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GASPARD DE COLIGNY
OUVRAGES DU MÊME AUTEUR
lilberté religieuse, 1 vol. in-S", 1854 4 fr. »
niadanic l'amirale de Coligny après la Saint-Barthélémy, bro-
chure in-8°, 1867 1 fr. 50
liCS Protestants à la Cour de St-Cermain, lors du colloque de
Poissy, iu-8°, 1874 3 fr. »
Éléonore de Roye, princesse de Coudé, grand in-S" avec por- '
Irait, 1876 7 fr. 50
Gaspard de Coligny, amiral de France, tome 1*^% 1 vol. iQ-8°,
1879 15 fr. »
PARIS. — IMPRIMERIE EMILE MARTINET, RUE MIGNON, 2.
HF.B
GASPARD
\)K
COLIGN
AMIRAL DE FRANGE
LE C' JULES DELABORDE
TOME DEUXIEME
G^.
è^^îX^^
PARIS
G. FISGHBACHER, ÉDITEUR
33, RUE DE SEINE, 33
1881
GASPARD DE COLIGNY
AMIRAL DE FRANGE
LIVRE TROISIÈME
CHAPITRE PREMIER
Analyse des dispositions de l'édit du 17 janvier 1562. — Sages conseils donnés aux
réformés par les représentants des Églises sur l'observation de cet édit. — Con
conseils sont suivis. — Résistances opposées à l'édit par le parti catlmliquc. —
Défection du roi de Navarre. — H pactise avec Philippe 11, insulte Jeanne d'Albret
et cherche à éliminer Coligny de la cour. — Celui-ci, pour sauver Cathoiine de
Médicis d'une situation difficile, se retire volontairement à Châtillon-sur-Loing. —
Départ pour la Floride de Ribaut, dont l'expédition a été organisée par Coligny.
— Efforts des Guise pour priver les réformés français de l'appui de leurs co-
religionnaires à l'étranger. — Correspondance du duc de Guise avec le duc de Wur-
temberg. — Conférences de Saverne. Hypocrisie de François et de Charles de Lor-
raine. — Massacre de Vassy.
L'édit du 17 janvier 1562 * accordait aux réformés le droit :
V De tenir des réunions publiques, pour la célébration de
leur culte ;
2° De subvenir, par des contributions purement volontaires,
aux frais qu'il nécessitait et à l'entretien de leurs pauvres ;
3° De jouir d'une organisation con^istoriale et synodale;
4° D'abriter sous la protection de l'autorité supérieure
l'exercice régulier du triple droit ainsi reconnu.
1. Voy. son texte à l'Appendice, n= I.
II.
— 2 —
Toutefois, cette concession n'était consentie que sous cer-
taines conditions, restrictions ou charges expressénient im-
posées.
Et d'abord, à titre de strict préliminaire, les réformés de-
vaient restituer les églises, ornements, reliquaires, biens et re-
venus ecclésiastiques dont ils s'étaient indûmeut emparés, en
laisser à qui de droit la paisible jouissance, s'abstenir de toute
destruction de croix et images, ainsi que de tous actes scanda-
leux et séditieux; et cela ce sur peine de la vie, et sans aucune
)) espérance de grâce ou rémission (art. 1) ».
Au fond, en ce qui concernait \e premier des quatre points
ci-dessus indiqués, il leur était interdit, également « sur peine
)) de la vie et sans aucune espérance de grâce ou rémission, »
d'édifier des temples, non seulement dans les villes, mais même
au dehors (art. 1); interdiction qui, alors qu'aucun édifice ne
leur était fourni par le gouvernement pour la célébration du.
culte, les "soumettait à l'obligation de ne le pratiquer que dans
des locaux privés ou en plein air.
Aucune assemblée publique ou privée, ayant pour objet
» des prêches et prédications )>, ne pouvait, pas plus de jour
que de nuit, avoir lieu dans les villes (art. 2).
Les assemblées dans lesquelles étaient autorisés « les prê-
)) ches, prières et autres exercices delà religion réformée, » en
dehors de l'enceinte des villes, ne pouvaient se tenir que de jour
(art. 3), dans le plus grand calme, sans port d'armes, si ce n'est
pour les gentilshommes (art. 5), sous la surveillance des
officiers royaux (art. 6, §, 2) et elles devaient ne se composer
que d'assistants dont « la vie, les mœurs et la condition »
fussent recommandables (art. 6, § 1).
L'exercice du ministère évangélique était subordonné à l'ac-
complissement de certaines obligations imposées par l'art. 10,
ainsi conçu: « Les ministres seront tenus se retirer par devers
y> nos officiers des lieux, pour jurer entre leurs mains l'obser-
— 3 —
» vation de ces présentes, et promettre de ne prêcher doctrine
)) qui contrevienne à la pure parole de Dieu, selon qu'elle est
3) contenue au symbole du concile de Nicée et es livres cano-
» niques du vieil et nouveau testament, afin de ne remplir nos
» sujets de nouvelles hérésies; leur défendant très expressé-
» ment, et sur les mêmes peines que dessus, de ne procéder
» en leurs prêches que par conviées contre la messe et les cé-
» rémonies reçues et gardées en notre dite église catholique, et
y> de n'aller de lieu en autre, et de village en village, pour y
» prêcher par force, contre le gré et consentement des sei-
» gneurs, curez, vicaires et marguilliers des paroisses. »
Quant au second point, « les charitez et aumônes, » double
dénomination sous laquelle se rangeaient, avec l'assentiment
tacite du gouvernement, les frais du culte réformé, devaient
« se faire, non par cotisation et imposition, mais volontaire-
)) ment (art. 8) 3).
Sur le troisième point, il était dit : « Qu'ils (les réformés) ne
» facent aucuns synodes ne consistoires, si ce n'est par congé
» ou en présence de l'un nos dits officiers, ne semblablement
î> auucne création de magistrats entre eux, lois, statuts et or-
)) donnances, pour estre chose qui appartient à nous seul.
y> Mais s'ils estiment être nécessaire de constituer entre eux
» quelques règlements ppur l'exercice de leur dite religion,
)) qu'ils les monstrent à nos dicts officiers, qui les autoriseront,
» s'ils voyent que ce soit chose qu'ils puissent et doivent rai-
». sonnablement faire : sinon, nous en avertiront pour en avoir
)) notre permission, et autrement en entendre nos vouloir et
» intention (art. 7). »
Le quatrième point éiaïl réglé en ces termes: « Deffendant,
y> sur lesdites peines, à tous juges, magistrats et autres per-
)) sonnes, de quelque état, qualité ou condition qu'ils soient,
T) que, lorsque ceux de ladite religion nouvelle iront, viendront
D et s'assembleront hors des dites villes, pour le fait de leur
)) dite religion, ils n'ayent à les y empêcher^ inquiéter, molester,
)) ne leur courir sus, en quelque sorte ne manière que ce soit;
)) mais où quelques-uns voudraient les offenser, ordonnons à
» nos dits magistrats et officiers que, pour éviter tous troubles
)) et séditions, ils en empêchent et facent sommairement et
D sévèrement punir tous séditieux, de quelque religion qu'ils
» soient, selon le contenu en nos précédens édits et ordon-
y> nances, même en celle qui est contre les dits séditieux, et
)) pour le port des armes, que nous voulons et entendons en
» toutes autres choses sortir leur plein et entier effet et demeu-
» rer en leur force et vertu (art. 4). »
Il était, en outre, recommandé dans l'art. 11 « à tous pré-
» cheurs, de n'user en leurs sermons et prédications d'injures
y> et invectives contre les dits ministres et leurs sectateurs,
» pour estre chose qui avait jusques ici beaucoup plus servi à
y> exciter le peuple à sédition qu'à le provoquer à dévotion ».
Telles étaient les dispositions principales de l'édit de janvier.
Les réformés n'avaient pas autrement lieu de s'inquiéter du
caractère simplement provisoire que la royauté avait imprimé à
cet acte solennel, pourvu qu'elle s'attachât sincèrement à en
assurer l'application. En effet, d'une part, appelé à durer jus-
qu'à ce qu'un concile eût amené les esprits et les cœurs à l'unité
de croyance et de culte, l'édit pourrait s'exécuter indéfiniment,
puisque cette unité serait poursuivie sans être jamais atteinte;
et, d'une autre part, la royauté, par cela môme qu'elle demeu-
rerait sincère, ne révoquerait point une concession aux condi-
tions de laquelle les réformés continueraient à se soumettre.
Ces derniers, peu préoccupés dès lors de ce qu'il y avait,
en apparence, de précaire dans cette concession, fêtaient du
moins fortement de certaines restrictions apportées par l'édit à
fexercicede leur culte. (( Ils avaient bien attendu davantage, et
)) ils se plaignaient, qu'en les renvoyant aux faubourgs des villes,
» on rendoitleur condition beaucoup pire qu'elle n'estoit; car.
— 5 —
» en une infinité de lieux, on preschoit publiquement dans les
y> villes et temples, sans contredit * ; » mais l'influence de sages
conseils fit promptement taire leurs plaintes.
A Saint-Germain, où la cour continuait à résider, en janvier
1562, se trouvaient Goligny et l'Hospital. Le premier entrete-
nait avec les députés des églises réformées et les ministres sé-
journant alors dans cette ville des relations suivies ^ , auxquelles
le second ne demeurait pas entièrement étranger. De ces rela-
tions résulta une judicieuse détermination, bientôt prise de
commun accord par ces députés et ces ministres. En effet, les
uns et les autres « estant à Saint-Germain, après s'estre adressés
y> à M. le Chancelier, pour entendre de lui l'interprétation de
» quelques ambiguïtés (que présentait la rédaction de l'édit)
» écrivirent aux églises (dans les premiers jours de février),
y> une lettre ^, jointe à une déclaration * sur quelques articles
» dudit édit afin que le retardement de l'exécution ne vinst de
y> leur costé ^ ».
Le passage suivant donne, à lui seul, la mesure delà sagesse
dont cette lettre était empreinte : « Nous vous prions, au nom
y> de Dieu, que faciès telle diligence que l'édit soit tellement
y> gardé, que le roy, la reyne, et tout son conseil ayent occasion
3) de se contenter de l'obéissance de ceux qui sont sous vostre
» charge. Et pour ce qu'il y a certaines clauses en l'édict, l'exé-
y> cution desquelles pourroit estre trouvée fascheuse et difficile,
» nous vous envoyons ce que nous avons pu adviser, touchant la
1. Bèze, Hist. eccL, t. I, p. 681.
2. Les relations de l'amiral avec Calvin, par voie de correspondance, se
continuaient à cette même époque. « Meas litteras, qùum Posidonio (Coligny)
j reddes, vide ut fidelis sit causoe quam commendo patronus. Rogo eum ut suâ
> gratiâ et autoritate nos adjuvet in diplomate impetrando, cujus mitto exera-
j plar, et simul supplicis libelli. » (Calvinus Bezae, 11 februarii 1562. Calviiii
op., t. 19, p. 284, n» 3715.)
3. Voy. Appendice, n° 2.
■i. Voy. Appendice, {i° 3.
5. Bèze, Hist. eccl., t. I, p. 681.
— 6 —
» manière par laquelle on pourra, en toute crainte et humilité,
y> rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu,
» comme aussi nous pensons estre la volonté du roy et de son
)) conseil en tout cest édicl, que Dieu soyt obéi le premier. Il
y> est certain qu'il semblera à plusieurs qu'on pouvoit, selon le
» temps, obtenir plus grande liberté que celle qui se présente,
» mesme qu'il sera grief à ceux qui ont desjà occupé les tem-
» pies et autres lieux publics dans les villes, de les laisser : mais
» ceux-cy, s'y estant avancés de leur authorité privée, doivent
)) plustost recognoistre leur indiscrétion, que trouver eslrange
» de se veoir privés des lieux èsquelz ils se sont ingérez, sans
» attendre que Dieu marchast devant eux, par la providence et
» bonne volonté duquel il est plus que juste et raisonnable que
» soyons gouvernés. Davantage il faut considérer que, si nous
■» sommes privés, pour un temps, de quelque commodité, le
» grand bien qui s'offre de l'autre costé, doit effacer l'ennuy
y> qu'aucuns pourront avoir de ce qu'ils perdent; joint que ce
» n'est pas icy le dernier bénéfice que nous espérons de notre
» roy, moyennant la grâce de Dieu, lequel roy estant persuadé
» de nostre obéissance et submission sera de plus en plus
» enclin à nous ouïr patiemment et à nous faire droict et raison
y> de tout ce que proposerons à sa majesté. y>
Ces judicieux « avis et remonstrances eurent tel effect, »
que les Églises obéirent incontinent^ ; « mais avec leur obéis-
sance contrasta l'ardente opposition que l'édit de janvier ren-
contra dans les rangs du parti catholique. Les chefs de ce parti
fomentèrent en secret la résistance des parlements, les censures
du clergé et le soulèvement des masses populaires. Ils se réser-
vaient de faire aboutir, en temps opportun, leur œuvre téné-
breuse à un coup d'éclat dont l'irrésistible énergie, pensaient-
ils, anéantirait l'édit qu'ils maudissaient. Le contraste ici est
1. Bèze, Hist. eccl., 1. 1, p. 687.
frappant : il ressort de l'étude approfondie des faits qui s'accom-
plirent alors au sein des provinces et de la capitale; faits
intéressants en eux-mêmes, mais que nous devons nous résigner
à passer, en partie, sous silence, à raison de leur multiplicité et
de l'étendue des développements qu'entraînerait leur exposé
complet.
L'édit, signé le 17 janvier 1562, avait été immédiatement
communiqué aux divers parlements pour être enregistré. Il le
fut par le parlement de Rouen le 27 du même mois * , par ceux
de Bordeaux et de Toulouse le 6 février ^ , et par d'autres à des
dates plus ou moins rapprochées, avec une soumission appa-
rente sous laquelle se déguisait à peine une hostilité réelle.
Ces grands corps, s'arrogeant trop souvent, pour en abuser, une
mission plus pohtique que judiciaire, repoussaient aveuglément,
comme subversive de l'ordre public, la coexistence de deux
religions en France ^ Les parlements les plus fortement engagés
dans les voies d'une résistance insensée et coupable étaient
ceux de Paris et de Dijon ; et l'on venait d'atteindre le mois de
mars sans qu'ils se fussent encore départis de l'audacieuse
formule : Non possumus, nec debenms^ à l'abri de laquelle ils
se croyaient inexpugnables.
Cependant, que s'était-il passé chez les réformés, dans le
cours des quelques semaines qui venaient de s'écouler?
Ils avaient loyalement exécuté les obligations que leur im-
posait l'édit de janvier, notamment : 1° en se dessaisissant des
édifices^religieux et des biens ecclésiastiques que l'on considérait
comme ayant été jusqu'alors détenus par eux au détriment des
1. Bèze, Hist. eccL, t. II, p. 610.
2. Bèze, Hist. eccL, t. I, p. 789, et t. III, p. 1.
3. Tout homme d'espril qu'il était. Est. Pasquier, alors aveuglé par une into-
lérance égale à celle des parlements, écrivait à M. de Foussomme (liv. iv,
lettre 13) : « Auriez-vous jamais, en vostre jeunesse, estimé voir quelquefois,
> en ceste France, telle desbauche que, dans une mesme ville, il y eùst exercice
> de deux diverses religions? j
— s —
catholiques* ; 2" en ne s'assemblant, pour l'exercice de leur
culte, que hors des villes, dans des locaux privés, ou en plein
air, de jour, publiquement, sans port d'armes, sous la direction
des ministres ayant prêté le serment voulu ^ .
Quelque régulière et paisible qu'eût été leur attitude^-, ils
ne s'en étaient pas moins vus, presque partout, troublés dans
l'exercice de leur culte par les insultes, par les menaces et
même par les voies de fait auxquelles s'étaient laissé entraîner
à leur égard des foules excitées tour à tour par les menées
occultes et par les harangues furibondes d'un clergé intolérant.
La royauté elle-même et ses plus sages conseillers, Goligny,
THospital, n'avaient échappé ni aux invectives, ni aux accusa-
tions * .
Rien de plus grave, assurément, que la fermentation du parti
catholique à celte époque ^ et que le déchaînement de ses atta-
ques contre l'édit de janvier et ses auteurs; néanmoins le péril
qui en résultait eût pu très probablement être écarté, si la
cause de la Kberté religieuse et la royauté n'eussent eu à souf-
frir du rôle auquel s'abaissa, vis-à-vis d'elles, Antoine de Bour-
bon.
Ce prince, sans croyances affermies, sans rectitude de con-
duite, sans stabilité de décisions, ne se montrait persévérant,
tenace même, que dans les aspirations d'une ambition peu clair-
voyante. Il cherchait à obtenir de Philippe II un royaume, en
dédommagement de la Navarre espagnole enlevée à Jean d'Al-
1. « Ceux de la religion réformée, comme obéissans sujets, se rangèrent
» promptement, quittant les temples et villes qu'ils pouvoyent aisément garder,
» si l'obéissance qu'ils dévoient au roy et le désir du repos public ne leur eussent
» esté plus chers que toutes commodités particulières. » (Grespin, Hist. des
martyrs, éd. de 1608, p. 580.)
2. Voy. à l'Appendice, n» 4.
3. Voy. Appendice, n" 5.
L Mém. de CL Eaton, t. I, p! 2H à 21.i.
5. Un judicieux historien a parfaitement caractérisé l'organisation et les ten-
dances de ce parti (voy. Appendice, n" 6).
— 9 —
bret. Enlacé dans les liens d'une intrigue ourdie, de concert
avec les Guise, par le légat du pape, l'ambassadeur d'Espagne, le
cardinal de Tournon et d'autres affidés du saint-siège* , il
avait ouvert à Rome et à Madrid des négociations au cours
desquelles il promettait, pour prix du royaume qui lui serait
accordé, de foire prévaloir en France la religion catholique,
et menaçait, en cas de refus de la concession sollicitée, d'en-
gager contre les sectateurs de cette religion une lutte sérieuse.
Payé par Philippe II de promesses illusoires, il rompit peu à
peu avec les hommes dont il s'était dit jusqu'alors le coreli-
gionnaire et le soutien^ ; puis, sans plus de conscience comme
catholique improvisé que comme transfuge de la réforme, il mit
au service du triumvirat, instrument intéressé des desseins de
la papauté et de l'Espagne, son autorité de lieutenant général
du royaume.
i . « Scachez que le pape, voyant le remuement de mesnage qui se. faisoU
» entre nous, a envoyé M. le cardinal de Ferrare, légat en France, avec très
» amples facullez!... Aussi avons-nous pardeça le seigneur de Chantonnay.
» Cestuy ambassadeur du roy Philippe est, ainsi que l'on dict, gaigné par quel-
» ques grands princes des iiostres, ausquels ne plaisoit ceste diversité de reli-
» gion. Luy, suivant la capitulation prise entre eux, se transporte trois ou
> quatre fois en habillement desguisé pardevers le roy de Navarre, l'asseurant
» de la part de son maislre que là où il voudroit prendre la protection
» de l'Église romaine, il luy rendroit son royaume de Navarre, ou bien l'équi-
» valent en assiette de pays souverains, aussi riches et plantureux. Ceste
» tresme commençant d'estre tissue, le légat se met aussi de la partie, luy
> promettant de la part du Saint-Siège le comté de Venisse, et encores luy
» raoyenner envers le roy catholic le pays de Sardaigne, que le pape érigeroit
» en royaume, là et au cas qu'il ne luy voulust rendre le pays navarrois. »
(Est. Pasquier, liv. iv, lettre 14.)
2. « Le roy de Navarre, bien qu'il ne tienne aujourd'huy le gouvernement
» que par la faction de ceux de la religion, si semble-t-il avoir tourné sa robe
> et favoriser l'ancienne religion. » (Est. Pasquier, liv. iv, lettre 13.) —
« Things are come to a strange issue. The cardinal of Ferrara bas assured to
> his dévotion the king of Navarre, the consJable, marshal S. André, the car-
■» dinal of Tournon, and olhers, inclined to retain the Romish religion; ail of
î whom are bent to repress the protestant religion in France, and to find means
» either to range the queen of Navarre, the prince and princess of Condé, the
> admirai, and ail others who favour that religion, or to expel them from the
— 10 —
Dans l'espoir de rendre cette autorité capable de contre-ba-
lancer, si ce n'est même d'infirmer celle de la régente, qui con-
tinuait, au moins extérieurement, à protéger les réformés ^ , il
s'attacha à priver cette princesse de fassistance éclairée que lui
prêtait Jeanne d'Albret et à l'isoler de celui de ses conseillers dont
l'appui lui était le plus nécessaire, en d'autres termes, de Goligny.
Pour complaire à Philippe II et à ses adhérents, Antoine de
Bourbon ne pouvait rien faire de mieux que de se poser en
ennemi déclaré d'hérétiques endurcis tels que Jeanne et l'ami-
ral ^ . Aussi s'assouplit-il vis-à-vis d'eux aux exigences d'un
double antagonisme par lequel il déshonora simultanément sa
vie privée et sa vie publique.
D'une part, en effet, il n'y eut sortes de tortures morales que
la reine de Navarre, si fermement chrétienne et si française de
cœur, ne dût subir au foyer domestique de la part de son in-
digne époux, devenu l'esclave de honteuses passions et le triste
jouet des Guise, ainsi que des cours pontificale et espagnole.
Vainement le prince et la princesse de Gondé, témoins des
angoisses de leur infortunée belle- sœur, s'efforcèrent-ils de ra-
mener Antoine au sentiment de ses devoirs conjugaux et pater-
nels : sourd à leurs exhortations, cet homme inconsistant et
» court witli ail the ministers and preachers. » Throckmorton to the queen.
16 février 1562 {Calend. of State pap. foreign).
1. Coligny se portait garant des bonnes intentions de Catherine, en s'atta-
chant à dissiper les doutes que l'ambassadeur d'Angleterre avait conçus. —
« Throckmorton asked what proof the queen could hâve that the queeu mother
3> was speaking sincerely, seing that she and the king of Navarre were but to
» advancepapistryand overthrow the protestant rehgion... the admirai answere'd
T> that he supposed the king of Navarre hoped to compound with the king of
> Spain for his kingdom of Navarre; but he assured him that the queen
> mother was well inclined to advance the true religion, although sheis forced
3) to show a good face to the adversary. » (Throckmorton to the queen, 6 mars
1562 {Caland. of State pap. foreign).
2. « The king of Navarre persists in the bouse of Châtillon retiring from the
ï court, and it is believed the queen of Navarre and Ihey will not tarry longthere.»
Throckmorton to the queen-, 16 février 1562 (Ca/ewrf. of State pap. foreign).
— 1 1 —
déprimé, qui naguère s'érigeait en protecteur de la religion
réformée et qui maintenant se tournait contre elle * , s'obstina
à froisser sa noble femme dans les plus chers intérêts de son
âme, dans ses plus vives affections, et prétendit lui arracher,
avecla liberté d'exercice du culte auquel elle demeurait fidèle,
la direction religieuse de son fds - . Trop fière pour plier, un seul
instant, sous le joug d'une oppression brutale, Jeanne se dé-
gagea résolument des étreintes de l'épreuve^ : abandonnant
Antoine aux conséquences de sa lâche défection, elle se retira,
tête levée, et prit le chemin de ses États.
Affranchi de la présence de sa femme à la cour de France,
l'ingrat Antoine* travailla, d'une autre part, à en éliminer
Coligny, et pour atteindre son but il n'eut pas honte de s'en-
gager dans une voie perfidement frayée par Philippe II.
Ce monarque, espérant discréditer l'amiral dans l'esprit de
Catherine de Médicis, l'avait représenté comme cherchant à se
venger du traitement rigoureux qu'il avait subi durant sa cap-
tivité à l'Écluse et à Gand en favorisant des déprédations com-
mises sur mer au préjudice des Espagnols, et comme s'appli-
quant, dans l'égarement d'une animosité personnelle, à brouiller
entre elles les cours d'Espagne et de France.
Fort de sa conscience, Coligny pressa S. de l'Aubespine, am-
bassadeur de France à Madrid, de repousser les odieuses im-
putations dont il était l'objet. Le-5 janvier 1562, il lui écrivit^ :
1. N. de Bdrdeuave, Hist. de Béarn et Navarre, 1873, in-8, p. i09, —
Mém. de Condé, t. III, p. 190.
2. Bèze, Hist. ceci, p. 688, 689. — Throckinorton to Cecil, 14 mars 1562
(Calend. of State pap. foreign),
3. « Uxorem tibi affirmo duplô forliorem esse, quàra unquàm antea. »
(Beza Calvino, 26 février 1562, ap. Bauni, app. p. 165.)
i. « Miser ille jàm prorsus est perditus et orania secîmi perdere constituit :
ï uxorem amandat, Posidonium (Coligny) cui omnia débet, vix intueri sustinet. »
(Beza Calvino, 1*'' février 1562, ap. Baum, app. p. 161). — Voy. aussi : litt.
Bezae ad Turicenses et Bernâtes, 12 avril 1562, ap. Baum, app. p. 178.
5. Bibl. nat., mss. f. fr., vol. 6620, f» 120.
y> Pour ce que par delà on faict de grandes plaintes à cause des
» déprédations qui se commectent par la mer, et que quand à
)) celles qui ont esté commises par ceulx de ce royaulme, je
)) pense que, à la court du roy d'Espagne, on voulust présumer
)) qu'il y a de la connivence ou dissimulation de mon costé,
))j'ay faict dresser un mémoire du moyen que j'entends de tenir
» pour obvier à telles déprédations de nostre costé, et l'ay com-
)) muniqué à la royne et au roy de Navarre, vous asseurant que
y> l'on me feroit grand tort par delà de m'estimer homme de
)) vengeance et qui se voulust ressentir des choses qui m'ont
)) esté faictes durant le temps de la guère, car je n'eus oncques
» telles pensées. »
De son côté, Catherine, voulant que justice fiit rendue à l'ami-
ral au delà des Pyrénées, tint, dès le 6 janvier, ce langage à
S. de l'Aubespine * : «... L'autre point est touchant l'opinion en
D quoyj'ay entendu qu'est entré le roy mon beau filz de M. l'ad-
)) mirai, lequel il estime faire tout ce qu'il peult, tant du faict
» de la navigation que aultrement, pour la diminution de nostre
» commune amytié, et pour mectre, malgré que nous en ayons,
j) à la guerre. Sur quoy, je vous prie, mons. de Lymoges, parti-
» culièrement de ma part luy faire entendre que le dit S' admi-
)) rai, pour lui faire cognoistre combien ceste impression est
)) hors de toute raison, a faict dresser ung mémoire de la façon
)) qu'il luy semble qu'il se fault conduyre au faict de la naviga-
y> tion, pour la conservation du commerce, à la liberté et trafic
)) des subjectz du roy mon filz et du roy mon beau-fds, lequel
-ù estant veu par luy, j'estime luy debvra satisfaire, et oultre
)) cela estant l'amytié et bonne intelligence telle qu'elle est
)) entre nous, a tant de volonté de luy faire service qu'il se peult
» asseurer n'y avoir une seule personne de deçà qui en une
)) bonne occasion lui en fait meilleure preuve. Et pour ceste
1 Bibl. nat., rass. f. fr., vol. 6620, f» i'iS.
- 13 —
» raison je le prie de oster caste mauvaise opinion et croyreque
y> tant s'en fault que cela soyt vray, qu'il doibt croyre avecques
)) vérité qu'il faict tout ce qu'il peult pour nous maintenir et
» entretenir en ceste bonne intelligence, comme il cognoistra
» par ses effets, ce que vous luy monstrerez vifvement affm qu'il
y> ne demeure en ceste oppinion où j'aurais regret de le veoir,
y> pour l'amytié que je porte au dit S"" admirai et la cognoissance
y> que j'ay du contraire pour le zèle qu'il a au "bien du service
» du roy mon fils et à la tranquillité de ce royaulme, dont vous
y> me manderez des nouvelles par la première dépêche. »
La double protestation de l'amiral et de Catherine n'eut
d'autre effet que de pousser Philippe II et Antoine de Bourbon
à conclure entre eux un pacte aux termes duquel Ghantonnay,
ambassadeur d'Espagne en France, demanderait au nom de
son maître que Goligny fût expulsé de la cour, et Antoine, au
nom du parti catholique, appuierait en séance du conseil la
demande d'expulsion^ .
Informée de l'existence de ce pacte par le vigilant de l'Au-
bespine, la régente en conçut une vive indignation : elle se
montra prête à repousser par un refus dédaigneux la solhcita-
tion que Ghantonnay oserait formuler et à rompre avec An-
toine.
Loin de chercher à tirer parti, ainsi que cela lui eût été
facile, des dispositions dans lesquelles il voyait Catherine, Goli-
gny n'eut d'autre pensée que de la délivrer de ses perplexités.
Il lui annonça qu'il était prêt à prévenir par une retraite
volontaire toute démarche tendant à obtenir qu'il fût banni de
la cour. Acceptant l'offre de son fidèle conseiller, dont l'abné-
gation la sauvait d'une situation difficile, Catherine lui accorda,
1. « The king of Navarre being against tlie admirai and house is one of Ihe
j causes why tlie admirai and d'Andelot retire from Ihe court. Another cause
» proceeds fromthc kingof Spain. » (Throckmorton to Ihe queen, 6 mars 15G2
(Calend. of State pap. foreign).
— u —
avec les ménagements d'une faveur ostensible* ,1a permission
de se retirer momentanément à Châtillon-sur-Loing, afin qu'il
pût, disait-elle, vaquer à ses affaires domestiques; mais ce ne
fut pas sans lui avoir formellement déclaré « qu'elle le con-
» noissoit tant fidèle serviteur du roy et tant affectionné aussi
» envers sa majesté, que, si le besoin l'y rappeloit, il ne seroit
» paresseux à employer tous ses moyens pour la garantir de la
» conspiration des Guise - ».
A peine, dans les derniers jours de février, l'amiral, pour se
rendre à son château, quittait-il celui de Saint-Germain par
une porte, que Ghantonnay y entra par une autre et y reçut
de Catherine le sévère accueil qu'il méritait^ .
Le 18 de ce même mois de février, partit du Havre, en exé-
cution d'ordres émanés de l'amiral de France, une expédition
maritime organisée par ses soins. Elle était destinée à la fon-
dation d'une colonie française au sein d'une contrée de l'A-
mérique du nord, la Floride, que depuis quelque tennps les
Espagnols avaient été contraints d'abandonner, à la suite d'ef-
froyables excès dont les indigènes avaient tiré vengeance. Un
marin expérimenté et énergique, appartenant à la religion ré-
formée, Jean Ribaut, avait été choisi par Goligny pour diriger
cette expédition. Il emmenait avec lui sur sa flottille des gentils-
hommes, des soldats, des ouvriers qui presque tous étaient ses
coreligionnaires. L'insuccès d'une première tentative de colo-
1. « In Posidonio (Coligny) et altero ejus fratre (d'Andelot) nihil est quod
> requiras. Uterque cessit iilius insani (Ant. de Bourbon) furoribus, sed certo
» consilio quod nobis utile fore spero, quàmvis maluissem ad extremuminvictos
» sese opponere. Sed aliter judicant faciendum fuisse, quibus arcana ista
» notiora sunt, quàm mihi. Hoc quidem scio, et régi et reginae gratissimos
» discessisse... tertius frater (Odet) in aulâ remansit, homo , si quisquaai in
» eo ordine alius, plané integer : adeo effusa est Dei benedictio in totam illam
» familiam. » (Beza Galvino, 26 février 1562, ap. Baum, app. p. 165).
2. Bèze, Hist. eccL, t. Il, p. 115. — Mém. de Condé, t. III, p. 587.
3. Voy. une longue dépêche de Ghantonnay au conseiller Tisnacq, du 23 fé-
vrier 1562 {Mém. de Condé, t. II, p. 22 à 27).
— 15 —
nisation au Brésil, en 1555 et 1556, n'avait pas découragé
Famiral : il poursuivait, au contraire, en 1562, avec une vigueur
nouvelle son projet d'assurer une possession coloniale impor-
tante à la France et un refuge aux victimes des persécutions reli-
gieuses qui pourraient renaître.
Nous reviendrons plus loin sur le sort des deux expéditions
de 1555-1556 et de 1562.
Au moment où Coligny faisait preuve d'abnégation par sa
retraite et acte de patriotisme par l'envoi de Ribaut en Amé-
rique, deux des Guise, sans souci des intérêts supérieurs de la
France, sans respect pour là royauté, n'écoutant que leur am-
bition insatiable, et tenant désormais à leur dévotioji le conné-
table, le cardinal de Tournon, le maréchal de Saint-André et An-
toine de Bourbon* , aspiraient plus que jamais à écraser la
réforme et à élever sur ses ruines leur omnipotence dans le
royaume. Pour atteindre leur but, ils s'étaient proposé en der-
nier lieu d'affaiblir les réformés français, d'un côté, en incitant
contre l'édit de janvier les parlements, le clergé, les fonction-
naires de tout rang, le peuple, et, d'un autre côté, en privant ces
mêmes réformés de l'appui de leurs coreligionnaires à l'étran-
ger. Laissant à d'autres, pour le moment du moins, la charge
d'attaquer l'édit, charge qui ne fut que trop ardemment rem-
plie, François et Charles de Lorraine s'étaient réservé le soin
de peser personnellement sur les princes luthériens de l'Alle-
magne.
Alors se consomma, au delà de la frontière française, les 15,
16, 17 et 18 février 1562, l'exécution d'un plan dont la con-
i. « Cette amitié et confédéralioa de ceux de Guise, du connestable et ma-
> reschal de Saint-André avec le roy de ^avalTe, fut si sagement conduite,
î qu'en peu de jours ils ne furent tous qu'une même chose. Et quelques-uns
» pour lors eurent opinioa qu'ils eussent bien voulu que la reine mère du roy
» n'eust pas eu le gouvernement, laquelle néanmoins l'a tousjours prudemment
> conservé. » Castelnau, Mém., liv. m, ch. vi.
— 10 —
ception, qui remontait à plusieurs mois, était le fruit d'une in-
signe astuce et de la pire des hypocrisies, l'hypocrisie religieuse.
Les faits, à cet égard, parlent d'eux-mêmes.
Mécontents de l'influence que Goligny, par ses sages conseils,
exerce sur l'esprit de Catherine de Médicis et de l'intention
que cette princesse manifeste d'accorder aux réformés l'exercice
public de leur culte, François et Charles de Lorraine, de con-
cert avec le connétable, ont quitté la cour en novembre 1561 et
se sont retirés, l'un àNanteuil et à Joinville, l'autre à Reims* .
Ils n'y demeurent point inactifs; car, par leurs lettres et par
leurs émissaires, lancés dans des directions diverses, ils entre-
tiennent des intelligences avec les ennemis intérieurs et exté-
rieurs de la réforme française, dont ils attisent les haines. Sou-
ples dans leur tactique, ils ont soin en même temps de
rompre, pour la forme, avec leurs habitudes altières et de
faire preuve d'obséquiosité, là où ils espèrent que cela pourra
leur être profitable. C'est ainsi que le duc de Guise, tant en son
nom qu'en celui du cardinal de Lorraine, son frère, ravive
une correspondance qu'il a entamée, au mois de juillet précé-
dent, avec Christophe, duc de Wurtemberg. Exploiter la diver-
1. Voici ce que, concernant Reims, le cardinal de l.orraine écrivit au cardi-
nal de Tournon, au connétable et au niaréclial de Saint-André, la veilJe inAine
du jour où fut signé l'édit de janvier : « Messieurs, je fais mon compte repreu-
» dre mon clieniin à Reims, y passer ce caresme et faire le peu de debvoir
» que je pourray à enseigner mes parrochiens, et pour ce que me seroit un
» grand regret, ayant laissé ma ville bien entière, d'y trouver à mon retour
ï chose qui peusteslre cause d'y engendrer trouble et sédition, comme il pour-
> roit advenir sy, en mon absence, ou tandis que j'y seray, il y esloit introduit
» quelque prédicant..., je me suys advisé, pour obvier à tel inconvénient...,
» vous en escripre et prier, messieurs, autant aOTectueusement qu'il m'est pos-
» sible, faire que je puisse obtenir (une lettre de cachet), ou autre provision,
» pour empescher que aucun des prédicanls entrepreigne de se venir mesler
j» parmy ceulx qui sont soubz ma charge,... car il n'y a chose en ce monde
» dont je me sentisse plus offensé que de voir en ma ville qu'il y eust prédi-
» cant et que je n'osasse prendre l'auctorité de le chasser ou faire chasticr. »
(Lettre du 16 janvier 1562, Ribl. nat., mss. f.fr., vol. 3197, T 7.)
— 17 —
gence de vues des luthériens et des calvinistes sur la ques-
tion sacramentaire, comme devant porter Christophe et les
princes allemands, ses coreligionnaires, à retirer leur sympa-
thie et leur appui aux réformés français : tel a été le but de;
cette correspondance, dès son origine, et tel il est encore.
Le 2 juillet 1561, François de Lorraine est entré en matière
par ces paroles significatives, visant les sectateurs de la ré-
forme en France^ : « Tels séditieux ne font non plus de cas
» de vostre confession et forme d'église, que de celle du pape. »
En lui répondant le 25 du même mois,^ , Christophe le pré-
munit contre les abus du clergé, l'exhorte à étudier la sainte
Écriture et ajoute : « Je vous envoie aucuns exemplaires,* en La-
» tin et François, de ma confession, qui est un vrai compen-
» dium de la confession d'Augsbourg. »
Le 19 octobre, François de Lorraine écrit^ : « J'ay fait voir
)) par personnes d'estime et bien renommez ce que vous m'avez
» envoyé de vostre confession, conforme à celle d'Augsbourg,
» mesme en ce qui touche le Saint-Sacrement; ce qui a esté
)) fort bien vu par les catholiques de ce royaume. »
En novembre, des lettres de François sont apportées par l'un de
ses agents, Rascalon*, à Christophe, qui accueille cette nouvelle
communication en déclarant^ « que ce luy a esté une grande
» joye d'avoir entendu par là, qu'en matière de la foy, le duc de
y> Guise ne désire autre chose plus que sa conscience soit bien
» instruite... — Quant au fect de la religion, dit-il, le désir que
» vous avez d'y estre instruict pour pourvoir à vostre conscience,
» nonobstant la nourriture et institution que vous avez prise dès
y> vos jeunesses, m'a esté fort joyeux d'entendre. Je ne sçay,
)) de ma part, autre moyen plus commode d'appaiser vostre
1. Stuttgart, Slaats. Archiv. Frankreich, cap. 16; a. no 76.
2. Jd., ibid., no82, 6.
3. Id., ibid., n» 2.
i. Id., ibid., n° 2, A.
5. Id., ibid., n» 4, A.
II. 5
— 18 —
» -dicte conscience devant Dieu, sinon que vous ne vous abusiez
» k ceste longueur et prescription du temps et coustumes les-
» quelles, en matière de salut éternel, ne peuvent avoir un bon
» lieu. ))
Le 30 décembre, le duc de Guise remercie le duc de Wurtem-
berg d'une lettre et de deux livres que celui-ci lui a envoyés par
Rascalon et lui dit^ : « Groiez hardiment que je prétendz et
)) faiclz tout ce qu'il est possible et que doibt ung prince
)) homme de bien, pour cognoistre Dieu et essaier de tenir le
» chemin qu'il nous commande, comme je croy que vous et
i) ung chacun aussi faict de son cosfcé, le suppliant qu'il luy
» plaise faire que toutes nosactions soient à son honneur et gloire
» et à notre salut Je me délibère, suivant ce que nous dési-
» rons, de vous voir, le dernier jour du mois prochain, en la ville
» de Saverne, si vous le trouvez bon et que ce soit vostre com-
;) modité, ainsi que j'ay chargé ledict Rascalon vous dire de
» ma part, n'y ayant aujourd'hui prince ne parent que plus je
)) désire veoir que vous et auquel je vouldroisplus fere plaisir et
■) service. »
Ghristophe accepte la proposition d'une entrevue. Au désir
que le cardinal de Lorraine a exprimé d'y assister, il répond par
ces bienveillantes paroles^ : « Votre serviteur Rascalon m'a
)) déclaré que M. le cardinal de Lorraine, vostre frère, désiroit
» bien parler à moy; sur quoy je luy ay respondu que je serois
» fort joyeulx de le veoir et parler avecques luy, vous priant
» bien affectueusement de l'amener avec vous, afin que nous
)) nous voyons et puissions converser par ensemble. »
Quelques lignes, relatives à la détermination précise de l'é-
poque-à laquelle on se rencontrera, sont encore échangées entre
les ducs de Wurtembercr et de Guise ^ .
'»
1. Stuttgart. Staats. Arohiv. Frankreich, cap. 16, n» 9. A.
2. kl., ibid., n» 11.
3. 1(1., ibid., n" 25,
— 19 —
Enfin, les 15, 46, 17 et 18 février 1565, a lieu, à Saverne,
une entrevue dans laquelle les deux frères, en habiles comédiens,
jouent, vis-à-vis du loyal et trop confiant Christophe, le rôle de
personnages débonnaires, animés d'un esprit de tolérance et de
conciliation, faisant bon marché de certaines croyances et prati-
ques propres au catholicisme, n'attachant de prix qu'aux grandes
doctrines évangéliques, et disposés à se rallier à la confession
d'Augsbourg. C'est bien sous cet aspect que, sans s'en douter,
le duc de Wurtemberg, dont ils ont surpris la bonne foi, nous
met lui-même à portée d'envisager ses deux interlocuteurs,
dans une fidèle relation des conférences de Saverne qu'il a
écrite K Parmi les détails qu'elle renferme, il en est uii surtout
qui excite l'indignation, alors qu'on voit les deux Lorrains por-
ter jusqu'aux dernières limites l'audace dans le mensonge- .
Écoutons sur ce point le pieux et véridique Christophe :
(( Je dis au duc de Guise: Puisque nous en sommes maintenant
y) à nous expliquer l'un avec l'autre, je ne puis m'empescher de
» vous informer que vous etvostre frère estes hautement soup-
» çonnés, en Allemagne, d'avoir contribué à faire périr après le
» le décès de Henri II, et encore de son vivant, plusieurs mil-
y> liers de personnes qui ont . été misérablement livrées à la
» mort, à cause de leur fol Gomme ami et comme chrétien, je
y> dois vous avertir : Gardez-vous du sang innocent; les châti-
3) ments de Dieu vous atteindraient dans cette \ie et dans l'au-
y> tre. Il me répondit avec de grand ssoupirs : Je sais bien qu'on
y> nous accuse de cela et d'autres choses encore mon frère et
» moi, mais on nous fait tort ; nous vous l'expliquerons tous deux
3) avant votre départ. — Plus tard, le cardinal me dit, en pré-
D sence du duc de Guise : Vous avez informé mou frère, qu'en
1. Voy. le texte de cette relation à l'Appendice, n° 7.
± Calvinus Sturmio, 25 mars 1562 (op. Cal?ini, t. 19, p. 359, n" 3 loi) : « Si
> (juidnuperTabernis siriiularunt istae furicC (Guysiani), quàm vanae et tallaces
D essent eorum blaiidiliae, detexit quod mox subscquutum est facinus. >
— 20 -
y) Allemagne on nous soupçonne tous deux d'avoir contribué à
» faire mourir un grand nombre de chrétiens innocens, sous les
y> règnes de Henri et de François II : eh bien! je vouslejure au
» nom de Dieu, mon créateur et en y engageant le salut de mon
)) âme, je ne suis coupable de la mort d'aucun homme condamné
y> pour cause de religion Le duc de Guise, de même, avec
)) de grands serments, affirma qu'il était innocent de la mort de
)) ceux qu'on avoit condamnés pour cause de leur foi... je les
)) conjurai itôrativement de ne pas persécuter les pauvres chré-
y> tiens de France : Dieu ne laisserait pas sans châtiment, dis-je,
D un pareil péché, — Ils me donnèrent alors la main, promet-
-» tant sur leur foi de princes et sur le salut de leur âme, de ne
» persécuter ni ouvertement ni en secret les partisans de la
y> nouvelle doctrine. — Nous quittâmes Saverne, le 18 février,
» après-midi, les quatre frères de la maison de Guise* et moi.
)) Avant de nous séparer, tous les quatre, en me donnant la
)) main, me promirent encore une fois de n'agir ni en ennemis,
» ni en persécuteurs envers ceux qui, disaient-ils, ont adopté la
)) nouvelle doctrine et quilté le papisme, mais de contribuer
3) selon leur pouvoir à l'établissement d'une concorde chré-
» tienne. »
Or voici de quelle manière le duc de Guise entendit, pour sa
part, y contribuer immédiatement : ce fut d'abord, à son retour
d'Alsace en Lorraine, en faisant pendre un pauvre artisan au-
quel il n'imputait d'autre crime que celui d'avoir fait baptiser
son enfant à la mode de Genève'^; ce fut, de plus, en adressant
les instructions suivantes à Lamothe-Gondrin, son lieutenant
1. Le cardinal de Guise et le grand-prieur, de même que leurs frères, le
duc de Guise et le cardinal de Lorraine, s'étaient rendus à Saverne.
2. « Retournant le duc de Guyse au moys de febvrier des frontières d'AUe-
» maigne, par soii moyen et sa poursuite, un espinglier du bourg de Saint-Ni-
» colas, en Lorraine, fut pendu et estranglé à une potence, près la halle dudit
ï lieu, pour avoir faict baptiser son enfant en la forme et manière qui se fait
■» es églises réformées. » {Mém. de Condé, t. III, p. 132-li]3.)
— si-
en Dauphiné, qui venait de soulever l'indignation des réformés
de Romans en les troublant dans l'exercice de leur culte :
c Je pense que, s'il se fait par delà quelque assemblée notable
y> et où il y ait beaucoup de gens, il sera bon de se saisir du
y> ministre et le faire tout soudain pendre et estrangler, comme
y> auteur des séditions et tumultes dont on a usé à rencontre de
» vous...., estimant que par ce moyen les autres se voudront
» garder de mesprendre, et que cela réprimera à plusieurs leur
» folie. Vous me ferés plaisir de n'espargner en cela chose que
» vous puissiés, car je ne pense point qu'on en puisse autre-
ir ment venir à bout. — P. S. Vous estes homme de guerre; il
y> vous faut attraper le dit prédicant, quand ils sont peu accom-
y> pagnes, hors leurs presches, ou en autres lieux, comme ver-
» rés à propos, et soudain, le billot au pied, le faire pendre parle
i> prévost comme séditieux, contrevenant aux édits du roy*... »
Tel fut, de la part du duc de Guise, à la date du 28 février, le
prologue d'un drame sanglant qui, le lendemain 1" mars, se
déroula à Vassy, localité voisine de Dammartin-le-Franc,où il
venait de tracer ses instructions à Lamothe-Gondrin; drame
dont les effroyables scènes arrachèrent au duc de Wurtemberg,
désormais désabusé sur le caractère des Guises, cette doulou-
reuse exclamation : « Hélas! on voit maintenant comment ils
y> ont tenu leurs promesses!! Deus sit ultor doli et perjurii, cu-
i>jusnamque res agitur'^ ... »
\. Bèze, Hist. eccl.,t. III, p. 250. — Le ministre Jean de Laplace écrivit de
Valence à Calvin, le 22 mars 1562 (op. Calvini, t. 19, n» 3 751, p. 353 à 35(3) :
«... Le nombre des fidèles est multiplié... ce qui cause ung merveilleux mal de
» teste à nos ennemis et surtout àceluy qui nous est adversaire juré (Lamothe-
» Gondrin), lequel, de grande fureur, s'efforce d'intimider les uns et les autres
» par menaces, se vantant qu'il en fera pendre, ayant de ce faict charge
> expresse, comme il faict apparoistre par lettres que celuy duquel il despend
» entièrement luy a envoyées de Ginville (Joinville), lesquelles moy mesme ay
» veues par subtil moyen. Quoy qu'il en soit, il machine de grandes choses
» contre l'église de Dieu. »
2. Ces quelques mots, écrits de la main même du duc Christophe de Wur-
52
Quelques mots d'abord sur certaines circonstances par les-
quelles s'explique la présence de François de Lorraine à Dam-
marlin-le-Franc, le ^8 février 1562.
Dans les derniers jours de ce mois, Paris, foyer principal des
intrigues ourdies contre l'édit de janvier, était en proie depuis
plusieurs semaines à une agitation menaçante peur les réfor-
més et pour la royauté elle-même \ Le parlement osant tenir
pour non avenues les lettres de jussion qui lui avaient été suc-
cessivement adressées, il s'agissait d'imposer un terme à une
résistance dont l'insolite opiniâtreté touchait au scandale : aussi,
Catherine crut-elle devoir conférer, le 22 février ^, avec les mem-
bres influents de cette compagnie, alors plus factieuse que grave.
Elle réussit à les mettre sur la voied'une soumission nécessaire;
et le parlement de Paris, abordant enfin cette voie, procéda le
6 mars à l'enregistrement de l'édit, mais en se retranchant dans
la formule suivante : « Attendu la nécessité urgente, et en ob-
y> tempérant à la volonté du roi, sans approbation de la nouvelle
» religion; le tout, par manière de provision, et jusqu'à ce
» qu'il en soit autrement ordonné ^. »
Seul, le parlement de Dijon, appuyé par le duc d'Aumale, gou-
verneur de la Bourgogne, et par Tavannes, son lieutenant, pro-
longeait une absurde et mesquine résistance * dont des lettres
de jussion eussent assurément triomphé, sans les incompréhen-
sibles tergiversations qui en retardèrent l'envoi ^
A l'issue de la conférence du 22 février, Catherine, voulant
temberg, se trouvent à la suite de sa relation des conférences tenues à Saverne
du 15 au 18 février 1562.
1. Voy. Appendice, n" 8.
2. « Abhinc quatriduuin regina hùc venit utedicli promulgationem extorctue-
» ret. » (Reza Calvino, Luleliae, 26 februarii 1562, ap. Baum, app. p. 165.)
3. Mém. de Condé, t. III, p. 92. — Fontanon, Rec. des ord., t. IV, p. 271.
A. On s'étonne que cette résistance ait été, de nos jours, l'objet d'un pané-
gyrique. (Voy. VHist. du parlement de Bowgogne , i^diV M, de Lacuisine.
Dijon et Paris, 1857, t. I, p. 283, 287, 288, 289, 290.)
5. Voy. Appendice, n° 9.
\— 23 —
soustraire ses enfante et elle-mêm« au danger que présentait,, à
Saint-Germain, le voisinage de la capitale, se réfugia avec eux
dans sa maison de Monceaux^ en Brie. Antoine de Bourbon
avait écrit aux Guises: de venir,, au plus tôt, le joindre à Paris,
« le mieux accompagnés qu'ils pourraient, » pour faire mettre.à
néant l'édit de jaavier *. Catherine en fut informée, et, afin
d'isoler Antoine des adiiér.eiits qu'il comptait au sein de la capi-
tale, elle le décida à séjoui^ner auprès d'elle et du jeune roi,
dans sa nouvelle résidence. En même temps elle enjoignit aii
duc de Guise de se rendre directement de son château de Join-
ville à. Monceaux, « sans armes, attendu que toUifc estoit en
paix^.. François de Lorraine, « le mieux accompagné qju'it po«-
y> vait, ne faillit de se mettre en chemin 3> pour Paris, non pour
Monceaux, et « arriva,, le dernier jour de février, au village de
)) Dammartin-le-Franc, dis-tant de Joinville de deux lieueS: et
y> demie seulement, et de la ville de Vassy d'une lieue et demie ^.
Une partie, des habitaots de Yassy appartenait à la religion
réformée et avait vivement résisté à d'imprudentes obsessions
par lesquelles l'évêque de Châlons tentait de la ramener au ca-
tholicisme. L'altière et intolérante Antoinette de Bourbon, mère
des Guises,, s'indignait de l'existence d'un foyer d'hérésie dans le
voisinage du château de Joinville, où elle résidait habituelle-
ment; aussi pressart-elle le duc son fils de l'en délivrer^ . EUe
1. « Le duc de Guise, après la confédération, reçut lettres et prières du roy
î de Navarre pour s'avancer d'aller à la cour avec bonne compagnie, afin de se
» rendre les plus forts auprès du roy. Ledit duc ayant donc pour cel effet
» adverly ses amis, et serviteurs, et donné charge au comte de Rokendolf de
)) lever quelques cornettes de reistres, partit de sa maison de Joinville. » (Cas-
telnau, Mm.,. liv.IIL, cb. VU).. — tLe roy de Navarre, assisté de m"" le conné-
> table et du mareschal de Sniut-Aiidré,. a mandé à m"" de Guyse, qui est pour
) le joiu'dhuy à JoinvilIe,^ pour se venir joindre avec eux et faire casser tout
> ce qui s'estoit faict, au préjudice de l'édit du mois de juillet.. > (Est, Pas-
quier, liv. IV,. lettre 14).
2. Bèze, HiM. eccL, t. ly p. T21.
3. « Madame. Anthoinettp de Bourbon, mère desdits de Guyse, et capitale
« ennemie de la religion réformée^ s'efforça par tous moyens, mesmes depuis
— 24 —
obtint de lui la promesse d'extirper de Vassy les réformés et
leur culte * ; promesse doublement coupable, car elle avait pour
objet direct la violation flagrante d'un droit régulièrement
exercé à l'abri de l'édit de janvier, et elle nécessitait, comme
mode d'exécution, l'emploi de la force matérielle.
François de Lorraine, alors qu'il s'agissait d'assouvir à Vassy
une haine de la réforme aussi invétérée chez lui que chez sa
mère, n'était pas homme à reculer devant l'éventualité d'une
effusion de sang; loin de là : il l'envisageait sans trouble, lui
qui naguères, à Amboise, avait prodigué les supplices; qui hier
encore venait de vouer à la potence un ministre de l'évangile,
en Dauphiné, avec aussi peu de scrupule qu'auparavant il avait,
en Lorraine, fait pendre un père de famille à l'occasion du bap-
têmede son enfant; lui enfin qui, à quelques heures de là, allait,
après avoir foulé aux pieds l'édit de janvier, s'écrier, en por-
tant la main sur la garde de son épée : « Le tranchant de celle-
« ci coupera bientôt cet édit qu'on croit si solidement éta-
» bli^ . ))
Arrivé à Vassy, le duc de Guise y masse, à proximité d'une
» rédict de janvier, d'empescher ce qui s'estoit aussitôt accreu, faisant expresse
î défense à tous ses sujets d'aller ni venir à ces assemblées, ni de dire ou faire
» chose contraire à l'église romaine : intimidant aussi ceux de Vassy en leur
» alléguant l'autorité de la royne d'Ecosse, sa petite-fille et dame douairière de
ï Vassy, et finalement les menaçant du duc de Guyse, son fils, lesquelles me-
> naces sortirent leur efïect. » (Bèze, Hist. eccL, t. I, p. 7!22). — Varillas,
Hist. de Charles IX, 1684, t, I, p. 283.
1. Bayle {Dict. hisi. etcrit., éd. de 1820, in-8, art. Guise, p. 372), s'appuyaut
sur certains faits avoués par Varillas, dit avec raison : « Ces faits marquent
5) très clairement que le duc de Guise travaillait à faire casser l'édit et qu'il
î prenait des mesures pour attaquer les huguenots : et, qu'outre cette disposi-
> tion générale, il ne passa par Vassy qu'après avoir promis à sa mère qu'il
> aurait égard à l'envie ardente qu'elle témoignait que les hérétiques n'y prê-
» chassent point. »
2. « Finito il tumulto, il duca di Guisa, chiamato a se i'officiale del luogo,
» cominciô con gravi parole a riprendcrlo, che permettesse in danno de' passag-
> gieri questa perniciosa licenza; ed iscusando egli di non poterie impedire per
» la permissions dell'editto di gennaio, che concedeva le radunanze pubbliche
— 25 —
paisible réunion d'hommes, de femmes et d'enfants dépourvus
d'armes, deux cohortes de satellites fortement armées, dont l'une
l'a précédé et l'autre l'accompagne. Si -une agression a lieu, il
est certain qu'elle ne procédera pas de gens inoffensifs, absorbés
dans le recueillement du culte d'un Dieu de paix et de cha-
rité * . L'irrésistible logique du bon sens désigne comme seuls
agresseurs possibles Guise et ses hommes : l'un, habitué à se
jouer de la vie des réformés et s'insui^eant contre l'édit du roi,
les autres, d'autant plus disposés à provoquer, et, le cas échéant,
à accabler des sectateurs de la religion nouvelle, que, sous le
commandement du duc, ils ont été entretenus dans l'habitude
de les haïr. Sur son ordre, ils se dirigent vers la grange dans la-
quelle le culte se célèbre ; ils y pénètrent ; le sang coule ; leur chef
se tient au milieu d'eux; et bientôt le sol de la grange et la voie
publique sont jonchés de morts et de blessés tous frappés par
la troupe du duc, qui compte à peine quelques blessés et n'a
pas un seul mort. Ici encore, à n'envisager toujours que le côté
extérieur des faits, on est autorisé parles simples inductions
du bon sens à stigmatiser comme bourreaux, dans la collision
qu'ils ont seuls provoquée, François de Lorraine et ses gens.
Mais il y a plus : lorsqu'on se livre à l'étude intime de ces
mêmes faits, la vérité se manifeste, les inductions, corroborées
par des preuves désormais acquises, se transforment en certi-
tudes, et la conviction définitive à laquelle on s'arrête repose sur
» agli Ugonotti, il duca sclegnato non meno délia risposta che del fatto,
» messa la mano su la spada, replicô pieno di colera, che l'editto cosi stretta-
> mente legafo presto si troncarebbe con il filo di quella. » (Davila, Historia
délie guerre civili di Francia; Venezia, 1664, in-4., p. 86.)
i. i Régis edicto freti, securè suos conventus agebant. Quùm sciret Guisianus
» inermes et nihil sibi metuentes subito impetu facile posse opprimi, copias
j suas tanquàm aliô tendens, armavit. Quosdam praemisit qui pistoletis terrorem
» incuterent : ipse mox subsecutus est. Accidit quod speraverat, ut inermes et
> imparatos deprehenderet : tanlùm enim ad doctrinam et preces attenti erant :
> quare nihil fuit negotii in slrage edendà. » {Mém. de Condé, t. 111, p. 122).
— Budoeus Buliingero, 29 mars 1562 (op. Calvini, t. XIX, p. 363, n° 3 759).
— 20 —
une base inébranlable. Or, pour arriver à ce résultat, il n'est
point de voie plus sûre à suivre que celle d'un recours désintéressé
au témoignage d'hommes graves et véridiques sous les yeux
desquels, à bien dire, se sont accomplies les lamentables scènes
du massacre de Vassy. L'un deux, avec le bref récit duquel con-
cordent, dans leur ensemble et leurs détails, d'autres récits plus
développés \ s'exprime en ces termes^ :
(( Le duc de Guyse avec la duchesse sa femme et le cardi-
D nal de Guyse son frère, accompagné d'environ deux cents
)) hommes garnis d'arquebuses, pistolets et coutelas, ayant
» couché à Dampmartin-le-Franc, tira droit à Vassy, le pre-
y> mier jour de mars, où il estoit attendu de sa compagnie
)) d'hommes d'armes, dès huit jours auparavant : et sembloit
y) du commencement qu'il voulust passer outre pour aller disner
» à Esclaron. Mais arrivé au droit de la halle et descendu de
» cheval, il entra dans le moustier (église) où il tint quelques
y> propos à part avec le prieur du lieu de Vassy et un autre
y> nommé Claude le Sain, prévost. Or, estoient cependant ceux
)) de la religion réformée assemblés, suivant l'édit, tout
)) auprès, en une grange dont ils s'estoient accommodés
» quelque temps auparavant, au nombre de mille à douze
» cents personnes, tant hommes que femmes, que enfants, pour
» ouïr la parole de Dieu paisiblement et sans armes, comme se
:» tenant assurés sous la protection du roy, combien qu'ils ne
y> fussent ignorants du passage des dessus dits. Ayant donc en-
i> tendu le duc de Guyse, dès le village de Bronzeval, par le son
y> de la cloche qu'ils estoient tous à leur sermon, après avoir
1. 1° « Discours entier de la persécution et cruauté exercées en la ville de
» Vassy par le duc de Guyse, le l'"" de mars 1562. » {Mém. de Condé, t. 111,
p. 124 à 149, et Crespin, Hist. des martyrs, m-(\ 1608, p. 557 à 561.) —
2" Récit adressé au duc de Wurtemberg et à d'autres princes allemands (Stutt-
gart, Staats. Archiv. Frankreich, cap. 16, n" 46, d.).— 3" Autre récit (Mém.
de Condé, t. III, p. 111 et suiv.).
2. Bèze, Hist. eccL, t. I, p. 722 à 728.
-)7
» advertitous ceux qui esloient dedans le temple de ne sortir
» pour quoy qu'ils entendissent, se mit en chemin avec ses
» gens, droit vers ceste grange, estant les uns à cheval, les
D autres à pied. La Brosse, guidon de la compagnie, marchoit
» le premier, lequel avec quatre ou cinq autres estant entré,
» comme quelques-uns leurs présenloienL place pour s'asseoir,
i) estant jà le sermon commencé, soudain avec horribles blas-
» phèmes il commença de crier qu'il falloit tout tuer. Au mesme
» instant ceux de la suite qui estoient dehors renconstrans en
ï) teste un poure crieur de vin au devant de la porte de la
)} grange, après lui avoir demandé en qui il croyait, à quoy il
» respondit qu'il croyait en Jésus-Christ, ils l'abatirent d'un coup
y> d'espée au travers du corps, et finalement l'achevèrent : et
)) en firent autant à deux autres jeunes hommes qui estoien t sor-
» tis au cri des dessus dits entrés au dedans les premiers. Dès
» lors la porte ayant esté forcée, la tuerie commença, frappans
y> ces tigres et lions plus qu'enragés au travers de ces pauvres
)) brebis, qui ne faisoierlt aucune résistance, y estant le duc de
D Guyse, l'espée nue, avec l'aisné La Brosse, lieutenant de sa
» compagnie. — Chacun se peut icy représenter quel misé-
» rable spectacle estoit cestuy-là, frappant ces carnassiers à
)) tors et à travers parmi cette pauvre multitude, qui ne s'op-
» posoit à leurs violences et blasphèmes, répondant à ceux qui
y> disoient : Seigneur Dieu soit nous en ayde, — Seigneur diable,
» et aux autres : Appelle ton Christ qui te sauve, et autres noms,
-» si horribles que toute créature en demande vengeance contre
» ces diables ainsi acharnés. — H y en eut qui percèrent le
» toict pour se sauver, se jettans du haut en bas, sans toutefois
y> en avoir meilleur marché que les autres, estant les uns massa-
» crés par terre, les autres abatusà coups d'arquebuses. Il y en
i> eut d'autres qui gagnèrent les murailles de la ville par où ils se
y> jettèrent tous navrés dans les fossés; autres cuidant se sauver
)) trouvoient la mort en chemin parmi les rangs de ces bour-
— 28 —
» reaux s'esbatant à qui donneroit le plus grand coup. Entre les
y> autres n'esta oublier la femme d'un eschevin nommé Nicolas
Thiellemant, laquelle se cuidant sauver, fut tuée par deux la-
quais qui luy ostèrent un demi ceint d'argent et quelques
autres bagues; ce que voyant un sien fils taschant de sauver
sa mère, il reçut un coup au travers du ventre. — Le ministre
ayant esté finalement contraint de cesser par un coup d'arque-
buze, reçut premièrement un coup d'espée, comme il estoit
à genoux, et puis deux autres sur la teste, desquels pensant
estre blessé à mort, il s'escria bien haut, disant ces mots du
psaume trente-un :
» Seigneur, mon âme en tes mains je viens rendre,
» Car tu m'as racheté, ô Dieu de vérité.
« Lors fut pris et conduit vers le duc de Guise, lequel com-
» manda sur-le-champ de dresser une potence et le pendre.
y> Mais Dieu ne voulant pas qu'ainsi fust, il fut mis entre les
y> mains des laquais du cardinal de Guise, qui le traictèrent si in-
» humainement, jusques à ce que, d'autant qu'il ne pouvoit
y> marcher, à cause de ses playes, ils le firent porter sur une
y> eschelle jusques à Esclaron, distant de deux lieues de Vassy,
.3) sans estre aucunement pansé. Delà il fut mené à Saint-Dizier,
y> sous la garde de François de Bannes, dit du Mesnil, capitaine
'» du chasteau, où il enduira infinies pauvretés — S'ensui-
» vent les noms de ceulx qu'on a peu remarquer, tant des tués que
3) des blessés, dont les uns moururent sur-le-champ, les autres
» après avoir langui quelque temps ; aucuns sont aussi demeurés
y> impotens, outre ceux desquels on n'a pu savoir les noms
)) Bref, il se trouva quarante-deux pauvres vefves chargées de
» pauvres orphelins. Le tronc des pauvres y fut aussi arraché et
y> pillé, la chaire brisée en pièces ; les morts pillés jusques à
» estre deschaussés de leurs souliers, plusieurs hommes et
— 29 —
)) femmes dépouillés se sauvant pleins de sang et de playes. »
Voilà les faits! Le récit dans lequel ils sont consignés porte
en lui-même un cachet de vérité que ne peuvent ^altérer ni les
déclarations du duc de Guise, car elles sont entachées de fausseté
et d'hypocrisie \ ni les allégations de certains écrivains hostiles
à la réforme, car elles sont ou erronées ou mensongères.
Quant à ceux des écrivains catholiques qui, en se prononçant
sur le massacre de Vassy, s'honorent par l'impartialité de leurs
appréciations ^, ils n'hésitent point à déclarer la culpabilité de
François de Lorraine ; et si, en se méprenant parfois sur les
faits, ils ne la reconnaissent pas dans toute son étendue, ils l'ad-
mettent du moins dans des proportions encore assez larges
pour que la mémoire du grand factieux en demeure à jamais
ternie.
La juste indignation de l'un de ces écrivains recommanda-
bles^ se traduit en ces termes :
« Deux pages tirent des coups d'arquebuse et de pistolet; les
» calvinistes n'ont pour armes que des pierres. Les gens du duc
y> de Guise enfoncent les portes de la grange, blessent et tuent
» des huguenots. Les vieillards, les femmes et les enfants ne
» sont pas épargnés. Averti d'une rixe qu'il avait dû prévoir, le
y> duc de Guise a quitté la messe; il entre dans le prêche : qui ne
4. C'est ce qu'a péremptoirement établi M. Jules Bonnet dans ses notes et
observations sur la correspondance, récemment publiée, du duc de Guise avec
le duc Christophe de Wurtemberg (voy. Bull, de la Soc. d'hisf. du prot. fi\,
t. XXIV, p. 212 et suiv.). — Le duc de Guise ne fut pas plus véridique vis-à-vis
de l'ambassadeur d'Angleterre (Throckmorton to the queen, 31 mars 1562, Ca-
Icnd. of State pap. foreign) que vis-à-vis du duc Christophe de Wurtemberg.
2. « Tout le monde sait l'histoire du massacre de Vassy; et, quoi qu'en aient
» voulu dire quelques écrivains, ce n'était point là une rencontre fortuite, mais
» une levée de boucliers des Guises, qui, ne pouvant plus supporter l'édit de
» janvier, fait contre leurs vœux et en leur absence, avaient été bien aises de
» montrer à la France le peu de cas qu'ils en faisaient, et de manifester avec
» éclatleur haine pour une secte à laquelle ils avaient juré une guerre à mort.»
(Floquet, Hht, du parlement de Normandie, 1. 11, p. 376).
3. Lacretelle,if/s^ de la F r. pendant les guerres de religion, t. II, p. 63 à 65.
-- 30 —
)) s'attend avoir tout se calmer, à l'aspect d'un héros jusqu'alors
» si chéri pour son humanité? Un tel maître devait-il manquer
3> d'autorité sur ses gens? Aucun d'eux n'avait péri, et ils avaient
y> tué ou blessé un grand nombre de leurs adversaires. Le duc
» de Guise, dit Brantôme, avait l'épée au poing et ne saigna per-
> sonne. Eh quoi! de cette épée qu'il avait toujours tirée si no-
y> blement, il n'écartait pas des domestiques assassins! Dans
3 cette mêlée il fut atteint d'une pierre à la joue, et son sang
)) coula. Ses gens saisissent ce prétexte pour se livrer à toute
ï) leur rage ; rien n'échappe de tout ce qui n'a pu s'enfuir par
)) les portes, les fenêtres ou le toit de la grange. On compte plus
)) de soixante morts et deux cents blessés. Qu'était donc devenu
» le duc de Guise? Où s'était-il retiré après sa légère blessure?
j) Eùt-il été grièvement blessé, mourant, ne devait-il pas em-
» ployer à sauver des enfants et des femmes ce qui lui restait de
)) voix et de force? Je n'admire plus tant la présence d'esprit
)) dans une bataille lorsqu'on en manque pour empêcher un
)) massacre. Je ne puis croire que le duc de Guise eût voulu cette
y> épouvantable et lâche effusion de sang; mais il avait évidem-
)) ment voulu du tumulte. Celui qui, dans une telle circons-
)) tance, n'a pu empêcher un massacre, donne la preuve qu'il a
» encouragé des violences. »
Le duc de Guise, à l'issue du massacre, durant, lequel ce les
y) trompettes sonnoyent comme s'il eût donné quelque bataille
» contré les ennemis de la couronne, deslogea avec ses troupes
y> sanglantes et chargées de butin \vint disnerà Estancourt,et
)) de là coucher à Esclaron, prenant son chemin vers Reims,
y> où le cardinal de Lorraine l'attendait, pour de là marcher à
» Paris. - »
Ce n'était pas assez, pour le duc, qu'une partie des réformés
de Vassy eût été massacrée; il fallait, en outre, que celle qui
1. Hist. de cinq rois, p. 149.
!2. Bèze, Hist. eccL, l. 1, p 727.
- 31 —
survivait fût. persécutée. Elle ne manqua pas de l'être en exécu-
tion (le ses ordres et avec le concours de sa mère. En effet, «à
)) grand'peineestoit-il àEsclaron, que desjà un nommé Alexan-
)) dre de Gruier, son pensionnaire, avec Claude le Sain, l'un des
)) principaux entremetteurs du massacre, commencèrent à pren-
)) dre informations, à la faveur du dit duc, n'ayant pourtesmoins
)) que les principaux des meurtriers, comme entre autres un
» nommé Montagne, massacreur de Jean Patout, diacre de Fé-
)) glisede Vassy, Claude Digoin, mareschal des logis du dit duc,
y> Labrosse l'aisné, et autres semblables. Et quoiqu'un si horri-
» ble meurtre sur les pauvres sujets du roy assemblés sous la
» protection d'iceluy, sans aucunes armes, hormis deux étrangers
)) qui avaient leurs espées, criast si haut et clair, demandant
» vengeance à Dieu et aux hommes : si est-ce qu'au lieu de
)) faire semblant pour le moins d'en faire justice, les pauvres
» gens reçeurent mal sur mal, estant huit jours après envoyé
)) par la douairière (de Guise) le sieur de Thon, nommé du Chas-
» telet, avec commission de chercher les armes par toutes les
}) maisons, et de contraindre chacun d'aller à la messe, sous
)) peine de la mort..... Ce nonobstant, Dieu donna telle vertu et
)) constance au reste de ces pauvres persécutés, qu'ils recom-
)) mencèrent à se rassembler pour faire prières, les dimanches
» et festes, soir et matin, ce qu'ils continuèrent nonobstant in-
» finies autres oppressions à eux faites K..
1. Bèze, Hist. eccL, t. I, p. 727, 728.
CHAPITRE II
Coligny, Condé, l'Hospital, de Francourt. de Bèze demandent que les auteurs du mas-
sacre de Vassy soient punis. — Antoine de Bourbon rompt définitivement avec les
réformés. — Condé les soutient, à Paris. — Usurpation du pouvoir souverain par
François de Lorraine et ses adhérents. — Galiierine de Médicis plie devant eux. —
Elle écoute les détracteurs de l'amiral. — Condé se retire à Meaux et y appelle l'ami-
ral. — Celui-ci hésite à prendre les armes. Sa femme l'y décide. — De Meaux, Co-
ligny écrit à Catherine de Médicis. — ^ Conseil donné à cette princesse de conduire le
roi à Orléans, où les chefs réformés feront respecter l'autorité du souverain et celle
de sa mère, et assureront l'inviolabilité de leurs personnes contre les atteintes des
ennemis de l'a royauté. — Insistance de Soubize sur ce point, au nom de Condé, de
Coligny et des autres chefs. — Catherine ne suit pas ce conseil. — Antoine de Bour-
bon et les triumvirs entraînent le roi de Fontainebleau à Paris. — Occupation d'Or-
léans par les chefs réformés. • — Vaincs tentatives de Catherine pour obtenir d'eux
qu'ils déposent les armes. — Arrivée de Charlotte de Laval et de la princesse de
Condé à Orléans.
Dès que la nouvelle du massacre de Vassy parvint au châ-
teau de Ghâtillon-sur-Loing, Coligny, ému d'indii^nation et
de douleur, s'adressa du fond de sa retraite à Catherine de
Médicis pour lui demander que justice fût faite d'un tel at-
tentat.
Condé et l'Hospital, qui partageaient les impressions de l'a-
miral, sollicitèrent également de cette princesse le châtiment
des coupables.
Ces réclamations imposantes furent accueillies par Cathe-
rine avec les égards que commandait le caractère d'hommes
aussi haut placés, de serviteurs de la couronne aussi fidèles
que l'étaient l'amiral, Louis de Bourbon et le chancelier.
