc que pour Hérodote, comme
pour Aristote, le Danube aurait pris sa source dans les Pyré-
nées (i) », il prétend, vingt-huit pages plus loin, qu' «au milieu
du V® siècle, Hérodote nous montre les Celtes de la vallée du
haut Danube, dont les sources sont en pays celtique », voulant
prouver par là que les Celtes habitaient le versant allemand
des Alpes.
Telle est la valeur du triage des textes. Est-ce une base
suffisamment sérieuse pour la science ?
Directions des mouvements de population. — Pourtant
l'examen attentif des textes que nous venons de faire permet
de rectifier une hypothèse généralement admise concernant
les migrations des peuples. Jusqu'à présent, on a fait cheminer
toutes les migrations d'Orient en Occident. La grande fabrique
humaine serait ou du moins aurait été pendant toute l'anti-
quité en Asie. Eh bien, les documents historiques établissent
que c'est une assertion erronée. Mais, avant d'aborder le fond
de la question, commençons par bien nous rendre compte des
divers modes et variétés de migrations.
Les mouvements de population peuvent se diviser en cinq
groupes principaux :
Les Factoreries, établissements commerciaux disséminés au
loin par un peuple se livrant activement au commerce. Tels
sont les établissements semés dans le bassin de la Méditer-
(i) A. Behtrand el S. 1U:ina(:ii , Les Celtes dans les vallées du Pô et
du Danube^ 18941 pp. 8 el 35.
CONCLUSIONS 1^1
ranée, sur les côtes des îles, de l'Afrique, de TKspagne et
môme au defà du détroit de Gibraltar, par les Phéniciens. Ces
factoreries ne nécessitent et n'entraînent qu'un faible déplace-
ment d'hommes, un simple état-major.
Les Colonies, déplacement d'un groupe plus important, avec
femmes et enfants,allant s'établir dans un pays plus ou moins
éloigné et restant en relation avec la mère-patrie. C'est ainsi
que les Phocéens ont établi la colonie de Marseille. Entre les
factoreries et les colonies, il y a de grandes relations et de fré-
quents passages, (^arthage, d'abord factorerie phénicienne, est
vite devenue puissante colonie et môme grand état indépen-
dant. Marseille, dès l'origine colonie grecque, a installé de
nombreuses factoreries autour d'elle sur la côte ligure et la
côte gauloise, alors appelée ibère.
Le Mercenairisme , très répandu dans l'antiquité. Bandes
plus ou moins nombreuses de militaires qui allaient servir à
''étranger, moyennant salaire. Nous avons eu à en citer divers
exemples. Sicules et Sardes en Egypte, Ibères et Celtes ou
Gaulois dans l'armée d'Annibal, Gaulois ou (ialales en Sicile
et surtout en Orient, (iermains divers au service de Rome.
Les Envahissements, bandes d'hommes armés faisant irrup-
tion dans des pays étrangers pour s'y livrer à la déprédation
^t au pillage. Les Galates et les Cimbres ont donné de nom-
breux et brillants exemples de ce genre d'exploits.
Enfin les Migrations proprement dites, mouvement d'une
population entière, avec biens, femmes et enfants, cherchant
Un nouveau lieu d'habitation. Le peuple migrateur a pu être
complètement détruit , comme les Teutons venus en Pro-
vence; ou bien, après avoir exécuté un long trajet au milieu
des dévastations et du pillage, il est allé au loin, comme les
Vandales, établir un puissant État.
Mais, entre ces trois dernières catégories, comme entre les
deux premières, il y a de très fréquents passages. Parfois ce
sont les envahisseurs qui sont devenus mercenaires, comme
les Sardes et les Sicules en Egypte, et les Gaulois qui, après
avoir pris Rome, ont vendu leurs services en Sicile. Parfois
aussi ce sont les mercenaires (fui se sont transformés en pil-
lards et envahisseurs, ainsi que cela a eu Heu en Asie Mineure,
où des Galates mercenaires renvoyés pillèrent les villes de la
Troade. Il y a aussi passage et tranformation entre les enva-
l42 DOCUMENTS HISTORIQUES
hissements et les migrations. C'est ainsi que les débris de
Tarmée envahissante de Brennus défaite en Grèce, allèrent
fonder, sous le nom de Galatie, un état indépendant sur les
bords de la mer Noire.
Cette fondation vient à Tappui des déductions tirées au
commencement de ce chapitre. Les Galates qui établirent la
Galatie n'étaient, disent les anciens historiens, qu'au nombre
de vingt mille. Vingt mille hommes bien déterminés, c'était
assez pour s'emparer du pouvoir, mais plus qu'insuffisant pour
former la population d'un État indépendant. Ces vingt mille
envahisseurs trouvèrent donc en Galatie une population ter-
rienne qu'ils soumirent et dominèrent. Pourtant les auteurs
n'en disent rien. C'est exactement ce qui s'est passé partout
ailleurs. Nouvelle preuve que les grands blonds aux yeux
bleus, qui parcouraient l'Europe et faisaient grand bruit,
n'étaient qu'une simple aristocratie militaire, sous laquelle
existait une utile, malheureuse et patiente démocratie qui a
été complètement oubliée par les divers écrivains de l'anti-
quité.
Sens des migrations. — Revenons aux mouvements de
population. Tout en tenant compte du caractère particulier
de chacun d'eux, on peut les grouper tous sous le nom com-
mun de migration, qui a le sens le plus large.
En traçant sur une carte tous ces mouvements, on recon-
naît qu'ils ne se sont pas opérés dans une seule direction. Il
y en a dans tous les sens et, pour l'Europe, la direction
moyenne de l'ouest à l'est est plus importante que celle de
l'est à l'ouest.
Deux mobiles principaux stimulent les migrations.
Les peuples civilisés font des migrations dans le but de
s'enrichir par le commerce. L'Orient ayant été civilisé avant
l'Occident, naturellement les premières migrations commer-
ciales ont dû se produire dans le sens de l'est à l'ouest. C'est
ce qui a eu lieu en elTet. Les Phéniciens ont semé leurs fac-
toreries dans les îles de la Méditerranée et sur le pourtour de
cette mer. Les Grecs sont allés vers l'Occident coloniser la
Sicile, le sud de l'Italie, la Corse et Marseille.
Le second mobile concerne les peuples non civilisés qui vont
rechercher les richesses au moyen de la force, du pillage et
do la prise de possession. C'est là le mobile qui a occasionné
CONCLUSIONS 1 43
les migrations les plus nombreuses et les plus importantes,
Les plus anciennes connues sont celles des habitants des côtes
de l'Algérie actuelle, de la Sicile et de la Sardaigne marchant
sur l'Egypte, c'est-à-dire allant de Fouest à l'est, mouve-
ment tout à fait inverse du premier.
Les populations de l'Espagne et des grandes îles de la Mé-
diterranée se sont aussi ruées sur l'Asie Mineure, allant éga-
lement de l'ouest à l'est.
Puis les Celtes et Gaulois, sous le nom de Galates, se sont
)ortés sur l'Italie, sur la Pannonie, partie de TAutriche
ît Hongrie actuelles, sont descendus fréquemment sur la
irèce et sur l'Asie Mineure. La direction de tous ces mou-
vements est encore en moyenne très sensiblement de l'ouest à
'est. .
Restent les mouvements migratoires parlant de la Germa-
iie, c'est-à-dire du nord ; ils descendent vers le sud, mais in-
clinent partie vers l'est, partie vers l'ouest. Ce n'est que dans
e grand mouvement de ^07 que tout s'est jeté sur le sud-ouest,
^ela tient à ce que ce mouvement a été déterminé par une
îause spéciale : la poussée d'une grande invasion arrivant
l'Orient, celle des Huns, qui ne laissait aux populations refou-
ées comme dégagement que la direction du sud-ouest. Cette
nigration des Huns est la seule vraie migration, parmi toutes
îelles que nous avons constatées d'après les auteurs, qui se
ioit produite de l'orient à l'occident.
Résumé des conclusions. — Comme résumé de nos con-
îlusions, nous devons admettre que :
1° Les données fournies par les auteurs anciens sont insuf-
îsantes pour résoudre la question de l'origine et de la nature
ie nos populations.
2® En fait de Celtes, de Gaulois et de Germains, ces auteurs
l'ont parlé que d'une seule et môme race, aristocratie mili-
aire et pillarde, fort remuante et fort changeante au point de
rue du séjour.
3<* Les pays parcourus, dominés et momentanément occupés
)ar cette race, étaient pourvus de populations sédentaires et
'oncières de races très diverses.
4° La race gallo-germaine s'est répandue sur presque toute
'Europe et a même débordé au delà, en Asie et en Afrique.
5° Chaque bande transportait son nom particulier dans les
l44 DOCUMENTS HISTORIQUES
divers pays qu'elle occupait. Ces disséminations d
nom n'ont donc que fort peu d'intérôt sous le rappo:
logique.
6° Enfin les diverses migrations signalées par 1(
ments historiques se sont opérées dans les directions
variées.
DEUXIÈME PARTIE
DÉDUCTIONS LINGUISTIQUES
CHAPITRE PREMIER
LA LINGUISTIQUE OU SCIENCE DES LANGUES
Ulologie et Linguistique. — La théorie des migrations
)opulations de TOrient à l'Occident a surtout été émise et
enue par les linguistes.
i linguistique, comme science naturelle, est une science
à fait nouvelle. Elle ne date que de la fin du xvni® siècle.
. dans la première moitié du xix^ siècle qu'elle s'est sur-
développée. Avant, il n'y avait que la philologie, qui est
oire littéraire du langage.
►us n'avons pas à nous occuper de la philologie, mais la
is tique se rattache intimement à notre sujet. Un de mes
^ues de l'Association pour l'enseignement des sciences
:opologiques, le professeur Abel Hovelacque, a publié
la Bibliothèque des sciences contemporaines^ un excel-
traité: la Linguistique (i), auquel nous allons faire de
)reux emprunts.
rsqu'on examine les langues avec l'esprit scientifique
îrne, on reconnaît qu'elles se sont développées suivant
règles déterminées, qu'elles forment des individualités
Abel Hovelacque, La Linguistique, 4' éd., revue et augmen'
887.
G. DE MORTILLET. \0
l', DÉDUCTIONS LINGUISTIQUES
nettement définies, qu'elles se groupent par familles nat ai-
relles et qu'elles se relient les unes aux autres par des carai<?-
tères bien déterminés, qui permettent de reconnaître leurs
relations mutuelles et d'établir leur arbre généalogique. On
peut classer les langues, tout comme on classe les minéraux,
les plantes ou les animaux. Ainsi qu'on divise les animaux
suivant leur degré de développement, par exemple, en verté-
brés et invertébrés, on peut diviser les langues, d'après leur
état plus ou moins complexe, en trois grandes classes :
Les langues monosyllabiques ou isolantes ;
Les langues agglutinantes ;
Et les langues à flexion.
Le type le plus simple, et par conséquent le plus primitif,
est le monosyllabisme. La racine et le mot ne sont qu'un. La
phrase n'est qu'une série de racines monosyllabiques isolées,
se succédant les unes aux autres. Ainsi, si l'on représente la
racine par R, la phrase sera R + R + R + R...
L'agglutination donne une phrase moyenne. Les racines
conservant leur pleine et entière signification s'agglutinent
comme préfixes ou suffixes d'autres racines qui, perdant leur
sens propre ou absolu, ne servent plus qu'à exprimer des rela-
tions actives ou passives. En représentant toujours par R la
racine principale et par r les racines accessoires, les mots
seront figurés, s'il s'agit de préfixes, par rR, s'il s'agit de
suffixes, par Rr, et s'il y a tout à la fois préfixes et suffixes par
rRr, de sorte que la phrase peut se composer de rR + Rr +rRr
et même rRrr, etc.
Enfin la flexion, état le plus supérieur, est la possibilité
pour une racine principale ou une racine suffixe d'exprimer
en modifiant sa propre forme une certaine modification de
sens. Ainsi, si nous exprimons par v comme exposant la varia-
tion de forme, nous pouvons avoir pour représenter les mots
R^, rR" rWyr, Y^rv, "RPr^, rRPr^, Rrr^.
Il va sans dire que les langues agglutinantes et les langues
à flexion conservent au besoin des racines isolées, comme
les langues à flexion peuvent avoir des mots simplement
agglutinés.
En trois mots on peut définir les trois classes par :
Isolement, le monosyllabisme se composant de racines indé-
pendantes ;
LA LINGUISTIQUE OU SCIENCE DES
l48 DÉDUCTIONS LINGUISTIQUES
Groupement^ l'agglutination étant la réunion intime, l'ac-
couplement de racines ;
Modification^ cardans la flexion la racine modifie son sens
en modifiant sa forme.
Distribution des Langues. — Toutes les langues ont dû
passer par le monosyllabisme, c'est-à-dire être primitivement
composées de racines isolées, se succédant entièrement indé-
pendantes pour former les phrases. Quelques langues de
l'Asie orientale sont restées monosyllabiques. C'est tout
d'abord le Chinois, autour duquel se groupent l'Annamite, le
Siamois, le Birman et le Tibétain. Ces langues sont peu nom-
breuses, mais elles sont employées par des populations fort
considérables (fig. 20).
Les langues agglutinantes, où à une racine principale qui
conserve sa valeur peuvent s'agglutiner comme préfixe ou
suffixe une ou plusieurs autres racines dont le rôle consiste
simplement à nuancer le sens de la racine principale, senties
plus nombreuses et les plus répandues. Elles occupent la
plus grande partie de l'Afrique, depuis le Sahara et la Nubie
jusqu'au Cap de Bonne-Espérance. En Asie, elles couvrent
encore un espace assez considérable. Le Dravidien de l'Inde
leur appartient. Elles sont parlées par les Négritos dissémi-
nés sur divers points. Le Japonais et le Coréen leur appar-
tiennent. Enfin elles se développent largement dans les régions
buralo-altaïqucs ; de là elles passent en Amérique qu'elles
occupent en entier ainsi que les diverses îles de l'Océan. On
en retrouve des traces en Europe : le Turc, le Finnois et
même le Basque dans les Pyrénées.
Les langues à flexion, dont les racines ne sont plus comme
dans les deux classes précédentes rigides, mais fléchissent et
se plient à diverses modifications, forment trois familles qui
sont groupées autour de la Méditerranée en se prolongeant
du côté de l'Asie jusque dans l'Inde. Ce sont : la famille des
langues khami tiques qui, embrassant l'Égyptien, l'Éthiopien et
le Libyen, occupe tout le nord de l'Afrique ; la famille des
langues sémitiques, du sud-ouest de l'Asie, dont la langue la
plus importante est l'Arabe et dont font partie l'Assyrien, le
Syriaque, le Phénicien et l'Hébreu ; enfin la grande famille
des langues indo-européennes, dont nous nous occuperons
d'une manière toute spéciale un peu plus loin. Cette der-
LA LINGUISTIQUE OU SCIENXE DES LANGUES i49
nière classe est celle des langues les plus perfectionnées.
Dans chacune de ces classes, les langues qui en font partie
se divisent naturellement en familles, en branches ou genres,
en idiomes ou espèces, et en dialectes qui ne sont que de
simples variétés.
Les langues ont non seulement subi diverses évolutions et
transformations, mais on peut dire qu'elles sont le produit de
ces évolutions. Comme les transformations et les évolutions
se sont opérées d'après des lois régulières que Tétude raison-
née de la linguistique met tous les jours de plus en plus en
lumière, on peut arriver à reconnaître les relations des langues
entre elles, leur véritable filiation. Deux langues étant don-
. nées, il est possible d'établir leur degré de parenté. On sait si
l'une descend de Tautre, si elles sont parentes plus ou moins
éloignées ou même complètement étrangères Tune à l'autre.
En effet, il y a des langues et des groupes de langues qui n'ont
ftucun rapport entre eux. Ces groupes, qu'on appelle irréduc-
tibles, prouvent que toutes les langues n'ont pas un seul et
même point de départ. Le langage a donc pris naissance en
plusieurs endroits.
D'après ce court exposé des résultats auxquels on est
arrivé par l'étude des langues, on comprend très bien qu'on a
été porté à se servir des données de la linguistique pour
agrandir notre histoire et tracer les migrations des peuples
dans une antiquité dépassant tous nos documents histo-
riques.
On a reconnu que l'ensemble des langues européennes for-
mait un seul et môme groupe appartenant à la classe la plus
élevée, c'est-à-dire à la classe des langues à flexion.
Théorie Aryenne. — Poursuivant ces études, on recon-
nut aussi que ces langues correspondaient et avaient les plus
grands rapports avec diverses langues d'Asie, s'élendant jusque
dans l'Inde et formant également un seul et môme groupe
tout à fait analogue au groupe européen. On fondit naturel-
lement ensemble les deux groupes et l'on en fît la famille des
langues indo-européennes (fîg. 21). Le nom n'est peut-ôtre
pas aussi précis qu'il serait à désirer, car dans l'Inde il y a
diverses langues importantes qui ne font pas partie de celte
famille. Pourtant c'est la moins mauvaise dénomination parmi
toutes celles qui ont été érnisçs. C*est donc celle que nous
l5o DÉDUCTIONS LINGUISTIQUES
acceptons. Les germanisants ont proposé le nom de languies
indo-germaniques, les celtomanes celui de langues indo-cei-
tiques. C'était dans les deux cas rendre pour l'Europe le nom
aussi incomplet qu'il Tétait pour l'Inde. On a, avec raison,
abandonné ces deux termes.
« Un nom plus court et qui a paru un moment devoir faire
son chemin, dit Abel lïovelacque (i), a été proposé, celui de
langues aryennes. On est parti de ce prétendu fait que les
anciens Hindous et les anciens Éraniens se donnaient à eux-
mêmes le nom d'Aryas ; mais il est hors de doute que rien
n'est moins prouvé, nous dirons même que rien n'est moins
vraisemblable. »
N'importe, la théorie aryenne a fait grand bruit. Son prin-
cipal propagateur et défenseur a été Adolphe Pictet, de
Genève (2). Il place les Aryas sur le « vaste plateau de l'Iran,
cet immense quadrilatère qui s'étend de l'Indus au Tigre et à
l'Euphrate, de l'Oxus et du laxarte au golfe Persique. »
Précisant davantage, ses disciples et lui placèrent le centre
du mouvement aryen entre le 33** et le 38° de latitude, dans
la Bactriane, limitée au sud par l'Hindoukouch, au nord par
la Boukharie, à l'est par le Belourtagh et à l'ouest par les ter-
ritoires de Merw et de Hérat. Cette province dépendit succes-
sivement des Assyriens, des Mèdes, des Perses, d'Alexandre,
des Séleucides et des Parthes.
Pline (3) nous apprend que « sur les frontières de l'Inde est
le pays des Ariens. La Bactriane est voisine. La Perse touche
à ces contrées. »
Mais, s'il est vrai que ce fut Alexandre le Grand qui fonda,
vers Fan 328 avant notre ère, sur les bords de l'Aryus, rivière
du pays, la ville d'Arya, aujourd'hui Hérat, cela rajeunirait
terriblement toute la légende aryenne.
Voici cette légende.
Le pays appelé Arye était naturellement occupé par les
Aryens. C'était une population blonde ou du moins à teint
très clair qui parlait la langue mère d'où sont découlées toutes
(1) Abel IIovelacque, La Linguistique, 4*» cdit., 1887, p. 268.
(2) Ad. Pictet, Les Origines indo-européennes ou les Aryas primilifst
1859, vol. I, p. 35.
(3) Pline, Histoire naturelle, traduction de Littré, 1848, liv.XII,
cb. xviii, XIX, et XX, p. 480.
LA LINGUISTIQUE OU SCIENCE DES LANGUES l5i
les langues de la famille indo-européenne. De TArye, les
Aryens ont émigré en rayonnant, dans l'Inde du côté de Test
et en Europe du côté de Touest.
Le fait capital et fondamental, bien reconnu, parfaiteiùent
constaté, c'est qu'il y a une série de langues, ne formant
qu'une seule et même famille, qui s'étend depuis l'intérieur
de l'Inde jusqu'aux extrémités de l'Europe occidentale.
Il s'agit de savoir comment s'est opérée la diffusion de ces
langues.
Évidemment il y a eu une langue mère de laquelle toutes
les autres langues indo-européennes sont issues. Que cette
langue mère soit maintenant complètement éteinte ou qu'elle
existe encore profondément modifiée et plus ou moins trans-
formée, peu importe. L'essentiel serait de reconnaître exacte-
ment le point initial, le point où elle existait d'abord, le point
de départ de toute la famille.
Considérant que les langues qui dans leur ensemble se rap-
prochent le plus du type commun doivent être celles qui se sont
le moins éloignées des régions où ce type commun était parlé,
et, admettant que le Sanskrit est la langue la mieux conservée,
cette langue doit, d'après Pictet, être regardée comme la moins
éloignée du centre primitif. Il en est de même des langues
éraniennes. Les langues celtiques au contraire s'en seraient
éloignées plus que toutes les autres. Les dialectes grecs au
sud-est de l'Europe et les langues slaves et lettiques au nord-
est, furent placés au second degré ; au troisième, les langues
germaniques au nord et les italiques au sud. Partant de ces
îonsidérations, Adolphe Pictet a tracé une ellipse assez
illongée. Il a considéré le foyer de droite de cette ellipse, situé
m point géographique où il place l'Arye, comme étant le point
)ù aurait été parlée la langue commune, la langue initiale de
a grande famille indo-européenne. Cette famille se divise en
luit branches qui sont : l'Hindou ou le Sanskrit, l'Éranien,
'Hellénique, l'Italique, le Celtique, le Germanique, le Slave
et le Lettique. J'en donne le tableau complet avec les subdi-
visions, d'après l'ouvrage d'Abel Hovelacque.
l52
DÉDUCTIONS LINGUISTIQUES
FAMILLE SOUS-FAMILLES
Indo-Éranien
Indo-Euro-
péen.
Européen .
BRANCHES
ou GENRES
RAMEAUX
ou ESPÈCE!
Ancien Hindou.
Sanskrit ou H indou{ Néo-Hindou.
Tsigane.
Zend.
Perse.
Arménien.
Éranien \ Huzvârèche.
Parsi.
Persan.
Ossète, Kourde, Afg!
Hellénique.
Italique
Celtique.
Germanique . .
Slave.
Lithuanien.
Lettique ] Lette.
Vieux 'Prussien.
( Italique ancien.
( Novo-Latin.
Gothique.
Scandinave.
Bas Allemand.
Haut Allemand.
Mais revenons à Tellipse de Pictet. A peu de distance
foyer aryen, vers la droite, il place au bas le Sanskrit, [
haut la branche des langues éraniennes ; suivant ensuite
droite à gauche les deux branches de Tellipse, il place
milieu de la ligne : dans le haut, les langues lettiques et sla
dans le bas, Thellénique. Ces deux groupes sont encore aj
rapprochés du foyer de droite, mais moins que ne le sont
langues hindoues et éraniennes. Poussant encore ven
gauche, Pictet place les langues germaniques en haut et
langues italiques en bas, dans la môme position, vis-à-vi^
foyer de gauche, qu'occupent les langues éraniennes et
doues vis-à-vis du foyer de droite. Tout à fait à Textréi
gauche de l'ellipse se trouve le celte, entre les langues i
maniques et italiques. Il est le plus éloigné du foyer de drc
prétendu point de départ.
C'est fort ingénieux, mais est-ce exact ?
Certains linguistes prétendent que le point de départ
lieu de se trouver au foyer de l'ellipse, pourrait bien avoii
placé en dehors, un peu plus à l'orient, ou mieux au m
est, du côté de la Chine. Avec cette hypothèse, la distribu
des langues affiliées resterait la même. Hindou et Érai
resteraient les premiers ; viendraient ensuite parallèlemer
UV LINGUISTIQUE OU SCIENCE DES LANGUES l53
successivement, d'abord le Lette et le Slave ainsi que l'Hellé-
nique, ensuite le Germain et l'Italique, enfin le Celtique ter-
minerait l'évolution.
Langues et migrations. — Mais cette évolution elle-même
est maintenant contestée. Les documents se sont multi-
pliés, les recherches se sont élargies, des données nouvelles
',;.jps>.-'
^ê^"^ .
^m^l^^l^v^^*^ 1.'^ ^.
^■c
■
..A..i i
'', FiG. 31. — Carie àvs Iniigiica indo-ciiropéenncs, il'oprts A. HovEUCQIIE.
se sont produites, et les premières conclusions, basées sur des
études forcément incomplètes et insuffisantes, semblent devoir
être modifiées sensiblement par les observations nouvelles.
Pour le moment il y a une tendance très prononcée à rappro-
cher beaucoup l'ancien Grec de la langue Indo-Èuropéenne
primitive.
Voilà où en est la question.
Peu nous importe d'ailleurs, nous n'avons à nous occuper
que des conclusions qu'on a voulu en tirer au point de vue
de l'ethnologie pu distribution des populations.
l54 DÉDUCTIONS LINGUISTIQUES
Après avoir créé et mis au monde les Aryens pour les
besoins de la linguistique, création qui, ainsi que nous venons
de le voir, prête à la critique, on a songé à s'en servir au
point de vue de Tethnologie. Les langues n'émigrent pas
toutes seules, s'est-on dit. Il faut des intermédiaires pour les
transporter d'un point à un autre. Or migrations de langues
supposent migrations de populations, et sur ce on a fait voya-
ger une prétendue race aryenne qui se serait répandue dans
tous les pays où ont pénétré les langues de ce nom.
Il n'est pas absolument besoin de migrations pour répandre
une langue. Les conquêtes ont sous ce rapport une influence
au moins aussi grande sinon plus. Ainsi les vingt mille Galales
qui sont allés s'emparer d'une portion de l'Asie Mineure pour
y fonder la Galatie étaient certainement, comme population,
une minorité ; pourtant ils ont introduit et généralisé dans le
pays la langue qu'ils parlaient. Nous avons vu que cette langue
ne s'est éteinte que dans les premiers siècles de notre ère.
Nous en avons eu un autre exemple très frappant en Occi-
dent. Les Romains, en faisant la conquête des Gaules, n'y ont
introduit, ainsi que nous l'avons établi précédemment, qu'un
nombre fort restreint d'individus, et cependant ils ont très rapi-
dement remplacé comme écriture les caractères grecs par les
caractères latins. Ils ont surtout changé totalement la langue.
Les langues celtiques ont en peu de temps cédé complète-
ment le pas à la langue latine, qui, langue officielle, est bien
vite devenue la langue générale et, après avoir passé par
divers intermédiaires, a produit en se modifiant le langage
actuel.
Le mouvement commercial peut aussi transporter, répandre
et vulgariser une langue. C'est ainsi que l'écriture et la langue
grecques se sont momentanément implantées sur la côte de
la Méditerranée et gagnaient du terrain quand le Latin est venu
arrêter leur extension et les chasser même complètement de
France.
Mais un mouvement bien plus puissant encore est le mou-
vement religieux. Tous les cultes, toutes les religions ont une
tendance au prosélytisme. Cette tendance est d'autant plus
énergique qu'en fait de religion, de deux choses l'une, ou l'on
croit sincèrement, et alors on est persuadé être dans le vrai
absolu, on éprouve le besoin de répandre la vérité, on devient
LA LINGUISTIQUE OU SCIENCE DES LANGUES l55
TDaîssionnaire actif, ardent, passionné, fanatique ; ou bien, ne
croyant à rien, on exploite l'idée religieuse. On a en ce cas
^o\it intérêt à faire triompher les idées sur lesquelles on spé-
cule. Les étendre est tout avantage ; aussi tous les moyens sont-
ils bons pour atteindre le but. Dans les deux cas, on cherche
à dominer les populations, à les soumettre pour mieux leur
inculquer les idées nouvelles ; les missionnaires sont naturel-
lement portés à faire adopter leur propre langue. Nous
voyons cette tendance se produire de toute part. Pourquoi les
partisans français de la séparation de TÉglise et de TÉtat sont-
ïls disposés, en partie du moins, à soutenir les missions
d'Orient? C'est que ces missions répandent en Orient la langue
6t par suite Tinfluence française. La môme chose se produit
dans le protestantisme. Les Anglais, quand ils projettent une
^nexion ou extension de territoire, ont bien soin d'envoyer
tout d'abord des missionnaires. Ce sont eux qui, en répandant
J^ langue anglaise, préparent Tinvasion.
Langues et races. — Dans tous les cas, langue et race sont
loin d'être synonymes et même analogues. Des races fort dis-
Unctes peuvent parler la même langue, ou la même race parler
des langues très différentes. Le sol de la France offre un
exemple très remarquable de cette double assertion. La Bre-
*^£igne française se partage en deux parties à peu près égales
^otnme étendue. Toutes les deux contiennent une population
semblable, composée de deux races bien distinctes. Tune
Si'ande, blonde, à visage ovale, l'autre plus petite, brune, à
^gure carrée, c'est-à-dire à pommettes très saillantes. Mais,
^'il y a similitude dans les races, il y a discordance complète
^ans le langage. Dans la portion extrême, la plus occidentale,
^n ne parle que le Breton, langue de la branche celtique. Dans
1^ moitié la plus orientale, on ne parle ({ue le Français, langue
^^ rattachant à la branche italique. Cette distinction est si
^ette et si caractéristique, que dans la conversation courante
^n désigne les Bretons occidentaux sous le nom de Bretons
^retonnants et les orientaux sous celui de Gallots. Chacune
4es deux langues est donc parlée par deux races différentes, et
chaque race prise isolément parle les deux langues.
Mais, dira-t-on, il s'agit là de deux langues appartenant à
Xine même famille, la famille indo-européenne, soit. La France
tious fournit un autre exemple pris dans une langue d'une
J
l56 DÉDUCTIONS LINGUISTIQUES
autre classe : le Basque, qui, au lieu d'être, comme les précé-
dentes, une langue à flexion, est une langue agglutinante. Le
Basque est parlé dans les Pyrénées, au sud-ouest de la France
et au nord de TEspagne ; seulement, en France, les Basques
sont brachycéphales, tandis qu'ils sont dolichocéphales en
Espagne. Ils appartiennent donc à deux races différentes.
Cette petite enclave d'une langue agglutinante au milieu
d'une immense contrée, toute l'Europe centrale et méridionale,
qui parle des langues à flexion, montre qu'avant l'arrivée des
langues à flexion, nos régions étaient déjà occupées par des
populations parlant des langues moins avancées en évolu-
tion. C'est comme un témoin laissé pour établir le fait. Il
importe de bien le constater, car ce témoin est condamné à
disparaître, et cela assez rapidement.
CHAPITRE II
LANGUES DE FRANCE
Basque. — Comme première origine, ainsi que nous
l'avons déjà dit, toutes les langues doivent remonter au mo-
nosyllabisme. Mais ce n'est pas à dire qu'elles aient toutes
passé directement par cette forme. Il se peut très bien que,
en fait de langues agglutinantes ou à flexion, il n'y ait que les
types initiaux, irréductibles, qui aient passé par cet état.
Toujours est-il qu'en France, nous ne rencontrons pas trace
de langue monosyllabique ou de la classe primitive.
Il n'en est pas de même pour la seconde classe. Un lambeau
de ces langues est resté comme témoin de leur existence dans
le sud-ouest de l'Europe. C'est le Basque.
Le Basque ou Escuara, suivant l'abbé d'Iharce de Bidas-
souet, est une langue si belle et si parfaite qu'elle a été choisie
par le « Seigneur d'en haut », dit le naïf abbé, pour causer
avec les Juifs.
Pourtant le Basque n'a pas de mot spécial signifiant dieu.
LANGUES DE FRANCE
trimer celte idée en celle langue, on est forcé d'à
I une périphrase.
Ml AJ
oup moins enlhousiaste que l'abbé d'Iharce, un Dic-
; espagnol , au mot Basque désigne ainsi celle langue :
i esl si confus et si obscur qu'on ne le peul en-
■ité est entre ces deux extrêmes. Grâce à la nouvelle
l58 DÉDUCTIONS LINGUISTIQUES
direction prise par les études de linguistique, le Basque es^
maintenant sérieusement apprécié et commence à être bie^ -^
connu. « Cette langue, si remarquable, si intéressante, dt
Hovelacque (i), n'est guère parlée aujourd'hui en Europe quczL
par 45o,ooo individus, sans grande originalité sociale, sair:n
existence politique distincte. Les trois quarts d'entre eux, emr-
viron, appartiennent à la nationalité espagnole et i/|0,o ( — a
approximativement à la nationalité française. Sur les rives c^
La Plata, on compte à peu près 200,000 Basques émigrés.
La carte de la langue basque a été donnée par L.-L. Boi
parte et par Paul Broca (fig. 22). Los localités limites ont
énumérées par J. Vinson dans l'avant-propos de V Essai sur
langue basque de Fr. Ribary. Le pays basque comprend <
France une commune de l'arrondissement d'Oloron, l'arrc^ i
dissement de Mauléon et celui de Bayonne presque entièMT-e
ment ; en Espagne, à peu près toute la Biscaye, le Guipuzco a,
la partie septentrionale de l'Alava et presque la moitié de h
Navarre.
Breton et Gaulois. — Les langues à flexion étant plus
parfaites que les langues agglutinantes et, par suite, répon-
dant mieux aux besoins de progrès et de civilisation, elles ont
rapidement supplanté ces dernières et se sont installées dans
toute l'Europe occidentale. Elles ont même subi en France
diverses évolutions qui ont abouti à transformer le Latin en
Français. Mais toutes appartenaient à la grande famille indo-
européenne.
La branche celtique aurait d'abord fourni les diverses
langues parlées en France. De ces langues, il n'en reste plus
qu'une, le Breton, en usage à l'extrémité de l'ancienne Armo-
rique. Il est parlé dans tout le Finistère, dans la partie occiden-
tale du département des Côtes-du-Nord, la majeure portion
du Morbihan, ainsi que dans une petite enclave de la Loire-Infé-
rieure, Le Croisic. Paul Sébillot en a soigneusement tracé les
limites (fig. 28). Cette langue est employée par i,220,oooper-
sonnes agglomérées et 47,000 habitant la zone mixte. Les plus
anciens documents en breton remontent au plus au xiv« siècle.
Telle est la théorie actuelle des linguistes.
Est-elle exacte ?
(1) Abel Hovelacque, La Linguistique, t^\èA., 1887, p. i56.
le le crois pas.
aDgue parlée en Gaule avant la conquête romaine nous
'.onnue. Nous ne possédons que quelques courtes ins-
ins que nous lisons très bien, puisqu'elles sont écrites
•aclères grecs ou latins, mais que nous ne comprenons
l60 DÉDUCTIONS LINGUISTIQUES
pas. Comment, dès lors, classer sérieusement cette langue
dans la famille indo-européenne et la rattacher au groupe
celtique ? Ce groupe, qui renferme le Breton, le Gallois et
rirlandais, ne nous a servi à rien pour déchiffrer les ins-
criptions gauloises. Il ne doit donc pas y avoir grand
rapport entre la vraie langue gauloise et les idiomes dits cel-
tiques.
Toujours est-il que les transformations du langage en France
Limibe de UvlanMut d'oiL
et de^ la- liui^te docdaprtlt
M.'Cft.dt TourtotUofo.
YESOUL BBLPORT
POITIERS j»*i^ jy^i^^ MOULDIS J mmsrâcvsmsk
C* U Dorai *>"»»«« £Stf»Sv^**^^*W^ • JCÛOQN
/•Otampaatie. %nfT"»rr itt^otatnm-oeotueu^
•LYON
, Chaùûs'itM^!' •S'BTIBNNB
L ^.s^Auimfc PBRIGUETX *^ • r> r»
\^ SCouima • f "Bi ^
' ôuboume -^^ ©• ^
BORDEAUX ^ XMâmerH
FiG. 24. — Séparation de la langue d'Oc et de la langue d'Oll,
d'après Ch. de Tourtouloî*.
sont une preuve éclatante de l'indépendance des races et des
langues.
Nous avons vu une grande, belle et solide langue, le Grec,
ne pas pouvoir s'acclimater en France, où elle a eu peine à
prendre pied sur le littoral méditerranéen, tandis que le Latin
n'a eu, pour ainsi dire, qu'à se montrer, pour chasser le peu
de Grec introduit sur nos côtes méridionales et faire disparaître
complètement le Gaulois, dont il n'est pour ainsi dire resté
aucune trace.
Latin et Français. — Cela tient à ce que les Romains ont su
accaparer de suite les forces vives de la nation. Pendant qu'à
la noblesse ils fournissaient les carrières et les honneurs mili-
taires, la lançant dans toutes les directions, ce qu'elle aimait et
pratiquait depuis longtemps, ils émancipaient le tiers état ou
LANGUES DE FRANCE l6l
joisie. Le menu peuple, alors sans consistance et sans
saiion, s'est trouvé entraîné par ces deux courants, la
et le commerce. Cette émancipation de la bourgeoisie
se en relief par les nombreuses pierres tombales gallo-
aes portant des indications de corps de métiers. Bien
s Romains soient venus en petit nombre en Gaule, leur
e s'y est rapidement propagée, faisant complètement
îr le parler local. Les Burgundeset les Francks venus en
Jus grand nombre ont subi la même influence et aban-
5 leur ancien langage pour accepter un idiome novo-
La transformation du langage est donc indépendante
nationalité, du droit de conquête, du nombre et surtout
race.
j l'arrivée des Romains, le Latin classique absorba toute
érature, et aucun écrit en Gaulois ne fut publié ou tout
oins ne nous a été conservé. D'autre part, le Latin vul-
envahit aussi très rapidement la population et devint
usage général.
Latin, par suite d'une évolution toute naturelle, se trans-
i peu à peu et donna naissance au Français, composé des
2tes d'Oïl dans le Nord : Berry, Normandie, Ile-de-France,
die, pays Wallon, et des dialectes d'Oc dans le Midi :
rgne, Provence, Languedoc, etc. (fîg. 24).
nvasion et l'introduction parmi nous des Burgundes et des
eks, dont le langage devait avoir de grandes affinités avec
Itique, le Germain et même le Slave, au lieu d'arrêter la
formation, ne firent que la hâter. L'influence celtique, ger-
e et slave baissa complètement pavillon devant l'influence
[ue. Tandis que l'Allemagne restait alourdie dans les tra-
tts linguistiques germaines, la France, ainsi que l'Es-
e, le Portugal et la Roumanie évoluaient vers les données
légères, plus actives et plus alertes de la linguistique ita-
'.
i langue d'Oïl est appelée langue romaine rustique. Le
ancien document de cette langue est une glose récem-
t découverte à Reichenau remontant au vni^ siècle. Du
S à cette époque, on faisait déjà au peuple des sermons
ngue d'Oïl ; mais, dit Hovelacque, les xi^, xu^ et xni^ siècles
^té la belle époque de la langue d'Oïl,
'ûdant que dans le nord de la France se formait, se déve-
G. DE MOJRTJLLEr. ' \V
l62 DEDUCTIONS LINGUISTIQUES
loppait, acquérait un grand éclat, puis peu à peu s'elîatait
la langue d'Oïl, une évolution analogue se produisait dansle
Midi, en ce qui concerne la langue d'Oc, parfois désignée
sous le nom générique de Provençal.
Les xii° et xiii° siècles furent l'âge d'or delà htttératurepro-
vençalc, dont les plus anciens documents remontent à une
époque bien antérieure.
IMITE SEPTENtmONKlE
DU OATALKH """^
AUDE
Fia. a5. — Carie du Catalan en France, par A. Hovelacque.
Le Provençal proprement dit existe encore, éclipsé par le
Français, qui se généralise partout. Il va sans dire que la
langue d'Oïl aussi bien que la langue d'Oc se subdivisaient
en un grand nombre d'idiomes ou simples dialectes portant
les noms de nos diverses provinces. Plusieurs ont eu des lit-
tératures spéciales. Peu à peu l'unité de la langue française,
prenant plus de consistance, les divers idiomes et dialectes de-
vinrent successivement de simples patois, dont bon nombre
existent encore, quoique ayant une tendance à disparaître.
Catalan. — Le Catalan, qu'il soit une langue bien (lis-
lincle ou tout simplement un dialecte novo-latin, se déve-
loppe en Espagne et pénètre encore de nos jours en France
LANGUES DE FRANCE
l63
dans une grande partie du déparlement des Pyrénées-Orien-
tales (fig. 25).
Allemand et Flamand. — Si maintenant^ remontant vers
le Nord, nous étudions la partie de l'ancienne Gaule qui est
comprise entre le Rhin et les côtes de la mer du Nord, nous
SmOrottelùitsI
! •
Amrécurq
.... LtmUf en, Franet,
éu,fraaçcdÊet.d»Ljtemuu»d.
d 'eunrs Coussenuhcktr.
LUniU de* d^tarl^
duKord 9t daPude Cédait
I \*S'Kerrt-SnmciL
'\
«
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\»Xarifùuifum.
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Snyum*\
^y ^SMomelùi,
S^Qm
Arauea • *\ /^
Camfiayru • *C\
Wtudrtetnu
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BaUltuL •
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^ Wardrfeaues '"K "
T^ JtaaiuinghtMrCX •Stûrùu^/iem,
. , —''*Thiatnts
'^*
V-^Senpzùy ,/^tttttwerét.
Aktt/'.BeratUA.
Zf„,„jug Jistturtsf
'nekenfiSe.
Fio. 26. — Carte du Flamand en France, par A. Hovelacque*
y trouvons l'Allemand en Alsace et en remontant la rive
gauche du Rhin ; puis le Hollandais vers les embouchures de
Ce fleuve et le Flamand en redescendant le long des côtes de
la mer du Nord. Tous les trois font partie de la branche des
langues germaniques. Nous n'avons rien à dire de l'Allemand,
qui, pour le moment, ne dépasse presque plus la frontière,
mais nous devons nous occuper du Flamand, qui descend
jusque dans une partie du département du Nord (fig. 26).
Flamand et Hollandais appartiennent au Vieux-Saxon, et
constituent le Néerlandais. Ils sont très voisins et ont été re-
gardés comme de simples dialectes, ce que n'admet même
i64
DÉDUCTIONS LINGUISTIQUES
pas Abel Hovelacque (i), qui était d'origine flamande. « Ri^3
dit-il, n'est plus inexact. Flamand et Hollandais doivent ê^-
placés sur un pied d'égalité, et ils sont si rapprochés l'un
l'autre, que Ton a pu dire, avec assez de raison, qu'il kt
avait entre eux qu'une simple différence de prononciatioi
Le Hollandais est parlé actuellement par 3.5oo.ooopersoni
le Flamand par 2.400.000 et même un peu plus y compris
Flamands qui habitent sur le sol français actuel.
La linguistique de la France peut se résumer par le tabl*
suivant :
TABLEAU LINGUISTIQUE DE LA FRANCE
Période agglutinai ive,
Basque.
Période à flexion,
Breton.
Celle. . . .
Germain. .
Hellénique.
Italique . .
Gaulois.
Allemand.
Flamand.
Vieux-Saxon
Grec.
Italien Corse.
Novo-Latin Catalan.
Langue d'Oc Provençal.
Langue d'Oïl Français.
CHAPITRE III
ÉCRITURES DE FRANCE
Alphabets. — Si, après nous ôtre occupé des langues,
nous étudions les écritures, nous reconnaîtrons que les Celtes
et les Gaulois ne possédaient pas de lettres en propre.
Quelques monnaies ccltibériennes portent des caractères
sémitiques se rapportant aux alphabets phéniciens ou cartha-
ginois.
(1) Abel Hovelacque, La Linguistique, 4« 6dit., 1887, p. 357.
ÉCRITURES DE FRANCE l65
Bans la Gaule cisalpine on a trouvé du Gaulois écrit en ca-
•"aclères italiques anciens. Nous reproduisons une inscription
découverte en i864 à San-Bemardino, commune de Briona, No-
varais en Piémont, actuellement conservée dans le cloître de la
cathédrale de Novare (fig.27). Des lettres analogues se voient
3Ur des monnaies attribuées aux Salasses, nation gauloise.
Les Grecs, en venant fonder Marseille et en se développant
Kyix.01
-i^roirorojcfoj
^Pxvrofcros
15/ pr^/<o A î
sur'toute la côte méditerranéenne de la France, apportèrent
dans le pays leur langue et leur écriture.
Les Gaulois en profilèrent ; aussi trouvons-nous diverses
inscriptions gauloises en caractères grecs (lig. 28), dissémi-
nées dans le raidi de la France, au milieu d'inscriptions bien
plus nombreuses en langue et en caractères grecs.
Puis, à l'arrivée des Romains, le Latin ayant coupé court à
l'extension du Grec et remplacé le Gaulois, l'alphabel latin
prit rapidement le lieu et place de l'alphabet grec, et le peu
de Gaulois restés fidèles à leur vieux langage, employèrent les
caractères latins pour graver les quelques inscriptions qu'ils
nous ont laissées (fig. 29). Quant aux inscriptions latines, elles
furent naturellement toutes gravées en caractères romains.
i66
DÉDUCTIONS LINGUISTIQUES
Rappelons aussi rinscription phénicienne de Marseille
(fig. i3), antérieure aux inscriptions grecques et romaines.
