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Full text of "Gaspard de Coligny, amiral de France"

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GASPARD  DE  COLIGNY 


OUVRAGES    DU    MÊME    AUTEUR 


lilberté  religieuse,  1  vol.   in-S",  1854 4  fr.     » 

niadanic  l'amirale  de  Coligny  après  la  Saint-Barthélémy,  bro- 
chure in-8°,  1867 1  fr.  50 

liCS  Protestants  à  la  Cour  de  St-Cermain,  lors  du  colloque  de 
Poissy,  iu-8°,  1874 3  fr.     » 

Éléonore  de  Roye,   princesse  de  Coudé,  grand  in-S"  avec  por-  ' 

Irait,  1876 7  fr.  50 

Gaspard  de  Coligny,  amiral  de  France,  tome  1*^%  1  vol.  iQ-8°, 

1879 15  fr.     » 


PARIS.    —     IMPRIMERIE    EMILE    MARTINET,    RUE     MIGNON,    2. 


HF.B 

GASPARD 

\)K 

COLIGN 

AMIRAL    DE    FRANGE 

LE   C'   JULES    DELABORDE 


TOME    DEUXIEME 


G^. 


è^^îX^^ 


PARIS 

G.     FISGHBACHER,    ÉDITEUR 

33,   RUE    DE    SEINE,    33 

1881 


GASPARD  DE  COLIGNY 

AMIRAL  DE  FRANGE 
LIVRE  TROISIÈME 


CHAPITRE  PREMIER 


Analyse  des  dispositions  de  l'édit  du  17  janvier  1562.  —  Sages  conseils  donnés  aux 
réformés  par  les  représentants  des  Églises  sur  l'observation  de  cet  édit.  —  Con 
conseils  sont  suivis.  —  Résistances  opposées  à  l'édit  par  le  parti  catlmliquc.  — 
Défection  du  roi  de  Navarre.  —  H  pactise  avec  Philippe  11,  insulte  Jeanne  d'Albret 
et  cherche  à  éliminer  Coligny  de  la  cour.  —  Celui-ci,  pour  sauver  Cathoiine  de 
Médicis  d'une  situation  difficile,  se  retire  volontairement  à  Châtillon-sur-Loing.  — 
Départ  pour  la  Floride  de  Ribaut,  dont  l'expédition  a  été  organisée  par  Coligny. 
—  Efforts  des  Guise  pour  priver  les  réformés  français  de  l'appui  de  leurs  co- 
religionnaires à  l'étranger.  —  Correspondance  du  duc  de  Guise  avec  le  duc  de  Wur- 
temberg. —  Conférences  de  Saverne.  Hypocrisie  de  François  et  de  Charles  de  Lor- 
raine. —  Massacre  de  Vassy. 

L'édit  du  17  janvier  1562  *  accordait  aux  réformés  le  droit  : 

V  De  tenir  des  réunions  publiques,  pour  la  célébration  de 
leur  culte  ; 

2°  De  subvenir,  par  des  contributions  purement  volontaires, 
aux  frais  qu'il  nécessitait  et  à  l'entretien  de  leurs  pauvres  ; 

3°  De  jouir  d'une  organisation  con^istoriale  et  synodale; 

4°  D'abriter  sous  la  protection  de  l'autorité  supérieure 
l'exercice  régulier  du  triple  droit  ainsi  reconnu. 

1.  Voy.  son  texte  à  l'Appendice,  n=  I. 
II. 


—  2  — 

Toutefois,  cette  concession  n'était  consentie  que  sous  cer- 
taines conditions,  restrictions  ou  charges  expressénient  im- 
posées. 

Et  d'abord,  à  titre  de  strict  préliminaire,  les  réformés  de- 
vaient restituer  les  églises,  ornements,  reliquaires,  biens  et  re- 
venus ecclésiastiques  dont  ils  s'étaient  indûmeut  emparés,  en 
laisser  à  qui  de  droit  la  paisible  jouissance,  s'abstenir  de  toute 
destruction  de  croix  et  images,  ainsi  que  de  tous  actes  scanda- 
leux et  séditieux;  et  cela  ce  sur  peine  de  la  vie,  et  sans  aucune 
))  espérance  de  grâce  ou  rémission  (art.  1)  ». 

Au  fond,  en  ce  qui  concernait  \e  premier  des  quatre  points 
ci-dessus  indiqués,  il  leur  était  interdit,  également  «  sur  peine 
))  de  la  vie  et  sans  aucune  espérance  de  grâce  ou  rémission,  » 
d'édifier  des  temples,  non  seulement  dans  les  villes,  mais  même 
au  dehors  (art.  1);  interdiction  qui,  alors  qu'aucun  édifice  ne 
leur  était  fourni  par  le  gouvernement  pour  la  célébration  du. 
culte,  les  "soumettait  à  l'obligation  de  ne  le  pratiquer  que  dans 
des  locaux  privés  ou  en  plein  air. 

Aucune  assemblée  publique  ou  privée,  ayant  pour  objet 
»  des  prêches  et  prédications  )>,  ne  pouvait,  pas  plus  de  jour 
que  de  nuit,  avoir  lieu  dans  les  villes  (art.  2). 

Les  assemblées  dans  lesquelles  étaient  autorisés  «  les  prê- 
))  ches,  prières  et  autres  exercices  delà  religion  réformée,  »  en 
dehors  de  l'enceinte  des  villes,  ne  pouvaient  se  tenir  que  de  jour 
(art.  3),  dans  le  plus  grand  calme,  sans  port  d'armes,  si  ce  n'est 
pour  les  gentilshommes  (art.  5),  sous  la  surveillance  des 
officiers  royaux  (art.  6,  §,  2)  et  elles  devaient  ne  se  composer 
que  d'assistants  dont  «  la  vie,  les  mœurs  et  la  condition  » 
fussent  recommandables  (art.  6,  §  1). 

L'exercice  du  ministère  évangélique  était  subordonné  à  l'ac- 
complissement de  certaines  obligations  imposées  par  l'art.  10, 
ainsi  conçu:  «  Les  ministres  seront  tenus  se  retirer  par  devers 
y>  nos  officiers  des  lieux,  pour  jurer  entre  leurs  mains  l'obser- 


—  3  — 

»  vation  de  ces  présentes,  et  promettre  de  ne  prêcher  doctrine 
))  qui  contrevienne  à  la  pure  parole  de  Dieu,  selon  qu'elle  est 
3)  contenue  au  symbole  du  concile  de  Nicée  et  es  livres  cano- 
»  niques  du  vieil  et  nouveau  testament,  afin  de  ne  remplir  nos 
»  sujets  de  nouvelles  hérésies;  leur  défendant  très  expressé- 
»  ment,  et  sur  les  mêmes  peines  que  dessus,  de  ne  procéder 
»  en  leurs  prêches  que  par  conviées  contre  la  messe  et  les  cé- 
»  rémonies  reçues  et  gardées  en  notre  dite  église  catholique,  et 
y>  de  n'aller  de  lieu  en  autre,  et  de  village  en  village,  pour  y 
»  prêcher  par  force,  contre  le  gré  et  consentement  des  sei- 
»  gneurs,  curez,  vicaires  et  marguilliers  des  paroisses.  » 

Quant  au  second  point,  «  les  charitez  et  aumônes,  »  double 
dénomination  sous  laquelle  se  rangeaient,  avec  l'assentiment 
tacite  du  gouvernement,  les  frais  du  culte  réformé,  devaient 
«  se  faire,  non  par  cotisation  et  imposition,  mais  volontaire- 
))  ment  (art.  8)  3). 

Sur  le  troisième  point,  il  était  dit  :  «  Qu'ils  (les  réformés)  ne 
»  facent  aucuns  synodes  ne  consistoires,  si  ce  n'est  par  congé 
»  ou  en  présence  de  l'un  nos  dits  officiers,  ne  semblablement 
î>  auucne  création  de  magistrats  entre  eux,  lois,  statuts  et  or- 
))  donnances,  pour  estre  chose  qui  appartient  à  nous  seul. 
y>  Mais  s'ils  estiment  être  nécessaire  de  constituer  entre  eux 
»  quelques  règlements  ppur  l'exercice  de  leur  dite  religion, 
))  qu'ils  les  monstrent  à  nos  dicts  officiers,  qui  les  autoriseront, 
»  s'ils  voyent  que  ce  soit  chose  qu'ils  puissent  et  doivent  rai- 
».  sonnablement  faire  :  sinon,  nous  en  avertiront  pour  en  avoir 
))  notre  permission,  et  autrement  en  entendre  nos  vouloir  et 
»  intention  (art.  7).  » 

Le  quatrième  point  éiaïl  réglé  en  ces  termes:  «  Deffendant, 
y>  sur  lesdites  peines,  à  tous  juges,  magistrats  et  autres  per- 
))  sonnes,  de  quelque  état,  qualité  ou  condition  qu'ils  soient, 
T)  que,  lorsque  ceux  de  ladite  religion  nouvelle  iront,  viendront 
D  et  s'assembleront  hors  des  dites  villes,  pour  le  fait  de  leur 


))  dite  religion,  ils  n'ayent  à  les  y  empêcher^  inquiéter,  molester, 
))  ne  leur  courir  sus,  en  quelque  sorte  ne  manière  que  ce  soit; 
))  mais  où  quelques-uns  voudraient  les  offenser,  ordonnons  à 
»  nos  dits  magistrats  et  officiers  que,  pour  éviter  tous  troubles 
))  et  séditions,  ils  en  empêchent  et  facent  sommairement  et 
D  sévèrement  punir  tous  séditieux,  de  quelque  religion  qu'ils 
»  soient,  selon  le  contenu  en  nos  précédens  édits  et  ordon- 
y>  nances,  même  en  celle  qui  est  contre  les  dits  séditieux,  et 
))  pour  le  port  des  armes,  que  nous  voulons  et  entendons  en 
»  toutes  autres  choses  sortir  leur  plein  et  entier  effet  et  demeu- 
»  rer  en  leur  force  et  vertu  (art.  4).  » 

Il  était,  en  outre,  recommandé  dans  l'art.  11  «  à  tous  pré- 
»  cheurs,  de  n'user  en  leurs  sermons  et  prédications  d'injures 
y>  et  invectives  contre  les  dits  ministres  et  leurs  sectateurs, 
»  pour  estre  chose  qui  avait  jusques  ici  beaucoup  plus  servi  à 
y>  exciter  le  peuple  à  sédition  qu'à  le  provoquer  à  dévotion  ». 
Telles  étaient  les  dispositions  principales  de  l'édit  de  janvier. 
Les  réformés  n'avaient  pas  autrement  lieu  de  s'inquiéter  du 
caractère  simplement  provisoire  que  la  royauté  avait  imprimé  à 
cet  acte  solennel,  pourvu  qu'elle  s'attachât  sincèrement  à  en 
assurer  l'application.  En  effet,  d'une  part,  appelé  à  durer  jus- 
qu'à ce  qu'un  concile  eût  amené  les  esprits  et  les  cœurs  à  l'unité 
de  croyance  et  de  culte,  l'édit  pourrait  s'exécuter  indéfiniment, 
puisque  cette  unité  serait  poursuivie  sans  être  jamais  atteinte; 
et,  d'une  autre  part,  la  royauté,  par  cela  môme  qu'elle  demeu- 
rerait sincère,  ne  révoquerait  point  une  concession  aux  condi- 
tions de  laquelle  les  réformés  continueraient  à  se  soumettre. 

Ces  derniers,  peu  préoccupés  dès  lors  de  ce  qu'il  y  avait, 
en  apparence,  de  précaire  dans  cette  concession,  fêtaient  du 
moins  fortement  de  certaines  restrictions  apportées  par  l'édit  à 
fexercicede  leur  culte.  ((  Ils  avaient  bien  attendu  davantage,  et 
))  ils  se  plaignaient,  qu'en  les  renvoyant  aux  faubourgs  des  villes, 
»  on  rendoitleur  condition  beaucoup  pire  qu'elle  n'estoit;  car. 


—  5  — 

»  en  une  infinité  de  lieux,  on  preschoit  publiquement  dans  les 
y>  villes  et  temples,  sans  contredit  *  ;  »  mais  l'influence  de  sages 
conseils  fit  promptement  taire  leurs  plaintes. 

A  Saint-Germain,  où  la  cour  continuait  à  résider,  en  janvier 
1562,  se  trouvaient  Goligny  et  l'Hospital.  Le  premier  entrete- 
nait avec  les  députés  des  églises  réformées  et  les  ministres  sé- 
journant alors  dans  cette  ville  des  relations  suivies  ^ ,  auxquelles 
le  second  ne  demeurait  pas  entièrement  étranger.  De  ces  rela- 
tions résulta  une  judicieuse  détermination,  bientôt  prise  de 
commun  accord  par  ces  députés  et  ces  ministres.  En  effet,  les 
uns  et  les  autres  «  estant  à  Saint-Germain,  après  s'estre  adressés 
y>  à  M.  le  Chancelier,  pour  entendre  de  lui  l'interprétation  de 
»  quelques  ambiguïtés  (que  présentait  la  rédaction  de  l'édit) 
»  écrivirent  aux  églises  (dans  les  premiers  jours  de  février), 
y>  une  lettre  ^,  jointe  à  une  déclaration  *  sur  quelques  articles 
»  dudit  édit  afin  que  le  retardement  de  l'exécution  ne  vinst  de 
y>  leur  costé  ^  ». 

Le  passage  suivant  donne,  à  lui  seul,  la  mesure  delà  sagesse 
dont  cette  lettre  était  empreinte  :  «  Nous  vous  prions,  au  nom 
y>  de  Dieu,  que  faciès  telle  diligence  que  l'édit  soit  tellement 
y>  gardé,  que  le  roy,  la  reyne,  et  tout  son  conseil  ayent  occasion 
3)  de  se  contenter  de  l'obéissance  de  ceux  qui  sont  sous  vostre 
»  charge.  Et  pour  ce  qu'il  y  a  certaines  clauses  en  l'édict,  l'exé- 
y>  cution  desquelles  pourroit  estre  trouvée  fascheuse  et  difficile, 
»  nous  vous  envoyons  ce  que  nous  avons  pu  adviser,  touchant  la 

1.  Bèze,  Hist.  eccL,  t.  I,  p.  681. 

2.  Les  relations  de  l'amiral  avec  Calvin,  par  voie  de  correspondance,  se 
continuaient  à  cette  même  époque.  «  Meas  litteras,  qùum  Posidonio  (Coligny) 
j  reddes,  vide  ut  fidelis  sit  causoe  quam  commendo  patronus.  Rogo  eum  ut  suâ 
>  gratiâ  et  autoritate  nos  adjuvet  in  diplomate  impetrando,  cujus  mitto  exera- 
j  plar,  et  simul  supplicis  libelli.  »  (Calvinus  Bezae,  11  februarii  1562.  Calviiii 
op.,  t.  19,  p.  284,  n»  3715.) 

3.  Voy.  Appendice,  n°  2. 
■i.  Voy.  Appendice,   {i°  3. 

5.  Bèze,  Hist.  eccl.,  t.  I,  p.  681. 


—  6  — 
»  manière  par  laquelle  on  pourra,  en  toute  crainte  et  humilité, 
y>  rendre  à  César  ce  qui  est  à  César  et  à  Dieu  ce  qui  est  à  Dieu, 
»  comme  aussi  nous  pensons  estre  la  volonté  du  roy  et  de  son 
))  conseil  en  tout  cest  édicl,  que  Dieu  soyt  obéi  le  premier.  Il 
y>  est  certain  qu'il  semblera  à  plusieurs  qu'on  pouvoit,  selon  le 
»  temps,  obtenir  plus  grande  liberté  que  celle  qui  se  présente, 
»  mesme  qu'il  sera  grief  à  ceux  qui  ont  desjà  occupé  les  tem- 
»  pies  et  autres  lieux  publics  dans  les  villes,  de  les  laisser  :  mais 
»  ceux-cy,  s'y  estant  avancés  de  leur  authorité  privée,  doivent 
))  plustost  recognoistre  leur  indiscrétion,  que  trouver  eslrange 
»  de  se  veoir  privés  des  lieux  èsquelz  ils  se  sont  ingérez,  sans 
»  attendre  que  Dieu  marchast  devant  eux,  par  la  providence  et 
»  bonne  volonté  duquel  il  est  plus  que  juste  et  raisonnable  que 
»  soyons  gouvernés.  Davantage  il  faut  considérer  que,  si  nous 
■»  sommes  privés,  pour  un  temps,  de  quelque  commodité,  le 
»  grand  bien  qui  s'offre  de  l'autre  costé,  doit  effacer  l'ennuy 
y>  qu'aucuns  pourront  avoir  de  ce  qu'ils  perdent;  joint  que  ce 
»  n'est  pas  icy  le  dernier  bénéfice  que  nous  espérons  de  notre 
»  roy,  moyennant  la  grâce  de  Dieu,  lequel  roy  estant  persuadé 
»  de  nostre  obéissance  et  submission  sera  de  plus  en  plus 
»  enclin  à  nous  ouïr  patiemment  et  à  nous  faire  droict  et  raison 
y>  de  tout  ce  que  proposerons  à  sa  majesté.  y> 

Ces  judicieux  «  avis  et  remonstrances  eurent  tel  effect,  » 
que  les  Églises  obéirent  incontinent^  ;  «  mais  avec  leur  obéis- 
sance contrasta  l'ardente  opposition  que  l'édit  de  janvier  ren- 
contra dans  les  rangs  du  parti  catholique.  Les  chefs  de  ce  parti 
fomentèrent  en  secret  la  résistance  des  parlements,  les  censures 
du  clergé  et  le  soulèvement  des  masses  populaires.  Ils  se  réser- 
vaient de  faire  aboutir,  en  temps  opportun,  leur  œuvre  téné- 
breuse à  un  coup  d'éclat  dont  l'irrésistible  énergie,  pensaient- 
ils,  anéantirait  l'édit  qu'ils  maudissaient.  Le  contraste  ici  est 

1.  Bèze,  Hist.  eccl.,  1. 1,  p.  687. 


frappant  :  il  ressort  de  l'étude  approfondie  des  faits  qui  s'accom- 
plirent alors  au  sein  des  provinces  et  de  la  capitale;  faits 
intéressants  en  eux-mêmes,  mais  que  nous  devons  nous  résigner 
à  passer,  en  partie,  sous  silence,  à  raison  de  leur  multiplicité  et 
de  l'étendue  des  développements  qu'entraînerait  leur  exposé 
complet. 

L'édit,  signé  le  17  janvier  1562,  avait  été  immédiatement 
communiqué  aux  divers  parlements  pour  être  enregistré.  Il  le 
fut  par  le  parlement  de  Rouen  le  27  du  même  mois  *  ,  par  ceux 
de  Bordeaux  et  de  Toulouse  le  6  février  ^ ,  et  par  d'autres  à  des 
dates  plus  ou  moins  rapprochées,  avec  une  soumission  appa- 
rente sous  laquelle  se  déguisait  à  peine  une  hostilité  réelle. 
Ces  grands  corps,  s'arrogeant  trop  souvent,  pour  en  abuser,  une 
mission  plus  pohtique  que  judiciaire,  repoussaient  aveuglément, 
comme  subversive  de  l'ordre  public,  la  coexistence  de  deux 
religions  en  France  ^  Les  parlements  les  plus  fortement  engagés 
dans  les  voies  d'une  résistance  insensée  et  coupable  étaient 
ceux  de  Paris  et  de  Dijon  ;  et  l'on  venait  d'atteindre  le  mois  de 
mars  sans  qu'ils  se  fussent  encore  départis  de  l'audacieuse 
formule  :  Non  possumus,  nec  debenms^  à  l'abri  de  laquelle  ils 
se  croyaient  inexpugnables. 

Cependant,  que  s'était-il  passé  chez  les  réformés,  dans  le 
cours  des  quelques  semaines  qui  venaient  de  s'écouler? 

Ils  avaient  loyalement  exécuté  les  obligations  que  leur  im- 
posait l'édit  de  janvier,  notamment  :  1°  en  se  dessaisissant  des 
édifices^religieux  et  des  biens  ecclésiastiques  que  l'on  considérait 
comme  ayant  été  jusqu'alors  détenus  par  eux  au  détriment  des 

1.  Bèze,  Hist.  eccL,  t.  II,  p.  610. 

2.  Bèze,  Hist.  eccL,  t.  I,  p.  789,  et  t.  III,  p.  1. 

3.  Tout  homme  d'espril  qu'il  était.  Est.  Pasquier,  alors  aveuglé  par  une  into- 
lérance égale  à  celle  des  parlements,  écrivait  à  M.  de  Foussomme  (liv.  iv, 
lettre  13)  :  «  Auriez-vous  jamais,  en  vostre  jeunesse,  estimé  voir  quelquefois, 

>  en  ceste  France,  telle  desbauche  que,  dans  une  mesme  ville,  il  y  eùst  exercice 

>  de  deux  diverses  religions?  j 


—  s  — 

catholiques*  ;  2"  en  ne  s'assemblant,  pour  l'exercice  de  leur 
culte,  que  hors  des  villes,  dans  des  locaux  privés,  ou  en  plein 
air,  de  jour,  publiquement,  sans  port  d'armes,  sous  la  direction 
des  ministres  ayant  prêté  le  serment  voulu  ^  . 

Quelque  régulière  et  paisible  qu'eût  été  leur  attitude^-,  ils 
ne  s'en  étaient  pas  moins  vus,  presque  partout,  troublés  dans 
l'exercice  de  leur  culte  par  les  insultes,  par  les  menaces  et 
même  par  les  voies  de  fait  auxquelles  s'étaient  laissé  entraîner 
à  leur  égard  des  foules  excitées  tour  à  tour  par  les  menées 
occultes  et  par  les  harangues  furibondes  d'un  clergé  intolérant. 
La  royauté  elle-même  et  ses  plus  sages  conseillers,  Goligny, 
THospital,  n'avaient  échappé  ni  aux  invectives,  ni  aux  accusa- 
tions * . 

Rien  de  plus  grave,  assurément,  que  la  fermentation  du  parti 
catholique  à  celte  époque  ^  et  que  le  déchaînement  de  ses  atta- 
ques contre  l'édit  de  janvier  et  ses  auteurs;  néanmoins  le  péril 
qui  en  résultait  eût  pu  très  probablement  être  écarté,  si  la 
cause  de  la  Kberté  religieuse  et  la  royauté  n'eussent  eu  à  souf- 
frir du  rôle  auquel  s'abaissa,  vis-à-vis  d'elles,  Antoine  de  Bour- 
bon. 

Ce  prince,  sans  croyances  affermies,  sans  rectitude  de  con- 
duite, sans  stabilité  de  décisions,  ne  se  montrait  persévérant, 
tenace  même,  que  dans  les  aspirations  d'une  ambition  peu  clair- 
voyante. Il  cherchait  à  obtenir  de  Philippe  II  un  royaume,  en 
dédommagement  de  la  Navarre  espagnole  enlevée  à  Jean  d'Al- 

1.  «  Ceux  de  la  religion  réformée,  comme  obéissans  sujets,  se  rangèrent 
»  promptement,  quittant  les  temples  et  villes  qu'ils  pouvoyent  aisément  garder, 
»  si  l'obéissance  qu'ils  dévoient  au  roy  et  le  désir  du  repos  public  ne  leur  eussent 
»  esté  plus  chers  que  toutes  commodités  particulières.  »  (Grespin,  Hist.  des 
martyrs,  éd.  de  1608,  p.  580.) 

2.  Voy.  à  l'Appendice,  n»  4. 

3.  Voy.  Appendice,  n"  5. 

L  Mém.  de  CL  Eaton,  t.  I,  p!  2H  à  21.i. 

5.  Un  judicieux  historien  a  parfaitement  caractérisé  l'organisation  et  les  ten- 
dances de  ce  parti  (voy.  Appendice,  n"  6). 


—  9  — 

bret.  Enlacé  dans  les  liens  d'une  intrigue  ourdie,  de  concert 
avec  les  Guise,  par  le  légat  du  pape,  l'ambassadeur  d'Espagne,  le 
cardinal  de  Tournon  et  d'autres  affidés  du  saint-siège*  ,  il 
avait  ouvert  à  Rome  et  à  Madrid  des  négociations  au  cours 
desquelles  il  promettait,  pour  prix  du  royaume  qui  lui  serait 
accordé,  de  foire  prévaloir  en  France  la  religion  catholique, 
et  menaçait,  en  cas  de  refus  de  la  concession  sollicitée,  d'en- 
gager contre  les  sectateurs  de  cette  religion  une  lutte  sérieuse. 
Payé  par  Philippe  II  de  promesses  illusoires,  il  rompit  peu  à 
peu  avec  les  hommes  dont  il  s'était  dit  jusqu'alors  le  coreli- 
gionnaire et  le  soutien^  ;  puis,  sans  plus  de  conscience  comme 
catholique  improvisé  que  comme  transfuge  de  la  réforme,  il  mit 
au  service  du  triumvirat,  instrument  intéressé  des  desseins  de 
la  papauté  et  de  l'Espagne,  son  autorité  de  lieutenant  général 
du  royaume. 

i .  «  Scachez  que  le  pape,  voyant  le  remuement  de  mesnage  qui  se.  faisoU 
»  entre  nous,  a  envoyé  M.  le  cardinal  de  Ferrare,  légat  en  France,  avec  très 
»  amples  facullez!...  Aussi  avons-nous  pardeça  le  seigneur  de  Chantonnay. 
»  Cestuy  ambassadeur  du  roy  Philippe  est,  ainsi  que  l'on  dict,  gaigné  par  quel- 
»  ques  grands  princes  des  iiostres,  ausquels  ne  plaisoit  ceste  diversité  de  reli- 
»  gion.  Luy,  suivant   la  capitulation  prise  entre  eux,  se  transporte  trois  ou 

>  quatre  fois  en  habillement  desguisé  pardevers  le  roy  de  Navarre,  l'asseurant 
»  de  la  part  de  son  maislre  que  là  où  il  voudroit  prendre  la  protection 
»  de  l'Église  romaine,  il  luy  rendroit  son  royaume  de  Navarre,  ou  bien  l'équi- 
»  valent  en  assiette  de  pays  souverains,  aussi  riches  et  plantureux.  Ceste 
»  tresme  commençant  d'estre  tissue,  le  légat  se  met  aussi  de  la  partie,  luy 

>  promettant  de  la  part  du  Saint-Siège  le  comté  de  Venisse,  et  encores  luy 
»  raoyenner  envers  le  roy  catholic  le  pays  de  Sardaigne,  que  le  pape  érigeroit 
»  en  royaume,  là  et  au  cas  qu'il  ne  luy  voulust  rendre  le  pays  navarrois.  » 
(Est.  Pasquier,  liv.  iv,  lettre  14.) 

2.  «  Le  roy  de  Navarre,  bien  qu'il  ne  tienne  aujourd'huy  le  gouvernement 
»  que  par  la  faction  de  ceux  de  la  religion,  si  semble-t-il  avoir  tourné  sa  robe 

>  et  favoriser  l'ancienne  religion.  »  (Est.  Pasquier,  liv.  iv,  lettre  13.)  — 
«  Things  are  come  to  a  strange  issue.  The  cardinal  of  Ferrara  bas  assured  to 

>  his  dévotion  the  king  of  Navarre,  the  consJable,  marshal  S.  André,  the  car- 
■»  dinal  of  Tournon,  and  olhers,  inclined  to  retain  the  Romish  religion;  ail  of 
î  whom  are  bent  to  repress  the  protestant  religion  in  France,  and  to  find  means 
»  either  to  range  the  queen  of  Navarre,  the  prince  and  princess  of  Condé,  the 

>  admirai,  and  ail  others  who  favour  that  religion,  or  to  expel  them  from  the 


—  10  — 

Dans  l'espoir  de  rendre  cette  autorité  capable  de  contre-ba- 
lancer,  si  ce  n'est  même  d'infirmer  celle  de  la  régente,  qui  con- 
tinuait, au  moins  extérieurement,  à  protéger  les  réformés  ^  ,  il 
s'attacha  à  priver  cette  princesse  de  fassistance  éclairée  que  lui 
prêtait  Jeanne  d'Albret  et  à  l'isoler  de  celui  de  ses  conseillers  dont 
l'appui  lui  était  le  plus  nécessaire,  en  d'autres  termes,  de  Goligny. 
Pour  complaire  à  Philippe  II  et  à  ses  adhérents,  Antoine  de 
Bourbon  ne  pouvait  rien  faire  de  mieux  que  de  se  poser  en 
ennemi  déclaré  d'hérétiques  endurcis  tels  que  Jeanne  et  l'ami- 
ral ^ .  Aussi  s'assouplit-il  vis-à-vis  d'eux  aux  exigences  d'un 
double  antagonisme  par  lequel  il  déshonora  simultanément  sa 
vie  privée  et  sa  vie  publique. 

D'une  part,  en  effet,  il  n'y  eut  sortes  de  tortures  morales  que 
la  reine  de  Navarre,  si  fermement  chrétienne  et  si  française  de 
cœur,  ne  dût  subir  au  foyer  domestique  de  la  part  de  son  in- 
digne époux,  devenu  l'esclave  de  honteuses  passions  et  le  triste 
jouet  des  Guise,  ainsi  que  des  cours  pontificale  et  espagnole. 
Vainement  le  prince  et  la  princesse  de  Gondé,  témoins  des 
angoisses  de  leur  infortunée  belle- sœur,  s'efforcèrent-ils  de  ra- 
mener Antoine  au  sentiment  de  ses  devoirs  conjugaux  et  pater- 
nels :  sourd  à  leurs  exhortations,  cet  homme  inconsistant  et 


»  court  witli  ail  the  ministers  and  preachers.  »  Throckmorton  to  the  queen. 
16  février  1562  {Calend.  of  State  pap.  foreign). 

1.  Coligny  se  portait  garant  des  bonnes  intentions  de  Catherine,  en  s'atta- 
chant  à  dissiper  les  doutes  que  l'ambassadeur  d'Angleterre  avait  conçus.  — 
«  Throckmorton  asked  what  proof  the  queen  could  hâve  that  the  queeu  mother 
3>  was  speaking  sincerely,  seing  that  she  and  the  king  of  Navarre  were  but  to 
»  advancepapistryand  overthrow  the  protestant  rehgion...  the  admirai  answere'd 
T>  that  he  supposed  the  king  of  Navarre  hoped  to  compound  with  the  king  of 

>  Spain   for  his  kingdom  of  Navarre;  but  he  assured   him  that    the   queen 

>  mother  was  well  inclined  to  advance  the  true  religion,  although  sheis  forced 
3)  to  show  a  good  face  to  the  adversary.  »  (Throckmorton  to  the  queen,  6  mars 
1562  {Caland.  of  State  pap.  foreign). 

2.  «  The  king  of  Navarre  persists  in  the  bouse  of  Châtillon  retiring  from  the 
ï  court,  and  it  is  believed  the  queen  of  Navarre  and  Ihey  will  not  tarry  longthere.» 
Throckmorton  to  the  queen-,  16  février  1562  (Ca/ewrf.  of  State  pap.  foreign). 


—  1 1  — 

déprimé,  qui  naguère  s'érigeait  en  protecteur  de  la  religion 
réformée  et  qui  maintenant  se  tournait  contre  elle  * ,  s'obstina 
à  froisser  sa  noble  femme  dans  les  plus  chers  intérêts  de  son 
âme,  dans  ses  plus  vives  affections,  et  prétendit  lui  arracher, 
avecla  liberté  d'exercice  du  culte  auquel  elle  demeurait  fidèle, 
la  direction  religieuse  de  son  fds  -  .  Trop  fière  pour  plier,  un  seul 
instant,  sous  le  joug  d'une  oppression  brutale,  Jeanne  se  dé- 
gagea résolument  des  étreintes  de  l'épreuve^  :  abandonnant 
Antoine  aux  conséquences  de  sa  lâche  défection,  elle  se  retira, 
tête  levée,  et  prit  le  chemin  de  ses  États. 

Affranchi  de  la  présence  de  sa  femme  à  la  cour  de  France, 
l'ingrat  Antoine*  travailla,  d'une  autre  part,  à  en  éliminer 
Coligny,  et  pour  atteindre  son  but  il  n'eut  pas  honte  de  s'en- 
gager dans  une  voie  perfidement  frayée  par  Philippe  II. 

Ce  monarque,  espérant  discréditer  l'amiral  dans  l'esprit  de 
Catherine  de  Médicis,  l'avait  représenté  comme  cherchant  à  se 
venger  du  traitement  rigoureux  qu'il  avait  subi  durant  sa  cap- 
tivité à  l'Écluse  et  à  Gand  en  favorisant  des  déprédations  com- 
mises sur  mer  au  préjudice  des  Espagnols,  et  comme  s'appli- 
quant,  dans  l'égarement  d'une  animosité  personnelle,  à  brouiller 
entre  elles  les  cours  d'Espagne  et  de  France. 

Fort  de  sa  conscience,  Coligny  pressa  S.  de  l'Aubespine,  am- 
bassadeur de  France  à  Madrid,  de  repousser  les  odieuses  im- 
putations dont  il  était  l'objet.  Le-5  janvier  1562,  il  lui  écrivit^  : 

1.  N.  de  Bdrdeuave,  Hist.  de  Béarn  et  Navarre,  1873,  in-8,  p.  i09,  — 
Mém.  de  Condé,  t.  III,  p.  190. 

2.  Bèze,  Hist.  ceci,  p.  688,  689.  —  Throckinorton  to  Cecil,  14  mars  1562 
(Calend.  of  State  pap.  foreign), 

3.  «  Uxorem  tibi  affirmo  duplô  forliorem  esse,  quàra  unquàm  antea.  » 
(Beza  Calvino,  26  février  1562,  ap.  Bauni,  app.  p.  165.) 

i.  «  Miser  ille  jàm  prorsus  est  perditus  et  orania  secîmi  perdere  constituit  : 
ï  uxorem  amandat,  Posidonium  (Coligny)  cui  omnia  débet,  vix  intueri  sustinet.  » 
(Beza  Calvino,  1*''  février  1562,  ap.  Baum,  app.  p.  161).  —  Voy.  aussi  :  litt. 
Bezae  ad  Turicenses  et  Bernâtes,  12  avril  1562,  ap.  Baum,  app.  p.  178. 

5.  Bibl.  nat.,  mss.  f.  fr.,  vol.  6620,  f»  120. 


y>  Pour  ce  que  par  delà  on  faict  de  grandes  plaintes  à  cause  des 
»  déprédations  qui  se  commectent  par  la  mer,  et  que  quand  à 
))  celles  qui  ont  esté  commises  par  ceulx  de  ce  royaulme,  je 
))  pense  que,  à  la  court  du  roy  d'Espagne,  on  voulust  présumer 
))  qu'il  y  a  de  la  connivence  ou  dissimulation  de  mon  costé, 
))j'ay  faict  dresser  un  mémoire  du  moyen  que  j'entends  de  tenir 
»  pour  obvier  à  telles  déprédations  de  nostre  costé,  et  l'ay  com- 
))  muniqué  à  la  royne  et  au  roy  de  Navarre,  vous  asseurant  que 
y>  l'on  me  feroit  grand  tort  par  delà  de  m'estimer  homme  de 
))  vengeance  et  qui  se  voulust  ressentir  des  choses  qui  m'ont 
))  esté  faictes  durant  le  temps  de  la  guère,  car  je  n'eus  oncques 
»  telles  pensées.  » 

De  son  côté,  Catherine,  voulant  que  justice  fiit  rendue  à  l'ami- 
ral au  delà  des  Pyrénées,  tint,  dès  le  6  janvier,  ce  langage  à 
S.  de  l'Aubespine  *  :  «...  L'autre  point  est  touchant  l'opinion  en 
D  quoyj'ay  entendu  qu'est  entré  le  roy  mon  beau  filz  de  M.  l'ad- 
))  mirai,  lequel  il  estime  faire  tout  ce  qu'il  peult,  tant  du  faict 
»  de  la  navigation  que  aultrement,  pour  la  diminution  de  nostre 
»  commune  amytié,  et  pour  mectre,  malgré  que  nous  en  ayons, 
j)  à  la  guerre.  Sur  quoy,  je  vous  prie,  mons.  de  Lymoges,  parti- 
»  culièrement  de  ma  part  luy  faire  entendre  que  le  dit  S'  admi- 
))  rai,  pour  lui  faire  cognoistre  combien  ceste  impression  est 
))  hors  de  toute  raison,  a  faict  dresser  ung  mémoire  de  la  façon 
))  qu'il  luy  semble  qu'il  se  fault  conduyre  au  faict  de  la  naviga- 
y>  tion,  pour  la  conservation  du  commerce,  à  la  liberté  et  trafic 
))  des  subjectz  du  roy  mon  filz  et  du  roy  mon  beau-fds,  lequel 
-ù  estant  veu  par  luy,  j'estime  luy  debvra  satisfaire,  et  oultre 
))  cela  estant  l'amytié  et  bonne  intelligence  telle  qu'elle  est 
))  entre  nous,  a  tant  de  volonté  de  luy  faire  service  qu'il  se  peult 
»  asseurer  n'y  avoir  une  seule  personne  de  deçà  qui  en  une 
))  bonne  occasion  lui  en  fait  meilleure  preuve.  Et  pour  ceste 

1   Bibl.  nat.,  rass.  f.  fr.,  vol.  6620,  f»  i'iS. 


-  13  — 

»  raison  je  le  prie  de  oster  caste  mauvaise  opinion  et  croyreque 
y>  tant  s'en  fault  que  cela  soyt  vray,  qu'il  doibt  croyre  avecques 
))  vérité  qu'il  faict  tout  ce  qu'il  peult  pour  nous  maintenir  et 
»  entretenir  en  ceste  bonne  intelligence,  comme  il  cognoistra 
»  par  ses  effets,  ce  que  vous  luy  monstrerez  vifvement  affm  qu'il 
y>  ne  demeure  en  ceste  oppinion  où  j'aurais  regret  de  le  veoir, 
y>  pour  l'amytié  que  je  porte  au  dit  S""  admirai  et  la  cognoissance 
y>  que  j'ay  du  contraire  pour  le  zèle  qu'il  a  au  "bien  du  service 
»  du  roy  mon  fils  et  à  la  tranquillité  de  ce  royaulme,  dont  vous 
y>  me  manderez  des  nouvelles  par  la  première  dépêche.  » 

La  double  protestation  de  l'amiral  et  de  Catherine  n'eut 
d'autre  effet  que  de  pousser  Philippe  II  et  Antoine  de  Bourbon 
à  conclure  entre  eux  un  pacte  aux  termes  duquel  Ghantonnay, 
ambassadeur  d'Espagne  en  France,  demanderait  au  nom  de 
son  maître  que  Goligny  fût  expulsé  de  la  cour,  et  Antoine,  au 
nom  du  parti  catholique,  appuierait  en  séance  du  conseil  la 
demande  d'expulsion^  . 

Informée  de  l'existence  de  ce  pacte  par  le  vigilant  de  l'Au- 
bespine,  la  régente  en  conçut  une  vive  indignation  :  elle  se 
montra  prête  à  repousser  par  un  refus  dédaigneux  la  solhcita- 
tion  que  Ghantonnay  oserait  formuler  et  à  rompre  avec  An- 
toine. 

Loin  de  chercher  à  tirer  parti,  ainsi  que  cela  lui  eût  été 
facile,  des  dispositions  dans  lesquelles  il  voyait  Catherine,  Goli- 
gny n'eut  d'autre  pensée  que  de  la  délivrer  de  ses  perplexités. 

Il  lui  annonça  qu'il  était  prêt  à  prévenir  par  une  retraite 
volontaire  toute  démarche  tendant  à  obtenir  qu'il  fût  banni  de 
la  cour.  Acceptant  l'offre  de  son  fidèle  conseiller,  dont  l'abné- 
gation la  sauvait  d'une  situation  difficile,  Catherine  lui  accorda, 

1.  «  The  king  of  Navarre  being  against  tlie  admirai  and  house  is  one  of  Ihe 
j  causes  why  tlie  admirai  and  d'Andelot  retire  from  Ihe  court.  Another  cause 
»  proceeds  fromthc  kingof  Spain.  »  (Throckmorton  to  Ihe  queen,  6  mars  15G2 
(Calend.  of  State  pap.  foreign). 


—  u  — 
avec  les  ménagements  d'une  faveur  ostensible*  ,1a  permission 
de  se  retirer  momentanément  à  Châtillon-sur-Loing,  afin  qu'il 
pût,  disait-elle,  vaquer  à  ses  affaires  domestiques;  mais  ce  ne 
fut  pas  sans  lui  avoir  formellement  déclaré  «  qu'elle  le  con- 
»  noissoit  tant  fidèle  serviteur  du  roy  et  tant  affectionné  aussi 
»  envers  sa  majesté,  que,  si  le  besoin  l'y  rappeloit,  il  ne  seroit 
»  paresseux  à  employer  tous  ses  moyens  pour  la  garantir  de  la 
»  conspiration  des  Guise  -   ». 

A  peine,  dans  les  derniers  jours  de  février,  l'amiral,  pour  se 
rendre  à  son  château,  quittait-il  celui  de  Saint-Germain  par 
une  porte,  que  Ghantonnay  y  entra  par  une  autre  et  y  reçut 
de  Catherine  le  sévère  accueil  qu'il  méritait^ . 

Le  18  de  ce  même  mois  de  février,  partit  du  Havre,  en  exé- 
cution d'ordres  émanés  de  l'amiral  de  France,  une  expédition 
maritime  organisée  par  ses  soins.  Elle  était  destinée  à  la  fon- 
dation d'une  colonie  française  au  sein  d'une  contrée  de  l'A- 
mérique du  nord,  la  Floride,  que  depuis  quelque  tennps  les 
Espagnols  avaient  été  contraints  d'abandonner,  à  la  suite  d'ef- 
froyables excès  dont  les  indigènes  avaient  tiré  vengeance.  Un 
marin  expérimenté  et  énergique,  appartenant  à  la  religion  ré- 
formée, Jean  Ribaut,  avait  été  choisi  par  Goligny  pour  diriger 
cette  expédition.  Il  emmenait  avec  lui  sur  sa  flottille  des  gentils- 
hommes, des  soldats,  des  ouvriers  qui  presque  tous  étaient  ses 
coreligionnaires.  L'insuccès  d'une  première  tentative  de  colo- 

1.  «  In  Posidonio  (Coligny)  et  altero  ejus  fratre  (d'Andelot)  nihil  est  quod 
>  requiras.  Uterque  cessit  iilius  insani  (Ant.  de  Bourbon)  furoribus,  sed  certo 
»  consilio  quod  nobis  utile  fore  spero,  quàmvis  maluissem  ad  extremuminvictos 
»  sese  opponere.  Sed  aliter  judicant  faciendum  fuisse,  quibus  arcana  ista 
»  notiora  sunt,  quàm  mihi.  Hoc  quidem  scio,  et  régi  et  reginae  gratissimos 
»  discessisse...  tertius  frater  (Odet)  in  aulâ  remansit,  homo ,  si  quisquaai  in 
»  eo  ordine  alius,  plané  integer  :  adeo  effusa  est  Dei  benedictio  in  totam  illam 
»  familiam.  »  (Beza  Galvino,  26  février  1562,  ap.  Baum,  app.  p.  165). 

2.  Bèze,  Hist.  eccL,  t.  Il,  p.  115.  —  Mém.  de  Condé,  t.  III,  p.  587. 

3.  Voy.  une  longue  dépêche  de  Ghantonnay  au  conseiller  Tisnacq,  du  23  fé- 
vrier 1562  {Mém.  de  Condé,  t.  II,  p.  22  à  27). 


—  15  — 

nisation  au  Brésil,  en  1555  et  1556,  n'avait  pas  découragé 
Famiral  :  il  poursuivait,  au  contraire,  en  1562,  avec  une  vigueur 
nouvelle  son  projet  d'assurer  une  possession  coloniale  impor- 
tante à  la  France  et  un  refuge  aux  victimes  des  persécutions  reli- 
gieuses qui  pourraient  renaître. 

Nous  reviendrons  plus  loin  sur  le  sort  des  deux  expéditions 
de  1555-1556  et  de  1562. 

Au  moment  où  Coligny  faisait  preuve  d'abnégation  par  sa 
retraite  et  acte  de  patriotisme  par  l'envoi  de  Ribaut  en  Amé- 
rique, deux  des  Guise,  sans  souci  des  intérêts  supérieurs  de  la 
France,  sans  respect  pour  là  royauté,  n'écoutant  que  leur  am- 
bition insatiable,  et  tenant  désormais  à  leur  dévotioji  le  conné- 
table, le  cardinal  de  Tournon,  le  maréchal  de  Saint-André  et  An- 
toine de  Bourbon* ,  aspiraient  plus  que  jamais  à  écraser  la 
réforme  et  à  élever  sur  ses  ruines  leur  omnipotence  dans  le 
royaume.  Pour  atteindre  leur  but,  ils  s'étaient  proposé  en  der- 
nier lieu  d'affaiblir  les  réformés  français,  d'un  côté,  en  incitant 
contre  l'édit  de  janvier  les  parlements,  le  clergé,  les  fonction- 
naires de  tout  rang,  le  peuple,  et,  d'un  autre  côté,  en  privant  ces 
mêmes  réformés  de  l'appui  de  leurs  coreligionnaires  à  l'étran- 
ger. Laissant  à  d'autres,  pour  le  moment  du  moins,  la  charge 
d'attaquer  l'édit,  charge  qui  ne  fut  que  trop  ardemment  rem- 
plie, François  et  Charles  de  Lorraine  s'étaient  réservé  le  soin 
de  peser  personnellement  sur  les  princes  luthériens  de  l'Alle- 
magne. 

Alors  se  consomma,  au  delà  de  la  frontière  française,  les  15, 
16, 17  et  18  février  1562,  l'exécution  d'un  plan  dont  la  con- 


i.  «  Cette  amitié  et  confédéralioa  de  ceux  de  Guise,  du  connestable  et  ma- 

>  reschal  de  Saint-André  avec  le  roy  de  ^avalTe,  fut  si  sagement  conduite, 
î  qu'en  peu  de  jours  ils  ne  furent  tous  qu'une  même  chose.  Et  quelques-uns 
»  pour  lors  eurent  opinioa  qu'ils  eussent  bien  voulu  que  la  reine  mère  du  roy 
»  n'eust  pas  eu  le  gouvernement,  laquelle  néanmoins  l'a  tousjours  prudemment 

>  conservé.  »  Castelnau,  Mém.,  liv.  m,  ch.  vi. 


—  10  — 

ception,  qui  remontait  à  plusieurs  mois,  était  le  fruit  d'une  in- 
signe astuce  et  de  la  pire  des  hypocrisies,  l'hypocrisie  religieuse. 

Les  faits,  à  cet  égard,  parlent  d'eux-mêmes. 

Mécontents  de  l'influence  que  Goligny,  par  ses  sages  conseils, 
exerce  sur  l'esprit  de  Catherine  de  Médicis  et  de  l'intention 
que  cette  princesse  manifeste  d'accorder  aux  réformés  l'exercice 
public  de  leur  culte,  François  et  Charles  de  Lorraine,  de  con- 
cert avec  le  connétable,  ont  quitté  la  cour  en  novembre  1561  et 
se  sont  retirés,  l'un  àNanteuil  et  à  Joinville,  l'autre  à  Reims*  . 
Ils  n'y  demeurent  point  inactifs;  car,  par  leurs  lettres  et  par 
leurs  émissaires,  lancés  dans  des  directions  diverses,  ils  entre- 
tiennent des  intelligences  avec  les  ennemis  intérieurs  et  exté- 
rieurs de  la  réforme  française,  dont  ils  attisent  les  haines.  Sou- 
ples dans  leur  tactique,  ils  ont  soin  en  même  temps  de 
rompre,  pour  la  forme,  avec  leurs  habitudes  altières  et  de 
faire  preuve  d'obséquiosité,  là  où  ils  espèrent  que  cela  pourra 
leur  être  profitable.  C'est  ainsi  que  le  duc  de  Guise,  tant  en  son 
nom  qu'en  celui  du  cardinal  de  Lorraine,  son  frère,  ravive 
une  correspondance  qu'il  a  entamée,  au  mois  de  juillet  précé- 
dent, avec  Christophe,  duc  de  Wurtemberg.  Exploiter  la  diver- 


1.  Voici  ce  que,  concernant  Reims,  le  cardinal  de  l.orraine  écrivit  au  cardi- 
nal de  Tournon,  au  connétable  et  au  niaréclial  de  Saint-André,  la  veilJe  inAine 
du  jour  où  fut  signé  l'édit  de  janvier  :  «  Messieurs,  je  fais  mon  compte  repreu- 
»  dre  mon  clieniin  à  Reims,  y  passer  ce  caresme  et  faire  le  peu  de  debvoir 
»  que  je  pourray  à  enseigner  mes  parrochiens,  et  pour  ce  que  me  seroit  un 
»  grand  regret,  ayant  laissé  ma  ville  bien  entière,  d'y  trouver  à  mon  retour 
ï  chose  qui  peusteslre  cause  d'y  engendrer  trouble  et  sédition, comme  il  pour- 
>  roit  advenir  sy,  en  mon  absence,  ou  tandis  que  j'y  seray,  il  y  esloit  introduit 
»  quelque  prédicant...,  je  me  suys  advisé,  pour  obvier  à  tel  inconvénient..., 
»  vous  en  escripre  et  prier,  messieurs,  autant  aOTectueusement  qu'il  m'est  pos- 
»  sible,  faire  que  je  puisse  obtenir  (une  lettre  de  cachet),  ou  autre  provision, 
»  pour  empescher  que  aucun  des  prédicanls  entrepreigne  de  se  venir  mesler 
j»  parmy  ceulx  qui  sont  soubz  ma  charge,...  car  il  n'y  a  chose  en  ce  monde 
»  dont  je  me  sentisse  plus  offensé  que  de  voir  en  ma  ville  qu'il  y  eust  prédi- 
»  cant  et  que  je  n'osasse  prendre  l'auctorité  de  le  chasser  ou  faire  chasticr.  » 
(Lettre  du  16  janvier  1562,  Ribl.  nat.,  mss.  f.fr.,  vol.  3197,  T  7.) 


—  17  — 

gence  de  vues  des  luthériens  et  des  calvinistes  sur  la  ques- 
tion sacramentaire,  comme  devant  porter  Christophe   et  les 
princes  allemands,  ses  coreligionnaires,  à  retirer  leur  sympa- 
thie et  leur  appui  aux  réformés  français  :  tel  a  été  le  but  de; 
cette  correspondance,  dès  son  origine,  et  tel  il  est  encore. 

Le  2  juillet  1561,  François  de  Lorraine  est  entré  en  matière 
par  ces  paroles  significatives,  visant  les  sectateurs  de  la  ré- 
forme en  France^  :  «  Tels  séditieux  ne  font  non  plus  de  cas 
»  de  vostre  confession  et  forme  d'église,  que  de  celle  du  pape.  » 

En  lui  répondant  le  25  du  même  mois,^ ,  Christophe  le  pré- 
munit contre  les  abus  du  clergé,  l'exhorte  à  étudier  la  sainte 
Écriture  et  ajoute  :  «  Je  vous  envoie  aucuns  exemplaires,* en  La- 
»  tin  et  François,  de  ma  confession,  qui  est  un  vrai  compen- 
»  dium  de  la  confession  d'Augsbourg.  » 

Le  19  octobre,  François  de  Lorraine  écrit^  :  «  J'ay  fait  voir 
))  par  personnes  d'estime  et  bien  renommez  ce  que  vous  m'avez 
»  envoyé  de  vostre  confession,  conforme  à  celle  d'Augsbourg, 
»  mesme  en  ce  qui  touche  le  Saint-Sacrement;  ce  qui  a  esté 
))  fort  bien  vu  par  les  catholiques  de  ce  royaume.  » 

En  novembre,  des  lettres  de  François  sont  apportées  par  l'un  de 
ses  agents,  Rascalon*,  à  Christophe,  qui  accueille  cette  nouvelle 
communication  en  déclarant^  «  que  ce  luy  a  esté  une  grande 
»  joye  d'avoir  entendu  par  là,  qu'en  matière  de  la  foy,  le  duc  de 
y>  Guise  ne  désire  autre  chose  plus  que  sa  conscience  soit  bien 
»  instruite...  — Quant  au  fect  de  la  religion,  dit-il,  le  désir  que 
»  vous  avez  d'y  estre  instruict  pour  pourvoir  à  vostre  conscience, 
»  nonobstant  la  nourriture  et  institution  que  vous  avez  prise  dès 
y>  vos  jeunesses,  m'a  esté  fort  joyeux  d'entendre.  Je  ne  sçay, 
))  de  ma  part,  autre  moyen  plus  commode  d'appaiser  vostre 

1.  Stuttgart,  Slaats.  Archiv.  Frankreich,  cap.  16;  a.  no  76. 

2.  Jd.,  ibid.,  no82,  6. 

3.  Id.,  ibid.,  n»  2. 

i.  Id.,  ibid.,  n°  2,  A. 
5.  Id.,  ibid.,  n»  4,  A. 

II.  5 


—  18  — 
»  -dicte  conscience  devant  Dieu,  sinon  que  vous  ne  vous  abusiez 
»  k  ceste  longueur  et  prescription  du  temps  et  coustumes  les- 
»  quelles,  en  matière  de  salut  éternel,  ne  peuvent  avoir  un  bon 
»  lieu.  )) 

Le  30  décembre,  le  duc  de  Guise  remercie  le  duc  de  Wurtem- 
berg d'une  lettre  et  de  deux  livres  que  celui-ci  lui  a  envoyés  par 
Rascalon  et  lui  dit^  :  «  Groiez  hardiment  que  je  prétendz  et 
))  faiclz  tout  ce  qu'il  est  possible  et  que  doibt  ung  prince 
))  homme  de  bien,  pour  cognoistre  Dieu  et  essaier  de  tenir  le 
»  chemin  qu'il  nous  commande,  comme  je  croy  que  vous  et 
i)  ung  chacun  aussi  faict  de  son  cosfcé,  le  suppliant  qu'il  luy 
»  plaise  faire  que  toutes  nosactions  soient  à  son  honneur  et  gloire 

»  et  à  notre  salut Je  me  délibère,  suivant  ce  que  nous  dési- 

»  rons,  de  vous  voir,  le  dernier  jour  du  mois  prochain,  en  la  ville 
»  de  Saverne,  si  vous  le  trouvez  bon  et  que  ce  soit  vostre  com- 
;)  modité,  ainsi  que  j'ay  chargé  ledict  Rascalon  vous  dire  de 
»  ma  part,  n'y  ayant  aujourd'hui  prince  ne  parent  que  plus  je 
))  désire  veoir  que  vous  et  auquel  je  vouldroisplus  fere  plaisir  et 
■)  service.  » 

Ghristophe  accepte  la  proposition  d'une  entrevue.  Au  désir 
que  le  cardinal  de  Lorraine  a  exprimé  d'y  assister,  il  répond  par 
ces  bienveillantes  paroles^  :  «  Votre  serviteur  Rascalon  m'a 
))  déclaré  que  M.  le  cardinal  de  Lorraine,  vostre  frère,  désiroit 
»  bien  parler  à  moy;  sur  quoy  je  luy  ay  respondu  que  je  serois 
»  fort  joyeulx  de  le  veoir  et  parler  avecques  luy,  vous  priant 
»  bien  affectueusement  de  l'amener  avec  vous,  afin  que  nous 
))  nous  voyons  et  puissions  converser  par  ensemble.  » 

Quelques  lignes,  relatives  à  la  détermination  précise  de  l'é- 
poque-à  laquelle  on  se  rencontrera,  sont  encore  échangées  entre 
les  ducs  de  Wurtembercr  et  de  Guise  ^ . 


'» 


1.  Stuttgart.  Staats.  Arohiv.  Frankreich,  cap.  16,  n»  9.  A. 

2.  kl.,  ibid.,  n»  11. 

3.  1(1.,  ibid.,  n"  25, 


—  19  — 

Enfin,  les  15,  46,  17  et  18  février  1565,  a  lieu,  à  Saverne, 
une  entrevue  dans  laquelle  les  deux  frères,  en  habiles  comédiens, 
jouent,  vis-à-vis  du  loyal  et  trop  confiant  Christophe,  le  rôle  de 
personnages  débonnaires,  animés  d'un  esprit  de  tolérance  et  de 
conciliation,  faisant  bon  marché  de  certaines  croyances  et  prati- 
ques propres  au  catholicisme, n'attachant  de  prix  qu'aux  grandes 
doctrines  évangéliques,  et  disposés  à  se  rallier  à  la  confession 
d'Augsbourg.  C'est  bien  sous  cet  aspect  que,  sans  s'en  douter, 
le  duc  de  Wurtemberg,  dont  ils  ont  surpris  la  bonne  foi,  nous 
met  lui-même  à  portée  d'envisager  ses  deux  interlocuteurs, 
dans  une   fidèle  relation  des  conférences  de  Saverne  qu'il  a 
écrite  K  Parmi  les  détails  qu'elle  renferme,  il  en  est  uii  surtout 
qui  excite  l'indignation,  alors  qu'on  voit  les  deux  Lorrains  por- 
ter jusqu'aux  dernières  limites  l'audace  dans  le  mensonge-  . 
Écoutons  sur  ce  point  le  pieux  et  véridique  Christophe  : 
((  Je  dis  au  duc  de  Guise:  Puisque  nous  en  sommes  maintenant 
y)  à  nous  expliquer  l'un  avec  l'autre,  je  ne  puis  m'empescher  de 
»  vous  informer  que  vous  etvostre  frère  estes  hautement  soup- 
»  çonnés,  en  Allemagne,  d'avoir  contribué  à  faire  périr  après  le 
»  le  décès  de  Henri  II,  et  encore  de  son  vivant,  plusieurs  mil- 
y>  liers  de  personnes  qui  ont .  été  misérablement  livrées   à  la 
»  mort,  à  cause  de  leur  fol  Gomme  ami  et  comme  chrétien,  je 
y>  dois  vous  avertir  :  Gardez-vous  du  sang  innocent;  les  châti- 
3)  ments  de  Dieu  vous  atteindraient  dans  cette  \ie  et  dans  l'au- 
y>  tre.  Il  me  répondit  avec  de  grand  ssoupirs  :  Je  sais  bien  qu'on 
y>  nous  accuse  de  cela  et  d'autres  choses  encore  mon  frère  et 
»  moi,  mais  on  nous  fait  tort  ;  nous  vous  l'expliquerons  tous  deux 
3)  avant  votre  départ.  —  Plus  tard,  le  cardinal  me  dit,  en  pré- 
D  sence  du  duc  de  Guise  :  Vous  avez  informé  mou  frère,  qu'en 

1.  Voy.  le  texte  de  cette  relation  à  l'Appendice,  n°  7. 

±  Calvinus  Sturmio,  25  mars  1562  (op.  Cal?ini,  t.  19,  p.  359,  n"  3  loi)  :  «  Si 
>  (juidnuperTabernis  siriiularunt  istae  furicC  (Guysiani),  quàm  vanae  et  tallaces 
D  essent  eorum  blaiidiliae,  detexit  quod  mox  subscquutum  est  facinus.  > 


—  20  - 

y)  Allemagne  on  nous  soupçonne  tous  deux  d'avoir  contribué  à 
»  faire  mourir  un  grand  nombre  de  chrétiens  innocens,  sous  les 
y>  règnes  de  Henri  et  de  François  II  :  eh  bien!  je  vouslejure  au 
»  nom  de  Dieu,  mon  créateur  et  en  y  engageant  le  salut  de  mon 
))  âme,  je  ne  suis  coupable  de  la  mort  d'aucun  homme  condamné 

y>  pour  cause  de  religion Le  duc  de  Guise,  de  même,  avec 

))  de  grands  serments,  affirma  qu'il  était  innocent  de  la  mort  de 
))  ceux  qu'on  avoit  condamnés  pour  cause  de  leur  foi...  je  les 
))  conjurai  itôrativement  de  ne  pas  persécuter  les  pauvres  chré- 
y>  tiens  de  France  :  Dieu  ne  laisserait  pas  sans  châtiment,  dis-je, 
D  un  pareil  péché,  —  Ils  me  donnèrent  alors  la  main,  promet- 
-»  tant  sur  leur  foi  de  princes  et  sur  le  salut  de  leur  âme,  de  ne 
»  persécuter  ni  ouvertement  ni  en  secret  les  partisans  de  la 
y>  nouvelle  doctrine.  —  Nous  quittâmes  Saverne,  le  18  février, 
»  après-midi,  les  quatre  frères  de  la  maison  de  Guise*  et  moi. 
))  Avant  de  nous  séparer,  tous  les  quatre,  en  me  donnant  la 
))  main,  me  promirent  encore  une  fois  de  n'agir  ni  en  ennemis, 
»  ni  en  persécuteurs  envers  ceux  qui,  disaient-ils,  ont  adopté  la 
))  nouvelle  doctrine  et  quilté  le  papisme,  mais  de  contribuer 
3)  selon  leur  pouvoir  à  l'établissement  d'une  concorde  chré- 
»  tienne.  » 

Or  voici  de  quelle  manière  le  duc  de  Guise  entendit,  pour  sa 
part,  y  contribuer  immédiatement  :  ce  fut  d'abord,  à  son  retour 
d'Alsace  en  Lorraine,  en  faisant  pendre  un  pauvre  artisan  au- 
quel il  n'imputait  d'autre  crime  que  celui  d'avoir  fait  baptiser 
son  enfant  à  la  mode  de  Genève'^;  ce  fut,  de  plus,  en  adressant 
les  instructions  suivantes  à  Lamothe-Gondrin,  son  lieutenant 


1.  Le  cardinal  de  Guise  et  le  grand-prieur,  de  même  que  leurs  frères,  le 
duc  de  Guise  et  le  cardinal  de  Lorraine,  s'étaient  rendus  à  Saverne. 

2.  «  Retournant  le  duc  de  Guyse  au  moys  de  febvrier  des  frontières  d'AUe- 
»  maigne,  par  soii  moyen  et  sa  poursuite,  un  espinglier  du  bourg  de  Saint-Ni- 
»  colas,  en  Lorraine,  fut  pendu  et  estranglé  à  une  potence,  près  la  halle  dudit 
ï  lieu,  pour  avoir  faict  baptiser  son  enfant  en  la  forme  et  manière  qui  se  fait 
■»  es  églises  réformées.  »  {Mém.  de  Condé,  t.  III,  p.  132-li]3.) 


—  si- 
en Dauphiné,  qui  venait  de  soulever  l'indignation  des  réformés 
de  Romans  en  les  troublant  dans  l'exercice  de  leur  culte  : 
c  Je  pense  que,  s'il  se  fait  par  delà  quelque  assemblée  notable 
y>  et  où  il  y  ait  beaucoup  de  gens,  il  sera  bon  de  se  saisir  du 
y>  ministre  et  le  faire  tout  soudain  pendre  et  estrangler,  comme 
y>  auteur  des  séditions  et  tumultes  dont  on  a  usé  à  rencontre  de 
»  vous....,  estimant  que  par  ce  moyen  les  autres  se  voudront 
»  garder  de  mesprendre,  et  que  cela  réprimera  à  plusieurs  leur 
»  folie.  Vous  me  ferés  plaisir  de  n'espargner  en  cela  chose  que 
»  vous  puissiés,  car  je  ne  pense  point  qu'on  en  puisse  autre- 
ir  ment  venir  à  bout.  —  P.  S.  Vous  estes  homme  de  guerre;  il 
y>  vous  faut  attraper  le  dit  prédicant,  quand  ils  sont  peu  accom- 
y>  pagnes,  hors  leurs  presches,  ou  en  autres  lieux,  comme  ver- 
»  rés  à  propos,  et  soudain,  le  billot  au  pied,  le  faire  pendre  parle 
i>  prévost  comme  séditieux,  contrevenant  aux  édits  du  roy*...  » 
Tel  fut,  de  la  part  du  duc  de  Guise,  à  la  date  du  28  février,  le 
prologue  d'un  drame  sanglant  qui,  le  lendemain  1"  mars,  se 
déroula  à  Vassy,  localité  voisine  de  Dammartin-le-Franc,où  il 
venait  de  tracer  ses  instructions  à  Lamothe-Gondrin;  drame 
dont  les  effroyables  scènes  arrachèrent  au  duc  de  Wurtemberg, 
désormais  désabusé  sur  le  caractère  des  Guises,  cette  doulou- 
reuse exclamation  :  «  Hélas!  on  voit  maintenant  comment  ils 
y>  ont  tenu  leurs  promesses!!  Deus  sit  ultor  doli  et  perjurii,  cu- 
i>jusnamque  res  agitur'^ ...  » 

\.  Bèze,  Hist.  eccl.,t.  III,  p.  250.  —  Le  ministre  Jean  de  Laplace  écrivit  de 
Valence  à  Calvin,  le  22  mars  1562  (op.  Calvini,  t.  19,  n»  3  751,  p.  353  à  35(3)  : 
«...  Le  nombre  des  fidèles  est  multiplié...  ce  qui  cause  ung  merveilleux  mal  de 
»  teste  à  nos  ennemis  et  surtout  àceluy  qui  nous  est  adversaire  juré  (Lamothe- 
»  Gondrin),  lequel,  de  grande  fureur,  s'efforce  d'intimider  les  uns  et  les  autres 
»  par  menaces,  se  vantant  qu'il  en  fera  pendre,  ayant  de  ce  faict  charge 
>  expresse,  comme  il  faict  apparoistre  par  lettres  que  celuy  duquel  il  despend 
»  entièrement  luy  a  envoyées  de  Ginville  (Joinville),  lesquelles  moy  mesme  ay 
»  veues  par  subtil  moyen.  Quoy  qu'il  en  soit,  il  machine  de  grandes  choses 
»  contre  l'église  de  Dieu.  » 

2.  Ces  quelques  mots,  écrits  de  la  main  même  du  duc  Christophe  de  Wur- 


52  

Quelques  mots  d'abord  sur  certaines  circonstances  par  les- 
quelles s'explique  la  présence  de  François  de  Lorraine  à  Dam- 
marlin-le-Franc,  le  ^8  février  1562. 

Dans  les  derniers  jours  de  ce  mois,  Paris,  foyer  principal  des 
intrigues  ourdies  contre  l'édit  de  janvier,  était  en  proie  depuis 
plusieurs  semaines  à  une  agitation  menaçante  peur  les  réfor- 
més et  pour  la  royauté  elle-même  \  Le  parlement  osant  tenir 
pour  non  avenues  les  lettres  de  jussion  qui  lui  avaient  été  suc- 
cessivement adressées,  il  s'agissait  d'imposer  un  terme  à  une 
résistance  dont  l'insolite  opiniâtreté  touchait  au  scandale  :  aussi, 
Catherine  crut-elle  devoir  conférer,  le  22  février  ^,  avec  les  mem- 
bres influents  de  cette  compagnie,  alors  plus  factieuse  que  grave. 
Elle  réussit  à  les  mettre  sur  la  voied'une  soumission  nécessaire; 
et  le  parlement  de  Paris,  abordant  enfin  cette  voie,  procéda  le 
6  mars  à  l'enregistrement  de  l'édit,  mais  en  se  retranchant  dans 
la  formule  suivante  :  «  Attendu  la  nécessité  urgente,  et  en  ob- 
y>  tempérant  à  la  volonté  du  roi,  sans  approbation  de  la  nouvelle 
»  religion;  le  tout,  par  manière  de  provision,  et  jusqu'à  ce 
»  qu'il  en  soit  autrement  ordonné  ^.  » 

Seul,  le  parlement  de  Dijon,  appuyé  par  le  duc  d'Aumale,  gou- 
verneur de  la  Bourgogne,  et  par  Tavannes,  son  lieutenant,  pro- 
longeait une  absurde  et  mesquine  résistance  *  dont  des  lettres 
de  jussion  eussent  assurément  triomphé,  sans  les  incompréhen- 
sibles tergiversations  qui  en  retardèrent  l'envoi  ^ 

A  l'issue  de  la  conférence  du  22  février,  Catherine,  voulant 

temberg,  se  trouvent  à  la  suite  de  sa  relation  des  conférences  tenues  à  Saverne 
du  15  au  18  février  1562. 

1.  Voy.  Appendice,  n"  8. 

2.  «  Abhinc  quatriduuin  regina  hùc  venit  utedicli  promulgationem  extorctue- 
»  ret.  »  (Reza  Calvino,  Luleliae,  26  februarii  1562,  ap.  Baum,  app.  p.  165.) 

3.  Mém.  de  Condé,  t.  III,  p.  92.  —  Fontanon,  Rec.  des  ord.,  t.  IV,  p.  271. 

A.  On  s'étonne  que  cette  résistance  ait  été,  de  nos  jours,  l'objet  d'un  pané- 
gyrique. (Voy.  VHist.  du  parlement  de  Bowgogne ,  i^diV  M,  de  Lacuisine. 
Dijon  et  Paris,  1857,  t.  I,  p.  283,  287,  288,  289,  290.) 

5.  Voy.  Appendice,  n°  9. 


\—  23  — 
soustraire  ses  enfante  et  elle-mêm«  au  danger  que  présentait,,  à 
Saint-Germain,  le  voisinage  de  la  capitale,  se  réfugia  avec  eux 
dans  sa  maison  de  Monceaux^  en  Brie.  Antoine  de  Bourbon 
avait  écrit  aux  Guises:  de  venir,, au  plus  tôt,  le  joindre  à  Paris, 
«  le  mieux  accompagnés  qu'ils  pourraient,  »  pour  faire  mettre.à 
néant  l'édit  de  jaavier  *.  Catherine  en  fut  informée,  et,  afin 
d'isoler  Antoine  des  adiiér.eiits  qu'il  comptait  au  sein  de  la  capi- 
tale, elle  le  décida  à  séjoui^ner  auprès  d'elle  et  du  jeune  roi, 
dans  sa  nouvelle  résidence.  En  même  temps  elle  enjoignit  aii 
duc  de  Guise  de  se  rendre  directement  de  son  château  de  Join- 
ville  à.  Monceaux,  «  sans  armes,  attendu  que  toUifc  estoit  en 
paix^..  François  de  Lorraine,  «  le  mieux  accompagné  qju'it  po«- 
y>  vait,  ne  faillit  de  se  mettre  en  chemin  3>  pour  Paris,  non  pour 
Monceaux,  et  «  arriva,,  le  dernier  jour  de  février,  au  village  de 
))  Dammartin-le-Franc,  dis-tant  de  Joinville  de  deux  lieueS:  et 
y>  demie  seulement,  et  de  la  ville  de  Vassy  d'une  lieue  et  demie  ^. 
Une  partie,  des  habitaots  de  Yassy  appartenait  à  la  religion 
réformée  et  avait  vivement  résisté  à  d'imprudentes  obsessions 
par  lesquelles  l'évêque  de  Châlons  tentait  de  la  ramener  au  ca- 
tholicisme. L'altière  et  intolérante  Antoinette  de  Bourbon,  mère 
des  Guises,,  s'indignait  de  l'existence  d'un  foyer  d'hérésie  dans  le 
voisinage  du  château  de  Joinville,  où  elle  résidait  habituelle- 
ment; aussi  pressart-elle  le  duc  son  fils  de  l'en  délivrer^  .  EUe 

1.  «  Le  duc  de  Guise,  après  la  confédération,  reçut  lettres  et  prières  du  roy 
î  de  Navarre  pour  s'avancer  d'aller  à  la  cour  avec  bonne  compagnie,  afin  de  se 
»  rendre  les  plus  forts  auprès  du  roy.  Ledit  duc  ayant  donc  pour  cel  effet 
»  adverly  ses  amis,  et  serviteurs,  et  donné  charge  au  comte  de  Rokendolf  de 
))  lever  quelques  cornettes  de  reistres,  partit  de  sa  maison  de  Joinville.  »  (Cas- 
telnau,  Mm.,.  liv.IIL,  cb.  VU).. —  tLe  roy  de  Navarre,  assisté  de  m""  le  conné- 

>  table  et  du  mareschal  de  Sniut-Aiidré,.  a  mandé  à  m""  de  Guyse,  qui  est  pour 
)  le  joiu'dhuy  à  JoinvilIe,^  pour  se  venir  joindre  avec  eux  et  faire  casser  tout 

>  ce  qui  s'estoit  faict,  au  préjudice  de  l'édit  du  mois  de  juillet..  >  (Est,  Pas- 
quier,  liv.  IV,.  lettre  14). 

2.  Bèze,  HiM.  eccL,  t.  ly  p.  T21. 

3.  «  Madame.  Anthoinettp  de  Bourbon,  mère  desdits  de  Guyse,  et  capitale 
«  ennemie  de  la  religion  réformée^  s'efforça  par  tous  moyens,  mesmes  depuis 


—  24  — 

obtint  de  lui  la  promesse  d'extirper  de  Vassy  les  réformés  et 
leur  culte  *  ;  promesse  doublement  coupable,  car  elle  avait  pour 
objet  direct  la  violation  flagrante  d'un  droit  régulièrement 
exercé  à  l'abri  de  l'édit  de  janvier,  et  elle  nécessitait,  comme 
mode  d'exécution,  l'emploi  de  la  force  matérielle. 

François  de  Lorraine,  alors  qu'il  s'agissait  d'assouvir  à  Vassy 
une  haine  de  la  réforme  aussi  invétérée  chez  lui  que  chez  sa 
mère,  n'était  pas  homme  à  reculer  devant  l'éventualité  d'une 
effusion  de  sang;  loin  de  là  :  il  l'envisageait  sans  trouble,  lui 
qui  naguères,  à  Amboise,  avait  prodigué  les  supplices;  qui  hier 
encore  venait  de  vouer  à  la  potence  un  ministre  de  l'évangile, 
en  Dauphiné,  avec  aussi  peu  de  scrupule  qu'auparavant  il  avait, 
en  Lorraine,  fait  pendre  un  père  de  famille  à  l'occasion  du  bap- 
têmede  son  enfant;  lui  enfin  qui,  à  quelques  heures  de  là,  allait, 
après  avoir  foulé  aux  pieds  l'édit  de  janvier,  s'écrier,  en  por- 
tant la  main  sur  la  garde  de  son  épée  :  «  Le  tranchant  de  celle- 
«  ci  coupera  bientôt  cet  édit  qu'on  croit  si  solidement  éta- 
»  bli^ .  )) 

Arrivé  à  Vassy,  le  duc  de  Guise  y  masse,  à  proximité  d'une 

»  rédict  de  janvier,  d'empescher  ce  qui  s'estoit  aussitôt  accreu,  faisant  expresse 
î  défense  à  tous  ses  sujets  d'aller  ni  venir  à  ces  assemblées,  ni  de  dire  ou  faire 
»  chose  contraire  à  l'église  romaine  :  intimidant  aussi  ceux  de  Vassy  en  leur 
»  alléguant  l'autorité  de  la  royne  d'Ecosse,  sa  petite-fille  et  dame  douairière  de 
ï  Vassy,  et  finalement  les  menaçant  du  duc  de  Guyse,  son  fils,  lesquelles  me- 

>  naces  sortirent  leur  efïect.  »  (Bèze,  Hist.  eccL,  t.  I,  p.  7!22).  —  Varillas, 
Hist.  de  Charles  IX,  1684,  t,  I,  p.  283. 

1.  Bayle  {Dict.  hisi.  etcrit.,  éd.  de  1820,  in-8,  art.  Guise,  p.  372),  s'appuyaut 
sur  certains  faits  avoués  par  Varillas,  dit  avec  raison  :  «  Ces  faits  marquent 
5)  très  clairement  que  le  duc  de  Guise  travaillait  à  faire  casser  l'édit  et  qu'il 
î  prenait  des  mesures  pour  attaquer  les  huguenots  :  et,  qu'outre  cette  disposi- 

>  tion  générale,  il  ne  passa  par  Vassy  qu'après  avoir  promis  à  sa  mère  qu'il 

>  aurait  égard  à  l'envie  ardente  qu'elle  témoignait  que  les  hérétiques  n'y  prê- 
»  chassent  point.  » 

2.  «  Finito  il  tumulto,  il  duca  di  Guisa,  chiamato  a  se  i'officiale  del  luogo, 
»  cominciô  con  gravi  parole  a  riprendcrlo,  che  permettesse  in  danno  de'  passag- 

>  gieri  questa  perniciosa  licenza;  ed  iscusando  egli  di  non  poterie  impedire  per 
»  la  permissions  dell'editto  di  gennaio,  che  concedeva  le  radunanze  pubbliche 


—  25  — 

paisible  réunion  d'hommes,  de  femmes  et  d'enfants  dépourvus 
d'armes,  deux  cohortes  de  satellites  fortement  armées,  dont  l'une 
l'a  précédé  et  l'autre  l'accompagne.  Si -une  agression  a  lieu,  il 
est  certain  qu'elle  ne  procédera  pas  de  gens  inoffensifs,  absorbés 
dans  le  recueillement  du  culte  d'un  Dieu  de  paix  et  de  cha- 
rité *  .  L'irrésistible  logique  du  bon  sens  désigne  comme  seuls 
agresseurs  possibles  Guise  et  ses  hommes  :  l'un,  habitué  à  se 
jouer  de  la  vie  des  réformés  et  s'insui^eant  contre  l'édit  du  roi, 
les  autres,  d'autant  plus  disposés  à  provoquer,  et,  le  cas  échéant, 
à  accabler  des  sectateurs  de  la  religion  nouvelle,  que,  sous  le 
commandement  du  duc,  ils  ont  été  entretenus  dans  l'habitude 
de  les  haïr.  Sur  son  ordre,  ils  se  dirigent  vers  la  grange  dans  la- 
quelle le  culte  se  célèbre  ;  ils  y  pénètrent  ;  le  sang  coule  ;  leur  chef 
se  tient  au  milieu  d'eux;  et  bientôt  le  sol  de  la  grange  et  la  voie 
publique  sont  jonchés  de  morts  et  de  blessés  tous  frappés  par 
la  troupe  du  duc,  qui  compte  à  peine  quelques  blessés  et  n'a 
pas  un  seul  mort.  Ici  encore,  à  n'envisager  toujours  que  le  côté 
extérieur  des  faits,  on  est  autorisé  parles  simples  inductions 
du  bon  sens  à  stigmatiser  comme  bourreaux,  dans  la  collision 
qu'ils  ont  seuls  provoquée,  François  de  Lorraine  et  ses  gens. 

Mais  il  y  a  plus  :  lorsqu'on  se  livre  à  l'étude  intime  de  ces 
mêmes  faits,  la  vérité  se  manifeste,  les  inductions,  corroborées 
par  des  preuves  désormais  acquises,  se  transforment  en  certi- 
tudes, et  la  conviction  définitive  à  laquelle  on  s'arrête  repose  sur 

»  agli  Ugonotti,  il  duca  sclegnato  non  meno  délia  risposta  che  del  fatto, 
»  messa  la  mano  su  la  spada,  replicô  pieno  di  colera,  che  l'editto  cosi  stretta- 

>  mente  legafo  presto  si  troncarebbe  con  il  filo  di  quella.  »  (Davila,  Historia 
délie  guerre  civili  di  Francia;  Venezia,  1664,  in-4.,  p.  86.) 

i.  i  Régis  edicto  freti,  securè  suos  conventus  agebant.  Quùm  sciret  Guisianus 
»  inermes  et  nihil  sibi  metuentes  subito  impetu  facile  posse  opprimi,  copias 
j  suas  tanquàm  aliô  tendens,  armavit.  Quosdam  praemisit  qui  pistoletis  terrorem 
»  incuterent  :  ipse  mox  subsecutus  est.  Accidit  quod  speraverat,  ut  inermes  et 

>  imparatos  deprehenderet  :  tanlùm  enim  ad  doctrinam  et  preces  attenti  erant  : 

>  quare  nihil  fuit  negotii  in  slrage  edendà.  »  {Mém.  de  Condé,  t.  111,  p.  122). 
—  Budoeus  Buliingero,  29  mars  1562  (op.  Calvini,    t.  XIX,  p.  363,  n°  3  759). 


—  20  — 

une  base  inébranlable.  Or,  pour  arriver  à  ce  résultat,  il  n'est 
point  de  voie  plus  sûre  à  suivre  que  celle  d'un  recours  désintéressé 
au  témoignage  d'hommes  graves  et  véridiques  sous  les  yeux 
desquels,  à  bien  dire,  se  sont  accomplies  les  lamentables  scènes 
du  massacre  de  Vassy.  L'un  deux,  avec  le  bref  récit  duquel  con- 
cordent, dans  leur  ensemble  et  leurs  détails,  d'autres  récits  plus 
développés  \  s'exprime  en  ces  termes^  : 

((  Le  duc  de  Guyse  avec  la  duchesse  sa  femme  et  le  cardi- 
D  nal  de  Guyse  son  frère,  accompagné  d'environ  deux  cents 
))  hommes  garnis  d'arquebuses,  pistolets  et  coutelas,  ayant 
»  couché  à  Dampmartin-le-Franc,  tira  droit  à  Vassy,  le  pre- 
y>  mier  jour  de  mars,  où  il  estoit  attendu  de  sa  compagnie 
))  d'hommes  d'armes,  dès  huit  jours  auparavant  :  et  sembloit 
y)  du  commencement  qu'il  voulust  passer  outre  pour  aller  disner 
»  à  Esclaron.  Mais  arrivé  au  droit  de  la  halle  et  descendu  de 
»  cheval,  il  entra  dans  le  moustier  (église)  où  il  tint  quelques 
y>  propos  à  part  avec  le  prieur  du  lieu  de  Vassy  et  un  autre 
y>  nommé  Claude  le  Sain,  prévost.  Or,  estoient  cependant  ceux 
))  de  la  religion  réformée  assemblés,  suivant  l'édit,  tout 
))  auprès,  en  une  grange  dont  ils  s'estoient  accommodés 
»  quelque  temps  auparavant,  au  nombre  de  mille  à  douze 
»  cents  personnes,  tant  hommes  que  femmes,  que  enfants,  pour 
»  ouïr  la  parole  de  Dieu  paisiblement  et  sans  armes,  comme  se 
:»  tenant  assurés  sous  la  protection  du  roy,  combien  qu'ils  ne 
y>  fussent  ignorants  du  passage  des  dessus  dits.  Ayant  donc  en- 
i>  tendu  le  duc  de  Guyse,  dès  le  village  de  Bronzeval,  par  le  son 
y>  de  la  cloche  qu'ils  estoient  tous  à  leur  sermon,  après  avoir 

1.  1°  «  Discours  entier  de  la  persécution  et  cruauté  exercées  en  la  ville  de 
»  Vassy  par  le  duc  de  Guyse,  le  l'""  de  mars  1562.  »  {Mém.  de  Condé,  t.  111, 
p.  124  à  149,  et  Crespin,  Hist.  des  martyrs,  m-(\  1608,  p.  557  à  561.)  — 
2"  Récit  adressé  au  duc  de  Wurtemberg  et  à  d'autres  princes  allemands  (Stutt- 
gart, Staats.  Archiv.  Frankreich,  cap.  16,  n"  46,  d.).— 3"  Autre  récit  (Mém. 
de  Condé,  t.  III,  p.  111  et  suiv.). 

2.  Bèze,  Hist.  eccL,  t.  I,  p.  722  à  728. 


-)7 


»  advertitous  ceux  qui  esloient  dedans  le  temple  de  ne  sortir 

»  pour  quoy  qu'ils   entendissent,  se  mit  en  chemin  avec  ses 

»  gens,  droit  vers  ceste  grange,  estant  les  uns  à  cheval,  les 

D  autres  à  pied.  La  Brosse,  guidon  de  la  compagnie,  marchoit 

»  le  premier,  lequel  avec  quatre  ou  cinq  autres  estant  entré, 

»  comme  quelques-uns  leurs  présenloienL  place  pour  s'asseoir, 

i)  estant  jà  le  sermon  commencé,  soudain  avec  horribles  blas- 

»  phèmes  il  commença  de  crier  qu'il  falloit  tout  tuer.  Au  mesme 

»  instant  ceux  de  la  suite  qui  estoient  dehors  renconstrans  en 

ï)  teste  un  poure  crieur  de  vin  au  devant  de  la  porte  de  la 

)}  grange,  après  lui  avoir  demandé  en  qui  il  croyait,  à  quoy  il 

»  respondit  qu'il  croyait  en  Jésus-Christ,  ils  l'abatirent  d'un  coup 

y>  d'espée  au  travers  du  corps,  et  finalement  l'achevèrent  :  et 

))  en  firent  autant  à  deux  autres  jeunes  hommes  qui  estoien  t  sor- 

»  tis  au  cri  des  dessus  dits  entrés  au  dedans  les  premiers.  Dès 

»  lors  la  porte  ayant  esté  forcée,  la  tuerie  commença,  frappans 

y>  ces  tigres  et  lions  plus  qu'enragés  au  travers  de  ces  pauvres 

))  brebis,  qui  ne  faisoierlt  aucune  résistance,  y  estant  le  duc  de 

D  Guyse,  l'espée  nue,  avec  l'aisné  La  Brosse,  lieutenant  de  sa 

»  compagnie.  —  Chacun  se  peut  icy  représenter  quel  misé- 

»  rable  spectacle  estoit  cestuy-là,  frappant  ces  carnassiers  à 

))  tors  et  à  travers  parmi  cette  pauvre  multitude,  qui  ne  s'op- 

»  posoit  à  leurs  violences  et  blasphèmes,  répondant  à  ceux  qui 

y>  disoient  :  Seigneur  Dieu  soit  nous  en  ayde, — Seigneur  diable, 

»  et  aux  autres  :  Appelle  ton  Christ  qui  te  sauve,  et  autres  noms, 

-»  si  horribles  que  toute  créature  en  demande  vengeance  contre 

»  ces  diables  ainsi  acharnés.  —  H  y  en  eut  qui  percèrent  le 

»  toict  pour  se  sauver,  se  jettans  du  haut  en  bas,  sans  toutefois 

y>  en  avoir  meilleur  marché  que  les  autres,  estant  les  uns  massa- 

»  crés  par  terre,  les  autres  abatusà  coups  d'arquebuses.  Il  y  en 

i>  eut  d'autres  qui  gagnèrent  les  murailles  de  la  ville  par  où  ils  se 

y>  jettèrent tous  navrés  dans  les  fossés;  autres  cuidant  se  sauver 

))  trouvoient  la  mort  en  chemin  parmi  les  rangs  de  ces  bour- 


—  28  — 
»  reaux  s'esbatant  à  qui  donneroit  le  plus  grand  coup.  Entre  les 
y>  autres  n'esta  oublier  la  femme  d'un  eschevin  nommé  Nicolas 
Thiellemant,  laquelle  se  cuidant  sauver,  fut  tuée  par  deux  la- 
quais qui  luy  ostèrent  un  demi  ceint  d'argent  et  quelques 
autres  bagues;  ce  que  voyant  un  sien  fils  taschant  de  sauver 
sa  mère,  il  reçut  un  coup  au  travers  du  ventre.  —  Le  ministre 
ayant  esté  finalement  contraint  de  cesser  par  un  coup  d'arque- 
buze,  reçut  premièrement  un  coup  d'espée,  comme  il  estoit 
à  genoux,  et  puis  deux  autres  sur  la  teste,  desquels  pensant 
estre  blessé  à  mort,  il  s'escria  bien  haut,  disant  ces  mots  du 
psaume  trente-un  : 

»  Seigneur,  mon  âme  en  tes  mains  je  viens  rendre, 
»  Car  tu  m'as  racheté,  ô  Dieu  de  vérité. 

«  Lors  fut  pris  et  conduit  vers  le  duc  de  Guise,  lequel  com- 
»  manda  sur-le-champ  de  dresser  une  potence  et  le  pendre. 
y>  Mais  Dieu  ne  voulant  pas  qu'ainsi  fust,  il  fut  mis  entre  les 
y>  mains  des  laquais  du  cardinal  de  Guise,  qui  le  traictèrent  si  in- 
»  humainement,  jusques  à  ce  que,  d'autant  qu'il  ne  pouvoit 
y>  marcher,  à  cause  de  ses  playes,  ils  le  firent  porter  sur  une 
y>  eschelle  jusques  à  Esclaron,  distant  de  deux  lieues  de  Vassy, 
.3)  sans  estre  aucunement  pansé.  Delà  il  fut  mené  à  Saint-Dizier, 
y>  sous  la  garde  de  François  de  Bannes,  dit  du  Mesnil,  capitaine 

'»  du  chasteau,  où  il  enduira  infinies  pauvretés —  S'ensui- 

»  vent  les  noms  de  ceulx  qu'on  a  peu  remarquer,  tant  des  tués  que 
3)  des  blessés,  dont  les  uns  moururent  sur-le-champ,  les  autres 
»  après  avoir  langui  quelque  temps  ;  aucuns  sont  aussi  demeurés 

y>  impotens,  outre  ceux  desquels  on  n'a  pu  savoir  les  noms 

))  Bref,  il  se  trouva  quarante-deux  pauvres  vefves  chargées  de 
»  pauvres  orphelins.  Le  tronc  des  pauvres  y  fut  aussi  arraché  et 
y>  pillé,  la  chaire  brisée  en  pièces  ;  les  morts  pillés  jusques  à 
»  estre  deschaussés  de  leurs  souliers,  plusieurs   hommes  et 


—  29  — 

))  femmes  dépouillés  se  sauvant  pleins  de  sang  et  de  playes.  » 

Voilà  les  faits!  Le  récit  dans  lequel  ils  sont  consignés  porte 
en  lui-même  un  cachet  de  vérité  que  ne  peuvent  ^altérer  ni  les 
déclarations  du  duc  de  Guise,  car  elles  sont  entachées  de  fausseté 
et  d'hypocrisie  \  ni  les  allégations  de  certains  écrivains  hostiles 
à  la  réforme,  car  elles  sont  ou  erronées  ou  mensongères. 

Quant  à  ceux  des  écrivains  catholiques  qui,  en  se  prononçant 
sur  le  massacre  de  Vassy,  s'honorent  par  l'impartialité  de  leurs 
appréciations  ^,  ils  n'hésitent  point  à  déclarer  la  culpabilité  de 
François  de  Lorraine  ;  et  si,  en  se  méprenant  parfois  sur  les 
faits,  ils  ne  la  reconnaissent  pas  dans  toute  son  étendue,  ils  l'ad- 
mettent du  moins  dans  des  proportions  encore  assez  larges 
pour  que  la  mémoire  du  grand  factieux  en  demeure  à  jamais 
ternie. 

La  juste  indignation  de  l'un  de  ces  écrivains  recommanda- 
bles^  se  traduit  en  ces  termes  : 

«  Deux  pages  tirent  des  coups  d'arquebuse  et  de  pistolet;  les 
»  calvinistes  n'ont  pour  armes  que  des  pierres.  Les  gens  du  duc 
y>  de  Guise  enfoncent  les  portes  de  la  grange,  blessent  et  tuent 
»  des  huguenots.  Les  vieillards,  les  femmes  et  les  enfants  ne 
»  sont  pas  épargnés.  Averti  d'une  rixe  qu'il  avait  dû  prévoir,  le 
y>  duc  de  Guise  a  quitté  la  messe;  il  entre  dans  le  prêche  :  qui  ne 

4.  C'est  ce  qu'a  péremptoirement  établi  M.  Jules  Bonnet  dans  ses  notes  et 
observations  sur  la  correspondance,  récemment  publiée,  du  duc  de  Guise  avec 
le  duc  Christophe  de  Wurtemberg  (voy.  Bull,  de  la  Soc.  d'hisf.  du  prot.  fi\, 
t.  XXIV,  p.  212  et  suiv.).  —  Le  duc  de  Guise  ne  fut  pas  plus  véridique  vis-à-vis 
de  l'ambassadeur  d'Angleterre  (Throckmorton  to  the  queen,  31  mars  1562,  Ca- 
Icnd.  of  State  pap.  foreign)  que  vis-à-vis  du  duc  Christophe  de  Wurtemberg. 

2.  «  Tout  le  monde  sait  l'histoire  du  massacre  de  Vassy;  et,  quoi  qu'en  aient 
»  voulu  dire  quelques  écrivains,  ce  n'était  point  là  une  rencontre  fortuite,  mais 
»  une  levée  de  boucliers  des  Guises,  qui,  ne  pouvant  plus  supporter  l'édit  de 
»  janvier,  fait  contre  leurs  vœux  et  en  leur  absence,  avaient  été  bien  aises  de 
»  montrer  à  la  France  le  peu  de  cas  qu'ils  en  faisaient,  et  de  manifester  avec 
»  éclatleur  haine  pour  une  secte  à  laquelle  ils  avaient  juré  une  guerre  à  mort.» 
(Floquet,  Hht,  du  parlement  de  Normandie,  1. 11,  p.  376). 

3.  Lacretelle,if/s^  de  la  F  r.  pendant  les  guerres  de  religion, t.  II,  p.  63  à  65. 


--  30  — 
))  s'attend  avoir  tout  se  calmer,  à  l'aspect  d'un  héros  jusqu'alors 
»  si  chéri  pour  son  humanité?  Un  tel  maître  devait-il  manquer 
3>  d'autorité  sur  ses  gens?  Aucun  d'eux  n'avait  péri,  et  ils  avaient 
y>  tué  ou  blessé  un  grand  nombre  de  leurs  adversaires.  Le  duc 
»  de  Guise,  dit  Brantôme,  avait  l'épée  au  poing  et  ne  saigna  per- 
>  sonne.  Eh  quoi!  de  cette  épée  qu'il  avait  toujours  tirée  si  no- 
y>  blement,  il  n'écartait  pas  des  domestiques  assassins!  Dans 
3  cette  mêlée  il  fut  atteint  d'une  pierre  à  la  joue,  et  son  sang 
))  coula.  Ses  gens  saisissent  ce  prétexte  pour  se  livrer  à  toute 
ï)  leur  rage  ;  rien  n'échappe  de  tout  ce  qui  n'a  pu  s'enfuir  par 
))  les  portes,  les  fenêtres  ou  le  toit  de  la  grange.  On  compte  plus 
))  de  soixante  morts  et  deux  cents  blessés.  Qu'était  donc  devenu 
»  le  duc  de  Guise?  Où  s'était-il  retiré  après  sa  légère  blessure? 
j)  Eùt-il  été  grièvement  blessé,  mourant,  ne  devait-il  pas  em- 
»  ployer  à  sauver  des  enfants  et  des  femmes  ce  qui  lui  restait  de 
))  voix  et  de  force?  Je  n'admire  plus  tant  la  présence  d'esprit 
))  dans  une  bataille  lorsqu'on  en  manque  pour  empêcher  un 
))  massacre.  Je  ne  puis  croire  que  le  duc  de  Guise  eût  voulu  cette 
y>  épouvantable  et  lâche  effusion  de  sang;  mais  il  avait  évidem- 
))  ment  voulu  du  tumulte.  Celui  qui,  dans  une  telle  circons- 
))  tance,  n'a  pu  empêcher  un  massacre,  donne  la  preuve  qu'il  a 
»  encouragé  des  violences.  » 

Le  duc  de  Guise,  à  l'issue  du  massacre,  durant,  lequel  ce  les 
y)  trompettes  sonnoyent  comme  s'il  eût  donné  quelque  bataille 
»  contré  les  ennemis  de  la  couronne,  deslogea  avec  ses  troupes 
y>  sanglantes  et  chargées  de  butin  \vint  disnerà  Estancourt,et 
))  de  là  coucher  à  Esclaron,  prenant  son  chemin  vers  Reims, 
y>  où  le  cardinal  de  Lorraine  l'attendait,  pour  de  là  marcher  à 
»  Paris.  -  » 

Ce  n'était  pas  assez,  pour  le  duc,  qu'une  partie  des  réformés 
de  Vassy  eût  été  massacrée;  il  fallait,  en  outre,  que  celle  qui 

1.  Hist.  de  cinq  rois,  p.  149. 
!2.  Bèze,  Hist.  eccL,  l.  1,  p   727. 


-  31  — 

survivait  fût.  persécutée.  Elle  ne  manqua  pas  de  l'être  en  exécu- 
tion (le  ses  ordres  et  avec  le  concours  de  sa  mère.  En  effet,  «à 
))  grand'peineestoit-il  àEsclaron,  que  desjà  un  nommé  Alexan- 
))  dre  de  Gruier,  son  pensionnaire,  avec  Claude  le  Sain,  l'un  des 
))  principaux  entremetteurs  du  massacre,  commencèrent  à  pren- 
))  dre  informations,  à  la  faveur  du  dit  duc,  n'ayant  pourtesmoins 
))  que  les  principaux  des  meurtriers,  comme  entre  autres  un 
»  nommé  Montagne,  massacreur  de  Jean  Patout,  diacre  de  Fé- 
))  glisede  Vassy,  Claude  Digoin,  mareschal  des  logis  du  dit  duc, 
y>  Labrosse  l'aisné,  et  autres  semblables.  Et  quoiqu'un  si  horri- 
»  ble  meurtre  sur  les  pauvres  sujets  du  roy  assemblés  sous  la 
»  protection  d'iceluy,  sans  aucunes  armes,  hormis  deux  étrangers 
))  qui  avaient  leurs  espées,  criast  si  haut  et  clair,  demandant 
»  vengeance  à  Dieu  et  aux  hommes  :  si  est-ce  qu'au  lieu  de 
))  faire  semblant  pour  le  moins  d'en  faire  justice,  les  pauvres 
»  gens  reçeurent  mal  sur  mal,  estant  huit  jours  après  envoyé 
))  par  la  douairière  (de  Guise)  le  sieur  de  Thon,  nommé  du  Chas- 
»  telet,  avec  commission  de  chercher  les  armes  par  toutes  les 
})  maisons,  et  de  contraindre  chacun  d'aller  à  la  messe,  sous 
))  peine  de  la  mort.....  Ce  nonobstant,  Dieu  donna  telle  vertu  et 
))  constance  au  reste  de  ces  pauvres  persécutés,  qu'ils  recom- 
))  mencèrent  à  se  rassembler  pour  faire  prières,  les  dimanches 
»  et  festes,  soir  et  matin,  ce  qu'ils  continuèrent  nonobstant  in- 
»  finies  autres  oppressions  à  eux  faites  K.. 

1.  Bèze,  Hist.  eccL,  t.  I,  p.  727,  728. 


CHAPITRE  II 


Coligny,  Condé,  l'Hospital,  de  Francourt.  de  Bèze  demandent  que  les  auteurs  du  mas- 
sacre de  Vassy  soient  punis.  —  Antoine  de  Bourbon  rompt  définitivement  avec  les 
réformés.  —  Condé  les  soutient,  à  Paris.  —  Usurpation  du  pouvoir  souverain  par 
François  de  Lorraine  et  ses  adhérents.  —  Galiierine  de  Médicis  plie  devant  eux.  — 
Elle  écoute  les  détracteurs  de  l'amiral.  —  Condé  se  retire  à  Meaux  et  y  appelle  l'ami- 
ral. —  Celui-ci  hésite  à  prendre  les  armes.  Sa  femme  l'y  décide.  —  De  Meaux,  Co- 
ligny  écrit  à  Catherine  de  Médicis.  — ^  Conseil  donné  à  cette  princesse  de  conduire  le 
roi  à  Orléans,  où  les  chefs  réformés  feront  respecter  l'autorité  du  souverain  et  celle 
de  sa  mère,  et  assureront  l'inviolabilité  de  leurs  personnes  contre  les  atteintes  des 
ennemis  de  l'a  royauté.  —  Insistance  de  Soubize  sur  ce  point,  au  nom  de  Condé,  de 
Coligny  et  des  autres  chefs.  —  Catherine  ne  suit  pas  ce  conseil.  —  Antoine  de  Bour- 
bon et  les  triumvirs  entraînent  le  roi  de  Fontainebleau  à  Paris.  —  Occupation  d'Or- 
léans par  les  chefs  réformés.  • —  Vaincs  tentatives  de  Catherine  pour  obtenir  d'eux 
qu'ils  déposent  les  armes.  —  Arrivée  de  Charlotte  de  Laval  et  de  la  princesse  de 
Condé  à  Orléans. 


Dès  que  la  nouvelle  du  massacre  de  Vassy  parvint  au  châ- 
teau de  Ghâtillon-sur-Loing,  Coligny,  ému  d'indii^nation  et 
de  douleur,  s'adressa  du  fond  de  sa  retraite  à  Catherine  de 
Médicis  pour  lui  demander  que  justice  fût  faite  d'un  tel  at- 
tentat. 

Condé  et  l'Hospital,  qui  partageaient  les  impressions  de  l'a- 
miral, sollicitèrent  également  de  cette  princesse  le  châtiment 
des  coupables. 

Ces  réclamations  imposantes  furent  accueillies  par  Cathe- 
rine avec  les  égards  que  commandait  le  caractère  d'hommes 
aussi  haut  placés,  de  serviteurs  de  la  couronne  aussi  fidèles 
que  l'étaient  l'amiral,  Louis  de  Bourbon  et  le  chancelier. 

Catherine,  en  même  temps,  se  montra  bienveillante,  dans 
une  audience  qu'elle  accorda  à  Francourt  et  à  Th.  de  Bèze,  ve- 


—  33  — 
nus  à  Monceaux,  l'un  au  nom  de  la  noblesse,  l'autre  au  nom 
des  réformés,  pour  la  supplier  de  faire  rechercher  et  punir 
les  auteurs  du  massacre,  comme  rebelles  à  l'édit  du  roi  et 
perturbateurs  du  repos  public.  «  Elle  leur  fit  gratieuse  res- 
»  ponse,  promettant  que  bonnes  informations  seroient  prises 
»  et  que,  pourvu  qu'on  se  contînt,  on  pourvoiroit  à  tout,  es- 
))  pérant  que  le  sieur  de  Guise  ne  poursuivrait  son  chemin 
»  vers  Paris,  comme  elle  lui  avoit  escrit^ .  » 

Quant  à  l'accueil  que  Francourt  et  de  Bèze  reçurent  du 
roi  de  Navarre,  il  fut  déplorable.  Servile  écho  de  prédicateurs 
en  délire  qui  soutenaient  «  que  le  fait  de  Vassy  n'estoit  point 
»  de  cruauté,  la  chose  estant  advenue  pour  le  zèle  de  la  reli- 
»  gion^ ,  »  Antoine  de  Bourbon  ce  ne  se  put  contenir,  chargeant 
»  ceux  de  l'Église  de  ce  qu'ils  allaient  avec  armes  aux  prédi- 
))  cations  :  auquel  il  fut  répondu  par  de  Bèze,  que  les  armes 
))  entre  les  mains  des  sages  portaient  la  paix;  et  que  le  fait  de 
»  Vassy  monstroit  combien  cela  estoit  nécessaire  à  l'Église, 
»  si  on  n'y  pourvoyoit  autrement  et  comme  le  cas  le  requéroit, 
»  dont  il  le  supplia  très  humblement  au  nom  de  l'Église,  qui 
»  jusques  alors  avait  eu  tant  d'espérance  en  luy.  Le  cardinal 
»  de  Ferrare,  légat,  survenu  en  ceste  compagnie  pour  empes- 
))  cher  que  quelque  bien  ne  s'y  feist,  commença  de  mettre  en 
))  avant  la  sédition  de  Saint-Médard,  qui  esmeut  ledit  de  Bèze 
»  d'en  faire  un  brief  récit,  comme  celuy  qui  y  avoit  esté  pré- 
))  sent,  de  sorte  qu'il  luy  ferma  la  bouche,  demandant  tous- 
»  jours  justice  contre  le  sieur  de  Guise  qu'on  savoit  venir  en 
»  armes  comme  en  temps  de  guerre,  dont  nul  bien  ne  pouvoit 
))  advenir.  Adoncq  le  roy  de  Navarre  se  déclara  du  tout,  disant 
»  que  qui  toucheroit  au  bout  du  doigt  au  duc  de  Guise,  qu'il 
y>  appeloitson  frère,  le  toucheroit  au  corps.  Sur  quoy  de  Bèze 
D  l'ayant  supplié  très  humblement  de  l'escouter  en  patience 

1.  Bèze,  Hist.  eccL,  t.  II,  p.  2. 

2,  Castelnau,  Mém.,  liv.  lll,  ch.  vii. 

If.  3 


-  34  — 
2)  comme  celuy  qu'il  cognoissoit  de  longtemps,  et  que  luy 
y>  mesme  avoit  fait  revenir  en  France  pour  servir  au  repos 
))  d'iceluy,  luy  remonstra  que  la  voye  de  justice  estoit  la  voye 
))  de  Dieu,  dont  les  roys  estoient  debteurs  à  leurs  pauvres 
»  subjects,  et  que  demander  justice  n'estoit  pas  endommager 
»  aucun.  Et  pour  ce  que  ledit  roy  de  Navarre  excusant  le  fait 
))  de  Vassy  avoit  dit  que  le  mal  estoit  advenu  pour  avoir  jette 
))  des  pierres  contre  ledit  duc  de  Guise,  qui  n'auroit  pu  sur  cela 
»  retenir  la  furie  de  ses  gens,  et  que  les  princes  n'estoient  pas 
,  ))  pour  endurer  d'estre  frappés  de  coups  de  pierres  :  de  Bèze, 
»  après  avoir  répliqué  que  si  cela  estoit  ainsi,  ledit  sieur  de 
»  Guise  en  seroit  quitte  en  représentant  ceux  qui  auroient  fait 
y>  une  telle  faute,  adjousta  finalement  ces  propres  mots  :  Sire, 
y>  c'est,  à  la  vérité,  à  l'Église  de  Dieu,  au  nom  de  laquelle  je 
»  parle,  d'endurer  les  coups,  et  non  pas  d'en  donner;  mais 
i>  aussi  vous  plaira-il  vous  souvenir  que  c'est  une  enclume  qui 
y>  a  usé  beaucoup  de  marteaux* .  y> 

La  rupture  entre' le  roi  de  Navarre  et  les  réformés  était  dé- 
sormais complète.  Le  prince  de  Gondé,  qui  avait  fait  de  vains 
efforts  pour  maintenir  son  frère  dans  la  seule  voie  honorable 
qu'il  eût  dû  suivre,  ne  se  laissa  point  abattre  par  ce  douloureux 
insuccès  :  on  le  vit  au  contraire  se  consacrer  alors,  avec  un  i-e- 
doublement  d'énergie,  à  l'accomplissement  des  devoirs  que  la 
gravité  des  circonstances  lui  imposait. 

Dès  la  fin  de  janvier,  au  sortir  d'une  sérieuse  maladie- ,  il 
s'était  imposé  la  mission  d'assurer  à  Paris  l'exécution  de  l'é- 
dit  signé  le  17  du  même  mois^  ;  mission  ardue,  dont  au  début 


i.  Bèze.  Hist.  eccL,  t.  II,  p.  %  3. 

2,  «  Condensem  morbiis  repentinus  penè  nobis  abstulit  Lutefioe;  heri  leclica 
D  bue  perlatus,  incipit  habere  nieliùs  et  affirmant  medici  extra  periculum  esse... 
»  Ex  Sangerinano,  primo  die  februarii  1562.  »  (Beza  Calvino,  ap.  Baum,  app. 
p.  161). 

3.  Throckmorton  to  Ihe  queen,  16  février  et  9  mars  1562  {Calend.  of  State 


—  35  — 
de  mars  il  continuait  à  s'acquitter  avec  un  dévouement  d'au- 
tant plus  digne  d'éloge,  que  le  contre-coup  du  récent  massacre 
de  Vassy  se  faisait  sentir  dans  la  masse  intolérante  et  factieuse 
de  la  population  parisienne. 

Tandis  que  Condé  rassurait  les  réformés  par  sa  présence 
dans  la  grande  cité,  où  il  s'attachait  à  protéger  leur  culte*  ,  et 
qu'il  avertissait  «  toutes  les  Églises  de  France  d'estre  sur  leurs 
gardes  °  )),  le  .duc  de  Guise,  arrivé  de  Vassy  à  Nanteuil,  affec- 
tait d'y  tenir  une  sorte  de  cour  et  se  disposait  à  quitter  avec 
ses  partisans  cette  résidence,  pour  se  rendre  non  à  Monceaux, 
où  l'appelaient  expressément  le  roi  et  la  reine-mère,  mais  à 
Paris,  afin  d'y  neutraliser  l'action  du  prince  et  de  l'en  expulser. 
Le  16  mars^  ,  escorté  du  connétable,  du  maréchal  de  Saint- 
André  et  de  nombreux  seigneurs,  il  y  fit,  aux  acclamations  en- 
thousiastes de  la  foule,  une  entrée  triomphale,  y  attira  dès  le 
lendemain  le  roi  de  Navarre* ,  et,  sans  respect  pour  les  préro- 
gatives de  la  régente  et  de  son  fils,  y  agit  en  maître. 

pap.  foreign).  —  Déclarations  du  prince  de  Condé  du  8  août  1562  {Mém.  de 
Condé,  t.  III,  p.  223,  224). 

1.  Beza  Calvino,  22  mars  1562  (Bibl.  de  Gen.  mss,  117). 

2.  De  Lanoue,  Disc. polit,  et  mil.,  éd.  de  1587,  p.  650.  —  Plusieurs  de  ces 
Eglises,  notamment  celles  de  Sens,  d'Auxerre,  de  Tours,  de  Troyes,  de  Cahors, 
ne  tardèrent  pas  à  être  décimées  par  des  massacres  dont  quelques-uns  furent 
encore  plus  effroyables  que  ne  l'avait  été  celui  de  Vassy.  Tous  ces  massacres 
furent  suivis  d'une  impunité  scandaleuse. 

3.  Est.  Pasquier,liv.  IV,]ettre  15.— l/m.  de  Condé,  t.  III, p.  192.  — Throck- 
raorton  to  the  queen,  20  mars  1562  {Calend.  of  State  pap.  foreign).  —  Journal 
de  Bruslart  {Mém.  de  Condé,  t.  1,  p.  75)  :  «  Le  16'  de  mars  arriva  m'"  de  Guise 
»  à  Paris,  lequel  pour  le  zèle  que  l'on  savait  qu'il  avait  à  la  religion,  fut  bien 
»  reçeu,  et  alla-on  en  grand  nombre  audevant  de  luy,  et  fist-on  comme  l'on  a  ac- 
>  coustumé  aux  entrées  des  roys.  II  estoit  accompagné  de  deux  mille  gentils- 
»  hommes  et  pour  le  moins  de  trois  mille  chevaux.  » 

4.  Voy.  la  lettre  que  François  et  Charles  de  Lorraine,  Anne  de  Montmorency, 
,  Saint-André,  Brissac  et  de  Termes  adressèrent  collectivement  à  Catherine,  le 

17  mars  1562.  L'obséquiosité  des  expressions  employées  vis-à-vis  de  cette  prin- 
cesse est  une  preuve  de  plus  de  la  duplicité  des  signataires.  (Bibl.  nat.,  mss.  f. 
fr.,  vol.  6,611,  f"  20).  —  «  Le  roy  de  Navarre,  qui  s'estoit  formellement  déclaré 
»  pour  l'ancienne  religion,  arriva  à  Paris  avec  grande  compagnie,  audevant  du- 


.     —  36  — 

La  reine  d'Angleterre,  observant  de  près  ce  qui  se  passait 
alors  en  France,  écrivit  à  Throckmorton^  :  ce  Nous  avons  prié 
»  l'ambassadeur  de  France  ici  de  faire  connaître  à  la  reine- 
»  mère  et  au  prince  de  Gondé  quelle  estime  nous  faisons  de 
))  leur  constance  et  combien  nous  croyons  qu'il  est  dangereux 
))  pour  le  roi  de  Navarre  de  se  séparer  d'eux  et  de  s'unir  avec 
jD  ceux  qui  ont  cherché  sa  ruine  et  ne  peuvent  trouver  de  pro- 
»  fit  que  dans  son  abaissement...  Nous  l'avon^  aussi  prié,  en 
))  notre  nom,  d'affermir  et  d'encourager  la   reine  mère,  la 
»  reine  de  Navarre  et  le  prince  de  Gondé  à  montrer  leur  sa- 
»  gesse  et  leur  constance  et  à  ne  pas  donner  à  leurs  adversaires 
))  puissance  ou  courage  par  leur  faiblesse.  Et,  à  cette  fm,  nous 
))  voulons  les  assurer,  ainsi  que  l'amiral,  de  notre  intention  de 
y>  les  soutenir  constamment,  afin  de  les  affermir  dans  leurs 
))  bonnes  intentions...  Vous  direz  à  la  reine-mère  que,  aussi 
y>  longtemps  qu'elle  n'aura  rien  d'autre  en  vue  que  le  bien  de 
y>  son  fils  et  la  tranquillité  du  royaume,  il  n'y  a  rien  à  craindre, 
»  pourvu  qu'elle  évite  toutes  les  pratiques  et  les  desseins  de  ceux 
))  qui,  par  ambition,  ne  cherchent  que  leur  propre  gloire  et 
))  richesse.  Finalement,  comme  vous  le  trouverez  à  propos,  vous 
))  l'assurerez  de  notre  amitié  et  assistance  par  tous  les  moyens 
))  possibles.  Vous  ferez  de  même  au  prince  de  Gondé...  Vous 
)>  saluerez  affectueusement  l'amiral  en  notre  nom,  et  l'assurerez 
))  que  la  sagesse  et  la  constance  dont  il  a  fait  preuve  jusqu'ici, 
»  et  tout  l'ensemble  de  sa  conduite  ont  mérité  d'être  et  sont 
))  en  grande  recommandation  dans  le  monde.  En  conséquence, 
»  il  ne  peut  maintenant  négliger  la  cause  de  Dieu  dont  sa  con- 
))  science  l'assure  qu'il  est  un  si  bon  témoin  ;  mais  il  doit  em- 


»  quel  alla  m"^  de  Guise,  et  m'"  le  connestable,  et  la  plus  grande  partie  des  mar- 
»  chancis  de  Paris.  Sa  venue  n'apporta  que  toutes  choses  bonnes  pour  l'ancienne 
»  religion.  »  (Journal  de  Bruslart,  Mém.  de  Gondé,  t.  I,  p.  76). 

1.  The  queen  to  Throckmorton,  31  mars  1562  (Calend.  of  State  pap.  foreign). 
—  Hist.  des  Condés,  par  le  duc  d'Aumale,  1. 1,  p.  351. 


—  37  — 

y>  ployer  sa  sagesse  au  progrès  de  cette  cause.  Nous  voudrions 
»  que  vous  l'assurassiez  autant  de  notre  bon  vouloir  envers  lui 
))  que  s'il  estait  notre  propre  parent.  y> 

L'amiral  attachait  une  telle  importance  aux  encouragements 
et  aux  promesses  d'appui  que  Catherine  de  Médicis  pourrait  re- 
cevoir de  puissances  amies,  qu'avant  même  que  la  reine  Elisa- 
beth se  fût  prononcée  à  cet  égard,  il  avait,  d'accord  avec  le 
prince  de  G  onde,  chargé  Louis  de  Bar  de  se  rendre  en  Alle- 
magne, à  l'effet  d'obtenir  de  l'électeur  palatin,  Frédéric  III  \ 
du  duc  de  Wurtemberg  et  de  divers  autres  princes  qu'ils  en- 
voyassent en  France  des  ambassadeurs  ayant  pour  mission  de 
porter  au  roi  et  à  la  reine-mère  des  assurances  de  sympathie 
et,  au  besoin,  de  concours  efficace. 

A  la  démarche  de  Goligny  et  de  Gondé  sur  ce  point  se  joignit 
celle  de  Galvin,  par  l'intermédiaire  de  Sturm  et  de  Budée,  au- 
près des  princes  allemands  et  des  cantons  évangéliques  de  la 
Suisse^ .  Ces  démarches  vis-à-vis  des  uns  et  des  autres  demeu- 


1.  Frédéric  III  écrivit  au  duc  Christophe,  le  25  mars  1562  (ap.  Kluckhohn, 
Briefe,  etc.,  etc.,  1. 1,  p.  2(35,  n°  158)  :  «  .le  dois  vous  faire  savoir  que  le  porteur 

>  de  cette  leltre,  Louis  de  Bar,  est  un  honnête  homme,  appartenant  à  la  no- 

>  blesse.  II  a  étudié  ici  pendant  un  certain  temps  et  il  connaît  assez  bien  la 
»  langue  allemande.  Il  s'est  présenté  à  moi,  ces  jours-ci,  avec  des  lettres  de 
j  créance  du  prince  de  Condé  et  de  l'amiral  de  France,  que  j'ai  laissées  entre 

>  ses  mains,  afin  qu'il  vous  les  communiquât.  î  —  Frédéric,  après  avoir  som- 
mairement retracé  les  faits  qui  lui  avaient  été  exposés,  terminait  sa  lettre  par 
uiT  témoignage  formellement  rendu  à  la  probité  et  à  la  sincérité  de  Louis  de 
Bar. 

2.  Calvinus  Sturmio,  25  mars  1562  (op.  Calvini,  t.  19,  p.  359,  n"  3754-)  : 
«.  Ad  reprimendos  Guysianorum  impetus  magnoperé  interest  Germanias  principes 
»  intervenire  utregem  ad  constantiam  hortentur,  suaque  officia,  quoad  feret  op- 
»  portuniias,  proesto  fore  déclarent.  »  —  Budœus  Bullingero,  29  mars  1562 
(iip.  Calvini,  t.  19,  p.  363,  n»  3757)  :  «  Optandum  est  ut  illustrissimi  Cantoues 

»  quibus  cordi  est  regnum  Christi  intelligant  ista Mihi  et  bonis  omnibus  vi- 

»  detur  nulla  re  meliùs  posse  comprimi  rabiem  et  amentiae  plénum  consilium 
»  quàm  si  intelligant  tyranni  isti  non  déesse  fortissimos  viros  et  potenles  prin- 
»  cipes  qui  regem  non  modo  per  legatos  suos  rogent  ne  cedat  hominum  amen- 
»  tium  furori  in  negotio  tàm  serio,  nempè  in  quo  conjuncta  est  ecclesiae  salus 


—  38  - 
rèrent  infructueuses;  Frédéric  III  seul  en  tint  compte  dans 
une  certaine  mesure,  en  exhortant  le  roi  et  la  reine  mère  à 
maintenir  avec  fermeté  l'édit  de  janvier'  . 

Quelles  que  fussent  au  surplus  les  dispositions  des  puis- 
sances étrangères,  en  présence  de  la  crise  qui  sévissait  alors  en 
France,  il  fallait  que,  pour  tenter  de  surmonter  cette  crise,  la 
princesse  en  laquelle  se  personnifiait  inlérimairement  le  pou- 
voir royal  se  montrât,  avant  tout,  digne,  judicieuse  et  ferme. 
L'insultant  défi  jeté  le  16  mars,  du  sein  de  la  capitale,  au  sou- 
verain et  à  sa  mère  par  un  sujet  rebelle  qu'appuyaient,  en  vérita- 
bles complices,  le  connétable.  Saint- André  et  Antoine  de  Bour- 
bon, nécessitait  une  prompte  et  énergique  réponse.  La  seule 
que  dictât  à  Catherine,  comme  mère  et  comme  régente,  le  soin 
de  ses  suprêmes  intérêts,  se  résumait  dans  un  appel  immédiat 
à  adresser  au  dévouement  de  Goligny  et  de  ses  frères,  afin  qu'à 
la  cour,  plus  encore  qu'à  Paris,  ils  associassent  leurs  efforts  à 
ceux  de  G  onde  pour  réprimer  les  empiétements  commis  par  les 
triumvirs  et  par  Antoine  de  Bourbon  sur  le  pouvoir  royal,  et 
pour  assurer  contre  toute  atteinte  l'inviolabilité  de  la  personne 
du  jeune  monarque. 


»  cùm  ejus  auctoritate  regia,  sed  etiam  si  opus  sit,  anxilium  afferant.  »  —  Voy. 
aussi  une  lettre  de  Bullinger  à  Calvin  (op.  Calvini,  t.  19,  p.  366). 
1.  Voy.  lettres  de  Frédéric  III  au  roi  de  France  et  à  Catherine  de  Médieis,  du 
11  avril  1562  (Kluckhohn,i?/'/(?/e  Friedrich  des  Frommen,  erster  Band,  p.  277  à 
279,  n"^  163,  164).  —  Sa  lettre  au  roi  se  terminait  ainsi  :  «  Aulcune  chose  ne 
»  vous  doibt  empescher  de  poTirsuivrc  ce  qu'avez  si  bien  commencé,  et  de  main- 
»  tenir  l'édict  qu'il  vous  a  plu  une  fois  faire  publier,  de  sorte  qu'aucun  n'ose  en- 
»  treprèndre  le  contraire,  afin  que  vos  subjectz,  membres  de  Christ,  puissent 
»  vivre  en  paix  et  servir  avec  tranquillité  de  conscience  à  ce  bon  Dieu,  lequel 
»  vous  fera  prospérer  et  donnera  avancement,  suyvant  ce  qu'il  a  promis,  à  toutes 
»  vos  bonnes  entreprises.  Quant  à  moy,  je  mettrai  peine,  avec  l'ayde  des 
»  aultres  princes,  en  tout  ce  qui  me  sera  possible  et  qui  pourra  servir  à  la 
))  gloire  de  Dieu  et  à  l'avancement  de  son  règne,  et  vous  donner  à  entendre  la 
»  bonne  affection  que  j'ay  de  vous  faire  service  suyvant  ce  à  quoy  l'amour  et 
»  charité  chrétienne  m'a  instruicL  »  —  Voy.  aussi  une  lettre  du  même  jour, 
11  avril,  de  Frédéric  III  au  prince  de  Condé  (ibid.,  p.  280,  n»  165). 


—  39  — 

Cette  réponse,  Catherine  ne  la  fit  malheureusement  pas. 

Au  lieu  de  se  montrer,  comme  elle  le  devait,  dans  la  dignité 
d'une  royale  attitude,  confiante  et  ferme,  elle  ne  fut  que  défiante 
et  faible.  Elle  aggrava  par  sa  double  défaillance  une  situation 
déjà  compromise,  mais  que  cependant  elle  eût  pu  relever  si  le 
sens  moral  et  le  sens  poHtique  l'eussent  guidée.  Elle  ne  prouva 
que  trop  alors  qu'elle  était  dépourvue  de  l'un  et  de  l'autre 

Loin  d'oser  rompre  ouvertement  avec  les  triumvirs  et  avec 
Antoine,  elle  plia  devant  eux,  et  ils  se  firent  une  arme  de  sa  dé- 
pression volontaire. 

Non  moins  inconséquente  que  faible,  elle  adressa  à  Condé 
des  lettres  confidentielles  dans  lesquelles  elle  l'adjurait  de  pro- 
téger la  mère  et  les  enfants  *  ;  mais  en  même  temps  elle  en- 
trava son  action  au  sein  de  la  capitale  en  lui  suscitant  un  ad- 
versaire de  plus,  par  la  substitution  du  cardinal  de  Bourbon, 
son  frère,  au  maréchal  de  Montmorency  dans  les  fonctions  de 
gouverneur  de  Paris^ . 

1.  «  Lettres  envoyées  par  la  royne  à  monsieur  le  prince  de  Condé,  par  les- 
»  quelles  elle  le  prie  d'avoir  en  recommandation  Testât  de  ce  royaume,  la  vie 
»  du  roy  et  la  sienne,  et  entreprendre  la  deffence  contre  ses  ennemis.  »  {Mém. 
de  Condé,  t.  III,  p.  213  à  215). — Le  Laboureur,  addit.  aux  Mém.  de  Gastelnau, 
t.  I,  p.  763,  764,  et  t.  II,  p.  40.  Texte  et  annotations  desdites  lettres.  —  «  Vi- 
ï  des  ut  regina  sibi  et  fdio  suo  metuat  ab  audaciâ  hostium,  ne  scilicet  sibi  re- 
»  gem  vindicent,  ac'  sub  ejus  nomine  summam  rerum  ad  se  trahant.  »  Budœus 
Bullingero,  29  mars  1562  (op.  Calvini,  t.  19,  n»  3757,  p.  363). 

2.  Journal  de  Brusiart  {Mém.  de  Condé,  t.  I,  p.  76)  :  <t  Le  17«  de  mars  arriva 
»  en  ceste  ville  de  Paris  m''  le  cardinal  de  Bourbon,  pour  y  estre  gouverneur, 
»  et,  en  ceste  qualité,  estoit  logé  au  Louvre  ;  et  pour  la  force  luy  fut  donné  m' le 
»  mareschal  de  Brissac  et  de  Termes,  avec  m'  d'Avanson  et  de  Selve  pour  le 
»  conseil,  tous  deux  du  conseil  privé,  avec  lesquels  il  pourroit  appeler  tels  de 
»  messieurs  les  présidents  de  la  cour  que  bon  luy  sembleroit.  Son  pouvoir  fut 
»  reçu  et  publié  en  la  cour  de  parlement  à  Paris,  le  18  ensuivant,  lequel  estoit 
»  grand,  jusques  à  pouvoir  faire  mener  le  canon,  si  besoin  estoit.  Du  gouverne- 
»  ment  par  ce  moyen  fut  osté  m''  de  Montmorency,  fils  aisné  de  m""  le  connes- 
»  table,  lequel  favorisoit  fort  le  party  des  nouveaux  évangélistes,  et  fouloit  fort 
»  les  catholiques.  Ce  gouvernement  de  m''  le  cardinal  de  Bourbon  fut  fort 
»  agréable  au  peuple.  »  —  On  peut  juger  de  l'intolérance  et  de  l'arbitraire  du 
nouveau  gouverneur  de  Paris  par  le  fait  suivant  (ibid.,  p.  77)  :  «  Le  dimanche. 


—  40  — 

Enfin,  alors  que  Colignylui  avait  récemment  donné  une  nou- 
velle preuve  de  dévouement  par  sa  retraite  volontaire  à  Châtil- 
lon,  elle  entra  tout  à  coup,  vis-à-vis  de  lui,  en  défiance  à  la  suite 
de  faux  rapports  tendant  à  faire  suspecter  la  fidélité  de  ce  loyal 
et  constant  serviteur  de  la  royauté.  En  l'absence  de  l'amiral  elle 
écouta  ses  détracteurs;  une  aveugle  crédulité  l'entraîna  à  l'injus- 
tice et  à  l'ingratitude  envers  ce  conseiller  si  sage  et  si  désinté- 
ressé; elle  ne  l'appela  point  auprès  d'elle,  et,  en  le  tenant  à 
l'écart  ainsi  que  ses  frères,  elle  se  priva  des  plus  surs  appuis 
auxquels  elle  eût  pu  recourir. 

Gondé,  sur  qui,  plus  que  sur  tout  autre,  elle  paraissait  en  ce 
moment  compter,  était  incontestablement  digne  de  sa  con- 
fiance; mais  quels"  que  fussent  le  zèle  et  le  courage  du  prince, 
il  ne  pouvait  que  se  consumer  en  stériles  efforts  de  résistance, 
dans  l'isolement  où  elle  le  laissait  du  concours  de  Coligny  et  de 
ses  frères. 

Nul,  parmi  les  réformés  qui  se  trouvaient  alors  dans  la  capi- 
tale, ne  se  méprenait  sur  la  gravité,  chaque  jour  croissante,  de 
la  situation.  De  là  les  lignes  suivantes,  adressées  par  l'un  d'eux 
aux  églises  de  France*  :  «...  Vous  entendrez  doncques  la  néces- 
y>  site  en  laquelle  nous  nous  sommes  retrouvez  depuis  peu  de 
»  jours,  comme  Dieu  nous  en  a  garantis  par  la  constance  et  vertu 
))  qu'il  a  donnée  à  monseigneur  le  prince  de  Gondé  pour  nous 
»  assister  en  effect,  en  cet  extrême  besoin,  sans  dissimulation 
))  aucune,  l'affection  singulière  du  dit  seigneur  et  prince  à  main- 
»  tenir  l'authorité  du  roy  et  la  liberté  octroyée  aux  églises  par 
ï)  le  dernier  édit,  et  finalement  les  forces  et  menaces  de  nos 

»  jour  de  Pasques,  les  huguenots  avaient  préparé  leur  lieu  de  Poupaincourt 
»  pour  y  faire  la  cène,  dont  adverty  m''  le  cardinal  de  Bourbon  manda  quérir 
»  Malot  et  La  Rivière,  ministres,  et  leur  fit  deffenses  de  par  le  roy  de  ne  faire 
»  la  dite  cène,  sur  leurs  vies,  et  que  autrement  y  seraient  chargés  et  mis  en 
»  pièces.  » 

1.  Lettre  de  Th.  de  Bèze,  du  25  mars  1562  (ap.  Baum,  app.,  p.  i72,  mss.  de 
Genève). 


—  41  — 
»  ennemis!  Sur  cela  il  vous  est  aisé  de  conclure  que,  si  jamais  il 
y>  fut  besoin  de  penser  à  soy,  de  se  munir  pour  obvier  à  tels  des- 
D  seings,  c'est  maintenant,  sans  user  de  tergiversations  ni  lon- 
j)  gués  consultations,  car  il  est  question  d'estre  du  tout  ruinez, 
y>  et  quant  à  Testât  de  la  conscience,  et  quant  aux  corps  et  aux 
))  biens,  ou  bien  de  s'opposer  entièrement  et  résolument  à  ceux 
y>  qui  non  seulement  contre  Dieu  et  raison,  comme  ils  ont  tous- 
y>  jours  faict,  mais  aussy  contre  la  défense  du  roy,  ce  que  jamais 
))  nous  n'avons  obtenu  jusqu'à  présent,  ont  soif  de  nos  vies  et 
y>  de  nos  biens.  » 

Entre  les  forces  énormes  dont  le  duc  de  Guise  disposait  dans 
Paris  et  les  quelques  centaines  d'hommes  que,  seul,  Gondé 
pouvait  y  grouper  autour  de  lui,  la  disproportion  était  trop 
grande  pour  que  ce  prince  songeât  à  accepter  la  lutte.  Le  judi- 
cieux et  brave  de  Lanoue  ne  laisse  aucun  doute  à  cet  égard  *  : 
«  Quanta  la  force  nerveuse  et  assurée,  dit-il,  de  quoy  ceulx  de- 
y>  la  religion  faisoyent  estât,  elle  consistoit  en  trois  cents  gentils 
))  hommes  et  autant  de  soldats  expérimentez  aux  armes,  plus  en 
y>  quatre  cens  escholiers  et  quelques  bourgeois  volontaires,  sans 
»  expérience.  Et  qu'estoit-ce  que  cela  contre  un  peuple  comme 
y>  infini,  sinon  une  petite  mousche  contre  un  grand  éléphant? 
»  Je  cuide  que  si  les  novices  des  couvents  et  les  chambrières  des 
y>  prestres  seulement  se  fussent  présentées  à  l'imprévue  avec 
»  des  bastons  de  cotterets  es  mains,  que  cela  leur  eust  fait  tenir 
»  bride.  Néantmoins  avecques  leur  faiblesse  ils  feirent  bonne 
y>  mine  jusques  à  ce  que  la  force  descouverte  des  princes  et  sei- 
y>  gneurs  liguez  les  contraignit  de  quitter  la  partie.  » 

En  se  résignant  à  un  départ  de  la  capitale  provoqué  d'ailleurs, 
ainsi  que  celui  du  duc  de  Guise,  par  la  reine  mère,  Gondé  évi- 
tait, pour  le  moment  du  moins,  l'effusion  du  sang.  Gatherine 
venait  de  réclamer  par  des  lettres  réitérées  l'appui  de  son  dévoue- 

1.  Disc,  polit,  et  milit.,  p.  657,  658, 


ment  et  de  son  énergie  :  il  semblaitmêmequ'ellel'appelât  auprès 
d'elle  et  du  roi;  l'hésitation  n'était  donc  pas  permise.  Ajoutons 
qu'aux  préoccupations  de  l'homme  d'État  et  du  guerrier  se  joi- 
gnaient dans  l'esprit  du  prince  celles  du  mari  et  du  père.  En 
effet,  Eléonore  de  Roye,  qui  ne  l'avait  pas  quitté,  se  trouvait  à 
cette  époque  dans  un  élat  avancé  de  grossesse  réclamant  d'extrê- 
mes ménagements  et  un  abri  assuré,  à  supposerqu'il  fût  possible 
d'en  rencontrer  un  en  ces  temps  de  trouble  qu'elle  et  lui  traver- 
saient. Il  prit  donc  la  résolution  lorsqu'il  quitta  la  capitale,  le 
22  mars  \  ce  d'aller  en  sa  maison  de  La  Ferté-sous-Jouarre,  pour 
3)  y  rendrela  princesse,  sa  femme,  qui estoit  preste  d'accoucher, 
»  ayant  toutes  fois  adverti  l'admirai  et  d'Andelot  qu'il  prendroit 
»  son  chemin  par  la  ville  de  Meaux,  afin  d'aviser  ensemble  ce 
))  qu'ils  auraient  à  faire  -...  » 

Le  prince  mandait  à  ses  deux  oncles  «  que  faulte  de  courage 
y>  ne  l'avoit  contraint  d'abandonner  Paris,  ains  faulte  de  force, 
»  et  qu'ils  marchassent  en  diligence  vers  lui  :  car  César  n'avait 
y>  pas  seulement  passé  le  Rubicon,  mais  desjà  avait  saisi  Rome, 
))  et  ses  estendards  commençoyent  à  bransler  par  les  campa- 
»  gnes  ^...  )) 

Le  message  de  Gondé  ne  surprit  point  Goligny.  Depuis  quelque 
temps,  à  la  vue  des  événements  qui  se  précipitaient  d'une  ma- 
nière alarmante,  il  était  sans  illusion  sur  l'imminence  d'une 
guerre  civile  dont  il  eût  voulu,  à  tout  prix,  conjurer  l'explo- 
sion. 

Or,  maintenant  que  la  perversité  des  Guises  déchaînait  sur  la 
France  le  plus  etfroyable  des  fléaux,  quelle  attitude  devait-il 
prendre,  dans  l'intérêt  de  la  religion,  de  la  patrie  et  de  la  famille, 
en  face  d'hommes  sans  foi  élevée  et  sans  patriotisme?  Agres- 
seurs au  cœur  dégradé  par  la  haine  et  l'ambition,  ils  engageaient, 

1.  Lettre  do  Th.de  Bèze,de  la  fin  de  mars  1552  (Bibl.  de  Genève,  mss.,  f"  117). 

2.  Bèze,  Hist.  eccL,  t.  Il,  p.  5.  * 

3.  De  Lanoue,  Disc,  polit,  et  milit.,  p.  651. 


—  43  — 

au  mépris  des  droits  de  la  conscience  chrétienne,  de  l'autorité 
du  souverain  et  des  lois  du  royaume,  une  lutte  fratricide  :  sous 
quelle  forme  et  à  l'aide  de  quels  moyens  fallait-il  la  soutenir 
contre  eux?  Telle  était  la  question  qui  se  posait  devant  Coligny. 
Elle  étreignait  son  âme,  soit  que,  dans  le  recueillement  du  cabi- 
net, il  se  livrât  à  de  solitaires  réflexions,  soit  qu'entouré  de  sa 
femme  et  de  ses  enfants  il  portât  sur  elle  et  sur  eux  ses  regards 
attendris  en  songeant  aux  périls  et  aux  souffrances  qui  les  me- 
naçaient, soit  encore  qu'il  s'inclinât  sur  le  berceau  de  Renée  \ 
dont  quelques  jours  auparavant  il  avait  fêté  la  naissance. 

La  question  du  parti  à  prendre,  dans  les  conjonctures  pré- 
sentés, se  posait  aussi  devant  des  hommes  d'élite,  naturellement 
appelés  à  la  discuter  et  à  la  résoudre  avec  l'amiral.  Ces  hommes 
étaient  ses  frères,  Odet  et  d'Andelot,  ses  amis  Briquemault, 
Boucard  et  quelques  autres  seigneurs,  qui  tous  se  trouvaient 
au  château  de  Châtillon  quand  le  message  du  prince  y  parvint. 
Ils  eurent  avec  Coligny  de  longs  entretiens;  ils  le  pressèrent  de 
se  rendre  à  l'appel  de  Condé,  mais  ne  purent  réussir  à  sur- 
monter la  résistance  qu'il  leur  opposait.  Une  influence  supé- 
rieure à  celle  qu'ils  avaient  en  vain  espéré  exercer  sur  lui  en 
triompha. 

Rien  de  plus  touchant  que  le  secret  de  cette  noble  influence! 
D'Aubigné,  qui  eut  le  privilège  d'en  être  le  confident,  nous  le 
révèle  : 

c(  A  Chastillon-sur-Loing,  dit-il" ,  s'estoient  assemblez  près 
))  l'amiral,  le  cardinal  et  d'Andelot,  ses  frères,  Genlis,  Bou- 
»  card,  Briquemault  et  autres,  pour  le  presser  de  monter  à 
»  cheval. 

))  Ce  vieil  capitaine  trouvoit  le  passage  de  ce  Rubicon  si  dan- 

i.  «  Le  VII  de  mars  1561  (1562,  n.s.)  fut  née  Renée  de  Coulligny,  ma  liile,  à 
>  Chastillon,  ung  samedi  à  quatre  heures  du  matin.  »  {Bull,  de  la  Soc.  d'hist. 
duprot.  fr.,  t.  II,  p!  6.  Livre  d'heures  de  Louise  de  Montmorency. 

"i.  Hist.  vniv.,  t.  1,  liv.  III,  ch.  ii. 


_  44  — 
))  gereux,  qu'ayant  par  deux  jours  contesté  contre  cette  com- 
y>  pagnie,  et  par  doctes  et  spécieuses  raisons  rembarré  leur  vio- 
T>  lence,  il  les  avoit  estonnezdeses  craintes,  et  n'yavoit  comme 
»  plus  d'espérance  de  l'esmouvoir,  quand  il  arriva  ce  que  je 
y>  veux  donner  à  la  postérité,  non  comme  un  intermèze  de  la- 
»  blés,  bienséantes  aux  poètes  seullement,  mais  comme  une 
•»  histoire  que  j'ai  apprise  de  ceux  qui  estoient  de  la  partie. 

»  Ce  notable  seigneur,  deux  heures  après  avoir  donné  le 
»  bonsoir  à  sa  femme,  fut  resveillé  par  les  chauds  soupirs  et 
»  sanglots  qu'elle  jettoit  :  il  se  tourna  vers  elle,  et  après  quel- 
y>  ques  propos,  il  lui  donna  occasion  de  parler  ainsi  : 

»  C'est  à  grand  regret,  monsieur,  que  je  trouble  vostre  repos 
»  par  mes  inquiétudes  :  mais  estant  les  membres  de  Christ  des- 
))  chirez  comme  ils  sont,  et  nous  de  ce  corps,  quelle  partie  peut 
»  demeurer  insensible  ?  Vous,monsieur,  n'avez  pas  moins  de  sen- 
))  timent,  mais  plus  d§  force  à  le  cacher.  Trouverez- vous  mau- 
y>  vais  de  vostre  fidelle  moitié  si,  avec  plus  de  franchise  que  de 
»  respect,  elle  coule  ses  pleurs  et  ses  pensées  dans  vostre  sein? 
X  Nous  sommes  icy  couchez  en  délices,  et  les  corps  de  nos 
))  frères,  chair  de  nostre  chair  et  os  de  nos  os.  sont,  les  uns 
»  dans  les  cachots,  les  autres  par  les  champs,  à  la  merci  des 
»  chiens  et  des  corbeaux.  Ce  lit  m'est  un  tombeau  puisqu'ils 
»  n'ont  point  de  tombeaux;  ces  linceux  me  reprochent  qu'ils 
»  ne  sont  pas  ensevelis.  Pourrons-nous  ronfler  en  dormant,  et 
»  qu'on  n'oye  pas  nos  frères,  aux  soupirs  de  la  mort?  Je  re- 
»  mémorois  icy  les  prudens  discours  desquels  vous  fermez  la 
»  bouche  à  messieurs  vos  frères  :  leur  voulez-vous  aussi  arra- 
»  cher  le  cœur  et  les  faire  demeurer  sans  courage  comme  sans 
»  response?  Je  tremble  que  telle  prudence  soit  des  enfans  du 
3  siècle,  et  qu'estre  tant  sage  pour  les  hommes  ne  soit  pas 
))  estre  sage  à  Dieu  qui  vous  a  donné  la  science  de  capitaine. 
»  Pouvez-vous  en  conscience,  en  refuser  l'usage  à  ses  enfans? 
y>  Vous  m'avez  advoué  qu'elle  vous  resveilloit  quelquefois  :  elle 


—  45  — 

^)  est  le  truchement  de  Dieu.  Craignez- vous  que  Dieu  vous  face 
y>  coulpable  en  la  suivant?  L'espée  de  chevalier  que  vous  por- 
»  tez  est-elle  pour  opprimer  les  affligés,  ou  pour  les  arracher 
>  des  ongles  des  tyrans?  Vous  avez  confessé  la  justice  des 
»  armes  contre  eux  :  pourroit  bien  vostre  cœur  quitter  l'amour 
»  du  droict  pour  la  crainte  du  succès?  C'est  Dieu  qui  osta  le 
»  sens  à  ceux  qui  lui  résistèrent  sous  couleur  d'espargner  le 
))  sang;  il  sait  sauver  l'âme  qui  se  veut  perdre  et  perdre  l'âme 
»  qui  se  veut  garder.  Monsieur,  j'ai  sur  le  cœur  tant  de  sang 
))  versé  des  nostres  ;  ce  sang  et  vostre  femme  crient  au  ciel  vers 
»  Dieu  et  en  ce  lict  contre  vous,  que  vous  serez  meurtrier  de 
»  ceux  que  vous  n'empeschez  point  d'estre  meurtris. 

))  L'admirai  respond  :  Puisque  je  n'ai  rien  profité  par  mesrai- 
))  sonnemens  de  ce  soir  sur  la  vanité  des  esmeules  populaires, 
»  la  douteuse  entrée  dans  un  parti  non  formé,  les  difficiles 
y>  commencemens,  non  contre  la  monarchie,  mais  contre  les 
i^  possesseurs  d'un  estât  qui  a  ses  racines  envieillies,  tant  de 
»  gens  intéressez  à  sa  manutention,  nulles  attaques  par  de- 
))  hors,  mais  générale  paix,  nouvelle  et  en  sa  première  fleur,  et, 
y>  qui  pis  est,  faicte  entre  les  voisins  conjurez,  et  faicte  exprès 
3)  à  nostre  ruine;  puisque  les  défections  nouvelles  du  roi  de 
»  Navarre  et  du  connétable,  tant  de  force  du  costé  des  enne- 
y>  mis,  tant  de  faiblesse  du  nostre,  ne  vous  peuvent  arrester, 
»  mettez  la  main  sur  vostre  sein,  sondez,  à  bon  escient  vostre 
»  constance,  si  elle  pourra  digérer  les  desroutes  générales,  les 
»  opprobres  de  vos  ennemis  et  ceux  de  vos  partisans,  les  re- 
»  proches  que  font  ordinairement  les  peuples  quand  ils  ju- 
))  gent  les  causes  par  les  mauvais  succez,  les  trahisons  des 
y>  vostres,  la  fuite,  l'exil  en  pais  estrange,  là  les  choquemens 
y>  des  Anglois,  les  querelles  des  Allemans,  vostre  honte,  vostre 
»  nudité,  vostre  faim,  et,  qui  est  plus  dur,  celle  de  vos  en- 
»  fans  :  tastez  encores  si  vous  pouvez  supporter  vostre  mort 
»  par  un  bourreau,  après  avoir  veu   vostre  mari  traîné  et 


—  46  — 
))  exposé  à  l'ignominie  du  vulgaire,  et,  pour  fin,  vos  enfans 
))  infâmes  vallets  de  vos  ennemis  accreus  par  la  guerre  et 
»  triomphans  de  vos  labeurs  :  je  vous  donne  trois  semaines 
))  pour  vous  esprouver;  et,  quand  vous  serez  à  bon  escient, 
»  fortifiée  contre  tels  accidens,  je  m'en  irai  périr  avec  vous  et 
»  avec  nos  amis. 

D  L'admiralle  répliqua  :  Ces  trois  semaines, sont  achevées! 
»  vous  ne  serez  jamais  vaincu  par  la  vertu  de  vos  ennemis  ; 
))  usez  de  la  vostre,  et  ne  mettez  point  sur  vostre  teste  les 
))  morts  de  trois  semaines  :  je  vous  somme  au  nom  de  Dieu 
))  de  ne  nous  frauder  plus,  ou  je  serai  tesmoin  contre  vous  en 
»  son  jugement!!  » 

«  D'un  organe  bien  aimé  et  d'une  probité  esprouvée  les 
»  suasions  furent  si  violentes  qu'elles  mirent  l'admirai  à  che- 
))  val  pour  aller  trouver  le  prince  de  Gondé  et  autres  princi- 
»  paux  chefs  du  parti  à  Meaux.  )> 

Arrivés  en  cette  ville,  Goligny,  ses  frères  et  ses  amis  entrent 
aussitôt  en  délibération  avec  Gondé  et  les  hommes  dévoués 
qui  l'y  ont  suivi. 

La  situation  générale  se  dégage  aux  yeux  de  tous,  avec  net- 
teté, sous  un  double  aspect.  Du  côté  des  triumvirs  et  de  leurs 
adhérents,  elle  est  celle  de  rebelles  qui  s'insurgent  à  la  fois 
contre  la  royauté  et  contre  le  droit,  solennellement  établi,  des 
sectateurs  de  la  religion  réformée;  du  côté  de  ceux-ci  et  du 
prince,  leur  protecteur,  elle  est  celle  d'hommes  de  foi  et  de 
sujets  fidèles,  mis  en  demeure  par  une  agression  violente  de 
défendre  conjointement  la  religion,  la  royauté,  la  loi  et  leurs 
propres  personnes.* . 

^ .  «  Ce  qui  servit  beaucoup  le  parti  calviniste  dans  la  première  guerre  reli- 
»  gieuse,  ce  fut  de  s'autoriser  d'un  édit  royal,  et  d'agir  en  quelque  sorte  avec 
»  l'assentiment  de  la  royauté.  Les  violences  du  triumvirat  catholique,  qui  rejeta 
»  arbitrairement  une  concession  légale  faite  par  la  couronne,  qui  s'empara  du 
»  jeune  roi  et  de  la  reine  sa  mère,  retenus,  malgré  les  larmes  de  l'un  et  les  pro- 
»  testations  de  l'autre,  dans  une  sorte  de  captivité,  permirent  aux  hugnenots  de  se 


—  47  — 

De  là,  la  nécessité  et  la  légitimité,  unanimement  reconnues, 
d'un  recours  aux  armes  pour  combattre  des  ennemis  qui 
attaquent  à  main  armée;  double  conséquence  mise  en  relief 
par  ces  énergiques  paroles  d'un  homme  que  son  attachement 
à  la  cause  soutenue  par  Coligny,  Gondé  et  tant  d'autres  a  con- 
duit à  Meaux^  :  «  Ce  serait  une  calomnie  par  trop  effrontée,  de 
D  bailler  le  nom  d'esmotion  et  rébellion  contre  le  roy  et  le 
»  repos  public  aune  si  juste  et  totalement  nécessaire  défen- 
))  sive  contre  tels  et  si  horribles  violateurs  de  tout  droit  divin 
»  et  humain,  osant  bien  cependant  couvrir  tout  cela  de  l'autho- 
»  rite  d'un  roi  mineur,  captif  entre  leurs  mains,  avec  une  femme, 
»  sa  mère,  et  des  parlemens  choisis  et  prattiqués  après  en 
»  avoir  deschassé  tous  ceux  qui  pourroient  s'opposer  au  mal; 
D  défensive,  dis-je,  très  juste,  puisqu'il  n'y  a  pays  au  monde 
»  auquel  les  loix  n'arment  tous  loyaux  subjects,  voire  jusques 
))  au  plus  petit,  pour  rendre  fort  le  bras  de  justice  contre  les 
))  ennemis  publics,  qui  ne  peuvent  autrement  estre  réprimés.  » 

Mais  les  éléments  actuels  de  défense  sont  insuffisants  ;  le  temps 
presse,  et  l'amiral,  «  qui  n'est  pas  novice  es  affaires  d'estat,  pré- 
D  voyant  que  le  jeu  va  s'eschauffer, 'remonstre  qu'il  convient 

»  lever,  de  s'armer,  de  combattre  tout  à  la  fois  pour  le  maintien  de  leur  croyance 
»  attaquée  et  la  défense  plausible  de  la  majesté  royale  méconnue,  j  (M.  Mignet, 
Journal  des  savants,  ann.  1860,  p.  97.)  —  On  a  dit  avec  raison  :  «  L'édit  de 
ï  janvier  n'existait  plus;  les  protestants  étaient  hors  la  loi  ;  mais  leur  roule  était 
»  toute  tracée  par  la  conduite  du  parti  catholique,  qui,  en  les  forçant  à  uae  prise 
»  d'armes,  les  mettait  en  état  de  légitime  défense.  »  (F.  Puaux,jtf/si.  de  la  réforme 
franc.,  t.  II,  p.  U5.) 

1.  Mémoire  sur  les  guerres  de  religion,  rédigé  en  1594  par  Th.  de  Bèze 
{Bull,  de  la  Soc.  de  l'hist.  duprot.  fr.,  t.  XXI,  p.  28  et  suiv.).  — De  Bèze  avait 
accompagné  le  prince  à  Meaux.  Il  écrivit,  de  cette  ville,  à  la  fin  du  mois  de  mars  1562 
(Bibl.  de  Genève,  mss.,f»  117):  «  Die  vicesimà  secundà  hujus  mensis  excessimus 
j  ex  urbe,  me  quidem  invito  sed  frustra  reluctante.  Postridie  Meldas  perveni- 
»  mus,  ubi  quotidie  augentur  copiae.  Heri  demum  sese  nobiscum  conjunxit  Posi- 
ï  donius  (Coligny),  qui  utinàm  citiùs  advenisset.  Gras  cœnam  favente  Deo  cele- 
»  brabimus.    Andelotus   quoque   aderit  cùm  magna   turma,   et  alios  subindè 

»  adventantes  excipiemus Nostris  video  nec  animum  déesse,  nec  vires,  sed 

»  praeclaras  occasiones  nostrâ  cunctatione  jàm  amissas  esse,  cegerrimè  fero.  > 


V  se  renforcer  d'hommes  diligemment,  ou  se  préparer  à  la  fuite  : 
»  et  encore  croit-il  qu'on  a  beaucoup  tardé  * .  » 

«  Gomme  l'on  est  en  tels  termes,  gentilshommes  arrivent 
))  inopinément  de  tous  costés,  sans  avoir  esté  mandez^ ,  de 
»  manière  qu'en  quatre  jours,  il  s'en  trouve  là  plus  de  cinq 

y>  cens En  six  jours  on  en  a  recueilli  plus  qu'on  n'espéroit 

»  en  avoir  en  un  mois  ^  ;  »   et  l'on  se  décide  alors  à  sortir 
de  Meaux  prochainement. 

Avant  de  quitter  cette  ville,  Goligny  adresse,  le  27  mars,  à 
Catherine  la  lettre  suivante*  :  ' 

((  Madame,  j'ay  reçeu  deux  lettres  qu'il  a  pieu  à  vostre  majesté 
))  m'escripre,  toutes  deux  du  xxv'  de  ce  mois,  la  première 
.1)  par  ung  courrier  envoyé  devers  monsieur  le  prince,  et  la  se- 
))  conde  par  vostre  valet  de  chambre;  et,  pour  respondre  à 
))  toutes  deux  :  en  premier  lieu,  je  ne  sçay  d'où  le  roi  de  Na- 
))  varre  a  eu  advertissement  que  je  faisois  levée  de  gens,  mais 
))  je  vous  respons  sur  mon  honneur,  madame,  que  je  n'y  ay  pas 
»  seulement  panssé.  Bien  ay-je  adverty  quelques-ungs  de  mes 
»  voisins  et  amys  et  prié  de  me  faire  compagnie  pour  venir 
y>  trouver  mondit  sieur  le  prince.  Que  si  davanture  il  s'en  est 


1.  De  Lanoue,  Disc,  polit,  et  milit.,  p.  651. 

2.  «  Aucuns  ont  pensé,  dit  de  Lanouo  (ibid.  p.  653)  qu'on  avoit  prémédité  ceci 
»  de  longtemps,  ou  qu'il  estoit  avenu  par  la  diligence  des  chefs  :  mais  je  puis 
»  affirmer  que  non,  pour  avoir  esté  présent  et  curieux  d'en  rechercher  les  causes. 
»  Il  est  certain  que  la  pluspart  de  la  noblesse  ayant  entendu  l'exécution  de 
»  Vassy,  poussée  d'une  bonne  volonté,  et  partie  de  crainte,  se  délibéra  de  venir 
»  près  Paris,  imaginant,  comme  à  l'aventure,  que  leurs  protecteurs  pourroyent 
»  avoir  besoin  d'elle.  Et  en  ceste  manière  partoyent  des  provinces  ceux  qui  es- 
7>  toyent  plus  renommez,  avec  dix,  vingt  ou  trente  de  leurs  amis,  portans  armes 
»  couvertes,  et  logeans  par  les  hostelleries,  ou  par  les  champs  en  bien  payant, 
»  jusques  à  ce  qu'ils  rencontrèrent  le  corps  et  l'occasion  tout  ensemble.  Plu- 
î  sieurs  d'entre  eux  m'ont  assuré  que  rien  ne  les  fit  mouvoir  que  cela  :  et  mesmes 
»  i'ay  ouï  confesser  plusieurs  fois  à  messieurs  les  princes  et  admirai,  que  sans  ce 
>  bénéfi^  ils  eussent  esté  en  hazard  de  prendre  un  mauvais  parti,  k 

3.  De  Lanoue,  Disc,  polit,  et  miiit.,  p.  652. 

4.  Bibl.  nat.,  mss.  f.  fr.,  vol.  20  m,  f°  217. 


—  49  — 
))  veu  en  ma  compagnie  d'armes,  il  me  semble  qu'il  ne  doibt 
))  estre  trouvé  non  plus  estrange  que  de  ceulx  qui  vont  trouver 
ï)  monsieur  de  Guise  avecques  armes  descouvertes,  et  dont  je 
»  puys  parler  comme  les  ayant  vues;  davantage  que  je  suys 
y>  advertide  plusieurs  endroicts  que  monsieur  de  Guise  me  me- 
»  nace  fort,  ce  que  m'a  encores  icy  confirmé  monsieur  le  prince 
»  comme  l'ayant  enttendu  de  bon  lieu;  et  pour  ceste  cause  je 
ï)  vous  supply  très  humblement,  madame,  ne  trouver  maulvais 
»  que  je  me  tienne  sur  mes  gardes.  La  seconde  lettre  de  vostre 
»  majesté  faict  encores  mention  de  ce  que  vous  avez  enttendu 
»  que  je  suys  parti  de  chez  moy  avecques  grande  compagnie 
»  de  gens  armés  d'armes  creues  et  descouvertes,  et  que  je  faicts 
»  ainsi  marcher  ma  compagnie,  l'ayant  levée  de  sa  garnison. 
y>  Quanta  avoir  bonne  compagnie,  je  confesse  que  je  l'ay  et  l'au- 
y>  ré  là  meilleure  que  je  poui'ré  pour  me  garder  d'astre  oul- 
y>  tragé.  Quant  à  armes  descouvertes,  je  n'en  ay  veu  en  ma  com- 
y>  pagnie  sinon  de  pistoles  et  pistolets,  ce  qui  est  commun  par 
))  tout  le  royaulme  de  France.  Quant  à  avoir  levé  ma  compagnie 
»  de  sa  garnison,  il  ne  s'en  trouvera  nul  mandement  de  moy, 
))  et  ce  qui  principalement  m'en  a  gardé,  c'est  que  je  sçavois 
»  bien  qu'il  n'y  avoit  pas  tant  de  gens  que  cela  me  peust  porter 
î>  grande  faveur,  et  toutefois,  madame,  quand  je  l'aurois  mandée, 
y>  je  n'aurois  faict  que  ce  que  ont  faict  d'aultres.  Quant  à  ce 
»  que  me  mandés  si  j'ai  faict  faire  ung  serment  à  ma  compa- 
y>  gnie  sans  parler  du  roy,  affin  que  vous  cognoissiés  la  vérité 
»  du  fait,  il  y  a  plus  de  quatre  ans  que  je  ne  fus  en  monstre 
))  de  ma  compagnie,  là  où  les  sermens  se  font  ;  d'en  avoir  faict 
»  faire  depuys  en  quelque  sorte  que  ce  soit,  si  vous  trouvés 
))  qu'il  en  soit  rien,  je  veulx  que  vous  me  teniés  pour  infâme  et 
i>  deshonoré.  Au  demeurant,  je  vous  supply  très  humblement, 
y>  madame,  croire  qu'il  n'y  a  gentilhomme  en  France  qui  plus 
»  désire  vous  veoir  en  repos  et  contante  que  moy,  ce  que  je  feré 
»  plus  particulièrement  enttendre  par  le  capitaine  Breuil  que 


—  50  — 

»  monsieur  le  prince  envoyera  devers  vostre  majesté.  Et  sur  ce, 
y>  je  prierai  nostre  seigneur,  madame,  vous  donner  en  parfaite 
y>  santé  très  heureuse  et  très  longue  vie.  De  Meaux,  ce  xxvii*  de 
»  mars  4561  (1562  n.  s.),  vostre  très  humble  et  très  obéissant 
))  subject  et  serviteur j  Ghastillon.  y> 

Catherine  reçoit  cette  lettre  à  Fontainebleau,  où,  depuis  quel- 
que temps,  elle  s'est  rendue  avec  ses  enfants.  Aux  injustes 
soupçons  par  lesquels  elle  l'a  blessé,  Goligny,  généreux  comme 
toujours,  répond  par  la  loyale  assurance  de  son  dévouement.  La 
régente  doit  donc  ne  voir  en  lui  qu'un  sincère  défenseur  et 
compter  sans  réserve  sur  ses  efforts,  comme  elle  compte  sur 
ceux  de  Condé,  pour  tenter  de  sauver  et  elle  et  le  roi.  Le 
doute  à  cet  égard  lui  serait  d'autant  moins  permis,  qu'auprès 
d'elle  se  trouve  en  ce  moment,  pour  confirmer  la  parole  de 
l'amiral,  le  garant  le  plus  sûr  auquel  elle  puisse  se  fier,  savoir, 
l'intime  ami  de  celui-ci,  Soubize,  dont  les  sentiments  élevés  s'i- 
dentifient avec  ceux  de  l'homme  éminent  qui'  l'appelle  son 
frère  ^  . 

Au  nom  de  Condé  et  des  autres  chefs  réunis  à  Meaux,  Soubize 
insiste  auprès  de  Catherine  pour  qu'elle  suive  enfin  le  conseil, 
qui  lui  a  été  donné  par  l'amiral  et  par  d'Andelot^  ,  de  se  diri- 
ger avec  le  roi  vers  Orléans,  où  Condé,  à  la  tête  des  siens,  va  se 
rendre,  et  où  s'effectuera,  sans  obstacle  sérieux,  la  translation 
du  siège  légal  du  gouvernement.  Le  prince  pourrait  sans  doute, 
ainsi  qu'il  le  projetait  d'abord,  marcher  droit  à  Fontainebleau, 
et  de  là  conduire  la  régente  et  son  fils  sur  la  Loire;  mais,  répu- 


1 .  «  Le  s""  de  Soubize  portoit  amitié  particulièrement  à  messieurs  de  Chas- 
»  tillon,  desquels  il  fut  toujours  inthime  amy;  tellement  que  tous  trois  le  te- 
»  noient  comme  pour  leur  quatrième  frère,  nommément  monsieur  l'admirai, 
»  qui  a  dit  beaucoup  de  foys  que,  luy  estant  mort,  il  ne  lui  estoit  plus  resté 
»  un  tel  amy,  et  que  l'amitié  qui  estoit  entre  eux  n'estoit  point  seulement 
j  d'aniys,  mais  de  frères.  »  (Mémoires  de  la  vie  de  Jean  de  Parlhenay-l'Arche- 
*  vêque,  sieur  de  Soubize,  Paris,  in-12,  1879,  p.  18  et  19.) 

2.  De  Bèze,  Hist.  eccl.,  t.  Il,  p.  A,  5. 


—  51"  — 

diant  jusqu'à  la  moindre  apparence  d'une  pression  exercée  sur 
le  souverain  et  sur  sa  mère,  il  s'abstient  de  paraître  à  Fontaine- 
bleau, où  il  n'est  point  appelé,  et  veut  que  le  départ  de  Cathe- 
rine pour  Orléans  soit  exclusivement  l'effet  d'une  détermination 
librement  prise  par  cette  princesse.  Ce  qu'il  espère,  c'est  que  ce 
sera  le  sage  parti  qu'elle  adoptera,  en  face  du  danger  auquel  il 
désire  la  soustraire.  Ce  danger,  Soubize  le  signale  à  Catherine 
avec  un  redoublement  d'énergie,  car  il  vient  d'apprendre  que 
Guise  et  Antoine  de  Bourbon  s'avancent  sur  Fontainebleau 
pour  s'y  emparer  de  la  personne  du  roi;  mais  Catherine  se  berce 
d'illusions  au  sujet  de  ses  ennemis,  dont  elle  se  croit  capable  de 
déjouer  les  plans;  elle  résiste  aux  instances  de  Soubize* ,  et  ce 
dernier,  dont  la  présence  auprès  d'elle  est  désormais  inutile,  se 
sépare  du.  roi,  de  sa  mère,  et,  dans  l'espoir  de  les  servir  ailleurs, 
va  rejoindre  Condé. 

Un  récit  auquel  s'attache  une  autorité  particulière,  celui 
d'un  ami  initié  à  la  connaissance  des  diverses  phases  de  la  vie 
privée  et  de  la  vie  pubhque  de  Soubize,  retrace  en  ces  termes  les 
derniers  entretiens  qu'il  eut  avec  Catherine  de  Médicis,  à  Fon- 
tainebleau'^ : 

«  Le  sieur  de  Soubize  espéroit  tousjours  de  gaigner  la  royne 
»  pour  aller  à  Orléans,  et  de  faict  quelquefois  il  lui  sembloit 
»  qu'elle  estoit  toute,  résolue,  mais  après  elle  changeait  d'advis. 
»  Toutefois  il  persistoit  tousjours  ;  à  quoy  luy  aidoit  le  chan- 
))  celier  de  l'Hospital,  de  sorte  que,  tous  les  jours,  ils  parloient 
y>  deux  ou  trois  heures  à  elle  dans  son  cabinet  et  la  pensoient 


1.  «  Quelques-uns  avoient  conseillé  à  la  royne  mère  de  se  retirer  de  Fon- 
»  tainebleau  dans  la  ville  d'Orléans,  avec  le  roy  et  messieurs  ses  frères,  et  là 
»  se  tenir  close  et  couverte  contre  tous,  jusques  à  ce  qu'ils  fussent  entrez  en 
»  quelque  bonne  réconciliation;  elle  n'y  a  voulu  ou  osé  entendre;  tellement 
*  que  le  roy  de  Navarre  l'a  retrouvée  à  Fontainebleau.  »  (Est.  Pasquier,  liv.  IV, 
lettre  i5). 

2.  Mémoires  de  la  vie  de  Jean  de  Parthenay-l'Archevêque,  sieur  de  Soubize, 
p.  51  à  5i. 


—  •52  — 

»  quelquefois  avoir  toute  gaignée,  et  qu'elle  estoit  preste  à  y  al- 
))  1er;  puis  tout  soudain  une  frayeur  luy  prenoit  tellement 
))  qu'elle  en  estoit  découragée.  Néantmoins  tant  plus  le  sieur 
y>  de  Soubize  voyoit  que  le  temps  estoit  court,  et  plus  il  s'esver- 
»  tuoit  ;  de  sorte  que,  le  jour  avant  que  ceulx  de  Guise  deussent 
»  arriver,  après  luy  avoir  reraonstré  tout  ce  qu'il  peut  à  quoy 
))  elle  luy  accordoit  tout,  hormis  l'effect  qu'il  sembloit  qu'elle 
))  refusoit  seulement  par  crainte,  il  pressa  encores  monsieur 
»  le  chancelier  de  luy  en  parler,  et  le  fit  retourner  vers  elle 
y>  cinq  ou  six  fois  ce  jour  là,  combien  que  le  chancelier  luy  dict 
»  qu'il  n'espéroit  plus  rien,  qu'elle  n'avoit  point  de  résolution, 
))  qu'il  la  cognoissoitbien.  Si  fais-je  bien  moy,  disait  le  sieur  de 
»  Soubize;  mais,  je  vous  prie,  essayons  encores  ce  coup;  telle- 
))  ment  que,  comme  j'ai  dict,  ils  retournèrent,  ce  jour-là,  cinq 
)>  ou  six  fois  vers  elle  ;  et  pour  cet  effect  tarda,  à  Fontainebleau, 
»  jusques  au  soir,  après  soupper,  dont  ceulx  de  Guise  dévoient 
))  arriver  le  lendemain.  Quand  il  vit  qu'il  ne  gaignoit  plus  rien 
y>  à  l'endroit  delà  royne  et  que  ceulx  de  Guise  estoient  si  près, 
))  il  se  résolut  de  partir  le  soir  et  vint  prendre  congé  d'elle. 
))  Mais  elle  le  pria  lors  de  demeurer  près  d'elle,  à  cause  que 
»  si  elle  se  vouloit  déclarer  (comme  elle  lui  donnoit  espérance 
y>  de  le  faire,  selon  que  ses  affaires  succéderaient)  elle  n'avoit 
»  personne  en  qui  elle  se  fiast;  pourtant  elle  désiroit  qu'il  de- 
))  mourast  afin  de  luy  servir  en  ce  faict,  pour  ce  qu'elle  ne  s'en 
)>  pouvoit  fier  qu'à  luy.  A  quoy  il  luy  répondit  :  Madame,  je  ne 
»  sçay  comment  vous  pouvez  espérer  d'avoir  moïen  de  vous  décla- 
»  rer,  si  vous  ne  le  faites  entre  cy  et  demam,  que  ceulx  de  Guise 
))  arriveront  ;  car  si  vous  attendez  leur  venue,  vous  vous  devez  as- 
»  surer  que  le  roy  et  vous  serez  prisonniers,  de  sorte  que,  pour 
»  estre  en  ceste  court,  je  ne  vous  ferois  nul  service,  car  seule- 
»  ment  je  n'aurois  pas  moïen  de  pailer  à  vous,  et  ne  ferois  que 
»  me  mettre  en  danger,  pour  ce  que,  le  roy  et  vous  n'ayant  plus 
ï>  de  pouvoir,  et  sachant  comme  je  vous  suis  serviteur,  dès  le 


»  lendemain  on  me  feroit  tuer,  non  que  je  plaignisse  ma  vie 
))  pourvu  que  je  la  despendisse  pour  vostre  service;  mais  ce 
»  seroit  inutilement,  perdant  le  moïen  de  vous  en  faire  ailleurs. 
»  Ce  que  voyant,  la  reine  le  pria  de  ne  prendre  donc  point  en- 
y>  core  les  armes,  mais  de  s'en  aller  chez  luy  pour  luy  tenir  des 
»  trouppes  de  Poitou  et  de  Xainctonge  prestes,  et  les  luy  amener 
»  quand  elle  luy  manderoit  en  avoir  besoing.  A  quoy  il  luy  fit 
»  response  que,  lorsqu'elle  en  auroit  affaire,  que  le  lui  faisant 
))  savoir,  il  les  manderait  tousjours  bien,  et  qu'il  luy  respon- 
»  doit  de  les  luy  tnener  toutes  fois  et  quantes  qu'elle  voudroit, 
»  sans  qu'il  fûst  besoing  que  pour  cest  effect  il  fust  sur  les  lieux  ; 
:)  que  cependant  il  ne  demeurerait  point  inutile,  mais  s'en 
»  iroit  joindre  avec  ceulx  qu'il  sçavoit  estre  délibérez  d'em- 
))  ployer  leur  vie  pour  son  service  et  pour  la  délivrer  de  la  cap- 
))  tivité  où  le  roy  et  elle  alloient  entrer.  Eh  bien  donc!  luy  dict 
))  la  royne.  Sur  cela,  il  prit  congé  d'elle.  y> 

A  quelques  heures  de  là,  Soubize,  arrivé  à  Meaux,  y  serrait  la 
main  du  sage  et  valeureux  de  Lanoue  qui,  déplorant  comme 
lui  que  la  régente  ne  se  fût  pas  laissée  ce  induire  d'aller  à 
-»  Orléans  et  d'y  mener  le  roy  »,  n'hésita  pas  à  lui  dire  ce  qu'il 
répéta  plus  tard  ailleurs*  :  a  Si  les  effects  (des  conseils  de  dé- 
))  part)  s'en  fussent  ensuyvis,  je  cuide  que  les  armes.  s&  fussent 
))  remises  au  fourreau.  Car  estant  la  cour  en  un  lieu  où  elle  ne 
»  pouvait  estre  surprise,  à  cause  des  forces  qu'on  y  eûst  fait 
»  venir,  et  où  elle  ne  pouvait  estre  forcée,  pour  ce  que  nul 
»  n'eùst  osé  alors  entreprendre  de  faire  tirer  les  canons  contre  les 
))  murailles  qui  environnoyent  le  roy,  on  eûst  là  parlé  et  négotié 
y>  à  cheval,  jusques  à  ce  que  les  affaires  eussent  esté  aucunement 
»  restablies  selon  les  édicts  de  pacification.  Mais  dépenser  que 
))  ce  remède  eûst  amorti  les  guerres,  je  m'en  donneray  bien 
y>  garde.  Il  suffit  s'il  les  eûst  dilayées  pour  quelque  peu  de 
»  temps.  » 

1.  De  Lanoue,  Disc,  polit,  et  milit.,  p.  660. 


—  54  — 

Catherine  commit  donc,  à  une  heure  décisive,  une  faute  grave 
en  refusant  de  se  rendre  aux  conseils  de  Coligny,  de  d'Andelot, 
de  Condé,  de  l'Hospital  et  de  Soubize  ;  faute  qui  la  plaça  sur 
le  bord  d'un  abyme  dont  elle  devait  descendre  rapidement  la 
pente. 

Bientôt  arrivèrent  à  Fontainebleau  Antoine  de  Bourbon  et 
les  tHumvirs,  qui  entraînèrent  de  vive  force  le  jeune  roi,  suivi 
par  sa  mère,  à  Melun,  à  Vincennes*  et  à  Paris,  où  Anne  de 
Montmorency  afficha  son  mépris  pour  l'édit  de  janvier  en  al- 
lant, à  la  tête  d'une  horde  populaire,  saccager  et  incendier  les 
prêches  de  Popincourt  et  du  faubourg  Saint-Jacques^  . 

Usurpateurs  du  pouvoir   suprême.  Guise,  Antoine  et  leurs 


4 .  «  The  king  of  Navarre  with  his  company  went  from  Corbeil  to  Fontaine- 

>  bleau,  where  the  king  and  especially  the  queen  mother  made  them  strong 
»  countenance,  because  the  train  came  in  arms  to  the  court.  After  the  laster 
»  holidays,  if  the  king  of  Navarre  and  his  company  prevail,  he  means  to  bring 
»  the  king  to  bois  de  Vincennes,  to  strengthen  with  his  name  the  authority  of 
j  their  doings,which  willprove  to  the  disadvantage  of  the  protestants  (Throck- 

>  raorton  to  the  queen,  31  mars  1562  {Calend.  of  state  pap.  foreign). 

2.  Est.  Pasquier,]iv. IV,  lettre  15.  —  De  Bèze,  Hist.  eccL,  t.  II,  p.  12.  — Cette 
déplorahle  expédition,  dans  laquelle  la  dignité  du  connétable  de  France  fut 
singulièrement  compromise,  valut  à  Anne  de  Montmorency  le  sobriquet  decapi- 
taine  brâle-bancs  (d'Aubigné,  Hist.  univ.,  t.  I,  Uv.  III,  ch.  I).  —  Une  lettre 
de  l'amba^adeur  d'Angleterre  contient  sur  cette  expédition  quelques  détails 
précis  (Throckmorton  to  the  queen,  10  avril  1562,  Calend.  of  State  pap.  fo- 
reign) :  «  On  the  morning  of  the  5  inst.  the  constable  accompanied  by  those 
»  who  guarded  the  town,  went  to  one  of  the  places  where  the  ministers  prea- 
»  ched  in  the  faubourg  Saint-Jacques,  and  there  plucked  down  a  pièce  of  the 

>  bouse  and  burnt  the  pulpit,  forms  and  chairs,  some  of  the  protestants  were 
»  wounded,  and  some  taken  and  committedto  prison.  From  them  the  constable 
»  marched  with  fifteen  or  sixteen  ensigns  armed  through  the  town  to  the  palace, 

>  and  in  his  march  took  prisoners  many  noblemen  who  were  favourers  of  pro- 
»  testaiitism,  amongst  whom  were  to  advocates,  Rosey  and  de  Pree,  belonging 
*  to  the  prince  of  Condé,  who  were  committed  to  the  Bastille.  A  défense  was 

>  made  not  by  edict  but  by  commandement,  that  there  should  be  no  more 

>  preaching  nor  assemblies,  there  was  then  great  search  made    to  take  the 

>  preachers^  of  Paris.  »  —  Beza  ad  Turicenses  et  Bernâtes,  12  avril  1562 
(Baum,  app.,  p.  178)  :  «  Hostibus  interea  nihil  potius  fuit  quàm  parisiensem 
»  ecclesiam,  conculcatis  regiis  ediclis,  dissipare.  > 


complices  se  servirent  du  .nom  du  monarque  pour  propager 
partout  le  trouble,  les  persécutions,  et  pousser  à  la  guerre 
civile.  Assemblant  alors  le  conseil  au  Louvre,  ils  y  proposè- 
rent de  prendre  les  armes  contre  Condé  et  ceux  de  son  parti.  «  Le 
((  chancelier  de  i'Hospital  s'y  opposant  fortement,  le  connétable 
»  dit  :  qu'un  homme  de  robe  ne  devait  pas  assister  aux  conseils 
))  de  guerre;  le  chancelier  répliqua,  que  si  lui  et  ses  semblables 
))  ne  savaient  pas  faire  la  guerre,  ils  savaient  néanmoins  par- 
»  faitement  décider  quand  il  la  fallait  faire.  Cependant  comme 
»  les  conseils  violentsdu  triumvirat  l'emportaient  sur  les  raisons, 
y>  le  chancelier,  à  titre  de  suspect,  fut  exclus  du  conseil^  ~s>  et  se 
retira  dans  sa  terre  du  Vignay,  où  il  devait  rester  tant  que  dure- 
rait sa  disgrâce. 

Intimidée  par  les  triumvirs  et  par  Antoine,  Catherine  n'osa 
s'opposer  ni  à  leurs  résolutions,  ni  à  leurs  actes.  Il  y  eut  plus  : 
elle  ne  tarda  pas  à  s'abaisser  au  point  d'en  accepter  la  solidarité, 
tout  en  affectant  les  dehors  et  le  langage  d'une  indépendance 
personnelle,  alors  qu'elle  demeurait  asservie.  Du  reste,  elle 
comptait  sur  quelque  revirement  politique,  et  plus  encore  sur 
ses  propres  manœuvres,  pour  s'affranchir  ultérieurement  des 
liens  de  la  dépendance  et  pour  dominer  enfin,  dans  l'État,  les 
hommes  et  les  événements. 

Le  changement  soudain  de  son  attitude  vis-à-vis  des  ré- 
formés se  reconnut  à  des  signes  qui  n'étaient  que  trop  certains  : 

L'édit  de  janvier  avait  été  promulgué  sous  ses  auspices  :  elle 
n'en  tint  plus  compte; 

Les  réformés  avaient  été  protégés  par  elle  :  elle  se  tourna 
contre  les  réformés  ; 

Parmi  eux  s'étaient  rencontrés  ses  meilleurs  conseillers,  ses 
plus  fermes  appuis  :  elle  dédaigna  lem's  conseils  et  oublia  leur 
fidélité; 

1.  De  Thou,  Hist.  univ.,  t.  III,  p.  137. 


—  56  — 

Elle  avait,  en  des  jours  de  détresse,  convié  Condé  à  prendre 
les  armes  :  elle  le  désavoua  quand  il  ceignit  l'épée. 

Se  révélant  par  là  telle  qu'elle  était  en  réalité,  Catherine  n'ap- 
parut plus,  aux  regards  de  ceux  dont  elle  venait  de  tromper  la 
confiance,  que  comme  une  femme  sans  principes  fixes,  sans  res- 
pect des  droits  acquis,  sans  énergie  contre  la  force  brutale  des 
oppresseurs,  mère  imprévoyante,  régente  à  double  face  et  à 
calculs  étroits,  maîtresse  ingrate  envers  ses  plus  fidèles  sujets. 

Tout  en  s'avouant  à  eux-mêmes,  dans  le  secret  de  leurs  appré- 
ciations, les  torts  de  la  reine  mère,  les  réformés  en  firent  osten- 
siblement reaionter  la  responsabilité  aux  triumvirs  et  à  Antoine 
de  Bourbon,  qui,  enserrant  la  royauté  dans  les  liens  d'une  cap- 
tivité odieuse,  dépouillaient  à  la  fois  Catherine  et  son  fils  de 
toute  autorité  de  langage  et  d'action.  Sincères  défenseurs  de  ces 
deux  victimes  d'une  faction  tyrannique,  Condé,  Coligny  et  les 
autres  chefs  des  réformés  professèrent  publiquement  pour  elles 
un  respect  toujours  maintenu  depuis  à  la  hauteur  de  la  mission 
protectrice  qu'ils  déclaraient  s'être  imposée;  et  le  seul  ennemi 
qu'ils  entendirent  combattre  fut,  comme  ils  le  proclamèrent 
constamment,  cette  même  faction  qui,  hostile  à  la  royauté,  l'était 
bien  plus  encore  aux  droits  de  la  conscience  chrétienne,  dont 
ils  soutenaient  la  cause  sacrée. 

En  consultant  trois  témoins  fidèles,  de  Lanoue,  Soubize  et  de 
Bèze,  activement  mêlés  aux  événements  qui  se  pressaient  alors, 
suivons  la  marche  de  Condé  vers  Orléans  et  son  entrée  dans 
cette  ville,  «  pour  là  dresser  une  grosse  tête,  si  on  venoit  aux 
armes  *». 

Après  avoir,  le  jour  de  Pâques,  célébré  la  cène  à  Meaux,  le 
prince  et  ceux  qui  l'accompagnaient  «  s'acheminèrent,  dit  de 
3)  Lanoue  ^,  vers  Saint-Cloud,  où  ils  se  renforcèrent  de  trois 
y>  cents  bons  chevaux  :  et  là  ils  eurent  advertissement  que  M.  de 

1.  De  Lanoue,  Disc,  polit,  et  mil.,  p.  652. 

2.  Id.,  ibid.,  p.  652. 


—  57  — 
y>  Guise  et  ses  associez s'estoient  emparez  de  la  cour...  De  Saint- 
»  Gloud  ils  marchèrent  vers  Chartres  et  Angervilie,  et  par  le  che- 
»  min  rencontrèrent  cinq  ou  six  troupes  de  noblesse;  ce  qui 
»  apporta  de l'esbahissement,  quand  on  considéroit  le  soudain 
3)  rengrossissement  de  nostre  corps,  qui  n'estoit  moindre  de 
»  mille  gentils-hommes,  qui  faisoient  bien  quinze  cents  chevaux 
j>  de  combat,  plus  armez  de  courage  que  de  corcelets.  » 

«  Estans,  ajoutent  les  mémoires  de  la  vie  de  Soubize  \  à  An- 
»  gerville  où  ils  avoient  couché,  le  maréchal  de  Cossé,  qui  lors 
f)  estoit  nommé  s' de  Gonnort,  y  arriva  pour  faire,  à  ce  qu'il 
))  disoit,  quelques  ouvertures,  afin  de  parvenir  à  pacifier  les 
»  choses,  et  admusa  M.  le  prince,  une  partie  de  la  matinée,  au 
))  dit  lieu,  soubz  ceste  couleur  -;  ce  que  voyant  le  s'de  Soubize,  et 
))  cognoissant  qu'ils  taschoient  plustôt  à  tirer  le  propos  en  lon- 
»  gueur  qu'à  venir  au  point,  se  doubta  que  ce  n'estoit  que  pour 
»  les  amuser,  afin  qu'on  se  saisis  t  d'Orléans,  premier  qu'ils  y  peus- 
y>  sent  estre  arrivez.  Et  de  faict  M.  d'Estrées  avoit  esté  dépesché 
»  pour  cest  eflect.  Mais  il  trouva  que  les  autres  avoient  esté  plus 
»  diligens  que  luy.  Doncques  le  s'  de  Soubize,  se  doubtant  de 
»  cela,  ne  cessa  de  presser  M.  l'admirai  jusques-  à  ce  qu'il  luy 
y)  eust  faict  rompre  ce  parlement;  ce  qu'estant  faict,  ils  remon- 
))  tèrent  à  cheval.  » 

«Après,    reprend  de  Lanoue  ",  on  tira  vers  Orléans 

»  M.  le  prince  avoit  envoyé  M.  d'Andelot  pour  se  saisir  de  la  ville, 
s>  où  estant  arrivé  comme  inconnu,  il  apperçeut  qu'il  y  auroit 

1.  De  Lanoue,  Disc,  polit,  et  milit.,  p.  '55. 

2.  Throckmorton  to  the  queen,  10  avril  156^  (Calend.  of  State pap.  foreign)  : 
«  M"^  de  Gonnor,  broLher  to  marschall  Brissac,  was  sent  to  the  prince  from 
»  the  king,  to  désire  him  to  lay  down  his  arms  and  repair  to  the  court 
»  with  his  ordinary  train.  The  prince  said  he  would  not  believe  that  the  king 
»  would  command  hira  to  disarm  ;  seing  his  enemy  the  duke  of  Guise  wasthe 
»  lirst  to  take  up  arms,  and  in  the  same  nianner  did  remain  at  court  ;  there- 
»  fore  he  (the  prince)  would  not  abandon'his  force  until  the  duke  of  Guise  were 
7>  disarmed.  » 

3.  Disc,  polit,  et  milit.,  p.  652,  661,  662. 


—  58  — 

))  de  l'empeschement  :  ce  qui  le  fit  envoyer  vers  le  dit  seigneur, 
))  lui  mandant  qu'il  s'avan cas t  diligemment  pour  le  soustenir,  et 
»  qu'il  y  avoit  apparence  de  venir  aux  armes.  Or,  tous  ne  voulant 
:»  perdre  un  si  bon  morceau  qu'estoit  celui-là,  demandoient  non 
y>  seulement  à  trotter,  mais  à  courir  :  et  ce  qui  fut  dit  fut  aussi- 
))  tost  fait.  Car  à  six  lieues  de  là  l'esbranlement  commença, 
»  ayant  M.  le  prince  alors  tant  en  maistres  qu'en  valets  environ 
D  deux  mille  chevaux  :  et  s'estant  lui-mesme  mis  à  la  teste,  et 
3)  pris  le  grand  galop,  tout  ce  corps  fit  le  semblable,  jusques  à 
»  ce  qu'on  fut  à  la  porte.  ïnnumérables  gens  se  trouvaient  par 
))  les  chemins,  tant  estrangers  qu'autres,  qui  alloient  à  Paris, 
y>  qui  voyansle  mystère  de  ceste  course,  sans  que  nul  leur  de- 
y>  mandast  aucune  chose,  la  plus  part  jugeoit  du  commencement 
))  que  c'estoyent  tout  les  fols  de  France  qui  s'estoyent  assemblez, 
»  ou  que  ce  fust  quelque  gageure  :  car  il  n'estoit  encores  nou- 
y>  velle  de  guerre.  Mais  après  y  avoir  davantage  pensé*,  et  consi- 
»  déré  le  nombre  et  la  noblesse  qui  là  estoit,  ils  entrèrent  en 
y>  admiration,  mais  en  telle  sorte  qu'ils  ne  se  pouvoient  garder 
»  de  rire  d'un  mouvement  si  impétueux,  qui  n'abattoit  pas  les 
))  arbres,  comme  les  vents  de  Languedoc,  mais  qui  plus  tost 
»  s'abattoit  soy  mesmes.  Car  par  le  chemin  on  voyait  ordinaire- 
»  ment  valets  portez  par  terre,  chevaux  esboitez  et  recreus,  malles 
y>  renversées  :  ce  qui  causoit  mesme  à  ceux  qui  couroient  des 
y>  risées  continuelles.  » 

Condé  et  sa  troupe  n'étaient  plus  qu'à  une  lieue  d'Orléans, 
lorsqu'ils  apprirent  que  d'Andelot  venait,  «  sans  aucune  playe 
donnée  ni  reçeue  *,  ))  de  s'emparer  de  cette  grande  cité,  qui  devait 
àlaspéciahté  de  ses  conditions  topographiques  d'être  considérée. 


4.  Bèze,  Hist.  eccl.,  t.  II,  p.  9.  —  «  Biduô  maximis  itineribus  Aureliam  Veni- 
j  mus  adeo  tempestivè  et  nuUo  negotio,  et  citra  certamen,  nondùtn  videlicet 
ï  ingresso  hostium  praesidio,  simus  ingressi.  »  Beza  Galvino  (op.  Calvini,  t.  XIX, 
p.  383,  n°  3769.  —  Beza  ad  Turicenses  et  Bernâtes,  12  avril  1562  ap.  Baum, 
app.,  p.  178). 


—  59  — 

après  la  capitale,  comme  la  place  la  plus  importante  de  France. 
«  Lors,  rapporte  Th.  de  Bèze  ^  comme  le  prince  reprenoit  ha- 
»  leine,  les  mieux  montés  piquèrent  devant,  et  luy  avec  l'amiral  et 
y>  grand  nombre  de  seigneurs  et  gentils  hommes  et  autres  arriva 
»  finalement  en  la  ville,  ejnviron  les  onze  heures  du  matin,  sans 
))  trouver  aucune  résistance,  passant  par  les  rues  pleines  de 
))  ceux  de  la  religion  réformée  chantant  des  psaumes  à  pleine  voix, 
»  de  sorte  que  toute  la  ville  en  retentissait.  Etant  descendu  près 
»  l'Estappe  en  la  maison  appellée  la  grande  maison,  Monterud 
»  luy  venant  au-devant  faire  la  révérence  ^,  luy  demanda  quant 
))  et  quant  congé  de  se  retirer  :  à  quoy  luy  fut  respondu  par  le 
y>  prince  qu'il  n'estoit  aucunement  venu  pour  le  troubler  en  son 
»  gouvernement,  ains  pour  bonnes  et  justes  raisons  concernantes 
y>  le  service  duroy  duquel,  dit-il,  vous  n'ignorés  que  je  n'aye  cest 
y>  honneur  de  luy  estre  serviteur  etpareqt  :  et  s'ofïroit  mesmesde 
»  le  favoriser  en  son  gouvernement  s'il  en  avoit  besoin.  Ce  néant- 
i>  moins  Monterud  dès  lors  partit  de  la  ville  bien  fasché,  s'excu- 
y>  sant  sur  ce  que  là  où  il  y  a  un  prince  du  sang  il  n'estoit  rai- 
y>  sonnable  qu'un  simple  gentil  homme  commandast.  Peu  après 
y>  arrivèrent  les  sieurs  de  la  justice  et  de  la  ville  pour  luy  dire 
»  qu'il  estoit  le  très  bien  venu,  et  cependant  le  supplier  d'avoir 
»  esgard  à  la  tranquillité  et  seureté  d'icelle  sous  l'obéissance  de 
»  sa  majesté,  et  de  ne  trouver  mauvais  si,  à  l'instant,  ils  adver- 
y>  tissoient  sa  majesté  de  l'arrivée  du  dit  seigneur  prince  et  de 
ï>  ce  qui  estoit  advenu.  La  response  du  prince  fut  qu'ils  se 
»  pouvoient  asseurer  que  le  seul  service  de  Dieu  et  du  roy  l'avoit 
»  amené  là,  tant  s'en  falloit  qu'il  y  fûst  venu  pour  aucune  mau- 
»  vaise  fin,  ni  pour  endommager  aucun,  ni  pour  esmouvoir  aucun 
»  trouble  en  ce  royaume  :  les  priant  aussi  d'empescher  de  leur 


1.  Hist.  eccl.,  t.  II,  p.  10,  11.        " 

2.  «  Innocent  Tripier,  sieur  de  Monterud,  lieutenant  au  gouvernement  d'Or- 
)  léans,  en  l'absence  de  M.  le  prince  de  La  Roche-sur-Yon.  >  (Bèze,  Hist.  eccl., 
t.  II,  p,  8.) 


-  00  — 

y>  part  qu'aucun  trouble  ne  s'esmeust  en  la  ville,  et  que  tout  se 
»  comportast  selon  l'édict  publié  le  jour  précédent,  et  que  au 
»  surplus  il  advertiroit  aussi  sa  majesté  de  toutes  choses.  Final e- 
))  ment  d'Estrée  se  présenta  ainsi  que  le  prince  se  vouloit  mettre 
»  à  table,  lequel  se  voyant  arrivé  trop  .tard  pour  cela  qu'il  vou- 
»  loit  faire,  s'en  retourna  le  mesme  jour  avec  lettres  du  prince 
»  à  la  royne,  contenans.les  justes  causes  de  son  arrivée  et  toute 
»  son  intention.  » 

Catherine  envoya  aussitôt  de  Chémeaux  sommer  Gondé,  Coli- 
gny  et  les  autres  chefs  réunis  à  Orléans  de  mettre  bas  les 
armes  ^.  De  Chémeaux  ayant  échoué  dans  sa  démarche,  Cathe- 
rine la  fit  renouveler,  le  6  avril,  par  l'évêque  de  Valence,  qui  ne 
réussit  pas  mieux,  en  ce  sens  du  moins  qu'à  la  sommation  de 
quitter  Orléans  Condé  répondit  par  la  proposition  d'une  simple 
entrevue,  dans  cette  vilLe,  avec  la  reine-mère,  si  elle  consen- 
tait à  s'y  rendre,  proposition  à  laquelle,  paraît-il,  cette  princesse 
accéda,  mais  sans  qu'il  lui  fût  permis  de  donner  suite  à  l'adhé- 
sion qu'elle  avait  exprimée^  . 

Le  cardinal  de  Ghâtillon,  dont  elle  avait  réclamé  les  bons  of- 
fices auprès  de  Coligny,'de  d'Andelot  et  de  Condé  ^,\m  adressa, 

1.  Throckmorton  to  the  queen,  10  avril  1562  (Calend.  of  State  pap.  foreign). 

2.  «  Theking  sent  Ihe  bishop  of  Valence  on  the  6'h  inst.  to  Orléans,  to  per- 
»  suade  the  prince  toleavethe  lown.  This  commission  wàs  given  him,  he  being 
»  in  great  crédit  with  Ihe  prince  and  admirai,  and  reputed  a  favourer  of  iheir 
»  religion.  After  they  had  conferred  with  the  bishop,  he  had  no  désire  to  re- 
»  turn  to  the  court,  but  to  stay  at  Orléans,  or  he  found  himself  so  ill  disposed 
■»  asnottobe  able  to  return.Thereuponhe  sent  tothe  king  that  if  the  queen  mo- 
>  ther  would  come  from  Paris  towards  Orléans,  he  would  meather  at  such  place 
»  as  she  could  appoint,  and  bring  the  admifal  and  d'Andelot  with  him,  provided 
»  hoslages  were  given  into  Orléans,  for  them  namely  the  princes  of  Navarre 
»  and  Joinville  and  M.  Dam  ville,  the  constable's  son.  The  queen  mother  ac- 
i  cepted  the  offer,  but  the  king  of  Navarre,  the  duke  of  Guise  and  the  cons- 
»  table  would  not  accord  thereto,  so  the  said  queen  could  not  accomplish  the 
»  journey.  »  (Throckmorton  tothe  queen,  10  avril  ibG^l,  Calend.  of  State  pap 
foreign.) 

3.  Voy.  Lettre  de  Catherine  de  Médecis  au  cardinal  de  Châtillon  {Mém.  de 
Condé,  t.  m,  p.  216  à  219). 


—  el- 
le 7  avril,  une  lettre  par  laquelle  il  se  référait  à  la  réponse  que 
l'évêque  de  Valence  avait  dû  transmettre  de  la  part  du  prince*  . 

La  médiation  du  cardinal  de  Ghâtillon,  employée  quelquefois 
encore  par  Catherine  dans  le  cours  de  l'année  1562  ^,  eut  tou- 
jours un  caractère  purement  officieux.  En  l'exerçant  avec  une 
scrupuleuse  délicatesse,  Odet  s'honora,  tant  comme  sujet  in- 
vesti de  la  confiance  royale,  que  comme  digne  membre  de  l'une 
des  premières  familles  de  France.  Cette  médiation  cessa  natu- 
rellement le  jour  où  ses  convictions  religieuses  et  politiques  le 
portèrent  à  sortir  de  la  neutralité  dans  laquelle  il  avait  cru  de- 
voir se  renfermer  momentanément,  et  à  embrasser  la  cause 
que  servaient  ses  frères  et  ses  neveux. 

Coligny,  en  attendant  que  vînt  ce  jour,  qu'il  appelait  de  ses 
vœux,  mesurait  de  sang-froid,  à  Orléans,  l'étendue  des  devoirs 
que  lui  imposaient  les  événements  contemporains  et  celle  du  con- 
cours que  pourraient  lui  prêter  des  hommes  dévoués. 

En  ce  qui  concernait  ces  derniers,  il  se  trouvait,  dès  les  pre- 
miers jours  de  son  arrivée,  placé  dans  un  milieu  sympathique  à 
sa  personne  en  même  temps  qu'à  la  cause  dont  il  était  le  plus 
noble  soutien.  En  effet,  les  hommes  qu'il  voyait  se  ranger  autour 
de  lui  et  de  Condé,  comme  unissant  à  l'ardeur  du  zèle  religieux 
les  qualités  de  chefs  militaires  éprouvés,  étaient  :  d'Andelot,ce 
frère  chéri,  cet  autre  lui-même,  si  glorieusement  associé  à  ses 
héroïques  efforts  dans  la  défense  de  Saint-Quentin;  Soubize, 
cet  intime  ami,  ce  fidèle  compagnon  d'armes,  qui,  huit  ans 
auparavant,  montant  avec  lui  à  l'assaut  des  fortifications  de  Di- 
nan,  y  avait,  comme  lui,  été  blessé^  ;  de  Larochefoucauld,  non 
moins  aimé  que  Condé,  à  titre  de  neveu,  et  qui,  comme  ce 
prince,  s'était  signalé  par  sa  bravoure  sous  les  niurs  de  Saint- 
Quentin;'  de  Mouy,  Jean  de  Rohan,  de  Piennes,  Yvoy,  d'Es- 

1.  Voy.  Appendice,  n"  10,  §  1. 

2  ibid.,  n»  10,  §§2  et  suiv. 

3.  Mém.  sur  la  vie  de  Soubize,  p.  23,  24. 


—  .-62  —  • 

ternay,  de  Canny,  de  Morvilliers,  Genlis;  tous  recommandables 
par  leurs  antécédents*  . 

A  côté  de  ces  hommes  d'élite,  et  aussi  attachés  qu'eux  à  la  re- 
ligion réformée,  figuraient  de  jeunes  seigneurs  dont  l'amiral 
protégeait  les  débuts  dans  la  carrière  des  armes  en  étendant 
sur  eux  une  sollicitude  paternelle  :  Antoine  de  Croï,  prince  de 
Portien,  de  Lanoue,  Téligny. 

A  ces  divers  représentants  de  la  noblesse  et  de  la  profession 
militaire  s'ajoutaient  ceux  du  ministère  évangélique  :  Th.  de 
Bèze,  Chandieu,  et  leurs  nombreux  collègues  venus  de  Paris  et 
des  provinces  ;  puis,  enfin,  l'un  des  représentants  les  plus  dis- 
tingués de  la  science  du  droit,  le  jurisconsulte  et  publiciste 
Hotman. 

C'était  déjà  beaucoup,  sans  doute,  pour  Coligny  que  de  pou- 
voir compter  sur  le  dévouement  et  la  coopération  de  tels 
hommes  ;  mais  le  plus  ferme  appui  sur  lequel  il  lui  fût  donné 
de  se  reposer  était  celui  que  lui  offrait  toujours  le  cœur  de  son 
héroïque  compagne.  Ne  voulant  laisser  ni  Charlotte  de  Laval,  ni 
ses  enfans  dans  l'isolement,  sans  protection,  au  château  de  Châ- 
tillon-sur-Loing,  où  elle  et  eux  eussent  été  trop  exposés,  il  as- 
sura leur  acheminement  de  cette  résidence  à  Orléans  et  eut 
la  joie  de  les  y  accueillir. 

Bientôt  sa  nièce,  la  princesse  de  Condé,  après  avoir  couru  les 
plus  grands  dangers,  arriva  aussi  à  Orléans. 

Le  jour  même  où  Louis  de  Bourbon  avait  quitté  Meaux  et 
s'était  dirigé  vers  la  Loire,  Éléonore  de  Roye  était  partie  pour 
son  château  de  Muret.  Elle  était  «  accompagnée  du  marquis 
»  de  Conty,  son  fils  aisné,  âgé  pour  lors  de  huit  à  neuf  ans  seu- 
»  lement,  avec  ses  femmes  et  bien  peu  d'autre  train  .-^  »  C'est 
assez  dire  qu'elle  et  son  faible  entourage  se  trouvaient  livrés 


1.  Voy.  Appendice,  n"  H. 

2.  Bèzo,  Uist.eccl.,  t.  II,  p.  H. 


—  63  — 

sans  défense  aux  lâches  agressions  qui  pouvaient  se  produire 
durant  un  trajet  péniblement  entrepris.  Les  faits  ne  le  prouvè- 
rent que  trop  clairement  ;  car  elle  fut  assaillie  par  une  bande 
ée  fanatiques  sous  les  coups  de  laquelle  elle  et  son  fils  faillirent 
succomber.  «  Ainsi,  dit  l'une  de  ses  amies*  ,  que  la  princesse 
»  s'acheminait,  passant  par  un  village  nommé  Vauderay, 
y>  près  Lizy-sur-Ours,  une  fourmière  de  païsans  qui  estoient 
»  en  procession  luy  courent  sus,  et  à  M.  le  marquis  de  Conty, 
y>  à  coups  de  pierres  et  de  bastons  de  croix  et  de  banières, 
y>  sans  aucune  occasion,  sinon  que  ceste  troupe  fut  suscitée  et 
»  barée  par  un  prestre  malin,  en  haine  de  la  religion.  Or,  les 
»  feux  des  troubles  commençoient  lors  de  s'allumer,  et  de  toutes 
y>  parts  on  en  voyoit  jà  des  estincelles  !  Geste  fureur  et  rage 
»  populaire  esmeut  ceste  bonne  dame  de  telle  façon,  qu'estant 
)»  sur  la  fm  du  huictiesme  mois,  elle  accoucha,  le  jour  mesme, 
»  de  deux  fils  par  frayeur  et  avant  terme,  au  village  de  Gan- 
»  delu,  sans  qu'elle  eust  loisir  de  pouvoir  gaigner  aucune  de 
))  ses  maisons.  Et  peu  de  jours  après,  comme  elle  estoit  cou- 
))  rageuse  et  active  de  son  naturel,  elle  se  mit  en  chemin  pour 
»  aller  à  Orléans  vers  monseigneur  son  mary,  où  elle  parvint 
))  à  grandes  et  difficiles  journées  :  car  vous  pouvez  penser  que 
y>  les  passages  estoient  jà  occupez,  et  qu'il  falloit  user  de  ruse 
»  et  s'exposer  en  danger  pour  faire  ce  hasardeux  voyage^ .  » 


1.  Epistre  d'une  damoiselle  françoise  à  une  sienne  amie,  dame  estrangère, 
sur  la  mort  d'excellente  et  vertueuse  dame  Léonor  de  Roye,  princesse  de  Condé. 
1564,  in-12,  p.  3  et  4. 

2.  Beza  ad  Turicenses  et  Bernâtes,  12  avril  1562  (mss.  Turicens.  ap. 
Baum,  app.,  p.  181)  :  «  P.  S.  Omiseram  indignura  facinus.  Condensis  prin- 
3)  cipis  uxofwprsegnans,  diim  profecto  marito  ad  suos  revertitur,  ecce  rusticorum 
))  manus  principis  filium  circiter  novem  annos  natum  in  equo  insendetem  lapi- 
»  dibus  adgreditur,  et  duos  ex  ejus  comitatu  vulnerat.  Mater  filii  periculo 
3  ita  fuit  percussa  ut  eo  ipso  die  immaturo  partu  gemellos  sit  enixa.  Vivit 
»  tamen  uterque  et  puerpera  satisbenè  habet.  Sed  hinc  conjicite  quo  usque 
3)  progi'cssa  sit  hostium  rabies  et  quanloperè  necesse  sit  eam  retundi,  cûm 
»  expressis  edictis  regiis  nitamur.  » 


Éléonore  de  Roye  ne  pouvait  pas  donner  à  son  mari  une  plus 
grande  preuve  d'affection  et  de  dévouement,  que  de  sacrifier 
pour  le  rejoindre  non  seulement  sa  santé,  sa  vie  peut-être,  mais 
jusqu'aux  plus  douces  prérogatives  du  cœur  maternel,  en  se  sé- 
parant de  ses  enfants  en  bas  âge, sans  savoir  si  jamais  il  lui  serait 
donné  de  les  revoir.  Dieu  permit  du  moins  qu'elle  les  laissât 
aux  mains  de  sa  mère,  la  comtesse  de  Roye  :  un  seul  d'entre  eux, 
l'ainé,  partit  avec  elle. 

Charlotte  de  Laval  et  Éléonore  de  Roye  se  consacrèrent  dès 
leur  arrivée  à  une  noble  mission  qu'elles  devaient,  pendant 
toute  une  année,  accomplir  à  Orléans,  tandis  que  l'amiral  et  le 
prince  s'acquitteraient  de  la  leur,  soit  dans  cette  ville,  soit  au 
dehors. 


CHAPITRE  III 


Manifeste  de  Condé.  —  Acte  d'association  des  chefs  réformés.  —  Mission   qu'ils  conr 
fèrent  aux  agens  envoyés  par  eux  en  Allemagne,  en  Angleterre,  en  Savoie,  en  Suisse. 

—  Rôle  des  agents  du  triumvirat,  à  l'étranger.  — Attitude  des  puissances  étrangères. 

—  Les  chefs  réformés  s'attachent  à  accroître  leurs  forces  et  à  déjouer  les  manœuvres 
de  leurs  adversaires.  —  Ils  s'efforcent  de  maintenir  l'ordre  à  Orléans.  —  Catherine 
tente  d'amener  Condé  à  déposer  les  armes.  —  Moyens  de  pacification  indiqués  par 
Condé  à  Catherine.  —  Réponse  évasive  que  reçoit  le  prince.  —  Requête  du  trium- 
virat, tendant  au  renversement  de  l'édit  de  janvier.  —  Lettres  de  Coligny  au  conné- 
table et  à  Catherine.  —  Lettres  de  Condé  à  cette  princesse.  —  Exaspération  des 
triumvirs.  Ils  se  disposent  à  entrer  en  campagne,  en  s'appuyant  sur  les  troupes 
qu'ils  ont  appelées  de  l'étranger.  —  Les  réformés  n'appellent  encore  en  France  au- 
cunes troupes  étrangères.  —  Intolérance  des  triumvirs.  — Respect  delà  liberté  reli- 
gieuse par  les  chefs  réformés,  vis  à  vis  des  catholiques. 


Il  s'agissait,  pour  Condo  et  ses  compagnons,  devenus  maîtres 
d'Orléans,  de  s'attacher,  avant  tout,  à  justifier  leur  prise  d'armes, 
aux  yeux  de  leurs  co-religionnaires,  de  la  France  entière  et  des 
pays  étrangers,  à  s'organiser  entre  eux,  et  à  provoquer  Falloca- 
tion,  par  les  provinces,  de  secours  en  hommes  et  en  argent. 

La  première  des  mesures  adoptées  sous  l'inspiration  directe 
de  Goligny,  fut  l'envoi  par  Condé  à  toutes  les  Eglises  réformées 
du  royaume,  d'une  lettre  circulaire,  en  date  du  7  avril,  dan'^ 
laquelle*  il  leur  disait  :  «  Messieurs  et  bons  amis,  d'autant  qu'il 
y>  esL  requis  à  présent  de  résister  aux  violences  et  efforts  que  les 
fi  ennemis  de  la  religion  chrestienne,  et  qui  tiennent  nostre  roy 
y>  et  la  royne  captifs,  s'efforcent  de  faire  pour  empescher  la  dé- 
y>  livrance  de  leurs  majestez  et  exécuter  leurs  desseings  qui  ne 


1.  Mém.  de  Condé,  t.  111,  p.  221. 
II 


—  66  — 
))  tendent  qu'à  la  ruine  des  fidèles  et  conséquemment  de  ce 
y>  royaume,  je  vous  envoie  ce  gentilhomme,  présent  porteur,  pour 
))  entendre  de  vous  quels  moyens  vous  avez  de  fournir  promp- 
))  tement  d'hommes  aguerris  et  armez,  pour  incontinent  les 
))  envoyer  en  ce  lieu;  Aceste  cause,  suyvant  ce  qu'il  vous  dira, 
»  je  vous  prie,  à  ce  coup,  vous  esvertuer  de  toutes  vos  facnltez, 
))  surtant  que  désirez  vous  faire  cognoistre  affectionnez  au  ser- 
»  vice  de  Dieu  et  à  celuy  du  roy  et  de  la  royne.  Et  où  vous  n'au- 
•  rez  pas  gens  prests,  pour  le  moins  mettez-vous  en  debvoir  de 
»  subvenir  d'argent  pour  en  soudoyer,  ainsi  que  ce  gentilhomme 
»  plus  particulièrement  vous  déclarera  de  ma  part.  » 

Les  ministres  de  l'Évangile  qui  se  trouvaient  alors  à  Orléans 
écrivirent  dans  le  même  sens  aux  différentes  Eghses*  . 

Le  8  avril,  Condé  publia^  ,  en  son  nom  personnel,  un  ma- 
nifeste qui,  à  la  suite  d'un  exposé  de  faits  incriminant  les  actes 
des  Guises  et  des  triumvirs,  contenait  une  protestation  ainsi 
conçue,  dans  ses  parties  principales  : 

(( Ces  choses  considérées,  avec  plusieurs  autres  que  le 

»  temps  descouvrira,  ledit  seigneur  prince  proteste  ce  que 
»  s'en  suit,  devant  le  roy  et  la  royne,  et  désire  aussi  que  tous  les 
y>  rois,  princes,  potentats,  amis  et  alliés  de  cette  couronne, 
))  avec  toute  la  chrestienté,  soyent  advertis  du  faict  tel  qu'il  est 

c(  Premièrement  donc  il  proteste  que  ce  n'est  nulle  passion 
»  particulière  qui  le  meine  ;  ains  que  la  seule  considération  de 
)>  ce  qu'il  doit  à  Dieu,  avec  le  devoir  qu'il  a  particulièrement  à 
»  la  couronne  de  France,  sous  le  gouvernement  de  la  royne,  et 
»  finalement  l'affection  qu'il  porte  à  ce  royaume,  le  contrai- 
»  gnent  à  chercher  tous  moyens  licites  selon  Dieu  et  les  hommes, 
)>  et  selon  le  rang  et  degré  qu'il  tient  en  ce  royaume,  pour  re- 

1.  Mpm.  de  Condé,  t.  III,  p.  221.  222. 

2.  Mem.  de  Condé,  t.  111,  p.  222  et  suiv.,  et  une  lettre  de  Condé  à  l'Empe- 
reur Ferdinand,  du  20  avril  1562  {mém.  de  Condé.  t.  111,  p.  305).  —  Voir 
l'opinion  de  Lanoue  sur  l'utilité  des  manifestes  en  général  (dise,  polit,  et  milit. 
j).  663), 


—  07  — 

y>  mettre  en  pleine  liberté  la  personne  du  roy,  la  royne  et  mes- 
»  sieurs  ses  enfans,  et  maintenir  l'observation  des  édits  et  or- 
3)  donnances  de  sa  majesté,  et  nommément  le  dernier  édict 
y>  intervenu  sur  le  faict  de  la  religion,  avec  l'advis  des  princes 
3>  du  sang,  seigneurs  du  conseil,  présidens  et  conseillers  des 
))  parlemens  de  ce  royaume,  priant  affectueusement  tous  bons 
))  et  loyaux  subjectz  de  sa  majesté,  vouloir  songneusement  peser 
»  les  choses  susdites,  afin  de  luy  prester  toute  ayde,  faveur  et 
y>  assistance,  en  une  deffense  tant  bonne,  juste  et  sainte. 

« Et  pour  ce  aussi  que  l'on  sçait  bien  que  le  roy  et  la 

))  royne  sont  environnez  d'armes  et  de  personnes  qui  forcent 
y>  leurs  volontez,  et  que  la  plupart  de  ceux  du  conseil  sont  inti- 
»  midez,  tellement  qu'il  n'y  a  personne  qui  ose  contredire  à  ceux 
•»  qui  ne  pensent  qu'à  se  venger  et  exécuter  ce  qu'ils  ont  de 
y>  longtemps  pourpensé,  ledict  seigneur  prince  proteste  et  déclare 
y>  dès  à  présent  que,  comme  il  ne  voudroit  céder  à  homme  vivant 
»  en  l'obéissance  qu'il  doit  et  veut  rendre  à  sa  majesté  et  à  la 
))  royne  sa  mère,  aussi  ne  veut-il  pas  se  laisser  mettre  le  pied 
))  sur  la  gorge,  sous  prétexte  de  quelques  mandemens,  lettres- 
))  patentes,  ou  autres  despesches  des  dessusdicts,  sous  le  nom 
»  et  sceau  de  leur  majesté,  jusqu'à  ce  que  lesdicts  roy  et  royne 
))  et  son  légitime  conseil  soyent  en  tel  lieu  et  telle  liberté  qu'il 
»  appartient  à  un  roy  et  une  royne  révérez,  honorez  et  unique- 
■»  ment  aimez  de  tous  leurs  subjectz. 

«  Au  surplus  ledict  seigneur  prince  proteste,  quant  au  roy  de 
))  Navarre,  son  frère,  que  avec  l'obligation  d'amour  fraternel  et 
»  le  respect  particulier  qu'il  lui  doibt  et  veut  rendre,  il  entend 
))  le  recognoistre  selon  le  rang  et  degré  qu'il  tient  en  ce  royaume, 
y>  avec  toute  obéissance  après  le  roy,  et  la  royne:  comme  aussi 
»  il  s'assure  que  ledict  seigneur  roy,  considérant  ce  que  dessus, 
»  y  aura  tel  égard  que  la  raison  et  la  présente  nécessité  le  ré- 
))  querront,  dont  aussi  ledit  seigneur  prince  le  supplie  très  hum- 
»  blement  et  très  instamment. 


—  68  — 
((  Finalement,  ledit  seigneur  prince,  avec  grande  et  honora- 
y>  ble  compagnie  des  seigneurs,  chevaliers  de  l'ordre,  capitaines, 
y>  gentilshommes,  gens  de  guerre  et  plusieurs  bons  personnages 
ï>  de  tous  estats,  de  sçavoir,  de  bien  et  de  vertu,  pour  monstrer 
))  qu'ils  parlent  en  vérité  et  qu'ils  n'ont  rien  si  cher,  après  l'hon- 
j>  neur  de  Dieu,  que  le  repos  et  grandeur  du  roy,  requièrent 
))  très  humblement  la  roy  ne,  que  pour  la  crainte  de  ceux  qui 
))  l'environnent  d'armes  et  tout  autrement  qu'il  ne  fût  jamais  veu 
»  en  ce  royaume,  elle  ne  laisse  pourtant  à  juger  librement,  se- 
»  Ion  son  opinion,  laquelle  des  deux  parties  aura  tort,  et  que 
))  pour  ce  faire  il  ne  luy  vienne  à  desplaisir  de  s'en  aller  en  telle 
))  ville  de  ce  royaume  qu'il  luy  plaira,  pour  de  ce  lieu-là  comman- 
»  der  par  le  moindre  de  sa  maison,  si  elle  veut  à  toutes  les  deux 
))  parties  de  se  désarmer  et  luy  rendre  l'obéyssance  telle  que 
»  doibvent  les  subjectz  à  leur  roy  et  souverain  seigneur,  ens'as- 
))  sujectissant  les  uns  et  les  autres  à  rendre  compte  de  leur  faict 
»  selon  raison  et  ordre  de  justice  :  promettant  ledit  seigneur 
»  prince  que,  de  sa  part,  il  obéira  à  tout  ce  qui  luy  sera  ainsi 
»  commandé,  pourveu  que  les  dessusdits  luy  en  monstrent  le  che- 
y>  myn  :  car  là  où  ils  voudroyent  faire  autrement,  il  mettra  tou- 
»  jours  sa  vie  et  celle  de  cinquante  mille  hommes  qui  sont  de  pa- 
))  reille  volonté,  pour  soustenirl'authorité  du  roy  et  de  la  royne; 
»  et  si  ladite  dame  n'estoit  d'advis  de  partir  du  lieu  où  elle  est, 
))  ledit  seigneur  prince  et  autres  de  sa  part  la  supplient  trèshum- 
))  blement  qu'il  luy  plaise  au  moins  renvoyer  en  leurs  maisons 
))  tous  ceux  qui  la  sont  venus  trouver  avec  leurs  armes  qu'ils 
»  ont  prises  de  leurauthorité,  c'est  à  sçavoir  ledit  sieur  de  Guyse 
))  et  ses  frères  avec  le  connestable  et  mareschal  de  Saint-André  ; 
»  et  encores  que  le  dit  seigneur  prince  ne  soit  de  ce  rang,  pour 
y>  estre  renvoyé  en  sa  maison,  d'autant  qu'il  a  cest  honneur  d'ap- 
))  partenir  au  roy  et  estre  prince  de  son  sang;  ce  néantmoins  il 
])  offre  de  se  retirer  volontiers  et  faire  désarmer  toute  la  com- 
»  pagnie  qui  est  avec  luy,  aux  conditions  que  dessus:  y  adjous- 


—  60  — 
))  tant  que  le  conseil  du  roi  ne  soit  doresnavant  intimidé  ne 
y>  par  menaces,  ou  par  force,  et  que  les  édicts  du  roy  et  nom- 
2)  mément  celuy  de  janvier  sur  le  faict  de  la  religion  soyent 
))  inviolablement  gardez  et  maintenus  jusques  à  ce  qu'il  soit  en 
y>  aage  pour  en  juger  luy  mesme  et  chastier  ceux  qui  auront 
»  abusé  de  son  authorité. 

ce  Et  là  où  ces  conditions  ne  seroyent  acceptées,  et  qu'en  re- 
))  fusant  de  remettre  le  roy  et  la  royne  en  leur  liberté  accous- 
y>  tumée,  avec  leur  conseil,  ils  continueront  d'abuser  de  leur 

2)  nom  et  fouler  leurs  subjects,  ledit  seigneur  prince  proteste 
y>  que,  de  sa  part  il  ne  veut  ny  ne  peut  l'endurer;  et  que  de 
»  tous  les  maux,  misères  et  calamitez,  qui  en  adviendront,  le  tort 

3)  ne  luy  pourra  jamais  être  imputé,  mais  bien  à  ceux  qui  en 
y>  sont  les  autheurs  et  la  seule  cause.  » 

Goligny  préoccupé  de  la  nécessité  de  coordonner  entre  eux 
les  éléments  de  force  et  d'action  dont  il  constatait  l'existence, 
s'arrêta  à  l'idée  d'une  organisation  qui  rattacherait  les  uns  aux 
autres,  sous  le  commandement  d'un  chef  librement  choisi,  les 
seigneurs  et  gentilshommes  réformés, alors  réunis  à  Orléans;  et 
il  jeta  promptement  les  bases  d'une  association*  dont  il  voulut 
que  la  direction  appartînt  à  Condé,  en  sa  qualité  de  prince  du 
sang;  son  plan  fut  accueilli;  un  acte  mémorable,  ?igné  le 
11  avril,  en  consacra  l'adoption,  en  ces  termes^  : 


i.  «  Coiigny  concevait  les  idées  les  plus  fortes.  On  ne  peut  attribuer  qu'à 
j  lui  l'acte  de  confédération  qui  unissait  les  protestants  (Ch.  Lacretelle, 
»  hist.  de  Fr.  pendant  les  guerres  de  religion,  t.  II,  p.  88). 

2.  Le  texte  imprimé  de  cet  acte  {Mém.  de  Condé,  t.  111,  p,  258  à  202)  n'est 
suivi  d'aucune  indication  de  noms  des  personnes  qui  le  signèrent,  mais  il 
existe  aux  archives  de  Berne  (vol.  Evangelische  Abscheidcn,  von  ann.  1559 
bis  ann.  1577),  l'un  des  originaux  manuscrits,  de  cet  acte  important.  Il  est 
revêtu,  dans  l'ordre  suivant,  des  signatures  de  Condé,  de  Jean  de  Rohan,  de 
Larocliefoucauld ,  de  Coiigny,  du  prince  de  Portion,  de  d'Andelot,  de 
Piennes,  de  Soubize,  d'Ivoy,  de  Morvilliers,  de  Genlis,  de  Canny,  etc.,  etc. 
Immédiatement  après  ces  signatures  vient  la  mention  suivante  :  «  et  quatre 
î  mil  gentilzhommes  des  meilleures  et  plus  anciennes  niaisons  de  France,  qui 


—  70  — 

«  Nous,  soussignez,  n'ayant  rien  en  plus  grande  recomman- 
»  dation,  après  l'honneur  de  Dieu,  que  le  service  de  notre  roy 
))  et  la  conservation  de  sa  couronne  pendant  sa  minorité,  soubz 
D  le  gouvernement  de  la  royne  sa  mère,  establie  et  authorizée 
))  par  les  Estais,  voyant  l'audace,  témérité  et  ambition  d'aucuns 
»  des  subjects  dudict  seigneur  mesprisans  sa  jeunesse,  avoir 
y>  esté  si  grande  qu'ils  ont  bien  osé  non  seulement  s'assembler 
»  et  prendre  les  armes  contre  les  édictz  pour  avec  icelles  mec- 
»  tre  à  mort  ung  bon  nombre  de  ses  pauvres  subjectz,  n'es- 
)>  pargnant  ny  aage,  ni  sexe,  sans  aucune  autre  occasion  sinon 
))  qu'ilz  estoient  assemblez  pour  prier  et  servir  Dieu,  suivant  la 
»  permission  des  edictz,  mais  aussy  ne  pouvant  estre  retenus 
i>  par  aucunes  lois  divines  ou  humaines,  avec  les  dites  armes, 
y>  se  sont  saisis  de  la  personne  du  roy  et  de  la  royne  et  de 
))  monseigneur  d'Orléans,  et  ne  pouvans  par  telle  et  si  témé- 
»  raire  entreprise  autre  chose  conjecturer  sinon  une  certaine 
»  délibération  de  ruine  soubz  l'authorité  du  roy  détenu  et  cap- 
y>  tif,  avec  la  vraie  religion,  la  plus  grande  partie  de  ceux  de 
»  Testât  de  noblesse  et  du  tiers  estât,  et  généralement  tous  ceux 
»  qui  en  font  profession,  qui  sont  les  plus  lîdèles  et  obéissans 
))  subjectz  du  roy,  qui  seroyt  un  vray  moyen  de  mectre  la  cou- 
»  ronne  de  France  en  proye. 

((  Nous,  à  ces  causes,  désirans,  à  nostre  pouvoir,  remettre  sa 
»  majesté  et  sa  couronne  en  sûreté,  et  la  royne  en  son  autorité, et 
»  aussi  conserver  les  pauvres  fidèles  deceroyaulme  en  la  liberté 
»  de  conscience  qu'il  a  pieu  au  roy  leur  permettre  par  ses  édicts 
.  »  faits  par  l'advis  des  princes  du  sang,  des  seigneurs  du  con- 
»  seil  du  roy  et  des  plus  notables  de  toutes  les  cours  des  par- 
))  lemens  de  ce  royaulme  assemblez,  et  par  la  délibération  de 
i)  la  plupart  des  Estats,  laquelle  doit  demeurer  inviolable  pen- 
y)  dant  la  minorité  du  dict  seigneur,  avons  esté,  comme  bons  et 

j  accpmpagneront  monsigneur  le  prince,  lequel  par  son  commandement  me 
î  l'a  fait  signer.  Houlier,  son  secrétaire.  > 


—  71  — 
»  loyaux  subjectz,  forcez  et  contraints  de  prendre  les  armes; 
»  qui  est  le  moyen  que  Dieu  nous  a  mis  en  mains  contre  telle  vio- 
j)  lence;  et  dès  maintenant,  après  avoir  invoqué  le  nom  de  Dieu 
»  comme  bien  advisez  et  conseillez  par  bonne  et  meure  délibé- 
y>  ration,  nous  avons,  d'un  commun  accord  et  consentement 
»  libre  et  volontaire,  promis  et  juré  par  le  nom  de  Dieu  vivant 
»  une  association  et  saincte  compagnie  mutuelle,  aux  condi- 
3»  tions  suivantes,  que  nous  jurons  et  promettons  devant  Dieu 
y>  et  ses  anges  garder  inviolablement  et  de  point  en  point,  comme 
3)  s'en  suit,  moyennant  la  grâce  et  miséricorde  de  Dieu,  nostre 
»  seule  espérance. 

«  Premièrement,  nous  protestons  que  nous  n'apportons  en 
]&  ceste  sainte  alliance  aucune  passion  particulière,  ni  respect 
y>  de  nos  personnes,  biens  et  honneurs;  mais  qu'entièrement 
y>  nous  n'avons  devant  les  yeux  que  l'honneur  de  Dieu,  la  déli- 
T>  vrance  des  majestez  du  roy  et  de  la  royne,  la  conservation  des 
»  édicts  et  ordonnances  faites  par  eux,  et  finalement  la  juste 
3)  punition  et  correction  des  contempteurs  d'icelles,  et  à  ces 
3)  fins  et  non  autres,  nous  jurons  et  promettons,  chacun  en  son 
»  esgard,  d'employer  corps  et  biens  et  tout  ce  qui  nous  sera 
»  possible,  jusques  à  la  dernière  goutte  de  nostre  sang;  et  du- 
y>  rera  ceste  présente  association  et  alliance  inviolable  jusques 
3»  à  la  majorité  du  roy;  c'est  assavoir  jusques  à  ce  que  sa  majesté 
»  étant  en  âge,  ait  pris  en  personne  le  gouvernement  de  son 
3)  royaume,  pour  lors  nous  soubmettre  à  l'entière  obéissance  et 
»  subjection  de  sa  simple  volonté;  auquel  temps  nous  espérons 
3)  luy  rendre  si  bon  compte  de  la  dicte  association  (comme  aussi 
3)  nous  ferons  toutes  et  quantes  foys  qu'il  plaira  à  la  royne,  elle 
3)  estant  en  liberté),  qu'on  congnoistra  que  ce  n'est  point  une 
))  ligue  ou  monopole  défendu,  mais  une  fidèle  et  droite  obéissance 
3>  pour  l'urgent  service  et  conservation  de  leurs  majestez  \ 

1  Les  chefs  associés,  en  témoignage  de  leur  dévouement  à  la  couronne  de 
France,  adoptèrent  le  port    de   la  casaque   et   de  l'écharpe  blanches.  En  ré- 


—  72  — 

«  Secondement,  afin  que  chacun  entende  la  dicte  présente 
))  association  estrefaicteavec  telle  intention  susdite  et  en  toute 
»  pureté  de  conscience  et  crainte  du  nom  de  Dieu,  lequel  nous 
»  prenons  pour  chef  et  protecteur  d'icelle,  nous  entendons  et 
»  jurons  qu'en  nostre  compagnie  nous  ne  souffrirons  qu'il  soit 
»  faict  chose  qui  déroge  aux  commandemens  de  Dieu  et  du  roi, 
»  comme  idolâtries  et  superstitions,  blasphèmes, paillardises,  vio- 
D  lences,  ravissemens,  pilleries,  brisemens  d'images  et  saccage- 
»  mens  de  temples,  par  autorité  privée,  et,  en  général,  autres 
»  telles  choses  défendues  de  Dien  ou  par  l'édict  dernier  de  jan- 
y>  vier;  desquelles  au  contraire  nous  pourchasserons  que  puni- 
))  tion  et  justice  soitfaicte.  Et,  pour  estre  conduits  soubs  l'obéis- 
))  sance  de  la  parole  de  Dieu,  nous  entendons  avoir  en  nos  com- 
»  pagnies  de  bons  et  fidèles  ministres  de  la  gloire  de  nostre 
))  Dieu,  qui  nous  enseigneront  sa  volonté  et  auxquels  nous  pres- 
»  terons  audience  telle  qu'il  appartient. 

((.  Tiercement,  nous  nommons  pour  chef  et  conducteur  de 
)}  toute  la  compagnie  monseigneur  le  prince  de  Condé,  prince 
»  du  sang,  et  partant  conseiller  nay,  et  l'un  des  protecteurs  de 
»  la  couronne  de  France;  lequel  nous  jurons  et  promettons 
))  accompagner  et  luy  rendre  toute  prompte  obéissance  en  ce 
»  qui  concerne  le  fait  de  ceste  présente  association  ;  nous  soub- 
»  mettans,  en  cas  de  rébellion  ou  négligence,  à  son  chastiment 
))  et  correction  telle  qu'il  advisera;  et,  cas  advenant  que  le  dit 
))  seigneur  prince  par  son  indisposition  ou  autrement,  ne  peust 
))  exécuter  la  dite  charge,  celuy  qui  sera  par  luy  nommé,  sera 
))  obéy  et  suivy  entièrement  comme  sa  propre  personne;  et  le 
»  dict  seigneur  prince,  monstrant  le  zèle  qu'il  a  à  la  gloire  de 


ponse  à  cet  hommage  rendu  par  de  vrais  Français  à  «  la  couleur  du  roi  », 
les  triumvirs  et  leurs  adhérents  eurent  l'impudence  d'afficher  leur  asservis- 
sement au  joug  de  Philippe  II,  en'  prenant  la  casaque  et  l'écharpe  rouges 
d'Espagne.  Ils  osèrent  même  contraindre  le  jeune  roi  de  France  à  s'affubler 
tf  de  la  livrée  étrangère.  » 


—  73  — 
»  Dieu  et  au  service  du  roy,  a  accepté  ce  que  dessus,  promet- 
»  tant  à  toute  la  compagnie,  qu'en  toute  diligence  et  prompti- 
y>  tude,  moyennant  l'aide  de  Dieu,  il  fera  vray  office  de  chef  et 
y>  conducteur,  suivant  la  teneur  de  toutes  les  conditions  de  la  sus- 
y>  dite  association. 

»  En  quatriesme  lieu,  nous  avons  compris  et  associé  en  ce 
»  présent  traicté  d'alliance  toutes  les  personnes  du  conseil  du 
))  roy,  exceptez  ceux  qui  portent  armes  contre  leur  devoir, 
»  pour  asservir  la  volonté  du  roy  et  de  la  royne  ;  lesquelles  armes 
))  s'ils  ne  posent  et  s'ils  ne  se  retirent,  et  rendent  raison  de  leur 
»  faict  en  toute  subjection  et  obéissance,  quand  il  plaira  à  la 
))  royne  les  appeler,  nous  les  tenons  avec  juste  occasion  pour 
»  coulpables  de  lèse-majesté  et  perturbateurs  du  repos  public 
»  de  ce  royaume. 

«  Et  pour  parvenir  à  la  fin  et  accomplissement  de  ceste  dite 
))  association  (que  nous  protestons  de  rechef  n'estre  faicte  que 
y>  pour  maintenir  l'honneur  de  Dieu,  le  repos  de  ce  royaume  et 
»  Testât  et  liberté  du  roy,  soubs  le  gouvernement  de  la  royne  sa 
y>  mère)  un  chacun  de  nous  en  son  esgard,  depuis  le  plus  petit 
))  jusques  au  plus  grand,  jurons  et  promettons  devant  Dieu  et 
•))  ses  anges  nous  tenir  prests  de  tout  ce  qui  sera  en  nostre 
»  pouvoir,  comme  d'argent,  d'armes,  chevaux  de  service,  et 
))  toutes  autres  choses  requises,  pour  nous  trouver  au  premier 
))  mandement  du  dit  seigneur  prince,  ou  autre  ayant  charge  de 
»  luy,  équippez  pour  l'accompagner  partout  oii  il  luy  plaira  nous 
»  commander,  et  fidèlement  luy  faire  service  pour  les  fins  sus- 
y>  dites,  et  rendre  tout  devoir  de  corps  et  de  biens  jusques  au 
y>  dernier  souspir;  et  cas  advenant  qu'en  quelque  lieu  ou  endroit 
))  de  ce  royaume,  entendions  qu'aucuns  compris  en  ceste  présente 
»  association,  reçoive  outrage  ou  violence  par  les  dessusdicts 
y>  ou  autres,  contre  l'édict  du  roy  du  moys  de  janvier  dernier, 
))  nous  jurons  et  promettons  tous  le  secourir  promptement  et 
y>  nous  employer  à  ce  que  tel  tort  soit  réparé,  comme  si  le  dom- 


»  mage  estoit  particulier  à  un  chacun  de  nous,  et  le  tout  selon 
»  qu'il  nous  sera  commandé  par  le  dit  seigneur  prince,  ou  autre 
i>  ayant  charge  de  luy. 

«  Davantaige,  s'il  avient,  ce  que  Dieu  ne  veuille,  qu'aucun  de 
»  nous  aiant  oublié  son  devoir  et  son  serment,  eûst  quelque  intel- 
3)  ligence  avec  les  ennemys,  ou  commist  acte  de  lâcheté  ou 
y>  trahison  en  sorte  ou  manière  quelconque,  ou  se  montrast  re- 
3>  belle  à  ce  que  dessus,  nous  jurons  et  promettons,  sur  la  part 
y>  que  nous  prétendons  avoir  en  paradis,  le  révéler  incontinent 
3>  au  dit  sieur  prince  ou  autre  qu'il  appartiendra  et  le  tenir  et 
»  traicter  comme  ennemy  traistre  et  desloyal.  Car  ainsi  il  a  esté 
»  accordé  d'un  franc  et  irrévocable  consentement. 

«  Faict,  arresté  et  publié  à  Orléans,  l'an  de  nostrc  seigneur 
»  mil  cinq  cens  soixante-deux,  l'onzième  jour  d'avril.  » 

Bien  que  ce  traité  constituât  Gondé  chef  officiel  de  l'associa- 
tion, Coligny  n'en  demeurait  pas  moins,  en  fait,  le  chef  réel.  Le 
prince  l'accepta  comme  tel,  dès  le  premier  moment;  et  dans 
sa  loyale  déférence,  il  ne  cessa  jamais  de  rendre  hommage  à  la 
supériorité  de  sentimens,  de  vues  et  de  caractère,  qui  distin- 
guaient l'amiral  comme  croyant,  comme  guerrier,  comme 
homme  d'Etat.  Quelque  tendance  qu'eût  celui-ci,  soit  au  con- 
seil, soit  dans  l'exercice  du  commandement,  à  laisser  sa  propre 
personnalité  s'effacer  devant  celle  de  son  neveu,  l'opinion  publi- 
que,en  France  et  à  l'étranger,  assignait  à  chacun  d'eux  sa  vérita- 
bleplace.  Justement  éprise  des  brillantes  qualités  et  de  l'indompta- 
ble courage  du  prince,  elle  s'élevait,  à  l'égard  de  l'amiral, 
jusqu'à  l'admiration,  en  le  voyant  soutenir  d'une  main  toujours 
noble  et  ferme,  les  intérêts  supérieurs  du  parti  religieux  et 
politique  dont  il  était  l'âme  \ 

1.  «  Omnia  geruntur  consilio  admiralli  hominis,  ut  mihi  videtur,  sapien- 
»  tissimi  et  moderatissimi.  Dùni  eram  Aureliae,  stepè  sum  cum  eo  locutus  : 
»  nam  diligenter  me  intcrrogavit  de  statu  rerum  Germanicarum  et  quid  exis- 

>  timarem  ipsos   sibi  debere   promittere  de  Germanicis  principibus.  »  (Hub. 

>  Laugueti  épistol.  lib.  2,  ep.  72,  19  april.  1562). 


—  75  — 

11  ne  suffisait  pas  que  le  manifeste  du  8  avril  et  l'acte  d'asso- 
ciation du  11  fussent  portés  à  la  connaissance  des  églises  réfor- 
mées, du  roi,  du  parlement  de  Paris,  des  hauts  fonctionnaires 
et  de  la  population  des  provinces  :  il  était  opportun,  qu'en 
outre,  l'attention  des  cours  étrangères  fut  appelée  sur  ces  deux 
actes.  Elle  le  fut,  en  effet,  par  l'intermédiaire  d'agents  sur  la 
capacité  et  la  fidélité  desquels  Goligny  et  Gondé  se  reposaient. 
Tels  étaient  notamment  deux  gentilshommes  qu'ils  envoyèrent 
en  Allemagne,  et  Séchelles,  Téligny,  d'Erlach,  qu'ils  chargèrent 
de  se  rendre,  le  premier  en  Angleterre,  le  second  en  Savoie,  le 
troisième  en  Suisse. 

Arrêtons-nous,  quelques  instants,  à  la  mission  dont  chacun 
de  ces  agents  devait  s'acquitter,  et  à  certains  faits  qui  s'y  ralta- 
ohèrenl. 

Le  plus  caractéristique  de  tous  fut  l'énergie  que  déploya  l'a- 
miral pour  faire  circonscrire  la  portée  de  cette  mission  dans  de 
justes  limites.  Alors  que  ses  compagnons  voulaient  qu'elle  s'é- 
tendît à  un  appel  immédiat  de  troupes  étrangères,  il  les  ramena, 
par  l'ascendant  de  son  patriotisme  à  une  appréciation  désinté- 
ressée de  leurs  devoirs  envers  la  France,  et,  par  cela  mêjne,  à 
cette  solution  :  que,  dans  l'état  actuel  des  circonstances,  les 
agents  se  borneraient  à  provoquer  en  laveur  de  la  réforme  fran- 
çaise, illégalement  attaquée,  et  de  la  royauté  asservie,  l'intérêt 
et  la  médiation  officieuse  des  souverains  auxquels  ils  s'adres- 
seraient. 

Cette  salutaire  prépondérance  de  l'opinion  de  l'amiral  sur  celle 
de  ses  collègues,  au  sein  du  conseil  qui  assistait  le  prince  de 
Condé,  se  manifesta,  pour  la  première  fois,  à  l'occasion  de  l'en- 
voi d'agents  en  Allemagne.  «  Le  prince  de  Condé,  dit  sur  ce 
»  point  un  homme  qui  avait  avec  lui  et  l'amiral  des  rapports 
))  quotidiens  à  Orléans*  ,  combien  que  dès  le  10  avril,  il  eust 

i.  Bèze,  hist.  eccl.  t.  II,  p.  35,  36. 


—  7G  — 

y>  escrit  aux  très  illustres  princes  comte  Palatin  et  duc  de  Saxe 
y>  électeurs,  ducs  des  Deux-Ponts  et  de  Wittemberg,  au  Land- 
»  grave  de  Hesse,  marquis  Charles  de  Baden,  et  depuis  encore 
»  à  la  sacrée  majesté  de  l'empereur  Ferdinand,  les  advertissant 
»  à  la  vérité  du  poure  estât  de  France  et  des  causes  de  ces 
y>  troubles,  pour  les  supplier  d'y  remédier  de  leur  part  ^  ,  assem-. 
»  bla  toutesfois  son  conseil  pour  adviser  de  plus  près  à  cette 
»  affaire.  Plusieurs  et  quasi  tous  concluoient  qu'il  falloit  de- 
))  mander  un  prompt  et  suffisant  secours  aux  princes  d'Allema- 
))  gne  :  l'amiral  leur  rompit  cette  délibération^  disant  qu'il 
y>  aimeroit  mieux  mourir  que  consentir  que  ceux  de  la  religion 
»  fussent  les  premiers  à  faire  venir  les  forces  étrangères  en 
»  France.  Et  pourtant  fut  arresté  qu'on  envoyeroit  deux  gen- 
»  tilshommes  en  Allemagne,  seulement  pour  faire  voir  à  l'œil  et 
»  comme  toucher  au  doigt  les  causes  de  ceste  guerre,  en  respon- 
))  dant  aux  calomnies  des  ennemis,  et  requérant  les  susdits 
»  princes,  comme  anciens  amis  de  la  couronne  de  France,  d'en- 
»  voyer  ambassadeurs  pour  traiter  de  la  paix,  à  ce  que,  durant 
»  la  minorité  du  roy,  tant  de  sang  chrestien  ne  fust  respandu  et 
»  un  si  florissant  royaume  ne  se  consumast  soy  mesme.  Telle  fut 
))  lors  la  résolution  du  conseil;  mais,  le  jour  d'après,  toutes 
))  choses  encore  mieux  examinées,  il  fut  adjousté  à  la  commis- 
y>  sion  des  deux  dessusdits,  qu'ils  ne  bougeraient  d'Allemagne 
))  jusque  à  ce  qu'il  y  eut  paix  et  que  Testât  des  affaires  mons- 


1 .  Coudé  terminait  son  message  du  10  avril  aux  princes  Allemands,  par  ces 
mots  qui  élevaient,  en  quelque  sorte,  au  niveau  de  sa  propre  situation,  celle 
de  son  neveu  par  alliance,  Antoine  de  Croy  :  «je  vous  supplie  autant  alfectueu- 
■»  sèment  qu'il  m'est  possible,  vouloir,  à  ce  coup,  démontrer  au  roy,  à  la 
»  reyne,  et  à  tous  les  fidèles  de  ce  royaume  l'effet  de  vos  bonnes  intentions. 
»  suivant  ce  que  chacun  s'est  toujours  promis  et  assuré  de  vous,  ainsi  que 
»  plus  particulièrement  et  amplement  ce  mien  gentilhomme,  présent  porteur, 
»  vous  fera  entendre,  tant  de  ma  part  que  de  celle  de  mon  nepveu,  monsieur 
»  le  prince  de  Portien,  lequel,  s'il  vous  plaist,  vous  tiendrez  pour  excusé  si 
»  luy  mesme  ne  vous  escrit,  estant  pour  cesle  heure  détenu  par  maladie.  » 
(Mém.  de  Condé,  1. 111,  p.  254,  255). 


—  //  — 
y>  trast  s'il  estoit  requis  d'appeler  les  Alemans  au  secours,  sur 
»  quoy  on  leur  envoyeroit  nouvelles  instructions  et  tout  pouvoir. 
ï>  Ainsi  partirent  les  deux  députés.  » 

Il  était  dit  dans  les  instructions  qui  leur  furent  alors  re- 
mises *  : 

«c  Sera  remonstré  le  piteux  estât  auquel  est  à  présent  ce 
»  royaulme  estants  le  roy  et  la  royne  sa  mère  caplifz;  laquelle 
»  captivité  et  aultres  causes  amplement  narrées  en  la  protesta- 
y>  tions  cy  présentée,  ont  esmeu  et  contrainct  messeigneurs  les 
»  princes  de  Condé  et  de  Porcien,  messieurs  l'admirai,  d'An- 
»  delot,  Soubize,  Genly,  Piennes  et  Rohan,  à  prendre  les  armes, 
»  avec  plusieurs,  tant  chevaliers  dé  l'ordre,  capitaines,  gentils- 
))  hommes,  que  aullres  de  toutes  qualités,  pour  rendre,  au  be- 
))  soing,  le  debvoir  que  bons  et  loyaulx  subjects  doibvent  à  leur 
))  prince  naturel,  duquel  la  cause  et  calamité  se  rend  d'aultant 
))  plus  recommandable,  qu'il  est  en  fort  bas  aage  qui  le  rend 
y>  incapable  de  pouvoir  donner  ordre  luy  mesme.  —  Ont  esté 
»  advertis  les  dicts  seigneurs  que  leurs  ennemys  sentans  leur 
»  entrepri"nseestre  condamnée  par  lapluspart  de  ce  dict  royaulme, 
»  ont  soubz  le  nom  et  authorité  du  roy,  envoyé  lever  gens  de 
»  guerre  en  AUemaigne,  pour  se  maintenir  en  leur  tyrannie  : 
))  parquoy  cognoissans  bien  de  quelle  importance  pourroit  estre 
»  la  venue  des  estrangiers  en  ce  dict  royaulme,  avec  force  et 
»  main  armée,  ilz  supplient  l'Excellence  de  messeigneurs  les 
»  princes  d'Allemaigne,  anciens  amys  et  confédérés  de  la  cou- 
»  ronne  de  France,  vouloir  empescher  par  toutes  voyes  et  ma- 
))  nières  deues,  que  telle  chose  ne  se  face  -  ,  au  grand  préjudice 

1.  Mém.  de  Condé,  t.  III,  p,  271. 

2.  «  Two  noblemen  lias  been  sent  by  the  prince  of  Condé  to  ihe  protestant 
»  princes,  to  induce  them  to  preventaid  being  sent  from  them  to  Ihe  Guises. 
»  Tbey  were  received  at  Heidelberg  by  the  palatine,  and  their  request  was 
»  readly  granted...  The  princes  take  good  care  that  no  soldiers  go  ont  of 
»  Germany...  The  Lantgrave  lately  arrested  an  officer  of  cavalry  who  was 
>  secretly  enlisting  horsemen  in  Hesse,  and  wo  said  that  be  was  doing  so  for 


—  78  — 

y>  du  roy  leur  voisin  et  bon  amy,  qui  pourra  recognoistre  le  se>- 
y>  cours  et  bienfaict,  quelque  jour,  estant  venu  en  aage.  Et  si 
»  lesdits  seigneurs,  princes  de  la  Germanie  trouvoient  bon 
))  d'envoyer  ambassadeurs  notables  à  la  court,  pour  paciffier 
))  les  grands  troubles  qui  sont  en  ce  royaume,  mesdits  seigneurs 
))  princes  de  Gondé  et  de  Porcien,  messieurs  l'admirai,  d'Ande-* 
))  lot,  Soubize,  Genly,  Piennes,  Rohan,  et  autres  en  seront 
»  très  aises  ;  et  supplient  leurs  Excellences  de  ce  faire,  comme 
»  ceulx  qui  ne  désirent  rien  tant,  après  l'honneur  de  Dieu  et  de 
(c  la  liberté  du  roy  et  de  la  royne,  que  le  repos  public  d'iceluy.  » 

L'agent  envoyé  en  Angleterre  fut  de  Séchelles,  gentilhomme 
profondément  dévoué  à  la  cause  de  la  réforme,  pour  laquelle  il 
avait  beaucoup  souffert  ^ . 

Goligny  Tappuya  auprès  du  premier  ministre  d'Elisabeth,  par 
une  lettre  du  11  avril,  portant  en  substance^  :  «  Le  prince  de 
»  Gondé  dépesche  le  sieur  de  Séchelles  vers  la  royne  d'Angleterre, 
))  pour  lui  faire  entendre  les  légitimes  et  nécessaires  occasions 
»  qui  l'ont  contraint  de  venir  en  ce  lieu  (Orléans),  avec  ceux 
))  de  sa  compagnie,  pour  maintenir  l'honneur  de  Dieu;  la  liberté 
»  et  autorité  de  la  royne  contre  la  violence  de  ceux  qui  tiennent 
»  leurs  majestez  environnées  de  leurs  armes  et  réduites  en 
))  une  honteuse  captivité,  et  avec  cela  veulent  exterminer  tous 
))  ceux  qui  désirent  purement  servir  Dieu.  — -  Il  m'a  semblé, 
»  ajoutait  l'amiral,  ne  devoir  faillir  ceste  occasion  d'escrire 
))  pour  vous  prier  de  faire  tous  les  bons  offices  qu'il  vous  sera 

»  Rockendorf,  oneofGuise's  party...  The  duke  of  Wurtemberg  also  lakescare 
»  that  no  volunteers  shall  march  through  Montbeliard  into  France,  etc.,  etc.  » 
Mundt  to  cecil.  3  mai  4562  Calend  of  staie  pap.  fnreign). 

1.  Throckmorton  to  the  queen,  24apr.  1562  {Calend.  ofstatepap.  foreign  : 
«  M.  de  Séchelles  is  one  of  the  kings's  privy  charaber.  He  is  of  a  great  house 
»  in  Picardy,  and  has  sulfered  persécution  for  hiszeal  in  religion...  This  gentle- 
»  man  has  lettersto  some  of  the  Lords  of  Ihe  council  from  the  prince  and  the 
»  admirai.  —  Jbid.  Throckmorton  to  Cecil,  24  april.  1562. 

2.  Record  office,  statepap.  France,  vol.  XXVIII.— De  Laferrière.  le  xvi* siècle 
et  les  Valois.  Paris,  1879,  in-8.  p.  66. 


-  79  — 
i>  possible  vers  sa  majesté  pour  favoriser  la  cause  de  Dieu  que 
D  nous  soustenons,  comme  nous  l'attendons  de  votre  vertu  et 
»  piété*  .  » 

Actif  instrument  d'une  politique  d'intervention  intéressée, 
qu'Elisabeth  inaugura  -  ,  dans  ses  rapports  avec  la  France,  et 
même  avec  les  réformés,  sans  jamais  s'en  départir  ultérieure- 
ment, Throckmorton  insista,  en  correspondant  avec  son  gouver- 
nement, sur  les  avantages  pouvant  résulter,  pour  l'Angleterre, 
de  l'accueil  favorable  qui  serait  fait  à  de  Sechelles.  Le  plus 
grand  de  ces  avantages  consistait,  selon  lui,  dans  la  chance  d'oc- 
cupation amiable  par  les  forces  britanniques,  d'un  ou  de  plu- 
sieurs points  du  territoire  français,  en  échange  du  secours  que 
ces  forces  apporteraient  aux  réformés  ;  chance  qu'il  fallait  se 
ménager  soigneusement.  Throckmorton  se  prononça  nettement 
sur  ce  sujet,  vis-à-vis  de  Cécil,  dans  l'une  de  ses  plus  impor- 
tantes dépêches. 

«  Il  peut  arriver,  lui  écrivit-il,  le  17  avril  ^ ,  que  sa  majesté 
»  puisse  faire  son  profit  de  ces  troubles,  comme  le  roi  d'Espa- 
»  gne  fait  et  se  propose  de  faire.  Car  si  ceux  d'ici  et  le  duc  de 

1 .  V.  aussi  Brit.  mus.  add.  4 160  :  c  Hottomanus  magnitico  et  speclatissimo  viro 
t  Domino  Cecilio,  magno  Angli»  Cancellario.  Aureliis,  13  apr.  1562.  —  Magni- 
»  di-e  Domine,  nobilis  hic  vobis,ut  opiaor,  non  ignolus,  dominas  de  Sechelles 
»  iiiittitur  ab  illustriss  principe.  Condensi  et  cîBteris  proceribus  iiui  hùc  in 
j  armis  convenerunt,  ad  seienissiraam  reginam  vestram,  ut  ipsius  majestati 
»  exponat  partim  chrisiianissimi  régis  et  reginœ  matris  suae  captivitatem,  partim 
»  ecclesiarum  nostrarum  calamitatem  et  pericula...  Et  quia  scio  magnifi- 
»  centiam  vestram  optimo  ergà  ecclesias  nostras  animo  semper  fuisse,  opti- 
»  nièque  etiam  régis  nosiri  pueritiiB  consultum  esse  capere,officio  meo  déesse 
»  nolui,  et  hanc  tui  rogaiidi  occasionem  praetermiltere  ut  pro  éâ  gratià  atque 
»  auctoritate  quâ  plurimûm    apud  serenissimam  inajestatem  regin»  vestrae 

>  polies,  causam  hanc   nostram  commendatam  habeas,  neque  sinas  nos  bis 
»  taiitis  œrumnis  et  calainitatibus  quae  sine  dubio  nobis  impendent  opprimi.  » 

2.  Uc  écrivain  anglais  (M.  Stevenson,  Calend.  of  State  pap.  foreign,  1861, 
»  1862,  introd.)  nous  paraît  avoir  judicieusement  caractérisé  la  politique  d'Éli- 

>  sabeih,  à  cette  époque,  en  ce  peu  de  mots  :  «  A  covert  interférence  in  the 

>  affairs  of  foreign  states,  for  the  purpose  of  exciting  internai  disturbances.  * 

3.  State  paper  office.  —  Hisl.  des  princes  de  Condé,  t.  I,  p.  35i,  355. 


—  80  — 
»  Savoie  viennent  à  se  jeter  de  son  côté,  sa  majesté  la  reine  ne 
))  doit  pas  rester  oisive  ni  être  prête  la  dernière.  Je  sais  assii- 
))  rément  que  le  roi  d'Espagne  tient  l'œil  ouvert  et  manœuvre 
y>  pour  mettre  le  pied  dans  Calais.  Il  faut,  de  notre  côté,  pra- 
»  tiquer  et  flatter  nos  amis  les  protestans  de  ce  pays.  Dans  le 
))  cas  où  le  duc  de  Guise,  le  connétable,  le  maréchal  de  Saiht- 
»  André,  et  toute  cette  secte  penseraient  comme  je  le  crains, 
»  à  faire  entrer  le  roi  d'Espagne  dans  ce  pays  et  à  le  mettre  en 
))  possession  de  quelque  port  et  forteresse,  il  faudrait  alors  que 
y>  les  protestans,  soit  pour  leur  propre  sûreté  et  défense,  soit 
))  par  dépit  et  désir  de  vengeance,  ou  par  bon  vouloir  et  affec- 
»  tion  pour  sa  majesté  la  reine  et  sa  religion,  pussent  être 
y>  poussés  et  amenés  à  mettre  sa  majesté  la  reine  en  possession 
))  de  Calais,  Dieppe  ou  le  Havre,  des  trois  places  ensemble  si 
»  on  peut,  ou  au  moins  d'une  des  trois,  n'importe  laquelle, 
»  pourvu  que  nous  l'ayons.  Mais  cette  question  ne  doit  être  tou- 
»  chée  ni  directement,  ni  indirectement  avec  aucun  d'eux  ou  de 
»  leurs  ministres,  quel  que  soit  celui  qui  viendra  traiter  avec 
))  vous,  parce  que  l'occasion  s'en  présentera  plus  naturellement 
»  et  convenablement  d'elle-même  lorsqu'ils  nous  demanderont 
»  assistance,  soit  d'argent,  soit  d'appui,  et  le  plus  à  propos 
»  quand  le  prince  de  Condé  et  les  protestans  s'appercevront 
»  que  les  papistes  pensent  à  introduire  les  étrangers  dans  ce 
))  royaume,  et  à  donner  un  intérêt  au  roi  d'Espagne  dans  toutes 
»  les  affaires.  J'aimerais  mieux  que  cela  se  passât  de  cette  ma- 
y>  nière,  que  le  prince  ou  les  protestans  offrissent  à  sa  majesté 
))  l'entrée  ou  la  possession  d'une  de  leurs  places,  et  que  la  dc- 
y>  mande  ne  vint  pas  de  nous.  Souvenez-vous,  je  vous  prie, 
»  quel  bien  les  discrets  et  sincères  procédés  de  sa  majesté  ont 
))  fait  en  Ecosse.  Or,  nous  avons  cet  avantage,  que  nous  aurons 
»  affaire  à  des  gens  vrais  et  fidèles,  je  veux  dire  les  protestans,  et 
»  nos  adversaires  à  des  gens  doubles  et  rusés,  je  veux  dire  les  pa- 
))  pistes.  — ^  Je  pense  qu'avant  peu  un  gentilhomme  de  grand  cré- 


—  81  — 

y>  dit,  trèshonnête,  qui  vous  connaît  bien,  sera  envoyé  à  sa  ma- 
»  jesté  la  reine  par  le  prince  de  Condé,  l'amiral  et  M.  d'Andelot, 
»  et  aura  commission  et  instructions  pour  traiter  avec  sa  majesté 
»  la  reine  plus  à  fond  sur  ces  matières.  Il  faut  que  vous  son- 
y>  giez  où  vous  pourrez  le  recevoir  secrètement  quand  il  arrivera 
3)  pour  qu'il  puisse  ainsi  faire  son  affaire,  car  elle  doit  être  tenue 
y>  secrète.  Harry  Myddlemore,  à  son  arrivée,  vous  en  donnera 
3>  connaissance,  c'est  un  gentilhomme  de  la  chambre  du  roi,  et 
3>  le  même  que  l'évêque  d'Orléans  et  M.  de  Cy  demandèrent  à 
5>  la  reine  Marie  d'envoyer  au  roi  de  France  ;  il  était  alors  réfu- 
3>  gié  en  Angleterre  pour  cause  de  religion.  Sir  Peter  Meantes 
3)  l'avait  recueilli  lorsqu'on  faisait  des  perquisitions  dans  Lon- 
D  dres  pour  le  trouver.  Il  pourra  vous  dire  son  nom,  mais  il 
»  dit  qu'il  a  de  bonnes  raisons  pour  connaître  le  vôtre.  » 

Throckmorton,  lorsqu'il  expédia  cette  dépêche,  songeait  à  se 
rendre  à  Orléans.  Coligny,  voulant  obvier  aux  difficultés  que 
la  présence  de  l'ambassadeur  d'Angleterre  dans  cette  ville 
n'eût  pas  manqué  de  créer,  lui  écrivit,  le  21  avril*  :  c  Mon- 
3)  sieur,  j'ay  reçue  la  lettre  que  m'avez  escripte  par  ce  gentil- 
))  homme,  présent  porteur,  par  laquelle  j'ay  esté  bien  aise  d'en- 
y>  tendre  que  vous  n'ayez  pas  pris  la  peine  de  venir  en  ce  lieu, 
y>  tant  parceque  je  sçay  bien  que  vous  estes  nécessaire  là  où 
3)  vous  estes,  que  aussy  parceque  vostre  venue  eùst  engendré 
»  une  trop  grande  jalousie  non  seulement  contre  nous  mais 
3>  aussy  contre  la  royne  vostre  maistresse,  que  nous  ne  doutons 
2)  point  avoir  très  grand  zèle  et  dévotion  au  service  de  Dieu  et 
y>  à  l'advancement  de  sa  gloire,  comme  par  toutes  ses  actions 
»  et  ses  bons  effectz  elle  a  tousjours  faict  paroistre.  y> 

La  mission  à  remplir  auprès  du  duc  de  Savoie  fut  confiée  à  un 
jeune  homme,  éminemment  distingué,  Charles  de  Téligny,  dont 


i.  Calend.  of  State  pap.  foreign.  —   De   Laferrière,  le  xvi«  siècle  et  les 
Valois,  p.  61. 

n  .  Q 


-Sa- 
le nom  demeure  indissolublement  uni,  dans  l'histoire,  à  celui 
de  l'amiral. 

