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IITiiUlVl iî^iifî
FOYERS & COULISSES
SEPTIEME LIVRAISON
GAITE
TOME DEUXIEME
EN VENTE:
L'ANNÉE THÉÂTRALE 1874-1875
PREMIÈRE ANNÉE
NOUVELLES DE CHAQUE JOUR, COMPTES
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Par Georges DlJVAl
Un Volume in-lS de 400 Pages
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HISTOIRE AMCDOTIÛLE DES THÉÂTRES DE PARIS
GAITÉ
TOME DEUXIÈME
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AVEC PHOTOGRAPHIES
PARIS
TRESSE, ÉDITEUR
10 ET 11, GALERIE DE CHARTRES
Palais-Royal
1875
Tous droits réservés
Annejif
GAITÉ
ADMINISTRATION
Directeur . , : , J. Offe^bach
Administrateur général E. Trefeu.
Administrateur artistique et pre-
mier chef d'orchestre. , , A. Vizemini.
Secrétaire général ..,,,, E. Mexdel.
Caissier Ch. Grou.
Inspecteur du théâtre Ch. Bridal'lt,
Inspecteur de la salle G. Henriot.
RÉGIE ET CHEFS DE SERVICE
Directeur do la scène.
Régisseur ,.,.,.,
Contrôleur en chef
Chef costumière, . ,
— machiniste,,,
— costumier..,,
— d'orchestre , ,
— des chœurs .
— des accessoires
Maître do ballet
Régisseur de la danse.,
Inspecteur des chœurs.
Accompagnateur ,,,,,,
E. Taigny.
Yazeilles.
Reaudu.
J. ViZENTIM.
Ph. Mendel.
Min« Gervais.
E. GoDix.
Constant.
A. GODIN.
Bourdeau.
MONET.
FUCHS.
M"^' MONTPLAISIR.
MM. Vaudegend.
, . . Martin.
tiii
SïîS
90 FOYERS ET COULISSES
J. OFFENBACH^
Du temps quHl n'avait pas oncor blagué l'Olympe,
Ni soulevé du bout do son archet la guimpe
Qu'emplit le buste de Pallas,
A cet âge où l'on est fier d'être polygame,
Bien souvent il disait à la sœur de son âme :
a Ça ne va pas du tout, hélas ! »
« Ma gloire, la coquine, a le pas des limaces,
Et je ne suis connu que pour être des basses
Le triomphant Paganini ;
Bientôt tout va changer; mon avenir se dore;
Alors tu quitteras, pour le velours sonore,
Ta robe d'al;?a^a, Nini 1
Vienne une occasion, plutôt que je la perde,
Périssent et Weber et l'aïeul Monteverde,
Et Boïeldieu, ce liseron !
L'univers tremblera du poids de mon génie,
Je vous égalerai, neuf sphères d'Harmonie
Que nous décrivit Gicéron 1
Je n'aurai de respect pour rien; et les antiques
Seront déljarrassés de ces poses attiques
Qu'ils ont sur leurs socles de stuc;
Vainqueur, je transcrirai la musique des fées;
Et nos neveux pourront comparer nos Orphées,
Mon pauvre vieux compère Gluck !
J'aurai la fantaisie étrange des mers bleues.
Et la vivacité folle des hochequeues :
Hoffmann ne sera que mon groom ;
[beugles ! »
Donc, j'ai dit ! et je veux, ô Schubert, que tu
, , ,Et l'homme au nez sinistre écrivit les Aveugles
Et chanta le général Boum 1
Cette poésie est de Vermesch.
GAITÉ 91
OFFENBACH-DIRECTEUR
Offenbach est loin d'avoir dit son der-
nier mot. Il est jeune encore, intrépide au
travail.
Une originalité dont rien n'approche,
un entrain merveilleux, une gaîté persé-
vérante et une verve à jet continu, voilà
sans contredit le caractère de son talent
musical. — Chez lui l'inspiration folâtre
n'exclut pas la sensibilité, ce qui a fait
dire avec justesse à un journaliste de
Berlin : « La musique d'Offenbach a l'es-
prit français, mais elle conserve toujours
le cœur allemand. »
A propos de l'éternel succès d'Orphée
aux Enfers, certains critiques, voyant le
sans-gène de l'œuvre, le cachet de naturel
qui la distingue, et ne sachant pas que
très-souvent ce qui paraît composé sans
peine a presque toujours coûté beaucoup
de travail à l'auteur, s'écriaient : Bah!
cette pièce est comme l'œuf de Christophe
Colomb :
— Chacun pouvait en avoir l'idée.
— Oui, mais il fallait l'avoir.
LE CABINET DOFFEXBACH
est situé au premier étage du côté droit de
la scène; il est muni d'un certain nombre
de portes dérobées et de plusieurs esca-
liers de sortie. L'ameublement est en ve-
\}'2 rOYERS ET COULISSES
lours vert. Aumilieuune grande lablc, près
de la feuêîrc un piano, sur les murs des
vues représentant la cathédrale de Milan,
les principaux tableaux de Gènes, Venise,
etc., etc., des scènes des Deux Aveugles et
du lîoi Carotte.
LE FAUTEUIL D'OFFENBACH.
Ce fauteuil vaut la peine d'être souligné,
car il a son histoire. — Le maestro affec-
tionne tout particulièrement ce genre de
siège. Quand il était directeur des Bouffes,
il Irùnait dans un vieux fauteuil gothique
qu'il avait acheté chez un brocanteur.
Ce fauteuil était le rêve de Yarney, qui
fut le successeur d'Offcnbach.
M'y asseoir et mourir! disait-il.
L'occasion si désirée ne tarda pas à se
présenter. Offenbach abandonna les Bouf-
fes, et y laissa son fauteuil.
Une heure après, Yarney s'y précipitait
mais impossible de s'y asseoir, il
était trop étroit!...
Les détracteurs et les envieux ont plus
d'une fois prétendu qu'Offenbach avait
copié Mozart et mis son Requiem en qua-
drille. — Aujourd'hui, d'après ce que ra-
GAiTt: 9:J
conte Timothée Trimm, nous devons pen-
cher pour l'affirmative. Oui, Offenbach a
copié Mozart. Il a donné raumônc ù un
pauvre, de la même façon que rauleur de
Don Juan.
Ce nécessiteux, persistant et enlètc,
poursuivait Offenbach sans relâche tout le
lonjj de l'avenue des Champs-Elysées... et
faisait la manche dans la langue de Schil-
ler... Or, comme le maestro est Allemand...
il ne peut arguer de son ignorance pour
refuser la charité.
Il se fouille. . . pas un kreulzer.
Pas un sou de France.
Pas une obole.
Une vraie pénurie de grand prix de
Rome sortant du Conservatoire ! . . .
Et le pauvre implorait toujours sur le
ton de Patachon des Deux Aveugles.
— Eh bien ! s'écria Offenbach énervé, je
n'ai pas d'argent. . . mais je veux te donner
une traite à vue.
Et, après avoir tracé sur un feuillet ar-
raché à son portefeuille les lignes harmo-
niques, il écrivit pendant dix minutes...
puis il donna le feuillet au solliciteur. En
tête, on lisait :
La Polka du Mendiant.
— Tiens ! s'écria-t-il, cela vaut bien deux
cents francs chez tous les éditeurs. . .
94 FOYERS ET COULISSES
Huit jours après, Offenbach rencontra
son pauvre.
— Eh bien ! lui dit-il, as-tu vendu ?. . .
— Je suis en pourparlers, répondit celui-
ci en rajustant ses guenilles.
— Et tu ne te décides pas ?. . .
— J'ai le temps.
L'indigent avait déjà reçu des offres des
principaux éditeurs de Paris. — Il avait
fait essayer le morceau au piano par un
domestique qui a été homme du monde.
Il veut mille francs.
Et se réserve :
Le droit d'éditer à l'étranger ;
Le droit de perception aux cafés-con-
certs et bals ;
Le droit de l'édition populaire à 10 cen-
times ;
Le privilège de vendre à l'intérieur des
Bouffes et de la Gaîté ;
Le droit de traiter avec Strauss etArban
pour les bals de l'Opéra, et avec... les
orgues de Barbarie.
Pourquoi Offenbach, si intelligent, si
malin, ne prendrait-il pas ce mendiant ad-
ministratif. . . pour son administration ?
ETIENNE TRÉFEU
Cet auteur dramatique est à la Gaîté
l'administrateur chargé de la comptabilité
GAITÉ 95
du matériel, des achats, et de toute la partie
du contentieux.
Les frères Lyonnet sont moins insépa-
rables que Trefeu et Albert Vizentini. —
Ils s'entendent absolument en tout et pour
tout. Tréfeu est aussi calme et aussi fleg-
matique que Vizentini est prompt et ra-
geur. Tréfeu veut toujours renvoyer les
choses au lendemain, ses projets comme
ses décisions ont besoin de mûrir pen-
dant 24 heures ; — mais Tréfeu compte
sans Vizentini, qui est là pour réaliser ses
projets avant même qu'il ne les ait conçus.
— Tréfeu fut employé pendant longtemps
dans les bureaux de la douane. Excellent
père de famille, il vit tout entier pour son
ménage. Son rêve est d'habiter sa Nor-
mandie (il est de St-Lô); il attend, pour le
réaliser, que son collaborateur et direc-
teur Offenbach ait gagné un milliard à
la Gaîté. Tréfeu, toujours de noir habillé,
n'a qu'une coquetterie, c'est une petite
mèche blanche qu'il porte coquettement
sur son front. Serait-ce la mèche de Sylla?
J'oubliais de vous dire que Tréfeu est un
des draprons préposés à la garde des ci-
gares d'Offenbach.
Vizentini est l'autre ! Malheur à qui
s'aviserait de plonger une main crochue
dans la boîte de londrès du maestro de-
vant les deux vestales en culottes chargées
de veiller sur son feu sacré.
96 FOYERS ET COULISSES
ALBERT VIZENTINI
Fils d'Augustin Vizentini, administra-
teur à l'Opéra, directeur à l'Odéon, régis-
seur général du Vaudeville, de la Porte-
St-Martin, du Châtelet, une des grandes
réputations des temps connus, metteur en
scène ; — petit-fils de Vizentini, le doyen
des sociétaires du théâtre Ffivdeau (le
Vizentini qui a créé les Visitandines, la
Neige, Mazaniello, etc.
Abcrt Vizentini a commencé par être
pensionnaire de l'Odéon. En 184711 jouait
dans Je Dernier Banquet, la revue de Ca-
mille Doucet, le rôle du jeune auteur. Il a
fait toutes ses études musicales en Bel-
gique avec Fétis et Léonard, et il a obtenu
tous ses premiers prix de violon et de
composition au Conservatoire de Bruxel-
les.
Albert Vizentini a commencé à con-
duire, comme chef d'orchestre, à Anvers
en 1860.
Ensuite, avec M°^« Carvalho, il fit une
tournée de concerts en Belgique et en Hol-
lande. Puis il vint se faire entendre comme
virtuose. Il se fit remarquer comme tel,
dans nombre de soirées et de représen-
lations à bénéfice. C'est lui qui inventa,
pour un concert à la salle Hertz, la femme
TÉNOR qui n'était autre qu'un contralto.
GAITÉ 97
Mais tous ses succès ne valaient pas ceux
du théâtre. Il se fit donc engager comme
solo violon aux Bouffes, puis au Théâtre-
Lyrique, où il resta quatre ans.
"Sur ces entrefaites, Marc Fournier et
Albéric Second lui mirent la plume à
la main, et Vizentini devint critique mu-
sical. Ainsi que l'atteste sa collaboration
au Grand Journal, au Charivari (pendant
dix ans) , à l'Entracte^ à l'Evénement
illustré, au Paris Magazine, à l'Eclair,
etc., etc., il fonda avec Strackosh un jour-
nal de musique, le Télégraphe, dont la
guerre arrêta le mouvement.
C'est à la suite d'une discussion, moti-
vée par un article du Charivari,(\\x'\\ donna
sa démission au Théâtre-Lyrique.
Il entra à la Porte-St-Martin comme
chef d'orchestre, chargé do composer la
musique des pièces nouvelles. Il alla à
Londres pendant trois étés, pour monter
le répertoire d'Offenbach avec Shneider;
c'est là qu'il eut au doigt un accident
qui, depuis, l'empêcha de jouer du violon.
C'est également à Londres qu'Offenbach
le vit conduire; il le fit engager à la
Gaîté, par M. Boulet, pour monter le Boi
Carotte.
M. Boulet cédant sa direction à Offen-
bach, celui-ci garda naturellement Vizen-
tini, qui est devenu aujourd'hui son bras
droit, son alter ego.
98 FOYERS ET COULISSES
Vizentini a signé un engagement de
seize ans absolument pour tout faire,
comme les bonnes du bureau de place-
ment.
Le jeune chef d'orchestre prenait si bien
cet engagement à la lettre, que, le lende-
main matin, il pénétrait chez Offenbach,
s'emparait de ses bottes et les cirait au
grand ébahissement du maestro.
— Ne m'avez-vous pas engagé pour
tout faire ? lui dit-il.
En effet, Vizentini le remplace complè-
tement dans son absence pour tous les
rouages de la machine. Résiliations, enga-
gements, traités avec les auteurs, com-
mandes de décors, commandes de costumes,
tout lui passe par les mains, tout. . .
A la répétition générale àQ Jeanne d'Arc,
les inspecteurs de la censure ayant trouvé
une jupe trop courte, ont demandé la cos-
tumière à tous les échos ; elle ne venait
pas. Que croyez-vous que fit Vizentini,
qui conduisait son orchestre? Il déposa
son bâton de mesure sur son pupitre, des-
cendit de son fauteuil, escalada l'orchestre
en moins de cinq minutes ; ayant franchi
les six étages qui mènent chez la costu-
mière, il les redescendait avec celle-ci,
qui allongeait la jupe, puis il reprenait sa
place à son orchestre, comme s'il ne l'avait
jamais quittée.
Il n'y a qu'une chose pour laquelle
GAITÉ 99
Vizentini n'a pu remplacer Offenbach, mais
il ne désespère pas d'y arriver.
Ce sont les rhumatismes. . .
Le rêve du maestro-directeur et de son
jeune chef d'orchestre, c'est d'avoir à la
Gaîté une pièce qui leur laisse le loisir de
s'enfermer dans leur cabinet pour jouer
des duos de violon et de violoncelle.
Vizentini, par son engagement qui le
reconnaît administrateur artistique, pre-
mier chef d'orchestre et directeur de la
musique, se réserve le droit de ne con-
duire son orchestre tout au long que pen-
dant les cinquante premières représenta-
tions de l'ouvrage.
Il vient de faire transformer son cabinet
en un véritable boudoir, orné de son por-
trait-charge très-ressemblant, du portrait
d'Offenbach, et d'un millier de photogra-
phies d'artistes... dames.
A chez lui, dans son salon, les portraits
des pkis célèbres compositeurs modernes,
avec dédicaces des plus flatteuses pour le
jeune chef d'orchestre dont nous venons
de faire la biographie.
EMILE MENDEL
Le spirituel courriériste théâtral de
Paris-Journal est rarement à son poste,
par cette raison que ses fonctions con-
sistent à donner des places; et comme on
100 FOYERS ET COULISSES
fait toujours de l'argent au théâtre de la
Gaîté, sa mission de secrétaire y devient
une douce sinécure.
Détail qui fait honneur à ses mœurs,
Emile Mendcl ne permet pas aux petites
dames d'être trop familières avec lui.
Très-brun, très-gentil, très-doux, très-
aimable, son plus grand bonheur est de
se précipiter sur le premier piano qu'il
peut rencontrer, et de le faire vibrer...
sans prétention,
Mendel porte toujours les cheveux cou-
pés à la malcontent, ce qui ne l'empêche
pas d'être très-content de son sort, malgré
les migraines féroces qui le retiennent
quelquefois chez lui {46, ime Lafûttë) au
cinqui(^mc?. . . au-dessus de l'entresol ! et
quand, pauvre asthmatique avant l'âge,
vous maudissez celte ascension, Mendel
vous répond : Figures-toi que tu es aux
courses de la Marche! En effet, il faut
en monter 108 pour arriver à sa porte !