Le même mouvement s'ob-
ûrt\AoW€ôc!
TOOYTIOYC
NiAMAYrATlC
/^^ y Q t\AJ\P û C 1 s^^'ve dans les monnaies gau-
^^ • ' loises. Considérant comme
une exception les monnaies
celtibéricnnes qui, avec leurs
légendes en caractères sémiti-
ques, ne se rencontrent que
dans un espace fort restreint
vers le sud-ouest de la France,
les monnaies gauloises, quand
elles présentent des carac-
tères, peuvent se diviser en
monnaies à légendes grecques
et monnaies à légendes latines.
Les premières sont surtout abondantes dans le midi de la France
(fig. 3o), mais s'étendent aussi dans le centre et même dans le
nord, toutefois en devenant de moins en moins abondantes.
eiUJPOYBHÀH
CAmicoci n
Fio. 28. ~ Inscription gauloise en ca-
ractères grecs, de Vaison (Vau-
cluse). Musée d'Avignon. 1/6 gr. nat.
>*
%-..
ICCAVOSCfl
lANICNOStEVi
RVBRICINDON
CANTAkO
Fig. 29. — Inscription gauloise en caractères latins, de Volnay
(Côte-d'Or). Musée de Beaune. 1/8 gr. nat.
Les monnaies gauloises avec légendes en caractères romains
(fig. 3i) deviennent peu à peu plus nombreuses que les précé-
dentes et finissent par se généraliser après la conquête des
Gaules par César, plusieurs populations gauloises ayant encore
frappé monnaie pendant les premiers temps de Toccupation,
ÉCRITURES DE FRANCE
rares des Mégalithes. — On peut pourtant se de-
■T si avant l'écriture alphabétique il n'y a pas eu en
î une écriture symbolique et hiéroglyphique ? En effet,
Fio. 3i Monnaie gauloise avec
caractères lalins, cammunl-
quée par A. de Babthélemt.
>. — Monpaie massaliole avec
lires grecs, communiquée par
: BlRTHjtLBlfT. Gr. DsL.
ertains monuments mégalithiques, principalement du
ïian, on trouve des pierres portant des gravures en
et parfois des sculptures en relief.
gravures sont-elles de simples motifs d'ornementation
1 représentent-elles
ns symbolique ou
des signes hiéro-
ques?
avis sont partagés,
pports du grand et
oimen de Gavrinis,
île de la mer du Mor-
surchargés de gra-
s'enchevetrant et
Uni d'une part à la
de la pierre, de l'au-
compo si tion, toutes
•lies trop siliceuses,
tnséquent trop du-
.tantfrustes{fig.33),
FiG.3î.— Supportcomplètementgravé.
Dolmen de Gavrinis (Morbitian).
1/25 gr. naU
eraient qu'il nes'a-
ce d'une simple or-
lation ou décora-
iécutée, sans parti pris d'avance, suivant la nature et
ne de la pierre ouvrée. Pourtant, parmi les lignes qui
ïnt des ornements de fantaisie, on voit un certain nombre
;hes de pierre polie très nettement représentées (fig, 32).
lous les autres dolmens, les gravures sont beaucoup
i68
DEDUCTIONS LINGUISTIQUES
moins nombreuses et moins resserrées. Souvent elles sont
clairsemées et môme isolées. Parmi elles on remarque la repré-
sentation fréquente decertainesformesgroupéesou isolées sug-
gérant naturellement l'idée de signes ayant un sens déterminé.
Nous reproduisons les gravures qui se trouvent sur un grand
support (fig. 34) du dolmen
du Petit-Mont, à Arzon (Mo^
bihan). Sur la gauche, en
bas, on voit trois crosses,
signe très répandu parmi les
gravures mégalithiques. Au-
dessus, il y a deux espèces
d'U fort ouverts, autre signe
assez commun. Seidler ïoil
dans ces deux signes des
lettres de l'alphabet libvqne,
ta crosse correspondant à C
et l'autre signe à M. Quel-
ques personnes ont cru aussi
reconnaître dans la crosse
une lettre égyptienne. Em-
brassant la question d'une
manière plus générale, dans
la séance du 19 janvier 189Î
de la Société d'anthropologie
de Paris, Lelourneau (i) »
voulu établir que les gra-
vures des mégalithes sont
des inscriptions et que les
signes graves se rapportent aux lettres des anciens alphabets,
surtout sémitiques. Adrien de Mortillet a répondu : c< Qui dil
écriture dit arrangement. Or, il n'y en a aucun dans les
signes des monuments mégalithiques (2). »
Reprenant la question un peu plus tard, sous le titre de; J^'-
gures sculptées sur les monuments mégalitliiques de France (3).
Morbihan).
(1) Cii. Letourneau, Signei olphabéli formes dee inscriptions mégaliH"-
ques. Bull. Soc. Anihrop., iSgS, p. 28, fig.
(m) Adhien de Mortillet, Bu;(.Soc.yln[ftrop.Pûri's, igjanvier iSgSipi"'
(j) Idkm, Heuae meneueUe de l'Ecole d'Anthropologie, i5 seplemlK
1894, p. 273'
ÉCRITURES DE FRANCE
169
\J"
^ ^vaaO)
Adrien de Mortillel établit que ce sont des figures représen-
tatives d'objets di-
vers, en d'autres
termes des dessins
plus ou moins gros-
siers représentant
une certaine série
d'objets bien déter-
minés . Ainsi les
signes en U à bran-
ches très écartées,
représentent des ba-
teaux ou navires
(fig. 35), emblèmes
des migrations ma- « 0/ t^ ,i x ^^ ^1
. , o Fig. 34. - - Pieds gravés sur un support du dolmen
ntimes ; les crosses du Petit-Mont, à Arzon (Morbihan). i/25 gr. nat.
(fig. 36 et 37) sont
des bâtons de voyage ou des insignes de chefs, analogues aux
i;\
Vy
-^^
Fig. 35. — Signes naviformes graves sur un support du
dolmen du Mané-Lud, à Locmariaquer (Morbihan), i/io gr.
nat.
crosses d'évêques. La hache polie, isolée (fig. 38), souvent em-
lûanchée (fig. 89), est fréquemment figurée. C'est l'emblème du
lyO DÉDUCTIONS UNCUI8TIQUE8
travail et plus probablement du combat. Les
û
IG. 36.~CTosse
Fie. 37. —Crosse
FiB.38.-Hache
polie isolée
support du
dolmen dé-
truit du Roc.
à Lui£ (Cha-
rente). Musée
dAriKOUlCmc.
gravée sur un
truilduGros-
Dognon, à
Celletlea
(Charente].
gravée surun
support du
dolmen du
glBis,ù EpOne
(Seine-el-
Oise). 1/6 er.
fréquents, sont des boucliers, véritables insignes milita
Origine des armoiries. — Ces écussons ou boucliers
habituellement leur intérieur garni de diverses figures d
ÉCRITURES DE FRANCE I7I
remment groupées (ûg. 40 cl4i)- Ces figures de l'intérieur des
ÉctissoDs sont symboliques. Elles servaient évidemment au pro-
priéUire du bouclier de signe de reconnaissance, d'attribut ca-
ractéristique, d'armoirie. Ce sont les plus anciennes connues.
Elles remontent jusqu'à l'âge de la pierre ou tout au moins à
'a transition de la pierre au bronze. Depuis lors, l'usage de
%urer surltj bouclier les attributs, les armoiries de son pos-
sesseur, s'est généralement répandu. Il est descendu jusqu'à
'3 fin du moyen âge. Les vases peints de l'antiquité classique
ûous en ont procuré de très nombreux et fort 'curieux exem-
ples.
L'interprétation des gravures môgalilhiques peut fournir
'iï's données, sinon certaines, au moins probables, sur une
époque qui nous est à peine connue. Ainsi lécusson du dol-
"•en des Marchands contenant quatre séricsde crosses superpo-
sées, divisées chacune en deux, soit en tout cinquante-six
'^fosses (fig. 42), serait les armoiries d'un chef puissant do con-
'^dération, ou ayant sousses ordres cinquante-six autres chefs
•ûoins importants. Ce qui confirme cette assertion, c'est la
'^'mension du monument et une grande hache emmanchée
Bravée sous la table entre deux autres crosses.
Près du dolmen des Marchands .[également à Locmariaquer
172
DÉDUCTIONS LINGUISTIQUES
(Morbihan), se trouve, tout près de la mer, le grand tumulas
du Mané-Hroëck contenant un pelil dolmen qui renfenaail
un riche mobilier funéraire. Devant l'entrée du caveau, on a
rencontré une dalle rectangulaire portant sur une des deui
faces un écussoncontenantdeux crosses, insigne de pouvoir.el
plusieurs représentations de bateaux très grossièrement figu-
rés. — Les graveurs de cette époque n'étaient pas des artistes,
mais des tailleurs de pierre,.très mal outillés et travaillant une
roche fort dure. Loin de figurer nettement ce qu'ils voulaienl,
ils faisaient ce qu'ils pouvaient, — Tout autour de l'écusson
sont semées irrégulièrement des haches emmanchées. Cell*
épitaphe ne semble-t-clle pas indiquer le tombeau élevé à o"
chef, marin puissant, par les guerriers, ses compagnons
d'armes ?
De ces boucliers on passe à de sommaires représcntalions
féminines, caractérisées par des colliers concentriques et sur-
tout par deux seins globuleux très proéminents. Cette sculp-
ÉCRITURES DE
enouvelant dans des tombeaux divers du bassin de la
lolmens (iig. ^Z) et souterrains morluaires artifî-
44)i pourrait être une représentation religieuse. Dans
e la France, elle paraît ôtrc remplacée par un véritable
statues. Telles sont les deux sculptures du dolmen
irgues (Gard)
ues primitives
sur la poitrine
)se symboli
45).
ju'il en soit les
i mégalithiques
premiers docu
3;raphiques de
toire.Ilesldonc
)ortant de les
r et de les con
\ussi la Sous
don des Monu
mégalithiques
l'honneurdêtre
înt depuis la
mon maître et
iri Martin le's
soigneusement
leretmoulerafin
nserver et de les
: la disposition
iilleurs( i )
3umé, les gra
égalithiqucs me
ot pouvoir se diviser
simples motifs d ornement Tels sont en général les
1 de Gavnnis Ces motifs pourront peut être conduire
essanls rapprocha ments
gravures figuratives représentant des objets
-«-^^f-
pereonncs et les établi s aementa qui désireraient posséder
igca peuvent se les procurer facilemenl. Ils sont exécutés en
te, ce qui les retid Tort légers sans nuire A leur netteté.
■ 74
DÉDUCTIONS LINGUISTIQUES
et bieo déterminés, formant des tableaux commémoralifsqui
peuvent fournir d'importantes indications hisloriquesou légen-
daires. Ce sont les plus anciens documents de nos archives.
3" En gravures symboliques bien plus difficiles à déterminer,
mais paraissant indépendantes de tout alphabet
Pierres & cupules. —
Parmi ces dernières, il
en est une extrêmement
répandue, la cupule.
Ceat un godet hémis-
phénqne irès régulî^
rement creusé. I^ois
la cupule est mêlée i
d autres gravures, maïs
habituellement elle E- j
gure seule Très rare- ;
ment isolée elle est gé- |
néralcment groupée en i
plus ou moins granil
nombre II arrive même
qu elle couvre des sll^
faces entières. Les
groupements sont, d»
moins dans nos régions,
très variables et sans
ordre apparent (fig. 46)-
Les cupules se ren-
contrent un peu pa''
tout sur des rochers
en place ou sur des blocs isolés qui ont été désignés toat
d'abord sous le nom de pierres a bassins Ce nom ayant été
appliqué non seulement aux pierres possédant de véritables
cupules creusées intentionnellement parl'homme, mais encore
à beaucoup d'autres qui ont des creux naturels plus ou moins
grands et très irréguliers, il a été remplacé par celui depiems
à écaelles. En effet les cupules sont généralement de petiUs
dimension s ; au lieu d'être des bassins elles ont tout au plus
les proportions de petites écuelles. Mais ce ne sont Pas des
écuelles, puisqu'il y en a de creusées sur des parois ve^
ticales et même sous la face inférieure de certains blocs.
Fio. U. — Seul;.!
d'une ifrotte aÉpul
yalléB du Peut Mo n
ÉCRITURES DE FRANCE I75 '
de pierres à capalea est donc le plus rationnel,
le époque remontent les cupules ? Elles sont fort an-
uisqu'onlesren-
Sjà dans les dol-
i dolmen de Ké-
Locmariaquer ,
;ous de sa table
ivremenl tout
d'un très grand
de cupules, qui
térieures à la
tion du monu-
lisque ces cupu-
endent jusque
. parties qui re-
ur les supports,
peut y avoir des
bien plus ré-
représentent les
F Nous ne le sa-
s. Servent^elles
numériques ou
il-elles des ma-
3ns religieuses et
ieuses 1 Nous
is. 11 y a donc là
isantes recher-
lîre.
'turcs sur>o-
— Les cupules
fois creusées sur
e de rochers en
en est de môme
'Ures qui, dans
nt été désignées
nom de sculp-
r rochers. On en a signalé un peu partout. Les
liées et les plus intéressantes pour nous sont celles
I de la Scandinavie. Elles ont la plus grande analogie
176 DÉDUCTIONS LINGUISTIQUES
avec les gravures de aos monuments mégalithiques ; aussi
Adrien de Mortillet s'en est-il largement servi dans la déter-
mination des figures des mégalithes.
En Gaule, nous n'en avons qu'un exemple à citer. Nous
disons en Gaule, parce qu'il est bien sur le territoire de
l'ancienne Gaule ; mais, quoique très proche de la frontière
actuelle de la France, département des Alpes-Maritimes, ileat
situé sur le territoire italien. Ce sont les gravures sur rochers
Fia. !,S. — Pierre à copules. Anncmasse (Haute-Savoie). École
il'anthrapologie, Don Reder. 1/10 gr.' nat.
du lac des Merveilles, dans une vallée latérale, à gauche,
entre Saint-Dalmazo et Tende. On trouve certaines parois
de rocher, mais surtout de larges surfaces de blocs détachés,
toutes recouvertes de ligures fort grossières formées par une
accumulation de petits creux résultant de percussions fré-
quemment répétées. Parmi ces figures.groupéessansordreet
exécutées sans aucune observation des proportions, on a cru
reconnaître des tfites de bœufs (fig. 4?). de cerfs, de béliers,
des bonshommes {fig. 48), des haches, des pics, des paniers,
des poignards ou pointes de lances, etc. On a supposé que
c'étaient des inscriptions parlantes.
11 s'agissait de déterminer l'âge de ces gravures.
Les uns, voyant dans les poignards el les pointes de laDces
ÉCRITURES DE FRANCE
177
mples pointes de flèches en silex, ont fait remonter l'en-
fle des sculptures à l'Age de la
'e polie ou néolithique,
autres, croyant reconnaître des
nards triangulaires en métal, at-
lent ces gravures à l'âge du bronze,
{ue morgienne.
nfîn il en est à imagination moins
qui, sachant qu'on a naguère cx-
lé non loin de là, à Valaurie, une
e de plomb argentifère, voient par-
les figures sur rocher des pics, des
iers et même des lampes, ce qui
unirait beaucoup ces sculptures,
es bonshommes sont nombreux,
nus le sont bien pi
V
Fin. 47. — Gravure aur
rorhcrreprésenlsiilune
li^le ilu IJiEuC, Lac des
HervGillcH(Piémontj.
1/3 gr. not.
s les tèles d'animaux
s encore. Il y a peut-être dos cerfs et des
béliers; quant aux bœufs ou
vaches, ils abondent. Or, pen-
dant deux ou trois mois de l'an-
née, des bergers conduisent et
surveillent des troupeaux dans
cette vallée triste ot déserle, si
triste qu'on l'appelle la Vallée
de l'Enfer. Qu'y a-t-il d'élon-
nant que ces malheureux ber-
gers, ne sachant que faire, aient
employé leurs loisirs à graver les
objets qu'ils avaient sous les
yeux? Ces objets étaient les bes-
tiaux qui lesentouraicnl,les ou-
vriers mineurs et ce qui se rap-
portait à l'exploitation de la mine.
Mais les poignards et les pointes
■ de flèche? Ce sont les couteaux et
' les pointes des bAlons demon-
''^- tagnc. Les représentations sont si
mal exécutées, qu'elles laissent
champ des plus libres à l'interprétation. J'ai moi-même, en
■Séant la carte géologique de la Savoie, pris des bergers sur le
t. Étant allé de Moutiers dans la vallée de Dellcville, parvenu
G. KB HOBTILLET. 13
178 DÉDUCTIONS LINGUISTIQUES
au-dessus des forêts, dans la région des pâturages, je rencoo.
trai un amas de dalles ou grandes plaques de schiste ardoi^
sier. Je me mis à examiner ces dalles et à les retourner pour
voir si je ne trouverais pas quelques empreintes végétales ou
quelques débris d'ammonites et de bélemnites. Quel ne fol
pas mon étonnement de rencontrer, au lieu des fossiles que je
cherchais, des dessins au trait du naturalisme le plus ero-
tique ! Un pâtre, quelque peu artiste, avait charmé ses loi^rs
en utilisant ces ardoises. La même chose a dû arriver au lac
des Merveilles, seulement, au lieu de se servir d'ardoises, on
a utilisé les faces polies de serpentines tendres, et Ton s'est servi
d'une pierre aiguë pour les graver. Si les sujets gravés étaient
aussi anciens qu'on a tout d'abord voulu le supposer, ils
seraient bien plus effacés, les actions atmosphériques étant
très actives à cette altitude, au-dessus de la limite des forêts,
à plus de 2,000 mètres.
Récapitulation. — Récapitulant ce qui concerne les écri-
tures de France, nous aurons :
1^ Écriture figurative.
Partie des signes gravés dans les monuments mégalithiques.
Représentation de divers objets rappelant des faits historiques.
Ces signes remontent au moins au passage de l'âge de la
pierre à celui du bronze, transition entre le préhistorique et le
protohistorique.
2° Écriture symbolique. Autre partie des gravures mégali-
thiques. Figures emblématiques auxquelles on a donné un
sens conventionnel.
Les godets des pierres à cupules rentrent probablement
dans cette catégorie, à moins que la cupule ne soit un
simple chiffre d'énumération indiquant des nombres par sa
répétition.
3° Écriture alphabétique.
a, — Écriture sémitique, phénicienne ou plutôt carthagi-
noise^ qui s'est montrée dans l'inscription de Marseille, et
sporadiquement, dans le sud de la France, sur des monnaies
celtibériennes.
On connaît aussi en France des inscriptions hébraïques
mais elles sont relativement récentes.
b. — Écritures indo-européennes ou aryennes.
Grecque, Inscriptions et monnaies depuis le développement
ÉTYMOLOGIES I79
I de Marseille jusqu'après la conquête de César, surtout dans le
;• midi de la France. Est montée jusqu'au nord pour ce qui con-
': cerne les monnaies.
f" Italique antique. Inscription celtique des environs de No-
vare.
Latine, Avait déjà pénétré en Gaule avant César ; s'est gé-
néralisée rapidement après lui, faisant délaisser et oublier
récriture grecque.
Gothique, S'est introduite en France au moyen âge. N'a
jamais prévalu, bien qu'ayant été soutenue par le clergé. Les
instituteurs cléricaux, connus sous le nom d'Ignorantins ou
Frères de la doctrine chrétienne, en [faisaient encore usage
dans la première moitié du xix*^ siècle.
CHAPITRE IV
ÉTYMOLOGIES
Difficultés des étymologies. — Dans son excellent traité
la Linguistique^ Abel Hovelacque (i) n'hésite pas à proclamer
que l'étymologie, telle qu'elle est pratiquée le plus souvent,
n'est qu'une jonglerie, une sorte de jeu d'esprit, une divina-
tion. L'étymologiste faisant abstraction de toute expérience,
néglige les difficultés et se contente d'apparences spécieuses.
Si vous dites que Doire, rivière, et Loire, fleuve, sont loin
d'avoir la même étymologie, l'étymologiste en général haus-
sera les épaules sans daigner vous répondre.
Mais, si vous ajoutez que Doire et Foron sont une seule et
même chose, qu'ils découlent Tun de l'autre, et forment par
conséquent un seul et même mot, l'étymologiste jettera les
hauts cris. Et pourtant il aura tort dans les deux cas.
Nous allons le démontrer.
Loire est le nom moderne du grand fleuve français qui,
(1) Abel Hovelacque, La Linguistique, 4' édit., 1887, p. 16.
l8o DÉDUCTIONS LINGUISTIQUES
prenant sa source dans les Cévennes, se jette dans rOcéan au
sud de la Bretagne. Il était appelé Aei-pop par les auteurs grecs
et Liger par les auteurs romains. Son nom actuel vient de son
ancienne dénomination, qui a subi diverses modifications.
Doire est la traduction française, toute moderne, du nom
de deux rivières du Piémont appelées Dora : la Dora-Riparia,
qui coule dans la vallée de Suse, prenant sa source un peu
au delà du débouché du tunnel dit du Mont-Cenis, et laDora-
Baltea, prenant sa source au pied du Petit-Saint-Bernard et
coulant dans la vallée d'Aoste et d'Ivrée. Toutes les deux se
jettent dans le Pô, en aval de Turin.
Loire et Doire, malgré leur consonance actuelle, sont deux
mots qui, en remontant dans le temps, au lieu de se rappro-
cher, s'éloignent l'un de l'autre ; ils ne sauraient donc avoir la
môme étymologic. Cette conclusion acquerra encore plus
de force en examinant la seconde question.
Dans la Haute-Savoie, plusieurs torrents portent le nom de
Foron. Il y a entre autres, dans l'arrondissement de Bonne-
ville, le Foron qui prend sa source dans la petite vallée de
Bogève et va se jeter dans la Menoge, au-dessous de Fillinges,
et le Foron qui passe à Taninges et que l'on remonte pour
aller en Chablais par les Gets.
Dans le département de la Savoie, F se change en D et les
rivières torrentielles au lieu d'être des Foron sont desDo-
ron. Ainsi dans l'arrondissement d'Albertville, la rivière qui
traverse la vallée de Beaufort et va prendre sa source au delà
de La Gitte, du côté du Bonhomme, est un Doron. Il en est
de même de la rivière qui, partant de Moutiers, remonte la
vallée de Bozel et de Pralognan, et sert, en partie, de dégage-
ment aux eaux provenant des glaciers de la Valnoise. On la
nomme Doron, Duron ou Thuron. L'émissaire des eaux des
mêmes glaciers du côté de l'arrondissement de Saint-Jean-
de-Maurienne, est aussi un Doron.
Dans l'arrondissement de Bonneville (Haute-Savoie), on
trouve également un Doran tout près de Sallanches.
Et près de Chambéry, entre Saint-Alban et Saint-Jean-
d'Arvey, on va admirer les belles cascades de la Doria.
En traversant les Alpes, sur le versant piémontais, coninic
nous venons de le dire, on rencontre les deux Dora, que nous
avons nommées Doire en français.
ÉTYMOLOGIES l8l
Les mois Foron, Doron, Doran, Doria, Dora et Doire sont
)pliqués à des cours d'eau torrentiels dans le môme massif
5s Alpes compris entre la Haute-Savoie, la Savoie et les val-
es piémontaises d'Ivrée et de Suse. On suit pas à pas la
ansformation du mot, conservant toujours la même accep-
3n. On peut donc dire sans hésitation, malgré la différence
îs extrêmes, que Foron et Doire ont la môme étymolo-
e. Mais combien y a-t-il d'étymologistes qui se donnent la
îine de faire un travail analogue à celui que nous venons de
•ésenter? Et, même après ce travail, nous n'oserions pas,
)mme certaines personnes l'ont fait, affirmer que Duero
X Douro, rivière d'Espagne, a la môme étymologie que Dora,
DUS rappelant que Potamos grec et Potomac américain,
ien qu'ayant les plus grands rapports et le même sens,
euve, n'ont certainement pas la même origine.
Rapprochements exagérés. — A plus forte raison n'irions-
ous pas, avec de Gobineau, chercher dans le mot sanskrit
hamara l'origine des mots Cimmériens, Cambric ou pays
3 Galles, Camaret (Finistère), Cambrai (Flandre), Camarès
^veyron), Camarine (ItaHe). Le mot Khamara, ajoute de
obineau, qui signifie vaillant, noble, dépouillé de son aspira-
3n, se réduit à Amhra d'où on redescend à Ambrones, Umbri,
mbres, tribus celtes qui ont occupé l'Italie supérieure avant
s Romains.
Dans un travail plein de recherches et d'érudition, intitulé
^éhistoriens et contemporains, étude palet hnologique au point
' vue du peuple Ligure^ Francesco Molon appuie ses conclu-
ons sur des comparaisons de mots. Comme démonstration
'«grandes relations que les Ibères avaient avec les Ligures, il
pproche (i) cinquante noms géographiques d'Espagne sans
napter les variantes, avec autant de noms de la haute Ita-
S pour montrer combien peu ces noms diffèrent entre eux
land ils ne sont pas semblables, ce qui arrive une huitaine de
's; puis il conclut (2) : « Une affinité si forte et si grande,
islant malgré un laps de temps aussi long entre les deux
ninsules Italique et Ibérique, prpuve non seulement quels
ni les degrés de parenté qui existent entre les Ibères et
Francesco Molon, Preislorici e coniemporanei, siudi paleinologici,
^lazion^r al popolo Ligure^ 1880, p. 16.
^) Idem, ibid,, p. 17.
l82 DÉDUCTIONS LINGUISTIQUES
les Ligures, mais elle entraîne implicitement la démonstration
que les divers tribus et peuples qui se développent à partir
des Alpes et des Pyrénées ont une seule et commune prove-
nance et appartiennent à une même et seule famille. »
Dérivés de Galli. — Ce rapprochement de noms à conso-
nances à peu près semblables est fort dangereux. On peut
en juger par quelques exemples. En ce qui concerne les Gau-
lois ou Galates, nous pouvons rapprocher, en allant de l'ouest
à l'est :
Galloway ou Galway, bourg et comté d'Irlande.
Galles, pays d'Angleterre, à l'ouest.
Gallice ou Galice, province qui occupe Tangle nord-ouest
de l'Espagne entre la mer et la frontière nord du Portugal.
Gallego, rivière d'Espagne, province d'Huesca, frontière de
France.
Galliate, ville d'Italie, Piémont.
Gallarate, ville d'Italie, Lombardie.
Gallipoli, ville d'Italie, province de Lecce.
Galatone, bourg de la. môme province.
Galicie, division administrative de l'Autriche.
Galatz, ville de la Moldavie.
Galitsch ou Galitz, ville et territoire russe sur le Dnieper.
Galata, faubourg de Constantinople.
Gallipoli, ville et presqu'île de Turquie, sur les Dardanelles
Gallo, promontoire de Grèce.
Galatie, province de l'Asie Mineure.
Gallus, rivière de Phrygie, également dans l'Asie Mineure.
Galilée, région de la Palestine.
Comme le G se change facilement en W, il faut ajouter
à cette liste divers mots commençant par cette lettre. Tels
sont :
Wales, nom donné par les Anglais au pays de Galles.
Cornwall, comté d'Angleterre.
Wallons, partie de la population belge.
Valaques, au nord du Danube inférieur.
La plupart de ces noms se rapportent aux Gaulois ou Gdr
lates, qui ont été très mobiles et très envahisseurs, comme nous
l'ont appris les documents historiques, mais bien certaine-
ment dans le nombre il en est qui n'ont avec l'ensemble qu'une
consonance fortuite. Je n'en citerai pour exemple que 1*
ÉTYMOLOGIES l83
Galilée, -dont les relations ayec les Gaulois ne sont nullement
établies.
Le nom de Gallice ou Galice, province du nord-ouest de
TEspagne semble tout naturellement rappeler le mot Galli ou
Ga//ici, Gaulois. Il paraît qu'il n'en est rien. Gallice provien-
drait de Callaici^ KoXXaïxoi (Kallaikoi), population indiquée par
Strabon. Cet exemple montre combien il faut être circonspect
en fait d'étymologie.
En outre, dans les énumérations du genre de celle que je
viens de produire, on ne tient généralement aucun compte des
daies. Dans les noms qui précèdent, il est plus que probable
qu'il en est d'assez récents, qui ne se relient en rien aux (iau-
lois anciens, quand ce ne serait que le faubourg de Constan-
tinople, Galata.
Après la décoaiverte de l'Amérique et de l'Australie, les Espa-
gnols ont fondé un royaume de la Nouvelle-Galice au Mexique
et les Anglais les provinces de la Nouvelle-Galles du Nord en
Amérique et de la Nouvelle-Galles du Sud en Australie. Si ces
^^its venaient à être oubliés, ferait -on rentrer ces trois régions
<lans celles occupées ou parcourues par les anciens Gaulois ?
Pour montrer le danger du rapprochement des mots de
'ûême consonance, à la liste que nous venons de donner il
®iiffit d'ajouter les quelques noms suivants :
Gallas, peuple d'Afrique, au sud de l'Abyssinie.
Gallinas, fleuve d'Afrique qui se jette dans l'océan Atlan-
tique.
Gallatin, rivière et comté des États-Unis.
Gallo, île de l'Amérique du Sud.
Gallegos, fleuve de la Patagonie. Ce nom est d'autant plus
^Urieux qu'à Lisbonne on appelle Gallegos les montagnards
S^lliciens.
Si à cela nous ajoutons les Galles, en latin Galliis et en grec
^«XXdç, prêtres de Cybèle installés en Phrygie et pratiquant
^^s rites provenant, paraît-il, de Phénicie, nous aurons de quoi
^^ire la joie des étymologistes ; mais, d'autre part, nous aurons
**>tiTni aux personnes sérieuses la meilleure preuve qu'en fait
^'étymologie il faut être extrêmement circonspect.
Ce n'est pourtant pas une raison pour repousser d'une
Manière absolue le groupement des mots ayant une même
Consonance et surtout étant parfaitement semblables. En
l84 DÉDUCTIONS LINGUISTIQUES
tenant compte des données chronologiques et des faits rap-
portés par les auteurs, on peut en tirer d'intéressants rensei-
gnements.
Boiens et Vénôtes. — Les Boïens, Boii des Latins et Bom
des Grecs, nous en fournissent un exemple. C'est le nom d'une
population celtique ou gauloise des plus remuantes, dont on
peut suivre en partie les mouvements et les migrations parla
distribution de leur nom :
Boiates, population près de Bordeaux.
Boii, entre Bordeaux et Dax.
Boïens, qui, d'après Pline (IV, 82), habitaient la Lyonnais'
près des Carnutes et des Senones.
Boii, qui, arrivés avec les Helvètes du temps de César, ^
fixèrent chez les Éduens dans le Sancerrois, rive gauche de 1
Loire, d'après le Dictionnaire de la Gaule, article Boii,
Boii, autrefois dans les plaines du Pô d'après Strabon (V,
§ 6), près du Tessin d'après Pline (III, 21). Il raconté (l
20) que, suivant Caton, cent douze tribus de ce peuple ori
péri dans l'Emilie.
Boianum, ville des Samnites, d'après Strabon (V, 4, § 1*
actuellement Bojano, Italie.
Boii d'Italie, rejelés par les Romains en Istrie, région de
côte de l'Adriatique où est actuellement Trieste, d'après Str
bon (V, 1, § 6). Le même auteur dit que les Daces ont auè
repoussé de leur côté les Boïens entre les Alpes et l'Istt
(VII,_5,§2).
Boiorum Solitudo, déserts des Boïens, région du graï
Danube, limitrophe des Noriens, d'après Strabon (VII, 1, §
et Pline (III, 27).
Bohême, pays dont, d'après Tacite (42), le nom vient d
Boïens et fut conservé, bien que les Marcomans les aient e
puisés.
Boii, limitrophes des Rhétiens et des Vindéliciens d'apr
Strabon (IV, 6, § 8). Plus bas que les Helvètes de la Gernn
nie, d'après Tacite (28).
Boii, mêlés aux Thraces, Turquie d'Europe, d'après Sli
bon (VII, 3, § 2).
Boium, montagnes de la Grèce, d'après Strabon (Vfc
frag. 6).
Boïon, ville de la Doride, d'après Pline (IV, i3).
ÉTYMOLOGIES l85
•
Tolistobogii ou Tolistoboii, d'après Strabon (XII, 5, § i),
opulation de la Phrygie, Asie Mineure, avec les Tectosages
t autres Celtes.
Prenons une autre population celtique ou gauloise, les Vé-
èles, Veneti ou Venedi des Latins, 'Evetoi ou OOeWoi des Grecs :
Veneti, population gauloise, que Strabon indique comme
dge évidemment par erreur, puisqu'il la place au bord de
Océan près des Ossimii (IV, 4^ § qui occupaient le dépar-
ement du Finistère ; Pline (IV, 82) place avec raison les
'^énètes dans la Lyonnaise, vaste province de son temps. Ils
•ccupaient le pays de Vannes, Morbihan.
Veneti, Italie du Nord, entre le Pô et l'Istrie, d'après Stra-
^^^ (V, 1, § 9), la Vénétie actuelle. Nommés Hénètes par les
irecs. Ce pays, sous le nom de Venetia, était devenu la X^ ré-
;ion de l'Italie (Pline, III, 22 et 28). Pline (III, 28, et IV, 82)
lous apprend que les Vénètes d'Italie étaient voisins des Céno-
nans qui habitaient du côté de Crémone et de Mantoue,
omme les Vénètes de Gaule se trouvaient peu éloignés des
'énomans qui avaient pour capitale Le Mans.
Venedi, les Vénèdes, voisins des Vandales, au nord-ouest de
i Germanie, sur la Basse- Vistule. Tacite les croit issus de
'ennains et de Sarmates. Ptolémée les indique comme tout
fait Sarmates. Il les place sur les bords du golfe Véné-
ique, partie sud-est de la Baltique, golfe actuel de Dantzig.
Henetes ou Veneti, peuple de la Paphlagonie, Asie Mineure,
Lirles rives de la mer Noire. Homère les cite déjà (Strabon,
', i,§4. — Pline, VI, 2).
La plupart des auteurs, Caton, Cornélius Nepos, Strabon,
'line, etc., se demandent si les Vénètes d'Italie proviennent
6s Vénètes de Gaule ou des Vénètes d'Asie Mineure. Ils ne
orient pas de la filiation des Vénètes de la Germanie. Ce qu'il
^ de curieux et de bon à relever, c'est que ces quatre peuples
^bitaient tous les quatre les bords de la mer, l'océan Atlan-
ÏUe, l'Adriatique, la Baltique et la mer Noire.
F^our tous ou presque tous les autres peuples des Gaules,
^ pourrait ainsi faire un groupement plus ou moins long de
^lïis analogues ayant la môme consonance. Cela ne nous
'^aitpas d'une grande utihté, ne voulant pas faire l'histoire
'taillée de chacune de ces populations.
Ces exemples suffisent pour bien établir qu'avec une critique
l86 DÉDUCTIONS LINGUISTIQUES
sévère on peut arriver à tirer d'utiles déductions de ces grou-
pements de mots analogues, mais qu'il faut être très prudent
dans ce genre d'exercice, sans quoi on s'exposerait à commellre
de graves erreurs. Ces rapprochements sont surtout bons pour
tirer des déductions générales. C'est ainsi que la longueur
des listes de mots qui peuvent ise rapprocher des dénomina-
tions de Celtes, Gaulois, Galates et des noms des populations
du groupe vient complètement confirmer ce que les auteurs
nous ont appris sur la mobilité de ces populations, la facilité
de leurs migrations et la fréquence de leurs envahissements.
Valeur des théories ethnologiques. — Bien insuffisantes
sont l'étymologie et même la linguistique sous le rapport
ethnologique. On peut facilement s'en convaincre en jetant un
simple coup d'œil sur ce qu'elles ont produit.
L'unité et l'égalité françaises, réalisées par la Révolution de
1789, se préparaient de longue main. Tout devenait un sujet
de propagande et de combat. Les arts, la littérature, les
sciences et surtout l'histoire étaient invoqués sciemment et
inconsciemment à tour de rôle par les divers partis. La no-
blesse, sentant son influence disparaître, cherchait à se rehaus-
ser ethnologiquement. Il ne suffisait plus d'avoir des ancêtres
remontant aux croisades. On voulut d'un seul coup vieillir
tous les parchemins et leur donner ce qu'alors on appelait une
base solide. On fit descendre directement l'aristocratie des
Francks,et l'on représenta les nobles comme les conquérants,
les maîtres. Cette théorie eut un moment de succès.
Naturellement elle donna naissance à une théorie inverse,
théorie qui s'est surtout développée dans le xviii® siècle.
L'aristocratie, dit-on, descend des Francks. La bourgeoisie ou
tiers état a une origine bien plus ancienne ! Elle remonte aux
Celtes. Et alors on attribua aux Celtes, qu'on ne connaissait
pas, le plus haut mérite, les plus grandes qualités. Leur
langue, que l'on connaissait encore moins, devint la langue
primitive. Rien n'était trop grand ni trop beau pour illustrer
les Celtes, d'après les cellomancs.
Cette action et cette réaction prouvent combien il est dan-
gereux de mêler les questions politiques et sociales aux ques-
tions purement scientifiques. Dans Tordre logique, la science,
sans parti pris, sans se laisser entraîner par aucune influence,
doit tout d'abord résoudre impartialement les questions qui
ÉTYMOLOGIBS 187
uvent ensuite, la solution acquise, être sérieusement utili-
es au profit de la politique et des problèmes sociaux.
Lorsqu'au commencement de notre siècle la linguistique
t devenue une véritable science, basée sur l'observation, on
hâta de vouloir la généraliser, et l'on chercha surtout à
ppliquer à l'ethnologie et à l'histoire.
Les celtomanes prétendirent que les Celtes, dont le nom
iprès eux voulait dire hommes des forêts^ furent les premiers
yens ou aborigènes de l'Asie qui du voisinage de l'Inde se
rigèrent du côté de l'Europe. Les premières données scien-
iques de la linguistique avaient déjà profondément modifié
' idées. Le Celte n'était plus la langue primitive, il devenait
première langue indo-européenne émigrée d'Asie, c'est-à-
'e la langue la plus modifiée et la plus altérée de toute la
nille.
Vous ne relaterons pas toutes les opinions émises, d'après
linguistique, sur les migrations aryennes ou indo-euro-
înnes. Il nous suffira de résumer celle qui a eu le plus de
entissement, d'autant que c'est celle qui se rapporte le
is directement à notre sujet, puisqu'elle est empruntée à
istoire des Gaulois d'Amédce Thierry. Cet ouvrage, publié
is la Restauration, eut le plus grand succès. Succès bien
rite par les recherches sérieuses de l'auteur, par son style
f et animé et par la mise en action des idées nouvelles que
levait la linguistique. Adoptant la théorie aryenne, Amé-
Thierry fait non seulement arriver les Indo-Européens de
'ient en Occident, mais il admet deux migrations. Le pre-
V ban était composé de Gaëls ou Celtes proprement dits,
c une constitution aristocratico-monarchique, le second ban
Kymris, à constitution patriarcale hiérarchique. Ces deux
es, la gaélique et la kymrique, fixées d'abord en Gaule, se
andent de là au loin en rayonnant. Elles vont occuper les
Britanniques, elles versent sur l'Espagne, se rendent en
rie par le Danube, passent en Italie pour constituer les
brês et la Gaule cisalpine, envahissent la Grèce, enfin fon-
it en Asie Mineure la Galatie. Les Kymris se sont surtout
tés vers les îles Britanniques, les Gaëls dans les autres
îctions. Tous ces mouvements sont décrits avec soin et
jnt. C'est fort intéressant... Seulement on peut se deman-
si c'est fort exact ?
l88 DÉDUCTIONS LINGUISTIQUES
L'échafaudage est appuyé, pour ce qui concerne la sccoil ^
migration, celle des Kymris, sur une étymologie des plus i"i
quées. Kymri est un mot breton que l'on a cherché à ratt ^
cher au mot Cimmerii par le mot Kumbris, et on a rapproc ii
le tout des Cimmériens de Crimée et des Cimbres.
Est-on bien sûr qu'il y ait eu des relations entre les Cixxi
mériens et les Cimbres ?
Première question.
Seconde question, plus grave encore. Le mot Kymri, (qui
donne son nom au second ban, à la seconde migration, est
une expression qui, dans la Grande-Bretagne, désigne les
peuples associés pour résister aux invasions des Saxons. Il
n'apparaît qu'à dater du xii^ siècle.
Que devient dès lors le beau récit des temps aryens ? Quelle
confiance accorder à ces migrations indo-européennes?
On voit que les données de la linguistique, et encore moins
celles de l'étymologie, ne peuvent nous servir à résoudre le
problème de l'origine de nos races françaises. Ces données
peuvent tout au plus sanctionner et confirmer les conclusions
tirées de l'observation directe des faits préhistoriques et des
débris humains.
C'est donc de ce côté que nous devons porter nos investi-
gations.
TROISIÈME PARTIE
DONNÉES PALETHNOLOGIQUES
CHAPITRE PREMIER
CLASSIFICATION
Préhistorique et protohistorique. — Si la linguistique, comme
ence naturelle, est toute nouvelle, bien plus nouvelle cn-
*e est la palethnologie. Après avoir sassé et ressassé les do-
nents historiques si peu clairs et si peu nombreux qui con-
nent la France avant notre ère, quelques esprits chercheurs
irdents, avides de s'éclairer, ont poussé leurs études au delà
l'histoire. Ils se sont fait ce raisonnement bien simple :
Vi l'homme a existé avant les textes historiques, il a dû
jser des traces de son existence. Il s'agit de recueillir ces
ces avec critique, de les étudier avec un esprit indépen-
it et d'en tirer le plus grand parti possible.
Toute la Palethnologie est là !
-.es renseignements fournis par des observations portant
' des objets qui ont précédé tous les documents histo-
ues, sont naturellement des renseignements préhistoriques,
ssi la science nouvelle a-t-elie pris d'un commun accord
lom de Préhistoire ou tout simplement de Préhistorique.
Tétait très bien quand on avait d'un côté des données
lées uniquement sur des documents historiques et de
itre des données ne touchant en rien à ces documents.
is entre deux se sont présentés en grand nombre des docu-
igO DONNEES PALETHNOLOGIQUES
ments intermédiaires tenant plus ou moins à l'histoire et à
préhistoire. Broca a proposé de grouper tous ces docume^»
sous le nom de Protohistoire. La coupure était bonne et ut^^
Elle fut généralement adoptée.
Cette coupure, excellente au point de vue du détail, av^^
rinconvénient de donner deux noms à la science nouvel 7(
que Ton nomma alors Paléoethnologie, soît ethnolog7(
ancienne. Seulement, pour abréger le nom, on admit la fotrne
italienne Palethnologie.
Ages de la pierre, du bronze et du fsr. — Ce sont les
peuples du Nord, les Scandinaves, qui les premiers ont com-
pris Tutilité et l'importance de la palethnologie. Les docu-
ments historiques du Danemark, de la Suède et de la Nor-
vège ne remontent guère qu'à un millier d'années ; pour
connaître leur vie nationale plus ancienne, les archéologues
de ces pays ont recueilli avec le plus grand soin tous les
débris archéologiques qui se produisaient et en ont constitué
d'importants musées. Thomsen, de i833 à i836, publia sa
célèbre division des temps préhistoriques du Nord en trois
âges. Le classement du riche musée de Copenhague lui avait
fait reconnaître que la matière première servant de base à
l'industrie palethnologique a changé trois fois.
Tout d'abord, l'homme, ne connaissant pas les métaux,
s'est servi simplement de la pierre, surtout du silex, pour
confectionner la plupart de ses armes et de ses instruments
usuels. C'est ce qui constitue la première division, la plus
ancienne, désignée sous le nom d'âge de la pierre.
Le bronze est le premier métal qui se montre dans le Nord
Scandinave et dans toute l'Europe. Ce fait est d'autant plus
remarquable que le bronze n'est pas un métal simple ni un
alliage naturel de cuivre et d'étain. C'est un produit de l'in-
dustrie humaine. Pourtant, le fait est certain, c'est bien le
bronze qui, dans le Nord comme dans le reste de l'Europe,
est venu, le premier des métaux, remplacer la pierre pour les
besoins usuels. Aussi Thomsen a-t-il appliqué le nom de cet
alliage à sa seconde division, l'âge du bronze.
Le fer, actuellement si répandu et d'un emploi si général,
n'a été connu en Europe que beaucoup plus tard. Son appa-
rition et sa substitution au bronze ont donné naissance à la
troisième division, l'âge du fer.
CLASSIFICATION I9I
^ette classification, si ndte et si précise pour ce qui con-
ne la Scandinavie et surtout le Danemark, a été pleinement
ifirmée pour le centre de l'Europe, par les découvertes faites
Suisse et jusque sur nos frontières, dans les Habitations
ustres ou palafittes, si bien étudiées par Ferdinand Keller.