Fils  de  Louis  de  Téligny  et  d'Arétuse  Vernon,  cousine  de  la 
maréchale  de  Châtillon,  Charles  se  trouva  placé,  dès  sa  plus 
tendre  jeunesse,  sous  le  bienveillant  patronage  de  Goligny,  qui 
portait  à  son  petit  cousin  une  affection  particulière,  tant  celui-ci 
«  estoit  de  douce  nature^  ».  L'amiral  présida  à  son  éducation, 
favorisa  son  développement  religieux,  et,  tout  en  lui  frayant  la 
carrière  des  armes,  l'initia  à  la  connaissance  des  affaires  publi- 
ques, au  contact  desquelles  il  devait,  dans  de  graves  circon- 
stances, se  signaler,  à  titre  d'habile  et  loyal  négociateur.  Formé 
à  une  école  aussi  saine  et  fortifiante  que  celle  de  son,  généreux 
protecteur,  Charles  de  Téligny  dut  au  crédit  de  celui-ci  d'êti^e 
introduit  à  la  cour  et  d'y  obtenir,  à  une  époque  de  peu  anté- 
rieure à  l'année  1562,  le  titre  de  gentilhomme  de  la  chambre 
du  roi,  auquel  il  associa  bientôt  le  grade  de  lieutenant  dans  la 
compagnie  de  Coligny. 

L'efficacité  de  la  direction  imprimée  par  l'amiral  à  son 
filial  élève  est  attestée  par  un  contemporain  ^  en  ces  termes  : 
«  M.  de  Téligny  (Charles),  s'estoit  rendu  un  si  accompli  jeune 
))  gentilhomme  et  en  lettres  et  en  armes,  que  peu  de  sa  volée  y 
»  a-il  eu  qui  l'ont  surpassé;  et  fût  parvenu  en  grades,  comme 
»  plusieurs  de  ses  compagnons,  sans  qu'il  se  mit  des  plus  avant 
»  en  la  rehgion  réformée  :  et  pourtant  ce  fut  tout  son  plus  grand 
»  bien,  car  encore  qu'il  fust  fort  honneste  homme,  M.  l'admirai 
))  le  voyant  tel,  le  prist  en  main  et  l'enseigna  si  bien,  qu'il  de- 
»  vint  un  très  bon  maistre  passé  en  tous  affaires,  tant  de  guerre 
»  que  de  Testât.  »  Ce  témoignage  est  confirmé  par  celui  d'un 
»  autre  écrivain  catholique  :  «  Entre  plusieurs  seigneurs  de 
})  France  qui  se  signalèrent  dans  le  party  de  la  religion,  dit  le 

1.  Mémoires  de  Testât  de  France  sous  Charles  IX.  In-8»,  Middelbourg,  1576, 
1. 1,  p.  396. 

2.  Brantôme,  éd.  L.  Lai.,  t.  II,  p.  420. 


—  83  — 
»  Laboureur  * ,  il  n'y  en  eut  pas  un  qui  méritast  plus  d'estime 
3>  que  Charles  s'  de  Théligny,  pour  estre  le  cavalier  le  plus 
»  accompli  en  toutes  les  qualités  nécessaires  pour  la  cour  et 
y>  pour  les  armes.  Il  avoit,  avec  le  bonheur  d'une  valeur  hé- 
3)  réditaire,  le  don  d'une  prudence  et  d'une  expression  si  forte  et 
3)  si  agréable  tout  ensemble,  qu'il  estoitle  mercure  de  Testât  et 
))  le  perpétuel  négociateur  de  tous  les  traités  de  paix.  Le  prince 
y>  de  Gondé  et  l'admirai,  ausquels  il  avoit  l'honneur  d'estre  allié, 
»  luy  confioient  tous  leurs  intérêts,  et  la  royne  le  voyoit  de  bon 
»  œil  et  l'escoutoit  très  volontiers  comme  celuy  qu'elle  sçavoit 
3>  €Stre  fort  sage  et  fort  éloigné  encore  des  conseils  violens.  » 
De  Thou  "^  parle  de  Charles  de  Téligny  comme  d'un  jeune 
«  homme  en  qui  se  trouvaient  les  qualités  les  plus  estimables, 
»  et  qui  joignait  beaucoup  de  valeur  à  une  naissance  illustre  ». 
L'auteur  d'une  émouvante  narration  ^  mentionne  «  sa  beauté,  sa 
y>  bonne  grâce  et  son  savoir  ».  J.  de  Serres  ^  le  qualifie  «  de 
y>  gentilhomme  bien  prudent  et  advisé  »  ;  Davila  ^,  de  «  jeune 
y>  homme  politique  et  pénétrant  »  ;  Brantôme  ^,  «  de  sage  et  brave 
y>  gentilhomme  qui  estoit  bien  accomply  de  toutes  vertus  »  ; 
l'auteur  d'intéressants  mémoires  ' ,  «  de  gentilhomme  fort 
y>  aimé  de  tous,  pour  beaucoup  de  vertus  qui  le  rendoient  ad- 
y>  mirable,  etchéry  du  roy  mesme  entre  tous  autres  gentilshom- 
»  mes  français^   ». 

1.  Addit.  aux  Mém.  de  Castelnau,  t.  II,  p.  577. 

2.  Hist.  Univ.,  t.  IV,  p,  490. 

3.  Le  tocsain  contre  les  massacreurs  et  auteurs  des  confusions  en  France, 
i  vol.  in-12,  Reims,  1577,  p.  77. 

4.  Mémoires  de  la  troisième  guerre  civile,  1  vol.  in-12,  s.  1.,  1571,  p.  29. 

5.  Hist.  des  guerres  civ.  de  France,  in-i".  Amst.,  1577,  t.  I,  liv.  111,  p.  295. 

6.  Ed.  L.  Lai.,  t.  IV,  p.  357. 

1.  Mémoires  de  Testât  de  France  sous  Charles  IX,  in-8»,  Middelbourg^1576, 
1. 1,  p.  &. 

8.  De  furoribus  Gallicis,  etc.,  etc.,  in-4°,  Edeinburgi,  1573,  p.  42  :  «  Thel- 
ï  lignius,    adolescens   summà   spe    et   animi  et  ingenii   praeditus,  cui   rex 
»  multos  jàm  annos  tantam  benevolentiara  et  vultu  et  verbis   ostenderat,  u 
i>  nemo  apud  eura  gratiosior  haberetur.  > 


—  84  — 

Quant  à  l'ambassadeur  de  Toscane,  Petrucci,  ayant  soutenu, 
à  la  cour  de  France,  des  relations  personnelles  avec  Charles  de 
Téligny,  il  caractérise  en  termes  saisissants  les  liens  qui  l'unis- 
saient étroitement  à  son  second  père,  en  disant  :  «  Téligny  est 
l'âme  de  l'amiral  ^  y> 

Dévoué,  comme  il  l'était,  à  son  bienfaiteur,  Charles  de  Téli- 
gny île  pouvait  manquer  de  le  suivre  dans  la  carrière  de  luttes 
et  de  périls  qu'inaugura  pour  lui  la  première  des  guerres  dites 
de  religion.  Aussi  se  trouvait-il,  nous  l'avons  dit,  auprès  de  l'a- 
miral dans  les  murs  d'Orléans,  dès  le  début  du  mois 
d'avril  1562. 

Ce  fut  alors  que,  sur  l'indication  de  Coligny,  Condé  envoya 
Téligny  en  mission  vers  le  duc  de  Savoie,  à  la  cour  duquel  il  avait 
déjà  séjourné  l'année  précédente  ^.  Le  prince  adressa,  d'Orléans, 
le  12  avril,  au  duc  la  lettre  suivante^  : 

c  Monsieur,  pour  ce  que  je  ne  doubte  point  que  ne  soiez  de 
>  ceste  heure  adverty  du  piteux  estât  en  quoy  les  troubles  ont 
»  réduit  ce  roïaume,  je  n'ay  point  voulu  faillir  vous  faire  en- 
»  tendre  la  vérité  des  occasions  affm  de  lever  toutes  les  excuses 
y>  que  ceux  qui  en  sont  cause  pourraient  prendre,  qui  est  que 
»  l'ambition  de  ceux  qui  ont  tousjours  voulu  dominer  a  esté  si 
»  grande  qu'ilz  ont  bien  osé  machiner  d'oster  l'autorité  à  la 
))  royne,  que  les  princes  du  sang  et  les  estats  de  France  luy  on 
»  méritoirement  defféré.  Ce  que  moy  ne  tous  les  plus  grans 
»  seigneurs  et  gentilshommes  de  ce  roïaume  ne  pouvans  souf- 
»  frir  ne  comporter,  avons  esté  contrainctz  de  prendre  les  armes, 

l.Négoc.  diplom.  de  la  France  avec  la  Toscane,  in-4»,  t.  111,  p.  648.  Dé- 
pêche adressée  de  Paris  par  Petrucci  à  François  de  Médicis,  le  8  mars  1571  : 
«  Téligny  è  l'anima  dell'  Ammiraglio.  » 

2.  La  présence  de  Téligny,  vers  le  mois  de  février  1561,  à  la  cour  de  Mar- 
guerite et  de  Philibert-Emmanuel,  est  attestée  par  une  lettre  de  ce  prince  au 
connétable  de  Montmorency,  du  20  février  1561  (Bibl.  nat.,  mss.  f.  fr.,  vol.  3191, 
fo  1.38),  et  par  une  autre  lettre  que  le  cardinal  de  Chàtillon  adressa  à  ce  même 
prince  le  3  mars  suivant  (Torino  Archivio  générale  del  regno). 

3.Troino,  Archivio  générale  del  regno. 


—  85  — 

))  ainsi  que  le  s' de  Telligny,  lequel  j'ay  expressément  choisy  et 
»  prié  pour  le  vous  aller  faire  entendre,  vous  pourra  plus  am- 
»  plement  discourir,  vous  suppliant  très  humblement  me  faire 
))  cest  honneur  de  croire  ce  qu'il  vous  en  dira  de  ma  part  comme 
»  feriez  moy-mesmes.  » 

Téligny  était  muni  d'instructions*  dont  voici  les  principaux 
passages  : 

»  Fera  le  dit  Téligny  entendre  au  dit  s'  duc  (de  Savoie)  que  le 
y>  dit  S'  prince,  ayant  bien  entendu  que  les  s"  de  Guyse,  connes- 
»  table,  mareschal  s'  André  et  autres  de  leur  conspiration,  qui 
y>  dès  leur  naissance  ont  assez  démonstré  avoir  conjuré  toute 
))  autre  chose  en  leurs  esprits  que  le  bien  et  repos  de  ce  royaul- 
y>  me,  ayans  puis  naguères  usurpé  d'une  audace  intolérable  avec 
))  force  et  violence  contre  le  roy  et  la  royiie,  lesquelz  ils  tiennent 
))  environnez  de  leurs  armes  et  réduitz  en  une  indigne  et  hon- 
»  teuse  captivitéjOntjà  commencé  soubz  le  nom  etauthoritéde 
y)  leurs  majestez  dont  ilz  abusent  et  de  la  facilité  du  roy  de 
»  Navarre,  de  prévenir  et  remplir  les  oreilles  du  dit  s'  duc  de 
))  plusieurs  calomnies,  à  l'encontre  du  dit  s'  prince,  il  a,  à  ceste 
y>  cause,  bien  voulu  esclaircir  le  dit  s'  duc  et  le  tenir  adverty 
y>  des  bonnes,  légitimes  et  nécessaires  occasions  qui  l'ont  con- 
))  Irainct,  pour  le  rang  et  dignité  qu'il  tient  en  ce  royaume, 
))  estant  de  la  maison  de  France  et  l'ung  dés  premiers  princes 
»  du  sang,  de  s'opposer  à  leur  tyrannie  et  s'employer  de  tout 
))  son  pouvoir  pour  la  conservation  de  cet  estât,  pour  le  service 
))  et  liberté  de  leurs  majestez  et  pour  la  défense  de  leurs  sub- 
»  jectz.  —  Entrera,  à  ce  propos ,  au  discours  des  violences 
»  et  estranges  déportements  desdits  sieurs  de  Guyse...,  déduira 
))  amplement  la  cruauté  faite  à  Vassy  et  le  sang  respandu  des 
))  femmes  et  pauvres  enfans  innocents...;  la  belle  entrée  de 
))  tous  les  dessusdicts  à  Paris,  à  armes  descouvertes...;  n'ou- 

1 .  Instructions  du  11  avril  156-2  (Bibl.  nat.,  mss.  f.  fr.,  vol.  10  190). 


—  8G  — 

»  bliera  aussi  à  représenter  la  honteuse  captivité  de  leurs  dites 
»  maj estez,  le  saisissement  de  leurs  personnes,  les  logis  que 
»  depuis  on  leur  a  faictz,  les  larmes  du  roy  et  la  forme  de  son 
»  entrée  à  Paris,  non  auparavant  ouye  ne  accoustumée,  la  façon 
»  dont  ilz  ont  intimidé  le  conseil  du  roy...  fera  entendre  que 
))  le  nombre  des  seigneurs,  gentilzhommes  et  soldatz  qui  sont 
))  en  la  compagnie  dudit  sieur  prince,  desplaisans  de  telles  vio- 
y>  lences  et  outrages  faits  à  leurs  majestez,  est,  grâces  à  Dieu, 
»  si  grand  qu'ilz  n'ont  de  besoing  d'employer  pour  cest  effect 
))  l'ayde  d'aucun  prince  estranger;  mais  bien  veult  ledit  sieur 
ï>  prince  faire  cognoistre  par  toute  la  chrestienté,  mesme  à 
»  l'endroit  dudit  sieur  duc,  sa  bonne  et  juste  querelle  et  inten- 
»  tion  et  la  justice  de  cette  cause  ;  ensemble  veult  bien  prier 
))  et  conjurer  ledit  sieur  duc  pour  l'affinité  du  sang  dont  luy  et 
»  madame  de  Savoye  touchent  à  la  maison  de  France,  défaire 
»  tous  les  bons  offices  qui  luy  sera  possible  pour  garantir  les 
))  faibles  ans  de  sa  majesté  de  toute  injure  et  de  la  violence  de 
))  ses  propres  subjectz.  » 

La  gravité  de  la  mission  conférée  par  de  telles  instructions 
supposait  chez  celui  qui  en  était  investi  de  hautes  aptitudes  : 
telles  étaient,  en  réalité,  celles  de  Charles  de  Téligny,  dès  son 
début  dans  la  voie  des  négociations. 

Au  moment  même  où  il  était  envoyé  à  la  cour  de  Savoie,  un 
autre  jeune  homme,  de  l'une  des  premières  familles  de  la  Suisse, 
d'Erlach,  que  l'amiral  avait  paternellement  accueilli  et  long- 
temps maintenu  sous  son  toit  \  était  chargé  de  porter  aux  can- 
tons évangéliques  un  message  des  chefs  réformés  ^,  dont  ceux- 
ci  confirmaient,  peu  après,  la  teneur  par  des  lettres  ^  analogues 

1  Coligny  écrivait  à  son  sujet  «  aux  magnifiques  seigneurs  les  syndics  et 
»  advoyer  de  Berne  :  Je  l'ay  nourry  longtemps  et  il  donne  espérance  de  faire 
»  quelque  jour,  quelque  bon  fruit,  à  vostre  contentement  et  de  ceux  à  qui  il 
»  appartient.  »  (Lettre  du  15  avril  1563,  Archives  de  Berne,  Ffankreich,  vol.  1.) 

2.  Voy.  le  texte  de  ce  message,  à  l'Appendice,  n°  12. 

3.  Voy.  Appendice,  n»  13. 


—  87  — 
à  celles  qu'ils  adressaient  à  divers  princes  d'Allemagne  et  à  la 
<îour  d'Angleterre. 

Tandis  que  les  agents  des  chefs  réformés  s'acquittaient  de 
leur  mandat  en  Allemagne,  en  Angleterre,  en  Savoie  et  en 
Suisse,  les  triumvirs  et  Antoine  de  Bourbon,  soit  sous  le  nom 
du  roi,  soit  en  leur  nom  personnel,  cherchaient,  par  l'intermé- 
diaire de  représentants  attitrés,  ou  par  voie  de  correspondance 
directe,  un  appui  dans  ces  mêmes  contrées,  et,  «de  plus,  en 
Espagne  et  en  Italie. 

Quelque  soin  qu'ils  prissent  de  faire  déclarer  par  le  roi  et  par 
la  reine-mère  que  tous  deux,  libres  de  leurs  personnes,  exer- 
çaient sans  entraves  le  pouvoir  souverain  dont  ils  étaient  investis, 
la  dépendance  du  fils  et  de  la  mère  n'en  était  pas  moins  réelle. 
Catherine,  en  particulier,  subissait  tellement  le  joug  des  chefs 
du  parti  catholique,  qu'elle  se  laissait  couvrir  de  leur  insolent 
patronage  pour  être  réhabilitée  aux  yeux  de  Philippe  IL 

Rien  de  plus  significatif,  à  cet  égard,  que  la  lettre  suivante, 
adressée  à  ce  monarque  par  les  triumvirs  et  par  Antoine  de 
Bourbon  *  :  «  Sire,  sçachant  de  long  temps  le  bon  zelle  et  sin- 
3>  gulière  affection  que  vous  avez  à  la  conservation  de  nostre 
D  bonne  et  saincte  religion  catholique,  nous  avons,  avec  la 
y>  permission  du  roy  et  de  la  reyne,  pris  la  hardiesse  de  pré- 
3»  senter  ce  mot  de  lettre  à  votre  majesté  pour  lui  faire  en- 
y>  tendre  que,  npus  aiant  ladicte  dame,  ces  jours  passez,  faict 
y>  assembler  en  bonne  et  grande  compaignie,  sa  majesté  nous 
y>  a  faict  si  ample  et  ouverte  déclaration  de  l'extrême  déplaisir 
»  qu'elle  ha  des  troubles  qu'elle  veoit  en  ce  royaulme  pour  le 
y>  faict  de  la  religion,  et  combien  elle  désire  par  tous  bons  offices 
y>  d'y  pouiToir  et  emploier  pour  cest  effect  toutes  ses  forces, 
y>  que  nous  vous  pouvons  asseurer,  sire,  que  par  le  moïen  du 
3)  bon  ordre  qu'elle  y  a  desjà  donné  et  l'asseurance  que  nous 

1.  Archives  nationales  de  France,  K.  1496. 


—  88  — 

y>  avons  de  la  continuation  de  sa  bonne  et  saincte  volonté,  nous 
))  debvons  avec  grande  occasion  espérer  de  voir  bientost  en  ce 
»  dict  royaulme  toutes  choses  en  repos  et  tranquillité  ;  ne  vou- 
»  lant  aussi,  sire,  faillir  de  vous  dire,  que  par  les  propoz  que 
»  sa  dicte  majesté  nous  a  tenuz  et  ce  qu'elle  nous  a  déclaré  des 
))  choses  passées,  nous  avons  certain  tesmoignage  qu'avec  bien 
»  grand  regret  elle  a  jusques  icy  différé  l'exécution  de  ce  qu'elle 
y>  ha  toujours  plus  que  nulle  autre  chose  désiré.  Sire,  après  avoir 
y>  présenté  nos  très  humbles  recommandations  à  la  bonne  grâce 
))  de  Vostre  Majesté,  nous  supplions  le  créateur  lui  donner  en 
))  parfaite  santé  très  longue  et  très  heureuse  vye.  De  Paris,  ce 
»  xxf  jour^  d'avril  1562,  vos  très  humbles  et  très  obéissans 
»  serviteurs,  François  de  Lorraine,  Montmorency,  Saint-André. 
»  —  Monseigneur,  avecques  l'assurance  de  ces  seigneurs  qui 
))  vous  escrivent,  j'ay  bien  voullu  vous  tesmoigner  pour  vérité 
»  le  contenu  en  ceste  lettre  comme  celluy  qui  a  la  principale 
))  connaissance  et  des  effects  et  de  l'intention  d'iceulx.  Vostre 
»  très  humble  et  très  obéissant  serviteur,  Antoine.  » 

L'attitude  des  puissances  étrangères  auxquelles  s'adressaient 
alors  les  communications  et  les  démarches  des  réformés  fran- 
çais et  des  chefs  catholiques  empruntant  le  nom  du  roi  ou  celui 
de  Catherine,  se  diversifiait  vis-à-vis  des  uns  et  des  autres. 

Philippe  II,  le  duc  de  Savoie,  la  papauté,  et  quelques  États 
d'Italie,  applaudissant  aux  excès  commis  par  le  triumvirat  et 
ses  suppôts,  se  montraient,  divers  documents  en  font  foi,  prêts 
à  saisir  l'occasion  de  lancer  des  troupes  sur  le  territoire  fran- 
çais pour  y  concourir  à  l'extermination  des  hérétiques. 

En  Allemagne,  «  les  princes  protestans  étaient  tellement 
))  abreuvés  des  bruits  que  le  triumvirat  avait  fait  courir,  qu'ils 
»  ne  vouloient  entendre  à  donner  secours;  bien  accordoient-ils 
»  d'envoyer  ambassadeurs  en  France  pour  traiter  de  la  paix  ;  et 
»  s'il  leur  apparoissoit  que  le  roy  et  la  reyne  fussent  captifs, 
»  comme  on  disait,  alors  ils  adviseroient  à  tous  nouveaux 


—  89  — 
ï)  moyens  de  procéder.  Suyvant  doncques  cette  conclusion, 
»  un  gentilhomme  fut  dépêché  par  eux  à  la  cour  afin  d'obtenir 
»  passeport  pour  leurs  ambassadeurs  ;  mais  il  fut  tellement 
))  promené  et  entretenu,  que  tout  cela  s'en  alla  en  fumée  ^  » 

En  Suisse,  les  cantons  évangéliques,  quelle  que  fût  leur  sym- 
pathie pour  les  réformés  français,  croyaient  ne  pouvoir  rien 
faire  de  plus  en  leur  faveur  que  mettre  obstacle,  en  ce  qui 
dépendait  d'eux,  aux  levées  provoquées,  sous  le  nopi  du  roi  de 
France,  par  les  triumvirs.  Les  appréciations  de  ces  cantons 
sur  ce  poiïit  se  reflètent  dans  ces  lignes  ^,  adressées,  le  20  avril, 
aux  magistrats  de  Genève  par  l'avoyer  et  le  conseil  de  Berne  : 

y>  Nobles,  magnifficques  seigneurs,  singuliers  amys,  très 
y>  chers  et  féaulx  combourgeois,  à  vostre  bonne  grâce  très 
y>  affectueusement  nous  recommandons.  Nous  avons  entendu 
))  le  contenu  de  voz  lettres  et  de  mesmes  la  charge  du  commis 
))  de  M.  le  prince  de  Gondé  et  les  pièces  qu'ils  nous  a  présenté 
))  de  la  part  de  Son  Excellence,  contenant  en  soubstance  trois 
»  poincts  sur  lesquelz  avons  deslayé  lui  faire  responce  jus- 
y>  ques  ad  ce  que  noz  alliez  de  Zurich,  Basle,  Schaffouze  et 
y>  Saint- Gall  (aulxquelz  la  charge  dudict  commis  est  adressée 
»  comme  à  nous)  se  seront  déclairés  de  leur  intention.  Gepen- 
))  dant  et  sans  vous  cacher  la  nostre  (synon  que  la  résolution 
»  de  noz  ditz  alliez  nous  face  changer  propos)  délibérons  faire 
»  responce,  quant  au  premier  chef,  de  prier  Dieu  pour  la  con- 
y>  servation  de  ses  églises  affligées,  nous  y  avons  desjà  donné 


1 .  Bèze,  Hist.  eccL,  t.  II,  p.  82.  —  «  The  elector  palatine,  the  dukes  of  Wur- 
»  (omberg  and  Neuburg,  the  Landgrave,  and  Charles  marquis  of  Badén  will 
»  send  an  embassy  into  France  in  the  name  of  the  protestant  princes  lo  allaythe 
»  dissenlions  there,  and  to  ask  that  thesame  liberty  of  religion  may  be  allowed 
>  as  was  granted  by  the  edict  of  january.  The  envoys  will  assemble  hère  by  the 
»  8  of  june.  »  Mundt  to  Cecil.  Strasburg,  19  mai  15G2  (Calencl.  of  State  pap. 
foreign).  —  Mundt  to  Cecil,  23  juin  1562,  ibid. 

2.  Archives  de  la  ville  de  Genève,  no  1716. — Voy.  aussi  une  lettre  deBullinger 
à  Calvin,  du  3  mai  1562  (Op.  Calvini,  vol.  19,  p.  401  à  i03,  n°  3781). 


—  90  — 

y>  ordre  et  le  ferons  dadvantage.  Quant  est  de  ne  favoriser  aux 
))  adversaires  et  ne  leur  donner  passage,  nous  avons  faict  très 
»  estroictes  deffences  à  nos  subjectz  de  se  laisser  persuader 
»  d'aller  au  service  d'aulcun  prince  ny  cappitaine  sans  nostre 
y>  commandement,  et  qu'empescherons  tant  que  possible  nous 
»  sera  les  esmotions  de  nos  alliez  qui  sont  suspects  de  volonté 
))  contraire.  Touchant  le  tiers  point,  de  l'ayde  et  assistance 
))  requise  par  ceulx  de  nostre  religion  en  France,  nostre 
»  excuse  est  telle  et  sy  raisonnable  que  nous  espérons  que  Son 
))  Excellence  s'en  contentera,  assçavoir  est  que  la  grande  dis- 
»  tance  et  incommodité  de  passages,  les  troubles  mesmes  qui 
))  pour  le  jourdhuy  sont  en  ce  pays  des  Ligues,  à  cause  de  la 
y>  religion,  et  mesmes  les  dangiers  à  présumer  du  costé  de  mon- 
»  sieur  de  Savoye  nous  gardent  et  empeschent  de  gratifier  à 
»  Son  Excellence,  attendu,  comme  dict  est,  les  factions  et 
»  craintes  assez  apparentes  de  quelques  troubles  domestiques, 
ï  priant  Son  Excellence  de  prendre  nostre  excuse  en  bonne  part, 
))  et  se  contenter  de  la  très  bonne  affection  qu'avons  à  la  pros- 
))  périté  du  royaulme  de  France  en  général,  et  de  son  estât,  en 
»  particulier,  imputant  aux  difficultés  du  temps  ce  qu'en  nostre 
))  endroict  deffaut  à  son  contentement.  3> 

Lorsque,  quelques  jours  plus  tard,  se  discuta,  dans  une 
assemblée  extraordinairement  convoquée  à  Soleure,  la  question 
d'une  levée  de  nombreuses  enseignes,  que  réclamaient,  au  nom 
du  roi  de  France,  Frœlich  et  Pasquier  *,  dont  la  ténacité  con- 
trastait avec  les  vues  modérées  et  pacifiques  de  l'ambassadeur 
Goignet  \  les  représentants  des  cantons  évangéliques  appuyè- 
rent les  agents  de  G  onde  dans  leur  opposition  à  la  levée  dont  il 
s'agissait.  «  Il  y  en  eut,  en  cesie  journée  (de  Soleure),  qui  re- 
»  monstrèrent  de  la  part  du  prince  que  ce  que  les  ligues  mal 
»  informées  penseroient  faire  pour  le  roy  et  sa  couronne  seroit 

1.  Bèze,  Hist.  eccl.,  t.  II,  p.  81. 

2.  Id.,  Jbid. 


—  91  -. 

))  tout  au  contraire,  requérant  que,  s'ils  doubtaient  de  la  jus- 
»  tice  et  bonne  cause  que  maintenoit  le  prince  pour  le  bien  du 
))  roy  et  du  royaume,  outre  ce  qu'on  leur  en  feroit  apparoir  par 
»  les  propres  lettres  de  la  royne  et  par  gens  dignes  de  foy,  il 
»  leur  pleust  envoyer  de  leurs  députés  en  France,  aux  despens 
»  du  prince,  pour  en  savoir  la  vérité  sur  les  lieux.  Davantage  les 
3)  ambassadeurs  des  cantons  de  Zurich,  Berne,  Bâle,  SchafFouze, 
»  Glaris  et  Appenzel  leur  remonslrèrent  qu'il  falloit  plutost 
»  esteindre  le  feu  qu'y  mettre  du  boys;  mais  Frœlich,  voulant 
»  tenir  la  promesse  qu'il  avoit  faite  inconsidérémment,  à  savoir 
»  de  faire  incontinent  ceste  levée,  et  les  persuasions  dont  usèrent 
»  les  ambassadeurs  du  pape  et  du  roy  d'Espagne  donnèrent  à 
»  entendre  aux  cantons  de  Lucerne,  Uri,  Schwiz,  Underwalden 
»  et  Zug  que  leur  repos  et  grandeur  dépendoit  de  la  défaite 
»  des  huguenotz  en  France,  comme  ils  les  appeloient,  empes- 
))  obèrent  le  fruit  de  ces  remonstrances"*.  9 


1.  Bèze,  Hist.  eccL,  t.  II,  p.  81.  Zerkintes  Calvino,  20  april.  1562  (Op. 
^alvini,  vol.  19,  p.  39i,  n"  3775).  —  Bullingerus  Calvino,  20  april.  -1562  (Ibid., 
p.  393,  n»  3774):  «  Legalus  Solodori  (Coignet)  omnem  movet  lapidera  ne  Hel- 
»  vetii  mittant  milites  ad  occidendura,  sed  pacificatores  ad  pacem  componen- 
i  dam.  Quin  tamen  régis  nomine  jubetur  militera  postulare  a  legatis  Helveticis 
*  qui  convenient  26  aprilis,  non  potest  régis  literas  opprimere ,  maxime  quîim 
»  Frœlichius  missus  ex  aulàmirificé  satagat  et  mittat  per  eantones,  horteturque 

»  ut  festiaent Coignetius  hàc  in  re  suspectus  mibi  non  est.  »  —  Bullingerus 

Calvino  23  april.  i562  (ibid.,  p.  395,  n»  3776)  :  c  Scribo  Basiiiam,  Schaffuzium, 
»  sangalluni  et  ad  Rhœtos.  Hortor,  obstent  ne  concedatur  postulatis  regiis  i. 
»  Guisianis  nules.  Comraunico  illis  orania  quae  accepi  communicanda.  Tbeobal- 
»  dus  ab  Erlachs  Bernas  hùc  non  venit.  Sed  magistratus  Bernensis  scripsit  ad 
ï  amplissinum  senatum  urbis  bujus,  communicant  invicem  consilia,  ac  satis 
»  certo  scio  iilos  in  boc  consentire  ut  impediant  Frœlichii  consilium.  Festinat  is 
»  et  cupit  militera  abducere  Guisianis  et  conjuratis.  >  —  Bullingerus  Calvino, 
J2  raaii  1562  (Ibid.,  p.  400,  n»  3784)  :  «  D.  Coignetius  literas  nostras  optime 

>  curât.  Is  etiam  se  optime  in  hàc  causa  gessit  et  gerit  adbuc,  régi  et  condensi 
j  fidelis.  Quod  faciljussus  literis  adulterinis  ac  Guisianis  frigide  facit qui- 

>  dam  arbitrantur  omninô  legionem  ducendam  fore.  Ita  urget  et  satagit  Frœli- 
»  chius  capitaneus,  quo  nomine  invisissimus  est  Coignetio.  Ac  dicitur  Frœlichio 
y>  dixisse,  meminerit^  beneûciorum  acceptorum  ex  Gallia,  et  quod  Navarreus, 
»  Conestabilis,    Guisius  et  mareschaldus  (Saint-André)  non  sint  Gallia,  sed 


—  92  — 

L'Angleterre,  quoique  portée  autant  par  calcul  que  par  sym- 
pathie religieuse  en  faveur  des  réformés  français,  se  contenait, 
pour  le  moment,  dans  les  limites  de  la  réserve  et' de  l'expecta- 
tive; se  bornant  à  adresser,  ici  au  gouvernement,  là  à  Gondé 
et  à  ses  compagnons,  des  conseils  et  des  vœux  tendant  à 
l'apaisement  des  troubles  qui  agitaient  alors  la  France  *  : 

Goligny,  entrant  sur  ce  point  en  relation  directe  avec 
Elisabeth,  dont  il  ignorait  les  secrets  desseins,  lui  expé- 
dia d'Orléans,  le  20  mai  1562,  une  lettre^  portant,  en  sub- 
stance, ce  qui  suit  :  «  L'amiral  a  vu  la  bonne  volonté  qu'a 
»  laroyne  d'Angleterre  d'apaiser  les  troubles  de  ce  royaume 
»  et  la  bonne  démonstration  qu'elle  fait  pour  le  roy  et  pour 
»  ceux  qui  sont  icy.  De  leur  costé,  ils  n'ont  tendu  à  autre 
»  but  qu'à  voir  le  repos  establi  en  ce  royaume,  comme  on 
»  a  pu  clairement  en  juger  par  le  manifeste  du  prince  de 
y>  Gondé.  Tant  s'en  faut  pour  lui  qu'il  ne  recherche  les  moyens 
))  de  pacification,  que  tout  le  monde  sçait  à  quel  debvoir  il 
»  s'est  tousjours  mis  ;  mais  de  tant  plus  on  a  essaie  de  faciliter 
»  les  choses,  de  tant  moins  ceux  qui  en  sont  les  autheurs  y 

j)  polior  pars  sit  ex  parte  adversà.  »  —  BuUingerus  Calvino,  18  maii  1502 
(Ibid.  p.  409,  no  3791)  :  «  Legatus  Coignetius  graviter  conquerilur  de  Froli- 
»  chio.  Is  unicè  urget  hoc  negotium.  Scriptae  sunt  in  aulara  litterae  Soloduro, 
■»  quibus  accusatur  legatus  quasi  ipse  impediverit  quominus  hactenùs  miles 
»  missus  sit.  At  dicit  spe  bouâ  ipsum  sustentari  et  expectare  auxiliai'em  dei 
»  manum.  Proderit  si  scriptis  literis  confirmaveris  ipsum,  quod  et  ego  facio.  » 
—  BuUingerus  Calvino  5,  junii  1562  (Ibid.,  p.  429,  n°  3  799)  :  «  A^j^iio  ipsi  coig- 
»  nitio  raalum  strui  ingens.  Si  vicerit  Guysius,  quod  averlat  potens  Dei  nostri 
»  manus,  factum  erit  cùm  coignetio.  » 

1.  Voy.  :  1°  Instructions  for  sir  Henry  Sidney,  28  avril  1562  {Calend.  of  State 
pap.  foreign).  —  2»  Sidney  and  Throckmorton  lo  the  queen,  8  mai  1562. 
{Ibid.).  —  3»  Throckmorton  to  Cecil,  8  mai  1562  {Ibid.).  —  4°  The  queen 
to  Throckmorton  and  Sidney,  10  mai  1562  {Ibid.).  —  5"  The  queen  to  the 
pnnce  of  Condé,  10  mai  1562  {Ibid.).  ^  6°  The  queen  to  the  Admirai,  10  mai 
1562  (Ibid.). 

'^.Record  office,  Statee  papers.  France,  vol.  22.  —  De  Laferriére,  le  xvie 
Siècle  et  les  Valois,  p.  68-69.  -  Voy.  aussi  une  lettre  de  Coligny  à  Throck- 
morton, du  30  mai  1562  {Calend.  of  State  pap.  foreign). 


—  93  — 

»  ont  voulu  entendre.  Il  remercie  la  royne  de  ses  bons  offices 
y>  pour  la  pacification  et  l'engage  à  y  persévérer.  » 

Des  faits  qui  viennent  d'être  sommairement  retracés  résulte 
la  preuve  d'une  position  nettement  prise  dès  le  début  par 
Condé  et  par  les  chefs  réformés,  en  France  vis-à-vis  de  leurs 
coreligionnaires  et  à  l'étranger  vis-à-vis  des  puissances,  dont 
les  unes  leur  étaient  hostiles,  et  les  autres,  tout  en  inchnant 
vers  eux,  ne  leur  assuraient  cependant  encore  aucun  concours 
direct. 

A  la  netteté  de  la  position  ainsi  prise  devait  correspondre 
le  sérieux  des  efforts  à  faire  pour  la  consolider.  Ces  efforts 
furent  simultanément  dirigés  en  un  double  sens  :  ils  tendirent 
d'un  côté  à  l'accroissement  et  à  l'organisation  des  forces  néces- 
saires au  succès  de  la  défense  entreprise,  et  de  l'autre  à  l'éli- 
mination des  entraves  au  moyen  desquelles  les  adversaires 
espéraient  retarder  la  mise  en  jeu  de  ces  forces  et  même  les 
paralyser. 

Et  d'abord,  en  ce  qui  concernait  l'accroissement  de  leurs 
forces,  les  chefs  réformés  adjoignirent  en  quelques  semaines, 
aux  gens  de  guerre  qu'ils  avaient  amenés  à  Orléans,  les  contin- 
gents que  leur  fournirent  diverses  localités  voisines  de  cette 
ville  et  plusieurs  provinces.  Ils  réunirent  des  approvisionne- 
ments,des  munitions,  et  obtinrent,  çà  et  là,  des  Églises  cer- 
tains subsides,  à  l'insuffisance  desquels  quelques-uns  d'entre 
eux  cherchèrent  à  remédier  par  les  prélèvements  volontaires 
qu'ils  firent  sur  leur  propre  fortune.  Il  était  difficile,  du  reste, 
que  cette  source  spéciale  d'allocations  se  renouvelât,  à  raison, 
tant  de  la  perte  désormais  inévitable  des  émoluments  attachés 
à  leurs  fonctions  ou  dignités,  que  de  la  saisie  imminente  de 
leurs  revenus  et  du  fond  même  de  leurs  biens  par  le  gouverne- 
ment, qui  les  désavouait. 

Au  surplus,  la  réunion  à  Orléans  d'un  effectif  de  quelques 
milliers  d'hommes  généralement  aguerris  constituait  déjà  dans 


^  94  — 

les  premiers  jours  de  mai  un  noyau  de  forces  d'autant  plus 
consistant,  que  son  organisation,  due  en  grande  partie  à 
l'amiral,  s'appuyait  sur  la  fermeté  d'une  discipline  à  la  fois 
militaire  et  religieuse  ^  De  là  cette  observation  fort  juste  de 
de  Lanoue^  :  «  Il  faut  entendre  que  si  M.  le  prince  de  Gondé 
y>  sefeust  trouvé  alors  avec  peu  de  forces,  il  eust  esté  accablé  ou 
»  assiégé.  Mais  quand  on  vit  qu'il  estoit  puissant  pour  tenir  la 
»  campagne  en  sujétion  et  qu'il  parloit  un  langage  aussi  brave 
»  à  ses  adversaires  que  doux  au  roy,  on  ne  le  pressa  pas  beau- 
»  coup,  et  par  ce  moyen  il  eut  temps  de  se  prévaloir  de  plu- 
»  sieurs  choses.  Voilà  le  profit  qui  lui  revint  de  s'estre  trouvé 
>  fort,  au  commencement.  » 

Les  réformés,  dans  les  provinces,  se  montrèrent  en  ce  qui 
dépendait  d'eux  ses  imitateurs. 

La  nouvelle  du  massacre  de  Vassy,  promptement  répan- 
due d'une  extrémité  de  la  France  à  l'autre,  avait  été  par- 
tout le  point  de  départ  d'une  série  d'entraves  apportées  aux 
réunions  religieuses  et  de  persécutions  exercées  au  mépris,  de 
l'édit  de  janvier,  par  la  partie  fanatique  des  sectateurs  du  catho- 
licisme ^ .  Sous  le  coup  de  ces  persécutions,  les  réformés,  invo- 
quant, à  l'exemple  de  Gondé  et  de  ses  associés,  le  droit  de  légitime 
défense*,  se  comptèrent,  prirent  les  armes  et  s'emparèrent  des 
villes  dans  lesquelles  ils  avaient  pour  eux  la  supériorité  soit 


\.  Voy.  Appendice,  n»  14. 

2.  Disc,  polit,  et  milit.t  p.  653. 

3.  Voy.  Appendice,  n°  15. 

A.  «  Il  est  à  noter  pour  jamais,  que,  tant  qu'on  a  fait  mourir  les  réformés  sous 
>  ta  forme  de  la  justice,  quelque  inique  et  quelque  cruelle  qu'elle  fût,  ils  ont 
»  tendu  les  gorges  et  n'ont  point  eu  de  mains  ;  mais  quand  l'autorité  publique, 
»  le  magistrat ,  lassé  des  feux ,  a  jeté  le  couteau  aux  mains  des  peuples  et, 
»  par  les  tumultes  et  grands  massacres  de  France,  a  ôté  le  visage  vénérable 
*  de  la  justice  et  fait  mourir,  aux  sons  des  trompettes  et  des  tambours  le  voisin 
»  par  son  voisin,  qui  a  pu  défendre  aux  misérables  d'opposer  le  bras  au  bras, 
•»  le  fer  au  fer,  et  de  prendre  d'une  fureur  sans  justice  la  contagion  d'une  juste 
»  fureur?  »  (d'Aubigné,  Hist.  univ.,  t.  111,  liv.  V.  ch.  II. 


—  95  — 

du  nombre,  soit  de  l'énergie.  En  peu  de  temps,  Blois,  Tours, 
le  Mans,  Rouen,  le  Havre,  Dieppe,  Gaen,  Poitiers,  Bourges, 
Lyon  et  d'autres  places  encore  tombèrent  en  leur  pouvoir  *. 
Du  centre  de  la  France,  le  mouvement  se  propagea  dans  des 
directions  diverses,  et  principalement  au  sein  des  provinces  du 
midi,  en  Gascogne,  en  Languedoc,  en  Provence,  en  Dauphiné. 

De  tous  ces  points  du  territoire,  plus  ou  moins  reliés  les  uns 
aux  autres  par  d'actifs  efforts  de  communication,  les  regards  se 
portaient  sur  Orléans,  comme  sur  le  foyer  principal  de  la 
résistance  opposée  aux  agressions  des  ennemis  de  la  religion 
évangélique  et  de  la  royauté. 

Ceux-ci,  dans  l'espoir  de  faire  tomber  cette  résistance,  eurent 
recours  à  des  expédients  auxquels  la  réunion  des  chefs  réformés 
ne  se  laissa  pas  prendre. 

Ils  avaient  commencé  par  faire  «  publier  et  enregistrer  à  la 
»  cour  de  parlement,  le  9  avril,  des  lettres  par  lesquelles  ils 
y>  faisaient  déclarer  au  roy  que  le  bruit  de  sa  captivité  était  une 
))  fausse  et  mensongère  calomnie...;  estans  venus  le  roy  et  la 
»  royne  de  leur  plein  gré  à  Paris  et  y  estans  en  telle  liberté 
»  qu'ils  pouvaient  désirer^  ». 

Le  14  du  même  mois,  ils  firent  présenter  au  parlement  de 
Paris,  par  les  deux  grands  adversaires  de  l'édit  de  janvier, 
François  de  Lorraine  et  Anne  de  Montmorency,  une  déclara- 
tion royale  du  11  qui,  laissant  subsister  l'exercice  public  de  la 
nouvelle  religion  dans  les  lieux  où  il  était  établi,  le  proscrivait 
expressément  de  Paris  et  de  sa  banlieue,  sous  le  prétexte  qu'il 


1.  <  Voylà  donc  la  religion  si  haussée,  si  bien  relevée  et  fortiffîée,  qu'à  ceste 
î  prise  des  armes  première,  tout  à  coup  quasi  toutes  les  meilleures  villes  de 

»  France  furent  surprises  par  ceulx  de  la  religion;  qui  fut  un  très  grand  cas 

A  De  toute  ceste  grande  et  admirable  et  incrédule  entreprise  fut  le  seul  autheur 
»  et  conducteur,  M.  l'admirai.  Par  là  on  peut  cognoistre  quel  grand  capitaine 
>  c'a  esté.  >  Brantôme,  t.  IV,  p.  292. 

2.  Bèze,  Hist.  eccL,  t.  II,  p.  21 


—  96  — 

n'eût  pu  y  être  toléré  sans  occasionner  des  troubles  *;  décla 
ration  abusive,  puisqu'elle  portait  à  l'édit  de  janvier  une  atteinte 
injustifiable,  qui  frayait  la  voie  à  d'autres  atteintes  du  même 
genre  devant  immanquablement  se  produire  dans  les  villes  où 
dominerait  une  majorité  catholique  disposée  à  transformer  ses 
appréhensions  en  justification  de  son  intolérance. 

Le  21,  ils  firent  adresser  k  Condé  par  le  parlement  de  Paris 
une  lettre  '^  ayant  le  caractère  d'une  admonestation  menaçante. 

A  ces  manœuvres  de  ses  adversaires  le  prince  répondit,  le  25, 
par  une  déclaration  ^  plus  explicite  encore  que  celle  qu'il  avait 
publiée  le  8. 

Cependant  Catherine  n'avait  cessé  d'agir  auprès  de  lui  pour 
qu'il  mît  bas  les  armes.  Elle  lui  avait,  à  cet  effet,  adressé  de 
vives  instances,  soit  par  lettres,  soit  par  l'intermédiaire  de  Gon- 
nor,  de  l'Aubespine,  du  cardinal  de  Châtillon  et  d'autres  per- 
sonnages! Condé,  dans  des  lettres  où  il  protestait  de  son 
dévouement  à  la  royauté,  avait  constamment  répondu  qu'il  ne 
désarmerait  qu'après  avoir  obtenu  des  garanties  sérieuses  en 
faveur  de  la  cause  soutenue  par  lui  et  par  ses  associés  ^. 

En  attendant  qu'intervinssent  ces  garanties,  dont  la  réalisa- 
tion leur  semblait,  d'ailleurs,  de  jour  en  jour  moins  probable, 
Condé  et  Cohgny,  quelque  occupés  qu'ils  fussentà  faire  rayonner 
au  dehors  leur  activité  et  à  la  combiner  avec  celle  de  plusieurs 
chefs  réformés  dans  les  provinces,  n'en  veillaient  pas  moins 
avec  une  incessante  sollicitude  sur  les  moyens  de  donner  satis- 
faction aux  graves  intérêts  qui,  à  Orléans,  s'abritaient  sous  leur 
patronage.     • 

1.  Bèze,  Hist.  eccl.,  t.  II,  p.  21-22.  — Journal  de  Bruslart  [Métn.  de  Coudé) 
1. 1,  p.  82  à  83)  et  Mém.  de  Condé,  t.  III,  p.  256 à  258. 

2.  Bèze,  Hist.  eccl,  t.  II,  p.  23  à  26. 

3.  Ici.  Ibid.,  p.  27  à  29,  et  Mém.  de  Condé,  t.  III,  p.  319  à  333. 

4.  Lettres  de  Condé  à  la  reine  mère  et  au  roi,  des  19  avril  1562  {Mém.  de 
Condé,  t.  III,  p.  300-301),  25  avril  (Bihl.  nat.,  mss.f.fr.,  vol.  6607,  f»  1), 29  avril 
(Ibid.,  vol.  6607,  f°  57),  l^-"  mai  {Mém.  do  Condé,  t.  III,  p.  387-388). 


—  97  — 

Ils  voulaient,  notamment,  que  l'ordre  qui  régnait  parmi 
leurs  troupes  s'étendît  à  toute  la  population  de  la  ville,  qu'une 
égale  protection  fut  assurée  aux  habitants,  sans  distinction 
d'âge,  de  rang,  de  fortune,  ni  de  croyance;  et  que  dès  lors  les 
catholiques  pussent,  de  même  que  les  réformés  \  pratiquer 
librement  leur  culte. 

(c  Le  prince  appela  le  clergé  et  leur  protesta  de  ne  les  vouloir 
y>  empescher  aucunement  en  leur  service  ordinaire;  et  furent 
))  mesmes  ceux  de  la  religion  plus  chargés  d'hostes  que  leurs 
))  contraires;  mais  la  plupart  de  ceux  qu'on  appelle  ecclésias- 
»  tiques  ne  s'y  fiant  point,  aima  mieux  quitter  le  lieu,  se  reti- 
»  rant  sans  danger  où  bon  leur  sembloit  :  et  ceux  qui  y  demeu- 
»  rorent,  fùst  par  crainte  ou  autrement,  tindrent  leurs  églises 
y>  fermées,  faisant  les  sermons  tant  au  cloistre  Sainte-Croix 
))  sous  les  ormes,  que  dehors  la  ville  au  fauxbourg  du  Portereau, 
))  mais  cela  ne  dura  pas  beaucoup,  quelque  ordre  qu'on  y  sçeust 
y>  mettre  :  de  sorte  que,  le  21  du  mois  d'avril,  quelques  églises 
))  se  trouvèrent  avoir  esté  ouvertes  la  nuict  et  quelques,  images 
))  abattues,  et  de  là  en  avant  il  n'y  eust  ordre  de  pouvoir  empes- 
»  cher  qu'en  moins  de  rien  il  ne  s'en  lit  une  merveilleuse  exécu- 
»  tion,  combien  que  le  prince  avec  l'amiral  et  autres  de  leur 
»  suite  accourans  au  grand  temple  de  Sainte-Croix  y  donnassent 
»  coups  de  basions  et  d'espée...  Quant  aux  reliques  et  orne- 
»  mens,  ordonnance  fut  faite  et  publiée  de  bonne  heure  de  ne 
»  s'en  approprier  chose  quelconque,  sous  peine  de  la  vie;  ce  qui 
))  fut,  au  commencement,  assez  bien  observé,  mais  pour  ce  que 

1.  «  Or,  avoit  esté  le  synode  national,  dès  devant  les  troubles,  assigné  à 
»  Orléans,  suivant  laquelle  assignation,  combien  qu'à  cause  des  troubles  les 
>  députés  de  plusieurs  provinces  ne  comparussent,  ce  néaatmoins  assez  bon 
»  nombre  de  ministres  et  anciens  s'y  trouvèrent.  Le  synode  commença  le  29  du 
»  mois  d'avril,  auquel  le  prince  avec  l'amiral  et  autres  grands  seigneurs  firent 
»  cet  honneur  d'assister,  tant  pour  l'authorizer  par  leur  présence,  que  pour 
»  entendre  les  saints  et  sages  discours  et  résolutions  qui  s'y  firent.  »  (De  Dèze, 
Hist.  ceci.,  t.  II,  p.  33.) 

II  7 


—  98  — 

j>  quelques  prestres  estoient  contens  d'accuser  les  cachettes  en 
»  particulier  à  quelques  soldats  pour  y  avoir  leur  part,  plusieurs 
»  larcins  se  commirent,  combien  que  les  ministres  criassent  en 
y>  chaire  tant  qu'ils  pouvaient  et  que  le  prince  fist  ce  qui  luy 
»  estoit  possible* .  » 

Ainsi,  il  est  certain  que  des  ordres  précis  et  rigoureux  avaient 
été  donnés  pour  assurer  le, respect  dû  aux  édifices  religieux;  et 
que,  chaque  Ibis  que  ces  ordres  furen*.  enfreints,  Condé  et  Coli- 
gny  déployèrent  contre  les  destructe-urs  d'images  et  les  auteurs 
ou  complices  de  vols  commis  dans  les  églises,  une  juste  sévé- 
rité qui,  à  leur  grand  mécontentement,  ne  put  pas  toujours  ar- 
rêter les  excès  des  coupables. 

Dans  les  derniers  jours  d'avril,  a  l'abbé  de  Saint-Jean  de 
y>  Laon,  duquel  le  cardinal  de  Lorraine  se  servit  comme  d'un 
y>  entremetteur,  fist  un  voyage  à  Orléans,  pour  essayer  de  moyen- 
3)  ner  quelque  pacification^».  Il  apportait  une  lettre  de  la 
reine  mère,  à  laquelle  Condé  répondit  par  une  dépêche  du 
l"mai^  et  par  un  mémoire  daté  du  2,  indiquant  les  conditions 
sous  lesquelles,  seules,  on  pourrait  pacifier  les  troubles* .  Au 
premier  rang  de  ces  conditions,  il  plaçait  le  maintien  de  l'édit 
de  Janvier,  sans  restriction. 

«  Ce  mémoire  reçu  à  Paris  esmeut  le  triumvirat  à  se  décla- 
))  rer  plus  ouvertement  que  jamais  ;  de  sorte  qu'il  présenta 
))  deux  requestes  (du  4  mai)  contenant  les  moyens  du  tout 
y>  contraires  à  ceux  du  prince^  »  et  tendant,  en  première 
ligne,  au  complet  anéantissement  de  l'édit  de  Janvier. 

Une  réponse  évasive  fut  faite,  le  même  jour,  4  mai,  par  le 

1.  Bèze,  Hist.  eccL,  t.  II,  p.  32-33. 
.2  Ib.,  Ibid.,  p.  38. 

3.  Mcm.  de  Condé,  t.  III,  p.  387-388.  —  Bèze,  Hist.  eccl.,  t.  Il,  p.  38. 

4.  Bibl.  nat..mss.  f.  fr.  vol.  6  607,fo^  18-19.  — Mm.  de  Condé,  t.  III,  p.  384 
à  387.  —  Béze,  Hist.  eccl.,  t.  II,  p.  39  à  42. 

5.  Bibl.  nai.  mss.  f.  fr.  vol.  6611,  f>'  27,28,29;  vol.  6620,  f>  192;  —  Mém. 
de  Condé,  t.  III,  p.  392;  —Bèze  Hist.  eccl.,  t.  II,  p.  42. 


-  99  — 
roi,  la  reine  mère   et  Antoine   de  Bourbon  au  mémoire  de 
Condé  ^ . 

((  On  ne  laissait  donc  de  plaider  par  escrit,  fùst  qu'une 
))  partie  taschast  d'endormir  l'autre,  fûst  que  quelques-uns  tas- 
»  chassent  à  la  vérité  de  pacifier  ces  troubles,  par  quelque 
))  bon  et  doux  moyen.  Ce  que  je  puis  assurer,  ajoute  de  Bèze-  , 
))  avoir  esté  pour  le  moins  l'intention  du  prince  et  des  seigneurs 
»  de  son  conseil  ;  insistans  les  ministres  de  tout  leur  pouvoir  à 
))  faire,  s'il  était  possible,  qu'on  n'en  vinst  point  jusques  à  l'ef- 
»  fect  des  armes,  combien  qu'ils  exhortassent  soigneusement  le 
»  prince  et  sa  suite  à  ne  se  lasser  de  rendre  leur  devoir  pour  la 
))  conservation  de  la  religion  et  de  Testât.  » 

Coligny,  qui  souffrait,  à  tous  égards,  de  voir  son  oncle  le 
connétable  associé  aux  méfaits  des  Guise  et  de  Saint- André, 
crut  le  moment  venu  de  chercher  à  le  détacher  du  triumvirat. 

€  Monseigneur,  lui  écrivit-il,  le  6  maif  ,  encore  que  ce  por- 
))  teur  m'eûst  fort  sollicité,  la  première  fois  qu'il  vint  devers 
»  moy,  de  vous  escripre,  si  ne  me  le  sembla-il  pas  raison- 
))  nable,  craignant  que  vous  eûssiés  mes  lettres  aussi  peu 
y>  agréables  que  les  remonstrances  que  quelquefois  M.  le  cardi- 
y>  nal  de  Ghastillon  et  moy  vous  avons  faites;  et  ce  qui  m'en  a 
))  donné  plus  de  témoignage,  c'est  le  propos  que  j'avois  tenu 
))  dernièrement,  à  mon  parlement  de  Paris,  à  M.  le  mareschal 
y>  votre  filz,  lequel  ne  m'aiant  faict  nulle  response  là-dessus,  je 
))  puys  bien  penser  que  vous  ne  luy  en  aviés  pas  faict  qui  me 
))  deust  guères  contenter.  Or,  m'ayant  ce  porteur  encore  solli- 
3)  cité  cette  fois  de  vous  escripre,  j'ay  esté  content  de  le  faire, 
y>  vous  ayant  tousjours  aymé,  honoré,  servi  et  respecté  comme 
))  père,  et  ne  voulant  point  mettre  en  considération  en  votre 

1.  Bèze,  Hist.  eccL,  t.  II,  p.  48  à  50. 

2.  Ib.,  Ibid.,  p.  38. 

3.  Bibl.  nat.  mss.  V.  Colbert,  vol.  24,  f»'  111-112.—  J|/m,  de  Condé,  t.  !i!, 
p.  441  à  443. 


—  100  — 

)j  cndroict  ce  que  je  lerois  en  d'aullrcs,  voire  quant  j'aurais  tout 
))  le  droict  de  mon  costé;  je  suys  content,  entre  vous  et  moi,  de 
:»  me  donner  le  tort  plus  tost  que  de  venir  en  contestation.  Si, 
yi  vous  suppliré-je,  monsieur,  de  vous  proposer  les  troubles  qui 
))  sont  aujourd'hui  en  ce  royaulme  et  les  inconvéniens  en  quoy 
»  nous  alons  tomber,  si  Dieu  n'y  met  la  main.  Qui  en  est  la 
))  cause,  je  m'en  rapporte,  à  toutes  les  personnes  de  sain  juge- 
))  ment;  mais,  en  ce  qui  vous  touche,  je  vous  supply  vous  sou- 
»  venir  entre  les  mains  de  qui  vous  estes,  et  si  ceulx  de  qui 
j)  vous  vous  estes  alié  ne  sont  pas  ceux  qui  ont  jure  et  pour- 
))  chassé  vostre  ruine  et  celle  de  toute  vostrc  maison.  Je  m'en 
))  rapporte  à  l'expérience  que  vous  en  feistes  durant  votre  pri- 
))  son,  en  tout  le  règne  du  feu  roy  dernier  et  du  commence- 
y>  ment  de  cestuy-cy,  et  ce  que  vous  m'en  avés  par  plusieurs 
))  fois  dict.  L'on  tient  que  le  plus  habile  homme  du  monde 
))  peult  estre  trompé  pour  une  fois;  mais,  de  l'estre  davan- 
))  tage,  c'est  pour  estre  moqué.  Je  vous  supply  aussy,  monsieur, 
»  vous  souvenir  si  toute  la  haine  que  ceulx-là  portent  à  mes 
))  frères  et  à  moy  n'est  pas  pour  vostre  seul  respect,  car  l'on 
»  sçait  assés,  qu'au  commencement  du  règne  du  roy  Henry, 
))  combien  nous  estions  bien  ensemble,  et  qu'il  eûst  esté  aisé  de 
3)  nous  y  entretenir;  mais  les  malcontentemens  que  vous  aviez 
))  d'culx  et  les  maulvais  offices  que  ordinairement  vous  nous 
))  disiés  qu'ils  faisoient  contre  vous,  nous  en  ont  faict  eslongner, 
))  avecques  ce  quedepuys  ils  nous  ont  faict  assés  congnoistre  la 
))  maulvaise  voulunté  qu'ils  nous  portoient  à  tous.  Et  mainte- 
))  nant,  je  ne  sçay,  monsieur,  si  vous  estes  seul  à  vous  apejce- 
»  voir  que  de  ce  qui  se  faict  on  se  prendra  à  vous  de  tout  le  mal, 
))  et  que  de  tous  estats  et  principalement  de  la  noblesse  vous 
))  lUL'ttés  une  haine  pour  héritage  en  vostre  maison,  pour  agran- 
))  dir  voz  ennemys  qui  ne  peuvent  avoir  cette  grandeur  que  par 
)^  la  ruine  de  voz  plus  proches  parens  et  de  la  plus  grande  part 
■»  de  la  noblesse  de  ce  royaulme.  Mais,  premièrement,  il  fault 


—  101  — 

y>  avouer  que  ce  sera  l'entière  ruine  de  tout  ce  royaulme,  car 
5  toute  la  compagnie  qui  est  icy  n'est  pas  délibérée  de  se  laisser 
3  prendre  au  piège;  et  toutainsy  que  l'on  ne  veult  point  donner 
»  la  loy  à  ceulx  de  l'Église  romaine,  aussy  ne  veult-on  point  re- 
»  cevoir  la  loy  d'eux;  et  ce  qui  nous  fait  à  tous  plus  de  mal, 
»  c'est  que  l'on  abuse  de  l'autorité  du  roy  et  de  la  royne.  Les 
3)  moiens  pour  pacifier  tous  ces  troubles  avoient  esté  envoyés 
3)  par  l'abbé  de  Sainct-Jehan,  mais  la  response  qu'il  en  rapporta 
»  hier  monstre  assez  que  c'est  la  ratouère  de  quoy  parlait  le 
»  cardinal  de  Lorraine  avant  la  mort  du  feu  roy  dernier,  en 
y>  ceste  ville.  Dieu  sera  juge,  à  la  fin,  de  toutes  nos  intentions  ; 
»  mais  je  proteste  devant  Dieu  que  toute  la  trouppe  qui  est  en 
y>  ceste  ville  n'avons  point  pris  les  armes  contre  le  roy  et  son 
»  auctorilé,  ni  contre  ceulx  qui  tiennent  la  religion  de  l'Egnse 
»  romaine,  mais  au  contraire  que  nous  les  avons  paur  maintenir 
))  le  roy  et  son  auctorité  et  empescher  les  forces  et  violences 
»  dont  l'on  usoit  à  l'endroit  de  ceulx  de  notre  religion  contre 
y>  la  voulunté  et  intention  du  roy,  de  la  royne  et  de  leurs  édicts. 
))  Pour  conclusion,  je  vous  supply,  penssés  qu'il  n'est  pas  rai- 
))  sonnable  de  recepvoir  la  loy  de  ceulx  qui  sont  directement 
j»  parties,  et  que  l'on  ne  la  veult  ny  ne  peult-on  recepvoir  que  du 
y>  roy.  Monsieur,  vostre  sage  jugement  pourra  aviser  à  se  résoul- 
y>  dremieulxqueje  ne  le  vous  sçaurais  conseiller,  mais  je  vous 
3)  supply,  penssés  que  l'un  des  plus  grands  regrets  que  mes 
»  frères  et  moi  ayons,  c'est  de  vous  voir  de  ceste  partie;  et 
y>  quant  à  moy,  n'ayant  que  le  service  de  Dieu  et  du  roy  devant 
y>  les  ieulx,  il  m'est  aisé  de  me  résouldre.  Monseigneur,  je  me 
y>  recommande  très  humblement  à  vostre  bonne  grâce,  et  pry 
:s>  nostre  seigneur  vous  donner  en  santé  très  bonne  vie  et  lon- 
D  gue.  D'Orléans,  ce  6  de  mai  4562.  —  Votre  très  humble  et 
3)  très  obéissant  neveu,  Chastillon.  » 

Les  respectueuses  instances  de  Coligny  ne  purent  détourner 
le  connétable  de  la  voie,  funeste  dans  laquelle  il  s'était  engagé  : 


—  102  — 

La  réponse  de  l'oncle  au  neveu  ^  fut  celle  d'un  homme  aveuglé 
par  les  préjugés  et  par  la  passion. 

Catherine  avait  chargé  l'abbé  de  Saint-Jean  de  remettre  à 
Coligny  une  lettre  par  laquelle  elle  le  pressait  de  faire  des  con- 
cessions, auxquelles  elle  devait  cependant  pressentir  qu'il  accé- 
derait d'autant  moins  que,  dans  leurs  deux  requêtes  du  4  mai, 
connues  de  lui,  les  triumvirs  venaient  de  se  démasquer  com- 
plètement, à  ses  yeux,  en  insistant  pour  que  l'édit  de  Janvier 
fût  mis  à  néant.  Coligny  connaissait,  en  outre,  ces  paroles  que 
Catherine  avait  adressées,  le  5  mai,  aux  ambassadeurs  d'An- 
gleterre, Sydney  et  Throckmorton  :  ce  Le  prince  de  Condé  étant 
y>  le  propre  parent  du  roi,  et  l'amiral  étant  son  conseiller  et  son 
))  bon  serviteur,  ils  seront,  j'en  ai  confiance,  assez  bien  avisés 
))  pour  entendre  raison  sur  ce  qu'on  leur  a  offert,  et  pour  ne 
y>  pas  persister  avec  opiniâtreté  dans  des  opinions  et  une  con- 
))  duite  capables  de  causer  des  troubles  dans  le  royaume  de 
^)  mon  fils,  et  leur  propre  ruine  et  deshonneur.  Le  roi  leur  a 
))  envoyé  dernièrement  des  conditions  qu'ils  ne  peuvent  qu'ac- 
y>  cepter,  s'ils  sont  bien  avisés  ^.  » 

L'amiral  tint  alors  à  Catherine  le  ferme  langage  que  voici  ^  : 
-»  Madame,  Vostre  Majesté  auroit  peu  entendre  par  l'abbé  de 
))  Saint-Jean  pourquoy  dernièrement  je  n'avois  point  faict  de 
»  réponse  à  la  lettre  qu'il  vous  avoit  pieu  m'escripre  par  lui, 
»  et,  pour  y  satisfaire  maintenant,  je  vous  supplie  très  humble- 
3>  ment  de  penser  qu'il  n'y  a  gentilhomme  en  France  qui  plus 
))  désire  vous  voir  contente  et  ce  roïaume  en  repos,  que  moy,  et 
»  n'auray  point  de  besoing  d'user  de  persuasion  à  l'endroict  de 
»  monseigneur  le  prince  de  Condé  pour  l'inciter  à  cela,  car, 
»  comme  je  vous  ay  desjà  mandé,  tout  le  but  de  ses  intentions 
»  ne  tire  que  là,  ny  de  tous  ceux  qui  sont  en  ceste  compagnie; 

4.  Voy.  Appendice,  n»  16. 

2.  Throckmorton  et  Sidney  à  Elisabeth,  8  mai  1562. 

3.  Lettre  du  11  mai  1562.  (Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  6  620,  f-207.) 


—  103  — 
»  mais,  Madame,  je  vous  supplie  me  pardonner  si  je  vous  dicts 
»  que  tous  ceulx  de  ceste  dicte  compagnie,  et  moy  avecques 
y>  eulx,  trouvons  merveilleusement  rude  qu'on  nous  charge  que 
))  nous  ne  gardions  la  fidélité  au  roy  que  nous  îuy  désirons,  en 
»  nous  impatronisant  des  villes  et  en  saccageant  des  temples. 
y>  Quant  aux  villes,  je  ne  puis  bien  respondre  que  de  ceste-cy 
))  (Orléans),  de  laquelle  je  puys  asseurer  le  roy  estre  plus  abso- 
»  lument  roy  qu'il  ne  fut  jamais,  et  je  n'ay  point  encore  ouy  dire 
»  qu'il  y  en  ait  aulcune  qui  se  soit  distraite  de  son  obéissance; 
»  et,  où  ainsy  seroit,  le  roy  n'a  poinct  de  serviteurs  qui  plus 
))  vouluntiers  employent  et  biens  et  personnes  pour  la  luy  faire 
))  rendre,  que  nous  ferons  tous  veoir  à  noz  despens.  Quant  au 
»  saccagement  de  temples,  la  justice  exemplaire  de  ceulx  qui 
))  ont  commis  telles  choses  démonstre  assez  si  c'est  chose  que 
»  monsieur  le  prince  et  ceulx  de  sa  troupe  approuvent.  Vous  me 
»  mandez.  Madame,  que  vous  ne  penserez  plus  que  ce  soit  reli- 
y>  gion  qui  nous  anime,  si  nous  n'acceptons  les  conditions  que 
»  cet  abbé  de  Sainct-Jehan  nous  avoit  apportées;  mais  après 
y>  avoir  veu  d'où  elles  ont  esté  extraictes,  je  ne  demande  aultre 
))  chose  pour  asseoir  ung  bon  et  certain  jugement  à  quoy  len- 
»  doient  les  desseins  de  ces  messieurs  qui  disoiem  tousjours 
»  qu'ils  ne  vouloient  point  s'enquérir  des  consciences  des  per- 
»  sonnes,  car  aujourdhuy  il  n'est  point  question  de  Paris  et  de 
ï>  la  banlieue  seulement,  mais  de  l'entière  subversion  et  ruine 
»  de  toutes  les  églises  réformées  de  ce  royaulme,  de  la  priva- 
))  tion  des  estats  et  offices,  grands  et  petits,  et,  soubs  une  belle 
»  couleur,  de  la  confiscation  des  biens.  Je  n'avois  jamais  doubté, 
3)  Madame,  et  vous  le  savez  bien,  que  leur  dessaing  ne  fust  tel; 
))  mais  j'eusse  mal  aisément  creu  qu'ils  l'eussent  ainsy  osé 
))  manifester.  C'est  Dieu  qui  faict  et  conduict  toutes  choses  pour 
))  le  mieulx,  et  pour  laisser  juges  tous  princes  chrestiens  et  toutes 
y>  personnes  de  sain  jugement  à  qui  se  debvra  donner  le  tort,  ou 
))  à  ceulx  qui,  les  premiers,  contre  la  voulunté  de  leur  roy,  ont 


—  104  — 

3)  pris  les  armes  pour  destruire  une  religion,  et,  par  conséquent, 
»  tout  le  royaume,  ou  à  ceulx  qui  ne  les  ont  prises  que  pour 
»  défendre  l'ung  et  l'autre,  et  qui  ne  vouloient  nullement  trou- 
»  bler  les  autres  en  leurs  services  et  cérémonies  accoustumées. 
))  Il  est  bien  besoing  que  Dieu  mette  la  main  à  ces  troubles; 
))  ainsy  ne  me  deffiay-je  point  qu'il  ne  favorise  les  siens  et  qu'il 
3>  ne  fasse  sentir  Sa  main  pesante  à  ceulx  qui  luy  font  guerre 
3)  et  qui  se  bandent  contre  luy.  Je  vous  supplye  très  humble- 
»  ment  Madame,  pour  fin  de  ceste  lettre,  croire  que  vous  trou- 
y>  verez  tousjours  en  ceste  compagnie  toute  servitude,  loyaulté 
))  et  obéissance,  mais  que  nous  ne  nous  mettrons  jamais  à  la 
»  merci  de  ceux  qui  nous  sont  juges  et  parties,  comme  il  appa- 
y>  raît  clairement  par  la  requeste  qu'ils  vous  ont  présentée;  et 
»  pour  ce  debvroient-ils  estre  si  raisonnables  que  de  se  récuser 
))  eulx  mesmes  comme  trop  su'spectz  en  toutes  les  despesches 
))  que  l'on  nous  .faict  ou  que  l'on  reçoit  de  nous,  et  générale- 
»  ment  en  toutes  choses  qui  nous  touchent.  Madame,  je  prie 
•j)  noslre  Seigneur  vous  assister  de  ses  grâces  et  vous  donner  en 
))  parfaite  santé  très  heureuse  et  très  longue  vie.  D'Orléans,  ce 
»  11  mai  1562.  » 

Cette  lettre  de  l'amiral  fut,  à  peu  de  jours  dïntervalle,  accom- 
pagnée de  diverses  dépêches  que  Condé  adressa  à  la  reine- 
mère  \  alors  qu'elle  avait  député  vers  lui  Montluc,  évoque  de 
Valence  ^,  de  Vieilleville  et  le  comte  de  Villars  ^,  munis  d'in- 
structions particulières. 

De  ces  diverses  lettres  de  Condé,  celle  du  19  mai  ^,  conte- 

1.8  mai  d562  (Bihl.  nat.,mss.  f.  fr.,  vol.  6  607,  f»  52,  et  vol.  6620,  f»  201); 
dl  mai  1562  (Ibid.  vol.  6607,^21);  20  mai  1562  (ilfm.de  Condé,  t.- III, 
p.  410);  22  mai  1562.  (Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  0  607,  f«  30.) 

2.  Lettre  de  Montluc  à  Catherine,  du  11  mai  1562  (liibl.  nat.,  mss.  f.  fr.,  vol. 
6607,  f»  23,  et  6  620,  ^211). 

3.  Lettre  de  Condé  à  Catherine,  du  22  mai  1562  (Bibl.  nat.,  mss.  f.  fr.,  vol. 
6607,  f  30. 

4.  Bèze,  Hist.  ceci.,  t.  II,  p.  52  à  74..  —  Mém.  de  Condé,  t.  III,  p.  395  à 
416. 


—  105  — 

nant  une  longue  et  énergique  réfutation  des  deux  requêtes  des 
triumvirs,  se  terminait  ainsi  *  : 

y>  Soit  ma  demande  rapportée  et  mise  en  parangon  avec  la 
»  leur  (celle  des  triumvirs).  Je  demande  l'entretenement  de 
))  l'édii  de  Janvier  :  et  ils  veulent,  de  leur  authorité,  le  casser 
y>  et  abolir.  Ils  demandent  la  ruyne  d'une  infinité  de  maisons, 
y>  tant  de  la  noblesse  que  du  tiers-estat.  Je  demande  et  désire 
y>  que  tous  les  sujets  du  roy,  de  quelque  qualité  qu'ils  soient, 
y>  soient  maintenus  et  gardés  en  leurs  estais,  en  leurs  biens,  et 
»  préservés  de  toute  injure  et  violence.  Ils  veulent  exterminer  tous 
»  ceux  de  la  religion  réformée  :  et  je  désire  que  nous  soyons 
))  réservés  au  temps  que  le  roy  sera  en  sa  majorité,  auquel 
y>  temps  nous  obéirons  à  ce  qui  luy  plaira  nous  commander  : 
))  et  cependant  que  ceux  de  l'église  romaine  ne*soyent  troublés, 
»  molestés  ny  empeschez  en  leurs  biens,  ny  en  l'exercice  de 
»  leurs  charges.  Ils  demandent  une  force  d'armes  pour  exécu- 
y)  ter  ce  qu'ils  ont  entrepris,  et  ne  regardent  pas  qu'ils  con- 
»  traindront  une  infinité  de  gens  de  bien  à  se  défendre.  Ils  ne 
))  regardent  pas  le  peu  de  moyen  qu'on  a  de  despendre,  ni  les 
y>  incommoditez  et  ruines  que  la  guerre  civile  apporte.  Et  qui 
»  pis  est,  ils  ont  appelé  et  se  sont  signés  à  faire  venir  les  armes 
»  estrangères  ;  qui  est  à  dire  en  bon  langage,  mettre  en  proye 
»  ce  royaume.  Au  contraire,  je  ne  demande  point  que  les  armes 
))  me  demeurent  en  main,  je  n'employé  point  l'argent  du  roy, 
))  je  n'appelé  point  les  estrangers  pour  venir  en  ce  royaume,  et 
»  en  ay  refusé  de  ceux  qui  m'ont  esté  présentés  ;  et  Dieu  en  est 
))  témoin,  je  les  ay  priés  de  n'y  venir  point  et  d'empescher 
y>  qu'autres  n'y  vinssent  pour  moy  ou  contre  moy  :  et  demande 
y>  et  requiers,  comme  j'ay  fait  par  cy-devant,  que  les  armes 
i>  soient  posées,  tant  d'un  costé  que  d'autre,  me  faisant  fort 
3)  que  de  nostre  costé  il  n'y  aura  ni  rébellion,  ni  désobéissance, 

i.   Bèze,  Hist.  eccL,  t.  II,  p.   71,    72,  7-1,  —  Mém.  de  Condé,  t.  III,  p.  il3 
à  415. 


—  106  — 
y>  et  que  les  armes  n'auront  jamais  tant  de  force  ni  de  vigueur 

2)  en  nostre  endroit,  que  l'amour,  la  fidélité  et  obéissance  que 
))  nous  devons  à  nostre  roy,  pour  lequel  nous  ne  ferons  jamais 

»  difficulté  d'exposer  nos  biens  et  nos  vies Ceux  qui 

»  nous  veulent  exterminer  demandent  que  nous  soyons  déclarés 
»  rebelles,  ils  demandent  nos  vies,  nos  honneurs  et  nos  con- 
y>  sciences  :  nous  ne  demandons  rien  qui  soit  de  leur  vie,  de 
y>  leur  honneur,  de  leur  bien,  ni  de  leurs  consciences  :  ni  leur 
y>  souhaitons  autre  mal,  sinon  celuy  auquel  nous  voulons  nous 
y>  mesmes  nous  obliger,  qui  est  que  eux  et  nous  ,  nous  nous 
»  retirions  en  nos  maisons,  le  tout  suyvant  les  conditions  plus 

»  amplement  déduites  en  nos  déclarations  et  protestations 

y>  Pourra  juger  un  chacun  qui  est  rebelle  et  ennemy  du  roy,  ou 
))  celuy  qui  offre  laisser  les  arm'es  et  se  retirer  en  sa  maison, 
y>  ou  celuy  qui  veut  tout  perdre  plustost  que  de  lascher  la  proye 
»  qu'il  a  faite  de  la  personne  du  roy.  Et  pour  autant  qu'en  toute 
»  guerre  civile,  on  ne  peut  attendre  qu'une  fin  calainiteuse,  et 
y>  qu'il  est  malaisé  de  contenir  les  mains  et  la  volonté  des  sol- 
))  dats  qui  sont  irrités  contre  ceux  qui  les  veulent  tyranniser  : 
»  je  proteste  devant  Dieu  et  devant  tous  les  hommes,  que  c'est 
»  à  mon  grand  regret  que  je  prends  les  armes  et  conduy  ceux 
y>  qui  les  portent;  et  qu'avec  mon  sang  je  voudrois  pouvoir 
y>  empescher  les  misérables  effets  dont  la  guerre  nous  menace. 
y>  Mais,  puisqu'on  n'a  tenu  conte  de  ma  demande,  puisque  mes 

3)  parties  veulent  estre  mes  juges,  et  commandent  aujourdhuy 
3)  sous  le  nom  et  authorité  du  roy  :  je  proteste  doncques  que 
y>  mon  intention  ne  tend  sinon  à  mettre  le  roy  en  telle  liberté 
»  qu'il  estoit  il  y  a  six  mois,  et  à  remettre  le  gouvernement  es 
y>  mains  de  la  royne,  avecques  l'assistance  du  roy  de  Navarre, 
»  comme  il  a  esté  dit  par  les  estats  ;  et  contenir  et  préserver 
y>  la  noblesse  et  le  peuple  de  toute  tyrannie  et  oppression  de 
ï)  ceux  qui  ne  sont  appelés  à  leur  commander;  et  que  de  toute 
y>  ceste  entreprise  je  n'attends  ny  veux  attendre,  et  plustost 


—  107  — 
»  mourir,  aucun  profit  particulier,  ni  aucun  dessein  qui  tende 
))  à  l'avarice  et  ambition,  ains  que  je  veux  rapporter  toutes  mes 
y>  actions,  moyennant  la  grâce  que  Dieu  me  fera,  à  fhonneur 
»  de  Dieu,  au  service  du  roy,  et  au  repos  et  soulagement  de  tous 
y>  ses  sujets.  » 

Le  loyal  et  énergique  langage  de  Coligny  et  de  Gondé  surex- 
cita Fanimosité  des  triumvirs  et  d'Antoine  de  Bourbon,  qui,  se 
sentant  désormais  assez  forts  pour  engager  la  lutte  à  main 
armée,  se  décidèrent  à  entrer  prochainement  en  campagne. 

Ils  n'avaient  rien  négligé  jusqu'alors  pour  attirer  en  France 
des  troupes  étrangères  ;  ils  avaient  fait  agir,  à  cet  égard,  Frô- 
lich  en  Suisse,  le  Rhingrave  et  Rockendolf  en  Allemagne, 
d'autres  émissaires  au  delà  des  Alpes  et  des  Pyrénées  ;  puis, 
tout  récemment,  ils  avaient  adressé,  sous  le  nom  du  jeune  roi, 
à  l'ambassadeur  de  France  en  Espagne,  une  lettre  dans  le  long 
libellé  de  laquelle  se  trahissait  leur  servilité  vis-à-vis  de  Phi- 
lippe II  ^  Il  y  était  dit,  notamment  : 

))  Pour  ce  qu'estant  le  roy,  mon  bon  frère,  le  principal  de 
))  tous  mes  bons  amys  et  celui  à  qui  en  toutes  choses  j'ay  et 
y>  doibs  avoir  plus  de  fiance,  c'est  aussy  celuy  à  qui  en  cela  et 
»  toute  aultre  chose  qui  me  touchera  je  me  délibère  avoir  plus 
»  de  recours,  y  estant  sy  convyé  par  la  continuelle  démonslra- 
y>  tion  qu'il  a  faicte  de  l'amour  et  bienveillance  qu'il  me  porte 
3>  en  tout  temps,  et  principalement  en  ceste  saison,  que  je  m'en 
y>  doibz  asseurer  comme  de  moy-mesme,  et  espérer  tout  le  bien, 
»  conseil  et  ayde  favorable  qui  se  peult  entendre  d'un  bien  affec- 

»  tionné  frère Assemblant,  comme  je  faictz  journelle- 

»  ment,  de  grandes  forces,  tant  de  mes  subjects,  que  d'aultres 
))  estrangiers,  pour  dompter  et  réduyre  par  force  les  réformés 
))  français  en  l'obéissance  dont  ilz  se  sont  départiz,  ce  me  serait 


1.  Lettre  du  8  mai  156    à  l'évêque  de  Limoges.  (BibL  nat.,  mss.  f.  fr.  voL 
6604,  f»  48.) 


—  108  — 

y>  un  grand  advantaige,  une  grande  faveur  et  un  grand  soullai- 
y>  gement  en  la  nécessité  où  je  suys,  si  le  roy  mon  bon  frère, 
y>  suyvant  l'honneste  offre  qu'il  vous  en  a  faicte,  me  vouloit 
»  secourir  d'un  nombre  d'hommes  de  qui  je  me  puisse  fier,  en 
»  telle  occasion,  pour  le  peu  de  seureté  qu'il  y  a  en  beaucoup 
»  de  mes  subjectz  qui  sont  entachez  de  ces  nouvelles  opinions. 
»  Et  pour  ce,  en  le  remerciant  de  sa  bonne  volonté  dont  vous 
))  m'avez  adverty,  et  de  l'offre  que  vous  m'avez  faicte,  et  luy  fai- 
3)  sant  entendre  la  nécessité  de  mes  affaires  et  le  grand  besoin 
T)  que  j'ay  de  l'ayde  et  secours  tant  de  luy  que  de  tous  mes  bons 
y>  amys,  vous  le  prierez,  de  ma  part,  puisque  sa  volonté  est 
y>  telle  que  me  le  mandez,  de  me  secourir  de  dix  mille  hommes 
3)  de  pied  et  trois  mille  chevaulx,  c'est  assavoir  trois  mille 
y>  Espagnolz  qui  viendront  par  le  costé  de  la  Guyenne,  ettrou- 
y>  veront  cavallerye  et  intanterye  pour  les  recueillir  et  conduire 
y>  aux  lieux  où  il  sera  besoing  de  les  employer  pour  le  bien  de 
^  mon  service,  et  trois  mille  Italiens  qui  viendront  du  costé 
»  de  Piedmont  avec  d'aultres  forces  que  je  feray  assembler  en 
))  ce  quartier-là.  Et  pour  le  reste,  la  solde  de  quatre  mille  lans- 
))  quenetz  que  je  feray  lever  par  ung  colonnel  et  des  cappitaines 
))  que  je  nommeray  pour  les  mener  et  employer  en  l'armée  que 
J-)  j'assembleray  icy  à  l'entour  ;  et  quant  à  la  cavallerye  deux 
»  mille  chevaulx  des  Pays-Bas  et  mille  reistres,  ou  bien,  s'il 
))  ayme  mieulx,  l'argent  pour  souldoyer  lesdicts  mille  reistres 
y>  que  je  feray  lever  par  ung  de  nos  cappitaines,  ainsy  qu'il  luy 
y>  sera  plus  commode;  laquelle  demande,  sur  l'offre  qu'il  m'a 
))  faicte,  j'ay  proposée  à  son  ambassadeur  qui  s'est  chargé  d'en 
»  escripre  au  roy  mon  bon  frère.  » 

Dans  une  audience  accordée,  trois  jours  avant  la  date  de 
cette  lettre,  à  Throckmorton  et  à  Sidney,  qui  étaient  venus  lui 
proposer  la  médiation  officieuse  de  la  reine  d'Angleterre,  Ca- 
therine de  Médicis  s'était  ouvertement  félicitée,  en  ces  termes,  de 
l'appui  fourni  par  fétranger  au  parti  catholique,  contre  les  ré- 


—  109  — 

formés  i  :  «  Le  roi  d'Espagne  a  offert,  pour  réprimer  ces  dé- 
))  sordres  et  troubles,  pour  ayder  le  roy  mon  filz,  et  pour  ré- 
»  tablir  l'obéissance  qui  luy  est  due,  trente  mille  hommes 
))  de  pied  et  six  mille  chevaux,  payés  de  ses  propres  deniers  ; 
d  et  de  même  le  duc  de  Savoie  et  mes  autres  alliés  ont  offert 
))  dans  cette  circonstance  aide  et  secours;  toutes  offres  et 
»  amitiés  que  nous  avons  de  bonnes  raisons  de  prendre  en 
»  bonne  part.  » 

Voilà  donc  le  parti  catholique  ayant  pris  l'initiative  d'un  appel 
aux  gouvernements  étrangers,  pour  introduire  des  troupes  en 
France.  Le  voilà  assumant  sur  lui  la  lourde  responsabilité  d'un 
exemple  que,  malheureusement,  ses  adversaires  suivront  plus 
tard,  en  s'y  croyant  autorisés  par  une  impérieusenécessité  .  Quel 
contraste,  sur  ce  point  capi'al,  entre  les  actes  de  ce  parti  et 
ceux  de'  l'association  des  chefs  réformés  ! 

Quant  à  ces  derniers,  au  moment  où  ils  pressentent  que  la 
lutte  va  s'engager,  nul  recours,  de  leur  part,  aux  forces  étran- 
gères. Ils  se  bornent  à  prier  de  nouveau  celles  des  puis- 
sances sur  le  bon  vouloir  desquelles  ils  croient  pouvoir  comp- 
ter, de  ne  pas  laisser  sortir  de  leurs  Etats  les  troupes  que  les 
agents  du  triumvirat  y  ont  recrutées.  «  Qu'il  vous  plaise,  écri- 
))  vent  Goligny  et  d'Andelot  au  landgrave  de  Hesse,  Philippe, 
))  le  19  mai^  nous  monstrer  quelle  ayde  et  faveur  nous  pou- 


1.  Lettre  de  Throckmorton  et  de  Sidney  à  Elisabeth,  du8  mai  1562  (State  pap. 
office).  —  Voy.  en  outre,  une  lettre  de  Catherine  de  Médicis  à  de  Chaulnes,  du 
20  juillet  1562  (Bibl.  nat.,  mss.  f.  fr.,  vol.  3  187,  f»  20). 

2.  Calviuus  Bulhngero,  8  juin  1562  (op.  Calvini,  vol.  19,  p.  ^32,  n»  3802)  : 
«  Hactenusdubitatum  est  an  accersenda  esscnt  externa  auxilia.  Ego  semper  autor 
>  fui  ne  à  nobis  initium  fieret,  quia  imitari  nolo  adversîe  partis  impudentium  quae 
»  nullam  invidiam  refugit.  Xunc  quia  conducti  sunt  ab  illis  équités  sclopetarii 
»  ex  germania,  justa  erit  nobis  excusatio,  Nondùin  tanien  res  niatura  videtur, 
5  lîisi  illi  copias  suas  eduxerint.  »  ■ 

3.  Bibl.  nat.,  mss.  f.  fr.,  vol.  10190.  —  «  Memini  quàm  liberaliter,  qaàmpié, 
3>  quàm  amanter  celsitudo  vestra  milii  aano  superiore  subsidii  aliquid  pro  nos- 
i  trisecclesiis  promiserit,  et  quotidiè  principi  Condensi,  Amirallio  et  coeteris 


—  HO  — 

-»  vons  attendre  de  vous;  car,  puisque  avec  tant  de  courage 
■»  vous  faites  profession  de  la  religion  évangélique,  toute  ceste 
»  noblesse  qui  arrive  icy  à  nous,  chaque  jour,  a  très  grande  es- 
»  pérance  que  vous  ne  délaisserez  nos  pauvres  églises  affli- 
y>  gées  et  ne  permettrez  pas  qu'on  tire  de  vos  pays  gens  loués 
»  à  prix  d'argent  pour  estre  bourreaux  des  chrestiens.  »  — 
L'anriiral  et  son  frère  terminent  une  lettre  adressée,  le  21  mai, 
aux  magistrats  du  canton  de  Zurich  *  par  ces  paroles  :  Ma- 

))  gnifiques,    vénérables  et    très  excellens  hommes nous 

))  vous  prions,  sur  toutes  choses,  entant  qu'il  vous  est  possible, 
»  de  contenir  les  soldatz  de  vos  voisins  et  les  vostres  en  leur 
»  debvoir.  :»  —  Le  22  mai,  Gondé  écrit  aux  magistrats  d'un 
autre  canton  ^  :  «  Nous  avons  estimé  estre  très  bon  vous  prier 
»  derechef  par  ces  présentes,  que,  tant  au  nom  de  la  religion, 
))  que  nous  maintenons  commune  avec  vous,  que  pour  l'amytié 
»  et  alliance  que  vous  avez  avec  nostre  roy,  et  aussi  pour 
»  vostre  réputation,  vous  vous  efforciez  que  nos  ennemis  ne 
y>  puissent  tirer  de  vos  pays  de  Suysse  aucunes  compagnies 
»  de  gens  de  pied;  car  ce  n'est  pas  chose  qui  importe  peu  à  la 
»  réputation  de  vostre  tant  vertueuse  et  belliqueuse  nation, 
»  que  de  voz  villages  on  tire  à  prix  d'argent  gens  de  guerre, 
»  non  pour  autre  raison  que  pour  bien  peu  de  gaing,  pour  estre 
?)  les  bourreaux  de  la  noblesse  de  France  et  mesmes  de  tous 
»  les  chrestiens.  » 
Lorsque  les  triumvirs,   dans  les    derniers  jours   de  mai, 


>  confirmo  C.  V.  non  desevturam  esse  hanc  causam.  Vix  "dici  potest  quantam 
»  spem  ex  C.  V.  conceperint.  Itaque  simpliciter  et  quoad  possum  obnixé  à  vobis 
•»  peto  quoesoque,  princeps  illustrissime,  ut  illi  spei  respondeas,  et  tantum  ofli- 
j  cium  ne  à  germanis  militibus  invadamur.  Nàm  quod  ad  Gallos  attinet, 
»  satis  superque  Dei  beneficio  parati  sumus.  (Hotomanus  D.  Philippo  Land- 
■»  gravio  Hassiae.  17  mai  1562.  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  10190,  et  op.  Calvini, 
vol.  19,  p.  415,  n"  3789), 

1.  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  10190. 

2.  Ibil. 


—  111  — 

se  préparèrent  à  quitter  la  capitale  et  à  s'avancer  dans  la  direc- 
tion d'Orléans,  «  craignant  de  laisser  derrière  eux  quelques-uns 
y>  qui  fussent  pour  remuer  mesnage,  en  leur  absence,  ils  persua- 
5>  dèrent  au  roy  de  Navarre,  se  laissant  gouverner  du  tout  à 
))  leur  appétit,  de  faire  un  édict  du  26  de  may  *  portant  exprès 
»  commandement,  sous  peine  d'estre  punis  comme  rebelles  au 
»  roy,  à  tous  ceux  qu'ils  appelaient  de  la  nouvelle  religion,  de 
»  sortir  de  la  ville  de  Paris  dans  deux  jours,  sans  pius  y  séjourner, 
»  aller,  venir,  fréquenter,  ni  demeurer  en  quelque  sorte  que 
»  ce  fust  jusques  à  ce  qu'autrement  en  fust  ordonné....  La 
»  pluspart  d'une  si  grande  multitude  ne  sachant  où  aller  ni  se 
>  retirer  il  n'y  eut  inhumanité  qui  ne  fust  puis  après  exercée 
y>  dans  la  ville  sur  infinis  peuples,  pauvres  et  riches,  devant  et 
3)  après  le  terme  si  court  de  deux  jours  expiré,  et  ce,  non  seu- 
y>  lement  par  la  populace  ou  par  ceux  qui  ne  demandaient  pas 
»  meilleure  occasion  de  poursuivre  leurs  vengeances  et  pas- 
»  sions  particulières,  mais  aussi  par  ceux  de  la  justice  mesmes, 
y>  tramant  en  prison  autant  qu'ils  en  pouvaient  attraper,  et  les 
»  traictantpuis  après  comme  les  plus  criminels  du  monde,  sans 
»  avoir  égard  au  traitement  tout  contraire  qu'on  faisait  à  ceux 
y>  de  la  religion  Romaine,  es  villes  saisies  et  qui  estoient  en  la 
y>  puissance  du  prince.  Voilà  pourquoy,  à  Orléans,  il  fut  mis  en 
»  délibération  si  on  chasserait  aussi  ceux  de  la  religion  Romaine 
»  et  si  pour  le  moins  on  leur  rendroit  la  pareille  en  l'exaction 
))  des  deniers  nécessaires  pour  la  guerre.  Mais  il  fut  conclud 
»  qu'on  ne  feroit  point  ce  qu'on  condamnoit  aux  autres,  ains 
y>  qu'on  rendroit  le  bien  pour  le  mal,  remettant  la  vengeance 
))  à  Dieu  " .  » 


i.  Voy  le  texte  de  cet  édit  dans  les  Mém.  deCondé,  t.  III,  p.  462  à  464,  et 
Ibid.,  p.  464,  une  déclaration  du  27  mai. 

2.  Bèze,  Hist.  eccL,  t.  Il,  p.  75-76.  —  Voy.  aussi  une  ;ettre  de  Catherine 
de  Médicis  au  roi  de  Navarre,  du  26  mai  1562.  (Bibl.  nat.,  mss.  f.  fr.  vol.  6626, 


—  412  — 

Ici  encore,  quel  contraste  entre  les  actes  du  parti  catholique 
et  ceux  de  l'association  des  chefs  réformés! 

Eh  effet,  alors  que  l'intolérance  des  triumvirs  décimait,  dans 
la  capitale  comme  ailleurs,  les  sectateurs  de  la  religion  dite 
nouvelle,  Gondé  et  Coligny,  partout  où  s'étendait  leur  action, 
s'attachaient  à  faire  respecter,  vis-à-vis  des  catholiques  le  prin- 
cipe de  la  liberté  religieuse.  La  preuve  en  est,  h  ne  parler  que 
de  Lyon,  dans  les  recommandations  qu'ils  adressèrent  le  23  mai 
au  baron  des  Adrets. 

«  Je  vous  prie,  lui  écrivait  le  prince*,  d'autant  que  vous 
))  aimez  le  service  de  Dieu  et  du  roy,  que  vous  regardiez  à  vous 
))  conduire  aussi  soigneusement  et  dextrement  que  le  cas  le 
))  requiert,  et  que.  je  m'asseure  que  le  vouldrez  etsçaurez  bien 
»  faire  en  sorte  qu'en  premier  lieu,  la  ville  soit  conservée  par 
»  vous  à  sa  majesté,  ensemble  que  vous  teniez  la  main  à  ce 
»  qu'il  n'y  ait  aucun  désordre,  que  personne  ne  soit  travaillé 
»  sans  grande  occasion,  et  chacun  vive  en  repos  et  tranquil- 
»  lité  autant  que  faire  se  pourra,  sans  mesmement  gehenner 
»  ni  forcer  les  consciences,  comme  de  notre  part,  nous  ne  voul- 
))  drions  point  qu'on  forçast  les  nostres,  laissant  à  ceulx  qui  ne 
ï)  sont  de  la  religion  réformée,  et  principalement  aux  marchands 
))  et  banquiers  quelques  lieux  et  temples  pour  l'exercice  de  la 
»  leur,  sans  leur  donner  aucun  empeschement  ny  venir  en  cela 
y>  trop  curieusement,  m'asseurant  que  par  une  libre  prédication 
))  de  la  parole  de  Dieu  et  exemple  de  bonne  vie,  on  les  pourra 
))  amener  plus  aysémentà  sa cognoissance,  qu'en  suy vaut  aultres 
))  voies  plus  rigoureuses,  qui  plustost  les  en  détourneroyent; 
y>  joinct  que  ceste  façon  fera  encore  plus  évidemment  reco- 
I  gnoistre  que  toutes  nos  actions  ne  tendent  à  aultre  but  qu'au 
y>  service  de  Dieu  et  du  roy,  au  recouvrement  de  sa  liberté,  à  la 
))  conservation  de  son  estât  et  au  bien  et  repos  de  ses  sujets. 

1.  Bibl.  nat..  mss.  f.fr.,  vol.  lOlUO. 


—  113  — 
»  Monsieur  des  Adrez,  portait  la  lettre  de  Coligny*,  parce 
»  que  vous  entendez  bien  amplement  l'intention  de  M.  le 
))  prince,  tant  par  la  lettre  qu'il  vous  escrit  que  par  ce  por- 
2)  teur,  je  ne  m'estendray  à  vous  en  faire  autre  redite  ;  seule- 
»  ment  j'ay  bien  voulu  l'accompagner  de  ce  mot  de  lettre,  pour 
))  vous  prier  comme  l'ung  de  voz  bons  amis,  de  regarder  soigneu- 
y>  sèment  à  la  conservation  d'une  telle  ville  et  si  importante  pour 
))  le  service  du  roy,  aussy  à  tenir  la  main  à  ce  qu'il  ne  soit  fait 
»  force  ny  violence  aux  habilans,  mesmement  à  leurs  cons- 
»  ciencss;  m'assurant  que  ceste  façon  servira  à  l'avance- 
y>  ment  de  la  gloire  de  Dieu  et  fera  encore  plus  évidemment 
))  cognoistre  nostre  saincte  et  louable  intention,  qui  n'a  aultre 
D  but  que  le  service  de  Dieu  et  du  roy,  la  conservation  de  son 
))  estât  et  le  commun  repos  de  ce  royaume.  ï> 

1.  Bibl.  nat.,  mss.  f.  fr.,  vol.  10190.  —  Voy.  aussi  la  lettre  écrite  par  Calvin 
au  baron  des  Adrets,  le  13  mai  1552  (Corresp.  franc.,  t.  Il,  p.  i68). 


CHAPITRE  ÏV 


L'armée  catholique  et  celle  des  réformés  s'avancent  à  la  rencontre  l'une  de  l'autre. 

—  Conférence  de  Thoury.  Elle  échoue.  —  Conférence  de  Talsy,  également  suivie 
d'insuccès.  —  Des  négociations,  on  passe  à  l'action.  —  Camisade.  —  Reprise  de 
Beaugency.  —  Envoi  de  Soubize,  de  Larochefoucauld  et  d'autres  chefs  réformés 
dans  les  provinces.  —  Missions  de  Briquemault  en  Angleterre  et  de  d'Andelot  en 
Allemagne.  —  Orléans  est  décime  par  la  peste.  Héroïque  dévouement  de  ma- 
dame l'amirale,  de  la  princesse  de  Condé  et  de  plusieurs  autres  femmes  en  présence 
des  ravages  exercés  par  le  fléau.  —  Mort  du  fils  aîné  de  Coligny,  à  Orléans.  — 
Lettre  de  l'amiral  à  sa  femme.  —  Arrêt  du  parlement  de  Paris  contre  les  réformés. 
Protestation  de  Condé.  —  Arrivée  et  séjour  de  la  comtesse  de  Roye  à  Strasbourg. 

—  Démarches  de  d'Andelot  en  Allemagne  pour  y  lever  des  troupes.  —  Siège  de 
Bourges.  — •  Coligny  attaque  avec  succès,  près  de  Châteaudun,  un  fort  convoi  de 
l'ennemi.  —  Reddition  de  Bourges.  —  L'armée  catholique  se  dispose  à  assiéger 
Rouen. 


Le  l"  juin  1562,  Antoine  de  Bourbon  prit,  en  sa  qualité  de 
lieutenant-général  du  royaume,  le  commandement  de  l'armée 
catholique,  et,  accompagné  des  triumvirs,  il  se  dirigea  vers 
Montlhéry,  où  la  reine  mère  ne  tarda  pas  à  le  rejoindre. 

Condé  sortit  alors  d'Orléans  à  la  tête  de  ses  troupes.  1 

Tandis  que  les  deux  armées  s'avançaient  à  la  rencontre  l'une 
de  l'autre,  Catherine  fit  proposer  à  Condé  une  conférence  avec 
elle  et  le  roi  de  Navarre. 

Coligny,  conseillant  au  prince  de  ne  point  accéder  à  la  pro- 
position insista  sur  l'avantage  qu'il  y  aurait  pour  lui  à  attaquer 
immédiatement,  avec  des  troupes  telles  que  les  siennes,  parfai- 
tement disciplinées  * ,  aguerries  et  pleines  d'ardeur,  l'armée 

4   "Voy.  Appendice,  n"  17. 


—  115  — 

ennemie,  numériquement  plus  forte,  sans  doute,  mais  moins 
bien  organisée,  moins  solide,  et  ne  pouvant  pas  encore  utiliser 
les  renforts  considérables  qu'elle  attendait  des  pays  étrangers. 

Gondé  ne  suivit  pas  le  sage  conseil  de  son  oncle.  Accordant 
une  aveugle  confiance  à  des  intentions  conciliantes  et  à  un  bon 
vouloir  dont  il  supposait  que  son  frère  et  Catherine  étaient 
animés,  il  se  rendit  à  Thoury,  localité  de  la  Beauce  désignée 
pour  la  conférence  i  . 

Là,  «  il  s'arresta  sur  deux  points  :  le  premier,  que  le  duc 
y>  de  Guise,  le  connestable  et  le  maréchal  de  Saint- André,  qui, 
y>  de  leur  authorité  privée,  avoyent  pris  les  armes,  troublé  le 
»  repos  public  et  enfreint  les  édicts  du  roy,  se  retirassent  en 
3)  leurs  maisons,  offrant,  de  sa  part,  faire  le  semblable;  le  se- 
y>  cond,  que  l'édict  de  janvier,  mis  en  avant  sur  le  faict  de  la 
3»  religion,  fûst  gardé  inviolablement^  y>.  La  ténacité  avec  la- 
quelle Gatherine  et  Antoine  de  Bourbon  couvrirent  de  leur 
approbation  sans  réserve  les  actes  des  triumvirs  et  s'opposèrent 
au  maintien  de  l'édit  de  janvier,  rendit  toute  entente  impos- 
sible. 

Soubize,  qui  n'attendait  rien  de  bon  de  la  conférence,  dit 
à  d'Andelot  :  «  Eh  bien,  monsieur,  qu'êtes-vous  résolu  de  faire? 
»  De  ma  part,  répondit  le  sieur  d'Andelot,  je  suis  résolu  de 
»  combattre,  quand  je  n'aurais  que  mes  troupes.  Oh  !  que  je 
»  suys  ayse,  lui  dit  le  sieur  de  Soubize,  en  l'embrassant,  de 
))  vous  voir  en  ceste  résolution?  Je  vivray  et  mourray  avecques 
y>  vous,  et  vous  prie,  quand  il  n'y  auroit  que  nous  deux,  que 
))  nous  persistions  en  ceste  volonté  ^.  » 

1.  Voy.,  sur  la  conférence  de  Thoury,  de  Lanoue,  Disc,  polit,  et  milit., 
p.  66/1  à  666;  —  de  Bèze,  Hist.  eccl.,  t.  II,  p.  76-77;  —  Calend.  of  State  pap- 
foreign  :  9  juin  1562,  Throckmorton  to  the  queen;  \i  juin  1562,  id.  to  Challoner  ; 
2^4  juin  1562,  id.  to  the  queen  ;  —  de  Laferriére,  le  xvi''  siècle  et  les  Valois,  p. 
69,70. 

2.  De  Bèze,  Hist.  eccl.,  t.  II,  p.  77. 

3.  Mém.  de  la  vie  de  Soubize,  p.  57-58. 


—  116  — 

Si  la  volonté  d'hommes  judicieux  et  énergiques  tels  que 
Coligny,  d'Andelol  et  Soubize,  était  qu'on  profitât,  sans  délai, 
des  circonstances  pour  en  venir  aux  mains  avec  l'ennemi,  le 
désir  de  Condé  était  d'attendre  encore  et  de  recourir  à  une 
dernière  tentative  de  rapprochement.  Cependant  différer  d'en- 
gager la  lutte,  c'était  pour  lui  et  son  armée  s'aiffaiblir  de 
jour  en  jour,  et  laisser  à  l'armée  ennemie  le  moyen  de  se  forti- 
fier par  l'accession  de  troupes  étrangères;  mais  la  générosité 
des  sentiments  fraternels  du  prince  ne  le  portait  que  trop  à  une 
temporisation  dont  il  n'envisageait  pas  les  périlleuses  consé- 
quences. 

Quelle  que  fût  la  dureté  dont  Antoine  de  Bourbon  eût  fait 
preuve  à  son  égard  dans  le  cours  de  la  conférence,  il  lui 
adressa,  dès  son  retour  de  Thoury,  une  lettre  dont  voici  les  pas- 
sages les  plus  saillants  ^  : 

'  ((  Le  témoignage  que  ma  conscience  m'a  tousjours  rendu  tant 
»  de  l'innocence  des  églises  refïbrmées  que  de  vostre  bon  natu- 
»  rel  et  de  toutes  mes  actions  m'avoit  persuadé,  qu'en  faisant 
»  comparaison  de  ceulx  qui  sont  auteurs  de  ces  troubles  avec 
y>  nioy,  qui  ay  cest  honneur  de  vous  estre  frère  et  duquel  l'en- 
y>  tière  obéyssance  jusques  icy  vous  a  toujours  esté  congnue, 
))  vous  seriez  pour  le  moins  avec  le  temps  plustost  esmeu  à 
i  suyvre  le  droit  de  l'affection  fraternelle,  qu'à  vous  incliner 
»  aux  persuasions  et  artiffices  de  ceulx  qui  ne  sont  jamais  accreus 
»  et  semblent  encores  ne  se  pouvoir  maintenir  que  de  la  ruyne 
j>  de  vous  et  des  vostres.  Et  de  fait,  je  n'ay  point  encores  perdu 
))  ceste  espérance,  quelque  apparence  que  je  voys  du  contraire, 
»  qui  est  la  seule  cause  qui  m'a  maintenant  esmeu  à  vous  escripre 
»  la  présente,  plustost  avec  larmes  de  mesyeulx  qu'avec  l'encre 
:»  de  ma  plume,  car  quelle  chose  plus  triste  et  plus  pitoyable  me 

1.  Bibl.  nat.,  mss.  collect.  Dupuy,  vol.  86,  f"  109-HO.  —  La  Popeliniére, 
Hist.  deFr.  in-f»,  1. 1,  p.  317.  —  De  Bèze,  Hist.  eccL,  t.  II,  p.  78  à  80.  — ^m. 
de  Coudé,  t.  III,  p.  486  à  488. 


—  117  — 

))  pouvoit  advenir  que  d'entendre  que  vous  venez  la  lance  ba,issée 
»  contre  celuy  qui  voudroit  le  premier  et  devant  tous  autres, 
))  opposer  soy  mesmes  à  ceulxqui  prétendroient  de  vous  appro- 
))  cher,  et  que  vous  mectiez  peyne  de  ravir  la  vye  à  celluy  qui 
»  la  tient  d'ung  mesme  père  et  d'une  mesme  mère  que  vous,  et 
»  qui  jamais  ne  l'a  espargnée  et  ne  la  voudroit  encores  espar- 
»  gner  pour  la  conservation  de  la  vostre...  A  Dieu  ne  plaise  que 
»  l'obéissance  que  je  vous  doy  meure  jamais  qu'avec  moy,  voyre 
»  mesme  à  la  condition  de  renaistre  à  ceulx  qui  ne  peuvent 
»  sortir  de  moy  qu'ils  n'aient  cest  honneur  d'estre  vos  plus  pro- 
»  ches  parens,  de  vostre  sang,  et  voz  naturels  serviteurs.  Et 
y>  cependant  vous  me  permetrez  d'ignorer  comme  ceulx-là  vous 
y>  peuvent  estre  amys  qui,  non  contens  de  chercher  pour  la 
))  deuxième  fois  la  mort  de  vostre  frère,  osent  bien  entreprendre 
y>  jusques-là  de  vous  faire  ministre  et  instrument  de  leur  mauvaise 
))  volonté.  Or,  toutcecy  soit  dict  afin  que,  sinon  pour  l'amour  de 
3  moy,  au  moins  pour  l'honneur  de  Dieu  et  le  respect  de  vous 
»  mesmes,  vous  considériez  toutes  ces  choses  avant  que  de  passer 
»  plus  oultre  contre  celluy  qui  par  ung  naturel  debvoir  est  ung 
y>  second  vous  mesmes,  et  qui  de  sa  part,  ainsi  que  jamais, 
»  Dieu  aydant,  il  ne  faudra  à  son  devoir,  aussi  aymeroit  trop 
y>  mieux  la  mort  que  de  survivre  aux  calamités  qui  ensui- 
»  vraient  l'effect  d'ung  tel  combat,  de  quelque  costé  que  la 
))  victoire  inclinast.  » 

Cette  lettre  fit  naître  dans  l'esprit  du  roi  de  Navarre  l'idée  d'une 
nouvelle  entrevue.  Il  en  avisa  la  reine  mère,  qui,  reprenant  aussi- 
tôt le  chemin  de  laBeauce,  arriva  à  Artenay,  dans  des  intentions 
révélées  par  elle-même  *  en  ces  mots  :  «  Le  roy  de  Navarre 
»  m'avoit  mandé  qu'il  avoit  tellement  rattaché  et  renoué  ce 
y>  négoce  avec  mon  cousin  le  prince  de  Gondé,  son  frère,  qu'il 
y>  me  prioit  ne  plaindre  point  ma  peine  d'aller  faire  encore  un 

1.  Lettre  du  11  juillet  1562  à  l'évêque  de  Rennes,  ap.  Le  Laboureur,  addit. 
aux  Mém.  de  Castelnau,  1. 1,  p.  814. 


—  118  — 

y>  voyage  jusques  au  delà  d'Orléans,  où  estoient  leurs  armées, 
»  pour  essayer  de  parvenir  à  l'effect  de  ladite  pacification.  Ce 
))  que  je  fis  avec  très  grande  incommodité  de  ma  personne; 
y)  me  trouvant  si  mal  d'une  chute  que  j'avais  prise  à  Estampes, 
y>  au  retour  de  mon  premier  voyage  * ,  que  je  ne  me  pouvois 
»  soustenir  ny  remuer  qu'avec  grande  peine  et  difficulté,  toute- 
»  fois,  postposant  ma  santé  au  bien,  repos  et  tranquillité 
3)  de  ce  royaume,  je  me  fit  porter  en  litière...  à  costé  desdites 
))  deux  armées.  » 

Dans  l'espoir  de  priver  les  réformés  de  leur  chef,  les  triumvirs 
avaient  suggéré  au  roi  de  Navarre  l'expédient  suivant  :  il  annon- 
cerait avoir  pris  sur  lui  de  les  éloigner  de  l'armée  et  de  la  cour  ; 
et,  à  raison  de  leur  élimination,  il  demanderait  que,  comme 
preuve  de  ses  intentions  conciliantes  et  de  celles  de  ses  associés, 
Gondé  lui  livrât  en  gage  la  ville  de  Beaugency  et  acceptât, 
auprès  de  lui  et  de  la  reine  mère,  le  rôle  d'otage. 

Pleinement  approuvé  par  Catherine,  cet  expédient  fut  sans 
retard  mis  en  œuvre;  et  non  seulement  Gondé  eut  l'impru- 
dence d'accepter  les  conditions  préliminaires  formulées  par 
son  frère,  mais  il  amena  même  ses  principaux  lieutenants  à  les 
subir.  En  effet,  ils  le  laissèrent  livrer  Beaugency  en  gage  à 
Antoine  de  Bourbon  ;  et,  poussant,  en  ce  moment,  la  condes- 
cendance envers  le  prince  jusqu'aux  dernières  limites,  ils  con- 
sentirent, sur  son  invitation  expresse,  à  souscrire  l'acte  suivant  ^  : 

»  Avant  que  passer  plus  avant,  que  messieurs  de  Guyse,  con- 
))  nestable  et  mareschal  de  Saint-iVndré  se  retirent  en  leurs 
»  maisons,  et  à  l'heure  mesme  de  leur  retraite,  nous  suplions 
y>  très-humblement  monseigneur  le  prince  de  Gondé  de  s'aller 

1.  e  La  royne  s'en  est  revenue  de  Toury  sans  rien  faire;  s'estant  bien  fort 
>  blessée  d'une  cbeute  qu'elle  a  faite  de  dessus  sa  haquenée.  »  (Lettre  de 
Vieilleville  à  Tévêque  de  Rennes,  du  18  juin  1562,  ap  Le  Laboureur,  addit, 
aux  Mém.  de  Castelnau,  1. 1,  p.  813-814.) 

2.  Bibl.  nat.,  mss.,  f.  fr.,  vol.  6  611,  f"  92.  24  juin  1562. 


—  119  — 

j  consigner  et  constituer  entre  les  mains  de  la  reyne  et  du  roy 
»  de  Navarre  pour  plegeet  garant  de  nostre  foy;  promectant  à 
»  Leurs  Majestez,  en  noslre  nom,  que  nous  obéirons  prompte- 
»  ment  à  tout  ce  qui  nous  sera  commandé,  de  leur  part,  pour 
))  le  service  du  roy,  le  salut  de  ce  royaume,  la  conservation  de 
»  nos  biens  et  vies,  le  tout  à  la  gloire  de  Dieu  et  liberté  de  nos 
»  consciences.  Faict  à  Vaussoudun,  le  24^  jour  de  juing  1562. 
»  (Signé)  Ghastillon,  Andelot,  Larochefoucault,  Genly,  Piennes, 
y>  Soubize,  de  Grammont,  Mouy,  Briquemault  (et  sept  autres 
))  signatures).  » 

Briquemault  fut  chargé  d'aller  trouver  le  roi  de  Navarre,  la 
reine  mère  et  de  leur  remettre  des  lettres  dans  lesquelles  le 
prince  leur  disait  *  :  «  Je  vous  envoyé  le  sieur  de  Briquemault 
))  pour  vous  porter  la  requeste  que  toute  cette  compagnie  vous 
»  présente,  par  laquelle  je  m'asseure  que  vous  serez  tous  deux 
»  contens  et  satisfaits.  Et  si  cognoistrez  clairement  comme  ils 
y>  ne  désirent  tous  autre  chose  que  vous  obéyr,  et  n'ont  autre 
))  but  proposé  que  la  pacification  de  ces  troubles  et  une  seure 
))  et  commune  tranquillité  de  ce  royaume,  comme  vous  enten- 
))  drez  plus  au  long  dudict  sieur  de  Briquemault.  Vaussoudun, 
»  24  juin  1562.  y> 

Les  triumvirs,  qu'on  disait  partis  pour  se  retirer  dans  leurs 
maisons  -,  s'étaient  arrêtés  à  Ghâteaudun  et  manquaient  ainsi 
à  un  engagement  formellement  pris.  Gondé,  dans  l'ignorance  où 


1.  Bibl.  nat.,  mss.  f.  fr.,  vol.  6607,  f»^  4042. 

2.  Déclaration  de  la  reine  mère  et  du  roi  de  Navarre,  du  27  juin  1562.  (Bibl. 
nat.  mss.  f.,  fr.,  vol.  3194,  f  5.  —  BuUingerus  Calvino,  17  juillet  1562  (op. 
Calvini,  vol.  19,  p.  487,  n°  3827)  :  «  Commonstrantur  mihi  literae  allatae  ex 
»  castris  Helvetiorum  qui  sub  Frôlichio  militant,  ex  quibus  intelligo,  dolo  malo 
»  discessisse  Guysium  et  prétendisse  pacera,  quùm  aliud  conatus  sit  eflicere, 
»  adeoque  Helvetios  vocari  Lutetiam,  mandarîque  ut  feslinent.  Quod  si  vera 
»  sunt,  ut  metuo,  Dominum  oro  ut  Condensi  oculos  aperiat,   videatque  nihil 

>  penitùs   agendum  esse  cùm  versulis  istis  latronibus,  nihil  denique  lis  esse 

>  fidendum.  » 


—  120  — 
il  était  de  leur  mauvaise  foi,  se  rendit  comme  otage  auprès  de 
la  reine  mère  et  du  roi  de  Navarre. 

Sa  bonne  foi  était  telle,  qu'il  écrivit  alors  à  l'église  réformée 
de  Lyon  *  :  «  Dieu  a  mis  au  cœur  de  messieurs  de  Guyse,  con- 
))  nestable  et  mareschal  de  Saint-André  de  quitter  le  camp  et 
»  s'en  retirer  en  leurs  maisons,  suyvant  ce  que  nous  avons  tous- 
'i>  jours  requis;  de  sorte  que  les  troubles  qui  ont  duré  jusques  à 
»  ceste  heure  sont  sur  le  point  d'estre  pacifiez,  et  pour  cest  effect 
»  me  suys  acheminé  pour  aller  trouver  la  royne,  le  roy  mon 
»  frère,  pour  adviser  des  articles  et  conditions  de  la  paix,  en  quoy 
»  je  ne  passeray  rien  que  par  l'advis  et  consentement  des  che- 
»  valiers  de  l'ordre  et  seigneurs  de  ma  compagnie,  espérant  que 
»  le  tout  retournera  à  la  gloire  de  Dieu  et  au  repos  et  conten- 
))  tement  de  nous  tous.  Cependant  je  laissé  mons'  l'admirai 
»  chef  de  l'armée,  auquel  je  vous  prie  rendre  telle  obéyssance 
3>  que  vouldriez  faire  à  moy  mesmes.  » 

A  peine  Gondé  fut-il  entré  en  pourparlers  avec  Gatherine  et 
Antoine,  qu'ils  lui  notifièrent  leur  résolution  de  ne  se  départir 
d'aucune  des  conditions  déjà  repoussées  par  lui  dans  la  précé- 
dente entrevue.  Le  prince,  disant  ne  pouvoir  conclure  quoi  que 
ce  fût  sans  le  concours  de  ses  associés,  obtint  qu'ils  fussent 
appelés  et  entendus.  En  les  convoquant  au  village  de  Talsy,  où 
allait  s'ouvrir  la  conférence  à  laquelle  ils  prendraient  part,  il 
les  informa,  par  une  lettre  confidentielle,  de  ce  qui  venait  de  se 
passer  entre  lui,  Gatherine  et  Antoine,  et  il  leur  recommanda 
de  se  faire  suivre  à  distance  par  un  corps  de  troupes. 

Fidèles  à  la  recommandation  qui  leur  était  adressée,  les  prin- 
cipaux chefs  réformés  arrivèrent  bientôt  à  Talsy,  laissant  der- 
rière eux  une  masse  armée  assez  imposante  pour  parer  aux 
éventuahtés. 

Le  roi  de  Navarre,  qui,  dans  l'étroitesse  habituelle  de  ses 

1.  Lettre  du  28  juin  1562  (archives  de  Berne,  Frankreich,  2"  vol.,  ann.  1551 
bis  1159). 


—  121  -^ 

vues,  s'était  promis  de  ne  se  rencontrer,  en  aucune  circonstance, 
avec  les  Châtillons,  s'abstint  de  paraître  à  la  conférence  et  laissa 
Catherine  s'y  donner  pleine- carrière. 

((  On  alla  trouver  la  royne  en  une  grange.  Elle  avoit  mal  au 
y>  pied  et  portoit  un  baston.  Là  entrèrent  encore  mondit  sieur  le 
î>  prince  et  messieurs  l'admirai,  d'Andelot,  de  Larochefoucault 
»  et  de  Soubize;  et  s'il  y  en  âvoit  quelque  autre,  c'étoit  fort 
3)  peu  * .  » 

Catherine  commença  par  remercier  les  chefs  réformés  d'avoir 
pris  les  armes  pour  sa  défense,  puis  leur  dit  qu'il  dépendait 
d'eux  d'assurer  la  paix  du  royaume  en  se  désistant  d'exigences 
intempestives  et  en  se  contentant  de  ce  qui  pouvait  leur  être 
accordé  sans  préjudice  pour  l'ordre  public.  Sortant  des  généra- 
lités et  abordant  le  vif  des  questions,  elle  leur  déclara  qu'il  fal- 
lait tenir  pour  non  avenu  l'édit  de  janvier,  attendu  que  le  peuple 
l'avait  en  horreur;  et  que  tout  ce  qui  pouvait  être  concédé  aux 
réformés,  c'était  l'exercice  de  la  religion  nouvelle  dans  l'inté- 
rieur de  leurs  maisons. 

Répondant  à  la  reine  mère,  l'amiral  appuya  fortement  sur  la 
nécessité  de  maintenir  en  son  entier  l'édit  de  janvier,  et  sur  la 
possibilité  d'en  assurer  l'exécution,  pour  peu  que  les  détenteurs 
du  pouvoir  suprême  se  montrassent  impartiaux  et  qu'ils  fussent 
assez  attachés  à  leur  devoir,  assez  soigneux  de  leur  propre  dignité, 
pour  dominer  par  la  fermeté  de  leur  attitude  les  clameurs  d'une 
tourbe  de  fanatiques  et  le  déchaînement  de  masses  populaires 
qui  dans  leur  isolement  ne  représentaient,  à  aucun  point  de 
vue,  le  vrai  peuple  français. 

((  Voyant  la  royne  qu'on  ne  vouîoit  pas  suyvre  sa  proposition, 
»  elle  estoit  fort  en  cholère,  et  parla  deux  grandes  heures  à  eux, 


i.  Mém.  de  la  vie  de  Soubize,  p.  58.  —  De  Bèze  {Hist.  eccL,  t.  II,  p.  93)  cite, 
en  outre  des  noms  ci-dessus  mentionnés,  ceux  du  prince  de  Portien,  de  Rohan 
de  Genly,  de  Grammont  et  de  Piennes,  comme  assistant  à  la  conférence  dé 
Tàlsy. 


—  1-2^2  - 

»  sans  seulement  se  desmasquer,  combien  qu'ils  fussent  assis, 
3)  voulant  tousjours  sommer  monsieur  le  prince  de  la  promesse 
»  qu'elle  prétendoit  qu'il  luy  avoit  feiicte....  Enfin  quand  elle 
»  vit  qu'elle  ne  le  pouvoit  faire  consentir  à  ce  qu'elle  vouloit,  elle 
»  se  leva  et  frappa  plusieurs  fois  parterre  de  son  baston,  disant  : 
»  Ah!  mon  cousin,  vous  m'affolez,  vous  me  ruinez!  A.  quoy  le 
y>  sieur  de  Soubize  voyant  que  ledict  sieur  prince  ny  les  autres 
»  ne  luy  respondoient  rien,  luy  dit  :  Gomment,  Madame,  est-ce 
»  cela  que  vous  nous  disiez,  maintenant  que  vous  estes  si  libre, 
»  et  que  nous  avons  tort  de  dire  que  vous  soiez  captive?  Si  vous 
»  avez  toute  puissance,  comme  vous  dictes,  qui  est-ce  qui  vous 
y>  peut  affoler?  Sur  quoy  elle  demeura  estonnée  *.  » 

De  Lanoue  nous  fournit  quelques  détails  intéressants  sur  le 
dénouement  de  la  conférence  de  Talsy  et  sur  certains  faits  qui 
le  suivirent  immédiatement  ^. 

«  Après  plusieurs  longs  propos,  dit-il,  enfin  M'  le  prince 
»  fit  à  la  roine  l'offre  de  sortir  du  royaume  pour  luy  rendre  tes- 
»  moignage  du  zèle  qu'il  avoit  à  la  voir  tranquille.  Mais  sa  der- 
))  nière  parole  ne  fut  pas  sitost  achevée,  qu'elle  le  prit  inconti- 
y>  nent  au  mot,  luy  disant  que  c'estoit  le  vray  moyen  pour 
y>  remédier  aux  maux  qu'on  craignoit,  dont  toute  la  France  luy 
))  en  seroit  redevable,  et  que,  la  majorité  du  roy  estant  venue, 
))  il  remettroit  toutes  choses  en  bon  estât,  tellement  que  chacun 
]>  auroit  occasion  de  s'en  contenter;  et  combien  que  ce  prince 
»  ne  fùst  pas  aisé  à  estonner,  ni  sans  réplique,  si  fut-il  estonné  à 
»  ce  coup,  ne  pensant  pas  qu'on  le  deust  prendre  au  pied  levé, 
»  comme  l'on  dit.  Et  d'autant  qu'il  commençoit  à  se  faire  tard, 
»  elle  luy  dit  qu'elle  renvoyeroit  le  lendemain  vers  lui  pour 
»  sçavoir  les  conditions  qu'il  demanderoit.  —  Elle  se  départit 
y>  avec  bonne  espérance,  et  le  prince  se  retira  en  son  camp  ^, 

4.  Mém.  de  la  vie  de  Soubize,  p.  58. 

2.  Disc,  polit,  et  milit..,  p.  670  à  675. 

3.  «  Le  prince  s'en  retourna  en  son  camp  avec  les  siens,  comme  lui  «stoit 


—  123  — 
»  riant,  mais  entre  les  dents,  avec  les  principaux  de  sa  noblesse, 
»  qui  avoient  entendu  les  discours.  Les  uns  se  grattoyent  la 
3>  teste,  qui  ne  leur  démangeait  pas;  les  autres  la  bransloyent. 
»  Gestui-ci  estoit  pensif,  et  les  jeunes  gens  se  mocquoient  les 
))  uns  des  autres,  s'attribuant  chacun  un  mestier  à  quoy  ils 
»  seroient  contraints  de  vaquer,  pour  avoir  moyen  de  vivre  en 
»  pays  estrange.  On  arresta,  au  soir,  que  le  lendemain  on 
»  assembleroit  les  chefs  pour  prendre  avis  sur  ce  faict  si  impor- 
y>  tant.  —  Le  matin  venu,  on  entra  au  conseil,  où  M'  l'ad- 
»  mirai  dit,  pour  ce  que  le  fait  touchoit  à  tous ,  qu'il  lui 
))  sembloit  qu'on  le  devoit  communiquer  à  tous  ;  ce  qu'on  fit. 
y>  Et  envoya-l'on  les  colonnels  et  capitaines  pour  tirer  les  avis 
»  tant  de  la  noblesse  que  de  l'infanterie.  Mais  incontinent  tous 
»  respondirent  que  la  terre  de  France  les  avoit  engendrez  et 
»  qu'elle  leur  serviroit  de  sépulture  :  et  tant  qu'ils  auroyent  une 
y>  goutte  de  sang  qu'ils  ne  l'espargneroyent  pour  la  défense  de 
»  leur  religion;  au  reste,  que  M.  le  prince  se  souvint  de 
»  la  promesse  générale  qu'il  leur  avoit  faite  de  ne  les  abandon- 
»  ner.  —  Ceci  estant  rapporté  au  conseil  hasta  la  conclusion 

>  de  ceux  qui  y  deslibéroyent,  qui  voyant  la  disposition  publique, 
y>  furent  encore  plus  fortifiez  en  leurs  opinions,  qui  se  confor- 
))  mèrent  à  icelle.  Mesmes  il  n'y  en  eut  que  trois  ou  quatre  qui 
»  parlèrent,  veu  que  le  fait  estoit  si  clair.  Et  me  ressouvient 
»  encore  aucunement  de  quelques  particularitez  qui  furent 
»  dites.  —  M.  l'admirai  remonstra  à  M.  le  prince ,  encore 
yy  qu'il  pensast  que  la  roine  en  l'acceptation  de  son  offre  n'y 
»  procédoit  point  de  mauvaise  intention,  ains  que  le  désir  qu'elle 
y>  avoit  de  tirer  l'Estat  de  misère  la  faisoit  recercher  tous  expé- 
»  diens,  toutesfois  qu'il  estimoit  que  ceux  qui  avoient  les  armes 
y>  en  la  main  la  circonvenoyent  pour  le  circonvenir;  qu'il  ne 

ï  loisible  de  faire,  attendu  qu'il  s'estoit  mis  en  son  devoir  comme  il  estoit  porté 

>  par  l'article  de  la  consignation  de  sa  personne,  sans  limiter  le  temps  de  sa 
»  demeure.  »  (De  Bèze,  Hîst.  eccl.,  t.  II,  p.  94.) 


—  124  — 

))  devoit  ni  ne  pouvoit  effectuer  ce  qu'on  lui  avoit  proposé  et 
»  qu'il  avoit  promis  de  faire;  car  il  s'estoit  lié  auparavant  par 
y>  plus  estroites  obligations,  et  que,  s'il  s'absentoit,  il  perdroit 
»  entièrement  sa  réputation,  et  condamneroit  la  cause  qu'il 
»  avait  embrassée,  laquelle,  outre  sa  justice,  estant  autorisée  par 
»  édictduroy,  devait  êtremaintenue,etn'yfaloitespargner  la  vie. 
»  —  M.  d'Andelot  parla  ainsi  :  Monsieur,  l'armée  des  ennemis 
»  n'est  qu'à  cinq  petites  lieues  d'ici,  si  elle  void  peur,  des- 
y>  membrement  ou  autre  altération  entre  nous,  elle  nous  mènera 
»  jusques  dedans  la  mer  Océane,  à  coups  de  lances  et  à  coups 
3)  d'espée.  Si  vous  nous  abandonnez  maintenant,  on  dira  que 
»  c'est  par  crainte,  laquelle,  comme  je  sçay,  ne  logea  jamais 
»  dans  vostre  cœur.  Nous  sommes  vos  serviteurs,  et  vous  nostre 
y>  chef.  Ne  nous  séparons  donc  point,  veu  que  nous  combattons 
»  pour  la  religion  et  pour  nos  vies.  Tant  de  parlemens  qui  se 
»  sont  faits  ne  sont  que  piperies,  veu  les  effects  qui  apparoissent 
))  ailleurs.  Le  meilleur  remède  pour  estre  bientost  d'accord  est 
»  qu'il  vous  plaise  nous  mener  à  demie  lieue  de  ceux  qui  dési- 
»  rent  que  nous  sortions  hors  du  royaume  :  et  par  avanture 
»  qu'une  heure  après  on  en  verra  sortir  quelque  bonne  résolu- 
y>  tion,  car  nous  ne  serons  jamais  bons  amis  que  nous  n'ayons 
y>  -un  peu  escrimé  ensemble.  —  Le  sieur  de  Bourcard  s'avança 
y>  après,  qui  estoit  un  des  plus  braves  gentilshommes  de  ce 
))  royaume,  et  qui  avoit  du  feu  et  du  plomb  en  la  teste.  Mon- 
»  sieur,  dit-il,  qui  laisse  la  partie  la  perd,  et  qui  la  remet  : 
»  laquelle  reigle  est  encores  plus  vraye  au  faict  que  nous  ma- 
3)  nions,  qu'au  jeu  de  la  paume.  J'ay  desjà  cinquante  ans  sur  la 
))  teste,  qui  est  pour  avoir  acquis  un  peu  de  prudence  :  voilà 
»  pourquoi  il  me  fascheroit  fort  de  me  voir,  en  pais  eslrange, 
3)  me  proumener  avec  un  cure-dents  en  la  bouche,  et  que  cepen- 
3)  dant  quelque  petit  affetté  mien  voisin  fist  le  maistre  dans  ma 
y>  maison  et  s'engraissast  du  revenu.  Qui  voudra  s'en  aller  s'en 
3)  aille;  quant  à  moy,  je  mourray  en  ma  patrie,  pour  la  défense 


—  125  — 
.»  des  autels  et  des  foyers.  Parquoi,  Monsieur,  je  vous  sup- 
y>  plie  et  conseille  de  n'abandonner  tant  de  gens  de  bien  qui 
3  vous  ont  esleu,  et  de  faire  vos  excuses  à  la  roine,  et  nous 
))  employer  bientost,  cependant  que  nous  avons  envie  de  mordre. 
»  —  Il  y  eut  après  cela  peu  de  langage,  sinon  une  approba- 
y>  tion  de  tous.  Mais  M.  le  prince  prit  la  parole,  et  pour  la 
))  justification  de  son  offre,  dit  qu'il  l'avoit  faite,  voyant  qu'on 
»  le  vouloit  tacitement  taxer  d'eslre  cause  de  la  guerre,  et  que 
D  si  son  absence  pouvoit  apporter  la  paix,  qu'il  l'estimeroit 
»  bienheureuse,  car  il  n'avoit  point  son  particulier  en  recom- 
•»  mandation;  toutefois  qu'il  apercevoit  bien,  voyant  les  forces 
))  ennemies  si  prochaines,  et  la  résolution  qu'ils  avoient  prise, 
y>  que  son  humilité  seroit  prise  et  réputée  d'eux  à  lascheté,  et 
])  qu'elle  n'apporteroit  aucun  repos,  ains  plustost  ruine  à  la 
))  cause  qu'il  maintenoit  ;  et  qu'il  estoit  délibéré  de  suyvre  leur 
3)  conseil  et  de  vivre  et  mourir  avecques  eux.  —  Cela  dit,  cha- 
))  cun  se  toucha  en  la  main  pour  confirmation.  —  Au  sortir 
»  du  conseil,  Th.  de  Bèze  et  quelques-uns  de  ses  compagnons 
»  lui  firent  une  très  sage  et  belle  remonstrance  pour  le  conforter 
y>  en  sa  résolution,  lui  alléguant  les  inconvéniens  qui  s'ensuy- 
3)  vroyent  de  se  séparer  :  et  le  supplièrent  de  ne  laisser  point 
))  l'œuvre  encommencée  à  laquelle  Dieu  donneroit  perfection, 
D  puisqu'il  y  alloit  de  son  honneur. 

))  Au  mesme  temps,  arriva  au  camp,  de  la  part  de  la  roine, 
»  M.  de  Fresne,  Robertet,  secrétaire  des  commandemens,  pour 
))  remporter  les  conditions  que  ledit  sieur  prince  demanderoit 
y>  pour  son  issue.  Auquel  il  respondit  que  l'affaire  estoit  de 
»  poids  et  qu'il  n'estoit  encore  résolu,  d'autant  que  plusieurs 
3)  murmuroyent,  et,  la  conclusion  prise,  on  la  feroit  sçavoir  à  la 
»  roine,  ou  lui-même  la  lui  porteroit.  Robertet  connut  au  lan- 
»  gage  de  quelques  particuliers  qu'il  y  avoit  du  changement  :  et 
y>  s'en  retourna  trouver  la.  royne  pour  l'avertir  qu'il  falloit  autre 
»  chose  que  du  papier,  pour  le  mettre  dehors.  » 


--    126  — 

La  réponse  de  Condé  suivit  de  près  le  retour  de  Robertet. 
Elle  portait  que  ni  lui,  ni  ses  associés  n'acceptaient  les  conditions 
qu'on  prétendait  leur  imposer,  attendu  qu'elles  étaient  con- 
traires à  la  gloire.de  Dieu,  comme  entraînant  l'abolition  du 
culte  en  esprit  et  en  vérité,  contraires  au  service  du  roi,  dont 
elles  compromettaient  le  nom  en  l'associant  à  des  actes  de 
tyrannie,  et  contraires  au  bien  de  l'État  qu'elles  priveraient  de 
ses  plus  fermes  défenseurs. 

Le  prince  envoya  en  même  temps  à  Catherine  une  lettre, 
interceptée,  du  duc  de  Guise  au  cardinal  de  Lorraine  \  dans  la- 
quelle se  décelaient  les  desseins  et  les  espérances  des  triumvirs 
en  ce  qui  concernait  les  réformés. 

Avec  l'entrevue  de  Talsy  s'épuisa  le  régime  des  correspon- 
dances, des  pourparlers  et  des  négociations,  que  la  cour  avait 
astucieusement  prolongé  pour  se  ménager  le  temps  de  recevoir 
les  renforts  qu'elle  faisait  venir  de  l'étranger. 

Des  écrits  et  des  paroles  on  passa  à  l'action. 

Une  camisade,  à  laquelle  s'attachaient  de  sérieuses  chances 
de  succès,  fut  tentée  contre  les  troupes  catholiques  :  elle 
n'échoua  que  par  la  faute  de  guides  inexpérimentés,  à  la  suite 
desquels,  dans  une  marche  de  nuit,  l'armée  de  Condé  s'égara  ^. 

Bientôt  après  cette  armée  reprit  possession  de  Beaugency  ; 
mais  elle  rompit  tout  à  coup  avec  la  discipline  qu'elle  avait  ob- 
servée jusque-là  et  se  hvra  à  de  graves  désordres  ^. 

Les  troupes  catholiques,  opérant  sur  la  Loire,  s'emparèrent 
de  Blois.  Condé,  dont  l'armée  était  plus  faible,  se  replia  sur 
Orléans. 

Lorsqu'on  vit  autour  de  lui  «  que  la  guerre  s'en  alloit  tirer 
»  à  la  longue,  l'ardeur  première  commença  à  s'attiédir.  Aussi 

1.  Voy.  le  texte  de  cette  lettre  dans  Th.  de  Bèze,  Hist.  eccl.,t.  II,  p.  96,  et 
dans  les  il/m.  de  Condé,  t.  III,  p.  509. 

2.  De  Lanoue,  Disc,  polit,  et  milit.,  p.  676  à  680. 

3.  Id.,  ibid.,  p.  684-685. 


—  127  — 

»  vindrent  lors  à  faillir  les  moyens  pour  soudoyer  les  gens  de 
»  guerre,  lesquels  avoient  desjà  consumé  tous  ceux  qu'on  avoit 
»  pu  ramasser  tant  à  Orléans,  qu'autres  endroits.  Geste  néces- 
y>  site  ouvrit  la  porte  à  plusieurs  mescontentemens,  la  plus  part 
»  desquelz  avoient  des  fondemens  fort  légers,  combien  que  le 
»  principal  mouvement  procédast  de  l'impatience  naturelle  de 
»  la  nation  françoise,  laquelle  ne  voyant  promptement  les 
))  effects  de  ce  qu'elle  a  imaginé,  se  desgoute  et  murmure.  Je 
y>  ne  veux  point  celer  qu'aucuns  mesmes  des  principaux  de  la 
))  noblesse,  trop  amateurs  de  leurs  biens,  ou  ayant  des  espé- 
»  rances  un  peu  ambitieuses,  ou  pour  estre  trop  délicats,  vou- 
»  lans  cacher  ces  défauts,  mirent  en  doute  la  justice  de  la 
y>  guerre;  ce  qu'ayant  esté  connu,  on  les  pria  de  se  retirer,  de 
))  peur  que  leurs  propos  n'altérassent  la  volonté  des  autres.  — 
»  Quant  au  gros  de  la  noblesse,  qu'on  ne  pouvoit  entretenir  ni 
»  placer  es  garnisons  voisines,  et  qui  pouvoyent  servir  ailleurs, 
))  on  avisa  de  les  employer  en  leurs  provinces,  où  les  affaires 
»  balançoyent  entre  ceux  delà  religion  et  les  catholiques  ^  y> 

Ce  fut  ainsi  qu'on  envoya  Soubize  à  Lyon,  Larochefoucault 
en  Saintonge,  Duras  en  Guienne,  le  prince  de  Portien  en  Cham- 
pagne, et  de  Montgommery  en  Normandie. 

«  Cependant  le  prince  (de  Condé),  avec  tous  les  autres  sei- 
»  gneurs  et  gentilshommes,  et  vingt-deux  enseignes  de  gens  de 
»  pied,  demeura  avec  l'amiral,  pour  la  garde  de  la  ville  d'Or- 
y>  léans  ^.  » 

Le  recours  à  l'appui  des  forces  étrangères  étant  enfin,  aux 
yeux  des  chefs  réformés,  commandé  par  les  exigences  de  la  si- 
tuation, Coligny  surmonta  ses  répugnances  personnelles  et  se 
résigna,  d'accord  avec  Condé,  à  confiera  Briquemault  la  mission 
de  se  rendre  en  Angleterre  ^  pour  y  obtenir  des  secours  en 

1.  De  Lanoue,  Disc,  polit,  etmilit.,  p.  687-688. 

2.  De  Bèze,  Hist.  eccL,  t.  II,  p.  1C2. 

3.  The  admirai  of  France  to  Throckmorton.  —  «  Has  received  his  letter  and 


—  128  — 

hommes  et  en  argent,  et  à  d'Andelot  celle  de  visiter  les  États  de 
divers  princes  d'Allemagne,  pour  y  presser  la  conclusion  d'une 
levée  de  troupes  préparée  par  de  fidèles  agents  employés  à 
Strasbourg  et  au  delà  du  Rhin.  De  ce  nombre  étaient  Hot- 
man  \  Vezines  et  Lamotte. 

Ce  dernier  venait  d'écrire  à  l'amiral  ^  :  <r  Monseigneur,  j'es- 

»  is  very  glad  to  hear  of  the  queen's  résolution  of  favouring  Ihe  protestant  reli- 
»  gion.  Désires  him  to  give  credence  to  the  bearer.  —  The  camp  at  Vaussou- 
»  dun,  25  juin  1562.  »  (Calend.  of  State  pap.  foreign.) 

\.  Lettre  de  Coligny  et  de  d'Andelot  à  Christophe,  duc  de  Wurtemberg 
(archives  de  Stuttgart,  L.  B.  16.  d.  n°  41.  17  juin  1562)  :  «  Illustrissime  prin- 
»  ceps,  cùm  inferiori  mense  aliquot  nostrae  literae,  quas  ad  C.  V.  scribebamus 
»  interceptée  fuerint,  earum  eliam  literarum  omnium  exemplaria  quas  celsitudo 
»  vestra  hùc  missas  à  nobis  antehac  accepit,  è  regionibus  vestris  ad  adversa- 
))  rios  nostros  Iransmissas  fuisse  intelleximus,  visum  est  illustrissimo  principi 
»  Condœo  posthàc  per  homines  lidos  potins  quàm  per  hujusmodi  epistolas  de 
»  rébus  nostris  vos  diligenler  commonefacere.  Eà  de  causa  aliquot  ahhinc  dies 
»  Hotomanum  cùm  amplis  mandatis  ad  vos  misit.  Nunc  autem  Vezinio,  quem 
»  nuper  ad  G.  V.  cœteros  que  Germaniœ  principes  qui  veritatem  Evangelicam 
»  amplexi  sunt,  mandavimns,  alia  rursùs  mandata  mittit,  quibus  instructi 
»  rerum  nostrarum  statum  quidve  à  vobis  hoc  tempore  desideremus  ac  expec- 
»  temus  fideliter  et  accuratè  exponent.  Nec  dubitamus  quin  Deus  bis  nostris 
»  conatibus,  quibus  (ut  satis  antehàc  et  literis  et  nuntiis  nostris  et  bonorum 
»  sermonibus  admoniti  estis)  adversariorum  audaciae  et  crudelitati  obsistere 
»  coacti  sumus  fœlicem  et  exoptatum  successum  sit  daturus.  Vos  autem  nostras 
»  aut  potiùs  Christi  causae,  régis  reginœque  libertati,  qui  cùm  primùm  sese  his 
»  difficultatibus  ereptos  viderint,  vobis  procul  dubio  plurimùm  gratulabuntur. 
»  Neutique  (?)  modo  defecturos  nobis  certô  pollicemur  :  cùm  prsesertim  in  eo 
»  non  solum  honor  et  dignitas  vestra  fideique  ac  pietatis  vestras  existimatio 
»  verùm  etiàm  Dei  glorise  promotio,  piorum  et  denique  omnium  salus  agi  versa- 
»  rique  videantur,  quemadmodùm  ab  iisdem  Hotomano  et  Vezinio  singula 
»  G.  V.  planiùs  intelliget,  etc.,  etc.  »  —  Hottomanus  Bullingero.  2  juHi  1562 
»  (A.  Zurich.  VIII)  :  «  Scripsi  tibi  superioribus  diebus  et  cùm  litterasD.  Sulzero 
»  misi,  posteà  multas  ad  multos  procurationes  accepi,  missas  mihi  a  principe 
»  Gondensi.  Ex  his  sunt  baro  à  Dhona  insignis  prudentià,  qui,  cùm,  Aureliis 
»  studiorum  causa  degeret  Gondensis  partibus  se  addixit.  Ex  eo  tempore  missus 
»  est  ad  principes  nostros  ab  omnibus  proceribus  Aurelianis  apud  quos  optimam 
»  operam  Navavit,  etc.,  etc.  »  —  Voy.  l'instruction  donnée  au  baron  de  Dhona, 
»  à  Orléans,  le  14  juin  1562,  lors  de  son  envoi  en  Allemagne.  {Mém.  de  Gondé, 
»  t.  m,  p.  -497  à  499.) 

2.  Lettre  de  Lamothe,  du  29  juin  1562  (Bibl.  nat.,  mss.  f.  fr.,  voL  10190).  — 
Voy.  aussi  une  autre  lettre  adressée  de  Strasbourg,  au  prince  de  Gondé,  par 
Lamothe,  le  même  jour,  29  juin  1562  (Bibl.  nat.,  mss.  f.  fr.,  vol.  10190). 


—  129  — 

D  père  que  vous  aurez  si  bon  secours,  que  vous  n'aurez  occasion 
»  de  craindre  vos  ennemis  ;  car  si  les  Français  n'en  peuvent  venir 
»  à  bout,  les  Allemands  ont  délibéré  d'emploier  toutes  leurs  forces 
»  à  les  ruiner,  cognoissant  que  ce  sont  pestes  mortelles,  nées 
»  pour  tourmenter  le  genre  humain  ;  et  vous  supplie  très  hum- 
5)  blement,  monseigneur,  tenir  pour  tout  assuré  que,  s'il  vous 
))  eùst  pieu  passer  l'instruction  des  sieurs  de  Pesmes  et  Ocques 
»  ainsi  que  je  l'avois  dressée,  vous  eussiez  maintenant,  es  envi- 
))  rons  de  Paris,  six  mil  chevaux  avec  le  nombre  de  lansquenetz 
5)  suffisant  pour  abattre  vos  ennemis.  Mais  vostre  Excellence  me 
)>  pardonnera,  s'il  luy  plaist,  si  j'escry  ce  que  nos  princes  disent, 
))  tous  les  jours,  que  les  tyrans  de  Guyse  congnoissent  mieux  la 
y>  coustumedes  levées  d'Allemagne  que  nous  ne  faisions...  nous 
»  vous  supplions  nous  envoier  pardeça  quelques  gens  de  con- 
y>  seil  pour  nous  ayder,  ensemble  infinies  lettres  de  créance  et 
))  déclarations  des  tyrannies  et  cruaultez  des  bourreaux  de  Guyse; 
))  car  telles  nouvelles  nous  servent  beaucoup  en  ce  pays,  et  ne 
»  me  puis  assez  esbahir  quelle  despesche  a  esté  celle  de  Lapos- 
»  tigny,  présent  porteur,  auquel  on  n'a  baillé  que  les  quatre 
))  lettres  de  monseigneur  le  prince,  sans  qu'il  y  ait  rien  du 
))  vostre  ny  de  monsieur  d'Andelot.  d 

Les  chefs  qui  composaient  le  conseil  du  prince,  à  Orléans, 
((  ne  se  firent  donc  plus  aucun  scrupule  d'appeler  les  étrangers 
))  à  leur  secours,  puisque  le  triumvirat  avoit  commencé  le  pre- 
»  mier  de  ce  faire  ^  »  et  «c  d'autant  que  c'estoit  une  chose 
))  notoire  que  les  Allemands,  Suisses  et  Espagnols  entroyent  jà 
))  en  France  pour  le  secours  des  catholiques  -.  » 

Il  s'agissait,  à  cette  époque,  pour  le  prince  et  la  princesse  de 
Gondé,  qui  voyaient  l'orage  s'amonceler  sur  la  tête  de  leurs 
jeunes  enfants,  de  soustraire  à  ses  atteintes  ces  frêles  créatures 


1.  De  Bèze,  hist.,  eccL,  t.  II,  p.  102. 

2,  De  Laiioue,  dise,  polit,  et  milit.  p.  688. 

II. 


—  130  — 
et  leur  aïeule,  en  mettant  un  terme  à  leur  séjour  en  Picardie 
devenu,  chaque  jour,  plus  dangereux.  Ils  mandèrent  donc  «  à 
y>  madame  de  Roye,  pour  sa  sûreté,  qu'elle  se  retirât  en  Alle- 
))  magne,  où  elle  pouvoit  beaucoup  servir,  avec  ses  petits  en- 
»  fants,  à  savoir  :  François,  leur  fils  puisné,  âgé  d'environ 
»  sept  ans,  les  deux  frères  jumeaux  dont  la  princesse  estoit 
»  accouchée  au  mois  d'avril  précédent,  et  mademoiselle  de  Bour- 
y>  bon,  ce  qu'elle  fit  \  y>  en  se  dirigeant  sur  Strasbourg. 

Tandis  que  Condé  et  la  princesse,  encore  sans  nouvelles  du 
long  voyage  entrepris  par  la  comtesse  de  Roye  avec  leurs  plus 
jeunes  enfants,  éprouvaient  des  inquiétudes  toutes  naturelles 
sur  l'issue  de  ce  voyage,  et  qu'avec  le  désintéressement  de 
l'amitié,  ils  félicitaient  Coligny  et  Charlotte  de  Laval  du  bon- 
heur qui  leur  était  accordé  de  posséder  en  sûreté  auprès  d'eux 
tous  leurs  enfants  et  ceux  de  d'Andelot,  alors  absent,  une  im- 
mense épreuve  allait  inopinément  déchirer  le  cœur  de  l'amiral 
et  de  sa  femme. 

Leur  fils  aîné,  Gaspard,  du  même  âge  que  le  marquis  de 
Gonty,  compagnon  assidu  de  ses  études  et  de  ses  jeux,  élevé 
comme  lui,  à  l'école  de  l'Évangile,  faisait  toute  leur  joie,  par  le 
développement  précoce  de  son  intelligence  et  de  son  cœur,  par 
sa  piété  touchante  et  par  ses  qualités  aimables.  Un  charme  inex- 
primable s'attachait  à  l'épanouissement  de  son  âme  candide.  Sur 
lui  reposaient  leurs  plus  douces  espérances,  auxquelles  en  un 
point  surtout,  s'associaient  celles  de  leurs  intimes  amis,  M.  et 
madame  de  Soubize,  dont  la  fille,  Catherine,  était  fiancée  à  ce 
fils  chéri  ^. 


1.  De  Bèze  hîst.,  eccl,  t.  II,  p.  102. 

2.  Voir  (Bibl.  nat.  cabinet  des  titres,  V.  Coligny)  divers  tableaux  généalo- 
giques de  la  maison  de  Coligny,  notamment  celui  qu'a  dressé  du  Bouchet.  On 

y  lit  :  «  Gaspard  11  épousa   Charlotte  de  Laval  en  1547 Du  premier  lit 

sortirent  Gaspard  de  Coligny,  accordé  à  Catherine  de  Parthenay,  dame  de  Sou- 
bixe,  et  mort  avant  l'accomplissement  duraariage  etc.,  etc.,  »  —  Le  P.Anselme, 


—  131  — 

Un  épouvantable  fléau  venait  d'éclater  à  Orléans,  au  sein 
d'une  population  atterrée  par  le  seul  nom  de  peste,  qui  volait  de 
bouche  en  bouche,  lorsqu'un  jour,  se  manifestent  tout  à  coup, 
chez  le  jeune  Gaspard,  les  symptômes  non  du  mal  régnant, 
mais  d'une  maladie  aussi  dangereuse,  et  qui  se  traduit,  dès 
le  début,  par  une  fièvre  ardente.  Vainement  les  soins  les  plus 
énergiques,  les  plus  assidus  sont-ils  prodigués  à  l'enfant  bien- 
aimé  :  la  souff'rance  progresse,  le  consume  ;  la  mort  s'avance  ; 
et  cependant,  tout  affaibli  qu'il  est  physiquement,  il  possède 
encore  en  son  âme  assez  de  force  et  de  lucidité,  pour  témoigner 
de  sa  foi  avec  une  angélique  douceur,  et  pour  adresser  à  ses 
parents,  en  chrétien  confiant,  en  fils  aimant  et  tendre,  un  su- 
prême adieu!  Seize  jours  se  sont  écoulés,  et  Dieu  le  rappelle  à 
lui  ^  Peu  après  une  main  amie  trace,  pour  être  inscrits  sur  sa 
tombe,  les  vers  suivants  -  : 

■>  Gaspard  de  Colligny,  à  l'aage  de  neuf  ans, 

>  Pour  suyvre  Dieu  laissa  le  monde  et  ses  parens, 
»  Fils  aisné  de  Gaspard,  admirai,  l'espérance 

»  Du  père  et  de  la  mère,  astres  clairs  de  la  France  i 

>  Par  lesquels  le  chemin  des  cieux  il  entendit 

■»  Et  soudain  au  seigneur  les  bras  foibles  tendit. 
»  La  fiebvre  sans  cesser  quinze  jdtirs  le  pourmeine, 
»  Le  seizième  jour  Christ  en  sa  gloire  le  meine, 
»  Ayant  fait  de  sa  foi  haulte  confession, 
ï  Par  mort  à  vie  alla,  de  grande  aflfeclion.  » 

Survivre  à  son  enfant,  quelle  inexprimable  douleur!  quelle 
croix  pesante  à  porter!  Sous  cette  douleur,  sous  cette  croix  se 
courbèrent  un  père  et  une  mère  désolés,  ce  Goligny,  cette  Ghar- 


hist.,  généal,  t.  VII,  p.  153.  —   Haag,   fr.  protest.  V.   Larchevêque,  t.    VI, 
p.  342. 

1.  Calend.  of  State  pap.  foreign.  27  juillet  1562.  Occurences  in  France.  — 
Lettre  de  Th.  de  Bèze  à  Goligny,  du  27  juin  1568.  (Bibl.,  de  Genève,  vol.  117). 

2.  «  Épitaphe  de  Gaspard  de  Colligny,  fils  aisné  de  M.  l'admirai  de  Châtillon, 
>  qui  mourut  à  Orléans,  le  ii  juillet  1562.  —  (Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.vol.  22,560, 
fo  67). 


—  132  — 
lotte  de  Laval,  si  forts  d'habitude,  et  désormais  presque  anéan- 
tis. Il  eussent  succombé  à  leur  détresse,  si  Dieu  ne  se  fût  tenu 
près  de  leurs  cœurs  pour  les  soutenir  et  les  relever. 

A  l'aspect  de  ce  deuil,  dont  une  poignante  expérience  permet, 
seule,  à  l'âme  humaine  de  mesurer  la  profondeur,  écoutons 
Goligny,  tout  brisé  qu'il  est  par  une  émotion  indicible,  exhorter, 
devant  Dieu,  sa  femme  à  la  résignation.  Il  l'a  quittée  récem- 
ment, il  est  au  camp,  sous  sa  tente,  en  face  de  l'ennemi  ;  c'est  de 
là  qu'il  lui  écrit  *  : 

€  Encores  que  tu  ayes  raison  de  supporter  avec  douleur  la 
y>  perte  de  notre  fils  bien-aimé,  si  pourtant  suis-je  obligé  de 
T>  te  remémorer  qu'il  estoit  plus  à  Dieu  qu'à  nous  :  et  puisqu'il  a 
))  voulu  le  retirer  à  soi,  c'est  à  toi  et  à  moi  à  obéir  à  sa  saincte 
y>  volonté.  Il  est  vrai  qu'il  estoit  déjà  amateur  du  bien,  et  que 
y>  nous  pouvions  espérer  grande  satisfaction  d'un  fils  tant  bien 
3>  né;  mais  remémore  toi,  ma  bien-aimée,  qu'on  ne  peut  vivre 
y>  sans  offenser  Dieu,  et  qu'il  est  bienheureux  d'estre  mort  dans 
3)  un  âge  où  il  estoit  exempt  de  crime.  Enfin,  Dieu  l'a  voulu; 
))  je  lui  offre  encore  les  autres,  si  c'est  son  vouloir;  fais-en  de 
y>  môme,  si  tu  veux  qu'i.  te  bénisse,  car  c'est  en  lui  que  nous 
))  devons  mettre  tout  notre  esjDoir.  Adieu,  ma  bien-aimée  ;  j'es- 
y>  père  te  voir  dans  peu,  qu'  sera  toute  ma  joie.  y> 
.  Quels  que  fussent  les  ravages  exercés  à  Orléans  par  le  ter- 
rible fléau,  Charlotte  de  Laval  et  la  princesse  de  Gondé  demeu-  ' 
rèrent  constamment  dans  cette  ville.  Seuls,  les  enfants  de  l'amiral 
et  ceux  de  d'Andelot  en  sortirent  après  la  mort  de  leur  frère 
et  cousin,  pour  être  conduits  au  château  de  Ghâtillon-sur  Loing, 
où  l'on  espérait  qu'ils  seraient  à  l'abri  de  la  contagion;  mais  l'un 
d'eux, la  fille  aînée  de  d'Andelot^  qui,  sans  qu'on  s'en  doutât, 
portaiten  elle  le  germe  du  mal  dominant,  succomba  bientôt  à  ses 
atteintes  meurtrières.  Les  enfants  des  deux  frères,  qui  avaient  été 

1.  Vie  de  Coligny.  Cologne,  1686,  p.  258,  259. 
2  De  Bèze,  hist.,  ecclt.  II,  p.  461, 


—  133  — 
confiés  à  la  garde  du  capitaine  BYançois,  furent  après  un  sé- 
jour de  trois  semaines  à  Ghâtillon,  ramenés  à  Orléans  par  cet 
officier  *  qui  les  remit  aux  mains  de  Charlotte  de  Laval   et 
d'ÉIéonore  de  Roye. 

Pendant  quatre  mois  et  demi,  de  juillet  à  novembre  1562, 
Orléans  fut  le  théâtre  de  scènes  de  souffrance  et  de  deuil  au  mi- 
lieu desquelles  se  déploya,  dans  une  sphère  d'activité  incessante, 
la  charité  chrétienne.  Au  premier  rang  des  femmes  qui,  sous 
son  inspiration,  prodiguèrent  leurs  soins  et  leurs  consolations 
aux  malades,  aux  mourants,  figurèrent  madame  l'amirale,  la  prin- 
cesse, sa  nièce,  et  plusieurs  dames  haut  placées  dans  la  société. 

La  généralité  des  femmes  et  des  jeunes  filles  d'Orléans  répon- 
dant à  un  sérieux  appel  adressé  par  Gondé,  en  juillet,  fit  preuve 
d'abnégation  et  de  courage,  en  concourant,  dans  la  mesure  du 
possible,  aux  travaux  de  défense  de  la  place,  alors  que  la  peste 
se  propageait  dans  des  proportions  redoutables  et  qu'elle  faisait 
de  nombreuses  victimes.  «  Le  prince,  raconte-t-on  à  cetégard^ 
»  fit  continuer  à  bon  escient  le  labeur  des  fortifications,  sans 
»  qu'aucun  fust  exempt,  non  pas  mesme  les  dames  et  damoi- 
•»  selles  qui  y  portèrent  la  hotte  comme  les  autres,  croissant 
»  cependant  tousjours  la  peste,  dont  mourut  une  grande  partie 
3>  des  soldats  et  grand  nombre  de  peuple  de  toutes  qualités. 
»  Entre  autres  moururent  de  ceux  de  la  noblesse,  le  vidasme 
»  de  Châlons,  frère  du  sieur  d'Ésternay,  homme  doué  de  plu- 
))  sieurs  grandes  et  singulières  vertus,  le  sieur  de  Toury  et  un 
y>  sien  fils...  Deux  personnages  de  la  ville  entre  autres  furen' 
))  aussi  emportés  et  très  grandement  regrettés  à  bon  droict, 

1.  De  Bèze,  hist.,eccl.,  t.  II,  p.  458,  —  Haag.  fr.  prot.  t.  V,  p.  170. 

2.  De  Bèze,  hist.,  eccl.,  t.  II,  p.  110.  —  Voir,  entre  autres  documents  se  ratta- 
chant aux  travaux  de  défense  dont  il  s'agit  ici  une  <  réquisition  faite  par  Bri- 

>  quemaut,  au  nom  du  prince  de  Condé,  à  des  habitants  de  diverses  localités 
»  voisines  d'Orléans,  de  fournir  des  fascines  et  autres  objets  pour  subvenir  à 
î  l'érection  ou  réparation  des  fortifications,  en  date,  à  Orléans,  du  22  juil- 

>  let  1562.  »  (Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  10,  190). 


—  iSl  — 

y>  pour  estre  personnages  des  plus  doctes  et  des  plus  gens  de 
»  bien  de  leur  estât,  assavoir  Guillaume  Maillard,  lieutenant 
To  particulier  d'Orléans,  et  Jean  Gaillard,  docteur  régent  èsloiz.  » 

Vers  la  fin  d'août,  se  répandit  dans  la  ville  et  au  dehors  le 
bruit  de  la  mort  de  la  princesse  de  Condé  *;  bruit  qui,  heureu- 
sement, ne  reposait  que  sur  de  simples  conjectures.  Eléonore 
de  Roye,  bien  qu'exposant  à  chaque  instant  sa  vie  pour  le  salut 
des  autres,  à  l'exemple  de  sa  tante,  madame  l'amirale,  fut  ainsi 
qu'elle  providentiellement  épargnée.  Elle  eut  même,  à  force  de 
dévouement  et  de  sollicitude,  la  joie  de  soustraire  à  la  mort 
l'une  de  ses  filles  d'honneur,  mademoiselle  des  Fossez,  que  la 
maladie  régnante  avait  gravement  atteinte  ^. 

Relevé  sur  sa  demande,  de  ses  fonctions  d'ambassadeur 
d'Angleterre,  Trockmorton  qui,  en  quittant  Paris,  avait  trouvé, 
grâce  k  l'armée  des  réformés,  un  refuge  à  Orléans  et  une  bien- 
veillante hospitalité  sous  le  toit  de  Coligny,  écrivit  à  Ehsabeth 
et  à  Gecil  pour  les  informer  des  derniers  événements  et  des  pro- 
grès du  fléau  ^.  «  La  peste,  disait-il,  sévit  ici  avec  une  intensité 
»  qui,  journellement,  diminue  le  nombre  des  défenseurs  de  la 
»  cause  évangélique.  La  princesse  de  Condé,  son  fils  aîné  el 
»  madame  l'amirale  sont  toujours  dans  la  ville.  » 

Le  courage  et  le  dévouement  de  ces  deux  femmes  héroïques 
et  charitables  ne  faiblirent  pas  un  seul  instant  ;  loin  de  là  :  ils 
s'accrurent  avec  la  grandeur  même  dés  épreuves  qu'elles  tra- 
versaient. 

Coligny  et  Condé,  de  leur  côté,  demeuraient  inébranlables, 
«  pourvoyant  à  toutes  choses  nécessaires,  tant  par  le  dedans 
»  que  par  le  dehors  *.  y> 

i.  Dépêche  de  Ghantonnay  du  28  août  1562  {Mém.  de  Condé,  t.  II,  p.  67.  — 
ém.  de  Cl.  Hatton,  1. 1,  p.  285. 

2.  De  Bèze,  hist.,  eccL,  t.  II,  p.  HO. 

3.  Calend.  of  State  pap.  foreign.  9  septembre  1562.  Throckmorton  to  the 
queen.  —  Ibid,  id.  id.  to  Gecil. 

A.  De  Bèze,  hist.,  eccL,  t.  II,  p.  111. 


—  135  — 

Les  triumvirs,  tout  en  les  menaçant,  à  la  tête  de  l'armée  catho- 
lique, avaient  appelé  à  leur  aidele  parlement  de  Paris  qui,  dans  sa 
servilité  coupable,  s'était  abaissé  au  point  d'adopter,  sans  con- 
trôle, toute  une  série  d'arrêts  ah  irato,  dont  «  le  cardinal  de 
y>  Lorraine  et  ceux  de  sa  suite  avoient  minuté  le  texte,  pour  estre 
y>  puis  après,  à  leur  appétit,  autorisés  dudit  parlement  '.  y> 

L'un  de  ces  arrêts,  en  date  du  27  juillet  1562  -,  déclarait 
rebelles  et  ennemis  du  roi  et  de  la  couronne  de  France,  séditieux 
et  perturbateurs  du  repos  public,  criminels  de  lèse-majesté  di- 
vine et  humaine,  tous  ceux  qui  avaient  pris  les  armes,  à  Orléans, 
à  Lyon,  à  Rouen,  et  en  d'autres  villes.  A  la  suite  de  cet  arrêt, 
était  inscrite  sur  les  registres  du  parlement  la  mention  suivante  : 
))  la  cour  a  déclaré  et  déclare  que  par  l'arrêt  par  elle  donné 
y>  cejourdhui  contre  les  rebelles  et  désobéissans  à  Dieu,  au  roi 
))  et  à  son  royaume,  elle  n'a  entendu  et  n'entend  y  comprendre 
3>  messire  Loys  de  Bourbon,  prince  de  Gondé,  parce  qu'il  a  esté 
»  contraint,  à  force,  de  faire  ce  qu'il  a  fait.  » 

Le  8  août,  Condé  adressa  au  roi  une  protestation  dans  laquelle 
il  s'attacha  à  démontrer  l'injustice  de  l'arrêt  du  27  juillet  ^  et 
déclara  faire,  plus  que  jamais,  cause  commune  avec  ses  associés, 
dont  il  s'indignait  qu'on  eût  cherché  à  le  séparer.  Quant  à 
«  l'exception,  disait-il,  de  la  personne  dudit  seigneur  prince, 
»  il  est  trop  affectionné  au  service  du  roy,  pour  ne  se  ressentir 
y>  et  n'estre  blessé  en  la  playe  qu'on  feroit  à  ceux  qu'il  sait  et 
y>  cognoist  n'avoir  jamais  eu,  en  prenant  les  armes,  et  n'avoir 
»  encores  autre  but  que  la  conservation  de  ceste  couronne 
y>  Et  déclare  ledit  seigneur  prince,  que  tant  s'en  faut  qu'on 
D  luy  gratifie  par  ceste  exception,  que  plutost  il  se  sent  offensé 
»  de  ce  qu'on  le  voudroit  séparer  de  tant  de  bons  et  fidèles 

1,  De  Bèze,  hist.,  ecel.,  t.  II,  p.  107. 

2,  Mém,  de  Coadé,  t.  \,  p.  91  à  93. 

3,  De  Bèze,  hist.,  eccl,  t.  II,  p.  111  à  127.  -  -  Mém.  de  Condé,  t.  III,  p.  583 
à  598. 


^  136  — 

y)  serviteurs  du  roy,  et  d'une  autant  bonne  et  saincte  compagnie 
y>  qui  ait  jamais  esté  assemblée  en  ce  royaume.  —  A  ceste  cause 
ï>  estant  asseuré  et  devant  Dieu  et  devant  les  hommes,  que  leur 
))  innocence  est  telle  que  toutes  les  menteries  et  calomnies  des 
y>  meschans  ne  pourroient  faire  demeurer  une  seule  tasche  de 
»  désobéissance  et  rébellion,  tant  sur  ledit  seigneur  prince  que 
))  sur  ses  associés,  il  désire  avoir  mesme  condition  avec  ceux 
))  qui  sont  conjoincts  en  mesme  bonté  de  cause,  mesme  religion 
»  et  mesme  volonté  d'employer  leurs  vies  pour  le  bien  du  roy, 
D  conservation  de  son  estât  et  establissement  du  pur  service  de 
y>  Dieu,  en  son  royaume.  Et  tout  ainsi  que  ledit  seigneur  prince 
»  ne  peut  et  ne  doit  estre  désavoué  de  ceux  par  le  comman- 
y>  dément  desquels  il  a  pris  justement  les  armes^  aussi  ne  se 
y>  voudroit-il  départir  de  ceux  qui  se  sont  à  sa  requeste  armés 
»  avec  luy  et  avec  lesquels  il  a  mesme  intention  et  volonté. 
»  Davantage  il  a  assez  expérimenté  ces  ruses  de  ses  ennemis 
))  pour  cognoistre  ce  qu'ils  luy  brassèrent  sous  la  couverture  et 
»  prétexte  d'une  telle  exception  :  comme  aussi  il  est  bien  aisé  à 
»  juger  par  les  lettres  missives  envoyées  par  les  bailliages, 
y>  éscjuelles  il  est  compris  en  général  avec  les  autres.  » 

Dans  la  partie  finale  de  sa  protestation,  Gondé  n'hésite  point 
à  dire  :  «  Combien  que  jusques  ici  ledit  seigneur  prince  ait  dif- 
y>  féré  d'appeler  les  étrangers  au  secours  du  roy  et  de  ceux  aus- 
))  quels  il  luy  a  pieu  permettre  de  vivre  selon  la  réformation  de 
})  l'Évangile  :  toutesfois,  puisque  ses  ennemis  ont  commencé  de 
y>  les  appeler  en  leurs  mauvaises  causes,  il  proteste  ne  faire  plus, 
,))  à  l'advenir,  aucune  difficulté  de  s'en  ayder  pour  maintenir  son 
))  bon  droit,  et  ce,  d'autant  plus  qu'il  est  asseuré  que  la  con- 
»  servation  du  roy  et  de  ce  royaume  est  conjointe  avec  la  con- 
))  servation  de  son  innocence. 

Le  18  août,  jour  où  l'armée  catholique,  mettait  le  siège  de- 
vant Bourges,  et  où  l'amiral  et  Gondé  exprimaient  une  pleine 
confiance  dans  la  fermeté   de  leurs   troupes,  pour  repousser 


-  137  — 

toute  agression  qui  serait  dirigée  contre  Orléans  *,  le  parlement 
de  Paris,  à  l'instigation  du  cardinal  de  Lorraine  et  des  triumvirs, 
rendit  un  arrêt  -  par  lequel  une  prise  de  corps  était  décernée 
contre  l'amiral,  d'Andelot,  de  Larochefoucault,  le  prince  de 
Portien,  Montgommery,  Rohan,  Genlis,  Grammont,  Piennes 
de  Soubize,  Ivoy,  Morvilliers,  Mouy,  et  un  grand  nombre  de 
gentilshommes  étant  à  Orléans,  de  même  que  contre  plusieurs 
conseillers,  juges,  officiers,  échevins  et  magistrats.  Tous  de- 
vaient être  jetés  dans  les  prisons  de  la  conciergerie  du  palais,  à 
Paris;  à  défaut  de  quoi  ils  seraient  ajournés  à  trois  jours  sous 
peine  de  confiscation  de  corps  et  de  biens,  et  d'être  convaincus 
des  cas  à  eux  imposés  etc.,  etc. 

La  publication  de  cet  arrêt  devint  le  point  de  départ  de  nom- 
breux excès  commis  contre  les  réformés  par  des  hordes  de 
fanatiques,  à  Paris  et  dans  les  provinces. 

Sur  ces  entrefaites,  arrivèrent  à  Orléans  des  nouvelles  ras- 
surantes du  séjour  de  la  comtesse  de  Roye  et  de  d'Andelot  à 
l'étranger. 

En  quittant  la  Picardie  avec  les  enfants  de  sa  fille,  la  com- 
tesse ne  s'était  pas  fait  illusion  sur  la  longueur  et  les  difficultés 
du  trajet  qu'elle  entreprenait,  à  travers  la  France.  Le  20  août, 
on  s'étonnait,  à  Strasbourg,  de  ne  pas  la  voir  déjà  arrivée. 
Th.  de  Bèze,  appelé  dans  cette  ville,  au  cours  d'une  mission  à 
remplir  en  Allemagne  et  en  Suisse,  s'inquiétait,  à  cette  date, 
du  défaut  de  nouvelles  récentes  de  la  noble  voyageuse  ^  Le 
29  août,  le  crédule  cardinal  de  Bourbon,   se  disant  bien  in- 

1.  Hotraan  à  l'avoyer  et  au  conseil  de  Berne,  30  août  1562  (archives  de  Berne. 
Frankreich.  vol.  II,  ann.  1551  bis  1569)  :  «  Quant  à  la  ville  d'Orléans,  les  der- 

>  nières  lettres  étaient  datées  du  18,  et  sembloit  que  messeigneurs  le  prince 
»  de  Condé  et  admirai  fussent  fort  résolus  d'attendre  le  siège  veu  les  propos 

>  qu'ils  nous  escrivoient  pleins  d'espérance  et  confiance,  après  Dieu,  en  la 
»  loyauté  de  leurs  soldats,  n 

2.  Bibl.  nal.  mss.  f.  fr.  vol.  3  176,  f»  -4.  —  De   Bèze,  hist.,  eccl.,  t.  II, 
p.  128,  129.     • 

3.  Beza  ad  Calvinum,  2    aoiit  1652  {ap.  Baum,  append.  p.  189,  190)  :  c  So 


—  138  — 

formé,  prétendait  *  que  «  madame  de  Roye  estoit  allée  à  Stras- 
»  bourg  mener  ses  petits  neveux  en  ostaige  pour  avoir  gens; 
»  qu'ils  y  avoient  esté  reffusez  et  qu'elle  s'en  estoit  revenue.  » 
Ce  qui  est  certain,  c'est  que  dans  les  derniers  jours  d'août  ma- 
dame de  Roye  atteignit  enfin  ^  la  grande  cité  hospitalière  d'Al- 
sace. Là  un  accueil  sympathique  lui  était  réservé,  ^  ainsi  qu'aux 
frêles  créatures  confiées  à  ses  soins,  dont  Calvin  devait  plus 
tard  rehausser  la  condition,  alors  précaire,  par  ces  touchantes 
paroles  adressées  à  leur  aïeule  ^  :  «  Dieu,  madame,  a  honoré 
»  vos  petits  enfants,  en  les  faisant  pellerins  en  terre  estrange.  •» 

La  comtesse  de  Roye,  au  moment  de  son  arrivée,  se  trouvait 
réduite,  par  la  rigueur  des  circonstances  à  un  état  voisin  du 
dénûment.  Les  premières  ressources  nécessaires  lui  furent 
spontanément  fournies  par  un  généreux  ami  des  réformés  fran- 
çais, le  vénérable  Jean  Sturm  ^,  qui,  plus  d'une  fois  encore,  vint 
à  son  aide. 

Fidèle  à  la  double  mission  qu'elle  avait  à  remplir  dans  sa  nou- 
velle résidence,  la  comtesse  sut,  tout  en  s'occupant  avec  sollici- 
tude de  ses  petits-enfants,  saisir  habilement  chaque  occasion  qui 
s'offrait  à  elle  de  seconder  les  intérêts  de  la  cause  au  service  de 
laquelle  se  consacraient  ses  frères  et  son  gendre. 

y>  crus  principis  nondum  advenit,  ut  certe  valdé  metuo  ne  quid  illi  incoramodi 
»  accident  in  via,  quanqnam  non  placet  malé  oininari.  » 

1.  Bibl.  nat.  mss.  fr.  vol.  3  187,  f.  23.  Lettre  du  29  août  1562  à  de  Humiéres 
gouverneur  de  Péronne. 

2.  Beza  ad  Calvinum  l"''  septembre  1562.  (Baum,  append.  p.  192j  :  >  Prin- 
cipis socrus  salva  tandem  eo  pervenit  ubi  à  magistratu  est  perhonorificé 
excepta.  » 

3.  V.  Documents  historiques  tirés  des  archives  de  la  ville  de  Strasbourg  par 
M.  Ant.  de  Kentsinger.  Strasbourg,  1818,  t.  I,  p.  55,  lettre  du  9  septembre  1562 
de  d'Andelot,  remerciant  «  messieurs  les  consuls  et  seigneurs  du  principal 
»  conseil  de  Strasbourg  »  de  l'accueil  qu'ont  reçu  d'eux  la  comtesse  de  Roye 
et  ses  petits-enfants. 

4.  Lettres  françaises,  t.  II,  p.  498,  lettres  d'avril  1563. 

5.  La  vie  et  les  travaux  de  Jean  Sturm,  par  Ch.  Schmidt.  Strasbourg, 
1855,  in-8op.  131. 


—  139  — 

Ce  fut  ainsi,  notamment,  que  pom^  justifier  la  prise  d'armes 
de  Condé,  elle  produisit,  en  temps  voulu,  les  originaux  mêmes 
des  lettres  que  Catherine  de  Médicis  avait  adressées,  en  mars 
1562,  à  ce  prince,  originaux  que  ce  dernier  avait  confiés  à  sa 
belle-mère,  en  la  priant  de  les  tenir  à  la  disposition  de  Spifame, 
afin  qu'il  les  utilisât  officiellement.  Spifame,  en  effet,  ne  manqua 
pas  de  s'en  prévaloir,  dans  une  circonstance  solennelle,  ainsi  que 
l'atteste  le  passage  suivant  de  la  harangue  qu'il  adressa  à  Ferdi- 
nand I",  lorsque  se  tint  la  diète  de  Francfort*  :  «.  Du  comman- 
»  dément  que  la  reine  a  fait  à  monsieur  le  prince  de  Condé  de 
»  prendre  les  armes  pour  la  liberté  du  roy  et  la  sienne,  outre  ce 
»  que  dessus,  il  y  a  témoignage  de  plusieurs  chevaliers....  Aussi 
»  il  y  en  a  lettres...  lesquelles  sont  pardevers  mondit  sieur  le 
y>  prince,  qui  n'a  voulu  les  hasarder  au  danger  des  chemins, 
B  mais  nous  a  recommandé,  sire,  recouvrer  de  madame  de  Roye, 
»  sa  belle-mère,  estant  avec  messieurs  ses  enfans  à  Stras- 
î  bourg  ^,  quatre  lettres  escrites  et  signées  de  sa  main,  que  nous 
»  exhibons,  sire,  à  vostre  sacrée  majesté  ^. 

D'Andelot  avait  devancé  sa  sœur  à  Strasbourg.  Le  17  juillet, 
on  l'avait  vu  traverser  cette  ville,  alors  qu'il  se  rendait  auprès 


1.  Harangue  de  Jacques  Spifame,  seigneur  de  Passy,  envoyé  en  Allemagne 
par  le  prince  de  Condé  pour  justifi.er  ses  armes  envers  l'empereur  et  les  princes 
de  la  Germanie  {ap.  le  Laboureur,  addit.  aux  mém.  de  Castelnau,  t.  Il,  p.  28 
et  suiv.). 

2.  V,  lettre  de  Condé,  du  3  octobre  1562,  aux  magistrats  de  Strasbourg» 
relativement  au  passage  de  Spifame  dans  cette  ville.  (M.  A.  de  Kentzinger, 
docum.  hist.  t.  I,  p.  64. 

3.  La  Popelinièrè,  hist.  de  Fr.  t.  1,  f'  333.  —  De  Bèze,  hist.,  eccl,  t.  IL 
p.  178  :  «  Spifame  exhiba  les  quatres  lettres...  esquelles  il  requit  que  le 
»  sceau  de  la  chancellerie  de  l'empire  fut  apposé...  afin  qu'on  ne  pût  dire 
»  puis  après  qu'elles  eussent  esté  contrefaites  et  falsifiées  par  quelque  artifice. 
»  Ce  qu'il  obtint  de  l'empereur  après  qu'il  luy  en  eust  donné  copie  et  quel'ori- 
î)  ginal  eùst  esté  lu  et  coliationné.  »  — Voirwem.  de  Condé,  t.  II,  p.  112,113, 
ce  que  raconte  l'ambassadeur  d'Espagne,  Perrenot  de  Chantonnay,  de  l'en- 
tretien qu'il  eut  avec  Catherine  de  Médicis,  au  sujet  des  quatre  lettres  dont  il 
s'agit, 


~  140  — 

des  princes  protestants  d'Allemagne  ^  Ses  démarches  vis-à-vis 
d'eux  avaient  été,  en  quelques  jours,  couronnées  d'un  premier 
succès;  car  Ilotman  qui  correspondait  avec  lui,  de  Strasbourg, 
où  il  résidait  pour  les  affaires  du  prince  de  Gondé,  écrivait  le 
8  août,  à  l'avoyer  de  Berne^  :  «  desjà  monseigneur  d'Andelot  a 
■»  trouvé  telle  faveur,  qu'il  a  promesse  de  trois  mil  reistres  pour 
))  le  moins,  et  de  quatre  mil  lanskenets,  qui  s'assemblent  main- 
3>  tenant  au  païs  de  Hessen,  près  Gassel.  » 

De  son  côté,  d'Andelot  annonçait,  d'Eslingen,  à  Calvin,  le 
11  août  ^,  ((  que  son  voyage  pardeçà  n'avoit  point,  grâces  à  Dieu 


i.  Calend.  of  State  pap.  foreing,  17  juillet  1562,  d'Andelot  to  the  queen.  — 
Ibid.  21  juillet  1562,  Mundt  to  Cecil.  —  Frédéric  111  à  Christophe,  duc  de 
Wurtemberg  le  20  juillet  1562  (Kluckhohn,  Briefe Friedrich  des  Frommen,  erste 
Band,  p.  318,  no  187)  :  «  M.  d'Andelot,  frère  de  Tamiral,  est  arrivé  à  Heidel- 
>  berg,  le  19  juillet  avec  une  lettre  de  créance  adressée  à  tous  les  électeurs 
»  et  princes  de  la  confession  d'Augsbourg,  etc.,  etc.  » 

2.  Archives  de  Berne  Frankreich,vol.  2,  ann.  1551  bis  1569.  — La  correspon- 
dance, qu'en  Allemagne,  les  princes  protestants  entretenaient,  soit  entre  eux, 
soit  avec  les  cours  de  France  et  d'Angleterre,  contient  diverses  traces  de  leurs 
efforts  en  faveur  de  Condé  et  de  Coligny,  en  1562. 

Voy.  Kluckhohn,  ouvr.  cité,  erst.  Band,  lettres  1"  de  Frédéric  III  au  Land- 
grave Philippe,  du  5  juillet  1562.  p.  316,  n"  185;  —  2»  du  Landgrave  Philippe 
à  Frédéric  III,  du  9  juillet,  id.  ibid.  note  2;  —  3»  de  Frédéric  III  au  Landgrave 
Philippe,  du  19  juilletid.  p.  317,  iv>  186.  4"  de  Frédéric  III  au  duc  de  Wurtem- 
berg, du  31  juillet  1562,  p.  320,  n»  190;  5°  du  même  au  comte  p.  du  Rhin,  du 
31  juillet  id.  p.  320,  n°  191  ;  6"  du  duc  de  Wurtemberg  à  Frédéric  III,  du 
31  juillet  id.  p.  319,  n"  189;  7°  de  Frédéric  III  à  d'Oisel,  du  3  août  id  p.  322, 
n°  192;  8°  de  Frédéric  III  aux  envoyés  Anglais,  du  1"'  septembre  id.  p.  335  à^ 
à  337,  n°  200. 

3.  Bull,  de  la  soc.  d'hist.  du  prot.  fr.  t.  XVI,  p.  162,  163,  et  op.  Galvini,  vol. 
19,  p.  49i,  n"  3  833.  —  Calvin  avait  fini  par  admettre  que  le  droit  de  légitime 
défense  autorisait  les  réformés  français  à  prendre  les  armes,  et  il  écrivait  aux 
églises  (lettr.  franc,  t.  Il,  p.  4.75)  :  «  II. est  question  de  trouver  argent  pour 
»  soustenir  les  gens  que  M.  d'Andelot  a  levés...  Uieu  nous  a  réduits  à  telles 
i  extrémités  que,  si  vous  n'estes  secourus  de  ce  costé  là,  on  ne  voit  apparence, 
»  selon  les  hommes,  que  d'une  piteuse  et  horrible  désolation.  Je  scay  bien, 
))  quand  tout  sera  ruiné  et  perdu,  que  Dieu  a  des  moions  incompréhensibles 
•»  de  remettre  son  église  au-dessus,  comme  s'il  la  ressuscitait  des  morts...,  et 
»  que,  quand  nous  serions  abolis,  il  saura  bien  créer  de  nos  cendres  un  peuple 
»  nouveau.  Cependant  nous  avons  à  bien  penser  si  nous  ne  voulons,  à  notre 


—  141  — 

y>  esté  inutile,  et  qu'il  avoit  grande  occasion  de  le  louer  et  re- 
y>  mercier.  )) 

Le27août,  neuf  jours  après  avoir  conclu  un  traité  définitif  rela- 
tivement à  la  levée  desreistres  et  lansquenets  *,  il  écrivait  encore 
à  Calvin^  :  «  Monsieur  Galvyn,  j'ay  reçeu  deux  de  voz  letres 
»  par  le  cappitaine  Fontaine,  l'une  du  dernier  de  l'autre  moys, 
»  et  l'autre"  du  5"  du  présent,  me  faisant  entendre  la  peine  et 
y>  diligence  que  prenez  pour  satisfaire  à  ce  qui  vous  a  esté  mandé 
))  tantparmesseigneursle  prince  de  Gondé(et)admyral,  que  par 
»  moy  pour  le  recouvrement  des  deniers,  et  combien  il  est  ma- 
»  laysé  pour  les  grans  frays  qu'il  a  fallu  soustenir  par  le  passé,  et 
»  fault  encore  maintenir  le  présent.  C'est  chose  à  quoy  il  ne  se 
»  fault  point  lasser,  et  tousjours  estre  importun  à  chercher  les 
))  moyens  de  recouvrer  argent,  car  c'est  de  cela.de  quoy  avons 
»  extrêmement  affaire,  ayant,  Dieu  mercy,  trouvé  tant  défaveur 
»  pardeça  envers  les  princes,  que  j'espère  mener  trois  mille  che- 
))  vaux  et  autant  de  lansquenets,  et  si  je  les  vois  tous  dispo- 
»  sez  à  se  bien  et  diligemment  employer,  j'ay  esté  ung  temps 
y>  que  je  m'en  voyois  fort  eslongné,  et  quasi  désespéré  ^  Toutef- 
»  fois,  à  la  fin,  les  princes  en  ont  si  bien  usé,  que  et  les  hommes 
y>  et  les  moyens  de  les  entretenir  quelque  peu  de  temps  m'ont  esté 
î>  administrés.  J'espère  que  nostre  bon  Dieu  se  veut  encore  servyr 
))  des  moyens  humains  pour  favoriser  son  église.  Efforçons-nous 
»  de  toutes  parts  de  trouver  le  moyen  d'avoir  de-  quoy  entretenir 
))  noz  hommes.  D  seroit  bon  de  recouvrer  les  douze  mil  escuz 

escient,  fermer  la  porte  à  sa  grâce,  de  nostre  part,  ne  point  défaillir  à  nostre 
debvoir.  » 

1.  «  Capitulation  des  Reytres  et  Lansquenet/  levez  pour  monseigneur  le 
»  prince  de  Condé,  du  xviii  d'aoùst  1562.  >  (Bibl.  nat.  rass.  f.  fr.  vol.  6  618, 
f"  136,  d37,  138).  —  Nous  avons  inséré  le  texte  de  cette  capitulation  dans  le 
bulletin  historique  et  littéraire  de  la  société  de  l'histoire  du  protestantisme 
français,  tome  XVI,  2«  série,  2"  année,  1867,  p.  116,  117,  118. 

2.  Op.  Calvini.  vol.  19,  p.  505,  n"  3  841,  et  Bull,  de  la  soc.  d'hist.  du  prot. 
fr.  t.  XYI,  p.  163. 

3.  De  Bèze,  hist.,  ecch,  t.  II,  p.  135. 


—  142  — 

»  dont  ceulx  de  Genefve  veullent  eslre  respondans;  car  si  je  les 
y>  pouvois  avoyr  dedans  le  vingtièsme  de  l'autre  moys,  vers  la 
))  frontière  de  Lorraine,  oùjedoysfaire  une  monstre,  ce  me  seroit 
y>  asseurance  d'avoir  de  quoy  payer  tous  mes  gens,  de  quoy  je 
))  crains  de  demeurer  ung  peu  court,  pour  en  avoir  plus  levé 
y>  que  je  n'en  avois  proposé  au  commencement,  et  si  je  me  trou- 
»  voys  argent  de  reste,  je  croy  qu'il  se  trouvera  au  lieu  de  la 
»  dite  monstre,  plus  de  mil  hommes  de  guerre,  soyt  de  pied 
»  ou  de  cheval,  et  selon  que  je  verroys  le  mérite  et  esquipage 
y>  des  personnes,jeyemployeroysde  l'argent.  J'espère  me  trouver 
3i>  le  9  ou  10  de  l'autre  moys  à  Francfort  \  Je  vous  prie  que  en 
»  ce  temps,  je  puisse  entendre  de  bonnes  nouvelles,  etc.,  etc.  De 
jD  Gassel,  ce  27^  d'aoust  1562,  vostre  bien  bon  amy,  Andelot.  » 

Le  lendemain  du  jour  où  cette  lettre  était  adressée  à  Calvin, 
d' Andelot  écrivait  à  l'avoyer  et  au  conseil  de  Berne^  ; 

))  Messieurs,  pour  ce  qu'ayant  tousjours  faict  paroistre  de 
y>  vostre  part  du  bon  zelle  et  singulière  affection  que  vous  portez 
))  au  bien  des  affaires  de  la  France  et  encores  en  ce  temps-cy  à 
y>  la  liberté  du  roy  et  de  la  royne  sa  mère  et  maintenement  de  la 
))  religion  qu'on  s'efforce  par  tous  moyens  d'y  esteindre,  vous 
3>  pouvriez  avec  bonne  occasion  entrer  en  quelque  mesconten- 
»  tement  de  moy  de  ne  vous  avoyr  jusques  icy  aucune  chose 
y>  départy  du  faict  de  ma  négotiation  pardeçà  pour  le  secours  de 
y)  monseigneur  le  prince  de  Gondé  armé  contre  les  perturba- 
»  teurs  de  Testât  du  dict  royaume,  comme  il  vous  est  assez 
»  cogneu  ;  à  ceste  cause,  pour  vous  lever  tous  les  scrupules 
j)  qu'en  auriez  pu  concevoir,  je  n'ay  voulu  faillir  de  vous  en 
y>  escripre  la  présente,  par  laquelle  vous  entendrez  premiè- 

1.  De  Bèze,  hist.,  eccl.,  t.  II,  p.  136  :  Andelot  fut  surpris  d'une  fièvre  qui 
»  l'arresta  tout  court....  Les  deniers  furent  conduits  près  de  Worms,  la  place 
»  monstre  (revue)  fut  arrestée  à  Baccarat,  terre  de  l'évesché  de  Metz,  au  pre- 
i  mier  d'octobre.  » 

2.  Lettre  du  28  août  1562.  Archives  de  Berne.  Frankreich,  vol.  2  ann.  1551 
bis  1569. 


—  143  — 

»  rement  l'occasioii  d'une  telle  longueur  de  vous  escripre, 
»  qui  a  esté  pour  beaucoup  de  difficultez  survenues  au  faict 
»  de  ma  dicte  négotiation,  devant  que  d'en  venir  à  une  résolu- 
»  tion  à  laquelle  je  remectois  tousjours  à  vous  en  mander  : 
))  et  puysque,  grâce  à  Dieu,  ayant  démonstré  par  plusieurs 
y>  grandes  apparences  qu'il  veut  prendre  la  protection  des 
y>  siens,  j'ay  trouvé  tous  les  princes  et  seigneurs  de  ce  pays  à 
))  qui  je  me  suis  adressé,  si  fort  affectionnez  à  la  tuition  et  dé- 
3>  fense  de  nostre  cause,  que  par  leur  moyen,  faveur  et  bon 
y>  ayde,  j'ai  déjà  distribué  l'argent  de  la  levée  de  trois  mil  cinq 
y>  cens  chevaulx  et  quatre  mil  hommes  de  pié,  lesquelz  gens 
»  de  pié  je  mène  plus  tost  pour  l'escorte  et  seureté  passaige 

2)  de  ceulx  de  cheval,  tant  par  la  Lorraine  que  la  France  jus- 
))  ques  au  lieu  où  est  mondit  seigneur  le  prince,  que  pour 
y>  autre  occasion,  m'ayant  tousjours  le  dit  seigneur  escript 
»  avoir  de  si  bonnes  trouppes  de  gens  de  pié  assemblées  en 
y>  tous  les  endroictz  de  la  France,  que  avecques  deux  mil  che- 
y>  vaulx  davantaige  qu'il  n'a,  il  se  sent  assez  fort  pour  com- 
»  battre  ses  ennemys.  En  quoy  Dieu  monstre  de  plus  en  plus 
y>  combien  il  nous  veult  favoriser,  avec  laquelle  trouppe  tant 
5)  de  cheval  que  de  pié  qui  commence  déjà  à  marcher,  j'espère 
»  d'approcher  bientost  de  la  dite  Lorraine,  n'ayant  tenu  que  à 
»  moy  que  je  ne  la  mène  plus  grande,  s'estant  présentez  gens 
D  de  tous  endroictz.  Sur  quoy  vous  laissant  à  considérer,  mes- 
y>  sieurs,  les  frais  que  nous  supportons  il  y  a  desjà  longtemps, 
»  à  l'occasion  de  ceste  guerre,  et  qui  nous  seront  encore  plus 
»  grans  à  l'avenir,  je  vous  supplie  bien  affectionnément,  con- 
y>  tinuans  en  vostre  bonne  et  accoustumée  affection  en  l'en- 
y>  droict  de  la  France  et  regardant  en  pitié  avec  la  captivité  de 

3)  son  jeune  roi  et  prince  naturel  et  de  la  royne  sa  mère  les 
:d  effectz  plains  d'exécrables  et  barbares  cruautez  qui  se  font 
y>  contre  leurs  volontez,  ainsi  qu'ils  le  sçauront  hardiment  dire 
y>  quand  il  aura  pieu  à  Dieu  les  délivrer,  pour  ruyner  et  ren- 


—  144  — 

3)  verser  du  tout  la  religion  de  laquelle  vous  faicles  profession 
))  comme  nous  qui  nous  en  sommes  rendus  deffenseurs,  de  nous 
y>  vouloir  ayder  et  secourir  pour  mieulx  soustenir  ceste 
»  tant  juste  querelle,  selon  les  bons  moyens  que  vous  en  avez 
»  de  quelque  bonne  somme  de  deniers  pour  subvenir  à 
»  l'advenir  à  l'entretenement  des  gens  de  guerre  que  je 
y>  mène  de  ce  dit  pays,  qui  font  une  partie  de  nos  forces 
y)  à  l'occasion  du  grand  nombre  de  cavallerie ,  qu'il  y  a, 
))  refusant  par  mesme  moyen  à  nos  ennemys  et  les  vostres 
y>  l'ayde  et  faveur  que  je  suys  adverty  que  couvertement 
y>  ilz  recherchent  de  vous,  tant  d'argent  que  d'armes,  ainsi 
y>  qu'il  vous  sera  plus  amplement  proposé  par  le  docteur  Ho- 
»  loman  \  selon  la  charge  qui  luy  en  a  esté  donnée.  Oultre 
3)  cela,  messieurs,  M.  de  Soubize  avant  de  se  joindre  àmondit 
»  seigneur  le  prince  de  Gondé  ou  ailleurs,  selon  qu'il  luy  sera 
»  ordonné,  avec  les  Suysses  de  vos  cantons-  et  autres  gens  de 
»  guerre  françoys,  tant  de  cheval  que  de  pié,  qu'il  pourra  as- 
ï)  sembler  des  environs  de  Lyon,  je  vous  supplieraytrèsinstam- 
»  ment  encore  d'une  chose,  qui  est  de  vouloir  renforcer  sa 
ï)  troupe  de  cent  chevaulx  de  vostre  ville,  qui  nous  sera  ung 
))  bon  renfort  et  bien  à  propos,  s'approchant  la  saison  de  nous 
:s>  évertuerjusques  au  bout  à  sortir  des  peines  et  misères  dont 

1 .  Voir  une  lettre  de  Hotmàn  à  l'avoyer  et  au  conseil  de  Berne,  du  30  août  1562 
(Archives  de  Berne,  Frankreich  vol.  2  ann.  1551  bis  1569, 

2.  Voir,  sur  les  troupes  suisses  venues  dans  le  Lyonnais,  les  lettres  :  1°  de 
l'avoyer  et  du  conseil  de  Berne,  aux  syndic  et  conseil  de  Genève,  du  8  juillet  1562 
(archives  de  la  ville  de  Genève,  n"  1  716);  2°  du  colonel  Nicolas  de  Diesbach 
aux  mêmes,  du  8  juillet  id.  ibill,  n"  i  716)  ;  3°  de  Soubize  à  l'avoyer  et  au  con- 
seil de  Berne,  du  3  août  1562  (archiv.  de  Berne,  Frankreich,  vol.  2  ann.  1551 
bis  1569)  :  «  Je  suys,  y  dit  de  Soubize,  empesché  avec  vos  gens  pour  ce  que 
3>  jusques  icy  ils  se  sont  rendus  difficiles  et  insoumis...  Mais  d'autant  que  les 
»  Valesans  et  ceulx  de  Neufchastel  ont  esté  prests  à  marcher  et  faire  leur 
»  debvoir,  il  a  semblé  que  les  vostres  reculassent.  Cependant  il  s'est  perdu 
»  de  telles  occasions,  lesquelles  Dieu  veuille  qu'on  puisse  recouvrer...  Je  vous 
»  prie  donc  bien  affectueusement  mander  à  vos  gens  qu'ils  se  rendent  plus 
>  traitables,  etc.,  etc.  » 


^  145  — 

»  vous  veoiez  la  pauvre  France  emplie,  qui  nous  presse  d'im- 
»  plorer  l'ayde  de  tous  endroictz,  comme  nous  faisons  icy  le 
»  vostre  à  ung  si  grand  besoing,  que  pouvez  assez  juger,  l'en- 
»  tretenement  desquels  cent  chevaulx  vous  viendra  à  peu  de 
»  desperise,  et  en  ce  faisant  vous  ferez  ung  service  très  agré- 
»  able  à  Dieu  et  obligerez  infinis  pauvres  fidèles  de  la  France 
»  cruellement  tourmentez  à  vous  ayder  et  secourir  en  autre 
y>  endroict,  ayans  affaire  de  leur  faveur,  dont  le  seigneur  par 
»  sa  bonté  infinie  vous  veuille  préserver,  faisant  prospérer  voz 
y>  affaires,  etc.  Gassel,  le  28"  jour  d'août  1562.  Vostre  bien  bon 
y>  et  affectionné  amy,  Andelot  ^  » 

Non  moins  énergique  à  Orléans  que  d'Andelot  en  Alle- 
magne, Goligny,  voyant  Bourges  assiégé,  cherchait  à  inquiéter 
l'armée  ennemie  réunie  sous  les  murs  de  cette  dernière  ville 
et  à  lai  couper  les  ressources  en  vivres  et  en  munitions  qu'elle 
attendait.  Le  1""  septembre,  à  la  tête  de  sa  cavalerie,  il  attaqua 
à  l'improviste,  non  loin  de  Ghâteaudun,  un  fort  convoi  qu'es- 
cortaient quatre  compagnies  de  gendarmes  et  plusieurs  en- 
seignes d'infanterie.  Il  tailla  en  pièces  une  partie  de  l'escorte, 
mit  l'autre  en  fuite  et  détruisit  la  grande  quantité  de  poudre  et 
d'approvisionnements  dont  il  venait  de  s'emparer. 

«  Ce  jour  donna  occasion  de  grande  joye  à  ceux  d'Orléans, 
»  espérant  que  la  délivrance  de  Bourges  s'en  ensuivroit.  Mais 
))  les  nouvelles  arrivèrent  tantost  que,  ce  mesme  jour,  Bourges 
»  avoit  esté  rendu  par  composition,  tellement  que  les  larmes 
^  suivirent  le  ris  de  bien  près  ^  » 

Il  y  avait  lieu,  en  effet,  de  se  lamenter,  car  d'Ivoy,  chargé  de 
défendre  Bourges  jusqu'à  la  dernière  extrémité,  avait  sans  justes 

1.  On  peut  apprécier  d'après  les  fragments  ci-dessus,  reproduits  de  la  cor- 
respondance de  d'Andelot  avec  Calvin  et  le  gouvernement  bernois,  l'intérêt 
qu'eût  présenté  celle  qu'il  entretenait,  à  cette  même  époque,  avec  l'amiral  et 
Condé,  s'il  eût  été  possible  d'en  réunir  les  éléments;  mais  ils  ont  jusqu'à  pré- 
sent échappé  à  nos  recherches. 

2.  De  Bèze,  Hist,  eccL,  t.  II,  p.  132,  133. 

II.  10 


—  146  — 

motifs  rendu  cette  place  importante,  alors  qu'il  pouvait  la 
sauver  ou  tout  au  moins  y  tenir  tête  longtemps  encore  aux 
forces  des  assiégeants. 

Coligny,  écrivant  le  12  septembre  à  d'Andelot,  lui  signalait 
en  ces  termes  *  le  rôle  blâmable  que  le  rhingrave  venait  de 
jouer  devant  Bourges  :  «  Sans  le  comte  Reingraf  et  ses  trom- 
))  peries  desguisées  en  zèle  de  religion,  Bourges  fûst  encores 
y>  nostre,  et  luy  et  noz  ennemys  departiz  de  devant,  à  leur  grande 
))  perte  et  confusion  :  et  afin  que  vous  entendiez  la  bonne  con- 
))  science  du  personnaige,  il  fault  que  vous  sachiez  que,  en  prac- 
y>  tiquant  la  reddition  de  Bourges,  il  avoit  promis  et  donné  sa  foy 
y>  qu'il  ne  seroit  faict  aucun  dommage  ny  moleste  aux  habitans 
y>  ny  aux  cappitaines  et  souldars  qui  estoient  dedans,  lesquels 
y>  sortant  de  la  ville  dévoient  estre  logez  auprès  de  son  régiment 
-»  pour  faire  mieux  entretenir  lesdictes  conventions,  et  comme 
))  les  tenir  en  sa  protection  ;  mais  au  lieu  de  les  faire  observer  nos 
»  gens  furent  logez,  dès  le  premier  jour,  à  quatres  lieues  de  luy 
y>  sans  qu'il  leur  fist  bailler  argent  ny  pain,  ny  munitions,  pour 
»  les  faire  mourir  de  faim,  et  à  ce  qu'ils  fussent  contraints  de 
»  s'escarter,  pour  donner  moyen  et  occasion  à  nos  ennemys  de 
»  les  massacrer  comme  ils  ont  faict  à  quelques  ungs.  De  ceste 
»  heure,  presque  tous  les  cappitaines  et  les  meilleurs  soul- 
»  dartz  se  sont  desrobez  et  retournez  à  nous.  Les  pouvres 
»  habitans,  contre  sa  foy  et  promesse,  sont  emprisonnez,  et 
»  n'exerce-l'on  pas  moings  de  cruauté  envers  eux  que  l'on  la 
»  faict  par  cy-devant  es  aultres  lieux  où  ils  ont  eu  puissance. 
))  Voilà  ïa  bonne  foy  et  religion  que  a  ledict  Reingraf,  que 
»  vous  devez  faire  savoir  à  messieurs  les  princes  afin  qu'il  ne  les 
»  puisse  ainsy  abuser.  » 

Onze  jours  s'étaient  écoulés  depuis  la  reddition  de  Bourges 
et  les  chefs  de  l'armée  catholique  ne  savaient  encore  à  quel 

1.  Mém.  de  Condé,  t.  III,  p.  677. 


—  147  — 
parti  définitif  ils  devaient  s'arrêter;  aussi  Coligny  disait-il,  dès 
le  début  de  sa  lettre  à  d'Andelot  :  «  Quant  à  noz  nouvelles, 
))  nous  n'avons  sçeu  encores  entendre  au  vray  quelle  résolution 
»  noz  ennemys  ont  prins  sur  ce  qu'ilz  ont  à  faire  :  car  ilz  sont 
i)  encores  si  irrésolus  qu'ils  ne  sçavent  ce  qu'ilz  doibvent  entre- 
y>  prendre,  ny  où  ilz  en  sont  ;  ce  qui  a  esté  cause  d'avoir  fait 
»  retarder  ce  porteur  deux  ou  trois  jours  plus  que  nous  n'es- 
»  périons.  Hz  avoient  faict  mine  de  s'approcher  icy  près  de  ces 
y>  lieux  ;  mais  hier  ilz  s'allèrent  loger  à  Goudon  près  de  Gien  ; 
»  et  dict-on  que  paitie  de  leur  camp  va  à  Paris;  et  M.  de 
))  Nemours  est  parti  avec  quelque  cavalerie  françoyse  et  un 
»  party  de  reystres,  pour  aller  en  Nivernais  et  se  joindre  avec 
»  les  Italiens  auprès  de  Lyon.  Monseigneur  de  Guyse  faict 
»  compte  d'aller  en  Champaigne  audevant  de  vous  et  du  prince 
))  Porcian.  On  dit  que  une  partie  de  leur  camp  s'en  va  en 
»  Normandie;  mais  s'ils  départent  ainsi  leurs  forces,  je  vous 
»  laisse  à  penser.  » 

De  nouveaux  renseignements  parvinrent  à  Orléans,  les  faits 
se  précisèrent,  et  de  Lanoue,  en  les  constatant,  put  dire  ^  : 
€  Les  ennemis  estans  enflez  et  joyeux  de  ceste  soudaine  vic- 
))  toire,  qui  estoit,  disoient-ils,  un  bras  coupé  à  ceux  de  la 
))  religion,  entrèrent  en  délibération  de  ce  qu'ils  devoyent  faire  : 
»  car  plusieurs  pressoyent  fort  d'aller  attaquer  Orléans  ;  (sou- 
»  tenant)  que  les  deux  chefs  qui  faisoient  mouvoir  tout  le 
»  corps  contraire,  à  sçavoir  le  prince  de  Condé  et  l'admirai, 
»  estoyent  dedans,  et  que  les  prenant,  il  seroit  après  facile  de 
y>  le  rendre  immobile,  etc.,  etc.  —  Les  autres  qui  estoyent 
))  d'opinion  contraire  répliquoyent  en  ceste  sorte,  que  par  les 
))  intelligences  qu'ils  avoyent  à  Orléans,  ils  sçavoient  de  certain 
))  que  les  deux  régimens  gascons  et  provençaux  estoyent  de- 
•»  mourez  dedans,  qui  passoient  trois  mille  soldatz  ;  plus  cinq 

i .  Disc  polit,  et  milit,  p.  689  à  692. 


—  148  — 
y>  ou  six  cens  autres  soldats  qui  s'y  estoient  retirez  de  ceux  qui 
y>  estoient  dans  Bourges.  Et  outre  cela,  il  y  avait  quatre  cens 
3)  gentilshommes,  puis  les  gens  de  la  ville  qui  portoyent  les 
»  armes,  qui  n'estoient  pas  moins  de  trois  mille;  tout  lequel 
3)  nombre  faisoit  plus  de  sept  mil  hommes,  sans  y  comprendre, 
y>  encore,  disoyent-ils,  ceulx  qui  se  viendroient  jetter  dedans, 
3>  s'ilz  oyoyent  quelque  bruit  qu'on  la  vinst  assiéger;  qu'une 
))  ville  n'estoit  pas  prenable,  où  il  y  avoit  tel  nombre  de  gens  et 
3)  grosse  provision  de  vivres;  doncques  qu'il  n'y  avoit  nul  pro- 
3)  pos,  avec  douze  mille  soldatz,  de  s'aller  planter  devant,  veu  le 
3)  grand  nombre  des  camps  séparez  qu'il  convenoit  avoir  pour 
3)  la  bien  fermer;  davantage,  que  ce  seroit  s'embarquer  sans 
3>  biscuit,  d'entreprendre  tel  ouvrage,  sans  estre  accompagné 
))  de  deux  cens  milliers  de  poudre,  douze  mille  balles  et  deux 
))  mille  pionniers,  et  que  toute  la  puissance  du  roy  ne  pourroit 
3)  ramasser  cela  d'un  mois;  mais  qu'il  y  avoit  d'autre  besogne 
3)  ailleurs  plus  facile  à  tailler,  à  quoy  il  estoit  besoin  de  pour- 
3)  voir  :  qui  estoit  d'oster  la  ville  de  Rouen  aux  ennemis,  pen- 
))  dant  qu'elle  estoit  encore  foible...  Et  quant  aux  forces  que 
3)  pouvoit  amener  le  sieur  d'Andelot,  qu'envoyant  à  l'encontre 
3>  d'eux  quinze  cens  chevaux  et  quatre  mille  harquebusiers,  qui 
))  seroient  favorisés  des  païs,  villes  et  rivières,  ils  suffiroient 
3)  pour  les  repousser  ou  tailler  en  pièces.  Et  avenant  qu'on  en 
3)  fût  venu  à  bout,  alors  ce  seroit  le  vray  temps  d'aller,  et  sans 
•3)  crainte  d'estre  molestez,  planter  un  mémorable  siège  devant 
))  Orléans,  pour  l'avoir  promptement  par  vive  force,  ou  plus  tard 
))  par  la  mine  et  la  sappe,  ou  à  la  longue  en  faisant  des  forts  à 
))  l'entour.  Ce  dernier  avis  le  gaigna  et  fut  suyvi  :  et  pour  dire 
3)  ce  qu'il  m'en  semble,  je  trouve  qu'il  estoit  le  meilleur;  car 
))  dans  la  ville  y  avoit  pour  la  défense  plus  de  cinq  mille  estran- 
3)  gers,  sans  les  habitans,  et  abondance  de  munitions,  et  les 
y>  ravelins  commencez,  et  les  fortifications  des  isles  estoyent 
))  quasi  parfaites.  Vray  est  que  M.  le  connestable,  qui  estoit  un 


—  149  — 

»  grand  capitaine,  disoit  qu'il  ne  vouloit  que  des  pommes  cuites 
»  pour  les  abattre  ;  mais  quand  on  l'eut  amené  là  pour  les  voir, 
»  il  confessa  qu'il  avoit  esté  mal  informé.  — Souventes  fois  nos 
))  chefs  devisoyent  entr'eux  du  siège  :  mais  M.  l'admirai  s'en 
)>  mocquait,  disant  que  d'une  ville,  qui  peut  jetter  trois  mille 
1)  soldatz  en  une  sortie,  l'on  ne  s'en  peut  accoster  près  qu'avec 
^)  péril,  ni  moins  en  approcher  l'artillerie  ;  et  que  l'exemple  de 
1)  Metz  et  de  Padoue,  où  deux  grands  empereurs  reçurent  honte 
5  pour  avoir  attaqué  des  corps  trop  puissans,  estoit  un  beau 
')  miroir  pour  ceux  qui  veulent  assaillir  places  qui  sont  bien 
-^  pourveues.  » 


CHAPITRE  V 


Traité  d'Hampton-Court.  —  Briquemault  et  Montgommery  à  Rouen.  —  Siège  et  prise 
de  cette  ville.  —  Projet  de  Coligny  et  de  Condé.  —  D'Andelot,  à  la  tête  des  troupes 
levées  en  Allemagne,  traverse  la  France  sans  être  entravé  dans  sa  marche  par 
Tavannes,  Nevers  et  Saint-André.  —  Réponse  de  Coligny  à  de  Gonnor,  qui  lui  a  de- 
mandé une  entrevue.  —  Arrêt  du  parlement  de  Paris  condamnant  à  mort  Coligny, 
d'Andelot  et  autres.  —  D'Andelot  rejoint  son  frère  et  Condé.  —  Mort  du  roi  de  Na- 
varre. —  L'armée  des  réformés  marche  sur  Paris.  —  Pourparlers  entamés  par 
Catherine.  Ils  n'aboutissent  pas.  —  Condé  écrit  à'Élisabeth.  —  Pouvoirs  conférés  à 
la  comtesse  de  Roye  par  les  chefs  réformés.  —  Bataille  de  Dreux.  —  Récit  de  cette 
bataille  par  Coligny.  —  Le  connétable  et  Condé,  prisonniers,  sont  conduits  l'un  à 
Oi'léans,  l'autre  à  Dreux.  —  Lettres  de  Coligny  à  Elisabeth,  à  Throckmorton,  à 
Montgommery.  Réponse  d'Elisabeth  à  Coligny.  —  L'amiral  à  Orléans.  Il  écrit  de 
nouveau  à  Elisabeth.  Il  confie  à  d'Andelot  la  défense  d'Orléans  et  part  avec  ses 
troupes  pour  la  Normandie.  —  Écrit  dans  lequel  il  déduit  les  motifs  qui  le  portent 
à  se  rendre  dans  cette  province.  —  Lettres  adressées  par  lui  à  la  reine  d'Angle- 
terre, à  la  reine  mère,  à  Condé  et  à  l'un  des  princes  protestants  d'Allemagne. 


Confinés  dans  Orléans,  où  les  retenait  l'impérieux  devoir  de 
prémunir  contre  toute  agression  cette  place  d'armes  impor- 
tante, Coligny  et  Condé  s'attachèrent  à  assurer  la  défense  de 
la  ville  de  Rouen,  sur  laquelle  ils  savaient  que  l'armée  ennemie 
allait  désormais  concentrer  ses  efforts,  et  la  défense  d'autres  vil- 
les de  Normandie  exposées  aussi  à  ses  attaques.  Ils  comptaient, 
pour  suppléer  à  l'insuffisance  des  seules  forces  dont  ils  pou- 
vaient disposer  dans  cette  province,,  sur  les  troupes  qui  leur 
arriveraient  d'Angleterre  lorsque  auraient  enfin  abouti  les  né- 
gociations suivies  avec  P^lisabeth,  d'abord  par  Briquemault, 
puis  par  le  vidame  de  Chartres  et  par  R.  de  la  Haye. 

Cette  princesse,  qui  pendant  un  certain  temps  n'avait  affi- 
ché extérieurement  qu'un  bon  vouloir  désintéressé  en  faveur 


—  451  — 

des  réformés  français,  saisit  le  moment  où  ils  réclamaient  avec 
insistance  son  secours  en  hommes  et  en  argent,  pour  déclarer 
qu'elle  ne  le  leur  accorderait  qu'à  titre  onéreux.  Ses  exigences 
étaient  absolues,  rien  ne  put  en  triompher;  et  ce  fut  avec  une 
profonde  douleur  que  Coligny  et  Gondé  s'y  soumirent  en  ac- 
ceptant le  traité  d'Hampton-Court,  du  20  septembre  1562  \  qui 
les  consacrait. 

ïl  était  dit  dans  ce  traité  «:  que  la  reine  d'Angleterre  ferait 
»  transporter  en  France  6000  hommes,  dont  3000  seraient  rais 
:»  dans  le  Havre,  pour  le  garder,  au  nom  du  roi  de  France,  et 
»  pour  en  faire  un  asyie  assuré,  où  les  fidèles  sujets  du  roi  très 
»  chrétien,  bannis  et  chassés  de  leur  pays  pour  cause  de  reh- 
)■)  gion,  pourraient  se  retirer;  que  les  trois  autre  mille  seraient 
))  employés  pour  la  garde  et  la  défense  de  Rouen  et  de  Dieppe, 
))  sous  les  ordres  des  gouverneurs,  des  magistrats  et  autres  mi- 
T^  nistres  du  roi,  sans  aucunement  attenter  ou  déroger  à  leur 
»  puissance  et  autorité,  et  cela,  tant  que  les  dites  troupes  an- 
n)  glaises  seraient  en  France;  que  la  reine  d'Angleterre  prêterait 
y>  au  prince  de  Gondé  140000  écus  d'or,  pour  les  frais  de  la 
))  guerre;  que  le  prince,  de  son  côté,  céderait  à  la  reine  le  Havre, 
y>  afin  que  les  Anglais  pussent  librement  y  débarquer  et  s'y  reti- 
»  rer,  et  que  ces  troupes  seraient  reçues  comme  troupes  amies 
»  à  Rouen  et  à  Dieppe.  On  ajouta  à  ces  conditions  la  clause 
»  ordinaire  :  sans  que  ce  présent  traite  fuisse  préjudicier  au 
D  droit  de  la  reine  d'Angleterre  sur  Calais  -.  » 

Goligny  et  Gondé,  quelque  libres  qu'ils  fussent  de  se  prêter 
généreusement  à  tous  les  sacrifices  personnels,  dans  la  défense 
de  leur  religion  et  de  leur  patrie,  demeuraient  sans  droit  pour 
disposer,  même  temporairement,  en  faveur  d'un  auxiliaire 
étranger,  d'une  parcelle  quelconque  du  territoire   français. 

1.  Voy.  le  texte  de  ce  traité  dans  Forbes  :  a  Full  view  of  the  public  tran- 
sactions in  the  reign  of  queen  Elisabeth,  in-f»,  t.  Il,  p.  48  à  51. 

2.  De  Thou,  Hist.  nniv.,  1. 111,  p.  327. 


-  152  — 

S'ils  se  méprirent  gravement  sur  l'absence  de  tout  droit,  à  cet 
égard,  en  ce  qui  les  concernait,  leur  bonne  foi  du  moins  fut 
entière  :  l'unique  motif  qui  les  détermina  fut  l'espoir  de  sau- 
ver, par  l'emploi  d'un  remède  extrême,  tel  que  l'imposaient, 
croyaient-ils,  des  circonstances  exceptionnelles,  la  cause  de  la 
réforme  et  de  la  liberté  religieuse,  qui,  à  leurs  yeux,  primait 
toutes  les  autres. 

Mieux  éclairés  désormais,  Goligny  et  Gondé  suivirent  invaria- 
blement, jusqu'au  terme  de  leur  carrière,  le  seul  parti  qui  fût 
digne  d'eux  et  de  leurs  convictions  religieuses  :  celui  de  soutenir 
une  lutte  formidable  sans  dévier  de  la  droite  voie,  quelque 
périlleuse  qu'elle  fut  ;  dussent-ils,  en  combattant  à  armes  iné- 
gales pour  la  plus  sainte  des  causes,  n'y  rencontrer  qu'un  in- 
succès d'ailleurs  glorieux,  l'insuccès  de  vaincus  victimes  de 
leur  fidélité  chrétienne  et  patriotique. 

Le  jour  même  où  fut  signé  le  traité  d'Hampton-Court,  la 
reine  d'Angleterre  publia  une  déclaration  exposant  les  motifs 
qui  l'avaient  portée  à  envoyer  en  France  des  troupes  auxiliaires 
«  pour  délivrer,  disait-elle,  une  province  voisine  de  l'Angie- 
y>  terre  de  l'oppression  qu'elle  souffrait,  sous  un  roi  mineur 
D  incapable  de  gouverner  par  lui-même,  et  sous  la  régence 
))  d'une  princesse,  mère  du  roi,  que  la  faction  des  Guises  tenait 
y>  en  captivité;  pour  faire  en  faveur  de  la  France  ce  qu'elle 
))  avait  depuis  peu  fait  en  faveur  de  l'Ecosse  ;  pour  conserver  et 
»  maintenir  les  Français  et  leur  roi  dans  toutes  leurs  libertés  et 
»  prérogatives;  pour  donner  au  roi  de  France  des  marques  de 
»  son  amitié  et  accorder  du  secours  à  ses  fidèles  sujets  qui 
I)  souffraient  persécution  pour  la  sainte  doctrine  qu'ils  avaient 
»  embrassée  ^  » . 

Briquemault  et  Montgommery  furent  conjointement  chargés 
de  la  défense  de.  Rouen.  Goligny  et  Gondé,  dans  des  lettres  que 

1.  De  Thou,  Hist.  univ.,  t.  I,  p.  327  et  328. 


—  153  — 
de  courageux   messagers  devaient,   en  traversant  les  lignes 
ennemies,  apporter  à  ces  chefs  à  la  fois  habiles  et  énergiques, 
témoignent  de  la  confiance  qu'ils  inspiraient  à  l'amiral  et  au 
prince  \ 

«  Monsieur  de  Montgommery,  écrivait  Goligny,  le  25  sep- 
))  tembre  1562  ^,  j'ay  reçeu  ce  que  m'avez  envoyé  par  ce  porteur 
))  et  ay  esté  bien  ayse  d'entendre  de  vos  nouvelles,  vous  advisant 
»  que  quant  monsieur  de  Briquemault  a  esté  dépesché  pardelà, 
))  nous  ne  sçavions  pas  certainement  où  vous  estiez,  car  quant 
y>  nous  eussions  sçeu  que  vous  y  eussiez  esté,  ce  nous  eust  esté 
»  grand  plaisir  que  vous  eussiez  eu  la  totale  charge  des  affaires 
»  de  ce  costé-là,  sçachant  bien  qu'en  meilleure  main  ne  pouvoit 
»  estre,  et  que  M.  de  Briquemault  nous  fùst  tousjours  demeuré; 
»  parquoy  je  vous  prie  ne  penser  qu'on  l'eûst  voulu  envoyer  là 
»  pour  vous  défavoriser  autrement;  mais  puisqu'ainsy  est  qu'il 
»  y  a  esté  envoyé  et  que  vous  sçavez  le  mérite  et  la  suffisance 
))  du  personnage  ;  joinct  que,  comme  vous  sçavez,  il  y  a  bien 
»  assez  d'affaires  pour  employer  deux  hommes  de  bien,  que 
y>  vous  regardiez  tous  deux  ensemble  et  d'un  bon  accord  à  dé- 
»  partir  si  bien  entre  vous  deux  la  charge  des  affaires  de  par- 
»  delà,  que  tout  s'y  puisse  bien  partir,  à  la  gloire  de  Dieu  et  la 
»  consolation  des  siens.  Et  au  regard  de  nos  nouvelles,  nous 
»  avons  entendu  que  pour  certain  les  ennemis  vont  assiéger 
D  Rouen,  et  que,  dimanche  dernier,  ilz  feirent  partir  de  Paris 
»  vingt-deux  pièces  d'artillerie  pour  y  mener.  Toutesfois  ils 
»  laissent  en  guarnison  es  villes  d'icy  à  Fentour  trente  enseignes 
»  et  je  ne  veux  pas  que  avecques  le  reste  de  leurs  forces  ilz 
))  puissent  guère  faire  de  mal  à  Rouen;  mais  ilz  se  vantent  qu'ilz 


1 .  Les  originaux  de  ces  lettres  sont  écrits  sur  des  morceaux  de  toile  dont  la 
forme  et  les  dimensions  indiquent  clairement  que  les  porteurs  avaient  du  les 
dissimuler  sous  leurs  vêtements.  —  Voy.,  à  l'Appendice,  n"  18,  le  texte  de  la 
lettre  adressée  par  Condé  à  Montgommery  et  à  Briquemault,  le  24  septembre  1562. 

2.  Archives  nationales  de  France,  1,  969. 


-  454  — 

s>  y  ont  intelligence  avec  quatre  capitaines  et  la  doibvent  as- 
»  saillir  par  deux  portes  qui  sont  basses.  J'espère  qu'ils  se  trou- 
))  veront  bien  loing  de  leur  compte.  Au  reste,  nous  n'avons 
y>  encores  rien  entendu  de  la  venue  de  monsieur  d'Andelot,  mon 
y>  frère,  par  ses  lettres  ;  mais  bien  arriva  hier  icy  ung  homme 
»  venant  de  Metz  qui  nous  a  dict  que  mondict  frère  avoit  passé 
))  le  Rhin  avecques  tous  ses  gens  et  qu'il  marchoit  en  çà.  M.  le 
y>  comte  de  Larochefoucault  vient  aussy  avecques  bonne  trouppe, 
»  et  en  oultre  ung  laquais  arrivé  icy  à  ce  soir,  venant  de  Bre- 
»  tagne,  nous  a  dict  que  les  sieurs  de  Blosset  et  Gargrayvous 
))  mènent  de  ce  pays-là  mil  hommes  tant  de  cheval  que  de  pied. 
D  —  Depuis  la  présente  escripte,  nous  avons  eu  lettre  de  mon 
»  frère  qui  nous  escript  que  le  XIX"  de  ce  moys,  il  passeroit  le 
»  Rhin,  et  que  dès  le  lendemain  il  marcheroit  avecques  quatre 
3)  mil  chevaulx  et  six  mil  hommes  de  pied,  et,  que  nos  affaires 
y>  se  .portent  bien  pardelà  ;  comme  aussy  font-ilz  du  costé  de 
))  Lyon,  Sur  ce,  je  me  recommande,  etc.,  etc.  —  D'Orléans  ce 
))  XXV"  de  septembre  1562.  Vostre  entièrement  bon  et  bien 
»  affectionné  amy,  Ghastillon.  » 

S'adressant  à  Briquemault,  le  30  du  même  mois,  l'amiral  ^  lui 
confirmait  les  nouvelles  qu'il  avait  données  à  Montgommery 
cinq  jours  auparavant  et  lui  disait  :  ((  Ce  m'a  esté  fort  grand 
»  plaisir  d'entendre  de  voz  nouvelles  et  que  les  choses  passent 
2>  avecques  sy  bon  succès  pardelà  depuys  que  vous  y  estes,  vous 
»  pryant  que  les  ayant  mises  en  si  bon  train,  vous  continuiez 
ï)  de  vous  y  employer  selon  que  vous  cognoistrez  estre  requis  et 
»  mesmement  vous  comporter  en  cela  de  telle  façon  avec  M.  le 
»  comte  de  Montgommery,  prenant  chacun  de  vous  deux  d'ung 
y>  commun  accord  sa  part  de  la  charge  des  affaires  de  pardelà 
3)  et  y  ayant  une  si  bonne  intelligence  entre  vous  deux,  que  l'on 
y>  cognoisse  combien  deux  personnages   sages  et  advisez  au 

4.  Archives  nationales  de  France,  I,  969.  . 


—  455  — 

y>  manyment  d'une  grande  charge  y  vallent  plus  que  ung,  et  celle 
y>  des  affaires  de  ce  costé-là  est  sy  grande  pour  le  présent,  qu'il 
»  y  a  lieu  pour  employer  deux  bons  chefs,  comme  vous  sçavez  ; 
y>  mais  le  tout  est  d'accorder  bien  ensemble.  Parquoy  l'assu- 
y>  rance  que  vous  me  donnez  m'est  une  aultant  bonne  nouvelle 
»  que  je  puisse  avoir  de  ce  costé-là.  y> 

Après  une  résistance  dans  laquelle  les  assiégés  déployèrent 
une  énergie  et  une  constance  admirables,  Rouen  succomba  sous 
les  coups  de  ses  agresseurs.  Là,  comme  en  tant  d'autres  ren- 
contres, le  parti  qui  triomphait  se  déshonora  par  d'effroyables 
excès  commis  à  l'égard  des  réformés.  La  prise  de  cette  grande 
cité  fut  suivie  d'atroces  exécutions  ^ 

La  double  perte  de  Bourges  et  de  Rouen  réduisit  Orléans  à 
une  situation  critique.  Aussi  les  préoccupations  de  Coligny  et 
de  Condé  étaient-elles  des  plus  vives,  alors  que,  sans  nouvelles 
récentes  de  d'Andelot,  ils  craignaient  que  son  sort  et  celui 
du  renfort  qu'il  devait  amener  ne  fussent  gravement  com- 
promis. 

D'accord  avec  l'amiral,  le  prince  était  prêt,  si  les  circonstances 
Texigeaienf,  à  se  séparer  de  ses  compagnons  d'armes  pour  tenter 
seul,  au  loin,  à  la  suite  d'un  trajet  périlleux  à  travers  la  France, 
une  démarche  suprême,  dans  l'intérêt  de  la  cause  que  son  oncle 
et  lui  soutenaient  avec  une  indomptable  fermeté  d'esprit  et  de 

1,  <  Le  ravage  de  cette  ville,  dit  d'Aubigné  {Hist.  univ.,  t.  I,  liv.  111,  ch.  x) 
»  fut  à  la  mesure  de  sa  grandeur  et  de  sa  richesse;  on  en  estime  le  meurtre  à 
»  quatre  mille  personnes.  Le  connestable  eut  soin  d'arracher  plusieurs  prison- 
»  niers,  quoiqu'il  y  en  eùst  à  deux  mille  escus  de  rançon,  pour  les  mettre  entre 
»  les  mains  du  parlement;  lequel,  à  son  arrivée,  fit  trancher  la  teste  à  Mandre- 
»  ville  et  pendre  quatre  conseillers  et  Augustin  Marlorat,  et  le  lendemain  six 
»  capitaines,  et  puis  encore  plusieurs  autres  :  en  représailles  de  quoy  le  prince 
»  (le  Condé  fit  mourir  le  président  Sapin  et  l'abbé  de  Gastines,  pris  comme  ils 
»  allaient  en  Espagne.  Plusieurs  réformez  réprouvèrent  cette  vengeance ,  et  me 
»  souvient  que  mon  père,  revenant  du  conseil  oîi  ces  deux  avaient  esté  con- 
»  damnez,  refusa  de  manger  et  dit  au  secrétaire  Parenteau  qui  l'avait  accom- 
»  pagné  :  On  dit  que  l'ire  est  une  demie  folie,  et  je  dis  qu'aux  princes  elle  est  folie 
»  entière.  » 


—  156  — 

cœur.  Lanoue  *  dit  à  ce  sujet  :  «  En  ces  entrefaites,  j!ay  souve- 
ii>  nances,  ayant  devisé  de  ces  choses,  que  monsieur  l'admirai 
»  dit  à  monsieur  le  prince  de  Condé  qu'un  malheur  estoit  tous- 
))  jours  suivi  d'un  autre,  mais  qu'il  falloit  attendre  la  troisième 
»  aventure,  entendant  du  passage  de  son  frère,  et  qu'elle  les 
»  relèveroitou  abatroit  du  tout.  Aussi  eux  s'attendoient,  si  mal 
»  luy  fust  advenu,  d'avoir  le  siège,  et  en  tel  cas  ils  avoyent  pris 
))  une  résolution  fort  secrette,  que  l'un  d'eux  s'en  iroit  en  Alle- 
»  magne,  pour  s'efforcer  d'y  relever  encore  quelque  secours,  et 
^  avisèrent  que  monsieur  le  prince  de  Condé,  pour  la  grandeur 
»  de  sa  maison,  auroit  beaucoup  plus  d'efficace  pour  persuader 
»  les  princes  protestans  de  la  Germanie  de  lui  assister  en  une 
»  cause  où  eux  mesmes  avoient  quelque  participation.  La  dif- 
»  ficulté  estoit  du  moyep  de  l'y  conduire  seurement,  mais  aucuns 
))  gentilshommes  se  trouvèrent  qui  montrèrent  évidemment 
»  qu'allant  de  maison  en  maison  de  ceux  qui  favorisoyent  son 
»  parti,  et  marchant  la  nuit  et  reposant  le  jour,  il  estoit  facile 
»  de  passer,  ayant  vingt  chevaux,  et  non  plus.  Mais  il  ne  fut 
»  besoin  de  tenter  ce  hazard,  pour  ce  qu'à  dix  ou  douze  jours 
»  delà  ils  eurent  nouvelles  que  monsieur  d'Andelot,  ayant  passé 
»  les  principales  difficultez  de  son  voyage,  estoit  à  trente  lieues 
ï»  d'Orléans...  Il  ne  faut  point  demander  si  chacun  sautoit  et 
»  riait  à  Orléans  :  car  c'est  la  coustume  des  gens  de  guerre  de 
))  se  resjouir  plus  ils  ont  de  moyen  de  faire  du  ravage  et  du  mal 
»  à  ceux  qui  leur  en  font,  tant  l'ire  est  puissante  en  leur  endroit. 
»  Et  comment  n'auroyent-ils  quelquefois  les  affections  tachetées 
)■>  de  sang,  vu  que  plusieurs  gens  d'église  les  ont  si  rouges  de  la 
»  teinture  de  vengeance,  au  cœur  desquels  ne  devroit  résider 
»  que  charité?  » 

La  nouvelle  parvenue  à  Orléans,  de  l'approche  de  d'Andelot 
à  la  tête  de  ses  troupes,  était  exacte. 

1.  Disc,  polit  et  milit.,  p.  696  à  698, 


—  457  — 

Il  avait  été  rejoint  en  Alsace  dans  le  courant  de  septembre 
par  le  prince  de  Portien*,  qui,  en  s'avançant  à  sa  rencontre,  avait 
réussi  à  traverser  la  Champagne,  sans  y  être  entravé  par  les 
troupes  du  gouverneur  de  cette  province.  Ce  dernier  était  le  jeune 
duc  de  Nevers,  son  beau-frère,  infidèle  à  la  cause  des  réformés, 
qu'il  avait  originairement  promis  au  prince  de  Gondé  de  servir  '^. 

D'Andelot  et  le  prince  de  Portien,  alors  aux  prises  tous  deux 
avec  de  sérieuses  difficultés  pour  la  solde  des  levées  allemandes, 
avaient  adressé  des  demandes  de  secours  au  vénérable  Sturm, 
dont  le  dévouement  et  l'esprit  de  sacrifice  leur  étaient  bien  con- 
nus. Le  26  septembre  ^,  d'Andelot  écrivait  de  Strasbourg  au  duc 
de  Wurtemberg  :  «Monseigneur,  après  avoir  longuement  cheminé 
))  et  travaillé  pour  l'avancement  de  nos  affaires,  m'est  survenue 
»  une  maladie,  laquelle  après  m'avoir  pour  quelque  temps  bien 
»  tourm-enté  et  affoibly,suys  demeuré  avec  une  fièvrequarte.M.le 
»  comte  de  Soma  m'est  venu  trouver  icy,  ayant  charge  de  M.  de 
2)  Lorraine  de  me  conduire  par  ce  pays  et  faire  bailler  et  adminis- 
))  trer  vivres  et  autres  choses  requises  et  nécessaires  pour  le  pas- 
»  saige  de  noz  gens  de  guerre...  je  fais  mon  conte  de  partir  demain 
j>  de  ceste  ville  pour  m'achemyner  au  jour  de  la  monstre....  J'ai 
»  trouvé  argent  en  ceste  ville,  qui  me  vient  bien  à  propos  *.  »  A 

1.  Le  29  août  1562,  le  cardinal  de  Bourbon  écrivait  d'Amiens  à  de  Humières. 
(Bibl.  nat.,  mss.  f. fr.,vol.  3  187,  f»  23)  :  «Arrivant  icy,  me  sont  venues  lettres 
»  de  Champagne  par  lesquelles  on  m'advertit,  jour  pour  jour,  depuys  le  8  de 
»  ce  moys  de  ce  que  a  fait  le  prince  de  Porcien  :  à  la  fin,  voulant  aller  au-devant 
»  du  sieur  d'Andelot  qui  debvoit  amener  des  AUemans,  estant  à  G...  où  il  en 
»  attendait  des  nouvelles,  il  en  a  reçu  de  la  mort  du  sieur  d'Andelot.  » 

-2.  Voy.  à  l'Appendice,  n»  19. 

3.  Mém.  de  Condé,  t.  II,  p.  707,  708. 

4.  Th.  de  Bèze,  que  d'Andelot  appelait  à  lui, .vers  la  même  époque,  adressait 
de  Berne  à  Bullinger,  le  24  septembre  1562  (archives  de  Zurich,  B.  24,  Gest. 
VI,  166,  p.  219  à  222),  la  confidence  suivante  :  «  Ecce  iterum  in  vastissimum 
»  gurgitem  referor.  Cogunt  enim  me  Andeloli  obtestationes  ad  ipsum  quam 
»  celerrimè reverli  nisi  velim déserter  videri.  Itaque  jam recurro,  in Lotharingiam 
>  ubi  illi  occurram  et  ipsius  copiis...  Reclà  ad  Andelotum  pergo  et  inde  quo- 
»  cumque  volet  Dominus,  oui  me  totum  committo.  » 


—  458  — 
quelque  temps  de  là  il  procédait,  à  Baccarat,  en  Lorraine,  à  la 
monstre  (revue)  des  reîtres  et  lansquenets  qu'il  avait  recrutés 
au  delà  du  Rhin. 

Cependant,  que  faisaient  le  duc  de  Nevers,  Tavanneset  le  ma- 
réchal de  saint  André,  chargés  de  se  concerter  entre  eux  pour 
interdire  à  d'Andelot  le  passage  par  la  Champagne,  qu'il  devait, 
croyait-on,  chercher  nécessairement  à  traverser? 

Une  correspondance  échangée  en  octobre  par  ces  trois  chefs, 
nous  les  montre  incertains  dans  leurs  résolutions  et  leurs  mou- 
vements, peu  confiants  dans  le  succès,  et  enfin  ne  sachant  où 
rencontrer  l'adversaire  intrépide  et  habile  qui,  ayant  changé 
tout  à  coup  d'itinéraire  et  dérobant  à  leurs  yeux  sa  marche 
hardie,  leur  enlève  l'espoir  de  l'arrêter  au  passage. 

«  Monseigneur,  écrit  Tavannes,  de  Mâcon,  au  duc  de  Nevers,  le 
))  7  octobre  ^,  j'ay  reçu  lectres  de  la  royne  par  lesquelles  elle  me 
3)  mande  que  je  m'achemyne  avecques  les  deux  mille  Suisses  de 
D  ceste  levée  dernière  du  costé  de  Vandœuvre,  ou  Bar-sur-Seine, 
»  ou  Auxerre,  avec  le  plus  de  forces  que  je  pourray  pour  les 
»  joindre  avecques  les  vostres,  s'il  est  besoing,  affin  d'empescher 
»  la  venue  des  Allementz  que  conduit  M.  d'Andelot;  j'ay  ren- 
»  voyé  au  devant  des  dits  Suisses  pour  les  faire  reprendre  ce 
))  chemyn  là....  Si  vous  plaist,  vous  envoyerez  des  gens  de  cheval 
»  pour  les  accompagner,  car  ilz  n'ont  point  accoutumé  d'aller 
))  en  lieu  où  il  y  a  le  moindre  danger  du  monde,  tous  sans  de 
))  cheval.  )) 

Le  15  octobre,  le  duc  de  Nevers  répond,  de  l'abbaye  de  Clair- 
vaux,  à  Tavannes  ^,  qu'il  ne  peut  lui  envoyer  aucun  détache- 
ment de  cavalerie,  et  il  ajoute  :  «  J'envoyeray  à  Bar-sur-Seine 
-»  un  gentilhomme  pour  y  recevoir  les  Suisses  et  les  conduire 
»  où  nous  verrons  estre  à  propos,  selon  ce  que  nous  cognoistrons 


1.  Pingaud,  Corresp.  des  Saulx-Tavannes,  p.  H2, 

2.  Bibl.  nat.,  mss.  f.  fr.,  vol.  A  6-40,  f°  100. 


—  159  — 
y>  que  les  AUemans  s'achemyneront,  lesquels  ne  sont  encore 
))  deslogez  de  Baccara,  où  ilz  feront  monstre  le  x"  de  ce  moys... 
»  ils  n'ont  point  jusqu'icy  d'artillerie...  M.  Dandelotesttousjours 
»  malade.  Boucart  depuis  peu  de  jours  est  arrivé  vers  eux.  Le 
y>  prince  de  Porcien  y  est  aussi  et  quelques  six  ou  sept  cents 
»  Françoys,  et  ne  se  peut  rien  descouvrir  encores  de  certain 
y>  de  leur  délibération.  Toutesfoys,  nous  nous  attendons  qu'ilz 
))  viendront  en  Bassigny,  car  l'estappe  de  leurs  vivres  est  desjà 
D  dressée,  il  y  a  plus  de  huit  jours,  à  Neufchasteau.  Nous 
»  sommes  cependant,  en  ces  pays,  attendant  ce  qu'ils  voudront 
j)  faire,  afin  de  nous  conduire  suivant  cela.  Nous  avons  départy 
»  nos  gens  de  pied  ez  places,  et  en  avons  encore  huit  ou  dix  en- 
»  seignes  de  reste  avecquesnous  pourjeteroùnous  cognoistrons 
»  qu'il  en  serabesoing,  car  de  les  combattre  et  les  atendre  pour 
y>  leur  faire  teste  avec  de  telles  et  si  bonnes  forces  comme  vous 
))  pouvez  penser  que  sont  celle-cy,  je  crois  que  vous  ne  nous  le 
))  conseillerez  pas  ;  mais  avecques  les  gens  de  cheval  que  nous 
»  avons,  nous  essayerons  de  leur  porter  tant  d'ennui  et  incom- 
y>  modité  qu'il  nous  sera  possible.  On  nous  a  mandé  de  la  cour 
((  que  M.  le  mareschal  de  Saint-André  nous  doit  venir  trouver 
»  avecques  les  trois  mil  Espagnols  et  quatre  cents  hommes 
»  d'armes  qui  seront  allez  pour  leur  donner  du  passe-temps  *.  » 
Tandis  que  Tavannes  annonce,  le  23  octobre,  au  maréchal 
de  Saint- André  qu'il  a  ordre  de  se  joindre  à  lui,  et  qu'il  le  «  prie 
»  de  lui  mander  là  où  il  pourra  le  trouver  ^,  »  il  reçoit,  le  même 


t.  «  Les  Âllemans  entrent  dans  ce  royaume  et  sont  bien  avant  en  Lorraine, 
»  où  j'ay  envoyé  mon  cousin  le  mareschal  de  Saint-André  avec  de  bonnes  et 
»  grandes  forces  de  gens  de  pied  et  de  cheval  pour  essayer  de  leur  empescher 
»  le  passaige  pendant  que  j'achéveray  de  réduire  ce  pays.  »  (Lettre  de  Charles  IK 
à  Saint-Sulpice,  son  ambassadeur  en  Espagne.  Octobre  1562.  Bibl.  Impér.  de 
Saint-Pétersbourg,  ap.  de  Laferrière,  la  Normandie  à  r étranger,^.  23  à  25.) 
—  Voy.,  sur  le  même  sujet,  deux  lettres  de  Robertet  au  duc  de  Nemours,  des 
15  et  21  octobre  1562.  (Bibl.  nat.,  mss.  f.  fr.,  vol.  3  200,  f»'  128  à  135.) 

2.  Pingaud,  Corresp.  des  Saulx-Tavannes,  p.  114  à  116. 


—  IGO  — 

jour,  du  duc  de  Nevers  la  dépêche  suivante,  datée  de  Mussy- 
l'Evêque  ^  :  «  Monsieur  de  Tavannes,  je  n'ay  voulu  faillir  de  vous 
y>  advertirque  les  Allemans  ont  fait  telle  diligence  plus  que  nous 
))  ne  pensions,  qui  passeront  demain  ou  dimanche  la  rivière  de 
»  Seyne  au-dessus  de  Ghastillon  pour  tirer  à  Auxerre  et  de  là 
y>  à  Orléans;  parquoy  il  vous  plaira  donner  ordre  que  les  Suysses 
j>  que  vous  nous  deviez  envoyer  à  Bar-sur-Seine,  aillent  rete- 
3  nuz  et  avisez  de  cecy,  afin  que  par  mégarde  ils  ne  tombent 
»  point  en  quelque  surprise  des  Allemans.  Il  y  a  desjà  7  ou  8 
3)  jours  que  je  n'ay  point  entendu  des  nouvelles  de  M.  lemares- 
y)  chai  de  Saint-André.  )) 

Le  24  octobre,  Tavannes  mande  de  Dijon  à  Saint-André  - 
qu'il  renonce  à  envoyer  le  lendemain  les  Suisses  à  Ghâtillon 
(sur-Seine);  mais,  dit-il,  pour  autant  que  j'ay  entendu  depuis 
))  mon  arrivée  que  les  Allemans  que  conduit  M.  d'Andelot  sont 
y>  achemynez  jusqu'à  Ghaulmont  et  à  Ghasteauvillain,  et  tient 
»  l'on  qu'ils  prennent  le  chemyn  devers  ledit  Ghastillon,"  occa- 
»  sion  que  je  vous  ay  dépeschez  ce  porteur 4)our  entendre  de 
»  voz  nouvelles,  premier  que  faire  partir  lesdits  Suysses  d'icy 
»  aux  environs,  de  peur  qu'ils  se  missent  en  hazard,  car  de  les 
))  faire  passer  à  cinq  lieues  des  ennemys,  vous  scavez  qu'ils 
))  pourroient  estre  deffaictz,  mesme  que  je  n'ay  pas  ung  seul 
»  homme  de  cheval  pour  les  accompaigner.  Parquoy  il  vous 
»  plaira  remédier  pour  leur  seureté  et  me  mander  le  chemyn  que 
))  vous  voulez  qu'ilz  tiennent  pour  vous  aller  trouver,  et  envoyer 
»  gens  et  telle  force  qu'aduiserez  pour  les  conduyre....  Les 
y>  Suisses  font  grande  difficulté  de  marcher  sans  cavalerie  et 
y>  disent  qu'ilz  ne  veulent  approcher  l'ennemy  de  dix  lieues.  » 

Le  lendemain,  Tavannes  ^  prie  Saint- André  de  veiller  à  la 
défense  d' Auxerre,  menacé  par  les  Allemands,  et  il  ajoute  :  «J'ay 

1.  Bibli.  nal.,  mss.  f.  fr.,  vol.  i  640,  î"  102. 

2.  ld.,vol.  AGdiJ'^'  78,  79. 

3.  Pingaud,  Corresp.  des  Saulx-Tavannes,  p.  118. 


—  161  — 

3)  fait  séjourner  les  Suysses  près  d'icy  (Dijon),  de  peur  de  les 
»  mettre  en  hasard,  en  attendant  de  voz  nouvelles  et  que  le 
((  sieur  d'Andelot  soyt  par-delà  Chastillon,  où  il  est  pour  le  jour- 
))  d'huy,  ainsi  qne  je  vous  ay  escript  ces  jours  passez.  » 

«  Il  vous  plaira,  écrit  en  même  temps  Tavannes  au  duc  de 
»  Nevers  ^  ayder  et  favoriser  ceulx  d'Auxerre  de  tel  nombre 
»  de  gens  de  guerre  que  vous  ad  viserez,  pour  la  garde  d'icelle 
D  et  pour  empescher  que  l'ennemi  ne  s'en  puisse  emparer.  » 

Le  27  octobre,  Saint- André,  répond  à  Tavannes  -  :  «  Mon- 
y>  sieur  mon  bon  amy,j'ay  dépesché  présentement ung  homme 
»  pour  aller  au-devant  des  Suysses,  leur  faire  préparer  vivres  et 
))  autres  choses  qui  leur  seront  nécessaires.  J'ay  envoie 
»  aussy  une  partie  de  ma  compagnie  pour  les  conduire  et  venir 
))  avec  eulx,  sans  les  abandonner,  estant  bien  marry  que  mon- 
))  sieur  de  Nevers  et  moi  ne  sçeusmes  hier,  à  Bar-sur-Seine,  où 
»  nous  estions,  qu'ils  estoiient  si  proches  de  nous,  d'autant  que 
»  nous  ne  les  eussions  laissé  passer  si  près  des  Allemands,  les- 
y>  queb,  comme  vous  entendrez  de  ce  porteur,  passèrent,  di- 
y>  manche  dernier,  la  rivière  de  Seyne  " ,  en  quoy  nous  ne  leur 
))  avons  peu  donner  aucun  empeschement.  » 

Alors  que  d'Andelot,  ayant  traversé  la  Seine,  non  loin  de 
Ghàtillon,  et  franchi  l'Yonne,  s'avançait,  à  marches  forcées, 
vers  Orléans,  Goligny  recevait,  dans  cette  ville,  un  billet,  écrit 
à  l'instigation  de  Catherine  de  Médicis,  par  lequel  de  Gonnor 
lui  exprimait  le  désir  de  conférer  avec  lui  sur  les  événements 
qui  agitaient  alors  la  France.  L'amiral  lui  répondit  aussitôt 
d'Orléans,   en  ces  termes,  exprimant  combien  la  guerre  ci- 

1.  Piiigaud,  corresp.  desSaulx-Tavannes,  p.  119. 

2.  Bibl.  nat.  niss.  f.  fr.  vol.  4  Gil ,  f°  6. 

3.  Tavannes  connaissait  déjà  si  bien  cette  circonstance,  qui  faisait  tant  d'hon- 
neur à  l'habileté  de  d'Andelot,  que,  le  jour  même  où  Saint-André  lui  adressait 
sa  réponse,  il  écrivait  à  Catherine  de  Médicis  (Pingaud,  corresp.  des  Saulx- 
Tavannes,  p.  121)  :  «  Les  ennemys  se  sont  tant   advancez,  que  dimanche  ils 

stoient  à  Ricey  (aux  Riceys).  » 

II.  U 


—  162  — 

vile  lui  pesait,  et  combien  il  aspirait  à  une  paix  honorable  *  : 
«  Monsieur  mon  cousin,  j'ay  reçeu  la  lettre  que  m'avez  escrite 

.:»  de  Paris  par  le  porteur,  et  ne  doute  point  que  vous  n'ayez  un 

y>  grand  regret  de  voir  tant  de  troubles,  pilleries  et  désordres 

3)  généralement  par  toute  la  France,  comme  ont  toutes  per- 

3>  sonnes  d'honneur  et  de  vertu,  et  ayant  pareil  zelle  au  bien 

y>  des  affaires  duroy  et  à  la  conservation  de  ce  royaume,  que 

3)  vous  avez.  Je  croy  aussy  que  vous  estimez  bien  que  de  ma 

y>  part  j'en  porte  un  très  grand  desplaisir  que  je  vous  puis  as- 

»  seurer,  monsieur  mon  cousin,  eslre  tel  que,  s'il  n'y  alloitque 

»  de  moy  et  de  mon  interest.  particulier,  je  voudrois  avec  la 

3»  perte  et  de  mes  biens  et  de  ma  vie  avoir  rachepté  tels  incon- 

2)  véniens.  Vous  sçavez  que  nous  n'avons  jamais  rejette  aucuns 
))  bons  moyens  d'accord,  et  monsieur  le  prince  de  Gondé, 
p  auquel  j'ay  présenté  vos  très  humbles  recommandations,  y  a 
»  tousjours  entendu  et  en  a  proposé  dès  le  commencement 
))  de  ces  troubles,  se  soubzmettant  à  toutes  raisonnables  con- 
))  ditions,  sans  vouloir  avoir  un  seul  advantage  pardessus  ceulx 
»  qui  ont  d'eulx-mesmes  les  premiers  pris  les  armes  offen- 
»  cifves.  De  ma  part,  je  n'ay  rien  en  plus  grande  affection 
y>  que  de  voir  qu'il  soit  pourvu  à  tant  de  maulx  de  remède 
y)  prompt  et  convenable,  et  n'avez  plus  grand  désir  de  me  voir 
))  que  j'ay  d'en  pouvoir  communiquer  avec  vous,  de  sorte  que 
y>  d'autant  que  je  ne  puis  partir  d'icy,  si  vous  avez  à  mectre 
ï)  quelque   chose  en  avant  de  la  part  de  la  royne  pour  ung  si 

3)  bon  effect,  ou  vous  jugiez  qu'il  y  ait  apparence  et  que  vous 
»  ayez  volonté  de  venir  en  ce  lieu,  vous  y  serez  le  bien  venu  et 
i>  reçu;  de  quoy  ceste  lettre  vous  servira  avec  la  parole  dudict 
»  siegneur  le  prince  de  toute  seureté,  etc.  etc.  Vostre  bien  affec- 
»  tionné  parent  et  amy,  Ghastillon.  » 

Dix  jours  plus  tard,  Coligny  étant  encore  à  Orléans,  adressa 

1.  Lettre  du  28  octobre  15G2.  (Bibl.  nat.  rass.  fonds  Golbert,  V"  vol.  24, 
012.) 


—  163  — 
à  de  Gonnor  ces  lignes  *  :  «  Monsieur  mon  cousin,  j'ay  veu  par 
y>  la  lettre  que  m'avez  escripte  du  VI  de  cemoys,  que  vous 
))  estiez  sur  le  point  de  partir  de  Paris  pour  venir  à  Estampes 
y>  afin  que  nous  nous  puissions  veoir  et  communiquer  ensemble 
»  suyvant  ce  que  m'avez  faict  entendre  par  vostre  précédente 
»  et  que  là  vous  actendriez  que  M.  le  prince  vous  eust  envoyé 
))  une  seureté  pour  vostre  aller  et  retour,  laquelle  il  vous  en- 
y>  voye  présentement  ^ .  Mais  quant  à  vous  mander  le  lieu  où 
y>  vous  nous  viendrez  trouver,  c'est  chose  que  je  ne  vous  puys  dire 
y>  au  vray,  ny  vous  en  faire  entendre  autre  chose  pour  le  pré- 
))  sent  que  ce  que  vous  en  dira  ce  porteur,  lequel  vous  conduyra 
5)  la  part  que  nous  serons  où  je  vous  diray  derechef  que  vous 
3>  serez  le  bien  venu  et  reçu,  etc.,  etc.  » 

Tandis  que  de  Gonnor  exprimait  à  l'amiral  le  désir  de  confé- 
rer avec  lui,  un  arrêt  du  parlement  de  Paris  condamnait  à  mort, 
le  16  novembre,  comme  rebelles  «  et  criminels  de  lèze-majesté 
au  premier  chef  »,  Coligny,  d'Andelot,  de  Larochefoucauld,  de 
Rohan,  le  prince  de  Portien,  de  Montgommery,  et  plusieurs 
autres  chefs  réformés  3 . 