CHARLES GROU
Ce caissier modèle est l'enfant chéri des
dames de la Gaîté. 11 y a une raison
pour cela. Les jours de paie, il se ruine
en bouquets de violettes pour elles, et se
réserve le bonheur, quand elles ont mé-
rité une gratification, d'être le premier à
GAITÉ 101
lo leur annoncer, ne demandant qu'un baiser
pour toute récompense.
Depuis longtemps membre du Caveau,
et ancien éditeur do musique, M. Gnou
ferait des romances et des couplets de
factures, jusque sur celles des fournis-
seurs de la Gaité, si les chiffres lui en
laissaient le temps.
En résumé, petit homme, et grand cais-
sier.
BRIDAuLT (CHARLES)
Nous n'en parlerons pas comme direc-
teur, puisque comme tel il a été plus in-
telligent qu'heureux.
Ancien secrétaire des Folies-Nouvelles,
directeur du théâtre Déjazet, puis de la
Tour-d'Auvergne; il est nouvel arrivant
à la Gaîté, où il paraît appelé à rendre de
grands services.
Très-actif et portant toujours des lu-
nettes, c'est un homme d'un commerce
agréable et qui a été de suite sympathique
au nombreux personnel de la Gaîté. Mais
ne le mettez pas en colère, car lorsqu'il
se fâche il devient blanc comme Debureau.
Par exemple, faites-le rire, vous serez son
ami .
M. Bridault a pour pour cabinet le salon
attenant aux baignoires de gauche, dont il
102 FOYERS ET COULISSES
est séparé par une des portes de fer qui
communiquent avec la salle. Ce cabinet
est plutôt un violon, car c'est là qu'on
enferme les journalistes indiscrets qui se
faufilent sur la scène les jours de répéti-
tion générale.
C'est l'ancien cabinet de Yizentini.
GASTON HENRIOT
Neveu de Roqueplan, ancien directeur
du Châtelet, où il succédait à son oncle.
Ancien administrateur de l'A-lhambra de
Londres. Préconise le système anglais en
matière de contrôle.
Tout nouveau à la Gaîté, où dès son en
trée il a fait une bouillie de placeurs et une
fricassée d'ouvreuses.
EMILE TAIGNY
Ancien directeur des Délassements ;
a joint aux qualités directoriales le ta-
lent d'un jeune premier remarquable. 11
laissa au Vaudeville de la rue de Chartres
et de la place de la Bourse de glorieux
souvenirs. C'est là qu'il débuta dans l'abbé
de Gondi, du Duel de Richelieu, et créa le
GAITÉ 103
rôle de Faublas et tant d'autres. Sa belle
tenue, ses manières distinguées, son jeu
élégant le placèrent au premier rang. —
Aux Délassements-Comiques, il servait de
modèle à ceux de ses artistes qui tenaient
son emploi, et reprit lui-même sur son
théâtre, pour lui donnerplus d'éclat, toutes
ses créations du Vaudeville. Il créa,
avec sa femme, une pièce charmante, de
Jules Renard, le Chemin des amoureux.
Emile Taigny a laissé son nom attaché à
un emploi devenu typique au théâtre. De
même qu'on dit : Je joue les Dugazon,les
Déjazet; on dit : Je tiens l'emploi des Tai-
gny. — M. Taigny est entré à la Gaîté,
square des Arts-et-Métiers, dans la com-
binaison de la Société Nantaise, et comme
capitaliste et comme directeur de la scène.
— Il est une des colonnes fondamentales
de ce théâtre auquel il est imposé. Signes
particuliers : pourrait être marguillier de
sa paroisse (si ce n'est déjà fait).
M. Emile Taigny porte toujours des
bottes fourrées et boit de l'eau de goudron
pendant toute la soirée, dans la loge où il
assiste à la représentation.
Opinion politique : lit assidûment la
Patrie et le Petit Journal.
LÉON VAZEILLES
Auteur dramatique. Le Cogniard du
iO'i FUYKIIS ET COULISSES
théâtre Saint-Pierre. Edite ses pièces lui-
même. Autrefois, il les jouait. L'été, il
monte trois ou quatre parties avec des co-
médiens auxquels il fait jouer des specta-
cles g-énéralement composés de ses pièces,
et il se présente trè<-3érieusement chez
Peragallo, le trimestre suivant, pour tou-
cher ses droits d'auteur.
Léon Vazeilles, qui n'a pas encore besoin
de l'eau Laferrière, se fait friser réguliè-
rement tous les deux jours, — et géné-
ralement, ces jours-là, les danseuses
indisposées s'évanouissent dans son
cabinet, où se trouve sa boîte de phar-
macie.
Les autres jours, il cause politique
riu foyer, où il commente les articles du
RappeJ, dont il est, avec Mallet, un des
lecteurs les plus assidus.
BÂUDU (JEUNE)
Celui-là est bien l'enfant de la maison.
Il a 29 ans et il y en a 31 qu'il est dans
le théâtre, où il fit sa première entrée dans
la personne de son père, d'abord, qui est
le perruquier du théâtre, et de sa mère. —
Baudu a commencé à jouer à la Gaîté
dans des rôles d'enfant, c'est le Deus ex
machina de la scène — Offenbach en fait
GAITÉ 105
le plus grand cas, ainsi que Vizentini, dont
il est essentiellemeut la créature. — Tou-
jours armé d'un porte-voix en zinc pour
transmettre ses ordres dans le dessous,
il est à tout et conduit toutes les pièces
pendant que M. Taigny est dans la salle
et prend des notes. — Baudu a ceci de
curieux, c'est qu'il sait tous les rôles; il a
doublé successivement Dumaine, Laurent,
Legrenay, Charly, tous les artistes qui
ont joué depuis 5 ans à la Gaîté; — quand
le souffleur perd son manuscrit ou qu'on
ne retrouve pas la tradition d'une pièce
on consulte Baudu qui la récite immé-
diatement sans se tromper d'un coda. —
C'est un robinet à renseignements. — Il a
été un peu décontenancé par l'arrivée de
la musique à la Gaîté ; mais il s'est mis
courageusement au solfège et le temps
n'est pas loin où il pourra vocaliser avec
charme, le jour où madame Dartaux
sera malade. Déjà, quand il y a des chœurs
dans la coulisse, il bat la mesure avec son
porte-voix, et manque de blesser avec,
ceux qui se trouvent derrière lui. —
Baudu vient de se marier avec une char-
mante petite actrice de la Gaîté, M^^® :Mette.
Son espoir est d'être père; ensuite vous
verrez qu'il mourra à la Gaîté et qu'il
voudra y être enterré.
lOO FOYERS ET COULISSES
E. GODIN
A commencé sa carrière à I'Ambigu.
C'est là que Fetcher le remarqua et l'en-
j^agea pour Londres, où il resta avec lui
:iLycéuin, pendant huit ans ; de Londres,
s'habile machiniste revint, en 1867, à Paris,
où l'appelait la Gaité, qui lui doit, entre
autres grands effets décoratifs, l'incendie
de la Madone des Roses, la dernière cor-
vette du Fils de la nuit, les nouveaux ta-
bleaux de la Chatte blanche et ceux du
royaume de Neptune, dans Orphée aux
Enfers. Le chef machiniste de la Gaîté est
un homme très-doux; il a rapporté d'An-
gleterre les manières d'un parfait gentle-
man. Ses hommes lui obéissent au doigt
et à l'œil.
Signe particulier : n'est pas partisan des
petits trucs, n'admet, ne conçoit que les
grands effets, et pour cela il est tout à fait
de la nouvelle école.
Bref, le premier machiniste de France
et. . . de Navarre.
J. VIZENTINI (ONCLE d'albert)
A été très-longtemps régisseuràTOdéon.
Après cela, a parcouru la province dans
GAITÉ 107
tous les sens. Est entré, il y a quelques
années, à la Gaîté, comme troisième régis-
seur. Il joue clans toutes les pièces : clans
Jeanne d'Arc, un soldat anglais ; clans
Orphée, Rhadamante ; a créé, dans Léonard,
Saint- Pliar, l'égoutier célèbre par son
]iinocle et son mouchoir parfumé.
PHILIPPE MENDEL
Fut pendant de longues années le con-
trôleur des bals de l'Opéra. Aime à s'en-
tourer de sa famille. Déteste la cravate
blanche qu'Offenbach inqiose ti son per-
sonnel.
Très-doux à la ville, il est un peu ner-
veux dans SOS rapports avec le public.
Frère du jeune secrétaire de la Gaité,
Emile Mendel, et beau-frère d'Ernest Blum,
l'auteur dramatique.
M^^ GERVAIS
Une maîtresse femme très-apprôciée à
la Gaîté, et elle le mérite. C'est une autorité
dans son genre. Pour Grévin, Lacoste ou
Thomas, dessinateurs de costumes, elle
108 FOYERS ET COULISSES
devient un véritable collaborateur. Femme
d'ordre et de régularité, ses costumes sont
entretenus, soignés, rangés, étiquetés
avec le plus grand soin.
M. CONSTANT
Un père tranquille. Rien ne peut l'émou-
voir, même lorsqu'on lui commande 7 à
800 pourpoints, 900 trousses et 375 paires
de bottes. Signes particuliers : un coupeur
de premier ordre. Il hobille surtout les ar-
tistes à leur taille et à leur physionomie
avec une sûreté de main qui lui est per-
sonnelle. Son véritable nom est Constanzo.
L'habitude a fait supprimer le zo. Il reste
à la Gaîté son costumier Constant.
M. A. GODiN
Correct, propre, froid; il a l'aspect an-
glais, et pâlit un peu plus à chaque fausse
note d'un musicien. Il fut second chef
d'orchestre à l'Opéra-Comique.
Bon musicien, toujours en tenue de soi-
rée, il ne lui manque qu'une chaufferette
pour entraîner ses musiciens.
QAIT 109
M. BOURDEAU
Ancien premier basson de l'Opcra-Co-
mique et du Théâtre-Lyrique, il est maître
de chapelle à Passy. Comme l'abbé Pelle-
grin,
Il dîne do Tautel et soupe du théâtre.
Joli garçon, toujours élégamment vêtu,
il dirige son personnel à l'anglaise, c'est-
à-dire sans bruit, sans embarras, conscien-
cieusement, exactement, bref, en gentle-
man. Fou de musique, c'est entre cet art et
lui un mariage d'amour où les deux époux
sont toujours en pleine lune de miel.
M. MONET
Grand, fort, beau garçon, il voit tout, il
pense atout, il fait tout. Gartonnier, truc-
quiste, ébéniste, décorateur, armurier,
dessinateur, il monte à cheval, joue, chan-
te, danse, parle selon les besoins du mo-
ment. Autrefois, au Cirque, il joua tous
les héros d'armes et tous les mauvais gé-
nies. A la Gaîté, il a créé le joueur de bi-
110 FOYKRf; ET COULISPE?.
niou dans le ballet du Gascon et le chien
Cerbère dans OrpluJe. Pour ce dernier
rôle, son succès fut tel qu'il reçut de plu-
sieurs fermiers l'offre d'une bonne somme
pour passer ses nuits à aboyer dans leur
basse-cour. Dans un théâtre, INI. Monnet
est l'homme précieux par excellence.
M. FUCHS
Un enfant de l'Opéra.
Jadis l^'^ danseur, élégant, allié aux
Taglioni. A voyagé dans les deux hémi-
sphères, et y a remporté des succès cos-
mopolites. Il le dit avec orgueil : « Je fus
parfois l'égal des têtes couronnées. »
Maintenant, M. Fuchs a l'aspect d'un
bon bourgeois retiré aux Batignolles, ce
qui ne l'empêche pas de régler les très-
beaux et très -luxueux ballets de la
Gaîté.
Très-sensible aux influences féminines,
lui et sa canne sont bien gardés.
M'*'^ .MONTPLAISm
Femme du célèbre chorégraphe italien,
elle a jadis dansé à la Porte-Saint-Marlin
GAITÉ 111
entre autres, et non sans remporter de bril-
lants succès.
Depuis six ans à la Gaîté, elle dirige la
classe des enfants du ballet, et nous pré-
pare ainsi les bayadères do l'avenir.
M. WAUDE6END
Chargé de surveiller les choristes, qui
souvent, au lieu de tenir leur partie, pré-
fèrent raconter leurs petites affaires.
M. MARTIN
Organiste de Notre-Dame-de-Bonne-
Nouvelle. Se préoccupe au théâtre de ce
que pense son curé, et à l'église de ce que
dit son directeur.
Accompagnateur de premier ordre. Des
doigts do fer, mais un drôle de corps. Tout
en l'aimant beaucoup, Yizentini lui casse
quatre archets sur le dos à chaque répé-
tition.
Aime beaucoup les banquets et repas de
corps, où il s'amuse comme un enfant.
Passion particulière : il adore sa pipe
et la mène dans le monde.
112
FOYERS ET COULISSES
ARTISTES
MM. Lafontaine.
Montaubry.
Clément Just.
Desrieux.
Chri3tiau(VariG
Daubray.
Bonnet.
Grivot.
Gravier.
Stuart.
Legrenay.
Reynald.
Habbay.
Angelo.
Antonin.
Scipion.
Courcelles.
Troy.
Gaspard.
Jean-Paul.
Meyronnet.
Damourettc.
Mallet.
Henri.
Chevalier.
Alexandre fils.
Galli.
Barsagol.
Colleuille.
Paulin.
Colleuille fils.
tés)
M™*'Victoria Lafontaine
Lia Félix.
Marie Laurent.
Thérésa.
Théo.
L. Grivot.
A. Teissandier.
Marie Vaunoy,
Anna Darlaux.
Matz Ferrare.
Marie Brindeau.
Angèle.
B. Perret.
El. Gilbert.
Bl. Méry.
P. Lyon.
Guolti.
Capet.
J. Eyre.
Debryat.
L. Albouy.
El. Albouy.
Grandpré.
Julia.
Maury.
Gastello.
Durieu.
Davenay.
L. Gobert.
Iriart.
M. Godin.
A. Mette.
Sylvana.
Conti.
Jeault.
Morini.
Wagner.
GAITÉ
113
BALLET
Chrislina Roselli,
Viltorina Fontebello,
Ro:?ina Brambilla,
Léontino Vernet,
Eugénie Pelletier,
Enrichetta -ilaiiry,
Marie Gardes,
Berthe Solari,
Alicia Del Pozzo,
Aug. Herbinot,
Laura Garbagnati,
Antonia Gardés,
Camille Perrot,
Emma Salvadori,
Elvira Viola,
i8 Coryphées,
42 Dames,
16 Enfants,
82 Choristes,
10 Enfants de chœur,
54 Musiciens,
22 Orchestre militaire,
85 Machinistes,
150 Figurants,
60 Figurantes,
212 Employés divers.
1" sujet.
l'e' Danseuses.
1"' Danseuses.
2°" Danseuses.
Guida.
Corps de balle
751 Personnes coopérant à la repiéseutalion.
114 FOYERS ET COULISSE?
LAFONTAINE
Une des meilleures l)iographies de I.a-
foniaine est celle que iSI. N. Gallois fit en
1867; nous la reproduisons en entier :
Nous lisons dans une pclite publication
intitulée la Lniiterne magique : « Et La-
fontaine, cet élégant acteur du Gymnase,
n'a-t-il pas été abbé d'un séminaire, puis
garçon de ferme en Normandie, puis pa-
lefrenier, puis que sais-je, moi ? Il a fait
un peu de tout, et pourtant, voyez-le main-
tenant, c'est rhomme du monde par ex-
cellence, la distinction dans tout son éclat,
tant il est vrai que l'éducation est la pierre
fondamentale de l'humanité! »
Louis-Marie-Henri Thomas, tel est le
véritable nom de }>L Lafontaine; il compte
parmi ses aïeux l'académicien Thomas et
Laharpe.