^ourtant quelques auteurs, rares il est vrai, ont nié Texis-
ce de Tâge du bronze en France, malgré la présence des
afittes des lacs de Genève, d'Annecy et surtout du Bourget.
démonstration de l'existence de cet âge en France a été
Uamment faite par la publication du magnifique ouvrage
Imest Chantre, sur l'âge du bronze en France et en Suisse,
stence que j'ai confirmée moi-môme par mes recherches
' les haches de bronze.
Paléolithique. — Les savants Scandinaves et suisses n'ont
>rdé que la partie relativement récente de la palethnolo-
. Beaucoup plus audacieux, les chercheurs français ont
orté l'homme aux temps géologiques,
în 1828, Tournai, conservateur du musée de Narbonne, si-
da dans la grotte de Bise (Aude) de nombreux instruments
niains associés à des débris de renne également abondants,
îln i844î Aymard annonça la découverte d'os humains dans
3 coulée boueuse de l'ancien volcan de Denise, près du
y (Haute-Loire),
în 1847 parut la première publication de Boucher de Perthes
les silex taillés des alluvions quaternaires des environs
bbeville (Somme).
Cn 1861, Edouard Lartet, si bon, si sympathique, publiait
note sur la grotte d'Aurignac (Haute-Garonne).
^e ne fut qu'en 1859, et, il faut l'avouer, grâce à Tinterven-
1 de savants anglais, que les découvertes de Boucher de
'thés ont été définitivement reconnues,
ûnsi il a fallu plus de trente ans, le concours de quatre
ants différents, la publication de faits complètement dis-
ais et indépendants, distribués sur quatre points fort divers
la France, enfin l'intervention de savants étrangers, pour
3 nous admettions l'antiquité de l'homme. Cette aatiquité,
bien établie maintenant, était censée porter atteinte à la
gion. Il n'en a pas fallu davantage pour maintenir en échec
longues années une donnée philosophique et naturelle des
s importantes. Cela doit nous mettre en garde contre
\
192 DONNEES PALETHNOLOGIQUES
rinfluence de la foi dans l'enseignement. Si nous voulons
marcher librement dans la voie des progrès en sciences, il
faut complètement affranchir celles-ci de la foi !
Non seulement Thomme est quaternaire, mais il est même
le type caractéristique de cette division géologique. Dire^
homme quaternaire est donc ne rien dire. Mais on peut diviser
le quaternaire en deux parties : le quaternaire ancien qui ren-
tre plus directement dans les temps géologiques et le quater-
naire récent ou actuel. L'âge de la pierre se développe encore
largement dans le quaternaire actuel et occupe tout le qua-
ternaire ancien. C'est là que l'on peut introduire une excellente
coupe, proposée par les Anglais. L'âge de la pierre apparte-
nant aux temps actuels est désigné sous le nom de Néolithique
(nouvelle pierre), et la pierre du quaternaire ancien est qualifiée
de Paléolithique (pierre ancienne). Ce nom de paléolithique
est des plus utiles pour désigner les temps qui présentent
des modifications plus ou moins importantes d'orographie et de
climatologie et par suite des modifications de flore et de
faune.
Tableau de classification. — La palethnologie a pris une
extension si vigoureuse et si rapide, que bientôt les divisions
précédentes se sont trouvées trop étroites et insuffisantes.
Pour grouper méthodiquement les observations qui se pro-
duisent de toutes parts, il faut agrandir les cadres et multi-
plier les divisions. Déjà, en 1869, après avoir classé l'Expo-
sition universelle de 1867 et le musée de Saint-Germain, j'ai été
forcé de subdiviser le paléolithique en quatre époques. C'est
le début de ma classification. Depuis, tous mes soins et tous
mes efforts ont tendu à maintenir cette classification au
niveau des découvertes qui allaient toujours en se multipliant.
C'est ce qui fait qu'elle a pris un développement nécessaire
et successif. Une bonne classification — ce qu'on appelle
une classification naturelle — est le groupement rationnel
des objets, des faits et des observations, rapprochant tout ce
qui a des caractères communs, éloignant tout ce qui a des
caractères différents et spéciaux. Les groupes doivent être,
pour la facilité de l'étude, toujours tenus au courant des
progrès de la science. C'est surtout dans les coupes de détail
que les modifications doivent se faire sentir. Une bonne clas-
sification doit être comme un tableau synoptique faisant res-
i
CLASSIFICATION
•tir immédiatement les rapports et les différences. C'est ce
e j'ai cherché à réaliser.
TEMPS
o
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o
u
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AGES
<Ui Fer.
«lu Bronze.
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O
«A
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u
eu
(le la
Pierre.
PERIODES
Mérovingienne.
Romaine.
Galatienne.
EPOQUES
Tsiganicnnc.
Néolithique.
Paléolithique.
Éolithique.
Wabenienne.
( Wuben, Pas-de-Calais.)
Chnmpdolienne.
[Champdolenl, Seine-el-Oise.)
Lugdunienne.
{Lyon, Rhône.)
Beuvravsienne.
[Monl-Iieuvraij , Xièvre.)
Marnienne.
{Déparlemenl de la Marne.)
Ilallstatlienne.
{Ilallstatt, haute Autriche.)
Larnaudienne.
{Larnaud, Jura.)
Morgienne.
[Marges, canton de Vaud, Suisse.)
Robenliausienne.
{liobenhausen, Zurich.)
Campignyenne.
{Campigny , Seine-Inférieure.)
Tardenoisienne
{Fère-en- Tardenois, Aisne.)
Tourassienne.
{La Tourasse, Haute-Garonne.)
Ancien Hiatus.
Magdalénienne.
(La Madeleine, Dordogne.)
Solutréenne.
{Solutré, Saône-et-Loire.)
Moustérienne.
(Le Moustier, Dordogne.)
Acheuléenne.
{Saint- Acheul, Somme.)
Chelléenne.
{Chelles, Seine-et-Marne.)
Puycournienne.
{Puy-Courny, Cantal.)
Thenaysienne.
( Thenay, Loir-et-Cher.)
G. DE MORTILLET
\^
194 DONNÉES PALETHNOLOGIQUES
CHAPITRE II
PALÉONTOLOGIE
Origine de la vie. — Après avoir mis en ordre tous les
documents recueillis, tirons les conclusions qui découlenl na-
turellement de ce groupement rationnel.
La première question qui doit nous préoccuper est celle de
Torigine de l'homme.
D'où provient-il ?
Quand et comment a-t-il apparu?
L'origine et le développement de l'homme se lient intime-
ment à l'origine et au développement de la vie sur notre globe
Mais, dans l'état actuel des sciences, pouvons-nous remonter ^
l'origine de la vie ? Et môme la vie a-t-elle une origine? NoU^
voyons ce que nous appelons la vie descendre peu à peu '^
quelque chose de si simple, de si primitif, de si embryonnaire^
que nous ne pouvons pas préciser d'une manière certaine o^^
commence ce qu'on nomme la vie organique. Et, à l'origir^^
supposée de cette vie, qui se bifurque immédiatement en v^ ^
végétale et vie animale, nous ne savons pas dans laquelle d^^-
deux branches classer les premières manifestations.
Pouvons-nous même dire que ce sont là les premières m^*'
nifestations de la vie ?
Le minéral, qui naît, qui s'assimile des éléments qu'il v'^
parfois môme chercher assez loin, qui grossit, qui prend un^
forme régulière, forme subissant l'influence des milieux, qu^
se multiplie et finit parla décomposition ou mort, ne vit-il pas
comme l'animal et la plante, seulement à un degré inférieur i^
Cette idée de la vie beaucoup plus largement répandue
qu'on ne l'admet généralement a quelque chose de si naturel,
de si entraînant et de si séduisant, qu'un anthropologue des
plus distingués, de Ouatrcfages, homme tout à la fois de science
et d'imagination, non content de créer le règne humain —
simple lambeau du règne animal — a aussi proposé la
création du règne sidéral, tout disposé à accorder une vie
propre aux astres.
PALÉONTOLOGIE IQB
Mais ce n'est pas ici le lieu de discuter ces graves et impor^
intes considérations. Il nous suffira d'étudier la vie végétale
b animale pour arriver à celle de Thomme.
IDéveloppement des plantes. — La géologie, grâce aux
OTiches des terrains divers qui forment la croûte terrestre,
lous fournit un livre dans les feuillets duquel on peut facile-
aent lire Thistoire du développement des plantes et des ani-
ïiaux qui ont successivement occupé la surface de la terre.
Tout à fait à la base, les couches les plus anciennes nous mon-
trent des débris variés d'objets organiques d'apparence con-
fuse et peu caractérisée, par conséquent d'une classification
difficile. Quand on examine les fossiles organiques les plus
anciens, tout comme lorsqu'on étudie les éléments organiques
actuels les plus simples,' on en est réduit à se demander :
Sommes-nous en présence d'un végétal ou d'un animal?
Puis les formes se dessinent et s'accentuent. On peut alors
reconnaître très nettement les ordres, les familles, les genres
et les espèces végétales aussi bien qu'animales.
En feuilletant l'herbier des plantes fossiles, on reconnaît
^^ô leur développement s'est opéré dans l'ordre suivant :
lertiaire Maximum des Phanérogames angiospermes.
Crétacé Plianérogames angiospermes mono et dico.
tylcdones.
r)ecr\^A ' j Infracrétacé.
Liasien f Maximum des Phanérogames gymnospermes.
Trias.
Carbonifère j Phanérogames gymnospermes.
t Maximum des Cryptogames vasculaires.
Dévonien \ Cryptogames vasculaires supérieurs. Fou-
/ gères.
Primaire . < Silurien \ ^'^^®" • • Cryptogames vasculaires inférieurs.
\ ' \ Base . . . Crytogames non vasculaires. Fucus.
l Sommet . Fossiles indécis, végétaux ou animaux ?
Cambrien j Base. . . Cryptogames non vasculaires, traces de
f Fucus.
Les végétaux se divisent en deux grands groupes. Les
cryptogames ou végétaux inférieurs et les phanérogames ou
végétaux supérieurs. Eh bien ! les cryptogames ont apparu
bien longtemps avant les phanérogames. Et dans les cryp-
togames ce sont les plus inférieurs qui ont apparu les
premiers, les fucus, cryptogames composés simplement de cel-
lules. Les cryptogames vasculaires, c'est-à-dire pourvus de
196 DONNÉES PALETHNOLOGIQUES
vaisseaux, ne se sont montrés que plus tard, et encore ont-ils
débuté par les groupes ou familles inférieures. Les crypto-
games vasculaires supérieurs, les fougères, sont les derniers
venus.
Les plantes phanérogames ou végétaux supérieurs n'ont
apparu qu'à la fin des terrains primaires, lorsque de nom-
breuses et luxuriantes végétations de plantes inférieures
s'étaient plusieurs fois développées à la surface de la terre et
avaient déjà accumulé la presque totalité des puissantes
assises d'anthracite et de houille.
Comme pour les cryptogames, l'apparition des phanéro-
games s'est faite du simple au composé. Les phanérogames
se divisent en deux groupes : les gymnospermes et les angio-
spermes. Les gymnospermes, qui contiennent les conifères,
les cycadées, etc., sont comme les intermédiaires entre les
cryptogames et les phanérogames. En tout cas, ils représen-
tent les phanérogames inférieurs. Eh bien ! les gymnospermes
ont paru les premiers et, associés aux cryptogames, ont
régné presque seuls pendant toutes les formations secon-
daires. Ce n'est que vers la fin de ces terrains, dans les assises
crétacées, que se sont montrées les plantes angiospermes.
Les fleurs variées et aux brillantes couleurs ne sont venues
orner et égayer la surface de la terre qu'à partir de ces
assises.
La paléontologie végétale démontre donc de la manière 1^
plus nette, la plus précise, la plus incontestable révolution de^
plantes. Nous voyons tout d'abord apparaître les formes le^
plus simples, des groupements de cellules, puis se montreu*'
les cryptogames vasculaires qui se développent progressive-'
ment et dont la famille la plus supérieure, les fougères»
arrive la dernière. Viennent ensuite les phanérogames le^
plus simples, les gymnospermes, qui, après un long dé\^^
loppement, se mêlent enfin aux angiospermes. Chaque groupe
à son tour apparaît, prend son maximun de développement
et puis subit une décroissance. L'évolution, le développe^
ment progressif sont donc établis de la manière la plu^
certaine par les plantes.
Développement des animaux. — Le développement zoo-
logique, dans les temps géologiques, s'est opéré exacte^
ment comme le développement botanique, ainsi que le montre?
PALÉONTOLOGIE
197
eau ci-joint. La seule différence que l'on puisse consla-
est que le développement animal paraît avoir été plus
j que le végétal. S'il semble moins apparent, cela tient
aent à ce que les types étant plus variés, plus com-
;, les modifications paraissent un peu plus accumulées,
ie est plus enchevêtrée, mais elle est aussi régulière.
laire Homme.
Pliocène.
Miocène .
e .
Sommet.
Base . .
Eocène . . \ ^'»^«"- '
Base . .
Anthropopithèque d'Otta et Puy-Courny.
Anthropopithèque de Thenay.
Singes.
Cebochœrus (cochon-singe).
Mammifères placentaires ou supérieurs.
Oiseaux sans dents.
jire
./
Crétacé
Infracrétacé.
! Oiseaux à dents, Archœopterix.
Reptiles supérieurs, Chéloniens.
Poissons osseux.
i Mammifères inférieurs didelphes, dévelop-
pement.
Insectes supérieurs, Coléoptères, Hymé-
noptères.
Trias. .... Sommet. Mammifères didelphes, apparition.
' Reptiles à vertèbres cartilagineuses ou
Carbonifère sub-cartilagineuses.
) Crustacés supérieurs, Décapodes.
( Mollusques terrestres.
l Poissons ganoïdes cartilagineux.
Dévonien < Insectes myriapodes et pseudo-névrop-
f tères.
Sommet . Insectes, Scorpionides.
Silurien. . { Milieu. . Poissons rudimentaires, Placodermes.
Base. . . Mollusques supérieurs. Céphalopodes.
Crustacés inférieurs, Trilobites.
Mollusques inférieurs, Acéphales.
J2 . Brachyopodes, Lingules.
/ tjommet . ' Echinodermes inférieurs, Crinoïdes et
\ I Proto-Oursins.
Cambrien. ^ ' Protozoaires,. Spongiaires.
[ Base . . . Annélides.
îrtébrés. — Les animaux tout comme les végétaux se
nt en deux groupes bien distincts : les invertébrés,
ux inférieurs, et les vertébrés, animaux supérieurs,
it les invertébrés les plus simples qui apparaissent les
îrs. Leurs manifestations initiales sont si élémentaires,
se demande si elles appartiennent à des plantes ou à des
ux. Elles consistent en sillages laissés par des êtres
u moins mous sur de la vase molle. Ces sillages res-
198
DONNEES PALETHNOLOGIQUES
semblent au balayage produit par les fucus, les plus élémen-
taires (les plantes, ou aux traces de certaines méduses, ani-
maux composés uniquement d'une abondante quantité d'eau
emprisonnée dans une fort petite quantité de matière animale
gélatineuse.
A côté de ces traînées ou sillonnages, on remarque des
couches percées de trous ressemblant à ceux que font cer-
tains vers.
Enfin on relève quelques rares formes plus caractérisées.
Telles sont les Oldhamia antiqua, fines sail-
lies faisant faisceau de distance en distance
(fig. 49). Ces traces si indécises, si primitives,
occupent les assises de la base du Cambrien.
Vers le sommet de ces terrains, la faune
est beaucoup plus nette, plus riche et plus
variée, bien que ne contenant que des inver-
tébrés. Elle se compose de protozoaires ou
spongiaires, d'échinodermes inférieurs, cn-
noïdes et proto-oursins, de brachyopodes de
la famille des lingules, de mollusques infé-
rieurs ou acéphales, et de trilobites ou crus-
tacés inférieurs. Cette faune a été décou-
verte par Barrande, le savant et pieux insti-
tuteur du Comte de Chambord (Henri V). Il
lui a donné le nom de Faune première. Ce
nom posé et donné comme fait acquis, l'au-
teur déduit de la variété des types et surtout de la position
de certains d'entre eux relativement élevés dans la série des
Olres que cette faune première réduit à néant la théorie du
développement progressif.
Erreur.
D'abord la faune première de Barrande n'est pas du tout la
première faune, comme nous venons de l'établir. Il y a des
animaux plus anciens et plus inférieurs à la base du Cam-
brien.
Ensuite cette faune est exclusivement composée d'inverté-
brés. Il y a plus encore : dans chaque groupe elle débute par
les familles les plus simples et les plus élémentaires.
Il est du reste tout naturel que le Cambrien ait à son som-
met une faune bien plus complexe qu'à sa base. La puissance
Fig. 49. — Oîdha-
mi a anliqua ,
FoRBEs. Cam-
brien inférieur
(l'Irlande.
PALÉONTOLOGIE I99
5 dépôts de celte époque démontre que sa durée a été fort
igue. Ces dépôts atteignent 2.000 mètres dans le Brabant et
t Ardennes, 3.5oo mètres en Amérique, Territoire de TOuesl,
kx) à 6.000 mètres en Chine, enfin 8 à 10.000 mètres dans
i îles Britanniques.
Pour donner une idée du temps que représente une pâ-
lie puissance de couches, il suffit de rappeler que dans le
ssin de la Seine, à Paris, l'ensemble des terrains secon-
ires et tertiaires, pendant lesquels il s'est opéré les chan-
ments les plus considérables, n'a que i.5oo mètres de
lissance.
Les invertébrés régnent en maîtres dans le Cambrien. Ce
3st qu'au milieu du Silurien que les vétébrés tout à fait
imitifs font leur apparition.
L'ensemble des invertébrés se distingue par sa rapide ap-
irilion et par ses évolutions plus rapides encore.
Les invertébrés articulés, crustacés et insectes, ont été plus
nts. Si parmi les crustacés les types inférieurs, les trilobites,
sont montrés de bonne heure au sommet du Cambrien, les
pes supérieurs, les décapodes, n'ont apparu que dans le
irbonifère.
L'apparition des insectes et leur évolution sont plus récentes
icore. Un scorpionide a été signalé au sommet du Silurien,
est le premier animal terrestre. Le Dévonien a donné des
yriapodes et des pseudo-né vroptères, insectes à métamor-
ioses incomplètes. Pour trouver les insectes parfaits, les
Jéoptères et les hyménoptères, il faut remonter jusqu'au
asien.
Vertébrés. — La sériation et l'évolution des invertébrés est
rfaitement établie, mais celle des vertébrés est encore plus
tte. Les vertébrés se divisent en quatre groupes, qui sont,
allant des plus simples aux plus composés : les poissons,
1 reptiles, les oiseaux et les mammifères.
Les poissons, formant le groupe tout à fait inférieur, appa-
ssent les premiers. Ils se montrent dès le Silurien moyen,
y en a une quarantaine d'espèces connues sur un total d'en-
•on 10.000 espèces de poissons divers. Ces premiers verté-
§s sont aussi peu vertébrés que possible. Ce sont des pois-
as de la famille des placoïdes ou placodermes à vertèbres
rtilagineuses, dont le corps pour être soutenu a besoin
200 DONNEES PALETHNOLOGIQUES
d'être entoure de plaques extérieures. On n'a pas à s'étonner
du niveau géologique inférieur auquel se montrent ces essais
de vertébrés. A la prodigieuse puissance du Cambrien, que .
nous avons fait connaître, il faut ajouter la moitié de celle du
Silurien qui, comme total, est de i.5oo mètres en Belgique et
de 5 à 6.000 en Angleterre. Les poissons ganoïdes cartilagi-
neux, recouverts d'écaillés régulières formant cuirasse, se dé-
veloppent dans le Dévonien. Pour trouver les poissons osseux,
il faut remonter jusqu'à l'Oolithique.
Les reptiles apparaissent avec le Carbonifère et s'y dévelop-
pent rapidement. Leurs vertèbres, comme pour les poissons,
sont d'abord cartilagineuses, puis sub-osseuses. i\ussi, (?ran(l
nombre de reptiles primitifs ne sont connus que par l'em-
preinte de leurs pas. Albert Gaudry a étudié d'une manière
remarquable l'ossification partielle et progressive des ver-
tèbres chez les reptiles permiens, surtout dans le genre
Stereorachis des schistes d'Autun. Comme les poissons, cer-
tains reptiles nageurs anciens ont les vertèbres biconcaves.
Tels sont : YEosaurus du Carboniférien, Ylchthiosaurus et le
Plesiosaurus du Liasien.
Parmi les empreintes de pas de reptiles du Trias américain,
on a remarqué des empreintes de pieds à trois doigts, pieds
de reptiles qui se tenaient debout. Les labyrinthodontes
bipèdes ont été constatés dans le Connecticut. L'infracrétace
de Belgique a aussi donné des Iguanodon longs de lo à
12 mètres, munis de pieds à trois doigts. Dans l'Oolithese
sont développés les Plevodaclylus^ reptiles volants. Du Carbo-
niférien au sommet des coupes secondaires, les reptiles ont
pris un immense développement et paraissent avoir servi de
laboratoire d'essai pour la formation des vertébrés supé-
rieurs.
Les reptiles supérieurs. Tes chéloniens, ne se sont montrés
qu'avec r(3oHthique.
Les reptiles à pieds garnis de trois doigts et les reptiks
volants sont certainement les précurseurs, comme date d'ap-
parition, des oiseaux. Etaient-ce des essais ? On pourrait
l'affirmer en voyant le premier véritable oiseau connu : YAr-
chœoplerix de l'Oolithique {Y\^. 5o). Si les bras ou pattes de
devant sont de vraies ailes garnies de plumes, la mâchoire est
une mûchoire de reptile garnie de dents, et la queue formée
PALÉONTOLOGIE 201
S vertèbres comme une queue de replile porte un véritable
èveloppement de grandes plumes de queue d'oiseau. Les
'iseaûx sans dents n apparaissent qu avec le Crétacé, Cepen-
/L^M^I'^t^
dant nos oiseaux actuels se relient à leurs prédécesseurs de
l'Oolithique par des rudiments de dentition qu'ils ont con-
servés sans grand profil direct.
Restent les mammifères. Le plus ancien qu'on a signalé est
attribué au Trias américain. Mais, comme le synchronisme
de ce Trias avec le nrttre est mal déterminé ou tout au moins
laisse certains doutes, il pourrait bien n'iîlre que basien. En
ïffel, on a rencontré des mammifères dans le Liasien de l'an-
202 DONNEES PALETHNOLOGIQUES
cien continent. Mais c'est surtout dans TOolilhique, formations
d'eau douce de Purbeck, en Angleterre, qu'on arenconirédes
mammifères fossiles. On en cite quatorze espèces de ce gise-
ment. Tous ces mammifères secondaires sont des didelphes depe-
tite taille. Ils ont surtout des caractères d'insectivores, pourtant
quelques-uns se rapprochent des rongeurs et des carnassiers.
L'apparition des mammifères est assez ancienne ; on peut
la rapporter ù la base du Liasien et peut-être au sommet du
Trias. Les nouveaux venus appartenant tous aux mammifères
les plus inférieurs, les didelphes, se sont peu développés
comme taille et comme nombre jusqu'à la fin du secondaire,
pour prendre un essor prodigieux dès le début du tertiaire. Les
didelphes ont continué à être nombreux, mais les placen
taires ou mammifères supérieurs se sont montrés et ont bien
tôt surpassé en nombre, en grandeur et en espèces lesmam
mifères inférieurs. Les progrès ont été nombreux et on
abouti à Thomme, caractéristique du quaternaire et couron
nement actuel de la série animale.
Succession des faunes. — Cette remarquable évolution
progressive, qui aboutit actuellement à l'homme, s'est pro-
duite par une nombreuse succession de flores et de faunes
diverses. Elle est le résultat d'une immense accumulation
d'autres évolutions de moindre importance. Tout dans 1^
monde évolue. Non seulement l'individu, quel qu'il soit, naîti
se développe, prospère, vieillit et meurt, mais la réunion des
individus, (ju'ils forment des espèces, des genres ou des f^'
milles, subit des évolutions analogues. Le fait est nette
ment établi par la paléontologie. D'Orbigny qui, l'un d^^
premiers, a bien constaté cette évolution générale et qui 1 ^
mise en évidence par des tracés graphiques, établissait ving^t,^
huit changements complets de faune dans les temps géol<^"
giques. Les géologues actuels en admettent au moins ur^^
douzaine pour l'ensemble des êtres. Mais, comme les pluscoiï^'
plexes, les plus supérieurs, varient plus facilement et plt^*
rapidement, Albert Gaudry, dans son excellent ouvrage int^
tulé Enchaînement du monde animal^ établit quatorze faunes
spéciales de mammifères rien que dans le tertiaire.
Si tous les paléontologues sont et ont été d'accord sur ï '
succession des flores et des faunes, il n'en a pas été de mêtn^
pour ce qui regarde le mode de succession. D'Orbigny adm^^
TRANSFORMISME 203
bstitutions radicales et subites. L'observation n'a pas
cette nianière de voir. On a reconnu que les types
uccessivement, se maintenant plus ou moins long-
pparaissaient isolément et disparaissaient de même,
is et disparitions s'enchevôtrant les unes dans les
es lors, les flores et les faunes caractéristiques de
poque, au lieu d'être absolues, sont des flores et des
îlatives, se reliant avec les précédentes et les sui-
llles sont caractéristiques comme moyenne, ou elles
^uent par quelques espèces abondantes et de forme
chée. Toujours est-il que dans les deux cas, plus les
es faunes sont voisines, plus elles ont de rapports
îs, plus elles se ressemblent. Tandis que plus les
les faunes sont géologiqucment éloignées, plus elles
Cela tient à ce que les types paraissent se relier les
lutreset ne se modifient que successivement, les plus
nontrant des modifications plus grandes et plus pro-
ie ceux qui sont rapprochés davantage. Le fait est si
i net, qu'il a frappé tout le monde et s'est manifesté
ingage vulgaire de la manière la plus variée. Nous
)nstamment sans hésiter :
m
e des êtres ;
îne des êtres ;
lie des êtres.
ition et la sériation — non pas la sériation rectiligne,
1 la sériation avec très nombreuses bifurcations —
K. faits parfaitement établis, parfaitement démontrés.
t se sont-ils opérés ?
CHAPITRE III
TRANSFORMISME
onisme. — Deux hypothèses se présentent à l'es-
toutes les plantes et tous les animaux ont été créés
204 DONNÉES PALETHNOLOGIQUES
d'après un plan régulier, ou ils sont le produit de transforma-
tions successives. C'est ce qu'on appelle d'une part le créatio-
nisme, de Tautre le transformisme. 11 n'y a pas, il ne peut pas
y avoir d'autres hypothèses.
Le créationisme découle de cosmogonies qui admettent une
force toute-puissante en dehors de la nature. Cette force pro-
duit des êtres indépendants les uns des autres, qui appa-
raissent spontanément sans relation aucune avec les êtres
déjà existants.
Cette hypothèse d'une force toute puissante est un refuge
pour l'ignorance. Au lieu de simplifier l'étude de la nature,
elle surcharge cette étude d'une donnée inutile qui ne fait
qu'en gêner le développement, tout en engourdissant et para-
lysant les recherches.
Les cosmogonies en général, mais surtout celle de la Bible,
la seule qui a encore des adeptes parmi les nations les plus
avancées, admettent une création initiale. Les êtres ont été
créés au commencement. C'est tout. D'après la BibUy les
plantes un jour ; un autre jour les animaux qui nagent dans
l'eau et ceux qui volent dans l'air; enfin, un dernier jour, les
animaux qui stationnent sur la terre. La création s'arrête là.
En effet, lorsqu'il s'agit du déluge, cette cosmogonie fait
construire par Noé une arche de grandes dimensions pour
sauver toutes les espèces d'animaux terrestres et aériens. Une
création postdiluvienne eût été bien plus simple!...
Mais l'unité de création ne correspond pas du tout avec les
données paléontologiques. Les espèces, les genres, les familles
et même les classes et les ordres, tant en botanique qu'en
zoologie, apparaissent individuellement et successivement. U
faudrait donc admettre la création non pas par paquets et en
une seule fois, mais individuellement et pendant toute la
durée des temps géologiques. Or, si la création s'est prolongée
pendant un tel espace de temps, pourquoi se serait-elle arrêtée
de nos jours? Nous ne voyons plus de créations, et l'on n'a
jamais pu en constater d'une manière certaine.
Bien plus, ce sont les partisans du créationisme qui ont déca-
pité leur théorie. Qu'est-ce en effet qu'une création? C'est
l'apparition spontanée d'un être. Eh bien, ce sont les parti-
sans du créationisme qui ont échafaudé la grande réputation
de Pasteur, parce qu'il a prouvé que dans l'état actuel de la
TRANSFORMISME . 205
ïDLce, on ne peut pas constater la formation directe et inde-
xante d'un être.
ransformisme. — A la théorie du créalionisme, qui était
qu'alors article de foi, un illustre savant français — beau-
iptrop oublié — a opposé la théorie du transformisme,
li nous n'avons jamais pu constater d'une manière claire,
cise et certaine une création, il en est tout autrement des
isformations, qui se montrent partout autour de nous.
>es industries entières sont basées sur les données de la
isformation, telles sont entreautres l'horticulture et la zoo-
finie. Le jardinier transforme, on peut presque dire à son
, les plantes, les fleurs, les fruits. L'éleveur modifie suivant
désirs les animaux ; veut-il obtenir des animaux de bou-
rie, il développe les parties charnues, diminue les os et fait
me disparaître certains attributs, comme les cornes. L'in-
se à lieu quand il s'agit d'animaux de travail,
/homme ne peut pas créer, mais il peut transformer,et il en
t largement. La nature en use d'une manière bien plus pro-
de, bien plus persistante et bien plus considérable encore.
)e même que dans la nature on a reconnu deux forces qui
font équilibre, la force centripète et la force centrifuge, on
xi constater parmi les êtres organisés deux tendances
)osées, qui s'annulent plus ou moins. Ce sont d'une part le
intien des formes et de l'autre l'impulsion modificatrice,
d'autres termes, deux principes se balançant : celui de
ité et celui de variabilité.
Le maintien des formes est la tendance qui conserve les
)es. C'est la force qui fait que le produit d'un être lui res-
nble et subit le même mode de développement. C'est ce qui
tintient les types, les espèces, les genres et les familles,
lis cette similitude des types n'est jamais si parfaite qu'on ne
isse toujours reconnaître les individus. Il y a donc sans
Jse tendance à variations.
-a modification des formes s'opère de deux manières,
t par l'accumulation lente d'une série des petits caractères
Térentiels qui en tout et partout servent à distinguer les indi-
ualités, soit par des changements plus importants, excep-
tinels, qui parfois se produisent chez certains individus. Ces
3ingements sont souvent héréditaires, et, s'ils sont utiles et
orables au développement de l'être qui les subit, ils peu-
206 DONNÉES PALETHNOLOGIQUES
vent se maintenir et se transmettre de génération en généra-
tion, formant ainsi un nouveau type, une nouvelle espèce.
Comme exemple, pris chez l'homme même, il suffit de citer
la sexdigitation, qui se transmet très bien par hérédité. Si
l'homme à six doigts était plus avantageusement organisé qne
l'homme à cinq doigts, nous verrions la race sexdigitée se for-
mer, devenir régulière et peut-être même remplacer celle à
cinq doigts. En tout cas, l'exemple que nous venons de citer,
pris entre un grand nombre d'autres, prouve que de graves
modifications imprévues, portant sur des organes importants,
altérant sensiblement les formes, peuvent se produire et se
maintenir. Il y a donc deux modes de transformation :
1** La transformation lente, résultat de l'accumulation suc-
cessive d'une foule de petites modifications.
2° La transformation par soubresaut, produite par l'appa-
rition d'une modification de forme imprévue, de ce qu'on
pourrait appeler un accident pathologique ou mieux encore
biologique.
La paléontologie nous a montré les êtres échelonnés dans
les terrains suivant le plus ou moins de rapports qu'ils ont
entre eux. Les plantes et animaux d'assises voisines ont beau-
coup plus de rapports entre eux qu'avec ceux d'assises plus
éloignées en altitude. C'est tout à fait l'ordre qui doit exister
en admettant le transformisme.
D'ailleurs, nous pouvons prendre le transformisme sur le
fait.
Preuves du transformisme. — Les faunes isolées ou par-
quées soit par les mers, soit par des climats extrêmes, subis-
sent, comme les faunes à extension libre, des modifications
successives, mais ces modifications se font sur les caractères
spéciaux propres à la faune isolée. L'Australie, cette grande
île-continent, nous en fournit un exemple frappant. La faune
mammalogique australienne — fort pauvre du reste — est par-
ticulièrement caractérisée par les kangourous (fig.5i). Cesonl
des marsupiaux à aspect étrange, à tête petite, au devant du
corps étroit, au derrière fort développé, à queue longue et
forte, et surtout à membres postérieurs très allongés et exces-
sivement vigoureux, tandis que les membres antérieurs sont
courts et grêles. Eh bien î presque toute la faune actuelle se
compose de marsupiaux participant plus ou moins aux carac-
TRANSFORMISME
207
res énoncés, formant une même famille, se divisant en genres
en espièees divers. Cette prise de possession de l'Australie par
s kangourous date des temps géologiques, car les ossements
ssiles de cette grande !le appartiennent aussi à la famille de»
tngonroBS. On voit très bien que c'est un type particulier
lî a pris possession de l'ile, y a subi une longue évolution
- Kangourou gùsnt d'Australie.
l'occupe encore après de nombreuses transformations.
Un autre type tout particulier, très spécial, est celui des
tous (fig. 52). Ces tatous sont des mammifères recouverts de
aques solides. Il n'en existe que dans l'Amérique du Sud.
est là qu'ils ont subi une évolution spéciale. Ils forment une
mille qui comprend encore quatre genres divisés en diverses
pèces ; famille qui, dans les derniers temps géologiques,
;cupait la même région et avait un développement bien plus
>n^dérable que de nos jours, comme taille et comme varia-
is de forme (fig. 53), en conservant toujours le caractère
sentiel de la famille. On voit très bien que c'est la transfor
alion du même type.
'208
DONNEES PALETII NO LOGIQUES
Si de ces lypes isolés exirèmes nous passons aux types
plus communs et plus disséminés, nous serons conduit aux
mêmes conclusions. Les singes, par exemple, Tonnent ub
groupe composé d'individus ayant des apparences commuoes,
aussi sont-ils faciles à reconnaître. Pourtant ils se divisenlen
deux grandes familles : celle des catarrhiniens (fig. 54), qui ont
trente-deux dents comme l'homme et une queue relativement
courte quand elle ne fait pas défaut ; celle des platyrrhinieùs
(fig. 55), à trcnlc-six dents cl à queue longue, prenant«. Eh
bien ! ces deux familles séparées l'une de l'autre par la mer et
les climats froids du Nord, son! cantonnées, les catarrhiniens
dans l'ancien continent, Europe, Afrique et Asie, les platyr-
rhinieùs dans le nouveau continent, Amérique. Chacune de
CCS familles a subi de nombreuses modifications dans les temps
géologiques et actuels. Mais ces modifications fossiles ou
vivantes se sont opérées dans chacun de ces types sans porter
atteinte aux caractères essentiels, ce qui montre bien qu'elles
sont spéciales à chaque type, que chaque type a subi des
transformations propres.
Les êtres les plus aptes à éviter les dangers et les mieux
constitués pour résister aux causes de destruction, sont ceuï
qui se maintiennent le plus. Faisant souche, ils produisent
des descendants semblables à eux, ayant les mêmes qualités,
de sorte qu'au bout d'un certain temps, il se forme un typ*
plus résistant que les autres. C'est ce que l'on appelle la
TKAKRFOBMISSIE 20g
iéleclion. Ainsi dans le désert où loulcs les teintes sont grises,
es animaux gris sont moins dislingm'ts de leurs ennemis; ils
'Dtdonc plus de chance de vie. Tout ce qui n'est pas gris est
étruit rapidement, et le désert finit par n'être habité que par
es êtres revfitus de teintes grises.
Dans les hautes montagnes oii la neige persiste, les animaux
è couleur sont aperçus facilement par leurs ad\ ersaires , le&
lancs, moms vus, échappent aussi s y forme t il des races
Ibioes Telle est la perdrix blanche ou albme Mais, comme
été la neige est fondue, les animaux qui restent blancs sont
lacs un état d'infériorité, ils sont facilement détruits et dis-
Mraissent. La sécurité, et par conséquent la conservation est
icquise à l'animal qui est blanc l'hiver et plus ou moins brun
été. C'est exactement ce qui s'est produit pour l'albine.
•lême chose s'observe chez le lièvre des Alpes ou hévre va-
lable. 11 est ainsi nommé parce que l'hiver il est blanc et l'été
;risatre. Ces exemples si caractérisés de l'appropriation des
Ormes et des couleurs monlrenl que la sélection est une
onfirmation du transformisme.
Les cavernes et lieux souterrains obscurs viennent corro-
orer les observations faites au grand soleil du désert et aux
onimets neigeux des montagnes. Des êtres s'y introduisent, y
^meurent et s'y transforment. Le manque de lumière tend à
G. DE MOBTILLET. \\
210 DONNÉES PALETHNOLOCIQUES
modirier profondément leur couleur, qui pâlît et blanchit. Ce
manque de lumière a encore une action bien plus considérable.
La vue étant inutile, les espèces cavernicoles deviennent
aveugles et finissent même par perdre toute trace d'yeuï.
Ces transformations sont bel et bien établies par la présence
de toutes les modifications cavernicoles dans les catacombes,
les galeries d'exploitation, les travaux démine, dus à l'aclioD
humaine. Ce sont donc certainement des transformations
Fie. i!,. — Mugol d'Al^rlc, singe b coiirlc queue.
produites relativement en peu de temps. Nous pouvons les
observer et les suivre de nos jours. J'ai habité rue de Vau-
girard auprès d'un soupirail des catacombes de Paris; il y
avait là une race de souris à poil demi décoloré. Les galeries
souterraines du Creuzot, près d'Autun, dont les premiers tra-
vaux datent de 1780, ont déjà fourni des modifications, des
transformations concernant des coléoptères et des arachnides.
Les plus curieuses de ces transformations sont celles qui
s'observent sur les souris. Le miheu obscur aurait dû déco-
lorer le poil. Pas du tout, le poil est devenu plus noir. C'est
que l'influence du milieu a été combattue et dominée par la
lutte pour l'existence. Des souris blanches dans des galeries
obscures, toutes teintées de noir, seraient tropylsibleselrapi-
demenl détruites par les mineurs. Il n'y a que les individus
Hoirs et bruns qui, n'ayant pas été aperçus, se sont maintenus.
Dès lors, malgré l'influence du milieu, la sélection s'est pro-
duite dans les teintes noires. La vue n'a pas encore disparu
chez ces souris, mais les yeux, organes de la vue, ont diminué;
par contre, l'ouïe étant appelée à remplacer la vue, les oreilles
sesontdéveloppées. Telle est l'action d'une centaine d'années.
Un autre exemple bien frappant de transformation est four-
ni par Kerguélen. C'est une petite île perdue dans l'hémis-
phère sud. Ckimme toutes les îles fort isolées, celle-ci devait
être primitivement privée de faune sédentaire. C'est ainsi qu'au
moment de leur découverte. Madère et les Açores n'avaient
comme faune que des animaux volants. Pourtant on a trouvé
à Kerguélen des insectes dépourvus d'ailes. Cette île est
exposée à tous les vents, qui soufflent d'une manière presque
212 DONMŒS PALETHNOLOGIQUES
continue avec une extrême violence. Ces vents ont trans-
port édans l'île des papillons et des mouches qui y ont fait
souche. Mais ces pauvres insectes, contrariés continuellement
par les courants d'air violents, ne pouvant se servir de leurs
ailes qui étaient nuisibles au lieu d'être utiles, les ont pe^
dues.
Les recherches, toutes modernes, sur la faune des mers pro-
fondes finissent la démonstration. On a reconnu des séries
d'animaux qui s'étagent à différents niveaux. Quand il existe
de très grandes profondeurs, profondeurs empêchant la com-
munication des animaux habitant sur chaque rive, la faune
de chacune de ces rives diffère et se rattache de chaque côté
à la faune de la surface. On peut alors reconnaître que les
animaux des mers demi-profondes se relient à celle du rivage
voisin. Il y a là des séries de transformations qu'il est facile
de constater.
On pourrait multiplier les preuves :
Avec Fembryologiste, nous trouverions diverses formes de
mammifères inférieurs dans les phases successives de l'em-
bryon humain, sortes de témoins des stades de développe-
ment subis par l'homme.
Avec le biologiste, nous voyons souvent les formes an-
ciennes se reproduire accidentellement, c'est ce qu'on appelle
l'atavisme. Des chevaux prennent parfois les trois doigts des
hipparions, qui sont leur type ancestral.
Avec l'anatomisle, nous pourrions relever de nombreux
souvenirs d'un passé différent, souvenirs qui ne servent plus
à rien au type actuel. Ils peuvent même, parfois, être nui-
sibles, comme l'appendice vermiculaire du caecum au com-
mencement du gros intestin de Thomme, vieux reste prove-
nant des herbivores et des rongeurs.
Si maintenant nous comparons le transformisme avecle
créationisme, nous sommes forcés de reconnaître que le pre-
mier s'appuie sur une foule de considérations importantes;
les preuves débordent. Il en est tout différemment pour le
second. Le transformisme répond à tout, le créationisme à
rien !
Le transformisme répond même à la question d'amour-
propre humain, qui, bien que nullement scientifique, a été
souvent mise en avant. En effet, avec le créationisme,
PRÉCURSEUR DE l'hOMME ET PITHÉCANTHROPE 2l3
iomme est déchu. Avec le transformisme, il s'est perfec-
onné. C'est le cas de répéter le mot bien connu : J'aime
ieux être un singe perfectionné qu'un Adam dégénéré.
Ce mot, attribué à divers savants, est d'un de mes élèves de
142, Edouard Claparède, de Genève, trop tôt enlevé à la
ience.
CHAPITRE IV
PRÉCURSEUR DE l'HOMME ET PITHÉCANTHROPE
Homme tertiaire. — Le 19 août 1867, l'abbé Bourgeois,
ologue distingué, directeur du collège de Pontlevoy, annon-
it à une séance du Congrès international d'anthropologie et
irchéologie préhistoriques, alors réuni à Paris, qu'il avait
mvé des traces manifestes de l'homme tertiaire. Cette nou-
lle, provenant d'un savant estimé et d'un abbé, produisit
e vive sensation. Il s'agissait de silex craquelés parle feu et
entionnellement taillés (fig. 56 et 57). La première exhibition
ces silex, au Congrès de Paris, n'eut pas de succès. Wor-
le, de Copenhague, seul se déclara convaincu. Bourgeois
se découragea pas. Il produisit de nouveaux et meilleurs
lantillons au Congrès international de Bruxelles, en 1872.
r une Commission de quinze membres nommée à cet effet :
se déclara incompétent ;
ne reconnurent aucun travail intentionnel ;
en admit, mais avec réserve ;
en reconnurent d'incontestables.
.a polémique, à propos de la découverte Bourgeois, fut
gue et vive. Mais l'inventeur ayant eu l'excellente idée de
oser ses meilleurs échantillons au musée de Saint-Ger-
in, les silex intentionnellement taillés gagnèrent tout à la
de nombreux adhérents et le droit de fait acquis.
les silex proviennent de la formation dite des calcaires de
luce, qui font partie de l'Aquitanien. Ils ont été recueillis
[lenay, petite localité toute proche de Pontlevoy (Loir-et-
I
2l4 DONNÉES PAI.ETHNOLOGIQUCa
Cher). Le gisement appartient bien à rAquitanien, entre le
lertiaii-e inrérieur et le tcrlinire moyen. Les silex proviennent
FiG. 56. - Silex craqitclÉ. reUu^e
Thenay (Loir-el-Chcr). Mu56c de Saint-Germain Gr not
incontestablement des couches bien en place et non remanies
En 1871, Carlos Ribeiro, directeur des travaux c
de Portugal, signala â son tour des silex inlentionnellement
taillés, provenant du Icriiairc de la vallée du Tage. En 1878,
il en produisit quatre-vingt-cinq à l'Exposition universelle dt
PRKCUnSEUR DE l.'lIOMME ET PITIlÉCANTIinOPK fJl5
Paris. Sur ce nombre, assisté des palclhnoloRues les plus
"^ spéciaux, j'en ai reconnu vingt-deux indubitablement taillés.
Au Congrès international de Lisbonne, en i88i, une Com-
mission de dix membres, ayantexaminé une série de silex pré-
sentée par Ribeiro, reconnut que tons portaient des conchoïdes
Je percussion (fig. 58 et Sg). Plusieurs conservaient encore
■ dans des conchoïdes en creux des fragments de la roche, ce
m lui, comme je l'ai fait observer, leur donnait un certificat
■ d'origine. Enfin, fi l'excursion d'Olta, Giuseppo BcUucci, de
* Grouse, a découvert un silex tadié en place dans une couche.
Les silex taillés de la valWe du Tage,surtout à Olta, sont donc
^n fait acquis. Ils appartiennent aux assises intermédiaires
^nlre le sommet du tertiaire moyen et la base du tertiaire
Supérieur; assises caractérisées par la prcscncedc l'hipparion.