Catherine, en même temps, se montra bienveillante, dans
une audience qu'elle accorda à Francourt et à Th. de Bèze, ve-
— 33 —
nus à Monceaux, l'un au nom de la noblesse, l'autre au nom
des réformés, pour la supplier de faire rechercher et punir
les auteurs du massacre, comme rebelles à l'édit du roi et
perturbateurs du repos public. « Elle leur fit gratieuse res-
» ponse, promettant que bonnes informations seroient prises
» et que, pourvu qu'on se contînt, on pourvoiroit à tout, es-
)) pérant que le sieur de Guise ne poursuivrait son chemin
» vers Paris, comme elle lui avoit escrit^ . »
Quant à l'accueil que Francourt et de Bèze reçurent du
roi de Navarre, il fut déplorable. Servile écho de prédicateurs
en délire qui soutenaient « que le fait de Vassy n'estoit point
» de cruauté, la chose estant advenue pour le zèle de la reli-
» gion^ , » Antoine de Bourbon ce ne se put contenir, chargeant
» ceux de l'Église de ce qu'ils allaient avec armes aux prédi-
)) cations : auquel il fut répondu par de Bèze, que les armes
)) entre les mains des sages portaient la paix; et que le fait de
» Vassy monstroit combien cela estoit nécessaire à l'Église,
» si on n'y pourvoyoit autrement et comme le cas le requéroit,
» dont il le supplia très humblement au nom de l'Église, qui
» jusques alors avait eu tant d'espérance en luy. Le cardinal
» de Ferrare, légat, survenu en ceste compagnie pour empes-
)) cher que quelque bien ne s'y feist, commença de mettre en
)) avant la sédition de Saint-Médard, qui esmeut ledit de Bèze
» d'en faire un brief récit, comme celuy qui y avoit esté pré-
)) sent, de sorte qu'il luy ferma la bouche, demandant tous-
» jours justice contre le sieur de Guise qu'on savoit venir en
» armes comme en temps de guerre, dont nul bien ne pouvoit
)) advenir. Adoncq le roy de Navarre se déclara du tout, disant
» que qui toucheroit au bout du doigt au duc de Guise, qu'il
y> appeloitson frère, le toucheroit au corps. Sur quoy de Bèze
D l'ayant supplié très humblement de l'escouter en patience
1. Bèze, Hist. eccL, t. II, p. 2.
2, Castelnau, Mém., liv. lll, ch. vii.
If. 3
- 34 —
2) comme celuy qu'il cognoissoit de longtemps, et que luy
y> mesme avoit fait revenir en France pour servir au repos
)) d'iceluy, luy remonstra que la voye de justice estoit la voye
)) de Dieu, dont les roys estoient debteurs à leurs pauvres
» subjects, et que demander justice n'estoit pas endommager
» aucun. Et pour ce que ledit roy de Navarre excusant le fait
)) de Vassy avoit dit que le mal estoit advenu pour avoir jette
)) des pierres contre ledit duc de Guise, qui n'auroit pu sur cela
» retenir la furie de ses gens, et que les princes n'estoient pas
, )) pour endurer d'estre frappés de coups de pierres : de Bèze,
» après avoir répliqué que si cela estoit ainsi, ledit sieur de
» Guise en seroit quitte en représentant ceux qui auroient fait
y> une telle faute, adjousta finalement ces propres mots : Sire,
y> c'est, à la vérité, à l'Église de Dieu, au nom de laquelle je
» parle, d'endurer les coups, et non pas d'en donner; mais
i> aussi vous plaira-il vous souvenir que c'est une enclume qui
y> a usé beaucoup de marteaux* . y>
La rupture entre' le roi de Navarre et les réformés était dé-
sormais complète. Le prince de Gondé, qui avait fait de vains
efforts pour maintenir son frère dans la seule voie honorable
qu'il eût dû suivre, ne se laissa point abattre par ce douloureux
insuccès : on le vit au contraire se consacrer alors, avec un i-e-
doublement d'énergie, à l'accomplissement des devoirs que la
gravité des circonstances lui imposait.
Dès la fin de janvier, au sortir d'une sérieuse maladie- , il
s'était imposé la mission d'assurer à Paris l'exécution de l'é-
dit signé le 17 du même mois^ ; mission ardue, dont au début
i. Bèze. Hist. eccL, t. II, p. % 3.
2, « Condensem morbiis repentinus penè nobis abstulit Lutefioe; heri leclica
D bue perlatus, incipit habere nieliùs et affirmant medici extra periculum esse...
» Ex Sangerinano, primo die februarii 1562. » (Beza Calvino, ap. Baum, app.
p. 161).
3. Throckmorton to Ihe queen, 16 février et 9 mars 1562 {Calend. of State
— 35 —
de mars il continuait à s'acquitter avec un dévouement d'au-
tant plus digne d'éloge, que le contre-coup du récent massacre
de Vassy se faisait sentir dans la masse intolérante et factieuse
de la population parisienne.
Tandis que Condé rassurait les réformés par sa présence
dans la grande cité, où il s'attachait à protéger leur culte* , et
qu'il avertissait « toutes les Églises de France d'estre sur leurs
gardes ° )), le .duc de Guise, arrivé de Vassy à Nanteuil, affec-
tait d'y tenir une sorte de cour et se disposait à quitter avec
ses partisans cette résidence, pour se rendre non à Monceaux,
où l'appelaient expressément le roi et la reine-mère, mais à
Paris, afin d'y neutraliser l'action du prince et de l'en expulser.
Le 16 mars^ , escorté du connétable, du maréchal de Saint-
André et de nombreux seigneurs, il y fit, aux acclamations en-
thousiastes de la foule, une entrée triomphale, y attira dès le
lendemain le roi de Navarre* , et, sans respect pour les préro-
gatives de la régente et de son fils, y agit en maître.
pap. foreign). — Déclarations du prince de Condé du 8 août 1562 {Mém. de
Condé, t. III, p. 223, 224).
1. Beza Calvino, 22 mars 1562 (Bibl. de Gen. mss, 117).
2. De Lanoue, Disc. polit, et mil., éd. de 1587, p. 650. — Plusieurs de ces
Eglises, notamment celles de Sens, d'Auxerre, de Tours, de Troyes, de Cahors,
ne tardèrent pas à être décimées par des massacres dont quelques-uns furent
encore plus effroyables que ne l'avait été celui de Vassy. Tous ces massacres
furent suivis d'une impunité scandaleuse.
3. Est. Pasquier,liv. IV,]ettre 15.— l/m. de Condé, t. III, p. 192. — Throck-
raorton to the queen, 20 mars 1562 {Calend. of State pap. foreign). — Journal
de Bruslart {Mém. de Condé, t. 1, p. 75) : « Le 16' de mars arriva m'" de Guise
» à Paris, lequel pour le zèle que l'on savait qu'il avait à la religion, fut bien
» reçeu, et alla-on en grand nombre audevant de luy, et fist-on comme l'on a ac-
> coustumé aux entrées des roys. II estoit accompagné de deux mille gentils-
» hommes et pour le moins de trois mille chevaux. »
4. Voy. la lettre que François et Charles de Lorraine, Anne de Montmorency,
, Saint-André, Brissac et de Termes adressèrent collectivement à Catherine, le
17 mars 1562. L'obséquiosité des expressions employées vis-à-vis de cette prin-
cesse est une preuve de plus de la duplicité des signataires. (Bibl. nat., mss. f.
fr., vol. 6,611, f" 20). — « Le roy de Navarre, qui s'estoit formellement déclaré
» pour l'ancienne religion, arriva à Paris avec grande compagnie, audevant du-
. — 36 —
La reine d'Angleterre, observant de près ce qui se passait
alors en France, écrivit à Throckmorton^ : ce Nous avons prié
» l'ambassadeur de France ici de faire connaître à la reine-
» mère et au prince de Gondé quelle estime nous faisons de
)) leur constance et combien nous croyons qu'il est dangereux
)) pour le roi de Navarre de se séparer d'eux et de s'unir avec
jD ceux qui ont cherché sa ruine et ne peuvent trouver de pro-
» fit que dans son abaissement... Nous l'avon^ aussi prié, en
)) notre nom, d'affermir et d'encourager la reine mère, la
» reine de Navarre et le prince de Gondé à montrer leur sa-
» gesse et leur constance et à ne pas donner à leurs adversaires
)) puissance ou courage par leur faiblesse. Et, à cette fm, nous
)) voulons les assurer, ainsi que l'amiral, de notre intention de
y> les soutenir constamment, afin de les affermir dans leurs
)) bonnes intentions... Vous direz à la reine-mère que, aussi
y> longtemps qu'elle n'aura rien d'autre en vue que le bien de
y> son fils et la tranquillité du royaume, il n'y a rien à craindre,
» pourvu qu'elle évite toutes les pratiques et les desseins de ceux
)) qui, par ambition, ne cherchent que leur propre gloire et
)) richesse. Finalement, comme vous le trouverez à propos, vous
)) l'assurerez de notre amitié et assistance par tous les moyens
)) possibles. Vous ferez de même au prince de Gondé... Vous
)> saluerez affectueusement l'amiral en notre nom, et l'assurerez
)) que la sagesse et la constance dont il a fait preuve jusqu'ici,
» et tout l'ensemble de sa conduite ont mérité d'être et sont
)) en grande recommandation dans le monde. En conséquence,
» il ne peut maintenant négliger la cause de Dieu dont sa con-
)) science l'assure qu'il est un si bon témoin ; mais il doit em-
» quel alla m"^ de Guise, et m'" le connestable, et la plus grande partie des mar-
» chancis de Paris. Sa venue n'apporta que toutes choses bonnes pour l'ancienne
» religion. » (Journal de Bruslart, Mém. de Gondé, t. I, p. 76).
1. The queen to Throckmorton, 31 mars 1562 (Calend. of State pap. foreign).
— Hist. des Condés, par le duc d'Aumale, 1. 1, p. 351.
— 37 —
y> ployer sa sagesse au progrès de cette cause. Nous voudrions
» que vous l'assurassiez autant de notre bon vouloir envers lui
)) que s'il estait notre propre parent. y>
L'amiral attachait une telle importance aux encouragements
et aux promesses d'appui que Catherine de Médicis pourrait re-
cevoir de puissances amies, qu'avant même que la reine Elisa-
beth se fût prononcée à cet égard, il avait, d'accord avec le
prince de G onde, chargé Louis de Bar de se rendre en Alle-
magne, à l'effet d'obtenir de l'électeur palatin, Frédéric III \
du duc de Wurtemberg et de divers autres princes qu'ils en-
voyassent en France des ambassadeurs ayant pour mission de
porter au roi et à la reine-mère des assurances de sympathie
et, au besoin, de concours efficace.
A la démarche de Goligny et de Gondé sur ce point se joignit
celle de Galvin, par l'intermédiaire de Sturm et de Budée, au-
près des princes allemands et des cantons évangéliques de la
Suisse^ . Ces démarches vis-à-vis des uns et des autres demeu-
1. Frédéric III écrivit au duc Christophe, le 25 mars 1562 (ap. Kluckhohn,
Briefe, etc., etc., 1. 1, p. 2(35, n° 158) : « .le dois vous faire savoir que le porteur
> de cette leltre, Louis de Bar, est un honnête homme, appartenant à la no-
> blesse. II a étudié ici pendant un certain temps et il connaît assez bien la
» langue allemande. Il s'est présenté à moi, ces jours-ci, avec des lettres de
j créance du prince de Condé et de l'amiral de France, que j'ai laissées entre
> ses mains, afin qu'il vous les communiquât. î — Frédéric, après avoir som-
mairement retracé les faits qui lui avaient été exposés, terminait sa lettre par
uiT témoignage formellement rendu à la probité et à la sincérité de Louis de
Bar.
2. Calvinus Sturmio, 25 mars 1562 (op. Calvini, t. 19, p. 359, n" 3754-) :
«. Ad reprimendos Guysianorum impetus magnoperé interest Germanias principes
» intervenire utregem ad constantiam hortentur, suaque officia, quoad feret op-
» portuniias, proesto fore déclarent. » — Budœus Bullingero, 29 mars 1562
(iip. Calvini, t. 19, p. 363, n» 3757) : « Optandum est ut illustrissimi Cantoues
» quibus cordi est regnum Christi intelligant ista Mihi et bonis omnibus vi-
» detur nulla re meliùs posse comprimi rabiem et amentiae plénum consilium
» quàm si intelligant tyranni isti non déesse fortissimos viros et potenles prin-
» cipes qui regem non modo per legatos suos rogent ne cedat hominum amen-
» tium furori in negotio tàm serio, nempè in quo conjuncta est ecclesiae salus
— 38 -
rèrent infructueuses; Frédéric III seul en tint compte dans
une certaine mesure, en exhortant le roi et la reine mère à
maintenir avec fermeté l'édit de janvier' .
Quelles que fussent au surplus les dispositions des puis-
sances étrangères, en présence de la crise qui sévissait alors en
France, il fallait que, pour tenter de surmonter cette crise, la
princesse en laquelle se personnifiait inlérimairement le pou-
voir royal se montrât, avant tout, digne, judicieuse et ferme.
L'insultant défi jeté le 16 mars, du sein de la capitale, au sou-
verain et à sa mère par un sujet rebelle qu'appuyaient, en vérita-
bles complices, le connétable. Saint- André et Antoine de Bour-
bon, nécessitait une prompte et énergique réponse. La seule
que dictât à Catherine, comme mère et comme régente, le soin
de ses suprêmes intérêts, se résumait dans un appel immédiat
à adresser au dévouement de Goligny et de ses frères, afin qu'à
la cour, plus encore qu'à Paris, ils associassent leurs efforts à
ceux de G onde pour réprimer les empiétements commis par les
triumvirs et par Antoine de Bourbon sur le pouvoir royal, et
pour assurer contre toute atteinte l'inviolabilité de la personne
du jeune monarque.
» cùm ejus auctoritate regia, sed etiam si opus sit, anxilium afferant. » — Voy.
aussi une lettre de Bullinger à Calvin (op. Calvini, t. 19, p. 366).
1. Voy. lettres de Frédéric III au roi de France et à Catherine de Médieis, du
11 avril 1562 (Kluckhohn,i?/'/(?/e Friedrich des Frommen, erster Band, p. 277 à
279, n"^ 163, 164). — Sa lettre au roi se terminait ainsi : « Aulcune chose ne
» vous doibt empescher de poTirsuivrc ce qu'avez si bien commencé, et de main-
» tenir l'édict qu'il vous a plu une fois faire publier, de sorte qu'aucun n'ose en-
» treprèndre le contraire, afin que vos subjectz, membres de Christ, puissent
» vivre en paix et servir avec tranquillité de conscience à ce bon Dieu, lequel
» vous fera prospérer et donnera avancement, suyvant ce qu'il a promis, à toutes
» vos bonnes entreprises. Quant à moy, je mettrai peine, avec l'ayde des
» aultres princes, en tout ce qui me sera possible et qui pourra servir à la
)) gloire de Dieu et à l'avancement de son règne, et vous donner à entendre la
» bonne affection que j'ay de vous faire service suyvant ce à quoy l'amour et
» charité chrétienne m'a instruicL » — Voy. aussi une lettre du même jour,
11 avril, de Frédéric III au prince de Condé (ibid., p. 280, n» 165).
— 39 —
Cette réponse, Catherine ne la fit malheureusement pas.
Au lieu de se montrer, comme elle le devait, dans la dignité
d'une royale attitude, confiante et ferme, elle ne fut que défiante
et faible. Elle aggrava par sa double défaillance une situation
déjà compromise, mais que cependant elle eût pu relever si le
sens moral et le sens poHtique l'eussent guidée. Elle ne prouva
que trop alors qu'elle était dépourvue de l'un et de l'autre
Loin d'oser rompre ouvertement avec les triumvirs et avec
Antoine, elle plia devant eux, et ils se firent une arme de sa dé-
pression volontaire.
Non moins inconséquente que faible, elle adressa à Condé
des lettres confidentielles dans lesquelles elle l'adjurait de pro-
téger la mère et les enfants * ; mais en même temps elle en-
trava son action au sein de la capitale en lui suscitant un ad-
versaire de plus, par la substitution du cardinal de Bourbon,
son frère, au maréchal de Montmorency dans les fonctions de
gouverneur de Paris^ .
1. « Lettres envoyées par la royne à monsieur le prince de Condé, par les-
» quelles elle le prie d'avoir en recommandation Testât de ce royaume, la vie
» du roy et la sienne, et entreprendre la deffence contre ses ennemis. » {Mém.
de Condé, t. III, p. 213 à 215). — Le Laboureur, addit. aux Mém. de Gastelnau,
t. I, p. 763, 764, et t. II, p. 40. Texte et annotations desdites lettres. — « Vi-
ï des ut regina sibi et fdio suo metuat ab audaciâ hostium, ne scilicet sibi re-
» gem vindicent, ac' sub ejus nomine summam rerum ad se trahant. » Budœus
Bullingero, 29 mars 1562 (op. Calvini, t. 19, n» 3757, p. 363).
2. Journal de Brusiart {Mém. de Condé, t. I, p. 76) : <t Le 17« de mars arriva
» en ceste ville de Paris m'' le cardinal de Bourbon, pour y estre gouverneur,
» et, en ceste qualité, estoit logé au Louvre ; et pour la force luy fut donné m' le
» mareschal de Brissac et de Termes, avec m' d'Avanson et de Selve pour le
» conseil, tous deux du conseil privé, avec lesquels il pourroit appeler tels de
» messieurs les présidents de la cour que bon luy sembleroit. Son pouvoir fut
» reçu et publié en la cour de parlement à Paris, le 18 ensuivant, lequel estoit
» grand, jusques à pouvoir faire mener le canon, si besoin estoit. Du gouverne-
» ment par ce moyen fut osté m'' de Montmorency, fils aisné de m"" le connes-
» table, lequel favorisoit fort le party des nouveaux évangélistes, et fouloit fort
» les catholiques. Ce gouvernement de m'' le cardinal de Bourbon fut fort
» agréable au peuple. » — On peut juger de l'intolérance et de l'arbitraire du
nouveau gouverneur de Paris par le fait suivant (ibid., p. 77) : « Le dimanche.
— 40 —
Enfin, alors que Colignylui avait récemment donné une nou-
velle preuve de dévouement par sa retraite volontaire à Châtil-
lon, elle entra tout à coup, vis-à-vis de lui, en défiance à la suite
de faux rapports tendant à faire suspecter la fidélité de ce loyal
et constant serviteur de la royauté. En l'absence de l'amiral elle
écouta ses détracteurs; une aveugle crédulité l'entraîna à l'injus-
tice et à l'ingratitude envers ce conseiller si sage et si désinté-
ressé; elle ne l'appela point auprès d'elle, et, en le tenant à
l'écart ainsi que ses frères, elle se priva des plus surs appuis
auxquels elle eût pu recourir.
Gondé, sur qui, plus que sur tout autre, elle paraissait en ce
moment compter, était incontestablement digne de sa con-
fiance; mais quels" que fussent le zèle et le courage du prince,
il ne pouvait que se consumer en stériles efforts de résistance,
dans l'isolement où elle le laissait du concours de Coligny et de
ses frères.
Nul, parmi les réformés qui se trouvaient alors dans la capi-
tale, ne se méprenait sur la gravité, chaque jour croissante, de
la situation. De là les lignes suivantes, adressées par l'un d'eux
aux églises de France* : «... Vous entendrez doncques la néces-
y> site en laquelle nous nous sommes retrouvez depuis peu de
» jours, comme Dieu nous en a garantis par la constance et vertu
)) qu'il a donnée à monseigneur le prince de Gondé pour nous
» assister en effect, en cet extrême besoin, sans dissimulation
)) aucune, l'affection singulière du dit seigneur et prince à main-
» tenir l'authorité du roy et la liberté octroyée aux églises par
ï) le dernier édit, et finalement les forces et menaces de nos
» jour de Pasques, les huguenots avaient préparé leur lieu de Poupaincourt
» pour y faire la cène, dont adverty m'' le cardinal de Bourbon manda quérir
» Malot et La Rivière, ministres, et leur fit deffenses de par le roy de ne faire
» la dite cène, sur leurs vies, et que autrement y seraient chargés et mis en
» pièces. »
1. Lettre de Th. de Bèze, du 25 mars 1562 (ap. Baum, app., p. i72, mss. de
Genève).
— 41 —
» ennemis! Sur cela il vous est aisé de conclure que, si jamais il
y> fut besoin de penser à soy, de se munir pour obvier à tels des-
D seings, c'est maintenant, sans user de tergiversations ni lon-
j) gués consultations, car il est question d'estre du tout ruinez,
y> et quant à Testât de la conscience, et quant aux corps et aux
)) biens, ou bien de s'opposer entièrement et résolument à ceux
y> qui non seulement contre Dieu et raison, comme ils ont tous-
y> jours faict, mais aussy contre la défense du roy, ce que jamais
)) nous n'avons obtenu jusqu'à présent, ont soif de nos vies et
y> de nos biens. »
Entre les forces énormes dont le duc de Guise disposait dans
Paris et les quelques centaines d'hommes que, seul, Gondé
pouvait y grouper autour de lui, la disproportion était trop
grande pour que ce prince songeât à accepter la lutte. Le judi-
cieux et brave de Lanoue ne laisse aucun doute à cet égard * :
« Quanta la force nerveuse et assurée, dit-il, de quoy ceulx de-
y> la religion faisoyent estât, elle consistoit en trois cents gentils
)) hommes et autant de soldats expérimentez aux armes, plus en
y> quatre cens escholiers et quelques bourgeois volontaires, sans
» expérience. Et qu'estoit-ce que cela contre un peuple comme
y> infini, sinon une petite mousche contre un grand éléphant?
» Je cuide que si les novices des couvents et les chambrières des
y> prestres seulement se fussent présentées à l'imprévue avec
» des bastons de cotterets es mains, que cela leur eust fait tenir
» bride. Néantmoins avecques leur faiblesse ils feirent bonne
y> mine jusques à ce que la force descouverte des princes et sei-
y> gneurs liguez les contraignit de quitter la partie. »
En se résignant à un départ de la capitale provoqué d'ailleurs,
ainsi que celui du duc de Guise, par la reine mère, Gondé évi-
tait, pour le moment du moins, l'effusion du sang. Gatherine
venait de réclamer par des lettres réitérées l'appui de son dévoue-
1. Disc, polit, et milit., p. 657, 658,
ment et de son énergie : il semblaitmêmequ'ellel'appelât auprès
d'elle et du roi; l'hésitation n'était donc pas permise. Ajoutons
qu'aux préoccupations de l'homme d'État et du guerrier se joi-
gnaient dans l'esprit du prince celles du mari et du père. En
effet, Eléonore de Roye, qui ne l'avait pas quitté, se trouvait à
cette époque dans un élat avancé de grossesse réclamant d'extrê-
mes ménagements et un abri assuré, à supposerqu'il fût possible
d'en rencontrer un en ces temps de trouble qu'elle et lui traver-
saient. Il prit donc la résolution lorsqu'il quitta la capitale, le
22 mars \ ce d'aller en sa maison de La Ferté-sous-Jouarre, pour
3) y rendrela princesse, sa femme, qui estoit preste d'accoucher,
» ayant toutes fois adverti l'admirai et d'Andelot qu'il prendroit
» son chemin par la ville de Meaux, afin d'aviser ensemble ce
)) qu'ils auraient à faire -... »
Le prince mandait à ses deux oncles « que faulte de courage
y> ne l'avoit contraint d'abandonner Paris, ains faulte de force,
» et qu'ils marchassent en diligence vers lui : car César n'avait
y> pas seulement passé le Rubicon, mais desjà avait saisi Rome,
)) et ses estendards commençoyent à bransler par les campa-
» gnes ^... ))
Le message de Gondé ne surprit point Goligny. Depuis quelque
temps, à la vue des événements qui se précipitaient d'une ma-
nière alarmante, il était sans illusion sur l'imminence d'une
guerre civile dont il eût voulu, à tout prix, conjurer l'explo-
sion.
Or, maintenant que la perversité des Guises déchaînait sur la
France le plus etfroyable des fléaux, quelle attitude devait-il
prendre, dans l'intérêt de la religion, de la patrie et de la famille,
en face d'hommes sans foi élevée et sans patriotisme? Agres-
seurs au cœur dégradé par la haine et l'ambition, ils engageaient,
1. Lettre do Th.de Bèze,de la fin de mars 1552 (Bibl. de Genève, mss., f" 117).
2. Bèze, Hist. eccL, t. Il, p. 5. *
3. De Lanoue, Disc, polit, et milit., p. 651.
— 43 —
au mépris des droits de la conscience chrétienne, de l'autorité
du souverain et des lois du royaume, une lutte fratricide : sous
quelle forme et à l'aide de quels moyens fallait-il la soutenir
contre eux? Telle était la question qui se posait devant Coligny.
Elle étreignait son âme, soit que, dans le recueillement du cabi-
net, il se livrât à de solitaires réflexions, soit qu'entouré de sa
femme et de ses enfants il portât sur elle et sur eux ses regards
attendris en songeant aux périls et aux souffrances qui les me-
naçaient, soit encore qu'il s'inclinât sur le berceau de Renée \
dont quelques jours auparavant il avait fêté la naissance.
La question du parti à prendre, dans les conjonctures pré-
sentés, se posait aussi devant des hommes d'élite, naturellement
appelés à la discuter et à la résoudre avec l'amiral. Ces hommes
étaient ses frères, Odet et d'Andelot, ses amis Briquemault,
Boucard et quelques autres seigneurs, qui tous se trouvaient
au château de Châtillon quand le message du prince y parvint.
Ils eurent avec Coligny de longs entretiens; ils le pressèrent de
se rendre à l'appel de Condé, mais ne purent réussir à sur-
monter la résistance qu'il leur opposait. Une influence supé-
rieure à celle qu'ils avaient en vain espéré exercer sur lui en
triompha.
Rien de plus touchant que le secret de cette noble influence!
D'Aubigné, qui eut le privilège d'en être le confident, nous le
révèle :
c( A Chastillon-sur-Loing, dit-il" , s'estoient assemblez près
)) l'amiral, le cardinal et d'Andelot, ses frères, Genlis, Bou-
» card, Briquemault et autres, pour le presser de monter à
» cheval.
)) Ce vieil capitaine trouvoit le passage de ce Rubicon si dan-
i. « Le VII de mars 1561 (1562, n.s.) fut née Renée de Coulligny, ma liile, à
> Chastillon, ung samedi à quatre heures du matin. » {Bull, de la Soc. d'hist.
duprot. fr., t. II, p! 6. Livre d'heures de Louise de Montmorency.
"i. Hist. vniv., t. 1, liv. III, ch. ii.
_ 44 —
)) gereux, qu'ayant par deux jours contesté contre cette com-
y> pagnie, et par doctes et spécieuses raisons rembarré leur vio-
T> lence, il les avoit estonnezdeses craintes, et n'yavoit comme
» plus d'espérance de l'esmouvoir, quand il arriva ce que je
y> veux donner à la postérité, non comme un intermèze de la-
» blés, bienséantes aux poètes seullement, mais comme une
•» histoire que j'ai apprise de ceux qui estoient de la partie.
» Ce notable seigneur, deux heures après avoir donné le
» bonsoir à sa femme, fut resveillé par les chauds soupirs et
» sanglots qu'elle jettoit : il se tourna vers elle, et après quel-
y> ques propos, il lui donna occasion de parler ainsi :
» C'est à grand regret, monsieur, que je trouble vostre repos
» par mes inquiétudes : mais estant les membres de Christ des-
)) chirez comme ils sont, et nous de ce corps, quelle partie peut
» demeurer insensible ? Vous,monsieur, n'avez pas moins de sen-
)) timent, mais plus d§ force à le cacher. Trouverez- vous mau-
y> vais de vostre fidelle moitié si, avec plus de franchise que de
» respect, elle coule ses pleurs et ses pensées dans vostre sein?
X Nous sommes icy couchez en délices, et les corps de nos
)) frères, chair de nostre chair et os de nos os. sont, les uns
» dans les cachots, les autres par les champs, à la merci des
» chiens et des corbeaux. Ce lit m'est un tombeau puisqu'ils
» n'ont point de tombeaux; ces linceux me reprochent qu'ils
» ne sont pas ensevelis. Pourrons-nous ronfler en dormant, et
» qu'on n'oye pas nos frères, aux soupirs de la mort? Je re-
» mémorois icy les prudens discours desquels vous fermez la
» bouche à messieurs vos frères : leur voulez-vous aussi arra-
» cher le cœur et les faire demeurer sans courage comme sans
» response? Je tremble que telle prudence soit des enfans du
3 siècle, et qu'estre tant sage pour les hommes ne soit pas
)) estre sage à Dieu qui vous a donné la science de capitaine.
» Pouvez-vous en conscience, en refuser l'usage à ses enfans?
y> Vous m'avez advoué qu'elle vous resveilloit quelquefois : elle
— 45 —
^) est le truchement de Dieu. Craignez- vous que Dieu vous face
y> coulpable en la suivant? L'espée de chevalier que vous por-
» tez est-elle pour opprimer les affligés, ou pour les arracher
> des ongles des tyrans? Vous avez confessé la justice des
» armes contre eux : pourroit bien vostre cœur quitter l'amour
» du droict pour la crainte du succès? C'est Dieu qui osta le
» sens à ceux qui lui résistèrent sous couleur d'espargner le
)) sang; il sait sauver l'âme qui se veut perdre et perdre l'âme
» qui se veut garder. Monsieur, j'ai sur le cœur tant de sang
)) versé des nostres ; ce sang et vostre femme crient au ciel vers
» Dieu et en ce lict contre vous, que vous serez meurtrier de
» ceux que vous n'empeschez point d'estre meurtris.
)) L'admirai respond : Puisque je n'ai rien profité par mesrai-
)) sonnemens de ce soir sur la vanité des esmeules populaires,
» la douteuse entrée dans un parti non formé, les difficiles
y> commencemens, non contre la monarchie, mais contre les
i^ possesseurs d'un estât qui a ses racines envieillies, tant de
» gens intéressez à sa manutention, nulles attaques par de-
)) hors, mais générale paix, nouvelle et en sa première fleur, et,
y> qui pis est, faicte entre les voisins conjurez, et faicte exprès
3) à nostre ruine; puisque les défections nouvelles du roi de
» Navarre et du connétable, tant de force du costé des enne-
y> mis, tant de faiblesse du nostre, ne vous peuvent arrester,
» mettez la main sur vostre sein, sondez, à bon escient vostre
» constance, si elle pourra digérer les desroutes générales, les
» opprobres de vos ennemis et ceux de vos partisans, les re-
» proches que font ordinairement les peuples quand ils ju-
)) gent les causes par les mauvais succez, les trahisons des
y> vostres, la fuite, l'exil en pais estrange, là les choquemens
y> des Anglois, les querelles des Allemans, vostre honte, vostre
» nudité, vostre faim, et, qui est plus dur, celle de vos en-
» fans : tastez encores si vous pouvez supporter vostre mort
» par un bourreau, après avoir veu vostre mari traîné et
— 46 —
)) exposé à l'ignominie du vulgaire, et, pour fin, vos enfans
)) infâmes vallets de vos ennemis accreus par la guerre et
» triomphans de vos labeurs : je vous donne trois semaines
)) pour vous esprouver; et, quand vous serez à bon escient,
» fortifiée contre tels accidens, je m'en irai périr avec vous et
» avec nos amis.
D L'admiralle répliqua : Ces trois semaines, sont achevées!
» vous ne serez jamais vaincu par la vertu de vos ennemis ;
)) usez de la vostre, et ne mettez point sur vostre teste les
)) morts de trois semaines : je vous somme au nom de Dieu
)) de ne nous frauder plus, ou je serai tesmoin contre vous en
» son jugement!! »
« D'un organe bien aimé et d'une probité esprouvée les
» suasions furent si violentes qu'elles mirent l'admirai à che-
)) val pour aller trouver le prince de Gondé et autres princi-
» paux chefs du parti à Meaux. )>
Arrivés en cette ville, Goligny, ses frères et ses amis entrent
aussitôt en délibération avec Gondé et les hommes dévoués
qui l'y ont suivi.
La situation générale se dégage aux yeux de tous, avec net-
teté, sous un double aspect. Du côté des triumvirs et de leurs
adhérents, elle est celle de rebelles qui s'insurgent à la fois
contre la royauté et contre le droit, solennellement établi, des
sectateurs de la religion réformée; du côté de ceux-ci et du
prince, leur protecteur, elle est celle d'hommes de foi et de
sujets fidèles, mis en demeure par une agression violente de
défendre conjointement la religion, la royauté, la loi et leurs
propres personnes.* .
^ . « Ce qui servit beaucoup le parti calviniste dans la première guerre reli-
» gieuse, ce fut de s'autoriser d'un édit royal, et d'agir en quelque sorte avec
» l'assentiment de la royauté. Les violences du triumvirat catholique, qui rejeta
» arbitrairement une concession légale faite par la couronne, qui s'empara du
» jeune roi et de la reine sa mère, retenus, malgré les larmes de l'un et les pro-
» testations de l'autre, dans une sorte de captivité, permirent aux hugnenots de se
— 47 —
De là, la nécessité et la légitimité, unanimement reconnues,
d'un recours aux armes pour combattre des ennemis qui
attaquent à main armée; double conséquence mise en relief
par ces énergiques paroles d'un homme que son attachement
à la cause soutenue par Coligny, Gondé et tant d'autres a con-
duit à Meaux^ : « Ce serait une calomnie par trop effrontée, de
D bailler le nom d'esmotion et rébellion contre le roy et le
» repos public aune si juste et totalement nécessaire défen-
)) sive contre tels et si horribles violateurs de tout droit divin
» et humain, osant bien cependant couvrir tout cela de l'autho-
» rite d'un roi mineur, captif entre leurs mains, avec une femme,
» sa mère, et des parlemens choisis et prattiqués après en
» avoir deschassé tous ceux qui pourroient s'opposer au mal;
D défensive, dis-je, très juste, puisqu'il n'y a pays au monde
» auquel les loix n'arment tous loyaux subjects, voire jusques
)) au plus petit, pour rendre fort le bras de justice contre les
)) ennemis publics, qui ne peuvent autrement estre réprimés. »
Mais les éléments actuels de défense sont insuffisants ; le temps
presse, et l'amiral, « qui n'est pas novice es affaires d'estat, pré-
D voyant que le jeu va s'eschauffer, 'remonstre qu'il convient
» lever, de s'armer, de combattre tout à la fois pour le maintien de leur croyance
» attaquée et la défense plausible de la majesté royale méconnue, j (M. Mignet,
Journal des savants, ann. 1860, p. 97.) — On a dit avec raison : « L'édit de
ï janvier n'existait plus; les protestants étaient hors la loi ; mais leur roule était
» toute tracée par la conduite du parti catholique, qui, en les forçant à uae prise
» d'armes, les mettait en état de légitime défense. » (F. Puaux,jtf/si. de la réforme
franc., t. II, p. U5.)
1. Mémoire sur les guerres de religion, rédigé en 1594 par Th. de Bèze
{Bull, de la Soc. de l'hist. duprot. fr., t. XXI, p. 28 et suiv.). — De Bèze avait
accompagné le prince à Meaux. Il écrivit, de cette ville, à la fin du mois de mars 1562
(Bibl. de Genève, mss.,f» 117): « Die vicesimà secundà hujus mensis excessimus
j ex urbe, me quidem invito sed frustra reluctante. Postridie Meldas perveni-
» mus, ubi quotidie augentur copiae. Heri demum sese nobiscum conjunxit Posi-
ï donius (Coligny), qui utinàm citiùs advenisset. Gras cœnam favente Deo cele-
» brabimus. Andelotus quoque aderit cùm magna turma, et alios subindè
» adventantes excipiemus Nostris video nec animum déesse, nec vires, sed
» praeclaras occasiones nostrâ cunctatione jàm amissas esse, cegerrimè fero. >
V se renforcer d'hommes diligemment, ou se préparer à la fuite :
» et encore croit-il qu'on a beaucoup tardé * . »
« Gomme l'on est en tels termes, gentilshommes arrivent
)) inopinément de tous costés, sans avoir esté mandez^ , de
» manière qu'en quatre jours, il s'en trouve là plus de cinq
y> cens En six jours on en a recueilli plus qu'on n'espéroit
» en avoir en un mois ^ ; » et l'on se décide alors à sortir
de Meaux prochainement.
Avant de quitter cette ville, Goligny adresse, le 27 mars, à
Catherine la lettre suivante* : '
(( Madame, j'ay reçeu deux lettres qu'il a pieu à vostre majesté
)) m'escripre, toutes deux du xxv' de ce mois, la première
.1) par ung courrier envoyé devers monsieur le prince, et la se-
)) conde par vostre valet de chambre; et, pour respondre à
)) toutes deux : en premier lieu, je ne sçay d'où le roi de Na-
)) varre a eu advertissement que je faisois levée de gens, mais
)) je vous respons sur mon honneur, madame, que je n'y ay pas
» seulement panssé. Bien ay-je adverty quelques-ungs de mes
» voisins et amys et prié de me faire compagnie pour venir
y> trouver mondit sieur le prince. Que si davanture il s'en est
1. De Lanoue, Disc, polit, et milit., p. 651.
2. « Aucuns ont pensé, dit de Lanouo (ibid. p. 653) qu'on avoit prémédité ceci
» de longtemps, ou qu'il estoit avenu par la diligence des chefs : mais je puis
» affirmer que non, pour avoir esté présent et curieux d'en rechercher les causes.
» Il est certain que la pluspart de la noblesse ayant entendu l'exécution de
» Vassy, poussée d'une bonne volonté, et partie de crainte, se délibéra de venir
» près Paris, imaginant, comme à l'aventure, que leurs protecteurs pourroyent
» avoir besoin d'elle. Et en ceste manière partoyent des provinces ceux qui es-
7> toyent plus renommez, avec dix, vingt ou trente de leurs amis, portans armes
» couvertes, et logeans par les hostelleries, ou par les champs en bien payant,
» jusques à ce qu'ils rencontrèrent le corps et l'occasion tout ensemble. Plu-
î sieurs d'entre eux m'ont assuré que rien ne les fit mouvoir que cela : et mesmes
» i'ay ouï confesser plusieurs fois à messieurs les princes et admirai, que sans ce
> bénéfi^ ils eussent esté en hazard de prendre un mauvais parti, k
3. De Lanoue, Disc, polit, et miiit., p. 652.
4. Bibl. nat., mss. f. fr., vol. 20 m, f° 217.
— 49 —
)) veu en ma compagnie d'armes, il me semble qu'il ne doibt
)) estre trouvé non plus estrange que de ceulx qui vont trouver
ï) monsieur de Guise avecques armes descouvertes, et dont je
» puys parler comme les ayant vues; davantage que je suys
y> advertide plusieurs endroicts que monsieur de Guise me me-
» nace fort, ce que m'a encores icy confirmé monsieur le prince
» comme l'ayant enttendu de bon lieu; et pour ceste cause je
ï) vous supply très humblement, madame, ne trouver maulvais
» que je me tienne sur mes gardes. La seconde lettre de vostre
» majesté faict encores mention de ce que vous avez enttendu
» que je suys parti de chez moy avecques grande compagnie
» de gens armés d'armes creues et descouvertes, et que je faicts
» ainsi marcher ma compagnie, l'ayant levée de sa garnison.
y> Quanta avoir bonne compagnie, je confesse que je l'ay et l'au-
y> ré là meilleure que je poui'ré pour me garder d'astre oul-
y> tragé. Quant à armes descouvertes, je n'en ay veu en ma com-
y> pagnie sinon de pistoles et pistolets, ce qui est commun par
)) tout le royaulme de France. Quant à avoir levé ma compagnie
» de sa garnison, il ne s'en trouvera nul mandement de moy,
)) et ce qui principalement m'en a gardé, c'est que je sçavois
» bien qu'il n'y avoit pas tant de gens que cela me peust porter
î> grande faveur, et toutefois, madame, quand je l'aurois mandée,
y> je n'aurois faict que ce que ont faict d'aultres. Quant à ce
» que me mandés si j'ai faict faire ung serment à ma compa-
y> gnie sans parler du roy, affin que vous cognoissiés la vérité
» du fait, il y a plus de quatre ans que je ne fus en monstre
)) de ma compagnie, là où les sermens se font ; d'en avoir faict
» faire depuys en quelque sorte que ce soit, si vous trouvés
)) qu'il en soit rien, je veulx que vous me teniés pour infâme et
i> deshonoré. Au demeurant, je vous supply très humblement,
y> madame, croire qu'il n'y a gentilhomme en France qui plus
» désire vous veoir en repos et contante que moy, ce que je feré
» plus particulièrement enttendre par le capitaine Breuil que
— 50 —
» monsieur le prince envoyera devers vostre majesté. Et sur ce,
y> je prierai nostre seigneur, madame, vous donner en parfaite
y> santé très heureuse et très longue vie. De Meaux, ce xxvii* de
» mars 4561 (1562 n. s.), vostre très humble et très obéissant
)) subject et serviteur j Ghastillon. y>
Catherine reçoit cette lettre à Fontainebleau, où, depuis quel-
que temps, elle s'est rendue avec ses enfants. Aux injustes
soupçons par lesquels elle l'a blessé, Goligny, généreux comme
toujours, répond par la loyale assurance de son dévouement. La
régente doit donc ne voir en lui qu'un sincère défenseur et
compter sans réserve sur ses efforts, comme elle compte sur
ceux de Condé, pour tenter de sauver et elle et le roi. Le
doute à cet égard lui serait d'autant moins permis, qu'auprès
d'elle se trouve en ce moment, pour confirmer la parole de
l'amiral, le garant le plus sûr auquel elle puisse se fier, savoir,
l'intime ami de celui-ci, Soubize, dont les sentiments élevés s'i-
dentifient avec ceux de l'homme éminent qui' l'appelle son
frère ^ .
Au nom de Condé et des autres chefs réunis à Meaux, Soubize
insiste auprès de Catherine pour qu'elle suive enfin le conseil,
qui lui a été donné par l'amiral et par d'Andelot^ , de se diri-
ger avec le roi vers Orléans, où Condé, à la tête des siens, va se
rendre, et où s'effectuera, sans obstacle sérieux, la translation
du siège légal du gouvernement. Le prince pourrait sans doute,
ainsi qu'il le projetait d'abord, marcher droit à Fontainebleau,
et de là conduire la régente et son fils sur la Loire; mais, répu-
1 . « Le s"" de Soubize portoit amitié particulièrement à messieurs de Chas-
» tillon, desquels il fut toujours inthime amy; tellement que tous trois le te-
» noient comme pour leur quatrième frère, nommément monsieur l'admirai,
» qui a dit beaucoup de foys que, luy estant mort, il ne lui estoit plus resté
» un tel amy, et que l'amitié qui estoit entre eux n'estoit point seulement
j d'aniys, mais de frères. » (Mémoires de la vie de Jean de Parlhenay-l'Arche-
* vêque, sieur de Soubize, Paris, in-12, 1879, p. 18 et 19.)
2. De Bèze, Hist. eccl., t. Il, p. A, 5.
— 51" —
diant jusqu'à la moindre apparence d'une pression exercée sur
le souverain et sur sa mère, il s'abstient de paraître à Fontaine-
bleau, où il n'est point appelé, et veut que le départ de Cathe-
rine pour Orléans soit exclusivement l'effet d'une détermination
librement prise par cette princesse. Ce qu'il espère, c'est que ce
sera le sage parti qu'elle adoptera, en face du danger auquel il
désire la soustraire. Ce danger, Soubize le signale à Catherine
avec un redoublement d'énergie, car il vient d'apprendre que
Guise et Antoine de Bourbon s'avancent sur Fontainebleau
pour s'y emparer de la personne du roi; mais Catherine se berce
d'illusions au sujet de ses ennemis, dont elle se croit capable de
déjouer les plans; elle résiste aux instances de Soubize* , et ce
dernier, dont la présence auprès d'elle est désormais inutile, se
sépare du. roi, de sa mère, et, dans l'espoir de les servir ailleurs,
va rejoindre Condé.
Un récit auquel s'attache une autorité particulière, celui
d'un ami initié à la connaissance des diverses phases de la vie
privée et de la vie pubhque de Soubize, retrace en ces termes les
derniers entretiens qu'il eut avec Catherine de Médicis, à Fon-
tainebleau'^ :
« Le sieur de Soubize espéroit tousjours de gaigner la royne
» pour aller à Orléans, et de faict quelquefois il lui sembloit
» qu'elle estoit toute, résolue, mais après elle changeait d'advis.
» Toutefois il persistoit tousjours ; à quoy luy aidoit le chan-
)) celier de l'Hospital, de sorte que, tous les jours, ils parloient
y> deux ou trois heures à elle dans son cabinet et la pensoient
1. « Quelques-uns avoient conseillé à la royne mère de se retirer de Fon-
» tainebleau dans la ville d'Orléans, avec le roy et messieurs ses frères, et là
» se tenir close et couverte contre tous, jusques à ce qu'ils fussent entrez en
» quelque bonne réconciliation; elle n'y a voulu ou osé entendre; tellement
* que le roy de Navarre l'a retrouvée à Fontainebleau. » (Est. Pasquier, liv. IV,
lettre i5).
2. Mémoires de la vie de Jean de Parthenay-l'Archevêque, sieur de Soubize,
p. 51 à 5i.
— •52 —
» quelquefois avoir toute gaignée, et qu'elle estoit preste à y al-
)) 1er; puis tout soudain une frayeur luy prenoit tellement
)) qu'elle en estoit découragée. Néantmoins tant plus le sieur
y> de Soubize voyoit que le temps estoit court, et plus il s'esver-
» tuoit ; de sorte que, le jour avant que ceulx de Guise deussent
» arriver, après luy avoir reraonstré tout ce qu'il peut à quoy
)) elle luy accordoit tout, hormis l'effect qu'il sembloit qu'elle
)) refusoit seulement par crainte, il pressa encores monsieur
» le chancelier de luy en parler, et le fit retourner vers elle
y> cinq ou six fois ce jour là, combien que le chancelier luy dict
» qu'il n'espéroit plus rien, qu'elle n'avoit point de résolution,
)) qu'il la cognoissoitbien. Si fais-je bien moy, disait le sieur de
» Soubize; mais, je vous prie, essayons encores ce coup; telle-
)) ment que, comme j'ai dict, ils retournèrent, ce jour-là, cinq
)> ou six fois vers elle ; et pour cet effect tarda, à Fontainebleau,
» jusques au soir, après soupper, dont ceulx de Guise dévoient
)) arriver le lendemain. Quand il vit qu'il ne gaignoit plus rien
y> à l'endroit delà royne et que ceulx de Guise estoient si près,
)) il se résolut de partir le soir et vint prendre congé d'elle.
)) Mais elle le pria lors de demeurer près d'elle, à cause que
» si elle se vouloit déclarer (comme elle lui donnoit espérance
y> de le faire, selon que ses affaires succéderaient) elle n'avoit
» personne en qui elle se fiast; pourtant elle désiroit qu'il de-
)) mourast afin de luy servir en ce faict, pour ce qu'elle ne s'en
)> pouvoit fier qu'à luy. A quoy il luy répondit : Madame, je ne
» sçay comment vous pouvez espérer d'avoir moïen de vous décla-
» rer, si vous ne le faites entre cy et demam, que ceulx de Guise
)) arriveront ; car si vous attendez leur venue, vous vous devez as-
» surer que le roy et vous serez prisonniers, de sorte que, pour
» estre en ceste court, je ne vous ferois nul service, car seule-
» ment je n'aurois pas moïen de pailer à vous, et ne ferois que
» me mettre en danger, pour ce que, le roy et vous n'ayant plus
ï> de pouvoir, et sachant comme je vous suis serviteur, dès le
» lendemain on me feroit tuer, non que je plaignisse ma vie
)) pourvu que je la despendisse pour vostre service; mais ce
» seroit inutilement, perdant le moïen de vous en faire ailleurs.
» Ce que voyant, la reine le pria de ne prendre donc point en-
y> core les armes, mais de s'en aller chez luy pour luy tenir des
» trouppes de Poitou et de Xainctonge prestes, et les luy amener
» quand elle luy manderoit en avoir besoing. A quoy il luy fit
» response que, lorsqu'elle en auroit affaire, que le lui faisant
)) savoir, il les manderait tousjours bien, et qu'il luy respon-
» doit de les luy tnener toutes fois et quantes qu'elle voudroit,
» sans qu'il fûst besoing que pour cest effect il fust sur les lieux ;
:) que cependant il ne demeurerait point inutile, mais s'en
» iroit joindre avec ceulx qu'il sçavoit estre délibérez d'em-
)) ployer leur vie pour son service et pour la délivrer de la cap-
)) tivité où le roy et elle alloient entrer. Eh bien donc! luy dict
)) la royne. Sur cela, il prit congé d'elle. y>
A quelques heures de là, Soubize, arrivé à Meaux, y serrait la
main du sage et valeureux de Lanoue qui, déplorant comme
lui que la régente ne se fût pas laissée ce induire d'aller à
-» Orléans et d'y mener le roy », n'hésita pas à lui dire ce qu'il
répéta plus tard ailleurs* : a Si les effects (des conseils de dé-
)) part) s'en fussent ensuyvis, je cuide que les armes. s& fussent
)) remises au fourreau. Car estant la cour en un lieu où elle ne
» pouvait estre surprise, à cause des forces qu'on y eûst fait
» venir, et où elle ne pouvait estre forcée, pour ce que nul
» n'eùst osé alors entreprendre de faire tirer les canons contre les
)) murailles qui environnoyent le roy, on eûst là parlé et négotié
y> à cheval, jusques à ce que les affaires eussent esté aucunement
» restablies selon les édicts de pacification. Mais dépenser que
)) ce remède eûst amorti les guerres, je m'en donneray bien
y> garde. Il suffit s'il les eûst dilayées pour quelque peu de
» temps. »
1. De Lanoue, Disc, polit, et milit., p. 660.
— 54 —
Catherine commit donc, à une heure décisive, une faute grave
en refusant de se rendre aux conseils de Coligny, de d'Andelot,
de Condé, de l'Hospital et de Soubize ; faute qui la plaça sur
le bord d'un abyme dont elle devait descendre rapidement la
pente.
Bientôt arrivèrent à Fontainebleau Antoine de Bourbon et
les tHumvirs, qui entraînèrent de vive force le jeune roi, suivi
par sa mère, à Melun, à Vincennes* et à Paris, où Anne de
Montmorency afficha son mépris pour l'édit de janvier en al-
lant, à la tête d'une horde populaire, saccager et incendier les
prêches de Popincourt et du faubourg Saint-Jacques^ .
Usurpateurs du pouvoir suprême. Guise, Antoine et leurs
4 . « The king of Navarre with his company went from Corbeil to Fontaine-
> bleau, where the king and especially the queen mother made them strong
» countenance, because the train came in arms to the court. After the laster
» holidays, if the king of Navarre and his company prevail, he means to bring
» the king to bois de Vincennes, to strengthen with his name the authority of
j their doings,which willprove to the disadvantage of the protestants (Throck-
> raorton to the queen, 31 mars 1562 {Calend. of state pap. foreign).
2. Est. Pasquier,]iv. IV, lettre 15. — De Bèze, Hist. eccL, t. II, p. 12. — Cette
déplorahle expédition, dans laquelle la dignité du connétable de France fut
singulièrement compromise, valut à Anne de Montmorency le sobriquet decapi-
taine brâle-bancs (d'Aubigné, Hist. univ., t. I, Uv. III, ch. I). — Une lettre
de l'amba^adeur d'Angleterre contient sur cette expédition quelques détails
précis (Throckmorton to the queen, 10 avril 1562, Calend. of State pap. fo-
reign) : « On the morning of the 5 inst. the constable accompanied by those
» who guarded the town, went to one of the places where the ministers prea-
» ched in the faubourg Saint-Jacques, and there plucked down a pièce of the
> bouse and burnt the pulpit, forms and chairs, some of the protestants were
» wounded, and some taken and committedto prison. From them the constable
» marched with fifteen or sixteen ensigns armed through the town to the palace,
> and in his march took prisoners many noblemen who were favourers of pro-
» testaiitism, amongst whom were to advocates, Rosey and de Pree, belonging
* to the prince of Condé, who were committed to the Bastille. A défense was
> made not by edict but by commandement, that there should be no more
> preaching nor assemblies, there was then great search made to take the
> preachers^ of Paris. » — Beza ad Turicenses et Bernâtes, 12 avril 1562
(Baum, app., p. 178) : « Hostibus interea nihil potius fuit quàm parisiensem
» ecclesiam, conculcatis regiis ediclis, dissipare. >
complices se servirent du .nom du monarque pour propager
partout le trouble, les persécutions, et pousser à la guerre
civile. Assemblant alors le conseil au Louvre, ils y proposè-
rent de prendre les armes contre Condé et ceux de son parti. « Le
(( chancelier de i'Hospital s'y opposant fortement, le connétable
» dit : qu'un homme de robe ne devait pas assister aux conseils
)) de guerre; le chancelier répliqua, que si lui et ses semblables
)) ne savaient pas faire la guerre, ils savaient néanmoins par-
» faitement décider quand il la fallait faire. Cependant comme
» les conseils violentsdu triumvirat l'emportaient sur les raisons,
y> le chancelier, à titre de suspect, fut exclus du conseil^ ~s> et se
retira dans sa terre du Vignay, où il devait rester tant que dure-
rait sa disgrâce.
Intimidée par les triumvirs et par Antoine, Catherine n'osa
s'opposer ni à leurs résolutions, ni à leurs actes. Il y eut plus :
elle ne tarda pas à s'abaisser au point d'en accepter la solidarité,
tout en affectant les dehors et le langage d'une indépendance
personnelle, alors qu'elle demeurait asservie. Du reste, elle
comptait sur quelque revirement politique, et plus encore sur
ses propres manœuvres, pour s'affranchir ultérieurement des
liens de la dépendance et pour dominer enfin, dans l'État, les
hommes et les événements.
Le changement soudain de son attitude vis-à-vis des ré-
formés se reconnut à des signes qui n'étaient que trop certains :
L'édit de janvier avait été promulgué sous ses auspices : elle
n'en tint plus compte;
Les réformés avaient été protégés par elle : elle se tourna
contre les réformés ;
Parmi eux s'étaient rencontrés ses meilleurs conseillers, ses
plus fermes appuis : elle dédaigna lem's conseils et oublia leur
fidélité;
1. De Thou, Hist. univ., t. III, p. 137.
— 56 —
Elle avait, en des jours de détresse, convié Condé à prendre
les armes : elle le désavoua quand il ceignit l'épée.
Se révélant par là telle qu'elle était en réalité, Catherine n'ap-
parut plus, aux regards de ceux dont elle venait de tromper la
confiance, que comme une femme sans principes fixes, sans res-
pect des droits acquis, sans énergie contre la force brutale des
oppresseurs, mère imprévoyante, régente à double face et à
calculs étroits, maîtresse ingrate envers ses plus fidèles sujets.
Tout en s'avouant à eux-mêmes, dans le secret de leurs appré-
ciations, les torts de la reine mère, les réformés en firent osten-
siblement reaionter la responsabilité aux triumvirs et à Antoine
de Bourbon, qui, enserrant la royauté dans les liens d'une cap-
tivité odieuse, dépouillaient à la fois Catherine et son fils de
toute autorité de langage et d'action. Sincères défenseurs de ces
deux victimes d'une faction tyrannique, Condé, Coligny et les
autres chefs des réformés professèrent publiquement pour elles
un respect toujours maintenu depuis à la hauteur de la mission
protectrice qu'ils déclaraient s'être imposée; et le seul ennemi
qu'ils entendirent combattre fut, comme ils le proclamèrent
constamment, cette même faction qui, hostile à la royauté, l'était
bien plus encore aux droits de la conscience chrétienne, dont
ils soutenaient la cause sacrée.
En consultant trois témoins fidèles, de Lanoue, Soubize et de
Bèze, activement mêlés aux événements qui se pressaient alors,
suivons la marche de Condé vers Orléans et son entrée dans
cette ville, « pour là dresser une grosse tête, si on venoit aux
armes *».
Après avoir, le jour de Pâques, célébré la cène à Meaux, le
prince et ceux qui l'accompagnaient « s'acheminèrent, dit de
3) Lanoue ^, vers Saint-Cloud, où ils se renforcèrent de trois
y> cents bons chevaux : et là ils eurent advertissement que M. de
1. De Lanoue, Disc, polit, et mil., p. 652.
2. Id., ibid., p. 652.
— 57 —
y> Guise et ses associez s'estoient emparez de la cour... De Saint-
» Gloud ils marchèrent vers Chartres et Angervilie, et par le che-
» min rencontrèrent cinq ou six troupes de noblesse; ce qui
» apporta de l'esbahissement, quand on considéroit le soudain
3) rengrossissement de nostre corps, qui n'estoit moindre de
» mille gentils-hommes, qui faisoient bien quinze cents chevaux
j> de combat, plus armez de courage que de corcelets. »
« Estans, ajoutent les mémoires de la vie de Soubize \ à An-
» gerville où ils avoient couché, le maréchal de Cossé, qui lors
f) estoit nommé s' de Gonnort, y arriva pour faire, à ce qu'il
)) disoit, quelques ouvertures, afin de parvenir à pacifier les
» choses, et admusa M. le prince, une partie de la matinée, au
)) dit lieu, soubz ceste couleur -; ce que voyant le s'de Soubize, et
)) cognoissant qu'ils taschoient plustôt à tirer le propos en lon-
» gueur qu'à venir au point, se doubta que ce n'estoit que pour
» les amuser, afin qu'on se saisis t d'Orléans, premier qu'ils y peus-
y> sent estre arrivez. Et de faict M. d'Estrées avoit esté dépesché
» pour cest eflect. Mais il trouva que les autres avoient esté plus
» diligens que luy. Doncques le s' de Soubize, se doubtant de
» cela, ne cessa de presser M. l'admirai jusques- à ce qu'il luy
y) eust faict rompre ce parlement; ce qu'estant faict, ils remon-
)) tèrent à cheval. »
«Après, reprend de Lanoue ", on tira vers Orléans
» M. le prince avoit envoyé M. d'Andelot pour se saisir de la ville,
s> où estant arrivé comme inconnu, il apperçeut qu'il y auroit
1. De Lanoue, Disc, polit, et milit., p. '55.
2. Throckmorton to the queen, 10 avril 156^ (Calend. of State pap. foreign) :
« M"^ de Gonnor, broLher to marschall Brissac, was sent to the prince from
» the king, to désire him to lay down his arms and repair to the court
» with his ordinary train. The prince said he would not believe that the king
» would command hira to disarm ; seing his enemy the duke of Guise wasthe
» lirst to take up arms, and in the same nianner did remain at court ; there-
» fore he (the prince) would not abandon'his force until the duke of Guise were
7> disarmed. »
3. Disc, polit, et milit., p. 652, 661, 662.
— 58 —
)) de l'empeschement : ce qui le fit envoyer vers le dit seigneur,
)) lui mandant qu'il s'avan cas t diligemment pour le soustenir, et
» qu'il y avoit apparence de venir aux armes. Or, tous ne voulant
:» perdre un si bon morceau qu'estoit celui-là, demandoient non
y> seulement à trotter, mais à courir : et ce qui fut dit fut aussi-
)) tost fait. Car à six lieues de là l'esbranlement commença,
» ayant M. le prince alors tant en maistres qu'en valets environ
D deux mille chevaux : et s'estant lui-mesme mis à la teste, et
3) pris le grand galop, tout ce corps fit le semblable, jusques à
» ce qu'on fut à la porte. ïnnumérables gens se trouvaient par
)) les chemins, tant estrangers qu'autres, qui alloient à Paris,
y> qui voyansle mystère de ceste course, sans que nul leur de-
y> mandast aucune chose, la plus part jugeoit du commencement
)) que c'estoyent tout les fols de France qui s'estoyent assemblez,
» ou que ce fust quelque gageure : car il n'estoit encores nou-
y> velle de guerre. Mais après y avoir davantage pensé*, et consi-
» déré le nombre et la noblesse qui là estoit, ils entrèrent en
y> admiration, mais en telle sorte qu'ils ne se pouvoient garder
» de rire d'un mouvement si impétueux, qui n'abattoit pas les
)) arbres, comme les vents de Languedoc, mais qui plus tost
» s'abattoit soy mesmes. Car par le chemin on voyait ordinaire-
» ment valets portez par terre, chevaux esboitez et recreus, malles
y> renversées : ce qui causoit mesme à ceux qui couroient des
y> risées continuelles. »
Condé et sa troupe n'étaient plus qu'à une lieue d'Orléans,
lorsqu'ils apprirent que d'Andelot venait, « sans aucune playe
donnée ni reçeue *, )) de s'emparer de cette grande cité, qui devait
àlaspéciahté de ses conditions topographiques d'être considérée.
4. Bèze, Hist. eccl., t. II, p. 9. — « Biduô maximis itineribus Aureliam Veni-
j mus adeo tempestivè et nuUo negotio, et citra certamen, nondùtn videlicet
ï ingresso hostium praesidio, simus ingressi. » Beza Galvino (op. Calvini, t. XIX,
p. 383, n° 3769. — Beza ad Turicenses et Bernâtes, 12 avril 1562 ap. Baum,
app., p. 178).
— 59 —
après la capitale, comme la place la plus importante de France.
« Lors, rapporte Th. de Bèze ^ comme le prince reprenoit ha-
» leine, les mieux montés piquèrent devant, et luy avec l'amiral et
y> grand nombre de seigneurs et gentils hommes et autres arriva
» finalement en la ville, ejnviron les onze heures du matin, sans
)) trouver aucune résistance, passant par les rues pleines de
)) ceux de la religion réformée chantant des psaumes à pleine voix,
» de sorte que toute la ville en retentissait. Etant descendu près
» l'Estappe en la maison appellée la grande maison, Monterud
» luy venant au-devant faire la révérence ^, luy demanda quant
)) et quant congé de se retirer : à quoy luy fut respondu par le
y> prince qu'il n'estoit aucunement venu pour le troubler en son
» gouvernement, ains pour bonnes et justes raisons concernantes
y> le service duroy duquel, dit-il, vous n'ignorés que je n'aye cest
y> honneur de luy estre serviteur etpareqt : et s'ofïroit mesmesde
» le favoriser en son gouvernement s'il en avoit besoin. Ce néant-
i> moins Monterud dès lors partit de la ville bien fasché, s'excu-
y> sant sur ce que là où il y a un prince du sang il n'estoit rai-
y> sonnable qu'un simple gentil homme commandast. Peu après
y> arrivèrent les sieurs de la justice et de la ville pour luy dire
» qu'il estoit le très bien venu, et cependant le supplier d'avoir
» esgard à la tranquillité et seureté d'icelle sous l'obéissance de
» sa majesté, et de ne trouver mauvais si, à l'instant, ils adver-
y> tissoient sa majesté de l'arrivée du dit seigneur prince et de
ï> ce qui estoit advenu. La response du prince fut qu'ils se
» pouvoient asseurer que le seul service de Dieu et du roy l'avoit
» amené là, tant s'en falloit qu'il y fûst venu pour aucune mau-
» vaise fin, ni pour endommager aucun, ni pour esmouvoir aucun
» trouble en ce royaume : les priant aussi d'empescher de leur
1. Hist. eccl., t. II, p. 10, 11. "
2. « Innocent Tripier, sieur de Monterud, lieutenant au gouvernement d'Or-
) léans, en l'absence de M. le prince de La Roche-sur-Yon. > (Bèze, Hist. eccl.,
t. II, p, 8.)
- 00 —
y> part qu'aucun trouble ne s'esmeust en la ville, et que tout se
» comportast selon l'édict publié le jour précédent, et que au
» surplus il advertiroit aussi sa majesté de toutes choses. Final e-
)) ment d'Estrée se présenta ainsi que le prince se vouloit mettre
» à table, lequel se voyant arrivé trop .tard pour cela qu'il vou-
» loit faire, s'en retourna le mesme jour avec lettres du prince
» à la royne, contenans.les justes causes de son arrivée et toute
» son intention. »
Catherine envoya aussitôt de Chémeaux sommer Gondé, Coli-
gny et les autres chefs réunis à Orléans de mettre bas les
armes ^. De Chémeaux ayant échoué dans sa démarche, Cathe-
rine la fit renouveler, le 6 avril, par l'évêque de Valence, qui ne
réussit pas mieux, en ce sens du moins qu'à la sommation de
quitter Orléans Condé répondit par la proposition d'une simple
entrevue, dans cette vilLe, avec la reine-mère, si elle consen-
tait à s'y rendre, proposition à laquelle, paraît-il, cette princesse
accéda, mais sans qu'il lui fût permis de donner suite à l'adhé-
sion qu'elle avait exprimée^ .
Le cardinal de Ghâtillon, dont elle avait réclamé les bons of-
fices auprès de Coligny,'de d'Andelot et de Condé ^,\m adressa,
1. Throckmorton to the queen, 10 avril 1562 (Calend. of State pap. foreign).
2. « Theking sent Ihe bishop of Valence on the 6'h inst. to Orléans, to per-
» suade the prince toleavethe lown. This commission wàs given him, he being
» in great crédit with Ihe prince and admirai, and reputed a favourer of iheir
» religion. After they had conferred with the bishop, he had no désire to re-
» turn to the court, but to stay at Orléans, or he found himself so ill disposed
■» asnottobe able to return.Thereuponhe sent tothe king that if the queen mo-
> ther would come from Paris towards Orléans, he would meather at such place
» as she could appoint, and bring the admifal and d'Andelot with him, provided
» hoslages were given into Orléans, for them namely the princes of Navarre
» and Joinville and M. Dam ville, the constable's son. The queen mother ac-
i cepted the offer, but the king of Navarre, the duke of Guise and the cons-
» table would not accord thereto, so the said queen could not accomplish the
» journey. » (Throckmorton tothe queen, 10 avril ibG^l, Calend. of State pap
foreign.)
3. Voy. Lettre de Catherine de Médecis au cardinal de Châtillon {Mém. de
Condé, t. m, p. 216 à 219).
— el-
le 7 avril, une lettre par laquelle il se référait à la réponse que
l'évêque de Valence avait dû transmettre de la part du prince* .
La médiation du cardinal de Ghâtillon, employée quelquefois
encore par Catherine dans le cours de l'année 1562 ^, eut tou-
jours un caractère purement officieux. En l'exerçant avec une
scrupuleuse délicatesse, Odet s'honora, tant comme sujet in-
vesti de la confiance royale, que comme digne membre de l'une
des premières familles de France. Cette médiation cessa natu-
rellement le jour où ses convictions religieuses et politiques le
portèrent à sortir de la neutralité dans laquelle il avait cru de-
voir se renfermer momentanément, et à embrasser la cause
que servaient ses frères et ses neveux.
Coligny, en attendant que vînt ce jour, qu'il appelait de ses
vœux, mesurait de sang-froid, à Orléans, l'étendue des devoirs
que lui imposaient les événements contemporains et celle du con-
cours que pourraient lui prêter des hommes dévoués.
En ce qui concernait ces derniers, il se trouvait, dès les pre-
miers jours de son arrivée, placé dans un milieu sympathique à
sa personne en même temps qu'à la cause dont il était le plus
noble soutien. En effet, les hommes qu'il voyait se ranger autour
de lui et de Condé, comme unissant à l'ardeur du zèle religieux
les qualités de chefs militaires éprouvés, étaient : d'Andelot,ce
frère chéri, cet autre lui-même, si glorieusement associé à ses
héroïques efforts dans la défense de Saint-Quentin; Soubize,
cet intime ami, ce fidèle compagnon d'armes, qui, huit ans
auparavant, montant avec lui à l'assaut des fortifications de Di-
nan, y avait, comme lui, été blessé^ ; de Larochefoucauld, non
moins aimé que Condé, à titre de neveu, et qui, comme ce
prince, s'était signalé par sa bravoure sous les niurs de Saint-
Quentin;' de Mouy, Jean de Rohan, de Piennes, Yvoy, d'Es-
1. Voy. Appendice, n" 10, § 1.
2 ibid., n» 10, §§2 et suiv.
3. Mém. sur la vie de Soubize, p. 23, 24.
— .-62 — •
ternay, de Canny, de Morvilliers, Genlis; tous recommandables
par leurs antécédents* .
A côté de ces hommes d'élite, et aussi attachés qu'eux à la re-
ligion réformée, figuraient de jeunes seigneurs dont l'amiral
protégeait les débuts dans la carrière des armes en étendant
sur eux une sollicitude paternelle : Antoine de Croï, prince de
Portien, de Lanoue, Téligny.
A ces divers représentants de la noblesse et de la profession
militaire s'ajoutaient ceux du ministère évangélique : Th. de
Bèze, Chandieu, et leurs nombreux collègues venus de Paris et
des provinces ; puis, enfin, l'un des représentants les plus dis-
tingués de la science du droit, le jurisconsulte et publiciste
Hotman.
C'était déjà beaucoup, sans doute, pour Coligny que de pou-
voir compter sur le dévouement et la coopération de tels
hommes ; mais le plus ferme appui sur lequel il lui fût donné
de se reposer était celui que lui offrait toujours le cœur de son
héroïque compagne. Ne voulant laisser ni Charlotte de Laval, ni
ses enfans dans l'isolement, sans protection, au château de Châ-
tillon-sur-Loing, où elle et eux eussent été trop exposés, il as-
sura leur acheminement de cette résidence à Orléans et eut
la joie de les y accueillir.
Bientôt sa nièce, la princesse de Condé, après avoir couru les
plus grands dangers, arriva aussi à Orléans.
Le jour même où Louis de Bourbon avait quitté Meaux et
s'était dirigé vers la Loire, Éléonore de Roye était partie pour
son château de Muret. Elle était « accompagnée du marquis
» de Conty, son fils aisné, âgé pour lors de huit à neuf ans seu-
» lement, avec ses femmes et bien peu d'autre train .-^ » C'est
assez dire qu'elle et son faible entourage se trouvaient livrés
1. Voy. Appendice, n" H.
2. Bèzo, Uist.eccl., t. II, p. H.
— 63 —
sans défense aux lâches agressions qui pouvaient se produire
durant un trajet péniblement entrepris. Les faits ne le prouvè-
rent que trop clairement ; car elle fut assaillie par une bande
ée fanatiques sous les coups de laquelle elle et son fils faillirent
succomber. « Ainsi, dit l'une de ses amies* , que la princesse
» s'acheminait, passant par un village nommé Vauderay,
y> près Lizy-sur-Ours, une fourmière de païsans qui estoient
» en procession luy courent sus, et à M. le marquis de Conty,
y> à coups de pierres et de bastons de croix et de banières,
y> sans aucune occasion, sinon que ceste troupe fut suscitée et
» barée par un prestre malin, en haine de la religion. Or, les
» feux des troubles commençoient lors de s'allumer, et de toutes
y> parts on en voyoit jà des estincelles ! Geste fureur et rage
» populaire esmeut ceste bonne dame de telle façon, qu'estant
)» sur la fm du huictiesme mois, elle accoucha, le jour mesme,
» de deux fils par frayeur et avant terme, au village de Gan-
» delu, sans qu'elle eust loisir de pouvoir gaigner aucune de
)) ses maisons. Et peu de jours après, comme elle estoit cou-
)) rageuse et active de son naturel, elle se mit en chemin pour
» aller à Orléans vers monseigneur son mary, où elle parvint
)) à grandes et difficiles journées : car vous pouvez penser que
y> les passages estoient jà occupez, et qu'il falloit user de ruse
» et s'exposer en danger pour faire ce hasardeux voyage^ . »
1. Epistre d'une damoiselle françoise à une sienne amie, dame estrangère,
sur la mort d'excellente et vertueuse dame Léonor de Roye, princesse de Condé.
1564, in-12, p. 3 et 4.
2. Beza ad Turicenses et Bernâtes, 12 avril 1562 (mss. Turicens. ap.
Baum, app., p. 181) : « P. S. Omiseram indignura facinus. Condensis prin-
3) cipis uxofwprsegnans, diim profecto marito ad suos revertitur, ecce rusticorum
)) manus principis filium circiter novem annos natum in equo insendetem lapi-
» dibus adgreditur, et duos ex ejus comitatu vulnerat. Mater filii periculo
3 ita fuit percussa ut eo ipso die immaturo partu gemellos sit enixa. Vivit
» tamen uterque et puerpera satisbenè habet. Sed hinc conjicite quo usque
3) progi'cssa sit hostium rabies et quanloperè necesse sit eam retundi, cûm
» expressis edictis regiis nitamur. »
Éléonore de Roye ne pouvait pas donner à son mari une plus
grande preuve d'affection et de dévouement, que de sacrifier
pour le rejoindre non seulement sa santé, sa vie peut-être, mais
jusqu'aux plus douces prérogatives du cœur maternel, en se sé-
parant de ses enfants en bas âge, sans savoir si jamais il lui serait
donné de les revoir. Dieu permit du moins qu'elle les laissât
aux mains de sa mère, la comtesse de Roye : un seul d'entre eux,
l'ainé, partit avec elle.
Charlotte de Laval et Éléonore de Roye se consacrèrent dès
leur arrivée à une noble mission qu'elles devaient, pendant
toute une année, accomplir à Orléans, tandis que l'amiral et le
prince s'acquitteraient de la leur, soit dans cette ville, soit au
dehors.
CHAPITRE III
Manifeste de Condé. — Acte d'association des chefs réformés. — Mission qu'ils conr
fèrent aux agens envoyés par eux en Allemagne, en Angleterre, en Savoie, en Suisse.