Au  début  de  novembre  * ,  le  vaillant  frère  de  l'amiral,  sans  se 

i.  Lettre  du  8  novembre  1562.  (Bibl.  nat.  mss.  fonds  Colbert,  V^  vol.  24, 
f»2. 

2.  Lettre  de  Condé  à  de  Gonnor,  du  8  novembre  1562  (BibL  nat.  mss.  fonds 
Colbert,  V«  vol.  2i,  f*  1)  :  «  Monsieur  de  Gonnor,  parceque  mon  oncle 
»  mons.  l'amyral  m'a  fait  entendre  que  vous  estiez  prest  de  partir  de 
»  Paris  afin  de  le  venir  trouver  et  communiquer  vous  deux  ensemble  suyvant 

>  ce  que  auparavant  lui  aviez  escript,  mais  que  vous  desiriez  avoir  une  seureté 

>  de  moy  laquelle  vous  actendriez  à  Estampes,  premier  que  d'en  partir,  j'ay, 
»  à  cette  cause,  bien  voulu  vous  envoyer  la  présente  par  ce  porteur,  laquelle 
»  vous  servira  de  toute  seureté  pour  vostre  voyage,  tant  pour  l'aller  et  retour, 
»  que  pour  le  séjour  que  vous  ferez  en  noslre  camp  avec  vingt-cinq  on 
»  trente  cbevaux  de  vostre  train  et  suyte  etc.,  etc.  Vostre  bien  bon  cousin 
»  et  mylieur  amy,  Loys  de  Bourbon.  » 

3.  Mém.  de  Condé,  t.  IV,  p.  lU,  115. 

4.  «  Le  6  du  mois  (de  novembre),  Andelot  arriva,  quifatreçupar  le  prince  et 
»  par  l'amiral,  son  frère,  luy  venant  audevant,  avec  toutes  les  caresses  du  monde, 
»  comme  furent  aussi  les  principaux  reitremaistres,  qui  s'en  retournèrent  aus- 


--    164  — 

laisser  abattre,  un  seul  instant,  par  des  souffrances  pliysiques 
qui  dataient  de  son  séjour  'en  Allemagne  et  l'obligeaient  à  se 
faire  transporter  en  litière,  apparut  enfin  non  loin  d'Orléans, 
à  la  tête  du  corps  de  troupes  que,  grâce  à  une  série  d'habiles 
manœuvres,  il  avait  soustrait  aux  embûches  et  aux  attaques  de 
l'ennemi. 

Renforcée  par  ce  corps,  l'armée  des  réformés  se  dirigea  sans 
retard  sur  Paris,  sous  la  conduite  de  Condé  et  de  Goligny, 
qu'acompagnaient  d'autres  chefs. 

Un  seul  d'entre  eux,  d'Andelot,  épuisé  de  fatigues,  fut  retenu 
à  Orléans  par  une  grave  maladie  ^  .  H  y  reçut  les  soins  assidus 
de  sa  belle-sœur,  madame  l'amirale,  et  de  sa  nièce,  Éléonore 
de  Roye,  à  peine  remise  des  inquiétudes  que  lui  avait  causées 
récemment  la  santé  du  prince,  son  mari. 

Ce  fut  au  chevet  du  lit  de  souffrances  de  son  oncle,  que  la 
princesse  de  Condé  reçut  la  nouvelle  de  la  mort  du  roi  de  Na- 
varre, son  beau-frère,  qui,  blessé,  le  16  octobre,  au  siège,  de 
Rouen,  avait,  le  17  novembre,  rendu  le  dernier  soupir.  Ce 
prince,  sentant  de  jour  en  jour  ses  forces  décliner,  avait  expri- 
mé le  désir  de  revoir  Jeanne  d'Albret,  et  chargé  un  gentil- 
homme, qu'elle  lui  avait  envoyé,  de  retourner  vers  elle  et  de 
l'accompagner  de  Réarn  en  Normandie  ^  ;  mais  il  était  trop 
tard.  Jeanne,  qui  se  fût  estimée  heureuse  d'apporter  à  son  mari 
de  suprêmes  consolations,  n'avait  plus  devant  elle  la  possibilité 
de  franchir,  en  temps  opportun,  la  longue  distance  qui  la  sépa- 
rait de  lui.  Couvrant  d'un  généreux  pardon  le  loyal  aveu,  qu'au 
terme  de  sa  carrière,  Antoine  de  Rourbon  avait  fait  de  ses  torts 


»  sitôt  avec  Andelot,  bien  joyeux,  d'un  costé,  mais  bien  marris  aussi  de  n'estre 
D  venus  à  temps  pour  le  secours  de  Rouen,  dont  ils  espéraient  bien  faire  la  ven- 
5  geance.  »  (De  Bèze,  hist.,  ceci,,  t.  Il,  p.  190). 

\.  Calend,  of  state  pap.  foreign,  22  novembre  1562.  Throckmorton  to  the 
queen.  —  Ibid.  7  décembre  1562.  Smith  to  Cecil. 

2.  Calend.  of  state  pap,  foreign,  31  octobre  1562.  News  sent  from  France. 


—  165  — 
envers  elle,  elle  ne  se  rappela  plus  que  son  affection  pourlui,  et 
le  pleura,  en  femme  chrétienne. 

Au  double  titre  de  frère,  de  sœur,  et  d'amis  fidèles,  le  prince 
et  la  princesse  de  Condé  partagèrent  la  douleur  de  Jeanne,  ainsi 
que  le  prouvent  deux  lettres  touchantes  qu'ils  lui  adressèrent  * . 

Lorsque,  dans  sa  marche  sur  Paris,  l'armée  des  réformés 
fut  arrivée  à  Étampes,  la  reine  mère,  donnant  suite  à  la  ten- 
tative d'entrevue  qu'elle  avait  récemment  fait  faire  par  de  Gon- 
nor,  «  ne  faillit  pas  d'envoyer  celui-ci  au  prii.ce  de  Gondé  pour 
))  lui  ouvrir  une  nouvelle  face  de  traité,  par  la  mort  du  roi  de 
»  Navarre,  son  frère,  duquel  il  devait  prendre  la  place  et  l'au- 
y>  torité,  à  la  conservation  de  Testât,  bien  qu'au  commence- 
))  ment  le  prince  respondit  qu'après  la  paix  il  saurait  bien 
y>  prendre  l'autorité  de  son  frère,  si  ne  pouvait-il  en  aimer  la 
))  place  ni  l'exemple,  comme  estant  mort  au  service  de  ses  en- 
y>  nemis  ;  si  est-ce  qu'il  se  laissa  amuser  et  par  là  donna  loisir 
y>  de  fortifier  tous  les  fauxbourgs  (de  Paris)  -  .  > 

Le  prince,  ayant  pris  position  devant  Corbeil,  Gatherine  lui 
envoya  successivement  Saint-Mesme  et  de  Gonnor,  pour  lui 
proposer  une  conférence  avec  elle  sur  les  moyens  de  conclure 
la  paix.  Il  approcha  de  Paris  avec  ses  troupes,  et  «  soudain 
))  la  royne  luy  manda  qu'elle  désiroit  de  parler  à  luy,  au 
y>  Port  à  l'Anglais,  et  le  connestable  aussi  à  l'amiral  son  nepveu. 
))  Cela  estant  accordé  avec  suspension  d'armes,  le  prince  se 
»  trouvant  mal,  ou  pour  autre  occasion,  contremanda  qu'il  ne 
»  s'y  pou  voit  trouver  ;  mais  bien  y  fut  l'amiral ,  lequel  passa 


1.  1"  Lettre  de  la  princesse  de  Condé,  du  27  novembre  1562  {Mé7n.  de  Condé, 
t.  IV,  p.  131);  —  2°  lettre  du  prince  de  Condé,  du  22  novembre  1562,  datée  du 
camp  devant  Corbeil  {Mém.  de  Condé,  t.  IV,  p.  126). 

2.  D'Aubigné,  hist.  univ.  t.  I,  liv,  3,  chap.  xii.  —  «  The  11  novembre, 
»  M.  de  Gonnor  arrived  at  the  prince's  camp  :...  he  remained  in  the  camp, 

>  that  night,  lodged  in  the  admiral's  lodging,   and  made  long   discourses  to 
»  them.  »   (Trockraorton  to   the  queen,  20  novembre  1562,  Calend.  of  state 

>  pap.  foreign.) 


—  166  — 

»  et  parlementa  avec  le  connestable  l'espace  de  deux  bonnes 
»  heures,  mais  en  vain,  ne  voulant  aucunement  ouïr  parler  le 
3>  connestable  de  l'exercice  de  la  religion,  et  l'amiral  au  con- 
y>  traire  lui  répliquant  qu'il  perdrait  plus  tost  mille  vies,  si  au- 
»   tant  en  avoit,  que  de  quitter  ce  point  ^  .  » 

Les  pourparlers  furent  repris  entre  Catherine  et  Condé;  des 
notes,  des  mémoires,  des  projets  de  traité  furent  échangés^; 
mais  rien  ne  fut  admis  par  Catherine,  au  nom  du  parti  catho- 
lique, qui  pût  donner  aux  légitimes  revendications  de  Condé  et 
de  ses  compagnons  une  satisfaction  sérieuse;  et  dès  lors,  sur  le 
conseil  de  Coligny,  le  prince  renonça  à  tout  projet  d'attaque 
ultérieure  contre  la  capitale,  et  se  décida  à  marcher  dans  la 
direction  de  la  Normandie.  L'amiral,  en  donnant  ce  conseil, 
s'était  appuyé,  entre  autres  motifs,  sur  ce  que  «  les  reistres  et 
»  lansquenets  commençaient  à  murmurer  et  à  demander 
»  argent,  ausquels  on  ne  pouvoit  respondre  autre  chose,  sinon 
))  que  bientost  il  en  viendroit  d'Angleterre,  leur  monstrant  les 

))  lettres  qu'on  en  recevoit  de  jour  à  autre La  résolution 

»  fut  donc  d'aller  droit  en  Normandie,  tant  pour  recevoir  cest 
y>  argent  et  en  contenter  les  estrangers,  que  pour  y  recueilhr 
))  le  plus  d'Anglois  qu'on  pourroit,  d'autant  que  les  ennemis 
»  estoient  forts  d'infanterie,  afin  aussi  de  divertir  le  camp  de 
»  l'ennemi  du  siège  d'Orléans  ^  )) 

Arrivé  à  Saint-Arnoul,  sur  la  route  de  Chartres,  Condé  crut 
devoir  rendre  compte  à  Elisabeth  de  l'issue  stérile  des  négocia- 
tions qui  avaient  eu  lieu,  à  proximité  de  Paris.  «  Madame,  lui 
•»  disait-il,  le  16  décembre  *,  j'ay  reçeu  avec  très  grand  conten- 
))  tement  les  deux  lettres  qu'il  a  plu  à  vostre  majesté  m'escrire, 

1.  De  Bèze,  hist.,  eccL,  t.  II,  p.  195. 

2.  Voir  le  détail  de  ces  pourparlers  et  le  texte  de  ces  noies,  mémoires  et 
projets  de  traité  dans  Vhist.,  eccL,  de  Bèze,  t.  II,  p.  197  à  225  et  dans  les 
Mém.  de  Condé,  t.  IV,  p.  144  à  176. 

3.  De  Bèze,  ïiist.,  eccî.,  t.  II,  p.  227. 

4.  De  Laferrière,  le  xvi"  siècle  et  los  Valois,  p.  86,  87. 


—  167  — 

))  tant  du  seiziesme  du  passé  et  de  l'autre  du  présent;  je  vous 

»  depesche  ce  porteur  pour  vous  faire  incontinent  et  bien  au 

3)  long  entendre  ce  qui  s'est  passé  en  Tabouchement  qui  est,  ces 

»  jours  passez,  intervenu  près  de  Paris  entre  la  royne  mère  et 

»  moy.  Noz  adversaires,  desquelz  ne  procède  que  desguizement 

»  de  vérité,  ayant  en  mains  toutes  commodités  et  ministres 

y>  propres  pour  exécuter  toutes  leurs  volontez,  n'auront  pas 

»  failli,  usant  de  leur  artifice  accoustumé,  de  peindre  ce  faict 

»  de  faulses  couleurs,  et  faire  servir  à  leurs  passions  et  avan- 

))  tagesceste  négociation  de  paix,  laquelle,  madame,  vous  pour- 

»  rez  entendre  au  vray  et  simplement  comme  elle  s'est  passée, 

»  par  le  discours  que  je  envoie  présentement,  lequel  vous  dé- 

y>  monstrera  au  doigt  et  à  l'œil  en  quel  devoir  je  me  suis  mis  et 

))  me  suis  condescendu  à  toutes  les  plus  douces  et  raisonnables 

»  conditions  dont  je  me  suis  pu  adviser  pour  essayer  mettre  une 

y>  bonne,  ferme  et  seure  paix  en  ce  royaulme  et  l'exempter  des 

y>  calamitez  dont  il  est  affligé,  n'ayant  demandé  que  la  liberté 

»  des  consciences,  avec  la  conservation  de  l'honneur  et  la  seu- 

))  reté  des  biens  et  personnes  de  ceux  qui  s'y  sont  employés  en 

y>  ceste  cause,  sans  avoir  égard  aux  avantages  que  je  pouvois 

))  lors  avoir  sur  nos  ennemis,  pour  le  désir  que  j'avais  de  par- 

y>  venir  à  cet  effet;  sans  aussi  avoir  voulu  faire  instance  du  lieu 

y>  qui  de  droit  m'appartient  en  ce  royaulme  et  qu'on  ne  me 

»  peut  tollir,  et  qui  servoit  du  moins  à  justifier  davantage  mes 

))  actions,  à  descouvrir  la  malice  de  noz  ennemis  et  le  but  de 

))  leurs  mauvaises  intentions,  et  à  nous  esmouvoir  de  pour- 

3)  suivre  de  tout  nostre  pouvoir  ceux  qui  n'ont  d'autre  fm  pré- 

y>  sente  que  la  ruyne  de  l'église  de  Dieu  et  de  la  religion,  de 

))  tous  ceux  qui  en  font  profession,  et  généralement  de  tous  les 
y>  subjectz  du  roy;  en  quoy  j'espère,  avec  l'aide  de  la  majesté 

ï>  divine  et  de  la  vostre,  m'employer  tellement,  sans  m'arrester 
»  désormais  à  parlemens  et  négociations,  que,  malgré  eux, 

y>  Dieu  sera  servy  par  tout  ce  royaulme,  et  ses  serviteurs 


—  168  — 

y>  exempts  de  leurs  violences  et  cruautés  ;  vous  suppliant,  au 

))  reste,  très  humblement,  madame,  rejeter  la  faute  que  vous 

»  n'avez  plus  souvent  de  mes  nouvelles  sur  l'incommodité  et 

»  difficulté  des  chemins  et  passages,  ensemble  vouloir  croire 

»  que  je  n'eusse  jamais  entièrement  conclu  aucune  chose  en 

))  ce   fait,  sans  premièrement  avoir  adverty  vostre   majesté 

y>  pour,  sur  ce,  suivre  vostre  conseil,  et  où. si  après  telle  négo- 

»  ciation  interviendroit,  à  quoy  touteffois  je   suis  résolu   de 

y>  n'accéder   aulcunenient,  si    aultre  chose  ils  ne  vouloient 

»  mettre  en  avant.  Cette  lettre  vous  servira,  madame,  de  gage 

»  et  d'assurance  que  je  ne  concluray  jamais  rien  sans  en 

})  avoir  vostre  advis,  ni  accorderay  chose  qui  vous  touche  sans 

))  vostre  consentement  ;  bien  délibéré  de  me  conduire  toujours 

ï>  par  le  conseil  de  M.  l'admirai  et  de  ceulx  de  sa  maison  et  les 

))  cognoistre  les  plus  gens  de  bien  et  plus  affectionnez  qui 

))  soient  en  ce  royaulme;  aussi  d'adjouster  foy  à  tout  ce  que  me 

))  fera  entendre  Nicolas  Throckmorton  \  de  vostre  part,  duquel 

»  j'ay  entendu  ce  que  vous  lui  aviez  donné  charge  de  me  dire, 

»  et  qui  vous  fera  entendre  ma  response.  En  tel  endroict,  je  sup- 

»  plieray  l'infinie  bonté  de  Dieu  vous  conserver,  madame,  en 

j>  très  parfaite  santé.  Au  camp  de  Saint-Arnoul,  le  seiziesme 

»  de  décembre  4562.  » 

L'insuccès  du  mouvement  agressif  sur  Paris  et  ses  environs, 
la  rupture  des  négociations  qui  avaient  paralysé  les  effets  de  ce 

1.  Trockmorton,  de  son  côlé,  en  se  prononçant  sur  le  caractère  de  Condé  et 
des  trois  Châtillons,  écrivait  à  Cecil,  dès  le  15  octobre  1562  :  Pour  conclure,  je 
»  vous  dirai,  et  par  vous  à  samajesté,  que  l'amitié  du  prince  de  Gondé,de  l'amiral 
»  et  de  la  maison  de  Châti  lion  mérite  d'être  estimée,  embrassée  et  entretenue  par 
»  sa  majesté  autant  qu'aucune  amitié,  en  France,  de  toute  la  maison  de  Bour- 
»  bon.  Je  le  regarde  comme  le  prince  le  plus  sage  et  le  plus  sincère;  et  parmi 

>  les  nobles  j'estime  l'amiral  et  ses  frères  comme  les  plus  sages,  les  plus  ver- 
»  tueux  et  les  plus  sincères  personnes  de  marque  de  ce  royaume.  Le  prince  et 

>  les  gentilshommes  dont  je  viens  de  parler  sont  aussi  les  plus  odieux  et  les 
»  plus  redoutables  aux  Espagnols  et  aux  papistes.  >  (Hist.  des  princes  de  Condé, 
»  t.  I,  p.  382). 


—  169  — 

mouvement,  la  marche  de  Condé  vers  la  Normandie,  celle  des 
troupes  catholiques,  qui  s'avançaient  parallèlement  aux  siennes 
étaient  autant  de  circonstances  faisant  présager,  comme  inévi- 
table, une  sanglante  rencontre  entre  les  deux  armées. 

Alors  qu'ils  se  trouvaient  dans  le  voisinage  de  Dreux,  Condé 
et  ses  lieutenants  jugèrent  opportun,  avant  d'en  venir  aux 
mains  avec  l'ennemi,  d'adresser,  en  vue  d'éventualités  pro- 
chaines, un  nouvel  appel  au  bon  vouloir  de  leurs  auxiliaires 
étrangers.  L'étendue  de  leur  confiance  dans  le  zèle  et  l'habi- 
leté de  l'intermédiaire  qu'ils  se  décidaient  à  employer  auprès 
des  princes  allemands  ressort  clairement  de  la  teneur  du 
mandat  dont  ils  l'investirent  ;  et,  fait  digne  de  remarque,  cet 
intermédiaire  fut,  non  pas  un  homme  rompu  aux  négocia- 
tions, mais  une  femme  éminente  qui,  par  la  double  autorité  de 
son  caractère  et  de  son  expérience,  offrait  toutes  les  garanties 
désirables  à  des  commettants  tels  que  Condé,  Cohgny,  d'An- 
delot,  de  Larochefoucauld,  de  Rohan,  de  Grammont,  et  le 
prince  de  Portien.  Un  fait  de  cette  nature  est  tellement  excep- 
tionnel, qu'un  intérêt  historique  incontestable  s'attache  au 
texte  des  pouvoirs  que  ces  divers  chefs,  réunis  au  camp  de 
Néron,  conférèrent,  le  18  décembre  1562,  à  la  comtesse  de 
Roye  \ 

Le  lendemain  du  jour  où  cette  pièce  avait  été  signée,.se  li- 
vra la  mémorable  bataille  de  Dreux  ^  L'amiral  y  déploya  une 
énergie  contre  laquelle  se  brisèrent  les  efforts  de  ses  adversai- 
res, et,  en  dernier  lieu,  ceux  du  duc  de  Guise. 


1.  Voir,  appendice,  ir  20,  le  texte  de  ces  pouvoirs. 

2.  Les  histoires  locales  offrent  parfois  de  singuliers  rapprochements  à  faire 
"ïvec  l'histoire  générale  de  la  France  ;  en  voici  un  exemple  :  «  Un  acte  très 
»  remarquable  advint  à  Châtillon-sur-Loing,  le  propi'e  jour  que  la  bataille  fut 

>  donnée  à  Dreux;  c'est  que  les  enfants  un  peu  grandets,  s'estant  de  leur  propre 
»  mouvement  mis  en  deux  bandes,  chacune  desquelles  a  voit  un  chef,  l'un  s'ap- 
»  pelant  le  prince  de  Condé,  et  l'autre  le  duc  de  Guise,  sans  que  les  pères  et 

>  mères  y  prissent  garde,  se  battyrent  si  bien  à  coups  de  gaules,  de  pieds  et  de 


-  170  — 

Les  historiens  se  sont  appesantis  avec  plus  ou  moins  d'exac- 
titude sur  les  détails  de  cette  bataille.  Il  nous  suffira  de  re- 
produire le  récit  fidèle  qu'en  rédigea  sommairement  Goligny, 
et  qui  fut  promptement  répandu  en  France  et  à  l'étranger^  ;  Je 
voici  : 

«  Du  XIX  décembre  1562. 

€  Monseigneur  le  prince  de  Condé,  après  avoir  présenté  aux 
y>  ennemis  de  Dieu  et  du  roy  tous  honestes  moyens  et  convena- 
))  blés  au  lieu  et  degré  qu'il  tient  en  ce  royaulme,  pour  faire 
»  une  bonne  et  sainte  paix,  ou  bien  pour  définir  tous  ces 
»  troubles  par  l'issue  d'une  bataille  en  laquelle  il  a  tousjours 
))  espéré  que  Dieu  lui  ayderoit  pour  une  si  juste  querelle,  fina- 
)}  lement  aujourd'huy  XIX  de  décembre,  voyant  que  ses  enne- 
«  mys  avec  toutes  leurs  forces  estoyent  campez  à  deux  petites 
»  lieues  françoises  près  de  luy,  pour  l'empescher  de  se  join- 
»  dre  aux  Angloys,  s'est  résolu  de  les  assaillir  et  combattre, 
<)  combien  qu'ils  eussent  jusques  à  cent  enseignes  d'infanterie 
»  recueillie  d'Allemagne,  Suisse,  Espagne  et  divers  lieux  de 
)>  ce  royaulme,  avec  trente  pièces  d'artillerie,  et  qu'ils  eussent 
»  pour  leur  prochaine  retraite  la  ville  de  Dreux  et  le  village 
)■>  de  Trion,  avec  une  rivière  à  leur  dos  et  un  bois  en  flanc  pour 
»  leur  défense.  Ainsi  donc,  sur  ceste  délibération,  ledict  sei- 
»  gneur  prince  estant  party  de  son  camp,  environ  les  huit 
»  heures  du  matin,  après  avoir  choisy  ses  ennemis  le  mieux  à 
»  propos  que  le  lieu  le  permettoit,  donna  dedans  si  coura- 
y>  geusement  que,  de  la  première  charge,  il  gagna  six  pièces 
))  d'artillerie,  rompit  leur  infanterie  et  cavallerie  et  print  pri- 
))  sonnier  monseigneur  le   conestable,  après  avoir  tué  une 


»  mains,  que  ce  duc  de  Guise  bien  blessé  en  mourut  puis  après.  »  (De  Bêze, 
hist.,  eccl.,  t.  II,  p.  461). 

1.  Record  office,  state  papers,  France,  vol.  XXVIII.  —  Ce  récit  est  celui  que 
l'amiral  adressa,  revêtu  de  sa  signature,  à  la  reine  d'Angleterre.  —  De  Lafer- 
rière,  le  xvi"  siècle  et  les  Valois,  p.  89,  90,  91,  92. 


—  ni  — 

»  grande  partie  des  Suysses.  La  deuxiesme  charge  ne  fut 

«  moins  furieuse,  et  est  certain  que  si  l'infanterie  française  et 

3  allemande  eust  aussi  bien  faict  son  debvoir  comme  elle  s'y 

3>  porta  laschement,  et  si  les  reistres  eussent  peu  mieux  en- 

»  tendre  ce  qu'on  ne  leur  pouvoyt  dire  que  par  truchement, 

D  qui  ne  se  présentoit  tousjours  à  la  nécessité,  l'entière  vic- 

»  toire  estoyt  entre  les  mains  dudit  seigneur  prince  par  troys 

ï>  et  quatre  foys.  Mais,  au  lieu  d'ung  tel  bien,  la  volonté  de 

S)  Dieu,  qui  dispose  de  toutes  choses  selon  sa  sagesse  incom- 

»  préhensible,  fut  telle  que  ledit  seigneur  prince,  ayant  faict 

»  en  la  meslée  tout.le  debvoir  d'ung  prince  très  vaillant  et  très 

i>  magnanime,  ne  peut  estre  secoureu  d'ung  cheval  frais,  au 

))  lieu  du  sien  blessé  en  une  espaule  d'une  arquebusade,  et  par 

»  ce  moyen  tomba  entre  les  mains  des  ennemis  qui  le  prin- 

»  drent  captif,  sain  et  sauf  au  demourant,  grâces  à  Dieu, 

»  hormis  ung  petit  coup  en  un  doy  de  la  main  droite.  Gela 

»  estoit  pour  non  seulement  empescher  le  cours  de  la  victoire, 

»  mais  aussi  la  tourner  en  une  pitoyable  desconfiture,  comme 

»  de  faict  l'armée  en  fut  esbranlée,  qui  fut  cause  que  Tartille- 

»  rie  conquise  ne  se  put  garder.  Mais  ce  nonobstant,  par  une 

y>  singulière  grâce  de  Dieu,  M.  l'admirai,  suyvant  la  charge  que 

))  ledict  seigneur  prince  luy  avoit  donnée  de  commander  à 

»  l'armée,  en  son  absence,  rallia  soubdain  tant  de  cavallerie 

»  française  et  allemande,  que  voyant  approcher  pour  la  tioi- 

î)  siesme  charge  troys  gros  bataillons  que  ledit  conestable  avoit 

))  dès  le  commencement  réservez  expressément  pour  le  dernier 

T>  effort  de  ceste  bataille,  il  leur  fit  teste  de  telle  sorte,  qu'a- 

y>  près  avoir  longuement  combattu  avec  la  plus  grande  fer- 

»  meté  qu'il  est  possible,  il  rechassa  les  ennemis  si  avant, 

y>  que  la  pluspart  de  leur  bagage  versa  dans  la  rivière,  et  leur 

y>  fuyte  en  suyvit  si  grande,  qu'il  y  en  eut  qui  portèrent jusques 

»  à  Paris  les  nouvelles  de  la  bataille  perdue  pour  eulx.  Et  là, 

3)  avec  plusieurs  aultres  gentilshommes,  fut  tué  et  puis  des- 


—  172  — 

y>  pouillé  le  mareschal  Sainct-André,  l'ung  des  chefs  des  trium- 
»  virs,  et  monseigneur  de  Monbron,  fils  dudit  conestable. 
î)  Quant  au  seigneur  de  Guise,  on  pensa  longuement  qu'il  fùst 
y>  blessé  mortellement  en  deux  endroicts  ;  mais  despuis  on  a 
D  sçeu  le  contraire,  el  qu'on  avoit  prins  pour  luy,  le  grand 
»  prieur,  son  frère.  Monseigneur  d'Aumale  y  a  esté  blessé  en 
))  une  espaule,  ou,  comme  les  autres  rapportent,  en  ung 
»  bras  qui  luy  a  esté  rompu.  Monseigneur  de  Nevers,  pour 
»  certain,  a  la  cuisse  rompue  audessus  du  genouil,  en  grand 
))  danger  de  sa  personne^  .  Le  comte  de  Gharny  et  le  sei- 
y>  gneur  de  Pienes  y  sont  fort  blessez.  Desbordes,  lieutenant 
y>  dudict  seigneur  de  Nevers,  à  ce  qu'on  nous  affirme,  tué  sur 
»  le  champ.  Labrosse  aussy,  chevalier  de  l'ordre,  et  premier 
))  autheur  du  massacre  de  Vassy,  y  est  mort,  pour  certain,  et 
»  son  fils  fort  blessé.  Les  seigneurs  de  Beauvais  et  de  Roche- 
y>  fort,  chevaliers  de  l'ordre,  avec  plusieurs  chefs,  lieutenans  et 
»  hommes  d'armes,  prisonniers,  jusques  au  nombre  de  cent  et 
»  plus,  lesquels  n'avons  encore  recognus;  de  sorte  que,  pour 
»  vérité,  il  leur  estoit  malaisé  de  souffrir  une  plus  grande 
»  perte,  si  leur  armée  n'eûst  esté  entièrement  ruinée.  De  nos- 
1»  Ire  costé,  la  captivité  dudict  seigneur  prince  nous  est  un 
y>  grand  meschef,  combien  qu'il  soit  en  la  puissance  de  Dieu, 
»  comme  nous  espérons,  d'en  tirer  l'occasion  de  quelque  grand 

1.  «  iAlonseigneur  de  Nevers  se  meurt  »,  écrivait,  le  10  janvier  1563,  Robertet 
au  duc  de  Nemours  (Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  3  200,  f"  121).  L'un  des  plus  vail- 
lants capitaines  réformés,  de  Mouy,  que  l'amiral  mentionne  dans  son  récil,  s'ac- 
quitta d'un  pieux  et  dévoué  ministère  auprès  du  neveu  de  Gondéet  d'Eléonore  de 
Roye.  Infidèle  à  la  cause  de  la  réforme  française  et  à  la  promesse  deux  fois  faite 
au  prince,  son  oncle,  de  combattre  à  ses  côtés,  le  jeune  duc  de  Nevers  avait 
porté  les  armes,  dans  les  rangs  de  l'armée  catholique,  à  la  bataille  de  Dreux. 
Le  brave  et  généreux  de  Mouy,  tout  souffrant  et  prisonnier  qu'il  était  depuis  le 
19  décembre,  trouva  moyen  de  communiquer  avec  le  pauvre  blessé,  demeuré 
libre  «  qui  estoit  encore  plus  tourmenté  de  sa  conscience  que  de  son  corps, 
»  criant  mercy  à  Dieu.  R  lui  servit  de  consolateur  et  comme  de  ministre,  jus- 
qu'à la  mort.  >  (De  Bèze,  hist.,  eccl.,  t.  II,  p.  242.  —  La  Popelinière,  hist. 
t.  I,  p.  348.  —  Calend.  of  state  pap.  foreign.  13  janvier  1563,  Smith  to  Cecil,)» 


—  173  - 

»  bien,  estant  maintenant  les  principaux  autheurs  de  ces  trou- 

j>  blés,  ou  morts  ou  aultrement  eslongnez  de  sa  majesté.  Oul- 

»  tre  cela  nous  avons  perdu  quelques  capitaines  d'infanterie  et 

y>  quelques  gentilshommes,  mais  en  fort  petit  nombre.  Dieu 

3)  mercy,  de  soldatz,  sans  comparaison  beaucoup  moins  que 

»  nos  ennemis,  et  nul  de  nos  principaux  chefs  n'a  esté  seule- 

D  ment  navré,  hormis  le  seigneur  de  Mouy,  qui  a  esté  blessé 

»  au  visage  et  faict  prisonnier.  Sur  cela,  estant  la  nuict  presque 

».  close,  nous  nous  contentasmes  de  ce  que  dessus,  et  nous  re- 

y>  tirasmes,  à  leur  veue,  et  en  bataille,  au  son  de  la  trom- 

y>  pelte,  avec  trois  canons  que  nous  y  avions  amenez.  Par  ainsi, 

j)  leur  est  demeuré  le  camp,  auquel  nous  les  allasmes  assail- 

y>  lir,  comme  aussi  à  nous  le  nostre,  duquel  nous  estions  partis  ; 

»   et  s'ilz  ont  prins  nostre  chef  d'armée,  aussi  tenons-nous  le 

»  leur  prisonnier.  Il  y  a  ce  seul  poinct  d'avantage  pour  eulx, 

y>  que  nous  leur  avons  laissé,  à  cause  de  la  nuict  et  par  faulte 

»  de  chevaux,  quatre  pièces  d'artillerie  de  campagne.  Mais 

y>  nous  estimons  cela  par  trop  récompensé  par  la  perte  qu'ils 

»  ont  faicte  de  tant  de  grands  seigneurs  et  capitaines  ;  de 

»  sorte  qu'il  faut  confesser  que  Dieu  a  gouverné  l'issue  de 

))  ceste  bataille,  ainsy  que  toutes  aultres  choses,  avec  une 

y>  équalité  et  proportion  très  admirable,  afin  que  ce  royaulme 

y>  ne  soyt  du  tout  ruiné  par  soy  mesmes.  Voilà  tout  le  dis- 

y>  cours  de  ceste  journée. 

«  Du  XX  dudit  moys. 

«  Le  lendemain  XX  dudit  moys,  au  matin,  monseigneur  l'ad- 
D  mirai  marcha  vers  ce  qui  estoit  resté  de  leur  camp  et  se  pré- 
»  senta  pour  les  tirer  de  leur  fort,  où  voyant  qu'il  n'y  avoit 
y>  heure  de  les  assaillir,  i!  se  retira  pour  adviser  ce  qui  estoit 
3  de  faire,  estant  tout  prest  de  poursuivre  vifvement  l'entreprise. 
»  Et  combien  que  soyons  partis  en  bataille  devant  leurs  yeux, 
y>  en  délibération  de  leur  courir  sus,  s'ils  nous  approchoient, 
y>  si  n'ont-ils  jamais  eu  le  courage  de  faire  seulement  semblant 


—  174  — 

y>  de  nous  charger  jusque  h  présent,  si  cpie  nous  espérons, 
»  moyennant  la  grâce  de  Dieu  et  le  secours  des  fidèles  et  vrais 
»  alliez  de  la  couronne  de  France,  non  seulement  en  prendre 
»  courage,  mais  aussi  nous  conduire  tellement  qu'en  brief  ces 
j>  troubles  prendront  quelque  heureuse  fin,  à  la  ruyne  des 
))  ennemis  de  Dieu  et  soulagement  de  tout  Testât  de  ce 
y>  royaume.  » 

Coligny  conduisit  alors  ses  troupes  au  village  d' Anneau.  Là 
se  tint  un  conseil  de  guerre  dans  lequel,  à  l'unanimité  des  voix, 
il  fut  investi  du  commandement  en  chef,  pour  l'exercer,  tant 
que  durerait  la  captivité  du  prince  de  Gondé. 

Cependant  qu'étaient  devenus  les  deux  commandants  des 
armées  catholique  et  réformée,  le  connétable  et  Gondé,  de- 
puis qu'ils  avaient  été  fait  prisonniers,  l'un  au  fort  delà  mêlée, 
par  un  gentilhomme  allemand,  Volpert  von  Derst  *  ,  l'autre 
vers  la  fin  de  l'action,  par  Damville? 

Au  moment  où  le  connétable,  blessé  d'un  coup  de  feu  à  la 
mâchoire  inférieure,  et  enveloppé  de  toutes  parts,  venait  de 
se  rendre  à  Volpert  von  Derst,  des  mains  duquel  des  reistres 
tentaient  de  l'arracher,  dans  l'espoir  de  spéculer  sur  sa  cap- 
ture, survint,  pour  lui  sauver  la  vie,  en  faisant  cesser  ce  brutal 
conflit,  le  jeune  prince  de  Portien,  «  fils  de  la  comtesse  de 
»  Seninghen,  à  laquelle  le  connestable  avoit  .  fait  de  grands 
D  maux,  jusques  à  la  mettre  en  extrême  danger  ^  ;  ce  qui  es- 
y>  tonna  le  connestable,  craignant  la  vengeance,  mais  le  prince 


1.  Volpert  von  Derst  figure  dans  quatre  documents  manuscrits  relatifs  à  la 
rançon  du  connétable,  en  daledes  4avril,  25  mai,  8  etl2  juin  1563.  (Bibl.,nat. 
mss.  f.  fr.  vol.  3243,  f"  97,  99,  101  et  vol.  3  249  f"  82).  II  est  digne  de  remar- 
quer que  le  premier  de  ces  documents'  est  un  engagement  spontanément  con- 
tracté par  Coligny,  de  payer  une  partie  de  la  rançon  de  son  oncle,  le  conné- 
table. 

2.  De  Bèze,  hist.,  eccl,  t.  II,  p.  235.  —  Voir  notre  étude  historique  sur 
Antoine  de  Groy,  prince  de  Portien.  (Bulletin  de  la  soc.  d'hist.  du  protest, 
français,  année  1869). 


—  175  — 

y>  de  Portien,  comme  il  estoit  vrayment  de  bon  et  généreux  na- 
j>  turel,  aa  lieu  de  la  pistole,  luy  présenta  la  main,  luy  promet- 
y>  tant  toute  assistance  et  gratieuseté  ^  .  y>  Après  ce  trait  d'ad- 
mirable générosité,  le  prince  »  rendit  à  Anne  de  Montmorency 
tous  les  bons  offices  qu'il  pouvoit  espérer^  ;  d  il  le  confia  à 
des  mains  sûres,  commanda  qu'on  l'entourât  de  soins  etd'égards, 
et,  de  concert  avec  Coligny,  organisa  son  départ  pour  Orléans. 

Dans  la  nuit  du  19  au  20  décembre,  quelques  fuyards  ayant 
atteint  cette  place,  «  y  rendaient  toutes  choses  incertaines, 
y>  mais,  non  pas  à  déplorer;  ce  qui  tint  tout  le  peuple,  en  sus- 
»  pens^.  l'anxiété  était  extrême,  lorsque,  le  vingliesme  du 
:»  mois,  d'assez  bonne  heure,  nouvelles  certaines  arrivèrent 
y>  qu'on  amenoit  le  connestable  prisonnier,  auquel  on  n'avoit 
y>  donné  qu'une  petite  relasche  en  chemin  depuis  sa  prise,  le 
y>  faisant  marcher  sans  cesse  toute  la  nuit  et  le  jour  suivant* . 
Anne  de  Montmorency  arriva  à  Orléans,  le  20,  vers  la  fin  de 
la  journée.  «  Il  avoit  été  mené  en  si  grande  diligence, 
))  blessé  et  vieil  comme  il  estoit,  qu'il  porta  presque  le 
y>  premier  les  nouvelles  (dans  cette  ville),  où  on  lui  bailla  pour 
»  hostesse  la  princesse  de  Gondé,  sa  nièce  ^ .  » 

Eléonore  de  Roye,  dans  le  premier  moment,  ne  sut  rien,  par 
son  grand-oncle,  de  la  blessure  ni  de  la  captivité  de  son  mari. 
En  effet,  le  connétafble,  tenu  à  l'écart  du  champ  de  bataille, 
dès  le  milieu  de  l'action,  ignorait  le  sort  du  prince.  La  prin- 
cesse, ayant  devant  elle  le  chef  qui  venait  de  combattre  contre 
Louis  de  Bourbon,  ne  vit  en  lui  qu'un  prisonnier  de  guerre 
blessé,  et  plus  encore,  que  le  père  profondément  affligé  de  la 

1.  De  Bèze,  hist.,  eccl.,  t.  II,  p.  2^5. 

2.  De  Thou,  hîst.  univ.  t.  III,  p.  367. 

3.  De  Bèze,  hist.,  eccl.,  t.  II,  p.  244. 

4.  «  The  constable  was  sent  to  Orléans  with  suehspeed  that  he  drank  but 
>  once  by  the  way,  and  that  on  horseback.  >  (Calend.  of  state  pap.  foreign. 
3  janvier,  1563,  the  batUe  of  Dreux,  §3).  —  De  Bère,  kist.,  eccl.,  t.  II,  p.  244! 

5.  Mém.  de  Castelau,  in-f»  1. 1,  p.  129» 


—  17G  — 
perte  d'un  fils  mort  sous  ses  yeux,  les  armes  à  la  main.  Aussi, 
quels  soins  délicats,  prodigués  au  vieillard,  dans  l'intérêt  de 
sa  santé!  Quelle  sympathie  pour  les  douleurs  du  cœur  paternel! 
quel  empressement  à  procurer  au  prisonnier  toutes  les  facili- 
tés possibles  pour  communiquer  avec  sa  femme,  sa  famille, 
ses  amis,  ses  serviteurs!  Une  sollicitude  véritablement  filiale 
entoura  immédiatement  le  connétable,  sous  le  toit  de  la  prin- 
cesse ^ . 

Condé,  légèrement  blessé  à  la  main,  ayant  eu  son  cheval  tué 
sous  lui  et  se  disposant  à  en  monter  un  autre,  avait  été,  dans 
son  isolement  momentané,  assailli  par  un  gros  de  gendarme- 
rie que  commandait  Damville,  et  contraint  de  remettre  son 
épée  à  ce  chef,  qui  l'avait  conduit  au  duc  de  Guise,  à  l'issue 
de  la  bataille.  Bi-antôme  se  trouvait  alors  auprès  du  duc, 
objet  habituel,  pour  lui,  d'une  admiration  contre  laquelle  il 
est  bon  de  se  tenir  en  garde.  Il  parle,  en  ces  termes^ ,  de  l'accueil 
qui  fut  fait  au  noble  prisonnier  :  «  M.  le  prince  de  Condé 
»  fut  pris,  non  sans  grand  danger  de  la  mort,  si  M.  de  Guyzè  luy 
»  eust  voulu  rendre  ce  qu'il  luyavoit  voulu  prester  à  la  conjura- 
y>  tion  d'Amboise;  mais  au  lieu  d'un  tel  remboursement,  quand 
»  il  luy  fut  présenté,  il  luy  fit  force  honneur  et  bonne  chère,  le 
))  retira  avec  luy,  luy  présenta  la  moytié  de  son  lict,  et  couchèrent 
»  tous  deux  ensemble  aussi  familièrement  comme  si  jamais 
y>  n'eussent  estez  ennemis,  mais  comme  bons  amis  et  cousins 
))  germains  qu'ils  estoient.  De  tout  le  soir  (du  19)  il  ne  fut 
»  guières  veu,  et  M.  de  Guyze  le  lui  conseilla,  et  demeura  en  sa 
))  garde  robe,  bien  qu'elle  fùst  fort  petite  et  chétive,  car  c'es- 
y>  toit  une  maison  de  village  fort  champestre.  Force  gens  le  vou- 
»  loient  voir,  mais  M.  de  Guyze  l'avoit  deffendu,  car  une  per- 


1.  «  La  principessa  di  Condé  ha  ricevulo  amorevolmente  il  conestabile  prig- 
s  gione  à  Orléans.  »  (Dépêche  de  Tornabuoni  à  Cosme  l'^'^duSO  décembre  1562. 
Négoc.  diplom.  de  la  France  avec  la  Toscane,  in-i"  t.  111,  p.  502). 

2.  Édit.  Le  Lab.  t.  IV,  p.  349,  350. 


—  177  — 

))  sonne  affligée  n'ayme  guières  ceste  veue  ni  Visitation.  — 
y>  J'euz  pourtant  crédit  de  le  voir  assis  près  d'un  feu,  faisant 
))  démonstration  grande  de  sa  douleur  et  d'une  appréhension 
»  grande.  On  luy  porta  à  soupper,  et  souppa;  puis,  tout  le 
y)  monde  retiré,  et  M.  de  Guyze  se  voulant  coucher,  il  donna 
))  congé  à  un  chascun,  non  sans  avoir  demeuré  longtemps 
y>  assis  près  du  feu,  à  causer  de  la  bataille  parmi  nous,  où  cha- 
))  cun  y  estoit  reçeu  pour  son  escot  et  son  dire.  —  Luy  et  mon- 
»  sieur  le  prince  couchèrent  ensemble,  et  l'endemain  nous  al- 
»  lasmes  à  son  lever.  Il  se  mit  à  escrire  au  roy  et  à  la  royne  le 
»  plus  brièvement  qu'il  put,  et  sortit  voir  le  champ  de  bataille, 
))  non  trop  loin  pourtant,  car  il  disna  et  y  alla  après  à  bon  es- 
»  cient.  —  Cependant  le  prince  se  leva,  qui  estoit  encore  au 
))  lit  quand  nous  estions  en  sa  chambre,  les  rideaux  tout  tirez 
»  au  dedans.  S'il  fust  esté  pressé  de  se  lever,  il  fust  esté  bien 
y>  estonné,cedisoit-on.  Puis,  quand  fallut  desloger,  M.  de  Guyze 
))  le  redonna  à  M.  Damville  à  le  tenir  en  bonne  garde,  et  pour 
»  faire  l'eschange  de  luy  et  de  M.  le  connestable,  ainsi  que  le 
»  porte  le  droit  de  la  guerre.  » 

Le  lendemain  de  la  bataille,  on  conduisit  Louis  de  Bourbon, 
du  campement  du  duc  de  Guise  à  Dreux,  où  il  fut  incarcéré  et 
soumis  à  une  stricte  surveillance.  Ainsi  le  voulait  Catherine  de 
Médicis,  qui,  sous  le  nom  du  roi,  se  chargea,  dès  le  surlende- 
main, 21  décembre,  de  fixer  les  attributions  de  Damville,  par 
une  commission  en  forme  de  lettres-patentes  *  .  A  cette  com- 
mission se  rattachait  un  règlement  signé  par  Charles  IX.et  par 
sa  mère^  . 

La  journée  du  21  s'était  passée  sans  qu'Eléonore  de  Roye 
eût  encore  appris  quoi  que  ce  fût  de  précis,  au  sujet  du  prince. 
Le  22,  lui  parvint  un  message  que  son  oncle,  l'amiral,  s'était 
empressé  de  lui  expédier,  la  veille.  Se  trouvant  à  Auneau,  il 

1.  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  3  19i,  f»  1,  —  Mém.  de  Condé,  t.  IV,  p.  181. 

2.  Bibl,  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  3  194,  f^  2.  —  Mém.  de  Condé,  t.  IV,  p.  182. 

".  12 


—  178  — 

avait  reçu  quelques  informations  concernant  Gondé  :  ce  fut  de 
ce  village  qu'il  les  transmit  aussitôt  à  sa  nièce  dans  une  lettre 
empreinte  d'affection.  Il  la  consolait  «  sur  la  captivité  d'iceluy 
D  prince,  avec  déclaration  de  la  bonne  et  entière  volonté  de 
y>  l'armée  encores  assez  roide  et  forte  pour  le  délivrer  et  pour 
»  venir  à  bout  du  reste  des  ennemis;  à  laquelle  lettre  les  mi- 
»  nistres  du  camp  adjoustèrent  les  leurs  qui  servirent  grande- 
y>  ment  à  fortifier  cette  bonne  et  vertueuse  princesse  ^  .  » 

De  ce  même  village  d'Auneau,  Goligny  écrivit  à  Warwick, 
le  21  décembre,  ^  et,  le  22,  il  adressa,  à  la  reine  d'Angleterre, 
vers  laquelle  il  députait  Briquemault,  la  lettre  suivante  ^  : 

((  Madame,  sinon  qu'il  nous  fault  recevoir  patiemment  tout 
))  ce  qu'il  playt  à  Dieu  nous  envoyer,  et  nous  conformer,  en 
3>  toute  chose,  à  sa  saincte  volonté,  je  désirerais  bien  d'avoir 
D  ung meilleur  subject  pourescrire  à  vostre  majesté,  que  celuy 
))  qui  se  présente,  qui  est  que  lexix'  de  ce  moys,  M.  le  prince 

>  de  Gondé,  désirant  mettre  une  fin  aux  troubles  et  désolations 
y>  qui  sont  en  ce  royaulme,  approcha  de  si  près  nos  ennemis  que, 
»  sans  regarder  à  l'advantage  du  lieu  et  au  nombre  de  gens  de 
5)  pied  et  d'artillerie  qu'ils  avoient,  il  leur  donna  la  bataille  en 
))  laquelle  Dieu  a  permis  qu'il  ayt  esté  pris;  mais  ce  a  esté  avec 
))  si  grande  perte  et  ruyne  de  leur  cavallerie,  que  la  plus 
y>  grande  part  de  leurs  chefs  et  principaux  capitaines  ont  esté 
y>  prins,  tuez  et  blessez,  et  la  nostre,  qui  est  demeurée  entière  et 

1.  De  Bèze,  hist.,  eccl.y  t.  II,  p.  245. 

2.  «  Although  Coudé  is  taken,  yet  he  is  well,  and  none  of  them  intend  to 
»  desist  from  their  interprise  on  that  account.  Desires  liim  to  beg  the  queen 
»  to  send  over  foot  sodiliers  as  quickley  as  possible.  Their  cavalry  are  in  very 
*  goodorder,  and  did  notloseaboveSO  or  100  men  in  thelate  baittie,  whilst  that 
î  of  the  many  wasintirely  defeated,  andnearly  ail  their  principal  captains  taken, 

>  killed  or  wounded.  Is  sure  that  now  when  satan  is  making  every  effort,  the 
«  earl's  courage  will  redouble.  >  The  admirai  of  France  to  Warwick,  camp  at 
Auneau,  21  déc.  1562.  (Galend.  of  state  pap.  foreign). 

3.  Record  office,  state  papers,  France,  vol.  28. —  De  Laferriêre,  le  xvi*  s.  et 
les  Valois,  p.  92. 


—  179  — 

3»  qui  a  fait  rexécution  sans  avoir  perdu  plus  de  quatre  vingts 
3)  ou  cent  chevaux,  est  en  ceste  résolution  de  poursuyvre  Ten- 
y>  treprise  présente  de  tout  son  pouvoir  et  de  toutes  ses  forces. 
i>  Et  parce,  madame,  que  M.  le  prince  vous  a  faict  cy-devant 
»  entendre  son  intention  et  que  nous  avons  tous  telle  asseu- 
»  rance  en  la  vertu  et  bonté  de  vostre  majesté,  au  zèle  que 
y>  vous  avez  tousjours  démonstré  avoir  à  l'advancement  de  la 
3)  gloire  de  Dieu  et  aux  grâces  que  Dieu  a  mises  en  vous,  dont 
3>  nous  avons  assez  de  cognoissance  et  expérience,  je  n'ay 
})  voulu  faillir  de  jous  supplier  très  humblement,  madame,  de 
y>  vouloir  donner  le  secours  qui  nous  est  nécessaire,  selon 
3)  que  vous  entendrez  de  M.  de  Briquemault,  lequel  il  plaira 
y>  k  vostre  majesté  ouyr,  et  le  croire  de  ce  qu'il  vous  dira,  tant 
y>  de  ma  part  que  de  toute  ceste  compagnie,  qui  espérons  que  par 
»  vostre  bon  moyen  et  avec  l'ayde  de  Dieu,  qui  marchera  de- 
y>  vaut  nous  pour  combattre  pour  sa  querelle,  l'yssue  en  sera 
y>  si  heureuse,  qu'il  sera  servy  par  tout  ce  royaulme,  et  le  roy 
3>  obéy  de  tous  ses  subjectz,  avec  ung  rçpos  et  tranquillité 
3>  publique.  Or,  d'autant,  madame,  que  vous  entendez  assez 
3)  la  justice  de  nostre  cause,  et  avez  faict  paroistre  tousjours 
>  de  quelle  affection  vous  avez  favorisé  ce  qui  touche  l'honneur 
3)  et  le  service  de  Dieu,  je  ne  m'estendray  en  plus  long  propos, 
3)  craignant  d'annuyer  vostre  majesté  par  ceste  lettre,  mais 
3)  bien  suplieray  l'infmie  bonté  de  Dieu  vous  vouloir  conser- 
3>  ver,  madame,  en  très  parfaite  santé  et  prospérité,  et  bénir 
3)  toutes  vos  actions.  Du  camp  à  Auneau,  ce  XXIP  de  décem- 
3>  bre  1562.  3) 

Ayant  quitté  Auneau,  l'amiral  écrivit  à  Throckmorton. 

La  prise  de  Rouen  avait  entraîné,  pour  les  réformés,  la  perte 

1.  «  Was  grieved  to  hear  the  news  which  he  sent,has  placed  his  train  and 
î  baggagenear  his  own  people,  who  left  yesterday  for  Orléans.  Hearing  that 
»  he  is  on  his  way  to  England  he  sends  them  to  him.  »  From  the  camp  at 
Platté  25  déc.  1562.  (Calend.  of  statepap.  foreign.). 


—  180  — 
de  Dieppe,  de  Caen,  et  de  la  majeure  partie  de  la  Normandie. 
Montgommery  ayant  repris  possession  de  la  première  de  ces 
villes,  l'amiral  lui  écrivit  le  28  décembre,  d'Avaret,  où  il  cam- 
pait ^  :  «  J'ay  esté  très  ayse  d'avoir  entendu  de  vos  nouvelles 
y>  par  ce  porteur,  et  mesmes  comment  vous  avez  remis  Dieppe 
y>  soubz  l'obéissance  et  service  de  Dieu  et  du  roy.  Au  reste,  je 
»  ne  vous  feray  autre  discours  de  ce  qui  est  survenu  à  la 
»  journée  que  M.  le  prince  a  donnée,  parce  que  de  ceste  heure 
i>  vous  aurez  esté  bien  au  long  informé  par  Aubervilliers, 
»  par  lequel  vous  avez  entendu  comment  nostre  infanterie  a 
y>  esté  desfaicte,  sans  avoir  voulu  combattre  ;  mais  quant  à  nos- 
3)  tre  cavallerye,  qui  a  faict  seule  l'exécution,  elle  est  entière 
»  et  d'environ  quatre  mille  chevaulx ,  n'en  ayant  pas  perdu  plus 
»  de  soixante  à  ladite  journée,  bien  délibérés  de  poursuivre 
))  nostre  si  juste  querelle.  Et  si  avons  plus  d'occasion  d'estre 
»  redoublez  de  noz  ennemys  qu'ilz  n'en  ont  de  nous  assail- 
))  lir  désormais  ou  de  nous  attendre,  lesquelz,  à  ce  que  j'ay  pu 
»  à  ce  matin  entendre,  rompent  leur  camp.  Nous  avons  déli- 
D  béré  de  rafraischir  nos  reistres,  huit  ou  dix  jours  seulement, 
ï)  pour,  incontinent  après,  vous  aller  joindre  et  les  Anglois  ; 
»  et  partant,  je  vous  prie  bien  fort,  monsieur  de  Montgommery, 
))  affm  de  nous  pouvoir  myeulx  résouldre,  nous  vouloir  mander 
»  au  plus  tost  de  quelle  force  et  secours  nous  pouvons  faire 
y>  estât  de  leur  part,  et  s'ilz  ne  sont  pas  délibérez  de  trouver  le 
»  moyen  de  passer  deçà  la  rivière  et  s'emparer  de  quelque  lieu 
>  où  nous  les  puissions  aller  trouver;  àquoyjene  fauldray, 


1 .  Record  office,  st.  pap.  France,  vol,  29.  —  De  Laferriére,  le  xvi"  s.  et  les 
Valois,  p.  93.  —  Les  avantages  inhérents  à  l'occupation  de  Dieppe  par  les  ré- 
formés étaient  mis  en  relief  dans  un  écrit  adressé  à  la  reine  d'Angleterre,  le 
11  janvier  1563,  par  levidame  de  Chartres,  de  Briquemault  et  de  Lahaye. 
(Voy.  Forbes,  a  full  view,  etc.,  etc.  t.  II,  p.  271  à  274).  Il  existe  un  assez  grand 
nombre  de  lettres  écrites,  de  Dieppe,  par  Montgommery,  du  9  janvier  1563  au 
5  février  suivant,  et  qu'il  adressa  à  Cecil,  à  Élizabeth,  à  Warwick,  et  à  i^ei- 
cester.  (Voy.  Record  office,  state  papers,  France,  vol.  29  et  30). 


—  181  — 

»  avec  l'ayde  de  Dieu,  aussilost  que  je  auray  eu  de  voz  nou- 
»  velles  et  sçaurai  par  vous  leur  résolution  ;  vous  priant  de  di- 
»  ligenter  toutes  choses,  leur  donner  les  moyens  de  passer  de 
»  deçà  et  les  tenir  en  bonne  volunté,  estant  plus  besoing  que 
»  jamais  de  nous  tenir  prestz  pour  faire  bientost  quelque  opé- 
»  ration,  et  mettre  fin  à  ces  troubles  et  violences  dont  nous 
))  usent  noz  ennemys,  qui  ayment  mieulx  nager  au  sang  de  la 
»  noblesse  et  de  tant  de  subjectz  du  roy,  que  de  condescendre  à 
jo  si  doulces  et  si  raisonnables  conditions  de  paix  comme  celles 
»  que  vous  avez  veues.  Je  ne  veulx  aussy  obmettre  à  vous  dire 
))  qu'il  sera  bon  d'advertir,  tant  en  Angleterre  que  en  Norman- 
»  dye,  qu'on  n'adjouste  aucune  foy  au  seing  de  M.  le  prince,  es- 
»  tant  en  captivité,  car  vous  sçavez  comme,  suyvant  leurs  artifices 
»  accoustumez,  ilz  sçauront  bien  en  abuser  et  supposer  let- 
^  très  ;  aussy  qu'ilz  ne  peuvent  myeulx  entendre  son  intention 
y>  que  par  ceulx  qu'il  a  tenus  et  tient  pour  ses  principaulx  amys 
y>  et  serviteurs,  etc.,  etc.,  du  camp,  à  Avaret,  le  28' jour  de 
»  décembre.  » 

Ayant  porté  son  camp  à  Meung,  l'amiral  correspondit  de 
nouveau,  le  2  janvier  1563,  avec  la  reine  d'Angleterre  \  en 
ces  termes  : 

»  Madame,  j'ay  cy-devant  adverty  Vostre  Majesté  de  Testât 
y>  auquel  se  retrouvent  les  affaires  de  deçà,  et  quelle  a  esté  l'is- 
»  sue  de  la  bataille  que  le  prince  de  Gondé  a  donnée,  en  la- 
»  quelle  encores  que  nostre  infanterie  ayt  esté  desfaite  sans 
»  combattre,  nostre  cavalerie,  qui  seule  a  fait  l'exécution  que 
»  Vostre  Majesté  a  peu  entendre,  est  entière  et  résolue  de  re- 
»  voir  bientost  les  ennemys  de  Dieu  et  de  ce  povre  royaulme, 
3)  lesquelz  ont  plus  d'occasion  de  nous  redoubter  désormais 


i.  Forbes  (a  full  view  etc.,  etc.  t.  II,  p.  247)  assigne  à  cette  lettre  la  date  du 
2  janvier,  —  Elisabeth,  en  écrivant  à  Coligny,  le  20  janvier  lui  accuse  réception 
de  la  lettre  qu'il  lui  a  adressée,  <  le  second  de  ce  moys  de  janvier.  »  — Calend. 
of  State  pap.  foreign. 


—  182  — 

y>  que  de  nous  assaillir  ou  de  nous  attendre  :  de  sorte  que 

))  nous   n'arrestons  plus  icy  que  pour  faire  rafraischir  nos 

»  reistres,  quelque  peu  de  temps.  Et  par  ce,  madame,  que 

3)  nous  avons  nostre  principale  espérance  en  vostre  ayde  et 

))  secours,  aprez  Dieu,  lequel  vous  sçavez  trop  bien  vous  avoir 

))  constituée  en  ce  haut  degré  et  vous  avoir  donné  sa  cognois- 

»  sance,  et  mis  le  glaive  en  la  main  pour  subvenir  à  ceux  qui 

y>  sont  injustement  oppressez  pour  défendre  la  religion,   et 

))  vous  opposer  à  ceux  qui  veulent  abolir  son  vray  et  pur  ser- 

y>  vice,  comme  est  le  devoir  de  tous  les  princes  et  potentatz  de 

»  la  terre,  entre  lesquelz  vous  tenez  un  si  grand  lieu  :  et  toute 

))  ceste  compaignie  requiert  l'ayde  de  Vostre  Majesté,  vous 

»  supplie  très  humblement,  madame,  suyvant  le  zèle  que  vous 

3>  avez  tousjours  démonstré  avoir  à  l'advancement  de  la  gloire 

»  de  Dieu  et  en  oultre  à  la  conservation  et  liberté  du  roy  et  de 

»  ce  povre  royaulme,  de  vouloir  employer  vostre  puissance 

»  pour  la  défense  de  la  cause  de  Dieu  et  d'une  si  juste  que- 

))  relie  et  avec  si  bonne  occasion  que  d'empescher  que  son 

3)  église  soyt  ruinée  en  ce  royaulme,  dont  en  oultre  vous  en  de- 

»  meurerons  à  jamais  tous  redevables  et  obligez  ;  vous  ad  visant 

))  quant  à  noz  nécessitez,  madame,  que  à  présent  nous  avons 

D  peu  de  gens  de  pied,  de  sorte  que  nous  aurions  besoing  qu'il 

y>  pleust  à  Vostre  Majesté  en  faire  passer  le  meilleur  nombre  et 

»  en  la  plus  grande  diligence  que  vous  pourrez  ;  ensemble  de 

3)  nous  secourir  d'argent,  suyvant  l'offre  qu'il  vous  a  pieu  faire 

»  à  M.  le  prince  de  Condé  et  à  nous,  pour  employer  au  paye- 

y>  ment  de  noz  reistres  auxquelz  nous  avons  respondu  d'ung 

y>  moys,  oultre  ce  qui  leur  est  deu  du  passé,  attendant  qu'ils 

y>  aient  nouvelles  dudit  prince  de  Condé  qui  est  détenu  captif, 

»  dont  nous  aurons  moyen  entre  cy  et  là  de  leur  en  faire  sça- 

»  voir  pour  leur  donner  meilleur  courage.  A  ceste  cause,  nous 

»  supplions  tous  en  oultre  très  humblement  Vostre  Majesté, 

»  madame,  qu'il  vous  plaise  nous  faire  sur  ce  entendre  vostre 


—  183  — 

»  intenlion  incontinent,  et  le  secours  qu'il  vous  plaira  nous 

»  faire,  et  le  temps  auquel  nous  pouvons  nous  en  assurer;  à 

3>  ce  que  par  là  nous  puissions  prendre  résolution  de  ce  que 

D  nous  avons  à  faire,  soit  pour  nous  aller  joindre  avec  vos 

»  gens,  soit  pour  prendre  autre  desseing;  sur  ce,  suppliant  l'in- 

«  finie  bonté  de  Dieu  vouloir  conserver  Vostre  Majesté,  ma- 

y>  dame,  en  très  parfaite  santé  et  prospérité  et  bénir  et  con- 

ï  duyre  toutes  vos  actions  à  sa  gloire.  —  Du  camp,  à  Meung, 

))  ce  li"  jour  de  janvier,  vostre  très  humble  et  très  obéissant 

ï)  serviteur,  Ghastillon.  » 

Une  autre  lettre  de  Coligny  à  Elisabeth,  datée  du  15  janvier 
portait  ^  : 

«c  Madame,  j'ay  par  cy-devant  adverty  Vostre  Majesté  de  la 

»  bataille  qui  fut  donnée  le  19  décembre,  et  de  la  résolution 

»  que  j'avais  prise  après  icelle  de  faire,  pour  quelques  jours, 

y>  rafrayschir  nos  reistres,  suyvant  la  requeste  qu'ilz   m'en 

y>  avoienffaicte   :  de  sorte  qu'il  n'est    besoing  de  ennuyer 

ï>  Vostre  Majesté  à  vous  en  faire  nouvelle  récite.  Seulement 

3)  donques  vous  diray,  madame,  quel'autheur  de  ces  (troubles) 

3)  dont  ce  povre  royaume  est  affligé,  se  voyant  seul  et  pensant 

y>  le  chemin  de  son  ambition  estre  assez  ouvert  maintenant  et 

3)  bien  préparé,  au  lieu  d'estre  louché  de  quelque  douleur  et 

ï)  compassion  de  tant  de  maulx  et  désolations  qu'on  voyt  par- 

))  tout,  et  cercher  les  moyens  de  y  mettre  une  bonne  fin  par 

))  quelque  seur  accord,  il  rallie  les  siens  de  toutes  partz  et  faict 

y>  plus  grans  effortz  que  jamais  pour  parvenir  au  but  de  ses 

»  pernicieux  desseings  :  qui  sont  de  desraciner  du  tout  l'E- 

y>  vangile  de  ce  royaume,  où  il  avait  desjà  pris  si  grand  acctx)is- 

y>  sèment,  et  ruyner  entièrement   tous  ceulx  qui  veulent  se 

»  opposer  à  ses  entreprinses  et  violences.  Mais  au  contraire  ce 

D  bon  Dieu  par  sa  grâce  nous  fortifie  et  arme  tellement  de 

1.  Forbes,  a  full  view  etc.,  etc.  t.  II,  p.  274,  —  Calend.  of  stale  pap.  foreign. 


—  184  — 

»  vertu,  force  et  constance,  que  nous  avons  encore  plus  ferme 

»  résolution  que  auparavant  de  employer  noz    biens  et  vies, 

y>  jusques  au  dernier  souspir,  pour  le  service  de  Dieu  et  la 

))  liberté  du  roy  et  de  ce  royaume.  —  Et  parce,  madame,  que 

»  Vostre  Majesté  s'est  tousjours  employée  pour  maintenir  l'E- 

»  vangile,  avec  aussi  grand  zèle  et  saincte  affection  que  prince 

y>  ny  princesse  dont  il  soit  mémoire,  et  que  particulièrement 

»  vous  avez  démonstré  cognoistre  et  favoriser  de  bonne  affec- 

»  tion  la  justice  de  nostre  cause  et  nous  vouloir  subvenir,  nous 

»  avons  recours  à  Vostre  Majesté  comme  à  celle  que  nous  co- 

»  gnoissons  que  Dieu  a  choisie  et  réservée  en  ce  temps  pour 

2>  l'advancement  de  sa  gloire  et  doctrine  :  vous  suppliant  très 

»  humblement,  pour  cest  effect,  nous  vouloir  ayder  des  granz 

»  moyens  de  gens  et  d'argent  que  Dieu  vous  a  mis  en  main, 

i>  autant  qu'il  vous  sera  possible  et  que  l'occasion  et  la  néces- 

»  site  le  requièrent.  Et  mesmes,  madame,  parceque  nos  reis- 

i>  très  sont  desjà  sur  le  troisyesme  moys  qu'ilz  font  service,  sans 

y>  en  avoir  leur  payement,  lequel  a  tousjours  esté  fondé  sur  le 

y>  secours  que  nous  avons  attendu  de  Vostre  Majesté,  et  dont 

D  de  vostre  grâce  il  vous  a  pieu  faire  offre  à  M.  le  prince  de 

»  Condé  ;  qu'il  plaise  à  Vostre  Majesté,  suyvant  ledict  offre,  de 

»  tant  nous  favoriser,  honorer  et  subvenir,  que  de  mander  au 

»  mareschal  de  Hessen  et  à  ses  capitaynes,  comme  l'argent  est 

»  prest  que  vous  avez  octroyé  et  destiné  pour  les  souldoyer;  et 

))  que,  puisque  l'incommodité  est  grande  de  leur  faire  toucher 

»  leur  payement,  à  cause  de  la  difficulté  des  chemins,  qu'ilz 

»  advisent  de  lieu  seur  oii  ilz  le  vouldroient  recevoir  ;  et  là 

j>  Vostre  Majesté  donnera  ordre  de  le  leur  faire  tenir  ;  y  ad- 

y>  joustant,  s'il  vous  plaist,  une  affectionnée  prière  de  continuer 

»  en  ceste  bonne  volonté  qu'ils  ont  si  bien  démontré  avoir  eu 

»  en  une  si  juste,   saincte  et  louable  entreprise,  afin  que  par 

D  vostre  moyen  et  le  leur  la  France  soit  délivrée  de  la  tyrannie 

»  et  oppression  où  elle  est  réduicte,  et  le  prince  de  Condé 


—  i85  ~ 

i>  de  la  captivité  en  laquelle  le  détiennent  injustement  ceux 
»  qui  démonstrent  assez  vouloir  usurper  le  lieu  qui  justement 
»  lui  appartient.  Ce  faisant,  vous  ferez,  madame,  chose  que 
»  vous  sçavez  estre  agréable  à  Dieu,  estant  la  vraye  charge  et 
»  devoir  des  grandz  roys  et  princes  de  subvenir  aux  oppressez, 
y>  et  maintenir  la  vraye  religion,  que  les  ennemys  de  Dieu  veu- 
3>  lent  abolir  en  ce  royaume.  En  oultre,  le  prince  de  Gondé, 
3  toute  ceste  compaignie,  et  la  noblesse  de  France  vous  seront 
y>  tenuz  et  obligez  à  jamais  pour  ung  bienfaict  si  grand  et  faict 
»  si  à  propos.  Sur  ce,  je  supplieray  l'infinie  bonté  de  Dieu  vous 
»  donner,  madame,  en  très  parfaite  santé  et  prospérité,  très 
»  longue  et  très  heureuse  vie.  Du  camp,  à  Villefranche,  ce 
»  douziesme  janvier,  vostre  très  humble  et  très  obéissant 
3)  serviteur,  Chastillon.  » 

L'armée  que  commandait  Coligny,  après  avoir  opéré  divers 
mouvements  en  Sologne  et  en  Berri,  s'était  rapprochée  d'Or- 
léans. L'armée  catholique,  sous  la  direction  du  duc  de  Guise, 
ayant  successivement  occupé  en  Beauce  et  en  Sologne  plusieurs 
positions,  avait  fini  par  franchir  une  notable  partie  de  la  dis- 
tance qui  la  séparait  originairement  de  cette  ville,  qu'elle  cher- 
chait à  isoler,  afin  d'en  mieux  préparer  le  siège. 

Le  13  janvier,  on  s'attendait  à  voir  Gondé,  qui  avait  été 
transféré  au  château  de  Leneville,  près  de  Ghartres  *,  arriver  à 
Chartres  même  ^,  le  soir,  ou  le  lendemain  matin.  On  l'y  condui- 
sit, en  effet,  vers  cette  époque,  et  il  fut  enfermé  à  l'abbaye  de 
Saint-Pierre  ^. 


1.  De  Lépinois,  hist.  de  Chartres,  1854,  t.  II,  p.  218  et  note.  —  Journal  de 
Bruslard  {Mém.  de  Condé,  t.  I,  p.  117.  —  Calend.  of  state  pap.  foreign.  6jan- 
vier  1563.  Throckmorton  to  the  queen. 

2.  Calend,  of  state  pap.  foreign.  13  janvier  1563.  Throckmorton  to  the  queen. 
■ —  Ibid.  id.  Smith  to  Cecil. 

3.  De  Lépinois,  hist.  de  Chartres,  t.  II,  p.  218  et  note.  —  Beza  Calvino, 
12  janvier  1563  (Baum,  app.  204)  :  t  princeps,  Dei  beueficio  valet  et  animo  et 
>  corpore;  sed  arctissima  custodiatenetur.  >  —  Calend.  of  state  pap.  foreign. 


—  186  — 

Vers  le  16  janvier,  «  on  proposa  à  la  princesse  de  Gondé 
D  quelques  articles  de  paix  :  mais  c'estoit  à  la  manière  accous- 
»  tumée;  estant  mis  en  avant  seulement  que  le  prince  et  le 
y>  connestable  fussent  remis  en  leur  pleine  liberté  pour  parler 
ï)  puis  après  de  la  paix  :  à  quoy  le  prince  mesme  ne  s'accordait 
y>  nullement,,  craignant  qu'on  lui  baillast  quelque  boucon,  au 
y>  partir,  et  prévoyant  que  tous  ces  parlemens  n'auroient  aultre 
»  issue  que  les  précédents.  Il  ne  s'en  ensuivit  donc  aucun  effet, 
y>  Guyse  allumant  tousjours  le  feu  de  son  costé  *  .  » 

Le  20  janvier,  Elisabeth  répondit  à  Goligny,  en  ces  ter- 
mes ^  : 

((  A  l'amiral  de  France.  — Très  cher  et  très  aymé  cousin, 
y>  ayant  reçeu  voz  lettres  du  second  de  ce  moys,  combien  que 
)>  soyons  bien  marrye  de  l'infortune  qu'a  porté  la  bataille,  de 
y>  laprinse  du  prince  votre  chief  :  toutesfois  nous  nous  réjouys- 
»  sons  que  vous  qui  êtes  la  seconde  personne  après  l«y,avecques 
»  plusieurs  aultres  de  voz  associez,  chiefz  de  vostre  compagnye, 
3>  soyez  si  bien  eschappez  ;  et  que  de  l'aultre  costé  tant  de  chiefz 
y>  et  principaux  furent  alors  desconhtz,  morts  et  prins.  Et 
■y>  comme  il  appert  par  voz  lettres  que  vous  vous  soyez  retirez 
))  devers  Orléans  seulement  pour  rafreschir  vos  reistres,  et  sur 
y>  ce  proposez  de  revisiter  vos  ennemis,  en  laquelle  chose  dési- 
))  rez  estre  adverty  de  nostre  intention,  quelle  ayde  et  secours 
y>  vous  pouvez  espérer  de  nous,  affm  que  puissiez  prendre  ré- 
»  solution  de  ce  que  auriez  à  faire,  soit  de  vous  joindre  avecques 
y)  noz  forces,  ou  d'entreprendre  quelque  autre  desseing  ;  en  quoy 


24  janvier  1563,  Smith  to  the  queen  :  «  They  hâve  brought  him  (Gondé)  lo 
«  Chartres  where  he  is  lodged  in  a  small  abbey  called  Saint-Pierre,  where 
î  there  are  bars  of  iron  for  the  Windows  and  other  bars  for  the  stout  prepared 
»  to  make  him  more  sure...  the  prince  is  still  very  fu'm.  » 

1.  De  Bèze,  hist.,  eccl.,  t.  II,  p.  251. 

2.  Forbes,  a  full  view,  etc.,  etc.,  t.  II,  p.  290.  — Calend.  of  state  pap. 
foreign. 


—  187  — 

y>  avons  esté  fort  sollicitée  parvoz  amys  icy  auprès  de  nous  de 
y>  prendre  une  favorable  résolution  :  et  pour  autant  que  desi- 
»  rons  fort  que  ceste  cause  qu'avez  entre  les  mains  puisse 
»  prospérer  à  l'honneur  de  Dieu  et  au  bien  du  roy,  de  son 
5)  royaulme  et  au  repos  de  la  chrestienté,  il  nous  a  semblé  estre 
»  chose  convenable  de  ne  délayer  nostre  responce,  ains  de 
»  communiquer  à  vous  ce  que  nous  avons  considéré  en  toute 
»  ceste  matière  selon  l'occasion  que  avons  pour  le  présent.  — 
y>  Depuis  la  recepté  de  vos  dictes  lettres  du  deuxiesme  de  ce 
»  moys,  nous  sommes  certainement  advertye  par  lettres  de  noz 
y>  ministres  en  France,  que  le  roy  s'en  est  allé  à  Chartres  devers 
»  la  royne  sa  mère,  et  que  les  choses  se  trouvent  en  grande  ap- 
»  parence  d'accord,  par  le  grand  travail  de  ladicte  royne,  et  les 
»  moyens  que  faict  instamment  le  connestable  ;  et  qu'il  y  a 
y>  bonne  apparence  qu'on  vous  concédera  plusieurs  points  fa- 
»  vorables  envers  vous,  lesquelz  ont  esté  tousjours  par  cy-devant 
»  impugnez,  mesmement  par  Les  conseilliers  de  parlement  de 
»  Paris.  Ce  que  par  les  advertissementz  qui  nous  furent  escriptz 
»  quatre  ou  cinq  jours  après  voz  lettres  et  apportez  à  nous 
»  avecques  bon  crédit,  nous  avons  occasioQ  de  surseoir,  ou 
y>  pour  le  moins  changer  telle  part  de  nostre  résolution  que 
5)  autrement  la  matière  nous  eût  pu  donner  occasion  de  faire  : 
»  et  pour  ceste  cause  sommes  maintenant  contraincte  pour  le 
y>  présent  de  prendre  la  résolution  qui  s'en  suit.  —  S'il  est 
y>  vray  que  pouvez  faire  tel  accord  qui  puisse  estre  à  l'honneur  de 
y>  Dieu  et  à  la  seureté  de  vous  mesmes  et  de  voz  associez,  nous 
»  en  serions  fort  bien  contente,  moyennant  que  aussi  il  y  ait 
y>  considération  de  nous,  comment  il  nous  pourra  estre  satis- 
y>  faict  de  noz  justes  et  raisonnables  demandes  ;  à  cette  fin  que, 
»  par  faulte  de  ce,  le  discord  entre  nous  et  ce  royaume-là  n'ap- 

>  porte  une  présente  guerre,  plus  dommageable  pour  ledict 
y>  royaume  que  l'on  debvroit  souhaiter  pour  Testât  d'iceluy,  et 

>  dont  nous  sçavons  que  tant  vous  que  tous  aultr£s  de  bon  ju- 


—  188  — 

ï)  gement  debvriez,  pour  plusieurs  respectz,  avoir  bonne  consi- 
»  dération.  Et  ainsy  faisant,  nous  sommes  bien  contente  vous 
))  faire  ballier  une  certaine  somme  d'argent  en  Normandye, 
»  pour  ayder  à  payer  les  frais  de  vostre  armée.  Et  si  ainsi  soit, 
y>  que  le  traicté  qui  se  manye  à  ceste  heure  à  Chartres  viendra 
))  à  telle  issue,  que  voz  adversaires  ne  vouldront  condescendre 
»  a  voz  raisonnables  conditions  pour  mectre  fin  à  ces  guerres 
y>  cruelles  :  lors  en  ce  cas,  plus  tost  que  vous  et  vos  associez, 
S)  parfaulte  de  secours,  tombiés  en  danger,  nous  vousasseurons 
y>  que  non  seulement  vous  ferons  faire  prompt  paiement  de  l'en- 
))  tière  somme  qu'avons  promise  audict  prince  de  Condé,  mais 
»  aussi,  sur  ung  nouveau  appointement,  raisonnable  à  estre 
»  faict  et  accordé  entre  nous  et  vous  et  vos  associez  durant  la 
))  captivité  dudict  prince,  nous  vous  concéderons  telle  ayde  et 
»  secours,  ou  par  argent,  ou  par  gens,  ou  par  l'un  et  l'autre, 
3>  qu'on  trouvera  raisonnable  et  convenable  pour  nous  et  nostre 
»  estât  de  vous  octroyer  et  donner.  —  Et  pour  ce  nous  desirons 
»  bien  fort  que,  selon  le  succès  que  auront  les  choses  qui  sont 
y>  mises  en  avant  audict  traictement,  nous  puissions  estre  ad- 
TD  vertye  de  vous,  par  deux  ou  trois  voyes  pour  le  plus  seur,  de 
y>  ce  que  trouverez  le  plus  expédient  pour  conduire  et  prosé- 
y>  cuter  la  cause  à  une  bonne  fin,  sans  aucunement  prolonger 
»  et  différer  le  temps,  qui  nuit  et  empesche  le  plus  les  causes 
3)  et  affaires  semblables  à  ceulx-ci  et  engendre  charges  impor- 
y>  tables.  Et  vous  asseurons  que  ne  voulons  faire  délay,  après 
y>  avoir  reçeu  vostre  advertissement  à  ce  que  dessus  on  trouvera 
»  pour  nous  convenable  de  faire,  à  promptement  conduire  à 
ï)  bonne  fin  la  cause  commune.  » 

A  quelques  jours  de  là,  les  deux  armées  n'étaient  plus  éloi- 
gnées l'une  de  l'autre.  Celle  du  duc  de  Guise  se  trouvait  à  quatre 
lieues  d'Orléans;  celle  de  l'amiral  avait  toute  son  infanterie  et 
sa  cavalerie  françaises  dans  cette  place,  et  ses  reistres  à  Gergeau. 
Ce  fut  alors  que,  durant  un  court  séjour  à  Orléans,  l'amiral 


—  189  — 

adressa,   le  24  janvier,  à  la  reine  d'Angleterre  une  dépêche 
ainsi  conçue  ^  : 

«  Madame,  depuis  la  prinse  de  M.  le  prince  de  Condé,  j'ai 
)>  envoyé  trois  despesches  à  voslre  majesté  pour  la  tenir  advertye 
i>  de  Testât  des  affaires  de  deçà,  suyvant  le  grand  désir  que  j'ay 
y>  tousjours  eu,  avec  ceste  compaignie,  de  vous  fayre  entendre 
))  entièrement  toutes  noz  principales  actions  (comme  il  est  trop 
))  raysonnable)  si  la  difficulté  des  chemins  et  passages  ne  nous 
»  en  empeschoit  trop  souvent.  Or,  maintenant,  avec  la  commo- 
»  dite  de  ce  porteur,  je  n'ay  voulu  faillir  d'escripre  la  présente 
y  à  vostre  majesté,  pour  l'advertir  comme  ledict  prince  de 
))  Condé,  encores  qu'il  soit  fort  estroictement  observé  et  gardé, 
))  a  eu  moyen  de  nous  faire  sçavoir  si  ouvertement  de  ses  bonnes 
))  nouvelles,  que  au  lieu  de  recevoir  consolation  de  nous  en  sa 
y>  captivité,  au  contraire  il  nous  renforce  le  courage  et  nous  fait 
))  assez  cognoistre  le  zèle  et  ferme  affection  qu'il  a  à  la  vraye 
»  religion  :  nous  ayant  asseurément  mandé  qlie  quoy  qu'il  luy 
))  puisse  advenir,  il  ne  consentira  jamais  à  chose  qui  soit  contre 
))  le  service  de  Dieu  et  la  liberté  des  consciences,  ni  qui  offense 
))  la  justice  de  nostre  cause;  usant  par  mesme  moyen  d'une  ins- 
))  tante  et  affectionnée  prière  et  requeste  à  tous  ceulxqui  luy  ont 
))  assisté  en  une  si  saincte  et  louable  entreprise  de  ne  le  vouloir 
))  abandonner,  ne  la  cause  de  Dieu  avec  luy,  ce  qu'il  m'a 
))  semblé  ne  devoir  faillir  de  faire  entendre  à  vostre  majesté,  en 
))  la  suppliant  très  humblement,  avec  toute  ceste  compagnie, 
))  de  vouloir  pourchasser  la  délivrance  dudict  prince  de  Condé, 
»  et  embrasser  ceste  dicte  cause  durant  mesmes  la  minorité  de 
»  i;'Ostre  jeune  roy,  laquelle  touche  non  seulemen,  sa  liberté  et 
»  celle  de  son  royaume  et  des  consciences,  mais  aussi  etprinci- 
»  paiement  le  service  de  Dieu  ;  employant  pour  ung  slbon  effect 


1  Forbes,  afull  vjewof  Ihe  public  transactions,  etc.,  etc.,  t.  II,  p.  300  à  302. 
Calend  of  state  pap.  foreign. 


—  190  — 

»  et  en  une  si  saincte  entreprise,  les  grandz  moyens  que  Dieu 
S)  vous  a  mis  en  mains,  suyvant  le  vray  debvoir  des  roys  princes 
))  de  la  terre  (entre  lesquelz  vous  tenez  un  si  grand  lieu),  qui 
5)  est  de  maintenir  la  religion  et  subvenir  aux  oppressez,  selon 
»  aussy  la  parfaite  fiance  que  toute  ceste  compaignie,  a  en 
»  vostre  constance  et  piété,  dont  nous  attendons,  après  Dieu, 
y>  tout  nostre  principal  ayde  et  secours  :  recognoissantz  en  vous 
»  une  vertu  et  assistance  divine,  et  que  Dieu  vous  a  choisie  et 
3)  réservée  en  ce  temps,  et  vous  présente  ceste  occasion  pour, 
»  par  vostre  moyen,  redresser  et  restablir  son  pur  service,  et 
ï>  abattre  l'idolâtrie  par  toute  la  chrestienté  et  mesmes  en  ce 
y>  royaulme;  comme  font  assez  de  foy  toutes  vos  précédentes 
»  actions  et  tantd'effectz  de  vostre  vertu  et  religion  aussy  grandz 
))  et  louables  qu'on  en  ayt  veu  en  prince  ni  princesse  dont  il 
))  soit  mémoire;  ayant  vostre  majesté  partout  démonstré  si  évi- 
3)  demment  n'avoir  autre  but  proposé  que  Tadvancement  de  la 
))  gloire  de  Dieu  :  de  sorte  que  nous  avons  tous  pris  ceste  ferme 
»  asseurance  que,  ne  la  captivité  du  prince  de  Condé,  ne  les 
y>  faultes  que  l'on  nous  pourroit  objecter,  ne  la  débilité  ou  dimi- 
»  nution  de  noz  forces,  ne  tous  les  efforts  de  satan,  ne  les 
y>  ruzes  et  artifices  de  rioz  ennemys,  n'auront  ceste  puissance 
3)  sur  vous,  de  rien  diminuer  ou  refroidir  de  ce  bon  zèle  et 
y>  affection  vous  avez  démonstré  y  avoir;  plustost  y  adjous- 
»  teroient.  —  Or,  pour  vous  rendre  bon  et  ample  compte  de 
y>  Testât  en  quoy  se  retrouvent  noz  affaires,  ensemble  de  noz 
y>  nécessitez,  je  vous  diray,  madame,  que,  suyvant  le  traicté 
»  de  l'association  que  vostre  majesté  a  peu  veoir,  m' ayant  tous- 
»  jours  le  prince  de  Condé  nommé  et  donné  la  charge  de  com- 
»  mander,  en  son  absence,  à  ceste  armée  et  compaignie,  depuys 
3>  sa  prinse,  tous  ceulx  de  ceste  dicte  armée,  tant  estrangiers 
y>  que  de  ce  royaulme,  m'ont  accepté  et  recogneu  pour  chef, 
y>  comme  chacun  sçayt  assez.  Et  parce  que  les  estrangiers  me 
»  demandèrent  après  la  bataille  à  se  rafreschir,  je  les  ay  mis  en 


-  191  — 

»  trois  villes  sur  la  rivière  du  Cher,  que  j'ai  pris  assez  près  de 
y>  nos  ennemys,  lesquelz  parce  qu'ils  faisoient  contenance  3e 
»  venir  assiéger  Orléans,  ayant  passé  le  pont  de  Beaugency 
y>  partie  de  leur  armée,  pour  se  mettre  dedans  un  faulxbourg 
))  nommé  le  Porterau,  je  me  rapprochay  d'eux;  ce  qui  leur  fist 
»  incontinent  changer  de  desseing  et  repasser  le  pont.  De  sorte 
y>  que,  pour  achever  puis  aprez  de  rafraîchir  nosdicts  reistres 
3>  je  les  ay  mis  depuis  en  autre  garnison  audessus  d'Orléans, 
y>  deçà  et  delà  la  rivière,  pour  la  tenir  libre,  et  ay  esté  contraint 
y>  de  prendre  pour  cest  effect,  au  nez  de  nos  dicts  ennemys,  quel- 
»  ques  villes  par  force,  où  sont  maintenant  logez  noz  dicts 
»  reistres  et  notre  cavallerie,  qui  sont  en  nombre  de  quatre  mil 
]f>  chevaulx  et  plus,  délibérez  de  bien  combattre  quand  on  les 
y>  vouldra  employer.  Tout  ce  que  nous  craignons  est  que  les- 
D  dicts  reistres  prennent  ung  mescontentement  du  retardement 
»  de  leur  payement  de  troys  moys  qui  leur  sera  deu  à  la  fm  de 
y>  cestuy-cy,  se  montant,  à  chascun  moys,  tant  pour  eux  que 
»  pour  leurs  gens  de  pied  alemans,  à  six  vingt  mille  livres  : 
y>  duquel  nous  nous  estions  asseurez,  tant  sur  le  premier 
y>  offre  qu'il  a  pieu  à  vostre  majesté  faire  si  libéralement  au 
y>  prince  de  Condé  et  à  ceste  compaigfiie,  que  sur  les  soixante 
3)  mil  escus  d'oultre  plus  dont  ledict  prince  de  Condé  vous  a 
»  requis  par  M.  de  Briquemault.  Ce  qui  nous  fait  tous  supplier 
y>  très  humblement  vostre  majesté  de  nous  faire  ceste  grâce,  de 
»  vouloir  mettre  à  exécution  ce  que  nous  avons  tousjours  ac- 
3>  tendu  et  espéré  de  vostre  bonté,  afin  de  pouvoir  mener  à  une 
2>  si  heureuse  fin  ceste  saincte  entreprise  que,  suy vaut  vostre  in- 
y>  tention,  l'Evangile  puisse  avoir  cours  en  ce  royaume,  et  qu'il 
3>  soit  délivré  de  la  violence  et  tyrannie  dont  il  est  oppressé. 
s>  Et  pour  cest  effect,  il  vous  plaise  vouloir  faire  tenir  lesdictes 
y>  sommes  prestes  au  Havre,  où  nous  les  irons  prendre  et  nous 
ï)  joindre  avec  vos  gens,  pour  delà  aller  parachever,  soubz  la 
3>  confiance  de  ce  bon  Dieu  et  par  vostre  bon  advis,  ce  qui  se 


—  192  — 

D  trouvera  estre  convenable  :  vous  suppliant  très  humblement 
))  vouloiraussiescrireune  lettre  au  mareschal  de  Hessen* ,  pour 
»  continuer  de  bien  s'employer  en  ceste  cause  et  pour  la  liberté 
»  du  prince  de  Condé.  — Au  reste,  madame,  je  ne  veulx  ob- 
»  mectre  à  vous  dire  qu'on  est  en  termes  de  quelque  abouche- 
))  ment  entre  le  prince  de  Condé  et  le  connestable,  mis  en  avant 
))  par  la  roine  mère,  pour  chercher  les  moyens  d'accord  et 
»  pacification  ;  lequel  advenant,  je  ne  fauldray  d'en  advertir 
»  incontinent  et  particulièrement  vostre  majesté;  vous  asseu- 
))  rantque,  de  mon  consentement,  jamais  ne  sera  rien  arresté 
))  en  ce  faict,  sans  vous  y  comprendre,  et  que  premier  n'en 
y>  soyez  advertie,  pour  sur  ce  avoir  vostre  advis.  Et  encores  que 
»  les  choses  ayent  esté  bien  avant  devant  Paris,  je  vous  puis 
5)  dire  en  vérité,  madame,  que  nostre  intention  estoitd'arrester 
))  premièrement  le  point  de  la  religion  (pour  lequel  nous  avons 
))  prins  les  armes  légitimement)  et  pour  faire  cognoistre  de  quel 
))  e?prit  nous  sommes  menez,pour  puis  après  vous  advertir  de  tout, 
%  en  sçavoir  votre  advis,  et  mectre  en  avant  ce  qui  vous  touche  : 
))  chose  qui  est  par  là  assez  aisée  à  cognoistre,  que  mesmes  le 
))  prince  de  Condé  ne  fist  aucune  mention  du  degré  qui  lui  ap- 
»  partient  en  ce  royaulme,  ne  d'autres  chose  que  par  mesme 
»  moyen  il  estoit  nécessaire  de  vuyder,  premier  que  d'arrester 
i>  une  bonne  et  seure  paix.  —  Et  quant  à  ce  que  j'ay  entendu, 
î>  madame,  que  vostre  ambassadeur  M.  Trockmorton  (auquel 
n  j'ay  tousjours  cognu  un  grand  zèle  au  service  de  Dieu  et  au 
»  vostre)  a  escript  luy  avoir  esté  dict  par  le  prince  de  Condé, 
3>  qu'il  n'avoit  point  de  traicté  avec  vostre  majesté,  je  n'ay  ja- 
))  mais  entendu  tenirung  tel  propos  à  M.  le  prince  de  Condé  : 
5)  bian  ledict  ambassadeur  à  dict  quelques  fois  que  vous  ne  aviez 
2)  point  de  traicté  avec  nous,  mais  bien  avec  les  subjetez  de 


1.  Voir  dans  Forbes  (a  full  view  etc.,  etc.,  t.  II,  p.  292)  une  lettre  adressée 
par  la  reine  d'Angleterre  au  maréchal  de  liesse,  en  janvier  1563. 


—  193  — 

»  Normandie,  ainsy  que  luy  mesmes  pourra  dire  et  s'en  ressou- 
y>  venir,  estant  à  présent  de  retour  auprez  de  Vostre  Majesté,  et 
»  adjousta davantage  qu'il  n'avoit  point  décharge  et  instruction 
))  pour  négocier  avec  nous.  Sur  quoy  je  luy  ay  faict  tousjours 
»  entendre  que  je  m'assurois  que  l'intention  de  Vostre  Majesté 
»  estoit  que,  pourveu  que  l'Évangile  fust  presché  en  ce  royaume 
»  et  qu'il  y  eust  liberté  de  consciences,  ensemble  que  vostre 
»  droict  vous  fust  bien  gardé  et  demeurast  en  son  entier,  que 
))  vous  seriez  bien  aise  de  veoir  ces  troubles  pacifiez  par  ung  bon 
»  accord  :  il  appert  assez  par  vostre  protestation  ;  vous  sup- 
))  pliant  très  humblement  croire,  Madame,  que  nous  estimons 
»  tant  vostre  vertu  et  grandeur  et  toutes  vos  actions  si  louables 
y>  et  mémorables,  que  nous  ne  ferions  jamais  une  si  grande 
y>  faulte  que  d'oublier  la  bonté  dont  vous  nous  avez  usé,  à  la 
))  défense  de  ceste  cause  de  Dieu,  et  pour  la  liberté  du  roy  et 
))  de  ce  royaume,  comme  j'ay  prié  M.  le  vidame  et  les  sieurs  de 
))  Briquemault  et  de  la  Haye  vous  faire  entendre,  ensemble  ce 
)j  qu'il  semble  nécessaire  que  Vostre  Majesté  face  s'il  luy  plaist, 
»  pour  le  recouvrement  de  la  liberté  du  prince  de  G  onde  ;  les- 
»  quels  je  vous  prie  très  humblement  croire  de  ce  qu'ils  vous 
y>  diront  de  ma  part  comme  moy  mesmes,  qui,  sur  ce,  supplie- 
»  ray  ce  bon  Dieu  conserver  Vostre  Majesté,  Madame,  en  très 
»  parfaite  santé  et  prospérité,  et  bénir  vos  actions.  —  D'Or- 
»  léans,  ce  24"  de  janvier.  Votre  très  humble  et  très  obéissant 
y>  serviteur,  Chastillon.  )) 

A  cette  même  époque,  Coligny  appela  le  maréchal  de  Hesse 
à  Orléans  et  y  tint  conseil  sur  les  mesures  à  adopter.  «  Là  il 
y  fut  arresté,  pour  deux  raisons  péremptoires,  l'une  pour  des- 
p  tourner  le  siège  d'Orléans,  si  faire  se  pouvoit,  ou  pour  le 
))  moins  pour  contraindre  l'ennemi  de  diviser  ses  forces,  l'autre 
))  pour  recevoir  l'argent  d'xVngleterre  et  le  délivrer  aux  reistres 
))  comme  on  leur  avoit  promis,  que  l'amiral  avec  les  reistrv?s 
»  et  quelque  partie  de  la  noblesse   française   tireroit  droit 

II.  13 


—  194  — 

y>  en  Normandie,  laissant  toute  l'infanierie  avec  le  surplus  de 
»  la  cavalerie  Françoise  conduite  par  bons  et  sages  capitaines, 
y>  comme  entre  autres  Duras,  Bouchavanes,  Bussy,  Saint-Gyr, 
■))  Avaret,  et  autres  pour  la  défense  de  la  ville,  sous  le  gouver- 
y>  nement  de  d'Andelot,  qui  se  rendit  difficile  à  recevoir  caste 
))  charge,  à  cause  de  la  fièvre  quarte  qui  le  travailloit  infmi- 
))  ment  :  mais  finalement  s'y  accorda,  n'ayant  jamais  voulu  les 
))  habilans  recevoir  Grammont,  auquel  ils  avoient  si  peu  de 
y>  fiance,  qu'ils  dirent  en  sa  présence  que,  si  on  le  leur  bailloit 
))  pour  gouverneur,  ils  se  tenoient  pour  perdus  et  aymoient 
))  mieux  tous  desloger  de  la  ville  et  le  suivre  en  Normandie. 
»  Gela  estonna  la  princesse  de  Gondé,  à  laquelle  ils  dirent  de- 
))  puis,  à  part,  qu'ils  le  tenoient  pour  un  traistre  et  meschant 
))  homme;  qui  fust  cause  que  l'amiral,  voyant  que  Grammont 
)>  faisoit  semblant  de  n'ouir  point  ces  choses,  ne  répliquoit 
D  rien  et  mesmes  ne  s'excusoit  point  de  prendre  ceste  charge, 
))  au  lieu  de  le  laisser  pour  gouverneur,  l'emmena  mesmes 
»  en  Normandie  avec  les  autres  * .  » 

En  prenant  le  parti  de  se  rendre  dans  cette  province,  Goli- 
gny  ne  se  dissimulait  pas  qu'il  s'exposait  au  danger  d'être  suivi 
et  harcelé  dans  sa  marche  par  le  duc  de  Guise.  Lui-même 
nous  fait  part  de  ses  appréhensions  à  cet  égard  dans  le  passage 
suivant  de  l'un  de  ses  écrits^  : 

«  Afm  que  chacun  cognoisse  si  ledit  seigneur  admirai  avoit 
»  raison  de  craindre  telle  chose,  il  a  bien  voulu  sommairement 
))  escrire  ce  qui  le  mouvoit  à  cela.  Premièrement,  il  ne  pou- 
»  .voit  ignorer  que  ledit  seigneur  de  Guise  ne  fust  bien  adverti 
)^  de  son  allée,  puisqu'il  avoit  esté  contraint  de  le  dire  publi- 
»  quement  en  pleine  assemblée  des  reistres,  plus  de  huit  jours 

1.  De  Bèze,  Hist.  eccl,  t.  II,  p.  253,  254. 

2.  «  Déclaration  du  5  mai  1563,  du  seigneur  admirai,  quant  à  son  fait  par- 
1  iiculier,  sur  certains  poincts  desquels  aucuns  ont  voulu  tirer  des  conjectures 
ï  mal  fondées.  >  {Mém.  de  Condé,  t.  IV,  p.  339  à  âi9.) 


—  195  — 

))  auparavant  son  parlement.  El  ne  pouvoit  partir  plustost,  parce 
3)  qu'il  falloit  laisser  tous  les  chariots  et  bagage  desdits  reis- 
))  Ires  audit  Orléans  ;  ce  qu'il  eut  assez  de  peine  de  faire,  estant 
3)  Chose  non  veue  ni  accoustumée  auparavant,  entre  lesdicts 
))  reistres,  laquelle  il  exécuta  néantmoins  avec  la  plus  grande 
»  dihgence  qu'il  peut  ^  Et  si  cependant  ledit  seigneur  de  Guise 
»  en  pouvoit  estre  adverty,  il  n'en  faut  point  douter,  veu  les 
))  personnes  qui  estoient  parmy  lesdits  reistres  pour  les  prati- 
«  quer,  et  mesmes  qu'il  y  en  avoit  tfntre  eux  qui  Festoient  déjà, 
»  et  desquels  le  mareschal  de  Hessen  et  aucuns  des  reitmais-  ' 
»  très  avoient  fort  mauvaise  opinion.  Aussi,  ledit  seigneur  ad 
))  mirai  estoit  seurement  adverty  qu'il  avoit  esté  mandé  partout 
»  en  Normandie  qu'on  fist  tous  les  empeschemens  qui  se 
»  pourroient  faire  à  son  passage,  tant  pour  les  vivres  que  gé- 
»  néralenient  pour  toutes  choses  qui  pouvoyent  incommoder 
y)  une  armée.  Et  pour  plus  grande  approbation,  il  luy  en  est 
))  tombé  plusieurs  lettres  entre  les  mains,  par  lesquelles  tels 
»  mandemens  estoyent  faits,  et  surtout  de  retirer  tous  les  vi- 
»  vres  dedans  les  villes  fermées,  oster  les  fers  des  mouhns, 
y>  comme  il  fust  trouvé  exécuté  en  plusieurs  lieux,  et  courir  sus 
y>  par  toutes  voyes  à  ceux  de  son  armée.  Si  doncques  les  villes 
))  de  Caën,  Hontleur,  Pontaudemer,  Touques  et  autres,  eus- 
y>  sent  esté  pourveues,  il  estoit  impossible  que  ledit  seigneur 
))  admirai  se  fust  aproché  de  la  mer  pour  recueillir  l'argent 
))  ([u'il  attendoit  pour  le  payement  des  reistres.  Lequel  cas 
)i  leur  estant  cogneu,  il  y  avoit  plus  d'apparence  d'un  mutine- 
j)  ment  que  d'autre  chose ,  veu  le  langage  qu'ils  tenoyent 
))  ordinairement  :  et  si  d'autre  part,  ledict  seigneur  de  Guyse 

i.  «  Cependant  que  M.  l'admirai  donnait  ordre  pour  son  voyage  de  Nor- 
y>  ïiiandie  qu'il  avoit  délibéré  de  faire  sans  gens  de  pied  ny  aucun  bagage,  pour 
s  marcher  plus  légèreraenl,  il  eut  grand  peine  à  faire  condescendre  nos  reistres 
î  de  laisser  leurs  chariots,  ce  qu'enfin  il  obtint  d'eux,  qui  est  chose  qui  ne 
»  s'cstoit  encore  veue.  »  {Mém.  de  Mergey.  —  Brantôme,  éd.  L.  Lai.,  t.  IV, 
p.  320.) 


—  196  — 

»  se  fust  mis  en  queue,  il  est  bien  croyable  que  le  seigneur 

))  admirai  avec  son  armée  eust  eu  beaucoup  à  souffrir;  pour  le 

y>  moins,  il  ne  luy  eust  point  esté  possible  de  s'approcher  de  la 

j>  mer,  d'où  dcpendoit  tout  le  secours  qu'il  pouvoit  espérer, 

y>  et  sans  lequel  il  ne  pouvoit  faire  ledict  payement;  par  où  se 

»  fust  dedans  peu  de  jours  ensuivie  sa  totale  ruine,  voire  sans 

))  pouvoir  combattre  :  car  depuis  que  la  plaine  de  Nefbourg 

y>  est  passée,  le  pays  est  si  désavantageux,  que  500  harquebou- 

»  siers  eussent  fait  recevoir  une  honte  à  dix  mille  chevaux  ;  et 

»  la  chose  que  ledict  seigneur  admirai  eust  peu  plus  désirer  en 

))  telle  nécessité  eust  esté  de  combattre  :  ce  qu'il  n'eust  peu 

*  faire  qu'avec  tous  les  désavantages  qu'on  eust  peu  imaginer, 

))  d'autant  qu'il  y  avoit  plusieurs  bonnes  villes  fermées,  de- 

y>  vaut,  derrière  et  à  costé  de  luy,  dedans  lesquelles  les  enne- 

y>  mis  se  pouvoient  retirer.   Il  y  avoit  davantage  une  autre 

»  grande  incommodité,  c'est  qu'en  ce  pays-là  les  villages  sont 

»  si  mauvais  et  les  maisons  si  escartées,  qu'on  ne  pouvoit  la 

»  pluspart  du  temps  loger  cinquante  chevaux  ensemble.  Toutes 

))  ces  difficultez  et  incommoditez  estoient  assez  cogneues  au- 

))  dict  seigneur  de  Guyse  et  à  tous  les  capitaines  de  son  armée, 

»  qui  faisoit  penser  audict  seigneur  admirai,  que  plustost  il 

))  prendrait  le  chemin  de  le  suivre,  que  d'assiéger  Orléans  : 

))  car  deffaisant  la  troupe  que  ledict  seigneur  admirai  condui- 

))  soit,  il  estoit  bien  certain  qu'Orléans  se  perdoit;  et  au  con- 

ji)  traire  quand  Orléans  eust  esté  perdu  et  que  la  troupe  dudit 

»  seigneur  admirai  fûst  demeurée  en  pied,  il  y  avoit  d'autres 

))  moyens  de  continuer  la  guerre.  » 

Avant  de  quitter  Orléans  pour  se  rendre  en  Normandie  l'a- 
miral adressa,  le  29  janvier,  à  la  reine  d'Angleterre  une  nou- 
velle lettre,  non  moins  importante  que  les  précédentes  ^  : 

<(  Madame,  lui  disait-il,  je  n'ay  voulu  faillir  de    advertir 

•     1.  Forbes,  «Fh//   view,  de,  t.  11,  p.  319   à  321.    (Calend,   of  State  pap, 
foreign.) 


—  197  — 

»  incontinent  Vostre  Majesté  par  ce  porteur,  comme  aujour- 
))  d'huy  j'ay  pris  résolution  avec  le  maresclial  de  Hessen,  les 
))  reitmestres  et  reistres,  de  les  mener  en  Normandie;  leur 
y>  ayant  donné  assurance  de  là  leur  faire  recevoir,  par  le  moyen 
))  et  bon  ayde  de  Vostre  Majesté,  leur  payement  :  duquel  ceste 
»  compaignie  s'est  entièrement  assurée  sur  vostre  bonté  et  sur 
»  les  promesses  et  offres  qu'il  a  pieu  à  Vostre  Majesté  faire  si 
))  libéralement  au  prince  de  Gondé  et  à  nous  ;  ayant  tousjours 
»  tenu  ce  secours  indubitable,  et  d'aultant  plus  certayn  que, 
»  depuis  que  Dieu  vous  a  mis  le  sceptre  en  la  mayn,  chascun 
y>  a  veu  que  vous  avez  embrassé  ceste  cause  de  Dieu  avec  une 
y>  ferveur  si  chrestienne  et  des  déportemens  si  mémorables, 
))  que  nous  ne  pourrions  jamais  penser  que  aucune  mutation 
3)  ou  artifice  humain  vous  eust  pu  desmouvoir  de  ceste  bonne 
y>  volonté  et  saincte  intention.  Advisant  au  reste  Vostre  Ma- 
»  jesté.  Madame,  que  j'ay  faict  condescendre  les  reitres  à 
»  laisser  tous  leurs  bagages  et  empeschemens  en  ceste  ville, 
))  chose  non  auparavant  ouye  :  de  sorte  que,  dedans  le  dix  ou 
))  douziesme  de  ce  moys  de  febvrier  prochain,  au  plus  lard,  avec 
))  l'aide  de  Dieu,  nous  serons  bien  prez  du  Havre  de  Grâce,  en 
))  bonne  délibération  et  résolution  de  nous  employer  et  eulx 
»  par  vostre  advis  et  soubz  la  confiance  de  nostre  bon  Dieu, 
j)  en  ce  qui  se  trouvera  eslre  convenable,  aprez  qu'ils  auront 
))  reçeu  leur  payement  qui  leur  est  deu  de  troys  moys,  se  mon- 
»  tant  chascun  moys  à  six-vingtz  mil  livres,  comme  j'ay  cy-de- 
y>  vantfaici  entendre  àVostre  Majesté,  laquelle  seulement  je  sup- 
»  plieray,  sur  ce,  très  humblement.  Madame,  vouloir  mettre  en 
^  consydération  combien  cela  importeroyt,  non  seulement  à  moy, 
))  à  toute  ceste  compaignie  et  généralement  à  tous  les  fidèles 
»  de  ce  royaume,  mais  aussy  de  quelle  conséquence  ce  qui  en 
»  adviendra  par  aprez  seroit  pour  toute  l'Église  chrestienne, 
))  ensemble  pour  le  recouvrement  de  la  liberté  du  prince  de 
y>  Gondé,  si,  les  ayant  menez  jusque-là,  il  y  avoit  faulte  de 


—  198  — 

»  leur  dict  payement,  et  que  nostre  attente  fust  frustrée  : 
»  chose  que  nous  assurons  que  Dieu  et  Vostre  Majesté  ne  per- 
»  mettra  point.  —  Il  me  reste  doncques  à  vous  tenir  advertie, 
))  Madame,  de  Testât  en  quoy  se  retrouvent  noz  affaires,  qui 
y>  est  tel  :  que  le  prince  de  G  onde  continue  de  se  déporter  en  sa 
»  captivité  constamment  et  vertueusement,  comme  nous  co- 
))  gnoissons  pas  toutes  les  nouvelles  que  nous  avons  de  luy, 
))  Noz  ennemis  font  courir  le  bruict  de  venir  assiéger  ceste  ville 
))  où,  si  ilz  s'adressent,  ilz  y  trouveront  des  gens  si  bien  déli- 
))  bérez  de  les  recevoir  que,  avec  l'aide  de  Dieu,  ils  n'y  gaigne- 
»  ront  que  de  la  honte  et  confusion  :  et  y  ay  laissé  M.  d'An- 
))  delot,  mon  frère,  pour  la  garder.  Nous  venons  maintenant 
»  d'estre  advertiz  de  Lyon  par  M.  de  Soubize,  comme  le  baron 
»  des  Adrez  ayant  esté  pratiqué  par  M.  de  Nemours,  avoit 
»  comploté  de  faire  entrer  quelque  gendarmerie  et  gens  de  pied 
j)  de  M.  de  Nemours  dedans  Rommans,  ville  de  Daulphiné, 
;)  dont  il  a  esté  empesché  par  le  sieur  de  Mouvans  et  par  la 
»  noblesse  du  pays,  qui  se  sont  saisiz  de  sa  personne  et  l'ont 
»  mené  prisonnier  à  Valence  pour  l'envoyer  en  Languedoc 
»  devers  mon  frère,  naguères  cardinal  de  Chastillon,  et  M.  de 
»  Crussol  (qui  ont  presque  déhvré  tout  le  dict  pays  de  Lan- 
))  guedoc  de  la  tyrannie  des  ennemis  de  Dieu  et  du  roy), 
))  afm  de  le  faire  punir  et  servir  d'exemple  aux  autres  dé- 
))  serteurs  de  Dieu,  de  leur  debvoir  et  de  la  patrie.  Sur  ce 
»  voyant  le  dict  M.  de  Nemours  son  entreprise  faillie  et  aussy 
»  que  beaucoup  de  gens  de  guerre  estoyent  sortys  de  Lyon  pour 
»  y  faire  entrer  des  vivres,  a  voulu  surprendre  le  dict  Lyon 
))  par  escalade;  mais  il  a  esté  repoussé  vivement  avec  meurtre 
j)  de  ses  gens,  et  la  dite  ville  pourveue  de  vivres  pour  plus  de 
))  Lroys  moys;  de  sorte  que  le  Lyonnais  et  Daulphiné  sont  au- 
»  jourd'huy  conservez  du  grand  danger  où  ilz  estoient  par  les 
•)  menées  de  noz  ennemys.  —  C'est  tout  ce  que  je  feray  en- 
»  tendre  pour  le  présent  à  Vostre  Majesté,  pour  ne  l'ennuyer 


—  199  — 
y>  de  longue  lettre,  la  suppliant  très  humblement  d'avoir  si 
y>  bonne  souvenance  du  prince  de  Condé  et  de  toute  ceste  com- 
y>  paignie,  que  nous  ressentons  le  secours  et  faveur  de  vostre 
y>  bonté  et  grandeur  autant  que  l'occasion,  la  nécessité  pré- 
))  sente  et  la  justice  de  ceste  cause  lé  requièrent  ;  sur  ce,  fai- 
»  sant  requeste  à  Dieu  de  conserver  Vostre  Majesté,  Madame, 
»  en  très  parfaite  santé  et  prospérité,  et  bényr  toutes  vos  actions. 
3)  —  Je  ne  veulx  aussy  obmettre  à  vous  dire,  Madame,  que 
»  M.  de  Guyse  a  fait  escrire  une  lettre  signée  du  roy,  de  la 
y>  royne  mère  et  de  quelques  princes  adressant  aux  princes  de 
»  l'empire  et  une  autre  au  mareschal  de  Hessen  et  reitmestres, 
y>  que  pareillement  le  dict  sieur  de  Guyse  a  contrainct  jusques 
y>  aux  petits  princes  estant  en  bas  âge  de  signer,  pour  décla- 
y>  rer  que  toute  ceste  compaignie  est  rebelle  et  séditieuse.  — 
»  Vostre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur.  D'Orléans,  ce 
y>  XXIX"  janvier  1562  (1563.  n.  s.)  Ghastillon.  —  Il  vous 
»  playra,  Madame,  croyre  messieurs  le  vidame,  Briquemault  et 
y>  de  la  Haye,  ensemble  ce  gentilhomme,  présent  porteur,  de  ce 
3>  qu'ilz  diront  à  Vostre  Majesté.  » 

Au  moment  où  Goligny  allait  se  diriger  vers  la  Normandie, 
c'est-à-dire  à  la  fin  de  janvier,  Catherine  de  Médicis,  indirec- 
tement avisée  de  ses  projets,  et  fidèle  à  une  méthode  d'atermoie- 
mens  et  de  pourparlers  dont  elle  eût  dû  cependant  se  départir, 
après  tant  d'insuccès,  «  lui  écrivit,  le  priant  de  différer  son 
»  entreprise  pour  quelques  jours  durant  lesquels  elle  se  déli- 
))  béroit  d'entendre  à  la  paix  :  à  quoy  il  respondit  qu'il  n'avoit 
3)  jamais  rien  désiré,  ni  ne  désiroit  rien  plus  que  la  paix,  pour 
))  laquelle  moyenner  il  conseilloit  que  le  prince  et  le  con- 
))  nestable  s'entrevissent,  demeurant  toutesfois  tous  deux 
3)  prisonniers  ;  mais  au  reste  qu'il  pourvoirait  à  ses  affaires 
))  sans  plus  s'arrester  à  parlementer,  sçachant  combien  de 
y>  bonnes  occasions  s'étaient  perdues  sous  tel  prétexte  *  » . 

i.  De  Bèze,  Hist.  ecd.,  t.  II,  p.  256.  —  Voy.,  sur  le  projet  d'entrevue  du 


—  200 

La  dépêche  de  Goligny  en  réponse  à  celle  que  lui  avait  expédiée 
Catherine  de  Médicis,  ne  parvint  point  entre  les  mains  de  cette 
princesse.  Vivement  blessée  de  n'avoir  rien  reçu,  concevant  de 
graves  soupçons,  qui  bientôt  pour  elle  se  changèrent  en  cer- 
titude; et  les  dirigeant  contre  un  personnage  autre  que  l'ami- 
ral, dont  elle  connaissait  la  scrupuleuse  ponctualité  en  toutes 
choses  et  particulièrement  en  matière  de  correspondance,  elle 
ne^tarda  pas  à  se  plaindre  assez  haut  pour  que  le  blâme  qu'elle 
déversa  sur  la  main  qui,  dans  l'ombre,  avait  intercepté  la  dé- 
pêche, parvînt  à  son  adresse.  Le  duc  de  Guise,  que  ce  blâme 
atteignait  en  la  personne  de  ses  affidés,  affecta  de  garder  le  si- 
lence. 

La  princesse  de  Gondé  le  savait  opposé  à  tout  projet  de  paix, 
et  par  cela  même  à  toute  entrevue  du  prince  avec  le  connétable. 
Aussi,  lorsqu'elle  entendit  ce  dernier  proférer,  au  sujet  de  la 
non-réception  de  la  dépêche  de  l'amiral,  des  plaintes  sembla- 
bles à  celles  qui  étaient  sorties  de  la  bouche  de  la  reine  mère, 
trouva-t-elle  le  secret  de  l'apaiser  par  un  trait  d'esprit  dont 
l'originalité  le  fit  sourire  ;  «  c'est  à  sçavoir  que  leurs  ennemys, 
))  qu'il  cognoissait  très  mal,  faisoient  du  prince  son  mary  et 
■))  de  luy  comme  les  Parisiens  de  la  chasse  de  saincte  Geneviève 
D  et  de  celle  de  sainct  Marceau,  lesquelles  ils  ne  permectoient 
))  jamais  approcher  trop  près  l'une  de  l'autre,  de  peiir  que  le 
y>  parentage  ne  les  fist  embrasser  tellement  ensemble,  qu'on  ne 
»  les  peust  jamais  séparer  puis  après  ».  La  comparaison  ici 
n'était-elle  pas  tant  soit  peuforcée?Une  généreuse  illusion  ne 


pi'ince  et  du  connétable,  un  manuscrit  intitulé  :  «  Advys  de  monsieur  l'admirai 
»  de  Chastillon  et  des  seigneurs  eslans  avec  luy  à  Orléans.  »  (Bibl.  nat.,  rass. 
f.  fr.,  vol.  3194,  f  16,  et  Mém.  de  Condé,  t.  IV,  p.  277.) 

1.  Th.  de  Bèze,  Hist.  eccl,  t.  II,  p.  256.  —  De  Thou  {Hist.  univ.,  t.  lU, 
p.  390),  pense  que  la  princesse  de  Condé,  par  la  comparaison  à  laquelle  elle 
avait  recours  vis-à-vis  de  son  grand  oncle,  «  prétendait  faire  entendre  à  ce 
vieux  seigneur,  qu'il  devait,  dans  la  suite,  s'unir  au  prince  de  Condé  et  ne 
pas  souffrir  qu'on  les  séparât  jamais,  pour  quelque  raison  que  ce  pût  être  » . 


—  201  — 
l'avait-elle  pas  dictée?  car,  qui  ne  sait  que,  si  Louis  de  Bour- 
bon était  d'un  naturel  ouvert,  Anne  de  Montmorency,  à  l'in- 
verse, n'était  pas  précisément  enclin  aux  affectueuses  effu- 
sions du  parentage!  Et  surtout,  comment  ne  pas  reconnaître 
que,  loin  de  pouvoir  se  rencontrer  et  se  donner  la  main  sur  le 
terrain  de  la  liberté  religieuse,  le  petit-neveu  et  le  grand-oncle 
risquaient  singulièrement,  lors  de  toute  entrevue  qui  leur 
serait  ménagée,  de  demeurer  à  dislance  l'un  de  l'autre,  en  se 
retranchant,  le  premier  dans  l'édit  de  janvier  et  le  second 
dans  l'absolutisme  de  l'intolérance. 

Le  30  janvier,  l'amiral  adressa  par  écrit  au  prince  de  Condé 
quelques  informations  qu'il  accompagna  de  virils  encourage- 
ments. 

«  Monseigneur,  lui  disait-il  \  j'ay  reçu  la  lettre  qu'il  vous 
))  a  plû  m'escripre  par  ce  Trompette,  présent  porteur ,  qui  fait 
))  mention  d'ung  mémoire  que  vous  m'envoyés, lequel  vous  avait 
»  esté  porté  par  messieurs  le  cardinal  de  Bourbon,  deMontpen- 
))  sier,  de  Guise  et  cardinal,  son  frère;  mais  je  n'ay  point  veu 
»  ledit  mémoire,  et  m'a  fait  asseurerle  trompette  que  Tonne  luy 
)>  en  a  point  baillé,  parquoy  je  ne  vous  puys  rien  respondre  là- 
))  dessus,  mais  bien  que  messieurs  de  Boucart  et  d'Esternay 
3  seront  prests  quand  vous  le  manderés  ;  et  au  regard  de  mes- 
y>  sieurs  de  Limoges  et  d'Oisel,  qui  doibvent  icy  venir,  ils  seront 
»  reçus  et  traités  selon  vostre  intention  et  comme  ils  méritent, 
))  veu  le  lieu  d'où  ils  sont  envoyés,  lesquelz  sont  assez  congnus 
»  pour  gens  de  bon  entendement,  et  qui  ont  tousjours  esté 
^>  nourris  aux  affaires,  et  pour  ceste  cause  seront-ils  plus  ca- 
»  pables  de  raison,  car  l'on  ne  proposera  jamais  rien  de  ceste 
j:>  part  contraire  à  cela,  mesmes  pour  parvenir  à  une  bonne 
»  paix,  car  vous  sçavés  que  l'on  n'a  jamais  rien  tant  cherché 
))  ny  désiré.  Quant  à  l'eschange  des  prisonniers  dont  m'escrip- 
y>  vez,  vous  en  ferés  entendre  vostre  volonté  par  ceulx  qui  iront 

1.  Bibl.  nat.,  mss.  f.  fr.,voI.  3-410,  f»  45. 


—  202  — 

y>  devers  vous,  et  l'on  ne  fauldra  point  de  la  suivre.  Au  demeu- 
y>  rant,  monseigneur,  j'ay  communiqué  vostre  lettre  à  tous  les 
-&  seigneurs  de  ceste  compagnie ,  qui  tous  se  recommandent , 
»  comme  aussy  faicts-je  très  humblement,  à  votre  bonne  grâce  ; 
y>  et  louons  tous  Dieu  de  la  grâce  qu'il  vous  faict  de  persévérer 
»  en  la  sainte  vocation  en  laquelle  il  vous  appelle;  parce  moïen 
y>  vous  en  recepveré  la  récompense  qu'il  promect  aux  siens, 
y>  mais  nous  vous  supplions  tous,  au  nom  de  Dieu,  de  n'avoir 
))  rien  devant  les  yeulx  que  ce  qui  appartient  à  sa  gloire,  et  par 
))  ce  moïen  vous  et  nous  serons  bien  heureux.  D'Orléans  oe 
»  XXX  de  janvier.  ï) 

Ce  même  jour,  30  janvier,  Coligny  expédia  d'Orléans  la  lettre 
suivante  à  l'un  des  princes  protestants  d'Allemagne^  : 

((  Monseigneur,  si  la  commodité  des  chemins  eust  esté  aussi 
y>  libre  et  aisée,  comme  la  difficulté  des  passages  est  grande, 
»  ny  vous  n'eussiez  esté  si  longuement  sans  de  nostre  part  en- 
))  tendre  les  occurrences  des  aiïaires  de  deçà,  ny  nous  en  la  peine 
))  où  nous  nous  retrouvons,  de  nous  voir  frustrez  et  privez  du 
y>  bien  de  vous  en  pouvoir  mander  la  mesure  qu'elles  succèdent, 
»  d'autant  que  cela  serait  cause  de  retrancher  le  cours  à  beau- 
))  coup  de  faux  rapports  et  calomnies  dont  nos  ennemis  ne 
))  sont  que  par  trop  coustumiers  de  s'ayder,  cuidans,  par  ces 
»  moyens  donner  quelque  lustre  et  couleur  à  la  mauvaise  que- 
»  relie  que  si  opiniastrement  ils  soustiennent,  et  au  contraire 
y>  de  tant  plus  desfavoriser  la  justice  de  la  nostre  :  car  encores 
))  que  depuis  la  prise  de  monsieur  le  prince,  j'aye  dépesché 
y>  plusieurs  messagiers  pour  cest  effect  par  de  là,  si  est-ce  que 
))  j'aye  bien  sçeu  que  les  uns  ont  été  tuez  et  deffaicts,  et  les 
»  autres  n'ont  sçeu  passer;  qui  sera  cause  que  vostre  Excel- 
))  lence  maintenant  m'excusera  bien,  s'il  luy  plaist,  envers  les 
»  aultres  princes  et  seigneurs,  si  je  ne  charge  le  présent  porteur 

1.  Mém.  de  Condé,  t.  IV,  p.  212. 


—  203  — 

y>  que  de  ceste  lettre,  et  si  je  vous  supplie  que  la  substance 
»  leur  en  soit  communiquée,  afin  que  pius  facilement  il  puisse 
»  seurement  eschapper,  par  laquelle  succintement  je  vous  dé- 
))  duyray  comme  bientost  après  la  bataille  donnée  (de  la  forme 
»  et  événement  de  laquelle  je  vous  ai  envoyé  un  discours),  vou- 
))  lant,  ainsy  qu'il  estoit  bien  raisonnable  faire  rafreschir  ceste 
»  armée  et  priocipalement  les  reistres,  je  les  ay  amenez  aux 
))  environs  de  ceste  ville,  à  douze  ou  quinze  lieues  près,  où  ils 
y>  ont  esté  quelque  temps  en  garnison  en  certaines  \illes  qu'il 
,))  m'a  fallu  prendre  par  force,  à  la  barbe  de  nos  ennemis,  les- 
D  quels  nous  ont  tousjours  depuis  cottoyé  et  suyvy  ces  inten- 
))  lions,  comme  ils  faisoient  semblant,  de  vouloir  assiéger  ceste 
))  dite  ville;  et  de  faict,  font  encores  mine  de  continuer  leurs 
))  premiers  dessins,  qu'ayant  d'un  costé  gaigné  la  rivière  au- 
»  dessous,  et  nous  estans  les  maistres  au-dessus;  à  quoy  nous 
y)  espérons  si  bien  pourvoir,  moyennant  l'assistance  et  grâce  de 
))  Dieu,  que,  s'ils  s'y  attachent,  ils  n'en  rapporteront  pour  ré- 
»  compense  de  leurs  entreprises  que  la  honte  et  confusion  qu'ils 
»  méritent,  et,  possible,  la  sépulture  de  ceux  qui  sont  sidésireux 
))  etaffamez  de  nostre  vie;  et,  pour  cest  effect,  je  y  laisse  mon 
»  frère,  monsieur  d'Andelot,  accompagné  d'un  bon  nombre  de 
))  sages  et  vaillans  capitaines,  garnis  de  forces  que  nous  estimons 
»  estre  suffisantes  pour  la  garder;  et,  de  moy,jeme  tiendi^ay 
»  avec  la  cavalerie  en  compagnie,  pour,  si  l'occasion  se  pré- 
»  sente  de  rencontrer  l'ennemy,  luy  présenter  une  autre  bataille 
))  sinon,  adviser  de  dresser  quelque  autre  entreprise,  dont  je  ne 
»  faudray  incontinent  vous  advertir.  Cependant  je  serais  bien 
y>  marry  devons  celer  le  louable  et  vertueux  devoir  auquel  M.  le 
))  maréchal  deHessen,  les  reitmestres  et  reistres  s'employent, 
»  suyvantle  commandement  qu'ils  publient  partout  en  avoir  de 
»  leurs  très  illustres  princes;  quiesttel,  jevousasseure,quenous 
y>  nous  en  ressentons  de  beaucoup  vos  redevables,  et  eux  dignes 
y>  d'une  très  grande  louange,  et  mesmement,  en  ce  qu'ilz  se  sont 


—  204  — 

y>  jusques  icy  tant  constamment  comportez,  qu'ils  ont  i'aict,  quoi- 
))  qu'ils  aient  vu  mondit  seigneur  le  prince  prisonnier,  mesme 
»  de  ne  s'estre  voulu  laisser  gaigner  aux  pratiques  et  menées  que 
»  le  sieur  de  Guyse  leur  a  secrètement  faict  faire,  tant  par 
»  lettres  de  la  royne  mère,  que  par  tant  d'autres  persuasions; 
D  dont  il  plaira  à  l'Excellence  de  vous,  Monseigneur,  et  de  vos 
))  bons  parens,  leur  faire  entendre  le  contentement  que  nous 
»  en  recevons,  et  par  mesme  moyen  leur  mander  qu'ils  per- 
))  sévèrent  et  continuent  en  ceste  bonne  dévotion,  afin  de  da- 
»  vantage  augmenter  et  accroistre  leur,  affection  et  volonté,  à 
y>  propos  desquelles  persuasions  j'ay  pensé  ne  devoir  objnettre 
y>  l'advertissement  que  j'ai  eu  de  l'artifice  dont  ledict  sieur  de 
»  Guyse  se  veut  maintenant  aider,  tant  en  vostre  endroict,  que 
>  de  tous  les  autres  princes  et  seigneurs  de  l'empire  :  c'est  que 
»  ne  pouvant  plus  justement  tenir  les  armes  en  main,  pourn'a- 
»  voir  aucune  qualité  capable  en  ce  royaume,  qui  légitimement 
»  l'appelé  à  ce  faire,  estant  le  roy  mineur  et  en  bas  âge,  mon- 
))  sieur  le  prince  naturel  lieutenant-général  de  Sa  Majesté,  et 
»  M.  le  connestable  prisonnier,  n'a  sçeu  inventer  autre  plus 
))  grande  ruze,  sinon  d'extorquer  un  escrit  qu'il  a  fait  signer  au 
»  roy,  à  la  royne,  à  monseigneur,  frère  du  roi,  à  M.  le  prince  de 
»  Navarre,  messieurs  les  cardinal  de  Bourbon,  duc  de  Mont- 
»  pensier,  comte  daulphin,  prince  de  laRoche-sur-Yon,  lequel,  à 
ï-  ce  que  l'on  m'a  dict,  vous  a  esté  envoyé,  déclaratif  comme  mon- 
))  dit  sieur  le  prince  de  Gondé  et  les  auUres  princes,  chevaliers, 
»  seigneurs  et  gentilshommes,  fidèles  et  loyaux  subjets  et  servi- 
))  teurs  de  Sa  Majesté,  ses  associez ,  n'ont  entrepris  ceste  que- 
»  relie  pour  son  service  ny  pour  le  bien  de  la  religion,  ains 
))  pour  quelque  passion  particulière,  sans  la  déclairer,  ni  à  l'en- 
y>  contre  de  qui  ;  chose  aussi  ridicule  que  captieusement  bastie 
»  et  dressée;  et  de  faire,  si  l'on  veut  regarder  la  condition  de 
»  ceux  qui  ont  signé,  dont  il  y  a  quatre  enfants,  la  roine  inti- 
))  midée  par  ledit  sieur  de  Guyse,  M.  le  cardinal  de  Bourbon 


—  205  — 

»  contraire  à  la  religion,  M.  de  Montpensier  encore  plus  en- 
y>  nemy,  M.  le  prince  de  la  Roche-sur-Yon,  persuadé  et  par  la 
))  roine  et  par  son  frère,  il  sera  facile  à  juger  quelle  efficace  peut 
»  et  doit  avoir  telle  déclaration,  et  combien  que  les  moyens 
))  qu'ils  ont  cy-devant  ouverts  pour  entrer  en  une  feinte  pacifi- 
))  cation,  lorsque  nous  estions  devant  Paris,  tesmoignent  assez 
»  à  rencontre  de  cet  escrit,  toutesfois,  afin  de  rendre  tousjours 
»  le  droit  de  nostre  costé,  si  l'on  nous  veut  accorder  l'exercice 
i>  de  nostre  religion  libre,  nous  ferons  bien  cognoistre  quel,  est 
))  le  fonds  et  le  but  de  nos  intentions,  qui  n'aspire  moins  à  une 
»  tranquillité  que  les  leurs  à  la  ruine  et  désolation  .de  l'église 
»  de  Dieu,  et  entière  subversion  de  Testât  de  ceste  couronne; 
3  et  suis  quasi  contraint  de  dire  que  telle  moquerie  le  devroit 
»  faire  rougir  de  honte,  abusant  ainsi  de  l'authorité  de  Leurs 
»  Majestez  et  delà  réputation  de  France;  mais  quand  je  consi- 
))  dère  que  Dieu  l'a  presque  réduit  au  dernier  recours  de  ses 
»  prétextes,  j'ay  pensé  qu'il  n'avoit  autre  moyen  pour  retirer 
D  des  forces  d'Allemaigne ,  que  cestuy-là  ;  cuydant  que  cela 
))  incitera  la  Germanie  à  luy  subvenir  de  secours  ;  à  quoy  Vostre 
ù  Excellence,  Monseigneur,  ensemble  tous  vos  bons  amys, 
))  doibvent  bien  penser  et  vivement  s'opposer,  comme  je  vous 
»  en  supplie,  au  nom  de  Dieu,  le  vouloir  empescher,  de  tous 
))  vos  pouvoirs,  qu'il  n'en  puisse  -lever,  mais  nous  envoyer,  le 
y  plustost  que  sera  possible,  celuy  que  nous  attendons  par  vostre 
))  moyen  ;  ce  que  sans  plus  nous  laisser  abuser  aux  simulées 
»  conditions  de  paix  qu'ils  présentent  toutes  lesibys  qu'ils  se 
))  voyeut  faibles,  et  attendant  quelque  renfort,  nous  poursuy- 
))  vions  le  cours  du  chemin  que  Dieu  nous  a  préparé,  pour 
))  l'exaltation  de  sa  gloire  et  avancement  de  son  règne,  comme 
)>  il  nous  commence  desjà  ù  démonstrer  les  arres  de  ses  faveurs, 
»  ayant  fait  descouvrir  la  pauvre  et  malheureuse  entreprinse  du 
»  baron  des  Adrets,  lequel  s'estant  désisté  des  bons  déporte- 
»  ments  qu'il  avait  si  bien  commencez,  avoit  comploté  avec 


—  206  — 

»  M.  de  Nemours  de  rendre  les  places  de  Romans  et  de  Va- 
>  lence,  en  Daulpliiné,  à  sa  mercy;  mais  la  divine  bonté  ayant 
y>  fait' descouvrir  telle  malice,  n'a  permis  qu'elle  fûst  exécutée, 
»  si  que,  sur  le  point  de  l'exploict,  ledit  baron  a  esté  prins,le- 
))  quel  sur  le  champ  a  confessé  sa  faute.  Voylà  comment  ce  grand 
»  Dieu  desmonstre  ses  jugemens.  Davantage  ledit  sieur  de  Ne- 
»  mours,  estimant  tenir  ceste  prorae&se  en  ses  mains,  s'estoit 
»  achemyné  vers  Lyon  pour  la  surprendre;  et,  de  faict,  y  fit 
»  ses  efforts,  par  escalades;  mais,  comme  son  entreprinse  de 
y>  l'une  et  de  l'autre  part  estoit  mal  asseurée ,  aussy  luy  en 
y>  print-il  de  mesme  :  car  y  ayant  trouvé  autre  résistance  qu'il 
y>  ne  cuidoit,  ses  gens  furent  si  vivement  repoussez,  qu'il  fut 
y>  contraint,  après  la  perte  de  beaucoup  de  soldats  et  d'une 
y>  partie  de  ses  eschelles,  se  retirer  avec  sa  honte.  Or,  puisque, 
))  sur  la  fm  de  l'année.  Dieu  nous  démontre  tant  et  de  si  favo- 
»  râbles  commencements,  nous  ne  nous  pouvons  moins  alten- 
))  dre  que  une  heureuse  et  prospère  yssue  en  la  défense  de  sa 
»  sainte  querelle,  d'autant  qu'il  est  véritable  en  ses  promesses; 
»  ce  que  je  luy  supplie  vous  faire  la  grâce  et  vous  donner,  Mon- 
»  seigneur,  très  illustre  prince,  en  toute  perfection  de  santé, 
»  très  longue  et  contente  vie.  D'Orléans,  ceXXX'  jour  de  jan- 
))  vier  1562  (1563  n.  s.).  » 

Rien,  dans  le  cours  des  six  semaines  qui  suivirent  la  bataille 
de  Dreux,  ne  pouvait  mieux  faire  connaître  la  sage  prévoyance, 
l'indomptable  énergie  de  l'amiVal  et  sa  foi  en  la  protection  di- 
vine, que  la. série  de  lettres  dont  la  teneur  vient  d'être  repro- 
duite, et  auxquelles  s'attache  un  intérêt  historique  de  premier 
ordre. 

Toutes  ses  dispositions  étant  prises,  Goligny  quitta  Orléans 
le  1"  février  et  se  mit  en  marche  dans  la  direction  de  la  Nor- 
mandie. 


CHAPITRE   YI 


Coligny  arrive  en  Normandie.  —  Mission  de  Téligny  en  Angleterre.  Correspondance  de 
Coligny  relative  à  cette  mission.  —  Siège  d'Orléans  par  le  duc  de  Guise.  —  Poltrot 
assassine  le  duc.  —  Entrevue  de  Catherine  de  Médicis  et  de  la  princesse  de  Condé. 

—  Le  procès-verbal  de  l'interrogatoire  subi  par  Poltrot  est  communiqué  à  Coligny. 

—  Lettre  et  réponse  détaillée,  dans  lesquelles  Coligny  repousse  avec  indignation 
les  allégations  accusatrices  de  l'assassin.  11  demande  à  être  confronté  avec  lui.  — 
Sans  égard  pour  sa  demande,  on  précipite  le  jugement  et  l'exécution  à  mort  de  Pol- 
trot. —  Opérations  militaires  de  Coligny  en  Normandie.  —  Entrevue  de  Condé  et  du 
connétable,  ménagée  par  Catherine  pour  hâter,  en  l'absence  de  l'amiral,  la  conclusion 
d'un  traité  de  paix  défavorable  aux  réformés,  —  Défaillance  de  Condé  dans  les  pour- 
parlers de  paix.  —  Édit  d'Amboise.  —  Arrivée  de  l'amiral  à  Orléans,  sa  protestation 
contre  le  traité  de  paix  n'est  pas  accueillie.  —  Il  se  résigne,  par  patriotisme,  à 
accepter  les  conditions  de  ce  traité.  —  Bientôt  il  quitte  Orléans  et  la  cour. 

«  L'admirai,  rapporte  l'un  des  hommes  de  guerre  distingués 
))  qui  l'accompagnèrent  en  Normandie  \  se  proposa  pour  but 
»  la  diligence.  Aussi,  en  six  jours,  fit-il  plus  dé  cinquante  lieues 
»  avecques  son  armée  de  cavallerie.  Elle  estoit  de  deux  mille 
»  reitres,  cinq  cens  chevaux  françois,  et  mille  harquebusiers  à 
»  cheval  ;  et  pour  porter  le  bagage  n'y  avoit  aucune  charrette, 
))  sinon  douze  cents  chevaux.  En  cest  équipage,  nous  faisions 
»  telle  diligence,  que  souvent  nous  prévenions  la  renommée 
)>  de  nous  mesmes  en  plusieurs  lieux  où  nous  arrivions.  » 

Tandis  que  Coligny  s'avançait  ainsi  avec  une  extrême  rapidité, 
le  vigilant  Beauvoir^  écrivait  du  Havre  à  Cecil,  le  5  février^  : 
«  Monsieur,  pour  entretenir  tousjours  vostre  bon  et  affectionné 
))  désir,  je  ne  craindray  à  vous  faire  ceste  recharge,  pour  vous 

1.  De  Lanoue,  Disc,  polit,  et  milit.,  p.  720. 

2.  Record  office,  State  papers.  France,  vol.  30,  et  Laferrière,  la  Normandie 
à  l'étranger,  p.  76,  note  4. 


-  208  — 

»  prier  affectueusement  de  tenir  tellement  la  main  à  la  juste 
D  deffense  de  nostre  cause,  qu'en  peu  de  jours  monsieur  l'amy- 
»  rai,  qui  vient  avec  ses  forces  en  Normandye,  soit  secouru  et 
)>  d'hommes  et  de  deniers,  de  la  majesté  de  la  royne,  selon  la 
»  promesse  qu'elle  en  a  faicte  par  cy-devant,  car  aultrement 
))  l'issue  de  nostre  entreprise,  qui  est,  avec  l'aide  de  Dieu,  fort 
))  proche,  pourroit  estre  esloignée,  au  grand  désavantage  non 
»  seulement  de  la  France,  mais  de  toute  la  crestienté.  Je  vous 
))  prie  donc,  monsieur,  derechef,  de  nous  favoriser  tellement 
»  envers  Ladite  Majesté,  que  le  secours  qui  a  esté  promys  puisse 
c(  venir  à  propos,  car  pour  vostre  dextérité  et  expérience,  vous 
))  sçavez  combien  la  demeure  est  périlleuse  en  telles  affaires.  » 

L'amiral  parvint,  sans  obstacle  sérieux,  jusqu'au  bord  de  la 
mer  '  et  établit  son  camp  à  Dives. 

N'ayant  pas  encore  reçu  d'Angleterre  les  fonds  sur  lesquels 
il  comptait,  mais  informé  que  le  comte  de  Warwick,  qui  occu- 
pait le  Havre,  devait  les  y  avoir  reçus,  il  s'empressa  de  lui  en 
demander  la  remise,  afin  de  pourvoir,  au  moins  en  partie,  à 
la  solde  des  troupes  arrivées  d'Orléans  à  Dives,  sous  son  com- 
mandement. 

Téligny  fut  alors  envoyé  par  Goligny  en  Angleterre,  pour  y 
exposer  à  Elisabeth  et  à  Gecil  l'état  des  aifaires  de  France,  et 
pour  les  entretenir  l'un  et  l'autre  dans  des  dispositions  favo- 
rables aux  réformés. 

A  son  dépari,  Téligny  vit  au  Havre  Warwick,  à  qui  il  remit 
une  lettre  -de  l'amiral  ^,  en  insistant  sur  les  recommandations 


1.  «  Iter  nobis  tulum  et  pacatum  fuit.,  nemine  tanlis  copiis  obsislere  auso.  » 
(Beza  Tiguriiiie  Ecclesiœ,  12  mai  1563,  ap.  Daum,  App.,  p.  207.) 

2.  Lettre  de  Coligay  à  Warwick,  du  13  février  1563  (Record  office,  Slate 
papers,  France,  vol.  30,  et  Laferrière,  le  XVP  siècle  et  les  Valois, t^.  104,  105). 
—  Voy.  aussi:  l"  un  écrit  dressé  au  Havre,  le  12  février  1563,  par  un  agent  de 
l'amiral  nommé  Chastellier.  En  tête  de  cet  écrit  se  lisent  ces  mots  :  «  C'est  ce 
»  quej'ay  à  demandera  M.  le  comte  de  Warwick,  de  la  part  de  monsieur  l'amy- 
V  rai,  et  les  poinctz  de  la  oréance  qu'il  m'avait  donnée,  »  (Record  office,  State 


—  209  — 

pressantes  qu'elle  contenait.  Les  premières  lignes  de  cette  lettre 
portaient  :  «  Monsieur,  ayant  entendu  par  les  lettres  que  j'ay 
))  reçuesde  ce  soir  de  laroyne  d'Angleterre,  que,  de  ceste  heure, 
))  il  y  avait  au  Havre  de  grâce  une  bonne  somme  d'argent,  la- 
y>  quelle  sa  majesté  a  envoyé  par  cy-devant  pour  nous  ayder  à 
y>  payer  nos  gens  de  guerre,  j'ay  bien  voulu  vous  prier  de  nous 
))  vouloir  faire  tenir  ladite  somme,  d'aultant  que  je  vous  puys 
y>  assurer  quelle  nous  faict  grande  faulte;  car  sy  nos  reistres 
))  estoient  payés,  je  regarderoys  à  ne  perdre  point  de  temps,  les 
y>  voyant  de  si  bonne  volonté  comme  ilz  sont;  mais  jusques  à  ce 
»  qu'ilz  ayent  eu  leur  payement,  je  ne  les  puys  pas  employer 
y>  comme  je  vouldrois  bien.  Surquoy,  je  vous  veux  bien  advertir 
D  que  sa  majesté  n'a  pas  escript  à  moy  seulement  qu'il  y  avoit 
))  bonne  somme  d'argent,  audict  Hâvre,pour  nous  ayder  à  payer 
»  nos  gens  de  guerre,  ains  mesmes  à  M.  le  mareschal  de  Hes- 
))  sen,  dont  il  pourra  trouver  tant  plus  estrange  que  l'on  diffère 
y>  tant  à  payer  ses  gens.  y> 

Arrivé  en  Angleterre  Téligny  se  présenta  à  Cecil  et  à  Eli- 
sabeth, porteur  de  deux  lettres  de  créance. 

Coligny  écrivait  au  premier  ministre  ^  :  «  Monsieur  Cécile, 
»  puys  naguères  estant  arrivé  en  ceste  coste  de  Normandie,  je 
))  n'ay  voulu  faillir  de  faire  passer  en  Angleterre,  pour  l'effect 
))  suffisant,  l'ung  des  plus  apparens  gentilshommes  que  j'eusse 
y>  auprès  de  moy.  Parquoy,  j'envoye  maintenant  M.  de  Théligny, 
y>  présent  porteur,  pardelà,  par  lequel,  entre  aultres  choses, 
»  j'ay  bien  voulu  vous  faire  entendre  que  nous  avons  esté  bien 
»  advertiz  de  la  bonne  et  grande  affection  que  vous  portez  à  la 
»  cause  de  Dieu,  etc.,  etc.  » 

papers,  France,  vol.  30,  Galend,  of  State  pap.  foreign.  12  février  d563,  et  de 
Laferrière,  la  Norm.  à  Vétr.,]).9b  à  97);  2»  une  lettre  adressée,  de  Dives,  par 
Coligny  à  sir  Poulet,  le  12  février  1563  (Record  office,  State  papers,  France, 
vol.  30,  de  Laferrière,  IbicL,  p.  83,  et  Galend.  of  State  pap.  foreign). 

i .  Record  office,  State  papers,  France,  vol.  30,  et  de  Laferrière,  la  Norman, 
à  l'étr.,  p.  84,  85. 

it.  u 


—  210  — 

S'adressant  en  même  temps  à  la  reine  d'Angleterre,  l'amiral 
lui  parlait  avec  effusion  des  qualités  exceptionnelles  de  son 
jeune  envoyé.  «  Madame,  lui  disait-il  \  estant  maintenant  ap- 
»  proche  si  près  de  vous  en  lieu  plus  exempt  des  dangers  et  dif- 
y>  cultez  des  chemins  et  passages  qu'auparavant,  je  n'ay  voulu 
y>  faillir  vous  faire  encores  bien  particulièrement  entendre 
»  Testât  en  quoy  se  retrouvent  à  présent  nos  affaires,  et  le  désir 
»  et  besoing  que  ceste  compagnie  a  de  sçayoir  au  plustost  des 
»  nouvelles  de  vostre  majesté,  à  laquelle  j'envoye  pour  cest 
»  effect  monsieur  de  Théligny,  présent  porteur,  gentilhomme 
))  de  la  chambre  du  roy,  personnage  digne  et  vertueux,  et  du- 
»  quel  les  mérites  surpassent  son  âge;  vous  suppliant  très 
»  humblement,  madame,  le  vouloir  ouyr  et  croire  de  ce  qu'il 
»  vous  dira  de  ma  part  comme  moy-mesmes,  etc.,  etc.  » 

Aux  recommandations  de  Coligny  en  faveur  de.  Téligny  se 
joignirent,  auprès  d'Elisabeth  et  de  lord  Robert  Dudley,  celles 
de  Throckmorton,  actif  agent  de  l'Angleterre  en  France,  qui 
continuait  à  soutenir  d'étroites  relations  avec  les  chefs  des  ré- 
formés ^. 

Téligny  fut  bien  accueilli  par  la  reine  et  par  son  premier 
ministre.  Tous  deux,  en  répondant  à  l'amiral,  l'assurèrent  de 
leur  sympathie  ^  ;  et  cependant  il  ne  recevait  toujours  pas 
les  fonds  sur  lesquels  il  était  en  droit  de  compter,  aux  termes 
des  promesses  faites.  Il  venait  de  s'emparer  de  Caen,  et  il  se 
disposait  à  en  assiéger  le  château,  lorsque,  justement  blessé  du 
retard  que  mettait  la  cour  d'Angleterre  à  s'acquitter  vis-à-vis 

i.  Record  office,  State  papers,  France,  vol.  30,  et  de  Laferrière,  la  Narra,  à 
Teir.,  p.  383,  384. 

2.  Calend.  of  State  pap.  foreign,  ann.  1563.  Lettres  des  21  février  et  l^'"mars. 
Au  dire  de  Trockmorton,  «  it  will  be  very  necessary  for  the  queen  to  gratify 
»  the  admirai  with  the  100000  crowns,  accordingto  her  former  détermination, 
»  and  let  him  undersland  by  M.  de  Téligny  her  affection  to  stand  hini  in 
»  stead  >, 

3.  Calend.  of  State  pap.  foreign,  ann.  1563,  p.  92.  Lettres  de  février  1563. 


—  211  — 
de  lui,  il  écrivit,  le  23  février,  de  Gaen  même,  à  Throckmorton  *  : 
«  Monsieur  de  Throckmorton,  j'ay  reçu  la  lettre  que  vous 
»  m'avez  escripte  par  le  sieur  de  Bois-le-Gonte,  et  en  oultre 
y>  j'ay  entendu  de  luy  ce  que  luy  avez  donné  charge  de  me  dire. 
y>  Et  pour  vous  dire  vérité,  je  suis  en  grande  peine  de  ce  que  je 
»  me  trouve  déçeu  de  l'espérance  que  j'avois  de  recevoir  la 
))  somme  entière  de  cent  mil  escuz;  laquelle  j'ay  desjà  asseuré 
»  à  M.  le  mareschal  de  Hessen  et  nos  reislres  estre  preste; 
»  car,  encore  qu'ils  se  soient  condescenduz  à  faire  ce  que  il 
y>  ne  se  trouve  guères  qu'autres  de  leur  nation  ayent  faict,  si  est 
»  ce  M.  de  Throckmorton,  que  vous  avez  tant  d'expérience  des 
»  choses  de  ce  monde  que  vous  n'estes  pas  à  cognoistre  l'hon- 
»  neur  de  ceste  nation  et  combien  il  leur  fault  pour  manquer 
»  de  promesse,  après  mesmement  les  avoyr  faict  si  longuement 
^  temporiser  et  réduit  à  faire  ce  que  chascun  a  vu.  Au  reste,  je 
»  vous  ay  desjà  envoyé  par  le  sieur  de  Mongreville  le  contract 
))  et  ratification  que  m'avez  envoyés  par  le  baron  de  Montandre, 
»  signés  et  scellés  des  principaux  de  ceste  compagnie  et  asso- 
»  ciation.  Maintenant  je  vous  envoyé  le  trésorier  Bertrand 
»  commis  et  estably  par  monseigneur  le  prince  à  recevoir  tous 
»  deniers  généralement  servant  à  ceste  cause,  lequel  nous 
»  avons  approuvé  et  confirmé,  pour  ce  mesme  effect  approu- 
»  vous  et  confirmons  par  la  présente,  en  tant  qu'en  nous  est, 
»  en  l'absence  de  mondit  seigneur  le  prince  et  durant  sa  délen- 
»  tion,  luy  avons  donné  charge  et  l'authorisons  pour  recevoir 
»  ladite  somme  de  cent  mil  escus  à  nous  octroyez  par  la  royne 
»  vostre  maistresse,  suyvant  ledict  contract  et  ratification,  et 
»  pour  cest  eftect  luy  ayant  baillé  deux  blancz  signez  ;  et  au  cas 
»  que  vous  ne  vous  contenteriez  de  la  présente  et  que  vouldriez 
»  avoir  autre  pouvoir,  je  vous  promeetz  incontinent  d'en  faire 

1.  Record  office,  State  pap.,  France,  vol.  30.  De  Laferrière,la  Normandie  à 
Vétmnger,  p.  97  à  99.  —  Ibid.,  le  xvi«  S.  et  les  Valois,  p.  105,  106.  —  Calend. 
of  State  pap.  foreign. 


—  212  — 

y>  expédier  autre,  tel  que  vous  adviserez  estre  requis  pour 
))  vostre  seureté,  vous  priant  que  telles  difficultés  ne  retar- 
»  dent  aucunement  les  affaires  qui  se  présentent,  auxquelles 
»  vous  me  trouverez  tousjours  prest  de  satisfaire.  Quant  au 
)>  nombre  de  pouldres  et  canonz,  il  ne  me  semble  estre  suffisant 
))  pour  l'affaire  que  nous  avons  et  qui  se  présente,  qui  n'en 
»  requiert  pas  moins  que  ving  milliers,  et  si  est  besoing,  d'avoir 
»  pour  le  mieux  encores  deux  canons,  que  je  vous  prie  bien  fort, 
))  M.  de  Throckmorton,  estre  moyen  qu'iiz  me  soyent  envoyés, 
»  sans  que  cela  retarde  ce  qui  peult  estre  desjà  prest,  et  mectre 
»  en  considération  l'importance  de  ceste  place  et  combien  dili- 
»  gence  et  prompte  exécution  y  est  requise,  après  laquelle  je  ne 
»  fauldray  de  renvoyer  lesdils  canons.  Je  ne  fauldray  aussy  de 
»  faire  tout  le  bon  accueil  et  bon  traitement  dont  je  me  pourray 
»  adviser  aux  gentilhommes  et  soldatz  qui  viendront  soubz  la 
))  charge  de  M.  de  Pellam,  et  auray  soing  de  les  accommoder 
y>  comme  il  est  trop  raisonnable  pour  beaucoup  de  regardz  et 
»  respectz.  Quant  aux  battauxpour  transporter  ce  que  j'attends 
))  de  delà,  je  suis  après  tous  les  jours  pour  en  faire  charger  de 
y>  grains,  aiTin  de  les  envoyer  au  Havre,  de  sorte  qu'il  y  en  aura 
»  assez  par  icy  ;  nous  ne  laisserons  néanmoins  d'y  donner  tout 
»  le  meilleur  ordre  que  nous  pourrons.  Il  me  reste  à  vous  dire, 
y>  M.  de  Throckmorton,  que  je  vous  attends  en  fort  bonne  dé- 
))  votion  pour  entendre  de  vous  ce  qu'il  a  pieu  à  la  royne  vostre 
»  maistresse  vous  donner  charge  de  me  faire  entendre  de  sa 
y>  part,  vous  asseurant  que  vous  n'avez. point  plus  grand  désir 
»  de  me  voir  que  j'ay  de  vous  voir.  Sur  ce,  me  recommandant 
»  affectueusement  à  vostre  bonne  grâce,  après  avoir  suplyé 
»  nostrebon  Dieu  vous  donner,  M.  de  Throckmorton,  en  santé 
»  bonne  et  longue  vie.  De  Caen,  ce  XXIIP  febvrier  1563.  » 

Cependant,  que  s'était-il  passé  à  la  cour,  à  Orléans,  et  dans 
le  voisinage  de  la  Loire,  depuis  le  1"  février,  date  du  départ 
de  l'amiral  pour  la  Normandie? 


—  213  — 

Le  3  février,  l'ambassadeur  d'Espagne,  Perrenot  de  Chan- 
tonnay,  hostile,  pour  sa  part,  à  toute  idée  de  rapprochement 
entre  réformés  et  catholiques,  et  n'aspirant  qu'à  l'anéantisse- 
ment des  premiers  par  les  seconds,  accusait  Catherine  de  Mé- 
dicis  de  plier  devant  Gondé,  et  se  déchaînait  contre  ce  prince 
comme  poussant  à  la  continuation  de  la  guerre  civile,  par  cela 
seul  que,  du  fond  de  sa  prison,  il  réclamait  l'exécution  de  l'édit 
de  janvier.  «  Il  semble,  disait  ce  digne  représentant  de  la  poli- 
))  tique  de  Philippe  II  ',  que  le  prince  de  Gondé  n'est  prison- 
»  nier;  ains  qu'il  tient  les  aultres  en  captivité,  chose  qui  faict 
))  merveilleusement  murmurer  contre  la  royne  :  et,  quant  à 
»  moy,  je  ne  l'en  sçaurois  du  tout  excuser  :  ne  sçay-je  si  l'on 
»  luy  doict  imputer  à  malice  ou  à  peu  d'expérience.  Elle  a 
»  faict  ceste  faveur  audict  prince  de  Gondé,  se  monstfant  opi- 
y>  niastre  comme  il  est  jusques  aujourd'hui  à  ne  vouloir  ac- 
»  cepter  partye,  de  luy  envoyer  toutz  ceulx  du  conseil  ensemble, 
y>  pour  luy  remonstrer  en  forme  de  supplication,  qu'il  voulust 
»  avoir  pitié  des  affaires  de  ce  royaume  :  cela  l'a  adoulcist.  aul- 
»  cunement,  voyant  que  l'onfict  compte  de  luy; mais  pourtant 
»  n'ha-t-il  voulu  condescendre  à  aulcune  chose  qui  se  peult 
»  dire  œuvre  de  Dieu  :  car,  à  la  vérité,  concéder  que  chacun 
»  puisse  vivre  selon  le  repos  de  sa  conscience,  et  retourner 
))  impunément  en  son  bien,  est  apprester  une  plus  grande 
»  guerre  que  celle  qui  se  faict  pour  le  jourd'hui,  et  telz  termes 
»  d'user  de  supplications  envers  ung  prisonnier  vassal,  sont 
y>  absurdes  et  ridicules,  et  donnent  bien  à  entendre  qu'il  y  ha 
»  de  la  faveur  secrète,  sans  laquelle,  il  est  tout  cler,  l'on  n'u- 
»  seroit  de  telz  respectz.  Tout  le  peuple  en  est  tant  schan- 
))  dalisé,  qu'il  en  attend  tous  les  jours  pis;  et  craint  qu'à  la  fin 
»  l'on  fera  parler  le  roy  très  chreslien  après  que  la  royne  aura 
»  permis  qu'il  soit  séduit;  comme  tout  le  monde  la  tient  pour 

1.  Dépêche  du  3  février  1563.  (Mém.  de  Condé,  l.  II,  p.  128,  129.) 


_  2U  — 

y>  perdue  en  ce  royaulme,  et  que  rien  ne  la  retient  que  Tat- 
»  tente  de  veoir  son  appoinct,  pour  complaire  à  ceulx  qui  la 
3)  gouvernent,  et  mettre  en  exécution  leur  conseil,  qui  tend 
3  entièrement  à  réversion  delà  religion  catholique  :  pourtant 
»  est-ce  qu'elle  fuyt  la  voysinance  de  ce  lieu  (Paris),  affm 
»  qu'elle  n'aye  occasion  de  rendre  le  prince  de  Gondé  à  la 
))  Bastille  ou  aultre  lieu  fort;  et  ne  sçai-je  où  l'on  le  sçauroit 
y>  mettre  seurement  en  tout  le  royaulme,  aultre  que  en  ladicte 
))  Bastille.  Toutesfois  l'on  desseigne  de  le  mectre  en  ung  chas- 
»  teaux  dict  Onzain  qu'est  au  comte  de  La  Rochefoucault,  près 
»  d'Amboise,  en  pays  mal  seur  et  fraîchement  réduict,  et  la 
»  place  telle,  qu'aultant  vauldroit-il  le  mectre  en  pleine  cam- 
y>  paigne;  et  semble  que  puisque  par  son  opiniastreté  l'on  ne 
»  le  peult  délivrer  par  traicté,  l'on  désire  luy  donner  aultre 
ï>  moyen  pour  s'eschapper.  y> 

Quoique  pensât  et  que  dît  Ghantonnay  quant  à  l'incarcé- 
ration de  Louis  de  Bourbon,  ce  prince,  transféré,  à  la  suite  de 
Catherine  de  Médicis,  de  Chartres  à  Blois,  de  Blois  à  Amboise, 
fut,  en  dernier  lieu,  enfermé  à  peu  de  distance  de  cette  der- 
nière ville,  dans  le  château  d'Onzain  ^ ,  d'où  bientôt  il  chercha 
vainement  à  s'échapper. 

«  J'entendz  de  certain,  raconte  Chantonnay  ^,  que  le  prince 
3)  de  Condé  s'est  pensé  sauver  hier  au  soir,  en  habit  de  paysan, 
»  et  avoit  desjà  passé  la  seconde  guarde  :  toutesfois  il  fust  ap- 
»  perçeu  et  cogneu  par  la  troisième,  et  repris.  M.  Banville, 
»  qui  en  a  la  guarde,  feit  incontinent  emprisonner  le  capi- 
»  taine  h  qui  il  l'avoit  enchargé;  et  dict-on  qu'il  a  faict  pendre 
5>  et  tuer  et  noyer  beaucoup  des  soldatz  qui  se  sont  trouvez 
»  consentantz  au  faict,  ou  nonchaillance  » .  Th.  de  Bèzo  ajoute^  : 
))  Le  prince  fut  resserré  dedans  le  chasteau,  après  lui  avoir 

i.  Voy.  Pierre  Matthieu,  Hist.  de  France,  in-f»  1631,  t.  1,  p.  269. 

2.  Dépêche  du  20  février  1563.  {Mém.  de  Condé,  t.  II,  p.  133.) 

3.  Hist.  eccl.,  t.  Il,  p.  256,  257. 


—  215  — 

»  osté  quelques-uns  de  ses  serviteurs  ;  mais  le  cœur  ne  luy  faillit 
»  pour  cela,  parlant  plus  haut  et  plus  généreusement  que  ja- 
»  mais,  comme  aussi  il  en  escrività  Orléans,  exhortant  la  prin- 
»  cesse  et  tous  les  chefs  de  l'armée  à  vertu  et  constance,  et  à 
»  s'assurer  qu'encores  que  ses  ennemis  le  fissent  mourir.  Dieu 
»  leur  susciterait  un  aultre  chef  et  favoriseroit  jusques  à  la  fin 
D  leur  cause  qui  estoit  la  sienne.  » 

Les  exhortations  du  prince  a  vertu  et  constance  avaient  été 
devancées,  dans  les  murs  d'Orléans,  à  l'approche  de  l'armée 
catholique,  par  d'Andelot,  la  princesse  et  madame  l'amirale, 
dont  l'attitude  était  admirable. 

Miné  par  la  fièvre,  d'Andelot  n'en  déployait  pas  moins,  en 
face  de  l'ennemi,  une  activité  incessante.  Il  avait  établi  dans  la 
ville  un  ordre  parfait  et  mis  la  défense  sur  un  pied  respec- 
table. Le  soin  des  pauvres,  des  malades,  la  direction  de  l'as- 
sistance spirituelle,  étaient  plus  particulièrement  le  partage  de 
la  princesse  et  de  sa  tante,  Charlotte  de  Laval,  qui,  l'une  et 
l'autre,  malgré  l'état  chancelant  de  leur  santé,  se  prodiguaient 
au  dehors  et  utilisaient  pour  le  bien  commun  le  concours  de 
plusieurs  femmes  dévouées  qui  s'inspiraient  de  leurs  nobles 
exemples.  Déférant  aux  avis  de  sa  sœur  et  de  sa  nièce,  d'An- 
delot s'était  efforcé  de  mettre  chacun  à  même  de  concilier,  avec 
les  exigences  auxquelles  était  nécessairement  soumise  la  popu- 
lation d'une  ville  assiégée,  l'accomplissement  de  devoirs  supé- 
rieurs, dans  l'ordre  religieux  et  dans  le  domaine  de  la  charité 
appliquée  au  soulagement  des  souffrances  physiques  et  morales. 
De  là,  à  la  suite  de  conférences  tenues  avec  les  ministres  et  di- 
verses personnes  considérables,  l'adoption  du  régime  suivant  : 
«  Quant  à  l'ordre  de  l'égHse,  outre  les  prédications  ordinaires 
»  et  les  prières  aux  corps  de  garde,  on  faisait  prières  générales 
))  extraordinairement  à  six  heures  du  matin,  à  l'issue  des- 
»  quelles  les  ministres  et  tout  le  peuple,  sans  nul  excepter, 
»  alloient  travailler  aux  fortifications  de  tout  leur  pouvoir,  se  re- 


—  216  — 
))  trouvant  chacun  de  rechef  à  quatre  heures  du  soir  aux 
»  prières  :  et  fut  aussi  un  bien  assigné  pour  recueillir  les 
y>  blessés,  qui  estoient  pansés  et  traités  très  humainement  par 
»  les  femmes  les  plus  honorables  de  la  ville,  n'y  épargnant 
»  leurs  biens  ni  leurs  personnes.  En  quoy  firent  entre  autres 
))  un  merveilleux  devoir  les  demoyselles  des  Marets,  la  baillive 
))  d'Orléans  et  de  Martinville,  dignes  de  perpétuelle  mé- 
»  moire  ^  » 

,  Les  6  et  9  février,  le  duc  de  Guise,  qui,  dès  le  5,  était  venu 
camper  près  d'Orléans,  s'était  emparé  du  portereau  et  des  tou- 
relles ^.  Enflé  par  ce  double  succès,  il  avait  osé  «  mander  à  la 
»  royne  mère  qu'il  la  prioit  ne  trouver  mauvais  s'il  tuoit  tout 
»  dans  Orléans,  jusques  aux  chiens  et  aux  rats,  et  s'il  faisoit 
3)  destruire  la  ville  jusques  à  y  semer  du  sel  ^  ». 

Sans  s'arrêter  à  la  jactance  du  duc,  et  alors  que  du  9  au 
18  février  il  activait  ses  préparatifs  pour  assaillir  les  îles  et  ten- 
ter de  pénétrer  de  vive  force  dans  la  ville,  Catherine  de  Mé- 
dicis  s'occupait  de  nouveau  à  ménager  une  entrevue  du  prince 
de  Condé  avec  le  connétable.  Les  préliminaires  en  devaient  être 
ouverts,  du  côté  de  la  cour,  par  l'évêque  de  Limoges  et  d'Oy- 
sel,  qui  préalablement  se  rendraient  à  cet  effet  auprès  d'Anne 
de  Montmorency  *,  et,  du  côté  de  Louis  de  Bourbon,  par  deux 
officiers  protestants,  Boucard  et  d'Esternay,  qui,  préalablement 
aussi  visiteraient  le  prince  dans  sa  prison. 

Le  13  février,  «  messieurs  de  Limoges  et  d'Oysel  s'en  al- 

1.  De  Bèze,  Hist.  eccL,  t.  II,  p.  266. 

2.  Voir  sur  la  courageuse  atlitude  de  d'Andelot,  dans  cettft  circonstance,  les 
détails  fournis  par  de  Lanoue,  Disc,  polit,  et  millt.,  p.  717,  718. 

3.  De  Bèze,  Hist.  ceci.,  t.  II,  p.  265. 

4.  La  maréchale  de  Montmorency  obtint,  à  cette  époque,  un  sauf-conduit 
pour  aller  à  Orléans  conférer  avec  son  beau-père  le  connétable.  (Galcnd.  of. 
State  pap.  foreign.  17  février  1563.  Smith  to  the  privy  council).  II  y  a  plus  : 
d'Andelot,  au  milieu  des  préoccupations  les  plus  graves,  prit  soin  d'écrire  à  la 
connétable  pour  la  rassurer  sur  la  condition  de  son  mari.  (Lettre  du  2i  fé- 
vrier 1563.  Bibl.  nat.,  mss.  f.  fr.,  vol.  34 JO,  f  8i.) 


—  217  — 
))  lèrent  à  Orléans,  où  ils  parlèrent  à  mondit  seigneur  le  conné- 
ï)  table,  à  madame  la  princesse  de  Gondé,  à  M.  d'Andelot  et 
y>  autres  qui  avaient  là  le  maniement  des  affaires^  ». 

Le  16  du  même  mois,  la  reine  mère,  auprès  de  qui  étaient 
arrivés  Boucard  et  d'Esternay,  les  adressa  aussitôt  à  Damville, 
en  lui  écrivant  -  :  «  Mon  cousin,  présentement  est  arrivé  ce 
»  porteur,  serviteur  de  mon  cousin  le  prince  de  Gondé,  avec 
»  une  lettre  de  vostre  père  que  vous  verrez,  et  par  icelle  enten- 
))  drez  l'occasion  de  sa  venue.  Je  la  vous  ay  voulu  envoyer 
y>  avecques  les  sieurs  de  Boucard  et  d'Esternay,  affîn  que  tous 
y>  ensemble  ils  communiquent  avec  ledit  prince  et  là  par  en- 

»  semble  ils  prennent  une  bonne  résolution Il  retournera  en 

»  toute  diligence  advertir  vostre  dict  père,  estant  bien  d'advis 
j)  que  lesdicts  sieurs  de  Boucard  et  d'Esternay  demeurent  là 
))  jusques  à  ce  qu'il  soit  de  retour  devers  mondict  cousin  pour 
y>  luy  faire  entendre  ce  qu'ils  auront  résolu  à  Orléans.  » 

Afin  de  pouvoir  s'entretenir  librement  avec  Boucard  et  d'Es- 
ternay, Gondé  avait  demandé,  avant  leur  arrivée  au  château 
d'Onzain,  qu'ils  fussent  autorisés  à  coucher  dans  sa  chambre, 
sans  gardes.  Gatherine  donna,  sur  ce  point  délicat,  à  Damville 
des  ordres  dont  la  trace  existe  ^,  mais  dont  on  ignore  le  sens  et 
la  teneur. 

Quel  était  alors  l'état  d'esprit  du  prince?  Une  lettre  de  lui  à 
un  ministre  de  Normandie  nous  le  révèle  en  ces  termes  *  :  «  Vos- 
y>  tre  lettre  m'a  apporté  grand  plaisir  et  consolation  à  mon 
))  âme,  ayant  par  icelle  mon  devoir  mis  devant  les  yeux  avec  dé- 
»  claration  de  l'heureux  estât  des  enfans  de  Dieu  et  de  sa 
»  grande  faveur  vers  eux  :  dont  je  vous  prie  employer  toutes  les 
»  opportunités  que  pourrés  avoir  à  m'escrire  afin  que  ainsi  soyés 

i.  Mém.  de  Gondé,  t.  IV,  p.  245  et  suiv.  :  lettre  de  l'évêque  de  Riez. 

2.  Bibl.  nat.,  mss.  f.  fr.,  vol.  3194,  f»  25. 

3.  Id.,  vol.  3185.  21  :  lettre  de  Catherine  à  Damville. 

4.  De  Bèze,  Hist.  eccL,  t.  Il,  p.  277. 


—  218  — 

»  instrument  de  me  fortifier  de  plus  en  plus  en  patience  et  af- 
»  fection  de  monde  voir,  vous  asseurant  que  jusques  à  présent 
»  j'expérimente  et  sens  au  vif  telle  présence  des  grâces  de  Dieu 
»  en  moy  que  je  me  sens  beaucoup  plus  délibéré  de  perdre  ma 
y>  vie  icy  et  d'y  espandre  mon  sang  pour  avancer  l'honneur  de 
y>  Dieu  et  le  repos  de  ses  enfans,  que  je  ne  fus  onques,  me  con- 
y>  tentant,  comme  aussi  il  y  a  bien  de  quoy,  du  dot  d'immor- 
»  talité  qui  m'est  appresté  poureschange  de  tout  ce  que  je  puis 
y>  icy  perdre,  qui  ne  me  peut  toutefois  apporter  que  mal,  comme 
»  il  n'est  que  vanité.  Serves  où  vous  estes,  de  tel  office  qu'avés 
D  toujours  faict,  afin  que  puissions  voir  le  royaume  de  Dieu 
»  avoir  paix  en  cestuy-cy,  et  nostre  roy  demeure  honoré  et 
j>  obéy,  ce  que  je  désire  d'aussi  bon  cœur  que  je  prie  nostre  bon 
»  Dieu  qu'il  vous  augmente  toujours  tous  les  dons  de  son  es- 
»  prit,  à  sa  gloire  et  au  salut  de  tous,  amen.  » 

«  Geste  lettre,  ajoute  Th.  de  Bèze,  en  parlant  de  Louis  de 
T>  Bourbon,  que  je  scay  avoir  esté  dressée,  non  par  secrétaire, 
))  mais  de  son  propre  motif  et  stile,  et  que  j'ay  veue  escrite  de 
»  sa  main,  monstre  quelles  grâces  il  avait  plu  à  Dieu  de  mettre 
»  en  ce  prince  \y> 

Tout  en  manifestant  des  intentions  conciliantes  à  la  princesse 
de  Gondé,  la  reine  mère,  en  secret,  la  tournait  en  dérision  et  se 
complaisait  à  l'idée  de  l'effroyable  déception  que  réservait  à  cette 
pieuse  et  héroïque  jeune  femme  la  haine  du  duc  de  Guise,  n'as- 
pirant qu'à  emporter  d'assaut  et  qu'à  anéantir  Orléans.  La  poli- 
tique tortueuse  et  les  sentiments  amers  de  Gatherine  se  révèlent 
une  fois  de  plus  dans  ces  quelques  lignes,  adressées  confiden- 
tiellement à  de  Gonnor^,  le  17  février  :  «  Quant  à  nos  nou- 
»  velles,  M.  de  Guise  doit  demain  faire  belle  peur  à  Orléans. 
»  Boucard  et  Esternay  sont  avec  le  prince  de  Gondé,  et  les  nos- 
;)  très  (l'évêque  de  Limoges  et  d'Oysel),  avec  M' le  connétable 

1.  De  Bèze,  Hist.  eccl.,  t.  II,  p.  278.      ' 

2.  Le  Laboureur,  Addit.  aux  mém.  de  Castelnau,  t.  II,  p.  171,  172. 


—  219  — 
»  qui  m'a,  depuis  qu'ils  sont  avec  luy,  envoyé  le  secrétaire  du 
»  dict  prince  pour  résoudre  la  vue,  et  presse  fort  madame  la 
»  princesse  que  je  le  fasse.  Je  croy  qu'elle  a  belle  peur  de  nous 
»  voir  si  près  d'elle  sans  son  congé  ;  mais  quand  demain  nous 
»  aurions  Orléans,  je  scay  bien  que  pour  chasser  les  estrangers 
jD  il  nous  faut  la  paix  que  je  désire,  mais  nous  l'aurons  à  bien 
»  meilleure  condition,  tenant  la  ville,  » 

Voulons-nous  savoir  ce  que  fût  devenue  la  ville  d'Orléans,  si  le 
duc  de  Guise  l'eût  tenue?  lui-même  nous  l'apprendra  sans  dé- 
tours. Écoutons-le,  en  effet,  annoncer,  dans  la  matinée  du 

18  février,  à  Catherine*  «  qu'il  luy  mandera  nouvelles  de  la 
»  prise  de  la  ville  dans  vingt-quatre  heures,  la  suppliant  luy  par- 
»  donner  si,  contre  son  naturel  qui  n'estoit  d'user  de  cruauté, 
»  comme  elle  avoit  pu  cognoistre  en  la  reddition  de  Bourges  et 
»  en  la  prise  de  Rouen,  il  ne  pardonnait  dans  Orléans,  à  sexe, 
D  ni  aage,  et  mettoit  la  ville  en  telle  ruine  qu'il  en  feroit  perdre 
y>  la  mémoire  après  y  avoir  fait  toutesfois  son  caresme  prenant  ». 

François  de  Lorraine  ne  put  ni  tenir  Orléans,  ni  même  y 
pénétrer;  la  balle  d'un  assassin  déjoua  ses  résolutions  sangui- 
naires, dans  la  soirée  du  jour  où  il  venait  d'écrire  à  la  reine 
mère. 

Tandis  qu'il  gisait  étendu  sur  un  ht  de  souffrances  et  que  la 
consternation  générale  paralysait,  dans  le  camp  catholique,  l'ac- 
tivité de  chacun  des  chefs  réunis  sous  les  murs  d'Orléans,  Ca- 
therine continuait"  à  suivre  le  cours  des  négociations  qu'elle  avait 
entamées  pour  amener  l'entrevue  des  deux  prisonniers.  Dès  le 

19  février,  elle  donnait  à  ce  sujet  des  instructions  à  Damville- 
et  envoyait  à  Éléonore  de  Roye  et  à  d'Andelot  l'évêque  de  Li- 
moges et  d'Oysel  ^ . 

\.  De  Bèze,  Hîsi.  eccL,  t.  Il,  p.  267. 

2.  Bibl.  nat.,  mss.  f.  fr.,  vol.  3185,  f»  30. 

3.  <  L'Évesque  de  Limoges  et  le  sieur  d'Oysel  vont  et  viennent  dois  la  court 
j>  à  Orléans,  pour  négocier  l'appointement.  »  {Mém.  de  Condé,  t.  II,  p.  133,  dé- 
pêche de  Chantonnay  du  20  février  1563.) 


--  220  — 

Consulté  par  Éléonore  sur  les  conditions  moyennant  les- 
quelles'il  se  prêterait  aune  entrevue  avec  le  connétable,  Gondé 
avait  exprimé  le  désir  que  si  un  prisonnier  de  guerre  tel  qu'Anne 
de  Montmorency  était  autorisé  à  sortir  d'Orléans,  son  retour 
dans  cette  ville,  à  l'issue  de  l'entrevue,  fût  garanti  par  la  pré- 
sence d'otages  qui  y  résideraient  en  son  absence,  et  au  nombre 
desquels  serait  compris  le  jeune  prince  de  Joinville,  fils  du  duc 
de  Guise;  mais  aussitôt  que  Gondé  apprit  que  le  duc  avait  été 
gravement  blessé,  il  renonça  à  l'idée  de  séparer  un  seul  instant 
le  fils  du  père. 

Le  24  février,  le  duc  de  Guise  rendit  le  dernier  soupir. 

Loin  de  se  ralentir,  les  négociations  s'activèrent  sous  l'im- 
pulsion de  Gatherine  de  Medicis,  qui  décida  qu'une  conférence 
aurait  lieu  entre  elle  et  la  princesse  de  Gondé.  Les  intentions 
de  la  reine  mère  à  cet  égard  ayant  été,  le  1"  mars,  transmises 
à  la  princesse,  celle-ci  répondit  aussitôt  que  «  le  lendemain  ma- 
»  tin,  à  neuf  heures,  elle  serait  au  bord  de  l'eau  *  ». 

Le  2  mars  en  effet,  alors  que  l'artillerie  de  la  place  et  celle 
du  camp  ennemi  croisaient  leurs  feux  ^,  Éléonore  de  Roye,  éner- 
giques comme  toujours  en  face  du  danger,  et  ayant  pour  unique 
escorte  «  deux  damoiselles  y>  qu'inspiraient  un  courage  digne  du 
sien  et  un  dévouement  sans  bornes  à  sa  personne,  sortit  d'Or- 
léans et  s'achemina  vers  Saint-Mesmin.  Là,  elle  eut  un  entre- 
tien de  quatre  heures  avec  la  reine  mère  ^.  Gatherine,  au  dire 
d'un  personnage  de  la  cour  des  mieux  informés  *,  «  la  reçut  fort 
bien,  avec  beaucoup  de  belles  promesses  ».  De  Thou,  sur  ce 


i.  Bibl.  nat.,  mss.  f.  fr.,  vol.   G607,  f»  66. 

2.  Calend.  of  State  pap.  foreign,  8  mars  1563  :  Occurrences  in  France. 

3.  Archiv.  génér.  de  Venise,  vol.  Francia,  1563  àd566.  Senato  Hl,  secrela. 
dépèche  de  Barbare  au  Sénat  :  «  E  fij  al  2  del  mese  présente,  usci  d'Orléans 
»  la  principessa  moglie  del  principe  di  Conde  et  parlô  lungamente  alla 
>  regina,  etc.,  etc.  »  —  Calend.  of  State  pap.  foreign,  2  mars  1563.  Smith  to 
the  queen.  —  Ibid.,  3  mars  1563.  Smiih  to  Warwick. 

4.  Castelnau,  Mém.  in-f»,  t.  1,  p.  148. 


—  -221  — 

point,  est  plus  explicite  que  Gastelnau.  (c  La  reine-mère,  dit-il, 
»  après  la  mort  duc  de  Guise,  qu'elle  regarda  comme  un  bon- 
D  heur,  n'omit  rien  pour  conclure  la  paix.  Pour  cet  effet,  elle 
»  eut  à  Saint-Mesmin  un  entretien  avec  Éléonore  de  Roye,  prin- 
»  cesse  de  Gondé;  elle  l'eiribrassa  tendrement  et  lui  donna  de 
»  très  grandes  marques  de  bienveillance  et  d'affection.  On  croit 
y>  même  qu'elle  lui  fit  espérer  que  le  prince  aurait  auprès  du  roi, 
»  et  par  conséquent  dans  tout  le  royaume,  le  même  rang  que  le 
y>  roi  de  Navarre,  son  frère,  avait  eu  ^  .  » 

Éléonore  de  Roye  connaissait  trop  bien  Gatherinede  Médicis 
pour  se  laisser  prendre  à  ses  démonstrations  affectueuses  et  à 
ses  promesses  en  faveur  de  Gondé.  Touchée  des  unes  et  des  au- 
tres dans  une  certaine  mesure,  elle  sut,  avec  son  tact  habituel, 
les  réduire  à  leur  juste  valeur.  Sans  doute,  elle  crut  à  la  sincé- 
rité du  désir  qu'exprima  la  reine  mère  de  conclure  la  paix, 
parce  qu'elle  l'y  savait  intéressée,  au  point  de  vue  de  la  conso- 
lidation de  son  pouvoir  ;  sans  doute  aussi,  elle  aspirait  ardem- 
ment, pour  sa  part,  à  la  réahsation  d'un  traité  de  paix  qui 
rendrait  Louis  de  Bourbon  à  la  liberté,  et  peut-être  même  le 
porterait  à  la  lieutenance  générale  du  royaume;  mais  à  titre  de 
fervente  chrétienne,  dévouée  de  cœur  à  la  cause  de  la  liberté  re- 
ligieuse, Éléonore  était  incapable  de  condescendre  à  un  pacte 
qui  sacrifiât  ou  seulement  restreignît  celte  sainte  liberté.  Dès 
lors,  fermement  attachée  à  l'édit  de  janvier,  pour  le  maintien 
duquel  son  mari  avait  pris  les  armes,  elle  n'avait  pas  pu,  dans 
son  entretien  avec  Gatherine,  laisser  croire  à  celle-ci  que  le 
prince  achetât  jamais  la  paix,  sa  liberté  personnelle  et  les  pré- 
rogatives promises,  au  prix  d'une  mutilation  quelconque  de  cet 
édit.  La  seule  paix  acceptable,  aux  yeux  d'Éléonore,  était,  ainsi 
qu'elle  l'avait  déclaré  dans  sa  correspondance  avec  Gatherine, 
une  paix  qui  fût  à  la  gloire  de  Dieu,  de  telle  sorte  que  par  tous 

1.  Hist.  Univ.,  t.  III,  p.  40i. 


«  il  pût  estre  bien  obéy  et  servy;  »  et  pour  elle,  il  ne  pouvait  y 
avoir  de  paix  vraiment  empreinte  d'un  tel  caractère,  que  celle 
qui  reconnaîtrait  à  l'universalité  de  ses  coreligionnaires,  ainsi 
qu'à  son  mari  et  à  elle-même,  le  droit  de  pratiquer  librement  leur 
culte. 

Si,  en  l'absence  de  toute  notion  précise  sur  l'objet  et  la  por- 
tée de  l'entretien  qui  eut  lieu  le  2  mars  à  Saint-Mesmin,  on  se 
trouve  réduit  à  de  simples  conjectures,  il  en  est  une  du  moins 
à  laquelle  on  peut  sans  témérité  s'arrêter,  savoir  :  que  la  reine 
mère,  trop  prudente  pour  froisser  les  convictions  inébranlables 
de  la  princesse,  se  sera  bornée,  en  se  composant  un  maintien 
plein  de  douceur  et  d'affabilité,  à  lui  parler,  en  termes  généraux, 
de  concessions  réciproques  ne  devant  s'opérer  que  sous  la 
sauvegarde  des  droits  de  la  conscience,  dans  des  vue§  d'apaise- 
mement  et  de  conciliation,  sans  aller  jusqu'à  mettre  en  question 
l'édit  de  janvier;  et  qu'elle  aura  insisté  sur  la  nécessité  de  con- 
fier à  Condé  et  au  connétable  le  soin  de  discuter  les  bases  d'une 
paix  plus  que  jamais  désirable;  tout  en  se  réservant  pour  elle- 
même,  dans  le  secret  de  ses  pensées,  le  droit  d'interposer  en 
temps  opportun  ses  vues,  ses  manœuvres  et  son  autorité.  Or, 
présumant  que  le  prince  de  Condé  prisonnier,  «  ne  demandoit 
»  que  liberté,  elle  pensoit  que  son  esprit  facile  et  doux  à  ceux 
D  qui  sçavoyent  le  prendre  à  point,  ne  contesteroit  guère  sur 
t>  quelques  articles.  Pourtant,  de  peur  que  l'admirai  qui  estoit 
»  encores  occupé  en  Normandie,  venant  à  se  trouver  à  Orléans, 
D  ne  débatist  pour  l'édict  de  janvier,  qui  pourroit  rompre  l'ac- 
»  cord  et  rallumer  la  guerre,  dont  s'ensuivroit  le  rabaissement 
»  de  l'authorité  de  ceste  femme,  elle  hâta  la  négociation  *.  » 

La  conclusion  de  l'entretien  de  la  reine  mère  avec  la  prin- 
cesse fut  que  Louis  de  Bourbon  et  Anne  de  Montmorency  se 
réuniraient  prochainement,sur  la  Loire,  pour  conférer  entre  eux. 

1.  Hist.  de  cinq  rois,  1599,  p.  285. 


—  223  — 

Tout  en  s'occupant  de  faire  aboutir  sa  négociation,  Catherine 
n'avait  pas  perdu  de  vue  l'assassin  du  duc  de  Guise. 

Qui  était  ce  criminel*  qu'elle  fit  comparaître  devant  elle,  et 
que  décida-t-elle  à  son  égard? 

((Il  y  avoit  un  pauvre  gentilhomme  d'Angoumois,  nommé 
y>  Jean  de  Poltrot,  sieur  de  Merey,  petit  homme,  mais  d^esprit 
y>  fort  vif  et  accord,  lequel,  dès  son  jeune  âge,  ayant  esté  en 
»  Espagne,  en  avoit  tellement  appris  le  langage,  qu'avec  la 
»  taille  et  la  couleur  dont  il  estoit,  on  Teust  pris  pour  un  Espa- 
yy  gnol  naturel  :  à  raison  de  quoy,  es  guerres  de  Picardie,  il 
»  avoit  esté  souvent  employé ,  mesmes  par  Feuquières ,  à 
»  descouvrir  l'intention  des  ennemis,  se  meslant  parmi  les 
y>  Espagnols,  dont  il  acquit  le  surnom  d'Espagnolet.  Cestuy-cy 
))  estant  au  service  du  sieur  de  Soubize  et  l'ayant  suivi  d'Orléans  à 
»  Lyon,  esmeu  d'un  secret  mouvement,  se  présenta  un  jour  à 
))  son  maistre,  luy  disant  qu'il  avait  résolu  en  son  esprit  de 
y>  délivrer  la  France  de  tant  de  misères  en  tuant  le  duc  de  Guise  ; 
»  ce  qu'il  oserait  bien  entreprendre  à  quelque  prix  que  ce  fust. 
»  Soubise,  prenant  cela  pour  le  propos  d'un  homme  esvanté,  le 
»  renvoya  luy  disant  qu'il  suffisait  bien  qu'il  fi  st  son  devoir  accou- 
»  tumé,  et  que  Dieu  y  sauroit  bien  pourvoir  par  autre  moyen. 
»  Néantmoins  Poltrot  avoit  tellement  cela  en  son  entendement 
»  que  c'estoient  ses  propos  ordinaires,  jusques  à  lever  souventes 
»  fois  le  bras  et  dire  tout  haut  à  ses  compagnons  chevaux- 
»  légers,  que  c'estoit  le  bras  qui  tueroit  le  duc  de  Guise  et  qui 
»  délivreroit  la  France  ;  ce  qu'on  prenoit  pour  un  propos  fri- 
»  vole,  présumant  que,  s'il  l'eust  voulu  faire,  il  ne  l'eust  pas 
»  ainsi  publié;  mais  tant  y  a  qu'estant  les  nouvelles  de  la  bataille 
3>  rapportées  à  Lyon,  Soubize  l'envoya  de  Lyon  porter  une 
»  dépesche  à  l'amiral,  en  laquelle  estoient  ces  mots  exprès,  qu'il 
»  le  prioit  de  le  luy  renvoyer  incontinent,  d'autant  qu'il  estoit 

1.  Voir  les  détails  donnés  sur  Poltrot  par  les  Mémoires  de  la  vie  de  Jean  de 
Parthenay  Larchevêque,  sieur  de  Soubise,  1879,  p.  72  à  79, 


—  224  — 
))  homme  de  service.  L'amiral,  pour  lors,  estoit  à  Selles  en 
»  Berry,  duquel  lieu  le  voulant  renvoyer  à  son  maistre  avec 
»  response,  il  le  supplia  de  luy  permettre  d'aller  à  Orléans  où 
»  il  avoit  quelques  affaires.  Estant  l'amiral,  puis  après  de  retour 
))  à  Orléans  et  sur  son  partement,  entendue  de  Feuquières  la 
»  suffisance  de  Poltrot,  qui  s'estoit  offert  d'aller  au  camp  des 
»  ennemis  et  d'en  faire  quelque  bon  rapport,  il  l-uy  fit  donner 
))  vingt  escus  pour  cest  effet.  Poltrot,  sur  cela,  retourné  des 
y>  ennemis  à  Orléans,  fut  delà  envoyé  par  Andelot  et  conduit 
y>  par  Traves  à  l'amiral  au  premier  giste  qu'il  fit  au  partir  d'Or- 
»  léans,  à  savoir  au  bourg  de  la  Neufville,  où  il  récita  ce  qu'il 
»  avoit  descouvert  des  délibérations  du  duc  de  Guise,  auquel 
))  mesmes  il  disait  avoir  esté  présenté  par  un  gentillhomme  de 
»  sa  connaissance  nommé  l'Eslan,  et  jugea  l'amiral  par  son  rap- 
))  port,  que  vrayement  il  pourroit  grandement  servir  au  siège 
y>  d'Orléans.  Et  d'autant  qu'il  se  disoit  estre  assés  mal  monté 
»  pour  faire  telles  corvées,  l'amiral  qui  n'avoit  courtaut  qu'il  luy 
y>  peust  bailler,  luy  fit  délivrer  cent  escus,  tant  pour  acheter  un 
»  meilleur  cheval  s'il  en  avoit  besoin,  que  pour  luy  donner 
»  occasion  de  tant  mieux  descouvrir  ce  qu'il  pourroit  pour  le 
))  rapporter,  puis  après  à  Orléans.  De  ces  cent  escus,  Poltrot 
y>  ayant  acheté  un  cheval  d'Espagne,  demeura  au  camp  du 
))  duc  de  Guise,  logé  pour  lors  au  chasteau  de  Corny  jusqu'au 
»  18"  de  février,  auquel  jour,  comme  il  a  dit  depuis,  descendu 
»  de  cheval  en  un  bois,  après  avoir  disné  en  une  censé,  à  demi 
y>  lieue  de  la  maison  des  Valins,  près  Saint-Mesmin,  il  pria  Dieu 
y>  très  ardemment  qu'il  luy  fist  la  grâce  de  luy  changer  son  vou- 
))  loir  si  ce  qu'il  vouloit  faire  luy  estoit  désagréable,  ou  bien 
»  qu'il  luy  donnast  constance  et  assés  de  force  pour  tuer  ce 
y>  tyran  et,  par  ce  moyen,  délivrer  Orléans  de  destruction,  et  tout 
»  le  royaume  d'une  si  malheureuse  tyrannie.  Et  sur  cela,  résolu 
»  de  ne  perdre  l'occasion,  ainsi  que  le  duc  de  Guise,  sur  le  soir 
»  du  mesmejour,  en  intention  d'assaillir  les isles  la  nuictmesme, 


—  225  — 

y>  s'en  retournoit  en  son  logis,  accompagné  d'un  seul  gentil- 
»  homme  marchant  devant  luy  et  d'un  autre  parlant  à  luy,  et 
»  monté  sur  un  petit  mulet,  il  le  suivit  de  si  près  qu'il  luy  tira 
»  de  six  à  sept  pas  sa  pistole  chargée  de  trois  balles,  s'effor- 
D  çant  de  le  frapper  à  l'espaule  au  défaut  du  harnois  comme 
»  il  fit,  parce  qu'il  pensoit  qu'il  fust  armé  par  le  corps,  puis 
»  donnant  des  espérons  à  son  cheval,  il  se  sauva  par  les  tail- 
D  lis  dont  ce  païs-là  est  tout  rempli  avec  tant  de  destours, 
>  principalement  à  un  qui  va  de  nuict  à  travers  païs  sans 
»  suivre  chemins  ne  sente,  comme  il  faisoit  craignant  d'estre 
»  poursuivi,  que  ce  n'est  pas  merveilles,  joinct  que  la  grandeur 
))  du  faict  exploité  par  luy,  quelque  résolu  qu'il  fust  ne  pouvoit 
»  faillir  de  l'esblouir,  si  ayant , tracassé  ainsi  la  nuict  au 
))  heu  de  s'esloigner  d'Orléans,  il  se  vint  rendre  au  village 
»  d'Olivet,  près  du  lieu  mesme  dont  il  estoit  parti ,  et  jus- 
»  ques  au  corps  des  gardes  des  Suisses  qui  y  estoient  logés. 
»  Ayant  recogneu  ceste  faute  et  piqué  jusques  au  lendemain 
»  huict  heures,  il  se  logea  finalement  en  une  censé  pour  rafrais- 
»  chir  son  cheval,  là  où  s'estant  trop  fort  endormi,  il  fut  trouvé 
y>  et  amené  prisonnier  par  soupçon*  . 

)) Trois  jours  après  la  blessure  du  duc  de  Guise,  à  savoir 

»  le  21"  de  février,  Poltrot  fut  amené  devant  la  royne  au  camp 
5)  de  Sainct-Hilaire,  près  du  bourg  de  Saint-Mesmin,  assistée 
i>  de  quelques  seigneurs  du  privé  conseil,  là  où  estant  interrogé 
»  qui  l'avoit  esmeu  à  faire  ce  coup,  au  lieu  de  respondre  sim- 
y>  plement  ce  que  dessus,  craignant  d'estre  exécuté  sur  le  champ, 
»  et  cuidant  sauver  sa  vie  en  chargeant  autrui,  parce  qu'il 
»  espéroit  par  ce  moyen  que  pour  le  moins  on  le  garderoit 
))  pour  le  confronter  avec  ceux  qu'il  accuseroit,  ou  que  la  paix 
y>  se  feroit  cependant  moyennant  laquelle  il  eschapperoit, 
»  chargea  grandement  de  ce  fait,  premièrement  Feuquières 

1.  De  Bèze,  Jlist.  eccL,  t.  II.  p.  267,  268,  269. 

II  15 


—  226  — 
3>  et  un  nommé  le  capitalie  Brion,  lequel  toutesfois  s'eslant 
»  révolté  avoitesté  tué  devant  Rouen,  ce  qui  pouvoit  dès  lors 
»  monstrer  la  fausseté  de  ses  accusations,  puis  aussi*  deux  mi- 
»  nistres,  l'un  desquels  il  ne  nomma  point,  l'autre  estoit  Théo- 
y>  dore  de  Bèze,  atteignant  aussi  le  comte  de  la  Rochefoucaut. 
»  Il  adjousta  davantage  que  la  royne  mesme  avoit  bien  à  se 
D  garder,  pour  ce  que  l'amiral  luy  portoit  mauvaise  volonté 
»  auquel  aussi  il  disoit  avoir  ouy  dire  qu'il  feroit  faire  le  sem- 
»  blable  à  tous  ceux  qui  voudroient  successivement  commander 
»  à  l'armée,  et  qu'il  falloit  faire  mourir  six  ou  sept  chevaliers 
»  de  l'ordre;  mesmes  qu'il  avoit  veu  au  camp  devant  Orléans 
»  quelques  personnages  de  la  suite  de  l'amiral,  qui  y  devoyent 
»  estre  envoyés  pour  exécuter  quelque  entreprise.  —  Le  len- 
»  demain  ayant  persisté  en  ceste  confession,  il  fut  finalement 
y>  envoyé  à  Paris;  et  défenses  furent  faites  incontinent  de  par 
y>  le  roy  estant  à  Bloys,  à  tous  ceux  de  la  religion  d'en  appro- 
»  cher  de  dix  lieues  à  peine  de  la  vie.  —  Cette  déposition  fut 
y>  enregistrée  et  copie  d'icelle  envoyée  aux  reistres,  et  par  eux 
y>  à  l'amiral  estant  à  Caen*  .  » 

Avant  que  parvînt  à  Coligny  cette  pièce,  dont  il  ne  pouvait 
même  pas  pressentir  l'existence,  plusieurs  jours  s'écoulèrent 
durant  lesquels  s'accomplirent  certains  faits  qui  consolidèrent 
en  Normandie  la  situation  de  ses  troupes  et  un  premier  succès 
qu'il  y  avait  obtenu. 

Renouard  et  le  marquis  d'Elbeuf,  frère  du  duc  de  Guise, 
envoyés  à  Gaen  pour  y  résister  aux  efforts  que  tenterait  l'amiral, 
n'avaient  pu  l'empêcher  de  prendre  possession  de  cette  ville. 
Tandis  qu'il  cherchait  à  se  rendre  maître  du  château,  «  place 
»  très  forte, mais  mal  garnie  de  capitaines,  comme  il  disoit^ ,  » 
l'argent  promis  par  la  cour  d'Angleterre  parvint  enfin  au  Havre, 

1 .  De  Bèze,  Hist.  eccL,  t.  Il,  p.  270,  271 . 

2.  Id.,  Ibid.,^.  260  —  Id.  Tigurin,  Eccles,    12    mai    1563,  ap.  Baum, 
app.  p.  207. 


—  227  — 
d'où  il  fut  apporté,  le  25  février,  par  Beauvoir,  Briquemaut 
et  Throckmorton,  qu'accompagnaient  quelques  troupes,  huit 
pièces  d'artillerie  et  des  munitions.  Les  reîtres  reçurent  leur 
solde.  Le  1"  mars,  le  feu  s'ouvrit  contre  le  château,  et  dès  le . 
2  le  marquis  d'Elbeuf  et  Benouart  «  demandèrent  composi- 
tion ».  L'amiral  se  montra  généreux  en  la  leur  accordant  et  en 
les  laissant  libres  de  se  retirer  où  bon  leur  semblerait. 

Le  3  mars,  il  écrivit  à  la  reine  d'Angleterre*  :  «  Madame, 
))  ayant  entendu  que  M.  le  comte  de  Warvvick  dépeschoit  vers 
))  vostre  majesté  M.  de  Sommerset,  présent  porteur,  je  n'ay 
»  voulu  faillir  à  vous  tenir  par  luy  advertie  de  Testât  en  quoy 
))  se  retrouvent  toutes  choses  par  deçà,  et  mesmes  de  ce  qui  y  est 
»  succédé,  quant  à  la  délivrance  de  ceste  ville  de  la  tjTannie  et 
»  captivité  où  elle  s'en  alloit  réduicte  par  la  prinse  du  chas- 
»  teau,  qui  a  esté  faicte,  grâces  à  Dieu,  avec  si  peu  de  perte, 
»  comme  ledict  sieur  de  Sommerset  vous  pourra  bien  ample- 
»  ment  et  particulièrement  faire  entendre,  etc.,  etc.  —  De 
»  Caen,  le  3  mars  4563.  » 

L'amiral  se  sentait  encouragé  par  la  tournure  que  prenaient 
les  événements  en  Normandie,  ainsi  qu'en  témoignaient  ces 
paroles  adressées  par  lui,  vers  le  6  mars,  aux  habitants  de 
Dieppe^  : 

«  J'entends  que  de  tout  vostre  pouvoir  vous  ayés  à  vous 
»  employer  à  la  défense  de  ceste  cause  de  Dieu  et  du  roy,  sans 
))  faire  comme  plusieurs  villes,  lesquelles  ayant  espargné  une 
î)  partie  de  leurs  biens,  au  heu  de  se  maintenir  en  ceste  saine  te 
T>  entreprise,  ont  perdu  enfin,  avec  la  liberté  de  l'Evangile,  la 
$>  vie,  leurs  hommes,  l'honneur  de  leurs  femmes,  et  l'espoir  de 
3)  leurs  enfans.  Vous  voyez  que  moy,  mes  frères  et  tant  d'autres 
»  grands  seigneurs,  n'estant  en  meilleure  condition  que  vous- 

1.  Record  office,  State  pap.  France,  vol.  30.  —  De  Laferrière,  la  Normandie 
à  Vétr.,  p.  103. 

2.  De  Bèze,  Uist.  eccl.,  t.  II,  p.  693,  694. 


—  228  - 

»  mesmes,  y  exposent  leurs  vies  tous  les  premiers,  et  puis 
»  tous  leurs  biens,  de  sorte  que  nul  d'entre  eux  ne  se  peut 
2)  vanter  d'un  pouce  de  terre.  Cependant  courant  avec  eux  en 
i)  un  mesme  danger,  vous  vous  devés  fortifier  comme  eux  en 
»  l'équité  de  la  cause  et  en  l'espoir  du  secours  céleste,  lequel 
))  enfin  nous  appert  si  manifestement,  que  nous  ne  saurions 
y>  nier  les  miracles  évidens  de  Dieu  qui,  de  jour  en  jour  se  font, 
»  à  l'honneur  et  avancement  de  son  Église,  et  à  la  ruine  et  con- 
y>  fusion  de  ses  ennemis.  Les  principaux  chefs  des  adversaires 
y>  sont  morts  miraculeusement  la  pluspart,  les  autres  nos  pri- 
y>  sonniers,  les  autres  malades  et  en  désespoir  de  leur  santé.  La 
))  meilleure  part  de  Normandie  et  la  plus  forte  est  nouvellement 
))  réduite,  et  le  reste  est  en  chemin  de  pareil  espoir.  Bref,  la 
))  faveur  de  Dieu  envers  nous  est  pour  le  jourd'huy  si  apparente 
»  par  la  continuelle  prospérité  de  nos  affaires,  qu'outre  l'espoir 
»  que  nous  avons  de  l'autre  vie,  nous  pouvons  certainement  et 
»  en  bref  attendre  plus  que  suffisante  récompense  en  ce  monde, 
»  mesmement  de  si  peu  de  biens  qui  sont  par  nous  dispensés, 
y>  quittés  ou  perdus  en  la  suite  de  sa  juste  cause. 

■»  Pourquoi,  que  chacun  s'efforce  plus  que  jamais,  comme 
3)  desjà  approchant  du  bout  de  la  course;  ceux  qui  ont  bien  fait 
»  continuans  de  bien  en  mieux,  et  ceux  qui  se  sont  portés  froide- 
3)  ment  se  reschauffans,  de  sorte  qu'une  mesme  ville  ne  soit  plus 
»  qu'un  mesme  corps  ;  et  si  quelques  membres  s'en  sont  aucune- 
y>  ment  séparés,  se  réunissent  pour  leur  propre  conservation.  En 
))  quoi  faisant  ne  vous  faudra  jamais  l'ayde  et  secours  que  je  vous 
»  pourray  faire,  comme  je  me  suis  par  cy-devant  tousjours  mons- 
»  tré  principal  appuy  et  vray  protecteur  de  vostre  ville.  » 

Coligny  venait  d'apprendre  la  mort  du  duc  de  Guise,  mais 
«c  il  ne  savoit  encore  ni  qui  avait  fait  ce  coup,  ni  comment  il 
»  avoit  esté  fait^  ». 

1.  De  Bèze,  Hist.  eccl.,  t.  II,  p.  290. 


—  229  — 

«  Quelques  jours  plus  tard  fut  apportée  la  déposition  de 
»  Poltrot  par  un  gentilhomme  allemand,  prisonnier  à  la  jour- 
))  née  de  Dreux,  relasché  par  le  sieur  de  La  Valette,  pour  faire 
»  ce  message,  accompagné  de  grandes  menaces.  L'amiral 
ï»  doncques  ayant  reçu  ceste  déposition,  laquelle,  au  commen- 
»  cément,  il  pensoit  estre  entièrement  contrefaite,  assembla 
»  avec  le  mareschal  de  Hessen  tous  les  principaux  seigneurs  et 
»  gentilshommes  de  sa  suite,  le  12°  du  mois  (de  mars),  devant 
»  lesquels  il  déclara  son  innocence,  advouant  toutesfois  ce  qu'il 
»  y  avoit  de  vray  en  la  déposition,  et  voulut  que,  suivant  ce 
»  qu'il  en  avoit  dit,  sa  response  sur  chacun  poinct  d'icelle  fust 
»  couchée  par  escrit,  voire  mesme  imprimée,  signée  de  Chas- 
»  tillon  et  de  Larochefoucauld  ;  après  lesquels  fut  aussy  octroyé 
))  à  Théodore  de  Bèze  d'insérer  sa  response  sur  ce  qui  le  con- 
y>  cernoit^  .  » 

Les  passages  suivants  de  la  déclaration  de  l'amiral  donneront 
la  mesure  de  la  précision  et  de  la  fermeté  de  ses  réponses,  dans 
leur  ensemble. 

«  Ledit  seigneur  admirai  respond  en  vérité,  devant  Dieu  et 
»  les  hommes,  que  le  susdit  propos  (sur  la  prétendue  excitation 
))  à  l'assassinat)  est  faussement  et  malheureusement  controuvé. 
y>  Et  d'abondant,  afin  que  tout  le  monde  sache  comme  il  s'est 
»  porté  envers  ledit  seigneur  de  Guise,  il  déclare  franchement 
y>  que  devant  ces  derniers  tumultes,  il  en  a  sçeu  qui  estoient 
»  délibérez  de  tuer  ledit  seigneur  de  Guise,  pour  le  mescon- 
»  tentement  qu'ils  en  avoient  :  mais  tant  s'en  faut  qu'il  les  y 
»  ait  induits  ni  approuvés,  qu'au  contraire  il  les  en  a  desmeus 
»  et  destournés,  comme  peut  mesmes  sçavoir  madame  de 
))  Guise,  laquelle  il  en  a  suffisamment  advertie  en  temps  ef 
))  lieu.  Vray  est  que  depuis  le  faict  de  Vassy,  après  les  armes 
»  prises  pour  maintenir  l'authorité  des  édicts  du  roy  et  dé- 

i.  De  Bèze,  Hist.  eccL,  t.  II,  p.  290. 


—  230  — 

y>  fendre  les  pauvres  oppressés  contre  la  violence  du  dit  de  Guise 
»  et  de  ses  adhérens,  il  les  a  tenus  et  poursuivis  comme  enne- 
y>  mis  publics  de  Dieu,  du  roy  et  du  repos  de  ce  royaume;  mais 
•»  sur  sa  vie  et  sur  son  honneur,  ne  se  trouvera  qu'il  ait  ap- 
»  prouvé  qu'on  attentast  en  ceste  façon  sur  la  personne  d'ice- 
»  liiy,  jusques  à  tant  qu'il  a  esté  duement  adverti  que  ledit  de 
»  Guise  et  le  mareschal  sainct  André  avoient  attitré  certaines 
y>  personnes  pour  tuer  monsieur  le  prince  de  Gondé,  luy  et  le 
))  seigneur  d'Andelot,  son  frère,  comme  ledit  seigneur  admirai 
y>  Ta  naguères  amplement  déclaré  à  la  roy  ne,  devant  Paris,  et 
))  depuis  à  M.  le  connestable,  à  Orléans.  Quoy  voyant  il  confesse 
y>  que  depuis  ce  temps-là,  quand  il  a  ouï-dire  à  quelqu'un  que, 
y)  s'il  pouvoit,  il  tueroit  ledit  seigneur  de  Guise  jusques  en  son 
))  camp,  il  ne  l'en  a  destourné  :  mais,  sur  sa  vie  et  sur  son  hon- 
y>  neur,  il  ne  se  trouvera  que  jamais  il  ait  recerché,  induit  ni 
y>  solicité  quelqu'un  à  ce  faire,  ni  de  paroles,  ni  d'argent,  ni  par 
y>  promesses,  par  soy  ni  par  autruy,  directement  ni  indirecte- 
»  ment.  Et  quant  aux  vingt  escus,  il  reconnaît  estre  vray,  qu'à 
»  son  dernier  retour  à  Orléans,  environ  la  fm  de  janvier  dernier, 
y>  après  que  le  seigneur  de  Feuquières  luy  eut  dit  qu'il  avoit 
y>  cogneu  ledit  Poltrot  pour  homme  de  service,  il  délibéra  l'em- 
»  ployer  à  savoir  des  nouvelles  du  camp  des  susdits  ennemis, 
))  et  pour  cest  effect  luy  fit  délivrer  vingt  escus,  sans  luy  tenir 
y>  autre  langage  ni  propos,  et  sans  jamais  luy  faire  mention  de 
»  tuer  ou  ne  tuer  pas  ledit  seigneur  de  Guise  ^  » 

« Le  seigneur  admirai  jugea  qu'on  se  pourroit  servir  de 

»  Poltrot  pour  entendre  certaines  nouvelles  du  camp  (ennemi)  : 
»  et,  pour  cest  effect,  lui  délivra  cent  escus,  tant  pour  le  mieux 
!s)  monter,  que  pour  faire  les  diligences  requises  en  tels  adver- 

))  lissemens Ledit  seigneur  admirai  est  bien  recors  mainte- 

3)  nant  que  ledit  Poltrot  s'avança,  luy  faisant  son  rapport,  jus- 

1.  De  Bèze,  Hist.  eccL,  t.  Il,  p.  296,  297.  —  Mém.  de  Condé,  t.  IV,  p.  291, 

292. 


—  231  — 

y>  ques  à  luy  dire  qu'il  seroit  aisé  de  tuer  ledit  seigneur  de  Guise, 
»  mais  ledit  seigneur  admirai  n'insista  jamais  sur  ce  propos, 
»  d'autant  qu'il  l'estimoit  pour  chose  du  tout  frivole  :  et  sur  sa 
»  vie  et  sur  son  honneur,  n'ouvrit  jamais  la  bouche  pour  l'in- 
»  citer  à  l'entreprendre  ^  » 

d  Si  ledit  Poltrot,  ou  pour  crainte  de  la  mort,  ou  par 

»  autre  subornation  a  persisté  en  ses  confessions  fausses  et 
»  controuvées,  à  plus  forte  raison  ledit  seigneur  admirai  et 
»  ceux  qui  par  icelles  sont  chargés  avec  luy,  persistent  en  leurs 
))  responses  qui  contiennent  la  pure  et  simple  vérité.  Et  d'au- 
))  tant  que  la  vérification  de  tout  ce  faict  dépend  de  la  confron- 
»  tation  dudit  Poltrot,  ledit  seigneur  admirai  avec  les  dessus- 
))  dits,  après  avoir  récusé  les  cours  de  parlemens  et  tous  autres 
»  juges  qui  se  sont  manifestement  déclarés  leurs  ennemis  en 
))  ces  présens  tumultes,  supplient  très  humblement  sa  majesté 
»  ordonner  que  ledit  Poltrot  soit  bien  et  seurement  gardé  en 
»  lieu  où  il  ne  puisse  estre  intimidé  ni  suborné,  jusques  à  tant 
»  que  Dieu  octroyé  la  paix  tant  désirée  et  nécessaire  en  ce 
))  royaume,  et  que  par  ce  moyen  le  tout  puisse  estre  vérifié  et 
y>  vuidé  pardevant  juges  non  suspects.  Et,  cas  advenant  qu'au- 
»  cuns  desdits  juges  de  parlemens  ou  autres  veuillent  dès  main- 
y>  tenant  procéder  au  jugement  et  exécution  dudit  Poltrot,  et 
»  par  ce  moyen  oster  audit  seigneur  admirai  et  à  tous  autres 
»  le  vray  moyen  de  se  justifier  des  susdites  fausses  accusations, 
»  ils  protestent  de  leur  intégrité,  innocence  et  bonne  réputation 
»  contre  les  dessusdits  juges  et  contre  tous  ceux  qu'il  appar- 
))  tiendra  ^.  » 

Il  est  à  remarquer  que  plusieurs  des  seigneurs  et  gentils- 
hommes, réunis  par  l'amiral  pour  entendre  la  lecture  de  sa 
déclaration  «  ne  trouvèrent  pas  bon  qu'il  confessast  quelques 

1.  De  Bèze,  Hist.  ceci.,  t.  II,  p.  300,  301.  —  Mém.  de  Condé,  t.  IV,  p,  295 
296. 

2.  Id.,  Ibid.,  p.  307.  —  îd.,  p.  302, 303. 


—  232  — 

»  poincts  si  librement,  d'autant  que  ses  ennemis  en  pouvoient 
»  prendre  occasion  de  fonder  telles  conjectures  qu'il  leur  plai- 
»  roit,  comme  ils  ne  faillirent  pas  depuis.  Mais  l'amiral,  homme 
»  rond  et  vrayment  entier  s'il  y  en  a  jamais  eu  de  sa  qualité, 
»  répliqua  que  si  puis  après,  advenant  confrontation,  il  con- 
))  fessait  quelque  chose  davantage,  il  donnerait  occasion  de 
»  penser  qu'encores  n'aurait-il  pas  confessé  toute  la  vérité, 
y>  voulut,  quoy  qu'il  en  deust  advenir,  que  toute  sa  déclaration 
y>  fûst  ainsi  rédigée  par  escrit  ^  » 

Nous  ne  ferons  pas  à  la  mémoire  d'un  chrétien,  d'un  homme 
d'honneur  tel  que  Coligny  l'injure  de  discuter,  un  seul  instant, 
les  allégations  mensongères  de  Poltrot;  il  nous  suffira  de  dire  : 
1°  que  la  vie  tout  entière  de  l'amiral  proteste  contre  l'odieuse 
accusation  d'un  assassin  cherchant  dans  l'imposture,  si  ce 
n'est  une  chance  de  salut,  du  moins  celle  d'une  atténuation  de 
pénalité  ;  2°  que  les  réponses  contenues  dans  la  déclaration  de 
l'amiral  établissent  péremptoirement  le  fait  de  sa  complète 
innocence;  3°  que  sa  persistance  à  demander  une  confrontation 
la  confirme;  4"  et  qu'enfin  l'accusation,  impudemment  forgée, 
tombe  devant  le  démenti  formel  que  Poltrot  s'est  donné  plus 
tard  à  lui-même  par  une  rétractation  volontaire. 

Coligny,  le  jour  même  où  il  avait  signé  sa  déclaration,  l'en- 
voya à  la  reine-mère,  «  par  un  trompette,  »  avec  la  lettre  sui- 
vante ^  : 

((  Madame,  depuis  deux  jours,  j'ay  veu  un  interrogatoire  qui 
5)  a  esté  fait  à  un  nommé  Jean  Poltrot,  soit-disant  sieur  de 
))  Merey,  du  21^  du  mois  passé  :  lequel  confesse  avoir  blessé 
5)  monsieur  de  Guyse,  par  lequel  aussi  il  me  charge  de  l'avoir 
»  sollicité  ou  plus  tost  pressé  de  faire  ce  qu'il  a  fait,  et  pour  ce 
5)  que  la  chose  du  monde  que  je  craindroys  autant,  ce  seroit 


1.  De  Bèze,  Hist.  eccl.,  t.  II,  p.  307,  308. 

2.  Id.,  Ibid.  t.  II,  p.  308,  309.  —  Mém.  de  Condé,  t.  IV;  p.  303,  304. 


—  233  — 

»  que  ledit  Poltrot  fus!  exécuté,  que  premièrement  la  vérité 
»  du  faict  ne  fùst  bien  cogneue,  je  supplie  très  humblement 
ï)  Vostre  Majesté  de  commander  qu'il  soit  bien  gardé  :  et  cepen- 
y>  dant  j'ay  dressé  quelques  articles  sur  chacun  des  siens  qui 
»  me  semblent  mériter  réponse,  que  j'envoye  à  Vostre  Majesté 
»  par  ce  trompette,  par  lesquels  toutes  personnes  de  bon  juge- 
))  ment  pourront  à  plus  près  estre  esclaircies  de  ce  qui  en  est. 
»  Et  outre  cela  je  dis  qu'il  ne  se  trouvera  point  que  j'aye  jamais 
»  recerché  cestuy-là  ni  autre  pour  faire  un  tel  acte  :  au  con- 
))  traire,  j'ay  tousjours  empesché  de  tout  mon  pouvoir  que  telles 
»  entreprises  ne  se  missent  à  exécution.  Et  de  cela  en  ay-je 
D  plusieurs  fois  tenu  propos  à  monsieur  le  cardinal  de  Lorraine 
»  et  à  madame  de  Guyse,  A  mesmes  à  Vostre  Majesté,  laquelle 
»  se  peut  souvenir  combien  j'ay  esté  contrariant  à  cela,  réservé 
»  cinq  ou  six  mois  en  ça  que  je  n'ay  point  fort  contesté  contre 
»  ceux  qui  monstroient  avoir  telle  volonté.  Et  ce  a  esté  depuis 
»  qu'il  est  venu  des  personnes  que  je  nommeray  quand  il  sera 
»  temps,  qui  disoient  avoir  esté  pratiquées  pour  me  venir  tuer, 
))  comme  il  plaira  à  Vostre  Majesté  se  souvenir  quand  je  luy 
»  dis  à  Paris,  en  sortant  du  moulin  où  se  faisoit  le  parlement, 
))  ce  que  j'ay  aussi  dit  à  monsieur  le  connestable  :  et  néant- 
».  moins  puis-je  dire  avec  vérité  que  de  moy-mesme  je  n'ay 
»  recerché,  sollicité,  ni  pratiqué  personne  pour  tel  effect  :  et 
y>  m'en  rapporteroys  bien  à  tous  ceux  qui  ont  veu  mettre  telles 
»  entreprises  en  avant  devant  moy  combien  je  m'en  suis  moqué  : 
»  et  pour  n'ennuyer  Vostre  Majesté  déplus  longue  lettre,  je  la 
»  supplieray,  encore  un  coup  très  humblement,  commander 
))  que  ledit  Poltrot  soit  bien  et  soigneusement  gardé  pour  véri- 
»  fier  de  ce  faict  ce  qui  en  est;  aussi  qu'estant  mené  à  Paris, 
»  comme  on  m'a  dit,  je  craindroys  que  ceux  de  la  cour  de  par- 
»  lement  le  vousissent  faire  exécuter,  pour  me  laisser  ceste  ca- 
»  lomnie  et  imposture,  ou  bien  qu'ils  vousissent  procéder  à 
»  rencontre  de  moy  pour  ce  faict  :  ce  qu'ils  ne  peuvent  faire, 


—  234  — 

»  estant  mes  parties  et  récusés  comme  ils  sont.  —  Et  cepen- 
y>  dant  ne  pensés  pas  que  ce  que  j'en  dis  soit  pour  regret  à  la 
»  mort  de  monsieur  de  Guyse  :  car  j'estime  que  ce  soit  le  plus 
»  grand  bien  qui  pourroit  advenir  à  ce  royaume  et  à  l'église  de 
y>  Dieu,  et  particulièrement  à  moy  et  à  toute  ma  maison,  et 
»  aussi  que  s'il  plaist  à  Vostre  Majesté,  ce  sera  le  moyen  pour 
»  mettre  ce  royaume  en  repos.  Ce  que  tous  ceux  de  ceste  armée 
»  désirons  bien  vous  faire  entendre,  s'il  vous  plaist  nous  donner 
»  seureté  de  ce  faire,  suivant  ce  que  nous  vous  avons  fait  re- 
»  quérir  aussitost  que  nous  avons  esté  advertis  de  la  mort  dudit 
»  sieur  de  Guyse.  » 

Rien  de  plus  fondé  que  la  demande  de  confrontation  formée 
par  Goligny  :  mais,  loin  d'en  tenir^ompte,  ainsi  que  les  règles 
les  plus  élémentaires  de  la  justice  le  leur  commandaient  impé- 
rieusement, ses  ennemis,  d'accord  avec  Catherine  de  Médicis, 
lui  enlevèrent  le  moyen  de  confondre  par  sa  présence  et  son 
langage  l'imposture  de  l'assassin.  On  précipita  le  jugement  et 
la  condamnation  de  celui-ci,  alors  que  l'amiral  était  encore  au 
loin.  Poltrot  fut  traduit  devant  le  parlement  de  Paris.  «  Ceux 
D  qui  avaient  le  procès  dudit  Poltrot  en  mains,  voyant  à  l'œil 
))  que  son  dire  n'avait  aucun  fondement,  écrivirent  au  pari e- 
y>  ment,  dès  le  15'  de  mars,  que  la  garde  de  Poltrot  ne  valoi.t 
y>  rien  et  qu'il  se  vouloit  desdire  *  ».  Il  le  voulait,  en  effet,  si 
bien  que,  lorsqu'il  fut  amené,  le  18  mars,  «  en  la  chambre  delà 
question  »  pour  y  entendre  le  prononcé  de  l'arrêt  qui  le  con- 
damnait à  mort,  il  déclara  :  «  Que  la  première  déposition  par 
»  luy  faite  devant  la  royne-mère  estoit  toute  fausse  et  qu'il  avoit 
»  icelle  faite  d'autant  qu'il  craignoit  estre  tué  par  plusieurs 

y>  hommes,  serviteurs  et  domestiques  de  M.  de  Guyse; que 

y>  sa  dite  première  confession;  quant  au  sieur  admirai,  estoit 
»  toute  fausse,  etc.,  etc.  ^.  » 

1.  De  Bèze,  Hist  eccl.,  t.  II,  p.  309. 

2.  là.,Ibid.,X.  II,  p.  310. 


—  235  — 

Telle  fut  la  déclaration  expresse  de  Poltrot,  à  un  moment  où 
il  jouissait  de  la  plénitude  de  sa  raison.  Ensuite,  au  dire  de  de 
Thou^ ,  ((  il  parut  effrayé  et  comme  hors  de  lui-même  et  ne 
y>  sachant  ce  qu'il  disait,  par  l'appréhension  du  supplice  ;  il 
»  déchargea  l'amiral,  puis  le  chargea  de  nouveau,  dans  le  temps 
9  qu'on  l'exécutait,  de  même  que  d'Andelot,  son  frère  ».  Si 
Poltrot  en  proie  aux  étreintes  d'un  horrible  supplice,  ne  savait 
plus  ce  qu'il  disait,  il  le  savait  du  moins  avant  d'être  livré  à 
ses  bourreaux;  et  dès  lors  subsiste  dans  toute  sa  force  l'aveu 
spontanément  fait  par  lui  d'avoir  faussement  accusé  l'amiral. 

Ce  dernier  se  plaignit  du  rejet  de  sa  demande  en  confronta- 
tion, comme  d'un  déni  de  justice  caractérisé  :  c'en  était  un, 
en  effet  ;  mais  que  pouvait  attendre  d'autre  l'amiral,  d'un  par- 
lement associé  aux  passions  de  ses  pires  ennemis  ! 

Catherine  voulait,  à  tout  prix,  éviter  que  Coligny  ne  s'immis- 
çât dans  les  négociations  qu'elle  avait  entamées,  au  sujet  d'une 
pacification  dont  elle  redoutait  qu'il  ne  débattît  les  conditions, 
dans  l'intérêt  des  réformés,  avec  une  indomptable  énergie. 
Aussi,  profita-t-elle  de  ce  qu'il  était  retenu  en  Normandie  pour 
hâter  une  solution,  en  mettant  en  présence  le  connétable  et  le 
prince  de  Condé.  Sûre  du  premier,  elle  se  flattait,  non  sans 
raison,  de  circonvenir  le  second  et  de  lui  arracher  des  conces- 
sions que  jamais  elle  n'eût  obtenues  de  l'amiral. 

Le  lieu  choisi  pour  l'entrevue  d'Anne  de  Montmorency  et  de 
Louis  de  Bourbon  fut  l'île  aux  Bœufs,  sur  la  Loire. 

On  convint  d'une  trêve  pour  toute  la  durée  d'es  négociations 
qui  allaient  s'ouvrir  relativement  à  la  paix. 

Ordre  fut  donné  de  faire  sortir  du  château  d'Onzain  le  prince 
de  Condé,  que  «Damville  conduisit  dans  une  coche  avecq  bonne 
y>  garde  et  seure^  »  à  Saint-Mesmin. 

La  reine  mère  était  alors  au  camp,  d'où  elle  écrivait,  le 

1.  Hist.  univ.,  t.  Il,  p.  403. 

2.  Dépêche  de  Chantonnay,  du  13  mars  1563  {Mém.  de  Condé  t,  II,  p.  138). 


—  236  — 

4  mars,  à  de  Gonnor  *:  «  Je  fais  venir  (le  prince  de  Condé)  icy, 
))  où  il  arrivera  bien  gardé,  et  le  loge  à  Saint-Mesmin,  accom- 
»  pagné  de  dix  enseignes  de  suisses.  y> 

Dans  quelles  dispositions  arrivait  le  prince?  Est-il  vrai  que 
depuis  plusieurs  jours,  à  la  suite  d'entretiens,  dans  sa  prison, 
avec  divers  agents  de  Catherine,  et  notamment  avec  le  prince  de 
la  Roche -sur-Yon,  il  se  fût  désisté  de  ses  réclamations  quant 
au  maintien  de  l'édit  de  janvier,  et  qu'il  eût  consenti  à  ce  que 
de  graves  restrictions  y  fussent  apportées,  en  se  laissant  sé- 
duire par  cette  considération,  qu'une  fois  investi  de  la  lieute- 
nance-générale  du  royaume,  qui  lui  était  promise,  il  pourrait 
assurer  à  ses  coreligionnaires  le  libre  exercice  de  leur  culte? 
Est-il  vrai,  ainsi  que  l'affirmait  le  prince  de  la  Roche-sur-Yon^ , 
que  dans  «  sa  grande  envie  de  voir  finir  les  troubles,  le  petit 
))  homme,  avec  qui  il  avait  parlé  seul  à  seul,  s'accommoderait  à 
3)  tout  »?  Est-il  vrai  enfin,  ainsi  que  le  prétendait  Catherine 
le  4  mars  ^,  que  ce  même  prince  lui  o:  eût  mandé  qu'il  avoit 
»  tiré  de  Condé,  qu'il  se  contenteroit,  pourvu  que  les  gentils- 
y>  hommes  eussent  liberté  de  conscience  en  leurs  maisons  et 
»  seureté  de  leur  vie  et  bien  et  de  passé  et  de  l'avenir  y> ,  alors 
que  rien  de  tel  n'était  énoncé  dans  la  lettre  que  la  Roche-sur- 
Yon  adressa,  le  3  mars,  à  la  reine-mère  *?  Il  est  impossible  de 
se  prononcer  avec  certitude  sur  ces  divers  points.  Toutefois,  il 
n'est  que  trop  présumable  que  Condé,  au  moment  où  il  quitta 
le  château  d'Onzain,  était  déjà  ébranlé  dans  ses  convictions  et 
placé  sur  la  pente  dangereuse  des  faux  calculs  et  des  faux  mé- 
nagemens.  Un   contemporain  a  dit  de  lui  ^   «  qu'assailli  par 

1.  Le  Laboureur,  addit.  aux  Mém.  de  Castelnau,  t.  II,  p.  239. 

2.  Lettre  du  5  mars  1563  à  de  Gonnor  (le  Laboureur,  addit.  aux  Mém.  de 
Castelnau,  t.  11,  p.  240). 

3.  Lettre  à  de  Gonnor  (le  Laboureur,  addit.  aux  Mém.  de  Castelnau,  t.  II, 
p.  239). 

/t.  Hist.  des  pr.  de  Condé,  t.  I,  p.  399, 400. 
5.  De  Bèze,  Hist.  eccl.,\.  II,  p.  278. 


—  237  — 
3)  douceur  il  fit  comme  le  lion  se  hérissant  contre  ceux  qui  le 
y>  veulent  forcer  et  se  monstrant  humain  avec  les  animaux  qu'il 
y>  estime  indignes  de  sa  colère  ».  Cette  comparaison  manque 
de  justesse  ;  car,  après  s'être  érigé  en  ami  de  la  liberté  reli- 
gieuse, se  prêter  à  l'altération  d'une  loi  qui  la  protège,  ce  n'est 
pas  faire  acte  d'humanité  envers  les  destructeurs  de  cette  loi , 
c'est  faire  acte  de  complicité. 

Quoi  qu'il  en  soit  des  doutes  qui  subsistent  sur  l'état  exact 
des  vues  et  des  intentions  de  G  onde,  lors  de  sa  sortie  du  châ- 
teau d'Onzain,  voyons-le  maintenant  à  l'œuvre. 

Le  7  mars,  le  prince  et  le  connétable  furent  conduits,  sous 
escorte,  dans  l'île  aux  Bœufs. 

Deux  hommes  épiaient,  en  fidèles  agents  de  Philippe  II,  ce 
qui  allait  se  passer.  Laissons  parler  l'un  d'eux,  Perrenot  de 
Chantonnay  ^ 

«  Le  sieur  don  Francis  d'Alava  et  moy  sommes  venuz  en 
D  ce  lieu  (Blois)  ;  luy,  pour  tenir  main  selon  sa  charge  que 
y>  en  cest  appoinctement  l'on  ne  donna  au  prince  de  Condé  la 
»  prééminence  qu'il  prétend,  et  moy,  pour  exhorter  la  royne, 
»  suivant  ce  que  souvent  le  roy  m'a  commandé,  qu'elle  ne  con- 
»  sente  aucune  chose  au  préjudice  de  la  religion  et  diminution 
y>  du  roy  très  chrestien.  Elle  asseure  tousjours  qu'elle  ensuyvra 
»  les  admonestements  du  roy,  combien  qu'elle  se  trouve  fort 
»  troublée  par  les  nouvelles  qu'elle  oyt  d'Allemaigne,  et  veoir 
»  les  Anglais  avoir  pied  en  France  et  que  l'admirai  a  prins  de 
»  nouveau  le  chasteau  de  Caen,  place  de  très  grande  impor- 

y>  tance Le  septiesme  (mars),  après  le  disné,  ledict  sieur 

»  prince  de  Condé  et  connestable  vinrent  en  l'isle  désignée 
»  pour  le  parlement,  où  l'on  avoit  tendu  un  pavillon  à  cause 
»  du  chaut  ;  toutes  fois  ilz  ne  demeurarent  audict  pavillon, 

1.  Dépêche  du  13  mars  1563  (Mém.  de  Condé,  t.  II,  p.  138,  139,  140).  Il 
importe  de  rapprocher  de  cette  dépêche  celle  que  Smith  adressa  à  Elisabeth 
le  12  mars  1563.(Galend.  of  State  pap.  foreign.) 


—  238  — 

»  ains  parlarent  toujours  promenans  tous  seulz,  l'espace  de 
»  trois  grosses  heures  ;  et  n'y  avoit  en  ladicte  isle  que  le  sieur 
))  Banville,  M.  de  Losse  et  le  secrétaire  de  l'Aubespine.  Ge- 
»  pendant  la  royne  demeura  avecq  ceulx  du  conseil  qu'avoit 
»  accompagné  le  prince  de  Condé  jusques  à  la  barque,  en  une 
))  maison  sur  le  bord  de  l'eau  ;  et  s'estant  séparez  le  prince  et  le 
y>  connestable,  ledict  prince  fut  conduit  par  sa  garde  en  son  lo- 
y>  gis,  et  le  connestable  ramené  à  Orléans;  et  furent  la  dicte 
y>  royne  et  le  conseil  ensemble  bien  longtemps  :  mais  il  ne  s'en- 
»  tendit  aultre  chose  de  la  négociation,  sinon  que  le  lendemain 
»  lesditz  prince  et  connestable  y  debvoyent  retourner  ;  toutes- 
»  fois  au  maintien  des  dictz  sieurs  du  conseil,  l'on  cognoissoit 
D  généralement  qu'il  y  avoit  espoir  de  paix;  et  s'en  retourna  la 
»  royne  en  son  logis,  monstrant  visaige  fort  content.  —  Le  hui- 
»  tième,  environ  les  sept  heures,  lesdictz  prince  et  connestable 
y>  se  sont  rassemblez  en  la  mesme  île  comme  devant  ;  et  la  royne 
y>  y  est  entrée,  accompagnée  de  messieurs  les  cardinal  de  Bour- 
»  bon,  duc  de  Montpentier  et  l'Aubespine  ;  et  ce  avant  que  le 
»  prince  de  Condé  y  arriva,  car  le  connestable  y  estoit  desjà  ;  et 
3)  estant  venu  ledict  prince,  ilz  furent  tous  ensemble  jusques 
))  aux  onze  heures  ;  et  résolurent  que  monsieur  le  connestable 
»  demeureroit  au  camp,  et  le  prince  s'en  yroit  à  Orléans,  pour 
y>  communiquer  chacun  avec  ceulx  de  son  party  ;  et  donna  le- 
»  dict  prince  une  signature  et  obligation  de  retourner  le  lende- 
»  main;  et  attendoit-on  l'admirai  pour  le  onziesme  ou  dou- 
))  ziesme  ;  et  s'en  vint  ledict  connestable  avecq  ladite  royne 
»  disner  au  logis  du  mareschal  de  Brissacq  où  ilz  furent  toute 
»  l'après-disné  ;  et  ne  se  peult  pour  lors  sçavoir  ce  qu'en 
»  avoient  conclu.  —  Le  sieur  d'Andelot  et  tous  les  aultres  du 
y>  party  contraire  raccompaignent  tousjours  la  royne  dois  le  pa- 
))  villon  jusques  à  son  bateau  ;  et  ny  a  faulte  de  grandes  caresses 
ï)  et  contentemens  d'ung  costel  et  d'aultre,  et  ceulx  de  dedans 
»  Orléans  font  de  telles  insolences,  que  si  la  royne  avoit  quelque 


-  239  — 

»  cœur,  cela  soufiroit  pour  lui  faire  rompre  toutes  les  commu- 
»  nications  à  tiltre  de  la  tresve  qui  dure,  tant  que  les  conféren- 
»  ces  seront  en  pied.  » 

Ghantonnay  ne  nous  fait  ainsi  connaître  que  le  côté  purement 
extérieur  des  conférences  tenues  les  7  et  8  mars  ;  mais,  au  fond, 
sur  quoi  avaient-elles  porté? 

Quant  à  la  première,  que  tinrent  seuls  le  prince  et  le  conné- 
table, voici  ce  qu'en  dit  Condé  lui-même  :  «  Il  n'y  eut  seule- 
»  ment  qu'une  Visitation  de  passes  et  salutations,  entremeslée 
))  de  plaintes  de  veoir  ainsi  les  françois  se  précipiter  d'eulx 
»  mesme  à  une  piteuse  ruyne*  .  »  —  Et  ailleurs  :  «  La  royne 
»  ayant  ordonné  que  sur  la  foy  de  l'un  et  de  l'autre,  nous  nous 
»  entreverrions  àl'Isle-aux-Bouviers,  joignant  presque  les  murs 
»  de  cette  ville,  dimanche  dernier  cela  fut  exécuté.  Et  de  faict 
y)  après  avoir  devisé  de  prime  face  des  choses  plus  communes, 
»  nous  entrasmes  sur  celles  qui  causoient  ce  voyage  et  de  ce 
D  qui  se  pouvoit  faire  pour  contenter  sa  Majesté  et  restaurer  les 
»  ruynes  et  calamitez  de  ce  royaulnie,  et  dont  le  discours  des 
))  propoz  seroit  trop  long  à  réciter,  sinon  pour  conclusion  nous 
»  arrestasmes  que,  pour  plus  librement  y  adviser,  il  estoit  requis 
y>  que  moy,  d'ung.costé,  et  luy  (le  connétable)  de  l'aultre,  de- 
»  vions  conférer,  moy  avècques  ceulx  de  ceste  ville  (Orléans) 
»  et  luy  à  la  royne  de  ce  qui  nous  sembloit  le  plus  propre.  Et 
»  ainsi  nous  départismes  jusques  au  lendemain^  .  » 

Condé  ajoute,  quant  à  la  seconde  conférence  : 

«  Le  lendemain,  la  dicte  dame  vint  au  mesme  lieu  pour  nous 
ï)  octroyer  ceste  licence,  laquelle  obtenue,  tellement  a  esté  dis- 
»  puté  par  l'espace  de  deux  jours,  de  ma  part  sur  l'instance 
»  que  je  faisais  pour  l'observation  etentretenementdes  édictz  du 


i.  Lettre  de  Condé  à  Elisabeth,  du  8   mars  1563  {Hist.  despr.  de  Condé, 
t.  I,  p.  403). 
2.  Lettre  de  Condé  à  Smith,  du  dl  mars  1563  {Ibid.,  t.  I  p.  405,  406). 


—  240  — 

»  roy  mon  seigneur,  et  principalement  de  celiuy  que  sa  majesté 
»  fist  au  mois  de  janvier  1561  (1562.  N.  S.)  avec  une  très  notable 
»  et  insigne  assemblée,  pour  le  faict  de  la  religion;  et  de  celle 
»  de  M.  le  connestable,  sur  l'impossibilité  qu'il  alléguoit  de  le 
y>  pouvoir  tolérer  par  les  papistes,  vue  l'infraction  qui  par  vio- 
)>  lence  en  avoyt  esté  faicte,  que  fmablement  sa  majesté,  de 
»  son  auctorité,  nous  envoya  par  escript  ung  mémoire  pour  sur 
»  icelluy  respondre  de  ce  qui  se  pouvoit  davantage  requérir  * .  y> 

Il  semblerait,  d'après  ce  récit,  que  la  discussion  sur  le  sort 
de  l'édit  de  janvier  se  serait  élevée,  non  dans  le  cours  de  la  se- 
conde conférence,  mais  seulement  dans  les  deux  jours  qui  en 
suivirent  la  clôture;  et  qu'alors,  pour  la  première  fois,  se  serait 
produit  un  projet  de  dispositions  dérogeant  à  cet  édit.  Mais  est- 
ce  là  ce  que  Gondé  a  réellement  voulu  dire?  Nous  ne  le  pensons 
pas.  Il  a  dû,  au  contraire,  comprendre  dans  les  deux  jours  dont 
il  s'agit  celui  de  la  seconde  conférence.  Il  était  impossible,  en 
effet,  que  le  prince  et  le  connétable  se  trouvassent  en  présence 
l'un  de  l'autre  pour  aviser  à  la  solution  de  difficultés  issues  de 
la  violation  de  l'édit  de  janvier,  sans  que  la  divergence  de  leurs 
vues  sur  un  point  capital,  tel  que  la  question  de  maintien  ou  de 
rejet  de  cet  édit  se  manifestât.  Quant  à  l'envoi  par  la  reine 
mère  d'un  mémoire  contenant  des  dispositions  dérogeant  à  ce 
même  édit,  il  peut  aisément  se  concilier  avec  le  fait  de  la  pré- 
sentation antérieure  de  dispositions  de  cette  nature,  dans  le 
cours  de  la  seconde  conférence. 

Th.  de  Bèze,  qui  se  trouvait  placé,  en  mars  1563,  à  la  source 
des  plus  sûres  informations,  complète  le  récit  du  prince  avec 
une  précision  propre  à  dissiper  tous  doutes  sur  la  succession  et 
l'enchaînement  des  faits,  en  disant  *  :  «  Le  septiesme  de  mars 
»  se  fit  un  parlement  dans  l'isle  appellée  l'Isle-aux-bœufs,  près 

1.  Lettre  de  Condé  à  Smith,  du  H  mars  1563  (Hist.  des  pr.  de  Condé,  t.  I, 
p.  406). 

2.  Hist.  eccL,  t.  II,  p.  278,  279. 


—  241  — 

y>  de  la  ville,  où  furent  conduits,  comme  estant  encore  prison- 
»  niers,  le  prince  et  le  connestable  qui  remirent  toutes  fois  l'af- 
»  faire  au  lendemain,  au  mesmelieu,  où  se  trouva  aussi  la  royne; 
»  et  pour  ce  que  le  connestable  avoit  dit  expressément  qu'il  ne 
))  pourroit  nullement  souffrir  qu'on  remist  en  termes  l'édict  de 
»  janvier  (aussi  étoit-ce  autant  que  le  déclarer  et  tous  ceulx  de 
»  son  parti  coulpables  de  lèse-majesté  d'avoir  ainsi  contrevenu 
y>  à  cest  édict,  en  quoy  se  fist  une  faute  irréparable  de  luy  ob- 
))  tempérer),  quelques  autres  articles,  parla  couardise  de  ceux 
))  qui  pensoient  que  tout  fust  perdu  si  on  ne  faisoit  la  paix,  furent 
»  couchés,  sans  toutes  fois  les  résoudre,  demandant  le  prince 
»  qu'il  peust  entrer  à  Orléans  pour  en  conférer  avec  son  conseil, 
))  ce  qui  luy  fut  accordé,  moyennant  que  le  connestable,  au  ré- 
»  ciproque,  peust  aussi  se  retirer  en  l'autre  camp  à  Saint-Mes- 
»  min.  D 

Tels  étant  les  faits  consignés  dans  les  récits  de  Condé  et  de 
Th.  de  Bèze.  Que  penser  de  la  conduite  du  prince? 

Le  connétable  avait  «  déclaré  tout  haut  qu'il  ne  pourroit  con- 
y>  descendre  au  rétablissement  de  l'édict  de  janvier  »,  par  la 
raison  fort  simple,  ce.  qu'y  condescendre,  c'eût  été  s'avouer  avec 
»  tout  son  party  coulpable  de  lèze  majesté,  pour  avoir  violé  un 
y>  édit  si  authentique  *  i>. 

A  cette  déclaration,  que  l'intérêt  personnel,  l'intérêt  de  parti 
et  les  préjugés  d'une  aveugle  intolérance  avaient  seuls  dictée, 
il  s'agissait  d'opposerune  déclaration  diamétralement  contraire, 
basée  sur  les  droits  imprescriptibles  de  la  conscience  chrétienne 
et  sur  le  respect  dû  à  leur  consécration  légale,  en  France,  de- 
puis un  an.  Les  réclamations  successives  du  prince  en  faveur 
de  l'édit  de  janvier,  pour  le  maintien  duquel  il  avait  pris  les 
armes,  ses  manifestes,  ses  actes,  l'intérêt  supérieur  de  la  re- 
ligion qu'il  s'honorait  de  professer,  tout  lui  faisait  un  devoir 

i.Hist.  de  cinq  rois,  p.  285.  —  De  Béze,  Hist.  eccl.,  t.  II,  p.  278.  —  Mém. 
de  Tavaunes,  ch.  xviii. 

u  \Q 


—  242  — 

d'exiger  la  pleine  et  entière  exécution  de  cet  édit.  S'il  eût,  de 
prime  abord,  résolument  formulé  à  cet  égard  une  exigence 
absolue,  dont  rien  ne  l'eût  fait  départir,  il  eût  fini  par  triom- 
pher, car  il  avait  derrière  lui,  pour  l'appuyer  en  temps  voulu 
et  surmonter  d'injustes  résistances,  l'amiral  et  son  armée.  Dût- 
il  voir  les  négociations  rompues  et  sa  captivité  prolongée  jusqu'à 
ce  que  Goligny  intervînt,  il  fallait  qu'en  vrai  prince  chrétien 
il  demeurât  inébranlable  sur  un  terrain  qui  était  à  la  fois  celui 
du  droit  et  du  devoir  :  du  droit,  puisque  l'édit  de  janvier  conti- 
nuait à  être  légalement  en  vigueur  ;  du  devoir,  puisque  cet  édit 
constituait  alors  l'unique  égide  sous  laquelle  pût  s'abriter  l'exer- 
cice du  culte  dont  il  s'était  proclamé  le  défenseur.  Malheureu- 
sement le  prince  faillit  à  sa  mission,  en  n'attaquant  pas  avec 
assez  de  vigueur  la  déclaration  d'Anne  de  Montmorency  et  en 
ne  rompant  pas  la  conférence,  du  moment  qu'il  ne  trouvait  en 
lui  qu'un  intraitable  interlocuteur.  Il  pha  devant  la  ténacité  du 
connétable,  «  en  quoy  se  feit  une  faute  irréparable  de  luy  ob- 
tempérer y>. 

Profitant  de  cette  faute  pour  entrer  personnellement  en  scène, 
afin  d'amener  un  rapprochement  entre  Condé  et  le  connétable, 
la  reine  mère  s'insinua  dans  la  discussion,  enlaça  les  deux  ad- 
versaires dans  les  liens  d'une  argumentation  captieuse,  plus 
propre  à  les  faire  glisser  sur  la  pente  des  intérêts  personnels 
qu'à  les  maintenir  sur  le  terrain  du  devoir,  et,  après  les  avoir 
peu  à  peu  assouplis  à  ses  idées,  les  fit  entrer  dans  la  voie  des 
concessions.  Ce  fut  ainsi  que  «  le  prince  souffrit  que  l'on  cou- 
))•  chast  dès  lors  quelques  articles,  au  lieu  de  s'arrester  simple- 
y>  ment  à  l'édit  de  janvier  ^  ». 

Cependant,  rien  n'ayant  été  définitivement  conclu,  Condé 
pouvait  encore  se  relever  d'une  première  défaillance  :  le  fit-il? 
On  va  en  juger. 

1.  Hist.  de  cinq  rois,  p.  285. 


k 


—  243  — 

Le  jour  même  où  s'était  terminée  la  seconde  conférence,  il  se 
rendit  à  Orléans,  tandis  que  le  connétable  restait  au  camp  de 
Saint-Mesmin  avec  la  cour  et  les  principaux  représentants  du 
parti  catholique. 

Après  tant  d'angoisses  subies,  Éléonore  de  Roye  revoyait  enfin 
son  mari.  Accueilli  avec  les  douces  effusions  de  la  tendresse  par 
sa  noble  femme,  le  prince  ne  pouvait  recevoir  et  ne  reçut  d'elle 
que  de  précieux  conseils,  inspirés  par  la  foi,  l'honneur  et  le  senti- 
ment du  devoir  ;  mais  tout  en  les  écoutant  avec  une  apparente 
confiance,  était-il  fermement  décidé  aies  suivre?  Pouvait-il,  en 
présence  de  sa  tante,  Charlotte  de  Laval,  dont  la  délicatesse 
d'impressions  et  les  pensées  viriles  égalaient  la  piété,  se  sentir 
le  cœur  au  large,  alors  qu'il  se  montrait  à  elle  pressé  de  con- 
clure la  paix  sans  attendre  la  venue  de  l'amiral,  à  qui  non  moins 
qu'à  son  neveu  appartenait  le  droit  d'en  débattre  les  condi- 
tions? Ces  questions  se  posent  d'elles-mêmes,  et  leur  solution 
paraît  devoir  se  dégager  de  l'ensemble  des  faits  qui  viennent 
d'être  retracés  et  de  leur  liaison  avec  ceux  dont  l'exposé  va 
suivre. 

Le  prince  ne  tarda  pas  à  recevoir  à  Orléans,  comme  délégués 
par  leur  collègues  pour  s'entretenir  avec  lui,  trois  ministres, 
Desmeranges,  Pierius  et  Laroche  Chandieu,  auxquels  «  il  pro- 
))  posa  deux  points  :  le  premier,  s'il  feroit  selon  Dieu  et  sa  con- 
))  science  de  protester  à  la  royne  que,  s'estant  armé  pour  l'ob- 
»  servation  del'éditde  janvier,  il  estoit  raisonnable  qu'avant  que 
))  poser  les  armes,  il  fust  entièrement  restabli  selon  sa  forme  et 
y>  teneur;  le  second,  si,  ne  pouvant  obtenir  ce  que  dessus,  il 
y>  pourroit  demander  à  la  royne  qu'elle  proposast  ce  qu'elle  ver- 
3  roit  estre  bon  et  convenable  pour  la  pacification  des  troubles. 
))  Les  ministres  ayant  descouvert  par  le  discours  du  prince, 
»  qu'on  estoit  après  à  rongner  de  la  liberté  de  l'exercice  de  la 
»  religion  octroyée  par  l'édict  de  janvier  par  tout  le  royaume 
y>  sans  exception,  luy  remonstrèrent  vivement,  autant  que  le 


-^  244  — 

))  temps  le  permettoit,  le  tort  qu'il  se  feroit  et  à  toutes  les 
))  églises,  admettant  aucune  telle  exception,  et  les  inconvéniens 
y>  manifestes  qui  en  adviendraient,  et  notamment  luy  protes- 
y>  tèrent,  tant  en  leur  noms  que  de  leurs  compagnons,  qu'estant 
»  obligés  aux  lieux  ausqueiz  ils  avoient  esté  envoyez  pour  pres- 
))  cher  la  parole  de  Dieu,  ils  obéiroient  en  cest  endroit  à  Dieu 
»  et  non  pas  aux  hommes.  Bref,  ils  luy  déclarèrent  que  laroyne 
))  ne  luy  ne  pouvoient  selon  Dieu  et  raison  déroguer  tant  soit  peu 
))  à  un  édict  tant  solennellement  faict  à  la  réquisition  des  estats 
»  par  une  si  notable  assemblée  de  tous  les  parlemens  de  France, 
»  et,  qui  plus  est,  émologué  et  juré.  Ce  prince  respondit  qu'aussy 
3)  ne  le  feroit-il  pas  ;  leur  enjoignant  cependant  de  communi- 
y>  querles  points  que  dessus  à  toute  leur  compagnie  pour  l'en 
»  résoudre  le  lendemain  9  ^  » 

Le  9,  les  ministres,  au  nombre  de  soixante-douze,  ayant  déli- 
béré, remirent  au  prince  leur  avis  par  écrit.  Ils  demandaient 
notamment  :  1°  que  l'édit  de  janvier  fût  maintenu,  confirmé  et 
exécuté  sans  restriction  ni  modification;  2°  que  les  athées,  les 
libertins,  les  anabaptistes,  les  servétistes  et  aatres  hérétiques 
ou  schismatiques  fussent  frappés  de  peines  sévères;  3°  qu'on 
informât  contre  les  auteurs  des  massacres  de  Vassy,  de  Sens  et 
d'autres  lieux,  et  qu'on  les  punît  ^ . 

Que  devait  faire  Condé?  Sans  s'arrêter  au  second  chef  de  de- 
mande, qui  méconnaissait  le  principe  de  la  liberté  religieuse, 
et  en  réservant  l'accueil  à  faire,  en  temps  opportun,  au  troi- 
sième, il  devait  sans  hésitatioa  faire  droit  au  premier,  qui  était 
parfaitement  fondé,  et  demeurer  de  la  sorte  fidèle  à  ses  engage- 
ments dans  la  lutte  par  lui  soutenue  au  nom  de  l'édit  de  jan- 
vier. Que  fit-il  au  contraire?  Porteur  des  articles  couchés  dans  la 
conférence  du  8,  qui  contenaient  de  funestes  dérogations  à  cet 

i.  De  Bèze,  Hist.  eccL,  t.  II,  p.  279. 

2.  Voy.  le  lexle  de  l'avis  écrit  par  les  72  ministres,  dans  VHist.  ceci,    de 
de  Dèze,  t.  II,  p.  280  à  282. 