Enfin, en 1877, Rames, savant naturaliste français, a signalé
des silex taillés (lig. 60 et 61 ) dans un gisement à peu près de
la même époque que le prccédcnt, le Puy-Courny, près
d'Aurillac (Canlal).
Vers 1895, Nretling a signalé à Rurma (Inde) des silex taillés,
dans une formation miocène ou tertiaire moyen. Nous n'avons
pas de renseignements bien précis sur cette découverte.
R. D. Oldbam croit qu'il y a remaniement. N'importe, les
considérations exposées concernant les autres gisements mio-
cëoes s'appliquent aussi à celui-ci.
2lf> DONNÉES PALETHNOI.OGIQUES
Nous pouvons donc dire que des couches certainement
tertiaires ont fourni des silex intentionnellement taillés, c'est
ce qui a fait admettre Thomme tertiaire.
L'homme essentiellement quaternaire. -^ Mais Thomme
tertiaire a-t-il réellement existé ? Nous pouvons répondre net-
tement :
— Non ! pour deux raisons. L'une, majeure : les lois de la
paléontologie s'y opposent. L'autre, d'une importance bien
moindre, dépendant d'une question de nomenclature.
La paléontologie nous apprend que les êtres varient et
changent d'étage en étage. Ces changements sont d'autant
plus rapides que les ôtres sont plus complexes, cette com-
plexité favorisant les transformations.
En 1878, Albert Gaudry, au commencement du premier
volume de ses Enchaînements du monde animal^ donne le
tableau des faunes mammalogiques qui se sont succédé pen-
dant le tertiaire. Il en relève quinze. La faune des marnes de
Thenay, à silex brûlés et intentionnellement taillés, se rat-
tache au neuvième étage de Gaudry. Elle se place donc vers
la base de la moitié supérieure des assises tertiaires. Entre
elle et la faune quaternaire, il y a six, ou tout au moins cinq
faunes ditïcrentes. Une forme animale ne peut s'être main-
tenue pendant un si long espace de temps, d'autant que les
différences entre les deux faunes ne portent pas seulement sur
de légers caractères désignés sous le nom de spécifiques, mais
sur des caractères bien plus importants que les zoologistes
considèrent comme des caractères génériques. L'homme ne
pouvait donc pas absolument exister alors.
Les gisements à silex intentionnellement taillés d'Otlael
du Puy-Courny sont beaucoup plus récents. Tous les deux
à peu près du même âge, ils sont classés dans le Tortonien,
sommet du miocène ou tertiaire moyen. Depuis cet étage la
faune mammalogique a changé entièrement deux fois. L'homme
seul serait-il resté invariable, lui qui est à la tête des animaux
dont l'organisation est la plus complexe? Ce serait contraire
à toutes les lois de la paléontologie. Et il n'est pas possible
de réclamer pour l'homme une exception aux lois générales.
Il suffit de jeter un simple coup d'œil sur les populations
actuelles des diverses régions du globe pour reconnaître que
l'homme varie tout autant et même plus que les autres ani-
r _» /
PRECURSEUR DE L.HOMME ET PITHECANTHROPE 21 7
maux. L'homme n'existait donc pas et ne pouvait pas exister
pendant le Tortonien pas plus que pendant TAquitanien.
Définition du quaternaire. — Au point de vue zoolo-
gique, les terrains primaires sont caractérisés par le grand
développement des animaux inférieurs. Comme vertébrés, les
poissons et les reptiles seuls font leur apparition et encore
sous les formes les moins vertébrées possible.
Les terrains secondaires se distinguent par la grande exten-
sion et la puissance des reptiles. Les oiseaux et les marsupiaux
se montrent.
Les terrains tertiaires brillent parja multiplicité et la variété
des mammifères placentaires.
Les terrains quaternaires sont caractérisés par l'apparition
de l'homme, l'être le plus élevé de toute la série animale, le
dominateur de tous les autres animaux.
En résumé, le primaire est l'ère des invertébrés; le secon-
daire, des reptiles ; le tertiaire, des mammifères; le quater-
naire, de l'homme.
Au point de vue géologique, le choix de l'homme comme
caractéristique du quaternaire est tout aussi fondé qu'au point
de vue paléontologique. En effet, de l'apparition de l'homme
date l'apparition d'une force nouvelle, indépendante de toutes
les forces anciennes, qui modifie puissamment la nature, dé-
tournant des rivières, créant ou desséchant des lacs, réunis-
sant des mers, perçant des montagnes, etc. Le quaternaire
partant de l'apparition de l'homme a duré, dure et durera tant
que l'homme existera. Nous sommes en plein quaternaire.
Depuis i883, j'ai émis cette opinion dans le Préhistorique^
et depuis 1876, dans mes cours de l'Ecole d'anthropologie.
A la quatrième session du Congrès géologique international,
tenue à Londres en septembre 1888, la majorité s'est pro-
noncée pour le maintien du quaternaire caractérisé par la
présence de l'homme. Etaient de cet avis : Gaudry, de Lappa-
rent et Gosselet de France, John Evans et Prestwich d'An-
gleterre, Pilar de Croatie, etc. Aussi de Lapparent dans son
magistral Traité de géologie adopte-t-il cette opinion.
Le difficile est de déterminer d'une manière bien précise
où commence le point de départ. La contemporanéité de
l'homme et de VElephas antiquus est bien reconnue. Chelles le
prouve d'une manière indubitable. C'était la limite inférieure
21 8 DONNÉES PALETHNDLOGIQUES
du quaternaire. Mais, depuis deux ou trois ans, les publications
de Boule, Capitan et d'Ault du Mesnil montrent qu'il faut
reculer cette limite. Des instruments humains incontestables
ont été rencontrés avec des débris d'Elephas meridionalis^
espèce qui jusqu'à présent passait pour exclusivement ter-
tiaire. Cela ne change rien au principe. Le résultat est de
vieillir l'homme et d'agrandir son domaine.
Précurseur de rbomme. — De tout ce qui précède il reste
bien établi, d'une part, que l'homme n'existait pas au delà
du quaternaire ; d'autre part, que pendant le tertiaire un être
savait exécuter un travail humain rudimcntaire.
Nous sommes donc forcés d'admettre un précurseur de
l'homme.
C'est à la réunion de Lyon de l'Association française pour
l'avancement des sciences, en 1878 (1), que j'ai posé pour la
première fois la question du précurseur de l'homme. Mon
savant et regretté ami Abel Hovelacque vint appuyer ma pro-
position au nom de la linguistique (2). Nous établissions qu'il
a existé, pendant le tertiaire, un être intermédiaire entre
l'homme et les singes anthropoïdes actuels; plus avancé que
ces derniers, il n'avait pas encore atteint le développement
intellectuel de l'homme.
Il fallait baptiser cet être intermédiaire entre les singes an-
thropoïdes et l'homme. Dans la Revue d'Anthropologie de
Broca du i5 janvier 1879, je l'ai nommé Anthropopithèque,
homme-singe. Le nom est très exact comme qualificatif, mais
il paraît que, d'après les règles de priorité, je n'avais pas le
droit de l'employer, un auteur ayant déjà appelé anthropo-
pithèque l'orang-outang, singe anthropoïde vivant des plus
voisins de l'homme; preuve que le nom était exxîellent. Je
le conserve donc, mais au lieu de le composer de deux mots
grecs, je le forme de deux mots latins. L'Anthropopilhèque
devient l'Homosimien.
Les habitudes de l'homosimien a({uitanien ou précurseur
de l'homme deThenay étaient différentes de celles de l'homo-
simien tortonien ou précurseur de Thommed'Otta et du Puy-
(1) G. DE MoRTiLLET, Le Préciirsciir de V homme. Comptes rendus
de la session de Lyon, p. G07.
(2) Abel Hovelacque, La Linguistique ci le Précurseur de Vhomme,
ibid., p. 6i3.
PRÉCURSEUR DE l'iIOMME ET PITHÉCANTHROPE 219
lourny. Le premier, celui du tertiaire moyen inférieur, faisait
dater le silex par Faction de la chaleur et retouchait certains
iclats;le second, celui du tertiaire moyen supérieur, détachait
?ar percussion des éclats de pierre à bords tranchants. Pour
rendre hommage aux savants qui ont découvert les œuvres
de ces homosimiens, j'ai donné le nom d'Anthropopithecus ou
Homosimius Bourgeoisii à celui de TAquilanien et A'Anthro-
popiihecus ou Homosimius Riberoï à celui du Tortonien. Mais
ces deux précurseurs de Thomme étant séparés par trois
étages paléontologiques, non seulement ils ne peuvent pas
appartenir à la môme espèce, mais très probablement ils sont
séparés par des caractères génériques.
Ces deux précurseurs de l'homme ne sont connus et carac-
térisés que par leurs œuvres. La seule donnée anatomique
que nous pouvons déduire de ces œuvres, c'est que ces
3nthropopithèques ou homosimiens étaient d'une taille infé-
"'eure à celle de l'homme. Leurs instruments sont petits.
^Gux de VHomosimius Bourgeoisii moindres que ceux de
homosimius Riberoï,
Singes fossiles. — Les singes sont les animaux qui re-
^tit la série mammalogique inférieure à l'homme. Le fait
^t. si clair, si net, si frappant, que le grand classificateur
iriné, fils d'un ministre évangélique, dans son Syslema
^lurœ^ qui eut douze éditions en moins de trente ans, de
735 à 1766, n'hésita pas à ranger l'homme dans l'ordre des
*^îmates. Personne alors ne s'est révolté contre l'idée de
' homme servant de chef de file aux singes et surtout aux
anthropoïdes. Cette fausse pudeur était réservée à notre siècle,
justement quand la science vient démontrer que Linné avait
très fortement raison.
L'homme n'a pas pris naissance en Amérique, les singes
(le cette partie du monde, fossiles ou actuels, sont restés dans
un état d'infériorité qui les éloigne de l'homme. Pourtant les
frères Ameghino de La Plata prétendent qu'un singe des plus
anciens, puisqu'ils le placent vers la base de l'éocène ou
tertiaire inférieur de Patagonie, VAnihrophps perfecius ^
a la mâchoire inférieure à peine plus longue que large.
Les dents sont disposées en demi cercle. A côté de ces carac-
tères supérieurs, les Anthropops sont tout petits et ont
d'autres caractères inférieurs qui les relient auxdidelphesdes
220 DONNÉES PALETHNOLOGIQUES
premières faunes mammalogiques. C'est comme un essai, un
acheminement vers le type humain.
Revenons à Tancien continent, qui a conservé le monopole
des Anthropoïdes ou singes les plus voisins de Thomme. Nous
en connaissons quatre genres vivants, deux des parties les
plus chaudes de l'Afrique : les Gorilles et les Chimpanzés;
deux des régions tropicales de TAsie et des îles de la Sonde:
les Orangs-outangs et les Gibbons ou Hylobates. L'étude de
ces quatre genres d'anthropoïdes prouve qu'on est en pré-
sence de proches parents de l'homme mais non d'ancêtres. 11
y a entre ces anthropoïdes et l'homme, des différences trop
importantes, surtout au point de vue du développement
cérébral, pour que l'homme descende directement de l'un
d'eux. Il faut forcément chercher l'ancêtre de l'homme parmi
les singes fossiles.
En Europe, pendant le miocène, période à température
chaude, il y a eu un brillant épanouissement de singes supé-
rieurs. Ainsi, pendant le Mayencien ou Langhien, division
du miocène ou tertiaire moyen, nous trouvons en France et
dans les pays environnants trois singes de forte taille, très
avancés comme organisation , se rapportant aux anthro-
poïdes ou s'en rapprochant beaucoup. Ce sont VOreopi-
ihecus Bambolii^ le Pliopithecus antiquus et le Dryopithecus
Fontani, Malheureusement, les échantillons recueillis sont
encore loin de fournir des renseignements suffisants pour
savoir quel est de ces trois singes et des suivants ceux que
l'on peut rapporter au précurseur de l'homme. Je dis les
suivants parce que les autres assises du tertiaire ont aussi
fait connaître divers autres singes. Mais la température bais-
sant graduellement en se rapprochant du quaternaire, les
singes ont diminué progressivement en nombre et en déve-
loppement comme espèces. On peut pourtant déduire de ce
que nous savons que ce n'est probablement pas en Europe
qu'a apparu l'homme ni même son précurseur immédiat.
Pour le trouver, il faut aller dans les collines subhima-
layennes de Siwalik, qui ont donné le Palœopithecus, singe
se rapprochant du Chimpanzé, l'anthropoïde le plus supérieur
d'Afrique.
Et même, d'après une découverte importante qui vient
d'avoir lieu, il faut diriger nos recherches du côté de Java.
PRÉCURSEUR DE l'hOMME ET PITHÉCANTHROPE 221
Pithécanthrope. — En 1894, un médecin militaire hollan-
dais, Eugène Dubois, a publié, sous le nom de Pithecan-
thropus erectus^ un mémoire (1) sur quelques ossements
qu'il attribue à un intermédiaire entre les singes anthropoïdes
et rhomme.
Ces ossements consistent en :
Deux dents, seconde et troisième molaires ;
Un fémur complet ;
Une calotte crânienne.
Ils ont été trouvés à Trinil, sur le Bengawan, cours d'eau
de rtle de Java, dans une assise composée en majeure partie
de tufs volcaniques fossilifères. Les quatre débris n'étaient
pas réunis. Ils ont même été découverts à diverses époques,
mais tous cependant à peu près au même niveau.
Les ossements fossiles des couches de tuf volcanique de
Trinil ont des caractères tout particuliers. Ils ont pris des
teintes plus ou moins brun chocolat, et se sont fortement
imprégnés d'éléments pierreux, ce qui les rend très lourds.
Les quatre débris figurés et décrits par Eug. Dubois, pré-
sentent ces caractères. Ils proviennent donc bien tous les
quatre du gisement. Le fémur pèse deux fois plus qu'un
fémur humain frais de même volume.
Les quatre fragments appartiennent-ils à un seul et même
individu? Ce n'est pas prouvé, mais c'est probable. Il n'y a ni
double emploi, ni autre impossibilité. Ils proviennent d'un
espace peu étendu, on dit une quinzaine de mètres. Les couches
fossilifères se prolongent au loin dans la vallée ; des fouilles
faites autour du gisement et au loin n'ont rien donné se rap-
prochant des quatre débris décrits. Ces quatre débris appar-
tiennent donc à des individus de la même espèce et très pro-
bablement à un seul et même individu.
Quel est l'âge géologique du gisement? La profonde alté-
ration des os tend à montrer qu'ils ne sont pas récents et
qu^ils doivent faire partie du tertiaire plutôt que du quater-
naire. Cette appréciation est pleinement confirmée par l'exa-
men des autres ossements. Ils sont fort abondants et
paraissent appartenir à des espèces éteintes, bien que, comme
(1) Eug. Dubois, Pithecanihropus ereclus,eine menschenaehnllche Ueber-
gangs form aus Java^ Batavia, 1894.
â2â
DONNEES PALETHNÔLOGIQUES
genres, se rapprochant beaucoup de la faune actuelle de Java
et des régions voisines. Le gisement appartient donc au plio-
cène. Il a de forces affinités avec les dépôts des collines subhi-
malayennes de Siwalik dans l'Inde, dépôts dont Falconer
disait :
— En les fouillant, je croyais toujours voir apparaître
l'homme !
La découverte d'Eugène Dubois fit grand bruit. Le soin
avec lequel il Ta publiée, l'activité qu'il a déployée et l'heureuse
idée qu'il a eue de présenter les pièces originales dans tous
les grands centres de travail, l'ont fait étudier et discuter de
toute part. Mais les avis ont été on ne peut plus partagés. Us
se sont tout d'abord groupés par nationalités. Les Anglais,
compatriotes de Darwin, ont fait de grands efforts pour
démontrer qu'il ne s'agit que d'un homme, un homme très
inférieur, mais déjà un véritable homme. Les Allemands au
contraire se sont froidement ingéniés à prouver qu'il ne
s'agit que d'un singe. Les Français ont purement et simple-
ment adopté les déterminations du jeune savant hollandais.
C'était chose facile pour des compatriotes de Lamarck. Celait
chose d'autant plus naturelle que la division en parts à peu
près égales des opinions extrêmes est plus que suffisante pour
bien établir qu'on est en présence d'un être intermédiaire.
C'est en effet la conclusion qui découle forcément de l'étude
des pièces.
Dans un article publié en septembre 1896 (1), W. Dames a
fait le relevé de l'opinion de 21 auteurs de nations diverses
concernant les pièces provenant de Trinil. En voici le résumé:
u
n
•« ^9
u
tn U
;« S
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INDICATION
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DES PIÈCES
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2me molairo
>
4
5
8
2
6
S"*» molaire
Féinur
]3
6
6
8
1
C
Calotte crânienne
(1) w. Dames dans Dzulsche Rundschau^ sept. 1896, p. 368.
PRÉCURSEUR DE L^HOMME ET PITHÉCANTHROPE
223
■"^N,
i^
ï^-i
FiG. 62. — Face.
FiG. 63— Profil.
Molaire du Pi-
thécanthrope
de Java. Gr.
nat.
^ents : La troisième molaire (fig. 62 et 63), par ses propor-
s et récartement de ses racines, s'éloigne de son équiva-
lente chez l'homme sans pour cela res-
sembler aux dents analo-
gues des anthropoïdes.
La deuxième molaire dif-
fère aussi, mais moins
profondément.
Fémur: Le fémur (fig.
64) se rapproche beaucoup
du fémur humain, pour-
. ^ ^ tant Manouvrier en l'étu-
"^■"^ ^ diant avec le plus grand
soin, a reconnu et démon-
tré qu'il en diffère par
plusieurs caractères. On
est à première vue frappé
par sa gracilité, c'est-à-
dire son peu d'épaisseur
par rapport à sa longueur ; ce caractère
le sépare beaucoup des fémurs des grands
anthropoïdes, mais non de celui des Gib-
bons ou Hylobates. Ce fémur porte une
forte excroissance osseuse accidentelle.
Si c'est une forme de transition, non en-
core fixée, il n'est pas étonnant d'y trouver
une altération.
Calotte crânienne : Pièce la plus impor-
tante (fig. 65 et 66). A elle seule elle justifie
le nom de Pithécanthrope. Examinée avec
le plus grand soin et la plus complète
impartialité, il est impossible de dire :
— Elle représente un crâne humain.
On ne peut pas davantage dire :
- Elle appartient à un crâne d'anthropoïde,
lie est on ne peut plus intermédiaire entre celle du
le de l'homme le plus inférieur et celles des crânes de
anthropoïdes. Parmi ces derniers ce sont, sauf pour ce
concerne les dimensions, caractère de peu d'importance,
2rânes de Gibbons qui en diffèrent le moins. Les Gibbons
04. — Fémur du
hécanthrope de
ra. 1/4 gr. nat.
I
224 DONNÉES PALETHNO LOGIQUES
sont aussi, de tous lesanlhropoïdes, ccuxdonllamarcheest/s
plus verticale. Le Pithécanthrope est donc l'intermédiaire qui
relie les Gibbons ou Hylo-
bales avec l'Homme le plus
inférieur actuellement con-
nu, la race de Néanderthal,
Développement dn cer-
veau. — Comme l'hoinme
doit le développement de
son intelligence au déve-
loppement de son cerveau,
le développement du cer-
veau devient la meilleure
caractéristique de rhommc.
L'homme est le mammi-
fère dont le cerveau est le
plus développé.
Comme qualité, nous ne
pouvons rien dire du cer-
veau du Pithécanthrope,
mais comme quantité nous
pouvons l'apprécier assez
exactement, bien que la calotte crânienne de Trinil soit
assez endommagée. On a dmet assez généralement que
h-
cette capacité est de i.ooo centimètres cubes. Elle paraît
même un peu moindre. Dubois la fait descendre vers 900.
PRÉCURSEUR DE I
; ET PITHÉCANTHROPE
225
ceptons 1 .000, c'est eocore un chiffre bien iaférieur à celui
la moyenne des races humaines les plus primitives et les
>ins développées. Si parfois la capacité crânienne d'un
mme descend exceptionnellement à ce chiffre, c'est qu'on
tffaire à un homme dégénéré au moral et au physique. C'est
i cas pathologique comme organisation ou développement.
La différence entre la capacité crânienne normale de
lomme et celle des singes anthropoïdes étant fort considé-
ile, elle se présentait presque comme une difficulté, une
ijeetion à opposer au transformisme. La capacité crânienne
1 Pithécanthrope vient trancher la difficulté et annuler
>bjection. C'est une preuve de plus qu'il s'agit bien d'un
termédiaire.
Les jeunes anthropoïdes et les jeunes hommes ont le plus
■and rapport, La différence ne s'accentue que lorsqu'ils
mennent adultes. Le crâne des anthropoïdes s'ossifie plus
pidement que celui de l'homme, ce qui emprisonne et com-
G. DE MoRTILLEr. \^
226 DONNÉES PALETHNOLOGIQUES
prime le cerveau, et par conséquent l'empêche de se déve- |*^i
lopper. En outre, cette ossification s'opère chez les singes fr^
d'avant en arrière, ce qui fait que la partie antérieure du cer-
veau, la plus noble et la plus intellectuelle, est justement
celle qui a le plus à soufTrir de l'ossification prématurée.
Parmi les anthropoïdes, le Gorille produit plus qu'il ne faut
de matière osseuse pour former une belle boîte crânienne,
mais cette boîte se ferme trop tôt et la matière osseuse ne
trouvant plus son emploi pour former une élégante voûte
s'accumule à la surface en épaisseurs formant crêtes (fig.67).
C'est là incontestablement un acheminement au type humain.
La matière Crânienne est bien suffisante, seulement elle est
mal façonnée.
Chez les Gibbons ou Hylobates, l'afflux de calcaire crânien,
au Heu d'être surabondant, s'est réglé sur les besoins ; la boîte
crânienne a pu se développer régulièrement. Aussi remar-
quons-nous chez le Pithécanthrope des affinités avec lesi
Gibbons. La transformation se conçoit et s'explique d'autant.
mieux que les Gibbons, parmi tous les anthropoïdes, sont ceux
qui sont les plus aptes à la station verticale.il y a, il est!
vrai, des différences de taille et de dimensions des membres,
mais ces modifications sont de celles qui ont le moins d'im-
portance et de valeur. La surabondance de calcaire des bras, i
qui sont fort allongés, a pu se porter sur le crâne.
Reste à bien préciser l'âge du Pithécanthrope. A propos de
cet âge, plusieurs auteurs se sont servis du naot Pleistocène.
Le Pleistocène est une case à débarras où les Anglais
placent tout ce qui les gêne entre le pliocène ou tertiaire su-
périeur et le quaternaire. C'est une division mal définie, à
abandonner dans la nomenclature géologique actuelle. 11 est
bien plus clair de dire que le Pithécanthrope est nettement
Pliocène. C'est du reste la place qui convient au précurseur
de rhomme.
Nous voilà à même de bien déterminer l'origine de l'homme,
sa place dans le monde et son immense importance.
L'homme, produit de lentes transformations et d'innom-
brables modifications successives remontant à l'origine des
êtres, est un mammifère qui occupe le sommet de l'échelle
animale.
Son précurseur le plus immédiat connu est le Pithecan-
PALEOLITHIQUE 227
thropus erectus de Java, qui a de grandes affinités avec les
Gibbons, anthropoïdes du sud-est de l'Asie. L'homme est donc
très probablement originaire de ces régions.
La caractéristique principale de l'homme est un grand dé-
veloppement du cerveau et par suite de l'intelligence.
Cette intelligence est une force nouvelle et spéciale qui
entre enjeu dans la nature; aussi, avec l'homme commence
une division géologique nouvelle : le Quaternaire.
CHAPITRE V
PALÉOLITHIQUE
Chelléen et Acbeuléen. — Enfin l'homme parut, et le qua-
ternaire commença.
Paléontologiquement, le quaternaire tout à fait inférieur
est caractérisé par une faune mammalogique contenant des
types qui se relient intimement aux mammifères pliocènes et
sont les précurseurs de nos espèces actuelles. Quelques-
unes de ces espèces se montrent déjà et deviennent suc-
cessivement plus nombreuses. On remarque le Trogonthé-
rium, grand rongeur voisin du castor, dont il se distingue
surtout par la taille ; V Hippopotamus major^ qui ne paraît
différer de l'hippopotame vivant que par un plus grand
développement ; des Rhinocéros se rattachant tout d'abord
aux derniers types pliocènes, puis, devenant plus spéciaux.
Rhinocéros iichorhinus^ souche de nos divers rhinocéros vi-
vants; des Éléphants. L'éléphant le plus caractéristique
de notre quaternaire inférieur est ÏElephas aniiquus , si
abondant dans les alluvions quaternaires du gisement de
Chelles. L'E. antiquus est, tout à fait à la base du quater-
naire, associé à un éléphant plus ancien, VElephas meri-
dionalis^ association constatée par Boule et Capitan dans
les balastières quaternaires de Tilloux (Charente-Inférieure) et
par d'Ault du Mesnil dans les alluvions inférieures d'Abbe-
aa8 DÛMStES PALET 11 NO LOGIQUE s
>ille A un nneau plus élevé apparilt et se développe ie
Mammoulh Elephas pi imigemus qui dans nos régioDssesl
mainlcnu ju'<qu à 1 1 fin du paléoiilliique
Les O'îsemenlsddtplianls élanl dune pari fort résistants,
ils se conservent bien;
élant d'autre part très
gros ils attirent l'allen-
lion (le ceux qui les dé-
couvrent. On a donc pu
les étudier avec d'abon-
dantes pièces à l' appui-
Cette élude a démontré
que les trois espèces de
notre quaternaire se re-
lient entre elles et
qu elles passent de l'une
i I autre. Les deux es-
pè(es vivantes de nos
joursse rattachent aussi
à nos espèces fossiles,
ce qui vient encore à
1 appui du transfor-
misme.
En fait d'ossements
humains, moins heu-
reux que pour ce qui
concerne les autres ani-
maux nous n'en cod-
naissons pas encore ap-
partenant dune manière
certaine aux dépôts qua-
ternaires tout à fait in-
férieurs. L'existence de l'homme à ce niveau n'en est pas
moins certaine. Si nous n'avons pas ses os, nous avons ses
Garonne). Musie de TohIi
Il ne s'agit plus là, comme au gisement tertiaire de
Thcnay, de petits silex éclatés par la chaleur et retouchés
sur les bords, ou bien, ainsi qu'à Olta et au Puy-Coumy,
de petits éclats de percussion avec bords tranchants, mais
de gros instruments qui, bien que rudimenlaires tout dabord.
PALÉOLITHIQUE
229
constituent un type nettement défini que nous voyons se
perfectionner successivement à mesure que nous nous éle-
vons dans le quaternaire inférieur. Cet instrument, bien
caractérisé, se maniait à la
main, ce qui m'a engagé
à lui donner le nom de
coup de poing.
Les coups de poing for-
ment série. Tout d'abord
c'était un caillou roulé ou
un simple morceau de
pierre dont l'homme tout
à fait primitif se servait
pour frapper. Dans cet
emploi, un large éclat s'est
accidentellement détaché.
Un homme de génie s'est
aperçu que cette cassure
perfectionnait l'arme ou
outil. Dès lors on s'est mis
à produire des éclats inten-
tionnels sur toutes les
pierres utilisées (fig. 68}.
Les coups de poing façon-
nés à grands éclats se sont
généralisés et peu à peu
perfectionnésparsuite
d'une taille plus soignée,
plus habile, plus artistique.
Ce mouvement a été lent,
très lent, extraordinaire-
ment lent, et le coup de
poing est resté lacaractéris-
tique industrielle de deux
longues époques paléolithiques : l'époque chelléenne, pen-
dant laquelle le coup de poing à taille grossière (fig. 69) était
le seul instrument en pierre employé, et l'époque achcu"
léenne, où le coup de poing, perfectionné comme taille, a pris
des formes plus élégantes ainsi que plus réduites (fig. 70),
et s'est associé peu à peu à d'autres instniments. Cette évolu-
23o
DONNÉES PALETHNOLOCIQUES
lion, facile à constater et à reconnaître quand on à l'habi-
tude de manier des instruments paléolithiques, a mis à se
produire autant de temps que les éléphants à se succéder.
Née du temps de VElephas meridionalis, elle a duré autant
_ que l'E. anliquus et s'est ter-
minée en plein développement
du Mammouth ou E. pri-
migenius. L'intelligence de
l'homme, dans les débuts,était
donc fort alourdie et très pa-
resseuse.
La distribution des coups
de poing montre que ceE
homme habitait surtout les .
vallées et les plateaux. Il s'éle-
vait peu sur les montagnes.
Quand il a apparu enFniE-
ce, la température chaude du
tertiaire se faisait encore un
peu sentir. Le climat, humide
et brumeux, empechaille froid
de se manifester. L'homme
n'éprouvait pasia nécessité de
se vêtir. Il devait donc rester
nu. Son seul instrument, le
volumineux coup de poing,
bon comme arme pour la
défense ou comme oulil pour
abattre et tailler les arbres,
ne paraît pas pouvoir servira
confectionner des vêtements.
Ce costume tout à fait élémentaire, ou plutôt ce manque de
costume, était celui de l'humanité tout entière de l'ancien
continent. En effet, le coup de poing est l'outillage primitif des
hommes de ce continent. On le retrouve non seulement en
France, en Belgique, en Angleterre, en Allemagne, en Hon-
grie, en Italie, en Portugal, en Espagne, mais encore en Algé-
rie, en Egypte, dans le Sahara, au Cap de Bonne-Espérance,
chez les Somalis, et en Asie dans la région de la Palestine, en
Syrie, en Perse et dans l'Inde. Il a même été trouvé dans 1©
Fio. 70. — Coup da poing en siles. En-
virons d'Abbevllle (Somme). CoLI.
d'AultduMeanil. î/3 gr. na'
PALEOLITHIQUE 23 1
f nord de la Sibérie. Cette unité de l'iodustrie primitive doit
l iKius pousser à admettre l'unité du type humain. Dès lors, les
I Iiommes chelléens de l'Europe pourraient venir du sud-est de
' l'Asie et se rattacheraient au Pithécanthrope.
C'est tout ce que nous savons pour le moment sur les pre-
■ miers habitants de la France.
lonstérîen. — Pendant l'Achculéen, la température s'est
peu & peu refroidie. Aussi l'Hippopotame a disparu de nos
pays ; le Mammouth et le Hhinoceros lickorhinus, animaux
recouverts d'une épaisse toison de laine, ont complètement
remplacé les Eleplias ant'iquus et meridionalis
ainsi que les Rhinocéros de types pliocèncs,
qui avaient besoin d'une certaine température.
Ce mouvement climatologiquc est donc par-
faitement établi. Comme le mammouth et le
lichorhinus, l'homme a senti la nécessité de se
' vêtir. C'est cette nécessité qui a mis en mou-
vement l'activité de son cerveau. Il s'est in-
génié à fabriquer des intruments en pierre
pouvant faciliter la confection de vêlements
en peau. C'étaient les vêtements les plus sim-
ples; cependant, pour atteindre le but désiré
«l nécessaire, il fallait un outillage tout parti-
culier: des lames (fig. 71) pour ouvrir les ani-
maux etlesécorcher, des racloirs(fig. 72) pour
rendre les peaux souples, des pointes-coupoirs
(fig. 73 et 74} pour trancher la peau et au besoin confectionner .
des cordes ou courroies, pour la percer et obtenir des bou-
tonnières.
Ces divers outils ne sont pas le produit d'une seule inven-
tion. Ils ont apparu peu à peu et, une fois employés, se sont
maintenus presque sans variations pendant un temps assez
long. Lames, racloirs et pointes-coupoirs — qui ont com-
mencé à apparaître pendant l'Acheuléen — caractérisent net-
tement, comme ensemble, le Mouslérien.
L'industrie chelléenne diffère complètement de la mousté-
rienne sous le rapport de la technique. Dans la première, c'est
le corps ou centre de la pierre qui est utilisé ; dans la seconde,
ce sont les éclats qu'on détache de ce centre. Le coup de
poing chelléen et acheuléen formé du corps de la pierre est
Fio. 71 — Racloir en nllei Le Mouslier
(Donlagne). CoUectioQ A de Morlillet
a/3gr. noL.
282 DONNÉES PALETHNOLOCIÇUES
taillé tout au pourtour, surtout sur les deux côtés. Dans les ins-
truments m ou st p rien s formés d "éclats, la face de délachemeM
reste lisse, l'autre seule est taillée. Pourtant ces deux industries
procèdent l'une de l'aulre,
La fabrication du coup de
poing entraîne forcémenl la
production d'é<!lats.CesoEl
ces éclats, négligé;
d'abord, que l'homme
mouslérien a eu I idée dn-
tdiser en les régularisant.
Les mdustries chelleenDe,
acheuléenne et mousle-
'ncnne découlont donc ré'
guiièrement l'une do l'autre et appartiennent à une seule et
même race.
C'est à l'époque mousténenne que 1 on commente à trouver
des accumulations do débns d habitation, dans dc^ grotlcs,
au pied d'escarpe-
ments de rochers,
etc. Ce sont des sta-
tions, soit les pre-
mières traces de vie
sociale. Il paraît
qu'auparavant
l'homme vivaitisolé,
ou tout au plus par
couples ou petits
groupes nomades.
Les rigueurs de la
température et les
nécessités de la vie
l'ont poussé à se
grouper. Du reste,
plus l'outillage se
comphquait, plus le vêtement devenait important, plus
l'homme a dû sentir l'utilité de la vie sédentaire. En outre la
nécessité de se protéger contre le froid a amené la construc-
tion d'abris qui le fixaient plus ou moins.
L'industrie raoustérienne a été rencontrée en Angleterre, en
Musée de Snint-Gcnna n
^*l.
:. Le Mouit cr (Dordogne
i 3 gr nal
PALÉOLITHIQUE 233
Belgique, en France, en Italie, en Syrie et en Crimée, limitant
au sud les régions les plus directement atteintes par les
influences glaciaires.
L'époque moustérienne nous a fourni divers ossements
humains, qui peut-être même remontent en partie plus haut.
Nous les étudierons dans notre quatrième partie.
Glaciaire. — La période de froid humide, commencée à
l'époque acheuléenne et largement développée à Fépoque
moustérienne, est bien connue des géologues, qui la désignent
sous le nom de période glaciaire. Il y a même grande discus-
sion entre eux pour savoir s'il n'y a eu qu'une seule période
glaciaire ou bien s'il y en a eu plusieurs. L'ancienne école
n'admet que de simples mouvements d'extension et de retrait ;
la nouvelle considère ces oscillations comme assez impor-
tantes en étendue et en durée pour constituer des périodes
distinctes. Elle en établit deux ou trois. James Geikie admet
même qu'en Angleterre et en Ecosse il y a cinq de ces pé-
riodes glaciaires, séparées par quatre périodes interglaciaires
caractérisées par un radoucissement de température.
Peu nous importe. Nous n'avons ici à nous occuper de la ou
des périodes glaciaires qu'au point de vue de la présence de
l'homme. Les partisans de la pluralité des périodes glaciaires
font généralement apparaître l'homme pendant une période
interglaciaire. C'est une erreur.
En effet, la glaciation, bien qu'ayant parfois pris de vastes
proportions, a toujours été, même dans son plus grand dé-
veloppement, un phénomène local et circonscrit. Il existe
des régions, et la plus grande partie de la France est dans
ce cas, qui n'ont jamais connu les glaciers. Pendant que le
territoire recouvert par les glaciers voyait se produire et se dé-
velopper toutes les actions glaciaires, le territoire libre de glace
se remplissait d'alluvions. Or les alluvions les plus anciennes
ont, en France, fourni des coups de poing chelléens. L'homme
existait donc non seulement dès le commencement de la ou
des périodes glaciaires, mais même déjà avant. Cette dernière
assertion est pleinement confirmée par les découvertes récentes
de coups de poing avec la faune de VElephas meridionalis,
qui est une faune chaude que les glaciéristes les plus déter-
minés ne peuvent songer à mettre en contact avec un enva-
hissement des glaces.
234 DONNÉES PALETHNOLOGIQUES
Date de l'apparition de l'homme. — L'homme est donc bien
vieux ?
En i883, dans le Préhistorique^ après une longue discussion
des divers essais chronométriquesje suis arrivé à 280.000 ou
240.000 ans pour l'antiquité de l'homme.
CroU va plus loin, il date le glaciaire de 240.000 ans, le fai-
sant durer 160.000 et donnant au postglaciaire 80.000 ans.
En 1890, Prestw^ich, qui cherche à restreindre le plus pos-
sible cette antiquité, admet encore que le maximum de froid
glaciaire est compris entre i5 et 25. 000 ans et que le postgla-
ciaire ne dépasse pas 10.000 ans. Mais les calculs de Presl-
wich sont basés sur les glaciers du Groenland, dont l'extré-
mité baigne dans la mer. C'est dire qu'ils subissent à leur
extrémité une ablation d'autant plus considérable qu'elle
persiste toute l'année, ce qui active beaucoup le mouvement
général.
La même année 1890 et également à la Société géologique
de Londres, Mcllard Reade, se rapprochant de Croll, assigne
60.000 ans au postglaciaire.
En 1893, au Congrès géologique de Chicago, A.-M. Hansen,
de Norvège, assigne de 187 à 209.000 ans aux diverses
périodes glaciaires et 5. 000 ans au poslglaciaire.
Au même Congrès, Warren Upham estime que le glaciaire
peut avoir duré de 100 à 200.000 ans.
Nous venons de faire de l'érudition, étudions maintenant la
question en véritable naturaliste, en nous servant des données
locales, les glaciers des Alpes.
Une des actions les plus caractéristiques des glaciers est
de transporter sur leur dos à de très grandes distances des
blocs de rocher qui, nullement roulés, conservent leurs angles
et leurs arêtes intacts. C'est ce qu'on appelle les blocs erra-
tiques. Eh bien, on a étudié la marche de ces blocs, et cette
étude fournit de précieux renseignements chronologiques.
18 observations faites sur la marche des glaciers actuels
ont donné une moyenne d'avancement de 62^,66 par an.
L'extension en longeur des glaciers alpins de la période gla-
ciaire varie de 110 à 280 kilomètres. Un bloc erratique parti
de l'extrémité supérieure du glacier pour aller à l'extrémité
inférieure — ce qui s'observe — aurait donc mis au moins
4.468 ans. Mais ce chiffre est beaucoup trop faible, Le§ 18 ob-
PALÉOLITHIQUE 235
ervalions dont nous venons de calculer la moyenne ont été
ïiles dans les hautes montagnes où la pente est très rapide.
^r l'eau glacée suit la môme loi que l'eau liquide, sa force
t sa rapidité d'écoulement diminuent quand diminue la pente,
insi sur huit observations faites au glacier de l'Aar par Agas-
z, cinq ont eu lieu dans la région médiane du glacier et ont
onné comme moyenne 65™, 55. Trois étant de la région infé-
eure, moins rapide, la moyenne d'écoulement n'a plus été
ue de^i'^ïZ!. La pente générale des glaciers de la période gla-
aire descendant dans les plaines étant au moins cinq fois
loindre que celle des glaciers actuels perchés sur les som-
lels des montagnes, la vitesse doit être cinq fois moindre
iissi, ce qui transforme les 4-468 ans indiqués ci-dessus en
2,340 ans. ,
Ce chiffre n'est point trop fort. En effet, les grands glaciers
e la période glaciaire s'écoulaient dans de larges vallées, où
es contreforts de rochers et des affluents de glaciers latéraux
enaient contrarier et retarder leur écoulement.
Les expériences pour calculer la marche des blocs ont été
îites sur des glaciers occupant de petites vallées monta-
neuses étroites, afin de pouvoir repérer facilement sur la
oche en place de chaque bord le bloc servant à l'expérience.
>ans ces conditions, ce bloc devait cheminer bien plus rapi-
ement que les blocs erratiques se trouvant dans des vallées
eaucoup plus larges.
Les grands glaciers de la période glaciaire, partant du som-
et des montagnes, formaient d'abord des torrents de glace
lalogues aux glaciers actuels. Puis, remplissant les longues
lUées alpines, ils se transformaient en fleuves de glace,
afin, débouchant dans les plaines, ils s'y installaient large-
ent en véritables lacs de glace. La glace suivant les mêmes
is d'écoulement que l'eau, l'écoulement devait être torren-
1, c'est-à-dire relativement très rapide, sur les sommets,
aucoup plus calme et moins développé dans les vallées, qui
nstituent la plus grande longueur des glaciers ; enfin, très
Ime et presque nul dans les plaines. Pourtant, on trouve
leur extrémité inférieure, non pas un bloc, mais des
cumulations de blocs erratiques provenant en partie du
int de départ.
Les glaciers de la période glaciaire se sont maintenus lon^-
236
WÉES PALETHNOLOGIÇUES
temps dans leur plus grande extension, comme rétablissent
les énormes moraines formant de véritables séries de collines
à leur extrémité. Enfin l'extension et le retrait des glaciers-
retrait qui a dû demander à peu prés autant de temps que
l'extension — n'ont pas eu lieu dune manière continue. De
l'avis de tous les gUcii-
ristes, il y a eu des oscil-
lations, des avancemeDls
et des recuis successifs,
qui ont aussi absorbé ud
temps considérable. On
reste donc certainement
au-dessous de lavéritéen
attribuant à la période gl»-
ciaire 100,000 ans. C'est
bien autre chose encore si,
suivant les tendances ac-
tuelles, on admet plusiears
périodes glaciaires sépa-
rées par des périodes int^^
glaciaires.
Les contreforts des Al-
pes, en Savoie, présentent
un autre chronomètre qui
nous permet d'apprécier
d'une manière assez exacte
le temps qui s'est écoulé
depuis le retrait des grands
glaciers. Au-dessus d'Aiï- |
les-Bains, dans la direc-
tion de Marboz, il y a une colline calcaire dont la roche com-
pacte a élé entièrement polie et striée par les anciens gls-
ciers. Partout où il y a de l'argile, le poli et les stries glaciaires
sont très bien conservés. Mais là où la roche s'est trouvée
à découvert, elle s'est profondément altérée, Non seulement
poli et stries ont disparu, mais il s'est formé de profondes
érosions en forme de puits et de sillons. Au Biolay, les
Romains ont ouvert dans ce calcaire une carrière qui a fourni
les pierres de taille des thermes, temples et arc de Irioirphe
antiques delà ville. Des surfaces ji'exploitaiion et des blocs
Fio 75
Fie, 7«.
Fig 70 - Pointe
silei Solutr<S(Si
en feuille de laurier,
eelLoire).2/3trr.nal.
FiB j6 - Poinle fl
oron silex. Grolle de
eml (Dordogne). Gr.
PALÉOLITHIQUE 287
détachés parles procédés anciens sont restés dans la carrière,
librement exposés depuis 1,800 ans aux actions atmosphé-
riques. On n'y remarque que de légers sillons de 2 ou, 3 mil-
limètres de profondeur, tandis que tout à côté, sur le môme
calcaire, les altérations atteignent en moyenne 1 mètre. En
portant à 1 centimètre par 2.000 ans Faction corrosive sur le
calcaire, nous arriverions à 200.000 ans comme époque de la
disparition des glaciers de la vallée d'Aix-les-Bains. J'ai visité
et étudié la carrière des Romains du Biolay et je maintiens
ces chiffres, bien que l'inventeur du chronomètre, Louis
Pillet, homme de foi, effrayé de son audace, ait en i854, deux
ans après la publication des chiffres précédents, cherché à les
Jréduire.
Les données fournies par la marche des blocs erratiques
et la corrosion des calcaires compacts suffisent pour établir
que les glaciéristes cités précédemment ont raison de consi-
dérer comme fort longue la période glaciaire, et pour justifier
l'âge que j'ai assigné à l'apparition de l'homme, 280 à
240.000 ans.
Solutréen. — Le Solutréen est, comme époque, incontesta-
blement de beaucoup la moins longue du paléolithique, et la
moins étendue comme dissémination. L'industrie solutréenne
*'est surtout rencontrée et développée en France : à Solutré,
dans le bassin de la Saône, à Thorigné (Mayenne), et sur le
Versant océanien dans les bassins de la Charente et de la
Dordogne, de la Garonne et de l'Adour. Elle est caractérisée
par un perfectionnement de la taille du silex, dû à un progrès
ïéalisé dans la technique. A la taille par percussion, exclusive-
ïnent employée jusqu'alors, s'est jointe la taille par pression
qui a permis de fabriquer des objets en silex plus fins, plus
déliés, plus élégants. Les deux formes les plus caractéristiques
sont la pointe en feuille de laurier taillée aux deux bouts et
sur les deux faces (fig. 75), et la pointe à cran plate d'un côté,
finement retouchée de l'autre (fig. 76).
L'industrie solutréenne se relie à l'industrie moustérienne.
Au musée de Saint-Germain, la belle série de la station type
du Moustier présente déjà un grossier grattoir et une ébauche
de pointe taillée aux deux bouts.