— Rôle des agents du triumvirat, à l'étranger. — Attitude des puissances étrangères.
— Les chefs réformés s'attachent à accroître leurs forces et à déjouer les manœuvres
de leurs adversaires. — Ils s'efforcent de maintenir l'ordre à Orléans. — Catherine
tente d'amener Condé à déposer les armes. — Moyens de pacification indiqués par
Condé à Catherine. — Réponse évasive que reçoit le prince. — Requête du trium-
virat, tendant au renversement de l'édit de janvier. — Lettres de Coligny au conné-
table et à Catherine. — Lettres de Condé à cette princesse. — Exaspération des
triumvirs. Ils se disposent à entrer en campagne, en s'appuyant sur les troupes
qu'ils ont appelées de l'étranger. — Les réformés n'appellent encore en France au-
cunes troupes étrangères. — Intolérance des triumvirs. — Respect delà liberté reli-
gieuse par les chefs réformés, vis à vis des catholiques.
Il s'agissait, pour Condo et ses compagnons, devenus maîtres
d'Orléans, de s'attacher, avant tout, à justifier leur prise d'armes,
aux yeux de leurs co-religionnaires, de la France entière et des
pays étrangers, à s'organiser entre eux, et à provoquer Falloca-
tion, par les provinces, de secours en hommes et en argent.
La première des mesures adoptées sous l'inspiration directe
de Goligny, fut l'envoi par Condé à toutes les Eglises réformées
du royaume, d'une lettre circulaire, en date du 7 avril, dan'^
laquelle* il leur disait : « Messieurs et bons amis, d'autant qu'il
y> esL requis à présent de résister aux violences et efforts que les
fi ennemis de la religion chrestienne, et qui tiennent nostre roy
y> et la royne captifs, s'efforcent de faire pour empescher la dé-
y> livrance de leurs majestez et exécuter leurs desseings qui ne
1. Mém. de Condé, t. 111, p. 221.
II
— 66 —
)) tendent qu'à la ruine des fidèles et conséquemment de ce
y> royaume, je vous envoie ce gentilhomme, présent porteur, pour
)) entendre de vous quels moyens vous avez de fournir promp-
)) tement d'hommes aguerris et armez, pour incontinent les
)) envoyer en ce lieu; Aceste cause, suyvant ce qu'il vous dira,
» je vous prie, à ce coup, vous esvertuer de toutes vos facnltez,
)) surtant que désirez vous faire cognoistre affectionnez au ser-
» vice de Dieu et à celuy du roy et de la royne. Et où vous n'au-
• rez pas gens prests, pour le moins mettez-vous en debvoir de
» subvenir d'argent pour en soudoyer, ainsi que ce gentilhomme
» plus particulièrement vous déclarera de ma part. »
Les ministres de l'Évangile qui se trouvaient alors à Orléans
écrivirent dans le même sens aux différentes Eghses* .
Le 8 avril, Condé publia^ , en son nom personnel, un ma-
nifeste qui, à la suite d'un exposé de faits incriminant les actes
des Guises et des triumvirs, contenait une protestation ainsi
conçue, dans ses parties principales :
(( Ces choses considérées, avec plusieurs autres que le
» temps descouvrira, ledit seigneur prince proteste ce que
» s'en suit, devant le roy et la royne, et désire aussi que tous les
y> rois, princes, potentats, amis et alliés de cette couronne,
)) avec toute la chrestienté, soyent advertis du faict tel qu'il est
c( Premièrement donc il proteste que ce n'est nulle passion
» particulière qui le meine ; ains que la seule considération de
)> ce qu'il doit à Dieu, avec le devoir qu'il a particulièrement à
» la couronne de France, sous le gouvernement de la royne, et
» finalement l'affection qu'il porte à ce royaume, le contrai-
» gnent à chercher tous moyens licites selon Dieu et les hommes,
)> et selon le rang et degré qu'il tient en ce royaume, pour re-
1. Mpm. de Condé, t. III, p. 221. 222.
2. Mem. de Condé, t. 111, p. 222 et suiv., et une lettre de Condé à l'Empe-
reur Ferdinand, du 20 avril 1562 {mém. de Condé. t. 111, p. 305). — Voir
l'opinion de Lanoue sur l'utilité des manifestes en général (dise, polit, et milit.
j). 663),
— 07 —
y> mettre en pleine liberté la personne du roy, la royne et mes-
» sieurs ses enfans, et maintenir l'observation des édits et or-
3) donnances de sa majesté, et nommément le dernier édict
y> intervenu sur le faict de la religion, avec l'advis des princes
3> du sang, seigneurs du conseil, présidens et conseillers des
)) parlemens de ce royaume, priant affectueusement tous bons
)) et loyaux subjectz de sa majesté, vouloir songneusement peser
» les choses susdites, afin de luy prester toute ayde, faveur et
y> assistance, en une deffense tant bonne, juste et sainte.
« Et pour ce aussi que l'on sçait bien que le roy et la
)) royne sont environnez d'armes et de personnes qui forcent
y> leurs volontez, et que la plupart de ceux du conseil sont inti-
» midez, tellement qu'il n'y a personne qui ose contredire à ceux
•» qui ne pensent qu'à se venger et exécuter ce qu'ils ont de
y> longtemps pourpensé, ledict seigneur prince proteste et déclare
y> dès à présent que, comme il ne voudroit céder à homme vivant
» en l'obéissance qu'il doit et veut rendre à sa majesté et à la
)) royne sa mère, aussi ne veut-il pas se laisser mettre le pied
)) sur la gorge, sous prétexte de quelques mandemens, lettres-
)) patentes, ou autres despesches des dessusdicts, sous le nom
» et sceau de leur majesté, jusqu'à ce que lesdicts roy et royne
)) et son légitime conseil soyent en tel lieu et telle liberté qu'il
» appartient à un roy et une royne révérez, honorez et unique-
■» ment aimez de tous leurs subjectz.
« Au surplus ledict seigneur prince proteste, quant au roy de
)) Navarre, son frère, que avec l'obligation d'amour fraternel et
» le respect particulier qu'il lui doibt et veut rendre, il entend
)) le recognoistre selon le rang et degré qu'il tient en ce royaume,
y> avec toute obéissance après le roy, et la royne: comme aussi
» il s'assure que ledict seigneur roy, considérant ce que dessus,
» y aura tel égard que la raison et la présente nécessité le ré-
)) querront, dont aussi ledit seigneur prince le supplie très hum-
» blement et très instamment.
— 68 —
(( Finalement, ledit seigneur prince, avec grande et honora-
y> ble compagnie des seigneurs, chevaliers de l'ordre, capitaines,
y> gentilshommes, gens de guerre et plusieurs bons personnages
ï> de tous estats, de sçavoir, de bien et de vertu, pour monstrer
)) qu'ils parlent en vérité et qu'ils n'ont rien si cher, après l'hon-
j> neur de Dieu, que le repos et grandeur du roy, requièrent
)) très humblement la roy ne, que pour la crainte de ceux qui
)) l'environnent d'armes et tout autrement qu'il ne fût jamais veu
» en ce royaume, elle ne laisse pourtant à juger librement, se-
» Ion son opinion, laquelle des deux parties aura tort, et que
)) pour ce faire il ne luy vienne à desplaisir de s'en aller en telle
)) ville de ce royaume qu'il luy plaira, pour de ce lieu-là comman-
» der par le moindre de sa maison, si elle veut à toutes les deux
)) parties de se désarmer et luy rendre l'obéyssance telle que
» doibvent les subjectz à leur roy et souverain seigneur, ens'as-
)) sujectissant les uns et les autres à rendre compte de leur faict
» selon raison et ordre de justice : promettant ledit seigneur
» prince que, de sa part, il obéira à tout ce qui luy sera ainsi
» commandé, pourveu que les dessusdits luy en monstrent le che-
y> myn : car là où ils voudroyent faire autrement, il mettra tou-
» jours sa vie et celle de cinquante mille hommes qui sont de pa-
)) reille volonté, pour soustenirl'authorité du roy et de la royne;
» et si ladite dame n'estoit d'advis de partir du lieu où elle est,
)) ledit seigneur prince et autres de sa part la supplient trèshum-
)) blement qu'il luy plaise au moins renvoyer en leurs maisons
)) tous ceux qui la sont venus trouver avec leurs armes qu'ils
» ont prises de leurauthorité, c'est à sçavoir ledit sieur de Guyse
)) et ses frères avec le connestable et mareschal de Saint-André ;
» et encores que le dit seigneur prince ne soit de ce rang, pour
y> estre renvoyé en sa maison, d'autant qu'il a cest honneur d'ap-
)) partenir au roy et estre prince de son sang; ce néantmoins il
]) offre de se retirer volontiers et faire désarmer toute la com-
» pagnie qui est avec luy, aux conditions que dessus: y adjous-
— 60 —
)) tant que le conseil du roi ne soit doresnavant intimidé ne
y> par menaces, ou par force, et que les édicts du roy et nom-
2) mément celuy de janvier sur le faict de la religion soyent
)) inviolablement gardez et maintenus jusques à ce qu'il soit en
y> aage pour en juger luy mesme et chastier ceux qui auront
» abusé de son authorité.
ce Et là où ces conditions ne seroyent acceptées, et qu'en re-
)) fusant de remettre le roy et la royne en leur liberté accous-
y> tumée, avec leur conseil, ils continueront d'abuser de leur
2) nom et fouler leurs subjects, ledit seigneur prince proteste
y> que, de sa part il ne veut ny ne peut l'endurer; et que de
» tous les maux, misères et calamitez, qui en adviendront, le tort
3) ne luy pourra jamais être imputé, mais bien à ceux qui en
y> sont les autheurs et la seule cause. »
Goligny préoccupé de la nécessité de coordonner entre eux
les éléments de force et d'action dont il constatait l'existence,
s'arrêta à l'idée d'une organisation qui rattacherait les uns aux
autres, sous le commandement d'un chef librement choisi, les
seigneurs et gentilshommes réformés, alors réunis à Orléans; et
il jeta promptement les bases d'une association* dont il voulut
que la direction appartînt à Condé, en sa qualité de prince du
sang; son plan fut accueilli; un acte mémorable, ?igné le
11 avril, en consacra l'adoption, en ces termes^ :
i. « Coiigny concevait les idées les plus fortes. On ne peut attribuer qu'à
j lui l'acte de confédération qui unissait les protestants (Ch. Lacretelle,
» hist. de Fr. pendant les guerres de religion, t. II, p. 88).
2. Le texte imprimé de cet acte {Mém. de Condé, t. 111, p, 258 à 202) n'est
suivi d'aucune indication de noms des personnes qui le signèrent, mais il
existe aux archives de Berne (vol. Evangelische Abscheidcn, von ann. 1559
bis ann. 1577), l'un des originaux manuscrits, de cet acte important. Il est
revêtu, dans l'ordre suivant, des signatures de Condé, de Jean de Rohan, de
Larocliefoucauld , de Coiigny, du prince de Portion, de d'Andelot, de
Piennes, de Soubize, d'Ivoy, de Morvilliers, de Genlis, de Canny, etc., etc.
Immédiatement après ces signatures vient la mention suivante : « et quatre
î mil gentilzhommes des meilleures et plus anciennes niaisons de France, qui
— 70 —
« Nous, soussignez, n'ayant rien en plus grande recomman-
» dation, après l'honneur de Dieu, que le service de notre roy
)) et la conservation de sa couronne pendant sa minorité, soubz
D le gouvernement de la royne sa mère, establie et authorizée
)) par les Estais, voyant l'audace, témérité et ambition d'aucuns
» des subjects dudict seigneur mesprisans sa jeunesse, avoir
y> esté si grande qu'ils ont bien osé non seulement s'assembler
» et prendre les armes contre les édictz pour avec icelles mec-
» tre à mort ung bon nombre de ses pauvres subjectz, n'es-
)> pargnant ny aage, ni sexe, sans aucune autre occasion sinon
)) qu'ilz estoient assemblez pour prier et servir Dieu, suivant la
» permission des edictz, mais aussy ne pouvant estre retenus
i> par aucunes lois divines ou humaines, avec les dites armes,
y> se sont saisis de la personne du roy et de la royne et de
)) monseigneur d'Orléans, et ne pouvans par telle et si témé-
» raire entreprise autre chose conjecturer sinon une certaine
» délibération de ruine soubz l'authorité du roy détenu et cap-
y> tif, avec la vraie religion, la plus grande partie de ceux de
» Testât de noblesse et du tiers estât, et généralement tous ceux
» qui en font profession, qui sont les plus lîdèles et obéissans
)) subjectz du roy, qui seroyt un vray moyen de mectre la cou-
» ronne de France en proye.
(( Nous, à ces causes, désirans, à nostre pouvoir, remettre sa
» majesté et sa couronne en sûreté, et la royne en son autorité, et
» aussi conserver les pauvres fidèles deceroyaulme en la liberté
» de conscience qu'il a pieu au roy leur permettre par ses édicts
. » faits par l'advis des princes du sang, des seigneurs du con-
» seil du roy et des plus notables de toutes les cours des par-
)) lemens de ce royaulme assemblez, et par la délibération de
i) la plupart des Estats, laquelle doit demeurer inviolable pen-
y) dant la minorité du dict seigneur, avons esté, comme bons et
j accpmpagneront monsigneur le prince, lequel par son commandement me
î l'a fait signer. Houlier, son secrétaire. >
— 71 —
» loyaux subjectz, forcez et contraints de prendre les armes;
» qui est le moyen que Dieu nous a mis en mains contre telle vio-
j) lence; et dès maintenant, après avoir invoqué le nom de Dieu
» comme bien advisez et conseillez par bonne et meure délibé-
y> ration, nous avons, d'un commun accord et consentement
» libre et volontaire, promis et juré par le nom de Dieu vivant
» une association et saincte compagnie mutuelle, aux condi-
3» tions suivantes, que nous jurons et promettons devant Dieu
y> et ses anges garder inviolablement et de point en point, comme
3) s'en suit, moyennant la grâce et miséricorde de Dieu, nostre
» seule espérance.
« Premièrement, nous protestons que nous n'apportons en
]& ceste sainte alliance aucune passion particulière, ni respect
y> de nos personnes, biens et honneurs; mais qu'entièrement
y> nous n'avons devant les yeux que l'honneur de Dieu, la déli-
T> vrance des majestez du roy et de la royne, la conservation des
» édicts et ordonnances faites par eux, et finalement la juste
3) punition et correction des contempteurs d'icelles, et à ces
3) fins et non autres, nous jurons et promettons, chacun en son
» esgard, d'employer corps et biens et tout ce qui nous sera
» possible, jusques à la dernière goutte de nostre sang; et du-
y> rera ceste présente association et alliance inviolable jusques
3» à la majorité du roy; c'est assavoir jusques à ce que sa majesté
» étant en âge, ait pris en personne le gouvernement de son
3) royaume, pour lors nous soubmettre à l'entière obéissance et
» subjection de sa simple volonté; auquel temps nous espérons
3) luy rendre si bon compte de la dicte association (comme aussi
3) nous ferons toutes et quantes foys qu'il plaira à la royne, elle
3) estant en liberté), qu'on congnoistra que ce n'est point une
)) ligue ou monopole défendu, mais une fidèle et droite obéissance
3> pour l'urgent service et conservation de leurs majestez \
1 Les chefs associés, en témoignage de leur dévouement à la couronne de
France, adoptèrent le port de la casaque et de l'écharpe blanches. En ré-
— 72 —
« Secondement, afin que chacun entende la dicte présente
)) association estrefaicteavec telle intention susdite et en toute
» pureté de conscience et crainte du nom de Dieu, lequel nous
» prenons pour chef et protecteur d'icelle, nous entendons et
» jurons qu'en nostre compagnie nous ne souffrirons qu'il soit
» faict chose qui déroge aux commandemens de Dieu et du roi,
» comme idolâtries et superstitions, blasphèmes, paillardises, vio-
D lences, ravissemens, pilleries, brisemens d'images et saccage-
» mens de temples, par autorité privée, et, en général, autres
» telles choses défendues de Dien ou par l'édict dernier de jan-
y> vier; desquelles au contraire nous pourchasserons que puni-
)) tion et justice soitfaicte. Et, pour estre conduits soubs l'obéis-
)) sance de la parole de Dieu, nous entendons avoir en nos com-
» pagnies de bons et fidèles ministres de la gloire de nostre
)) Dieu, qui nous enseigneront sa volonté et auxquels nous pres-
» terons audience telle qu'il appartient.
((. Tiercement, nous nommons pour chef et conducteur de
)} toute la compagnie monseigneur le prince de Condé, prince
» du sang, et partant conseiller nay, et l'un des protecteurs de
» la couronne de France; lequel nous jurons et promettons
)) accompagner et luy rendre toute prompte obéissance en ce
» qui concerne le fait de ceste présente association ; nous soub-
» mettans, en cas de rébellion ou négligence, à son chastiment
)) et correction telle qu'il advisera; et, cas advenant que le dit
)) seigneur prince par son indisposition ou autrement, ne peust
)) exécuter la dite charge, celuy qui sera par luy nommé, sera
)) obéy et suivy entièrement comme sa propre personne; et le
» dict seigneur prince, monstrant le zèle qu'il a à la gloire de
ponse à cet hommage rendu par de vrais Français à « la couleur du roi »,
les triumvirs et leurs adhérents eurent l'impudence d'afficher leur asservis-
sement au joug de Philippe II, en' prenant la casaque et l'écharpe rouges
d'Espagne. Ils osèrent même contraindre le jeune roi de France à s'affubler
tf de la livrée étrangère. »
— 73 —
» Dieu et au service du roy, a accepté ce que dessus, promet-
» tant à toute la compagnie, qu'en toute diligence et prompti-
y> tude, moyennant l'aide de Dieu, il fera vray office de chef et
y> conducteur, suivant la teneur de toutes les conditions de la sus-
y> dite association.
» En quatriesme lieu, nous avons compris et associé en ce
» présent traicté d'alliance toutes les personnes du conseil du
)) roy, exceptez ceux qui portent armes contre leur devoir,
» pour asservir la volonté du roy et de la royne ; lesquelles armes
)) s'ils ne posent et s'ils ne se retirent, et rendent raison de leur
» faict en toute subjection et obéissance, quand il plaira à la
)) royne les appeler, nous les tenons avec juste occasion pour
» coulpables de lèse-majesté et perturbateurs du repos public
» de ce royaume.
« Et pour parvenir à la fin et accomplissement de ceste dite
)) association (que nous protestons de rechef n'estre faicte que
y> pour maintenir l'honneur de Dieu, le repos de ce royaume et
» Testât et liberté du roy, soubs le gouvernement de la royne sa
y> mère) un chacun de nous en son esgard, depuis le plus petit
)) jusques au plus grand, jurons et promettons devant Dieu et
•)) ses anges nous tenir prests de tout ce qui sera en nostre
» pouvoir, comme d'argent, d'armes, chevaux de service, et
)) toutes autres choses requises, pour nous trouver au premier
)) mandement du dit seigneur prince, ou autre ayant charge de
» luy, équippez pour l'accompagner partout oii il luy plaira nous
» commander, et fidèlement luy faire service pour les fins sus-
y> dites, et rendre tout devoir de corps et de biens jusques au
y> dernier souspir; et cas advenant qu'en quelque lieu ou endroit
)) de ce royaume, entendions qu'aucuns compris en ceste présente
» association, reçoive outrage ou violence par les dessusdicts
y> ou autres, contre l'édict du roy du moys de janvier dernier,
)) nous jurons et promettons tous le secourir promptement et
y> nous employer à ce que tel tort soit réparé, comme si le dom-
» mage estoit particulier à un chacun de nous, et le tout selon
» qu'il nous sera commandé par le dit seigneur prince, ou autre
i> ayant charge de luy.
« Davantaige, s'il avient, ce que Dieu ne veuille, qu'aucun de
» nous aiant oublié son devoir et son serment, eûst quelque intel-
3) ligence avec les ennemys, ou commist acte de lâcheté ou
y> trahison en sorte ou manière quelconque, ou se montrast re-
3> belle à ce que dessus, nous jurons et promettons, sur la part
y> que nous prétendons avoir en paradis, le révéler incontinent
3> au dit sieur prince ou autre qu'il appartiendra et le tenir et
» traicter comme ennemy traistre et desloyal. Car ainsi il a esté
» accordé d'un franc et irrévocable consentement.
« Faict, arresté et publié à Orléans, l'an de nostrc seigneur
» mil cinq cens soixante-deux, l'onzième jour d'avril. »
Bien que ce traité constituât Gondé chef officiel de l'associa-
tion, Coligny n'en demeurait pas moins, en fait, le chef réel. Le
prince l'accepta comme tel, dès le premier moment; et dans
sa loyale déférence, il ne cessa jamais de rendre hommage à la
supériorité de sentimens, de vues et de caractère, qui distin-
guaient l'amiral comme croyant, comme guerrier, comme
homme d'Etat. Quelque tendance qu'eût celui-ci, soit au con-
seil, soit dans l'exercice du commandement, à laisser sa propre
personnalité s'effacer devant celle de son neveu, l'opinion publi-
que,en France et à l'étranger, assignait à chacun d'eux sa vérita-
bleplace. Justement éprise des brillantes qualités et de l'indompta-
ble courage du prince, elle s'élevait, à l'égard de l'amiral,
jusqu'à l'admiration, en le voyant soutenir d'une main toujours
noble et ferme, les intérêts supérieurs du parti religieux et
politique dont il était l'âme \
1. « Omnia geruntur consilio admiralli hominis, ut mihi videtur, sapien-
» tissimi et moderatissimi. Dùni eram Aureliae, stepè sum cum eo locutus :
» nam diligenter me intcrrogavit de statu rerum Germanicarum et quid exis-
> timarem ipsos sibi debere promittere de Germanicis principibus. » (Hub.
> Laugueti épistol. lib. 2, ep. 72, 19 april. 1562).
— 75 —
11 ne suffisait pas que le manifeste du 8 avril et l'acte d'asso-
ciation du 11 fussent portés à la connaissance des églises réfor-
mées, du roi, du parlement de Paris, des hauts fonctionnaires
et de la population des provinces : il était opportun, qu'en
outre, l'attention des cours étrangères fut appelée sur ces deux
actes. Elle le fut, en effet, par l'intermédiaire d'agents sur la
capacité et la fidélité desquels Goligny et Gondé se reposaient.
Tels étaient notamment deux gentilshommes qu'ils envoyèrent
en Allemagne, et Séchelles, Téligny, d'Erlach, qu'ils chargèrent
de se rendre, le premier en Angleterre, le second en Savoie, le
troisième en Suisse.
Arrêtons-nous, quelques instants, à la mission dont chacun
de ces agents devait s'acquitter, et à certains faits qui s'y ralta-
ohèrenl.
Le plus caractéristique de tous fut l'énergie que déploya l'a-
miral pour faire circonscrire la portée de cette mission dans de
justes limites. Alors que ses compagnons voulaient qu'elle s'é-
tendît à un appel immédiat de troupes étrangères, il les ramena,
par l'ascendant de son patriotisme à une appréciation désinté-
ressée de leurs devoirs envers la France, et, par cela mêjne, à
cette solution : que, dans l'état actuel des circonstances, les
agents se borneraient à provoquer en laveur de la réforme fran-
çaise, illégalement attaquée, et de la royauté asservie, l'intérêt
et la médiation officieuse des souverains auxquels ils s'adres-
seraient.
Cette salutaire prépondérance de l'opinion de l'amiral sur celle
de ses collègues, au sein du conseil qui assistait le prince de
Condé, se manifesta, pour la première fois, à l'occasion de l'en-
voi d'agents en Allemagne. « Le prince de Condé, dit sur ce
» point un homme qui avait avec lui et l'amiral des rapports
)) quotidiens à Orléans* , combien que dès le 10 avril, il eust
i. Bèze, hist. eccl. t. II, p. 35, 36.
— 7G —
y> escrit aux très illustres princes comte Palatin et duc de Saxe
y> électeurs, ducs des Deux-Ponts et de Wittemberg, au Land-
» grave de Hesse, marquis Charles de Baden, et depuis encore
» à la sacrée majesté de l'empereur Ferdinand, les advertissant
» à la vérité du poure estât de France et des causes de ces
y> troubles, pour les supplier d'y remédier de leur part ^ , assem-.
» bla toutesfois son conseil pour adviser de plus près à cette
» affaire. Plusieurs et quasi tous concluoient qu'il falloit de-
)) mander un prompt et suffisant secours aux princes d'Allema-
)) gne : l'amiral leur rompit cette délibération^ disant qu'il
y> aimeroit mieux mourir que consentir que ceux de la religion
» fussent les premiers à faire venir les forces étrangères en
» France. Et pourtant fut arresté qu'on envoyeroit deux gen-
» tilshommes en Allemagne, seulement pour faire voir à l'œil et
» comme toucher au doigt les causes de ceste guerre, en respon-
)) dant aux calomnies des ennemis, et requérant les susdits
» princes, comme anciens amis de la couronne de France, d'en-
» voyer ambassadeurs pour traiter de la paix, à ce que, durant
» la minorité du roy, tant de sang chrestien ne fust respandu et
» un si florissant royaume ne se consumast soy mesme. Telle fut
)) lors la résolution du conseil; mais, le jour d'après, toutes
)) choses encore mieux examinées, il fut adjousté à la commis-
y> sion des deux dessusdits, qu'ils ne bougeraient d'Allemagne
)) jusque à ce qu'il y eut paix et que Testât des affaires mons-
1 . Coudé terminait son message du 10 avril aux princes Allemands, par ces
mots qui élevaient, en quelque sorte, au niveau de sa propre situation, celle
de son neveu par alliance, Antoine de Croy : «je vous supplie autant alfectueu-
■» sèment qu'il m'est possible, vouloir, à ce coup, démontrer au roy, à la
» reyne, et à tous les fidèles de ce royaume l'effet de vos bonnes intentions.
» suivant ce que chacun s'est toujours promis et assuré de vous, ainsi que
» plus particulièrement et amplement ce mien gentilhomme, présent porteur,
» vous fera entendre, tant de ma part que de celle de mon nepveu, monsieur
» le prince de Portien, lequel, s'il vous plaist, vous tiendrez pour excusé si
» luy mesme ne vous escrit, estant pour cesle heure détenu par maladie. »
(Mém. de Condé, 1. 111, p. 254, 255).
— // —
y> trast s'il estoit requis d'appeler les Alemans au secours, sur
» quoy on leur envoyeroit nouvelles instructions et tout pouvoir.
ï> Ainsi partirent les deux députés. »
Il était dit dans les instructions qui leur furent alors re-
mises * :
«c Sera remonstré le piteux estât auquel est à présent ce
» royaulme estants le roy et la royne sa mère caplifz; laquelle
» captivité et aultres causes amplement narrées en la protesta-
y> tions cy présentée, ont esmeu et contrainct messeigneurs les
» princes de Condé et de Porcien, messieurs l'admirai, d'An-
» delot, Soubize, Genly, Piennes et Rohan, à prendre les armes,
» avec plusieurs, tant chevaliers dé l'ordre, capitaines, gentils-
)) hommes, que aullres de toutes qualités, pour rendre, au be-
)) soing, le debvoir que bons et loyaulx subjects doibvent à leur
)) prince naturel, duquel la cause et calamité se rend d'aultant
)) plus recommandable, qu'il est en fort bas aage qui le rend
y> incapable de pouvoir donner ordre luy mesme. — Ont esté
» advertis les dicts seigneurs que leurs ennemys sentans leur
» entrepri"nseestre condamnée par lapluspart de ce dict royaulme,
» ont soubz le nom et authorité du roy, envoyé lever gens de
» guerre en AUemaigne, pour se maintenir en leur tyrannie :
)) parquoy cognoissans bien de quelle importance pourroit estre
» la venue des estrangiers en ce dict royaulme, avec force et
» main armée, ilz supplient l'Excellence de messeigneurs les
» princes d'Allemaigne, anciens amys et confédérés de la cou-
» ronne de France, vouloir empescher par toutes voyes et ma-
)) nières deues, que telle chose ne se face - , au grand préjudice
1. Mém. de Condé, t. III, p, 271.
2. « Two noblemen lias been sent by the prince of Condé to ihe protestant
» princes, to induce them to preventaid being sent from them to Ihe Guises.
» Tbey were received at Heidelberg by the palatine, and their request was
» readly granted... The princes take good care that no soldiers go ont of
» Germany... The Lantgrave lately arrested an officer of cavalry who was
> secretly enlisting horsemen in Hesse, and wo said that be was doing so for
— 78 —
y> du roy leur voisin et bon amy, qui pourra recognoistre le se>-
y> cours et bienfaict, quelque jour, estant venu en aage. Et si
» lesdits seigneurs, princes de la Germanie trouvoient bon
)) d'envoyer ambassadeurs notables à la court, pour paciffier
)) les grands troubles qui sont en ce royaume, mesdits seigneurs
)) princes de Gondé et de Porcien, messieurs l'admirai, d'Ande-*
)) lot, Soubize, Genly, Piennes, Rohan, et autres en seront
» très aises ; et supplient leurs Excellences de ce faire, comme
» ceulx qui ne désirent rien tant, après l'honneur de Dieu et de
(c la liberté du roy et de la royne, que le repos public d'iceluy. »
L'agent envoyé en Angleterre fut de Séchelles, gentilhomme
profondément dévoué à la cause de la réforme, pour laquelle il
avait beaucoup souffert ^ .
Goligny Tappuya auprès du premier ministre d'Elisabeth, par
une lettre du 11 avril, portant en substance^ : « Le prince de
» Gondé dépesche le sieur de Séchelles vers la royne d'Angleterre,
)) pour lui faire entendre les légitimes et nécessaires occasions
» qui l'ont contraint de venir en ce lieu (Orléans), avec ceux
)) de sa compagnie, pour maintenir l'honneur de Dieu; la liberté
» et autorité de la royne contre la violence de ceux qui tiennent
» leurs majestez environnées de leurs armes et réduites en
)) une honteuse captivité, et avec cela veulent exterminer tous
)) ceux qui désirent purement servir Dieu. — - Il m'a semblé,
» ajoutait l'amiral, ne devoir faillir ceste occasion d'escrire
)) pour vous prier de faire tous les bons offices qu'il vous sera
» Rockendorf, oneofGuise's party... The duke of Wurtemberg also lakescare
» that no volunteers shall march through Montbeliard into France, etc., etc. »
Mundt to cecil. 3 mai 4562 Calend of staie pap. fnreign).
1. Throckmorton to the queen, 24apr. 1562 {Calend. ofstatepap. foreign :
« M. de Séchelles is one of the kings's privy charaber. He is of a great house
» in Picardy, and has sulfered persécution for hiszeal in religion... This gentle-
» man has lettersto some of the Lords of Ihe council from the prince and the
» admirai. — Jbid. Throckmorton to Cecil, 24 april. 1562.
2. Record office, statepap. France, vol. XXVIII.— De Laferrière. le xvi* siècle
et les Valois. Paris, 1879, in-8. p. 66.
- 79 —
i> possible vers sa majesté pour favoriser la cause de Dieu que
D nous soustenons, comme nous l'attendons de votre vertu et
» piété* . »
Actif instrument d'une politique d'intervention intéressée,
qu'Elisabeth inaugura - , dans ses rapports avec la France, et
même avec les réformés, sans jamais s'en départir ultérieure-
ment, Throckmorton insista, en correspondant avec son gouver-
nement, sur les avantages pouvant résulter, pour l'Angleterre,
de l'accueil favorable qui serait fait à de Sechelles. Le plus
grand de ces avantages consistait, selon lui, dans la chance d'oc-
cupation amiable par les forces britanniques, d'un ou de plu-
sieurs points du territoire français, en échange du secours que
ces forces apporteraient aux réformés ; chance qu'il fallait se
ménager soigneusement. Throckmorton se prononça nettement
sur ce sujet, vis-à-vis de Cécil, dans l'une de ses plus impor-
tantes dépêches.
« Il peut arriver, lui écrivit-il, le 17 avril ^ , que sa majesté
» puisse faire son profit de ces troubles, comme le roi d'Espa-
» gne fait et se propose de faire. Car si ceux d'ici et le duc de
1 . V. aussi Brit. mus. add. 4 160 : c Hottomanus magnitico et speclatissimo viro
t Domino Cecilio, magno Angli» Cancellario. Aureliis, 13 apr. 1562. — Magni-
» di-e Domine, nobilis hic vobis,ut opiaor, non ignolus, dominas de Sechelles
» iiiittitur ab illustriss principe. Condensi et cîBteris proceribus iiui hùc in
j armis convenerunt, ad seienissiraam reginam vestram, ut ipsius majestati
» exponat partim chrisiianissimi régis et reginœ matris suae captivitatem, partim
» ecclesiarum nostrarum calamitatem et pericula... Et quia scio magnifi-
» centiam vestram optimo ergà ecclesias nostras animo semper fuisse, opti-
» nièque etiam régis nosiri pueritiiB consultum esse capere,officio meo déesse
» nolui, et hanc tui rogaiidi occasionem praetermiltere ut pro éâ gratià atque
» auctoritate quâ plurimûm apud serenissimam inajestatem regin» vestrae
> polies, causam hanc nostram commendatam habeas, neque sinas nos bis
» taiitis œrumnis et calainitatibus quae sine dubio nobis impendent opprimi. »
2. Uc écrivain anglais (M. Stevenson, Calend. of State pap. foreign, 1861,
» 1862, introd.) nous paraît avoir judicieusement caractérisé la politique d'Éli-
> sabeih, à cette époque, en ce peu de mots : « A covert interférence in the
> affairs of foreign states, for the purpose of exciting internai disturbances. *
3. State paper office. — Hisl. des princes de Condé, t. I, p. 35i, 355.
— 80 —
» Savoie viennent à se jeter de son côté, sa majesté la reine ne
)) doit pas rester oisive ni être prête la dernière. Je sais assii-
)) rément que le roi d'Espagne tient l'œil ouvert et manœuvre
y> pour mettre le pied dans Calais. Il faut, de notre côté, pra-
» tiquer et flatter nos amis les protestans de ce pays. Dans le
)) cas où le duc de Guise, le connétable, le maréchal de Saiht-
» André, et toute cette secte penseraient comme je le crains,
» à faire entrer le roi d'Espagne dans ce pays et à le mettre en
)) possession de quelque port et forteresse, il faudrait alors que
y> les protestans, soit pour leur propre sûreté et défense, soit
)) par dépit et désir de vengeance, ou par bon vouloir et affec-
» tion pour sa majesté la reine et sa religion, pussent être
y> poussés et amenés à mettre sa majesté la reine en possession
)) de Calais, Dieppe ou le Havre, des trois places ensemble si
» on peut, ou au moins d'une des trois, n'importe laquelle,
» pourvu que nous l'ayons. Mais cette question ne doit être tou-
» chée ni directement, ni indirectement avec aucun d'eux ou de
» leurs ministres, quel que soit celui qui viendra traiter avec
)) vous, parce que l'occasion s'en présentera plus naturellement
» et convenablement d'elle-même lorsqu'ils nous demanderont
» assistance, soit d'argent, soit d'appui, et le plus à propos
» quand le prince de Condé et les protestans s'appercevront
» que les papistes pensent à introduire les étrangers dans ce
)) royaume, et à donner un intérêt au roi d'Espagne dans toutes
» les affaires. J'aimerais mieux que cela se passât de cette ma-
y> nière, que le prince ou les protestans offrissent à sa majesté
)) l'entrée ou la possession d'une de leurs places, et que la dc-
y> mande ne vint pas de nous. Souvenez-vous, je vous prie,
» quel bien les discrets et sincères procédés de sa majesté ont
)) fait en Ecosse. Or, nous avons cet avantage, que nous aurons
» affaire à des gens vrais et fidèles, je veux dire les protestans, et
» nos adversaires à des gens doubles et rusés, je veux dire les pa-
)) pistes. — ^ Je pense qu'avant peu un gentilhomme de grand cré-
— 81 —
y> dit, trèshonnête, qui vous connaît bien, sera envoyé à sa ma-
» jesté la reine par le prince de Condé, l'amiral et M. d'Andelot,
» et aura commission et instructions pour traiter avec sa majesté
» la reine plus à fond sur ces matières. Il faut que vous son-
y> giez où vous pourrez le recevoir secrètement quand il arrivera
3) pour qu'il puisse ainsi faire son affaire, car elle doit être tenue
y> secrète. Harry Myddlemore, à son arrivée, vous en donnera
3> connaissance, c'est un gentilhomme de la chambre du roi, et
3> le même que l'évêque d'Orléans et M. de Cy demandèrent à
5> la reine Marie d'envoyer au roi de France ; il était alors réfu-
3> gié en Angleterre pour cause de religion. Sir Peter Meantes
3) l'avait recueilli lorsqu'on faisait des perquisitions dans Lon-
D dres pour le trouver. Il pourra vous dire son nom, mais il
» dit qu'il a de bonnes raisons pour connaître le vôtre. »
Throckmorton, lorsqu'il expédia cette dépêche, songeait à se
rendre à Orléans. Coligny, voulant obvier aux difficultés que
la présence de l'ambassadeur d'Angleterre dans cette ville
n'eût pas manqué de créer, lui écrivit, le 21 avril* : c Mon-
3) sieur, j'ay reçue la lettre que m'avez escripte par ce gentil-
)) homme, présent porteur, par laquelle j'ay esté bien aise d'en-
y> tendre que vous n'ayez pas pris la peine de venir en ce lieu,
y> tant parceque je sçay bien que vous estes nécessaire là où
3) vous estes, que aussy parceque vostre venue eùst engendré
» une trop grande jalousie non seulement contre nous mais
3> aussy contre la royne vostre maistresse, que nous ne doutons
2) point avoir très grand zèle et dévotion au service de Dieu et
y> à l'advancement de sa gloire, comme par toutes ses actions
» et ses bons effectz elle a tousjours faict paroistre. y>
La mission à remplir auprès du duc de Savoie fut confiée à un
jeune homme, éminemment distingué, Charles de Téligny, dont
i. Calend. of State pap. foreign. — De Laferrière, le xvi« siècle et les
Valois, p. 61.
n . Q
-Sa-
le nom demeure indissolublement uni, dans l'histoire, à celui
de l'amiral.
Fils de Louis de Téligny et d'Arétuse Vernon, cousine de la
maréchale de Châtillon, Charles se trouva placé, dès sa plus
tendre jeunesse, sous le bienveillant patronage de Goligny, qui
portait à son petit cousin une affection particulière, tant celui-ci
« estoit de douce nature^ ». L'amiral présida à son éducation,
favorisa son développement religieux, et, tout en lui frayant la
carrière des armes, l'initia à la connaissance des affaires publi-
ques, au contact desquelles il devait, dans de graves circon-
stances, se signaler, à titre d'habile et loyal négociateur. Formé
à une école aussi saine et fortifiante que celle de son, généreux
protecteur, Charles de Téligny dut au crédit de celui-ci d'êti^e
introduit à la cour et d'y obtenir, à une époque de peu anté-
rieure à l'année 1562, le titre de gentilhomme de la chambre
du roi, auquel il associa bientôt le grade de lieutenant dans la
compagnie de Coligny.
L'efficacité de la direction imprimée par l'amiral à son
filial élève est attestée par un contemporain ^ en ces termes :
« M. de Téligny (Charles), s'estoit rendu un si accompli jeune
)) gentilhomme et en lettres et en armes, que peu de sa volée y
» a-il eu qui l'ont surpassé; et fût parvenu en grades, comme
» plusieurs de ses compagnons, sans qu'il se mit des plus avant
» en la rehgion réformée : et pourtant ce fut tout son plus grand
» bien, car encore qu'il fust fort honneste homme, M. l'admirai
)) le voyant tel, le prist en main et l'enseigna si bien, qu'il de-
» vint un très bon maistre passé en tous affaires, tant de guerre
» que de Testât. » Ce témoignage est confirmé par celui d'un
» autre écrivain catholique : « Entre plusieurs seigneurs de
}) France qui se signalèrent dans le party de la religion, dit le
1. Mémoires de Testât de France sous Charles IX. In-8», Middelbourg, 1576,
1. 1, p. 396.
2. Brantôme, éd. L. Lai., t. II, p. 420.
— 83 —
» Laboureur * , il n'y en eut pas un qui méritast plus d'estime
3> que Charles s' de Théligny, pour estre le cavalier le plus
» accompli en toutes les qualités nécessaires pour la cour et
y> pour les armes. Il avoit, avec le bonheur d'une valeur hé-
3) réditaire, le don d'une prudence et d'une expression si forte et
3) si agréable tout ensemble, qu'il estoitle mercure de Testât et
)) le perpétuel négociateur de tous les traités de paix. Le prince
y> de Gondé et l'admirai, ausquels il avoit l'honneur d'estre allié,
» luy confioient tous leurs intérêts, et la royne le voyoit de bon
» œil et l'escoutoit très volontiers comme celuy qu'elle sçavoit
3> €Stre fort sage et fort éloigné encore des conseils violens. »
De Thou "^ parle de Charles de Téligny comme d'un jeune
« homme en qui se trouvaient les qualités les plus estimables,
» et qui joignait beaucoup de valeur à une naissance illustre ».
L'auteur d'une émouvante narration ^ mentionne « sa beauté, sa
y> bonne grâce et son savoir ». J. de Serres ^ le qualifie « de
y> gentilhomme bien prudent et advisé » ; Davila ^, de « jeune
y> homme politique et pénétrant » ; Brantôme ^, « de sage et brave
y> gentilhomme qui estoit bien accomply de toutes vertus » ;
l'auteur d'intéressants mémoires ' , « de gentilhomme fort
y> aimé de tous, pour beaucoup de vertus qui le rendoient ad-
y> mirable, etchéry du roy mesme entre tous autres gentilshom-
» mes français^ ».
1. Addit. aux Mém. de Castelnau, t. II, p. 577.
2. Hist. Univ., t. IV, p, 490.
3. Le tocsain contre les massacreurs et auteurs des confusions en France,
i vol. in-12, Reims, 1577, p. 77.
4. Mémoires de la troisième guerre civile, 1 vol. in-12, s. 1., 1571, p. 29.
5. Hist. des guerres civ. de France, in-i". Amst., 1577, t. I, liv. 111, p. 295.
6. Ed. L. Lai., t. IV, p. 357.
1. Mémoires de Testât de France sous Charles IX, in-8», Middelbourg^1576,
1. 1, p. &.
8. De furoribus Gallicis, etc., etc., in-4°, Edeinburgi, 1573, p. 42 : « Thel-
ï lignius, adolescens summà spe et animi et ingenii praeditus, cui rex
» multos jàm annos tantam benevolentiara et vultu et verbis ostenderat, u
i> nemo apud eura gratiosior haberetur. >
— 84 —
Quant à l'ambassadeur de Toscane, Petrucci, ayant soutenu,
à la cour de France, des relations personnelles avec Charles de
Téligny, il caractérise en termes saisissants les liens qui l'unis-
saient étroitement à son second père, en disant : « Téligny est
l'âme de l'amiral ^ y>
Dévoué, comme il l'était, à son bienfaiteur, Charles de Téli-
gny île pouvait manquer de le suivre dans la carrière de luttes
et de périls qu'inaugura pour lui la première des guerres dites
de religion. Aussi se trouvait-il, nous l'avons dit, auprès de l'a-
miral dans les murs d'Orléans, dès le début du mois
d'avril 1562.
Ce fut alors que, sur l'indication de Coligny, Condé envoya
Téligny en mission vers le duc de Savoie, à la cour duquel il avait
déjà séjourné l'année précédente ^. Le prince adressa, d'Orléans,
le 12 avril, au duc la lettre suivante^ :
c Monsieur, pour ce que je ne doubte point que ne soiez de
> ceste heure adverty du piteux estât en quoy les troubles ont
» réduit ce roïaume, je n'ay point voulu faillir vous faire en-
» tendre la vérité des occasions affm de lever toutes les excuses
y> que ceux qui en sont cause pourraient prendre, qui est que
» l'ambition de ceux qui ont tousjours voulu dominer a esté si
» grande qu'ilz ont bien osé machiner d'oster l'autorité à la
)) royne, que les princes du sang et les estats de France luy on
» méritoirement defféré. Ce que moy ne tous les plus grans
» seigneurs et gentilshommes de ce roïaume ne pouvans souf-
» frir ne comporter, avons esté contrainctz de prendre les armes,
l.Négoc. diplom. de la France avec la Toscane, in-4», t. 111, p. 648. Dé-
pêche adressée de Paris par Petrucci à François de Médicis, le 8 mars 1571 :
« Téligny è l'anima dell' Ammiraglio. »
2. La présence de Téligny, vers le mois de février 1561, à la cour de Mar-
guerite et de Philibert-Emmanuel, est attestée par une lettre de ce prince au
connétable de Montmorency, du 20 février 1561 (Bibl. nat., mss. f. fr., vol. 3191,
fo 1.38), et par une autre lettre que le cardinal de Chàtillon adressa à ce même
prince le 3 mars suivant (Torino Archivio générale del regno).
3.Troino, Archivio générale del regno.
— 85 —
)) ainsi que le s' de Telligny, lequel j'ay expressément choisy et
» prié pour le vous aller faire entendre, vous pourra plus am-
» plement discourir, vous suppliant très humblement me faire
)) cest honneur de croire ce qu'il vous en dira de ma part comme
» feriez moy-mesmes. »
Téligny était muni d'instructions* dont voici les principaux
passages :
» Fera le dit Téligny entendre au dit s' duc (de Savoie) que le
y> dit S' prince, ayant bien entendu que les s" de Guyse, connes-
» table, mareschal s' André et autres de leur conspiration, qui
y> dès leur naissance ont assez démonstré avoir conjuré toute
)) autre chose en leurs esprits que le bien et repos de ce royaul-
y> me, ayans puis naguères usurpé d'une audace intolérable avec
)) force et violence contre le roy et la royiie, lesquelz ils tiennent
)) environnez de leurs armes et réduitz en une indigne et hon-
» teuse captivitéjOntjà commencé soubz le nom etauthoritéde
y) leurs majestez dont ilz abusent et de la facilité du roy de
» Navarre, de prévenir et remplir les oreilles du dit s' duc de
)) plusieurs calomnies, à l'encontre du dit s' prince, il a, à ceste
y> cause, bien voulu esclaircir le dit s' duc et le tenir adverty
y> des bonnes, légitimes et nécessaires occasions qui l'ont con-
)) Irainct, pour le rang et dignité qu'il tient en ce royaume,
)) estant de la maison de France et l'ung dés premiers princes
» du sang, de s'opposer à leur tyrannie et s'employer de tout
)) son pouvoir pour la conservation de cet estât, pour le service
)) et liberté de leurs majestez et pour la défense de leurs sub-
» jectz. — Entrera, à ce propos , au discours des violences
» et estranges déportements desdits sieurs de Guyse..., déduira
)) amplement la cruauté faite à Vassy et le sang respandu des
)) femmes et pauvres enfans innocents...; la belle entrée de
)) tous les dessusdicts à Paris, à armes descouvertes...; n'ou-
1 . Instructions du 11 avril 156-2 (Bibl. nat., mss. f. fr., vol. 10 190).
— 8G —
» bliera aussi à représenter la honteuse captivité de leurs dites
» maj estez, le saisissement de leurs personnes, les logis que
» depuis on leur a faictz, les larmes du roy et la forme de son
» entrée à Paris, non auparavant ouye ne accoustumée, la façon
» dont ilz ont intimidé le conseil du roy... fera entendre que
)) le nombre des seigneurs, gentilzhommes et soldatz qui sont
)) en la compagnie dudit sieur prince, desplaisans de telles vio-
y> lences et outrages faits à leurs majestez, est, grâces à Dieu,
» si grand qu'ilz n'ont de besoing d'employer pour cest effect
)) l'ayde d'aucun prince estranger; mais bien veult ledit sieur
ï> prince faire cognoistre par toute la chrestienté, mesme à
» l'endroit dudit sieur duc, sa bonne et juste querelle et inten-
» tion et la justice de cette cause ; ensemble veult bien prier
)) et conjurer ledit sieur duc pour l'affinité du sang dont luy et
» madame de Savoye touchent à la maison de France, défaire
» tous les bons offices qui luy sera possible pour garantir les
)) faibles ans de sa majesté de toute injure et de la violence de
)) ses propres subjectz. »
La gravité de la mission conférée par de telles instructions
supposait chez celui qui en était investi de hautes aptitudes :
telles étaient, en réalité, celles de Charles de Téligny, dès son
début dans la voie des négociations.
Au moment même où il était envoyé à la cour de Savoie, un
autre jeune homme, de l'une des premières familles de la Suisse,
d'Erlach, que l'amiral avait paternellement accueilli et long-
temps maintenu sous son toit \ était chargé de porter aux can-
tons évangéliques un message des chefs réformés ^, dont ceux-
ci confirmaient, peu après, la teneur par des lettres ^ analogues
1 Coligny écrivait à son sujet « aux magnifiques seigneurs les syndics et
» advoyer de Berne : Je l'ay nourry longtemps et il donne espérance de faire
» quelque jour, quelque bon fruit, à vostre contentement et de ceux à qui il
» appartient. » (Lettre du 15 avril 1563, Archives de Berne, Ffankreich, vol. 1.)
2. Voy. le texte de ce message, à l'Appendice, n° 12.
3. Voy. Appendice, n» 13.
— 87 —
à celles qu'ils adressaient à divers princes d'Allemagne et à la
<îour d'Angleterre.
Tandis que les agents des chefs réformés s'acquittaient de
leur mandat en Allemagne, en Angleterre, en Savoie et en
Suisse, les triumvirs et Antoine de Bourbon, soit sous le nom
du roi, soit en leur nom personnel, cherchaient, par l'intermé-
diaire de représentants attitrés, ou par voie de correspondance
directe, un appui dans ces mêmes contrées, et, «de plus, en
Espagne et en Italie.
Quelque soin qu'ils prissent de faire déclarer par le roi et par
la reine-mère que tous deux, libres de leurs personnes, exer-
çaient sans entraves le pouvoir souverain dont ils étaient investis,
la dépendance du fils et de la mère n'en était pas moins réelle.
Catherine, en particulier, subissait tellement le joug des chefs
du parti catholique, qu'elle se laissait couvrir de leur insolent
patronage pour être réhabilitée aux yeux de Philippe IL
Rien de plus significatif, à cet égard, que la lettre suivante,
adressée à ce monarque par les triumvirs et par Antoine de
Bourbon * : « Sire, sçachant de long temps le bon zelle et sin-
3> gulière affection que vous avez à la conservation de nostre
D bonne et saincte religion catholique, nous avons, avec la
y> permission du roy et de la reyne, pris la hardiesse de pré-
3» senter ce mot de lettre à votre majesté pour lui faire en-
y> tendre que, npus aiant ladicte dame, ces jours passez, faict
y> assembler en bonne et grande compaignie, sa majesté nous
y> a faict si ample et ouverte déclaration de l'extrême déplaisir
» qu'elle ha des troubles qu'elle veoit en ce royaulme pour le
y> faict de la religion, et combien elle désire par tous bons offices
y> d'y pouiToir et emploier pour cest effect toutes ses forces,
y> que nous vous pouvons asseurer, sire, que par le moïen du
3) bon ordre qu'elle y a desjà donné et l'asseurance que nous
1. Archives nationales de France, K. 1496.
— 88 —
y> avons de la continuation de sa bonne et saincte volonté, nous
)) debvons avec grande occasion espérer de voir bientost en ce
» dict royaulme toutes choses en repos et tranquillité ; ne vou-
» lant aussi, sire, faillir de vous dire, que par les propoz que
» sa dicte majesté nous a tenuz et ce qu'elle nous a déclaré des
)) choses passées, nous avons certain tesmoignage qu'avec bien
» grand regret elle a jusques icy différé l'exécution de ce qu'elle
y> ha toujours plus que nulle autre chose désiré. Sire, après avoir
y> présenté nos très humbles recommandations à la bonne grâce
)) de Vostre Majesté, nous supplions le créateur lui donner en
)) parfaite santé très longue et très heureuse vye. De Paris, ce
» xxf jour^ d'avril 1562, vos très humbles et très obéissans
» serviteurs, François de Lorraine, Montmorency, Saint-André.
» — Monseigneur, avecques l'assurance de ces seigneurs qui
)) vous escrivent, j'ay bien voullu vous tesmoigner pour vérité
» le contenu en ceste lettre comme celluy qui a la principale
)) connaissance et des effects et de l'intention d'iceulx. Vostre
» très humble et très obéissant serviteur, Antoine. »
L'attitude des puissances étrangères auxquelles s'adressaient
alors les communications et les démarches des réformés fran-
çais et des chefs catholiques empruntant le nom du roi ou celui
de Catherine, se diversifiait vis-à-vis des uns et des autres.
Philippe II, le duc de Savoie, la papauté, et quelques États
d'Italie, applaudissant aux excès commis par le triumvirat et
ses suppôts, se montraient, divers documents en font foi, prêts
à saisir l'occasion de lancer des troupes sur le territoire fran-
çais pour y concourir à l'extermination des hérétiques.
En Allemagne, « les princes protestans étaient tellement
)) abreuvés des bruits que le triumvirat avait fait courir, qu'ils
» ne vouloient entendre à donner secours; bien accordoient-ils
» d'envoyer ambassadeurs en France pour traiter de la paix ; et
» s'il leur apparoissoit que le roy et la reyne fussent captifs,
» comme on disait, alors ils adviseroient à tous nouveaux
— 89 —
ï) moyens de procéder. Suyvant doncques cette conclusion,
» un gentilhomme fut dépêché par eux à la cour afin d'obtenir
» passeport pour leurs ambassadeurs ; mais il fut tellement
)) promené et entretenu, que tout cela s'en alla en fumée ^ »
En Suisse, les cantons évangéliques, quelle que fût leur sym-
pathie pour les réformés français, croyaient ne pouvoir rien
faire de plus en leur faveur que mettre obstacle, en ce qui
dépendait d'eux, aux levées provoquées, sous le nopi du roi de
France, par les triumvirs. Les appréciations de ces cantons
sur ce poiïit se reflètent dans ces lignes ^, adressées, le 20 avril,
aux magistrats de Genève par l'avoyer et le conseil de Berne :
y> Nobles, magnifficques seigneurs, singuliers amys, très
y> chers et féaulx combourgeois, à vostre bonne grâce très
y> affectueusement nous recommandons. Nous avons entendu
)) le contenu de voz lettres et de mesmes la charge du commis
)) de M. le prince de Gondé et les pièces qu'ils nous a présenté
)) de la part de Son Excellence, contenant en soubstance trois
» poincts sur lesquelz avons deslayé lui faire responce jus-
y> ques ad ce que noz alliez de Zurich, Basle, Schaffouze et
y> Saint- Gall (aulxquelz la charge dudict commis est adressée
» comme à nous) se seront déclairés de leur intention. Gepen-
)) dant et sans vous cacher la nostre (synon que la résolution
» de noz ditz alliez nous face changer propos) délibérons faire
» responce, quant au premier chef, de prier Dieu pour la con-
y> servation de ses églises affligées, nous y avons desjà donné
1 . Bèze, Hist. eccL, t. II, p. 82. — « The elector palatine, the dukes of Wur-
» (omberg and Neuburg, the Landgrave, and Charles marquis of Badén will
» send an embassy into France in the name of the protestant princes lo allaythe
» dissenlions there, and to ask that thesame liberty of religion may be allowed
> as was granted by the edict of january. The envoys will assemble hère by the
» 8 of june. » Mundt to Cecil. Strasburg, 19 mai 15G2 (Calencl. of State pap.
foreign). — Mundt to Cecil, 23 juin 1562, ibid.
2. Archives de la ville de Genève, no 1716. — Voy. aussi une lettre deBullinger
à Calvin, du 3 mai 1562 (Op. Calvini, vol. 19, p. 401 à i03, n° 3781).
— 90 —
y> ordre et le ferons dadvantage. Quant est de ne favoriser aux
)) adversaires et ne leur donner passage, nous avons faict très
» estroictes deffences à nos subjectz de se laisser persuader
» d'aller au service d'aulcun prince ny cappitaine sans nostre
y> commandement, et qu'empescherons tant que possible nous
» sera les esmotions de nos alliez qui sont suspects de volonté
)) contraire. Touchant le tiers point, de l'ayde et assistance
)) requise par ceulx de nostre religion en France, nostre
» excuse est telle et sy raisonnable que nous espérons que Son
)) Excellence s'en contentera, assçavoir est que la grande dis-
» tance et incommodité de passages, les troubles mesmes qui
)) pour le jourdhuy sont en ce pays des Ligues, à cause de la
y> religion, et mesmes les dangiers à présumer du costé de mon-
» sieur de Savoye nous gardent et empeschent de gratifier à
» Son Excellence, attendu, comme dict est, les factions et
» craintes assez apparentes de quelques troubles domestiques,
ï priant Son Excellence de prendre nostre excuse en bonne part,
)) et se contenter de la très bonne affection qu'avons à la pros-
)) périté du royaulme de France en général, et de son estât, en
» particulier, imputant aux difficultés du temps ce qu'en nostre
)) endroict deffaut à son contentement. 3>
Lorsque, quelques jours plus tard, se discuta, dans une
assemblée extraordinairement convoquée à Soleure, la question
d'une levée de nombreuses enseignes, que réclamaient, au nom
du roi de France, Frœlich et Pasquier *, dont la ténacité con-
trastait avec les vues modérées et pacifiques de l'ambassadeur
Goignet \ les représentants des cantons évangéliques appuyè-
rent les agents de G onde dans leur opposition à la levée dont il
s'agissait. « Il y en eut, en cesie journée (de Soleure), qui re-
» monstrèrent de la part du prince que ce que les ligues mal
» informées penseroient faire pour le roy et sa couronne seroit
1. Bèze, Hist. eccl., t. II, p. 81.
2. Id., Jbid.
— 91 -.
)) tout au contraire, requérant que, s'ils doubtaient de la jus-
» tice et bonne cause que maintenoit le prince pour le bien du
)) roy et du royaume, outre ce qu'on leur en feroit apparoir par
» les propres lettres de la royne et par gens dignes de foy, il
» leur pleust envoyer de leurs députés en France, aux despens
» du prince, pour en savoir la vérité sur les lieux. Davantage les
3) ambassadeurs des cantons de Zurich, Berne, Bâle, SchafFouze,
» Glaris et Appenzel leur remonslrèrent qu'il falloit plutost
» esteindre le feu qu'y mettre du boys; mais Frœlich, voulant
» tenir la promesse qu'il avoit faite inconsidérémment, à savoir
» de faire incontinent ceste levée, et les persuasions dont usèrent
» les ambassadeurs du pape et du roy d'Espagne donnèrent à
» entendre aux cantons de Lucerne, Uri, Schwiz, Underwalden
» et Zug que leur repos et grandeur dépendoit de la défaite
» des huguenotz en France, comme ils les appeloient, empes-
)) obèrent le fruit de ces remonstrances"*. 9
1. Bèze, Hist. eccL, t. II, p. 81. Zerkintes Calvino, 20 april. 1562 (Op.
^alvini, vol. 19, p. 39i, n" 3775). — Bullingerus Calvino, 20 april. -1562 (Ibid.,
p. 393, n» 3774): « Legalus Solodori (Coignet) omnem movet lapidera ne Hel-
» vetii mittant milites ad occidendura, sed pacificatores ad pacem componen-
i dam. Quin tamen régis nomine jubetur militera postulare a legatis Helveticis
* qui convenient 26 aprilis, non potest régis literas opprimere , maxime quîim
» Frœlichius missus ex aulàmirificé satagat et mittat per eantones, horteturque
» ut festiaent Coignetius hàc in re suspectus mibi non est. » — Bullingerus
Calvino 23 april. i562 (ibid., p. 395, n» 3776) : c Scribo Basiiiam, Schaffuzium,
» sangalluni et ad Rhœtos. Hortor, obstent ne concedatur postulatis regiis i.
» Guisianis nules. Comraunico illis orania quae accepi communicanda. Tbeobal-
» dus ab Erlachs Bernas hùc non venit. Sed magistratus Bernensis scripsit ad
ï amplissinum senatum urbis bujus, communicant invicem consilia, ac satis
» certo scio iilos in boc consentire ut impediant Frœlichii consilium. Festinat is
» et cupit militera abducere Guisianis et conjuratis. > — Bullingerus Calvino,
J2 raaii 1562 (Ibid., p. 400, n» 3784) : « D. Coignetius literas nostras optime
> curât. Is etiam se optime in hàc causa gessit et gerit adbuc, régi et condensi
j fidelis. Quod faciljussus literis adulterinis ac Guisianis frigide facit qui-
> dam arbitrantur omninô legionem ducendam fore. Ita urget et satagit Frœli-
» chius capitaneus, quo nomine invisissimus est Coignetio. Ac dicitur Frœlichio
y> dixisse, meminerit^ beneûciorum acceptorum ex Gallia, et quod Navarreus,
» Conestabilis, Guisius et mareschaldus (Saint-André) non sint Gallia, sed
— 92 —
L'Angleterre, quoique portée autant par calcul que par sym-
pathie religieuse en faveur des réformés français, se contenait,
pour le moment, dans les limites de la réserve et' de l'expecta-
tive; se bornant à adresser, ici au gouvernement, là à Gondé
et à ses compagnons, des conseils et des vœux tendant à
l'apaisement des troubles qui agitaient alors la France * :
Goligny, entrant sur ce point en relation directe avec
Elisabeth, dont il ignorait les secrets desseins, lui expé-
dia d'Orléans, le 20 mai 1562, une lettre^ portant, en sub-
stance, ce qui suit : « L'amiral a vu la bonne volonté qu'a
» laroyne d'Angleterre d'apaiser les troubles de ce royaume
» et la bonne démonstration qu'elle fait pour le roy et pour
» ceux qui sont icy. De leur costé, ils n'ont tendu à autre
» but qu'à voir le repos establi en ce royaume, comme on
» a pu clairement en juger par le manifeste du prince de
y> Gondé. Tant s'en faut pour lui qu'il ne recherche les moyens
)) de pacification, que tout le monde sçait à quel debvoir il
» s'est tousjours mis ; mais de tant plus on a essaie de faciliter
» les choses, de tant moins ceux qui en sont les autheurs y
j) polior pars sit ex parte adversà. » — BuUingerus Calvino, 18 maii 1502
(Ibid. p. 409, no 3791) : « Legatus Coignetius graviter conquerilur de Froli-
» chio. Is unicè urget hoc negotium. Scriptae sunt in aulara litterae Soloduro,
■» quibus accusatur legatus quasi ipse impediverit quominus hactenùs miles
» missus sit. At dicit spe bouâ ipsum sustentari et expectare auxiliai'em dei
» manum. Proderit si scriptis literis confirmaveris ipsum, quod et ego facio. »
— BuUingerus Calvino 5, junii 1562 (Ibid., p. 429, n° 3 799) : « A^j^iio ipsi coig-
» nitio raalum strui ingens. Si vicerit Guysius, quod averlat potens Dei nostri
» manus, factum erit cùm coignetio. »
1. Voy. : 1° Instructions for sir Henry Sidney, 28 avril 1562 {Calend. of State
pap. foreign). — 2» Sidney and Throckmorton lo the queen, 8 mai 1562.
{Ibid.). — 3» Throckmorton to Cecil, 8 mai 1562 {Ibid.). — 4° The queen
to Throckmorton and Sidney, 10 mai 1562 {Ibid.). — 5" The queen to the
pnnce of Condé, 10 mai 1562 {Ibid.). ^ 6° The queen to the Admirai, 10 mai
1562 (Ibid.).
'^.Record office, Statee papers. France, vol. 22. — De Laferriére, le xvie
Siècle et les Valois, p. 68-69. - Voy. aussi une lettre de Coligny à Throck-
morton, du 30 mai 1562 {Calend. of State pap. foreign).
— 93 —
» ont voulu entendre. Il remercie la royne de ses bons offices
y> pour la pacification et l'engage à y persévérer. »
Des faits qui viennent d'être sommairement retracés résulte
la preuve d'une position nettement prise dès le début par
Condé et par les chefs réformés, en France vis-à-vis de leurs
coreligionnaires et à l'étranger vis-à-vis des puissances, dont
les unes leur étaient hostiles, et les autres, tout en inchnant
vers eux, ne leur assuraient cependant encore aucun concours
direct.
A la netteté de la position ainsi prise devait correspondre
le sérieux des efforts à faire pour la consolider. Ces efforts
furent simultanément dirigés en un double sens : ils tendirent
d'un côté à l'accroissement et à l'organisation des forces néces-
saires au succès de la défense entreprise, et de l'autre à l'éli-
mination des entraves au moyen desquelles les adversaires
espéraient retarder la mise en jeu de ces forces et même les
paralyser.
Et d'abord, en ce qui concernait l'accroissement de leurs
forces, les chefs réformés adjoignirent en quelques semaines,
aux gens de guerre qu'ils avaient amenés à Orléans, les contin-
gents que leur fournirent diverses localités voisines de cette
ville et plusieurs provinces. Ils réunirent des approvisionne-
ments,des munitions, et obtinrent, çà et là, des Églises cer-
tains subsides, à l'insuffisance desquels quelques-uns d'entre
eux cherchèrent à remédier par les prélèvements volontaires
qu'ils firent sur leur propre fortune. Il était difficile, du reste,
que cette source spéciale d'allocations se renouvelât, à raison,
tant de la perte désormais inévitable des émoluments attachés
à leurs fonctions ou dignités, que de la saisie imminente de
leurs revenus et du fond même de leurs biens par le gouverne-
ment, qui les désavouait.
Au surplus, la réunion à Orléans d'un effectif de quelques
milliers d'hommes généralement aguerris constituait déjà dans
^ 94 —
les premiers jours de mai un noyau de forces d'autant plus
consistant, que son organisation, due en grande partie à
l'amiral, s'appuyait sur la fermeté d'une discipline à la fois
militaire et religieuse ^ De là cette observation fort juste de
de Lanoue^ : « Il faut entendre que si M. le prince de Gondé
y> sefeust trouvé alors avec peu de forces, il eust esté accablé ou
» assiégé. Mais quand on vit qu'il estoit puissant pour tenir la
» campagne en sujétion et qu'il parloit un langage aussi brave
» à ses adversaires que doux au roy, on ne le pressa pas beau-
» coup, et par ce moyen il eut temps de se prévaloir de plu-
» sieurs choses. Voilà le profit qui lui revint de s'estre trouvé
> fort, au commencement. »
Les réformés, dans les provinces, se montrèrent en ce qui
dépendait d'eux ses imitateurs.
La nouvelle du massacre de Vassy, promptement répan-
due d'une extrémité de la France à l'autre, avait été par-
tout le point de départ d'une série d'entraves apportées aux
réunions religieuses et de persécutions exercées au mépris, de
l'édit de janvier, par la partie fanatique des sectateurs du catho-
licisme ^ . Sous le coup de ces persécutions, les réformés, invo-
quant, à l'exemple de Gondé et de ses associés, le droit de légitime
défense*, se comptèrent, prirent les armes et s'emparèrent des
villes dans lesquelles ils avaient pour eux la supériorité soit
\. Voy. Appendice, n» 14.
2. Disc, polit, et milit.t p. 653.
3. Voy. Appendice, n° 15.
A. « Il est à noter pour jamais, que, tant qu'on a fait mourir les réformés sous
> ta forme de la justice, quelque inique et quelque cruelle qu'elle fût, ils ont
» tendu les gorges et n'ont point eu de mains ; mais quand l'autorité publique,
» le magistrat , lassé des feux , a jeté le couteau aux mains des peuples et,
» par les tumultes et grands massacres de France, a ôté le visage vénérable
* de la justice et fait mourir, aux sons des trompettes et des tambours le voisin
» par son voisin, qui a pu défendre aux misérables d'opposer le bras au bras,
•» le fer au fer, et de prendre d'une fureur sans justice la contagion d'une juste
» fureur? » (d'Aubigné, Hist. univ., t. 111, liv. V. ch. II.
— 95 —
du nombre, soit de l'énergie. En peu de temps, Blois, Tours,
le Mans, Rouen, le Havre, Dieppe, Gaen, Poitiers, Bourges,
Lyon et d'autres places encore tombèrent en leur pouvoir *.
Du centre de la France, le mouvement se propagea dans des
directions diverses, et principalement au sein des provinces du
midi, en Gascogne, en Languedoc, en Provence, en Dauphiné.
De tous ces points du territoire, plus ou moins reliés les uns
aux autres par d'actifs efforts de communication, les regards se
portaient sur Orléans, comme sur le foyer principal de la
résistance opposée aux agressions des ennemis de la religion
évangélique et de la royauté.
Ceux-ci, dans l'espoir de faire tomber cette résistance, eurent
recours à des expédients auxquels la réunion des chefs réformés
ne se laissa pas prendre.
Ils avaient commencé par faire « publier et enregistrer à la
» cour de parlement, le 9 avril, des lettres par lesquelles ils
y> faisaient déclarer au roy que le bruit de sa captivité était une
)) fausse et mensongère calomnie...; estans venus le roy et la
» royne de leur plein gré à Paris et y estans en telle liberté
» qu'ils pouvaient désirer^ ».
Le 14 du même mois, ils firent présenter au parlement de
Paris, par les deux grands adversaires de l'édit de janvier,
François de Lorraine et Anne de Montmorency, une déclara-
tion royale du 11 qui, laissant subsister l'exercice public de la
nouvelle religion dans les lieux où il était établi, le proscrivait
expressément de Paris et de sa banlieue, sous le prétexte qu'il
1. < Voylà donc la religion si haussée, si bien relevée et fortiffîée, qu'à ceste
î prise des armes première, tout à coup quasi toutes les meilleures villes de
» France furent surprises par ceulx de la religion; qui fut un très grand cas
A De toute ceste grande et admirable et incrédule entreprise fut le seul autheur
» et conducteur, M. l'admirai. Par là on peut cognoistre quel grand capitaine
> c'a esté. > Brantôme, t. IV, p. 292.
2. Bèze, Hist. eccL, t. II, p. 21
— 96 —
n'eût pu y être toléré sans occasionner des troubles *; décla
ration abusive, puisqu'elle portait à l'édit de janvier une atteinte
injustifiable, qui frayait la voie à d'autres atteintes du même
genre devant immanquablement se produire dans les villes où
dominerait une majorité catholique disposée à transformer ses
appréhensions en justification de son intolérance.
Le 21, ils firent adresser k Condé par le parlement de Paris
une lettre '^ ayant le caractère d'une admonestation menaçante.
A ces manœuvres de ses adversaires le prince répondit, le 25,
par une déclaration ^ plus explicite encore que celle qu'il avait
publiée le 8.
Cependant Catherine n'avait cessé d'agir auprès de lui pour
qu'il mît bas les armes. Elle lui avait, à cet effet, adressé de
vives instances, soit par lettres, soit par l'intermédiaire de Gon-
nor, de l'Aubespine, du cardinal de Châtillon et d'autres per-
sonnages! Condé, dans des lettres où il protestait de son
dévouement à la royauté, avait constamment répondu qu'il ne
désarmerait qu'après avoir obtenu des garanties sérieuses en
faveur de la cause soutenue par lui et par ses associés ^.
En attendant qu'intervinssent ces garanties, dont la réalisa-
tion leur semblait, d'ailleurs, de jour en jour moins probable,
Condé et Cohgny, quelque occupés qu'ils fussentà faire rayonner
au dehors leur activité et à la combiner avec celle de plusieurs
chefs réformés dans les provinces, n'en veillaient pas moins
avec une incessante sollicitude sur les moyens de donner satis-
faction aux graves intérêts qui, à Orléans, s'abritaient sous leur
patronage. •
1. Bèze, Hist. eccl., t. II, p. 21-22. — Journal de Bruslart [Métn. de Coudé)
1. 1, p. 82 à 83) et Mém. de Condé, t. III, p. 256 à 258.
2. Bèze, Hist. eccl, t. II, p. 23 à 26.
3. Ici. Ibid., p. 27 à 29, et Mém. de Condé, t. III, p. 319 à 333.
4. Lettres de Condé à la reine mère et au roi, des 19 avril 1562 {Mém. de
Condé, t. III, p. 300-301), 25 avril (Bihl. nat., mss.f.fr., vol. 6607, f» 1), 29 avril
(Ibid., vol. 6607, f° 57), l^-" mai {Mém. do Condé, t. III, p. 387-388).
— 97 —
Ils voulaient, notamment, que l'ordre qui régnait parmi
leurs troupes s'étendît à toute la population de la ville, qu'une
égale protection fut assurée aux habitants, sans distinction
d'âge, de rang, de fortune, ni de croyance; et que dès lors les
catholiques pussent, de même que les réformés \ pratiquer
librement leur culte.