J 


^  245  — 
édit,  il  élimina  les  ministres  et  leur  avis,  pour  recourir  à  l'ap- 
pui de  conseillers  complaisants  auxquels  il  se  proposait  de 
soumettre  ces  articles,  ainsi  que  le  mémoire  qui  s'y  rattachait. 
Il  était  alors  «  tellement  gagné  par  les  promesses  qu'on  lui  fai- 
»  sait  d'accorder  beaucoup  mieux  par  après,  luy  donnant  à  en- 
»  tendre  que  ces  conditions  n'estoient  apposées  que  pour  con- 
»  tenter  aucunement  ceux  de  la  religion  romaine  et  arriver  peu 
))  à  peu  à  une  pleine  liberté;  joint  qu'il  y  en  avoit  trop  qui  ne 
y>  demandoient  qu'à  retourner  en  leurs  maisons,  à  quelque  prix 
))  que  ce  fût,  qu'il  accorda  les  susdites  exceptions  de  l'édit  de 
))  janvier,  qu'il  fit  lire  devant  la  noblesse,  ne  voulant  qu'autre 
»  ne  dist  son  advis  que  les  gentilshommmes  portant  armes, 
»  comme  il  dit  tout  haut  en  l'assemblée;  de  sorte  que  les  minis- 
»  très  ne  furent  depuis  ouïs  ni  admis  pour  en  donner  leur  ad- 
»  vis  ^  )) 

Gondé  dit,  à  cet  égard,  en  continuant  la  partie  de  son  récit 
dans  laquelle  il  avait  mentionné  l'envoi  d'un  mémoire  par  la 
cour  -  :  «  à  quoy  tant  pour  tesmoigner  des  effectz  de  nostre 
))  continuelle  obéissance  envers  sa  majesté,  que  pour  ayder  à  la 
y>  nécessité  d'un  temps  si  nubilleux,  après  avoir  protesté  ne 
;  TD  vouloir  en  rien  nous  départir  de  la  substance  de  la  loy  de 
))  mon  roy,  synon  en  tant  qu'il  estoit  besoing  de  prévenir  le  péril 
y>  qui  menaçait  sa  couronne  et  son  estât,  je  par  l'advis  des 
))  seigneurs,  gentilshommes  et  aussi  des  gens  de  bien  qui  sont 
»  icy,  en  dressay  ung  autre  à  peu  près  pareil.  » 

A  peine  la  majorité  des  gentilshommes  portant  drmesse  fut- 
elle,  par  l'acceptation  pure  et  simple  des  articles  proposés,  pro- 
noncée dans  un  sens  conforme  aux  vues  de  Gondé,  que  ce  prince 
se  hâta  de  traiter.  La  précipitation  aggravait  sa  seconde  défail- 
lance. 

1.  De  Bèze,  Hist.  eccL,  t.  II,  p.  282. 

2.  Lettre  de  Gondé  à  Smith,  du  11  mars  1563.  {Uist.  despr.  de  Qondé,  1. 1, 
p.  406.) 


—  24G  — 

Le  12  mars  1563  furent  arrêtées  les  bases  d'un  édit,  dit  de 
pacification,  qui  fut  promulgué  à  Amboise  le  19,  publié  à  Saint- 
-Mesmin  le  22  et  enregistré  au  parlement  de  Paris  le  27  du 
même  mois* . 

Cet  édit  mutilait  celui  de  janvier  1562.  Il  faisait  du  droit  à 
rexercice  du  culte  réformé  le  monopole  de  la  noblesse,  au  dé- 
triment de  la  bourgeoisie  et  du  peuple,  qui  ne  pouvaient  dé- 
sormais le  pratiquer  que  dans  une  seule  ville,  par  chaque  bail- 
liage et  sénéchaussée,  et  ne  le  continuer  que  sous  certaines 
restrictions,  dans  les  villes  où  il  avait  été  exercé  jusqu'au  7 
mars  1563, 

Le  souverain  y  disait  : 

Art.  1.  «  Voulons  et  nous  plaist  que  dorénavant  tous  gentils- 
■  »  hommes  qui  sont  barons,  chastellains,  hauts  justiciers,  et  sei- 
))  gneurstenans  plein  fief  de  haubert,  et  chacun  d'eux,  puissent 
»  vivre  en  leurs  maisons,  esquelles  ils  habiteront,  en  liberté  de 
D  leurs  consciencse  et  exercice  de  la  religion  qu'ils  disent  ré- 
»  formée,  avec  leur  famille  et  subjects,  qui  librement  et  sans 
;)  aucune  contrainte  s'y  voudront  trouver. 

Art.  2.  »  Et  les  autres  gentilshommes  ayans  fief,  aussi  en 
»  leurs  maisons,  pour  eux  et  leurs  familles  tant  seulement  : 
))  moyennant  qu'ils  ne  soyent  demeurans  es  villes,  bourgs  et 
»  villages  des  seigneurs  hauts  justiciers,  autres  que  nous,  au- 
))  quel  cas  ils  ne  pourront  esdits  lieux,  faire  exercice  de  la  dite 
y>  religion,  si  ce  n'est  par  permission  et  congé  de  leurs  dits  sei- 
))  gneurs  hauts  justiciers,  et  non  autrement. 

Art.  3.  y>  Qu'en  chacun  bailliage,  sénéchaussée  et  gouverne- 
»  ment  tenant  lieu  de  bailliage,  comme  Péronne,  Montdidier, 
»  Roye  et  la  Rochelle,  et  autres  de  semblable  nature,  ressortis- 
»  sant  nuement  et  sans  moyen  en  nos  cours  de  parlement,  nous 
))  ordonnerons  à  la  requeste  des  dits  de  la  religion  une  ville, 

1 .  Voy.  le  texte  complet  de  cet  édit  dans  Fontanon,  Rec.  des  ord.,  t.  IV, 
p.  272  à  274. 


—  247  — 

»  aux  fauxbourgs  de  laquelle  l'exercice  de  la  dite  religion  se 
»  pourra  faire  de  tous  ceux  du  ressort  qui  y  voudront  aller,  et 
i>  non  autrement  ny  ailleurs. 

Art.  4.  ï>  Et  néantmoins  chacun  pourra  vivre  et  demeurer 
»  partout  en  sa  maison  librement,  sans  estre  recherché  ni  mo- 
»  lesté,  forcé,  ne  contraint  pour  le  fait  de  sa  conscience. 

Art.  5.  »  Qu'en  toutes  les  villes,  èsquelles  la  dite  religion  es- 
»  toit  jusqu'au  septième  de  ce  présent  mois  de  mars,  exercée, 
»  outre  les  autres  villes  qui  seront  ainsi  que  dit  est,  particuHère- 
»  ment  spécifiées  des  dicts  bailliages  et  sénéchaussées  :  le 
»  même  exercice  sera  continué  en  un  ou  deux  lieux  dedans  la 
»  dite  ville,  tel  ou  tels  que  par  nous  sera  ordonné  ;  sans  que  ceux 
»  de  la  dite  religion  puissent  s'aider,  prendre  ne  retenir  aucun 
»  temple  n'églises  des  gens  ecclésiastiques,  lesquels  nous  enten- 
»  dons  estre  dès  maintenant  remis  en  leurs  églises,  maisons, 
»  biens,  possessions  et  revenus  pour  en  jouyr  et  user  tout  ainsi 
»  qu'ils  faisoient  auparavant  ces  tumultes,  faire  et  continuer  le 
»  service  divin  et  accoustumé  par  eux  en  leurs  dites  églises, 
»  sans  moleste  ni  empêchement  quelconque  :  n'aussi  qu'ils 
»  puissent  prétendre  aucune  chose  des  démolitions  qui  y  ont 
»  esté  faites. 

Art.  6.  »  Entendons  aussi  que  la  ville  et  ressort  de  la  pré- 
»  vosté  et  vicomte  de  Paris  soyent  et  demeurent  exempts  de 
»  tout  exercice  de  la  dite  religion.  Et  néantmoins  ceux  qui  ont 
))  leurs  maisons  et  revenus  dedans  la  dite  ville  et  ressort  puissent 
))  retourner  en  leurs  dites  maisons  et  jouyr  de  leurs  dits  biens 
»  paisiblement,  sans  estre  forcez  ne  contraints,  recerchez  ni  mo- 
»  lestez  du  passé,  ne  pour  l'advenir,  pour  le  fait  de  leurs  con- 
»  sciences. 

Art.  7.  »  Toutes  villes  seront  remises  en  leur  premier  estât 
D  et  libre  commerce,  et  tous  estrangers  mis  et  renvoyez  hors 
»  cestuy  nostre  royaume,  le  plus  tost  que  faire  se  pourra. 

Art.  8.  »  Et  pour  rendre  les  volontez  de  nos  dicts  subjects 


-^  248  — 

y>  plus  contentes  et  satisfaites,  ordonnons,  voulons  aussi  et  nous 
y>  plaist,  que  chacun  d'eux  retourne,  et  soit  conservé,  mainte- 
»  nu  et  gardé  soubz  nostre  protection  en  tous  ses  biens,  hon- 
»  neurs,estats,  charges  et  ofrices,de  quelque  qualité  qu'ilz  soyent, 
»  nonobstant  tous  décrets,  saisies,  procédures,  jugemens,  sen- 
y>  tences,  arrestz  contre  eux  donnez  depuis  le  trépas  du  feu  roy 
))  Henry,  nostre  très  honoré  seigneur  et  père,  de  louable  mé- 
y>  moire,  et  exécution  d'iceux,  tant  pour  le  fait  delà  religion, 
y>  voyages  faits  dedans  et  dehors  ce  royaume  par  le  commande- 
))  ment  de  nostre  dit  cousin  le  prince  de  Gondé,  que  pour  les 
y>  armes  prises  à  ceste  occasion,  et  ce  qui  s'en  est  ensuivy,  les- 
»  quels  nous  avons  déclarez  et  déclarons  nuls  et  de  nul  effet, 
»  sans  ce  que,  pour  raison  d'iceux,  eux  et  leurs  enfans,  héritiers 
»  ou  ayant-cause  soyent  aucunement  empêchez  en  la  jouissance 
y>  de  leurs  dits  bien>>  et  honneurs  ou  qu'ilz  soyent  tenuz  en 
))  prendre  n'obtenir  de  nous  autre  provision  que  ces  présentes 
y>  par  lesquelles  nous  mettons  leurs  personnes  et  biens  en 
j)  pleine  liberté. 

Art.  9.  »  Et  afm  qu'il  ne  soit  douté  de  la  sincérité  et  droite 
y>  intention  de  nostre  dit  cousin  le  prince  de  Gondé,  avons  dit 
»  et  déclaré,  disons  et  déclarons  que  nous  réputons  iceluy 
»  nostre  dit  cousin  pour  nostre  bon  parent,  fidèle  subject  et 
3)  serviteur,  comme  aussi  nous  tenons  tous  les  seigneurs,  che- 
))  valiers,  gentilshommes  et  autres  habitans  des  villes,  commu- 
))  nautez,  bourgades  et  autres  lieux  de  nos  royaume  et  pays  de 
))  nostre  obéissance,  qui  l'ont  suivy,  secouru,  aidé  et  accom- 
»  pagné  en  ceste  présente  guerre  et  durant  ces  dits  tumultes, 
.  ^  en  quelque  part  et  lieu  que  ce  soit  de  nostre  dit  royaume, 
y>  pour  nos  bons  et  loyaux  subjects  et  serviteurs  :  croyant  et 
»  estimant  que  ce  qui  a  esté  fait  cy-devant  par  nos  dits  sub- 
y>  jects,  tant  pour  le  fait  des  armes,  qu'establissement  de  la 
y>  justice  mise  entre  eux,  jugemens  et  exécution  d'iceux,  a  esté 
^  fait  à  bonne  fin  et  intention,  et  pour  nostre  service. 


—  240  —    ' 

Art.  10.  ))  Ordonnons  aussi,  voulons  et  nous  plaist  que  nostre 
))  dit  cousin  le  prince  de  Gondé  demeure  quitte,  et  par  ces 
»  présentes  signées  de  nostre  main,  le  quittons  de  tous  les  de- 
»  niers  qui  ont  esté  par  luy  et  par  son  commandement  et  or- 
-»  donnance  prins  et  levez  en  nos  receptes  et  de  nos  finances 
»  à  quelque  somme  qne  se  puissent  monter. 

Art.  il.  »  Et  semblablement  qu'il  demeure  deschargé  de 
»  ceux  qui  ont  esté,  ainsi  que  dit  est,  par  luy  et  son  ordon- 
»  nance  aussi  prins  et  levez  des  communautez,  villes,  argen- 
»  teries,  rentes,  revenus  des  églises,  et  autres  de  par  luy  em- 
»  ployées  pour  l'occasion  de  la  présente  guerre  :  sans  ce  que 
y)  luy,  les  siens,  ny  ceux  qui  ont  esté  par  luy  commis  à  la  levée 
))  desdits  deniers  (lesquels  et  semblablement  ceux  qui  les  ont 
y>  fournis  et  baillez,  en  demeureront  quittes  et  deschargez),  en 
y>  puissent  estre  aucunement  recherchez  pour  le  présent  ou  pour 
))  l'advenir  :  n'aussi  de  la  fabrication  de  la  monnoye,  fonte  d'ar- 
»  tillerie,  confection  de  poudres  et  salpestres,  fortifications  de 
»  villes,  démolitions  faites  pour  lesdites  fortifications  par  lecom- 
»  mandement  d'iceluy  nostre  dit  cousin  le  prince  de  Gondé  en 
»  toutes  villes  de  cestuy  nostre  royaume  et  pays  de  nostre  obéis- 
»  sance;  dont  le  corps  et  habi.tans  d'icelles  villes  demeureront 
»  aussi  deschargez,et  iceux  deschargeons  par  ces  dites  présentes. 

Art.  12.  »  Que  tous  prisonniers,  soit  de  guerre  ou  pour  le 
»  faict  de  la  religion,  seront  respectivement  mis  en  liberté  de 
3)  leurs  personnes  et  biens,  sans  payer  aucune  rançon.  » 

La  publication  del'édit  dont  les  dispositions  principales  vien- 
nent d'être  reproduites  excita  à  un  haut  degré  le  mécontente- 
ment de  la  population  d'Orléans,  ce  Ge  mécontentement  fut  tel, 
))  surtout  pour  ce  qu'on  n'avoit  attendu  le  retour  de  l'amiral, 
D  que  les  soldats,  nonobstant  l'exécution  qu'on  fit  de  quelques- 
3)  uns,  ne  purent  estre  retenus  qu'ils  ne  démohssent  le  résidu  de 
»  plusieurs  temples  *.  » 

1,  De  Bèze,  Hist.  eccL,  t.  II,  p.  290. 


—  250  — 

Une  désapprobation  plus  sérieuse,  celle  de  Coligny,  était  ré- 
servée au  prince  de  Gondé  :  il  ne  tarda  pas  à  la  subir. 

«  L'admirai,  rapporte  Castelnau*,  qui  estoit  en  la  basse 
»  Normandie,  où  il  avait  pris  plusieurs  villes  et  réduit  les  ca- 
))  tholiques  en  mauvais  estât,  fut  adverty  par  le  prince  de  Condé 
»  que  la  paix  estoit  accordée  et  qu'il  laissast  la  Normandie  pour 
»  se  trouver  à  la  conclusion  des  articles  ;  ce  qu'il  fit,  comme  il 
»  m'a  dit  depuis,  avec  regret,  pour  la  grande  espérance  qu'il 
»  avoit,  après  la  mort  du  duc  de  Guise,  d'avancer  mieux  ses 
»  affaires  qu'il  n'avoit  fait  auparavant  :  et  pour  le  moins,  si  le 
»  prince  de.  Gondé  eût  un  peu  attendu,  d'avoir  entièrement 
y>  l'édit  de  janvier.  Mais  voyant  que  c'estoit  fait,  il  partit  de 
»  Gaen,  le  14  de  mars,  avec  sa  cavalerie,  etc.,  etc.  » 

Goligny  était  fermement  résolu  à  tenter,  dans  l'intérêt  de  la 
liberté  religieuse,  un  suprême  effort. 

Ecoutons  le  langage  qu'il  tenait  alors  à  un  ami  ^  :  «  Il  me 
))  semble  que  vous  ne  sçauriez  mieulx  faire  que  de  vous  ache- 
»  miner  à  Orléans,  où  j'espère  que  j'auray  le  moyen  de  vous 
))  veoir.  Et  cependant  asseurez-vous  qu'il  ne  tiendra  point  à 
))  moi  que  nous  n'ayons  une  paix.  Mais  si  on  la  pense  faire  avec 
-f)  les  articles  que  j'ay  vus,  l'on  ne  peult  espérer  que  plus  graves 
»  troubles  en  ce  royaulme  que  jamais;  car  c'est  trop  grand 
»  pitié  que  de  limiter  ainsy  certains  lieux  pour  servir  à  Dieu 
»  comme  s'il  ne  vouloit  estre  servy  en  tous  endroits.  » 

L'amiral,  «  arrivé  à  Orléans,  le  23  mars,  avec  toutes  ses 
))  forces,  trouva  que  l'édict  de  la  paix  avait  esté  accordé,  dressé, 
»  signé  et  scellé,  en  son  absence,  dès  cinq  jours  auparavant,  et 
))  le  lendemain  en  dit  franchement  son  advis  au  conseil  ^,  en  la 

1.  Mém.,  in-f»,  t.  I,p.  150. 

2.  Bull,  de  la  soc.  d'hist.  du  protest,  franc,  t.  Il,  p.  542. 

3.  «  Al  XXIII  del  mese  présente  (marzo)  giunse  l'amiraglio  Chastiglione  in 
»  Orléans,  il  quale  al  XXIV  andô  et  il  principe  di  Gondé  con  d'Andelot,  et 
»  allri  suoi  a  ritrovare  laregina,  la  quale  li  racolsein  publico  tutti  molto  amo- 
»  revolmente;  dapoi  si  ristrinsero  al  consilio  ove  stettero  lungamente,  etc.  »  (Dé- 


—  251  ~ . 
•»  présence  du  prince,  remonstrant  entre  autres  choses  qu'on  se 
»  de  voit  souvenir,  que  dès  le  commencement  de  ceste  guerre, 
»  le  triumvirat  avoit  offert  l'édict  de  janvier,  en  exceptant  seu- 
»  lement  Paris,  et  que  considérant  Testât  présent,  les  affaires 
ï)  des  églises  n'avoient  jamais  esté  en  plus  beau  train  de  s'avan- 
»  cer,  estant  des  trois  autheurs  de  cesto  guerre,  les  deux  morts 
))  et  le  troisième  prisonnier,  qui  servoit  de  bon  guarent  pour  la 
»  sauveté  du  prince.  Il  remonstra  aussi  qu'ayant  restreintes  les 
»  églises  à  une  ville  pour  bailliage,  avec  autres  semblables  ex- 
»  ceptions,  on  avoit  Tait  la  part  à  Dieu,  et  plus  ruiné  d'églises 
»  par  ce  trait  de  plume  que  toutes  les  forces  ennemies  n'en 
»  eussent  peu  abattre  en  dix  ans;  et  quant  à  la  noblesse,  qu'elle 
»  devoit  confesser  que  les  villes  leur  avoient  nionstré  l'exemple, 
•))  et  les  pauvres  monstre  le  chemin  aux  riches.  Joint  que  bien- 
))  tost  les  gentilshommes  qui  voudroient  faire  leur  devoir  senti- 
»  roient  par  expérience  combien  il  leur  seroit  plus^  commode 
))  d'aller  au  sermon  en  une  ville  ou  bourgade  voisine,  que  rece- 
»  voir  une  église  en  leur  maison;  outre  ce  que  les  gentilshommes 
y>  mourans  ne  délaisseroient  pas  tousjours  des  héritiers  de 
»  mesme  volonté.  Bref,  il  discourut  tellement  et  si  pertinem- 
»  ment  sur  ce  faict  qu'outre  le  mescontentement  de  ceux  qu'on 
))  n'avoit  pas  attendus,  la  pluspart  de  ceux  qui  avoient  accordé 
»  ceste  paix  eussent  bien  voulu  que  c'eûst  esté  à  refaire.  Mais 
»  le  prince  opposait  à  tout  cela  les  promesses  qu'on  lui  avoit 
»  faites,  qu'en  bref  il  seroit  en  Testât  du  feu  roy  de  Navarre, 
D.  son  frère,  et  que  lors  avec  la  royne,  comme  on  luy  avoit  pro- 
))  mis,  ils  obtiendroient  tout  ce  qu'ils  voudroient.  Bref,  quelque 
»  peine  que  se  donnast  l'amiral  accompagnant  le  prince  en 
))  plusieurs  abouchemens  avec  la  royne,  cest  édict  demeura  tel 
))  qu'il  avoit  esté  arresté,  et  ne  se  peut  obtenir  autre  chose,  sinon 
3)  que  quelques  gentilshommes  gagnèrent  ce  poinct,  que  quel- 
pêche  de  M.  A.  Barbaro,  du  29  mars  1563.  Archivesgen.de  Venise,  vol.  fran- 
cia,  1563  à  1566.  Senato,  111,  sécréta.). 


,  —  252  — 
))  ques  villes  des  meilleures  furent  nommées  en  quelques  pro- 
))  \inces  pour  l'exercice  des  bailliages  :  mais  cela  ne  fut  qu'en 
»  papier,  en  plusieurs  endroits  ^  )> 

L'amiral  et  ceux  de  ses  adhérents  dont  les  convictions  et  les 
vues  concordaient  avec  les  siennes  se  soumirent,  par  patrio- 
tisme, au  fait  accompli,  dont  ils  déclinaient  d'ailleurs  à  juste 
titre  la  responsabilité^ . 

Coligny  n'en  tint  pas  moins  à  ce  que  les  princes  protestants 
d'Allemagne  et  la  reine  d'Angleterre  fussent  immédiatement 
informés,  avec  une  entière  exactitude,  des  circonstances  dans  les- 
quelles était  intervenu  le  traité  de  paix.  On  trouve  la  preuve 
de  sa  sollicitude  à  cet  égard  dans  deux  lettres  de  lui  datées 
d'Orléans  même. 

La  première,  adressée  au  duc  de  Wurtemberg  %  portait  : 
((  Monseigneur,  ayant  pieu  à  Dieu  de  nous  donner  la  paix  tant 
))  désirée  .et  tant  nécessaire  en  ce  royaulme,  monsieur  le  prince 
»  de  Condé  n'a  pas  voulu  laisser  passer  ceste  occasion  sans  vous 
y>  faire  entendre  comment  les  choses  sont  convenues  pour  le 
»  faict  de  la  dite  paix;  et  pour  cest  effect,  despescher  vers  vous 
»  monsieur  d'Esternay,  présent  porteur,  par  la  suffisance  du- 
y>  quel  vous  serez  informé  de  toutes  les  occurrences  qui  s'of- 
»  frent  à  vous  mander  de  nostre  costé;  ce  qui  me  gardera  de 
»  vous  en  dire  aulcune  chose,  mais  je  l'ay  bien  voulu  ac- 
y>  compagner  de  ce  mot  de  lettre  pour  me  ramentevoir  en 
y>  vostre  bonne  souvenance  et  vous  asseurer  qu'il  n'y  a  gen- 
y>  tilhomme  en  ce  royaulme  que  vous  trouviez  jamais  plus  af- 


i .  De  Bèze,  Hist.  eccL,  t.  II,  p.  335,  336. 

2.  «  Supervenitamiraldus,quumjam  transaclum  esset,acleoproperaranthostes 
5  reditum  nostrumantevertere,  ac  initio  quidem  duriores  npbis  istae  condiliones 
»  videbantur,  quum  prœsertim  integram  in  manibus  victoriam  haberemus; 
»  sed  tandem  spe  nobis  meliore  facta  ne  patriae  eversionem  quoesivisse  videre- 
»  mur,  nos  quoque  acquievimus.  »  Reza  Tigurinœ  ecclesiœ  pastoribus  et  doc- 
toribus,  12  maii  1563.  (Baum,  append.  p.  20). 

3.  Orléans,  1"  avril  1563.  (Archiv.de  Stuttgart,  P.  st.  29, 1, 16,  f.  111  37). 


—  253  — 

»  fectionné  à  vous  faire  service  que  moy,  ainsi  que  j'ay  prié 
»  ledit  sieur  d'Esternay de  vous  dire  plus  amplement.  » 

Dans  la  seconde  lettre,    l'amiral  écrivait   à   Beauvoir'    : 

«  Au  regard  de  ce  que  vous  me  mandez,  que  les  Anglois 

»  sont  entrés  en  une  merveilleuse  deffiance  de  ce  que  la  paix 
y>  a  esté  laite  en  mon  absence,  et  sans  avoir  esté  parlé  de  la 
»  royne  d'Angleterre,  sur  cela  je  vous  respondray  qu'il  n'a  esté 
))  rien  accordé  que  l'ambassadeur  de  la  dite  dame  n'eust  esté 
»  appelle;  et  pour  ceste  occasion  fut  envoyé  quérir  pour  se 
»  trouver  à  la  court  pour  luy  en  parler.  Suivant  cela,  l'on  a 
»  despesché  M.  de  Briquemault  pour  aller  en  Angleterre  vers 
»  Sa  Majesté,  pour  lui  faire  entendre  comme  toutes  choses  ont 
))  esté  accordées,  et  estime  qu'elle  trouvera  que  les  choses  ont 
»  esté  bien  conduites  ;  et  quant  à  ce  qu'ils  disent  que  l'article 
))  porte  qu'on  fera  sortir  les  étrangers,  cela  ne  s'entend  pas 
))  pour  eulx;  car  quand  j'ay  esté  de  retour  de  mon  voiage  en 
»  Normandie,  j'enay  mesmes  parlé  au  dit  ambassadeur, qui  à 
»  trouvé  lesdits  accords  bien  bons,  d'autant  que  la  royne  d'An- 
»  gleterre  m'a  tousjours  mandé  que  surtout  nous  fassions  la 
y>  paix.  » 

Quant  aux  meneurs  du  parti  catholique,  ils  considérèrent 
l'édit  de  pacification  comme  une  regrettable  concession  faite 
aux  réformés,  et  à  la  ruine  de  laquelle  devaient  tendre  des  ef- 
forts soutenus  ^. 

L'exécution  de  diverses  mesures  d'intérêt  général  retint  pen- 
dant quelques  jours  à  Orléans  le  prince,  Coligny,  d'Andelot,  de 
Larochefoucault  et  d'autres  chefs  des  réformés. 

Le  dimanche  28  mars  eut  lieu  dans  l'église  de  Sainte-Croix 
une  imposante  solennité  religieuse  à  laquelle  ces  divers  per- 
sonnages assistèrent.  Autour  d'eux  se  groupaient  des  milliers 

1.  Orléans,  3  avril  1563.  (I»ecord  office,  siate  papers.  France,  vol.  31.— 
De  Laferrière,  le  XVI°  Siècle  et  les  Valois,  p.  117.) 

2.  y oy.  appendice,  n'' 21. 


-~  254  — 

de  leurs  coreligionnaires,  hommes  et  femmes.  De  Bèze  diri- 
geait le  service,  dans  lequel  la  sainte  cène  fut  distribuée.  Il  rap- 
pela aux  assistants  que,  douze  mois  auparavant,  la  plupart 
d'entre  eux  avaient  pris  la  cène  à  Meaux,  alors  qu'ils  s'assem- 
blaient pour  la  défense  de  la  religion;  et  il  ajouta  que  main- 
tenant sur  le  point  de  se  séparer  pour  regagner  leurs  foyers, 
ils  venaient  de  reconquérir  une  liberté  de  conscience  et  de  culte 
qui,  sans  être,  il  est  vrai,  aussi  étendue  qu'ils  l'eussent  sou- 
haité, n'en  devait  pas  moins  cependant  les  porter  à  rendre  de 
sérieuses  actions  de  grâces  à  Dieu  ^ 

Th.  de  Bèze  ne  pouvait  clore  d'une  manière  plus  élevée  et 
plus  touchante  que  par  sa  large  coopération  à  la  solennité  dont 
il  s'agit,  l'utile  ministère  qu'il  avait  tour  à  tour  accompli  à  Or- 
léans et  aii  dehors,  auprès  de  Gondé  et  de  Goligny.  Le  prince 
et  l'amiral  tinrent  à  honneur,  au  moment  où  il  allait  les  quit- 
ter pour  retourner  à  Genève,  de  rendre,  dans  des  lettres  adres- 
sées au  conseil  de  cette  ville^ ,  un  éclatant  hommage  à  la  con- 
tinuité de  son  dévouement  et  à  l'étendue  de  ses  services. 

La  lettre  de  l'amiral  était  ainsi  conçue  :  «  Messieurs,  puisque 
»  par  vostre  congé  et  moyen  monsieur  de  Besze,  présent  por- 
y>  teur,  est  venu  par  deçà,  la  présence  duquel  m'a  grandement 
»  contenté  avec  toute  ceste  compagnie,  je  n'ay  voulu  le  laisser 
))  aller  sans  la  présente  pour  vous  remercier  de  ce  plaisir  et  de 
y>  plusieurs  autres  es  quelz  nous  avons  apperçeu  et  cogneu  par 
»  expérience  plus  que  jamais  combien  la  gloire  de  Dieu  et 
y>  l'augmentation  des  églises  de  ce  royaume  vous  sont  chères  et 
y>  précieuses;  celuy  auquel  vous  avez  eu  le  principal  esgard  en 
))  ce  faisant  vous  en  sera  libéral  rémunérateur,  et,  de  ma  part, 
y>  messieurs,  je  vous  prie  vous  assurer  que  j'en  auray  telle  sou- 
y>  venance  que  me  trouverez  tousjours  amy  en  toutes  sortes  que 

1.  Calend  of  state  pap.  foreign,  31  mars  1563.  Smith  to  the  queen. 

2.  Lettres  des  28  et  30  mars  1563,  (Archives  de  la  ville  de  Genève,  n»  1712  et 

1715). 


—  255  — 

»  je  pouvray  m'employer  pour  vostre  bien  et  conservation, 
i  d'aussi  bon  cœur  que  je  me  recommande  à  vos  bonnes  prières, 
y>  après  avoir  prié  nostre  Dieu  qu'il  vous  maintienne  en  sa 
»  sainte  garde  et  protection.  D'Orléans  ceXXX:de  mars  1562 
y>  (1563  n.  s.).  » 

Le  28  mars  eut  lieu  chez  le  prince  et  la  princesse  de  Condé 
un  repas  de  famille  auquel  avaient  été  conviés  l'amiral,  d'Ande- 
lot  et  de  Larochefoucault.  Un  seul  étranger,  Smith,  ambassa- 
deur d'Angleterre,  récemment  arrivé  à  Orléans,  y  fut  admis 
et  provoqua  un  long  entretien  qui  roula  à  peu  près  exclusive- 
ment sur  le  sort  ultérieur  du  Havre  et  de  Calais. 

De  Bèze,  qui,  le  29  mars,  avait  annoncé  à  Calvin  son  pro- 
chain départ*  ,  l'effectua  le  30. 

Le  1"  avril,  Catherine  de  Médicis  fit,  sans  grand  apparat, 
son  entrée  dans  Orléans.  Devant  elle  marchaient  le  connétable, 
le  duc  de  Montpensier,  Bourdillon,  Cipierre  et  divers  digni- 
taires; à  ses  côtés  se  trouvaient  le  prince  de  Condé  et  le  cardi- 
nal de  Bourbon;  l'amiral  et  le  chancelier  la  suivaient.  Elle  s'ar- 
rêta au  logis  du  roi,  où  elle  reçut  les  notables  de  la  ville,  qui  lui 
offrirent  du  vin  et  des  fruits- . 

Le  même  jour,  le  prince  et  la  princesse  de  Condé  reçurent 
à  leur  table  le  connétable,  le  cardinal  de  Bourbon,  le  duc  de 
Montpensier  et  plusieurs  autres  convives.  Parmi  ceux  qui  vin- 
rent s'asseoir  à  celle  de  l'amiral  figuraient  Michel  de  l'Hospital 
et  Bruslart. 

Le  lendemain,  la  reine  mère  partit  pour  Blois.  Condé  s'ex- 
cusa de  ne  pouvoir  déférer  au  désir  qu'elle  lui  exprimait  de 
l'emmener  avec  elle  :  il  lui  promit  de  la  rejoindre  au  plus  tôt. 


1.  «...  Eram  vel  cùm  certo  periculo  iter  ad  vos  ingressurus,  nisi  me  hùc  us- 
»  que  retinuissent  fratrum  preces,  quibus  aliquot  dies  concessi...  Gras  iter  in- 
»  grediar  Burgundiam  versus.  (Beza  Galvino,  29  mars  1563.  Baum,  Append. 
p.  206). 

2.  Calond.  ofstatepap.  foreign,  2  avriH563.  Mém.  to  the  Rhingrave. 


—  256  — 

Dès  le  début  d'avril,  l'évacuation  d'Orléans  par  les  troupes 
réformées  et  la  plupart  de  leurs  chefs  était  accomplie.  Aussi,  le 
chancelier  de  l'Hospilal,  deretouràBlois,  écrivait-il,  le'3  avril, 
à  de  Gonnor*  :  «  Nous  sommes  esté  à  Orléans  que  nous  avons 
))  trouvé  sans  gardes  et  sans  armes,  etc.,  etc.  )) 

Au  jeune  prince  de  Portien,  non  moins  remarquable,  dans 
l'exercice  du  commandement,  par  sa  fermeté  que  par  sa  bra- 
voure, avait  été  confiée  la  difficile  mission  de  reconduire  aussi 
promptement  que  possible  les  auxiliaires  allemands  à  la  fron- 
tière du  royaume,  et  de  défendre  contre  leurs  habitudes  de  dé- 
sordre et  de  déprédation  les  habitants  des  provinces  qu'il  devait 
leur  faire  traverser^ . 

L'amiral,  accompagné  de  sa  femme,  de  ses  enfants,  de  ses 
jeunes  neveux  et  ded'Andelot,  leur  père,  ne  tarda  pas  à  se  retirer 
dans  son  domaine  de  Châtillon-sur-Loing. 

1.  Le  Laboureur,  addit.  aux  Mém.  de  Castelnau,  t.  II,  p.  246. 

2.  Ici  se  place,  comme  se  rattachant  à  la  date  à  laquelle  les  reîtres,  arrivés 
à  la  frontière,  devaient  recevoir  leur  payement  définitif,  un  engagement  souscrit 
au  profit  de  l'un  d'eux,  à  la  décharge  du  connétable  par  l'amiral,  et  dont  voici 
la  teneur  :  «  Nous,  Gaspard  de  Goulligny,  sieur  de  Chastillon-sur-Loing,  che- 
»  valierde  l'ordre  du  Roy,  etc.,  etc.,  promettons  et  nous  obligeons  par  la  présente, 
»  signée  de  nostre  main  et  scellée  du  scel  de  nos  armes,  à  Volpert  von  Durst, 
»  gentilhomme  allemand,  Soubz  la  cornette  de  Arnold  von  Ampfel,  luy  paier  la 
»  somme  de  deux  mil  escutz  sur  et  tant  moins  de  la  somme  de  six  mil  escutz  qui 
»  luy  a  esté  accordée  pour  la  prise  et  rançon  de  monseigneur  le  connestable, 
»  laquelle  somme  de  deux  mil  escutz  nous  luy  promettons  paier  et  faire  fournir 
»  sur  la  frontière  de  ce  royaulme,  auparavant  que  les  reistres  en  partent.  Faict 
»  à  Orléans,  le  quatriesrae  jour  d'avril,  l'an  1562  avant  pasques  (1563, 
n.  s.).  »  (Bibl.  nat.,  mss.  f.  fr.,  vol.  3243,  f"  99,  et  vol.  20  509,  f»  140.) 


LIVRE   IV 


CHAPITRE  PREMIER 


Hetour  de  Coligny  à  Châtillon-sur-Loing,  en  chef  de  famille  et  seigneur  chrétien.  — 
Sa  bienveillance  pour  d'Erlach  et  Téligny.  —  Son  intervention  protectrice  dans  une 
affaire  de  prise  maritùne.  —  Manœuvres  ourdies  par  ses  ennemis.  Accusation  repro- 
duite. —  Coligny,  dans  une  seconde  déclaration,  se  disculpe  de  toute  participation 
au  meurtre  du  duc  de  Guise.  —  Il  s'achemine  vers  la  cour.  Condé  le  rencontre  à 
Essonne  et  le  décide  à  retourner  à  Châtillon.  —  L'honneur  de  l'amiral  est  noblement 
défendu,  en  séance  du  conseil  privé,  par  Condé,  d'Andelot  et  le  maréchal  de  Mont- 
morency. —  Décision  royale.  —  Correspondance  de  Coligny  avec  le  prince  de 
Portien,  Renée  de  France,  Catherine  de  Médicis  et  Calvin.  —  Coligny  défend  les  droits 
de  ses  coreligionnaires.  —  Démarche  de  l'ambassadeur  d'Angleterre  auprès  de 
Coligny,  au  sujet  des  prétentions  d'Elisabeth  sur  Calais.  —  Reprise  du  Havre.  — 
Odet  suit  la  cour  à  Rouen.  —  Déclaration  de  la  majorité  du  roi.  —  Maladie  de  la  reine- 
mère  à  Meulan.  —  Les  Guises  se  concertent  de  nouveau  pour  agir  contre  Coligny. 


((  Qui  ne  sait,  disait  un  jour  Coligny  \  qu'après  la  paix  faite 
i>  (en  mars  1568),  pouvant  obtenir  du  roy  des  charges  et  hon- 
y>  neurs,  j'ai  toutefois  mieux  aimé  me  retirer  en  ma  maison, 
y>  et,  dans  toute  sorte  de  retenue  et  de  repos,  y  mener  une  vie 
y>  privée  !  » 

Le  retour  de  l'amiral  à  Châtillon-sur-Loîng  fut  celui  d'un 
chef  de  famille  et  d'un  seigneur  chrétien. 

Il  participa  avec  les  siens  à  la  Sainte  Gène,  le  jour  de  Pâques, 
et  imprima  presque  aussitôt,  pour  l'avenir,  une  consécration 
religieuse  à  l'exercice  de  la  justice  seigneuriale  dont  il  était 
investi.  En  effet,  le  15  avril,  eut  lieu,  à  cet  égard,  la  grave  so- 
lennité que  voici  : 

1.  Hotman,  vie  de  Coligny,  Irad.  1665,  p.  63. 

if.  17 


—  258  — 
((  Suivi  d'une  grande  troupe  de  gentilshommes,  il  vint  en  son 
ï>  auditoire  de  justice,  là  où,  après  avoir  invoqué  le  nom  de 
y>  Dieu,  il  ordonna  que  désormais  l'exercice  de  justice  commen- 
»  cerait  par  prières,  selon  un  formulaire  qui  par  après  fut  mis 
y>  en  un  tableau  qui  y  fut  affiché.  Jean  Malot,  son  ministre 
»  ordinaire  \  fit  une  grande  remonstrance  des  causes  des  cala- 
»  mités  et  ruines  des  royaumes  et  seigneuries,  exhortant  les 
»  magistrats  à  faire  bonne  et  briefve  justice,  les  sujets  à  vivre 
»  en  paix  et  à  bien  obéir  aux  sainctes  lois  et  ordonnances  de 
ï)  leurs  supérieurs,  et  ledit  sieur  amiral  à  y  tenir  la  main,  lequel 
)>  puis  après,  comme  c'était  un  personnage  des  plus  rares  qui 
»  ait  jamais  esté  en  France  de  sa  qualité,  fit  une  aussi  excel- 
»  lente  remonstrance,  déclarant  de  combien  de  dangers  Dieu 
»  l'avait  délivré  depuis  peu  de  temps,  à  la  gloire  duquel,  comme 
3)  à  l'entretenement  de  ses  sujets,  il  vouait  et  dédiait  le  reste 
»  de  sa  vie  :  puis  ayant  aussi  exhorté  ses  officiers  de  se  porter 
»  comme  gens  de  bien  en  l'exécution  de  leurs  charges,  il  dit 
»  expressément  qu'il  leur  établirait  bons  gages,  afin  qu'ils 
»  n'eussent  occasion  d'administrer  justice  pour  de  l'argent,  les 
))  admonestant  de  très  bien  chastier  et  rigoureusement  ceux 
»  qui,  sous  ombre  qu'il  ne  cousteroit  plus  rien  aux  juges,  abu- 
ii>  seraient  de  la  justice.  Finalement  il  protesta,  qu'encores  que 
))  plusieurs,  en  son  absence,  l'eussent  griefvement  offensé  et 
/>  de  faict  et  de  paroles,  comme  il  le  sçavoit  bien ,  ce  néant- 
»  moins  il  oublioit  volontiers  le  passé  pour  leur  donner  courage 
»  de  mieux  faire  à  l'advenir,  les  priant  surtout  de  donner  au- 
»  dience  à  Dieu,  la  parole  duquel  il  feroit  de  tout  son  pouvoir 
»  purement  et  sincèrement  prescher,  selon  les  édictz  du  roy, 
»  son  souverain  seigneur  ^  )) 
.  Téhgny  et  d'Erlach  avaient  suivi  à  Châtillon  l'amiral  qui, 


1.  Voy.  sur  Jean  Malot,  Haag,  France  protest.,  t.  VII,  p.  198  et  suiv. 

2.  De  Bèze,  Hisi.  ecc/.,  t.  H,  p.  461,  462, 


i 


—  259  — 

dès  les  premiers  jours  de  sa  rentrée  dans  son  château,  facilita 
au  second  de  ces  jeunes  gens  son  retour  en  Suisse. 

Peu  de  temps  après  l'accomplissement  de  sa  mission  à  Berne, 
en  1562,  d'Erlacli  était  revenu  en  France.  En  octobre  de  la 
même  année,  les  magistrats  Bernois,  sur  la  demande  de  sa 
famille,  avaient  prié  Goligny  de  le  renvoyer  dans  ses  foyers.  Les 
dangers  d'un  trajet  à  effectuer,  en  France,  alors  que  la  guerre 
civile  sévissait  dans  une  foule  de  localités,  avaient  retardé  son 
,  départ.  «  J'avois  juste  crainte,  écrivit  plus  tard  l'amiral  à  la 
»  seigneurie  de  Berne  \  qu'il  luy  advînt  quelque  inconvénient. 
,  »  Il  me  sembloit  estre  trop  plus  expédient  de  différer  son  retour 
»  jusques  à  ce  qu'il  eût  pieu  à  Dieu  nous  restablir  en  une 
»  tranquillité  et  repos,  pour  le  regret  que  j'eusse  eu,  s'il  fûst 
»  tombé  en  dangier.  y>  Sous  l'influence  du  changement  de  cir- 
constances qui  venait  de  s'opérer,  au  printemps  de  1563,  l'ami- 
.ral  ajoutait  :  «  Dieu  nous  ayant  puis  naguères  faict  ceste  grâce 
»  de  nous  regarder  en  pytié  et  remis  les  affaires  de  ce  royaume 
»  en  un  estât  plus  tranquille  et  paisible,  j'ay  bien  esté  d'advys 
.  d  que,  suyvant  le  vouloir  et  désir  de  ses  parens,  il  s'acheminast 
»  par  devers  eux,  pour  donner  ordre  aux  affaires  pour  lesquelles 
»  ils  le  rappellent.  » 

Les  motifs  qui  avaient  décidé  l'amiral  à  se  séparer  du  jeune 
d'Erlach  ne  pouvaient  pas  se  produire  vis-à-vis  de  Téligny, 
maître  de  ses  actions  -.  La  touchante  affection  qui  unissait  si 
intimement  le  protecteur  au  protégé  les  rendait  tous  deux  de 
plus  en  plus  nécessaires  l'un  à  l'autre,  et  excluait,  par  cela 
seul,  l'idée  de  séparations  même  momentanées,  qui  n'eussent 
pas  été  commandées  par  le  devoir.  Téhgny  resta  donc  au  châ- 
teau de  Ghâtillon,  où,  traité  en  fils  par  l'amiral  et  sa  compagne, 
en  frère  aîné  par  leurs  enfants,  il  continua  à  voir  son  second 

1.  Lettre  du  15  avril  1563^  datée  de  Ghàtillon-sur-Loing.  (Archives  de  Berne. 
Frankreich.  vol.  1). 

2.  Voy.  Appendice  n°  22. 


-_  260  — 

père  l'associer  à  la  plupart  de  ses  occupations,  et  le  former, 
sous  sa  direction  judicieuse,  à  l'étude  des  questions  les  plus 
graves  et  au  maniement  d'intérêts  d'un  ordre  supérieur. 

Coligny  qui,  depuis  le  traité  de  paix,  était  demeuré  dans 
d'honorables  relations  avec  la  reine  d'Angleterre,  se  sentit 
libre  de  lui  soumettre,  dès  les  premiers  jours  de  son  retour  à 
Châtillon-sur-Loing,  une  réclamation  qui  touchait  à  des  inté- 
rêts dont  il  était  le  gardien.  «  Madame,  lui  écrivit-il,  le  16  avril  *, 
»  j'ay  reçeu  la  lettre  qu'il  a  pieu  à  Votre  Majesté  m'escrire  par 
*)>  le  s'  du  Ghastellier  par  lequel  aussy  j'ay  entendu  beaucoup 
^)  de  gratieux  et  honnestes  propos  qu'il  vous  a  pieu  luy  tenir 
•»  de  moy,  dont  je  me  sens  grandement  heureux  et  content,  et 
•>^  mettray  peine,  Dieu  aydant,  que  vous  n'aurez  poinct  occasion 
y>  de  perdre  ceste  bonne  opinion  que  vous  avez;  et  pour  ce, 
))  madame,  que  je  ne  double  point  que  Vostre  Majesté  ne  puisse 
:»)  bien  juger  qu'il  nous  a  fallu  emprunter  grands  deniers  pour 
»  les  frais  qu'il  convient  faire  pour  ces  guerres,  et  que  pour  en 
»  estre  aulcunement  remboursé,  j'avoys  à  donner  plusieurs  as- 
y>  signations  sur  la  vente  qui  se  debvoit  faire  des  prises  adme- 
y>  nées  au  Havre  de  grâce  par  Françoys  Leclerc,  et  néantmoings 
y>  j'ay  entendu  qu'on  n'en  peult  obtenir  main-levée  de  messieurs 
))  de  vostre  conseil,  je  supplie  très  humblement  Vostre  Majesté 
^  commander  que  raison  nous  soit  faicte;  car  de  ce  que  aucuns 
))  flamands  vouloient  réclamer  les  dictes  prises,  il  se  prouvera 
»  assez  du  contraire  par  deux  mémoyres  que  j'envoye  présen- 
»  tement  au  s'"  de  Briquemault  auquel  j'escripts  d'en  informer 
y>  plus  particulièrement  Vostre  Majesté,  aussi  je  la  supplie  com- 
»  mander  qu'il  ne  me  soit  point  mys  d'empeschement  à  la  vente 
))  d'aucuns  bledz,  cidres  et  autres  vivres  que  j'avoys  envoyés 
«  dernièrement  au  Havre,  moy  estant  à  Gaen.  y> 

i .  Record  office,  state  papers.  France,  vol.  XXXII.  —  De  Laferrière,  le 
xvi"  s.  et  les  Valois,  p.  133.  —  Voir,  en  outre,  à  l'appendice,  n»  23,  une  lettre 
adressée  le  11  avril  1563,  par  Coligny  à  Warwick.- 


—  261  — 

Le  calme  que  Coligny  était  venu  chercher  dans  sa'  retraite 
de  Ghâtiilon  ne  tarda  pas  à  être  troublé  par  l'avis  qu'il  reçut  de 
l'existence  d'indignes  manœuvres  ourdies  au  dehors  contre 
lui. 

En  effet,  «  il  ne  fut  aussitost  arrivé  en  sa  maison,  que  ses 
»  ennemis  le  craignans,  comme  il  est  vraysemblable,  ou  esti- 
y>  mans  que  sa  présence  à  la  cour  reculerait  leurs  affaires  et 
»  l'effect  de  leurs  entreprises,  bandèrent  tous  leurs  esrrits  en 
»  ce  seul  dessein  d'empescher  qu'il  n'y  vînt;  et  pour  cest  eiieci, 
»  commencèrent  à  vouloir  charger  ledict  sieur  admirai  de  ia 
»  mort  du  feu  duc  de  Guyse  et  à  tirer  un  chascun  à  ceste  opi- 
»  nion,  qu'il  avait  induit  Poltrot  à  ce  qu'il  avoit  faict;  ou  parce 
))  qu'à  la  vérité,  ils  estimoient  que  ledict  sieur  admirai  en  fùst 
y>  coulpable  et  consentant;  ou  aussi  afin  que,  sous  couleur  de 
y>  poursuivre  la  vindicte  de  ladicte  mort,  ils  eussent  moyen  de 
»  s'armer  et  se  rendre  plus  forts  et  suivis,  pour  tousjours  main- 
))  tenir  leur  grandeur,  crédit  et  réputation,  et  eslongner  de  la 
y>  cour  ou  accabler,  s'ils  pouvaient,  ledit  sieur  admirai  ^  » 

Ce  fut  alors  que  Goligny  qui  déjà  dans  sa  protestation  en  ré- 
ponse aux  allégations  mensongères  de  Polli  ot,  et  dans  sa  lettre 
d'envoi  à  Gatherine  de  Médicis,  avait  péremptoirement  établi 
son  innocence,  en  confirma  surabondamment  la  démonstra- 
tion par  la  publication  d'un  écrit  qu'il  rédigea,  le  5  mai,  à  Ghâ- 
tiilon"-. Dans  cet  écrit,  l'amiral  après  avoir  signalé  de  nouveau 
la  coupable  précipitation  qu'on  avait  mise  à  juger  et  exécuter 
Poltrot,  sans  admettre  la  confrontation  demandée,  disait  ; 
«  Depuis,  le  dit  seigneur  admirai  a  bien  sçeu  que  ledit  Poltrot 
»  a  tousjours  recognu  que  ladite  première  depposition  estoit 
»  fausse;  qui  donne  une  certaine  présomption  que  dès  le  corn- 
»  mencement  on  l'avoit  attiltré  à  parler  ainsi.  Il  y  a  eu  en  outre 
»  autres  diverses  dépositions  attribuées  audit  Poltrot,  par  au- 

1.  Mém.  de  Condé,  t.  V.  p.  19  et  20. 

2.  Mém.  de  Coadé,  t.  IV,  p.  339  à  349. 


_  262  — 

y>  cunes  desquelles,  qui  sont  tenues  assez  secrètes,  il  a  deschargé 
))  ledit  seigneur  admirai;  et  par  les  autres  qui  ont  été  semées 
))  en  plusieurs  endroits,  il  l'a  chargé;  lesquelles,  quelque  désir 
D  et  espérance  que  ledit  Poltrot  ayt  tousjours  démontré  avoir 
))  d e  prolonger  saîvie,  ledit  seigneur  admirai  tient  pour  supectes 
))  de  subornement,  et  ne  doute  point  qu'on  n'ayt  assez  essayé  de 
»  faire  accroire  audit  Poltrot,  qu'en  parlant  ainsi  c'estoit  un 
y>  moyen  de"  reculer  l'exécution  de  sa  sentence  :  pour  le  moins, 
»  qu'il  croit  seurement  et  avec  raison  qu'elles  ont  esté  falsifiées 
»  ou  desguisées  ;  attendu  qu'il  se  vérifiera  par  le  tesmoignage  de 
))  plusieurs  gens  de  bien  et  dignes  de  foy,  qu'estant  ledit  Poltrot 
y>  en  la  conciergerie  de  Paris,  il  leur  a  dit  qu'il  avoit  entière- 
))  ment  deschargé  ledit  seigneur  admirai  devant  les  juges,  et  a 
»  fait  le  semblable  à  l'ouye  d'une  infinité  de  personnes,  lors- 
»  qu'on  le  menoit  au  supplice  ;  attendu  aussi  que  lesdites  dépo- 
li sitions  ont  esté  escrites  par  ses  ennemis  déclarez,  et  faites 
»  en  leur  seule  présence;  desquels  il  est  trop  aysé  à  juger,  si 
»  ayans  en  cela  moyen  de  luy  nuire,  et  par  mesme  moyen  com- 
.  35  plaire  à  ceux  pour  lesquels  ils  ont  bien  osé  entre  autres  choses 
»  engager  leur  honneur  et  âme,  ils  s'y  seront  espargnez;  de 
y>  quoy  feront  assez  de  foy  les  lettres  qu'on  aveues,  et  desquelles 
))  on  fera  apparoir  quand  besoin  sera,  escrites  à  la  cour,  du  6  et 
3)  15  mars  par  les  principaux  juges,  pour  advancer  l'exécution 
-»  dudit  Poltrot,  es  quelles  ils  usent  de  ces  propres  termes  :  que 
)>  la  garde  dudit  Poltrot  ne  valloit  rien,  et  que  l'on  ne  devoit  plus 
i  différer  de  le  faire  despescher,  parcequ'il  se  vouloit  desdire. 
»  —  D'autre  part  aussi,  il  a  esté  assez  adverti,  que  sur  ce 
y>  qu'il  advoué  par  sadite  response  avoir  baillé  argent  audit 
y>  Poltrot,  aucuns  ontbasti  une  conjecture  en  leur  cerveau,  et 
y>  là-dessus  fondé  leurs  calomnies.  »  —  Insistant,  une  fois  de 
plus,  à  cet  égard,  sur  sa  réponse  antérieure,  savoir  :  que  les 
deux  sommes  données  à  Poltrot  n'étaient  que  le  salaire  de 
l'office  d'un  espion  chargé  de  fournir  des  renseignements  sur 


^  263  — 

le  camp  du  duc  de  Guyse,  l'amiral  exposait  combien  il  était 
important  pour  lui  de  savoir  s'il  serait  inquiété  ou  non  par 
l'ennemi  dans  sa  marche  vers  la  Normandie.  —  Pariant  du  duc 
de  Guise,  l'amiral  terminait  son  écrit  par  ces  mots  :  «  Y  eut-il 
»  jamais  un  ennemy  plus  déclaré  contre  autre,  que  cestuyrlà? 
»  Et  qu'il  ne  soit  vray,  pourquoy  estoit-il  devant  Orléans,  que 
»  pour  exterminer  femmes,  enfans,  et  tout  ce  que  ledict  sei- 
))  gneur  admirai  avoit  de  cher  en  ce  monde?  Voire  que  gens 
3>  dignes  de  foy  disent  qu'il  s'estoit  vanté  de  ne  pardonner  à  nul 
y>  sexe,  de  ce  qui  se  trouveroit  audit  Orléans.  Il  ne  laut  aussi 
•»  douter  que  l'homme  de  toute  l'armée  que  ledit  seigneur 
»  admirai  chercha  le  plus,  le  jour  de  la  bataille  dernière  ne  fûst 
D  cestuy-là.  Aussi  peu  faut-il  douter  que  s'il  eust  peu  bracquer 
»  un  canon  contre  luy  pour  le  tuer,  qu'il  ne  l'eûsc  tait;  qu'il 

*  n'eust  semblablement  commandé  à  dix  mille  harquenouziers, 
y>  s'il  les  eust  eu  à  son  commandement,  de  luy  tirer  entre  tous 

>  les  autres,  fust-ce  en  campagne,  au-dessus  d'une  muraille, 

>  ou  derrière  une  haye.  Bref,  il  n'eust  espargné  un  seul  moyen 
0)  de  ceux  que  le  droit  des  armes  permet  en  temps  d  hostilité, 
^)  pour  se  desfaire  d'un  si  grand  ennemy  quecestuy-»a  luy  estoit, 

>  et  à  tant  d'autres  bons  subjects  du  roy  *.  Et,*  pour  conclu- 
"5)  sion,  ledit  seigneur  admirai  proteste  devant  Dieu  et  ses 
»  anges,  qu'il  n'en  a  fait  ni  commandé  rien  davantage  que  ce 
y>  qu'il  en  a  mis  par  escript.  Que  s'il  y  en  a  qui  veuillent  estre 
))  esclaircis  davantage,  qu'ils  parlent  à  luy  et  il  leur  respondra.  » 

Condé,  à  la  différence  de  l'amiral,  n'avait  quitté  Orléans  que 

1.  «  Or,  si  le  mal  faschoit  à  toutes  gens   de  bien,  M.,  de  Guise,  qui  avait 

*  allumé  le  feu,  ne  pouvoit  pas  être  espargné.  Et  de  moy,  combien  que  j'aye 
j  toujours  prié  Dieu  de  luy  faire  mercy,  si  est-ce  que  j'ay  souvent  désiré  que 
j  Dieu  mist  la  main,  sur  luy  pour  en   deslivrer  son  église,  s'il  ne  le  vouloit 

>  convertir.  Tant  y  a  que  je  puis  protester  qu'il  n'a  tenu  qu'à  moi  que,  devant 

>  la  guerre,  gens  de  faire  et  d'exécution  ne  se  soyent  efforcez  de  l'exterminer 

*  du  monde,  lesquels  ont  esté  retenuz  par  ma  seule  exhortation.  >  (Calvin^ 
lettre  franc.,  t.  II,  p.  553). 


—  264  — 

pour  aller,  loin  du  foyer  domestique,  occuper,  dans  un  milieu 
délétère,  une  situation  aux  périls  de  laquelle  pouvait  seule  ré- 
sister une  âme  fortement  trempée.  Placé  désormais  auprès  du 
roi  et  de  la  reine  mère,  appelé,  en  sa  qualité  de  prince  du  sang, 
à  siéger  au  conseil  privé  et  à  prendre  part  à  la  direction  des 
affaires  du  royaume,  il  voyait,  à  la  cour,  s'agiter  de  détestables 
passions.  A  l'aspect  de  ce  foyer  des  haines  déchaînées  contre 
Coligny,  il  était  sans  illusions  sur  les  perverses  tendances  des 
ennemis  de  cet  homme  éminent.  Il  savait  que  les  Guises  l'ac- 
cusaient d'avoir  provoqué  le  meurtre  de  François  de  Lorraine, 
et  qu'ils  incitaient  leurs  adhérents  à  la  vengeance  d'une  com- 
plicité imaginaire.  Neveu  dévoué,  ami  fidèle,  il  veillait  dès  lors 
avec  une  sollicitude  incessante  sur  les  jours  menacés  de  l'ami- 
ral, et  s'efforçait  de  maintenir  au-dessus  de  toute  atteinte 
l'honneur  de  ce  noble  représentant  de  la  réforme  française. 
«  Je  crains,  disait-il  à  ce  moment  *,  que  parmi  tant  d'hommes 
y>  de  guerre  qui  sont  ici,  il  n'y  en  ait  un  qui  lui  tire  un  coup  de 
y>  pistolet;  et  je  prends  autant  de  soin  de  son  existence  que  de 
y>  la  mienne.  »  Aussi,  dès  que  le  prince  apprit  que  son  oncle, 
informé  des  odieuses  menées  des  Guises,  avait  quitté  Ghâtillon- 
sur-Loing  pour  venir  à  Saint- Germain,  dans  l'espoir  d'y  con- 
fondre ses  calomniateurs,  vola-t-il  à  sa  rencontre,  et  le  conjura- 
t-il,  en  le  joignant  à  Essonne  ^,  de  ne  pas  se  rendre  à  la  cour, 
où  sa  vie  serait  en  danger  ^,  et  où  sa  présence  pourrait,  dans 

1.  Caleud.  of  slate  pap.  foreign.  Smith  to  Ihe  queen,  H  mai  1563. 

2.  Mém.  de  Condé,  t.  V,  p.  20.  —  Calend  of  state  pap.  foreign.  Middlemore 
to  cecil,  17  mai  1563. 

3.  Calendl  of  state  pap  foreign.  Middlemore  to  cecil,  17  mai  1563  :  «  The 
»  secret  enterprises  of  his  enemies  were  then  discovered  to  the  admirai,  and 
»  his  friends  advised  him  not  to  come  there;  of  which  mind  was  also  the 
3)  queen  molher,  but  rather  for  Icar  of  him.  She  entertains  ail  such  practises 
î  as  may  ruin  him.  His  enemies  meant  to  put  the  following  into  exécution 
»  against  him  :  they  obtained  secretly  what  they  call  hère  a  prise  de  corps 
D  against  him  for  the  death  of  the  Duke  of  Guise,  to  be  saved  upon  him  ou  his 
»  coming,  liaving  won  ail  the  guaids  about  the  sarae.  Aad  if  he  should  resist 


—  2G5  — 

l'état  de  fermentation  des  esprits,  devenir,  malgré  lui,  le  signal 
de  nouveaux  troubles.  De  ces  deux  considérations,  la  seconde 
surtout  arrêta  l'amiral.  Touché  des  supplications  et  des  conseils 
de  Condé,  il  consentit  à  retourner  à  Ghâtillon-sur-Loing,  mais 
«n  exprimant  la  ferme  résolution  d'aller,  dès  que  les  circons' 
tances  le  permettraient,  occuper  auprès  du  roi  la  place  que 
lui  assignaient  sa  naissance,  sa  charge  et  ses  devoirs,  comme 
défenseur  des  droits  de  ses  coreligionnaires. 

Tandis  que  Condé  revenait  à  Saint-Germain,  accompagné  de 
d'Andelot,  Coligny,  moins  en  souci  de  lui-même  à  ce  moment 
que  de  son  jeune  compagnon  d'armes,  le  prince  de  Portien,  lui, 
écrivait,  d'Essonne, le  12  mai,  au  sujet  de  difficultés  suscitées  à 
tort,  en  ce  qui  concernait  la  solde  des  reîtres  reconduits  à  la 
frontière  *  :  »  Je  croy  que  la  royne  et  monsieur  le  prince 
))  (de  Condé)  y  donneront  ordre  :  vous  advisant  que  si  j'eusse 
»  esté  à  la  cour,  je  n'eusse  failli  de  mectre  peine  de  faire  bien 
»  entendre  vos  remonstrances  et  de  prendre  en  main  ce  qui 
»  vous  touche,  comme  je  feray  toute  ma  vie  ;  mais  encores  que  je 
»  m'y  fusse  achemyné,  je  n'ay  peu  y  aller,  pour  les  occasions  que 
»  ce  porteur  vous  pourra  dire.  Au  demeurant,  quant  à  ce  que 
j  mandez  pour  mon  particulier,  je  ne  suys  pas, de  ceste  heure,  à 
y>  cognoistre  la  bonne  affection  que  me  portez  m'en  ayant  fait  assez 
y>  de  démonstration  par  tant  de  notables  effectz,  vous  priant 
))  affectueusement  d'y  vouloir  continuer,  ensemble  faire  entière- 
:»  ment  estât  de  moy  comme  de  celuy  que  vous  trouverez  tous- 
»  jours  prest  de  s'en  revencher  et  de  vous  servir  partout  où  les 
y>  moyens  et  l'occasion  se  présenteront. ..je  vous  pry, encores  une 
»  bonne  fois,  penser  que  je  me  sens  tant  tenu  à  vous,  que  vous  me 
»  trouverez  tousjours  votre  humble  et  bien  affectionné  amy.  » 

>  they  meant  to  eut  him  in  pièces.  This  enterprise  would  never  hâve  been 
3  taken  in  hand  without  connivance  of  the  greatest  of  the  court.  > 

l.Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  3196,  f"  11.  L'amiral  avait  déjà  écrit  au  prince  de 
Portien  sur  le  même  sujet,  le  8  mai  1563.  (Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  3196,  f»  8.) 


—  206  — 

Avant  de  quitter  Essonne,  Goligny,  le  jour  même  où  il  écrivil; 
au  prince  de  Portion,  eut  avec  l'un  des  agents  de  la  reine  d'An^ 
gleterre,  Middelmore,  un  entretien  relaté  par  celui-ci  dans  une 
dépêche  qu'il  adressa  le  17  mai,  à  Gécil  ^  . 

Cet  agent  avait  déjà,  plus  d'une  fois,  soit  à  Orléans,  soit 
ailleurs,  insisté  auprès  de  la  reine  mère,  de  Gondé  et  de  l'ami- 
ral, pour  qu'on  reconnût  à  sa  souveraine  le  droit  de  conserver 
le  Havre,  tant  que  Galais  ne  lui  aurait  pas  été  remis.. Gette  pré-' 
tention  avait  été  constamment  repoussée  par  les  motifs  suivants, 
savoir:  que  le  traité  de  paix  de  mars  1563  déclarait  que  les 
troupes  étrangères  seraient  tenues  de  sortir  immédiatement  de 
France,  et  qu'Elisabeth  devait  d'autant  mieux  se  soumettre  à 
cette  obligation,  en  ce  qui  concernait  ses  soldats,  qu'elle  avait 
déclaré  dans  une  proclamation  solennelle,  ne  les  avoir  envoyés 
que  pour  soutenir  la  cause  diï  roi  contre  les  usurpateurs  de  son 
pouvoir,  et  celle  d'un  grand  nombre  de  ses  sujets  contre  les 
excès  de  leurs  oppresseurs  ;  que  la  paix  venait  de  consolider  le 
pouvoir  royal,  d'affranchir  les  opprimés  du  joug  qui  pesait  sur 
eux;  et  que  dès  lors  l'appui  de  la  reine  d'Angleterre  devenait 
sans  objet.  Quant  à  la  restitution  de  Galais,  cette  princesse 
n'était  fondée  à  prétendre  rien  de  plus  que  ce  qui  était  consi- 
gné dans  le  traité  de  Gateau-Gambrésis,  auquel  nulle  modifica- 
tion n'avait  été  apportée  depuis  sa  signature.  Gondé  et  l'amiral 
s'étaient  nettement  prononcés,  à  plusieurs  reprises,  sur  ce  point 
spécial,  et  notamment  dans  un  message  adressé,  le  30  avril,  à 
la  reine  d'Angleterre  ^ . 

En  abordant  Goligny,  Middlemore  reproduisit  les  prétentions 

1.  Calend.  of  state  pap.  foreign.  De  Laferrière,  le  16*  siècle  et  les  Valois, 
f»  132  à  135. 

2.  Calend.  of.  state  pap.  foreiga.  Message  from  Gondé  and  admirai  to  the 
.queen,  30  avril  1563  :  «  M.  Briquemault  in  their  name  required  that  she  would, 
»  according  to  her  protestation  be  content,  the  tyranny  of  Guise  beingremoved 
i  to  restore  Newhaven  to  the  french.king,  and  for  the  restitution  of -Calais,  to 
».  hâve  treaty  of  Cambresis  newly  ratified.  » 


—  267  — 
d'Elisabeth,  et  se  plaignit  dé  ce  que  le  prince  et  l'amiral 
méconnaissaient  ses  droits.  —  L'amiral  lui  répondit  qu'elle 
n'aurait  aucun  grief  sérieux  à  formuler,  si  l'argent  qu'elle  avait 
prêté  lui  était  rendu,  comme  il  le  serait  en  effet,  et  si  son 
droit  sur  Calais  était  garanti,  comme  il  continuerait  à  Têtre 
par  le  traité  de  1559.  Il  déclara  hautement  qu'il  n'avait  jamais 
promis  à  la  reine  d'Angleterre,  soit  par  lettre,  soit  autrement, 
qu'il  lui  serait  loisible  de  garder  le  Havre  jusqu'à  ce  que  Calais 
lui  fut  restitué  ;  et  que  si  elle  avait  une  lettre  de  lui  en  sens 
contraire,  il  serait  curieux  de  la  voir.  —  Middlemore  excipant 
de  la  clause  du  traité  d'Hampton-Court,  relative  à  l'occupation 
du  Havre,  clause  qui  avait  été  insérée,  sous  la  pression  des 
négociateurs  anglais,  lors  de  la  conclusion  intervenue  entre 
eux,  le  vidame  de  Chartres  et  R.  de  la  Haye,  l'amiral  affirma 
qu'originairement  il  ignorait  les  termes  de  ce  traité;  qu'il  ne 
l'avait  jamais  vu  avant  son  expédition  de  Normandie,  lorsque 
Throckmorton  le  lui  communiqua  ;  et  que  si,  avant  d'en  signer, 
de  confiance,  la  confirmation,  il  avait  pu  croire  qu'on  y  eût 
inséré  autre  chose  que  l'assurance  donnée  à  la  reine  qu'elle 
serait  remboursée  des  sommes  par  elle  prêtées,  et  que  le 
secours  qu'elle  accordait  ne  préjudicierait  pas  à  son  droit  sur 
Calais,  il  se  fût  privé  de  la  bénédiction  de  Dieu. 

On  verra  bientôt  quelles  furent,  pour  Elisabeth,  relative- 
ment au  Havre  et  à  Calais,  les  conséquences  de  sa  ténacité  et 
de  celle  de  ses  agents. 

Le  15  mai,  à  Saint-Germain,  trois  jours  après  l'entrevue  de 
Coudé  et  de  Coligny  à  Essonne,  au  cour5  d'une  séance  du  con- 
seil, à  laquelle  assistait  Catherine  deMédicis,  il  fut,  sur  l'ordre 
du  roi,  donné  lecture  par  le  secrétaire  d'Etat  Bourdin,  d'un 
écrit  dans  lequel  Louis  de  Bourbon,  s'adressant  à  cette  prin- 
cesse, lui  tenait  ce  généreux  et  ferme  langage  *  : 

1.  Mém.  de  Condé,  t.  V,  p.  20  à  2i.  —  Bibl.   nat.  mss.  f.  ir.  vol.,  3193, 


—  2G8  — 

«Madame,  j'ay  esté  parler  à  monsieur  Tadmiral,  et  fait 
»  venir  icy  monsieur  d'Andelot,  pour,  en  la  présence  du  roy, 
»  dire  à  vostre  majesté  que  monsieur  Tadmiral  m'a  asseuré,  et 
y>  le  croy,  que  tout  ce  qui  a  esté  ou  pourroit  estre  ajousté,  pré- 
}>  sumé  et  mis  en  avant  contre  luy,  sur  le  fait  de  la  mort  de 
»  monsieur  de  Guyse,  outre  ce  qu'il  a  confessé  et  fait  imprimer, 
»  est  faux  ;  qu'ayant  esté  calomnieusement  chargé  par  la  dépo- 
y>  sition  subornée  de  'deffunt  Merey,  contre  luy,  combien  que 
»  de  droit  il  n'y  fûst  obligé,  estant  question  d'un  fait  d'hostilité, 
»  il  a  requis  à  vostre  majesté  ledit  Merey  estre  gardé  prisonnier 
»  jusques  àce  qu'il  peust  estre  confronté  avec  luy,  et  proteste  de 
»  sa  sincérité,  à  faute  de  ce  faire  :  à  quoy  n'ayant  esté  satisfait, 
))  par  l'importunité  de  ses  enneniis,  cuidants  rendre  obscure 
»  la  lumière  de  son  innocence,  il  estime  que  la  protestation  par 
»  luy  faite  luy  doit  servir  envers  toutes  personnes  de  bon  juge- 
»  ment,  de  suffisant  tesmoignage,  arrest  et  déclaration  de  son 
»  innocence  :  parquoy  il  déclare  qu'il  a  satisfait  à  sa  conscience 
))  devant  Dieu  et  à  son  devoir  aivers  les  hommes.  —  Et  quant 
»  à  nous,  c'est-à-dire  à  moy  et  à  tous  ceux  qui  ont  porté  les 
»  armes  sous  moy,  nous  disons  :  puisque  les  armes  ont  esté 
))  déclarées  avoir  esté  portées  pour  le  service  du  roy,  que  le. fait 
»  de  l'homicide  mis  en  avant  contre  ledit  sieur  admirai,  advenu 
's>  en  temps  et  fait  d'hostilité,  n'est  justiciable  ne  subject  à  estre 
))  purgé  par  voye  de  justice  ;  car  autrement  ce  serait  directe- 
))  ment  contrevenir  à  l'édict  de  paix,  et  nous  frustrer  du  bien 
))  d'iceluy,  au  regard  des  choses  advenues  et  des  armes  prinses 
»  d'une  part  et  d'autre  :  et  depuis  l'édict  de  la  paix  monsieur 
»  l'admirai  s'offre  de  suyvre  la  voye  de  justice  pardevant  juges, 
3)  toutesfois  non  suspects  ;  à  la  charge  que  ses  adversaires  aussi, 
y>  ou  tenans  cause  d'eux,  seront  tenus  suyvre  pareilles  voyes, 


f'  -iS  à  51.  —  Vie  de  messire  Gaspard  de  Coligny,  ïn-i"  Amsterdam  164  i,  anno- 
tations, p.  136.  —  Du  Bouchet,  histoire  de  la  maison  de  Coligny,  p.  536. 


—  269  — 

D  pour  le  cas  à  eux  imposé,  chacune  selon  l'ordre  du  temps  et 
»  gravité  du  crime.  De  ce,  madame,  je  vous  fais  très  humble 
y>-  requeste,  tant  de  la  part  de  monsieur  l'admirai,  que  de  la 
j>  mienne  ;  déclairant  que,  s'il  y  a  personne  qui  entreprenne 
y>  de  s'adresser  à  luy  de  fait  ou  de  paroles,  ou  par  autre  voye 
y>  que  la  susdite,  je  luy  feray  congnoistre  que  je  m'en  ressentiray 
y>  tout  ainsy  que  s*il  estoit  fait  et  adressé  à  ma  personne  propre, 
»  estant  son  amy,  et  luy  oncle  de  ma  femme,  de  laquelle  j'ai 
»  plusieurs  enfans,  et  en  outre  estant  un  grand  chevalier  très 
))  nécessaire  pour  le  service  du  roy  ;  et  d'autant  que  l'inimitié 
3>  de  la  maison  de  Guyse  à  celle  de  Ghastillon  est  notoire,  je 
y>  vous  supplie  ne  permettre  que  le  nom  et  force  du  roy,  ou 
3)  couverture  de  la  religion,  soit  emprunté  pour  favoriser  aux 
y>  querelles  particulières  des  uns  ou  des  autres,  et  si  ceux  de  la 
))  maison  de  Guyse  en  prétendent  quelqu'une,  qu'ils  la  déclai- 
))  rent,  et  l'on  cognoistra  de  quel  coslé  sera  le  bon  droit,  et  la 
3)  force  pour  le  maintenir.  » 

Après  la  lecture  de  cet  écrit,  Gondé  en  confirma  la  teneur 
par  sa  parole,  et  ajouta  que  l'amiral  comptait,  dans  le  royaume, 
comme  prêts  à  lui  rendre  tous  bons  offices,  des  parents  et  des 
amis,  dont  quelques-uns  siégeaient,  en  ce  moment  même,  au 
conseil. 

Lors,  M.  le  maréchal  de  Montmorency  commença  à  dire  : 
«  puisqu'à  la  vérité,  en  ceste  querelle  particulière,  il  n'y  alloit 
y>  point  du  roi  ni  de  la  religion,  que  l'intention  de  M.  le  connes- 
>  table  estoit  de  porter  ses  neveux  comme  ses  propres  enfans, 
))  et  y  employer  toute  sa  puissance,  parens,  amys,  alliez  et  ser- 
»  viteurs  ;  ce  qu'il  déclarait,  tant  de  la  part  de  mon  dit  sieur 
))  le  connestable,  que  de  la  sienne  ;  car,  comme  obéissant  lils, 
»  en  se  conformant  du  tout  à  l'intention  de  son  père,  il  s'em- 
y>  ployera  du  tout  pour  ses  cousins  germains  ' .  » 

1.  Mém.  de  Condé,  t.  V,  p.  22.  —  Bibl.  nat.  inss.  f.  fr.  vol.  3193,  f  49.  Du 
Bouchet,  hist.  de  la  maison  de  Coligny,  p.  536. 


-  270  — 

'  «  Sur  cela,  M.  d'Andelot,  adressant  sa  parole  à  la  reyne  qui 
»  estoit  près  du  roy,  dit  que  M.  l'admirai  avoit  reçu  grand 
■»  desplaisir,  luy  ayant  osté  le  moyen  de  pouvoir  venir  en  cesie 
»  compaignie,  par  deux  raisons  :  la  première  et  principale, 
»  pour  le  désir  qu'il  avoit  de  voir  le  roy  et  baiser  les  mains  de 
»  Sa  Majesté;  l'autre  pour,  estant  en  ladite  compaignie, 
))  escouter  ceux  qui  en  aucune  façon  le  voudroient  charger  de 
y>  la  mort  du  feu  sieur  de  Guyse,  pour  leur  respondre  et  rendre 
»  bon  compte  de  toutes  ses  actions;  mais,  puisqu'il  estoit 
))  question  qu'on  demandoit  justice  de  luy,  il  la  demandait  pareii- 
))  lement,  afin  de  faire  ses  diligences  d'informer  des  actions 
»  dudit  feu  sieur  de  Guyse,  et  qu'il  espéroit,  par  bonnes  et 
»  justes  preuves,  faire  apparoistre  des  choses  pour  lesquelles  il 
y>  y  en  avoit  qui  n'auroient  plaisir  d'avoir  esté  cause  d'un  tel 
•y>  remuement  de  mesnage  *  .y> 

En  cet  état  de  choses,  intervint,  le  16  mai,  au  conseil  privé, 
un  arrêt  ainsi  conçu  ^  : 

«  Le  roy,  craignant  que  la  mort  de  feu  M.  de  Guise,  advenue 
-^yy  à  son  grand  regret,  soit  pour  renouveler  quelque  aigreur  en 
D  son  royaume,  s'il  y  est  procédé  par  autre  voye  que  celle  de  la 
»  justice,  qui  est  le  chemin  permis  par  les  lois  divines  et  hu- 
»  maines,  et  non  d'y  aller  par  vindictes  et  par  la  force  des  armes, 
»  la  puissance  desquelles  ne  doit  estre  usurpée  par  qui  que  ce 
»  soit  en  ce  royaume,  ny  l'exploit  et  exécution  d'icelles  tomber 
'))  en  autres  mains  que  celles  de  Sa  Majesté,  ou  de  ses  officiers 
»  et  magistrats  ordonnez  à  cet  effect  ;  pour  ces  causes  et  consi- 
»  dérations,  et  pour  la  nécessité  du  temps  et  de  ses  affaires  : 
»  Sa  dite  Majesté  a  inhibé  et  défendu,  inhibe  et  défend  à 
»  madame  la  duchesse  douairière  de  Guise,  veufve  dudit  défunt, 


1.  Mém.  de  Condé,  t.  V,  p.  22.  —  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  3193,  f'  49. 
■  Du  Bbuchet,  i6î«/ p.  536, 

2.  Du  Bouchet, /6jrf.  p.  5i7,  538.  ■ 


—  271  — 

'»  enfans,  frères,  parens  et  amis,  comme  aussi  au  seigneur  de 
y>  Chastillon,  amiral  de  France,  enfans,  frères,  parens  et  amis, 
»  qu'ils  n'ayent  par  eux  ni  par  leurs  gens  et  serviteurs  à  s'of- 
y  fenser  ne  faire  offenser  les  uns  les  autres  par  voye  de  fait  et 
»  de  force,  ou  autrement,  pour  raison  du  fait  dessus  dit,  les 
^  ayant  tous  pris  en  sa  protection  et  sauve-garde  spéciale,  et  ce, 
»  sur  peine  d'estre  déclarez  désobéissans  à  sa  dite  Majesté.  Et 
y>  quant  à  en  faire  poursuite  par  justice,  Sa  Majesté,  pour  la 
»  nécessité  de  ses  affaires  et,  pour  autres  grandes  et  importantes 
y>  et  nécessaires  occasions  et  considérations  à  ce  le  mou  vans, 
»  veut  que  la  dite  poursuite  soit  surcise  et  suspendue  jusques 
»  après  la  pacification  de  ses  dites  affaires,  les  armes  déposées, 
»  ou  que  par  Sa  Majesté  autrement  en  aye  esté  ordonné  ;  et  lors 
3>  elle  fera  administrer  ladite  justice  aux  parties  qui  la  requer- 
))  ront,  telle  que  de  raison.  » 

,  Cet  arrêt  fut  immédiatement  porté  à  la  connaissance  de  l'a- 
miral, ce  lequel  y  rendant  obéissance,  se  contint  en  sa  maison 
«  avec  ordinaire  et  privée  compagnie  de  ses  amys  et  domes- 
j>  tiques,  au  moyen  de  quoy  les  choses  demeurèrent  en  repos 
ï)  quelque  peu  de  temps  M). 

D'Andelot  était  promplement  revenu  de  Saint-Germain  à 
Châtillon-sur-Loing  reprendre,  sous  le  toit  de  son  frère  et  de  sa 
belle-sœur,  une  vie  de  famille,  à  l'intimité  de  laquelle  Odet  ne 
pouvait,  en  ce  moment,  s'associer.  Retenu  loin  du  château  de 
Châtillon,  il  cherchait  du  moins,  par  sa  correspondance,  à  se 
rapprocher  de  ceux  qu'il  aimait  ^ . 

A  six  jours  delà,  d'Andelot,  adressant  au  maréchal  de  Mont- 
morency les  capitaines  Monnins  et  Prye,  pour  affaires  de  service, 
lui  disait  ^  :  «:  Je  n'ay  voulu  faillir  de  vous  faire  par  eux  entendre 
»  de  mes  nouvelles  qui  sont  bonnes,  grâces  à  Dieu,  sinon  que 

1.  Mém.  de  Gondé,  t.  V,  p.  23. 

2.  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  3410,  f»  19. 

3.  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  3179,  f  39. 


—  272  —       ^ 

»  je  ne  puis  encores  me  deffaire  de  ma  fièbvre.  Pour  changer 
»  d'air,  je  m'en  vays  demain  à  Tanlay,  d'où  je  ne  suis  pas  déli- 
»  béré  de  partir  bien tost.  » 

Le  lendemain,  en  effet,  d'Andelot  quittait  le  château  de 
GhâLillon,  et  Coligny  écrivait  à  Renée  de  France,  résidant  alors- 
à  Montargis  ^  :  «  Madame,  j'envoye  ce  gentilhomme  vers  vous, 
3)  tant  pour  vous  visiter,  que  pour  entendre  de  vos  nouvelles, 
y>  desquelles  je  vous  supplye  me  faire  cest  iionneur  de  m'en 
»  départir.  Quant  aux  miennes,  je  luy  ay  donné  charge  de  vous 
))  en  dire,  et  de  tout  mon  petit  mesnage.  M.  d'Andelot,  mon 
))  frère,  part,  à  ce  matin,  de  ce  lieu  pour  aller  en  sa  maison. 
)y  J'attends  des  nouvelles  de  la  court.  Tout  ce  que  j'en  ay  peu 
y>  apprendre,  ces  jours  passez,  c'est  que  l'édict  de  la  paix  a 
))  esté  publié  à  Paris,  qui  n'a  esté  sans  grand  contredict  du 
»  prévost  des  marchans.  » 

Le  jour  même  oii  il  faisait  porter  cette  lettre  à  la  duchesse  de- 
Ferrare,  l'amiral  en  expédiait  trois  autres,  l'une  au  maréchal 
de  Montmorency,  quant  à  la  désignation  d'une  ville  dans 
laquelle  sa  compagnie  tiendrait  désormais  garnison  ^  ;  la  se- 
conde au  prince  de  Portien,  sur  le  mandat  confié  à  un  mes- 
sager spécial  ^  ;  la  troisième  à  Catherine  de  Médicis,  contenant 
une  plainte  relative  à  un  fait  d'une  extrême  gravité,  et,  de  plus,. 


1.  Lettre  du  31  mai  1563.  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  3256,  f"  lU. 

2.  Lettre  du  31  mai  1563.  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  3197,  f"  12. 

3.  Lettre  du  31  mai  1563.  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  3196,  f°  17.  —Ce  même 
jour,  31  mai,  d'Andelot,  avant  de  partir  de  Châtillon,  avait  adressé  au  prince 
de  Portien  les  lignes  suivantes  (Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  3196,  f»  18)  qui 
prouvent  en  quelle  baute  estime,  lui  aussi,  il  le  tenait  :  «  J'ay  reçu  l'honnesle 
»  lettre  qu'il  vous  a  plu  m'escrire  par  Boudeville,  et  ne  sçaurois  asse2  vous- 
»  remercier  des  offres  que  vous  me  faites;  vous  priant  affectueusement  vou- 
»  loir  croire  de  ma  part,  qu'il  n'y  a  gentilbomme  en  ce  royaulme  qui  de 
»  meilleure  volonté  s'employastà  vous  faire  plaisir  et  service  que  moy,  qui  ne 
»  veulx  obmetlre  à  vous  dire  que  vous  estes  tellemerit  honoré  et  réputé  d'ung- 
»  chascun  pour  voz  déportements  vertueux,  que  vous  ne  devez  vous  lasser  de 
»  continuer  à  si  bien  faire.  »  . 


—  273  — 

touchant,  en  un  point,  à  la  situation  personnelle  de  Coligny. 
En  voici  la  teneur  *  : 

«  Madame,  avec  la  commodité  de  M.  de  Boucard,  qui  est 
3)  passé  par  ce  lieu  (Châtillon),  retournant  de  Languedoc  pour 
y>  aller  trouver  vostre  Majesté,  je  n'ay  voullu  faillir  de  vous  faire 
»  entendre  comme  j'ay  esté  depuis  deux  jours  adverty  que  ung 
))  homme  d'armes  de  ma  compagnie  a  esté  tué  en  sa  maison, 
3)  près  du  Mans,  luy,  sa  femme  et  ses  enfans,  jusques  à  son 
))  chien  ;  qui  est  un  acte  si  cruel  et  inhumain  comme  assez 
»  d'autres  qui  se  font  ung  chacun  jour,  mesme  contre  l'édict 
y>  du  roy  et  les  promesses  de  suretez  données,  qu'il  ne  doibt 
0  estre  toléré  entre  chrestiens  ;  et  se  semble  tant  par  là  que  par 
y>  autres  démonstrations  de  mauvaise  volonté  faites  contre  moy, 
))  qu'on  essaye  par  tous  moyens  de  s'adresser  à  moy  et  aux 
»  miens  ;  vous  supliant  très  humblement  vouloir  commander, 
y>  madame,  qu'il  m'en  soit  fait  raison  et  justice,  et  faire  par  là 
»  cognoistre  à  tels  perturbateurs  du  repos  public  que  telz  actes 
y>  vous  desplaisent.  —  Au  demeurant,  madame,  ayant  eu  assez 
y>  d'affaires,  ceste  année  passée,  et  estant  maintenant  retiré  en 
))  ma  maison,  où  j'ay  trouvé  toutes  choses  si  descousues  et  en 
»  si  mauvais  ordre,  que  j'ay  bien  besoin  d'y  entendre  et  pourvoir 
»  (comme  vostre  Majesté  considérera,  s'il  luy  plait),  je  la  sup- 
»  plieray,  à  ceste  cause,  très  humblement  de  vouloir  com- 
»  mander  que  je  soys  payé  de  ce  qui  m'est  deu  de  mes  estats  et 
»  pensions,  et  commander  à  M.  de  Gonnort  qu'il  regarde  à  m'en 
y>  faire  assigner,  ensemble  ne  trouver  mauvais  que  le  protono- 
»  taire  du  Mesnil  se  présente  à  vostre  Majesté  pour  cest  effect, 
»  suy  vaut  la  charge  que  je  luy  en  ay  donnée  de  s'y  adresser  et 
))  vous  en  requérir  de  ma  part,  y) 

Notons  ici  que  le  même  grand  dignitaire  de  la  couronne  qui, 
sans  amertume,  appelait  l'attention  de  Catherine  sur  le  retard 


1.  Lellre  du  31  mai  1563.  Bib).  nat.  niss.  f.  fr.  vol.  15,875  f»  523. 

11.  18 


—  274  — 

indûment  apporté  au  payement  «  de  ce  qui  lui  était  dû  de 
ses  estats  et  pensions  »,  se  relâchait  volontiers,  en  matière 
financière,  de  ses  droits  de  seigneur  souverain,  et  usait,  vis-à- 
vis  de  ses  vassaux,  de  ménagements  paternels  dont  nous  trou- 
vons la  preuve  dans  un  document  qui  mérite  d'autant  moins 
d'échapper  à  l'oubli,  qu'il  reproduit  le  langage  de  l'amiral 
lui-même.  Il  y  est  dit*  : 

«  Gaspard,  conte  de  Goulligny,  etc.,  etc.,  à  nostre  très  cher  et 
3>  très  amé  cousin,  françois  de  Nancuyse,  seigneur  de  Beaufort, 
»  et  gouverneur  pour  nous  de  nos  dites  seigneuries  de  delà  la 
))  Sosne,  salut  et  dilection.  —  Gomme  nos  subjectz  en  icelles 
»  noz  terres  et  seigneuries  souveraines  soient  tenuz  de  tout 
»  temps  et  ancienneté  de  nous  paier  tailles  ordinaires,  si  est-ce 
))  que  nous,  ayant  esgard  à  les  soulager  et  traicter  libérallement 
»  et  gratieusement  le  plus  qu'il  nous  a  esté  possible,  n'avons 
»  pas  accoustumé  exiger  et  lever  sur  eulx,  à  la  rigueur  desdites 
))  tailles,  tous  les  ans,  ains  par  quelques  années,  pour  les 
))  supporter  ne  leur  en  avons  demandé  aulcune  chose  ;  et  toutes- 
»  fois  il  est  bien  raisonnable  qu'un  chacun  seigneur  jouysse  à 
»  tout  le  moins  par  quelques  intervalles  de  temps  non  trop 
))  long  de  tous  les  droictz  à  luy  appartenant,  quand  ne  seroit 
»  que  pour  ne  se  faire  tort  et  préjudice  par  la  trop  longue 
))  discontinuation  de  la  jouissance;  pour  laquelle  cause,  et 
T)  aussy  à  raison  des  graves  affaires  et  excessives  despences 
))  que  nous  avons  eu  puys  quelque  temps  en  çà,  nous  avons 
))  advisé  de  prendre  et  lever  une  taille  sur  nos  dictz  subjects 
))  de  noz  terres  et  seigneuries  souveraines,  en  ceste  présente 
»  année;  et,  à  ceste  fin,  nous  à  plain  confians  de  vostre 
»  personne  et  de  voz  sens,  grande  suffisance,  loyaulté,  pru- 
D  d'hommie,  diligence,  cognoissance  et  expérience  en  noz  af- 
»  faires  desdits  pays,  vous  avons  commis,  ordonné  et  député, 

\.  Bibl.  nat.  mss.  cabinet  des  titres.  V.  Colignv. 


— ^  275  — 

»  commettons,  ordonnons  et  députons  par  ces  présentes  pour, 
3  appeliez  avecques  vous  noz  officiers  en  nos  dictes  seigneuries 
y>  de  Beauvoir,  Beaupont,  Montjuictz  et  Soubzlamaison,  et  quel- 
>  ques-uns  des  plus  notables  et  apparens  habitans  d'icelles, . 
»  faire  imposer,  asseoir  et  départir  ladite  taille  le  plus  égalle- 
:>  ment  et  commodément  que  faire  se  pourra,  le  fort  portant  le 
»  foible,  ainsy  qu'est  de  raison,  par  trois  ou  quatre  entre  eulx, 
))  lesquelz  à  ce  faire  seront  esleuz  et  nommez  par  la  commune 
»  et  à  l'élection  et  nomination  d'icelle  commune  ordonnez  et 
y>  députez  par   vous,  pour  vacquer  à  faire  ladicte  assiette, 
))  département,  jusques  à  la  somme  de  deux  cens  livres  tour- 
y>  nois  paiable  à  deux  termes,  dont  le  premier  sera  le  premier 
»  jour  d'apvril  prochain  venant,  et  le  second  le  premier  jour 
»  d'aoùst  prochain  ensuivant,  es  mains  de  M.  Claude  Vougy, 
y>  nostre  chastellain  audit   Chevigna,  ou  tel  autre  que  vous 
y>  aviserez  bon  estre,  et  lequel  à  ce  faire  par  vous  commis;  et, 
»  pour  ce  que  nous  avons  esté  advertiz  que  aulcunes  personnes 
»  ecclésiastiques  ont  acquis  des  biens  et  héritages  en  nos  dites 
»  seigneuries  souveraines  de  gens  laïz,  ce  qui  tourneroit  à  plus 
y>  grande  foule  et  charge  de   noz  aultres  subjectz,  si  lesdictz 
»  gens  d'église  n'estoient  pour  le  regard  desdits  biens  et  héri- 
y>  taiges  par  eulx  acquis  de  gens  laïz  imposez  et  cottisez  pour  la 
ï)  levée  de  ladite  taille  aussi  bien  que  les  aultres,  nous  voulons 
))  et  entendons  que  pour  telz  biens  et  héritaiges  ilz  soient  tail- 
»  labiés  aussy  et  à  la  mesme  raison  que  noz  aultres  subjectz. 
3)  De  ce  faict  nous  vous  avons  donné  et  donnons  pouvoir,  puis- 
»  sance,  autorité  et  commission  spéciale.  Mandons   et  com- 
»  mandons  à  tous   nos  justiciers,  officiers  et  subjectz,  que  à 
»  vous,  en  tout  ce  qui  concerne  l'exécution  de  ceste  présente 
y>  commission  ilz  entendent  et  obéissent  et  fassent  entendre  et 
»  obéir  de  tous  et  chascun,  etc.,  etc.,  donné  à  Ghastillon,  le 
»  6"  jour  de  février  1564.  » 
Les  relations  de  l'amiral  avec  Renée  de  France  étaient  basées 


—  276  — 
sur  une  estime  et  une  confiance  réciproques  :  aussi,  peu  de 
temps  après  le  départ  de  d'Andelot,  Coligny  n'hésita-t-il  pas  à 
appeler  la  bienveillante  attention  de  cette  princesse  sur  la 
répression  nécessaire  de  certains  faits  dont  quelques-uns  de 
ses  sujets  s'étaient  rendus  coupables,  au  détriment  de  d'An- 
delot. Déjà,  le  28  mai,  celui-ci  et  son  frère  avaient  conjoin- 
tement écrit,  de  Châtillon,  à  Renée  *  :  «  Madame,  suyvant  la 
))  bonne  volonté  qu'il  vous  plaist  nous  démonstrer,  dont  nous 
y>  ne  sçaurions  assez  très  humblement  vous  remercier,  nous 
»  vous  supplions  faire  paroistre  si  ceux  de  Montargis  ont  bien 
»  ou  mal  faict  de  s'estre  portez  de  telle  façon  à  l'endroict  d'ung 
y>  qui  vous  est  si  très  humble  serviteur.  Quant  à  en  escrire  à 
y>  la  cour,  nous  n'obmecterons',  à  la  première  occasion,  de  le 
s  faire  entendre  à  la  royne;  mais  d'autant  que  ce  sont  vos 
»  subjectz  et  qu'ils  vous  doibvent  la  première  obéissance,  nous 
))  n'avons  voulu  faillir  de  nous  en  plaindre  premièrement,  à 
»  vous,  madame.  » 

La  duchesse  s'étant  obligeamment  mise,  en  quelque  sorte, 
à  là  disposition  des  deux  frères,  quant  à  l'adoption  d'une  voie 
à  suivre  pour  qu'il  fût  fait  droit  à  leur  réclamation,  l'amiral 
lui  répondit,  en  juin^:  «  Madame,  j'ay  reçeu  la  lettre  qu'il 
»  vous  a  pieu  m'escrire  par  ce  porteur,  et  ne  sçaurois  assez 
3)  vous  remercier  de  tant  d'honneur  et  démonstration  de  bonne 
»  volonté  qu'il  vous  a  pieu  me  faire  et  faictes,  ung  chacun  jour; 
))  vous  supliant  au  reste,  madame,  de  me  vouloir  avoir  pour 
y>  excusé,  si  je  ne  vous  donne  aucun  conseil  ny  advis  sur 
))  le  tort  qui  a  esté  faict  par  vos  subjectz  de  Montargis  à 
))  M.  d'Andelot,  mon  frère,  ne  le  pouvant  bonnement  faire 
»  pour  ceste  chose  qui  ne  me  touche  pas  moins  qu'à  luy. 
y>  Et  pour  en  parler  selon  leurs  déportemens  et  la  consé- 
y>  quence  et  exemple   qu'apportent  telles  façons   à  tous  les 

1.  Bibl.  nat.  iiiss.  f.  fr.  vol.  3259,  f„  27. 

2.  Hibl.  nat.  inss.  f.  fr.  vol.  3256,  f°  112. 


—  277  — 

»  autres,  desquels  on  n'oyt  autre  chose  que  cruaultez  et  inhu- 
»  manitez  tendant  à  troubler  ung  repos  'public  dont  l'entre- 
y>  tenement  est  si  nécessaire  en  ce  royaume,  attendu  aussy  la 
»  bonne  volonté  qu'ilz  ne  peuvent  ignorer  que  vous  ne  faciez 
))  assez  paroistre  nous  porter,  on  ne  pourroit  dire  autre  chose 
»  sinon  qu'ung  chastiment  exemplaire,  faict  mesmement  soubz 
»  vostre  auctorité,  feroit  beaucoup  de  proffit  en  ce  royaume 
»  pour  réprimer  telz  séditieux  qui  peuvent  estre  cause  de 
y>  beaucoup  de  troubles  et  inconvéniens,  comme  vous  pouvez 
y>  trop  mieux  juger,  madame.  » 

Aux  actes  de  violence  signalés  à  Catherine  et  à  Renée  par 
Coligny  et  par  d'Andelot  comme  symptômes  de  la  haine 
aveugle  dont  chacun  d'eux  était  l'objet,  s'ajoutaient  parfois 
les  inqualifiables  procédés  de  certains  personnages  hostiles  à 
l'amiral  et  à  ses  frères.  En  voici  une  preuve,  en  ce  qui  con- 
cerne Odet,  dans  les  faits  que  retracent  ces  lignes,  adressées 
le  il  juin,  par  Coligny  au  maréchal  de  Montmorency,  gou- 
verneur de  la  capitale  ^  :  «  J'ay  entendu  que  M.  le  cardinal  de 
y>  Guyse  loge  en  une  maison,  à  Paris,  près  du  Louvre,  qui  est 
»  à  M.  le  cardinal  de  Chastillon,  où  il  loge  le  plus  souvent 
))  quand  il  est  à  Paris,  et  mesmes  quand  le  roy  est  audit 
»  Louvre,  en  laquelle  il  retire  ses  meubles,  dont  Vaulx,  qui 
»  est  à  lui,  a  la  garde;  et  pour  ce,  je  vous  supplye  de  faire 
y>  tant  que  ledit  logement  soit  exempt,  et  qu'il  n'y  loge  plus 
»  personne,  et  en  parler  à  la  royne,  s'il  en  est  besoing.  Je  ne 
))  vous  escripts  point  les  insolences  que  les  gens  de  mondit 
y>  sieur  le  cardinal  de  Guyse  font  dedans  ledit  logis.  y> 

Dans  sa  retraite  de  Châtillon,  l'amiral,  tout  en  veillant  avec 
sollicitude  aux  intérêts  des  membres  de  sa  famille,  en  corres- 
pondant avec  ses  amis,  et  en  suivant  la  marche  .des  affaires 
publiques,  se  préoccupait  constamment  de  la  situation  de  ses 

1.  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  31,179,  f*41. 


—  278  — 
coreligionnaires.  Il  leur  avait  immédiatement  donné  l'exemple 
de  la  soumission  aux  dispositions  de  l'édit  d'Amboise,  et  il 
tenait  à  ce  qu'on  leur  rendît  cette  justice,  que,  dès  le  premier 
moment,  ils   l'avaient  loyalement   exécuté,  en  déposant  les 
armes,   en  renonçant  à  l'emploi  des  troupes  étrangères,   en 
restituant  toutes  les  villes  et  places  par  eux  occupées  ;  et  que, 
chaque  jour  encore,  ils  l'exécutaient,  en  se  soumettant,  quant 
à  l'exercice  de  leur  culte,  aux  dispositions  restrictives  qu'il 
formulait.  Leur  désintéressement,  dans  l'accomplissement  de 
ces  faits  caractéristiques,  était  d'autant  plus  grand  que,  loin 
d'avoir  obtenu,  pour  leur  propre  sûreté,  un  gage  quelconque 
de  la  sincérité  des  promesses  de  l'autorité  supérieure  à  leur 
égard,  ils  se  trouvaient  livrés  à  la  merci  et  aux  haines  impla- 
cables des  hommes  de  parti  qui  répudiaient  l'édit  d'Amboise 
dans  son  principe  et  dans  ses  applications.  Plus,  ainsi,  la  con- 
dition des  réformés  était  précaire,  plus  Goligny,  dès  les  pre- 
miers jours,  s'était  fait  un  devoir  de    prendre   en  main  la 
défense  de  leurs  légitimes  intérêts;  noble  et  difficile  mission, 
dont,  ainsi  que  l'histoire  en  fait  foi,  il  s'acquitta  constamment 
avec  l'énergie  d'un  inébranlable  dévouement. 

Calvin,  pour  sa  part,  avait  si  bien  vu  l'amiral  se  consacrer, 
de  coeur,  à  cette  mission  généreuse,  que,  s'appuyant  sur  la 
correspondance  qu'il  s'honorait  d'entretenir  avec  lui,  il  avait 
dit  à  Crussol,  peu  de  temps  après  la  promulgation  de  l'édit 
d'Amboise*:  «  J'ay  respondu  à  M.  l'admirai,  le  priant  plus 
y>  privément  de  tenir  la  main  à  beaucoup  de  choses,  non  pas 
))  tant  pour  besoin  qu'il  ait  d'estre  picqué,  que  pour  ce  qu'il 
5)  m'avait  requis  ae  ce  faire.  »  Dans  la  pensée  de  Calvin,  de 
même  que  dans  celle  de  l'amiral,  ce  qu'il  fallait  alors, 
c'était  ((  q^i'on  fît  valoir  avec  authorité  ce  qui  avait  esté 
»  conclud  à  l'advantage  des  fidèles,  afin  que  la  paix  ne  fût 

i.  Lettres  franc,  t.  II,  p.  500.  7  maiMSeS. 


—  279  — 

)>  pas  comme  un   corps  sans  âme;  car   l'expérience  avai 
y>  monstre  par  cy-devant  combien  les  ennemis  de  Dieu  étaient 
:»  hardis  entrepreneurs   à  mal  faire,  si  on  ne  leur  résistait 
j)  vivement  * .  » 

Des  commissaires  avaient  été  envoyés,  au  nom  du  roi, 
dans  les  provinces,  pour  y  faire  exécuter  l'édit^:  mais  leur 
action  demeura  trop  souvent  inefficace.  Il  en  fut  ainsi,  notam- 
ment en  I<anguedoc,  où  Damville,  en  l'absence  du  connétable 
de  Montmorency,  son  père,  était  investi  des  fonctions  de  gou- 
verneur. Voici  comment,  au  dire  de  de  Thou  " ,  il  exerçait  ces 
fonctions  : 

((  Les  protestans  se  plaignaient  hautement  de  ce  qu'il  ne 
ï>  leur  rendait  pas  justice,  dans  la  manière  dont  il  faisait 
y>  exécuter  l'édit  de  pacification.  En  effet,  après  en  avoir  cora- 
ï>  muniqué  avec  le  parlement  de  Toulouse,  leur  ennemi  dé- 
y>  claré,  il  entrait,  les  armes  à  la  main,  dans  toutes  les  villes 
»  dont  ils  s'étaient  depuis  peu  rendus  maîtres,  il  posait  des 
»  corps  de  garde  aux  portes,  il  faisait  arborer  des  enseignes 
y>  sur  les  murs,  comme  s'il  les  eût  prises  par  force;  il  faisait 
j)  porter  toutes  les  armes,  même  les  épées,  aux  hôtels  de 
i>  ville  ;  et  afin  de  n'être  pas  trompé,  il  envoyait  fouiller  très 
))  exactement  dans  les  maisons  des  relis^ionnaires.  Il  en  fil 
y>  fouetter  un  à  Nîmes,  pour  n'avoir  pas  obéi  assez  prompte- 
y>  ment.  —  Les  protestans  avaient  établi,  dans  les  villes 
»  dont  ils  étaient  maîtres,  une  louable  coutume,  observée 
y>  par  tous  les  juges,  de  prier  Dieu  avant  que  de  rien  com- 
»  mencer  :  Damville  défendit  cet  usage.  Un  juge,  nommé 
»  Galver,  lui  ayant  dit  :  Qui  est-ce  qui  nous  enseignera  les 

i.  Lettres  franc,  t.  H,  p.  509.  10  mai  1563. 

2.  Voir  dans  le  recueil  de  Fontanon,  t.  IV,  p.  274  à  276,  la  commission  du 
18  juin  1563  *  Expédiée  par  le  roy  pour.envoyer  par  les  provinces  du  royaume 

>  certains  commissaires  pour  faire  entretenir  l'édit  et  traité  sur  la  pacification 

>  des  troubles  advenus  en  iceluy.  » 

3.  Hist.  univ.  t.  m,  p.  410,  411. 


—  280  — 

3>  voies  de  la  justice,  et  de  qui  recevrons-nous  les  secours 
»  nécessaires  pour  la  rendre,  si  nous  n'invoquons  pas  le 
»  nom  de  Dieu?  Damville  répondit  que,  s'ils  voulaient  bien 
»  s'assujétir  eux  et  leurs  sectaires  à  cette  coutume  de  prier, 
))  le  roi  ne  voulait  pas  imposer  ce  fardeau  à  ceux  qui  ne 
»  s'embarrassaient  pas  de  leurs  coutumes.  —  La  licence 
»  des  gens  de  Damville  était  effrénée  et  insupportable  :  une 
ï)  troupe  de  cavaliers  d'Albanie  et  d'Esclavonie,  qu'il  avait 
))  toujours  à  ses  ordres,  faisait  le  dégât  dans  la  campagne 
y>  comme  dans  un  pays  ennemi,  en  temps  de  guerre.  Dam- 
»  ville  au  contraire  s'abandonnait  en  jeune  homme  aux 
»  plaisirs  et  à  la  débauche,  comme  en  temps  de  paix.  Les 
y>  protestans  souffraient  tout  patiemment  et  ne  se  plai- 
X»  gnaient  que  des  vexations  qu'il  leur  faisait,  en  interprétant 
))  mal  l'édit  de  pacification.  —  Le  roi,  par  son  édit,  accordait 
))  aux  protestans  la  liberté  de  tenir  leurs  prêches  dans  toutes 
))  les  villes  et  lieux  où  ils  s'assemblaient,  le  7  mars  dernier  : 
»  Damville,  en  ajoutant  la  clause  :  pourvu  que  les  seigneurs 
1»  des  lieux  voulussent  bien  le  permettre,  rendit  cette  grâce 
2)  inutile.  —  Par  le  même  édit  Sa  Majesté,  en  termes  exprès, 
»  accordait  à  tous  la  liberté  de  conscience  :  Damville  ne 
»  voulait  point  l'accorder,  non  seulement  aux  religieux  qui 
y>  avaient  quitté  leurs  monastères  et  renoncé  à  la  religion 
))  romaine  pendant  la  guerre,  mais  pas  même  à  ceux  qui  y 
)j  avaient  renoncé  longtemps  auparavant;  et  il  voulait  les 
»  obhger  à  rentrer  dans  leurs  couvents,  et  à  laisser  leurs 
))  femmes,  ou  bien  il  les  forçait  à  quitter  leur  pays.  —  Les 
»  protestans  se  plaignaient  encore  de  ce  que  Damville  avait 
»  fait  pendre  Mouton,  ministre  d'Usez,  qui  s'était  un  peu 
))  échappé  en  prêchant.  —  Ils  envoyèrent,  pour  porter  leurs 
))  plaintes  en  cour,  de  Glausonne^  assesseur  du  présidial  de 
»  Nîmes  ;  mais  ayant  parlé  au  roi  avec  trop  de  liberté  sur 
>  cette  affaire,  Anne  de  Montmorency,  qui  prenait  le  parti  de 


—  281  — 
»  son  fils,  le  fit  mettre  en  prison.  Ce  procédé  intimida  les 
y>  protestans,  et  ils  n'osèrent  presque  plus  se  plaindre.  » 

L'impunité  ainsi  assurée  à  Damville  était  un  triste  présage 
de  celle  qui  couvrirait  des  méfaits  analogues  aux  siens,  dont 
d'autres  provinces  ne  tarderaient  pas  à  devenir  le  théâtre,  et 
des  actes  de  violence  auxquels  se  livreraient  des  populations 
fanatiques  et  sanguinaires.  Catherine  de  Médicis  et  ses  affidés,  en 
tolérant  de  tels  excès,  et  en  en  fomentant  d'autres,  soit  par  leur 
incurie,  soit  même  par  de  secrètes  instigations,  manquaient  à 
leurs  devoirs,  à  leurs  promesses  et  ne  demeuraient,  à  l'encontre 
des  réformés,  que  trop  fidèles  à  une  animosité  et  à  des  plans 
de  destruction  que  la  promulgation  de  l'édit  d'Amboise  n'avait 
nullement  infirmés,  quant  à  eux. 

Parmi  les  questions  appartenant  à  la  politique  internationale 
sur  lesquelles  se  portaient,  à  cette  époque,  les  méditations  de 
Coligny,  s'en  rencontrait  une,  à  la  solution  pacifique  de  la- 
quelle il  aspirait  :  c'était  celle  de  la  restitution  immédiate  du 
Havre  par  Elisabeth.  La  cour  de  France  avait  engagé  cette 
question  sur  une  base  et  dans  des  termes,  qui,  en  étant  acceptés 
par  la  reine  d'Angleterre,  eussent  écarté  tout  conflit  à  main 
armée.  Adoptant  l'opinion  formellement  émise  par  l'amiral,  la 
cour  soutenait  que,  des -deux  parts,  on  devait  s'en  tenir  à  l'exé- 
cution pure  et  simple  du  traité  de  Gâteau-cambrésis,  Elisabeth 
prétendait  le  contraire  ;  et  telle  était  l'opiniâtreté  de  sa  résis- 
tance à  l'application  de  ce  traité,  qu'on  avait  du  depuis  quel- 
ques semaines,  se  préparer,  activement  en  France,  à  recourir 
à  l'emploi  de  la  force  pour  expulser  du  Havre  ses  troupes,  lors- 
que Condé,  qui  partageait  l'opinion  de  Coligny,  tenta  vis  à  vis 
de  cette  princesse  une  démarche  de  conciliation,  en  lui  écrivant 
le  26  juin  \  avec  l'assentiment  de  Catherine  de  Médicis  : 


1.  Record  office,  State  papers.  France,  vol.  33.  —  De  Laferrière,  le  xvy  siècle 
et  les  Valois,  p.  141. 


—  282  — 

((  Madame,  après  avoir  leu  les  lettres  qu'il  a  pieu  à  vQstre 
»  majesté  m'écrire  par  les  sieurs  Dannet  et  de  Lahaye,  et  en- 
»  tendu  d'eux  bien  au  long  ce  qu'ils  avaient  charge  de  me  dire 
y>  de  vostre  part  sur  la  pacification  du  différent  qui  se  présente 
»  entre  le  roy  monseigneur  et  vous,  j'ay  pensé,  veu  la  consé- 
y>  quence  grande  que  peut  attirer  api'ès  soy  une  telle  division, 
y>  qu'il  esloit  trop  meilleur  rechercher  les  iBoiens  de  venir  à 
»  une  amiable  composition,  que  de  tenter  le  hasard  d'un  triste 
»  événement  des  armes,  qui  a  esté  occasion  que,  sur  la  propo- 
»  sition  que  m'a  faicte  ledict  sieur  Dannet,  je  luy  en  ay  mis  en 
y>  avant  une  auti'e  qui  ne  me  semble  moins  raisonnable,  pour  la 
D  conservation  de  l'un  et  de  l'autre  estât  de  voz  ma|estez  que 
»  très  propre  pour  satisfaire  à  ce  que  voz  subjectz  pourroient 
y>  objecter  de  leur  interest  publicq,  qui  est  que,  s'il  plaist  à  vostre 
y>  majesté  envoler  pouvoir  et  tant  m'honorer  que  de  vouloir 
y>  que  je  requière,  en  vostre  nom,  au  roy  mondict  seigneur  que, 
y>  lorsqu'il  sera  parvenu  en  aage  de  majorité,  il  ratiffie  et  ap- 
»  prouve,  face  ratiffier  et  approuver  tant  par  la  royne  sa  mère, 
3)  les  princes  du  sang,  seigneurs  de  son  conseil  privé,  et  par 
))  toutes  ses  courts  de  parlement  le  contenu  au  traicté  de  Cam- 
»  brésis,  je  m'efforcerayy  rendre  tout  debvoir  et  mettre  autant 
»  que  je  pourray  pour  luy  faire  trouver  bon,  m'estant  advis  que, 
»  ce  faisant,  tous  soubçons  et  mauvaises  opinions  seront  ef- 
))  facées,  les  anciennes  amitiez  seront  d'autant  plus  confirmées 
))  et  renouées,  que  nos  voisins,  qui  n'attendent  autre  plaisir 
y>  que  d'estre  spectateurs  de  nostre  commung  malheur,  perdront 
))  l'espérance  de  profiter  de  noz  dépouilles;  et  avecques  ce, 
»  madame,  vostre  majesté  ne  sera  aucunement  blasmée  en  la 
y>  sincérité  de  vos  actions,  quand  chacun  cognoistra  que  la 
y>  gloire  de  Dieu  et  l'affection  de  secourir  le  roy,  vostre  bon 
))  frère,  ont  esté  la  seule  cause  de  vous  faire  prendre  les  armes; 
»  en  quoy  l'obligation  de  ceux  qui  ont  reçu  le  fruict  augmen- 
»  tera  davantage  le  cours  de  vostre  réputation,  et  moy  parti- 


—  283  — 
y>  culièrement  m'en  iiendray  plus  estroictement  vostre  attenu, 
j)  pour  en  tous  aultres  endroicts  na' employer  à  vous  faire  ser- 
»  vice  du  mesme  cœur  que  je  supplie  ce  bon  Dieu  vous  donner 
»  madame,  en  heureuse  prospérité,  ce  que  trop  mieulx  saurez 
»  désirer.  » 

Elisabeth  ne  tint  aucun  compte  de  cette  letti^e,  inspirée  par 
un  noble  sentiment,  et  persista  dans  des  prétentions  qui  don- 
naient un  éclatant  démenti  à  ses  fwotestations  antérieures  de 
désintéressement,  de  zèle  religieux  et  de  sympathique  assi- 
stance. 

Vainement,  le  3  juillet,  son  ambassadeur  en  France,  Smith, 
conjura-t-il  l'amiral  de  lui  venir  en  aide  :  Coligny  ne  put  que 
se  référer  à  l'opinion  qu'il  avait  précédemment  émise  et  qu'ex- 
primer la  sincérité  de  ses  vœux  pour  le  maintien  de  la  paix, 
par  ces  simples  paroles  ^  :  «  Monsieur,  j'ay  reçu  la  lettre  que 
»  m'avez  escripte  par  le  sieur  de  Middlemore,  présent  porteur, 
»  et  entendu  de  luy  les  propos  que  vous  luy  avez  donné  charge 
»  de  me  dire  touchant  les  choses  qui  sont  passées  entre  vostre 
»  nation  et  la  nostre  par  quelque  temps  en  çà,  et  le  désir  que 
y>  vous  avez  que  nous  demeurions  en  bonne  paix  les  uns  avec- 
y>  ques  les  autres.  Et  aussi  est-ce  une  chose  grandement  à  de- 
y>  sirer  de  tous  gens  de  bien  et  pour  laquelle  obtenir  tous  ceux 
»  qui  en  sont  en  lieu  de  pouvoir  servir  se  doibvent  employer 
»  comme  je  veoy  que  vous  estes  disposé  de  faire  de  vostre 
»  costé,  vous  priant  de  croire  que,  aussi  du  mien,  je  m'em- 
■»  ploieray  volontiers  k  cela  par  tous  les  moyens  que  j'en  pourray 
y>  avoir,  ainsy  que  j'ai  prié  ledit  sieur  de  Middlemore  vous  dire 
2>  plus  amplement,  suivant  ce  que  je  luy  ay  communiqué,  etc.  y> 

Vainement  encore,  le  5  juillet,  Elisabeth,  revenant  sur  ses 
déclarations  antérieures,  allégua-t-elle  n'avoir  jamais  dit  qu'elle 
ne  restituerait  point  le  Havre,  tant  qu'on  ne  lui  aurait  pas  rendu 

1.  Record  office,  stale  papers.  France,  vol.  34.  —  De  Lafei'rière,ilexvi* siècle 

et  les  Valois,  p.  142. 


—  284  ~ 

Calais,  mais  avoir  dit  simplement  :  «  A  moins  qu'on  ne  lui 
eût  rendu  raison  pour  Calais  *;  y>  Cette  déclaration,  qui  d'ail- 
leurs justifiait  implicitement  l'opinion  émise  par  Tamiral  et 
partagée  par  la  cour  de  France,  de  même  que  par  Condé,  était 
beaucoup  trop  tardive,  et  le  lendemain  du  jour  où  elle  fut  faite 
s'ouvrirent  les  hostilités. 

Coligny  et  d'Andelot  n'y  prirent  aucun  part.  Les  deux  frères 
étaient  en  juillet  ^  réunis  de  nouveau  l'un  à  l'autre,  au  château 
de  Châtillon-sur-Loing,  lorsque  Odet  vint  les  y  rejoindre  ^,  et 
s'associer  aux  témoignages  d'affection  et  de  sollicitude  dont  ils 
entouraient  Charlotte  de  Laval,  gravement  malade,  en  ce  mo- 
ment. La  pieuse  compagne  de  l'amiral  commençait  à  se  ré- 
tablir, quand  elle  reçut  de  Calvin  les  lignes  suivantes  *  : 

«  Madame,  je  rends  grâces  à  Dieu  de  ce  qu'il  vous  a  remise 
y>  en  convalescence  d'un  mal  qui  estoit  bien  à  craindre  comme 
))  mortel,  combien  que  je  n'aye  point  esté  en  soucy  pour  ce  danger 
j)  particulier.  Toutesfois  je  n'aypoint  laissé  d'avoir  eu  mémoire 
»  de  vous  ;  car  c'est  bien  raison  que,  tant  monseigneur  l'amiral 
3)  que  vous,  soiez  recommandez  à  tous  vrays  serviteurs  de  Dieu, 

!.  «  We  never  usedsuch  kind  of  speche  as  we  wold  never  deliver  newhaven 
))  oxcept  we  might  hâve  callice  presently,  but  the  phrase  of  our  speche  has 
5)  been  :  except  we  had  reason  rendred  us  for  callice,  so  as  the  one  or  the 
»  other  may  be  answerable  for  our  honour.  »  (State  papers  office.  France.  Queen 
>  Elisabeth  to  sir  Th.  Smith.  5  july  1563.  —  Hist.  des  pr.  de  Condé,  t.  I, 
p.  501). 

2.  Calend.  of.  state  pap.  foreign.  occurrences  in  France  :  «  The  admirai 
»  remains  at  his  house,  at  Chàtillon,  with  bis  brother  d'Andelot  quietly.  > 
6  juillet  1563.  —  Ibid.  Smith  to  the  queen.  8  juillet  d563.  —  Ibid.  Middlemore 
to  cecil,  i  i  juillet  1563  :  «  The  admirai  is  still  at  his  house.  They  bave  no  great 
»  hope  of  his  coming  to  the  court,  net  Ihat  be  is  not  willing,  but  because 
s  Ihey  will  not  bave  him  corne.  The  cardinal  Chàtillon  will  be  at  the  court 
»  shortly  together  with  M.  de  Soubize.  They  are  with  the  admirai,  and  are  co- 
»  ming  hither  to  prépare  the  way  for  him  to  follow.  —  Voir  aussi  Brantôme, 
t.  VI,  p.  54,  55. 

3.  Voir  les  lettres  écrites,  de  Chàtillon,  le  30  juillet  1563,  par  d'Andelot  et 
par  Odet  au  prince  de  Portien.  (Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  3,196,  f"  29  et  30). 

4.  Lettres  franc,  t.  II,  p.  532,  5  août  1563. 


-  285  — 

y>  au  nombre  desquels  j'espère  d'avoir  lieu,  combien  que  j'en 
))  sois  plus  qu'indigne...  Prenez  tant  plus  de  courage  pour  vous 
»  emploier  au  service  de  Dieu,  comme  vous  considérez  très 
»  bien  que  c'est  pour  cela  qu'il  vous  a  réservée.  Je  suis  très 
y>  joyeux  que  monseigneur  l'admirai  se  délibère  d'aller  en  court, 
))  à  la  première  occasion  qui  s'offrira.  J'espère  que  ce  voiage 
»  servira  beaucoup  et  en  diverses  sortes,  comme  nous  prierons 
»  Dieu  aussi  qu'il  le  face  prospérer.  » 

Sur  ce  point,  Calvin  et  Th.  de  Bèze  écrivaient  à  Coligny  ',  le 
jour  même  où  l'un  d'eux  s'adressait  à  madame  l'amirale  : 
«  Quant  à  vous,  monsieur,  nous  remercions  Dieu  de  ce  que 
»  vous  estes  résolu,  sitost  que  M.  le  comte  (de  Larochefou- 
y>  cauld),  après  estre  arrivé  en  court,  vous  aura  mandé  qu'il  n'y 
»  fait  pas  trop  maulvais,  de  vous  achemyner;  car  on  a  cogneu 
»  par  vostre  absence  combien  il  eust  été  profitable  que  vous 
y>  y  fussiez  tousjours  demeuré,  et  mesme  il  semble  que  tout 
))  doibve  aller  de  mal  en  pis,  si  Dieu  n'y  pourvoit  bientost,  ce 
»  que  nous  espérons  qu'il  fera,  par  vostre  moyen.  Ainsy  estant 
»  persuadez  qu'il  vous  a  réservé  à  cest  usage  nous  vous  prions, 
y>  monsieur,  tant  qu'il  nous  est  possible,  de  ne  laisser  passer  la 
»  moindre  occasion  que  ce  soit,  car  vostre  face,  quoy  qu'il  en 
»  soyt,  estonnera  vos  ennemys.  » 

Le  moment  n'était  pas  encore  venu  pour  Coligny  de  retourner 
à  la  cour  :  le  cardinal  de  Châtillon  seul  y  fut  appelé  par  Cathe- 
rine de  Médicis,  alors  que  le  Havre  venait  d'être  repris  sur  les 
anglais  et  qu'elle  se  disposait  à  faire,  avec  le  jeune  roi,  son  fils, 
une  entrée  solennelle  à  Rouen.  L'invitation  qu'elle  adressa, 
d'Estalan,  le  4  août  àOdet  *  était  assez  pressante,  «c  Mon  cousin 
»  lui  disait-elle,  afin  que  vous  puissiez  plus  commodément  nous 
»  venir  trouver  et  hors  de  tout  empeschement,  j 'envoyé  ce  por- 


1.  Lettres  franc,  t.  Il,  p.  528,  5  août  1563. 

"2.  Du  Bouchet,  hist.  de  la  maison  de  Coligny,  p.  il  4. 


—  286  — 

>  teur,  huissier  de  la  chambre  du  roy  monsieur  mon  fils  devers 
»  vous  avecques  lettres  pour  commander  et  ordonner  de  par  luy  en 
3)  toutes  villes  où  vous  voudrez  passer,  qu'elles  vous  soient  ou- 
y>  vertes,  et  puissiez  entrer  et  sortir  en  toute  liberté  :  encores  que 
»  j'estime  qu'il  n'y  en  aura  point  qui  face  difficulté,  moyennant 
»  que  ce  soit  avec  vostre  train  ordinaire,  dont  je  vous  prie  bien 
»  fort,  afin  de  leur  oster  toute  occasion  de  soupçon.  Que  si 
y>  tout  le  monde  estoit  bien  sage  il  n'y  en  auroit  point,  estant 
))  asseurée  que  vous  serez  le  bien  venu.  » 

Odet  ne  fut  que  trop  bien  accueilli  à  la  cour,  au  dire  de 
l'ambassadeur  d'Espagne,  Ghantonnay,  qui,  le  17  août,  fit  part 
de  ses  impressions  à  Granvelle,  en  ces  termes,  empreints  de 
l'amertume  habituelle  de  son  langage  *  :  «  Le  prince  de 
»  Condé  et  le  cardinal  de  Ghastillon  arrivèrent  à  Rouen,  le 
^>  lendemain  de  l'entrée  du  roi,  suivis  de  plus  de  cinq  cens  che- 
3)  vaux,  car  tous  ceux  de  la  faction  des  huguenots  sortirent  en 
))  mules  et  chevaux  de  louage  :  ils  ont  fait  vives  instances 
))  d'avoir  presches  en  ce  lieu;  ce  qui  ne  fut  accordé.  La  faute 
»  de  tout  cecy  est  à  la  royne  qui  n'achève  de  se  déclarer  du 
))  tout  de  l'un  des  costés  ;  et,  comme  le  connestable  qui  est 
y>  tout  aveugle  sur  la  grandeur  de  sa  maison  et  du  prince  de 
»  Condé  qui  en  est  comme  dépendant,  qui  ne  bride  ni  contre- 
»  dit  au  cardinal  (de  Ghastillon),  lequel  est  plus  brave  et  inso- 
y>  lent  qu'il  ne  fut  oncques,  et  montre  tant  qu'il  peut  que  le 
))  pouvoir  et  crédit  de  ceste  cour  est  entièrement  en  ceux  de  sa 
»  maison,  il  n'y  a  homme  qui  sçeust  persuader  à  la  royne,  si- 
»  non  qu'il  est  bien  entretenir  les  protestans  et  catholiques 
»  en  ce  royaume,  pour  ce  qu'il  luy  semble  que  ceste  division 
y>  a  esté  cause  de  la  conservation  de  son  autorité,  et  est  per- 
»  suadée  jusqu'à  aujourd'huy  que  M.  de  Guyse  se  voulait  em- 
))  parer  de  ce  royaume;  chose  absurde.  Vray  est  que,  par 

1 .  Archives  de  Vienne.  Lettres  de  Cliantonny.  —  De  Laferrière,  le  xvi*  siècle 
et  les  Valois,  p.  162,  163. 


—  287  — 

y>  autre  part,  Ton  pourrait  dire  que,  si  elle  doit  monstrer  fa- 
»  veur  pour  le  présent,  ce  doit  être  plustost  aux  protestans 
»  qu'aux  catholiques,  pour  endormir  les  huguenots  jusqu'à  ce 
»  qu'on  se  soit  saisy  de  Lyon  et  de  toutes  les  autres  places. 
»  Toutesfois  c'est  grand'chose  de  voir  toute  ceste  cour  remplie 

y>  et  farcie  d'huguenots Quelquefois  la  royne   a  de  bons 

»  tours  contre  le  prince  de  Gondé  et  tous  les  autres,  s'il  y  avoit 
y>  continuation;  mais  cela  est  en  ce  qui  touche  l'autorité.  y> 

Dès  qu'il  s'agissait  du  maintien  et  de  la  prépondérance  de 
son  propre  pouvoir,  Catherine  était  non  moins  inflexible  que 
rusée,  dans  sa  tactique  :  Condé  en  fit,  à  Rouen,  la  dure  expé- 
rience. La  reddition  du  Havre  ayant  eu  lieu,  ce  prince,  qui 
avait  activement  concouru  aux  opérations  de  l'armée  assié- 
geante, reçut  de  la  reine  mère  maintes  paroles  de  congratula- 
tion, mais  non  le  titre  de  lieutenant  général  du  royaume  sur 
lequel  il  comptait.  Sa  déception  fut  grande  lorsque  Catherine 
réduisit  à  néant  toute  prétention  de  sa  part  à  ce  titre,  par  la 
hâte  avec  laquelle  elle  amena  le  parlement  de  Normandie  à 
déclarer  la  majorité  du  roi. 

Remarquons,  à  l'honneur  de  Condé,  toujours  fidèle  à  ses 
oncles,  qu'au  moment  où  il  était  ainsi  évincé  par  Catherine,  il 
donna  à  Goligny  et  à  d'Andelot,  dont  l'appui  lui  avait  été  na- 
guère si  utile,  une  preuve  nouvelle  de  son  attachement  et  de 
sa  gratitude,  alors  surtout  qu'ils  étaient  éloignés  de  la  cour,  en 
déclarant,  à  la  face  de  leurs  envieux  et  de  leurs  ennemis,  qu'il 
couvrait  de  sa  responsabilité  tous  leurs  actes,  depuis  la  prise 
d'armes  en  1562  jusqu'à  la  paix  d'Amboise  en  1563.  Voici 
sa  déclaration  *  :  ce  Nous,  Loys  de  Bourbon,  prince  de  Condé, 
•»  suffisamment  records,  instruit  et  adverty  de  tout  ce  qui  s'est 
))  fait  et  passé  es  entreprises  et  expéditions  dressées  et  conduites 
»  en  ce  royaume  et  ailleurs  durant  les  guerres  civiles,  et  de 

1.  Hotmail,  vie  de  Goligny,  trad.  in  4°.  Amsterdam,  1644,  annotations,  p.  46. 


—  288  — 

»  l'occasion  d'icelles,  qui  ont  eu  cours  en  ce  dict  royaume 
»  depuis  le  commencement  de  l'année  1562  jusqu'à  la  fm  d'i- 
»  celle  ou  environ,  certifions,  déclarons  et  reconnaissons  que 
y>  tout  ce  qui  a  esté  faict,  géré,  manié  et  négocié  en  ce  regard 
))  par  nos  chers  et  bien-aimés  oncles,  le  sieur  de  Chastillon, 
»  amiral  de  France,  et  le  sieur  d'Andelot,  frères,  chevaliers  de 
»  l'ordre  du  roy,  monseigneur,  et  jusques  après  que  le  traité 
y>  de  paix  a  esté  publié  en  ce  dict  royaume,  a  esté  à  notre  prière 
))  et  réquision  et  pour  la  manutention  de  notre  dignité,  autho- 
»  rite  et  conservation  de  nostre  maison.  Et  en  tant  que  de 
»  besoin  serait,  ainsi  le  maintenons  et  advouons  par  ces 
y>  présentes  escrites  et  signées  de  nostre  main  et  scellées  du 
]È>  scel  de  nos  armes.  A  Falaize,  le  30"  jour  d'aoust  1563.  » 

Dans  le  lit  de  justice  tenu  au  parlement  de  Rouen,  dont 
l'objet  principal  était  la  déclaration  de  majorité  du  roi,  l'édit 
d'Amboise  fut  expressément  confirmé;  et,  lorsque  le  parlement 
de  Paris,  mis  en  demeure,  en  septembre,  d'enregistrer  la  dé- 
cision royale,  intervenue  à  Rouen,  se  plaignit  dans  d'amères 
remontrances,  non  seulement  de  ce  que  ses  prérogatives  avaient 
été  méconnues,  mais  aussi  de  ce  que  le  roi  majeur  maintenait 
la  coexistence  de  deux  religions  en  France,  le  souverain  écarta 
les  remontrances  par  ces  fermes  paroles,  que  le  parti  catholique 
prétendait  *  «  estre  venues  de  la  boutique  de  M.  le  chance- 

»  lier  H)  :  —  ce Je  vous  veux  dire  que  ne  continuiès  plus  à 

»  faire  comme  avés  accoustumé,  en  ma  minorité,  de  vous  mes- 
»  1er  de  ce  qui  ne  vous  appartient  et  ne  debvés,  et  qu'à  ceste 
y>  heure  que  je  suis  en  ma  majorité,  je  ne  veux  plus  que  vous 
))  vous  mesliés  que  de  faire  bonne  et  briefve  justice  à  mes  sub- 
»  jectz;  car  les  roys  mes  prédécesseurs  ne  vous  ont  mis  au  lieu 
y>  où  vous  estes  tous  que  pour  cest  effect,  et  non  pour  vous  faire 
y>  ny  mes  tuteurs,  ny  protecteurs  du  royaume  -.  »  Sans  se  lais- 

i.  Mém.  (le  Coudé,  t.  I,  p.  135. 
2.  Mém.  (le  Gondé,  t.  1.  p.  135. 


—  289  — 
ser  intimider  par  cette  allocution,  le  parlement  de  Paris  osa 
formuler  de  nouvelles  remontrances;  mais  force  lui  fut  enfin 
d'obtempérer  à  la  volonté  royale. 

Avec  les  éclats  turbulents  du  parlement  de  Paris,  coïncida 
à  cette  époque,  dans  les  menées  des  Guises,  dirigées  contre 
Coligny  \  une  recrudescence,  qu'un  contemporain  signalait 
en  ces  termes  ^  : 

((  Les  sieurs  de  Guyse,  soit  que  la  douleur  et  passion  ne 
y>  leur  permist  différer  plus  longuement  la  poursuite  contre 
y>  M.  l'admirai,  ou  que,  comme  aucuns  estiment,  leur  naturel 
))  soit  d'estre  impatients  de  repos  et  de  voir  passer  les  choses 
))  sans  quelque  remuement  ou  nouvelles  entreprises,  délibérè- 
))  rent  de  faire  une  grande  assemblée,  tant  de  leurs  parens  que 
y>  de  tous  autres  qu'ils  pourraient  amasser  pour  en  estre 
»  accompagnez;  pour  cest  effet,  employèrent  les  mois  d'août 
»  et  de  septembre  à  recercher,  voir  et  mander,  princes,  sei- 
))  gneurs,  gentilshommes,  capitaines  et  soldatz  de  toutes  parts, 
))  tant  subjectz  du  roy  qu'estrangers,  en  intention  de  venir  avec 
»  un  grand  préparatif  et  cérémonie  demander  justice  de  la 
j)  mort  du  feu  duc  de  Guyse,  en  la  cour  de  parlement,  toutes 

>  les  chambres  assemblées,  le  roy  séant  en  son  lict  de  justice 
y>  à  Paris,  où  néantmoins  sa  majesté  ne  put  arriver  au  temps 
3)  qu'ils  avaient  projeté,  à  l'occasion  de  la  maladie  de  la  royne 
»  survenue  à  Meulan  ^,  durant  laquelle  et  lors  mesmement 

i .  <  Nisi  propediem  regina  a  Guysianis  desciscat,  erumpent  de  integro  for- 
midolosi  motus.  Quid  consilii  agitet  admiraldus  nescio.  In  literis  quas  heri 
2»  recepi  magnam  securitatem  prge  se  fert.  (Galviaus  BuUingero,  octob.  1363. 
î  op.  Calvini  vol.  20,  n»  4  031,  p.  166. 

3.  Mém.  de  Condé,  t.  V,  g.  23. 

4.  Mém.  de  Gaslelnau,  liv.  V,  chap.  iv  :  c  La  reine-mère  estoit  tombée  d'un 
fort  tranquenart  qu'elle  montoii,  si  rudement  que  l'on  pensoit  qu'elle  eu  dust 

mourir,  comme  elle  en  fut  â  l'extrémité.  »  —  Le  15  septembre,  le  connétable 

>  écrivait,  de  Meulan,  à  l'un  de  ses  fds  (Bibl.  nat.  mss.  f.  fr,  vol.  20,500, 
f"  3)  :  «  La  royne  ne  peult  encores  bouger  d'icy  de  deux  ou  trois  jours,  d'autant 
»  qu'elle  se  trouve  bien  mal.  »  —  Gharles  IX  écrivait  également  de  Meulan  a 

II.  19 


—  290  — 

))  que  sa  majesté  estoit  au  fort  de  son  mal,  le  bruit  esloit 
y>  commun,  et  non  sans  apparence,  que  les  dits  sieurs  de 
y>  Guyse  avoient  délibéré,  si  la  mort  de  ladite  dame  fust  ensuy- 
3)  vie,  d'employer  leurs  forces  à  se  saisir  de  la  personne  du 
»  roy  et  l'emmener  à  Paris;  et  encore  depuys  il  a  esté  sçeu 
y>  pour  vérité  que  plusieurs  practiques  s'estoient  faictes  de  leur 
y>  part,  avec  les  principaux  de  ladite  ville,  jusques  à  avoir  esté 
»  mis  en  avant  et  offert  par  lesdits  parisiens  de  fournir  quinze 
»  mille  hommes  de  pied  et  huit  cents  chevaux  pour  l'exécution 
»  de  ladite  entreprise,  laquelle  fut  rompue  par  la  bonté  de  Dieu, 
»  qui  rendit  la  santé  à  cette  princesse  si  sage  et  nécessaire  en 
»  ce  temps  pour  le  bien  des  affaires  du  roy  et  pour  le  repos  com- 
y>  mun.  Cependant  M.  de  Vaudémont  s'ennuyait  à  Paris,  lequel 
»  ils  avaient  fait  venir  tant  par  belles  paroles  que  par  importu- 
»  nitez  pour  les  assister  et  accompagner;  et  quelque  peine 
»  qu'ils  eussent  mis  d'assembler  gens,  leur  troupe  estoit  au 
»  reste  assez  petite,  sans  les  soldatz  levez  pour  leur  garde,  en- 
»  tretenuz  par  ceux  de  leurs  gouvernements,  et  leurs  compa- 
D  gnies  de  gens  d'armes  qu'ils  avoient  fait  passer  de  gouver- 
»  nement  en  autre,  les  faisant  vivre  à  discrétion,  loger  par 
»  étiquette,  et  porter  armes  descouvertes  et  deffendues  tant  par 
))  l'édit  delà  majorité  du  roy  fraîchement  publié  à  Rouen,  que 
))  par  lesdites  deffences,  dont  déjà  il  estoit  venu  à  la  cour  de 
3)  si  grandes  plaintes,  qu'il  estoit  temps  de  les  employer.  Cela 
»  fut  cause  qu'ils  se  hastèrent  de  venir  trouver  leurs  majestez 
»  audict  Meulan.  » 

Tel  fut  le  prologue  d'une  scène  qui  allait  se  dérouler  dans 
cette  petite  ville,  et  qu'un  appareil  théâtral  dépouillait  d'avance 
de  toute  dignité. 

Damville,  le  26  septembre  (Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  3  202,  fo  9)  :  «  La  royne 
■»  madame  ma  mère  a  esté,  ces  jom-s  passés,  bien  fort  malade  d'une  chute  de 
î  cheval  dont  elle  s'estoit  blessée  en  la  teste  ;  mais  Dieu  a  eu  pitié  de  moy  et 
î  de  mon  royaume,  et  la  nous  conserve  pour  ceste  foys,  estant  en  tel  «stat, 
»  que  j'espère,  elle  partira  de  ce  lieu  dans  quatre  ou  cinq  jours.  » 


CHAPITRE  II 


Les  Guises,  à  Meulan.  —  Ils  demandent  au  roi  Tautorisation  de  poursuivre  les  meur- 
triers du  duc  François.  —  Évocation  de  l'affaire  au  grand  conseil.  —  Nouvelle  re- 
quête des  guises.  —  Lettre  du  roi  à  Coligny  et  à  ses  frères.  —  Lettre  et  remontrance 
adressées  au  roi  par  les  trois  Chàtillons.  —  Leur  séjour  auprès  du  roi,  au  Louvre.  — 
Seule,  la  duchesse  de  Guise  se  porte  partie  contre  l'amiral,  qu'elle  prétend  pouvoir 
poursuivre  devant  la  juridiction  ordinaire.  —  Goligny  combat  cette  prétention,  et  se 
réserve  le  droit  de  se  constituer  accusateur,  à  son  tour.  —  Le  roi  retient  à  lui  la  con- 
naissance du  litige  soulevé  par  la  maison  de  Guise  contre  l'amiral,  et  surseoit  à  statuer 
jusqu'à  l'expiration  d'un  délai  de  trois  ans.  —  Motifs  qui  ont  porté  Catherine  à  pro- 
voquer le  sursis.  —  Coligny  revient  à  Châtillon.  —  Mauvais  vouloir  et  duplicité  de 
-Catherine  à  l'égard  des  réformés.  —  Atteintes  portées  à  l'édit  de  pacification  par 
diverses  déclarations  royales.  —  Animosité  des  gouverneurs  des  provinces,  des 
parlements,  des  juridictions  subalternes,  et  des  agents  de  l'autorité  supérieure  contre 
les  réformés.  —  Coligny  élève  la  voix  en  faveur  des  opprimés.  —  Vaine  promesse 
de  Catherine,  que  justice  sera  faite.  —  Catherine  projeté  une  longue  tournée  en 
France,  afin  de  se  rendre  compte  de  l'état  des  réformés,  dans  les  provinces,  et  d'or- 
ganiser sur  de  larges  bases  le  système  de  compression  qui,  selon  elle,  devra  néces- 
sairement, un  jour,  entraîner  dans  toute  l'étendue  du  royaume,  l'anéantissement  de 
la  réforme  et  de  ses  sectateurs. 


Le  26  septembre  1563,  arrivèrent  à  Meulan,  la  mère,  la 
veuve,  les  enfants  et  les  frères  du  feu  duc  de  Guise.  Tous  por- 
taient des  vêtements  de  deuil.  Introduits  en  la  présence  du  roi, 
ils  se  jetèrent  à  ses  pieds  et  le  conjurèrent  de  «  permettre  à 
»  eulx  supplians  faire  poursuite,  dès  maintenant,  du  meurtre 
9  commis,  aux  lieux  et  devant  les  juges  qu'il  appartiendrait  ;  et 
»  mander  et  ordonner  estre  procédé  tant  à  l'instruction  que 
»  deffmition  contre  ceulx  qui  s'en  trouveroient  chargés  et 
»  coulpables  ^  ».  Ils  reçurent  un  accueil  bienveillant  du  roi, 

i .  Mém.  de  Condé,  IV  p.  668. 


--  292  — 

qui,  par  décision  rendue,  le  même  jour,  en  séance  du  conseil 
privé,  «  leur  permit  de  poursuivre  en  justice,  pour  le  faict  du 
))  meurtre  par  devant  les  juges  des  pairs  de  France,  lieutenans- 
))  généraux  de  sa  majesté,  où  la  cognoissance  de  ladicte  cause 
y>  en  appartiendrait  ^  » 

Le  cardinal  de  Châtillon,  qui  se  trouvait  alors  à  Meulan,  pré- 
senta aussitôt,  en  plein  conseil,  au  nom  de  ses  frères  absens, 
pour  lesquels  il  se  portait  fort,  une  requête  ^  tendant  à  ce  que 
(c  la  cognoissance  de  toutes  leurs  causes,  tant  civiles  que  crimi- 
»  nelles,  mues  et  à  mouvoir,  soit  en  demandant  ou  en  défen- 
»  dant,  fûst  interdite  à  ceulx  de  la  cour  de  parlement  de  Paris, 
))  qui  jà,  avoient  esté  récusez  par  ses  dits  frères,  et  qui  par  tant 
))  de  préjugés  s'estoient  déclarez  leurs  ennemis  capitaux.  » 

Cette  requête  «  ayant  esté  mise  en  délibération  du  conseil, 
»  fut  trouvée  si  raisonnable,  qu'à  ladicte  cour  fut  interdite  la 
))  cognoissance  desdictes  causes,  et  icelles  évoquées  à  la  per- 
3)  sonne  du  roy,  et  renvoyée  en  son  grand  conseil  ^.  » 

L'évocation  au  grand  conseil,  en  excluant  le  parlement  de 
Paris  du  droit  de  connaître  de  ces  causes,  en  excluait  aussi, 
virtuellement,  tous  les  autres  parlements  du  royaume.  Les 
Guises,  sans  tenir  compte  de  cette  élimination,  demandèrent, 
dans  de  nouvelles  requêtes,  que  la  connaissance  des  poursuites 
qu'ils  voulaient  exercer  fût  attribuée  à  l'un  des  quatre  parle- 
ments de  Toulouse,  de  Bordeaux,  de  Dijon  ou  de  Rouen,  et 
ajoutèrent  qu'ils  n'entendaient  nullement  se  départir,  d'ailleurs, 
de  la  juridiction  du  parlement  de  Paris. 

Ces  requêtes,  dont  les  conclusions  ne  pouvaient  sérieusement 
se  soutenir,  n'avaient  d'autre  but  que  de  fatiguer  l'amiral  et 
que  d'empêcher  qu'il  vînt  à  la  cour  ^. 

1.  Mém.  de  Condé,  t.  IV,  p.  668.  —  Voir  à  l'appendice,  n„  24.. 

2.  Bibl.  nat.  mss.  f-  fr.  vol.  20,46i,fo  81.  -^Mém.  de  Condé,  t.  V,  p.  24, 25. 

3.  Mém.  de  Condé,  t.  V.  p  24,  25. 

i.  Hotman,  qui  se  trouvait  alors  au  château  de  Chàtillon-sur-Loing,  écrivait, 
le  3  octobre  1563,  au  duc  An  Wurtemberg  :  «  Le  roi  ne  veut  plus   entendre 


—  293  — 

Il  n'avait  pas  encore  été  statué  sur  leur  contenu,  lorsque  le 
roi  adressa,  le  5  octobre,  à  Goligny  et  à  ses  frères  la  lettre 
suivante  *  : 

«c  Mes  cousins,  pour  ce  que  j'ay  ordinairement  plusieurs 
»  plaintes  des  assemblées  qui  se  font,  tant  de  la  part  de  mes 
»  cousins,  les  sieurs  de  Guise  que  de  la  vostre,  et  que  je  veoy 
»  que  chacune  par  là  s'excuse  sur  ce  qu'elle  dict  que  ceulx 
»  qu'elle  peut  avoir  pour  ennemys  s'arment  et  accompaignent 
»  les  premiers;  et  cependant  le  repos  que  je  désire  establir  en 
»  mon  royaume  s'interrompt,  et  demeurent  beaucoup  de  choses 
y>  appartenant  à  la  pacification  d'iceluy  en  désordre  et  confu- 
»  sion  ;  pour  obvier  à  cela,  comme  je  le  désire  et  qu'il  est  plus 
»  que  nécessaire  pour  le  bien  de  mon  estât,  et  afin  d'oster  à 
y>  mes  dits  cousins  et  à  vous  toute  occasion  de  doubte,  deffiance 
))  et  scrupule,  et  garder  qu'il  ne  soit  procédé,  d'une  part  ny 
i)  d'autre,  au  faict  de  vostre  différend  par  aultre  voye  que  de 
»  celle  de  la  justice,  suivant  le  commandement  que  eulx  et  vous 
»  en  avez  eu  de  moy  par  cy-devant,  j'ay  fait  présentement  (re- 
»  mettre)  par  mes  dicts  cousins  en  mes  mains  la  promesse  dont 
»  je  vous  envoie  la  coppie  par  le  comte  de  Gharny,  chevalier  de 
»  mon  ordre  et  cappitaine  de  50  hommes  d'armes  de  mes 
»  ordonnances,  présent  porteur,  et  veulx  et  entends,  mes  cou- 
ce  sins,  affin  que  je  demeure  asseuré  de  vostre  volonté,  comme 
»  je  suis  de  celle  de  mesdits  cousins,  les  sieurs  de  Guise,  par 
»  leur  dite  promesse,  que  vous  signiez  les  deux  pareilles  pro- 
»  messes  que  vous  présentera  ledit  comte  de  Gharny,  de  ma 

ï.  parler  de  prise  d'armes  ni  de  nouveaux  troubles.  S'il  faut  rendre  justice  aux 
j  Guises,  il  offre  le  jugement  de  son  conseil  privé.  Le  connétable  a  pris  en 
»  main  la  cause  de  ses  neveux.  Le  cardinal  de  Châtillon.  est  ferrt  e  dans  la  reli- 
»  gion.  Le  prince  de  Gondé  défend  avec  constance  la  cause  des  églises.  On  ne 
>  sam'ait  croire  combien  de  nobles  se  joignent  à  la  cause  de  la  religion...  Je 
»  suis  avec  l'amiral  et  d'Andelot  à  Châtillon  :  Ils  sont  les  courageux  patrons  et 
j  défenseurs  de  notre  religion  et  des  églises  de  France.  >  (Archives  de  Stuttgart). 
1.  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  20,461,  f»  77. 


-  294  — 

»  part,  pour  les  m'apporler,  à  son  retour,  et  incontinent  après 
»  renvoyer  tous  ceux  qui  \ous  sont  venus  trouver  pour  vous 
))  accompaigner,  suivant  ce  que  ledit  comte  de  Gharny  vous  en 
y>  dira  et  commandera  de  ma  part  plus  particulièrement,  dont 
3)  je  vous  prie  le  croire  comme  vous  feriez  ma  propre  personne 
»  et  me  satisfaire  en  ce  que  je  vous  escriptz,  sans  y  faire  aucune 
))  difficulté;  priant  Dieu,  mes  cousins,  qu'il  vous  ait  en  sa 
3)  sainte  garde.  » 

Le  modèle  de  promesse  que  le  comte  de  Gharny  devait  faire 
signer  à  l'amiral  et  à  ses  frères  était  ainsi  libellé  ^  : 

ce  Nous,  Odet,  cardinal  de  Chastillon,  Gaspard  de  Goligny, 
))  sieur  de  Ghastillon,  amyral  de  France,  et  François  de  Goli- 
»  gny,  sieur  d'Andelot,  colonel  des  gens  de  guerre  à  pied  fran- 
»  çois,  promettons  au  roy,  nostre  souverain  seigneur,  sur  nostre 
»  honneur  et  vie,  et  sur  peine  d'estre  déclarez  désobéissans  à. 
»  sa  majesté,  que,  pour  raison  du  différend  que  nous  pour- 
)>  rions  avoir  avecq  messieurs  de  la  maison  de  Guise,  à  l'occa- 
))  sion  de  la  mort  de  feu  M.  le  duc  de  Guise,  nous  ne  procéde- 
2>  rons  à  l'encontre  d'eux  par  aultre  voye  que  jelle  de  la  justice, 
»  suyvant  l'ouverture  qu'il  a  pieu  et  plaira  à  sadite  majesté  nous 
»  en  faire,  et  le  commandement  que  nous  en  avons  d'elle,  sans 
.3)  par  nous  ny  par  noz  parentz,  amys  et  serviteurs,  ny  aultres 
»  personnages  quelconques,  procéder  ny  faire  procéder  directe- 
»  ment  ou  indirectement  à  l'encontre  d'eulx  ou  aulcuus  d'eulx 
))  par  voye  et  attemptat  d'armes  et  de  forces,  ny  doresnavant 
»  nous  accompaigner  de  plus  grand  nombre  que  celuy  qui  est 
))  ordinaire  à  chacun  de  nous  et  nécessaire  pour  nostre  ser- 
))  vice  particulier;  et  si  aulcun  attemptast  estoit  faict  à  l'en- 
))  contre  d'eulx  ou  aulcun  d'eulx  par  nous  ou  aultre  de 
y>  nostre  part,  nous  en  respondrons  de  noz  propres  personnes, 

1.  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  20,  461,  f»  73.  —  Le  modèle  de  la  promesse 
que  les  Guises  devaient  souscrire  était  semblable  à  celui  qui  fut  remis  aux 
Châtillons.  (Voy.  Ibid). 


—  295  — 
3)  vyes  et  biens.  En  tesmoing  de  quoy  nous  avons  signé  ces 
»  présentes  de  noz  mains,  etc.,  etc.  » 

Dès  que  le  comte  de  Charny,  arrivé  à  Châtillon-sur-Loing, 
se  fut  acquitté  de  sa  mission,  les  trois  frères  répondirent  en  ces 
termes,  le  8  octobre,  à  la  lettre  du  roi,  datée  du  5  *  : 

((  Sire,  nous  avons  reçeu  la  lettre  qu'il  a  pieu  à  vostre  ma- 
»  j esté  nous  escrire  par  M.  le  comte  de  Charny,  par  laquelle  il 
»  vous  plaist  nous  faire  entendre  que  vous  recevez  ordinaire- 
»  ment  plainctes,"  à  vostre  grand  regret,  des  assemblées  qui  se 
y>  font  ;  de  quoy  nous  avons  ung  très  grand  desplaisir  comme 
»  ceulx  qui  ne  désirent  rien  plus  que  de  veoir  l'establissement 
»  d'ung  bon  repoz  public  et  qui  n'ont  autre  but  que  de  suivre 
y>  entièrement  vostre  voulloir  et  intention,  et  rendre  une  si 
»  vraye  et  entière  obéissance  à  tous  les  commandemens  de 
»  vostre  majesté,  qu'elle  pourra  tousjours  congnoistre,  s'il  luy 
»  plaist  s'en  informer  plus  amplement,  que  nous  n'en  sommes 
))  autheurs  ni  coupables.  Au  demeurant,  sire,  pour  ce  que 
5)  nous  ne  pourrions  signer  la  promesse  que  ledit  sieur  comte 
y>  nous  a  apportée,  sans  nous  faire  un  très  grand  tort  et  préju- 
»  dice,  nous  supplions  très  humblement  vostre  majesté  nous 
))  vouloir  ceste  grâce  de  recevoir  les  remonstrances  et  requêtes 
))  que  sur  ce  nous  vous  faisons  avec  toute  humilité,  comme  vos 
))  très  humbles  et  très  obéissans  subjects  et  serviteurs,  les- 

1.  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol  20,461,  f"  69.  — Voy.  ibid.  la  lettre  que,  le  même 
jour,  8  octobre  1563,  les  trois  Châtillons  écrivirent  à  Catherine  de  lAlédicis.  — 
A  cette  date ,  de  Bèze  écrivait  de  Genève  à  Bullinger  :  <  Guisiani  infinitis 
»  clientibus  subnixi  minantur  se  commoturos  cœlum  et  terram  potius  quam 
»  cœdem  illam,  quam  optimo  et  innocentissimo  viro  (Coligny)  imputant,  quamvis 

>  in  mediis  armis  perpetratam  ulciscantur.  lUe  contra  domi  fortissimese  susti- 
»  net  suâ  conscientià  fretus,  nec  legitimumjudicium  récusât  :  et  adversarios  cer- 
T)  tum  est  prœtextu  illo  uti  contra  conscientiam,  ut  eum  opprimant,  quem  nunc 

>  féré  eum  suis  fratribus  vident  serio  causam  Christi  tueri.  Interéa  non  desunt 
»  amiralio  amici,  adeo  ut  nisi  Dorainus  miseram  Galliam  respiciat,  hoc  sit 
5»  futurum  novi  belli  incendium.  Siquidem  certum  est  nostros  jam  quoque  con- 

>  venire  ut  amiralium  in  optima  causa  juvent.  >  (Lettre  du  8  octobre  1563, 
op.  Calvini,  vol.  20,  n°  4033,  p.  167). 


—  2Ô6  — 
))  quelles  nous  avons  prié  M.  de  BriquemaulL  vous  présenter, 
»  lequel  il  plaira  à  vostre  majesté  oyr  et  croyre  de  ce  qu'il  luy 
»  dira  de  nostre  part  comme  nous  mesmes,  qui  supplions 
»  nostre  Seigneur  voulloir  conserver  vostre  dite  majesté,  sire, 
»  en  très  parfaicte  santé  et  prospérité  continuelle.  » 

A  cette  lettre  était  jointe  la  remontrance  suivante  *  : 

((  Ce  que  messieurs  les  cardinal  de  Ghastillon,  amyral  de 
»  France,  et  Dandelot  ont  prié  M.  de  Briquemault  de  remons- 
»  trer  de  leur  part  et  faire  entendre  au  roy,  sur  ce  que  M.  le 
))  comte  de  Gharny  leur  a  dict  et  apporté  de  la  part  de  sa 
))  majesté.  » 

«  Lesdits  sieurs  cardinal,  amyral  et  Dandelot  supplient  très 
»  humblement  le  roy  ne  voulloir  trouver  mauvais  si,  ayans 
»  confiance  en  la  bonté  et  clémence  de  sa  majesté,  qui  a 
»  accoustumé  d'ouyr  bénignement  les  remon.strances  et  re- 
»  questes  de  ses  subjectz  et  faire  distribution  égale  de  justice 
))  aux  ungs  et  aux  autres,  ils  ont  différé  de  signer  la  promesse 
j)  que  M.  le  comte  de  Gharny  leur  a  apportée,  comme  leur 
))  estant  trop  préjudiciable,  pour  les  raisons  qu'ils  remons- 
))  trent  à  sa  majesté  avec  toute  humilité  et  subjection. 

«  Et  premier,  supplient  très  humblement  sadite  majesté  de 
))  ne  vouloir  adjouster  foy  aux  calomnies  de  leurs  adversaires, 
»  ains  voulloir  considérer  que  ledit  sieur  amyral  par  toutes  ses 
^)  actions  et  déportemens,  depuis  la  pacification  des  troubles 
»  passez,  tant  lorsqu'il  arriva  à  Orléans,  au  retour  de  Norman- 
»  die,  que  depuis  ledit  temps  jusques  à  présent,  a  faict  évidem- 
»  ment  cognoistre  combien  il  désire  veoir  l'establissement  du 
»  repos  public  et  rendre  partout  une  vraye  et  entière  obéis- 
»  sance  aux  commandements  de  sa  majesté,  comme  l'ung  de 
T>  ses  très  humbles  subjectz  et  serviteurs. 

3>  Que  par  l'édict  de  sa  majesté  sur  ladite  pacification,  toutes 

\.  Bibl.  nat.  mss.  f  fr.  vol.  20  461,  f»  61. 


—  297  — 
»  choses  advonues  durant  les  troubles  demeurans  estainctes  et 
»  ensevelies,  MM.  de  Guise  ont  pris  couverture  sur  une  déposi- 
»  lion  variable  d'un  homme  de  telle  qualité  comme  estoit  Pol- 
»  trot,  de  s'adresser  audit  sieur  admirai  et  commencer  une 
»  querelle  avecques  luy;  sur  quoy  sa  majesté  a  faict  des  dé- 
»  fenses,  le  15  de  may  dernier,  aux  deux  maisons,  tant  de 
))  Guise  que  de  Ghastillon,  leurs  enfîans,  frères,  parentz,  amys 
»  et  serviteurs,  ausquelles  ledit  sieur  amyral  ne  voulant  faillir 
J>  obéir  entièrement,  a  vescu  comme  privé  en  sa  maison  et  s*y 
»  est  contenu  avec  ordinaire  et  privée  compaignie,  sans  en  rien 
»  excéder  le  commandement  du  roy. 

»  Que  au  contraire  ceulx  de  ladite  maison  de  Guise,  contreve- 
))  nantnon  seulement  auxdi tes  deffences,  mais  aussy  à  l'édict 
»  du  roy  faict  à  Rouen,  au  mois  d'aoûst  dernier,  qui  est  le  pre- 
»  mier  faict  depuis  qu'il  a  esté  déclaré  majeur,  nonobstant  les 
»  peines  portées  par  lesdites  défenses  et  édict,  ont  mandé  leurs 
))  parents,  amys  et  serviteurs  de  toutes  partz  et  tous  ceulx  dont 
0  ils  ont  pensé  avoyr  ayde  et  assistance,  voire  jusques  en  Alle- 
»  maigne,  comme  ledit  sieur  amyral  peut  vérifier  par  aucuns 
))  des  princes  de  l'empire  qui  l'en  ont  adverty  par  homme 
y>  exprez,  et  comme  aussi  on  a  bien  esté  adverty  que,  au  mesme 
;*)  temps,  le  cardinal  de  Lorraine  a  escript  par  deçà  à  ses  amys 
»  et  serviteurs  en  plusieurs  et  divers  endroicts  pour  accompai- 
»  gner  ceste  assemblée  de  la  maison  de  Guise,  qui  faict 
»  cognoistre  la  chose  avoir  esté  practiquée  de  longue  main, 
»  ont  en  oultre  escript  et  faict  part  à  plusieurs  gentilshommes 
»  et  cappitaines  de  les  venir  trouver  avec  leurs  armes,  che- 
»  vaux  et  soldatz,  ont  faict  amas  de  gens  portans  armes^  qui  ont 
))  esté  logez  par  étiquette  et  vescu  à  discrétion,  comme  les 
»  majestez  du  roy  et  de  la  royne  ont  esté  adverties,  estans  à 
))  Meulan  ;  ont  menasse  ouvertement  par  eulx  ou  par  leurs  gens 
»  ledit  sieur  amyral,  usant  contre  luy  de  paroles  oultrageuses 
»  et  dict  publiquement  qu'ils  s'assembloient  en  déhbération 


—  298  — 
3)  de  faire  eulx  mesmes  par  la  force,  la  justice  dudit  sieur  amy- 
»  rai,  s'ils  ne  pouvoient  obtenir  ce  qu'ilz  demandoient,  et  en 
»  cest  équipage,  qui  n'est  propre  pour  demander  justice,  sont 
))  venus  à  Paris  et  aux  environs  ;  ce  que  ledit  sieur  amyral 
»  suppiye  très  humblement  sa  majesté  vouloir  considérer  et 
»  s'en  ressouvenir  pour  luy  en  faire  justice,  laquelle,  comme 
»  son  très  humble  subject,  il  requiert  avec  toute  humihté,  veu 
»  qu'il  est  assez  évident  que  tel  attemptat  et  entreprinse  n'es- 
»  toit  dressé  sinon  contre  luy  et  les  siens. 

((  Et  ne  peuvent  lesdits  sieurs  de  Guise  alléguer  qu'il  fûst  lors 
»  accompaigné,  car  encores  que  plus  de  six  sepmaines  aupara- 
y>  ravant  leur  dite  arrivée  à  Paris,  il  eust  certain  adverlisse- 
))  ment  de  leurs  dites  entreprinses,  de  plusieurs  endroits,  oultre 
3)  ce  qu'il  avoit  entendu  que  madame  de  Guise,  l'ancienne  douai- 
»  rière  avait  mandé  à  madame  la  duchesse  de  Ferrare  que 
))  M.  de  Vaudémont  arrivoit  à  Paris  avec  mille  chevaulx,  et  que 
»  d'autrepart,  ilavoitsçeuquedcuxgentilshommesetung soldat 
y>  s'estoient  vantez  d'avoir  esté  dépeschez  par  M.  d'Aumalle 
»  pour  le  venir  tuer;  il  s'est  néantmoins  contenu  en  sa  maison 
y>  h  l'accoustumée,  avec  ses  serviteurs  et  familiers,  sans  croistre 
»  son  train  ni  sa  compaignie  jusques  à  ce  que  lesdits  s'''  de  Guyse 
y>  estans  en  l'équipage  que  dessus,  ont  esté  presque  aux  faulx- 
y>  bourgs  de  Paris,  auquel  temps,  ledit  s'  amyral  a  adverty  ses 
»  voisins  et  amys  desdites  entreprinses,  qui,  pour  ceste  occa- 
»  sion  se  sont  tenuz  près  de  lui.  Et,  d'autre  part,  aucuns  de  se& 
»  amys  ayans  ouy  le  bruict  qui  s'espandoit  desdites  menasses^ 
3)  sont  venuz  s'offrir  à  luy,  pour  la  seureté  et  défense  de  sa 
))  personne,  d'autres  y  sont  aussy  venuz  parcequ'ilz  avoient 
y>  entendu  que  lesdits  s"  de  Guise,  estimans  la  royne  estre  à 
»  l'extrémité,  avoient  entreprins  de  se  saisir  de  la  personne  du 
3)  roy  et  le  mener  à  Paris,  et  aussitost  faire  coupper  la  teste  à 
3)  M.  le  connestable,  et  exterminer  tout  ce  qui  luy  appartenoit  ; 
3)  qui  estoit  ung  bruict  commun,  dont  est  advenu  que,  pour  le 


—  299  — 
»  grand  nombre  de  gens  qui  lors  se  présentoit  pour  lesdites 
y>  occasions  audit  s'  amyral,  il  a  esté  contrainct  de  faire  sou- 
»  ventes  fois  entendre  à  ceulx  où  il  avoit  moyen  et  commodité, 
3>  qu'ilz  ne  dévoient  bouger  de  leurs  maisons.  Or,  depuis,  avec 
y>  le  retour  de  M',  le  cardinal  de  Ghastillon,  son  frère,  ayant 
»  entendu  l'entier  recouvrement,  grâces  à  Dieu,  de  la  santé  de 
»  la  royne  et  le  grand  désir  qu'elle  a  de  veoir  toutes  choses  en 
»  paix,  il  a  renvoyé  le  plus  qu'il  a  peu  de  ceulx  qui  l'estoieut 
»  venuz  trouver,  et  encores  s'en  vont  tous  les  jours,  comme  le 
î  pourront  tesmoigner  messieurs  le  comte  de  Charny  et  Bri- 
»  quemault. 

«  Partant,  actendu  la  contravention  desdits  s"  de  Guise 
))  ausdites  défenses  et  édict  de  sa  Majesté,  et  le  peu  de  res- 
y>  pect  qu'ilz  ont  porté  et  aux  peynes  y  contenues,  qui  engendra 
y>  soupçon  de  ce  qu'ils  pourraient  faire  cy-après  ;  attendu  mes- 
»  mement  que  par  la  requeste  qu'ilz  ont  présentée  à  Sa  Majesté 
»  ilz  n'ont  peu  celer  qu'ilz  veulent  plus  la  vindicte  de  la  dite 
y>  mort,  qui  ne  sont  termes  accoustumez  ny  reçus  en  justice, 
»  lesdits  s"  amyral  et  Dandelot  remonstrent  avec  toute  humi- 
»  lité  à  Sa  Majesté  qu'ils  n'ont  point  occasion  de  prendre  asseu- 
y>  rance  en  leurs  paroles  etescriptz,  sinon  qu'il  plaise  à  sa  dicte 
»  Majesté,  faisant  justice  de  telz  attentatz,  faictz  contre  eulx,  y 
»  obvier  pour  l'advenir. 

«  Remonstrent  avec  pareille  humilité  à  sa  dite  Majesté  que 
»  suivant  fa  promesse  que  M.  le  comte  de  Charny  leur  a 
»  apportée,  ils  se  préjudicieroient  par  trop  et  à  une  infinité 
3)  d'autres  des  subjectz,  d'autant  qu'ils  feroient  une  planche  à 
y>  l'infraction  dudit  édict  de  pacification,  et  s'obligeraient  à  ce 
»  qu'ilz  ne  sont  tenuz  et  dont  ils  sont  libres  par  iceluy  édict, 
y>  se  soubmettant  à  plaider,  voire  par  devant  juges  suspectz  et 
p  leur  ennemis  capitaux,  à  quoy  ilz  voyent  bien  que  les  dits 
î>  s'*  de  Guyse  font  tous  leurs  efforts  de  les  attirer  pour,  par 
y>  mesme  moyen,  leur  faire  recevoir  jugement  sur  un  faict 


—  300  — 
»  d'hostilité  tel  que  la  mort  dudict  feu  s' de  Guyse,  de  laquelle 
»  on  ne  leur  peut  rien  demander  par  la  voie  de  la  justice  ordi- 
y>  naire,  et  dont  ledict  s'  amyral  leur  a  amplement  satisfait 
))  par  ses  escriptz,  sans  avoir  craint  d'en  déclarer  librement  et 
»  en  pureté  de  conscience  ce  qu'il  en  savoit,  et  n'estoit  con- 
»  traint  de  dire,  ayant  aussi  requis  de  garder  ledit  Poltrot  pour 
))  lui  estre  confronté,  encore  qu'il  n'y  fûst  obligé,  avec  protes- 
»  tation  de  sa  sincérité,  à  faulte  de  ce  faire  ;  de  sorte  que  toutes 
))  les  recerches  et  poursuites  qu'ils  en  pourroient  faire  par 
»  ladite  voie  de  la  justice  ordinaire  sont  directement  contraires 
»  à  l'édict  du  roy  sur  ladicte  pacification,  depuis  confirmé  par 
»  luy  mesme  estant  majeur,  ensemble  à  la  déclaration  faite  au 
))  bois  de  Vincennes  pour  instruire  les  commissaires  déléguez 
»  par  les  provinces  pour  l'entretenement  d'iceluy  édict. 

«  A  ceste  cause,  lesdits  s'"  amyral  et  d'Andelot  supplient 
»  très  humblement  Sa  Majesté  de  leur  faire  justice,  laquelle 
)>  ilz  luy  requièrent  comme  ses  très  humbles  et  très  obéissants 
))  subjectz  et  serviteurs,  qui  est  de  les  rendre  jouissans  de  son  dit 
»  édict  et  ne  permettre  qu'il  y  soit  contrevenu  ni  qu'il  soit  violé 
»  pour  leur  seul  et  particulier  regard  ;  qui  serait  les  postposer 
»  à  tous  ceulx  de  quelque  qualité  qu'ils  soient  comprins  audit 
»  édict,  duquel  sa  dite  majesté  a  déclaré  qu'un  chacun  jouira 
•s>  pleinement  et  entièrement. 

»  Déclarant  au  reste  lesdits  s"'  amyral  et  d'Andelot  qu'ils  ne 
»  sont  consentans  ni  aucunement  coulpables  de  ladite  mort, 
»  et  que  ce  qu'on  en  vouldroit  présumer  ou  mettre  en  avant 
»  contre  ce  que  ledit  s""  amyral  a  confessé  de  son  bon  gré  est 
D  faux;  qu'ilz  sont  gens  de  bien  et  d'honneur  et  qui  n'ont 
i)  jamais  rien  faictau  contraire;  et  que,  encores  qu'un  tel  faict 
»  ne  puisse  estre  recerché  en  quelque  manière  que  ce  soit 
»  suivant  l'édict,  si  est-ce  que  si  aucuns  les  veulent  charger, 
»  ils  sont  tout  prestz  avec  le  congé  du  roy,  de  leur  respondre  ; 
»  avecques  requeste  très  humble  qu'ilz  font  en  toute  subjec- 


—  301  — 
y>  tion.à  Sa  Majesté,  de  vouloir  prendre  la  justice  de  leur 
»  cause  en  main  el  ne  trouver  mauvais  s'ils  la  défendent  par 
»  toutes  voyes  justes  et  légitimes. 

«  Faict  à  Ghastillon-sur-Loing,  le  8'  jour  d'octobre  1563.  » 

Le  roi  et  la  reine  mère  furent  d'autant  plus  disposés  à 
accueillir  ces  remontrances,  que  le  comte  de  Gharny  leur  fit 
un  rapport  favorable  de  ce  qu'il  avait  vu  et  entendu  à  Ghâtil- 
lon-sur-Loing  *  .  Ils  écrivirent,  par  Briquemault,  à  l'amiral  et 
à  ses  frères,  qui  chargèrent  aussitôt  Bois-le-Gomte  de  trans- 
mettre au  souverain  et  à  sa  mère  l'expression  de  leur  entière 
soumission  aux  volontés  royales,  consignée  dans  deux  lettres, 
en  date  du  18  octobre. 

Odet  et  Gaspard  disaient,  dans  celle  qu'ils  adressaient  au 
roi  ^  :  «...  Si,  de  toutes  parts,  vostre  Majesté  peulteltre  obéye 
«  aussi  fidèlement  comme  elle  le  sera  de  la  nostre,  elle  peut 
estre  assurée  d'avoir  entier  repos  en  son  royaume  etc,  etc..  » 

«  Madame,  écrivaient-ils,  en  même  temps,  à  la  reine  mère  ^, 
y>  nous  remercyons  très  humblement  vostre  Majesté  de  la 
))  seureté  qu'il  luy  plaist  prendre  de  nous  que  nous  ne  fauldrons 
y>  jamais  de  satisfaire  au  vouloir  et  intention  du  roy,  ce  que 
))  nous  ferons  encore  paroistre,  suyvant  les  inhibitions  et 
y>  défenses  que  nous  avons  reçeus  par  M.  de  Briquemault, 
3)  qu'il  a  pieu  au  roy  nous  envoyer.  Ge  que  nous  avons  tous- 
»  jours  faict  jusques  icy  et  ferons  ;  de  sorte  qu'avec  juste 
))  occasion  l'on  ne  nous  pourra  imputer  que  nous  veuillions 
»  troubler  le  repos  de  ce  royaulme,  et  vous  supplierons  encorés 
»  très  humblement,  madame,  croire  que  le  roy  ne  trouvera 
»  point  de  plus  obéissans  subjetz  et  serviteurs  que  nous  ;  ce 

1.  €  Le  comte  de  Charny,  à  son  retour,  fit  bon  rapport  de  la  compagnie  qu'il 
•»  avait  trouvée  à  Chastillon,  de  leur  façon  de  vivre,  et  du  langage  que  le  sieur 
■»  admirai  luy  avoit  tenu;  de  sorte  que  leurs  majestez  s'en  contentèrent.  > 
{Mém.  de  Condé,  t.  V,  p.  27) 

2.  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  6611,  f  72. 

3.  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  6  611-,  f»  70  et  vol.  6621,  fo  38. 


—  302  — 
»  que  nous  asseurons  aussi  de  la  part  de  M.  Dandelot,  nostre 
»  frère,  auquel  nous  ferons  entendre  le  vouloir  et  intention  de 
»  Sa  Majesté;  ce  qu'il  vous  plaira  entendre  plus  particulière- 
»  ment  du  s' de  Bois-le-Gornte,  présent  porteur.  » 

Le  27  octobre,  alors  que  le  roi  et  la  reine  mère  séjournaient  à 
Chantilly,  chez  le  connétable,  la  duchesse  de  Guise  leur  présenta 
une  nouvelle  requête  %  dans  laquelle,  sans  se  constituer  partie 
contre  l'amiral,  elle  persistait  à  demander  que,  revenant  sur 
l'évocation  prononcée,  le  souverain  renvoyât  à  l'un  des  paie- 
ments de  France,  même  à  celui  de  Paris,  la  connaissance  des 
poursuites  qu'elle  entendait  exercer. 

Le  même  jour,  en  séance  du  conseil  privé  tenue  à  Chantilly, 
il  fut  décidé  que  la  requête  dont  il  s'agissait  «  serait  envoyée  à 
»  M.  l'amyral  de  Chastillon,  pour  la  veoir  et  sur  icelle  dire  et 
»  respondre  ce  que  bon  lui  semblerait,  pour  sur  icelle  response 
»  veue  estre  à  faire  par  raison  ^.  » 

Cette  requête  ne  fut  communiquée  à  l'amiral  que  vingt  et  un 
jours  plus  tard. 

Au  début  du  mois  de  novembre,  le  roi  et  sa  mère  ayant  quitté 
Chantilly  et  visité  Nanteuil  et  Monceaux,  prenaient  le  chemin  de 
Fontainebleau,  lorsqu'ils  apprirent  que  l'amyral  s'avançait  dans 
la  direction  de  cette  ville,  avec  son  train  ordinaire,  pour  leur 
présenter  ses  hommages.  Les  Guises  firent  aussitôt  venir  de 
Paris  le  plus  de  gens  armés  qu'ils  purent,  signalèrent  l'approche 
de  l'un  d'eux,  d'Aumale,  à  la  tête  de  mille  ou  douze  cents  che- 
vaux, déclamèrent  contre  Coligny,  et  intimidèrent  à  tel  point 
la  reine  mère,  qu'elle  lui  manda  de  retourner  à  Châtillon; 
mais  l'amiral  «  fit  remonstrer  à  leurs  maj estez  qu'il  ne  pouvoit 
«  rebrousser  chemin,  que,  premier,  il  n'en  eûst  entendu  du  roy, 
»  les  occasions,  et  qu'il  ne  luy  eût  baisé  la  main  ;  ou  autre- 


1.  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  6621,  f»  39. 
±  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  6  621,  f»  39. 


—  303  — 
»  ment  ce  luy  seroit  faire  un  grand  tort  et  deshonneur,  et  pour 
y>  la  seconde  fois  ^  » 

Le  roi  et  Catherine  ne  passèrent  qu'un  jour  à  Fontainebleau 
et  s'arrêtèrent  le  lendemain,  à  Ghailly,  où  l'amiral  se  présenta 
à  eux.  «  11  leur  fit  entendre  qu'il  était  venu  en  intention  de  se 
>)  tenir  doresnavant  plus  près  de  leurs  majestez  qu'il  n'avait 
»  faict  depuis  quelque  temps,  tant  pour  avoir  moyen  de  faire 
»  le  deu  de  la  charge  et  rang  qu'il  tenait  en  ce  royaume, 
»  qu'afin  aussi  d'estre  en  lieu  pour  pouvoir  mieux  respondre  à 
»  tous  ceux  qui  levoudroient  charger...  Les  Guises  ajoutait-il, 
»  ne  se  peuvent  douloir  qu  ils  ne  peuvent  avoir  justice,  puis- 
i)  qu'elle  leur  est  ouverte  au  grand  conseil,  lequel  n'a  esté 
»  requis,  nommé,  ny  affecté  par  luy,  ains  du  propre  mouve- 
»  ment  de  Sa  Majesté,  avec  l'advis  de  son  conseil,  a  esté  choisi 
»  comme  non  suspect  ne  recusable  pour  ne  s'estre  ceste  seule 
))  compagnie  déclarée  partiale  durant  ces  troubles,  comme  au 
»  contraire  ont  fait  les  quatre  parlemens  qu'eux  mesmes  re- 
0  quièrent,  et  qui  sont  avec  pareille  raison  recusables  que  le 
d  parlement  de  Paris.  Bien  se  pourroit-il  avec  plus  juste 
»  occasion  douloir  d'eux,  de  ce  que  sans  preuve  valable  et  sous 
»  leur  seule  opinion  et  soupçon  ils  entreprennent  de  le  defférer, 
»  faisant  une  planche  pour  violer  l'édict  de  la  pacification  et 
))  remettre  les  troubles  en  ce  royaume.  Une  chose  entre  autres 
j)  trouvoit-il  en  eux  de  nouvel  exemple,  et  qui  entre  les  Bar- 
y>  bares  mesmes  seroit  trouvée  estrange  et  déraisonnable  ;  c'est 
i>  qu'encores  que  tous  accusateurs  ayant  tousjours  accous- 
»  tumé  de  se  mettre  en  peine  et  devoir  pour  attirer  les  accusez 
)>  à  se  représenter  devant  le  roy  ou  sa  justice,  au  contraire  ses 
»  parties  taschent  par  tous  moyens  dont  ils  se  peuvent  adviser, 
»  et  contre  tout  droit  et  coustume,  qu'il  ne  comparoisse  et  se 
y>  présente  devant  Sa  Majesté,  où  il   sera  tousjours  plus  à 

1.  Mém.  deCondé,  t.  V,  p.  27, 


—  304  — 

y>  propos  pour  estre  ouy,  respondre  par  sa  bouche,  et  pour  se 

»  justifier   et   recevoir  jugement  de  ce  qu'on  luy  voudroit 

»  imposer  :  ce  qui  démontre  assez  clairement  qu'ils  ne  tendent 

y>  sinon  à  le  calomnier  et  vouloir  faire  condamner,  s'ils  pou- 

y>  voient,  sans  estre  ouy,  et  par  juges  apostez  :  et  partant  doit 

»  rendre  à  Sa  Majesté   preuvre  suffisante  de  leur  mauvaise 

))  cause  et  intentions.  —  Plusieurs  autres  raisons  allégua  ledit 

y>  s'  admirai,  servant  à  la  justice  de  sa  cause,  dont  leurs 

y>  majestez  démonstrérent  avoir  quelque  satisfaction  ;  et,  pour 

y>  le  faire  court,  au  partir  delà,  il  suivit  le  roy,  à  une  journée 

y>  prés.  —  Et  combien  que  lesdits  sieurs  de  Guise  fussent  bien 

»  accompagnez,  et  que  partout  un  bruit  commun  s'espandist 

y>  de  leur  forces  et  menaces,  le  lendemain  après  que  le  roy  fut 

))  arrivé  à  Paris,  ledit  sieur  admirai,  contre  toutes  leurs  opi- 

»  nions  et  discours,  alla,  avec  une  asseurance  qui  luy  est  assez 

»  accoustumée  et-  familière,  trouver  Sa  Majesté  audit  Paris  ^ 

))  qui  estoit  leur  principal  fort,  retraite  et  franchise;  et  faut 

))  confesser  qu'il  y  entra  avec  aussi  grand  honneur,  et  nota- 

3)  ble  compagnie  de  seigneurs  et  gentilshommes,  dont  aucuns 

»  volontairement  le  suivoient,  les  autres  estans  sortis  aude- 

))  vant  de  luy,  que  seigneur  qui  y  soit  arrivé  depuis  vingt  ans  ; 

y>  lesquels^sieurs  de  Guise  semonstrans  au  contraire  si  estonnez, 

y>  sans  grande  occasion,  qu'aussitost  qu'ils  le  sentirent  appro- 

ï)  cher,   ils  troussèrent  bagages,  en  diligence  et  deslogèrent 

»  tous  du  Louvre  et  des  environs,  pour  s'aller  retirer  à  l'hostel 

))  de  Guyse,  où  ils  faisaient  faire  ordinairement  guet  et  senti- 

))  nelle  ;  ce  qui  diminua  un  peu  de  leur  réputation,  au  grand 

))  regret  et  desplaisir  de  leurs  amys  et  serviteurs,  qui  cou- 

»  vroient  ceste  retraite  sur  ce  qu'ils  n'eussent  eu  le  cœur  de 


1 .  «  Le  samedi  20  novembre,  l'admirai  et  Dandelot  avec  le  cardinal  de  Chas- 
»  lillon,  leur  frère,  arrivèrent  au  Louvre,  en  ceste  ville  de  Paris,  et  lors  mes- 
>  sieurs  de  Guyse  se  retirèrent  à  l'hostel  de  Guyse,  et  semblablement  M.  le 
»  duc  de  Nemours.  »  (Journal  de  Bruslart,  mém.  de  Condé,  1. 1,  p.  138). 


—  305  — 
j>  voir  celui  qui  avoit  fait  luer  leur  frère,  sans  s'en  ressentir 
y>  sur  l'heure  ;  et  protesta  madame  de  Guyse,  premier  que  partir, 
»  (le  23  novembre)  en  présence  de  la  royne  et  d'aucuns  sei- 
))  gneurs  du  conseil  du  roy,  qu'elle  n'entendait  se  faire  partie 
y>  contre  ledit  sieur  admirai  \  » 

Coligny,  à  ce  moment,  avait  repris  auprès  du  roi  la  place  que 
lui  assignaient  son  rang  et  ses  fonctions,  logeait  au  Louvre,  et 
prenait  part  aux  délibérations  du  conseil  privé  ^ . 

La  requête  de  la  duchesse  de  Guise,  du  27  octobre,  et  sa 
protestation  du  23  novembre  ayant  été  communiquées  à  l'a- 
miral, il  y  répondit  par  la  déclaration  suivante,  adressée  au  roi 
et  à  la  reine  mère  ^  :  «  Pardevant  vos  majestez  remonstre  l'a- 
»  myral  de  France,  vostre  très  humble  subjectet  serviteur,  sur 
»  la  requeste  présentée  à  vos  dites  majestez  par  madame 
y>  de  Guyse,  du  27  d'octobre  dernier,  à  lui  communiquée  le  17 
»  de  ce  moys  de  novembre,  que,  après  avoir  veu  la  déclaration 
y>  de  ladite  dame  du  jour  d'hier  23  dudit  novembre,  par  laquelle 
y>  elle  déclajre  qu'elle  n'entend  se  rendre  partye  en  ce  regard, 
• 

1.  Mém.  de  Condé,  t.  V,  p.  28  à  30. 

2.  «  The  admirai  of  France  has  had  access  to  this  court,  where  he  assists  at 
>  tlie  affairs,  having  his  lodging  within  it.  {Calend.  of  State  pap.  foreign). 
26  novembre  1563.  Trockmorton  to  the  queen.)  —  La  rentrée  de  Coligny  à  la 
cour  indigna  Philippe  II,  qui  le  14  décembre  1563,  écrivit  au  duc  d'Albe. 
«  Chantonnay  me  fait  savoir  le  retour  de  l'amiral  de  France  à  Paris,  l'in- 
»  solence  avec  laquelle  il  a  parlé  à  la  reine,  on  même  temps  que  ses  vœux 
»  et  projets  et  ceux  de  sa  faction.  Le  tout  m'a  paru  de  telle  importance,  que 
ï  j'ai  voulu  vous  en  avertir  aussitôt,  afin  que  ,  bien  renseigné  de  ce  qui  se 
î  passe  et  de  l'état  dans  lequel  se  trouvent  présentement  les  affaires  en 
»  France,  appréciant  le  résultat  probable  de  l'inimitié  haineuse  vouée  à  mes 
ï  intérêts  par  l'amiral  et  le  prince  de  Condé,  à  raison  des  offenses  qu'ils  pré- 
»  tendent  avoir  reçues  de  moi,  comme  aussi  la  portée  des  intelligences 
»  qu'ils  ont  cherché  constamment  à  se  ménager  dans  mes  états  de  Flandre, 
»  vous  avisiez  aux  mesures  que  l'on  pourrait  et  devrait  prendre,  et  aux 
»  démarches  que  l'on  aurait  à  faire  auprès  de  la  reine  avec  chance  de  suc- 
î  ces,  non  seulement  en  ce  qui  concerne  le  remède  à  apporter  aux  affaires 
»  de  ce  royaume,  mais  encore  afin  d'obvier  au  dommage  qui  pourrait  en  ré- 
ï  sulter  pour  mes  états.  »  (Pap.  d'état  de  Granvelle,  t.  VII,  p.  268;  269). 

3.  Bibl.  nat.,  mss.  f.  fr.  vol.  6,621,  f  85. 

n.  20 


—  306  — 
»  il  n'a  plus  besoing  de  respondre  à  ladite  requeste,  parceque 
j  de  la  constitution  des  parties  dépend  l'entrée  des  jugemens, 
»  et  que  sans  ce  préalable  ne  peult  estre  requis  ne  désiré  l'of- 
î  fice  de  juges.  » 

Cinq  ou  six  jours  après,  les  Guises  reconnaissant  la  faute 
qu'ils  avaient  commise  en  se  retirant,  et  vivement  blessés  de 
l'amertume  des  commentaires  et  des  critiques  dont  leur  retraite 
était  l'objet,  décidèrent  entre  eux  que  la  veuve  de  François  de 
Lorraine,  le  cardinal  de  Guise  et  le  duc  de  Nemours  retourne- 
raient au  Louvre. 

A  peine  y  furent-ils  revenus,  qu'ils  virent  leur  échapper  un 
appui  sur  lequel  ils  avaient  complé  jusque-là.  En  effet,  divers 
gentilshommes  dont  ils  croyaient  pouvoir,  en  temps  voulu, 
invoquer  le  témoignage  pour  accuser  Goligny  d'avoir  trempé 
dans  le  meurtre  du  duc  de  Guise,  se  présentèrent  à  la  reine 
mère,  afin  de  décharger  l'amiral,  et  affirmèrent  que  jamais  ils 
n'avaient  parlé  de  sa  prétendue  participation  au  crime  commis  ; 
qu'ils  n'en  avaient  ni  rien  su,  ni  rien  connu  ;  et  que  ce  qu'on, 
pouvait  avoir  fait  entendre  de  contraire  h  la  reine  était  faiFx 
et  controuvé  \ 

((  Sur  ces  entrefaites,  les  sieurs  de  Guise,  ou  ne  voulans,  ou 
y>  n'osans,  et  n'estans  conseillez  de  se  déclarer  parties  contre 
y>  ledit  sieur  admirai,  luy  mirent  une  femme  en  teste  ^,  »  en 
laissant  à  la  duchesse  de  Guise,  seule,  les  oin  de  présenter  une 
requête  dans  laquelle  elle  déclarait  se  porter  partie  contre 
l'homme  que  la  famille  du  duc  s'abstenait  d'attaquer  person- 
nellement. Elle  demandait  l'autorisation  de  poursuivre  devant 
la  juridiction  ordinaire,  l'évocation  antérieure  devant,  selon 
•elle,  demeurer  sans  effet  ^. 


'j 


1.  Mém.  de  Condé,  t.  V,  p.  30. 

2.  Mém.  de  Condé,  t.  V,  p.  30. 

3.  Mém.  de  Condé,  t.  V,  p.  31,  32. 


—  307  -- 

L'amiral  combattit  les  conclusions  de  cette  requête,  dans  une 
adresse  au  roi,  ainsi  formulée  *  : 

«  Sire,  puisqu'il  a  pieu  à  vostre  Majesté,  non  par  faveur, 
»  mais  par  justice,  après  grande  et  meure  délibération  avec  la 
»  royne  vostre  mère,  princes  de  vostre  sang  et  autres  seigneurs 
))  de  vostre  conseil  évoquer  à  vostre  personne  toutes  les  causes, 
»  tant  civiles  que  criminelles,  que  vostre  très  humble  et  très 
»  obéissant  subject  l'admirai  de  France  a  et  pourra  avoir,  et 
»  par  mesme  moyen  attribuer  la  cognoissance  d'iceluy  à  vostre 
y>  grand  conseil,  sans  qu'ils  eûst  esté  de  la  part  dudit  suppliant 
»  nommé  ou  requis,  iceluy  admirai  vous  requiert  et  supplie 
))  très  humblement  que  l'importunité  et  poursuite  de  madame 
»  de  Guise  ne  contraigne  vostre  Majesté  révoquer  ou  rétracter 
»  vostre  arrest  et  renvoy,  et  faire  ouverture  par  nouvel  exemple, 
»  de  n'estimer  stable  ce  qui  par  vous  et  vostre  dit  conseil  est  ar- 
y>  resté  ;  mesmement  que,  quoyqu'elle  suppose  par  sesrequestes 
))  que  par  la  loi,  l'establissement  de  vostre  royaume,  la  justice, 
))  administration  et  distribution  d'icelle  est  en  vostre  main,  non 
3  liée  ny  obligée  à  la  cour  de  parlement  ou  autre,  pour,  soit  de 
»  volonté,  soit  par  justice,  la  raison  et  nécessité  le  requérant, 
»  la  commettre  à  qui  bon  vous  semblera,  comme  vous  et  voz 
»  prédécesseurs  avez  fait  en  plusieurs  cas  et  exemples;  non 
»  jamais  toutes  fois  en  plus  grande  raison  qu'en  la  cause  du 
»  dit  admirai,  le  party  duquel  tous  les  parlemens  de  ce  royaume 
»  ont  non  seulement  condamné  et  aûthorizé  le  contraire,  mais 
»  aussi  sont  entrez  en  ligue,  et  induit  les  villes  où  ils  sont  assis 
»  à  se  liguer  et  bander  contre  M.  le  prince  de  Condé,  et  ceux 
»  qui  à  luy  se  sont  joints  pour  la  conservation  de  voz  édictz  et 
»  authorité,  et  ont  en  ce  suivy  son  party  ;  s'associans  ceux 
»  desdits  parlemens,  secrètement  et  sans  vostre  volonté  avec  le 
»  s'  de  Guyse  ;  qui  a  esté  cause  de  retarder  ledit  admirai 

i.  Mém.  de  Condé,  t.  V,  p.32,  33,  34. 


—  308  — 

y>  jusqaes  à  présent  d'accuser  la  mémoire  dudit  deffunt,  d'avoir 
v  prins  les  armes  sans  adveu  de  vostre  Majesté,  en  délibération 
»  de  vostre  conseil,  et  fait  plusieurs  choses  au  préjudice  de  vous 
y>  et  du  repos  de  vostre  royaume,  hors  les  faits  remis  et  abolis 
y>  par  vostre  édict  de  pacification  ;  estant  très  certain  qu'en  icelles 
»  cours  il  n'obtiendroit  justice  en  son  droit,  et  beaucoup  moins 
y>  contre  ledit  S'  de  Guyse  ;  mais,  puisqu'ainsi  est  que  la  vefve 
»  et  successeurs  d'iceluy,  au  préjudice  de  vostre  repos  et  de  la 
:o  paix  publique  de  vostre  royaume,  s'efforcent,  sous  couleur  de 
»  demander  justice,  mettre  ledit  admirai  es  mains  de  ses  con- 
))  jurez  ennemis,  n'ayant  autre  occasion  qui  les  puisse  ou  doive 
))  inciter  de  l'accuser,  sachans  en  conscience  qu'il  est  très  inno- 
»  cent  de  l'occisiondudict  deffunt,  que  pour  attenter  à  sa  vie  et 
»  honneur  du  dict  admirai  qui,  sous  l'authorité  de  M.  le  prince 
»  de  Condé,  s'est  opposé  et  a  résisté  aux  entreprises  contre 
))  vostre  Majesté  ;  — ces  choses  considérées,  ledict  admirai  vous 
y>  supplie  très  humblement  le  faire  et  laisser  jouyr  de  l'effect  de 
))  ladicte  évocation  de  renvoy,  nonobstant  les  requestes  de 
))  ladicte  dame  vefve,  remettant  par  vous  en  mémoyre  qu'onc- 
})  ques  il  ne  nomma  ny  affecta  vostre  dict  grand  conseil,  mais 
»  que  la  nécessité  des  affaires  passez  n'a  laissé  en  vostre  royaume 
))  autre  cour  qui  de  sincère  justice  et  en  lieu  de  seur  accez, 
»  puisse  congnoistre  de  chose  qui  touche  ou  appartienne  audict 
»  admirai,  soit  en  demandant  ou  en  deffendant,  et  y  renvoyer 
))  lesdites  parties  pour  instruire  et  juger  le  procès  que  ledict 
))  suppliant  entend  intenter  et  poursuivre  contre  la  mémoire 
»  dudit  feu  sieur  de  Guyse,  pour  aussi  estre  par  ledit  conseil 
))  préalablement  jugé  si  ladite  vefve  sera  recevable  en  sa  pré- 
»  tendue  accusation,  attendu  l'ouverture  préjudiciable  que  ce 
))  seroit  faire  à  votre  édict  de  pacification,  et  conséquemment 
»  au  bien  et  repos  public  ;  et  autrement  faire  droit  aux  parties, 
y>  comme  déraison.  y> 

Ce  ferme  langage  était  de  nature  h  faire  impression  sur  le 


—  309  — 
jeune  souverain  et  sur  sa  mère.  Prêt  à  répondre,  devant  qui  de 
droit,  comme  accusé,  aux  odieuses  imputations  de  ses  ennemis, 
l'amiral  revendiquait  la  faculté  de  se  constituer  accusateur  à 
son  tour;  et  l'accusation,  de  sa  part,  s'annonçait  comme  devant 
s'appuyer  sur  des  faits  d'une  haute  gravité.  Dès  lors  il  fallait,  de 
toute  nécessité,  compter  avec  le  sérieux  des  moyens  de  défense 
et  d'attaque  qu'il  tenait  en  réserve  ;  la  situation  qu'il  venait  de 
reconquérir  à  la  cour,  par  la  dignité  et  l'énergie  de  son  attitude  * 
commandait  des  ménagements  :  Catherine  et  ses  conseillers  le 
comprirent  ^. 

Tandis  que  cette  princesse  s'occupait  avec  eux  d'un  parti  à 
prendre,  quant  au  conflit  provoqué  par  la  maison  de  Guise 
contre  la  maison  de  Ghâtillon,  la  propre  mère  de  la  duchesse 
de  Guise,  Renée  de  France,  qui  jamais  n'avait  douté  de  l'inté- 
grité et  de  la  complète  innocence  de  Coligny,  s'attachait,  en 
l'absence  de  celui-ci,  à  entourer  sa  femme  d'une  touchante  sol- 
licitude, qu'attestent  les  lignes  suivantes,  adressées  de  Ghâtillon 
par  Charlotte  de  Laval  à  Renée,  la  veille  de  Noël  ^  : 


1.  c  Admiraldus  cum  ad  regem  salutandum  venisset,  valdé  humaniter  exceptus 
»  est;  inde  Lutetiam  perrexit  cum  maximo  comitatu.  Connestabilis,  utstomachum 
»  invidis  faceret,  venit  in  ejus  hospitium,  et  à  prandio  in  arcem  regiam  eum 
»  deduxit.  Illic  consultationi  interfuit  ubi  res  maximas  fuisse  agitatas  putant. 
»  Guisiani,  collectis  vasis,  in  adversam  urbis  partem  transierunt.  Per  ducem 
î  Nemorsum  interea  nuntiarunt  matri  régis  se  mirari  quomodo  admiraldum 
»  pateretur  filio  tàm  propinquum  esse.  Respondit  illa  veterem  esse  régis  mi- 
»  nistrumnec  causam  esse  cur  prohiberetur,  deinde  itaregi  placere,  verum  simui 
»  esse  omnibus  satis  loci  ;  se  ergo  monere  ut  venirent,  quod  factum  non  est. 
»  Curia  vero  deprecatores  misit  ad  connestabilem  ut  nepotis  sui  animum  pla- 
»  caret.  Idem  factum  à  magistro  civiumet  decurionibus.  Rex  in  curiam  venturus 
»  erat,  et  admiraldum  secum  ducturus.  »  (Calvinus  Bullingero,  4  nonas  de- 
>  cembris  1563.)  Bibl.  de  Genève,  mss.  107,  a.  —  Voir  aussi  unelettre  de  Bèze 
â  Bullinger,  du  i  décembre  1563  (op.  Calvini,  vol.  20,  n°  4  053,  p.  206). 

2.  c  Possidonius  noster  (Coligny)  fortem  et  invictum  se  praebet.  Quo  durius 
5  impetitur  eo  se  constantiorem  praestat,  ac  bonus  ipsius  negotii  exitus  spe- 
»  ratur.  »  (Gallasius  Calvino,  5  décembre  1563.  op.  Calvini,  vol.  20,  n»  4  058, 
p.  214.) 

3.  Lettre  du  24  décembre  1563.  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  3  180,  f  116- 


—  310  — 

«  Madame,  j'ay  reçeu  la  lettre  qu'il  vous  a  pieu  m'escrire,  et 
»  vous  remercie  très  humblement  de  ce  qu'il  vous  plaist  me 
))  visiter  si  soigneusement.  J'espère,  Dieu  aydant,  après  ces 
))  festes,  aller  moy  mesmes  vous  remercier  de  tant  d'honneur  et 
y)  d'obhgations  que  me  faites.  Cependant,  madame,  je   vous- 
»  diray  que  j'ay  esté  bien  fort  aise  d'avoir  entendu,  par  ce  por- 
»  teur,  des  nouvelles  de  monsieur  l'amyral;  et,  pour  l'expé- 
))  rience  que  nous  avons  eue  de  l'assistance  de  Dieu  jusqu'à 
y>  maintenant,  cela  faict  que  nous  nous  remetons  du  tout  en 
y>  Dieu  de  tous  nos  affaires.  Et  pour  ce  que  j'ay  remis  audit 
»  porteur  à  vous  dire  de  la  santé  de  moy  et  de  mes  enfans,  je  ne 
))  vous  feray  plus  long  discours,  sinon  vous  présenter  mes  très 
))  humbles  x^ecommandations  à  vostre bonne  grâce,  et  prier  Dieu, 
»  madame,  qu'ils  vous  doinct,  en  parfaite  santé,  très  heureuse 
))  et  longue  vie.  » 

Le  31  décembre,  le  cardinal  de  Ghâtillon  écrivait,  de.  Paris, 
au  connétable  *  :  «  Monseigneur,  on  n'a  point  fait  encores  de 
3)  réponse  à  la  requête  que  mon  frère  présenta  dernièrement, 
D  encores  que  par  plusieurs  fois  on  se  soit  assemblé  en  l'hostel 
y>  de  Guyse.  De  ce  qu'ilz  feront  et  en  succédera,  nous  ne  faul- 
y>  drons  de  vous  tenir  directement  adverty.  » 

Le  4  janvier  1564,  la  duchesse  de  Guise  présenta  au  roi  et 
à  la  reine  mère  une  requête  concluant  à  ce  qu'il  plût  à  leurs 
majestés  seules  statuer  sur  la  fm  de  iion-recevoir  résultant, 
selon  l'amiral,  des  dispositions  de  l'édit  de  pacification. 

Sur  cette  requête  intervint,  le  lendemain  5  janvier,  une  déci- 
sion royale,  ainsi  conçue  ^  : 

((  Yeu  par  le  roy,  estant  en  son  conseil  (suivent  les  nom- 
y>  breux  visas  de  requêtes,  mémoires,  etc.,  etc.)  ;  —  veu  tout 
»  ce  qui  par  les  parties  a  esté  dict,  proposé  et  remonstré,  d'une 
y>  part  et  d'autre;  —  considéré  aussi  par  ledict  seigneur  les 

i.  Bibl.  nat.,  mss.  f.  fr.  vol.  20,  507,  f»  Si. 
2.  Mém  de  Condé,  t.  IV,  p.  i%  à  497. 


—  311  — 

D  récusations  par  icelles  parties  proposées  tant  contre  lesdictes 
»  courts  de  parlement  et  grand  conseil,  que  gens  de  son  dict 
y>  conseil  privé,  et  de  cela  l'impossibilité  de  trouver  juges  non 
D  suspects  pour  congnoistre  dudict  affaire,  et  le  bon  et  grand 
y>  devoir  faict  par  sa  dicte  majesté  pour  leur  faire  sentir  le  fruit 
»  de  la  justice  qu'il  leur  auroit  ouverte,  et  qu'il  désire  singuliè- 
))  rement  leur  estre  faicte,  se  voyant  seul  avec  la  royne  sa  mère 
y>  pour  décider  dudict  affaire,  qui  est  de  tel  poids  et  importance 
))  qu'il  requiert  le  sage  conseil  d'un  prince  plus  expérimenté  et 
))  de  plus  grand  âge  que  le  sien  ;  voulant  obvier  aux  inconvé- 
y>  niens  que  la  poursuite  du  dict  affaire  faicte  en  temps  si  mal 
y>  à  propos  pourroit  apporter  au  repos  et  tranquillité  de  son  dict 
»  royaume  ;  et  le  tout  bien  considéré  par  luy  :  —  a,  de  son 
))  propre  mouvement,  déclaré  qu'il  a  retenu  et  retient  à  luy  et 
y>  sa  personne  la  cognoissance  dudict  procès;  lequel,  de  sa 
»  pleine  puissance  et  autorité  royale,  pour  les  causes  et  con- 
»  sidérations  dessus  dictes,  et  autres  grandes  et  pertinentes  à 
»  celé  mouvans,  il  a  tenu  et  tient  en  estât,  suspens  et  surséance 
y>  pour  le  temps  et  terme  de  trois  ans  prochains  venans,  à 
y>  compter  du  jour  et  date  de  ce  présent  arrest,  ou  tel  autre 
y>  temps  qu'il  plaira  au  roy,  selon  que  ses  affaires  le  pourront 
j>  porter;  pendant  lequel  il  deffend  très  expressément  auxdictes 
»  parties,  de  par  sa  majesté,  de  n'attenter  ni  entreprendre, 
»  l'une  à  rencontre  de  l'autre  par  voye  de  faict  aucune  chose  : 
»  leur  est  deffendu  de  nouveau,  suivant  lesdictes  premières 
»  deffenses,  offenser  et  travailler  l'une  l'autre  directement  ou 
))  indirectement  durant  ledict  temps,  sur  peine  d'encourir  son 
)>  indignation  et  d'estre  punis  comme  contempteurs  de  ses 
»  ordonnances  et  commandemens,  espérant  que  ledict  temps 
»  lui  apportera  ce  qu'il  désire  et  attend  de  la  bonté  et  grâce  de 
»  nostre  Seigneur,  et  plus  de  moyen  de  rendre  sur  ce  aux- 
y>  dictes  parties  l'équitable  justice  requise  et  nécessaire  à  la 
y>  descharge  de  sa  conscience.  » 


—  312  — 

En  exécution  de  cette  décision  et  d'un  ordre  verbalement 
donné  par  le  monarque,  l'amiral  souscrivit,  le  1"2  janvier  1564, 
l'engagement  suivant  *  ;  «  Nous,  Gaspard  de  Coligny,  sieur  de 
»  Ghastillon,  admirai  de  France,  promectons  au  roy  nostre 
y>  souverain  seigneur,  sur  nostre  vie  et  honneur,  que  par  nous, 
»  ne  de  nostre  part,  ne  sera  faict,  entrepris,  ne  attenté  directe- 
»  ment  ou  indirectement  aucune  chose  de  faict  ne  de  parolle 
»  contre  les  personnes,  vie  et  honneur  de  messieurs  les  cardi- 
»  naux  de  Lorraine  et  de  Guyse,  duc  de  Guyse,  d'Aumalle, 
))  marquis  d'Elbeuf,  leurs  enfans,  nepveux  et  parens,  du  nom  et 
))  de  ladite  maison  de  Guyse  ;  lesquels  nous  prenons  en  nostre 
»  garde,  ayant  à  cest  effect  reçeu  et  accepté,  recevons  et  accep- 
»  tons  le  commandement  qu'il  a  pieu  à  sa  majesté  nous  en  faire, 
»  aujourd'hui,  verbalement,  lequel  nous  promectons  observer 
»  sincèrement,  inviolablement  et  de  bonne  foi.  En  tesmoing  de 
))  quoy  nous  avons  signé  la  présente  de  nostre  seing.  » 

L'ajournement  à  trois  ans,  de  la  décision  à  intervenir  sur  le 
conflit  existant  entre  les  maisons  de  Guise  et  de  Ghâtillon, 
n'était  que  l'un  de  ces  expédients  dilatoires,  trop  fréquents,  aux- 
quels Catherine  de  Médicis  aimait  à  recourir,  plutôt  que  de 
trancher  immédiatement  une  difficulté  qui  exigeait,  dans  l'inté- 
rêt de  la  justice,  une  prompte  et  éclatante  solution.  Sa  tor- 
tueuse tactique,  à  cet  égard,  se  trahit  dans  les  lignes  qu'elle  fit 
adresser  par  le  jeune  roi  à  Damville  ^  :  «  Je  vous  advise  que, 
»  voiant  le  peu  de  moyen  qu'il  y  avoit  de  trouver  une  fin  au 
»  faict  de  la  justice  de  la  mort  de  mon  cousin  le  duc  de  Guise, 
))  pour  la  difficulté  qu'il  y  avoit  de  leur  pourvoir  de  juges,  à  cause 
»  des  récusations  proposées  d'une  part  et  d'aultre,  j'ay  retenu 
»  la  cause  à  moy,  et  remis  le  jugement  d'icelle  d'icy  à  trois  ans; 
»  durant  lequel  temps,  tant  mesdicts  cousins  de  Guyse,  que  le 
»  sieur  de  Ghastillon  et  ses  frères,  ont  promis  et  juré  ne  se  rien 

1.  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  6  611,  f»  90. 

2.  Lettre  da  8  janvier  1564,  Mém.  de  Gondé,  t.  V,  p.  il. 


—  313  — 

))  demander,  ny  par  armes,  ny  par  la  justice;  lequel  moyen  a 
»  esté  trouvé  si  bon  que  cela  nous  a  mis  en  repos  et  délivré  de 
»  la  peine  où  nous  estions  pour  ceste  querelle.  » 

Ce  moyen,  que  Catherine  et  son  fils  trouvaient  si  bon,  n'en 
constituait  pas  moins,  au  fond,  un  dém  Je  justice  temporaire- 
ment infligé  à  l'amiral  par  ceux-là  même  qui,  s'étant  réservé  le 
droit  de  statuer  seuls,  sur  le  litige  engagé,  eussent  pu  et  dû, 
le  5  janvier  1564,  proclamer  dans  une  décision  définitive  son 
innocence,  à  laquelle  ils  croyaient  dès  cette  époque.  Mais 
Catherine,  se  prévalant  de  l'empire  absolu  que,  comme  mère, 
«lie  'exerçait  sur  l'esprit  d'un  fantôme  de  roi,  sacrifiait  sans 
scrupule  l'accomplissement  d'un  devoir  de  justice  aux  calculs 
de  son  intérêt  personnel,  qu'elle  faisait  consister  alors  à  miner 
sourdement  la  haute  situation  de  Coligny  en  laissant  planer  sur 
lui,  pendant  plusieurs  années,  une  odieuse  accusation  K  Les 
ménagements  extérieurs  dont  elle  l'entourait,  pendant  son 
séjour  à  la  cour,  n'enlevaient  rien  à  la  perversité  des  intentions 
dont  elle  était  animée  envers  cet  ancien  conseiller,  qui  lui  avait 
donné  tant  de  preuves  d'un  dévouement  éclairé.  Chef  du  parti 
réformé,  qu'elle  travaillait  à  anéantir,  l'amiral  ne  pouvait 
trouver  grâce  devant  elle,  depuis  qu'elle  s'était  asservie  au  joug 
du  parti  contraire.  11  n'était  plus  pour  elle  qu'un  antagoniste 
importun,  antagoniste  plus  que  jamais  redoutable,  par  la  gran- 
deur de  son  caractère  et  par  la  fermeté  de  ses  convictions, 
avec  lequel  elle  n'osait  se  mesurer  face  à  face,  et  qu'elle  ne 
songeait  à  attaquer  que  par  des  voies  obliques  et  souterraines. 
Affectant  de  lui  montrer  bon  visage,  dans  les  rapports  officiels 
qu'elle  entretenait  avec  lui,  elle  le  dénigrait  en  secret;  lui 
attribuant  sans  y  croire,  des  projets  et  des  menées  qui  étaient 


1 .  «  L'admirai  de  Ghastillon  est  entretenu  et  embrouillé  en  l'accusation  de  la 
»  mort  de  M.  de  Guise;  bride  par  laquelle  la  reyne  le  retenoit  avec  les  menaces 
>  de  la  vengeance  des  parens  du  deffunct.  »  (Mém,  de  Tavannes,  chap.  xix). 


—  314.  — 

en  désaccord  complet  avec  sa  fidélité  éprouvée  et  son  incontes- 
table loyauté. 

Les  calomnies  de  Catherine  trouvaient  plus  d'un  écho.  En 
voici  un  exemple  dans  ces  paroles  du  cardinal  de  Sainte-Croix  *  : 
«  Je  n'ai  pas  manqué  de  dire  plusieurs  fois  à  la  reine  combien 
y>  il  me  paraissait  préjudiciable  à  l'intention  de  sa  majesté 
y>  qu'elle  souffrît  les  Châtillons  auprès  d'elle;  mais  elle  m'a 
y>  répondu  qu'il  lui  semble  plus  sûr  de  les  tenir  à  la  cour  que 
y>  de  les  laisser  aller  chez  eux,  où  ils  feraient,  tous  les  jours,  de 
»  nouvelles  assemblées  et  mille  trames...  Elle  craint  beaucoup 
»  qu'il  ne  survienne  de  nouveaux  troubles,  sachant  que  les 
))  Châtillons  fomentent  plus  que  jamais  en  Allemagne,  et  peut- 
»  être  aussi  en  Angleterre,  des  intrigues  propres  à  exciter  la 
3)  guerre  ;  c'est  pourquoi  elle  ne  juge  pas  qu'une  femme  comme 
y>  elle  puisse  prendre  de  meilleures  précautions  que  celle  de 
»  temporiser.  » 

Le  cardinal  de  Sainte-Croix  se  montrait,  en  même  temps, 
disposé  à  entreprendre  la  tâche  de  détacher  de  la  religion 
réformée  l'amiral  et  ses  frères.  A  le  supposer  sincère,  il  fallait 
qu'il  se  fit  tout  au  nioins  d'étranges  illusions  quand  il  écrivait 
à  son  correspondant  habituel  ^  :  «  Les  évêques  Espagnols  sont 
»  allés  chez  le  prince  de  Condé,  où  ils  ont  reçu  le  meilleur 
y>  accueil  du  monde  ;  ce  prince  leur  ayant  offert  ses  services  et 
y>  rendu  toutes  sortes  d'honneurs;  ce  qui  fait  qu'on  tient  ici 
y>  pour  certain  qu'il  se  ravisera  un  jour,  et  entrera  de  rechef 
»  dans  le  sein  de  l'église  romaine.  S'il  y  avait  autant  d'espé- 
»  rance  que  les  Châtillons  changeassent  de  sentiments,  ils 
»  seraient  beaucoup  plus  avancés  qu'ils  ne  le  sont,  quoiqu'on 
))  les  laisse  parler  et  qu'on  les  écoute  volontiers  à  la  cour. 

1.  Lettre  du  10  janvier  1564  au  cardinal  Borromée,  ap.  Aymon,  rec.  des 
synodes,  1. 1,  p.  i!i53. 

2.  Lettre  du  15  janvier  1564  au  cardinal  Borromée,  ap.  Aymon,  ibid. , 
p.  256. 


-  315  — 

»  C'est  pourquoi  je  ne  manquerai  pas  de  faire,  de  mon  côté, 
y>  toute  la  diligence  possible,  pour  ce  qui  pourra  contribuer, 
)>  non  seulement  au  salut  de  leur  âme,  mais  aussi  à  celui  de 
■»  tant  d'autres  qui  suivraient  leur  exemple  pour  retourner  à 
))  leur  devoir.  » 

Les  Guises,  peu  satisfaits  de  la  décision  du  5  janvier,  s'étaient 
aussitôt  éloignés  de  la  cour,  en  annonçant  qu'ils  se  rendaient 
à  Joinville,  au  devant  du  cardinal  de  Lorraine,  qui  revenait 
alors  du  concile  de  Trente. 

Coligny  ne  quitta  le  roi  et  la  reine  mère  qu'après  le  départ 
des  Guises,  et  se  retira  à  Ghâtillon,  dans  les  derniers  jours  de 
janvier  *. 

Revenu,  le  9  mars,  à  la  cour^,  qui  résidait  alors  à  Fontai- 
nebleau, il  n'y  resta  que  huit  jours,  durant  lesquels  lui  et  sa 
femme  subirent,  quant  à  l'exercice  de  leur  culte,  une  interdic- 
tion qu'on  venait  déjà  de  faire  peser  sur  Renée  de  France, 
ainsi  que  cette  princesse  l'annonçait,  le  21  mars,  à  Calvin,  dans 
les  lignes  suivantes,  datées  de  Montargis  :  «  l'occasion  qui  m'a 
»  fait  partir  de  la  court  avant  le  roy  a  esté  pour  m'y  estre  in- 
y>  terdit  de  y  faire  prescher,  comme  j'avois  faict  quelques  jours  ; 
»  et  non  seulement  me  fust  refusé  au  logis  du  roy,  mais  aussy 
y>  en  ung  que  j'ay  achapté,  qui  est  au  villaige,  que  j'ay  tousjours 
))  preste  et  dédyé  pour  tel  faict,  quand  mesme  je  n'estois  point 

1.  Lettre  du  cardinal  Granvelle  à  la  reine  d'Ecosse,  du  31   janvier  1564 
(Papiers  d'état  de  Granvelle,  t.  VII,  p.  341  à  343).  —  «  L'admirai  se  retira  en 
»  sa  maison  avant  la  venue  du  cardinal  de  Lorrayne,  de  retour  du  concile.  > 
{Mém.  de  Condé,  t.  II,  p.  190,  191).  —  «  In  aulâ  adventante  cardinali  omnes 

>  féré  nostri  domum  redierunt.  Bis  scripsit  adrairalius  ne  ofïenderemur  ;  se  enim 

>  quod  fecerit  optimis  consiliis  fecisse.  Mihi  tamen,  ut  libéré  dicam,  aulica  ista 
j  prudentia,  sicut  semper  displicuit,  adhuc  displicet,  et  hoc  véré  scio,  non  dis- 
î  similem  errorem  bello  civili  occasionem  prsebuisse.  Intereà  certum  est  nihil 
î  esse  nostro  illo  et  ipsius  fratribus  integrius,  vel  ipsorum  etiam  hostium  con- 
»  fessione.  »  Beza  BuUingero  6  mars  1664  op.  Calvini,  vol.  20,  n°  4  082,  p.  262. 

2.  «  Giunse  alla  corte  già  tre  giorni  l'amiraglio.  »  (M.  A.  Barbaro  al  senato. 
12  mars  1564.  Archiv.  de  Venise,  Francia,  1563  à  1566.  Senato,  seCreta.) 


-  316  — 
»  àla  court...  monsieur  l'amiral  et  sa  femme  n'y  sont  arrivez, 
»  que  le  jour  que  j'en  partiz,  qui  n'y  ont  peu  faire  autrement 
))  quant  à  faire  prescher,  et  sont  partiz  huict  jours  après,  dont 
))  ilz  me  sont  venuz  dire  des  nouvelles  eulx-mesmes  en  ce  lieu, 
))  avec  le  cardinal  leur  frère  K  » 

Les  relations  entre  Renée  de  France,  l'amiral  et  sa  femme 
devinrent,  à  cette  époque,  encore  plus  étroites  qu'auparavant. 
«  Je  loue  Dieu,  écrivait  alors  Calvin  à  Renée  ^,  qu'il  vous  a  faict 
»  cognoistre  quel  est  monsieur  l'admirai,  pour  prendre  goust 
»  à  sa  preudhomie.  »  Sur  ce  point.  Renée  répondait  à  Calvin  ^  : 
«  je  prends  aide  et  conseil  de  monsieur  l'admirai,  pour  répri- 
»  mer  les  vices  et  scandales,  après  celuy  de  Dieu;  et  se  veoit 
»  qu'entre  ses  subjectz  la  religion  se  accroist  et  augmente, 
»  combien  qu'il  y  en  a  d'autant  contraires  comme  en  ce  lieu, 
»  et  la  pluspart  sont  soubz  ce  bailliage,  et  y  a  mis  des  presches 
»  et  ministres.  y> 

Préoccupé,  comme  toujours,  du  sort  de  ses  coreligion- 
naires, l'amiral  voyait  avec  douleur  leurs  droits  et  leurs  intérêts 
compromis,  avant  tout  par  les  actes  du  pouvoir  souverain,  que 
Catherine  résumait  en  sa  personne.  Il  ne  connaissait  que  trop, 
désormais,  le  mauvais  vouloir  et  la  duplicité  de  cette  princesse, 
qui,  tout  en  protestant,  oralement  et  par  écrit,  de  sa  ferme 
volonté  de  maintenir  et  d'appliquer  l'édit  d'Amboise,  n'aspirait, 
en  réalité,  qu'à  l'anéantir,  et  lui  avait  déjà,  en  quelques  mois, 
porté  de  rudes  atteintes. 

La  première  de  ces  atteintes  provenait  d'une  déclaration 
royale  du  14  juin  1563  *,  qui  «  défendait  à  tous  ceux  de  la  re- 
»  ligion  qu'on  disoit  réformée,  et  autres  de  besongner  de  leurs 


1.  Bibl.  nat.  mss.  collect.  Dupuy,  vol.  86,  f'  120  à  125.  —  Voir  appsniice, 
n°  25. 

2.  Lettres  franc,  t.  II,  p.  557. 

3.  Lettre  du  21  mars  1564.  op.  Calvini,  vol.  20,  p.  268. 

4.  Fontanon,  rec.  des  ordonn.  t.  IV,  p.  276. 


—  317  — 

»  mestiers  et  arts,  à  huis  et  boutiques  ouverts,  les  jours  des 
3>  fastes  commandées  par  l'église  catholique  romaine,  sur  peine 
3>  de  punition  corporelle.  » 

Une  seconde  atteinte  résultait  d'une  autre  déclaration  royale 
du  49  juin  1563  \  qui  «  défendoit  de  faire  presches,  assem- 
y>  blées,  ny  administration  de  sacrementz  de  la  nouvelle  reli- 
»  gion  prétendue  réformée,  en  la  cour  ny  suitte,  ny  es  maisons 
y>  de  Sa  Majesté.  »  Le  monarque  se  vantait  de  combler  par  là 
une  lacune,  en  réglant  un  point  «  dont  il  n'avait  esté  faict  au- 
»  cune  mention  par  l'édict  de  paix,  pour  certains  bons  respectz 
))  et  considérations  »  qu'il  se  gardait  bien,  d'ailleurs,  de  faire 
connaître. 

Une  série  d'atteintes  plus  graves  encore  se  produisait  dans 
une  troisième  déclaration  royale  du  14  décembre  1563  ^ré- 
digée à  la  suite  d'une  délibération  du  conseil  privé,  au  cours 
de  laquelle  Goligny,  d'Andelot,  Odet,  de  Larochefoucauld  et 
Condé  avaient  en  vain  lutté  contre  les  opinions  émises  par  la 
plupart  des  membres  du  conseil.  Cette  déclaration,  dite  inter- 
prétative, excédait  les  limites  d'une  simple  interprétation,  et 
violait  ouvertement  l'édit  d'Amboise,  en  divers  points. 

Son  premier  article  portait  :  «  Quant  à  ce  que  par  nostre 
))  édict  il  est  dit  que  tous  gentilshommes,  barons,  chastellains, 
ï>  hauts  justiciers,  et  seigneurs  tenans  plein  fief  de  haubert, 
»  pourront  vivre  en  leurs  maisons  èsquelles  ils  habiteront,  en 
))  liberté  de  conscience  et  exercice  de  leur  religion,  nous  n'avons 
»  point  entendu,  comme  encores  n'entendons  que  ceste  liberté 
»  d'exercice  de  religion  s'estende  pour  les  hautes  justices  ou 
»  fiefs  de  haubert  qu'ils  ont  acheté  des  biens  des  ecclésias- 
))  tiques,  en  vertu  de  l'édict  de  l'aliénation,  ne  qu'en  cela  soient 
»  aucunement  comprins  les  gens  ecclésiastiques  pour  les  lieux 
3)  de  leurs  bénéfices.  i> 

1.  Mém.  de  Cojadé,  t.  IV,  p.  505. 

2.  Fontanon,  rec.  des  ordonn.  t.  IV,  p.  276  à  278. 


—  318  — 

Celte  disposition  arbitraire  et  hostile  avait  principalement  en 
vue  le  cardinal  de  Châtillon  et  l'archevêque  d'Aix,  Saint-Ro- 
main, qui  professaient  publiquement  la  religion  réformée  et 
s'efforçaient  de  la  propager  dans  leurs  anciens  diocèses  *. 

L'article  6  était  ainsi  conçu  :  «  afin  que  ce  qui  est  accordé 
»  pour  les  villes  èsquelles  la  religion  estoit  jusques  au  septiesme 
))  du  mois  de  mars,  ne  soit  trop  généralement  interprété  et 
»  entendu,  nous  avons  déclaré  et  déclarons,  qu'encores  qu'il  y 
»  ait  ces  mots,  toutes  les  villes^  ce  néantmoins  nous  n'avons 
»  entendu  ny  entendons  que  ce  soient  autres  que  celles  qui 
T>  estoient  tenues  par  force,  durant  les  troubles,  èsquelles  l'exer- 
))'cice  de  ladite  religion  se  faisoit  apertement,  ledict  septiesme 
»  mars.  » 

Le  culte  réformé  se  trouvait  ainsi,  sans  motif  légitime,  pros- 
crit de  plusieurs  villes  importantes.  Il  était  impossible  de  se 
jouer  avec  plus  d'audace  du  droit  qu'impliquait,  en  faveur  des 
réformés,  une  désignation  générique  aussi  large  que  celle-ci  : 
toutes  les  villes^  inscrite  dans  l'édit  d'Amboise. 

L'article  7  ajoutait  à  celle  des  dispositions  de  cet  édit  qui 
interdisait  l'exercice  de  la  religion  réformée  dans  la  prévôté  de 
Paris,  ce  qui  suit  :  «  les  manans  et  habitans  de  nostre  bonne 
»  ville  et  cité  de  Paris  et  du  ressort  de  la  prévosté  et  viconté, 
»  qui  seront  de  ladite  religion  prétendue  réformée,  ne  pourront 
3)  se  transporter  es  bailliages  circonvoisins  pour  assister  à  l'exer- 
»  cice  qui  s'y  fera  de  ladite  religion.  » 

Cette  addition  fut  faite  principalement  en  haine  de  divers 
conseillers  au  parlement  qui,  ayant  leur  domicile  dans  la  capi- 
tale, à  raison  de  leurs  fonctions,  étaient  obligés  de  se  transporter 
ailleurs  pour  pouvoir  participer  à  la  célébration  du  culte  ré- 
formé ^. 

Les  articles  9  et  10  limitaient  abusivement  le  nombre  des 

1.  De  Thou,  Hist.  univ,,  t.  III,  p.  M\. 

2.  Id.,  i&i(i.,  t.  m,  p.  412. 


—  319  — 

personnes  auxquelles  il  était  permis  d'assister  soit  à  un  bap- 
tême, soit  à  une  inhumation. 

L'article  11,  spécialement  applicable  à  Paris,  exigeait  que 
toute  inhumation  d'un  réformé  se  fît  «  de  nuit,  sans  aucune 
y>  suite  ni  compagnie.  » 

L'article  12,  méconnaissant  l'autorisation  accordée  par  l'édit 
à  chacun,  de  vivre  tranquillement  dans  sa  demeure,  sans  être 
jamais  inquiété  ni  troublé  pour  cause  de  religion,  portait  : 
a.  les  religieux  et  religieuses  profez  qui  se  sont  licentiez  durant 
i)  et  depuis  les  derniers  troubles,  retourneront  en  leurs  monas- 
»  tères,  pour  y  vivre  selon  les  constitutions  de  l'église  catho- 
»  lique  et  romaine  :  autrement  seront  tenuz  vuidernoz  royaume 
))  et  pays,  et  mesmes  s'ilz  sont  mariez  contre  le  vœu  de  leur 
»  profession.  » 

Le  motif  allégué  pour  tenter  de  justifier  cette  violation  de  la 
liberté  individuelle,  des  droits  de  la  conscience,  et  des  engage- 
ments valablement  contractés,  se  tirait  de  la  prétendue  nécessité 
de  ne  pas  troubler  la  paix  des  familles,  qui  auraient  été  obligées 
de  donner  une  part  dans  leurs  biens  à  des  individus  non  comptés 
jusque-là  pour  elles  au  nombre  des  héritiers,  à  cause  de  leurs 


vœux* 


L'article  13,  en  disant  :  «  ne  seront  reçus  à  prescher  pour 
»  l'advenir  que  Français,  et  de  nos  sujets,  »  détruisait  la  liberté 
accordée  à  tous,  sans  destinction  de  nationalité,  par  l'édit,  de 
professer  publiquement  la  religion  réformée,  et  décrétait,  par 
cela  même,  l'expulsion  de  plusieurs  ministres  dévoués  qui  s'é- 
taient fait  un  devoir  de  venir,  en  France,  édifier  leurs  coreli- 
gionnaires. 

Les  articles  14  et  15  imposaient  aux  réformés,  sans  respect 
pour  leurs  convictions  personnelles,  l'obligation  d'observer  les 
jours  de  fêtes  et  les  jours  de  maigre,  admis  par  l'église  catho- 
lique. 

1.  De  Thou,  Hist.  univ.,  t.  III,  p.  412. 


—  320  — 

L'article  1 7  ne  permettait  aux  réformés  d'autres  collectes  que 
celles  qui  se  feraient  pour  les  pauvres,  dans  les  lieux  de  culte, 
à  l'issue  du  service,  et  «  prohibait  toutes  levées  de  deniers  et 
y>  cueillettes,  enrôlements  de  personnes  et  cotisations,  encores 
»  qu'elles  fussent  volontaires.  » 

Voilà  quelles  altérations  profondes  l'édit  d'Amboise  avait 
subies  en  quelques  mois  ! 

Les  réformés,  lésés  de  la  sorte  dans  leurs  droits,  leurs  légi- 
times intérêts  et  leurs  personnes  par  des  déclarations  du  pou- 
voir souverain  empreintes  tout  à  la  fois  d'animosité  et  d'arbi- 
traire, l'étaient  en  outre,  journellement  par  les  gouverneurs  des 
provinces,  par  les  parlemens,  par  les  juridictions  subalternes, 
et  par  les  nombreux  agents  de  l'autorité  supérieure,  qui  non 
seulement  affichaient,  à  leur  égard,  une  partialité  révoltante, 
dans  leurs  démêlés  avec  les  catholiques,  mais  qui,  de  plus, 
assuraient  une  impunité  complète  aux  auteurs  de  délits  et  de 
crimes,  tels  qu'outrages,  agressions  à  main  armée,  spoliations, 
incendies,  blessures,  meurtres,  dont  ces  mêmes  réformés  étaient 
victimes. 

L'amiral,  dès  que  l'un  de  ces  excès  était  connu  de  lui,  éle- 
vait la  voix  en  faveur  des  opprimés  et  provoquait  le  châtiment 
des  coupables.  Ce  fut  ainsi,  qu'après  son  retour  à  Ghâtillon,  il 
s'empressa  d'écrire,  le  26  février,  à  Catherine  de  Médicis  ^  : 

c(  Madame,  il  vous  pleut  dernièrement  me  commander  que, 
»  là  où  je  congnoystroys  personnes  en  ce  royaume  qui  voulussent 
»  altérer  les  édictz  et  ordonnances  du  roy  et  empescher  le  repoz 
»  publicq  d'icelluy,  j'eusse  à  en  advertir  incontinent  Vostre 
»  Majesté.  Maintenant  il  se  présente  une  occasion  d'une  grande 
»  inhumanité  et  cruaulté  qui  s'est  faite  depuys  peu  de  temps 
»  en  la  ville  de  Bloys  par  aucuns  séditieux  contre  beaucoup 
»  des  meilleurs  et  des  plus  paisibles  et  modestes  habitans  de 

1.  Bibl.  nat.,  mss.  f.  fr.,  vol.  15542,  f  56. 


—  321  — 

»  ladite  ville  ;  et  afin,  madame,  que  vostre  dicte  Majesté  soit 
»  mieulx  informée  du  faict  et  comme  tout  cela  est  passé,  je 
D  luy  envoyé  une  lettre  d'un  mien  secrétaire  qui  m'en  a  escript 
y>  et  lequel  je  la  puys  asseurer  estre  fort  homme  de  bien  et  sans 
»  aucune  passion.  Il  luy  playra  la  veoyr  et  ouyr  davantage  ce 
»  porteur  qui  est  envoyé  vers  elle  pour  obtenir  quelque  provi- 
y>  sion  et  remède  convenable  ;  je  la  supplieray  très  humblement 
y>  de  la  leur  vouloir  départir...  Madame,  je  vous  supply  me 
y>  pardonner  sy  je  vous  dicts  que  la  trop  grande  impunité  est 
»  cause  de  toutes  ces  grandes  cruautés  et  désordres,  car  il 
»  semble  à  ceulx  qui  les  font  qu'ilzfont  bien,  sous  ombre  qu'on 
»  leur  souffre.  Je  vous  supply,  madame,  au  nom  de  Dieu,  y 
»  vouloir  pourvoir,  et  vous  serés  cause  que  le  roy  sera  bien 
y>  servy  et  obéy.  » 

A  cette  communication,  comme  à  toutes  autres  du  même 
genre,  Catherine  répondit  que  justice  serait  faite  :  mais  quelle 
valeur  pouvait  s'attacher  à  ses  paroles,  alors  que  des  faits 
empreints  d'une  incontestable  gravité  venaient  journellement 
les  démentira 

Promettait-elle  de  faire  rechercher  et  punir  les  auteurs  d'at- 
tentats commis  sur  les  réformés  :  ses  promesses  étaient,  la 
plupart  du  temps,  illusoires.  Ne  l'étaient-elles  pas,  eu  ce  sens, 
du  moins  que,  conformément  à  un  ordre  émané  d'elle,  sous  le 
nom  du  roi,  des  poursuites  s'entamaient  :  ces  poursuites  étaient 
bientôt  abandonnés  ;  ou,  si  elles  se  continuaient,  pour  la  forme, 

1.  «  Non  esset  difficile  sanare  omnes  tumultus,  imô  sponté  conciderent,  nisi 
»  eos  regina  clandestinis  artibus  foveret.  Aliud  quidem  simulât,  certum  tanien 
»  est  per  emissarios  ità  agere  ut  quod  palam  decretum  est  ia  régis  consilio, 
î  irritura  suâ  improbitate  faciant  nihili  homines.  Certé  scelerum  impunitas 
y>  satis  ostendit  eam  probare  quidquid  ad  nos  opprimendos  spectat.  »  (Calvinus 
Bullingero,  29  julii  1563,  op.  Calvini,  vol.  20,  n»  3995,  p.  JH.  —  Voir  aussi 
l'écrit  intitulé  : 

))  Doléance  faite  au  roy,  sur  l'importunité  des  meurtres  et  oppressions  qui  se 
»  commettent  journellement  en  ce  royaume,  au  préjudice  de  sesédits.  »  (Mérn. 
de  Condé,  t.  V,  p.  164  et  suiv.) 

II.  21 


—  322  — 

elles  échouaient  quant  à  la  répression  qu'elles  eussent  dû 
entraîner,  devant  les  parlements  ou  les  autres  juridictions, 
aveuglés  par  la  haine  et  dépourvus  de  tout  sentiment  de  justice. 

Des  déclamations,  des  menaces,  des  émeutes,  des  violences 
éclataient-elles  contre  les  réformés  :.  les  gouverneurs  des  pro- 
vinces, ou  leurs  subordonnés,  refusaient  habituellement  de  les 
réprimer,  et  fomentaient,  par  leur  inaction  calculée,  l'extension 
d'épouvantables  désordres,  dont  parfois  quelques-uns  d'entre 
eux  avaient  même  été  les  secrets  instigateurs , 

Et  non  seulement  cela  :  mais  Catherine  contribuait  à  aggraver 
les  désastreuses  conséquences  d'un  tel  état  de  choses  par  la 
ténacité  avec  laquelle  elle  s'attachait  à  saper  par  sa  base,  en 
même  temps  qu'à  détruire  en  détail,  l'édit  d'Amboise,  et  à 
mettre  les  réformés  hors  la  loi  ^ 

Afin  de  mieux  assurer  l'exécution  des  pervers  desseins  qu'elle 
avait  conçus  contre  eux,  elle  voulut  d'abord  se  rendre  compte 
personnellement  de  leur  nombre,  de  leur  situation,  ainsi  que 
de  la  limitation  probable  de  leurs  ressources  et  de  leurs  forces, 
en  les  voyant  de  près,  dans  les  différentes  parties  de  la  France 
qu'ils  habitaient,  et  organiser,  d'après  ses  propres  constatations, 
le  système  de  compression  graduelle  auquel  elle  entendait  les 
soumettre,  pour  arriver,  un  jour,  à  leur  anéantissement  final. 
Alors  elle  résolut  d'entreprendre,  avec  le  roi  son  fils,  dans  les 
principales  provinces  du  royaume,  une  longue  tournée  à  laquelle 
elle  n'assigna  officiellement  d'autre  caractère  que  celui  d'une 
mission  de  paix  et  de  bienfaisance  à  accomplir  par  le  souverain, 

i.  «  Je  ne  cloute  pas,  écrivait  le  cardinal  de  Sainte-Croix  au  cardinal  Bor- 
>  romée,  que  voti'e  Èminence  ne  reçoive  un  grand  plaisir  d'apprendre  que  les 
»  affaires  de  ce  royaume  ne  prennent  pas  ce  mauvais  train  que  tout  le  monde 
»  croyait  et  publiait,  attendu  que,  par  la  grâce  de  Dieu  et  la  prudence 
»  de  la  reine  très  chrétienne,  chacun  va  maintenant  au  but  auquel  il  doit 
»  aller.  C'est  pourquoi  on  tient  pour  certain  que,  dans  peu  de  temps,  on 
»  n'entendra  plus  parler  des  huguenots,  en  France,  et  chacun  reconnaît  en  cela 
»  combien  on  est  redevable  à  la  prudence  et  aux  bons  conseils  de  votre  Emi- 
»  nence.  j»  (Lettre  du  24  avril  1564,  ap.  Aymon.  rec.  des  synodes,  t.  1,  p.  265). 


—  323  — 

au  sein  de  populations  troublées  et  souffrantes,  dont  il  voulait 
étudier  les  besoins,  soulager  les  maux  et  améliorer  la  condition. 
Le  but  réel  de  cette  tournée  est  nettement  caractérisé  par 
Davila  \  en  ces  termes  : 

€  Le  roi  et  la  reine  prirent  la  résolution  de  visiter  toutes 
»  les  provinces  et  les  principales  villes  du  royaume.  Ils  comp- 
))  talent,  dans  ce  voyage,  travailler  utilement  à  l'avancement  des 
y>  projets  qui  étaient  le  mobile  et  le  but  de  toutes  leurs  démar- 
))  ches.  Ils  se  mettaient  à  portée  de  s'aboucher,  en  Dauphiné, 
»  avec  le  duc  de  Savoie  ;  à  Avignon,  avec  les  ministres  du  pape, 
»  et  avec  le  roi  d'Espagne  ou  la  reine  son  épouse,  sur  les  fron- 
»  tières  de  Guyenne.  Ils  pouvaient  faire  part  à  ces  princes  de 
»  leurs  desseins,  sans  crainte  qu'ils  parvinssent  à  la  connais- 
»  naissance  des  huguenots  :  inconvénient  presque  inévitable, 
))  s'ils  les  eussent  confiés  à  des  ambassadeurs  français  qui  eussent 
y>  pu  avoir  des  liaisons  avec  le  parti.  C'était  d'ailleurs  un  moyen 
»  de  se  ménager  l'amitié  du  souverain  pontife  et  des  autres 
y>  princes  catholiques,  et  de  prendre  avec  eux  les  mesures  con- 
»  venables  pour  exécuter  à  loisir  et  sans  risque  la  résolution 
»  que  l'on  avait  formée.  Ils  espéraient  encore  pouvoir  traiter 
0  en  personne  avec  le  duc  de  Lorraine,  et  par  son  entremise 
»  avec  les  princes  protestans  d'Allemagne,  afin  de  conclure 
y>  avec  eux  une  alliance  si  étroite  et  si  avantageuse,  qu'on  n'eût 
j)  plus  lieu  de  craindre  qu'ils  embrassassent  la  protection  des 
Tî)  huguenots  et  vinssent  de  nouveau  se  mêler  des  affaires  de 
»  France. 

La  cour  avait  passé  l'hiver  à  Fontainebleau  où  les  ambassa- 
deurs de  Philippe  II,  du  pape  et  du  duc  de  Savoie  étaient  venus, 
en  février,prier  le  roi  de  faire  ponctuellement  observer,  en  France, 
les  décrets  du  concile  qui  venait  de  se  tenir  à  Trente,  et  l'inviter 
à  se  rendre,  vers  la  fin  du  mois  de  mars,  dans  les  Etats  du  duc 
de  Lorraine.  A  Nancy,  devaient  se  trouver  divers  princes  avec 

1.  Hist.  des  guerres  civ.  éd.  fr.  t.  I,  p.  208. 


_  324  — 

lesquels  le  roi  s'engagerait  à  l'observation  des  décrets  précités, 
et  délibérerait  sur  le  choix  des  moyens  propres  à  combattre 
efficacement  l'hérésie.  Au  premier  rang  de  ces  moyens  devait 
figurer,  selon  les  ambassadeurs,  la  révocation  des  concessions 
laites  aux  réformés  par  l'édit  de  pacification. 

La  question  de  la  réception  pure  et  simple,  en  France,  des 
décrets  du  concile  de  Trente  soulevait  de  graves  contestations. 
Le  célèbre  jurisconsulte  Dumoulin  venait  de  publier  une  con- 
sultation fortement  motivée  ^,  dans  laquelle  il  établissait  :  «  que 
))  le  concile  de  Trente  ne  pouvait  et  nedevoit  estre  reçeu,  et  que 
»  la  réception  et  approbation  d'iceluy  seroit  contre  Dieu  et 
))  contre  le  bénéfice  de  Jésus-Christ  et  l'Évangile,  contre  les 
»  anciens  conciles,  contre  la  majesté  du  roy  et  droits  de  la  cou- 
9  ronne,  et  régalles,  contre  les  édicts  récents  de  luy  et  de  ses 
^)  prédécesseurs  rois,  contre  la  liberté  et  immunité  de  l'église 
y>  gallicane,  autorité  des  Estats  et  cours  de  parlement  du 
*  royaume,  et  jurisdiction  séculière...  y> 

Le  parlement  de  Paris,  tout  en  condamnent,  ab  irato,  à  la 
prison  Dumoulin,  comme  entaché  de  mauvais  sentiments,  en 
matière  religieuse,  ne  pouvait  en  rien  infirmer  le  sérieux  des 
critiques  disertement  développées  dans  la  consultation  incri- 
minée. D'une  autre  part,  Catherine  sentait  qu'il  serait  dangereux, 
du  moins  pour  le  moment,  de  formuler  en  termes  exprès  une 
abrogation,  même  partielle,  de  l'édit  d'Amboise.  Elle  éluda  donc 
la  double  difficulté  qui  se  dressait  devant  elle,  en  congédiant 
les  ambassadeurs,  avec  des  réponses  ambiguës;  et  bientôt, 
pressentant  que  les  négociations  entamées,  en  vue  d'une  paix  à 
établir  entre  l'Angleterre  et  la  France,  ne  tarderaient  pas  à 
aboutir,  elle  se  décida  au  départ. 

1.  Cette  consultation,  dont  les  mémoires  de  Condé  t.  V,  p.  83  a  129)  repro- 
duisent le  texte,  et  qui  est  insérée  dans  les  œuvres  de  Dumoulin  (in-f°  1681, 
t.  V),  fut  délibérée  ù  Paris,  dans  les  derniers  jours  de  février  1564,  et  dédiée 
par  son  auteur  au  prince  de  Portien,  le  28  mai  suivant.  (V,  mém.  de  Condé 
t.  V,  p.  82,  83). 


CHAPITRE  III 


Départ  de  Laudonnière  pour  la  Floride,  sur  l'ordre  de  Coligny.  —  L'amiral  à  Tanlay.  — 
Correspondance  avec  le  prince  de  Porlien.  —  Synode  de  Laferté-sous-Jouarre.  — 
Appui  accordé  aux  réformés  de  Troycs  par  le  prince  et  la  princesse  de  Condé.  — 
L'amiral  visite  Condé  à  Vallery,  après  la  mort  d'Éléonore  de  Royc.  ■ —  Entrevue  de 
Soubize  et  de  Catherine  de  Médicis,  à  Lyon.  — D'Andelot  et  les  réformés  de  Crevant. 
—  Lettre  de  Catherine  au  cardinal  deChàtillon.  — Déclaration  publiée  à  Roussillon, 
remontrances  de  Condé.  —  Catherine  cherche  à  apaiser  Condé  et  les  Chàtillons.  — 
Mariage  de  d'Andelot  avec  Anne  de  Salm.  —  Lettres  de  Coligny  à  l'avoyer  et  au 
conseil  de  Berne,  aux  magistrats  de  Zurich  et  à  Th.  de  Bèze.  —  Mariage  d'Odct 
avec  Isabelle  de  Hauteville.  —  Naissance  de  Charles  de  Coligny  —  Lettres  de 
l'amiral  et  de  Charlotte  de  Laval  à  Renée  de  France. 


Avec  le  début  de  la  longue  tournée  entreprise  par  la  reine 
mère  et  par  le  roi  coïncida  celui  d'une  nouvelle  expédition  mari- 
time, à  destination  de  la  Floride,  conçue  par  Coligny.  Il  avait 
pressé  l'organisation  de  cette  expédition  dès  que  le  sursis  de 
trois  ans,  décrété  quant  au  conflit  soulevé  par  les  Guises,  en 
l'affranchissant  de  préoccupations  jusque-là  incessantes,  lui 
avait  rendu  quelque  liberté  d'action  dans  la  direction  des  affaires 
qui  relevaient  de  sa  charge  d'amiral  de  France.  Sur  sa  désigna- 
tion expresse,  un  marin  distingué  et  énergique,  professant  la 
religion  réformée,  Laudonnière,  fut  investi  du  commandement 
de  l'expédition.  Les  trois  navires,  équipés  au  Havre,  dont  elle 
se  composait,  reçurent  à  leur  bord  des  troupes  et  de  nombreux 
ouvriers.  Ils  partirent  le  22  avril. 

En  1564,  comme  en  1555  et  en  1562,  le  but  que  poursuivait 
Coligny  était  de  doter  sa  patrie  d'une  colonie  en  Amérique,  et 
d'y  ouvrir,  en  même  temps  que  des  débouchés  et  un  champ 


~  326  — 

d'activité  pour  le  commerce,  un  asile  assuré  à  ceux  des  réfor- 
més français  que  les  circonstances  porteraient  à  s'y  fixer. 

Nous  parlerons  plus  loin  de  l'issue  de  cette  troisième  expédi- 
tion, alors  que  nous  retracerons,  dans  une  esquisse  d'ensemble, 
le  sort  des  deux  expéditions  antérieures,  et  que  nous  nous  occu- 
perons d'autres  faits  maritimes  postérieurs  à  l'année  1564. 

Tandis  que  la  reine  mère,  ayant  quitté  Fontainebleau,  s'a- 
vançait avec  son  fils  vers  Troyes,  et  de  là  vers  la  Lorraine, 
Goligny  et  Odet  se  rendirent  chez  d'Andelot  ^  Le  trajet  de  Ghâ- 
tillon-sur-Loingà  Tanlay  ne  s'effectua  pas  sans  danger,  de  l'aveu 
même  d'un  homme  qui  était  loin  de  s'intéresser  à  eux.  «  L'a- 
:»  mirai  et  le  cardinal  son  frère,  écrivait  le  secrétaire  Sarron  ^, 
))  le  40  mai  1564,  venant,  ces  jours  passez,  devers  Andelot, 
»  voulurent  passer  par  une  petite  villette  qu'est  sur  le  che- 
y>  min  ;  mais  à  cause  que  l'on  craignoit  que  lesdictz  Ghastil- 
)>  Ions  ne  se  vinssent  joindre  avecq  le  prince  de  Gondé  pour 
y>  recommencer  quelques  garboulles,  ceulx  de  ladite  villette  ne 
))  les  voulurent  laisser  entrer  dedans  ;  ainsleur  tirarent,  comme 
»  l'on  dict,  plusieurs  coptz  d'arquebouses  et  dirent  plusieurs 
»  injures,  dont  ils  ont  envoyé  faire  leurs  plainctes  au  roy, 
^  lequel  a  faict  dépescher  une  commission  au  provost  de  la 


1.  «  Le  roy  alla  faire  sa  festo  de  pasques  à  Troye  en  Champaigne,  où 
>  M.  Uandelot  vint  de  sa  belle  maison  de  Tanlé  (Tanlay),  qui  est  là  près,  faire 
j  la  révérence  au  roy,  et  aussy  pour  se  plaindre  à  luy  de  quoy  un  de  ses  capi- 
»  taines,  ayant  une  compaignie  vieille  en  garnison  à  Metz,  estant  mort,  il  avoit 
»  pourveu  à  la  compaignie  et  l'avoit  donné  à  un  autre  des  siens;  et  le  roy  en 
»  avoit  pourveu  un  autre  à  sa  voulonté  et  dévotion.  M.  Dandelot  remonstroit 
î  que  c'estoit  lui  faire  tort  à  son  authoritéet  privilège  de  couronnel,  qu'il  avoit 
»  de  longtemps  à  pourvoir  de  places  vacquantes  de  compaignies  vieilles,  et  que 
»  M.  l'amiral  avant  luy  et  luy  après,  avoient  tousjours  ainsi  faictet  pratiqué.  Mais 
»  à  cela  luy  respondit  très  bien  et  aussitôt  la  reyne,  en  plein  conseil  :M.  Dan- 

»  delot ,  ne  vous  attendez  plus  à  cela,  car  le  roy  mon  fils  y  veut  pourvoir 

»  désormais.  Ce  fut  à  M.  Dandelot  à  passer  parla.  Quelle  reyne  brave,  et  de 
»  quelle  audaoe  elle  s'en  faisait  acroyre  !  !  (Brantôme,  éd.  h.  Lai.  t.  VI,  p.  50,57). 

2.  Mém.  de  Condé,  t.  II,  p.  200. 


~  327  — 
»  cour  pour  s'informer  sur  ce  faict,  afin  de  chastier  ceulx  qui 
y>  auront  failly.  » 

Réunis  à  Tanlay,  les  trois  frères  y  reçurent  des  nouvelles  du 
prince  de  Portien.  Les  22  et  29  avril,  ils  lui  adressèrent  des 
lettres  *  dans  lesquelles  ils  «  l'assuraient  qu'ils  avoient  éprouvé 
))  un  fort  grand  contentement  d'avoir  entendu  les  bons  et  ver- 
y>  tueux  propos  qu'il  avoit  tenus,  estant  à  la  cour,  y>  et  lui 
exprimaient  en  termes  chaleureux,  toute  leur  estime  et  tout  leur 
dévouement,  ci  Je  vous  remercie,  lui  écrivit  l'amiral,  de  la 
»  bonne  volonté  et  affection  qu'il  vous  plaist  me  continuer. 
»  Quant  à  moy,  je  vous  asseureray  que  vous  pouvez  faire  estât 
»  de  moy  et  de  tout  ce  qui  en  deppend,  comme  de  celuy  qui 
»  vous  est  merveilleusement  tenu  et  obligé,  et  qui  ne  désire 
))  rien  tant  que  de  vous  faire  paroistre  l'envie  qu'il  a  de  vous 
»  faire  et  plaisir  et  service,  l'occasion  s'en  offrant.  » 

Le  prince  de  Portien  donnait,  à  ce  moment,  une  nouvelle 
preuve  de  son  attachement  à  la  cause  des  réformés,  en  envoyant 
à  un  synode  provincial  qui  siégea,  le  27  avril,  à  Laferté-sous- 
Jouarre  ^  «  lettres  par  ung  sien  ministre,  nommé  M.  Pasquet, 
»  par  lesquelles  il  signifiait  à  l'assemblée  vouloir  emploier  son 
^  corps,  ses  biens  et  sa  vie  pour  la  querelle  du  Seigneur.  » 

Dans  ce  même  synode,  que  le  cardinal  Granvelle  ^  affirmait 
((  s'estre  faict  soubs  le  port  et  faveur  »  de  Goligny  et  de  ses 
frères,  des  princes  de  Condé  et  de  Portien,  et  du  duc  de  Bouil- 
lon, le  ministre  Perussel,  attaché  à  la  personne  de  Louis  de 
Bourbon,  «  dict  que  la  royne  avoit  escript  à  l'admirai  lettres 


1.  Bibl.  nat.,  mss.  f.  fr.  vol.  3196,  f-^  iS,  49,  50. 

2.  Rapport  rédigé  par  un  dénonciateur,  sur  le  synode  provincial  des  églises 
réformées  de  Champagne,  Brie,  Picardie,  lie  de  France,  et  Vexin  français,  tenu 
le  27  avril  1564,  à  Laferté-sous-Iouarre.  (Bibl.  nat,,  mss.  f.  fr.  vol.  6  616, 
1°^  96,  97,  —  Pap.  d'État  de  Granvelle,  t.  VII,  p.  528  à  531.  et  p.  664.  —  Ibid. 
t.  Vlll,  p.  17,  18.  —Mm.  de  Condé,  t.  II,  p.  204.  —  Mém.  de  Cl.  Hatton, 
t.  I,  p.  384. 

3.  Pap.  d'Étaf  de  Granvelle,  t.  VIII,  p.  17.' 


—  328  — 

»  rudes  et  estranges,  par  lesquelles  luy  mandoit  d'estre  bien 
»  advertye  que  ceulx  de  la  religion  réformée  se  délibéroient  de 
y>  recommencer  les  troubles  du  temps  passé,  pour  ausquels 
y>  obvier  elle  employerait  toute  la  puissance  du  royaulme  et  de 
»  ses  alliés,  si  comme  du  pape,  roi  d'Espaigne  et  aultres. 
))  Lequel  récit  achevé,  ledit  Perussel  dict  que  la  royne  leur 
))  imposoit  par  ses  lettres  ce  quelle-mesme  avoit  intention  de 
i)  faire,  et  partant  qu'il  estoit  d'advis  de  publier  que  chacun  de 
ï>  leur  dicte  religion  célébrerait  le  jeûne,  la  semaine  devant  la 
))  penthecoste,  affm  que  Dieu  les  veulle  inspirer  de  bon  conseil 
y>  et  adresser  ceulx  de  sa  saincte  église,  et  que,  si  la  royne  de- 
y>  mandoit  à  quelle  fin  ce  jeusne  seroit  pareulxpubhé,  luy-mesme 
»  luy  respondroitque  la  raison  vouloit  bien  queainsy  fustfaict, 
y>  actendu  qu'ils  avoient  descouvert  ses  menaces  et  entreprinses. 
»  —  Le  président  dict  assez  saigement  que  la  royne  ne  feroit 
y>  point  tout  ce  qu'elle  vouldroit.  —  L'assemblée  pria  au  dict 
»  Perussel  de  recommander  l'affaire  de  leur  église  au  prince 
y>  de  Gondé  et  l'animer  tousjours  de  ne  point  perdre  couraige.  d 

Les  trois  Châtillon  apprirent  bientôt,  qu'ainsi  qu'ils  l'avaient 
pressenti,  ni  Gondé,  ni  surtout  sa  femme,  leur  digne  nièce  ne 
perdaient  courage. 

Le  prince  et  elle  se  trouvaient  auprès  du  roi  et  de  la  reine 
mère  en  avril,  à  Troyes,  où  la  paix  avec  l'Angleterre  avait  été 
publiée  le  11  dudit  mois.  Loin  de  laisser  croire  que  cet  impor- 
tant événement  fut  le  symptôme  d'un  rapprochement  quelconque 
entre  elle  et  Elisabeth  sur  le  terrain  des  questions  religieuses, 
Catherine  se  réserva  de  prouver  par  ses  actes  que  nul  rappro- 
chement de  cette  nature  ne  s'était  opéré,  et  elle  tint  au  con- 
traire à  accentuer  de  plus  en  plus  le  caractère  hostile  de  ses 
dispositions  à  l'égard  des  réformés. 