Si le type industriel franchement solutréen paraît se loca-
liser en France, et même dans une partie de la France,
238 DONNÉES PALETHNOLOGIQUES
rhabilelé dans la taille du silex s'est fait sentir un peu par-
tout. A une température énervante, peu variable, sombre et
humide, a succédé une température vivifiante, sèche et aller
nante, égayée par le soleil. Ce grand changement de milieu a
produit une heureuse et vigoureuse action physiologique et
intellectuelle sur la population.
Au point de vue paléontologique, le Mam-
mouth a persisté. Il était même très abondant;
car, vers le sommet du Solutréen, il y a des as-
sises qui en renferment tellement de débris, que
E. Piette leur a donné le nom d'éburnéennes.
Par contre, le Rhinocéros iichorhinus paraît
n'avoir pas ou n'avoir que très peu dépassé les
limites supérieures du Moustérien.
Le Renne, rare dans le Moustérien, prend un
très grand développement dans le Solutréen.
Le Cheval est très abondamment utilisé comme
nourriture; à Solutré même, on le compte par
milliers.
Hagdalénien. — Le Magdalénien, qui a succédé
au Solutréen, se relie très intimement à ce der-
nier. La différence industrielle vient surtout de
l'introduction dans l'industrie d'une matière nou-
velle, l'os : os proprement dit, ivoire, cornes de
f.o «« cervidés. Cette introduction a même commencé
r IG . 77' ~~
Aiguille au sommet du Solutréen pour se développer lar-
Madeiei^- gement dans le Magdalénien. La taille du silex a
ne(Dor- dégénéré par suite de l'emploi de cette nouvelle
dogne). ...
Gr. nat. matière.
Une autre caractéristique de l'époque de la Ma-
deleine est la naissance et le développement de l'art, nais-
sance et même développement qui datent aussi du sommet
du Solutréen et qui nous font répéter qu'il y a liaison intime
entre les deux époques.
L'animal le plus caractéristique du Magdalénien est, comme
pour le Solutréen, le Renne, Tarandus rangifer, ce qui fait
que Edouard Lartet avait donné le nom d'âge du renne aux
deux époques réunies.
Le Mammouth, encore assez abondant au commencement
du Magdalénien, a disparu avec lui. On peut en dire autant
PALEOLITHIQUE
289
■m
'f.^i:
i'f
mJ.|
'"I
.7
m
tei^j
nmm
FiG. 78.
[\^'<
du Renne, qui a émigré de France vers la fin de cette époque.
Le Renne nous fournit une précieuse indication sur le climat
magdalénien. Il était plus froid que ce-
lui de Stockholm et de Pélersbourg,
lieux dont le climat est trop élevé pour
que le Renne y puisse vivre et se repro-
duire. D'autre part, le manque d'allu-
vions de cette époque montre que le
climat était très sec. Cette sécheresse
était absolument contraire au dévelop-
pement des glaciers ; aussi, malgré le
froid, les glaciers des Alpes s'étaient
retirés, et à leur place s'étaient établies
des stations magdaléniennes, comme
celles du canton de Schaffhouse, ancien
glacier du Rhin ; de Villeneuve, canton
de Vaud, en amont du lac de Genève,
ancien glacier du Rhône ; du pied du
Salève (Haute-Savoie), ancien glacier
de l'Arve, écoulement du mont Blanc.
Le même fait s'observe dans les Pyré-
nées. Les stations magdaléniennes ont
envahi le territoire des anciens glaciers,
comme cela a été constaté à Lourdes.
Ce grand froid nécessitait de bons vê-
tements. Aussi trouve-t-on, dans les sta-
tions magdaléniennes, nombre d'outils
propres à leur confection, entre autres de
fort jolies aiguilles à chas en os(fig. 77).
Le froid a également poussé les
hommes à habiter les grottes et à s'a-
briter contre les escarpements de ro-
chers.
Les hommes de cette époque étaient
essentiellement pêcheurs et surtout
chasseurs. Dans leurs rejets d'habitation
on trouve en abondance des débris de
poissons et de gibiers divers, parmi lesquels le plus recherché
était le renne.
Comme armes, ils avaient le poignard ou épée à poignée
Vi
i>fl
Vr^s:'^^
FiG. 79.
Fig. 78. — Pointe de sa-
gaie en corne de renne.
La Madeleine (Dordo-
gne). 1/2 gr. nat.
fig- 79- -~ Harpon en
corne de renne. Lau-
gerie - Basse ( Dordo -
gne). 1/2 gr. nal.
2^0
DONNÉES PALETHNOLOGIQUES
l
r/i
rti
'M
\ j'ï
\?i
<^''.i
.i^iii
I 'rt
<A
^)y
Fio. 80. — Face. Fig. 81. — Profil.
Propulseur à crochet en corne de
renne. Laugerie-Basse (Dordogne).
Musée de Saint-Germain. 1/2 gr. nat.
fort ornée, qui était certai-
nement un objet de luxe et
probablement un insigne de
commandement . Mais les
armes usuelles, générales,
servant à la chasse et à la
pêche, étaient la sagaie (fig.
78) ou pointe fixée solide-
ment à une hampe en bois,
et le harpon (fig. 79), pointe
se détachant facilement de
la hampe tout en y restant
attachée par un lien plus ou
moins long. Sagaie et harpon
se lançaient à la main. Sou-
vent, pour augmenter la force
de projection, on employait
un propulseur, espèce de
manche terminé par un cro-
chet (fig. 8oet 81).
Ces armes servaient sur-
tout à la pêche et à la chasse.
On n'a signalé aucune trace
de guerre. Les mœurs de ces
populations paraissent avoir
été fort douces. Leur grande
préoccupation était d'assurer
la défense et l'existence du
groupe par la chasse. Aussi,
fiers de leurs succès, ils por-
taient comme trophées de
chasse des dents percées,
soit des canines atrophiées
de cervidés, soit des canines
plus dangereuses de grands
félins, de loups, de renards
et d'ours. On a trouvé égale-
ment quelques autres pende-
loques diverses comme pa-
rure. Ils avaient probable-
PALÉOLITHIQUE
2^1
ent aussi l'habilude de se peindre. Plusieurs stations ont
urni des fragments d'ocre du plus beau rouge portant des
iices de raclage au silex, parfois associés à des cailloux
eusés en godet, propres à triturer une pommade colorante
L'amour du luxe s'est surtout porté % ers 1 ornementation
■8 objets usuels, principalement des armes Ce sentiment a
ansformé les hommes de l'époque de la Madeleme en ^én-
bles artistes. Au moyen d'un simple burin en sile\ (fig i
■ som arrivés ù faire de remaniuable8œu\re'5
art.
Et pourtant ces hommes doux, ces artistes,
li travaillaient pour amuser leurs enfants —
en a plusieurs exemples —n'avaient aucun
ipecl de leurs morts. Ils ne les ensevelissaient
s et laissaient leurs os .se mêler aux débris
leurs habitations. Ce manque de respect
■ur les morts montre que les hommes de H
ïdelcine n'avaient aucun sentiment de rcli
Dsité, le respect du mort étant la base de
ule religion. Cette déduction est confirmée
r l'absence de toute oeuvre monslrueu'ie,
tinaturelle, dans leur industrie artistique
JUS ne retrouvons, dans leurs pendeloques
dans leurs œuvres d'art, que des repré
ntalions, plus ou moins naïves et vraies,
objets naturels. Les religions, au contraire,
nt toujours basées sur des faits cxtranatu-
Is, qui donnent naissance en art aux associations les plus
Lormales, aux monstruosités les plus baroques.
Le délaissement des morts et, par suite, l'absence de toute
ligiosité ont dû exister pendant'tout le paléolithique et sont
caractéristique de cette longue période .
Représentations d'hommes magdaléniens. -~ Les Magdalé-
ens étaient des artistes. Ils ont assez souvent employé leur
lent à graver ou sculpter des représentations humaines.
Nous en connaissons de vingt à vingt-cinq; elles sont
ceptionnellemenl en pierre, habituellement en os et surtout
i corne de renne et en ivoire. Mais nous sommes loin de
luvoir tirer parti de toutes ces représentations. Plusieurs
mt devenues tout à fait frustes par suite des actions atmos.
G. DE HOnriLLET \ft
(Dordogne).
Coll. A. de
Morlillct.2,'3gr.
24^ DONNÉES l'AL ETHNOLOGIQUES
phériques, d'autressont des rebuts ou pièces manquées el de
œuvre» de débutants irès imparfaites. On peut citer, comn
type de ces dernières, le petit bonhomme avec bras démesn
rément gigantesques gravé sur un os de cheval provensc
de Laugerie-Basso (Dordogne).
La plupart des autres pièces sont cassées et fort endomm;
gées, ce qui leur enlève en grande partie leur valeur doci
mentaire. Pourtant de lenscmble on peut tirer quelques de
nées qu'il est utile de relever.
I-es artistes magdaléniens, comme ceux de nos jours, prél
raient l'académie. Presque sans exception, leurs rcprésenl
lions humaines sont entièrement nues. Il faisait pourtant tr
froid A leur époque, et nous savons, par l'outillage, qu'eux
leurs conicmporains portaient des vêtements, mais ils ne f
vaienl pas les représenler.
Les parties génitales sont toujours nettement indiqué*
non ]»as par un sentiment pornographique, mais pour défir
et caroelériser les sexes. C'est à lort que la statuette de femn
i\c La ugcrie- Basse (Dordogne) a été nommée « Vénus impi
{lique » par de Vibraye. Elle n'a, comme beauté, aucun ra|
PAi.ÉOLtniiQUE a43
port avec Vénus, et, ai ses parties gt^ailalcs sont démesurément
représentées, cela tient à ce qu'elles sont le seul caractère
de sexualité, le développement de la poitrine étant trop
élroil pour y sculpter des seins.
Deux autres statuettes de femmes, celle du Mas-d'Azil
(Ariège) sculptée sur une incisive de cheval et celle ayant servi
démanche de poignard (fig. 83et84) de llrassempouy (Landes),
ac présentent pas de parties génitales, mais onl les seins très
FiQ. 85. — Femme enceinte Rravi
sur 09. Lu ugerie- Basse |D ardaient
Coll. Ed. PLette. 5/3gr. nat.
accentués. Ces seins sont, dans les deux cas, plaLs et fort
tombants. Ils forment ce qu'on nomme vulgairement la
blague à tabac, caractère si fréquent clicz les femmes des po-
pulations inférieures actuelles.
Chez la femme enceinte de Laugcric-Basae (fig. 85), gravée
sur os, c'est le développement du ventre qui sert de caractère
sexuel.
La femme sculptée sur ivoire (fig. 83), de iîrassi'nipouy,
nommée <i la Poire » ù cause de sa forme générale, pièce
malheureusement fort endommagée, est un véritable chef-
d'œuvre de sculpture. Il resie à peine Irace des seins ; pour-
2^4 KONMJtS PALETHNOLOGlgLES
tant on pcul rpi;onnailrc qirilH (Haienl tombanls. Ce qui frappt
dans ce débris de slutuctle, c'esl la forme du ventre : ce ventre,
arrondi, fori proéminent, se projette en avant en tombantsur
le pubis cl le recouvrant. II ne rejoint pas directement Ifs
hanclies ; entre les han-
ches et lui il y a decha-
(|ue côté comme un àl-
lon et une zone plaie.
Eh bien, ce ventre, ac-
tuellement anormal, je
l'ai retrouvé dans une
famille de la même ré-
gion. Voici (fig. 87) le
dessin de la femme qui
présente cette particu-
larité etqui apassclâge
critique. Mais, fait bien
singulier, c'est qu'une
de3csfilles(fig.88),âgét
de douze ans, non for-
mée, présente la même
tendance pour ce qui
concerne le ventre et
offre un phénomène tout
particulier, des taches
l)runcs sur la peau, ta-
ches qui sont en outre
caractérisées par un dé-
veloppement pileux as-
sez prononcé.
Or le développement
pileux est un caractère
des populations mag-
dalénienues, à en juger par leurs œuvres dart. En effet, la
femme enceinte de La ugerie- Basse a tout le corps couvert
de poil. 11 en est de môme du chasseur d'aurochs {fig. 89),
également de Laugerîe- Basse.
La sculptun^ chez les artistes magdaléniens, était souvcnl
dominée par la forme de la matière première et devait parfois
se plier aux exigences usuelles de l'objet à orner. C'esl ainsi
pok'ioliUiiii
s de poils.
PALÉOLITHIQUE
qu il
; faisaient un renne
poign
e de F
- ils claienl obligés,
u,
ni il existo plusieurs exemples
pas blesser la main, de coueher
es ou bois sur le dos {fig. 90).
jservalion vient à propos de la
le Brassempouy servant de poi-
! morceau d'ivoire employé était
d'autre part il ne fallait pas trop
■n un point la poignée. Par con-
, afin qu'elle puisse plus com-
nt eire saisie par la main, le
ir a été obligé de rejeter les
ur les côtés. C'est ce qu'il a fait
ant laidement le sillon interfes-
nous relevons cela, c'est qu'on
tirer de cette disposition, si
;t si naturelle, une importante
>n anthropologique. On a, sur
nées orlisliques, prétendu que
on solutréenne et magdalé-
au moins en partie, était stéa-
ic ou à développements grais-
nmc les Bocbimans et les Hot-
Bien ne justifie cette assertion.
possédons plusieurs représen-
de mains, surtout des mains
ine sur pierre provenant de So-
Saône-el-Loire), d'autres sur
renne (fig. 91), de la Dordogne.
figurées à plat, vues de dessus,
le quatre doigts indiqués. Le
! se voit jamais. C'est une preuve
it beaucoup plus nellement op-
; autres doigisque de nosjours.
oignets, aussi bien dans les
as isolés que dans celui de la
enceinte, sont garnis de ha-
■rofondes, formant des groupes variés, mais toujours
II est assez difficile de bien préciser ce que repré-
;es hacliuros. Pourtant il ne parait pas possible d'y
r[>ch<i. gravé sur corne
de ruiine. Laugerie-
nn SHe (Do rclogae). Coll .
E. MasaciiBl. i/i gr.
246 DONNÉES PALETHNOLCGlQUtS
voir autre chose qu"iinc parure, un ornement, qui se portail
à l'avanl-bras. Cet ornement était-il un levetcment en relief,
espèce de large bracelet recouvrant le poignet, ou bien tout
simplement un tatouage 7 Les docu
menls précis manquent pour tranchei
la question.
Quant aux têtes, elles sont toutes
si peu caractérisées ou si diverses
qu'il est impossible d'en tirer quelque
caractère. Si elles sont la partie la
plus importante de l'homme, elles
sont aussi la plus difficile à bien
rendre. Tout ce qu'on peut conclure
delatôtedu chasseurd'aurochs, d'une
tête isolée de Lautterie-Basse et d'une renne. Bocheberiitr
,, L 1 . . , (Charente). Ecole dan-
ébauctie de sculpture sur corne de thmpoiogie. Gr. noi.
renne (fig. ga), provenant de Roche-
bertier (Charente), c'est que les hommes de celte époque d^
valent avoir le bas de la figure étroit et l'air aussi gai qu'in-
telligent.
NKOUTHIQUE 247
CHAPITRE VI
NÉOLITHIQUE
sien. — La vie calme, douce et heureuse des
de Tépoque de la Madeleine s'est peu à peu altérée
; d'un changement lent de température. Le Mam-
ui fournissait aux artistes de cette époque la matière
•écieuse de leurs petits chefs-d'œuvre, l'ivoire, abon-
débuts du Magdalénien, a lentement disparu, se
/ers le nord-est. Le Renne, cet animal si utile, qui
it en abondance une nourriture excellente, de très
)eaux souples et garnies d'une épaisse fourrure
«vêtements, des tendons se divisant en fil fin et so-
comes faciles à transformer en instruments divers,
, cet animal si précieux, diminuait progressivement à
ue la température s'élevait et finissait par disparaître
Bince ert du centre de l'Europe. Il émigrait vers les
olaires.
rtie de la population a émigré avec lui, et, de nos
us pouvons constater dans le Groenland des peu-
pêcheurs et de chasseurs, associées au renne, pos-
i art analogue à celui des magdaléniens, bien que
L dégénéré, ayant également, sous le rapport anthro-
5, une très grande affinité avec ces derniers. C'est la
enne colonisation fran(;aise qu'il nous soit donné de
. Fait curieux, elle s'est effectuée dans la direction
a.
ue le climat se soit adouci dans la mère patrie, et
? suite de cet adoucissement, vers la fin du Magda-
population avait diminué et était devenue misérable,
îhait à remplacer le Renne par le Cerf. Mais cet ani-
beaucoup moins avantageux que le premier. Pro-
t aussi il était moins facile à chasser et moins JiK)m-
)urtant, à la fin du Magdalénien et au comraience-
Tourassien, époque de transition entre le paléoli-
le néolithique, il se rencontre très abondaoament
! dans des stations bien dét-erminées.
2^8 DONNÉES PALETHNOLOCIQUES
Cette substilulion <lu Cerf au Renne a profondémenl modifié
l'induslric. L'arme la plus usuelle, le harpon, au lieu d'être en
corne de renne (fig. 79) a été fabriquée
en corne de cerf {fig. 98 el 94). Cette
matière se taillant plus difficilement,
le harpon tourassien est beaucoup
plus grossier que le magdalénien. Ce
harpon, caracléristique du Touras-
sien, continue pourtant dans le vé-
ritable néolithique. Ou le retrouve
dans certaines habitations lacustres de
Fio
93.
Fi
■b4-
Harpon
à Sai
. Col
rne de cerf.
t-Martorj (H
Darbas. 1/2
Lo Toii-
aule-Gi.-
Suisse), Coll. Gross.
la pierre (fig. gB). Il sert donc de passage entre le paléol
thique et le néolithique.
La préoccupation des exigences de la vie et la misère
fait complètement disparaître toule idée d'art.
Le Tourassien représente surtout la fin des climats etd
NÉOLITHIQUE
249
si spéciales du pali^olilhiquc. Ç.'esl le dernier reflet
rande et importante p«^riode.
que tourassienne, qui tire son nom du gisement par-
it caractérisé de laTourasse, à Saint-Martorj (Haule-
;), se montre non seulement dans diverses stations
■énées françaises, maïs aussi dans le Jura bernois et
igoyen. — Pendant le Tourassien, les indigènes qui
nt le sol de la France subis-
es derniers reflets de l'industrie
lique.
mt le Campignyen, ils s'appro-
naladroitement et en talonnant
iustrie nouvelle, qui leur est
e de toute pièce. Aussi l'inslru
i pierre le plus important, tout
. arme et outil, la hache polie
)ul d'abord rare el imparfait
ection de cet instrument néces
n premier travail de taille assez
, puis une longue opération de
ce, ils ont remplacé la hache (Seine-Inftrieure).Mu-
ir le tranchel, d une fabrication 2/3 gr. nai.
is facile et plus rapide. Le tran-
. par suite devenu la caractéristique de cette époque.
mrassiên et le Campignyen sont des époques relalive-
■ès courles. Ce sont même, à proprement parler, de
phases de transition ou passage entre le paléoli-
ït le néolithique, le Tourassien représentant la lin du
■ et le Campignyen le commencement du second,
snoisien. — Pourtant le Tourassien se relie, comme
nons de le dire, avec le néolithique par ses harpons
e de cerf à grandes cl fortes barbelures. Il s'y relie
ilus, comme vient de le démontrer Adrien de Morlillet,
i industrie toute particulière de petits silex taillés
[t habituellement des formes géométriques (fig. 97 à
qui leur a fait donner le nom de Petits silex à formes
•iqiies. Cette industrie bien spéciale et bien typique se
disséminée depuis la France, l'Angleterre, la Belgique,
agne, la Pologne, dans tout le bassin méditerranéen.
25o
DONNEES PALETHNOLOGIQUES
jusque dans l'Inde. Elle se rattache aux stations franche-
ment néolithiques par la survivance de ses types jusque dans
le Robenhausien, d'une part. D'autre part, elle remonte
jusqu'en plein Magdalénien par le mode de taille et la forme
de certaines petites lames étroites qui ont un de leurs côtés
abattu par une série de petites retouches très régulières
(fîg. io6). Des petites lames à tranchant abattu se retrouvent
FiG. 97.
FiG. 98.
FiG. 99.
FiG. 100.
FiG. 101.
FiG. 102.
FiG. io3.
FiG. loV FiG. io5.
Petits silex de formes géométriques. Stations tardenoisiennes des
environs de Fère-en-Tardenois (Aisne). CoU. E. Taté. Gr. nat.
très fréquemment dans les dépôts magdaléniens et dans les
stations de petits silex à formes géométriques.
Les silex à formes géométriques sont la trace d'une pre-
mière invasion. L'importance de cette considération et le
caractère tout spécial de cette industrie méritent un nom
particuUer. J'ai choisi celui de Tardenoisien, les environs de
Fère-en-Tardenois en présentant plusieurs gisements.
V^ invasion de la France. — Il y a eu entre le paléoli-
thique et le néolithique des difTérences fort considérables, les
unes dépendant de la température, les autres du développe-
ment industriel et intellectuel.
Pendant le Magdalénien, le climat de la France et du centre
de l'Europe était froid et sec avec des températures extrêmes;
NÉOLITHIQUE 25 1
chamois, la marmotte, le bouquetin, se rencontraient
ins nos plaines. Au néolithique, le climat est devenu tem-
^ré et beaucoup plus uniforme ; aussi les animaux cités ci-
3SSUS se sont-ils empressés de gagner le sommet des mon-
ïgnes. Cette amélioration sensible et importante du climat
3 la France a attiré dans le pays des populations qui
avaient jamais pensé à y venir précédemment.
Si les modifications climatériques ont été grandes, les
lodifications industrielles et intellectuelles Tout été bien
lus encore.
La domestication des animaux, complètement inconnue
endant le paléolithique, a été largement ap-
liquée pendant le néolithique. Il y avait six
limaux domestiques : le chien, le bœuf, la
lèvre, le mouton, le porc et le cheval.
En même temps a apparu l'agriculture. Les
)mmes néolithiques cultivaient le blé, Torge
le lin, cultures originaires de la mOme ré- p^^ 106. — Pe-
on que les animaux domestiques. Les ut silex a un
,^ if i-ti • • • I tranchant
►tnmes paléohthiques ne connaissaient au- abattu. Bru-
ne de ces cultures. niquel (Tam-
r^ • 1 . • 1 f ^•L^ ' !• i_ • et -Garonne).
t^omme industrie, les néohthiques labri- 2/3gr. nat.
laient de la poterie, employaient en fait d'ou-
s la hache polie, et ils 'connaissaient Tare pour lancer au
in leurs flèches. Les paléolithiques ignoraient complète-
ent la poterie, ne connaissaient pas la hache polie et n'em-
oyaient que le propulseur pour lancer leurs armes de jet.
Tandis que les paléolithiques n'avaient aucun respect pour
ars morts, les néolithiques les ensevelissaient avec soin et
ême leur construisaient des demeures plus monumentales
le celles des vivants, les dolmens. Ce sentiment se joignait
des idées religieuses fort développées, alors que la religio-
,é était restée totalement inconnue aux paléolithiques.
Enfin le sentiment artistique, si développé à l'époque mag-
Jénienne, s'est engourdi pour se réveiller fort dégénéré tout
fait à la fin de l'époque robenhausienne.
Un changement si important, si radical, n'a pu se produire
le par l'invasion d'une population étrangère.
D'où venait-elle?
Nous n'avons qu'à tourner nos regards vers l'Orient. L'in-
252 DONNÉES PALETIINOLOGIQL'E.S
vasion néolithique de la France a un caractère essentielleraenl
religieux. Or FOrient a été le lieu d'origine et de fabricatioa
de toutes les grandes religions : le brahmanisme, le boud-
dhisme, le judaïsme, le christianisme, le mahométisme.
Si la religion donne une indication générale, la domestica-
tion et Tagricuiture en fournissent de bien plus précises el
plus certaines. C'est de la région située entre l'Asie Mineure»
le Caucase, le nord de la Perse et la Tartarie, que nous a été
apportée la civilisation néolithique.
Otte grande invasion, qui a si rapidement et si entière-
ment d(Hruit toute l'industrie paléolithique, a-t-elle anéanti la
population autochtone de la France?
Pas le moins du monde. Cette population a été dominée el
soumise, mais l'industrie campignyenne, imitation mala
droite de celle des conquérants, prouve que les conquis sont
restés en nombre à côté de leurs vainqueurs.
Y a-t-il eu plusieurs invasions pendant le néolithique?
C'est probable, si nous tenons compte des petites incur-
sions ; mais ces incursions, sauf celle du Tardenoisien, n'ont
pas laissé de traces distinctes, du moins on n'en a pas encore
signalé de bien concluantes. S'il y a eu diverses invasions,
elles n'ont pas apporté des modifications sensibles dans l'in-
dustrie ; elles devaient donc venir des mômes régions.
Toujours est-il que l'on vivait constamment sur lequi-vive;
aussi les groupes de population s'enfermaient dans des
retranchements, des camps comme celui de Thenac (Cha-
rente-Inférieure) et celui d'Hastedon près de Namur. C'est
encore ce l)esoin de se protéger qui a poussé l'homme à éta-
blir les palafittes, habitations sur pilotis au bord des lacs. Les
premières et les plus abondantes datent du néolithique.
Mais ces palafittes ne sont-elles pas l'œuvre des autochtones
voulant se préserver contre les envahisseurs anciens ou les
nouvelles bandes? Ce qui pourrait le faire croire, c'est que les
harpons ien corne de cerf à grandes barbelures, analogues à
ceux du Tourassien, proviennent justement de ces pala-
fittes.
PnOTOHLSTORIQUE 253
CHAPITRE VII
PROTOHISTORIQUE
Origine de la métallurgie. — Le protohistorique com-
ence avec l'emploi usuel des métaux. Dans la nature,
ois métaux surtout se rencontrent à l'état natif : Tor,
irgent et le cuivre. L'or et l'argent étant toujours rares et
)ur ainsi dire exceptionnels, nous n'avons pas à nous en
tcuper ici. Il n'en est pas de môme du cuivre. Disséminé à
!U près dans toutes les régions, se trouvant en grande
>ondance sur certains points, il a dû tout d'abord attirer
ttention de l'homme. C'est donc le métal qui a été em-
Dyc le premier par l'homme. Il lui était généreusement
urni par la nature tout prêt à être transformé en arme, outil
. parure. Mais ce n'est pas en Europe que cet ûge du cui-
e s'est développé. Les premiers objets en métal à base de
livre que l'on trouve en Europe sont en bronze. Or le
onze n'est pas un métal simple. C'est un alliage de cuivre
d'étain qui ne se rencontre pas dans la nature. C'est un
oduit humain qui a dû ôtre découvert et employé longtemps
très le cuivre, métal que l'homme peut recueillir directement
prêt à être utilisé.
Si le cuivre à l'état de minerai est abondamment répandu
irtout, s'il est très fréquent à l'état natif, il n'en est pas de
ôme de rétain,dont les gisements sont rares et très circons-
its. On peut donc, par l'étude des gisements d'étain, se
ndrc compte approximativement de la direction d'où est
nu le bronze.
Dans l'ancien continent, l'étain ne se montre qu'à l'ouest en
irope et à l'est en Asie. Les gisements européens sontbeau-
up moins importants que les asiatiques. Il est donc à pré-
mer que c'est le minerai de ces gisements d'Asie qui a été
premier découvert et utilisé.
Les gisements d'Europe sont : le nord-ouest de la pénin-
le ibérique, Espagne et Portugal ; le centre de la France,
lute-Viennc et Creuse, ainsi que les limites de la Loire-Infé-
ure et du Morbihan ; Angleterre, îles Scilly, ainsi que les
PROTOHISTORIQUE 255
'Onalés de Comouailles et de Devon ; le centre de l'Europe,
>axe et Bohême; Finlande, près du lac Ladoga; et Italie, en
foscane.
En Asie : la Chine, provinces de Yun-nan, Kouang-si,
ttou-nan, Kiang-si, Hou-pe, Ngan-wei, Shan-tung, Petchili ;
e Tonkin, le Siam, le Tenasserim et la Birmanie, surtout
a presqu'île de Malacca et les îles de la Sonde, enfin Geylan»
Parmi les gisements d'Europe, ceux de Finlande, d'Italie
t de France sont trop peu considérables. La Saxe et la
lohôme présentent de l'étain en filons. Or l'emploi primitif
e l'étain a dû provenir de l'étain d'alluvions si répandu en
aie. Les alluvions stannifères sont aussi très développées en
ngleterre, mais sur aucun point de l'Europe on ne retrouve
ndustrie du cuivre qui a dû précéder celle du bronze. Au
>ntraire, les objets métalliques les plus anciens constatés en
iirope sont en très beau bronze. D'autre part, loin de ren-
►ntrer dans les régions stannifères européennes abondance
objets en bronze, c'est là qu'il y en a le moins et où il sem-
e, comme en Angleterre, qu'on a le plus cherché à écono-
iser le métal.
En Italie, dans la Péninsule Ibérique, en France, en Angle-
rre et même en Saxe et en Bohême, on a signalé d'anciens
avaux d'exploitation, mais rien n'est venu les rapprocher
3 l'âge de la pierre, comme cela existe pour les premières
;ploitatioris de cuivre en Espagne et en Autriche. On ne
;ut pas même constater dans ces travaux l'âge du bronze.
11 faut donc forcément aller chercher du côté des im-
enses dépôts d'alluvions stannifères de l'extrême Orient l'in-
intion et l'origine du bronze.
Le cuivre natif, bien que disséminé ù peu près partout, n'est
'*néralement pas extrêmement abondant. Il se trouve facile-
ent parce qu'il occupe habituellement le sommet des filons,
ais il s'épuise assez vite. Les fabricants de bronze ont dû
; trouver à court de cuivre. Il leur a fallu réduire les minc-
is mêlés au cuivre natif. La tâche n'a pas été très difficile,
s carbonates de cuivre qui accompagnent le métal natif
ant^ de tous les minerais de cuivre, ceux dont la réduction
t la moins difficile. C'est ainsi que s'est créée l'industrie
inière, que les fabricants de bronze ont répandue partout en
ême temps que le bronze.
25G DONNÉES PALETHNOLOGIQUES
Age du bronze. — L'introduction du bronze s'est faite
par les inventeurs qui apportaient leurs produits tout fabri-
qués. C'est pour cela qu'en France et dans le reste de l'Eu-
rope, tout à fait au début de l'âge du bronze, on trouve des
pièces très bien fondues en fort beau métal. Mais, rencon-
trant sur leur chemin des mines de cuivre, ils se sont mis à
les exploiter en utilisant d'abord le cuivre natif et en réduisant
ensuite le minerai. Le beau bronze étant composé de neuf
parties de cuivre pour une d'étain, cela diminuait les frais
et surtout les difficultés de quatre-vingt-dix pour cent, n'ayant
plus que l'étain à apporter.
Il s'est trouvé qu'après un certain temps de ce régime, des
empêchements, dont la cause nous est inconnue, ont arrêté
l'importation de l'étain dans Touest de l'Europe. Les provi-
sions se sont vite épuisées, on a été réduit à utiliser pure-
ment et simplement le cuivre localement exploité. Cependant,
pour lui donner à la fusion une fluidité plus grande et pour
le rendre plus dur, on a môle à ce cuivre local les débris des
objets en bronze précédemment importés.
Ce sont justement ces quelques parties d'étain dans des
cuivres de régions totalement dépourvues de ce minerai qui
prouvent qu'il ne s'agit pas là d'un âge du cuivre normal
ayant précédé le bronze, mais bien d'une industrie du cuivre
tout à fait fortuite provenant d'un simple accident commer-
cial.
Ce fait parfaitement constaté vient confirmer que l'étain em-
ployé n'était pas des gisements de l'ouest de l'Europe, mais
d'une provenance beaucoup plus lointaine.
Les métallurgistes ne se présentaient pas comme envahis-
seurs usant de la force. Ils cherchaient à baser leur domina-
tion sur la religiosité. C'étaient tout à la fois des commerçants
et des missionnaires. Missionnaires ardents comme sont les
Orientaux, ils ont transformé l'ancien culte et, au grand
détriment de l'anthropologie, ils ont remplacé l'inhumation
par la crémation. Ardeur religieuse et crémation nous repor-
tent vers l'Orient.
Mais à ces caractères moraux, commerce et religiosité, à
ce caractère rituel, la crémation, s'en joint un bien plus con-
cluant : un caractère anthropologique. Nous ne pouvons
pas le prendre sur l'individu lui-même, son corps ayant été
PROTOHISTORIQUË 207
implètemenl incinéré. II n'en est pas moins sérieux et ca-
Ktcristiquc.il s'agit de l'étroitesse des mains el du peu dedt'-
eloppe me ni comme épaisseur des os de l'avant -bras. C.esdon-
lées sont fournies, la première
«r les poignées des armes, la se-
oade par les bracelets. Ces der-
iers, ouverts sur le côté, ne lais-
sai pour le passage du bras
u'une très étroite ouverture,
on seulement nos hommes, mais
plupart de nos femmes ne
ïuvent pas les entrer.
Pour ce qui concerne les poi-
nées de poignards et d'épcVs,
est encore plus caractéristiiiuc.
es poignées sont trop pelilrs
our nos mains. C'est tout au
lus si nous pouvons y loger
■ois doigts opposés au pouce.
I n'y a que certaines popula-
ions asiatiques du côté de l'Inde
[ui aient des mains assez élroi-
es pour pouvoir utiliser comnio-
lémcnt de pareilles poignôes.
L'âge du bronze en France se
Hvise très nettement en <leux
•pctqucs. C'est justement dans
a première que se rencontrent
es poignées les plus courtes. C'é-
■ail l'époque où les fondeurs de
ironze se réservaient les armes. ,. „ „ , ,
, , . , FiG. 108. — BouilJIm en lironzu
Is avaient donc une mam plutôt avec lintinnabutum et sunsti-
tidienne qu'occidentale. ï/T.'sX'i: ^"^^^ *=«"'"=«=hi.
D'ailleurs, il y a accumulalion
le preuves. Parmi les objets en bronze fabri<iués par nos
ondeurs, nous en avons rencontré en France et en Suisse
lont la détermination a tout d'abord beaucoup embarrassé,
le sont des sommets de cannes avec anneaux mobiles qui
'ont du bruit quand on les remue (fig. 109 el 110). Espèce de
ihapeau chinois élémentaire, cet instrument de musique —
G. DB MORTILLET \-,
258
DONNÉES PALETHNOLOGIQUES
si on peut lui donner ce nom — est ce qu'on appelle en ar-
chéologie un tinlinnabulum, analogue à ceux des prêtres
bouddhiques de TOrient (fig. 108).
Avec le bronze, bien longtemps avant le christianisme,
apparaît aussi dans l'Occident le signe de la croix et surtout
la croix gammée ou swastika. Ce sont là des signes religieux
de rOrient. Tout porte donc à admettre que les premiers
Fig. 109. — Tinlin-
nabulum en bron-
ze. Palafitte de
Grésine, lac du
Bourgel (Savoie).
Musée d'Aix-les-
Bains. i/2gr. nat.
Fig. 110. — Tintinnabulum en
bronze. Palafitte de Chevroux,
lac de Neuchâtel (Suisse). i/3gr.
nat.
métallurgistes, les importateurs du bronze en Europe, venaient
des régions situées à l'est de l'Asie.
Quelle iniluencc l'arrivée des importateurs du bronze a-l-elle
exercée sur la Nation française ? Sous le rapport industriel,
elle a occasionné une révolution complète ; sous le rapport
religieux, elle a profondément modifié le culte. Mais, au point
de vue de la composition de la population, elle n'a pas eu une
grande influence. Les caractères anthropologiques de main
et d'avant-bras que nous avons constatés se sont fondus,
dilués dans Tensomble de la population. En effet, les impor-
tateurs ont toujours été en grande minorité. Malgré leur
influence morale, ils étaient partout et toujours menacés,
PHOTOHISTORIQUE aSg
isi se fionUils volontiers abrités sur les palafilt^s des
s de France et de Suisse. Leurs habitations sur terre
me sont rares et cachées dans des lieux retirés. Une
ïuve plus concluante encore de leur état d'infériorité
mérique e^ par suite du peu de sécurité dont ils jouis-
ent, c'est que, fondeurs ou marchands, ils ont été forcés
— Hache à bords droits, brome Arleuf (Nièsrej i/3gr.naU
— Hache k talons, bronze. Rochefort (Pu; do DOme). i/3 gr. nal.
— Hache h ailerons, bronze. Monétay sur Loire (Allier). i/3 gr.ni
— Hache à douille, bronze. Dculle (Seine- Inférieure). 1/3 gr. no
! cacher leurs matières premières et leurs pacotilles. Les
ichettes de bronze sont très nombreuses. II y a quelques
inées, à la Société d'Anthropologie, j'en ai signalé 43D,décou-
rles dans 68 départements de la France continentale. L'in-
lence des importateurs du bronze sur la population fran-
ise au point de vue de la race a donc été très faible ; elle a
ulement renforcé le groupe des brachycéphales. Malgré ia
opagande rehgieuse, nous voyons les anciennes populations
révéler un peu partout par la conservation de certaines
ibitudes. C'est ainsi que sur les plateaux calcaires du midi
! la France appelés causses, les inhumations se main-
mnenl dans les grottes et les dolmens, tout en étant accom-
26o DONNÉES PALETHNOLOGIQUES
pagnées d'objets en bronze et en cuivre. En Bretagne, le
bronze et Tincinération n'ont pas fait abandonner les sépul-
tures monumentales. Dans les Alpes, l'inhumation s'est main-
tenue avec des mobiliers funéraires appartenant complète-
ment à l'âge du bronze.
La durée de Tâge du bronze a dû être considérable. En effet,
pour que des missionnaires de langues et de pays étrangers
convertissent toute une région aussi vaste que TEurope, il
faut certainement beaucoup de temps. Des faits matériels
attestent l'exactitude de cette déduction. Restreignons, pour
plus de précision, la question à la France. L'étude de Tâgedu
bronze dans notre pays m'a permis de le diviser en deux
époques bien tranchées : le Morgien et le Larnaudien. L'in-
dustrie du bronze a donc dû être fort longue pour qu'elle se
soit ainsi profondément modiflée. L'étude spéciale de l'ins-
trument par excellence, la hache, qui est tout à la fois l'outil
le plus utile et une arme terrible, conduit au môme résultat.
La forme de la hache a changé quatre fois (fîg. m à ii4)
pendant les deux époques : Nous voyons, à l'époque mor-
gicnne, d'abord le type à bords droits, ensuite le type à
talons, puis, à l'époque larnaudienne, le type à ailerons cl en
dernier Heu le type à douille.
Introduction du fer. — Si nous ne sommes pas fixés d'une
manière bien précise sur le point d'origine du bronze, il n'en
est pas (le môme pour ce qui concerne le fer. Le fer a une
origine africaine.
En Egypte, où les documents historiques remontent à
7.000 ans, le fer paraît avoir été connu depuis cette époque
lointaine, sans interposition d'un âge du bronze distinct.
Cet usage du fer dès la plus haute antiquité historique de
rÉgypte, qui a été longtemps et vivement contesté, est main-
tenant généralement accepté. Il ne pouvait en ôtre autrement
devant les preuves qui l'appuient. Les grandes et belles sta-
tues égyptiennes en syénite et surtout en porphyre, roches
des plus dures, n'ont pu ôtre taillées qu'avec le fer passé à
l'état d'acier. Dans les peintures les plus anciennes qui
accompagnent les sculptures, des couleurs spéciales sont
attribuées aux différents matériaux. Les métaux usuels
sont colorés en rouge ou en gris bleu. Le rouge représente le
cuivre, et le gris bleu, réservé pour les objets qui doivent être
PROTOHISTORIQUE 26 1
îs plus durs et les plus résistants, représente certainement
5 fer. Du reste le nom du fer, 6aa,se trouve dans les inscrip-
ons et les textes les plus anciens. Enfin le fer ouvré lui-même
été retrouvé. Il a été signalé entre autres dans les pyramides
es premières dynasties. S'il n'est pas plus abondant, cela
lent à une considération religieuse. Ce métal, qui perd facile-
aent son éclat en se rouillant, était considéré comme impur
t voué à Typhon, le dieu du désert et du mal.
Il est tout naturel de voir le fer connu et employé par les
ilgyptiens, car c'est le métal par excellence de l'Afrique. Ainsi
hez les Cafres, le nom du fer, tsipi^ équivaut en même temps
u nom de métal. Le cuivre est le tsipi ecubitu^ fer rouge ;
or et même le laiton, le tsipi etseku^ fer jaune; l'argent, le
sipi echu^ fer blanc.
Les Africains, qui, comme toutes les autres populations, ont
lébuté par l'âge de la pierre, ont passé directement de la
derre au fer. La limonite, peroxyde de fer hydraté, est
rès répandue en Afrique à la surface du sol ; or c'est un
ainërai très facilement réductible, d'autant plus réductible
[u'il est accompagné de divers sels qui peuvent servir de
ondants.
Quand la limonite est dure et compacte, on la nomme
lématite. C'est alors une brillante pierre aux belles couleurs
ouges. Aussi a-t-elleété fréquemment employée pendant l'âge
tfricain de la pierre à faire des haches polies. Une de ces
lâches, tombée accidentellement dans un foyer ou décom-
posée dans un incendie, aura tout naturellement conduit à
'invention du fer métallique.
Les Étrusques ainsi que les Sardes, et très probablement
es Corses, se sont joints aux Libyens pour envahir l'Egypte,
'Omme nous l'avons vu dans la partie historique. Ils ont été
battus par Thothmès III, vers Tan 1625 avant notre ère. Un
filtre document historique nous montre encore les mêmes
copulations en contact comme ennemis, puis comme auxi-
iaires, avec les Égyptiens sous Ramsès II, au commencement
lu XIV® siècle avant notre ère. Ces contacts avec les Égyptiens
les habitants des îles italiennes et des Étrusques ont dû leur
aire connaître le fer. En Sardaigne et en Étrurie, on retrouve
les antiquités égyptiennes. Rapportant des objets divers,
plus forte raison ont-ils dû importer chez eux l'usage dw
202 DONNÉES PALETHNOLOGIQUES
fer, élément si utile dans Tindustrie. On peut donc con-
clure que l'introduction du 1er a eu lieu en Italie du xmi* au
XIV® siècle avant notre ère.
A cette époque, les communications entre l'Italie et la France ,
étaient fréquentes. On a trouvé des objets de Tâge du bronze
sur plusieurs cols des Alpes. Le fer a donc dû franchir les
Alpes environ quatorze siècles avant notre ère. Il a d'abord
été apporté tout fabriqué par le commerce. Les fondeurs de
bronze des palafilles de la Suisse l'ont utilisé comme ornement.
Ils Tincrustèrent dans le bronze des beaux bracelets et des
poignées d'épées de la fin du Larnaudien. Plus tard, les fabri-
cants de fer suivirent les marchands, et le nouveau métal se
vulgarisa. On vit alors en France, comme en Italie et en
Egypte, le fer traité en métal impur, tandis que le bronze et
le cuivre étaient considérés comme beaucoup plus nobles.
Nouvelle preuve que le fer nous est venu d'Egypte, métal et
traditions ont cheminé ensemble.
La pierre polie et la civilisation qui l'accompagne nous ont
été apportées par une invasion violente.
Le bronze par une lente insinuation religieuse.
Le fer nous est venu tout simplement par le commerce et
l'industrie.
Hallstattien. — La première époque de l'âge du fer, l'Halls-
tattien a pris son nom des mines de sel de Hallstatt, dans
la province de Salzbourg (Autriche), vallée alpine qui met
l'Italie en communication avec l'Europe centrale. C'est là
qu'un des employés de la mine de sel actuelle, Ramsauer, a
fouillé avec le plus grand soin un riche cimetière de cette
époque, dont il a fait le relevé tombe par tombe. Le cimetière
d'Hallstatl est, sinon le plus riche, certainement un des plus
riches de celte époque. Cela tient à l'exploitation du sel, au
milieu des terres. Les mineurs d'alors échangeaient leur sel
contre les objets les plus beaux, les plus chers, les plus
recherchés. Il y avait à Hallstatt, grâce au sel, un actif centre
de commerce, (^.etle localité est donc devenue le type d'une
grande et importante époque, non seulement par les objets
industriels usuels et de luxe qu'on y rencontre, mais encore
par le mouvement commercial qui s'y est développé, mou-
vement qui est une des caractéristiques les plus importantes
de l'Hallstattien.
.
k
PROTOHISTOBIQUE
263
En Allemagne, en Suisse, en France, ce mouvement avait
4ncipalement pour objectif l'ambre, qu'on allait chercher sur
s côtes de la mer du Nord et de la Baltique et que l'on ap-
Drtait à profusion dans l'Europe centrale et surtout méri-
onale.