(c Le prince appela le clergé et leur protesta de ne les vouloir
y> empescher aucunement en leur service ordinaire; et furent
)) mesmes ceux de la religion plus chargés d'hostes que leurs
)) contraires; mais la plupart de ceux qu'on appelle ecclésias-
» tiques ne s'y fiant point, aima mieux quitter le lieu, se reti-
» rant sans danger où bon leur sembloit : et ceux qui y demeu-
» rorent, fùst par crainte ou autrement, tindrent leurs églises
y> fermées, faisant les sermons tant au cloistre Sainte-Croix
)) sous les ormes, que dehors la ville au fauxbourg du Portereau,
)) mais cela ne dura pas beaucoup, quelque ordre qu'on y sçeust
y> mettre : de sorte que, le 21 du mois d'avril, quelques églises
)) se trouvèrent avoir esté ouvertes la nuict et quelques, images
)) abattues, et de là en avant il n'y eust ordre de pouvoir empes-
» cher qu'en moins de rien il ne s'en lit une merveilleuse exécu-
» tion, combien que le prince avec l'amiral et autres de leur
» suite accourans au grand temple de Sainte-Croix y donnassent
» coups de basions et d'espée... Quant aux reliques et orne-
» mens, ordonnance fut faite et publiée de bonne heure de ne
» s'en approprier chose quelconque, sous peine de la vie; ce qui
)) fut, au commencement, assez bien observé, mais pour ce que
1. « Or, avoit esté le synode national, dès devant les troubles, assigné à
» Orléans, suivant laquelle assignation, combien qu'à cause des troubles les
> députés de plusieurs provinces ne comparussent, ce néaatmoins assez bon
» nombre de ministres et anciens s'y trouvèrent. Le synode commença le 29 du
» mois d'avril, auquel le prince avec l'amiral et autres grands seigneurs firent
» cet honneur d'assister, tant pour l'authorizer par leur présence, que pour
» entendre les saints et sages discours et résolutions qui s'y firent. » (De Dèze,
Hist. ceci., t. II, p. 33.)
II 7
— 98 —
j> quelques prestres estoient contens d'accuser les cachettes en
» particulier à quelques soldats pour y avoir leur part, plusieurs
» larcins se commirent, combien que les ministres criassent en
y> chaire tant qu'ils pouvaient et que le prince fist ce qui luy
» estoit possible* . »
Ainsi, il est certain que des ordres précis et rigoureux avaient
été donnés pour assurer le, respect dû aux édifices religieux; et
que, chaque Ibis que ces ordres furen*. enfreints, Condé et Coli-
gny déployèrent contre les destructe-urs d'images et les auteurs
ou complices de vols commis dans les églises, une juste sévé-
rité qui, à leur grand mécontentement, ne put pas toujours ar-
rêter les excès des coupables.
Dans les derniers jours d'avril, a l'abbé de Saint-Jean de
y> Laon, duquel le cardinal de Lorraine se servit comme d'un
y> entremetteur, fist un voyage à Orléans, pour essayer de moyen-
3) ner quelque pacification^». Il apportait une lettre de la
reine mère, à laquelle Condé répondit par une dépêche du
l"mai^ et par un mémoire daté du 2, indiquant les conditions
sous lesquelles, seules, on pourrait pacifier les troubles* . Au
premier rang de ces conditions, il plaçait le maintien de l'édit
de Janvier, sans restriction.
« Ce mémoire reçu à Paris esmeut le triumvirat à se décla-
)) rer plus ouvertement que jamais ; de sorte qu'il présenta
)) deux requestes (du 4 mai) contenant les moyens du tout
y> contraires à ceux du prince^ » et tendant, en première
ligne, au complet anéantissement de l'édit de Janvier.
Une réponse évasive fut faite, le même jour, 4 mai, par le
1. Bèze, Hist. eccL, t. II, p. 32-33.
.2 Ib., Ibid., p. 38.
3. Mcm. de Condé, t. III, p. 387-388. — Bèze, Hist. eccl., t. Il, p. 38.
4. Bibl. nat..mss. f. fr. vol. 6 607,fo^ 18-19. — Mm. de Condé, t. III, p. 384
à 387. — Béze, Hist. eccl., t. II, p. 39 à 42.
5. Bibl. nai. mss. f. fr. vol. 6611, f>' 27,28,29; vol. 6620, f> 192; — Mém.
de Condé, t. III, p. 392; —Bèze Hist. eccl., t. II, p. 42.
- 99 —
roi, la reine mère et Antoine de Bourbon au mémoire de
Condé ^ .
(( On ne laissait donc de plaider par escrit, fùst qu'une
)) partie taschast d'endormir l'autre, fûst que quelques-uns tas-
» chassent à la vérité de pacifier ces troubles, par quelque
)) bon et doux moyen. Ce que je puis assurer, ajoute de Bèze- ,
)) avoir esté pour le moins l'intention du prince et des seigneurs
» de son conseil ; insistans les ministres de tout leur pouvoir à
)) faire, s'il était possible, qu'on n'en vinst point jusques à l'ef-
» fect des armes, combien qu'ils exhortassent soigneusement le
» prince et sa suite à ne se lasser de rendre leur devoir pour la
)) conservation de la religion et de Testât. »
Coligny, qui souffrait, à tous égards, de voir son oncle le
connétable associé aux méfaits des Guise et de Saint- André,
crut le moment venu de chercher à le détacher du triumvirat.
€ Monseigneur, lui écrivit-il, le 6 maif , encore que ce por-
)) teur m'eûst fort sollicité, la première fois qu'il vint devers
» moy, de vous escripre, si ne me le sembla-il pas raison-
)) nable, craignant que vous eûssiés mes lettres aussi peu
y> agréables que les remonstrances que quelquefois M. le cardi-
y> nal de Ghastillon et moy vous avons faites; et ce qui m'en a
)) donné plus de témoignage, c'est le propos que j'avois tenu
)) dernièrement, à mon parlement de Paris, à M. le mareschal
y> votre filz, lequel ne m'aiant faict nulle response là-dessus, je
)) puys bien penser que vous ne luy en aviés pas faict qui me
)) deust guères contenter. Or, m'ayant ce porteur encore solli-
3) cité cette fois de vous escripre, j'ay esté content de le faire,
y> vous ayant tousjours aymé, honoré, servi et respecté comme
)) père, et ne voulant point mettre en considération en votre
1. Bèze, Hist. eccL, t. II, p. 48 à 50.
2. Ib., Ibid., p. 38.
3. Bibl. nat. mss. V. Colbert, vol. 24, f»' 111-112.— J|/m, de Condé, t. !i!,
p. 441 à 443.
— 100 —
)j cndroict ce que je lerois en d'aullrcs, voire quant j'aurais tout
)) le droict de mon costé; je suys content, entre vous et moi, de
:» me donner le tort plus tost que de venir en contestation. Si,
yi vous suppliré-je, monsieur, de vous proposer les troubles qui
)) sont aujourd'hui en ce royaulme et les inconvéniens en quoy
» nous alons tomber, si Dieu n'y met la main. Qui en est la
)) cause, je m'en rapporte, à toutes les personnes de sain juge-
)) ment; mais, en ce qui vous touche, je vous supply vous sou-
» venir entre les mains de qui vous estes, et si ceulx de qui
j) vous vous estes alié ne sont pas ceux qui ont jure et pour-
)) chassé vostre ruine et celle de toute vostrc maison. Je m'en
)) rapporte à l'expérience que vous en feistes durant votre pri-
)) son, en tout le règne du feu roy dernier et du commence-
y> ment de cestuy-cy, et ce que vous m'en avés par plusieurs
)) fois dict. L'on tient que le plus habile homme du monde
)) peult estre trompé pour une fois; mais, de l'estre davan-
)) tage, c'est pour estre moqué. Je vous supply aussy, monsieur,
» vous souvenir si toute la haine que ceulx-là portent à mes
)) frères et à moy n'est pas pour vostre seul respect, car l'on
» sçait assés, qu'au commencement du règne du roy Henry,
)) combien nous estions bien ensemble, et qu'il eûst esté aisé de
3) nous y entretenir; mais les malcontentemens que vous aviez
)) d'culx et les maulvais offices que ordinairement vous nous
)) disiés qu'ils faisoient contre vous, nous en ont faict eslongner,
)) avecques ce quedepuys ils nous ont faict assés congnoistre la
)) maulvaise voulunté qu'ils nous portoient à tous. Et mainte-
)) nant, je ne sçay, monsieur, si vous estes seul à vous apejce-
» voir que de ce qui se faict on se prendra à vous de tout le mal,
)) et que de tous estats et principalement de la noblesse vous
)) lUL'ttés une haine pour héritage en vostre maison, pour agran-
)) dir voz ennemys qui ne peuvent avoir cette grandeur que par
)^ la ruine de voz plus proches parens et de la plus grande part
■» de la noblesse de ce royaulme. Mais, premièrement, il fault
— 101 —
y> avouer que ce sera l'entière ruine de tout ce royaulme, car
5 toute la compagnie qui est icy n'est pas délibérée de se laisser
3 prendre au piège; et toutainsy que l'on ne veult point donner
» la loy à ceulx de l'Église romaine, aussy ne veult-on point re-
» cevoir la loy d'eux; et ce qui nous fait à tous plus de mal,
» c'est que l'on abuse de l'autorité du roy et de la royne. Les
3) moiens pour pacifier tous ces troubles avoient esté envoyés
3) par l'abbé de Sainct-Jehan, mais la response qu'il en rapporta
» hier monstre assez que c'est la ratouère de quoy parlait le
» cardinal de Lorraine avant la mort du feu roy dernier, en
y> ceste ville. Dieu sera juge, à la fin, de toutes nos intentions ;
» mais je proteste devant Dieu que toute la trouppe qui est en
y> ceste ville n'avons point pris les armes contre le roy et son
» auctorilé, ni contre ceulx qui tiennent la religion de l'Egnse
» romaine, mais au contraire que nous les avons paur maintenir
)) le roy et son auctorité et empescher les forces et violences
» dont l'on usoit à l'endroit de ceulx de notre religion contre
y> la voulunté et intention du roy, de la royne et de leurs édicts.
)) Pour conclusion, je vous supply, penssés qu'il n'est pas rai-
)) sonnable de recepvoir la loy de ceulx qui sont directement
j» parties, et que l'on ne la veult ny ne peult-on recepvoir que du
y> roy. Monsieur, vostre sage jugement pourra aviser à se résoul-
y> dremieulxqueje ne le vous sçaurais conseiller, mais je vous
3) supply, penssés que l'un des plus grands regrets que mes
» frères et moi ayons, c'est de vous voir de ceste partie; et
y> quant à moy, n'ayant que le service de Dieu et du roy devant
y> les ieulx, il m'est aisé de me résouldre. Monseigneur, je me
y> recommande très humblement à vostre bonne grâce, et pry
:s> nostre seigneur vous donner en santé très bonne vie et lon-
D gue. D'Orléans, ce 6 de mai 4562. — Votre très humble et
3) très obéissant neveu, Chastillon. »
Les respectueuses instances de Coligny ne purent détourner
le connétable de la voie, funeste dans laquelle il s'était engagé :
— 102 —
La réponse de l'oncle au neveu ^ fut celle d'un homme aveuglé
par les préjugés et par la passion.
Catherine avait chargé l'abbé de Saint-Jean de remettre à
Coligny une lettre par laquelle elle le pressait de faire des con-
cessions, auxquelles elle devait cependant pressentir qu'il accé-
derait d'autant moins que, dans leurs deux requêtes du 4 mai,
connues de lui, les triumvirs venaient de se démasquer com-
plètement, à ses yeux, en insistant pour que l'édit de Janvier
fût mis à néant. Coligny connaissait, en outre, ces paroles que
Catherine avait adressées, le 5 mai, aux ambassadeurs d'An-
gleterre, Sydney et Throckmorton : ce Le prince de Condé étant
y> le propre parent du roi, et l'amiral étant son conseiller et son
)) bon serviteur, ils seront, j'en ai confiance, assez bien avisés
)) pour entendre raison sur ce qu'on leur a offert, et pour ne
y> pas persister avec opiniâtreté dans des opinions et une con-
)) duite capables de causer des troubles dans le royaume de
^) mon fils, et leur propre ruine et deshonneur. Le roi leur a
)) envoyé dernièrement des conditions qu'ils ne peuvent qu'ac-
y> cepter, s'ils sont bien avisés ^. »
L'amiral tint alors à Catherine le ferme langage que voici ^ :
-» Madame, Vostre Majesté auroit peu entendre par l'abbé de
)) Saint-Jean pourquoy dernièrement je n'avois point faict de
» réponse à la lettre qu'il vous avoit pieu m'escripre par lui,
» et, pour y satisfaire maintenant, je vous supplie très humble-
3> ment de penser qu'il n'y a gentilhomme en France qui plus
)) désire vous voir contente et ce roïaume en repos, que moy, et
» n'auray point de besoing d'user de persuasion à l'endroict de
» monseigneur le prince de Condé pour l'inciter à cela, car,
» comme je vous ay desjà mandé, tout le but de ses intentions
» ne tire que là, ny de tous ceux qui sont en ceste compagnie;
4. Voy. Appendice, n» 16.
2. Throckmorton et Sidney à Elisabeth, 8 mai 1562.
3. Lettre du 11 mai 1562. (Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 6 620, f-207.)
— 103 —
» mais, Madame, je vous supplie me pardonner si je vous dicts
» que tous ceulx de ceste dicte compagnie, et moy avecques
y> eulx, trouvons merveilleusement rude qu'on nous charge que
)) nous ne gardions la fidélité au roy que nous îuy désirons, en
» nous impatronisant des villes et en saccageant des temples.
y> Quant aux villes, je ne puis bien respondre que de ceste-cy
)) (Orléans), de laquelle je puys asseurer le roy estre plus abso-
» lument roy qu'il ne fut jamais, et je n'ay point encore ouy dire
» qu'il y en ait aulcune qui se soit distraite de son obéissance;
» et, où ainsy seroit, le roy n'a poinct de serviteurs qui plus
)) vouluntiers employent et biens et personnes pour la luy faire
)) rendre, que nous ferons tous veoir à noz despens. Quant au
» saccagement de temples, la justice exemplaire de ceulx qui
)) ont commis telles choses démonstre assez si c'est chose que
» monsieur le prince et ceulx de sa troupe approuvent. Vous me
» mandez. Madame, que vous ne penserez plus que ce soit reli-
y> gion qui nous anime, si nous n'acceptons les conditions que
» cet abbé de Sainct-Jehan nous avoit apportées; mais après
y> avoir veu d'où elles ont esté extraictes, je ne demande aultre
)) chose pour asseoir ung bon et certain jugement à quoy len-
» doient les desseins de ces messieurs qui disoiem tousjours
» qu'ils ne vouloient point s'enquérir des consciences des per-
» sonnes, car aujourdhuy il n'est point question de Paris et de
ï> la banlieue seulement, mais de l'entière subversion et ruine
» de toutes les églises réformées de ce royaulme, de la priva-
)) tion des estats et offices, grands et petits, et, soubs une belle
» couleur, de la confiscation des biens. Je n'avois jamais doubté,
3) Madame, et vous le savez bien, que leur dessaing ne fust tel;
)) mais j'eusse mal aisément creu qu'ils l'eussent ainsy osé
)) manifester. C'est Dieu qui faict et conduict toutes choses pour
)) le mieulx, et pour laisser juges tous princes chrestiens et toutes
y> personnes de sain jugement à qui se debvra donner le tort, ou
)) à ceulx qui, les premiers, contre la voulunté de leur roy, ont
— 104 —
3) pris les armes pour destruire une religion, et, par conséquent,
» tout le royaume, ou à ceulx qui ne les ont prises que pour
» défendre l'ung et l'autre, et qui ne vouloient nullement trou-
» bler les autres en leurs services et cérémonies accoustumées.
)) Il est bien besoing que Dieu mette la main à ces troubles;
)) ainsy ne me deffiay-je point qu'il ne favorise les siens et qu'il
3> ne fasse sentir Sa main pesante à ceulx qui luy font guerre
3) et qui se bandent contre luy. Je vous supplye très humble-
» ment Madame, pour fin de ceste lettre, croire que vous trou-
y> verez tousjours en ceste compagnie toute servitude, loyaulté
)) et obéissance, mais que nous ne nous mettrons jamais à la
» merci de ceux qui nous sont juges et parties, comme il appa-
y> raît clairement par la requeste qu'ils vous ont présentée; et
» pour ce debvroient-ils estre si raisonnables que de se récuser
)) eulx mesmes comme trop su'spectz en toutes les despesches
)) que l'on nous .faict ou que l'on reçoit de nous, et générale-
» ment en toutes choses qui nous touchent. Madame, je prie
•j) noslre Seigneur vous assister de ses grâces et vous donner en
)) parfaite santé très heureuse et très longue vie. D'Orléans, ce
» 11 mai 1562. »
Cette lettre de l'amiral fut, à peu de jours dïntervalle, accom-
pagnée de diverses dépêches que Condé adressa à la reine-
mère \ alors qu'elle avait député vers lui Montluc, évoque de
Valence ^, de Vieilleville et le comte de Villars ^, munis d'in-
structions particulières.
De ces diverses lettres de Condé, celle du 19 mai ^, conte-
1.8 mai d562 (Bihl. nat.,mss. f. fr., vol. 6 607, f» 52, et vol. 6620, f» 201);
dl mai 1562 (Ibid. vol. 6607,^21); 20 mai 1562 (ilfm.de Condé, t.- III,
p. 410); 22 mai 1562. (Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 0 607, f« 30.)
2. Lettre de Montluc à Catherine, du 11 mai 1562 (liibl. nat., mss. f. fr., vol.
6607, f» 23, et 6 620, ^211).
3. Lettre de Condé à Catherine, du 22 mai 1562 (Bibl. nat., mss. f. fr., vol.
6607, f 30.
4. Bèze, Hist. ceci., t. II, p. 52 à 74.. — Mém. de Condé, t. III, p. 395 à
416.
— 105 —
nant une longue et énergique réfutation des deux requêtes des
triumvirs, se terminait ainsi * :
y> Soit ma demande rapportée et mise en parangon avec la
» leur (celle des triumvirs). Je demande l'entretenement de
)) l'édii de Janvier : et ils veulent, de leur authorité, le casser
y> et abolir. Ils demandent la ruyne d'une infinité de maisons,
y> tant de la noblesse que du tiers-estat. Je demande et désire
y> que tous les sujets du roy, de quelque qualité qu'ils soient,
y> soient maintenus et gardés en leurs estais, en leurs biens, et
» préservés de toute injure et violence. Ils veulent exterminer tous
» ceux de la religion réformée : et je désire que nous soyons
)) réservés au temps que le roy sera en sa majorité, auquel
y> temps nous obéirons à ce qui luy plaira nous commander :
)) et cependant que ceux de l'église romaine ne*soyent troublés,
» molestés ny empeschez en leurs biens, ny en l'exercice de
» leurs charges. Ils demandent une force d'armes pour exécu-
y) ter ce qu'ils ont entrepris, et ne regardent pas qu'ils con-
» traindront une infinité de gens de bien à se défendre. Ils ne
)) regardent pas le peu de moyen qu'on a de despendre, ni les
y> incommoditez et ruines que la guerre civile apporte. Et qui
» pis est, ils ont appelé et se sont signés à faire venir les armes
» estrangères ; qui est à dire en bon langage, mettre en proye
» ce royaume. Au contraire, je ne demande point que les armes
)) me demeurent en main, je n'employé point l'argent du roy,
)) je n'appelé point les estrangers pour venir en ce royaume, et
» en ay refusé de ceux qui m'ont esté présentés ; et Dieu en est
)) témoin, je les ay priés de n'y venir point et d'empescher
y> qu'autres n'y vinssent pour moy ou contre moy : et demande
y> et requiers, comme j'ay fait par cy-devant, que les armes
i> soient posées, tant d'un costé que d'autre, me faisant fort
3) que de nostre costé il n'y aura ni rébellion, ni désobéissance,
i. Bèze, Hist. eccL, t. II, p. 71, 72, 7-1, — Mém. de Condé, t. III, p. il3
à 415.
— 106 —
y> et que les armes n'auront jamais tant de force ni de vigueur
2) en nostre endroit, que l'amour, la fidélité et obéissance que
)) nous devons à nostre roy, pour lequel nous ne ferons jamais
» difficulté d'exposer nos biens et nos vies Ceux qui
» nous veulent exterminer demandent que nous soyons déclarés
» rebelles, ils demandent nos vies, nos honneurs et nos con-
y> sciences : nous ne demandons rien qui soit de leur vie, de
y> leur honneur, de leur bien, ni de leurs consciences : ni leur
y> souhaitons autre mal, sinon celuy auquel nous voulons nous
y> mesmes nous obliger, qui est que eux et nous , nous nous
» retirions en nos maisons, le tout suyvant les conditions plus
» amplement déduites en nos déclarations et protestations
y> Pourra juger un chacun qui est rebelle et ennemy du roy, ou
)) celuy qui offre laisser les arm'es et se retirer en sa maison,
y> ou celuy qui veut tout perdre plustost que de lascher la proye
» qu'il a faite de la personne du roy. Et pour autant qu'en toute
» guerre civile, on ne peut attendre qu'une fin calainiteuse, et
y> qu'il est malaisé de contenir les mains et la volonté des sol-
)) dats qui sont irrités contre ceux qui les veulent tyranniser :
» je proteste devant Dieu et devant tous les hommes, que c'est
» à mon grand regret que je prends les armes et conduy ceux
y> qui les portent; et qu'avec mon sang je voudrois pouvoir
y> empescher les misérables effets dont la guerre nous menace.
y> Mais, puisqu'on n'a tenu conte de ma demande, puisque mes
3) parties veulent estre mes juges, et commandent aujourdhuy
3) sous le nom et authorité du roy : je proteste doncques que
y> mon intention ne tend sinon à mettre le roy en telle liberté
» qu'il estoit il y a six mois, et à remettre le gouvernement es
y> mains de la royne, avecques l'assistance du roy de Navarre,
» comme il a esté dit par les estats ; et contenir et préserver
y> la noblesse et le peuple de toute tyrannie et oppression de
ï) ceux qui ne sont appelés à leur commander; et que de toute
y> ceste entreprise je n'attends ny veux attendre, et plustost
— 107 —
» mourir, aucun profit particulier, ni aucun dessein qui tende
)) à l'avarice et ambition, ains que je veux rapporter toutes mes
y> actions, moyennant la grâce que Dieu me fera, à fhonneur
» de Dieu, au service du roy, et au repos et soulagement de tous
y> ses sujets. »
Le loyal et énergique langage de Coligny et de Gondé surex-
cita Fanimosité des triumvirs et d'Antoine de Bourbon, qui, se
sentant désormais assez forts pour engager la lutte à main
armée, se décidèrent à entrer prochainement en campagne.
Ils n'avaient rien négligé jusqu'alors pour attirer en France
des troupes étrangères ; ils avaient fait agir, à cet égard, Frô-
lich en Suisse, le Rhingrave et Rockendolf en Allemagne,
d'autres émissaires au delà des Alpes et des Pyrénées ; puis,
tout récemment, ils avaient adressé, sous le nom du jeune roi,
à l'ambassadeur de France en Espagne, une lettre dans le long
libellé de laquelle se trahissait leur servilité vis-à-vis de Phi-
lippe II ^ Il y était dit, notamment :
)) Pour ce qu'estant le roy, mon bon frère, le principal de
)) tous mes bons amys et celui à qui en toutes choses j'ay et
y> doibs avoir plus de fiance, c'est aussy celuy à qui en cela et
» toute aultre chose qui me touchera je me délibère avoir plus
» de recours, y estant sy convyé par la continuelle démonslra-
y> tion qu'il a faicte de l'amour et bienveillance qu'il me porte
3> en tout temps, et principalement en ceste saison, que je m'en
y> doibz asseurer comme de moy-mesme, et espérer tout le bien,
» conseil et ayde favorable qui se peult entendre d'un bien affec-
» tionné frère Assemblant, comme je faictz journelle-
» ment, de grandes forces, tant de mes subjects, que d'aultres
)) estrangiers, pour dompter et réduyre par force les réformés
)) français en l'obéissance dont ilz se sont départiz, ce me serait
1. Lettre du 8 mai 156 à l'évêque de Limoges. (BibL nat., mss. f. fr. voL
6604, f» 48.)
— 108 —
y> un grand advantaige, une grande faveur et un grand soullai-
y> gement en la nécessité où je suys, si le roy mon bon frère,
y> suyvant l'honneste offre qu'il vous en a faicte, me vouloit
» secourir d'un nombre d'hommes de qui je me puisse fier, en
» telle occasion, pour le peu de seureté qu'il y a en beaucoup
» de mes subjectz qui sont entachez de ces nouvelles opinions.
» Et pour ce, en le remerciant de sa bonne volonté dont vous
)) m'avez adverty, et de l'offre que vous m'avez faicte, et luy fai-
3) sant entendre la nécessité de mes affaires et le grand besoin
T) que j'ay de l'ayde et secours tant de luy que de tous mes bons
y> amys, vous le prierez, de ma part, puisque sa volonté est
y> telle que me le mandez, de me secourir de dix mille hommes
3) de pied et trois mille chevaulx, c'est assavoir trois mille
y> Espagnolz qui viendront par le costé de la Guyenne, ettrou-
y> veront cavallerye et intanterye pour les recueillir et conduire
y> aux lieux où il sera besoing de les employer pour le bien de
^ mon service, et trois mille Italiens qui viendront du costé
» de Piedmont avec d'aultres forces que je feray assembler en
)) ce quartier-là. Et pour le reste, la solde de quatre mille lans-
)) quenetz que je feray lever par ung colonnel et des cappitaines
)) que je nommeray pour les mener et employer en l'armée que
J-) j'assembleray icy à l'entour ; et quant à la cavallerye deux
» mille chevaulx des Pays-Bas et mille reistres, ou bien, s'il
)) ayme mieulx, l'argent pour souldoyer lesdicts mille reistres
y> que je feray lever par ung de nos cappitaines, ainsy qu'il luy
y> sera plus commode; laquelle demande, sur l'offre qu'il m'a
)) faicte, j'ay proposée à son ambassadeur qui s'est chargé d'en
» escripre au roy mon bon frère. »
Dans une audience accordée, trois jours avant la date de
cette lettre, à Throckmorton et à Sidney, qui étaient venus lui
proposer la médiation officieuse de la reine d'Angleterre, Ca-
therine de Médicis s'était ouvertement félicitée, en ces termes, de
l'appui fourni par fétranger au parti catholique, contre les ré-
— 109 —
formés i : « Le roi d'Espagne a offert, pour réprimer ces dé-
)) sordres et troubles, pour ayder le roy mon filz, et pour ré-
» tablir l'obéissance qui luy est due, trente mille hommes
)) de pied et six mille chevaux, payés de ses propres deniers ;
d et de même le duc de Savoie et mes autres alliés ont offert
)) dans cette circonstance aide et secours; toutes offres et
» amitiés que nous avons de bonnes raisons de prendre en
» bonne part. »
Voilà donc le parti catholique ayant pris l'initiative d'un appel
aux gouvernements étrangers, pour introduire des troupes en
France. Le voilà assumant sur lui la lourde responsabilité d'un
exemple que, malheureusement, ses adversaires suivront plus
tard, en s'y croyant autorisés par une impérieusenécessité . Quel
contraste, sur ce point capi'al, entre les actes de ce parti et
ceux de' l'association des chefs réformés !
Quant à ces derniers, au moment où ils pressentent que la
lutte va s'engager, nul recours, de leur part, aux forces étran-
gères. Ils se bornent à prier de nouveau celles des puis-
sances sur le bon vouloir desquelles ils croient pouvoir comp-
ter, de ne pas laisser sortir de leurs Etats les troupes que les
agents du triumvirat y ont recrutées. « Qu'il vous plaise, écri-
)) vent Goligny et d'Andelot au landgrave de Hesse, Philippe,
)) le 19 mai^ nous monstrer quelle ayde et faveur nous pou-
1. Lettre de Throckmorton et de Sidney à Elisabeth, du8 mai 1562 (State pap.
office). — Voy. en outre, une lettre de Catherine de Médicis à de Chaulnes, du
20 juillet 1562 (Bibl. nat., mss. f. fr., vol. 3 187, f» 20).
2. Calviuus Bulhngero, 8 juin 1562 (op. Calvini, vol. 19, p. ^32, n» 3802) :
« Hactenusdubitatum est an accersenda esscnt externa auxilia. Ego semper autor
> fui ne à nobis initium fieret, quia imitari nolo adversîe partis impudentium quae
» nullam invidiam refugit. Xunc quia conducti sunt ab illis équités sclopetarii
» ex germania, justa erit nobis excusatio, Nondùin tanien res niatura videtur,
5 lîisi illi copias suas eduxerint. » ■
3. Bibl. nat., mss. f. fr., vol. 10190. — « Memini quàm liberaliter, qaàmpié,
3> quàm amanter celsitudo vestra milii aano superiore subsidii aliquid pro nos-
i trisecclesiis promiserit, et quotidiè principi Condensi, Amirallio et coeteris
— HO —
-» vons attendre de vous; car, puisque avec tant de courage
■» vous faites profession de la religion évangélique, toute ceste
» noblesse qui arrive icy à nous, chaque jour, a très grande es-
» pérance que vous ne délaisserez nos pauvres églises affli-
y> gées et ne permettrez pas qu'on tire de vos pays gens loués
» à prix d'argent pour estre bourreaux des chrestiens. » —
L'anriiral et son frère terminent une lettre adressée, le 21 mai,
aux magistrats du canton de Zurich * par ces paroles : Ma-
)) gnifiques, vénérables et très excellens hommes nous
)) vous prions, sur toutes choses, entant qu'il vous est possible,
» de contenir les soldatz de vos voisins et les vostres en leur
» debvoir. :» — Le 22 mai, Gondé écrit aux magistrats d'un
autre canton ^ : « Nous avons estimé estre très bon vous prier
» derechef par ces présentes, que, tant au nom de la religion,
)) que nous maintenons commune avec vous, que pour l'amytié
» et alliance que vous avez avec nostre roy, et aussi pour
» vostre réputation, vous vous efforciez que nos ennemis ne
y> puissent tirer de vos pays de Suysse aucunes compagnies
» de gens de pied; car ce n'est pas chose qui importe peu à la
» réputation de vostre tant vertueuse et belliqueuse nation,
» que de voz villages on tire à prix d'argent gens de guerre,
» non pour autre raison que pour bien peu de gaing, pour estre
?) les bourreaux de la noblesse de France et mesmes de tous
» les chrestiens. »
Lorsque les triumvirs, dans les derniers jours de mai,
> confirmo C. V. non desevturam esse hanc causam. Vix "dici potest quantam
» spem ex C. V. conceperint. Itaque simpliciter et quoad possum obnixé à vobis
•» peto quoesoque, princeps illustrissime, ut illi spei respondeas, et tantum ofli-
j cium ne à germanis militibus invadamur. Nàm quod ad Gallos attinet,
» satis superque Dei beneficio parati sumus. (Hotomanus D. Philippo Land-
■» gravio Hassiae. 17 mai 1562. Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 10190, et op. Calvini,
vol. 19, p. 415, n" 3789),
1. Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 10190.
2. Ibil.
— 111 —
se préparèrent à quitter la capitale et à s'avancer dans la direc-
tion d'Orléans, « craignant de laisser derrière eux quelques-uns
y> qui fussent pour remuer mesnage, en leur absence, ils persua-
5> dèrent au roy de Navarre, se laissant gouverner du tout à
)) leur appétit, de faire un édict du 26 de may * portant exprès
» commandement, sous peine d'estre punis comme rebelles au
» roy, à tous ceux qu'ils appelaient de la nouvelle religion, de
» sortir de la ville de Paris dans deux jours, sans pius y séjourner,
» aller, venir, fréquenter, ni demeurer en quelque sorte que
» ce fust jusques à ce qu'autrement en fust ordonné.... La
» pluspart d'une si grande multitude ne sachant où aller ni se
> retirer il n'y eut inhumanité qui ne fust puis après exercée
y> dans la ville sur infinis peuples, pauvres et riches, devant et
3) après le terme si court de deux jours expiré, et ce, non seu-
y> lement par la populace ou par ceux qui ne demandaient pas
» meilleure occasion de poursuivre leurs vengeances et pas-
» sions particulières, mais aussi par ceux de la justice mesmes,
y> tramant en prison autant qu'ils en pouvaient attraper, et les
» traictantpuis après comme les plus criminels du monde, sans
» avoir égard au traitement tout contraire qu'on faisait à ceux
y> de la religion Romaine, es villes saisies et qui estoient en la
y> puissance du prince. Voilà pourquoy, à Orléans, il fut mis en
» délibération si on chasserait aussi ceux de la religion Romaine
» et si pour le moins on leur rendroit la pareille en l'exaction
)) des deniers nécessaires pour la guerre. Mais il fut conclud
» qu'on ne feroit point ce qu'on condamnoit aux autres, ains
y> qu'on rendroit le bien pour le mal, remettant la vengeance
)) à Dieu " . »
i. Voy le texte de cet édit dans les Mém. deCondé, t. III, p. 462 à 464, et
Ibid., p. 464, une déclaration du 27 mai.
2. Bèze, Hist. eccL, t. Il, p. 75-76. — Voy. aussi une ;ettre de Catherine
de Médicis au roi de Navarre, du 26 mai 1562. (Bibl. nat., mss. f. fr. vol. 6626,
— 412 —
Ici encore, quel contraste entre les actes du parti catholique
et ceux de l'association des chefs réformés!
Eh effet, alors que l'intolérance des triumvirs décimait, dans
la capitale comme ailleurs, les sectateurs de la religion dite
nouvelle, Gondé et Coligny, partout où s'étendait leur action,
s'attachaient à faire respecter, vis-à-vis des catholiques le prin-
cipe de la liberté religieuse. La preuve en est, h ne parler que
de Lyon, dans les recommandations qu'ils adressèrent le 23 mai
au baron des Adrets.
« Je vous prie, lui écrivait le prince*, d'autant que vous
)) aimez le service de Dieu et du roy, que vous regardiez à vous
)) conduire aussi soigneusement et dextrement que le cas le
)) requiert, et que. je m'asseure que le vouldrez etsçaurez bien
» faire en sorte qu'en premier lieu, la ville soit conservée par
» vous à sa majesté, ensemble que vous teniez la main à ce
» qu'il n'y ait aucun désordre, que personne ne soit travaillé
» sans grande occasion, et chacun vive en repos et tranquil-
» lité autant que faire se pourra, sans mesmement gehenner
» ni forcer les consciences, comme de notre part, nous ne voul-
)) drions point qu'on forçast les nostres, laissant à ceulx qui ne
ï) sont de la religion réformée, et principalement aux marchands
)) et banquiers quelques lieux et temples pour l'exercice de la
» leur, sans leur donner aucun empeschement ny venir en cela
y> trop curieusement, m'asseurant que par une libre prédication
)) de la parole de Dieu et exemple de bonne vie, on les pourra
)) amener plus aysémentà sa cognoissance, qu'en suy vaut aultres
)) voies plus rigoureuses, qui plustost les en détourneroyent;
y> joinct que ceste façon fera encore plus évidemment reco-
I gnoistre que toutes nos actions ne tendent à aultre but qu'au
y> service de Dieu et du roy, au recouvrement de sa liberté, à la
)) conservation de son estât et au bien et repos de ses sujets.
1. Bibl. nat.. mss. f.fr., vol. lOlUO.
— 113 —
» Monsieur des Adrez, portait la lettre de Coligny*, parce
» que vous entendez bien amplement l'intention de M. le
)) prince, tant par la lettre qu'il vous escrit que par ce por-
2) teur, je ne m'estendray à vous en faire autre redite ; seule-
» ment j'ay bien voulu l'accompagner de ce mot de lettre, pour
)) vous prier comme l'ung de voz bons amis, de regarder soigneu-
y> sèment à la conservation d'une telle ville et si importante pour
)) le service du roy, aussy à tenir la main à ce qu'il ne soit fait
» force ny violence aux habilans, mesmement à leurs cons-
» ciencss; m'assurant que ceste façon servira à l'avance-
y> ment de la gloire de Dieu et fera encore plus évidemment
)) cognoistre nostre saincte et louable intention, qui n'a aultre
D but que le service de Dieu et du roy, la conservation de son
)) estât et le commun repos de ce royaume. ï>
1. Bibl. nat., mss. f. fr., vol. 10190. — Voy. aussi la lettre écrite par Calvin
au baron des Adrets, le 13 mai 1552 (Corresp. franc., t. Il, p. i68).
CHAPITRE ÏV
L'armée catholique et celle des réformés s'avancent à la rencontre l'une de l'autre.
— Conférence de Thoury. Elle échoue. — Conférence de Talsy, également suivie
d'insuccès. — Des négociations, on passe à l'action. — Camisade. — Reprise de
Beaugency. — Envoi de Soubize, de Larochefoucauld et d'autres chefs réformés
dans les provinces. — Missions de Briquemault en Angleterre et de d'Andelot en
Allemagne. — Orléans est décime par la peste. Héroïque dévouement de ma-
dame l'amirale, de la princesse de Condé et de plusieurs autres femmes en présence
des ravages exercés par le fléau. — Mort du fils aîné de Coligny, à Orléans. —
Lettre de l'amiral à sa femme. — Arrêt du parlement de Paris contre les réformés.
Protestation de Condé. — Arrivée et séjour de la comtesse de Roye à Strasbourg.
— Démarches de d'Andelot en Allemagne pour y lever des troupes. — Siège de
Bourges. — • Coligny attaque avec succès, près de Châteaudun, un fort convoi de
l'ennemi. — Reddition de Bourges. — L'armée catholique se dispose à assiéger
Rouen.
Le l" juin 1562, Antoine de Bourbon prit, en sa qualité de
lieutenant-général du royaume, le commandement de l'armée
catholique, et, accompagné des triumvirs, il se dirigea vers
Montlhéry, où la reine mère ne tarda pas à le rejoindre.
Condé sortit alors d'Orléans à la tête de ses troupes. 1
Tandis que les deux armées s'avançaient à la rencontre l'une
de l'autre, Catherine fit proposer à Condé une conférence avec
elle et le roi de Navarre.
Coligny, conseillant au prince de ne point accéder à la pro-
position insista sur l'avantage qu'il y aurait pour lui à attaquer
immédiatement, avec des troupes telles que les siennes, parfai-
tement disciplinées * , aguerries et pleines d'ardeur, l'armée
4 "Voy. Appendice, n" 17.
— 115 —
ennemie, numériquement plus forte, sans doute, mais moins
bien organisée, moins solide, et ne pouvant pas encore utiliser
les renforts considérables qu'elle attendait des pays étrangers.
Gondé ne suivit pas le sage conseil de son oncle. Accordant
une aveugle confiance à des intentions conciliantes et à un bon
vouloir dont il supposait que son frère et Catherine étaient
animés, il se rendit à Thoury, localité de la Beauce désignée
pour la conférence i .
Là, « il s'arresta sur deux points : le premier, que le duc
y> de Guise, le connestable et le maréchal de Saint- André, qui,
y> de leur authorité privée, avoyent pris les armes, troublé le
» repos public et enfreint les édicts du roy, se retirassent en
3) leurs maisons, offrant, de sa part, faire le semblable; le se-
y> cond, que l'édict de janvier, mis en avant sur le faict de la
3» religion, fûst gardé inviolablement^ y>. La ténacité avec la-
quelle Gatherine et Antoine de Bourbon couvrirent de leur
approbation sans réserve les actes des triumvirs et s'opposèrent
au maintien de l'édit de janvier, rendit toute entente impos-
sible.
Soubize, qui n'attendait rien de bon de la conférence, dit
à d'Andelot : « Eh bien, monsieur, qu'êtes-vous résolu de faire?
» De ma part, répondit le sieur d'Andelot, je suis résolu de
» combattre, quand je n'aurais que mes troupes. Oh ! que je
» suys ayse, lui dit le sieur de Soubize, en l'embrassant, de
)) vous voir en ceste résolution? Je vivray et mourray avecques
y> vous, et vous prie, quand il n'y auroit que nous deux, que
)) nous persistions en ceste volonté ^. »
1. Voy., sur la conférence de Thoury, de Lanoue, Disc, polit, et milit.,
p. 66/1 à 666; — de Bèze, Hist. eccl., t. II, p. 76-77; — Calend. of State pap-
foreign : 9 juin 1562, Throckmorton to the queen; \i juin 1562, id. to Challoner ;
2^4 juin 1562, id. to the queen ; — de Laferriére, le xvi'' siècle et les Valois, p.
69,70.
2. De Bèze, Hist. eccl., t. II, p. 77.
3. Mém. de la vie de Soubize, p. 57-58.
— 116 —
Si la volonté d'hommes judicieux et énergiques tels que
Coligny, d'Andelol et Soubize, était qu'on profitât, sans délai,
des circonstances pour en venir aux mains avec l'ennemi, le
désir de Condé était d'attendre encore et de recourir à une
dernière tentative de rapprochement. Cependant différer d'en-
gager la lutte, c'était pour lui et son armée s'aiffaiblir de
jour en jour, et laisser à l'armée ennemie le moyen de se forti-
fier par l'accession de troupes étrangères; mais la générosité
des sentiments fraternels du prince ne le portait que trop à une
temporisation dont il n'envisageait pas les périlleuses consé-
quences.
Quelle que fût la dureté dont Antoine de Bourbon eût fait
preuve à son égard dans le cours de la conférence, il lui
adressa, dès son retour de Thoury, une lettre dont voici les pas-
sages les plus saillants ^ :
' (( Le témoignage que ma conscience m'a tousjours rendu tant
» de l'innocence des églises refïbrmées que de vostre bon natu-
» rel et de toutes mes actions m'avoit persuadé, qu'en faisant
» comparaison de ceulx qui sont auteurs de ces troubles avec
y> nioy, qui ay cest honneur de vous estre frère et duquel l'en-
y> tière obéyssance jusques icy vous a toujours esté congnue,
)) vous seriez pour le moins avec le temps plustost esmeu à
i suyvre le droit de l'affection fraternelle, qu'à vous incliner
» aux persuasions et artiffices de ceulx qui ne sont jamais accreus
» et semblent encores ne se pouvoir maintenir que de la ruyne
j> de vous et des vostres. Et de fait, je n'ay point encores perdu
)) ceste espérance, quelque apparence que je voys du contraire,
» qui est la seule cause qui m'a maintenant esmeu à vous escripre
» la présente, plustost avec larmes de mesyeulx qu'avec l'encre
:» de ma plume, car quelle chose plus triste et plus pitoyable me
1. Bibl. nat., mss. collect. Dupuy, vol. 86, f" 109-HO. — La Popeliniére,
Hist. deFr. in-f», 1. 1, p. 317. — De Bèze, Hist. eccL, t. II, p. 78 à 80. — ^m.
de Coudé, t. III, p. 486 à 488.
— 117 —
)) pouvoit advenir que d'entendre que vous venez la lance ba,issée
» contre celuy qui voudroit le premier et devant tous autres,
)) opposer soy mesmes à ceulxqui prétendroient de vous appro-
)) cher, et que vous mectiez peyne de ravir la vye à celluy qui
» la tient d'ung mesme père et d'une mesme mère que vous, et
» qui jamais ne l'a espargnée et ne la voudroit encores espar-
» gner pour la conservation de la vostre... A Dieu ne plaise que
» l'obéissance que je vous doy meure jamais qu'avec moy, voyre
» mesme à la condition de renaistre à ceulx qui ne peuvent
» sortir de moy qu'ils n'aient cest honneur d'estre vos plus pro-
» ches parens, de vostre sang, et voz naturels serviteurs. Et
y> cependant vous me permetrez d'ignorer comme ceulx-là vous
y> peuvent estre amys qui, non contens de chercher pour la
)) deuxième fois la mort de vostre frère, osent bien entreprendre
y> jusques-là de vous faire ministre et instrument de leur mauvaise
)) volonté. Or, toutcecy soit dict afin que, sinon pour l'amour de
3 moy, au moins pour l'honneur de Dieu et le respect de vous
» mesmes, vous considériez toutes ces choses avant que de passer
» plus oultre contre celluy qui par ung naturel debvoir est ung
y> second vous mesmes, et qui de sa part, ainsi que jamais,
» Dieu aydant, il ne faudra à son devoir, aussi aymeroit trop
y> mieux la mort que de survivre aux calamités qui ensui-
» vraient l'effect d'ung tel combat, de quelque costé que la
)) victoire inclinast. »
Cette lettre fit naître dans l'esprit du roi de Navarre l'idée d'une
nouvelle entrevue. Il en avisa la reine mère, qui, reprenant aussi-
tôt le chemin de laBeauce, arriva à Artenay, dans des intentions
révélées par elle-même * en ces mots : « Le roy de Navarre
» m'avoit mandé qu'il avoit tellement rattaché et renoué ce
y> négoce avec mon cousin le prince de Gondé, son frère, qu'il
y> me prioit ne plaindre point ma peine d'aller faire encore un
1. Lettre du 11 juillet 1562 à l'évêque de Rennes, ap. Le Laboureur, addit.
aux Mém. de Castelnau, 1. 1, p. 814.
— 118 —
y> voyage jusques au delà d'Orléans, où estoient leurs armées,
» pour essayer de parvenir à l'effect de ladite pacification. Ce
)) que je fis avec très grande incommodité de ma personne;
y) me trouvant si mal d'une chute que j'avais prise à Estampes,
y> au retour de mon premier voyage * , que je ne me pouvois
» soustenir ny remuer qu'avec grande peine et difficulté, toute-
» fois, postposant ma santé au bien, repos et tranquillité
3) de ce royaume, je me fit porter en litière... à costé desdites
)) deux armées. »
Dans l'espoir de priver les réformés de leur chef, les triumvirs
avaient suggéré au roi de Navarre l'expédient suivant : il annon-
cerait avoir pris sur lui de les éloigner de l'armée et de la cour ;
et, à raison de leur élimination, il demanderait que, comme
preuve de ses intentions conciliantes et de celles de ses associés,
Gondé lui livrât en gage la ville de Beaugency et acceptât,
auprès de lui et de la reine mère, le rôle d'otage.
Pleinement approuvé par Catherine, cet expédient fut sans
retard mis en œuvre; et non seulement Gondé eut l'impru-
dence d'accepter les conditions préliminaires formulées par
son frère, mais il amena même ses principaux lieutenants à les
subir. En effet, ils le laissèrent livrer Beaugency en gage à
Antoine de Bourbon ; et, poussant, en ce moment, la condes-
cendance envers le prince jusqu'aux dernières limites, ils con-
sentirent, sur son invitation expresse, à souscrire l'acte suivant ^ :
» Avant que passer plus avant, que messieurs de Guyse, con-
)) nestable et mareschal de Saint-iVndré se retirent en leurs
» maisons, et à l'heure mesme de leur retraite, nous suplions
y> très-humblement monseigneur le prince de Gondé de s'aller
1. e La royne s'en est revenue de Toury sans rien faire; s'estant bien fort
> blessée d'une cbeute qu'elle a faite de dessus sa haquenée. » (Lettre de
Vieilleville à Tévêque de Rennes, du 18 juin 1562, ap Le Laboureur, addit,
aux Mém. de Castelnau, 1. 1, p. 813-814.)
2. Bibl. nat., mss., f. fr., vol. 6 611, f" 92. 24 juin 1562.
— 119 —
j consigner et constituer entre les mains de la reyne et du roy
» de Navarre pour plegeet garant de nostre foy; promectant à
» Leurs Majestez, en noslre nom, que nous obéirons prompte-
» ment à tout ce qui nous sera commandé, de leur part, pour
)) le service du roy, le salut de ce royaume, la conservation de
» nos biens et vies, le tout à la gloire de Dieu et liberté de nos
» consciences. Faict à Vaussoudun, le 24^ jour de juing 1562.
» (Signé) Ghastillon, Andelot, Larochefoucault, Genly, Piennes,
y> Soubize, de Grammont, Mouy, Briquemault (et sept autres
)) signatures). »
Briquemault fut chargé d'aller trouver le roi de Navarre, la
reine mère et de leur remettre des lettres dans lesquelles le
prince leur disait * : « Je vous envoyé le sieur de Briquemault
)) pour vous porter la requeste que toute cette compagnie vous
» présente, par laquelle je m'asseure que vous serez tous deux
» contens et satisfaits. Et si cognoistrez clairement comme ils
y> ne désirent tous autre chose que vous obéyr, et n'ont autre
)) but proposé que la pacification de ces troubles et une seure
)) et commune tranquillité de ce royaume, comme vous enten-
)) drez plus au long dudict sieur de Briquemault. Vaussoudun,
» 24 juin 1562. y>
Les triumvirs, qu'on disait partis pour se retirer dans leurs
maisons -, s'étaient arrêtés à Ghâteaudun et manquaient ainsi
à un engagement formellement pris. Gondé, dans l'ignorance où
1. Bibl. nat., mss. f. fr., vol. 6607, f»^ 4042.
2. Déclaration de la reine mère et du roi de Navarre, du 27 juin 1562. (Bibl.
nat. mss. f., fr., vol. 3194, f 5. — BuUingerus Calvino, 17 juillet 1562 (op.
Calvini, vol. 19, p. 487, n° 3827) : « Commonstrantur mihi literae allatae ex
» castris Helvetiorum qui sub Frôlichio militant, ex quibus intelligo, dolo malo
» discessisse Guysium et prétendisse pacera, quùm aliud conatus sit eflicere,
» adeoque Helvetios vocari Lutetiam, mandarîque ut feslinent. Quod si vera
» sunt, ut metuo, Dominum oro ut Condensi oculos aperiat, videatque nihil
> penitùs agendum esse cùm versulis istis latronibus, nihil denique lis esse
> fidendum. »
— 120 —
il était de leur mauvaise foi, se rendit comme otage auprès de
la reine mère et du roi de Navarre.
Sa bonne foi était telle, qu'il écrivit alors à l'église réformée
de Lyon * : « Dieu a mis au cœur de messieurs de Guyse, con-
)) nestable et mareschal de Saint-André de quitter le camp et
» s'en retirer en leurs maisons, suyvant ce que nous avons tous-
'i> jours requis; de sorte que les troubles qui ont duré jusques à
» ceste heure sont sur le point d'estre pacifiez, et pour cest effect
» me suys acheminé pour aller trouver la royne, le roy mon
» frère, pour adviser des articles et conditions de la paix, en quoy
» je ne passeray rien que par l'advis et consentement des che-
» valiers de l'ordre et seigneurs de ma compagnie, espérant que
» le tout retournera à la gloire de Dieu et au repos et conten-
)) tement de nous tous. Cependant je laissé mons' l'admirai
» chef de l'armée, auquel je vous prie rendre telle obéyssance
3> que vouldriez faire à moy mesmes. »
A peine Gondé fut-il entré en pourparlers avec Gatherine et
Antoine, qu'ils lui notifièrent leur résolution de ne se départir
d'aucune des conditions déjà repoussées par lui dans la précé-
dente entrevue. Le prince, disant ne pouvoir conclure quoi que
ce fût sans le concours de ses associés, obtint qu'ils fussent
appelés et entendus. En les convoquant au village de Talsy, où
allait s'ouvrir la conférence à laquelle ils prendraient part, il
les informa, par une lettre confidentielle, de ce qui venait de se
passer entre lui, Gatherine et Antoine, et il leur recommanda
de se faire suivre à distance par un corps de troupes.
Fidèles à la recommandation qui leur était adressée, les prin-
cipaux chefs réformés arrivèrent bientôt à Talsy, laissant der-
rière eux une masse armée assez imposante pour parer aux
éventuahtés.
Le roi de Navarre, qui, dans l'étroitesse habituelle de ses
1. Lettre du 28 juin 1562 (archives de Berne, Frankreich, 2" vol., ann. 1551
bis 1159).
— 121 -^
vues, s'était promis de ne se rencontrer, en aucune circonstance,
avec les Châtillons, s'abstint de paraître à la conférence et laissa
Catherine s'y donner pleine- carrière.
(( On alla trouver la royne en une grange. Elle avoit mal au
y> pied et portoit un baston. Là entrèrent encore mondit sieur le
î> prince et messieurs l'admirai, d'Andelot, de Larochefoucault
» et de Soubize; et s'il y en âvoit quelque autre, c'étoit fort
3) peu * . »
Catherine commença par remercier les chefs réformés d'avoir
pris les armes pour sa défense, puis leur dit qu'il dépendait
d'eux d'assurer la paix du royaume en se désistant d'exigences
intempestives et en se contentant de ce qui pouvait leur être
accordé sans préjudice pour l'ordre public. Sortant des généra-
lités et abordant le vif des questions, elle leur déclara qu'il fal-
lait tenir pour non avenu l'édit de janvier, attendu que le peuple
l'avait en horreur; et que tout ce qui pouvait être concédé aux
réformés, c'était l'exercice de la religion nouvelle dans l'inté-
rieur de leurs maisons.
Répondant à la reine mère, l'amiral appuya fortement sur la
nécessité de maintenir en son entier l'édit de janvier, et sur la
possibilité d'en assurer l'exécution, pour peu que les détenteurs
du pouvoir suprême se montrassent impartiaux et qu'ils fussent
assez attachés à leur devoir, assez soigneux de leur propre dignité,
pour dominer par la fermeté de leur attitude les clameurs d'une
tourbe de fanatiques et le déchaînement de masses populaires
qui dans leur isolement ne représentaient, à aucun point de
vue, le vrai peuple français.
(( Voyant la royne qu'on ne vouîoit pas suyvre sa proposition,
» elle estoit fort en cholère, et parla deux grandes heures à eux,
i. Mém. de la vie de Soubize, p. 58. — De Bèze {Hist. eccL, t. II, p. 93) cite,
en outre des noms ci-dessus mentionnés, ceux du prince de Portien, de Rohan
de Genly, de Grammont et de Piennes, comme assistant à la conférence dé
Tàlsy.
— 1-2^2 -
» sans seulement se desmasquer, combien qu'ils fussent assis,
3) voulant tousjours sommer monsieur le prince de la promesse
» qu'elle prétendoit qu'il luy avoit feiicte.... Enfin quand elle
» vit qu'elle ne le pouvoit faire consentir à ce qu'elle vouloit, elle
» se leva et frappa plusieurs fois parterre de son baston, disant :
» Ah! mon cousin, vous m'affolez, vous me ruinez! A. quoy le
y> sieur de Soubize voyant que ledict sieur prince ny les autres
» ne luy respondoient rien, luy dit : Gomment, Madame, est-ce
» cela que vous nous disiez, maintenant que vous estes si libre,
» et que nous avons tort de dire que vous soiez captive? Si vous
» avez toute puissance, comme vous dictes, qui est-ce qui vous
y> peut affoler? Sur quoy elle demeura estonnée *. »
De Lanoue nous fournit quelques détails intéressants sur le
dénouement de la conférence de Talsy et sur certains faits qui
le suivirent immédiatement ^.
« Après plusieurs longs propos, dit-il, enfin M' le prince
» fit à la roine l'offre de sortir du royaume pour luy rendre tes-
» moignage du zèle qu'il avoit à la voir tranquille. Mais sa der-
)) nière parole ne fut pas sitost achevée, qu'elle le prit inconti-
y> nent au mot, luy disant que c'estoit le vray moyen pour
y> remédier aux maux qu'on craignoit, dont toute la France luy
)) en seroit redevable, et que, la majorité du roy estant venue,
)) il remettroit toutes choses en bon estât, tellement que chacun
]> auroit occasion de s'en contenter; et combien que ce prince
» ne fùst pas aisé à estonner, ni sans réplique, si fut-il estonné à
» ce coup, ne pensant pas qu'on le deust prendre au pied levé,
» comme l'on dit. Et d'autant qu'il commençoit à se faire tard,
» elle luy dit qu'elle renvoyeroit le lendemain vers lui pour
» sçavoir les conditions qu'il demanderoit. — Elle se départit
y> avec bonne espérance, et le prince se retira en son camp ^,
4. Mém. de la vie de Soubize, p. 58.
2. Disc, polit, et milit.., p. 670 à 675.
3. « Le prince s'en retourna en son camp avec les siens, comme lui «stoit
— 123 —
» riant, mais entre les dents, avec les principaux de sa noblesse,
» qui avoient entendu les discours. Les uns se grattoyent la
3> teste, qui ne leur démangeait pas; les autres la bransloyent.
» Gestui-ci estoit pensif, et les jeunes gens se mocquoient les
)) uns des autres, s'attribuant chacun un mestier à quoy ils
» seroient contraints de vaquer, pour avoir moyen de vivre en
» pays estrange. On arresta, au soir, que le lendemain on
» assembleroit les chefs pour prendre avis sur ce faict si impor-
y> tant. — Le matin venu, on entra au conseil, où M' l'ad-
» mirai dit, pour ce que le fait touchoit à tous , qu'il lui
)) sembloit qu'on le devoit communiquer à tous ; ce qu'on fit.
y> Et envoya-l'on les colonnels et capitaines pour tirer les avis
» tant de la noblesse que de l'infanterie. Mais incontinent tous
» respondirent que la terre de France les avoit engendrez et
» qu'elle leur serviroit de sépulture : et tant qu'ils auroyent une
y> goutte de sang qu'ils ne l'espargneroyent pour la défense de
» leur religion; au reste, que M. le prince se souvint de
» la promesse générale qu'il leur avoit faite de ne les abandon-
» ner. — Ceci estant rapporté au conseil hasta la conclusion
> de ceux qui y deslibéroyent, qui voyant la disposition publique,
y> furent encore plus fortifiez en leurs opinions, qui se confor-
)) mèrent à icelle. Mesmes il n'y en eut que trois ou quatre qui
» parlèrent, veu que le fait estoit si clair. Et me ressouvient
» encore aucunement de quelques particularitez qui furent
» dites. — M. l'admirai remonstra à M. le prince , encore
yy qu'il pensast que la roine en l'acceptation de son offre n'y
» procédoit point de mauvaise intention, ains que le désir qu'elle
y> avoit de tirer l'Estat de misère la faisoit recercher tous expé-
» diens, toutesfois qu'il estimoit que ceux qui avoient les armes
y> en la main la circonvenoyent pour le circonvenir; qu'il ne
ï loisible de faire, attendu qu'il s'estoit mis en son devoir comme il estoit porté
> par l'article de la consignation de sa personne, sans limiter le temps de sa
» demeure. » (De Bèze, Hîst. eccl., t. II, p. 94.)
— 124 —
)) devoit ni ne pouvoit effectuer ce qu'on lui avoit proposé et
» qu'il avoit promis de faire; car il s'estoit lié auparavant par
y> plus estroites obligations, et que, s'il s'absentoit, il perdroit
» entièrement sa réputation, et condamneroit la cause qu'il
» avait embrassée, laquelle, outre sa justice, estant autorisée par
» édictduroy, devait êtremaintenue,etn'yfaloitespargner la vie.
» — M. d'Andelot parla ainsi : Monsieur, l'armée des ennemis
» n'est qu'à cinq petites lieues d'ici, si elle void peur, des-
y> membrement ou autre altération entre nous, elle nous mènera
» jusques dedans la mer Océane, à coups de lances et à coups
3) d'espée. Si vous nous abandonnez maintenant, on dira que
» c'est par crainte, laquelle, comme je sçay, ne logea jamais
» dans vostre cœur. Nous sommes vos serviteurs, et vous nostre
y> chef. Ne nous séparons donc point, veu que nous combattons
» pour la religion et pour nos vies. Tant de parlemens qui se
» sont faits ne sont que piperies, veu les effects qui apparoissent
)) ailleurs. Le meilleur remède pour estre bientost d'accord est
» qu'il vous plaise nous mener à demie lieue de ceux qui dési-
» rent que nous sortions hors du royaume : et par avanture
» qu'une heure après on en verra sortir quelque bonne résolu-
y> tion, car nous ne serons jamais bons amis que nous n'ayons
y> -un peu escrimé ensemble. — Le sieur de Bourcard s'avança
y> après, qui estoit un des plus braves gentilshommes de ce
)) royaume, et qui avoit du feu et du plomb en la teste. Mon-
» sieur, dit-il, qui laisse la partie la perd, et qui la remet :
» laquelle reigle est encores plus vraye au faict que nous ma-
3) nions, qu'au jeu de la paume. J'ay desjà cinquante ans sur la
)) teste, qui est pour avoir acquis un peu de prudence : voilà
» pourquoi il me fascheroit fort de me voir, en pais eslrange,
3) me proumener avec un cure-dents en la bouche, et que cepen-
3) dant quelque petit affetté mien voisin fist le maistre dans ma
y> maison et s'engraissast du revenu. Qui voudra s'en aller s'en
3) aille; quant à moy, je mourray en ma patrie, pour la défense
— 125 —
.» des autels et des foyers. Parquoi, Monsieur, je vous sup-
y> plie et conseille de n'abandonner tant de gens de bien qui
3 vous ont esleu, et de faire vos excuses à la roine, et nous
)) employer bientost, cependant que nous avons envie de mordre.
» — Il y eut après cela peu de langage, sinon une approba-
y> tion de tous. Mais M. le prince prit la parole, et pour la
)) justification de son offre, dit qu'il l'avoit faite, voyant qu'on
» le vouloit tacitement taxer d'eslre cause de la guerre, et que
D si son absence pouvoit apporter la paix, qu'il l'estimeroit
» bienheureuse, car il n'avoit point son particulier en recom-
•» mandation; toutefois qu'il apercevoit bien, voyant les forces
)) ennemies si prochaines, et la résolution qu'ils avoient prise,
y> que son humilité seroit prise et réputée d'eux à lascheté, et
]) qu'elle n'apporteroit aucun repos, ains plustost ruine à la
)) cause qu'il maintenoit ; et qu'il estoit délibéré de suyvre leur
3) conseil et de vivre et mourir avecques eux. — Cela dit, cha-
)) cun se toucha en la main pour confirmation. — Au sortir
» du conseil, Th. de Bèze et quelques-uns de ses compagnons
» lui firent une très sage et belle remonstrance pour le conforter
y> en sa résolution, lui alléguant les inconvéniens qui s'ensuy-
3) vroyent de se séparer : et le supplièrent de ne laisser point
)) l'œuvre encommencée à laquelle Dieu donneroit perfection,
D puisqu'il y alloit de son honneur.
)) Au mesme temps, arriva au camp, de la part de la roine,
» M. de Fresne, Robertet, secrétaire des commandemens, pour
)) remporter les conditions que ledit sieur prince demanderoit
y> pour son issue. Auquel il respondit que l'affaire estoit de
» poids et qu'il n'estoit encore résolu, d'autant que plusieurs
3) murmuroyent, et, la conclusion prise, on la feroit sçavoir à la
» roine, ou lui-même la lui porteroit. Robertet connut au lan-
» gage de quelques particuliers qu'il y avoit du changement : et
y> s'en retourna trouver la. royne pour l'avertir qu'il falloit autre
» chose que du papier, pour le mettre dehors. »
-- 126 —
La réponse de Condé suivit de près le retour de Robertet.
Elle portait que ni lui, ni ses associés n'acceptaient les conditions
qu'on prétendait leur imposer, attendu qu'elles étaient con-
traires à la gloire.de Dieu, comme entraînant l'abolition du
culte en esprit et en vérité, contraires au service du roi, dont
elles compromettaient le nom en l'associant à des actes de
tyrannie, et contraires au bien de l'État qu'elles priveraient de
ses plus fermes défenseurs.
Le prince envoya en même temps à Catherine une lettre,
interceptée, du duc de Guise au cardinal de Lorraine \ dans la-
quelle se décelaient les desseins et les espérances des triumvirs
en ce qui concernait les réformés.
Avec l'entrevue de Talsy s'épuisa le régime des correspon-
dances, des pourparlers et des négociations, que la cour avait
astucieusement prolongé pour se ménager le temps de recevoir
les renforts qu'elle faisait venir de l'étranger.
Des écrits et des paroles on passa à l'action.
Une camisade, à laquelle s'attachaient de sérieuses chances
de succès, fut tentée contre les troupes catholiques : elle
n'échoua que par la faute de guides inexpérimentés, à la suite
desquels, dans une marche de nuit, l'armée de Condé s'égara ^.
Bientôt après cette armée reprit possession de Beaugency ;
mais elle rompit tout à coup avec la discipline qu'elle avait ob-
servée jusque-là et se hvra à de graves désordres ^.
Les troupes catholiques, opérant sur la Loire, s'emparèrent
de Blois. Condé, dont l'armée était plus faible, se replia sur
Orléans.
Lorsqu'on vit autour de lui « que la guerre s'en alloit tirer
» à la longue, l'ardeur première commença à s'attiédir. Aussi
1. Voy. le texte de cette lettre dans Th. de Bèze, Hist. eccl.,t. II, p. 96, et
dans les il/m. de Condé, t. III, p. 509.
2. De Lanoue, Disc, polit, et milit., p. 676 à 680.
3. Id., ibid., p. 684-685.
— 127 —
» vindrent lors à faillir les moyens pour soudoyer les gens de
» guerre, lesquels avoient desjà consumé tous ceux qu'on avoit
» pu ramasser tant à Orléans, qu'autres endroits. Geste néces-
y> site ouvrit la porte à plusieurs mescontentemens, la plus part
» desquelz avoient des fondemens fort légers, combien que le
» principal mouvement procédast de l'impatience naturelle de
» la nation françoise, laquelle ne voyant promptement les
)) effects de ce qu'elle a imaginé, se desgoute et murmure. Je
y> ne veux point celer qu'aucuns mesmes des principaux de la
)) noblesse, trop amateurs de leurs biens, ou ayant des espé-
» rances un peu ambitieuses, ou pour estre trop délicats, vou-
» lans cacher ces défauts, mirent en doute la justice de la
y> guerre; ce qu'ayant esté connu, on les pria de se retirer, de
)) peur que leurs propos n'altérassent la volonté des autres. —
» Quant au gros de la noblesse, qu'on ne pouvoit entretenir ni
» placer es garnisons voisines, et qui pouvoyent servir ailleurs,
)) on avisa de les employer en leurs provinces, où les affaires
» balançoyent entre ceux delà religion et les catholiques ^ y>
Ce fut ainsi qu'on envoya Soubize à Lyon, Larochefoucault
en Saintonge, Duras en Guienne, le prince de Portien en Cham-
pagne, et de Montgommery en Normandie.
« Cependant le prince (de Condé), avec tous les autres sei-
» gneurs et gentilshommes, et vingt-deux enseignes de gens de
» pied, demeura avec l'amiral, pour la garde de la ville d'Or-
y> léans ^. »
Le recours à l'appui des forces étrangères étant enfin, aux
yeux des chefs réformés, commandé par les exigences de la si-
tuation, Coligny surmonta ses répugnances personnelles et se
résigna, d'accord avec Condé, à confiera Briquemault la mission
de se rendre en Angleterre ^ pour y obtenir des secours en
1. De Lanoue, Disc, polit, etmilit., p. 687-688.
2. De Bèze, Hist. eccL, t. II, p. 1C2.
3. The admirai of France to Throckmorton. — « Has received his letter and
— 128 —
hommes et en argent, et à d'Andelot celle de visiter les États de
divers princes d'Allemagne, pour y presser la conclusion d'une
levée de troupes préparée par de fidèles agents employés à
Strasbourg et au delà du Rhin. De ce nombre étaient Hot-
man \ Vezines et Lamotte.
Ce dernier venait d'écrire à l'amiral ^ : <r Monseigneur, j'es-
» is very glad to hear of the queen's résolution of favouring Ihe protestant reli-
» gion. Désires him to give credence to the bearer. — The camp at Vaussou-
» dun, 25 juin 1562. » (Calend. of State pap. foreign.)
\. Lettre de Coligny et de d'Andelot à Christophe, duc de Wurtemberg
(archives de Stuttgart, L. B. 16. d. n° 41. 17 juin 1562) : « Illustrissime prin-
» ceps, cùm inferiori mense aliquot nostrae literae, quas ad C. V. scribebamus
» interceptée fuerint, earum eliam literarum omnium exemplaria quas celsitudo
» vestra hùc missas à nobis antehac accepit, è regionibus vestris ad adversa-
)) rios nostros Iransmissas fuisse intelleximus, visum est illustrissimo principi
» Condœo posthàc per homines lidos potins quàm per hujusmodi epistolas de
» rébus nostris vos diligenler commonefacere. Eà de causa aliquot ahhinc dies
» Hotomanum cùm amplis mandatis ad vos misit. Nunc autem Vezinio, quem
» nuper ad G. V. cœteros que Germaniœ principes qui veritatem Evangelicam
» amplexi sunt, mandavimns, alia rursùs mandata mittit, quibus instructi
» rerum nostrarum statum quidve à vobis hoc tempore desideremus ac expec-
» temus fideliter et accuratè exponent. Nec dubitamus quin Deus bis nostris
» conatibus, quibus (ut satis antehàc et literis et nuntiis nostris et bonorum
» sermonibus admoniti estis) adversariorum audaciae et crudelitati obsistere
» coacti sumus fœlicem et exoptatum successum sit daturus. Vos autem nostras
» aut potiùs Christi causae, régis reginœque libertati, qui cùm primùm sese his
» difficultatibus ereptos viderint, vobis procul dubio plurimùm gratulabuntur.
» Neutique (?) modo defecturos nobis certô pollicemur : cùm prsesertim in eo
» non solum honor et dignitas vestra fideique ac pietatis vestras existimatio
» verùm etiàm Dei glorise promotio, piorum et denique omnium salus agi versa-
» rique videantur, quemadmodùm ab iisdem Hotomano et Vezinio singula
» G. V. planiùs intelliget, etc., etc. » — Hottomanus Bullingero. 2 juHi 1562
» (A. Zurich. VIII) : « Scripsi tibi superioribus diebus et cùm litterasD. Sulzero
» misi, posteà multas ad multos procurationes accepi, missas mihi a principe
» Gondensi. Ex his sunt baro à Dhona insignis prudentià, qui, cùm, Aureliis
» studiorum causa degeret Gondensis partibus se addixit. Ex eo tempore missus
» est ad principes nostros ab omnibus proceribus Aurelianis apud quos optimam
» operam Navavit, etc., etc. » — Voy. l'instruction donnée au baron de Dhona,
» à Orléans, le 14 juin 1562, lors de son envoi en Allemagne. {Mém. de Gondé,
» t. m, p. -497 à 499.)
2. Lettre de Lamothe, du 29 juin 1562 (Bibl. nat., mss. f. fr., voL 10190). —
Voy. aussi une autre lettre adressée de Strasbourg, au prince de Gondé, par
Lamothe, le même jour, 29 juin 1562 (Bibl. nat., mss. f. fr., vol. 10190).
— 129 —
D père que vous aurez si bon secours, que vous n'aurez occasion
» de craindre vos ennemis ; car si les Français n'en peuvent venir
» à bout, les Allemands ont délibéré d'emploier toutes leurs forces
» à les ruiner, cognoissant que ce sont pestes mortelles, nées
» pour tourmenter le genre humain ; et vous supplie très hum-
5) blement, monseigneur, tenir pour tout assuré que, s'il vous
)) eùst pieu passer l'instruction des sieurs de Pesmes et Ocques
» ainsi que je l'avois dressée, vous eussiez maintenant, es envi-
)) rons de Paris, six mil chevaux avec le nombre de lansquenetz
5) suffisant pour abattre vos ennemis. Mais vostre Excellence me
)> pardonnera, s'il luy plaist, si j'escry ce que nos princes disent,
)) tous les jours, que les tyrans de Guyse congnoissent mieux la
y> coustumedes levées d'Allemagne que nous ne faisions... nous
» vous supplions nous envoier pardeça quelques gens de con-
y> seil pour nous ayder, ensemble infinies lettres de créance et
)) déclarations des tyrannies et cruaultez des bourreaux de Guyse;
)) car telles nouvelles nous servent beaucoup en ce pays, et ne
» me puis assez esbahir quelle despesche a esté celle de Lapos-
» tigny, présent porteur, auquel on n'a baillé que les quatre
)) lettres de monseigneur le prince, sans qu'il y ait rien du
)) vostre ny de monsieur d'Andelot. d
Les chefs qui composaient le conseil du prince, à Orléans,
(( ne se firent donc plus aucun scrupule d'appeler les étrangers
)) à leur secours, puisque le triumvirat avoit commencé le pre-
» mier de ce faire ^ » et «c d'autant que c'estoit une chose
)) notoire que les Allemands, Suisses et Espagnols entroyent jà
)) en France pour le secours des catholiques -. »
Il s'agissait, à cette époque, pour le prince et la princesse de
Gondé, qui voyaient l'orage s'amonceler sur la tête de leurs
jeunes enfants, de soustraire à ses atteintes ces frêles créatures
1. De Bèze, hist., eccL, t. II, p. 102.
2, De Laiioue, dise, polit, et milit. p. 688.
II.
— 130 —
et leur aïeule, en mettant un terme à leur séjour en Picardie
devenu, chaque jour, plus dangereux. Ils mandèrent donc « à
y> madame de Roye, pour sa sûreté, qu'elle se retirât en Alle-
)) magne, où elle pouvoit beaucoup servir, avec ses petits en-
» fants, à savoir : François, leur fils puisné, âgé d'environ
» sept ans, les deux frères jumeaux dont la princesse estoit
» accouchée au mois d'avril précédent, et mademoiselle de Bour-
y> bon, ce qu'elle fit \ y> en se dirigeant sur Strasbourg.
Tandis que Condé et la princesse, encore sans nouvelles du
long voyage entrepris par la comtesse de Roye avec leurs plus
jeunes enfants, éprouvaient des inquiétudes toutes naturelles
sur l'issue de ce voyage, et qu'avec le désintéressement de
l'amitié, ils félicitaient Coligny et Charlotte de Laval du bon-
heur qui leur était accordé de posséder en sûreté auprès d'eux
tous leurs enfants et ceux de d'Andelot, alors absent, une im-
mense épreuve allait inopinément déchirer le cœur de l'amiral
et de sa femme.
Leur fils aîné, Gaspard, du même âge que le marquis de
Gonty, compagnon assidu de ses études et de ses jeux, élevé
comme lui, à l'école de l'Évangile, faisait toute leur joie, par le
développement précoce de son intelligence et de son cœur, par
sa piété touchante et par ses qualités aimables. Un charme inex-
primable s'attachait à l'épanouissement de son âme candide. Sur
lui reposaient leurs plus douces espérances, auxquelles en un
point surtout, s'associaient celles de leurs intimes amis, M. et
madame de Soubize, dont la fille, Catherine, était fiancée à ce
fils chéri ^.