Lafontaine a été en effet, comme le dit
la biographie que nous venons de citer,
séminariste, mais séminariste ayant par-
dessus tout en haine le séminaire et le
Intin qu'on y apprenait. Aussi s'évada-t-
il maintes fois, au risque de se rompre le
cou ; une dernière fois, ce fut la bonne, il
n'y rentra plus.
Garçon de ferme, palefrenier, ceci est
de l'imagination toute pure ; quand il s'é-
vadait, il se cachait chez d'anciens fer-
GAITE 115
miers de son père qui le traitaient comme
leur fils et leur maître à la fois. Voilà sans
doute ce qui a donné lieu à la petite inexac-
titude que nous avons citée pour la recti-
fier. Ce fait redressé, nous devons cons-
tater que Lafontaine a mené sur terre et
sur mer une vie vagabonde qui, en der-
nier ressort, l'a conduit à embrasser la
carrière théâtrale. Il a été commis négo-
ciant ; il s'est acheminé ensuite vers Paris,
léger d'argent et rempli d'espérance. En
route, il s'est fait colporteur, vendant aux
campagnards des bonnets de coton ; c'est
ainsi qu'il est parvenu à atteindre la capi-
tale avec quelques écus dans sa poche.
Lafontaine cherchait sa vocation ; il ne
l'avait rencontrée ni dans les austérités
des ordres ecclésiastiques, ni dans les
spéculations commerciales, réduites à leur
plus modeste expression ; mais le goût du
théâtre lui était venu; il avait joué Buri-
dan sur des tréteaux, il avait joué à l'A-
thénée de Bordeaux, charmant petit théâ-
tre d'amateurs où l'on se souvient toujours
de lui.
Aussi, dès son arrivée à Paris, Lafon-
taine, plein des illusions naturelles à son
âge, se crut-il en droit de frapper aux
portes de la Comédie-Française : Sésame
ne s'ouvrit pas. Alors Lafontaine s'ache-
mina plus modestement vers les théâtres
de la banlieue ; accueilli par M. Seveste,
116 FOYERS ET COULISSES
il débuta, il joua, il étudia, bientôt il se fit
remarquer par l'art avec lequel il compo-
sait ses rôles. Enfin, ô bonheur! voilà le
jeune artiste à la Porte-Saint-Martin. Mais
la direction qui l'avait engagé ayant fait
de mauvaises affaires, le théâtre^ ferma ;
il dut chercher à se caser ailleurs.
Gomme la plupart de nos artistes au-
jourd'hui en renom, Lafontaine, consta-
tons-le en passant, devait compter avec
les répulsions de sa famille, s'il eût parlé
d'embrasser le métier d'acteur; pendant
deux ans, Henri Thomas, qui a deux
sœurs religieuses, écrivait à ses parents
qu'il était employé dans une maison de
commerce, et ceux-ci le croyaient ; l'ac-
teur Lafontaine en riait sous cape.
En 1849, le Gymnase accueillit Lafon-
taine, qui débuta dans Briitus lâche César,
dans Faust et Marguerite, en 1851, et fixa
enfin la critique, dans la Femme qui trompe
son mari : « Qu'il réchauffe sa froideur ! »
lui disait la Presse à propos de sa créa-
tion du rôle de François, dans cette pièce;
c'était là un de ces conseils qu'on donne
à des artistes dont on fait cas. A partir de
ce moment, Lafontaine s'est parfaitement
posé au Gymnase. Le rôle de Fulgence
dans le Mariage de Victorine, où il s'est
révélé avec tant de distinction, lui a con-
quis la faveur du public, et cette faveur a
depuis été toujours en croissant; il l'a jus-
GAITÉ in
tifîée par d'incontestables progrès de
chaque jour.
Nous l'avons va comme tout Paris dans
un Fils de famille, celte création où il n'a
jamais été égalé, cette pièce si admirable-
ment montée à son origine, et nous en di-
rons, comme M. Théodore Anne : « Il a
rendu avec un art parfait le rôle du colo-
nel. C'est le portrait vivant d'un de ces
braves officiers au cœur droit, à la tour-
nure un peu gauche, auxquels l'air de la
caserne convient mieux que celui du sa-
lon, mais qui portent la tète haute parce
qu'ils ont le cœur noble et pur. On dirait
que Lafontaine a cherché sur quelque
champ de manœuvre, trouvé et dessiné le
type de la figure qu'il a été chargé de re-
présenter à la scène. Sa perruque, les
mouvements de son front, sa tenue, sa
tournure, son débit saccadé, ses mouve-
ments convulsifs, tout est d'un naturel
parfait. Jusqu'alors jeune premier, Lafon-
taine est devenu tout à coup premier rôle,
sans embarras, sans effort et sans que
son talent souffrît de cette brusque tran-
sition. Loin de là, ce talent expressif dans
la jeunesse a pris une teinte de maturité
qui prouve l'excellence des études de cet
acteur distingué. Chaque création nouvelle
de Lafontaine montre en effet avec quel
art cet excellent comédien sait composer
un rôle ; il ne se ressemble pas, ne se'co-
118 FOYERS ET COULISSES
pie pas lui-même, il fait de chaque per-
sonnage qu'il aborde un type quireslera. »
La Comédie Française voulut l'engager
en 1851. M. Montigny eut, de son côté, le
bon esprit de le retenir.
A vingt-huit ans, il comptait un nombre
infini de créations dignes d'un maître, sur
cette scène du boulevard Bonne-Nouvelle
qui conserve, elle aussi, scrupuleusement,
toutes les traditions du bon ton, de la
vraie comédie. 11 semblait s'y élever à
chaque nouveau rôle qvi'il prenait ; le
comte de Diane de Lys avait, en dernier
lieu, ajouté à sa réputation; le rôle de
Flaminio, dans une œuvre de Georges
Sand à présent oubliée, était créé, par lui,
avec un cachet de fatalisme qui ne lui
messeyait pas.
Muni d'un bagage dramatique ({ui eût
été peut-être bien lourd à porter pour
tout autre que lui, Lafontaine vint de nou-
veau frapper aux portes de la Comédie-
Française; elles s'ouvrirent avec plus de
facilité pour le transfuge du Gymnase que
pour l'échappé du séminaire et de l'Athé-
née de Bordeaux. Pourquoi ne le dirais-
je pas? Il s'y dévoya tout d'abord. Lui,
l'homme par excellence de la comédie dra-
matique, il se lança, en enfant perdu, dans
les vigoureux hémistiches de Corneille.
Il joua le Cid ; il comprit à sa manière, il
en fil. d'accord peut-cire avec la tradition
GAITÉ ll'J
historique, mais complètement en désac-
cord avec la tradition du lieu, une sorte
de personnage comme ceux du drame ro-
mantique, là où le Cïc/ personnifiait la tra-
dition classique. Il ne réussit pas. Apres
avoir médiocrement réussi dans le rôle
assez morose de d'Aubigny, de M^^^ de
Belle-Isie, — on peut bien constater ces
insuccès effacés par tant et de si beaux
succès, — qu'on me permette ce jeu de
mot involontaire, il se décida sans hésita-
tion. Il alla jouer au Vaudeville Dalila, le
Roman d'un Jeune homme pauvre, puis il
revint au Gymnase, où il retrouva une ap-
probation unanime et méritée, dont il sut
apprécier la valeur, et où il continua de
^lus en plus à marquer sa place aux
Français.
Là, nous le retrouvons dans la Perle
Noire, la Vertu de ma mère, les Pattes de
mouche, les Ganaches, le Démon du Jeu;
nous devons aussi l'y mentionner dans le
Bout de l'an de l'amour.
Quelle physionomie plus touchante que
oelle du Gentilhomme pauvre, si heureu-
sement créé par lui, en dernier lieu, à
son berceau d'artiste, la saile Bonne-
Nouveile. Quelle dignité dans l'humilia-
tion de la misère imméritée ! quelle sen-
sibilité vraie dans ses souffrances pater-
nelles, dans son orgueil uni à tant d'ab-
négation! comme Tacteur perfectionnait
120 FOYERS ET COULISSES
le personnage créé par l'auteur et en fai-
sait un type!
Au Gymnase, Lafontaine était souvent,
par la distribution des rôles, astreint à
aimer, parfois d'un amour tout paternel,
l'une des plus gracieuses et des plus mé-
ritantes actrices du lieu, M^^® Victoria.
Cette affection, écrite dans le poëme de
la pièce, il l'a prise au sérieux, et celle
dont le nom était si souvent mêlé à ses
triomphes est devenue madame La-
fontaine.
Lafontaine et INI"^^ Victoria-Lafontaine
sont entrés ensemble à la Comédie-
Française, le 20 octobre 1863, avec le
rang de sociétaires, et un magnifique en-
gagement. L'ex-pensionnaire de M. Mon^
tigny y a trouvé un public sympathique
et bienveillant avec lequel il s'est bientôt
mis à l'aise. Il y a débuté, le 1^'' novem-
bre 1863, dans le Dernier quartier, par
un rôle des plus modestes, où il n'avait
que quelques mots à dire, et il y a con-
tinué dans Moi, par un rôle qui n'était pas
mieux fait pour lui.
Qu'on me permette de me borner à
mentionner ses trois dernières créations,
dans les dernières pièces des Français.
La sombre figure du jaloux Alvarez dans
le Supplice d'une femme allait admirable-
ment à sa taille : celle de Louis XI, dans
Gringoire, n'a pas été moins bien étudiée,
UAITÉ 1-21
moins bien dessinée par lui. Dans le co-
lonel de Maître Guérin, nous avons re-
trouvé avec plaisir le colonel du Fils do
famille. Ne parlons pas, par respect pour
les mortes, du mari d'Henriette ^Ia^échal.
Après la guerre, M. et M"^*^ Lafontaine
donnèrent leur démission de sociétaires
de la Comédie-Française.
Lafontaine fut engagé en représenta-
tions à la Gaîté, pour la reprise du Fils
de la Nuit, c'était pendant la direction
Boulet.
Après, il alla jouer avec le succès que
l'on sait, Ruy-Blas à l'Odéon ; quand
Offenbach prit la Gaîté il engagea définiti-
vement M. et ^I™*^ Lafontaine. La pièce de
réouverture était le Gascon de Théodore
Barrière et Poupart-Davyl. Lafontaine
créa Artaban-le-Gascon et Madame Lafon-
taine le rôle do Marie Stuart; la pièce fut
ensuite jouée par eux à Bordeaux, et dans
plusieurs villes de province.
A son retour à Paris, Lafontaine alla
jouer, à l'Odéon, Mazarin de La Jeunesse
de Louis XIV.
Il va créer le principal rôle de la LIaine.
FÉLIX MONTAUBRY
Fut aussi l'irrésistible ténor... avant
Capoul.
Frère du chef d'orchestre du Vaudeville
122 FOYERS ET COULISSES
qui a laissé son nom à tant d'airs et de
rondeaux.
Félix Montaubry a débuté par jouer du
violon dans quelques orchestres de petits
théâtres.
Je me fais friser tous les jours,
On me relève ma raouslaolie,
J'entrecoupe tous mes discours
De soupirs, d'ambre et de pistache.
Entré au Conservatoire, il y a fait la
connaissance de la fille de Ghollet. Ils sont
partis tous les deux en représentation à
Bruxelles, où ils eurent de grands succès;
de là à La Haye, où ils se marièrent. —
Ses succès de province l'ont fait engager
à rOpéra-Gomique, où il a débuié dans la
Circassienne, d'Auber. Il était, dans cette
pièce, moitié en homme, moitié en femme.
11 a créé une infinité de rôles à l'Opéra-Go-
mique. Une de ses plus charmantes créa-
tions restera Lalla Houek, rôle qui conve-
nait à merveille à sa nature efféminée, au
soin qu'il prenait de sa personne. Le Pos-
tillon de Lonjumeaii et lioso et Colas
furent également deux grands succès
pour lui. — Montaubry est bien le type du
joli ténor enfant chéri des dames. L'arrivée
de Gapoul lui fit perdre du terrain dans le
cœur des Parisiennes. Aussi quitta-t-il
bien vite l'Opéra-Gomique pour se faire
directeur des Folies-Marigny. 11 y fit jouer
deux ou trois pièces dont la musique était
l'IloToGKAiniIK GASTON et MATIIIKI
•10, BOIJLEVARK BCNNE-NOUVELLE
RESSE, édit-eur.
]';.ris
GAITÉ 123
de sa composition. Puis il devint directeur
à Rouen, mais ne fut pas heureux dans la
Seine-Inférieure. Ce qui prouve qu'il est
plus facile de roucouler une romance que
de s'y connaître en chiffres. — Enfin,
M. Offenbach l'engagea pour trois ans à
la Gaîté. 11 y a débuté dans Orphée et dans
les matinées lyriques, il joua deux chefs-
d'œuvre de l'ancien répertoire, Maison a
vendre et le Tableau parlant. Musqué, co-
quet, soigné, parfumé comme un petit
maître, il prend de sa personne le plus grand
soin afin d'empêcher Monseigneur le Pu-
blic de constater « des ans l'irréparable
outrage ». Montaubry fait des altères et de
l'hydrothérapie tous les matins en se le-
vant. — Le personnel de la Gaîté, qui le
trouve un peu trop collet monté, l'appelle
Monseigneur. Il affectionne les gilets
blancs ou chamois, et porte toujours des
redingotes lui serrant bien la taille. Il est
père d'un grand garçon qui commence à
jouer les amoureux au théâtre Déjazet.
En résumé, qu'est-ce que Montaubry?
La gaminerie, l'aplomb imperturbable, la
tyrolienne faite homme, un chanteur plein
d'adresse et de ficelles, le style le plus
sucré du monde, le ténor personnifiant le
mieux l'opéra-comique, mais, par-dessus
tout, un artiste un peu trop infatué de son
élégante personne. ^Montaubry a des four-
mis dans les jambes qui l'empêchent d'at-
124 FOYERS ET COULISSES
tendre. Lorsqu'il joue, il arrive trop tôt ,
s'habille de môme, et file des sons en voix
de lête et arpente trente ou quarante fois
de suite le corridor attenant à sa loge.
CLÉMENT-JUST
Ancien acteur de la banlieue, un brûleur
de planches, s'il en fut. S'est classé d'em-
blée au premier rang après le succès de
la Prise de Pékin au Cirque. C'est lui qui
a créé dans cette pièce militaire le rôle
typique d'un reporter anglais qui meurt
dans les plus affreuses tortures, victime
de son dévouement pour trois Français
faits prisonniers avec lui. Clément-Just a
créé aussi d'une façon remarquable le
Quasimodo de Miss Aurore. Mais où il a
fait fureur, c'est à l'Ambigu. Qui ne se
souvient de Pliénix Porion le Mangeur de
fer?
Clément-Just, ne voulant pas être pen-
sionnaire de M. Billion, a accepté derniè-
rement un engagement à l'Athénée, pour
Q,h.[^ïi\evV opéra-comique (malgré son organe
voilé). Il est vrai que dans Sylvana il
n'avait rien à chanter; mais enhn tout le
monde s'étonnait de voir le nom de Clé-
ment-Just sur une affiche de théâtre ly-
rique. Offenbach l'a extrait à temps de la
cave de la rue Scribe, et Fa enrôlé à la
GAITÉ 125
Gaîté, où il a joué dans Jeanne d'Arc,
dans le Gascon; il va créer un rôle dans la
Haine. Clément-Just est un artiste modeste,
trop modeste même, car la modestie est
un défaut capital pour se faire ouJjlicr au
théâtre, quel([ue talent qu'on ait. Le latin
aura éternellement raison : Audaces fortiina
Jiivat.
DESRIEUX
Le créateur d'Henri de Navarre de la
Jeunesse du Boi Henri. Excellent acteur
de drame ; a joué presque tous les traîtres
du répertoire du boulevard ; a été engagé
par Boulet pour le Fils do la Nuit. Offen-
bach l'a conservé ; il a joué à la Gaîté dans
Jeanne d'Arc, dans le Gascon.