Ce commerce entre le Sud et le Nord avait
éjà commencé, au moins du côté de la France,
^ant la fin de l'âge de bronze. Non seulement
Q le reconnaît par l'ambre rencontré dans
iverses stations du bronze, mais encore grâce
1 jalonnement de la route par des objets par-
culiers. Tel est un couteau (fig. ii5), à lame
3urte, à manche fondu du même jet, terminé
ar un grand anneau et portant sur chaque plat
n creux allongé bordé au pourtour de petites
mgueltes, agrafes destinées à retenir une
arniture logée dans le creux. Ces couteaux
3nt larnaudiens, associés à des objets de la fin
e l'âge du bronze. Cette forme très particu-
ère a été rencontrée : à Rovio (Tessin), ver-
ant italien des iVlpes; près de Genève, versant
*ançais ; en France, à Pothières (Côte-d'Or),
Courtavant (Aube), aux environs de Toul
Meurthe-et-Moselle) ; à Binningen, près de
tâle ; près de Darmstadt, sur les bords du Rhin,
t en Hanovre, près de la Weser.
Ces couteaux se rencontrent dans des tom-
bes, indistinctement, à incinération ou à
nhumation. On voit que le sentiment reli-
Seux, deuxième manière, s'est très amoindri
►ar suite du commerce et des pérégrinations.
Un autre jalonnement (fig. 116), relevé avec beaucoup de
oin, est celui des cistes à cordons. Les cistes sont des seaux
ylindriques en bronze, coupés dans leur hauteur par des
bourrelets au repoussé qui les divisent en une série plus ou
Doins nombreuse de zones horizontales (fig. 117), unies ou
►rnées. On connaît 107 de ces cistes à cordons, mais comme i4
îonstituent une cachette de marchand en Hongrie, extrême
imite orientale de la distribution, il ne faut pas en tenir compte,
^este donc 98, ayant servi, disséminés ainsi : 48 en Italie dont
Fig. ii5.— Cou-
teau en bronze
à anneau et
à languettes,
lame et man-
che du même
jet. Sépulture
de Courta-
vant (Aube).
Coll. Morel.
1/3 gr. nat.
2^4 DONNÉES PALETHNOLOGIQUES
2^ à Bologne ou dans les environs. C'est évidemment là le grand
centre de consommation ; lo proviennent du versant méridional
des Alpes. Sur le versant opposi', on en a signalé : 5 en France,
1 en Belgique, i en Hollande, i en Suisse, 5 dans le Wurleni-
bcrg, 2 en Bavière, 6 à Hallstall, i dans le Tyrol. Puis, rt-
PHOTO II ISTO R IQU H
:!6â
montant au Nord, on en retrouve 2 dans la vallée du Rhin,
5 dans ie Hanovre et i dans le Mecklembourg, D'autre part,
plus à l'est, Il s'étalent dans l'Istrie et la Camiole, et de là
ils regagnent la Baltique par la Moravie, 1, le duclié de
Posen, i,et le Brandebourg, 1. Ce jalonnement des cistes à
cordons de la fin de l'HallsIattien montre que le mouvement
commercial de l'ambr était à ce moment le même qu à la
fin de ràgc<lu bronze en élargissant on a rc du côté de 1 est.
Les sépultures hall j
stattiennes ont fourni
aussi un certain nom
bre à'œnochoés, ou a
ses à long bec (fig. 118)
qui jalonnent aussi 1 es
pace compris entre H
Baltique et la Méditer
ranée. Ce que ces \a
ses, dont plusieurs ont
été recueillis en France
ont de particulier, c est
qu'ils sont parfois orné
de lions, influence meri
dionalc.Ccsontdesli n
à courte crinière, donc
des lions d'Asie. Les ^^ \-'; \n„ f « ' d l 1%'.
cenochoés, au moins ^g i
comme origine , provien
ncnt du sud-est. Une épultui hallstatfiennc !u canton de
Berne (Suisse), à <. 11e h«jl fournil un document encore
plus précis. C'est une grande et belle orne en bronze qui a
non seulement ses anses formées chacune de deux lions
orientaux, mais encore un bel ornement [(ig. 119) en bronze
ajouré, représentant Astarté, divinité syrienne. En France,
sous le tumulus de la Garenne, à Hainte-Ciolombe (COte-
d'Or),une autre sépulture a donné un grand bassin orné de
têtes de griffons, tfites tout à fait orientales. Nous repro-
duisons figure 120 le bassin de la Garenne et comme terme
de comparaison, figure 121, une tOte de griffon provenant
d'OIympie (Grèce).
Ce sont là autant de preuves qu'il y avait des relations
a66
ntlNMÏES PALKTHXOLOGiyUES
commeiciales ciitit I Orienl et 1 Occideiil Pc» iclalions
s'étendaient au moins depuis la Syrie jusqu k la Baltique
coupant 1 Europe en écharpe et ae faisant senlii grande-
ment en Suibse et en France
Les sépultures
halUtattiennes de
France sont is-
senliellement ous
iumulus L épo-
que est parfaile
ment caracléri e
dans son enseni
bic mais d \ns
léiat de nos i.on
naissances il n est
pas possible de la
subdiviser II tn
e l tout autie
ment en Italie ou
il existe des ti
metiere&di\ ei &
nettement carac-
térisés et mieux
encore des cou-
ches de sépultu-
res superposées.
Ces sépultures se
trouvent dans des
terres d'alluvions;
il a donc fallu.
pour former les
divers niveaux, un
temps très long, beaucoup plus long que celui que les ar-
chéologues classiques leur assignent en se basant seulemcnl
sur les objets recueillis.
Le développement de l'industrie hallslatlienne a pris un
grand essor en Ilalic, dans les régions situées au nord de
TApennin, Il existait là un cenlre fort actif. On y a trouvé,
soit à Bologne, soit à Kslc, des vases, surtout des seaus
on bronze nommés silules, ornés de représentations animales
: Mb ne). Mu-
PR0TOHI8TORJQUE 267
et de scènes de la vie humaine (ilg. 122 et i23). Ces orse-
ments forment des bandes superposées. Elles débutent gé-
néralement, en haut, par des défilés militaires, puis, au
!). îiuate de Berne, i/a gr. nat.
milieu, viennent des sujets religieux, enfin la vie populaire
est reléguiie tout à t'ait à la fin et fort écourtée. Cela peint
bien l'esprit de l'époque. Le peuple n'est rien, le soldat cl le
prêtre sont tout.
De la partie inférieure de la vallée du Pô, ces vases illus-
trés, fort inléressants sous le rapport des mœurs et du cos-
tume, se dirigent vers le nord-est , l'Autriche, et non vers le
nord-ouest, la France, Nous ne pouvons donc pas utiliser
2f»8 DONNEES PALETIINOLOGIQIES
(l'une manière certaine, les données qu'ils fournissent pour
riiisloirc (le la Nation française.
Mais nous avons en France de fort curieuses statues en
grès (fîg. 124 et 125), à peu près grandeur nature, qui nous
fournissent des données bien françaises. Ces statues, Irès
— Bassin en bronze ornÉ de
s de grilTons, arec non trL'pled. La
enne (Ceie-dOr). Muste de CM-
n-Hur-Seine. 1/10 gr. nnl.
grossières, très primitives, découvertes dans l'arrondissemenl
de Saint-Affrique (Aveyron), sont au musée de Rodez. Elles
représentent une femme et trois hommes. La mieux conservée
est la statue de femme. Sa bouche est recouverte d'un voile,
comme en portent les fera mes arabes de nosjours. Les hommes,
armés de poignards, d'arcs et de flèches ont également des vê-
tements en forme de robe. Cela nous reporte aussi en Orient.
Ces statues sont-elles bien de Toge du fer?
PROTOHISTOniQUE
269
En les comparant avec les représentations humaines des
situlesou seaux coniques ornés de l'époque d'Hallstatl, on
remarque :
1° Que les hommes dans les statues comme sur les situlcs
sont recouverts de longues houppelandes:
a* Que la femme de l'Aveyron a une robe qui recouvre le
dessus de la tfile. Il en est de mémo des femmes des situles.
Seulement ces dernières ont la figure découverte au lieu
d'avoir la bouche cachée par un voile.
Malgré ces analogies, il se pourrait cependant que les
statues de l'Aveyron remontent à
l'âge du bronze et même à la fin du
ïiéolîtbique.
Harnien. — La seconde grande
époque entièrement protobistorique
de l'âge du fer est l'époque mar-
Qtenne. Elle est admirablement ca-
ractérisée en France, surtout dans le
département de la Marne, par les
riches cimetières auxquels on donne
le nom de cimetières gaulois. Peu
distincte en Italie, où elle est ab-
sorbée en grande partie par les
subdivisions de l'Hallstattien et par
l'Étrusque et le Romain, elle reparaît
très nette et fort brillante sur les côtes de la Dalmalic, en lïos-
nie-Herzégovine et dans tout le bassin du Danube. L'indiisliie
de celte époque, très bien caractérisée, se relie pourtant dans
ses tiébulsavec celle de la fin de l'époque précédente. Klle est
facilement reconnaissabic par la forme dun petit objet de toi-
lette fort répandu, la fibule ou agrafe de vêtement. Les fibules
mamiennes, qu'elles soient en fer, en bronze ou très rare-
ment en métal plus précieux, ont l'extrémité destinée à rece-
voir la pointe de l'épingle très longue et recourbée sur l'arc
ou corps de la fibule (fig. 126 et 127).
L'industrie marnienne, partanlde la France, occupant toute
la partie méridionale de rAllemagnc, s'étalant dans la vallée
du Danube, abondante sur le versant oriental de l'Adriatique,
vient confirmer ce que nous avons ditdans la partie historique,
savoir qu'une population uniforme et très mobile occupait
lit- la Ciïrtoso
(Itniie). Masic du Bologiie
1 Sgr. nal.
270 DONNEES PALETHNOLOG[QUE8
OU du moins parcourait et dominait toutes ces régions.
Le commerce continuait à être très actif; comme par I
PHOTOHISTORIQU E
semail 1 ambre de la Baltique en descendant vers
mais plus complet il semail aussi le corail de la
anée en remontant vers le nord (fig
Les Mourels (Aveyron) Mu=ée
ïrégrinalions commerciales mariiienncs, comme les
iennes.neparaisseDt pas avoir eu une grande influence
■mposilion de la population.
mien s'est largement dévj?loppé avant l'introduction
naies en France. Dans les milliers de tombes fouillées
tièrcs marnions de la Champagne, on n'a pas trouvé
aies gauloises. Les premières monnaies apportées en
ont de Philippe de Macédoine, qui a régné de 359 ^
t notre ère. On peut en conclure que les cimetières
î étaient eu plein fonctionnement au m" siècle avant
07*>
DONNÉES PALETHNOLOGIQUES
noire ère cl que l'industrie uniforme qu'ils contiennent re-
monte au moins au iv* siècle.
Les premières monnaies employées en France sont des mon-
naies j^rrecriues apportées par les bandes de pillards ou venues
à Marseille par TetTet du commerce. Ces belles monnaies
FiG. 126. — Fibule marnienne, bronze. Sépul-
ture de la Marne. 2 3 gr. net.
Fio. 127. — Fibule marnienne, bronze.
Somme-Bionne (Marne). 2/3 gr. nal.
grecr[uos, imitées, ont rapidement dégénéré et sont deve-
nues si irrossières, qu'on ne peut en tirer aucune indication
ethnique.
FiG. 128. — Fibule en fer de La Tène (Suisse). 2/3 gr. nat.
Vers la fin de l'époque marnienne, une fabrique ou plutôt
un dé})ôt commercial l'ut établi à La Tène, au débouché du lac
de Ncuchûtel (Suisse). Mais cet établissement a fourni des
monnaies gauloises, entre autres de Marseille. On dit même
qu'on y a trouvé des monnaies romaines. Pourtant, en Alle-
ma^çne et en Suisse, on cherche à donner le nom de La Tène
à l'époque marnienne. C'est à tort, car ce gisement n'est ni
PROTOHISTORÏQUE 278
isez précis, ni assez net, ni assez complet. La Tène corres-
)nd non au Marnien,raaisau Beuvraysicn. C'est l'époque de
ansition entre le protohistorique et l'historique. La fibule
iractéristique de La Tène (fig. 128) est elle-même une fibule
î passage entre les fibules typiques du Marnien et certaines
Dules romaines.
Là finit la palethnologie. L'histoire commence en France
rQQ. l'occupation romaine.
Récapitulation palethnologique. — L'homme a apparu en
rance il y a plus de 200,000 ans. Il y vivait en compagnie
3 deux grands éléphants, ÏElephas antiquus et même YEle-
has meridionalis. Complètement sauvage, il allait eritière-
lent nu, sous une température assez douce. Nous ne lui con-
aissons qu'un seul instrument, un fort morceau de pierre
rossièrement taillée, qui lui servait, suivant le besoin, d'arme
u d'outil.
Cet instrument, le coup de poing, se maniant directement à
imain, l'homme l'a lentement et successivement amélioré, le
3iillant avec plus de soin, plus d'art et surtout le rendant plus
^ger.
Mais, la température baissant, le froid arrivant, l'homme a
enti le besoin de se vêtir. Il a alors modifié son outillage de
•îerre de manière à pouvoir se fabriquer des vêtements avec
les peaux.
Cette évolution se suit d'une manière régulière, sans sou-
bresauts, pendant la première partie du paléolithique, quia été
xtrêmement longue. Il y a donc eu continuité dans l'occu-
pation de la France par la même race, sans intervention ni
Dfluence étrangères.
Puis à la fin du paléolithique inférieur et moyen vint
*époque solutréenne, qui est caractérisée par un beau déve-
oppement de l'industrie de la pierre, développement dû à
'invention d'un procédé technique nouveau. Pourtant cette
nduslrie se rattache par des intermédiaires à celle du Mous-
érien, et son peu d'extension en surface montre que c'est un
simple épanouissement local, qui ne se relie à aucune indus-
.rie similaire étrangère.
En même temps que cette transformation industrielle, s'est
opérée une transformation climatérique. Le climat froid et
bumide, assez uniforme, qui a occasionné le déveloççecaftVîA.
G. DE ^ORTÏLLET \%
274 DONNÉES PALETHNOLOGIQUES
glaciaire, a été remplacé par un climat très sec à tempéra-
tures extrêmes, très froide Thiver et chaude Tété, qui a amené
le retrait des glaciers et forcé Fhomme à s'abriter dans les
grottes et contre les escarpements. Joignant Fos à la pierre
pour fabriquer ses instruments, l'homme a perfectionné son
industrie sur place, il est même devenu artiste ; pourtant,
exclusivement pêcheur et surtout chasseur, il ne connaissait
ni la domestication des animaux, ni Tagriculture ; il ignorait
l'emploi de l'arc et la poterie. Complètement dépourvu, comme
tous les paléolithiques, de religiosité, il n'enterrait pas ses
morts.
L'animal le plus utile à ces chasseurs était le renne. Mais,
l'évolution climatérique continuant, la température s'adoucit
et surtout s'uniformisa peu à peu. Le renne émigra vers le
pôle, suivi d'une partie de ses chasseurs. Les autres restèrent
en France, où ils menèrent une vie précaire. C'est alors que
se produisit une grande invasion qui transforma les usages et
les mœurs. Le paléolithique était fini, le néolithique commen-
çait avec l'agriculture et le culte. Cette invasion provenait
probablement d'Orient, patrie des grandes religions.
A la suite d'importations commerciales et de propagande
religieuse, une autre transformation s'opéra en France. Le
bronze succéda à la pierre, et la crémation prit la place de
l'inhumation. C'est l'Orient et probablement l'extrême Orient
qui nous a fourni la nouvelle industrie et le nouveau culte.
Enfin apparut le fer, provenant d'Afrique par la voie de
l'Egypte. Il fit son apparition en France 1,000 ans au moins
avant notre ère. Pendant les temps protohistoriques du fer,
la palethnologic, si elle ne constate pas des mouvements de
peuples, reconnaît tout au moins de grandes pérégrinations
commerciales qui mettaient en relation la Syrie avec la Bal-
tique. Ce sont là d'utiles données pour tracer l'histoire primi-
tive de la France et établir l'origine de sa population.
QUATRIÈME PARTIE
DOCUMENTS AiNTlIROPOLOGIQUES
CHAPITRE PREMIER
RACE DE NÉANDERTHAL
Squelette de Néanderthal. — Reste à étudier rhomme
lui-même. Malheureusement, comme nous l'avons établi,
rhomme paléolithique n'enterrait pas ses morts, aussi leurs
ossements se dispersaient et se détruisaient rapidement. Les
documents osseux sont donc fort peu nombreux. Pourtant
les pionniers de la science sont parvenus à en réunir suffi-
samment pour établir d'une manière satisfaisante les carac-
tères de nos premières races humaines. Entraînés par leur
ardeur, ces pionniers ont môme dépassé le but et encombré le
champ d'étude de pièces plus ou moins douteuses. Nous écar-
terons avec soin toutes ces pièces incertaines et ne baserons
nos conclusions que sur celles qui sont incontestables.
La première, qui fit grand bruit, fut le squelette et surtout
la calotte crânienne de Néanderthal.
Dans un point resserré et encaissé de la vallée de la Dussel,
à peu près à moitié distance entre Diisseldorf et Elberfeld,
station de Hochdal, débouche un petit ravin nommé Néander-
thal. On y exploite, comme marbre, du calcaire dévonicn. La
carrière, rive droite de la Dussel, côté gauche du ravin, est ou-
verte dans un escarpement presque abrupt. A 18 mètres au-
dessus du niveau de l'eau et à 3o mètres au-dessous du i^W
276
DOCUMENTS ANTHROPOLOGIQUES
teau supérieur, existait une étroite terrasse sur laquelle s'ou-
vrait la petite grotte de Feldhofen. Elle contenait une assise
de limon très dur de i",(k> d'épaisseur. C'est dans ce limon, à
o",66 de .profondeur, qu'en août i856, les ouvriers de la car-
rière découvrirent un squelette humain, couché dans le sens
de la profondeur de la grotte, la tête du côté de- l'entrée.
Fiihlrott, d'Elberfeld, averti, s'empressa de se rendre sur les
lieux et put recueillir la fameuse calotte crânienne (fig. 129)
et divers os. Le tout était empâté dans du limon, véritable
lehm ancien fortement tassé, dépôt acheuléen non remanié. A
i3o pas, du même côté, dans un calcaire semblable, uneaulre
grotte a donné des dé-
bris de rhinocéros, d'ours
et d'hvène contenus dans
du lehm identique. Enfin,
la forme toute spéciale
de la calotte est encore
une preuve qu'on est en
présence d'un débris hu-
main paléolithique.
En voyant la robustidlé
et l'épaisseur des osse-
ments de Néanderthal et la forme toute particulière du crâne,
avec ses arcades sourcilières démesurément développées, son
front bas, fuyant, sans façade, la partie postérieure de la tête
fortement élargie, on s'est demandé si c'était un homme.
Lorsque Schaafîhausen eut bien établi que ce n'était pas
douteux, on a voulu voir dans les débris de Néanderthal les
restes d'un individu anormal, d'un idiot. Mais les découvertes
subséquentes sont venues détruire cette opinion.
Fragment de crâne de Canstadt. — La découverte de
Néanderthal rappela qu'en 1700, le duc Eberhard Ludwigde
Wurtemberg faisant pratiquer des fouilles dans un oppidum
romain à Canstadt, tout près de Stuttgart, on avait recueilli
un débris de crâne humain (flg. i3o)de forme assez bizarre. U
gisait dans le lehm, associé à des restes d'éléphants, d'ours et
d'hyènes. Ce fragment, longtemps oublié, avait été retrouvé
au musée de Stuttgart. Il se compose du frontal et d'une
grande partie du pariétal droit. Dans son ensemble, ce frag-
ment de crâne a le plus grand rapport avec la calotte cra-
FiG, 129. — Crâne de Néanderthal.
1/4 gr. net.
i
RACE DE NEANDERTHAL 277
nienne de Néanderthal. Les arcades sourcilières, moins déve-
loppées, le sont pourtant beaucoup plus que dans les races
actuelles. Ce développement produit un sillon transversal du
côté du front et une dépression au-dessus de la racine du nez.
-Le front est étroit et très fuyant, Técaille frontale est fort
longue. Enfin ce fragment, que possède encore le Musée de
Stuttgart, a tous les caractères néandcrthaloïdes, mais est-il
bien celui qui fut découvert en 1700? Nombre de personnes
en doutent. Il en est même qui nient sa date paléolithique. On
a prétendu que c'était un débris romain et même mérovingien
doté de caractères ataviques. Pourtant, de Quatrefages et
Hamy ont proposé de prendre ce débris comme type de la race
qui groupe les caractères néandcrthaloïdes, mais ils n'ont pas
été suivis. Le type de Néan-
derthal, avec ses ossements
divers et sa calotte crânienne,
est bien plus complet, bien
plus certain, bien mieux con-
nu. On doit d'autant plus le
conserver, qu'il a fourni un r. o -n . ^ ^^ » j.
/ ^ FiG. i3o. — Crûne de Canstadt.
qualificatif fort commode et 1/4 gr. nat.
très employé dans le langage
scientifique. Pour désigner certains caractères, on dit qu'ils
sont néandcrthaloïdes, et l'on est compris par tout le
monde.
Crâne d'Eguisheim. — Maintenant que nous connaissons
le premier signalement et le nom de la race de Néanderthal»
abordons la rive gauche du Rhin.
En creusant une cave à bière dans le lehm qui constitue
l'extrémité nord de la colline de Buhl, à Eguisheim, près de
Colmar, alors Haut-Rhin, on découvrit, en novembre i865,
deux fragments d'un crâne humain (fig. i3i). Faudel, informé
de la découverte, s'empressa de l'étudier avec le plus grand
soin et de la faire connaître.
Ces fragments se composent d'un frontal et d'un pariétal
droit se rapportant au même crâne. Ils étaient enfouis dans le
lehm intact, vierge de tout remaniement antérieur, au bout
d'une tranchée de 5 mètres de long, sous une hauteur verticale,
c'est-à-dire à une profondeur au-dessous de la surface du sol,
de ^",5o. Les autres ossements trouvés disséminés en divers
278
DOCUMENTS ANTHROPOLOGIQUES
endroits dans le même lehm sont un métacarpien de petit
cheval, divers débris d'un petit bovidé, le frontal d'un grand
cerf et une molaire de mammouth ou Elephas primigenmJ
Les os humains et les os des autres animaux ont exactement'
les mêmes caractères physiques et la même composition chi*
mique, comme Ta constaté Scheurcr-Kestner en faisant
diverses analyses.
Le crâne d'Eguisheim, tout en ayant les arcades sourcilières
très développées, les a moins fortes que celui de Néanderthal;
par contre, le front est plus fuyant, bien qu'un peu plus large.
Les sinus frontaux sont très développés. L'écaillé frontale très
allongée, et, bien que les deux fragments qu'on possède soient
assez restreints, on reconnaît très bien que ce crâne, comme
tous ceux de ce type,
était dolichocéphale et
avait la portion posté-
rieure très élargie, et
l'occipital rejeté en ar-
rière. Les sutures fort
simples tendent à se
souder et à disparaître
totalement. Les formes
plus adoucies de ce crâne peuvent le faire attribuer à une femme.
Marcilly et Bréchamps. — A Marcilly-sur-Eure (Eure), Dorc-
Delente a recueilli dans la terre rouge ou terre à brique, équi-
valent du lehm rhénan, un frontal humain (fîg. 182). Il pro-
vient de la tranchée de la Mésangère, chemin de fer d'Evreuxà
Dreux. Cette tranchée est ouverte à mi-côte sur l'escarpement
qui domine l'Eure. La terre à brique repose sur des marnes
ravinées, aussi la coupe présente de nombreuses ondulations
ou poches avec débris de silex. C'est dans une de ces poches,
presque au fond, à 3o ou 4o mètres au-dessus du niveau de
la rivière et 20 ou 3o mètres au-dessous du plateau, sous
environ 7 mètres de terre à brique, qu'a été rencontré le crâne.
Il était, dit-on, entier, mais les ouvriers l'ont brisé. L'on n'a pu
retrouver que le frontal ne conservant qu'une très petite por-
tion de l'arcade sourcilière droite. J'ai vu l'os peu après sa
découverte, les cassures, toutes fraîches, montraient que, si le
crâne n'était pas entier, il se trouvait certainement beaucoup
plus complet qu'il ne l'est actuellement,
m
FiG. i3i. — CrAne d'Eguisheim. i/Agr. nat.
RACE DE NKANDERTIIAL
279
Fio. 182. — Frafçment du
crûne de Marcillysur-
Eure (Eure). 1/4 gr. nat.
Ce débris humain n'était directement dalc ni par des osse-
fc.cnts fossiles, ni par des silex taillés, mais son mode de gise-
li.«nt ne peut laisser aucun doute sur son âge. Dans la vallée
«5 l'Eure et aux environs de Dreux le même niveau géolo-
îque, dans les mêmes conditions, a
liurni sur plusieurs points, associés
des ossements d'animaux fossiles,
i«s silex taillés très nettement mous-
ôriens inférieurs ou acheuléens. On
• eut citer entre autres la brique-
Brie de la Hutte, commune de Cré-
►^-Couvé. Sous une épaisse couche
le terre rouge à brique, exploitée
t mi-côte, se trouve un dépôt de silex parfaitement taillés
ififectant les formes les plus caractéristiques, pointes et ra-
-loirs moustériens mêlés à quelques coups de poing acheu-
^ens. Parmi les ossements associés à ces silex taillés, il y a
ie nombreux débris de marmottes. Le gisement ne saurait
Itre mieux caractérisé. Le crâne humain de Marcilly-sur-
Eure, recueilli au même ni-
veau géologique, est donc
bien moustéricn inférieur.
Ce crâne est tout à fait
néanderthaloïde et se rap-
proche beaucoup de celui
d'Eguisheim. Les arcades
sourcilières devaient être
très proéminentes. Malheu-
reusement, il ne reste plus
qu'une faible portion de la
partie externe de l'œil droit.
Elle suffit pour montrer qu'il y avait une forte dépression entre
es arcades sourcilières et le front. C'est même cette dépression
jui a facilité la cassure de l'os et la perte des autres portions
ies orbites. On sait que cette dépression est un des carac-
tères des crânes néanderthaloïdes.
Le front est étroit et sans façade ; il est fuyant en ar-
rière, pourtant les bosses frontales commencent à se mon-
trer.
L'écaillé frontale est fort longue. Au delà le crâne est un
FiG. i33. — CrAnc de Bréchamps (Eure
el-Loir). 1/4 gr. nat.
oSo DOCUMENTS ANTHROPOLOGIQUES
peu déprimé, comme vallonné. Le front est resserré, et laléle
s'élargit fortement du côté de Toccipital.
La suture frontale a entièrement disparu, la soudure fron-
topariétale est fort avancée. On ne voit plus trace des dente-
lures sur le sommet de la tôte. Elles ne se montrent qu'un peu
sur le côté. Elles sont allongées, mais fort simples. L'épais-
seur de Tos est faible. J'ai signalé cette découverte et décrit
ce frontal dans U Homme ^ numéro du 25 janvier 1884.
Après cette découverte, Doré-Delente en a fait une nou-
velle dans les mêmes conditions de gisement. Il a recueilli à
la briqueterie de Bréchamps, canton de Nogent, près Dreux
(Eure-et-Loir), un autre crâne néanderthaloïde beaucoup plus
complet (fig. i33). Il l'a présenté à la réunion d'Elbeuf de la
Société normande d'études préhistoriques, le 28 mai 189.3,
où je l'ai vu. Mais, mort peu après, Doré-Delente n'a pas pu
le publier.
Ossements de Denise. — H y a cinquante-trois ans, en
i8/|4, douze ans avant la découverte du squelette de Ncan-
derthal, on a signalé des ossements humains paléolithiques
sur un autre point de la France, près du Puy (Haute-Loire).
Aymard signala, le 24 novembre i844î à la Société géologique
de France ( 1 ) la découverte d'ossements humains dans une
couche de laves boueuses de l'ancien volcan de Denise, com-
mune d'Espaly, au lieu dit l'Ermitage. C'était pour ainsi dire
le premier fait bien net, bien observé, confirmant l'existence
de l'homme fossile. Aussi se mit-on à contester le gisement.
L'homme contemporain des dernières éruptions volcaniques
du Velay renversait trop complètement la chronologie bibli-
que, qui faisait loi absolue alors, pour ne pas soulever une
formidable opposition. On supposa tout d'abord qu'il s'agis-
sait simplement d'un homme tombé dans une fente. Mais les
ossements étaient entièrement engagés au milieu de petites
couches des plus régulières, provenant d*une assise non fis-
surée. Voyant qu'on ne pouvait fausser la découverte, on prit
le parti de la nier. Les blocs contenant les ossements humains
seraient l'œuvre d'un adroit faussaire, d'un marchand inté-
ressé. Heureusement, on avait affaire à un Havant énergique,
(1) Aymard, Note sur une découverle de fossiles humains dans un bloc
de pierre provenant de la montagne volcanique de Denise, dans BulMin
Soc. géologique dz France^ i^44» sér. 11, vol. I, p. 117.
^^
RACE DE NÉ.VNDERTIIAL 28 1
qui, au lieu de se laisser abattre par la contradiction, y puisait
une nouvelle ardeur. Étudiant le fait avec soin, dans ses divers
détails, toujours sur la brèche, Aymard répondit à toutes les
objections. Soumettant successivement la question sur place,
pièces en main, à tous lès hommes spéciaux et indépendants,
il finit, non sans peine, par faire admettre et triompher la
vérité ; mais il lui fallut pour cela plus de vingt années,
tant les vieilles idées enrayaient encore la science.
Les fossiles humains de Denise, d'après E. Sauvage, qui le pre-
mierles a étudiés sous lerapportanthropologiqueeni872, sont:
Un frontal (fig. i34i de la collection Pichot-Dumazel, recueilli
au commencement de Tannée i844.
Le bloc du m usée du Puy découvert en septembre de la
môme année contient un frontal et di- .
vers os. / ^^"^s.
Deux blocs faisant aussi partie delà col-
lection Pichot, avec de nombreux os. Ils
ont été, dit-on, trouvés assez longtemps
après le précédent. ^^^ ^3^ _ ^^^^^^^^
Un bloc de la collection Aymard avec de calotte crânienne
une dent et ua métacarpien. tiJ^e^ms^T'
Enfin une dent trouvée par Paul Gervais.
L'authenticité du frontal Pichot est parfaitement établie
par des couches de limonite argileuse qui incrustent tout
l'intérieur sur une épaisseur assez forte. Le bloc du musée
est aussi reconnu tout à fait authentique. J'ai pu le constater
moi-même après l'avoir examiné avec le plus grand soin. En
est-il de môme des deux blocs Pichot, qui ne se sont produits
qu'après le bruit occasionné par la découverte du premier ?
Les avis sont partagés. Le propriétaire ne les donne pas
comme bons. Laissons-les donc de côté. Cette contrefaçon, si
contrefaçon il y a, vient confirmer l'authenticité des autres
pièces : on ne contrefait que ce qui a de la valeur.
Le frontal du bloc du musée a des caractères néandertha-
loïdes. D'après Sauvage (i), « la portion de ce frontal que l'on
peut étudier, nous montre les arcades sourcilières saillantes
en bourrelet épais, une glabelle proéminente, surmontée d'un
front fuyant qu'en sépare une partie fortement déprimée. »
(i) E. Sauvage, Revue d'Anthropologie, 1872, vol. I, p. 294.
282 DOCUMENTS ANTHROPOLOGIQUES
Les mômes caractères s'obsers^ent sur le frontal isolé de la
collection Pichot, mais ils sont plus atténués, cet os n'ayant
pas atteint son entier développement.
Le bloc du musée, outre le frontal décrit, contient un frag-
ment de pariétal, un de maxillaire supérieur avec une canine
très usée, un de mâchoire inférieure plus jeune avec une
canine et trois molaires, une vertèbre lombaire, une moitié
supérieure de radius et deux métacarpiens, le tout trop em-
pâté dans la roche pour pouvoir être étudié. On n'isole pas
ces divers os pour conserver au bloc son caractère d'authen-
ticité. C'est fâcheux au point de vue anthropologique.
Mâchoire de Malarnaud. — Une mâchoire inférieure
humaine a été découverte, en 1889, par Bourret et F. Regnaull
dans la caverne de Malarnaud, près Montseron, vallée de
l'Arize, affluent de la Garonne (Ariège). Cette caverne est
composée de galeries et de puits ; de là deux modes de forma-
tion fort distincts dans les dépôts. Les galeries ont servi de
repaire au grand ours des cavernes, aussi leur sol est-il encom-
bré d'ossements d'Uraus spelœus parmi lesquels on a rencontré
quelques débris d'hyène, de lion, de panthère, de loup, de renne
et une dent de rhinocéros. Sur ce sol reposent des éboulis,
provenant de puits, avec ossements de grand bovidé, renne,
cerf, chamois, bouquetin. Une couche de stalagmite sépare
nettement les deux formations. C'est dans la formation infé-
rieure, à 2 mètres au-dessous de la stalagmite, qu'a été ren-
contrée la mâchoire humaine. Elle appartient donc bien au
paléolithique ancien ou tout au moins moyen. Elle ne peut
remonter au delà du Moustérien.
Cette mâchoire (fig. 149) est complète, sauf quelques por-
tions des branches montantes. Elle ne possède plus qu'une pre-
mière molaire. Les troisièmes molaires n'étaient pas encore sor-
ties, on les aperçoit au fond de leurs alvéoles. Voici ce que dit
H. Filhol : « A première vue, le maxillaire que je décris frappe
par un ensemble de caractères étranges. Il est très bas ; la
symphyse oblique de haut en bas et d'avant en arrière donne
à la partie antérieure de la mâchoire l'aspect d'un museau ;
il n'existe pas la moindre saillie représentant le menton;
l'épaisseur au niveau de la symphyse est considérable; on
constate un prognathisme interne très accusé ; les alvéoles de
la première et de la seconde molaire sont |égai:|¥ ; le bprd
RACE DE NÉANDERTIIAL 283
postérieur de la branche montante est, par suite de la dispo-
sition du menton, très redressé ; le bord inférieur du maxillaire
-st disposé de telle manière, que, la mâchoire placée sur un
>lan horizontal, il touche ce plan sur presque toute son éten-
lue. Ce n'est qu'en avant qu'on observe un peu de relève-
nent ; enfin il n'y a qu'une seule paire d'incisives. »
Cette absence d'une paire d'incisives paraît n'être qu'une
iimple anomalie qu'on observe parfois de nos jours. Elle ne
nodifie en rien les caractères généraux de la mâchoire, carac-
ères que nous retrouverons dans les mâchoires fournies par
a Belgique.
Mâchoire et os de la Naulette. — Si nous passons en Belgi-
jue, nous y constaterons deux très importantes découvertes.
C'est d'abord, dans l'ordre chronologique, la mâchoire de la
Xaulette. Elle a été trouvée en 1866 par Edouard Dupont,
ians une grotte de la rive gauche de la Lesse, commune dç^
F'urfooz, près de Dinant. Le trou de la Naulette s'ouvre dans
in escarpements à 28 mètres au-dessus du cours de la Lesse,
^'est un étroit couloir suivi d'une chambre assez grande,
complètement obscure, renfermant une épaisseur de 8™, 55 à
)™,4o de limon coupé d'une manière irrégulière par sept
lappes successives de stalagmites. La mâchoire provient d'une
couche de o",6o à o'",7o d'épaisseur placée entre la deuxième
3t la troisième nappes stalagmitiques en partant d'en bas. Bien
^ue se trouvant à peu près au milieu du dépôt, elle était
3ncore recouverte de cinq nappes de stalagmite, ce qui est
plus que suffisant pour garantir d'une manière absolue son
ancienneté.
La même couche a donné :
Un cubitus humain. D'après Dupont : « La grande cavité
sigmoïde et l'olécrane manquent. La forme de cet os est nor-
male. Il appartient à un individu de petite taille ; son aspect
et son tissu laissent pressentir qu'il faisait partie du sque-
lette d'une femme. Sa longueur, prise à la hauteur de l'arti-
culation du radius, est de 2i5 millimètres. »
Un métacarpien et une dent canine humains.
Une forte portion d'humérus d'éléphant.
Plusieurs os des membres de rhinocéros.
Très probablement l'éléphant est le mammouth ou Elepha$
primigenius et le rhinocéros, le /?. tichorhinus,
284 DOCUMENTS ANTHROPOLOGIQUES
Ossements de renne, mégacéros, chamois, sanglier, etc.
La mâchoire (fig. i5o) est une mandibule inférieure pri-
vée de ses dents, des parties montantes et d'une portion de
la branche horizontale droite. Ses dimensions peuvent bien
la faire rapporter à une femme, comme le pense Dupont,
mais à une femme qui, malgré sa petite taille, avait une puis-
sante mâchoire. En effet, le caractère essentiel de la pièce est
la robusticité, si je puis m'exprimer ainsi. L'os dans tout son
ensemble est épais et trapu. Il se rapproche des mâchoires
d'anthropoïdes par des épaisseurs exceptionnelles. Le menton,
sans la moindre saillie, au lieu de se projeter en avant de la
verticale, est légèrement fuyant en arrière. C'est un intermé-
diaire entre l'homme et le singe. Les alvéoles des dents
montrent que les molaires, au lieu de décroître de la première
à la dernière, se développent dans le sens inverse. Enfin au
milieu de la courbe interne de la mandibule au lieu d'y avoir
une petite excroissance nommée apophyse géni, il y a un
creux comme chez les singes. On peut donc dire que ce débris
humain, précieusement conservé au Musée d'histoire natu-
relle de Bruxelles, est le plus pithécoïde qui ait été rencontré.
Squelettes de Spy. — Une découverte plus importante
encore a eu lieu vingt ans plus tard, également en Belgique.
Vers la fin de l'été de i885, Marcel de Puydt et Max Lohesl,
de Liège, ont fouillé une grotte sur le territoire de la com-
mune de Spy, non loin du moulin de Goyet, au-dessus d'un
petit cours d'eau, l'Orneau, à 1,200 mètres environ au S.-E.
de la station d'Onoz. Cette grotte, nommée dans le pays
Betche-aux-Rotches, avait déjà été explorée plusieurs fois,
aussi n'offrit-elle rien de bien particulier. Mais les explora-
teurs liégeois remarquèrent qu'elle était précMée d'une ter-
rasse ayant en moyenne 1 1 mètres de long si.r 6 mètres de
large. Ils attaquèrent résolument cette terrasse vierge de
toute fouille et y trouvèrent, en 1886, deux squelettes hu-
mains dans un milieu riche en silex taillés palév>lithiques et
en débris d'animaux où les restes d'éléphants abonrtint.
Les fouilles conduites avec soin ont donné la coupe Svûvanle
en allant de hauten bas (fig. i35). Nous conservons autantquc
possible les termes employés par les fouilleurs eux-mômes (1):
(1) ?.ÎARCEL DE Puydt et Max Lo::lst, L'Homme conlemporain da
RACE DE NÉANDERTHAL 285
A. Eboulis et terre brune variant de 25 centimètres à
3 mètres d épaisseur.
B. Terre jaune, très chargée de carbonate de chaux, pas-
sant même au tuf, épaisseur de 80 centimètres à 1 mètre.
Le premier dépôt industriel et ossifère se montrait à la partie
supérieure de cette assise. Assez irrégulièrement caractérisé,
il ne contenait des silex taillés qu'à Test et ^ l'ouest de Fen-
Omeau.R.
FiG. i35. — Coupe du gisement de Spy (Belgique).
A. — Argile brune et éboulis.
B. — Tuf argileux Jaune (!*' niveau ossifère).
C. — Zone colorde en rouge (S* niveau ossifère.
D. — Argile caicareuse Jaune.
E. — Ossements humains.
F. — Argile brune (3* niveau ossifërèU
K. — calcaire carbonifère.
Irée de la grotte. Ces silex sont patines plus profondément
que ceux des dépôts inférieurs. Ossements rares, presque ex-
clusivement de cerf et de mammouth.
C. Petit lit ou zone de 5 à 3o centimètres d'épaisseur,
presque toujours coloré en rouge. Deuxième niveau industriel
et ossifère. Rhinocéros tichorhinus assez abondant, mam-
mouth très abondant, cerf, renne. Plusieurs foyers ; nom-
breux silex et quelques autres roches taillés, i4o pointes
moustériennes, 3oo racloirs et grattoirs ; objets divers en
Mammouth à Sptjf province de Namur.iSS'j,— Julien Fraipont et Max
LoHEST, Recherches ethnographiques sur des ossements humains décou-
verts à Spy et leur âge géologique y 1887.
286 DOCUMENTS ANTHROPOLOGIQUES
ivoire et en os; déchets de la taille de l'ivoire si abondants
qu'ils forment par place une véritable brèche de lo à 20 cen-
timètres d'épaisseur.
D. Terre jaune, passant parfois au tuf vers la partie supé-
rieure, devenant brune et veinée de noir vers la partie infé-
rieure. Épaisseur variant entre quelques centimètres et
1 mètre. Troisième niveau industriel et ossifère. Rhinocéros
tichorhinus abondant, mammouth commun, cerf rare, renne
très rare. Fragments de silex parfois très abondants, instru-
ments caractérisés peu nombreux, types moustériens.
C'est dans cette assise qu'ont été rencontrés les deux sque-
lettes humains.
Toutes les assises renfermaient des fragments anguleux et
des blocs de calcaire, parfois fort volumineux, éboulîs de la
roche locale.
Les squelettes humains renfermés dans l'assise D, franche-
ment moustérienne, étaient recouverts par la zone C formant
« au-dessus des ossements humains une brèche dure, résis-
tant au choc du marteau... La continuité de cette zone C au-
dessus des ossements humains constitue un fait d'une im-
portance considérable, en donnant aux ossements un âge
indiscutable, d'abord, et en rendant ensuite inacceptable
toute hypothèse de remaniement (1). »
Malgré toutes les observations de gisement et les apparences
géologiques qui militent en faveur de la contemporanéité des
squelettes et de la couche qui les contient, on pourrait soule-
ver deux objections :
1° Parmi les objets d'industrie humaine recueillis à Spy, se
trouvent quatre fragments de poterie. Or nous savons que
dans l'ouest de l'Europe la poterie ne date que du néohthique.
Mais cette poterie n'est pas du niveau industriel et ossifère qui
contient les squelettes. Elle aurait été rencontrée dans le
niveau qui les recouvre. Bien plus, ces fragments de poterie
n'ont pas été recueillis par de Puydt et Lohest eux-mêmes,
mais par un simple ouvrier, et il suffît d'avoir un peu fouillé
pour savoir ce que valent les affirmations des ouvriers. La
mâchoire de Moulin-Quignon en est une preuve éclatante.
iL° Autre objection : pendant le paléolithique, on n'enterrait
(1) Max Lohest, géologue, p. CG4dc Recherches ethn. sur oss, humaini'
RACE DE NÉANDERTHAL
287
FiG. i36. — Crâne de Spy n» 1. 1/4 gr. nul.
pas les morts. Grave objection s'il s'agissait bien ici d'ense-
velissements intentionnels. Mais les squelettes se trouvent au
milieu d'abondants éboulis, dont quelques débris atteignent
plusieurs mètres cubes. On est donc probablement en présence
de victimes d'un éboulement important. Les squelettes ont été
conservés parce qu'ils se sont trouvés immédiatement recou-
verts. Les hyènes dont les
vestiges sont assez abon-
dants, aussi bien à ce ni-
veau qu'aux niveaux su-
périeurs, n'ont pu ronger
et disperser les os. Ce
qui vient confirmer Thy-
pothèse d'un éboule-
ment, c'est l'observation
de fractures fort ancien-
nes des os, fractures qui
paraissent remonter à la
période paléolithique ,
comme de Puydt et Lo-
hest rétablissent.
Eh bien ! d'après une
étude des plus attentives
et des plus complètes de
ces squelettes faite par
Julien Fraipont, les crâ-
nes (fig. i36 et 187) se rap-
portent de la manière la
plus frappante à celui de
Néandcrthal, et les mâchoires inférieures ont beaucoup d'ana-
logie avec celles de la Naulctte et de Malarnaud.
Squelette de Tilbury. — Les travaux d'agrandissement
des docks des Indes Orientales et Occidentales, à Tilbury, sur
la rive gauche de la Tamise, près de Londres, amenèrent en
octobre i883 la découverte d'un squelette humain enfoui à
10°*, 5o de profondeur. La coupe du terrain fut relevée avec
soin par l'ingénieur D. Baynes, et les ossements décrits et
figurés par Richard Owcn. Malheureusement, le squelette n'a
pas pu être retiré en entier. On ne possède que des portions
assez importantes du crâne et de la mâchoire inférieure, les
Fig. 187. — Crâne de Spy n" 2. 1/4 gr. nat.
288 DOCUMENTS ANTHROPOLOGIQUES
fémurs, les tibias, rhumérus droit, le radius et le cubitus
gauches, un fragment du bassin et divers petits os.
Les 1 0^,50 de terrain qui, à partir du niveau actuel du ma-
rais des bords de la Tamise, recouvraient le squelette se com-
posent de :
Couche d'argile • • i">^
— de vase 3",3o
— de vase et de tourbe o™,5o
— de tourbe o»,32
— de vase - • i",20
— de tourbe i",io
— de vase o^53
— de vase et de tourbe i°,oo
— de sable et de bois pourri o"',25
— de sable o"'^
io"",5o
FiG. i38. — Crâne de Tilbury, Londres
1/4 gr. nat.