1. De Bèze hîst., eccl, t. II, p. 102.
2. Voir (Bibl. nat. cabinet des titres, V. Coligny) divers tableaux généalo-
giques de la maison de Coligny, notamment celui qu'a dressé du Bouchet. On
y lit : « Gaspard 11 épousa Charlotte de Laval en 1547 Du premier lit
sortirent Gaspard de Coligny, accordé à Catherine de Parthenay, dame de Sou-
bixe, et mort avant l'accomplissement duraariage etc., etc., » — Le P.Anselme,
— 131 —
Un épouvantable fléau venait d'éclater à Orléans, au sein
d'une population atterrée par le seul nom de peste, qui volait de
bouche en bouche, lorsqu'un jour, se manifestent tout à coup,
chez le jeune Gaspard, les symptômes non du mal régnant,
mais d'une maladie aussi dangereuse, et qui se traduit, dès
le début, par une fièvre ardente. Vainement les soins les plus
énergiques, les plus assidus sont-ils prodigués à l'enfant bien-
aimé : la souff'rance progresse, le consume ; la mort s'avance ;
et cependant, tout affaibli qu'il est physiquement, il possède
encore en son âme assez de force et de lucidité, pour témoigner
de sa foi avec une angélique douceur, et pour adresser à ses
parents, en chrétien confiant, en fils aimant et tendre, un su-
prême adieu! Seize jours se sont écoulés, et Dieu le rappelle à
lui ^ Peu après une main amie trace, pour être inscrits sur sa
tombe, les vers suivants - :
■> Gaspard de Colligny, à l'aage de neuf ans,
> Pour suyvre Dieu laissa le monde et ses parens,
» Fils aisné de Gaspard, admirai, l'espérance
» Du père et de la mère, astres clairs de la France i
> Par lesquels le chemin des cieux il entendit
■» Et soudain au seigneur les bras foibles tendit.
» La fiebvre sans cesser quinze jdtirs le pourmeine,
» Le seizième jour Christ en sa gloire le meine,
» Ayant fait de sa foi haulte confession,
ï Par mort à vie alla, de grande aflfeclion. »
Survivre à son enfant, quelle inexprimable douleur! quelle
croix pesante à porter! Sous cette douleur, sous cette croix se
courbèrent un père et une mère désolés, ce Goligny, cette Ghar-
hist., généal, t. VII, p. 153. — Haag, fr. protest. V. Larchevêque, t. VI,
p. 342.
1. Calend. of State pap. foreign. 27 juillet 1562. Occurences in France. —
Lettre de Th. de Bèze à Goligny, du 27 juin 1568. (Bibl., de Genève, vol. 117).
2. « Épitaphe de Gaspard de Colligny, fils aisné de M. l'admirai de Châtillon,
> qui mourut à Orléans, le ii juillet 1562. — (Bibl. nat. mss. f. fr.vol. 22,560,
fo 67).
— 132 —
lotte de Laval, si forts d'habitude, et désormais presque anéan-
tis. Il eussent succombé à leur détresse, si Dieu ne se fût tenu
près de leurs cœurs pour les soutenir et les relever.
A l'aspect de ce deuil, dont une poignante expérience permet,
seule, à l'âme humaine de mesurer la profondeur, écoutons
Goligny, tout brisé qu'il est par une émotion indicible, exhorter,
devant Dieu, sa femme à la résignation. Il l'a quittée récem-
ment, il est au camp, sous sa tente, en face de l'ennemi ; c'est de
là qu'il lui écrit * :
€ Encores que tu ayes raison de supporter avec douleur la
y> perte de notre fils bien-aimé, si pourtant suis-je obligé de
T> te remémorer qu'il estoit plus à Dieu qu'à nous : et puisqu'il a
)) voulu le retirer à soi, c'est à toi et à moi à obéir à sa saincte
y> volonté. Il est vrai qu'il estoit déjà amateur du bien, et que
y> nous pouvions espérer grande satisfaction d'un fils tant bien
3> né; mais remémore toi, ma bien-aimée, qu'on ne peut vivre
y> sans offenser Dieu, et qu'il est bienheureux d'estre mort dans
3) un âge où il estoit exempt de crime. Enfin, Dieu l'a voulu;
)) je lui offre encore les autres, si c'est son vouloir; fais-en de
y> môme, si tu veux qu'i. te bénisse, car c'est en lui que nous
)) devons mettre tout notre esjDoir. Adieu, ma bien-aimée ; j'es-
y> père te voir dans peu, qu' sera toute ma joie. y>
. Quels que fussent les ravages exercés à Orléans par le ter-
rible fléau, Charlotte de Laval et la princesse de Gondé demeu- '
rèrent constamment dans cette ville. Seuls, les enfants de l'amiral
et ceux de d'Andelot en sortirent après la mort de leur frère
et cousin, pour être conduits au château de Ghâtillon-sur Loing,
où l'on espérait qu'ils seraient à l'abri de la contagion; mais l'un
d'eux, la fille aînée de d'Andelot^ qui, sans qu'on s'en doutât,
portaiten elle le germe du mal dominant, succomba bientôt à ses
atteintes meurtrières. Les enfants des deux frères, qui avaient été
1. Vie de Coligny. Cologne, 1686, p. 258, 259.
2 De Bèze, hist., ecclt. II, p. 461,
— 133 —
confiés à la garde du capitaine BYançois, furent après un sé-
jour de trois semaines à Ghâtillon, ramenés à Orléans par cet
officier * qui les remit aux mains de Charlotte de Laval et
d'ÉIéonore de Roye.
Pendant quatre mois et demi, de juillet à novembre 1562,
Orléans fut le théâtre de scènes de souffrance et de deuil au mi-
lieu desquelles se déploya, dans une sphère d'activité incessante,
la charité chrétienne. Au premier rang des femmes qui, sous
son inspiration, prodiguèrent leurs soins et leurs consolations
aux malades, aux mourants, figurèrent madame l'amirale, la prin-
cesse, sa nièce, et plusieurs dames haut placées dans la société.
La généralité des femmes et des jeunes filles d'Orléans répon-
dant à un sérieux appel adressé par Gondé, en juillet, fit preuve
d'abnégation et de courage, en concourant, dans la mesure du
possible, aux travaux de défense de la place, alors que la peste
se propageait dans des proportions redoutables et qu'elle faisait
de nombreuses victimes. « Le prince, raconte-t-on à cetégard^
» fit continuer à bon escient le labeur des fortifications, sans
» qu'aucun fust exempt, non pas mesme les dames et damoi-
•» selles qui y portèrent la hotte comme les autres, croissant
» cependant tousjours la peste, dont mourut une grande partie
3> des soldats et grand nombre de peuple de toutes qualités.
» Entre autres moururent de ceux de la noblesse, le vidasme
» de Châlons, frère du sieur d'Ésternay, homme doué de plu-
)) sieurs grandes et singulières vertus, le sieur de Toury et un
y> sien fils... Deux personnages de la ville entre autres furen'
)) aussi emportés et très grandement regrettés à bon droict,
1. De Bèze, hist.,eccl., t. II, p. 458, — Haag. fr. prot. t. V, p. 170.
2. De Bèze, hist., eccl., t. II, p. 110. — Voir, entre autres documents se ratta-
chant aux travaux de défense dont il s'agit ici une < réquisition faite par Bri-
> quemaut, au nom du prince de Condé, à des habitants de diverses localités
» voisines d'Orléans, de fournir des fascines et autres objets pour subvenir à
î l'érection ou réparation des fortifications, en date, à Orléans, du 22 juil-
> let 1562. » (Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 10, 190).
— iSl —
y> pour estre personnages des plus doctes et des plus gens de
» bien de leur estât, assavoir Guillaume Maillard, lieutenant
To particulier d'Orléans, et Jean Gaillard, docteur régent èsloiz. »
Vers la fin d'août, se répandit dans la ville et au dehors le
bruit de la mort de la princesse de Condé *; bruit qui, heureu-
sement, ne reposait que sur de simples conjectures. Eléonore
de Roye, bien qu'exposant à chaque instant sa vie pour le salut
des autres, à l'exemple de sa tante, madame l'amirale, fut ainsi
qu'elle providentiellement épargnée. Elle eut même, à force de
dévouement et de sollicitude, la joie de soustraire à la mort
l'une de ses filles d'honneur, mademoiselle des Fossez, que la
maladie régnante avait gravement atteinte ^.
Relevé sur sa demande, de ses fonctions d'ambassadeur
d'Angleterre, Trockmorton qui, en quittant Paris, avait trouvé,
grâce k l'armée des réformés, un refuge à Orléans et une bien-
veillante hospitalité sous le toit de Coligny, écrivit à Ehsabeth
et à Gecil pour les informer des derniers événements et des pro-
grès du fléau ^. « La peste, disait-il, sévit ici avec une intensité
» qui, journellement, diminue le nombre des défenseurs de la
» cause évangélique. La princesse de Condé, son fils aîné el
» madame l'amirale sont toujours dans la ville. »
Le courage et le dévouement de ces deux femmes héroïques
et charitables ne faiblirent pas un seul instant ; loin de là : ils
s'accrurent avec la grandeur même dés épreuves qu'elles tra-
versaient.
Coligny et Condé, de leur côté, demeuraient inébranlables,
« pourvoyant à toutes choses nécessaires, tant par le dedans
» que par le dehors *. y>
i. Dépêche de Ghantonnay du 28 août 1562 {Mém. de Condé, t. II, p. 67. —
ém. de Cl. Hatton, 1. 1, p. 285.
2. De Bèze, hist., eccL, t. II, p. HO.
3. Calend. of State pap. foreign. 9 septembre 1562. Throckmorton to the
queen. — Ibid, id. id. to Gecil.
A. De Bèze, hist., eccL, t. II, p. 111.
— 135 —
Les triumvirs, tout en les menaçant, à la tête de l'armée catho-
lique, avaient appelé à leur aidele parlement de Paris qui, dans sa
servilité coupable, s'était abaissé au point d'adopter, sans con-
trôle, toute une série d'arrêts ah irato, dont « le cardinal de
y> Lorraine et ceux de sa suite avoient minuté le texte, pour estre
y> puis après, à leur appétit, autorisés dudit parlement '. y>
L'un de ces arrêts, en date du 27 juillet 1562 -, déclarait
rebelles et ennemis du roi et de la couronne de France, séditieux
et perturbateurs du repos public, criminels de lèse-majesté di-
vine et humaine, tous ceux qui avaient pris les armes, à Orléans,
à Lyon, à Rouen, et en d'autres villes. A la suite de cet arrêt,
était inscrite sur les registres du parlement la mention suivante :
)) la cour a déclaré et déclare que par l'arrêt par elle donné
y> cejourdhui contre les rebelles et désobéissans à Dieu, au roi
)) et à son royaume, elle n'a entendu et n'entend y comprendre
3> messire Loys de Bourbon, prince de Gondé, parce qu'il a esté
» contraint, à force, de faire ce qu'il a fait. »
Le 8 août, Condé adressa au roi une protestation dans laquelle
il s'attacha à démontrer l'injustice de l'arrêt du 27 juillet ^ et
déclara faire, plus que jamais, cause commune avec ses associés,
dont il s'indignait qu'on eût cherché à le séparer. Quant à
« l'exception, disait-il, de la personne dudit seigneur prince,
» il est trop affectionné au service du roy, pour ne se ressentir
y> et n'estre blessé en la playe qu'on feroit à ceux qu'il sait et
y> cognoist n'avoir jamais eu, en prenant les armes, et n'avoir
» encores autre but que la conservation de ceste couronne
y> Et déclare ledit seigneur prince, que tant s'en faut qu'on
D luy gratifie par ceste exception, que plutost il se sent offensé
» de ce qu'on le voudroit séparer de tant de bons et fidèles
1, De Bèze, hist., ecel., t. II, p. 107.
2, Mém, de Coadé, t. \, p. 91 à 93.
3, De Bèze, hist., eccl, t. II, p. 111 à 127. - - Mém. de Condé, t. III, p. 583
à 598.
^ 136 —
y) serviteurs du roy, et d'une autant bonne et saincte compagnie
y> qui ait jamais esté assemblée en ce royaume. — A ceste cause
ï> estant asseuré et devant Dieu et devant les hommes, que leur
)) innocence est telle que toutes les menteries et calomnies des
y> meschans ne pourroient faire demeurer une seule tasche de
» désobéissance et rébellion, tant sur ledit seigneur prince que
)) sur ses associés, il désire avoir mesme condition avec ceux
)) qui sont conjoincts en mesme bonté de cause, mesme religion
» et mesme volonté d'employer leurs vies pour le bien du roy,
D conservation de son estât et establissement du pur service de
y> Dieu, en son royaume. Et tout ainsi que ledit seigneur prince
» ne peut et ne doit estre désavoué de ceux par le comman-
y> dément desquels il a pris justement les armes^ aussi ne se
y> voudroit-il départir de ceux qui se sont à sa requeste armés
» avec luy et avec lesquels il a mesme intention et volonté.
» Davantage il a assez expérimenté ces ruses de ses ennemis
)) pour cognoistre ce qu'ils luy brassèrent sous la couverture et
» prétexte d'une telle exception : comme aussi il est bien aisé à
» juger par les lettres missives envoyées par les bailliages,
y> éscjuelles il est compris en général avec les autres. »
Dans la partie finale de sa protestation, Gondé n'hésite point
à dire : « Combien que jusques ici ledit seigneur prince ait dif-
y> féré d'appeler les étrangers au secours du roy et de ceux aus-
)) quels il luy a pieu permettre de vivre selon la réformation de
}) l'Évangile : toutesfois, puisque ses ennemis ont commencé de
y> les appeler en leurs mauvaises causes, il proteste ne faire plus,
,)) à l'advenir, aucune difficulté de s'en ayder pour maintenir son
)) bon droit, et ce, d'autant plus qu'il est asseuré que la con-
» servation du roy et de ce royaume est conjointe avec la con-
)) servation de son innocence.
Le 18 août, jour où l'armée catholique, mettait le siège de-
vant Bourges, et où l'amiral et Gondé exprimaient une pleine
confiance dans la fermeté de leurs troupes, pour repousser
- 137 —
toute agression qui serait dirigée contre Orléans *, le parlement
de Paris, à l'instigation du cardinal de Lorraine et des triumvirs,
rendit un arrêt - par lequel une prise de corps était décernée
contre l'amiral, d'Andelot, de Larochefoucault, le prince de
Portien, Montgommery, Rohan, Genlis, Grammont, Piennes
de Soubize, Ivoy, Morvilliers, Mouy, et un grand nombre de
gentilshommes étant à Orléans, de même que contre plusieurs
conseillers, juges, officiers, échevins et magistrats. Tous de-
vaient être jetés dans les prisons de la conciergerie du palais, à
Paris; à défaut de quoi ils seraient ajournés à trois jours sous
peine de confiscation de corps et de biens, et d'être convaincus
des cas à eux imposés etc., etc.
La publication de cet arrêt devint le point de départ de nom-
breux excès commis contre les réformés par des hordes de
fanatiques, à Paris et dans les provinces.
Sur ces entrefaites, arrivèrent à Orléans des nouvelles ras-
surantes du séjour de la comtesse de Roye et de d'Andelot à
l'étranger.
En quittant la Picardie avec les enfants de sa fille, la com-
tesse ne s'était pas fait illusion sur la longueur et les difficultés
du trajet qu'elle entreprenait, à travers la France. Le 20 août,
on s'étonnait, à Strasbourg, de ne pas la voir déjà arrivée.
Th. de Bèze, appelé dans cette ville, au cours d'une mission à
remplir en Allemagne et en Suisse, s'inquiétait, à cette date,
du défaut de nouvelles récentes de la noble voyageuse ^ Le
29 août, le crédule cardinal de Bourbon, se disant bien in-
1. Hotraan à l'avoyer et au conseil de Berne, 30 août 1562 (archives de Berne.
Frankreich. vol. II, ann. 1551 bis 1569) : « Quant à la ville d'Orléans, les der-
> nières lettres étaient datées du 18, et sembloit que messeigneurs le prince
» de Condé et admirai fussent fort résolus d'attendre le siège veu les propos
> qu'ils nous escrivoient pleins d'espérance et confiance, après Dieu, en la
» loyauté de leurs soldats, n
2. Bibl. nal. mss. f. fr. vol. 3 176, f» -4. — De Bèze, hist., eccl., t. II,
p. 128, 129. •
3. Beza ad Calvinum, 2 aoiit 1652 {ap. Baum, append. p. 189, 190) : c So
— 138 —
formé, prétendait * que « madame de Roye estoit allée à Stras-
» bourg mener ses petits neveux en ostaige pour avoir gens;
» qu'ils y avoient esté reffusez et qu'elle s'en estoit revenue. »
Ce qui est certain, c'est que dans les derniers jours d'août ma-
dame de Roye atteignit enfin ^ la grande cité hospitalière d'Al-
sace. Là un accueil sympathique lui était réservé, ^ ainsi qu'aux
frêles créatures confiées à ses soins, dont Calvin devait plus
tard rehausser la condition, alors précaire, par ces touchantes
paroles adressées à leur aïeule ^ : « Dieu, madame, a honoré
» vos petits enfants, en les faisant pellerins en terre estrange. •»
La comtesse de Roye, au moment de son arrivée, se trouvait
réduite, par la rigueur des circonstances à un état voisin du
dénûment. Les premières ressources nécessaires lui furent
spontanément fournies par un généreux ami des réformés fran-
çais, le vénérable Jean Sturm ^, qui, plus d'une fois encore, vint
à son aide.
Fidèle à la double mission qu'elle avait à remplir dans sa nou-
velle résidence, la comtesse sut, tout en s'occupant avec sollici-
tude de ses petits-enfants, saisir habilement chaque occasion qui
s'offrait à elle de seconder les intérêts de la cause au service de
laquelle se consacraient ses frères et son gendre.
y> crus principis nondum advenit, ut certe valdé metuo ne quid illi incoramodi
» accident in via, quanqnam non placet malé oininari. »
1. Bibl. nat. mss. fr. vol. 3 187, f. 23. Lettre du 29 août 1562 à de Humiéres
gouverneur de Péronne.
2. Beza ad Calvinum l"'' septembre 1562. (Baum, append. p. 192j : > Prin-
cipis socrus salva tandem eo pervenit ubi à magistratu est perhonorificé
excepta. »
3. V. Documents historiques tirés des archives de la ville de Strasbourg par
M. Ant. de Kentsinger. Strasbourg, 1818, t. I, p. 55, lettre du 9 septembre 1562
de d'Andelot, remerciant « messieurs les consuls et seigneurs du principal
» conseil de Strasbourg » de l'accueil qu'ont reçu d'eux la comtesse de Roye
et ses petits-enfants.
4. Lettres françaises, t. II, p. 498, lettres d'avril 1563.
5. La vie et les travaux de Jean Sturm, par Ch. Schmidt. Strasbourg,
1855, in-8op. 131.
— 139 —
Ce fut ainsi, notamment, que pom^ justifier la prise d'armes
de Condé, elle produisit, en temps voulu, les originaux mêmes
des lettres que Catherine de Médicis avait adressées, en mars
1562, à ce prince, originaux que ce dernier avait confiés à sa
belle-mère, en la priant de les tenir à la disposition de Spifame,
afin qu'il les utilisât officiellement. Spifame, en effet, ne manqua
pas de s'en prévaloir, dans une circonstance solennelle, ainsi que
l'atteste le passage suivant de la harangue qu'il adressa à Ferdi-
nand I", lorsque se tint la diète de Francfort* : «. Du comman-
» dément que la reine a fait à monsieur le prince de Condé de
» prendre les armes pour la liberté du roy et la sienne, outre ce
» que dessus, il y a témoignage de plusieurs chevaliers.... Aussi
» il y en a lettres... lesquelles sont pardevers mondit sieur le
y> prince, qui n'a voulu les hasarder au danger des chemins,
B mais nous a recommandé, sire, recouvrer de madame de Roye,
» sa belle-mère, estant avec messieurs ses enfans à Stras-
î bourg ^, quatre lettres escrites et signées de sa main, que nous
» exhibons, sire, à vostre sacrée majesté ^.
D'Andelot avait devancé sa sœur à Strasbourg. Le 17 juillet,
on l'avait vu traverser cette ville, alors qu'il se rendait auprès
1. Harangue de Jacques Spifame, seigneur de Passy, envoyé en Allemagne
par le prince de Condé pour justifi.er ses armes envers l'empereur et les princes
de la Germanie {ap. le Laboureur, addit. aux mém. de Castelnau, t. Il, p. 28
et suiv.).
2. V, lettre de Condé, du 3 octobre 1562, aux magistrats de Strasbourg»
relativement au passage de Spifame dans cette ville. (M. A. de Kentzinger,
docum. hist. t. I, p. 64.
3. La Popelinièrè, hist. de Fr. t. 1, f' 333. — De Bèze, hist., eccl, t. IL
p. 178 : « Spifame exhiba les quatres lettres... esquelles il requit que le
» sceau de la chancellerie de l'empire fut apposé... afin qu'on ne pût dire
» puis après qu'elles eussent esté contrefaites et falsifiées par quelque artifice.
» Ce qu'il obtint de l'empereur après qu'il luy en eust donné copie et quel'ori-
î) ginal eùst esté lu et coliationné. » — Voirwem. de Condé, t. II, p. 112,113,
ce que raconte l'ambassadeur d'Espagne, Perrenot de Chantonnay, de l'en-
tretien qu'il eut avec Catherine de Médicis, au sujet des quatre lettres dont il
s'agit,
~ 140 —
des princes protestants d'Allemagne ^ Ses démarches vis-à-vis
d'eux avaient été, en quelques jours, couronnées d'un premier
succès; car Ilotman qui correspondait avec lui, de Strasbourg,
où il résidait pour les affaires du prince de Gondé, écrivait le
8 août, à l'avoyer de Berne^ : « desjà monseigneur d'Andelot a
■» trouvé telle faveur, qu'il a promesse de trois mil reistres pour
)) le moins, et de quatre mil lanskenets, qui s'assemblent main-
3> tenant au païs de Hessen, près Gassel. »
De son côté, d'Andelot annonçait, d'Eslingen, à Calvin, le
11 août ^, (( que son voyage pardeçà n'avoit point, grâces à Dieu
i. Calend. of State pap. foreing, 17 juillet 1562, d'Andelot to the queen. —
Ibid. 21 juillet 1562, Mundt to Cecil. — Frédéric 111 à Christophe, duc de
Wurtemberg le 20 juillet 1562 (Kluckhohn, Briefe Friedrich des Frommen, erste
Band, p. 318, no 187) : « M. d'Andelot, frère de Tamiral, est arrivé à Heidel-
> berg, le 19 juillet avec une lettre de créance adressée à tous les électeurs
» et princes de la confession d'Augsbourg, etc., etc. »
2. Archives de Berne Frankreich,vol. 2, ann. 1551 bis 1569. — La correspon-
dance, qu'en Allemagne, les princes protestants entretenaient, soit entre eux,
soit avec les cours de France et d'Angleterre, contient diverses traces de leurs
efforts en faveur de Condé et de Coligny, en 1562.
Voy. Kluckhohn, ouvr. cité, erst. Band, lettres 1" de Frédéric III au Land-
grave Philippe, du 5 juillet 1562. p. 316, n" 185; — 2» du Landgrave Philippe
à Frédéric III, du 9 juillet, id. ibid. note 2; — 3» de Frédéric III au Landgrave
Philippe, du 19 juilletid. p. 317, iv> 186. 4" de Frédéric III au duc de Wurtem-
berg, du 31 juillet 1562, p. 320, n» 190; 5° du même au comte p. du Rhin, du
31 juillet id. p. 320, n° 191 ; 6" du duc de Wurtemberg à Frédéric III, du
31 juillet id. p. 319, n" 189; 7° de Frédéric III à d'Oisel, du 3 août id p. 322,
n° 192; 8° de Frédéric III aux envoyés Anglais, du 1"' septembre id. p. 335 à^
à 337, n° 200.
3. Bull, de la soc. d'hist. du prot. fr. t. XVI, p. 162, 163, et op. Galvini, vol.
19, p. 49i, n" 3 833. — Calvin avait fini par admettre que le droit de légitime
défense autorisait les réformés français à prendre les armes, et il écrivait aux
églises (lettr. franc, t. Il, p. 4.75) : « II. est question de trouver argent pour
» soustenir les gens que M. d'Andelot a levés... Uieu nous a réduits à telles
i extrémités que, si vous n'estes secourus de ce costé là, on ne voit apparence,
» selon les hommes, que d'une piteuse et horrible désolation. Je scay bien,
)) quand tout sera ruiné et perdu, que Dieu a des moions incompréhensibles
•» de remettre son église au-dessus, comme s'il la ressuscitait des morts..., et
» que, quand nous serions abolis, il saura bien créer de nos cendres un peuple
» nouveau. Cependant nous avons à bien penser si nous ne voulons, à notre
— 141 —
y> esté inutile, et qu'il avoit grande occasion de le louer et re-
y> mercier. ))
Le27août, neuf jours après avoir conclu un traité définitif rela-
tivement à la levée desreistres et lansquenets *, il écrivait encore
à Calvin^ : « Monsieur Galvyn, j'ay reçeu deux de voz letres
» par le cappitaine Fontaine, l'une du dernier de l'autre moys,
» et l'autre" du 5" du présent, me faisant entendre la peine et
y> diligence que prenez pour satisfaire à ce qui vous a esté mandé
)) tantparmesseigneursle prince de Gondé(et)admyral, que par
» moy pour le recouvrement des deniers, et combien il est ma-
» laysé pour les grans frays qu'il a fallu soustenir par le passé, et
» fault encore maintenir le présent. C'est chose à quoy il ne se
» fault point lasser, et tousjours estre importun à chercher les
)) moyens de recouvrer argent, car c'est de cela.de quoy avons
» extrêmement affaire, ayant, Dieu mercy, trouvé tant défaveur
» pardeça envers les princes, que j'espère mener trois mille che-
)) vaux et autant de lansquenets, et si je les vois tous dispo-
» sez à se bien et diligemment employer, j'ay esté ung temps
y> que je m'en voyois fort eslongné, et quasi désespéré ^ Toutef-
» fois, à la fin, les princes en ont si bien usé, que et les hommes
y> et les moyens de les entretenir quelque peu de temps m'ont esté
î> administrés. J'espère que nostre bon Dieu se veut encore servyr
)) des moyens humains pour favoriser son église. Efforçons-nous
» de toutes parts de trouver le moyen d'avoir de- quoy entretenir
)) noz hommes. D seroit bon de recouvrer les douze mil escuz
escient, fermer la porte à sa grâce, de nostre part, ne point défaillir à nostre
debvoir. »
1. « Capitulation des Reytres et Lansquenet/ levez pour monseigneur le
» prince de Condé, du xviii d'aoùst 1562. > (Bibl. nat. rass. f. fr. vol. 6 618,
f" 136, d37, 138). — Nous avons inséré le texte de cette capitulation dans le
bulletin historique et littéraire de la société de l'histoire du protestantisme
français, tome XVI, 2« série, 2" année, 1867, p. 116, 117, 118.
2. Op. Calvini. vol. 19, p. 505, n" 3 841, et Bull, de la soc. d'hist. du prot.
fr. t. XYI, p. 163.
3. De Bèze, hist., ecch, t. II, p. 135.
— 142 —
» dont ceulx de Genefve veullent eslre respondans; car si je les
y> pouvois avoyr dedans le vingtièsme de l'autre moys, vers la
)) frontière de Lorraine, oùjedoysfaire une monstre, ce me seroit
y> asseurance d'avoir de quoy payer tous mes gens, de quoy je
)) crains de demeurer ung peu court, pour en avoir plus levé
y> que je n'en avois proposé au commencement, et si je me trou-
» voys argent de reste, je croy qu'il se trouvera au lieu de la
» dite monstre, plus de mil hommes de guerre, soyt de pied
» ou de cheval, et selon que je verroys le mérite et esquipage
y> des personnes,jeyemployeroysde l'argent. J'espère me trouver
3i> le 9 ou 10 de l'autre moys à Francfort \ Je vous prie que en
» ce temps, je puisse entendre de bonnes nouvelles, etc., etc. De
jD Gassel, ce 27^ d'aoust 1562, vostre bien bon amy, Andelot. »
Le lendemain du jour où cette lettre était adressée à Calvin,
d' Andelot écrivait à l'avoyer et au conseil de Berne^ ;
)) Messieurs, pour ce qu'ayant tousjours faict paroistre de
y> vostre part du bon zelle et singulière affection que vous portez
)) au bien des affaires de la France et encores en ce temps-cy à
y> la liberté du roy et de la royne sa mère et maintenement de la
)) religion qu'on s'efforce par tous moyens d'y esteindre, vous
3> pouvriez avec bonne occasion entrer en quelque mesconten-
» tement de moy de ne vous avoyr jusques icy aucune chose
y> départy du faict de ma négotiation pardeçà pour le secours de
y) monseigneur le prince de Gondé armé contre les perturba-
» teurs de Testât du dict royaume, comme il vous est assez
» cogneu ; à ceste cause, pour vous lever tous les scrupules
j) qu'en auriez pu concevoir, je n'ay voulu faillir de vous en
y> escripre la présente, par laquelle vous entendrez premiè-
1. De Bèze, hist., eccl., t. II, p. 136 : Andelot fut surpris d'une fièvre qui
» l'arresta tout court.... Les deniers furent conduits près de Worms, la place
» monstre (revue) fut arrestée à Baccarat, terre de l'évesché de Metz, au pre-
i mier d'octobre. »
2. Lettre du 28 août 1562. Archives de Berne. Frankreich, vol. 2 ann. 1551
bis 1569.
— 143 —
» rement l'occasioii d'une telle longueur de vous escripre,
» qui a esté pour beaucoup de difficultez survenues au faict
» de ma dicte négotiation, devant que d'en venir à une résolu-
» tion à laquelle je remectois tousjours à vous en mander :
)) et puysque, grâce à Dieu, ayant démonstré par plusieurs
y> grandes apparences qu'il veut prendre la protection des
y> siens, j'ay trouvé tous les princes et seigneurs de ce pays à
)) qui je me suis adressé, si fort affectionnez à la tuition et dé-
3> fense de nostre cause, que par leur moyen, faveur et bon
y> ayde, j'ai déjà distribué l'argent de la levée de trois mil cinq
y> cens chevaulx et quatre mil hommes de pié, lesquelz gens
» de pié je mène plus tost pour l'escorte et seureté passaige
2) de ceulx de cheval, tant par la Lorraine que la France jus-
)) ques au lieu où est mondit seigneur le prince, que pour
y> autre occasion, m'ayant tousjours le dit seigneur escript
» avoir de si bonnes trouppes de gens de pié assemblées en
y> tous les endroictz de la France, que avecques deux mil che-
y> vaulx davantaige qu'il n'a, il se sent assez fort pour com-
» battre ses ennemys. En quoy Dieu monstre de plus en plus
y> combien il nous veult favoriser, avec laquelle trouppe tant
5) de cheval que de pié qui commence déjà à marcher, j'espère
» d'approcher bientost de la dite Lorraine, n'ayant tenu que à
» moy que je ne la mène plus grande, s'estant présentez gens
D de tous endroictz. Sur quoy vous laissant à considérer, mes-
y> sieurs, les frais que nous supportons il y a desjà longtemps,
» à l'occasion de ceste guerre, et qui nous seront encore plus
» grans à l'avenir, je vous supplie bien affectionnément, con-
y> tinuans en vostre bonne et accoustumée affection en l'en-
y> droict de la France et regardant en pitié avec la captivité de
3) son jeune roi et prince naturel et de la royne sa mère les
:d effectz plains d'exécrables et barbares cruautez qui se font
y> contre leurs volontez, ainsi qu'ils le sçauront hardiment dire
y> quand il aura pieu à Dieu les délivrer, pour ruyner et ren-
— 144 —
3) verser du tout la religion de laquelle vous faicles profession
)) comme nous qui nous en sommes rendus deffenseurs, de nous
y> vouloir ayder et secourir pour mieulx soustenir ceste
» tant juste querelle, selon les bons moyens que vous en avez
» de quelque bonne somme de deniers pour subvenir à
» l'advenir à l'entretenement des gens de guerre que je
y> mène de ce dit pays, qui font une partie de nos forces
y) à l'occasion du grand nombre de cavallerie , qu'il y a,
)) refusant par mesme moyen à nos ennemys et les vostres
y> l'ayde et faveur que je suys adverty que couvertement
y> ilz recherchent de vous, tant d'argent que d'armes, ainsi
y> qu'il vous sera plus amplement proposé par le docteur Ho-
» loman \ selon la charge qui luy en a esté donnée. Oultre
3) cela, messieurs, M. de Soubize avant de se joindre àmondit
» seigneur le prince de Gondé ou ailleurs, selon qu'il luy sera
» ordonné, avec les Suysses de vos cantons- et autres gens de
» guerre françoys, tant de cheval que de pié, qu'il pourra as-
ï) sembler des environs de Lyon, je vous supplieraytrèsinstam-
» ment encore d'une chose, qui est de vouloir renforcer sa
ï) troupe de cent chevaulx de vostre ville, qui nous sera ung
)) bon renfort et bien à propos, s'approchant la saison de nous
:s> évertuerjusques au bout à sortir des peines et misères dont
1 . Voir une lettre de Hotmàn à l'avoyer et au conseil de Berne, du 30 août 1562
(Archives de Berne, Frankreich vol. 2 ann. 1551 bis 1569,
2. Voir, sur les troupes suisses venues dans le Lyonnais, les lettres : 1° de
l'avoyer et du conseil de Berne, aux syndic et conseil de Genève, du 8 juillet 1562
(archives de la ville de Genève, n" 1 716); 2° du colonel Nicolas de Diesbach
aux mêmes, du 8 juillet id. ibill, n" i 716) ; 3° de Soubize à l'avoyer et au con-
seil de Berne, du 3 août 1562 (archiv. de Berne, Frankreich, vol. 2 ann. 1551
bis 1569) : « Je suys, y dit de Soubize, empesché avec vos gens pour ce que
3> jusques icy ils se sont rendus difficiles et insoumis... Mais d'autant que les
» Valesans et ceulx de Neufchastel ont esté prests à marcher et faire leur
» debvoir, il a semblé que les vostres reculassent. Cependant il s'est perdu
» de telles occasions, lesquelles Dieu veuille qu'on puisse recouvrer... Je vous
» prie donc bien affectueusement mander à vos gens qu'ils se rendent plus
> traitables, etc., etc. »
^ 145 —
» vous veoiez la pauvre France emplie, qui nous presse d'im-
» plorer l'ayde de tous endroictz, comme nous faisons icy le
» vostre à ung si grand besoing, que pouvez assez juger, l'en-
» tretenement desquels cent chevaulx vous viendra à peu de
» desperise, et en ce faisant vous ferez ung service très agré-
» able à Dieu et obligerez infinis pauvres fidèles de la France
» cruellement tourmentez à vous ayder et secourir en autre
y> endroict, ayans affaire de leur faveur, dont le seigneur par
» sa bonté infinie vous veuille préserver, faisant prospérer voz
y> affaires, etc. Gassel, le 28" jour d'août 1562. Vostre bien bon
y> et affectionné amy, Andelot ^ »
Non moins énergique à Orléans que d'Andelot en Alle-
magne, Goligny, voyant Bourges assiégé, cherchait à inquiéter
l'armée ennemie réunie sous les murs de cette dernière ville
et à lai couper les ressources en vivres et en munitions qu'elle
attendait. Le 1"" septembre, à la tête de sa cavalerie, il attaqua
à l'improviste, non loin de Ghâteaudun, un fort convoi qu'es-
cortaient quatre compagnies de gendarmes et plusieurs en-
seignes d'infanterie. Il tailla en pièces une partie de l'escorte,
mit l'autre en fuite et détruisit la grande quantité de poudre et
d'approvisionnements dont il venait de s'emparer.
« Ce jour donna occasion de grande joye à ceux d'Orléans,
» espérant que la délivrance de Bourges s'en ensuivroit. Mais
)) les nouvelles arrivèrent tantost que, ce mesme jour, Bourges
» avoit esté rendu par composition, tellement que les larmes
^ suivirent le ris de bien près ^ »
Il y avait lieu, en effet, de se lamenter, car d'Ivoy, chargé de
défendre Bourges jusqu'à la dernière extrémité, avait sans justes
1. On peut apprécier d'après les fragments ci-dessus, reproduits de la cor-
respondance de d'Andelot avec Calvin et le gouvernement bernois, l'intérêt
qu'eût présenté celle qu'il entretenait, à cette même époque, avec l'amiral et
Condé, s'il eût été possible d'en réunir les éléments; mais ils ont jusqu'à pré-
sent échappé à nos recherches.
2. De Bèze, Hist, eccL, t. II, p. 132, 133.
II. 10
— 146 —
motifs rendu cette place importante, alors qu'il pouvait la
sauver ou tout au moins y tenir tête longtemps encore aux
forces des assiégeants.
Coligny, écrivant le 12 septembre à d'Andelot, lui signalait
en ces termes * le rôle blâmable que le rhingrave venait de
jouer devant Bourges : « Sans le comte Reingraf et ses trom-
)) peries desguisées en zèle de religion, Bourges fûst encores
y> nostre, et luy et noz ennemys departiz de devant, à leur grande
)) perte et confusion : et afin que vous entendiez la bonne con-
)) science du personnaige, il fault que vous sachiez que, en prac-
y> tiquant la reddition de Bourges, il avoit promis et donné sa foy
y> qu'il ne seroit faict aucun dommage ny moleste aux habitans
y> ny aux cappitaines et souldars qui estoient dedans, lesquels
y> sortant de la ville dévoient estre logez auprès de son régiment
-» pour faire mieux entretenir lesdictes conventions, et comme
)) les tenir en sa protection ; mais au lieu de les faire observer nos
» gens furent logez, dès le premier jour, à quatres lieues de luy
y> sans qu'il leur fist bailler argent ny pain, ny munitions, pour
» les faire mourir de faim, et à ce qu'ils fussent contraints de
» s'escarter, pour donner moyen et occasion à nos ennemys de
» les massacrer comme ils ont faict à quelques ungs. De ceste
» heure, presque tous les cappitaines et les meilleurs soul-
» dartz se sont desrobez et retournez à nous. Les pouvres
» habitans, contre sa foy et promesse, sont emprisonnez, et
» n'exerce-l'on pas moings de cruauté envers eux que l'on la
» faict par cy-devant es aultres lieux où ils ont eu puissance.
)) Voilà ïa bonne foy et religion que a ledict Reingraf, que
» vous devez faire savoir à messieurs les princes afin qu'il ne les
» puisse ainsy abuser. »
Onze jours s'étaient écoulés depuis la reddition de Bourges
et les chefs de l'armée catholique ne savaient encore à quel
1. Mém. de Condé, t. III, p. 677.
— 147 —
parti définitif ils devaient s'arrêter; aussi Coligny disait-il, dès
le début de sa lettre à d'Andelot : « Quant à noz nouvelles,
)) nous n'avons sçeu encores entendre au vray quelle résolution
» noz ennemys ont prins sur ce qu'ilz ont à faire : car ilz sont
i) encores si irrésolus qu'ils ne sçavent ce qu'ilz doibvent entre-
y> prendre, ny où ilz en sont ; ce qui a esté cause d'avoir fait
» retarder ce porteur deux ou trois jours plus que nous n'es-
» périons. Hz avoient faict mine de s'approcher icy près de ces
y> lieux ; mais hier ilz s'allèrent loger à Goudon près de Gien ;
» et dict-on que paitie de leur camp va à Paris; et M. de
)) Nemours est parti avec quelque cavalerie françoyse et un
» party de reystres, pour aller en Nivernais et se joindre avec
» les Italiens auprès de Lyon. Monseigneur de Guyse faict
» compte d'aller en Champaigne audevant de vous et du prince
)) Porcian. On dit que une partie de leur camp s'en va en
» Normandie; mais s'ils départent ainsi leurs forces, je vous
» laisse à penser. »
De nouveaux renseignements parvinrent à Orléans, les faits
se précisèrent, et de Lanoue, en les constatant, put dire ^ :
€ Les ennemis estans enflez et joyeux de ceste soudaine vic-
)) toire, qui estoit, disoient-ils, un bras coupé à ceux de la
)) religion, entrèrent en délibération de ce qu'ils devoyent faire :
» car plusieurs pressoyent fort d'aller attaquer Orléans ; (sou-
» tenant) que les deux chefs qui faisoient mouvoir tout le
» corps contraire, à sçavoir le prince de Condé et l'admirai,
» estoyent dedans, et que les prenant, il seroit après facile de
y> le rendre immobile, etc., etc. — Les autres qui estoyent
)) d'opinion contraire répliquoyent en ceste sorte, que par les
)) intelligences qu'ils avoyent à Orléans, ils sçavoient de certain
)) que les deux régimens gascons et provençaux estoyent de-
•» mourez dedans, qui passoient trois mille soldatz ; plus cinq
i . Disc polit, et milit, p. 689 à 692.
— 148 —
y> ou six cens autres soldats qui s'y estoient retirez de ceux qui
y> estoient dans Bourges. Et outre cela, il y avait quatre cens
3) gentilshommes, puis les gens de la ville qui portoyent les
» armes, qui n'estoient pas moins de trois mille; tout lequel
3) nombre faisoit plus de sept mil hommes, sans y comprendre,
y> encore, disoyent-ils, ceulx qui se viendroient jetter dedans,
3> s'ilz oyoyent quelque bruit qu'on la vinst assiéger; qu'une
)) ville n'estoit pas prenable, où il y avoit tel nombre de gens et
3) grosse provision de vivres; doncques qu'il n'y avoit nul pro-
3) pos, avec douze mille soldatz, de s'aller planter devant, veu le
3) grand nombre des camps séparez qu'il convenoit avoir pour
3) la bien fermer; davantage, que ce seroit s'embarquer sans
3> biscuit, d'entreprendre tel ouvrage, sans estre accompagné
)) de deux cens milliers de poudre, douze mille balles et deux
)) mille pionniers, et que toute la puissance du roy ne pourroit
3) ramasser cela d'un mois; mais qu'il y avoit d'autre besogne
3) ailleurs plus facile à tailler, à quoy il estoit besoin de pour-
3) voir : qui estoit d'oster la ville de Rouen aux ennemis, pen-
)) dant qu'elle estoit encore foible... Et quant aux forces que
3) pouvoit amener le sieur d'Andelot, qu'envoyant à l'encontre
3> d'eux quinze cens chevaux et quatre mille harquebusiers, qui
)) seroient favorisés des païs, villes et rivières, ils suffiroient
3) pour les repousser ou tailler en pièces. Et avenant qu'on en
3) fût venu à bout, alors ce seroit le vray temps d'aller, et sans
•3) crainte d'estre molestez, planter un mémorable siège devant
)) Orléans, pour l'avoir promptement par vive force, ou plus tard
)) par la mine et la sappe, ou à la longue en faisant des forts à
)) l'entour. Ce dernier avis le gaigna et fut suyvi : et pour dire
3) ce qu'il m'en semble, je trouve qu'il estoit le meilleur; car
)) dans la ville y avoit pour la défense plus de cinq mille estran-
3) gers, sans les habitans, et abondance de munitions, et les
y> ravelins commencez, et les fortifications des isles estoyent
)) quasi parfaites. Vray est que M. le connestable, qui estoit un
— 149 —
» grand capitaine, disoit qu'il ne vouloit que des pommes cuites
» pour les abattre ; mais quand on l'eut amené là pour les voir,
» il confessa qu'il avoit esté mal informé. — Souventes fois nos
)) chefs devisoyent entr'eux du siège : mais M. l'admirai s'en
)> mocquait, disant que d'une ville, qui peut jetter trois mille
1) soldatz en une sortie, l'on ne s'en peut accoster près qu'avec
^) péril, ni moins en approcher l'artillerie ; et que l'exemple de
1) Metz et de Padoue, où deux grands empereurs reçurent honte
5 pour avoir attaqué des corps trop puissans, estoit un beau
') miroir pour ceux qui veulent assaillir places qui sont bien
-^ pourveues. »
CHAPITRE V
Traité d'Hampton-Court. — Briquemault et Montgommery à Rouen. — Siège et prise
de cette ville. — Projet de Coligny et de Condé. — D'Andelot, à la tête des troupes
levées en Allemagne, traverse la France sans être entravé dans sa marche par
Tavannes, Nevers et Saint-André. — Réponse de Coligny à de Gonnor, qui lui a de-
mandé une entrevue. — Arrêt du parlement de Paris condamnant à mort Coligny,
d'Andelot et autres. — D'Andelot rejoint son frère et Condé. — Mort du roi de Na-
varre. — L'armée des réformés marche sur Paris. — Pourparlers entamés par
Catherine. Ils n'aboutissent pas. — Condé écrit à'Élisabeth. — Pouvoirs conférés à
la comtesse de Roye par les chefs réformés. — Bataille de Dreux. — Récit de cette
bataille par Coligny. — Le connétable et Condé, prisonniers, sont conduits l'un à
Oi'léans, l'autre à Dreux. — Lettres de Coligny à Elisabeth, à Throckmorton, à
Montgommery. Réponse d'Elisabeth à Coligny. — L'amiral à Orléans. Il écrit de
nouveau à Elisabeth. Il confie à d'Andelot la défense d'Orléans et part avec ses
troupes pour la Normandie. — Écrit dans lequel il déduit les motifs qui le portent
à se rendre dans cette province. — Lettres adressées par lui à la reine d'Angle-
terre, à la reine mère, à Condé et à l'un des princes protestants d'Allemagne.
Confinés dans Orléans, où les retenait l'impérieux devoir de
prémunir contre toute agression cette place d'armes impor-
tante, Coligny et Condé s'attachèrent à assurer la défense de
la ville de Rouen, sur laquelle ils savaient que l'armée ennemie
allait désormais concentrer ses efforts, et la défense d'autres vil-
les de Normandie exposées aussi à ses attaques. Ils comptaient,
pour suppléer à l'insuffisance des seules forces dont ils pou-
vaient disposer dans cette province,, sur les troupes qui leur
arriveraient d'Angleterre lorsque auraient enfin abouti les né-
gociations suivies avec P^lisabeth, d'abord par Briquemault,
puis par le vidame de Chartres et par R. de la Haye.
Cette princesse, qui pendant un certain temps n'avait affi-
ché extérieurement qu'un bon vouloir désintéressé en faveur
— 451 —
des réformés français, saisit le moment où ils réclamaient avec
insistance son secours en hommes et en argent, pour déclarer
qu'elle ne le leur accorderait qu'à titre onéreux. Ses exigences
étaient absolues, rien ne put en triompher; et ce fut avec une
profonde douleur que Coligny et Gondé s'y soumirent en ac-
ceptant le traité d'Hampton-Court, du 20 septembre 1562 \ qui
les consacrait.
ïl était dit dans ce traité «: que la reine d'Angleterre ferait
» transporter en France 6000 hommes, dont 3000 seraient rais
:» dans le Havre, pour le garder, au nom du roi de France, et
» pour en faire un asyie assuré, où les fidèles sujets du roi très
» chrétien, bannis et chassés de leur pays pour cause de reh-
)■) gion, pourraient se retirer; que les trois autre mille seraient
)) employés pour la garde et la défense de Rouen et de Dieppe,
)) sous les ordres des gouverneurs, des magistrats et autres mi-
T^ nistres du roi, sans aucunement attenter ou déroger à leur
» puissance et autorité, et cela, tant que les dites troupes an-
n) glaises seraient en France; que la reine d'Angleterre prêterait
y> au prince de Gondé 140000 écus d'or, pour les frais de la
)) guerre; que le prince, de son côté, céderait à la reine le Havre,
y> afin que les Anglais pussent librement y débarquer et s'y reti-
» rer, et que ces troupes seraient reçues comme troupes amies
» à Rouen et à Dieppe. On ajouta à ces conditions la clause
» ordinaire : sans que ce présent traite fuisse préjudicier au
D droit de la reine d'Angleterre sur Calais -. »
Goligny et Gondé, quelque libres qu'ils fussent de se prêter
généreusement à tous les sacrifices personnels, dans la défense
de leur religion et de leur patrie, demeuraient sans droit pour
disposer, même temporairement, en faveur d'un auxiliaire
étranger, d'une parcelle quelconque du territoire français.
1. Voy. le texte de ce traité dans Forbes : a Full view of the public tran-
sactions in the reign of queen Elisabeth, in-f», t. Il, p. 48 à 51.
2. De Thou, Hist. nniv., 1. 111, p. 327.
- 152 —
S'ils se méprirent gravement sur l'absence de tout droit, à cet
égard, en ce qui les concernait, leur bonne foi du moins fut
entière : l'unique motif qui les détermina fut l'espoir de sau-
ver, par l'emploi d'un remède extrême, tel que l'imposaient,
croyaient-ils, des circonstances exceptionnelles, la cause de la
réforme et de la liberté religieuse, qui, à leurs yeux, primait
toutes les autres.
Mieux éclairés désormais, Goligny et Gondé suivirent invaria-
blement, jusqu'au terme de leur carrière, le seul parti qui fût
digne d'eux et de leurs convictions religieuses : celui de soutenir
une lutte formidable sans dévier de la droite voie, quelque
périlleuse qu'elle fut ; dussent-ils, en combattant à armes iné-
gales pour la plus sainte des causes, n'y rencontrer qu'un in-
succès d'ailleurs glorieux, l'insuccès de vaincus victimes de
leur fidélité chrétienne et patriotique.
Le jour même où fut signé le traité d'Hampton-Court, la
reine d'Angleterre publia une déclaration exposant les motifs
qui l'avaient portée à envoyer en France des troupes auxiliaires
« pour délivrer, disait-elle, une province voisine de l'Angie-
y> terre de l'oppression qu'elle souffrait, sous un roi mineur
D incapable de gouverner par lui-même, et sous la régence
)) d'une princesse, mère du roi, que la faction des Guises tenait
y> en captivité; pour faire en faveur de la France ce qu'elle
)) avait depuis peu fait en faveur de l'Ecosse ; pour conserver et
» maintenir les Français et leur roi dans toutes leurs libertés et
» prérogatives; pour donner au roi de France des marques de
» son amitié et accorder du secours à ses fidèles sujets qui
I) souffraient persécution pour la sainte doctrine qu'ils avaient
» embrassée ^ » .
Briquemault et Montgommery furent conjointement chargés
de la défense de. Rouen. Goligny et Gondé, dans des lettres que
1. De Thou, Hist. univ., t. I, p. 327 et 328.
— 153 —
de courageux messagers devaient, en traversant les lignes
ennemies, apporter à ces chefs à la fois habiles et énergiques,
témoignent de la confiance qu'ils inspiraient à l'amiral et au
prince \
« Monsieur de Montgommery, écrivait Goligny, le 25 sep-
)) tembre 1562 ^, j'ay reçeu ce que m'avez envoyé par ce porteur
)) et ay esté bien ayse d'entendre de vos nouvelles, vous advisant
» que quant monsieur de Briquemault a esté dépesché pardelà,
)) nous ne sçavions pas certainement où vous estiez, car quant
y> nous eussions sçeu que vous y eussiez esté, ce nous eust esté
» grand plaisir que vous eussiez eu la totale charge des affaires
» de ce costé-là, sçachant bien qu'en meilleure main ne pouvoit
» estre, et que M. de Briquemault nous fùst tousjours demeuré;
» parquoy je vous prie ne penser qu'on l'eûst voulu envoyer là
» pour vous défavoriser autrement; mais puisqu'ainsy est qu'il
» y a esté envoyé et que vous sçavez le mérite et la suffisance
)) du personnage ; joinct que, comme vous sçavez, il y a bien
» assez d'affaires pour employer deux hommes de bien, que
y> vous regardiez tous deux ensemble et d'un bon accord à dé-
» partir si bien entre vous deux la charge des affaires de par-
» delà, que tout s'y puisse bien partir, à la gloire de Dieu et la
» consolation des siens. Et au regard de nos nouvelles, nous
» avons entendu que pour certain les ennemis vont assiéger
D Rouen, et que, dimanche dernier, ilz feirent partir de Paris
» vingt-deux pièces d'artillerie pour y mener. Toutesfois ils
» laissent en guarnison es villes d'icy à Fentour trente enseignes
» et je ne veux pas que avecques le reste de leurs forces ilz
)) puissent guère faire de mal à Rouen; mais ilz se vantent qu'ilz
1 . Les originaux de ces lettres sont écrits sur des morceaux de toile dont la
forme et les dimensions indiquent clairement que les porteurs avaient du les
dissimuler sous leurs vêtements. — Voy., à l'Appendice, n" 18, le texte de la
lettre adressée par Condé à Montgommery et à Briquemault, le 24 septembre 1562.
2. Archives nationales de France, 1, 969.
- 454 —
s> y ont intelligence avec quatre capitaines et la doibvent as-
» saillir par deux portes qui sont basses. J'espère qu'ils se trou-
)) veront bien loing de leur compte. Au reste, nous n'avons
y> encores rien entendu de la venue de monsieur d'Andelot, mon
y> frère, par ses lettres ; mais bien arriva hier icy ung homme
» venant de Metz qui nous a dict que mondict frère avoit passé
)) le Rhin avecques tous ses gens et qu'il marchoit en çà. M. le
y> comte de Larochefoucault vient aussy avecques bonne trouppe,
» et en oultre ung laquais arrivé icy à ce soir, venant de Bre-
» tagne, nous a dict que les sieurs de Blosset et Gargrayvous
)) mènent de ce pays-là mil hommes tant de cheval que de pied.
D — Depuis la présente escripte, nous avons eu lettre de mon
» frère qui nous escript que le XIX" de ce moys, il passeroit le
» Rhin, et que dès le lendemain il marcheroit avecques quatre
3) mil chevaulx et six mil hommes de pied, et, que nos affaires
y> se .portent bien pardelà ; comme aussy font-ilz du costé de
)) Lyon, Sur ce, je me recommande, etc., etc. — D'Orléans ce
)) XXV" de septembre 1562. Vostre entièrement bon et bien
» affectionné amy, Ghastillon. »
S'adressant à Briquemault, le 30 du même mois, l'amiral ^ lui
confirmait les nouvelles qu'il avait données à Montgommery
cinq jours auparavant et lui disait : (( Ce m'a esté fort grand
» plaisir d'entendre de voz nouvelles et que les choses passent
2> avecques sy bon succès pardelà depuys que vous y estes, vous
» pryant que les ayant mises en si bon train, vous continuiez
ï) de vous y employer selon que vous cognoistrez estre requis et
» mesmement vous comporter en cela de telle façon avec M. le
» comte de Montgommery, prenant chacun de vous deux d'ung
y> commun accord sa part de la charge des affaires de pardelà
3) et y ayant une si bonne intelligence entre vous deux, que l'on
y> cognoisse combien deux personnages sages et advisez au
4. Archives nationales de France, I, 969. .
— 455 —
y> manyment d'une grande charge y vallent plus que ung, et celle
y> des affaires de ce costé-là est sy grande pour le présent, qu'il
» y a lieu pour employer deux bons chefs, comme vous sçavez ;
y> mais le tout est d'accorder bien ensemble. Parquoy l'assu-
y> rance que vous me donnez m'est une aultant bonne nouvelle
» que je puisse avoir de ce costé-là. y>
Après une résistance dans laquelle les assiégés déployèrent
une énergie et une constance admirables, Rouen succomba sous
les coups de ses agresseurs. Là, comme en tant d'autres ren-
contres, le parti qui triomphait se déshonora par d'effroyables
excès commis à l'égard des réformés. La prise de cette grande
cité fut suivie d'atroces exécutions ^
La double perte de Bourges et de Rouen réduisit Orléans à
une situation critique. Aussi les préoccupations de Coligny et
de Condé étaient-elles des plus vives, alors que, sans nouvelles
récentes de d'Andelot, ils craignaient que son sort et celui
du renfort qu'il devait amener ne fussent gravement com-
promis.
D'accord avec l'amiral, le prince était prêt, si les circonstances
Texigeaienf, à se séparer de ses compagnons d'armes pour tenter
seul, au loin, à la suite d'un trajet périlleux à travers la France,
une démarche suprême, dans l'intérêt de la cause que son oncle
et lui soutenaient avec une indomptable fermeté d'esprit et de
1, < Le ravage de cette ville, dit d'Aubigné {Hist. univ., t. I, liv. 111, ch. x)
» fut à la mesure de sa grandeur et de sa richesse; on en estime le meurtre à
» quatre mille personnes. Le connestable eut soin d'arracher plusieurs prison-
» niers, quoiqu'il y en eùst à deux mille escus de rançon, pour les mettre entre
» les mains du parlement; lequel, à son arrivée, fit trancher la teste à Mandre-
» ville et pendre quatre conseillers et Augustin Marlorat, et le lendemain six
» capitaines, et puis encore plusieurs autres : en représailles de quoy le prince
» (le Condé fit mourir le président Sapin et l'abbé de Gastines, pris comme ils
» allaient en Espagne. Plusieurs réformez réprouvèrent cette vengeance , et me
» souvient que mon père, revenant du conseil oîi ces deux avaient esté con-
» damnez, refusa de manger et dit au secrétaire Parenteau qui l'avait accom-
» pagné : On dit que l'ire est une demie folie, et je dis qu'aux princes elle est folie
» entière. »
— 156 —
cœur. Lanoue * dit à ce sujet : « En ces entrefaites, j!ay souve-
ii> nances, ayant devisé de ces choses, que monsieur l'admirai
» dit à monsieur le prince de Condé qu'un malheur estoit tous-
)) jours suivi d'un autre, mais qu'il falloit attendre la troisième
» aventure, entendant du passage de son frère, et qu'elle les
» relèveroitou abatroit du tout. Aussi eux s'attendoient, si mal
» luy fust advenu, d'avoir le siège, et en tel cas ils avoyent pris
)) une résolution fort secrette, que l'un d'eux s'en iroit en Alle-
» magne, pour s'efforcer d'y relever encore quelque secours, et
^ avisèrent que monsieur le prince de Condé, pour la grandeur
» de sa maison, auroit beaucoup plus d'efficace pour persuader
» les princes protestans de la Germanie de lui assister en une
» cause où eux mesmes avoient quelque participation. La dif-
» ficulté estoit du moyep de l'y conduire seurement, mais aucuns
)) gentilshommes se trouvèrent qui montrèrent évidemment
» qu'allant de maison en maison de ceux qui favorisoyent son
» parti, et marchant la nuit et reposant le jour, il estoit facile
» de passer, ayant vingt chevaux, et non plus. Mais il ne fut
» besoin de tenter ce hazard, pour ce qu'à dix ou douze jours
» delà ils eurent nouvelles que monsieur d'Andelot, ayant passé
» les principales difficultez de son voyage, estoit à trente lieues
ï» d'Orléans... Il ne faut point demander si chacun sautoit et
» riait à Orléans : car c'est la coustume des gens de guerre de
)) se resjouir plus ils ont de moyen de faire du ravage et du mal
» à ceux qui leur en font, tant l'ire est puissante en leur endroit.
» Et comment n'auroyent-ils quelquefois les affections tachetées
)■> de sang, vu que plusieurs gens d'église les ont si rouges de la
» teinture de vengeance, au cœur desquels ne devroit résider
» que charité? »
La nouvelle parvenue à Orléans, de l'approche de d'Andelot
à la tête de ses troupes, était exacte.
1. Disc, polit et milit., p. 696 à 698,
— 457 —
Il avait été rejoint en Alsace dans le courant de septembre
par le prince de Portien*, qui, en s'avançant à sa rencontre, avait
réussi à traverser la Champagne, sans y être entravé par les
troupes du gouverneur de cette province. Ce dernier était le jeune
duc de Nevers, son beau-frère, infidèle à la cause des réformés,
qu'il avait originairement promis au prince de Gondé de servir '^.
D'Andelot et le prince de Portien, alors aux prises tous deux
avec de sérieuses difficultés pour la solde des levées allemandes,
avaient adressé des demandes de secours au vénérable Sturm,
dont le dévouement et l'esprit de sacrifice leur étaient bien con-
nus. Le 26 septembre ^, d'Andelot écrivait de Strasbourg au duc
de Wurtemberg : «Monseigneur, après avoir longuement cheminé
)) et travaillé pour l'avancement de nos affaires, m'est survenue
» une maladie, laquelle après m'avoir pour quelque temps bien
» tourm-enté et affoibly,suys demeuré avec une fièvrequarte.M.le
» comte de Soma m'est venu trouver icy, ayant charge de M. de
2) Lorraine de me conduire par ce pays et faire bailler et adminis-
)) trer vivres et autres choses requises et nécessaires pour le pas-
» saige de noz gens de guerre... je fais mon conte de partir demain
j> de ceste ville pour m'achemyner au jour de la monstre.... J'ai
» trouvé argent en ceste ville, qui me vient bien à propos *. » A
1. Le 29 août 1562, le cardinal de Bourbon écrivait d'Amiens à de Humières.
(Bibl. nat., mss. f. fr.,vol. 3 187, f» 23) : «Arrivant icy, me sont venues lettres
» de Champagne par lesquelles on m'advertit, jour pour jour, depuys le 8 de
» ce moys de ce que a fait le prince de Porcien : à la fin, voulant aller au-devant
» du sieur d'Andelot qui debvoit amener des AUemans, estant à G... où il en
» attendait des nouvelles, il en a reçu de la mort du sieur d'Andelot. »
-2. Voy. à l'Appendice, n» 19.
3. Mém. de Condé, t. II, p. 707, 708.
4. Th. de Bèze, que d'Andelot appelait à lui, .vers la même époque, adressait
de Berne à Bullinger, le 24 septembre 1562 (archives de Zurich, B. 24, Gest.
VI, 166, p. 219 à 222), la confidence suivante : « Ecce iterum in vastissimum
» gurgitem referor. Cogunt enim me Andeloli obtestationes ad ipsum quam
» celerrimè reverli nisi velim déserter videri. Itaque jam recurro, in Lotharingiam
> ubi illi occurram et ipsius copiis... Reclà ad Andelotum pergo et inde quo-
» cumque volet Dominus, oui me totum committo. »
— 458 —
quelque temps de là il procédait, à Baccarat, en Lorraine, à la
monstre (revue) des reîtres et lansquenets qu'il avait recrutés
au delà du Rhin.
Cependant, que faisaient le duc de Nevers, Tavanneset le ma-
réchal de saint André, chargés de se concerter entre eux pour
interdire à d'Andelot le passage par la Champagne, qu'il devait,
croyait-on, chercher nécessairement à traverser?
Une correspondance échangée en octobre par ces trois chefs,
nous les montre incertains dans leurs résolutions et leurs mou-
vements, peu confiants dans le succès, et enfin ne sachant où
rencontrer l'adversaire intrépide et habile qui, ayant changé
tout à coup d'itinéraire et dérobant à leurs yeux sa marche
hardie, leur enlève l'espoir de l'arrêter au passage.
« Monseigneur, écrit Tavannes, de Mâcon, au duc de Nevers, le
)) 7 octobre ^, j'ay reçu lectres de la royne par lesquelles elle me
3) mande que je m'achemyne avecques les deux mille Suisses de
D ceste levée dernière du costé de Vandœuvre, ou Bar-sur-Seine,
» ou Auxerre, avec le plus de forces que je pourray pour les
» joindre avecques les vostres, s'il est besoing, affin d'empescher
» la venue des Allementz que conduit M. d'Andelot; j'ay ren-
» voyé au devant des dits Suisses pour les faire reprendre ce
)) chemyn là.... Si vous plaist, vous envoyerez des gens de cheval
» pour les accompagner, car ilz n'ont point accoutumé d'aller
)) en lieu où il y a le moindre danger du monde, tous sans de
)) cheval. ))
Le 15 octobre, le duc de Nevers répond, de l'abbaye de Clair-
vaux, à Tavannes ^, qu'il ne peut lui envoyer aucun détache-
ment de cavalerie, et il ajoute : « J'envoyeray à Bar-sur-Seine
-» un gentilhomme pour y recevoir les Suisses et les conduire
» où nous verrons estre à propos, selon ce que nous cognoistrons
1. Pingaud, Corresp. des Saulx-Tavannes, p. H2,
2. Bibl. nat., mss. f. fr., vol. A 6-40, f° 100.
— 159 —
y> que les AUemans s'achemyneront, lesquels ne sont encore
)) deslogez de Baccara, où ilz feront monstre le x" de ce moys...
» ils n'ont point jusqu'icy d'artillerie... M. Dandelotesttousjours
» malade. Boucart depuis peu de jours est arrivé vers eux. Le
y> prince de Porcien y est aussi et quelques six ou sept cents
» Françoys, et ne se peut rien descouvrir encores de certain
y> de leur délibération. Toutesfoys, nous nous attendons qu'ilz
)) viendront en Bassigny, car l'estappe de leurs vivres est desjà
D dressée, il y a plus de huit jours, à Neufchasteau. Nous
» sommes cependant, en ces pays, attendant ce qu'ils voudront
j) faire, afin de nous conduire suivant cela. Nous avons départy
» nos gens de pied ez places, et en avons encore huit ou dix en-
» seignes de reste avecquesnous pourjeteroùnous cognoistrons
» qu'il en serabesoing, car de les combattre et les atendre pour
y> leur faire teste avec de telles et si bonnes forces comme vous
)) pouvez penser que sont celle-cy, je crois que vous ne nous le
)) conseillerez pas ; mais avecques les gens de cheval que nous
» avons, nous essayerons de leur porter tant d'ennui et incom-
y> modité qu'il nous sera possible. On nous a mandé de la cour
(( que M. le mareschal de Saint-André nous doit venir trouver
» avecques les trois mil Espagnols et quatre cents hommes
» d'armes qui seront allez pour leur donner du passe-temps *. »
Tandis que Tavannes annonce, le 23 octobre, au maréchal
de Saint- André qu'il a ordre de se joindre à lui, et qu'il le « prie
» de lui mander là où il pourra le trouver ^, » il reçoit, le même
t. « Les Âllemans entrent dans ce royaume et sont bien avant en Lorraine,
» où j'ay envoyé mon cousin le mareschal de Saint-André avec de bonnes et
» grandes forces de gens de pied et de cheval pour essayer de leur empescher
» le passaige pendant que j'achéveray de réduire ce pays. » (Lettre de Charles IK
à Saint-Sulpice, son ambassadeur en Espagne. Octobre 1562. Bibl. Impér. de
Saint-Pétersbourg, ap. de Laferrière, la Normandie à r étranger,^. 23 à 25.)
— Voy., sur le même sujet, deux lettres de Robertet au duc de Nemours, des
15 et 21 octobre 1562. (Bibl. nat., mss. f. fr., vol. 3 200, f»' 128 à 135.)
2. Pingaud, Corresp. des Saulx-Tavannes, p. 114 à 116.
— IGO —
jour, du duc de Nevers la dépêche suivante, datée de Mussy-
l'Evêque ^ : « Monsieur de Tavannes, je n'ay voulu faillir de vous
y> advertirque les Allemans ont fait telle diligence plus que nous
)) ne pensions, qui passeront demain ou dimanche la rivière de
» Seyne au-dessus de Ghastillon pour tirer à Auxerre et de là
y> à Orléans; parquoy il vous plaira donner ordre que les Suysses
j> que vous nous deviez envoyer à Bar-sur-Seine, aillent rete-
3 nuz et avisez de cecy, afin que par mégarde ils ne tombent
» point en quelque surprise des Allemans. Il y a desjà 7 ou 8
3) jours que je n'ay point entendu des nouvelles de M. lemares-
y) chai de Saint-André. ))
Le 24 octobre, Tavannes mande de Dijon à Saint-André -
qu'il renonce à envoyer le lendemain les Suisses à Ghâtillon
(sur-Seine); mais, dit-il, pour autant que j'ay entendu depuis
)) mon arrivée que les Allemans que conduit M. d'Andelot sont
y> achemynez jusqu'à Ghaulmont et à Ghasteauvillain, et tient
» l'on qu'ils prennent le chemyn devers ledit Ghastillon," occa-
» sion que je vous ay dépeschez ce porteur 4)our entendre de
» voz nouvelles, premier que faire partir lesdits Suysses d'icy
» aux environs, de peur qu'ils se missent en hazard, car de les
)) faire passer à cinq lieues des ennemys, vous scavez qu'ils
)) pourroient estre deffaictz, mesme que je n'ay pas ung seul
» homme de cheval pour les accompaigner. Parquoy il vous
» plaira remédier pour leur seureté et me mander le chemyn que
)) vous voulez qu'ilz tiennent pour vous aller trouver, et envoyer
» gens et telle force qu'aduiserez pour les conduyre.... Les
y> Suisses font grande difficulté de marcher sans cavalerie et
y> disent qu'ilz ne veulent approcher l'ennemy de dix lieues. »
Le lendemain, Tavannes ^ prie Saint- André de veiller à la
défense d' Auxerre, menacé par les Allemands, et il ajoute : «J'ay
1. Bibli. nal., mss. f. fr., vol. i 640, î" 102.
2. ld.,vol. AGdiJ'^' 78, 79.
3. Pingaud, Corresp. des Saulx-Tavannes, p. 118.
— 161 —
3) fait séjourner les Suysses près d'icy (Dijon), de peur de les
» mettre en hasard, en attendant de voz nouvelles et que le
(( sieur d'Andelot soyt par-delà Chastillon, où il est pour le jour-
)) d'huy, ainsi qne je vous ay escript ces jours passez. »
« Il vous plaira, écrit en même temps Tavannes au duc de
» Nevers ^ ayder et favoriser ceulx d'Auxerre de tel nombre
» de gens de guerre que vous ad viserez, pour la garde d'icelle
D et pour empescher que l'ennemi ne s'en puisse emparer. »
Le 27 octobre, Saint- André, répond à Tavannes - : « Mon-
y> sieur mon bon amy,j'ay dépesché présentement ung homme
» pour aller au-devant des Suysses, leur faire préparer vivres et
)) autres choses qui leur seront nécessaires. J'ay envoie
» aussy une partie de ma compagnie pour les conduire et venir
)) avec eulx, sans les abandonner, estant bien marry que mon-
)) sieur de Nevers et moi ne sçeusmes hier, à Bar-sur-Seine, où
» nous estions, qu'ils estoiient si proches de nous, d'autant que
» nous ne les eussions laissé passer si près des Allemands, les-
y> queb, comme vous entendrez de ce porteur, passèrent, di-
y> manche dernier, la rivière de Seyne " , en quoy nous ne leur
)) avons peu donner aucun empeschement. »
Alors que d'Andelot, ayant traversé la Seine, non loin de
Ghàtillon, et franchi l'Yonne, s'avançait, à marches forcées,
vers Orléans, Goligny recevait, dans cette ville, un billet, écrit
à l'instigation de Catherine de Médicis, par lequel de Gonnor
lui exprimait le désir de conférer avec lui sur les événements
qui agitaient alors la France. L'amiral lui répondit aussitôt
d'Orléans, en ces termes, exprimant combien la guerre ci-
1. Piiigaud, corresp. desSaulx-Tavannes, p. 119.
2. Bibl. nat. niss. f. fr. vol. 4 Gil , f° 6.
3. Tavannes connaissait déjà si bien cette circonstance, qui faisait tant d'hon-
neur à l'habileté de d'Andelot, que, le jour même où Saint-André lui adressait
sa réponse, il écrivait à Catherine de Médicis (Pingaud, corresp. des Saulx-
Tavannes, p. 121) : « Les ennemys se sont tant advancez, que dimanche ils
stoient à Ricey (aux Riceys). »
II. U
— 162 —
vile lui pesait, et combien il aspirait à une paix honorable * :
« Monsieur mon cousin, j'ay reçeu la lettre que m'avez escrite
.:» de Paris par le porteur, et ne doute point que vous n'ayez un
y> grand regret de voir tant de troubles, pilleries et désordres
3) généralement par toute la France, comme ont toutes per-
3> sonnes d'honneur et de vertu, et ayant pareil zelle au bien
y> des affaires duroy et à la conservation de ce royaume, que
3) vous avez. Je croy aussy que vous estimez bien que de ma
y> part j'en porte un très grand desplaisir que je vous puis as-
» seurer, monsieur mon cousin, eslre tel que, s'il n'y alloitque
» de moy et de mon interest. particulier, je voudrois avec la
3» perte et de mes biens et de ma vie avoir rachepté tels incon-
2) véniens. Vous sçavez que nous n'avons jamais rejette aucuns
)) bons moyens d'accord, et monsieur le prince de Gondé,
p auquel j'ay présenté vos très humbles recommandations, y a
» tousjours entendu et en a proposé dès le commencement
)) de ces troubles, se soubzmettant à toutes raisonnables con-
)) ditions, sans vouloir avoir un seul advantage pardessus ceulx
» qui ont d'eulx-mesmes les premiers pris les armes offen-
» cifves. De ma part, je n'ay rien en plus grande affection
y> que de voir qu'il soit pourvu à tant de maulx de remède
y) prompt et convenable, et n'avez plus grand désir de me voir
)) que j'ay d'en pouvoir communiquer avec vous, de sorte que
y> d'autant que je ne puis partir d'icy, si vous avez à mectre
ï) quelque chose en avant de la part de la royne pour ung si
3) bon effect, ou vous jugiez qu'il y ait apparence et que vous
» ayez volonté de venir en ce lieu, vous y serez le bien venu et
i> reçu; de quoy ceste lettre vous servira avec la parole dudict
» siegneur le prince de toute seureté, etc. etc. Vostre bien affec-
» tionné parent et amy, Ghastillon. »
Dix jours plus tard, Coligny étant encore à Orléans, adressa
1. Lettre du 28 octobre 15G2. (Bibl. nat. rass. fonds Golbert, V" vol. 24,
012.)