Elle  commença,  durant  son  séjour  à  Troyes,  par  enlever  au 
conseil,  en  se  la  réservant  à  elle-même,  la  connaissance  de 
plaintes  fort  graves  qu'articulaient  les  réformés  de  la  Cham- 


—  329  — 

pagne;  plaintes  destinées  à  demeurer  sans  réponse  et  sans  répa- 
ration, quelles  que  fussent  d'ailleurs,  pour  les  appuyer,  les 
démarches  du  prince  et  de  la  princesse  de  Gondé.  Les  faits  sur 
ce  point  sont  significatifs  ;  en  voici  le  résumé  : 

Les  réformés  de  Troyes  étaient  violemment  maltraités  par 
le  duc  d'Aumale,  chargé  du  gouvernement  de  la  Champagne,  au 
nom  de  son  neveu  encore  mineur.  Réduits  à  l'impossibilité  d'ob- 
tenir du  duc  le  moindre  respect  pour  les  droits  qu'ils  tenaient 
de  l'édit  de  pacification,  ils  cherchaient,  à  proximité  du  trône,  une 
protection  sous  laquelle  ils  pussent  s'abriter.  Ce  fut  alors 
qu'Éléonore  de  Roye  pressa  son  mari  de  leur  accorder  l'appui 
nécessaire.  Gondé  ayant  échoué  dans  une  réclamation  qu'il 
avait  présentée  pour  que  justice  leur  fut  rendue,  elle  saisit 
bientôt  après  l'occasion,  qui  s'offrit  à  elle,  d'intervenir  person- 
nellement en  faveur  de  ses  coreligionnaires  auprès  de  Gathe- 
rinede  Médicis.  Laissons  le  pieux  et  véridique  Nicolas  Pithou 
raconter  ce  qui  se  passa  à  cet  égard,  a  Geux  de  l'église  de  Troyes, 
»  dit-il  \  ayant  esté  advertis  par  le  sieur  de  Saint-Martin  des 
»  propos  que  le  duc  d'Aumale  lui  avoit  tenus,  et  que  leurs 
y>  affaires  demouroient  en  arrière,  ils  eurent  recours  au  prince 
i  de  Gondé  et  luy  feirent  entendre  comme  le  tout  se  passoit  en 
»  cest  endroict;  le  suppliant  qu'il  luy  pleust  vouloir  prendre,  à 
»  bon  escient,  leur  faict  en  mains,  autrement  qu'ils  estoient 
y>  en  voye  de  demeurer  tousjours  en  un  mesme  poinct .  Le  prince 
»  les  pria  que  delà  enadvant  ils  ne  parlassent  plus  à  luy  en  pu- 
)>  blic.  Si  ne  laissa-t-il  toutesfoys  de  leur  promettre  qu'il  veil- 
Ti  leroit  et  feroit  tout  debvoir  en  tout  ce  qui  concerneroit  le 
y>  faict  de  leur  église.  Et  s'estant,  ce  mesme  jour,  trouvé  au 
»  conseil,  oubliant  ou  bien  tenant  à  peu  la  défense  dudit  con- 
»  seil,  il  ne  laissa  de  parler  pour  le  faict  deceulx  de  Troyes  et 
))  d'en  faire  ouverture.  Mais  au  plustost  que  le  duc  d'Aumale 

I.  Hist.  de  l'église  réformée  de  Troyes,  (Bibl.  nat.,  mss.  coUec.  Dupuy,  vol. 
698,  f"^  593,  594. 


-  330  — 

•»  luy  eiist  ouy  entamer  les  propos,  il  luy  dit  que  la  roino  mère 
>  avoit  défendu  qu'on  ne  traitast  de  ceste  affaire  au  conseil,  et 
y>  qu'elle  l'avoit  réservée  à  soy  ;  ce  qui  garda  le  prince  de  Condé 
»  de  passer  plus  oultre.  Voyant  ceulx  de  l'église  qu'ils  ne  prou- 
3)  fitaient  de  rien,  et  que  leurs  plaintes  et  doléances  avoient 
y>  esté  si  mal  reçeues  et  le  remède  encore  plus  mal  appliqué,  ils 
))  résolurent  de  sonder  une  voye  toute  nouvelle,  qui  fut  d'en- 
y)  voyer  les  plus  notables  et  apparentes  bourgeoises  de  la  reli- 
»  gion  vers  la  royne  mère  pour  essayer  si  elle  ne  se  rendroit 
»  point  plus  favorable  et  pitoyable  envers  ce  sexe.  Ainsi  donc- 
»  ques  ayans  ceulx  de  la  religion  résolu  de  passer  outre  à  l'exé- 
ï)  cution  de  ceste  entreprinse,  ils  esleurent  Loyse  Nevelet, 
y>  veuve  d'un  marchand  nommé  Nicolas  Charlemagne,  femme 
3)  de  moyen  âge  et  craignant  Dieu.  Et  pour  en  faciliter  l'effect 
»  on  avisa  de  s'aider  de  la  faveur  de  madame  la  princesse  de 
»  Condé,  Éléonore  de  Roye,  dame  vertueuse  et  sage,  qui  estoit 
»  pour  lors  à  Troyes.  On  luy  communiqua  ceste  entreprinse 
))  et  la  pria-t-on  qu'il  luy  pleust  moyenner  l'accès  à  ces  dames 
y>  de  Troyes  vers  la  royne  mère  ;  ce  que  ceste  bonne  princesse 
y>  promit  volontairement  faire,  et  non  seulement  cela,  mais 
»  aussy  de  les  présenter  elle  mesme  à  la  royne.  Et  comme  elles 
y>  estoient  prestes  de  s'acheminer,  on  rapporta  que  le  prince  de 
y>  Navarre,  courant  aux  barres  en  la  salle  du  roy,  venoit  d'estre 
ï>  blessé,  dont  toute  la  court  estoit  fort  triste  et  troublée.  Ce 
»  qui  fit  remettre  ceste  entreprinse  à  une  autre  foys,  laquelle 
))  sans  cela  on  alloit  exécuter.  Ainsy  furent  ces  bourgeoises 
»  contraintes  de  se  retirer  en  bonne  dévotion  de  retourner,  à 
y>  la  première  commodité,  qui  toutesfois  ne  se  put  oncques 
»  puis  recouvrer.  » 

Peu  de  temps  après  son  retour  de .Tanlay  à  Ghâtillon,  Goligny 
fut  profondément  affecté,  en  apprenant  la  mort  de  Calvin,  en 
qui  il  perdait  un  ami  dont  la  sympathie,  les  judicieux  conseils 
et  les  pieuses  exhortations  l'avaient  fidèlement  soutenu,  dans 


--  331  — 

une  carrière  tiaversée  par  tant  d'austères  épreuves.  Aussi, 
quelle  ne  fut  pas  son  émotion  quand  il  reçut,  comme  un  pré- 
cieux legs  du  grand  réformateur,  la  dédicace  de  la  dernière 
œuvre  de  celui-ci  *  ;  legs  dicté  par  l'inspiration  de  nobles  sen- 
timents, dont  Th.  de  Bèze  se  constitua  l'interprète  auprès  de 
l'amiral,  en  lui  disant  ^  :  «  Monseigneur,  je  me  tiens  tout  assuré 

2)  que  ne  ferez  pas  moins  vostre  profit  de  ce  dernier  œuvre  de 
»  Jean  Calvin,  ce  grand  etvrayment  excellent  serviteur  de  Dieu, 
y>  que  vous  avez  accoustumé  d'en  faire  de  tous  les  précédens.. . 
y>  Si  quelqu'un  s'enquiert  pourquoy  nous  vous  l'avons  plustost 
y>  dédié  qu'à  quelque  autre,  je  dis  franchement  que  c'est  luy 
»  mesme  qui  en  a  esté  cause,  lequel  a  pu  ordonner  de  ce  qui 

3)  uy  appartenoit  ainsy  que  bon  luy  a  semblé.  Mais  je  dis 
»  davantage,  que  pour  grandes  et  justes  raisons  il  eust  fait 
y>  cela  qu'il  avoit  délibéré.  Car  moy  ayant  demeuré  avec  vous 
»  par  l'espace  de  vingt  mois  entiers  durant  la  paix  et  la  guerre, 
))  et  veu  de  mes  propres  yeux  les  grâces  singulières  tant  de  l'es- 
y>  prit  que  du  corps,  desquelles,  estant  absent  de  vous,  il  s'es- 
y>  merveilloit  et  les  avoit  en  révérence  :  pourquoy  ne  m'accor- 
»  derois-je  à  son  jugement  ?...  Or,  qu'il  n'ait  point  esté  trompé 
y>  du  jugement  qu'il  a  fait  de  vous,  si  vostre  modestie  portoit 
»  d'estre  louée  en  présence,  ou  s'il  estoit  licite  de  s'en  enquérir 
y>  comme  on  faict  en  choses  douteuses  :  combien  pourroit-on 
»  mettre  en  advant  de  tesmoignages  certains  et  asseurez  pour 
»  vérifier  cela  !  y> 

Vingt  mois  ne  s'étaient  pas  écoulés  depuis  la  mort  de  Cal- 
vin, lorsqu'à  la  douleur  qu'en  éprouvait  l'amiral  s'ajouta,  pour 
lui  un  deuil  de  famille  profondément  affligeant  :  le  23  juillet, 
il  perdit  sa  nièce,  Éléonore  de  Roye,  princesse  de  Condé,  qu'il 

1.  Commentaires  sur  Ézéchiel.  Genève  1565. 

2.  Dédicace  de  l'ouvrage  précité  «  à  très  vertueux  seigneur,  miroir  et  exem- 
ï  plaire  de  piété  et  de  toutes  vertus  chrestiennes,  monseigneur  Gaspard  de 
»  Coligny,  grand  amiral  de  France,  etc.,  etc.  » 


—  332  — 

aimait  d'une  affection  paternelle,  et  qu'il  avait  constamment 
soutenue,  dans  la  poignante  accumulation  d'épreuves  imposées 
à  son  cœur  de  fille,  de  femme  et  de  mère.  Elle  venait,  jeune 
encore,  de  couronner,  en  vraie  chrétienne,  par  l'expression  su- 
prême de  sa  foi  et  de  ses  sentiments  intimes,  une  existence 
dont  la  pureté  et  la  noblesse  devaient  laisser  et  ont,  en  effet, 
laissé,  dans  l'histoire  des  traces  durables. 

La  mort  de  cette  femme  énfinente,  de  cette  compagne,  dont 
la  générosité  de  cœur  égalait  la  tendresse  et  le  dévouement, 
laissait  Gondé  plus  exposé  que  jamais  à  des  pièges  et  à  des  pé- 
rils contre  lesquels  Coligny  pouvait  mieux  que  tout  autre,  le 
prémunir,  à  raison  de  l'ascendant  qu'il  exerçait  sur  lui,  au 
double  titre  de  parent  et  d'ami.  Le  prince  séjournait,  en  août, 
au  château  de  Valéry  :  l'amiral  vint  l'y  voir,  le  consoler,  l'é- 
clairer sur  sa  situation,  et  s'attacha  à  le  maintenir,  par  de  vi- 
rils conseils,  au  niveau  des  devoirs  que  lui  dictaient  les  circon- 
stances, à  l'égard  des  réformés. 

La  gravité  de  ces  circonstances  ressortait  surtout  du  rappro- 
chement de  divers  faits  caractéristiques. 

Arrivée  à  Lyon,  où  Soubize  était  venu  la  trouver,  Catherine, 
sourde  aux  sages  représentations  de  ce  fidèle  serviteur,  l'avait 
éconduit  de  la  cour,  en  alléguant  qu'il  devait  y  redouter  la  pré- 
sence de  nombreux  ennemis  *;  allégation  contre  laquelle  Sou- 
bize avait  en  vain  lutté,  et  qui,  réitérée  par  la  reine  mère,  équi- 
valait pour  lui  à  un  ordre  de  départ.  De  Lyon  il  était  allé  à 
Châtillon-sur-Loing  ^,  faire  part  à  l'amiral  de  l'impression  dé- 
favorable que  lui  laissaient  ses  entretiens  avec  Catherine. 

D'Andelot,  dans  une  lettre  des  plus  pressantes,  en  date  du 
14  juin,  s'était  plaint  à  cette  princesse  de  scènes  meurtrières 
dont  Cravant  avait  été  le  théâtre,  et  qui  nécessitaient  une  sé- 

1 .  Voy.  appendice,  \r  26. 

2.  Une  lettre  de  Soubize  au  maréchal  de  MontiTiorency,  du  25  juillet,  est 
datée  de  Chàtillon-sur-Loing.  (Bibl.  nat.,  inss.  f.  fr.  vol.  20507,  f°  I3i. 


—  333  — 
vère  répression.  Elle  lui  avait  répondu,  de  Lyon,  le  18  du  même 
mois  \  en  lui  annonçant  que  les  coupables  seraient  recherchés 
et  punis  :  «  Je  veux  vous  faire  entendre  sur  un  bruict  qui  m'a 
»  esté  dict  que  l'on  faict  courir  par  delà,  que  l'on  veut  rompre 
»  l'édict,  que  nous  sommes  tant  esloignez  de  cela,  que  nous  le- 
y>  nous  tous  ceux  qui  y  contreviendront  et  entreprendront 
»  quelque  chose  au  contraire,  pour  rebelles  et  désobéissons; 
»  résolus  de  les  faire  chattier  et  punir  comme  ennemis  et  per- 
»  turbateurs  du  repos  public,  et  en  faire  tel  exemple,  que  cha- 
»  cun  congnoistra  que  nous  voulons  qu'il  demeure,  et  que  tous 
»  vivent  en  liberté,  sous  le  bénéfice  d'iceluy,  sans  ennuy  ny  of- 
»  fense  et  empeschement;  il  n'y  a  rien,  je  vous  assure,  dequoy 
y>  j'aye  plus  de  soin,  ny  à  quoyje  voye  le  roy  monllls,  tous  les 
y>  princes  et  seigneurs  de  son  royaume,  et  gens  de  son  conseil, 
»  plus  enclins,  cognoissant  que  delà  despend  le  bien  du  royaume 
»  et  service  du  roy  mondit  fils.  » 

Ce  langage  était  tellement  dépourvu  de  sincérité,  que,  dès  le 
24  juin,  intervint,  à  Lyon,  une  déclaration  royale  qui  renou- 
vela la  défense,  formulée  par  une  déclaration  précédente,  de 
célébrer  le  culte  réformé  dans  tous  les  lieux  où  résiderait  le 
souverain,  aussi  longtemps  qu'y  durerait  sa  résidence  ^. 

Catherine  n'en  adressa  pas  moins,  le  25  juillet,  au  cardinal 
de  Châtillon,  qui  se  trouvait  alors  auprès  de  l'amiral  ^,  les  lignes 
suivantes  *,  dont  le  ton  menaçant  augmenta  la  défiance  des 
deux  frères  :  «  Mon  cousin,  j'ay  reçu  vostre  lettre  par  Sarra- 
»  gosse  ^,  répondant  à  laquelle  je  ne  feray  que  répéter  ce  que  je 


1.  Mém.  de  Condé,  t.  V,  p.  159,  160.  . 

2.  Fontanon,  rec.  des  ordonn.  t.  IV.  p.  279. 

3.  Lettre  du  cardinal  de  Cluitillon  au  maréchal  de  Montmorency,  datée  de 
Châtillon,  24  juillet  1504.  (Bibl.  nat.,  mss.  f.  fr.  vol.  3  071,  f  45). 

4.  Du  Bouchet,  hist.,  de  la  maison  de  Goligny,  p.  415,  416. 

5.  «  Nous  attendons  dedans  un  jour  ou  deulx  Sarragosse,  qui  est  allé  à  la 
>  court,  et  par  luy  plus  particulièrement  toutes  nouvelles   desquelles  vous 


—  334  — 
y>  vous  ay  dernièrement  escrit,  qui  est  que  le  roy,  monsieur  mon 
»  fils,  et  moy  n'avons  rien  plus  à  cœur  que  l'entretennement 
»  de  l'édict,  et  que  tous  ceux  qui  s'imprimeront  ou  feindront 
»  croire  autre  chose  sur  ce  de  nostre  intention  nous  feront  con- 
»  gnoistre  qu'ils  ayment  le  garbouil  et  sont  marris  du  repos 
))  que  nous  avons  tant  travaillé  et  cherchons  par  tout  moyen 
y>  à  tant  mieux  establir  en  ce  royaume;  dont  ils  se  peuvent  aussi 
y>  assurer  qu'il  ne  rapporteront  rien  que  la  malle  grâce  de  leur 
»  prince,  quiest,Dieu  mercy,  assez  grand,  assez  fort,  et  encore 
y>  plus  délibéré  de  s'en  faire  bien  croire  et  obéyr;  ayant  cognu 
2>  l'utilité  et  le  bien  qui  en  est  venu  :  Vous  priant,  mon  cousin, 
»  tenir  cela  pour  résolu,  et  ne  vous  lasser  pas  d'en  rendre  ca- 
»  pables  ceux  qui  en  seront  en  doubte  ;  car  telles  suspicions 
3)  sont  tant  combattues  des  effets  de  nostre  bonne  intention,  que 
»  je  voy  tous  les  gens  de  bien  s'en  contenter  :  ainsi  je  veux 
y>  croire  que  tous  ceux  qui  font  courir  ces  bruicts  ont  à  grand 
»  desplaisir  de  voir  le  bien  que  nostre  Seigneur  a  fait  en  cet 
»  endroit  à  ce  royaume.  y> 

Il  y  eut  plus  }  le  4  août,  à  l'instigation  de  Catherine,  fut 
publiée  à  Roussillon,  sur  la  frontière  de  la  Savoie,  une  nou- 
velle déclaration  *  défendant  aux  hauts  justiciers  d'admettre  à 
la  célébration  du  culte  réformé,  dans  leurs  demeures,  comme 
précédemment,  d'autres  personnes  que  leurs  vassaux  ;  interdi- 
sant la  tenue  des  synodes,  ainsi  que  toutes  cotisations  et  le- 
vées de  deniers  ;  enjoignant  aux  ecclésiastiques,  aux  religieux 
et  aux  religieuses,  qui  avaient  quitté  leur  état,  de  le  reprendre, 
et  annulant  les  mariages  contractés  par  les  uns  et  les  autres.  A 
l'observation  des  dispositions  arrêtées  sur  ces  deux  points 
étaient  attachées  les  peines  les  plus  sévères,  et  même,  dans  un 
cas  particulier,  la  peine  de  mort. 

j)  aurez  vostre  part.  »  (Lettre  de  Coligny  au  maréchal  de  Montmorency,  datée 
de  Châtillon,  29  juillet  1564.  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  20  500,  f»  5). 
1.  Fontanoi),  roc,  des  ordonu.  t.  IV,  p.  279  à  281. 


—  335  — 

De  tels  faits  devaient  soulever  de  sérieuses  critiques.  Celles 
qui  partirent  du  château  de  Vallery,  où  Gondé  s'inspirait  des 
vues  et  des  conseils  de  l'amiral,  furent  adressées  directement  à 
la  reine  mère  par  ce  prince,  dans  une  lettre  du  31  août  *. 

«  Il  est  besoin,  lui  disait-il,  de  faire  plus  sincèrement  niain- 
»  tenir  et  observer  l'édict  de  pacification  en  son  entier,  qu'il 
y>  n'a  esté  jusques  icy,  sans  y  user  de  tant  d'interprétations  et 

3)  commentaires ils  ne  servent  qu'à  engendrer  et  nourrir 

»  une  méfiance  et  soupçon  parmi  vostre  peuple,  principalement 
»  celuy  de  la  religion,  lequel  ne  peut  croyre  que  ces  moyens  ne 
))  soyent  autant  de  brèches  pour  finalement  le  révoquer  et  le 
))  rompre  du  tout;  et  les  autres,  en  ceste  assurance  d'en  voir 
))  l'effet,  se  fortifient  en  une  audace  de  faire  pis  :  car  la  décla- 
))  ration  qui  a  esté  naguère  expédiée  à  Roussillon  est  telle  que, 
»  tant  s'en  faut  qu'elle  puisse  apporter  profit  ni  édification, 
y>  qu'au  contraire  chacun  de  l'une  et  l'autre  religion  ne  la  peu- 
»  vent  gouster;  attendu  qu'ils  allèguent  que  les  restrictions  y 
y>  contenues  sont  si  aigres  et  mordantes,  que  l'on  n'en  peut  es- 
»  pérer  sinon  des  conjurations  et  monopoles,  ou  bien  la  chute 
»  du  tout  en  athéisme,  par  un  abandon  et  mespris  de  religion. 
»  Et  sur  ce  point,  madame,  je  ne  •  me  puis  contenir  de  me 
))  plaindre  d'un  article  entr' autres,  porté  par  ladite  déclaration, 
»  contenant  deffence  à  tous  hauts  justiciers,  de  quelque  qualité 
0  et  condition  qu'ils  soient,  sans  aucune  exception ,  de  per- 
»  mettre  ni  consentir  ou  recevoir  autres  que  leurs  subjets  à 
y>  faire  exercice  de  leur  religion  en  leurs  maisons,  chasteaux  ou 
»  fiefs,  à  peine  d'estre  privez  du  bénéfice  de  l'édict,  de  confis- 
»  cation  de  biens  ;  qui  est  une  condition  si  dure  à  porter,  et 
»  principalement  à  moy  et  à  tous  autres,  dont  les  services  mé- 
»  ritent  estre  plus  gracieusement  recognus,  que  je  ne  puis 
»  penser  que  cela  provienne  de  vostre  opinion  :  ains  de  l'advis 

1.  Mém.  de  Condé,  t.  V,  p.  201  à  204. 


—  336  — 
y>  et  plustost  de  l'importunité  de  ceux  qui  sont  plus  garnis  de 
3)  passions  et  animez  contre  ceux  qui  ne  peuvent  adhérer  à  leur 
))  fantaisie,  qu'accompagnez  de  bonnes  raisons,  ni  du  désir  du 
ï>  repos  public  :  considérant  d'un  costé  la  subjection  en  la- 
))  quelle  je  serais  de  ne  pouvoir  avoir  en  ma  compagnie  au- 
y>  cuns  gentilshommes  ou  autres,  qui  me  viendroient  voir,  qui 
))  assistassent  aux  prédications  et  aux  autres  exercices  de  la  re- 
»  ligion,  sans  estre  en  danger  qu'un  conseiller  et  un  petit  juge, 
))  ou  procureur,  ou  autre  de  semblable  qualité,  qui  tous  ou  la 
))  plus  grande  partie  nous  ont  sous  ce  prétexte  en  haine,  ne 
))  viennent  prescrire  et  confisquer  mon  bien;  et  de  l'autre,  les 
y>  troubles  et  inconvéniens  qui  en  pourroient  advenir;  et  croy, 
»  madame,  que  vous  n'avez  pas  si  peu  d'estime  de  moy,  de 
3)  penser  que  je  veuille  consentir  que  les  biens  que  je  n'ay  au- 
y>  cunement  jamais  non  plus  espargnez  que  la  vie,  à  vostre  ser- 
y>  vice,  soyent  a  présent  submis  à  la  volonté  et  disposition  d'un 
»  tel  passionné  conseil,  ni  moins  des  autres  juges,  qui  se  vou- 
»  droyent  couvrir  et  aider  de  ceste  ordonnance,  et  vous  supplie 
»  très  humblement  m' excuser  si  j'en  parle  d'affection;  d'autant 
y>  que  je  ne  pourrois  comporter  telle  indignité  davantage,  en  ce 
y>  qui  concerne  les  assemblées  pour  les  synodes.  Il  me  semble, 
»  madame,  sous  meilleur  advis  toutes  fois,  que  telles  deffences 
))  n'estoient  nécessaires,  veu  que  delà  dépend  la  discipline  ec- 
»  clésiastique  et  le  remède  pour  obvier  aux  hérésies  et  à  toutes 
5)  iUicites  licences,  dont  les  cerveaux  moins  résouts  se  sentent 
»  plus  retenus;  qui  est  une  bride,  laquelle  peut  beaucoup  pro- 
»  fiter,  et  bien  peu  ou  nullement  nuire,  pourveu  que  les  gou- 
y>  verneurs  ou  lieutenans-généraux  des  provinces  y  assistent, 
»  ou  députent  d'autres  en  leurs  places,  afin  de  regarder  et  de 
y>  contreroller  les  abus  qui  s'y  pourroient  commettre.  —  II  y  a 
y>  bien  autres  semblables  et  aussi  poignans  articles,  dont  l'ai- 
3)  greur  mériteroit  estre  adoucie,  et  desquels  je  me  déporte  à 
»  présent  de  parler.  y> 


—  337  ^ 

Condé  en  parla,  bientôt  après,  dans  un  mémoire  étendu  *, 
qu'il  adressa  au  roi  et  à  la  reine  mère.  Il  termina  ce  mémoire, 
en  stigmatisant  la  haine  et  l'injustice  de  la  plupart  des  gouver- 
neurs, des  fonctionnaires  et  des  parlements,  par  ces  paroles 
auxquelles  il  savait  qu'adhérait  l'amiral  : 

((  L'animosité  de  plusieurs  gouverneurs,  magistrats  et  offi- 
y>  ciers  est  telle  que,  quand  il  survient  devant  leurs  yeux  des 
»  menaces  ou  séditions,  qui  sont  matière  des  troubles  que 
))  nous  voyons,  et  de  l'altération  de  Testât,  ils  connivent  ou  bien 
»  finalement  ils  informent  plustost  contre  les  meurtris,  que  de 
»  vouloir  seulement,  par  une  démonstration  de  faire  justice 
))  retenir  l'insolence  des  meurtriers,  lesquels  il  est  vraysem- 
»  blable  estre  incitez  et  soustenus  par  lesdits  magistrats  et  offi- 
^  ciers,  pour  en  estre  l'impunité  toute  apparente,  qu'il  semble- 
))  roit  que  leurs  majestez  nous  auroient  en  plus  grande  horreur 
»  et  en  moindre  opinion  et  estime  que  les  autres,  voyant  tous 
»  les  jours  nos  vies  en  danger,  et  nos  biens  exposez  en  proye. 
»  —  Que  ces  choses  ne  soient  véritables,  les  exemples  journelles 
»  en  font  plus  de  foy  qu'il  n'en  seroit  de  besoin,  pour  n'avoir 
»  ordinairement  autres  rapports  que  des  meurtres  et  mas- 
y>  sacres  qui  tous  les  jours  se  commettent,  et  dont  on  ne  tient 
»  compte  de  faire  aucune  punition  en  justice,  comme  les  mas- 
»  sacres  et  séditions  qui  se  sont  faits  depuis  la  publication  de 
))  l'édict  par  toutes  les  provinces  de  ce  royaume,  et  mesmes  à 
»  Grevan,  au  Maine,  en  Vendosmois,  en  Provence,  en  Guyenne, 
»  au  Puy,  en  Auvergne,  et  fraîchement  à  Tours,  ausquels  tant 
-»  s'en  faut  qu'il  y  ait  esté  pourveu,  qu'en  aucuns  lieux  l'on  a  fait 
»  superséder  les  poursuites;  es  autres,  on  a  informé  contre  les 
))  meurtris  ;  chose  qui  a  aussi  enflammé  le  cœur  des  plus  mu- 
^  tins,  et  encouragé  les  moins  turbulens  à  persévérer;  en  quoy 
n)  il  sera  à  craindre  l'une  des  deux  choses,  ou  de  n'y  pouvoir 


i.  Mém.  de  Condé,  t.  V,  p.  204  à  214. 

II.  22 


—  338  - 

remédier,  quand  on  en  aura  envie,  ou  bien  de  réduire  les 
povres  outragez  en  tel  désespoir  que,  voyant  la  justice  leur 
estre  déniée  par  la  malice  des  magistrats,  contre  l'intention 
de  leurs  Maj estez,  eux-mesmes  regardent  de  se  conserver  et 
s'essayent  d'en  faire  la  vengeance.  —  Non  que  ledit  sei- 
gneur prince  ne  tienne  pour  tout  asseuré  que  toutes  et 
quantesfois  que  les  plaintes  en  sont  adveneues  à  leurs  majes- 
tez,  qu'il  n'ait  esté  envoyé  sur  les  lieux,  pour  y  remédier,  une 
fois  les  gouverneurs  des  pays,  une  autre  fois  des  Commis- 
saires extraordinaires  ;  ce  qui  démontre  clairement  la  bonne 
et  sincère  intention  de  leurs  dites  majestez  ;  mais  quelles  exé- 
cutions s'en  sont  ensuivies?  Les  gouverneurs  desquels  la 
charge  et  devoir  est  de  tenir  la  main  forte  pour  réprimer 
telles  violences  et  séditions,  et  lesquels  ont  gardes  et  forces 
entretenues  aux despens  des  pays  et  provinces  pour  cesteffect, 
la  plus  grande  part  d'iceux  font  servir  lesdites  forces  à  leurs 
passions,  et  les  employent  à  supporter  l'une  part  et  à  dépri- 
mer l'autre.  Que  s'ils  se  sont  transportez  sur  les  lieux,  ça 
esté  plus  pour  couvrir  les  fautes  que  pour  les  corriger;  et 
quant  aux  commissaires,  leur  pouvoir  s'étendait  seulement 
pour  en  informer,  ou  s'il  estoit  plus  ample,  ils  ont  mieux  aimé 
tenir  l'information  secrète  dans  un  sac,  que  de  faire  justice 
publique  des  délinquans,  puisque  le  fait  touche  aux  catho- 
liques. Mais  s'il  est  question  de  la  moindre  des  plaintes  qui 
soient  venues  à  leurs  majestez,  à  l'encontre  de  ceux  que  l'on 
dict  huguenotz,  incontinent  sans  attendre  pour  savoir  si  elles 
estoyent  véritables  ou  non,  l'arrest  de  mort,  punition  ou 
rasement  de  maisons  a  esté  plustost  donné  que  la  commis- 
sion pour  en  informer  n'a  esté  expédiée......  —  Ge  qui  est, 

somme  toute^  faire  ouvertement  pencher  la  balance  plus 
d'un  costé  que  d'autre,  et  par  là  descouvrir  l'envie  que  l'on 
a  de  la  rupture  et  infraction  de  l'édit,  en  plusieurs  et  diverses 
sortes  ;  et  principalement  en  trois  points,  en  inégalité,  en 


—  339  — 

»  impossibilité,  et  une  mauvaise  affection,  laquelle  se  mani-  ' 

»  feste  assez,  tant  aux  chefs  et  principaux  qui  devroyent  faire 

y>  sincèrement  et  inviolablement  entretenir  l'édit,  qu'aussi  par 

»  insolence  d'un  populaire,  qui  ne  prend  jamais  tant  de  har- 

))  diesse  de  commettre  un  mal,  sinon  quand  la  licence  luy  en 

s  est  donnée  par  les  supérieurs;  dont  advient  que  tous  ceux 

»  qui  sont  d'opinion  contraire  à  nous,  voyant  d'un  costé  tant 

»  de  faveur,  et  de  l'autre  la  justice  conniver  à  faire  si  peu  qui 

»  s'ottroye  pour  nous,  et  au  contraire  si  prompte  et  active  à 

»  nous  en  ester,  et  à  nous  courir  sus,  à  la  première  émotion 

D  qui  se  présente,  sans  avoir  la  patience  d'attendre  la  vérité  ni 

»  l'occasion,  se  desbordent  à  nous  mal  faire,  tuer  et  saccager, 

»  et  à  machiner  et  monopoler  contre  nous  :  de  quoy  après  avoir 

•D  beaucoup  enduré,  les  opprimez  viennent  à  faire  leurs  plaintes 

»  aux  gouverneurs,  magistrats,  et  mesmes  aucuns  qui  sont 

D  auprès  de  leurs  Majestez,  ils  respondent  ordinairement  que 

»  leurs  dites  Majestez  sont  bien  empeschées  de  satisfaire  aux 

D  uns  et  aux  autres  :  davantage,  que  les  catholiques  ne  se  plai- 

))  gnent  pas  moins  de  ceux  de  la  religion  réformée,  que  lesdils 

J9  de  la  religion  se  plaignent  des  autres  ;  qui  sembleroit  estre  à 

D  dire,  en  bon  françois,  qu'il  faut  que  chacun  souffre  de  son 

»  costé,  sans  qu'il  en  soit  fait  autre  raison  ;  et,  en  ce  faisant, 

»  donner  une  licence  merveilleusement  effrénée  aux  catholiques 

)^  d'exécuter  leurs  mauvaises  volontez  vers  lesdits  de  la  religion; 

3)  qui  est  de  frapper  et  tuer  tout  ce  que  bon  leur  semblera,  sans 

»  crainte  d'être  punis  :  non  sans  danger  aussi  que  ceux  de  la 

y>  religion  ne  soyent  finalement  esmeus  à  se  deffendre,  voyant 

»  ne  leur  estre  faicte  aucune  justice  de  ce  dont  ils  se  plaignent 

»  et  qu'ils  souffrent.  Quelquefois  aussi  advient,  et  par  trop 

j>  souvent,  que  les  supérieurs,  au  lieu  de  s'employer  à  faire 

9  obtenir  justice,  usent  de  récriminations,  et  soudain  allèguent 

»  quelque  autre  faute  faite  par  ceux  de  la  religion  ;  joint  que, 

T>  sur  ces  entrefaites,  à  l'instant  se  sèmera  un  bruit  faux  de 


-  340  — 
■  0  quelque  excez  qu'il  se  dira  avoir  esté  faicl  de  la  part  de  ceux 
»  de  la  religion,  dont  l'on  s'aidera  pour  leur  fermer  la  bouche 
■))  et  les  renvoyer  sans  rien  faire  en  leurs  maisons  ;  combien  que 
))  les  choses  dont  les  catholiques  se  peuvent  plaindre  ordinai- 
))  ment  de  ceux  de  la  religion  sont  bien  légères  et  aisées  à  répa- 
))  rer,  comme  d'un  tel  zèle  qu'ils  auroyent  eu  d'ouïr  la  parole 
))  de  Dieu,  d'aller  en  autre  lieu  que  celuy  qui  leur  est  assigné, 
»  ou  de  n'avoir  encore  remis  en  quelque  endroit  la  religion  ca- 
»  tholique;  mais  ce  en  quoy  les  cathoHques  contreviennent 
))  est  trop  plus  rude  et  irréparable,  qui  sont  meurtriers,  cruels 
))  et  barbares,  qu'il  ne  faut  douter  que  Dieu  à  la  fm  n'exauce 
))  les  cris  et  gémissemens  des  povres  opprimez  qui  n'ont  au- 
))  jourdhuy  d'autre  recours  qu'à  Dieu,  ne  leur  voulant  les 
»  hommes  faire  justice,  quelque  commandement  que  leur  roi 
))  et  prince  en  face;  comme  il  est  évident  en  ce  que,  depuis 
))  l'édict,  se  trouvera  plus  de  six  ou  sept-vingts  meurtres,  dont 
))  il  n'y  a  pas  eu  deux  de  punis,  comme  a  esté  dict.  —  Voilà 
»  pour  le  moins  une  partie  des  apparences  que  ledit  seigneur 
))  prince  et  ceux  de  la  religion  réformée  ont  des  retranchemens 
))  de  l'édit  et  de  la  mauvaise  affection  qu'on  leur  porte;  sans 
»  alléguer  ce  que  les  cours  de  parlements,  la  plus  grande  par- 
y)  tie  des  juges  de  provinces,  et  autres  ministres  de  ce  royaume, 
»  expressément  constituez,  d'autant  qu'ils  sont  d'opinion  con- 
))  traire,  exercent  fort  aigrement  à  l'encontre  de  nous  :  en- 
»  semble  les  machinations  et  monopoles  et  ligues  qui  ont  esté 
))  fraischement  faictes,  et  dont  leurs  majestez  ont  esté  assez  in- 
»  formez  ;  ce  qui  ne  se  fait  aux  provinces,  gouvernemens,  ne 
»  villes  de  ce  royaume,  où  les  gouverneurs  et  magistrats  sont 
»  conduits  d'une  affection  de  faire  seulement  observer  les  édits 

))  du  roy,  et  entretenir  le  repos  pubhc —  Finalement,  ledit  , 

D  seigneur  prince  ne  voulant  rien  obmettre  du  devoir  du  service 
D  et  fidélité  qu'il  a  à  leurs  majestez,  les  supplie  très  humble- 
))  ment  de  vouloir  recevoir  les  raisons  et  considérations  cidessus 


—  341  — 

»  déduites,  de  bonne  pari,  ensemble  son  advis,  lequel  sur  ce 
y>  il  leur  déclare  avecques  toute  humilité  ;  qui  est  qu'il  lui 
»  semble  n'estre  possible  de  remettre  ce  royaume  et  les  sub- 
»  jets  en  Testât  qu'il  est  requis  pour  vivre  selon  l'intention  de 
»  leurs  majeslez,  si  l'édict  de  pacification  n'est  entretenu  selon 
j)  la  première  forme  et  teneur,  avec  révocation  expresse  des 
»  articles  des  déclarations  ou  interprétations  contraires  à 
y>  iceluy;  et  que  tous  excez,  séditions  et  meurtres  faits  depuis 
)■)  la  publication  d'iceluy,  tant  d'une  part  comme  de  l'autre, 
»  soyent  avecques  rigueur  de  brefve  et  exemplaire  justice  punis 
»  et  chas.tiez  ;  ensemble  la  connivence  des  magistrats  et  offi- 
y>  ciers,  sans  exception  de  personne;  autrement,  il  ne  voit  point 
y>  que  leurs  dites  majestez  puissent  establir  un  commun  repos 
»  et  seure  tranquillité  entre  leurs  subjets  ;  mais  au  contraire 
»  il  prévoit  et  craint  un  désespoir  et  résolution  prochaine 
))  de  ceux  qui  sont  travaillez  et  offensez,  de  s'essayer  de  se 
»  garder  et  se  faire  d'eux  mesmes  justice,  dont  ils  ne  l'ont  jamais 
y>  pu  obtenir;  chose  de  très  dangereuse  et  pernicieuse  consé- 
»  quence.  » 

Catherine,  qui  redoutait  que  Condô  elles  Ghâtillon  ne  soule- 
vassent les  réformés  contre  les  oppresseurs  dont  elle  favorisait  les 
tendances  et  les  actes,  enjoignit  à  son  fils  de  répondre  auprince  : 
qu'il  n'avait  rien  plus  à  cœur,  que  de  faire  rendre  une  égale 
justice  à  tout  ses  sujets  ;  qu'en  ce  qui  concernait  les  déclarations 
interprétatives  de  l'édit,  il  s'était  décidé  par  des  motifs  pérem- 
ptoires  à  les  formuler,  et  qu'il  ne  doutait  pas  que  le  prince,  qui 
n'avait  en  vue  que  le  bien  de  l'Étal  et  la  conservation  du  royaume, 
n'approuvât  ces  motifs  ;  qu'en  outre,  il  pensait  que  jamais  il  n'é- 
tait venu  à  l'esprit  du  prince  de  prétendre  régir  à  sa  fantaisie 
la  volonté  de  son  souverain;  que  si  les  gouverneurs  ou  autres 
fonctionnaires  avaient  manqué  à  leurs  devoirs,  il  les  ferait  pu- 
nir si  sévèrement,  qu'on  reconnaîtrait  qu'il  préférait  la  paix  à 
toute  autre  chose;  en  un  mot,  qu'il  souhaitait  uniquement  cl 


—  342  -- 

qu'il  commandait  que  l'édit  de  pacification  fût  sincèrement 
observé  partout  et  qu'on  rendît  également  justice  à  tous  ses 
sujets,  sans  distinction  de  religion  ^ 

Ce  n'étaient  là  que  de  stériles  assurances,  données,  sous  le 
nom  du  roi,  par  Catherine,  dont  les  intentions  et  les  actes  de- 
meuraient d'ailleurs  toujours  hostiles  aux  réformés.  Aussi, 
continua-t-elle,  alors  que  ceux-ci  se  plaignirent  des  abus  et  excès 
dont  ils  étaient  victimes,  à  leur  refuser,  en  fait,  les  légitimes 
réparations  qu'elle  leur  avait  promises,  en  paroles,  età  arracher, 
ça  et  là,  quelque  lambeau  de  plus  à  l'édit  d'Amboise.     . 

Sur  ce  point,  l'un  de  ses  confidents,  approbateur  intéressé  de 
la  voie  dans  laquelle  elle  s'était  engagée,  écrivait  ^  :  «  la  reine 
3)  fit,  avant  de  partir  d'Avignon,  une  ordonnance  qui  est,  à  mon 
»  avis,  la  meilleure  qu'elle  pouvait  employer,  afin  que  désor- 
))  mais  on  ne  donne  plus,  dans  son  royaume,  des  charges  de 
y>  judicature  à  aucune  personne  de  lanouvelle  religion,  attendu, 
y>  qu'outre  toutes  les  autres  raisons  qu'elle  en  peut  avoir,  il  ne 
))  semble  pas  convenable  que  les  officiers  de  sa  majesté  soient 
))  d'une  autre  religion  que  la  sienne.  La  reine  m'a  dit  que  ses 
»  conseillers  voulaient  faire  le  même  règlement  pour  toutes  les 
»  autres  charges,  mais  qu'il  en  avaient  été  détournés  par  la  con- 
»  sidération,  que  cette  défense  aurait  jeté  les  huguenots  dans 
»  un  trop  grand désespoir,qui  auraitpu  exciter  quelques  troubles , 
))  mais  qu'ils  travailleront  néanmoins  aies  exclure  peu  à  peu  de 
i)  tous  leurs  emplois.  —  Sa  Majesté  me  témoigna  beaucoup  de 
»  joie  de  ce  qu'elle  voyait  que,  par  la  grâce  de  Dieu,  les  affaires 
y>  de  ce  royaume  prenaient  tous  les  jours  un  meilleur  train,  et 
<)  elle  me  promit  qu'elle  ne  cesserait  pas  de  faire  toujours  de 
0  nouvelles  démarches  jusqu'à,  ce  quelle  les  eût  conduites  à 
»  leur  perfection,  en  médisant  expressément  que  le  monde con- 

1.  De  Thou,  Hist.,  univ  .,  l.  III,  p.  506. 

2.  LeUre  du  cardinal  de  Sainte-Croix  au   cardinal   Borromée,  du  8    no- 
vembre 15G4.  (Aymon.,  rec.  des  synodes,  t.  I,  p.  277). 


—  343  — 
»  naîtra  combien  il  s'est  trompé  dans  les  mauvais  jugements 
D  qu'il  a  faits  quelquefois  des  intentions  de  sa  Majesté.  » 

Catherine  et  son  fils  s'étaient  ménagé  à  Avignon  une  entrevue 
avec  Antinori  confident  du  pape.  «  Alors,  rapporte  Davila  (t.  I, 
))  p.  212,  213),  le  roi  et  la  reine  firentaux  propositions  du  sou- 
»  verain  pontife  la  réponse  qu'ils  n'avaient  pas  voulu  faire  à 
y)  son  ambassadeur,  ni  à  ceux  d'Espagne  et  de  Savoie.  Ils  se 
»  montrèrent  disposés  à  exterminer  le  Calvinisme  et  à  faire 
»  observerle  concile  de  Trente  dans  tout  le  royaume;  mais  ils 
y>  ajoutèrent  que,  pour  prévenir  les  invasions  des  Anglais  et 
»  des  protestants  d'Allemagne,  et  pour  arriver  au  but  qu'ils  se 
»  proposaient  sans  danger,  et  sans  renouveler  le  trouble  des 
D  guerres,  où  périssaient  tant  de  milliers  d'âmes  et  qui  déso- 
»  laient  toute  la  chrétienté,  ils  avaient  résolu  de  travailler,  par 
y>  des  voies  lentes  et  cachées,  à  enlever  aux  huguenots  leurs 
»  plus  fermes  appuis,  que  leur  dessein  était  de  calmer  les 
))  soupçons  du  prince  de  Condé  et  des  Coligny,  de  fortifier  les 
»  villes  suspectes,  de  remettre  l'ordre  dans  les  finances,  de 
»  remplir  les  coiïres  du  roi,  et  de  faire  d'autres  préparatifs  qui  de- 
j>  mandaient  un  temps  considérable  ;  qu'on  pourrait  agir  ensuite 
))  avec  plus  de  sûreté,  sans  courir  les  risques  et  les  dangers  aux- 
D  quels  on  s'exposerait  infailliblement,  et  qui  feraient  échouer 
»  l'entreprise,  pour  peu  qu'on  se  précipitât.  » 

Informé  du  séjour  de  l'amiral  au  château  de  Vallery,  et  épiant 
de  loin,  mais  en  pure  perte,  soit  ce  qui  pouvait  se  passer  entre 
l'oncle  et  le  neveu,  soit  ce  que  faisait  d'Andelot,  à  Metz  à 
Nancy,  ou  dans  le  voisinage  de  ces  deux  villes,  le  cardinal  de 
Lorraine  disait  confidentiellement  à  sa  belle-sœur  la  duchesse  de 
Guise  ^  :  «  il  me  semble  que  la  royne  devrait  faire  venir  le  prince 
)>  à  la  cour  ;  cela  le  divertiroit  de  beaucoup  d'entreprises  ;la  reine 
y>  en  rira d'Andelot  va  et  vient,  et  ne  sait  on  que  c'est  qu'il 

1.  Lettre  du  17  août  1564.  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol,  3211,  f»  9. 


-  344  — 

))  a  en  la  teste  :  cène  sçaurait  estre que  méchanceté.  Je  vous 
y>  prie  que  l'on  ne  fasse  bruict  de  rien  comme  venant  de  mon 
))  costé...  Si  Dieu  vouloitmestre  au  paradis  quelques  personnes, 
))  encores  ferions-nous  bonne  chère  ;  mais  c'est  grand'  pitié  qui 
D  fassent  tant  de  maux.  » 

L'amiral  quitta  Vallery,  laissant,  pour  le  moment  du  moins, 
Condé  sous  l'impression  de  l'affectueuse  sollicitude  dont  il  n'a- 
vait cessé  de  l'entourer,  et  des  conseils  parlesquels  il  s'était  at- 
taché à  fortifier  son  esprit  et  son  cœur.  Le  23  septembre,  il  an- 
nonça ainsi  à  de  Gordes  sa  rentrée  au  château  de  Ghâtillon  ^  : 
«  Quant  à  mes  nouvelles  il  y  a  sept  ou  huit  jours  que  je  suis  de 
))  retour  de  Vallery  où  j'estais  allé  voir  monsieur  le  prince  de 
»  Condé.  ))  Il  terminait  sa  missive  par  ces  mots.  «  monsieur 
y>  de  Gordes,  je  vous  prie  faire  estât  de  moi  comme  de  l'un  de 
»  vos  meilleurs  et  anciens  amis,  et  pensez  que  ceux-là  ne 
»  sont  pas  des  pires.  » 

Leretourde  G  oligny  ne  précéda  que  de  quelques  jours  l'arrivée 
à  Ghâtillon-sur-Loing  de  d'Andelot  et  de  la  nouvelle  compagne, 
Anne  de  Salm,  à  laquelle  il  venait  d'unir  son  sort.  Accueillie 
par  l'amiral  et  par  Charlotte  de  Laval  comme  une  sœur,  Anne 
de  Salm  justifia  pleinement  ce  titre,  dans  l'intimité  de  ses  re- 
lations ultérieures  avec  eux,  par  la  sincérité  et  l'élévation  de  ses 
sentiments. 

Le  second  mariage  de  d'Andelot,  approuvé  par  sa  famille, 
venait  de  se  conclure  au  grand  déplaisir  de  la  cour  de  Lorraine 
et  des  Guises,  dans  des  circonstances  auxquelles  aujourd'hui  en- 
core s'attache  un  certain  intérêt,  et  que  font  seuls  connaître, 
d'une  part,  avec  impartialité  et  exactitude,  un  document  d'un 
caractère  purement  privé,  et,  de  l'autre,  sur  le  ton  d'une  mal- 
veillance voisine  de  la  partialité  et  du  dénigrement,  divers  frag- 
ments de  correspondance  04J  de  chronique  locale,  émanés  de 

1.  Hist.  despr.  de  Condé.  t,  I.  p,  518, 


—  345  — 

personnages  dont  l'animosité  contre  le  frère  et  la  belle-sœur  de 
Goligny  se  trahissent  avec  une  âpre  rudesse.  Arrêtons-nous,  un 
instant,  à  cette  double  source  d'informations. 

Le  27  août  1564,  fut  dressé,  au  château  d'Essey,  par  deux 
cr  tabellions  jurez  au  bailliage  de  Nancy,  »  en  présence  de  té- 
moins, un  acte  *  contenant  les  conditions  civiles  du  mariage 
projeté  entre  d'Andelot  et  Anne  de  Salm.;  acte  dont  le  préam- 
bule énonçait  dans  les  termes  suivants  les  noms  et  qualités,  tant 
des  parties  contractantes,  que  des  personnes  qui  les  assistaient  : 
«  Sont  comparus  haut  et  puissant  seigneur  messire  François  de 
»  Goligny,  seigneur  d'Andelot,  comte  de  Montfort,  chevalier  de 
y>  l'ordre  du  roy,  capitaine  de  cinquante  hommes  d'armes  et 
»  colonel-général  des  bandes  françoises,  assisté  de  honnorez 
»  seigneurs  René  de  Savoye,  baron  de  Sipierre,  et  Jean  d'Haus- 
»  sonvillesieurdeViniers,BellonetVentoulx  en  partie,  etc.,  etc. 
»  d'une  part;  —  et  haute  et  puissante  dame  Anne  de  Salm, 
»  veufve  de  feu  honnoré  seigneur  Balthazar  de  Haussonville, 
»  escuyer,  sieur  dudit  lieu,  Essey,  Turquestem,  etc.,  etc.,  et 
3  grand  maistre  en  l'hostel  de  haut  et  puissant  prince  monseigneur 
»  le  duc  de  Lorraine,  Bar, etc.,  etc.,  nostre souverain  seigneur, 
»  se  disant  sienne  dame  et  maistresse,  usant  librement  et  fran- 
s>  chement  de  ses  biens  et  droits  de  viduité,  assistée  de  honnorez 
»  seigneurs  messire  Atfrican  de  Haussonville,  chevalier  et  ba- 
»  ron  dudit  lieu  d'Ormes,  etc.,  etc.,  mareschal  de  Barrois,  Gas- 
»  pard  de  Marcossey,  grand  escuyer  de  Lorraine  et  bailly  de 
»  Glermont,  etc.,  etc.,  Glande,  Antoine  de  Vienne,  sieur  de 
y>  Glervaut,  senéschal  héréditaire  de  l'évesché  de  Metz  et  de 
»  plusieurs  autres,  d'autre  part;  —  lesquels  ont  reconnu  et 
»  confessé  volontairement,  sans  force,  séduction,  ne  contrainte 
y>  aucune,  qu'en  pourparlant  du  mariage  espéré  à  faire  et  célé- 
»  brer  entre  ledit  seigneur  d'Andelot  et  ladite  Anne  de  Salm, 

1.  Du  Boucbet,  Hist.  de  la  maison  de  Coligny,  p.  1112  à  1115. 


—  346  - 

y)  s'il  plaît  à  Dieu,  ils  ont  promis,  passé  et  accordé,  et  est  les 
2>  pacts  et  conventions  ci-aprez  déclarez,  etc.,  etc.  » 

Aux  énonciations  calmes  et  précises  de  l'acte  authentique 
du  27  août  4564,  se  juxtaposent,  dans  la  vivacité  de  leurs 
allures,  les  allégations,  les  récits,  les  commentaires  passionnés 
des  détracteurs  de  d'Andelot  et  d'Anne  de  Salm.  En  voici  les 
principaux  spécimens  : 

c(  Vous  avez  entendu,  mandait  le  cardinal  Granvelle  au  ba- 
i)  ronde  Bolwiller,  le  28  août  1564  ^  ,  comme  Andelot demanda 
i>  d'entrer  à  Nancy,  à  IIIP".  Ghevaulx,  pour  faire  la  cour  h  la 
y>  vefve  du  feu  sieur  d'Assonleville,  avec  laquelle  il  se  vouldroit 
»  marier.  » 

Le  30  août,  le  mariage  avait  eu  lieu,  car  Jean  d'Achey  de 
Thoraise  écrivait,  ledit  jour,  au  cardinal  son  beau-frère  ^  : 
«  M.  d'Andelot  a  épousé,  à  une  lieue  près  Nancy,  la  veuve  de 
»  de  M".  B.  d'Aussonville.  Le  duc  et  le  cardinal  de  Lorraine, 
»  ainsi  que  M.  de  Guise  n'en  sont  pas  fort  contons.  Il  ne  fait 
»  que  aller  et  venir  à  Metz;  ce  qui  fait  craindre  qu'il  ne 
))  brasse  quelque  chose.  Le  prévost  de  Nancy  a  esté  mis  en 
»  prison,  pour  savoir  qui  a  pratiqué  ce  mariage.  » 

Le  baron  de  Bolwiller,  dans  une  dépêche  du  4  septembre, 
donnaitau  cardinal  Granvelle^  les  détails  suivants  :  «  touchant 
»  la  venue  devant  Nancy  de  M.  d'Andelot,  à  cause  de  madame 
y>  d'Auxonville,  je  tiens  que  vous  aurez  jà  entendu  que  la  chose 
D  a  passé  plus  avant;  car  je  tiens  le  mariage  consumé  et  dépes- 
»  ché  comme  est  cy-après  dict,  encores  que  la  dame  soit  esté 
»  exhortée  et  preschée  tant  par  son  alteze,  la  comtesse  de  Salm 
))  sa  mère,  que  de  messieurs  les  comtes,  ses  frères,  pour 
ï)  la  divertir  de  l'oppinion  où  elle  estoit  au  faict  de  ce  ma- 
y>  riage,  qu'a  esté,  comme  est  à  présupposer,  quelque  temps 

i.  Papiers  d'État  de  Granvelle,  t.  VIII,  p.  278. 

2.  Papiers  d'État  de  Granvelle,  t.  VIII,  p.  278,  en  note. 

3.  Papiers  d'État  de  Granvelle,  t.  VIII,  p.  301. 


-  347  — 

3  avant  arresté  entre  les  deux  parties,  en  somme,  que  per- 
»  sonne  ne  put  convaincre  ladicte  dame.  Ledict  Andelot  vint, 
»  comme  le  descripvez,  se  présenter  devant  ledict  Nancy,  es- 
i>  tant  pour  lors  ladicte  dame  dedans,  pour  y  entrer;  mais 
»  M.  le  duc  de  Lorrayne  luy  feit  entendre  qu'il  attendoit  d'heure 
)  à  aultre  M.  le  cardinal  de  Lorrayne,  et  que,  pour  cela,  il  le 
»  prioit  qu'il  eust  à  chercher  aultre  logis  et  ailleurs  qu'en  la 
»  dicte  ville.  Ce  nonobstant,  ledict  Andelot  feit  desseller  ses 
y>  chevaulx  aux  laulxbourgs,  tant  print-il  d'audace,  si  que  le 
j»  dict  sieur  duc  fut  contrai  net  luy  recharger  qu'il  deust  cher- 
y>  cher  aultre  logis.  Lors  ledict  Andelot  feit  response  que  si 
))  ledict  sieur  luy  commandoit,  qu'il  le  feroit.  Sur  quoy  luy  fut 
»  dict  de  la  part  du  duc,  qu'il  luy  répétoit  ce  qu'il  luy  avoit 
D  faict  dire  :  adoncques  ledict  Andelot  se  partit.  Mais  il  n'a 
»  pas  pourtant  délaissé  que  samedy,  il  y  a  heu  à  celluy  passé 
»  huit  jours,  qu'il  ne  soit  venu  trouver  ladicte  dame  en  un  vil- 
y>  laige  nommé  Essey,  demie-lieue  de  Nancy,  front  à  front  et  à 
»  pleine  vue  du  palais,  au  faict  d'accomplir  ce  mariaige,  estant 
»  accompagné  de  cent  chevaulx,  et  faict  la  salve  d'arquebouze- 
i)  rie,  à  son  entrée  audict  lieu,  à  la  mode  des  reytres;  estant  à 
»  Nancy,  ledict  sieur  cardinal  de  Lorrayne,  duc,  duchesse  et 
»  M.  de  Guyse,  sans  mouvement  aulcun,  comme  ainsy  j'ay  veu. 
»  Sçay-je  bien  que,  pour  ces  te  salve,  ledict  sieur  cardinal  fut 
»  fort  niarry,  et  le  petit  sieur  de  Guyse  avoit  dict,  estant  à  une 
ï)  fenestre  dudict  palais,  vis-à-vis  dudict  Essey,  et  oyant  trom- 
))  pettes,  voyres  parler  ce  qu'on  disoit  dans  ledict  lieu,  tant  est- 
»  il  proche  de  Nancy,  n'estant  que  la  rivière  entre  deux,  qu'il 
y»  ne  desireroit  que  d'avoir  quelque  arquebouze  a  crocq  qui  peust 
»  tirer  contre  ces  villains;  ainsi  nommoit-il  Andelot  et  sa 
»  suyle.  Lequel  estant  ainsi  arrivé  audit  Essey,  mondit  sieur 
»  le  duc  de  Lorrayne  envoya  incontinent  devers  luy,  luy  inter- 
»  dire  de  sa  part  qu'il  ne  deust  à  faire  prescher  là,  ny  y  tenir 
»  leur  nopces  à  rhuguenotte;pourquoy  je  tiens  qu'elles  seront 


—  348  — 

»  esté  faictes  à  Metz.  La  mère  de  la  dicte  dame  et  ses  frères,  ce 
y>  jour-là,  ny  le  jour  de  dimanche  suyvant,  quand  se  faisoit  le 
»  plus  grand  festin  audict  Essey,  ne  bougèrent  de  Nancy,  dé- 
»  monstrant  grandement  ressentir  cest  acte,  et  n'ont  jamais 
»  rien  sçeu  de  ce  traicté  de  mariaige,  qu'a  esté  sollicité  caute- 
•»  ment  par  ung  prévost  de  Nancy,  bon  huguenot,  autrefois 
»  chambellan  de  feu  monsieur  d'Auxonville,  et  par  luy  mis  en 
»  cest  estât  de  prévost,  lequel  monsieur  le  duc  a  faict  prendre  et 
y>  gecter  en  fond  de  fosse,  où  il  est  rudement  traicté,  si  qu'il 
»  n'a  lumière  qu'il  soit,  et  tient-l'on  qu'il  le  fera  fort  bien  pu- 
»  nir.  » 

Le  10  septembre,  Granvelle  répondait  à  Bolwiller  *  :  «  j'ai 
»  entendu  et  par  voz  lettres  et  d'ailleurs  la  particularité  de  ce 
»  qu'est  passé  aux  nopces  du  sieur  d'Andelot  et  le  sentement 
j)  que  madame  la  duchesse,  la  mère  et  les  frères  de  la  damoi- 
»  selle  en  ont  montré;  mais,  à  la  vérité,  j'ay  trouvé  estrange 
»  que,  la  tenant  au  palais,  et  s'estant  déclarée  qu'elle  sevouloit 
»  marier  avec  ledict  sieur  d'Andelot,  et  veuillant  sortir  de  là 
»  à  cest  effect,  l'on  le  luy  aye  permis;  et  sans  doubte  si  elle 
»  eust  bien  à  faire  à  moy,  elle  n'en  fûst  sortye,  et  l'eusse  fort 
»  bien  gardée  de  se  marier  avec  luy  ny  avec  aultre,  plustost, 
»  que  de  consentir  que,  à  leur  barbe,  elle  aye  prins  pour  mary 
»  ung  ennemy  mortel  du  sang  de  son  seigneur.  Et  est  insouf- 
»  frable  l'insolence  dont  il  use,  que  M.  le  cardinal  eust  grande 
»  cause  de  sentir  ;  mais  il  y  eust  heu  moyen  de  faire  davantage- 
»  que  de  se  contenter  d'en  avoir  sentement,  et  venoit  de  bon 
»  cœur  à  monsieur  de  Guyse  ce  qu'il  en  dict,  ne  comportant  son 
»  âge  de  faire  davantage.  Et  certes  tous  ceulx  qui  en  oyent  parler 
»  treuvent  comme  moy  fort  estrange  que  l'on  aye  laissé  partir 
»  ladite  damoyselle  de  la  court  pour  s'aller  marier.  » 

On  voit  par  là  quel  cas  le  fougueux  et  autoritaire  cardinal 
faisait  de  la  liberté  individuelle. 

1.  Papiers  d'État  de  Granvelle,  t.  YIII,  p.  320. 


—  349  — 

De  son  côté,  un  évêque  chroniqueur,  Meurisse  ^ ,  nous  fait 
connaître,  en  le  déplorant,  l'accueil  que  d'Andelot  reçut  à 
Metz,  immédiatement  après  son  mariage.  «  Il  arriva,  dit-il,  un 
))•  grand  sujet  aux  adversaires  de  lever  les  cornes,  et  à  l'hérésie 
y>  de  triompher  avec  plus  d'arrogance  et  d'insolence  que  de 
ù  coustume,  le  second  jour  de  septembre  de  l'année  1564.  Mes- 
»  sire  François  de  Coligny,  sieur  d'Andelot,  frère  de  l'amiral,  et 
»  couronnel  général  de  l'infanterie  françoise  et  un  des  plus  puis- 
y>  sans  arcs-boutans  de  ceste  hérésie,  estant  venu  espouser 
y>  au  chasteau  de  Montoy,  Anne  de  Salm,  sœur  du  comte  de 
»  Salm,  et  delà  estant  venu  au  presche  à  Metz,  le  quatrième  du 
»  mesme  mois,  parceque  le  gouverneur,  la  garnison  et  la  bour- 
y>  geoisie  mesme  catholique  ayant  esté  obligez  de  luy  rendre  de 
»  grands  honneurs  :  toutes  ces  choses  se  passèrent  avec  tant 
»  de  faste  et  de  pompe,  qu'à  cest  éclat,  à  ceste  nouveauté  et  à 
»  un  si  puissant  appuy  de  ce  nouvel  évangile,  considéré  la 
))  faiblesse  et  la  simplicité  de  quelques-uns  de  ces  esprits,  la 
»  foy  en  eust  esté  aucunement  esbranlée  et  l'église  humiliée, 
y>  si  Dieu  par  sa  miséricorde  n'eût  fortifié  quelques  bonnes 
y>  âmes  qui  restaient  encore  icy  et  ne  les  eût  fait  résoudre  à  ne 
»  peser  pas  la  vérité  de  la  religion  et  la  sincérité  de  la  foy  à  la 
))  balance  d'une  vanité  mondaine  et  d'un  faste  orgueilleux, 
»  que  ceux  de  ce  party  ne  manquent  jamais  d'affecter,  lorsque 
»  les  occasions  s'en  rencontrent,  s'imaginant  que  leur  religion 
D  n'est  jamais  meilleure  que  lorsqu'ils  paraissent  le  plus.  » 

Il  n'était  sorte  de  bruits  absurdes  qui  ne  circulassent  au  sujet 
du  mariage  de  d'Andelot,  et  que  Granvelle  ne  recueillit  avec 
soin,  en  avouant  du  reste  qu'il  n'y  croyait  pas  toujours.  De  là 
cette  communication  que  Bolwiller  reçut  de  lui  le  24  sep- 
tembre ^  :  «  M.  de  Vergy  m'escript  qu'il  a  nouvelles  que  le 
y>  S'  d'Andelot  moyne  sa  femme  en  l'une  de  ses  maisons,  et 

i.  Histoire  de  l'hérçsie  à  Metzet  dansle  pays  messin.  Metz,  1670,  in-4o  p.  266. 
2.  Papiers  d'État  de  Granvelle,  t.  VIII,  p.  358. 


—  350  - 

y>  qu'il,  a  passé  par  Chastillon,  où  il  a  dansé  avec  les  dames, 
D  contre  ce  qu'il  souloit  faire,  monstrant  cy-devant  que  cela 

))  répugnait  à  leur  religion Vray  est  que  quelquefoys  telz 

ï>  advertissements  ne  sont  pas  véritables.  » 

De  là  encore  cette  nouvelle  reçue  de  France  par  Granvelle, 
y>  que  le  prince  de  Condé,  l'admirai  et  d'Andelots'estoientjointz 
»  ensemble  soubz  couleur  des  nopces  qu'avait  fait  ledict  Ande- 
»  lot  en  Lorraine  pour  machiner  quelque  chose  contre  Dieu  et 
))  contre  leur  roy,  estans  assistez  du  mareschal  de  Montmo- 
»  rency  qu'estoit  l'ungdes  plus  malheureux  hommes  et  subjets 
»  que  le  roy  eust  après  le  chancelier  \  d 

Quelles  que  fussent  les  rumeurs  qu'eût  fait  surgir  le  second 
mariage  de  d'Andelot,  elles  se  détruisaient"  d'elles-mêmes  par 
leur  propre  inconsistance. 

Il  est  certain  que  le  séjour  de  d'Andelot  à  Ghâtillon,  quand  il 
vint  de  la  Lorraine  avec  Anne  de  Salm,  n'eut  d'autre  caractère 
que  celui  de  l'une  de  ces  douces  et  calmes  réunions  de  famille, 
auxquelles,  ainsi  que  l'amiral,  il  attachait  toujours  un  grand 
prix.  C'était  alors  que  dans  l'intimité  de  leurs  entretiens,  les 
deux  frères  se  livraient  à  un  confiant  échange  de  sentiments, 
d'idées  et  de  vues,  soit  sur  les  plus  chers  intérêts  des  êtres 
bien-aimés  qui  les  entouraient,  soit  sur  les  questions  religieuses, 
sociales  et  politiques  que  soulevaient  les  faits  contemporains. 
A  ces  questions,  d'une  gravité  parfois  exceptionnelle,  ils  n'assi- 
gnaient jamais  d'autres  solutions  que  celles  qui  leur  étaient 
inspirées  par  leur  foi  personnelle  et  leur  sympathie  pour 
leurs  co-religionnaires,  par  l'amour  de  la  patrie  et  par  la 
fidélité  à  leur  souverain,  dont  ils  respectaient  et  tenaient  à 
faire  respecter  les  prérogatives. 

Tous  deux,  au  moment  même  oii  des  calomniateurs  les  accu- 
saient €  de  machiner  quelque  chose  contre  Dieu  et  contre  leur 

1.  Papiers  d'État  de  Granvelle,  t.  VIlI,  p.  483. 


-  351  — 
»  roy,  y>  prouvaient,  une  fois  de  plus,  dans  une  circonstance 
postérieure  au  séjour  de  d'Andeiot  à  Châtillon ,  bientôt  suivi 
de  son  retour  à  Tanlay,  que  loin  d'entrer  en  lutte  contre  l'au- 
torité divine  ou  contre  l'autorité  royale,  ils  s'efforçaient  au 
contraire  d'amener  une  puissance  étrangère  à  n'appuyer,  en 
matière  religieuse,  les  droits  des  réformés  français,  auprès  de 
leur  roi,  qu'en  s'adressant  à  celui-ci  avec  tous  les  ménagements 
commandés  par  l'indépendance  de  sa  situation  suprême.  C'est 
bien  là  ce  qui  ressort  de  diverses  lettres  adressées  par  Coligny 
et  par  d'Andeiot  aux  cantons  de  Berne  et  de  Zurich,  dans  le 
cours  de  négociations  suivies,  en  1564,  pour  l'établissement 
d'une  alliance  entre  ces  cantons  et  la  France. 

«  Magnifiques  seigneurs,  disait  Coligny  à  l'avoyer  et  aux 
i>  membres  du  conseil  de  Berne  \  ayant  entendu  Testât  auquel 
»  se  retrouvent  les  affaires  de  vostre  costé,  en  l'alliance  que  le 
ô  roy  recerche  avecq  vous,  et  que  la  plus  grande  difficulté  qui 
»  se  trouve  maintenant  est  pour  tant  que  vous  désireriez  qu'il 
»  feust  inséré  en  ladite  alliance,  que  l'édictfaict  par  sa  majesté 
y>  pour  la  pacification  des  troubles,  en  ce  qui  concerne  le  faict 
»  de  la  religion,  feust  observé,  en  cela  il  fault  qu'un  chacun 
))  advoue  le  bon  zèle  duquel  vous  estes  poulsez,  et  fault  par 
»  mesme  moyen  que  tous  serviteurs  de  Dieu  et  amateurs  du 
»  repos  publicq  se  content  redebvables  et  obligez  à  vous,  et 
»  moy  entre  les  aultres  je  ne  veulx  faillir  de  vous  en  remercyer 
»  bien  affectueusement  :  mais  je  vous  prye,  magnifiques  sei- 
y>  gneurs,  considérer  que  les  choses  sont  en  trop  bons  termes, 
»  pour  demeurer  en  si  bon  chemyn,  et  que  si  d'aventure  sa 
))  majesté  diffère  à  ne  vouloir  que  tel  article  soit  inséré,  ce  n'est 
»  pas,  sans  grande  occasion;  car  il  seroit,  selon  mon  opinion, 
))  plus  préjudiciable  qu'advantageux,  d'autant  que  les  quantons 
y>  catholiques  voudroient  se  servir  de  ceste  occasion  ;  et,  pour 

-1.  Archives  de  Berne.  Frankreich.  2*  vol.,  1551  bis  1569. 


—  352  — 

))  lever  ce  scrupule,  il  me  sembleroit  qu'il  suffiroit  bien  que, 

»  traictant  de  ladite  alliance,  vous  fissiez  entendre  verbalement 

y>  vostre  conception  aux  ministres  de  sa  majesté,  laquelle  par  ce 

y>  moyen  sera  aussy  vallable  que  si  elle  estoit  insérée,  et  qu'a- 

^  près,  quand  se  viendra  à  ratifier,  que  vous  entendissiez  de  la 

ï)  bouche  de  sa  majesté  mesmes  son  intention  estre  d'entretenir 

»  ledit  édict,  ce  que  je  m'asseure  qu'il  ne  différera  nullement, 

))  veu  tant  de  déclarations  qu'il  en  a  faictes  et  qu'il  renouvelle 

»  encores  tous  les  jours.  Aussy  n'y  a-t-il  pas  apparence  qu'il* 

»  deust  vouloir  autre  chose,  veu  que  de  cela  deppend  le  bon 

»  repos  et  seureté  de  tout  son  estât  ;  et  vous  sçavez,  magnifiques 

))  seigneurs,  que  si  je  pensoys  que  telle  chose  deut  estre  néces- 

»  saire,  je  vous  en  vouldroys  moy-mesmes  solliciter,  et  que, 

»  oultre  le  publicq,  encores  y  a  il  mon  particulier  qui  me 

))  debvroit  bien  y  faire  penser.  Mais  tant  s'en  fault  que  j'aye 

»  oppinion  que  cela  peust  servir,  que  je  craindrois  qu'il  peust 

»  nuyre,  d'autant  que  je  ne  doubte  point  qu'estans  alliez  avec 

»  sa  dicte  majesté,  vos  moyens  et  auctoritez  ne  puissent  de 

))  beaucoup  servir  pour  rompre  les  desseings  des  perturbateurs 

»  du  repoz  publicq,  et  nommément  de  la  religion.  Pourtant, 

»  magnifiques  seigneurs,  vous  suppliay-je,  au  nom  de  Dieu, 

»  que,  pour  l'advancement  de  sa  gloire  et  aussi  pour  le  bien  de 

»  ce  royaulme  et  de  voz  pays,  vous  veuillez  entrer  en  ceste  al- 

:o  liance  le  plustost  que  faire  se  pourra,  car  de  cela  deppend 

y>  tant  de  bien  et  d'utilité,  selon  mon  jugement,  que  je  ne  désire 

»  rien  tant  que  cela  se  puisse  effectuer.  Vous  estes  trop  advisez 

»  pour  ne  considérer  les  pracliques  que  l'on  a  voulu  faire  par 

»  voz  quantons,  et  qu'estans  alliez  du  roy  vous  n'en  devez  pas 

»  espérer  petite  utilité,  et  oultre  cela,  encores  un  grand  repoz  ; 

y>  et  pour  ce  que  je  ne  doubte  point  que  vous  n'en  ayez  assez 

y>  bonne  cognoissance,  je  ne  vous  en  useray  de  plus  long  dis- 

y>  cours,  me  recommandant  bien  affectueusement  à  voz  bonnes 

»  grâces,  et  priant  Dieu  vous  avoir,  magnifiques  seigneurs,  en 


—  353  -- 
y>  sa  sainte  garde,  augmenter  envous  journellement  les  grâces 
))  de  son  sainct  Esprit,  et  que  vous  puissiez  servir  pour  son 
»  église  et  à  l'advancement  de  sa  gloire.  —  De  Ghastillon,  ce 
y>  dernier  jour  d'octobre  1564.  Vostre  humble  et  bien  affectionné 
»  amy,  Ghastillon.  » 

Le  7  novembre,  l'amiral  écrivit  encore  à  l'avoyer  et  au  con- 
seil de  Berne  *  :  «  Magnifiques  seigneurs,  pour  ce  que  je  vous  ay 
D  escript  il  y  a  desjàhuit  jours  et  suplié  de  vouloir  parachever 
y>  l'alliance  que  le  roy  recerche  avecq  vous,  je  ne  vous  en  feray 
»  plus  long  discours;  mais  ayant  trouvé  ceste  occasion  pour 
y>  vous  envoyer  les  lettres  que  monsieur  d'Andelot  mon  frère 
»  vous  escript,  qui  n'estoyt  icy  lorsque  je  vous  feiz  ma  dépesche, 
»  je  vous  ay  bien  voulu  faire  encores  ce  mot  de  lettre  pour  vous 
ï>  dire  que,  tant  plus  je  considère  le  bien  et  l'utilité  qui  revien- 
»  dra  de  ceste  alliance,  et  tant  plus  cela  m'incite  davantage  de 
y>  vous  supplier,  au  nom  de  Dieu  et  pour  l'advancement  de  son 
y>  règne  que  je  sçay  que  vous  avez  sur  toutes  choses  en  singu- 
»  lière  recommandation,  d'y  vouloir  entrer  et  vous  asseurer, 
y>  magnifiques  seigneurs,  qu'en  tous  les  endroits  où  moy  ou  les 
ï»  myens  aurons  moyen  de  vous  servir,  que  nous  le  ferons  d'aussi 
»  bonne  volonté  et  affection  que  vous  le  sçauriez  désirer,  comme 
y>  seigneurs  qui  le  méritent  et  qui  s'emploient  si  volontairement 
»  ez  choses  qui  concernent  le  service  de  Dieu,  me  recomman- 
y>  dant  bien  affectionnément  à  vos  bonnes  grâces,  etc.,  etc.  » 

Deux  lettres  identiques  à  celles  ci-dessus  furent  adressées 
par  Cohgny  «  aux  magnifiques  seigneurs  messieurs  les  bour- 
3)  guemestres  et  conseil  de  Zurich,  »  les  31  octobre  et  6  no- 
vembre 1564  ^ 

Les  lettres  de  d'Andelot  transmises  par  Goligny  aux  magis- 
trats de  Berne  et  à  ceux  de  Zurich  ^  étaient  conçues  dans  le 

1.  Archives  de  Berne.  Frankreich,  vol.  2,  1551  bis  1569. 

2.  Archives  de  Zurich,  documents  détachés. 

3.  Archives  de  Berne.  Frankreich.  vol.  2.  1551  bis  1569,  et  archives  de 
Zurich,  documents  détachés. 

II.  23 


—  35i  — 

même  sens  que  celles  de  l'amiral  à  ces  magistrats,  en  date  des 
81  octobre  et  7  novembre. 

Goligny,  quelque  occupé  qu'il  fût,  en  novembre  4564,  de 
l'alliance  projetée  entre  la  France  et  la  Suisse,  n'en  étendait 
pas  moins  sa  sollicitude,  dans  cette  dernière  contrée,  à  la  dé- 
fense des  intérêts  privés  d'un  officier  français,  en  faveur  du- 
quel il  s'adressa  simultanément  à  Th.  de  Bèze  et  aux  magistrats 
de  Genève  K  »  Monsieur  de  Bèze,  disait-il,  le  cappitaine  An- 
»  trague,  présent  porteur,  me  faict  entendre  que  les  soldatz  de 
))  la  compagnie  qu'il  avait  dedans  Mascon,  durant  les  troubles, 
»  le  veulent  contraindre  de  les  païer  de  leur  solde,  et  que,  pour 
n)  ce  faire,  luy  ont  faict  empescher  le  bien  qu'il  a  à  Genefve, 
»  disans  que  ledit  Antrague  leur  en  avoit  respondu,  et  encores 
))  qu'il  feust  ainsi,  si  est-ce  que  l'usance  de  la  guerre  est  que 
))  les  cappitaines  ne  sont  paint  tenuz  de  satisfaire  à  telles  pro- 
»  messes  ny  de  païer  l'appointement  de  leurs  soldatz,  si  ce  n'es- 
»  toit  qu'ils  en  eussent  reçeu  le  paiement;  et  partant,  je  vous 
)>  prieray,  monsieur  de  Bèze,  de  faire  "tant  envers  messieurs  de 
»  Genefve,  qu'ils  tiennent  la  main  à  ce  que  ses  dicts  biens  ne 
»  luy  soient  point  empeschez  pour  cette  occasion,  qui  ne  se- 
»  rait  chose  raisonnable,  puisque  la  coustume  de  guerre  est 
»  telle  que  dessus,  etc.,  etc.  Vostre  entièrement  bon  amy,  Chas- 
»  tillon.  k> 

Dans  les  derniers  jours  de  novembre,  Goligny  et  d'Andelot 
quittèrent  leurs  châteaux  de  Ghâtillon  et  de  Tanlay,  pour  se 
rendre  à  celui  de  Merlemont,  en  Beauvaisis,  où  Odet  comptait 
sur  leur  présence.  Il  s'agissait  pour  eux  de  l'entourer  de  leur 
affection  fraternelle,  dans  l'une  des  phases  les  plus  graves  de  sa 
carrière,  et  de  prouver  leur  franche  adhésion  à  la  résolution 
qu'il  avait  prise,  d'entrer  dans  la  vie  conjugale,  et  qu'il  allait 

1.  La  teneur  des  deux  lettres  que  Goligny  leur  adressa,  le  13  novembre  1564 
étant,  à  quelques  mots  près,  la  même.  (Archives  de  Genève,  n°1715),  il  est  inu- 
tile de  reproduire  ici  celle  qui  fut  expédiée  aux  magistrats  de  Genève. 


—  355  — 

exécuter,  en  toute  sûreté  de  conscience,  maintenant  qu'ayant 
abdiqué  l'état  ecclésiastique,  il  professait  ouvertement  la  reli- 
gion réformée. 

Les  circonstances,  bien  connues  de  Goligny  et  de  d'Andelot, 
dans  lesquelles  Odet  avait  fait  choix  d'une  compagne,  étaient 
des  plus  simples. 

Isabelle  de  Hauteville,  fille  de  Samson  de  Hauteville,  gentil- 
homme normand,  et  de  Marguerite  de  Loré,  avait  été,  à  l'âge  de 
quinze  ans,  admise  au  nombre  des  filles  d'honneur  de  Margue- 
rite de  France,  duchesse  de  Savoie.  Odet,  très  attaché  à  cette* 
princesse,  qui  lui  avait  donné  maintes  preuves  d'afïectueuse 
estime  et  de  confiance,  vint  à  sa  cour,  depuis  la  conclusion  de 
la  paix  d'Amboise,  y  rencontra  Isabelle,  dont  les  convictions  re- 
ligieuses et  la  distinction  d'esprit  l'impressionnèrent  vivement, 
et  la  demanda  en  mariage.  La  famille  de  la  protégée  de  la  du- 
chesse et  la  duchesse  elle-même,  ayant  approuvé  l'union  pro- 
jetée, Isabelle  quitta  la  cour  de  Savoie  et  vint  en  France. 

Les  conventions  civiles  qui  précédèrent  son  union  avec  Odet 
furent  consignées  dans  un  aôte  authentique  du  1"  décembre 
1564,  à  la  rédaction  duquel  assistèrent  l'amiral  et  d'Andelot,  et 
auquel  ils  apposèrent  leurs  signatures,  ainsi  que  le  sceau  de 
leurs  armes  \  Le  même  jour,  la  bénédiction  nuptiale  fut  donnée 
à  Odet  et  à  Isabelle,  dans  la  chapelle  du  château  de  Merle- 
mont,  par  Pierre  Mallet,  ministre  de  l'Évangile,  en  présence  de 
nombreux  gentilshommes  *. 

Goligny  revint  promptement  à  Châtillon,  où  il  avait  laissé 
Charlotte  de  Laval,  dans  un  état  de  grossesse  fort  avancée.  Le 


1.  Du  Bouchet,  hist.  de  la  maison  de  Goligny,  p.  4.27,  4.28  et  Bibl,  nat.  iiiss. 
cabinet  des  titres,  V.  Goligny.  Notice  sur  Isabelle  de  Hauteville  par  le  chevalier 
de  Bréau  Chassebras,  son  petit-neveu. 

2.  «  Odet  n'était  point  en  habit  de  cardinal,  mais  vêtu  d'une  saye  de  velours 
noir  et  d'un  long  manteau  de  cour,  sans  épée.  »  (V.  Bull,  de  la  soc.  d'hist.  du 
prot.  fr,  t.  XXIII,  p.  137). 


—  356  — 
10  décembre,  elle  mit  au  monde  un  fils  \  dont  il  annonça,  le 
lendemain  la  naissance  à  la  duchesse  de  Ferrare,  en  lui  faisant 
parvenir  un  message  de  sa  femme  et  de  madame  d'Andelot  - 
qui,  en  sœur  dévouée,  se  trouvait  alors  au  château  de  Châ- 
tillon.  La  duchesse,  dans  sa  sollicitude  pour  madame  l'amirale, 
ayant  envoyé,  de  Montargis,  dès  le  i%  une  personne  de  con- 
fiance, dans  l'espoir  d'obtenir  par  elle  des  informations  rassu- 
rantes, Goligny  s'empressa  de  répondre,  en  ces  termes,  à  la 
bienveillante  et  sympathique  Renée  de  France  ^  :  «  Madame, 
y>  je  ne  puys  assez  humblement  vous  remercyer  de  l'honneur 
»  qu'il  vous  plaist  continuer  de  nous  faire  à  ma  femme  et  à 
»  moy,  nous  démonstrant  d'avoir  eu  ce  soing  d'elle,  d'envoyer 
»  sçavoir  comment  elle  se  porte.  Il  vous  plaira  l'avoir  pour 
))  excusée,  madame,  sy  par  ses  lettres  particulières  elle  ne  vous 
y>  en  fait  aussy  très  humble  remerciement,  pour  estre  en  Testât 
■»  qu'elle  est,  et  prendre  de  bonne  part  celuy  que  je  vous  fais 
))  en  commun  pour  elle  et  pour  moy,  laquelle  du  reste,  grâces 
»  à  Dieu,  se  porte  bien,  et  aussy  faict  l'enfant,  comme  vous 
»  pourra  dire  vostre  secrétaire,  présent  porteur,  et  entamer  au- 
»  très  particularités  que  je  luy  ay  communiquées  pour  les  vous 
»  faire  entendre,  parquoy  m'en  remettant  à  sa  suffisance,  je 
y>  ne  m'étendray  en  plus  de  language  par  les  présentes,  que  pour 
»  nous  recommander  tousjours  très  humblement  à  vostre 
»  bonne  grâce  et  supplyer  le  créateur,  madame,  qu'il  vous 
»  doinct,  en  très  bonne  santé  et  continuelle  prospérité,  très 
»  longue  vie.  y> 

Le  5  janvier  1565,  Charlotte  de  Laval,  à  qui  tout  déplace- 
ment était  encore  interdit,  écrivit  à  Renée  de  France  *  :  «  Ma- 

1.  «  Le  X  de  décembre  1564,  fut  né  Charles  de  GouUigny,  mon  fils,  à  Chas- 
»  tillon,  ung  dimanche  à  neuf  heures  du  soir,  »  (Mention  inscrite  par  l'amiral 
sur  le  livre  d'heures  de  Louise  de  Montmorency.  Bull.  prot.  t.  Il,  p.  6), 

2.  Lettre  du  H  décembre  1504.  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  31i9,  f°  51. 

3.  Lettre  du  12  décembre  15G4.  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  3U9,  f"  60. 
L  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  3211,  f»  27. 


—  357  — 

»  dame,  j'envoie  ce  gentilhomme,  présent  porteur,  exprès  vers 
y>  vous,  pour  vous  visiter  de  ma  part,  ce  que  je  ferais  très  vo- 
i>  lontiers  moy-mesme  sy  ma  santé  me  le  permettait.  Et  parce 
»  que  j'ay  donné  charge  audit  porteur  de  vous  dire  plus  au  long 
»  de  mes  nouvelles,  s'il  vous  plaist  d'en  sçavoir,  je  m'en  repo- 
y>  seray  sur  luy,  quy  me  gardera  de  la  vous  faire  plus  longue, 
»  sinon  pour  vous  supplier  très  humblement  de  me  faire  part 
»  des  vostres,  et  accepter  mes  très  humbles  recommandations  à 
»  vostre  bonne  grâce,  etc.,  etc.  y> 

Cinq  jours  après.  Renée  de  France  recevait  de  l'amiral  les 
lignes  suivantes  *  :  «  Madame,  pour  le  désir  que  j'ay  de  sça- 
y>  voir  de  voz  nouvelles  et  de  vostre  bon  portement,  je  n'ay 
»  voulu  faillir  d'envoyer  ce  gentilhomme  pour  vous  visiter  de 
»  ma  part,  en  attendant  que  j'aille  moy-mesmes  faire  ce  deb- 
»  voir,  lequel  si  j'ay  différé  plus  que  je  ne  m'attendoys,  il  vous 
y>  plaira  m'avoir  pour  excusé  et  entendre  que  l'occasion  de  ce 
»  retardement  procède  de  ce  que  je  suys  encores  attendant 
y>  de  jour  à  aultre  la  venue  du  gentilhomme  que  M.  le  prince 
3)  de  Gondé  doibt  envoyer  icy  pour  donner  le  nom  à  l'enfant 
y>  qu'il  a  pieu  à  Dieu  me  donner  dernièrement.  Et  quant  aux 
»  nouvelles  que  je  vous  puys  mander  de  la  court,  madame,  je 
»  n'en  ay  point  de  plus  fresches  que  du  27  du  passé  ;  et  ne 
»  sont  pas  de  grande  importance,  mais  seulement  de  l'arrivée 
))  du  roy  à  Montpellier,  et  que,  tant  les  grandes  eaux,  comme 
»  la  goutte  de  laquelle  M.  le  connestable  a  esté  travaillé,  ont 
))  retardé  le  chemyn  que  Sa  Majesté  debvoit  faire.  Au  reste, 
»  toutes  choses,  à  la  court,  passent  à  l'accoustumée,  etc.,  etc.  y> 

On  voit,  une  fois  de  plus,  par  ces  lettres  de  l'amiral  et  de  sa 
femme,  de  quel  caractère  affectueux,  simple  et  digne  étaient 
empreintes  leurs  relations  avec  la  vénérable  duchesse  de 
Ferrare. 

i.  RihI.  nat.  luss.  f.  k.  vol.  325(3,  fo  HO. 


—  358  — 

De  ces  relations  résultaient,  sous  l'influence  d'une  confiance 
réciproque,  maints  bons  oifices  rendus  en  commun  à  des  per- 
sonnes de  la  condition  parfois  la  plus  humble.  L'amiral  dont  la 
serviabilité  ne  faisait  jamais  défaut  à  quiconque  méritait  d'être 
placé  sous  son  patronage,  connaissait  si  bien  la  bonté  de 
Renée  de  France,  qu'il  n'hésitait  pas  à  y  recourir  en  faveur 
d'autruij  alors  surtout  qu'il  pensait  pouvoir,  en  lui  recomman- 
dant un  protégé,  servir,  en  même  temps  que  les  intérêts  de 
celui-ci,  les  intérêts  de  la  duchesse. 

Ce  fut  ce  qu'il  fit,  le  jour  même  (8  janvier  1565)  où  il  s'excu- 
sait, vis  à  vis  de  Renée,  de  n'avoir  pas  encore  pu  la  visiter,  en 
appelant  sa  bienveillance  sur  le  porteur  d'une  lettre  de  recom- 
mandation, ainsi  conçue  ^  :  «  Madame,  ce  porteur  a  esté 
D  quelque  temps  en  ce  lieu,  lequel  m'a  fait  entendre  l'espé- 
))  rance  (ju'il  vous  a  pieu  luy  donner  de  luy  faire  cest  honneur 
»  de  le  prendre  à  vostre  service,  mais  que  ne  s'estant  trouvé 
))  propre  pour  vous  servir  en  Testât  de  fourrier,  il  avoit  esté 
))  remis  à  estre  pourveu  de  quelque  autre  estât  quand  l'occa- 
»  sion  se  présenterait,  et  maintenant  il  a  entendu  que  vous 
y>  faictes  dresser  vos  estais,  m'ayant  requis,  à  ceste  cause, 
«  de  vous  escrire  en  sa  faveur,  je  ne  luy  ay  voulu  refuser  la 
)^  présente,  pour  vous  supplier,  madame,  d'aultant  que  je 
»  l'ay  congneu  bien  morigéné,  qu'il  vous  plaise  luy  faire  tant 
»  de  bien  et  d'honneur  de  commander  que  l'on  regarde  en 
))  quoy  il  vous  pourra  faire  très  humble  service,  pour  y  estre 
))  employé,  etc.,  etc.  » 

Tandis  que  de  paisibles  communications  s'échangeaient  ainsi 
entre  les  châteaux  de  Ghâtillon  et  de  Montargis,  le  turbulent 
cardinal  de  Lorraine,  de  concert  avec  sa  famille,  agissait  de 
manière  à  susciter,  dans  Paris,  de  graves  désordres.  Le  contre- 
coup s'en  fût  inévitablement  fait  sentir  au  sein  des  provinces, 

1.  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  3  149j  f"  51. 


-  359  - 
si  les  provocations  du  prélat  n'eussent  été  refoulées  par  une 
répression  immédiate,  et  si  l'amiral  ne  fût  venu  rassurer  par 
sa  présence  et  ses  discours  la  population  de  la  capitale,  dans 
des  circonstances  dont  l'exposé  fera  connaître  l'influence  salu- 
taire qu'exerça  son  intervention. 


CHAPITRE   IV 


Le  cardinal  de  Lorraine,  à  son  entrée  en  armes  dans  Paris,  est  repoussé  par  le 
maréchal  de  Montmorency.  —  Lettres  de  celui-ci  au  duc  de  Montpensieret  à  la  reine 
mère.  —  Sur  l'invitation  du  maréchal,  Coligny  se  rend  à  Paris.  —  Ses  allocutions 
aux  membres  d'une  réunion  convoquée  par  le  maréchal,  au  prévôt  des  marchands 
et  aux  bourgeois  notables  de  la  capitale.  ^-  Sa  visite  au  parlement.  —  Coligny  écrit 
au  roi.  —  Lettres  du  roi  au  maréchal  de  Montmorency,  à  Damville  et  à  d'Andelot. 

—  Châtiment  infligé  à  Le  May.  —  Pardon  accordé  par  l'amiral  à  Hambrevillier.  — 
L'accès  de  la  capitale  est  momentanément  interdit  par  le  roi  à  l'amiral,  à  d'Andelot 
et  à  divers  autres  seigneurs.  —  Entrevue  de  Bayonne.  —  Dépêches  du  duc  d'Albe  à 
Philippe  II.  —  Desseins  de  Catherine  à  l'égard  des  réformés.  —  Coligny  à  Chàtillon. 

—  Sa  lettre  aux  magistrats  de  Strasbourg.  —  Mariage  de  Condé  avec  la  fille  de  la 
marquise  de  Rothelin.  —  Départ  de  Coligny  pour  Moulins. 


Le  cardinal  de  Lorraine,  de  retour  en  France,  à  l'issue  du 
concile  de  Trente,  s'était  dit  menacé  des  plus  grands  dangers, 
et  avait  obtenu  du  roi  l'autorisation  de  s'entourer  de  gardes, 
dont  le  nombre,  originairement  illimité,  fut  bientôt  restreint  au 
chiffre  précis  de  quarante  hommes  ^ .  Cette  autorisation  de- 
meurait nécessairement  subordonnée,  dans  ses  effets,  aux  dis- 
positions formelles  des  édits  qui  prohibaient  le  port  de  certaines 
armes,  et  qui  enjoignaient  aux  gouverneurs  des  provinces  d'in- 
terdire l'accès  des  villes  à  toutes  personnes  armées. 

Le  prélat,  ayant  résolu,  vers  la  fin  de  l'année  1564,  de  se 
rendre  à  Paris,  pour  y  stimuler  le  zèle  de  ses  créatures  et  y 
provoquer  le  peuple  à  un^  démonstration  en  faveur  de  la  mai- 
son de  Guise,  écrivit  au  duc  d'Aumale  de  se  joindre  à  lui  avec 
des  gens  armés,  convoqua  ses  amis;  et,  suivi  de  tous  ceux  qui 

1,  Lettre  du  roi  au  maréchal  de  Montmorency.  Bibl.  nai.  mss.  f.  fr.  vol.  3185 

f  23 


—  361  — 
avaient  répondu  à  son  appel,  il  arriva  à  Saint-Denis,  en  com- 
pagnie de  son  jeune  neveu  Henri,  fils  aîné  du  feu  duc  de 
Guise.  Il  se  disposait  à  faire  dans  Paris  une  entrée,  en  quelque 
sorte  triomphale,  lorsqu'il  lui  fallut,  tout  à  coup,  singulière- 
ment rabattre  de  sa  téméraire  prétention. 

En  effet,  ainsi  que  le  rapporte  de  Thou  * ,  «  François  de 
»  Montmorency,  gouverneur  de  Paris  et  de  l'île  de  France, 
))  homme  d'un  grand  courage  et  d'une  rare  probité,  apprit 
3)  que  le  cardinal  marchait  armé.  Gomme  il  connaissait  son 
y>  humeur  et  son  emportement,  et  qu'il  n'ignorait  pas  qu'on 
»  l'avoit  nouvellement  aigri  contre  sa  maison,  que  ce  cardinal 
»  haïssait  déjà,  il  crut  qu'il  n'en  usait  ainsi,  que  pour  éprou- 
y>  ver  sa  patience,  et  que,  par  conséquent,  il  fallait  repousser 
»  la  force  par  la  force.  Gependant,  comme  il  était  équitable  et 
y>  droit,  il  voulut  d'abord  l'avertir  de  congédier  cette  suite  de 
y>  gens  armés,  qui  était  une  contravention  aux  édits  du  roi  ; 
»  de  ne  pas  venir,  dans  un  temps  suspect,  avec  tout  l'appareil 
»  d'un  homme  qui  irait  à  la  guerre,  et  de  ne  pas  entrer,  pen- 
»  dant  l'absence  de  Sa  Majesté,  dans  la  capitale  du  royaume, 
»  qui  n'était  que  trop  portée  au  trouble  et  à  la  sédition.  —  Il  fit 
»  ensuite  réflexion,  qu'il  ne  convenait  pas,  à  cause  des  diffé- 
»  rends  et  de  la  haine  déclarée  qui  étaient  entre  eux,  d'en- 
»  voyer  faire  un  pareil  compliment  au  cardinal  :  Voici  le 
»  moyen  qu'il  trouva  pour  garder  les  bienséances,  et  pour 
3)  faire,  en  même  temps,  savoir  au  cardinal  ce  qu'il  avait  dessein 
])  de  lui  faire  dire.  Il  vint,  le  8  de  janvier,  au  parlement,  où  il 
»  savait  qu'il  y  aurait  un  grand  nombre  de  gens  attachés  aux 
y>  Guises,  qui  ne  manqueraient  pas  de  rapporter  au  cardinal  ce 
»  qu'il  aurait  dit;  et  il  déclara  publiquement  à  la  cour,  afin 
3)  qu'elle  n'en  prétendît  cause  d'ignorance,  que  le  roi  et  la 
»  reine  sa  mère  lui  avaient  ordonné,  sur  toutes  choses,  de  ne 

1.  Hist.  univ.  t.  m,  p.  533  et  suiv. 


—  362  — 

»  pas  souffrir  que  qui  que  ce  fût  osât  approcher  de  Pans  en 

»  armes,  pendant  leur  absence  ;  que  néanmoins  il  apprenait  que 

j  quelques-uns,  méprisant  l'autorité  du  roi  et  du  gouverneur, 

»  marchaient  en  armes  dans  le  royaume  et  voltigeaient,  aux 

»  environs  de  Paris;  qu'il  ne  pourrait  le  souffrir  sans  manquer 

»  à  son  devoir;  qu'au  reste,  il  prévoyait  que,  si  ces  gens-là 

»  continuaient  dans  leur  audace,  l'affaire,  ne  se  passerait  pas 

y>  sans  quelque  trouble  ;  qu'il  s'était  cru  obligé  d'en  avertir  le 

»  parlement,  afm  qu'il  interposât  son  autorité;  que,  pour  lui, 

»  il  était  résolu,  pour  s'acquitter  de  sa  charge,  de  faire  obser- 

))  ver  les  édits  et  de  faire  tous  ses  efforts  pour  empêcher  que 

))  la  témérité  de  quelques  particuliers  ne  donnât  la  moindre 

))  atteinte  à  l'autorité  légitime  du  roi  et  des  magistrats  ^  — 

y>  Après  avoir  parlé  de  la  sorte,  Montmorency  s'en  alla  au  Lou- 

»  vre.  Il  avait  bien  entendu  parler  de  la  permission  accordée 

»  au  cardinal  ;  mais  comme  celui-ci  ne  l'avait  pas  montrée,  il  se 

i>  persuada  que  c'était  par  mépris  pour  lui  qu'il  en  usait  ainsi, 

»  et  il  crut  qu'il  devait  employer  toute  sorte  de  moyens  pour 

y>  l'empêcher  d'entrer  dans  la  ville.  —  Le  cardinal,  de  son 

))  côté,  quoiqu'averti  par  ses  amis,  qui  allaient  souvent  le  trou- 

»  ver,  de  la  résolution  de  Montmorency,  ne  put  jamais  se  déci- 

:)  der  à  montrer  la  permission  qu'il  avait  obtenue  du  roi,  disant 

»  que  Montmorency  le  savait,  et  qu'il  était  de  l'honneur  de  la 

y>  maison  de  Guise  et  de  sa  propre  réputation,  qu'on  ne  crût 

))  pas  que  ses  ennemis  lui  avaient  fait  la  loi  en  l'obligeant  de 

))  montrer  ses  lettres,  principalement  dans  Paris,  où  ils  avaient 

))  tant  de  créatures  et  où  ils  se  flattaient  que  le  peuple  pren- 

ï>  drait  les  armes  pour  les  Guises  contre  les  Montmorencis,  à 

»  cause  de  la  religion.  C'était  là  le  voile  dont  les  Guises  se 

1.  «  lis  ont  tous  advoué  mon  dire  raisonnable  »,  écrivait  le  maréchal  de 
Montmorency  à  Catherine  de  Médicis,  le  jour  même  (8  janvier  1565),  oii  il 
venait  de  faire  sa  déclaration  aux  membres  du  parlement  de  Paris.  (Ribl.  nat. 
mss.  f.  fr.  vol.   0621,^91). 


—  363  —      . 

»  couvraient  toujours,  et  ils  s'imaginaient  que  le  peuple,  qui 
»  les  regardait  et  les  chérissait  comme  les  défenseurs  de  la  foi, 
»  n'avait  que  de  la  haine  pour  les  Montmorencis,  qu'il  croyait 
»  moins  zélés,  à  cause  de  leur  attachement  au  prince  de  Condé 
»  et  aux  Cohgnis.  y> 

^  Averti  par  ses  amis  de  la  résolution  du  maréchal  de  Mont- 
morency, le  cardinal  refusa  de  montrer  la  permission  qu'il  avait 
obtenue  du  roi.  Alléguant  qu'il  y  allait  de  son  honneur  et  de 
celui  de  sa  maison  de  ne  pas  laisser  croire  qu'il  pût  subir  la  loi 
de  ses  ennemis,  il  se  dirigea  vers  Paris. 

Tandis  qu'il  s'avançait,  «  le  maréchal  lui  envoya  un  prévôt, 
y>  avec  des  archers  à  cheval  pour  lui  ordonner,  au  nom  du  roi 
^  et  du  gouverneur  de  la  capitale,  de  mettre  bas  les  armes.  Le 

2)  cardinal  méprisa  ce  commandement  comme  injurieux,  parce 
))  que,  disait-il,  ces  sortes  de  gens,  qui  n'ont  de  pouvoir  que  sur 
»  les  voleurs,  les  criminels  et  les  vagabonds,  n'avaient  aucun 
»  droit  sur  les  personnes  de  son  rang.  Il  continua  donc  sa 
3>  marche  *  .  » 

Qu'advint-il  alors?  le  maréchal  de  Montmorency  lui-même  - 
va  nous  l'apprendre  : 

«  Le  cardinal  ne  laissa  d'entrer  dans  cette  ville  (Paris),  avec 
»  sa  garde  et  avec  telle  troupe^,  que  mes  prévôts  que  j'avais 
y>  envoyés  pour  constituer  prisonniers  ceux  qu'ils  trouveroient 
»  portans  armes  defîendues,  m'advertirent  qu'ils  avoient  trop 
»  de  gens  sur  les  bras  et  ne  pouvaient  exécuter  mes  comman- 
y>  démens  ;  parquoy,  à  l'instant,  je  y  envoyay  quinze  harque- 

3)  buziers  de  ma  garde  conduits  par  leur  capitaine,  lesquels, 
»  soudain  qu'ils  furent  aperçus  par  les  gens  dudit  cardinal, 


1.  De  Thou,  hist.,  univ.,  t.  III,  p.  535. 

2.  Lettre  du  15  janvier  1565  au  duc  de  Monipensier.  (Bibl.  nat,  mss.  f.  fr. 
voh  3188,  f°^  6  à  9. 

3.  •«  Lundi  passé,  8  du  présent  mois  (janvier)  ung  peo  avant  les  trois  heures 
j  après  midy,  monsieur    le   révérendissine  cardinal  de  Lorraine,  vestu  du 


—  364  — 

))  furent  par  eux  environnés  leur  présentans  arquebuzes  et 
y>  pistollets  à  l'estomac  ;  tellement  qu'il  me  fut  force  de  monter 
))  à  cheval  avec  bon  nombre  de  gentilshommes  de  l'une  et  de 
D  l'autre  religion,  car,  Dieu  merci,  les  uns  et  les  autres  m'o- 
y>  béissent  volontiers  en  ce  que  je  leur  commande,  au  nom  et 
»  pour  le  service  du  roy;  le  train  dudit  cardinal  fut  par  moy 
»  rencontré  au  coin  de  Saint-Innocent,  et  laissay  passer  tous 
))  ceux  qui  ne  portoient  armes  défendues;  mais  quand  j'aper- 
»  çus  arquebusiers  et  pistolliers,  je  m'advançay  dedans  la  rue 
))  Saint- Denis  et  leur  fis  faire  commandement  de  mettre  les 
)>  armes  bas  ;  et  pour  ce  que,  à  ceste  abordée,  au  lieu  de  m'o- 
j')  béir,  un  des  arquebuziers  dudit  cardinal  tira  un  des  gentils- 
))  hommes  de  ma  compagnie,  tout  ce  qui  fut  rencontré,  armé 
))  fut  déservi  un  peu  plus  rudement  que  je  n'avois  délibéré. 
»  Toutefois  ne  fut  faite  aucune  offense  à  Lignères,  Lavallée, 
))  Grenay,  Villegagnon,  Fosse  et  autres  qui  ne  portaient  armes 
))  défendues,  et  les  feis  préserver.  Ledit  cardinal  se  sauva  dedans 
y>  une  maison  aisée  à  forcer  ;  mais  pour  ce  que  j'avais  en  ma 
»  compagnie  assez  de  gens  qui  ne  l'aimaient  guères,  je  outre- 
))  passai  et  fis  passer  à  toute  ma  compagnie  ladite  maison,  afin 
))  de  luy  donner  moïen  de  se  retirer  à  pied  dedans  son  hostel 
»  de  Glugny.  Il  n'y  a  homme  de  guerre  qui  sçaiche  que  c'est  que 
))  de  commander,  ny  homme  de  jugement,  de  quelque  qualité 
))  qu'il  soit,  qui  puisse  excuser  ledit  cardinal  d'avoir  desdai- 
y>  gné  le  roy,  puisqu'il  a  tant  desdaigné  son  lieutenant-général, 
y>  que  d'entrer  non  seulement  en  mon  gouvernement,  mais 
))  aussi  en  la  ville  capitale  de  ce  royaume  avec  armes  défen- 
))  dues,  sans  m'en  advertir.  S'il  y  avoit  quelque  congé,  c'estoit  à 
»  lui  à  me  le  monstrer  et  à  moy  à  l'ignorer,  pour  le  lieu  que 

î  robbon  et  chappeau,  accompaigné  du  petit  seigneur  de  Guyse  et  grande 
»  Iroppe  de  seigneurs  et  geus  à  cheval,  venant  de  Sainct-Denys  est  entré  à 
»  Paris.  ï  (Relation  de  Louis  del  Rio,  attaché  à  l'ambassade  d'Espagn(«  en 
France.  Pap.  d'État  de  Granvelle,  t.  VllI,  p.  600,  601). 


~  365  — 
))  je  tiens.  Et  pour  ce,  mardi  au  soir,  il  bailla  au  premier  pré- 
y>  sident,  pour  me  montrer,  un  congé  qu'il  a  de  faire  porter  à 
'y>  ses  eens  armes  défendues,  dès  le  mois  de  février  dernier, 
))  signé  Bourdin,  de  par  la  royne,  laquelle  usant  de  son  accous- 
»  tumée  prudence  et  sagesse,  ne  luy  a  donné  qu'un  simple 
y>  congé  qu'on  ne  refuse  ordinairement  à  tous  ceux  qu'on  sçait 
»  avoir  querelle  ;  et  sous  prétexte  dudit  congé,  ledit  cardinal  se 
y>  veut  attribuer  garde  d'arquebusiers  et  capitaine  de  sa  garde  ; 
»  à  quoy  Sa  Majesté  tant  advisée  que  chacuii  sçait  ne  pensa 
))  oncques,  d'autant  qu'elle  feroit  tort  à  messeigneurs  ses 
»  enfans  et  à  la  maison  de  France.  Et  pour  ce  que  entre  tous 
»  ceux  qui  sont  nez  subjectz  du  roy  il  n'y  a  que  ceux  de  ladite 
»  maison  à  qui  il  appartienne  d'avoir  garde  en  ce  royaume  et 
y>  à  ceux  qu'il  plaist  à  Sa  Majesté  tant  honnorer  que  de  leur 
»  donner  commandement  sur  les  armes,  toutes  fois  voiant  que 
»  ledit  congé  n'en  parloit  point  seulement,  je  dis  que  quand  le- 
»  dit  cardinal  m'envoyeroit  le  nombre  et  le  nom  de  ses  gens 
»  ausquels  il  entend  faire  porter  lesdites  armes  défendues,  au 
»  gouvernement  de  l'isle  de  France,  en  forme  authentique,  atta- 
»  ché  au  dit  congé,  dûment  collationnée,  j'en  ordonnerois  selon 
»  le  du  de  ma  charge.  Sur  cela,  il  partit  mercredy  matin,  deux 
>  heures  avant  le  jour,  avec  des  lanternes,  et  se  retira  à  Meu- 
»  don  où  et  partout  ailleurs  où  il  ira  en  mon  gouvernement,  il 
»  ne  lui  sera  souffert  faire  chose  qu'il  ne  doive  faire,  pour  faire 
y>  obéir  le  roy  et  révérer  ses  ministres,  chacun  selon  son  regard 

))  et  vaccation Je  n'ignore  point  les  artifices  dont  savent 

»  user,  et  d'aiguiser  les  matières,  ceux  qui  se  veulent  attribuer, 
»  en  France,  plus  de  dignité  et  grandeur  que  les  présentes 
»  loix  ne  leur  permettent.  Aucuns  disent  que  ledit  sieur  cardi- 
))  nal  avoit  fiance  au  peuple  de  Paris  :  mais  je  l'ai  trouvé  en 
))  pleine  rue  Saint-Denis,  et  personne  ne  bougea,  respectant 
y>  un  chacun  mes  qualités.  » 

Les  détails  que  fournit  ainsi  le  maréchal  se  complètent  par 


—  366  — 
les  fragments  suivants  de  l'une  de  ses  lettres  à  la  reine  mère*  : 
«  Je  puis  assurer  vostre  Majesté  qu'en  toute  la  rue  Saint- 
))  Denys  le  roy  ha  esté  obéy  sans  que  jamais  un  seul  bourgeois 

y>  de  ladite  rue  ait  fait  semblant  d'y  prendre  aucun  desplaisir 

»  Ledit  cardinal  s'en  est  allé  cependant  par  aultre  chemin  pas- 
»  ser  à  pied  sur  le  pont  Notre-Dame,  accompagné  de  quelques 
»  harquebuziers,  aussi  à  pied,  et  s'est  logé  dans  son  hôtel  de 
»  Clugny,  où  bientôt  après  est  arrivé  son  frère,  le  duc  d'Au- 
))  maie,  en  s'accompagnant  de  leurs  amys  et  serviteurs.  De 
))  ma  part,  pour  éviter  aux  inconvéniens,  j'ay  retiré  auprès  de 
y>  moy  Madame  la  douairière  de  Nevers,  la  comtesse  de 
j)  Seninghen  et  la  princesse  de  Porcyan,  oii  elles  seront  en 
«  sûreté,  et  avec  elles  M.  le  prince  de  Porcyan  qui  m'a  accom- 
3)  pagné  aujourd'huy  pour  le  service  du  roy,  avec  plusieurs 
D  gentilshommes,  et  se  sont  tous  si  saigement  gouvernés,  que 
))  j'ay  grande  occasion  de  m'en  louer  et  de  le  faire  entendre  à 
»  vostre  Majesté  ;  et  que,  s'ils  avaient  esté  portés  d'aultre  pas- 
))  sion  que  du  service  de  vos  dites  majestés,  ils  avoient  ung 
y>  moyen  d'exécuter  ce  qu'ils  eussent  voulu.  Je  vous  assure, 
-»  Madame,  que  la  force  demeurera  au  roy  et  à  vous,  et  en  leur 
j)  absence,  à  moy,  puisque  j'ay  cest  honneur  de  tenir  icy  le 
»  le  lieu  que  j'y  tiens.  —  J'ay  esté  à  quatre  heures  du  soir  au 
j>  parlement,  auquel  j'ay  fait  entendre  comme  tout  s'estoit 
»  passé,  le  pilant  de  tenir  la  main  à  la  justice  comme  je  tien- 
j>  droys  la  main  à  la  force.  Ils  m'-ont  respondu  que  tout  ce  qui 
»  estoyt  passé  n'estoyt  rien  et  que  j'avois  bien  faict,  mais 
j)  qu'ils  désiroient,  pour  la  continuation  du  repos  où  j'ay  esta- 

D  bli  ceste  ville  qu'on  n'en  vînt  plus  avant Le  roy  m'a  faict 

»  cest  honneur  de  me  mettre  en  main  le  commandement  sur 
»  les  armes,  duquel  je  n'useray  jamais  que  pour  le  service  de 
»  sa  majesté  et  la  faire  obéyr  d'un  chascun,  soyt  cardinal  ou 

1.  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  6621,  f°  91, 


—  367  — 
»  autre,  de  quelque  qualité  qu'il  soyt.  Madame,  je  vous  supplie 
y>  ne  vous  troubler  pour  l'entreprise  dudit   cardinal  et  des 
»  siens,  car  jemestray  bon  ordre,  tant  qu'ils  seront  dans  mon 
y>  gouvernement,  de  les  faire  contenir  en  leurs  limites.  » 

Contraint  de  plier,  devant  l'énergique  attitude  du  maréchal 
de  Montmorency,  le  cardinal  de  Lorraine  se  garda  bien  de 
rester  à  proximité  de  la  capitale.  Tandis  qu'il  se  rendait  en 
Champagne  et  dans  le  pays  messin,  son  frère,  le  duc  d'Aumale, 
affecta  de  parcourir,  avec  un  assez  grand  nombre  de  gens 
armés,  les  environs  de  Paris;  jetant  parla  une  sorte  de  défi  au 
maréchal,  et  menaçant  de  susciter  des  troubles. 

Ce  fut  alors  que  François  de  Montmorency  invita  l'amiral  à 
quitter  Châtillon,  et  à  lui  prêter  son  concours  pour  le  maintien 
de  l'ordre,  dans  l'étendue  du  gouvernement  de  l'île  de  France. 

Déférant  aussitôt  à  l'appel  de  son  cousin,  Coligny  arriva  à 
Paris,  le  22  janvier,  avec  une  escorte  de  trois  cents  cavaliers. 

Le  maréchal  de  Montmorency  s'empressa  de  convoquer  un 
conseil,  auquel  assistèrent  Claude-Gouffier  de  Boisy,  grand 
écuyer  de  France,  les  présidents  Christophle  de  Thou,  René 
Baillet,  Pierre  Séguier,  Christophle  de  Harlay,  et  de  Bois- 
taillé,  naguères  ambassadeur  à  Venise.  Il  exposa  les  motifs 
qui  l'avaient  porté  à  réclamer  la  présence  de  l'amiral,  et 
déclara  qu'il  s'agissait  de  délibérer  en  commun  sur  les  moyens 
d'assurer  le  repos  public,  que  compromettaient  des  rumeurs 
et  des  calomnies  journellement  répandues. 

L'allocution  du  maréchal  amena  naturellement  Coligny 
à  prendre  la  parole.  «  Il  y  a  longtemps,  dit- il  (*),  que  je  scay 
»  le  bruict  que  les  meschans  et  malveillans  font  courir  contre 
t)  moy,  comme  si  j'avois  délibéré  de  me  saisir  de  ceste  ville, 
y>  que  personne  n'ignore  estre  la  force  et  la  lumière  de  la 
j>  France,  mais  ces  desseins  sont  propres  à  ceux  qui  s'attri- 

1.  Hotmail,  Vie  de  Coligny,  trad.  1665,  p.  62  à  66. 


—  368  — 

»  buent  quelque  droict  en  la  succession  du  royaume  et  préten- 

y>  dent  la  restitution  de  certains  duchez  et  comtez  leur  devoir 

»  estre  faicte.  Quant  à  moy,  je  n'ay  point  de  prétention  au 

y>  royaume,  ny  à  aucune  de  ses  parties,  et,  si  je  l'avois,  j'estime 

»  que,  depuis  cinq  cents  ans,  personne  de  la  noblesse  fran- 

»  çoise  n'a  eu  tant  de  moyens  que  moy  de  troubler  Testât.  Il 

»  vous  peut  souvenir,  après  la  mort  du  duc  de  Guise,  et  lorsque 

»  le  connestable  estoità  Orléans,  enmon  pouvoir,  quelle  occa- 

))  sion  j'eus  d'entreprendre,  si  mon  humeur  eust  esté  portée 

»  aux  remuemens  ;  et  que  la  reine  mère  et  le  conseil  du  roy 

»  n'avoient  jamais  demandé  la  paix,  que  lorsque  les  affaires 

»  de  ceux  de  la  religion  sembloient  plus  florissantes.  Et  qui 

-»  peut  ignorer  que  je  ne  l'aye  recherchée  avec  très  instantes 

))  supplications  et  désir,  lorsque  plusieurs  des  plus  puissantes 

»  villes  s'estoient  déjà  mises  en  ma  protection,  et  que  plusieurs 

))  autres,  tant  de  Normandie  que  de  Bretagne,  m'offraient 

»  volontairement  leur  amitié  et  association  ?  Qui  est-ce  qui 

))  ne  sçait,  qu'après  la  paix  faite,  pouvant  contenter  mon  am- 

y>  bition   et  obtenir  du   roy  des  charges  et   honneurs,  j'ay 

»  toutesfois  mieux  aimé  me  retirer  en  ma  maison,  et,  dans  toute 

»  sorte  de  retenue  et  de  repos,  y  mener  jusques  icy  une  vie 

»  privée?  —  Mais,  laissant  ce  discours  pour  parler  de  ce  dont 

»  il  est  question,  ayant  esté  appelle  par  le  maréchal  de  Mont- 

»  morency,  je  me  suis  hasté  de  venir  en  ceste  ville,  non  pas 

))  pour  y  apporter  aucun  changement  ou  trouble,  mais  plustost 

»  pour  esteindre  le  feu- que  l'audace  de  quelques-uns  estoit, 

))  preste  à  y  allumer.  J'estime  que  personne  de  vous  n'ignore  la 

))  créance  qu'ont  en  moy  ceux  qui  font  profession  de  la  pureté 

y>  de  la  religion  ;  plusieurs  desquels  esmeus  de  ces  nouvelles 

»  menées  et  épouvantez  des  factieux  desseins  des  Guises,  vien- 

j)  nent  tous  les  jours  me  trouver  avec  lettres  surprises  de  quel- 

»  ques  capitaines  assemblez,  qui  mandent  à  leurs  vieux  sol- 

y>  datz  de  se  tenir  prests,  en  armes,  pour  se  rendre,  au  premier 


—  369  — 

y)  commandement,  où  il  sera  besoin.  Et  pour  n'user  de  paroles 

»  inutiles,  il  s'en  est  trouvé  d'escrites  de  Normandie,  desquelles 

»  le  propre  original  a  été  porté  à  la  royne-mère,  et  dont  vous 

»  tirant  une  copie  de  ma  poche,  je  réciteray  seulement  un  arti- 

))  cle  :  //  n'y  a  'point  de  mdien  plus  aisé  de  restituer  la  cou- 

»  ron?ie  de  France  à  ceux  à  qui  elle  appartient  d^ ancien  droict, 

»  et  d'abolir  la  race  des  Valois,  que  d'exterminer  tous  les  hugue- 

))  nots,  qui  la  défendent.  Pourtant  il  faut  faire  vendre  leurs 

y>  bois  à  V enchère,  et  du  prix  en  avoir  de  V argent  et  des  armes  ; 

))  et,  s'ils  en  veulent  plaider,  la  chose  étant  jugée,  ils  nedébat- 

y>  iront  point  les  frais  du  procès.  —  Que  diray-je  des  meurtres 

»  et  voleries  qu'ils  exercent  à  toute  heure? Il  est  constant  que, 

»  depuis  la  publication  de  la  paix,  plus  de  cinq  cens  de  la 

»  religion  ont  esté  tuez  en  divers  lieux,  sans  que  la  mort  d'un 

y>  seul  ait  esté  vengée  par  le  magistrat  :  et  ceux  qui  font  leurs 

»  plaintes  au  roy  ou  à  la  royne-mère,  ne  remportent  que  des 

y>  paroles,  ou  quelque  feuille  de  papier,  ou  peau  de  parchemin, 

»  sans  effet.  Qui  ne  sçait  pas  que,  depuis  peu,  il  s'est  fait  publi- 

%  y>  quement,  en  la  ville  de  Tours,  à  enseignes  déployées,  un 

»  massacre  de  ceux  de  la  religion,  en  présence  même  de  celuy 

))  que  le  duc  de  Montpensier  y  avoit  envoyé   pour  establir  la 

»  paix?  Ce  qu'estant,  on  dit  toutes  fois  que  quelques  prestres 

»  ont  pris  tant  de  frayeur  de  mon  arrivée  en  ceste  ville,  qu'ils 

»  déhbèrent  delà  quitter.  Si  est-ce  qu'il  n'y  a  lieu,  en  France, 

y>  nulle  si  forte  place,  citadelle  ou  chasteau,  où  les  prestres 

»  demeurent  et  célèbrent  leurs  cérémonies,  et  mesmes  avec 

3)  plus  de  repos  etseureté,  qu'en  ma  ville  de  Chastillon  K  » 

Le  lendemain  de  la  réunion  dont  il  s'agit,  le  prévôt  des  mar- 
chands, qu'accompagnaient  environ  quarante  bourgeois  de  Paris, 

1.  Tel  fut  le  langage  tenu  par  l'amiral,  et  que  nous  fait  connaître  Hotmail 
dont  le  témoignage  est  d'un  grand  poids;  car,  à  raison  de  ses  relations  directes, 
avec  Coligny  et  avec  sa  famille,  il  était  parfaitement  à  portée  de  savoir  exac- 
tement ce  qui  s'était  dit  et  fait  alors. 

"._  24 


—  370  — 

choisis  d'entre  tous  les  ordres,  l'évêque,  le  recteur  de  l'Univer- 
sité, et  un  grand  nombre  d'ecclésiastiques,  étant  venus  trouver 
le  maréchal  de  Montmorency,  l'amiral  leur  tint  un  discours  à 
peu  près  semblable  à  celui  qu'il  avait  prononcé  la  veille;  puis, 
se  reportant  au  temps  où  il  était  gouverneur  de  Paris  et  de  l'île 
de  France,  il  leur  rappela  quelques-uns  des  actes  de  son  admi- 
nistration,  qu'il  s'était  efforcé  de  rendre  tutélaire. 

Il  vint  ensuite,  avec  le  maréchal,  visiter  le  parlement,  auquel 
il  adressa  ces  paroles  *  : 

«  Messieurs,  je  vous  viens  offrir,  en  général  et  particulier,  tout 
y>  le  plaisir  et  service  que  je  vous  pourray  faire,  et  pour  vous  faire 
»  entendre  que  je  suis  venu  en  ceste  ville,  au  commandement 
»  de  monsieur  mon  cousin,  qui  est  icy  près,  afin  de  l'obéyr  en 
))  ce  qu'il  me  commandera;  aussy  que  l'on  a  voulu  donner  quel- 
»  que  impression  aux  citoyens  de  ceste  ville,  qui  n'est  encores 
))  du  tout  effacée  ;  vous  suppliant  croyre  que  le  Seigneur  Dieu 
y>  ne  m'a  encores  si  peu  assisté,  qu'il  me  voulust  permectre  que 
y>  je  feisse  une  émotion,  pour  donner  moïen  aux  larrons  et  pil- 
»  lardz  de  pouvoir  exécuter  une  partie  de  leur  avaricieuse  et  in- 
))  satiable  affection  de  saccager,  de  laquelle  je  nepourroys  rap- 
»  porter  aultre  fruict  sinon  une  perpétuelle  ruyne  de  ma  maison 
))  et  la  veue  d'une  misérable  et  piteuse  désolation  de  bonnes  et 
y>  notables  maisons  que  je  congnois  en  ceste  ville;  mais  au  con- 
))  traire  je  ne  désire  rien  plus  que  de  continuer  le  peuple  en  son 
))  debvoir  et  en  la  pure  obéissance  des  édictz  du  roy.  On  a  voulu 
»  dire  que  j'estois  entré  avec  plus  grand  nombre  qu'en  mon  train 
>  ordinaire,  et  pour  ce  que  je  ne  m'asseuroys  trop  de  quelscuns 
»  qui  ne  me  sont  amys  en  ceste  ville,  j'ay  prié  mon  cousin  de 
»  m'ayder  de  quelscuns  des  siens,  lequel  m'a  envoyé  cent  che- 
))  vaulx  de  sa  garde,  non  de  garde  privée,  mais  de  garde  royale. 
»  Au  surplus,  messieurs,  je  vous  supplie  que  ceux  de  ma  reli- 

1.  Pap.  d'État  de  Granvelle,  t.  VIII,  p.  6BB. 


—  371  — 
y>  giori,  qui  ne  sont  en  petit  nombre  en  ceste  ville,  puissent 
»  par  vostre  nioïen  jouir  du  fruict  des  édictz  du  roy,  ainsy  que 
»  jusques  icy  vous  avez  bien  voulu  permettre,  suyvan^  l'intention 
»  de  Sa  Majesté,  et  que,  à  ceste  occasion,  ils  ne  soyent  molestez 
»  ny  travaillez  en  aulcune  sorte.  » 

Le  premier  président  de  Thou  répondit  *  : 

«  Monsieur  l'admirai,  j'ay  charge  de  la  court  de  vous  dire  que 
*  vous  soyez  le  très-bien  venu,  et  qu'elle  reçoit  très  grand  plai- 
»  sir  de  l'asseurance  que  nous  donnez,  et  que  soyez  icy  pour  la 
»  deffense  et  sûreté  de  ceste  ville,  estimant  ainsy  que  vous  estes 
»  si  bon  serviteur,  que  ne  vouldrez  entreprendre  chose  qui  tour- 
»  nast  en  desplaisir  à  Sa  Majesté.  Et  pour  ce  qu'il  vient  à  pro- 
3>  poz,  vous  ne  serez  point  marry  si  on  vous  récite  une  histoire 
»  advenue  du  temps  des  parcialitez  entre  César  et  Pompée,  en 
»  la  république  de  Rome  :  César  estant  dedans  la  ville.  Pompée 
»  y  entra  avec  ses  armes,  lesquelles  estoyent  fort  suspectes  au 
D  peuple,  à  cause  de  la  présence  de  César;  et  toutefois  Pompée 
»  se  contint  si  bien  et  se  monstra  tant  amateur  de  république, 
Ts>  qu'il  ne  voulut  rien  esmouvoir,  encores  que  lors  il  l'eûst  pu 
»  faire,  et  s'en  départit  sans  faire  aulcune  sédition  ;  ainsi  Dieu 
»  vous  veuille  inspirer  de  faire  comme  ledit  Pompée.  » 

La  vive  et  fine  réplique  de  Coligny  à  une  admonestation  non 
moins  lourde  que  déplacée,  fut  d'un  singulier  à-propos*  ;  il  dit  : 
€  que  la  cour  luy  faisait  grand  honneur  de  le  comparer  à  ung  si 
»  notable personnaige qu'estoit  Pompée;  et,  encores  que  de  soy 
y>  il  ne  se  réputoit  pour  tel,  si  est-ce  qu'il  le  vouloit  bien  imiter, 
y>  en  ce  qu'il  estqit  patriote,  et  pour  le  bien  public.  Mais  luy 
»  sembloit  qu'il  n'y  avait  nulle  occasion  de  luy  proposer  cest 
s  exemple,  ny  de  faire  comparaison  de  luy  à  Pompée,  veu  qu'il 
»  n'y  avoit  point  de  César  à  Paris.  » 


1.  Pap.  d'Etat  de  Granvelle,  t.  VIll,  p.  656. 

2.  Ibid. 


—  sn  — 

Du  parlement,  l'amiral  se  rendit  à  Saint-Germain  pour  y  sa- 
luer le  duc  d'Anjou,  ne  resta  que  peu  de  jours  à  Paris,  et  en 
partit,  le  30  janvier,  pour  retourner  à  Châtillon. 

Le  lendemain,  31,  le  maréchal  de  Montmorency  écrivit  au 
connétable^  :  «  Le  s""  Hiéronyme  s'en  allant  à  la  court,  je  l'ay 
»  prié  de  témoigner  tant  à  leurs  majestez  qu'à  vous,  mon- 
y>  seigneur,  le  repos  et  tranquillité  qui  est  en  ceste  ville,  en  la- 
y>  quelle  l'arrivée  de  M.  l'admirai  a  esté  très  doulce  et  son  séjour 
D  de  mesmes,  sans  que  homme  vivant  aye  eu,  pendant  qu'il  a 
})  esté  icy  aulcune  injure  ne  dommaige.  Il  fust  samedy  bien 
»  accueilli  du  parlement  où  il  parla,  toutes  les  chambres  as- 
))  semblées.  Dimanche  il  Icust  à  Saint-Germain-en-Laye  faire  la 
»  révérence  à  monseigneur  d'Anjou,  hier  il  partist  pour  aller 
:»  droict  chez  luy,  bien  content  d'un  chacun  et  avec  grande satis- 
y>  faction  de  tous,  ainsy  que  vous  le  desduyra  ledit  s'  Hiéro- 

))  nyme Je  vous  suplye  très  humblement  qu'il  vous  plaise 

»  de  bien  remonstrer  à  la  royne  qu'elle  regarde  aux  effectz  des 
))  services  que  je  faictz  icy  à  leurs  majestez,  qu'elle  trouvera 
S)  utiles  et  nécessaires  pour  le  bien  de  leurs  affaires,  et  non  pas 
»  aux  artifices  et  desguisemens  de  ceux  qui,  pour  leur  intérêt 
»  particuHer,  calomnient  mes  actions,  lesquelles,  quoy  qu'on 
»  puisse  dire,  sont  telles  que  Paris  ne  feust  jamais  en  meilleur 
))  estât  ny  en  plus  grand  repos  ny  plus  obéissant  au  roy  qu'il  est.  » 

Coligny,  des  qu'il  fut  rentré  dans  son  château,  adressa  au  roi 
une  dépêche  par  laquelle  il  le  rassurait  sur  l'état  de  la  capitale, 
en  lui  parlant  du  court  séjour  qu'il  venait  d'y  faire,  dans  un  in- 
térêt d'ordre  public. 

Le  roi,  ou,  pour  mieux  dire,  la  reine  mère,  n'en  conservait 
pas  moins  de  vives  craintes,  à  raison  de  l'influence  que  pour- 
raient exercer  ultérieurement  sur  la  population  parisienne  Co- 
ligny, d'Andelot  ou  certains  autres  grands  seigneurs,  s'ils  se 

1.  Bibl.  nat.  niss.  f.  fr.  vol.  20  500. 


—  373  — 
trouvaient  de  nouveau  en  contact  avec  cette  population.  Aussi, 
tout  en  paraissant  ne  pas  blâmer  l'empressement  avec  lequel 
l'amiral  avait  répondu  à  l'appel  du  maréchal,  et  tout  en  félicitant 
même  celui-ci  d'avoir  maintenu  l'ordre  dans  l'étendue  de 
son  gouvernement  '  ,  Catherine  avisa-t-elle,  par  l'intermédiaire 
de  son  fils,  à  ce  que  ni  les  Ghâtillons,  ni  leurs  amys  les  plus  in- 
fluens  dans  les  rangs  des  réformés,  ne  revinssent  de  sitôt  à  Paris. 

En  effet,  à  son  instigation,  le  roi  écrivit  d'abord  au  maré- 
chal ^  :  «  j'ay  sçeu  la  venue  en  la  ville  de  Paris  de  mon  cousin 
»  l'amyral,  et  avecq  quelle  prudence  vous  avez  regardé  et  con- 
))  sidéré  ce  qui  deppendait  de  mon  service  en  cest  endroict, 
»  aussy  le  soin,  bon  ordre  et  diligence  dont  vous  avez  usé  pour 

))  aller  au-devant  de  tous  inconvéniens Mon  intention  est, 

»  veulx,  vous  prie  et  ordonne  que  vous  donniez  ordre  de  faire 
»  retirer  et  renvoyer  en  leurs  maisons  tous  ceux  qui  sont  là  ve- 
))  nuz,  à  ceste  occasion,  deschargeant  la  ville  et  les  environs  des 
»  armes  y  attirées  et  approchées,  en  manière  que  par  ce  moïen 
»  je  la  veoye  remise  en  la  paisible  tranquillité  en  laquelle  elle 
y>  estoit  auparavant.  » 

De  plus,  le  roi,  en  entretenant  Damville,  gouverneur  du  Lan- 
guedoc, de  la  rencontre  du  maréchal,  son  père,  et  du  cardinal 
de  Lorraine  dans  Paris,  lui  dit^  :  «  d'aultant  que  ceste  nouvelle 
y>  courra  partout,  portée  par  ceulx  qui  desireroient  peult-estre 
»  qu'elle  feust  cause  de  troubler  le  repos  public,  je  vous  en  ay 
■}>  bien  voulu  advenir,  afin  que  n'en  soyez  en  peine,  mais  pour 
»  éviter  que  les  meschans  n'en  fassent  leur  prouffict,  je  vous  prie 
»  donner  ordre  dans  vostre  gouvernement  que  rien  ne  s'es- 
»  meuve  pour  cela  et  qu'il  n'en  parte  point  de  noblesse,  d'une 


i.  LeUres  de  Catherine  de  Médicis  et  de  Cliarles  IX  au  maréchal  de  Mont- 
morency, écrites  en  janvier  et  février  1565.  (Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  3185 
fo  73;  vol.  3  204,  f-  71,  81,  87,  94;  vol.  3  205,  f"  18). 

2.  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  3  204,  ("  71. 

3.  17  janvier  1565.  (Bibl.  nat.  mss.  |.  fr.  vol.  3185,  f»  78.) 


—  374  — 

y>  part  ny  d'aultre,  pour  aller  à  la  fisle,  d'aultant  que  c'est  ung 
»  cas  fortuitement  arrivé,  où  il  n'y  a  rien  meslé  de  la  religion, 
))  qui  est  la  cause  pour  laquelle  principalement  la  noblesse  par 
y>  -cy-devant  s'est  esmeue.  Et  oultre  cela,  je  y  ay  tellement  pourvu, 
y>  que,  je  m'asseure,  elle  ne  passera  plus  avant  ;  de  façon  que 
))  leur  aller  n'y  peult  estre  nécessaire.  » 

Dans  les  premiers  jours  de  février,  le  roi  écrivit  à  d'An- 
delot^  . 

«  Je  croy  que  vous  avez  été  bien  adverty  de  ce  qui  est  passé 
»  à  Paris  entre  mes  cousins  le  cardinal  de  Lorraine  et  le  mares- 
y>  chai  de  Montmorency,  et  comme,  Dieu  mercy,  les  choses  se 
»  sont  enfin  accommodées,  de  façon  que  ledit  sieur  cardinal  est  à 
5)  Reims,  et  mon  cousin  le  sieur  d'Aumalle  en  sa  maison.  Tou- 
î>  tefois  mon  cousin  l'admirai,  vostre  frère,  ayant  esté,  à  ce 
y>  que  j'ay  peu  entendre,  mandé  par  ledit  mareschal  de  Mont- 
»  morency  craignant  qu'il  eust  affaire  de  secours  et  de  forces, 
))  s'est  achemyné  jusques  audit  Paris  avec  bonne  trouppe  pour 
y>  le  secourir,  où  ayant  trouvé  les  choses  en  Testât  que  je  vous 
))  le  mande,  il  m'escript  n'y  avoir  voulu  séjourner  davantaige,  et 
i)  s'en  est  incontinent  retourné  en  sa  maison.  Et  pour  ce  que  je 
y>  ne  doubte  point  que  n'en  ayez  eu  l'allarme,  et  que  ceste  nou- 
))  velle  venue  à  vous,  et  voiant  vostre  frère  pour  ceste  occasion 
))  s'acheminer  delà,  vous  vous  soyez  préparé  pour  le  suivre,  je 
))  vous  en  ay  bien  voulu  escripre  pour  vous  advertir  de  l'es- 
))  tat  en  quoy  sont  les  choses  de  delà  et  du  contentement  que 
2)  j'ay  dudit  sieur  admirai  de  ce  que  il  s'est  si  promptement 
»  retiré,  délaissant  la  ville  au  repos  et  en  la  tranquilhté  là  où 
»  elle  est,  et  vous  prye  et  commande  expressément,  si  vous 
»  estiez  en  chemin,  défaire  comme luy,  vous  retirant  chez  vous 
»  pour  y  vivre  au  mesme  repos  que  j'ai  sçeu  que  vous  avez  faict 
y>  depuis  que  vous  y  estes,  ayant  de  vostre  part,  travaillé  à  con- 

1.  Bibl.  nat.  mss,  f.  fr.  vol.  6  627,  f»  85. 


—  375  — 

»  tenir  ceux  de  vostre  religion  en  toute  paciffication,  obéys- 
y>  sance  et  observation  de  mes  édicts,  dont  je  vous  puisasseurer 
»  que  j'ay  tout  le  contentement  et  satisfaction  que  pouvez  dési- 
»  rer,  comme  en  toutes  occasions  je  vous  feray  très  bien  pa- 
»  roistre.  » 

Alors  que,  par  déférence  pour  la  volonté  royale,  «  l'amiral  se 
contenait  en  sa  maison,  »  il  fut  averti  par  ses  amis  ce  qu'un 
))  nommé  Le  May,  homme  de  petite  condition  et  qui  exerçait 
»  plusieurs  voleries  en  une  hostellerie  qu'il  avoit  assez  près 
»  de  Chatillon,  ayant  marchandé  avec  le  duc  d'Aumale,  frère 
3)  du  duc  de  Guyse,  espioit  l'occasion  de  luy  faire  un  mauvais 
»  tour,  lorsqu'il  irait  à  la  chasse,  et  avoit  déjà  eu  en  don  cent 
»  escus,  avec  un  bon  cheval.  Davantage  l'admirai  adverty  plu- 
»  sieurs  fois  des  brigandages  qu'il  faisoit,  dont  il  l'avoit  sou- 
»  vent  menacé,  et,  s'il  en  entendoit  plus  parler,  qu'il  luy  feroit 
))  faire  son  procès;  ayant,  depuis  peu  de  jours,  trouvé  des  té- 
y>  moins  suffisans,  l'en  avoit  fait  accuser  au  parlement,  de  sorte 
y>  que,  tombé  dans  les  pièges  qu'il  avoit  tendus,  il  commença 
»  d'accuser  l'admirai,  de  quelques  années,  d'avoir  traité  avec  luy 
»  pour  tuer  la  royne-mère,  luy  en  offrant  une  grande  récom- 
»  pense.  Mais  le  parlement,  ayant  reconnu  la  calomnie,  et  in- 
»  formation  faite  de  ses  crimes,  le  condamna  à  être  rompu  sur 
»  la  roue  ^  » 

Inflexible,  quant  à  la  répression  des  crimes  et  délits  com- 
mis contre  les  individus,  ou  contre  la  société,  Goligny  se  mon- 
trait toujours  enclin  à  couvrir  d'un  généreux  pardon  les  actes 
coupables  qui  ne  s'attaquaient  qu'à  sa  propre  personne  :  en 
voici  une  preuve,  parmi  plusieurs  autres  qui  pourraient  être 
citées.  ((  Il  avait  eu  pendant  quelques  années,  entre  ses  domes- 

i.  Hotmail,  Vie  de  Coligny,  trad.  de  1665,  p.  66,  67.  —  Hugh  Fitzwilliam 
to  the  queen.  {Calend.  of  state  pap.  foreign.)  14  sept.  1566.  «  The  admirai  is 
ï  the  rarest  iiobleman  in  Europe.  Does  not  think  that  he  vould  ever  attempt 
j)  such  treachery  against  the  queen  mother  as  Le  May  charges  him  with.  > 


—  376  — 
»  tiques  et  familiers,  un  certain  Ilanibrevillier,  de  noble  famille, 
y>  duquel  se  servant  en  plusieurs  bonnes  affaires,  des  lettres 
3)  furent  surprises  en  cour  et  envoyées  à  l'admirai,  par  les- 
y>  quelles  il  mandoit  à  ceux  qu'il  n'estoit  point  besoin  présen- 
»  tement  de  nommer,  que  bientôt  ilexécuteroitsa  commission 
»  et  donneroit  le  breuvage  dormitif  à  l'admirai.  Geluy-ci  le  fit 
»  appeler  et  escrire  de  sa  main  quelques  lignes  sur  du  papier; 
3)  puis,  ayant  confronté  les  deux  escriptures,  luy  demanda  s'il 
»  reconnaissoit  bien  la  sienne  aux  lettres  qu'il  lui  monstra, 
»  lesquelles  après  avoir  reconnues,  convaincu  en  sa  conscience 
»  d'une  telle  meschanceté,  se  jetta  soudain  aux  pieds  de  l'ad- 
D  mirai,  implorant  sa  miséricorde,  qu'il  luy  accorda,  et  le 
»  pardon,  à  la  charge  qu'il  sortit,  à  l'instant,  de  sa  maison  et 
y>  ne  se  présentas!  jamais  devant  luy*  .  » 

Trois  mois  s'étaient  écoulés,  durant  lesquels  Coligny  et 
d'Andelot  n'avaient  pas  même  manifesté  l'intention  d'appro- 
cher de  Paris,  à  la  différence  du  cardinal  de  Lorraine,  qu'on 
s'attendait  à  y  voir  reparaître,  ainsi  que  le  prouve  la  corres- 
pondance du  roi  et  de  Catherine  avec  le  maréchal  de  Mont- 
morency ^,  lorsque  le  parlement  de  Paris  reçut  du  souverain 
une  lettre  datée  de  Mont-de-Marsan,  2i  mai,  dont  le  principal 
passage  était  ainsi  conçu  ^  :  «  il  nous  a  semblé  à  propos  d'es- 
»  crire  aux  personnages  nommés  dedans  le  roolle  que  présente- 
»  ment  vous  envoyons,  se  abstenir  d'aller  ny  venir  en  la  ville  de 
»  Paris  jusques  à  nostre  retour  en  icelle,  dont  nous  avons  bien 
»  voulu  vous  advertir  comme  aussi  l'escripvons  nous  à  nostre 
»  très  cher  et  amé  cousin  le  mareschal  de  Montmorency,  à  ce 
»  qu'il  ne  permette  qu'ils  y  entrent,  et,  s'ils  y  estoient,  qu'il  ait 


i.  Ilotnian,  vie  de  Coligny,  tra^.  de  1665,  p.  57.  —  De  Thon,  hist.,  univ., 
t  m,  p.  665,  606. 

2.  Lctlres  des  16  mars,  3  et  11  mai  1565.  (Bibl,  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  319i, 
f*"  4-2,  il,  57). 

;j.  Mém.  de  Coudé,  t.  1,  p.  156,  157. 


—  3/7  — 

i>  à  les  en  faire  retirer  ;  vous  mandant  et  ordonnant  très  expres- 
»  sèment  que  si  aucun  d'eux  s'ingéroit,  entre  cy  et  nostre 
y>  retour,  d'aller  en  ladite  ville,  soubs  occasion  de  la  poursuite 
»  de  quelques  procès,  vous  n'ayez  pendant  qu'il  sera  et  demeu- 
y>  rera  en  icellc  ville  et  faulxbourgs  à  luy  donner  aucune  au- 
D  dience,  ne  l'admettre  à  en  faire  poursuite  en  personne,  d 

D'après  le  rôle  annexé  à  la  lettre  ci-dessus,  les  personnes 
auxquelles  l'accès  de  la  capitale  demeurait  interdit  étaient  ^  : 
«  monsieur  de  Guise,  monsieur  d'Aumalle,  monsieur  de  Lon- 
))gueville,  monsieur  de  Nevers,  monsieurl'admiral,  monsieur 
D  d'Andelot,  monsieur  de  Larochefoucault,  monsieur  le  prince 
y>  de  Porcien,  monsieur  de  Soubize.  » 

L'interdiction  s'étendit  à  d'autres  personnes  encore,  car  le 
roi  écrivit  au  maréchal  de  Montmorency  - ,  en  lui  mention- 
nant le  rôle  adressé  au  parlement  :  «je  vous  prie  et  ordonne, 
»  mon  cousin,  donner  ordre  ne  laisser  entrer  dans  Paris  aulcun 
y)  des  dénommez  audictroolle,  ne  aussy  ceulx  qui  sont  dans  un 
y>  aultre  roolle  particulier  cy-incluz  desquels  je  n'escriptz  point 
))  à  ma  dite  court.  y> 

Sur  ce  rôle  particulier  ^  étaient  inscrits  les  noms  suivants  : 
«  monsieur  le  vidame.de  Chartres,  Malic^nv,  monsieur  le  comte 
y>  de  Montgomery,  monsieur  d'Ivoy,  monsieur  de  Bussy  Senin- 
-»  ghen,  monsieur  de  Goulombières.  » 

La  lettre  du  roi  au  maréchal  se  terminait  par  ces  mots  : 
«  mon  cousin,  je  n'ay  compris  au  roole  que  je  vous  envoyé  et 
»  à  madite  court  de  parlement  mes  cousins  les  cardinaulx  de 
»  Lorraine,  de  Guyse  et  de  Ghastillon,  mais  je  n'ay  pas  laissé 
y>  de  leur  escripre  n'aller  point  audit  Paris,  et  veux  que  vous 
»  ne  souffriez  point  qu'ils  y  entrent,  non  plus  que  les 
s>  aultres.  » 

i.  Mém.  de  Gondé,  {.  \,  p.  157.  —  Cibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  3  19i,  f'  51. 

2.  21  mai  J5ti5.  P.ibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  3  19i,  P  60. 

3.  \V\h\.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  3  194,  f  49. 


—  378  — 

Les  lettres  adressées  par  le  roi  aux  personnes  que  désignaient 
les  deux  rôles  dont  il  s'agit  étaient  identiquement  semblables, 
à  en  juger  du  moins  par  celles  que  reçurent  d'Andelot  et  le 
prince  de  Portien,  et  qui  seules  sont  parvenues  jusqu'à  nous  ^  . 
Connaître  ce  qui  fut  écrit  à  d'Andelot,  ce  sera  connaître  ce 
qui  fut  également  écrit  à  Coligny. 

«  Mon  cousin,  portait  la  lettre  du  roi  à  d'Andelot,  quand 
y>  j'ay  bien  cherché  les  occasions  qui  tiennent  quasi  tout  mon 
»  royaulme  en  allarmeet  apportent  subject  à  ceulx  qui  n'ont  pas 
»  l'intention  bien  nette,  je  trouve  qu'elles  proceddent  de  tant 
S)  d'allées  et  venues  qui  se  sont  faictes  par  aulcuns  des  princi- 
»  paux  de  mon  royaulme  en  la  ville  de  Paris,  pour  les  interpré- 
»  tations  diverses  que  chacun  y  donne  selon  son  humeur,  de 
^  façon  que  ce  a  esté  le  subject  de  tous  les  bruictz  qui  ont 
»  couru  et  courent  encores  par  mondit  royaulme,  semez  par 
))  ceulx  qui  ne  cognoissent  pas  quelle  fiance  j'ay  de  ceux-là  et 
»  combien  ils  sont  esloignezde  vouloir  troubler  le  repos  de  mon 
y>  dit  royaulme  ;  et  ne  voyant  meilleur  remède  pour  leur  oster 
y>  ceste  occasion  durant  mon  absence,  j'ay  pensé  que  ceulx 
»  dont  leur  peult  naistre  tel  soupçon  n'auront  désagréable, 
»  pour  le  bien  de  mondit  royaulme  et  me  satisfaire  aussy  en 
»  chose  de  telle  importance,  s'abstenir  de  tels  voyages  jusqucs  à 
))  mon  retour  en  ladite  ville,  qui  sera.  Dieu  aydant,  environ  la 
'i>  Saint-Michel  prochaine;  qui  me  fait  vous  prier,  mon  cousin, 
»  si  vous  y  avez  quelque  procès  et  affaire,  les  faire  manyer  par 
»  vos  gens  et  procureurs,  sans  y  aller  vous  mesmes,  et  faire,  en 
»  ce  faisant,  que  le  zèle  et  sincère  dévotion  que  je  sçay  que  vous 
»  avez  à  mon  contentement,  au  bien  de  mon  service  et  repos 
y>  de  mondit  royaulme  conduise  et  dispose  selon  les  occasions 
»  et  mon  intention  comme  à  ce  que  je  désire  et  cognois  estre  sy 
y>  nécessaire  pour  contenir  le  public  et  tant  mieux  retenir  ung 

i.  Lettres  du  21  mai  1565,  i°  à  d'Andelot  (Bibl.  nat,  mss.  cabinet  des  titres, 
V.   Coligny),   2»  au  prince  de  Portien  (Bibl.  nat.  inss.  f.  fr.  vol.  3  950,  f'SO). 


—  379  — 
))  chacun  en  son  debvoir;  ayant,  pour  donner  plus  d'effect  à 
y>  ceste  mienne  intention,  escript  à  mon  cousin  le  mareschal 
»  de  Montmorency  ne  souffrir  que,  avant  mondit  retour,  vous 
y)  ne  aultres  de  ceux  que  je  luy  ay  envoyez  par  roolle,  entrent 
»  dans  ladite  ville,  et  à  ma  court  de  parlement  surseoir  la 
^  procédure  de  tous  leurs  procès,  quand  ils  seront  en  personne, 
^>  et,  en  leur  absence,  y  administrer  toute  la  plus  prompte  et 
))  meilleure  justice  que  faire  se  pourra.  Priant  Dieu,  mon  cousin, 
*  vous  avoir  en  sa  garde.  » 

Peu  de  jours  après  l'envoi  des  lettres  dont  il  vient  d'être  fait 
mention,  Catherine  de  Médicis  et  son  fils  se  portèrent  à  la  ren- 
contre de  la  reine  d'Espagne,  qui  se  dirigeait  vers  la  France, 
accompagnée  par  le  duc  d'Albe.  D'Irun,  où  l'on  s'était  ren- 
contré, on  se  rendit  à  Saint- Jean-de-Luz.  Ce  fut  là,  que  l'as- 
tucieux représentant  de  Philippe  II,  avant  même  d'avoir  remis 
au  roi  et  k  la  reine  mère  les  lettres  de  son  souverain,  dont  il 
était  porteur,  s'entretint  avec  quelques-uns  des  principaux 
personnages  de  la  cour  de  France,  les  circonvint  par  ses  adu- 
lations, et  reçut  d'eux  en  échange,  maintes  confidences  qu'il 
transmit  aussitôt  à  son  maître,  par  une  dépêche  du  15  juin.  Il 
y  disait  ^ 

«  J'ai  fait  au  connétable,  au  cardinal  de  Bourbon  et  au 
y>  prince  de  la  Roche-sur- Yon  les  complimens  dont  Votre 
3)  Majesté  m'avait  chargé  pour  eux,  réservant  toutefois  au  pre- 
y>  mier  les  démonstrations  les  plus  amicales.  J'ai  parlé  dans  le 
»  même  sens  au  cardinal  de  Guise,  insistant  sur  la  recomman- 
y)  dation  que  Votre  Majesté  m'avait  faite  de  lui  témoigner  l'af- 
3)  fection  toute  particulière  qu'elle  porte  à  sa  famille,  sa  volonté 
y>  d'en  donner  des  preuves,  à  chaque  occasion,  et  son  regret 
))  que  le  cardinal  de  Lorraine  fût  maintenant  absent  de  la  cour. 
»  Le  prélat,  visiblement  ému,  me  répondit  dans  les  termes  de 

i.  Pap.  d'État  de  Granvelle,  t,  IX,  p.  284  à  292. 


—  380  — 

»  la  plus  vive  reconnaissance,  désirant  que  Votre  Majesté  vou- 
))  lût  bien,  pour  l'amour  de  Dieu,  penser  un  peu  à  ce  pauvre 
y>  royaume  de  France  où  la  religion  se  perd  sans  remède,  ojou- 
y>  tant  que  trois  ou  quatre  malheureux  étaient  les  seuls  auteurs 
»  du  mal,  et  qu'une  chose  néanmoins  déplorable  était  de  voir 
))  certains  personnages,  naturellement  bons  et  inofTensifs,  se 
»  laisser  entraîner  par  la  chair  et  le  sang,  au  point  de  favoriser 
»  les  auteurs  mêmes  de  tout  le  désordre;  que,  puisque  je  l'en- 
»  tendais  si  bien,  il  voulait  s'exprimer  clairement,  et  me  priait 
))  d'en  parler  au  connétable,  sachant  fort  bien  le  crédit  que 
»  j'avais  sur  lui,  et  qu'il  prendrait  la  chose  de  ma  part  mieux 

))  que  de  celle  de  tout  autre Quanta  M.  de  Montpensier, 

))  je  lui  donnai  l'assurance  des  sentimens  affectueux  qui  unissent 
»  depuis  si  longtemps  Votre  Majesté  à  sa  famille,  et  à  lui  en 
»  particulier,  à  raison  de  la  ligne  de  conduite  qu'il  n'avait  cessé 
»  de  suivre,  ainsi  qu'il  convenait  à  un  gentilhomme  de  son  rang 
y>  et  à  un  véritable  chrétien.  Enchanté  de  cette  ouverture,  il  se 
y>  jeta  dans  mes  bras  avec  affection,  m'assurant  que  lui  et  tous 
i>  les  gens  de  bien  du  royaume  n'avaient  d'espoir  qu'en  Votre 
»  Majesté  ;  que  lui  en  particulier  se  ferait  mettre  en  pièces  pour 
»  elle,  et  que,  si  on  lui  ouvrait  le  cœur,  on  y  trouverait  gravé  le 
»  nom  de  Philippe  ;  le  tout  avec  une  telle  expression  de  physio- 
»  nomie,  qu'il  était  facile  de  voir  qu'il  n'y  avait  chez  lui  ni 
»  feinte,  ni  arrière-pensée.  —  En  ce  moment,  M.  de  Montluc 
))  s'approcha  de  moi  pour  me  parler.  Connaissant  parfaitement 
)>  la  vanité  du  personnage,  il  me  sembla  que  le  meilleur  moyen 
S)  d'entrer  en  matière  était  de  le  prendre  par  son  faible  ;  aussi, 
»  tout  en  l'embrassant,  lui  dis-je  à  l'oreille  :  ce  mouvement  que 
))  vous  voyez  ici,  et  ces  princesses  qui  se  trouvent  réunies 
»  avec  tant  de  bonheur,  tout  cela,  monsieur,  c'est  votre  ou- 
))  vrage.  Plus  tard,  et  chemin  faisant,  il  vint  à  moi  pour  me 
»  dire  :  Seigneur,  rien  ne  saurait  me  retenir  de  vous  chercher 
»  partout  o\\  je  puis  avoir  l'espérance  de  me  rapprocher  de  vous. 


—  381  — 

3)  A  quoi  je  lui  répondis  qu'il  avait  parfaitement  raison,  puisque 
»  j'étais  le  serviteur  d'un  prince  qui  lui  faisait  le  plus  grand 
»  honneur  que  jamais  gentilhomme  eût  reçu  d'un  souverain. 
»  Il  savait,  continuai-je,  combien  de  fois  Votre  Majesté  avait 
»  été  importunée  pour  cette  entrevue  qu'elle  avait  constam- 
»  ment  refusée  jusqu'au  moment  où  elle  eut  vu  l'écrit  dans  le- 
»  quel,  lui  Montluc,  la  considérait  comme  utile  au  bien  de  la 
))  religion:  circonstance  qui  vous  décida,  sire,  à  accepter  l'en- 
y>  trevue  et  à  commander  sur-le-champ  les  arrangemens  néces- 
»  saires.  J'ajoutai  que  Votre  Majesté  m'avait,  de  plus,  donné 
))  l'ordre  de  concerter  avec  lui  les  mesures  à  prendre  pour  re- 
»  médier  aux  maux  de  la  religion  et  rendre  au  roi  de  France 
»  l'autorité  dont  avaient  joui  ses  ancêtres;  de  recevoir  ses 
y>  instructions  sur  le  genre  d'initiative  à  prendre,  sur  la  con- 
y>  duite  à  tenir,  sur  le  choix  des  personnes  auxquelles  je  pour- 
»  rais  m'ouvrir,  enfin  de  suivre,  en  tout  et'parlout,  le  plan  qui 
»  lui  paraîtrait  à  lui  le  plus  convenable.  J'ajoutai  que,  d'après 
»  cela,  il  était  à  môme  de  juger  quelles  obligations  il  devait  à  un 
))  prince  qui  avait  de  sa  vertu  une  telle  opinion,  que,  pour  ce 
»  motif  seul,  il  le  considérait  comme  devant  être  placé  à  la 
»  tête  d'une  négociation  aussi  importante,  nous  ordonnant  à 
y>  tous  tant  que  nous  sommes  ici  d'Espagnols,  de  suivre  exacte- 
»  ment  ses  avis,  de  nous  conformer  aux  plans  .qu'il  aurait  tra- 
y>  ces,  ce  qui  expliquait  notre  réserve  à  l'égard  des  autres  sei- 
»  gneurs  auxquels  nous  n'avions  voulu  faire  aucune  ouverture, 
»  avant  de  nous  être  abouchés  avec  lui  et  d'avoir  connu  sa  ma- 
»  nière  de  voir.  —  Cet  homme,  qui  a  le  mérite  d'une  grande 
»  franchise,  fut  saisi,  comme  de  raison,  d'un  terrible  accès  de 
y>  vanité,  en  entendant  un  pareil  discours,  et  me  dévoila  sans 
»  façon  sa  pensée  constamment  mise  en  pratique  dans  les 
»  affaires  de  religion  ;  ajoutant  que  si  chacun  avait  voulu  suivre 
»  son  exemple,  à  l'époque  des  dernières  guerres,  c'est-à-dire, 
»  ne  faire  grâce  de  la  vie  à  personne,  tout  serait  actuellement 


—  382  — 

y>  terminé  ;  mais  que,  par  malheur,  beaucoup  de  braves  gens, 

»  se  rencontrant  dans  la  mêlée,  se  disaient  les  uns  aux  autres  : 

»  mon  cousin,  mon  frère,  et  que  la  guerre  s'éternisait  ainsi, 

»  tandis  qu'il  n'y  aurait  pas  pour  un  seul  déjeuner  avec  la  ca- 

»  naille,  si  tous  les  hommes  de  bien  voulaient  se  réunir.  Il  me 

»  promit  de  me  donner  son  opinion  par  écrit  sur  toute  la  matière, 

»  pourvu  que  je  laissasse  ignorer  que  je  lisais  le  français, 

y>  me  priant  avec  instance  de  le  cacher  soigneusement  à  tout  le 

ï)  monde.  A  ces  détails  il  ajouta  que  le  cardinal  de  Bourbon 

»  était  bon  catholique,  mais  que  sa  grande  occupation  était  de 

»  complaire  à  la  reine-mère  et  de  lui  rapporter  tout  ce  qui  se 

»  disait;  qu'en  conséquence,  le  meilleur  moyen  de  l'employer 

j)  utilement  était  de  lui  confier  toutes  les  choses  que  je  vou- 

s>  drais  faire  parvenir  à  l'oreille  de  la  régente  ;  de  même  pour 

»  M.  d'Escars.  Quant  à  MM.  de  Montpensier,  d'Aviia  et  de 

»  Saint-Pierre,  je  pouvais  me  fier  à  eux  sans  réserve,  parce 

»  qu'ils  n'avaient  tous  qu'un  seul  cœur  et  qu'une  seule  volonté 

))  pour  le  service  de  Dieu,  celui  de  leur  souverain  et  de  Votre 

))  Majesté  elle-même,  déterminés  qu'ils  étaient  à  mourir  pour 

»  la  défense  d'une  aussi  belle  cause.  Votre  Majesté,  suivant  lui, 

»  n'était  pas  moins  intéressée  que  le  roi  son  maître  à  remédier 

»  aux  maux  présens;  sachant,  comme  il  disait,  que  dans  les 

»  Pays-Bas  il  régnait  une  grande  corruption,  non  dans  la  classe 

»  des  seigneurs,  mais  parmi  le  peuple.  Il  me  dit,  en  terminant, 

y>  qu'il  était  à  sa  connaissance  personnelle,  que  la  reme-mère 

»  savait  et  comprenait  parfaitement  toute  la  malice  et  la  fausseté 

»  des  opinions  religieuses  actuellement  en  vogue,  et  qu'elle  se 

»  laisserait  scier  en  deux,  plutôt  que  de  se  faire  huguenote. 

«  A  quoi  je  répondis  qu'une  détermination  semblable  serait 
))  excellente  pour  quiconque  n'était  responsable  et  n'avait  à 
y>  rendre  compte  que  de  lui-même.  Pour  en  finir,  je  lui  dis  que 
»  ce  que  j'avais  spécialement  à  lui  apprendre,  c'était  le  vif  de- 
»  sir  qu'éprouvait  Votre  Majesté  de  remédier  aux  maux  de  la 


—  383  — 

))  France,  de  soutenir  les  intérêts  du  roi  son  bon  frère,  et  sa 
y>  détermination  de  consacrer  à  une  telle  œuvre  toutes  les  res- 
»  sources  que  Dieu  avait  mises  à  sa  disposition,  dans  le  cas  où 
y>  un  sacrifice  pareil  lui  semblerait  devoir  contribuer  à  attein- 
»  dre  le  but  qu'elle  se  proposait.  Voilà  pour  ce  qui  concernait 
y>  Votre  Majesté.  Quant  à  Montluc,  il  avait  deux  choses  à  faire  : 
»  l'une,  d'indiquer  le  moyen  par  lequel  on  pourrait  amener  le 
»  roi  de  France  et  sa  mère  à  mettre  sérieusement  la  main  à 
»  l'œuvre,  parce  que,  s'ils  consentaient  à  seconder  Votre  Ma- 
))  jesté,  le  succès  était  incontestable;  l'autre,  dans  le  cas  où 
»  l'on  ne  pourrait  rien  gagner  sur  eux,  de  nous  faire  connaître 
»  du  moins  les  remèdes  à  tenter  pour  la  guérison  du  mal  ;  car 
»  il  était  impossible,  en  bonne  conscience,  de  laisser  plus  long- 
»  temps  les  choses  marcher  ainsi  à  leur  perte ,  sans  chercher 
))  à  y  mettre  obstacle.  11  me  répondit,  en  remerciant  Dieu  des 
))  bonnes  dispositions  de  Votre  Majesté,  qu'il  achèverait  son 

»  mémoire  et  me  le  ferait  passer Nous  verrons  jusqu'à  quel 

»  point  l'on  peut  compter  sur  les  offres  de  Montluc,  duquel  je 
»  me  séparai  alors,  dans  la  crainte  que  l'on  ne  conçut  quel- 
y>  ques  soupçons  de  cet  entretien  déjà  si  prolongé. 

«  Immédiatement  après,  je  m'approchai  du  roi,  dans  l'in- 
»  tention  de  le  sonder  sur  les  principes  qu'on  lui  avait  incul- 
»  qués;  débutant  par  des  propos  sans  conséquence  sur  la 
»  chasse,  la  guerre  et  autres  sujets  pareils,  que  je  me  bornai  à 
»  effleurer.  Insensiblement  la  conversation  tomba  sur  l'état 
))  actuel  de  son  royaume  :  je  le  priai  de  ne  point  s'épuiser  à  la 
»  course,  et  de  veiller  soigneusement  à  sa  conservation,  dela- 
»  quelle  dépendait  le  bien  de  la  chrétienté  tout  entière,  puis- 
»  qu'il  me  semblait  que  Dieu  l'avait  réservé  pour  accomplir 
y>  par  ses  mains  une  grande  œuvre,  c'est-à-dire  le  châtiment 
»  des  offenses  qu'on  lui  faisait,  chaque  jour,  dans  son  royaume. 
))  A  quoi  il  me  répondit  avec  vivacité  :  Oh  !  pour  prendre  les 
»  armes,  il  n'y  faut  pas  songer  ;  je  n'ai  pas  envie  de  ruiner  mon 


—  384  — 

»  royaume,  ainsi  qu'on  avait  commencé  à  le  faire,  en  s'enga- 
»  géant  dans  les  guerres  précédentes.  Ces  mots  surfirent  pour 
»  me  révéler  la  leçon  qu'on  lui  avait  faite  :  aussi  je  passai  de 
y>  suite  à  une  autre  matière  et  ne  tardai  pas  à  me  séparer  de  lui. 

»  Abordant  alors  le  prince  de  la  Roche-sur- Yon,  je  me 
»  mis  à  lui  parler  de  matières  diverses,  et  cherchai  à  luiins- 
))  pirer  un  peu  de  vanité,  en  lui  disant  que,  parmi  tous  les  gou- 
»  verneurs  de  provinces,  il  passait  pour  celui  qui  savait  le  mieux 
y>  contenir  le  peuple  dans  l'obéissance .  et  le  devoir;  et  lui 
y>  demandant  de  quels  moyens  il  faisait  usage  pour  obtenir  un 
))  résultat  aussi  salutaire,  il  me  répondit  que  les  voies  de  conci- 
»  liation  et  de  douceur  étaient  celles  qu'il  employait  de  préfé- 
>^  rence;  que  par  elles  il  avait  toujours  obtenu  le  bien  que  je  lui 
y>  signalais,  et  qu'en  définitive  elles  étaient  le  frein  le  plus  puis- 
))  sant  pour  dompter  toutes  les  résistances  populaires.  Cette 
»  réponse  me  sembla  cadrer  assez  avec  celle  du  roi  lui-même. 

((  Tel  est  le  résumé  de  ce  qui  a  eu  lieu  jusqu'à  ce  jour.  Nous 
y>  tiendrons  Votre  Majesté  au  courant  de  ce  qui  se  présentera  par 
y)  la  suite.  Il  s'agit  ici  d'une  affaire  où  l'on  doit  déployer  beaucoup 
y>  de  circonspection  et  de  mesure.  Nous  travaillerons,  autant  que 
»  possible,  à  démêler  leur  jeu,  et  donnerons  avis  de  tout  à 
»  Votre  Majesté,  afin  qu'elle  daigne  nous  guider  dans  cette  cir- 
»  constance  importante,  etc.,  etc.  » 

Dans  une  seconde  dépêche,  datée  de  Bayonne,  21  juin,  le 
duc  d'Albe  (1)  annonce  à  Philippe  II,  qu'ayant  eu  soin  de  faire 
croire  qu'il  n'est  chargé  d'aucune  mission,  il  veut  laisser  là  reine 
mère  prendre  l'initiative  des  négociations;  qu'il  a  revu  Montluc, 
le  ducde  Montpensier,  le  cardinal  de  Bourbon,  d'Avila;  que  le 
maréchal  de  Bourdillonet  Saint-Pierre  l'ont  fait  prévenir  qu'ils 
voulaient  conférer  avec  lui  ;  que  quelques  autres  pei'sonnages 
encore  sont  venus  lui  parler,  mais  qu'il  les  considère  comme  des 

1.  Piip.  d'État  (le  Granvelle,  t.  IX,  p.  294  et  suiv. 


—  385  — 
émissaires  de  la  reine-mère,  parce  qu'ils  se  sont  attachés  à  lui 
prouver  que  la  religion  se  trouve  en  France,  dans  l'état  le  plus 
satisfaisant;  que,  chaque   jour,  du  moins  on  porte  remède  au 
mal;  que  l'on  gagne  du  terrain,  et  que  l'autorité  du  roi  est 
universellement  respectée.  «  Les  bons,  ajoute  le  duc  d'Albe,  en 
»  faisant, allusion,  notamment,  au  cardinal  de  Guise,  auduc  de 
»  Montpensier  et  à  Montluc,  tiennent  un  langage  tout  opposé. 
y>  Suivant  eux,  la  situation  actuelle  du  roi  de  France  consiste  à 
y>  avoir  vingt  catholiques  pour  un  huguenot;  les  premiers,  il  est 
»  vrai,  pris  dans  la  classe  la  plus  élevée  et  la  plus  recomman- 
))  dable,  mais  qui,  chaque  jour  diminuent  de  nombre,  en  pas- 
»  sant  dans  les  rangs  ennemis.  Quant  aux  moyens  d'obvier  au 
»  mal,  et  qui  sont,  selon  eux,  d'une  très  facile  exécution,  l'un 
»  consisterait  dans  la  mesure  suivante  :  comme  parmi  les  gou- 
»  verneurs  de  province  il  n'en  est  pas  un  seul  qui  soit  huguenot 
s>  déclaré,  et  que  un  ou  deux  seulement  sont  soupçonnés  d'être 
»  tels,  le  roi  donnerait  ordre  à  tous  d'expulser  de  leurs  gouver- 
»  nementsles  ministres  de  cette  friponnene,oh\ige^ni  les  sujets 
»  à  vivre  en  bons  catholiques;  parce  moyen  tout  serait  bientôt 
»  terminé.  Un  second  expédient  serait  dans  le  cas  où  l'on  vou- 
))  drait  en  finir,  une  bonne  fois,  avec  les  cinq  ou  six,  au  plus, 
»  qui  sont  à  la  tête  de  la  faction  et  qui  la  dirigent,  de  se  saisir 
»  de  leurs  personnes  et  de  leur  couper  la  tête,  on  au  moins  de 
»  les  confiner  en  quelque  lieu  où  ils  seraient  dans  l'impossibi- 
»  lité  de  renouveler  leurs  trames  criminelles.  Tout  serait  con- 
»  sommé  dès  le  jour  même  où  l'on  aurait  mis  la  main  à  l'œu- 
3)  vre,  et  le  roi  ni  sa  mère  ne  rencontreraient  guères,  dans 
y>  cette  entreprise,  de  difficultés  que  les  catholiques  ne  pussent 
»  aplanir.  Ils  se  croient  tellement  assurés  du  succès,  avec  l'un 
»  des  deux  moyens  indiqués,  que,   sr  l'on  s'en  rapporte  à  ce 
))  qu'ils  disent,  il  ne  s'exposeraient  pas  même  à  la  nécessité  de 
»  tirer  une  seule  épée  du  fourreau... 

C'était  déjà  quelque  chose,  pour  le  duc  d'Albe,  que  de  pou- 


—  386  — 

voir  compter  sur  le  concours  de  ces  bons  qui  s'étaient  ouverts  à  lui 
avec  un  si  coupable  abandon,  et  dont  la  perversité  se  mesuraità 
la  bassesse  qu'ils  affichaient  vis-à-vis  du  sanguinaire  souverain  de 
l'Espagne.  Mais  il  fallait  plus  encore  au  digne  représentant  de 
Philippe  II  :  il  aspirait  à  sonder  les  intentions  de  Catherine  de 
Médicis,  et,  dans  le  cas  probable  d'un  dissentiment  entre  elle 
et  lui,  à  tout  faire  pour  triompher  des  objections  qu'elle  lui 
opposerait. 

Or,  que  se  passa-t-il  à  Bayonne,  entre  cette  princesse  et  le 
duc? 

«  Après  une  longue  discussion  sur  les  événements  passés, 
))  énonce  la  dépêche  du  21  juin,  la  reine  mère  vint  à  conclure 
»  que  la  situation  présente  était,  sans  comparaison,  plus  ras- 
»  surante  qu'à  l'époque  de  l'édit  de  pacification  et  qu'elle  espé- 

»  rait  la  voir  désormais  se  consolider  de  plus  en  plus pour 

T>  moi  je  lui  prouvai  jusqu'à  l'évidence  que  le  contentement 
»  d'être  affranchie  des  embarras  de  la  guerre  était  la  cause  qui 
»  lui  faisait  envisager  f  état  religieux  du  royaume  sous  un  point 
»  de  vue  plus  rassurant  aujourd'hui  qu'à  cette  époque;  qu'en 
»  aucune  manière  nous  ne  pouvions  ne  pas  insister,  au  nom  de 
D  Votre  Majesté  pour  qu'elle  apportât  aux  maux  de  la  religion  le 

»  remèdeleplus  efficace sur  ce,  la  reine  me  demanda  en 

»  quoi  consistaient  précisément  le  remède  et  la  conduite  à  tenir. 
»  S'attendant  à  me  voir  indiquer  comme  moyen  unique  le 
»  recours  aux  armes,  elle  s'était  précautionnée  d'arguments  et  de 
»  répliques  pour  m'en  démontrer  l'inopportunité;  mais  je  me 
ï)  bornai  à  lui  répondre  que  Votre  Majesté,  bien  qu'elle  connût 
»  aussi  bien  que  la  reine  mère  et  que  personne  en  France  l'état 
»  présent  des  affaires  du  royaume  et  la  nécessité  d'y  porter 
»  secours,  quant  à  la  nature  précise  du  remède,  s'en  remettait 
»  à  elle,  qui  devait  être  sur  ce  point' parfaitement  renseignée. 
»  Je  terminai  en  la  suppliant  de  me  faire  connaître  ses  propres 
»  vues,  aiin  que  je  pusse  en  rendre  compte  au  roi  mon  maître. 


—  387  — 

»  Elle  me  répliqua  qu'elle  s'en  rapportait  entièrement  à  mes 
»  paroles  en  ce  qui  concernait  la  connaissance  des  affaires  du 
y>  royaume  de  France,  et  que,  pour  ce  motif-là  même,  elle  dési- 
»  rait  avoir  mon  avis  sur  la  question  présente.  Après  m'être  fait 
»  longtemps  presser,  je  la  priai  de  vouloir  bien  préalablement  me 
y>  dire,  si  depuis  la  publication  de  l'édit  qui  accordait  aux  dis- 
»  sidents  une  tolérance  si  grande  et  tantd'autres  concessions,  on 
»  avait  perdu  ou  gagné  du  terrain,  parce  que,  ce  point  une  fois 
y>  établi,  le  choix  du  remède  se  trouverait  déterminé  par  là 
»  même.  Sur  ce,  la  reine  m'affirma  que  l'on  avaitgagné  consi- 
»  dérablement  de  terrain  depuis  cette  époque,  et  se  mit  à  me 
»  rappeler  avec  un  grand  détail  les  événements  passés.  x\près 
))  qu'elle  eut  fini,  je  lui  démontrai,  preuves  en  mains,  qu'elle  me 
»  trompait  ou  se  trompait  elle-même  d'une  manière  fort  grave  : 
))  ajoutant  queje  savais  fort  bien  qu'en  penser,  parce  que,  nonobs- 
»  tant  les  assertions  de  Sa  Majesté,  il  était  notoire  à  tous  que  la 
))  tolérance  faisait  perdre,  chaque  jour,  du  terrain,  et  que  l'on 
»  ne  pouvait  se  flatter  de  connaître  la  situation  réelle  des  affaires 
»  de  ce  royaume,  sans  être  parfaitement  rensei|,^^4  sur  une 
))  particularité  aussi  importante  pour  la  négociation  qui  nous 
»  occupait.  La  reine  m 'ayant  arrêté  en  ce  moment  pour  me 
»  demander  si  par  làje  prétendais  lui  donnera  entendre  qu'il  fal- 
»  lût  recourir  aux  armes,  je  lui  répondis  que  je  n'en  voyais  point 
))  actuellement  la  nécessité,  et  que  Votre  Majesté  elle-même  ne 
»  lui  donnerait  ce  conseil,  que  dans  le  cas  où  cette  nécessité 
»  deviendrait  plus  urgente.  Comme  elle  me  pressait  de  nouveau 
))  pour  connaître  ma  façon  de  penser,  je  lui  fis  réponse,  qu'à 
»  mon  avis,  il  y  avait  grand  besoin  de  porter  un  prompt  remède 
»  à  tous  ces  désordres,  parce  que  plus  tard,  bon  gré  malgré,  ses 
»  adversaires,  venant  à  prendre  les  armes,  la  forceraient  d'en 
»  faire  de  même,  et  peut-être  en  telle  circonstance  où  la  mesure 
))  serait  tardive  et  de  nul  effet;  que  le  plan  auquel  s'arrêtait 
»  Votre  Majesté,  et  qui  la  préoccupait  au  point  d'en  faire  le  but 


—  388  — 

»  unique  de  toutes  ses  démarches,  était  de  chercher  à  expulser 
>  de  France  cette  mauvaise  secte,  de  ramener  les  sujets  du  roi 
»  très  chrétien  à  leur  antique  soumission  et  de  maintenir  la 
»  reine  mère  dans  la  légitime  autorité  qu'elle  exerce.  » 

Une  dépêche  du  duc  d'Albe,  non  datée,  mais  assurément 
postérieure  au  2'J  juin  4565,  renferme  ce  passage^  :  «  Je  ra- 
»  menai  l'entretien  sur  l'état  de  la  religion  en  France,  et  les 
»  pertes  qu'elle  subissait,  chaque  jour;  toutes  choses  que  la 
y>  reine  mère  ne  cessa  de  dénier,  ne  voulant  à  aucun  prix  en 
»  convenir,  mais  se  prévalant  d'argumens  si  faibles  et  si  froids, 
y>  qu'elle  voyait  bien  que  je  ne  pouvais  les  admettre.  Cette  con- 
))  versation  avait  lieu  dans  une  chambre  extrêmement  petite,  et 
y>  dans  laquelle  on  ne  pouvait  rien  dire  sans  être  entendu,  les 
»  pièces  voisines  étant  remplies  de  courtisans.  » 

Le  reste  de  la  dépêche  nous  montre  le  duc  d'Albe  et  Catherine 
s'en  tenant,  en  ce  qui  concerne  l'état  religieux  de  la  France  et 
les  moyens  d'y  porter  remède,  aux  opinions  qu'ils  ont  respective- 
ment émises  dans  leurs  précédens  entretiens.  On  n'y  rencontre, 
du  reste,  aucune  trace  d'une  entente  finale  entre  la  reine  mère 
et  son  interlocuteur. 

Est-ce  à  dire,  pour  cela,  que  les  rapports  de  Catherine  avec 
le  duc  d'Albe,  à  Bayonne,  se  limitèrent  aux  seuls  faits  consignés 
dans  les  dépêches  de  celui-ci?  non,  ainsi  que  l'établissent  divers 
historiens. 

«  Tandis  qu'on  feignait,  écrit  Davila^  de  n'être  occupé,  à 
»  Bayonne,  que  de  fêtes  et  de  plaisirs,  de  joutes,  de  courses  de 
»  bague  et  d'autres  semblables  amusemens,  on  tenait  des  con- 
»  seils  secrets  où,  après  avoir  examiné  et  balancé  les  intérêts 
»  des  deux  couronnes,  on  convint  que  les  deux  rois  devaient 
))  agir  de  concert  pour  rétablir  le  calme  dans  leurs  états  et  y 
))  abolir  la  diversité  de  rehgion On  tendait  également,  de 

1.  Pap.  d'État  de  Granvelle,  t,  IX,  p.  311. 

2.  Hist.  des  (jucrrcs  civ.  tr.  fr.  t.  I,  p.  213,  215 


—  389  — 
y>  part  et  d'autre,  à  la  ruine  des  huguenots  et  à  raffermissement 
»  de  l'autorité  royale.  On  demeura  donc  d'accord  que  les  deux 
y>  rois  s'entr'aideraient,  soit  ouvertement,  soit  en  secret,  comme 
»  ils  jugeraient  le  plus  à  propos  pour  exécuter  un  dessein  si  im- 
y>  portant  et  si  hazardeux,  mais  que  chacun  serait  libre  d'em- 
))  ployer  les  mesures  et  les  résolutions  qu'il  croirait  les  plus  con- 
))  venables'  . 

«  Les  protestans,  dit  de  Thou^ ,  gens  fort  soupçonneux,  ont 
))  publié  qu'on  avait  conclu,  dans  les  conférences  de  Bayonne, 
))  un  traité  secret  entre  les  deux  rois,  pour  rétablir  l'ancienne 
»  religion,  extirper  et  anéantir  la  nouvelle  ;  que  ces  deux  princes 
»  s'étaient  mutuellement  donné  parole  avec  serment  de  se 
»  prêter  secours,  toutes  les  fois  qu'ils  en  auraient  besoin;  que 
3)  le  roi  de  France  s'était  engagé  d'aider  le  roi  d'Espagne  à  faire 
3)  la  guerre  dans  les  Pays-Bas;  le  roi  d'Espagne  d'aider  le  roi 
^  de  France  à  réduire  les  protestans  sous  son  obéissance;  et 
»  tous  les  deux,  de  maintenir  l'autorité  du  pape.  —  Ce  qui  esl 
y>  arrivé  ensuite  apprendra  certainement  à  la  postérité  si  ceia 
»  est  vrai  ou  faux.  —  Au  moins  J.-B.  Adriani,  qui  a  continué 
»  l'histoire  de  Guichardin  avec  beaucoup  de  fidélité  et  d'exacti- 
»  tude,  et  qui,  selon  toutes  les  apparences,  a  beaucoup  puisé 
j>  dans  les  mémoires  de  Gosme,  duc  de  Florence,  a  écrit  que  ces 
»  conférences  avaient  été  tenues,  à  la  sollicitation  du  pape;  que 
y>  le  pontife  aurait  fort  souhaité  que  Philippe  II  y  fût  venu  ;  qu'on 
»  y  délibéra  sur  les  moyens  de  délivrer  la  France  des  protestans, 
»  qui  étaient  regardés  comme  un  mal  contagieux;  et  qu'enfin 
»  on  se  rangea  au  sentiment  du  duc  d'Albe,  qui,  à  ce  qu'il  pré- 
»  tend,  était  celui  de  Philippe  :  c'était  d'abattre  les  plus  hautes 

1.  «  Les  revues  de  France  et  d'Espagne,  à  Bayonne,  assistées  du  duc  d'Albe, 

>  résolvent  la  ruine  des  hérétiques  en  France  et  en  Flandre...  là  il  fut  résolu 

>  que  lès  deux  couronnes  se  protégeraient,  maintiendroient  la  religion  catho- 

>  lique,  ruineroient  leurs  rebelles,  et  que  les  chefs  séditieux  seroient  attrapez 

>  et  justiciez.  »  Qlém.  de  Tavannes,  chap.  \ix.) 

2,  Hist.,  univ.,  t.  III,  p.  550, 


—  390  — 

»  têtes,  de  suivre  l'exemple  des  vêpres  siciliennes,  et  de  mas- 
))  sacrer  tous  les  protestans,  sans  exception.  Et  parce  que  le 
))  bruit  s'était  répandu,  qu'on  allait  tenir  une  assemblée  à  Mou- 
»  lins,  on  crut  que  ce  qu'on  pourrait  faire  de  mieux  était  d'y 
»  égorger  tous  les  grands  de  ce  parti,  qui  y  viendraient  de  toutes 
))  parts,  et  d'exterminer  en  même  temps  tous  les  autres,  par 
»  toute  la  France,  au  signal  qu'on  en  donnerait.  Mais,  comme 
))  tous  les  grands  du  parti  protestant  ne  vinrent  pas  à  Moulins  ^  , 
»  ou  qu'on  crut,  pour  d'autres  raisons,  qu'il  ne  fallait  pas  encore 
»  exécuter  cette  entreprise,  on  la  remit  à  un  autre  temps.  Sept 
))  ans  après  on  l'exécuta  à  Paris,  comme  dans  un  lieu  plus  com- 
»  mode,  lorsqu'on  crut  avoir  trouvé  l'occasion  favorable,  et  on 
»  l'exécuta  de  la  manière  dont  elle  avait  été  alors  résolue.  » 

P.  Mathieu,  investi  de  la  confiance  de  Henri  IV,  et  qui,  dans 
ses  récits,  s'est  particulièrement  attaché  à  retracer  l'histoire  de 
ce  prince,  s'exprime  ainsi ^ ,  au  sujet  de  l'entrevue  de  Bayonne  : 
«  il  y  eut  conseil  fort  étroit  et  particulier  entre  la  royne-mère 
))  et  le  duc  d'Albe  pour  l'extirpation  de  l'amiral  et  de  son  party, 
»  ne  proposant  meilleur  remède  que  de  faire  des  vespres  sici- 
))  tiennes,  ayant  souvent  pour  refrain  ce  mot,  qu'une  tête  de 
»  Saumon  est  meilleure  que  celles  de  cent  grenouilles,  j'ay  ouy 
»  dire  au  président  de  Galignon,  chancelier  de  Navarre,  que  tout 
»  ce  conseil  fut  recueilli  par  le  prince  de  Navarre  qui,  pour  la 
s>  gentillesse  et  vivacité  de  son  esprit,  estoit  admiré  des  Espa- 

y>  gnols Les  intéressez  n'ont  rien  sçeu  que  par  ce  petit  prince, 

»  qui  suivoit  là  royne-mère  partout,  et  elle  ne  pouvoit  le  perdre 
»  de  vue.  Il  se  trouva  au  cabinet,  escouta  et  retint  la  résolution 
»  de  ce  conseil,  et  il  la  représenta  fidèlement  à  la  royne  de  Na- 
»  varre,  sa  mère.  y> 

Sans  perdre  un  instant,  Jeanne  d'Albret  informa  secrètement 


1. 11  sera  parlé  ci-après  de  ce  qui  se  passa  à  l'assemblée  de  Moulins. 
2.  Hist.  de  fr.  1. 1,  p.  283. 


—  391  — 

Condé,  l'amiral  et  les  principaux  d'entre  les  réformés,  de  ce 
qui  se  tramait  contre  eux.  Ainsi  avertis,  les  uns  et  les  autres  se 
tinrent  sur  leurs  gardes. 

Catherine  donnait  alors  une  nouvelle  preuve  de  sa  duplicité, 
en  tenant  au  maréchal  de  Montmorency  ce  langage*  :  «  pour 
È  ce  que  le  roy,  monsieur  mon  fils,  ne  vouldroitpas  que  la  venue 
»  de  la  royne  catholique,  ma  fille  donnast  occasion  à  beaucoup 
3)  d'espritz  irréquiètes  de  mectre  en  déliance  ses  subjectz  que 
))  l'on  ayt  voulu  aucune  chose  innover  au  contraire  du  contenu 
»  en  ses  édictz  de  pacification  et  majorité  et  es  déclarations  qui 
})  ont  esté  encores  depuis  expédiées,  il  a  advisé  de  faire  la  dé- 
»  pesche  qui  vous  est  présentement  envoyée  et  demander  le  sem- 
))  blable  à  toutes  ses  courts  de  parlements,  baillis  et  séneschaulx, 
»  affm  que  chacun  de  sa  part  face  tel  debvoir  à  l'observation  des 
»  dits  édictz  et  déclarations  et  à  lapugnicion  de  ceulx  qui  y  con- 
»  treviendront,  qu'il  se  puisse  veoir  obéy  de  tous  ses  dits  sub- 
»  jectz  depuysle  plus  grand  jusques  au  plus  petit,  et  son  peuple 

»  demeurer  en  repos  et  tranquillité La  royne  ma  fille  s'est 

»  départie  d'avec  nous,  le  8"  de  ce  moys Nous  n'avons  parlé 

»  durant  nostre  entrevue  que  de  caresses,  festoyemens  et  bonnes 
»  chères,  et,  en  termes  généraux,  du  désir  que  chacun  a  à  la 
»  continuation  de  la  bonne  amitié  d'entre  leurs  majestez  et  à  la 
»  conservation  de  la  paix  d'entre  leurs  subjectz.  » 

De  Rayonne,  la  cour  s'avança  lentement  dans  la  direction  de 
la  Loire.  Après  avoir  séjourné  à  Tours  et  à  Blois,  elle  se  disposa, 
sur  la  fin  de  l'année,  à  s'acheminer  vers  Moulins,  où  devaient  se 
réunir,  en  janvier  1566,  sur  une  convocation  expresse  du  roi, 
les  princes,  les  grands  dignitaires  de  la  couronne,  et  autres  per- 
sonnages notables. 

Durant  les  six  mois  qui  s'écoulèrent  entre  les  conférences  de 


1.  Lettre  du  6  juillet  1565,  datée  de  Saint-Jean  de  Luz.  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr. 
vol.  2  303,  f°  5. 


-  392  — 

Bayonne  et  l'assemblée  de  Moulins,  Goligny  continua  à  résider 
à  p'eu  près  constamment  à  Châtillon-sur-Loing.  Il  y  consacra 
son  temps  à  l'accomplissement  de  ses  devoirs'de  chef  de  Famille, 
de  protecteur  de  ses  coreligionnaires,  d'homme  d'État,  et  en- 
tretint une  active  correspondance,  soit  avec  ses  parens  et  amis, 
momentanément  séparés  de  lui,  soit  avec  diverses  personnes, 
françaises  ou  étrangères  dont  les  relations  avaient,  à  ses  yeux, 
quelque  prix,  et  au  cours  desquelles  ses  habitudes  de  serviabilité 
ne  se  démentaient  point. 

La  confiance  qu'il  inspirait  était  telle,  que  parfois  on  recourait 
tout  naturellement  à  lui,  comme  à  un  bienveillant  intermédiaire, 
dans  le  maniement  de  questions  d'intérêt  purement  privé,  dont 
sa  haute  influence  pouvait  faciliter  la  solution.  Tel  fut,  en  par- 
ticun'er,  le  cas  des  magistrats  de  Strasbourg,  s'adressant  à  lui, 
au  sujet  d'un  service  pécuniaire  rendu  à  sa  sœur,  la  comtesse 
de  Roye,  par  Sturm.  L'amiral  ne  pouvait  mieux  répondre  à 
leur  confiant  appel,  que  par  ces  lignes,  à  la  fois  si  simples  et  si 
loyales  ^   : 

((  Magnificques  seigneurs,  j'ai  reçeu  la  lettre  que  m'avez  es- 
»  cripte,  du  11  du  mois  passé,  et  veu  ce  que  me  mandez  tou- 
»  chant  quelque  argent  qui  a  esté  preste  à  madame  de  Roye, 
»  durant  qu'elle  a  esté  à  Strasbourg  et  dont  M.Sturmius  est  res- 
y>  pondant.  Je  vous  diray  que  je  n'ay  point  eu  de  congnoissance 
5)  comme  ce  fait-là  est  passé,  sinon  depuis  peu  de  temps,  que 
»  Peter  Clair  m'en  escripvit,  et  tout  incontinent  j'envoyay  devers 
»  ladite  dame,  encores  qu'elle  fût  extrêmement  malade,  pour 
»  sçavoir  ce  qui  en  estoit;  et,  pour  l'extrémité  en  laquelle  elle 
i>  estoit  pour  lors  et  est  encores  de  présent,  je  nepeulz  le  sçavoir, 
»  et  estoit  impossible  de  luy  pouvoir  parler  de  rien  ;  de  sorte  que, 
y>  pour  ces  occasions-là,  nous  ne  pouvons  si  promptement  re- 
»  garder  les  moyens  d'y  satisfaire,  estant  impossible  que,  sans 

1.  Lettre  du  12  août  1565,  archives  de  Strasbourg. 


—  393  — 

5)  sçavoir  premièrement  comme  tout  cela  est  passé,  que  nous  Ift 
))  puissions  faire.  J'envoyay  mesmes  devers  monsieur  d'Andelot, 
»  mon  frère  pour  entendre  de  luy  ce  qu'il  en  sçavoit.  Il  me  f«it 
i)  responce  qu'il  n'en  pouvoit  rendre*  raison,  d'auUant  qu'il 
»  n'avoit  rien  manié  de  ces  deniers  là,  et  que  ce  avoit  esté 
»  madame  de  Roye.  Bfen  me  mandoit-il  qu'il  avoit  reçu  beaucoup 
»  de  plaisir  de  vous,  vous  priant,  magnificques  seigneurs,  de 
i>  croyre  que  l'extrême  malladye  de  ladite  dame  est  cause  que 
»  ces  choses  seront  un  peu  plus  longues  qu'elles  n'eussent  esté, 
»  et  que,  incontinent  qu'elle  sera  guerrye,  il  n'y  aura  point  de 
y>  faulte  que  nous  ne  regardions  de  mectre  une  fin  à  cela  et  de 
»  satisfaire  à  ceulx  qui  tant  volontairement  nous  ont  secouruz 
»  en  nostre  nécessité  ;  car,  encores  que  je  sois  entaché  de  beau- 
»  coup  d'imperfections,  si  ne  le  serai-je  point  d'ingratitude^  ; 
y>  etferois  bien  marry  que,  pour  nous  avoir  faict  plaisir,  ledict 
»  Sturmius,  n'y  aultre,  en  recueillent  aucun  desplaisir,  et  qu'il 
j)  ne  fùst  satisfaict  de  ce  qui  luy  est  dû;  et  croy  que  monsieur  le 
»  prince  de  Gondé  a  semblable  volonté;  me  recommandant  bien 
»  affectionnément  à  voz  bonnes  grâces,  etc.,  etc.  » 

A  cette  époque,  Coligny,  dans  le  cercle  de  la  famille,  n'était 
pas  seulement  affecté  par  la  dangereuse  maladie  de  sa  sœur, 
dont  la  sant^  avait  été  fortement  ébranlée,  lors  de  la  mort  de  la 
princesse  de  Gondé  ;  il  s'affligeait,  en  outre  des  déréglemens 
auxquels  le  prince,  dans  son  veuvage,  se  laissait  entraîner.  En 
vain  avait-il  tenté  de  l'y  arracher  et  accompagné  ses  persévé- 
rantes représentations,  du  conseil  de  contracter  un  second  ma- 
riage, lorsque  enfin  vint  le  jour  où  le  prince  se  rendit  à  ses  ins- 

i.  D'Andelot,  non  plus  n'était  point  ingrat,  car  il  écrivait,  le  2  décembre  1565 
«  à  messieurs  les  maistres  et  conseil  de  Strasbourg  :  le  s"'  de  Francourt  vous 
»  dira  de  quelle  obligation  je  me  sens  redevable  à  toute  vostre  ville,  pour  les 

>  honneurs,  faveurs  et  plaisirs  que  je  y  ay  reçeuz,  en  considération  desquelz 
»  vous  me  ferez,  s'il  vous  plaist,  cest  honneur,  de  croire  que  je  seray  toute 

>  ma  vie,  bien  ayse  quand  Dieu  me  donnera  le  moyen  de  les  reconnaître  par 

>  quelque  bon  service.  »  (Archives  de  Strasbourg.) 


—  394  — 

tances  et  à  celles  de  Jeanne  d'Albret  :  Le  8  novembre  1565,  il 
épousa  Françoise,  Marie  d'Orléans-Longueville,  fille  de  Fran- 
çois d'Orléans,  marquis  de  Rothelin,  et  de  Jacqueline  de 
Rohan. 

Rentré  par  cette  voie  dans  le  sérieux  et  la  dignité  d'une  exis- 
tence trop  longtemps  compromise  par  de 'scandaleux  désordres, 
Condé,  dès  le  lendemain  de  sa  nouvelle  union,  revint  à  ses  de- 
voirs de  protecteur  des  réformés,  en  écrivant  à  Matignon  *  : 
«  Geulx  de  l'église  réformée  d'Alençon  se  sont  retirez  parde- 
Ti>  vers  moy  en  ce  lieu,  pour  se  plaindre  de  n'avoir  par  la  conti- 
»  nuation  de  l'exercice  de  leur  religion,  et  de  ce  que  vous  avez 
»  interdit  M'  Pierre  Merlin,  leur  ministre,  sous  prétexte  qu'on 
»  lui  a  voulu  imputer  d'avoir  presché,  en  ung  verguier,  et  faul- 
»  bourg  d'Alençon,  d'avoir  reçeu  à  la  cène  aulcuns  personnages 
y>  qui  ne  sont  du  bailliage,  et  d'avoir  prins  à  femme  une  dlhioi- 
y>  selle  qui  estoit  nonnain  en  l'abbaye  du  pré.  »  (Le  prince  dis-, 
culpait  Merlin  et  priait  Matignon  de  le  réintégrer). 

Dans  les  derniers  jours  de  décembre,  Goligny,  pour  obéir  à 
la  convocation  royale,  dut  se  résigner  à  quitter  son  château, 
en  y  laissant  Charlotte  de  Laval,  malade  depuis  plusieurs  se- 
maines ^ ,  et  se  rendre  à  Moulins. 

L'assemblée  qui  y  était  convoquée  devait,  disait-on,  s'occu- 
per des  plaintes  formulées  par  les  sujets  du  roi,  des  moyens  de 
remédier  aux  abus,  et  de  l'extirpation  des  germes  de  discorde. 

L'amiral  savait,  d'ailleurs,  que  Catherine  de  Médicis  se  propo- 
sait de  provoquer,  pendant  son  séjour  en  Bourbonnais,  une 


1.  Lettre  du  9  novembre  1565,  datée  de  Vendôme.  (British  mus.  Bibl.  Egerton 
miscell.  lett.  and  pap.  t.  XVII,  f"  77.  —  De  Laferrière,  la  norm.  a  l'étr.  p.  195). 

2.  Madame  l'amirale  écrivait,  de  Chàtillon  le  22  décembre  1565,  à  Renée  de 
France  ;  «  Madame,  ayant  entendu  que  estiez  de  retour  à  Montargis,  je  n'ay 
»  voulu  faillir  d'envoyer  ce  gentilhomme  vers  vous  pour  vous  visiter,  ce  que 
»  j'eusse  faict  moy  mesme,  n'eûst  esté  que'depuys  trois  sepmaines  en  çà  je  suys 
»  au  lict  malade,  dont  je  ne  me  suys  encore  relevée.  »  (Bibl.  nat.  mss.  f.  fr. 
voï.  3  2H,f»61). 


—  395  — 

décision  définitive  sur  les  poursuites  intentées  contre  lui  par  les 
Guises,  et  d'apaiser  la  querelle  encore,  pendante  entre  le  cardi- 
nal de  Lorraine  et  le  maréchal  de  Montmorency.  Il  se  prépara 
donc  à  affronter  la  présence  des  ennemis  qui  appelaient  de 
leurs  vœux  sa  condamnation  et  à  les  combattre  résolument,  sur 
le  terrain  du  droit  et  de  l'équité.  Calme  et  ferme,  comme  tou- 
jours, il  partit  pour  Moulins. 

Son  arrivée  dans  cette  ville  fut,  de  loin,  saluée  par  ces  pa- 
roles encourageantes  de  l'un  de  ses  admirateurs  *  :  ce  Monsei- 
y>  gneur,  vos  ennemis  mortels  mesmes,  et  qui  hayent  en  gé- 
y>  néral  tous  les  fidèles,  ne  nieront  pas  que  ceux  qui  vous  en 
y>  veulent  pardessus  tous  autres,  ne  soyent  gens  qui  pen- 
y>  senl  ne  pouvoir  subsister  sans  que  toute  la  religion  soit 
3)  renversée.  Mais  tant  s'en  faut,  selon  que  je  vous  cognois,  que 
»  rien  de  tout  cela  puisse  rabattre  et  faire  rebouscher  en  aucune 
»  sorte  la  trenche  de  vos  vertus,  qu'elle  n'en  pénétrera  que 
»  plus  vivement.  Vous  mesmes  avez  senti  à  bon  escient  et  l'a- 
»  vez  aussi  très  bien  remarqué,  quel  soin  Dieu  a  de  maintenir 
»  les  siens.  Vostre  innocence  et  intégrité  vous  défendent  assez 
y>  contre  tous  blasmes  et  calomnies  que  on  vous  sçauroit  met- 
y>  tre  sus.  Vous  avez  au  dedans  et  au  cœur,  (voire  s'il  y  en  a  un 
3)  de  tous  ceulx  de  vostre  qualité),  ceste  forteresse  invincible 
»  d'airain,  je  dis  une  bonne  et  entière  conscience,  sur  laquelle 
y>  seule  estant  appuyé,  pour  certain  vous  surmonterez  aisément 
»  tous  vos  adversaires.  » 

i.  Th.  de  Bèze,  18  janvier  1565,  dédicace  à  Coligny,  des  Comment,  de  Calvin 
sur  Ezéch. 


CHAPITRE  V 


Comparution  de  Colij^ny  et  du  cardinal  de  Lorraine  devant  le  roi,  à  Moulins.  —  Déci- 
sion préliminaire,  prise  par  le  roi.  —  Lettre  de  Charlotte  de  Laval.  —  Arrêt  défi- 
nitif, proclamant  l'innocence  de  l'amiral.  — Réconciliation  plus  apparente  que  réelle 
de  Coligny  avec  les  Guises.  —  Réclamation  de  Soubisc.  —  Catherine  n'ose  pas  exé- 
cuter à  Moulins,  contre  les  réformés,  le  sinistre  projet  qu'elle  avait  conçu  à  Rayonne. 

—  Menaces  d'assassinat  adressées  à  Coligny,  —  Altercation  entre  le  cardinal  de 
Lorraine  et  le  chancelier.  — L'amiral  revient  deMoulins  à  Châtillon.  — 11  intervient 
auprès  des  Genevois,  en  faveur  de  Spifamc  et  de  Chabouillé.  —  il  écrit  à  de  Gordes. 

—  Séjour  de  l'amiral  et  de  sa  femme  à  Paris.  —  Lettre  de  l'amiral  au  roi.  —  Retour 
à  Châtillon.  —  Mort  de  Soubise.  —  Consolations  adressées  à  sa  veuve  par  Coligny 
et  Charlotte  de  Laval.  —  Téligny  est  envoyé  en  mission  à  Constantinople  par  l'amiral 

—  Entretien  du  roi  et  de  Coligny,  au  sujet  de  cette  mission. 


Dès  l'arrivée  du  roi  et  de  la  reine  mère  à  Moulins,  des  mesu- 
res sévères  furent  arrêtées,  en  conseil,  pour  le  maintien  de 
l'ordre  dans  cette  ville  K  - 

De  plus,  l'exercice  du  culte  réformé  y  fut  interdit  par  dé- 
cision spéciale. 

Le  11  janvier,  tandis  que  le  roi  annonçait  au  maréchal  de 
Montmorency,  retenu  à  Paris  par  ses  devoirs  de  gouverneur, 
«  qu'il  aspirait  à  accomoder  les  différends  y>  existant,  d'une 
part,  entre  lui  et  le  cardinal  de  Lorraine,  et  de  l'autre  entre  les 
Guises  et  l'amiral  ^,  ce  dernier,  répondant  à  une  lettre  de 
Renée  de  France,  lui  disait  ^  .  «  Je  ne  vous  puis  déclarer  si  la 
»  cour  fera  icy  un  long  séjour,  tant  pour  ce  que  je  suis  si  fres- 
))  chement  avenu ,  que  je  n'en  ay  pas  peu  aprendre  encores 

1 .  Voyez,  Appendice  n°  27. 

2.  Lettre  du  H  janvier  i566  (Bibl.  nat.  mss.  f.  ff.  vol.  3  207,^  \L) 

3.  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  voL  3  239,  f'  121. 


—  397  — 

»  plus  avant,  et  aussy  que  quand  l'on  dict  que  l'on  fera  ung 
»  séjour  en  ung  lieu,  c'est  alors  que  l'on  en  desloge  plus  tost; 
))  toutefoys,  madame,  l'on  dict  que  le  roy  ne  partira  point  d'icy 
»  de  caresme-prenant,  et,  en  quelque  lieu  que  vous  soyez,  vos- 
))  tre  présence  y  servira  toujours  de  beaucoup;  vous  advysant 
»  quedepuys  deux  jours  il  a  esté  faict  une  publication  en  ceste 
))  court  portant  defence  de  n'y  faire  exercice  de  religion  ;  en 
»  sorte  que  sest  qui:  est  tout  ce  que  je  vous  puys  mander,  pour 
»  ceste  heure.  » 

Le  lendemain,  12,  l'amiral  comparut  devant  le  roy,  en 
séance  du  conseil,  à  laquelle  assistait  Catherine  de  Médicis. 
Invité  à  s'cxphquer  sur  les  poursuites  intentées  contre  lui  par 
la  maison  de  Guise,  il  affirma  qu'il  était,  à  tous  égards,  inno- 
cent du  meurtre  commis  sur  la  personne  de  François  de  Lor- 
raine. Il  parla,  paraît-il,  en  toute  liberté,  à  en  juger  par  cette 
simple  mention  finale  d'un  récit  contemporain  ■•,  «  il  proposa 
y>  tout  ce  qu'il  voulut.  » 

Quand  il  se  fut  retiré,  on  fit  comparaître  le  cardinal  de  Lor- 
raine. La  reine-mère,  prenant  aussitôt  la  parole,  lui  dit  :  «  Que 
y>  tous  messieurs  de  ceste  compagnie-là  estoient  d'avis  qu'on  ne 
))  pouvait  pourvoir  aux  affaires  du  royaume  ny  au  repos  public 
»  des  subjectz  d'icelluy,  que  premièrement  l'on  n'eust  appaisé 
))  les  querelles  particulières,  et  qu'il  y  en  avait  deux  principales 
t>  qui  le  concernaient,  l'une,  en  sa  propre  personne,  contre  le 
y>  mareschal  de  Montmorency,  l'autre,  pour  l'homicide  commis 
»  en  la  personne  de  feu  M.  de  Guyse,  contre  l'amiral  ;  que  le  roy, 
y>  monsieur  son  fils,  et  elle'et  toute  la  compagnie  le  priaient  d'ad- 
y>  viser  de  leur  estre  aydant  à  trouver  quelque  moyen  d'en  faire 
»  quelque  bon  accord  ;  —  que  l'admirai  se  submettoit  à  toute 
»  bonne  raison,  et  que,  partout  où  il  seroit  besoin,  il  diroit  et 

1.  4  Récit  de  ce  qui  se  passa  i  Moulins,  l'an  1566,louchant  l'accommodement 
»  des  maisons  de  Guyse,  de  Montmorency  et  de  Ghaslillon.  »  (Bibl.  nat.  mss. 
f  fr.  vol.  3  il»3,  {"  59.  —  Du  Rouchet,  Hist.  de  la  maison  de  Coligny,  f  542.) 


—  398  — 
»  affirmeroit  par  tel  serment  qu'il  plairoit  à  leurs  maj estez,  qu'il 
»  n'estoit  aucunement  coupable  de  cet  homicide;  qu'il  n'en 
»  avoit  jamais  rien  sçeu  ni  entendu  qu'après  qu'il  avoit  esté 
»  faict,  et  qu'il  estimoit  et  estimeroit  toujours  tout  homme  qui 
»  l'avoit  faict  faire,  meschant  et  malheureux,  et  que  si  luy- 
»  mesme  l'avoit  faict  il  s'estimeroit  tel  :  suppliant  leurs  majes- 
»  tez,  si  quelqu'un  l'en  vouloit  accuser,  luy  permettre  de  le 
»  combattre,  —  Pour  ce,  elle  prioit  ledit  sieur  cardinal  de  re- 
))  garder  à  en  venir  à  quelque  bon  accord,  comme  il  estoit  bien 
»  nécessaire,  pour  les  raisons  dessus  dites,  et  pour  le  bien  et 
»  advancement  des  affaires  et  du  service  du  roy  ^  » 

Le  cardinal  répondit  avec  un  imperturbable  aplomb  : 
Qu'on  venoit  de  lui  «  exposer  deux  choses  de  grande  impor- 
»  tance,  et  que  telz  accords  ne  se  jettoient  pas  en  moule  ;  mesme 
ï)  qu'il  n'en  avoit  rien  veu  par  escrit,  et  que  jamais  on  ne  luy  en 
»  avoit  rien  mandé,  toutefois,  pour  le  bien  et  prospérité  des 
»  affaires  et  service  du  roy  et  pour  le  repos  public,  il  se  met- 
»  troit  en  tout  debvoir  ^  .  » 

Il  s'y  mit  d'une  étrang^î  manière,  d'abord,  en  ce  qui  concer- 
nait^a  querelle  avec  le  maréchal  de  Montmorency  ;  car  il  sou- 
tint, dans  un  langage  à  la  fois  arrogant  et  déclamatoire,  qu'il 
avait  subi  un  outrage  et  des  violences,  qui  rejaillissaient  sur 
le  souverain,  sur  la  reine-mère,  sur  les  princes  du  sang,  sur 
d'autres  membres  du  conseil  ;  toutes  personnes  auxquelles  il  se 
disait  uni  par  des  liens  de  parenté.  Ces  mêmes  personnes,  n'é- 
tiiient  pas  moins  intéressées  que  lui  à  la  réparation  qu'il  deman- 
dait K  ' 

Abordant  ensuite  le  débat  soulevé  contre  l'amiral,  il  se 
montra,  au  début,  réservé,  jusqu'à  un  certain  point,  cauteleux 
même;  il  prit  ensuite  le  masque  de  l'hypocrisie;  puis,  tout  en 

1,  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  3  193.  —  Du  Bouchet,  loc.  cit. 

2,  Hibl.  nat.  mss,  f.  fr.  vol.  3  193.  —  Du  Bouchet,  loc.  cit. 

3,  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  3  193.  —  Du  Bouchet,  loc.  cit. 


—  399  — 

protestant  de  sa  soumission  aux  volontés  du  souverain,  il 
laissa  entrevoir  qu'il  comptait  peu  sur  sa  justice  ;  enfin,  ne  pou- 
vant plus  se  contenir,  il  termina,  sur  le  ton  de  la  menace,  à 
l'égard  de  Goligny. 

Voici  ses  paroles  ^  : 

«  Quant  à  ce  qui  touche  l'homicide  de  feu  monsieur  mon 
»  frère,  attendu  ma  qualité  et  profession  dessus  dite,  et  aussi 
»  que  je  ne  suis  que  tuteur  honoraire  de  ses  enfants,  mes 
))  nepveux,  je  n'en  puis  ne  dois  respondre,  sinon  que  je  ne 
))  puis  nier  que  je  ne  face  toute  ma  vie  ce  qui  me  sera  possible 
»  à  ce  que  si  malheureux  acte  ne  demeure  impuni.  Madame 
»  ma  sœur,  sa  femme,  qui  est  une  vertueuse  dame  et  tutrice 
))  légitime  de  ses  enfants,  vous  supplie,  sire,  comme  je  fais  de 
y>  mon  costé,  de  luy  en  faire  la  raison  ;  en  quoy  elle  n'entend 
»  se  pourvoir,  sinon  par  justice,  comme  il  vous  a  pieu  luy 
»  octroyer,  n'estant  cettuy-cy  un  fait  où  il  soit  besoin  du  port 
»  des  armes,  ni  d'en  venir  au  combat  ;  ce  n'est  pas  un  faux 
D  rapport  ou  un  démenty  entre  gentilshommes,  ou  personnes  de 
»  mesme  qualité,  auquel  cas  on  permet  quelquefois  le  combat; 
y>  mais  icy  l'homicide  est  manifeste,  l'on  en  demande  justice 
»  contre  celuy  qui  l'a  faict,  laquelle  j'estime,  sire,  que  ne  me 
»  voudriez  dénier  ;  ne  ce  que  j'en  dis  est  pour  mal  talent  ne 
»  haine  que  je  porte  à  l'amiral,  et  Dieu  m'en  soit  tesmoin, 
»  et  voudrois  qu'il  m'eust  cousté  cinquante  mil  escus,  et  que 
»  par  la  fin  du  jugement  il  se  trouvast  innocent  de  ce  fait  :  car 
»  quelle  occasion  ay-je  de  désirer  son  mal  et  sa  n!ine?  mais 
»  puys-je  bien  désirer  comme  j'ay  faict,  que  bonne  justice  me  soit 
»  faite,  et  que  ceste  cause  soit  connue  à  la  cour  du  parlement 
))  à  Paris,  estant  de  telle  importance  cet  affaire,  qu'il  ne  se 
»  peut  vuider  sur  le  champ,  coipme  il  semble,  que  desjà  quïl 


1.  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  3193,  f»^  56,  57.  —  Du  Bouchet,  ouvr.  cité, 
p.  540,  541. 


—  400  — 
»  y  en  ail  là  dehors  une  infinité  qui  attendent  pour  voir  sortir 
»  l'espousée,  pensant  très  bien  que  l'issue  de  toutes  ces  choses 
»  se  puisse  jetter  au  moulle.  Il  est  vray,  sire,  que  vous  nous 
»  pouvez  commander,  et  que  nous  ne  faudrons  jamais  de  vous 
»  obéir  et  de  suyvre  entièrement  ce  que  vous  commanderez, 
n)  parce  que,  sire,  vous  avez  privilège  de  commander  ce  qu'il 
»  vous  plaist,  de  juger  comme  il  vous  plaist,  et  faut  que  vous 
»  y  soyez  obéi.  Mais  il  vous  plaira  penser,  sire,  que  je  suis  un 
»  prestre,  et  madame  ma  sœur  une  femme,  qui  ne  pouvons  ny 
»  ne  voulons  jamais  désobéir  à  vos  commandements  ;  mais 
»  aussi,  outre  ce  que  nous  en  demanderions  acte,  et  que  nous 
»  ferions  entendre  à  tous  les  princes  de  la  chrétienté,  que  tout 
))  ce  que  nous  en  aurions  faict  aurait  esté  par  le  commande- 
»  ment  que  nous  auroit  faict  vostre  majesté,  sans  avoir  veu  ni 
5)  entendu  ce  qui  est  au  fond  de  la  cause,  tous  tels  accords 
))  ne  dureroient,'ne  pourroient  durer,  sinon  en  temps  que  la 
»  force  dureroit,  et  ne  seroient  seurs  pour  la  partie  accusée, 
»  ne  suffisans  pour  réparer  l'honneur  de  ceux  qui  sont  offensés, 
y>  et  avec  le  temps  tels  accords  ne  garderoient  point  que  mes 
»  frères  et  mes  nepveux,  à  faute  d'eux,  ceux  qui  m'attouchent 
»  de  quelque  parenté,  ne  fissent  mourir  l'amiral,  où  ils  le  trou- 
»  veroient,  et  qu'ils  ne  dépendissent  jusques  à  la  dernière  goutte 
»  de  leur  sang.  Pourquoy,  sire,  il  vous  plaira  de  bien  regarder 
>  avant  que  de  rien  nous  commander  sur  ce  fait,  et  ne  nous 
y>  donner  occasion  de  dire  que  justice  nous  ait  esté  refusée, 
y>  comme  aussi  nous  nous  tenons  bien  assurez  que  ne  nous  la 
»  voudrez  refuser.  Et  s'il  y  a  quelqu'un  de  messieurs  de  vostre 
))  conseil  qui  ait  quelque  chose  à  me  répondre,  je  l'escouteray 
»  très  volontiers,  mais  bien  le  prieray-je  de  se  souvenir  de  tout 
y>  ce  que  j'ay  dit.  » 

Personne  ne  répondit  au  cardinal.  Seulement  le  roi  lui  dit 
((  qu'escrivant  aux  autres  princes  chrétiens,  il  le  prioit  qu'il  li'y 
»  fust  point  meslé  ;  promettant  de  sa  part,  de  ne  jamais  le  con- 


—  401  — 
y>  traindre  de  faire  accord  à  son  désavantage,  ne  qui  pu  st  estre 
»  préjudiciable  à  l'honneur  de  luy  ny  des  siens.  » 

Le  cardinal  se  retira,  et  la  délibération  s'ouvrit  immédiate- 
ment. Quand  elle  fut  terminée,  on  fit  revenir  l'amiral,  le  car- 
dinal, la  duchesse  de  Guise,  et  il  leur  fut  donné  connaissance  de 
la  décision  préliminaire,  prise  par  le  roi,  que  mentionne  le 
document  suivant  *  : 

«  Aujourd'hui  douziesme  de  janvier  1566,  le  roy  estant  en  son 
y>  chasteau  de  Moulins,  assisté  de  la  royne  sa  m^ère,  de  monsei- 
))  gneur  le  duc,  son  frère,  de  messieurs  les  princes  du  sang, 
»  connestable  et  mareschaulx  de  France,  et  autres  seigneurs  et 
»  gens  de  son  conseil  privé,  estant  près  de  sa  personne,  a  faict 
»  entendre  à  M.  le  cardinal  de  Lorraine  et  à  Mme  la  duchesse 
y>  de  Guise,  d'une  part,  aussi  au  seigneur  de  Chastillon,  amyral 
»  de  France,  là  présents,  d'aultre,  le  singulier  désir  qu'il  a,  pour 
)^  plusieurs  grandes  raisons,  de  mestre  une  bonne  fin  au  diffé- 
»  rend  qui  est  entre  leurs  deux  maisons,  pour  raison  del'homi- 
»  cide  advenu  en  la  personne  de  feu  M^  de  Guise,  et  luy  mesiiie 
»  embrasser  la  deffinition  d'iceluy  par  voye  juste  et  équitable, 
»  les  exhortant  et  les  admonestant  chacun  de  sa  part  se  con- 
»  former  à  son  intention  en  cest  endroit,  et  s'en  reposer  et 
>>  remettre  sur  luy.  Ce  que  ayant  entendu  lesdits  seigneurs  car- 
f>  dinal  et  dame  de  Guyse,  après  l'avoir  très  humblement 
))  remercié  de  l'honneur  qu'il  leur  faisoit,  luy  ont  déclaré  estre 
»  prests  et  bien  disposés  de  recevoir  en  cest  endroit  l'équitable, 
»  raison  et  justice  qu'ils  ont  toujours  attendu  et  espéré  de  sa 
»  bonté  et  clémence  en  toutes  choses,  comme  ses  très  humbles 
»  et  très  obéissants  serviteurs  et  subjelz  ;  ce  que  a  faict  aussy,de 
»  sa  part,  ledit  sieur  admyral.  Sur  quoy  seroit  sa  dite  majesté 
»  entrée  à  donner  quelque  commencement  à  l'effect  de  ceste 
ï>  sienne  intention  pour  acheminer  ledict  affaire  au  point  de  son 

i.  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  6  621.  f"  119. 

H  26 


—  402  — 

y>  désir  ;  ce  que  ne  pouvant  si  promptement  estrefaict,  et  affin 
y>  que  cependant  il  ne  intervienne  chose  qui  peut  altérer  l'espô- 
»  pérance  du  bien  qui  y  est,  leur  a  verbalement  commandé  et 
))  défendu  de  se  mesfaire,  ne  mesdire  de  faicts  ne  de  paroles,  les 
))  ungsaux  aultres,  par  eux  ou  paraultres,  en  quelques  manières 
»  que  ce  soit,  directement  ou  indirectement;  et  à  celle  fm  les 
D  a  mis  et  laissé  en  garde,  les  ungs  aux  autres  ;  ce  qu'ils  ont, 
j)  sçauoir  est ,  lesdits  seigneurs  cardinal  et  ladite  dame  de 
»  Guyse,  accepté  pour  eulx  et  les  enfants  dudit  feu  seigneur  duc 
»  de  Guyse,  et  le  dit  seigneur  amyral  aussi  ;  promectant  chacun 
»  d'eux  en  son  regard,  par  foy  et  serment  donné  esmains  de  sa 
»  majesté,  et  sur  leur  vyes  et  honneur,  que,  de  leur  part,  ils 
»  satisferont  et  observeront  sincèrement  et  de  bonne  foy  cestuy 
3)  sien  bon  plaisir,  vouloir  et  commandement,  et  de  ce,  luy  ont 
»  baillé  respectueusement  leurs  promesses  signées  de  leurs 
»  seings.  Au  dit  Moulin,  les  an  et  jour  que  dessus,  (signé) 
»  Charles,  (et  plus  bas)  de  VA.uhesipine.  » 

La  promesse  souscrite  par  l'amiral  et  par  lui  remise  au  roi, 
portait*  :  «  Nous,  Gaspard  de  Golligny,  sieur  de  Ghaslillon, 
»  amyral  de  France,  promettons  au  roy,  nostre  souverain  sei- 
))  gneur,  sur  nostre  vie  et  honneur,  que  parnous,  ne  de  nostre 
»  part,  ne  sera  faict,  entreprins  ne  attenté,  directement  ne  in- 
))  directement  aucune  chose  de  faict  ne  de  paroUes,  contre  les 
»  personnes,  vye  et  honneur  de  messieurs  les  cardinaulx  de 
»  Lorraine  et  de  Guyse,  des  sieurs  de  Guyse,  d'Aumalle,  mar- 
y>  quis  d'Elbœuf,  leurs  enfans,  neveux  et  parens,  du  nom  et 
»  de  ladite  maison  de  Guyse,  lesquelz  nous  prenons  en  nostre 
))  garde,  ayant  à  cest  effet  reçeu  et  accepté,  recevons  et  accep- 
»  tons  le  commandement  qu'il  a  pieu  à  sa  majesté  nous  en 
»  faire  cejourd'huy  verballement, lequel  fious  promettons  obser- 
.))  ver  sincèrement,  inviolablement  et  de  bonne  foy.  En  tesmoing 

i .  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol  20  461,  f*-  49. 


—  403  — 

ï>  de  ce,  nous  avons  signé  la  présente  de  nostre  seing,  le  XIP 
»  jour  de  janvier  1566...    .  »  • 

Il  est  digne  de  remarque,  qu'alors  que  tout  était  encore  tenu 
en  suspens,  quant  au  litige  soulevé  par  les  Guises,  et  que  rien 
ne  pouvait  faire  pressentir  à  l'amiral  si  la  décision  à  intervenir 
lui  rendrait  pleine  justice,  Catherine  crut  devoir  recourir  à  ses 
conseils  et  à  son  intervention  pour  faciliter  la  solution  du  difîé- 
rentqui  divisait  le  cardinaVde  Lorraine  et  le  maréchal  de  Mont- 
morency. Ce  fait  caractéristique  nous  est  révélé  par  Catherine 
elle-même.  «  Je  ne  feray  jamais  doubte,  écrivait-elle  au  maré- 
»  chai,  le  24  janvier^ ,  que  vous  ne  vous  accommodiez  à  toutes 
»  choses  raisonnables,  tant  pour  le  respect  du  bien  public  que 
))  pour  la  particulière  prière  que  je  vous  en  feray;  et  par  ainsy, 
»  ayant  advisé  avec  mon  cousin  l'admirai  ung  honneste  moyen 
»  pour  mectre  fm  à  ce  qui  s'est  passé  entre  mon  cousin  le 
»  cardinal  de  Lorraine  et  vous,  à  son  arrivée  à  Paris,  j'ay  donné 
»  charge  à  mondit  cousin  l'admirai  de  vous  envoyer  ce  qu'il  en 
»  a  lui-mesme  mis  par  escript,  qui  a  esté  communiqué  à  mon 
»  compère  monsieur  le  connétable  vostre  père  et  aux  mares- 
»  chaux  de  Vieilleville  et  de  Bourdillon,  qui  l'ont  loué  et  approuvé 
))  ainsi  que  mondit  cousin  vous  le  déduira  plus  particulièrement, 
»  auquel  je  m'en  remectray  et  vous  prieray  et  confieray,  d'aul- 
»  tant  que  vous  m'aymez  et  désirez  la  conservation  de  nostre 
»  commun  repo?,  que  vous  vous  accomodiez  audit  escript, 
»  qui  ne  part  que  de  personnes  qui  vous  ayment  et  ont,  en  ce 
»  qui  vous  concerne,  la  mesme  recommandation  que  leur  hon- 
y>  neur  et  propre  vye.  » 

Le  jour  même  où  Catherine  traçait,  ces  lignes,  Sarragosse, 
porteur  de  l'écrit  qu'elle  mentionnait,  et  de  lettres  de  l'amiral 

1.  L'engagement  signé  par  le  cardinal  de  Lorraine  et  par  Anne  d'Esté  était 
conçu  à  peu  près  dans  les  mêmes  termes  ([ue  celui  de  l'amiral.  (Bibl.  nat.  mss 
f.  fr.  voL  20  461,^53). 

2.  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  3201,  f»  39. 


—  404  —    • 

et  d'Odet,  pour  Charlotte  de  Laval,  le  maréchal  de  Montmo- 
rency et  Renée  de  France,  partait  de  Moulins  avec  recomman- 
dation expresse,  après  qu'il  se  serait  acquitté  d'un  intime  mes- 
sage, au  château  de  Ghâtillon,  de  se  rendre  à  Paris,  en  passant 
par  Mo  itargis,  «  où  il  baiserait  les  mains  de  Renée,  de  la  part 
»  des  deux  frères,  et  lui  ferait  entendre  l'occasion  de  son 
y>  voyage^  .  » 

Charlotte  de  Laval,  dans  l'ignorance  où  elle  était  de  la  pro- 
chaine arrivée  de  Sarragosse,  écrivait  à  Renée,  au  moment  où 
celui-ci  quittait  Moulins^  :  «.  Madame,  je  vous  remercie  très- 
»  humblement  de  la  bonne  souvenance  qu'il  vous  plaist  avoir 
»  toujours  de  moy,  et  de  la  bonne  part  que  me  faictes  ordinai- 
»  rement  de  vos  nouvelles  ;  ainsy  mesmes  que  j'ay  peu  avoir  par 
»  la  coppie  que  m'avez  envoyée  touchant  l'advis  de  la  court. 
»  J'enay  eu  aujourd'huy  des  nouvelles,  non  de  monsieur  l'ad- 
»  mirai,  mais  d'aucuns  qui  sont  avec  luy,  par  où  on  m'a  mandé 
»  qu'il  n'est  aultre  bruict  que  de  l'appoinctement  que  sçavez 
»  estre  en  avant  :  et  si  ce  qu'on  me  mande  a  succédé,  il  serait 
))  maintenant  faict,  qui  est  qu'il  se  devait  faire  le  XIX  ou  XX  de 
»  ce  moys.  Je  prie  à  Dieu  vouloir  le  tout  bien  conduyre,  attendu 
i>  qu'après  sa  gloire,  ce  soit  le  repos  de  tous  les  gens  de  bien.  » 

Le  29  janvier  1566,  l'innocence  de  l'amiral  fut  proclamée  par 
un  arrêt  ainsi  conçu  ^  : 

«  Le  roy  estant  bien  recors  et  mémoratif  des  requesies  cy 
»  devant  présentées...  (suivent  le  visa  et  l'analyse  de  ces  re- 
y>  quêtes,  de  la  décision  prononçant  le  sursis  de  trois  ans,  et  de 
»  la  décision  préliminaire  dul2  janvier  1566;  après  quoi,  il  est 
».  dit)  :  depuis  l'acte  du  12  de  ce  présent  mois,  le  sieur  cardinal 


1.  li.  11.  mss.  f.  fi'.  vol.  3256,  fo  105,  vol.  3  259,  f°  28,  lettres  de  Coligny  et 
d'Odet,  à  la  duchesse  de  Ferrare. 

2.  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  3  2H,  f»  63. 

3.  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  3  189,  f"  65.  —  Du  Bouchot,  Hist.  de  la  maison 
de  Coligny,  p.  542  à  544. 


—  405  — 

»  et  dame  de  Guise  auroient  fait  entendre  à  sa  Majesté  qu'ils  n'a 
»  voient  avec  eux  les  pièces  qui  pouvoient servir  à  la  justification 
»  deleurdroit,  pour  lesquelles  recouvrerils  auroient  requisdélay, 
»  lequel  sa  Majesté  leur  auroit  accordé,  laquelle  toutefois  ayant 
»  par  après  cogneu  que  ce  délay  pourroit  tourner  à  quelque 
»  longueur,  et  que  toutes  les  pièces,  ou  la  plupart  desquelhs  ils 
))  entendoient  s'ayder,  se  pouvoient  promptement  recouvrer^les 
y)  a  admonestez  de  déclarer  quelles  estoient  legdites  pièces  nour 
»  lesquelles  ils  auroient  demandé  délay.  Aquoy  obéissant  lesdits 
))  sieur  cardinal  et  dame  de  Guise  auroient  fait  déclaration  par- 
))  ticulière  d'icelles  pièces,  lesquelles  seulement  ils  entendoient 
y>  produire  pour  ce  fait,  se  départant  dudit  délay,  s'il  plaisoit  à 
D  sa  Majesté  les  asseurer  estre  pardevers  elle  pour  estre  veues  et 
»  en  ordonner  par  sa  Majesté,  laquelle  auroit  ordonné  _3t  acte 
«  estre  fait  et  expédié,  aussi  comme  il  appert  par  iceluy  acte  du 
»  P'  dudit  mois,  signé  de  l'Aubespine;  après  lequel  auroit  ladite 
»  dame  duchesse  de  Guise,  le  26  desdits  mois  et  an  présenté 
3>  requeste  à  sa  Majesté  tendant  afin  de  luy  estre  permis  de  faire 
»  contre  les  chargez  et  coupables  poursuite  de  ce  que  dessus  en 
))  la  cour  de  parlement  de  Paris,  et  y  faire  porter  et  envoyer 
))  les  pièces  estant  pardevers  sa  Majesté.  Sur  quoy  le  roy  auroit 
»  déclaré  qu'il  retenoit  à  luy  et  à  son  conseil  la  cognoissance  de 
»  la  matière  principale  et  de  tout  ce  qui  en  dépend,  pour  après 
»  avoir  le  tout  veu,  à  son  dit  conseil,  faire  droit  à  ladite  dame, 
y>  ainsi  qu'il  appartiendroit  par  raison  : 

y>  Et,  pour  cet  effet,  auroit  sa  Majesté,  assisté  de  la  reyne  sa 
))  mère,  fait  assembler  les  princes  de  son  sang  et  autres  seigneurs 
))  et  mareschaux  de  France,  chevaliers  de  son  ordre  et  conseillers 
»  en  son  dit  conseil,  ci-dessous  nommez;  et  en  sa  pré- 
»  sence  et  desdits  sieurs  fait  faire  lecture  des  confessions  de 
»  feu  Jean  de  Poltrot,  soy  disant  sieur  de  Merey,  exécuté  à 
]»  mort  pour  ledit  homicide,  envoyées  au  roy  par  sa  cour  de 
»  parlement  de  Paris,  en  vertu  de  ses  patentes  et  commande- 


-  406  - 

1»  mens  et  de  toutes  et  chacimes  les  pièces  spécifiées  audit  acte 
))dul7  de  cedit  mois,  et  rapport  des  autres  pièces,  actes  et 
»  requestes  cy-dessus  mentionnées,  et  d'iceluy  lecture  et  rap- 
ports faits  ; 

((  Sa  Majesté  auroit  cejourd'huy  fait  entendre  ausdits  sieur 
»  cardinal  et  dame  de  Guise,  ensemble  audit  sieur  de  Ghastillon, 
»  amiral  de  France,  les  personnes  appellées  et  assistans  audit 
»  conseil,  pour  sçavoir  s'ils  entendoient  en  récuser  aucunes,  les- 
y>  quels  sieur  cardinal  et  dame  de  Guise  auroient  déclaré 
»  qu'ils  ont  présenté  rcqueste  au  roy  comme  à  leur  souverain 
»  et  naturel  seigneur  et  non  à  autre,  remettant  à  luy  d'ordonner 
))  en  ce  fait  ce  qu'il  luy  plaira,  ce  que  le  dit  sieur  amiral  a,  de  sa 
y>  part,  semblablement  respondu,  qu'il  se  remettoit  aussi  à  ce 
»  qu'il  plairoit  à  sa  Majesté  d'en  ordonner  : 

»  Après  lesquelles  déclarations  auroit  Sa  Majesté  mandé  le 
))  sieur  de  Ghastillon,  amiral,  et  luy  a  enjoint  et  commandé 
))  de  déclarer,  à  sa  présence  et  des  susdits,  ce  qui  estoit  de  la 
»  vérité  dudit  homicide,  en  ce  que  l'on  l'en  avoit  voulu  char- 
))  ger  et  accuser  :  lequel  sieur  amiral  auroit  respondu,  qu'il 
»  avoit  cy-devant  dit,  déclaré  et  affirmé  à  Sadite  Majesté, 
»  comme  il  disoit,  déclaroit  et  affirmoit  encores  devant  Sa  Ma- 
»  jesté  comme  devant  Dieu,  qu'il  n'avoit  fait  ne  fait  faire,  ne 
»  approuvé  ledit  homicide. 

))  Le  roy,  tout  ce  que  dessus  bien  entendu  et  au  long  exa- 
»  miné,  et  après  avoir  pris  sur  ce  l'advis  des  dessusdits  princes 
»  et  seigneurs,  et  gens  de  son  conseil,  qui  i  ^iis  ont  esté  d'un 
ï>  mesme  accord  et  advis,  a  déclaré  ledit  sicuf  de  Ghastillon, 
»  amiral  de  France,  purgé,  deschargé  et  innocent  du  fait  du- 
))  dit  homicide,  et  des  charges  qu'on  luy  a  voulu  ou  pourroit 
»  pour  ce  regard  imputer;  et  a  imposé  et  impose  silence  per- 
))  pétuel  k  son  procureur  général  et  à  tous  autres  ; 

»  Fait  inhibitions  et  deffences,  tant  ausdites  parties  qu'Ji 
»  tous  autres,  en  faire  cy- après  aucunes  recherches  et  pour- 


—  407  — 

y>  suites,  ores  ne  pour  l'advenir,  soit  par  voye  de  justice  ouau- 
y>  trement,  et  à  tous  juges  d'en  prendre  aucune  cause  et  co- 
»  gnoissance; 
»  A  pris  ledit  seigneur  lesdites  parties  en  sa  sauvegarde,  leur 
enjoignant  de  vivre  en  amitié,  sous  son  obéissance,  sans  au- 
cune   entreprise    de  fait    les  uns  à  l'encontre  des  autres, 
directement  ou  indirectement.  Déclarant  dès  aprésent  ausdites 
parties,   leurs  parens,  amis  et   alliez  qui  contreviendront  à 
ce  présent  jugement,  avoir  encouru  et  encourir  crime  de 
lèze-majesté,  comme  infracteurs  de  paix  et  perturbateurs  du 
repos   public,  et   leurs  personnes    et  bien  confisquez,  les- 
quels biens,  audit  cas,   il  a  dès  à  présent,  comme  pour 
lors,  unis  et  incorporez,  unit  et  incorpore  au  domaine  de  sa 
couronne  ; 

»  Deffendant  ledit  seigneur,  sur  les  peines  que  dessus,  à 
toutes  personnes,  de  quelque  qualité  que  ce  soit,  de  contre- 
venir à  ce  présent  arrest,  ne  iceluy  révoquer  en  doute,  con- 
troverse ne  dispute,  et  veut  iceluy  estre  envoyé  à  toutes  les 
cours  département  de  ce  royaume,  bailliages  et  senesc'haussées 
d'iceux,  pour  y  estre  leu,  publié,  enregistré;  à  ce  qu'aucun 
n'en  prétende  cause  d'ignorance. 

))  Fait  audit  conseil,  auquel  estoient  présens  monsieur  le 
frère  du  roy,  messieurs  les  cardinal  de  Bourbon ,  prince  de 
Condé,  duc  de  Montpensier,  et  prince  Dauphin,  princes  du 
sang,  messieurs  les  ducs  de  Longueville  et  de  Nemours,  pairs 
de  France,  monsieur  le  duc  de  Montmorency  aussi  pair  et 
connestablé,  monsieur  le  chancelier,  les  sieurs  de  Vieilleville 
et  de  Bourdillon,  mareschaux  de  France,  messieurs  de  Mor- 
villier  et  évoque  de  Valence,  les  sieurs  de  Crussol  et  de  Gri- 
maut,  chevaliers  de  l'ordre,  l'évesque  de  Limoges,  les  sieurs 
deLansac,  de  Ghaune  et  baron  de  la  Garde,  aussi  chevaliers 
de  l'ordre,  messieurs  Ghristophle  de  Thou,  premier  président 
et  Pierre  Séguier,  aussi  président  en  la  cour  de  parlement  de 


—  408'  — 

»  Paris,  les  sieurs  de  l'Aubespine  et  de  la  Gase-Dieu;  tous  con- 
»  seillers  en  sondit  conseil  privé,  et  maistre  Baptiste  du  Mes- 
»  nil,  aussi  son  conseiller  et  advocat  en  ladite  cour  de  parle- 
»  ment,  le  29''  jour  de  janvier,  l'an  mil  cinq  cent  soixante  et  six, 
»  au  chasteau  de  Moulins  en  Bourbonnois,  et  prononcé  aux 
»  parties  le  dernier  jour  dudit  mois  (signé)  Bourdin.  » 

Cet  arrêt,  bien  qu'il  ne  dût  être  officiellement  «  prononcé  aux 
parties  »  que  le  31  janvier^  ,  fut  officieusement  porté  à  la  con- 
naissance de  Goligny  avant  cette  date,  car,  dès  le  30,  il  écrivit 
à  Renée  de  France  -:  «  Madame,  pour  l'honneur  et  faveur 
»  qu'il  vous  a  pieu  tousjours  me  porter  et  de  désirer  que  les 
»  choses  qui  estoient  en  différend  entre  messieurs  de  Guyse  et 
))  moy  se  terminassent  amyablement,  je  n'ay  voulu  faillir  de 
»  vous  advertir  comme  le  jour  d'hyer  il  futoppiné,  au  conseil, 
»  dudit  différent,  où  tous,  sans  nul  excepter,  furent  d'avys  que 
»  je  debvois  estre  déclaré  innocent  de  ce  que  l'on  m'avoit  voulu 
))  charger  de  la  mort  de  feu  monsieur  de  Guyse.  Là-dessus  Sa 
»  Majesté  prononça  mon  innocence  de  ce  fait-là,  et  ordonna  à 
))  son  procureur,  présent  et  à  venir,  de  jamais  en  cognoistre 
t>  ne  faire  seulement  poursuite  et  instance,  et  toutes  procédures 
»  qui  en  auraient  esté  faictes,  mises  au  néant,  cassées  et  rescin- 
))  dées  comme  choses  non  adveneues  ». 

Le  31 ,  le  roi  fit  appeler  le  cardinal  de  Lorraine  et  l'amiral, 
auxquels  fut  lu  l'arrêt  dont  les  bases  avaient  été  adoptées  le  29 
Après  quoi,   le  roi  leur   déclara  que,  conformément    à   cet 
arrêt,  il  voulait  que  toutes  causes  d'inimitié  entre  eux  cessasent 
et  qu'ils  fussent  désormais  amis. 

Le  cardinal  se  borna  à  affirmer  qu'il  voulait  en  tout  et  par- 
tout obéir  aux  commandements  du  souverain. 

L'amiral  répondit  qu'il  louait  Dieu  de  ce  que  son  innocence 


1.  Dii  noucliet,  ouvr.  cité,  p.  5ii. 

-2.  Bibl.  uiU.  mss.  f.  fr.  vol.  3  193,  1°  31. 


-  400  — 

était  reconnue  et  de  ce  que  le  roi  demeurait  satisfait  de  lui.  Il 
ajouta  qu'il  avait  toujours  oui  dire  que  la  cause  pour  laquelle 
le  cardinal  de  Lorraine  et  les  siens  lui  voulaient  du  mal  était 
qu'ils  le  croyaient  auteur  du  meurtre  du  duc  de  Guise;  qu'ils 
avaient  maintenant  sous  les  yeux  la  preuve  du  contraire  ;  et 
que,  s'il  pouvait  acquérir  la  certitude  que  leur  mauvais  vouloir 
eût  disparu  et  qu'ils  ne  lui  souhaitassent  plus  de  mal,  il  serait 
prêt  à  leur  faire  service  ^ . 

Anne  d'Esté  était  présente.  Le  cardinal  de  Lorraine  et  elle, 
sur  la  demande  du  roi,  embrassèrent  l'amiral.  Tous  trois  se 
promirent  de  ne  garder  entre  eux  aucun  ressentiment 

Leur  réconciliation  fut  plus  apparente  que  réelle. 

Telle  fut  également  la  réconciliation  qui,  plus  tard,  inter- 
vint entre  le  cardinal  de  Lorraine  et  le  maréchal  de  Montmo- 
rency- . 

Soubize  avait  droit,  lui  aussi,  à  une  réparation.  Se  trouvant 
à  Moulins,  lorsque  fut  rendu  l'arrêt  déclaratif  de  l'innocence 
de  son  intime  ami  l'amiral,  il  adressa  au  roi  la  requête  sui- 
vante ^  : 

«  Sire,  le  sieur  de  Soubize,  chevalier  de  votre  ordre,  vous 
))  remonstre  qu'il  a  esté  adverty  que,  par  certaines  confessions 
»  faictes  par  feu  Jehan  Poltrot,  sieur  de  Merey,  estant  aux  tour- 
j>  mens  à  luy  ordonnez  par  la  justice,  est  faicte  expresse  men- 
»  tiondudit  sieur  de  Soubize  comme  s'il  eust  esté  aucunement 
»  consentant  ou  adhérant  à  l'entreprise  de  la  mort  de  feu 
»  monsieur  de  Guyse,  ce  qui  ne  s'est  jamais  trouvé  véritable, 
»  parceque  aussi  ledit  sieur  de  Soubize  ne  luy  en  donna  oncque 
y>  charge  ny  mandement,  et  d'ailleurs  ne  se  trouve  aucune 
»  preuve  ne  présomption  contre  luy  de  ce  faict.  Et  pour  ce  que 
»  ledit  sieur  de  Soubize  craindroit  que,  à  l'advenir,  on  ne  l'en 

i.  Du  Bouchet,  p.  545. 

2.  Moulins,  24  février  1566.  Ou  Bouchet,  p.  545. 

3.  Mémoires  de  la  vie  de  Soumise,  p.  148. 


—  410  — 

D  voulust  accuser  ou  inquiéter,  soubz  le  prétexte  de  telle 
»  depposition  nulle  et  non  libre  et  qui  n'est  aydée  d'aucune 
vautre  preuve  ou  conjecture,  comme  on  afaict  à  monsieur 
ï)  l'admirai,  lequel  toutesfois  en  a  esté  par  vous,  Sire,  déclaré 
»  innocent,  ledit  sieur  de  Soubize,  encores  qu'il  ne  soit  expres- 
»  sèment  accusé,  vous  supplie  très  humblement.  Sire,  qu'il  vous 
»  plaise  ordonner  qu'il  soit  donné  pour  son  regard,  pareil  juge- 
»  ment  et  arrest  par  lequel  il  soit  déclaré  innocent  de  ce  faict, 
»  et  defîences  faictes  à  tous  de  ne  len  appeler  ou  inquiéter  en 
y>  quelque  sorte  que  ce  soit,  sur  les  peines  contenues  en  l'arrest 
»  dudit  sieur  admirai.  » 

Au  bas  de  l'original  de  cette  pièce,  à  demi-page,  sont  tracées 
par  une  autre  main  que  celle  qui  écrivit  le  corps  de  la  requête 
ces  lignes  significatives  :  —  «  Il  faut  que,  pour  la  pacification 
»  de  toutes  choses,  il  meure  ung  homme  pour  le  peuple,  ou 
»  qu'il  en  porte  la  peine.  Et  ne  donnera  ledit  sieur  de  Soubize 
y>  beaucoup  au  public,  pour  ce  que  aussi  bien  ne  vivra-il  plus 
3)  que  deux  on  troys  moys.  —  Paradvis  et  ordonnance  du  con- 
seil ))  (paraphe). 

D'après  cette  odieuse  mention,  applicable  à  l'un  des  plus 
fermes  soutiens  de  la  cause  réformée,  on  peut  se /aire  une  idée 
de  la  haine  qu'éjjrouvait  la  majorité  du  conseil  pour  les  autres 
représentans  de  cette  cause,  à  commencer  par  Goligny  et  ses 
frères. 

Si  cette  haine,  fomentée  par  la  reine  mère,  ne  fit  pas  alors 
explosion;  si  le  projet  d'un  massacre  des  réformés,  conçu  à 
Bayonne,  ne  fut  pas  mis  à  exécution  dans  les  murs  de  Moulins, 
cela  tint  uniquement  à  l'effroi  subit  qu'éprouva  Catherine,  au 
moment  où  allait  s'accomplir  un  épouvantable  forfait,  ainsi  que 
le  rapporte  le  véridique  biographe  de  Soubize.  Il  dit  *  : 

«   Le  s'  de   Soubize   estant  déjà  fort  mal,  ne  laissa  d'aller 

1.  Mémoires  de  la  vie  de  Soubise,  1879,  p.  93. 


—  441  — 

»  encores  trouver  la  court  à  Moulins,  dont  il  ne  revint  que  cinq 
y>  mois  avant  sa  mort,  laquelle  luy  cuyda  encores  estre  hastée  là, 
»  à  cause  que  ceux  qui  ont  esté  les  autheurs  du  massacre  qui 
»  est  depuis  advenu,  l'avaient  dès  lors  entrepris,  et  résolurent  de 
))  l'exécuter  audit  Moulins,  à  cause  que  tous  les  principaulx 
»  chefs  de  ceulx  de  la  religion  y  estoient,  hormis  M'  d'Andelot, 
))  lequel  je  ne  suis  pas  bien  asseuré  qu'il  y  fûst.  Mais  tant  y  a  que 
1)  depuis  les  troubles  ils  n'en  avoient  sçeu  tant  assembler  que 
»  lors,  qui  leur  fit  résouldre  de  s'en  desfaire  tout  à  la  fois;  et 
j)  desjà  le  maréchal  de  Bourdillon  et  le  comte  de  Brissac,  qui 
»  en  avoit  là  charge,  estoient  entrés  dans  la  chambre  de  la 
»  royne  (qui  cependant  se  devoit  retirer  dans  un  cabinet)  estant 
))  armez  de  maille  par  dessoubz,  et  devoit  le  comte  de  Brissac 
•  »  prendre  une  querelle  d'Allemaigne  contre  mon  s'^le  prince,  pour 
))  avoir  occassion  de  mettre  la  main  à  l'espée  avec  ceulx  qui 
»  estoient  attirez  pour  cette  exécution.  Mais  il  prit  une  sou- 
»  daine  peur  à  la  royne,  de  sorte  qu'elle  empescha  lors  que  l'en- 
i>  treprise  ne  fût  exécutée.  )) 

Du  reste,  dans  Moulins  se  répandit  le  bruit  qu'on  voulait 
assassiner  l'amiral  ;  bruit  auquel  celui-ci  n'attacha  pas  plus  d'im- 
portance qu'aux  menaces  d'attentats  sur  sa  pereonne,  dont  déjà, 
en  d'autres  circonstances,  on  l'avait  informé,  a  II  avoit  été,  dit 
»  Brantôme  * ,  menacé  cent  fois  d'eslre  assassiné  et  qu'il  y  avoit 
»  gens  attitrez  et  de  toutes  parts  appostez,  pour  cela,  dont  il  y 
»  en  avoit  des^advis  certains,  fust  à  la  court,  aux  armées,  aux 
»  villes,  en  ses  maisons  et  ailleurs;  jamais  il  n'en  monstra 
))  aucun  semblant  d'avoir  peur,  ny  ne  s'en  accompaigna  pas 
»  plus  de  croustilleux  ^  pour  cela  ;  mais  se  monstroit  si  assuré, 
»  que  bien  souvent  le  trouvait-on  quelques  fois  qu'il  n' avoit 


1.  Éd.  L.  Lai.  t.  IV,  p.  316. 

2.  «  Coustrillieux,  coutilliers,  soldats  porteurs  d'une  coutille,  épée  longue, 
>  menue  et  tranchante.  »  L.  Lai.  ibid. 


—  412  — 

))  pas  quatre  hommes  avecluy,  comme  je  l'ay  veu  :  et  quand  on 
))  luy  disoit,  il  ne  respondoit  seulement  :  celuy  qui  m'attaic  • 
»  quera,  je  luy  fairai  aussi  belle  peur  comme,  il  me.sçauroit 
»  faire.  — Je  le  vis  une  fois  à  Moulins,  lorsque  leurs  magestez 
»  lesaccordarentMM.  de  Guyze  et  luy  :  je  dis  ceux  d'église, 
))  qu'on  disoit  qu'il  y  faisaient  pour  tous  pourtant,  mais  non 
»  ceux  de  l'espée.  Il  y  eut  un  gentilhomme  Italien  francizé,  que 
»  je  ne  nommeray  point,  le  seigneur  Jean-Baptiste,  qui  s'alla 
»  excuser  à  luy  qu'on  luy  avoit  rapporté  qu'il  le  vouloit 
))  tuer;  il  ne  s'en  fit  que  rire,  et  luy  dict  seulement  qu'il  le 
:■>  pensoit  moins  de  luy  que  d'homme  de  la  court  pour  faire  ce 
»  coup-là  ;  le  taxant  froidement  par  ce  mot,  qu'il  n'estoit  pas 
y>  assez  courageux  et  assuré  pour  faire  ce  coup.  » 

La  reine  mère  ayant  reculé  devant  l'exécution  du  sinistre 
projet,  conçu  à  Bayonne,  une  sorte  de  calme  extérieur  régnait 
à  Moulins,  durant  la  résidence  de  la  cour  dans  cette  ville; 
mais  certains  esprits  haineux  et  remuants  y  entretenaient,  à 
l'égard  de  Coligny  et  de  ses  amis,  une  agitation  qui  parfois  se 
faisait  jour,  au  sein  du  conseil  privé. 

Dans  ce  conseil  siégeait,  en  même  temps  que  l'amiral, 
l'homme  éminent  qui,  ayant  coopéré  avec  lui  à  la  promulgation 
de  redit  de  janvier,  déplorait  comme  lui,  les  mutilations  suc- 
cessives qu'avait  subies  cet  édit,  sous  la  pression  de  Catherine 
et  de  ses  affidés.  L'Hospital,  tout  préoccupé  qu'il  était,  à  Mou- 
lins, de  l'élaboration  des  célèbres  ordonnances  auxquelles  son 
nom,  aujeurd'hui  encore,  demeure  noblement  attaché,  se  mon- 
trait fidèleà  ses  principes  de  hberté  rehgieuse.  Depuis  l'entrevue 
de  Bayonne,  au  cours  de  laquelle  le  duc  d'Albe  avait  tout  fait  pour 
le  perdre  dans  l'esprit  de  Catherine,  il  ne  possédait  plus  au 
même  degré  qu'auparavant  la  confiance  de  cette  princesse  ver- 
satile et  ingrate.  L'antagonisme  des  adversaires  du  chancelier, 
au  sein  du  conseil  privé,  n'en  devint  que  plus  ardent,  surtout 
en  ce  qui  concernait  les  mesures  applicables  à  l'exercice  du 


-  413  — 
culte  réformé.  Une  scène  des  plus  vives,  qui  se  passa  dans  ce  con- 
seil, en  février  1566,  en  fournit  la  preuve. 

Le  cardinal  de  Lorraine  demandait,  au  nom  du  parlement  de 
Bourgogne,  l'abrogation  de  l'ôdit  d'Amboise,  et  prétendait  d'ail- 
leurs, qu'aux  termes  de  cet  édit,  les  ministres  du  culte  réformé 
n'avaient  le  droit  d'assister  ni  les  malades,  ni  les  mourants,  dans 
les  lieux  où  l'exercice  de  ce  culte  n'était  pas  autorisé.  De  là, 
entre  le  chancelier  et  le  cardinal  la  discussion  suivante,  que  rap- 
porte un  contemporain  *  : 

«  Le  chancelier  dict  :  comment  voulez-vous  donc  que  fassent 
»  ceux  de  la  religion?  C'est  une  chose  pitoyable  que  de  visiter 
»  et  consoler  les  malades.  Voudriez-vous  que,  lorsqu'ils  sont  sur 
»  le  point  de  la  mort,  ils  ne  soient  point  consolez  par  la  parole 
»  de  Dieu?  —  Demande  le  cardinal  plus  tost  poison.  —  A  cela 
»  respond  le  chancelier  :  vous  le  dictes  et  ils  en  disent  autant 
))  de  vostre  religion.  Si  vous  estimez  la  leur  poison,  pourquoy 
y>  ne  disputez-vous  à  l'encontre  d'eux,  et  ne  les  confondez  par 
»  textesde  lasaincteEscriture,  veu qu'ils  s'offrentjournellement 
«a  pourdisputer,  et  ne  demandent  autre  chose?  Une  conférence 
))  serait  plus  nécessaire  que  d'y  venir  parles  violences,  lesquelles 
»  nous  avons  veu  n'avoir  de  rien  servy  pour  contraindre  les 
y>  hommes  à  croire  contre  leur  conscience.  —  Et,  continuaiït 
j>  son  propos,  dict  au  cardinal  :  vous  nous  voulez,  en  ce  faisant, 
y>  ramener  aux  troubles.  —  Il  semble,  à  vostre  dire,  que  ce  soit- 
»  moy  qui  les  ayt  amenez  par  cy-devant.  —  Vous  le  sçavez,  res- 
9  pond  le  chancelier.  —  Alors  le  cardinal  dict  qu'il  estoit  per- 
y>  misa  chascun  déparier  librement  au  conseil  du  roy,  et  estoit 
»  d'advis  que  si  ceux  qui  sont  delà  nouvelle  religion  veulent 
»  estre  consolez  et  visitez  en  leur  maladie,  il  faut  qu'ils  le  soient 
y>  par  les  evesques  ou  par  ceux  qui  sont  commis  ou  députez 

1.  Propos  fascheux  tenus  au  conseil  entre  lé  cardinal  de  Lorraine  et  lecliau- 
eelier  de  l'Hospital.  (Bibl.  nat.  niss.  f.  fr.  vol.  3  951  f»  100.  —  M.  Taillandier, 
Vie  de  l'Hospital,  p.  181  àl8i.  —  Voyez  aussi  Jfm.  de  (londé,  t.  V,  p.  50,  5152). 