C'est à cette profondeur, sous 5o centimètres de sable que
gisait le squelette. Le sa-
ble se prolongeait encore
pendant 3™, 25 et reposait
sur des graviers.
Le crâne de Tilbury
(fig. i38) est tout àfaitnéan-
derthaloïde. Il est très doli-
chocéphale et dépourvu de
bosses frontales. La voûte crânienne est peu élevée ; le front
étroit, bas et fuyant. Sans être aussi développées que celles
du crâne de Néanderlhal, les arcades sourcilières sont pour-
tant fort proéminentes.
L'humérus n'a pas la cavité olécranienne perforée. Les
fémurs sont excessivement forts et épais ; sur le fémur
gauche, entre le grand et le petit trochanter, se trouve une
assez forte tubérosité. Tous ces os ont dû appartenir à un
homme âgé, doué d'une force et d'une vigueur remarquables.
Crâne de Bury-Saint-Edmunds. — Un an après la décou-
verte du squelette de Tilbury, en i884, Henry Prigg signa-
lait à l'Institut anthropologique de la Grande-Bretagne un
fragment de crâne néanderthaloïde, provenant de la vallée de
la Linnet, près de Bury-Saint-Edmunds. Ce crâne trouvé
isolé ne peut être attribué à une sépulture. Il est allongé.
RACE DE NÉANDERTÏÎAL 289
partie postérieure très développée. Il n'a pour ainsi
re plus de front, la partie antérieure étant très fuyante.
)mme gisement, il a été rencontré dans un dépôt argileux
laternaire qui recouvre la craie et remplit de nombreuses
►ches de ravinement. C'est un gisement tout à fait ana-
gue à celui des crânes néanderthaloïdes de la vallée de
luve. Les argiles qui contenaient le crâne de Bury-Saint-
imunds ont donné aussi, comme faune du mammouth, i^/e-
lasprimigenius^ et comme industrie des coups de poing en
ex. Elles sont donc acheuléennes. A cette époque, TAngle-
rre était soudée à l'Europe continentale. Il est tout
iturel d'y retrouver le même type humain que dans le bassin
i Rhin, en Belgique et en France.
Quant aux deux fragments de crânes signalés en Bohême,
m à Brûx, l'autre à Podbaba, comme ils sont fortement
ntestés, nous pouvons ne pas nous en occuper. Il y a d'au-
Qt moins de mal, que la Bohême est assez éloignée de la
•ance pour qu'il n'y ait pas lieu d'aller chercher dans ce
lys les types des premiers Français.
Si nous écartons aussi le fragment crânien de Canstadt,
;alem6nt contesté, il nous reste dix découvertes incontes-
bles :
Néanderthal dans le lehm, formation éminemment paléoli-
ique du bassin du Rhin ; Eguisheim également dans le
hm, bien caractérisé par le mammouth; Marcilly-sur-Eure
Bréchamps,dans des poches de l'argile à brique, équivalent
i lehm, nettement acheuléennes ; Bury-Saint-Edmunds,
paiement dans l'argile à brique caractérisée par des coups
ï poing en silex et le mammouth ; Tilbury, des sables d'àllu-
on inférieurs du paléolithique ; Malarnaud, repaire du
and ours des cavernes avec lion et rhinocéros ; la Naulette,
compagnée d'éléphants et de rhinocéros ; Spy, au milieu
is débris de mammouth et de toute une industrie acheu-
3nne supérieure ou moustérienne; enfin Denise, dans une
rmation volcanique du centre de la France, peut-être plus
cienne que les précédentes.
En tout cas, il est certain que tous les ossements humains
e nous venons' d'énumérer appartiennent au premier
•mme qui est venu occuper la France et Fouest- dé l'Eur
pe.
G. DE MORTILLET. \^
290
DOCUMENTS ANTHROPOLOGIQUES
Type de Néanderthal. — Grâce à ces divers débris étu-
diés avec soin par des anthropologues du plus haut mérite,
grâce surtout aux travaux de Julien Fraipont sur les deux
squelettes de Spy, nous sommes à même de reconstituer
d'une manière satisfaisante le type des premiers habitants
de la France.
Crâne : Les dix découvertes incontestées que nous venons
de passer en revue ont
fourni dix crânes ou frag-
ments de crânes, Spy et
Denise en ayant donné
chacun deux. Les tracés
de ces dix débris crâniens,
vus de dessus (fig. 189) ou
de profil, se superposent as-
sez exactement, suffisam-
ment pour les faire rappor-
ter à une seule et même
race. Le sommet de ces
crânes est très surbaissé.
Ils sont donc ce que les
anthropologues appellent
platycéphales. Par suite de
l'é troitesse de la partie anté-
rieure et du développement
de la partie postérieure, la
calotte crânienne forme
un ellipse bien marquée,
assez allongée. Le crâne est par conséquent dolichocéphale.
En un mot la race de Néanderthal avait le crâne dolichoplaty-
céphalc. L'indice céphalique du crâne de Néanderthal est de72
d'après SchaaiThausen. Celui de Spy n^ 1, de 70 ; de Spy n» 2,
74 à 76 d'après Fraipont. Pour Néanderthal, Huxley estime
les courbures : frontale i33, pariétales 119, occipitale seule-
ment 5i. Les sutures sont généralement très simples. Partie
supérieure et surtout postérieure du crâne bosselée. Maxi-
mum d'épaisseur des os du crâne : Eguisheim, o™,oii ; Néan-
derthal, Spy n® 1 et n°2, o"^,oio; Denise, o"\oo6 1/2 seulement,
mais il s'agit d'un crâne jeune.
Cerveau : L'intérieur des crânes de Néanderthal et de Spy
Fio. i3j. — CrAnc de Néanderthal, vu
de dessus. i/3 gr. nat.
RACE DE^NEANDERTHAL 29I
n'* 1 montre assez bien les circonvolutions principales du cer-
veau, qui paraissent assez simples. La capacité crânienne
de Néanderthal a été estimée 1,220 centimètres cubes.
Partie postérieure : Très élargie, très volumineuse, très
accidentée, fortement projetée en arrière, surtout dans Spy
n** 1, un peu moins dans Spy n° 2.
Frontal : Etroit, surbaissé et fuyant. On pourrait presque
dire qu'il n'existe pas de front. C'est un caractère tout à fait
remarquable. Le frontal monte obliquement vers la région
pariétale sans s'infléchir, ce qui fait qu'il y a absence de
façade frontale. Ce caractère existe très marqué dans les dix
crânes. Les frontaux sont généralement allongés, pourtant
ce caractère n'est pas constant. Ainsi dans les deux crânes
de Spy, surtout dans le n° 1, les frontaux le sont peu.
Saillies sourcilières : Autre caractère très frappant, le
frontal est limité à sa base par des saillies sourcilières fort
développées. Dans le crâne de Néanderthal et dans le n° 1 de
Spy, ces saillies sont énormes ; dans les autres, elles sont un
peu atténuées, mais pourtant toujours prononcées. Ces sail-
lies viennent se rejoindre au-dessus du nez, laissant au-dessus
d'elles sur le front une dépression profonde, comme un petit
valonnement. Ces saillies sourcilières sont moins arquées
que celles de nos races actuelles.
Œil : Orbites très courbées, faiblement plus larges que
hautes. L'œil devait donc être arrondi.
Mâchoire supérieure: Les deux crânes de Spy montrent que
la mâchoire supérieure était fort robuste et très développée.
Nez : Les os nasaux du n** 1 de Spy étaient fortement
déprimés au-dessous de la saillie sourcihère. Cette dépression,
la forme arrondie de l'œil et le développement de la mâchoire
supérieure indiquent que le nez devait être large et épaté.
Mâchoire inférieure: Il en existe cinq: La Naulette, Malar-
naud. Tilbury, Spy n° 1 bien conservée et Spy n° 2 en frag-
ments. Ces mâchoires présentent des caractères très remar-
quables. Elles sont extrêmement robustes. La branche
horizontale, très basse, a une forte épaisseur par rapport à sa
hauteur. Au lieu de présenter un aplatissement sur le côté
extérieur, ce côté forme bourrelet. Le caractère essentiel des
mâchoires inférieures néanderthaloïdes est l'absence de men-
ton. Le menton fait complètement défaut comme à Malar-
2()2 DOCUMENTS ANTHROPOLOGIQUES
naud, ou est tout au plus très sommairement indiqué comme
à la Naulette par une petite empreinte triangulaire. Chez Spy
n<> 1, ce triangle mentonnier s'observe, mais n'a aucune proé-
minence. Il est donc permis de dire que ces mâchoires man-
quent de menton. Autre caractère très important : la ligne
symphysaire au lieu de se diriger en avant de la perpendicu-
laire, se rejette en arrière (fig. i49 eti5o). Cette projection ou
récurrence est très prononcée à la Naulette et à Malarnaud.
Elle l'est moins bien, quoique existant encore, à Spy n' i.
Les apophyses géni qui se trouvent juste au milieu de la
partie interne des mâchoires inférieures, à la jonction des deux
branches, sont tellement réduites, que tout d'abord on nia
leur existence à la Naulette. Puis on les a reconnues sous
des formes variées, mais toujours extrêmement peu déve-
loppées.
Les mâchoires néanderthaloïdes sont affectées d'un léger
prognathisme alvéolaire et dentaire.
Dents : Les dents sont fortes. A en juger par les alvéoles de
la Naulette, les prémolaires et surtout les molaires allaient en
se développant d'avant en arrière. Dans la mâchoire de Spy
n° 1 , ces dents ont des dimensions respectives sensiblement
égales avec tendance d'accroissement vers les postérieures.
L'usure des dents de Spy n° i est transversale avec légère
obliquité externe pour la mâchoire inférieure et obliquité
interne pour la mâchoire supérieure.
Clavicules, i,de Spyn° i ; Omoplates, 3, de Néanderthal et de
Spy n° 2; Bassin, 3, de Néanderthal, Tilbuiy et Spy : ces
divers os sont généralement caractérisés par leur robusticité.
Côtes, 5 débris de Néanderthal et 24 de Spy, montrent que
les côtés étaient arrondies et avaient une courbure brusque,
indice d'une grande puissance des muscles thoraciques. La
poitrine devait être forte et bombée.
Humérus, 7, de Néanderthal, Tilbury, Spy n<** 1 et 2 : Trapus
et épais avec forte courbure de torsion. Insertions muscu-
laires très prononcées, à fortes saillies. Largeur de l'humérus
intact de Néanderthal, 0^,026. Même mesure, au même point,
Spy, o™,025. Cavités coronoïdienne et olécranienne très pro-
noncées. Dans l'humérus intact de Néanderthal, la lame osseuse
qui les sépare est mince, ayant quelques petits trous à peine
visibles. Humérus de Tilbury, cavité olécranienne non per-
BACE DE NI1AI4DERTHAL ZQS
La perforation nVst donc pas un caractère de notre
■imitive.
•tus, 8, Néanderllial, la Naulette, Tilbury, Spy n" i
Forls et épais, pro-
mellement moins
humérus. Les cubi-
Spy sont caraclé-
par une courbure
il une concavité an-
e fortement mar-
r'ws, 5, Néan (1er thaï,
, Tilbury, Spy n"" i
Bien que celui de
erlhal, longueur
, soii épais, les ra-
omme les cubitus
icnL un pou moins
que les humérus.
les radius ont une
ire à concavité in-
opposée à celle du
s et plus accentuée
. L'espace inleros-
dc r avant-bras est
sensiblement élargi.
ur, 6, Néandcrthal,
y, Spy n"* 1 et 2 :
le crâne, la mù-
inférieure cl le fé-
>nt les deux parties
119 caractéristiques
ice de Néanderthai.
nur, d'une robus-
emarquahle, est lourd et épais (fig. i^o). Les saillies
dépressions musculaires dénotent des muscles puis-
Sur le fémur gauche de Tilbury, entre le grand et le
ochanlcr, on remarque une lubérosité qui mérite par
'eloppement le nom de troisième trochanier. Elle cor-
1 presque, en proportion, à la partie du fémur ainsi
294 DOCUMENTS ANTHROPOLOGIQUES
nommée chez certains mammifères. La longueur du fémur ^
est : Néanderthal o"',442, Spy n'' i, o™,43o. Le sommet est
essentiellement trapu ; le col est très court ; la tête du fémur
de Néanderthal mesure o",o5i de diamètre. Le corps de l'os,
très arrondi, caractérisé par une incurvation à convexité anté-
rieure, mesure, comme diamètre antéro-postérieur, au milieu \
de sa longueur o™,o3o pour Néanderthal et o°*,029 pour les j
deux Spy, qui cependant varient pour le pourtour au même
point : ce pourtour étant 0^,090 pour le n° 1 et 0^,098 pour
le n° 2. Base très volumineuse. Condyles fort développés,
surface articulaire fort étendue se déjetant sur la face posté-
rieure des condyles. Le diamètre transversal de Textrémilé
inférieure, d'un condyle à Tautre, est de o'",o87 dans le fémur
de Néanderthal.
Tibia^ 3, Tilbury, 2, et Spy n° 1, un complet, mesurant
comme longueur o™,33o ; c'est dire qu'il est court, bien que
épais et robuste. Le plan supérieur est très développé et
légèrement incliné (fig. i4i).
Mains et pieds : Outre les os importants que nous venons
de décrire, Denise a fourni 2 métacarpiens; la Naulette, 1 mé-
tacarpien ; Tilbury, divers petits os ; Spy, 1 rotule, 1 astragale,
2 calcanéums, 7 métacarpiens, 2 métatarsiens et 2 phalanges.
Des os des extrémités, on peut déduire que les mains étaient
grosses et grandes, les pieds peut-être encore proportionnel-
lement plus grands.
Taille : J. Rahon, dans un travail sur la taille appréciée
d'après l'étude des os longs, arrive aux résultats suivants :
Néanderthal i'»,6i3, Spy i'",5v)o. Schaaffhausen avait obtenu
pour Néanderthal i'",6oi. Fraipont, qui d'abord avait estimé
la taille des hommes de Spy à l'^ïSSy, arrive, à la suite d'études
nouvelles, ù peu près au même résultat que Rahon. Ces
tailles sont celles des hommes se tenant complètement droits?
mais les hommes de la race de Néanderthal ne profitaient pas
de toute leur taille ; leur taille usuelle ou habituelle était
moindre. En effet, la forte courbure du fémur, la forme et le
développement des condyles, la grande étendue de la surface
articulaire, l'inclinaison du plan supérieur du tibia, montrent
que les hommes tenaient habituellement leurs jambes légè-
rement pliées, — ce qui devait diminuer d'autant la hau-
teur.
RACE DE LAUGERIE 296
sont les documents authentiques que nous possédons
race de Néanderthal, race si tranchée, que d'après les
) principes on en ferait une espèce distincte.
CHAPITRE II
RACE DE LAUGERIE
ilette de Laugerie-Basse . — Après avoir étudié, avec
5 sévère et la plus impartiale critique, les restes de
le du paléolithique inférieur et moyen, soit des époques
nne, acheuléenne et moustérienne, il nous faut aborder
olithique supérieur, malheureusement bien pauvre,
la fin de Thiver de 1872, Massenat a rencontré dans le
nt magdalénien de Laugerie-Basse (Dordogne) un sque-
umain. La tête se trouvait vers le talus extérieur, les
►ar conséquent vers le rocher. Ce squelette (fig. 142) était
S sur le côté, tout à fait accroupi, la main gauche sous
3tal gauche, la droite sur le cou, les coudes touchant à
es les genoux, un pied rapproché du bassin. Les os se
ient presque en place, il y avait eu à peine un léger tas-
t des terres, mais la colonne vertébrale était écrasée par
îd'un gros bloc et le bassin brisé. Il s'agit évidemment
lomme écrasé par un éboulis de rochers. En effet le
tte gisait à la partie supérieure d'un épais dépôt archéo-
e magdalénien recouvert de gros blocs de pierre, déta-
u surplomb supérieur, qui atteignaient jusqu'à 5 mètres
gueur sur 2 de largeur et autant d'épaisseur. Tous les
ices étaient remplis de dépôt magdalénien, dépôt qui
lit à plus de 1 mètre au dessus, plus puissant encore
ois, car on en avait déblayé une certaine hauteur pour
• une bergerie. On n'csl pas là en présence d'une inhuma-
•ostérieure, les blocs de rocher éboulés s'opposant au
îment d'une fosse sépulcrale. La victime de l'accident
uvait recouverte de ses ornements, une série des plus
Qffi l)Ori-«E".T« ANTUBOPOLOCIQl ES
grosses porcelaines ou cypn-es «Je la Médilerranée ; les
quilles élaienl diversement dîslribuées sur le corps.
Parmi les os les deux plus caraclérisés, à peu près M
plets, sont riiiimérus et le péroné droits. L'humérus m«
o",3o5 de long, mais il en manque environ o^.oSo, d"i
Hamy, ce qui donnerait une longueur totale de o^.SS
serait donc plus grand que celui de Néanderlhal. La
olécranienne n'est pas perforée la cloison osseuse est n
relativement assez épaisse Sur le côté, à un tiers de la
gueur en partant du sommet il e\iste une empreinte mi
laire très large, très proémmcnte par suite extrêmement
RACE DE LAUGERIE
297
noncée. Toutes les empreintes musculaires du reste sont fort
développées. Le péroné est encore plus exceptionnel, plus
caractérisé sous le rapport -de la puissance musculaire. Il est
plus fort, plus large et surtout à angles plus accentués que
les péronés actuels de même taille. Mais ce qui le distingue
principalement, c'est la profondeur et l'accentuation du sillon
longitudinal. Ce sillon est transformé en véritable canal, véri-
table gouttière (fig. i43). C'est encore une preuve de muscula-
ture extrêmement puissante. L'homme de Laugerie-Basse était
donc très fort et très vigoureux, surtout des jambes. Il devait
admirablement courir ,
qualité des plus précieu-
ses pour des chasseurs.
Lecrâne(fig. i44),fort
écrasé, a été restauré et a
fourni d'intéressantes
données. Le sommet de
la tête est assez élevé ; le
frontal très arrondi; les
arcades sourcilières peu
marquées ; la mâchoire
inférieure très forte, le
menton proéminent.
L'indice céphalique se-
rait 74,87. Le fémur,
long de o"\45i» indique, d'après Rahon, une taille de i"',649.
On a aussi cité une calotte crânienne de Laugerie-Basse,
mais sans détails précis sur son gisement et sur sa décou-
verte. Nous n'avons donc pas à nous en occuper.
Squelette de Ghancelade. — Sur la route de Périgucux à
Brantôme, commune de Chancelade (Dordogne), au pied des
escarpements de Raymonden, existent des dépôts magdalé-
niens. Dans l'un d'eux, en octobre 1888, Hardy et Féaux ont
découvert un squelette humain. Il se trouvait dans le point le
plus creux d'un abri n'atteignant que 2™, 35 de hauteur, seu-
lement à i°*,65 au-dessus du cours d'eau voisin, la Beauronne.
La coupe du terrain (fig. i45) qui remplissait presque com-
plètement l'abri, était au point où gisait le squelette, en allant
de haut en bas :
1** Vide, en grande partie occupé par des stalactites.
FiG. i44- — Crâne de Laugerie-Basse.
1/4 gr. nat.
298
DOCUMENTS ANTHROPOLOGIQUES
2° « Couche de limon d'inondation atteignant une épaisseur
de o'°,55 (i). » On remarque au milieu de cette couche le der-
nier prolongement d'un dépôt d'habitation qui était le plus
riche comme ossements et objets.
•-. - -^
y ^ -
^'^
FiG. 145. — Coupe du gisement de Raymonden, à Chancelade
(Dordogne).
A. C. E. — Foyers magdaléniens.
B. D. — Terre limoneuse.
3* Dépôt d'habitation de o",4o d'épaisseur, grisâtre, riche
aussi en silex et ossements ouvrés.
4** Sur une épaisseur de o'",32, « terre jaune, limoneuse,
mélangée de nombreux débris de calcaire » détachés du
rocher.
5° Reposant sur le roc, dépôt d'habitation de o™^,37 d'épais-
(1) Tout ce qui se trouve entre guillemets est la reproduction exacte
^ cifes ternies de Hardy, le consciencieux rapporteur de la (Jécouverte.
BACE DE I.AUGERIE 299
seur, « sablonneux el très noir ", au milieu duquel on
remarquait une veinule colorée en rouge par du peroxyde
de fer.
C'est à la base de cette dernière couche, à i"',64 de profon-
deur, que gisait le squelette humain « en contact avec le roc ».
Les guillemets indiquent les citations textuelles des deux
consciencieux fouilleurs, Hardy et Féaux. A propos du crâne
{fig. i46), ils ajoutent : « Nous constatons que ses parois inté-
rieures étaient tapissées d'une argile fine qui, dans le bas, for-
mail une couche de ©""jOaS d'épaisseur, relevée sur les bords
et toute fissurée par l'action du retrait. La ténuité extrême de
cette argile onctueuse
au toucher démontre
qu'elle avait été dépo-
sée dans une eau tran-
quille pendant une pé-
riode d'inondation. »
Les inondations de
l'abri sont nettement
constatées depuis la
base des dépôts jusqu'à
leur sommet. Il est
donc tout naturel de
voir dans le squelette
humain une victime de ces inondations. L'absence du mé-
lange de la couche sablonneuse très noire de la base conte-
nant le squelette avec le limon jaune qui la recouvre, montre
qu'il n'y a pas eu creusement de fosse et, par suite, sépulture.
A cette preuve négative s'en joint une positive. C'est Ichmon
fin contenu dans le crâne, vrai certificat de noyé.
Ce noyé reposait sur le côte gauche, la main gauche contre
la mie, la main droite vers le menton. Les membres inférieurs
étaient fortement repliés sur le devant du corps, exagérant la
position de l'homme qui sommeille. Il avait 55à65ans, et portait
à la région temporale droite les traces d'une fracture très éten-
due, mais cicatrisée. La taille, indiquée tout d'abord comme
étant de i"',5o, a été fixée par Rahon à i'",592, d'après la lon-
gueur du fémur o"',;! 08, de l'humérus o™,3oo, du cubitus o" ,255
et du radius o",236. D'après Testut, qui l'a étudié avec beau-
coup de soin, voici les caractères du squelette de Chancelada,
de Chancclodc. 1/4 gr. noi.
300 DOCIMEN7S ANTHROPOLOGIQUES
Tôte volumineuse, par conséquent capacité crânienne
grande. Crâne fortement dolichocéphale, remarquablement
haut. Face à la fois très haute et très large ; front redressé,
arcades sourcilières faiblement proéminentes, orbites hautes,
nez étroit et allongé. Mâchoire inférieure puissante; molaires
croissant d'avant en arrière ; menton bien développé. Mains
moyennes ; pieds grands ; gros orteil considérablement écarté
et pouvant servir d'organe de préhension ; os robustes, mas-
sifs, trapus, portant des empreintes musculaires fort accusées,
dénotant une musculature peu commune. Humérus à extré-
mité distale incurvée en avant, ainsi que l'extrémité proxi-
male du cubitus. Fémur également incurvé, ligne âpre sail-
lante ; enfin tibia aplati et fortement oblique en arrière, indi-
quant, dans la station debout, la saillie des genoux plus
proéminente en avant que dans nos races actuelles.
Squelette inférieur de Sorde. — La grotte Duruthy, à
Sorde (Landes), explorée et décrite pendant l'hiver de 1872-73
par Louis Lartet et Chaplain Duparc, contenait tout à la fois
des sépultures néolithiques et le squelette d'un homme paléo-
lithique écrasé par des éboulis de rocher. La coupe exacte du
gisement (fig. 147) est un véritable dessin schématique oflerl
directement par la nature. Impossible de présenter une dé-
monstration plus complète. La grotte actuelle n'a guère plus
de 2 mètres de profondeur, mais s'étale sur une largeur de 8
à 9 mètres, c'est donc plutôt un abri sous roche qu'une véri-
table grotte. A en juger par les blocs de roche éboulés,
cet abri devait être plus considérable autrefois. Sous cet abri
existait un dépôt archéologique de 2^,70 de puissance. Vers
la base se trouvait, au milieu de débris du rocher éboulés, un
crâne humain tellement écrasé et incomplet, que, même après
une restauration, on ne peut prendre de mesures exactes. On
reconnaît pourtant qu'il est dolichocéphale, d'une épaisseur
moyenne et très analogue aux crânes de Laugerie-Basse et de
Chancclado. Le frontal, bien développé, est à façade régulière.
Le squelette, mal et irrégulièrement recouvert par l'éboulis,
était encore plus incomplet, ses os se trouvaient dispersés sans
ordre et fracturés. La portion la plus importante est une
demi-diaphyse supérieure de fémur droit. Les os étaient mêlés
à des silex taillés et environ une cinquantaine de canines per-
cées, dont trois de lion, les autres d'ours. Ces canines ornées
3oi
de gravures étaient, d'après Larlet et Chaplain Duparc, « ré-
parties en deux gronpos inégalement distants du crâne, comme
si l'un avait constitué un collier et l'autre une ceinture par
exemple » Le tout était lecouvert d'une mince couche àhélix
ou escargots, qui montre que 1 accident a fail abandonner
momcntanemenl I abri Puis les homme» magdaléniens sont
^'
— SépullurD n^oJ'thtqun.
-' couche magdal^DleoDO I
— coucha magilaieDleane r
revenus et ont laissé un épais dépôt de cendres, de charbons,
d'ossements brisés et de silex taillés. Ces silex sont de formes
magdaléniennes, comme ceux qui accompagnaient le sque-
lette. Parmi eux, on a recueilli quelques instruments en os,
entre autres une de ces pointes de harpon (fig. 79) si caracté-
ristiques à double rangée de barbelures. La faune permet mfime
de préciser davantage l'agc de ce dépôt. Bien que contenant du
renne, le cerf domine, c'est donc du magdalénien supérieur.
Au-dessus de ce dépôt et même mêlés avec sa partie supé-
rieure reposaient au moins trente-trois squelettes humains,
d'après le nombre des mûchoircs inférieures recueillies. « Les
3o2 DOCUMENTS ANTHROPOLOGIQUES
ossements humains, disent les explorateurs, se trouvaient
généralement en relations articulaires ; les vertèbres, rappro-
chées les unes des autres, les côtes juxtaposées, ainsi que les
os des bras et des jambes, enfin les phalanges des pieds et des
mains unies. » Ce sont bien là des sépultures intentionnelles.
Elles sont parfaitement datées par leur mobilier funéraire
composé de poinçons en os et de magnifiques pointes de lances
en silex de formes tout à fait néolithiques. La grotte Duruthy
offre donc un double ensevelissement bien caractérisé et bien
daté. A la base, un ensevelissement accidentel magdalénien ;
au sommet, un groupe d'ensevelissements intentionnels ro-
benhausiens.
Race de Laugerie. — Le paléolithique supérieur, beaucoup
moins riche en ossements humains que le paléolithique in-
férieur et moyen, ne nous a fourni que trois gisements cer-
tains, indubitables. Ce sont les squelettes de deux écrasés par
des éboulis, Laugerie-Basse et Sorde partie inférieure, et le
squelette d'un noyé, Chancelade. Tous les trois, fort bien dates
par le milieu dans lequel ils se trouvaient, appartiennent au
Magdalénien. Nous ne connaissons rien du Solutréen, époque
qui sépare le Moustérien où nous avons constaté le dernier
débris néandcrthaloïde du Magdalénien contenant les sque-
lettes de Laugerie-Basse et de Chancelade, à plus forte raison
de Sorde, le moins ancien des trois.
Les squelettes du paléolithique supérieur ont des caractères
analogues. Mon collègue et ami, Georges Hervé, dans une
remarquable étude publiée par la Revue de VÉcole (Tanthro-
pologie/ju'm 1898, a démontré le fait d'une manière concluante,
en donnant le tableau comparatif des mensurations des têtes
de Chancelade et de Laugerie-Basse.
CHÂHCELAOE UUGERIE-BiSSE
CRANE "
Diamètre antéro-postérieur maximum 193 194
— transversal maximum 189 i4o?i42
— frontal maximum 111 118?
— frontal minimum 101 98
Courbe horizontale totale 538 55o?
— transversale sus-auriculaire 3io 3oo?
frontale cérébrale 108 ii5
— frontale totale 130 i35
— pariétale 147 i3o 135?
— occipitale cérébrale 62 68
— occipitale cérébelleuse 57 56
RACE DE LAUGERIE 3o3
CHANCELADS LiUGERIS-BASSE
CRANE
Angle auriculaire pariétal 69» 64'
— sus-occipilal 33»,5 35"
— sous-occipilal '..... 38* 3o»
FACE
Largeur biorbitaire externe 112 111
— interorbitaire 21 24
Diamètre bizygomatique i4o 142
Largeur maxima du nez 26 26?
Hauteur sous-cérébrale frontale 25 23,5
— intermaxillaire , . . 16 20
Indice fronto-orbitaire 90,17 88,18
— fronto-jugal. é .72,14 69
MANDIBULE
Largeur transversale, branche montante .... 43 4o
Hauteur symphysienne 4i 36?
— 2« molaire 35 34?
Angle mandibulaire ii4'* no*
— alvéolo-mentonnier 70» 69»
Le savant professeur ajoute : « Il résulte de l'examen de
ces chiffres que la seule différence un peu sensible dans la
morphologie des squelettes céphaliques concerne la longueur
de la courbe pariétale. Celle-ci l'emporte de 17 millimètres
chez le sujet de Chancelade ; mais, comme, d'autre part, l'addi-
tion des courbes frontale et occipitale donne 10 millimètres
de plus pour le sujet de Laugerie, la différence finale sur
l'ensemble de la courbe médiane se réduit à 7 millimètres, ce
qui est insignifiant. » Hervé est donc très fondé à conclure
qu'à l'époque de la Madeleine, « les individus se ressemblaient
assez pour qu'on ne puisse hésiter sur leur rattachement à
un seul et même type. »
Mais quel nom donner à ce type ? Hervé lui donne celui de
l'époque. Il appelle les hommes de l'époque de la Madeleine
les magdaléniens. Ce nom a l'inconvénient fort grave de trop
limiter le type. Qui sait si les magdaléniens n'existaient pas
déjà à l'époque de Solutré ? Hervé, lui-même, constate dans
son article qu'ils ont largement débordé du paléolithique sur
le néolithique. Et puis, pourquoi ne pas suivre l'usage habi-
tuel, tirer le nom de la race d'une localité typique, comme on
l'a fait pour Néanderthal. Le squelette de Laugerie ayant été le
premier découvert et le premier décrit, je propose, d'après les
usages de la nomenclature en histoire naturelle, d'appeler la
3o4 DOCUMENTS ANTHROPOLOGIQUES
race humaine du paléolithique supérieur, race de Laugerie.
Les habitants de cette époque seraient les laugeriens.
Indications écartées. — En ne tenant compte que des dé-
couvertes incontestables, et Ton peut presque ajouter incon-
testées, on reconnaît que pendant l'immense période paléoli-
thique, il a existé en France deux races bien distinctes, seule-
ment deux, que nous rencontrons séparées comme temps. La
première, celle deNéanderthal, a occupé nos régions pendant
tout le paléolithique ancien et moyen, époques chelléenne,
acheuléenne et moustérienne. L*autre, celle de Laugerie, n*a
été reconnue jusqu'à présent que dans la partie supérieure
du paléolithique récent, époque magdalénienne.
Peut-être m'accusera-t-on d'avoir été, sous prétexte d'épu-
ration, beaucoup trop sévère. Je n'ai pourtant, en dehors des
indications entachées de falsification et de mystification,
comme la mâchoire de Moulin-Quignon, laissé de côté en
fait de découvertes que celles qui n'ont pas paru con-
cluantes aux explorateurs eux-mômes, comme le squelette
recueilli par Edouard Lartet et Chrisly à la station classique
de la Madeleine ; celles qui manquent d'un esprit scienti-
fique suffisant, comme celle des Hotteaux, à Rossillon (Ain),
avec ses coupes fantaisistes et la photographie plus fantai-
siste encore du squelette ; celles dont les produits égarés
ont été retrouvés plus ou moins authentiquement pour
la plus grande gloire des faiseurs d'articles, comme celle
des ossements de Lahr ; celles des cavernes sépulcrales
bien constatées, comme la grotte des Forges, à Bruniquel ;
celles d'ossements humains dans un milieu paléolithique,
quand ce milieu est recouvert d'un dépôt néolithique à faible
distance, comme le crâne féminin du Placard. Ce dernier était
bien dans un dépôt magdalénien, mais à o™,70 au-dessus il y
avait une assise néolithique. Il peut donc y avoir eu sépulture.
C'est d'autant plus probable que ce crâne à un indice cépha-
lique de 80, qui l'éloigné du type magdalénien et le rappro-
che du type brachycéphale, qui a apparu et s'est développé
après l'extinction définitive du paléolithique. J'écarte les décou-
vertes contenant, avec les ossements humains, des débris de
poterie, comme Engis et Furfooz, la poterie étant caracté-
ristique du néolithique ; enfin celles qui contiennent, avec les
ossements humains, d'autres objets néolithiques, qu'ils soient
RACE DE LAUGERIE 3o5
OU non dans des milieux plus anciens : telle est la découverte
des hommes de Menton ou des Baoussé-Roussé. Le plus
célèbre, celui transporté au Muséum de Paris, porte sur le
front un poinçon en os qui le date d'une manière certaine.
Dans une séance, déjà assez ancienne, de la Société d'anthro-
pologie de Paris, j'ai mis au défi mon collègue Emile Rivière
de montrer un poinçon semblable venant d'une manière cer-
taine d'un dépôt franchement paléolithique. Ce poinçon paléo-
lithique n'a pas encore été montré. Quant à moi, j'en produi-
sais un grand nombre de néolithiques des dolmens et des
palafittes. J'ai donc été aussi juste que sévère dans mes élimi-
nations.
Ecarter une bonne indication n'a pas grand inconvénient
au point de vue des déductions qu'on peut en tirer. Tandis
qu'en adopter une mauvaise, cela peut fausser tous les résul-
tats cherchés. Il est donc beaucoup plus prudent et plus utile
à la science d'être trop sévère que trop coulant.
Origine de la race de Laugerie. — A première vue, le type
de Laugerie paraît tout à fait différent de celui de Néander-
thal. Les caractères les plus saillants de ce dernier semblent
disparaître à peu près complètement. Les arcades sourcilières,
si développées dans le type et surtout dans la calotte crâ-
nienne de Néanderthal, sans manquer entièrement dans le
type de Laugerie, s'affaiblissent considérablement. Le front,
au lieu d'être surbaissé et fuyant se relève en façade et s'ar-
rondit régulièrement au sommet. Le haut du crûne n'est plus
aplati, ih s'élève au contraire et forme voûte. Le menton
est bien développé au lieu d'être absent et la symphyse men-
tonnière ne se rejette plus en arrière; tout au contraire, elle se
dirige en avant. Si de la tête nous passons aux membres infé-
rieurs, nous reconnaîtrons d'autres changemements impor-
tants. Ainsi les tibias épais et arrondis du type de Néanderthal
s'aplatissent plus ou moins dans celui de Laugerie.
Si nous étudions avec soin les deux types, nous reconnaî-
trons que, s'il y a entre eux des difîérences très appréciables à
première vue, il y a aussi des rapports importants qui les
rapprochent.
Tous les deux sont dolichocéphales. Les indices céphaliques
pour le type néanderthaloïde sont: Néanderthal 72, Spy
n** 1 , 70, Spy n<> 2 de 74 à 76 ; pour le type laugerien : Laugerie
G. DE MORTILLET. *»^
3o6 DONNÉES ANTHROPOLOGIQUES
74,87, Chancelade 72,02. Il y a la plus grande analogie.
Les deux caractères les plus frappants du type de Néander-
thal sont : une grande robusticité et une forte musculature.
Les hommes de Néanderthal étaient courts, trapus, à
ossature épaisse. Il en est de même des hommes de Lau- |
gerie. Dans les deux types, la taille était plutôt au-dessous de
la moyenne. Elle s'élevait, d'après Rahon, à :
^., I ., 1 -^ ( Néanderthal i%6i3
Néanderthaloides J o « " m c««
I Spy n* 1 i",590
( Laugerie i"»649
^ I Chancelade. 1^,592
On voit qu'il y a une aussi grande similitude qu'en ce qui
concerne l'important caractère de l'indice céphalique.
Pour ce qui regarde la musculature, toutes les empreintes
musculaires dans les deux types sont exceptionnellement
développées.
La race deLaugerie de la fin du paléolithique supérieur est-
elle un simple produit par transformation de la race de Néan-
derthal qui existait seule en France pendant le paléolithique
ancien et moyen ? Ou bien est-ce une race étrangère qui a
envahi le pays et détruit l'ancienne race ?
Les partisans d'une invasion étrangère n'appuient leur
sentiment que sur une considération théorique. La différence
entre les deux races, disent-ils, est trop considérable pour
qu'on puisse admettre une action directe de transformisme.
Mais, si la transformation n'a pas eu lieu en France, elle s'est
produite ailleurs. On ne fait donc que déplacer la difficulté
sans la résoudre. De plus, les partisans de l'invasion ne peu-
vent pas nous dire d'où elle venait.
Une invasion qui change complètement la population ne
peut se produire sans amener de profondes modifications dans
les mœurs et l'industrie. Or nous ne voyons rien de semblable
entre le paléolithique moyen et le paléoHthique supérieur. Les
hommes des deux races n'avaient aucun respect des morts;
exclusivement pêcheurs et surtout chasseurs, ils ne possédaient
aucun animal domestique, aucune connaissance agricole ; nj
les uns ni les autres ne connaissaient la poterie, et, bien que
grands chasseurs, ils ignoraient l'arc. En fait d'industrie de la
RACE DE LAUGERIE 3o7
pierre, dont nous pouvons facilement suivre le développement,
nous voyons une évolution fort lente mais régulière et continue
qui ne laisse pas de place au bouleversement ou soubresaut
qu'aurait occasionné une invasion. L'industrie de la pierre
chelléenne, très élémentaire, se compose d'un gros fragment
généralement de silex, de forme amygdaloïde, dans la plus
large acception du mot. Cet instrument, taillé sur les deux
faces, est nommé coup de poing par ce qu'il se maniait à la
main. Pendant l'Acheuléen, le coup de poing continue à régner
en maître, en s'améliorant comme finesse de taille et en s'as •
sociant quelques autres instruments taillés sur une seule face.
Le coup de poing se maintient en se réduisant de volume jus-
qu'à la base du Moustérien. Pendant cette dernière époque,
l'outillage taillé sur une seule face se complète et se perfec-
tionne. Puis arrive le Solutréen, où, grâce à une modification
dans le mode de taille, les retouches prirent une grande déli-
catesse. L'outillage devient plus élégant et plus artistique.
Vers la fin de l'époque, les instruments en os se mêlent à ceux
en pierre. Ces derniers par suite sont moins soignés. Ils for-
ment l'outillage de l'époque magdalénienne, qui se relie inti-
mement à l'outillage solutréen. L'outillage du quaternaire
ancien forme donc un tout, un seul et même tout, qui, par-
tant du paléolithique le plus inférieur, se continue jusqu'au
paléolithique supérieur. Pendant ce long espace de temps, les
améliorations ne se sont jamais présentées en bloc, comme
cela aurait eu lieu si elles avaient été importées par des nou-
veaux venus. Elles se sont produites successivement. C'est
donc une évolution sur place.
Examinons maintenant la question au point de vue de
l'homme même.
Les nombreux cas d'atavisme reproduisant dans tous les
temps et de nos jours encore des caractères néanderthaloïdes
prouvent que nous avons du sang de la race de Néanderthal
dans nos veines. Nous devons donc faire rentrer cette race
dans notre arbre généalogique.
Il est inconstestable que la race de Néanderthal conservait
beaucoup plus de caractères simiens que la race de Laugerie.
D'après les lois de l'évolution, ces caractères devaient s'atté-
nuer et disparaître. C'est exactement ce qui a eu lieu.
Depuis la base du paléolithique ou apparition de l'homme.
3o8 DONNÉES ANTHROPOLOGIQUES
nous avons vu trois éléphants se succéder en France : les
Elephas meridionalis^ aniiquus et primigenius ; deux rhino-
céros au moins. Le trogonthérium s'est transformé en cas-
tor, etc. Il n'y a donc rien d'étonnant qu'une race d'homme ait
paru puis disparu pour faire place à une race plus élevée et
beaucoup plus semblable aux races actuelles. C'est en effet ce
qui est arrivé.
Mais les deux races sont bien différentes. Cela ne tient-il pas
à l'influence des milieux? Tout le monde connaît la puissance
de cette influence. Or entre les temps où vivaient la race de
Néanderthal et celle de Laugerie,il y a eu un changement radical
dans la climatologie de la PVance. Pendant toute son existence
l'homme deNéanderthal a été soumis à un climat très humide,
d'abord assez chaud, mais qui s'est ensuite refroidi et a donné
naissance à la grande extension des glaciers, conditions qui se
sont maintenues jusqu'à la fin du Mouslérien. A partir du Solu-
tréen les conditions atmosphériques ont complètement changé.
Le climat uniforme, froid sans excès, mais extrêmement
humide, du paléolithique ancien et moyen, a cédé la place àun
climat fort sec, à températures extrêmes, très froide l'hiver,
chaude l'été. Ce changement, qui a eu la plus grande influence
sur l'industrie humaine, a dû naturellement en avoir une ana-
logue sur la constitution de l'homme.
Le fait ne nous saute pas aux yeux parce que nous ne con-
naissons pas du tout l'homme du Solutréen, partie inférieure
du paléolithique récent. On a beaucoup parlé et beaucoup
écrit sur les squelettes découverts dans la station classique de
Solutré. Mais il est reconnu maintenant que ces squelettes,
qu'ils soient restés en place ou qu'ils aient été entraînés par
un glissement du sol, font partie d'un cimetière relativement
fort récent. Entre les restes de la race de Néanderthal recueillis
dans le Moustérien de Spy et dans les poches de l'argile à
brique de l'Eure, d'une part, et les squelettes de Laugerie-
Basse et de Chancelade trouvés en plein Magdalénien, d'autre
part, il y a toute une époque, le Solutréen. Il n'est donc pas
surprenant que nous n'ayons pas les points de contact et les
transitions de transformation.
Mâchoire d'Arcy. — Les transitions de cette transformation
se dessinent pourtant déjà parmi les restes de la race de Néan-
derthal qu'on possède. Les caractères typiques varient et s' at-
RACE DE LAUGERIE Sog
ténuent parfois singulièrement. Le fait est surtout frappant
chez les deux squelettes de Spy. Spy n° 2 présente des carac-
tères néanderthaloïdes beaucoup moins accentués que Spy
n® 1. Sous le rapport du développement, ces deux squelettes
sont donc bien numérotés. Le haut du crâne de Spy n° 2, au
lieu d'être aplati, forme voûte. La même tendance se retrouve
dans le crûne d'Eguisheim.
Mais la pièce lai plus concluante sous ce rapport est la mâ-
choire inférieure humaine d'Arcy-sur-Gure, dont je n'ai pas
encore parlé, bien que l'authenticité en soit incontestable. Le
sol meuble de la grotte des Fées, à Arcy-sur-Cure (Yonne),
était formé de trois assises bien distinctes. Ce sont, en allant de
haut en bas :
1** Dépôt superficiel contenant des objets plus ou moins
récents, remontant jusqu'à quelques silex néolithiques. Frag-
ments de poterie nombreux.
2° Couche magdalénienne, avec emplacements de foyers.
Silex caractéristiques abondants, nombreux ossements brisés,
surtout de renne.
3° Repaire d'ours des cavernes avec ossements épars de
bovidés, de mammouth et de rhinocéros.
C'est entre cette assise inférieure et l'assise moyenne que
de Vibraye, en 1869, recueillit une mâchoire inférieure hu-
maine. Les os de la grotte des Fées étant parfaitement con-
servés, et, les fouilles très considérables opérées par de Vi-
braye n'ayant donné que cette mâchoire et une dent d'un
autre individu, on ne peut pas admettre ni même supposer
une sépulture intentionnelle postérieure. C'est donc bien un
débris de la partie supérieure du repaire, antérieur à la base
du magdalénien.
La mâchoire d'Arcy (fig. i5i) est en effet intermédiaire
entre les mâchoires de la race de Néanderthal et celles de la
race de Laugerie. L'ensemble de l'os, moins épais et moins
trapu que dans Néanderthal, l'est beaucoup plus que dans
Laugerie. Si la symphyse mentonnière ne fuit plus en arrière,
elle ne se projette pas encore en avant. Elle est à peu près
perpendiculaire, ayant encore une tendance un peu plus pro-
noncée vers l'arrière que vers l'avant. Les molaires parais-
sent d'égal développement. Le menton est déjà accusé par une
saillie triangulaire et une fossette. L*apophyse géni est bien
3io
DONNEES ANTHROPOLOGIQUES
FiG. i48. — Mâchoire J infé-
rieure de Chimpanzé. 2/3gr.
nat.