— 163 —
à de Gonnor ces lignes * : « Monsieur mon cousin, j'ay veu par
y> la lettre que m'avez escripte du VI de cemoys, que vous
)) estiez sur le point de partir de Paris pour venir à Estampes
y> afin que nous nous puissions veoir et communiquer ensemble
» suyvant ce que m'avez faict entendre par vostre précédente
» et que là vous actendriez que M. le prince vous eust envoyé
)) une seureté pour vostre aller et retour, laquelle il vous en-
y> voye présentement ^ . Mais quant à vous mander le lieu où
y> vous nous viendrez trouver, c'est chose que je ne vous puys dire
y> au vray, ny vous en faire entendre autre chose pour le pré-
)) sent que ce que vous en dira ce porteur, lequel vous conduyra
5) la part que nous serons où je vous diray derechef que vous
3> serez le bien venu et reçu, etc., etc. »
Tandis que de Gonnor exprimait à l'amiral le désir de confé-
rer avec lui, un arrêt du parlement de Paris condamnait à mort,
le 16 novembre, comme rebelles « et criminels de lèze-majesté
au premier chef », Coligny, d'Andelot, de Larochefoucauld, de
Rohan, le prince de Portien, de Montgommery, et plusieurs
autres chefs réformés 3 .
Au début de novembre * , le vaillant frère de l'amiral, sans se
i. Lettre du 8 novembre 1562. (Bibl. nat. mss. fonds Colbert, V^ vol. 24,
f»2.
2. Lettre de Condé à de Gonnor, du 8 novembre 1562 (BibL nat. mss. fonds
Colbert, V« vol. 2i, f* 1) : « Monsieur de Gonnor, parceque mon oncle
» mons. l'amyral m'a fait entendre que vous estiez prest de partir de
» Paris afin de le venir trouver et communiquer vous deux ensemble suyvant
> ce que auparavant lui aviez escript, mais que vous desiriez avoir une seureté
> de moy laquelle vous actendriez à Estampes, premier que d'en partir, j'ay,
» à cette cause, bien voulu vous envoyer la présente par ce porteur, laquelle
» vous servira de toute seureté pour vostre voyage, tant pour l'aller et retour,
» que pour le séjour que vous ferez en noslre camp avec vingt-cinq on
» trente cbevaux de vostre train et suyte etc., etc. Vostre bien bon cousin
» et mylieur amy, Loys de Bourbon. »
3. Mém. de Condé, t. IV, p. lU, 115.
4. « Le 6 du mois (de novembre), Andelot arriva, quifatreçupar le prince et
» par l'amiral, son frère, luy venant audevant, avec toutes les caresses du monde,
» comme furent aussi les principaux reitremaistres, qui s'en retournèrent aus-
-- 164 —
laisser abattre, un seul instant, par des souffrances pliysiques
qui dataient de son séjour 'en Allemagne et l'obligeaient à se
faire transporter en litière, apparut enfin non loin d'Orléans,
à la tête du corps de troupes que, grâce à une série d'habiles
manœuvres, il avait soustrait aux embûches et aux attaques de
l'ennemi.
Renforcée par ce corps, l'armée des réformés se dirigea sans
retard sur Paris, sous la conduite de Condé et de Goligny,
qu'acompagnaient d'autres chefs.
Un seul d'entre eux, d'Andelot, épuisé de fatigues, fut retenu
à Orléans par une grave maladie ^ . H y reçut les soins assidus
de sa belle-sœur, madame l'amirale, et de sa nièce, Éléonore
de Roye, à peine remise des inquiétudes que lui avait causées
récemment la santé du prince, son mari.
Ce fut au chevet du lit de souffrances de son oncle, que la
princesse de Condé reçut la nouvelle de la mort du roi de Na-
varre, son beau-frère, qui, blessé, le 16 octobre, au siège, de
Rouen, avait, le 17 novembre, rendu le dernier soupir. Ce
prince, sentant de jour en jour ses forces décliner, avait expri-
mé le désir de revoir Jeanne d'Albret, et chargé un gentil-
homme, qu'elle lui avait envoyé, de retourner vers elle et de
l'accompagner de Réarn en Normandie ^ ; mais il était trop
tard. Jeanne, qui se fût estimée heureuse d'apporter à son mari
de suprêmes consolations, n'avait plus devant elle la possibilité
de franchir, en temps opportun, la longue distance qui la sépa-
rait de lui. Couvrant d'un généreux pardon le loyal aveu, qu'au
terme de sa carrière, Antoine de Rourbon avait fait de ses torts
» sitôt avec Andelot, bien joyeux, d'un costé, mais bien marris aussi de n'estre
D venus à temps pour le secours de Rouen, dont ils espéraient bien faire la ven-
5 geance. » (De Bèze, hist., ceci,, t. Il, p. 190).
\. Calend, of state pap. foreign, 22 novembre 1562. Throckmorton to the
queen. — Ibid. 7 décembre 1562. Smith to Cecil.
2. Calend. of state pap, foreign, 31 octobre 1562. News sent from France.
— 165 —
envers elle, elle ne se rappela plus que son affection pourlui, et
le pleura, en femme chrétienne.
Au double titre de frère, de sœur, et d'amis fidèles, le prince
et la princesse de Condé partagèrent la douleur de Jeanne, ainsi
que le prouvent deux lettres touchantes qu'ils lui adressèrent * .
Lorsque, dans sa marche sur Paris, l'armée des réformés
fut arrivée à Étampes, la reine mère, donnant suite à la ten-
tative d'entrevue qu'elle avait récemment fait faire par de Gon-
nor, « ne faillit pas d'envoyer celui-ci au prii.ce de Gondé pour
)) lui ouvrir une nouvelle face de traité, par la mort du roi de
» Navarre, son frère, duquel il devait prendre la place et l'au-
y> torité, à la conservation de Testât, bien qu'au commence-
)) ment le prince respondit qu'après la paix il saurait bien
y> prendre l'autorité de son frère, si ne pouvait-il en aimer la
)) place ni l'exemple, comme estant mort au service de ses en-
y> nemis ; si est-ce qu'il se laissa amuser et par là donna loisir
y> de fortifier tous les fauxbourgs (de Paris) - . >
Le prince, ayant pris position devant Corbeil, Gatherine lui
envoya successivement Saint-Mesme et de Gonnor, pour lui
proposer une conférence avec elle sur les moyens de conclure
la paix. Il approcha de Paris avec ses troupes, et « soudain
)) la royne luy manda qu'elle désiroit de parler à luy, au
y> Port à l'Anglais, et le connestable aussi à l'amiral son nepveu.
)) Cela estant accordé avec suspension d'armes, le prince se
» trouvant mal, ou pour autre occasion, contremanda qu'il ne
» s'y pou voit trouver ; mais bien y fut l'amiral , lequel passa
1. 1" Lettre de la princesse de Condé, du 27 novembre 1562 {Mé7n. de Condé,
t. IV, p. 131); — 2° lettre du prince de Condé, du 22 novembre 1562, datée du
camp devant Corbeil {Mém. de Condé, t. IV, p. 126).
2. D'Aubigné, hist. univ. t. I, liv, 3, chap. xii. — « The 11 novembre,
» M. de Gonnor arrived at the prince's camp :... he remained in the camp,
> that night, lodged in the admiral's lodging, and made long discourses to
» them. » (Trockraorton to the queen, 20 novembre 1562, Calend. of state
> pap. foreign.)
— 166 —
» et parlementa avec le connestable l'espace de deux bonnes
» heures, mais en vain, ne voulant aucunement ouïr parler le
3> connestable de l'exercice de la religion, et l'amiral au con-
y> traire lui répliquant qu'il perdrait plus tost mille vies, si au-
» tant en avoit, que de quitter ce point ^ . »
Les pourparlers furent repris entre Catherine et Condé; des
notes, des mémoires, des projets de traité furent échangés^;
mais rien ne fut admis par Catherine, au nom du parti catho-
lique, qui pût donner aux légitimes revendications de Condé et
de ses compagnons une satisfaction sérieuse; et dès lors, sur le
conseil de Coligny, le prince renonça à tout projet d'attaque
ultérieure contre la capitale, et se décida à marcher dans la
direction de la Normandie. L'amiral, en donnant ce conseil,
s'était appuyé, entre autres motifs, sur ce que « les reistres et
» lansquenets commençaient à murmurer et à demander
» argent, ausquels on ne pouvoit respondre autre chose, sinon
)) que bientost il en viendroit d'Angleterre, leur monstrant les
)) lettres qu'on en recevoit de jour à autre La résolution
» fut donc d'aller droit en Normandie, tant pour recevoir cest
y> argent et en contenter les estrangers, que pour y recueilhr
)) le plus d'Anglois qu'on pourroit, d'autant que les ennemis
» estoient forts d'infanterie, afin aussi de divertir le camp de
» l'ennemi du siège d'Orléans ^ ))
Arrivé à Saint-Arnoul, sur la route de Chartres, Condé crut
devoir rendre compte à Elisabeth de l'issue stérile des négocia-
tions qui avaient eu lieu, à proximité de Paris. « Madame, lui
•» disait-il, le 16 décembre *, j'ay reçeu avec très grand conten-
)) tement les deux lettres qu'il a plu à vostre majesté m'escrire,
1. De Bèze, hist., eccL, t. II, p. 195.
2. Voir le détail de ces pourparlers et le texte de ces noies, mémoires et
projets de traité dans Vhist., eccL, de Bèze, t. II, p. 197 à 225 et dans les
Mém. de Condé, t. IV, p. 144 à 176.
3. De Bèze, ïiist., eccî., t. II, p. 227.
4. De Laferrière, le xvi" siècle et los Valois, p. 86, 87.
— 167 —
)) tant du seiziesme du passé et de l'autre du présent; je vous
» depesche ce porteur pour vous faire incontinent et bien au
3) long entendre ce qui s'est passé en Tabouchement qui est, ces
» jours passez, intervenu près de Paris entre la royne mère et
» moy. Noz adversaires, desquelz ne procède que desguizement
» de vérité, ayant en mains toutes commodités et ministres
y> propres pour exécuter toutes leurs volontez, n'auront pas
» failli, usant de leur artifice accoustumé, de peindre ce faict
» de faulses couleurs, et faire servir à leurs passions et avan-
)) tagesceste négociation de paix, laquelle, madame, vous pour-
» rez entendre au vray et simplement comme elle s'est passée,
» par le discours que je envoie présentement, lequel vous dé-
y> monstrera au doigt et à l'œil en quel devoir je me suis mis et
)) me suis condescendu à toutes les plus douces et raisonnables
» conditions dont je me suis pu adviser pour essayer mettre une
y> bonne, ferme et seure paix en ce royaulme et l'exempter des
y> calamitez dont il est affligé, n'ayant demandé que la liberté
» des consciences, avec la conservation de l'honneur et la seu-
)) reté des biens et personnes de ceux qui s'y sont employés en
y> ceste cause, sans avoir égard aux avantages que je pouvois
)) lors avoir sur nos ennemis, pour le désir que j'avais de par-
y> venir à cet effet; sans aussi avoir voulu faire instance du lieu
y> qui de droit m'appartient en ce royaulme et qu'on ne me
» peut tollir, et qui servoit du moins à justifier davantage mes
)) actions, à descouvrir la malice de noz ennemis et le but de
)) leurs mauvaises intentions, et à nous esmouvoir de pour-
3) suivre de tout nostre pouvoir ceux qui n'ont d'autre fm pré-
y> sente que la ruyne de l'église de Dieu et de la religion, de
)) tous ceux qui en font profession, et généralement de tous les
y> subjectz du roy; en quoy j'espère, avec l'aide de la majesté
ï> divine et de la vostre, m'employer tellement, sans m'arrester
» désormais à parlemens et négociations, que, malgré eux,
y> Dieu sera servy par tout ce royaulme, et ses serviteurs
— 168 —
y> exempts de leurs violences et cruautés ; vous suppliant, au
)) reste, très humblement, madame, rejeter la faute que vous
» n'avez plus souvent de mes nouvelles sur l'incommodité et
» difficulté des chemins et passages, ensemble vouloir croire
» que je n'eusse jamais entièrement conclu aucune chose en
)) ce fait, sans premièrement avoir adverty vostre majesté
y> pour, sur ce, suivre vostre conseil, et où. si après telle négo-
» ciation interviendroit, à quoy touteffois je suis résolu de
y> n'accéder aulcunenient, si aultre chose ils ne vouloient
» mettre en avant. Cette lettre vous servira, madame, de gage
» et d'assurance que je ne concluray jamais rien sans en
}) avoir vostre advis, ni accorderay chose qui vous touche sans
)) vostre consentement ; bien délibéré de me conduire toujours
ï> par le conseil de M. l'admirai et de ceulx de sa maison et les
)) cognoistre les plus gens de bien et plus affectionnez qui
)) soient en ce royaulme; aussi d'adjouster foy à tout ce que me
)) fera entendre Nicolas Throckmorton \ de vostre part, duquel
» j'ay entendu ce que vous lui aviez donné charge de me dire,
» et qui vous fera entendre ma response. En tel endroict, je sup-
» plieray l'infinie bonté de Dieu vous conserver, madame, en
j> très parfaite santé. Au camp de Saint-Arnoul, le seiziesme
» de décembre 4562. »
L'insuccès du mouvement agressif sur Paris et ses environs,
la rupture des négociations qui avaient paralysé les effets de ce
1. Trockmorton, de son côlé, en se prononçant sur le caractère de Condé et
des trois Châtillons, écrivait à Cecil, dès le 15 octobre 1562 : Pour conclure, je
» vous dirai, et par vous à samajesté, que l'amitié du prince de Gondé,de l'amiral
» et de la maison de Châti lion mérite d'être estimée, embrassée et entretenue par
» sa majesté autant qu'aucune amitié, en France, de toute la maison de Bour-
» bon. Je le regarde comme le prince le plus sage et le plus sincère; et parmi
> les nobles j'estime l'amiral et ses frères comme les plus sages, les plus ver-
» tueux et les plus sincères personnes de marque de ce royaume. Le prince et
> les gentilshommes dont je viens de parler sont aussi les plus odieux et les
» plus redoutables aux Espagnols et aux papistes. > (Hist. des princes de Condé,
» t. I, p. 382).
— 169 —
mouvement, la marche de Condé vers la Normandie, celle des
troupes catholiques, qui s'avançaient parallèlement aux siennes
étaient autant de circonstances faisant présager, comme inévi-
table, une sanglante rencontre entre les deux armées.
Alors qu'ils se trouvaient dans le voisinage de Dreux, Condé
et ses lieutenants jugèrent opportun, avant d'en venir aux
mains avec l'ennemi, d'adresser, en vue d'éventualités pro-
chaines, un nouvel appel au bon vouloir de leurs auxiliaires
étrangers. L'étendue de leur confiance dans le zèle et l'habi-
leté de l'intermédiaire qu'ils se décidaient à employer auprès
des princes allemands ressort clairement de la teneur du
mandat dont ils l'investirent ; et, fait digne de remarque, cet
intermédiaire fut, non pas un homme rompu aux négocia-
tions, mais une femme éminente qui, par la double autorité de
son caractère et de son expérience, offrait toutes les garanties
désirables à des commettants tels que Condé, Cohgny, d'An-
delot, de Larochefoucauld, de Rohan, de Grammont, et le
prince de Portien. Un fait de cette nature est tellement excep-
tionnel, qu'un intérêt historique incontestable s'attache au
texte des pouvoirs que ces divers chefs, réunis au camp de
Néron, conférèrent, le 18 décembre 1562, à la comtesse de
Roye \
Le lendemain du jour où cette pièce avait été signée,.se li-
vra la mémorable bataille de Dreux ^ L'amiral y déploya une
énergie contre laquelle se brisèrent les efforts de ses adversai-
res, et, en dernier lieu, ceux du duc de Guise.
1. Voir, appendice, ir 20, le texte de ces pouvoirs.
2. Les histoires locales offrent parfois de singuliers rapprochements à faire
"ïvec l'histoire générale de la France ; en voici un exemple : « Un acte très
» remarquable advint à Châtillon-sur-Loing, le propi'e jour que la bataille fut
> donnée à Dreux; c'est que les enfants un peu grandets, s'estant de leur propre
» mouvement mis en deux bandes, chacune desquelles a voit un chef, l'un s'ap-
» pelant le prince de Condé, et l'autre le duc de Guise, sans que les pères et
> mères y prissent garde, se battyrent si bien à coups de gaules, de pieds et de
- 170 —
Les historiens se sont appesantis avec plus ou moins d'exac-
titude sur les détails de cette bataille. Il nous suffira de re-
produire le récit fidèle qu'en rédigea sommairement Goligny,
et qui fut promptement répandu en France et à l'étranger^ ; Je
voici :
« Du XIX décembre 1562.
€ Monseigneur le prince de Condé, après avoir présenté aux
y> ennemis de Dieu et du roy tous honestes moyens et convena-
)) blés au lieu et degré qu'il tient en ce royaulme, pour faire
» une bonne et sainte paix, ou bien pour définir tous ces
» troubles par l'issue d'une bataille en laquelle il a tousjours
)) espéré que Dieu lui ayderoit pour une si juste querelle, fina-
)} lement aujourd'huy XIX de décembre, voyant que ses enne-
« mys avec toutes leurs forces estoyent campez à deux petites
» lieues françoises près de luy, pour l'empescher de se join-
» dre aux Angloys, s'est résolu de les assaillir et combattre,
<) combien qu'ils eussent jusques à cent enseignes d'infanterie
» recueillie d'Allemagne, Suisse, Espagne et divers lieux de
)> ce royaulme, avec trente pièces d'artillerie, et qu'ils eussent
» pour leur prochaine retraite la ville de Dreux et le village
)■> de Trion, avec une rivière à leur dos et un bois en flanc pour
» leur défense. Ainsi donc, sur ceste délibération, ledict sei-
» gneur prince estant party de son camp, environ les huit
» heures du matin, après avoir choisy ses ennemis le mieux à
» propos que le lieu le permettoit, donna dedans si coura-
y> geusement que, de la première charge, il gagna six pièces
)) d'artillerie, rompit leur infanterie et cavallerie et print pri-
)) sonnier monseigneur le conestable, après avoir tué une
» mains, que ce duc de Guise bien blessé en mourut puis après. » (De Bêze,
hist., eccl., t. II, p. 461).
1. Record office, state papers, France, vol. XXVIII. — Ce récit est celui que
l'amiral adressa, revêtu de sa signature, à la reine d'Angleterre. — De Lafer-
rière, le xvi" siècle et les Valois, p. 89, 90, 91, 92.
— ni —
» grande partie des Suysses. La deuxiesme charge ne fut
« moins furieuse, et est certain que si l'infanterie française et
3 allemande eust aussi bien faict son debvoir comme elle s'y
3> porta laschement, et si les reistres eussent peu mieux en-
» tendre ce qu'on ne leur pouvoyt dire que par truchement,
D qui ne se présentoit tousjours à la nécessité, l'entière vic-
» toire estoyt entre les mains dudit seigneur prince par troys
ï> et quatre foys. Mais, au lieu d'ung tel bien, la volonté de
S) Dieu, qui dispose de toutes choses selon sa sagesse incom-
» préhensible, fut telle que ledit seigneur prince, ayant faict
» en la meslée tout.le debvoir d'ung prince très vaillant et très
i> magnanime, ne peut estre secoureu d'ung cheval frais, au
)) lieu du sien blessé en une espaule d'une arquebusade, et par
» ce moyen tomba entre les mains des ennemis qui le prin-
» drent captif, sain et sauf au demourant, grâces à Dieu,
» hormis ung petit coup en un doy de la main droite. Gela
» estoit pour non seulement empescher le cours de la victoire,
» mais aussi la tourner en une pitoyable desconfiture, comme
» de faict l'armée en fut esbranlée, qui fut cause que Tartille-
» rie conquise ne se put garder. Mais ce nonobstant, par une
y> singulière grâce de Dieu, M. l'admirai, suyvant la charge que
)) ledict seigneur prince luy avoit donnée de commander à
» l'armée, en son absence, rallia soubdain tant de cavallerie
» française et allemande, que voyant approcher pour la tioi-
î) siesme charge troys gros bataillons que ledit conestable avoit
)) dès le commencement réservez expressément pour le dernier
T> effort de ceste bataille, il leur fit teste de telle sorte, qu'a-
y> près avoir longuement combattu avec la plus grande fer-
» meté qu'il est possible, il rechassa les ennemis si avant,
y> que la pluspart de leur bagage versa dans la rivière, et leur
y> fuyte en suyvit si grande, qu'il y en eut qui portèrent jusques
» à Paris les nouvelles de la bataille perdue pour eulx. Et là,
3) avec plusieurs aultres gentilshommes, fut tué et puis des-
— 172 —
y> pouillé le mareschal Sainct-André, l'ung des chefs des trium-
» virs, et monseigneur de Monbron, fils dudit conestable.
î) Quant au seigneur de Guise, on pensa longuement qu'il fùst
y> blessé mortellement en deux endroicts ; mais despuis on a
D sçeu le contraire, el qu'on avoit prins pour luy, le grand
» prieur, son frère. Monseigneur d'Aumale y a esté blessé en
)) une espaule, ou, comme les autres rapportent, en ung
» bras qui luy a esté rompu. Monseigneur de Nevers, pour
» certain, a la cuisse rompue audessus du genouil, en grand
)) danger de sa personne^ . Le comte de Gharny et le sei-
y> gneur de Pienes y sont fort blessez. Desbordes, lieutenant
y> dudict seigneur de Nevers, à ce qu'on nous affirme, tué sur
» le champ. Labrosse aussy, chevalier de l'ordre, et premier
)) autheur du massacre de Vassy, y est mort, pour certain, et
» son fils fort blessé. Les seigneurs de Beauvais et de Roche-
y> fort, chevaliers de l'ordre, avec plusieurs chefs, lieutenans et
» hommes d'armes, prisonniers, jusques au nombre de cent et
» plus, lesquels n'avons encore recognus; de sorte que, pour
» vérité, il leur estoit malaisé de souffrir une plus grande
» perte, si leur armée n'eûst esté entièrement ruinée. De nos-
1» Ire costé, la captivité dudict seigneur prince nous est un
y> grand meschef, combien qu'il soit en la puissance de Dieu,
» comme nous espérons, d'en tirer l'occasion de quelque grand
1. « iAlonseigneur de Nevers se meurt », écrivait, le 10 janvier 1563, Robertet
au duc de Nemours (Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 3 200, f" 121). L'un des plus vail-
lants capitaines réformés, de Mouy, que l'amiral mentionne dans son récil, s'ac-
quitta d'un pieux et dévoué ministère auprès du neveu de Gondéet d'Eléonore de
Roye. Infidèle à la cause de la réforme française et à la promesse deux fois faite
au prince, son oncle, de combattre à ses côtés, le jeune duc de Nevers avait
porté les armes, dans les rangs de l'armée catholique, à la bataille de Dreux.
Le brave et généreux de Mouy, tout souffrant et prisonnier qu'il était depuis le
19 décembre, trouva moyen de communiquer avec le pauvre blessé, demeuré
libre « qui estoit encore plus tourmenté de sa conscience que de son corps,
» criant mercy à Dieu. R lui servit de consolateur et comme de ministre, jus-
qu'à la mort. > (De Bèze, hist., eccl., t. II, p. 242. — La Popelinière, hist.
t. I, p. 348. — Calend. of state pap. foreign. 13 janvier 1563, Smith to Cecil,)»
— 173 -
» bien, estant maintenant les principaux autheurs de ces trou-
j> blés, ou morts ou aultrement eslongnez de sa majesté. Oul-
» tre cela nous avons perdu quelques capitaines d'infanterie et
y> quelques gentilshommes, mais en fort petit nombre. Dieu
3) mercy, de soldatz, sans comparaison beaucoup moins que
» nos ennemis, et nul de nos principaux chefs n'a esté seule-
D ment navré, hormis le seigneur de Mouy, qui a esté blessé
» au visage et faict prisonnier. Sur cela, estant la nuict presque
». close, nous nous contentasmes de ce que dessus, et nous re-
y> tirasmes, à leur veue, et en bataille, au son de la trom-
y> pelte, avec trois canons que nous y avions amenez. Par ainsi,
j) leur est demeuré le camp, auquel nous les allasmes assail-
y> lir, comme aussi à nous le nostre, duquel nous estions partis ;
» et s'ilz ont prins nostre chef d'armée, aussi tenons-nous le
» leur prisonnier. Il y a ce seul poinct d'avantage pour eulx,
y> que nous leur avons laissé, à cause de la nuict et par faulte
» de chevaux, quatre pièces d'artillerie de campagne. Mais
y> nous estimons cela par trop récompensé par la perte qu'ils
» ont faicte de tant de grands seigneurs et capitaines ; de
» sorte qu'il faut confesser que Dieu a gouverné l'issue de
)) ceste bataille, ainsy que toutes aultres choses, avec une
y> équalité et proportion très admirable, afin que ce royaulme
y> ne soyt du tout ruiné par soy mesmes. Voilà tout le dis-
y> cours de ceste journée.
« Du XX dudit moys.
« Le lendemain XX dudit moys, au matin, monseigneur l'ad-
D mirai marcha vers ce qui estoit resté de leur camp et se pré-
» senta pour les tirer de leur fort, où voyant qu'il n'y avoit
y> heure de les assaillir, i! se retira pour adviser ce qui estoit
3 de faire, estant tout prest de poursuivre vifvement l'entreprise.
» Et combien que soyons partis en bataille devant leurs yeux,
y> en délibération de leur courir sus, s'ils nous approchoient,
y> si n'ont-ils jamais eu le courage de faire seulement semblant
— 174 —
y> de nous charger jusque h présent, si cpie nous espérons,
» moyennant la grâce de Dieu et le secours des fidèles et vrais
» alliez de la couronne de France, non seulement en prendre
» courage, mais aussi nous conduire tellement qu'en brief ces
j> troubles prendront quelque heureuse fin, à la ruyne des
)) ennemis de Dieu et soulagement de tout Testât de ce
y> royaume. »
Coligny conduisit alors ses troupes au village d' Anneau. Là
se tint un conseil de guerre dans lequel, à l'unanimité des voix,
il fut investi du commandement en chef, pour l'exercer, tant
que durerait la captivité du prince de Gondé.
Cependant qu'étaient devenus les deux commandants des
armées catholique et réformée, le connétable et Gondé, de-
puis qu'ils avaient été fait prisonniers, l'un au fort delà mêlée,
par un gentilhomme allemand, Volpert von Derst * , l'autre
vers la fin de l'action, par Damville?
Au moment où le connétable, blessé d'un coup de feu à la
mâchoire inférieure, et enveloppé de toutes parts, venait de
se rendre à Volpert von Derst, des mains duquel des reistres
tentaient de l'arracher, dans l'espoir de spéculer sur sa cap-
ture, survint, pour lui sauver la vie, en faisant cesser ce brutal
conflit, le jeune prince de Portien, « fils de la comtesse de
» Seninghen, à laquelle le connestable avoit . fait de grands
D maux, jusques à la mettre en extrême danger ^ ; ce qui es-
y> tonna le connestable, craignant la vengeance, mais le prince
1. Volpert von Derst figure dans quatre documents manuscrits relatifs à la
rançon du connétable, en daledes 4avril, 25 mai, 8 etl2 juin 1563. (Bibl.,nat.
mss. f. fr. vol. 3243, f" 97, 99, 101 et vol. 3 249 f" 82). II est digne de remar-
quer que le premier de ces documents' est un engagement spontanément con-
tracté par Coligny, de payer une partie de la rançon de son oncle, le conné-
table.
2. De Bèze, hist., eccl, t. II, p. 235. — Voir notre étude historique sur
Antoine de Groy, prince de Portien. (Bulletin de la soc. d'hist. du protest,
français, année 1869).
— 175 —
y> de Portien, comme il estoit vrayment de bon et généreux na-
j> turel, aa lieu de la pistole, luy présenta la main, luy promet-
y> tant toute assistance et gratieuseté ^ . y> Après ce trait d'ad-
mirable générosité, le prince » rendit à Anne de Montmorency
tous les bons offices qu'il pouvoit espérer^ ; d il le confia à
des mains sûres, commanda qu'on l'entourât de soins etd'égards,
et, de concert avec Coligny, organisa son départ pour Orléans.
Dans la nuit du 19 au 20 décembre, quelques fuyards ayant
atteint cette place, « y rendaient toutes choses incertaines,
y> mais, non pas à déplorer; ce qui tint tout le peuple, en sus-
» pens^. l'anxiété était extrême, lorsque, le vingliesme du
:» mois, d'assez bonne heure, nouvelles certaines arrivèrent
y> qu'on amenoit le connestable prisonnier, auquel on n'avoit
y> donné qu'une petite relasche en chemin depuis sa prise, le
y> faisant marcher sans cesse toute la nuit et le jour suivant* .
Anne de Montmorency arriva à Orléans, le 20, vers la fin de
la journée. « Il avoit été mené en si grande diligence,
)) blessé et vieil comme il estoit, qu'il porta presque le
y> premier les nouvelles (dans cette ville), où on lui bailla pour
» hostesse la princesse de Gondé, sa nièce ^ . »
Eléonore de Roye, dans le premier moment, ne sut rien, par
son grand-oncle, de la blessure ni de la captivité de son mari.
En effet, le connétafble, tenu à l'écart du champ de bataille,
dès le milieu de l'action, ignorait le sort du prince. La prin-
cesse, ayant devant elle le chef qui venait de combattre contre
Louis de Bourbon, ne vit en lui qu'un prisonnier de guerre
blessé, et plus encore, que le père profondément affligé de la
1. De Bèze, hist., eccl., t. II, p. 2^5.
2. De Thou, hîst. univ. t. III, p. 367.
3. De Bèze, hist., eccl., t. II, p. 244.
4. « The constable was sent to Orléans with suehspeed that he drank but
> once by the way, and that on horseback. > (Calend. of state pap. foreign.
3 janvier, 1563, the batUe of Dreux, §3). — De Bère, kist., eccl., t. II, p. 244!
5. Mém. de Castelau, in-f» 1. 1, p. 129»
— 17G —
perte d'un fils mort sous ses yeux, les armes à la main. Aussi,
quels soins délicats, prodigués au vieillard, dans l'intérêt de
sa santé! Quelle sympathie pour les douleurs du cœur paternel!
quel empressement à procurer au prisonnier toutes les facili-
tés possibles pour communiquer avec sa femme, sa famille,
ses amis, ses serviteurs! Une sollicitude véritablement filiale
entoura immédiatement le connétable, sous le toit de la prin-
cesse ^ .
Condé, légèrement blessé à la main, ayant eu son cheval tué
sous lui et se disposant à en monter un autre, avait été, dans
son isolement momentané, assailli par un gros de gendarme-
rie que commandait Damville, et contraint de remettre son
épée à ce chef, qui l'avait conduit au duc de Guise, à l'issue
de la bataille. Bi-antôme se trouvait alors auprès du duc,
objet habituel, pour lui, d'une admiration contre laquelle il
est bon de se tenir en garde. Il parle, en ces termes^ , de l'accueil
qui fut fait au noble prisonnier : « M. le prince de Condé
» fut pris, non sans grand danger de la mort, si M. de Guyzè luy
» eust voulu rendre ce qu'il luyavoit voulu prester à la conjura-
y> tion d'Amboise; mais au lieu d'un tel remboursement, quand
» il luy fut présenté, il luy fit force honneur et bonne chère, le
)) retira avec luy, luy présenta la moytié de son lict, et couchèrent
» tous deux ensemble aussi familièrement comme si jamais
y> n'eussent estez ennemis, mais comme bons amis et cousins
)) germains qu'ils estoient. De tout le soir (du 19) il ne fut
» guières veu, et M. de Guyze le lui conseilla, et demeura en sa
)) garde robe, bien qu'elle fùst fort petite et chétive, car c'es-
y> toit une maison de village fort champestre. Force gens le vou-
» loient voir, mais M. de Guyze l'avoit deffendu, car une per-
1. « La principessa di Condé ha ricevulo amorevolmente il conestabile prig-
s gione à Orléans. » (Dépêche de Tornabuoni à Cosme l'^'^duSO décembre 1562.
Négoc. diplom. de la France avec la Toscane, in-i" t. 111, p. 502).
2. Édit. Le Lab. t. IV, p. 349, 350.
— 177 —
)) sonne affligée n'ayme guières ceste veue ni Visitation. —
y> J'euz pourtant crédit de le voir assis près d'un feu, faisant
)) démonstration grande de sa douleur et d'une appréhension
» grande. On luy porta à soupper, et souppa; puis, tout le
y) monde retiré, et M. de Guyze se voulant coucher, il donna
)) congé à un chascun, non sans avoir demeuré longtemps
y> assis près du feu, à causer de la bataille parmi nous, où cha-
)) cun y estoit reçeu pour son escot et son dire. — Luy et mon-
» sieur le prince couchèrent ensemble, et l'endemain nous al-
» lasmes à son lever. Il se mit à escrire au roy et à la royne le
» plus brièvement qu'il put, et sortit voir le champ de bataille,
)) non trop loin pourtant, car il disna et y alla après à bon es-
» cient. — Cependant le prince se leva, qui estoit encore au
)) lit quand nous estions en sa chambre, les rideaux tout tirez
» au dedans. S'il fust esté pressé de se lever, il fust esté bien
y> estonné,cedisoit-on. Puis, quand fallut desloger, M. de Guyze
)) le redonna à M. Damville à le tenir en bonne garde, et pour
» faire l'eschange de luy et de M. le connestable, ainsi que le
» porte le droit de la guerre. »
Le lendemain de la bataille, on conduisit Louis de Bourbon,
du campement du duc de Guise à Dreux, où il fut incarcéré et
soumis à une stricte surveillance. Ainsi le voulait Catherine de
Médicis, qui, sous le nom du roi, se chargea, dès le surlende-
main, 21 décembre, de fixer les attributions de Damville, par
une commission en forme de lettres-patentes * . A cette com-
mission se rattachait un règlement signé par Charles IX.et par
sa mère^ .
La journée du 21 s'était passée sans qu'Eléonore de Roye
eût encore appris quoi que ce fût de précis, au sujet du prince.
Le 22, lui parvint un message que son oncle, l'amiral, s'était
empressé de lui expédier, la veille. Se trouvant à Auneau, il
1. Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 3 19i, f» 1, — Mém. de Condé, t. IV, p. 181.
2. Bibl, nat. mss. f. fr. vol. 3 194, f^ 2. — Mém. de Condé, t. IV, p. 182.
". 12
— 178 —
avait reçu quelques informations concernant Gondé : ce fut de
ce village qu'il les transmit aussitôt à sa nièce dans une lettre
empreinte d'affection. Il la consolait « sur la captivité d'iceluy
D prince, avec déclaration de la bonne et entière volonté de
y> l'armée encores assez roide et forte pour le délivrer et pour
» venir à bout du reste des ennemis; à laquelle lettre les mi-
» nistres du camp adjoustèrent les leurs qui servirent grande-
y> ment à fortifier cette bonne et vertueuse princesse ^ . »
De ce même village d'Auneau, Goligny écrivit à Warwick,
le 21 décembre, ^ et, le 22, il adressa, à la reine d'Angleterre,
vers laquelle il députait Briquemault, la lettre suivante ^ :
(( Madame, sinon qu'il nous fault recevoir patiemment tout
)) ce qu'il playt à Dieu nous envoyer, et nous conformer, en
3> toute chose, à sa saincte volonté, je désirerais bien d'avoir
D ung meilleur subject pourescrire à vostre majesté, que celuy
)) qui se présente, qui est que lexix' de ce moys, M. le prince
> de Gondé, désirant mettre une fin aux troubles et désolations
y> qui sont en ce royaulme, approcha de si près nos ennemis que,
» sans regarder à l'advantage du lieu et au nombre de gens de
5) pied et d'artillerie qu'ils avoient, il leur donna la bataille en
)) laquelle Dieu a permis qu'il ayt esté pris; mais ce a esté avec
)) si grande perte et ruyne de leur cavallerie, que la plus
y> grande part de leurs chefs et principaux capitaines ont esté
y> prins, tuez et blessez, et la nostre, qui est demeurée entière et
1. De Bèze, hist., eccl.y t. II, p. 245.
2. « Although Coudé is taken, yet he is well, and none of them intend to
» desist from their interprise on that account. Desires liim to beg the queen
» to send over foot sodiliers as quickley as possible. Their cavalry are in very
* goodorder, and did notloseaboveSO or 100 men in thelate baittie, whilst that
î of the many wasintirely defeated, andnearly ail their principal captains taken,
> killed or wounded. Is sure that now when satan is making every effort, the
« earl's courage will redouble. > The admirai of France to Warwick, camp at
Auneau, 21 déc. 1562. (Galend. of state pap. foreign).
3. Record office, state papers, France, vol. 28. — De Laferriêre, le xvi* s. et
les Valois, p. 92.
— 179 —
3» qui a fait rexécution sans avoir perdu plus de quatre vingts
3) ou cent chevaux, est en ceste résolution de poursuyvre Ten-
y> treprise présente de tout son pouvoir et de toutes ses forces.
i> Et parce, madame, que M. le prince vous a faict cy-devant
» entendre son intention et que nous avons tous telle asseu-
» rance en la vertu et bonté de vostre majesté, au zèle que
y> vous avez tousjours démonstré avoir à l'advancement de la
3) gloire de Dieu et aux grâces que Dieu a mises en vous, dont
3> nous avons assez de cognoissance et expérience, je n'ay
}) voulu faillir de jous supplier très humblement, madame, de
y> vouloir donner le secours qui nous est nécessaire, selon
3) que vous entendrez de M. de Briquemault, lequel il plaira
y> k vostre majesté ouyr, et le croire de ce qu'il vous dira, tant
y> de ma part que de toute ceste compagnie, qui espérons que par
» vostre bon moyen et avec l'ayde de Dieu, qui marchera de-
y> vaut nous pour combattre pour sa querelle, l'yssue en sera
y> si heureuse, qu'il sera servy par tout ce royaulme, et le roy
3> obéy de tous ses subjectz, avec ung rçpos et tranquillité
3> publique. Or, d'autant, madame, que vous entendez assez
3) la justice de nostre cause, et avez faict paroistre tousjours
> de quelle affection vous avez favorisé ce qui touche l'honneur
3) et le service de Dieu, je ne m'estendray en plus long propos,
3) craignant d'annuyer vostre majesté par ceste lettre, mais
3) bien suplieray l'infmie bonté de Dieu vous vouloir conser-
3> ver, madame, en très parfaite santé et prospérité, et bénir
3) toutes vos actions. Du camp à Auneau, ce XXIP de décem-
3> bre 1562. 3)
Ayant quitté Auneau, l'amiral écrivit à Throckmorton.
La prise de Rouen avait entraîné, pour les réformés, la perte
1. « Was grieved to hear the news which he sent,has placed his train and
î baggagenear his own people, who left yesterday for Orléans. Hearing that
» he is on his way to England he sends them to him. » From the camp at
Platté 25 déc. 1562. (Calend. of statepap. foreign.).
— 180 —
de Dieppe, de Caen, et de la majeure partie de la Normandie.
Montgommery ayant repris possession de la première de ces
villes, l'amiral lui écrivit le 28 décembre, d'Avaret, où il cam-
pait ^ : « J'ay esté très ayse d'avoir entendu de vos nouvelles
y> par ce porteur, et mesmes comment vous avez remis Dieppe
y> soubz l'obéissance et service de Dieu et du roy. Au reste, je
» ne vous feray autre discours de ce qui est survenu à la
» journée que M. le prince a donnée, parce que de ceste heure
i> vous aurez esté bien au long informé par Aubervilliers,
» par lequel vous avez entendu comment nostre infanterie a
y> esté desfaicte, sans avoir voulu combattre ; mais quant à nos-
3) tre cavallerye, qui a faict seule l'exécution, elle est entière
» et d'environ quatre mille chevaulx , n'en ayant pas perdu plus
» de soixante à ladite journée, bien délibérés de poursuivre
)) nostre si juste querelle. Et si avons plus d'occasion d'estre
» redoublez de noz ennemys qu'ilz n'en ont de nous assail-
)) lir désormais ou de nous attendre, lesquelz, à ce que j'ay pu
» à ce matin entendre, rompent leur camp. Nous avons déli-
D béré de rafraischir nos reistres, huit ou dix jours seulement,
ï) pour, incontinent après, vous aller joindre et les Anglois ;
» et partant, je vous prie bien fort, monsieur de Montgommery,
)) affm de nous pouvoir myeulx résouldre, nous vouloir mander
» au plus tost de quelle force et secours nous pouvons faire
y> estât de leur part, et s'ilz ne sont pas délibérez de trouver le
» moyen de passer deçà la rivière et s'emparer de quelque lieu
> où nous les puissions aller trouver; àquoyjene fauldray,
1 . Record office, st. pap. France, vol, 29. — De Laferriére, le xvi" s. et les
Valois, p. 93. — Les avantages inhérents à l'occupation de Dieppe par les ré-
formés étaient mis en relief dans un écrit adressé à la reine d'Angleterre, le
11 janvier 1563, par levidame de Chartres, de Briquemault et de Lahaye.
(Voy. Forbes, a full view, etc., etc. t. II, p. 271 à 274). Il existe un assez grand
nombre de lettres écrites, de Dieppe, par Montgommery, du 9 janvier 1563 au
5 février suivant, et qu'il adressa à Cecil, à Élizabeth, à Warwick, et à i^ei-
cester. (Voy. Record office, state papers, France, vol. 29 et 30).
— 181 —
» avec l'ayde de Dieu, aussilost que je auray eu de voz nou-
» velles et sçaurai par vous leur résolution ; vous priant de di-
» ligenter toutes choses, leur donner les moyens de passer de
» deçà et les tenir en bonne volunté, estant plus besoing que
» jamais de nous tenir prestz pour faire bientost quelque opé-
» ration, et mettre fin à ces troubles et violences dont nous
)) usent noz ennemys, qui ayment mieulx nager au sang de la
» noblesse et de tant de subjectz du roy, que de condescendre à
jo si doulces et si raisonnables conditions de paix comme celles
» que vous avez veues. Je ne veulx aussy obmettre à vous dire
)) qu'il sera bon d'advertir, tant en Angleterre que en Norman-
» dye, qu'on n'adjouste aucune foy au seing de M. le prince, es-
» tant en captivité, car vous sçavez comme, suyvant leurs artifices
» accoustumez, ilz sçauront bien en abuser et supposer let-
^ très ; aussy qu'ilz ne peuvent myeulx entendre son intention
y> que par ceulx qu'il a tenus et tient pour ses principaulx amys
y> et serviteurs, etc., etc., du camp, à Avaret, le 28' jour de
» décembre. »
Ayant porté son camp à Meung, l'amiral correspondit de
nouveau, le 2 janvier 1563, avec la reine d'Angleterre \ en
ces termes :
» Madame, j'ay cy-devant adverty Vostre Majesté de Testât
y> auquel se retrouvent les affaires de deçà, et quelle a esté l'is-
» sue de la bataille que le prince de Gondé a donnée, en la-
» quelle encores que nostre infanterie ayt esté desfaite sans
» combattre, nostre cavalerie, qui seule a fait l'exécution que
» Vostre Majesté a peu entendre, est entière et résolue de re-
» voir bientost les ennemys de Dieu et de ce povre royaulme,
3) lesquelz ont plus d'occasion de nous redoubter désormais
i. Forbes (a full view etc., etc. t. II, p. 247) assigne à cette lettre la date du
2 janvier, — Elisabeth, en écrivant à Coligny, le 20 janvier lui accuse réception
de la lettre qu'il lui a adressée, < le second de ce moys de janvier. » — Calend.
of State pap. foreign.
— 182 —
y> que de nous assaillir ou de nous attendre : de sorte que
)) nous n'arrestons plus icy que pour faire rafraischir nos
» reistres, quelque peu de temps. Et par ce, madame, que
3) nous avons nostre principale espérance en vostre ayde et
)) secours, aprez Dieu, lequel vous sçavez trop bien vous avoir
)) constituée en ce haut degré et vous avoir donné sa cognois-
» sance, et mis le glaive en la main pour subvenir à ceux qui
y> sont injustement oppressez pour défendre la religion, et
)) vous opposer à ceux qui veulent abolir son vray et pur ser-
y> vice, comme est le devoir de tous les princes et potentatz de
» la terre, entre lesquelz vous tenez un si grand lieu : et toute
)) ceste compaignie requiert l'ayde de Vostre Majesté, vous
» supplie très humblement, madame, suyvant le zèle que vous
3> avez tousjours démonstré avoir à l'advancement de la gloire
» de Dieu et en oultre à la conservation et liberté du roy et de
» ce povre royaulme, de vouloir employer vostre puissance
» pour la défense de la cause de Dieu et d'une si juste que-
)) relie et avec si bonne occasion que d'empescher que son
3) église soyt ruinée en ce royaulme, dont en oultre vous en de-
» meurerons à jamais tous redevables et obligez ; vous ad visant
)) quant à noz nécessitez, madame, que à présent nous avons
D peu de gens de pied, de sorte que nous aurions besoing qu'il
y> pleust à Vostre Majesté en faire passer le meilleur nombre et
» en la plus grande diligence que vous pourrez ; ensemble de
3) nous secourir d'argent, suyvant l'offre qu'il vous a pieu faire
» à M. le prince de Condé et à nous, pour employer au paye-
y> ment de noz reistres auxquelz nous avons respondu d'ung
y> moys, oultre ce qui leur est deu du passé, attendant qu'ils
y> aient nouvelles dudit prince de Condé qui est détenu captif,
» dont nous aurons moyen entre cy et là de leur en faire sça-
» voir pour leur donner meilleur courage. A ceste cause, nous
» supplions tous en oultre très humblement Vostre Majesté,
» madame, qu'il vous plaise nous faire sur ce entendre vostre
— 183 —
» intenlion incontinent, et le secours qu'il vous plaira nous
» faire, et le temps auquel nous pouvons nous en assurer; à
3> ce que par là nous puissions prendre résolution de ce que
D nous avons à faire, soit pour nous aller joindre avec vos
» gens, soit pour prendre autre desseing; sur ce, suppliant l'in-
« finie bonté de Dieu vouloir conserver Vostre Majesté, ma-
y> dame, en très parfaite santé et prospérité et bénir et con-
ï duyre toutes vos actions à sa gloire. — Du camp, à Meung,
)) ce li" jour de janvier, vostre très humble et très obéissant
ï) serviteur, Ghastillon. »
Une autre lettre de Coligny à Elisabeth, datée du 15 janvier
portait ^ :
«c Madame, j'ay par cy-devant adverty Vostre Majesté de la
» bataille qui fut donnée le 19 décembre, et de la résolution
» que j'avais prise après icelle de faire, pour quelques jours,
y> rafrayschir nos reistres, suyvant la requeste qu'ilz m'en
y> avoienffaicte : de sorte qu'il n'est besoing de ennuyer
ï> Vostre Majesté à vous en faire nouvelle récite. Seulement
3) donques vous diray, madame, quel'autheur de ces (troubles)
3) dont ce povre royaume est affligé, se voyant seul et pensant
y> le chemin de son ambition estre assez ouvert maintenant et
3) bien préparé, au lieu d'estre louché de quelque douleur et
ï) compassion de tant de maulx et désolations qu'on voyt par-
)) tout, et cercher les moyens de y mettre une bonne fin par
)) quelque seur accord, il rallie les siens de toutes partz et faict
y> plus grans effortz que jamais pour parvenir au but de ses
» pernicieux desseings : qui sont de desraciner du tout l'E-
y> vangile de ce royaume, où il avait desjà pris si grand acctx)is-
y> sèment, et ruyner entièrement tous ceulx qui veulent se
» opposer à ses entreprinses et violences. Mais au contraire ce
D bon Dieu par sa grâce nous fortifie et arme tellement de
1. Forbes, a full view etc., etc. t. II, p. 274, — Calend. of stale pap. foreign.
— 184 —
» vertu, force et constance, que nous avons encore plus ferme
» résolution que auparavant de employer noz biens et vies,
y> jusques au dernier souspir, pour le service de Dieu et la
)) liberté du roy et de ce royaume. — Et parce, madame, que
» Vostre Majesté s'est tousjours employée pour maintenir l'E-
» vangile, avec aussi grand zèle et saincte affection que prince
y> ny princesse dont il soit mémoire, et que particulièrement
» vous avez démonstré cognoistre et favoriser de bonne affec-
» tion la justice de nostre cause et nous vouloir subvenir, nous
» avons recours à Vostre Majesté comme à celle que nous co-
» gnoissons que Dieu a choisie et réservée en ce temps pour
2> l'advancement de sa gloire et doctrine : vous suppliant très
» humblement, pour cest effect, nous vouloir ayder des granz
» moyens de gens et d'argent que Dieu vous a mis en main,
i> autant qu'il vous sera possible et que l'occasion et la néces-
» site le requièrent. Et mesmes, madame, parceque nos reis-
i> très sont desjà sur le troisyesme moys qu'ilz font service, sans
y> en avoir leur payement, lequel a tousjours esté fondé sur le
y> secours que nous avons attendu de Vostre Majesté, et dont
D de vostre grâce il vous a pieu faire offre à M. le prince de
» Condé ; qu'il plaise à Vostre Majesté, suyvant ledict offre, de
» tant nous favoriser, honorer et subvenir, que de mander au
» mareschal de Hessen et à ses capitaynes, comme l'argent est
» prest que vous avez octroyé et destiné pour les souldoyer; et
)) que, puisque l'incommodité est grande de leur faire toucher
» leur payement, à cause de la difficulté des chemins, qu'ilz
» advisent de lieu seur oii ilz le vouldroient recevoir ; et là
j> Vostre Majesté donnera ordre de le leur faire tenir ; y ad-
y> joustant, s'il vous plaist, une affectionnée prière de continuer
» en ceste bonne volonté qu'ils ont si bien démontré avoir eu
» en une si juste, saincte et louable entreprise, afin que par
D vostre moyen et le leur la France soit délivrée de la tyrannie
» et oppression où elle est réduicte, et le prince de Condé
— i85 ~
i> de la captivité en laquelle le détiennent injustement ceux
» qui démonstrent assez vouloir usurper le lieu qui justement
» lui appartient. Ce faisant, vous ferez, madame, chose que
» vous sçavez estre agréable à Dieu, estant la vraye charge et
» devoir des grandz roys et princes de subvenir aux oppressez,
y> et maintenir la vraye religion, que les ennemys de Dieu veu-
3> lent abolir en ce royaume. En oultre, le prince de Gondé,
3 toute ceste compaignie, et la noblesse de France vous seront
y> tenuz et obligez à jamais pour ung bienfaict si grand et faict
» si à propos. Sur ce, je supplieray l'infinie bonté de Dieu vous
» donner, madame, en très parfaite santé et prospérité, très
» longue et très heureuse vie. Du camp, à Villefranche, ce
» douziesme janvier, vostre très humble et très obéissant
3) serviteur, Chastillon. »
L'armée que commandait Coligny, après avoir opéré divers
mouvements en Sologne et en Berri, s'était rapprochée d'Or-
léans. L'armée catholique, sous la direction du duc de Guise,
ayant successivement occupé en Beauce et en Sologne plusieurs
positions, avait fini par franchir une notable partie de la dis-
tance qui la séparait originairement de cette ville, qu'elle cher-
chait à isoler, afin d'en mieux préparer le siège.
Le 13 janvier, on s'attendait à voir Gondé, qui avait été
transféré au château de Leneville, près de Ghartres *, arriver à
Chartres même ^, le soir, ou le lendemain matin. On l'y condui-
sit, en effet, vers cette époque, et il fut enfermé à l'abbaye de
Saint-Pierre ^.
1. De Lépinois, hist. de Chartres, 1854, t. II, p. 218 et note. — Journal de
Bruslard {Mém. de Condé, t. I, p. 117. — Calend. of state pap. foreign. 6jan-
vier 1563. Throckmorton to the queen.
2. Calend, of state pap. foreign. 13 janvier 1563. Throckmorton to the queen.
■ — Ibid. id. Smith to Cecil.
3. De Lépinois, hist. de Chartres, t. II, p. 218 et note. — Beza Calvino,
12 janvier 1563 (Baum, app. 204) : t princeps, Dei beueficio valet et animo et
> corpore; sed arctissima custodiatenetur. > — Calend. of state pap. foreign.
— 186 —
Vers le 16 janvier, « on proposa à la princesse de Gondé
D quelques articles de paix : mais c'estoit à la manière accous-
» tumée; estant mis en avant seulement que le prince et le
y> connestable fussent remis en leur pleine liberté pour parler
ï) puis après de la paix : à quoy le prince mesme ne s'accordait
y> nullement,, craignant qu'on lui baillast quelque boucon, au
y> partir, et prévoyant que tous ces parlemens n'auroient aultre
» issue que les précédents. Il ne s'en ensuivit donc aucun effet,
y> Guyse allumant tousjours le feu de son costé * . »
Le 20 janvier, Elisabeth répondit à Goligny, en ces ter-
mes ^ :
(( A l'amiral de France. — Très cher et très aymé cousin,
y> ayant reçeu voz lettres du second de ce moys, combien que
)> soyons bien marrye de l'infortune qu'a porté la bataille, de
y> laprinse du prince votre chief : toutesfois nous nous réjouys-
» sons que vous qui êtes la seconde personne après l«y,avecques
» plusieurs aultres de voz associez, chiefz de vostre compagnye,
3> soyez si bien eschappez ; et que de l'aultre costé tant de chiefz
y> et principaux furent alors desconhtz, morts et prins. Et
■y> comme il appert par voz lettres que vous vous soyez retirez
)) devers Orléans seulement pour rafreschir vos reistres, et sur
y> ce proposez de revisiter vos ennemis, en laquelle chose dési-
)) rez estre adverty de nostre intention, quelle ayde et secours
y> vous pouvez espérer de nous, affm que puissiez prendre ré-
» solution de ce que auriez à faire, soit de vous joindre avecques
y) noz forces, ou d'entreprendre quelque autre desseing ; en quoy
24 janvier 1563, Smith to the queen : « They hâve brought him (Gondé) lo
« Chartres where he is lodged in a small abbey called Saint-Pierre, where
î there are bars of iron for the Windows and other bars for the stout prepared
» to make him more sure... the prince is still very fu'm. »
1. De Bèze, hist., eccl., t. II, p. 251.
2. Forbes, a full view, etc., etc., t. II, p. 290. — Calend. of state pap.
foreign.
— 187 —
y> avons esté fort sollicitée parvoz amys icy auprès de nous de
y> prendre une favorable résolution : et pour autant que desi-
» rons fort que ceste cause qu'avez entre les mains puisse
» prospérer à l'honneur de Dieu et au bien du roy, de son
5) royaulme et au repos de la chrestienté, il nous a semblé estre
» chose convenable de ne délayer nostre responce, ains de
» communiquer à vous ce que nous avons considéré en toute
» ceste matière selon l'occasion que avons pour le présent. —
y> Depuis la recepté de vos dictes lettres du deuxiesme de ce
» moys, nous sommes certainement advertye par lettres de noz
y> ministres en France, que le roy s'en est allé à Chartres devers
» la royne sa mère, et que les choses se trouvent en grande ap-
» parence d'accord, par le grand travail de ladicte royne, et les
» moyens que faict instamment le connestable ; et qu'il y a
y> bonne apparence qu'on vous concédera plusieurs points fa-
» vorables envers vous, lesquelz ont esté tousjours par cy-devant
» impugnez, mesmement par Les conseilliers de parlement de
» Paris. Ce que par les advertissementz qui nous furent escriptz
» quatre ou cinq jours après voz lettres et apportez à nous
» avecques bon crédit, nous avons occasioQ de surseoir, ou
y> pour le moins changer telle part de nostre résolution que
5) autrement la matière nous eût pu donner occasion de faire :
» et pour ceste cause sommes maintenant contraincte pour le
y> présent de prendre la résolution qui s'en suit. — S'il est
y> vray que pouvez faire tel accord qui puisse estre à l'honneur de
y> Dieu et à la seureté de vous mesmes et de voz associez, nous
» en serions fort bien contente, moyennant que aussi il y ait
y> considération de nous, comment il nous pourra estre satis-
y> faict de noz justes et raisonnables demandes ; à cette fin que,
» par faulte de ce, le discord entre nous et ce royaume-là n'ap-
> porte une présente guerre, plus dommageable pour ledict
y> royaume que l'on debvroit souhaiter pour Testât d'iceluy, et
> dont nous sçavons que tant vous que tous aultr£s de bon ju-
— 188 —
ï) gement debvriez, pour plusieurs respectz, avoir bonne consi-
» dération. Et ainsy faisant, nous sommes bien contente vous
)) faire ballier une certaine somme d'argent en Normandye,
» pour ayder à payer les frais de vostre armée. Et si ainsi soit,
y> que le traicté qui se manye à ceste heure à Chartres viendra
)) à telle issue, que voz adversaires ne vouldront condescendre
» a voz raisonnables conditions pour mectre fin à ces guerres
y> cruelles : lors en ce cas, plus tost que vous et vos associez,
S) parfaulte de secours, tombiés en danger, nous vousasseurons
y> que non seulement vous ferons faire prompt paiement de l'en-
)) tière somme qu'avons promise audict prince de Condé, mais
» aussi, sur ung nouveau appointement, raisonnable à estre
» faict et accordé entre nous et vous et vos associez durant la
)) captivité dudict prince, nous vous concéderons telle ayde et
» secours, ou par argent, ou par gens, ou par l'un et l'autre,
3> qu'on trouvera raisonnable et convenable pour nous et nostre
» estât de vous octroyer et donner. — Et pour ce nous desirons
» bien fort que, selon le succès que auront les choses qui sont
y> mises en avant audict traictement, nous puissions estre ad-
TD vertye de vous, par deux ou trois voyes pour le plus seur, de
y> ce que trouverez le plus expédient pour conduire et prosé-
y> cuter la cause à une bonne fin, sans aucunement prolonger
» et différer le temps, qui nuit et empesche le plus les causes
3) et affaires semblables à ceulx-ci et engendre charges impor-
y> tables. Et vous asseurons que ne voulons faire délay, après
y> avoir reçeu vostre advertissement à ce que dessus on trouvera
» pour nous convenable de faire, à promptement conduire à
ï) bonne fin la cause commune. »
A quelques jours de là, les deux armées n'étaient plus éloi-
gnées l'une de l'autre. Celle du duc de Guise se trouvait à quatre
lieues d'Orléans; celle de l'amiral avait toute son infanterie et
sa cavalerie françaises dans cette place, et ses reistres à Gergeau.
Ce fut alors que, durant un court séjour à Orléans, l'amiral
— 189 —
adressa, le 24 janvier, à la reine d'Angleterre une dépêche
ainsi conçue ^ :
« Madame, depuis la prinse de M. le prince de Condé, j'ai
)> envoyé trois despesches à voslre majesté pour la tenir advertye
i> de Testât des affaires de deçà, suyvant le grand désir que j'ay
y> tousjours eu, avec ceste compaignie, de vous fayre entendre
)) entièrement toutes noz principales actions (comme il est trop
)) raysonnable) si la difficulté des chemins et passages ne nous
» en empeschoit trop souvent. Or, maintenant, avec la commo-
» dite de ce porteur, je n'ay voulu faillir d'escripre la présente
y à vostre majesté, pour l'advertir comme ledict prince de
)) Condé, encores qu'il soit fort estroictement observé et gardé,
)) a eu moyen de nous faire sçavoir si ouvertement de ses bonnes
)) nouvelles, que au lieu de recevoir consolation de nous en sa
y> captivité, au contraire il nous renforce le courage et nous fait
)) assez cognoistre le zèle et ferme affection qu'il a à la vraye
» religion : nous ayant asseurément mandé qlie quoy qu'il luy
)) puisse advenir, il ne consentira jamais à chose qui soit contre
)) le service de Dieu et la liberté des consciences, ni qui offense
)) la justice de nostre cause; usant par mesme moyen d'une ins-
)) tante et affectionnée prière et requeste à tous ceulxqui luy ont
)) assisté en une si saincte et louable entreprise de ne le vouloir
)) abandonner, ne la cause de Dieu avec luy, ce qu'il m'a
)) semblé ne devoir faillir de faire entendre à vostre majesté, en
)) la suppliant très humblement, avec toute ceste compagnie,
)) de vouloir pourchasser la délivrance dudict prince de Condé,
» et embrasser ceste dicte cause durant mesmes la minorité de
» i;'Ostre jeune roy, laquelle touche non seulemen, sa liberté et
» celle de son royaume et des consciences, mais aussi etprinci-
» paiement le service de Dieu ; employant pour ung slbon effect
1 Forbes, afull vjewof Ihe public transactions, etc., etc., t. II, p. 300 à 302.
Calend of state pap. foreign.
— 190 —
» et en une si saincte entreprise, les grandz moyens que Dieu
S) vous a mis en mains, suyvant le vray debvoir des roys princes
)) de la terre (entre lesquelz vous tenez un si grand lieu), qui
5) est de maintenir la religion et subvenir aux oppressez, selon
» aussy la parfaite fiance que toute ceste compaignie, a en
» vostre constance et piété, dont nous attendons, après Dieu,
y> tout nostre principal ayde et secours : recognoissantz en vous
» une vertu et assistance divine, et que Dieu vous a choisie et
3) réservée en ce temps, et vous présente ceste occasion pour,
» par vostre moyen, redresser et restablir son pur service, et
ï> abattre l'idolâtrie par toute la chrestienté et mesmes en ce
y> royaulme; comme font assez de foy toutes vos précédentes
» actions et tantd'effectz de vostre vertu et religion aussy grandz
)) et louables qu'on en ayt veu en prince ni princesse dont il
)) soit mémoire; ayant vostre majesté partout démonstré si évi-
3) demment n'avoir autre but proposé que Tadvancement de la
)) gloire de Dieu : de sorte que nous avons tous pris ceste ferme
» asseurance que, ne la captivité du prince de Condé, ne les
y> faultes que l'on nous pourroit objecter, ne la débilité ou dimi-
» nution de noz forces, ne tous les efforts de satan, ne les
y> ruzes et artifices de rioz ennemys, n'auront ceste puissance
3) sur vous, de rien diminuer ou refroidir de ce bon zèle et
y> affection vous avez démonstré y avoir; plustost y adjous-
» teroient. — Or, pour vous rendre bon et ample compte de
y> Testât en quoy se retrouvent noz affaires, ensemble de noz
y> nécessitez, je vous diray, madame, que, suyvant le traicté
» de l'association que vostre majesté a peu veoir, m' ayant tous-
» jours le prince de Condé nommé et donné la charge de com-
» mander, en son absence, à ceste armée et compaignie, depuys
3> sa prinse, tous ceulx de ceste dicte armée, tant estrangiers
y> que de ce royaulme, m'ont accepté et recogneu pour chef,
y> comme chacun sçayt assez. Et parce que les estrangiers me
» demandèrent après la bataille à se rafreschir, je les ay mis en
- 191 —
» trois villes sur la rivière du Cher, que j'ai pris assez près de
y> nos ennemys, lesquelz parce qu'ils faisoient contenance 3e
» venir assiéger Orléans, ayant passé le pont de Beaugency
y> partie de leur armée, pour se mettre dedans un faulxbourg
)) nommé le Porterau, je me rapprochay d'eux; ce qui leur fist
» incontinent changer de desseing et repasser le pont. De sorte
y> que, pour achever puis aprez de rafraîchir nosdicts reistres
3> je les ay mis depuis en autre garnison audessus d'Orléans,
y> deçà et delà la rivière, pour la tenir libre, et ay esté contraint
y> de prendre pour cest effect, au nez de nos dicts ennemys, quel-
» ques villes par force, où sont maintenant logez noz dicts
» reistres et notre cavallerie, qui sont en nombre de quatre mil
]f> chevaulx et plus, délibérez de bien combattre quand on les
y> vouldra employer. Tout ce que nous craignons est que les-
D dicts reistres prennent ung mescontentement du retardement
» de leur payement de troys moys qui leur sera deu à la fm de
y> cestuy-cy, se montant, à chascun moys, tant pour eux que
» pour leurs gens de pied alemans, à six vingt mille livres :
y> duquel nous nous estions asseurez, tant sur le premier
y> offre qu'il a pieu à vostre majesté faire si libéralement au
y> prince de Condé et à ceste compaigfiie, que sur les soixante
3) mil escus d'oultre plus dont ledict prince de Condé vous a
» requis par M. de Briquemault. Ce qui nous fait tous supplier
y> très humblement vostre majesté de nous faire ceste grâce, de
» vouloir mettre à exécution ce que nous avons tousjours ac-
3> tendu et espéré de vostre bonté, afin de pouvoir mener à une
2> si heureuse fin ceste saincte entreprise que, suy vaut vostre in-
y> tention, l'Evangile puisse avoir cours en ce royaume, et qu'il
3> soit délivré de la violence et tyrannie dont il est oppressé.
s> Et pour cest effect, il vous plaise vouloir faire tenir lesdictes
y> sommes prestes au Havre, où nous les irons prendre et nous
ï) joindre avec vos gens, pour delà aller parachever, soubz la
3> confiance de ce bon Dieu et par vostre bon advis, ce qui se
— 192 —
D trouvera estre convenable : vous suppliant très humblement
)) vouloiraussiescrireune lettre au mareschal de Hessen* , pour
» continuer de bien s'employer en ceste cause et pour la liberté
» du prince de Condé. — Au reste, madame, je ne veulx ob-
» mectre à vous dire qu'on est en termes de quelque abouche-
)) ment entre le prince de Condé et le connestable, mis en avant
)) par la roine mère, pour chercher les moyens d'accord et
» pacification ; lequel advenant, je ne fauldray d'en advertir
» incontinent et particulièrement vostre majesté; vous asseu-
)) rantque, de mon consentement, jamais ne sera rien arresté
)) en ce faict, sans vous y comprendre, et que premier n'en
y> soyez advertie, pour sur ce avoir vostre advis. Et encores que
» les choses ayent esté bien avant devant Paris, je vous puis
5) dire en vérité, madame, que nostre intention estoitd'arrester
)) premièrement le point de la religion (pour lequel nous avons
)) prins les armes légitimement) et pour faire cognoistre de quel
)) e?prit nous sommes menez,pour puis après vous advertir de tout,
% en sçavoir votre advis, et mectre en avant ce qui vous touche :
)) chose qui est par là assez aisée à cognoistre, que mesmes le
)) prince de Condé ne fist aucune mention du degré qui lui ap-
» partient en ce royaulme, ne d'autres chose que par mesme
» moyen il estoit nécessaire de vuyder, premier que d'arrester
i> une bonne et seure paix. — Et quant à ce que j'ay entendu,
î> madame, que vostre ambassadeur M. Trockmorton (auquel
n j'ay tousjours cognu un grand zèle au service de Dieu et au
» vostre) a escript luy avoir esté dict par le prince de Condé,
3> qu'il n'avoit point de traicté avec vostre majesté, je n'ay ja-
)) mais entendu tenirung tel propos à M. le prince de Condé :
5) bian ledict ambassadeur à dict quelques fois que vous ne aviez
2) point de traicté avec nous, mais bien avec les subjetez de
1. Voir dans Forbes (a full view etc., etc., t. II, p. 292) une lettre adressée
par la reine d'Angleterre au maréchal de liesse, en janvier 1563.
— 193 —
» Normandie, ainsy que luy mesmes pourra dire et s'en ressou-
y> venir, estant à présent de retour auprez de Vostre Majesté, et
» adjousta davantage qu'il n'avoit point décharge et instruction
)) pour négocier avec nous. Sur quoy je luy ay faict tousjours
» entendre que je m'assurois que l'intention de Vostre Majesté
» estoit que, pourveu que l'Évangile fust presché en ce royaume
» et qu'il y eust liberté de consciences, ensemble que vostre
» droict vous fust bien gardé et demeurast en son entier, que
)) vous seriez bien aise de veoir ces troubles pacifiez par ung bon
» accord : il appert assez par vostre protestation ; vous sup-
)) pliant très humblement croire, Madame, que nous estimons
» tant vostre vertu et grandeur et toutes vos actions si louables
y> et mémorables, que nous ne ferions jamais une si grande
y> faulte que d'oublier la bonté dont vous nous avez usé, à la
)) défense de ceste cause de Dieu, et pour la liberté du roy et
)) de ce royaume, comme j'ay prié M. le vidame et les sieurs de
)) Briquemault et de la Haye vous faire entendre, ensemble ce
)j qu'il semble nécessaire que Vostre Majesté face s'il luy plaist,
» pour le recouvrement de la liberté du prince de G onde ; les-
» quels je vous prie très humblement croire de ce qu'ils vous
y> diront de ma part comme moy mesmes, qui, sur ce, supplie-
» ray ce bon Dieu conserver Vostre Majesté, Madame, en très
» parfaite santé et prospérité, et bénir vos actions. — D'Or-
» léans, ce 24" de janvier. Votre très humble et très obéissant
y> serviteur, Chastillon. ))
A cette même époque, Coligny appela le maréchal de Hesse
à Orléans et y tint conseil sur les mesures à adopter. « Là il
y fut arresté, pour deux raisons péremptoires, l'une pour des-
p tourner le siège d'Orléans, si faire se pouvoit, ou pour le
)) moins pour contraindre l'ennemi de diviser ses forces, l'autre
)) pour recevoir l'argent d'xVngleterre et le délivrer aux reistres
)) comme on leur avoit promis, que l'amiral avec les reistrv?s
» et quelque partie de la noblesse française tireroit droit
II. 13
— 194 —
y> en Normandie, laissant toute l'infanierie avec le surplus de
» la cavalerie Françoise conduite par bons et sages capitaines,
y> comme entre autres Duras, Bouchavanes, Bussy, Saint-Gyr,
■)) Avaret, et autres pour la défense de la ville, sous le gouver-
y> nement de d'Andelot, qui se rendit difficile à recevoir caste
)) charge, à cause de la fièvre quarte qui le travailloit infmi-
)) ment : mais finalement s'y accorda, n'ayant jamais voulu les
)) habilans recevoir Grammont, auquel ils avoient si peu de
y> fiance, qu'ils dirent en sa présence que, si on le leur bailloit
)) pour gouverneur, ils se tenoient pour perdus et aymoient
)) mieux tous desloger de la ville et le suivre en Normandie.
» Gela estonna la princesse de Gondé, à laquelle ils dirent de-
)) puis, à part, qu'ils le tenoient pour un traistre et meschant
)) homme; qui fust cause que l'amiral, voyant que Grammont
)> faisoit semblant de n'ouir point ces choses, ne répliquoit
D rien et mesmes ne s'excusoit point de prendre ceste charge,
)) au lieu de le laisser pour gouverneur, l'emmena mesmes
» en Normandie avec les autres * . »
En prenant le parti de se rendre dans cette province, Goli-
gny ne se dissimulait pas qu'il s'exposait au danger d'être suivi
et harcelé dans sa marche par le duc de Guise. Lui-même
nous fait part de ses appréhensions à cet égard dans le passage
suivant de l'un de ses écrits^ :
« Afm que chacun cognoisse si ledit seigneur admirai avoit
» raison de craindre telle chose, il a bien voulu sommairement
)) escrire ce qui le mouvoit à cela. Premièrement, il ne pou-
» .voit ignorer que ledit seigneur de Guise ne fust bien adverti
)^ de son allée, puisqu'il avoit esté contraint de le dire publi-
» quement en pleine assemblée des reistres, plus de huit jours
1. De Bèze, Hist. eccl, t. II, p. 253, 254.
2. « Déclaration du 5 mai 1563, du seigneur admirai, quant à son fait par-
1 iiculier, sur certains poincts desquels aucuns ont voulu tirer des conjectures
ï mal fondées. > {Mém. de Condé, t. IV, p. 339 à âi9.)
— 195 —
)) auparavant son parlement. El ne pouvoit partir plustost, parce
3) qu'il falloit laisser tous les chariots et bagage desdits reis-
)) Ires audit Orléans ; ce qu'il eut assez de peine de faire, estant
3) Chose non veue ni accoustumée auparavant, entre lesdicts
)) reistres, laquelle il exécuta néantmoins avec la plus grande
» dihgence qu'il peut ^ Et si cependant ledit seigneur de Guise
» en pouvoit estre adverty, il n'en faut point douter, veu les
)) personnes qui estoient parmy lesdits reistres pour les prati-
« quer, et mesmes qu'il y en avoit tfntre eux qui Festoient déjà,
» et desquels le mareschal de Hessen et aucuns des reitmais- '
» très avoient fort mauvaise opinion. Aussi, ledit seigneur ad
)) mirai estoit seurement adverty qu'il avoit esté mandé partout
» en Normandie qu'on fist tous les empeschemens qui se
» pourroient faire à son passage, tant pour les vivres que gé-
» néralenient pour toutes choses qui pouvoyent incommoder
y) une armée. Et pour plus grande approbation, il luy en est
)) tombé plusieurs lettres entre les mains, par lesquelles tels
» mandemens estoyent faits, et surtout de retirer tous les vi-
» vres dedans les villes fermées, oster les fers des mouhns,
y> comme il fust trouvé exécuté en plusieurs lieux, et courir sus
y> par toutes voyes à ceux de son armée. Si doncques les villes
)) de Caën, Hontleur, Pontaudemer, Touques et autres, eus-
y> sent esté pourveues, il estoit impossible que ledit seigneur
)) admirai se fust aproché de la mer pour recueillir l'argent
)) ([u'il attendoit pour le payement des reistres. Lequel cas
)i leur estant cogneu, il y avoit plus d'apparence d'un mutine-
j) ment que d'autre chose , veu le langage qu'ils tenoyent
)) ordinairement : et si d'autre part, ledict seigneur de Guyse
i. « Cependant que M. l'admirai donnait ordre pour son voyage de Nor-
y> ïiiandie qu'il avoit délibéré de faire sans gens de pied ny aucun bagage, pour
s marcher plus légèreraenl, il eut grand peine à faire condescendre nos reistres
î de laisser leurs chariots, ce qu'enfin il obtint d'eux, qui est chose qui ne
» s'cstoit encore veue. » {Mém. de Mergey. — Brantôme, éd. L. Lai., t. IV,
p. 320.)