Desrieux a épousé Marie Laurent.
Desrieux est tombé gravement malade
il y a quelques mois. On le disait atteint
d'aliénation mentale. Il n'en est rien heu-
reusement : sous peu, on espère le revoir
entièrement guéri.
PAPA-PITER-CHRISTIAN
Sur ses fiers argots Jupiter s'arcboute,
Agitant sa foudre aux criards éclats ;
Viveur efTréné, toujours il écoute
Les chansons d'amour qui viennent d'eu bas,
126 FOYERS ET COULISSES
11 sait tout les trucs, et ce qu'il en coûte
Pour que la beauté tombe dius ses bras :
Taureau, cygne blanc, sequin d'or qui goutte,
Ou mouche émeraude aux gais entrechats.
Ce n'est plus de Zens l'héroïque scie,
Buvant le nectar, gavé d'ambroisie;
Il sable le moët en taillant un bac;
Parle sport et turf avec frénésie,
Et pince un cancan plein de fantaisie.
Sous l'archet de fer de maître Offenbach.
D'après une statistique digne de foi
(c'est le souffleur qui l'a faite), Christian
perpètre tous les soirs, dans Orphée aux
Enfers, 76 calembourgs soi-disant inédits,
outre ceux du recueil à trois cents pour
un sou, dans lequel il puise à indiscrétion.
Ij'importante maison d'habillements qui
n'est pas au coin du quai a le monopole des
annonces et des réclames à sensation ;
chacun sait cela, car ces annonces et ces
réclames incessantes sont devenues pro-
verbiales.
L'immense manufacture d'habillemenls
pour laquelle nous faisons une diversion
qui ne nous écarte pas trop de notre sujet,
se sert de tout ce dont elle peut se servir
(honnêtement, bien entendu,) pour attirer
l'attention publique. L'affichage, le décor
6AITÉ 121
mural, le transparent-nocturne, le pros-
pectus, la chanson, la quatrième page des
grands journaux et la première des feuilles
à caricatures, rappellent à tout Paris que
la meilleure maison d'habillements n'est
pas celle au coin du quai — la Belle Jar-
dinière. Tous les soirs , dans trois ou
quatre théâtres en même temps , cette
maison fait tomber du Paradis une ava-
lanche de prospectus, sous laquelle dis-
paraissent littéralement les tètes des pro-
fanes de l'orchestre et des premiers rangs
du balcon. Ce n'est pas tout : de la salle,
la réclame est passée sur la scène. Le
comique aimé est chargé de la faire avaler
en douceur au public. Les revues de fin
d'année surtout servent admirablement la
maison de la rue du Pont-Neuf. — Les Va-
riétés n'en ont-elles pas joué une l'année
dernière intitulée : La Revue n'est pas au
coin du quai ?
Dans Orphée aux Enfers, à la Gaîté,
Jupiter-Christian avait la partie belle, au
milieu des 5,000 mauvais calembourgs
qu'il débite chaque soir, pour faire mous-
ser la maison qui n'est pas au coin du
quai, — C'est ce qu'il a fait en improvi-
sant cette réclame :
— Madame ma femme, dit-il à Junon,
vous mériteriez que je me débarrassasse
de vous en vous envoyant à la maison qui
n'est pas au coin du quai.
128 FOYERS ET COULISSES
— Pourquoi cela, Monsieur :
— Parce qu'on y rend l'argent de tout
achat qni a cessé de plaire.
— Mais je ne vous ai pas coûté un sou !
— Il n'eût plus manqué que cela !
Et le public de se tordre, et la maison
du Pont-Neuf de se dire : la Gaîté nous
enverra cent clients de plus demain.
Pour plus de détails biographiques, sur
Christian, nous renvoyons le lecteur au
volume des Variétés (3« de la collection).
DAUBRAY
Le vrai, le seul, le digne remplaçant du
gros Désiré.
Offenbach ne pouvait faire faire une
meilleure acquisition à M. Hostein, quand
il lui fit engager, au théâtre de la ÎRenais-
sauce, M^^*' Théo et Daubray. M. Hostein,
devenu seul directeur de son théâtre,
Offenbach garda Dau])ray pour sa troupe
d'opérette qui a ramené le succès aux
Bouffes avec la Jolie Parfumeuse et tout
le répertoire du célèbre maestro.
Daubray nous a fort diverti pendant
plusieurs années au théâtre Déjazet, où
c'était déjà le joyeux et sympathique com-
père que nous retrouvons passage Choi-
seul.
GAITÉ 129
Daabray a toujours la ligure empourprée
comme une pivoine. On dirait que ses
joues vont éclater comme de simples bal-
lons rouges. C'est égal, comment fait-il
pour être sanguin avec les appointements
qu'il touche?
BONNET
Bonnet de coton, bonnet de nuit, bonnet
à poi], honnit de police, bonnet phrygien,
enfin tous les bonnets réputés ne valent
pas celui-là pour faire passer une soirée
agréable. Bonnet, c'est les Bouffes Pari-
siens, les Bouffes Parisiens, ce sont
Bonnet.
Allez donc le revoir dans la Jolie Par-
fumeuse! Les spectateurs se tordent avoir
Daubray et Bonnet; on entend à chaque
instant ce cri : Font-i~rire !
Bonnet est doué d'un physique auquel
sied très-bien le costume féminin. Il a
intrigué bien des nourrices alsaciennes
dans la Revanche de Fortunia.
GRIVOT
Ancien graveur sur métaux. Adroit et
agile comme un... clown. Si vous en
doutez, vous n'avez qu'à aller le voir gam-
130 FOYERS ET COULISSES
bader en Mercure, au deuxième acte d'Or-
phée aux Enfers. Il se livre là sur les
gradins de l'Olympe à une course éche-
velée ; le plus infatigable facteur renonce-
rait à le suivre.
Grivot a joué au Vaudeville et un peu
partout avec beaucoup de succès; mais, en
supposant que tous les théâtres vinssent
à lui manquer, il lui resterait à choisir
entre le Cirque d'hiver, le Girquo des
Champs-Elysées, le Cirque Fernando ou
les Folies-Bergère.
GRAVIER
Acteur de mélodrame, doué d'un excel-
lent organe et d'un physique... à femmes.
A commencé à Beaumarchais, a joué à
Belleville etau Ghàteau-d'Eau, Nous l'avons
entendu déclamer fort bien la Grève des
Forgerons. Mais le talent n'empêche pas
les manies et Gravier en a deux. La pre-
mière, c'est d'offrir cent sous à celai qui
sera assez fort pour Je tomber, lui le digne
émule d'Arpin le Savoyard ! La seconde,
c'est de chanter continuellement l'opéra
dans sa loge, et même d'aller jusqu'à
chanter des duos avec Jean-Paul! Pour ce
fait. Gravier a été surnommé par Alexan-
dre : Le ténor de couloir.
GAITÉ 131
WILLIAM STUARD
Anglais non naturalisé, pensionnaire de
M. Larochelle au théâtre Cluny. M. Offen-
bach l'a engagé à la Gaîté, où il a déjà
joué, avec de fort beaux appointements.
Stuard a passé aussi par la Porte-Sî -Mar-
tin. Au moment de la guerre, il quitta Paris
pour aller jouer à Nice, en Italie et au
Caire. Rentré dans la capitale, il débuta
à Cluny dans les Chevaliers de V honneur ,
joua depuis dans le Presbytère, la Closerie
des Genêts (où il fut très-remarque), dans
les Frères d'armes dont il a sauvé les plus
mauvaises situations. N'a eu occasion de
se montrer à la Gaîté que dans Jeanne
d'Arc, où il représentait le Beau Dunois.
Offenbach l'a autorisé à jouer, au théâtre
des Arts, le duc, des Sceptiques. Rien de
particulier dans la loge de M. Stuard, si
ce n'est quelques dessins dus au crayon
plus que naïf de ses camarades Georges
Richard et Alphonse Barralle. A voyagé
beaucoup ; aussi a-t-il fait moisson d'anec-
dotes, et voulons-nous en citer une. Etant à
Berlin pendant l'hiver de 1869, un jour qu'il
répétait à la cour dans le fameux salon de
l'Argenterie, au palais, d'Aranda ou les gran-
des passions, pièce de Scribe, dont tout le
premier acte n'est joué que par des femmes,
une porte s'ouvrit tout d'un coup et on vit
132 FOYERS ET COULISSES
entrer S. M. Guillaume, alors roi de Prusse,
qui, après être allé dire bonjour à Eugène
Luguet, directeur de la troupe, savança
vers Stuard en disant aux dames : « Conti-
nuez, que je ne vous interrompe pas.» Puis,
causant longuement avec M. Siuard : « Ma
belle-fille a entendu dire que vous étiez
Anglais, et elle manifeste, quoique très-
grosse (position intéressante), le désir
d'aller vous voir jouer Par droit de con-
quête;-» et enfin le roi fit l'aveu que, s'il eût
joué la comédie, il aurait pris les rôles
comiques. M. Stuard répondit, faisant al-
lusion à la taille du roi : « Sire, vous auriez
bien fait, car les comiques de votre force
sont rares. :> Stuart a résilié son engage-
ment avec la Gaîté; il est parti pour l'Amé-
rique, où l'appelait un très-bel enga-
gement pour jouer en anglais les mêmes
rôles que Fechter.
LEGRENAY
Je ne trouve rien de mieux que de re-
produire le rondeau qu'Amédée de Jallais
lui a fait :
Air : Ne raillez pas la garde citoyenne.
Voyez là-bas, ce grand sécot qui passe,
Il est encor plus long qu'un jour d'été ;
L'oreille est fine et bien vite ramasse
OAITH Ui^
Plus d'un propos flattant sa vanité :
On dit tout haut : <.< C'est Legrenay. l'artiste.
Qui nous fit rire hier à Déjazet.
Il n'est, par lui, pas une pièce triste,
Et la gaité renaît dès qu'il parait !
Il a crée cent types en cent rôles.
Il en créera bientôt d'autres encor;
Donnant à tous les cachets les plus drôles...
Gava toujours de plus fort en plus fort!...
il commença par entrer au service
D'un serrurier, chez lequel il chorna ;
C'est pour cela qu'il a beaucoup de vice,
Oui, mais ce vice est le vis comica.
Aussi bientôt, désertant la boutique,
Vers Belleville il monte tout courant,
Laissant la forge pour Fart dramatique.
Mettant son feu dans son jeu, dans son chant î
Là, dans le drame, il excelle, ou l'acclame.
Il fait pleurer et rire en même temps.
Le vaudeville arrive après le drame,
C'est bien l'hiver qui succède au printemps !
Puis Déjazet bien vite le réclame.
Et dans Paris il descend lestement ;
Adieu ie traître, adieu le mélodrame,
C'est le comique au jeu fin et charmant !
C'est Tricornot, c'est VAmour du trapèze.
Prés-Saint-Gervais, Trottmann et le Dégel,
Paris en Chine, où l'on se pâmait d'aise
Lorsqu'on voyràt son grand œil bleu de ciel!
Les Vieux glaçons après Juge et partie,
Belle-hU ou bien Mémoire de cherchez ça.
Toujours le rire... et le publie s'écrie:
C'est Legrenay qui nous déridera !
On citerait cent pièces... mais je pense
Que, comme moi. le public les connaît ;
Son chapelet de succès est immense,
Ce chapelet, je viens de Legrenay (l'égrener).
134 FOYERS ET COULISSES
REYNALD
Jeune premier rôle de drame. A débuté
à l'Ambigu dans un Lâche, d'Alfred
Touroude.
Le succès qu'il obtint dans le rôle de
Roger Delatournelle le fit engager à la
Gaîté pour créer, dans le Gascon, un rôle
important; il a joué ensuite Thibaut dans
Jeanne d'Arc.
Va créer un rôle dans la Haine.
HABBAY
Élève du Conservatoire de Toulouse, il
se mit au théâtre, alla en Angleterre don-
ner des leçons de chant, et il fit un riche
mariage, qui ne l'empêcha pas de continuer
sa carrière artistique. Second ténor d'o-
péra-comique dans les villes d'ordre, il
doubla un beau soir d'été Dupuis dans
Barhe-DIeue, puis partit pour la Russie,
d'où il revint à la Gaité. — Garçon jovial
et franc, il attend impatiemment la création
qui doit le mettre en relief. 11 vient de s'as-
socier avec le docteur Déclat, d'une part,
et avec une huîtrière importante, d'autre
part. Gela peut s'appeler occuper ses loi-
sirs de ténor à devenir millionnaire.
Un dernier mot : Habbay vient d'aller
GAITÉ 135
habiter Ménilmontant, et comme il va créer
un rôle important dans Madame l'Archiduc,
il fait quatre fois par jour le trajet à pied,
afin de s'entraîner ; car, à l'exemple de
beaucoup d'autres ténors, Habbay prend
du ventre comme un abbé.
AN6EL0
Jeune premier, joli garçon. C'était le
boute en train du foyer du Ghàtelet, sous
la direction Lacressonnière et Deshayes.
L'été, Angelo va constamment à la cam-
pagne. La ligne de St-Germain-en-Laye
le réclame ; il lui arrive même, dit-on, des
aventures en ^vagon. Angelo est proprié-
taire 1° d'une maison de six étages, bou-
levard Montparnasse ; 2*^ d'une agilité et
d'une force de biceps qui lui permettent
de concourir avec Grivot pour les ca-
brioles et autres exercices de gymnas-
tique. Angelo entre au foyer sur les
mains, la tête en bas, les jambes en l'air.
De plus, il cultive le tr;ipeze dans sa loge.
De mauvaises langues ajoutent qu'il se
parfume comme une femme, et qu'il sou-
tient mordicus, que ce n'est pas lui qui
embaume. Serait, par conséquent, bien
malheureux, s'il lui fallait jouer le drame
à La Valette ou à Bondy.
l'àij FOYERR ET COULISSES
ANTONIN
Ancien fleuriste, a commencé la comé-
die dans les troupes exploitant les envi-
rons de Paris. Remarquable par une con-
viction digne d'être plus appréciée.
A fait son mariage au Bœuf h la modo,
faubourg du Temple.
SCIPION
N'a jamais posé pour l'ozanore.
Un drôle de comédien! Propre à jouer
l'emploi le plus comique les jours })airs,
et l'emploi le plus sérieux les jours im-
pairs. Cela s'appelle de la souplesse. Long,
mince, fluet, Scipion passa par la l)anlieuo
et la Porte-Saint-Martin avant d'aller faire
son petit tour d'Amérique. Il peut aussi
])ien jouer le drame que la comédie, et la
farce que la tragédie. Bon garçon, nouvel-
lement marié, ayant découvert la photo-
graphie spirite, ce qui est encore assez
spirituel de sa part.
COURCELLES
Grosse et bonne nature.
Enfant du peuple, devant plus à lui-
GAITÉ 13"
même qu'au public. Né en 1839 (qu'est-ce
que ça nous fait) ; jusqu'à vingt ans, ouvrier
en bronze; débuta au théâtre de la Tour-
d'Auvergne l'année 1860 ; de là, passa aux
Folies-Marigny, en province, aux Fantai-
sies-Parisiennes, au théâtre Cluny, au
théâtre Déjazet,puis, à la fermeture de ce
théâtre, il accepta un engagement à l'Al-
cazar. Mais là, Courcelles se trouva m.al à
son aise. La chansonnette ne mettait pas
assez en relief sa nature franche et sa
bonhomie. Enfin , après quelques mois
passés aux Menus-Plaisirs, il trouva un
engagement au théâtre de la Gaîté, où, sans
parler des rôles qu'il créa, il obtînt un
grand succès dans les matinées littéraires.
La façon remarquable dont il joua le Bar-
bier de Séville et la Partie de chasse
d'Henri IV lui ouvriront tôt ou tard les
portes d'un théâtre de genre où il saura
se faire apprécier comme financier ou
ganache.