'iG. 149. —Mâchoire in-
férieure de Malarnaud
(Ariège). 2/3 gr. nat.
10. i5o. — Mâchoire infé-
rieure de La Naulette (Bel-
gique). 2/8 gr.'nat.
FiG. i5i — Mâchoire inférieure d'Arcysur-Cure
(Yonne) 2/3 gr. nat.
FiG. i52. — Mâchoire inférieure
de f Parisien moderne. 2/3 gr.
nat.
PREMIÈRES INVASIONS 3ll
marquée. Comme intermédiaire, on ne peut rien désirer de
mieux. Nous n'avons plus qu'à rechercher et attendre des
pièces confirmatives.
Un autre fait qu'il reste à signaler, mais dont malheureuse-
ment nous ne pouvons pas tirer toutes les conclusions dési-
rables faute d'un nombre suffisant d'observations, est la pro-
gression croissante de la capacité crânienne.
Pithécanthrope i.ooo centimètres cubes.
Néanderthal 1.220 —
Chancelade 1.710 —
Bien que l'état du crâne de Chancelade n'ait pas permis de
prendre exactement sa capacité crânienne, on voit pourtant
que cette capacité est beaucoup plus forte que celle du crâne
de Néanderthal.
CHAPITRE III
PREMIÈRES INVASIONS
Sépultures de Cro-Magnon. — Si de la gare des Eyzies
(Dordogne) on se dirige vers le village du même nom, on des-
cend une courte rampe, vers le bas de laquelle s'étendent
à gauche^les abris de Cro-Magnori. Ces abris, peu développés,
sont actuellement masqués par des constructions. Au prin-
temps de 1868, en prenant des déblais au pied de ces abris, on
découvrit une petite grotte qui était pleine d'un dépôt magda-
lénien sur lequel reposaient trois squelettes humains: un
vieillard, un adulte et une femme. Ces squelettes furent ma-
gistralement décrits par Paul Broca et devinrent les types de
la racé dite de Cro-Magnon, race considérée alors comme
formant la population du paléolithique récent ou Magdalé-
nien.
Voici le résumé de la description du Maître : Taille élevée,
os robustes, tibias aplatis, péronés à gouttière longitu-
3l2 DONNÉES ANTHROPOLOGIQUES
dinalc (6g. i43) profonde, la femme avec ligne âpre du fémur
d'une largeur el d'une épaisseur tout à fait exceptionnelles,
bassin très large ; têtes volumineuses ; la capacité crânienne
du vieillard est de i .690 centimètres cubes ; tous les trois doli-
chocéphales, indice céphalique du vieillard 78,76, de l'adulle
74,75, de la femme 71,72; arcs sourciliers assez développés,
racine du nez fort déprimée, front large, vertical et bombé ;
profil du crâne présentant une ellipse allongée dont Textrémité
frontale est bien développée et l'extrémité occipitale encore
plus renflée ; orbites très larges et peu élevées ; face très large
par rapport à la longueur. Cette description, donnée par Broca,
est peut-être un peu accentuée par la présence du vieillard,
la pièce principale d'étude.
Le travail descriptif de Broca, venant aux débuts de Tanthro-
pologie, était si remarquable, que la race de Cro-Magnon en bé-
néficia largement. Cette race obtint un immense succès. Tous
les anthropologues sérieux et autres, surtout les autres, en
usèrent et abusèrent. Mais on s'était beaucoup trop pressé de
dater la découverte. Ayant visité le gisement et étudié les pièces
originales au musée de Saint-Germain, je démontrai qu'elles
n'étaient pas du tout paléolithiques ; qu'il s'agissait tout bon-
nement d'une sépulture néolithique, je ne dirai pas au milieu,
mais plus exactement, sur un dépôt magdalénien. Le fait est
maintenant parfaitement reconnu et généralement admis. Le
nom de race de Cro-Magnon ne peut donc être appliqué aux
habitants du sol français de la fin du paléolithique. C'est
pour cela que je leur ai donné le nom de race' de Laugerie,
l'homme de Laugerie étant bien de l'époque. '
On aurait pu conserver le nom de race de Cro-Magnon pour
désigner la race dolichocéphale des débuts du néohthique.
Mais, en science, il vaut mieux retrancher un nom que de'lui
attribuer deux acceptions différentes. C'est le meilleur moyen
d'éviter les confusions et les fausses interprétations. En outre,
les trois squelettes de la sépulture de Cro-Magnon représen-
tent-ils bien le vrai type dolichocéphale des commencements
du néolithique? Mon savant collègue Georges Hervé ne le
pense pas. Aussi propose-t-il de remplacer le terme de race
de Cro-Magnon par celui de race des Baumes-Chaudes, k
suis tout à fait de son avis.
Sépultures des Baumes-Chaudes. — Les Baumes-Chaudes
PREMIÈRES INVASIONS 3l3
sont des grottes sépulcrales de la Lozère fouillées par Pru-
nières. Le Tarn lozérien coule dans des gorges étroites et pro-
fondes, dont les parois à pic s'élèvent à plusieurs centaines de
mètres. C'est dans les parois d'une de ces gorges, près de
Saint-Georges-de-Lévejac, village situé sur le causse, que
s'ouvrent les grottes, environ aux deux tiers de la hauteur de
l'escarpement. Les deux principales, situées sur une terrasse,
sont reliées par une espèce d'abri sous roche. Toutes les
deux débutent par une salle claire et sèche, avec rejets d'habi-
tation. La grotte du nord, à 35 mètres environ de profondeur,
se rétrécit, devient sombre et humide ; aussi le sol se recouvre
de stalagmites contenant de nombreux ossements humains.
Ils sont si empâtés, qu'il est difficile de les extraire. Prunières
a pourtant pu constater que ces ossements, datés par des
fragments de poterie, sont semblables à ceux fournis par la
grotte du sud. Cette partie obscure et humide aboutit à un
puits très profond.
La grotte du sud contenait un ossuaire humain de 25 mètres
de long sur une moyenne de 4 mètres de large et une épais-
seur de o™,5o. Les ossements de 3oo sujets d'âges et de sexes
divers étaient accumulés sans ordre dans cet espace. Les
crânes seuls paraissaient avoir été groupés ou placés avec
soin sur certains points. Le mobilier funéraire, très peu abon-
dant, ne consistait qu'en trois ou quatre rondelles de base de
corne de cerf trouées, un seul grain de collier, quatre ou cinq
pointes de flèches en silex isolées et quelques autres engagées
dans des os, enfin quelques objets en bronze. C'est peu, bien
peu. Néanmoins cela suffit pour établir de la manière la plus
certaine que cet ossuaire, date de l'époque morgienne, début
de l'âge du bronze. Cette appréciation est confirmée par la pré-
sence, en avant de l'ossuaire d'un squelette complet, percé,
d'après Prunières, entre deux côtes d'unç pointe de lance en
bronze.
Pourtant sur soixante crânes intacts et restaurés il n'y a
pas un brachycéphale, pas même un mésaticéphale ; tous sont
dolichocéphales.
C'est à la séance du i6 mai 1878 de la Société d'anthropo-
logie de Paris que Prunières a communiqué tous ces détails,
puis il a produit ses récoltes des Baumes-Chaudes à l'Expo-
sition universelle de la même année.
3l4 DONNÉES ANTHROPOLOGIQUES
Déjà en 1878, à la grande réunion de TAssocialion fran-
çaise pour ravancement des sciences, Prunières avait signalé
une autre grotte sépulcrale de la même région, contenant des
débris humains de la même race. Il s'agit de la grotte de
l'Homme-Mort, située au fond d'une gorge sauvage qui dé-
bouche dans la vallée de la Jonte, sud-ouest de la Lozère, une
des parties les moins fréquentées de ce département, près du
hameau de la Vialle, commune de Saint-Pierre-de-Tripiés. On
y a recueilli deux poinçons en os, une pointe de flèche en
silex et quelques tessons de poterie, mais près de l'entrée.
« Aucun objet quelconque, dit Broca, autre que des os
humains n'a été trouvé dans le reste de la caverne. » Les os
étaient mêlés, mais les crânes groupés sur un point. La ca-
pacité crânienne moyenne était, sur dix-huit crânes, de
1543,88 (hommes, i6o6,5 ; femmes, 1607,00). La taille calculée
par Rahon était : hommes, 1^,628, et femmes, i"^,493.
La population de l'Homme-Mort est moins pure que celle
des Baumes-Chaudes, bien que paraissant plus ancienne au
point de vue industriel.
Sur trente-cinq crânes mesurés des Baumes-Chaudes, il
n'y a absolument que des dolichocéphales, variant comme
indice céphalique entre 64,8 et 76,1 ; trois seulement sont au-
dessous de 70.
Sur dix-neuf de l'Homme-Mort, il y en a dix-sept de dolicho-
céphales, doiit un au-dessous de 70 ; mais les deux derniers
sont des crânes mésaticéphales, c'est-à-dire intermédiaires ,
les deux indices dépassant 78. Ce caractère mixte se montre
encore dans les autres observations : sur 9 fémurs, 3 sont à
ligne âpre prononcée, 8 à ligne moyenne, 8 sans ligne âpre;
sur 5 tibias, 8 sont aplatis, 1 moyennement et 1 pas du tout ;
sur 2 péronés, 1 esta gouttière et l'autre non. Les cubitus, au
nombre de 12, sont aussi partagés soùs le rapport de la tor-
sion.
Le professeur Hervé a donc eu raison de ne pas remplacer
Cro-Magnon par l'Homme-Mort comme le voulaient certains
anthropologues. Il a choisi comme type les Baumes-Chaudes.
Voici la description qu'il donne de cette race, dont les carac-
tères sont tellement voisins de ceux de la race de Laugerie,
qu'on peut dire que c'est une simple variation de race :
« Dolichocéphalie occipitale ; indice céphalique moyen, 72,6;
PREMIÈRES INVASIONS 3l5
région frontale assez médiocrement large ; capacité crânienne
grande ; circonférence horizontale du crâne 543 et 533 milli-
mètres chez les hommes et les femmes ; sutures peu compli-
quées; face remarquablement orthognathe; indice nasal
moyen 42,7; indice orbitaire moyen 83,6; fémur à ligne âpre
épaisse ; tibias pour la plupart notablement aplatis ; péronés
cannelés à des degrés divers ; cubitus à extrémité inférieure
parfois incurvée. La longueur moyenne (o'",423) de i5 fémurs
des Baumes-Chaudes donne comme taille i°\6i. »
Invasion brachycéphale . — Dans les temps préhisto-
riques, à la fin du paléolithique et au commencement du néo-
lithique, il s'est opéré en France la plus grande révolution
sociale qui ait jamais existé. Nous en avons déjà parlé dans
la partie palethnologique de cet ouvrage. Cette révolution si
profonde et si rapide n'a pu se produire que par un flux nou-
veau de population. En effet, à côté des autochthones qui se
sont régulièrement développés sur le sol de la France, sans
mélange, pendant la longue série des temps paléolithiques,
nous voyons apparaître dès les débuts du néolithique un type
tout à fait différent. Les autochthones dolichocéphales, c'est-
à-dire à têtes longues, toujours fort nombreux, se môlent à
des brachycéphales, hommes à têtes rondes. La première ac-
tion des nouveaux venus a été d'introduire le respect des
morts. Ce respect répond si bien aux sentiments d'affec-
tion, qu'il s'est rapidement généralisé et, comme l'incinération
n'était pas encore pratiquée, les sépultures néolithiques nous
fournissent de nombreux et précieux documents anthropolo-
giques. Philippe Salmon a publié un utile relevé de ces
documents. Il a réuni les indices céphaliques de 688 crânes
provenant de i4o sépultures néolithiques : grottes naturelles»
souterrains ou grottes artificielles et dolmens. Sur les 688 crânes
mesurés, il y a :
397 dolichocéphales, soit 57.7 pour cent
145 mésaticéphales 21.1 —
146 brachycéphales -, 22 . 1 —
La présence des mésaticéphales, intermédiaires entre les
deux types extrêmes, montre que, dès l'arrivée des brachy-
céphales, il y a eu contact intime, par conséquent une certaine
Union, entre les envahisseurs et les envahis.
3l6 DONNÉES ANTHROPOLOGIQUES
D'où venaient les brachycéphales ? Evidemment des régions
où ce type domine et règne presque d'une manière absolue,
de l'Asie centrale et de l'extrême Orient.
Nous pouvons constater deux flots de populations brachy-
céphales envahissant la France. Le premier, que je viens de
signaler, nous a apporté la civilisation néolithique ; le second
a ouvert les temps protohistoriques en introduisant dans l'Oc-
cident l'usage des métaux. Tous les deux venaient d'Orient.
Tous les deux ont eu d'importantes conséquences anthropolo-
giques, en modifiant le mode de sépulture. Le premier flot nous
a amené l'inhumation et nous a fourni ainsi de nombreux docu-
ments ; le second, en nous apportant l'incinération, nous a
privé de bien précieux renseignements.
L'incinération des brachycéphales du second flot explique
la grande diff'érence qui existe entre les dolichocéphales, 897,
et les brachycéphales, i46, de l'inventaire cité précédemment.
Cet inventaire naturellement ne contient aucun crâne de la
seconde arrivée brachycéphale, tous incinérés, tandis qu'il
mentionne bon nombre de dolichocéphales qui ont conservé
pendant un certain temps les vieilles habitudes d'inhumation
qu'ils avaient contractées. Ainsi la grotte des Morts, à Dur-
fort (Gard), qui contenait du bronze, a donné sur 5 crânes
mesurés 5 dolichocéphales. L'inventaire contient d'autres
grottes et des dolmens en certain nombre appartenant égale-
ment à l'âge du bronze.
Dans les sépultures purement néolithiques, telles sont celles
des grottes artificielles de la vallée du Petit-Morin (Marne)
appartenant à la fin de l'époque robenhausienne, les nombres
s'équilibrent àpeu près. Sur 44 crânes mesurés, il y ai5 doli-
chocéphales, 12 brachycéphales et 17 mésaticéphales (indices
de 77 à 80). La capacité moyenne de ces crânes est de
1,483 centimètres cubes (hommes, i,535; femmes, 1,407). Sur
20 tibias, 4 seulement sont aplatis, 6 ne le sont pas, et il y a
10 intermédiaires ; sur 16 péronés, 6 cannelés, 10 non ; sur
20 fémurs, 5 ont une ligne âpre et 1 5 ne l'ont pas. La propor-
tion des caractères paléolithiques diminue.
A partir du protohistorique, les mélanges se multiplient et se
compliquent. Ainsi dans le Marnien, bien longtemps avant
la vulgarisation de la monnaie en France, les cimetières de la
Marne que l'on désigne sous le nom de cimetières gaulois
PREMIÈRES INVASIONS 817
olTrent les indices les plus variés. Sur i5 crânes, l'indice
moyen est 76,98, bien près, comme on le voit, de la limite
inférieure de la mésaticéphalie, 77.
S*il est un point qui résume la population française, c'est
sans contredit Paris, rendez-vous du pays tout entier. Eh bien,
884 crânes parisiens du xii® au xix*' siècles ont donné à Broca
un indice moyen nettement mésaticéphale, 79,45.
Pourtant,dans la répartition actuelle de la population fran-
çaise, les brachycéphales se groupent dans certaines régions :
la Bretagne, 186 crânes des Côtes-du-Nord ont donné comme
indice 81,64 ; l'Auvergne, indice de 88 crânes 84,07; le Mor-
van, indice de 192 crânes82,87 ; la Savoie, indice de 60 crânes
85,4i. De France, la brachycéphalie se poursuit par les Alpes
dans l'Europe centrale et par l'Apennin dans la Ligurie.
Cette concentration des brachycéphales dans les régions
montagneuses se comprend très bien. Ce sont eux qui nous
ont apporté la métallurgie; ils ont dû rechercher les points
les plus riches en mines, qui sont généralement les mon-
tagnes.
Grands dolichocéphales. — Si, après une étude raisonnée
et une critique sévère des faits, on arrive pour le préhisto-
rique à des déductions anthropologiques claires et précises, il
n'en est plus de même pour le protohistorique. Les types,
d'abord peu nombreux, se sont multipliés par suite de modifi-
cations et de transformations successives. Ces types se grou-
pent, se pénètrent, s'unissent entre eux et produisent des
intermédiaires, des métis. Cela donne les mélanges les plus
complexes et les plus difficiles à débrouiller. Nous laissons ce
soin aux anthropologues spéciaux. Cependant, avant de quit-
ter l'anthropologie, relevons encore deux ou trois faits inté-
ressants.
La palethnologie nous a montré les chasseurs de rennes
magdaléniens, suivant leur gibier de prédilection, émigrer en
partie avec lui vers les régions polaires. Les données anthro-
pologiques viennent confirmer cette déduction. Les crânes des
Esquimaux ont le plus grand rapport avec ceux de Laugerie.
Le climat, le genre de vie, le miheu^ en un mot, n'ayant pas
changé, le type ne s'est pas altéré. D'autre part, population
adaptée à un milieu climatologique et à un genre de vie peu
enviables, il n'y a pas eu mélange.
320 DONNÉES ANTHROPOLOGIQUES
ment de ce que ces sépultures sont celles de personnages se
déplaçant facilement et par conséquent ne s'embarrassant
pas d'objets fragiles. Ne doit-on pas voir en eux les ancêtres
des Galates et des Gaulois des historiens grecs et romains, de
ces guerriers de grande taille toujours en mouvement, tou-
jours en quête d'aventures?
L'anthropologie vient donc se joindre très avantageuse-
ment à la palethnologie pour nous fournir de précieux ren-
seignements sur la race autochtone dejla France, sur son
développement, ses transformations, ses mœurs, ses migra-
tions et les invasions qu'elle a subies dans la plus haute anti-
quité. Grûce à ces deux sciences, d'origine toute nouvelle,
nous pouvons tracer les premières pages de l'histoire de
France.
PI'
ti-
■It
L
r
ca
CONCLUSIONS
PREMIÈRES PAGES D'E l'hISTOIRE DE FRANCE
Les Français remontent haut, très haut, si haut que Ton
est porté à se récrier quand on donne la date approximative
de l'apparition de l'homme sur le territoire français : 280 à
240.000 ans !
Il y si loin de ces chiffres à la date légendaire et tradition-
nelle de 6,000 ans î Pourtant le chiffre que nous venons d'in-
diquer est basé sur des données certaines d'histoire naturelle.
L'homme est antérieur à la période glaciaire, et la durée de
îette période bien étudiée est au moins de i5o à 200.000 ans.
L'homme, qui occupe la tête de la série animale et qui
Progresse tous les jours, se rattache comme filiation aux
inges et surtout aux anthropoïdes. Mais le passage, la trans-
ormation ne s'est pas faite dans nos régions. Cette transfor-
ciation a eu lieu sous un climat plus chaud. La découverte
lu pithécanthrope, intermédiaire entre le singe et l'homme,
end à nous faire penser que l'homme est venu d'Asie, proba-
blement de rinde.
Quand les premiers habitants de la France sont arrivés sur
\otre sol, ils y ont trouvé une faune bien différente de la
aune actuelle. Il y avait, entre autres animaux, un énorme
Uéphant, l'éléphant méridional, en voie de transformation,
passant à l'éléphant antique, son successeur; un hippopotame
analogue à l'actuel d'Afrique, mais beaucoup plus gros ; des
rhinocéros, le leptorhinus et le rhinocéros de Merck, très
voisins Fun de l'autre; le trogonthérium, qui, en perdant de
G- DE MORTILLET. 1\
322 CONCLUSIONS
sa taille, a passé au castor ; le lion des cavernes, plus fort
que les lions actuels ; le magot, qui ne dépasse plus l'Algérie
et Gibraltar ; des cerfs, des bovidés, des chevaux, etc. En
somme, une faune quaternaire chaude. Il faisait donc plus
chaud en France que de nos jours.
Grâce à la flore, nous pouvons à peu près connaître quelle
était la différence. Le laurier, le buis, Tarbre de Judée, le
figuier, vivaient spontanés dans la vallée de la Seine. 11 y
avait donc quelques degrés de chaleur de plus. Mais ce qui
distinguait ce climat, c'est qu'il était beaucoup plus humide
et par suite plus uniforme.
Quant à l'homme, notre premier ancêtre, il n'était pas
beau. Oh! non, pas beau du tout! Il avait encore passable-
ment de caractères simiens. Il était de taille moyenne, plutôt
petite, d'autant qu'il ne se tenait pas très droit ; à large cor-
pulence et à formes massives. La tête était longue, assez apla-
tie au sommet, largement développée en arrière. La figure se
distinguait par un front des plus fuyants, sans trace de façade ;
des arcades sourcilières très proéminentes, des yeux arron-
dis, une forte dépression entre le front et le nez qui était
large. Léger prognathisme des mâchoires, qu'accentuait
l'absence de menton et le rejet en arrière de la courbe men-
tonnière. Poitrine large et bombée. Avant-bras relativement
aplatis. Jambes plutôt courtes, épaisses, mais peu modelées;
mains et pieds grands ; corps recouvert de poils à en juger
par les représentations humaines magdaléniennes. Ces
hommes, remarquablement musclés, étaient très forts, très
vigoureux, conditions indispensables pour lutter contre les
grands animaux au miheu desquels ils vivaient. Tel est le
portrait des premiers habitants de la France, constituant la
race de Néanderthal.
Ils étaient sauvages dans la plus large acception du mot.
Aussi ne nous ont-ils laissé, comme trace de leur industrie,
qu'un gros et lourd instrument en pierre de forme amygda-
loïde, taillé à grands éclats, nommé coup de poing parce qu'il
se maniait directement à la main, sans la moindre emman-
chure. Cet instrument servait tout à la fois d'arme et d'outil.
Outil grossier, propre à tailler du bois, mais ne pouvant être
utilisé à confectionner des vêtements. L'homme des débuts
du quaternaire, le plus ancien habitant de la France, allait
PREMIÈRES PAGES DE l'hISTOIRE DE FRANCE 828
donc tout nu. Il n'y avait pas grand inconvénient alors, car il
faisait chaud.
Le coup de poing a été Tinstrument primitif de Thumanité
entière ou tout au moins des populations de tout l'ancien
continent. Non seulement il est fort répandu en Europe, mais
on le retrouve en Asie et en Afrique. Il y a donc eu relations
dès les temps les plus anciens entre les habitants de la France
et ceux de ces trois parties du monde. Relations qui, d'après
les découvertes faites dans les alluvions anciennes des Etats-
Unis, ont dû s'étendre jusqu'en Amérique, en ce terops-là
soudée à l'Europe par le nord.
Les néanderthaloïdes habitaient surtout les vallées et les
plateaux peu élevés. Ils grimpaient volontiers sur les arbres,
comme le prouve leur constitution osseuse.
La France se refroidit peu à peu, le climat resta très humide
et le ciel couvert, ce qui maintint une température assez
uniforme, sans grandes variations d'été et d'hiver. C'est ce
qui, le froid gagnant toujours du terrain, amena la période
glaciaire. Ce changement climatérique occasionna la trans-
formation de certaines espèces animales. Les éléphants,
méridional et antique, devinrent le mammouth ; les rhino-
céros, leptorhinus et de Merck, furent remplacés par le rhi-
nocéros tichorhinus. L'ours féroce ou ours noir, l'isatis ou
renard bleu, le glouton, l'ovibos ou bœuf musqué, le renne,
habitants des régions polaires, établirent domicile en France;
les animaux fréquentant actuellement les régions neigeuses
de nos montagnes : marmotte, lièvre variable, bouquetin,
chamois, habil aient nos plaines. C'est ce que les paléonto-
logues appellent la faune quaternaire froide.
L'homme, grâce à sa pilosité qui lui servait de fourrure,
résista assez longtemps à l'envahissement du froid, puis il
chercha à s'en préserver. Il perfectionna son outillage de
pierre de manière à pouvoir confectionner des vêtements. On '
retrouve les racloirs qui servaient à tanner et à adoucir les
peaux d'animaux, les pointes à tranchants pour les couper et
les percer. Les Français d'alors étaient donc habillés de
peaux.
Cette lente et extrêmement longue évolution conduisant à
la fin de la période glaciaire, qui est également la fin de
l'époque moiistérienne, a épuisé la race de Néanderthal..;
324 CONCLUSIONS
Après avoir fourni son cycle naturel, elle s'est éteinte, se
transformant en une race nouvelle, plus éloignée du singe et
plus perfectionnée, la race de Laugerie. La filiation des deux
races est bien établie par des caractères communs, des inter-
médiaires, la série continue et régulière du développement
industriel, enfin par Tatavisme, qui fait accidentellement
réapparaître dans nos populations actuelles des caractères
néanderthaloïdes.
Si rhomme de la race de Néanderthal est devenu le pre-
mier français par le droit du premier occupant, l'homme de
la race de Laugerie paraît bien être réellement autochthone.
Sa race s'est formée dans nos régions.
Cette transformation a eu lieu au moment d'une révolution
climatérique.
Le temps humide et brumeux qui avait régné jusqu'alors
a été remplacé par un temps sec et clair. Aux saisons
presque uniformes ont succédé les saisons extrêmes, chaudes
Tété, très froides l'hiver. Ce climat a fait abondamment
multiplier le renne en France.
La race humaine de Laugerie, tout en ayant, comme celle
de Néanderthal la tête allongée, franchement dolichocéphale,
et la partie occipitale très développée, a le dessus de la tête
arrondi et le front bien dessiné, avec façade et voussure supé-
rieure. Les arcades sourcilières sont moyennement dévelop-
pées, le menton est bien formé et se projette en avant. Une
taille moyenne, plutôt petite, un corps large et trapu ; une
ossature robuste et une musculature très vigoureuse rap-
prochent les deux races. Pourtant l'homme de Laugerie a de
grands rapports avec nos races actuelles.
Les représentations laissées par les artistes de cette race
montrent que les femmes comme les hommes étaient très
velus par tout le corps. Les membres avaient des formes déjà
élégantes. Les mains étaient minces et allongées, le pouce très
opposable aux autres doigts. Les femmes avaient les seins
pendants et le ventre ballonné ; les hommes la physionomie
fine et narquoise.
A la transformation de la race correspond un rapide pro-
grès de l'industrie. La simplicité des instruments des temps
primitifs et de la longue période glaciaire ne suffisant plus
à la race améliorée, elle se mit à perfectionner et à multiplier
PREMIÈRES PAGES DE l'hISTOIRE DE FRANCE 325
les objets usuels. L'arme et l'outil se spécialisèrent et prirent
des formes variées.
Le premier soin fut de se prémunir contre les grands
froids ; aussi les grottes et abris sous roches furent-ils très
recherchés. Les foyers se multiplièrent dans les stations, et le
souci d'avoir de bons vêtements apparaît clairement dans les
détails de l'outillage. Il suffit de citer les charmantes aiguilles
à chas en os de l'époque de la Madeleine.
La nourriture était aussi une très grande préoccupation
des habitants de la France de la période paléolithique. Privés
d'animaux domestiques et de toute agriculture, ils s'adon-
naient exclusivement à la pêche et surtout à la chasse. Pour-
tant on n'a constaté dans leurs stations que le poignard en
ivoire ou en corne de cervidé, la sagaie ou lance pouvant
servir de javelot et le harpon à pointe mobile. Ignorant l'arc,
ils connaissaient toutefois le propulseur à crochet pour aug-
menter la force de jet des sagaies et des harpons. C'est avec
ces armes qu'ils se défendaient contre les lions, les ours, les
hyènes, les loups, qui infestaient le sol de la France. Chas-
seurs habiles, ils s'attaquaient aux mammouths, qui n'avaient
pas encore disparu de nos contrées, et parfois, comme à
Cœuvres (Aisne)^ Brassempouy (Landes), etc., ils parvenaient
à en tuer un grand nombre.
Le gibier: cheval, renne, bœuf, était abondant; aussi nos
chasseurs avaient-ils des loisirs. Ils les employaient à fabri-
quer et orner leurs instruments, armes et outils. Cet amour
du luxe en fît des artistes. Peu inventifs en fait de dessin de
fantaisie, ils se mirent à copier la nature et ils atteignirent en
ce genre une perfection remarquable. Ils possédaient naïveté
et talent.. La plus ancienne et première manifestation de l'art
s'est donc produite en France.
Ces artistes étaient doux et tranquilles, vivant sans que-
relles, sans luttes et également sans la moindre idée reli-
gieuse. Leur insouciance, sous ce rapport, était poussée si
loin, qu'ils n'avaient aucun respect pour les morts ; ils ne se
donnaient même pas la peine de les enterrer.
Un nouveau changement climatérique vint tirer cette
population de sa quiétude. Les grands froids cessèrent ; la
température se régularisa en s'adoucissant. Le mammouth
s'éteignit dans l'ouest de l'Europe ; le renne, qui formait le
326 CONCLUSIONS
puoduit le plus abondant et le plus régulier des chasses, di-
minua peu à peu et finit par émigrer complètement vers le
nord, cherchant un climat plus froid. Une partie de la popu-
lation le suivit jusque dans les régions polaires de F Amérique
septentrionale. C'est la première colonie française, voisine du
Canada. Elle est occupée par les Esquimaux qui, se trouvant
dans un milieu analogue à celui qui existait; en France à
l'époque de la Madeleine, ont conservé le même crâae, le
même corps trapu et large, les mêmes instruments de chasse,
harpons et propulseurs, les mêmes mœurs douces et paci-
fiques, le sentiment artistique et l'indifférence pour les morts,
qui caractérisaient les magdaléniens français.
Pourtant la majeure partie de la population est restée en
France. Elle a cherché à remplacer le reniîie par le cerf. Mais
le cerf était moins abondant, moins facile à chasser, moins
utile par ses divers produits. Il y eut pénurie et misère, ce qui
fit complètement disparaître l'art tout à la fois si simple^ et si
vrai qui s'était développé- pendant l'époque de la. Madeleine.
Cette profonde modification constitue l'époque tourassienne,
transition entre le paléolithique et le néolithique. Le climat
et la faune de France devinrent à peu près ce qu'ils sont de
nos jours.
Ce fut dans ces conditions que se produisirent les premières
invasions. Elles occasionnèrent la plus grande révolution so-
ciale connue. Non seulement elles introduisirent un élément
brachycéphale, ou à tête ronde, dans la population autoch-
thone entièrement dolichocéphale, ou à tête longue, mais elles
changèrent de la manière la plus radicale les données de la vie
intellectuelle et matérielle de cette dernière population. Sous
le rapport intellectuel, les nouveaux' venus apportèrent les
idées religieuses, complètement inconnues jusqu'alors dès
habitants de la France. Parmi elles, notons surtout le respect
et l'ensevelissement des morts, qui cadrent si bien avec les
sentiments affectueux et sont si utiles au point de vue hygié-
nique ; aussi ces nouvelles pratiques eurent-elles le plus
grand succès et se généralisèrent-elles rapidement. Ce fût
même à un tel point que les demeures des morts, caveaux
souterrains et dolmens, furent plus belles que celles^ des
vivants.
Au point de vue matériel, les envahisseurs ont importé l'in-
PREMIÈRES PAGES DE l'hISTOIRE DE FRANCE 3c&7
dustrie de la poterie, la hache de pierre polie emmanchée,
instrument de travail très perfectionné et casse-tête terrible ;
en fait d'armes, il ont aussi apporté l'arc. Mais ce n'est pas à
ces armes qu'ils doivent leurs succès. Ce qui faisait leur prin-
cipale force, c'était la possession des animaux domestiques et
la connaissance de l'agriculture, entièrement ignorés des pre-
miers habitants de la France. Ils avaient ainsi la nourriture
assurée,^ et ils pouvaient s'établir d'une manière fixe dan» des
positions fortifiées, tandis que les autochthones, soumis pour
vivre au hasard de la chasse, étaient plus absorbés par la né-
cessité de s'alimenter que par celle de défendre leur terri-
toire.
D'où venaient les envahisseurs à têtes rondes ? Us venaient
de l'Asie, région par excellence des races brachycéphales et
pays d'origine de toutes les grandes religions. L'étude des
animaux domestiques et des céréales permet de préciser davan-
tage et de dire qu'ils provenaient des contrées comprises entre
l'Asie Mineure et le Thibet.
L'inventaire des individus néolithiques ensevelis dans les
grottes funéraires, les souterrains sépulcraux, les dolmens
et les cistes, montre que les autochtones étaient beaucoup
plus nombreux que les envahisseurs, et que non seulement
.ces derniers se trouvaient mêlés avec les premiers, mais qu'ils
se sont alliés à eux, car entre les têtes longues et les têtes
rondes il y a bon nombre de têtes intermédiaires appartenant
à des métis.
A partir des débuts de l'âge du bronze, un second flot de
brachycéphales s'est lentement et progressivement introduit
.en France, y apportant la métallurgie. Comme le premier, il a
en une grande influence religieuse. A l'inhumation des morts
il a substitué l'incinération. Ces nouveaux brachycéphales
.venaient certainement de l'Asie, de la région située entre
l'Afghanistan et l'Inde au sud, la Chine et la Sibérie au nord,
région qui est, à l'extrême orient, le pays par excellence de
l'étain. Aussi sous le rapport religieux nous ont-ils apporté
non seulement l'incinération, mais encore le tintinnabulum
des prêtres mendiants de l'Asie et le signe de la croix, surtout
.sous la forme essentiellement asiatique du swastika. La peti-
tesse des poignées de leurs épées et l'étroitesse de leurs bra-
.celets de bronze montrent qu'ils avaient les mains étroites et
328 CONCLUSIONS
les poignets assez grêles, caraclères qu'on rencontre commu-
nément si Ton se dirige du côté de Tlnde.
Le fond de la population est resté composé des autoch-
tones du paléolithique, que nous avons bien raison de consi-
dérer comme les premiers Français.
La race paléolithique de Laugerie, en se modifiant légère-
ment, a donné naissance à la race néolithique des Baumes-
Chaudes, qui s'est unie et amalgamée avec les races brachycé-
phales envahissantes. C'est ce mélange qui a formé le fond de
la population française. C'est lui qui, malgré Tadj onction
successive des éléments les plus divers, a de tout temps, et
surtout pendant le protohistorique, constitué la base essen-
tielle de la population sédentaire. On peut dire que c'est le
noyau de la démocratie française.
Mais, au-dessus de cette démocratie patiente et laborieuse,
qui restait dans l'ombre et ne faisait pas parler d'elle, il y a
toujours eu une aristocratie turbulente, bataillarde, mobile,
qui faisait grand bruit dans le monde et remplissait à elle
seule les pages de l'histoire. D'où venait cette aristocratie?
Elle paraît se rattacher aussi à notre race autochtone : le
vieillard de Cro-Magnon et l'homme de Menton en seraient
les types. Ayant les plus grands rapports avec les races de
Laugerie et des Baumes-Chaudes, ils s'en distinguent cepen-
dant par la taille. Ils semblent être les ancêtres des « grands
blonds aux yeux bleus » qui, de la France, sont allés occuper
toute l'Europe centrale et ont plusieurs fois versé sur l'Italie,
la Grèce et l'Asie Mineure.
Après le bronze est venu le fer. Ce dernier métal a été ap-
porté par le commerce et l'industrie. Avec lui se sont multi-
pliés les mouvements de population protohistoriques et his-
toriques. L'accord existe sur ce point. Nous n'avons pas à
rechercher quelle a été l'influence de chacun de ces mouve-
ments. Il nous suffît de constater que pendant la première
époque du fer, rHallstattien, l'industrie de l'Europe entre la
Baltique et la Méditerranée montre une influence méridionale.
Dans la seconde époque du fer, le Marnien,les formes carac-
téristiques des cimetières de la Marne, se sont propagées en
abondance jusqu'en Autriche et dans les Balkans, en se mani-
festant même dans le nord de l'Italie. Puis vient l'industrie
romaine. Malgré son caractère absorbant, l'industrie wabé-
PREMIÈRES PAGES DE l'hISTOIRE DE FRANCE 829
nienne ou mérovingienne, qui lui a succédé en France et pour
ainsi dire dans l'Europe entière, a conservé un reflet assez
important du Marnien, fortement teinté d'influence byzantine.
Ce reflet marnien doit d'autant moins surprendre, que
l'industrie mérovingienne a été introduite et généralisée en
France surtout par les Burgundes et les Francks, qui se
relient à nos autochtones répandus dans la Germanie
ancienne.
Il y a eu des mélanges, de très nombreux mélanges, qui sont
venus se fondre successivement dans le noyau autochtone.
Au lieu de le détruire, ils n'ont fait qu'activer sa vitalité. Ce
sont précisément ces mélanges qui ont donné au caractère na-
tional ses qualités et ses défauts. Mais, si des éléments fort
divers sont groupés, il y a un fait incontestable, c'est que la
nationalité est si bien établie, que, sous le rapport du patrio-
tisme, un seul et même cœur bat dans la poitrine de tous les
Français !
FIN
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION
Chapitre Premier. — Programme.
Pages.
Origine du livre et plan i
i^c base : la Bible 2
2" base : les Légendes 3
3* base : les Textes 6
4* base : la Linguistique . . . ^ 8
5^ base : Histoire des religions. . 9
6c base : l'Anthropologie . 10
7e base : la Palethnologie 12
Chapitre IL — Race. Langue. Nationalité.
Les trois termes i3
Race i3
Langue i5
Nationalité 23
PREMIÈRE PARTIE
DOCUMENTS HISTORIQUES
Chapitre Premier. — Atlantes.
Atlantide de Platon 25
Terres entre l'Afrique et l'Amérique . 27
Habitants de l'Atlas . 29
Chapitre II. — Egypte.
Grande Mer et Grand Circuit 3o
332 TABLE DES MATIÈRES
Chapitre III. — Phéniciens et Carthaginois.
Pages.
Phéniciens 33
Stèle de Marseille 34
Nîmes 35
Carthaginois 3;
Chapitre IV.— Grecs.
Archéologie, monnaies, inscriptions f^l
Colonies grecques 43
Corse et Sardaigne ." 45
Chapitre V. — Ligures.
Liste chronologique des auteurs 47
viiie siècle avant notre ère 5i
V® siècle 52
Ligures de la mer Noire. 53
Ligures en Italie 53
Ligures en Espagne K
Ligures du nord-ouest et de la Loire 56
Valeur du mot Ligure. 5;
Caractères ethniques . 58
Chapitre VI. — Ibères.
Ibères en Espagne 59
Ibères en France 6i
Aquitains, Basques, Silures, .j^ 62
Méditerranée et mer Noire - 63
Bebryccs ■ * 66
Chapitre VII. — Celtes.
Méthode chronologique 67
v<î siècle avant notre ère 68
iv° siècle. 70
11° siècle. Polybe 71
ic' siècle. César, Strabon 72
Ère actuelle 75
Conclusions. .* 76
Chapitre VIII. -7 G al at es et Gaulois.
Apparition du nom. Pauganias 78
Celtes et Galates. Polybe. - . / 80
Gaulois de France. César r> 86
Strabon. Tite-Live. Ère actuelle 87
Temps modernes 90
Celtes et Gaulois synonymes ,92
Valeur relative des textes 95
I
TABLE DES MATIÈRES 333
Chapitre IX. — Romains.
Pages.
jpation romaine 96
quête 97
élément 98
îrvissement. Transportation 99
•ulement 99
rsions. Invasions loo
ations 101
ence romaine . loi
Chapitre X. — Germains.
jres et Teutons io3
^es io5
Tianie, coup d'œil général . 106
es. Gaulois. Germains ..... 107
nanie d'après Pline 110
îté de race. Portrait ^ 111
litude des Gaulois et des Germains ii4
Chapitre XI. — Passage des Barbares.
e des Romains contre l'envahissement 118
sions par mer 120
sions par le Rhin 120
sions par les Alpes. 124
Chapitre XII. — Burgundes et Francks.
^undes i25
icks 126
jine des Francks. 127
imbres 129
mologie du nom Franck i3o
les des Germains et des Francks i3i
isades 182
Chapitre XIII. — Conclusions.
îthnologie, objections et progrès 182
Oman historique i34
ulations mobiles et flottantes i85
ulations foncières . 187
urs de copistes et faux renseignements 189
étions des mouvements de population i4o
j des migrations 142
imé des conclusions . 143
33/i TABLE DES BfATIÈRES
DEUXIÈME PARTIE
DÉDUCTIONS LINGUISTIQUES
Chapitre Premier. — Linguistique ou science des langues.
Pages.
Philologie et Linguistique i45
Distribution des Langues i48
Théorie aryenne i49
Langues et migrations i53
Langues et races i56
Chapitre IL — Langues ûe France.
Basque iBô
Breton et Gaulois io8
Latin et Français 160
Catalan 162
Allemand et Flamand i63
Chapitre III. — Ecritures de France.
Alphabets 164
Gravures des Mégalithes 167
Origine des armoiries . . . ' 170
Pierres à cupules Y]k
Sculptures sur rochers 175
Récapitulation 178
Chapitre IV. — Étymologies.
Difficultés des étymologies ... 179
Rapprochements exagérés 181
Dérivés de Galli 182
Boïens et Vénètes i84
Valeur des théories ethnologiques 186
TROISIEME PARTIE
DONNÉES PALETHNOLOGIQUES
Chapitre Premier. — Classification.
Préhistorique et protohistorique ... 189
Ages de la pierre, du bronze et du fer 190
Paléolithique , 191
Tableau de classification h)2
TARLE DES MATIÈRES 335'
Chapitre IL — Paléontologie.
"-,. ., Pages.
ine delà vie -r^-. _.' . . . 194
eloppement des plantes 195
eloppement des animaux 196
rtébrés 197
ébrés . 199
cession des faunes 202
Chapitre III. — Transformisme.
itionismc 2o3
isformisme ...... 2o5
ivcs du transformisme . 20p
'itrp: IV. — Précurseur de l'homme et Pithécanthrope.
ime tertiaire. 2ï3
mme essentiellement quaternaire 216
nition du quaternaire ." . 217
•urseur de l'homme 218
jes fossiles . 219
écanthrope 221
eloppement du cerveau . 224
Chapitre V. — Paléolithique.
léen et Acheuléen 227
stérien 281
iaire 233
î de l'apparition de l'homme 284
tréen , 287
dalônien. 2^8
césentations d'hommes magdaléniens 241
Chapitre VI. — Néolithique.
cassien. 247
pignyen 249
ienoisien 249
[îvasion de la France . . 25o
Chapitre VII. — Protohistorique.
inc de In métallurgie 253
du bronze 256
)duction du fer 260
îtatlicn 262
lien 269
pitulation palethnologiquç s., . .....,.,,..-. 278
336 TABLE DES MATIÈRES
QUATRIÈME PARTIE
DOCUMENTS ANTHROPOLOGIQUES
Chapitre Premier. — Race de Néanderthal.
Pages.
Squelelte.de Néanderthal 275
Fragment de crâne de Cansladt 276
Crâne d'Eguishelm 277
Marcilly et Bréchamps 278
Ossements de Denise . . 280
Mâchoire de Malarnaud 282
Mâchoire et os de la Naulettc 288
Squelettes de Spy. 284
Squelette de Tilbury. .......... 287
Crâne de Bury-Saint-Edmunds 288
Type de Néanderthal 290
Chapitre II. — Race de Laugerie.
Squelette de Laugerie-Basse 295
Squelette de Chanccladc . 297
Squelette inférieur de Sordc 3oo
Race de Laugerie 3o2
Indications écartées 3o4
Origine de la race de Laugerie 3c«
Mâchoire d'Arcy 3o8
Chapitre III. — Premières Invasions.
Sépultures de Cro-Magnon 3ii
Sépultures des Baumes-Chaudes 3i2
Invasion brachycéphale 3i5
Grands dolichocéphales 817
CONCLUSIONS
Premières pages de l'histoire de Franck 821
27-1-;. — Tours, imp. E. Arrault et C*.
c/'
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La Bibliothèque scienlifique internationale n'est pas uue entreprise de librai-
rie, ordinaire. C'est une (puvre dirigée par les auteurs mêmes, en vue des
intérêts de la science, pour la populariser sous toutes ses formes, et faire con-
naître immédiatement dans le monde entier les idées originales, les directious
nouvelles, les découv(>rtes importantes qui se font chaque jour dans tous les
pays. Chaque savant expose les idées qu'il a introduites dans la science et con-
dense, pour ainsi dire, ses doctrines les plus originales. On peut ainsi, sans
(|uitter la France, assister c^t participer au mouvement des esprits eu Angle-
terre, en Allemagne, en Amérique, en Italie, etc., tout aussi bien que les
savants mômes de clru'un de ces pays.
La Bibliollikque scientifique internationale ne comprend pas seulement des
ouvrages consacrés aux sciences physiques et naturelles, elle aborde aussi les
sciences morales, conmie l;i pliilosophi«% l'histoire, la politique et l'économie
sociale, la haute législation, etc. ; mais les livres trait;mt les sujets de ce
genre se rattachent encore aux sciences naturelles, en leur empruntant les
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Ed. Perrier. L'emrrtogénie générale, avec figures.
c^
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