— 196 —
» se fust mis en queue, il est bien croyable que le seigneur
)) admirai avec son armée eust eu beaucoup à souffrir; pour le
y> moins, il ne luy eust point esté possible de s'approcher de la
j> mer, d'où dcpendoit tout le secours qu'il pouvoit espérer,
y> et sans lequel il ne pouvoit faire ledict payement; par où se
» fust dedans peu de jours ensuivie sa totale ruine, voire sans
)) pouvoir combattre : car depuis que la plaine de Nefbourg
y> est passée, le pays est si désavantageux, que 500 harquebou-
» siers eussent fait recevoir une honte à dix mille chevaux ; et
» la chose que ledict seigneur admirai eust peu plus désirer en
)) telle nécessité eust esté de combattre : ce qu'il n'eust peu
* faire qu'avec tous les désavantages qu'on eust peu imaginer,
)) d'autant qu'il y avoit plusieurs bonnes villes fermées, de-
y> vaut, derrière et à costé de luy, dedans lesquelles les enne-
y> mis se pouvoient retirer. Il y avoit davantage une autre
» grande incommodité, c'est qu'en ce pays-là les villages sont
» si mauvais et les maisons si escartées, qu'on ne pouvoit la
» pluspart du temps loger cinquante chevaux ensemble. Toutes
)) ces difficultez et incommoditez estoient assez cogneues au-
)) dict seigneur de Guyse et à tous les capitaines de son armée,
» qui faisoit penser audict seigneur admirai, que plustost il
)) prendrait le chemin de le suivre, que d'assiéger Orléans :
)) car deffaisant la troupe que ledict seigneur admirai condui-
)) soit, il estoit bien certain qu'Orléans se perdoit; et au con-
ji) traire quand Orléans eust esté perdu et que la troupe dudit
» seigneur admirai fûst demeurée en pied, il y avoit d'autres
)) moyens de continuer la guerre. »
Avant de quitter Orléans pour se rendre en Normandie l'a-
miral adressa, le 29 janvier, à la reine d'Angleterre une nou-
velle lettre, non moins importante que les précédentes ^ :
<( Madame, lui disait-il, je n'ay voulu faillir de advertir
• 1. Forbes, «Fh// view, de, t. 11, p. 319 à 321. (Calend, of State pap,
foreign.)
— 197 —
» incontinent Vostre Majesté par ce porteur, comme aujour-
)) d'huy j'ay pris résolution avec le maresclial de Hessen, les
)) reitmestres et reistres, de les mener en Normandie; leur
y> ayant donné assurance de là leur faire recevoir, par le moyen
)) et bon ayde de Vostre Majesté, leur payement : duquel ceste
» compaignie s'est entièrement assurée sur vostre bonté et sur
» les promesses et offres qu'il a pieu à Vostre Majesté faire si
)) libéralement au prince de Gondé et à nous ; ayant tousjours
» tenu ce secours indubitable, et d'aultant plus certayn que,
» depuis que Dieu vous a mis le sceptre en la mayn, chascun
y> a veu que vous avez embrassé ceste cause de Dieu avec une
y> ferveur si chrestienne et des déportemens si mémorables,
)) que nous ne pourrions jamais penser que aucune mutation
3) ou artifice humain vous eust pu desmouvoir de ceste bonne
y> volonté et saincte intention. Advisant au reste Vostre Ma-
» jesté. Madame, que j'ay faict condescendre les reitres à
» laisser tous leurs bagages et empeschemens en ceste ville,
)) chose non auparavant ouye : de sorte que, dedans le dix ou
)) douziesme de ce moys de febvrier prochain, au plus lard, avec
)) l'aide de Dieu, nous serons bien prez du Havre de Grâce, en
)) bonne délibération et résolution de nous employer et eulx
» par vostre advis et soubz la confiance de nostre bon Dieu,
j) en ce qui se trouvera eslre convenable, aprez qu'ils auront
)) reçeu leur payement qui leur est deu de troys moys, se mon-
» tant chascun moys à six-vingtz mil livres, comme j'ay cy-de-
y> vantfaici entendre àVostre Majesté, laquelle seulement je sup-
» plieray, sur ce, très humblement. Madame, vouloir mettre en
^ consydération combien cela importeroyt, non seulement à moy,
)) à toute ceste compaignie et généralement à tous les fidèles
» de ce royaume, mais aussy de quelle conséquence ce qui en
» adviendra par aprez seroit pour toute l'Église chrestienne,
)) ensemble pour le recouvrement de la liberté du prince de
y> Gondé, si, les ayant menez jusque-là, il y avoit faulte de
— 198 —
» leur dict payement, et que nostre attente fust frustrée :
» chose que nous assurons que Dieu et Vostre Majesté ne per-
» mettra point. — Il me reste doncques à vous tenir advertie,
)) Madame, de Testât en quoy se retrouvent noz affaires, qui
y> est tel : que le prince de G onde continue de se déporter en sa
» captivité constamment et vertueusement, comme nous co-
)) gnoissons pas toutes les nouvelles que nous avons de luy,
)) Noz ennemis font courir le bruict de venir assiéger ceste ville
)) où, si ilz s'adressent, ilz y trouveront des gens si bien déli-
)) bérez de les recevoir que, avec l'aide de Dieu, ils n'y gaigne-
» ront que de la honte et confusion : et y ay laissé M. d'An-
)) delot, mon frère, pour la garder. Nous venons maintenant
» d'estre advertiz de Lyon par M. de Soubize, comme le baron
» des Adrez ayant esté pratiqué par M. de Nemours, avoit
» comploté de faire entrer quelque gendarmerie et gens de pied
j) de M. de Nemours dedans Rommans, ville de Daulphiné,
;) dont il a esté empesché par le sieur de Mouvans et par la
» noblesse du pays, qui se sont saisiz de sa personne et l'ont
» mené prisonnier à Valence pour l'envoyer en Languedoc
» devers mon frère, naguères cardinal de Chastillon, et M. de
» Crussol (qui ont presque déhvré tout le dict pays de Lan-
)) guedoc de la tyrannie des ennemis de Dieu et du roy),
)) afm de le faire punir et servir d'exemple aux autres dé-
)) serteurs de Dieu, de leur debvoir et de la patrie. Sur ce
» voyant le dict M. de Nemours son entreprise faillie et aussy
» que beaucoup de gens de guerre estoyent sortys de Lyon pour
» y faire entrer des vivres, a voulu surprendre le dict Lyon
)) par escalade; mais il a esté repoussé vivement avec meurtre
j) de ses gens, et la dite ville pourveue de vivres pour plus de
)) Lroys moys; de sorte que le Lyonnais et Daulphiné sont au-
» jourd'huy conservez du grand danger où ilz estoient par les
•) menées de noz ennemys. — C'est tout ce que je feray en-
» tendre pour le présent à Vostre Majesté, pour ne l'ennuyer
— 199 —
y> de longue lettre, la suppliant très humblement d'avoir si
y> bonne souvenance du prince de Condé et de toute ceste com-
y> paignie, que nous ressentons le secours et faveur de vostre
y> bonté et grandeur autant que l'occasion, la nécessité pré-
)) sente et la justice de ceste cause lé requièrent ; sur ce, fai-
» sant requeste à Dieu de conserver Vostre Majesté, Madame,
» en très parfaite santé et prospérité, et bényr toutes vos actions.
3) — Je ne veulx aussy obmettre à vous dire, Madame, que
» M. de Guyse a fait escrire une lettre signée du roy, de la
y> royne mère et de quelques princes adressant aux princes de
» l'empire et une autre au mareschal de Hessen et reitmestres,
y> que pareillement le dict sieur de Guyse a contrainct jusques
y> aux petits princes estant en bas âge de signer, pour décla-
y> rer que toute ceste compaignie est rebelle et séditieuse. —
» Vostre très humble et très obéissant serviteur. D'Orléans, ce
y> XXIX" janvier 1562 (1563. n. s.) Ghastillon. — Il vous
» playra, Madame, croyre messieurs le vidame, Briquemault et
y> de la Haye, ensemble ce gentilhomme, présent porteur, de ce
3> qu'ilz diront à Vostre Majesté. »
Au moment où Goligny allait se diriger vers la Normandie,
c'est-à-dire à la fin de janvier, Catherine de Médicis, indirec-
tement avisée de ses projets, et fidèle à une méthode d'atermoie-
mens et de pourparlers dont elle eût dû cependant se départir,
après tant d'insuccès, « lui écrivit, le priant de différer son
» entreprise pour quelques jours durant lesquels elle se déli-
)) béroit d'entendre à la paix : à quoy il respondit qu'il n'avoit
3) jamais rien désiré, ni ne désiroit rien plus que la paix, pour
)) laquelle moyenner il conseilloit que le prince et le con-
)) nestable s'entrevissent, demeurant toutesfois tous deux
3) prisonniers ; mais au reste qu'il pourvoirait à ses affaires
)) sans plus s'arrester à parlementer, sçachant combien de
y> bonnes occasions s'étaient perdues sous tel prétexte * » .
i. De Bèze, Hist. ecd., t. II, p. 256. — Voy., sur le projet d'entrevue du
— 200
La dépêche de Goligny en réponse à celle que lui avait expédiée
Catherine de Médicis, ne parvint point entre les mains de cette
princesse. Vivement blessée de n'avoir rien reçu, concevant de
graves soupçons, qui bientôt pour elle se changèrent en cer-
titude; et les dirigeant contre un personnage autre que l'ami-
ral, dont elle connaissait la scrupuleuse ponctualité en toutes
choses et particulièrement en matière de correspondance, elle
ne^tarda pas à se plaindre assez haut pour que le blâme qu'elle
déversa sur la main qui, dans l'ombre, avait intercepté la dé-
pêche, parvînt à son adresse. Le duc de Guise, que ce blâme
atteignait en la personne de ses affidés, affecta de garder le si-
lence.
La princesse de Gondé le savait opposé à tout projet de paix,
et par cela même à toute entrevue du prince avec le connétable.
Aussi, lorsqu'elle entendit ce dernier proférer, au sujet de la
non-réception de la dépêche de l'amiral, des plaintes sembla-
bles à celles qui étaient sorties de la bouche de la reine mère,
trouva-t-elle le secret de l'apaiser par un trait d'esprit dont
l'originalité le fit sourire ; « c'est à sçavoir que leurs ennemys,
)) qu'il cognoissait très mal, faisoient du prince son mary et
■)) de luy comme les Parisiens de la chasse de saincte Geneviève
D et de celle de sainct Marceau, lesquelles ils ne permectoient
)) jamais approcher trop près l'une de l'autre, de peiir que le
y> parentage ne les fist embrasser tellement ensemble, qu'on ne
» les peust jamais séparer puis après ». La comparaison ici
n'était-elle pas tant soit peuforcée?Une généreuse illusion ne
pi'ince et du connétable, un manuscrit intitulé : « Advys de monsieur l'admirai
» de Chastillon et des seigneurs eslans avec luy à Orléans. » (Bibl. nat., rass.
f. fr., vol. 3194, f 16, et Mém. de Condé, t. IV, p. 277.)
1. Th. de Bèze, Hist. eccl, t. II, p. 256. — De Thou {Hist. univ., t. lU,
p. 390), pense que la princesse de Condé, par la comparaison à laquelle elle
avait recours vis-à-vis de son grand oncle, « prétendait faire entendre à ce
vieux seigneur, qu'il devait, dans la suite, s'unir au prince de Condé et ne
pas souffrir qu'on les séparât jamais, pour quelque raison que ce pût être » .
— 201 —
l'avait-elle pas dictée? car, qui ne sait que, si Louis de Bour-
bon était d'un naturel ouvert, Anne de Montmorency, à l'in-
verse, n'était pas précisément enclin aux affectueuses effu-
sions du parentage! Et surtout, comment ne pas reconnaître
que, loin de pouvoir se rencontrer et se donner la main sur le
terrain de la liberté religieuse, le petit-neveu et le grand-oncle
risquaient singulièrement, lors de toute entrevue qui leur
serait ménagée, de demeurer à dislance l'un de l'autre, en se
retranchant, le premier dans l'édit de janvier et le second
dans l'absolutisme de l'intolérance.
Le 30 janvier, l'amiral adressa par écrit au prince de Condé
quelques informations qu'il accompagna de virils encourage-
ments.
« Monseigneur, lui disait-il \ j'ay reçu la lettre qu'il vous
)) a plû m'escripre par ce Trompette, présent porteur , qui fait
)) mention d'ung mémoire que vous m'envoyés, lequel vous avait
» esté porté par messieurs le cardinal de Bourbon, deMontpen-
)) sier, de Guise et cardinal, son frère; mais je n'ay point veu
» ledit mémoire, et m'a fait asseurerle trompette que Tonne luy
)> en a point baillé, parquoy je ne vous puys rien respondre là-
)) dessus, mais bien que messieurs de Boucart et d'Esternay
3 seront prests quand vous le manderés ; et au regard de mes-
y> sieurs de Limoges et d'Oisel, qui doibvent icy venir, ils seront
» reçus et traités selon vostre intention et comme ils méritent,
)) veu le lieu d'où ils sont envoyés, lesquelz sont assez congnus
» pour gens de bon entendement, et qui ont tousjours esté
^> nourris aux affaires, et pour ceste cause seront-ils plus ca-
» pables de raison, car l'on ne proposera jamais rien de ceste
j:> part contraire à cela, mesmes pour parvenir à une bonne
» paix, car vous sçavés que l'on n'a jamais rien tant cherché
)) ny désiré. Quant à l'eschange des prisonniers dont m'escrip-
y> vez, vous en ferés entendre vostre volonté par ceulx qui iront
1. Bibl. nat., mss. f. fr.,voI. 3-410, f» 45.
— 202 —
y> devers vous, et l'on ne fauldra point de la suivre. Au demeu-
y> rant, monseigneur, j'ay communiqué vostre lettre à tous les
-& seigneurs de ceste compagnie , qui tous se recommandent ,
» comme aussy faicts-je très humblement, à votre bonne grâce ;
y> et louons tous Dieu de la grâce qu'il vous faict de persévérer
» en la sainte vocation en laquelle il vous appelle; parce moïen
y> vous en recepveré la récompense qu'il promect aux siens,
y> mais nous vous supplions tous, au nom de Dieu, de n'avoir
)) rien devant les yeulx que ce qui appartient à sa gloire, et par
)) ce moïen vous et nous serons bien heureux. D'Orléans oe
» XXX de janvier. ï)
Ce même jour, 30 janvier, Coligny expédia d'Orléans la lettre
suivante à l'un des princes protestants d'Allemagne^ :
(( Monseigneur, si la commodité des chemins eust esté aussi
y> libre et aisée, comme la difficulté des passages est grande,
» ny vous n'eussiez esté si longuement sans de nostre part en-
)) tendre les occurrences des aiïaires de deçà, ny nous en la peine
)) où nous nous retrouvons, de nous voir frustrez et privez du
y> bien de vous en pouvoir mander la mesure qu'elles succèdent,
» d'autant que cela serait cause de retrancher le cours à beau-
)) coup de faux rapports et calomnies dont nos ennemis ne
)) sont que par trop coustumiers de s'ayder, cuidans, par ces
» moyens donner quelque lustre et couleur à la mauvaise que-
» relie que si opiniastrement ils soustiennent, et au contraire
y> de tant plus desfavoriser la justice de la nostre : car encores
)) que depuis la prise de monsieur le prince, j'aye dépesché
y> plusieurs messagiers pour cest effect par de là, si est-ce que
)) j'aye bien sçeu que les uns ont été tuez et deffaicts, et les
» autres n'ont sçeu passer; qui sera cause que vostre Excel-
)) lence maintenant m'excusera bien, s'il luy plaist, envers les
» aultres princes et seigneurs, si je ne charge le présent porteur
1. Mém. de Condé, t. IV, p. 212.
— 203 —
y> que de ceste lettre, et si je vous supplie que la substance
» leur en soit communiquée, afin que pius facilement il puisse
» seurement eschapper, par laquelle succintement je vous dé-
)) duyray comme bientost après la bataille donnée (de la forme
» et événement de laquelle je vous ai envoyé un discours), vou-
)) lant, ainsy qu'il estoit bien raisonnable faire rafreschir ceste
» armée et priocipalement les reistres, je les ay amenez aux
)) environs de ceste ville, à douze ou quinze lieues près, où ils
y> ont esté quelque temps en garnison en certaines \illes qu'il
,)) m'a fallu prendre par force, à la barbe de nos ennemis, les-
D quels nous ont tousjours depuis cottoyé et suyvy ces inten-
)) lions, comme ils faisoient semblant, de vouloir assiéger ceste
)) dite ville; et de faict, font encores mine de continuer leurs
)) premiers dessins, qu'ayant d'un costé gaigné la rivière au-
» dessous, et nous estans les maistres au-dessus; à quoy nous
y) espérons si bien pourvoir, moyennant l'assistance et grâce de
)) Dieu, que, s'ils s'y attachent, ils n'en rapporteront pour ré-
» compense de leurs entreprises que la honte et confusion qu'ils
» méritent, et, possible, la sépulture de ceux qui sont sidésireux
)) etaffamez de nostre vie; et, pour cest effect, je y laisse mon
» frère, monsieur d'Andelot, accompagné d'un bon nombre de
)) sages et vaillans capitaines, garnis de forces que nous estimons
» estre suffisantes pour la garder; et, de moy,jeme tiendi^ay
» avec la cavalerie en compagnie, pour, si l'occasion se pré-
» sente de rencontrer l'ennemy, luy présenter une autre bataille
)) sinon, adviser de dresser quelque autre entreprise, dont je ne
» faudray incontinent vous advertir. Cependant je serais bien
y> marry devons celer le louable et vertueux devoir auquel M. le
)) maréchal deHessen, les reitmestres et reistres s'employent,
» suyvantle commandement qu'ils publient partout en avoir de
» leurs très illustres princes; quiesttel, jevousasseure,quenous
y> nous en ressentons de beaucoup vos redevables, et eux dignes
y> d'une très grande louange, et mesmement, en ce qu'ilz se sont
— 204 —
y> jusques icy tant constamment comportez, qu'ils ont i'aict, quoi-
)) qu'ils aient vu mondit seigneur le prince prisonnier, mesme
» de ne s'estre voulu laisser gaigner aux pratiques et menées que
» le sieur de Guyse leur a secrètement faict faire, tant par
» lettres de la royne mère, que par tant d'autres persuasions;
D dont il plaira à l'Excellence de vous, Monseigneur, et de vos
)) bons parens, leur faire entendre le contentement que nous
» en recevons, et par mesme moyen leur mander qu'ils per-
)) sévèrent et continuent en ceste bonne dévotion, afin de da-
» vantage augmenter et accroistre leur, affection et volonté, à
y> propos desquelles persuasions j'ay pensé ne devoir objnettre
y> l'advertissement que j'ai eu de l'artifice dont ledict sieur de
» Guyse se veut maintenant aider, tant en vostre endroict, que
> de tous les autres princes et seigneurs de l'empire : c'est que
» ne pouvant plus justement tenir les armes en main, pourn'a-
» voir aucune qualité capable en ce royaume, qui légitimement
» l'appelé à ce faire, estant le roy mineur et en bas âge, mon-
)) sieur le prince naturel lieutenant-général de Sa Majesté, et
» M. le connestable prisonnier, n'a sçeu inventer autre plus
)) grande ruze, sinon d'extorquer un escrit qu'il a fait signer au
» roy, à la royne, à monseigneur, frère du roi, à M. le prince de
» Navarre, messieurs les cardinal de Bourbon, duc de Mont-
» pensier, comte daulphin, prince de laRoche-sur-Yon, lequel, à
ï- ce que l'on m'a dict, vous a esté envoyé, déclaratif comme mon-
)) dit sieur le prince de Gondé et les auUres princes, chevaliers,
» seigneurs et gentilshommes, fidèles et loyaux subjets et servi-
)) teurs de Sa Majesté, ses associez , n'ont entrepris ceste que-
» relie pour son service ny pour le bien de la religion, ains
)) pour quelque passion particulière, sans la déclairer, ni à l'en-
y> contre de qui ; chose aussi ridicule que captieusement bastie
» et dressée; et de faire, si l'on veut regarder la condition de
» ceux qui ont signé, dont il y a quatre enfants, la roine inti-
)) midée par ledit sieur de Guyse, M. le cardinal de Bourbon
— 205 —
» contraire à la religion, M. de Montpensier encore plus en-
y> nemy, M. le prince de la Roche-sur-Yon, persuadé et par la
)) roine et par son frère, il sera facile à juger quelle efficace peut
» et doit avoir telle déclaration, et combien que les moyens
)) qu'ils ont cy-devant ouverts pour entrer en une feinte pacifi-
)) cation, lorsque nous estions devant Paris, tesmoignent assez
» à rencontre de cet escrit, toutesfois, afin de rendre tousjours
» le droit de nostre costé, si l'on nous veut accorder l'exercice
i> de nostre religion libre, nous ferons bien cognoistre quel, est
)) le fonds et le but de nos intentions, qui n'aspire moins à une
» tranquillité que les leurs à la ruine et désolation .de l'église
» de Dieu, et entière subversion de Testât de ceste couronne;
3 et suis quasi contraint de dire que telle moquerie le devroit
» faire rougir de honte, abusant ainsi de l'authorité de Leurs
» Majestez et delà réputation de France; mais quand je consi-
)) dère que Dieu l'a presque réduit au dernier recours de ses
» prétextes, j'ay pensé qu'il n'avoit autre moyen pour retirer
D des forces d'Allemaigne , que cestuy-là ; cuydant que cela
)) incitera la Germanie à luy subvenir de secours ; à quoy Vostre
ù Excellence, Monseigneur, ensemble tous vos bons amys,
)) doibvent bien penser et vivement s'opposer, comme je vous
» en supplie, au nom de Dieu, le vouloir empescher, de tous
)) vos pouvoirs, qu'il n'en puisse -lever, mais nous envoyer, le
y plustost que sera possible, celuy que nous attendons par vostre
)) moyen ; ce que sans plus nous laisser abuser aux simulées
» conditions de paix qu'ils présentent toutes lesibys qu'ils se
)) voyeut faibles, et attendant quelque renfort, nous poursuy-
)) vions le cours du chemin que Dieu nous a préparé, pour
)) l'exaltation de sa gloire et avancement de son règne, comme
)> il nous commence desjà ù démonstrer les arres de ses faveurs,
» ayant fait descouvrir la pauvre et malheureuse entreprinse du
» baron des Adrets, lequel s'estant désisté des bons déporte-
» ments qu'il avait si bien commencez, avoit comploté avec
— 206 —
» M. de Nemours de rendre les places de Romans et de Va-
> lence, en Daulpliiné, à sa mercy; mais la divine bonté ayant
y> fait' descouvrir telle malice, n'a permis qu'elle fûst exécutée,
» si que, sur le point de l'exploict, ledit baron a esté prins,le-
)) quel sur le champ a confessé sa faute. Voylà comment ce grand
» Dieu desmonstre ses jugemens. Davantage ledit sieur de Ne-
» mours, estimant tenir ceste prorae&se en ses mains, s'estoit
» achemyné vers Lyon pour la surprendre; et, de faict, y fit
» ses efforts, par escalades; mais, comme son entreprinse de
y> l'une et de l'autre part estoit mal asseurée , aussy luy en
y> print-il de mesme : car y ayant trouvé autre résistance qu'il
y> ne cuidoit, ses gens furent si vivement repoussez, qu'il fut
y> contraint, après la perte de beaucoup de soldats et d'une
y> partie de ses eschelles, se retirer avec sa honte. Or, puisque,
)) sur la fm de l'année. Dieu nous démontre tant et de si favo-
» râbles commencements, nous ne nous pouvons moins alten-
)) dre que une heureuse et prospère yssue en la défense de sa
» sainte querelle, d'autant qu'il est véritable en ses promesses;
» ce que je luy supplie vous faire la grâce et vous donner, Mon-
» seigneur, très illustre prince, en toute perfection de santé,
» très longue et contente vie. D'Orléans, ceXXX' jour de jan-
)) vier 1562 (1563 n. s.). »
Rien, dans le cours des six semaines qui suivirent la bataille
de Dreux, ne pouvait mieux faire connaître la sage prévoyance,
l'indomptable énergie de l'amiVal et sa foi en la protection di-
vine, que la. série de lettres dont la teneur vient d'être repro-
duite, et auxquelles s'attache un intérêt historique de premier
ordre.
Toutes ses dispositions étant prises, Goligny quitta Orléans
le 1" février et se mit en marche dans la direction de la Nor-
mandie.
CHAPITRE YI
Coligny arrive en Normandie. — Mission de Téligny en Angleterre. Correspondance de
Coligny relative à cette mission. — Siège d'Orléans par le duc de Guise. — Poltrot
assassine le duc. — Entrevue de Catherine de Médicis et de la princesse de Condé.
— Le procès-verbal de l'interrogatoire subi par Poltrot est communiqué à Coligny.
— Lettre et réponse détaillée, dans lesquelles Coligny repousse avec indignation
les allégations accusatrices de l'assassin. 11 demande à être confronté avec lui. —
Sans égard pour sa demande, on précipite le jugement et l'exécution à mort de Pol-
trot. — Opérations militaires de Coligny en Normandie. — Entrevue de Condé et du
connétable, ménagée par Catherine pour hâter, en l'absence de l'amiral, la conclusion
d'un traité de paix défavorable aux réformés, — Défaillance de Condé dans les pour-
parlers de paix. — Édit d'Amboise. — Arrivée de l'amiral à Orléans, sa protestation
contre le traité de paix n'est pas accueillie. — Il se résigne, par patriotisme, à
accepter les conditions de ce traité. — Bientôt il quitte Orléans et la cour.
« L'admirai, rapporte l'un des hommes de guerre distingués
)) qui l'accompagnèrent en Normandie \ se proposa pour but
» la diligence. Aussi, en six jours, fit-il plus dé cinquante lieues
» avecques son armée de cavallerie. Elle estoit de deux mille
» reitres, cinq cens chevaux françois, et mille harquebusiers à
» cheval ; et pour porter le bagage n'y avoit aucune charrette,
)) sinon douze cents chevaux. En cest équipage, nous faisions
» telle diligence, que souvent nous prévenions la renommée
)> de nous mesmes en plusieurs lieux où nous arrivions. »
Tandis que Coligny s'avançait ainsi avec une extrême rapidité,
le vigilant Beauvoir^ écrivait du Havre à Cecil, le 5 février^ :
« Monsieur, pour entretenir tousjours vostre bon et affectionné
)) désir, je ne craindray à vous faire ceste recharge, pour vous
1. De Lanoue, Disc, polit, et milit., p. 720.
2. Record office, State papers. France, vol. 30, et Laferrière, la Normandie
à l'étranger, p. 76, note 4.
- 208 —
» prier affectueusement de tenir tellement la main à la juste
D deffense de nostre cause, qu'en peu de jours monsieur l'amy-
» rai, qui vient avec ses forces en Normandye, soit secouru et
)> d'hommes et de deniers, de la majesté de la royne, selon la
» promesse qu'elle en a faicte par cy-devant, car aultrement
)) l'issue de nostre entreprise, qui est, avec l'aide de Dieu, fort
)) proche, pourroit estre esloignée, au grand désavantage non
» seulement de la France, mais de toute la crestienté. Je vous
)) prie donc, monsieur, derechef, de nous favoriser tellement
» envers Ladite Majesté, que le secours qui a esté promys puisse
c( venir à propos, car pour vostre dextérité et expérience, vous
)) sçavez combien la demeure est périlleuse en telles affaires. »
L'amiral parvint, sans obstacle sérieux, jusqu'au bord de la
mer ' et établit son camp à Dives.
N'ayant pas encore reçu d'Angleterre les fonds sur lesquels
il comptait, mais informé que le comte de Warwick, qui occu-
pait le Havre, devait les y avoir reçus, il s'empressa de lui en
demander la remise, afin de pourvoir, au moins en partie, à
la solde des troupes arrivées d'Orléans à Dives, sous son com-
mandement.
Téligny fut alors envoyé par Goligny en Angleterre, pour y
exposer à Elisabeth et à Gecil l'état des aifaires de France, et
pour les entretenir l'un et l'autre dans des dispositions favo-
rables aux réformés.
A son dépari, Téligny vit au Havre Warwick, à qui il remit
une lettre -de l'amiral ^, en insistant sur les recommandations
1. « Iter nobis tulum et pacatum fuit., nemine tanlis copiis obsislere auso. »
(Beza Tiguriiiie Ecclesiœ, 12 mai 1563, ap. Daum, App., p. 207.)
2. Lettre de Coligay à Warwick, du 13 février 1563 (Record office, Slate
papers, France, vol. 30, et Laferrière, le XVP siècle et les Valois, t^. 104, 105).
— Voy. aussi: l" un écrit dressé au Havre, le 12 février 1563, par un agent de
l'amiral nommé Chastellier. En tête de cet écrit se lisent ces mots : « C'est ce
» quej'ay à demandera M. le comte de Warwick, de la part de monsieur l'amy-
V rai, et les poinctz de la oréance qu'il m'avait donnée, » (Record office, State
— 209 —
pressantes qu'elle contenait. Les premières lignes de cette lettre
portaient : « Monsieur, ayant entendu par les lettres que j'ay
)) reçuesde ce soir de laroyne d'Angleterre, que, de ceste heure,
)) il y avait au Havre de grâce une bonne somme d'argent, la-
y> quelle sa majesté a envoyé par cy-devant pour nous ayder à
y> payer nos gens de guerre, j'ay bien voulu vous prier de nous
)) vouloir faire tenir ladite somme, d'aultant que je vous puys
y> assurer quelle nous faict grande faulte; car sy nos reistres
)) estoient payés, je regarderoys à ne perdre point de temps, les
y> voyant de si bonne volonté comme ilz sont; mais jusques à ce
» qu'ilz ayent eu leur payement, je ne les puys pas employer
y> comme je vouldrois bien. Surquoy, je vous veux bien advertir
D que sa majesté n'a pas escript à moy seulement qu'il y avoit
)) bonne somme d'argent, audict Hâvre,pour nous ayder à payer
» nos gens de guerre, ains mesmes à M. le mareschal de Hes-
)) sen, dont il pourra trouver tant plus estrange que l'on diffère
y> tant à payer ses gens. y>
Arrivé en Angleterre Téligny se présenta à Cecil et à Eli-
sabeth, porteur de deux lettres de créance.
Coligny écrivait au premier ministre ^ : « Monsieur Cécile,
» puys naguères estant arrivé en ceste coste de Normandie, je
)) n'ay voulu faillir de faire passer en Angleterre, pour l'effect
)) suffisant, l'ung des plus apparens gentilshommes que j'eusse
y> auprès de moy. Parquoy, j'envoye maintenant M. de Théligny,
y> présent porteur, pardelà, par lequel, entre aultres choses,
» j'ay bien voulu vous faire entendre que nous avons esté bien
» advertiz de la bonne et grande affection que vous portez à la
» cause de Dieu, etc., etc. »
papers, France, vol. 30, Galend, of State pap. foreign. 12 février d563, et de
Laferrière, la Norm. à Vétr.,]).9b à 97); 2» une lettre adressée, de Dives, par
Coligny à sir Poulet, le 12 février 1563 (Record office, State papers, France,
vol. 30, de Laferrière, IbicL, p. 83, et Galend. of State pap. foreign).
i . Record office, State papers, France, vol. 30, et de Laferrière, la Norman,
à l'étr., p. 84, 85.
it. u
— 210 —
S'adressant en même temps à la reine d'Angleterre, l'amiral
lui parlait avec effusion des qualités exceptionnelles de son
jeune envoyé. « Madame, lui disait-il \ estant maintenant ap-
» proche si près de vous en lieu plus exempt des dangers et dif-
y> cultez des chemins et passages qu'auparavant, je n'ay voulu
y> faillir vous faire encores bien particulièrement entendre
» Testât en quoy se retrouvent à présent nos affaires, et le désir
» et besoing que ceste compagnie a de sçayoir au plustost des
» nouvelles de vostre majesté, à laquelle j'envoye pour cest
» effect monsieur de Théligny, présent porteur, gentilhomme
)) de la chambre du roy, personnage digne et vertueux, et du-
» quel les mérites surpassent son âge; vous suppliant très
» humblement, madame, le vouloir ouyr et croire de ce qu'il
» vous dira de ma part comme moy-mesmes, etc., etc. »
Aux recommandations de Coligny en faveur de. Téligny se
joignirent, auprès d'Elisabeth et de lord Robert Dudley, celles
de Throckmorton, actif agent de l'Angleterre en France, qui
continuait à soutenir d'étroites relations avec les chefs des ré-
formés ^.
Téligny fut bien accueilli par la reine et par son premier
ministre. Tous deux, en répondant à l'amiral, l'assurèrent de
leur sympathie ^ ; et cependant il ne recevait toujours pas
les fonds sur lesquels il était en droit de compter, aux termes
des promesses faites. Il venait de s'emparer de Caen, et il se
disposait à en assiéger le château, lorsque, justement blessé du
retard que mettait la cour d'Angleterre à s'acquitter vis-à-vis
i. Record office, State papers, France, vol. 30, et de Laferrière, la Narra, à
Teir., p. 383, 384.
2. Calend. of State pap. foreign, ann. 1563. Lettres des 21 février et l^'"mars.
Au dire de Trockmorton, « it will be very necessary for the queen to gratify
» the admirai with the 100000 crowns, accordingto her former détermination,
» and let him undersland by M. de Téligny her affection to stand hini in
» stead >,
3. Calend. of State pap. foreign, ann. 1563, p. 92. Lettres de février 1563.
— 211 —
de lui, il écrivit, le 23 février, de Gaen même, à Throckmorton * :
« Monsieur de Throckmorton, j'ay reçu la lettre que vous
» m'avez escripte par le sieur de Bois-le-Gonte, et en oultre
y> j'ay entendu de luy ce que luy avez donné charge de me dire.
y> Et pour vous dire vérité, je suis en grande peine de ce que je
» me trouve déçeu de l'espérance que j'avois de recevoir la
)) somme entière de cent mil escuz; laquelle j'ay desjà asseuré
» à M. le mareschal de Hessen et nos reislres estre preste;
» car, encore qu'ils se soient condescenduz à faire ce que il
y> ne se trouve guères qu'autres de leur nation ayent faict, si est
» ce M. de Throckmorton, que vous avez tant d'expérience des
» choses de ce monde que vous n'estes pas à cognoistre l'hon-
» neur de ceste nation et combien il leur fault pour manquer
» de promesse, après mesmement les avoyr faict si longuement
^ temporiser et réduit à faire ce que chascun a vu. Au reste, je
» vous ay desjà envoyé par le sieur de Mongreville le contract
)) et ratification que m'avez envoyés par le baron de Montandre,
» signés et scellés des principaux de ceste compagnie et asso-
» ciation. Maintenant je vous envoyé le trésorier Bertrand
» commis et estably par monseigneur le prince à recevoir tous
» deniers généralement servant à ceste cause, lequel nous
» avons approuvé et confirmé, pour ce mesme effect approu-
» vous et confirmons par la présente, en tant qu'en nous est,
» en l'absence de mondit seigneur le prince et durant sa délen-
» tion, luy avons donné charge et l'authorisons pour recevoir
» ladite somme de cent mil escus à nous octroyez par la royne
» vostre maistresse, suyvant ledict contract et ratification, et
» pour cest eftect luy ayant baillé deux blancz signez ; et au cas
» que vous ne vous contenteriez de la présente et que vouldriez
» avoir autre pouvoir, je vous promeetz incontinent d'en faire
1. Record office, State pap., France, vol. 30. De Laferrière,la Normandie à
Vétmnger, p. 97 à 99. — Ibid., le xvi« S. et les Valois, p. 105, 106. — Calend.
of State pap. foreign.
— 212 —
y> expédier autre, tel que vous adviserez estre requis pour
)) vostre seureté, vous priant que telles difficultés ne retar-
» dent aucunement les affaires qui se présentent, auxquelles
» vous me trouverez tousjours prest de satisfaire. Quant au
)> nombre de pouldres et canonz, il ne me semble estre suffisant
)) pour l'affaire que nous avons et qui se présente, qui n'en
» requiert pas moins que ving milliers, et si est besoing, d'avoir
» pour le mieux encores deux canons, que je vous prie bien fort,
)) M. de Throckmorton, estre moyen qu'iiz me soyent envoyés,
» sans que cela retarde ce qui peult estre desjà prest, et mectre
» en considération l'importance de ceste place et combien dili-
» gence et prompte exécution y est requise, après laquelle je ne
» fauldray de renvoyer lesdils canons. Je ne fauldray aussy de
» faire tout le bon accueil et bon traitement dont je me pourray
» adviser aux gentilhommes et soldatz qui viendront soubz la
)) charge de M. de Pellam, et auray soing de les accommoder
y> comme il est trop raisonnable pour beaucoup de regardz et
» respectz. Quant aux battauxpour transporter ce que j'attends
)) de delà, je suis après tous les jours pour en faire charger de
y> grains, aiTin de les envoyer au Havre, de sorte qu'il y en aura
» assez par icy ; nous ne laisserons néanmoins d'y donner tout
» le meilleur ordre que nous pourrons. Il me reste à vous dire,
y> M. de Throckmorton, que je vous attends en fort bonne dé-
)) votion pour entendre de vous ce qu'il a pieu à la royne vostre
» maistresse vous donner charge de me faire entendre de sa
y> part, vous asseurant que vous n'avez. point plus grand désir
» de me voir que j'ay de vous voir. Sur ce, me recommandant
» affectueusement à vostre bonne grâce, après avoir suplyé
» nostrebon Dieu vous donner, M. de Throckmorton, en santé
» bonne et longue vie. De Caen, ce XXIIP febvrier 1563. »
Cependant, que s'était-il passé à la cour, à Orléans, et dans
le voisinage de la Loire, depuis le 1" février, date du départ
de l'amiral pour la Normandie?
— 213 —
Le 3 février, l'ambassadeur d'Espagne, Perrenot de Chan-
tonnay, hostile, pour sa part, à toute idée de rapprochement
entre réformés et catholiques, et n'aspirant qu'à l'anéantisse-
ment des premiers par les seconds, accusait Catherine de Mé-
dicis de plier devant Gondé, et se déchaînait contre ce prince
comme poussant à la continuation de la guerre civile, par cela
seul que, du fond de sa prison, il réclamait l'exécution de l'édit
de janvier. « Il semble, disait ce digne représentant de la poli-
)) tique de Philippe II ', que le prince de Gondé n'est prison-
» nier; ains qu'il tient les aultres en captivité, chose qui faict
)) merveilleusement murmurer contre la royne : et, quant à
» moy, je ne l'en sçaurois du tout excuser : ne sçay-je si l'on
» luy doict imputer à malice ou à peu d'expérience. Elle a
» faict ceste faveur audict prince de Gondé, se monstfant opi-
y> niastre comme il est jusques aujourd'hui à ne vouloir ac-
» cepter partye, de luy envoyer toutz ceulx du conseil ensemble,
y> pour luy remonstrer en forme de supplication, qu'il voulust
» avoir pitié des affaires de ce royaume : cela l'a adoulcist. aul-
» cunement, voyant que l'onfict compte de luy; mais pourtant
» n'ha-t-il voulu condescendre à aulcune chose qui se peult
» dire œuvre de Dieu : car, à la vérité, concéder que chacun
» puisse vivre selon le repos de sa conscience, et retourner
)) impunément en son bien, est apprester une plus grande
» guerre que celle qui se faict pour le jourd'hui, et telz termes
» d'user de supplications envers ung prisonnier vassal, sont
y> absurdes et ridicules, et donnent bien à entendre qu'il y ha
» de la faveur secrète, sans laquelle, il est tout cler, l'on n'u-
» seroit de telz respectz. Tout le peuple en est tant schan-
)) dalisé, qu'il en attend tous les jours pis; et craint qu'à la fin
» l'on fera parler le roy très chreslien après que la royne aura
» permis qu'il soit séduit; comme tout le monde la tient pour
1. Dépêche du 3 février 1563. (Mém. de Condé, l. II, p. 128, 129.)
_ 2U —
y> perdue en ce royaulme, et que rien ne la retient que Tat-
» tente de veoir son appoinct, pour complaire à ceulx qui la
3) gouvernent, et mettre en exécution leur conseil, qui tend
3 entièrement à réversion delà religion catholique : pourtant
» est-ce qu'elle fuyt la voysinance de ce lieu (Paris), affm
» qu'elle n'aye occasion de rendre le prince de Gondé à la
)) Bastille ou aultre lieu fort; et ne sçai-je où l'on le sçauroit
y> mettre seurement en tout le royaulme, aultre que en ladicte
)) Bastille. Toutesfois l'on desseigne de le mectre en ung chas-
» teaux dict Onzain qu'est au comte de La Rochefoucault, près
» d'Amboise, en pays mal seur et fraîchement réduict, et la
» place telle, qu'aultant vauldroit-il le mectre en pleine cam-
y> paigne; et semble que puisque par son opiniastreté l'on ne
» le peult délivrer par traicté, l'on désire luy donner aultre
ï> moyen pour s'eschapper. y>
Quoique pensât et que dît Ghantonnay quant à l'incarcé-
ration de Louis de Bourbon, ce prince, transféré, à la suite de
Catherine de Médicis, de Chartres à Blois, de Blois à Amboise,
fut, en dernier lieu, enfermé à peu de distance de cette der-
nière ville, dans le château d'Onzain ^ , d'où bientôt il chercha
vainement à s'échapper.
« J'entendz de certain, raconte Chantonnay ^, que le prince
3) de Condé s'est pensé sauver hier au soir, en habit de paysan,
» et avoit desjà passé la seconde guarde : toutesfois il fust ap-
» perçeu et cogneu par la troisième, et repris. M. Banville,
» qui en a la guarde, feit incontinent emprisonner le capi-
» taine h qui il l'avoit enchargé; et dict-on qu'il a faict pendre
5> et tuer et noyer beaucoup des soldatz qui se sont trouvez
» consentantz au faict, ou nonchaillance » . Th. de Bèzo ajoute^ :
)) Le prince fut resserré dedans le chasteau, après lui avoir
i. Voy. Pierre Matthieu, Hist. de France, in-f» 1631, t. 1, p. 269.
2. Dépêche du 20 février 1563. {Mém. de Condé, t. II, p. 133.)
3. Hist. eccl., t. Il, p. 256, 257.
— 215 —
» osté quelques-uns de ses serviteurs ; mais le cœur ne luy faillit
» pour cela, parlant plus haut et plus généreusement que ja-
» mais, comme aussi il en escrività Orléans, exhortant la prin-
» cesse et tous les chefs de l'armée à vertu et constance, et à
» s'assurer qu'encores que ses ennemis le fissent mourir. Dieu
» leur susciterait un aultre chef et favoriseroit jusques à la fin
D leur cause qui estoit la sienne. »
Les exhortations du prince a vertu et constance avaient été
devancées, dans les murs d'Orléans, à l'approche de l'armée
catholique, par d'Andelot, la princesse et madame l'amirale,
dont l'attitude était admirable.
Miné par la fièvre, d'Andelot n'en déployait pas moins, en
face de l'ennemi, une activité incessante. Il avait établi dans la
ville un ordre parfait et mis la défense sur un pied respec-
table. Le soin des pauvres, des malades, la direction de l'as-
sistance spirituelle, étaient plus particulièrement le partage de
la princesse et de sa tante, Charlotte de Laval, qui, l'une et
l'autre, malgré l'état chancelant de leur santé, se prodiguaient
au dehors et utilisaient pour le bien commun le concours de
plusieurs femmes dévouées qui s'inspiraient de leurs nobles
exemples. Déférant aux avis de sa sœur et de sa nièce, d'An-
delot s'était efforcé de mettre chacun à même de concilier, avec
les exigences auxquelles était nécessairement soumise la popu-
lation d'une ville assiégée, l'accomplissement de devoirs supé-
rieurs, dans l'ordre religieux et dans le domaine de la charité
appliquée au soulagement des souffrances physiques et morales.
De là, à la suite de conférences tenues avec les ministres et di-
verses personnes considérables, l'adoption du régime suivant :
« Quant à l'ordre de l'égHse, outre les prédications ordinaires
» et les prières aux corps de garde, on faisait prières générales
)) extraordinairement à six heures du matin, à l'issue des-
» quelles les ministres et tout le peuple, sans nul excepter,
» alloient travailler aux fortifications de tout leur pouvoir, se re-
— 216 —
)) trouvant chacun de rechef à quatre heures du soir aux
» prières : et fut aussi un bien assigné pour recueillir les
y> blessés, qui estoient pansés et traités très humainement par
» les femmes les plus honorables de la ville, n'y épargnant
» leurs biens ni leurs personnes. En quoy firent entre autres
)) un merveilleux devoir les demoyselles des Marets, la baillive
)) d'Orléans et de Martinville, dignes de perpétuelle mé-
» moire ^ »
, Les 6 et 9 février, le duc de Guise, qui, dès le 5, était venu
camper près d'Orléans, s'était emparé du portereau et des tou-
relles ^. Enflé par ce double succès, il avait osé « mander à la
» royne mère qu'il la prioit ne trouver mauvais s'il tuoit tout
» dans Orléans, jusques aux chiens et aux rats, et s'il faisoit
3) destruire la ville jusques à y semer du sel ^ ».
Sans s'arrêter à la jactance du duc, et alors que du 9 au
18 février il activait ses préparatifs pour assaillir les îles et ten-
ter de pénétrer de vive force dans la ville, Catherine de Mé-
dicis s'occupait de nouveau à ménager une entrevue du prince
de Condé avec le connétable. Les préliminaires en devaient être
ouverts, du côté de la cour, par l'évêque de Limoges et d'Oy-
sel, qui préalablement se rendraient à cet effet auprès d'Anne
de Montmorency *, et, du côté de Louis de Bourbon, par deux
officiers protestants, Boucard et d'Esternay, qui, préalablement
aussi visiteraient le prince dans sa prison.
Le 13 février, « messieurs de Limoges et d'Oysel s'en al-
1. De Bèze, Hist. eccL, t. II, p. 266.
2. Voir sur la courageuse atlitude de d'Andelot, dans cettft circonstance, les
détails fournis par de Lanoue, Disc, polit, et millt., p. 717, 718.
3. De Bèze, Hist. ceci., t. II, p. 265.
4. La maréchale de Montmorency obtint, à cette époque, un sauf-conduit
pour aller à Orléans conférer avec son beau-père le connétable. (Galcnd. of.
State pap. foreign. 17 février 1563. Smith to the privy council). II y a plus :
d'Andelot, au milieu des préoccupations les plus graves, prit soin d'écrire à la
connétable pour la rassurer sur la condition de son mari. (Lettre du 2i fé-
vrier 1563. Bibl. nat., mss. f. fr., vol. 34 JO, f 8i.)
— 217 —
)) lèrent à Orléans, où ils parlèrent à mondit seigneur le conné-
ï) table, à madame la princesse de Gondé, à M. d'Andelot et
y> autres qui avaient là le maniement des affaires^ ».
Le 16 du même mois, la reine mère, auprès de qui étaient
arrivés Boucard et d'Esternay, les adressa aussitôt à Damville,
en lui écrivant - : « Mon cousin, présentement est arrivé ce
» porteur, serviteur de mon cousin le prince de Gondé, avec
» une lettre de vostre père que vous verrez, et par icelle enten-
)) drez l'occasion de sa venue. Je la vous ay voulu envoyer
y> avecques les sieurs de Boucard et d'Esternay, affîn que tous
y> ensemble ils communiquent avec ledit prince et là par en-
» semble ils prennent une bonne résolution Il retournera en
» toute diligence advertir vostre dict père, estant bien d'advis
j) que lesdicts sieurs de Boucard et d'Esternay demeurent là
)) jusques à ce qu'il soit de retour devers mondict cousin pour
y> luy faire entendre ce qu'ils auront résolu à Orléans. »
Afin de pouvoir s'entretenir librement avec Boucard et d'Es-
ternay, Gondé avait demandé, avant leur arrivée au château
d'Onzain, qu'ils fussent autorisés à coucher dans sa chambre,
sans gardes. Gatherine donna, sur ce point délicat, à Damville
des ordres dont la trace existe ^, mais dont on ignore le sens et
la teneur.
Quel était alors l'état d'esprit du prince? Une lettre de lui à
un ministre de Normandie nous le révèle en ces termes * : « Vos-
y> tre lettre m'a apporté grand plaisir et consolation à mon
)) âme, ayant par icelle mon devoir mis devant les yeux avec dé-
» claration de l'heureux estât des enfans de Dieu et de sa
» grande faveur vers eux : dont je vous prie employer toutes les
» opportunités que pourrés avoir à m'escrire afin que ainsi soyés
i. Mém. de Gondé, t. IV, p. 245 et suiv. : lettre de l'évêque de Riez.
2. Bibl. nat., mss. f. fr., vol. 3194, f» 25.
3. Id., vol. 3185. 21 : lettre de Catherine à Damville.
4. De Bèze, Hist. eccL, t. Il, p. 277.
— 218 —
» instrument de me fortifier de plus en plus en patience et af-
» fection de monde voir, vous asseurant que jusques à présent
» j'expérimente et sens au vif telle présence des grâces de Dieu
» en moy que je me sens beaucoup plus délibéré de perdre ma
y> vie icy et d'y espandre mon sang pour avancer l'honneur de
y> Dieu et le repos de ses enfans, que je ne fus onques, me con-
y> tentant, comme aussi il y a bien de quoy, du dot d'immor-
» talité qui m'est appresté poureschange de tout ce que je puis
y> icy perdre, qui ne me peut toutefois apporter que mal, comme
» il n'est que vanité. Serves où vous estes, de tel office qu'avés
D toujours faict, afin que puissions voir le royaume de Dieu
» avoir paix en cestuy-cy, et nostre roy demeure honoré et
j> obéy, ce que je désire d'aussi bon cœur que je prie nostre bon
» Dieu qu'il vous augmente toujours tous les dons de son es-
» prit, à sa gloire et au salut de tous, amen. »
« Geste lettre, ajoute Th. de Bèze, en parlant de Louis de
T> Bourbon, que je scay avoir esté dressée, non par secrétaire,
)) mais de son propre motif et stile, et que j'ay veue escrite de
» sa main, monstre quelles grâces il avait plu à Dieu de mettre
» en ce prince \y>
Tout en manifestant des intentions conciliantes à la princesse
de Gondé, la reine mère, en secret, la tournait en dérision et se
complaisait à l'idée de l'effroyable déception que réservait à cette
pieuse et héroïque jeune femme la haine du duc de Guise, n'as-
pirant qu'à emporter d'assaut et qu'à anéantir Orléans. La poli-
tique tortueuse et les sentiments amers de Gatherine se révèlent
une fois de plus dans ces quelques lignes, adressées confiden-
tiellement à de Gonnor^, le 17 février : « Quant à nos nou-
» velles, M. de Guise doit demain faire belle peur à Orléans.
» Boucard et Esternay sont avec le prince de Gondé, et les nos-
;) très (l'évêque de Limoges et d'Oysel), avec M' le connétable
1. De Bèze, Hist. eccl., t. II, p. 278. '
2. Le Laboureur, Addit. aux mém. de Castelnau, t. II, p. 171, 172.
— 219 —
» qui m'a, depuis qu'ils sont avec luy, envoyé le secrétaire du
» dict prince pour résoudre la vue, et presse fort madame la
» princesse que je le fasse. Je croy qu'elle a belle peur de nous
» voir si près d'elle sans son congé ; mais quand demain nous
» aurions Orléans, je scay bien que pour chasser les estrangers
jD il nous faut la paix que je désire, mais nous l'aurons à bien
» meilleure condition, tenant la ville, »
Voulons-nous savoir ce que fût devenue la ville d'Orléans, si le
duc de Guise l'eût tenue? lui-même nous l'apprendra sans dé-
tours. Écoutons-le, en effet, annoncer, dans la matinée du
18 février, à Catherine* « qu'il luy mandera nouvelles de la
» prise de la ville dans vingt-quatre heures, la suppliant luy par-
» donner si, contre son naturel qui n'estoit d'user de cruauté,
» comme elle avoit pu cognoistre en la reddition de Bourges et
» en la prise de Rouen, il ne pardonnait dans Orléans, à sexe,
D ni aage, et mettoit la ville en telle ruine qu'il en feroit perdre
y> la mémoire après y avoir fait toutesfois son caresme prenant ».
François de Lorraine ne put ni tenir Orléans, ni même y
pénétrer; la balle d'un assassin déjoua ses résolutions sangui-
naires, dans la soirée du jour où il venait d'écrire à la reine
mère.
Tandis qu'il gisait étendu sur un ht de souffrances et que la
consternation générale paralysait, dans le camp catholique, l'ac-
tivité de chacun des chefs réunis sous les murs d'Orléans, Ca-
therine continuait" à suivre le cours des négociations qu'elle avait
entamées pour amener l'entrevue des deux prisonniers. Dès le
19 février, elle donnait à ce sujet des instructions à Damville-
et envoyait à Éléonore de Roye et à d'Andelot l'évêque de Li-
moges et d'Oysel ^ .
\. De Bèze, Hîsi. eccL, t. Il, p. 267.
2. Bibl. nat., mss. f. fr., vol. 3185, f» 30.
3. < L'Évesque de Limoges et le sieur d'Oysel vont et viennent dois la court
j> à Orléans, pour négocier l'appointement. » {Mém. de Condé, t. II, p. 133, dé-
pêche de Chantonnay du 20 février 1563.)
-- 220 —
Consulté par Éléonore sur les conditions moyennant les-
quelles'il se prêterait aune entrevue avec le connétable, Gondé
avait exprimé le désir que si un prisonnier de guerre tel qu'Anne
de Montmorency était autorisé à sortir d'Orléans, son retour
dans cette ville, à l'issue de l'entrevue, fût garanti par la pré-
sence d'otages qui y résideraient en son absence, et au nombre
desquels serait compris le jeune prince de Joinville, fils du duc
de Guise; mais aussitôt que Gondé apprit que le duc avait été
gravement blessé, il renonça à l'idée de séparer un seul instant
le fils du père.
Le 24 février, le duc de Guise rendit le dernier soupir.
Loin de se ralentir, les négociations s'activèrent sous l'im-
pulsion de Gatherine de Medicis, qui décida qu'une conférence
aurait lieu entre elle et la princesse de Gondé. Les intentions
de la reine mère à cet égard ayant été, le 1" mars, transmises
à la princesse, celle-ci répondit aussitôt que « le lendemain ma-
» tin, à neuf heures, elle serait au bord de l'eau * ».
Le 2 mars en effet, alors que l'artillerie de la place et celle
du camp ennemi croisaient leurs feux ^, Éléonore de Roye, éner-
giques comme toujours en face du danger, et ayant pour unique
escorte « deux damoiselles y> qu'inspiraient un courage digne du
sien et un dévouement sans bornes à sa personne, sortit d'Or-
léans et s'achemina vers Saint-Mesmin. Là, elle eut un entre-
tien de quatre heures avec la reine mère ^. Gatherine, au dire
d'un personnage de la cour des mieux informés *, « la reçut fort
bien, avec beaucoup de belles promesses ». De Thou, sur ce
i. Bibl. nat., mss. f. fr., vol. G607, f» 66.
2. Calend. of State pap. foreign, 8 mars 1563 : Occurrences in France.
3. Archiv. génér. de Venise, vol. Francia, 1563 àd566. Senato Hl, secrela.
dépèche de Barbare au Sénat : « E fij al 2 del mese présente, usci d'Orléans
» la principessa moglie del principe di Conde et parlô lungamente alla
> regina, etc., etc. » — Calend. of State pap. foreign, 2 mars 1563. Smith to
the queen. — Ibid., 3 mars 1563. Smiih to Warwick.
4. Castelnau, Mém. in-f», t. 1, p. 148.
— -221 —
point, est plus explicite que Gastelnau. (c La reine-mère, dit-il,
» après la mort duc de Guise, qu'elle regarda comme un bon-
D heur, n'omit rien pour conclure la paix. Pour cet effet, elle
» eut à Saint-Mesmin un entretien avec Éléonore de Roye, prin-
» cesse de Gondé; elle l'eiribrassa tendrement et lui donna de
» très grandes marques de bienveillance et d'affection. On croit
y> même qu'elle lui fit espérer que le prince aurait auprès du roi,
» et par conséquent dans tout le royaume, le même rang que le
y> roi de Navarre, son frère, avait eu ^ . »
Éléonore de Roye connaissait trop bien Gatherinede Médicis
pour se laisser prendre à ses démonstrations affectueuses et à
ses promesses en faveur de Gondé. Touchée des unes et des au-
tres dans une certaine mesure, elle sut, avec son tact habituel,
les réduire à leur juste valeur. Sans doute, elle crut à la sincé-
rité du désir qu'exprima la reine mère de conclure la paix,
parce qu'elle l'y savait intéressée, au point de vue de la conso-
lidation de son pouvoir ; sans doute aussi, elle aspirait ardem-
ment, pour sa part, à la réahsation d'un traité de paix qui
rendrait Louis de Bourbon à la liberté, et peut-être même le
porterait à la lieutenance générale du royaume; mais à titre de
fervente chrétienne, dévouée de cœur à la cause de la liberté re-
ligieuse, Éléonore était incapable de condescendre à un pacte
qui sacrifiât ou seulement restreignît celte sainte liberté. Dès
lors, fermement attachée à l'édit de janvier, pour le maintien
duquel son mari avait pris les armes, elle n'avait pas pu, dans
son entretien avec Gatherine, laisser croire à celle-ci que le
prince achetât jamais la paix, sa liberté personnelle et les pré-
rogatives promises, au prix d'une mutilation quelconque de cet
édit. La seule paix acceptable, aux yeux d'Éléonore, était, ainsi
qu'elle l'avait déclaré dans sa correspondance avec Gatherine,
une paix qui fût à la gloire de Dieu, de telle sorte que par tous
1. Hist. Univ., t. III, p. 40i.
« il pût estre bien obéy et servy; » et pour elle, il ne pouvait y
avoir de paix vraiment empreinte d'un tel caractère, que celle
qui reconnaîtrait à l'universalité de ses coreligionnaires, ainsi
qu'à son mari et à elle-même, le droit de pratiquer librement leur
culte.
Si, en l'absence de toute notion précise sur l'objet et la por-
tée de l'entretien qui eut lieu le 2 mars à Saint-Mesmin, on se
trouve réduit à de simples conjectures, il en est une du moins
à laquelle on peut sans témérité s'arrêter, savoir : que la reine
mère, trop prudente pour froisser les convictions inébranlables
de la princesse, se sera bornée, en se composant un maintien
plein de douceur et d'affabilité, à lui parler, en termes généraux,
de concessions réciproques ne devant s'opérer que sous la
sauvegarde des droits de la conscience, dans des vue§ d'apaise-
mement et de conciliation, sans aller jusqu'à mettre en question
l'édit de janvier; et qu'elle aura insisté sur la nécessité de con-
fier à Condé et au connétable le soin de discuter les bases d'une
paix plus que jamais désirable; tout en se réservant pour elle-
même, dans le secret de ses pensées, le droit d'interposer en
temps opportun ses vues, ses manœuvres et son autorité. Or,
présumant que le prince de Condé prisonnier, « ne demandoit
» que liberté, elle pensoit que son esprit facile et doux à ceux
D qui sçavoyent le prendre à point, ne contesteroit guère sur
t> quelques articles. Pourtant, de peur que l'admirai qui estoit
» encores occupé en Normandie, venant à se trouver à Orléans,
D ne débatist pour l'édict de janvier, qui pourroit rompre l'ac-
» cord et rallumer la guerre, dont s'ensuivroit le rabaissement
» de l'authorité de ceste femme, elle hâta la négociation *. »
La conclusion de l'entretien de la reine mère avec la prin-
cesse fut que Louis de Bourbon et Anne de Montmorency se
réuniraient prochainement,sur la Loire, pour conférer entre eux.
1. Hist. de cinq rois, 1599, p. 285.
— 223 —
Tout en s'occupant de faire aboutir sa négociation, Catherine
n'avait pas perdu de vue l'assassin du duc de Guise.
Qui était ce criminel* qu'elle fit comparaître devant elle, et
que décida-t-elle à son égard?
((Il y avoit un pauvre gentilhomme d'Angoumois, nommé
y> Jean de Poltrot, sieur de Merey, petit homme, mais d^esprit
y> fort vif et accord, lequel, dès son jeune âge, ayant esté en
» Espagne, en avoit tellement appris le langage, qu'avec la
» taille et la couleur dont il estoit, on Teust pris pour un Espa-
yy gnol naturel : à raison de quoy, es guerres de Picardie, il
» avoit esté souvent employé , mesmes par Feuquières , à
» descouvrir l'intention des ennemis, se meslant parmi les
y> Espagnols, dont il acquit le surnom d'Espagnolet. Cestuy-cy
)) estant au service du sieur de Soubize et l'ayant suivi d'Orléans à
» Lyon, esmeu d'un secret mouvement, se présenta un jour à
)) son maistre, luy disant qu'il avait résolu en son esprit de
y> délivrer la France de tant de misères en tuant le duc de Guise ;
» ce qu'il oserait bien entreprendre à quelque prix que ce fust.
» Soubise, prenant cela pour le propos d'un homme esvanté, le
» renvoya luy disant qu'il suffisait bien qu'il fi st son devoir accou-
» tumé, et que Dieu y sauroit bien pourvoir par autre moyen.
» Néantmoins Poltrot avoit tellement cela en son entendement
» que c'estoient ses propos ordinaires, jusques à lever souventes
» fois le bras et dire tout haut à ses compagnons chevaux-
» légers, que c'estoit le bras qui tueroit le duc de Guise et qui
» délivreroit la France ; ce qu'on prenoit pour un propos fri-
» vole, présumant que, s'il l'eust voulu faire, il ne l'eust pas
» ainsi publié; mais tant y a qu'estant les nouvelles de la bataille
3> rapportées à Lyon, Soubize l'envoya de Lyon porter une
» dépesche à l'amiral, en laquelle estoient ces mots exprès, qu'il
» le prioit de le luy renvoyer incontinent, d'autant qu'il estoit
1. Voir les détails donnés sur Poltrot par les Mémoires de la vie de Jean de
Parthenay Larchevêque, sieur de Soubise, 1879, p. 72 à 79,
— 224 —
)) homme de service. L'amiral, pour lors, estoit à Selles en
» Berry, duquel lieu le voulant renvoyer à son maistre avec
» response, il le supplia de luy permettre d'aller à Orléans où
» il avoit quelques affaires. Estant l'amiral, puis après de retour
)) à Orléans et sur son partement, entendue de Feuquières la
» suffisance de Poltrot, qui s'estoit offert d'aller au camp des
» ennemis et d'en faire quelque bon rapport, il l-uy fit donner
)) vingt escus pour cest effet. Poltrot, sur cela, retourné des
y> ennemis à Orléans, fut delà envoyé par Andelot et conduit
y> par Traves à l'amiral au premier giste qu'il fit au partir d'Or-
» léans, à savoir au bourg de la Neufville, où il récita ce qu'il
» avoit descouvert des délibérations du duc de Guise, auquel
)) mesmes il disait avoir esté présenté par un gentillhomme de
» sa connaissance nommé l'Eslan, et jugea l'amiral par son rap-
)) port, que vrayement il pourroit grandement servir au siège
y> d'Orléans. Et d'autant qu'il se disoit estre assés mal monté
» pour faire telles corvées, l'amiral qui n'avoit courtaut qu'il luy
y> peust bailler, luy fit délivrer cent escus, tant pour acheter un
» meilleur cheval s'il en avoit besoin, que pour luy donner
» occasion de tant mieux descouvrir ce qu'il pourroit pour le
)) rapporter, puis après à Orléans. De ces cent escus, Poltrot
y> ayant acheté un cheval d'Espagne, demeura au camp du
)) duc de Guise, logé pour lors au chasteau de Corny jusqu'au
» 18" de février, auquel jour, comme il a dit depuis, descendu
» de cheval en un bois, après avoir disné en une censé, à demi
y> lieue de la maison des Valins, près Saint-Mesmin, il pria Dieu
y> très ardemment qu'il luy fist la grâce de luy changer son vou-
)) loir si ce qu'il vouloit faire luy estoit désagréable, ou bien
» qu'il luy donnast constance et assés de force pour tuer ce
y> tyran et, par ce moyen, délivrer Orléans de destruction, et tout
» le royaume d'une si malheureuse tyrannie. Et sur cela, résolu
» de ne perdre l'occasion, ainsi que le duc de Guise, sur le soir
» du mesmejour, en intention d'assaillir les isles la nuictmesme,
— 225 —
y> s'en retournoit en son logis, accompagné d'un seul gentil-
» homme marchant devant luy et d'un autre parlant à luy, et
» monté sur un petit mulet, il le suivit de si près qu'il luy tira
» de six à sept pas sa pistole chargée de trois balles, s'effor-
D çant de le frapper à l'espaule au défaut du harnois comme
» il fit, parce qu'il pensoit qu'il fust armé par le corps, puis
» donnant des espérons à son cheval, il se sauva par les tail-
D lis dont ce païs-là est tout rempli avec tant de destours,
> principalement à un qui va de nuict à travers païs sans
» suivre chemins ne sente, comme il faisoit craignant d'estre
» poursuivi, que ce n'est pas merveilles, joinct que la grandeur
)) du faict exploité par luy, quelque résolu qu'il fust ne pouvoit
» faillir de l'esblouir, si ayant , tracassé ainsi la nuict au
)) heu de s'esloigner d'Orléans, il se vint rendre au village
» d'Olivet, près du lieu mesme dont il estoit parti , et jus-
» ques au corps des gardes des Suisses qui y estoient logés.
» Ayant recogneu ceste faute et piqué jusques au lendemain
» huict heures, il se logea finalement en une censé pour rafrais-
» chir son cheval, là où s'estant trop fort endormi, il fut trouvé
y> et amené prisonnier par soupçon* .
)) Trois jours après la blessure du duc de Guise, à savoir
» le 21" de février, Poltrot fut amené devant la royne au camp
5) de Sainct-Hilaire, près du bourg de Saint-Mesmin, assistée
i> de quelques seigneurs du privé conseil, là où estant interrogé
» qui l'avoit esmeu à faire ce coup, au lieu de respondre sim-
y> plement ce que dessus, craignant d'estre exécuté sur le champ,
» et cuidant sauver sa vie en chargeant autrui, parce qu'il
» espéroit par ce moyen que pour le moins on le garderoit
)) pour le confronter avec ceux qu'il accuseroit, ou que la paix
y> se feroit cependant moyennant laquelle il eschapperoit,
» chargea grandement de ce fait, premièrement Feuquières
1. De Bèze, Jlist. eccL, t. II. p. 267, 268, 269.
II 15
— 226 —
3> et un nommé le capitalie Brion, lequel toutesfois s'eslant
» révolté avoitesté tué devant Rouen, ce qui pouvoit dès lors
» monstrer la fausseté de ses accusations, puis aussi* deux mi-
» nistres, l'un desquels il ne nomma point, l'autre estoit Théo-
y> dore de Bèze, atteignant aussi le comte de la Rochefoucaut.
» Il adjousta davantage que la royne mesme avoit bien à se
D garder, pour ce que l'amiral luy portoit mauvaise volonté
» auquel aussi il disoit avoir ouy dire qu'il feroit faire le sem-
» blable à tous ceux qui voudroient successivement commander
» à l'armée, et qu'il falloit faire mourir six ou sept chevaliers
» de l'ordre; mesmes qu'il avoit veu au camp devant Orléans
» quelques personnages de la suite de l'amiral, qui y devoyent
» estre envoyés pour exécuter quelque entreprise. — Le len-
» demain ayant persisté en ceste confession, il fut finalement
y> envoyé à Paris; et défenses furent faites incontinent de par
y> le roy estant à Bloys, à tous ceux de la religion d'en appro-
» cher de dix lieues à peine de la vie. — Cette déposition fut
y> enregistrée et copie d'icelle envoyée aux reistres, et par eux
y> à l'amiral estant à Caen* . »
Avant que parvînt à Coligny cette pièce, dont il ne pouvait
même pas pressentir l'existence, plusieurs jours s'écoulèrent
durant lesquels s'accomplirent certains faits qui consolidèrent
en Normandie la situation de ses troupes et un premier succès
qu'il y avait obtenu.
Renouard et le marquis d'Elbeuf, frère du duc de Guise,
envoyés à Gaen pour y résister aux efforts que tenterait l'amiral,
n'avaient pu l'empêcher de prendre possession de cette ville.
Tandis qu'il cherchait à se rendre maître du château, « place
» très forte, mais mal garnie de capitaines, comme il disoit^ , »
l'argent promis par la cour d'Angleterre parvint enfin au Havre,
1 . De Bèze, Hist. eccL, t. Il, p. 270, 271 .
2. Id., Ibid.,^. 260 — Id. Tigurin, Eccles, 12 mai 1563, ap. Baum,
app. p. 207.
— 227 —
d'où il fut apporté, le 25 février, par Beauvoir, Briquemaut
et Throckmorton, qu'accompagnaient quelques troupes, huit
pièces d'artillerie et des munitions. Les reîtres reçurent leur
solde. Le 1" mars, le feu s'ouvrit contre le château, et dès le .
2 le marquis d'Elbeuf et Benouart « demandèrent composi-
tion ». L'amiral se montra généreux en la leur accordant et en
les laissant libres de se retirer où bon leur semblerait.
Le 3 mars, il écrivit à la reine d'Angleterre* : « Madame,
)) ayant entendu que M. le comte de Warvvick dépeschoit vers
)) vostre majesté M. de Sommerset, présent porteur, je n'ay
» voulu faillir à vous tenir par luy advertie de Testât en quoy
)) se retrouvent toutes choses par deçà, et mesmes de ce qui y est
» succédé, quant à la délivrance de ceste ville de la tjTannie et
» captivité où elle s'en alloit réduicte par la prinse du chas-
» teau, qui a esté faicte, grâces à Dieu, avec si peu de perte,
» comme ledict sieur de Sommerset vous pourra bien ample-
» ment et particulièrement faire entendre, etc., etc. — De
» Caen, le 3 mars 4563. »
L'amiral se sentait encouragé par la tournure que prenaient
les événements en Normandie, ainsi qu'en témoignaient ces
paroles adressées par lui, vers le 6 mars, aux habitants de
Dieppe^ :
« J'entends que de tout vostre pouvoir vous ayés à vous
» employer à la défense de ceste cause de Dieu et du roy, sans
)) faire comme plusieurs villes, lesquelles ayant espargné une
î) partie de leurs biens, au heu de se maintenir en ceste saine te
T> entreprise, ont perdu enfin, avec la liberté de l'Evangile, la
$> vie, leurs hommes, l'honneur de leurs femmes, et l'espoir de
3) leurs enfans. Vous voyez que moy, mes frères et tant d'autres
» grands seigneurs, n'estant en meilleure condition que vous-
1. Record office, State pap. France, vol. 30. — De Laferrière, la Normandie
à Vétr., p. 103.
2. De Bèze, Uist. eccl., t. II, p. 693, 694.
— 228 -
» mesmes, y exposent leurs vies tous les premiers, et puis
» tous leurs biens, de sorte que nul d'entre eux ne se peut
2) vanter d'un pouce de terre. Cependant courant avec eux en
i) un mesme danger, vous vous devés fortifier comme eux en
» l'équité de la cause et en l'espoir du secours céleste, lequel
)) enfin nous appert si manifestement, que nous ne saurions
y> nier les miracles évidens de Dieu qui, de jour en jour se font,
» à l'honneur et avancement de son Église, et à la ruine et con-
y> fusion de ses ennemis. Les principaux chefs des adversaires
y> sont morts miraculeusement la pluspart, les autres nos pri-
y> sonniers, les autres malades et en désespoir de leur santé. La
)) meilleure part de Normandie et la plus forte est nouvellement
)) réduite, et le reste est en chemin de pareil espoir. Bref, la
)) faveur de Dieu envers nous est pour le jourd'huy si apparente
» par la continuelle prospérité de nos affaires, qu'outre l'espoir
» que nous avons de l'autre vie, nous pouvons certainement et
» en bref attendre plus que suffisante récompense en ce monde,
» mesmement de si peu de biens qui sont par nous dispensés,
y> quittés ou perdus en la suite de sa juste cause.
■» Pourquoi, que chacun s'efforce plus que jamais, comme
3) desjà approchant du bout de la course; ceux qui ont bien fait
» continuans de bien en mieux, et ceux qui se sont portés froide-
3) ment se reschauffans, de sorte qu'une mesme ville ne soit plus
» qu'un mesme corps ; et si quelques membres s'en sont aucune-
y> ment séparés, se réunissent pour leur propre conservation. En
)) quoi faisant ne vous faudra jamais l'ayde et secours que je vous
» pourray faire, comme je me suis par cy-devant tousjours mons-
» tré principal appuy et vray protecteur de vostre ville. »
Coligny venait d'apprendre la mort du duc de Guise, mais
«c il ne savoit encore ni qui avait fait ce coup, ni comment il
» avoit esté fait^ ».