TROY
Une très belle voix de baryton. Gêné
quelquefois par un masque impassible et
un jeu glacial. Chante d'une façon char-
mante. Serait certainement arrivé plus
haut qu'il n'est, s'il n'avait été le frère de
son frère, le regretté Troy du Théâtre-
II 4
188 FOYERS ET COULISSES
Lyrique, qui avait pris pour lui seul une
grande part de la célébrité de la famille.
GASPARD
Ancien second ténor de province dans
les troupes de M. Harmant, qui a conservé
pour lui une estime des plus grandes. —
Aussi la Gaîté, sous le coup de la Société
nantaise, s'est-elle empressée d'offrir à
cet artiste la juste récompense des ser-
vices rendus à son ancien directeur.
M. Gaspard joue à la Gaîté les rôles dits
de complaisance. Homme marié et bon
père de famille... s'il en avait.
JEAN-PAUL
Babylas de la Poule aux Œufs d'or est
Belge... et le filleul de M. Emile Taigny,
le directeur de la scène de la Gaîté. Jean-
Paul, artiste soigneux, propre, froid et
méthodique comme un buveur de faro (il
lui préfère cependant le vin de Bordeaux)
est plus amusant dans les rôles qu'il re-
prend que dans ceux qu'il crée.
Jean-Paul a été pendant plusieurs années
le pensionnaire des Bouffes.
En somme, un acteur consciencieux et
patient qui a pu se dire quelquefois:
Jean Paul. ..me le public.
GAITK 139
MEYRONNET
Violoniste, ancien chef d'orchestre, prix
du Conservatoire, comédien. Bref tous les
talents réunis, mais ne sachant sur lequel
chanter... ou danser ?
M. Meyronnet joue en ce moment le rôle
d'Orphée, en attendant qu'il puisse l'ac-
compagner lui-même... à grand orchestre
l'archet de mesure en main.
DAMOURETTE
Chante, peint et joue du violon, le tout
avec une agréable médiocrité. Il fut au
Gymnase un temps, où il débuta comme
jeune premier dans des levers de rideau,
puis alla cabotiner en province comme
chef d'orchestre, et, en fm de compte, fut
engagé à la Gaîté pour doubler Orphée.
Comme chanteur, petite voix; comme co-
médien, petit jeu; comme violoniste, petit
son. N'a pas d'amourette au théâtre.
MÂLLET
Est venu au monde à la Gaîté, entre
deux portants et ne... s'en porte pas plus
mal. A été à ce théâtre, figurant, choriste,
140 FOYERS ET COULISSES
puis acteur. Ne demande qu'à garder sa
petite place jusqu'à la fin de ses jours.
Signes particuliers : est marié, père de
famille, fait sa cuisine lui-même et...
chambre à part (?)
HENRI
Ainsi nommé parce qu'il s'appelle Ur-
seau. Bien contrarié de ne pas jouer des
rôles à physique. Je me suis laissé dire
qu'avant l'avènement au trône de Louis-
Philippe P"^, roi des Français, un Henri
jouait quelque part en province les GoUin
et les Philippe. De cet emploi doucereux,
il lui est resté les habitudes conciliatrices
qui le font passer au théâtre de la Gaîté
pour le fondant de la troupe. Jouerait de
préférence Henri H à Henri de Guise.
CHEVALIER
Cumule. — Commis en marchandises
pour le compte d'une grande maison de
soieries. M™® Chevalier peint sur porce-
laine, et fait des choses charmantes.
ALEXANDRE
Fils de son père le grand Alexandre, le
GAITÉ 141
célèbre Fouinard, dont nous parlerons à la
Porte- Saint-Martin.
6ALLI
Gros, gras, lourd, empâté. A joué les
basse-taille. N'en a gardé que le gras-
seyement. Honnête et tranquille à la ville,
il joue au théâtre un emploi aussi tran-
quille qu'honnête.
BARSAGOL
Avoir commandé un régiment et rentrer
courageusement dans les rangs à l'heure
de la retraite, tel est le cas de Barsagol.
Ancien premier ténor léger d'opéra-co-
mique, ayant tenu son emploi à Genève, à
Lyon et dans d'autres grandes villes à une
époque où les appointements ne permet-
taient pas de faire fortune, il est venu
achever son existence artistique à la Gaîté,
ou il rend de grands services en jouant de
petits rôles et en étant chef d'attaque dans
les chœurs. Homme modeste, honnête et
consciencieux, il montre aux ambitieux
qu'à savoir descendre à propos il y a sou-
vent autant de courage que de bon sens.
COLLEUILLE
Grand ami d'Henri, la même douceur, la
142 FOYERS ET COULISSES
même conscience et le même sang-froid.
Jamais, depuis qu'existe le théâtre de la
Gaîté, on n'a pu savoir où s'habillait Gol-
leuille. Il arrive à la Gaîté en habit de ville,
à l'heure fixe, il entre en scène. Mais per-
sonne ne peut savoir où il s'est habillé. —
A la ville, pas fier dutout. Fait son marché
lui-même.
PAULIN
L'air d'un quaker. Ancien comédien qui
n'a qu'une inspiration : oublier que les
feuilles tombent et que l'hiver suit l'été.
En est resté à l'ancien répertoire, où il ne
voit que le personnage de Valaire.
COLLEUILLE FILS
Fils de GoUeuille, l'ex-directeur du théâ-
tre Bobino, où il a commencé à jouer la
comédie. De là, il est passé à Beaumar-
chais, où il a également joué la comédie.
Maintenant, à la Gaîté, où il continue son
commerce de comédien paisible. Il peut
dire comme le soldat romain : « Je com-
bats dans les rangs, et je fais nombre. »
GAITÉ 143
MESDAMES
VICTORIA LAFONTAINE
C'était, jadis, de face et de profil,
Un fil!...
Grasse à présent comme pas une,
La lune,
Ronde comme elle, a la même blancheur,
Le même charme doux, poétique et rêveur.
Celte artiste, étrange et volage.
N'a d'âge
Que ce que lui donnent les yeux.
Où naquit-elle?... Elle lignore.
Sans passé ' — comme un météore —
Son état civil sérieux
Date du jour qui vit éclore
Son talent chaste et vaporeux.
Victoria !... Ce nom de reine
De sa vie est bien le drapeau :
Elle est l'orgueil des buveurs d'eau
Par son amour pour la fontaine.
Henri Tessier.
Félix Savard, voulant faire la biographie
de cette charmante comédienne, la pria de
vouloir bien l'aider elle-même dans son
travail, en lui envoyant quelques notes.
\[me Victoria Lafontaine répondit à l'auteur
des Actrices de Paris par cette lettre :
144 FOYERS ET COULISSES
« Monsieur,
« Vous me demandez quelques rensei-
gnements qui vous permettent de faire ma
biographie. Elle a été faite bien des fois à
mon insu, et toujours au point de vue du
roman, car ma vie a été si simple qu'elle
prête peu à pareil sujet.
« C'est M. Gustave Lemoine, frère de
M. Montigny, et sa chère femme, Loïsa
Puget, qui m'ont ouvert les portes du
Gymnase. J'y suis entrée presque enfant;
j'ai été accueillie par M. Montigny et
M'°°® Rose Chéri avec la plus exquise
bonté. Pour leur en témoigner ma recon-
naissance, j'ai beaucoup travaillé. Le ciel
m'a bénie comme artiste et aussi comme
femme, puisqu'il m'a fait rencontrer mon
mari. Voilà ma vie. Monsieur. Vous voyez
qu'elle peut être intéressante pour les
miens, mais fort peu pour le public. »
Non ! la vie de M"'^® Lafontaine ne prête
guère aux récits. Abandonnée toute jeune
par son père et sa mère, qu'elle n'a jamais
connus, elle fut recueillie par de braves
gens qui relevèrent comme leur enfant.
La petite Victoria, dès qu'elle eut atteint
l'âge de raison, voulut payer l'hospitalité
qu'on lui avait si généreusement donnée.
Elle apprit avec assiduité la couture, et
elle profita de ce que le mari de sa maî-
tresse d'apprentissage donnait des leçons
GAITÉ 145
d'art dramatique pour en prendre avec lui.
Elle n'avait qu'un but : gagner de l'argent
pour venir en aide à ceux qui l'avaient
élevée. Ceci se passait à Lyon. Ce fut clans
celte ville qu'elle joua pour la première
fois. M°^^ Loisa Puget la vit et la recom-
manda à M. Montigny, son beau-frère.
Engagée au Gymnase, elle y débuta, à peine
âgée de 15 ans, dans Yelva ou FOrpheline
russe. Elle fut aussitôt remarquée ; mais
un de ses premiers succès a été Cendril-
Jon, de Théodore Barrière. Après, sont
venus ceux de Paméla GiraucI, de Picco-
lino , des Ganaches, du Gentilhomme
pauvre, du Démon du jeu, etc. C'est à elle
aussi que fut confié le rôle de Marie, dans
la Grâce de Dieu, reprise à la Porte-Saint-
Martin. Le souvenir de Loïsa Puget l'ins-
pira; elle rendit ce persor-nage sympathi-
que avec tous ses élans de pudewr et de
chasteté ; c'était bien là l'honnête fille, pure
et candide.
Le Théâtre-Français engagea M^'^Lafon-
taine: avant ses débuts elle était sociétaire.
Elle débuta le 26 février 1864, dans II
ne faut Jurer de rien.
Nous ne dirons pas toutes les ressources
du jeu digne, ému, naturel, pathétique de
M™^ Lafontaine. A qui n'a-t-il pas été donné
d'applaudir cette charmante artiste, au
Gymnase, dans les créations que nous
venons de mentionner, et rue de Riche-
146 FOYERS ET COULIf^SES
lieu, dans : Il ne faut jurer de rien, la
timide Agnès de YEcole des Femmes, la
sémillante Rosine du Barbier de Sôville,
V Œillet blanc, ou le travesti lui seyait si
bien, et enfin feu Henriette Maréchal, de
cabaleuse mémoire. M'"'^ Victoria Valons a
épousé M. Thomas, dit Lafontaine, le
23 février 1863. Elle s'était assez sou-
vent mariée avec ce brillant comédien sur
la scène de M. Montigny, au dénouement
des pièces, pour qu'elle 'devînt un jour sa
femme pour tout de bon.
Je ne sais qui a fait cette originale com-
paraison du talent de M"'^ Victoria Lafon-
taine, lors de ses débuts rue Richelieu?
« Les mièvreries de M™^ Victoria font
songer à ces petites souris blanches, si
charmantes dans une petite cage dorée et
que l'on aurait peine à voir courir au mi-
lieu du Ghamp-de-Mars. Le Champ-de-
Mars, pour l'adorable petite souris blanche
dont nous parlons, ce fut pendant huit ans
le cadre de la Comédie-Française, et c'est
le cadre plus écrasant encore du théâtre
de la Gaîté. »
l[me Victoria Lafontaine est tout simple-
ment la première ingénue de Paris. Elle
ne dit jamais rien au théâtre, en dehors de
son rôle. Elle fait du crochet dans les cou-
lisses en attendant son entrée. Figurez-
vous une pensionnaire que le couvent
réclame pendant les entr'actes.
147
LIA FÉLIX
Ainsi qu'une Vestale, elle a dévotement
Gardé le saint foyer tragique:
Dans ses yeux on en voit luire dis tinctemeat
La flamme ardente et poétique.
Kt le public, haletant et charmé,
Le cœur et lame pleins de fièvres.
Par ce grand art enthousi ismé,
Applaudit chaque mot qui tombe de ses lèvres.
Ah ! la vaillante ! elle a conquis enfin
La couronne si longtemps due
Ace talent puissant, vigoureux, fier et fin,
Justice tardive est rendue.
L'Étoile aux fulgurants éclairs brille en plein ciel ;
La foule bat des mains ; la Presse dominée
La compare à sa sœur et lui verse le miel...
Eh ! braves gens. Lia n'eut qu'un tort : elle est née
Lorsque régnait Rachel.
La parole est, pour la prose,, à mon ami
Félix Savard, ou, pour mieux dire, à l'in-
téressant volume qu'il a publié en 1867 sur
les Actrices de Païus.
Il y a des familles privilégiées que
l'art semble avoir marquées au front de
son sceau lumineux, qui est toute une au-
réole, et assurément la famille Félix est
de celles-là.
Comptons les artistes qu'elle a donnés
au théâtre ! — Nous trouvons UaphaëJ,
Dinah, Sarali, Lia, Hehecca et Rachel.
Hélas ! des vides cruels se sont faits dans
148 FOYERS ET COULISSES
cette tribu renommée : Rachel, Rebecca
et Raphaël manquent à l'appel!
Adélaïde-Lia Félix est née à Saumur.
Le temps qui s'écoula entre sa septième et
sa treizième année, elle le passa en pen-
sion , et quand elle en sortit , son
premier mot fut une aspiration vers le
théâtre.
Sa sœur Rachel était déjà la grande tra-
gédienne que nous regrettons ; elle était
alors à l'apogée de sa gloire, et dame ! ses
sœurs voulaient toutes marcher sur ses
brisées, suivre ses traces et se tailler un
péplum dans son manteau royal ; mais telle
n'était pourtant pas l'idée de Rachel ; elle
connaissait trop les luttes de la scène ; elle
voulait tenir ses sœurs éloignées de ces
bruits tumultueux, les marier, leur assurer
ce repos, ce calme, cette tranquillité, dont
le manque devait la tuer.
Mais Lia ne voulait pas déroger à son
nom. Elle insista, et son père (mort il y a
deux ans) finit par consentir; ce fut lui
qui lui fit son éducation dramatique.
Lia travailla avec l'auteur de ses jours
pendant 2 ans; ce fut son seul profes-
seur ; il l'a rendue digne du nom qu'elle
porte.
Lia Félix joua pour la première fois au
théâtre de Saint-Germain, dans la Pauvre
Fille, et l'affiche était ainsi conçue, d'après
es ordres du père :
GAITÉ 149
M"^ LIA FÉLIX
ÉLÈVE DE S0>- PÈRE
Et Sœur de Mu^ RACHEL
jouera le rôle de la Pauvre Fille, drame
créé à la Porte-Saint-Martin.
Vers 1850, on se trouvait au théâtre de
la Porte-Saint- Martin dans un grand em-
barras ; on répétait Toussaint Louverture,
la première — et la dernière pièce de La-
martine, — et l'on n'avait pas la moindre
actrice sous la main qui lut capable d'y
créer le principal rôle féminin et de bien
dire les vers. Déjà on en avait essayé plu-
sieurs, mais aucune ne marchait convena-
blement.
Lia Félix fut recommandée à M. Béer,
associé de Marc Fournier pour la direction
de la Porte-Saint-Martin. M. Béer fut de-
puis l'organisateur et le directeur du Pré-
Catelan.
Le lendemain, Lia Félix fut engagée,
et, le samedi 6 avril 1850, elle débutait,
sous la direction de M. Marc Fournier,
dans Toussaint Louverture.
C'était un brillant début, pour une jeune
fille de n ans, qu'une œuvre du chantre
de Jocelvn, avec Frederick Lemaîtrepour
partenaire. Son succès fut grand et légi-
150 FOYERS ET COULISSEÎ^
timo, et M. de Lamartine, dans la préface
de sa pièce, fit, en ce style que Ton con-
naît, pressentir tous les succès qui l'at-
tendaient.
Après, on la vit dans le rôle de Jenny
r Ouvrière... au cœur content... content de
peu!... Puis dans la Claudie de madame
Georges Sand, à côté de Bocage; dans la
Poissarde avec Marie Laurent; avec ma-
demoiselle Georges dans la Chambre
ardente; avec Bouffé dans la Fi Ile de
J' Avare, où elle chantait fort joliment ses
couplets; d-àiis IUcIiard III, dans les A^oces
vénitiennes, de ce pauvre Victor Séjour,
qu'on vient de mettre en terre !