—  444  — 

»  d'eux.  —  A  quoy  respond  le  chancelier,  que  ceux  de  ladite 
))  religion  tiennent  fermement  qu'ils  blesseroient  leurs  cons- 
))  ciences,  s'ils  s'assujétissaient  au)^  cérémonies  des  prestres  et 
y>  évesques,  et  que  de  les  forcer,  il  n'y  avoit  ordre,  qui  ne  vou- 
»  droit  voir  renaistre  les  troubles.  Que  de  vouloir  estre  consoles 
i>  par  les  prestres,  ils  y  consentiroient  encore  moins.  Et  de  dire 
»  que  les  ministres  les  allassent  visiter  et  consoler  par  permis- 
»  sion  des  évesques  ou  curez,  l'on  sçavoit  que  lesdits  éves- 
))  ques  et  curez  n'y  consentiroient  jamais.  —  Alors  le  cardinal 
»  de  Lorraine  adressant  la  parole  à  M' le  cardinal  de  Bourbon 
»  luy  dict  :  vous  voyez,  monsieur,  comme  il  ne  faut  plus  d'éves- 
»  ques,  pensant  par  là  rendre  le  cardinal  de  Bourbon  favorable 
»  à  sa  cause.  —  C'est  grand  cas,  dict  le  chancelier,  que  voulez 
»  si  mal  à  ceux  de  la  religion.  Vous  ne  pouvez  endurer  que  vifs 
»  ils  servent  à  Dieu,  et  voulez  qu'estants  prêts  à  mourir  ils  n'en 
»  oyent  parler  aucunement.  Voulez-vous  qu'ils  meurent  comme 
»  bêtes  etchevaux?  —  Le  cardinal  maintint  là-dessus  qu'il  faut 
»  qu'ils  soyent  visitez  et  consolez  par  les  évesques  et  curez.  Le 
y>  chancelier  maintint  le  contraire  et  dict  :  vous  taschez  merveil- 
»  leusementàles  ruiner  et  affaiblir.  —  A  quoy  respond  le  cardinal  : 
»  aussi  taschons-nous  par  tous  moyens  à  les  rendre  foibles,  afin 
ï)  qu'ils  ne  demeurent  en  ce  royaume  et  qu'il  n'y  reste  que  la 

»  seule  religion  du  roy.  — Plusieurs  seigneursdu  conseil 

*  j)  trouvèrent  bien  estranges  les  façons  de  faire  dudit  cardinal.  » 
Au  moment  où  Charles  de  Lorraine  venait  d'éclater  ainsi,  en 
plein  conseil,  contre  les  sectateurs  de  la  religion  réformée, 
Renée  de  France,  appartenant  à  cette  même  religion,  recevait, 
de  Moulins,  une  lettre  *  dans  laquelle  il  osait  affirmer  «  qu'il  ne 
X)  sçauroit  jamais  avoir  plus  grand  heur  que  de  se  trouver  en 
»  lieu  où  il  pourrait  lui  faire  très  humble  service.  » 
Vers  la  même  époque^,  des  lettres  d'une  tout  autre  nature 

.     1.18  février  1566.  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  3  "21 1 ,  f  67. 


—  415  — 
arrivaient,  soit  de  Moulins,  soit  de  Châtillon,  au  château  de 
Montargis  :  Goligny  tenait  la  princesse  au  courant  de  ce  qui  se 
passait  à  la  cour  ;  et  Charlotte  de  Laval,  tout  en  transmettant 
les  nouvelles  reçues  de  son  mari,  combinait  ses  efforts  avec 
ceux  de  Renée,  pour  le  soulagement  des  pauvres  et  des 
malades. 

Quel  souffle  de  charité,  et  quel  confiant  appel  dans  ces  sim- 
ples lignes,  adressées  par  madame  l'ami  raie  à  sa  vénérable 
amie  M  «  Geste  pauvre  femme  qui  est  de  ce  lieu,  grandement 
»  affligée  d'une  maladie  dont  elle  en  a  perdu  un  œil,  se  retirant 
y>  à  Montargis,  à  la  promesse  de  quelque  personnage  dndit  lieu 
))  de  la  guérir  ou  donner  allégement  à  son  mal,  m'a  requis, 
»  avec  quelque  moïen  que  je  luy  ai  donné,  de  la  vouloir  accom- 
))  paigner  de  ceste  lettre,  pour  vous  supplier  très  humblement 
»  qu'il  vous  plaise  d'user  en  son  endroict  de  vostre  bonté  et 
»  charité  accoustumée  ^.  Je  vous  puis  bien  asseurer,  madame, 
))  que  la  pauvre  femme  a  tousjours  vescu  honnestement  ;  mais, 
»  comme  l'on  se  trouve  bien  souvent  environné  des  afflictions 
y>  qu'il  plaist  à  ce  bon  Dieu  envoïer,  et  sans  y  penser,  ainsy 
))  elle  s'est  trouvée  saisie  de  ceste  calamité  qui  est  si  grande,  que 
»  l'aulmosne  qu'il  vous  plaira  luy  faire  sera  fort  bien  employée. 
»  Et  parce  que  je.m'asseure  que  les  pauvres  affligez  se  resen- 
»  tent  continuellement  de  vostre  largesse,  ceste  recommanda- 
T>  tion  y  servira  de  quelque  chose.  » 

Le  8  mars,  Goligny  arriva  de  Mouhns  à  Châtillon,  avec  son 


1.  14  février  1566.  Bibl.  nat.  mss.  f  fr.  vol.  3  211,^64. 

2.  «  Je  sçay,  madame,  écrivait  Calvin  à  Renée  de  France,  que  vous  avez  esté 
■»  comme  une  mère  nourricière  des  povres  fidèles  deschassés,  qui  ne  sçavoient 
•»  où  se  retirer.  Je  sçay  Won  que  princesse  ne  regardant  que  le  monde  auroit 
»  honte  et  prendroit  quasi  à  injure  qu'on  appelast  son  chasteau  ung  hostel-Dieu. 
»  Mais  je  ne  vous  sçaurois  faire  plus  grand  honneur  que  de  parler  ainsy  pour 
3)  louer  et  recongnoistre  l'humanité  de  laquelle  vous  avez  usé  envers  les  enfants 
>  de  Dieu  qui  ont  eu  leur  refuge  à  vous.  >  (Lettres  franc,  t.  II,  p.  514, 
10  mai  1563.) 


—  416  - 
oncle  le  connétable  et  son  frère  Odet  \  qui  tous  deux  séjour- 
nèrent, quelque  temps,  sous  son  toit. 

Bientôt  s'offrit  à  lui  l'occasion  d'étendre  son  patronage  sur 
Spifame,  seigneur  de  Passy,  à  qui  était  intenté,  à  Genève,  un 
procès  des  plus  graves,  sur  la  dénonciation  de  Jeanne  d'Al- 
bret-.  Cette  princesse  avait  écrit  ù  Th.  de  Bèze,  en  le  priant 
de  communiquer  au  conseil  de  la  ville  une  lettre  dans  laquelle 
elle  représentait  Spifame  comme  un  fourbe  et  un  ambitieux 
qui  cherchait  à  rentrer  dans  l'église  romaine  et  intriguait  pour 
obtenir  l'évêché  de  Toul,  comme  un  homme  sans  mœurs, 
comme  un  faussaire  et  un  calomniateur.  Spifame  soutenait  que 
son  intention  était  d'administrer,  en  ministre  du  culte  ré- 
formé, le  diocèse  de  Toul,  s'il  en  eût  obtenu  la  direction;  il  re- 
poussait l'accusation  de  calomnie;  il  avouait  du  reste,  mais 
comme  remontant  à  une  date  fort  ancienne,  certains  faits 
d'inconduite  et  la  fabrication  de  deux  faux,  à  l'égard  desquels 
il  invoquait  des  circonstances  propres  à  atténuer  singulière- 
ment sa  culpabilité.  Jeté  en  prison,  le  il  mars,  il  fit  appel  à 
l'intervention  de  l'amiral,  en  l'entretenant  principalement  du 
grief  tiré  des  démarches  relatives  à  l'évêché  de  Toul. 

Ce  fut  alors  que  Goligny  écrivit,  le  30  mars,  au  conseil  de 
Genève^  :  «  Magnifficques  seigneurs,  j'ay  entendu  que  M.  de 
»  Passy  estoit  détenu  prisonnier,  pour  raison  de  quelques  choses 
))  passées  pour  l'évesché  de  Toul  ;  et  pour  ce  qu'il  y  a  quel- 
y)  que  temps  qu'il  m'en  escripvit  une  lettre,  mesmes  me  sou- 


i.  LeUro  do  CharloUe  de  Laval  à  la  duchesse  de  ferrare,  du  7  mars  1566 
(Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  3i2H,  f°  72)  :  «  Madame,  s'en  allant  M.  Malot  vers 
»  vous,  je  n'ay  voulu  faillir  de  vous  escrire  la  présente  pour  vous  advertir  que 
ï  M.  le  connestable  et  messieurs  le  cardinal  de  Chastillon  et  admirai  doyvcnt 
»  arriver  demain  au  soir  icy,  avec  bonne  compagnye.  Je  ne  sçay  point  encore 
»  quel  séjour  mondit  sieur  le  connestable  y  fera,  mais  s'il  vous  plaist  me  com- 
>  mander,  je  le  vous  feray  entendre  ci-après  quand  je  l'auray  sçeu. 

2.  Voyez  Haag,  France  prot.,  V  Spifame. 

3.  Archives  de  Genève,  n"  1  715. 


—  417  — 

))  vient  qu'il  m'en  envoya  des  mémoyres  par  lesquelz  je  cogneu 
))  que  son  intention  ne  tendoit  en  cela  qu'à  la  gloire  de  Dieu  et 
»  au  service  du  roy,  chose  touteffois  plus  à  désirer  qu'à  espé- 
))  rer,  je  vous  en  ay  bien  voulu  escripre  ceste  lettre,  et  vous 
»  prier,  magnifficques  seigneurs,  autant  affection  né  ment  que  je 
))  puys,  que,  si  au  reste  il  se  trouvoit  avoir  commis  quelque 
y>  faulte,  comme  il  advient  que  les  plus  excellens  font  le  plus 
))  souvent,  vous  veuilliez  préférer  doulceur  et  clémence  à  ri- 
y>  gueur  de  justice,  en  considération  de  son  aage  et  du  fidèle 
»  debvoir  qu'il  a  faict  en  plusieurs  grandes  charges,  et  des 
))  services  qu'il  a  semblablement  faictz  et  pourra  encore  faire 
»  aux  églises  refformées  pour  l'advancement  et  accroissement 
y>  du  règne  de  Dieu  ;  ce  que  je  m'asseure  que  vous  considérerez 
))  bien.  » 

L'instruction  de  l'affaire  fut  conduite  avec  une  précipitation 
telle,  qu'une  impitoyable  sentence,  condamnant  à  mort  Spi- 
fame,  reçut  son  exécution  avant  que  parvînt  à  Genève  la  lettre 
de  l'amiral.  Peut-être,  à  la  lecture  de  cette  lettre,  le  conseil  se 
fût-il  désisté  de  sa  tendance  à  infliger  une  peine  excessive; 
mais  il  statua  ab  irato,  et,  le  23  mars,  l'infortuné  Spifame 
eut  la  tête  tranchée  ^ 

Jean  Chabouillé,  son  gendre,  pouvait  être  inquiété,  par  suite 
de  la  malveillance  avec  laquelle  serait  interprétée  une  mission 
qu'il  avait  récemment  remplie  en  Savoie  ;  l'amiral  en  fut  in- 
formé, et  se  fit  un  devoir  de  le  protéger  contre  des  détracteurs 
éventuels,  en  écrivant  à  Th.  de  Bèze^  :  «  Ce  porteur  (Gha- 
»  bouille)  s'en  va  à  Genefve,  suivant  l'avis  que  vous  luy  avés 
))  donné;  et  encores  qu'il  n'aye  point  entendu  que  l'on  le  soup- 
))  çonne  d'aulcune  chose,  si  esse  qu'ayant  entendu  que  l'on  di- 
))  soit  que  feu  M""  de  Passy  avoit  quelque  pratique  pour  faire 

1.  Lettre  de  Th.  de  Béze  à  Pithou,  22  avril  1566.  {Bull.  soc.  d'il,  du  prot. 
fr.  t.  XI,  p.  268.) 

2.  Archives  de  Genève,  n»  1715,  18  avril  1566. 

H  il 


—  418  — 
»  surprendre  Genefve,  et  qu'ayant  esté  freschement  pour  mes 
»  affaires  devers  monsieur  de  Savoye,  il  ne  vouldroit  pas  que 
))  l'on  le  soupçonnast  de  quelque  meschanceté,  il  s'en  va  là 
»  pour  se  présenter  ;  et  peult-on  bien  penser  qu'il  ne  seroit  pas 
»  bien  venu  en  mon  endroict,  sije  l'estimois  aultre  que  homme 
y>  de  bien;  mais  l'ayant  tousjours  cogneu  tel,  je  ne  veulx  pas 
y>  faillir  à  luy  rendre  ce  tesmoignage,  veu  aussy  que  freschement 
»  il  a  préféré  mon  service  à  son  particulier.  » 

Cinq  mois  plus  tard,  Goligny  donnait  à  Ghabouillé  une  nou- 
velle preuve  d'estime  et  de  bienveillance  :  ce  Ayant  cogneu, 
»  mandoit-il  au  conseil  de  Genève  ^  que  M.  Jehan  Ghabouillé, 
y>  gendre  de  feu  M.  de  Passy,  est  affectionné  et  fidèle  en  mon  ser- 
))  vice,  je  me  suis  de  moy-mesme  employé  pour  le  mettre  d'ac- 
))  cord  avec  M.  deBissaulx,  lequel,  après  plusieurs  remises,  s'est 
))  rapporté  à  moy  des  différends  qu'ils  ont  pour  les  biens  que  le- 
»  dit  feu  s' de  Passy  a  laissez  en  ce  royaulme;  ce  que  j'ai  volontiers 
»  accepté;  et  parce  qu'il  est  besoing  veoir l'acte  delà  probationdu 
))  mariage  d'iceluy  deffunt  et  les  testaments,  contracts  et  codi- 
»  cilles  qu'il  a  faictz  en  vostre  cité,  concernant  Anne,  sa  fille,  je 
))  vous  prie  bien  fort  les  faire  délivrer  au  porteur  de  la  présente, 
»  en  telle  forme  qu'ilz  puissent  faire  foy  parde  çà  touchant  ce  f  aict- 
»  là  ;  et  encores,  messieurs,  que  ce  soyt  chose  raisonnable,  ainsy 
»  qu'il  me  semble,  je  ne  laisseray  icy,  oultre  l'obligation  que  le- 
))  dict  Ghabouillé  vous  en  debvra,  de  m'en  sentir  en  mon  par- 
)>  ticulier,  bien  gratifié  de  vous.  » 

Goligny  avait  quitté  Ghâtillon depuis  quelque  temps,  etséjour- 
nait  à  la  cour,  où  ses  ennemis  cherchaient  à  le  discréditer  par 
leurs  calomnies  :  l'une  de  ses  lettres  à  de  Gordes  en  fournit  la 
preuve.  «  Je  vous  eusse,  lui  disait-il  ,  plus  tost  faict  responce,  si 
»  je  me  fusse  trouvé  à  propoz  quant  Ion  vous  a  dépesché  où  qu'il 


1.  Archives  de  Genève,  n°  1715,  17  septembre  1566. 

2.  Hist.  despr.  de  Gondé,  t.  I,  p.  534. 


—  419  — 
»  est  allé  quelques-ungs  par  delà,  ce  que  n'ay  peu  faire  de  tant 
))  que  j'estois  à  Paris.  Il  y  a  plusieurs  particularitez  que  je  vous 
»  vouldrois  bien  faire  sçavoir,  mais  nous  sommes  en  ung  temps 
))  qu'il  ne  fait  pas  bon  escripre.  Je  vous  diray  seullement  qu'il 
»  y  a  quinze  jours  qu'il  y  eut  une  alarme  en  ceste  court,  à 
))  cause  de  quelque  compaignye  de  gens  que  l'on  disoit  estre 
»  assemblée  à  Paris  par  M'  d'Andelot,  mon  frère,  etmoy,  dont 
]!)  il  y  eut  des  mareschaulx  commis  pour  s'en  enquérir  et  infor- 
»  mer.  Et  croy  qu'ilz  ne  trouveront  pas  ce  que  l'on  eust  bien 
»  voulu.  Je  ne  doubte  point  que  vous  n'en  eussiez  esté  bien 
»  adverty.  Je  fais  mon  conte  de  séjourner  encores  quelque 
y>  temps  en  ceste  court,  mais  je  ne  vous  puys  encores  asseurer 
»  combien  ce  sera,  car  je  me  gouverneray  selon  ce  que  je  verray 
y>  et  au   doigt   et  à  l'œil.  Je  vous    prieray,    au  demeurant, 
»  monsieur  de  Gordes,de  faire  entièrement  estât  de  moy  comme 
»  de  l'ungde  vos  meilleurs  et  plus  seurs  amis.  y> 

Le  28  juin,  Charlotte  de  Laval  avait  rejoint  son  mari  dans  la 
capitale,  et  en  informait  Renée  de  France,  en  ces  termes  *  : 
c;  Madame,  estant  arrivée  en  ceste  ville,  jeny  ay  pas  voulu  rete- 
))  nir  vostre  coche  davantaige,  craignant  de  vous  en  faire  faulte, 
T>  et  la  vous  renvoyé  présentement,  vous  remercyant  très  hum- 
D  blement  de  l'honneur  qu'il  vous  a  pieu  me  faire  de  la  me 
ï»  prester.  Je  ne  vous  puys  mander  aultres  nouvelles,  d'aultant 
y>  que  depuys  que  je  suis  arrivée  je  n'ay  aprins  chose  qui  mérite 
))  de  vous  estre  escripte,  et  aussi  que  je  n'ay  encores  guères  veu 
)j  personne  que  monsieur  l'amyral.  j> 

Le  roi,  dans  des  circonstances  que  nous  ne  saurions  préci- 
ser, paraissant  attacher  une  importance  particulière  à  l'arres- 
tation d'un  individu  du  nom  de  Latour,  sur  lequel  pesaient  cer- 
taines charges,  avait  enjoint  à  l'amiral  de  faire  le  nécessaire 
pour  qu'il  fût  saisi.  Le  14  août,  Coligny  annonça,  de  Paris,  au 

i.  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  32H,  f»  90.  Lettre  du  28  juin  1566. 


—  420  — 
roi  ce  qui  suit  ^  :  «  Sire,  ayant  veu  le  commandement  qu'il  vous 
y>  plaist  me  faire  par  vostre  lettre  du  12  de  ce  moys  pour  tenir  la 
))  main  à  la  capture  d'un  nommé  Latour,  lequel  a  esté  chargé 
)^  par  Dumay,  voleur  naguères  prins  et  admené  en  ceste  ville,  je 
))  n'ay  voulu  faillir  à  dépescher  incontinent  ce  gentilhomme 
»  devers  Vostre  Majesté  pour  luy  faire  entendre  tout  ce  que  m'a 
»  semblé  estre  bon  de  vous  faire  sçavoir  sur  ce  faict.  »  S'adres- 
sant,  le  même  jour  à  Catherine  de  Médicis,  l'amiral  disoit  que 
le  gentilhomme  chargé  de  la  voir  de  sa  part  <iestoitinstruictpar 
»  luy  de  beaucoup  de  particularités  dont  il  rendroit  compte,  si 
y>  c'estoit  le  plaisir  de  la  royne  de  l'entendre  ^ .  »  Le  26  du  même 
mois,  Catherine  mandait  au  connétable^  :  «  Mon  compère,  à  ce 
((  que  j'ay  peu  veoir  par  vostre  lettre  que  j'ay  reçeue  aujour- 
»  d'huy,  le  s' Davantigny  et  Latour  sont  arrivés  auprès  de  vous, 
y>  dont  j'ay  esté  bien  aise  et  m'avez  fait  grand  plaisir  de  les  avoir 
»  retenuz,  comme  je  vous  prye  de  faire  encores  jusques  à  ce 
))  que  nous  soyons  apttes  à  ce  que  nous  puissions  sçavoir  la  vé- 
»  rite  du  fait  dont  ils  sont  chargez.  Vostre  nepveu,  M.  l'admirai, 
»  m'avait  bien  mandé  qu'il  les  avoit  trouvez  par  les  chemins  et 
))  qu'ils  s'en  venaient  nous  trouver  ;  mais  il  est  beaucoup  meil- 
))  leur  qu'ils  nous  attendent  là  où  vous  estes  ;  vous  priant 
y>  cependant  leur  commander  de  n'en  bouger,  comme  j'estime, 
»  puisqu'ils  sont  venus  si  Hbrement,  qu'ils  ne  feront.  » 

Cependant  les  moindres  démarches  de  Coligny  étaient  épiées  ; 
un  séjour  qu'il  venait  de  faire  au  château  de  son  frère,  le 
cardinal  de  Châtillon,  fut  l'objet  de  rapports  dont  il  s'attacha 
à  démontrer  la  fausseté,  dans  sa  correspondance  avec  le  roi. 
((  Sire,  écrivit-il,  en  dernier  lieu  *,  le  17  aoiit,  hier  soir,  assez 
»  tard,  après  que  la  depesche  que  je  vous  avais  faicte  fut  partie, 

1.  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  15  882,  f»  169. 

2.  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  15  882,  f»  167. 

3.  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  3207,  f°  23. 

4.  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  3193,  f"  60. 


J 


—  421  — 

);  je  reçus,  par  iing  homme  que  M.  le  cardinal  de  Chastillon 
))  m'envoya,  la  lettre  de  Vostre  Majesté,  qui  me  fut  portée  à 
))  Bresle  depuys  que  j'en  fus  party,  comme  aussi  estoient  les 
»  aultres  qui  y  estoient  venuz;  tellement  que,  pour  faire  de- 
»  partir  ceste  compagnie,  il  n'estoit  point  besoing  d'em- 
»  ployer  les  lettres  et  le  commandement  de  Vostre  Majesté. 
»  Et  pour  ce  que  par  mes  précédendes  j'ay  satisfait  en  partye 
3>  au  contenu  en  icelles ,  je  ne  vous  ennuyeray  de  redicte  ; 
y>  mais,  sur  ce  qu'il  reste  à  respondre,  je  vous  diray.  Sire,  que 
»  en  ladicte  compagnie  n'estoient  aultres  personnages  de  qua- 
»  lité  que  ceulx  que  j'ay  déclarez  par  mes  précédentes;  par- 
»  quoi  je  vous  puis  bien  dire  que  ce  que  l'on  a  rapporté,  que 

y>  M.  le  prince  de  Porlien,  les  sieurs  D et  de  Bouvryy  es- 

y>  toient  est  faulx.  Dont  je  m'esbahis  que  gens  qui  debvroient 
»  bien  reguarderet  sçavoir  comment  ils  parlent  et  asseurent 
»  les  choses  soyent  si  legiers  premièrement  à  les  voir,  puys  à 
»  les  faire  entendre  à  Vostre  Majesté;  faisant  par  ce  moïen  de 
y>  très  maulvais  offices,  et  à  l'endroict  de  vos  meilleurs  et  plus 
»  fidèles  serviteurs,  taschant  à  les  vous  rendre  aultant  suspectz 
i)  comme  vous  y  debvez  avoir  de  fiance;  et  pouresclaircir  main- 
y>  tenant  Vostre  Majesté  de  l'occasion  de  ladite  assemblée,   e 
»  vous  dirai,  Sire,  que,  quant  à  M.  de  Sénarpont,  c'est  ung  de 
»  mes  plus  anciens  amys,  dont  nous  désirions  bieji  de  nous  voir 
y>  cependant  que  nous  n'estions  pas  guères  esloignés  l'ung  de 
»  l'aultre  et  en  ung  lieu  où  il  se  pouvoit  asseurer  d'estre  le  bien 
))  venu.  Aussy,  quant  à  M.  de  Morvilliers,  il  est  de  mes  vieilles 
»  congnoissances,  tellement  que,  sa  maison  n'estant  que  à  six  ou 
))  sept  lieues  de  Bresle,  il  voulut  bien  prendre  ceste  commodité 
»  de  venir  faire  ung  office  de  Visitation  convenable  àlacognois- 
y>  5ance  et  amytié  que  nous  avons  piéça  ensemble.  De  là.  Sire, 
»  ce  que  je  vous  puys  dire  de  l'occasion  de  leur  venue.  Ainsi  il 
))  ne  me  reste  que  à  vous  faire  entendre  à  quoy  ceste  compagnie 
»  s'est  employée,  qui  n'a  pas  esté  pour  mettre  aulcung  en 


—  422  - 

»  soupçon  ou  défiance,  car  le  plus  de  nostre  (passe-temps) 
))  estans  là,  ce  a  esté  d'aller  à  la  chasse  et  voler  le  perdereau, 
»  combien  que  aussy  parmy  ce  passe-temps  nous  y  avons  fait 
:ù  ung  bon  office  :  c'est  l'accord  de  deux  gentilshomme,  l'ung 
»  de  la  maison  de  Bouflair,  l'aultre  des  Hebarson,  lesquels 
i>  estans  en  querelle  et  aïans  moïen  l'ung  et  l'aultre  d'assembler 
))  gens  et  s'accompagner,  eussent  pu  mettre  quelque  trouble  au 
»  pais  si  leur  querelle  fust  venue  plus  advant.  En  tout  ce  que 
-»  dessus,  Sire,  vous  pouvez  voir  qu'il  n'y  a  rien  dont  Vostre 
»  Majesté  puisse  avoir  sinon  contentement  et  satisfaction,  et 
»  pouvez  vous  tenir  assuré  que  je  n'entreprendray  jamais 
»  chose  au  contraire;  car,  quant  aux  aultres  particularitez 
»  qui  vous  ont  esté  dictes,  je  ne  puis  pas  penser  quelles  elles 
))  sont,  mais  bien  ay-je  opinion  qu'il  n'y  a  non  plus  de  vérité 
))  que  en  la  plupart  de  ce  que  m'escripvez  avoir  esté  rapporté 
y)  à  Vostre  Majesté;  et  touteffoys.  Sire,  si  c'est  vostre  plaisir  de. 
D  me  les  déclarer,  je  mettrai  peine  de  vous  y  satisfaire  aussy. 
i)  Et  a  tant  je  supplye  le  créateur,  etc.,  etc.  » 

Revenu  de  Paris,  dans  les  derniers  jours  du  mois  d'août,  à 
Ghâtillon,  d'où  il  ne  pouvait  désormais  s'absenter  de  quelque 
temps,  Goligny  ne  tarda  pas  à  apprendre  que  la  maladie  dont 
Soubise  souffrait  quand  il  quitta  Moulins,  s'était  aggravée.  Re- 
tenu par  la  force  des  circonstances  loin  de  son  ami,  l'amiral  lui  fit 
connaître  le  profond  regret  qu'il  éprouvait  de  ne  pouvoir,  pour 
le  moment,  franchir  la  longue  distance  qui  les  séparait  l'un 
de  l'autre,  car  il  eût  été  heureux  de  le  revoir,  de  s'entretenir 
encore  avec  lui,  de  l'entourer  de  son  affection  et  de  ses  soins. 

A  son  retour  du  Bourbonnais,  Soubise  a  était  déjà  fort  mal; 
))  de  sorte  que  ceux  qui  le  voyaient  n'espéraient  plus  qu'il  peust 
»  vivre  ;  ce  que  luy  cognoissoit  mieux  que  personne,  et  ne  se 
»  fàchoit  sinon  pour  la  peur  qu'il  avoit,  s'il  advenoit  quelque 
»  affaire,  de  ne  pouvoir  servir  comme  il  eut  désiré,  combien 
0  qu'il  se  résolust,  comment  que  ce  fûst,  de  se  faire  traîner  en 


—  423  — 

»  quelque  lieu,  soit  en  une  armée  ou  en  une  ville,  où  il  peust 
))  achever  d'employer  ce  peu  de  vie  qui  lui  restoit  au  service  de 
y>  Dieu  et  de  sa  patrie.  Cependant  il  s'estudioit  à  couronner  le 
»  reste  de  ses  gestes  par  une  mort  digne  de  la  vie  qu'il  avoit 
i)  menée,  se  rendant  de  plus  en  plus  assidu  à  ouïr  la  parole  de 
»  Dieu  et  à  le  prier  et  invocquer  non  seulement  en  public, 
i)  mais  en  son  particulier,  demeurant  tous  les  jours  quatre  ou 
»  cinq  heures  enfermé  dans  son  cabinet  à  prier  Dieu  et  à  lire 
))  en  sa  parole.  Quand  il  voyait  ses  amis,  il  les  consoloit  de  sa 
»  mort,  laquelle  il  leur  disoit  à  tous  qu'il  sentoit  tous  les  jours 
»  approcher,  hormis  à  Madame  de  Soubize,  sa  femme,  à  laquelle 
D  il  ne  le  voulut  jamais  dire,  et  les  prioit  tous  de  ne  le  luy  dire 
»  point,  pour  l'appréhension  qu'il  avoit  de  son  ennuy  ;  mais  à 
))  tous  ses  aultres  amis  il  les  prioit  de  ne  s'attrister  point  et  de 
»  considérer  l'heur  qu'il  estoit  près  de  recevoir,  avec  une  infi- 

)•)  nité  d'aultres  belles  choses Environ  un  quart  d'heure  avant 

))  mourir,  il  voulut  voir  sa  fille  pour  luy  donner  sa  bénédiction, 
»  avant  partir  de  ce  monde,  puis  la  fit  retirer,  et  un  quart  d'heure 
»  après  rendit  l'esprit,  ayant  dit  pour  la  dernière  parole  :  mon 
))  Dieu,  je  recommande  mon  âme  entre  tes  mains;  et,  qui  est 
))  une  chose  incroyable,  la  Dame  de  Soubize  eut  la  constance 
»  de  demeurer  auprès  de  luy  et  de  le  consoler  jusques  à  l'article 
))  delà  mort,  ce  qu'elle  eut  juré,  peu  d'heures  auparavant,  estre 
y>  hors  de  sa  puissance  ;  mais  elle  s'y  contraignit  de  ceste  façon, 
»  pour  ce  qu'elle  voyait  qu'il  avoit  plaisir  qu'elle  y  fûst  et  qu'il 
»  oyoit  plus  volontiers  ce  qu'elle  luy  disoit  *  que  ce  que  les 
»  autres  luy  pouvaient  dire.  Je  vous  laisse  à  penser  si,  au 
»  partir  delà,  elle  demeura  désolée,  et  si  elle  eut  besoingdes 
»  consolations  qui  lui  furent  adressées.  » 

Les  plus  chers  amis  de  Soubise  s'associèrent  au  deuil  de  sa 
veuve,  dans  des  lettres  consolatoires  qui  nous  ont  été  conservées^ 

1 .  V.  Appendice,  n»  28. 


Au  premier  rang  de  ces  lettres  se  placent  celles  de  Coligny  et 
de  sa  femme. 

<r  Madame,  écrivait  l'amiral  \  quand  je  fis  partir,  ces  jours 
y>  passez,  le  capitaine  Renconneau  pour  visiter  M.  de  Soubize, 
))  je  ne  m'attendoys  à  rien  moins  qu'aux  nouvelles  que  m'en 
y)  mandoit  hier  M.  d'Aubeterre,  vostre  frère;  et  craignant  de 
))  vous  renouveler  vostre  ennuy,  je  ne  vous  diray  point  l'ex- 
ï)  trême  regret  que  j'endure  de  ceste  perte  que  j'ay  faicte;  car 
))  elle  est  plus  grande  que  je  ne  la  vous  sçaurois  dire  n'y  escryre  : 
»  et  vous  diray  seulement  que  je  la  ressents  aultaot  qu'on 
»  peult  faire  d'un  vray  et  parfait  amy,  ce  que  je  n'oseray  dire 
))  s'il  m'en  est  demeuré  encores  un  auquel  j'eusse  si  parfaite 
y>  fiance.  Mais  pour  ce  que  ce  n'est  point  à  nous  à  contester  la 
))  volonté  de  Dieu,  et  qu'il  est  certain  qu'il  ne  fait  rien  de  ses 
))  créatures  qui  ne  soit  bon  pour  sa  gloire  et  le  salut  des  siens, 
»  c'est  bien  raison  que  nous  nous  conformions  à  sa  volonté.  Et 
))  d'aultant,  madame,  que  je  sçais  qu'entre  toutes  les.  aultres 
»  vostre  ennuy  surpasse  tous  les  aultres,  je  vous  supplieray 
))  maintenant  pratiquer  en  vous  le  conseil  que  vous  sçauriez 
))  donner  à  quelqu'un  de  vos  amis,  s'il  estoit  en  vostre  place.  Je 
))  sçais  bien  que  les  pertes  fraisches  et  les  premiers  mouve- 
»  mens  sont  malaisez  à  dompter;  mais  il  ne  fault  pas  aussi  que 
»  nous  nous  laissions  succomber  à  l'ennuy;  ainsi  il  fault  ré- 
»  sister,  en  marquant  l'assistance  de  Dieu.  Le  principal  remède 
»  à  cella,  c'est  d'avoir  quelque  homme  de  bien,  comme  je  sçais 
»  que  vous  n'en  aurez  point  faulte,  qui  ordinairement  vous 
))  lise  ou  déclare  quelques  textes  propres  à  cella  pour  consoler 
))  ceulx  qui  sont  en  affliction,  et  surtout  que  vous  ne  demeuriez 
))  jamais  seulle.  — La  plus  grande  consolation  que  vous  et 
»  tous  ses  amis  pouvez  avoir,  c'est  qu'en  la  foy  en  laquelle  il  a 
»  plu  à  Dieu  l'appeler,  il  possède  l'héritage  que  nostre  seigneur 

i.  Bull,  de  la  s.  d'hist.  du  protest.  fr.  t.  II,  p.  550,  551. 


_  425  — 

»  a  promis  aux  siens.  Je  sçais  bien  aussi  que  ce  n'est  pas  ce 
))  que  vous  lui  plaignez,  mais  plustost  une  séparation  pour 
y>  quelque  temps.  Ce  ne  serait  pas  bien  aimer,  si  nous  désirions 
y>  plustost  une  vue  bien  incertaine  de  nos  amis,  pour  les  priver 
))  d'une  vie  éternelle,  quand  ils  la  possèdent.  C'est  chose  pour- 
»  tant  que  nous  ne  désirons  pas  d'advancer,  mais  quand  aussi 
))  il  a  plu  à  Dieu  d'en  ordonner,  c'est  bien  de  quoy  s'ayder  à  se 
*  résoudre.  Or,  madame,  pour  ce  que  je  m'assure  que  vous 
»  sçaurez  bien  practiquer  maintenant  les  grâces  que  Dieu  a 
»  mises  en  vous,  je  ne  m'estendray  davantage  sur  ce  propos, 
»  sçachant  aussi  que  vous  n'aurez  pas  faulte  de  l'assistance  et 
y>  consolation  de  beaucoup  de  gens  de  bien.  —  Mais  la  cause 
»  principale  pour  laquelle  je  vous  envoyé  ce  gentilhomme,  est 
y>  pour  vous  supplier  de  croire  que  l'amour  que  je  portoy  à  feu 
))  monsieur  de  Soubize  n'est  point  morte  avec  luy,  mais  qu'elle 
»  revit  en  vous  et  en  Mademoiselle  de  Partenay,  vostre  fille,  et 
«>  que  vous  pouvez  faire  estât  de  moy  comme  du  meilleur  frère 
»  et  plus  parfait  ami  que  vous  ayez  en  ce  monde.  N'eust  esté  la 
»  grande  distance  de  vous  à  moy,  j'eusse  très  volontiers  fait 
»  en  personne  l'office  de  ce  porteur.  Je  luy  ay  aussi  donné  charge 
))  devons  dire  quelques  aultres  particularités  de  ma  part.  Et 
>•>  parce  que  je  sçay  qu'il  s'en  sçaura  bien  acquitter,  je  m'en 
»  remettray  sur  luy  pour  vous  présenter  mes  bien  affectionnées 
»  recommandations  à  vostre  bonne  grâce,  et  prier  nostre  Sei- 
»  gneur.  Madame,  vous  combler  par  son  Saint  Esprit  et  vous 
»  faire  la  grâce  de  porter  patiemment  sa  sainte  volonté.  —  De 
»  Chastillon  XXII  de  septembre  1566.  —  Vostre  entièrement 
»  bon  et  bien  affectionné  ami,  Chastillon.  y> 

Charlotte  de  Laval,  partageant  les  sentiments  de  son  mari, 
s'exprimait  en  ces  termes  *  :  «  Madame,  je  crois  que  ne  doub- 


1.  Bull,  de  la  soc.  d'hist.  du  protest.  fr.  t.  II,  p.  551,  552. 


r 


—  426  — 

y>  lez  point  combien  les  nouvelles  que  nous  avons  eues  de  la 

»  Visitation  et  affliction  qu'il  a  pieu  à  Dien  de  vous  envoyer  et 

y>  h  nous  aussy,  nous  ont  esté  ennuyeuses.  Car,  après  vous,  il 

))  n'y  a  personne  qui  l'ait  avec  occasion  plus  ressentie,  pour 

»  estre  l'amitié  entre  nous  non  point  seulement  d'amis  mais 

y>  de  frères,  si  elle  ne  peult  estre  meilleure  ni  plus  grande.  Je 

»  vous  prieray  donc,  madame,  croire  que  je  voudroy  que  nous 

D  feussions  un  peu  plus  près  voysins ,  car  moy-mesmes  m'iroy 

D  offrir  et  essayer  à  vous  servir  et  assister  de  tout  ce  qui  seroit 

»  en  ma  puissance;  ce  que  je  vous  offre  par  ceste  lettre,  j'ai- 

»  meroy  beaucoup  mieulx  vous  pouvoir  dire  et  monstrer  par 

ï>  effet  que  le  vous  escrire  :  disposez  donc  de  tout  ce  qui  y  est» 

D  pour  en  faire  comme  du  vostre  propre.  Je  m'asseure,madame,que 

ï)  Dieu,  vous  assiste  de  telle  façon,  et  tant  de  gens  de  bien,  que 

»  vous  pratiquez  la  doctrine  que  Dieu  nous  donne,   de  telle 

»  sorte  qu'en  faites  vostre  proffit  en  ceste  affliction,  et  qu'après 

D  avoir  senti  la  force  qu'aencores  la  chair  sur  nous,  retournerez 

»  à  cognoistre  que  Dieu  vous  est  père  et  qu'il  visite  ses  enfans 

»  comme  il  luy  plaist,  et  qu'il  ne  fault  point  murmurer  contre 

»  luy,  mais  recognoistre  que  nous  sommes  ses  créatures,  et 

i)  nous  mettre  entre  ses  mains,  pour  non  seulement  marchan- 

»  derà  Dieu,  mais  afin  qu'il  dispose  de  nous  entièrement.  Et  il 

i)  est  si  bon  et  si  sage,  qu'il  sçaura  mieulx  ordonner  de  nous 

»  que  nous  ne  fairions  nous  mesmes.  —  Je  vous  prieray,  ma- 

»  dame,  pour  la  fin  de  ceste  lettre,  que  l'amitié  que  nous  nous 

ï)  sommes  portée  du  vivant  de  monsieur  de  Soubize  ne  diminue 

))  point;  car,  de  mon  costé,  je  me  délibère  de  vous  faire  pa- 

»  roistre  par  tous  moyens,  et  à  mademoiselle  de  Parthenay,  que 

))  celle  que  j'avoy  à  monsieur  de  Soubize,  je  la  veux  augmenter 

»  et  remettre  en  vous  deux.  Je  vous  présenteray  en  cest  endroit 

y>  mes  biens  humbles  recommandations  à  vostre  bonne  grâce, 

»  priant  Dieu,  madame,  vous  donner  son  sainct  Esprit,  qui  vous 

))  allège  en  vos  afflictionsé  -^  De  Ghastillon,  ce  22  de  sep- 


—  427  — 

y>  tembre.  —  Vostre  obéissante  et  bien  affectionnée  amie  à  ja- 
))  mais,  Charlotte  de  Laval.  » 

La  mort  d'un  souverain  étranger  survenue  peu  de  jours  après 
celle  de  Soubize,  en  septembre  1566,  impressionna  dans  une 
certaine  mesure,  Coligny,  en  mettant  instantanément  obstacle 
à  la  consolidation  de  relations  qu'il  avait  commencé  à  nouer  en 
Orient,  dans  des  vues  et  en  présence  de  circonstances  qu'il  eût 
été  intéressant  de  connaître  autrement  que  par  de  simples  in- 
dices. 

En  1566,  l'amiral  chargea  Téligny  d'une  mission  lointaine, 
sur  le  fond  de  laquelle  rien  de  précis  n'a  jamais  transpiré,  et 
qui  ne  se  produit  à  nous  aujourd'hui  que  sous  son  aspect  pu- 
rement extérieur.  Toutefois,  quelques  données  historiques 
nous  permettent  d'en  pressentir  le  caractère  et  l'objet. 

Antérieurement  à  1566,  diverses  tentatives,  dont  la  corres- 
pondance diplomatique  de  l'époque  contient  quelques  traces, 
avaient  été  faites,  en  vue  de  rapports  à  établir  entre  les  réfor- 
més français  et  la  Porte  Ottomane.  D'après  le  témoignage  de 
l'un  des  ambassadeurs  de  Charles  IX,  l'amiral,  et  l'un  de  ses 
frères,  entretenaient,  en  1564,  à  un  moment  donné,  d'activés 
relations  épistolaires  avec  le  Levant,  ce  Messieurs  l'admirai  et 
))  d'Andelot,  écrivait  de  Boistaillé*  à  de  Pétremol,  sont  partis  de 
y>  la  court.  Je  ne  voy  rien  de  ceste  part  digne  de  vous  estre 
y>  escript  pour  ceste  heure,  sinon  qu'il  vient  à  ces  seigneurs 
»  coup  à  coup  plusieurs  dépêches  du  Levant  extraordinaires, 
d  de  l'occasion  desquelles  je  n'ay  peu  rien  entendre  à  la  vérité  : 
»  mais  de  ce  que  j'en  puis  conjecturer  par  l'extérieur,  ce  ne 
»  peult  estre  que  pour  chose  passée  amyablement  entre  le 
))  Grand  Seigneur  et  eulx,  pour  la  jalousie  qu'ils  ont  ordinaire- 
»  ment  de  ses  armées.  i> 

I.  Dans  le  cours  d'informations  sur  les  affaires  de  France,  que  contenaient 
ses  lettres  des  12,  22  février  et  15  mars  1564.  (V.  négoc.  de  la  France  avec  le 
Levant,  in-i"  t^  III,  p.  751 


—  428  — 

Non  seulement,  en  effet,  à  la  date  de  1564,  la  renommée 
de  l'amiral  de  France  était  parvenue  jusqu'es  dans  les  contrées 
du  Levant,  et  le  Sultan  Selim  II,  le  tenait  en  haute  estime  ; 
mais,  de  plus,  ce  prince,  spécialement  en  1565,  entretint  avec 
lui  des  rapports  amicaux  et  alla  même  jusqu'à  réclamer  ses 
conseils.  Ce  fut  alors,  qu'en  réponse  aux  avances  flatteuses  qui 
lui  étaient  adressées,  l'amiral  envoya,  en  1566,  Téligny  vers 
ce  sultan. 

En  même  temps  que  Téligny,  partirent  pour  Gonstantinople 
quelques  seigneurs  calvinistes.  Son  départ  et  le  leur  coïnci- 
dèrent avec  celui  de  Guillaume  de  Grand-Rye,  dit  Grandchamp, 
envoyé  par  le  roi  de  France  auprès  du  Grand  Seigneur,  et  que 
l'on  considérait  comme  secrètement  huguenot.  «  Vous  eussiez 
»  dit,  raconte  Brantôme  *  ,  qui,  de  son  côté,  se  rendait  à  Malte, 
))  en  compagnie  de  trois  cents  gentilshommes,  que  ceste  année 
»  la  (1566)  estoit  venue  et  destinée  pour  faire  voyager  les 
»  Français.  Les  uns  allarenten  Hongrie...,  les  aultres  allarent 
»  en  l'armée  du  Grand  Seigneur  avec  l'ambassadeur  du  roy, 
y>  Monsieur  de  Grand-Champ  comme  Monsieur  de  la  Fin  La 
»  Nocle  et  plusieurs  autres.  Les  autres  allarent  en  Gonstanti- 
»  nople,  comme  les  seigneurs  de  Ville-Gonin,  de  Théligny,  de 
»  Longua,  de  Genissac,  tous  huguenots.  » 

La  mission  de  Téligny ,  on  n'en  saurait  douter,  avait  son  im- 
portance :  mais  quel  en  était  l'objet?  c'est  ce  que  le  jeune  envoyé, 
fidèle  au  secret  promis,  se  garda  bien  de  révéler,  quelque  pres- 
santes que  fussent,  à  ce  sujet,  les  instances  d'un  infatigable  in- 
terrogateur, se  disant  «  son  grand  ami.  »  Laissons  parler  ici 
ce  dernier,  ce  C'est  un  grand  cas,  dit-il  ^ ,  qu'un  seigneur  simple 
)>  et  non  point  souverain,  mais  pourtant  d'un  très  haut  et  an- 
»  cien  lignage  ayt  faict  trembler  toute  la  chrétienté  et  remplie 


1.  Éd.  L.  Lai.  t.  V,  p. /i05,  406. 

2.  Hrantôme,  ibid.  t.  IV,  p.  307,  308. 


—  429  — 
»  de  son  nom  et  de  sa  renommée,  tellement  qu'alors  de  l'admi- 
»  rai  de  France  en  estoit-il  plus  parlé  que  du  roi  de  France.  Et 
»  si  son  nom  estoitcognu  parmi  les  chrétiens,  il  est  allé  jusques 
»  aux  Turcz;  de  telle  façon,  et  il  n'y  a  rien  si  vray,  que  le 
»  grand  sultan  Soliman,  l'un  des  grands  personnages  et  capi- 
»  taines  qui  régna  despuis  les  Ottomans,  un  an  avant  qu'il 
»  mourut* ,  l'envoya  rechercher  d'amitié  et  accointance,  et  lui 
»  demanda  advis  comme  d'un  oracle  d'Apolo  ;  et,  comme  je 
»  tiens  de  bon  lieu,  ilz  avoient  quelque  intelligence  pour  faire 
»  quelque  haute  entreprise,  que  je  nai/  jamais  peu  tirer  ny 
»  sçavoir  de  Monsieur  de  Téligny,  mon  grand  amy  et  frère  d'al- 
»  liance,  qui  fut  despesché  de  monsieur  l'admirai  et  le  seigneur 
»  de  Ville-Gonin  à  Gonstantinople,  là  où  ilz  ne  le  trouvarent- 
»  point,  car  il  estoit  desjà  party  pour  son  voyage  de  Siguet  où 
y>  il  mourut.  -» 

Téligny  demeura  ainsi  dans  l'impossibilité  de  s'acquitter  de 
la  mission  qui  lui  avait  été  confiée. 

A  la  déception  qui  en  résultait  pour  lui  s'ajouta  bientôt  un 
vif  chagrin.  L'un  de  ses  compagnons  de  voyage,  lié  avec  lui 
d'une  étroite  amitié,  le  sensible  et  infortuné  Ville-Gonin  por- 
tait dans  son  cœur  une  plaie  profonde  ;  il  tomba  gravement 
malade,  à  Gonstantinople  et  y  rendit  le  dernier  soupir  entre  les 
bras  de  Téligny.  Sa  fm  fut  celle  d'un  chrétien.  Un  touchant 
hommage  fut  rendu  à  sa  mémoire  et  à  l'amitié  que  Téligny  lui 
portait,  par  un  contemporain  dont  le  cœur  sympathique  se  ré- 
vèle dans  une  pièce  de  vers  étendue-  à  laquelle  nous  emprun- 
terons seulement  ces  quelques  lignes  : 

«...  0  seigneur  Téligny,  seigneur  plein  de  sagesse, 

\.  Il  mourut  au  siège  de  Szygeth,  dans  la  nuil  du  5  au  6  septembre  1566. 

2.  Complainte  à  Charles  de  Telligny  sur  le  trespas  du  seigneur  Nicolas  de 
Touteville,  seigneur  de  Vllleconnin,  gentilhomme  de  la  chambre  du  roy,  dé- 
cédé en  Constantinople,  au  mois  de  février  dernier  passé  (^1567).  (Bibl.  nat. 
mss.  f.  fr.  vol.  22  561,  f»^  32  et  suiv.) 


—  430  — 

»  De  bonté,  de  vertu  et  de  grande  proësse, 

»  Mais  quel  deuil,  quel  regret  et  quel  grand  desconfort 

»  Te  pouvoit  bien  saisir,  à  l'heure  de  sa  mort, 

»  Quand  entre  tes  deux  bras,  d'une  voix  my-mourante 

ï  II  te  disoit  :  Amy,  amy,  je  me  contente 

»  De  mourir  maintenant  puisqu'il  plaist  au  seigneur 

J>  De  m'appeller  à  luy,  me  faisant  la  faveur 

»  De  mourir  pour  le  moins  en  la  santé  et  la  voye 

>  Où  j'espère  qu'il  fault  que  mon  salut  je  voye. 

» 

»  Et  toy,  mon  Téligny,  ensuyvant  l'amitié 

»  Qu'ensemble  avons  icy,  prendz,  s'il  te  plaist  pitié 

»  De  ce  myen  corps  mourant 

»  Et  en  ce  lieu  forain  donne  à  mes  pauvres  os 
»  Leur  dernier,  attendu,  et  désiré  repos.  » 

La  mission  de  Téligny  à  Constantinople  avait  inquiété  le 
gouvernement  français  :  une  année  environ  s'était  écoulée  de- 
puis qu'elle  avait  été  confiée  au  jeune  négociateur,  lorsqu'un 
jour,  Charles  IX,  profitant  de  la  présence  de  l'amiral  à  la  cour, 
le  fit  entrer  dans  son  cabinet  et  lui  dit*  :  «  Vous  inspirez  des 
))  soupçons  au  roi  d'Espagne  :  déclarez  moi  franchement  s'il 
»  est  vrai  ou  non  que  Téligny  et  Ville-Gonnin  soient  allés  à  Gons- 
»  tantinople  pour  y  nouer  avec  le  Sultan  des  trames  ayant  pour 
y>  but  de  seconder  le  parti  protestant.  Il  n'en  est  rien,  Sire, 
»  répondit  énergiquement  l'amiral  ;  je  proteste  contre  toute  in- 
»  terprétation  défavorable  à  cet  égard  ;  mon  intervention  dans 
y>  cette  affaire  n'a  rien  eu  que  de  légitime.  » 

Le  roi  parut  accepter  cette  réponse  et  garda  le  silence. 

1.  Galend  of  State  pap.  foreign.  6april  1567,  n°  1068.  Sir  Henry  Norristo 
Cecil. 


CHAPITRE  YI 


Exposé  sommaire  des  tentatives  de  colonisation  faites  par  Coligny.  —  YiUegagnon  au 
Brésil.  —  Ribaut  et  Laudonnière,  à  la  Floride.  —  Massacre  des  colons  français  par 
les  Espagnols,  dans  la  Floride.  —  Réparation  demandée  à  l'Espagne.  —  Intervention 
de  Coligny.  —  Dépêches  de  l'ambassadeur  de  France  en  Espagne.  —  Philippe  H 
refuse  toute  réparation.  —  Appui  accordé  par  Coligny  à  une  expédition  maritime 
dirigée  par  le  fils  de  Monluc.  —  Coligny  protège  contre  les  violences  des  Portugais 
les  intérêts  du  commerce  français  sur  la  côte  d'Afrique. 


A  l'insuccès  (ie  la  mission  de  Téligny,  en  1566,  s'ajouta, 
dans  le  cours  de  cette  même  année,  un  autre  insuccès,  d'une 
plus  grande  portée,  celui  de  la  dernière  des  tentatives  de  colo- 
nisation dues  à  l'initiative  et  aux  persévérants  efforts  de  Coligny; 
tentatives  dont  l'exposé  sommaire  doit  trouver  ici  sa  place. 

Et  d'abord,  en  ce  qui  concerne  la  première  des  expéditions 
maritimes  organisées  par  les  soins  de  l'amiral,  dans  une  pensée 
de  colonisation,  nous  avons  déjà  mentionné  la  mission  qu'il 
confia,  en  1555,  à  Villegagnon  \  l'arrivée  de  celui-ci  au  Brésil, 
et  le  départ,  en  1556,  de  la  petite  phalange  d'hommes  dévoués 
qui  alla  le  rejoindre,  sous  la  direction  de  Philippe  de  Gorguil- 
leray,  sieur  du  Pont,  et  dont  Jean  de  Léry  faisait  partie  ^. 

Si  Villegagnon,  au  lieu  de  surprendre  par  son  astuce  la  con- 
fiance de  Coligny,  eût  été  un  homme  droit,  désintéressé,  ca- 
pable de  se  tenir  à  la  hauteur  de  ses  devoirs,  le  succès  eût  pro- 
bablement couronné  son  zèle,  dans  l'accomplissement  d'une 


i.  Voir  notre  t.  I",  p.  145  à  147, 
2.  Voir  notre  t.  I«,  p.  230  à  235. 


—  432  — 

lâche  loyalement  assumée  et  fidèlement  poursuivie;  mais  il 
n'était  qu'un  fourbe,  qu'un  ambitieux  sans  capacité,  qu'un  des- 
pote haineux;  et,  désertant  ses  obligations,  ses  promesses,  il 
sacrifia  à  ses  détestables  passions  les  intérêts  supérieurs  qu'il 
était  chargé  de  sauvegarder  et  les  Français  dont  il  devait,  loin 
de  la  métropole,  protéger  à  tout  prix  l'existence.  Un  stigmate 
particulier  s'attache  à  sa  défection  :  il  la  consomma  précisé- 
ment à  une  époque  où  il  échappait  à  l'autorité  et  au  contrôle 
de  l'amiral,  prisonnier  des  Espagnols,  dans  les  Pays-Bas. 

Rien  de  plus  frappant,  sur  ce  triste  épisode,  que  le  récit  de 
Jean  de  Léry,  auquel  nous  ferons  ici  quelques  emprunts  K 

€  Nous  allâmes,  dit-il,  descendre,  le  9  mars  1557,  en  l'isle 
»  et  fort  appelle  Goligny.  La  première  chose  que  nous  fismes, 
»  après  avoir  mis  pied  à  terre,  fut  de  tous  ensemble  rendre 
»  grâces  à  Dieu.  Gela  fait,  nous  fûmes  trouver  Villegagnon,  le- 
»  quel  nous  attendant  en  une  place  nous  saluasmes  tous  l'un 
»  après  l'autre  :  comme  aussi  lui  de  sa  part  avec  un  visage  ou- 
»  verl,  ce  sembloit,  nous  accollant  et  embrassant,  nous  fit  un 
»  fort  bon  accueil.  Après  cela,  le  sieur  du  Pont,  nostre  conduc- 
»  teur,  avec  Richier  et  Ghartier,  ministres  de  l'évangile,  luy 
»  ayant  brièvement  déclaré  la  cause  principale  qui  nous  avoit 
■»  meus  de  faire  ce  voyage  et  de  passer  la  mer  avec  tant  de  dif- 
»  ficultez  pour  l'aller  trouver,  à  sçavoir,  suyvant  les  lettres 
y>  qu'il  avoit  escrites  à  Genève,  que  c'estoit  pour  dresser  une 
»  église  réformée  selon  la  parole  de  Dieu  en  ce  païs-là,  lui 
y>  leur  répondant  là-dessus  usa  de  ces  propres  paroles  :  — Quant 
»  à  moy,  dit-il,  ayant  voirement  dès  longtemps  et  de  tout  mon 
y>  cœur  désiré  telle  chose,  je  vous  reçois  très  volontiers  à  ces 
))  conditions;  mesmes  parce  que  je  veux  que  nostre  église  ait 
»  renom  d'estre  la  mieux  réformée  pardessus  toutes  les  autres, 

1.  Jean  de  Léry,  histoire  d'un  voyage  fait  en  la  terre  du  Brésil,  4'  édition, 
année  1600,  pages  63,  64,  65,  66,  67,  68,  69,  72,  77,  78.  87,  88,  95,  424,  425, 
471,472,473,474,475. 


—  433  — 

y>  dès  maintenant  j'entends  que  les  vices  soient  réprimez 

y>  Derechef  s'adressant  à  nostre  compagnie,  dit  :  mes  enfants, 
))  car  je  veux  estre  vostre  père,  comme  Jésus-Christ  estant  en 
))  ce  monde  n'a  rien  fait  pour  lui,  ainsi  tout  ce  qu'il  a  faict  a 
))  été  pour  nous,  aussi  ayant  ceste  espérance  que  Dieu  me  pré- 
»  servera  en  vie  jusques  à  ce  que  nous  soyons  fortifiés  en  ce 
■»  païs,  et  que  vous  vous  puissiez  passer  de  moi,  tout  ce  que  je 
))  prétends  faire  ici  est  tant  pour  vous  que  pour  tous  ceux  qui  y 
y>  viendront  à  mesme  fin  que  vous  estes  venus.  Car  je  délibère 
y>  d'y  faire  une  retraite  aux  pauvres  fidèles  qui  seront  persé- 
»  cutez  en  France,  en  Espagne,  et  ailleurs  outre  mer,  afin 
»  que  sans  crainte  ni  du  roy,  ni  de  l'empereur  ou  d'autres 
y>  potentats,  ils  y  puissent  purement  servir  à  Dieu  selon  sa  vo- 
3)  lonté 

»  Après  cela,  Villegagnon  ayant  commandé  que  tous  ses 
»  gens  s'assemblassent  promptement  avec  nous  en  une  petite 
»  salle  qui  estoit  au  milieu  de  l'isle,  le  ministre  Richier  fit  le 
y>  premier  presche,  au  fort  de  Coligny.  Durant  iceluy,  Villega- 
»  gnon,  ne  cessant  de  joindre  les  mains,  de  lever  les  yeux  au 
»  ciel,  de  faire  de  grands  soupirs  et  autres  semblables  conte- 
ï>  nances,  faisoit  esmerveiller  un  chacun  de  nous. 

))  Au  partir  de  là,  on  nous  mena  tous  porter  des  pierres 

»  et  de  la  terre  en  ce  fort  de  Coligny  qu'on  continuoit  de  bastir  : 
»  c'est  le  bon  traitement  que  Yillegagnon  nous  fit  dès  le  beau 
))  premier  jour,  à  nostre  arrivée.  Le  lendemain  et  les  jours  sui- 
»  vans,  il  nous  fit  porter  la  terre  et  les  pierres  en  son  fort  :  voire 
ï)  en  telle  diligence,  qu'avec  nos  incommoditez  et  débilitez,  es- 
»  tant  contraints  de  tenir  coup  à  la  besogne  depuis  le  poinct  du 
y>  jour  jusques  à  la  nuict,  il  sembloit  bien  nous  traiter  un  peu 
»  plus  rudement  que  le  devoir  d'un  bon  père,  tel  qu'il  avoit  dit 
»  à  nostre  arrivée  nou^  vouloir  estre,  ne  portoit  envers  ses 
3  enfans.  Toutefois,  tant  pour  le  grand  désir  que  nous  avions 
y>  que  ce  bastiment  et  retraite  qu'il  disoit  vouloir  faire  aux 

II.  28 


-  434  — 

»  fidèles  en  ce  païs-là  se  parachevast,  que  parce  que  maistre 
»  Pierre  Richier,  nostre  plus  ancien  ministre,  afin  de  nous 
»  encourager  davantage,  disoit  que  nous  avions  trouvé  un  second 
»  saint  Paul  en  Villegagnon,  comme  de  faict  je  n'ouïs  jamais 
))  homme  mieux  parler  de  la  religion  et  réformation  chres- 
»  tienne  qu'il  faisoit  lors,  il  n'y  eut  celui  de  nous  qui,  par  ma- 
»  nière  de  dire,  outre  ses  forces  ne  s'employast  allègrement, 
»  l'espace  d'environ  un  mois  à  faire  ce  mestier,  lequel  néan- 
»  moins  nous  n'avions  pas  accoustumé.  Sur  quoy  je  puis  dire 
»  que  Villegagnon  ne  s'est  peu  justement  plaindre  que,  tant 
»  qu'il  fit  profession  de  l'Évangile  en  ce  païs-là,  il  ne  tirast  de 
y>  nous  tout  le  service  qu'il  voulut.  » 

Des  réunions  pour  l'exercice  du  culte  se  tinrent  régulière- 
ment. Dans  l'une  d'elles,  Villegagnon,  «  tant,  comme  il  disoit, 
.  y>  pour  dédier  son  fort  à  Dieu,  que  pour  faire  confession  de  sa 
»  foy  en  face  de  l'Église,  s'estant  mis  à  genou  sur  un  carreau  de 
»  velours,  lequel  son  page  portoit  ordinairement  après  luy, 
))  prononça  à  haute  voix  deux  oraisons,  »  dans  la  première  des- 
quelles il  fit  entendre  ces  paroles  :  «  plaise  à  toi,  nostre  sei- 
y>  gneur  et  père,  estendre  ta  bénédiction  sur  ce  lieu  de  Coligny 
»  et  païs  de  France  antarctique,  pour  estre  inexpugnable  re- 
»  traicte  à  ceux  qui,  à  bon  escient  et  sans  hypocrisie  y  auront 
»  recours,  pour  se  dédier  avec  "nous  à  l'exaltation  de  ta  gloire, 
y>  et  que,  sans  trouble  des  hérétiques,  te  puissions  invoquer 
»  en  vérité;  fais  aussi  que  ton  Évangile  règne  en  ce  lieu,  y  for- 

y>  tifianttes  serviteurs Qu'il  te  plaise  aussi,  ôDieu  de  toute 

y>  bonté,  estre  protecteur  du  roy,  nostre  souverain  seigneur 
))  selon  la  chair,  de  sa  femme,  de  sa  lignée  et  son  conseil  : 
))  messire  Gaspard  de  Coligny,  sa  femme  et  sa  lignée,  les  con- 
»  servant  en  volonté  de  maintenir  et  favoriser  ceste  tienne 
y>  égUse  :  et  veuille  à  moi,  ton  très  humble  esclave,  donner 
»  prudence  de  me  conduire,  de  sorte  que  je  ne  fourvoyé  point 
;o  du  droit  chemin  et  que  je  puisse  résister  à  tous  les    em- 


-  435  — 
»  peschemens  que  Satan  me  pourroit  faire,  sans  ton  aide. 

y> Cependant,  pour  le  faire  court,  vérifiant  bientôt  après 

»  ce  qu'a  dit  un  ancien,  assavoir  :  qu'il  est  malaisé  de  con- 
»  trefaire  longtemps  le  vertueux,  tout  ainsi  qu'on  apercevoit 
))  aisément  qu'il  n'y  avoit  qu'ostentation  dans  le  faict  de  Ville- 
»  gagnon,  et  que,  quoique  luy  et  Cointat^  eussent  abjuré  publi- 
»  quement  la  papauté,  ils  avoient  néanmoins  plus  d'envie  de 
))  débattre  et  contester  que  d'apprendre  et  profiter,  aussi  ne 
»  tardèrent  pas  beaucoup  à  esmouvoir  des  disputes  touchant  la 
y>  doctrine,  mais  principalement  sur  le  poinct  de  la  cène.  Toutefois 
»  Villegagnon  faisant  toujours  bonne  mine  et  protestant  ne  de- 
y>  sirer  rien  plus  que  d'estre  droitement  enseigné,  renvoya  en 
5  France  Ghartier,  ministre,  afin  que  sur  ce  diflérend  de  la 
»  cène  il  rapportast  les  opinions  de  nos  docteurs,  et  nommé- 
»  ment  celle  de  maistre  Jean  Calvin,  à  l'advis  duquel  il  disoit  se 
»  vouloir  du  tout  submettre:  »  Peu  de  temps  après,  «  Villega- 
«  gnon,  déclarant  tout  ouvertement  qu'il  avoit  changé  l'opinion 
»  qu'il  disait  autrefois  avoir  eue  de  Calvin,  sans*  attendre  sa 
»  réponse  qu'il  avoit  envoyé  quérir  par  le  ministre  Chartier,  dit 
y>  que  c'estoit  un  raeschant  hérétique  desvoyé  de  la  foi  :  et,  de 
»  fait,  dès  lors  nous  montra  fort  mauvais  visage. 

»  La  dissimulation  de  Villegagnon  nous  fut  si  bien  descou- 
y>  verte,  qu'ainsi  qu'on  dit  communément,  nous  cognusmes 
»  lors  de  quel  bois  il  se  chauffoit.  Que  si  on  demande  mainte- 
y>  nant  quelle  fut  l'occasion  de  ceste  révolte  :  quelques-uns  des 
»  nostres  tenoient  que  le  cardinal  de  Lorraine  et  autres  qui  luy 
»  avaient  escrit  de  France,  l'ayant  reprins  fort  asprement  par 
»  leurs  lettres  de  ce  qu'il  avoit  quitté  la  religion  catholique  ro- 
»  maine,  de  crainte  qu'il  en  eust,  il  changea  soudain  d'opinion. 


1.  «  Uq  nommé  ieaa  Coiatat,  estudùint  de  Sorbonne,  aspirant  secrètement  à 
»  je  ne  say  quelle  dignité  épjscopale  fantastique.  »  (Th.  de  Bèze,  Hist.  ceci., 
t.J,p.  160). 


—  436  — 

))  Toustefois,  j'ai  entendu  depuis  mon  retour,  que  Villegagnon, 
y>  devant  mesme  qu'il  partit  de  France,  pour  tant  mieux  se 
y>  servir  du  nom  et  autorité  de  M.  l'admirai  de  Chastillon,  et 
»  aussi  pour  abuser  plus  facilement,  tant  l'église  de  Genève,^ 
»  en  général,  que  Calvin  en  particulier,  avoit  prins  avis  avec 
y>  ledit  cardinal  de  Lorraine  de  se  contrefaire  de  la  religion.  Mais 
))  quoi  qu'il  en  soit,  je  puis  asseurer  que,  lors  de  sa  révolte, 
»  comme  s'il  eûst  eu  un  bourreau  en  sa  conscience,  il  devint  si 
))  chagrin  que,  jurant  à  tout  propos,  le  corps  Sainct- Jacques, 
))  qui  estoit  son  serment  ordinaire,  qu'il  romproist  la  teste,  les 
y>  bras  et  les  jambes  au  premier  qui  le  fascheroit,nulnes'osoit 
))  plus  trouver  devant  lui.  » 

On  peut,  d'après  cela,  se  faire  une  idée  du  sort  réservé  aux 
pauvres  colons.  Ils  furent  victimes  de  mauvais  traitements  et 
d'actes  de  cruauté  qui  leur  rendirent  le  joug  de  Villegagnon 
insupportable.  Ainsi  frappée  au  cœur  dès  son  origine,  la  colonie 
ne  fit  que  languir  jusqu'au  jour  où  Villegagnon  l'ayant  lâche- 
ment désertée,  les  Portugais  consommèrent  sa  ruine. 

Le  récit  de  Jean  de  Léry,  que  nous  ne  pouvons  reproduire 
dans  toute  son  étendue,  est  formel  sur  ces  divers  points.  Bor- 
nons-nous aux  citations  suivantes  : 

«  H  advint  que  Villegagnon,  détestant  de  plus  en  plus  et 
»  nous  et  la  doctrine  laquelle  nous  suivions,  disant  qu'il  ne 
))  nous  voulait  plus  souffrir  ni  endurer  en  son  fort  ni  en  son 
))  isle,  commanda  que  nous  en  sortissions.  Vray  est  que  nous 
y>  avions  bien  moyen  de  l'en  chasser  lui-mesme  si  nous  eussions 
y>  voulu  :  mais,  tant  afin  de  lui  oster  toute  occasion  de  se 
y>  plaindre  de  nous,  que  parce  que  la  France  et  autres  pais 
))  estant  abreuvez  que  nous  estions  allez  pardelà  pour  y  vivre 
))  selon  la  réformation  de  l'évangile,  craignans  de  mettre  quel- 
y>  que  tache  sur  iceluy,  nous  aimasmes  mieux,  en  obtem- 
»  pérant  à  Villegagnon  et  sans  contester  davantage,  lui  quitter 
y>  la  place Il  nous  avoit  brassé  la  trahison  que  vous  orrez  : 


—  437  — 

»  c'est  qu'ayant  donné  au  maistre  du  navire  ^  un  petit  coffret 
»  enveloppé  de  toile  cirée,  à  la  façon  de  la  mer,  plein  de  lettres 
»  qu'il  envoyait  pardeçà  à  plusieurs  personnes,  il  y  avoit  aussi 
y>  mis  un  procès  qu'il  avoit  fait  et  formé  contre  nous  et  à 
»  nostre  insçu,  avec  mandement  exprès  au  premier  juge  auquel 
»  on  le  bailleroit  en  France,  qu'en  vertu  d'icelui  il  nous  retinst 
))  et  fist  brusler comme  hérétiques  qu'il  disoit  que  nous  estions, 
»  tellemement  qu'en  récompense  des  services  que  nous  lui 
»  avions  faits,  il  avoit  comme  scellé  et  cacheté  nostre  congé 
»  de  cette  desloyauté.  » 

Jean  de  Léry,  après  avoir  parlé  de  son  arrivée  et  de  celle  de 
ses  compagnons  en  Bretagne,  ajoute  :  «  Advint  que  le  s'  du 
»  Pont,  nostre  conducteur,  ayant  eu  congnoissance  à  quelques 
»  gens  de  justice  de  ce  pays-là,  lesquels  avoient  sentiment  de 
»  la  religion  dont  nous  faisions  profession,  le  coffret  couvert 
))  de  toile  cirée  dans  lequel  estoit  le  procès  et  forces  lettres 
»  adressantes  à  plusieurs  personnages  leur  estant  baillé, 
»  après  qu'ils  eurent  veu  ce  qui  leur  estoit  mandé,  tant  s'en 
))  fallut  qu'ils  nous  traitassent  de  la  façon  que  Villegagnon  de- 
»  siroit,  qu'au  contraire,  oultre  qu'ils  nous  firent  la  meilleure 
))  chère  qui  leur  fut  possible,  encore  offrant  leurs  moyens 
»  à  ceux  de  notre  compagnie  qui  en  avoient  afaire,  ils  prestè- 
»  rent  argent  au  s""  du  Pont  et  à  quelques  autres.  Voilà  comme 
»  Dieu,  qui  surprend  les  fins  en  leurs  cautelles,  non  seulement 
»  par  le  moyen  de  ces  bons  personnages,  nous  délivra  du  dan- 
)■>  ger  où  le  révolté  de  Villegagnon  nous  avoit  mis,  mais,  qui  plus 
))  est,  la  trahison  qu'il  nous  avoit  brassée  estant  descouverte,  le 
))  tout  retourna  à  nostre  soulagement  et  à  sa  confusion.  » 

Des  seize  personnes  qui  avaient  quitté  le  Brésil,  cinq, 
redoutant  les  dangers  d'un  voyage  entrepris  avec  un  navire 
en  mauvais  état   et   atteint  d'une  voie  d'eau  dès  qu'il  eut 

I.  Il  s'agit  <lu  navire  qui  allait  recevoir  à  son  bord.  J.  de  Léry  et  autres. 


—  438  — 

appareillé,  retournèrent,  dans  une  chaloupe,  au  fort  de  Goli- 
gny.  «  Là,  Villegagnon,  à  cause  de  l'Evangile,  fit  noyer  trois  de 
y>  ces  personnes,  assavoir  P.  Bourdon,  J.  du  Bordel  et  M.  Ver- 

»  neuil je  dirai  encore  ce  mot,  que  Villegagnon  ayant  esté 

D  le  premier  qui  a  respandu  le  sang  des  enfans  de  Dieu  en  ce 
»  pays  nouvellement  congneu,  à  bon  droit,  à  cause  de  ce  cruel 

»  acte,  quelqu'un  l'a  nommé  le  Gain  de  l'Amérique Ville- 

»  gagnon  abandonna  le  fort  de  Coligny  qui  a  esté  depuis  par 
))  sa  faute  prins  des  Portugais  avec  l'artillerie  marquée  au 
»  coing  de  France,  outre  le  carnage  qu'ils  firent  des  poures 
3)  François  qu'il  y  laissa.  » 

(( Afin  de   mieux  faire  entendre  que  Villegagnon  fut 

y>  seul  cause  que  les  François  n'ont  point  anticipé  et  ne  sont 
))  demeurez  en  ce  païs-là  (le  Brésil),  je  ne  veulx  oublier  à  dire 
y>  qu'un  nommé  Faribau,  de  Rouen,  qui  estoit  capitaine  en  ce 
))  vaisseau  \  ayant  à  la  requeste  de  plusieurs  notables  person- 
3>  nages  faisans  profession  de  la  religion  réformée,  au  royaume 
»  de  France,  fait  expressément  ce  voyage  pour  explorer  la  terre 
»  et  choisir  promptement  lieu  pour  habiter,  nous  dit  que, 
D  n'eust  esté  la  révolte  de  Villegagnon,  on  avoit,  dès  la  mesme 
y>  année  (1557)  délibéré  de  passer  sept  ou  huit  cents  personnes 
,))  dans  de  grandes  hourques  de  Flandre,  pour  commencer  à 
»  peupler  l'endroict  où  nous  estions.  Gomme,  de  faict,  je  crois 
))  fermement,  si  cela  ne  fûst  intervenu,  et  que  Villegagnon  eust 
»  tenu  bon,  qu'il  y  auroit  à  présent  plus  de  dix  mille  P'rançois, 
»  lesquels,  outre  la  bonne  garde  qu'ils  eussent  fait  de  nostre 
»  isle  et  de  nostre  fort  contre  les  Portugais,  qui  ne  l'eussent 
»  jamais  sçeu  prendre,  comme  ils  ont  fait  depuis  nostre  retour, 
y)  posséderaient  maintenant,  sous  l'obéissance  du  roy,  un  grand 
»  pays  en  la  terre  du  Brésil,  lequel  à  bon  droict,  en  ce  cas  on 
))  eust  peu  continuer  d'appeler  France  Antarctique. 

i .  Celui  qui  ramena  en  France  Jean  de  Léry  et  ses  compagnons. 


i 


—  439  — 

»  Villagagnon,  de  retour  en  France,  fit  du  pis  qu'il  put,  et  de 
»  bouche  et  par  escrit  contre  ceux  de  la  religion  évangélique, 
»  dont  il  ne  remporta  que  deshonneur  et  réputation  de  fol  \  )>  Il 
se  déshonora  encore  par  sa  servilité  vis-à-vis  de  TEspagne  et 
surtout  par  son  ingratitude  envers  Coligny,  dont  il  devint 
l'ennemi  et  le  vil  détracteur  ^. 

L'amiral,  ainsi  que  nous  l'avons  déjà  dit  ^,  ne  s'était  pas  laissé 
décourager  par  l'insuccès  de  sa  tentative  de  colonisation,  au 
Brésil.  Indignement  trompé  par  Villegagnon,  il  ne  désespérait 
pas  cependant  de  rencontrer  des  hommes  d'honneur  et  de 
capacité  qui,  à  la  différence  d'un  tel  devancier,  répondraient  à  la 
confiance  dont  ils  seraient  investis,  pour  la  conduite  d'une  nou- 
velle entreprise.  Il  poursuivit  donc  son  projet  de  doter  la 
France  d'une  possession  transatlantique,  et  d'y  assurer,  le  cas 
échéant,  un.  refuge  à  ses  coreligionnaires. 

Ses  vues  s'arrêtèrent  sur  une  vaste  et  belle  contrée  de 
l'Amérique  du  nord,  la  Floride,  ravagée  naguère  par  des  agres- 
seurs européens  qui  loin  de  réussir  à  en  faire  la  conquête, 
avaient  été  châtiés  de  leur  cruauté,  par  une  juste  expulsion.  Là 
où  les  Espagnols,  ces  prétendus  maîtres  du  nouveau  monde, 
que  Coligny  détestait,  au  double  titre  d'ennemis  de  sa  religion 
et  d'ennemis  de  sa  patrie,  avaient  en  vain  tenté  d'asservir  les 
indigènes  à  un  joug  odieux,  il  voulut  asseoir  la  domination  de  la 
France  * ,  par  les  seules  voies  qu'autorisaient  à  la  fois  une 
religion  de  paix  et  une  tendance  franchement  civilisatrice.  Il  se 

1.  Voir,  sur  Villegagnon,  lo  Th.  de  Bèze.  Hist.  eccL,  t.  I,  p.  158  à  161  ;  — 
2°  d'Aubigné,  hist.  univ.,  t.  1,  liv.  1,  ch.  xvi,  et  liv.  II,  ch.  vm.  —  3°  R.  de 
Laplanche,  hist.  de  France  sous  François  II,  éd.  de  1576,  p.  229,  230;  — 4°  de 
Thou,  hist.  univ.,  t.  II,  p.  381  à  384;  —  5»  Bayle,  dict.  hist.  V.  Villegagnon, 
et  V-  Richer. 

2.  V.  Appendice,  n»  29. 

3.  Voir,  ci-dessus,  liv.  m,  chap.  i. 

i.  «  Je  diviseray  la  terre  d'.\mérique  en  trois  principales  parties  :  celle  qui 
»  est  vers  le  pôle  arctique  ou  septentrion  est  nommée  la  nouvelle  France,  pour 
»  autant  que,  l'an  1524,  Jean  Verrazano,  Florentin,  fut  envoyé  par  le  roy 
»  François  P'  et  par  madame  la  régente,  sa  mère,  aux  terres  neuves,  ausquelles 


montrait  en  cela  fidèle  à  une  politique  dont  il  avait  été  l'ini- 
tiateur en  1555,  et  qu'il  suivit  invariablement  jusqu'au  terme  de 
sa  noble  carrière  ;  politique  éminemment  sage,  éminemment 
patriotique,  qui  consistait  à  tenir  haut  élevé  le  drapeau  de  la 
France,  en  regard  de  celui  de  l'Espagne,  à  lutter  dans  le  nou- 
veau monde,,  comme  dans  l'ancien,  contre  les  envahissements 
de  cette  puissance  néfaste,  et  à  saper  par  sa  base  la  prépondé- 
rance qu'elle  s'arrogeait,  au  détriment  des  droits  et  des  intérêts 
de  la  nation  française. 

Ayant  longuement  mûri  son  plan,  Goligny  le  mit  à  exécution 
en  1562.  Le  capitaine. Jean  Ribaut,  dont  il  avait  fait  choix  pour 
diriger  la  nouvelle  expédition  maritime,  partit  du  Havre,  à  des- 
tination de  la  Floride,  en  compagnie  d'un  homme  également 
estimé  de  l'amiral,  le  capitaine  Laudonnière,  auteur  d'une 
histoire  de  la  Floride  \  dont  les  premières  lignes  portent  "^  : 

»  il  prit  terre  et  descouvrit  toute  la  coste  qui  est  depuis  le  tropique  du  cancer, 
»  à  sçavoir  depuis  le  28"  degré  jusques  au  50®  et  encore  plus  devers  le  north.  11 
»  planta  en  ce  pais  les  enseignes  et  armoiries  du  roy  de  France  ;  de  sorte  que 
>  les  Espagnols  mesmes  qui  y  furent  depuis  ont  nommé  ce  pais  terre  fran- 
»  cesque.  Elle  s'étend  doncques  en  latitude  depuis  le  25'^  degré  jusques  au  54* 
»  vers  le  septentrion,  et  en  longitude,  depuis  le  210°  jnsques  au  330e...  Sa  partie 
»  méridionale  se  nomme  La  Floride,  à  raison  qu'elle  fut  descouverte  le  jour  de 

»  pasques  flories La  nouvelle  France  est  presque  aussi  grande  que  toute 

»  notre  Europe.  La  partie  toutesfois  d'icelle  la  plus  moyenne  et  habituée  est  la 
»  Floride,  en  laquelle  plusieurs  françois  ont  fait  plusieurs  voyages  à  diverses 
»  fois,  tellement  qu'elle  est  maintenant  la  région  plus  recognue  qui  soit  en  toute 
»  ceste  partie  de  la  nouvelle  France.  Le  cap  d'icelle  est  comme  un  long  bout 
»  de  terre  estendu  en  mer  de  cent  lieues,  et  lire  droit  vers  le  midy.  Elle  a  vis 
ï  à  vis,  à  25  lieues,  l'isle  de  Cuba,  autrement  appellée  Isabelle;  vers  le  levant 
»  les  isles  de  Bahama  et  Lucaye,  et  vers  l'occident  le  golphe  de  Mexico.  »  Cette 
description  date  du  xvi»  siècle.  Elle  est  tirée  de  l'ouvrage  de  Laudonnière 
(pages  2  à  5)  dont  le  titre  sera  ci-après  reproduit  dans  toute  son  étendue. 

1.  Histoire  notable  de  la  Floride,  située  es  Indes  occidentales,  contenant  les 
trois  voyages  faits  en  icelle  par  certains  capitaines  et  pilotes  françois,  descrits 
par  le  capitaine  Laudonnière,  qui  y  a  commandé  l'espace  d'un  ou  trois  moys 
à  laquelle  a  esté  àdjousté  un  quatriesme  voyage  fait  par  le  capitaine  Gourgues, 
mise  en  lumière  par  M.  Basanier,  gentilhomme  françois,  mathématicien. 
Paris,  1853, in-12. 

2.  Hist.  not.  de  la  Floride,  p.  15,  16,  17. 


—  4il  — 

((  L'admirai  de  Ghastillon,  seigneur  plus  désireux  du  bien 
»  public  que  de  son  propre,  ayant  cogneu  la  volonté  du  roy  son 
))  prince,  qui  estoit  de  faire  recognoistre  les  terres  neuves,  fit 
»  en  toute  diligence  équipper  des  vaisseaux  propres  pour  ce 
^  faict,  et  lever  gens  dignes  de  telle  entreprise,  entre  lesquels, 
»  il  esleut  le  capitaine  Jean  Ribaut,  homme  véritablement 
»  expérimenté  au  faîct  de  la  marine,  lequel  ayant  reçeu  son 
))  commandement,  se  mit  en  mer,  l'an  i562,  le  18"  jour  de 
»  février,  accompagné  seulement  de  deux  roberges  du  roy, 
y>  mais  si  bien  fournies  de  gentilshommes,  du  nombre  desquels 
y>  j'estois,  et  de  vieux  soldats,  qu'il  avoit  moyen  de  faire  quelque 
»  chose  mémorable  et  remarquable  à  jamais.  —  Ayant  doncques 
y>  navigué  deux  moys  sans  aucunement  tenir  la  route  accous- 
y>  tumé  des  Espagnols,  il  prist  port  en  la  nouvelle  France,  ter- 
»  rissant  après  un  cap,  lequel  il  appella  Cap  français,  en 
»  l'honneur  de  nostre  France.  De  ce  lieu  côtoyant  vers  le  sep- 
»  tentrion,  il  descouvrit  une  fort  belle  et  grande  rivière  dans 
y>  laquelle  il  fit  planter,  non  fort  loin  de  l'embouchure  d'icelle, 
»  une  colonne  de  pierre  de  taille,  sur  un  petit  costeau  de  terre 
»  sablonneuse,  en  laquelle  les  armoiries  de  France  estoient 
y>  empreintes  et  gravées.  Ce  fait,  il  s'embarqua  derechef,  afin 
»  de  tousjours  poursuivre  la  recognoissance  qu'il  vouloit  faire 
»  de  la  coste  septentrionale.  Après  avoir  navigué  quelque  temps, 
D  il  prist  terre  en  l'autre  costé  de  la  rivière,  et  lors  commanda, 
»  en  la  présence  de  quelques  Indiens  qui  l'attendaient  exprès, 
»  de  faire  les  prières  pour  remercier  le  Seigneur  de  ce  que 
»  sans  péril  ou  danger  aucun  il  avoit  conduit  par  sa  grâce  le 
y>  peuple  François  jusques  à  ces  lieux  estranges.  » 

Dans  le  cours  de  ses  explorations,  que  rien  ne  troubla, 
Ribaut  se  rendit  compte  de  l'état  de  la  contrée  et  des  ressources 
qu'elle  offrait;  il  établit,  çà  et  là  des  pierres  portant  les  armes 
de  France,  et  donna  à  diverses  rivières  qu'il  rencontra  les 
noms  de  Mai,  de  Somme,  de  Loire,  de  Charente,  de  Garonne, 


—  442  — 

de  Gironde^  de  Belle,  de  Basse,  de  Grande,  de  Libourne,  de 
Port-Boyal,  de  Chenonceau.  N'ayant  trouvé  partout  que  des 
dispositions  pacifiques  chez  les  indigènes,  il  se  décida  à  laisser 
parmi  eux,  sur  un  point  déterminé,  une  petite  troupe  qu'il 
installa  dans  un  fort  rapidement  construit  par  son  ordre  et 
nommé  Charlesfort,  dont  il  confia  le  commandement  au  capi- 
taine Albert,  en  lui  disant  *  :  «  J'ay  à  vous'prier,  en  la  présence 
»  de  tous,  que  vous  ayez  à  vous  acquitter  si  sagement  de  vostre 
))  devoir,  et  si  modestement  gouverner  la  petite  troupe  que  je 
y>  vous  laisse,  laquelle  de  si  grande  gayeté  demeure  soubz  vostre 
y>  obéissance,  que  jamais  je  n'aye  occasion  que  de  vous  louer, 
»  et  ne  taire,  comme  j'en  ay  bonne  envie,  devant  le  roy,  le 
«  fidèle  service,  qu'en  la  présence  de  nous  tous,  lui  promettez 
»  faire  en  sa  nouvelle  France.  » 

Ribaut  fut  confirmé  dans  la  pensée  qu'il  avait  alors  conçue, 
de  revenir  en  France,  afin  d'y  travailler  à  l'affermissement  de  la 
colonie  naissante,  par  cette  considération  sur  laquelle  on 
insista  auprès  de  lui  '^,  savoir  :  «  qu'il  avoit  occasion  de  se  con- 
»  tenter,  veu  qu'il  ne  pouvait  faire  davantage;  qu'il  avoit 
y)  recogneu  en  six  sepmaines  plus  que  les  Espagnols  n'avaient 
»  fait  en  deux  ans  es  conquestes  de  leur  Nouvelle-Espagne,  et 
))  que  ce  seroit  un  grandissime  service  qu'il  feroit  au  roy,  s'il 
»  luy  portoit  nouvelles,  en  si  peu  de  temps,  de  son  heureuse 
»  découverte.  »  L'absence  conseillée  serait  d'ailleurs  d'une 
courte  durée.  Après  s'être  assuré  que  la  métropole  lui  fourni- 
rait de  nouvelles  ressources  en  faveur  de  la  Floride,  il  retour- 
nerait dans  cette  contrée,  où  il  agirait  désormais  avec  d'autant 
plus  d'efficacité,  que  son  entreprise  se  serait  concihé,  en  France, 
de  nouvelles  sympathies  et  un  plus  large  concours.  Ribaut 
partit  donc  avec  Laudonnière  et  le  reste  de  ses  gens,  et  aborda 
à  Dieppe,  le  20  juillet  1562. 

4.  Hist.  not.  de  la  Floride,  p.  38. 
2.  Hist.  nol.  de  la  Floride,  \\.  40. 


-«  443  ^ 

La  guerre  civile,  à  laquelle  la  France  était  alors  en  proie, 
réduisait  Goligny  à  l'impossibilité  de  s'occuper  de  la  Floride. 

Sans  nouvelles  de  la  mère-patrie,  fatiguée  d'un  long  isole- 
ment, mécontente  de  son  chef,  la  petite  garnison  de  Charles- 
fort  se  révolta,  tua  le  capitaine  Albert,  voulut  se  rendre  en 
France,  prit  la  mer  sur  une  chétive  embarcation,  et,  au  terme 
d'une  navigation  désastreuse,  fut  recueillie  par  des  marins 
anglais  qui  la  conduisirent  dans  l'un  des  ports  de  leur  nation. 

Ribaut,  à  son  retour  en  France,  avait  combattu  dans  les 
rangs  des  réformés.  Réfugié  en  Angleterre,  lors  de  la  paix 
d'Amboise,  il  publia  un  opuscule  qui  retraçait  son  exploration 
de  la  Floride,  et  mit  par  là,  à  son  insu,  la  reine  et  les  hommes 
d'État  d'Angleterre  sur  la  voie  de  tentatives  à  faire  ultérieure- 
ment pour  s'emparer  de  cette  contrée. 

Dès  qu'en  1564,  il  fut  libre  d'agir,  Coligny,  persévérant  dans 
ses  efforts  de  colonisation,  »  pressa  tellement  le  roi  d'envoyer 
s>  une  seconde  flotte  à  la  Floride,  qu'il  l'obtint  K  y>  Sur  sa  dési- 
gnation, le  commandement  en  fut  donné  à  Laudonnière  ^  et 
non  point  à  Ribaut,  qui  ne  voulait  ou  ne  pouvait  encore  quitter 
l'Angleterre. 

«  Depuis  la  paix  faicte  en  France,  dit  Laudonnière  ^,  l'ad- 
»  mirai  de  Chastillon  remonstraau  roi  comme  l'on  n'avoit  nou- 
»  velle  aucune  des  gens  que  le  capitaine  Jean  Ribaut  avoit  laissez 
»  en  la  Floride  et  que  ce  seroit  grand  dommage  de  les  laisser 
»  perdre,  à  cause  de  quoy  le  roy  luy  accorda  de  faire  équipper 
»  trois  vaisseaux,  l'un  de  six-vingts  tonneaux,  l'autre  de  cent, 
»  et  le  troisième  de  soixante,  pour  les  aller  chercher  et  secou- 
»  rir.  Ledit  admirai  doncques  bien  informé  du  fidèle  service 
»  que  j'ay  faict,  tant  à  Sa  Majesté  qu'à  ses  prédécesseurs  roys 
»  de  France,  fit  entendre  au  roy  le  moyen  que  j'avois  de  luy 

1.  De  Thou,  hist.  umv.,  t.  IV,  p.  113. 

2.  Voir  ci-dessus,  livre  IV,  chap,  in. 

3.  Hist.  not.  de  la  Floride,  p.  61,  62. 


—  444  — 

»  faire  service  en  ce  voyage,  qui  fut  cause  qu'il  m'establit  chef 
»  de  ces  trois  vaisseaux,  et  me  commanda  de  partir  en  dili- 
»  gence,  pour  exécuter  son  commandement;  à  quoy  ne  voulant 
»  contrevenir,  ains  me  sentant  heureux  d'estre  esleu  entre  une 
y>  infinité  d'autres,  lesquels,  à  mon  jugement,  se  fussent  assez 
y>  bien  acquittés  de  ceste  charge,  je  m'embarquay  au  Havre  de 
»  Grâce,  le  2T  d'avril  1564.  » 

Ayant  atteint  la  Floride,  Laudorinière  explora  de  nouveau  le 
pays,  et  inaugura,  en  chef  chrétien,  la  construction  d'un  fort, 
qu'il  nomma  la  Caroline.  «  Là,  rapporte-t-il\  nous  chan- 
))  tasmes  louanges  au  seigneur,  le  suppliant  vouloir  par  sa 
))  saincte  grâce  continuer  son  accoustumée  bonté  envers  nous, 
y>  ses  pauvres  serviteurs,  et  désormais  nous  ayder  en  toutes  nos 
))  entreprises,  si  que  le  tout  retournast  à  sa  gloire  et  à  l'avan- 
»  cément  de  nosti'e  foy.  Les  prières  faites,  chacun  commença 
y>  de  prendre  courage.  » 

Calmes  et  faciles,  au  début,  les  relations  de  Laudonnière 
avec  les  indigènes  changèrent  peu  à  peu  de  caractère,  et  lui 
créèrent  des  difficultés  dont  une  partie  provint  de  l'inimitié  de 
diverses  tribus,  les  unes  à  l'égard  des  autres.  Il  y  eut  plus  ;  l'indis- 
cipline et  la  cupidité  de  plusieurs  des  hommes  placés  sous  son 
commandement  aggravèrent  sa  situation.  Une  conjuration  se 
forma  contre  lui;  ses  jours  furent  menacés;  les  révoltés  l'em- 
prisonnèrent, et,  dans  l'enivrement  d'une  criminelle  indépen- 
dance, parcoururent  la  mer  des  Antilles,  en  s'y  livrant  à  des 
actes  de  piraterie  que  les  Espagnols  leur  firent  bientôt  expier. 

Délivré  par  l'énergie  de  ceux  de  ses  hommes  qui  lui  étaient 
demeurés  fidèles,  Laudonnière  reprit  son  commandement  et 
renoua  des  relations  amicales  avec  les  indigènes.  Mais  le  jour 
vint  où  les  ressources  alimentaires  qu'on  avait  originairement 
tirées  de  ceux-ci  s'épuisèrent,  où  leur  bon  vouloir  se  refroidit. 

1 .  Hist.  not.  de  la  Floride,  p.  83. 


—  445  — 

et  où  les  colons  français  ayant  négligé  la  culture  de  la  terre, 
pour  ne  se  livrer  qu'à  la  recherche  des  métaux  précieux, 
éprouvèrent  les  horreurs  de  la  famine. 

Sous  la  pression  de  ce  désastre,  Laudonnière  se  décida  à 
quitter,  avec  les  siens,  le  sol  de  la  Floride.  «  lln'yavoit,  raconte- 
»  t-iP  ,  celuy  de  nous  quin'eust  un  extresme  regret  d'abandon- 
»  ner  un  païs  auquel  nous  avions  enduré  tant  de  travaux 
■»  et  nécessitez  pour  descouvrir  ce  que,  par  la  propre  faute  des 
»  nostres,  il  falloit  laisser...  je  laisse  à  penser  combien  il  nous 
»  touchoit  au  cœur  de  nous  esloigner  d'un  lieu  abondant  en 
»  richesses,  comme  bien  nous  en  estions  advertis,  pour  auquel 
y>  parvenir  et  faire  service  à  nostre  prince,  nous  avions  laissé 
»  nostre  propre  païs,  femmes,  enfans,  parens,  et  amys,  et 
y>  avions  passé  pardessus  les  périls  de  la  mer,  et  estions  là 
»  arrivez  comme  en  un  comble  de  tout  souhait.  » 

Tout-à-coup  apparurent,  non  loin  de  la  côte,  quatre  navires 
Anglais.  Jean  Hawkins,  qui  les  commandait,  offrit  à  Laudon- 
nière des  vivres  et  provisions  de  diverses  espèces,  qu'il  accepta 
mais  non  sans  se  défier  de  la  présence  de  Hawkins  dans  ces 
parages;  d'autant  plus  que  celui-ci  lui  proposa  de  le  ramener 
en  France.  Laudonnière  refusa  nettement  la  proposition.  «  Je 
y>  craignois,  dit-iP  ,  en  parlant  de  Hawkins,  qu'ils  ne  voulust 
y)  attenter  quelque  chose  en  la  Floride,  au  nom  de  sa  mais- 
»  tresse...  »,  ailleurs  il  mentionne^  a:  Sa  peur  que  la  royne 
y>  d'Angleterre  ne  s'encourageast  davantage  prendre  pied  en 
y>  icelle  Floride.  » 

Hawkins  ayant  promptement  quitté  Laudonnière,  celui-ci 
hâtait  les  préparatifs  de  son  propre  départ,  lorsqu'une  circon- 
stance inopinée  les  lui  fit  brusquement  interrompre.  Ribaut 
arrivait,  à  la  tête  d'une  Hotte  composée  de  sept  navires,  pour 

i.  Hist.  iiot.  de  la  Floride,  p.  169; 
i.  Hist.  not.  de  la  Floride,  p.  173. 
3.  Hist.  not.  de  la  Floride,  p.  175. 


—  416  — 

reprendre  la  direction  des  opérations  dans  la  Floride,  à  la  place 
de  Laudonnière,  rappelé  en  France,  par  suite  de  faux  rapports 
an  moyen  desquels  on  l'avait  desservi  dans  l'esprit  de  l'amiral. 

Ce  dernier,  du  reste,  ne  notifiait  à  Laudonnière  son  rappel 
qu'avec  les  plus  grands  ménagements,  de  manière  k  lui  faire 
sentir  qu'il  lui  procurait  par  là  le  moyen  de  se  justifier  complè- 
tement. ((  Capitaine,  lui  écrivait-il  * ,  par  ce  qu'aucuns  de  ceux 
»  qui  sont  revenuz  de  la  Floride  parlent  indifféremment  de  la 
y>  terre,  le  roy  désire  vostre  venue,  afin  que,  selon  vostre  efîect, 
»  il  se  résoude  d'y  faire  une  grande  despense,  ou  du  tout  la  lais- 
3)  ser  :  et  pour  ce,  j'envoye  le  capitaine  Jean  Ribaut  pour  y 
»  commander,  auquel  vous  délivrerez  tout  ce  qu'avez  en  charge, 
))  et  l'instruirez  de  tout  ce  que  pourrez  avoir  descouvert.  Ne  pensez 
y>  point  que  ce  que  je  vous  envoyé  quérir  soit  pour  malconten- 
»  tement  et  méfiance  que  j'aye  de  vous,  mais  c'est  pour  vostre 
»  bien  et  konneur,  et  vous  assure  que,  toute  ma  vie,  vous  au 
))  rez  un  bon  maistre  en  moi.  » 

Laudonnière  démontra  aisément  à  Ribaut  la  fausseté  des  ac- 
cusations contenues  dans  les  rapports  dont  il  vient  d'être  parlé, 
refusa  l'offre  que  lui  fit  Ribaut  de  partager  avec  lui  le  com- 
mandement de  la  Floride,  et  annonça  qu'il  était  déterminé  à 
retourner  en  France. 

Quelques  jours  s'étaient  à  peine  écoulés  depuis  l'arrivée  de 
Ribaut,  lorsque  fut  signalée  l'approche  de  plusieurs  navires  es- 
pagnols. Quoique  la  France  fût  en  paix  avec  l'Espagne,  ils  ve- 
naient, sous  la  conduite  de  Pedro  Menendez  de  Abila,  farouche 
exécuteur  des  ordres  de  Philippe  II,  attaquer,  au  mépris  de 
tous  les  droits,  et  sans  déclaration  préalable  de  guerre,  les 
Français  dans  leur  possession. 

Un  conseil  de  guerre  se  tint,  sous  la  présidence  de  Ribaut. 
Laudonnière,  dont  l'avis  fut  partagé  par  tous  les  membres  de 

1.  Hist.  not.  de  la  Floride  p.  184. 


—  447  — 

ce  conseil,  excepté  le  président,  opina  pour  qu'en  n'opérant 
d'abord  que  sur  terre,  on  marchât  droit  à  l'ennemi  et  on  le  har- 
celât par  une  série  d'escarmouches,  tandis  que  des  travailleurs, 
laissés  à  la  Caroline,  en  augmenteraient  les  fortifications,  en 
prévision  d'un  siège  à  subir.  Cet  avis,  que  dictait  la  prudence, 
fut  repoussé  par  Ribaut,  qui  ordonna  que  l'action  s'engageât 
d'abord  sur  mer  entre  les  navires  français  et  la  flotte  espagnole  ; 
après  quoi,  on  se  mesurerait  sur  terre  avec  les  troupes  débar- 
quées. 

Ribaut  mit  à  la  voile  :  ses  navires,  assaillis  par  un  coup  de 
vent,  se  brisèrent  sur  des  écueils.  Suivi  de  ses  hommes,  qui, 
comme  lui,  avaient  échappé  au  naufrage,  et  cherchant,  sous 
le  coup  de  dangers  et  de  souffrances  de  tout  genre  à  rejoindre 
le  fort  Caroline,  il  fut  rencontré  par  un  corps  de  troupes  es- 
pagnoles dont  le  chef  lui  jura  que,  s'il  mettait  bas  les  armes,  il 
serait  traité  avec  humanité,  ainsi  que  ses  gens,  exténués  de 
faim  et  de  fatigue.  Ce  chef  et  sa  horde,  voyant  les  Français  dé- 
sarmés, se  ruèrent  sur  eux  et  les  égorgèrent. 

Le  fort  Caroline,  dont  Ribaut  avait  confié  la  défense  à  Lau- 
donnière,  sans  lui  laisser  un  nombre  de  soldats  suffisant  * , 
fut  envahi  par  des  forces  espagnoles  considérables,  qui  massa- 
crèrent impitoyablement  la  garnison  et  jusqu'à  des  femmes  et 
des  enfants,  Laudonnière  et  deux  de  ses  compagagnons  échap- 
pèrent à  la  fureur  des  bourreaux.  Ils  purent,  à  quelque  temps 
de  là,  partir  pour  la  France. 

Les  abominables  excès  commis  dans  la  Floride  soulevèrent 
l'indignation  générale,  en  Europe.  Dès  qu'il  les  connut  le  re- 
présentant de  la  France  en  Espagne,  protesta  avec  énergie  et 
somma  Philippe  II  d'en  désavouer  et  punir  les  auteurs.  Phi- 
lippe II  et  ses  complices  se  montrèrent,  dans  leurs  réponses  et 

1 .  €  Ce  qui  estoit  demeuré  au  fort  estoit  composé  partie  de  malades,  partie 
»  aussi  d'artisans,  de  femmes  et  petits  enfans,  ie  tout  montant  au  nombre  de  deux 
>  cent  quarante  âmes.  (Relation  de  LeChalleux,  ap.  hist.  de  la  Floride,  p.  465). 


—  448  — 

dans  leurs  actes,  ce  qu'ils  avaient  toujours  été  et  ce  qu'ils  ne 
cessèrent  d'être,  des  hommes  de  sang,  dont  la  cruauté,  l'arro- 
gance et  la  mauvaise  foi  atteignaient  les  dernières  limites  de  la 
dépravation.  D'accusés  ils  se  firent  accuiiateurs;  ei  qualifiant 
l'occupation  de  la  Floride  d'agression  coupable  à  leur  égard, 
ils  osèrent  demander  le  châtiment  de  l'amiral  de  France,  qui 
seul,  prétendaient-ils,  l'avait  ordonnée. 

Quelle  fut,  dans  ces  circonstances  l'attitude  du  roi  de  France, 
ou  plutôt  de  sa  mère?  la  correspondance  de  Forquevaulx, 
ambassadeur  à  Madrid,  nous  la  fera  connaître  '  . 

Le  23  février  1566,  Forquevaulx  écrit  à  Catherine  de  Médi- 
cis  :  ((  Le  duc  d'Albe  m'a  parlé  de  la  part  du  roy  catholique..... 
»  Ils  veulent  s'attaquer  contre  M.  l'admirai  pour  couvrir  et  des- 
))  guiser  le  tort  qu'ils  vous  ont  faict  de  tuer  vos  subjects.  » 

Le  16  mars,  il  adresse  à  Charles  IX  la  communication  sui- 
vante :  (( Leduc  d'Albe  m'a  dic.t  que  Melendez  escript  que 

»  tant  ceux  du  fort,  qui  estoient  150,que  les  susdictz  nommé- 
))  ment  Ribaut  et  Le  Coursset  ont  dict  et  confessé  qu'ils  estoient 
y>  allez  à  la  Floride  par  commandement  de  M.  l'admirai,  et  à 
y>  ces  fms  ont  trouvé  ses  commissions,  lettres  et  instructions, 
y>  et  pour  se  devoir  impatroniser  à  la  Havanne.  A  ceste  cause, 
»  le  roy  (Philippe  II)  prie  et  requiert  Vostre  Majesté  luy  faire 
3)  raison  et  punition  dudict  amiral,  comme  perturbateur  de  la 

»  paix  et  cause  du  désordre  advenu Sire,j'ay  répondu  au  duc 

»  d'Albe  que  c'est  bienloing  de  vostre  intention  ce  qu'il  allègue 
))  que  Vostre  Majesté  a  désadvouez  les  subjects  qui  sont  allez  ou 
»  iront  audit  pais  (la  Floride),  d'antienne  conqueste;  par  quoy 
»  ce  qui  a  esté  exécuté  très  inhumainement  contre  vos  subjectz 
y>  par  P.  Melendez,  plus  digne  bourreau  que  bon  soldat,  ne 

1 .  Les  dépêches  de  Forquevaulx  renferment,  sur  les  demandes  de  réparation 
auxquelles  donnèrent  lieu  les  massacres  de  la  Floride  des  détails  d'une  réelle 
importance.  Ces  dépèches  ont  été  publiées  par  M.  Gaffarel  dans  la  seconde 
partie  de  son  intéressantehistoire  de  laFloride  française  (Paris  1875,1  vol.  in-8"). 


—  449  — 
)>  touche  M.  l'admira),  sinon  pour  le  devoir  de  sa  charge,  la- 
»  quelle  veut  qu'il  sache  qui  va  et  qui  vient  par  les  mers  de 
»  vostre  royaume.  Mais   ledit  Melendez  et  les  siens  ont  bien 
y>  monstre  qu'ils  extermineroient  volontiers  tous  les  François, 
»  s'ils  en  avoient  le  pouvoir.  Que  je  ne  sçay  de  quelle  sorte 
))  aura  esté  prins  un  si  cruel  massacre,  quand  Vostre  Majesté 
»  et  messieurs  de  vostre  conseil  l'auront  entendu.  Et  au  regard 
y>  de  M.  l'admirai,  qu'il  est  en  vostre  court  quant  et  les  plus 
»  grands  de  vostre  royaume,  en  bonne  justification  qu'il  se  jus- 
»  tifierafort  bien  de  tout  ce  qu'on  luy  voudra  imputer,  toutesfois 
»  que  la  nouvelle  que  l'homme  de  Melendez  a  porté  le  capitaine 
))  Jean  Ribaut,  Le  Gourssot  et  autres  dire  qu'ils  estoient  vos 
»  subjectz  et  envoyez  de  vostre  part,  Sire,  ainsi  qu'ils  feroient 
»  tousjours  foy  de  vostre  adveu.  Il  me  sembloit  que  cela  devoit 
»  appaiser  la  fureur  des  Espaignols  ores  qu'il  n'en  fut  rien, 
»  lesquels  Espaignols  ont  monstre  leur  proësse  sur  gens  désar- 
))  mez,  morts  à  demi  de  faim,  rendux  et  requérants  qu'on  les 
))  print  à  mercy.  Gomme  françois  et  vostre  subject,  j'avois  hor- 
»  reur  quand  je  pensois  à  un  faict  si  exécrable,  et  qu'il  me 
))  sembloit  que  Dieu  ne  le  vouldroit  laisser  impuni,  p 

Le  17  mars,  Catherine  tient  à  Forquevaulx  ce  langage,  qui 
prouve  qu'une  fois  au  moins  elle  comprend  ses  devoirs  de  mère 
d'un  roi  de  France,  et  de  protectrice  des  sujets  qui  relèvent  à  la 
fois  de  lui  et  d'elle  : 

«  Avant  que  l'ambassadeur  d'Espaigne  ait  dépesché  son 
»  courrier,  est  arrivé  vostre  premier  paquet  dont  vostre  autre 
»  dépesché  fait  mention,  par  où  j'ay  esté  bien  particulièrement 
»  advertie  comme  est  passé  ce  malheureux  massacre  fait  à  la 
»  Floride,  et  les  propos  que  vous  en  a  tenus  le  duc  d'Albe, 
»  avecques  la  response  que  vous  y  avez  faicte,  bonne  et  perti- 
»  nente,  et  telle  que  requiert  un  cas  si  cruel  et  inhumain,  dont 
»  je  n'avois  voulu  faire  aucun  bruit,^  ne  faire  connoistre  que 
y>  j'en  sçusse  rien  jusqu'à  hier,  que  ledict  ambassadeur  ayant 

II.  29 


—  450  — 

»  demandé  audience  au  roy,  monsieur  mon  fils,  et  à  moy,  nous 

»  vint  trouver,  et  après  plusieurs  autres  propos  qu'il  nous  tint, 

s>  nous  dit  qu'il  avoit  charge  de  son  maistre,  monsieur  mon 

))  beau-fils,  nous  advertir  qu'il  estoit  arrivé  en  Espaigne  un 

y>  capitaine  portant  nouvelles  que  P.  Melendez  ayant  trouvé  en 

»  la  terre  de  Floride  quelques  français  advouez  et  chargez  de 

»  lettres  de  M.  l'Admirai,  qui  avoient  en  leur  compagnie  quel- 

y>  ques  ministres  qui  plantaient  là  la  religion  nouvelle,  il  les 

»  avoit  chastiez  comme  il  dit  en  avoir  commandement  du  roy 

y>  son  maistre.  Bien  confessoit-il  que  ce  avoit  esté  un  peu  plus 

y>  rudement  et  cruellement  que  son  dict  maistre  n'eust  désiré, 

»  mais  qu'il  n'avoit  pas  moins  faict  que  de  leur  courir  sus 

))  comme  à  pirates  et  gens  qui  estoient  là  pour  entreprendre 

»  sur  ce  qui  luy  appartient;  disant  néantmoins  que  le  roy  soii 

»  maistre  demandoit  justice  dudict  admirai.  —  Le  roy  mon 

»  fils,  qui  estoit  encore  dans  le  lict  assez  débile  pour  la  maladie 

T»  qu'il  a  eue,  dont  il  est,  grâces  à  Dieu,  du  tout  dehors,  vou- 

»  lut  que  je  luy  fisse  response  :  qui  fut  que  je  l'avois  desjà  bien 

»  sçeu  par  homme  qui  nous  en  estoit  revenu,  et  ne  pouvois, 

»  comme  mère  commune,  queje  n'eusse  une  douleur  incroyable 

»  au  cœur,  d'avoir  entendu  qu'entre  princes,  si  amis,  alliez  et 

»  apparentez  que  sont  ces  deux  roys,  et  en  si  bonne  paix  lors,  et 

»  au  temps  que  nous  observons  envers  eux  tant  et  de  si  grands 

»  offices  d'amitié,  un  carnage  si  horrible  eust  esté  commis  des 

»  subjectz  du  roy  mondit  fils  auquel  jusqu'alors,  à  cause  de  sa 

»  maladie,  je  n'en  avois  pas  voulu  parler.  Que  j'estois  comme 

))  hors  de  moy  quand  j'y  pensois  et  ne  me  pouvois  persuader 

))  que  le  roy  son  maistre  ne  nous  en  feit  la  réparation  et  justice. 

))  Carde  couvrir  cela  sur  l'adveu  dudict  admirai,  qu'il  n'y  a  pas 

»  de  quoy,  estant  bien  croyable  qu'il  n'a  pas  laissé  aller  tant  de 

))  gens  hors  de  ce  royaume  sans  le  sçeu  du  roy  mon  fils,  qui 

»  estime  que  le  commerce  et  la  navigation  est  libre  partout  à 

y>  ses  subjectz.  Et  que  ceste  terre  où  le  faict  s'est  commis  n'est 


—  454  — 

»  point  à  luy  mais  de  si  long' temps  descouverte  de  nos  subjetz 
y>  qu'elle  en  porte  encores  le  nom  comme  il  en  a  esté,  et  ses 
y>  ministres  ausvsi,  j'à  adverti  par  vous.  Et  quand  bien  ils  eûs- 
»  sent  esté  dans  les  propres  pays  du  roy  son  maistre,  faisans 
))  autrement  qu'il  n'appartenait  entre  amis,  qu'ils  se  debvoient 
»  contenter  de  les  prendre  prisonniers  et  les  rendre  au  roy 
»  mon  fils,  pour  les  faire  punir,  s'ils  avoient  failli,  sans  en  user 
y>  ainsi,  dont  je  ne  pouvois  croire  qu'il  ne  nous  rendit  contents* 
3>  Qu'il  sembloit  que  l'on  vouloit  brider  le  roy  mon  fils,  l'en- 
»  fermer  en  ce  royaume  et  lui  roigner  les  aisles,  chose  qu'il  ne 
»  pourroit,  et  ne  seroit  aussi  conseillé  de  souffrir,  luy  appor- 
if  tant  parla  un  argument  d'autrement  penser  et  pourvoir  à  ses 
î  affaires,  comme  il  sçaura  bien  faire,  si  Dieu  plaict,  et  ne 
•0  luy  en  défaillent  les  moyens  etc.  etc.  —  Ledict  ambassa- 
3)  deur  essaioit  tousjours  de  couvrir  le  faict  sur  l'admirai,  et 
D  qu'il  y  avoit  des  ministres  de  la  religion,  qui  estoit  chose  fort 
»  desplaisante  à  son  maistre.  —  Mais  je  luy  ay  dict  que  nous 
»  ne  sommes  pas  enquis  quelles  gens  allèrent  audict  voyage, 
»  et  que  si  c' estoit  à  soûetter,  je  voudrois  que  tous  les  hugue- 
j>  nots  fussent  en  ce  païs-là,  où  il  ne  peut  justement  dire  qu'il 
»  ait  intérest,  puisque  la  terre  est  nostre,  comme  nous  la  pré- 
))  tendons  ;  nous  faisant  bien  cognoistre  qu'on  ne  veut  guère  le 
»  repos  de  ce  royaume,  puisque  l'on  nous  veut  ainsi  oster  le 
3>  moyen  de  l'y  mettre  ;  mais  quoy  que  ce  soit,  ce  n'est  pas  à 
y>  eux  de  punir  nos  subjectz,  et  ne  disputons  point  s'ils  estoient 
y>  de  la  religion  ou  non,  ains  du  meurtre  qu'ils  en  ont  fait  dont 
»  il  est  bien  raisonnable  que  son  maistre  fasse  faire  justice  que 
y>  nous  luy  en  demandons.  —  A  quoy  il  m'a  semblé  quel'am- 
-»  bassadeur  a  esté  bien  empesché  de  respondre...  Il  avait 
»  amassé  un  monde  de  plaintes  pour  donner  couleur  à  celle  de 
»  la  Floride,  où  il  y  a  aussi  peu  de  fondement  ;  mais  ce  qu'il  en 
»  a  rapporté,  est  qu'il  a  bien  connu  que  nous  l'avons  trouvé  très 
»  mauvais  et  ne  pense  pas  que  nous  l'oublions.  Ce  que  j'ay  bien 


—  452  — 

»  voulu  vous  escripre  ainsi  au  long  de  la  part  du  roy  mon  fils; 
y>  vous  priant  et  ordonnant  faire  bien  entendre  au  roy  catholique, 
»  en  le  priant  très  affectueusement  qu'il  veuille,  pour  le  devoir 
»  et  la  raison,  en  faire  faire  la  justice  et  réparation  que  mérite 
»  un  si  énorme  outrage.  » 

Forquevaulx,  dans  une  audience  que  lui  accorde  Philippe  II, 
ne  se  montre  pas  moins  ferme  vis-à-vis  de  ce  monarque,  que 
vis-à-vis  du  duc  d'Albe  : 

((  Je  luy  ay  remontré,  écrit-il  à  Catherine,  le  9  avril,  le  dis- 
»  cours  que  Mgr  le  duc  d'Albe  me  feitde  son  mandement,  aus- 
»  sitost  après  l'advis  venu  du  succez  de  la  Floride,  avec  la  mort 
))  des  Français,  laquelle  il  imputoitàM.  l'admirai  comme  occa- 
»  sion  et  motif  qu'ils  y  estoient  allez,  et  me  requérant  vouloir 
»  escripre  à  Voz  Majestez  qu'il  feust  leur  bon  plaisir  de  faire 
»  justice  dudict  admirai  comme  infracteur  de  la  paix...   Si 
»  P.  Melendez  et  ses  gens,  continue  Forquevaulx,  fussent  sol- 
y>  datz,  ils  se  dévoient  contenter  de  la  victoire  que  la  mer  leur 
»  avoit  donnée  et  n'eussent  voulu  pour  aucun  commandement 
y>  exécuter  tel  carnage  sur  hommes  presque  morts  de  faim  et  de 
»  naufrage,  requérans  estre  traictez  en  subjectz  du  roy  et  bons 
»  amis  des  Espaignols  avec  lesquels  ils  n'avoient  guerre  ni 
y>  différend...  Les  François  avoient  esté  agressez  sans  les  som- 
))  mer  de  vuider  la  terre,  et  n'avoient  donné  loisir  à  ceux  du  fort 
»  derespondre,ainsles  avoient  assaiUis,  combien  qu'ils  feussent 
»  en  la  terre  de  l'antienne  conquête  de  France...  »  A  cela  Phi- 
lippe répond  :  »   qu'ayant  sçeu  l'allée  d'une  bonne  force  de 
»  Luthériens  tant  François  que  autres,  et  leur  descente  enl'en- 
»  droict  le  plus  important  à  sa  navigation  (La  Floride) ,  il  n'a- 
))  voit  peu  ni  deu  moins  faire  que  d'envoyer  gens  par  de  là  pour 
»  les  en  desloger  ;  qu'à  pirates  comme  ils  estoient,  ne  falloit  user 
»   de  grâce  ni  bon  traictement  à  telles  gens,  ne  aussi  peu 
»  observer  envers  eux  les  cérémonies  accoustumées  entre  gens 
))  de  guerre.  —  J'ay  répliqué,  ajoute  Forquevaulx,  que  vos  sub- 


—  453  — 

»  jectz,  madame,  ne  pouvoient  estre  estimés  pirates,  puisqu'ils 
y>  offraient  monstrer  patente  du  roy,  ou  pour  le  moins  en  mons- 
y>  troient-ils  de  M.  l'admirai,  ^  lequel,  au  faict  de  la  marine, 
»  représente  la  personne  de  Sa  Majesté,  et  n'eûst  permis  sortir 
»  tel  nombre  de  François  et  de  navires  armés,  hors  des  havres 
y>  de  France,  sans  le  sçeu  et  adveu  du  roy  mon  maistre.  Mais 
y>  que  Melendez  et  les  siens  s'estoient  voulu  signaler  par  le 
»  trophée  des  ossements  des  françois,  vos  soldats  et  subjectz  ; 
0  lequel  faict  Dieu  ne  permettroit  demeurer  impuni,  et  que  Sa 
»  Majesté  ne  le  devoit  permettre,  ains  apprendre  à  Melendez  et 
»  autres  ministres  d'user  d'une  victoire  moins  insolentement, 
i)  si  victoire  méritoit  estre  appellée  unedéfaicte  advenue  mieulx 
y>  à  son  advantage  qu'il  n'eûs.t  sçeu  soûeter,  et  quelque  rigueur 
»  qu'il  eûst  chargé  d'user  aux  François  en  venant  au-dessus, 
»  cela  s'entendoit  s'ils  fesoientrésistence,' et  durant  l'ardeur  du 
))  combat,  et  non  à  froid  sang  ;  lequel  acte  si  cruel  requeroit 
)>  pour  la  réputation  de  Sa  Majesté  catholique  et  pour  satisfaire 
»  à  la  réparation  que  vos  majestez  en  demandent  et  appaiser 
»  tout  au  royaume  de  France,  qui  ne  parle  aujourd'hui  d'autre 
»  chose,  que  Melendez  et  ses  gens,  qui  ont  commis  le  crime, 
y>  en  souffrenc  condigne  punition.   —  Ledict  sieur  roy  m'a 
y>  respondu  qu'il  communiqueroit  là-dessus  avec  le  duc  d'Albe, 
»  pour  adviser  ce  qui  se  debvrait  faire  ;  mais  je  m'assure  que 
»  c'estoit  pour  se  défaire  de  moy,  car  ledict  duc  ne  contredira 
y>  jamais  à  soi-mesme,  estant  la  commune  opinion  de  tous  que 
))  c'est  luy  qui  conseilla  ce  massacre.  i> 

Les  prévisions  de  Forquevaulx  n'étaient  que  trop  fondées. 

Tandis  que  Philippe  II  temporisait,  que  faisait  Coligny?  Dès 
que  les  massacres  de  la  Floride  avaient  été  connus  en  France, 
il  s'était  empressé  d'appuyer,  auprès  du  roi  et  de  la  reine  mère 

1.  Au  moment  où  Forquevaulx  parlait  ainsi  de  l'amiral,  celui-ci  dressait  un  • 
rôle  des  vice-amiraux,  capitaines  de  vaisseaux  et  marins  français,  sur  lequel 
figurait  encore  le  nom  de  Ribaut.  (Voir  à  Vappendice  le  n°  30.) 


—  454  — 

les  plaintes  des  familles  d'une  foule  de  victimes  immolées  sur 
le  sol  de  la  Floride,  et  d'insister  pour  que  l'Espagne  fût  con- 
trainte à  une  réparation.  Maintenant  il  s'occupait  de  rendre  à 
la  liberté  ceux  des  rares  compagnons  de  Laudonnière  et  de 
Ribaut  qui  n'avaient  échappé  à  la  mort  que  pour  languir  en 
captivité,  sous  la  main  brutale  des  Espagnols. 

Le  18  août,  il  adressa  à  Charles  IX,  en  faveur  de  l'un  des 
infortunés  captifs  la  lettre  que  voici  ^  : 

ce  Sire,  le  sieur  d'Huilly,  fdz  de  feu  M.  Allegrct,  lequel  fut 
y>  advocat  du  roy  en  ce  parlement  (de  Paris),  du  règne  du  roy 
y>  François,  vostre  ayeul,  ayant  pour  vostre  service  entreprins  le 
y>  voiage  de  la  Floride  dernièrement  faict  sous  la  conduite  du 
))  capp"  Jehan  Ribault,  et  prins  la  charge  des  vivres,  de  la  jus- 
»  tice  et  des  monstres  des  compaignyes  et  forces  que  conduisait 
3)  ledict  Jehan  Ribault,  laquelle  charge  je  luy  avois  donnée, 
»  pour  ce  qu'il  estoit  de  bon  lieu,  bien  capable  et  idoine  de  faire 
»  service  a  Vostre  Majesté,  a  esté  jusques  icy  tenu  pour  perdu 
i>  et  mort  en  la  desfaicte  exécutée  contre  vos  subjectz  arrivez 
))  audict  pays  par  les  Espagnolz  ;  mais  depuis  quelques  jours 
))  s'est  entendu  qu'il  est  encores  vivant,  prisonnier  et  captif  en 
))  la  puissance  d'ung  desdicts  Espaignolz  ;  et  par  ce,  sire,  que 
y>  ce  seroit  grand  dommaige  de  perdre  ce  perso  nnaige  qui  est 
))  de  service,  appartenant  à  beaucoup  de  gens  de  bien  et  d'hon- 
»  neur  qui  sont  la  plus  part  officiers  de  ceste  couronne,  et  que 
))  contre  tout  droit  et  raison  il  est  debtenu  prisonnier  et  mal- 
))  traicté,  il  m'a  semblé  ne  pouvoir  faire  de  moings,  à  la  prière 
))  de  tant  de  gens  de  bien  auxquelz  il  appartient  que  de  certifier 
»  à  Vostre  Majesté  de  sa  qualité  et  suffisance,  en  vous  suppliant 
))  très  humblement  qu'il  vous  plaise  escripre  à  l'ambassadeur 
D  de  Vostre  Majesté  en  Espagne  qu'il  fasse  mettre  ledict  Huilly 
))  en  liberté,  attendu  qu'il  n'y  a  aucune  raison  de  le  détenir  pri- 
y>  sonnier,  et  user  envers  luy  le  droict  de  la  guerre.  y> 

1.  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  15  882,  f»  iU. 


I 


—  455  — 

A  une  date  très  rapprochée  de  celle  de  cette  lettre,  Pierre 
Bertrand  de  Monluc,  partait  de  Bordeaux  comme  chef  d'une 
expédition  maritime,  patronée  par  Goligny  et  autorisée  par  le 
roi  de  France. 

«  On  sçait  bien,  dit  Biaise  de  Monluc,  dans  ses  commen- 
y>  taires  *  ,  et  la  royne  mieulx  que  tout  autre,  que  je  ne  feuz 
»  jamais  l'auteur  de  ceste  infortunée  entreprinse  :  monsieur  l'ad- 
))  mirai  sçait  bien  combien  je  taschay  à  la  rompre,  non  pas  pour 
))  vouloir  retenir  mon  fds  sur  les  cendres,  mais  pour  la  crainte 
y>  que  j'avois  qu'il  ne  feust  cause  d'ouvrir  la  guerre  entre  la 
»  France  et  l'Espaigne.  Et  encor  que  je  l'eusse  désiré,  si 
y>  eussé-je  voulu  que  quelque  autre  eûst  faict  l'ouverture  pour 
ï>  la  tirer  de  noz  maisons.  Le  dessein  de  mon  filz  n'estoit  pas 
»  de  rompre  rien  avec  l'Espaignol,  mais  je  voyois  bien  qu'il 
»  estoit  impossible  qu'il  ne  donnâst  là  ou  au  roy  de  Portugal  ; 
y>  car,  à  veoir  et  ouyr  ces  gens,  on  diroit  que  la  mer  est  à  eulx. 
»  Monsieur  l'Admirai  n'aymoit  et  estimoit  que  trop  mon  filz, 
»  ayant  tesmoigné  au  roy  qu'il  n'y  avoit  prince  ny  seigneur  en 
»  France  qui  eust  peu,  de  ses  seuls  moyens  et  sans  bienfaict  du 
y>  roy,  dresser  en  si  peu  de  temps  un  tel  équipaige.  Il  disoit 
y>  vray,  car  il  avoit  gagné  le  cœur  de  tous  ceux  qui  le  congnois- 
y>  soient  et  qui  vouloient  suivre  les  armes  ;  et  moy  j'estois  si 
»  mal  advisé,  qu'il  me  sembloit  que  la  fortune  luy  devoit  estre 
y>  aussy  favorable  qu'à  moy.  » 

On  lit  dans  un  mémoire  à  la  reine,  rédigé  par  Biaise  de  Monluc, 
le  8  juillet  1566^  :  «  Le  capitaine  Monluc  a  délibéré  aller 
))  descouvrir  qnelques  isles  que  certains  Portugais  expérimentés, 
3)  qui  sont  avec  luy,  luy  ont  déclaré  estre  inhabitées  et  incon- 
i>  gneues.  Et  y  estant,  son  intention  est  d'y  planter  des  bornes, 
»  et  par  ceste  introduction  rendre  cest  endroict-là  utile  au 


1.  Éd.  dcRuble,  t.  III,  p.  75. 

2.  Monluc.  éd.  de  Ruble,  t.  V,  p.  61  et  suiv. 


—  456  — 

))  service  du  roy,  commode  et  favorable  à  tous  les  subjets  de 
»  sa  majesté  qui  ont  à  voiager  en  cest  endroict.  Ce  qu'il  a,  dès  le 
y>  commencement,  faict  entendre  au  roy  et  à  la  royne,  qui  ne 
»  le  trouvèrent  mauvais.  Parquoy  il  a  faict  toutes  diligences 
»  pour  se  rendre  prest  à  partir  en  cest  équippaige  :  pour  y  par- 
»  venir,  a  obligé  et  hypothéqué  à  plusieurs  sa  personne  et 
))  tous  ses  biens.  » 

Dans  une  lettre  au  roi,  du  23  août.  Biaise  de  Monluc  ajoutait*  : 
((  Je  m'en  suis  venu  en  ceste  ville  (Bordeaux)  pour  voirl'embar- 
))  quement  du  capitaine  Monluc,  mon  fds,  lequel  il  faict  au- 
»  jourd'huy  avec  quatre  roberges  et  une  patache,  qui  vont  à  la 
))  rame  et  à  la  voille  et  deux  beaux  navires,  dans  lesquelz  il  y  a 
»  sept  ou  huit  cents  hommes  de  guerre,  sans  les  mariniers, 
»  qu'il  faict  beau  voir;  car,  sire,  il  y  a  bien  trois  cens  gen- 
D  tilshommes,  dont  y  en  a  une  demye-douzaine  qui  sont  de 
))  meilleure  maison  que  luy  ne  moy,  qui  luy  font  cest  honneur 
»  d'aller  soubz  luy  à  ce  voiage.  Je  ne  vous  sçaurais,  sire,  assez 
»  remercier  du  congé  qu'il  vous  a  pieu  luy  octroyer.  » 

Pierre-Bertrand  de  Monluc  appareilla,  et,  après  avoir  essuyé 
en  route  une  forte  tempête,  11  s'approcha  de  Madère.  Quelques- 
uns  de  ses  gens,  envoyés  à  terre  pour  y  faire  certains  approvi- 
sionnements, furent  attaqués  et  poursuivis  par  les  insulaires. 
Outré  de  cet  acte  d'hostilité,  commis  en  pleine  paix,  Monluc,  à 
la  tête  de  ses  troupes,  refoula  vivement  les  agresseurs,  et  emporta 
d'assaut  la  ville;  mais  mortellement  blessé,  dans  la  dernière 
phase  de  l'action,  il  succomba  au  bout  de  peu  de  jours. 

«  Sa  mort,  dit  de  Thou  ^,  rendit  inutile  son  entreprise,  dont 
3)  il  y  avoit  lieu  d'espérer  un  grand  succès  ".  Le  roi  de  Portugal 


1.  Monluc,  éd.  de  Ruble,  t.  V,  p.  69. 

2.  Hist.  Univ.,  t.  IV,  p.  122. 

3.  Brantôme  (éd.  L.  Lai.  t.  IV,  p.  U)  dit,  en  parlant  du  fds  de  Monluc  :  «  Si 
»  ce  capitaine  eust  vescu,  il  eust  faict  de  grandes  entreprises  sur  l'Espagnol  et 
»  Portugais,  car  il  y  avoit  de  grandz  desseins.  Il  m'en  conta  aucuns...  Ce  fut 


—  457  — 

»  ayant  fait  faire  des  plaintes,  à  ce  sujet,  par  les  représentans 
»  qu'il  avoit  à  la  cour  de  France,  l'affaire  fut  agitée  dans  le  con- 
»  seil.  L'amiral  entreprit  de  justifier  cette  expédition  ;  il  montra 
»  clairement  que  nos  gens  ne  pouvaient  être  blâmés  d'avoir 
»  vengé  avec  tant  de  courage  les  injures  reçues  autrefois  des 
»  Portugais  (au  Brésil),  dans  une  expédition  dont  il  s'étoit 
))  chargé  ;  en  un  mot,  il  plaida  avec  tant  de  force  la  cause  des 
»  compagnons  de  Monluc,  que  la  crainte  avait  obligés  de  se 
))  disperser  et  de  se  cacher,  qu'ils  furent  tous  absous  des  accu- 
»  sations  que  l'on  avait  intentées  contre  eux.  » 

En  même  temps  qu'il  faisait  rendre  justice  à  ces  vaillants 
Français,  Coligny,  dont  la  vigilance  était  incessante,  protégeait 
les  marins  Normands  contre  le  retour  de  violences  et  de  spo- 
liations dont  ils  avaient  été  victimes,  en  Afrique,  de  la  part 
des  Portugais,  dans  des  parages  totalement  indépendants  de 
la  domination  de  ceux-ci. 

De  là  cette  dépêche  qu'il  adressa  de  Ghâtillon,  le  16  octo- 
bre 1566,  à  Catherine  ^  : 

«  Madame,  estant  dernièrement  à  la  court,  je  vous  feys  en- 
))  tendre  comme  ung  nommé  le  capitaine  Bontemps  et  aulcuns 
))  bourgeois  et  marchands  de  Bouen,  auroient  équippé  ung 
»  grand  navyre  et  deux  autres  moyens,  et  dedans  iceulx  faict 
»  charger  grand  nombre  de  marchandises  non  prohibées  ni 
D  deffendues,  ainsy  qu'il  est  accoustumé  pour  aller  faire  le 
y>  voïage  du  Gap  de  Vert,  Guinée  et  rivière  de  Sarlyonne.  Or, 
»  estant  arrivez  lesdicts  troys  navires,  les  cappitaineset  maistres 
y>  d'iceulx délibérèrent d'envoyerdedansladite rivière lesditsdeux 
»  moyens  avec  quatre  vingts  hommes  et  bonne  quantité  de  vic- 
y>  tuailles  et  marchandises,  comme  toiles  blanches  et  toutes 


»  un  très  grand  dommage  de  cet  homme-là,  car,  quoy  qu'il  en  fust,  son  brave 
»  courage  le  poussoit  à  attenter  beaucoup.  » 

1.  Bibliothèque  impériale  de  Saint-Pétersbourg.  —  Public,  de  la  soc.  des 
arch.,  hist.  de  la  Saintonge  et  de  l'Aunis. 


—  458  — 
»  sortes  de  merceryes ,  en  intention  d'y  pouvoir  trafiquer 
»  amyablement  et  de  gré  à  gré,  en  demandant  marchandise  à 
»  ceulx  de  la  terre,  ainsi  que  ledict  Bontemps  avoit  aultrefoys 
y>  faict;  ce  qu'ils  exécutèrent.  Mais,  tout  aussy  tost  qu'ils 
))  avoient  commencé  de  tenter  l'ouverture  de  ceste  traicte,  ils 
»  furent  surpris  de  sept  navyres  portugais  équippés  en  guerre 
»  et  marchandise,  lesquels  les  chargèrent  et  entourèrent  avec 
»  telle  furye  d'artillerye  et  d'hommes  armés,  qu'ils  firent  couler 
y>  à  fond  les  deux  navires  françois,  ensemble  leurs  dictes  mar- 
))  chandises,  artillerye,  et  tout  ce  qui  estoit  dedans,  tuèrent 
»  quatorze  hommes  et  en  blessèrent  environ  soixante,  la  plus 
»  grande  partie  desquels  sont  tous  demeurés  impotens  de 
))  leurs  membres,  chose  qui  est  merveilleusement  pitoyable, 
y>  attendu  mesmement  que  les  endroits  où  ledict  Bontemps  et 
y>  ceulx  de  sa  compagnie  voulaient  paisiblement  trafiquer  n'es- 
»  toient  de  l'obéissance  du  roy  de  Portugal  ;  et  davantage  le 
j^  reste  de  leur  équipaige  furent  contraincts  d'eulx  sauver,  ainsi 
»  blessés,  des  mains  desdicts  Portugais,  avec  les  bateaux  du 
»  navyre  qui  leur  resta.  Ce  que  Vostre  Majesté  trouva  fort 
))  maulvais.  Et  pour  ce,  Madame,  que  ledict  Bontemps  et 
»  bourgeois  d'iceulx  navyres  se  délibérèrent  de  faire  derechef 
»  cemesme  voyageavec  deux  navyres  seuUement,  pour  tousjours 
»  descouvrir  et  faire  chose  qui  tourne  au  profit  des  subjects  du 
))  roy  et  utilité  de  ce  royaulme,  et  aussy  pour  essayer  d'eulx 
»  rescompenser  de  la  grande  perte  qu'ilz  ont  faicte,  comme 
»  plus  amplement  Vostre  Majesté  sera,  s'il  luy  plaist,  informée 
y>  par  les  informations  qui  en  ont  esté  faictes  par  les  officiers  de 
»  l'amyrauté  au  Havre  de  Grâce,  que  je  luy  envoyé  exprès  par 
y>  ce  présent  porteur  qui  est  à  moy,  ils  craignent  que,  faisant 
))  ce  dict  voyage,  ils  soient  encore  empeschez  et  molestez  par 
»  lesdits  portugais  ;  ils  supplient  très-humblementVostre  Majesté, 
y>  et  moy  aussy,  qu'ayant  égard  tant  à  la  perte  desdicts  hommes, 
))  navyres  et  marchandises,  qu'il  luy  plaise  de  leur   vouloir 


—  459  — 

y>  promettre  que,  faisant  doulcement  leur  dict  commerce  et 
»  trafficq  avec  les  habitans  de  ladicte  rivière  de  Sarlyonne  et 
y>  aultres  lieux  de  ceste  coste-là,  sy  d'adventure  ils  y  trouvoient 
y>  ou  rencontroient  des  Portugais  faisant  traiCte  aux  lieux  et 
))  endroicts  où  ils  ont  faict  le  dommaige  et  cruaulté  au  dict 
))  Bontemps,  et  que  leur  fûst  donné  par  lesdicts  Portugais  em- 
»  peschement  de  faire  et  contynuerleur  dict  trafficq,  qu'en  se 
))  défendant  la  victoire  demeuroit  audict  Bontemps,  il  ne  luy 
»  en  soit  ny  auxdicts  bourgeois  et  marchands,  pour  raison  de  ce 
»  que  dessus,  imputé  ne  mys  en  avant  aulcune  repréhension, 
D  ne  donné,  à  leur  retour  aucun  (tourment).  Et  d'aultant  qu'il 
»  me  semble.  Madame,  que  c'est  chose  raisonnable,  ils  sup- 
y>  pUent  très-humblement  Vostre  Majesté ,  et  moy  aussy,  de 
•»  leur  accorder  ceste  requeste,  et  me  faire  entendre  sur  cest 
»  effect  son  intention,  pour  les  leur  faire  ensuyvre,  parce  qu'ils 
»  n'attendent  plus  aultre  chose  que  cela  pour  sortir  en  mer,  et 
y>  que  le  temps  et  la  saison  les  pressent  de  partir.  Au  demeu- 
y>  rant.  Madame,  je  ne  veulx  faillir  de  vous  dire  comme,  ung 
i>  peu  avant  que  ledict  Bontemps  partist  pour  aller  faire  son 
y>  dernier  voyage,  il  me  feist  requeste  de  le  faire  assister,  par  le 
»  garde  de  la  marine,  de  deux  pièces  d'artilleryede  bronze,  por- 
y>  tant  calibre  de  moyenne,  du  nombre  de  celles  qui  appartien- 
y>  nent  au  roy  et  qui  estoient  lors  dedans  la  grange  de  ladicte 
»  marine,  audict  Havre  de  Grâce,  pour  servir  à  latuition  et  def- 
»  fence  de  ses  dicts  navyres,  à  rencontre  des  pirates  et  escu- 
»  meurs  de  mer  qui  sont  ordinairement  en  grand  nombre,  ce 
»  que  je  luy  accorday  et  ordonnay  audict  garde  de  luy  délivrer 
y>  les  deux  pièces  d'artillerye,  et  le  faisant  obliger  de  les  rendre 
y>  et  remettre  dedans  ladicte  grange,  à  son  retour,  ou  bien  d'en 
»  paier  la  valleur  au  roy,  au  cas  qu'il  en  advînt  perte  durant  son 
y>  dict  voyage;  à  quoy  ledict  Bontemps  s'est  engagé.  Et  par  ce, 
»  Madame,  qu'il  est  maintenant  poursuivi  par  ledit  garde  de 
»  rendre  lesdites  pièces,  suivant  mon  ordonnance,  ledict  Bon- 


—  460     - 

»  temps  et  lesdicts  bourgeois  et  marchands  supplient  très- 
»  humblement  Vostre  Majesté,  attendu  qu'ils  ont  esté  perdus 
»  dedans  lesdicts  deux  navyres  mis  à  fond  par  lesdicts  Portugais, 
y>  avec  beaucoup  d'aultre  artillerye  qui  estoient  à  eulx,  il  lui 
y>  plaise  de  faire  don  audict  Bontemps  des  dictes  deux  moyennes 
»  de  bronze,  et  commander  qu'il  en  soit  ïaict  une  ordonnance 
»  audict  garde.  » 

Froissé  de  la  conquête  de  Madère,  Philippe  II  refusa  désor- 
mais toute  réparation,  à  raison  des  massacres  de  la  Floride. 
Coligny  eut  alors  la  douleur  de  voir  le  gouvernement  français 
s'arrêter  dans  ses  réclamations,  et,  plutôt  que  de  recourir  aux 
armes  contre  l'Espagne  pour  lui  infliger  un  châtiment  mérité, 
plier  sous  le  coup  d'un  humiliant  affront. 

Il  était  réservé  à  un  simple  gentilhomme,  à  de  Gourgues,  que 
son  ardent  patriotisme  transforma  en  héros,  de  relever,  plus 
tard,  dans  la  Floride,  le  drapeau  de  la  France,  et  d'y  venger 
ses  compatriotes,  en  faisant  expier  aux  Espagnols  leurs  exécra- 
bles forfaits  ^  Mais  ne  recevant  aucun  appui  de  la  métropole, 
deGourgues,  abandonné  à  ses  seules  forces,  ne  pouvait,  tout  gé- 
néreux et  vaillant  qu'il  était,  fonder  un  établissement  qui  assurât 
à  la  France  la  possession  de  la  Floride.  Cette  vaste  et  belle 
contrée  fut  donc  perdue  pour  la  patrie  des  Goligny,  des  Ri- 
baut,  des  Laudonnière  et  de  leur  intrépide  émule. 

Les  annales  de  l'histoire  entretiennent  le  culte  des  nobles 
souvenirs.  Aussi  pouvons-nous,  grâces  à  elles,  nous  convaincre 
que,  quel  qu'ait  été  l'insuccès  des  tentatives  de  colonisation  de 
1555,  de  1562,  del564et  de  1565,  ces  tentatives  honoreront 
à  jamais  le  patriotisme  et  les  vues  généreuses  du  grand 
homme  qui  les  conçut  et  les  exécuta.  ' 


1 .  Voir,  à  la  suite  de  l'histoire  notable  de  la  Floride  par  Laudonnière  (Paris, 
1853,  1  vol.  in-i2,  p.  207  à  223)  le  récit  intitulé  :  «  Quatriesme  voyage  des 
»  françois  en  la  Floride,  sans  le  capitaine  Gourgues,  en  l'an  1567. 


—  461  — 
L'Espagne,  après  uvoir  soutenu  la  lutte  contre  les  efforts 
de  l'amiral  de  France,  au  delà  des  mers,  allait  la  continuer 
en  Europe.  Elle  voyait,  ajuste  titre,  en  lui  le  plus  redoutable 
de  ses  adversaires  ;  car  il  n'est  pas,  pour  un  ennemi  pervers  et 
intolérant,  d'antagonisme  plus  grave  à  affronter,  dans  le  do- 
maine politique  et  religieux,  que  celui  de  la  droiture  et  de  la 
fermeté  d'une  conscience  chrétienne. 


CHAPITRE  VII 


Mouvements  dans  les  Pays-Bas.  —  Catherine  redoute  une  alliance  entre  les  réformés 
français  et  ceux  des  Pays-Bas.  —  La  duchesse  de  Ferrare_  et  Pierins.  Mort  de  celui- 
ci.  —  Coligny  est  consulté  par  Jeanne  d'Albret  sur  le  renvoi  de  Morely,  précepteur 
du  prince  de  Béarn.  —  Mort  de  la  comtesse  de  Roye.  —  Mort  du  prince  de  Portien. 
—  Arrivée  du  duc  d'Albe  dans  les  Pays-Bas.  —  Coligny  représente  le  roi,  au  baptême 
d'un  enfant  du  prince  de  Condé.  —  Demande  de  renvoi  des  Suisses.  —  Entrevue  de 
Thoré,  fils  du  connétable  avec  Coligny.  —  Assemblées  des  chefs  réformés,  à  Valéry 
et  à  Châtillon.  Conseils  de  modération  et  de  patience,  donnés  par  Coligny.  —  Der- 
nière assemblée   Opinions  diverses.  On  se  décide  à  une  prise  d'armes. 


Coligny,  depuis  le  refus  fait  par  l'Espagne  d'accorder  une 
réparation  quelconque,  à  raison  des  massacres  commis  dans  la 
Floride,  se  tenait  plus  que  jamais  en  éveil  sur  les  obsessions 
diplomatiques  et  sur  les  menées  occultes  des  agents  de  Phi- 
lippe II.  Il  voyait  ce  monarque  s'immiscer,  chaque  jour, 
davantage  dans  les  affaires  de  la  France,  et  pousser  d'autant 
plus  la  reine  mère  et  son  fils  à  la  persécution  de  leurs  sujets 
réformés,  qu'il  redoutait  la  conclusion  d'une  alliance  entre 
ceux-ci  et  leurs  coreligionnaires  des  Pays-Bas  ;  alliance  qui 
était  également  un  objet  d'appréhension  pour  Catherine  et 
Charles  IX.  L'amiral,  tenu  par  ses  relations  personnelles  au 
courant  de  ce  qui  se  passait  au-delà  comme  en  deçà  de  la 
frontière  septentrionale  de  sa  patrie,  applaudissait  à  la  lutte 
récemment  engagée  en  Brabant,  en  Flandre  et  en  d'autres 
provinces  encore,  contre  un  gouvernement  hostile  au  maintien 
de  libertés  publiques  légitimement  conquises,  et  fauteur  des 
horribles  excès  de  l'inquisition.  Il  s'affligeait,  en  même  temps, 
des  funestes  tendances  du  gouvernement  français  qui,  servile- 


—  463  — 
ment  associé  aux  vues  de  Philippe  II,  formait  des  vœux  pour 
le  triomphe  de  celui-ci  dans  les  Pays-Bas,  et  espérait  en  tirer  un 
surcroît  de  force  pour  arriver  à  l'anéantissement  final  de  la 
réforme  dans  le  royaume. 

La  correspondance  de  la  reine  mère  et  du  roi  témoignait  de 
leur  défiance  à  l'égard  des  moindres  communications  qui  pou- 
vaient s'établir,  à  la  frontière,  entre  les  réformés  des  deux 
Etats,  et  du  désir  de  voir  Philippe  II  réussir  dans  ses  projets 
de  compression  des  populations  Brabançonnes,  flamandes  et 
autres. 

C'est  ainsi  que  Charles  IX  écrivait,  le  1"  mars  1567  à  de 
Humières,  gouverneur  de  Péronne*  :  «  Les  advis  divers  que 
y>  nous  avons  des  remuemens  qui  se  préparent  en  plusieurs 
»  lieux  de  la  chrestienté,  mesmes  chez  nos  voisins,  nous  meu- 
y>  vent  à  vous  faire  ceste  recharge  de  chose  dont  j'ay  assez  esté 
»  par  vous  adverty,  vous  mandant,  à  ceste  cause,  que  vous 
3)  ayez  l'œil  plus  ouvert  que  jamais,  et  prenez  garde  que  en 
y>  vostre  ressort,  il  ne  se  face  aucun  amas  ne  assemblée  en 
»  armes,  ne  entreprinses  quelconques  qui  soient  pour  troubler 
D  le  repos,  et  sitôt  que  vous  en  entendrez  quelque  chose  et 
j>  qu'il  y  aura  voire  jusques  à  troys  hommes  ensemble  pour  y 
»  donner  commencement,  soubz  quelque  prétexte  que  ce  soit,  y 
»  aller  ou  envoyer  incontinent  pour  y  pourveoir  et  mettre  le  pied 
»  sur  ce  qui  commenceroit  à  s'allumer,  et  faire  si  bien  chastier 
»  ceulx  qui  ne  seroient  de  la  partie,  que  les  autres  y  preignent 

»  exemple vous  aurez  aussy  le  soing  de  vous  enquérir  si 

3)  aucuns  de  mes  subjects  se  desbauchent  pour  sortir  hors 
»  nostre  royaume  et  aller  ayder  à  ceulx  qui  remuent  mesnage 
y>  ailleurs,  pour  les  faire  arrester  et  chastier  comme  infrac- 
»  teurs  de  nos  commandemens  et  deflences.  y> 

C'est  ainsi  encore  que  Catherine,  mandait  à  de  Humières^  : 

i.  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol,  3178,  f«49. 

2.  Lettre  du  29  mars  1567.  Bibl.  nat,  mss,  f.  fr.  vol.  3178,  fo  53. 


—  464  — 

«  J'ay  entendu  toutes  les  nouvelles  que  m'avez  faict  sçavoir  de 
»  Testât  des  choses  de  voz  voisins,  qui  m'ont  esté  confirmées 
»  de  tant  d'endroiclz  que  je  les  tiens  pour  bien  véritables,  et 
y>  toutes  choses  en  si  bon  train  pour  le  service  du  roy  calholi- 
ï>  que,  mon  beau-fils,  que  j'espère  qu'il  n'aura  besoing  d'en- 
»  voyer  de  grandes  forces  en  ses  Pays-Bas  pour  y  restablir  son 
))  obéissance  toute  telle  qu'il  l'a  voudra  avoir  de  ses  subjectz.  » 

A  cette  époque,  venait  de  se  terminer,  en  France,  la  carrière 
terrestre  d'un  «  bon  personnage,  »  fort  connu  de  l'amiral,  qui, 
sous  le  patronage  direct  de  «la  duchesse  de  Ferrare,  s'était 
assigné  la  pieuse  ^tâche  de  traduire  en  langue  espagnole  le 
texte  du  Nouveau-Testament  et  d'en  préparer  la  dissémination 
au  sein  des  populations  asservies  par  le  roi  cathoHque  au  joug 
du  despotisme  et  de  l'inquisition.  Ce  bon  personnage,  Espagnol 
lui-même,  s'était  ému,  en  chrétien,  des  souffrances  imposées 
à  ses  compatriotes,  de  la  misère  morale,  inséparable  des 
ténèbres  dans  lesquelles  ils  demeuraient  plongés  ;  et  il  avait 
travaillé  à  leur  affranchissement  spirituel,  en  les  conviant  à 
accueillir  les  enseignements  et  les  consolations  de  l'Évangile. 
Il  avait  tenté  d'édifier,  là  où  le  fanatisme  de  Philippe  II  n'a- 
vait amoncelé  que  des  ruines. 

Un  ami  se  rendit  auprès  de  Renée  l'interprète  des  dernières 
pensées  de  l'humble  chrétien,  dans  ces  lignes  touchantes  *  : 

((  Madame  de  Ferrare.  —  Grâce  et  paix  par  Jésus-Christ!! 
»  —  Madame,  suivant  le  commandement  que  Vostre  Excel- 
))  lence  m'avait  fait  tout  incontinent  que  j'arrivay  en  ceste  ville 
»  de  Paris,  j'allai  au  logis  de  monsieur  Pierins  ^ ,  lequel  je 
»  trouvai  si  extrêmement  malade,  que,  à  une  heure  après  minuit, 

i.  LeUre  de  Bellerive,  du  20  octobre  i566,  datée  de  Paris.  (Bibl.  nat.  mss 
f.  fr.  vol.  3  230,  f"  125). 

2.  Une  lettre  adressée  le  28  mai  1566,  par  les  ministres  de  l'église  d'Anvers 
à  Renée  de  France,  prouve  l'estime  que  s'était  conciliée  Pierins,  par  sa  piété, 
l'étendue  de  son  savoir,  et  la  noblesse  de  son  caractère.  (Bibl.  nat.  mss.  f.  fr. 
vol.  3  211,  f«  80). 


—  465  — 

»  il  rendist  son  esprit  entre  les  mains  du  Seigneur  avec  telle 
»  assurance  de  son  salut  que  tous  les  assistans  avons  occasion 
y>  de  glorifier  le  Seigneur  et  en  édifier  nostre  foy,  d'autant  qu'en 
))  sa  mort  nous  avons  vu  une  certaine  vérification  de  la  victoire 
y>  que  nostre  rédempteur  Jésus  gaigna  contre  la  mort.  Au  reste, 
y>  madame,  tout  ainsi  que  ce  bon  personnage  vous  a  esté  fidèle 
»  serviteur,  en  sa  vie,  il  ne  s'est  pas  oublié  de  faire  son  debvoir 
3)  mesmes  à  l'heure  de  la  mort,  lequel  me  dist  ces  dernières 
»  paroles  :  qu'il  vous  supplioit  très  humblement  que  ce  fùst 
»  vostre  bon  plaisir  d'estre  son  héritière  et  testamentaire,  afin 
»  que  par  vostre  commandement  son  entreprinse  tant  souhai- 
»  tée,  en  son  vivant,  fnst  accomplie  après  sa  mort,  à  sçavoir 
))  l'impression  du  Nouveau-Testament  en  Espaignol,  et  quelques 
j)  autres  petits  traittés.  A  quoy  faire,  il  souhaiteroit  que  ses 
))  livres,  meubles,  et  l'argent  qui  par  la  libéralité  de  vostre 
))  Excellence  luy  estoit  desjà  assigné  pour  la  fin  de  ceste  année 
y>  fûst  employé  en  ladite  impression  ;  lequel  argent,  nonobstant 
»  le  commandement  de  vostre  lettre  il  n'estoit  pas  encore 
j)  emprunté,  d'autant  qu'il  l'avoit  dédié  pour  payer  les  chi- 
»  rurgiens.  Il  avoit  baillé  charge  de  faire  quelque  petite  provi- 
»  sion  de  bled  et  de  vin  pour  son  retour;  il  souhaitoit  que  ce 
))  fût  le  bon  plaisir  de  vostre  Excellence  qne  cela  s'employast 
))  pour  la  nourriture  de  ces  deux  personnes  espaignols  qu'il 
3>  tenoit  en  sa  compaignie,  vous  suppliant  très  humblement 
»  n'avoir  point  esgard  au  peu  de  moyens  qu'ils  ont  pour  vous 
«  faire  service,  mais  que  vostre  Excellence  considère  qu'ils  sont 
y>  estrangers,  destitués  de  tout  moyen  et  faveur  de  ce  royaume, 
»  et  que  leur  pérégrination  est  pour  une  si  bonne  et  juste 
»  cause,  à  sçavoir  pour  suivre  le  pur  et  vray  service  de  Dieu. 
j)  D'advantaige,  madame,  vous  les  obligerez  à  vous  faire  très 
y>  humble  service.  » 

Peu  après  l'arrivée  de  cette  lettre  au  château  de  Montargis» 
Renée  reçut  un  billet  de  l'amiral.  Dans  un  langage  aussi  simple 

II.  30 


__  466  — 
que  celui  qu'avait  tenu  l'ami  de  Pierins,  il  recourait,  en 
faveur  d'un  protégé,  à  l'inépuisable  bonté  de  la  duchesse.  «  Ma- 
»  dame,  lui  disait-il  \  ce  porteur  s'en  va  maintenant  pardevers 
y>  vous  pour  vous  supplier  qu'il  vous  plaise,  continuant  envers 
»  luy  vostre  faveur,  recommander  tellement  son  affaire,  qu'il 
»  ne  ressente  plus  les  empêchemens  qui  luy  ont  esté  donnez  à 
y>  la  jouissance  de  son  estât;  et  pour  ce,  madame,  qu'il  vous 
»  sçaura  réciter  son  faict,  je  ne  vous  feray  davantage  d'ennuy 
y>  pour  en  faire  le  compte,  sinon  pour  vous  supplier  très 
))  humblement  qu'il  vous  plaise  avoir  pitié  de  ce  pauvre  homme 
))  et  luy  aider  de  vostre  bon  moïen;  et,  oultre  que  particulière- 
))  ment  il  vous  en  demeurera  tant  redevable,  semblablement 
»  sa  femme  et  ses  petits  enfans  en  demeureront  aussi  en  per- 
»  pétuelle  obligation,  et  à  prier  Dieu  de  vous  conserver  lon- 
»  guement  en  bonne  santé;  et,  de  ma  part,  madame,  je  supplie 
»  le  Créateur  vous  donner,  en  toute  perfection  de  santé,  très 
»  heureuse  et  très  longue  vye.  » 

A  quelque  temps  de  là,  Jeanne  d'Albret,  tout  en  invoquant, 
comme  reine,  pour  le  maintien  de  ses  droits,  le  concours  de 
Goligny  ^,  crût  devoir,  comme  mère,  le  consulter  sur  un  grave 
parti  à  prendre,  en  ce  qui  concernait  l'éducation  du  jeune 
prince  de  Béarn,  ayant  alors  pour  précepteur  Morély.  Il  s'agis- 
sait de  savoir  s'il  n'y  avait  pas  lieu  de  congédier  Morély,  à  rai- 
son des  critiques  qu'avait  attirées  sur  lui  la  publication  d'un  écrit 
dans  lequel  il  alléguait  la  nécessité  de  substituer  aux  consis- 
toires, des  assemblées  de  fidèles  réglant  souverainement  les 
questions  de  dogme  et  de  discipline.  Jeanne  désirait  être  éclai- 
rée sur  ce  point  par  l'amiral.  «  Quand  je  prins  Morelly,  disait- 
»  elle  ^,  ce  fut  sans  le  cognoistre,  et  par  l'avis  de  ceulx  qui  ont 
y>  esté  trompés  comme  moy.  Une  sayne  afection  de  l'avense- 

i.  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  3 133,  fo  56.  i8  novembre  1566. 

2.  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  3  259,  fo  6. 

3.  Bull,  de  la  soc.  d'hist.  du  prot.  fr.  t.  XVI,  p.  65. 


—  467  — 

y>  ment  de  mon  filz  en  la  crainte  de  Dieu  a  mené  el  eus  et  moy, 
»  eus  à  me  l'enseigner,  et  moy  à  le  prendre,  et  mesme  désir  et 
y>  voulonté  à  m'en  défaire.  »  Coligny  répondit  à  l'appel  qui  lui 
était  adressé.  Sur  l'avis  qu'il  émit  et  que  partagea  une  réunion 
de  graves  personnages,  convoqués  par  la  reine  pour  entendre 
Morély,  le  renvoi  de  ce  dernier  fût  décidé.  Jeanne  en  informa, 
le  6  décembre  1566,  Th.  de  Bèze,  en  ces  termes  *  :  «  J'ay  prins 
»  la  résolution  d'oster  Morelly  de  près  de  mon  filz,  atendant 
))  que  Dieu  luy  ait  faict  grasse  de  se  recognoistre.  Et  d'aultant 
y>  que  la  charité  veut  toujours  et  désire  plus  tôt  la  miséricorde  de 
y>  Dieu  que  sa  terrible  justice,  il  a  semblé  à  toute  la  compagnie 
»  que,  sans  adousir  la  playe  de  la  conscience  dudit  Morelly  par 
»  connivense,  il  a  esté  bon  aussy  de  n'user  de  telle  véhémense 
»  qu'elle  le  peust  accabler,  l'admonestant    toujours  de   re- 
»  cognoistre  sa  faulte  tant  lourde  qu'il  fault  que  le  temps  et 
»  l'expérience  esclaircissent  son  esprit.  » 
L'amiral  de  son  côté,  écrivit  à  Th.  de  Bèze,  le  29  janvier  1567^  : 

» Quant  à  Morelly,  je  confesse  certainement  que  j'ay  esté 

))  déçeu,  ayant  maintenant  fort  bonne  cognoissance  de  son 
»  humeur  et  complexion,  et  estant  bien  au  demeurant  de 
»  cest  advis  qu'on  doibt,  à  l'endroict  de  ceulx  qui  se  res- 
))  semblent  et  qui  sont  touchés  de  mesme  maladie,  user  de 
y>  médicamens  des  plus  forts  et  réprimandes  rigoureuses,  et 
»  que  la  douceur,  comme  vous  m'escripvez,  ne  fait  qu'empirer 
»  le  mal.  » 

A  ces  réflexions  l'amiral  ajoutait  l'expression  de  sa  haute 
estime  pour  Th.  de  Bèze,  en  lui  disant  :  «  Vous  pouvez  bien 
»  croire  que,  pour  la  bonne  cognoissance  que  j'ay,  de  si  long- 
-»  temps,  de  vos  comportemens,  je  ne  vous  auray  jamais  en 
y>  autre  réputation  que  celle  que  vous  sçavez  fort  bien  que 


4.  Ibid. 

2.  Biblioth.  de  Genève.  Mémoires  sur  les  églises  de  France.  Vol.  197. 


»  j'ay   tousjours   eue Monsieur    de  Besze,  je  vous  puys 

»  dire  en  vérité  et  devant  Dieu  que,  depuys  le  temps  que  je 
y>  vous  ay  pratiqué  et  congneu,  je  n'ay  jamais  eu  aultre  opi- 
»  nion  de  vous  sinon  celle  que  l'on  peult  avoir  d'un  homme 
y>  qui  chemine  nettement  en  sa  charge  et  vocation.  Et  encores 
))  que  les  hommes  les  plus  parfaits  ne  sont  pas  exempts  de 
y>  quelques  passions  et  affections  de  la  chair,  si  est-ce  que 
»  jusques  icy  je  n'en  ay  pas  aperçu  en  vous  desquelles  je  vous 
»  vous  voulusse  taxer.  Et  quant  il  seroit  aultrement,  je  vous 
))  dirois  et  manderois  privemenl-,  vous  priant  de  prendre  tous- 
))  jours  d'aussy  bonne  part  ce  que  je  vous  manderé,  comme 
»  je  vous  pry  de  faire  le  mesme  en  mon  endroict,  car  Dieu  ju- 
»  géra  de  quel  zèle  et  esprit  nous  sommes  poulcés.  —  Vostre 
»  bien  bon  amy,  Chastillon.  y> 

La  cause  de  la  réforme,  en  France,  perdit,  dans  le  cours  de 
l'année  d567,  deux  de  ses  principaux  appuis,  la  comtesse  de 
Roye  et  le  prince  de  Portien.  Leur  mort  plongea  Coligny  dans 
une  profonde  affliction. 

Il  avait  été  constamment  pour  sa  sœur  un  ami  dévoué  ;  de- 
puis trois  ans,  il  avait  redoublé  de  tendresse  et  de  sollicitude  à 
son  égard,  alors  qu'il  était  témoin  des  souffrances  imposées 
à  son  cœur  par  la  fin  prématurée  d'Eléonore,  princesse  de 
Gondé;  souffrances  sous  le  poids  desquelles  se  déclara  une 
grave  maladie.  La  comtesse  de  Roye,  que  soutinrent,  jusqu'à 
l'heure  suprême,  les  pieuses  consolations  de  sa  famille,  termina 
en  chrétienne  résignée  et  confiante,  une  existence  noblement 
remplie.  Au  deuil  de  ceux  qui  la  pleuraient  purent,  de  nouveau, 
s'appliquer  ces  paroles  prononcées,  à  l'occasion  d'un  deuil  pré- 
cédent, par  sa  fille,  la  comtesse  de  Larochefoucault  ^  :  «  De  fait, 
»  ce  n'est  pas  sans  cause  que  Dieu  prépare  peu  à  peu  les  siens 
»  à  beaucoup  de  misères  et  calamitez  :  car  par  ce  moyen  [il  leur 

1.  Bull,  de  la  soc.  d'iiist.  du  protest.  fr.  t.  II,  p.  552, 


—  469  —    . 

»  apprend  de  bonne  heure  à  haïr  ce  monde,  pour  chercher  leur 
))  repos  et  félicité  au  ciel;  et  puis  estant  endurcis  au  mal,  ils 
»  portent  bien  plus  patiemment  tout  ce  qu'il  plàist  à  Dieu  leur 
»  envoyer,  et  surtout  quand  il  frappe  rudemement  sur  eux, 
»  ou  par  perte  de  biens  ou  de  leurs  plus  chers  parens  et 
»  amis  :  c'est  alors  que  comme  gens  aguerris,  ils  soutiennent 
))  vaillamment  les  coups,  sçachant  bien  que  celuy  qui  les  a 
»  destinez  à  cela  les  fournira  de  force  et  de  vertu  pour  résister 

»  jusques  au  bout Ayons  nostre  cœur  fiché  en  l'espérance 

))  de  la  résurrection  bienheureuse.  Et  combien  que  l'absence 
»  d'une  telle  personne  soit  tant  dommageable  pour  nous  qui 
»  avions  bien  besoin  d'une  si  bonne  et  parfaite  amie,  toutesfois 
»  c'est  bien  raison  que  nous  nous  submections  tous  paisible- 
»  blement  à  la  bonne  volonté  de  nostre  Dieu,  qui  a  voulu  faire 
yy  participante  de  sa  gloire  son  esleue,  au  temps  qu'il  a  cogneu 
»  estre  expédient.  » 

Le  princede  PorLien  fut,  tout  jeune  encore,  enlevé  à  l'affec- 
tion de  Goligny.  Il  avait,  dans  sa  courte  carrière,  montré  une 
élévation  morale,  une  piété  et  un  dévouement  que  l'amiral  mieux 
que  tout  autre  avait  pu  apprécier.  Les  phases  les  plus  saillantes 
de  cette  carrière,  sitôt  brisée,  se  résument  dans  les  faits  sui- 
vants : 

Issu,  en  1541,  du  mariage  de  Charles  de  Croy,  comte  de  Se- 
ninghen  et  de  Porcien,  baron  de  Renel,  et  de  Françoise  d'Am- 
boise,  iVntoine  de  Croy  était  en  bas  âge  lorsqu'il  perdit  son  père. 
Il  hérita  du  double  titre  de  comte  et  de  baron,  qu'il  devait 
échanger  ultérieurement  contre  celui  de  prince.  —  Elevé  par 
la  comtesse  de  Seninghen,  il  puisa,  dans  une  éducation  dirigée 
avec  autant  de  fermeté  que  de  tendresse,  des  enseignements  et 
des  inspirations  qui  le  préparèrent  à  une  carrière  sérieuse. 
Alliant  les  dons  du  cœur  à  ceux  de  l'intelligence,  le  fils  était 
digne  de  sa  mère.  En  1559,  il  adhéra  aux  doctrines  de  la  ré- 
forme, qu'elle  avait,  pour  sa  part,  adoptées,  au  début  de  1558. 


—  470  — 

Il  se  concilia  la  bienveillance  de  Goligny  ;  salutaire  patronage 
sous  lequel  s'abrita  sa  jeunesse. 

L'amiral,  qui  avait  reconnu  chez  le  fils  de  Françoise  d'Amboise 
une  justesse  de  vues,  une  fermeté  de  caractère,  et,  dans  l'action, 
des  aptitudes  que  son  extrême  jeunesse  rendait  d'autant  plus 
remarquables,  lui  ouvrit  l'accès  des  assemblées  de  Vendôme, 
de  La  Ferté-sous-Jouarre  et  de  Fontainebleau.  —  Antoine  de 
Croy  épousa,  en  octobre  1 560,  Catherine  de  Clèves,  fille  du 
.duc  de  Neverset  de  Marguerite  de  Bourbon,  et  devint  ainsi  neveu 
par  alliance  du  prince  de  Gondé.  A  l'occasion  de  son  mariage, 
des  lettres-patentes  firent  de  la  terre  de  Portien  un  marquisat 
qui,  le  4  juin  1561,  fut  érigé  en  principauté.  Durant  son  séjour 
à  St-Germain,  lors  du  colloque  de  Poissy,  le  prince  de  Portien 
s'occupa  beaucoup  plus  des  intérêts  spirituels  de  ses  coreli- 
gionnaires, que  des  démarches  accomplies  en  sa  faveur  pour  lui 
faire  obtenir  le  commandement  de  cinquante  hommes  d'armes 
et  le  collier  de  l'ordre  du  roi.  Porté  d'ailleurs  par  un  récent  état 
de  souffrance  à  de  graves  réflexions,  il  avait  puisé  un  redouble- 
ment de  zèle  pour  les  choses  religieuses,  tant  dans  l'étude  des 
événements  dont  la  cour  était  alors  le  théâtre,  que  dans  d'in- 
times entretiens  avec  sa  mère,  ses  tantes,  Eléonore  de  Roye  et 
Jeanne  d'Albret,  Gondé,  Goligny  et  Charlotte  de  Laval.  —  In- 
digné du  massacre  de  Vassy,il  s'empressa,  après  avoir  vainement 
cherché  à  pénétrer  dans  Provins  par  surprise,  de  se  joindre  à 
Louis  de  Bourbon  et  à  Goligny,  pour  prendre  en  main,  à  leur 
exemple,  la  cause  des  opprimés.  Envoyé  d'Orléans  en  Cham- 
pagne, il  assura  d'abord  le  passage  de  d'Andelot  à  travers  cette 
province,  réunit  ce  qu'il  put  de  troupes,  et  tenta  de  porter  se- 
cours çàet  là,  aux  réformés.  Peu  s'en  fallut  qu'il  ne  s'emparât 
de  Troyes  et  qu'il  n'y  accomplît  la  délivrance  de  ses  coreli- 
gionnaires. Il  rallia,  en  dernier  lieu,  un  petit  corps  dontil  confia 
le  commandement  intérimaire  à  Semide,  gentilhomme  expé- 
rimenté, et  il  s' avança jers  Strasbourg,  au  devant  de  d'Andelot, 


—  471  — 

avec  qui  il  rentra  dans  Orléans.  Suivant  G  onde  dans  sa  marche 
sur  Paris,  il  terrifia  la  population  de  cette  ville  par  l'attaque 
qu'il  dirigea  contre  le  faubourg  Saint- Victor.  A  la  bataille  de 
Dreux,  il  se  signala  à  la  fois  par  sa  valeur  et  par  sa  générosité 
envers  le  connétable,  dont  il  avait,  comme  fils,  à  se  plaindre,  et 
auquel  il  sauva  la  vie.  Accompagnant  l'amiral  en  Normandie, 
il  prit  Pont-l'Évêque  et  Bernay.  La  paix  ayant  été  conclue  en 
1563,  il  s'acquitta  avec  zèle  et  fermeté  de  la  difficile  mission  de 
reconduire  à  la  frontière  les  reitres  ;  mission  dans  l'accomplis- 
sement de  laquelle  les  conseils  et  l'influence  de  Coligny  le  sou- 
tinrent puissamment.  —  En  1565,  le  prince  de  Portien  assista 
le  maréchal  de  Montmorency  dans  la  juste  résistance  qu'il  op- 
posa aux  provocations  du  cardinal  de  Lorraine,  entrant  dans 
Paris,  à  la  tête  d'une  force  armée  agressive,  au  mépris  de  la 
défense  qui  lui  en  avait  été  faite.  Le  roi,  mécontent,  en  cette 
circonstance,  du  maréchal  et  du  prince,  enjoignit  à  celui-ci 
de  quitter  la  cour,  où  il  ne  reparut  que  dans  l'été  de  1566.  — 
Vers  cette  époque,  Antoine  de  Groy  perdit  sa  mère.  Quelques 
mois  plus  tard,  il  tomba  malade;  et,  le  5  mai  1567,  à  l'âge  de 
vingt-six  ans,  «  il  mourut  estouffé  de  poison  »,  dit  d'Aubigné  *. 
On  cite  ^  ces  paroles  que,  dans  un  entretien  suprême,  il  adressa 
à  sa  femme  :  «  Vous  estes  jeune,  vous  estes  belle,  et  vous  estes 
»  riche  ;  toutes  ces  qualités  jointes  ensemble,  avec  celle  d'une 
»  illustre  extraction,  vous  feront  rechercher  de  beaucoup  de 
»  gens.  J'approuve  que  vous  soyez  remariée;  je  vous  laisse  le 
y>  choix  des  partis,  et  de  tout  le  royaume  je  n'en  excepte  qu'un 
y>  seul  homme,  le  duc  de  Guise  :  c'est  l'homme  du  monde  que  je 
y>  hais  le  plus,  et  je  vous  demande  en  grâce  que  mon  plus  grand 
»  ennemy  ne  soit  pas  héritier  de  ce  que  j'ay  le  plus  aymé  de  tous 
»  mes  biens.  »  Infidèle  aux  recommandations  et  à  la  mémoire 

1.  Hist.  univ.,  t.  I,  liv.  IV.  —  Voir  aussi  :  Mém.  de  Condé  t.  VI,  p.  39  à  52, 
et  hist.  vérit.  du  calvinisme.  Amst.  1683,  p.  374. 

2.  Le  Laboureur,  addit.  aux  mém.  de  CasteJnau,  t.  1,  p.  181 . 


-  472  — 

de  celui  qui  l'avait  tant  aimée,  la  veuve  du  prince  osa,  à  cinq 
ans  de  là,  devenir  la  femme  du  duc  de  Guise  K 

Cependant  la  marche  des  événements,  en  France  et  au  delà 
des  frontières,  ne  cessait  de  préoccuper  l'amiral  et  ses  amis.  Le 
duc  d'Albe,  envoyé  par  Philippe  II  dans  les  Pays-Bas  avec  un 
corps  d'armée  destiné  àl'extermination  des  hérétiques,  allait  tra- 
verser la  Savoie,  la  Bourgogne  et  la  Lorraine.  Alléguant  la  né- 
cessité de  surveiller  les  mouvements  du  chef  espagnol  et  de  ses 
troupes,  le  gouvernement  français  venait  d'effectuer  en  Suisse 
la  levée  d'un  nombre  considérable  de  soldats,  dont  l'arrivée 
dans  le  royaume  inspirait  à  Goligny  et  à  Gondé  certaines  appré- 
hensions. Gatherine  et  son  fils  cherchèrent  à  les  dissiper,  non 
par  une  assurance  directe  de  la  loyauté  de  leurs  intentions, 
mais  par  la  voie  indirecte  d'une  faveur  apparente  que  l'ami- 
ral et  le  prince  acceptèrent  sans  l'avoir  recherchée,  et  qui 
d'ailleurs  ne  diminua  nullement  leurs  légitimes  défiances.  Voici 
en  quoi  consista  cette  faveur,  simplement  empruntée  aux  usages 
de  la  cour. 

«  Le  prince  de  Gondé  ayant  eu  un  fils,  le  roy,  selon  la  cous- 
»  tume,  luy  voulant  donner  le  nom,  et  s'y  trouvant  de  ladiffi- 


i .  Au-dessus  de  l'hommage  rendu  par  plusieurs  historiens  au  caractère  et  aux 
belles  qualités  d'Antoine  de  Croy  se  place  l'hommage,  bien  autrement  expressif 
qui  ressort  des  nombreuses  lettres  que  lui  adressèrent,  à  diverses  époques,  sa 
mère,  Coligny,  Charlotte  de  Laval,  d'Andelot,  le  cardinal  de  Châtillon,  Condé, 
EléonoredeRoye,Jeanne  d'Albret,le  maréchal  de  Montmorency,  Feuquières,  Cal- 
vin, de  Bèze,les  magistrats  de  Strasbourg,  les  ducs  de  Wurtemberg,  de  Lorrainei 
de  Juliers,  l'électeur  palatin  Frédéric  III,  le  duc  J.  Casimir,  Philippe  de  Croy, 
Robert  de  Lamarck,  et  d'autres  personnages  notables,  —  On  peut  consulter,  en 
ce  qui  concerne  le  prince  de  Portion,  ses  lettres  et  celles  qui  lui  ont  été  adressées 
(Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  volumes  3 124,  3  136,  3 159,  3  182,  3  188,  3 189,  3  195, 
3  210,  3  212,  3  216,  3  632,  3  950,  4  682,  20  507.  Ibid.  fonds  Colbert  V«  vol.  24). 
puis,  les  archives  de  Genève;  celles  de  Berne;  la  corresp.  franc,  de  Calvin, 
t.  H,  p.  505;  les  mém.  de  Gondé,  t.  Il,  et  6;  Vhist.  ceci.,  de  Th.  de  Bèze, 
passim;  Vhist.  univ.,  de  Thou,  t.  III;  les  mém.  de  Cl.  Haton,  t.  I;  Le  Labou- 
reur, addit.  aux  mém.  de  Gastelnau,  t.  I,  p.  380,  381,  et  t.  II,  p.  247,  248;  le 
Bull,  de  la  soc.  d'hist.  du  protest,  franc,  année  1869. 


—  473  — 
»  culte  à  cause  de  la  religion,  il  luy  pleust  de  faire  l'honneur 
y>  à  l'admirai  de  présenter  l'enfant  en  son  nom  au  baptesme  et 
))  à  recevoir  les  sacrez  commencemens  de  la  religion  ^  ce  qui  fut 
))  fait,  comme  il  est  ordinaire  en  la  cour  des  princes,  à  grande 
y>  pompe  et  magnificence.  Au  festin,  l'admirai  fut  seul,  comme 
»  le  roy,  assis  en  une  table  et  servi  par  les  mêmes  officiers;  ce 
»  que  plusieurs  interprétoient  à  ung  témoignage  de  la  singulière 
»  bienveillance  que  le  roy  luy  portoit.  '-.  » 

Coligny  ne  pouvait  plus  croire  désormais  à  cette  bienveillance. 
Des  révélations  sinistres  achevèrent  de  l'éclairer  sur  sa  situa- 
tion et  sur  celle  de  sa  famille,  de  ses  amis,  de  ses  coreligion- 
naires vis-à-vis  de  la  royauté. 

En  effet,  «  le  prince  de  La  Roche-sur- Yon,  qui  estoit  du  sang 
»  royal,  et,  à  cause  de  cette  proximité,  fort  amy  du  prince  de 
))  Condé,  ayant  escrit  à  l'admirai,  le  priant  de  luy  envoyer  se- 
»  crétement  quelque  sien  plus  particulier  confident  par  lequel 
y>  il  le  peust  informer  de  choses  très  importantes  à  son  salut  et 
»  qui  ne  dévoient  point  être  divulguées,  luy  donna  advis,  que  le 
y>  conseil  pris  à  Bayonne  estoit  de  détruire  entièrement  la  reli- 
»  gion  réformée  et  tous  ceux  qui  en  faisaient  profession,  et  qu'à 
»  cet  effet  on  avoit  fait  la  levée  des  Suisses  ^,  sous  prétexte  de 


i.  «  J'ay  esté  ces  jours  passez  à  Vallery,  au  baptesme  de  l'enfant  de  mon- 
»  sieur  le  prince  de  Condé,  qui  m'y  avoit  convié,  et  a  esté  porté  ledit  enfant  par 
»  monsieur  l'amiral,  au  nom  du  roy,  s'estant  trouvé  au  dit  lieu  de  Vallery  mon- 
»  sieur  le  cardinal  de  Chastillon,  messieurs  d'Andelot,  de  Larochefoucault,  de 
))  Janlis  et  plusieurs  autres  seigneurs  et  gentilhommes,  tellement  que  la  com- 
»  pagnie  estoit  fort  honorable  et  fut  bien  festoyée  dudit  sieur  prince,  et  récrée 
»  de  plusieurs  honnestes  passe  temps.  »  (F^ettre  de  Sault  à  de  Gordes,  du 
30  juin  1567,  hist.  des  pr.  de  Condé,  t.  I,  p.  537). 

"2.  Hotmann,  vie  de  Coligny,  trad.  de  1665,  p.  67,  68. 

3.  «  C'est  pour  cela,  dit  de  Thou  {hist.  univ.,  t.  IV,  p.  2),  qu'on  avoit  depuis 
»  peu  enrôlé  six  mille  suisses,  et  qu'on  faisait  actuellement  des  levées  dans  tout 
î  le  royaume.  Ce  n'était  pas  certainement  pour  faire  la  guerre  au  duc  d'Albe  et 
»  aux  Espagnols,  avec  qui  l'on  était  en  si  bonne  intelligence,  surtout  depuis 
»  l'entrevue  et  les  conférences  de  Bayonne,  Les  Espagnols  les  protestants, 
»  tous  les  gens  sages  et  expérimentés,  les  courtisans  eux  mêmes,  si  on  les 


—  474  — 

))  garder  les  frontières  et  de  les  opposer  aux  troupes  du  duc 
»  d'Albe.  Ce  qui  fut  aussi  confirmé  à  l'admirai  par  diverses  lettres 
y)  et  messages  *.  » 

Aux  impressions  produites  sur  l'espirit  de  Coligny  par  de 
telles  révélations  et  par  la  succession  des  événements  de  1563  à 
1567,  correspondaient  les  impressions  personnelles  de  ses 
amis.  De  Lanoue  a  fidèlement  traduit  les  unes  et  les  autres  ^  : 
((  Les  principaux  de  la  religion,  dit-il,  qui  ouvroyent  les  yeux 
y)  pour  la  conservation  tant  d'eux  que  d'autrui,  ayant  fait  un 
))  gros  ramas  de  ce  qui  s'estoit  fait  contre  eux  et  de  ce  qui  se 
3)  brassoit  encore,  disoyent  qu'indubitablement,  on  les  vouloit 
ï)  miner  peu  à  peu,  et  puis  tout  à  un  coup  leur  donner  le  coup 
»  de  la  mort.  Des  causes  qu'ils  alléguoyent,  les  unes  estoient 
3)  manifestes,  et  les  autres  secrettes.  —  Quant  aux  premières, 
»  elles  consistoient  es  démantellement  d'aucunes  villes  et  con- 
))  struction  de  citadelles  es  lieux  où  ils  avoyent  l'exercice  public; 
»  plus  es  massacres  qui  en  plusieurs  endroits  se  commettoyent 
))  et  en  assassinats  de  gentilshommes  signalez,  de  quoy  on 
»  n'avoit  peu  obtenir  aucune  justice;  aux  menaces  ordinaires 
))  qu'en  bref  ils  ne  lèveroient  pas  la  teste  si  haut  ;  et  singulière- 
»  ment  en  la  venue  des  Suysses,  combien  que  le  duc  d'Albe 
))  fust  déjà  passé  en  Flandres,  lesquels  n'avoyent  esté  levez  que 
y>  pour  la  crainte  simulée  de  son  passage.  —  Quant  aux  se- 
»  crettes,  ils  mettoyent  en  avant  aucunes  lettres  interceptées,  ve- 
»  nantes  de  Rome  et  d'Espagne,  où  les  desseins  qu'on  vouloit 
»  exécuter  se  descouvrirent  fort  à  plain  :  la  résolution  prise  à 


»  interrogeait,  ne  pouvaient  en  disconvenir.  C'est  encore  à  cela  que  tendaient 
»  les  fréquents  conseils  que  l'on  tenait  entre  le  pape  ou  ses  ministres  et  ceux 
»  des  deux  rois,  conseils  où  le  pontifene  travaillait  qu'à  entretenir  et  augmenter 
»  la  haine  de  ces  deux  princes  contre  les  protestants  de  France  et  des  Pays- 
»  Bas,  et  à  faire  allumer,  dans  le  même  temps,  le  feu  de  la  guerre  par  Philippe 
»  en  Flandre  et  par  Charles  dans  son  royaume.  > 

1.  Ilotman,  vie  de  Coligny,  tr.  de  1065,  p.  69. 

2.  Disc,  polit,  et  milit.,i^.  723. 


—  475  — 

y>  Bayonne  avecques  le  duc  d'Albe  d'exterminer  les  huguenots 
»  de  France  et  les  gueux  de  Flandres,  de  quoy  on  avoit  esté 
»  averti  par  ceux  de  qui  on  ne  se  doutoit  pas.  —  Toutes  ces 
»  choses,  et  plusieurs  autres  dont  je  me  tais,  resveilloyent  fort 
y>  ceux  qui  n'avoyent  pas  envie  qu'on  les  prist  endormis.  —  Et 
»  me  recorde  que  les  chefs  de  la  religion  firent  en  peu  de  temps 
»  trois  assemblées,  tant  à  Valéry  qu'à  Chastillon,  où  se  trou- 
D  vèrent  dix  ou  douze  des  plus  signalez  gentilshommes,  pour 
»  délibérer  sur  les  occurrences  présentes  et  chercher  des  expé- 
»  diens  légitimes  et  honnestes  pour  s'asseurer  entre  tant  de 
D  frayeurs,  sans  venir  aux  derniers  remèdes. 

ce  Aux  deux  premières,  les  opinions  furent  diverses.  Néant- 
»  moins  plus  par  le  conseil  de  monsieur  l'admirai  que  de  nul 
»  autre,  chacun  fut  prié  d'avoir  encore  patience,  et  qu'en 
»  affaires  si  graves  comme  celles-ci,  qui  amenoyent  beaucoup 
»  de  maux,  on  devoit  plustost  s'y  laisser  entraîner  par  la  néces- 
»  site,  qu'y  courir  par  la  promptitude  de  la  volonté,  et  qu'en 
»  bref  on  verroit  plus  clair.  » 

Le  roi  fut  supplié  de  renvoyer  les  Suisses,  dont  la  présence 
en  France  n'était  plus  nécessaire,  depuis  que  le  duc  d'Albe 
était  arrivé  dans  les  Pays-Bas.  L'ajournement  de  leur  renvoi 
accrut  la  défiance  de  Coligny  et  des  réformés. 

Le  connétable,  que  cette  défiance  inquiétait,  voulut  sonder 
les  intentions  de  son  neveu,  et  chargea,  à  cet  effet,  Thoré, 
l'un  de  ses  fils,  de  se  rendre  àChâtillon-sur-Loing,  d'y  remettre 
un  mémoire  à  l'amiral  et  de  provoquer  des  explications. 

Un  écrit,  en  forme  de  note,  sans  date  ni  signature,  rédigé, 
comme  tout  porte  à  le  croire,  par  Coligny  lui-même,  contient, 
en  substance,  la  réponse  qu'il  fit  au  mémoire  remis  par  Thoré. 
Voici  la  teneur  de  €et  écrit.  *  : 

«  Mons.  l'amyral  a  esté  merveillement  ayse  d'avoir  ce  bien 

1.  Bibl.  nat.  mss.  t.  fr.  vol.  3  MO,  f  66. 


-  476  — 
5>  de  veoir  mons.  de  Thoré,  pour  pouvoir  parler  à  luy  aussy 
y>  franchement  comme  il  feroit  à  son  propre  frère  ;  et  pour  ce 
2)  que  par  le  mémoyre  qu'il  a  rapporté,  monsieur  le  connestable 
»  s'esbahit  pourquoy  sest  que  ceulx  de  la  religion  sont  en  plus 
»  grande  deffiance  que  de  coustume,  et  que  par  ledit  mémoyre 
y>  il  est  porté  que  l'on  s'asseure  que  nul  de  ladite  religion  ne 
))  s'est  remué,  qu'ils  n'ayeiit  eu  les  instructions  de  luy,  il  veult 
»  bien  respondre  pour  ce  qui  luy  touche,  et  puys  dire  les  rai- 
y>  sons  qui  peuvent  mettre  ceulx  de  ladite  religion  en  deffiance. 
»  —  Et  quant  à  son  faict,  il  déclare  franchement  et  ouverte- 
))  ment  que  nul  de  ceulx  de  ladite  religion  n'a  pris  les  armes 
»  ny  par  son  conseil,  ny  par  ses  advertissementz.  Et  pourtant  ne 
))  luy  sçauroit  l'on  faire  ung  plus  grand  tort  que  de  semer  telz 
»  bruictz  de  luy,  car  sestsuyvant  ce  que  l'on  a  voulu  tousjours 
»  dire  qu'il  estoit  chef  de  part,  pour  le  rendre  plus  odieulx  au 
»  roy,  qui  néantmoins  n'a  point  de  plus  fidelle  ny  affectionné 
))  subject  et  serviteur,  s'estant  tellement  conduit  que  de  tout 
))  son  pouvoir  il  a  empesché  ces  troubles  et  s'y  est  tellement 
»  comporté,  que  ceulx  de  ladite  religion  mesmes  l'en  ont  eu  à 
»  suspect,  et  qu'ilz  disoient  qu'il  avoit  des  moyens  et  intelli- 
»  gencespour  se  tirer  de  la  fange  et  y  laisser  les  aultres.  Il  voul- 
»  droyt  aussy  que  l'on  se  souvynt  combien,  durant  les  plus 
))  grands  troubles  il  s'est  monstre  affectionné  au  bien  et  repoz 
))  de  ce  royaulme,  et  que,  s'il  eûst  eu  ung  aultre  desseing,  il 
.  »  avoit  bien  le  moyen  d'entreprendre  d'aultres  choses  qu'il  n'a 
»  faict.  Et  pour  ce  que,  sur  ce  propoz,  il  en  a  déclaré  davan- 
))  taige  audit  s' de  Thoré,  il  s'en  remettra  sur  luy,  désirant  bien 
»  que  désormais  l'on  ne  luy  preste  plus  ces  charitez,  que  de 
))  dire  que  ceulx  de  ladite  religion  ne  font  rien  que  par  son 
»  conseil  et  instructions.  Et,  pour  ce  qui  est  de  l'occasion  pré- 
»  sente,  il  ne  veult  pas  nyer  que,  pour  les  raisons  qu'il  a  d'estre 
»  en  deffiance  de  ceulx  de  la  maison  de  Guyse,  il  n'en  ayt  parlé 
»  avec  ses  meilleurs  parens  et  amys  ;  mais  que  pour  cela  il  ayt 


—  477  — 

»  conseillé  à  ung  seul  de  prendre  les  armes,  il  prend  sur  son 
»  honneur  qu'il  ne  l'a  pasfaict;  et  ce  qu'il  en  avoit  aussi  mandé 
))  à  mondit  s' le  connestable  par  La  Chavane,  c'estoit  comme 
))  à  son  père,  et  non  pas  pour  en  rien  dire  ny  au  roy  ny  à  la 
»  royne  ;  car  aussi  ledict  La  Ghavane  avoit  commandement  de 
»  n'en  parler  qu'à  luy  ;  mais  c'est  grand  cas  qu'il  fault  que  ceulx 
y>  de  Guyse  facent  tousjours  espouser  leurs  querelles  à  Sa 
»  Majesté  ;  et  vauldroit  mieulx  se  remmémorer  que  telle  chose 
»  a  cuidé  apporter  la  ruyne  de  ce  royaulme.  Le  dit  sieur  amyral 
))  prie  aussi  que  désormais  l'on  ne  se  prenne  à  luy  que  de  son 
))  faict  duquel  il  respondra  comme  ung  homme  de  bien  et  d'hon- 
»  neur  doibt  faire.  —  Quant  à  la  deffiance  que  ceulx  de  ladite 
y>  religion  peuvent  avoir  et  de  ce  qu'il  est  à  entendre,  il  dira 
»  bien  qu'il  n'est  possible  d'en  avoir  davantage  qu'ilz  en  ont. 
))  Les  raisons  sont  de  la  façon  que  l'on  se  gouverne  en  leur  en- 
»  droict  concernant  des  forces  que  le  roy  a,  que  l'on  ne  peult 
»  présumer  estre  à  aultre  intention  que  pour  leur  courre  sus, 
))  selon  la  bonne  intelligence  et  amytié  qui  est  entre  le  royd'Es- 
y>  pagne  et  luy.  Et  ce  qui  la  donne  encore  plus  grande,  c'est 
»  que  l'on  veult  que  l'on  croye  que  sans  ce  remuement  icy  le 
))  roy  vouloit  licentier  les  Suysses,  et  aussy  que  l'on  dict  que  Sa 

))  Majesté  ne  veut  plus que  l'on  luy  donne  de  troys  mois  en 

»  troys  mois.  Sur  quoy  sera  respondu  que  l'on  a  bien  veu  que 
))  toutes  celles  que  l'on  a  données  pour  le  passé,  c'a  esté  chose 
»  qui  a  esté  artificiellement  faicte  pour  rendre  tousjours  ceulx 
»  de  ladicte  religion  odieux  à  sadite  Majesté,  car  s'il  y  eust  eu... 
»  desseing,  l'on  ne  sçayt  qui  eut  empesché  que  l'on  en  eust  veu 
))  d'autres  effects  en  ceste  dernière  foys.  Tout  homme  de  juge- 
))  ment  dira  que  c'est  plus  pour  chercher  une  occasion  que  de 
»  l'avoir  trouvée  ;  car  qui  eust  eu  envie  d'entreprendre  quelque 
»  chose,  l'on  n'eûst  pas  attendu  le  passage  des  Espaignolz  ny 
»  contenu  les  Suysses  en  ce  royaulme,  el  n'a  pas  esté  chose  si 
y>  secrètement  faite  que  l'on  ne  l'aye  préveue  cinq  et  six  moys 


_  478  — 
»  devant  ;  il  sembleroit  plustost  que  ce  fust  pour  se  servir  de 
»  l'occasion  que  l'on  a  tousjours  dicf  que  l'on  feroit,  qui  est 
»  que  l'on  esguillonneroit  tous  ceulx  de  ladite  religion,  que 
»  l'on  leur  feroit  faire  quelque  chose,  pour  fonder  une  querelle 
»  et  leur  courre  sus.  —  H  y  a  plusieurs  aultres  raisons  qui 
y>  seroient  trop  longues  à  escripre  et  desquelles  il  en  a  dict  une 
»  bonne  partie  audict  s'  deThoré.  —  Et  reste  maintenant  à  dire 
»  le  moyen  pour  remédier  à  telles  deffiances,  qui  ne  peut  estre 
»  donné  que  par  le  roy,  en  monstrant  que  Sa  Majesté  n'a  point 
»  de  deffiance  de  ses  subjectz  ;  mais  ce  n'est  pas  le  moyen  en 
»  faisant  les  recherches  que  l'on  faict  tant  en  Normandye 
y>  qu'aux  grands  jours,  par  lesquelles  nul  de  ceulx  de  la  reli- 
»  gion,  depuis  le  plus  grand  jusques  au  plus  petit,  ne  se  peult 
»  dire  exempt  des  crimes  de  lèze-majesté,  si  c'est  comme  ce 
»  que  l'on  veult  imputer  à  crime,  et  n'y  a  personne  qui  n'aye 
»  occasion  de  trouver  cela  bien  rude  et  estrange,  veu  que  de  ce 
))  que  ledit  sieur  amyral  sçait,  il  dict  devant  Dieu  qu'il  ne  sçayt 
D  point  que  ceulx  de  ladite  religion  ayent  aucune  volunté  que  de 
»  bien  et  fidèlement  servir  sadite  Majesté  et  emploier  pour  cela 
»  leurs  corps  et  leurs  biens.  —  Quant  au  particulier  dudict 
»  sieur  amyral,  il  supplie  mondit  sieur  le  connestable  de  se  res- 
»  souvenir  des  propos  et  asseurances  qu'il  luy  a  données,  et 
y>  qu'il  n'est  pas  sy  meschant  ny  malheureux  que  de  prester 
»  l'oreille  à  ceulx  qui  voudroient  attempter  à  la  personne  du 
ï>  roy  ne  de  son  estât,  et  qu'il  ne  luy  donnera  jamais  occasion 
))  de  perdre  la  bonne  opinion  et  estime  que  justement  il  peut 
»  avoir  de  luy.  » 

Cependant  Goligny  et  ses  amis,  informés  que  les  Suisses  quit- 
taient la  frontière  pour  s'avancer  dans  l'intérieur  de  la  France, 
envoyèrent  aussitôt  un  agent  sûr  vers  le  connétable  ;  et,  voulant 
à  tout  prix,  éviter  l'effusion  du  sang,  ils  lui  adressèrent  de 
«  nouvelles  soubmissions  pour  supporter  l'édict  de  Roussillon, 
»  et  autres  indignitez  qui  ne  sembloient  point  tolérables  ;  le 


—  479  — 
»  suppliant  d'avoir  pitié  de  la  France,  et,  aux  despens  de  leur 
y>  humilité,  remettre  tout  en  paix.  Ce  vieil  conseiller  les  paya 
y>  d'une  estrange  raison,  après  plusieurs  autres  :  que  voudriez- 
»  vous,  dit-il  qu'on  fist  de  ces  Suysses  bien  payez,  si  on  ne  les 
y>  employoit  *  ?  » 

Goligny  et  ses  amis  ne  pouvaient  accepter  une  raison  de  ce 
genre.  Une  dernière  démarche  fut  tentée  :  l'amiral  et  Condé  se 
rendirent  à  la  cour,  «  où  ils  remonstrèrent,  l'un  après  l'aultre, 
y>  au  roy,  à  sa  mère,  au  conseil  qu'il  n'y  avoit  juste  occasion 
»  ni  raison  de  ceste  levée  et  introduction  de  six  mille  Suisses 
»  dedans  le  royaume,  si  d'aventure  on  ne  prétendait  les 
y>  employer  pour  la  ruine  de  ceux  de  la  religion,  qui  estoient 
»  encores  en  plus  grand  nombre  que  l'on  ne  pensoit  pas  ;  que 
î>  la  guerre  passée  en  avoit  fait  preuve  ;  et  que  si  leurs  ennemys 
»  entreprenoient  autre  chose  qu'à  point,  ils  se  tiendroient  sur 
»  leurs  gardes  et  ne  se  lairroient  pas  esgorger  par  les  brigands 
»  et  perturbateurs  du  repos  public.  Sur  cela,  ils  supplièrent 
»  très  humblement  le  roy  d'avoir  compassion  de  tant  de 
y>  familles  honnestes  et  de  tout  son  royaume,  mais  ils  furent 
j)  rebutez  et  indignement  traitiez  ^.  y> 

Coligny  avait  horreur  de  la  guerre  civile  ;  et  ses  constants 
efforts,  de  1563  à  1567,  avaient  tendu  à  en  éviter  le  retour. 
Dans  les  deux  assemblées  tenues  à  Valéry  et  à  Ghâtillon,  il  s'é- 
tait attaché  à  contenir  l'indignation  et  l'ardeur  de  ses  amis  ;  il 
avait  obtenu  qu'ils  se  résignassent  à  un  rôle  d'expectative.  Mais, 
ainsi  qu'il  le  pressentait,  de  nouveaux  dangers,  en  venant  me- 
nacer les  réformés,  mettraient  un  terme  à  leur  patience.  Ces 
dangers,  au  premier  rang  desquels  figuraient  l'insuccès  de  la 
dernière  tentative  faite  pour  arrêter  la  marche  des  suisses  vers 
le  centre  de  la  France,  et  la  certitude  acquise  de  l'existence 


1.  D'Aubigné,  Hist.  univ.,  t.  I,  livre  IV,  chap.  vu. 

2.  Hist  de  cinq  rois,'  p.  318,  319. 


—  480  — 

d'un  complot  ourdi  par  la  cour,  nécessitèrent,  de  l'avis  de 
l'amiral  lui-même,  la  convocation  d'une  troisième  assemblée, 
qui  suivit,  à  moins  d'un  mois  d'intervalle,  la  tenue  de  la  seconde. 

A  cette  troisième  assemblée,  comme  aux  deux  précédentes, 
se  trouvaient,  outre  Goligny,  Gondé,  de  Larochefoucault,  Bou- 
card,  Briquemault  \  et  d'autres  chefs  -.  De  Lanoue  en  rend 
compte  en  ces  termes  ^  : 

«  Les  cerveaux  s'eschaufFèrent  davantage,  tant  pour  les  con- 
»  sidérations  passées,  que  pour  nouveaux  avis  qu'on  eut,  et 
»  nommément  pour  un,  que  messieurs  le  prince  et  admirai 
»  affirmèrent  venir  d'un  personnage  de  la  cour  très  affectionné 
»  à  ceux  de  la  religion,  lequel  asseuroit  qu'il  s'estoit  là  -tenu  un 
))  conseil  secret,  où  délibération  avoit  esté  faicte  de  se  saisir 
))  d'eux,  puis  faire  mourir  l'un,  et  garder  l'autre  prisonnier; 
»  mettre,  en  même  temps,  deux  mille  suysses  à  Paris,  deux 
»  mille  à  Orléans,  et  le  reste  l'envoyer  àPoictiers;  puis  casser 
»  l'édict  de  pacification,  et  en  refaire  un  autre  du  tout  con- 
»  traire  :  et  qu'on  n'en  doutast  point.  Or,  cela  ne  fut  pas 
))  malaisé  à  croire,  veu  qu'on  voyoit  desjà  les  suysses  s'achemi- 
))  ner  vers  Paris,  qu'on  avoit  tant  de  fois  promis  de  renvoyer. 

«  Et  y  eut  quelques-uns  qui  estoyent  là,  plus  sensitifs  et 


1.  Il  est  digne  de  remarque,  qu'à  une  date  voisine  de  celle  de  la  troisième 
assemblée,  Goligny,  que  les  préoccupations  même  les  plus  graves,  ne  détour- 
naient jamais  d'un  bon  office  à  accomplir,  vis-à-vis  de  qui  que  ce  fût,  et 
surtout  vis-à-vis  d'un  ami,  écrivit,  le  6  septembre  1567,  au  syndic  et  au 
conseil  de  Genève  :  «  magnifiques  seigneurs,  d'autant  que  j'ay  esté  prié  par 
»  monsieur  de  Briquemault  de  vous  escripre  en  faveur  de  sa  fille  qui 
»  est  en  vostre  ville,  à  ce  que  vous  veuilliez  avoir  ses  affaires  et  son  bon 
»  droict  pour  recommandé  en  justice  ;  et  encore  que  je  m'asseure  bien  que 
»  vous  estes  assez  amateurs  de  cela  et  qu'il  ne  soit  point  de  besoing  de 
»  vous  en  escrire,  si  est-ce  que  trouvant  ceste  prière  raisonnable,  et  aussy 
»  pour  l'amitié  que  je  porte  audit  sieur  Briquemault,  je  l'ai  bien^  voulu 
>  faire,  etc.,  etc.  » 

2.  D'Aubigné,  Hist.  univ,,  t.  IV,  chap.  vu. 

3.  Disc,  polit,  et  mil.,  p.  724  et  suiv. 


—  481  ~ 

»  impatiens  que  les  autres  qui  tinrent  ce  langage  :  Comment? 
»  Veut-on  attendre  qu'on  nous  vienne  lier  les  pieds  et  les  mains, 
)j  et  puis  qu'on  nous  traîne  sur  les  eschaffaux  de  Paris,  pour 
»  assouvir  par  nos  morts  honteuses  la  cruauté  d' autrui?  Quels 
»  avis  faut-il  plus  attendre?  Voyons-nous  pas  desjà  l'ennemi 
y>  estranger  qui  marche  armé  vers  nous  et  nous  menace  de  ven- 
y>  geance,  tant  pour  les  offenses  qu'ils  reçeurent  de  nous  à 
))  Dreux,  que  pour  les  injures  que  nous  avons  faites  aux  catho- 
»  liques,  en  nous  défendant?  Avons-nous  mis  en  oubli  que  plus 
»  de  trois  mille  personnes  de  nostre  religion  sont  péries  par 
»  morts  violentes,  depuis  la  paix,  pour  lesquelles  toutes  nos 
»  plaintes  n'ont  jamais  peu  obtenir  autre  raison  que  des  res- 
»  ponses  frivoles  ou  des  dilations  trompeuses?  Si  c'estoit  le 
»  vouloir  de  nostre  roy  que  nous  fussions  ainsy  outragez  et 
y>  vilipendez,  paravanture  le  supporterions-nous  plus  doucc- 
y>  ment  ;  mais  puisque  nous  sçavons  que  cela  se  fait  par  ceux 
»  qui  se  couvrent  de  son  nom  et  qui  nous  veulent  oster  l'accès 
»  envers  lui  et  sa  bienveillance,  afin  qu'estans  destituez  de  tout 
»  support  et  aide  nous  demeurions  leurs  esclaves  ou  leur  proye, 
»  supporterons-nous  telles  insolences?  Nos  pères  ont  eu  pa- 
»  tience  plus  de  quarante  ans,  qu'on  leur  a  fait  esprouver  toutes 
»  sortes  de  supplices,  pour  la  confession  du  nom  de  Jésus- 
y>  Christ,  laquelle  cause  nous  maintenons  aussy.  Et  à  cette 
»  heure,  que  non  seulement  les  familles  et  bourgades,  mais  les 
»  villes  toutes  entières,  sous  l'aultorité  et  bénéfice  de  deux 
»  édits  royaux,  ont  fait  une  déclaration  de  foy  si  notoire,  nous 
»  serions  indignes  de  porter  ces  deux  beaux  titres  de  chrestien 
»  et  de  gentilhomme,  que  nous  estimons  estre  l'honneur  de  nos 
))  ornemens,  si  par  nostre  négligence  ou  lascheté,  en  nous  per- 
»  dant  nous  laissons  périr  une  si  grande  multitude  de  gens. 
»  Parquoy  nous  vous  supplions  messieurs,  qui  avez  embrassé  la 
»  défense  commune,  de  prendre  promptement  une  bonne  réso- 
y>  lution,  car  l'affaire  ne  requiert  plus  qu'on  temporise. 

31 


—  482  — 

«  Les  autres  qui  estoyent  en  ce  conseil  furent  esmeus,  non 
»  tant  pour  la  véhémence  des  parolles,  que  pour  la  vérité 
»  d'icelles.  Mais,  comme  il  y  en  a  toujours  qui  sont  fort  consi- 
.1)  dératifs  \  ceux-là  répliquèrent  qu'ils  apercevoyent  bien  le 
»  danger  apparent,  néantmoins  que  la  salvation  leur  estoit  ca- 
y>  chée  :  car,  si  nous  voulons,  disoient-ils,  avoir  refuge  aux 
))  plaintes  et  doléances,  il  est  tout  clair  qu'elles  servent  plus  à 
»  irriter  ceux  à  qui  on  les  fait,  que  de  remèdes.  Si  aussi  nous 
))  levons  les  armes,  de  combien  de  vitupères,  calomnies  et  ma- 
))  lédictions  serons-nous  couverts  par  ceux  qui  nous  imputans 
»  la  coulpe  des  misères  qui  s'ensuyvront,  ne  pouvans  deschar- 
»  ger  leur  colère  sur  nous,  la  deschargeront  sur  nos  pauvres 
y>  familles  demeurées  esparses  en  divers  lieux.  Mais,  puisque 
»  de  plusieurs  maux  on  doit  tousjours  choisir  les  moindres,  il 
»  semble  qu'il  y  ait  encores  moins  de  mal  d'endurer  les  pre- 
»  mières  violences  de  nos  ennemis,  que  les  commencer  sur 
))  eux,  et  nous  rendre  coulpables  d'une  agression  publique  et 
))  générale. 

«  M.  d'Andelot  prit  la  parole  après  et  dit  :  vostre  opinion, 
y>  messieurs,  qui  venez  de  parler,  est  fondée  sur  quelque  pru- 
D  dence  et  équité  apparente  ;  mais  les  principales  drogues  mé- 
»  dicinales,  propres  pour  purger  l'humeur  peccante  qui  abonde 
»  aujourd'huy  au  corps  universel  de  la  France  luy  défaillent, 
»  qui  est  la  fortitude  et  la  magnanimité.  Je  vous  demande,  si 
))  vous  attendez  que  soyons  bannis  es  païs  estranges,  liez  dans 
))  les  prisons,  fugitifs  par  les  forests,  courus  à  force  du  peuple, 
y>  mesprisez  des  gens  de  guerres  et  condamnez  par  l'authorité 
»  des  grands,  comme  nous  n'e'n  sommes  pas  loin,  que  nous 
3)  aura  servi  nostre  patience  et  humilité  passée?  que  nous 

1.  Coligny  était  du  nombre  de  ces  hommes  considératifs  ;  aussi  d'Aubigné, 
parlant  de  son  attitude  en  présence  des  événements  qui  motivèrent  la  troisième 
assemblée j  dit-il  :  «  l'amiral  voulait  endurer  toutes  extrêinitez  et  se  confier  en 
l'innocence.  »  {Hist.  univ.,  1. 1,  liv.  IV,  chap.  vu.) 


b 


—  483  — 
»  profitera  alors  nostre  innocence?  a  qui  nous  plaindrons- 
»  nous?  mais  qui  est-ce  qui  nous  voudra  seulement  ouir?  Il  est 
»  temps  de  nous  désabuser  et  de  recourir  à  la  défense,  qui  n'est 
»  pas  moins  juste  que  nécessaire,  et  ne  nous  soucier  point  si 
»  on  dit  que  nous  avons  esté  autheurs  de  la  guerre  ;  car  ce  sont 
»  ceux-là  qui  par  tant  de  manières  ont  rompu  les  conventions 
»  et  pactibns  publiques,  et  qui  ont  jette  jusques  dans  nos 
»  entrailles  six  mille  soldats  estrangers,  qui  par  effet  nous  l'ont 
))  desjà  déclarée.  Que  si  nous  leur  donnons  encor  cest  avan- 
»  tage  de  frapper  les  premiers  coups,  nostre  mal  sera  sans 
»  remède.  t> 

((  Peu  de  discours  y  eut-il  après,  sinon  une  approbation  de 
))  tous  d'embrasser  la  force,  pour  se  garantir  d'une  ruine  pro- 
))  chaîne.  Mais  s'il  y  eut  des  difficultez  à  se  résoudre  sur  ceci, 
»  il  n'y  en  eut  pas  moins  pour  sçavoir  comme  on  devoit  procé- 
j>  der  en  ceste  nouvelle  entreprise. 

«  Aucuns  vouloyent  que  les  chefs  et  principaux  de  la  religion 
T)  se  saisissent  doucement  d'Orléans,  ville  confédérée,  et  après 
»  envoyassent  remonstrer  à  leurs  majestez,  que  sentant  apro- 
))  cher  les  Suysses,  ils  s'estoyent  là  retirez,  avecques  leurs  amis, 
))  pour  leur  seureté,  et  qu'en  les  Hcentiant,  chacun  retourne- 
))  roit  à  sa  maison.  A  ceux-là  futrespondu  qu'ils  avoyent  oublié 
»  qu'à  Orléans  y  avoit  un  grand  portail  fortifié,  gardé  par  suf- 
»  lisante  garnison  de  catholiques,  par  lequel  ils  pourroyent 
))  toujours  faire  entrer  gens  en  la  ville,  et  que  le  temps  n'es- 
y>  toit  plus  de  plaider  ni  se  défendre  avec  les  paroles  et  le  pa- 
T>  pier,  ains  avecques  le  fer.  Autres  trouvoyent  bon  de  prendre 
»  par  toutes  les  provinces,  tant  de  villes  qu'on  pourroit,  puis 
D  se  mettre  sur  la  défensive  :  lequel  avis  ne  fut  non  plus  reçu, 
»  pour  ce,  dit-on,  qu'aux  premiers  troubles,  de  cent  que  ceux 
))  de  la  religion  tenoyent,  au  bout  de  huit  mois  il  ne  leur  en 
»  demoura  pas  douze  entre  les  mains  :  d'autant  qu'ils  n'avoyent 
»  armées  suffisantes  pour  les  secourir. 


—  48i  — 

(i  Enfin  on  conclud  de  prendre  les  armes,  et,  à  ce  commen- 
»  cernent  de  guerre  observer  quatre  choses  :  la  première,  de 
))  s'emparer  de  peu  de  villes,  mais  d'importance  ;  la  seconde, 
(T  de  composer  une  armée  gaillarde;  la  tierce,  de  tailler  en 
»  pièces  les  suysses,  par  la  faveur  desquels  les  catholiques  se- 
»  roient  tousjours  maîtres  de  la  campagne;  la  quatrième, 
»  d'essayer  de  chasser  M.  le  cardinal  de  Lorraine  de  la  cour, 
»  que  plusieurs  imaginoyent  solliciter  continuellement  le  roy 
»  à  ruiner  ceux  de  la  religion. 

«  De  grandes  difficultez  furent  encore  proposées  sur  ces  deux 
;)  derniers  points  ;  car  on  dit  que  le  cardinal  et  les  suysses 
))  marchoyent  tousjours  avec  le  roy,  et  que,  attaquant  les  uns, 
))  et  voulant  intimider  l'autre,  on  diroit  que  l'entreprise  auroit 
»  esté  faite  contre  la  majesté  royale,  et  non  contre  autrui^  ; 
))  toutesfois  elles  furent  vuidées  par  ceste  réplique  :  c'est  que  l'évé- 
))  nement  descouvriroit  quelles  seroyent  leurs  intentions,  comme 
))  ils  rendirent  tesmoignage  de  celles  du  roy  Charles  septième, 
»  estant  encore  daulphin,  qu'il  n'avoit  levé  les  armes,  ni  contre 
y>  son  père,  ni  contre  le  royaume;  davantage,  qu'on  sçavoit  bien 
))  queles  françois  en  corps  n'avoient  jamais  attenté  contre  la  per- 

1.  Cette  objection  n'eût  pas  arrêté,  s'il  eût  encore  vécu,  en  1567,  l'un  des 
plus  fidèles  serviteurs  de  la  couronne,  Soubise;  car,  dès  1565,  il  avait  émis 
l'avis  que  les  réformés,  dans  l'intérêt  de  leur  cause,  pouvaient  et  devaient  re- 
courir à  la  force,  pour  séparer  le  roi  de  l'entourage  qui  l'asservissait.  En  effet, 
ou  lit  dans  les  mémoires  de  la  vie  de  Soubise  (p.  88,  89)  :  «  Au  retour  de  La 
»  Rochelle,  il  revint  chez  luy  et  dist  à  la  dame  de  Soubize,  sa  femme,  qu'il 
»  voyait  bien,  veu  la  façon  dont  toutes  choses  se  gouvernoient,  qu'il  seroit  né- 
»  cessaire  de  se  saisir  de  la  personne  du  roy,  et  l'oster  des  mains  de  ceux  qui 
ï  taschoient  à  se  servir  de  son  authorité  pour  un  temps  affin  d'accroistre  la  leur 
»  et  se  faire,  à  la  fin,  rois,  s'ils  pourroient;  partant,  au  contraire,  estoit  be- 
»  soing  de  les  reculer  d'auprès  de  sa  personne  et  d'en  approcher  les  princes  du 
»  sang  et  vrais  serviteurs  de  la  couronne,  pour  bien  instruire  le  roy,  en  sorte 
»  qu'il  fùst,  un  jour,  tel  que  doibt  cstre  un  prince  vrayment  chrestien  et  ver- 
»  tueux.  Vray  est  que  le  tout  estoit  do  faire  si  bien  l'entreprise,  qu'on  n'y 
»  faillist  point,  car  s'il  advenoit  qu'elle  fùst  faillie,  c'esloit  la  ruyne  de  Testât. 
»  Cela  avait-il  dès  lors  en  l'entendement,  comme  depuis  Ta  dict  la  dame  de 
>  Soubise  sa  femme.  > 


—  485  — 

y>  sonne  de  leur  prince.  Finalement,  si  ce  premier  succès  esloit 
))  favorable,  qu'il  pourroit  retrancher  le  cours  d'une  longue  et 
j)  ruineuse  guerre,  en  tant  qu'on  auroit  le  moyen  de  faire 
»  entendre  au  roy  la  vérité  des  affaires  qu'on  lui  desguisoit; 
»  dont  se  pourroit  ensuyvre  la  reconfirmation  des  édicts,  mes- 
y>  mement  quand  ceux  qui  vouloyent  prévenir  se  sentiroient 
»  prévenus. 

«  Voilà  quelle  fut  la  résolution  que  prindrent  lors  tous  ces 
»  personnages  qui  se  trouvèrent  ensemble  ;  lesquelz,  combien 
»  qu'ils  fussent  douez  de  grande  expérience  sçavoir,  valeur  et 
))  prudence,  si  est-ce  que  ce  qu'ils  avoyent  si  diligemment 
»  examiné  et  tant  bien  projeté,  se  trouva  quand  on  vint  aux 
»  effects,  merveilleusement  esloigné  de  leur  attente  :  et  d'au- 
»  très  choses,  à  quoy  ils  n'avoyent  quasi  point  pensé,  pour  les 
»  tenir  trop  seures  ou  difficiles,  se  tournèrent  en  leur  bénéfice  ; 
))  dont  bien  leur  servit.  Par  ceci  se  peut  cognoistre  que  les 
))  bonnes  délibérations  ne  sont  pas  toujours  suyvies  de  bon 
»  succès.  Ce  que  j'ay  dit  n'est  pas  pour  taxer  ceux  de  qui  j'ay 
y>  parlé,  la  vertu  desquels  j'ay  toujours  grandement  admirée, 
»  ny  pour  faire  négliger  la  prudence  et  la  diligence  aux  affaires  : 
»  ains  seulement  pour  advertir  que  l'accomplissement  de  nos 
»  œuvres  ne  gist  pas  tant  en  l'humaine  proposition,  qu'en  la 
y>  divine  disposition.  » 


CHAPITRE  VIII 


Les  chefs  réformés  se  réunissent  à  Rozay  en  Brie.  —  Ils  adressent  une  requête  au 
roi.  —  Arrivée  des  Suisses  à  Mcaux.  —  Le  roi  s'enfuit  à  Paris.  —  Les  confédérés 
prennent  position  à  Saint-Denis.  —  Le  roi  somme  Condé,  Coligny  et  leurs  compa- 
gnons d'armes  de  se  rendre  auprès  de  lui.  —  Demandes  présentées  par  les  con- 
fédérés. —  Ils  en  restreignent  la  portée.  —  Le  connétable  rend  tout  accommo- 
dement impossible.  —  Bataille  de  Saint-Denis.  —  Lettres  de  Condé,  de  Coligny  et 
de  ses  frères  au  sénat  de  Strasbourg  et  au  conseil  de  Genève.  —  Les  confédérés 
quittent  Saint-Denis.  —  Mémoire  de  Condé  au  roi.  —  Réponse  du  roi.  —  Mission 
confiée  à  Téligny.  Lettres  de  Condé.  —  Lettre  du  roi  au  duc  d'Anjou.  —  Répqjise 
du  roi  à  Condé.  —  Coligny  écrit  au  duc  d'Anjou.  —  Négociation  entamée  entre  la 
cour  et  le  cardinal  de  Châtillon.  —  Rupture  de  cette  négociation.  —  L'armée  des 
confédérés  se  rend  en  Lorraine,  à  la  rencontre  des  auxiliaires  allemands. 


Condé  avait  indiqué,  pour  la  fin  de  septembre  (1567),  à  Rozay, 
on  Brie,  une  réunion  en  armes,  à  laquelle  la  majeure  partie  de 
la  noblesse  des  environs  se  rendit.  Autour  du  prince  se  grou- 
pèrent, dans  cette  localité,  ses  oncles,  Coligny,  d'Andelot,  son 
beau-frère,  Larochefoucault,  et  quatre  cents  hommes  de  cava- 
lerie. 

Catherine,  venue  de  Monceaux  à  Meaux  avec  le  roi,  fut 
informée  de  ce  qui  se  passait.  Voulant  empêcher  les  réformés 
d'agir,  jusqu'à  ce  que  les  six  mille  Suisses,  qui  accéléraient 
leur  marche,  fussent  arrivés  auprès  de  son  fils,  elle  envoya  le 
maréchal  de  Montmorency  demander  à  Condé  pourquoi  il  s'a- 
vançait, à  la  tête  d'une  troupe  armée.  Le  maréchal  rencontra 
les  confédérés  à  Torcy,  près  de  Lagny,  reçut  de  leurs  chefs 
communication  d'une  requête  destinée  à  être  placée  sous  les 
yeux  du  roi,  et  entama  des  conférences,  qu'il  eut  l'adresse  de 
prolonger.  Il  exhortait,  en  ami,  disait-il,  ses  interlocuteurs  à 


—  487  — 

demeurer  dans  la  voie  de  la  soumission  et  de  la  fidélité,  à  quitter 
les  armes  et  à  venir,  comme  des  suppliants,  présenter  au  sou- 
verain leurs  doléances  et  leurs  demandes.  Aux  exhortations 
du  maréchal  ils  répondirent  :  que  les  grands  et  beaux  mots 
d'obéissance  et  de  fidélité  n'étaient  plus  que  des  expressions 
sonores  et  spécieuses;  que  les  gens  qui  en  faisaient  parade  et 
les  rappelaient  sans  cesse  à  autrui  en  avaient  très  souvent  eux- 
mêmes  profané  la  sainteté,  en  désignant  comme  ennemis  du 
roi  ceux  qui  voulaient  mettre  im  frein  à  leur  ambition,  et  en 
les  réduisant,  malgré  eux,  à  la  triste  nécessité  de  prendre  les 
armes,  pour  soutenir  la  justice  de  leur  cause;  qu'au  reste,  s'ils 
réussissaient,  l'événement  ferait  connaître  la  droiture  de  leurs 
intentions;  et  qu'en  réprimant  l'ambition  de  leurs  ennemis, 
ils  mettraient  bientôt  fin  à  la  guerre  qu'ils  étaient  contraints 
de  recommencer  ^ 

Les  conférences  se  continuaient,  lorsqu'on  apprit,  à  Torcy, 
que  les  Suisses  approchaient  de  Meaux.  Gondé  chercha  à  les 
rejoindre  en  rase  campagne  ;  mais  il  était  trop  tard  :  déjà  ils 
s'étaient  massés  en  ville  auprès  du  roi.  Un  conseil  se  tint  à 
Meaux  :  on  y  décida  le  départ  immédiat  pour  Paris.  Vers 
minuit,  le  roi  quitta  Meaux,  escorté  par  les  six  mille  Suisses  et 
par  neuf  cents  gentilshommes.  A  la  pointe  du  jour,  il  fut  ren- 
contré par  la  petite  troupe  du  prince,  qui  fit  bonne  contenance. 
Il  n'y  eut,  du  reste,  entre  elle  et  l'escorte  royale  que  de  légères 
escarmouches;  car,  des  deux  parts,  on  jugeait  opportun  de  ne 
pas  engager  une  bataille. 

Le  28  septembre,  avant  la  chute  du  jour,  le  roi  arriva  à  Paris, 
d'où  il  écrivit  aussitôt  au  duc  de  Nevers  ^  :  «  Ceux  qui  se  sont 
»  eslevez  marchoient  droict  à  moy  pour  me  venir  enfermer  dans 
»  Meaulx,  où  avecques  moy  estoyent  logez  mes  Suisses  ;  ce  que 


1.  De  Thou,  hist.  univ.,  t.  IV,  p.  7. 

2,Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  3  221,  fM.  Lettre  du  28  septembre  i567. 


»  veoïant,  je  me  suis  résolu  de  monter  à  cheval  et  emmener 
))  avecques  moy  lesdits  Suisses  pour  me  mettre  dans  ceste  ville 
y>  de  Paris;  chose  qui  m'a  si  bien  et  heureusement  succédé 
))  que,  Dieu  mercy,  je  y  suis  de  présent,  comme  aussy  sont  les- 
»  dits  Suisses,  lesquels  aussy  ils  ont  essayé  d'entamer  et  les 
:»  combattre  ;  mais  ils  s'en  sont  mal  trouvez.  » 

Le  même  jour,  Catherine  mandait  au  duc  de  Nevers  ^  :  «  Vous 
»  jugerez  assez  en  quels  termes  nous  sommes,  et  combien  il 
»  est  besoing  que  vous  ayez  l'œil  ouvert  à  la  conservation  de 
»  ce  dont  vous  avez  la  charge  ;  ne  s'estant  pas  commencée  (la 
»  guerre)  sans  que  ceux  qui  l'entreprennent  ayent  beaucoup 
))  d'intelligences  partout,  et  mesme  de  vostre  costé.  A  quoy  je 
»  vous  prie  bien  fort  prendre  garde  de  bien  près,  n'y  allant  de 
»  rien  moins  que  de  la  perte  de  cest  estât  et  du  dangier  de  nos 
»  vies.  y> 

La  reine  mère,  dans  le  conseil  tenu  à  Meaux,  avait  émis  l'avis 
qu'on  ne  sortît  pas  de  cette  ville,  attendu  qu'elle  était  «  assez 
))  bonne,  défendue  par  une  armée  ;  et  que  d'ailleurs  il  y  avoit 
»  honte  à  lascher  pied.  »  Elle  s'opposait  à  toute  idée  de  fuite, 
surtout  parcequ'elle  se  disait  à  elle-même  «  que  Paris  estant 
))  tout  guisard,  elle  ne  pourroit  plus  là  se  conserver  d'authorité, 
»  qu'autant  qu'il  plairoit  à  la  maison  de  Lorraine.  »  Mais  «  la 
»  marée  l'emporta  dedans  Paris  ^.  y>  Aussi,  le  langage  qu'elle 
tint  au  duc  de  Nevers,  le  28  septembre,  prouvait-il  qu'elle  ne 
s'y  sentait  nullement  à  l'abri  des  appréhensions. 

Quant  au  cardinal  de  Lorraine  qui,  n'écoutant  que  son  intérêt 
personnel,  avait  fortement  conseillé  le  retour  dans  la  capitale, 
il  s'était  bien  gardé  d'y  entrer  avec  Charles  IX  qu'il  avait  lâche- 
ment abandonné  en  route.  «  Aux  premières  escarmouches, 
»  quoique  légères,  qui  s'estoient  attaquées  durant  le  passage  du 


i.  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  3  221,  f»  3. 

2.  D'Aubigné,  hist.  univ.,  1. 1,  liv.  IV,  chap.  vu. 


—  489  — 

))  roy  auprès  de  Claye,  le  prélat,  craignant  que  tout  s'enga- 
»  geast  dès  là  à  une  bataille,  avoit  pris  un  cheval  d'Espagne, 
»  et  de  là  le  chemin  de  Château-Thierry,  voulant,  comme  il 
»  disoit,  aller  haster  un  secours  ;  dont  avint  que  sa  trouppe  fut 
))  chargée  par  fort  peu  de  gens,  son  bagage  et  sa  vaisselle  d'ar- 
»  gent  prise,  et  lui  à  grand'  peine  gagna  Reims  \  » 

Les  réformés,  s'étant  ralliés  à  Claye,  y  restèrent  cinq  jours. 
En  attendant  qu'il  fut  répondu  à  la  requête  remise  au  maré- 
chal de  Montmorency,  dont  ils  pressentaient  au  surplus  que 
les  conclusions  seraient  repoussées  par  le  roi,  ils  appelèrent  à 
eux  tous  les  hommes  de  guerre  qui,  en  France,  venaient, 
presque  au  même  moment,  de  prendre  les  armes,  et  ils  pressè- 
rent les  levées  de  troupes  sur  divers  points  du  royaume. 

Maîtres  de  Montereau-fault-Yonne,  ils  s'approchèrent  de 
Paris,  qu'ils  voulaient  investir,  brûlèrent  plusieurs  moulins, 
dans  le  voisinage,  et  s'attachèrent  à  intercepter  les  principales 
voies  de  communication  entre  les  provinces  et  la  capitale. 

Effrayée  de  l'énergie  que  déployaient  Condé,  Coligny  et  les 
autres  chefs,  la  reine  mère  leur  envoya  une  députation,  chargée, 
en  même  temps  qu'elle  blâmerait  leur  prise  d'armes,  d'entrer 
avec  eux  en  pourparlers.  Pour  écarter  tout  blâme,  les  confé- 
dérés s'appuyèrent  sur  les  faits  et  les  motifs  consignés  dans 
leur  dernière  requête  ^ .  Ils  ajoutèrent  qu'ils  suppliaient  le  roi  de 
faire  droit  à  leurs  réclamations  ;  lui  promettant  que,  dès  qu'elles 
seraient  accueillies  et  que  l'exercice  de  leurs  droits  serait  sérieu- 
sement garanti,  ils  renonceraient  aux  hostilités. 

Le  2  octobre,  ils  prirent  position  à  Saint-Denis.  Une  nouvelle 
députation  vint  les  y  trouver,  et  leur  communiqua  un  projet 
d'édit,  ayant  pour  objet,  selon  elle,  l'établissement  d'une  paix 
fondée  sur  l'équité  et  la  raison.  L'édit  projeté  était  conçu  en 


1.  D'Aubigné,  hist.  univ.,  t.  I,  liv.  IV,  chap.  vu. 

2.  Voir  le  texte  de  cette  requête,  à  Y  appendice  ,  n°  31 . 


—  490  — 

des  termes  tels,  qu'il  ne  pouvait  satisfaire  les  confédérés.  Aussi, 
exprimèrent-ils  le  désir  que  le  roi,  pour  dissiper  leurs  justes 
défiances  et  celles  de  leurs  coreligionnaires,  autorisât  Gondé 
et  ses  compagnons,  qui  déposeraient  leurs  armes,  à  se  rendre 
auprès  de  sa  personne,  et  à  lui  soumettre,  avec  tous  les  déve- 
loppements nécessaires,  leurs  demandes,  tendant  en  substance, 
au  renvoi  immédiat  des  troupes  étrangères,  au  châtiment  des 
calomniateurs  et  fauteurs  de  désordres,  au  rétablissement  de 
l'édit  qui  consacrait  la  liberté  religieuse,  à  la  diminution  des 
impôts  démesurément  accrus,  à  l'attribution  des  dignités,  hon- 
neurs et  fonctions,  sans  distinction  de  culte,  enfin,  à  la  convo- 
cation d'une  assemblée  des  États  du  royaume  ^ 

Au  seul  énoncé  de  ces  demandes,  qu'elle  taxait  d'attaques 
indirectement  dirigées  contre  son  autorité  souveraine,  Cathe- 
rine éclata  de  colère;  et,  dans  la  violence  de  ses  récriminations 
et  de  ses  menaces,  associant,  plus  étroitement  que  par  le  passé, 
le  roi  et  la  cour  à  la  haine  qu'elle  portait  aux  réformés,  elle 
rompit  brusquement  les  négociations,  et  poussa  à  la  guerre. 

A  son  instigation,  le  roi  signa,  le  7  octobre,  l'ordre  suivant, 
dont  la  notification  devait  être  faite  par  des  hérauts  d'ar- 
mes ^  : 

«  De  par  le  roy.  —  Gomme  il  ne  soit  permis  à  autre  qu'à 
»  nous  seul  de  faire  assembler  en  nostre  royaume  et  hors 
))  d'icelluy  gens  ou  autrement,  ny  faire  convocation  du  peuple, 
»  levées  de  deniers,  proclamations  et  publications  de  lettres 
))  et  papiers  concernant  Testât  de  nostre  royaume  et  obéissance 
))  deue  à  nostre  Majesté  souveraine,  seule  et  non  communi- 
y>  cable  à  autre  de  nos  subjectz,  en  quelques  estatz  et  dignitez 
»  qu'ils  soyent,  qui  ne  peuvent  et  ne  doivent  obéir  à  autre  que 
»  nous  mesmes,  ceux  qui  nous  sont  plus  proches  du  sang  et 


1.  Voir,  à  Vappendice  n°  32,  le  texte  de  leurs  demandes. 

2.  Bibl.  nal.  mss.  f.  fr.  vol.  20  624.  f»  98, 


—  491  — 

y>  tiennent  des  estatz  généraux  de  nostre  royaume,  estiez  liez 
»  par  serment  exprès  de  nous  ayder  et  servir  envers  tous  et 
»  contre  tous,  sans  aucune  exception.  A  ces  causes,  estant 
»  advertis  de  l'assemblée  en  armes  qui  est  à  Saint-Denis  et 
»  autres  lieux  circonvoisins,  dont  Ton  dict  le  prince  de  Gondé, 
»  le  cardinal  de  Chastillon,  l'amiral,  d'Andelot  et  Larochefou- 
»  cault,  de  Genlis,  de  Glermont  d'Amboise,  de  Sault,  de  Bou- 
»  cart  et  Bouchavannes,  de  Péquiny,  de  Lisy,  de  Mouy-Saint- 
y>  Phal,  d'Esternay,  comte  de  Montgommery,  vidame  de  Ghar- 
».  très,  estre  les  chefs  et  principaux  conducteurs  ;  ce  que  ne 
»  nous  sommes  jusques  à  présent  peu  persuader,  ains  au  con- 
))  traire  en  avons  attendu  toute  fidélité,  loyale  sujétion  et  obéis- 
»  sance,  avons  commandé  et  ordonné  au  premier  de  nos 
»  héraux,  sur  ce  requis,  qu'il  ait  à  sommer  et  interpeller  tous 
3)  les  susdits  et  autres  seigneurs,  gentilshommes,  officiers,  de 
y>  quelque  qualité  qu'ils  soient,  estans  avec  eux  et  qui  leur 
j)  amènent  forces,  occupent  nos  villes  et  font  amas  de  gens  en 
»  leur  faveur,  à  ce  qu'ils  aient  présentement,  et  ce,  sur  le 
»  simple  commandement,  à  venir  pardevers  nous,  sans  armes, 
»  pour  nous  rendre  l'obéissance  commandée  et  ordonnée  de 
3)  Dieu,  par  la  grâce  duquel  nous  régnons  et  avons  esté  mis  et 
D  constitué  roy  sur  eux,  ou  bien  déclarer  promptement  s'ils 
»  entendent  approuver  telle  sinistre  et  mauvaise  entreprise, 
»  ad  vouer  lesdites  assemblées  qu'ils  ont  faictes  et  font  en 
5)  armes  ou  autrement,  à  la  foule  et  oppression  de  nos  subjectz, 
»  mépris  et  contempnement  de  nostre  autorité  et  dignité,  et 
»  semblablement  les  publications  qui  se  font  par  escripts,  tant 
»  signez  que  non  signez,  couverts  d'une  couleur  et  prétexte 
»  d'un  prétendu  bien  public;  pour,  ladite  déclaration  par  eux 
y>  faite,  estre  par  nous  advisé  à  ce  que  devons  faire  pour  raison. 
y>  Faict  en  nostre  chasteau  du  Louvre,  à  Paris,  le  VIP  jour 
»  d'octobre  1567.  (signé)  Gharles.  —  De  l'Aubespine,  Ro- 
»  bertet.  » 


—  492  — 

Une  instruction  remise,  le  même  jour  aux  hérauts  d'armes, 
portait  ^  : 

«  Les  héraulx  d'armes  députez  pour  aller  trouver  le  prince 
))  de  Gondé,  là  part  qu'il  sera,  sonneront  trois  fois  de  leurs 
»  trompettes,  au  lieu  publicq,  chasteau,  ou  village,  où  sera 
»  ledit  prince,  au  devant  de  la  porte,  sans  entrer  au  dedans 
»  de  son  logis,  et  crieront  trois  fois  à  haulte  voix  :  de  par  le 
»  roy,  vous,  Louis  de  Bourbon,  prince  de  Gondé,  du  sang  et 
»  de  la  couronne  de  France,  je  vous  fais  commandement  et 
»  somme,  de  par  le  roy,  vostre  souverain  seigneur  et  maître, 
»  entre  les  mains  duquel  avez  faict  serment  de  fidélité  et 
»  obéissance,  le  venir  trouver  à  Paris,  là  où  il  vous  attend,  les 
y>  bras  ouverts,  pour  vous  recevoir,  et,  en  vous  faisant  misé- 
»  ricorde,  recommande  son  service. 

«  Icy  les  héraulx  sonneront  et  feront  pose,  attendant  res- 
»  ponce  et  après  crieront,  en  mesme  voix  haulte  et  éclatante  : 
»  de  par  le  roy  !  Au  refus  de  quoy,  je  vous  déclare  que  le  roy, 
»  mon  maistre,  se  pourvoira  contre  vous  par  toutes  voyes  et 
»  manières,  ainsy  que  bon  luy  semblera,  et  généralement  con- 
»  tre  tous  ceux  qui  vous  suivent. 

«  Icy  sonneront  en  concert  et  s'en  reviendront  sans  attendre 
»  aucune  responce,  après  aussi  avoir  crié  et  prononcé  en 
))  mesme  voix  éclatante  à  l'amiral,  à  d'Andelot,  et  diront  ce 
))  qui  s'en  suit  : 

«  Vous,  Gaspard  de  Goligny,  admirai  et  officier  de  la  cou- 
y>  ronne  de  France,  qui  avez  fait  serment  de  fidélité  et  service 
»  au  roy,  vostre  souverain  seigneur  et  maistre,  je  vous  com- 
»  mande,  de  par  Sa  Majesté,  la  venir  trouver  en  sa  cité  de 
»  Paris,  où  il  vous  attend,  pour  recevoir  ses  commandemens  à 
»  faire  le  service  que  vous  lui  devez  ;  au  refus  de  quoy,  je  vous 
ï)  déclare  que  le.roy  mon  maistre  se  pourvoira  contre  vous,  par 

1.  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  20  621,  f"  95. 


-  -  493  — 

»  toutes  voyes  et  manières,  ainsy  que  bon  luy  semblera,  et  gé- 
y>  néralement  contre  tous  ceux  qui  vous  suivent. 

«  Autant  à  d'Andelot,  colonel  de  l'infanterie  de  France. 

<L  Lesdits  héraulx,de  la  part  de  M.  le  connestable,  demanderont 
))  à  parler  au  cardinal  de  Ghastillon,  lequel  si  leur  dit  :  parlez 
)>  haut,  diront  et  crieront  en  mesme  voix  éclatante  et  haute  ce 
»  qui  s'ensuit  : 

«  Monsieur  le  cardinal  de  Ghastillon,  M.  le  connestable  de 
»  France  nous  a  chargé  de  vous  dire  qu'il  est  desplaisant  d'une 
»  si  mauvaise  nourriture  qu'il  a  fait  de  vous  et  de  vos  frères, 
y>  pour  n'avoir  jamais  rien  espargné,  mais  cecherché  tous  les 
»  moyens  de  vous  eslever  et  promouvoir  aux  grands  estatz  et 
»  dignilez  de  France,  laquelle  vous  tourne  aujourd'huy  en  trou- 
»  ble  et  ruine  ;  ce  qu'il  n'eûst  jamais  pensé,  ny  qu'il  se  dut 
»  trouver  traîtres  en  sa  race,  au  roy  et  à  la  couronne  de  France  ; 
y>  desquels  troubles,  pour  la  libérer,  fera  ce  qu'il  pourra  pour 
y>  vous  rompre  tout  et  exterminer.  » 

Les  chefs  réformés,  sans  s'émouvoir  autrement  des  somma- 
tions qui  leur  étaient  adressées,  mais  désirant  du  moins  éviter, 
autant  que  possible,  l'explosion  d'une  guerre  civile,  se  prêtèrent 
à  une  large  concession.  Restreignant  donc  la  portée  de  leurs 
demandes,  ils  se  bornèrent,  dans  une  nouvelle  requête  ^,  à  sol- 
liciter le  roi  d'accorder  à  ses  sujets  réformés  le  libre  exercice 
de  leur  culte,  en  tous  lieux  indistinctement,  et,  par  consé- 
quent, d'abroger  toutes  déclarations  et  dispositions  restrictives 
de  cette  liberté. 

Aussitôt  s'opéra,  à  la  cour,  un  revirement  notable  dans 
les  esprits  ;  et  il  fut  décidé,  en  dépit  d'une  vive  résistance  oppo- 
sée par  Catherine,  que  les  négociations  seraient  reprises. 

Elles  le  furent,  en  effet,  à  La  Ghapelle-Saint-Denis,  entre 
Anne  de   Montmorency,  le  maréchal,  son  fils,  de  Gonnor, 

1.  Voir,  à  l'appendicCy  n"  33  le  texte  de  cette  requête. 


—  494  — 
Armand  de  Gontaud  Biron,  et  Claude  de  l'Aubespine,  d'une  part , 
et  Condé,  Goligny,  Odet,  d'Andelot,  le  vidame  de  Chartres,  de 
Sault,  et  de  Cany,  de  Tautre.  Le  connétable  ferma  la  voie  à 
tout  accommodement,  par  son  aveugle  opiniâtreté  à  soutenir 
que  le  roi  ne  consentirait  jamais  au  libre  exercice  de  la  religion 
nouvelle;  que  les  autorisations  concédées,  en  matière  reli- 
gieuse, par  les  édits  aux  réformés  n'étaient  que  provisoires  ; 
que  le  souverain  était  résolu,  non  à  tolérer  indéfiniment  la 
coexistence  de  deux  religions  dans  ses  États,  mais  à  employer 
tous  les  moyens  possibles  pour  faire  prédominer  l'ancienne  ;  et 
qu'il  aimerait  mieux  être  en  guerre  avec  ses  sujets,  que  se  ren- 
dre, par  une  imprudente  tolérance,  suspect,  si  ce  n'est  même 
odieux  à  la  plupart  des  princes  étrangers. 

La  guerre  étant  ainsi  devenue  inévitable,  on  s'y  prépara  de 
part  et  d'autre. 

Grâce  à  l'expérience  et  à  l'activité  de  ses  lieutenants,  Condé 
réunit  autour  de  lui,  en  peu  de  temps,  une  petite  armée  com- 
posée d'environ  deux  mille  hommes  de  cavalerie  et  quatre  mille 
d'infanterie,  dont  il  espérait  accroître,  de  jour  en  jour,  l'effectif. 
11  divisa  ses  troupes  en  trois  corps,  dont  l'un  occupa  Saint- 
Denis,  l'autre  Saint-Ouen,  et  le  dernier  Aubervilliers.  D'Ande- 
lot fut  détaché  à  Poissy,  avec  treize  cents  hommes.  De  Lanoue, 
envoyé  à  Orléans,  avec  un  petit  nombre  de  soldats,  fut  assez 
habile  pour  s'emparer  de  cette  ville,  dont  l'occupation  devait 
assurer  le  passage  des  troupes  levées  en  Guyenne  et  destinées  à 
renforcer  l'armée  du  prince. 

Condé  venait,  pour  investir  Paris,  de  disséminer,  en  partie, 
ses  forces.  Profitant  de  cette  circonstance,  le  connétable  songea 
à  l'attaquer  et  à  reprendre  sur  lui  Aubervilliers,  Saint-Ouen, 
Saint-Denis.  Il  espérait  y  réussir,  sans  en  venir  à  une  bataille, 
qu'il  se  croyait  dispensé  d'engager,  à  raison  de  la  supériorité 
numérique  des  troupes  placées  sous  son  commaadement  ;  mais 
Condé,  Coligny  et  les  autres  chefs  étaient  prêts  à  accepter  et  à 


—  495  — 
soutenir  dignement  la  lutte,  quelles  que  fussent  les  proportions 
qu'elle  prît.  Or,  ces  proportions  furent  celles  d'une  véritable 
bataille,   que  le  connétable  se  vit  amené  à  leur  livrer,  le 
10  novembre  4567. 

De  Lanoue  dit,  au  sujet  de  cette  bataille,  à  laquelle  de- 
meure attaché  le  nom  de  bataille  de  Saint-Denis  ^  :  «  Elle  fut 
»  mémorable,  en  ce  que  si  peu  d'hommes  osèrent  se  présenter 
»  devant  une  armée  si  puissante  qu'estoitcelle  quisortitde  Paris, 
D  et  la  soustenir,  car  elle  n'avoit  pas  moins  de  quinze  ou  seize 
»  mille  hommes  de  pied,  et  plus  de  deux  mille  lances  :  là  où, 
ï)  en  celle  du  prince  de  Condé,  ainsi  séparée  comme  lors  elle 
y>  se  retrouva,  toute  sa  cavallerie  n'arrivoit  à  mille  chevaux,  et 
y>  quasi  autant  d'harquebuziers  ^  —  L'occasion  de  ce  grand 
y>  combat  vint  d'une  erreur  que  les  huguenots  firent,  dont 
»  M.  le  connestable  se  sçeut  dextrement  prévaloir.  L'erreur  fut 
»  en  ce  que  M.  d'Andelot,  qui  estoit  actif,  alla  pour  surprendre 
»  Poissi  et  tira  de  l'armée  cinq  cens  chevaux  et  huit  cens 
y>  harquebuziers,  qui  n'estoient  pas  des  pires.  J'ay  ouy  dire 
»  que,  quand  on  proposa  ceste  entreprise  au  conseil,  aucuns 
»  remonstroyent,  qu'il  ne  la  falloit  faire;  car  grandes  forces 
»  estoient  arrivées  à  Paris  ;  et  puis  on  avoit  observé  qu'aux 


1.  Disc,  polit,  et  milit.  p.  739  et  suiv. 

2.  «  CeUe  bataille  (de  Saint-Denis)  eut  un  spectateur  que  nous  ne  pouvons  ou-^ 
»  blier,  ce  fut  le  mesme  chambrier  du  grand  seigneur,  qu'on  avoit  amusé  depuis 
»  Bayonrie,  qui  fut  convié  avec  des  principaux  de  Paris  d'aller  à  Montmartre 
»  voir  le  passe-temps  du  combat;  ce  qui  a  esté  jugé  une  grande  ignorance  à 
»  celui  qui  avoit  la  charge  des  ambassadeurs,  de  lui  laisser  voir  un  roi,  que 
»  son  maistre  tient  estre  le  plus  grand  des  chrestiens,  avoir  des  sujets  qui  osent 
»  présenter  des  batailles  sous  sa  moustache  :  quoi  que  ce  soit,  l'ambassadeur 
»  voyant  sortir  les  trois  gros  de  Saint-Denis,  et  puis  les  trois  charges,  mais  sur- 
»  tout  voiant  enfoncer  tant  d'escadrons  et  de  bataillons  par  une  poignée  de 
»  gens,  et  donner  au  général,  s'écria  par  deux  fois  :  Oh!  si  le  grand  seigneur 
»  avoit  mille  hommes  de  mesme  que  ces  blancs  pour  mettre  à  la  teste  de  cha- 
»  cune  de  ses  armées,  l'univers  ne  lui  dureroit  que  deux  ans.  »  (D'Aubigné, 
hist.  univ.,  t.  I,  liv.  IV^,  chap.  x.) 


-  496  — 
»  escarmouches  dernières,  les  gentilshommes  catholiques  n'a- 
y>  voient  fait  que  crier  :  huguenots,  attendez  encores  trois  ou 
»  quatre  jours,  et  nous  verrons  si  vous  estes  si  mauvais  qu'en 
))  faites  la  mine  ;  et  que  c'estoient  advertissemens  de  bataille  par 
))  ceux  qui  estoyent  exhortez  par  leurs  chefs  de  s'y  préparer,  et 
y>  qu'on  ne  devoit  négliger  cela.  Mais,  comme  on  est  quelque- 
»  fois  rempli  de  trop  de  confiance,  on  ne  laissa  de  passer  outre. 
»  —  M.  le  connestable  estant  adverti  de  ceci  par  ses  espies, 
y>  jugea  qu'il  ne  fallait  laisser  passer  ceste  feste  sans  danser; 
y>  et,  comme  c'estoit  un  vieux  routier  de  guerre,  il  ne  se  con- 
y>  tenta  pas  d'estre  asseuré  par  les  aureilles,  il  voulut  l'estre 
))  aussy  par  les  yeux.  Parquoy  il  fit  sortir,  le  jour  mesme,  sept 
»  ou  huit  cens  lances,  favorisées,  es  retraites,  d'un  nombre 
))  d'harquebuziers,  pour  se  présenter  en  ordonnance  à  la  veue 
»  des  logis  de  ceux  de  la  religion,  pour  sçavoir  leurs  forces  à  la 
))  vérité,  et  de  ce  corps  se  desbandèrent  deux  cens  lances  qui 
y>  leur  allèrent  donner  une  très  chaude  alarme.  Eux  ne  failli- 
»  rent  de  la  prendre,  et  pensans  qu'on  les  venoit  attaquer  à 
»  bon  escient,  tous  sortirent  avec  leurs  chefs,  en  bonne  déli- 
))  bération.  Mais  les  catholiques  ayans  reconnu  ce  qu'ils  vou- 
»  loient,  se  retirèrent,  et  les  capitaines  en  allèrent  faire  le 
y>  rapport  à  M.  le  connestable,  l'assurant  que  toute  leur  force 
y>  de  pied  et  de  cheval  ne  passoit  deux  mille  hommes,  mais, 
»  comme  on  dit,  prompte  à  l'esperon.  C'est,  répondit-il,  le 
»  temps  de  les  attraper,  et  qu'un  chacun  se  prépare  à  la  bataille 
»  qui  se  donnera  demain.  —  A  l'aube  du  jour,  il  fit  sortir  toute 
»  son  armée  aux  champs,  sa  délibération  estant,  s'ils  ne  vou- 
))  loient  venir  au  combat,  de  leur  faire  quitter,  à  coups  de 
»  canon,  Aubervilliers,  et  Saint-Ouyn  où  M.  l'admirai  et  le 
))  s'  de  Genlis  estoient  logez,  espérant  après  gaigner  les  ba- 
»  teaux  de  passage  pour  trancher  chemin  à  M.  d'Andelot.  Et, 
»  à  ce  que  j'ay  entendu,  ledit  sieur  connestable  estimoit  qu'ils 
»  ne  se  hazarderoyent  pas  de  combattre,  n'ayant  toutes  leurs 


—  497  — 

»  forces  entières,  et  qu'ils  se  retireroyent  tous  dans  la  ville  de 
»  Saint-Denis  ;  ce  qui  arriva  autrement  ;  car  il  n'y  eut  pas 
3»  moins  d'ardeur  de  venir  aux  mains,  d'un  costé  que  d'autre, 
»  nonobstant  la  grande  inégalité.  —  Les  catholiques  avoient 
y>  quatre  avantages  sur  leurs  ennemis,  sçavoir  :  l'artillerie,  le 
))  nombre  d'hommes,  les  bataillons  de  picques,  et  la  place 
»  haute  et  relevée.  Tout  cela  n'empêcha  point  que  ceux  de  la 
))  religion  ne   les  allassent  assaillir,   lesquels  se   rangèrent 
y>  en  trois  corps  de  cavallerie,  mais  tous  simples,  c'est-à-dire  en 
»  haye,  qui  est  un  ordre  très  mauvais,  encores  que  nostre  gen- 
})  darmerie  l'ait  longtemps  pratiqué  ;  mais  l'expérience  nous  a 
»  enseignez  devenir  à  l'usage  des  esquadrons.  Le  combat  s'en- 
))  suyvit  après,  qui  fut  fort  furieux,  et  dura  près  de  trois  quarts 
»  d'heure  :  et  ceux  qui  y  ont  ensanglanté  leur  espée,  soit  d'un 
i>  costé  ou  d'autre,  se  peuvent  vanter  de  n'avoir  pas  faute  de 
))  courage,  l'ayant  esprouvé  en  un  lieu  si  périlleux.  —  M.  l'ad- 
y>  mirai  m'a  quelquefois  dit  que  l'harquebuzerie  à  pied,  qu'il 
y>  avoit rangée  à  ses  flancs,  lui  servit  grandement;  car  tirant  de 
y>  cinquante  pas,  elle  fit  beaucoup  d'offense  à  la  cavallerie  des 
))  catholiques,  qu'il  chargea.  —  Voilà  où  nos  discordes  nous 
»  ont  conduits,  de  nous  baigner  dans  le  sang  les  uns  des  autres. 
»  L'issue  fut  telle  que  ceux  de  la  religion  furent  chassez  de 
»  dessus  la  place  et  suyvis  plus  d'un  demi  quart  de  lieue  ;  et  par 
ï)  aventure  que  pis  leur  fust  arrivé,  sans  la  nuit,  laquelle  les 
»  favorisa  à  leur  retraite,  qui  ne  fut  sans  quelque  désordre.  Il  y 
»  eut  aussi  de  l'autre  costé  des  gens  qui  se  retirèrent  non  moins 
»  diligemment  que  de  bonne  heure,  et  spécialement  l'infanterie 
»  parisienne.  En  somme,  les  catholiques  eurent  l'honneur  de 
»  la  bataille  en  ce  que  le  champ  et  la  possession  des  morts  leur 
}}  demoura.   —   M.   le  prince  de  G  onde  avoit  jà   mandé  à 
»  M.  d'Andelot  de  retourner  en  diligence;  il  lui  redepescha 
D  encores  pour  le  haster,  craignant  que  le  lendemain  on  ne  le 
)^  vinst  rattaquer.  Mais  à  minuit  il  retourna  très  marri  de  n'avoir 

II.  32 


»  esté  à  la  feste.  Et  après  que  chacun  se  fut  reposé,  les  chefs 
»  dirent  qu'il  estoit  nécessaire  de  rabattre  un  peu  de  la  gloire 
))  que  leurs  ennemys  pensoient  avoir  acquise,  en  leur  monstrant 
»  qu'on  n'avoit  pas  perdu  le  cœur  ni  l'espérance  :  et  mettant 
»  leur  petite  armée  aux  champs,  bien  délibérée,  ils  s'allèrent 
y>  présenter  devant  les  fauxbourgs  de  Paris,  bruslant  un  village 
»  et  des  moulins  à  vent,  à  la  veue  de  la  ville,  pour  les  acertener 
»  que  tous  les  huguenots  n'estoyent  pas  morts,  et  qu'il  y  avoit 
y>  encore  de  l'exercice  préparé,  mais  personne  ne  sortit,  à  cause, 
»  comme  il  est  bien  à  présumer,  de  la  perte  de  M.  le  connesta- 
»  ble.  Cette  démonstration  que  firent  les  huguenots  conserva 
y>  leur  réputation.  y> 

Le  connétable,  blessé  à  mort,  avait  été  ramené  à  Paris  :  il  y 
expira,  le  lendemain  de  la  bataille. 

Dans  le  cours  de  l'action,  avaient  péri,  du  côté  des  catho- 
liques, le  comte  de  Ghaulnes,  Jérôme  de  Turin,  Claude  de  Ba- 
tarnai,  baron  d'Anton,  plusieurs  des  principaux  officiers,  qua- 
rante gentilshommes;  et,  du  côté  des  réformés,  plus  de  cinquante 
combattans  appartenant  à  la  haute  noblesse,  notamment  Fran- 
çois, comte  de  Sault,  de  Saint- André,  son  frère,  Nicolas  de 
Champagne,  comte  de  la  Suze,  Charles  d'Ailly  de  Piquigny, 
vidame  d'Amiens,  et  son  fils,  de  Carènes,  et  François  de  Bar- 
bançon  de  Gany. 

Quant  à  Coligny,  il  avait  couru  le  plus  grand  danger.  Un  che- 
val turc,  qu'il  montait,  dont  la  bouche  était  forte  et  dure,  rompit 
sa  bride,  s'emporta,  et  l'entraîna  dans  la  mêlée  des  fuyards  de 
l'armée  catholique,  qui,  s'ils  eussent  reconnu  l'amiral,  lui 
eussent  fait  un  mauvais  parti;  mais  comme  ils  ne  pouvaient  se 
rendre  compte  que  ce  fut  lui  qui  se  trouvât  parmi  eux,  il  réussit 
à  se  dégager  de  la  mêlée,  et  rejoignit,  sain  et  sauf,  ses  compa- 
gnons d'armes  à  Saint-Denis. 