Mais la fatigue était venue, sa santé s'était
altérée, et les médecins lui conseillaient
l'air de la mer. Sur ces entrefaites, Rachel
s'étant décidée à partir pour l'Amérique,
Lia émigra avec elle, et joua, là-bas, à ses
côtés, tous les rôles de Jeune première,
tels qu'Aricie, de Phèdre, la P.atarina,
d'Angelo, Junie, de Britannieus.
Hélas ! il fut bien triste ce voyage, et la
pauvre Lia eut bien à souffrir en voyant
tous les jours les progrès incessants de
la maladie de sa sœur, que le Nouveau-
Monde devait nous renvoyer mourante.
L'illustre tragédienne avait exhalé sa vie
dans un suprême effort.
A son retour à Paris, Lia Félix, dont la
santé s'était sensiblement améliorée, fut
GAITK loi
demandée par M. d'Eiinery pour jouer ù
l'Ambigu les Orphelines de la Charifp.
Elle consentit, et après une série de bril-
lantes représentations, elle alla à la Porte-
Saint-Martin jouer Richard d'Arlington, la
Closerie des Genêts et la Tireuse de cartes.
Ce fut vers cette époque que sa position
commença surtout à devenir meilleure, —
au point de vue pécuniaire s'entend ; car
il y avait longtemps que, comme artiste, on
comptait avec elle et sur elle.
Quand l'engagement de deux ans qui la
liait avec M. Marc Fournier fut près d'être
terminé, M. Harmant l'appela à la Gaîté ;
son talent fut en quelque sorte mis aux
enchères. M. Marc Fournier cependant
finit par la prêter à son confrère, chez qui
elle joua André Gérard. M. Harmant l'en-
gagea définitivement pour trois ans.
Elle créa au boulevard du Temple la
Fille du paysan, et dans la nouvelle salle
du square des Arts-et-Métiers , le Château
de Pontalec (de chûteuse mémoire), la
Maison du Baignenr, le Marquis Caporal,
le Mousquetaire du Roi et le Hussard de
Bercheny.
M. Dumaine , devenu directeur de la
Gaîté, renouvela pour 3 ans l'engagement
de Lia Félix.
Que vous dire encore, si ce n'est que
mademoiselle Lia Félix n'a jamais fait
parler d'elle que comme artiste dramatique,
152 FOYERS ET COULISSES
qu'elle vit à l'écart, ne s'occupant pas des
autres et n'aimant pas qu'on s'occupe d'elle.
Elle joue avec son cœur, elle pleure de
vraies larmes, et, en l'écoutant, on oublie
bien vite le rôle étudié pour ne plus songer
qu'à l'âme qui s'épanche.
Au physique, c'est une nature d'une
apparence frêle, délicate, nerveuse, et l'on
est tenté parfois de s'étonner en voyant
cette mignonne personne déployer tant de
puissance en scène et tant d'énergie. Chez
elle, rien de forcé, rien de vulgaire; son
talent est complet.
Elle a toutes les finesses de la comé-
dienne, et, avec cela, des élans magnifi-
ques, des cris qui émeuvent, des sanglots
qui vont au cœur. Sa diction est vibrante,
fiévreuse, pleine d'harmonie; son œil bleu
(et elle est brune ! ) a tour à tour de la fierté,
de la tendresse et de la colère ; son geste
est ample et mesuré, et tout en elle enfin
rappelle la passion vivifiante et la force
créatrice de la grande tragédienne qui
n'est plus.
Le sang de Rachel coule dans les veines
de Lia, et les éclairs de ses yeux semblent
illuminer son regard et le faire irradier.
MARIE LAURENT
Les artistes sont frères, a-t-on souvent
répété; ceci est peut-être vrai jusqu'à un
GAITÉ 153
certain point, pour toutes les branches qui
se rattachent aux arts, mais au théâtre
c'est une vérité rigoureuse. Les artistes
dramatiques sont frères, beaux-frères et
cousins, germains et issus de ger-
mains, etc. A quelques rares exceptions
près, le théâtre est exploité par quelques
familles privilégiées, dont les membres
se marient entre eux, et resserrent ainsi
plus étroitement encore cette fraternité
artistique.
Au nombre de ces familles, et peut-être
en avant de toutes les autres, nous devons
compter la famille Luguet. Les Luguet
sont nombreux comme les grains de sable
de la mer, leur arbre généalogique a ses
racines dans les dessous les plus profonds,
ses branches nombreuses ombragent tous
les plans de la cour au jardin, et sa tête
altière va se perdre dans les frises les
plus élevées. — Les Luguet couvrent la
surface du globe dramatique, on en ren-
contre à Paris, en province, à l'étranger,
à la banlieue, partout enfin où il y a des
coulisses, un trou pour souffler et un par-
terre pour applaudir. — Montez sur n'im-
porte quel théâtre, frappez du pied, vous
êtes sûr qu'il en sortira un Luguet, tout
habillé, tout frisé, tout poudré, un rôle à
la main, vingt rôles dans la tête, cent
rôles sur le bout de la langue.
En vérité, c'est une famille d'artistes
II 5
154 FOYERS ET COULISSES
que ces Luguet, une famille où le talent
est héréditaire, soyez-en sûrs, et vous en
serez convaincus comme moi lorsque vous
saurez que madame Marie-Laurent est
issue de l'arbre généalogico-artistique
dont nous parlions tout à l'heure.
Née à Tulle, département de la Corrèze,
madame Laurent, qui n'était alors que
Marie Luguet, n'eut garde démentir à son
origine. Elle n'avait encore que trois ans,
à peine pouvait-elle prononcer deux mots,
que son père lui apprit à épeler un rôle,
le souffleur fit le reste; c'est ainsi que la
petite Marie Luguet signala ses premiers
pas dans le monde de la comédie et dans
la comédie du monde. Un peu plus tard,
dès que sa mémoire mûrit, elle était char-
gée des rôles de madame Volnys, et accom-
pagna son père à Amiens.
Malgré toutes ses dispositions et la pré-
cocité d'un talent qui, pour n'être qu'en
germe, n'en était pas moins encourageant,
la petite i\Iarie Luguet resta dix années,
tout autant, dix longues années, sans
monter sur un théâtre, sans même aller
au spectacle. — Mais bon sang ne peut
mentir, le jeûne avait été long, l'enfant ne
demandait qu'une occasion pour s'installer
au festin dramatique ; l'occasion ne se fit
pas attendre , et elle signa un engagement
pour Rouen, et débuta dans l'emploi des
jeunes premières.
G.\ITÉ 155
Tout le monde connaît le théâtre do
Rouen, sinon de vue, du moins de répu-
tation. Le parterre passepour être taquin,
et souvent même un peu rigoureux. Marie
Luguct affronta son juge avec toute la
candeur de son âge et le courage de son
bon vouloir; elle fut charmante dans Paul
et Virginie, qu'elle joua avec son frère.
Le paptcrre avait pleuré, il était désarmé,
et le succès de la débutante ne coûta de
larmes qu'au public.
De Rouen, où mademoiselleLuguet resta
fort peu de temps , elle alla à Toulouse
pour jouer le môme emploi, seulement
elle agrandit son répertoire, et passa
de la comédie à l'opéra avec la même fa-
cilité qu'elle avait franchi la distance qui
sépare le vaudeville de la comédie. Elle
chanta dans le Puits d'amour le rôle de
mademoiselle Révilly, et plus tard Edvige
de Guillaume Tell. Le public toulousain
lui sut gré de cet acte de volonté qu'elle
imposait à son larynx, et, voyant dans la
jeune fille une grande comédienne à côté
de la chanteuse médiocre, il applaudit
vivement l'une pour ne point décourager
l'autre.
L'événement ne tarda pas à prouver que
les Toulousains avaient raison. C'était en
1849, le choléra régnait dans la ville. Tout
le monde était malade ou avait peur de
l'être, ce qui revient à peu près au même.
156 FOYERS ET COULISSES
Le directeur aux abois ne pouvait monter
aucun ouvrage , ses premiers artistes
avaient au moins la griope. — Comment
faire ? et pourtant M. Bocage était à Tou-
louse, et M. Bocage apportait avec lui,
sinon une certitude, au moins un espoir
de recettes. M. Bocage est un grand acteur,
nous n'avons pas l'intention de dire le
contraire ; mais il était difficile ,- sinon
impossible, à M. Bocage de jouer tout
seul l'ouvrage de M. Ponsard. — Comment
faire?... A force de prières, de supplica-
tions, le directeur finit par réunir autour
de lui les moins enrhumés de sa troupe.
Un seul rôle manque, et ce rôle, qui n'est
pas le principal, il est vrai, est cependant
iDeaucoup trop important pour le remplacer
par une pantomime, quelque vive et ani-
mée qu'elle soit. — Enfin Lucrèce est
prête, mais Tullie est dans son lit ; or le
personnage de Tullie, comme on sait, a
été établi par madame Halley à l'Odéon, et
madame Halley, loin de dédaigner ce rôle,
y avait eu un grand succès. — Le direc-
teur, comme nous l'avons dit, était dans
le plus grand embarras, mais une joie su-
bite lui vint :
((. Nous avons la petite Marie Luguet,
dit-il à M. Bocage; si vous vous en con-
tentez, je ne vois rien qui puisse empêcher
la représentation. »
M. Bocage accepta, et ce fut lui qui le
GAITÉ 157
premier alla serrer les deux mains de notre
débutante, car c'était un véritable début
que ce nouveau pas dans la carrière dra-
matique.
Ce pas une fois franchi avec une heu-
reuse audace, iNlarie Laurent abandonna
les ingénues, et, quoique toute jeune en-
core, elle entra fièrement dans les premiers
rôles; c'est en cette qualité qu'elle fut
engagée à Bruxelles.
Ce nouvel emploi qu'elle venait d'adopter
demandait une nature vigoureuse , une
grande verve, que la jeune Marie ne pos-
sédait encore qu'en herbe, mais qui ne
demandaient qu'à être développées; c'était
quelques leçons à prendre, leçons de per-
fectionnement bien entendu, mais qu'un
père ou un frère sont malhabiles à donner.
Un jeune artiste, M. Laurent, qui chantait
les barytons au théâtre de la Monnaie , lui
offrit ses conseils, et bientôt après madame
Laurent compléta le talent de mademoiselle
Marie Luguet. Marie-Jeanne, Madeleine,
deux grands rôles, contiibuèrent, pour
leur bonne paii, à la réputation de notre
artiste.
De Bruxelles, madame Laurent accom-
pagna son mari à Marseille, et son succès
fut si grand, que nous renonçons en vérité
à le décrire. Le régisseur, M. Vizentini,
se hâta de résilier l'engagement de Marie-
Jeanne, et lui donna rendez-vous à l'Odéon,
158 FOYERS ET COULISSES
qu'il venait de prendre des mains de
M. Bocage.
Enfin, la petite Marie Luguet, devenue
madame Laurent, était à Paris; elle avait
peut-être pris le chemin des écoliers, mais
les étapes avaient été si heureuses, qu'en
vérité elle eût eu mauvaise grâce à se
plaindre de la longueur de la route.
Notre devoir d'historien nous oblige à
signaler le début de madame Laurent,
dans un ouvrage en vers, Isabelle de
Castille, et nous devons ajouter que, si
l'actrice ne subit pas le sort de l'ouvrage,
elle le dut à cette heureuse constitution
dramatique dont elle était pourvue. Un
rôle important dans la Fille d'Eschylo
vint un peu consoler l'artiste, mais il
était décidé que son heure n'avait pas
encore sonné. Le poëte Eschyle avait
péri de mort violente, sa fille reçut toute
la révolution sur la tête, elle ne s'en releva
pas. Madame Laurent partit donc pour la
province, allant conter son chagrin de ville
en ville, et recevant des consolations de
parterre en parterre, si bien que, se trou-
vant un beau jour assez consolée, elle
revint à l'Odéon, et déclama Phèdre avec
d'autant plus de fureur qu'elle se souve-
nait d'avoir joué Isabelle de Castille.
L'Odéon n'avait pa^ été trop favorable à
madame Laurent, une grande compensa-
tion lui était due. Madame Sand se chargea
GAITÉ 159
de cette dette de la direction, et François
lo Champi lui offrit cent trente fois de
suite l'occasion de prouver à tous les di-
recteurs de la rive droite qu'il y avait
outre-Seine une actrice dont le talent était
de taille à faire la fortune d'une entre-
prise.
Le théâtre de la Porte-Saint-Martin ve-
nait de rouvrir ses portes. M. Marc-Four-
nier, qui avait suivi madame Laurent avec
un intérêt tout particulier, lui apporta un
beau jour un engagement et un rôle dans
la pièce d'ouverture; c'était, si j'ai bonne
mémoire, Vlmagier de Harlem. L'ouvrage
était littéraire, et n'eut qu'un succès d'es-
time ; mais le véritable début de madame
Laurent ne date réellement que de la
Poissarde. A elle seule tout le triomphe, à
elle seule tout le mérite d'avoir fait, de ces
cinq actes aux allures passablement com-
munes, un succès qui ne se ralentit qu'à
la centième représentation. — Madame
Pailleux restera un des types les plus re-
marquables auxquels madame Laurent a
donné la vie.
Madame Laurent a les traits expressifs
et mobiles, son teint vif, ses yeux animés,
tout est énergie et résolution dans ce vi-
sage qui semble légèrement bronzé par
les tropiques; une bouche aux lèvres un
peu fortes vient adoucir ce que sa physio-
160 FOYERS ET f:ouLiss?:s
nomie semblerait annoncer de rude, et
donne un airde bonté à cette figure d'une
fierté résolue. — Madame Laurent est une
belle actrice, c'est de plus une grande ar-
tiste.
THÉRÉSA
Elle a raconté elle-même sa vie, ses dé-
buts, ses grands succès à l'Eldorado et
surtout à l'Alcazar. Nous renverrons donc
nos lecteurs aux mémoires publiés en 1865
par la diva populaire.
Nous nous occuperons de l'actrice.
Dans ses mémoires, Thérésa disait :
« Il paraît que Siraudin a eu l'intention
de me faire débuter au théâtre.
« Le théâtre, c'est mon rêve.
« Je sens que je ne serais pas déplacée
sur une véritable scène, et que j'ai ce qu'on
appelle la corde dramatique. Mais où est
le directeur qui pourrait me donner les
appointements que je gagne en disant de
simples chansonnettes? »
Thérésa, on le voit par cette citation de
ses mémoires , ne manquait pas de confiance
en elle.
GAITÉ 161
Son rêve devait se réaliser.
Au commencement de 1867, elle tomba
malade; pendant près d'une année, le
public, et il y en avait à cette époque à
Paris, fut privé de la Femme a barbe. Le
directeur de la Porte Saint-Martin se dit
que celui qui engagerait Thérésa pour sa
rentrée encaisserait quelques bonnes re-
cettes. On répétait justement 1867, revue
de Ad. Choler, Saint-Agnan-Choler et
Koning.
Il parvint à vaincre les répugnances de
Thérésa (à prix d'or, c'est vrai). On ne lui
demandait pas encore déjouer : une chan-
sonnette de circonstance intercalée dans
la revue, le Retour de Suzon, devait suf-
fire à attirer pendant trois mois le public
à la Porte-Saint-Martin, Thérésa fit florès;
elle fut accueillie avec transports ; les re-
cettes affluèrent. L'année suivante, Thérésa
fut engagée à la Gaîté ; pendant près de
200 fois, elle chanta les Canards tyroliens
dans la Chatte blanche. La guerre arriva :
on oublia Thérésa.
Après la Commune, elle fuf engagée par
de Jallais aux Menus-Plaisirs. Là, enfin,
elle devait avoir un rôle, un vrai rôle. Elle
joua d'abord le Puits qui chante, ensuite
la Reine Carotte, qui fut jouée 120 fois.
Après la Reine Carotte, elle fut de nou-
veau engagée à la Gaîté, pour jouer la
Poule aux œufs d'or, 200 représentations.
162 FOYERS ET COULISSES
Peu d'artistes certainement sont aussi
populaires que Thérésa. Partout où elle
joue, elle est sûre d'amener la foule, même
pour la Famille Trouillat, qu'elle parvint,
grâce à deux ou trois chansonnettes,
à faire supporter près de 70 fois de suite.
Thérésa vient, paraît-il, d'être engagée
définitivement par Offenbach, Quand et
dans quoi débutera-t-elle? On l'ignore.
De la femme, nous ne dirons rien. Une
observation cependant.
Daas ses mémoires, la chanteuse popu-
laire parle plaisamment de l'économie pro-
verbiale de M. Billion; et savez-vous le
défaut attribué, à tort ou ù raison, à
Thérésa ?
L'avarice ! ! ! l'avarice ! ! !
M'^? THÉO
Une étoile qui se lève,
Vaporeuse comme un rêve,
Blanches dents, grands yeux railleurs.
Jeu leste, voix chevrotante,
Que c'est un bouquet de fleurs !
Pomme d'Api, voilà comme
On la nomme 1
Mais le bruit trop laudatif
Dont on fête sa naissance
Peut gâter ce fruit hâtif
Avant toute sa croissance.
CtAité 168
Laissez donc mûrir l'épi,
Et, si la farine est bonne,
Vous ferez une courunno
A Pomme d'Api!
J'emprunte au Sil'flet les détails qu'on
va lire :
Vous souvient-il de ce temps d'affole-
ment où les voitures de maîtres faisaient
le tour de l'Alcazar d'été en file double et
serrée ?
De ce temps où, du peuple au trône, on
ne répétait qu'un nom, celui d'une diva
populaire !
Cet engouement était aussi étrange que
celle qui l'inspirait, car Thérésa n'était pas
belle et sa voix était presque sauvage.
Mais, quand le public se met à aimer
quelqu'un, il l'aime bien. Ses engouements
ne s'expliquent jamais.
Aujourd'hui encore, il a sa diva popu-
laire, son étoile de Bethléem, qu'il suit
avec amour.
Hier, il exaltait Judic; aujourd'hui, il ne
veut plus entendre parler que de Théo !
Et cette fois, quel contraste étrange avec
Thérésa!
Madame Théo est jeune et jolie, sa voix
est fraîche et pure, douce et pénétrante ;
son geste, au lieu de la rudesse grossière
de Thérésa, est d'une provocation mutine,
tellement adorable, — qu'on irait l'enten-
dre, rien que pour la voir.
164 FOYERS ET COULISSES
Peu de biographes ont dit son âge
exact, — cet âge qu'elle n'a encore, heu-
reusement pour elle, aucune raison de
cacher. LeGuillois, toujours bien informé,
est à même de réparer cet oubli.
D'abord, elle est Parisienne, — tout ce
qu'il y a de plus Parisienne, — car elle est
née aux Champs-Elysées.
Quel doux nid que les Champs-Elysées!
Quel charmant berceau !
Sa mère est madame Anna Piccolo, pro-
priétaire de ce fameux pavillon de l'Hor-
loge, qu'on vient de se disputer avec tant
d'acharnement, — et qui passe brusque-
ment de la folle chansonneite à la musique
italienne !
Elle est née le 22 avril 1854, — elle a à
peine vingt ans !
Vingt ans et la popularité !
Vingt ans et le talent !
Ah ! Madame, vous êtes bien heureuse !
Ce qui la rend plus heureuse encore,
c'est qu'elle a pour l'aimer deux jolis petits
bébés, qui gazouillent déjà comme une
fauvette et un rossignol.
La fauvette, c'est la petite Madeleine,
A vingt ans, la biographie n'est pas
encore bien longue, — mais quand on tra-
verse une époque comme la nôtre, elle
est déjà bien remplie.
Madame Théo a débuté pendant le siège,
dans un concert donné au profit des ambu-
GAITÉ 165
lances. Oui, elle était à Paris, sa ville na-
tale, pendant ce siège où nous avons tant
souffert de la faim et du froid. Cette nature
frêle a supporté victorieusement toutes nos
privations, mais cela n'a pas contribué à
lui donner des forces !
Le soir de ce concert, il gelait à pierre
fendre et le canon faisait la basse.
Oh ! elle ne faisait pas que grelotter, ce
soir-là ! Elle tremblait !
Pensez donc ! Affronter le public pour
la première fois.
Mais, il le fallait; on dépensait tant pour
manger si peu !...
Je la vois encore vêtue de sa robe
blanche, aussi simple que sainte Mousse-
line elle-même.
Elle chanta : Fontenay-aux-Eoses, Oui, et
le Pigeon blessé, romances de Lhuillier.
Ce fut un charme général. On l'applau-
dit, mais pour son excessive simplicité, et
l'on bissa son talent révélé.
Ce succès dura trois jours de suite, ne
faisant que s'accroître à chaque nouvelle
audition.
Alors , le régisseur des Variétés ,
M. Rousseau, l'unique directeur pendant
le siège, n'hésita pas à lui offrir un enga-
gement à son théâtre.
Madame Théo rougit de plaisir. Elle se
souvenait des leçons d'Halèvy; elle se
souvenait surtout des leçons de Wartel,
166 FOYERS ET COULISSES
son vrai maître; elle so souvenait que sa
mère, par un pressentiment singulier,
avait déjà voulu en faire une artiste ; elle
savait maintenant qu'elle pouvait être elle-
même, naturelle, primesautière, et qu'elle
plairait plus qu'avec une correction par-
faite ; elle n'avait plus peur du public...
Elle accepta.
Oui, mais c'était pendant le siège...
Et quand elle débuta aux Variétés, c'était
déjà la Commune !...
Elle remplit le personnage d'Odette
dans le Beau Danois...
Au bout de huit jours, sous la pression
des événements, le théâtre fermait.,, et
Géligniery devenait ambulancier...
On a raconté son héroïsme pendant la
dernière et sanglante lutte, quand on vou-
lut brûler sa maison, et que pour fuir elle
fut obligée d'affronter les dangers de la
rue et des barricades.
Ne nous y attristons pas.
Elle remplaça Judic à l'Eldorado, quand
Judic partit pour la Belgique.
Madame Théo est elle-même.
A l'Eldorado, elle a créé : J'viens de me
marier, — J'suis grise, — Coquin d' Prin-
temps, — Fauvette et Bouvreuil, — la Fri-
leuse, — la Peureuse, — la Rieuse, —
Toc- Toc, etc., etc.
Parmi les opérettes qu'elle a jouées, il
faut citer : le Coc/ en jupons, — Madame
GAITÉ 167
Nicolas, — le Par/e de Madame Malbo-
rougb, les Horreurs du Carnaval..., de.
Pendant l'Exposition de Vienne, enga-
gée au Karl'Theater, elle obtint tant de
succès qu'Offenbach, pour la rendre à
Paris, l'engagea à la Renaissance.
Elle fut charmante dans Pomme d'Api.
Elle fit de la Parfumeuse un immense
succès, qui a atteint plus de 200 repré-
sentations.
Le Monsieur de l'orchestre, du Figaro,
s'exprimait ainsi sur la digne émule de
Judic , lors de l'ouverture du nouveau
théâtre de la Renaissance :
a L'étoile qui doit attirer dans la caisse
de AL Hostein des recettes pharamineuscs,
la femme à sensation dont le nom doit
briller en vedette sur les affiches de la
Renaissance, la débutante qu'on attendait
avec une certaine curiosité, c'est Mademoi-
selle Théo.
« Il ne m'appartient pas d'apprécier l'ar-
tiste, ni même de dire si les espérances de
la direction ont été ou non confirmées ;
tout cela est du domaine de mon collabo-
rateur Bénédict. Mais quelques renseigne-
ments sur la femme sont de ma compé-
tence.
« De tout temps Paris, à côté de ses
étoiles dramatiques, a voulu avoir des
contre-étoiles. A côté de la Patti, il y a eu
Nilsson ; Lagier a essayé de contre-balan-
168 FOYERS ET COULISSES
cer la vogue de ïhérésa; maclemeiselle
Théo vient faire concurrence à Judic. Elle
débute dans un rôle écrit pour Judic ;
comme Judic, elle vient en droite ligne du
café-concert. Seulement, c'est une Judic
blonde.
« Elle est fille de M™® Anna Piccolo, qui
fut pendant longtemps la directrice du pa-
villon de l'Horloge, un des premiers cafés
chantants des Champs-Elysées.
« La petite Théo fut élevée derrière le
comptoir, entre un bock et une chanson.
Toute petite, elle sut par cœur le réper-
toire de la troupe maternelle.
« Mais i\ï^® Piccolo vendit un jour son
établissement à M. Thomas, du Soleil.
Celui-ci y installa un gérant inhabile ;
l'affaire périclita, et M"^^ Piccolo y perdit
une partie de sa fortune.
« C'est alors que sa fille sentit la voca-
tion se réveiller en elle. Elle débita d'abord
aux Variétés, dans une opérette de Lecocq,
puis le directeur de l'Eldorado lui fit des
propositions si belles qu'elle se décida à
entrer à l'Eldorado. C'est à l'Eldorado
qu'Offenbach l'a enlevée à prix d'or.
« M'^® Théo est mariée à un ex-tailleur,
M. Vachot, très-jeune et très-joli garçon,
qui reprit pour son compte la brasserie
fondée par l'artiste Castellano, qui, à un
moment, blasé des succès du théâtre, avait
songé à se reposer dans les modestes
GAITÉ 169
occupations de marchand d'eau cliaude, et
qui, plis quelques moments après de la
nostalgie du lustre, remonta sur la scène,
et dirige maintenant l'ex-Théâtre-Lyrique.
« M"'^ Théo est, de plus, cousine de
M. Planchet, cafetier du théâtre, qui a
joué quelque peu la comédie.
« On le voit, l'estaminet joue un grand
rôle dans la vie de Pomme d'Api. »
Depuis Pomme d'Api, Théo a créé avec
le succès que l'on sait la Jolie parfu-
meuse. Pendant quatre mois, elle a joué la
pièce à la Renaissance. Elle vient encore
de la jouer soixante fois aux Bouffes.
M"^ LAURENCE GRIVOT
La petite Laurence arriva des Batignolles
au Vaudeville et y débuta dans la Clier-
cheuse d'esprit, avec son camarade Grivot
(qu'elle épousa quelque temps après). Elle
y eut un succès remarquable, suivi d'au-
tres créations charmantes. Entre autres : le
Ménage en ville, la Jeunesse de Piron, le
Sacrifice, etc., etc. Du Vaudeville, elle
passa à la Gaîté, où elle joua la Grâce de
Dieu, et fit recette, malgré la guerre et la
Commune. Puis elle alla une année au
Caire, et fut engagée par Offenbach, qui
la fit débuter à la Renaissance dans la
Permission de dix heures; puis elle créa
170 FOYERS ET COULISSES
la Jolie Parfumeuse, Bagatelle aux Bouf-
fes. Madame Grivot vient de créer le PHit
Bonhomme pas plus haut qu çadans Madame
r Archiduc. S'est fait remarquer aux mati-
nées littéraires dans le Chérubin de Fi-
garo, dans le Philosophe sans le sa-
voir, etc. Pourrait être aussi bien aux
Français qu'aux Bouffes. C'est une comé-
dienne de premier ordre; elle porte le
travesti comme Déjazet. Elle est arrivée, à
force de travail et de volonté, à chanter
d'une façon charmante. Maintenant son
nom est fait : il restera. — Adore son mari,
qui le lui rend avec usure.
AIMÉE TEiSSANDIER
1^*^ rôle de drame. — A commencé sa
carrière militante à Bordeaux. De là, elle
passa à Bruxelles et à Reims , d'où Lafon-
taine la fit engager. Elle commença l'étude
de l'histoire de France au moment où la
Gaîté monta Jeanne d'Arc, mais ses oc-
cupations théâtrales ne lui permirent pas
d'aller plus loin que le roi Charles VII. En
ce moment, madame Aimée Teissandier
est en congé au Caire. — Curieux détail
pour les initiés : n'aime pas les marchands
do meubles.
GAITÉ ni
MARIE VANNOY
Fille de l'excellent Vannoy, de la Porte-
Saint-Martin. Débuta à l'Ambigu, passa au
Gymnase, où elle créa d'une façon remar-
quable ï Abandonnée, de François Goppée ;
repassa à l'Ambigu, fut engagée à la Gaité,
qui la prêta à l'Ambigu ; revint cet hiver à
la Gaîté, qui la re prêta à l'Ambigu.
Elle vient de créer, à ce théâtre la Prin-
cesse Amélie dans V Officier de fortune.
M"^ ANNA DARTAUX
Sous le nom d'Anna Godot, fut danseuse
aux Folies-Marigny et à l'Opéra-Comique.
Après cela, elle débuta aux Bouffes, dans
le Moulin Joli, de Varney, où la culotte du
dragon promettait tout ce qu'elle a tenu.
Passa de Bordeaux à Anvers , Gand,
Bruxelles. Adorée dans ce coin de Belgi-
gique, où elle faisait la pluie et le beau
temps, elle fut engagée à Paris pour créer
l'Eurydice, d^Orphée. Mais à la suite de
difficultés qui s'élevèrent entre son direc-
teur et elle, elle ne créa que Pomme d'Api
et la Permission de dix Iieures. A la 100^
d'Orphée, elle reprit le rôle d'Eurydice.
i\ri° Dartaux est une charmante Dugazon,
qui aie tort de se croire première chau-
172 FOYERS ET COULISSES
teuse. Sa voix est chaude, pure, excellente.
Elle quitte la Gaîté ou la Gaîté la quitte,
comme vous voudrez. Les Russes lui font
un pont d or, mais qu'elle prenne garde à
la Sibérie. Dans tous les théâtres où elle
passe, elle laisse la réputation d'une pen-
sionnaire très-difficile, et l'on ne plaisante
pas avec le Nord.
MATZ-FERRARE
Vous souvient-il de la petite Denise
Ferrarc ? Enfant du Cirque et cabotine des
pieds à la tète, elle joua maint et maint
rôle, tant à Paris qu'en province, jusqu'au
jour où elle se fit remarquer au Théâtre-
Historique dans Léonard. Après quoi, elle
refit son tour de France en gai compagnon.
C'est à Bordeaux qu'elle épousa M. Matz,
pianiste. Depuis, entre Bordeaux, l'Italie
et Marseille, elle obtint de grands succès
dans toutes les pièces d'Offenbach. — Elle
revint à Paris et fut engagée aux Menus-
Plaisirs pour créer le principal rôle de
l'Eléphant blanc. Elle créa après cela la
Liqueur d'or, qui fut arrêtée à la dou-
zième. — La déconfiture des Menus-
Plaisirs lui permit d'être engagée à la
Gaîté, où elle créa Cupidon dans Orphée.
— Madame Matz est restée un peu trop en
province. Si, depuis Léonard, elle n'avait
GAITÉ 173
pas quitté Paris, ce serait aujonrd'lmiune de
nos principales étoiles. Elle a tout ce qu'il
faut. Pourtant, il lui manque le je ne sais
quoi si cher aux Parisiens. Une création
importante peut le lui donner, à moins
qu'elle ne préfère retrouver au-delà de nos
fortifications les grands succès qu'elle peut
y oljtenir. Le cadre do la Gaîté est un peu
fort pour elle. A la Renaissance , une telle
artiste serait un trésor... le trésor des
Fer rare.
MARIE BRINDEAU
Fille de M. Brindeau, le sociétaire de la
Comédie-Française. A beaucoup joué dans
les villes d'eaux et dans les salons, et le
plus souvent avec M. Febvre, du Théâtre-
Français. Elle a joué à l'Odéon et au Chà-
telet, dans le JuJi'-Erraiit, dans la Maison
du Baigneur.
Les étoiles de première grandeur Font
empêchée jusqu'à présent de briller comme
elle le pourrait faire au milieu des autres
constellations dramatiques.
AN6ÈLE
Bordelaise — ce qu'on ne croirait pas à
voir son pied, — née pour jouer les Vénus.