Alors  que  la  petite  troupe  des  réformés  occupait  encore  cette 
ville,  Coligny,  ses  frères  et  Gondé  crurent  devoir  adresser  au 


—  499  — 
Sénat  de  Strasbourg,  le  14  novembre  *,  une  lettre  collective, 
ainsi  conçue  : 

c  Aux  très  magnifiques  seigneurs,  messieurs  du  Sénat  de 
»  Strasbourg.  — Messieurs,  vous  avez  peu  estre  cy-devant  bien 
»  informez  de  la  malheureuse  conspiration  d'aucuns  mauvais  et 
))  infidèles  conseillers  du  roy  contre  tous  les  princes,  seigneurs, 
»  gentilshommes  et  autres  subjectz  de  Sa  Majesté,  suivans  la 
»  pureté  de  l'Évangile,  à  laquelle  ainsi  que  l'exécution  en  estoit 
»  prochaine,  nous  avons  été  contraintz  de  nous  opposer  et  avoir 
»  recours  au  seul  et  dernier  remède  qui  nous  restoit,  de  re- 
))  pousser  la  force  par  la  force;  supplians,  néantmoings  conti- 
»  nuellement  Sa  Majesté  par  requestes,  par  escript,  avec  toute 
»  l'humilité  qu'ung  bon  et  naturel  subject  doibt  à  son  prince 
»  de  n'adjousier  foy  aux  pernicieux  conseils  de  ses  dictz  con- 
))  seillers,  et  nous  accorder  seulement  la  liberté  de  l'exercice  de 
»  nostre  religion  et  pur  service  de  Dieu,  avec  la  seureté  de  nos 
))  personnes  et  biens  ;  mais  la  malignité  desdits  infidèles  con- 
»  seillers  a  esté  telle  que,  abusans  de  l'aage  du  roy,  ilz  l'ont 
»  destourné  d'entendre  aux  moyens  de  pacification  et  à  nos 
»  justes  et  légitimes  requestes,  et  cependant  assemblent  forces 
»  de  toutes  partz,  tant  dedans  que  dehors  ce  royaume,  pour 
»  nous  exterminer,  ne  pensans  que  aux  conseils  de  la  guerre  en 
y>  laquelle  Dieu  a  permis,  pour  nous  chastier  de  ses  verges, 
»  qu'ils  soient  entrez  si  avant  que  de  nous  avoir  desjà  donné 
))  une  bataille  dont  ilz  n'ont  raporté,  grâces  à  Dieu,  que  honte 
»  et  dommage,  après  laquelle  nous  n'avons  néantmoins  délaissé 
y>  de  les  recercher  de  nouveau  du  bien  de  la  paix,  afin  de  pré- 
))  venir  le  mal  dont  ce  royaume  est  menasse,  auquel  tant  s'en 
i>  fault  qu'ilz  ayent  volunté  de  pourvoir  de  remède  convenable, 
»  que  au  contraire  ils  démonstrent  estre  plus  animez  que  au- 
»  paravant  et  n'avoir  autre  but  que  de  ruiner  la  doctrine  évan- 

i.  Archives  de  Saint-Thomas,  à  Strasbourg. 


—  500  — 

»  gélique.  —  Et  par  ce,  messieurs,  que  ceste  cause  est  publique 
y>  et  de  singulière  importance  pour  tous  ceulx  qui  font  pro- 
»  fession  de  la  pure  religion,  et  que  nous  avons  besoing  d'estre 
»  par  eulx  secouruz  contre  si  grandes  forces,  nous  avons  estimé 
»  ne  pouvoir  avoir  meilleur  recours  que  à  vous  qui  vous  estes 
y>  des  premiers  employez  pour  l'advancement  de  la  gloire  de 
»  Dieu  et  avez  toujours  maintenu  constamment  et  vertueuse- 
»  ment  la  vraye  religion,  afin  de  vous  vouloir  prier,  au  nom  de 
y)  Dieu,  de  nous  vouloir,  à  ce  besoing,  aider  des  grans  moyens 
y>  qu'il  vous  a  mis  en  mains,  jusques  à  la  somme  de  cent  mille 
»  talers,  pour  seureté  de  laquelle,  oud'aultre  telle  somme  que 
y)  vous  nous  vouldrez  fournir,  nous  vous  envoyons  nostre  blanc 
0)  signé  et  scellé,  pour  le  faire  remplir  en  telle  et  si  seure  forme 
»  que  vous  adviserez  ;  vous  prometans  en  oultre  par  la  présente, 
»  devant  Dieu,  et  sur  nostre  foy  et  honneur,  de  satisfaire  au 
y>  contenu  de  ladite  obligation,  de  mesme  de  vous  en  passer 
»  encore  tels  autres  actes  et  instrumens  que  vous  vouldrez  et 
»  verrez  estre  besoing;  oultre  ce  que  toute  la  cause  vous  en  sera 
y>  grandement  obligée,  nous  vous  en  demeurerons  particulière- 
»  ment  et  si  estroitement  obligez,  que,  toutes  nos  vies  nous 
))  serons  prestz  de  nous  en  revencher  partout  où  le  moyen  et 
))  occasion  se  présenteront,  vous  conjurant  de  rechef,  au  nom 
-»  de  Dieu,  qu'en  ce  faict,  qui  touche  son  honneur  et  le  salut 
))  public,  vous  veillez  nous  subvenir  aussy  promptement  que  le 
))  cas  le  requiert,  coupans  chemin  de  vous  mêsmes  à  toutes  les 

2)  difficultez  que  la  distance  des  lieux  et  le  dangier  des  passaiges 
y>  pourroient  apporter,  auxquelles  nous  n'aurions  moyen  de 
))  donner  si  tost  ordre,  et  vous  confians  de  nostre  foy  et  parole 
»  que  nous  vous  donnons.  —  Sur  ce,  nous  suplions  nostre  sei- 
»  gneur,  messieurs,  vous  vouloir  conserver  en  parfaite  santé  et 
»  prospérité,  et  vous  tenir  en  sa  très  saincte  garde.  De  Sainct 

3)  Denys  en  France,  ce  XIIII  novembre  4567  :  vos  entièrement 
»  bons  amys,  Loys  de  Bourbon,  Ghastillon,  cardinal  de  Chas- 


—  501  — 

y>  tillon,  Andelot.  — P.  S.  Messieurs,  vous  entendrez  le  surplus 
3  par  le  s'Zambres,  présent  porteur,  auquel  nous  vous  prions 
y>  adjouster  foy  comme  à  nous  mesmes.  » 

Le  lendemain,  15  novembre,  la  lettre  suivante,  revêtue  des 
signatures  de  Gondé,  de  Goligny,  d'Odet,  de  d'x\ndelot,  et  de 
six  autres  chefs  réformés,  fut  expédiée  aux  syndic  et  conseil  de 
Genève  ^  : 

»  Messieurs,  vous  pouvez  estre  suffisamment  advertiz  des 
))  pernicieux  desseings  et  capitalles  entreprises  qui  de  long- 
0  temps  estoient  brassées  par  deçà  contre  tous  ceulx  qui  font 
y)  profession  de  la  religion  réformée  en  ce  royaume,  lesquelles 
»  estant  sur  le  point  d'estre  exécutées,  Dieu  nous  a  fait  la 
y>  grâce  de  les  descouvrir,  qui  nous  a  réduictz  en  ceste  néces- 
:s>  site  de  nous  assembler,  non  sans  grand  regret,  pour  les  maulx 
y>  que  nous  cognoissons  que  pourra  apporter  en  cedit  royaume 
»  ceste  guerre,  afin  d'essayer  avec  l'ayde  de  Dieu  de  nous  en 
3)  garantir  ;  et  voyans  que  l'on  s'ayde  de  tous  moyens  que  l'on 
»  se  peult  adviser  contre  nous,  et  mesmes  de  toutes  sortes  d'es- 
»  trangiers  et  de  toutes  nations,nous  sommes  aussi  contraintsd'en 
»  faire  venir  d'Allemagne,  et  pour  le  payement  d'iceulx  avons 
»  nécessairementbesoin  de  nos  bons  amys,  et  mesmes  de  ceulx 
»  qui  favorisent  une  si  sainte  cause  comme  vous  faictes,  vous 
»  ayant  à  ceste  fin  bien  voulu  faire  la  présente  pour  vous  prier, 
y>  messieurs,  le  plus  affectionnément  que  faire  pouvons,  et  sur 
))  tout  ce  que  vous  désirez  faire  service  à  Dieu  et  plaisir  à  ceste 
»  compaignie,  de  nous  vouloir  prester  les  cinquante  mille 
y>  tallers  que  vous  aviez  dernièrement  empruntez  de  ceulx  de 
3)  Basle,  et  où  vous  les  auriez  rendus,  vouloir  prester  vostre 
»  nom  pour  les  recouvrer,  et  oultre  la  seureté  que  vous  en 
»  donnera  ce  porteur,  que  nous  envoyons  exprès,  et  l'asseurance 
»  que  vous  donnons  que,  si  vous  ne  vous  contentez  de  nos 

1.  Archives  do  Genève,  u"  1839. 


—  502  — 

»  blancs  signez,  vous  en  baillerons  cy-après  tels  autres  actes 
y>  et  instruments  que  vous  vouldrcz  demander,  vous  vous  pou- 
))  vez  asseurer  qu'en  meilleure  occasion  ne  pouvez-vous  vous 
y>  employer  pour  l'advancement  et  la  gloire  de  Dieu  comme.... 
»  pour  Testât  que  nous  en  faisons  sur  la  confiance  qu'avons 
))  de  vostre  bonne  amytié  et  affection  en  nostre  endroict.  » 

Les  confédérés,  craignant  que  l'armée  royale  ne  les  assié- 
geât dans  Saint-Denis,  abandonnèrent  cette  ville  et  se  rendirent 
à  Montereau. 

La  princesse  de  Gondé  et  Charlotte  de  Laval  étaient  venues 
au  devant  d'eux  *  :  le  prince  el  l'amiral  assurèrent  aussitôt  leur 
acheminement  vers  Orléans,  dont  de  Lanoue  venait  de  se 
rendre  maître,  et  où  elles  seraient  en  sûreté,  ainsi  que  leurs 
enfants. 

De  Montereau,  dont  la  garde  fut  confiée  à  un  officier  d'une 
bravoure  éprouvée,  les  confédérés  s'avancèrent  dans  la  direc- 
tion de  la  Lorraine,  à  la  rencontre  des  troupes  auxiliaires 
qu'ils  attendaient  d'Allemagne;  et  après  s'être  emparés  de 
Pont-sur- Yonne,  de  Brai-sur-Seine  et  de  Nogent-sur-Seine,  ils 
arrivèrent  à  Epernay. 

Cependant  Catherine,  immédiatement  après  la  mort  du  con- 
nétable, avait  fait  nommer  au  commandement  général  des 
troupes  royales  son  fils  de  prédilection,  Henri,  duc  d'Anjou  ^,  à 
peine  adolescent,  et  conséquemment  incapable  d'exercer  par 
lui-même  une  autorité,  dont  furent  investis,  de  fait,  les  chefs  et 
seigneurs  placés  auprès  de  lui  par  sa  mère.  Sous  la  dictée  de 
celle-ci,  Henri,  dérisoirement  transformé  en  chef  militaire, 

1.  La  Popelinière,  hist.  de  Fr.  liv.  13,  P  34. 

2.  Lettres  de  Charles  IX,  du  18  novembre  1567  au  duc  de  Nevers  età  Matignon 
Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  voL  3  190  f  65  et  vol.  3  193,  f»  19.  —  «  La  reyne  désirant 
s  la  mort  des  grands  est  contente  de  celle  du  connestable;  résout  d'oster  le 
»  commandement  général  des  deux  maisons  de  Guyse  et  Montmorency,  et  le 
»  porter  à  son  second  fils  M.  d'Anjou,  et  l'assister  de  bons  capitaines.  »  {Mém. 
de  Tavannes,  chap.  xx. 


—  503  — 

avait  écrit  au  duc  de  Nevers  ^  :  «  Mon  cousin,  je  m'asseure 
y>  que,  pour  l'amitié  que  vous  me  portez,  vous  ne  serez  marry 
y>  d'entendre  ce  que  le  roy  monseigneur  et  frère  vous  escrit, 
»  par  où  vous  verrez  la  charge  qu'il  m'a  donnée  de  son  lieute- 
»  nant-général  et  chef  de  ses  armées,  et  de  laquelle  charge  je 
»  mettray  peine  de  m'en  acquitter,  au  contentement  et  satis- 
»  faction  dudit  seigneur,  et  le  plus  au  soulagement  de  ses 
»  sujets  que  faire  se  pourra.  » 

Tandis  que  l'armée  royale  suivait  celle  des  réformés  dans 
sa  marche,  des  pourparlers  de  paix  avaient  été  engagés,  vers 
la  fin  du  mois  de  novembre;  des  notes  et  des  mémoires  avaient 
été  échangés  ^ ,  sans  faire  avancer  la  discussion,  quand  Gondé, 
pour  la  serrer  de  plus  près,  fit  remettre  au  roi,  le  4  décembre, 
par  de  La  Gastine  un  mémoire  ainsi  libellé  ^  : 

«  Monsieur  le  prince  de  Gondé  et  ceulx  de  sa  compagnie 
»  supplient  très-humblement  Sa  Majesté  de  vouloir  croire  qu'ils 
»  ne  désirent  autre  chose  que  le  bien  d'une  bonne  et  durable 
»  paix,  et  lerepos  et  tranquillité  perpétuelle  de  ce  royaulme.  — 
y>  Que  suivant  ce  qu'il  a  pieu  à  Sa  Majesté  cy-devant  leur  faire 
))  entendre  par  messieurs  les  connestable,  mares^hal  de  Mont- 
»  morency  et  autres  sieurs  de  son  conseil,  et  maintenant  par 
»  l'escript  que  le  s'  de  Lagastine  a  apporté,  l'édict  de  la  paci- 
»  fication  leur  soyt  permis  et  accordé  en  la  forme  qu'il  a  esté 
»  faict,  le  VII  de  mars  1563,  purement  et  simplement,  ostant 
»  les  restrictions,  modifications,  déclarations  et  interprétations 
y>  qui  y  ont  esté  adjoustées  et  lesquelles  ont  esté  la  semence 
y>  des  troubles  présens.  —  Qu'il  plaise  aussy  à  Sa  Majesté,  que 
»  tous  haults  justiciers  et  ayans  pleins  fiefs  de  haubert  puissent 
))  avoir  l'exercice  de  la  religion  réformée  en  leurs  maisons,  pour 

1.  Bibl.nat.  mss.  f.  fr.  3193,  f»  20.  Lettre  du  18  novembre  1567. 

2.  29  novembre  1567.  Bibl.  nat.  mss.  fonds  Colbert,  V^  vol.  24,  f'114.  — 
Ann.  1567.  Ibid.,  vol.  24,  f^  115,  116.  119.  —2  décembre  1567.  Ibid.  vol.  24, 
fos  121^  122. 

3:  Bibl.  nat.  mss.  fonds  Colbert,  V<=.  vol.  24,  f«  123. 


-  501  — 
j)  tous  ceulx  qui  s'y  vouldront  trouver,  librement,  sans  con- 
))  train  te  et  sans   armes,  et   qu'en  chacun   bailliage,  senes- 
5)  chaussée,  ou  gouvernement  tenant  lieu  de  bailliage,  lieux 
))  commodes  soient  assignez  pour  l'exercice  de  ladite  religion, 
))  au  choix  et  nomination  desdits  de  la  dite  religion,  qui  sera 
))  promptement  faicte  ;  ensemble  qu'ez  bailliages  qui  sont  de  si 
))  longue  estendue  que  ung  seul  lieu  ne  leur  peult  suffire  pour 
»  faire  ledit  exercice,  il  plaise  à  Sa  Majesté,  en  soulageant 
»  sesdits  subjectz,  leur  vouloir  bailler  quelque  autre  lieu  pour 
»  secours,  à  leur  choix,  pour  ceulx  qui  s'y  voudront  trouver.  — 
y)  Qu'il  plaise  en  oultre  à  Sa  Majesté,  en  usant  de  sa  bonté  et 
3)  libéralité  royale  envers  sesdits  subjectz,  en  considération  qu'il 
»  est  impossible  qu'un  si  grand  nombre  des  habitans  de  la 
»  ville  de  Paris  qui  font  profession  de  la  dite  rehgion  et  plusieurs 
3)  sieurs  gentilshommes  et  autres  personnes  de  tous  estatz  qui 
»  sont  contrainctz  y  faire  séjour  pour  leurs  affaires  et  procez 
y>  y  puissent  vivre  sans  exercice  d'icelle,  leur  permettre  quelque 
2)  lieu  en  la  banlieue  de  ladite  ville,  tel  que  sa  Majesté  vouldra 
j->  ordonner  pour  y  faire  ledit  exercice,  à  ce  que  cy-après  ses 
))  édictz  puissent  estre  observez  sans  aucune  contradiction,  et 
»  que  chacun  ne  pense  désormais  qu'en  luy  rendant  entière 
2)  obéissance  à  vivre  selon  les  règles  de  sa  religion.  —  Et  à  ce 
D  que  ung  chacun  soit  esclaircy  de  ce  qui  est  comprins  soubz  le 
»  mot  d'exercice  de  ladite  religion,  qu'il  plaise  à  Sa  Majesté 
»  déclarer  et  spécifier  par  son  édict  tout  ce  qui  est  nécessaire 
»  pour  l'entretenement  d'icelluy  exercice,  sçavoir  :  presches, 
»  administration  de  sacremens,  catéchismes,  écoles,  mariages, 
y>  Visitation  de  malades,  sépultures,  censures,  consistoires,  col- 
»  loques  et  synodes.  — Finalement  pour  couper  chemin  entre 
))  les  subjectz  à  toutes  deffiances  ou  occasions  et  espérances 
»  d'entreprendre  les  uns  sur  les  autres,  qu'il  plaise  à  Sa  Majesté 
))  que  son  édict  de  pacification  soit  perpétuel  et  irrévocable, 
))  avec  la  forme  et  seuretez  à  ce  requises.  » 


I 


—  505  — 

Le  7  décembre,  Gombaut  transmit  à  Gondé  une  réponse 
signée  par  le  roi  ^  Elle  portait  : 

«  Le  roy  accorde  à  M.  le  prince  de  Gondé  et  à  tous  ceulx  qui 
y>  sont  de  la  religion  prétendue  réformée,  qu'ils  puissent  jouyr 
y>  de  l'édict  de  pacification  faictà  Orléans,  purement  et  simple- 
y>  ment,  levant  et  ostant  toutes  restrictions,  modifications, 
y>  déclarations  et  interprétations  qui  ont  esté  faictes  depuis  le 
D  T  jour  de  mars  jusques  à  aujourd'huy  ;  et  quant  aux  gen- 
y>  tilshommes  qui  sont  de  la  qualité  de  ceulx  qui  peuvent  faire 
»  prescher  en  leurs  maisons,  Sa  Majesté,  s'asseurant  qu'ils  ne 
»  feront  rien  qui  préjudicie  à  son  service  en  leurs  dites  maisons 
»  pour  le  regard  desdits  presches,  est  contente  de  leur  oster 
y>  toutes  restrictions.  —  Et  pour  la  seurete  de  ce  que  dessus, 
))  le  roy  leur  baillera  sa  parole,  ses  lettres-patentes  et  son  scel, 
y>  le  tout  omologué  par  ses  courts  de  parlementz,  qui  sont 
»  toutes  les  seuretez  que  ung  roy  peult  donner  à  ses  subjectz 
y>  et  que  les  subjectz  peuvent  demander  et  attendre  de  leur 
3  prince.  —  Et  cela  faict  et  omologué  à  ladite  court  de  parle- 
»  ment  de  Paris,  Sa  Majesté  veult  et  entend  que  ledit  sieur 
)>  prince  de  Gondé  et  ceulx  de  ladite  religion  se  désarment  et 
))  départent  des  armes  et  se  retirent  en  leurs  maisons,  dans 
))  vingt-quatre  heures  après,  et  remectent  entièrement  les  villes 
))  qu'ils  tiennent  et  occupent  à  présent  en  son  obéissance  et 
y>  entre  les  mains  du  roy.  —  Voulant  et  entendant  sadite  Ma- 
»  jesté  que,  aussitost  qu'ils  auront  accepté  les  susdites  condi- 
))  tions,  ils  ayent  en  toute  diligence  à  contremander  toutes  les 
))  forces  d'estrangers  par  eulx  appelez  à  leur  service  pour,  en 
»  ce  faisant,  auter  à  la  fouUe  du  pauvre  peuple  de  son  royaulme. 
»  —  Qui  est  la  finalle  intention  et  résolution  de  sadite  Majesté, 
y>  à  quoy  s'ils  ne  se  consentent  et  accordent,  ne  fault  plus  en 
y>  parler!  » 

1.  Rihl.  nat.  mss,  fonds  Colbert,  V"  vol.  "24,  f"  136. 


—  506  — 
Cet  écrit  passait  sous  silence  quelques-uns  des  chefs  de  récla- 
mation présentés  par  Condé,  et  laissait  dans  le  vague  certains 
points,  qu'il  était  indispensable  d'éclaircir.  Aussi,  Téligny  fut-il 
envoyé,  du  camp  près  d'Epernay,  vers  le  roy,  pour  s'acquitter 
d'une  mission  que  précisait  l'instruction  suivante  ^ ,  en  date  du 
16  décembre  : 

«  Monsieur  le  prince  de  Condé  et  toute  sa  compaignye  n'ayant 
»  jamais  rien  plus  désiré  que  de  veoir  bientost  en  ce  royaulme 
»  une  bonne  et  asseurée  paix  et  une  entière  réconciliation  des 
y)  volontez  dessubjectz  du  roy,  a  grandement  loué  Dieu,  ayant 
))  veu  ung  mémoire  que  le  s""  de  Combaulx  luy  a  apporté  de  la 
y>  part  de  sa  Majesté,  et  reçeu  non  moindre  plaisir  et  d'autant 
»  plus  grand  encores  après  qu'il  a  entendu  la  créance  et  charge 
»  que  avoit  ledit  s'  de  Combaulx  de  déclairer  et  déduire  plus 
particulièrement  les  articles  contenus  au  dict  mémoire,  pour 
l'espérance  que  cella  luy  donne  que  Dieu  fera  bientost  la 
grâce  à  ce  royaume  de  jouir  du  bien  et  bénéfice  d'une  bonne 
et  durable  paix.  Mais  pour  ce  que  la  parolle  y  sert  de  bien  peu 
sy  l'effect  ne  s'en  ensuit,  affin  de  faire  paroistre  le  désir  et 
affection  singulière  que  ledit  sieur  prince  et  sa  compaignye 
ont  non  seulement  de  procurer  et  advancer  ung  si  heureux 
commencement,  mais  aussi  de  l'effectuer  bientost,  s'il  plaist 
à  Dieu  luy  en  faire  la  grâce,  comme  il  en  a  la  volonté  ;  d'aul- 
tant  que  par  ledit  mémoire  il  n'est  faict  mention  ny  aulcune- 
ment  satisfait  à  quelques  articles  contenuz  ou  inserez  en 
celluy  que  ledit  sieur  prince  a  naguières  envoyé  à  Sa  Majesté, 
et  que  en  celluy  que  a  aporté  le  s""  de  Combaulx  il  semble 
y  en  avoir  qui  ne  sont  bien  particulièrement  spéciffiez  et 
déclarez,  lesquelz  on  pourra  révocquer  en  quelque  doubte  ou 
difficulté,  pour  n'estre  assez  bien  entenduz,  affin  d'oster  toutes 
»  occasions  de  nouvelles  interprétations  ou  déclarations  et 

1.  Bibl.  nat.  mss.  fonds  Golbert,  V«  vol.  U,  f»  131. 


—  507  — 
y>  rendre  l'intention  et  volonté  de  Sa  Majesté,  vouloir  depputer 
))  certains  personnaiges  d'honneur  et  de  qualité,  amateurs  du 
»  bien  et  repoz  de  ce  royaume,  pour  en  conférer  et  communi- 
i)  quer,  en  lieu  propre  et  convenable,  avec  messieurs  les  cardi- 
y>  nalde  Ghastillon,  comte  de  Larochefoucault  et  s""  de  Boucha- 
))  vannes,  que  ledit  sieur  prince  a,  de  sa  part,  nommez  et  choisiz 
3)  pour  cest  effect,  lesquelz  ensemble  rédigeront -le  tout  par 
y>  escript  le  plus  intelligiblement  que  faire  se  pourra,  estimant 
»  ledict  sieur  prince  que  l'on  ne  peult  prendre  une  voye  plus 
ï>  prompte  et  plus  brefve  pour  bientost  parvenir  à  l'efïect  et 
»  exécution  d'une  bonne  paix,  d'autant  mesmes  que  les  allées 
T>  et  venues  de  ceulx  que  Sa  Majesté  dépescheroit  pardevers 
»  ledit  sieur  prince  pour  traicter  de  ce  faict  n'apporteroient 
»  que  longueurs  et  dilations,  au  grand  préjudice  des  affaires 
y>  de  Sa  Majesté,  et  à  la  foulle  et  oppression  de  ses  subjectz, 
»  et  affm  de  faire  encores  entendre  plus  particulièrement  à 
y>  Sa  Majesté  l'intention  dudit  sieur  prince  et  de  quelle  sincé- 
3)  rite  il  veult  cheminer  en  ce  faict,  il  la  supplie  très  hunible- 
»  ment  avoir  pour  agréable  qu'il  luy  ait  envoyé  le  s'  de  Thé- 
))  ligny,  présent  porteur,  sur  lequel  il  se  remet  du  surplus.  Faict 
3)  au  camp  près  Espernay,  le  16  de  décembre  1567.  » 

Trois  lettres  ^,  adressées  par  Gondé  au  roi,  à  la  reine  mère, 
et  au  duc  d'Anjou,  spécifiaient  le  but  précis  de  la  mission 
confiée  à  Téligny.  Il  suffira  de  reproduire  ici  la  lettre  que  reçut 
le  roi,  la  voici  : 

«  Sire,  suyvant  le  mémoyre  qu'il  a  pieu  à  Vostre  Majesté 
))  envoyer,  signé  de  vostre  main,  par  le  s'  de  Combault,  lequel, 
))  après  l'avoir  bien  considéré,  j'ay  faict  veoir  aux  principaulx 
»  de  ceste  armée,  tous  ont  esté  d'advis,  et  moy  avecques  eulx, 
y>  de  despescher  vers  vostre  Majesté  le  s'  de  Théligny,  présent 
)>  porteur,  pour  vous  supplier  très  humblement,  sire,  qu'il  vous 

1.  Bibl.  nat.  mss.  fonds  Colbert,  vol.  U,  fo«  132,  133,  I3i. 


-  508  — 
»  plaise  désigner  certains  notables  personnages,  lesquelz 
»  avecques  messieurs  les  cardinal  de  Ghastillon,  comte  de 
j>  Larochefoucault  et  de  Bouchavannes,  ayent  à  se  trouver  en 
»  tel  lieu  qu'il  vous  plaira  ordonner,  et  là  estant  assemblez, 
y>  puyssent  conférer  des  poinctz  qui  nous  ont  semblé  subjectz  à 
»  interprétation  et  éclaircissement,  afin  que  de  la  résolution 
»  qui  sur  ce  en  sera  prinse  soyt  basti  un  tel  et  si  bon  fondement 
»  de  réunion  et  réconciliation  entre  vos  subjectz  que  la  paix 
))  en  soyt  perpétuelle  et  le  bien  de  vostre  estât  en  parfaite  seu- 
y>  retté,  comme  de  nostre  part,  sire,  et  affectueusement  nous 
»  le  desirons,  et  nous  remectant  du  surplus  àla  suffisance  dudict 
»  s'  de  Théligny  de  ce  qu'il  a  à  vous  très  humblement  remons- 
))  trer,  je  supplieray  le  créateur  vous  donner,  sire,  en  toute 
))  vertueuse  prospérité  très  heureuse  et  très  longue  vye. 
»  Escript  au  camp  de  Sainct-Martin,  ce  17"  jour  de  décembre 
))  4567.  —  Vostre  très  humble  et  très  obéissant  subject  et  ser- 
»  viteur,  Loys  de  Bourbon.  » 

Le  20  décembre,  Charles  IX  envoya  au  duc  d'Anjou,  Ligne- 
rolles,  porteur  de  ces  ligues  ^  : 

((  Le  roy  envoyé  présentement  à  monseigneur  le  duc  d'Anjou, 
»  son  frère,  le  double  des  lettres  que  monseigneur  le  prince 
»  de  Gondé  luy  a  escriptes  par  le  s'  de  Telligny,  ensemble 
))  coppie  de  l'instruclion  baillée  par  ledit  sieur  prince  audit 
»  s'  de  Telligny,  sur  lesquelles  après  qu'il  a  esté  ouy  par  Sa 
»  Majesté,  et  semblablement  le  s' de  Gombault,  sa  dite  Majesté 
))  a  adviséde  faire  audit  s'  prince  laresponce  telle  que  mondict 
))  seigneur  son  frère  pourra  veoir,  laquelle  luy  est  présentement 
i)  envoyée  par  sa  dite  majesté,  afin  que  mondict  seigneur  son 
)>  frère  et  les  princes  et  seigneurs  qui  sont  auprès  de  luy  ^, 


1.  Bibl.  nat.  mss.  fonds  Colbert,  vol.  2i,  f»  135. 

2.  Le  conseil  du  duc  d'Anjou  se  composait  alors  des  ducs  de  Nemours  et  de 
Longueville,  d'Artus  de  Cessé,  maréchal  de  France,  de  Gaspard  de  Saulx  comte 


—  509  — 
»  l'ayant  veue  et  entendue,  en  puissent  dire  franchement  et 
))  mander  à  sa  dite  Majesté  leur  advis,  qu'elle  veult  et  entend 
»  suyvre  et  croire  comme  elle  a  tousjours  faict,  pour  l'asseu- 
»  rance  qu'elle  a  qu'ils  la  sçauront  très  bien  conseiller  en  tous 
»  affaires  et  mesmes  encestuy-cy,  où  comme  jusques  à  présent 
))  il  ne  s'est  riens  faict  ny  passé  que  par  l'advis  d'eulx  tous.  Sa 
y>  dite  Majesté  aussy  veult  et  entend  les  en  rendre  incessam- 
»  ment  advertis  pour,  selon  leur  bon  conseil,  se  y  gouverner, 
»  résouldre  et  conduire.  —  Or,  afm  de  ne  perdre  point  le  temps, 
»  Sa  Majesté,  en  attendant  d'avoir  leur  advis,  n'a  point  voulu 
»  retenir  icy  ledict  s'  de  Telligny,  lequel  dès  demain  elle  dépes- 
»  chera  avec  ledict  Combault  et  le  fera  passer  par  le  camp, 
»  affin,  que,  si  tant  est  que  mondit  seigneur  son  frère  et  lesdits 
»  princes  et  seigneurs  ayant  entendu  l'intention  de  sa  dite 
»  Majesté  telle  qu'ils  la  verront  par  escript  et  que  leur  dira 
»  au  surplus  le  s'  de  Lignerolles,  sont  d' advis  de  bailler  audit 
»  de  Telligny  ladite  responce,  mondit  seigneur  son  frère  la  luy 
y>  face  incontinent  délivrer  et  le  renvoyé  vers  ledit  prince  de 
»  G  onde  pour  le  tenir  au  plustost  que  faire  se  pourra  adverty  de 
»  l'intention  de  sa  dite  Majesté.  — Et  cependant  cela  s'asseure 
»  que,  durant  ceste  négociation  de  paix  de  laquelle  l'issue  est 
»  incertaine  et  dépend  de  la  volonté  de  Dieu,  mondit  seigneur 
»  son  frère  et  lesdits  princes  et  seigneurs  estans  avec  luy  n'o- 
»  blieront  riens  à  faire  de  ce  que  le  debvoir  de  la  guerre  leur 
»  offrira,  ayant sadite  Majesté  remis  eneulx  toute  sa  principale 
»  espérance  et  confiance.  —  Sa  dite  Majesté  a  avec  grand 
»  regret  entendu  la  prinsedu  jeune  Lanssac  qui  estoit  dépesché 
»  pour  chose  de  très  grande  importance,  et  aymant  le  père  et 
»  le  fils  comme  il  faict,  désire  que,  s'il  est  prins  quelque  pri- 
))  sonnier  de  la  qualité  dudit  Lanssàc,  mondit  seigneur  son 
»  frère  le  garde  et  accorde  pour  l'eschange  d'icelluy.  —  Si  les- 

de  Tavannes,  de  Sébastien  de  Luxembourg  de  Martigues,  de  François  de  Car- 
navalet, gouverneur  du  prince,  et  de  Jean  de  Losses. 


—  510  — 

»  dits  articles  et  responce  faicte  par  Sa  Majesté  sur  le  mémoyre 
»  apporté  de  la  part  du  s'  de  Telligny  sont  trouvez  bons  par 
y>  mondict  seigneur  son  frère  et  les  princes  et  seigneurs  qui 
»  sont  avec  luy,  il  faudra  que,  au  retour  que  ledict  de  Telligny 
y>  fera  vers  mondict  seigneur  son  frère,  et  semblablement  le 
»  s' de  Combault,  qu'il  baille  aux  dicts  de  Telligny  et  Gombault 
»  ladicte  responce,  affin  que,  allant  vers  ledict  sieur  prince 
))  de  Gondé,  ledict  Gombault,  il  puisse  sçavoir  et  entendre  de 
»  luy  son  intention  et  icellë  rapporter  à  mon  dict  seigneur  son 
ï)  frère.  y> 

La  réponse  du  roi  à  Gondé,  mentionnée  dans  les  lignes  ci- 
dessus  et,  comme  elles,  datée  du  20  décembre,  portait  ^  : 

«  Par  les  articles  que  le  roy  a  dernièrement  envoyés  à  mon- 
»  seigneur  le  prince  de  Gondé  et  à  ceulx  de  sa  compagnie  tou- 
»  chant  les  conditions  de  la  paix.  Sa  Majesté  a  estimé  s'estre 
»  mise  en  tel  debvoir  et  les  avoir  si  amplement  esclairciz  de  son 
))  intention  et  de  ce  qu'elle  leur  vouloit  et  entendoit  accorder  et 
))  octroyer  sur  les  requestes  et  demandes  par  eulx  faictes  tant 
»  pour  la  liberté  de  leurs  consciences  que  pour  toutes  les  seu- 
»  retez  pareulx  désirées  pour  leurs  vies,  biens  et  honneur,  qu'il 
»  s'assuroit  que  après  avoir  esté  veuz  par  eux  lesdicts  articles,  il 
»  n'y  auroit  plus  rien  à  délibérer  ne  changer  à  iceulx.  —  Mais 
D  depuis  voïant  que  ledict  sieur  prince  de  Gondé  et  ceux  de 
y>  sadicte  compagnye  n'aiant  purement  et  simplement  accepté 
»  lesdits  articles,  luy  ont  envoyé  le  s' de  Telligny  pour  luy  faire  en 
»  tendre  qu'ils  désireroient  estre  plus  amplement  satisfaits  et 
))  esclairciz  et  que  à  ces  fins  il  pleust  à  Sa  dite  Majesté  de  dep- 
»  puter  trois  notables  personnaiges,  comme  à  présent  ils  nom- 
))  ment  de  leur  part,  à  sçavoir:  messieurs  les  cardmal  de  Ghastil- 
»  Ion ,  comte  de  Larochefoucault  et  Bouchavanes,  ponr  convenir 
))  et  s'assembler  en  tel  lieu  qu'il  plairoit  à  Sa  dite  Majesté  de 

1.  Bibl.  nat..mss.  fonds  Coibert,  V*-  vol.  24,  f  136. 


—  511  — 
»  choisir  et  nommer  afin  d'esclaircir  davantage  ledit  dernier 
))  mémoire,  et  leur  satisfaire  aussy  quelques  poincts  qui  estoient 
»  portez  par  un  autre  mémoire  précédent,  envoyé  de  leur  part  à 
»  Sa  dite  Majesté,  par  le  s' de  Gombault  sur  ce  mesme  faict;  — 
»  Sa  dite  Majesté,  après  avoir  ouy  lesdits  s"  de  Telligny  et  Gom- 
»  bault  sur  tout  ce  que  dessus,  et  veu  les  lettres  de  mondit  sieur 
»  le  prince  de  Gondé  et  l'instruction  par  escript  par  luy  donnée 
»  audit  sieur  de  Telligny,  a  bien  voulu  faire  entendre  au  sieur 
y>  prince  de  Gondé  et  à  ceulx  de  sa  compagnie  que,  ne  voulant 
y>  rien  obmectre  pour  l'entière  réunion  de  ses  sudjectz  et  paci- 
y>  fication  de  son  roïaulme,  il  est  toujours  très  content  de  leur 
y>  accorder  et  octroyer  le  contenu  ausdicts  derniers  articles  qu'il 
»  a  tousjours  estimez  assez  amples  et  intelligibles,  sans  qu'il  soit 
))  besoing  pour  ce  regard  d'aucune  assemblée  de  depputez.  Et 
»  toutesfoys  sy  sur  iceulx  il  y  a  quelque  doubte  ou  interpréta- 
»  tion  à  faire  dont  ils  désirent  estre  satisfaicts.  Sa  dicte  Majesté, 
j)  commeen  sa  présence  elle  a  faict  arrester  ledict  dernier  mé- 
»  moyre  à  eulx  envoyés  sera  contente  que  les  dessusdicts  sieurs 
j)  nommez  par  ledit  sieur  prince  ou  autres  telz  qu'il  vouldra 
))  choisir,  puissent  présentement  venir  en  toute  liberté  et  seureté 
»  là  part  où  sera  Sa  dicte  Majesté,  pour,  en  sa  présence,  estre 
»  esclairciz  et  faire  l'interprétation  nécessaire  sur  ledict  mé- 
y>  moire,  ausquelz  par  Sa  dicte  Majecté  sera  donnée  toute  gra- 
»  cieuse  audience  et  seur  accez  et  toute  raisonnable  satisfaction 
y>  et  contentement.  —  Et  pour  l'effect  que  dessus  sa  dicte  Ma- 
»  jesté  leur  fera  délivrer  les  saufs-conduictz  nécessaires  tant 
»  pour  l'aller  que  pour  le  séjour  et  retour  aussitost  que  ledict 
»  s""  prince  luy  fera  entendre  qu'il  vouldra  recevoir  ce  moyen, 
»  si  mieulx  il  n'aime,  pour  éviter  à  toute  longueur,  prendre 
»  ledit  sauf-conduit  de  monsieur  le  duc  d'Anjou,  son  frère,  y) 

Il  avait  été  convenu  que  pendant  la  durée  «  du  voyage  de 
»  Téligny  en  cour  »,  aucun  acte  d'hostilité  ne  serait  commis 
de  part  ni  d'autre.  Le  21  décembre,  Goligny  qui,  avec  l'avant- 


—  512  — 

aarde,  était  à  Notre-dame-de-l'Espine,  se  plaignit  d'une  viola- 
tion de  la  convention  au  duc  d'Anjou,  en  ces  termes  ^  : 

((  Monseigneur,  le  s'  de  Chirniervan,  que  vous  despeschastes 
»  hier  devers  monseigneur  le  prince  de  Condé,  passa  là  où 
y>  j'estois,  lequel  medist  de  vostre  part  que  vous  entendiez, qu'en 
»  attendant  le  retour  de  M.  de  Telligny  auquel  vous  avez  donné 
))  congé  d'aller  trouver  le  roy,  vostre  armée  ne  passast  point 
»  deçà  la  rivière  de  Marne,  et  qu'il  ne  se  feist  nul  acte  d'hosti- 
»  lité.  Touteffoys  contre  cela  sont  venuz  quelques-ungs  de  vostre 
3)  armée,  ceste  nuict,  donner  à  ung  logis  auquel  il  y  avoit  quel- 
))  ques  gens  de  cheval  logez  de  ceste  avant-garde  :  chose  que  je 
))  ne  puis  penser,  monseigneur,  que  vous  entendiez.  Et  pourtant 
»  vous  suppliay-je  très-humblement  de  m'en  vouloir  faire  raison, 
»  et  vous  pouvant  asseurer  que,  quand  il  se  fûst  présenté  toutes 
»  les  plus  belles  occasions  du  monde,  je  n'eusse  souffert  que 
»  l'on  eûst  rien  entrepris  contre  la  parolle  qui  m'avoit  esté 
»  donnée  de  vostre  part,  comme  j'ay  donné  charge  à  ce  gentil- 
»  homme,  présent  porteur,  vous  faire  entendre,  et  lequel  pour 
»  tant  je  vous' supplieray  très-humblement  de  vouloir  escouter 
»  et  croyre.  » 

Le  23  décembre,  Téligny  quitta  la  cour,  reçut  du  duc  d'Anjou 
la  réponse  à  Condé,  que  le  roi  avait  communiquée  au  duc,  et 
l'apporta  au  prince  ^. 

Condé,  Coligny  et  les  autres  chefs,  acceptant  cette  réponse 
comme  satisfaisante,  décidèrent  que  le  cardinal  de  Chastillon, 
accompagné,  non  de  Larochefoucault  et  de  Bouchavanes,  dont 
la  présence  à  l'armée  était  jugée  nécessaire,  mais  seulement  de 
quelques  gentilshommes,  irait  conférer  avec  le  roi,  ou  ses  re- 
présentants. 

Le  25  décembre,  le  duc  d'Anjou  envoya,  du  camp  de  Vitry- 

1.  Bibl.  nat.  mss.  fonds  Colbert,  V"  vol.  24,  f»  138. 

2.  Lettre  du  roi  au  duc  d'Anjou,  du  23  décembre  1567.  Bibl.  nat.  mss.  fonds 
Colbert,  V  vol.  24,  f  137. 


-  513  — 

le-François  à  Gondé,  pour  le  cardinal  de  Ghastillon,  un  sauf- 
conduit  \  dont  l'insuffisance  motiva  la  lettre  suivante,  que  le 
prince  écrivit  d'Aspremont,  au  duc,  le  27  décembre  2  : 

«  Monseigneur,  ayant  veu  la  depesche  qu'il  a  pieu  à  leurs 
))  Majestez  me  faire  par  le  s'  de  Gombault,  ensemble  le  sauf- 
»  conduit  envoie  pour  monsieur  le  cardinal  de  Ghastillon, 
»  et  ceulx  qui  le  doivent  accompaigner  en  ceste  négociation 
»  limité  jusques  au  nombre  de  vingt  chevaulx  seullement,  j'ay 
»  bien  ozé  prendre  la  hardiesse  de  vous  envoyer  ce  gentilhomme, 
»  présent  porteur,  pour  vous  remonslrer  très  humblement  que 
»  la  qualité  de  mondit  sieur  le  cardinal,  qui  n'a  accoustumé  de 
y>  marcher  par  païs  avecques  si  peu  de  train,  ny  son  aage  ne  per- 
»  mectent  pas  maintenant  de  commencer,  mesmement  attendu 
»  l'incommodité  des  logis  par  les  champs  et  en  ceste  saison, 
»  sans  y  comprendre  les  sieurs  qui  l'accompagneront,  vous  sup- 
y>  pliant,  à  ceste  cause,  monseigneur,  aussy  très  humblement 
))  qu'il  vous  plaise  luy  vouloir  envoïer  de  vostre  part  ung  aultre 
y>  sauf-conduit  par  lequel  il  puisse  s'acheminer  avecques  sa  dite 
y>  compagnie  jusques  au  nombre  de  cent  chevaulx,  qui  est  le 
y>  moings  à  quoy  ils  doivent  estre  réduicts,  et  pour  plus  grande 
»  authorisation  de  ceste  charge,  vostre  bon  plaisir  pareillement 
))  soit  de  despescher  quelque  gentilhomme  ou  personnage 
»  d'honneur  et  de  réputation  qui  les  vienne  recevoir  vers  Bar- 
■»  le-Duc,  pour  les  vous  conduire,  si  le  trouvez  bon,  ou  à 
»  tout  le  moings  vers  leurs  dites  majestez,  ainsy,  monseigneur, 
»  que  de  toutes  ces  choses  ledit  porteur  vous  fera  très  humble 
y>  requeste  de  ceste  part.  » 

Satisfaction  ayant  été  donnée  au  prince  sur  ce  point,  le  car- 
dinal partit. 

Alors  qu'il  se  rendait  h  Bar  et  de  là  à  Ghâlons,  les  confé- 

1.  Lettre  dtt  duc  d'Anjou  à  Gondé,  du  25  décembre  1567.  Bibl.  nat.  inss. 
fonds  Colbert.  Ve  vol.  2i,  f>  137. 
±  Bibl.  nul.  niss.  fonds  Colbert.  V  vol.  24,  f°  liO. 


-  ël4  ~~ 

dérés  se  voyant  menacés  par  l'armée  royale,  qu'un  corps  de 
troupes  envoyées  par  le  duc  d'Albe  venait  de  renforcer,  obviè- 
rent au  danger  que  leur  eût  fait  courir  alors  une  bataille,  en 
se  mettant  pronlptement  en  route  pour  la  Lorraine,  afm  d'y 
recevoir  les  auxiliaires  allemands,  surlesquels  ils  comptaient. 

En  même  temps,  l'amiral,  pour  entretenir  les  hommes  d'État 
de  l'Angleterre  dans  de  bonnes  dispositions  en  faveur  des  ré- 
formés français,  écrivit  à  Gécil  *  : 

«c  Monsieur,  les  grands  et  vertueux  et  recommandables  offices 
»  que  vous  avez  faits  jusques  à  ceste  heure  pour  l'avancement 
»  de  nostre  cause  et  les  effets  qui  s'en  sont  suivis,  et  dont  nous 
))  nous  ressentons  à  bon  escient,  nous  rendent  un  témoignaige 
»  si  certain  et  asseuré  du  zèle  et  affection  si  singulière  qu'il  a 
T>  pieu  à  Dieu  de  mettre  en  vous,  en  ce  qui  touche  son  honneur 
»  et  gloire  et  la  conservation  des  églises  qu'il  a  recuillies  en  ce 
i>  royaulme,  oultre  ce  que  nous  en  avons  apprins  par  les 
y>  lettres  et  dépêches  de  monsieur  le  cardinal  de  Ghastillon, 
»  que  j'ay  pensé  que  je  vous  ferois  tort  et  à  moy  mesme  si  je 
»  voulois  essayer  d'augmenter  une  si  bonne  et  sainte  volonté 
»  par  un  discours  de  raisons,  et  que  ce  seroit  aultant  si  je 
»  voulois  adjouter  de  la  chaleur  au  feu  ;  de  sorte  que  je  me 
))  contenLeray,  s'il  vous  plaist,  de  vous  supplier  seulement  par 
»  ceste-ci  de  vouloir  entendre  de  Testât  de  noz  affaires,  de  ce 
y>  gentilhomme  présent  porteur,  oultre  ce  que  vous  en  dira 
»  aussi  en  particulier  monsieur  le  cardinal  de  Ghastillon,  et  nous 
))  continuer  la  mesme  et  semblable  volonté,  et  faire  comme 
»  vous  avez  tousjours  accoustumé  et  que  nous  avons  tousjours 
»  attendu  et  espéré  de  vous;  et  combien  que  vous  soyez  6on- 
j)  duit  à  cela  pour  la  cognoissance  que  vous  avez  de  l'équité 
))  et  justice  de  ceste  Cause,  qui  vous  est  commune  avec  tous 
))  les  gens  de  bien,  sy  ne  iaisseray-je  pourtant,  oultre  le  géné- 

1.  Record  office  state  pap.  France,  vol.  XLll.  —  De  Laferrière,  le  XVP  siècle 
et  les  Valois,  p.  204,  205* 


—  515  — 
»  rai,  de  vous  remercier  en  mon  particulier  de  ce  que  vous 
»  avez  fait  jusques  à  ceste  heure.  Ce  sera  de  mesme  affection 
1>  que  je  désire  estre  recommandé  bien  affectueusement  à  vos 
»  bonnes  grâces,  priant  le  créateur,  qu'en  augmentant  en  vous, 
))  monsieur,  les  siennes,  il  vous  maintienne  toujours  en  sa 
»  sainte  garde  et  protection.  » 

r  Le  lendemain  de  l'arrivée  du  cardinal  de  Châtillon  à  Ghâ- 
lons-sur-Marne,  la  reine  mère  vint  dans  cette  ville,  en  compagnie 
des  cardinaux  de  Bourbon,  de  Lorraine  et  de  Guise,  et  déclara 
au  frère  de  l'amiral  que  les  explications  et  éclaircissements  qu'il 
sollicitait,  au  nom  des  chefs  réformés,  se  rattachaient  à  une 
matière  sur  laquelle  le  roi,  en  son  conseil,  devait  se  prononcer 
directement;  qu'il  fallait  donc  aller  trouver  Charles  IX  à  Vin- 
Cennes,  où  il  résidait.  Le  cardinal  de  Châtillon  obtempéra; 
mais  au  lieu  d'être  admis  à  conférer  avec  le  roi,  il  reçut  l'ordre 
de  s'expliquer  d'abord  avec  Jean  de  Morvilliers  et  Louis  de 
Saint-Gelais  de  Lansac,  puis  avec  le  premier  président  Chris- 
tophe de  Thou  et  le  président  René  Baillet.  Odet,  soupçonnant 
qu'on  voulait  traîner  l'affaire  en  longueur,  sans  rien  conclure, 
refusa  de  traiter. 

Trois  jours  s'étaient  écoulés  depuis  son  refus,  lorsque  Cathe- 
rine, qui  s'était  rendue  à  Paris,  le  fit  venir  au  couvent  des 
Minimes,  et  lui  dit  qu'il  ne  suffisait  pas  de  traiter  de  la  paix,  si 
Ton  ne  convenait  des  moyens  d'empêcher  que  le  feu  de  la 
guerre,  qui  aurait  été  éteint,  ne  se  rallumât  ;  et  elle  le  pria  de  lui 
donner,  sur  ce  point,  son  avis  : 

Le  cardinal  répondit  sur-le-champ  *  :  «  Puisque  la  crainte, 
3)  les  exils  et  les  différents  supplices  n'ont  rien  gagné  jusqu'à 
»  présent  sur  les  réformés;  qu'au  contraire,  la  persécution  n'a 
»  fait  qu'augmenter  leur  nombre  et  les  fortifier,  et  que,  les 
»  deux  partis  se  trouvant  fatigués  de  la  guerre,  il  a   fallu  en 

\.  De  Thou,  Uû.  univ.,  t.  IV,  p.  39. 


—  516  — 

»  venir  à  un  accommodement,  il  me  semble  qu'il  n'y  a  point  de 
»  meilleur  moyen  de  l'affermir,  que  de  faire  un  traité  qui  con- 
y>  tienne,  de  part  et  d'autre,  tous  les  sujets  de  Sa  Majesté,  en 
))  leur  rendant  également  justice,  sans  faire  aucune  distinction 
»  de  religion;  et  que  le  roi,  suivant  les  mouvemens  de  la  bonté 
»  qui  lui  est  naturelle,  partage  entre  eux  les  dignités,  les 
»  honneurs,  les  grâces  et  les  magistratures,  en  sorte  qu'il  ne 
»  paraisse  faire  que  ce  qu'il  lui  plaît,  mais  cependant  avec 
ji>  raison,  avec  justice,  et  avec  équité.  » 

Odet  ajouta  que,  pour  faire  évanouir  les  défiances,  il  fallait 
congédier  toutes  les  troupes  étrangères  et  toutes  les  nouvelles 
levées,  puisque  c'était  la  crainte  seule  des  unes  et  des  autres 
qui  avait  causé  la  seconde  guerre  et  forcé  les  réformés  à  pren- 
dre les  armes,  attendu  qu'ils  n'avaient  pas  d'autre  ressource,  pour 
mettre  à  couvert  leurs  biens  et  leurs  vies.  «  Voilà,  dit-il  ^  le 
»  vrai  et  le  seul  moyen  d'établir  une  paix  solide.  Qui  que  ce 
»  soit,  gentilhomme  ou  autre,  ne  sortira  jamais  de  sa  maison, 
))  lorsqu'il  croira  que  sa  conscience,  sa  liberté,  sa  vie,  sa  for- 
y>  tune,  sa  charge  et  son  emploi  seront  en  assurance.  Il  est  aisé 
)>  de  prouver  cette  vérité  par  l'exemple  d'une  multitude  innom- 
»  brable  de  gens  que  ce  seul  motif  fait,  tous  les  jours,  venir 
»  en  foule  auprès  du  prince  de  Gondé,  dont  ils  connaissent  à 
»  peine  le  nom,  qui  n'ont  jamais  reçu  de  lui  aucun  bienfait,  et 
))  qui  n'en  espèrent  aucun;  très  résolus  à  retourner  chacun 
»  chez  soi,  dès  que  le  roi  aura  bien  voulu  les  maintenir  sans 
»  crainte  dans  la  paisible  possession  de  ce  qu'ils  ne  peuvent 
y>  s*assurer  par  les  armes,  qu'en  risquant  beaucoup.  y> 

Florimond  Robertet,  secrétaire  d'État,  ayant  mis  par  écrit  ce 
discours  du  cardinal,  la  reine  mère  promit  à  ce  dernier  d'en 
parler  au  roi,  et  s'en  alla. 

Le  lendemain,  Morvilliers  vint  trouver  le  cardinal  de  Châ- 

1.  De  Thou,  liist.  univ.,  t.  IV,  p.  39. 


—  517  -~ 

tillon,  auquel  il  notifia  une  décision  prise,  le  20  janvier  1568, 
par  le  roy,  et  ainsi  conçue  *  : 

«  Le  roy  ayant  entendu  par  la  royne,  sa  mère,  et  M.  le  car- 
))  dinal  de  Bourbon  ce  que  le  cardinal  de  Giiastillon  leur  a  dit 
»  de  la  part  du  prince  de  Gondé  et  ceulx  de  sa  compagnie  des 
»  moyens  qu'ils  dévoient  proposer  pour  la  seureté  dudit  sieur 
y>  roy  et  repos  de  son  royaume;  en  quoy  toutesfois  sadite Majesté 
»  ny  ceulx  de  son  conseil  n'ont  trouvé  par  lesdits  moyens  telle 
»  seureté  qu'il  en  deust  demeurer  satisfait,  a  déclaré  par  l'ad- 
»  vis  de  tout  son  dict  conseil,  qu'il  veult  et  entend  leur  obser- 
y>  ver  ce  que  par  cy-devant  il  leur  a  envoyé  signé  de  sa  main, 
»  pourveu  toutesfois  et  à  la  charge  que  se  confiant  iceulx  à  la 
»  promesse  dudict  seigneur  roy  signée  de  sa  main,  ilz  facent  au 
»  préalable  retirer  tous  les  reistres,  lansquenetz  et  autres 
»  estrangers  qu'ils  ont  pardelà,  les  licentient  et  renvoyent, 
»  comme  par  les  articles  à  eulx  envoyez  sadite  Majesté  enten- 
))  doit  et  leur  enjoignoit  qu'ils  feissent  promptement.  — Et  sur 
»  ce  qu'ilz  proposent  et  requièrent  touchant  la  seureté  qu'ilz 
»  offrent  donner  de  ne  se  povoir  mectre  en  armes  à  l'advenir 
»  ny  faire  aucune  collecte  de  deniers,  qu'il  plaise  à  sa  dite 
»  Majesté  de  les  recevoir  comme  ses  subjectz  et  leur  faire 
»  congnoistre  par  effect  qu'il  ne  les  a  en  moindre  bonne  estime 
»  que  les  catholiques,  c'est  chose  que  sadite  Majesté  est  très 
»  contente  de  faire,  et  pour  y  mieulx  parvenir,  désire,  veult  et 
y>  entend  qu'ilz  viennent  cy-après  là  part  qu'il  plaira  à  sadite  Ma- 
»  jesté  leur  déclairer  et  esclaircir  le  faict  qui  advint  entre  Paris 
»  et  Meaulx,  pour  par  ce  moyen  lever  à  sadite  Majesté  toute  la 
))  mauvaise  opinion  qu'elle  pourroit  avoir  conçue  d'eulx.  —  Et 
D  estant  tout  ce  que  dessus  par  eulx  effectué,  sadite  Majesté 
y>  leur  accomplira  par  effect  ce  qu'il  leur  a  promis  par  escript.  » 
Le  cardinal  de  Ghâtillon  répondit  aussitôt"^  :  que  le  prince  de 

1.  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  15  544,  f"  112. 

2.  De  Thou,  hist.  univ.,  t.  IV,  p.  40. 


—  518  — 

Condé  et  les  confédérés  n'avaient  pris  les  armes  que  dans  une 
extrêmenécessité,etpourleurjustedéfense;que,s'ilsnereussent 
pas  fait,  leurs  ennemis  eussent  impunément  achevé  de  les  perdre 
el  de  bouleverser  le  royaume  ;  qu'ainsi,  ils  ne  pouvaient  congé- 
dier les  troupes  auxiliaires  qu'ils  avaient  été  obligés  de  faire 
venir  pour  les  opposer  à  tant  de  troupes  étrangères  que  leurs 
ennemis  avaient  levées  en  Italie,  en  Suisse,  et  dans  les  Pays- 
Bas,  sans  exposer  leurs  vies,  ou  sans  se  voir  réduits  à  aban- 
donner le  royaume;  qu'ils  ne  refusaient  pas  néanmoins  de 
déposer  les  armes,  dès  qu'on  aurait  remis  les  choses  dans  leur 
état  primitif,  pourvu  que  Sa  Majesté  congédiât  aussi  les  Itahens, 
les  Suisses  et  les  troupes  nouvellement  envoyées  par  le  roi 
d'Espagne,  qu'on  n'avait  appelées  que  pour  servir  des  projets 
d'extermination.  En  ce  qui  concernait  l'affaire  de  Meaux,  le 
cardinal  protestait,  au  nom  du  prince  de  Condé  et  de  tous  les 
confédérés,  qu'ils  n'avaient  jamais  pensé  à  former  une  conjura- 
tion, ni  contre  Sa  Majesté,  ni  contre  sa  maison,  et  qu'ils  aime- 
raient mille  fois  mieux  mourir  que  d'avoir  une  pareille  pensée  ; 
qu'ils  étaient  venus  à  Meaux  uniquement  pour  se  jeter  aux 
genoux  de  Sa  Majesté  et  pour  la  supplier,  avec  toute  l'humilité 
et  la  soumission  possibles,  de  vouloir  bien  révoquer  l'arrêt  que 
leurs  ennemis  l'avaient  forcée  de  prononcer,  et  qui  était  sur  le 
point  d'être  exécuté  contre  eux  et  contre  tous  ceux  qui  protes- 
taient n'avoir  point  d'autre  vue  que  de  réformer  et  corriger  les 
abus  qui  s'étaient  glissés  dans  la  religion  ;  que  c'était  contre  ces 
ennemis  seulement,  et  non  contre  l'autorité  de  la  majesté  du 
roi  qu'ils  avaient  pris  les  armes;  ce  qu'ils  étaient  prêts  à  soute- 
nir, à  main  armée,  contre  ceux  qui  oseraient  dire  le  contraire; 
que,  pour  cela,  il  suppliait  Sa  Majesté  de  vouloir  bien  rendre 
ses  bonnes  grâces  au  prince  de  Condé  et  à  tous  ses  partisans,  de 
les  regarder  comme  de  très  bons,  très  soumis,  et  très  fidèles 
sujets,  de  leur  accorder  une  pleine  et  entière  liberté  de  con- 
science, et  de  les  maintenir  dans  le  libre  exercice  de  leur  reli- 


—  549  — 

gion,  ainsi  que  dans  la  paisible  jouissance  de  leurs  biens  et  de 
leurs  dignités  ;  protestant  qu'ils  étaient  disposés  à  se  laisser 
réduire  à  la  dernière  extrémité  et  à  souffrir  tout  ce  qu'il  plai- 
rait à  Dieu  de  permettre  ou  d'ordonner,  plutôt  que  de  se  livrer 
entre  les  mains  de  leurs  ennemis,  qui  étaient  ceux  du  roi  et  de 
l'État,  et  que  d'être  abandonnés  à  leur  merci. 

Les  confédérés,  ne  pouvant  plier  devant  l'injonction  royale, 
de  se  rendre,  en  quelque  sorte,  à  discrétion,  les  négociations 
furent  rompues,  et  le  cardinal  de  Châtillon  se  retira. 

Charles  IX  écrivit  alors  aux  officiers  placés  sous  le  comman- 
dement du  duc  d'Anjou  *  :  «  Messieurs,  l'asseurance  que  j'ay  que 
»  mon  frère  vous  rendra  bien  au  long  informez  comme  s'est 
»  passée  la  négociation  du  cardinal  de  Ghastillon  touchant  la 
y>  paix,  sera  cause  que  je  ne  vous  en  feray  aultre  discours  par 
»  ceste  lettre.  Bien  vous  diray-je,  puisqu'il  n'y  a  eu  moyen  de 
»  parvenir  à  ladite  paix,  qu'il  fault  avoir  recours  à  Dieu  pour 
»  le  prier  de  tout  mon  cœur  de  m'assister  et  favoriser  en  ma 
»  juste  querelle,  de  laquelle,  avec  son  bon  secours,  la  bonne 
»  conduite  de  mondit  frère  et  la  vertu  et  vaillance  de  vous 
»  tous",  je  ne  me  puis  promectre  que  toute  bonne  yssue.  Vous 
i^  priant  tous,  en  ceste  occasion,  et  en  une  si  sainte  et  justt 
»  querelle  comme  est  la  mienne,  où  il  va  et  de  l'honneur  de 
»  Dieu  et  de  la  conservation  de  mon  estât  et  seureté  de  ma 
»  couronne,  me  faire  à  bon  escient  paroistre  que,  à  bonne  et 
»  juste  occasion  je  me  fie  extrêmement  en  vous,  et  que  plus 
i)  seurement  ne  puis-je  mectre  la  conservation  de  mon  dict 
»  estât  que  entre  les  mains  de  mondit  frère  et  de  vous  tous.  Et 
»  sachant  assez  de  quelle  affection  vous  embrassez  tous  ceste 
))  cause,  me  remectant  sur  ce  que  mondit  frère  vous  en  dira 
»  plus  au  long,  je  fmiray  ceste  lettre  en  priant  Dieu  qu'il  vous 
y>  ayt  en  sa  saincte  et  digne  garde.  » 

i.  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  15  544,  f»  92.  Lettre  du  20 janvier  1568. 


—  520  — 

La  réception  de  cette  lettre  ne  changea  rien  à  la  résolu- 
tion, récemment  prise  par  le  conseil  placé  auprès  du  duc  d'An- 
jou, de  ne  pas  poursuivre  l'armée  des  confédérés  ;  résolution 
au  sujet  de  laquelle  de  Lanoue  *  s'exprime  ainsi  :  «  L'armée  de 
«  monseigneur  (le  duc  d'Anjou),  voyant  cest  éloignement  (de 
»  l'armée  du  prince  de  Gondé),  désista  de  la  poursuite.  Et 
))  aucuns  se  glorifioyent  de  ce  qu'on  avoit  chassé  les  hugue- 
»  notz  hors  du  royaume.  Autres  plus  clairvoyans,  s'apperce- 
»  vans  bien  qu'on  ne  les  pouvoit  plus  empescher  de  joindre 
»  leurs  forces  allemandes,  furent  d'avis  de  les  laisser  courre, 
))  et  aviser  aux  moyens  de  les  garder  de  rentrer.  Mais  il  y  en 
»  eut  aussi,  et  non  petite  quantité,  qui  jettèrent  un  grand 
»  blasme  sur  aucun  conseillers  de  monseigneur,  de  quoy  on 
y)  les  avoit  laissé  eschapper  sans  les  combattre,  et  disoyent  que 
y)  l'admirai  s'entendoit  secrètement  avec  eux;  ce  qui  estoit  une 
»  imagination  du  tout  fausse,  et  de  quoy  luy  mesme  se  rioit  • 
))  m' ayant  dit  plusieurs  fois  n'en  avoir  nulle,  mais  qu'il  tasche- 
y>  roit  cependant  à  les  entretenir  en  ce  soupçon.  » 

1.  Disc,  polit,  et  milit,  p.  745. 


CHAPITRE  IX 


L'Électeur  palatin  Frc'déric  III  et  son  fils  le  duc  Casimir.  —  Leur  sympathie  pour  les 
réformés  français. —  Frédéric  justifie,  dans  une  protestation,  l'envoi  de  troupes  auxi- 
liaires en  France,  sous  la  conduite  de  son  fils.  —  Jonction  de  ces  troupes  avec  celles 
de  Condé,  en  Lorraine.  —  Sacrifices  faits  par  celles-ci  pour  subvenir  au  payement 
de  la  solde  des  auxiliaires  allemands.  —  Rentrée  des  confédérés  en  France,  l'amiral 
y  assure  leur  marche,  leur  approvisionnement  et  leur  séjour.  —  Siège  de  Chartres.  — 
Fait  d'armes  de  Coligny.  —  Renée  de  France  à  Montargis.  —  Charlotte  de  Laval  à 
Orléans.  Soins  assidus  qu'elle  prodigue  aux  blessés,  aux  malades,  aux  pauvres.  — 
Atteinte  d'une  maladie  mortelle,  elle  écrit  à  son  mari.  —  L'amiral  accourt  à  Orléans. 
Mort  de  madame  l'amirale.  —  Profonde  affliction  de  Coligny.  —  Son  allocution  à  ses 
enfants.  —  Il  est  obligé  de  les  quitter  pour  aller  reprendre  son  commandement,  sous 
les  murs  de  Chartres.  — Négociations  en  vue  d'une  paix.  — La  paix,  dite  de  Longju- 
meau  est  conclue.  —  Lettre  de  l'amiml  à  Catherine.  —  II  revient  à  Châtillon.  — 
Lettre  que  Th.  de  Rèze  lui  adresse,  au  sujet  de  la  mort  de  Charlotte  de  Laval. 


Les  troupes  auxiliaires,  à  la  rencontre  desquelles  marchaient 
Condé  et  ses  compagnons  d'armes,  étaient  envoyées  par  un 
prince,  l'électeur  palatin  Frédéric  III,  et  conduites  par  un  chef, 
le  duc  Casimir,  son  fils,  dont  on  appréciera  d'autant  mieux  les 
sympathies  pour  la  réforme  française,  qu'on  se  sera  préalable- 
ment rendu  compte  du  caractère  et  des  antécédents  de  chacun 
d'eux. 

Frédéric  III,  dit  le  Pieux,  fils  aîné  du  comte  palatin  Jean  II 
de  Simmern,  et  deBéatrix,  fille  du  margrave  Christophe  de 
Bade,  naquit  à  Simmern,  Te  i4  février  1525.  Son  père,  ami  des 
lettres,  prit  un  soin  particulier  de  son  éducation,  et,  pour  la 
compléter,  le  fit,  au  sortir  de  l'adolescence,  séjourner  à  la  cour 
de  Lorraine  et  à  celle  de  Charles-Quint.  A  dix-huit  ans,  Fré- 
déric prit  part  à  une  campagne  contre  les  Turcs.  Il  épousa 


Marie,  fille  du  margrave  Casimir  de  Brandenbourg-Kulenbach 
et  de  la  princesse  bavaroise  Suzanne,  qui  fut  unie,  en  secondes 
noces,  au  prince  Otton-Henri.  Le  jeune  couple  habita  tour  à 
tour  Simmern  et  le  château  de  Birkenfeld.  Élevée  dans  les 
croyances  luthériennes,  Marie  amena  peu  à  peu  Frédéric  à  y 
adhérer,  alors  que  de  sérieuses  impressions  l'eurent  détaché 
du  catholicisme,  qui  ne  répondait  plus  aux  besoins  de  son  âme. 
Sincère  et  ferme  dans  ses  convictions  religieuses,  il  dut  rompre 
avec  son  beau-frère,  le  margrave  Albert,  chez  qui  l'intérêt  poli^ 
tique  étouffait  fréquemment  la  voix  de  la  conscience.  Il  y  eut 
plus  :  la  sincérité  et  la  fermeté  de  ses  convictions  lui  firent 
encourir  la  disgrâce  de  son  père,  qui  lui  retira  tout  appui, 
toutes  ressources.  Loin  de  suivre  l'exemple  de  divers  petits 
princes,  qui  pour  prix  de  leur  servilité,  recevaient  une  pension 
de  l'empereur  ou  de  quelque  autre  souverain  catholique,  il  ne 
fléchit  pas  sous  l'épreuve;  et,  d'accord  avec  sa  noble  compagne, 
il  préféra,  à  une  aisance  indignement  acquise,  le  maintien  de 
son  honneur,  dans  les  angoisses  de  la  pauvreté;  angoisses 
d'autant  plus  vives,  qu'il  souffrait,  avant  tout,  des  privations 
imposées  à  sa  femme  et  à  ses  nombreux  enfants.  Une  corres- 
pondance émouvante  porte  la  trace  des  anxiétés  qui  prédomi- 
naient, au  foyer  domestique,  mais  atteste  en  même  temps,  la 
pleine  confiance  de  Frédéric  et  de  Marie  dans  la  bonté  de  leur 
père  céleste  ;  témoin  ce  passage  de  l'une  des  lettres  de  Marie  : 
((  Nulle  issue  pour  nous,  dans  la  détresse,  si  Dieu  ne  nous  vient 
»  en  aide.  Ah!  veuille  ce  Dieu  tout-puissant  nous  accorder  la 
»  vraie  patience,  afin  que  nous  portions  sans  être  accablés  par 
y>  son  poids,  la  croix  qu'il  nous  impose!  si  Dieu  n'était  pas  notre 
y>  suprême  consolateur,  nous  nous  désespérerions  de  la  présence 
))  de  tous  les  enfants  qu'il  nous  a  donnés,  et  de  l'absence  de 
»  ressources  nécessaires  ;  mais,  puisque  Dieu  nous  a  accordé 
»  tous  ces  chers  petits,  et  que  peut-être  il  nous  en  accordera 
»  d'autres  encore,  eh  bien  !  j'espère,  oui  j'espère,  qu'avec  le 


—  523  —  ' 
))  temps  il  nous  fournira  le  moyen  de  les  élever  honorablement.» 
La  foi  qui  soutenait  ainsi  Frédéric  et  Marie,  dans  l'épreuve  du 
dénuement,  les  soutint  également  dans  d'autres  épreuves  plus 
poignantes,  dans  celles  qu'ils  subirent  en  perdant  plusieurs  de 
leurs  enfants. 

En  1556  s'ouvrit  devant  Frédéric  la  perspective  de  son  élé- 
vation à  l'Electorat,  quand  il  deviendrait  vacant  par  la  mort 
d'Otton-Henri;  celui-ci  n'y  fut  alors  promu,  qu'à  un  âge  avancé, 
et  sans  enfant  pour  lui  succéder.  En  1557,  Frédéric  perdit  son 
père,  dont  il  avait  adouci  les  derniers  moments,  en  l'assistant 
de  ses  pieuses  exhortations,  de  ses  prières,  et  en  l'amenant  à  la 
foi  évangélique.  Appelé  désormais  à  gouverner  la  principauté  de 
Simmern,  il  favorisa  parmi  ses  sujets  l'affermissement  de  la 
relipon  qu'il  professait,  et  prit  une  part  active 'aux  affaires 
ecclésiastiques  qui  intéressaient  en  commun  les  princes  d'Alle- 
magne. Otton-Henri  étant  mort,  le  12  février  1559,  Frédéric  fut 
investi,  à  Heidelberg,  de  la  dignité  Electorale,  «  Je  te  conjure, 
))  écrivit-il  alors  à  un  prince  ami,  de  t'unir  à  moi  dans  mes 
»  prières,  pour  demander  à  Dieu  de  m'accorder,  dès  le  début 
»  de  mon  gouvernement,  grâce,  intelligence,  sagesse,  et  le  se- 
»  cours  de  son  Saint-Esprit,  afin  que  je  puisse  m'acquitter  de 
))  la  charge  qu'il  m'a  confiée,  à  la  gloire  de  son  saint  nom,  pour 
»  le  bonheur  de  mes  sujets,  et  en  rendre  dignement  compte, 
^i  le  jour  où  je  comparaîtrai  devant  le  tribunal  du  Christ.  » 
Dominant  des  hauteurs  de  la  foi  chrétienne  les  difficultés 
que  lui  suscitait  un  antagonisme,  soit  religieux,  soit  politique, 
Frédéric  passa  résolument  du  Luthéranisme  au  Calvinisme,  dès 
qu'il  s'y  sentit  appelé  par  sa  conscience.  Ses  judicieux  conseils, 
sa  douceur,  sa  tendresse  calmèrent  les  anxiétés  de  Marie,  qui 
était  demeurée  Luthérienne. 

Peut-être  Frédéric  III  n'a-t-il  jamais  mieux  justifié  le  surnom 
de  pieux,  que  par  sa  noble  attitude,  d'une  part,  au  foyer  do- 
mestique, et  de  l'autre,  dans  la  série  de  ses  généreux  efforts  en 


.  —  524  — 

faveur  des  réformés  français  cruellement  persécutés.  Ils  étaient 
pour  lui  des  frères  en  la  foi,  et  il  le  leur  prouva,  soit  en  prenant 
leur  défense  auprès  de  leur  souverain,  dans  d'énergiques  repré- 
sentations adressées  à  celui-ci,  soit  en  cherchant  à  les  arra- 
cher au  supplice,  comme  il  le  fit  pour  Anne  du  Bourg,  soit  en 
répondant  à  leurs  appels  par  l'envoi  de  troupes  en  France,  sous 
la  conduite  de  son  fils,  le  duc  Jean  Casimir. 

Ce  dernier  «  avoit  esté,  quelque  espace  de  temps,  nourry  en 
»  France  et  y  avoit  reçeu  beaucoup  de  gracieusetés  et  hon- 
»  neurs  \  »  tout  jeune  qu'il  était,  sous  Henrill,  il  y  avait  été 
bienveillamment  accueilli  par  quelques-uns  des  principaux  re- 
présentans  delà  réforme,  avec  lesquels  il  était  resté  en  relations 
depuis  son  retour  en  Allemagne  M  Autorisé  par  son  père,  vers 
la  fin  de  l'année  1567,  à  se  rendre  en  France,  à  la  tête  d'un 
3orps  de  troupes,  pour  y  secourir  Gondé,  Coligny  et  les  autres 
chefs  réformés,  il  caractérisa  en  ces  termes  ^  'la  mission  qu'il 
se  proposait  de  remplir  :  «  pour  préserver  la  couronne  de  France 
»  d'une  extrême  et  totale  ruine,  je  me  suis  armé  contre  ceulxqui 
»  imposent  par  leurs  mauvais  conseils  et  practiques  que  leroy 
))  ne  puisse  déclarer  sa  clémence  naturelle  et  affection  de  père 
»  envers  ses  pauvres  subjectz,  et  qui  le  contraignent  par  leurs 
»  autoritez  d'obéir  plus  à  leurs  affections  débordées  qu'à  lavo- 
))  lonté  de  son  Dieu.  »  —  Frédéric  III,  de  son  côté,  mandait  * 
au  duc  de  Wurtemberg  :  ce  Mon  fils,  le  duc  J.  Casimir  n'a  eu 
y>  congé  de  moy  pour  faire  ce  voyage,  ne  autre  intention  que 
»  pour  le  bien  de  la  dignité  royale  et  des  fidèles  subjectz,  aussy 
))  pour  obvier  et  empescher,  de  son  possible,  à  toutes  sortes  de 


1.  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  6  619. 

2.  Voyez  ses  lettres  au  prince  de  Portien  et  à  Renée  de  France.  (Bibl.  nat.  mss. 
f.  fr.  vol.  3196,3  218). 

3.  Lettre  du  4  janvier  1568  <iu  maréchal  de  Vieilleville.  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr. 
vol.  15  514, 

/k  Lettre  du  13  février  1568,  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  15  5i4,  f»  292. 


—  525  — 

»  mauvais  conseils  qui,  à  mon  regret,  s'effectuent  journelle- 
y>  ment,  sçaichant  bien  qu'il  est  bien  délibéré  de  ne  se  laisser 
»  esmouvoir  ny  employer  à  aultre  effect;  parquoy  je  ne  luy 
»  ay  pu  reffuser  la  license  comme  à  ung  jeune  prince  chrestien 
»  sur  une  telle  intention  chrestienne  ^  » 

Les  senliments  dont  étaient  animés  l'Electeur  et  son  fils  à 
l'égard  des  réformés  français  se  révèlent  plus  particulièrement 
dans  une  protestation  mémorable  que  Frédéric  III  rédigea,  le  6 
décembre  1567".  Ce  document  témoigne  delà  ferme  attitude 
que  surent  conserver  vis-à-vis  de  l'Empereur,  Frédéric  et 
Casimir,  alors  qu'une  politique  étroite  et  partiale  leur  repro- 
chait de  secourir  leurs  coreligionnaires  français.  Ces  deux  prin- 
ces avouent  sans  détour  leur  sympathie  pour  des  chrétiens,  op- 


i .  La  chaleureuse  syinpathie  de  Frédéric  III  pour  ses  coreligionnaires  de 
France,  et  surtout  pour  Coligny,  éclate  dans  sa  vaste  correspondance,  et  se  re- 
flète dans  son  testament.  En  publiant  l'une  et  l'autre,  et  en  enrichissant  sa 
double  publication  de  notes  substantielles,  le  savant  et  judicieux  M.  Kluckhohn 
a  élevé  un  monument  durable  à  la  mémoire  du  prince  Électeur.  (Voy.  1°  Briefe 
Friederichs  des  Frommen,  Kurfùrsten  der  pfalz,  1868,  3  vol.  in-S».  —  2"  Das 
testament  Friedrichs  des  Frommen,  von  A.  Kluckhohn,  h\-i°).  —  On  peut  con- 
sulter sur  Frédéric  III  :  1»  Le  Laboureur,  addit.  aux  mém:  de  Castelnau,  t.  I, 
p.  538  à  542.  —  â'*  les  mémoires  de  Condé,  passim;  —  S°  Brantôme,  éd.  L. 
Lai.  t.  I,  p.  313;  4°  Baum,  Th.  de  Dezc,  append.  —  5°  Archiv.  de  Stuttgart, 
Frankreich,  16,  n»  40;  —  6"  en  Angleterre,  {Calcnd.  of  State  papers  foreign. 
séries,  ann.  1560,  1562,  1563, 1567,  1568)  ;  —  7"  A  Genève,  archrv.  municip. 
n»  1753;  —  8"  en  France,  Bibl.  nat.  mss.  fonds  français,  vol.  2  812,3  193, 
3196,  3  216,  3  314,  3  318,  6619,  15  544,  et  fonds  Colbert,  vol.  397.  —  Les 
lettres  adressées  par  Coligny,  d'Andelot  Condé  et  autres  à  Frédéric  III  prouvent 
en  quelle  haute  estime  ils  tenaient  ce  prince,  dont  Hotman,  de  son  côté,  (dédi- 
cace de  la  franço-g allia)  caractérisait  le  sage  gouvernement,  en  ces  termes  • 
«  II  y  a,  ce  croy-je,  seize  ans,  prince  très  illustre,  que  Dieu  a  mis  une  bonne 

>  partie  de  la  coste  du  Rhin  sous  le  pouvoir  et  sauvegarde  de  votre  Excellence 

>  et  depuis  ce  temps  là  on  ne  saurait  croire  ni  sufOsamment  exprimer  en  quel 
»  repos  et  tranquillité  on  a  vescu  en  tous  les  pays  de  vostre  obéyssance,  res- 

>  semblant  proprement  à  une  bonace  riante  de  la  mer  plate  et  tranquille,  oîi  il 

>  ne  souffle  aucun  vent  que  doux  et  gracieux  :  tant  toutes  choses  y  ont  tousjours 
»  esté,  moyennant  vostre  sage  prévoyance,  paisibles,  saintement  et  religieu- 
•»  sèment  ordonnées.  » 

2.  Voir  à  Vappendicc,  w  34,  le  texte  complet  de  cette  protestation. 


—  526  — 
primés  j  et  leur  ardeur  à  seconder  les  légitimes  efforts  tentés  en 
faveur  de  la  liberté  religieuse;  ils  démontrent  péremptoirement 
que  leur  intervention  dans  les  affaires  de  France  ne  porte  au- 
cune atteinte  aux  relations  qu'ils  soutiennent  avec  l'empire  ; 
et  leur  langage  est  celui  d'hommes  de  cœur  qui  revendiquent 
avec  une  noble  indépendance  le  maintiende  droits  personnels, 
qu'ils  n'entendent  au  surplus  exercer  sans  entraves,  que  pour 
mieux  accomplir  un  grand  devoir  de  conscience  et  de  charité 
chrétienne. 

Il  importe  de  ne  pas  perdre  de  vue.  que  l'Électeur  palatin, 
avant  de  consentir  au  départ  de  son  fils  pour  la  France,  avait 
voulu  être  positivement  fixé  sur  l'état  exact  des  hommes  et  des 
choses  dans  ce  pays.  Vinceslas  Zuliger,  l'un  de  ses  ministres, 
qu'il  y  avait  envoyé,l.ui  rendit  fidèlement  compte  de  ce  qu'il  avait 
vu,  tant)  à  la  cour  qu'à  l'armée  de  Louis  de  Bourbon.  Ainsi 
renseigné,  Frédéric  III  sut  se  dégager  des  liens  dans  lesquels 
Rochetel,  évêque  de  Reims  et  de  Lansac,  ambassadeur  du  roi 
de  France,  avaient  tenté  de  l'enserrer,  et  il  laissa  partir  le  duc 
Casimir,àla  tête  d'un  corps  de  troupes,  en  disant  alors,  entre  au- 
tres choses,  à  l'Empereur,  dans  sa  protestation  *  : 

(C  Le  prince  de  Gondé,  l'admirai,  et  des  aultres,  se  sont  dé- 
»  clarés  au  comte  palatin  et  l'ont  faict  entendre  l'entreprise  à 
-»  rencontre  d'eulx,  et  en  quel  danger  ilz  sont,  avec  beaucoup 
))  de  chrestiens  de  France,  sur  cela  assurant  qu'ils  n'estoient 
»  délibérez  d'accorder  ou  passer  aultres  choses  sinon  les  con- 
3)  tenuz  de  l'édict  de  pacification,  dont  ledict  comte  palatin  n'a 
»  sçeu  avoir  aulcune  mauvaise  appréhension  ou  opinion  du 
»  prince  de  Condé  n'y  aultres  grands  seigneurs  desquelz,  comme 
i>  dict  est,  aulcuns  sont  du  sang  royal  et  pourveuz  des  plus 
3>  grands  estatz,personnes  honorables  et  de  bonne  conversation 
»  et  vie,  que  ceux-là  aient  jamais  pensé  à  aulcune  rébellion, 
»  moins  tâché  de  prendre  les  armes  contre  leur  propre  parent, 

1.  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  6619,  f«^  189  et  «uiv. 


—  527  — 
»  un  jeune  et  innocent  seigneur  et  roy,  toiit  ainsy  comme  ledict 
»  Electeur  en  a  mesmement  escript  'au  roy,  luy  mandant 
j)  qu'il  ne  desiroit  et  ne  souhaitoit  aultre  chose  à  Sa  Majesté 
»  sinon  tranquilité  et  repos  de  son  royaulme,  et  que  les 
»  choses  demeurassent  d'un  côsté  et  d'aultre  paisibles  selon 
y>  l'édict  de  la  pacification;  et  en  s'excusant  devers  Sa  Majesté, 
»  s'asseure  bien  que  ces  troubles  et  tumultes  ne  s'élèvent  pas 
y>  entre  le  jeiine  innocent  roy  et.  ses  vassaulx,  mais  plutôst  entre 
y>  lesdicts  vassaUlx  et  le  cardinal  de  Lorraine  et  ses  àdhérens, 
1)  lesquelz,  aux  aullres  troubles,  ont  semblablement  tasché, 
i>  suyvant  en  celaleurs  patentes  et  par  eulx  publiées,  d'extirper 
»  et  suffoquer  entièrement  tous  ceulx  qui  sont  de  l'évangile  et 
y>  de  la  vràye  religion  chrestienne  ;  de  quoy  ceulx  du  costé  du 
D  prince  de  Gondé  en  avoient  présenté  requestes  au  roy  et  à  la 
))  royne  mère  en  pi'otestant  publiquement  devant  Dieu  et  tout 

»  le  monde par  ainsi  les  affaires  de  France,  quant  aux 

»  troubles  présens,  se  portent  de  sorte  que  ce  ne  doibve  point 
»  estre  imputé  ou  imposé  au  prince  de  Gondé  et  à  ses  àdhérens 
))  comme  une  rébellion  ou  séditiouj  mais  plustôt  comme  une 
y>  défense  nécessaire  et  permise  de  la  nature  pour  sa  propre 
»  personne  et  plusieurs  mil  chrestiens,  pour  le  roy  mesme  et 
y>  sa  couronne  contre  les  dessusdits  leurs  adversaires. 

«  Ledict  Electeur  fait  response  que  son  fils,  le  duc 

«  Gasimir,depuis  peu  de  temps  Itiy  avoit  donné  à  entendre  com- 
»  ment  qu'il  auroit  esté  plusieurs  fois  requis  et  prié,  non  seule- 
y>  ment  des  princes  du  sang  royal,  mais  aussi  de  la  plus  grande 
3)  partie  de  la  noblesse  de  France  et  de  toute  sorte  des  eslats  et 
))  personnages  aimant  l'honneur  etlapaix,  que  si  en  cas  fortuit 
))  il  advient  qu'au  temps  advenir,  par  l'incitation  des  enhemys 
»  du  repos  publicq  eulx  et  beaucoup  d'aultres  dépendant  de  la 
))  vraye  religion  feussent  par  violence  et  force  pressés  oultre  et 
))  contre  rédictduroytouchantlapacification,etque  le  royaulme 
»  de  France  tombast  derechef  en   danger  d'une   misérable 


-  528-^ 

y>  ruine  et  destruction  qu'il  pleust  audict  duc  Casimir,  pour  la 
»  conservation  de  ladite  pacification,  pour  la  réputation  du  jeune 
y>  roy  et  aussi  pourTenipeschement  de  la  misérable  effusion  du 
»  sang  de  plusieurs  mils  innocents  chrestiens,  de  leur  vouloir 
»  secourir  de  forte  main  avec  quelques  mil  chevaulx  et  aultres 
»  gens  de  guerre.  Ce  que  ledict  duc  Casimir,  ayant  esté  quelque 
»  espace  de  temps  nourry  en  France  et  y  reçeu  beaucoup  degra- 
»  cieusetés  et  honneurs,  ne  l'a  pas  voulu  refuser  pour  le  bien  de 
»  Sa  Majesté  et  de  ses  subjectz.  Ainsy  ledict  duc  Casimir  auroit 
))  prié  l'Electeur  son  père  de  ne  luy  point  vouloir  refuser  un  tel 
»  voyage  tout  chres tien  et  honnorable,  ains  plutost  d'une  affec- 
»  tion  paternelle  à  son  filz  et  jeune  prince  le.  luy  vouloir  accor- 
»  der  pour  s'expérimenter  et  voir  quelque  chose. 

(( D'aultant  que  ledict  Électeur,  du  passé  et  de  long- 

»  temps,  à  la  requeste  de  son  dict  filz  avoit  promis  et  accordé 
,y>  que,  s'il  se  présentoit  aulcune  guerre  chrestienne  et  hono- 
»  rable,  il  ne  fauldroit  de  luy  donner  son  congé  d'y  aller  ;  veu 
3)  que  ceste  entreprinse  du  prince  de  Condé  et  de  ses  adhérens 
»  n'est  pas  contre,  ains  pour  Sa  Majesté  et  la  conservation  de 
))  son  royaulme,  ensemble  la  purification,  défense  et  soulage- 
D  ment  des  chrestiens  pressés,  permis  justement  et  de  la  loi  de 

))  nature ;  et  d'aultant  que,  aux  troubles  passés,  l'an  1562, 

ï)  le  secours  qui  vint  du  Saint-Empire  pour  le  prince  de  Condé, 
y>  n'a  esté  tombé  pour  ce  faict  en  aulcun  inconvénient  ou  offensé 
))  la  paix  publique  et  les  constitutions  d'icelle,  c'est  la  raison 
»  pour  laquelle  l'électeur  a  faict  moins  de  difficulté  de  donner 
Ti^  le  congé  à  son  aymé  filz,  pour  s'en  aller  à  la  guerre  ;  joinct 
»  aussi  qu'il  n'eust  sçeu  prétendre  en  cela  aulcune  raison  juste 
D  de  refus,  t» 

De  Lanoue  ^  nous  fait  connaître  les  circonstances  dans  les- 
quelles le  duc  Casimir,  qu'il  qualifie  de  «  prince  doué  de  vertus 

i.Dis.  polit,  et  niUit^  p.  745  ù  748. 


—  529  ^ 

y>  chrestiennes,  et  auquel  ceulx  de  la  religion  sont  fort 
»  obligés  ^ ,  ))  opéra  en  Lorraine,  sa  jonction  avec  l'armée  des 
reformés,  et  il  retrace  en  termes  saisissants,  le  désintéressement 
et  l'esprit  de  sacrifice  dont  les  chefs  et  les  soldats  de  cette  armée 
firent  preuve  envers  les  Allemands,  auxquels  il  s'agissait  de 
fournir  une  solde. 

«  Je  veux  raconter,  dit-il,  quelques  mouvemens  et  iégèretez 
y>  de  ceulx  de  la  religion,  pendant  le  petit  séjour  qu'ils  firent  en 
))  Lorraine  :  aussi  la  libéralité  volontaire  qu'ils  montrèrent  au 
»  milieu  de  tant  de  pauvreté  qui  les  environnait  ;  action  que 
»  j'estime  impratiquable  au  temps  où  nous  sommes. 

))  Plusieurs  s'estoyent  persuadez,  et  le  bruit  en  couroit  aussi, 
»  qu'on  n'auroit  pas  mis  le  pied  dans  la  Lorraine,  que  les  cocqs 
»  des  Reitres  ne  s'entendissent  chanter  :  mais  après  y  avoir 
»  séjourné  quatre  et  cinq  jours,  on  n'en  sçavoit  non  plus  de 
»  nouvelles  que  lorsqu'on  estoit  devant  Paris  ;  ce  qui  engendra 
»  du  murmure  parmi  aucuns  mesmes  de  la  noblesse,  qui  don- 
»  noyent  des  attaques  assez  rudes  à  leurs  chefs  en  leurs  devis 
»  ordinaires,  tant  l'impatience  est  grande  parmi  nostre  nation. 
y>  Eux  l'ayant  entendu  s'efforçoyent  d'y  remédier.  Et  comme  les 
»  hommes  difficilement  s'esloignent  de  leurs  inclinations,  aussi 
ï)  les  dissuasions  dont  usèrent  ces  chefs  furent  différentes;  car 
»  le  prince  de  Condé,  qui  estoit  d'une  nature  joyeuse,  se  moc- 
y>  quoit  si  à  propos  de  ces  gens  si  cholères  et  appréhensifs,  qu'il 
y>  faisoit  rire  ceux  mesmes  qui  excédoyent  le  plus  en  l'un  et  en 
»  l'autre;  de  l'autre  costé,  monsieur  l'admirai,  avec  ses  paroles 
»  graves  leur  faisoit  tant  de  honte,  qu'enfin  ils  furent  contraints 
»  de  se  radoucir  et  rapaiser.  Je  luy  demanday  lors,  si  l'armée 


i.  En  ce  qai  concerne  le  duc  Casimir,  vovez  1»  ses  lettres  (Bibl.  nat.  mss.  f.  fr. 
vol.  3  196,  3  218,  6619,  15  544;  —  2"  Brantôme,  éd.  L.  Lai.  t.  1,  p.  323,  à  326, 
—  3"  De  Thou,  hist.  univ.,  ia-i"  t.  IV,  p.  5  à  8.  —  4»  Mém.  de  Gastelnau  et 
addit.  de  Le  Laboureur,  in-f»  t.  II,  p.  538  à  546;  —  5°  Mém.  de  Cl.  Hatoi;, 
pcssim;  -  6°  Klùckholin,  Briefe  Friedcrichs  des  Frommen, passa??. 

11.  '  3i 


'  —  530  — 

^  >  de  monseigneur  nous  suyvoit,  quel  conseil  il  prendroit?  Nous 

»  acheminer,  dit-il,  vers  Bacchara,  où  les  Reilres  doyvent  avoir 

y>  fait  leur  assemblée,  €t  qu'il  ne  falloit  combattre  sans  eux,  et 

i)  que  l'ardeur  première  ne  fust  un  peu  reschauffée.  Mais  s'ils  ne 

y>  s'y  fussent  trouvez,  répliquera  quelqu'un,  qu'eussent  fait  les 

»  huguenots?  Je  pense  qu'ils  eussent  soufflé  en  leurs  doigts, 

»  car  il  faisoit  grand  froid.  Or,  toute  ceste  fascherie  fut  bientost 

»  convertie  en  resjouissance,  quand  ils  entendirent  au  vray  que 

y>  le  duc  Casimir  marchait  et  qu'il  estoit  prochain.  Ce  n'estoyent 

»  que  chansons  et  gambades,  et  ceux  qui  avoyent  le  plus  crié 

»  sautoyent  le  plus  haut.  Ces  comportemens  vérifièrent  très 

n)  bien  le  dire  de  Tite-Live  :  que  les  Gaulois  sont  prompts  à 

y>  entrer  en  cholère,  et  par  conséquent  prompts  à  se  resjouir, 

ï  lesquelles  passions  excèdent  aisément,  si,  à  l'imitation  des 

•»  sages,  on  ne  les  modère  par  l'usage  de  la  raison. 

i>  Monsieur  le  prince  de  Condé  ayant  sçeu  par  ses  négociateurs 
»  d'Allemagne  que  les  Reitres  s'attendoyent  de  toucher  pour 
>  le  moins  cent  mille  escus,  estans  joints  avec  luy,  il  fut  bien 
»  en  plus  grand'peine  qu'il  n'avoit  esté  auparavant  pour  les 
»  mouvemens  des  siens,  d'autant  qu'il  n'en  avoit  pas  deux  mille. 
»  Là  convint-il  faire  de  nécessité  vertu,  et  tant  luy  que  monsieur 
))  l'admirai,  qui  avoyent  une  merveilleuse  créance  entre  ceux 
D  de  la  religion,  desployèrent  tout  leur  art,  crédit  et  éloquence 
»  pour  persuader  un  chacun  de  départir  des  moyens  qu'il  avoit 
H)  pour  ceste  contribution  si  nécessaire,  dont  dépendoit  le  con- 
î>  lentement  de  ceux  qu'on  avoit  si  dévotieusement  attendus. 
»  ÏIux  mesmes  monstrèrent  exemple  les  premiers,  donnant  leur 
»  propre  vaisselle  d'argent.  Les  ministres  en  leurs  prédications 
»  exhortèrent  à  cest  effect,  et  les  plus  affectionnez  capitaines  y 
»  préparèrent  aussi  leurs  gens.  Car  en  une  afaire  si  extraordi- 
»  aaire,  il  esloit  besoin  de  s'ayder  de  toutes  sortes  d'instruments. 
3)  On  vit  une  disposition  très  grande  en  plusieurs  de  la  no- 
2)  blesse  de  s'ea  acquitter  loyalement.  Mais  quand  il  fut  ques- 


—  531  — 

y>  tion  de  presser  les  disciples  de  la  picorée,  qui  ont  ceste  pro- 

--»  priéléde  sçavoir  vaillamment  prendre,  et  lascheraent  donner, 
»  là  fut  l'effort  du  combat  :  toutefois  moitié  pai'  amour,  moitié 
y>  par  crainte,  ils  s'en  acquittèrent  beaucoup  mieux  qu'on  ne 

'  3)  cuidoit.  Et  cette  libéralité  fut  si  générale,  que  jusqu'aux  gou- 
y>  jats  des  soldats,  chacun  bailla  :  de  manière  qu'à  la  fin  on  ré- 
y>  putoit  à  deshonneur  d'avoir  peu  contribué.  Il  y  en  eut  de 
»  ceux-ci  qui  fii*ent  honte  à  des  gentilshommes,  eu  offrant  plus 
y>  volontairement  de  l'or,  qu'eux  n'avoyent  fait  de  l'argent. 
»  Somme,  que  le  tout  ramassé,  on  trouva,  tant  en  ce  qui  esLoit 
»  monnoyé  qu'en  vaisselle  et  chaînes  d'or,  plus  de  quatre-vingts 

-  »  mille  livres  ;  qui  vindrent  si  à  poinct,  que  sans  cela  difficile- 
»  ment  eùt-on  appaisé  les  Reitres.  Je  sçay.bien  qu'il  y  en  eut 

•  »  beaucoup  qui  furent  aiguillonnez  à  donner,  y  estans  pressez 
y>  par  l'exemple,  la  honte  et  les  persuasions  ;  toutefois  c'est 
n)  chose  certaine  que  bonne  partie  y  furent  poussez  de  zèle  et 
»  d'affection,  qui  se  monstra  en  ce  qu'ils  offrirent  plus  (ju'on 
y>  ne  leur  avoit  demandé.  N'est-ce  pas  là  un  acte  digne  d'es- 
D  bahissement,  de  voir  une  ai'mée,  point  payée  et  despourvue  de 
»  moyens,  qui  estimait  comme  un  prodige  de  se  dessaisir  des 
.))  petites  commoditez  qu'elle  avait,  pour  subvenii-  à  ses  néces- 
»  sitez,  ne  les  espargner  pour  en  accommoder  d'autres,  qui 
y>  par  avanture  ne  leur  en  sçavoyent  guères  de  gré?  Il  serait  im- 
»  possible  maintenant  de  faire  le  semblable,  parce  que  les 
y>  choses  généreuses  sont  quasi  hors  d'usage  ^  .  y> 

Dès  que  les  chefs  réformés,  après  avoir  opéré  leur  jonclien 
avec  le  duc  J.  Casimir,  furent  assurés  du  concours  des  troupes 

1.  «  Marque  le  lecteur  un  trait  qui  n'a  point  d'exemple  en  rautiquité  :  que 
»  ceux  qui  dévoient  demander  paye  et  murmurer  pour  n'en  avoir  point  puissent 
»  et  veuillent,  en  leur  extrême  pauvreté,  contenter  une  armée  avec  cent  mille 
»  livres,  à  quoi  se  monta  ceste  brave  gueuserie,  argument  aux  plus  sages  d'au- 
»  près  du  roi  pour  prescher  la  paix,  tenant  pour  invincible  le  parti  qui  a  la 
*  passion  pour  différence,  et  pour  solde  la  nécessité.  »  (d'Aubigné,  hist.  univ.y 
t,  I,  liv.  IV,  chap.  XV.) 


—  532  — 

de  celui-ci,  aux  exigences  pécuniaires  desquelles  il  venait  d'être 
donné  satisfaction,  avec  tout  l'élan  d'un  rare  esprit  de  sacri- 
fice, Coligny  conseilla  à  Gondé  de  se  diriger  immédiatement 
vers  Paris,  de  prendre  position  non  loin  de  la  capitale,  et  d'ap- 
puyer ses  opérations  sur  Orléans,  d'où  il  serait  à  portée  de  tirer 
des  secours.  Ce  sage  conseil  fut  suivi. 

L'amiral,  grâce  à  l'habileté  consommée  qu'il  déploya,  comme 
grand  capitaine  et  comme  administrateur  militaire,  réussit  à 
ramener  intacte,  en  plein  hiver,  de  l'intérieur  de  la  Lorraine  au 
centre  de  la  France,  une  armée  de  plus  de  vingt  mille  hommes, 
dépourvue  d'argent,  d'artillerie,  de  munitions,  et  constamment 
harcelée,  dans  sa  marche,  par  une  armée,  de  beaucoup  supé- 
rietire  en  nombre. 

Ici  encore,  le  témoignage  de  de  Lanoue  est  précis,  et  entière- 
ment à  l'honneur  de  Coligny  : 

c(  Ceux  de  la  religion,  dit-il  * ,  rebroussèrent  chemin,  ayant 
»  opinion  que  l'armée  ennemie  les  costoyeroit,  tant  pour  les 
-»  empescher  de  bransquetter  plusieurs  petites  villes  foibles 
»  que  pour  espier  une  occasion  d'attraper  quelqu'une  de  leurs 
»  troupes.  Alors  la  France  regorgeoit  de  toutes  sortes  de 
»  vivres  :  ce  néantmoins  tousjours  faloit-il  grand  art  et  diligence 
»  pour  nourrir  une  armée  de  plus  de  vingt  mille  hommes,  point 
»  payée,  qui  n'estoit  favorisée  du  pais  comme  l'autre,  et  qui 
))  n'avoit  qu'un  très  petit  équipage  pour  les  munitions.  Monsieur 
y>  l'admirai  estoit,  sur  toutes  choses,  soigneux  d'avoir  de  très 
»  habiles  commissaires,  et  de  leur  faire  avoir  voicture  selon  la 
»  nécessité  huguenotte,  et  souloit  dire,  quand  il  estoit  question 
»  de  dresser  corps  d'armée  :  commençons  à  former  ce  monstre 
y>  par  le  ventre.  Or,  pour  ce  que  nostre  coustume  estoit,  que  la 
»  cavallerie  logeoit  escartée  dans  les  bons  villages,  lesdits  com- 
))  missaires,  outre  les  chariots  qu'ils  avoient  avec  eux,  tenoyent 

1.  Disc,  polit,  et  milit.  p.  74t>,  750. 


—  533  — 

))  encore  en  chacune  cornette  un  boulangier  et  deux  chevaux 
y>  de  charge,  qui  n'estoyent  plustost  arrivez  au  quartier,  qu'ils 
y>  se  mettoyent  àfaire  du  pain,  et  après  l'envoyoyent  au  corps  de 
»  l'infanterie.  Et  quand  ces  petites  commoditez  estoyent  toutes 
»  rassemblées,  qui  sortoyent  de  quarante  cornettes  que  pou- 
y>  vions  avoir  alors,  cela  se  montoit  beaucoup  :  et  delà  aussi 
y>  souvent  s'envoyoyent  chairs  et  vins,  estans  les  gentilshommes 
))  si  affectionnez  qu'ils  n'espargnoyent  au  séjour  leurs  charrois 
))  pour  conduire  ce  qu'il  convenoit.  Les  petites  villettes  prises, 
y>  on  les  réservoit  pour  les  munitionnaires,  et  menaçoit-on  les 
y>  autres,  où  il  n'y  avoit  point  de  garnison,  de  brusler  une  lieue 
y>  h  la  ronde  d'elles,  si  elles  n'envoyoyent  quelques  munitions. 
))  De  manière  que  nostre  infanterie,  qui  logeoit  serrée,  estoit 
))  ordinairement  accommodée.  Je  ne  mets  point  ici  en  conte  les 
»  butins  qui  se  faisoyent,  tant  par  les  gens  de  pied  que  de 
))  cheval  sur  ceux  de  contraire  parti,  et  ne  faut  point  douter  que 
y>  ce  grand  animal  dévoratif  passant  parmi  tant  de  provinces 
))  n'y  trouvast  toujours  la  pasture.  » 

L'armée  des  confédérés  était  arrivée  à  proximité  de  Paris. 
Goligny  et  G  onde,  voyant  que  l'armée  ennemie  ne  les  observait 
qu'à  distance  et  s'abstenait  de  leur  livrer  bataille,  résolurent 
de  la  contraindre  à  sortir  de  l'inaction,  en  assiégeant  sous  se? 
yeux,  une  ville  d'une  certaine  importance  !  Ils  se  dirigèrent 
donc  sur  Chartres,  qu'ils  investirent  rapidement. 

«  Au  séjour  que  nous  fismes  devant  cette  place,  raconte  de 
y>  Lanoue*  ,  monsieur  l'admirai  fit  une  belle  contr'entreprise 
))  qui  se  démesla  en  la  manière  que  je  diray.  L'armée  contraire 
))  estoit  audelà  de  la  rivière  de  Seine,  qui  n'osoit  approcher 
))  en  corps  de  celle  du  prince,  et  ne  sçay  les  causes  pourquoy. 
»  Elle  ne  voulut  pourtant  perdre  l'occasion  de  porter  quelque 
»  faveur  à  ceux  de  dedans.  Et  pour  cet  effet  fut  envoyé  M.  de 

1.  Disc,  polit,  et  milit,  p.  757. 


—  53*  — 

))  La  Valette,  qui  estoitun  capitaine  renommé  ^  ,  avec  dix-huit 
»  cornettes  de  cavalerie,  pour  tascher  de  surprendre  quelqu'une 
))  de  nos  troupes  au  logis,  endommager  nos  fourrageurs,  rom- 
»  pre  nos  vivres,  et  nous  tenir  souvent  en  alarmes.  Il  s'appro- 
y>  cha  à  quatre  lieues  près  du  camp,  logeant  assez  serré,  d'où 
))  il  commençoit  à  nous  molester  grandement.  De  quoy  mon- 
))  sieur  l'admirai  estant  adverty,  il-prit  la  charge  d'y  pourvoir. 
))  Et  comme  il  avoit  accoutumé  d'aller  en  gros,  de  peur,  disoit- 
»  il,  de  faillir  le  gibier,  aussi  prit-il  trois  mille  cinq  cents  che- 
»  vaux  et  partit  de  si  bonne  heure,  qu'à  soleil  levé,  il  se  trouva 
»  dans  le  milieu  des  quartiers  de  ceste  cavallerie  qui,  nonobs- 
»  tant  les  bonnes  gardes  qu'elle  tenoit  en  campagne,  ne  se  peut 
»  garantu"  que  plusieurs  ne  feussent  enveloppez  ;  et  yeut  quatre 
))  di'apeaux  pris,  mais  peu  de  gens  tuez.  M.  de  La  Valette  qui 
))'  estoit  logé  dans  Oudan,  rallia  quatre  ou  cinq  cens  chevaulx 
))et  estant  suivy  de  plus  de  mille  desnostres,  il  se  retira  néant- 
»  moins  avec  une  belle  façon,  tournant  souvent  teste:  aussi 
»  avoit-il  art  et  expérience.  » 

Effrayée  des  conséquences  que  pouvait  entraîner  l'échec  in- 
fligé par  Coligny  à  La  Valette,  Catherine  prit  l'initiative  de 
pourparlers  préliminaires  qui,  dans  sa  pensée  ^  devaient  frayer 
la  voie  à  de  prochaines  négociations.  L'objet  direct  die  ces  négo- 
ciations devait  être  la  conclusion  d'une  paix  qui,  en  désarmant 
les  réformés,  affermirait  son  autorité  personnelle. 

Tandis  que  la  reine  mère  s'absorbait  alors,  comme  d'habi- 
tude, dans  ses  calculs  politiques,  ses  appréhensions  et  ses  in- 
trigues, deux  femmes  d'élite,  l'une  à  Orléans,  l'autre  à  Montar- 
gis,  se  consacraient,  en  chrétiennes,  à  l'accomplissement  des 
plus  saints  devoirs,  et  répandaient  autour  d'elles  les  trésors 
d'une  inépuisable  charité,  d'un  dévouement  à  toute  épreuve. 

1.  Voyez  un  rapport  dans  lequel  La  Valette  fait  part  au  duc  d'Anjou  de  ses  obser- 
vations sur  les  mouvements  des  chefs  reformés.  (Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  15  544, 
fo  1901,  février  1568.) 


—  535  — 

Charlotte  de  Laval,  tout  en  veillant  sur  ses  enfants  avec  une 
tendre  sollicitude,  employait  chaque  jour  de  longues  heures,  dans 
les  murs  d'Orléans,  à  soulager  les  pauvres,  à  soigner  les  ma- 
lades, et  particulièrement  les  blessés  militaires,  à  consoler  les 
affligés  et  les  mourants,  à  visiter  les  familles  en  deuil.  EUle  se: 
prodiguait  ainsi  au  dehors,  sans  observer  les  ménagements  que 
commandait  l'état  de  sa  santé,  plus  fortement  ébranlée  que  ja- 
mais. Quelle  que  fût  la  distance  qui  la  séparât  de  Montargis, 
elle  se  concertait  journellement  avec  la  duchesse  deFerraresur 
des  actes  de  bienfaisance  à  accompHr.  Dans  une  lettre  qui  très 
probablement  fut  la  dernière  qu'elle  adressa  à  Renée  de  France, 
on  la  voit  rendre  compte  d'une  double  démarche  tentée  en 
faveur  de  deux  protégés  de  cette  princesse.  «  Madame,  lui  écri- 
y>  vait-elle,  le  12  février  1568*  ,  j'ay  reçeu  la  lettre  qu'il  vous  a 
»  pieu  m'er-crire  par  ce  porteur,  pour  lequel  j'ay  faict  tout  ce 
»  qui  m'a  esté  possible,  comme  il  vous  le  fera  entendre  bien  au  ; 
»  long,  et  comme  aussy  je  me  suis  emploïée  pour  la  femme  de 
))  l'appothicaire  qu'il  vous  a  pieu  me  recommander  ;  mais  je  n'ay 
»  sçeu  obtenir  ce  qu'elle  demandait.  Pour  la  conséquence,  ce 
»  mesme  porteur  vous  pourra  dire  de  mes  nouvelles,  qui  me 
»  gardera  de  vous  ennuyer  de  plus  longue  lettre,  pour  prier  le 
s  créateur,  en  cest  endroict,  vous  conserver,  madame,  en  sa 
»  sainte  et  digne  garde,  avec  mes  très  humbles  recommanda- 
»  tions  à  vostre  bonne  grâce.  y> 

Non  moins  serviable  et  correspondant  non  moins  actif  que 
sa  femme,  Coligny  écrivait  du  camp  d'Angerville,  à  Renée  de 
>  France  le  13  février^  :  «  Je  vous  diray,  madame,  que  je  ré- 
»  puteray  toujours  à  grand  heur  et  honneur  de  trouver  occa- 
)>  sion  où  je  vous  puisse  faire  service,  comme  la  chose  que  j'ay 
)>  tousjours  le  plus  désirée,  et  que  je  feray  tousjours  le  plus  vo- 


i.  Bibl,  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  3  218,  f  82. 
±  Bibl.  nat.  mss;  f.  fr.  vol.  3  256,  f»  104. 


-536  — 
3)  lontiers.  Quant  à  ce  que  le  sieur  de  Bouchefort  m'a  dict  de 
3)  vostre  part,  je  lui  en  ay  dict  ce  qu'il  m'en  semble  et  entre 
))  autres  choses,  que  quand  on  s'est  mys  en  tout  le  devoir 
»  qu'on  sçauroit  requérir,  il  faut  laisser  l'événement  et  l'issue 
y>  à  Dieu,  lequel  sçaura  bien  parachever  l'œuvre  qu'il  a  encom- 
))  mencée.  » 

Le  15  du  même  mois,  l'amiral  faisait  appel  en  faveur  d'un 
malade,  à  la  bienveillance  de  la  duchesse,  en  ces  termes  ^: 
»  Madame,  ce  gentilhomme,  présent  porteur,  m'a  prié  vous 
y>  supplier,  comme  je  fais  très  humblement,  de  vouloir  per- 
y>  mettre  qu'il  puisse  séjourner  dans  Montargis  et  s'y  faire  mé- 
*  dicamenter;  et  d'autant  que  je  sçay  que  cela  vous  est  assez 
y>  recommandable  de  soy,je  ne  vous  en  feray  plus  longue  lettre, 
y>  mais  me  recommanderay  très  humblement  à  vostre  bonne 
»  grâce,  priant  le  créateur  qu'il  vous  donne,  madame,  avec  les 
2)  siennes  très  sainctes,  très  heureuse  et  très  longue  vie.  » 

En  présence  du  typhus  qui  commençait  à  sévir  parmi  les 
blessés  amenés  à  Orléans,  le  dévouement  déjà  si  grand,  de  Char- 
lotte de  Laval,  sembla  s'accroître  encore.  Mais  bientôt  ses  for- 
ces s'épuisèrent;  elle  ressentit  les  atteintes  de  la  contagion, 
s'alita  et  voyant  que  sa  fin  approchait,  elle  traça  de  sa  propre 
main  quelques  lignes  qu'elle  adressa  à  son  mari.  Elle  lui  di- 
sait- :  ((  qu'elle  s'estimait  bien  malheureuse  de  mourir  sans 
))  l'avoir  revu,  lui  qu'elle  avait  toujours  aimé  plus  qu'elle-même' 
))  et  qui  eût  pu  l'aider  à  franchir  ce  dernier  passage  ;  que  néan- 
))  moins  elle  se  consolait,  sachant  ce  qui  le  retenait  loin  d'elle; 
»  qu'elle  le  conjurait,  pour  elle-même^  qu'il  avait  toujours  ai- 
))  mée,  et  au  nom  de  leurs  enfants,  qu'elle  lui  laissait  comme 
D  gages  de  son  amour,  de  combattre  jusqu'à  la  dernière  extrê- 
3)  mité  pour  le  service  de  Dieu  et  pour  l'avancement  de  la  religion; 
»  que,  comme  elle  lui  savoit  un  grand  fond  de  tendresse  pour 

1.  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  3  133,  f°  51. 

2.  Vie  de  Coligny.  Cologne,  1  686,  p.  342. 


—  537  -- 

y>  le  roi ,  qui  le  rendoit  fort  retenu  quand  il  s'agissait  de  prendre  les 
)■)  armes,  elle  le  priait  de  se  souvenir  que  Dieu  était  le  premier 
»  maître  qu'il  eut  ;  qu'il  était  donc  obligé  de  le  servir,  de  préfé- 
y>  rence  à  tout  autre  ;  après  quoi  elle  n'empêchait  point  qu'il  ne 
»  fît  tout  ce  que  son  cœur  lui  pouvait  dicter  ;  que  c'était  là  ce 
»  qu'elle  lui  recommandait  particulièrement  ;  après  quoi  elle  le 
))  conjurait  d'élever  ses  enfants  dans  la  pureté  de  la  religion,  afin 
»  que,  lui  venant  à  manquer,  ils  pussent,  un  jour,  remplir  sa 
ï)  place  ;  que,  comme  il  leur  était  nécessaire,  elle  le  priait  de 
»  ne  s'exposer  qu'autant  que  les  circonstances  l'exigeraient  ; 
y>  qu'il  prît  garde  cependant  à  la  maison  de  Guise;  qu'elle  ne 
D  savait  pas  si  elle  lui  devait  dire  la  même  chose  de  la  reine 
y)  mère,  étant  défendu  de  juger  mal  de  son  prochain  ;  mais 
y>  qu'enfin  elle  avait  donné  tant  de  marques  de  son  ambition, 
y>  qu'un  peu  de  défiance  était  bien  pardonnable.  y> 

A  la  réception  de  ces  lignes,  l'amiral  «  partit  soudain  du 
»  camp  *  et  amena  tous  les  médecins  qu'il  put;  il  vint  rendre  à 
»  sa  femme  toute  l'assistance  d'un  affectionné  et  fidèle  mary. 
»  Mais  voyant  que  tous  les  remèdes  et  l'art  de  la  médecine 
>  cédoient  à  la  force  du  mal,  après  avoir  recommandé  son  âme 
%  à  Dieu  -,  il  se  retira  en  sa  chambre,  où  plusieurs  de  ses 
»  amis  le  suivirent  pour  le  consoler.  Alors  il  se  prit  à  dire  avec 
»  larmes  et  soupirs,  comme  la  plupart  s'en  peuvent  souvenir: 
»  mon  Dieu,  que  t'ai- je  fait  ?  quel  péché  ai-je  commis,  pour 
»  être  si  rudement  chastié  et  accablé  de  tant  de  maux  ?  à  la 
y>  mienne  volonté,  que  je  peusse  vivre  plus  saintement  et  donner 
y>  un  meilleur  exemple  de  piété  !  père  très  sainct  regarde-moy, 
))  s'il  te  plaît,  en  tes  miséricordes,  et  allège  mes  peines  !! 

i.  Hotman,  vie  de  Coligny,  tr.  de  If  65,  p.  75  à  77, 

2.  Ce  fut  le  3  mars  1568  qne  Charlotte  de  Laval  rendit  le  dernier  soupir.  Le 
livre  d'heures  de  Louise  de  Montmorency  contient  la  mention  suivante,  inscrite 
par  Coligny  lui-même  sur  le  feuillet  qui  relate  la  naissance  de  chacun  de  ses 
enfants  :  «  Le  111  de  mars  1568,  mourut  madame  l'admiralle,  leur  mère,  Char- 
j>  lotte  de  Laval,  à  Orléans.  »  {Bull,  de  la  soc.  d'hist.  du  protest.  fr.  1. 11,  p.  6.) 


-.  538  — 

«  Puis  s'estant  relevé  par  les  chrétiennes  exhortations  de 
»  ses  amis,  il  se  fit  amener  ses  enfants,  et  lem'  représenta 
»  qu'une  si  grande  perte  que  celle  de  leur  mère  leur  devoit 
»  enseigner  qu'il  ne  leur  restoit  plus  d'appuy  en  ce  monde; 
y>  que  les  maisons  et  chasteaux,  quoique  bien  fortifiez  et  somp- 
))  tueux,  ne  nous  avoient  point  esté  donnez  pour  une  demeure 
»  et  possession  perpétuelle,  mais  comme  une  hostellerie,  et  par 
»  emprunt;  enfin  que  toutes  choses  humaines  estoient  péris- 
))  sables  et  caducques,  hors  la  miséricorde  d'un  seul  Dieu,  à 
»•  laquelle  se  remettant,  et  rejettant  toute  autre  ayde  humaine, 
))  ils  ne  dévoient  point  douter  de  l'y  trouver. 

«  Le  lendemain  il  fit  venir  leur  précepteur,  nommé  Legresle  \ 
»  et  lui  dit  qu'il  falloit  retourner  en  l'armée,  ne  sçachant  pas  ce 
»  qui  luy  pourroit  arriver,  et  le  pria  d'avoir  soin  de  ses  enfants, 
))  et  de  les  instruire,  comme  il  luy  avoit  souvent  commandé, 
))  en  toute  piété  et  bonnes  sciences,  d 

Laissant  donc  ses  enfants  à  la  garde  du  fidèle  Legresle,  l'a- 
miral quitta  cette  ville  d'Orléans  dans  laquelle,  à  la  perte,  déjà 
si  douloureuse,  d'un  fils,  en  1562,  venait  de  s'ajouter,  pour  lui, 
la  perte  plus  douloureuse  encore,  d'une  pieuse  et  héroïque  com- 
pagne. Il  reprit  son  commandement,  sous  les  murs  de.  Chartres,  * 
dont  le  siège  se  continuait. 

Des  négociations  étaient  alors  ouvertes  àLonjumeau,  entre 
le  cardinal  de  Ghâtillon,  de  Laroohefoucauld,  et  Bouchavannes, 
du  côté  des  confédérés,  Armand  de  GontaudBiron  et  Henri  de; 
Mesmes  de  Malassise,  du  côté  du  roi,  pour  arrêter  les  baseSv 
d'un  traité  de  paix. 

1.  Coligny,  qui,  sous  la  direction  éclairée  et  vigilante  de  Nicolas  Bérauld,son 
précepteur,  avait  joui  du  bienfait  d'une  excellente  éducation,  voulut  que  ses 
enfants  pussent,  à  leur  tour,  recevoir  une  éducation  semblable.  Sou  choix,  se 
porta  sur  un  homme  que  recommandaient,  à  ses  yeux,  ainsi  qu'à  ceax  de  Char- 
lotte de  Laval,  une  piété  vivante,  une  parfaite  délicatesse  de  sentiments,  et  un 
esprit  à  la  fois  droit  et  élevé,  en  d'autres  termes,  sur  Legresle,  qui  s'acquitta 
constaramenjt  av.ec  zèle  et  succès  de.  sa  mission  de  pcécepteur. 


_  539  — 

Condé  inclinait  vers  un  accommodement  :  Coligny,  au  con- 
traire, y  était  formellement  opposé.  II  soutenait  *  que  la  cour 
ne  faisait  des  propositions  de  paix,  que  pour  diviser  les  réfor- 
més, dont  elle  ne  pouvait  triompher,  tant  qu'ils  demeuraient 
unis  et  sous  les  armes,  que  pour  les  désarmer  et  les  con- 
traindre à  rendre  les  places  qui  leur  servaient  d'asile,  que  pour 
détruire  toutes  leurs  forces,  et  pour  les  empêcher  de  s'emparer 
de  Chartres.  H  ne  se  dissimulait  pas,  d'ailleurs,  que  des  circon- 
stances d'une  haute  gravité  tendaient  à  amener  une  solution 
pacifique,  à  laquelle^,  toute  précaire  qu''elle  fiit,  il  faudrait  ce- 
pendant accéder.  En  effet,  déjà  une  partie,  des  troupes  de  la 
Saintonge  et  du  Poitou  s'en  étaient  allées,  sans  l'autorisation 
du  prince  de  Condé;  d'autres  menaçaient  d'agir  de  même.  De 
plus,  des  murmures  se  faisaient  entendre  :  on  disait  que,  puis- 
qu'on n'avait  pris  les  armes  que  pour  en  venir  à  une  paix,  et  que 
la:  cour  la  demandait,  il  n'y  avait  plus  autre  chose  à  faire  qu'à 
terminer  une  guerre  si  funeste  et  si  ruineuse  ;  que  le  soldat  ne 
pouvait  obtenir  son  prêt,  et  que  souvent  on  le  laissait  man- 
quer de  vivres;  que  la  noblesse,  éloignée  de  ses  foyers,  souf- 
frait beaucoup  ;  que  ses  propriétés  étaient  dévastées  par  l'enne- 
mi ;  que  les  chefs  confédérés  devaient  ne  pas  pousser  à  bout 
la  patience  de  leurs  partisans  par  une  fausse  prudence  ou  plu- 
tôt par  une  véritable  obstination. 

Vint  le  jour  où  ceux  qui  étaient  le  plus  opposés  à  la  paix, 
durent  y  donner  les  mains.  Elle  fut  signée,  le  23  mars  1568, 
et  à  cette  même  date,  intervint  un  édit  du  roi  ^  qui  remit  en 
vigueur  l'éditde  pacification  du  19^  mars  1563,  dégagé  désor- 
mais «  des  restrictions,  modifications,  déclarations  et  interpré- 
ft  tations  »  qui  en  avaient  altéré  le  sens  et  la  portée. 


i.  De  Thou,  hist.  univ.,  l.  IV,  p.  54.  —  De  Lanoue,  Disc,  polit,  et  milit. 
p.  759,  760,  761. 

2.  Fontanon,  iîec.  des  édits  et  ordonnances,  t.  IV,  p.  289  et  suiv.  —  Voyez,  à 
l'appendice,  n°  35,1e  texte  complet  de  rédil:  du  23  mars  1568. 


—  540  — 

Immédiatement  après  la  signature  de  la  paix,  le  siège  de 
Chartres  fut  levé.  «  Ceux  de  la  religion  licencièrent  leurs 
»  estrangers,  se  retirèrent  en  leurs  maisons,  puis  posèrent  les 
y>  armes,  chacun  en  particulier,  ayant  opinion, au  moins  le  vul- 
»  gaire,  que  les  catholiques  feroyentle  semblable.  Ils  se  conten- 
»  tèrent  seulement  de  le  promettre  ^  » 

Au  moment  où  il  allait  reprendre  le  chemin  de  Châtillon- 
sur-Loing,  Coligny  acceptant  loyalement  la  situation  que 
l'édit  du  23  mars  1568  faisait  à  ses  corehgionnaires,  écrivit, 
le  29  du  dit  mois,  à  Catherine  de  Médicis  ^  : 

(c  Madame,  ayant  entendu  que  Monsieur  le  prince  de  Condé 
»  envoyoit  M.  de  Boucart  devers  vos  majestés,  je  n'ay  voulu 
»  faillir  par  mesme  moyen  à  vous  faire  ce  mot  de  lettre  et  vous 
»  dire  le  grand  ayse  que  je  reçois  avecque  tous  les  gens  de  bien 
))  de  ce  qu'il  a  plu  à  Dieu,  en  nous  donnant  une  paix,  nous  dé- 
»  livrer  et  ce  pauvre  royaulme  de  tant  de  misères  et  calamitez 
y>  que  la  guerre  nous  apportoit.  Il  me  reste  mamtenant  une 
))  chose  que  je  désire  sur  toutes,  c'est  que  je  puisse  avoir  ce 
))  bien  de  baiser  les  mains  de  vos  majestez  et  me  justifier  de 
))  tant  de  calomnies  et  maulvaises  impressions  que  l'on  leur  a 
))  voulu  donner  de  moy,  et  vous  faire  paroistre  que  vous  n'avés 
y>  point  un  plus  fidelle  et  affectionné  serviteur  queje  vous  suys. 
y)  Attendant,  Madame,  queje  puisse  avoir  ce  bien,  je  me  reti- 
»  reray,  Dieu  aydant,  en  ma  maison,  où  pour  tout  le  bien  et 
3)  contentement  que  je  désire  avoir  en  ce  monde,  c'est  d'estre 
))  assuré  de  vostre  bonne  grâce.  Mais  pour  ce  que  ma  maison 
y>  est  assise  sur  le  grand  chemin  par  lequel  la  plupart  des 
3)  estrangers  qui  sont  en  ce  royaulme  ont  à  se  retirer  et  passent 
»  journellement,  je  vous  supplye,  madame,  m'estre  tant  favo- 
y>  rable,  que  par  vostre  moïen  je  puisse  obtenir  du  roy  une 


1,  De  Lanoue,  Disc,  polit,  et  milit.  p.  761. 

2.  Bibl.  nat.  mss.  fonds  Colbert.  V.  vol.  24,  f  HO  bis. 


—  541  — 

»  garde  pour  ma  seureté  et  pour  tel  temps  qu'il  plaira  à  vostre 
y>  majesté.  Et  pour  ce  que  je  sçay  bien  qu'il  est  plus  raison- 
»  nable  de  relever  le  roy  de  despence  que  de  l'y  faire  entrer, 
y>  j'ay  dict  quelques  particularitez  et  moyens  à  M.  de  Boucart, 
»  par  lesquels  le  roy  n'y  entrera  point,  et  sur  lesquels  il  vous 
»  plaira  madame,  l'escouter  et  croire.  Et  sur  ce,  je  supply  nostre 
y>  Seigneur,  Madame,  que  augmentant  en  vous  ses  grâces,  il 
»  donne  à  vostre  majesté,  en  parfaite  santé  très  heureuse  et 
»  très  longue  vie.  De  Bonneval,  ce  XXIX''  de  mars  1568.  Vostre 
»  très  humble  et  très  obéissant  subject  et  serviteur,  Ghastillon.» 

On  ne  sait  comment  cettre  lettre  fut  accueillie  par  Catherine. 

Retenu  pendant  plusieurs  jours  par  d'impérieux  devoirs,  soit 
à  Bonneval,  soit  à  Orléans,  Coligny  ne  fut  de  retour  à-Châtil- 
lon,  en  compagnie  d'Odet,  que  le  12  avril.  Dès  le  lendemain, 
les  deux  frères  écrivirent  à  la  duchesse  de  Ferrare  K  La  sym- 
pathie de  Renée  pour  l'amiral,  dans  un  deuil  dont  elle  mesurait 
l'étendue,  fut  à  la  hauteur  de  l'affection  qu'elle  avait  vouée  à 
Charlotte  de  Laval,  ainsi  qu'à  lui-même. 

Les  plus  chers  amis  de  CoHgny  s'associant  à  ses  sentiments, 
de  cœur  et  de  pensée,  mesurèrent  dans  toute  son  étendue 
l'austère  dispensation  sous  laquelle  il  s'inclinait.  Touché  de 
leur  sohicitude,  il  les  laissa  lire  dans  son  âme,  et  se  montra, 
aux  yeux  de  tous,  pénétré  de  cette  conviction,  qu'en  l'affligeant, 
<(  le  Seigneur  l'advertissait  de  se  desdier  du  tout  à  luy  mieux 
))  que  jamais.  » 

L'un  de  ces  amis.  Th.  de  Bèze,  s'attaehant  à  l'expression  de 
cette  conviction,  consignée  dans  une  lettre,  que  l'amiral  lui 
avait  adressée  après  la  mort  de  Charlotte  de  Laval,  y  répondit 
par  ces  belles  paroles  ^  : 

(c  Monseigneur,  il  s'en  fault  beaucoup  que'l'estat  auquel  il 


i.  Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  3  133,  f»^  49  et  54. 

2.  Bibl.  de  Genève,  vol.  17.  Lettre  du  27  juin  1568,  datée  de  Genève, 


—  542-- 

D  plaist  à  Dieu  que  je  sois  maintenant  et  de  corps  et  d'esprit  me 
»  permette  de  faïremon  debvoir  pour  vous  soulager  en  une  telle 
»  et  si  grande  affliction,  combien  qu'encore  que  je  fusse  aussi 
))  bien  dispos  que  je  fus  oncques  et  de  l'un  et  de  l'aultre,  je  m'y 
»  trouverais  bien  empesché,  comme  celuy  qui  ay  bonne  part, 
»  avec  toute  l'église  de  Dieu,  à  une  telle  perte,  et  pour  mesme 
»  raison  je  ay  bien  besoin  de  chercher  pour  moy  ce  que  je  voul- 
0  droys  vous  départir.  Mais  je  sçay  que,  grâces  au  Seigneur,  il 
»  seroit  malaisé  de  vous  enseigner  remèdes  que  Dieu  ne  vous  ayt 
D  desjà  appris,  tellement  qu'il  ne  reste  que  ce  seul  point  d'at- 
»  tendre  en  patience,  qu'en  les  appliquant,  vous  en  sentiez  la 
i>  vertu,  comme  il  est  certain  qu'à  la  fm  vous  l'apercevrez,  suy- 
))  vaut  ce  que  le  Véritable  a  promis,  à  sçavoir  qu'il  ne  permettra 
»  que  l'épreuve  surmonte  la  force  qu'il  nous  donne;  l'infirmité 
»  que  vous  sentez  non  seulement  ne  vous  doibt  effrayer,  mais  au 
»  contraire,  vous  doibt  assurer  de  la  victoire,  d'aultant  que  c'est 
»  le  vray  et  ordinaire  moyen  duquel  Dieu  se  sert  pour  consom- 
»  mer  la  vertu  qu'il  donne  aux  siens,  affm  que  nous  ayant  fait 
3)  sentir  qui  nous  sommes  en  nous,  nous  soyons  d'aultant  plus 
t)  ardents  de  chercher  noslre  force  en  celuy  qui  la  donne,  et 
»  finalement,  qu'après  avoir  vaincu,  nous  en  donnions  l'hon- 
»  neur  entier  à  celuy  auquel  il  appartient. 

3)  Je  vous  supplie  donc  seulement  de  ce  point,  pour  le  présent, 
i)  et  ce,  d'autant  plus,  que  je  sçay  que  de  vostre  naturel  vous 
»  estes  pensif  et  solitaire,  que  vous  fuyez  tous  moyens  de  nourrir 
»  vostre  mal,  non  point  en  vous  divertissant  de  ce  que  Dieu 
))  veult  bien  que  vous  sentiez  et  considériez  à  bon  escient,  mais 
»  en  oyant  très  souvent  et  volontiers  ceulx  en  l'esprit  et  en  la 
))  bouche  desquels  Dieu  a  mis  les  remèdes  qui  vous  sont  néces- 
))  saires  ;  et  puis  aussy  arrestant  pluslost  vostre  pensée  à  consi- 
))  dérer  ceste  tant  juste  et  bonne  providence  de  Dieu  reluisant 
»  surtout  en  la  conduite  et  au  soin  paternel  qu'il  a  de  ses  en- 
2)  fants,  comme  vous  en  avez  mille  expériences  particulières, 


—  513  — 

D  qu'à  méditer  la  perte  que  vous  avez  faicte  ny  ce  qui  en  dé- 
y>  pend. 

i>  Si  depuis  qiïe  vous  avez  embrassé  la  querelle  du  Seigneur, 
T>  mille  afflictions  vous  sont  survenues,  ne  vous  esbaliissez  pas  ; 
))  mais  vous  souvienne  qu'il  fault  que  les  membres  soyent  faicts 
D  conformes  au  chef.  Si,  en  la  première  guerre,  vous  avez  perdu 
»  votre  fils  aisné,  en  la  seconde,  celle  que  vous  aimiez  comme 
»  vous-mesmes,  et  le  tout  comme  si  Dieu  luy  mesmes  vous  fai- 
D  soit  la  guerre,  souvenez-vous  qu'Abram  a  bien  perdu  son  père, 
»  Jacob  a  bien  perdu  sa  femme  bien-aymée,  en  suyvant  le  Sei- 
.  3)  gneur  comme  pas  à  pas.  Tels  événements  doncques  ne  sont 
D  pas  argumens  nécessaires  de  l'ire  de  Dieu  contre  nous,  com- 
»  bien  que  ne  puissions  faillir  de  nous  humilier  et  de  chercher 
»  la  raison  de  nos  afflictions  en  naus-mesmes,  mais  sont  aultant 
D  d'espreuves  pour  nous  apprendre  à  nous  congnoistre,  afin 
»  aussy  que  le  Seigneur  soit  glorifié  par  la  force  qu'il  nous 
i>  donne. 

» m'assurant  que  le  Seigneur  vous  aura  cependant  for- 

y>  tifîé  grandement,  au  lieu  de  poursuivre  cet  argument  qui 
»  serait  plustost  pour  renouveler  la  playe  que  pour  achever  de 
T>  la  consolider,  je  loueray  Dieu  de  la  grâce  qu'il  vous  a  faite  de 
j>  ne  succomber  à  une  telle  et  si  grande  affliction,  et  plustost 
i>  d'y  proffiter,  comme  je  l'ay  congneu  dès  la  première  lettre 
»  qu'il  vous  a  pieu  m'en  escrire  à  laquelle  vous  avez  ajouté  de 
))  vostre  main  que  par  cela  le  Seigneur  vous  advertissait  de 
))  vous  desdier  du  tout  à  luy  mieux  que  jamais,  parole  pour 
3>  certain  venant  de  Dieu  et  digne  de  vous,  Monseigneur,  qui 
3)  estes  du  petit  nombre  de  ceux  auxquels  je  puis  appliquer 
f>  ceste  tant  belle  et  précieuse  sentence  de  l'apôtre,  à  sçavoir 
))  qu'il  vous  a  esté  donné  non  seulement  de  croire  au  Seigneur, 
■  3)  mais  aussi  d'estre  affligé  pour  luy.  Car  la  mort,  ou  plustost 
.  »  l'heureux  repos  de  feue  madame  vostre  bonne  partie,  est  tel- 
-  »  lement  advenue  selon  le  cours  de  nature,  tel  qu'il  a  plu  à  Dieu 


—  544. — 

»  l'ordonner,  que  cependant  nul  n'ignore  que  Testât  présent 
»  de  l'église  du  Seigneur,  qu'elle  a  toujours  aymée  en  toutes 
y>  choses,  et  ce  qu'elle  prévoyait  estre  prochain  à  icelle,  ne  luy 
»  ayent  grandement  advancé  ses  jours,  oultre  la  peine  qu'elle 
))  prenoit  et  de  corps  et  d'affection  entière  pour  servir  les 
y>  pauvres  et  navrés  ou  aultrement  affligés  pour  la  querelle  du 
))  Seigneur. 

»  Et  je  ne  doubte  point  aussy  que  cela,  entr'autres  choses, 
»  n'aye  beaucoup  servy  et  serve  encore  désormais  à  vous  con- 
))  soler  et  fortifier  contre  plusieurs  pensées  diverses  qne  je  me 
»  suis  vivement  forgées,  pensant  à  ce  que  vous  pouviez  penser. 
»  mais  oultre  tout  cela,  puisque  la  vraye  amitié  porte  qu'on 
y>  s'oublie  soi-même  pour  ce  qu'on  ayme,  voyant  le  paouvre  et 
»  calamiteux  estât  présent,  et  prévoyant  tout  clèrement  les 
))  misères  certaines  qui  suivront  les  présentes,  je  m'assure  que 
»  vous  avez  conclu  comme  moy  qu'il  y  a  sans  comparaison  trop 
))  meilleure  occasion  de  s'esjouyr  de  ce  que  le  Seigneur  l'a  reti- 
»  rée  à  point,  que  de  lamenter  le  dommage  que  vous  en  avez 
»  reçu,  pour  ce  que,  en  ce  faisant,  ce  seroit  monstrer  que,  du- 
y>  rant  sa  compagnie,  vous  vous  seriez  aymé  vous-mesme,  et 
»  non  pas  elle,  ce  que  je  m'assure  estre  éloigné  de  vostre  inten- 
))  tion,  hormis  qu'il  ne  se  peult  faire  que  le  trésor  que  vous  avez 
))  perdu  ne  vous  face  regretter  ce  que  vous  aviez  et  dont  vous 
»  appercevez  de  plus  en  plus  là  nécessité.  Mais  le  souverain 
»  remède  est  celui  que  vous  avez  pris,  à  sçavoir  la  puissance,  la 
»  sagesse,  la  bonne  volonté  du  Seigneur  :  la  puissance,  pour 
»  vous  assurer  que  nul  moyen  ne  luy  défaut;  la  sagesse, 
»  pour  bien  recongnoistre  qu'il  sçayt  trop  mieux,  sans  compa- 
y>  raison,  que  vous  mesme  ce  qui  vous  est  bon  et  aux  vostres  ; 
y>  la  bonne  volonté,  pour  vous  résouldre  à  cette  tant  ferme  et 
))  certaine  conclusion  qui  est  propre  aux  esleus  de  Dieu,  à  sa- 
»  voir  :  que  celuy  qui  nous  a  choisis  par  son  conseil  éternel  et 
»  immuable,  dont  nostre  vocation  nous  est  un  témoignage  infail- 


—  545  — 

))  lible  résonnant  en  nos  oreilles  par  la  prédication  de  sa  paroUe 
»  accompagnée  de  ses  sacrements,  et  en  nos  esprits  par  son. 
»  Saint-Esprit,  ainsi  comme  il  peut  tout,  ne  veult  rien  aussyet 
»  par  conséqaent  ne  fait  rien  que  pour  le  salut  des  siens. 

»  Cette  consolation,  Monseigneur,  vous  est  nécessaire,  non 
))  seulement  pour  ce  coup,  mais  aussy  pour  toutes  les  diffî- 
1  cultes  tant  grandes  et  terribles  qui  se  présentent,  et  que  j'es- 
))  time,  de  ma  part,  inévitables.  y> 

Quelles  étaient  les  grandes  et  terribles  difficultés,  signalées 
par  de  Bèze,  que  Goligny  avait  désormais  à  affronter?  quel  fut, 
dans  sa  lutte  contre  elles,  le  secret  de  son  indomptable  énergie? 
quel  fut  surtout,  dans  la  défense  de  la  plus  noble  des  causes, 
le  secret  de  sa  fidélité  jusqu'au  martyre? 

Telles  sont  les  questions  à  l'examen  desquelles  nous  nous 
attacherons,  dans  la  suite  de  ce  récit. 


35 


APPENDICE 


Édit  du  17  janvier  1562. 
(Fontanon,  rec.  des  Edits  et  ordonn.,   t.  IV,  p.  267  à  269). 

a.  Charles, etc., etc.,  à  tous  ceux  qui  ces  présentes  lettres  verront,  salut.  —  On 
»  sçait  assez  quels  troubles  et  séditions  se  sont  despieça  et  'le  jour  en  jour 
»  suscitées,  accrues  et  augmentées  en  ce  royaume  par  la  malice  du  temps  et 
»  de  la  diversité  des  opinions  qui  régnent  en  la  religion  :  et  que  quelques 
»  remèdes  que  nos  prédécesseurs  ayent  tenté  pour  y  pourvoir,  tant  par  la 
»  rigueur  et  sévérité  des  punitions,  que  par  douceur,  selon  leur  accoustumée 
»  et  naturelle  bénignité  et  clémence  :  la  chose  a  pénétré  si  avant  en  nostre  dict 
»  royaume,  et  dedans  les  esprits  d'une  partie  de  nos  subjects  de  tous  sexes, 
»  estatz  et  quahtez  et  conditions,  que  nous  nous  sommes  trouvez  bien  empes- 
ï  chez  à  nostre  nouvel  advénement  à  ceste  couronne,  d'adviser  et  résoudre  les 
»  moyens  que  nous  aurions  à  suyvre,  pour  y  apporter  quelque  bonne  et  salu- 
»  taire  provision.  Et  de  faict,  après  avoir  longuement  et  meurement  consulté  de 
»  cest  affaire  avec  la  royne  nostre  très  honorée  et  très  amée  dame  et  mère,  et 
»  nostre  très  cher  et  très  anié  oncle,  le  roy  de  Navarre,  nostre  lieutenant  général, 
»  réprésentant  nostre  personne  par  tous  nos  royaume  et  pays,  et  autres  princes 
»  de  nostre  sang,  et  gens  de  nostre  conseil  privé  :  nous  aurions  fait  assembler 
»  en  nostre  court  de  parlement  à  Paris  nostre  dict  oncle,  princes  de  nostre 
»  sang,  pairs  de  France,  et  autres  princes  et  seigneurs  de  nostre  dict  conseil 
»  privé,  lesquels  avec  les  gens  de  nostre  dicte  cour  auroient,  après  plusieurs 
»  conférences  et  délibérations,  résolu  l'édict  du  mois  de  juillet  dernier,  par 
»  lequel  nous  aurions  entre  autres  choses  défendu,  sur  peine  de  confiscation 
»  de  corps  et  de  biens,  tous  conventicules  et  assemblées  publiques  avec  armes 
»  ou  sans  armes,  ensemble  les  privées,  où  se  feroient  presches  et  administra- 
»  tion  des  sacremens  en  autre  forme  que  selon  l'usage  observe  en  l'église 
»  catholique  dès  et  depuis  la  foy  chrestienne  reçue  par  les  roys  de  France,  nos 
»  prédécesseurs,  et  par  les  évéques  et  prélats,  curez,  leurs  vicaires  et  députez  : 


—  548  — 

>  ayans  lors  estimé  que  la  prohibition  desdictes  assemblées  estoit  le  princi- 
»  pal  moyen,  en  attendant  la  détermination  d'un  concile  général,  pour  rompre 
»  le  cours  à  la  diversité  desdites  opinions  :  et,  en  contenant  par  ce  moyen  nos 
»  subjects  en  union  et  concorde,  faire  cesser  tous  troubles  et  séditions,  les- 
»  quelles  au  contraire  par  la  désobéissance,  dureté  et  mauvaise  intention  des 
»  peuples,  et  pour  s'estre  trouvée  l'exécution  dudit  édict  difficile  et  périlleuse, 
»  se  sont  beaucoup  plus  accrues  et  cruellement  exécutées,  à  nostre  très  grand 
»  regret  et  desplaisir  qu'elles  n'avaient  faict  auparavant;  pour  à  quoy  pourvoir, 

>  et  attendu  que  ledit  édict  n'estoit  que  provisionnel,  nous  aurions  esté  con- 
»  seillez  de  faire  en  ce  lieu  autre  assemblée  de  nostre  dict  oncle,  princes  de 
f  nostre  sang  et  gens  de  nostre  conseil  privé,  pour,  avec  bon  nombre  de  pré- 
»  sidens  et  principaux  conseillers  de  nos  cours  souveraines,  par  nous  mandez, 
»  à  ceste  fin,  et  qui  nous  pourroient  rendre  fidèle  compte  de  l'estat  et  nécessité 
»  de  leurs  provinces,  pour  le  regard  de  ladite  religion,  tumultes  et  séditions, 
»  adviser  les  moyens  les  plus  propres,  utiles  et  commodes  d'apaiser  et  faire 
»  cesser  toutes  les  dites  séditions  ;  ce  qui  a  esté  faict  ;  toutes  choses  bien  et 
»  meurement  digérées  et  délibérées  en  nostre  présence,  et  de  nostre  dite  dame 
»  et  mère,  par  une  si  grande  et  notable  compagnie,  nous  avons  par  leur  advis 
»  et  meure  délibération  dict  et  ordonné,  disons  et  ordonnons  ce  qui  s'en 
»  suit  : 

»  i°.  —  A  sçavoir  que  tous  ceux  de  la  nouvelle  religion,  ou  autres  qui  se  sont 
»  emparez  des  temples,  seront  tenus,  après  la  publication  de  ces  présentes,  d'eu 
»  vuider  ets'en  départir  :  ensemble  des  maisons,  biens  et  revenus  appartenans 

*  aux  ecclésiastiques,  en  quelques  lieux  qu'ils  soient  situez  et  assis,  desquels 
»  ils  leurs  délaisseront  la  pleine  et  entière  possession  et  jouyssance,  pour  en 

>  jouyr  en  telle  liberté  et  seureté  qu'ils  faisoient  auparavant  qu'ils  en  eussent 
ï  esté  dessaisis.  Rendront  et  restitueront  ce  qu'ils  ont  prins  des  reliquaires  ef 
»  ornemens  desdits  temples  et  églises,  sans  que  ceux  de  ladite  nouvelle  religion 
»  puissent  prendre  autres  temples,  ny  en  édifier  dedans  ou  dehors  les  villes,  ny 
j  donner  ausdicts  ecclésiastiques  en  la  jouissance  et  perception  de  leurs  dismes, 
»  et  revenus,  et  autres  droits  et  biens  quelconques,  ores  ne  pour  l 'advenir, 
»  aucun  trouble,  destourbier  ny  empeschement.  Ce  que  nous  leur  avons 
»  inhibé  et  défendu,  inhibons  et  défendons  par  ces  dites  présentes,  et  d'abattre 
^  et  desmolir  croix,  images  et  faire  autres  actes  scandaleux  et  séditieux,  sur 
»  peine  de  la  vie,  et  sans  aucune  espérance  de  grâce  ou  rémission. 

>  2°  —  Et  semblablement  de  s'assembler  dedans  lesdites  villes  pour  y  faire 

»  presches  et  prédications  soit  en  public  ou  en  privé,  ny  de  jour,  ny  de  nuict. 

»  3".  —  Et  néantmoins  pour  entretenir  nos  subjectz  en  paix  et  concorde,  en 

*  attendant  que  Dieu  nous  face  la  grâce  de  les  pouvoir  réunir  et  remettre 
»  en  une  mesme  bergerie,  qui  est  tout  nostre  désir  et  principale  intention  : 
»  avons  par  provision  et  jusqu'à  la  détermination  dudit  concile  général,  ou 
»  que  par  nous  autrement  en  ait  esté  ordonné,  sursis,  suspendu  et  supersédé, 
»  surseons,  suspendons  et  supersédons  les  défenses  et  peines  apposées  tant  au 
»  dict  édit  de  juillet  qu'autres  précédons,  pour  le  regard  des  assemblées  qui 
»  se  feront  de  jour  hors  desdites  villes,  pour  faire  lefors  presches  et  autres 
»  exercices  de  leur  religion. 


—  549  — 

>  4».  —  Défendant,  sur  lesdites  peines,  à  tous  juges,  magistrats,  et  autres 
»  personnes,  de  quelque  estât,  qualité  ou  conditions  qu'ils  soient,  que,  lorsque 
9  ceux  de  ladite  religion  nouvelle  iront,  viendront  et  s'assembleront  hors  des- 
ï  dites  yilles,  pour  le  faict  de  leur  dite  religion,  ils  n'ayent  à  les  y  empescher, 
»  iaquiéter,  molester,  ne  leur  courir  sus,  en  quelque  sorte  et  manière  que  ce 
j»  soit.  Mais  où  quelques-uns  voudroient  les  offenser,  ordonnons  à  nos  dits 
»  magistrats  et  officiers  que,  pour  éviter  tous  troubles  et  séditions,  il  les 
»  empeschent  et  facent  sommairement  et  sévèrement  punir  tous  séditieux, 
s  de  quelque  religion  qu'ils  soient,  selon  le  contenu  en  nos  dicts  précédens 
î  édicts  et  ordonnances  :  mesmes  en  celles  qui  seront  contre  les  dicts  séditieux, 
»  et  pour  le  port  des  armes,  que  nous  voulons  et  entendons  en  toutes  autres 
»  choses  sortir  leur  plein  et  entier  effect  et  demeurer  en  leur  force  et  vertu  : 

»  5°.  —  Enjoignons  de  nouveau,  suyvant  icelles,  à  tous  nos  dicts  subjectz, 
»  de  quelque  religion,  estât,  qualité  ou  condition  qu'ils  soient,  qu'ils  n'ayent 
'»  à  faire  aucunes  assemblées  à  port  d'armes,  et  à  ne  s'entr'injurier,  reprocher, 
»  ne  provoquer  pour  le  faict  de  la  religion,  ne  faire,  esmouvoir,  procurer  oti 

>  favoriser  aucune  sédition,  mais  vivent  et  se  comportent  les  uns  avec  lès 
»  autres  doucement  et  gracieusement,  sans  porter  aucunes  pistoles,  pistolets, 
■>  harquebuzes,  n'autres  armes  prohibées  et  défendues,  soit  qu'ils  voisent  aus- 
i  dites  assemblées  ou  ailleurs  :  si  ce  n'est  aux  gentilshommes,  pour  les  da- 
»  gués  et  espées,  qui  sont  les  armes  qu'ils  portent  ordinairement. 

B  6o.  —  Défendons  en  outre  aux  ministres  et  principaux  de  ladite  religion 
»  nouvelle,  qu'ils  ne  reçoivent  en  leurs  dictes  assemblées  aucunes  personnes, 
»  sans  premièrement  s'estre  bien  informez  de  leurs  vies,  mœurs  et  conditions 
»  afin  que,  si  elles  sont  poursuyvies  en  justice,  ou  condamnées  par  défauts  et 
»  contumaces  de  crime  méritant  punition,  ils  les  mettent  et  rendent  à  nos 
B  officiers  pour  en  faire  la  punition.  Et  toutes  et  quantes  fois  que  nos  dicts 
»  officiers  voudront  aller  ausdites  assemblées  pour  assister  à  leurs  prcsches  et 

>  voir  quelle  doctrine  y  sera  annoncée,  qu'ils  les  reçoivent  et  respectent,  selon 
»  la  dignité  de  leurs  charges  et  offices.  Et  si  c'est  pour  prendre  et  appréhender 
i  quelque  malfaiteur,  qu'ils  leur  obéissent  prestent  et  donnent  toute  ayde, 
»  faveur  et  assistance  dont  ils  auront  besoin. 

»  ""  —  Qu'ils  ne  facent  aucuns  synodes  ne  consistoires,  si  ce  n'est  par  congé, 

>  ou  en  présence  de  l'un  de  nos  dits  officiers,  ne  semblablement  aucune  créa- 
»  tion  de  magistrats  entre  eux,  loix,  statuts  et  ordonnances, pour  estre  chose  qui 
j  appartient  à  nous  seuls  ;  mais  s'ils  estiment  estre  nécessaire  de  constituer 

>  entre  eux  quelques  règlemens  pour  l'exercice  de  leur  dite  religion,  qu'ils  les 

>  monstrent  à  nos  dicts  officiers  qui  les  authoriseront,  s'ils  voyent  que  ce  soit 
ï  chose  qu'ils  puissent  et  doivent  raisonnablement  faire  :  sinon  nous  en  advep- 
ï  liront  pour  en  avoir  nostre  permission,  et  autrement  en  attendre  nostrc 
»  vouloir  et  intention. 

ï  8o  —  Ne  pourront  en  semblable  faire  aucuns  enrooUemeos  de  gens,  soil 
j  pour  se  fortifier  et  ayder  les  uns  les  autres,  ou  pour  offenser  autruy,  ne 

>  pareillement  aucunes  impositions,  cueillettes  et  levées  de  deniers  sur  eux. 

>  Et  quant  à  leurs  charitez  et  aumosnes,  elles  se  feront,  non  par  cotisation  et 
.»  position,  mais  volontairement. 


—  550  — 

»  9°  —  Seront  ceux  de  ladite  nouvelle  religion  tenus  garder  nos  loix  politi- 
1  ques,  mesmes  celles  qui  sont  reçeues  en  noslre  église  catholique  en  fait  de 
»  festes  et  jours  chômables,  et  de  mariage  pour  degrez  de  consanguinité  et 
î  affinité  :  afin  d'obvier  aux  débats  et  procez  qui  s'en  pourroyent  ensuyvre,  à  la 
»  ruyne  de  la  plus  part  des  bonnes  maisons  de  nostre  royaume  et  à  la  dissolu- 
»  tiens  des  liens  d'amitié  qui  s'acquièrent  par  mariage  et  alliance  entre  nos 
»  subjects. 

»  10"  —  Les  ministres  seront  tenus  se  retirer  pardevers  nos  officiers  des 
»  lieux  pour  jurer  en  leurs  mains  l'observation  de  ces  présentes  et  promettre 
»  de  ne  prescher  doctrine  qui  contrevienne  à  la  pure  parole  de  Dieu,  selon 
»  qu'elle  est  contenue  au  symbole  du  concile  de  Nicène  et  es  livres  cano- 
»  niques  du  vieil  et  nouveau  testament  :  afin  de  ne  remplir  nos  subjects,  de 
j>  nouvelle  hérésie.  Leur  défendant  très  expressément  et  sur  les  mesmes  peines 
»  que  dessus,  de  ne  procéder  en  leurs  presches  par  convice  contre  la  messe  et 
ï  les  cérémonies  reçues  et  gardées  en  nostre  dite  église  catholique,  et  de  n'aller 
»  de  lieu  en  autre  et  de  village  en  village,  pour  y  prescher  par  force,  contre  le 
»  gré  et  consentement  des  seigneurs,  curés,  vicaires  et  marguilliers  des 
»  paroisses. 

>  11°  — Et  en  semblable  à  tous  prescheurs  de  n'user  en  leurs  sermons  et  pré- 
»  dicalions,  d'injures  et  invectives  contre  lesdits  ministres  et  leurs  sectateurs, 
»  pour  estre  chose  qui  jusques  icy  a  beaucoup  plus  servi  à  exciter  le  peuple  à 
»  sédition,  qu'à  le  provoquer  à  dévotion. 

»  12°  —  Et  à  toutes  personnes,  de  quelque  estât,  qualité  ou  condition  qu'ils 
B  soyent,  de  ne  recevoir,  receler  ny  retirer  en  sa  maison  aucun  accusé,  pour- 
»  suivy  ou  condamné  pour  sédition  :  sur  peine  de  mille  escus  d'amende  appli- 
»  cable  aux  pauvi'cs.  Et  où  il  ne  sera  solvable,  sur  peine  du  fouet  et  de  banis- 
»  sèment. 

»  13"  —  Voulons  en  outre  que  tous  imprimeurs,  semeurs  et  vendeurs  de 
»  placards  et  libelles  diffamatoires,  soient  punis,  pour  la  première  fois,  du 
»  fouet,  et  pour  la  seconde,  de  la  vie. 

»  14°  —  Et  pour  ce  que  tout  l'effect  et  observation  de  ceste  présente  ordon- 
»  nance,  qui  est  faite  pour  la  conservation  du  repos  général  et  universel  de 
»  nostre  royaume,  et  pour  obvier  à  tous  troubles  et  séditions,  dépend  du  devoir, 
»  soin  et  diligence  de  nos  officiers,  avons  ordonné  et  ordonnons  que  les  édicts 
»  par  nous  faicts  sur  les  résidences  seront  gardez  inviolablement,  et  les  offices 
»  de  ceux  qui  n'y  satisferont,  vacans  et  impétrables,  sans  qu'ils  y  puissent  estre 
»  mis  ny  conservez,  soit  par  lettres  patentes  ou  autrement. 

3»  15°  —  Que  tous  baillifs,  séneschaux,  prévôts  et  autres  nos  magistrats  et 
B  officiers  seront  tenus,  sans  attendre  prière  ou  réquisition,  d'aller  prompte- 
ï  ment  et  incontinent  la  part  où  ils  entendront  qu'aura  esté  commis  quelque 
3)  maléfice,  pour  informer  ou  faire  informer  contre  les  délinquans  et  malfaiteurs, 
»  et  se  saisir  de  leurs  personnes,  et  faire  et  parfaire  leur  procez  :  et  ce,  sur 
»  peine  de  privation  de  leurs  estais,  sans  espérance  de  restitution,  et  de  tous 
»  donimages  et  intérêts  envers  les  parties  :  et  s'il  est  question  de  sédition, 
»  puniront  les  séditieux  sans  déférer  à  l'appel,  selon  et  appelé  avec  eux  tel 
>  nombre  de  nos. autres  officiers  ou  advocats  fameux  qu'il  est  porté  par  nostre 


—  551  — 

3>  dict  édict  de  juillet,  et  tout  ainsi  que  si  c'estoit  par  arrêt  de  l'une  de  nos  cours 
»  souveraines. 

»  16°  —  En  défendant  à  nostre  très  cher  et  féal. chancelier  et  à  nos  amez  et 
»  féaux  les  maistres  des  requestes  ordinaires  de  nostre  hostel,  tenans  les 
»  sceaux  de  nos  chancelleries,  de  ne  bailler  aucuns  reliefs  d'appel,  et  à  nos 
»  cours  de  parlement  de  ne  les  tenir  pour  bien  relevez,  ne  autrement  empes- 
»  cher  la  cognoissance  de  nos  dicts  officiers  inférieurs,  audit  cas  de  sédition, 
»  attendu  la  périlleuse  conséquence,  et  ce  qu'il  est  besoingd'y  donner  prompte 
»  provision  et  exemplaire  punition. 

»  Si  donnons  en  mandement,  etc.,  etc.  —  Donné  à  Saint-Germain  en  Laye,  le 
»  17"  jour  de  janvier,  l'an  de  grâce  1561  (1562.  n.  st.)  et  de  nostre  règne  le 
»  deuxiesme.  Ainsi  signé  par  le  roy  estant  en  son  conseil,  Bourdin.  > 


II 


Lettre  des  ministres  et  députés  des  églises  réformées  de  France.  Février  1562. 
(De  Bèze,  Hist,  eccl,  t.  I,  p.  681  à  683,  et  Mém.  de  Condé,t.  III,  p.  96  à  98). 

«  Grâces  et  paix  par  nostre  Seigneur  Jésus-Christ. 

«  Très  chers  frères,  vous  savés  que  de  tout  temps  l'obéissance  que  les 
j)  hommes  doivent  à  leurs  magistrats  a  esté  fort  recommandée,  tant  pour  le 
»  repos  de  la  conscience,  que  pour  la  conservation  de  la  paix  et  tranquillité 
»  publique.  Vous  n'ignorés  aussi  que  satan,  ennemi  du  genre  humain,  a  tous- 
»  jours  suscité  gens  tumultueux  pour  troubler  et  mettre  en  désordre  ce  qui  se 
»  doit  maintenir  en  toute  paix  et  union.  Et  ce  mal  est  advenu  non  seulement 
»  entre  les  payens  et  autres  qui  n'ont  eu  la  vraye  congnoissance  de  Dieu,  mais 
D  aussi  est  parvenu  jusques  à  ceux  qui  se  glorifient  du  titre  de  chrestiens,  tel- 
j  lement  que  l'église  mesme  de  Jésus-Christ, qui  se  devoit  contenir  en  toute  crainte 
»  el  obéissance,  n'a  peu  estre  exempte  de  tel  malheur.  Combien  que  pour  dire 
»  vray,  ceux-là  ne  sont  vrais. membres  de  Jésus-Christ  ni  du  corps  de  l'église, 
»  qui  ne  se  peuvent  assujétir  aux  ordonnances  de  ceux  que  le  seigneur  leur  a 
»  donnés  pour  supérieur,  n'estoit  qu'elles  fussent  telles  que,  pour  y  obéir,  il 
s  fallust  désobéir  au  roy  des  roys  et  seigneur  des  seigneurs.  Or  l'occasion  qui 
»  nous  esmeutàvous  escrire  ceci  vient  de  ce  qu'il  a  pieu  à  Dieu  nous  monstrer 
»  par  l'édict  nouvellement  faict,  quel  soin  paternel  il  a  non  seulement  de  faire 
»  croistre  son  église,  mais  aussi  de  la  conserver  sous  sa  saincte  protection,  non 
>  pas  qu'il  ne  l'ait  tousjours  gardée  (car  comment  eust-elle  peu  résister  à 
»  tant  d'assaux,  si  celuy  qui  l'a  fondée  ne  luy  eust  tenu  la  main)  :  mais  pour 
»  ce  qu'il  daigne  maintenant  user  d'autres  moyens  qu'il  n'avoit  faict  jusqu'à 


—  552  — 

'  !lprésent  en  ce  royaume,  en  mettant  ceux  qui  font  professioH  de  l'évangile 

>  sous  la  sauvegarde  du  roy,  nostre  prince  naturel,  et  des  magistrats  et  gou- 

>  verneurs  ordonnés  par  luy.  Cela  nous  doit  esmouvoir  d'autant  plus  à  louer 
■»  ceste  infinie  bonté  de  nostre  père  céleste,  qui  a  finalement  exaucé  le  cry  de 
»  ses  enfants,  et  puis  aussi  à  porter  meilleure  affection  que  jamais  à  nostre 

>  roy,  et  à  luy  rendre  toute  obéissance,  pour  l'inciter  de  plus  en  plus  à  nous 
»  ayder  en  l'équité  de  nostre  cause  jusques  icy  tant  mesprisée  par  les  faux  pré- 
»  judices  cpi'on  avoit  de  nous.  Certes  nous  voyons  maintenint  par  efîect  que  les 
»  roys  sont  nourrissiers  de  l'église  et  prests  à  défendre  l'outrage  que  les  enne- 
j>  mys  lui  voudroient  faire.  Et  pourtant  très  chers  frères, nous  vous  prions,  au  nom 
»  de  Dieu,  que  faciès  telle  diligence  que  l'édict  soit  tellement  gardé,  que  le  roy, 
»  la  royne,  et  tout  son  conseil  ayent  occasion  de  se  contenter  de  l'obéissance  de 
î  ceux  qui  sont  sous  vostre  charge.  Et  pour  ce  qu'il  y  a  certaines  clauses  en 
*  l'édict,  l'exécution  desquelles  pourroit  estre'  trouvée  fascheuse  et  difficile, 
»  nous  vous  envoyons  ce  que  nous  avons  peu  adviser  touchant  la  manière  par 
ï  laquelle  on  pourra  en  toute  crainte  et  humilité  rendre  à  César  ce  qui  est  à 
»  César,  et  à  Dieu  ce  qui  est  à  Dieu,  comme  aussi  nous  pensons  estre  la 
»  volonté  du  roy  et  de  son  conseil  en  -tout  cest  édict,  que  Dieu  soyt  obéi  le 
»  premier.  Il  est  certain  qu'il  semblera  à  plusieurs  qu'on  pouvoit  selon  le 
»  temps  obtenir  plus  grande  liberté  que  celle  qui  se  présente,  mesme  qu'il 
î  sera  grief  à  ceux  qui  ont  desjà  occupé  les  temples  et  autres  lieux  publics 
»  dans  les  villes,  de  les  laisser:  mais  ceux-cy  s'y  estans  adonnés  de  leur  autho- 
»  l'ité  privée,  doivent  plutost  recognoistre  leur  indiscrétion,  que  trouver 
»  estrange  de  se  voir  privés  des  lieux  esquels  il  se  sont  ingérez,  sans  attendre 
5)  que  Dieu  marchast  devant  eux,  par  la  providence  et  bonne  volonté  duquel 
j>  il  est  plus  que  juste  et  raisonnable  que  soyons  gouvernés.  Davantage  il  faut 
»  considérer  que  si  nous  sommes  privés  pour  un  temps  de  quelque  commodité, 
»  le  grand  bien  qui  s'off're  de  l'autre  costé  doit  efiacer  l'ennuy  qu'aucuns  pour- 
»  ront  avoir  de  ce  qu'ils  perdent  ;  joint  que  ce  n'est  pas  icy  le  dernier  bénéfice 
»  que  nous  espérons  de  nostre  roy,  moyennant  la  grâce  de  Dieu,  lequel  roy, 
î>  estant  persuadé  de  nostre  obéissance  et  soubmission,  sera  de  plus  en  plus 
»  enclin  à  nous  ouïr  patiemment  et  à  nous  faire  droict  et  raison  de  tout  ce  que 
»  proposerons  à  Sa  Majesté.;  Qui  sera  l'endroict,  très  chers  frères  oîi  nous 
»  prierons  nostre  Dieu  vous  vouloir  maintenir  en  sa  saincte  grâce,  après  nous 
»  estre  très  affectueusement  recommandés  à  vos  bonnes  prières.  De  Saint- 
:i>  Germain  en  Laye,  au 'mois  de  février  1561  (1562  n.  st.). 


^  553 


3» 


Avis  et  conseil  des  ministres  et  députés  des  églises  de  France,  estans  en  cour,  sur 
«  l'exécution  et  observance  des  principales  clauses  de  l'édict  de  janvier. 
(De  Bèze,  Hist.  eccl.,  t.  I,  p.  683  à  687,  et  3Iém.  de  Condé  t.  III,  p.  93  à  96). 


ARTICLE -1 

t 

«  Le  premier  article  de  cest  édict  commande  de  viiider  les  temples  et  ren- 
»  dre  tous  biens  et  lieux  occupés  sur  les  ecclésiastiques  Romains,  et  de  ne  les 
»  empescher  en  la  perception  de  leurs  revenus,  et  de  rendre  les  ornemens  et 
•»  reliquaires  ;  défend  aussi  d'édifier  temples  dedans  ni  dehors  les  villes. 

»  On  est  d'avis  qu'il  faut  obéir  sans  difficulté  ;  et  quant  à  la  restitution  des 
»  ornemens  et  reliquaires,  si  ceux  qui  les  auront  ravis  sont  de  l'égliseréformée 
»  seront  admonestés  de  les  rendre,  et  qu'à  faute  de  ce  faire,  ils  doivent  estre 
>  désavoués  et  retranchés  du  corps  de  l'église. 


ARTICLE   2 

»  Par  le  second  article  il  est  défendu  d'abattre  images,  briser  les  croix,  et 
»  faire  aucun  acte  scandaleux. 

»  Faut  obéir,  comme  aussi  il  a  esté  ordonné  es  synodes  cy-devant  tenus  :  car 
»  l'office  du  ministre  est  d'abattre  les  idoles  du  cœur  des  hommes  par  la  pré- 
»  dication  de  la  parole  de  Dieu,  et  non  autrement  :  et  la  vocation  des  personnes 
»  privées  ne  s'estend  plus  avant  que  de  prier  Dieu  qu'il  inspire  tellement  les 
»  rois  et  princes,  qu'ils  s'emploient  à  avancer  sa  gloire  et  à  abattre  toute 
»  idolâtrie. 


ARTICLE  3 

>  Le  troisiesme  article  défend  de  s'assembler  de  jour  ou  de  nuict  pour  faire 
»  prescher  dans  les  villes. 

t  Cest  article  pourroit  sembler  rade  ;  mais  en  y  regardant  cle  près,  on  trou- 
»  vera  que  les  prières  domestiques  de  chacune  famille  dans  les  villes  n'y  sont 


—  554  — 

»  prohibées,  ni  les  consistoires,  moyennant  qu'ils  se  facent  selon  l'ordonnance 
»  de  l'édict  :  ni  les  propositions,  pourvu  qu'elles  soient  tellement  reiglées, 
•»  qu'il  n'y  ait  que  les  proposans  avec  les  ministres  et  autres  auxquels  il  appar- 
»  tiendra  de  consacrer  les  proposans,  afin  aue  l'assemblée  ne  soit  tron  grande 
»  et  se  face  paisiblement. 


ARTICLE  4 

»  Le  quatriesme  défend  tout  port  d'armes  et  assemblées,  sauf  aux  gentils- 
hommes espées  et  dagues  qui  leur  sont  ordinaires. 

»  Faut  entièremement  obéir,  car  nostre  combat  doit  plustost  estre  par  armes 
spirituelles,  à  savoir  par  prières  et  patience,  contre  les  adversaires  de  vérité. 


ARTICLE  5 

»  Le  cinquiesme  défend  de  recevoir  aux  assemblées  aucuns  sans  s'informer 
»  de  leurs  vies  et  conditions,  afin  de  les  rendre  aux  magistrats,  s'ils  en  sont 
î  requis. 

»  11  ne  s'entend  de  tous  ceux  qui  viendront  à  la  prédication,  ains  de  ceux 
»  qui  seront  reçus  et  advoués  en  l'église,  c'est-à-dire  de  ceux  qui  s'assujetiront 
»  à  la  discipline  d'icelle  :  et  pourtant  faudra  que  les  ministres  remonstrent  cest 
»  article  spécialement  sur  le  temps  de  la  cène,  en  pleine  assemblée. 


ARTICLE  6 

5>  Le  sixiesme  commande  de  souffrir  l'assistance  des  magistrats  aux  assem- 
»  blées,  et  de  les  respecter. 

»  Nous  devons  désirer  que  les  magistrats  se  trouvent  aux  assemblées  et 
»  soient  reçus  en  lieu  honorable,  qui  ne  soit  occupé,  en  leur  absence  ou  pré- 
2)  sence,  d'aucune  personne  privée. 


ARTICLE  7 

»  Par  le  septième  il  est  inhibé  de  tenir  consistoires,  assemblées  ou  synodes, 
»  sans  la  présence  ou  congé  d'un  des  officiers  du  roy. 

»  Par  ce  qu'il  y  a  certains  jours  estabUs  pour  les  consistoires,  il  faudra  dé- 
»  clarer  cest  ordre  aux  magistrats,  afin  qu'ils  y  assistent,  si  bon  leur  semble  : 
»  et  d'autant  que  nous  ne  prétendons  rien  faire  qui  ne  soit  cognu  de  tous  et 


—  555  — 

»  principalement  de  ceux  qui  nous  représentent  nostre  roy  et  prince,  il  faudra 
■»  signifier  le  temps  et  le  lieu  desdits  synodes,  tant  au  magistrat  du  lieu  duquel 
»  chacun  ministre  partira,  que  du  lieu  où  le  synode  se  tiendra,  et  demander 
»  acte  de  ladite  déclaration  et  signification. 


ARTICLE  8 

»  Le  huitiesme  défend  la  création  d'aucuns  magistrats,  loix,  ou  statuts. 

»  Faut  obéir  et  advertir  le  magistrat  de  l'ordre  qu'on  a  cy-devant  tenu  es 

églises  réformées,  sans  confondre  la  vocation  ecclésiastique  avec  la  politique. 


ARTICLE   9 

»  Par  le  neufviesme  sont  défendus  enroollemens  de  gens,  impositions  de 
»  deniers,  excepté  les  aumosnes  volontaires. 

»  L'édict  porte  de  soy  l'exception  nécessaire  touchant  les  aumosnes  et  con- 
»  tributions  volontaires,  pour  l'entretenement  des  ministres  et  pour  la  nourriture 
»  des  pauvres.  » 


ARTICLE  10 

»  Le  dixiesme  commande  d'observer  les  lois  politiques,  comme  les  festes 
»  honorables,  et  es  mariages  les  degrés  de  consanguinité. 

î  lies  ministres  doivent  admonester  les  auditeurs  d'y  obéir,  veu  que  la  li- 
t  berté  de  la  conscience  n'y  est  intéressée  et  que  l'apostre  nous  admoneste 
»  d'user  de  nostre  droict  sans  le  scandale  du  prochain. 


ARTICLE  11 

3»  L'onziesme  charge  les  ministres  de  jurer  entre  les  mains  des  officiers  du 
»  roy  l'observation  de  l'édict,  et  de  ne  prescher  autre  chose  que  ce  qui  est 
ï  contenu  au  symbole  de  Nicène  et  livres  canoniques  du  vieil  et  nouveau 
»  testament. 

»  Faut  obéir  et  faire  le  serment  entre  les  mains  du  magistrat  subalterne 
î  royal,  auquel  appartient  la  cognoissance  et  jurisdiction  de  la  police,  et  non 

>  d'autres  ;  il  faudra  jurer  par  le  nom  de  Dieu  vivant,  et  si  le  juge  exige  une 

>  autre  forme  de  serment,  on  s'y  doit  opposer  en  toute  modestie. 


—  556  — 


ARTICLE  42 


»  Le  douziesme  défend  de  prescher  et  procéder  par  conviées  contre  la  messe 
»  et  autres  cérémonies  reçues  et  gardées  en  l'église  catholique. 

»  Faudra  user  de  telle  modestie  que  chacun  puisse  entendre  qu'on  ne  tend  à 
»  autre  fin  qu'à  édification,  et  non  point  à  provoquer  et  à  injurier  les  personnes. 


ARTICLE  13 

»  Le  treiziesme  défend  d'aller  de  village  en  village  y  prescher  par  force, 
»  contre  la  volonté  des  seigneurs,  curés,  et  marguilliers. 

î  Quand  il  y  aura  quelques-uns  en  un  village  qui  désireront  vivre  selon  l'E- 
»  vangile,  ils  pourront  demander  un  ministre  à  l'église,  lequel  ministre  sera 
»  envoyé  au  magistrat  du  lieu  pour  prester  le  serment  selon  la  forme  de  l'édict, 
»  et  par  ce  moyen  on  viendra  audevant  des  courreurs  qui  se  fourrent  dedans 
»  les  troupeaux,  sans  légitime  vocation.  Au  surplus  ne  faudra  planter  l'Evangile 
»  par  force  d'armes  ne  violence  :  ains  seulement  par  la  pure  et  sainte  prédica- 
»  tion  de  la  parole  de  Dieu. 


ARTICLE  14 

ï  Le  quatorziesrae  défend  de  ne  receler  aucuns  poursuivis  ou  condamnés 
»  pour  sédition. 

»  Il  faut  obéir  en  bonne  conscience  et  monstrer  par  effect  que  nous  ne 
»  sommes  point  receleurs  ne  fauteurs  de  meschans,  mais  au  contraire  ennemis 
»  de  tout  ce  qui  répugne  à  la  volonté  de  Dieu.  » 


(Castelnau,  Mémoires,  liv.  III,  «hap.  v). 

c 

»  Cependant  l'édit  fut  vérifié  et  publié  es  parlemens Alors  les  ministres 

ï  preschèrent  plus  hardiment,  qui  çà  qui  là,  les  uns  par  les  champs,  les  autrss 


—  557  — 

■»  en  des  jardins  et  à  découvert,  partout  où  l'affection  ou  la  passion  les  gui- 
»  dait  et  où  ils  pouvaient  trouver  du  couvert,  comme  es  vieilles  salles  et  nui- 
»  suites,  et  jusques  aux  granges;  d'autant  qu'il  leur  estoit  défendu  de  bastir 
î  temples  et  prendre  aucune  chose  d'église.  Les  peuples  curieux  de  voir  chose 
»  nouvelle,  y  alloient  de  toutes  parts,  et  aussi  bien  les  catholiques  que  les  pro- 
■»  testants,  les  uns  seulement  pour  voir  les  façons  de  cette  nouvelle  doctrine, 
))  les  autres  pour  l'apprendre,  et  quelques  autres  pour  connoistre.  et  remarquer 
»  ceux  qui  estoient  protestans.  Us  preschoient  en  françois,  sans  alléguer  aucun 

ï  latin A  la  fin  de  leurs  presches,  ils  faisoient  des  prières  et  ehantaient  des 

■»  psaumes  en  rythme  françoise,  avec  la  musique  et  quantité  de  bonnes  voix, 
»  dont  plusieurs  demeuraient  bien  édifiez,  comme  désireux  de  chose  nouvelle, 
j»  de  sorte  que  le  nombre  croissoit  tous  les  jours.  Là  aussi  se  parloit  de  corriger 
»  les  abus,  et  d'une  réformation,  de  faire  des  aumosnes,  et  choses  semblables, 
»  belles  en  l'extérieur,  qui  occasionnèrent  plusieurs  catholiques  de  se  ranger  à 
»  ce  party.  » 


I 

Énumération  de  divers  faits,  desquels  ressort  la  preuve  que  les  réformés  se  soumirent, 
pour  la  tenue  de  leurs  assemblées  religieuses,  aux  prescriptions  de  l'édit  de  janvier, 
aussitôt  après  sa  publication. 

Agen.  —  «  Obéissance  fut  rendue  (à  l'édit)  par  ceux  d'.4gen,  le  14  du  mois 
i  de  février,  après  la  publication  de  l'édict,  et  se  trouva  mesmes  beaucoup  plus 
3»  grand  peuple  au  sermon  de  dehors  la  ville,  qu'on  n'en  avoit  veu  aupara- 
s  vaut  :  cequi  faschoit  fort  leurs  adversaires.  »  {Bèze,  hist.,  eccl.,  t.  I,  p.  811). 

Aix-en-Provence.  —  «  Le  comte  de  Cursol  estant  entré  en  la  ville,  fit  pu- 
»  blier  l'édict  de  janvier,  suivant  lequel  ceux  de  la  religion,  furent  réintégrés 

»  avec  exercice  de  leur  religion  dehors  la  ville Le  mesme  jour  de  la  pu- 

»  blication  de  l'édict,  ils  choisirent  pour  le  sermon  un  lieu  hors  la  ville,  sous 
»  un  pin,  etc.,  etc.  »  (Bèze,  hist.  eccl.,  1. 1,  p.  896). 

Angers.  —  «  Fut  publié  l'édict  de  janvier,  suivant  lequel,  delà  en  avant,  les 
»  assemblées,  se  firent  es  fauxbourgs,  près  les  portes  de  la  ville.  »  (Bèze,  hist., 
»  eccl,  1. 1,  p.  755.) 

Angoulème.  —  <  L'édict  de  janvier  ayant  esté  publié  à  Angoulème,  ceux  de 
«  la  religion  commencèrent  à  prendre  un  merveilleux  accroissement,  sans  au- 

»  cun  remuement  toutesfois ,  continuans  les  presches  au  dehors.  »  (Bèze, 

>  hist.y  eccl,  t.  II,  p.  813,  814.) 


—  558  — 

Autun.  —  «  L'édict  de  janvier  arriva,  pour  la  jouissance  duquel,  encore  qu'il 
«  ne  fùst  publié  à  Dijon,  s'estant  assemblez  les  principaux  de  la  religion,  fut 
»  advisé  d'un  commun  accord,  que  désormais  on  ne  s'assembleroit  point  es 

B  temples  de  l'église  romaine,  mais  bien  en  une  grange ,  incontinent  fut 

9  dressé  le  consistoire,  et  en  général  fut  mis  en  train  l'exercice  de  la  religion, 
»  suivant  l'édict  de  janvier,  avec  un  merveilleux  accroissement.  »  (Bèze,  hist., 
■»  eccL,  t.  I,  p.  784.) 

Auxerre.  —  «  Advertis  de  l'édict  de  janvier,  ceux  de  la  religion,  achetèrent 
3)  un  beau  lieu  pour  h^isiiv,  joignant  les  fossés  de  la  ville,  où  ils  commencèrent 
»  de  faire  l'exercice  de  la  religion,  en  grande  modestie  et  patience,  combien 
»  qu'ils  fussent  ordinairement  travaillés,  et  qu'entre  autres  indignités,  la 
»  publication  de  l'édict  en  l'audience  du  bailly  de  Sens  leur  fùst  refusée  et  dé- 
>  layée  de  jour  à  jour  jusques  après  pasques,  combien  que  mandement  du  roy 
»  leur  fùst  envoyé  exprès  par  un  courrier.  »,(Bèze,  hist.,  eccL,  t.l,  769,  770.) 

Beaune.  —  «  Combien  que  l'édict  de  janvier  ne  fùst  encore  publié  par  le 
»  parlement  (de  Bourgogne),  ceux  de  la  religion  supplièrent  ce  parlement  de 
»  ne  trouver  mauvais  s'ils  usoient  de  ce  que  l'édict  leur  permettait.  Et  par  ainsi 
»  commencèrent  de  prescher  aux  fauxboitrgs  de  la  bretonnière  en  une  grange, 
»  surnommée  de  Groseli,  dont  auparavant  ils  s'estoient  asseurés,  prévoyans  ce 
»  qu'on  leur  préparoit.  Peu  après  par  la  pratique  des  prostrés  estans  déboutés 
»  de  ceste  grange,  s'assemblèrent  en  une  autre  nommé  des  Brevots,  au  mesme 
»  fauxbourg.  î  (Bèze,  hist.,  eccL,  t.  1,  p.  782.) 

Beziers.  —  «  Sur  la  fin  de  février  fut  publié  l'édict  de  janvier  en  vertu  du- 
T>  quel  les  sermons  commencèrent  d'estre  faicts  hors  la  ville.  •»  (Bèze,  hist., 
»  eccl,  t.  I,  p.  880.) 

Bordeaux.  —  «  L'édict  de  janvier  fut  publié,  le  6  de  février,  à  Bordeaux,  et 
»  suivant  iceluy  ceux  de  la  religion,  sans  aucune  réplique,  voire  mesmes  un 
»  jour  devant  la  publication,  firent  prescher,  hors  la  ville,  en  une  grange,  hors 
»  la  porte  Sainte-Croix  :  et  leur  ayant  esté  depuis  escrit,  les  députés  des  églises 
»  estant  pour  lors  encore  à  la  cour,  le  mescontentement  qu'on  avait  de  cer- 
«  tains  turbulens  abatteurs  d'autels  et  images,  contre  lesquels  finalement  les 
»  églises  mesmes  seroient  contraintes  de  se  dresser,  ceux  de  Bordeaux  décla- 
»  rèrent  ne  vouloir  avoir  aucune  communication  avec  telles  gens,  et  l'en- 
»  voyèrent  notifier  aux  églises  du  haut  païs.  »  (Bèze,  hist.,  eccL,  t.  I,  p.  789 
»  et  810.) 

Bourges.  —  «  Suivant  l'édict  de  janvier  les  assemblées  se  firent  librement  es 
»  fauxbourgs  Saint-Sulpicc.  »  (Bèze,  hist.,  eccl.,  t.  1,  p.  760.) 

Bretagne.  —  «  Il  fallut  que  le  parlement  de  Bretagne  enregistrât  l'édict  de 
»  janvier,  qui  fut  un  bénéfice  dontjouirentavec  profit  ceux  qu'avoient  reçu  l'E- 
»  vangile.  En  effet,  la  prédication  eu  ceste  conjoncture  fut  si  efficace,  que  dix 

»  belles  et  grandes  églises  se  trouvèrent  dressées  en  Bretagne Les  assem- 

»  blées  continuèrent  quelque  temps  sans  ti'ouble,  mais  hors  des  villes,  con- 
»  fermement  à  l'édict  de  janvier.  »  (Ph.  Lenoir,  hist.,  eccl.,  de  Bretagne, 
■»  p.  78  et  83,  —  Bèze,  hist.,  eccl.,  i.  11,  p.  748.) 

Castres.  —  «  L'édict  de  janvier  estant  apporté  le  !8'=  de  février,  on  cessa  de 
»  prescher  au  temple  de  la  Platte,  pour  aller  prescher  hors  la  porte  de  la  ville. 


—  559  — 

•»  en  un  boulevart.  lequel  par  la  libéralité  des  particuliers  de  la  ville  fut  tan- 
1  tost  couvert  de  toilles.  ?  (Bèze,  hist.,  eccL,  t.  I,  p.  875.) 

Chatillon-sur-Loing,  —  «  Les  gens  de  la  religion  s'accommodèrent  d'un  pe- 
»  tit  temple,  situé  aux  fauxbourgs,  appartenant  à  l'hôtel-Dieu  et  quasi  tout 
»  désert  et  destitué,  auquel  lieu  ils  se  maintinrent  en  bon  repos  et  sans  aucun 
î  mescontentement  apparent.  »  (Bèze,  hist.,  eccL,  t.  Il,  p.  4^57). 

Castelnaudary .  —  «  Ceux  de  la  religion  estoient  au  sermon,  hors  de  la  ville, 
3>  suivant  l'édict  de  janvier,  joignant  un  moulin  à  pastel.  î  (Bèze,  hist.,  eccl.y 
»  t.  111,  p.  159.) 

Foix.  —  «  L'édict  de  janvier  estant  publié,  ceux  de  Foix  qui  estoient  de  la 

>  religion  commencèrent  à  prescher  hor'S  la  ville,  obéissans  à  l'édict  en  tout  et 
»  partout.  3  (Bèze,  hist.,  eecl.,t.  III,  p.  202.) 

Grenoble.  —  «  Le  presche,  suivant  l'édict  de  janvier  se  faisoit  à  Grenoble, 

>  aux  fauxbourgs,  en  une  cour,  appartenant  à  un  marchand  nommé  Bernar- 
»  din  Curial.  »  (Bèze,  hist.,  eccL,  t.  III,  p.  240.) 

Meaux.  —  «  Estant  faict  l'édict  de  janvier,  encore  que  la  cour  de  parlement 
»  de  Paris  en  refusast  la  publication,  l'église  de  Meaux  entr'autres  ne  laissa 
»  de  le  pratiquer  en  grande  paix.  »  (Bèze,  Itist.,  ceci.,  t.  II,  p.  350.) 

Montpellier.  —  «  Viret  venu  à  Montpellier,  commença  d'y  exercer  le  minis- 
»  tère,  ayant  esté  l'édict  de  janvier  publié  le  7  du  mois  de  février,  suivant  le- 
»  quel  ceux  de  la  religion  se  retirèrent  et  choisirent  le  grand  fossé  du  portai! 

>  de  Lottes.  »  (Bèze,  hist.,  eccl.,t.  I,  p.  888.) 

Nîmes.  —  «  Les  temples  ayant  esté  quittés  par  ceux  de  la  religion  en  la  ville 
»  de  Nîmes,  suivant  le  mandement  du  seigneur  comte  de  Crussol,  le  20"  dejan- 
»  vier  1562,  ils  commencèrent  leur  exercice  ordinaire,  en  l'hospital,  hors  la 
D  ville.  »  (Bèze,  hist.,  eccL,  t.  III,  p,  138.) 

Rouen.  —  «  Le  27*  dudict  mois  fat  publié  l'édict  de  janvier  à  Rouen,  et  sui- 
»  vaut  iceluy  fut  dressé  l'exercice  de  ceux  de  la  religion  aux  fauxbourgs,  en 
»  toute  obéissance.  »  (Bèze  hist.,  eccL,  t.  II,  p.  610).  — ■  «  Les  religionnaires 
»  prêchaient  dans  les  fauxbourgs  de  Rouen  et  dans  les  campagnes,  suivis  et 

»  écoutés  plus  qu'on  ne  saurait  dire Des  officiers  du  roi  chargés  d'assister 

»  aux  presches  comme  surveillans,  il  y  en  eut  qui  finirent  par  assister  comme 
»  fidèles  à  ces  prêches.  î  (Floquet,  hist.  du  parlement  de  Normandie,  t.  II, 
j  p.  37-i.) 

Sens.  —  «  En  la  ville  de  Sens,  par  les  menées  du  chapitre  et  clergé  qui  y  est 
Tt  très  puissant,  estant  ville  archiépiscopale,  et  par  les  pratiques  de  Robert 
»  Hémard,  lieutenant  criminel,  il  y  avoit  une  très  grande  résislance  à  ce  que 
»  l'édict  de  janvier  ne  fùst  publié,  quelque  commandement  que  le  roy  en  eust 
»  faict.  Ce  nonobstant  ceux  de  la  religion  ayant  acheté  et  basti  im  lieu  hors 
))  la  ville  et  sur  les  fossés  d'icelle,  y  faisoient  leur  exercice.  »  (Bèze,  hist.,  eccL, 
»  t.  II,  p.  396.) 

Toulouse.  —  «  Le  vendredi  sixiesme  de  février  1562,  l'édict  de  janvier  par 
lequel  l'exercice  de  la  religion  estoit  permis  aux  fauxbourgs  des  villes  fut 
publié  en  la  cour  de  parlement  de  Toulouse,  sans  trop  grand  contredit,  en 
apparence.  Suivant  cela,  du  Nort,  ministre  de  la  parole  de  Dieu,  ayant  fait  le 
serment  requis  par  l'édict  entre  les  mains  du  séneschal,viguier  et  capitoulsdela 


—  560  — 

ville,  fit  le  premier  sermon  hors  la  ville  joignant  la  maison  des  héritiers  du 
feu  seigneur  d'Olivieres,  jadis  président  auquel  assistèrent  les  capitouls  et 
viguier  de  Toulouse,  avec  les  forces  de  la  ville  pour  empêcher  qu'aucun  tu- 
multe n'en- advint.  »  (Béze,  hist.  eccl.  t.  III,  p.  i.) 

L'énoncé  de  ces  faits  est  confirmé  par  la  lettre  suivante  de  de  Nort  à 
Calvin,  du  10  février  1562  (opa  Calvini,  vol.  XIX,  p.  282,  n"  3714)  :  —  «  Mon- 
»  sieur  et  père,  je  ne  doute  point  que  n'ayés  entendu  par  les  lettres  qu'en- 
»  voyay  dernièrementà M.  Raimon  (Merlin)  comment  j'avoys  esté  envoyéenceste 
»  ville  (Toulouse)  par  le  synode  tenu  dernièrement  à  Sainte-Foy.  Or,  depuis  ce 
»  temps-là.  Dieu  par  sa  grâce  a  tellement  béni  l'œuvre,  que  non  seulement  le 
»  troupeau  est  creu  en  un  nombre  merveilleux  jusques  huit  à  neuf  mille  per- 
»  sonnes,  sans  mentir,  mais  aussi  jouissons  ^'une  pleine  liberté,  pré- 
»  chant  publiquement  hors  de  la  ville,  où  le  magistrat  assiste  avec  un  grand 
»  nombre  de  gens  armés  qui  contiennent  tout  le  monde  en  paix,  et  dès  lors 
»  que  quelqu'un  bouge,  est  appréhendé  et  mené  en  prison.  Sapmedr  passé, 
»  qui  estoit  le  7  du  présent,  fusappellé  devant  messieurs  de  la  ville  qui 
»  m'avouèrent  et  reçurent  pour  ministre,  promettans,  que  d'ores  et  desjà  ils 
»  me  mettoient  en  leur  sauvegarde,  puis  me  firent  jurer  de  prêcher  purement 
»  et  syncèrement  la  parole  de  Dieu  comme  elle  est  contenue  au  vieil  et  nouveau 
»  testament;  et  delà  avec  sept  à  huit  cents  hommes  armés  m'emmenèrent  au 
»  lieu  oîi  faloit  prescher  et  m'en  ramenèrent  de  mesrae,  et  continuèrent  tous 
»  les  jours,  jusques  à  ce  que  tout  soit  en  bonne  paix.  » 

Des  lettres  d'abolition,  d'octobre  1562  (Bèze,  hist.  eccl.  t.  III,  p.  40  à  44.) 
attestent,  en  ces  termes,  l'attitude  régulière  des  réformés,  dans  la  pratique  de 
leur  culte  :  —  «  Comme  ainsi  soit  que  l'édict  par  nous  faict  en  janvier  dernier 
»  pour  apaiser  les  troubles  et  esmotions  survenus  en  nostre  royaume  :  aucuns 
»  de  nos  sujets,  habitant  de  nostre  ville  de  Toulouse,  qui  avaient  suivi  la  nou- 
»  velle  religion,  pour  ce  qu'on  leur  avoit  faict  entendre  que,  c'estoil  la  seule 
»  voye  de  salut,  se  sont  incontinent  rendus  obéissans  et  fait  leurs  assemblées  Aors 
»  ladite  ville, ne  desirans  autre  chose  que  servir  à  Dieu  et  à  nous  en  toute  mo- 
»  destie,  et  pour  l'exercice  de  ladite  religion  ayent  appelé  des  ministres  en 
»  plus  grand  nombre  qu'ils  n'avoient  auparavant,  iceux  nourris  et  entretenus 
»  en  leurs  maisons  se  trouvant  ordinairement  aux  presches  et  exhortations 
»  prières  et  autres  exercices  qu'ils  ont  accoustumé,  mesme  communiqué  et 
»  participé  à  leurs  sacremens,  et  quelques-uns  d'entr'eux  pris  des  charges  e* 
»  estais  de  leur  religion  ou  police  par  eux  appelés  diacres,  surveillans  et 
»  autres,  et  se  seroient  trouvés  en  leurs  conseils  synodes  el  consistoires,  tant  en 
»  ladite  ville  que  autres  lieux  circonvoisins ,  toujours  paisibles  et  sans 
»  trouble  etc.,  etc.  > 

Des  citations  de  ce  genre  pourraient  être  multipliées. 


561  — 


Des  citations  d'un  autre  genre  pourraient  encore  être  faites  ici  :  ce  seraient 
celles  qui  se  rattacheraient  aux  actes  de  trouble  et  de  violence,  ayant,  dès  les 
premiers  jours  de  l'exécution  régulière  de  l'édict  de  janvier  par  les  réformés, 
entravé  l'exercice  légal  de  leur  culte.  Mais  les  faits,  en  cette  matière  sont  telle- 
ment nombreux,  qu'il  faut  renoncer  à  l'idée  d'en  présenter  ici  le  tableau. 
On  pourra  d'ailleurs  les  connaître  en  consultant  surtout  les  histoires  particu- 
lières des  villes  et  provinces  de  France,  au  xvi«  siècle,  ainsi  que  divers  docu- 
mens  publics  et  privés  de  cette  époque. 


Formation  du  parti  catholique,  1561 . 
(M.  Mignet,  Journal  des  savants,  année  1859.) 

«  Le  parti  catholique  se  forma  dès  lors  à  part  de  la  royauté,  et  se  prépara 
»  à  agir  sans  elle,  malgré  elle,  et  à  la  fin  même  contre  elle.  Resté  fort  puis- 
»  sant  dans  les  provinces,  il  était  le  maître  dans  Paris,  où  il  dominait  exclu- 
»  sivement,  et  dont  le  peuple  presque  tout  entier  conservait  à  l'ancienne  re- 
»  ligion  un  attachement  passionné,  poursuivait  de  ses  haines  et  menaçait  de 
»  ses  violences  les  partisans  du  culte  nouveau.  Tant  que  les  rois  de  France 
»  s'étaient  opposés  par  leurs  édits,  à  l'hérésie  calviniste  et  l'avaient  rigoureu- 
»  sèment  condamnée,  les  catholiques  s'étaient  rangés  sous  leur  autorité  avec 
»  une  fidélité  satisfaite.  Il  n'en  fut  plus  de  même  lorsque  la  régente  Catherine 
»  de  Médicis  cédant  à  la  nécessité  et  se  dirigeant  d'après  une  politique  hu- 
»  maine  et  louable,  entra  dans  les  voies  de  la  tolérance,  et  admit,  sous  la  mi- 
»  norité  de  Charles  IX,  l'existence  légale  du  protestantisme,  que  la  persévé- 
»  rance  des  interdictions  et  la  sévérité  des  châtimens  n'avaient  empêché  ni  de 
>  s'introduire  dans  l'État,  ni  de  s'y  étendre  pendant  la  toute-puissance  de 
s  François  I",  de  Henri  II  et  de  François  II.  Dès  ce  moment,  la  passion  du 
»  parti  catholique  se  manifesta,  soit  à  Paris,  soit  dans  les  provinces,  par  de 
»  fanatiques  agressions  et  de  séditieux  massacres.  Le  dévouement  à  la  re- 
»  ligion,  l'emporta  même,  chez  lui,  sur  l'obéissance  envers  la  couronne  :  il 
»  prépara,  en  1561,  au  début  du  règne  de  Charles  IX,  la  ligue  qu'il  re- 
11.  36 


—  562  — 

»  nouvela  en  1584,  sous  Henri  III,  et  qu'il  resserra,  après  1589,  contre 
■»  Henri  IV.  A  ces  diverses  époques,  il  fut  animé  du  même  désir,  le  triomphe 
»  absolu  du  catholicisme;  il  marcha  vers  le  même  but,  l'extirpation  par  la 
»  guerre  de  l'hérésie  que  n'avait  pu  interdire  l'autorité  ;  il  suivit  au  dedans 
»  les  mêmes  chefs,  les  princes  de  la  maison  de  Lorraine;  il  réclama  au  de- 
»  hors  les  mêmes  appuis,  les  Nulles  du  pape  et  les  soldats  de   Philippe  II.  » 


Relation  des  conférences  de  Saverne,  par  le  duc  Christophe  de  Wurtemberg. 
{Bull,  de  la  soc.  cl'hist.  du  prot.  fr.,  t.  IV,  p.  184  à  196.) 


«  Arrivé  à  Saverne,  le  15  février  1562,  dans  la  soirée,  chez  le  duc  de  Guise 
»  et  le  cardinal  de  Lorraine,  ces  deux  frères  m'exposèrent,  comme  le  disait 
»  déjà  la  lettre  d'invitation,  que  mes  liaisons  d'autrefois  avec  le  duc  et  le  triste 
»  état  de  la  France,  leur  avaient  inspiré  un  vif  désir  de  s'entretenir  affectueu- 
»  sèment  avec  moi,  et  avec  mes  théologiens.  Je  répondis  que  la  lettre  m'avait 
»  déterminé  à  venir,  et  que  j'étais  tout  à  leur  disposition.  » 

€  Le  lendemain,  16  février,  à  sept  heures  du  matin,  le  duc  vint  me  trouver 
»  dans  mon  appartement,  parla  de  différentes  choses  de  nature  générale,  et 
»  me  dit  que  le  cardinal  souhaitait  avoir,  après  le  déjeuner,  une  conversation 
»  à  part  avec  mes  théologiens.  Je  ne  fis  aucune  objection,  et,  informé  que  le 
*  cardinal  prêcherait,  j'allai  assister  à  son  sermon.  11  y  avait  environ  deux 
»  cents  personnes.  Il  prêcha  sur  l'Évangile  de  la  tentation  de  Jésus-Christ  au 
»  désert.  Tout  son  sermon  avait  pour  but  de  montrer  qu'on  ne  doit  rechercher 
1»  d'autres  médiateurs  ni  intercesseurs  que  Jésus-Christ,  qui  est  notre  unique 
»  sauveur  et  la  seule  propitiation  pour  nos  péchés;  que  nous  ne  devons  pas 
»  non  plus  nous  confier  en  nos  bonnes  œuvres,  etc.,  etc. 

«  Après  le  déjeuner,  le  cardinal  me  pria  de  lui  envoyer  mes  théologiens, 
»  pour  qu'il  pût  s'entretenir  avec  eux  amicalement  et  fraternellement;  ce  qui 
»  eut  lieu.  Les  théologiens  se  rappelent  sans  doute  ce  qu'il  leur  dit. 

«  Après  midi  le  duc  revint  chez  moi  dans  mon  appartement.  11  parla  longue- 
»  ment  des  calamités  de  toutes  sortes  qui  accablaient  la  France,  depuis  une 
»  vingtaine  d'années  ;  puis  il  ajouta  qu'à  tous  ces  maux  s'était  jointe  la  discorde 
»  religieuse;  que  la  reine  mère  et  le  roi  de  Navarre,  pour  y  remédier,  avaient 
»  convoqué  le  synode  de  Poissy,  mais  qu'à  ce  synode  les  ministres  calvinistes 
»  s'étaient,  dès  l'abord,  montrés  comme  gens  avec  lesquels  il  n'y  a  pas  de  con- 
>  ciliation  à  espérer  ;  qu'ils  avaient  appelé  idolâtres  tous  les  catholiques,  et 


—  563  — 

î  qu'il  était  résulté  de  cela  une  irritation  intolérable^  11  me  pria  de  lui  exposer 
»  quelle  est  notre  religion  à  nous  autres  Allemands  et  de  lui  dire  si  nous  nous 
»  accordons  avec  les  ministres  français  sur  tous  les  points.  Il  ajouta,  avec 
j  beaucoup  de  paroles,  qu'il  aimerait  s'éclairer  et  mettre  sa  conscience  en 
»  repos;  qu'il  avait  été  élevé  dans  la  foi  de  ses  ayeux(si  elle  est  fausse  dit-il, 
»  j'en  suis  fâché)  ;  qu'homme  de  guerre  depuis  sa  jeunesse,  il  est  resté 
»  ignorant  en  religion,  et  que  bien  certainement  si  on  lui  montrait  qu'il  a  ét<j 
»  dans  l'erreur  jusqu'à  présent,  il  suivrait  volontiers  et  de  grand  cœur  les  nou- 
»  veaux  enseignements  qu'on  lui  donnerait. 

«  Je  lui  répondis  que  les  calamités  de  la  France  devaient  inspirer  de  la  pitié 
»  à  tous  les  chrétiens,  mais  qu'il  ne  fallait  nullement  se  cacher  que  les  causes 
»  s'en  trouvaient  dans  les  péchés  de  ce  pays,  parmi  lesquels,  dis-je,  ce  n'est 
>  certainement  pas  le  moindre  que  d'avoir  fait  mourir  pour  la  foi,  depuis  un 
»  si  grand  nombre  d'années,  tant  de  milliers  de  personnes  innocentes. 

«  Quant  au  colloque  de  Poissy,  dis-je,  les  actes  que  vous  m'en  avez  envoyé 
»  prouvent  que  les  prélats  n'y  avaient  pas  l'intention  de  conférer  sérieusement 
»  avec  les  ministres  français  pour  arriver  à  un  accord  et  à  une  réformation.  Au 
»  lieu  d'examiner  la  confession  de  foi  des  ministres  article  par  article,  ils  se 
ï  sont  jetés  de  suite  sur  l'un  des  derniers,  et  précisément  sur  le  plus  propre 
»  à  faire  rompre  le  colloque.  Toutefois  j'espère  qu'à  une  autre  conférence,  on 
ï  n'aura  en  vue  que  l'honneur  de  Dieu  et  de  sa  parole,  et  qu'alors  le  Seigneur 
3»  bénira  de  telles  intentions. 

«  Pour  ce  qui  est  de  notre  accord  avec  les  ministres  français,  je  lui  dis  que 
»  nous  ne  différons  d'eux  que  dans  l'article  de  la  sainte  cène  et  qu'il  y  avait 
»  espoir  qu'on  parviendrait  à  s'unir,  à  cet  égard  ;  la  dispute  provenant  princi- 
»  paiement  de  malentendus.  J'ajoutai  qu'il  trouverait  une  exposition  complète  de 
»  notre  foi  dans  les  lettres  et  dans  les  livres  que  je  lui  avais  déjà  envoyés,  et  que, 
»  s'il  avait  quelque  question  particulière  à  me  faire,  je  lui  répondrais  volontiers. 

s  11  me  demanda  alors  ce  que  nous  entendons  par  idolâtrie. 

«  On  est  idolâtre,  lui  dis-je,  lorsqu'on  adore  d'autres  dieux  que  le  vrai  Dieu, 
»  ou  qu'on  cherche  d'autres  médiateurs  que  le  fils  de  Dieu,  Notre-Seigneur 
»  Jésus-Christ,  ou  qu'on  met  sa  confiance  dans  les  saints,  dans  la  Vierge  Mra-ie, 
»  ou  dans  ses  propres  bonnes  œuvres. 

»  Je  n'adore  d'autre  Dieu  que  le  vrai  Dieu,  me  répondit-jl  ;  je  me  confie  uni- 
»  ({uement  en  Jésus-Christ;  je  sais  bien  que  ni  la  mère  de  Notre-Seigneur,  m 
»  les  saints  ne  peuvent  m'être  en  aide  ;  je  sais  bien  aussi  que  je  ne  puis  être 
»  sauvé  par  mes  bonnes  œuvres,  mais  par  les  mérites  de  Jésus-Christ. 

«  Moi.  —  Voilà  ce  que  j'entends  avec  joie  ;  le  Seigneur  veuille  vous  mainte- 
»  nir  dans  cette  confession. 

«  Le  duc.  —  Nous  voilà  donc  d'accord  en  cela. 

«  Moi.  —  Mais  puisque  vous  croyez  et  confessez  ainsi,  il  faut  aussi  vous  dé- 
»  clarer  contre  tout  ce  qui  est  opposé  à  cette  confession,  comme,  par  exemple, 
»  le  culte  des  saints,  les  pèlerinages,  le  purgatoire,  la  messe  idolàtrique  et  le 
»  prétendu  sacrifice  non  sanglant  de  la  messe. 

«  Le  duc.  —  Je  suis  maintenant  mieux  informé  en  tout  cela  que  je  ne  l'étais 
»  autrefois,  et  je  vous  prie  d'en  parler  demain  aussi  à  mon  frère  le  cardinal. 


—  5G4  — 

"»  Veuillez  seulement  encore  me  dire  ce  que  vous  trouvez  de  mauvais  dans  la 
»  messe  et  ce  que  vous  pensez  du  sacrifice  de  l'autel. 

«  Quand  je  lui  eus  répondu  (dans  le  sens  de  la  doctrine  Luthérienne),  il  dit  : 
»  mais  De  Bèze  a  enseigné  publiquement,  en  présence  de  la  reine  mère,  du 
»  roi  de  Navarre,  de  tous  les  princes  et  seigneurs  et  de  tout  le  synode,  que  le 
»  vrai  corps  et  le  vray  sang  de  Jésus-Christ  sont  éloignés  du  saint  sacrement 
»  autant  que  le  ciel  est  éloigné  de  la  terre;  qu'il  n'y  a  qu'une  manducation 
»  spirituelle,  et  que,  matériellement  ce  n'est  que  du  pain  et  du  vin.  C'est  pour- 
»  quoi  les  prélats  n'ont  plus  voulu  conférer  aveclui  ni  avec  les  siens. 

«  Je  répondis  que  De  Bèze,  n'avait  peut-être  eu  en  vue  que  de  combattre 
»  l'opinion  papistique  qui  fait  résider  le  corps  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ 
»  dans  le  tabernacle  comme  dans  une  prison  et  qui  prétend  le  promener  en 
»  forme  d'hostie. 

«  Le  duc  s'excusa  en  disant  que  c'était  là  une  matière  trop  difficile  pour  lui. 
»  Veuillez  en  conférer  demain  avec  mon  frère,  ajouta-t-il. 

«  Alors  je  lui  dis  :  puisque  nous  en  sommes  maintenant  à  nous  expliquer 
»  l'un  avec  l'autre,  je  ne  puis  m'empècher  de  vous  informer  que  vous  et  votre 
»  frère  êtes  hautement  soupçonnés,  en  Allemagne,  d'avoir  contribué  à  faire 
»  périr,  après  le  décès  de  Henri  II,  et  encore  de  son  vivant,  plusieurs  milliers 
»  de  personnes  qui  ont  été  misérablement  livrées  à  la  mort,  à  cause  de  leur  foi  ; 
»  comme  ami  et  comme  chrétien,  je  dois  vous  avertir  :  gardez-vous  du  sang  inno- 
»  cent.  Les  chàtimens  de  Dieu  vous  atteindraient  dans  cette  vie  et  dans  l'autre. 

«  11  me  répondit  avec  de  grands  soupirs  :  je  sais  bien  qu'on  nous  accuse  de 
»  cela  et  d'autres  choses  encore,  mon  frère  et  moi;  mais  on  nous  fait  tort; 
»  nous  vous  l'expliquerons  tous  deux  avant  votre  départ.  Puis  il  ajouta  :  j'ai 
y  oublié  tantôt  de  vous  demander  une  chose  :  d'où  vient  que  dans  votre  reli- 
»  gion,  vous  êtes  si  divisés,  tandis  que,  dans  l'église  romaine,  il  y  a  eu  depuis 
»  si  longtemps  et  il  y  a  encore  plus  grande  unité? 

Suivent  des  explications  du  duc  Christophe,  tendant  à  revendiquer,  pour  les 
chrétiens  évangéliques,  une  unité  véritable,  et  à  montrer  que,  dans  le  pa- 
pisme, l'unité  n'est  que  hiérarchique.  11  cile  entre  autres  lesdivergences  d'opinions 
entre  les  ordres  religieux  et  l'existence  de  cinq  canons  différents  de  la  messe. 

«  S'il  en  est  ainsi,  dit  alors  le  duc  de  Guise,  je  me  ferai  Luthérien,  moi 
»  aussi;  car  il  faut  qu'il  y  ait  unité  dans  la  messe,  ou  le  tout  est  faux.  Mais  je 
»  vous  prie  d'en  parler  aussi  à  mon  frère  ! 

«  Je  répondis  que  je  le  ferais  quand  je  le  verrais,  mais  que  j'aimerais  qu'on 
»  me  remît  les  livres  papistes  dont  j'aurais  besoin  pour  établir  mes  preuves. 

«  Ainsi' finit  notre  conversation  du  16  février. 

«  Le  17  février,  le  duc  de  Guise  vint  de  nouveau  me  trouver  dans  mon 
»  appartement,  à  sept  heures  du  matin.  Il  me  dit  que  les  sujets  que  nous 
»  avions  traités  hier  l'avaient  empêché,  presque  toute  la  nuit,  de  dormir; 
»  qu'il  en  avait  parlé  au  cardinal,  et  que  celui-ci  aimerait  avoir  encore  une 
»  conférence  avec  Brentius,  en  ma  présence,  après  le  déjeuner.  Je  répondis 
■»  que  ce  sera  comme  le  cardinal  le  souhaitera.  Ensuite  nous  parlâmes  d'affai- 
»  res  privées,  d'anciennes  guerres,  etc.,  etc. 

«  A  huit  heures,  nous  allâmes  au  second  sermon  du  cardinal.  De  même  que 


—  565  - 

»  la  veille,  il  répéta  plusieurs  fois  que  nous  devons  adorer  Dieu  seulement  tel 
»  qu'il  est  au  ciel,  et  que  notre  unique  médiateur,  avocat  et  intercesseur,  c'est 
»  Jésus-Christ,  nullement  la  mère  de  Dieu,  ni  les  autres  saints  ;  que  nous  ne 
»  devons  pas  invoquer  les  saints,  etc.,  etc. 

«  Après  le  sermon,  le  cardinal  me  dit  qu'il  savait  par  son  frère  notre  entre- 
ï>  tien  de  la  veille;  qu'il  était  extrêmement  réjoui  de  notre  entrevue;  qu'elle 
»  lui  était  plus  précieuse  que  n'importe  quel  bien  delà  terre;  qu'il  espérait 
»  voir  tourner  toutes  choses  à  bien,  car,  dit-il,  j'ai  conversé  bien  frat^rnelle- 
»  ment  avec  Brentius  et  avec  vos  autres  théologiens;  j'espère  que  nous  nous 
»  sommes  bien  entendus  et  que  nous  nous  sommes  quittés  d'accord.  Maintenantje 
»  souhaite  conférer  encore  avec  Brentius  sur  quelques  points,  en  votre  pré- 
»  sence  :  je  vous  exposerai  alors  catégoriquement  et  ouvertement  quelle  est  ma 
»  foi,  et  comment  je  pense  qu'on  pourra  mettre  en  bonne  voie  les  affaires  de 
»  religion. 

«  Je  répondis  que  j'avais  grand  plaisir  à  l'entendre  parler  ainsi,  et  que  j'i- 
»  rai  chez  lui  avec  Brentius,  à  l'heure  qu'il  lui  plairait. 

«  Après  le  déjeuner,  midi  à  peine  sonné,  le  duc  de  Guise  entra  pour  me 
»  dire  que  le  .cardinal  allait  venir  chez  moi.  Je  répondis  que  ce  serait  moi  qui 
»  irais  le  trouver  chez  lui;  et  ainsi  nous  nous  rendîmes  ensemble  chez  le  car- 
»  dinal  de  Lorraine  où  se  trouvaient  aussi  les  deux  autres  frères,  le  cardinal 
»  de  Guise  et  le  grand  prieur.  On  me  fit  prendre  place  entre  les  quatre  frèi-es  : 
>  le  duc  de  Guise  et  le  cardinal  de  Guise  à  ma  droite,  le  cardinal  de  Lorraine 
»  et  le  grand  prieur  à  ma  gauche,  Brentius  était  assis  en  face  de  nous.  Hors  de 
»  nous  six,  il  n'y  avait  personne  dans  l'appartement. 

«  Le  cardinal  de  Lorraine  commença  par  s'adresser  à  Brentius,  à  peu  près  en 
»  ces  mots  :  docteur  Brentius,  mon  père,  nous  avons  conféré  hier  amicalement 
»  sur  plusieurs  points  principaux  de  la  foi  chrétienne,  sur  le  péché  originel,  le 
»  baptême,  l'invocation  des  saints,  les  prières  pour  les  morts,  la  justification, 
»  devant  Dieu,  et  le  symbole  des  apôtres.  Maintenant  j'aimerais  encore  m'en- 
»  tendre  avec  vous  sur  trois  ou  quatre  articles,  en  présence  de  votre  seigneur, 
»  mon  cousin  le  duc  de  Wurtemberg  :  1°  sur  les  objections  que  vous  faites 
»  contre  la  messe;  2°  sur  la  hiérarchie  ecclésiastique;  3°  si  les  zwingliens  et 
»  les  calvinistes  sont  hérétiques;  si  l'on  doit  punir  les  hérétiques,  et  cora- 
»  ment  ;  enfin  4°  si  c'est  par  le  concile  de  Trente,  qui,  en  vérité,  dit-il,  n'est 
»  pas  un  concile,  mais  plutôt  une  simple  réunion,  conventus,  ou  par  d'autres 
»  voies  qu'il  faudra  tâcher  d'arriver  à  une  solution  des  affaires  religieuses. 

«  Et  d'abord,  que  blâmez-vous  dans  la  messe?  Dites,  s'il  vous  plaît,  toute 
i  votre  pensée,  à  cet  égard,  sans  vous  gêner. 

«  Alors  Brentius,  après  s'être  excusé  de  sa  franchise,  énumère  au  cardinalles 
*  erreurs  et  les  abus  relatifs  à  la  messe.  —  Nota.  —  Brentius  lui-même  saura 
»  le  mieux  se  rappeler  ce  qu'il  a  dit. 

«  Réponse  du  cardinal.  —  Je  me  suis  accordé  hier  avec  vous  sur  ce  point, 
5)  qu'on  doit  adorer  Dieu  seul,  qui  est  au  ciel,  et  que  notre  unique  avocat  est 
5)  le  fils  de  Dieu,  Jésus-Christ.  Je  répète  aussi,  en  présence  de  mon  cousin  le 
»  duc  de  Wurtemberg,  que  Jésus-Christ  doit  être  adoré  seulement  tel  qu'il 
ï  est  au  ciel. 


—  566  — 

«  Brentius.  —  Révérendissime  Seigneur,  vous  ne  pensez  donc  pas  qu'on 
ï  doive  l'adorer  dans  le  pain,  ni  le  promener  dans  des  processions? 

«  Le  cardinal.  — ^  J'avoue  que  nous  avons  été  trop  loin  en  cela.  On  doit  ado- 
■»  rer  et  invoquer  Jésus-Christ  seulement,  tel  qu'il  est  au  ciel;  mais  dans  l'eu- 
»  cliaristie  nous  le  devons  vénérer,  par  exemple,  nous  agenouiller  quand  quel- 
»  qu'un  communie,  ou  faire  la  révérence  en  recevant  le  saint  sacrement.  Je  ne 
»  pense  pas  que  vous,  ou  mon  cousin  le  duc  de  Wurtemberg,  vous  blâmiez 
»  cela. 

«  Brentius  et  moi.  —  Nous  ne  saurions  blâmer  cela. 

«  Le  cardinal.  —  Pour  ce  qui  est  de  l'invocation  des  saints  dans  le  grand 
«  canon  de  la  messe,  de  l'opinion  que  la  messe  est  un  sacrifice,  et  de  l'usage 
j)  de  dire  des  messes  pour  les  vivants  et  pour  les  morts,  je  dois  avouer  qu'en 
»  cela  aussi  on  a  été  trop  loin.  La  messe  ne  doit  être  célébrée  que  lorsqu'il  y 
»  a  des  communions,  et  dans  ce  sens  qu'elle  n'est  pas  un  sacrifice,  mais  un 
»  acte  de  communication  du  sacrifice  accompli  sur  l'autel  de  la  croix  :  Non 
»  sacrificitim  sed  memoria  sacrificii  prœstiti  in  arâ  crucis. 

»  Brentius.  —  Révérend  seigneur,  si  l'on  supprimait  les  abus  de  la  messe, 
»  nous  serions  bientôt  d'accord. 

«  Le  cardinal.  —  Que  pensez-vous  donc  de  la  hiérarchie  ecclésiastique? 
»  Approuvez-vous  qu'il  y  ait  un  chef  suprême  appelé  pape,  des  cardinaux, 
»  des  archevêques,  etc.,  etc.? 

«  Brentius.  —  Jésus-Christ  est  le  chef  de  l'église  ;  il  ne  veut  pas  de  vicaire. 
»  Quant  aux  cardinaux,  l'Écriture  n'en  parle  pas  ;  mais  il  doit  y  avoir  des  de- 
»  grés  dans  l'administration  ecclésiastique;  nous  concédons  aussi  qu'il  y  ait 
»  des  évêques,  pourvu  qu'ils  soient  élus  régulièrement. 

«  Le  cardinal.  —  Bien  ;  nous  pourrons  nous  accorder  en  cela  aussitôt.  A 
))  défaut  d'une  robe  rouge,  j'en  porterai  volontiers  une  noire.  Mais,  Brentius, 
»  que  dites-vous  des  zwingliens  et  des  calvinistes?  Sont-ils  hérétiques,  ou 
»  non?  Doit-on  punir  les  hérétiques?  Et  comment? 

«  Brentius.  —  Quoique  les  zwingliens  et  aussi  Calvin  se  trompent  dans  l'arti- 
»  cle  de  la  sainte  Cène,  la  charité  chrétienne  exige  qu'on  ait  bon  espoir  à  l'é- 
»  gard  de  ces  chrétiens  tombés  dans  une  erreur.  Il  faut  les  avertir,  les  exhor- 
»  ter  et  prier  pour  eux  ;  car  dans  tous  les  autres  articles  de  notre  foi,  ils  sont 
»  d'accord  avec  nous. 

»  Brentius  pria  aussi  le  cardinal  de  ne  rien  faire  avec  précipitation  à  l'égard 
»  de  ces  chrétiens  fourvoyés.  11  ajouta  qu'avec  la  grâce  de  Dieu,  ils  pourront 
»  être  ramenés,  et  qu'il  y  avait  d'ailleurs,  comme  le  cardinal  le  savait  bien,  une 
»  grande  différence  à  faire  entre  celui  qui  enseigne  une  erreur,  et  de  simples 
»  ouailles,  etc.,  etc. 

«  Ensuite  le  cardinal  demanda  à  Brentius  ce  qu'il  pensait  des  moyens  de  ré- 
»  tablir  la  concorde  dans  la  chrétienté. 

«  Brentius  répondit  qu'il  y  avait  cinq  moyens.  Nota.  Brentius  se  rappelle 
3)  sans  doute  ce  qu'il  a  dit,  à  ce  sujet. 

«:  Le  cardinal.  —  Le  concile  assemblé  à  Trente  ne  fera  rien  de  bon.  D'un 
5  autre  côté,  il  n'y  a  non  plus  rien  à  espérer  de  nos  calvinistes  de  France,  Ils 
>  ne  veulent  pas  écouter,  mais  être  écoutés.  Croyez-m'en,  sire  cousin,  si  de 


—  567  — 

»  Bèze  et  ses  collègues  avaient,  à  Poissy,  voulu  accepter  et  signer,  la  confes- 
»  sion  d'Augsbourg,  j'aurais  obtenu  des  prélats  que  nous  nous  fussions  arrangés 
»  avec  eux. 

«  Moi.  —  Mais  si,  à  l'avenir,  De  Bèze  et  ses  collègues  approuvent  et  si- 
»  gnent  la  confession  d'Augsbourg,  le  ferez-vous  également  de  votre  côté? 

«  Le  cardinal.  —  Vous  l'avez  entendu;  vous,  Brentius,  mon  père,  vous  l'avez 
»  de  même  entendu  hier  avec  vos  confrères  ;  de  plus,  je  prends  Dieu  à  témoin 
«  qne  je  pense  et  que  je  crois  comme  je  le  dis,  et  qu'avec  la  grâce  de  Dieu,  je 
»  vivrai  et  mourrai  dans  ces  sentimens.  Je  le  répète  donc  :  J'ai  lu  la  confes- 
»  sion  d'Augsbourg;  j'ai  lu  aussi  Luther,  Mélanchton,  Brentius  et  d'autres; 
»  j'approuve  entièrement  leurs  doctrines  et  je  m'accorderai  bien  vite  avec  eux 
»  dans  tout  ce  qui  concerne  la  hiérarchie  ecclésiastique.  Mais  il  faut  que  je 
»  dissimule  encore  quelque  temps,  afin  de  gagner  plusieurs  qui  sont  encore 
»  faibles  dans  la  foi. 

«  Après  cela  Brentius  le  pria  de  travailler  avec  les  autres  prélats  à  ce  que  la 
»  parole  de  Dieu  fût  avancée  en  France  et  qu'on  y  arrivât  à  un  accord  en  ma- 
»  tière  religieuse,  ou  du  moins,  à  défaut  de  cela,  à  une  paix  de  religion, 
»  comme  en  Allemagne. 

«  Le  cardinal.  —  Si  De  Bèze  et  les  autres  ministres  français  étaient  aussi 
»  modérés  et  aussi  raisonnables  que  vous  autres  théologiens  allemands,  on 
»  pourrait  traiter  avec  eux  et  espérer  une  conciliation;  mais  je  désespère  de 
»  ceux-là;  il  n'y  a  rien  à  faire  avec  eux. 

(C  A  cela  je  dis  que  lui  et  les  siens  devraient  pourtant  conférer  de  nouveau 
»  avec  les  ministres  français,  et  examiner  ce  que,  dans  leur  confession  de  foi 
»  il  y  a  à  approuver  ou  à  blâmer. 

«  Le  cardinal.  —  Certes  je  ne  manquerai  pas  d"y  contribuer,  pour  ma  part. 
9  Si  le  roi  de  Navarre  et  la  reine  mère  convoquent  encore  une  fois  les  prélats, 
»  je  montrerai  que  c'est  à  tort  qu'on  m'accuse  d'être  opposé  à  toute  concession, 
3>  Dans  mes  trois  évêchés,  je  fais  prêcher  l'Évangile,  librement,  connue  par  la 
»  grâce  de  Dieu,  vous  me  l'avez  entendu  prêcher  aujourd'hui  et  hier  ;  je  ne 
«  souffre  plus  dans  mes  évêchés,  qu'on  dise  la  messe,  à  moins  qu'il  n'y  ait  des 
»  communions,  et  je  m'occupe  maintenant  de  supprimer  le  canon  de  la  messe, 
»  en  introduisant  un  rite  dont  je  vous  enverrai  un  exemplaire  après  pâques. 

«  Finalement  Brentius  conjura  encore  une  fois  le  cardinal  de  s'employer  à 
»  faire  cesser  les  persécutions  en  France;  à  quoi  le  cardinal  répondit  :  je  ferai 
»  comme  vous  dites,  et,  de  plus,  je  vous  prie  instamment  de  m'écrire  souvent, 
»  mon  père.  Si,  dans  l'accomplissement  de  mes  fonctions  ecclésiastiques,  vous 
»  remarquez  quelque  chose  qui  vous  déplaise,  veuillez  me  l'écrire  et  m'avertir. 
»  Moi  aussi,  je  vous  écrirai  et  je  vous  reconnaîtrai  toujours  pour  mon  père  en 
»  Christ  ;  Semper  agnoscam  te  uti  patrem  meiim  in  Christo. 

«  Ainsi  se  termina  la  conférence  entre  le  cardinal  et  Brentius.  Plus  tard,  le 
»  cardinal  me  dit,  en  présence  du  duc  de  Guise  :  vous  avez  informé  mon  frère, 
»  qu'en  Allemagne  on  nous  soupçonne  tous  deux  d'avoir  contribué  à  faire  mou- 
»  rir  un  grand  nombre  de  chrétiens  innocents,  sous  les  règnes  de  Henri  et  de 
»  François  II.  Eh  bien!  je  vous  le  jure,  au  nom  de  Dieu,  mon  créateur,  et  en  y 
»  engageant  le  salut  de  mon  âme,  je  ne  suis  coupable  de  la  mort  d'aucun 


—  568  — 

:»  homme  condamné  pour  cause  de  religion.  Ceux  qui  alors  étaient  dans  les 

»  conseils  peuvent  m'en  rendre  témoignage.  Au  contraire,  toutes  les  fois  qu'il 

»  s'agissait  d'affaires  criminelles  en  matière  de  religion,  je  disais  au  roi  Henri, 

>  ou  au  roi  François  II  que  ce  n'était  pas  de  mon  ministère  ;  que  cela  regar- 

»  dait  le  pouvoir  séculier;  et  je  m'en  allais. 
«  Puis,  se  tournant  vers  Brentius,  il  répéta  ces  protestations  en  latin.  11 

»  ajouta  :  Quoique  le  président  du  Bourg  fût  dans  les  ordres,  j'ai  prié  le  roi  de 

»  l'épargner.  C'est  un  homme  instruit,  disais-je,  etc.,  etc. 

«  Le  duc  de  Guise   de  même,  avec  de  grands  sermens,  affirma  qu'il  était 

»  innocent  de  la  mort  de  ceux  qu'on  avait  condamnés  pour  cause  de  leur  foi. 

»  On  a  souvent,  ajouta-t-il,  cherché  à  nous  tuer,  le  cardinal  et  moi,  soit  à  coups 

»  de  feu,  soit  par  l'épée,  soit  par  le  poison,  et  bien  que  les  coupables  fussent 

»  arrêtés,  je  ne  me  suis  jamais  mêlé  de  leur  punition. 
«  Moi.  —  J'éprouve  pour  l'amour  de  vous  une  grande  satisfaction  à  vous  en- 

»  tendre  parler  de  la  sorte;  et,  si  vous  le  souhaitez,  je  ferai  part  de  vos  décla- 

»  rations  à  nos  amis,  en  Allemagne. 

«  Tous  deux  me  prièrent  de  le  faire.  De  mon  côté,  je  les  conjurai  itérative- 

»  ment  de  ne  pas  persécuter  les  pauvres  chrétiens  de  France.  Dieu  ne  laisse- 

»  rait  pas  s?ns  châtimenl,  dis-je,  un  pareil  péché. 

«  Ils  me  donnèrent  alors  la  main,  le  cardinal  et  le  duc  de  Guise,  promettant 

»  sur  leur  foi  de  princes  et  sur  le  salut  de  leur  âme,  de  ne  persécuter  ni  ouver- 
»  tement,  ni  en  secret  les  partisans  de  la  nouvelle  doctrine. 

«  Je  répondis  :  notre  Dieu,    père  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  veuille 
»  vous  maintenir  dans  ces  sentimens  et  vous  confirmer  'dans  les  résolutions  que 

»  vous  exprimez  ! 

«  Ensuite  le  duc  de  Guise  parla  au  cardinal  de  ce  que  je  lui  avais  dit  hier  du 
»  grand  nombre  d'opinions  différentes  parmi  les  ordres  religieux  du  papisme  et 
»  des  cinq  espèces  de  messes.  Le  cardinal  convint  qu'il  en  était  ainsi,  et  finit 
»  par  ces  mots  :  que  dirai-je?  notre  église  romaine  est  pleine  de  supersti- 
j>  tions. 
«  Ainsi  se  termina  noire  conversation  du  17  février. 

«  18  février.  —  De  très  bonne  heure,  le  duc  de  Guise  m'envoya  son  homme 
»  d'affaires  Bascalon.  Il  me  fit  dire  qu'il  avait,  ainsi  que  son  frère,  oublié  hier 
))  de  me  parler  de  deux  objets,  et  que  l'après-midi  étant  fixée  pour  le  départ, 
»  ils  viendraient  m'en  entretenir  dans  la  matinée.  Ils  désiraient,  dit  Rascalon, 
»  me  demander  si  je  ne  serais  pas  d'avis  que  le  cardinal  s'employât,  avec 
»  l'empereur  et  le  pape,  à  organiser  en  Allemagne,  dans  une  ville  située  com- 
»  modément  pour  ceux  de  la  confession  d'Augsbourg,  une  conférence  amicale 
»  entre  des  représentans  autorisés  du  catholicisme  et  du  luthéranisme,  à  l'effet 
»  d'aviser  à  une  entente  chrétienne.  Une  fois  l'accord  établi  avec  les  Luthériens 
»  d'Allemagne,  dit-il,  les  anglais,  les  écossais,  les  religionnaires  français  etpo- 
»  lonais  suivraient,  sans  doute  ;  car  l'exemple  de  l'Allemagne  leur  impose,  et 
»  le  mal  cesserait.  En  second  lieu,  les  Guises  me  priaient  d'écrire  au  roi  de 
»  Navarre  que,  cousins  et  anciennes  connaissances,  le  duc  et  moi,  nous  nous 
»  sommes  donné  rendez-vous  à  Saverne  pour  nous  revoir;  que  là  nous  en 
D  sommes  venus  à  parler  d'affaires  de  religion  ;  que  les  Guises  sont  disposés  à 


—  569  ~ 

»  un  arrangement,  et  qu'à  une  nouvelle  cojiférence,  le  cardinal  prouverait  cer- 
»  tainement  qu'il  n'entend  pas  jouer  la  comédie. 

€  Je  répondis  à  Rascalon  que  je  réfléchirais  à  ces  deux  demandes  et  que  j'i- 
s  rais  en  parler  à  son  maître  et  au  cardinal,  à  l'heure  qui  leur  conviendrait. 

«  A  huit  heures,  le  cardinal  et  le  duc  entrèrent  chez  moi.  Le  cardinal  déve- 
»  loppa  avec  beaucoup  d'éloquence  le  projet  d'un  colloque  à  tenir  en  Allema- 
))  gne,  et  me  demanda  si  je  pensais  que  les  princes  de  la  confession  d'Augs- 
»  bourg  y  prêteraient  la  main.  Je  répondis  qu'ils  le  feraient  certainement  si 
»  l'empereur  le  leur  demandait,  quoique,  à  vrai  dire,  ajoutai-je,  jusqu'à  pré- 
»  sent,  ces  sortes  de  conférences  aient  malheureusement  produit  peu  de  fruits. 

j  Enfin  le  cardinal  me  pria  de  communiquer  son  projet  aux  princes  de  la 
»  confession  d'Augsbourg;  car,  ajouta-t-il,  s'il  n'y  a  pas  de  refus  de  ce  côté, 
»  l'empereur  et  le  pape  consentiront  à  une  conférence  ;  j'ai  mes  raisons  pour  le 
»  croire  ;  je  suis  bien  informé.  Si  au  contraire  les  décisions  du  concile  de 
»  Trente  prévalaient,  il  serait  fort  à  craindre  qu'on  ne  vînt  aux  armes. 

«  Sur  cela,  je  lui  demandai  de  me  faire  savoir  exactement  dans  quels  termes 
»  il  voudrait  que  j'écrivisse  aux  princes  Allemands,  d'un  côté,  et  de  l'autre. 
»  d'après  la  seconde  communication  de  Rascalon,  au  roi  de  Navarre;  de  peur, 
»  ajoutai-je,  que  je  ne  dise  trop  ou  trop  peu,  en  votre  nom.  Ils  me  promirent 
»  de  m'envoyer  Rascalon  à  Stuttgart,  pour  s'accorder  avec  moi,  à  ce  sujet,  le 
»  temps  étant  trop  court  pour  rien  dresser  par  écrit,  avant  le  départ. 

«  C'est  ainsi  que  nous  quittâmes  Saverne,  le  18  février,  après  midi,  les  quatre 
»  frères  de  la  maison  de  Guise  et  moi.  Avant  de  nous  séparer,  tous  les  quatre, 
»  en  me  donnant  la  main,  me  promirent,  encore  une  fois,  de  n'agir  ni  en  enne- 
y>  mis,  ni  en  persécuteurs,  envers  ceux  qui,  disaient-ils,  ont  adopté  la  nouvelle 
»  doctrine  et  quitté  le  papisme,  mais  de  contribuer,  selon  leur  pouvoir,  à  l'é" 
»  tablissement  d'une  concorde  chrétienne. 

Nota.  —  «  Réjoui  des  bonnes  paroles  qu'on  lui  donnait,  le  duc  de  Wurtem- 
»  berg  rédigea  immédiatement  la  relation  ci-dessus  et  en  fit  part  à  ses  amis  ; 
»  mais  le  LandgraVe  de  Hessen  jugea,  dès  l'abord,  même  avant  de  connaître 
3>  l'horrible  massacre  de  Vassy,  que  la  conduite  des  Guise  à  Saverne  n'avait  été 
»  que  tromperie.  Arrivé,  plus  tard,  lui-même,  à  cette  conviction,  le  loyal  duc 
»  Christophe  écrivit  au  bas  de  sa  relation  :  Hélas!  on  voit  maintenant  com- 
y>  ment  ils  ont  tenu  ces  promesses!!  Deus.sit  ultor  doli  et  perjlrii,  cujus 

»  NAMQUE  RES  AGITUR  !  ! 

Un  document  du  xvi'  siècle  (Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  20  783,  f  37.  -  -  Bull, 
de  la  Soc.  d'Hist.  du  protest.  fr.  ann.  29,  p.  H9)  ajoute  le  détail  suivant  : 

«  Le  duc  de  Wurtemberg,  pour  s'assurer  de  la  vérité,  envoya  homme  exprès 
»  sur  le  lieu  pour  se  enquérir  au  vray  de  tout  ce  qui  s'estoit  passé  ;  lequel 
»  estant  de  retour  et  aïant  fait  entendre  la  cruauté  dudict  de  Guyse  contre  les  pro- 
»  testans  de  Vassy,  il  en  fut  si  fort  irrité,  qu'd  dist  qu'il  se  vengeroit  ;  et  de 
»  faict,  si  ledict  duc  de  Guyse  ne  fùst  mort,  il  délibéroit  de  faire  divulguer  son 
»  hypocrisie,  et  luy  offrir  le  combat,  pour  le  tort  qui  luy  avoit  faict.  Ce  qu'ayant 
»  esté  entendu  par  le  duc  de  Guyse,iascha  par  tous  moïens  de  l'apaiser,  et  pour 


-  570  — 

»  cest  effect  envoya  devers  le  duc  de  Wurtemberg  un  nommé  Rascalon,  son  va- 
»  let  de  chambre,  qui  autrefoys  avoit  esté  nourry  en  Allemagne,  par  lequel  il 
»  luy  fit  présent  de  quelques  bons  chiens  courans,  le  voulant  par  cela  gratif- 
»  fier,  pour  ce  qu'il  aimoit  la  chasse.  Mais  ledit  duc  de  Wurtemberg,  au  lieu 
»  de  les  recepvoir,  les  feit  tuer  en  la  présence  dudit  Rascalon,  qu'il  feit  mettre 
»  en  prison  par  l'espace  de  sept  ou  huit  jours,  au  pain  et  à  l'eau;  et  au  dépar- 
))  tir,  lui  dit  ces  mots  :  va  dire  à  ton  maistre  que  si  je  le  tenois,  je  luy  en  ferois 
»  autant  comme  j'ay  faict  à  ses  chiens.  » 


Agitation  menaçante,  à  Paris,  voyez  : 

1"  Le  sauvage  manifeste,  adressé  par  divers  habitans  de  Paris  au  roi,  à  la 
reine  mère  et  au  conseil  privé,  postérieurement  à  l'édit  du  17  janvier  1562 
(Bull,  de  la  soc.  d'Hist.  du  prot.  fr.  t.  XVII,  p.  534  et  suiv.). 

2°  «  Pour  venir  maintenant  aux  déportements  de  la  ville  et  du  parlement  de 
»  Paris,  il  n'y  eut  pratique  ne  ligue  qui  fust  oubliée  pour  empescher  la  publica- 
»  tion  de  l'édict,  maintenant  sous  ombre  de  certaines  modifications  qu'on  y 
»  voulait  faire,  maintenant  par  oppositions,  quelquefois  aussi  par  menaces 
»  accompagnées  de  pratiques  évidentes.  Mesme  ceux  de  la  religion  allans  et 
»  venans  d'un  bout  de  la  ville  à  autre  avec  une  infinie  multitude,  il  y  avait 
»  certains  garnemens  atitrés  au  coin  des  rues  pour  outrager  les  passans;  ce 
»  qui  contraignait  ceux  de  la  religion  de  se  munir  aussi  de*  leurs  armes  pour 
»  leur  défense  :  et  si  les  défendans  n'eussent  esté  plus  retenus  que  les  assail- 
»  lans,  il  n'y  a  doute  que  pour  lors  la  force  ne  fust  demeurée  à  ceux  de  la  reli- 

»  gion.  La  royne  parmi  ces  troubles  estoit  bien  empeschée craignant  de 

»  décheoir  si  elle  se  déclaroit  d'un  costé  et  d'autre  ou  si  elle  se  lenoit 
»  du  tout  neutre,  et  bien  aise  cependant  que  chacune  des  deux  factions  la  flat- 
»  toit  ;  au  lieu  que  sans  cela  elle  n'eust  eu  bien  afi'aire  à  se  maintenir,  elle  déli- 
»  béra  d'entretenir  les  uns  et  les  autres  le  mieux  qu'elle  pourroit,  inclinant 
»  toutesfois  plustost  vers  le  costé  des  catholiques  romains  comme  estant  les 
«  plus  forts,  pour  finalement  se  déclarer  du  costé  qui  l'emporterait.  »  (De  Bèze, 
Hist.  eccl.,  t.  I,  p.  689,  690). 

3"  Catherine,  dans  son  propre  intérêt  eût  dû,  selon  Throckmorton,  incliner 
plutôt  du  côté  des  réformés  :  «  The  queen  mother  fearing  some  alliance  between 
»  the  king  of  [Navarre,  the  duke  of  Guise,  and  the  constable  at  whose  devo- 
«  tion  divers  great  personnages  wholy  dépend)  reposes  her  trust  in  the  favou- 
)  rers  of  the  protestant  religion.  The  papists  hère  being  the  stronger  party. 


à 


•      ~  571  — 

»  and  maintained  by  the  king  of  spain  and  otlier  great  princes,  it  is  tinae  for 
»  the  queen  to  countenance  the  protestants  and  to  see  that  they  be  not  wea- 
»  kened  in  France.  »  (Throckmorton  to  the  queen.  6  mars  1562.  Galend.  of 
î  State  pap.  foreign.) 


9' 


Résistance  du  parlement  de  Bourgogne. 
(De  Bèze,  hist.  eccL,  t.  III,  p.  391.) 

<  Le  maire  de  Dijon,  assisté  d'un  chanoine  se  disant  syndic  du  clergé,  avait 
ï  obtenu  que  le  parlement,  au  lieu  de  faire  publier  l'édict  de  janvier,  envoye- 
»  roit  deux  conseillers  au  roy  pour  faire  tant  que  la  province  de  Bourgogne 
»  ne  fùst  comprise  en  l'édict.  Cela  luy  estant  octroyé,  et  ayant  sous-main  faict 
»  entendre  à  la  cour,  qu'en  la  ville  de  Dijon  et  aultres  du  duché  de  Bourgogne 
»  il  n'y  avoit  point  de  gens  de  la  religion,  ni  forme  d'assemblée,  combien  qu'en 
»  la  seule  ville  de  Dijon  il  y  eust  plus  de  deux  mille  personnes  requérant  la  pu- 
»  blication  de  l'édict,  il  fut  mandé  par  lettres  du  dernier  de  mars  au  sieur  de 
»  Tavannes,  lieutenant  pour  le  roy,  en  l'absence  du  duc  d'Aumale,  gouverneur, 
»  de  ne  permettre  les  presches  à  Dijon,  ni  aux  villes  de  frontières,  et  par  ainsi 
»  fut  l'édict  de  janvierfrustratoire  pour  la  ville  de  Dijon.  Ce  néantmoins  que 
»  huict  jours  après,  à  sçavoir  le  8  d'avril,  ceulx  de  la  religion  obtindrent  no- 
»  nosbtant  les  troubles  déjà  bien  avancés,  lettres  contraires  et  autres  encore 
»  du  douziesme  dudit  mois,  adressantes  à  la  cour  et  à  Tavannes,  pour  procéder 
»  à  la  publication  et  exécution  de  l'édict,  sous  peine  de  s'en  prendre  à  eux. 
»  Mais  tout  cela  ne  servit  de  rien,  d'autant  que  les  conseillers  de  la  religion  ro- 
»  maine  estoient  en  plus  grand  nombre.  » 


—  572  — 


10» 


Médiation  du  cardinal  de  Chàtillon,  en  1562, 

Le  cardinal  de  Ciiàtillon  à  Catherine  de  Médicis.  7  avril  1562. 
(Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  6  611,  f»  59.) 

«  Madame,  m'estant  retiré  icy  en  mon  abayede  Saint-Benoist,  suyvant  ce  que 
»  je  vous  fis  entendre,  passant  par  Melun,  depuis  deux  jours  ce  porteur  qui  est 
»  à  monsieur  d'Acqs  m'y  est  venu  trouver,  lequel  m'a  dict  que,  ainsi  qu'il 
»  estoit  prest  de  partir  de  la  cour  estant  naguères  audict  Melun,  quand  vous 
))  entendistes  qu'il  venoit  vers  moy,  vous  luy  commandastes  de  me  dire  de  vos- 
»  tre  part  que  je  m'employasse  de  tout  mon  pouvoir  de  conseiller  à  monsieur  le 
»  prince  de  Condé  de  poser  les  armes,  luy  et  tous  ceux  qui  sont  en  sa  compa- 
»  gnie,  qui  a  esté  cause,  qu'aussitost  qncj'ayreçeu  ceste  créance,  j'ai  dépesché 
»  ce  dict  porteur  vers  mondictsieur  le  prince  pour  le  prier  de  permettre  àl'ung  de 
»  mes  frères  de  venir  en  lieu  où  je  peusse  parler  à  luy,afinde  le  tenir  advertyde 
»  quelques  propos  que  j'avois  à  luy  dire.  Ce  qu'ayant  entendu,  il  a  ce  jourd'huy 
«  envoyé  mon  frère  monsieur  Dandelot  jusques  à  Gergeau  où  je  me  suis  trouvé 
»  au  disner  et  n'ay  failly  de  luy  user  de  toutes  les  remonstrances  dont  je  me  suis 
»  peu  adviser  pour  satisfaire  à  vostre  vouloir  et  intention,  afin  de  les  faire  en- 
»  tendre  à  mondict  s' le  prince.  Sur  quoy  il  m'a  dict  que  monsieur  de  Valence 
»  estoit  hier  venu  pour  ce  mesme  effect  vers  mon  dict  s'^  le  prince,  et  que  desjà 
»  il  vous  avoit  fait  entendre  sa  responce  :  ce  qui  me  fait  d'autant  plus  espérer 
»  l'exécution  de  vostre  volonté  que  je  la  voy  autant  désirée  de  leur  costé,  ainsi 
»  que  m'a  dict  mon  dict  frère,  qu'il  est  possible  ;  de  sorte  qu'il  ne  me  reste  à 
»  vous  dire,  madame,  sinon  que,  s'il  se  trouvoit  encore  cy  après  qnelque  diffi- 
»  culte  en  ce  faict,  et  que  vous  pensez  que  j'y  puisse  faire  service  au  roy  et  à 
»  vous,  comme  je  n'ay  et  n'auray  jamais  autre  volonté,  je  me  réputeray  très 
»  heureux,  si  vous  le  me  commandez,  de  m'employer  davantage  en  aussi  bonne 
»  œuvre,  tant  pour  obéyr  à  vos  commandemens,  que  pour  l'affection  que  j'ay 
»  et  doy  avoir  au  bien  de  vostre  repos  et  de  ce  royaume  et  de  la  tranquiUité 
»  publique,  ensemble  d'obvier,  en  tout  ce  qui  me  sera  possible,  à  la  calamité  et 
-»  désolation  qui  peut  provenir  par  telles  voyes  et  déportemens,  si  la  bonté  de 
»  Dieu  n'y  pourveoit. 


^  573  — 


Le  cardinal  de  Châtillon  à  Catherine  de  Médicis.  15  avril  1562. 
(Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  6  611,  1°  61.) 

«  Madame,  ayant  reçeu  la  lettre  qu'il  y  a  pieu  à  Vostre  Majesté  m'eserire,  je 
■>■>  l'ay  incontinent  envoyée  à  monsieur  l'amyral,  mon  frère,  à  ce  qu'il  peust 
»  mieux  par  icelle  entendre  vostre  intention,  qui  l'ha  communiquée  à  monsieur 
»  le  prince  de  Condé,  lequel  l'ha  à  ce  matin  envoyé  me  trouver  en  ce  lieu,  où 
»  je  suis  venu  exprez,  pour  y  faire  response.  Qui  est  telle  que  ledict  sieur  prince 
»  n'ha  autre  désir  ny  affection  que  de  vous  obéyr  et  exécuter  vos  commande- 
»  mens,  et  est  prest  de  poser  les  armes,  aux  conditions  qu'il  manda  liyer  par 
»  M.  de  Gonnort,  lesquelles  luy  mesme  et  ceulx  qui  ont  esté  jusques  icy  envoyez 
»  de  la  part  du  roy  vers  ledict  s'  prince  ont  trouvé  si  raisonnables,  qu'ils  ont 
»  dict  que'ceulx  qui  les  refuseroient  se  mectroient  en  leur  tort.  Vous  suppliant 
»  au  reste  très  humblement  madame,  vouloir  croire  que  j'ay  et  auray  toute 
»  ma  vie  telle  dévotion  à  vostre  service  et  au  bien  du  repos  public,  que  je  ne 
»  fauldray  de  faire  tous  les  bons  offices  et  cercher  tous  les  moyens  qu'il  me  sera 
»  possible  pour  essayer  d'apaiser  ces  troubles,  dont  il  ne  peut  provenir  que  ca- 
»  lamité  en  ce  royaume,  ainsi  que  j'ay  donné  charge  à  Sarragosse,  présent  por- 
■»  teur,  vous  dire  plus  amplement,  s'il  plaist  à  Vostre  Majesté  l'ouyr.  Qui  me 
»  gardera  de  vous  ennuyer  de  plus  longue  lettre,  etc.,  etc. 


Le  cardinal  de  Châtillon  à  Catherine  de  Médicis.  20  avril  1562. 
(Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  6  611,  f»  64.) 

«  Madame,  aussitôt  que  j'ay  reçeu  la  lettre  qu'il  a  pieu  à  Vostre  Majesté  m'escryre 
D  par  le  prothonotaire  de  Sarragosse,  je  n'ay  failly  de  l'envoyer  à  monsieur  le 
»  prince  de  Condé,  le  priant  de  permettre  à  l'un  de  mes  frères  de  venir  à  Jargeau 
»  où  j'avais  résolu  de  me  trouver  pour  faire  ce  qu'il  vous  plaist  me  commander. 


_  574  — 

»  Maisayantleditsieurprinceveu  par  laditelettreque  vous  desirez  entendre  quelle 
»  seureté  il  demandoit  pour  laisser  les  armes,  il  a  voulu  prendre  ceste  peine  de 
»  me  venir  faire  luy  mesme  sa  response  en  ce  lieu,  oîi  je  n'ay  rien  oblié  de  ce 
»  que  j'ay  peu  et  sçeu  juger  propre  et  nécessaire  pour  l'effect  de  vostre  inten- 
»  tion,  laquelle,  comme  chacun  peult  veoir,  ne  tend  qu'à  la  tranquillité  de  tout 
»  ce  royaume.  A  quoy  il  m'a  respondu  pour  résolution  qu'il  ne  désire  plus  grande 
»  seureté  pour  luy  et  pour  toute  sa  compaignie  que  de  veoir  le  roy  et  vous  en 
»  pleine  et  entière  liberté,  et  qu'après  cela,  au  moindre  commandement  de  voz 
»  inajestez,  il  fera  clairement  et  promptement  veoir  à  ung  chacun  qu'autre  occa- 
»  sion  ne  luy  a  mis' les  armes  à  la  main  que  le  très  exprès  et  urgent  service  du 
»  roy,  et  vostre.  Voylà,  madame,  tout  ce  que  j'ay  peu  tirer  de  luy,  quelque 
»  vive  remontrance  que  je  luy  aye  sçeu  faire  de  l'extrême  ennuy  que  vous  portez 
»  de  veoir  ces  troubles,  et  du  désir  que  vos  subjectz  doibvent  avoir  d'y  procu- 
»  curer  bientost  quelque  bonne  fin.  Et  pour  ce  que  en  cela  je  ne  me  vouldrois 
»  laisser  surmonter  au  plus  affectionné  et  obligé  de  voz  serviteurs,  je  vous  di- 
»  roy  pour  la  fin,  madame,  que  je  m'estimeroy  bien  heureux  si  là  ou  ailleurs 
»  mon  labeur,  mon  bien  et  ma  vie  vous  peuvent  apporter  le  contentement  que 
»  vous  desirez,  etc.,  etc. 


Le  cardinal  de  Châtillon  à  Catherine  de  Médicis.  22  mai  15625 
(Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  66H  f=  67.) 

«  Madame,  ayant  veu  l'instance  et  commandement  qu'il  a  pieu  à  Vostre 
»  Majesté  me  faire  par  la  lettre  que  m'a  apporté  de  vostre  part  à  Lisle  où  j'es- 
»  tois  logé  M.  le  comte  de  Villars,  pour  m'employer  pardeçà  à  la  pacification 
»  des  troubles  qui  sont  en  ce  royaume,  et  la  prière  que  à  ceste  fin  ledit  sieur 
»  conte  et  avecque  luy  M.  de  Vieilleville  me  feirent  audict  lieu  de  Lisle,  de  ve- 
»  nir  en  ceste  ville,  je  n'ay  voulu  faillir  de  ce  faire,  y  estant  pour  cest  effect 
»  arrivé,  ce  matin,  où  il  ne  me  déplaist  sinon  que  les  choses  ne  se  soient  pas 
»  accomodées  selon  que  je  puis  cognoistre  que  vostre  dite  Majesté  le  désire, 
»  pour  la  dévotion  et  grand  désir  que  j'ay  de  vous  y  pouvoir  servir  de  mesme 
»  intention  que  vous  en  avez  à  laquelle  Vostre  Majesté  se  peut  asseurer,  ma- 
»  dame,  que  je  respondray  tousjours  en  ce  qu'il  me  sera  possible  de  toute  l'o- 
»  béissance  et  service  que  vous  pouvez  vous  promettre  de  moy,  et  tant  en  cela 
»  qu'en  tout  autre  endroit.  Mais  comme  vous  pourrez  entendre  par  eulx,  leur 
»  response  estoit  dès  hier  faicte  et  tellement  conclue,  ainsi  qu'ils  la  vous 
»  apportent,  que,  à  mon  grand  regret,  je  ne  l'ay  peu  faire  aucunement  changer, 
9  vous  suppliant,  madame,  de  vouloir  croire  que  je  m'estimeray  tousjours  très 


—  575  — 

»  heureux  qu'il  vous  plaise  me  donner  autant  de  moyen  de  vous  tesmoigner  par 
»  les  effectz  la  servitude  que  je  vous  veulx  rendre,  comme  j'en  ay  de  volonté, 
»  dont  m'attendant  que  par  lesdits  sieurs  conte  de  Villars  et  s"'  de  Vieille- 
»  ville  vous  serez  suffisamment  inforjjiée,  je  m'en  remettray  sur  eux,  etc.,  etc.  » 


Le  cardinal  de  Châtillon  à  Catherine  de  Médicis.  20  aoiit   156"2. 
(Mém.  de  Coudé,  t.  III,  p.  605  à  607.) 