174 FOYERS ET COULISSES
— A paru au firmament dramatique, dé-
couverte par l'astronome Bernard-Latle et
présentée par le savant Gogniard. — C'est
ce qu'on appelle un beau brin de fille ; ah!
mais pour un beau brin, c'est un beau brin.
Ce qu'elle aime le théâtre, et les artistes,
donc ! Dans le drame, c'est le traître qui la
passionne le plus. Mais ne parlons que
à' Orphée, où Vénus est toute à Mars. La
belle Angèle, en souvenir de son ancien
théâtre, est restée le plus ferme soutien du
café du Ghàteau-d'Eau.
Jamais d'Artagnan des Mousquetaires ne
vint chez Planchet si souvent qu'Angèle.
Plusieurs théâtres l'ont demandée à Of-
fenbach pour des rôles non distribués. Le
maestro a refusé, préférant garder ses ri-
chesses, et répondant: « A la vue dételles
actrices, mon public en grille ; peu m'im-
porte que les autres en gèlent, »
U^^ BERTHE PERRET
La chaste Diane. En sortant du Conser-
vatoire, elle entra aux Folies-Dramatiques,
d'où elle sortit, avec un procès gagné par
elle, pour entrer à l'Opéra-Gomique, d'où
elle sortit pour se fixer à la Gaîté. Elle n'a
encore joué que dans Choufleury et les
Dames de la Halle à la Renaissance.
Excellente musicienne, travailleuse et
GAITÉ 175
intelligente, elle supplée, à force de tra-
vail, à la facilité vocale que la nature lui a
refusée. Aucune création n'aura pour elle
le relief de Diane, qui l'a fait valoir comme
femme et comme artiste. Sa ligne droite
fait merveille au milieu du déhanchement
de l'Olympe, J'en appelle à tous les pein-
tres.
ELVIRE GILBERT
Débuta au Théâtre-Lyrique par un rôle
de bohémienne muette, dans la Fiancée
d'Ahydos. A la suite de ce début, elle passa
par la Porte-Saint-Martin, où elle fit ad-
mirer sa jolie jambe dans un page im-
portant de la Biche au bois , puis elle alla
à Berlin, dans la troupe de M. Luguet. où
elle obtint de très-grands succès. De retour
à Paris, elle laissa Melpomène pour Tha-
lie, et passa aux Bouffes, où elle créa,
entre autres, le Fifre enchanté. Des Bouffes
à la Gaîté, où elle joua la Chatte blanche,
et la belle Pompéienne dans le Pioi
Carotte.
Un profil grec, des formes presque irré-
prochables, une voix agréable, une nature
tranquille, telles sont les qualités de cette
jeune première, qui a déjà ï opinion pu-
blique pour elle.
176 FOYERS ET COULISSES
BLANCHE MÉRY
Un petit frou-frou qui vient des Variétés.
Leste, vive, gaie, fine, intelligente, faisant
beaucoup de bruit. Signes particuliers :
des bras dignes de Canova. Fera quand
elle le voudra une soubrette pour le Vau-
deville ouïe Gymnase.
PAULINE LYON
A commencé au Palais-Royal, sous le
simple prénom de Pauline. De là est partie
au Portugal pour le théâtre français de
Lisbonne (1852), puis a été dans l'Amé-
rique du Sud, où de comédienne elle s'est
transformée en modiste. Après avoir
amassé un petit pécule, est revenue en
France, où elle a repris la scène sur le
théâtre Déjazet et autres. Christian-Jupi-
ter ne pouvait rêver une plus appétissante
Junon.
M""^ JEAULT
Femme de Jeault, l'amusante ganache
des Folies-Dramatiques. M'"*^ Jeault, qui a
de la barbe au menton comme feu
^|me Thierret, est depuis un temps immé-
GAITÉ 177
morial à la Gaîté. On dit même qu'elle ne
se rappelle pas avoir joué ailleurs.
jM""^ Jeault a plusieurs cordes à son arc,
notamment celle da commerce. Elle vend
de la parfumerie à la Gaîté, pendant que
son mari en vend, de son côté, à ses
camarades des Folies- Dramatiques.
M. et M™^ Jeault sont sûrs de rester en
bonne odeur dans leur théâtre respectif.
JUUÂ H.
Une jolie petite souris qui trotte menu,
parle de même, et se défend comme une
lionne quand on l'attaque.
Mère d'un adorable petit bébé. Elle a
passé par les Yariélés et par l'Amérique
avant de se fixer à la Gaîté. — Elle doit
avoir des valeurs à la Bourse , car elle ne
parle jamais que de reporter.
MAURY
Elève du Conservatoire. Très-aimée de
toutes ses camarades, qui, fait rare, ne
cassent pas de sucre sur son compte. —
Une excellente voix, peut-être la meilleure
de la maison.
CASTELLO
La Sagesse, mesdames et messieurs, la
178 FOYERS ET COULISSES
Sagesse... dans Orphée. D'ailleurs, a si
bien muré sa vie privée, qu'il est bien
difficile d'en franchir le seuil. — Au phy-
sique, c'est un camée. Au moral, c'est une
femme distinguée qui possède plus de bon
sens à elle toute seule ({ue toutes ses cama-
rades réunies. Au théâtre, on la trouve un
peu pincée. Dame! quand on joue la Sa-
gesse...
DURIEU
La belle ribaude de Jeanne d'Arc a fait
la connaissance au quartier latin de son
mari, le docteur D***, dont elle commença
la clientèle. Un excellent ménage. Lorsque
madame chante, monsieur est dans la salle,
tremblant de peur. Lorsque monsieur a
une opération difficile, la voix de madame
s'en ressent le soir.
Bref, son mari la quittant rarement, elle
est aimée, choyée et protégée à la ville
comme au théâtre.
DAVENAY
La femme la mieux faite de Paris, —
après la belle Mariani, de sculpturale mé-
moire. Rieuse, elle adore les histoires
folichonnes ; quoique fidèle à l'élu de son
cœur, chaque fois qu'on raconte devant
GAITÉ 179
elle un fait croustillant, elle en rit à
Georges chaude.
GQBERT
L'ex-Gobert de l'Ambigu au temps de ce
bon monsieur de Chilly. Désespérée de
faire si peu de chose à la Gaîté, mais à qui
la faute ? Très-bonne petite personne ; elle
adore son chien.
IRIART
Une voix, un nez, — un nez, une voix.
— Adore la flanelle. — Son air favori
est :
Dans un grenier qu'on est bien à vingt ans 1
r/lARlE GODIN
Est le représentant femelle de la dynastie
des Godin au théâtre de la Gaîté.
Fille du souffleur et sœur du second
chef d'orchestre, elle les confond tous deux
dans le même regard. — A doublé au pied
levé Judic dans le Roi Carotte.
METTE
Ancienne fourmi du Boi Carotte. Elle
180 FOYERS ET COULISSES
était alors mince, mince, mince, comme
col insecte. Aujourd'hui qu'elle est devenue
madame Beaudu, la fourmi a pris l'cm-
hompoint... du mariage.
Bonne, douce, aimable, et pas canca-
nière du tout : voilà tout le mal que nous
pouvons en dire.
SYLVANÂ
Quoique Gaston Mathieu lui ait fait des
portraits les plus ressemblants du monde
et qu'elle soit très-jolie femme, on re-
tourne toujours la photographie... Je ne
comprends pas pourquoi... j'en suis tout
étonne... Sylvana a dû ses débuts à l'in-
fluence de la presse. Peu patiente, elle ne
donne pas beaucoup de ses lectures. Pour
elle, un journal n'est qu'un éclair.
CONTI
Arrivait de la province et y est re-
tournée.
En reviendra-t-elle?
GUIOTTI
Possède de très-beaux cheveux noirs,
avec lesquels elle se coiffe le plus mal du
GAITÉ 181
monde, chante agréablement... au-dessus
de la note. A refusé de jouer Vesta dans
Orphée. Pourquoi?
LES SŒURS ALBOUY
Aucune parenté avec la rue de ce nom.
L'une, petite et grosse, a eu beaucoup de
succès à Garpentras dans le Violoneux.
L'autre, jeune et douce, a créé, à la Re-
naissance, la quatrième femme de chambre
de la xJolio Parfumeuse. Si les Yapereau
de l'avenir ne trouvent pas ces renseigne-
ments suffisants, je donne ma langue au
chat.
CÂPET
Femme du régisseur de l'Eldorado, et
très-aimée de ^F*^ Godin. G'est tout ce que
les biographes peuvent trouver sur son
compte.
GRArîDPBÉ
A créé Pandore dans Orpliée. Belle fille*
Tel était son talent. Le jour de la 20« re-
présentation, elle oublia le chemin de la
rue de Réaumur. Les recettes n'en ont
point baissé.
182 FOYERS ET COULISSES
JEANNE EYRE
Qui s'appelle de son vrai nom Lefebvre.
- Pose chez Nadar.
DEBRYAT
Surnommée plantureuse par Christian.
Cette charmante enfant a toujours l'air d'un
bonbon fondant dans lequel on aurait mis
trop de sucre. Elle fait bien au théâtre,
mieux encore à la ville. Je ne vivrai jamais
assez longtemps pour la retrouver au
Théâtre-Français. — N'est pas parente
Debrya t-Sa varin .
PAULY
9 9 9
1 iVl *! !
Mlle V/AGNER
Sœur d'un dentiste. — Si grande, si
grande, qu'elle dérangerait les frises en
entrant en scène.
Musicienne émérite, polyglotte. Elle
quitte la Gaîté pour entrer au Théâtre-Ita-
lien.
GAITÉ 183
Elle laisse à la Gaîté quelques amies
éplorées.
Pendant deux ans , fit partie du Conser-
vatoire, dont elle sortit fruit sec, ce
qui étonnera toujours ceux qui connais-
DANSEUSES
M"^ THÉODORE
L'étoile de l'année dernière. — Un grand
talent.
FONTABELLO
C'est l'Italienne pur sang, la danseuse
intrépide, folle de son art et s'élançant au
début d'une variation, comme on s'élance
à l'attaque d'une redoute. Le théâtre pour-
rait sauter, que sur ses ruines on la re-
trouverait toujours, souriante, furieuse,
endiablée et terminant son écho aux ap-
plaudissements... des pompiers. — Très-
aimée du public de la Gaîté. — A toutes
les premières, elle remporte le succès du
ballet. A la ville, c'est un bon garçon, ca-
marade avec tous et fière du sang italien
qui coule dans ses veines. — Dernier dé-
18 4 FOYERS ET COULISSES
tail : n'entrerait jamais en scène sans faire
le signe de la croix.
CHRiSTINA P.OSELLi
1" danseuse. L'étoile du jour. 17 ans,
petite, noirotte, une Bosaki de l'avenir.
Arrive de l'Italie, où elle cueillit à Reggio
ses premirs lauriers. Ne sait pas sourire,
chose rare pour les danseuses , et quand
elle veut sourire au public au milieu d'une
variation, elle a l'air de dire : « Mon Dieu,
que mon pal me gène. »
DEL POZZO
A filé de la Gaîté sans tambour ni trom-
pette en Amérique. Le tribunal l'a con-
damnée à payer 3,000 francs de dommages-
intérêts. — Avis aux consuls.
PREMIERES DANSEUSES
ROSINÂ BRÂMBILLA
Une Italienne qui se francise. Elle était
à Bruxelles il y a deux ans, à Lyon l'année
dernière. Danseuse correcte, elle a de
petites mines fort bonnes à voir.
Le demi- caractère est son lot.
185
LÉONTINE VERNET
Danseuse de race. Débuta à l'Opéra,
[.'une des danseuses les mieux faites qui
existent. De l'école et du cachet.
Bonne petite personne. Simple et con-
sciencieuse, elle n'a d'autres signes parti-
culiers que de faire du crochet du matin
au soir et d'adorer ses cinq ou six chiens,
qu'elle regrette bien de ne pouvoir amener
au théâtre avec elle ; mais on est si sévère
à la Gaîté...
EUGÉNIE PELLETIER
Femme de M. Buisseret, le maître de
ballet des Folies-Bergère. Ne manque pas
d'un certain effet sur le public ; seulement
finit un peu trop ses variations comme un
clown. Se plaint toujours du directeur,
des administrateurs, du maître de ballet,
de ses camarades, des habilleuses, de ce
qu'elle a dansé, du temps qu'il fait, bref, de
tout le monde et d'elle-même. A cela près,
parfaitement contente.
186 FOYERS ET COULISSES
2»" PREMIÈRES DANSEUSES
ENRICHETTA NIAURY
Nouvelle arrivée. Grande, blonde, plan-
tureuse, du ballon, et du ballon. Ne quitte
Jamais sa camarade Salvadori.
MARIE GARDES
Est sortie petit à petit des rangs du bal-
let de la Gaîté. Il va sans dire qu'elle est
très-protégée par le maître de ballet, et
qu'elle mérite cette assiduité par son tra-
vail constant. Un peu maigrelette, il ne
lui manque que d'engraisser un peu pour
devenir une charmante petite étoile. Avec
Herbinot et vSolari, constitue le trio gamin
du ballet.
2^^« DANSEUSES
AUGUSTINE HERBINOT
Une très-gentille petite enfant, un peu
trop douillette. A débuté au théâtre du
GAITÉ 187
Chàteau-d'Eau. Rieuse, alerte de son na-
turel. Ses camarades lui reprochent de ne
pas aimer les bains froids.
LAURA GâRBAGNATI
Est arrivée d'Italie comme simple dan-
seuse du corps de ballet. Ses excellentes
dispositions, son assiduité et son intelli-
gence la firent vite remarquer du maître
de Ijallet. On lui fit danser à l'improviste,
devant tout le monde, une variation, et elle
passa d'emblée seconde danseuse.
Modeste et intelligente, elle parlait cou-
ramment français au bout de trois jours
qu'elle était à Paris.
ANTONiA GARDES
Un maréchal du corps de ballet qui,
pour avoir conquis ses grades à l'ancien-
neté, n'en est pas moins fort agréable à
voir.
CAMILLE PERROT
Petite, maigre, travailleuse et méritante.
Son époux est i^"^ violon à l'Opéra, et
fabrique des chaussons de danse à ses
moments perdus.
188 FOYERS ET COULISSES
EMMA SALVADQRI
Brune, lymphatique. Ne quitte jamais sa
camarade ISIaùry.
ELVIRA VIOLA
Prima guida — di prima quadrilla.
Una bella figlia ! ! ! ! !
MASCONI
A de bien vilains bras — comme dan-
seuse, s'entend, mais une bonne petite
personne tranquille, qui sourit impertur-
bablement dans toutes les occasions de la
vie chorégraphique.
SOLARI
Une enfant de la maison. De sérieuses
qualités, tant comme danseuse que comme
femme. Mériterait le prix INIonthyon. Esti-
mée, méritante, mais rieuse, rieuse, rieuse
comme une enfant de la Gaîté. Ses cama-
rades l'appellent le clown.
FIN DU TOME DEUXIEME ET DERNIER
Henry Buguet.
Décembre 1874.
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nant les habitudes, les ruses du Gibier,
l'Art de le chercher et de le tirer, le choix
des Armes, l'Education des Chiens, leurs
maladies, etc. Un volume in-18. 3 fr. 50.
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DU
MUSÉE ROYAL DE NAPLES
L'art ancien et l'art au moyrn âge ne se
piquaient pas d'une pudour bien chaste; les
plus admirables chefs-d'œuvre sont souvent
accompagnés de détails obscènes qui en ren-
dent impossible l'exposition aux yeux de
tous. Le cabinet secret du roi de Naples est
la seule galerie au monde oîi l'on se soit
proposé de réunir tous les chefs-d'cjeuvredm-
pudiques. Le livre qui les reproduit est 1, in-
dispensable complément de toutes les col cc-
tions de musées, et doit trouver place dans
un coin secret de la bibliothèque de l'artiste
et de l'amateur.
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de 60 planches, représentant les peintures,
les bronzes et statues erotiques qui existant
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