«  Madame,  m'estant  retiré  en  ma  maison,  suyvant  la  permission  qu'il  avôit 
»  pieu  au  roy,  en  vostre  faveur,  me  donner,  avecques  seureté  pour  mes  per- 
»  sonne  et  biens,  je  n'y  ay  pas  esté  presque  plustost  arrivé,  que,  comme  je  vous 
»  ay  desjà  mandé,  l'on  ne  m'ayt  adverty  de  toutes  partz  où  j'ay  du  bien,  que 
»  l'on  le  me  faisoit  saisir;  et  encores  depuis  quelques  jours  ne  cessent  de  me 
»  venir  advertissemens,  d'un  sur  l'autre,  que  la  cour  de  parlement,  à  la  re- 
»  queste  des  gens  du  roy,  doibvent  décerner  adjournement  personnel  et  prinse 
»  de  corps  contre  moy;  dont  pour  désirer  rien  mieux  que  mes  actions  tant  du 
»  passé  que  celles  qui  peuvent  regarder  l'advenir  fussent  congnues  par  tous  les 
»  gens  de  bien,  je  ne  me  donneroys  pas  beaucoup  de  peyne  ;  et  mesme  con- 
»  gnoissant  que  de  vostre  naturel  vous  estes  tant  juste  et  raisonnable 
»  que  vous  ne  vouldriez  jamais  souffrir  que  une  injustice  fust  faicle  à  ung  de 
»  vos  subjectz  qui  vous  est  si  fidèle  et  affectionné  serviteur  que  vous  sçavez 
»  que  je  l'ay  esté,  comme  je  suis  et  seray  toute  ma  vie,  avecques  ce  que  moy  et 
»  les  miens  nous  sommes  pas  trop  apperçeus  de  la  faveur  qu'il  vous  a  pieu  nous 
ï  porter  jusques  icy,  pour  recepvoir  quelque  mauvais  traicte ment,  à  vostre  sçeu 
})  et  consentement  où  vostre  volunté  et  puissance  seroyent  libres  ;  mais  voyant 
»  que  tout  cela  se  faict  par  la  suscitation  et  menées  de  mes  ennemys,  qui  pour 
»  le  jourd'huy  ne  sont  point  si  petits,  que  chacun  ne  voye  bien  qu'ils  osent 
»  d'entreprendre,  et  comme  tout  ce  royaume  s'en  trouve,  et  vous  mesme,  ma- 
»  dame,  qui  ne  faictes,  sinon  ce  qu'ilz  veulent;  voyant aussy  que  mes  ditz  enne- 
»  mys,  comme  il  est  notoire  à  chacun,  ne  cherchent  rien  tant  que  la  ruyne  de 
»  moy  et  toute  ma  maison,  et  mesmes  qu'il  y  on  a  l'un  d'eux  qui  n'a  point  eu 
»  de  honte  de  se  faire  nommer  pour  l'un  de  mes  principaux  juges,  dans  un 
»  rescript  du  pape,  que  l'on  m'a  dict  qu'il  a  faict  venir  de  Rome  pour  me 
»  faire  mon  procez,  et  dont  le  pape  a  esté  tellement  sollicité  ou  plustost 
»  importuné,  par  l'espace  de  plus  de  six  moys,  que  pendant  les  dictes  soUicita- 
»  trons  et  importunitez  il  luy  est  eschappé  de  dire  que,  encores  qu'il  ne  trou- 
9  vast  bon  ni  raisonnable  de  l'accorder,  il  veoit  bien  qu'il  seroit  à  la  fin  con- 
»  iraint  de  le  bailler  malgré  luy,  comme  il  a  faict,  ainsy  qu'il  me  a  esté  donné 


—  57G  — 

»  à  entendre  par  des  gens  de  bien,  dignes  de  foy  et  telz  estimez  de  Vostre  Ma- 
»  jesté;  comme  aussy  je  croy  bien  que  vous  l'avez  sçeu,  longtemps  a,  et  beau- 
j  coup  de  autres  bons  tours  que  l'on  me  brasse,  non,  comme  je  me  asseure, 
»  sans  vostre  grand  regret;  il  m'a,  à  ceste. cause,  semblé,  madame, _qu'il  sei'oit 
«  plustost  trouvé  bon  devozmajestez,queaultrement,  que  je  me  retirasse,  comme 
»  je  fay,  en  quelque  lieu  de  seureté  et  hors  de  leur  puissance,  pour  préserver 
»  mon  honneur  et  ma  vye  de  leurs  maulvaises  intentions  en  mon  endroyt,  jus- 
»  ques  à  ce,  s'il  est  possible,  que  le  roy  soyt  en  aage  de  commander,  qui  ne 
»  sera  jamais  sitost  que  je  le  désire,  et  que  je  puysse  veoir  Sa  Majesté  juger 
»  de  laquelle  des  deux  partyes  il  aura  esté  plus  fidèlement  servy,  pour  inconti- 
»  nent  m'en  aller  jecter  à  voz  piedz,  et  vous  rendre  compte  de  moy,  ensemble 
»  me  submetre  à  vos  bons  plaisirs  et  commandemens;  vous  rendre  aussi  le 
»  service  que  je  suis  tenu  et  obligé  :  vous  suppliant  toutesfoys  cependant,  ma- 
»  dame,  ne  trouver  maulvaise  ceste  retraicte  que  je  fay,  qui  ne  sera  jamais  en 
»  lieu  où  n'ayez  sur  moy  toute  puissance,  pour  en  estre  servye  et  obéye  autant 
»  que  vous  ayés  jamais  esté  :  car  je  ne  prétendz  rien  moins  que  me  retirer  de 
»  vostre  obéyssance,  mais  seulement  de  la  force  et  violence  de  mesdits  enne- 
»  mys,  ad  ce  qu'ilz  ne  me  puissent  faire  le  mal  qu'ilz  me  pourchassent,  et  aussy 
»  peumexclure  ny  excuser  de  vous  aller  trouver  avant  que  le  roy  soyt  en  aage, 
»  quant  il  vous  plairoit  que  je  le  feisse  ainsi  ;  nioyennant  aussy  qu'il  vous  pleust 
»  me  donner  telle  seureté  de  mesditz  ennemys,  qu'ilz  ne  sçeussent  mettre  à  exé- 
»  cution  contre  moy,  la  maulvaise  volonté  qu'ilz  me  portent;  et  ce  qui  m'adonne 
»  encores  du  tout  plus  grand  argument  et  corayge  de  prendre  ce  party,  et  en 
»  croire  le  conseil  que  mes  amys  me  donnent,  c'est  madame,  l'exemple  que  j'ay 
»  veu  de  M.  et  madame  de  Crussol,  lesquelz,  quelque  près  qu'ilz  feussent  de 
»  Vostre  Majesté,  vous  ne  avez  peu  garantir  du  pouvoyr  de  violence  de  leurs  enne- 
»  mys,  s'ilz  ne  se  fussent  eslongnez  et  absentez  comme  ilz  sont;  ce  que  ne  je  fay 
»  point  de  double  que  vous  ne  eussiez  consenty  ny  permis,  si  vous  les  eussiez 
»  peu  tenir  près  de  vostre  personne  sans  danger.  Or,  les  occasions  pour  les- 
»  quelles  on  leur  en  veult  comme  aux  aultres,  il  n'est  besoin  que  je  le  vous 
»  dyse,  pour  ce  que  on  sçayt  assez  et  qu'elles  vous  seront  ung  jour  et  au  roy 
»  encores  plus  manifestes,  qu'elles  ne  sont.  Dieu  aydant,  lequel  sur  ce  je  sup- 
»  plieray  mettre  Voz  Majectez  en  voz  premières  libertez,  ad  ce  que  lors,  si  plus- 
»  tost  ne  peult  estre,  et  Dieu  me  préserve  la  vie  jusques-là,  je  puisse  joyr  de 
î  l'heur  et  bien  de  voz  présences  ;  et  après  avoir  présenté  mes  plus  que  très 
»  humbles  recommandations  à  vostre  bonne  grâce,  qu'ils  vous  doinct,  madame, 
»  en  très  parfecte  santé,  plus  que  très  heureuse  et  très  longue  vie.  De  Chastil- 
ï>  Ion,  ce  XX°  jour  d'août  1562. 


rn 


iOo 


Lettre  royale,  du  22  août  1562. 
(Archiv.  nat.  de  France,  I.  969.) 

«  Charles,  par   la  grâce  de  Dieu,  roy  de  France,  à  tous  ceulx  qui  ces  pré- 

»  sentes  lettres  verront,  salut.  —  Gomme  pour  ayder  à  pacifilcr  les  troubles 

»  qui  de  présent  sont  en  nostre  royaulme,  nous  ayons  ci-devant  commandé  à 

»  plusieurs  grand  seigneurs  de  eulx  transporter  en  nostre  ville  d'Orléans,  mes- 

»  mementà  nostre  très  cheret  bien  amé  cousin  le  cardinal  de  Chastillon,  en  la- 

»  quelle  il  a  faict  séjour  jusques  à  ce  que  l'espérance  luy   ayt  défailly,  de  pou- 

»  voir  paciffier  lesdicls  troubles,  et  après,  de  nostre  congé  et  permission,  s'est 

»  retiré  en  sa  maison,  et  soit  ainsy  que  soubz  prétexte  des  arrêts  donnez  en 

s  nostre  cour  de  parlement  de  Paris  par  lesquelz  il  a  esté  ordonné  que  les  biens 

»  et  bénéfices  de  ceulx  qui  sont  suspectz  de    favoriser  ceux  qui  se  sont  esle- 

»  vez,  en  armes  pour  le  faict  de  la  nouvelle  religion,  nostre  procureur  général 

».  en  icelle,  non  adverty  des  causes  et  raisons  pour  lesquelles  nostre  cousin  a 

»  faict  séjour  en  ladite  ville  d'Orléans  et  que  ce  fùst  par  nostre  commandement 

»  et  pour  nostre  service,  auroit  fait  saisir  partie  du  bien  de  nostre  dit  cousin 

»  le  cardinal  de  Chastillon,  et  veult  faire  saisir  le  reste  ;  nous  à  ces  causes,  ne 

»  voulons  que  ce  que  nostre  dict  cousin  a  faict  pour  nostre  commandement  et 

»  de  laroyne  nostre  très  chère  dame  et  mère,pour  la  paciffication  desdits  troubles 

»  et  bien  de  nostre   royaume  et  nostre  service  luy  apporte  tel  préjudice  et 

»  dommage,  avons  déclaré  et  déclarons  que  nostre  dit  cousin  le  cardinal  de 

»  Chastillon  par  nostre  commandement  exprès  s'est  transporté  en  nostre  dite 

»  ville   d'Orléans,  et  y  a  faict  séjour  et  que  en  ce  il  nous  a  fait  service  très 

»  agréable  duquel  nous  sommes  contantez  et  nous  contentons,  que  ne  voulons 

»  luy  tourner  à  aucun  préjudice;  ains  voulons  et  nous  plaist  qu'il  se   puisse 

»  retirer  en  ses  maisons,  ainsy  que  bon  luy  semblera,  en  actendant  tel  autre 

5>  commandement  que  luy  vouldrons  faire  pour  nostre  service,  et  que  en  la 

»  jouissance  de  son  bien  et  de  ses  bénéfices  ne  luy  soit  donné  aucun  trouble 

s  et  empêchement,  et  que,  si  aucun  trouble  luy  estoit   donné  en   iceulx  par 

»  saisye  ou  aultremeni,  il  luy  soit  levé  et  esté,  et  lequel  par  ces  prétextes  nous 

,  y>  avons  levé  et  osté,  levons  et  estons,  de  nostre  pleine  puissance  et  autorité 

»  royale,  imposant,  sur  ce,  silence  perpétuel  à  nostre  procureur  général  et  à  tous 

-»  aultres,  si  donnons  en  mandement,  etc.,  etc.  —  Donné  au  camp  de  Lazenay 

»  près  de  IJourges,  le  X-MI^jour  d'août,  l'an  de  grâce  156!2,  et  de  nostre  règne 

>  le  deuxiesme.  > 

Il  37 


—  578 


II 


Il  y  a  loin  de  la  médiation  officieuse  du  cardinal  de  Châtillon,  dans  les  cir- 
constances dont  il  s'agit,  au  rôle  plus  qu'étrange  que  joua,  en  1562,  le  cardi- 
nal de  Lorraine,  vis-à-vis  de  la  belle-mère  du  prince  de  Condé,  pour  tenter, 
entre  ce  prince  et  les  GuiSe,  un  rapprochement  d'ailleurs  impossible. 

Laissons  parler,  sur  ce  point,  un  document  contemporain.  (Bibl.  nat.  mss.  f. 
fr.  vol.  20  783,  f  37.  —  Bull,  de  la  soc.  de  l'hist.  du  prot.  fr.  ann.  29, 
p.  116,  117)  : 

«  Au  temps  que  M.  le  prince  se  retira  à  Orléans,  le  cardinal  de  Lorraine, 
»  estant  à  Soissons,  envoia  un  gentilhomme  à  Magdeleine  de  Mailly,  dame  de 
»  Roye,  estant  pour  lors  à  Muret,  distant  de  cinq  lieues,  pour  la  prier  luy  per- 
»  mettre  de  luy  communiquer  quelque  affaire  de  conséquence,  ce  que  luy  ayant 
»  accordé,  s'achemina  vers  elle,  à  laquelle  il  fist  autant  d'accueil  et  de  révé- 
»  rence  comme  à  sa  propre  mère,  la  congratulant  et  exaltant  de  toutes  louan- 
»  ges,  qu'il  disoit  excéder  en  vertus  les  plus  douées  de  ce  royaulme.  Et  après 
»  la  supplia  de  se  vouloir  emploier  pour  persuader  à  M.  le  prince  de  Condé  de 
»  quicter  son  entreprise  et  de  faire  alliance  et  confédération  perpétuelle  avec 
»  M.  de  Guise  son  frère.  Et  pour  confirmation  d'icelle,  il  accorderoit  le  ma- 
»  riage  qu'il  adviseroit  de  leurs  enfans.  A  quoy  la  dame  de  Roye  fit  response 
»  que,  si  ledict  s""  de  Guise  se  voulait  départir  de  son  entreprise,  pour  ne  faire 
3>  la  guerre  aux  protestans,  elle  y  emploieroit  tous  ses  moyens  et  authorilé  ; 
3»  aultrement  qu'elle  aymeroit  mieux  que  M.  le  prince  fùst  dix  pieds  sous  terre 
»  que  quicter  la  religion  pour  s'allier  aux  ennemis  d'icelle;  ce  que  le  cardinal 
»  commença  à  signifier  les  matières,  poursuivant  l'alliance  et  que,  icelle  faicte, 
»  l'on  adviseroit  quelque  bon  moyen  pour  appaiser  le  différend  de  la  religion.  Et 
ï  pour  la  mieux  gaigner,  commença  de  ce  chef  à  redoubler  ses  louanges  plus 
»  que  auparavant  ;  à  quoy  ladite  dame  fit  response  qu'il  n'avoit  tousjours  eu  si 
»  bonne  opinion  d'elle,  lors  mesmement  qu'il  la  feist  constituer  prisonnière  à 
»  Saint-Germain-en-Laye,  lorsque  le  prince  estoit  à  Orléans,  pour  le  soupçon 
»  qu'il  avOit  contre  elle  d'avoir  sçeu  l'entreprise  d'Amboyse.  A  quoy  le  cardi- 
»  nal  dit  que  les  chrestiens  doibvent  oublier  les  injures  passées  ;  à  quoy  elle 
»  répliqua  qu'elle  avoit  oublié  véritablement,  selon  le  commandement  de  Dieu, 
»  pour  n'en  pourchasser  point  de  vengeance;  mais  que  de  ne  se  souvenir  du 
»  tout,  cela  luy  estoit  impossible,  veu  que  l'affliction  de  la  prison  luy  avoit 
»  engendré  une  goutte  qui  la  réveilloit  toutes  les  nuits.  —  Le  souper  estant 
»  prest  interrompit  leurs  propos,  après  lequel  souper,  ainsi  que  ladite  dame 
»  parloit  à  quelques-uns  et  se  pourmenoit  par  la  salle,  au  veu  et  présence  de 
>  tous  les  serviteurs  tant  de  luy  que  de  ladite  dame,  le  cardinal  parlant  si  haut 


—  579  — 

»  que  ladite  dame  le  pouvoit  entendre,  dit  qu'icelle  dame  estoit  si  sage,  élo- 
»  quente  et  prudente,  qu'il  la  voulait  à  boa  droit  accomparer  à  Salomon  et  il 
»  pourroit  bien  dire  comme  la  royne  de  Saba,  qu'il  en  avoit  plus  connu  que  la 
»  renommée  ne  portait  ;  le  tout  tendant  à  fin  de  la  faire  condescendre  à  sa  dé- 
fi mande.  Mais  la  cognoissant  persévérer  en  sa  résolution,  il  s'en  alla  en  la 
»  court  où  il  la  dénigra  autant  qu'il  l'avoit  louée  en  sa  présence,  comme  depuis 
»  ladite  dame  en  fut  advertie  par  un  grand  seigneur  estant  près  de  la  court.  > 


Ho 


Voici  ce  que  Castelnau  {;mém.  liv.  III,  chap.  viii)  dit  du  prince  de  Condé,  de  l'amiral 
et  des  autres  seigneurs  réunis  à  Orléans,  en  avril  1562  : 

«  Les  seigneurs  et  la  noblesse  protestante  conclurent  que  puisqu'ils  avaient 
))  un  prince  du  sang  pour  leur  chef,  qui  vivroit  et  raourroit  avec  eux,  il  leur 
»  falloit  mettre  le  tout  à  la  fortune  et  au  hasard  de  la  guerre  :  voyant  aussi 
»  qu'ils  avoient  l'admirai,  principal  officier  de  la  couronne,  et  digne  chef  de 
»  parti,  pour  les  bonnes  et  grandes  qualitez  qu'il  avoit  en  luy.  Et  d'autant 
»  qu'il  avoit  quelque  apparence  de  tenir  sa  religion  plus  estroitement  que  nul 
»  autre,  il  tenoit  en  bride,  comme  un  censeur,  les  appétits  immodérez  des 
s  jeunes  seigneurs  et  gentilshommes  protestans,  par  une  certaine  sévérité  qui 
»  lui  estoit  naturelle  et  bienséante.  Et  d'Andelot,  son  frère,  combien  qu'il  n'eûst 
?  pas  tant  d'expérience,  estoit  tenu  néanmoins  fort  vaillant  et  hasardeux,  et 
»  avoit  beaucoup  de  créance  avec  les  soldatz.  Et  pour  le  regard  du  cardinal  de 
»  Chastillon,  leur  frère,  il  avoit  esté  dés  sa  jeunesse  nourry  au  maniement  des 
»  grandes  affaires,  et  estoit  très  grand  courtisan,  qui  aimoit  et  faisoit  plaisir  et 
»  caresse  à  la  noblesse  :  quant  au  prince  Porcien,  il  estoit  jeune,  prorapt,  vo- 
»  lontaire,  et  toutesfoys  bien  suivi  :  comme  estoient  les  sieurs  de  Rohan  de 
»  P.retagne,  de  Larochefoucault,  de  Genlis,  de  Montgommery,  de  Grammont,  de 
»  Soubise,  de  Mouy,  de  Piennes,  et  plusieurs  autres  seigneurs  auxquels  se 
»  ralliaient  de  toutes  parts  quantité  de  leurs  parens,  amis  et  serviteurs,  tant 
»  capitaines,  soldats  qu'artisans,  et  plusieurs  mesmes  de  la  maison  du  roy  et  de 
»  la  cour  ;  ce  qui  accrut  tellement  le  nombre  des  protestans,qu'ils  eurent  moyen 
»  de  faire  une  armée,  mais  non  pas  telle  que  celle  des  catholiques,  qui  avoient 
»  Je  roy  pour  eux  et  la  plupart  des  villes.  » 


—  580 


(Hub.  Lcngueli  lib.  II,  epistolar.  cpist.  72.  19  avril  1562).    . 

({  Qui  sunt  Aureliœ  videntur  esse  paratiores.  Jàm  eniin  féré  habeiit  ad  qiia 
y>  tuôr  niillia  equitum  oplime  armatorum,  quorum  plerique  sunt  ex  pnecipuâ 
»  nobilitatc  hujus  regni,  et  inter  eos  sunt  multi  egregii  viri.  Nuper  accersitus 
»  Aui'oliam  fui  spcctator  niodestiaî  eorum,  et  cîim  maximà  voluptate  per  ali- 
»  quot  (lies  sum  conversatus  cùni  pluriniis  qui  otnncs  visi  inihi  sunt  pleni  lidu- 
»  ciâ,  et  hoc  suo  inslituto  nihil  aliud  spectare  quàm  gloriam  Dei.  Si  isti  honii- 
»  nés  interirent,  existimo  quôd  non  soliim  ipsa  virtus,  sed  etiam  virtutis 
»  serainarium  in  hoc  regno  extingueretur.  » 


12" 


«  Summa  maiidatorum  quœ  Darlaco  adolcsccnti  nobili  Beniensi  data  sunt  ab  illus- 
»  tr'no  principe  Ludovico  Borbonio  Condciisi  et  quàm  plurimis  hujus  regni  proceri- 
»  bus  qui  Aureliis  Hbcraudi  christianissiini  régis  Domini  sui  clcmentis  causa  con- 
»  vencrunt.» 

{Arch.  de  Berne,  Franiireich.,  vol.  2,  aun.  1554  bis  1569.  —  Mém.  de  Condé,  t.    Ul, 

p.  270.) 

«  Ut  senatus  araplissimarum  civitatum  Helveticarumquœ  religionem  Evaugeli- 
»  cam  amplexae  sunt  mandata  dent  omnibus  parrochiis  et  pastoribus  suarum  eccle- 
»  siarumutplebemsuaniadprecescohortenturhocpericulosissimo  tempore  apud 
»  Deum  Opt.  Max.  adhibendas  pro  tantis  calamitatibus  et  œrumnis  qute  propter 
»  civile  bellum  quod  jàin  in  galiiâ  exortum  est,  videntur  ecclesiis  gallicanis  ini- 
*  pendcre,  qiiemadmodùmphiniiis  intelligetur  ex  eà  dcciaratione  et  protestatioue 
))  principisCondensis  quas Gallicé  scripta  unà  cùm  hislilteris  et  mandatis  missa 
y>  est.  —  Ut  iideni  senatus  operani  dare  velint  ne  ii  qui  nuper  christianiss.  re- 
»  gem  vi  atquc  arniis  Fontenablœi  cœperunt,  captivumque  primtim  in  arcem 
»  Melunenscmdeinde  J^utetiam  abduxerunt,  subsidinm  ullum  ex  Helvetià  nan- 
»  cisci  possint  adversùs  eumdem  illustriss.  principem  Condensem  caeterosque 


—  581  — 

»  sumnios  hujus  regni  proceros,  ([ui  nuper  ad  régis  regiiiiieque  defensionem 
»  suscipiendani  arma  capere  equitumqui;  lurmas  ovocare  coacti  sunt.  —  Pos- 
»  treniô  ut  si  helvetia?  cohortes  quœ  jàin  al)  illis  regiae  inajest.predonibus  evo- 
»  catae  dicuniur,  exitii  prohiberi  non  possint,  videant  salteni  iidem  amplissimi 
»  senatus,  quid  tùm  cliristianiss.  régi  vicino  et  confœderato  suo,  tùin  etiàm 
»  iiluslriss.  principi  et  regni  proceribus  subsidii  atque  adjumenti  his  extremis 
»  temporibus  mittendum  putent  ne  magiio  lotius  orbis  nialo  et  incommode  ea 
»  tyrannis  in  hoc  florenliss.  regno  inslituatur.  qiuB  vicinis  quoque  regionibus 
»  summam  brevi  tempore  pestem  ac  perniciem  allatura  sit.  —  Et  si  forsitan 
»  dictis  civitatibus  perlatse  fuerint  litera;  sub  régie  nomine  quibus  subsidium 
»  aliquod  petatur,  nôrint  eas  vi,  metu  et  coacti  extortas  à  prajdictis  pnedoni- 
»  bus  et  proptereà  potiùs  contemnandos  quàm  amplectendos  esse  donec  fuerit 
»  cbristianiss.  rexHberatus.  —  Uatum  Aurelite  XII  aprilis,  annoDom'.  MDLXII. 
»  Loys  de  Bourbon.  » 


■13" 


lo  Lcllrps  de  Condé  au  conseil  de  Genève,  du  H  avril  1562  (Arcltiv.  de  Genève, 
n.  1712  et  aux  magistrats  de  Berne,  de  même  date.  (Archiv.  de  Berne.  Frankreich. 
vol.  2,  ann.  1551  bis  15G9). 

2"  Lettres  de  Coligny  et  de  d'Andclot  aux  magistrats  de  Berne  et  à  ceux  de  Zurich,  en 
date  du  20  avril  1562  {Archiv.  de  Berne.  Frankreich.  vol.  2,  ann.  1551  bis  1569 
et  Archiv.  de  Zurich,  série  dedocuments  manuscrits).  Conçues  en  des  termes  iden- 
tiques, ces  lettres  des  deux  frères  portaient  : 

<  Magnifici  spectabiles  et  prœstantissimi  viri  :  etsi  confidimus  vos  ex  su- 
»  perioribus  nostris  illustrissimique  principis  Condensis  literis  ac  mandalis 
»  intellexisse  quemadmodûm  nonnulli  in  hoc  regno  praîpotentes  domini,  col- 
»  Icctis  necessariorum  clientumque  suorum  copiis,  armatisque  hominibus  re- 
»  gem  nostrum  unà  cùm  matre  et  fratre  ceperint,  captivosque  ad  arbitrium 
»  suum  abduxerint,  tamen  operœ  pretium  nos  facturos  patavimus  si  eâ  do  re 
»  iterùm  magnificentiae  vestra;  scriberemus  :  praesertim  cùm  ex  eo  tempore 
»  renuntiatum  nobis  à  cerlis  hominibus  fuerit  abductores  illos  regio  nomine  ac 
>  sigillo  pro  veteri  suà  consuetudine  abutentes,  aliquot  peditum  cohortes  ex 
»  pagis  vestris  evocasse  :  ut  longé  maximam  et  florentissimam  Gallicie  nobili- 
»  tatis  partem  quœ  sese  illorum  conatibus  opponit  alienis  armis  opprimunt  ; 
»  quô  faciliùs  illi  suae  dominandi  cupiditali,  quae  vobis,  ut  speramus,  non 
»  ignota  est,  servire  possint,  quamquàm  aulem  nemo  eorum  qui  hùc  ex  omni- 
»  bus  regni  partibus  ad  nos  convenerunt,  dubitat,  vos  pro  vestriB  clarissimoe- 
»  que  gentis  pristinà  fortitudine  veterique  necessitudine  quam  cùm  christianis- 


—  582  — 

»  simis  regibus  semper  usque  adhùc  sanctissimé  coluistis,  passuros  eam 
»  amplissimo  vestro  nomini  macula  inuri  ut  regiorum  prœdonum  cupiditatis 
)  ministri  dici  possitis  tamen  ea  nostro  hâc  in  parte  officio  deessemus,  neve 
»  rex  noster  reginave  ipsius  mater  propediem  ut  speramus  in  libertatem  majes- 
»  tate  suâ  dignam  x-estituta  nostram  in  vobis  admonendis  atque  cohortandis 
))  negligentiam  accusare  possit,  proptereà  iterîuii  ac  saepiùs  petere  à  magnifi- 
»  centiâ  vestrà  voluimus  ne  spem  illam  quam  ipsorum  majestas  de  amicitiâ  et 
»  confœderatione  vestrâ  summam  concepit,  inanem  esse  patiamini  :  nàm  quod 
»  ad  nos  attinet,  queraadmodùra  et  fortunas  omnes  nostras  vitamque  ac  sangui- 
»  nem  cîim  hoc  flore  nobilitatis  Gallicae  quœ  bîic  incredibili  ardore  ad  nos  per 
»  brevi  spatio  advolavit,  parati  sumus  liberandi  régis  nostri  causa  profundere 
»  ita  nostram  in  omnibus  hujus  regni  amicis  ac  vicinis  appellandis  diligentiam 
»  meriti  desiderari  non  patiemur  :  ut  omnes  intelligant  nos  in  conservandâ 
»  régi  nostro  suâ  coronâ,  valesiœque  gentis  majestate  omne  nostrum  studium 
»  operam  industriamque  consumpsisse  quemadmodiam  vos  quoque,  magnifici 
»  Domini,  speramus  praeclar.um  vestrum  ergà  regem  nostrum  animum  hoc 
»  summo  suo  tempore  demonstraluros  qua?  ea  nos  spes  fallat,  ita  vehementer  à 
»  vobis  petimus  ne  majore  studio  non  possimus.  —  Valete  magnifici  Domini 
»  etspectatissimiviri;  Deus  rempublicam  vestram  universamque  gentem  Helve- 
^  vefium  tueatur.  —  Datas  Aureliis  XX  april.  1562. 

«  Voz  entièrement  bons  et  bien  affectionnez  amys 
«  Chastillon,  Andelot.  » 


ii° 


(De  Lanoiie,  Disc,  polit,  et  milit.,  p.  081  à  684). 

«  Lorsque  ceste  guerre  commença,  les  chefs  et  capitaines  se  ressouvenoyent 
»  cncores  du  bel  ordre  militaire  qui  avoit  esté  pratiqué  en  celles  qui  s'estoyent 
»  faites  sous  le  roy  François,  et  Henri  son  fils,  et  plusieurs  soldats  en  estoienl 
»  aussi  mémoratifs  :  pour  laquelle  occasion  il  semble  que  ceux  qui  prindrent 
»  les  armes  se  contenoyent  aucunement  en  leur  devoir.  Mais  ce  qui  eut  plus  de 
»  force  à  cest  effect  furent  les  continuelles  remonstrances  es  prédications,  où 
»  ils  estoyent  admonestez  de  ne  les  employer  à  l'oppression  du  pauvre  peuple  : 
»  et  puis  le  zèle  de  religion,  dont  la  plus  grand'part  estoyent  menez,  avoit 
»  alors  beaucoup  de  vigueur.  De  manière  que  sans  aucune  contrainte  chacun  se 

bridoit  volontairement  pour  ne  commettre  point  ce  que  souventes  fois  l'hor- 
»  reur  des  supplices  ne  peut  empescher  :  et  principalement  la  noblesse  se 
i  monstra,  à  ce  commencement,  très  digne  du  nom  qu'elle  portoit,  car  mar- 
»  chant  par  la  campagne,  où  la  licence  de  vivre  est  sans  comparaison  plus  grande 


—  583  — 

»  que  dans  les  villes,  elle  ne  pilloit  point  ni  ne  battoit  ses  hostes,  et  se  conten- 
»  toit  de  fort  peu.  Et  les  chefs,  et  la  plus  part  d'icelle,  qui  de  leurs  maisons 
»  avoyent  apporté  quelques  moyens,  payoyent  honnestement .  On  ne  voyoit  point 
»  fuir  personne  des  villages,  ni  n'oyoit-on  ni  cris  ni  plaintes.  Somme,  c'estoit 
»  un  désordre  très-bien  ordonné.  Quand  il  se  commettoit  un  crime  en  quelque 
»  troupe,  on  bannissoit  celui  qui  l'avoit  commis,  ou  on  le  livroit  es  mains  de  la 
»  justice,  et  les  propres  compagnons  n'osoyent  pas  mesme "ouvrir  la  bouche 
»  pour  excuser  le  criminel,  tant  on  avoit  en  détestation  les  meschancetez,  et 
»  estoit-on  amateur  de  vertu.  » 


15° 


D'Aubigné  (hist.  univ.  t.  I,  liv.  III,  chap.  i),  parlant  du  massacre  de  Vassy, 
dit  :  «  Je  laisserai  aux  histoires  expresses  de  telles  pièces  à  conter  les  actes 
»  tragiques  de  ce  jour,  me  contentant  de  dire  que  300  personnes  et  davantage 
»  esteintes,  donnèrent  le  premier  exemple  aux  uns  pour  tuer  impunément,  aux 
»  autres  pour  n'espérer  point  de  miséricorde.  —  Geste  licence  donna  le  branle 
»  àCahors,  à  Sens,  à  Auxerre  et  à  Tours  de  traiter  demesme  façon,  de  mille  à 
»  douze  cens  personnes.  De  ces  derniers  furent  enfermez  300  dans  l'église  de  La 
»  Riche, aux  faubourgs,  affamez  par  trois  jours,  puis  liez  deux  à  deux  et  menez  à 
»  l'escorcherie,  et  sur  un  sable  de  la  rivière,  là  assommez  de  différentes  façons. 
»  Les  petits  enfans  s'y  vendaient  un  escu.  Une  femme  de  beauté  excellente 
»  ayant  fait  pitié  à  celuy  qui  la  menait  tuer,  un  autre  l'entreprit  et  pour  mons- 
»  trer  la  fermeté  de  son  courage,  la  despouilla  nue  et  prit  plaisir  avec  d'autres 
))  à  voir  périr  et  fener  ceste  beauté  par  la  mort.  —  De  quelques  femmes  gros- 
s)  ses,  qui  accouchèrent  en  mourant,  un  enfant  jette  dans  la  rivière  fut  porté 
»  sur  l'eau,  la  main  droite  levée  en  haut,  autant  que  les  veues  le  peurent  con- 
»  duire.  —  Le  président  de  Tours  fut  lié  à  des  saulles  comme  on  va  au  Plessis, 
»  et  lui  fut  vivant  le  ventre  ouvert  pour  cercher  dans  ses  boyaux  de  l'or  qu'ils 
»  y  pensaient  caché.  —  Delà  vindrent  en  moindre,  mais  tous  marquez  d'insi- 
»  gnes  cruautez,  les  massacres  de  Aurillac,  Nemours,  Grenade,  Garcassonne, 
»  Villeneuve  d'Avignon,  Marsilargnes,  Senlis,  Amiens,  Abbeville,  Meaux,  Ghâ- 
»  Ions,  Troyes,  Bar-sur-Seine,  Épernay,  Ne  vers,  Ghastillon-sur-Loire,  Gien, 
»  Moulins,  Yssoudun,  le  Mans,  x\ngers,  Gram,  Blois,  Mer  et  Poitiers.  J'adjous- 
»  terois  bien  Rouen  et  autres  qui  suivent  ce  temps-là,  mais  il  y  faut  une  dis- 
ï  tinction  :  assavoir  que  les  premiers  massacres  donnèrent  cause  à  la  prise  des 
»  armes,  et  cette  prise  d'armes  donna  la  cause  aux  derniers.  Pourtant  tout  ce 
s  qui  est  dit  des  villes  susnommées  ne  se  confond  point  avec  ce  qu'on  trouvera 
»  ci-après  aux  mesmes  villes  parmi  la  ferveur  des  armes.  » 


—  584  — 


46° 


Lettre  du  connétablcà  Coligiiy.  12  mai  15G2. 
(Bibl.  nat.  mss.  f .  IV.  vol.  3  410,  i"  50). 

«  Mon  nepveu,  il  n'y  aura  jamais  temps  ni  saison  où  voz  lettres  ne  me  soient 
»  agréables,  pour  l'assurance  aussy  que  j'ay  que  vous  me  rccongnoistrez  lous- 
))  jours  pour  un  second  père  et  le  plus  cher  oncle  que  jamais  eût  nepveu. 
»  Comme  je  vous  ay  faict  congnoistre  par  des  preuves  et  feray  toujours,  où 
»  j'auray  moyen,  si  vous  ne  me  donnez  grande  occasion  de  faire  aullrement. 
»  Et  là-dessus,  mectant  à  part  toutes  les  remonstrances  que  vous  me  touchez 
»  par  vostre  lettre  du  VI  de  ce  moys  des  choses  passées  et  dont  il  semble  que 
»  vous  soyez  meu  d'avoir  la  défiance  que  vous  démonstrez.  Je  vous  prieray, 
»  mon  nepveu,  croyre  et  tenir  pour  chose  certaine,  que  je  n'ay  pas  le 
»  sang  si  froid  et  la  nature  si  dure  que  je  voulzisse  vcoir  chose  qui  vous 
»  apportast  ni  honte,  ni  dommage,  ayant  tant  cherché  vostre  bien,  vostre 
»  honneur  et  vostre  grandeur,  ainsi  que  vous  pouvez  sçavoir.  Mais  je  vous 
»  confesseray  bien  que  j'ay  eu  et  auray  toute  ma  vye  incroiable  regret  de 
»  penser  qu'il  soit  sorty  tant  de  mal  de  l'ombre  d'une  deffiance  que  l'on  dé- 
»  monstre  avoyr.  A  quoy  je  vous  promectz  bien  que  je  n'ay  point  congnue  que 
»  l'onpensast  de  ce  cousté.  Je  ne  sçay  ne  piège  ne  ratouere  tenduz  ne  prépa- 
»  rez  pour  cela,  quelque  opinion  que  vous  ayez,  laquelle  je  seray  très  ayse 
»  pour  le  bien  et  contentement  que  je  vous  désire  que  vous  veuillez  laisser,  et 
»  au  demeurant  penser  que  j'espère  tant  de  la  grâce  de  Dieu,  à  qui  seul  je 
»  remetz  la  conduite  de  mes  actions  et  le  jugement  de  mes  intentions,  qu'il 
»  fera  congnoistre  à  tout  le  monde  que  je  n'ay  cherché  le  mal  ne  le  déplaisir 
»  de  personne,  mais  la  conservation  de  son  honneur  et  le  bien  et  service  du 
»  roy  et  repoz  de  ce  royaume  dont  je  no  croiray  jamais  que  par  sa  bonté  il 
»  permecte  qu'il  ne  tombe  sur  moy  seul  ni  sur  les  miens  ayans  semblable 
»  bonne  intention,  aucune  hayne  ni  dommage;  mais  bien  craindray-je  que  con- 
»  tinuant  ce  que  je  veoy,  n'advienne  une  ruyne  universelle  à  ce  royaulnie 
3»  dont  ceulx  qui  en  sont  cause,  estant  nostre  Seigneur  juste  juge  comme  il  est, 
»  sentiront  les  premiers  désastres,  et  à  personne  du  monde  n'en  déplaira-il  plus 
»  que  à  moy,  qui  ay  trop  d'ennuy  et  de  douleur  de  vous  veoir  de  la  partye,  ne 
»  pouvant  croyre,  mon  nepveu,  si  vous  considérez  bien  ce  qui  est  desjà  survenu 
»  depuis  ces  troubles  encommencez  et  combien  il  y  a  de  mal  et  de  pitié  par  ce 
»  royaume,  que  cela  ne  vous  perce  jusques  au  sang  et  ne  vous  face  désirer  de 
»  veoir  une  lin  plus  to'st  aujourd'hui  que  demain.  Et  sur  ce,  je  prie  Dieu  vous 
»  donner  ce  que  desirez.  De  Paris,  le  12'  jour  de  mai  I5G2. 


—  585  — 


17» 


Diseiplinii  de  l'armée  de  Condé,  au  cimp  de  Vaussoudun. 
(De  Lanoue,  Disc,  polit,  et  milit.,  p.  682  à  G81.) 

«  Au  camp  de  Vaussoudun  près  Orléans,  où  le  prince  de  Condé  séjourna  près 
»  de  quinze  jours,  l'infanterie  fit  voir  qu'elle  estoit  touchée  du  sentiment  (de  la 
»  vertu).  Elle  estoit  logée  en  campagne,  et  le  nombre  des  enseignes  ne  passoit 
»  trente-six. 

«  Je  remarquay  alors  quatre  ou  cinq  choses  notables.  La  première  est,  qu'en- 
»  tre  ceste  grande  troupe  onn'eûstpas  ouy  un  blasphème  du  nom  de  Dieu.  Car, 
»  lorsque  quelqu'un,  plus  encore  par  coustume  que  par  malice,  s'y  aban- 
»  donnoit,  on  se  courrouçoit  asprement  contre  lui  :  ce  qui  en  réprimoit  beau- 
»  coup.  La  seconde,  on  n'eùst  pas  trouvé  une  paire  de  dez  ni  un  jeu  de  cartes, 
»  en  tous  les  quartiers  :  qui  sont  des  soarces  de  tant  de  querelles  et  de  larcins. 
*  Tiercement,  les  femmes  en  estoient  bannies,  lesquelles  ordinairement  ne 
»  hantent  en  tels  lieux  sinon  pour  servir  à  la  dissolution.  En  quatrième  lieu, 
»  nul  ne  s'escartoit  des  enseignes,  pour  aller  fourrager  :  ains  tous  estoyent 
»  satisfaits  des  vivres  qui  leur  estoyent  distribuez,  ou  du  peu  de  solde  qu'ils 
»  avoyent  leçeu.  Finalement,  au  soir  et  au  matin,  à  l'assiette  et  lèvenient  des 
»  gardes,  les  prières  publiques  se  faisoient  *,  et  le  chant  des  psalmes  retentis- 
»  soit  en  l'air.  Es  quelles  actions  on  remarquoit  de  la  piétié  eu  ceux  qui  n'ont 
»  pas  accoustumé  d'en  avoir  beaucoup  es  guerres.  Et  combien  que  la  justice 
»  fùst  alors  sévèrement  exécutée,  si  est-ct;  que  peu  en  sentirent  la  rigueur, 
»  pour  ce  que  peu  de  desbordements  parurent.  —  Certainement  plusieurs 
»  s'esbahissoyent  de  voir  une  si  belle  disposition  :  et  mesmement,  une  fois, 
î  mon  frère  le  sieur  de  ïéligny  et  moy  en  discourant  «avec  monsieur  l'admirai, 
»  la  prisions  beaucoup.  Sur  ce  il  nous  dit  :  c'est  voiremont  une  belle  chose, 
»  moyennant  qu'elle  dure;  mais  je  crains  que  ces  gens  icy  ne  jettent  toute  leur 
»  bonté  à  la  fois,  et  que,  d'ici  à  deux  mois,  il  ne  leur  sera  demeuré  que  la 
»  malice.  J'ay  commandé  à  l'infanterie  longtemps,  et  laconnois  :  elle  accomplit 
»  souvent  le  proverbe  qui  dit  :  déjeune  hermite, vieux  diable  :  sicelle-cy  y  fault. 
»  nous  ferons  la  croix  à  la  cheminée.  Nous  nous  mismes  à  rire,  sans  y  prenilre 
»  garde  davantage,  jusques  à  ce  que  l'expérience  nous  fit  connoistre  qu'il  avoit 
»  esté  prophète  en  ceci.  » 

1.  Voyez  dans  les  Mémoires  de  Condé  (t.  III,  p.  202  à  266)  le  texte  «  des  prières 
)i  ordinaires  des  soldats  de  l'armée  conduire  par  M.  le  prince  de  Condé,  accommo- 
»  dées  selon  l'occurrence  du  temps.  » 


—  586  — 

Quelques  lignes  de  Brantôme  (éd.  L.  Lîil.  t.  VII,  p.  204)  sur  le  début  des 
relations  de  l'amiral  avec  de  Lanoue,  doivent  trouver  place  ici. 

«  Nos  guerres  civiles,  dit-il,  estant  survenues,  M.  de  Lanouo  se  mit  à  suivre 
»  le  party  de  la  religion,  de  laquelle  il  estoit  grand  zélateur;  et  aussy  que 
»  M.  l'admirai,  voyant  sa  suffisance,  l'avoit  attiré  pour  autant  se  décharger 
»  de  son  grand  faix,  ainsi  qu'il  le  servit  très  bien  et  le  soulagea  fort;  car  dès 
»  lors  il  commençoit  à  estre  bon  capitaine,  d'autant  qu'il  aimoit  fort  à  lire,  et 
»  ce  qu'il  lisoitille  pratiquoit  très  bien  quand  il  estoit  en  sa  charge  de  guerre  ; 
»  et  aussy  qu'il  en  aymoit  fort  à  discourir,  comme  je  l'ay  fort  ouy  attentive- 
»  ment  bien  souvent. 


18° 


Lettre  du  prince  de  Condé  à  Montgommery  et  à  Briquemault,  24  septembre  1562. 
(Archiv.  nat.  de   France,  I.  969). 

«  Messieurs,  j'ay  esté  fort  ayse  d'entendre  les  bonnes  nouvelles  que  vous 
»  m'avez  mandées,  lesquelles  sont  arrivées  fort  à  propos  pour  nous  tenir  adver- 
»  tis  comme  nos  ennemys  font  leur  desseing  de  vous  allez  assaillir,  et  de  faict, 
»  pour  ceste  occasion,  ont  fait  partir  de  Paris  vingt  canons  qui  descendent  par 
»  eau.  Mais  ne  doubtant  point  que  vous  n'ayez  bien  pourveu  à  ce  que  jugerez 
»  estre  nécessaire  pour  leur  respondre,  je  me  reposeray  sur  l'assurance  que 
»  m'en  donnez  et  que  de  tout  temps  j'en  ay.  Et  quant  à  vous,  monsieur  de 
»  Lorges,  quand  je  depeschay  M.  de  Bricquemault  par  dellà,  les  rumeurs 
»  estoient  si  grandes  qu'ils  vouloient  aller  surprendre  Roueii,  et  moytout  incer- 
»  tain  de  la  part  oîi  vous  estiez  pour  soubdain  vous  en  donner  advis,  que  cela 
»  fut  cause  de  le  y  envoier  affin  d'éviter  les  premiers  et  plus  grands  dangers. 
»  Touleffoys  j'estime  que  vous  considérerez  bien  que  la  charge  est  assez  "grande, 
»  puisque  les  affaires  se  présentent  pour  employer  deux  vertueux  gentils- 
»  hommes,  qui  me  faict  vous  prier  et  l'ung  et  l'aultre  de  tellement  unir  voz 
»  volontez  que  mettant  soubz  les  pieds  toutes  difficultés  de  prééminences,  vous 
»  pourvoiez  et  remédiez  à  tout;  car,  puisque  c'est  la  cause  de  Dieu  qui  se  doibt 
»  traicter  en  toute  sincérité  et  droicture,  mon  oppinion  est  que  en  cecy  l'ambi- 
»  tion  ne  doibt  point  trouver  place  entre  nous.  Aussi  veulx-je  bien  croire  que 
»  la  v'ostre  se  rendra  conforme  à  la  myenne.  Au  regard  de  l'infanterie,  je 
»  trouve  bon  que  le  sieur  des  Groses  y  commande,  ce  que  vous  luy  ferez 
»  entendre  de  ma  part,  attendant  que  la  commodité  du  temps  soit  plus  propre 
»  pour  luy  en  escrire,  ensemble  aux  autres  capitaines  et  gentilshommes  qui 
»  sont  auprès  de  vous,  lesquels,  je  m'asseure,  m'en  excuseront  bien  pour  ce 
«.  coup.  Et  en  ce  qui  touche  le  faict  de  messieurs  de  la  ville,  je  vous  prie  vive- 


—  587  — 

»  ment  leur  remonstrer  combien  ilz  desfavoriseroient  noz  affaires,  s'ilz  man- 
»  quoient  à  la  promesse  des  deniers  qu'ilz  m'ont  faicte  ;  leur  représentant  le 
»  devoir  auquel  le  besoing  requiert  qu'ilz  s'emploient  pour  y  satisfaire;  car 
»  c'est  le  principal  nerf  de  toutes  nos  forces,  et  mesmes  que  cela  est  déjà  des- 
»  tiné  comme  vous  sçavez  pour  subvenir  à  ce  que  amène  monsieur  d'Andelot, 
»  qui  n'est  pas  une  petite  compaignie,  dont  aujourd'huy  nous  en  avons  reçeu 
»  nouvelles,  comme  il  se  haste  le  plus  qu'il  peult,  et  l'attendons  en  brief.  Au 
»  demeurant,  monsieur  de  Bricquemault,  vous  avez  très  saigement  faict  de 
»  retenir  les  lettres  que  monsieur  le  cardinal,  mon  frère,  escrivail  à  ceulx  de 
»  Rouen,  affyn  de  leur  coupper  le  chemyn  aux  amorses  auxquelles  ils  se  feus- 
»  sent  peu  laisser  aposter,  cognoissant  bien  que  ce  sont  des  stratagèmes  de  nos 
»  ennemis,  desquels  surtout  il  est  besoing,  messieurs,  que  vous  donniez  garde 
»  et  mesmes  de  trahisons,  parce  que,  oultre  le  bruit  qui  court  icy  qu'ils  pra- 
»  tiquent  des  intel'.igencesavecques  aucunsde  delà,  ils  se  vantentd'avoir  quatre 
e  capitaines  en  mains  qui  leur  feront  de  bons  services,  et  c'est  le  seul  motif  de 
»  l'entreprise  du  voiage;  mais  j'espère  que  sitost  que  aurez  reçeu  ceste  lettre, 
»  vous  sçaurez  bien  rompre  ce  piège,  et  que  nostre  Seigneur  les  fera  eulx 
»  mêmes  tomber  en  la  fosse  où  ilz  tasclient  de  vous  précipiter  et  manifestera 
»  en  brief  l'exaltation  de  sa  gloire,  ce  que  de  très  bon  cœur  je  luy  supplie  de 
»  vous  donner,  messieurs,  ce  que  plus  desirez,  —  Escript  ce  XXIIII"  jour  de 
»  septembre  i562.  —  Vostre  bien  bon  amy  pour  jamais,  Loys  de  Bourbon.  » 


19° 


Le  jeune  duc  de  Nevers  et  le  prince  de  Portion,  son  beau-frère. 

«  Or  avoit  le  seigneur  duc  de  Novers,  fds  de  la  sœur  du  roy  de  Navarre  et 
>  du  prince  de  Condé,  succédé  un  peu  auparavant  à  feu  son  père,  au  gouver- 
»  nement  de  Champagne  :  et  d'autant  qu'il  s'estoit  rangé  notoirement  du  costé 
»  de  la  religion,  avoit  esté  de  bonne  heure  et  durant  le  parlement  de  Paris, 
»  mandé  par  le  prince  par  deux  ou  trois  messagers  pour  le  venir  trouver  avec 
»  le  plus  de  forces  qu'il  pourroit.  Suivant  donc  cest  advertissement,  il  assembla 
3»  bon  nombre  de  seigneurs  et  gentilshon\mes,  en  délibération  de  se  joindre  au 
»  prince  son  oncle,  avec  advertissement  à  ceux  de  Troyes  de  se  tenir  prests  : 
»  et  ne  sçeut  pas  plustost  l'arrivée  du  prince  à  Orléans,  qu'il  luy  envoya  le 
y>  sieur  de  Passy,  auparavant  évesque  de  Novers,  et  lors  ministre  de  la  parole 
»  de  Dieu,  avec  charge  expresse  de  jurer  et  promettre  en  son  nom  audit  sieur 
»  prince,  son  oncle,  qu'il  ne  faudroit  de  le  venir  trouver  incontinent.  Ce  néant- 
»  moins,  par  les  pratiques  et  menées  de  deux  personnages  qui  le  possédoient,à 


—  588  — 

»  sçavoir  Desbordes,  gentilhomme  fort  desbordé  et  qui  avoit  une  aiu-ieime  que- 
»  relie  avec  le  frère  du  sieur  de  Genlis  qui  estoit  à  Orléans,  avec  le  prince, 
»  et  un  sien  secrétaire  nommé  Vigenaire,se  servanttous  deux  des  alléchemens 
»  du  roy  de  Navarre,  l'esbranlèrent  du  commencement  jusques-là  qu'il  promit 
»  d'aller  à  la  cour,  là  où  pou  à  peu  il  fut  destourné  de  son  entreprise,  ce  qui 
»  depuis  luy  causa  la  mort  par  celuy  mesme  qui  en  fut  cause,  comme  il  sera 
»  dit  cy  après.  »  (De  Bèze,  Hist.  ceci.,  t.  II,  p.  370,  371.  —  Voyez  aussi  une 
lettre  adressée  par  De  Bèze  au  jeune  duc  de  Nevers,  eu  mars  1562,  ap.  Baum, 
append.  p.  173.) 

Plus  explicite  que  Th.  De  Bèze,  Nicolas  Pilhou  nous  donne  le  secret  de  la 
déchéance  morale  de  François  de  Clèves,  et  nous  montre  dans  quelle  effroyable 
proportion  les  désordres  de  la  vie  privée  d'un  homme  haut  placé  réagissent 
sur  sa  vie  publique,  en  ternissent  l'éclat  et  la  déslionnorent.  Nous  ne  retrace- 
rons pas  ici  le  tableau  des  désordres  auxquels  les  suppôts  des  Guises  pous- 
sèrent le  duc  de  Nevers,  pour  mieux  l'an-acher  à  la  profession  religieuse  qu'il 
avait  faite  jusqu'alors.  Ouekjucs  lignes  seulement  du  récit  de  Pitliou  donneronl 
suffisamment  la  mesure  de  la  perversité  de  ces  suppôts,  (jui  réussirent  à  domi- 
ner le  jeune  prince,  que  le  duc  de  Guise  appelait  dérisoirement  le  petit  homme. 
(De  Bèze,  Hist.  ceci.,  t.  II,  p.  414).  — «  Ceux  de  l'église  dit  Pithou,  Hist.  eccl.  de 
»  l'églisedeTroyes(Bibl.nat.,mss.  collect.  Dupuy,  vol.  698,  f"  217),  ne  désespé- 
»  roient  pas  encore  du  duc  de  Nevers, d'autant  qu'ils  appercevoient  en  luy  quelque 
»  résidu  de  semence  de  piété  qui  les  nourrissoit  et  entretenoit  toujours  en  quelque 
»  bonne  espérance.  Mais  quelques-uns  de  ceux  qui  estoient  auprès  de  sa  personne 
»  faschez  au  possible  dele  voir  encore  retenu  plus  qu'ils  ne  désiroient  de  quelque 
»  crainte  et  révérence  de  la  religion,  qui  les  empeschoit  d'acheminer  du  tout 
»  leurs  desseins,  résolurent  de  tenter  tous  les  moyens  possibles  pour  enlever 
»  tout  ce  qui  restoit  de  bon  en  luy  et  i-ompre  toutes  les  digues  qui  les  empes- 
»  choient  de  faire  en  son  endroict  les  approches  telles  qu'ils  désiroient.  Espérans 
»  qu'ayant  gaigné  ce  point  sur  luy  et  luy  avoir  fait  quitter  ou  oublier  du  tout 
»  son  devoir  envers  Dieu  et  le  peu  de  piété  qui  lui  restoit,  ilz  le  manieroient 
»  delà  en  advant  plus  à  l'aise  et  le  formeroient  comme  ilz  voudroient;  le  plus 
»  prompt  et  expédient  moyen  qu'ils  purent  choisir  pour  acheminer  la  trame 
»  de  ceste  pernicieuse  résolution  fut  d'user  d'un  meschant  ot    pernicieux  con- 

»  seil Alors  on  commença  à  voir  un  merveilleux  et  estrange  changement 

»  en  l'hostcl  du  duc  de  Nevers  et  une  nouvelle  manière  de  vivre;  car,  au  lieu 
»  de  pseaumes  et  chansons  spirituelles  qui  souloient  résonner  par  tout  son 
»  logis,  on  n'oyoit  plus  retentir  que  des  chansons  impudiques  et  du  fol  amour. 
»  La  Bible  et  tous  autres  livres  de  la  Sainte  Escripture  furent  mis  sous  les 

»  pieds Brief,  on  vit  en  peu  d'heures  Dieu  banni  du  fout  de  ceste  maison  : 

»  et  fut  le  duc  de  Nevers  veillé  et  manié  de  si  près,  qu'oubliant  petit  à  petit 
»  toute  honnesteté  et  son  devoir,  il  se  laissa  tellement  aller  aux  alléchemens  et 
»  suggestions  pernicieuses  de  ces  gens-là,  (|ue  delà  à  peu  de  temps  il  se  trouva 

»  en  un  fort  mauvais  chemin Telle  povreié  ayant  succédé  de  ceste  façon 

»  conduisit  avec  le  temps  le  duc  de  Nevers  à  telle  extrémité  que,  se  souciant 
»  peu  de  la  religion,  il  se  laissa  abastardir  du  tout  et  devint  plus  dissolu  que  de 
»  coustume.  Ce  qui  fut  un  fort  grand  dommage  ;  car,  à  la  vérité,  c'estoit  un 


—  589  — 

»  prince  fort  débonnaire,  d'un  prompt  et  gentil  esprit,  et  qui  proniettoit  beau- 
»  coup,  s'il  ne  se  feust  laissé  gourverner  à  telles  gens.  » 

Quant  au  prince  de  Portion,  quelque  pénible  (jui;  fût  pour  lui  la  perspective 
d'une  lutte  engagée  indirectement  avec  son  beau-frèro,  il  n'en  prit  pas  moins 
la  résolution  d'agir  sans  retard  en  Champagne. 

11  assura  d'abord  le  passage  de  d'Andelot  à  travers  cette  ^'ovince,  réunit  ce 
qu'il  put  de  troupes,  et  chercha  à  porter  secours,  çà  et  là,  aux  réformés. 

Les  diverses  phases  de  l'histoire  de  ceux-ci,  dans  la  vaste  étendue  de  la  Cham- 
pagne et  de  la  Brie,  au  xW^  siècle,'est  empreinte  d'un  intérêt  particulier.  Nous 
ne  prétendons  même  pas  l'esquisser  ici.  11  nous  suffira  de  signaler  les  efforts 
spéciaux  auxquels  se  livra  Antoine  de  Croy  'en  faveur  de  ceux  des  habitans  de 
Troyes  qui  comptaient  sur  lui  comme  sur  un  libérateur.  Peu  s'en  fallût  qu'il  ne 
pénétrât  dans  cette  ville  et  qu'il  n'y  accomplît  la  délivrance  de  ses  coreligion- 
naires *.  Son  entreprise  n'échoua  qu'à  raison  du  peu  de  forces  dont  il  pouvait 
disposer. 

A  la  suite  de  divers  mouvemens  opérés  dans  la  contrée  avec  une  persévérance 
et  une  énergie  qui  no  demeurèrent  pas  toujours  sans  succès,  Antoine  de  Croy 
se  replia  en  août  156^,  sur  l'une  des  extrémités  delà  Champagne.  «  M.  le  prince 
»  de  Porfien,  écrivait  Hotnian  le  8  de  ce  mois^,  est  avec  douze  cents  chevaux  et 
»  douze  enseignes  de  gens  de  pied  qui  s'assemblent  des  pais  de  Champagne,  de 
»  Rethelois  et  de  Lorraine.  »  Le  30,  il  ajoutait-*  :  «  Le  prince  de  Portien  est  en 
»  la  Champagne  ou  bien  près,  avec  six  cents  chevaux  et  deux  mil  hommes  de 
»  pied  conduitz  par  le  capitaine  Béthune,  et  croy  ([u'ils  tiennent  maintenant 
»  un  chasteau  nommé  Rocqueroy,  où  il  y  a  huict  pièces  d'artillerie,  à  quoy  ils 
»  prétendent  fort.  » 

Vers  cette  même  époque,  Chantonnay,  qui  épiait,  jour  par  jour,  les  moindres 
mouvements  des  chefs  réformés,  expédiait  en  Espagne  *  les  renseignements  sui- 
vants :  «  10  août.  Il  n'est  encores  nouvelles  de  l'artillerie  qui  doit  venir  d'A- 
»  miens.  Si  le  conte  de  Seninghen,  que  l'on  dict  à  ceste  heure  le  prince  de  Por- 
»  cyan,  rassemble  (juelque  chevaulx,  et  gens  de  pied,  comme  il  est  après,  au 
»  couslel  de  Champaigne  et  Rethelois,  il  pourroitcopper  chemin  à  ladite  artille- 
)>  rie,  pour  l'accompaignenient  de  laquelle  il  n'y  a  gens  depputez  si  M.  d'Omale 
»  n'yfaict  escorte,  quitoutesfois  n'a  pas  grand  camp  pour  en  répartir  ;  L'on  disoit 
»  que  ledict  prince  de  Porcyan  estoit  après  pour  surprendre  Ghàlon  en  Cham- 
»  paigne,  ou  Troyes.  Je  crois  aussi  feroit-il,  s'il  pouvoit,  pour  ouvrir  le  che- 
»  min  aux  Allemands,  s'il  y  en  vient.  —  28  août.  L'on  a  dépesché  plusieurs 
»  commissions  à  des  gentilshommes  de  Champagne  pour  lever  gens,  afin  de 
>  faire  teste  au  prince  de  Porcyan.  —  l^"  septembre.  Monsieur  de  Nevers  est 
»  arrivé  au  camp,  bien  accompagné.  11  est  mieux  là  que  en  Champaigne,  pour 
»  raison  du  prince  de  Porcyan,  son  beau-frère.  —  3  septembre.  En  Champai- 
j»  gne,  les  s"^*  de  Rochefort,  de  Ryal  et  autres,  y  ont  assemblé  force  gens,  pour 


1.  Mém.  (le  CL  Ilatton:  t.  I,  p.  -270. 

:2.  Lettre  aux  magistrats  rte  Berne  (Arcttires  de  Berne.  Fiaiikreicli,  vol.  2). 

3.  Lettre  aux  magistrats  de  Berne  {Archives  de  Berne.  Frankreich,  vol.  2). 

4.  Mém.  de  Condé,  t.  II,  p.  60,  G7,  70,  76,  83,  M. 


—  590  — 

»  deffaire  l'arraée  du  prince  dePorcyan,  qui  a  pensé  prendre  sainte  Menehould 
»  mais  il  a  esté  repoulsé  ;  et  à  ce  que  j'entens,  il  ne  pourra  soustenir.  11  avoit 
»  mis  quelques  gens  à  Bar-sur-Seine,  qui  ont  esté  taillez  en  pièces.  —  16sep- 
»  tembre.  Le  s''  de  Vendôme  m'a  faict  entendre  que  le  conte  de  Senigga 
»  (Antoine  de  Croy)  avoit  esté  contraint  de  se  retirer  avec  grande  perte  de 
»  ses  gens,  et  s'estoit  rendu  dedans  le  chastel  de  Porcian  où  l'on  le  vouloit 
»  assiéger.  » 

Le  prince  de  Portien  se  retira,  en  dernier  lieu,  dans  son  château  de  Mont- 
cornet,  où  il  rallia  les  troupes  réformées  de  la  Champagne;  et  il  en  forma  un 
petit  corps,  dont  il  confia  le  commandement  à  un  gentilhomme  nommé 
Semide  ^  et  il  partit  pour  se  rendre  à  Strasbourg,  au-devant  de  d'Andelot. 


20° 


Voici,  dans  ses  parties  principales,  le  texte  des  pouvoirs  conférés  à  la  comtesse  de  Roye, 

par  les  chefs  réformés,  le  18  décembre  1562. 

{Archives  de  Stuttgart.  Frankreich.  B.  16,  n.  73.) 

« A  haulte  et  puissante  dame  Magdalaine  de  Mailly,  dame  de  Roye,  salut 

»  et  dilection!....  Comme  nous  puissions  prévoir,  à  nostre  grand  regret,  que 
»  la  guerre  par  nous  entreprise  pour  le  service  de  Dieu,  du  roy  nostre  souve- 
»  rain  seigneur,  et  pour  le  bien  public  de  ce  royaume,  est  pour  prendre  long 
»  traict,  et  que,  à  ceste  cause,  pour  fournir  aux  grands  frais  qu'il  nous  con- 
»  vient  faire  et  soustenir  pour  icelle  entretenir  et  continuer  jusques  à  ce  que  le 
»  plaisii*  de  Dieu  sera  nous  en  donner  l'heureuse  yssue  que  nous  prétendons 
s  nous  ayons  besoiug  de  faire  et  assembler  le  meilleur  fonds  de  deniers 
»  qu'il  nous  sera  possible,  lequel  est  le  vray  nerf  de  la  guerre,  et  que  entr'au- 
B  1res  endl^oictz  desquels  nous  ont  esté  faictes  offres  de  nous  subvenir  et  aider 
»  libéralement,  vous  nous  ayés  faict  entendre  que,  au  pays  d'Allemaigne, 
»  auquel  vous  estes  de  présent,  vous  seriez  tellement  employée  pour  nous 
»  moyenner  tel  secours  d'argent  que  vous  ayez  trouvé  aulcuns  princes  domi-, 
»  nants  et  aultres  notables  personnages,  lesquels,  menez  d'un  bon  zèle  et 
»  affection  envers  une  si  sainte  entreprise  comme  est  celle-cy,  à  laquelle  nous 
»  avons  dévoué  nos  biens  et  personnes,  vous  ont  déclairé  qu'ils  sont  contens 
»  nous  ayder  et  accommoder  par  prest  de  bonnes  et  grandes  sommes  de  deniers, 
»  en  leur  estant  par  vous  pour  nous  et  en  nostre  nom  pourveu  de  bonnes  et 
»  suffisantes  seuretez  d'estre  bien  satisfaictz  et  remboursés  aux  termes  et  con- 

ii  Voyez  De  Bczc,  hist.  eccl.,  t.  II,.  p.  394,    —    Haag,  France  prot.  v'^  Sémîda  et 
Meaux  (Louis  de). 


—  591  — 

»  ditions  et  par  les  moyens  que  vous,  en  vostre  dict  nom,  aurez  convenu  et 
»  accordé  avec  eux;  auquel  party,  après  avoir  esté  consulté  et  deslibéré  entre 
»  nous,  il  nous  auroit  semblé  bon  d'entendre;  pour  ce  est-il  que  nous  et  cha- 
»  cun  de  nous,  tant  en  général  que  en  particulier,  vous  avons  constituée 
»  commise  et  depputée,  constituons,  commettons  et  depputons  par  ces  présen- 
»  tes,  pour  traicter,  convenir  et  accorder  pour  nous  et  en  noslre  nom  avecques 
»  tous  et  chacun  de  ceulx  lesquelz  vous  aurez  trouvés  avoir  intention  de  nous 
»  accommoder  par  prest  d'argent  des  parties  et  sommes  de  deniers  qu'ils  nous 
»  fourniront  et  presteront,  des  voies,  conditions  et  moyens  de  leur  en  faire  le 
•  »  remboursement  et  leur  en  passer  telles  recognoissances,  obligations  et  seu- 
»  retez  que  vous  adviserez  bon  estre,  et  généralement,  en  ceste  affaire,  vous 
»  employer  tout  ainsi  que  nous  ferions  et  pourrions  faire  nous  mesmes  en  pré- 
»  sence.  De  ce  faire  nous  vous  avons  donné  et  donnons  toute  puissance,  auto- 
■»  rite,  commission  et  mandement  spécial,  et  de  pouvoir  substituer  et  commectre 
»  à  traicter  et  accorder  ce  que  dessus,  en  vostre  absence,  tel  ou  telz  que  bon 
»  vous  semblera;  promettons  en  bonne  foy  et  parolle  de  vérité  avoir  pour 
»  aggréable,  garder,  entretenir,  ratifier  et  approuver  tout  ce  qui  par  vous  ou 
■»  aultres  de  par  vous  commis  et  substitués  aura  esté  accordé,  faict  et  passé  en 
»  l'affaire  susdicte  ;  et  toutes  et  chacunes  les  parties  et  sommes  de  deniers 
»  ainsi  par  vous  prises  et  reçues  ou  par  aultres  ayant  tel  pouvoir  de  vous,  bien 
»  et  loyalement  rendre  et  payer  ou  faire  rendre  et  payer,  selon  et  en  la  forme 
»  et  manière  que  par  vous  ou  iceulx  ayant  pouvoir  de  vous  aura  esté  accordé 
»  et  convenu;  et  ce,  soubz  obligation  de  tous  et  chacuns  noz  biens,  tant 
»  meubles  que  immeubles,  présents  et  advenir,  etc.,  etc.  » 


21o 


Extrait  d'un  mémoire  secret  aanexé  à  une  lettre  écrite,  le  :28  mars  1563,  par  le  cardinal 

de  Sainte-Croix  au  cardinal  Borromée. 

(Aymon,  Recueil  des  synodes,  t.  I,  p,  227  et  suiv.) 


«  Si  la  reine  se  conduit  d'une  manière  conforme  à  ce  qu'elle  dit,  et  selon 
»  qu'il  est  convenable,  on  pourra  sans  doute  beaucoup  mieux  châtier  ces  gens- 
»  là  quand  ils  seront  désarmés  et  dispersés,  outre  qu'il  est  fort  expédient  de 
»  les  décréditer  auprès  des  Anglais  et  Allemands. 

«  Sa  Majesté  n'a  plus  maintenant  Navarre,  qui  lui  donnait  des  sujets  de 
»  crainte,  ni  aucun  autre  personnage  contre  lequel  elle  porte  sa  haine  si  loin 
»  que  de  s'écarter  de  son  but  pour  éviter  qu'il  ne  devienne  trop  puissant  ; 
>  c'est  pourquoi  elle  pacifiera  toutes  choses  en   peu  d'heures  quand  il  lui 


—  592  — 

»  plaira  ;  mais  s'il  arrive  autrement,  je  ne  vois  pas  qu'il  y  ait  dans  ce  royaume 
»  des  gens  capables  de  le  bien  diriger. 

«  Le  connétable  est  non  seulement  décrépit,  mais  seul;  et  quand  il  serait 
»  aidé  par  quelques-uns  contre  le  ])arti  des  ennemis,  on  voit  que  jusqu'à  pré- 
»  sent  ils  en  ont  agi  d'une  telle  manière,  qu'il  y  a  sujet  de  craindre  qu'ils 
))  en  usent  de  même  à  l'avenir  ;  c'est  pourquoi  il  faudrait  penser  à  ce  qu'on 
))  doit  faire,  avant  que  le  mal  devienne  plus  grand. 

«  Le  sentiment  de  plusieurs  et  même  de  tout  le  monde  est  ({ue  cet  accord 
»  qu'on  vient  de  faire  ne  saurait  durer,  et  que  dans  trois  ou  quatre  mois  nous 
»  serons  en  plus  mauvais  état  qu'auparavant,  attendu  que  s'étantfait  beaucoup 
»  de  saccagemens  et  de  meurtres,  les  intéressés  ne  voudront  pas  facilement  les 
»  pardonner  ni  en  abolir  la  mémoire,  sans  qu'on  leur  en  fasse  des  réparations; 
»  outre  que  deux  religions  dans  un  même  royaume  sont  toujours  la  source  de 
»  quelque  désordre  et  sédition  :  étant  d'ailleurs  très  évident  que  ceux  de  Paris, 
»  de  Toulouse  et  de  la  plupart  des  autres  villes  de  ce  royaume  prennent  les 
»  choses  d'un  si  mauvais,  côté,  qu'il  ne  semble  pas  que  ce  nouvel  accommode- 
»  ment  puisse  avoir  son  effet. 

«  Ceux  de  la  Bourgogne  ont  envoyé  dire  qu'ils  ne  veulent  point  de  prédica- 
»  tions,  ni  que  les  huguenots  retournent  dans  ce  pays-là  et  que,  lorsqu'ils  ren- 
»  dirent  leurs  hommages  au  roi,  Sa  Majesté  leur  promit  de  les  maintenir  dans 
»  leur  religion  ;  que  s'il  pense  de  faire  quelque  chose  au  contraire,  ils  n'assurent 
»  plus  Sa  Majesté  que  cette  province  ne  changera  pas  de  maistre  :  et  attendu 
»  qu'elle  est  sur  les  confins  de  la  Flandre,  on  entend  fort  bien  ce  qu'ils  veulent 
»  (lire,  et  l'on  croit  même  que  quelques  autres  provinces  tiendront  le  même 
»  langage. 

«  Le  connétable  fait  voir  que  la  nécessité  a  obligé  la  cour  de  signer  cet 
»  accord  tel  qu'il  est,  mais  qu'on  y  remédiera  dans  la  suite,  et  il  ne  parle  qu'à 
»  demi-mot,  en  telle  sorte  qu'il  semble  avoir  d'autres  pensées  qu'il  ne  veut  pas 
»  expliquer. 

«  Lui  ayant  dit  moi-même  que  ces  conventions  paraissent  n'avoir  été  faites 
»  que  pour  avoir  le  temps  d'instruire  le  roi  dans  la  nouvelle  religion,  en  attendant 
»  qu'il  soit  hors  de  l'âge  de  minorité,  il  me  répondit  qu'il  s'agissait  en  cela  des 
»  biens  et  de  la  vie  de  tous  les  Français,  et  que,  par  conséquent,  je  devais  croire 
»  qu'on  n'avait  pas  cette  pensée.  C'est  de  quoi  il  m'assura  fortement,  en  me  di- 
))  sant  que  je  l'écrivisse  de  sa  part  à  Sa  Sainteté  ;  que  je  lui  fisse  entendre  qu'on 
»  donneroit  une  bonne  éducation  au  roi,quc  tout  irait  bien  parce  qu'on  châtie- 
))  rait,  un  jour,  ceux  qui  avaient  causé  la  ruine  de  ses  états;  que  pour  lui,  il 
»  ne  pense  uniquement  et  n'a  désormais  autre  chose  à  faire  qu'à  servir  Dieu  et 
»  le  pape  en  tout  ce  qu'il  pourra.  Il  ne  dit  point  cela  dans  la  vue  d'obtenir  des 
»  charges  ou  des  bénéfices,  parce  qu'il  ne  cherche  pas  ses  intérêts  propres, 
»  témoignant  au  contraire  qu'il  n'a  pas  de  plus  grand  remords  de  conscience  que 
»  celui  d'avoir  demandé  quelques  faveurs  à  Sa  Sainteté  pour  le  cardinal  de  Chà- 
»  tillon,  et  qu'à  l'avenir  il  veut  faire  paraître  les  bonnes  intentions  qu'il  a  pour 
»  la  religion  catholique.  » 


—  593  — 


Charles  de  Téligny  et  sa  famille. 


Quelques  mots  d'abord  sur  deux  des  ascendants  de  Charles  de  Téligny. 

Son  aïeul  paternel,  François  de  Téligny,  sénéchal  de  Rouergue  et  de  Beau- 
caire,  a  laissé  dans  l'histoire  un  nom  recommandable.  «  Ce  M.  de  Téligny,  dit 
»  Brantôme  *,  fut,  en  son  temps,  estimé  et  réputé  pour  un  très  sage  chevalier  et 
»  bon  capitaine,  et  qui  servit  bien  ses  roys  deçà  et  delà  les  montz.  Il  fut  gou- 

»  verneur  pour  quelque  temps  de  Testât  de  Milan Il  se  comporta  en   ceste 

»  charge  si  sagement  et  modestement,  qu'il  n'y  perdit  pas  un  seul  poulce  de 
»  terre,  mais  très  bien  garda  ce  qu'on  lui  avoit  donné  en  charge,  et  si  contenta 
))  tout  le  peuple  delà  et  ne  leur  donna  jamais  subject  de  révolte.  Lorsque 
»  M.  de  Nemours  vint  secourir  Bresse  (Brescia),  et,  qu'en  chemin,  J.-P.  Daillon, 
>  général,  fut  deffaict,  il  menoit  les  coureurs  avec  M.  de  Bayard  qui  avoit  i 
»  fiebvre  ^  et  tous  deuv  firent  la  charge  si  furieusement  qu'ils  esbranlarent  le 
-»  reste  dont  le  gros  eut  bon  marché.  Il  garda  aussi  très  bien  Thérouanne  d'un 
»  siège  de  neuf  sepmaines,  y  estant  lieutenant  du  roy  Louis  XII,  là  oii  se  donna 
»  la  journée  des  éperons  ^.  Enfin  ce  M.  de  Téligny,  assez  aagé,  vint  mourir  en 
»  Picardie,  en  une  charge  qu'il  fit  contre  les  ennemis,  oîi  nul  n'y  fut  blessé  ny 
»  tué  queluy  seul, afin  que  ccste  rencontre  fùst  remarquée  etsignalée  seulement 
»  par  la  blessure  et  la  mort  d'un  si  bon  capitaine  ;  car  pour  autre  chose  ne  pou- 
»  voit-elle  pas  estre,  pour  rencontre  si  légère  et  petite.  > 

Il  s'agit  là  d'une  circonstance  de  beaucoup  antérieure  au  siège  de  Saint- 
Quentia,  en  1557,  lors  duquel  succomba,  après  avoir  été  grièvement  blessé  dans 
une  sortie,  un  officier  du  nom  de  Téligny.  Cet  officier  était,  non  pas,  comme  on 
l'a  prétendu  à  tort  *,  François  de  Téligny,  de  qui  il  vient  d'être  parlé,  mais  bien 
Charles  de  Téligny,  chevalier,  seigneur  de  La  Salle,  sous-lieutenant  de  la  com- 


i.  Edit.  L.  LaL,t.Y,  f.  'irS. 

2.  Chronique  deBayart,  par  le  loyal  serviteur,  chap.  XLIX,  ann.  1512. 

3.  Chronique  de  Bayart,  par  le  loyal  serviteur,  cliap.  LVII  .'  «  pour  îcelle  garae 
»  cstoient  commis  deux  gaillards  et  hardis  gentilshommes,  l'ung  le  seigneur  de  Téli- 
»  gny,  seneschal  de  Rouergue,  cappitaine  saige  et  asseuré,  et  ung  autre  dn  pays  mesme, 
»  appelé  le  seigneur  de  Pont-de-Rémy.  » 

-i.  Le  Laboureur,  addil.  aux  méin.  de  Gastelnau,  in-f,  t.  II,  p.  578.  —  Sandraz  de 
Courtilz,  Vie  de  CoUgny,  Cologne,   1686,  p.  176. 


—  594  — 

pagnie  du  Dauphin  *.  Il  servait  sous  les  ordres  du  glorieux  défenseur  de  la  place 
assiégée,  et  il  fut  assisté  par  lui  à  ses  derniers  moments  2. 

De  l'union  de  François  de  Téligny  avec  Charlotte  de  la  Haye  naquirent  une 
fille,  Renée  de  Téligny,  qui  épousa,  le  il  août  1542,  Jean  du  Plessis,  chevalier, 
seigneur  de  La  Parine  s,  et  un  fils,  Louis,  sieur  de  Téhgny,  de  Lierville  et  du 
Chastelier,qui  entra  de  bonne  heure  dans  la  carrière  militaire,  se  distingua,  en 
1544,  à  lacamisade  de  Boulogne  *,  et  devint  guidon  du  duc  d'Orléans. 

Par  son  mariage  avec  Arétuse  V.ernon,  fdle  de  Raoul  Vernon,  sieur  de  Mon- 
treuil-Bonnin,  grand  fauconnier  de  France,  et  d'Anne  Gouffier,  Louis  de  Téligny 
s'allia  auxmaisons  de  Montmorency,  de  Ghâtillon,de  Gondé,etdeLarochefoucauld. 
En  effet, Anne  Gouffier  était  fille  de  Philippe  de  Montmorency,  femme  de  Guillaume 
Gouffier,  laquelle  avait  pour  nièce  Louise  de  Montmorency,  maréchale  de  Ghâ- 
tillon,  mère  de  la  comtesse  de  Roye,  d'Odet,  de  Gaspard,  et  de  François  de 
Goligny,  et  aïeule  d'Éléonore  de  Pioye,  princesse  de  Condé,  ainsi  que  de  Char- 
lotte de  Roye,  comtesse  de  Larochefoucauld  ".  Louis  de  Téligny  devint  ainsi 
cousin  par  alhance  de  la  maréchale,  de  ses  enfants  et  petits-enfants,  dont  Aré- 
tyise  Vernon  était  la  propre  cousine. 

La  carrière  qu'avait  embrassée  Louis  de  Téligny  ne  fut  que  trop  tôt  entravée  par 
une  gêne  pécuniaire  dans  laquelle  l'entraîna  une  généfosité  mal  entendue  ;  gêne 
que  l'àpreté  de  ses  créanciers  transforma  finalement  en  une  situation  désas- 
treuse, dont  il  supporta  les  rigueurs  avec  constance  et  dignité.  «  Ce  fort  hon- 
»  neste  gentilhomme  de  fils  raconte,  à  ce  sujet,  Brantôme  g,  imita  le  père  en  va- 
»  leur  et  sagesse;  et  pour  estre  tel,  il  fut  en  ses  jeunes  ans  guidon  de  feu 
»  M^'.  d'Orléans;  dont  il  s'en  acquitta  si  dignement  que,  pour  se  faiïe  parestre 
»  en  coste  charge,  s'enfonça  si  fort  en  de  si  grande  debtes,  comme  sont  coustu- 
»  miers  les  jeunes  gens,  que  ses  créditeurs  le  poursuivant  estrangement,  fut 
»  contraint  d'abandonner  la  France  et  se  retirer  à  Venise,  où  de  mon  temps,  je 


1.  Telles  sont  les  qualifications  qu'attribue  à  Ctiarles  de  Téligny  le  P.  Anselme 
{liist.  gén.  et  chron.  t.  III,  p.  61'3),  en  ajoutant  que  ce  même  Téligny,  eut  pour 
femme  Marie  de  Bassa,  vetive  de  René  de  Laval.  —  Les  diverses  personnes  qui,  dans 
le  cours  du  xvi"  siècle,  ont  porté  le  nom  de  Téligny,  sont  mentionnées  par  le  P.  Anselme, 
aux  t.  m,  p.  640,  643,  045;  IV,  p.  719;  VI,  p.  783;  et  VII,  p.  13  et  153,  de  son 
ouvrage. 

2.  Voyez  ce  que  rapporte,  à  cet  égard,  G.  de  Goligny,  dans  le  récit  qu'il  a  laissé  du 
siège  de  Saint-Quentin,  et  que  nous  avons  reproduit  dans  le  t.  I"  du  présent  ouvrage. 
—  Voyez  aussi  les  vies  des  hommes  illustres  de  la  France,  t.  XIV,  p.  133  à  137.  —  Il 
existe  :  1°  une  lettre  du  23  septembre  L555,  adressée  au  connétable  par  Charles  de 
Téligny,  sous-lieutenant  de  la  compagnie  du  Dauphin  (Bib.  nat.  mss.  f.  fr.  voL  3  155, 
f"  72)  et  2°  deux  lettres  de  l'amiral  à  Béquincourt  et  à  de  Ilumières,  des  3  janvier  1549 
et  27  avril  1557  (Bibl.  nat.  -mss.  f.  fr.  vol.  3  128,  fo  24,  et  vol.  3144,  f  7j  dans  les- 
quelles il  parle  de  Charles  de  Téligny.  ■ 

3.  P.  Anselme,  hist.  gén.  et  clironol,,  t.  IV,  p.  749. 

4.  Montluc,  comment,  édit.  de  M.  de  Ruble,  t.  I,  p.  193. 

5.  Le  Laboureur,  addit.  anx  mém.  de  Castelnau,  in-f",  t.  II,  p.  578. 

6.  Éd.  L.  Lal.,l.  V,  p.  420. 


—  595  — 

»  l'ai  vu;  et  si  monstroit  encore,  en  sa  misère  et  pauvreté,  nn  courage  bon  et 
»  point  encore  ravallé.  Il  y  est  mort  pourtant  en  cest  estât  i.  > 

Louis  de  Téligny  eut  d'Arétuse  Vernon  deux  fds,  dont  l'aîné  reçut  le  nom  de 
Charles,  et  une  fille  à  laquelle  fut  donné  celui  de  Marguerite. 

Où  et  quand  naquirent  ces  trois  enfans?  oîi,  par  qui  et  comment  furent-ils 
élevés?  Vécurent-ils,  pendant  un  certain  temps,  séparés  ou  non,  soit  de  leur 
père  et  de  leur  mère,  soit  seulement  de  l'un  d'eux,  depuis  que  Louis  de  Téligny 
se  fut  retiré  en  Italie  ?  Ces  diverses  questions  sont  jusqu'à  présent  demeurées, 
pour  nouS)  sans  réponses. 

Ce  que  nous  savons  du  moins,  c'est  que  Charles  de  Téligny,  dès  sa  plus  ten- 
dre jeunesse,  se  trouva  placé  sous  le  bienveillant  patronage  de  Gaspard  de 
Coligny.  L'affection  que,  pénétré  de  reconnaissance,  il  avait  vouée  à  l'amiral,  et 
la  vénération  qu'il  lui  témoignait  loin  de  porter  la  moindreatteinte  à  ses  relations 
de  famille,  n'avaient  fait  que  les  fortifier.  Il  n'eut  qu'à  se  souvenir  des  leçons 
qu'il  avait  reçues  au  foyer  de  Gaspard  de  Coligny  et  de  sa  digne  compagne, 
Charlotte  de  Laval,  en  qui  il  avait  rencontré  une  seconde  mère.  Un  cœur  aimant 
et  dévoué,  tel  que  le  sien,  dut  porter  haut  le  sentiment  de  la  piété  filiale.  Aussi, 
nul  doute  qu'il  n'ait  constamment  saisi  avec  ardeur  toute  occasion  qui  s'offrit 
à  lui  de  visiter,  dans  sa  solitude,  le  père  bian-aimé  auquel  la  force  des  cir- 
constances avait  imposé  une  pénible  expatriation.  Si  aucuns  détails  ne  nous  sont 
fournis  sur  ce  point,  les  conjectures  les  plus  favorables  sont  du  moins  pleine- 
ment autorisées.  En  voici  une,  parmi  plusieurs  autres,  relative  à  un  voyage  que 
Charles  de  Téhgny  fit  au  delà  des  Alpes,  peu  après  la  mort  de  François  II.  Il 
est  permis  de  croire  que  ce  fut  au  retour  d'une  excursion  à  Venise,  oîi  il  était 
allé  porter  à  son  père  les  témoignages  d'une  pieuse  affection,  qu'il  se  rendit  eu 
-Savoie,  en  février  1561. 

Quelques  faits  permettent  de  conjecturer  ce  que  fat,  à  d'autres  égards, 
Charles  de  Téligny,  On  aime  à  le  voir,  plein  de  sollicitude  pour  son  jeune 
frère,  déjà  pourvu  d'un  précepteur,  quant  à  ses  premières  études,  chercher  à  lui 
assurer,  sous  une  forte  direction,  le  bienfait  d'une  éducation  chrétienne.  Honoré 
gi'âces  à  l'intermédiaire  de  l'amiral,  da  privilège  de  soutenir  depuis  quelque 
temps  une  correspondance  avec  Calvin,  toujours  prêt  à  éclairer  de  ses  conseils 
la  jeunesse  ^  aussi  bien  que  l'âge  mûr,  il  s'adressa  au  grand  réformateur,  en 
ces  termes  ^  :  «  Monsieur,  combien  que  je  ne  sçache  pour  cette  heure  chose 
»  qui  mérite  de  vous  estreescrite,  si  n'ay-je  voulu  laisser  aller  mon  frère,  lequel 
»  j'envoie  à  Genève  pour  estudier,  sans  l'accompagner  de  ce  mot  pour  tousjours 
»  me  raraentevoir  en  vostre  bonne  grâce  et  vous  supplier  bien  fort,  monsieur, 
))  de  l'avoir  pour  recommandé,  luy  faisant  et  à  moy  tant  de  bien  de  le  repren- 


1.  Selon  do  Thou(/us(.  univ.,  t.  IV,  p.  490)  Louis  de  Théligny  vivait  encore  en  1571. 

2.  Voyez  les  lettres  de  Calvin  au  duc  de  Longueville  et  à  la  marquise  de  Rothelin, 
des  26 mai  et  22  août  1559  {corresp.  franc.,  t.  II,  p.  265,  267,  286)  ;  au  prince  de  Por- 
tien,  du  8  mai  1563  (ibid.,  t.  II,  p.  505);  à  François  Daniel,  des  25  juillet  1559 
(ibid.,  t.  II,  p.  284);  26  novembre  1559  et  13  février  1560  {Bibl.  de  Berne,  collect., 
Bongars,  vol.  141,  p.  47.  49). 

3.  Archives  de  M.  Tronchin,  orig.  autogr. 


—  596  — 

î  dre  quelquefois,  l'advertissant  par  votre  bon  conseil  de  son  devoir,  à  ce  qu'il 
»  puisse  profiter  non  seulement  aux  lettres,  mais  principalement  en  la  crainte 
■»  de  Dieu,  s  Les  sentiments  du  jeune  chrétien  percent  dans  cette  lettre  si  simple 
et  si  respectueuse,  qui  se  termine  par  la  demande  d'un  ministre,  en  faveur 
d'une  paroisse  que  des  relations  de  famille  lui  rendent  doublement  chère  •. 

Charles  de  Tcligny  n'était  pas  moins  attaché  à  sa  sœur,  qu'à  son  frère.  Son 
amitié  pour  Marguerite  s'étendit  naturellement  à  l'homme  distingué  dont  elle 
devint  la  compagne,  et  auquel  il  se  sentit  avec  bonheur  attaché  par  d'indisso- 
lubles liens.  Il  y  eut  entre  lui  et  François  de  l^anoue,  devenu  son  allié,  et  voué 
à  la  même  carrière  que  lui,  plus  qu'un  rapprochement  occasionnel,  plus  même 
qu'une  fraternité  d'armes  :  il  y  eut  une  véritable  fraternité  de  cœur.  Rarement, 
en  effet,  deux  jeunes  hommes  furent  mieux  faits  pour  s'aimer  d'une  vive  et  sta- 
ble affection,  basée  sur  une  entière  conformité  de  sentiments,  de  convictions  et 
de  caractères,  que  ne  le  furent  le  frère  aîné  et  le  mari  de  Marguerite  de 
Téligny.  Aussi,  le  seul  nom  qu'ils  se  donnaient  dans  l'intimité  de  leurs  rela- 
tions, ou  en  parlant  l'un  de  l'autre  ^,  était-il  toujours  celui  de  frère,  dont  l'em- 
ploi entre  eux  se  justifiait  si  bien. 


23» 


Lettre  de  Coligny  à  Warwick,  du  11  avril  1563 
(Forbes,  a  full  view,  etc.,  etc.,  t.  II,  p.  383,  381). 

«  Monsieur,  pour  ce  que  j'ay  entendu  qu'il  a  esté  faict  arrest  sur  quelques 
»  navyres  qui  sont  de  présent  au  Havre  de  grâce,  que  les  marchands  dudictheu  ont 
»  faict  apprester,  équipper  et  victualler  pour  faire  les  voyages  du  Brésil  et  de  la 
»  terre-neufve,  et  que,  pour  ce  faire,  ilz  ont  frayez  beaucoup  de  deniers  qu'ilz 
»  ont  empruntez  de  plusieurs  personnes  à  interest,  pour  avoir  achapté  lesdictes 
»  victuailles  et  autres  choses  qui  leur  estoient  nécessaires  à  double  prix  par 
»  les  incommoditez  qui  sont  de  présent  en  ce  pays-là,  et  estant  empeschez  de 
»  partir  et  faire  leurs  voyaiges,  cela  seroit  cause  entièrement  de  toute  leur  ruyne, 
»  pour  s'estre  engagez  de  tous  costés  ;  avecques  ce  qu'ils  ont  desjà  souffert  et 
»  porté  pour  les  inconvényens  des  guerres  passées  ;  et  pour  ce,  monsieur,  que 

1.  Montreuil-Bonnin,  localité  à  laquelle  se  rattachait  unepossassion  des  ascendants 
de  Charles  de  Tcligny.  Arétuse  Vernon,  sa  mère  était  dama  de  Montrcuil-Bannin,  ù  titre. 
<rhéritière  de  son  propre  père,  Raoul  Vernon,  sieur  dudit  Montreuil.  (Voy.  Le  Laboureur, 
addit.  aux  mém.  de  Castelnau,  t,  II,  p.  577).  Charles  de  Téligny  lui-même  devint  sei- 
gneur de  Montreuil-Bonnin.  (Voy.  duBouchet,  hist.  de  la  maison,  de  Coligny,]).  577  à58l .) 

2.  De  Lanoue,  Disc,  polit,  et  milit.,  Bâle,  1587,  p.  683. 


—  507  — 

»  je  voy  qu'il  y  a  grande  pitié  et  désolation  en  eulx,  je  vous  prieray  bien  fort, 
»  de  tant  qu'il  m'est  possible,  de  ne  les  empescher  point  de  faire  leurs  dicts 
))  voyaiges  et  traficques  de  marchandises  d'aultant  mesme  que  laroyne  d'Augle- 
»  terre  par  les  accords  qui  ont  esté  faicts  avec  elle  a  promis  de  les  laisser 
»  trafficquer  et  faire  voyaiges  comme  ilz  avaient  accoustumé,  et  de  ne  les 
»  y  empescher  en  sorte  que  soit.  Et  au  regard  de  ce  que  j'entendz  qu'il  y 
»  a  un  article  dedans  le  traité  de  paix  dont  vous  estes  mal  content,  qui 
»  porte  que  les  estrangers  sortiront  hors  de  ce  royaulme,  cela  ne  s'entend 
»  point  pour  la  royne  d'Angleterre,  car  mesmes  M.  le  prince  de  Condé  ne  vou- 
»  lut  point  qu'il  fust  parlé  de  Sa  Majesté,  que  premièrement  je  ne  fusse  de  re- 
»  tour  du  voyage  que  je  feiz  dernièrement  en  Normandye,  pour  sçavoir  en  quel 
»  estât  estoient  les  affaires  et  quel  langaige  m'avoit  tenu  M.  de  Throckmorton  ; 
»  et  quand  je  fuz  arrivé,  l'on  envoya  quérir  l'ambassadeur  de  sa  dite  Majesté 
»  pour  luy  communiquer  comme  toutes  choses  se  passoient  pour  ledict  traicté 
»  de  paix,  et  mesme  de  ce  qui  touchoit  le  faict  de  sa  dicte  Majesté,  ce  qu'on  luy 
»  donna  à  entendre,  oii  il  ne  fut  rien  conclu,  que  premièrement  elle  n'en  fùst 
y>  advertye ,  et,  pour  ce  faire,  l'on  a  dépesché  M.  de  Briquemault,  qui  doibt  pas- 
»  ser  par  le  dict  havre  de  grâce,  et  duquel  vous  sçaurez  ce  qu'il  a  à  dire  à  Sa 
»  3Iajesté  touchant  ce  faict,  espérant  que  vous  en  demeurerez  satisfaict.  Par 
»  quoy  je  vous  prieray  encores  d'avoir  pitié  de  ces  pauvres  gens  et  leur  permet- 
»  tre  qu'ilz  puissent  faire  leurs  voyages,  d'aultant  que  la  saison  se  passe,  et 
»  vous  ferez  beaucoup  pour  eulx.  Je  me  recommanderay,  bien  affectionnément 
»  à  vostre  bonne  grâce,  et  supplieray  le  créateur,  monsieur,  vous  donner  très 
»  bonne  et  très  longue  vye.  De  Chastillon,  ce  XP  jour  d'avril  1563.  Vostre 
»  entièrement  bon  et  bien  affectionné  amy,  Chastillon. 


2.4° 


Écrit  non  daté,  ni  signé,  mais  rédigé  probablement  vers  le  26  septembre  1563.  Il  porte 
la  trace  des  espérances  alors  conçues  par  les  Guises,  de  leur  haine  contre  les  Ctiàtil- 
lons,  le  connétable,  le  chancelier,  et  de  leur  crainte  que  l'affaire  relative  au  meurtre 
du  duc  de  Guise  fût  évoquée  au  conseil  du  roi. 

(Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  3i57,  f-^  89  et  suiv.). 

«  Le  cardinal  qui  est  icy  avec  ses  frères  envoya,  le  jour  d'hier,  deux  fois  en 
»  mon  logis,  pour  aller  le  trouver.  Je  n'y  estois  point,  pour  ce  que  j'estois  allé 
»  à  deux  lieues  de  Paris,  Moy  de  retour,  je  l'allay  trouver  au  grand  logis,  où  je 
»  trouvay  bonne  compagnye. 

«  Y  estant  arrivé,  ledict  cardinal  me  voyant  entrer  dans  la  salle  où  il  estoit, 
»  se  leva  tout  aussytost  de  sa  chaize  oi!i  il  estoit  assis,  et  m'appelant,  m^  mena 
»  dans  le  jardin  du  dicl  logis,  me  demanda  sy  j'avois  poinct  oy  nouvelles  de  cellui 


—  598  — 

»  qui  est  maintenant  en  son  gouvernement, et  qu'il  enavoit  reçeu  des  nouvelles 
»  par  le  secrétaire  de  M.  de  Montluc. 
»  Lors  il  me  dict  qu'il  me  vouloit  conter  la  vye  au  mauvais  riche,  et  comme  il 

*  s'estoit  déclaré  ennemy  de  sa  maison,  pour  soustenir  ses  nepveux  ;  que  c'es- 
9  toit  pour  considération  des  bienfaits  qu'il  avoit  reçeu  d'eux,  de  ce  que  par  deux 
»  foys,  ils  luy  avoient  faict  jouher  sa  vye  à  trois  dez,  dont  il  avoit  rapporté  l'hon- 
»  neur  et  proffict  que  chacun  sçait. 

«  Toutelïois  que  malgré  luy  et  toutes  ses  praticques,  ils  avoient  obtenu  en 
9  leur  requête  ce  qu'ils  avoient  désiré,  et  (ju'ils  estoient  renvoyés  par  le  roy,  par 
9  l'avys  des  princes,  aux  juges  ordinaires  des  pairs  de  France  et  lieutenants  gé- 
»  néraux  du  roy,  qui  sont  messieurs  de  la  Cour  de  Parlement  de  Paris  qui  ont 
»  accoustumé  de  juger  telles  matières  et  à  qui  la  cognoissance  appartient  du 
»  faict  dont  ilz  recherchent  justice; 

«  Que  ce  matin,  ilz  se  doibvent  retirer  vers  ladite  court  avec  leur  dite  requête, 
>  pour  demander  l'enthérinement  et  avoir  commissaires  desléguez  pour  informer 
»  de   eurs  faictz  ; 

«  Que  de  l'information,  ilz  ne  s'en  donnent  peyne,  car  ce  qui  se  trouve  par 
»  escript  est  suffisant  pour  obtenir  l'issue  de  ce  qu'ilz  désirent,  et  qu'il  est 
»  impossible  que  jamais  homme  peult  échapper  à  un  tel  faict  sans  y  laisser 
»  la  teste  ; 

«  Que  sy  n'estoit  qu'il  faut  suyvre  la  forme  de  justice,  ce  qui  est  de  preuves  et 
»  vériffié  suffiroit,  mais  puisqu'il  commance  par  ceste  voye  et  qu'ilz  ont. la  vo- 
»  lonté  du  roy  par  escript,  il  suffit  de  suyvre  ses  erres,  car  ce  sera  occasion  de 
9  clorre  la  bouche  à  tous  ceulx  qui  vouldroient  parler  qu'ilz  veulent  user  de 

*  force,  et  puysque  la  justice  parle  il  ne  fault  plus  parler  de  force,  sy  ce  n'est 
»  pour  l'exécution  de  ce  qui  sera  ordonné  ; 

«  Qu'ilz  n'ont  plus  de  crainte  de  ryen  en  leur  faict,  sy  ce  n'est  que  ce  traistre 
»  chancelier  brouillast  les  cartes  et  que  voullust  sceller  l'évocation  que  le  cardi- 
»  nal  de  Ch.  pourseuit  soubz  la  main  de  son  oncle  ; 

«  Que  si  ledict  chancelier  la  depeschoit,  qu'il  se  pouvoit  bien  asseurer  qu'il  en 
»  niaudiroit  l'heure,  car  il  ne  feroit  pas  de  tort  seulement  à  leur  maison,  mais  à 
»  dix  mil  personnes  qui  s'en  sauroyent  bien  ressentir,  et  qu'en  attendant  ils  le 
»  prendroyentà  partie,  en  son  propre  et  privé  nom; 

*  Qu'il  est  assez  sale  sans  s'aller  mettre  davantaige  en  la  fange  ;  tesmoing  les 
«  belles  œuvres  qu'il  a  faictes  pour  l'occasion  de  la  maladye  de  la  royne  ; 

«  Qu'il  s'est  bien  descouvert  ce  que  le  mauvais  riche  a  faict  et  conspiré  d'avoir 
»  esté  si  hardy  que  de  délibérer  se  saisir  du  roy,  advenant  inconvénient  de  la 
»  royne,  et  qu'on  sçait  bien  le  rôle  qu'ilz  avoient  faict  jouer  à  ce  fol  de  Laferté, 
»  dont  il  n'estoit  pas  quicte  ; 

«  Que  pour  avoir  la  main  plus  forte,  ledict  mauvais  riche  avoit  faict  venir  sa 
»  compagnie  et  celle  de  son  fdz  le  mareschal  à  deux  lieues  près  de  la  court  ;  de 
»  quoy  la  royne  est  amplement  advertye,  et  qui  n'obliera  rien  de  ce  faire,  ainsi 
»  qu'elle  leur  a  très  bien  asseuré  ; 

«  Que  sycela  feust  avenu  il  y  eust  eu  de  terribles  jeux  joués,  car  de  permet- 
»  tre  qu'un  tel  acte  eust  esté  faict  en  la  présence  des  serviteurs  du  roy,  cela  ne 

*  s'eût  peu  faire  ; 


—  599  — 

«  Qu'ilz  furent  aussitost  advertiz  de  toutes  ses  menées  et  des  levées  qui  furent 
»  faites  par  le  prince  de  C.  et  mesmes  par  le  s""  de  Sénarpont  et  avec  d'autres, 
»  dont  il  y  en  a  qui  en  respondront,  quelque  jour; 

«  ToutelToys  qu'il  regrettoit  ce  paouvre  vieil  resveur  pour  l'honneur  de  son 
»  filz,  et  qu'il  estoit  impossible  qu'il  se  peust  jamais  laver  de  la  faulte  qu'il  a 
»  faicte,  mesme  des  lettres  qu'il  a  escriptes  à  plusieurs  gentilshommes  dont  ilz 
»  en  ont  recouvert  quelques-unes,  entr'autre  d'ung gentilhomme  près  Viguy  qui 
»  fit  response  que  si  M.  Dampville  y  estoit  ou  qu'il  eust  à  faire  de  luy.  qu'il 
»  exposeroit  sa  vie  pour  son  service  ; 

«  (}ue  plusieurs  autres  s'estoient  bien  escuzés  de  l'aller  trouver  et  dont  la 
»  royne  a  esté  bien  informée,  ainsi  qu'il  cognoistra,  quelque  jour. 

«  Au  mesme  instant  que  ces  propoz  furent  tenuz,  arriva  ung  gentilhomme 
»  ayant  une  chaisne  au  col,  qui  veiioit  du  lieu  oîi  est  monsieur  l'aniyral,  qui 
»  l'asseura  l'avoir  veu  et  parlé  à  luy,  et  qu'il  avoit  huh  cens  chevaux  ;  que  de 
»  tous  costés  ilz  amassoyent,  soyt  luy  ou  ses  adhérens. 

«  Ce  gentilhomme  parla  longuement  aux  femmes  et  aux  frères. 

«  Je  ne  puis  sçavoir  aultre  chose  synon  que  monsieur  de  Vaudémont  estoyt 
»  party  pour  s'en  aller  en  sa  maison,  mais  qu'il  ii'oblyroyt  rien  de  son  costé,  non 
»  moins  que  faisoient  les  aultres  du  leur,  et  que  quant  il  sera  besoing  de  prendre 
»  la  force,  il  sçavoit  bien  à  qui  elle  devoit  demourer,  et  qu'il  espéroit  d'en 
»  sçavoir  le  court  ou  le  long,  dans  peu  de  jours  ; 

«  Que  cependant  il  vouloit  escrire  à  celuy  qui  est  en  son  gouvernement,  pour 
»  l'advertir  de  la  façon  que  toutes  choses  estoient  passées  et  la  bonne  vye  que 
p  menoit  son  père,  à  la  suscitation  de  bons  traistres,  meschans  meurtriers,  et 
y>-  mesmes  de  son  bon  frère,  duquel  il  luy  en  manderoyt  sa  fantaysie. 

«  Tous  les  frères  et  le  prince  qui  est  icy  avec  eux,  et  la  dame  leur  sœur, 
»  doibvent  escrire, et  je  dois  avoir  les  lettres  ce  jourd'huy  ;selon  ce  qu'il  se  pourra 
B  découvrir  du  contenu,  vous  en  serez  adverty,  et  moy  mesmes  vous  iray  trou- 
»  ver,  s'il  en  est  besoing.  Je  croiz  qu'ils  atendront  l'issue  de  ce  qui  sera  avysé 
»  aujourd'huy  sur  le  contenu  de  leur  requête. 

«  Hier  ilz  allèrent  au  logis  de  plusieurs  présidens  et  conseillers  pour  commu- 
»  niquer  leur  faict.  Us  se  promectent  merveilles  de  ce  costé  ;  mais  ilz  craigiXent 
»  fort  l'évocation. 

«  Il  est  bezoing  rompre  le  mémoire,  et  que  l'on  prenne  garde  à  beaucoup  de 
»  personnes,  car  ilz  s'asseurent  de  sçavoir  toutes  choses,  » 


Lettre  de  Sarron,  secrétaire  de  l'ambassadeur  d'Espagne,  du  16  juin  1564. 
{Mém.  de  Condé,  t.  II,  p.  :201.) 

L'interjdiction  de  faire  prêcher,  dont  se  plaignait  Renée  de  France,  pour  elle 


—  GOO  — 

personnellement,  de  même  que  pour  l'amiral  et  sa  femme,  pesa,  à  quelque 
temps  delà,  sur  Jeanne  d'Albret,  à  Mâcon.  En  effet,  Sarron  écrivait  : 

«  Le  jeudy  de  l'Octave  du  corpus  Domini,  se  feit  une  procession,  à  Mascon, 
»  fort  dévote,  en  laquelle  le  roy  très  chrestien,  monsieur  d'Orléans,  la  royne- 
»  mère,  messieurs  de  Montpensier,  prince  de  la  Roche-sur- Yon,  les  cardinaulx 
»  de  Bourbon  et  de  Guyse,  duc  d'Aumale,  connestable,  chancelier  et  plusieurs 
»  chevaliers  de  l'ordre,  et  sieurs  et  dames  de  la  court,  assistèrent  fort  dévotement 
»  ayant  torches  ou  cierges  en  leurs  mains  :  qui  donna  si  bon  exemple,  que  plu- 
»  sieurs  auxquelz  on  faisoit  croire  que  lesditz  roy  et  royne  estoient  huguenotz  et 
»  n'alloient  à  la  messe,  se  sont  réduitz.  —  Et  pour  ce  que  ledict  seigneur  roy 
»  feit  crier  le  jour  devant  que  ceulx  de  la  ville  qui  sont  la  plupart  huguenotz 
»  deussent  assister  à  ladite  procession  et  faire  tendre  ou  mectre  ramée  devant 
))  leurs  maisons,  madame  de  Vandosme  qu'est  maintenant  en  court,  en  feit 
»  plainte  à  la  royne,  luy  remonstrant  que  c'estoit  contrevenir  àl'édict  de  la  paci- 
»  fication,  et  que  l'on  ne  devoit  forcer  personne  de  sa  conscience,  luy  en  deman- 
»  dant  justice.  —  A  l'arrivée  de  ladite  dame  de  Vandosme  à  Mascon,  tous  les 
»  huguenotz  du  dict  Mascon  luy  furent  au  devant;  et  après  luy  avoir  faict  la  ré- 
ï  vérence,  et  supplié  d'avoir  la  cause  de  la  religion  pour  recommandée,  luy 
■»  offrirent  corps  et  biens  pour  la  défence  d'icelle  ;  à  quoy  elle  promit  tenir  si 
»  bonne  main,  qu'ilz  congnoistroient  avoir  en  elle  une  bonne  protectrice  ;  et 
»  leur  dit  que  pendant  sa  demeure  audit  Mascon,  ilz  pourroient  aller  à  la  pres- 
•»  che  en  sa  maison  :  car  elle  avoit  huict  bons  ministres  ;  mais  comme  le  roy  fut 
»  adverty  que  ladite  dame  faisoit  prescher,  ce  qu'est  deffendu  par  ledict  édict 
»  comme  aurez  bien  veu  par  icelluy,  il  luy  envoya  deffendre  de  plus  le  faire,  et 
»  luy  feit  dire  que  si  ses  ministres  s'avançoyent  de  prescher  à  la  suite  de  sa 
»  court,  qu'il  les  feroit  chastier  si  aigrement,  qu'aultres  y  prendraient  exemple  ; 

>  dont  ladite  dame  fûst  fort  faschée  ;  et  quelque  requeste  qu'elle  ayt  sçeu  faire 
3)  de  pouvoir  faire  prescher  secrètement  en  sa  chambre,  l'on  ne  luy  a  voulu 
•»  permectre,  combien  je  pense  qu'elle  ne  laisse  de  le  faire  secrètement  :  car 
»  pour  tousjours  donner  plus  de  chaleur  et  de  cœur  aux  huguenotz,  inconti- 
»  nent  qu'elle  fut  arrivée  en  ceste  ville,  qui  fut  avant  l'arrivée  dudict  seigneur 
»  roy,  elle  alla  au  presche  en  leur  temple  qu'ilz  font  édifier  sur  les  fossez,  en  ung 
»  lieu  dit  les  Terraulx,  où  tous  les  jours  y  besongnent  de  telle  fureur,  que  les 
»  gentilshommes  et  damoiselles  y  portent  la  hoste.  Si  est-ce  qu'ilz  n'ont  le 
■»  cacquet  si  hault  qu'ils  vouloient  avoir,  combien  qu'ilz  dient  toujours  quelque 

>  chose.  Enfin  je  vous  asseure  que  ce  voyage  sera  cause  d'un  grand  bien  pour 
»  nostre  rehgion,  car  le  roy  et  la  royne  font  grandes  démonstrations  de  catho- 

>  liques,  allans  ordinairement  à  la  messe,  tantost  en  une  église  et  tantost  en 
»  une  aultre  ;  qui  donne  grand  exemple  et  cœur  aux  bons  de  continuer  en  leur 
»  religion,  et  à  plusieurs  huguenotz  de  se  réduyre,  comme  il  s'en  réduict 
»  journellement.  > 


--  601 


2G» 


Entretiens  de  Soubize  avec  Catherine  de  Médicis,  à  Lyon,  en  1564. 
(Mémoires  de  la  vie  de  Jean  de  Parthenay-Larchevéque,  sieur  de  Soubize,  1879, 

p.  80  et  suiv.). 

«  Après  les  premiers  troubles,  le  premier  voyage  que  le  s""  de  Soubize  fit  à  la 
»  court  fut  quand  le  roy  estoit  à  Lion,  où  ils  virent  monsieur  et  madame  de 
»  Savoye  ;  lequel  voyage  estoit  trouvé  fort  hasardeux,  do  sorte  que,  mesme  en 
»  Allemaigne,  on  le  trouvoit  l'estre  beaucoup  plus  que  celuy  que  monsieur  l'admi- 
»  rai  avoit  auparavant  faictà  Paris,  et  disait-on  que  M.  l'admirai  y  estoit  allé 
»  ayant  le  rapport  du  prince  de  Condé  de  qui  il  estoit  proche  allié,  d'un  con- 
»  nétable  de  France,  son  oncle,  de  deux  mareschaudx  de  France,  ses  cousins, 
»  et  de  ses  deux  frères,  dont  l'un  commandait  à  l'infanterie  françoise,  et  l'aul- 

>  tre  avoit  grand  pouvoir,  et  si  n'alloit  qu'à  trente  lieues  de  sa  maison,  là  où 
)  le  sieur  de  Soubize  alloit  à  six  vingt  lieues  de  la  sienne,  sans  tout  ce  que 
»  dessus,  ayant  les  mesmes  ennemis  que  M.  l'admirai,  ot  oultre  ceulx-là  un 
»  prince  du  sang.  Toutesfois,  combien  qu'il  n'y  allast  qu'avecques  son  train,  si 
»  est-ce  qu'il  se  trouva  si  fort  à  la  court  que  ses  ennemis  le  craignoient,  car 
»  tous  ceulx  de  la  religion,  qui  y  estoient  en  assez  grand  nombre,  se  rangeoient 
»  à  l'accompagner,  et  oultre  ce,  toute  la  ville  estoit  à  sa  dévotion,  à  cause  qu'il 
»  les  avoit  si  bien  traictez  pendant  qu'il  y  commandoit,  qu'ils  firent  mesme  tout 
»  ce  qu'ils  peurent  pour  l'avoir  pour  gouverneur. 

«  Or  n'avoit-il  jusques-là  sçeu  perdre  du  tout  l'espérance  qu'il  avait  eue  de 

>  la  royne,  et  combien  qu'il  eust  entendu  comme  elle  avoit  essayé  d'attraper 
»  M.  l'admirai  à  Saint-Germain  en  Laye,  et  aultres  traicts  qu'elle  avoit  faicts, 
»  si  est-ce  qu'il  ne  s'estoit  point  encores  voulu  persuader  du  tout  qu'il  n'y  eust 

>  moyen  de  la  remectre  au  bon  train  auquel  il  l' avoit  veu  autres  fois,  se  vou- 

>  lant  toujours  faire  accroire  que  ce  qu'elle  avoit  faict  estoit  plus  tost  partimi- 
»  dite,  ou  par  persuasion,  que  par  malice.  Mais  bien  s'asseuroit-il  de  se  résoudre 
»  la  première  fois  qu'il  parleroit  à  elle,  s'il  y  avoit  encores  quelque  espérance  ; 
-»  ce  qu'il  fit  bientost,  car  dès  qu'il  eut  faict  la  révérence,  et  qu'il  fut  entré  en 
D  propos  avec  elle  touchant  la  prise  des  armes,  luy  alléguant  que  ce  qu'il  avoit 
j  faict  estoit  par  son  commandement,  à  quoy  elle  luy  répliquoit  comme  elle  l'avoit 
»  bien  voulu  retenir  à  la  court  et  puis  renvoyer  chez  luy  ;  sur  quoi  il  luy  répliquoit 
»  derechef  ce  qu'il  luy  avoit  respondu  (ainsy  qu'il  est  touché  cydessus)  et  luy 
»  disoit  davantage  qu'il  ne  pouvoit  moins  faire, la  voyant  prisonnière  avec  le  roy  et 
»  messieurs  ses  enfans;  elle  appela  M.  le  connestable,  lequel  le  mareschal  de 
D  Vieilleville  qui  estoit  parent  et  fort  amy  du  s'  de  Soubize,  admusoit,  afin  qu'il 
î  n'ouyst  ce  que   ledit  s"^  disoit  à  la  royne,  et  luy  dict  :  maisque  diriez-vous,  mon 


—  602  — 

»  compère,  que  Soubize  a  tousjours  oppinion  que  le  roy  et  moy  estions  prison- 
»  niers?  àquoy  leconnostablerespondit  :  je  le  croy,  madame,  car  s'ils  n'eussent 
»  pas  pensé  cela,  ilz  estoient  trop  bien  advisez  pour  faire  ce  qu'ils  ont  faict. 

«  Quand  le  s""  de  Soubize  vit  ce  traict-là  en  la  royne,  il  fut  comme  j'ai  dit, 
»  tout  résolu  qu'elle  ne  feroit  jamais  rien  de  bien,  et  n'y  en  eut  plus  d'espérance. 
»  Ce  néantmoins  il  ne  laissa  de  parler  tousjours  à  elle  aussi  librement  que  de 
i>  coustume;  qui  estoit  de  telle  sorte  qu'il  n'y  avoit  homme  en  France  qui  eustla 
»  pi'ivauté  de  ce  faire  comme  luy,  s'estant  tellement  acquis  de  tout  temps  ceste 
»  liberté,  qu'il  la  continuoit  toujours,  de  sorte  que  ceulx  qui  le  voyaient  parler  à 
»  elle  avecque  ceste  franchise,  et  qu'elle  le  trouvoit  bon,  pensoient  qu'il  la 
»  gouvernast  du  tout,  et  plusieurs  courtisans  sur  éeste  opinion,  se  sont,  au 
)■>  partir  de  là,  souvent  venuz  offrir  à  luy.  Or,  tardoit-il  fort  à  la  royne  qu'elle 
»  lepeust  faire  partir  de  la  cour,  pour  ce  qu'il  lui  sembloit  qu'il  luy  ronipoit  tous 
»  ses  desseins,  de  sorte  qu'elle  estoit  tous  les  jours  à  luy  dire  :  que  faites-vous 
»  icy?  Vous  y  avez  tant  d'ennemys,  que  ne  vous  en  allez-vous?  et  quand  il  luy 
»  disoit  qu'il  ne  les  craignoit  point,  elle  luy  respondoit  qu'elle  avoit  peur  pour 
»  luy.  Mais,  madame,  luy  disoit-il,  puisque  je  n'en  ai  point,  vous  ne  devez  pas 
■»  plus  craindre  pour  moy  que  moy  mesmes;  à  quoy  elle  luy  disoit  r  je  le  scay 
»  bien  que  vous  n'avez  point  de  peur,  car  vous  avez  la  plupart  de  la  court  pour 
»  vous,  et  toute  ceste  ville;  mais  j'ay  peur,  vous  voyant  icy  si  fort,  qu'il  n'ad- 
))  vienne  de  la  folie.  Je  crains  tant  que  vous  ne  laciez  quelque  chose.  Je  me 
»  doubtois  bien,  madame,  dit  le  s''  de  Soubize,  que  c'estoit  la  peur  que  vous 
»  aviez  pour  moy;  mais  je  n'ay  rien  à  leur  demander.  Si  vous  avez  tant  de 
»  puissance  sur  eulx  que  vous  dictes,  défendez  leur  de  commencer,  et  je  vous 
»  promects,  sur  mon  honneur,  que  je  ne  le  fer ay  pas  de  ma  part;  mais,  s'ils 
»  commencent,  j'achéveray  si  à  bon  escient,  qu'il  en  sera  mémoire. 

«  Et  pour  ce  qu'elle  continuoit  tousjours  à  le  presser  de  s'en  aller,  il  luy  di- 
»  soit  :  c'est  grand  cas,  madame,  que  vous  ne  voulez  esloigner  du  roy  que  les 
»  bons  et  anciens  serviteu'rs  de  ceste  couronne,  et  ceulx  qui  ont  exposé  leurs 
»  vies  pour  délivrer  vos  majestésde  la  captivité  où  vous  estiez,  et  n'en  approchez 
»  que  ceùlx  qui  veulent  la  ruine  devons  et  de  vostre  estât,  tellement  que,  si  je 
»  voulois  estre  en  vostre  bonne  grâce  et  estre  approché  de  la  personne  du  roy 
»  je  ne  tiendrois  pas  le  chemyn  que  j'ai  tenu,  et  n'est  pas  faulte  de  sçavoir  ce 
»  qu'il  faudroit  faire  pour  y  parvenir.  Et  que  feriez-vous?  dit  la  royne.  Je  vous 
»  prendrois  prisonniers,  dit  le  s""  de  Soubize,  le  roy  et  vous,  comme  ont  faict 
»  ceulx  de  Guise.  Je  sèmerois  des  libelles  diffamatoires  par  Paris  contre  vous, 
»  pour  animer  le  peuple,  comme  ilz  ont  faict.  Je  prendrais  charge  de  vous 
»  estouffer  entre  deux  couettes,  comme  elle  fut  donnée  à  M.  de  Nemours,  au 
»  raareschal  de  Sainct-André  et  à  Rocandolphe.  Je  vous  menacerois,  tous  les 
»  jours,  comme  ilz  faisoient;  je  me  ferois  craindre  à  vous,  comme  ilz  font,  et 
»  usurperois  le  plus  d'aulhorité  que  je  pourrois,  en  diminuant  la  vostre.  Je 
»  sçay  bien  que,  faisant  cela,  je  serois  favorisé  de  vous.  Vous  ne  me  presse- 
»  riez  pas  de  m'en  aller.  J'obtiendrais  tout  ce  que  je  demanderais,  comme  ilz 
3»  font,  au  lieu  que  ceulx  qui  ont  bazardé  leur  vie  pour  vous  délivrer  de  ceste 
»  tyrannie,  sont  reculez  et  mal  voulus  de  vous;  mais  j'aime  mieulx  l'cstre  en 
»  bien  faisant,  que  d'estre advancé  par  telz  moyens. 


—  60»  — 

«  Là-dessuslaroynerioitet  l'asseuroit  que  ce  n'estoit  point  cela,  qu'elle  l'ai- 
»  moit,  et  (fue  c'estoit  l'amitié  qu'elle  luy  portoit  qui  luy  faisoit  dire  ce  qu'elle 
»  disoit;  qu'elle  n'aimoit  point  ceulx  de  Guise,  lesquels  elle  cognoissoit  bien, 
»  mais  qu'elle  estoit  contrainte  de  se  feindre  encores,  pour  quelque  bonne 
B  occasion  qu'elle  ne  pouvoit  dire  ;  mais  qu'il  s'asseurast  que  c'estoit  pour 
»  quelque  chose  de  bon,  ce  que  mesmes  elle  disoit  tous  les  jours  à  madame  de 
»  Savoye,  laquelle  le  racontant  au  s""  de  Soubize  (car  c'estoit  un  des  hommes  de 
»  France  qu'elle  aimoit  et  en  qui  elle  se  doit  le  plus),  ledit  s""  luy  respondit  :  je 
»  ne  m'étonne  plus,  madame,  si  la  royne  ne  mepeultdirepourquoy  ellefaictce 
î  qu'elle  faict,  puisque  c'est  chose  qu'elle  vous  cèle.  Toutesfois  il  estoit  desjà 
»  tout  résolu  de  ne  faire  plus  d'estat  de  ses  promesses. 

»  Quand  il  fut  prest  à  partir  de  la  court,  il  vint,  le  jour  avant,  à  la  royne, 
»  et  luy  dist  :  madame,  j'ay  une  bonne  nouvelle  à  vous  dire.  Eh  quoi  !  dit  la 
»  royne?  Je  voudrois  donc  un  beau  présent  de  vous,  premier  que  de  la  vous 
»  dire;  et  ainsi  s'estant  fait  presser  assez  longtemps,  c'est,  dit-il  que  je  m'en 
ï  vais  demain.  Sur  quoy  la  royne  se  prenant  à  rire,  il  luy  dit  :  je  sçavois 
»  bien,  madame,  que  je  vous  ferois  bien  aise;  mais  quand  vous  plaira-t-il  que 
■»  je  revienne?  Là-dessus  la  royne  lui  dit:  Nous  délibérons  d'aller  en  tel  et  en 
»  tel  lieu  (qui  estoit  tout  le  discours  du  voyage  de  Rayonne),  puis  nous  repasse- 
»  ronspar  fols  et  tels  païs,  et  quand  nous  serons  enGuienne,  vers  vos  quartiers 
»  (qui  ne  pouvoit  estre  plustost  que  de  deux  ans),  envoyez  vers  moy,  et  je 
»  vous  manderay  ce  que  vous  devez  faire.  C'est  à  dire,  respond  le  s'  de  Soubize, 
»  que  vous  voulez  estre  asseurée  de  ne  me  veoir  de  deux  ans;  et,  au  partir 
»  delà,  quand  j'envoyeray  vers  vous,  vous  me  manderez  :  il  y  a  encores  un 
»  chat  de  la  maison  de  Guise  ;  ne  venez  pas,  car  il  vous  esgratignera.  Or,  je 
»  vous  diray,  madame,  ce  que  je  feray.  J'envoyeray  vers  vous  quand  vous  se- 
»  rez  en  Guienne,  puisque  vous  me  le  commandez  :  mais  je  seray  aussy  tost 
»  près  de  vous  que  le  messagier  ;  ce  qu'il  fit.  » 


27" 


Ordonnance  du  7  janvier  1566. 
(Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  3207,  f  5.) 

«  Ordre  que  le  roy  veult  estre  gardé  en  sa  ville  de  Mollins. 

«  Affin  que,  pendant  que  le  roy  fera  séjour  en  ceste  ville  de  Mollins,  toutes 
»  choses  y  soient  contenues  en  meilleur  ordre  etpollice,  et  éviter  tout  débat  et 
f  inconvénient,  Sa  Majesté  a  ordonné  ce  qui  s'en  suyt. 

«  Premièrement,  que  les  deffences  cy-devant  par  luy  faicles  à  toutes  per- 
»  sonnes  de  ne  s'injurier  et  provoquer  de  parolle  ny  de  faict,  tant  pour  le  faict 


—  604  — 

>  de  la  religion  que  autre  occasion,  aussy  de  renouveller  les  anciennes  que- 
»  relies  ni  en  faire  de  nouvelles,  et  de  mectrc  la  main  a  l'espée,  seront  dere- 

>  chef  publyées,  à  son  de  trompe,  par  le  prévost  de  son  hostel,  et  ce,  sur 
»  peine  de  la  vye. 

»  Deffences  aussy  seront  falotes  à  tous  paiges  et  lacquais  porter  aucunes 
»  espées  ni  dagues,  dedans  le  chasteau,  la  ville  et  les  faulxbourgs  dudict  Mol- 
»  lins,  sur  peine  aux  paiges  et  petiz  lacquais  d'estre  fouettez  par  leurs  escuiers, 
»  et  aux  grands  lacquais  d'avoir  l'estrapade,  aussy  confiscation  desdites  espées 
»  et  dagues. 

«  Commandement  sera  faict  aux  habitans  de  ceste  dite  ville  et  faulxbourgs 
»  mectre  et  avoir  tout  du  long  de  la  nuict,  de  deux  en  deux  maisons,  chan- 
»  délies  allumées  dedans  lanternes,  affm  que  ceulx  qui  passeront  par  les  rues 
»  puissent  estre  mieux  congneuz,  sur  peine  d'amende. 

«  Sera  mys  et  estably  ung  corps  de  garde  de  vingt  soldatz  des  bandes  du 
»  s""  Strozzy,  en  la  place  ou  autre  lieu  qu'il  sera  cy-après,  advysé. 

»  Et  pour  la  nuict  y  aura  une  patrouille  de  douze  soldatz  desdites  bandes,  et 
»  seront  conduictz  par  ung  chef  d'icello,  chacun  à  son  tour,  qui  se  pourmèiiera 
»  toute  la  nuict  par  ladite  ville  et  faulxbourgs  affm  d'éviter  qu'il  n'y  ait  aucune 
»  rumeur,  et  à  ceste  fin  demourront  les  portes  de  ladite  ville  ouvertes  toute  la 
»  nuict. 

«  Sera  aussy  defïendu  et  prohibé  à  toutes  personnes,  depuis  que  minuict  sera 
»  sonné,  de  sortir  des  maisons,  aller  ne  se  pourmener  par  ladite  ville  et  faulx- 
X  bourgs,  sinon  en  portant  torches  ou  lanterne  allumée,  et  pour  chose  néces- 

>  saire  ;  et  si  ceulx  de  ladite  patrouille  en  trouvent  aucuns  faisant  autrement, 
»  les  arresteront  et  les  rendront  ez  mains  du  mestre  de  camp  desdites  bandes , 
»  qui  le  lendemain  en  advertira  le  roy,  pour  en  ordonner  son  bon  plaisir. 

»  Le  prévost  de  l'hostel  et  ses  lieutenans  se  pourmèneront  tout  le  jour  par 
»  ladite  ville  et  faulxbourgs,  avecques  ses  archers,  pour  avoir  l'œil  qu'il  n'y  ait 
»  aucune  chose  de  désordre. 

«  Monsieur  le  connestable  ira  quand  bon  luy  semblera  et  sera  nécessaire,  se 
»  pourmener  par  ladite  ville  et  faulxbourgs,  et  messieurs  les  mareschaulx  de 
»  France  aussy,  pour  veoir  comme  toutes  choses  se  porteront  et  pourveoir  à  ce 
»  qui  sera  nécessaire. 

«  Le  roy  veut  et  entend  aussy  que  les  cappitaines  de  ses  gardes  et  leurs 
»  lieutenanz  et  chefz  se  pourmènent  ordinairement  par  la  cour  du  chasteau 
n  avec  le  plus  grand  nombre  d'archers  que  faire  se  pourra,  pour  regarder  qu'il 
»  n'y  ayt  aucun  désordre,  et  quand  le  roy  sortira  pour  s'aller  pourmener,  les- 
»  dits  cappitaines,  l'accompagneront  avec  tous  leurs  archers,  partie  desquelz 
»  demourra  derrière  le  roy  avecques  ung  desdits  capitaines,  pour  avoir  l'œil  à 
»  ceulx  qui  iront  et  viendront  près  Sa  Majesté,  laissant  tousjours  néantmoyns 
»  huict  ou  dix  archers  qui  ne  bougeront  du  chasteau. 

«  Le  cappitaine  de  la  garde  des  suysses  fera  le  semblable,  de  sa  part. 

«  Veult  et  entend  aussy  sadite  Majesté  que  le  me&me  ordre  et  reigle  qui  fut 
»  dernièrement  gardé  à  Baionne  soyt  quant  le  roy  disnera  «t  souppera,  aux 

>  audiences  et  de  jour  en  la  salle  du  bal^  chambre,  antichambre,  et  salle  ordi- 
»  naire  de  sadite  Majesté,  observé  en  tout  et  partout. 


—  605  — 

«  Et  affin  que  le  peuple  ne  soyt  foullé  ni  pillé  es  environs  de  ceste  dite  ville, 
»  entend  aussy  sadite  Majesté  que  le  lieutenant  du  prévost  de  son  liostel 
»  ordonné  pour  les  villaiges,  aille  faire  ses  chevauchées  et  rapporte  ses  pro- 
»  cès-verbaux,  pour  veoir  ceulx  qui  paient  ou  non,  affin  d'y  estre  pourveu 
»  ainsy  qu'il  appartiendra. 

«  Faict  au  conseil  du  roy  tenu  à  Mollins,  le  septième  jour  de  janvier  1566 
«  (signé)  :  de  l'Aubespine. 


28° 


Madame  de  Soubize. 
{Mémoires  de  la  vie  de  Jean  de  Parthenaij-Larchevéqtie,  sieur  de  Soubiz,e,  p.  23,76,  77.) 

Après  s'être  signalé  au  siège  de  Metz,  Soubize  épousa,  en  1553,  Antoinette 
d'Aubeterre,  l'une  des  filles  d'honneur  de  la  reine  mère,  <  laquelle  il  aymoit 
»  longtemps  auparavant,  et  avant  que  penser  à  l'espouser,  luy  avoit  donné 
»  cognoissance  de  la  vraye  religion,  comme  à  celle  qu'il  aymoit  lors  comme 
»  sa  sœur,  et  avec  laquelle  depuis  il  vescut  jusques  à  sa  mort  en  la  plus  grande 
»  et  parfaite  amitié  qui  peult  estre  entre  mary  et  femme.  » 

Si  nous  ne  pouvons  ici  retracer  la  vie.  si  pure  et  si  belle  de  madame  de  Sou- 
bize, insistons  du  moins  sur  un  trait  qui  prouve  que  cette  femme,  distinguée  à 
tous  égards,  était  une  héroïque  chrétienne. 

A  peine  son  mari,  envoyé  à  Lyon  par  Condé,  en  1562,  lui  avait-il  annoncé, 
par  un  messager  fidèle,  son  arrivée  en  cette  ville,  où  il  l'engageait  à  venir  le 
rejoindre,  qu'elle  lui  écrivit  :  «  qu'elle  avoit  eu  advertissement  qu'on  la  vou- 
»  loit  prendre,  elle  et  sa  fille,  et  les  mener  devant  Lyon,  menaçant  le  sieur  de 
»  Soubize  de  les  tuer  toutes  deux,  s'il  ne  rendoit  la  ville  ;  ce  qu'elle  ne  mandoit 
»  audit  sieur  son  mari  comme  chose  certaine,  de  peur  de  l'affliger,  mais  seu- 
»  lement  le  supplioit,  au  nom  de  Dieu,  si  d'avanture  cela  advenoit,  de  n'estre 
»  esmeu  de  nulle  affection  naturelle,  mais  de  préférer  la  gloire  de  Dieu  et  son 
»  debvoir  à  la  vie  d'elle  et  de  sa  fille,  d'autant  qu'elle  eùst  beaucoup  mieux 
»  aymé  mourir  de  mille  morts,  si  faire  se  pouvoit,  que  si  cela  eust  esté  cause 
»  de  luy  rien  faire  faire  contre  l'honneur  de  Dieu,  le  sien  et  le  service  ds  son 
»  roy;  adjoustant  que  ce  qu'elle  luy  en  mandoit  n'estoit  pour  double  qu'elle 

»  eûst  de  sa  résolution,  mais  pour  luy  rendre  tesmoignage  de  la  sienne Le 

»  sieur  de  Soubize  a  dict  maintes  fois  depuis  à  sa  femme  que  c'estoit  un  des 
»  plus  grands  plaisirs  qu'il  avoit  jamais  reçus,  de  la  voir  en  ceste  résolulion.  » 


—  606 


29° 


Villegagnon  au  cardinal  Granvelle.  25  mai  1564. 
(Papiers  d'État  de  Granvelle, l.  Vil,  p.  660.) 

«  Monseigneur,  j'auré  un  desplaisir  incroyable  d'estre  approché  si  prez  de 
»  vous  sans  vous  faire  la  révérence,  et  vous  communiquer  des  choses  passées 
»  en  cesle  sinistre  et  déplorable  condition  de  temps,  où  Dieu  m'a  continuelle- 
»  ment  exercilé  en  la  compaignie  de  nostre  prince,  le  preux  et  saint  Françoys, 
»  duc  de  Guise,  que  Dieu  par  sa  miséricorde,  veuille  absoudre.  —  S'il  n'i  avoit 
»  aultre  considération  que  de  mon  intérest,  je  ne  fanldroye  à  vous  aller  trou- 
»  ver  :  car  j'ay  quicté  tous  les  estatz  et  pensions  que  j'ay  eu  du  roy  ;  ayant 
»  prins  congé  de  la  royne-mère  à  Bar,  dernièrement,  ai  dit  tout  hault  que  jus- 
»  ques  à  ce  que  le  roy  soyt  ennemi  formel  des  ennemis  de  Dieu  et  de  son 
»  église,  les  Aygnos  (Huguenots),  c'est-à-dire,  en  langue  de  Suisse,  rebelles  et 
»  conjurés  contre  leur  prince  pour  la  liberté  je  ne  porteré  jamays  armes  au  ser- 
»  vice  dudit  seigneur,  ce  que  je  veulx  tenir  et  observer  religieusement,  et 
»  employer  tout  ce  que  Dieu  a  mis  en  moy  à  nuire  à  ceste  infélice  et  exécrable 
»  secte.  Je  vous  eusse  voulontiers  communiqué  de  quelque  mienne  délibéra- 
»  tion,  si  vous  n'eussiez  trouvé  maulvoys  mon  aller  pardevers  vous  ;  mais  j'es- 
»  père  que,  quelque  jour,  vous  le  pourrez  entendre.  Je  sohayte  estre  aymé  et 
»  cogneu  du  roy  Philippe,  corne  j'ay  esté  de  l'heureuse  mémoyre  de  l'empereur 
»  son  père,  pour  m'aller  reposer  et  consoler  auprès  de  lui,  attendant  l'occasion 
«  que  je  désire,  etc.,  etc.  » 


Villagagnon  au  cardinal  Granvelle.  27  mai  1564. 
(Papiers  d'Etat  de  Granvelle,  t.  VII,  p.  663.) 

«  Dieu,  inspirant  le  roy  Philippe  d'entreprendre  quelque  chose  en  faveur 

»  del'Eglise,jenefauldréàle  servir  de  tel  soin,  zèle  et  dévotion  que  j'ay  servyles 
»  roys  mes  maistres,  si  mon  service  luyest  agréable,  soyt  contre  les  aygnoz  soyt 
»  contre  les  Turcs  :  car  j'ay  délibéré  de  obéir  au  conseil  et  commandement  que 
»  me  feit  d'heureuse  mémoyre  le  bon  Charles,  moy  estant  à  Crémone,  où  il  m'en- 
»  voya  le  sieur  Gymera,  mon  compagnon  :  c'est  de  ne  pourter  jamays  armes 

»  sinon  contre  les  ennemys  de  nostre  saincte  religion La  royne  (Catherine) 

»  est  en  une  crainte  incroyable  des  Allemanz  qu'ilz  ne  reviennent  au  secours  des 


—  607  — 

»  aygnoz,  et  cependant  elle  les  laysse  fortifler  et  augmenter.  Toutesfoys  m'es- 
»  tant  trouvé  ces  jours  passez  avec  ung  de  son  conseil,  je  luy  remonstray  que 
»  messire  Gaspar  de  Colligny  et  ceulx  de  son  parti  ne  sont  ignorans  de  nostre 
»  loy  salique,  laquelle  dit  que  les  biens  des  rebelles,  annexés  à  la  couronne  par 
»  arrêt  de  la  cour,  sont  inalliénables,  puis  après  ce  n'est  au  prince  d'en  fayre 
»  don  ne  grâce  ;  qu'en  force  de  ceste  loy,  ledit  de  Colligny  voyt  soy  et  sa  pos- 
»  térité  hors  de  Chastillon  et  inhabile  d'avoir  biens  et  honneurs  en  France,  sinon 
»  par  souffrance  et  tant  qu'il  plaira  au  prince,  duquel  la  volonté  et  délibération 
»  luy  peut  estre  peu  certène  ;  que  cela  pourra  faire  que  ledit  de  Colligny  voul- 
»  dra,  en  ayant  occasion,  faire  tuer  ceulx  qui  lui  semblera  pour  faire  aultre 
»  loys,  et  se  fortifier  d'aultres  remèdes.  En  oultre,  que  si  la  royne  veult  faire 
»  en  ce  resguard  estindre  la  loy  salique,  que  îe  roy  Philippe  (d'Espagne)  aura 
»  autant  de  raison  de  dire  que  ladite  loy  ne  vault  et  ne  doibt  avoir  lieu  en  ce 
»  qu'elle' ordonne  de  la  succession  au  royaulnie,  en  en  déboutant  les  femmes  : 
»  car  toutes  ces  deux  cautions  viennent  d'une  source.  J'ay  procuré  assés  d'aul- 
»)  1res  moyens  pour  amener  lesdits  rebelles  en  haine  et  suspicion  de  ladite 
»  dame,  et  à  mon  partement,  je  luy  di  que  j'avoye  esté  estropié  pour  son  ser- 
»  vice,  combattant  les  ennemis  de  la  couronne,  quoy  que  l'on  en  eûst  dit, 
»  que  par  la  court  de  parlement  ilz  avoyent  esté  déclayrés  telz  :  à  quoy  elle 
»  ne  me  respondit  aulcune  chose  ;  puis  en  me  départant  d'elle,  elle  me  feit  signe 
»  de  l'œil  et  me  feit  approcher  et  me  dit  :  asseurez-vous,  Villegaignon,  que  je 
»  suis  vostre  amie;  ce  que  je  n'attendoye  d'elle,  ayant  aultre  foys  dit  que  j'es- 
»  toye  trop  passionné;  par  ainsi  j'euz  quelque  froyde  espérance  qu'elle  se 
»  ennuisera  bientost  de  ces  gens-là.  — 'En  faisant  fin,  monseigneur,  je  vous 
»  supplieré  de  me  tenir  tousjours  en  vostre  bonne  grâce,  et  vousasseure  que  je 
»  ne  ferayjamais  paL\  avec  les  ennemis  de  nostre  saincte  foy,  et  qu'ilz  me  peu- 
»  vent  tenir  pour  formellement  consacré  à  leur  nuire  de  ce  que  Dieu  a  miz  de 
j  puissance  en  moy,  comme  fit  Hanibal  s'en  allant  contre  les  Romains,  d 


Villegagnon  à  Charles  IX.  26  décembre  1567. 

(Bibl.  nal.  collect.  Harlay,  n.  318,  P  179.  —  Append.  aux  mém.  de  CL  Hatton, 

t.  II,  p.  H05,  1106.) 

« Le  s""  de  Clayrmont  s'est  retiré  à  Préci,  disant  avoir  saulve-garde  de 

»  vostre  Majesté  et  pardon  de  ses  fautes,  auprès  duquel  toutesfoys  se  retirent 
»  les  ennemis,  come  s'il  estoit  non  repentant  de  l'intelligence  des  Collignis.  Il 
»  vous  playra,  sire,  me  fère  entendre  come  j'auray  à  me  maintenir  avec  lui. 
»  Il  a  prins,  comme  j'entens,  en  sa  protection  le  s'  de  Choiuot  et  son  chasteau, 
»  retraycte  des  brigands.  Ceulx  de  Courtenay,  de  Chastillon  et  de  Chasteau- 
»  Renard  n'ont  moindre  commerce  avec  eulx  qu'avec  ung  de  voz  principaux 
»  ennemis.  D'aultre  costé,  nous  avons  Valeri,  Dolot,  Chevri,  chasteaux  occupez 
»  par  le  prince  de  Condé,  pleins  de  brigands,  qui  sont  continuellement  à  batre 
^  et  espier  les  chemins  pour  voler  les  passans,  disantz  estre  en  saulve-guarde 


—  608  — 

»  de  vostre  Majesté;  et  pour  endormir  voz  pauvres  subjectz,  portent  croyx 
»  blanches  en  leurs  manteaulx,  jusques  à  l'approche  de  leur  proye  qu'ilz  se 
»  descouvrent  et  monstrent  leur  casaque  de  huguenotz.  Nous  pourrions  remé- 
î  dier  à  ces  inconvéniens,  si  avions  de  bons  souldars  bien  payez  et  bien 
»  vivans,  etc.,  etc.  » 


30» 


État  de  dépense  pour  la  marine  royale.  23  avril  1566. 
(Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  3;i97,  f  U.) 


«  Estât  de  la  despense  de  la  somme  de  seize  mil  vingt  livres  tournois,  par 
»  nous  ordonnée  pour  estre  convertie  et  eraploiée  au  paiement  des  visamyraulx, 
ï>  de  France,  Picardie  et  Bretaigne,  gentilzhommes,  cappitaines,  maistres, 
»  pillotles,  canonniers,  charpentiers,  gardiens  de  vaissaulx,  et  autres  officiers 
»  et  pensionnaires  ordinaires  de  nostre  marine  de  Ponant,  contenus  en  ce  pré- 
»  sent  estât  pour  leurs  gaiges  et  appointemens,  durant  l'année  commençant  le 
»  premier  jour  de  janvier,  l'an  mil  cinq  cens  soixante  six,  et  finissant  le  dernier 
»  jour  de  décembre  prochain  ensuivant,  selon  que  iceux  noz  officiers  et  pen- 
»  sionnaires  ont  esté  appointez  et  couchez  en  ce  dict  estât  par  nostre  très  cher 
»  et  amé  cousin  le  s''  de  Chastillon,  chevalier  de  nostre  ordre  et  amyral  de 
»  France,  auquel  nous  en  avons  donné  la  totalle  charge  et  superintendance,  et 
»  voulons  que  les  deniers  revenans  bons  par  mort,  forfaicture  ou  aultrement 
»  des  desuommez  cy-après  soyent  payez  et  délivrez  par  nostre  amé  et  féal  con- 
»  seiller  et  trésorier-général  de  nostre  extraordinaire  de  la  guerre  31.  Guil- 
»  laume  Brochet,  ainsy  qu'il  luy  sera  ordonné  par  nostre  dit  cousin  l'amyral, 
»  auquel  rapportant  les  ordonnances  avec  les  quictances  de  celuy  ou  ceulx  à  qui 
»  lesdites  sommes  auront  par  luy  esté  ordonnées,  nous  voulons  icelles  estre 
»  passées  et  allouées  es  comptes  dudit  trésorier  par  nos  amés  et  féaulx  les 
»  gens  de  nos  comptes  à  Paris,  ausquelz  nous  mandons  ainsi  le  faire  sans 
»  difficulté. 

«  Et  premièrement  : 

«  Au  s""  de  La  Meilleraye,  chevalier  de  l'ordre  et  visamyral  de 
»  France Cil   1 .  ?.. 

«  Au  s"^  de  Bonisse,  chevalier  de  l'ordre  et  visamyral  dey  Bretaigne.       Cil    I.  z. 

«  Au  s""  de  Sénarpont,  aussi  chevalier  de  l'ordre  et  visamyral 
»  de  Picardie T   \.  z. 

«  Au  s'  de  Fors,  lieutenant  général  dudit  s""  amyral  en  la  coste 
»  de  Caux r llir  1.  z. 


—  609  — 

«  Cappitaines.  V 

<i  Au  s^  de  La  Grippure IIII»  1.  z 

«  Au  s""  Saunes IIII'  1.  z. 

c  Au  cappitaine  Jehan  Ribault IIII»  1.  z. 

(Suivent  les  noms  de  39  autres  capitaines). 

(Puis  viennent  les  noms  de  9  commissaires  de  l'artillerie  et  canonniers, 
de  15  pilotes  et  maîtres  de  navires,  de  10  écrivains,  de  4  charpentiers,  de  6 
gardes  de  vaisseaux,  et  de  6  officiers) . 

«  Nous,  Charles,  par  la  grâce  de  Dieu,  roy  de  France  certiffions  à  nos  amés 
»  et  féaulx  les  gens  de  nos  comptes  à  Paris,  et  aultres  qu'il  appartiendra,  que 
»  nous  avons  ordonné  et  ordonnons  la  somme  de  seize  mille  vingt  livres  tour- 
»  nois  cy-dessus  mentionnée  pour  estre  convertie  et  employée  au  paiement  des 
»  officiers  et  pensionnaires  de  nostre  dite  marine  de  Ponant,  desnommez  en 
»  cest  estât,  pour  leurs  gaiges  et  appoinctemens  durant  l'année  mil  cinq  cens 
j  soixante  six,  suyvant  le  département  que  il  a  esté  faict  par  nostre  dict  cousin 
»  l'amyral  de  France,  et  voulons  ladite  somme  estre  baillée  es  mains  de  nostre 
»  trésorier  général  de  l'extraordinaire  de  la  guerre,  maistre  Guillaume  Brochet 
»  et  par  luy  payée  aux  dessus  nommez  par  quartiers,  en  rapportant  le  présent 
»  estât  signé  de  notre  main,  avec  quictance  des  personnes  y  desnommées  où  elles 
»  cscherront,  nous  voulons  les  parties  et  sommes  de  deniers  ainsy  pai^  luy 
»  payées,  baillées  et  délivrées  estre  passées  et  allouées  es  la  dépense  de  ses 
»  comptes  et  rabattus  des  deniers  de  sa  recepte  et  trésorerie  par  vous  les  gens 
»  de  nos  dits  comptes,  à  Paris,  ausquels  nous  mandons  ainsy  ce  faire  ;  car  tel 
»  est  nostre  plaisir,  nonobstant  quelconques  ordonnances,  arrêtés  de  comptes, 
»  mandemens  et  deffences  à  ce  contraires. 

«  Faict  à  Ezray  le  XXIll^  jour  d'avril,  l'an  1566. 

«  Ainsi  signé  Charles,  et  au  dessoubz,  de  L'Aubespine. 
«  Collation  faictc   par  nous   Edme  Pyat  et  Hannetier,  notaires  et  tabellions 

»  de  Chaslillon-sur-Loing,  à  l'original  de  ces  présentes,  le  dernier  jour  d'avril, 

»  l'an  1566.  Pyat,  Hannetier.  > 


31« 


Requête  des  réformés. 
(La  Popelinièrc,  hist.  de  Fr. ,li\.  XII,  f  20 


«  Au  roy.  —  Sire,  vos  très  humbles  et  très  obéissans  sujets  et  serviteurs, 
»  les  premiers  princes  de  vostre  sang,  seigneurs,  gentilshommes  et  autres,  qui 
»  vivent  en  ce  royaume  selon  la  pureté  de  l'Évangile,  sous  vostre  obéissance, 
"•  39 


—  610  — 

»  vous  remonstrent  en  toute  humilité  :  que,  combien  que  la  vérité  aye  ceste  force 
))  et  propriété  de  se  faire  assez  paraistre  de  soy-mesme  :  que  néantmoins  ne 
»  pouvans  plus  porter  qu'avec  un  extrême  regret  les  calomnies  et  impostures 
»  que  ceulx  de  la  maison  de  Guyse,  ennemis  du  bien  et  repos  de  ce  royaulme, 
»  leur  veulent  par  artifices  et  moyens  industrieux  mettre  à  sus  les  meschan- 
■»  cetez  et  sinistres  opinions  qu'ils  taschent  journellement  d'imprimer  en  vostre 
»  esprit  :  que  lesdils  premiers  princes  de  vostre  sang,  seigneurs,  gentils- 
»  hommes  et  autres  de  la  religion  se  soyent  tant  oubliez  eux-mesmes  et  la 
»  générosité  de  leurs  ancestres,  et  le  devoir  de  fidélité  qu'ils  vous  doyvent 
»  comme  à  leur  souverain  prince  et  seigneur  naturel,  que  d'avoir  voulu  ou 
»  attenter  à  vostre  personne,  ou  entreprendre  sur  vostre  estât;  craignans 
»  qu'avec  le  temps  telles  impressions  prennent  racine  trop  forte,  et  que  leur 
»  trop  longue  patience  et  silence  serve  de  preuve  auxdits  de  Guyse  et  donne 
»  occasion  au  commun  peuple,  qui  est  de  soy  assez  crédule,  d'y  adjousler  quel- 
»  que  foy,  et  à  eux-mesmes,  qui  de  tout  temps  sont  assez  mal  affectionnez  en 
»  leur  endroit,  à  cause  de  la  religion  seulement  dont  ilz  font  profession  :  et 
»  desirans  faire  toucher  au  doigt  et  à  l'œil,  combien  telles  accusations  sont 
»  eslongnées  de  toute  apparence  de  vérité,  et  combien  à  bon  droit  on  pourroit 
»  impropérer  ausdits  de  Guyse  lesdits  crimes,  si  on  veut  examiner  toutes  leurs 
»  affections  passées  ;  ont  estimé  lesdits  premiers  princes  du  sang,  gentils- 
»  hommes  et  autres  de  la  religion,  qu'ilz  ne  pouvoient  ny  ne  dévoient  avoir 
»  recours  à  autre,  après  Dieu,  qu'à  vostre  Majesté,  pour  luy  en  faire  leurs 
»  justes  plaintes  et  doléances  et  en  avoir  la  l'éparation  telle  qu'ils  en  espèrent, 
»  et  que  le  cas  le  semble  bien  requérir,  laquelle  ils  supplient  très  humblement 
»  vouloir  considérera  quelle  finpouvoit  tendre  la  grande  et  soigneuse  recerche 
»  que  lesdits  de  Guyse  ont  fait  faire  de  leur  race  et  généalogie,  par  le  moyen  de 
»  laquelle  ils  ont  voulu  faire  croire  qu'ils  estoient  descendus  du  sang  des  légi- 
»  times  rois  de  France,  et  la  couronne  usurpée  sur  leurs  ancestres  ;  les  droits 
»  par  eux  mis  en  avant,  qu'ils  prétendent  sur  les  duché  d'Anjou  et  comté  de 
»  Provence;  les  troubles  et  divisions  qu'ils  ont  mis  en  ce  royaume  et  qu'ils 
»  nourrissent  et  entretiennent  encore  aujourd'huy,  comme  le  seul  et  plus 
»  expédient  moyen  pour  parvenir  à  leurs  ambitieux  desseins  ;  les  fausses  et 
»  calomnieuses  impressions  qu'ils  donnent  à  vostre  Majesté,  de  vos  plus  fidèles 
»  sujets  et  obéissans  serviteurs,  sous  couleur  et  titre  de  la  religion,  qui  n'ont 
»  jamais  en  aucune  manière  espargné  ny  leurs  vies,  ni  leurs  biens  pour  con- 
»  server  vostre  vie  et  vostre  couronne  contre  leur  tyrannie  et  violence.  Et  raes- 
»  raement  es  derniers  troubles  et  qui  ont  mieux  aimé  supporter  avec  une  pa- 
»  tience  incroyable  une  infinité  d'injures,  oppressions  et  injustices,  que  d'estre 
»  veus  s'eslongner  tant  peu  que  ce  soit  de  l'obéyssance  qu'ils  doivent  à  vostre 
»  Majesté,  espérant  tousjours  que  le  temps  leur  apporterait  quelque  soulage- 
»  ment  de  leurs  maux;  de  façon  qu'on  peut  juger  aisément  (si  on  se  veut  entiére- 
»  ment  despouiller  de  toute  passion  particulière),  que  lesdits  de  Guyse  ne  peu- 
»  vent  imputer  à  infidélité  et  desloyauté  ausdits  premiers  princes,  gentilhommes, 
»  et  autres  de  la  religion,  sinon  de  s'estre  opposez  vertueusement  à  leurs  perni- 
»  cieuses  entreprinses.  Ce  qui  doit  estre  prins  et  reconnu  pour  une  loyauté  et 
»  fidélité  qui  sera  à  jamais  remarquée  de  toute  la  postérité,  comme  en  ceste 


-^  611  — 

»  occasion  qui  s'offre  aujourd'huy,  lesdits  de  la  religion  et  tous  ceux  qui  sont 
»  tant  soit  peu  affectionnez  à  la  conservation  de  ceste  couronne,  mériteroient 
»  estre  à  bon  droict  taxés  non  seulement  d'infidélité  mais  de  trahison  et  las- 
»  cheté  trop  grande,  si  de  tous  les  moyens  qu'il  plaira  à  Dieu  leur  donner  ils 
»  ne  repoussoyent  encores  avec  une  mesme  vertu  et  constance  les  nouvelles 
»  entreprinses  desdits  de  Guyse  naguéres  basties  par  les  menées  et  pratiques 
»  du  cardinal  de  Lorraine  et  par  le  moyen  de  l'intelligence  qu'il  a  avec  les 
»  estrangers,  qui  ne  peut  tendre  qu'à  la  subversion  et  ruine  totale  de  cest  estât. 
»  Et  par  ce  moyen  lesdites  accusations  n'ayant  aucun  fondement  ni  couleur  de 
»  vérité,  et  n'ayant  esté  forgées  et  mises  en  avant  par  lesdits  accusateurs  que 
»  pour  rétorquer  sur  vos  plus  fidèles  serviteurs  les  crimes  dont,  à  bonne  et 
»  juste  cause,  on  les  peut  dire  eux  mesmes  estre  suffisamment  atteints  et  con- 
»  vaincus;  il  plaise  à  vostre  Majesté  ordonner  en  estre  fait  une  rigoureuse  et 
»  exemplaire  punition,  et  telle  que  lesdits  premiers  princes,  seigneurs,  gentils- 
«  hommes  et  autres  de  la  religion  mériteroyent  bien,  si  l'accusation  proposée 
»  par  lesdits  de  Guyse  à  l'encontre  d'eux  estoit  véritable.  Et  d'autant  que  les- 
»  dits  de  Guyse  ne  laisseront  rien  en  arrière  pour  calomnier  et  faire  trouver 
»  mauvais  que  lesdits  princes,  seigneurs  et  gentilshommes  de  la  religion  soyent 
»  venus  trouver  vostre  dite  Majesté  avec  armes,  pour  ce  qu'il  semble  que  ce 
»  n'est  la  façon  en  laquelle  le  sujet  doive  venir  trouver  son  prince;  ils  vous 
»  supplient  très  humblement  vouloir  considérer,  qu'estant  déjà  tenus  comme 
»  coulpables  des  crimes  à  eux  imposés  par  lesdits  de  Guyse,  et  estant  vostre 
»  Majesté  par  leurs  persuasions  entrée  en  une  manifeste  défiance  d'eux,  et  s'es- 
»  tant,  pour  ceste  cause,  armée  des  forces  estrangères,  combien  qu'elles  eussent 
»  esté  mandées  sous  autre  couleur,  et  ayans  aussi  esté  tenus  trois  conseils,  tant 
»  à  Marchaix  qu'à  Montceaux  pour  se  saisir  des  personnes  desdits  premiers 
»  princes  et  autres  principaux  seigneurs  de  la  religion,  et  vostre  Majesté  na- 
»  guères  encore  sollicitée  et  sommée  d'entretenir  la  promesse  par  vous  de 
«  longtemps  faite  au  roy  d'Espagne  de  vous  saisir  desdits  principaux  de  la  reli- 
»  gion  et  exterminer  tous  ceux  qui  en  font  profession  ;  il  ne  leur  pouvait  rester 
»  autre  moyen  de  leur  accez  en  ce  lieu,  sans  encourir  un  danger  et  péril  éminent 
»  de  leurs  personnes,  qu'avec  les  armes  :  desquelles  ils  protestent,  devant  vostre 
»  Majesté  comme  devant  Dieu,  qu'ils  n'ont  jamais  eu  autre  volonté  d'user 
»  comme  encore  ils  n'ont,  que  pour  le  bien  de  vostre  service  et  la  conservation 
»  et  maintien  de  vostre  grandeur  et  couronne,  de  la  royne  vostre  mère,  de 
»  messeigneurs  vos  frères  et  de  tous  ceux  qui  vous  appartiennent;  et  quinedé- 
»  généreront  jamais  de  la  vertu  de  leurs  ancestres,  la  fidélité  desquels  a  fait 
»  remarquer  de  toute  ancienneté,  la  nation  française  entre  toutes  les  autres 
■»  comme  la  plus  loyale  et  fidèle  à  son  prince.  » 


—  042 


32" 


Demandes  des  réformés. 
(La  Popelinière,  hist.  de  Fr.,  liv.  XII,  fo  21.) 

»  Après  que  M.  le  chancelier  eut  leu,  hier,  troisième  de  ce  mois,  en  présence 
»  de  M.  le  prince  de  Condé  et  des  seigneurs  et  autres  gentilzhommes  qu'il  a 
»  assemblez,  les  lettres  patentes  qu'il  a  pieu  au  roy  leur  envoyer,  par  les- 
»  quelles  il  n'estoit  satisfaict  aux  points  contenus  en  la  requeste  par  eux 
»  cy-devant  adressée  à  Sa  Majesté,  ledit  seigneur  chancelier  Itur  fit  entendre 
»  que  Sa  Majesté  trouveroit  bon,  s'ils  avoient  autre  chose  à  requérir  ou  re- 
»  monstrer  davantage,  pour  lever  les  armes  et  restablir  le  repos  public  en  ce 
»  royaume,  qu'ils  eussent  à  le  déclarer,  pour  y  eslre  pourveu,  ainsi  que  Sa 
»  Majesté  trouveroit  convenable.  Qui  est  cause  que  ledit  seigneur  prince  et 
»  ceux  de  sa  compagnie  n'ont  voulu  faillir  de  luy  remonstrer  en  toute  humilité 
»  ce  qui  s'en  suit.  —  Premièrement,  parce  que  la  source  et  seule  cause  de  ce 
»  que  les  armes  ont  esté  uaguères  prinses  en  ce  royaume  est  provenue  du'soup- 
»  çon  et  déliance  qu'aucuns  malins  estans  près  de  Sa  Majesté,  par  calomnies  el 
î  impostures  luy  ont  engendrée  et  imprimée,  et  qu'il  a  demonstré  avoir  de  tous 
»  ses  sujets  vivans  en  ce  royaume  selon  la  pureté  de  l'Évangile,  et  conséquem- 
y>  ment  de  la  nécessité  en  quoy  ils  se  sont  trouvés  réduits,  de  conserver  la 
»  liberté  de  leurs  consciences,  leurs  vies  et  biens,  contre  lea^desseins,  enlre- 
>  prises  et  préparatifs  des  forces  qu'ils  ont  veues  dressées  contre  eux.  —  A 
»  ceste  cause,  ils  supplient  très  humblement  Sa  Majesté  vouloir  considérer 
»  qu'il  n'y  a  autre  meilleur  expédient  ne  plus  certain  remède  pour  remettre  et 
■»  réduire  toutes  choses  en  bon  estât  et  ce  royaume  en  sa  première  splendeur 
»  et  tranquillité  que  faire  paroistre  à  ses  dits  sujets  qu'il  est  asseuré  de  leur 
»  fidélité  et  loyauté,  et  qu'il  a  osté  telles  défiances.  Ce  qui  ne  se  peut  mieux 
»  faire  qu'en  ne  tenant  aucunes  forces  estrangères  et  extraordinaires  près  de  sa 
»  personne,  non  plus  que  les  roys  ses  prédécesseurs  ont  fait  :  pour  incontinent 
»  après  commander  audit  seigneur  prince  et  sa  compagnie  de  le  venir  trouver 
»  pour  luy  baiser  les  mains  et  les  tenir  près  de  sa  personne  comme  ses  autres 
»  sujets,  afin  de  lever  non  seulement  toute  occasion  de  défiance,  mais  aussi 
»  toute  mauvaise  opinion  et  note  d'infamie,  qui  autrement  en  plusieurs  lieux 
)>  leur  pourroit  demeurer,  de  laquelle  plustost  que  n'estre  par  tels  moyens  des- 
»  chargez  et  reconnus  pour  telz  qu'ils  sont,  c'est  à  sçavoir  bons  et  fiièles 
»  sujets  de  Sa  Majesté,  ils  sont  tous  résolus  de  mourir.  Et  d'autant  donc  que 
»  telle  défiance,  et  conséquerament  la  prinse  des  armes  sont  procédées  de  la 
»  malignité  et  suggestion  de  ceux  de  Guyse  et  autres  leurs  adhérens.  enne- 


—  613  — 

»  mis  invétérés  de  ceste  cause  et  du  repos  public,  et  que  par  leurs  calomnies 
»  et  fausses  accusations  ledit  seigneur  prince  et  si  grand  nombre  de  noblesse 
»  sont  grandement  outragez  en  leur  honneur  et  loyauté,  suppliant  très  humble- 
»  ment  Sa  Majesté  de  leur  en  faire  réparation,  et  qu'il  leur  soit  satisfait, 
»  attendu  qu'il  n'y  a  aucun  bon  fondement  de  vérilé  en  leurs  accusations,  et 
»  que  Sa  Majesté  a  peu  évidemment  juger  et  connoistre  que  ledit  seigneur 
»  prince  et  ceux  de  sa  compagnie  n'ont  jamais  eu  aucune  mauvaise  volonté  ne 
»  entreprise  contre  sa  personne  ou  son  estât,  ains  que  la  seule  cause  et  néces- 
»  site  les  a  contraints  de  prendre  les  armes  pour  se  conserver  :  puis  qu^'lyans 
»  moyens  de  s'assembler  si  promptement,  comme  ils  ont  démonstré,  ilz  ne 
»  l'ont  fait  que  lorsqu'il  y  a  eu  forces  estrangères  en  ce  royaume,  et  non  pas 
»  quand  ils  ont  eu  depuis  quatre  ou  cinq  ans  moyen  et  occasion  de  pouvoir 
»  exécuter  sans  nulle  difficulté  un  mauvais  dessein,  s'ils  l'eussent  eu.  Et  parce 
»  que  le  motif  de  toutes  les  divisions  et  animositez  qui  se  nourrissent  entre  les 
»  sujets  de  Sa  Majesté,  à  cause  de  la  religion,  vient  principalement  des  déclara- 
»  tions,  interprétations,  restrictions  et  modifications  faictes  sur  l'édict  de  paci- 
»  fication,  au  moyen  desquelles  les  malins,  sous  prétexte  de  zèle  de  religion, 

>  taschent  par  tous  moyens  de  le  desnuer  et  retrancher,  tellement  qu'il  ne  luy 
»  demeure  que  le  seul  nom  ;  et  en  outre  se  nourrissent  tousjours  en  ime  espé- 
»  rance  de  pouvoir  par  recerche  de  contraventions  ausdites  déclarations,  rendre 
»  coulpables  tous  ceux  de  la  religion  réformée,  pour  par  après  non  seulement 
»  avoir  occasion  de  les  priver  du  bénéfice  dudict  édict,  mais  aussi  d'entreprendre 
»  sur  eux  et  les  ruiner.  Ledit  seigneur  prince  et  ceux  de  sa  compagnie  supplient 
»  très  humblement  Sa  Majesté,  pour  couper  du  tout  cy-après  chemin  à  telles  re- 
»  cherches  et  semences  de  troubles,  vouloir  permettre  l'exercice  de  ladite  reli- 
»  gion  libre,  sans  distinction  ou  limitation  des  lieux  ou  personnes,  ainsi  que 
))  l'empereur  Charles,  après  les  guerres  qu'il  avait  eues  contre  ceux  de  la 
•»  Germanie,  trouva  bon  leur  accorder,  encores  qu'il  fùst  demeuré  victorieux  et 
»  qu'il  tinst  les  principaux  princes  et  chefs  en  sa  puissance  ;  ce  qui  depuis  y  a 
»  causé  et  entretenu  un  bon  repos,  lequel  y  dure  encores  à  présent.  Et  d'autant 
»  aussi  que  ce  qui  mescontente  la  noblesse  de  ce  royaume,  est  de  veoir  les 
»  charges,  honneurs  et  faveurs  départis  à  personnes  indignes,  et  ceux  qui  sont 
»  de  basse  condition  eslre  les  plus  proches  de  la  personne  de  Sa  Majesté,  ou 
»  s'ils  sont  de  la  qualité  de  noblesse,  n'avoir  aucune  expérience  des  armes 
»  et  n'en  avoir  fait  profession,  indignes  de  la  grandeur  d'un  si  grand  roy. 
j  Partant,  ledit  seigneur  prince,  les  officiers  de  la  couronne,  seigneurs  et 

>  gentilzhommes  qui  sont  en  sa  compagnie,  remonstrent  en  toute  humilité  à  Sa 

>  Majesté  que,  pour  le  bien  de  ses  affaires  et  de  son  service  et  pour  sa  gran- 
»  deur,  il  sera  ti'ès  requis  de  départir  les  charges  et  honneurs  selon  les  ver- 
î  tus  et  mérites,  et  d'approcher  de  sa  personne  ceux  qui  en  sont  dignes  ;  pa- 
î  reillement  ordonner  que  les  officiers  de  la  couronne  et  autres  seigneurs  qui 
»  ont  les  charges  et  en  sont  capables,  les  puissent  faire  sans  qu'aucun  s'avance 

>  d'entreprendre  sur  icelles.  Par  mesme  moyen,  d'autant  que  ce  qui  altère 
»  généralement  les  cœurs  des  sujets  est  le  mespris  de  faveur  et  inégalité  dont 
»  on  leur  use  :  qu'il  plaise  à  Sa  Majesté,  pour  ne  les  bigarrer,  et  afin  de  les 
»  réunir  tous  ensemble  et  rendre  ceux  de  ladite  religion  contens  et  hors  de 


—  614  — 

>  désir  pour  jamais  de  changement  et  nouveauté,  les  traiter  également  en  la 
»  promotion  aux  degrez,  estats  et  honneurs,  selon  leur  capacité,  sans  distinc- 
»■  tion  de  religion.  Et  lors  tous  soupçons  et  défiances  cesseront,  sans  qu'il 
»  reste  plus  à  un  chacun,  sinon  de  vivre  selon  les  règles  de  sa  religion  et 
»  s'employer  à  qui  mieux  pour  le  service  de  Sa  Majesté.  Finalement,  parce 
»  que,  de  toutes  parts,  les  estats  de  ce  royaume  généralement,  et  mesme  le 
ï  poure  peuple  se  lamente  et  deut  griefvement  d'estre  oppressé  et  accablé  de 
»  charges  sur  charges,  nouvelles  impositions,  subsides  et  tributs  insupportables, 
»  qui  se  lèvent  et  augmentent  de  jour  à  autre,  sans  aucune  nécessité  de  guerres 
»  et  affaires,  ni  occasion  raisonnable  de  dépense,  ains  par  l'invention  et  ava- 
»  rice  d'aucuns  estrangers  et  mesme  des  Italiens,  au  moyen  du  crédit  et  faveur 
»  ([u'ils  ont  en  ce  royaume,  le  tout  au  grand  préjudice  de  la  noblesse,  qui 
»  avoit  de  tout  temps  accoustumé  d'estre  exempte  de  telles  impositions  et 
»  charges,  lesquelles  retombent  principalement  sur  elle,  sans  qu'il  tourne  à 
»  l'acquit  du  roy  ny  à  son  profit,  mais  seulement  d'aucuns  particuliers  estans 
»  auprès  de  sa  personne,  et  mesmes  des  gens  de  basse  qualité,  lesquels, 
»  comme  sang-sues  tirans  la  substance  d'ung  chascun,  se  sont  en  peu  de 
»  temps  enrichis  avec  une  opulence  et  abondance  si  excessive,  que  telles 
»  richesse  ne  peuvent  estre  sinon  très  suspectes,  et  faire  croire  qu'ils  tiennent 
»  la  main  à  tels  forgeurs  de  daces,  pour  en  tirer  quelques  immenses  présens  ou 
»  pour  avoir  grand'part  au  butin.  Aceste  cause,  ledit  seigneur  prince  seigneurs 
»  et  gentilshommes  de  sa  compagnie  remonstrent  et  requièrent  très  humblement 
»  à  sa  majesté  de  vouloir  retourner  ses  yeux  de  pitié,  et  desboucher  ses 
»  oreilles  aux  cris  et  doléances  de  son  povre  peuple,  pour  le  soulager  d'un  si 
j  pesant  fardeau,  ensemble  sa  noblesse  qui  s'en  sent  grandement  chargée,  le 
»  faisant  jouir  des  franchises  et  exemptions  accoustumées,  du  temps  des  roys 
»  ses  prédécesseurs.  —  Et  à  ce  que  ceste  remonslrance  soit  bien  entendue  et 
»  considérée  et  qu'on  puisse  juger  de  quel  .poids  et  conséquence  elle  est,  afin 
»  aussi  que  Sa  Majesté  soit  bien  esclaircie  de  la  vérité  et  s'il  y  a  en  cela  de 
»  la  passion  particulière  et  d'oîi  elle  procède,  ledit  seigneur  prince,  seigneurs 
»  et  gentilshommes  de  sa  compagnie  supplient  très  humblement  Sa  Majesté  de 
»  vouloir  faire  pour  cest  effect  une  libre  convocation  des  estats  de  son  royaume, 
»  selon  les  loix,  ordres  et  coustumes  anciennes,  comme  autrefois  et  souvent  a 
»  esté  faict  en  pareil  cas,  procédant  de  moindre  occasion  :  à  ce  que,  par  com- 
»  munavis,  quelque  bon  ordre  et  règlement  puisse  estre  donné  à  tant  de  maux 
»  et  misères,  par  un  remède  convenable,  et  l'avarice  et  prodigalité  bridée,  et 
»  les  mains  retenues  de  ceux  qui  dévorent  et  dissipent  la  substance  du  roy 
»  et  de  son  peuple.  » 


615  — 


33». 


Requête  des  réformés. 
(La  Popelinière,  hist.  de  Fr.,  liv.  XII,  f»  23). 


«  Au  Roy.  —  Sire;  après  que  par  plusieurs  lesmoignages  et  preuves  bien 

>  vériffiées  et  suffisantes,  nous  avons  esté  infailliblement  avertis  et  informés  des 
»  menaces,  délibérations  et  résolutions  d'abolir  le  ministère  et  exercice  de  la 
»  religion  réformée  et  d'exterminer  ou  chasser  hors  vostre  royaume  tous  ceux 
»  qui  en  font  profession,  ensemble  des  préparatifs  des  forces  dressées  contre 
»  nous  pour  cest  effest  :  nous  nous  sommes  lors  trouvez  réduits  en  telle  cxtré- 
»  mité,  que  nous  avons  esté  forcez,  contre  nostre  volonté,  de  nous  assembler, 
3»  et  avec  un  incroyable  regret  et  desplaisir  nous  résoudre,  selon  la  loy  et  de- 
»  voir  de  nature,  de  défendre  etconservernos vies,  nosbiens  et  mesme  laliberté 
»  de  nos  consciences  :  nous  estans  armez  seulement  pour  notre  seureté  contre 
»  nos  ennemis  estant  auprès  de  vostre  personne,  lesquels  autrement  ne  nous 
»  eussent  donné  seur  accez  à  Vostre  Majesté,  vers  laquelle  nous  sommes  ache- 
»  minez,  non  en  autre  intention  que  pour  l'esclaircir  des  calomnies  et  impo- 
»  stures  de  nos  dits  ennemis,  et  remonstrer  le  mal,  ruine  et  désolation  que 
»  pouvait  apporter  un  si  cruel  et  pernicieux  conseil,  lequel  nous  sçavons  ne 
»  pouvoir  procéder  de  vostre  aage  et  naturel,  et  estre  du  tout  eslongné  de  la 
»  clémence  et  bonté  accoustumée  de  Vostre  Majesté,  laquelle,  sur  toutes  choses, 
»  nous  supplions,  à  jointes  mains  et  au  nom  de  Dieu,  d'autant  que  la  pre- 
»  raière  reconnoissance  et  obéissance  luy  est  due,  nous  vouloir  permettre  de 
»  le  servir  et  invoquer  librement  et  en  public,  selon  la  pureté  de  son  évangile, 
»  sans  distinction  de  lieux  ou  personnes  :  ostant  les  interprétations  et  restric- 
»  tions  à  vostre  esdict  de  pacification,  desquelles  la  malignité  et  passion  de  nos 
»  dits  ennemis  s'est  servie  pour  nous  faire  i*etomber  aux  troubles  présens,  et 
»  cy-après  s'en  pourroient  servir  :  sans  laquelle  liberté  et  service  de  Dieu  nous 
î  ne  pouvons  vivre,  et  sommes  tous  résolus  de  mourir.  Ensemble,  Sire, 
»  qu'il  plaise  à  Vostre  Majesté,  vous  monstrant  tel  à  l'endroict  de  vos  sujets, 
»  comme  au  vostre  Dieu  s'est  monstre  favorable,  vous  eslevant  par-dessus  tous 
»  pour  estre  aimé,  servi  et  honoré,  nous  octroyer  seureté  et  assurance  de 
»  nos  personnes  et  biens  :  à  ce  qu'un  chacun  de  nous  faisant  son  estât  et  ce 
»  qui  est  de  sa  vocation,  selon  son  degré  et  qualité,  ne  pensions  qu'à  vous 
»  rendre  l'obéissance  qui,  après  Dieu,  vous  est  deue,  souveraine  et  seule  :  et 
»  nous  employer  entièrement  pour  le  service  de  Vostre  Majesté,  avec  telle  fidé- 

>  lité,  loyauté  et  subjection,  que  bons  et  naturels  sujets  doivent.  Et  d'autant. 


—  616  — 

»  Sire,  qu'estant  nez  vos  subjects,  nous  sommes  obligez  de  désirer  et  procurer, 
ï  autant  qu'il  nous  est  possible,  la  conservation  et  seur  restablissement  de 
»  vostre  estât  :  voyans  le  malcontcntemont  de  plusieurs  et  mesme  du  peuple,  à 
»  cause  des  surcharges  et  nouvelles  impositions  qui  s'eslèvent  sans  qu'elles 
»  tournent  à  vostre  profit,  et  que  la  bienveillance  de  vos  sujets  est  l'appui  et 
»  soustèneraent  de  vostre  couronne;  nous  avons  par  mesme  moïen  supplié 
•»  Vostre  Majesté,  Sire,  comme  par  forme  d'avis  et  remonstrance  seulement,  de 
»  vouloir  jeter  vos  yeux  de  pitié  sur  vostre  poure  peuple  pour  le  soulager;  et 
»  à  ce  que  Vostre  Majesté  cougnoisse  d'où  procède  le  mal,  de  vouloir,  pour  ce 
»  regard,  faire,  si  bon  vous  semble,  une  libre  convocation  des  estats  de  vostre 
»  royaume  :  qui  est  un  moyen  et  remède  duquel  les  roys  vos  prédécesseurs, 
»  estansen  leur  plus  meur  aage,  se  sont  servis  avec  moindre  occasion,  tant 
»  pour  contenter  leurs  sujets  que  pour  de  plus  en  plus  establir  leur  estât;  ce  qui 
»  est  tourné  tellement  à  leur  louange,  que  mesraes  aucuns  d'eux  en  ont  esté  ap- 
»  pelés  sages,  et  les  autres  pères  du  peuple.  —  Au  demeurant,'  Sire,  nous 
»  protestons  tous  devant  Dieu  et  ses  anges,  que  jamais  ne  nous  est  tombé  au 
»  cœur  ni  en  la  pensée  d'attenter  aucunement  contre  vostre  personne  ou  contre 
»  vostre  estât,  duquel  nous  désirons,  autant  qu'autres  de  vos  sujets,  l'accroisse- 
»  ment  et  prospérité,  ny  de  la  royne  vostre  mère,  ny  de  messeigneurs  vos 
»  frères,  ausquels  nous  n'avons  autre  désir  que  de  rendre  l'obéissance  à  laquelle 
»  Dieu  et  notre  devoir  nous  oblige  ;  et  que  nous  ne  nous  sommes  assemblez 
»  que  par  nécessité  et  contrainte  des  entreprises  de  nos  ennemis,  estans  tousjours 
»  prests,  avec  la  liberté  du  service  de  Dieu  et  nostre  seureté,  de  sacrifier  nos 
»  personnes  et  nos  biens  pour  vostre  service,  partout  où  il  plaira  à  Vostre 
»  Majesté  nous  commander;  la  suppliant  très  humblement  de  vouloir,  selon  sa 
»  bonté  naturelle,  prendre  en  bonne  part  et  nous  accorder  la  supplication  et 
»  requeste  présentée,  laquelle  avec  nous  un  si  grand  nombre  de  noblesse  et  de 
»  personnes  de  tous  estats  vous  présentent  avec  toute  humilité,  et  vous  servir 
•»  de  nos  personnes  et  biens,  sans  ajouter  foy  aux  pernicieux  conseils  de  nos 
»  dits  ennemis  et  les  vostres  ;  qui  pour  satisfaire  à  leur  passion,  ne  se  donnent 
»  peine  du  danger  de  ruine  inévitable  auquel  vostre  royaume  est  sur  le  point  de 
»  tomber,  pourveu  que  la  nostre  y  soit  conjointe;  lequel  nous  supplions  nostre 

>  seigneur  Jésus  vouloir  conserver,  ensemble  Vostre  Majesté,  avec  continuel  ac- 

>  croissement  de  grandeur  et  prospérité.  » 


Si- 


Protestation  de  l'électeur  palatin  Frédéric  III  et  du  duc   Casimir,  son  fils,  en  date 

du  6  décembre  1567. 
(Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.  vol.  G  619  fos  189  â  198). 

«  Le  s'  Jehan,  Achilles  Ilsung,  conseiller  de  la  Majesté  Impériale,  nostre 


—  617  — 

»  souverain  seigneur,  ayant  esté  envoyé  en  ambassade  de  par  Sa  Majesté  devers 
»  les  illustrissimes  et  illustres  princes  le  comte  palatin  Frédéric,  Électeur,  et 

>  son  aymé  fds  le  duc  Jehan  Casimir,  comte  palatin,  touchant  le  dessaing  que 

>  ledit  duc  Jehan  Casimir  avoit  d'aller  en  la  guerre  en  France,  après  avoir  faict 
»  sa  relation  et  dict  de  bouche  ce  qui  luy  avoit  esté  commandé  de  leur  dire  de 

>  la  part  de  Sa  Majesté,  lem*  a  présenté  toute  sa  charge  en  escript,  ensemble 
»  des  lectres  de  créance  lesquelles  lesdicts  princes  les  ayant  reçues  et  ouvriz 
j  avec  la  révérence  deue,  eu  ont  suffisamment  entendu  les  contenuz. 

>  Sur  quoy,  premièrement,  ils  en  remercient  très-humblement  Sa  Majesté 
s  des  gracieuses  et  aimables  salutations  soubhaistans  très  humblement  à  Sa 
»  Majesté  et  à  tous  les  siens,  avec  un  gouvernement  bienheureux,  salut  et  féli- 
»  cité  temporelle  et  perpétuelle. 

»  Et  quant  à  l'article  principal  et  la  charge  dudit  ambassadeur,  ledit  sieur 
»  Électeur  n'est  pas  ignare  de  quoy  Sa  Majesté  luy  a  escript  du  neuvième  du  moys 
»  passé  de  novembre,  en  luy  faisant  souvenance  des  aultres  troubles  de  France, 

>  et  davantage  de  ce  que  un  prétendu  ambassadeur  du  roy  de  France,  nommé 
»  Laners,  en  avoit  faict  entendre  et  puis  après  sollicité  auprès  de  Sa  dicte  Ma- 
B  jesté,  suyvant  lesquelles  lectres  ledict  sieur  Électeur  n'eust  pas  voulu  faillir 

>  d'en  envoyer  incontinent  la  response  à  Sa  Majesté,  si  ne  fust  advenu 
»  qu'au  mesme  temps  quand  ledit  sieur  Electeur  reçeutlesdictes  lectres  de  Sa 
»  Majesté,  y  arrivèrent  deux  ambassadeurs,  l'un  de  la  part  du  roy,  et  l'autre  du 

>  prince  de  Condé,  desquels,  en  y  séjournant,  ledict  sieur  Électeur  espérait  de 

>  savoir  toutes  choses,  ensemble  la  qualité  des  affaires  et  troubles  modernes 
»  en  France,  d'une  et  d'autre  part,  pour  en  mander  les  nouvelles  tant  plus 
»  asseurées  à  Sa  Majesté,  espérant  que  pour  icelle  raison  il  seroit  excusé 
»  sans  tomber  en  aulcune  mauvaise  grâce  de  Sa  Majesté  s'il  auroil  retardé  et 
»  détenu  la  responce  un  peu  plus  qu'à  luy  ne  convenoit. 

»  Or,  c'est  que  naguères  sont  arrivés  devers  ledict  sieur  Électeur,  trois  am- 
»  bassadeurs  se  référant  tous  sur  et  au  nom  de  la  couronne  de  France;  le  pre- 
»  mier,  le  dessus  nommé  Laners,  lequel  toutefois  se  nommoit  devant  le  sieur 
»  Électeur  de  la  Lignerol,  qu'est  le  mesme  qui  entreprint,  aux  troubles  passés, 
»  d'amener  monsieur,  frère  du  roy,  avec  luy,  sur  lequel  faict  ilfulprins  etdé- 
»  tenu  quelque  temps  en  prison  ;  le   second,  l'évesque  de  Rennes,  lequel  est 

>  fort  proche  parent  de  ceulx  qui  conduisent  ceste  affaire  en  France;  le  troi- 
»  sième,  de  Lansacq,  lesquels  lui  ont  déclairé  le  tumulte  et  sédition  qu'est 
»  présentement  en  France,  et  quasi  de  la  sorte  mesme  comme  Sa  Majesté  en  a 
»  escript  audict  sieur  Électeur.  Mais   ledit   sieur  Électeur  voyant  leurs  rel.i- 

>  tiens,  et  spécialement  de  Lignerol  ou  Laners  et  aussi  de  l'évesque  de  Rennes 

>  avec  sa  lectre  de  créance  et  leur  façon  de  dire  tant  différentz,  suspectz  et 
»  aulcunement  contraires  à  la  vérité  et  pleins  de  farderie  sans  aulcun  fonde- 
»  ment,  ne  leur  a  voulu  adjouster  aulcune  foy,  ains  estant  bien  informé,  en  a 
»  trouvé  tout  au  contraire. 

»  A  sçavoir  qu'aulcuns  qu'ont  esté  cause  principale  des  troubles  passés  en 

>  France  en  s'abusant  du  nom  et  tiltre  du  jeune  roy,  ont  taché  d'exterminer 
»  entièrement  nostre  vraye  religion  chrestienne,  pour  la  continuation  de  la- 
»  quelle  entreprinse  ont  recommencé  et  extrêmement  travaillé  non  seulement 


-  618  — 

»  pour  faire  casser  et  annuler  par  toute  la  France  l'édict  de  la  pacification 
»  ayant  esté  par  le  moyen, ayde  et  consentement  de  tous  estatz  érigé,  accepté 
»  et  publié,  et  pour  mectre  en  l'exécution  et  effect  le  concile  de  Trente;  mais 
»  aussi  par  l'incitation  d'aulcunscardinaulx,  comme  celuy  de  Lorraine  et  aultres, 
»  pour  prendre  le  prince  de  Condé,  l'admirai  et  aultres  seigneurs  en  leurs 
»  maisons,  afin  de  les  exécuter,  et  pour  continuer  par  ainsy  en  la  persécu- 
î  tion  et  extirpation  de  nostre  vraye  religion  chrestienne,  comme  l'on  en  a 
»  eu  quelque  advertissement  venant  du  conseil  qu'a  esté  tenu  en  France, 
»  le  8^  de  septembre;  et  aussy  d'ailleurs,  joinct  que  l'exemple  et  expérience 
»  du  meurdre  de  beaucoup  de  chrestiens  tués  et  deschassés  en  diverses  na- 
»  tiens,  ensemble  la  perturbation  moderne  de  l'église  de  France  nousle  déclai» 
»  rent,  avec  beaucoup  d'aultres  circonstances  plus  amplement. 

»  C'est  l'occasion  pour  laquelle  ledict  prince  de  Condé,  l'admirai  et  leurs 
»  parens  et  alliés,  ensemble  les  principaulx  officiers  et  estatz  de  la  couronne, 
»  ont  esté  contrainctz  de  prendre  les  armes  et  suyvant  la  loy  de  nature,  de  se 
»  mectre  en  défense  contre  ceulx  qui  se  sont  déclairés  leurs  adversaires,  s'a- 
»  busant  à  leur  advantage  du  nom  du  jeune  roy  tout  au  contraire  de  l'édict,  non 
»  tant  seulement  pour  la  conservation  de  l'édict  de  la  pacification  du  royaulme, 
î  la  sauvegarde  de  leurs  personnes,  l'assurance  et  défense  de  beaucoup  des 
»  innocents  christiens,  leurs  corps,  sang  et  biens,  mais  aussi  pour  la  protection 
»  du  roy  et  de  son  royaulme  auquel  ces  troubles  menacent,  si  l'on  n'y  pré- 
»  voyoit,  entière  destruction  et  perturbation. 

»  Et  combien  que  ledit  comte  palatin  n'a  pas  voulu,  au  commencement  du 
»  tout  adjouster  foy  à  ces  choses,  c'est  néanmoins  qu'il  s'est  souvenu  de  ce  qu'a 
»  esté  passé  en  cas  pareil  en  Frémce,  aux  premiers  troubles,  soubz  le  tiltre  de 
»  la  rébellion  contre  le  jeune  roy,  là  oîi  toutesfois  l'on  a  trouvé  aultres  choses; 
»  en  effect  et  par  espéciale  opération  et  pi'ovidence  de  nostre  seigneur  Dieu,  a 
»  esté  lors  remédié  et  gardé  d'une  grande  effusion  et  bain  de  sang, 

»  Sur  quoy  le  prince  de  Condé,  l'admirai  et  des  aultres  se  sont  déclairés 
»  audit  comte  palatin  et  l'ont  fait  entendre  l'entreprinse  à  rencontre  d'eulx,  et 
5)  en  quel  danger  ilz  sont  avec  beaucoup  des  chrestiens  de  France,  sur  cela 
»  asseurant  qu'ilz  n'estoient  délibérez  d'accorder  ou  passer  aultres  choses, 
»  sinon  les  contenuz  de  l'édict  de  pacification,  dont  ledict  comte  palatin  n'a 
»  sçeu  avoir  aulcune  maulvaise  appréhension  ou  opinion  du  prince  de  Condé  ny 
»  aultres  grands  seigneurs  desquels,  comme  dict  est,  aulcuns  sont  du  sang 
D  royal  et  pourveuz  des  plus  grands  estats,  personnes  honorables  et  de  bonne 
î  conversation  et  vie,  que  ceulx-là  aient  jamais  pensé  à  aulcune  rébellion, 
»  moins  tâché  de  prendre  les  armes  contre  leur  propre  parent,  un  jeune  et 
»  innocent  seigneur  et  roy.  Tout  ainsi  comme  ledict  Électeur  en  a  mesmement 
»  escript  au  roy,  luy  mandant  qu'il  ne  désiroit  et  ne  souhaitoit  aultre  chose  à 
T>  Sa  Majesté,  sinon  tranquillité  et  repos  de  son  royaulme,  et  que  les  choses 
»  demeurassent  d'un  costé.  et  d'aultre  paisibles  selon  l'édict  de  la  pacification  ; 
»  et,  en  s'excusant  devers  Sa  Majesté,  s'asseure  bien  que  ces  troubles  et 
»  tumultes  ne  s'élèvent  pas  entre  le  jeune  innocent  roy  et  ses  vassaulx,  mais 
»  plus  tost  entre  lesdicts  vassaulx  et  le  cardinal  de  Lorraine  et  ses  adhérons, 
»  lesquels,   aux  aultres  troubles,  ont  semblablement  tasché,  suyvant  en  cela 


—  619  — 

»  leurs  patentes  et  par  eulx  publiées,  d'extirper  et  de  suffoquer  entièrement 
»  tous  ceulx  qui  sont  de  l'Evangile  et  de  la  vraye  religion  christiene.  De  quoy 
»  ceulx  du  costé  du  prince  de  Condé  en  avoient  présenté  requeste  au  roy  et  à 
î  la  reyne  mère,  en  protestant  publiquement  devant  Dieu  et  tout  le  monde. 

s  Davantage  lodict  comte  palatin  et  son  fils  Casimir  n'ont  pas  voulu  faillir, 
»  pour  mieulx  déclarer  les  affaires,  d'advertir  Sa  Majesté  que  quand  le  dernier 
»  ambassadeur  du  roy,  nommé  Lansacq,  a  esté  en  ce  lieu  et  trouvé  un  arabas- 
»  sadeur  du  prince  de  Condé  son  proche  parent,  avec  lequel  il  désiroit  de 
»  parler  en  présence  dudit  Electeur  et  de  son  fils  Casimir,  là  où  enfin  s'est 
»  trouvé  que  Icdict  Lansacq  n'eust  point  sçeu  respondre  ny  remontrer  à 
»  l'auUre  avec  aulcun  fondement  ou  raison  pour  imputer  ce  détestable  vice  de 
»  rébellion  au  prince  de  Condé;  ains  ledict  ambassadeur  du  roy,  mesme  en- 
»  semble  beaucoup  d'aultres,  ayant  la  cognoissance  des  affaires,  ont  esté  con- 
»  vaincus  de  confesser  el  dire  que  la  cause  de  ceste  guerre  en  France  venoit 
»  de  nul  aullra  que  du  cardinal  de  Lorraine,  lequel,  pour  exterminer  et  persé- 
»  cuter  misérablement  les  pauvres  christiens  par  toute  la  France,  avoit  bien 
»  fort  travaillé  de  faire  fondre  beaucoup  d'ornementz  des  églises  et  en  faire 
»  forger  de  l'argent  afin  d'en  lever,  au  nom  du  roy,  des  gens  de  guerre  à  cheval 
î  et  de  pied  pour  la  guerre  advenir. 

»  .loinct  que  ledict  Electeur  a  esté  asseurément  adverty  que  ledict  cardinal 
î  mesmement  avoit  parié  à  des  bannys  de  l'empire  et  fugitifs  en  France,  leur 
»  demandant  si  ne  vouldroient  pas  servir  à  cette  affaire. 

»  Semblablement  ont  esté  monstrées  audict  Électeur  non  seulement  lectres 
»  contenant  que  le  roy  mande  aux  quelques  coronels  qu'ilz  ne  facent  aulcunc 
ï  levée  des  gens  pour  son  service  jusqu'à  ce  qu'ilz  recevront  aultres  nouvelles 
»  et  mandement  de  la  dicte  Majesté  ;  mais  aussi  l'Électeur  a  secrètement  en- 
»  tendu  des  gens  d'apparence  et  de  creue  qu'aulcuns  princes  de  plus  proches 
»  du  sang  ont  reçu  l'advertissement  de  Sa  Majesté  et  de  la  royne  mère,  alors 
»  que  le  cardinal  sollicita  et  institua  ceste  guerre,  qu'ils  ne  fissent  aulcun  sem- 
ï  blantet  qu'ils,  comme  neutres,  en  attendissent  la  fin. 

»  Avec  cela  ledict  Électeur  ne  veult  aussi  faillir  d'advertir  Sa  Majesté  davan- 
»  tage  que  ledict  ambassadeur  de  Lansacq  le  pria  bien  fort  de  vouloir  dépes- 
»  cher  l'un  ou  plusieurs  de  son  Conseil  devers  Sa  Majesté,  en  France,  pour 
»  faire  entendre  à  sadicte  Majesté  que  puisqu'ainsi  soit  que  l'on  ne  pouvoit,  les 
»  reistres  et  gens  de  pied  déjà  levés  et  admassés,  casser  et  renvoyer  sans 
»  grands  frais  et  intérest  de  l'empire  et  des  estats,  qu'il  plust  à  sadicte  Majesté 
■»  de  permettre  audict  duc  Casimir  de  le  laisser  passer  avec  ses  gens,  en  con- 
î  sidération  que  Sa  Majesté  s'en  pouvoit  servir,  n'estajit  pas  trop  asseuré  ny 

>  d'un  ny  d'aultre  costé,  ce  qu'a  esté  ainsy  déclaré  à  Sa  Majesté. 

»  Et  par  ainsi  Sa  Majesté  considérant  les  choses  dessus  dictes  pourra  faci- 
»  lement  entendre  que  les  affaires  de  France,  quant  aux  troubles  présens,  se 
»  portent  bien  aultrement  et  au  contraire  de  ce  que  Lignerol,  lequel  se  nomma 

>  devant  Sa  Majesté  et  en  plusieurs  lieux  aultrement  Laners,  a  faict  faulse- 
»  ment  accroire  à  sa  dicte  Majesté,  de  sorte  que  ce  ne  doibve  point  estre  im- 
»  puté  ou  imposé  au  prince  de  Condé  et  à  ses  adhérons  comme  une  rébellion 
»  ou  sédition,  mais  plustost  comme  une  défense  nécessaire  et  permise  de  la 


-  020     - 

»  nature  pour  sa  propre  personne  et  plusieurs  mil  christiens,  pour  le  roy 
»  mesme  et  sa  couronne  contre  les  dessus  dicts  leurs  adversaires.  Et  ledict 
»  Électeur  s'asseure  bien  que  si  Sa  Majesté  eùst  plustost  entendu  ceste  infor- 
»  mation  véritable  et  ouï,  comme  de  raison,  ceulx  de  la  part  du  prince  de 
»  Condé,  que  ledict  Laners,  lequel  a  faict  accroire  à  d'aultres  princes  comme 
»  s'il  eust  esté  envoyé  de  la  part  du  duc  d'Albe  et  dict  beaucoup  de  contra- 
»  riétez,  n'eust  pas  si  facilement  esmeu  Sa  Majesté  d'envoyer  les  advertisse- 
»  mens  et  mandemens  audict  Électenr,  et  ce  quand  concerne  la  cause  princi- 
»  pale. 

»  Mais  touchant  ce  que  Sa  Majesté  mande  davantage  avoir  entendu  qu'il  se 
»  faisoit  amas  de  grand  nombre  et  plusieurs  mil  chevaulx  avec  le  consente- 
>  ment  et  ayde  dudict  Électeur  pour  les  mener  au  prince  de  Condé  et  ses 
»  comploiclz,  item  que  son  fds  le  duc  Jehan  Casimir  en  seroit  le  coronel,  et 
»  aussi  l'advertissement  et  discours  que  Sa  Majesté  en  a  fait  audict  Électeur 
T>  en  luy  proposant  devant  les  yeux  la  mauvaise  réputation,  diminution  de  sa 
»  grandeur,  reproches  et  dangers  qu'en  despendoient  si  ces  choses  ainsi  entre- 
»  prinses  contre  la  constitution  de  la  paix  publique  sans  congé  et  sans  aulcunes 
»  lectres  patentes  de  Sa  Majesté  se  mecteroient  en  exécution. 

»  Sur  cela  ledit  Electeur  faict  response  que  son  fils  le  duc  Casimir  depuis 
»  peu  de  temps  luy  avoit  donné  à  entendre  comment  qu'il  auroit  esté  plusieurs 
»  fois  requis  et  prié  non  seulement  des  princes  du  sang  royal  mais  aussi  de  la 
»  plus  grande  partie  de  la  noblesse  de  France  et  de  toute  sorte  des  estats  et 
»  personnages  aymant  l'honneur  et  la  paix,  que  si  en  cas  fortuit  il  advient  qu'au 
»  temps  advenir,  par  l'incitation  des  ennemys  du  repos  publicq  eulx  et  beau. 
»  coup  d'aultres  christiens  dépendant  de  la  vraye  rehgion  feussent  par  violence 
»  et  force  pressés  oultre  et  contre  l'édict  du  roy  touchant  la  pacification,  et  que 
»  le  royaume  de  France  tombast  derechef  en  danger  d'une  misérable  ruine  et 
»  destruction,  qu'il  plùst  audit  duc  Casimir,  pour  la  conservation  de  ladicte  pa- 
»  cification,  pour  la  réputation  du  jeune  roy  et  aussy  pour  l'empeschement  de 
»  la  misérable  effusion  de  sang  de  plusieurs  mil  innocents  christiens,  de  leur 
»  vouloir  secourir  de  forte  main  avec  quelques  mil  chevaux  et  autres  gens  de 
»  guerre.  Ce  que  ledict  duc  Casimir  îiyant  esté  quelque  espace  de  temps 
»  nourry  en  France  et  y  reçu  beaucoup  de  gracieusetés  et  honneur,  ne  l'a  pas 
i  voulu  refuser  pourle  biendeSaMajesté  et  de  ses  subjectz.  Ainsy  ledict  duc  Ca- 
»  simir  auroit  prié  l'Électeur  son  père  de  ne  luy  point  vouloir  refuser  un  tel 
»  voyage  tant  christien  et  honorable,  ains  plus  tost  d'une  affection  paternelle 
»  à  son  fils  et  jeune  prince  luy  le  vouloir  accorder  pour  s'expérimenter  et  veoir 
»  quelques  choses. 

»  Et  combien  que  l'Électeur  n'en  a  rien  sçeu  au  commencement  de  telle 
j  promesse  de  son  fils,  tellement  que  quand  il  a  esté  adverty  desdicts  troubles 
»  en  a  reçeu  grande  perturbation  et  fascherie  à  son  esperit  ne  désirant  d'en 
»  tendre  auhre  chose  sinon  que  l'on  y  remédiat  de  bonne  heure,  de  sorte  que 
»  ledictÉlecteur  ayant  esté  requis  des  quelques  circonvoisins  princes  du  Uhin, 
»  amateurs  de  la  paix  et  repos  publicq  et  comme  les  plus  proches  voisins  de 
»  ces  troubles  pour  se  trouver  personnellement  ou  par  leur  commises  con- 
»  seilliers  à  un  certain  lieu  convenable  à  consulter  de   ces   choses  et   temps 


—  6^21  — 

»  périlleux,  et  par  quel  moyen  et  advis  non  seulement  de  Sa  Majesté  mais  aussi 
»  des  Électeurs  et  princes  du  Saint  Empire  ce  feu  allumé  se  pourroit  entière- 
»  ment  esteindre  moyennant  une  paix,  ferme,  stable  et  asseurance  de  toute  la 
»  christienté.  C'est  néantmoins  que  ledict  Électeur,  nonobstant  sa  bonne  volonté 
»  et  adhortations  n'en  a  jamais  sçeu  parvenir  à  l'exécution  de  ces  désirs, 
*  d'aultant  que  plusieurs  estimoient  une  telle  assemblée  plus  superflue  que 
»  nécessaire. 

»  Cependant  veu  que  les  affaires  de  France  se  continuaient  de  pis  en  pis,  le 
»  duc  Casimir  pria  ledict  Électeur,  son  père,  Immblemement  qu'il  luy  pleust 
j  de  luy  donner  congé  de  satisfaire  à  sa  promesse,  laquelle  il  avoit  faict  tant 
»  seulement  pour  l'advancement  et  augmentation  de  l'honneur  de  Dieu  et  de 
»  sa  saincte  parolle,  soulagement  de  beaucoup  et  plusieurs  mil  innocents 
y>  christiens,  pressés  aussy  et  principalement  pour  le  bien  et  prouffict  du  roy 
»  innocent  et  de  sa  coronne,  sans  qu'il  en  prétendoit  aulcune  richesse  d'or,  ar- 
»  gent,  biens,  terres,  gloire  vaine  ou  proufict.  Et  d'aultant  que  ledict  Électeur 
»  du  passé  et  de  longtemps  à  la  requestc  de  son  dict  fdz  luy  avoit  promis  et 
»  accordé  que  s'il  se  présenloit  aulcune  guerre  christienne  et  honorable,  qu'il 
»  ne  fauldroit  de  luy  donner  son  congé  d'y  aller,  veu  que  ceste  entreprinse  du 
»  prince  de  Condé  et  de  ses  adhérons  n'est  pas  contre,  ains  pour  Sa  Majesté  et 
»  la  conservation  de  son  royaulme,  ensemble  la  pacification,  défense  et  soula- 
»  gement  des  christiens  pressés  permise  justement  et  de  la  loi  de  nature. 

»  Et  puisqu'il  est  permis  à  ceulx  qui  tâchent  d'exterminer  en  France  la 
»  vraye  religion  de  lever  publiquement  et  sans  aulcun  empeschement  des  gens 
»  de  guerre  au  Saint  Empire,  à  ceste  occasion,  les  aultres  et  ceulx  qui  voul- 
»  droient  volontiers  soubstenir  les  christiens  suppressés  comme  leur  vray 
y>  commembre  en  l'édict  de  la  pacification,  ont  d'aultant  moins  d'espérance  de 
))  secours  de  ce  costé,  joinct  que  dernièrement,  à  l'assemblée  des  Électeurs,  au 
»  cercle  du  Rhin,  qu'a  été  tenue  à  Bingen,  il  fut  arresté  et  conclud  qu'il  seroit 
»  permis  au  roy  de  faire  amas  des  gens  de  guerre  en  ce  quartier  pour  le  ser- 
»  vice  de  Sa  Majesté. 

»  Au  surplus,  aux  troubles  passés,  l'an  156!2,  il  a  esté  permis  des  Électeurs 
»  cl  princes,  en  cas  semblable,  d'envoyer  secours  et  ayde  au  prince  de  Condé 
»  et  aultres  christiens  suppressés,  par  le  moyen  de  laquelle  ayde  ilz  ont  tant 
»  fait  que  les  choses  sont  parvenues  au  repos  et  pacification  louable,  ayant  par 
j  ce  mesme  moyen  contregardé  et  sauvé  une  bien  fort  grande  effusion  de 
»  sang  des  innocents,  laquelle  eifusion  pourroit  encores  pour  le  présent  estre 
»  prévenue,  si  les  choses  pouvoient  demeurer  en  leur  entier  et  comme  elles 
»  ont  esté  passées,  ou  si  l'on  moyennoit  la  grâce  et  ayde  de  Dieu  n'y  préveoir 
y>  de  bonne  heure. 

■>>  Et  d'aultant  que,  ausdicts  troubles,  le  secours  qui  vient  du  Saint  Empire 
»  pour  le  prince  de  Condé  n'a  esté  tombé  pour  ce  fait  en  aulcun  inconvénient 
»  ou  ofifencé  la  paix  publique  et  les  constitutions  d'icelle,  c'est  la  raison  pour 
ï  laquelle  ledict. Électeur  a  faict  moins  de  difficulté  de  donner  le  congé  à  son 
»  aymé  fils  pour  s'en  aller  à  la  guerre;  joinct  îiussy  qu'il  n'eût  sceu  prétendre 
»  en  cela  aulcune  raison  juste  de  refus. 

»  Toutesfois,  en  ceste  manière   et  condition  que,  quand  ledit  duc   Casimir 


-  622  — 

»  mèneroit  ses  reistres  et  geus  de  guerre  en  France,  que  cela  ne  se  feroit 
»  aultrement  synon  suivant  le  contenu  des  constitutions  impériales  et  le  reçès 
»  mesme  de  la  paix  publique  pour  la  levée,  passage  et  leur  retour  et  qu'en  sa 
»  capitulation,  Sa  Majesté,  le  Saint  Empire,  les  Estats  et  membres  d'iceluy  se- 
»  roient  préservés  et  saulves,  dont  ledict  duc  Casimir  seroit  tenu  de  s'obliger 
»  de  tout  cela  et  des  promesses  qu'il  en  feroit  audict  Électeur  son  père,  comme 
»  le  premier  et  chief  des  Électeurs  au  cercle  du  Rhin  ;  ce  qu'a  esté  ainsi  faic- 
»  et  suyvant  lesdictes  ordonnances  des  constitutions  ledict  duc  Casimir  en  a  adt 
»  verty  tous  les  princes  circonvoisins  aux  pays  desquels  il  attendoit  des  gens  de 
»  guerre,  au  moyen  de  quoyil  a  obtenu  et  a  esté  favorisé  du  passage  et  aultres 
»  commodités  de  tout  costé,  comme  ledict  Électeur  en  a  mandé  plus  amplement 
»  toutes  les  nouvelles  à  la  Majesté  Impériale  par  ses  lettres  de  la  date  du 
»  17"  de  novembre  lesquelles  il  espère  que  Sa  Majesté  aura  reçeu. 

»  Et  puisque  les  affaires  sont  en  tel  estât  comme  dessus  dict  est,  l'Électeur 
»  et  son  fils  Casimir  ne  pensent  point  que  Sa  Majesté  doibve  estre  de  la  per- 
»  mission  du  dict  Électeur  à  l'entreprinse  de  son  lils  Casimir  aulcunement 
»  offensée,  comme  ainsi  soit  que  lesdits  Électeur  et  son  fds  Casimir  n'en  crai- 
»  gnent  pas  aulcune  diminution  de  leur  grandeur,  reproches  et  inconvéniens, 
»  ains  en  espèrent  plustost  louange,  honneur  et  récompense;  en  quoy  ils  s'em- 
î  ployent  pour  les  persécutés  de  Jésus-Christ  selon  sa  saincte  promesse  et 
»  comme  l'on  en  a  autrefois  veu  l'expérience  et  mesmement  les  Électeurs  et 
»  princes  lesquels  avoient  aux  aultres  troubles,  envoyé  secours  et  ayde  pour 
»  les  affaires  des  christiens  en  cas  semblable  en  reçoivent  encore  pour  cejourd'buy 
»  louange  et  honneur.  Et  après  la  paix  faicte  le  roy  estant  adverty  des  reitres 
»  et  aultres  qui  avoient  esté  employés  pour  le  service  de  Sa  Majesté,  les  a 
»  tous  faict  bien  payer. 

»  Or,  touchant  que  Sa  Majesté  a  faict  répéter  auxdicts  Électeur  et  son  fils 
»  Casimir  les  constitutions  impériales  de  la  paix  publique,  ensemble  l'ordon- 
»  nance  de  l'exécution,  et  qu'il  a  pleust  à  Sa  Majesté  leur  commander  de 
»  casser  et  renvoyer  leurs  reistres,  sur  cela  ilz  disent  qu'ils  ne  pensent  point 
»  avoir  offensé  en  cela  lesdites  constitutions  impériales,  veu  qu'ils  ne  se  peu- 
>  vent  souvenir  ny  entendre  soit  de  la  simple  lectre  ou  du  sens  desdictes  con- 
»  stitutions  de  la  paix  publique,  que  leur  entreprinse  et  choses  semblables, 
»  sauf  toutesfois  la  liberté  de  la  Germanie  et  de  l'empire,  ensemble  les  accords 
»  de  Passau,  comme  l'on  veult  alléguer,  y  soient  défendeus.  Et  d'aultant  qu'à  tout 
»  temps  et  espécialement  despuis  naguères  le  semblable  a  esté  entreprins  et 
»  et  exécuté  sans  aulcun  empeschement  par  des  princes  de  leur  qualité,  et 
»  aussi  de  plus  basse  condition  et  estât,  cela  faict  espérer  et  accroire  lesdicts 
»  Électeur  et  son  fils,  que  Sa  Majesté  ne  le  prendra  pas  autrement  qu'en  bonne 
»  part  et  ne  vouldroit  pour  cela  entreprendre  aulcune  chose  contre  eulx  comme 
»  soit  notoire  que  beaucoup  d'aultres  aient  eu  raison  et  bon  droit  en  cas  sem- 
»  blable  et  de  mesme  importance. 

»  Et  pour  la  conclusion,  touchant  de  renvoyer  les  reistres  du  duc  Casimir,  il 
»  ne  sçauroit  encores  qu'il  bien  le  vouldroit  casser  et  renvoyor,  d'aultant  que 
»  toute  l'armée  marchoit  et  une  grande  partie  en  estoit  desjà  oultre  le  Rhin, 
»  si  l'on  ne  se  vouldroit  mectre  en  danger  d' estre  cause  d'une  grande  alarme 


—  623  - 

»  et  sédition  par  tout  l'empire,  comme  Sa  Majesté  pourra  plus  amplement  en 
»  soy  mesme  considérer  les  dangers  et  inconvéniens  qu'en  despendent  si  l'on 
»  veoit  au  cœur  et  milieu  de  l'empire  traîner  une  si  grande  armée  de  tant  de 
»  chevaulxet  gens  de  pied  sans  avoir  faict  monstre  ou  reçeu  aulcun  payement 
»  pour  la  solde  de  trois  moys  et  un  moys  pour  le  retour. 

»  Pour  ceste  occasion,  ledit  Électeur  espère  que  Sa  Majesté,  après  avoir  bien 
»  entendu  ces  informations  véritables  et  remonstrances,  le  prendra  en  sa  pro- 
»  tection  et  l'en  tiendra  pour  bien  excusé,  comme  ainsi  soit  qu'il  aye  entreprins 
»  la  charge  des  reistres  pour  nulle  aultre  raison  sinon  pour  ayder  et  secourir 
»  aux  pauvres  christiens  de  France  si  misérablement  persécutés,  afln  d'ayder  à 
9  les  remectre  en  repos,  saulve-garde  el  paix  perpétuelle.  En  quoy  Sa  Majesté, 
»  ensemble  des  aultres  potentats,  les  pouvoit  bien  secourir,  pour  la  grande 
»  conséquence  qu'en  despend  et  aussi  pour  éviter  la  suspection  et  jalousie  qu'en 
ï  pourra  venir  entre  les  princes  et  Estats  de  l'empire  de  veoir  de  telle  façon 
»  en  tous  les  royaulmes  et  pays  circonvoisins  avec  persécutions  misérables, 
»  meurtres  et  effusion  du  sang  de  si  grand  nombre  des  fidèles  et  bons  chris- 
»  tiens,  extirper  et  suff'ocquer  la  vraye  religion  chrestienne  et  défendre  le 
»  nom  et  la  vraye  confession  de  Jésus-Christ  et  sa  saincte  parole;  et  oultre  ce 
>  permectre  que  le  pape,  lequel  s'est  tousjours  en  cela  efforcé  devers  les  em- 
»  pereurs,  roys  et  potentatz,  continue  ainsy  en  sa  tyrannie  et  propos  inhumains 
»  et  cruels  dont  nostre  Seigneur  mesme  ne  pourra  enfin  plus  veoir  ny  endurer 
»  telle  inhumanité  et  misérable  boucherie  des  fidèles  et  membres  de  Jésus- 
»  Christ. 

»  Et  par  ainsi  espère  que  Sa  Majesté,  en  considérant  bien  les  choses  dessus 
»  dictes  pour  sa  vocation  et  tenant  le  lieu,  là  où  il  a  pieu  à  Dieu  l'appeler,  ne 
»  fauldrapas  d'empescheret  résister  à  tous  ceulx  quy  rcspandentle'sang  desin- 
»  nocents  et  tâchent  à  chasser  les  pauvres  christiens  et  toute  la  christ ienté  au 
»  bain  de  sang,  avec  une  persécution  misérable  et  horrible  de  quoy  sa 
»  Majesté  et  tous  ceux  quy  remédieront  en  recevront  du  Seigneur  Dieu,  en 
»  ce  monde  et  en  l'autre  sa  bénédiction  perpétuelle  et  éternelle,  et  tous 
»  les  potentatz  seront  sans  aucun  double  richement  récompensez  de  fidélité, 
»  paix,  victoire,  tranquilUté  et  union,  et  par  ce  moyen  l'ire  et  punition  de 
»  Dieu  venant  d'idolâtrie  et  effusion  de  sang  sera  appaisée. 

»  Voilà  ce  que  l'Electeur  a  voulu  donner  pour  responce  à  l'ambassadeur  de 
»  Sa  Majesté  pour  le  faire  entendre  à  sa  dicte  Majesté,  à  laquelle  ledit  Électeur 
»  se  faict  très  humblement  recommander. 

»  Signée  à  Heidelberg,  soubz  les  cachets  desdictz  Électeur  et  duc  Casimir, 
»  imprimés  à  dessoubs,  sameydy,  le  6  décembre  1567. 


624  — 


35« 


Édit  du  23  mars  1568. 
(Fontanon,  rec.  des  édits  et   ordonn.,  t.  IV,  p.  287,  288. 


((  Charles,  etc.,  etc.^  considérant  les  grands  maux  et  calamitez  advenus  parles 
»  troubles  et  guerres,  desquels  nostre  royaulme  a  esté  depuis  quelque  temps, 
»  et  est  encores  de  présent  affligé  :  et  prévoyant  la  désolation  qui  pourroit  cy- 
»  après  advenir,  si  par  la  grâce  et  miséricorde  de  nostre  seigneur  lesdits  trou- 
»  blés  n'estoient  promptement  pacifiez: Nous,  pour  à  iceux  mettre  fin, remédier 
»  aux  affictions  qui  en  procèdent,  remettre  et  faire  vivre  nos  subjects  en  paix, 
»  union,  repos  et  concorde,  comme  toujours  a  esté  nostre  intention  :  sçavoir 
»  faisons,  qu'après  avoir  sur  ce  prins  l'advis  et  conseil  de  la  royne,  nostre 
))  très  chère  et  très  honorée  dame  et  mère,  de  nos  très  chers  et  très  amez 
»  frères,  les  duc  d'Anjou,  nostre  lieutenant  général,  et  duc  d'Alençon,  princes 
»  de  nostre-  sang,  et  autres  grands  et  notables  personnages  de  nostre  conseil 
»  privé  :  par  leur  advis  et  conseil,  pour  les  causes  et  raisons  dessusdites,  et 
»  autres  bonnes  et  grandes  considérations  à  ce  nous  mouvans,  avons  en  con- 
»  firmant  en  tant  que  besoing  seroit,  de  nouveau,  nostre  édict  de  pacification 
»  du  19«  mars  1562  (1563  n.  s.),  [pour  eslre  observé  en  tous  et  chacuns  les 
))  poincts  et  articles  tant  ainsi  que  si  de  mot  à  mot  ils  estoient  cy  transcripts 
»  et  inserez,  dict,  déclaré,  statué  et  ordonné,  disons,  déclarons,  statuons  et 
»  ordonnons,  voulons  et  nous  plaist  ce  qui  s'ensuit. 

»  1.  —  A  sçavoir  que  tous  ceux  de  la  religion  prétendue  réformée,  jouyssent 
»  dudict  édict  de  pacification  purement  et  simplement  et  qu'il  soit  exécuté  en 
»  tous  ses  points  et  articles  selon  sa  première  forme  et  teneur,  levant  et  estant 
»  toutes  restrictions,  modifications,  déclarations  et  interprétations  qui  ont  esté 
))  faites  depuis  le  jour  et  date  d'iceluy,  jusques  à  la  publication  de  ces  présentes. 

»  2.  —  Et  quant  aux  gentilshommes  et  seigneurs  de  la  qualité  de  ceux  qui 
»  [)euvent  faire  prescher  en  leurs  maisons  suyvant  l'édict  de  pacification,  nous 
»  asseurant  qu'ils  ne  feront  chose  qui  préjudicie  à  nostre  sein^ice,  sous  cou- 
»  leur  et  prétexte  desdits  prédits  presches,  et  n'en  abuseront  :  nous  levons 
»  et  ostons  toutes  restrinctiohs,  tant  pour  le  regard,  que  pour  ceux  qui  y  vou- 
»  dront  aller. 

»  3.  —  D'avantage,  les  gentilshommes  et  seigneurs  du  pays  de  provence  de 
»  la  qualité  susdite,  jouiront  du  bénéfice  du  dict  édict  et  pourront  en  se  faisant 


-  625  -^ 

>  faire  prescher  en  leurs  maisons,  comme  ceux  des  autres  provinces,  estant 
»  de  la  susdite  qualité  :  et  néantmoins  pour  le  regard  de  la  comté  et  sene- 
»  chaucée  dudit  provence,  il  n'y  aura  lieu  que  celuy  de  iMérindol. 

«  4.  —  Que  ceux  de  ladite  religion  retourneront  et  seront  conservez, maintenus 
»  et  gardez  soubznostre  protection  entousleurs  biens,honneurs,  estats, charges, 
»  offices  et  dignitez,  de  quelque  qualité  qu'ils  soient  :  nonobstant  tous  édicts, 
»  lettres,  décrets,  saisies,  procédures,  jugements,  sentences,  arrêts  contre  eux, 
JD  tant  vivants  que  morts,  donnez  depuis  le  commencement  de  ceste  dernière 
»  levation  et  exécution  d'iceux  ;  tant  pour  le  faict  de  ladite  religion,  levée  et 
»  solde  d'estrangers,  collectes  de  deniers,  euroollemens  d'hommes,  voyages  et 
»  ambassades  aux  pays  estranges,  et  dedans  cestuy  nostre  royaume,  avant  et 
»  durant  les  derniers  troubles,  par  le  commandement  de  nostre  cousin  le  prince 
»  de  Condé,  que  pour  les  armes  prinses  à  ceste  occasion,  et  ce  qui  s'en  est  en- 
»  suivy  ;  lesquels  nous  déclarons  nuls  et  de  nul  effect,  sans  ce  que,  pour  raison 
»  de  ce,  eux,  ny  leurs  enfants,  héritiers  et  ayant  cause,  soient  aucunement 
»  empeschez  en  la  jouissance  desdits  biens  et  honneurs,  ne  qu'ils  soient  tenus 
jo  en  prendre  de  nous  autre  provision  que  ces  dites  présentes,  par  lesquelles 
»  nous  mettons  leurs  personnes  et  biens  en  pleine  liberté,  les  déchargeant  de 
»  toutes  prinses  de  villes,  ports  d'armes,  assemblées,  saisies  et  prinses  de  nos 
»  deniers  et  finances,  establissement  de  justice  entr'eux,  jugements  et  exécution 
»  d'icelle. 

«  5.  —  Et  afin  qu'il  ne  soit  douté  de  la  droite  intention  de  nostre  dit  cousin 
»  le  prince  de  Condé,  avons  dict  et  déclaré,  disons  et  déclarons  que  nous 
»  tenons  et  réputons  iceluy  nostre  dit  cousin  pour  nostre  bon  parent  fidèle 

>  subject  et  serviteur,  comme  de  mesme  nous  tenons  tous  les  seigneurs,  che- 
»  valiers,  gentilshommes,  et  autres  habitans  des  villes,  communautés,  bour- 
»  gades  et  autres  lieux  de  nostre  dit  royaume,  pays  et  obéissance,  qui  l'ont 
»  suyvi,  secouru  et  accompagné  en  ceste  présente  guerre,  et  durant  ces  tu- 
»  multes,  en  quelque  part  que  ce  soit  de  ce  dit  royaume,  pour  nos  bons  et 
*  loyaux  subjects  et  serviteurs. 

K  6.  —  Et  demeurera  nostre  dit  cousin  quitte  et  deschargé,  comme  par 
»  ces  présentes  signées  de  nostre  main  nous  le  quittons  et  deschargeons  de 
»  tous  les  deniers  qui  ont  esté  par  luy  ou  par  son  commandement  pris  et 
»  levez  en  nos  receptes  générales  et  particulières,  à  quelques  sommes  qu'ils 
»  se  puissent  monter  et  semblablement  de  ceux  qui  ont  esté,  ainsi  que  dit  est, 
»  par  luy  ou  de  son  ordonnance  aussi  pris  et  levez  des  communautez,  villes, 
»  argenteries,  rentes  et  revenus  des  églises  et  autres  par  luy  employez  en 
»  l'occasion  de  ceste  présente  guerre  :  sans  ce  que  luy,  les  siens,  ne  ceux  qui 
»  ont  esté  par  luy  commis  à  la  levée  desdits  deniers,  lesquelz,  et  semblable- 
ce  ment  ceux  qui  les  ont  fournis  et  baillez  en  demeureront  quittes  et  des- 
»  chargez,  et  lesquels  nous  en  quittons  et  deschargeons,  ne  puissent  être 
»  aucunement  recherchez  pour  le  présent  ny  pour  l'advenir  :  ny  aussy  pour 
»  la  fabrication  de  la  monnoye,  fonte  d'artillerie,  confection  de  pouldres  et 
»  salpestres,  fortifications  de  villes,  démolitions  faites  pour  lesdites  fortifica- 
»  cations  par  le  commandement  d'iceluy  nostre  dit  cousin  en  toutes  les  villes 
»  de  nostre  royaume  et  pays  de  nostre  obéissance  :  et  généralement  de  toutes 
II.  40 


—  626  — 

»  autres  démolitions,  sans  ce  qu'on  en  puisse  prétendre  aucune  chose  à  l'ad- 
»  venir  :  dont  les  corps  et  habitans  d'icellcs  demeureront  semblablcment 
»  deschargez,  et  iceux  en  deschargeons  par  ces  dites  présentes. 

«  7.  —  Et  ne  pourront  aucuns  de  nos  subjectz  quereller  et  faire  poursuite 
»  d'aucuns  fruitz,  revenus  arrérages  de  rentes,  deniers,  et  autres  meubles 
y>  qu'ils  prétcndroient  leur  avoir  esté  prins  et  levez  sur  eux,  ny  autres  dom- 
»  mages  faicts  depuis  le  commencement  de  ces  troubles  jusqu'au  jour  de  la 
»  publication  de  ces  présentes,  faicte  aux  deux  camps  et  armées.  Qui  sera  pour 
»  le  regard  du  parlement  de  Paris  trois  jours  après  la  date  de  ces  dites  présentes  : 
»  et  pour  le  regard  des  autres  parlemens,  huict  jours  après  la  date  de  cesdites 
»  présentes  :  dedans  lequel  temps  sera  mandé  en  toute  diligence  à  nos  gouver- 
»  neurs  et  lieutenans  généraux,  de  le  faire  incontinent  publier  et  observer 
»  chacun  en  tous  les  lieux  et  endroits  de  son  gouvernement  oîi  il  appartiendra, 
»  sans  attendre  la  publication  desdites  cours,  à  ce  que  nul  n'en  prétende 
»  cause  d'ignorance,  et  que  plus  promptement  toutes  voyes  d'hostilité,  prinses 
»  et  démolitions  d'une  part  et  d'autre  cessent.  Déclarant  dès  à  présent  que 
»  toutes  démolitions,  prinses  et  ravissemens  de  biens  meubles  et  autres  actes 
»  d'hostilité  qui  se  feront  depuis  ledit  temps,  sont  subjects  à  restitution  et 
»  réparation. 

«  8.  —  Mandons  aussi  à  nos  cours  de  parlement,  qu'incontinent  après  ledit 
»  édict  reçu,  ils  ayent,  toutes  choses  cessantes,  iceluy  nostre  dit  édict  faire 
»  publier  et  enregistrer  en  nos  dites  cours,  selon  sa  forme  et  teneur  :  et  à 
»  nos  procureurs  généraux  respectivement  d'en  requérir  et  poursuyvre  la 
»  publication,  sans  y  faire  aucune  difficulté,  user  de  longueur,  ny  attendre 
»  de  nous  autres  jussions  ou  mandement  pour,  comme  dit  est,  mettre  plus 
»  prompte  fin  à  toutes  inimitiez,  rancunes  et  hostilitez. 

«  9.  —  Entendons  davantage  que  la  ville  et  ressort  de  la  prévosté  et  vi- 
»  comté  de  Paris  demeurent  exempts  de    tout  exercice  de  ladite   religion, 

>  suivant  le  contenu  audit  édict  de  pacification,  demeurant  iceluy  en  sa  pre- 
»  mière  force  et  vigueur. 

«  10.  —  Et  voulons  semblablement  qu'après  la  publication  de  ces  dites 
j  présentes  faite  en  nostre  cour  de  parlement  de  Paris,  et  es  deux  camps, 
»  ceux  de  ladite  religion  désarment  promptement  et  séparent  leurs  forces 
»  pour  se  retirer,  et  que  les  villes  et  places  occupées  soient  promptement 

>  rendues  et  remises  en  leur  premier  estât  et  commerce  avec  toutes  les  artil- 
»  leries  et  munitions,  qui  seront  en  nature  :  comme  aussi  les  maisons  des 
»  particuliers  qui  ont  esté  occupées  soient  respectivement  rendues  à  ceux  à 
»  qui  elles  appartiendront  :  et  tous  prisonniers,  soit  de  guerre  ou  pour  le 
»  faict  de  la  religion,  soient  semblablement  mis  en  liberté  de  leurs  personnes 
»  et  biens  sans  payer  aucune  rançon. 

«  H.  — Et  afin  que  cy-après  toutes  occasions  de  troubles,  tumultes  et  sédi- 
»  lions  cessent,  et  pour  mieux  réconcilier  et  unir  les  intentions  et  volon- 
»  tez  de  nos  dits  subjectz  les  uns  envers  les  autres  et  de  cestc  union  main- 
»  tenir  plus  facilement  l'obéissance  que  tous  nous  doivent,  avons  ordonné  et 
»  ordonnons,  entendons,  voulons  et  nous  plaist,  que  toutes  injures  et  oflen- 
»  ses,  que  l'iniquité  du  temps  et  les  occasions  qui  en  sont  survenues  ont  pu 


—  627  — 

>  faire  naistre  entre  nos  dits  subjectz,  et  toutes  autres  choses  passées  et  cau- 
»  sées  de  ces  présens  tumultes,  demeurent  esteintes,  comme  mortes,  enseve- 

>  lies  et  non  advenues  ;  défendant  très  expressément  sur  peine  de  la  vie  à 
»  tous  nos  dits  subjectz,  de  quelque  estât  et  qualité  qu'ils  soyent,  qu'ils  n'ayent 
»  à  s'attaquer,  injurier,  ny  provoquer  l'un  l'autre  par  reproches  de  ce  qui  est 
»  passé,  disputer,  quereller  ny  contester  ensemble  d'aucun  fait,  s'offenser  ny 
î  outrager  de  faict  ny  de  parole  :  mais  se  contenir  et  vivre  paisiblement 
»  ensemble,  comme  frères,  amis  et  concitoyens  :  sur  peine  à  ceux  qui  y  contre- 
j  viendront  et  qui  seront  cause  et  motifs  de  l'injure  et  offense  qui  adviendroit, 
9  d'estre  sur  le  champ  et  sans  autre  forme  de  procez,  punis  selon  la  rigueur 
»  de  nostre  présente  ordonnance. 

«  12.  —  Et  pour  faire  cesser  tout  scrupule  et  doute,  nos  dits  subjectz  se 

>  départiront  et  désisteront  de  toutes  associations  qu'ils  ont  dedans  et  dehors 
»  ce  royaume,  et  ne  feront  doresnavant  aucunes  levées  de  deniers,  enroole- 
»  hiens  d'hommes,  congrégations  ny  autres  assemblées  que  celles  qui  sont 
»  permises  par  ce  présent  édict,  et  sans  armes  :  ce  que  nous  leur  prohibons  et 
ï  défendons  aussi,  sur  peine  d'estre  punis  rigoureusement,  et  comme  contemp- 
»  leurs  et  infracteurs  de  nos  commandemens  et  ordonnances. 

«  13.  —  Leur  défendant  en  outre  très  expressément,  et  sur  les  mesmes 
i  peines,  de  ne  troubler,  molester  ny  inquiéter  les  ecclésiastiques,  en  la  célé- 
»  bration  du  divin  service,  jouissance  et  perception  des  fruicts  et  revenus  de 
»  leurs  bénéfices,  dixmes  et  tous  autres  droicts  et  devoirs  qui  leur  appar- 
î  tiennent  :  sans  que  ceux  de  ladite  religion  puissent  s'aider,  prendre,  ne 

>  retenir  aucun  temple  ou  église  desdits  gens  ecclésiastiques  :  lesquels  nous 

>  entendons  dès  maintenant  remis  en  leurs  églises,  maisons,  biens,  dixmes, 
»  possessions  et  revenus,  pour  user  et  jouir  tout  ainsi  qu'ils  faisoient  aupara- 
B  vaut  ces  tumultes,  faire  et  continuer  le  service  divin  et  accoustumé  par  eux 
»  en  leurs  dites  églises,  sans  moleste,  ny  empeschement  quelconque. 

«  14.  —  Voulons,  ordonnons  et  nous  plaist  que  le  contenu  cydessus, 
î  ensemble  nostre  dit  premier  édict  de  pacification,  auquel  ces  présentes  se 
»  réfèrent  et  sont  confirmatives  d'iceluy,  soient  inviolablement  entretenus, 
»  gardez  et  observez  par  tous  les  lieux  et  endroicts  de  nostre  royaume, 
î  jusques  à  ce  qu'il  ait  pieu  à  Dieu  nous  faire  la  grâce  que  nos  subjects  soient 
î  réunis  en  une  mesme  religion. 

«  Si  donnons  en  mandement  à  nos  amés  et  féaux  les  gens  tenans  nos  cours 
»  de  parlement,  chambres  de  nos  comptes,  cours  de  nos  aydes,  baillifs,  sé- 
»  neschaux,  et  autres  nos  justiciers  et  officiers  qu'il  appartiendra,  ou  leurs 
»  lieutenans,  que  cestuy  nostre  présent  édict  et  ordonnance  ils  facent  lire, 
»  publier  et  enregistrer  en  leurs  cours  et  jurisdictions,  et  iceluy  entretenir 
»  et  faire  entretenir,  garder  et  observer  inviolablement  de  poinct  en  poinct, 
»  et  du  contenu  jouyr  et  user  pleinement  et  paisiblement  ceux  qu'il  appa- 
»  tiendra,  cessant  et  faisant  cesser  tous  troubles  et  empeschemens  au  con- 
j  traire.  Car  tel  est  nostre  plaisir. 

«  En  tcsmoing  de  ce  nous  avons  -signé  ces  présentes  de  nostre  main  et  à 

>  icelles  faict  mettre  nostre  scel. 

«  Donné  à  Paris,  le  SS-^  jour  de  mars,  l'an  de  grâce  1568  et  de  nostre  règne 


—  628  — 

»  le  huitième.  Ainsi  signé  Charles.  Et  au  dessous,  par  le  roy,  en  son  conseil, 
»  Robcrtet. 

«  Leues,  publiées  et  enregistrées,  ouy  sur  ce  et  ce  requérant  le  procureur 
»  général  du  roy,  à  Paris,  en  parlement,  le  27"  jour  de  mars,  l'an  de 
»  grâce  1568.  Signé  Du  Tillet.  » 


FIN 


TABLE    DES    CHAPITRES 


LIVRE   TROISIÈME 


CHAPITRE  PREMIER 

Analyse  des  dispositions  de  l'édit  du  17  janvier  1562.  —  Sages  conseils  donnés  aux 
réformés  par  les  représentants  des  églises,  sur  l'observation  de  cet  édit.  —  Ces 
conseils  sont  suivis.  —  Résistances  opposées  à  l'édit  par  le  parti  catholique.  — 
Défection  du  roi  de  Navarre.  —  Il  pactise  avec  Philippe  II,  insulte  Jeanne  d'Al- 
bret  et  cherche  à  éliminer  Coligny  de  la  cour.  —  Celui-ci,  pour  sauver  Catherine  de 
Médicis   d'une  situation  difficile,  se   retire  volontairement   à  Châtillon-sur-Loing. 

—  Départ  pour  la  Floride, de  Ribaut.dont  l'expédilion  a  été  organisée  par  Coligny. 

—  Efforts  des  Guise  pour  priver  les  réformés  français  de  l'appui  de  leurs  coreligion- 
naires à  l'étranger.  —  Correspondance  du  duc  de  Guise  avec  le  duc   de  Wurtemberg. 

—  Conférences  de  Saverne.  —  Hypocrisie  de  François  et  de  Charles  de  Lorraine.  — 
-    Massacre  de  Vassy 1 

CHAPITRE  II 

Coligny,  Condé,rHospital,deFrancourt,  de  Bcze  demandent  que  les  auteurs  du  massacre 
de  Vassy  soient  punis.  —  Antoine  de  Bourbon  rompt  définitivement  avec  les  ré- 
formés.—  Condé  les  soutient,  à  Paris.  —  Usurpation  du  pouvoir  souverain  par  Fran- 
çois de  Lorraine  et  ses  adhérents.  —Catherine  de  Médicis  plie  devant  eux.  —  Elle 
écoute  les  détracteurs  de  l'amiral.  —  Condé  se  retire  à  Meaux,  et  y  appelle  l'amiral. 

—  Celui-ci  hésite  à  prendre  les  armes.  Sa  femme  l'y  décide.  —  De  Meaux,  Coligny 
écrit  à  Catherine  de  Médicis.  —  Conseil  donné  à  cette  princesse  de  conduire  le  roi 
à  Orléans,  où  les  chefs  réformés  feront  respecter  l'autorité  du  souverain  et  celle  de 
sa  mère,  et  assureront  l'inviolabilité  de  leurs  personnes  contre  les  atteintes  des  en- 
nemis de  la  royauté.  —  Insistance  de  Soubize  sur  ce  point,  au  nom  de  Condé,  de 
Coligny  et  des  autres  chefs.  —  Catherine  ne  suit  pas  ce  conseil.  —  Antoine  de 
Bourbon  et  les  triumvirs  entraînent  le  roi  de  Fontainebleau  à  Paris.  —  Occupation 
d'Orléans  par  les  chefs  réformés. —  Vaines  tentatives  de  Catherine  pour  obtenir  d'eux 
qu'ils  déposent  les  armes.  ~  Arrivée  de  Charlotte  de  Laval  et  de  la  princesse  de 
Condé  à  Orléans 3:2 


630  — 


CHAPITRE  III 

Manifeste  de  Condé.  —Acte  d'association  des  chefs  réformés. — Mission  qu'ils  confèrent 
aux  agents  envoyés  par  eux  en  Allemagne,  en  Angleterre,  en  Savoie,  en  Suisse.  — 
Rôle  des  agents  du  triumvirat,  à  l'étranger.  —  Attitude   des  puissances  étrangères. 

—  Les  chefs  réformes  s'attachent  à  accroître  leurs  forces  et  à  déjouer  les  manœuvres 
de  leurs  adversaires.  —  Us  s'efforcent  de  maintenir  l'ordre  à  Orléans.  —  Catherine 
lente  d'amener  Condé  à  déposer  les  armes.  —  Moyens  de  pacification  indiqués  par 
Condé  à  Catherine.  —  Réponse  évasive  que  reçoit  le  prince.  —  Requête  du  trium- 
virat, tendant  au  renversement  de  l'édit  de  janvier.  —  Lettres  de  Coligny  au  con- 
nétable et  à  Catherine.  —  Lettres  de  Condé  à  cette  princesse.  —  Exaspération  des 
triumvirs.  Ils  se  disposent  à  entrer  en  campagne,  en  s'appuyant  sur  les  troupes 
qu'ils  ont  appelées  de  l'étranger.  —  Les  reformés  n'appellent  encore  en  France 
aucunes  troupes  étrangères.  —  Intolérance  des  triumvirs.  —  Respect  de  la  liberté 
religieuse  par  les  chefs  réformés,  vis-à-vis  des  catholiques 65 

CHAPITRE  IV 

L'armée  catholique  et  celle  des  réformés  s'avancent  à  la  rencontre  l'une   de  l'autre. 

—  Conférence  de  Toury.  —  Elle  échoue.  —  Conférence  de  Talsy,  également  suivie 
d'insuccès.  —  Des  négociations,  on  passe  à  l'action.  —  Camisade.  —  Reprise  de 
Beaugency.  —  Envoi  de  Soubize,  de  Larochefoucauld  et  d'autres  chefs  réformés 
dans  les  provinces.  —  Missions  do  Briquemault  en  Angleterre,  et  de  d'Andelot 
en  Allemagne.  —  Orléans  est  décimé  par  la  peste.  —  Héroïque  dévouement  de 
madame  l'amirale,  de  la  princesse  de  Condé  et  de  plusieurs  autres  femmes,  en  pré- 
sence des  ravages  exercés  par  le  fléau.  —  Mort  du  fils  aîné   de  Coligny,  à  Orléans. 

—  Lettre  de  l'amiral  à  sa  femme.  —  Arrêt  du  parlement  de  Paris  contre  les  ré- 
formés. —  Protestation  de  Condé.  —  Arrivée  et  séjour  de  la  comtesse  de  Roye  à 
Strasbourg.  —  Démarches  de  d'Andelot  en  Allemagne  pour  y  lever  des  troupes.  — 
Siège  de  Bourges.  —  Coligny  attaque  avec  succès,  près  de  Châtcaudun,  un  fort  convoi 
de  l'ennemi.  —  Reddition  de  Bourges.  —  L'armée  catholique  se  dispose  à  assiéger 
Rouen , 114 

CHAPITRE  V 

Traité  d'IIampton-Court.  —  Briquemault  et  Montgommery  à  Rouen.  —  Siège  et  prise 
de  cette  ville.  —  Projet  de  Coligny  et  de  Condé.  —  D'Andelot,  à  la  tète  des  troupes 
levées  en  Allemagne,  traverse  la  France,  sans  être  entravé  dans  sa  marche  par 
Tavanes,  Novers  et  Saint-André.  —  Réponse_^de  Coligny  à  de  Gonnor  qui  lui  a  de- 
mandé une  entrevue.  —  Arrêt  du  parlement  de  Paris  condamnant  à  mort  Coligny, 
d'Andelot  et  autres. —  D'Andelot  rejoint  son  frère  et  Condé.  —  Mort  du  roi  de  Na- 
varre. —  L'armée  des  réformés  marche  sur  Paris.  —  Pourparlers  entamés  par  Ca- 
therine. —  Ils  n'aboutissent  pas.  —  Condé  écrit  à  Elisabeth.  —  Pouvoirs  conférés  à 
la  comtesse  de  Roye  par  les  chefs  des  réformés.  —  Bataille  de  Dreux.  —  Récit  de 
cette  bataille,  par  Coligny.  —  Le  connétable  et  Condé,  prisonniers,  sont  conduits, 
l'un  à  Orléans,  l'autre  à  Dreux.  —  Lettres  de  Coligny  à  Elisabeth,  à  Throckmorton; 
à  Montgommery.  —  Réponse  d'Elisabeth  à  Coligny.  —  L'amiral  à  Orléans.  —  11 
écrit  de  nouveau  à  Elisabeth.  —  Il  confie  à  d'Andelot  la  défense  d'Orléans,  et  part 
avec  ses  troupes  pour  la  Normandie.  —  Écrit  dans  lequel  il  déduit  les  motifs  qui  le 


—  631  — 

portent  à  se  rendre  dans  cette  province.  —  Lettres  adressées  par  lui  à  la  reine 
d'Angleterre,  à  la  reine  mère,  à  Condé  et  à  l'un  des  princes  protestants  de  l'Alle- 
magne  , 150 

CHAPITRE  YI 

Coligny  arrive  en  Normandie.  —  Missions  de  Téligny  en  Angleterre.  Correspondance 
de  Coligny  relative  à  cette  mission.  —  Siège  d'Orléans  par  le  duc  de  Guise.  —  Poltrot 
assassine  le  duc. —  Entrevue  de  Catherine  de  Médicis  et  de  la  princesse  de  Condé. 

—  Le  procès  verbal  de  l'interrogatoire  subi  par   Poltrot  est  communiqué  à  Coligny. 

—  Lettre  et  réponse  détaillée,  dans  lesquelles  Coligny  repousse  avec  indignation  les 
allégations  accusatrices  de  l'assassin.  Il  demande  à  être  confronté  avec  lui.  —  Sans 
égard  pour  sa  demande,  on  précipite  le  jugement  et  l'exécution  à  mort  de  Poltrot.  — 
Opérations  militaires  de  Coligny  en  Normandie.  —  Entrevue  de  Condé  et  du  conné- 
table, ménagée  par  Catherine,  pour  hâter,  en  l'absence  de  l'amiral,  la  conclusion 
d'un  traité  de  pai.x  défavorable  aux  réformés.  —  Défaillance  de  Condé  dans  les  pour- 
parlers de  paix.  —  Édit  d'Amboise.  —  Arrivée  de  l'amiral  à  Orléans;  sa  protestation 
contre  le  traité  de  paix  n'est  pas  accueillie.  —  Il  se  résigne,  par  patriotisme,  à  ac- 
cepter les  conditions  de  ce  traité.  —  Bientôt  il  quitte  Orléans  et  la  cour 207 


LIVRE  IV 

CHAPITRE  PREMIER 

Retour  de  Coligny  à  Châtillon-sur-Loing,  en  chef  de]  famille  et  seigneur  chrétien.  —  Sa 
bienveillance  pour  d'Erlach  et  Téligny.  —  Son  intervention  protectrice  dans  une  af- 
faire de  prise  maritime.  —  Manœuvres  ourdies  par  ses  ennemis.  Accusation  repro- 
duite.—  Coligny,  dans  une  seconde  déclaration,  se  disculpe  de  toute  participation 
au  meurtre  du  duc  de  Guise.  —  11  s'achemine  vers  la  cour.  —  Condé  le  rencontre  à 
Essonne  et  le  décide  à  retourner  à  Chàtillon.  —  L'honneur  de  l'amiral  est  noble- 
ment défendu,  en  séance  du  conseil  privé,  par  Condé,  d'Andelot  et  le  maréchal  do 
Montmorency. —  Décision  royale.  —  Correspondance  de  Coligny  avec  le  prince  do 
Portien,  Renée  de  France,  Catherine  de  Médicis  et  Calvin.  —  Coligny  défend  les 
droits  de  ses  coreligionnaires.  —  Démarche  de  l'ambassadeur  d'Angleterre  auprès  de 
Coligny,  au  sujet  des  prétentions  d'Elisabeth  sur  Calais. —  Reprise  du  Havre.  — 
Odet  suit  la  cour  à  Rouen.  — Déclaration  de  la  majorité  du  roi.  —  Maladie  de  la 
reine  mère  à  Meulan.  —  Les  Guises  se  concertent  de  nouveau  pour  agir  contre 
Coligny 257 

CHAPITRE  II 

Les  Guises  à  Meulan.  — Us  deniandent  au  roi  l'autorisation  de  poursuivre  les  rneur» 
triers  du  duc  François.  —  Évocatjon  de  l'affaire  au  grand  conseil.  —  Nouvelle  requête 
des  Guises.  —  Lettre  du  roi  à  Coligny  et  à  ses  frères.  —  Lettre  et  remontrance 
adressées  au  roi  par  les  trois  Chàtillons.  —  Leur  séjour  auprès  du  roi,  au  Louvre.  — • 
Seule,  la  duchesse  de  Guise  se  porte  partie  contre  l'amiral,  qu'elle  prétend  pou- 
voir poursuivre  devant  la  juridiction  ordinaire.  —  Coligny  combat  cette  préten- 
tion, et  se  réserve  le  droit  de  se  constituer  accusateui",  à  son  tour.  —  Le  roi  retient 


—  632  — 

à  lui  la  connaissance  du  litige  soulevé  par  la  maison  de  Guise  contre  l'amiral,  et 
surseoit  à  statuer  jusqu'à  l'expiration  d'un  délai  de  trois  ans.  —  Motifs  qui  ont  porté 
Catherine  à  provoquer  le  sursis.  —  Coligny  revient  à  Châtillon.  -^  Mauvais  vouloir 
et  duplicité  de  Catherine  à  l'égard  des  réformés.  —  Atteintes  portées  à  l'édit  de  paci- 
fication par  diverses  déclarations  royales.  —  Animosité  des  gouverneurs  des  pro- 
vinces, des  parlements,  des  juridictions  suhalternes,  et  des  agents  de  l'autorité  supé- 
rieure contre  les  réformés.  —  Coligny  élève  la  voix  en  faveur  des  opprimés.  — 
Vaine  promesse  de  Catherine,  que  justice  sera  faite.  —  Catherine  projeté  une 
longue  tournée  en  France,  afin  de  se  rendre  compte  de  l'état  des  réformés,  dans  les 
provinces,  et  d'organiser  sur  de  larges  bases  le  système  de  compression  qui,  selon 
elle,  devra  nécessairement,  un  jour,  entraîner  dans  toute  l'étendue  du  royaume, 
l'anéantissement  de  la  réforme  et  de  ses  sectateurs 291 

CHAPITRE  III 

Départ  de  Laudonnière  pour  la  Floride,  sur  l'ordre  de  Coligny.  —  L'amiral  à  Tanlay. — 
Correspondance  avec  le  prince  de  Portien.  —  Synode  de  Lafer té-sous- Jouarre.  — 
Appui  accordé  aux  réformés  de  Troyes  par  le  prince  et  la  princesse  de  Condé.  — 
L'amiral  visite  Condé  à  Vallery,  après  la  mort  d'Éléonore  de  Roye.  —  Entrevue  de 
Soubize  et  de  Catherine  de  Médicis,  à  Lyon.  — D'Andelot  et  les  réformés  de  Crevant. 

—  Lettre  de  Catherine  au  cardinal  de  Châtillon.  — Déclaration  publiée  à  Roussillon, 
remontrances  de  Condé.  —  Catherine  cherche  à  apaiser  Condé  et  les  Châtillons.  — 
Mariage  de  d'Andelot  avec  Anne  de  Salm.  —  Lettres  de  Coligny  à  l'avoyer  et  au 
conseil  de  Berne,  aux  magistrats  de  Zurich  et  à  Th.  de  Bèze.  —  Mariage  d'Odet 
avec  Isabelle  de  Hauteville.  —  Naissance  de  Charles  de  Coligny  —  Lettres  de 
l'amiral  et  de  Charlotte  de  Laval  à  Renée  de  France 325 

CHAPITRE  IV 

Le  cardinal  de  Lorraine,  à  son  entrée  en  armes  dans  Paris,  est  repoussé  par  le 
maréchal  de  Montmorency.  —  Lettres  de  celui-ci  au  duc  de  Montpensier  et  à  la  reine 
mère.  —  Sur  l'invitation  du  maréchal,  Coligny  se  rend  à  Paris.  —  Ses  allocutions 
aux  membres  d'une  réunion  convoquée  par  le  maréchal,  au  prévôt  des  marchands 
et  aux  bourgeois  notables  de  la  capitale.  —  Sa  visite  au  parlement.  —  Coligny  écrit 

'    au  roi.  —  Lettres  du  roi  au  maréchal  de  Montmorency,  à  Damville  et  à  d'Andelot. 

—  Châtiment  infligé  à  Le  May.  —  Pardon  accordé  par  l'amiral  à  Hambrevillier.  — 
L'accès  de  la  capitale  est  momentanément  interdit  par  le  roi  à  l'amiral,  à  d'Andelot 
et  à  divers  autres  seigneurs.  —  Entrevue  de  Rayonne.  —  Dépèches  du  duc  d'Albe  à 
Philippe  H.  —  Desseins  de  Catherine  à  l'égard  des  réformés.  —  Coligny  à  Châtillon. 

—  Sa  lettre  aux  magistrats  de  Strasbourg.  — Mariage  de  Condé  avec  la  fille  de  la 
marquise  de  Rothelin.  —  Départ  de  Coligny  pour  Moulins 360 

CHAPITRE  V 

Comparution  de  Coligny  et  du  cardinal  de  Lorraine  devant  le  roi,  à  Moulins.  —  Déci- 
sion préliminaire,  prise  par  le  roi.  —  Lettre  de  Charlotte  de  Laval.  —  Arrêt  défi- 
nitif, proclamant  l'innocence  fle  l'amiral.  — Réconciliation  plus  apparente  que  réelle 
de  Coligny  avec  les  Guises.  —  Réclamation  de  Soubise.  —  Catherine  n'ose  pas  exé- 
cuter à  Moulins,  contre  les  réformés,  le  sinistre  projet  qu'elle  avait  conçu  à  Rayonne. 

—  Menaces  d'assassinat  adressées  à  Coligny.  —  Altercation  entre  le  cardinal  de 
Lorraine  et  le  chancelier.  — L'amiral  revient  de  Moulins  à  Châtillon.  — 11  intervient 


—  633  — 

auprès  des  Genevois,  en  faveur  de  Spifame  et  de  Chabouillé.  —  Il  écrit  à  de  Gordes 

—  Séjour  de  l'amiral  et  de  sa  femme  à  Paris.  —  Lettre  de  l'amiral  au  roi.  —  Retour 
à  Chàtillon.  —  Mort  de  Soubise.  —  Consolations  adressées  à  sa  veuve  par  Colign 
et  Charlotte  de  Laval.  —  Téligny  est  envoyé  en  mission  à  Constantinople  par  l'amiral. 

—  Entretien  du  roi  et  de  Coligny,  au  sujet  de  celte  mission 390 

CHAPITRE  VI 

Exposé  sommaire  des  tentatives  de  colonisation  faites  par  Coligny.  —  Villegagnon 
au  Brésil.  —  Ribaut  et  Laudonnière  à  la  Floride.  —  Massacre  des  colons  français 
par  les  Espagnols  dans  la  Floride.  —  Réparation  demandée  à  l'Espagne.  —  Inter- 
vention de  Coligny.  —  Dépèches  de  l'ambassadeur  de  France  en  Espagne.  —  Phi- 
lippe II  refuse  toute  réparation.  —  Appui  accordé  par  Coligny  à  une  expédition  maritime 
dirigée  par  le  fils  de  Montluc.  —  Coligny  protège  contre  les  violences  des  Portugais 
les  intérêts  du  commerce  français  sur  la  côte  d'Afrique 431 

CHAPITRE  VII 

Mouvements  dans  les  Pays-Bas.  —  Catherine  redoute  une  alliance  entre  les  réformés 
français  et  ceux  des  Pays-Bas.  —  La  duchesse  de  Ferrare  et  Pierins. — Mort  de  celui 
ci.  —  Coligny  est  consulté  par  Jeanne  d'Albret  sur  le  renvoi  de  Morely,  précepteur 
du  prince  de  Béarn.  —  Mort  de  la  comtesse  de  Roye.  —  Mort  du  prince  de  Portien. 

—  Arrivée  du  duc  d'Albe  dans  les  Pays-Bas.  —  Coligny  représente  le  roi,  au  baptême 
d'un  enfant  du  prince  de  Condé.  —  Demande  de  renvoi  des  Suisses.  —  Entrevue  de 
Thoré,  fils  du  connétable  avec  Coligny.  —  Assemblées  des  chefs  réformés,  à  Valéry 
et  à  Chàtillon.  Conseils  de  modération  et  de  patience,  donnés  par  Coligny.  —  Der- 
nière assemblée.  Opinions  diverses.  On  se  décide  à  une  prise  d'armes 462 

CHAPITRE  VIII 

Les  chefs  réformés  se  réunissent  à  Rozay  en  Bric.  —  Us  adressent  une  requête  au  roi.  — ■ 
Arrivée  des  Suisses  à  Meaux.  —  Le  roi  s'enfuit  à  Paris.  —  Les  confédérés  prennent 
position  à  Saint-Denis. —  Le  roi  somme  Condé,  Coligny  et  leurs  compagnons  d'armes 
de  se  rendre  auprès  de  lui.  —  Demandes  présentées  par  les  confédérés.  —  Ils  en 
restreignent  la  portée.  —  Le  connétable  rend  tout  accommodement  impossible.  — 
Bataille  de  Saint-Denis.  —  Lettres  de  Condé,  de  Coligny  et  de  ses  frères  au  sénat  de 
Strasbourg  et  au  conseil  de  Genève.  —  Les  confédérés  quittent  Saint-Denis.  — Mé- 
moire de  Condé  au  roi.  —  Réponse  du  roi.  —  Mission  confiée  à  Téligny.  Lettres 
de  Condé.  —  Lettre  du  roi  au  duc  d'Anjou.  —  Réponse  du  roi  à  Condé.  —  Coligny 
écrit  au  duc  d'Anjou.  —  Négociation  entamée  entre  la  cour  et  le  cardinal  de 
Chàtillon.  —  Rupture  de  cette  négociation.  —  L'armée  des  confédérés  se  rend  en  Lor- 
raine, à  la  rencontre  des  auxiliaires  allemands 486 

CHAPITRE  IX 

L'électeur  Palatin  Frédéric  III  et  son  fils  le  duc  Casimir.  —  Leur  sympathie  pour 
les  réformés  français.  —  Frédéric  justifie,  dans  une  protestation,  l'envoi  des 
troupes  auxiliaires  en  France,  sous  la  conduite  de  son  fils.  —  Jonction  de  ces  troupes 
avec  celles  de  Condé,  en  Lorraine.  —  Sacrifices  faits  par  celles-ci  pour  subvenir  au 
payemenldcla  solde  des  auxiliaires  allemands.  —  Rentrée  des  confédérés  en  France, 


—  634  — 

l'amiral  y  assure  leur  marche,  leur  approvisionnement  et  leur  séjour.  —  Siège  de 
Chartres.  —  Fait  d'armes  de  Coligny.  —  Renée  de  France  à  Montargis.  —  Cliarlolte 
de  Laval  à  Orléans.  Soins  assidus  qu'elle  prodigue  aux  blessés,  aux  malados,  aux 
pauvres.  —  Atteinte  d'une  maladie  mortelle,  elle  écrit  à  son  mari.  —  L'amiral  ac- 
court à  Orléans.  Mort  de  madame  l'amirale.  —  Profonde  affliction  de  Goligny. 
—  Son  allocution  à  ses  enfants.  —  Il  est  obligé  de  les  quitter  pour  reprendre  son 
commandement,  sous  les  murs  de  Chartres.  —  Négociations  en  vue  d'une  paix.  — 
La  paix  dite  de  Longjumcau  est  conclue.  —  Lettre  de  l'amiral  à  Catherine  de  Mé- 
dicis.  —  il  revient  à  Chàtillon.  —  Lettre  que  Th.  de  Bèze  lui  adresse,  au  sujet  de 
la  mort  de  Charlotte  de  Laval 521 


FIN    DE    LA    TABLE    DES    MATIERES. 


^AhIS.   —    IMPRIMEHIE    EMILE    MAUTINET,     UUE    MIO.N'ON,    2. 


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