1. De Bèze, Hist. eccl., t. II, p. 290.
— 229 —
« Quelques jours plus tard fut apportée la déposition de
» Poltrot par un gentilhomme allemand, prisonnier à la jour-
)) née de Dreux, relasché par le sieur de La Valette, pour faire
» ce message, accompagné de grandes menaces. L'amiral
ï» doncques ayant reçu ceste déposition, laquelle, au commen-
» cément, il pensoit estre entièrement contrefaite, assembla
» avec le mareschal de Hessen tous les principaux seigneurs et
» gentilshommes de sa suite, le 12° du mois (de mars), devant
» lesquels il déclara son innocence, advouant toutesfois ce qu'il
» y avoit de vray en la déposition, et voulut que, suivant ce
» qu'il en avoit dit, sa response sur chacun poinct d'icelle fust
» couchée par escrit, voire mesme imprimée, signée de Chas-
» tillon et de Larochefoucauld ; après lesquels fut aussy octroyé
)) à Théodore de Bèze d'insérer sa response sur ce qui le con-
y> cernoit^ . »
Les passages suivants de la déclaration de l'amiral donneront
la mesure de la précision et de la fermeté de ses réponses, dans
leur ensemble.
« Ledit seigneur admirai respond en vérité, devant Dieu et
» les hommes, que le susdit propos (sur la prétendue excitation
)) à l'assassinat) est faussement et malheureusement controuvé.
y> Et d'abondant, afin que tout le monde sache comme il s'est
» porté envers ledit seigneur de Guise, il déclare franchement
y> que devant ces derniers tumultes, il en a sçeu qui estoient
» délibérez de tuer ledit seigneur de Guise, pour le mescon-
» tentement qu'ils en avoient : mais tant s'en faut qu'il les y
» ait induits ni approuvés, qu'au contraire il les en a desmeus
» et destournés, comme peut mesmes sçavoir madame de
)) Guise, laquelle il en a suffisamment advertie en temps ef
)) lieu. Vray est que depuis le faict de Vassy, après les armes
» prises pour maintenir l'authorité des édicts du roy et dé-
i. De Bèze, Hist. eccL, t. II, p. 290.
— 230 —
y> fendre les pauvres oppressés contre la violence du dit de Guise
» et de ses adhérens, il les a tenus et poursuivis comme enne-
y> mis publics de Dieu, du roy et du repos de ce royaume; mais
•» sur sa vie et sur son honneur, ne se trouvera qu'il ait ap-
» prouvé qu'on attentast en ceste façon sur la personne d'ice-
» liiy, jusques à tant qu'il a esté duement adverti que ledit de
» Guise et le mareschal sainct André avoient attitré certaines
y> personnes pour tuer monsieur le prince de Gondé, luy et le
)) seigneur d'Andelot, son frère, comme ledit seigneur admirai
y> Ta naguères amplement déclaré à la roy ne, devant Paris, et
)) depuis à M. le connestable, à Orléans. Quoy voyant il confesse
y> que depuis ce temps-là, quand il a ouï-dire à quelqu'un que,
y) s'il pouvoit, il tueroit ledit seigneur de Guise jusques en son
)) camp, il ne l'en a destourné : mais, sur sa vie et sur son hon-
y> neur, il ne se trouvera que jamais il ait recerché, induit ni
y> solicité quelqu'un à ce faire, ni de paroles, ni d'argent, ni par
y> promesses, par soy ni par autruy, directement ni indirecte-
» ment. Et quant aux vingt escus, il reconnaît estre vray, qu'à
» son dernier retour à Orléans, environ la fm de janvier dernier,
y> après que le seigneur de Feuquières luy eut dit qu'il avoit
y> cogneu ledit Poltrot pour homme de service, il délibéra l'em-
» ployer à savoir des nouvelles du camp des susdits ennemis,
)) et pour cest effect luy fit délivrer vingt escus, sans luy tenir
y> autre langage ni propos, et sans jamais luy faire mention de
» tuer ou ne tuer pas ledit seigneur de Guise ^ »
« Le seigneur admirai jugea qu'on se pourroit servir de
» Poltrot pour entendre certaines nouvelles du camp (ennemi) :
» et, pour cest effect, lui délivra cent escus, tant pour le mieux
!s) monter, que pour faire les diligences requises en tels adver-
)) lissemens Ledit seigneur admirai est bien recors mainte-
3) nant que ledit Poltrot s'avança, luy faisant son rapport, jus-
1. De Bèze, Hist. eccL, t. Il, p. 296, 297. — Mém. de Condé, t. IV, p. 291,
292.
— 231 —
y> ques à luy dire qu'il seroit aisé de tuer ledit seigneur de Guise,
» mais ledit seigneur admirai n'insista jamais sur ce propos,
» d'autant qu'il l'estimoit pour chose du tout frivole : et sur sa
» vie et sur son honneur, n'ouvrit jamais la bouche pour l'in-
» citer à l'entreprendre ^ »
d Si ledit Poltrot, ou pour crainte de la mort, ou par
» autre subornation a persisté en ses confessions fausses et
» controuvées, à plus forte raison ledit seigneur admirai et
» ceux qui par icelles sont chargés avec luy, persistent en leurs
)) responses qui contiennent la pure et simple vérité. Et d'au-
)) tant que la vérification de tout ce faict dépend de la confron-
» tation dudit Poltrot, ledit seigneur admirai avec les dessus-
)) dits, après avoir récusé les cours de parlemens et tous autres
» juges qui se sont manifestement déclarés leurs ennemis en
)) ces présens tumultes, supplient très humblement sa majesté
» ordonner que ledit Poltrot soit bien et seurement gardé en
» lieu où il ne puisse estre intimidé ni suborné, jusques à tant
» que Dieu octroyé la paix tant désirée et nécessaire en ce
)) royaume, et que par ce moyen le tout puisse estre vérifié et
y> vuidé pardevant juges non suspects. Et, cas advenant qu'au-
» cuns desdits juges de parlemens ou autres veuillent dès main-
y> tenant procéder au jugement et exécution dudit Poltrot, et
» par ce moyen oster audit seigneur admirai et à tous autres
» le vray moyen de se justifier des susdites fausses accusations,
» ils protestent de leur intégrité, innocence et bonne réputation
» contre les dessusdits juges et contre tous ceux qu'il appar-
)) tiendra ^. »
Il est à remarquer que plusieurs des seigneurs et gentils-
hommes, réunis par l'amiral pour entendre la lecture de sa
déclaration « ne trouvèrent pas bon qu'il confessast quelques
1. De Bèze, Hist. ceci., t. II, p. 300, 301. — Mém. de Condé, t. IV, p, 295
296.
2. Id., Ibid., p. 307. — îd., p. 302, 303.
— 232 —
» poincts si librement, d'autant que ses ennemis en pouvoient
» prendre occasion de fonder telles conjectures qu'il leur plai-
» roit, comme ils ne faillirent pas depuis. Mais l'amiral, homme
» rond et vrayment entier s'il y en a jamais eu de sa qualité,
» répliqua que si puis après, advenant confrontation, il con-
)) fessait quelque chose davantage, il donnerait occasion de
» penser qu'encores n'aurait-il pas confessé toute la vérité,
y> voulut, quoy qu'il en deust advenir, que toute sa déclaration
y> fûst ainsi rédigée par escrit ^ »
Nous ne ferons pas à la mémoire d'un chrétien, d'un homme
d'honneur tel que Coligny l'injure de discuter, un seul instant,
les allégations mensongères de Poltrot; il nous suffira de dire :
1° que la vie tout entière de l'amiral proteste contre l'odieuse
accusation d'un assassin cherchant dans l'imposture, si ce
n'est une chance de salut, du moins celle d'une atténuation de
pénalité ; 2° que les réponses contenues dans la déclaration de
l'amiral établissent péremptoirement le fait de sa complète
innocence; 3° que sa persistance à demander une confrontation
la confirme; 4" et qu'enfin l'accusation, impudemment forgée,
tombe devant le démenti formel que Poltrot s'est donné plus
tard à lui-même par une rétractation volontaire.
Coligny, le jour même où il avait signé sa déclaration, l'en-
voya à la reine-mère, « par un trompette, » avec la lettre sui-
vante ^ :
(( Madame, depuis deux jours, j'ay veu un interrogatoire qui
5) a esté fait à un nommé Jean Poltrot, soit-disant sieur de
)) Merey, du 21^ du mois passé : lequel confesse avoir blessé
5) monsieur de Guyse, par lequel aussi il me charge de l'avoir
» sollicité ou plus tost pressé de faire ce qu'il a fait, et pour ce
5) que la chose du monde que je craindroys autant, ce seroit
1. De Bèze, Hist. eccl., t. II, p. 307, 308.
2. Id., Ibid. t. II, p. 308, 309. — Mém. de Condé, t. IV; p. 303, 304.
— 233 —
» que ledit Poltrot fus! exécuté, que premièrement la vérité
» du faict ne fùst bien cogneue, je supplie très humblement
ï) Vostre Majesté de commander qu'il soit bien gardé : et cepen-
y> dant j'ay dressé quelques articles sur chacun des siens qui
» me semblent mériter réponse, que j'envoye à Vostre Majesté
» par ce trompette, par lesquels toutes personnes de bon juge-
)) ment pourront à plus près estre esclaircies de ce qui en est.
» Et outre cela je dis qu'il ne se trouvera point que j'aye jamais
» recerché cestuy-là ni autre pour faire un tel acte : au con-
)) traire, j'ay tousjours empesché de tout mon pouvoir que telles
» entreprises ne se missent à exécution. Et de cela en ay-je
D plusieurs fois tenu propos à monsieur le cardinal de Lorraine
» et à madame de Guyse, A mesmes à Vostre Majesté, laquelle
» se peut souvenir combien j'ay esté contrariant à cela, réservé
» cinq ou six mois en ça que je n'ay point fort contesté contre
» ceux qui monstroient avoir telle volonté. Et ce a esté depuis
» qu'il est venu des personnes que je nommeray quand il sera
» temps, qui disoient avoir esté pratiquées pour me venir tuer,
)) comme il plaira à Vostre Majesté se souvenir quand je luy
» dis à Paris, en sortant du moulin où se faisoit le parlement,
)) ce que j'ay aussi dit à monsieur le connestable : et néant-
». moins puis-je dire avec vérité que de moy-mesme je n'ay
» recerché, sollicité, ni pratiqué personne pour tel effect : et
y> m'en rapporteroys bien à tous ceux qui ont veu mettre telles
» entreprises en avant devant moy combien je m'en suis moqué :
» et pour n'ennuyer Vostre Majesté déplus longue lettre, je la
» supplieray, encore un coup très humblement, commander
)) que ledit Poltrot soit bien et soigneusement gardé pour véri-
» fier de ce faict ce qui en est; aussi qu'estant mené à Paris,
» comme on m'a dit, je craindroys que ceux de la cour de par-
» lement le vousissent faire exécuter, pour me laisser ceste ca-
» lomnie et imposture, ou bien qu'ils vousissent procéder à
» rencontre de moy pour ce faict : ce qu'ils ne peuvent faire,
— 234 —
» estant mes parties et récusés comme ils sont. — Et cepen-
y> dant ne pensés pas que ce que j'en dis soit pour regret à la
» mort de monsieur de Guyse : car j'estime que ce soit le plus
» grand bien qui pourroit advenir à ce royaume et à l'église de
y> Dieu, et particulièrement à moy et à toute ma maison, et
» aussi que s'il plaist à Vostre Majesté, ce sera le moyen pour
» mettre ce royaume en repos. Ce que tous ceux de ceste armée
» désirons bien vous faire entendre, s'il vous plaist nous donner
» seureté de ce faire, suivant ce que nous vous avons fait re-
» quérir aussitost que nous avons esté advertis de la mort dudit
» sieur de Guyse. »
Rien de plus fondé que la demande de confrontation formée
par Goligny : mais, loin d'en tenir^ompte, ainsi que les règles
les plus élémentaires de la justice le leur commandaient impé-
rieusement, ses ennemis, d'accord avec Catherine de Médicis,
lui enlevèrent le moyen de confondre par sa présence et son
langage l'imposture de l'assassin. On précipita le jugement et
la condamnation de celui-ci, alors que l'amiral était encore au
loin. Poltrot fut traduit devant le parlement de Paris. « Ceux
D qui avaient le procès dudit Poltrot en mains, voyant à l'œil
)) que son dire n'avait aucun fondement, écrivirent au pari e-
y> ment, dès le 15' de mars, que la garde de Poltrot ne valoi.t
y> rien et qu'il se vouloit desdire * ». Il le voulait, en effet, si
bien que, lorsqu'il fut amené, le 18 mars, « en la chambre delà
question » pour y entendre le prononcé de l'arrêt qui le con-
damnait à mort, il déclara : « Que la première déposition par
» luy faite devant la royne-mère estoit toute fausse et qu'il avoit
» icelle faite d'autant qu'il craignoit estre tué par plusieurs
y> hommes, serviteurs et domestiques de M. de Guyse; que
y> sa dite première confession; quant au sieur admirai, estoit
» toute fausse, etc., etc. ^. »
1. De Bèze, Hist eccl., t. II, p. 309.
2. là.,Ibid.,X. II, p. 310.
— 235 —
Telle fut la déclaration expresse de Poltrot, à un moment où
il jouissait de la plénitude de sa raison. Ensuite, au dire de de
Thou^ , (( il parut effrayé et comme hors de lui-même et ne
y> sachant ce qu'il disait, par l'appréhension du supplice ; il
» déchargea l'amiral, puis le chargea de nouveau, dans le temps
9 qu'on l'exécutait, de même que d'Andelot, son frère ». Si
Poltrot en proie aux étreintes d'un horrible supplice, ne savait
plus ce qu'il disait, il le savait du moins avant d'être livré à
ses bourreaux; et dès lors subsiste dans toute sa force l'aveu
spontanément fait par lui d'avoir faussement accusé l'amiral.
Ce dernier se plaignit du rejet de sa demande en confronta-
tion, comme d'un déni de justice caractérisé : c'en était un,
en effet ; mais que pouvait attendre d'autre l'amiral, d'un par-
lement associé aux passions de ses pires ennemis !
Catherine voulait, à tout prix, éviter que Coligny ne s'immis-
çât dans les négociations qu'elle avait entamées, au sujet d'une
pacification dont elle redoutait qu'il ne débattît les conditions,
dans l'intérêt des réformés, avec une indomptable énergie.
Aussi, profita-t-elle de ce qu'il était retenu en Normandie pour
hâter une solution, en mettant en présence le connétable et le
prince de Condé. Sûre du premier, elle se flattait, non sans
raison, de circonvenir le second et de lui arracher des conces-
sions que jamais elle n'eût obtenues de l'amiral.
Le lieu choisi pour l'entrevue d'Anne de Montmorency et de
Louis de Bourbon fut l'île aux Bœufs, sur la Loire.
On convint d'une trêve pour toute la durée d'es négociations
qui allaient s'ouvrir relativement à la paix.
Ordre fut donné de faire sortir du château d'Onzain le prince
de Condé, que «Damville conduisit dans une coche avecq bonne
y> garde et seure^ » à Saint-Mesmin.
La reine mère était alors au camp, d'où elle écrivait, le
1. Hist. univ., t. Il, p. 403.
2. Dépêche de Chantonnay, du 13 mars 1563 {Mém. de Condé t, II, p. 138).
— 236 —
4 mars, à de Gonnor *: « Je fais venir (le prince de Condé) icy,
)) où il arrivera bien gardé, et le loge à Saint-Mesmin, accom-
» pagné de dix enseignes de suisses. y>
Dans quelles dispositions arrivait le prince? Est-il vrai que
depuis plusieurs jours, à la suite d'entretiens, dans sa prison,
avec divers agents de Catherine, et notamment avec le prince de
la Roche -sur-Yon, il se fût désisté de ses réclamations quant
au maintien de l'édit de janvier, et qu'il eût consenti à ce que
de graves restrictions y fussent apportées, en se laissant sé-
duire par cette considération, qu'une fois investi de la lieute-
nance-générale du royaume, qui lui était promise, il pourrait
assurer à ses coreligionnaires le libre exercice de leur culte?
Est-il vrai, ainsi que l'affirmait le prince de la Roche-sur-Yon^ ,
que dans « sa grande envie de voir finir les troubles, le petit
)) homme, avec qui il avait parlé seul à seul, s'accommoderait à
3) tout »? Est-il vrai enfin, ainsi que le prétendait Catherine
le 4 mars ^, que ce même prince lui o: eût mandé qu'il avoit
» tiré de Condé, qu'il se contenteroit, pourvu que les gentils-
y> hommes eussent liberté de conscience en leurs maisons et
» seureté de leur vie et bien et de passé et de l'avenir y> , alors
que rien de tel n'était énoncé dans la lettre que la Roche-sur-
Yon adressa, le 3 mars, à la reine-mère *? Il est impossible de
se prononcer avec certitude sur ces divers points. Toutefois, il
n'est que trop présumable que Condé, au moment où il quitta
le château d'Onzain, était déjà ébranlé dans ses convictions et
placé sur la pente dangereuse des faux calculs et des faux mé-
nagemens. Un contemporain a dit de lui ^ « qu'assailli par
1. Le Laboureur, addit. aux Mém. de Castelnau, t. II, p. 239.
2. Lettre du 5 mars 1563 à de Gonnor (le Laboureur, addit. aux Mém. de
Castelnau, t. 11, p. 240).
3. Lettre à de Gonnor (le Laboureur, addit. aux Mém. de Castelnau, t. II,
p. 239).
/t. Hist. des pr. de Condé, t. I, p. 399, 400.
5. De Bèze, Hist. eccl.,\. II, p. 278.
— 237 —
3) douceur il fit comme le lion se hérissant contre ceux qui le
y> veulent forcer et se monstrant humain avec les animaux qu'il
y> estime indignes de sa colère ». Cette comparaison manque
de justesse ; car, après s'être érigé en ami de la liberté reli-
gieuse, se prêter à l'altération d'une loi qui la protège, ce n'est
pas faire acte d'humanité envers les destructeurs de cette loi ,
c'est faire acte de complicité.
Quoi qu'il en soit des doutes qui subsistent sur l'état exact
des vues et des intentions de G onde, lors de sa sortie du châ-
teau d'Onzain, voyons-le maintenant à l'œuvre.
Le 7 mars, le prince et le connétable furent conduits, sous
escorte, dans l'île aux Bœufs.
Deux hommes épiaient, en fidèles agents de Philippe II, ce
qui allait se passer. Laissons parler l'un d'eux, Perrenot de
Chantonnay ^
« Le sieur don Francis d'Alava et moy sommes venuz en
D ce lieu (Blois) ; luy, pour tenir main selon sa charge que
y> en cest appoinctement l'on ne donna au prince de Condé la
» prééminence qu'il prétend, et moy, pour exhorter la royne,
» suivant ce que souvent le roy m'a commandé, qu'elle ne con-
» sente aucune chose au préjudice de la religion et diminution
y> du roy très chrestien. Elle asseure tousjours qu'elle ensuyvra
» les admonestements du roy, combien qu'elle se trouve fort
» troublée par les nouvelles qu'elle oyt d'Allemaigne, et veoir
» les Anglais avoir pied en France et que l'admirai a prins de
» nouveau le chasteau de Caen, place de très grande impor-
y> tance Le septiesme (mars), après le disné, ledict sieur
» prince de Condé et connestable vinrent en l'isle désignée
» pour le parlement, où l'on avoit tendu un pavillon à cause
» du chaut ; toutes fois ilz ne demeurarent audict pavillon,
1. Dépêche du 13 mars 1563 (Mém. de Condé, t. II, p. 138, 139, 140). Il
importe de rapprocher de cette dépêche celle que Smith adressa à Elisabeth
le 12 mars 1563.(Galend. of State pap. foreign.)
— 238 —
» ains parlarent toujours promenans tous seulz, l'espace de
» trois grosses heures ; et n'y avoit en ladicte isle que le sieur
)) Banville, M. de Losse et le secrétaire de l'Aubespine. Ge-
» pendant la royne demeura avecq ceulx du conseil qu'avoit
» accompagné le prince de Condé jusques à la barque, en une
)) maison sur le bord de l'eau ; et s'estant séparez le prince et le
y> connestable, ledict prince fut conduit par sa garde en son lo-
y> gis, et le connestable ramené à Orléans; et furent la dicte
y> royne et le conseil ensemble bien longtemps : mais il ne s'en-
» tendit aultre chose de la négociation, sinon que le lendemain
» lesditz prince et connestable y debvoyent retourner ; toutes-
» fois au maintien des dictz sieurs du conseil, l'on cognoissoit
D généralement qu'il y avoit espoir de paix; et s'en retourna la
» royne en son logis, monstrant visaige fort content. — Le hui-
» tième, environ les sept heures, lesdictz prince et connestable
y> se sont rassemblez en la mesme île comme devant ; et la royne
y> y est entrée, accompagnée de messieurs les cardinal de Bour-
» bon, duc de Montpentier et l'Aubespine ; et ce avant que le
» prince de Condé y arriva, car le connestable y estoit desjà ; et
3) estant venu ledict prince, ilz furent tous ensemble jusques
)) aux onze heures ; et résolurent que monsieur le connestable
» demeureroit au camp, et le prince s'en yroit à Orléans, pour
y> communiquer chacun avec ceulx de son party ; et donna le-
» dict prince une signature et obligation de retourner le lende-
» main; et attendoit-on l'admirai pour le onziesme ou dou-
)) ziesme ; et s'en vint ledict connestable avecq ladite royne
» disner au logis du mareschal de Brissacq où ilz furent toute
» l'après-disné ; et ne se peult pour lors sçavoir ce qu'en
» avoient conclu. — Le sieur d'Andelot et tous les aultres du
y> party contraire raccompaignent tousjours la royne dois le pa-
)) villon jusques à son bateau ; et ny a faulte de grandes caresses
ï) et contentemens d'ung costel et d'aultre, et ceulx de dedans
» Orléans font de telles insolences, que si la royne avoit quelque
- 239 —
» cœur, cela soufiroit pour lui faire rompre toutes les commu-
» nications à tiltre de la tresve qui dure, tant que les conféren-
» ces seront en pied. »
Ghantonnay ne nous fait ainsi connaître que le côté purement
extérieur des conférences tenues les 7 et 8 mars ; mais, au fond,
sur quoi avaient-elles porté?
Quant à la première, que tinrent seuls le prince et le conné-
table, voici ce qu'en dit Condé lui-même : « Il n'y eut seule-
» ment qu'une Visitation de passes et salutations, entremeslée
)) de plaintes de veoir ainsi les françois se précipiter d'eulx
» mesme à une piteuse ruyne* . » — Et ailleurs : « La royne
» ayant ordonné que sur la foy de l'un et de l'autre, nous nous
» entreverrions àl'Isle-aux-Bouviers, joignant presque les murs
» de cette ville, dimanche dernier cela fut exécuté. Et de faict
y) après avoir devisé de prime face des choses plus communes,
» nous entrasmes sur celles qui causoient ce voyage et de ce
D qui se pouvoit faire pour contenter sa Majesté et restaurer les
» ruynes et calamitez de ce royaulnie, et dont le discours des
)) propoz seroit trop long à réciter, sinon pour conclusion nous
» arrestasmes que, pour plus librement y adviser, il estoit requis
y> que moy, d'ung.costé, et luy (le connétable) de l'aultre, de-
» vions conférer, moy avècques ceulx de ceste ville (Orléans)
» et luy à la royne de ce qui nous sembloit le plus propre. Et
» ainsi nous départismes jusques au lendemain^ . »
Condé ajoute, quant à la seconde conférence :
« Le lendemain, la dicte dame vint au mesme lieu pour nous
ï) octroyer ceste licence, laquelle obtenue, tellement a esté dis-
» puté par l'espace de deux jours, de ma part sur l'instance
» que je faisais pour l'observation etentretenementdes édictz du
i. Lettre de Condé à Elisabeth, du 8 mars 1563 {Hist. despr. de Condé,
t. I, p. 403).
2. Lettre de Condé à Smith, du dl mars 1563 {Ibid., t. I p. 405, 406).
— 240 —
» roy mon seigneur, et principalement de celiuy que sa majesté
» fist au mois de janvier 1561 (1562. N. S.) avec une très notable
» et insigne assemblée, pour le faict de la religion; et de celle
» de M. le connestable, sur l'impossibilité qu'il alléguoit de le
y> pouvoir tolérer par les papistes, vue l'infraction qui par vio-
)> lence en avoyt esté faicte, que fmablement sa majesté, de
» son auctorité, nous envoya par escript ung mémoire pour sur
» icelluy respondre de ce qui se pouvoit davantage requérir * . y>
Il semblerait, d'après ce récit, que la discussion sur le sort
de l'édit de janvier se serait élevée, non dans le cours de la se-
conde conférence, mais seulement dans les deux jours qui en
suivirent la clôture; et qu'alors, pour la première fois, se serait
produit un projet de dispositions dérogeant à cet édit. Mais est-
ce là ce que Gondé a réellement voulu dire? Nous ne le pensons
pas. Il a dû, au contraire, comprendre dans les deux jours dont
il s'agit celui de la seconde conférence. Il était impossible, en
effet, que le prince et le connétable se trouvassent en présence
l'un de l'autre pour aviser à la solution de difficultés issues de
la violation de l'édit de janvier, sans que la divergence de leurs
vues sur un point capital, tel que la question de maintien ou de
rejet de cet édit se manifestât. Quant à l'envoi par la reine
mère d'un mémoire contenant des dispositions dérogeant à ce
même édit, il peut aisément se concilier avec le fait de la pré-
sentation antérieure de dispositions de cette nature, dans le
cours de la seconde conférence.
Th. de Bèze, qui se trouvait placé, en mars 1563, à la source
des plus sûres informations, complète le récit du prince avec
une précision propre à dissiper tous doutes sur la succession et
l'enchaînement des faits, en disant * : « Le septiesme de mars
» se fit un parlement dans l'isle appellée l'Isle-aux-bœufs, près
1. Lettre de Condé à Smith, du H mars 1563 (Hist. des pr. de Condé, t. I,
p. 406).
2. Hist. eccL, t. II, p. 278, 279.
— 241 —
y> de la ville, où furent conduits, comme estant encore prison-
» niers, le prince et le connestable qui remirent toutes fois l'af-
» faire au lendemain, au mesmelieu, où se trouva aussi la royne;
» et pour ce que le connestable avoit dit expressément qu'il ne
)) pourroit nullement souffrir qu'on remist en termes l'édict de
» janvier (aussi étoit-ce autant que le déclarer et tous ceulx de
» son parti coulpables de lèse-majesté d'avoir ainsi contrevenu
y> à cest édict, en quoy se fist une faute irréparable de luy ob-
)) tempérer), quelques autres articles, parla couardise de ceux
)) qui pensoient que tout fust perdu si on ne faisoit la paix, furent
» couchés, sans toutes fois les résoudre, demandant le prince
» qu'il peust entrer à Orléans pour en conférer avec son conseil,
)) ce qui luy fut accordé, moyennant que le connestable, au ré-
» ciproque, peust aussi se retirer en l'autre camp à Saint-Mes-
» min. D
Tels étant les faits consignés dans les récits de Condé et de
Th. de Bèze. Que penser de la conduite du prince?
Le connétable avait « déclaré tout haut qu'il ne pourroit con-
y> descendre au rétablissement de l'édict de janvier », par la
raison fort simple, ce. qu'y condescendre, c'eût été s'avouer avec
» tout son party coulpable de lèze majesté, pour avoir violé un
y> édit si authentique * i>.
A cette déclaration, que l'intérêt personnel, l'intérêt de parti
et les préjugés d'une aveugle intolérance avaient seuls dictée,
il s'agissait d'opposerune déclaration diamétralement contraire,
basée sur les droits imprescriptibles de la conscience chrétienne
et sur le respect dû à leur consécration légale, en France, de-
puis un an. Les réclamations successives du prince en faveur
de l'édit de janvier, pour le maintien duquel il avait pris les
armes, ses manifestes, ses actes, l'intérêt supérieur de la re-
ligion qu'il s'honorait de professer, tout lui faisait un devoir
i.Hist. de cinq rois, p. 285. — De Béze, Hist. eccl., t. II, p. 278. — Mém.
de Tavaunes, ch. xviii.
u \Q
— 242 —
d'exiger la pleine et entière exécution de cet édit. S'il eût, de
prime abord, résolument formulé à cet égard une exigence
absolue, dont rien ne l'eût fait départir, il eût fini par triom-
pher, car il avait derrière lui, pour l'appuyer en temps voulu
et surmonter d'injustes résistances, l'amiral et son armée. Dût-
il voir les négociations rompues et sa captivité prolongée jusqu'à
ce que Goligny intervînt, il fallait qu'en vrai prince chrétien
il demeurât inébranlable sur un terrain qui était à la fois celui
du droit et du devoir : du droit, puisque l'édit de janvier conti-
nuait à être légalement en vigueur ; du devoir, puisque cet édit
constituait alors l'unique égide sous laquelle pût s'abriter l'exer-
cice du culte dont il s'était proclamé le défenseur. Malheureu-
sement le prince faillit à sa mission, en n'attaquant pas avec
assez de vigueur la déclaration d'Anne de Montmorency et en
ne rompant pas la conférence, du moment qu'il ne trouvait en
lui qu'un intraitable interlocuteur. Il pha devant la ténacité du
connétable, « en quoy se feit une faute irréparable de luy ob-
tempérer y>.
Profitant de cette faute pour entrer personnellement en scène,
afin d'amener un rapprochement entre Condé et le connétable,
la reine mère s'insinua dans la discussion, enlaça les deux ad-
versaires dans les liens d'une argumentation captieuse, plus
propre à les faire glisser sur la pente des intérêts personnels
qu'à les maintenir sur le terrain du devoir, et, après les avoir
peu à peu assouplis à ses idées, les fit entrer dans la voie des
concessions. Ce fut ainsi que « le prince souffrit que l'on cou-
))• chast dès lors quelques articles, au lieu de s'arrester simple-
y> ment à l'édit de janvier ^ ».
Cependant, rien n'ayant été définitivement conclu, Condé
pouvait encore se relever d'une première défaillance : le fit-il?
On va en juger.
1. Hist. de cinq rois, p. 285.
k
— 243 —
Le jour même où s'était terminée la seconde conférence, il se
rendit à Orléans, tandis que le connétable restait au camp de
Saint-Mesmin avec la cour et les principaux représentants du
parti catholique.
Après tant d'angoisses subies, Éléonore de Roye revoyait enfin
son mari. Accueilli avec les douces effusions de la tendresse par
sa noble femme, le prince ne pouvait recevoir et ne reçut d'elle
que de précieux conseils, inspirés par la foi, l'honneur et le senti-
ment du devoir ; mais tout en les écoutant avec une apparente
confiance, était-il fermement décidé aies suivre? Pouvait-il, en
présence de sa tante, Charlotte de Laval, dont la délicatesse
d'impressions et les pensées viriles égalaient la piété, se sentir
le cœur au large, alors qu'il se montrait à elle pressé de con-
clure la paix sans attendre la venue de l'amiral, à qui non moins
qu'à son neveu appartenait le droit d'en débattre les condi-
tions? Ces questions se posent d'elles-mêmes, et leur solution
paraît devoir se dégager de l'ensemble des faits qui viennent
d'être retracés et de leur liaison avec ceux dont l'exposé va
suivre.
Le prince ne tarda pas à recevoir à Orléans, comme délégués
par leur collègues pour s'entretenir avec lui, trois ministres,
Desmeranges, Pierius et Laroche Chandieu, auxquels « il pro-
)) posa deux points : le premier, s'il feroit selon Dieu et sa con-
)) science de protester à la royne que, s'estant armé pour l'ob-
» servation del'éditde janvier, il estoit raisonnable qu'avant que
)) poser les armes, il fust entièrement restabli selon sa forme et
y> teneur; le second, si, ne pouvant obtenir ce que dessus, il
y> pourroit demander à la royne qu'elle proposast ce qu'elle ver-
3 roit estre bon et convenable pour la pacification des troubles.
)) Les ministres ayant descouvert par le discours du prince,
» qu'on estoit après à rongner de la liberté de l'exercice de la
» religion octroyée par l'édict de janvier par tout le royaume
y> sans exception, luy remonstrèrent vivement, autant que le
-^ 244 —
)) temps le permettoit, le tort qu'il se feroit et à toutes les
)) églises, admettant aucune telle exception, et les inconvéniens
y> manifestes qui en adviendraient, et notamment luy protes-
y> tèrent, tant en leur noms que de leurs compagnons, qu'estant
» obligés aux lieux ausqueiz ils avoient esté envoyez pour pres-
)) cher la parole de Dieu, ils obéiroient en cest endroit à Dieu
» et non pas aux hommes. Bref, ils luy déclarèrent que laroyne
)) ne luy ne pouvoient selon Dieu et raison déroguer tant soit peu
)) à un édict tant solennellement faict à la réquisition des estats
» par une si notable assemblée de tous les parlemens de France,
» et, qui plus est, émologué et juré. Ce prince respondit qu'aussy
3) ne le feroit-il pas ; leur enjoignant cependant de communi-
y> querles points que dessus à toute leur compagnie pour l'en
» résoudre le lendemain 9 ^ »
Le 9, les ministres, au nombre de soixante-douze, ayant déli-
béré, remirent au prince leur avis par écrit. Ils demandaient
notamment : 1° que l'édit de janvier fût maintenu, confirmé et
exécuté sans restriction ni modification; 2° que les athées, les
libertins, les anabaptistes, les servétistes et aatres hérétiques
ou schismatiques fussent frappés de peines sévères; 3° qu'on
informât contre les auteurs des massacres de Vassy, de Sens et
d'autres lieux, et qu'on les punît ^ .
Que devait faire Condé? Sans s'arrêter au second chef de de-
mande, qui méconnaissait le principe de la liberté religieuse,
et en réservant l'accueil à faire, en temps opportun, au troi-
sième, il devait sans hésitatioa faire droit au premier, qui était
parfaitement fondé, et demeurer de la sorte fidèle à ses engage-
ments dans la lutte par lui soutenue au nom de l'édit de jan-
vier. Que fit-il au contraire? Porteur des articles couchés dans la
conférence du 8, qui contenaient de funestes dérogations à cet
i. De Bèze, Hist. eccL, t. II, p. 279.
2. Voy. le lexle de l'avis écrit par les 72 ministres, dans VHist. ceci, de
de Dèze, t. II, p. 280 à 282.
J
^ 245 —
édit, il élimina les ministres et leur avis, pour recourir à l'ap-
pui de conseillers complaisants auxquels il se proposait de
soumettre ces articles, ainsi que le mémoire qui s'y rattachait.
Il était alors « tellement gagné par les promesses qu'on lui fai-
» sait d'accorder beaucoup mieux par après, luy donnant à en-
» tendre que ces conditions n'estoient apposées que pour con-
» tenter aucunement ceux de la religion romaine et arriver peu
)) à peu à une pleine liberté; joint qu'il y en avoit trop qui ne
y> demandoient qu'à retourner en leurs maisons, à quelque prix
)) que ce fût, qu'il accorda les susdites exceptions de l'édit de
)) janvier, qu'il fit lire devant la noblesse, ne voulant qu'autre
» ne dist son advis que les gentilshommmes portant armes,
» comme il dit tout haut en l'assemblée; de sorte que les minis-
» très ne furent depuis ouïs ni admis pour en donner leur ad-
» vis ^ ))
Gondé dit, à cet égard, en continuant la partie de son récit
dans laquelle il avait mentionné l'envoi d'un mémoire par la
cour - : « à quoy tant pour tesmoigner des effectz de nostre
)) continuelle obéissance envers sa majesté, que pour ayder à la
y> nécessité d'un temps si nubilleux, après avoir protesté ne
; TD vouloir en rien nous départir de la substance de la loy de
)) mon roy, synon en tant qu'il estoit besoing de prévenir le péril
y> qui menaçait sa couronne et son estât, je par l'advis des
)) seigneurs, gentilshommes et aussi des gens de bien qui sont
» icy, en dressay ung autre à peu près pareil. »
A peine la majorité des gentilshommes portant drmesse fut-
elle, par l'acceptation pure et simple des articles proposés, pro-
noncée dans un sens conforme aux vues de Gondé, que ce prince
se hâta de traiter. La précipitation aggravait sa seconde défail-
lance.
1. De Bèze, Hist. eccL, t. II, p. 282.
2. Lettre de Gondé à Smith, du 11 mars 1563. {Uist. despr. de Qondé, 1. 1,
p. 406.)
— 24G —
Le 12 mars 1563 furent arrêtées les bases d'un édit, dit de
pacification, qui fut promulgué à Amboise le 19, publié à Saint-
-Mesmin le 22 et enregistré au parlement de Paris le 27 du
même mois* .
Cet édit mutilait celui de janvier 1562. Il faisait du droit à
rexercice du culte réformé le monopole de la noblesse, au dé-
triment de la bourgeoisie et du peuple, qui ne pouvaient dé-
sormais le pratiquer que dans une seule ville, par chaque bail-
liage et sénéchaussée, et ne le continuer que sous certaines
restrictions, dans les villes où il avait été exercé jusqu'au 7
mars 1563,
Le souverain y disait :
Art. 1. « Voulons et nous plaist que dorénavant tous gentils-
■ » hommes qui sont barons, chastellains, hauts justiciers, et sei-
)) gneurstenans plein fief de haubert, et chacun d'eux, puissent
» vivre en leurs maisons, esquelles ils habiteront, en liberté de
D leurs consciencse et exercice de la religion qu'ils disent ré-
» formée, avec leur famille et subjects, qui librement et sans
;) aucune contrainte s'y voudront trouver.
Art. 2. » Et les autres gentilshommes ayans fief, aussi en
» leurs maisons, pour eux et leurs familles tant seulement :
)) moyennant qu'ils ne soyent demeurans es villes, bourgs et
» villages des seigneurs hauts justiciers, autres que nous, au-
)) quel cas ils ne pourront esdits lieux, faire exercice de la dite
y> religion, si ce n'est par permission et congé de leurs dits sei-
)) gneurs hauts justiciers, et non autrement.
Art. 3. y> Qu'en chacun bailliage, sénéchaussée et gouverne-
» ment tenant lieu de bailliage, comme Péronne, Montdidier,
» Roye et la Rochelle, et autres de semblable nature, ressortis-
» sant nuement et sans moyen en nos cours de parlement, nous
)) ordonnerons à la requeste des dits de la religion une ville,
1 . Voy. le texte complet de cet édit dans Fontanon, Rec. des ord., t. IV,
p. 272 à 274.
— 247 —
» aux fauxbourgs de laquelle l'exercice de la dite religion se
» pourra faire de tous ceux du ressort qui y voudront aller, et
i> non autrement ny ailleurs.
Art. 4. ï> Et néantmoins chacun pourra vivre et demeurer
» partout en sa maison librement, sans estre recherché ni mo-
» lesté, forcé, ne contraint pour le fait de sa conscience.
Art. 5. » Qu'en toutes les villes, èsquelles la dite religion es-
» toit jusqu'au septième de ce présent mois de mars, exercée,
» outre les autres villes qui seront ainsi que dit est, particuHère-
» ment spécifiées des dicts bailliages et sénéchaussées : le
» même exercice sera continué en un ou deux lieux dedans la
» dite ville, tel ou tels que par nous sera ordonné ; sans que ceux
» de la dite religion puissent s'aider, prendre ne retenir aucun
» temple n'églises des gens ecclésiastiques, lesquels nous enten-
» dons estre dès maintenant remis en leurs églises, maisons,
» biens, possessions et revenus pour en jouyr et user tout ainsi
» qu'ils faisoient auparavant ces tumultes, faire et continuer le
» service divin et accoustumé par eux en leurs dites églises,
» sans moleste ni empêchement quelconque : n'aussi qu'ils
» puissent prétendre aucune chose des démolitions qui y ont
» esté faites.
Art. 6. » Entendons aussi que la ville et ressort de la pré-
» vosté et vicomte de Paris soyent et demeurent exempts de
» tout exercice de la dite religion. Et néantmoins ceux qui ont
)) leurs maisons et revenus dedans la dite ville et ressort puissent
)) retourner en leurs dites maisons et jouyr de leurs dits biens
» paisiblement, sans estre forcez ne contraints, recerchez ni mo-
» lestez du passé, ne pour l'advenir, pour le fait de leurs con-
» sciences.
Art. 7. » Toutes villes seront remises en leur premier estât
D et libre commerce, et tous estrangers mis et renvoyez hors
» cestuy nostre royaume, le plus tost que faire se pourra.
Art. 8. » Et pour rendre les volontez de nos dicts subjects
-^ 248 —
y> plus contentes et satisfaites, ordonnons, voulons aussi et nous
y> plaist, que chacun d'eux retourne, et soit conservé, mainte-
» nu et gardé soubz nostre protection en tous ses biens, hon-
» neurs,estats, charges et ofrices,de quelque qualité qu'ilz soyent,
» nonobstant tous décrets, saisies, procédures, jugemens, sen-
y> tences, arrestz contre eux donnez depuis le trépas du feu roy
)) Henry, nostre très honoré seigneur et père, de louable mé-
y> moire, et exécution d'iceux, tant pour le fait delà religion,
y> voyages faits dedans et dehors ce royaume par le commande-
)) ment de nostre dit cousin le prince de Gondé, que pour les
y> armes prises à ceste occasion, et ce qui s'en est ensuivy, les-
» quels nous avons déclarez et déclarons nuls et de nul effet,
» sans ce que, pour raison d'iceux, eux et leurs enfans, héritiers
» ou ayant-cause soyent aucunement empêchez en la jouissance
y> de leurs dits bien>> et honneurs ou qu'ilz soyent tenuz en
)) prendre n'obtenir de nous autre provision que ces présentes
y> par lesquelles nous mettons leurs personnes et biens en
j) pleine liberté.
Art. 9. » Et afm qu'il ne soit douté de la sincérité et droite
y> intention de nostre dit cousin le prince de Gondé, avons dit
» et déclaré, disons et déclarons que nous réputons iceluy
» nostre dit cousin pour nostre bon parent, fidèle subject et
3) serviteur, comme aussi nous tenons tous les seigneurs, che-
)) valiers, gentilshommes et autres habitans des villes, commu-
)) nautez, bourgades et autres lieux de nos royaume et pays de
)) nostre obéissance, qui l'ont suivy, secouru, aidé et accom-
» pagné en ceste présente guerre et durant ces dits tumultes,
. ^ en quelque part et lieu que ce soit de nostre dit royaume,
y> pour nos bons et loyaux subjects et serviteurs : croyant et
» estimant que ce qui a esté fait cy-devant par nos dits sub-
y> jects, tant pour le fait des armes, qu'establissement de la
y> justice mise entre eux, jugemens et exécution d'iceux, a esté
^ fait à bonne fin et intention, et pour nostre service.
— 240 — '
Art. 10. )) Ordonnons aussi, voulons et nous plaist que nostre
)) dit cousin le prince de Gondé demeure quitte, et par ces
» présentes signées de nostre main, le quittons de tous les de-
» niers qui ont esté par luy et par son commandement et or-
-» donnance prins et levez en nos receptes et de nos finances
» à quelque somme qne se puissent monter.
Art. il. » Et semblablement qu'il demeure deschargé de
» ceux qui ont esté, ainsi que dit est, par luy et son ordon-
» nance aussi prins et levez des communautez, villes, argen-
» teries, rentes, revenus des églises, et autres de par luy em-
» ployées pour l'occasion de la présente guerre : sans ce que
y) luy, les siens, ny ceux qui ont esté par luy commis à la levée
)) desdits deniers (lesquels et semblablement ceux qui les ont
y> fournis et baillez, en demeureront quittes et deschargez), en
y> puissent estre aucunement recherchez pour le présent ou pour
)) l'advenir : n'aussi de la fabrication de la monnoye, fonte d'ar-
» tillerie, confection de poudres et salpestres, fortifications de
» villes, démolitions faites pour lesdites fortifications par lecom-
» mandement d'iceluy nostre dit cousin le prince de Gondé en
» toutes villes de cestuy nostre royaume et pays de nostre obéis-
» sance; dont le corps et habi.tans d'icelles villes demeureront
» aussi deschargez,et iceux deschargeons par ces dites présentes.
Art. 12. » Que tous prisonniers, soit de guerre ou pour le
» faict de la religion, seront respectivement mis en liberté de
3) leurs personnes et biens, sans payer aucune rançon. »
La publication del'édit dont les dispositions principales vien-
nent d'être reproduites excita à un haut degré le mécontente-
ment de la population d'Orléans, ce Ge mécontentement fut tel,
)) surtout pour ce qu'on n'avoit attendu le retour de l'amiral,
D que les soldats, nonobstant l'exécution qu'on fit de quelques-
3) uns, ne purent estre retenus qu'ils ne démohssent le résidu de
» plusieurs temples *. »
1, De Bèze, Hist. eccL, t. II, p. 290.
— 250 —
Une désapprobation plus sérieuse, celle de Coligny, était ré-
servée au prince de Gondé : il ne tarda pas à la subir.
« L'admirai, rapporte Castelnau*, qui estoit en la basse
» Normandie, où il avait pris plusieurs villes et réduit les ca-
)) tholiques en mauvais estât, fut adverty par le prince de Condé
» que la paix estoit accordée et qu'il laissast la Normandie pour
» se trouver à la conclusion des articles ; ce qu'il fit, comme il
» m'a dit depuis, avec regret, pour la grande espérance qu'il
» avoit, après la mort du duc de Guise, d'avancer mieux ses
» affaires qu'il n'avoit fait auparavant : et pour le moins, si le
» prince de. Gondé eût un peu attendu, d'avoir entièrement
y> l'édit de janvier. Mais voyant que c'estoit fait, il partit de
» Gaen, le 14 de mars, avec sa cavalerie, etc., etc. »
Goligny était fermement résolu à tenter, dans l'intérêt de la
liberté religieuse, un suprême effort.
Ecoutons le langage qu'il tenait alors à un ami ^ : « Il me
)) semble que vous ne sçauriez mieulx faire que de vous ache-
» miner à Orléans, où j'espère que j'auray le moyen de vous
)) veoir. Et cependant asseurez-vous qu'il ne tiendra point à
)) moi que nous n'ayons une paix. Mais si on la pense faire avec
-f) les articles que j'ay vus, l'on ne peult espérer que plus graves
» troubles en ce royaulme que jamais; car c'est trop grand
» pitié que de limiter ainsy certains lieux pour servir à Dieu
» comme s'il ne vouloit estre servy en tous endroits. »
L'amiral, « arrivé à Orléans, le 23 mars, avec toutes ses
)) forces, trouva que l'édict de la paix avait esté accordé, dressé,
» signé et scellé, en son absence, dès cinq jours auparavant, et
)) le lendemain en dit franchement son advis au conseil ^, en la
1. Mém., in-f», t. I,p. 150.
2. Bull, de la soc. d'hist. du protest, franc, t. Il, p. 542.
3. « Al XXIII del mese présente (marzo) giunse l'amiraglio Chastiglione in
» Orléans, il quale al XXIV andô et il principe di Gondé con d'Andelot, et
» allri suoi a ritrovare laregina, la quale li racolsein publico tutti molto amo-
» revolmente; dapoi si ristrinsero al consilio ove stettero lungamente, etc. » (Dé-
— 251 ~ .
•» présence du prince, remonstrant entre autres choses qu'on se
» de voit souvenir, que dès le commencement de ceste guerre,
» le triumvirat avoit offert l'édict de janvier, en exceptant seu-
» lement Paris, et que considérant Testât présent, les affaires
ï) des églises n'avoient jamais esté en plus beau train de s'avan-
» cer, estant des trois autheurs de cesto guerre, les deux morts
)) et le troisième prisonnier, qui servoit de bon guarent pour la
» sauveté du prince. Il remonstra aussi qu'ayant restreintes les
» églises à une ville pour bailliage, avec autres semblables ex-
» ceptions, on avoit Tait la part à Dieu, et plus ruiné d'églises
» par ce trait de plume que toutes les forces ennemies n'en
» eussent peu abattre en dix ans; et quant à la noblesse, qu'elle
» devoit confesser que les villes leur avoient nionstré l'exemple,
•)) et les pauvres monstre le chemin aux riches. Joint que bien-
)) tost les gentilshommes qui voudroient faire leur devoir senti-
» roient par expérience combien il leur seroit plus^ commode
)) d'aller au sermon en une ville ou bourgade voisine, que rece-
» voir une église en leur maison; outre ce que les gentilshommes
y> mourans ne délaisseroient pas tousjours des héritiers de
» mesme volonté. Bref, il discourut tellement et si pertinem-
» ment sur ce faict qu'outre le mescontentement de ceux qu'on
)) n'avoit pas attendus, la pluspart de ceux qui avoient accordé
» ceste paix eussent bien voulu que c'eûst esté à refaire. Mais
» le prince opposait à tout cela les promesses qu'on lui avoit
» faites, qu'en bref il seroit en Testât du feu roy de Navarre,
D. son frère, et que lors avec la royne, comme on luy avoit pro-
)) mis, ils obtiendroient tout ce qu'ils voudroient. Bref, quelque
» peine que se donnast l'amiral accompagnant le prince en
)) plusieurs abouchemens avec la royne, cest édict demeura tel
)) qu'il avoit esté arresté, et ne se peut obtenir autre chose, sinon
3) que quelques gentilshommes gagnèrent ce poinct, que quel-
pêche de M. A. Barbaro, du 29 mars 1563. Archivesgen.de Venise, vol. fran-
cia, 1563 à 1566. Senato, 111, sécréta.).
, — 252 —
)) ques villes des meilleures furent nommées en quelques pro-
)) \inces pour l'exercice des bailliages : mais cela ne fut qu'en
» papier, en plusieurs endroits ^ )>
L'amiral et ceux de ses adhérents dont les convictions et les
vues concordaient avec les siennes se soumirent, par patrio-
tisme, au fait accompli, dont ils déclinaient d'ailleurs à juste
titre la responsabilité^ .
Coligny n'en tint pas moins à ce que les princes protestants
d'Allemagne et la reine d'Angleterre fussent immédiatement
informés, avec une entière exactitude, des circonstances dans les-
quelles était intervenu le traité de paix. On trouve la preuve
de sa sollicitude à cet égard dans deux lettres de lui datées
d'Orléans même.
La première, adressée au duc de Wurtemberg % portait :
(( Monseigneur, ayant pieu à Dieu de nous donner la paix tant
)) désirée .et tant nécessaire en ce royaulme, monsieur le prince
» de Condé n'a pas voulu laisser passer ceste occasion sans vous
y> faire entendre comment les choses sont convenues pour le
» faict de la dite paix; et pour cest effect, despescher vers vous
» monsieur d'Esternay, présent porteur, par la suffisance du-
y> quel vous serez informé de toutes les occurrences qui s'of-
» frent à vous mander de nostre costé; ce qui me gardera de
» vous en dire aulcune chose, mais je l'ay bien voulu ac-
y> compagner de ce mot de lettre pour me ramentevoir en
y> vostre bonne souvenance et vous asseurer qu'il n'y a gen-
y> tilhomme en ce royaulme que vous trouviez jamais plus af-
i . De Bèze, Hist. eccL, t. II, p. 335, 336.
2. « Supervenitamiraldus,quumjam transaclum esset,acleoproperaranthostes
5 reditum nostrumantevertere, ac initio quidem duriores npbis istae condiliones
» videbantur, quum prœsertim integram in manibus victoriam haberemus;
» sed tandem spe nobis meliore facta ne patriae eversionem quoesivisse videre-
» mur, nos quoque acquievimus. » Reza Tigurinœ ecclesiœ pastoribus et doc-
toribus, 12 maii 1563. (Baum, append. p. 20).
3. Orléans, 1" avril 1563. (Archiv.de Stuttgart, P. st. 29, 1, 16, f. 111 37).
— 253 —
» fectionné à vous faire service que moy, ainsi que j'ay prié
» ledit sieur d'Esternay de vous dire plus amplement. »
Dans la seconde lettre, l'amiral écrivait à Beauvoir' :
« Au regard de ce que vous me mandez, que les Anglois
» sont entrés en une merveilleuse deffiance de ce que la paix
y> a esté laite en mon absence, et sans avoir esté parlé de la
» royne d'Angleterre, sur cela je vous respondray qu'il n'a esté
)) rien accordé que l'ambassadeur de la dite dame n'eust esté
» appelle; et pour ceste occasion fut envoyé quérir pour se
» trouver à la court pour luy en parler. Suivant cela, l'on a
» despesché M. de Briquemault pour aller en Angleterre vers
» Sa Majesté, pour lui faire entendre comme toutes choses ont
)) esté accordées, et estime qu'elle trouvera que les choses ont
» esté bien conduites ; et quant à ce qu'ils disent que l'article
)) porte qu'on fera sortir les étrangers, cela ne s'entend pas
)) pour eulx; car quand j'ay esté de retour de mon voiage en
» Normandie, j'enay mesmes parlé au dit ambassadeur, qui à
» trouvé lesdits accords bien bons, d'autant que la royne d'An-
» gleterre m'a tousjours mandé que surtout nous fassions la
y> paix. »
Quant aux meneurs du parti catholique, ils considérèrent
l'édit de pacification comme une regrettable concession faite
aux réformés, et à la ruine de laquelle devaient tendre des ef-
forts soutenus ^.
L'exécution de diverses mesures d'intérêt général retint pen-
dant quelques jours à Orléans le prince, Coligny, d'Andelot, de
Larochefoucault et d'autres chefs des réformés.
Le dimanche 28 mars eut lieu dans l'église de Sainte-Croix
une imposante solennité religieuse à laquelle ces divers per-
sonnages assistèrent. Autour d'eux se groupaient des milliers
1. Orléans, 3 avril 1563. (I»ecord office, siate papers. France, vol. 31.—
De Laferrière, le XVI° Siècle et les Valois, p. 117.)
2. y oy. appendice, n'' 21.
-~ 254 —
de leurs coreligionnaires, hommes et femmes. De Bèze diri-
geait le service, dans lequel la sainte cène fut distribuée. Il rap-
pela aux assistants que, douze mois auparavant, la plupart
d'entre eux avaient pris la cène à Meaux, alors qu'ils s'assem-
blaient pour la défense de la religion; et il ajouta que main-
tenant sur le point de se séparer pour regagner leurs foyers,
ils venaient de reconquérir une liberté de conscience et de culte
qui, sans être, il est vrai, aussi étendue qu'ils l'eussent sou-
haité, n'en devait pas moins cependant les porter à rendre de
sérieuses actions de grâces à Dieu ^
Th. de Bèze ne pouvait clore d'une manière plus élevée et
plus touchante que par sa large coopération à la solennité dont
il s'agit, l'utile ministère qu'il avait tour à tour accompli à Or-
léans et aii dehors, auprès de Gondé et de Goligny. Le prince
et l'amiral tinrent à honneur, au moment où il allait les quit-
ter pour retourner à Genève, de rendre, dans des lettres adres-
sées au conseil de cette ville^ , un éclatant hommage à la con-
tinuité de son dévouement et à l'étendue de ses services.
La lettre de l'amiral était ainsi conçue : « Messieurs, puisque
» par vostre congé et moyen monsieur de Besze, présent por-
y> teur, est venu par deçà, la présence duquel m'a grandement
» contenté avec toute ceste compagnie, je n'ay voulu le laisser
)) aller sans la présente pour vous remercier de ce plaisir et de
y> plusieurs autres es quelz nous avons apperçeu et cogneu par
» expérience plus que jamais combien la gloire de Dieu et
y> l'augmentation des églises de ce royaume vous sont chères et
y> précieuses; celuy auquel vous avez eu le principal esgard en
)) ce faisant vous en sera libéral rémunérateur, et, de ma part,
y> messieurs, je vous prie vous assurer que j'en auray telle sou-
y> venance que me trouverez tousjours amy en toutes sortes que
1. Calend of state pap. foreign, 31 mars 1563. Smith to the queen.
2. Lettres des 28 et 30 mars 1563, (Archives de la ville de Genève, n» 1712 et
1715).
— 255 —
» je pouvray m'employer pour vostre bien et conservation,
i d'aussi bon cœur que je me recommande à vos bonnes prières,
y> après avoir prié nostre Dieu qu'il vous maintienne en sa
» sainte garde et protection. D'Orléans ceXXX:de mars 1562
y> (1563 n. s.). »
Le 28 mars eut lieu chez le prince et la princesse de Condé
un repas de famille auquel avaient été conviés l'amiral, d'Ande-
lot et de Larochefoucault. Un seul étranger, Smith, ambassa-
deur d'Angleterre, récemment arrivé à Orléans, y fut admis
et provoqua un long entretien qui roula à peu près exclusive-
ment sur le sort ultérieur du Havre et de Calais.
De Bèze, qui, le 29 mars, avait annoncé à Calvin son pro-
chain départ* , l'effectua le 30.
Le 1" avril, Catherine de Médicis fit, sans grand apparat,
son entrée dans Orléans. Devant elle marchaient le connétable,
le duc de Montpensier, Bourdillon, Cipierre et divers digni-
taires; à ses côtés se trouvaient le prince de Condé et le cardi-
nal de Bourbon; l'amiral et le chancelier la suivaient. Elle s'ar-
rêta au logis du roi, où elle reçut les notables de la ville, qui lui
offrirent du vin et des fruits- .
Le même jour, le prince et la princesse de Condé reçurent
à leur table le connétable, le cardinal de Bourbon, le duc de
Montpensier et plusieurs autres convives. Parmi ceux qui vin-
rent s'asseoir à celle de l'amiral figuraient Michel de l'Hospital
et Bruslart.
Le lendemain, la reine mère partit pour Blois. Condé s'ex-
cusa de ne pouvoir déférer au désir qu'elle lui exprimait de
l'emmener avec elle : il lui promit de la rejoindre au plus tôt.
1. «... Eram vel cùm certo periculo iter ad vos ingressurus, nisi me hùc us-
» que retinuissent fratrum preces, quibus aliquot dies concessi... Gras iter in-
» grediar Burgundiam versus. (Beza Galvino, 29 mars 1563. Baum, Append.
p. 206).
2. Calond. ofstatepap. foreign, 2 avriH563. Mém. to the Rhingrave.
— 256 —
Dès le début d'avril, l'évacuation d'Orléans par les troupes
réformées et la plupart de leurs chefs était accomplie. Aussi, le
chancelier de l'Hospilal, deretouràBlois, écrivait-il, le'3 avril,
à de Gonnor* : « Nous sommes esté à Orléans que nous avons
)) trouvé sans gardes et sans armes, etc., etc. ))
Au jeune prince de Portien, non moins remarquable, dans
l'exercice du commandement, par sa fermeté que par sa bra-
voure, avait été confiée la difficile mission de reconduire aussi
promptement que possible les auxiliaires allemands à la fron-
tière du royaume, et de défendre contre leurs habitudes de dé-
sordre et de déprédation les habitants des provinces qu'il devait
leur faire traverser^ .
L'amiral, accompagné de sa femme, de ses enfants, de ses
jeunes neveux et ded'Andelot, leur père, ne tarda pas à se retirer
dans son domaine de Châtillon-sur-Loing.
1. Le Laboureur, addit. aux Mém. de Castelnau, t. II, p. 246.
2. Ici se place, comme se rattachant à la date à laquelle les reîtres, arrivés
à la frontière, devaient recevoir leur payement définitif, un engagement souscrit
au profit de l'un d'eux, à la décharge du connétable par l'amiral, et dont voici
la teneur : « Nous, Gaspard de Goulligny, sieur de Chastillon-sur-Loing, che-
» valierde l'ordre du Roy, etc., etc., promettons et nous obligeons par la présente,
» signée de nostre main et scellée du scel de nos armes, à Volpert von Durst,
» gentilhomme allemand, Soubz la cornette de Arnold von Ampfel, luy paier la
» somme de deux mil escutz sur et tant moins de la somme de six mil escutz qui
» luy a esté accordée pour la prise et rançon de monseigneur le connestable,
» laquelle somme de deux mil escutz nous luy promettons paier et faire fournir
» sur la frontière de ce royaulme, auparavant que les reistres en partent. Faict
» à Orléans, le quatriesrae jour d'avril, l'an 1562 avant pasques (1563,
n. s.). » (Bibl. nat., mss. f. fr., vol. 3243, f" 99, et vol. 20 509, f» 140.)
LIVRE IV
CHAPITRE PREMIER
Hetour de Coligny à Châtillon-sur-Loing, en chef de famille et seigneur chrétien. —
Sa bienveillance pour d'Erlach et Téligny. — Son intervention protectrice dans une
affaire de prise maritùne. — Manœuvres ourdies par ses ennemis. Accusation repro-
duite. — Coligny, dans une seconde déclaration, se disculpe de toute participation
au meurtre du duc de Guise. — Il s'achemine vers la cour. Condé le rencontre à
Essonne et le décide à retourner à Châtillon. — L'honneur de l'amiral est noblement
défendu, en séance du conseil privé, par Condé, d'Andelot et le maréchal de Mont-
morency. — Décision royale. — Correspondance de Coligny avec le prince de
Portien, Renée de France, Catherine de Médicis et Calvin. — Coligny défend les droits
de ses coreligionnaires. — Démarche de l'ambassadeur d'Angleterre auprès de
Coligny, au sujet des prétentions d'Elisabeth sur Calais. — Reprise du Havre. —
Odet suit la cour à Rouen. — Déclaration de la majorité du roi. — Maladie de la reine-
mère à Meulan. — Les Guises se concertent de nouveau pour agir contre Coligny.
(( Qui ne sait, disait un jour Coligny \ qu'après la paix faite
i> (en mars 1568), pouvant obtenir du roy des charges et hon-
y> neurs, j'ai toutefois mieux aimé me retirer en ma maison,
y> et, dans toute sorte de retenue et de repos, y mener une vie
y> privée ! »
Le retour de l'amiral à Châtillon-sur-Loîng fut celui d'un
chef de famille et d'un seigneur chrétien.
Il participa avec les siens à la Sainte Gène, le jour de Pâques,
et imprima presque aussitôt, pour l'avenir, une consécration
religieuse à l'exercice de la justice seigneuriale dont il était
investi. En effet, le 15 avril, eut lieu, à cet égard, la grave so-
lennité que voici :
1. Hotman, vie de Coligny, Irad. 1665, p. 63.
if. 17
— 258 —
(( Suivi d'une grande troupe de gentilshommes, il vint en son
ï> auditoire de justice, là où, après avoir invoqué le nom de
y> Dieu, il ordonna que désormais l'exercice de justice commen-
» cerait par prières, selon un formulaire qui par après fut mis
y> en un tableau qui y fut affiché. Jean Malot, son ministre
» ordinaire \ fit une grande remonstrance des causes des cala-
» mités et ruines des royaumes et seigneuries, exhortant les
» magistrats à faire bonne et briefve justice, les sujets à vivre
» en paix et à bien obéir aux sainctes lois et ordonnances de
ï) leurs supérieurs, et ledit sieur amiral à y tenir la main, lequel
)> puis après, comme c'était un personnage des plus rares qui
» ait jamais esté en France de sa qualité, fit une aussi excel-
» lente remonstrance, déclarant de combien de dangers Dieu
» l'avait délivré depuis peu de temps, à la gloire duquel, comme
3) à l'entretenement de ses sujets, il vouait et dédiait le reste
» de sa vie : puis ayant aussi exhorté ses officiers de se porter
» comme gens de bien en l'exécution de leurs charges, il dit
» expressément qu'il leur établirait bons gages, afin qu'ils
» n'eussent occasion d'administrer justice pour de l'argent, les
)) admonestant de très bien chastier et rigoureusement ceux
» qui, sous ombre qu'il ne cousteroit plus rien aux juges, abu-
ii> seraient de la justice. Finalement il protesta, qu'encores que
)) plusieurs, en son absence, l'eussent griefvement offensé et
/> de faict et de paroles, comme il le sçavoit bien , ce néant-
» moins il oublioit volontiers le passé pour leur donner courage
» de mieux faire à l'advenir, les priant surtout de donner au-
» dience à Dieu, la parole duquel il feroit de tout son pouvoir
» purement et sincèrement prescher, selon les édictz du roy,
» son souverain seigneur ^ ))
. Téhgny et d'Erlach avaient suivi à Châtillon l'amiral qui,
1. Voy. sur Jean Malot, Haag, France protest., t. VII, p. 198 et suiv.
2. De Bèze, Hisi. ecc/., t. H, p. 461, 462,
i
— 259 —
dès les premiers jours de sa rentrée dans son château, facilita
au second de ces jeunes gens son retour en Suisse.
Peu de temps après l'accomplissement de sa mission à Berne,
en 1562, d'Erlacli était revenu en France. En octobre de la
même année, les magistrats Bernois, sur la demande de sa
famille, avaient prié Goligny de le renvoyer dans ses foyers. Les
dangers d'un trajet à effectuer, en France, alors que la guerre
civile sévissait dans une foule de localités, avaient retardé son
, départ. « J'avois juste crainte, écrivit plus tard l'amiral à la
» seigneurie de Berne \ qu'il luy advînt quelque inconvénient.
, » Il me sembloit estre trop plus expédient de différer son retour
» jusques à ce qu'il eût pieu à Dieu nous restablir en une
» tranquillité et repos, pour le regret que j'eusse eu, s'il fûst
» tombé en dangier. y> Sous l'influence du changement de cir-
constances qui venait de s'opérer, au printemps de 1563, l'ami-
.ral ajoutait : « Dieu nous ayant puis naguères faict ceste grâce
» de nous regarder en pytié et remis les affaires de ce royaume
» en un estât plus tranquille et paisible, j'ay bien esté d'advys
. d que, suyvant le vouloir et désir de ses parens, il s'acheminast
» par devers eux, pour donner ordre aux affaires pour lesquelles
» ils le rappellent. »
Les motifs qui avaient décidé l'amiral à se séparer du jeune
d'Erlach ne pouvaient pas se produire vis-à-vis de Téligny,
maître de ses actions -. La touchante affection qui unissait si
intimement le protecteur au protégé les rendait tous deux de
plus en plus nécessaires l'un à l'autre, et excluait, par cela
seul, l'idée de séparations même momentanées, qui n'eussent
pas été commandées par le devoir. Téhgny resta donc au châ-
teau de Ghâtillon, où, traité en fils par l'amiral et sa compagne,
en frère aîné par leurs enfants, il continua à voir son second
1. Lettre du 15 avril 1563^ datée de Ghàtillon-sur-Loing. (Archives de Berne.
Frankreich. vol. 1).
2. Voy. Appendice n° 22.
-_ 260 —
père l'associer à la plupart de ses occupations, et le former,
sous sa direction judicieuse, à l'étude des questions les plus
graves et au maniement d'intérêts d'un ordre supérieur.
Coligny qui, depuis le traité de paix, était demeuré dans
d'honorables relations avec la reine d'Angleterre, se sentit
libre de lui soumettre, dès les premiers jours de son retour à
Châtillon-sur-Loing, une réclamation qui touchait à des inté-
rêts dont il était le gardien. « Madame, lui écrivit-il, le 16 avril *,
» j'ay reçeu la lettre qu'il a pieu à Votre Majesté m'escrire par
*)> le s' du Ghastellier par lequel aussy j'ay entendu beaucoup
^) de gratieux et honnestes propos qu'il vous a pieu luy tenir
•» de moy, dont je me sens grandement heureux et content, et
•>^ mettray peine, Dieu aydant, que vous n'aurez poinct occasion
y> de perdre ceste bonne opinion que vous avez; et pour ce,
)) madame, que je ne double point que Vostre Majesté ne puisse
:») bien juger qu'il nous a fallu emprunter grands deniers pour
» les frais qu'il convient faire pour ces guerres, et que pour en
» estre aulcunement remboursé, j'avoys à donner plusieurs as-
y> signations sur la vente qui se debvoit faire des prises adme-
y> nées au Havre de grâce par Françoys Leclerc, et néantmoings
y> j'ay entendu qu'on n'en peult obtenir main-levée de messieurs
)) de vostre conseil, je supplie très humblement Vostre Majesté
^ commander que raison nous soit faicte; car de ce que aucuns
)) flamands vouloient réclamer les dictes prises, il se prouvera
» assez du contraire par deux mémoyres que j'envoye présen-
» tement au s'" de Briquemault auquel j'escripts d'en informer
y> plus particulièrement Vostre Majesté, aussi je la supplie com-
» mander qu'il ne me soit point mys d'empeschement à la vente
)) d'aucuns bledz, cidres et autres vivres que j'avoys envoyés
« dernièrement au Havre, moy estant à Gaen. y>
i . Record office, state papers. France, vol. XXXII. — De Laferrière, le
xvi" s. et les Valois, p. 133. — Voir, en outre, à l'appendice, n» 23, une lettre
adressée le 11 avril 1563, par Coligny à Warwick.-
— 261 —
Le calme que Coligny était venu chercher dans sa' retraite
de Ghâtiilon ne tarda pas à être troublé par l'avis qu'il reçut de
l'existence d'indignes manœuvres ourdies au dehors contre
lui.
En effet, « il ne fut aussitost arrivé en sa maison, que ses
» ennemis le craignans, comme il est vraysemblable, ou esti-
y> mans que sa présence à la cour reculerait leurs affaires et
» l'effect de leurs entreprises, bandèrent tous leurs esrrits en
» ce seul dessein d'empescher qu'il n'y vînt; et pour cest eiieci,
» commencèrent à vouloir charger ledict sieur admirai de ia
» mort du feu duc de Guyse et à tirer un chascun à ceste opi-
» nion, qu'il avait induit Poltrot à ce qu'il avoit faict; ou parce
)) qu'à la vérité, ils estimoient que ledict sieur admirai en fùst
y> coulpable et consentant; ou aussi afin que, sous couleur de
y> poursuivre la vindicte de ladicte mort, ils eussent moyen de
» s'armer et se rendre plus forts et suivis, pour tousjours main-
)) tenir leur grandeur, crédit et réputation, et eslongner de la
y> cour ou accabler, s'ils pouvaient, ledit sieur admirai ^ »
Ce fut alors que Goligny qui déjà dans sa protestation en ré-
ponse aux allégations mensongères de Polli ot, et dans sa lettre
d'envoi à Gatherine de Médicis, avait péremptoirement établi
son innocence, en confirma surabondamment la démonstra-
tion par la publication d'un écrit qu'il rédigea, le 5 mai, à Ghâ-
tiilon"-. Dans cet écrit, l'amiral après avoir signalé de nouveau
la coupable précipitation qu'on avait mise à juger et exécuter
Poltrot, sans admettre la confrontation demandée, disait ;
« Depuis, le dit seigneur admirai a bien sçeu que ledit Poltrot
» a tousjours recognu que ladite première depposition estoit
» fausse; qui donne une certaine présomption que dès le corn-
» mencement on l'avoit attiltré à parler ainsi. Il y a eu en outre
» autres diverses dépositions attribuées audit Poltrot, par au-
1. Mém. de Condé, t. V. p. 19 et 20.
2. Mém. de Coadé, t. IV, p. 339 à 349.
_ 262 —
y> cunes desquelles, qui sont tenues assez secrètes, il a deschargé
)) ledit seigneur admirai; et par les autres qui ont été semées
)) en plusieurs endroits, il l'a chargé; lesquelles, quelque désir
D et espérance que ledit Poltrot ayt tousjours démontré avoir
)) d e prolonger saîvie, ledit seigneur admirai tient pour supectes
)) de subornement, et ne doute point qu'on n'ayt assez essayé de
» faire accroire audit Poltrot, qu'en parlant ainsi c'estoit un
y> moyen de" reculer l'exécution de sa sentence : pour le moins,
» qu'il croit seurement et avec raison qu'elles ont esté falsifiées
» ou desguisées ; attendu qu'il se vérifiera par le tesmoignage de
)) plusieurs gens de bien et dignes de foy, qu'estant ledit Poltrot
y> en la conciergerie de Paris, il leur a dit qu'il avoit entière-
)) ment deschargé ledit seigneur admirai devant les juges, et a
» fait le semblable à l'ouye d'une infinité de personnes, lors-
» qu'on le menoit au supplice ; attendu aussi que lesdites dépo-
li sitions ont esté escrites par ses ennemis déclarez, et faites
» en leur seule présence; desquels il est trop aysé à juger, si
» ayans en cela moyen de luy nuire, et par mesme moyen com-
. 35 plaire à ceux pour lesquels ils ont bien osé entre autres choses
» engager leur honneur et âme, ils s'y seront espargnez; de
y> quoy feront assez de foy les lettres qu'on aveues, et desquelles
)) on fera apparoir quand besoin sera, escrites à la cour, du 6 et
3) 15 mars par les principaux juges, pour advancer l'exécution
-» dudit Poltrot, es quelles ils usent de ces propres termes : que
)> la garde dudit Poltrot ne valloit rien, et que l'on ne devoit plus
i différer de le faire despescher, parcequ'il se vouloit desdire.
» — D'autre part aussi, il a esté assez adverti, que sur ce
y> qu'il advoué par sadite response avoir baillé argent audit
y> Poltrot, aucuns ontbasti une conjecture en leur cerveau, et
y> là-dessus fondé leurs calomnies. » — Insistant, une fois de
plus, à cet égard, sur sa réponse antérieure, savoir : que les
deux sommes données à Poltrot n'étaient que le salaire de
l'office d'un espion chargé de fournir des renseignements sur
^ 263 —
le camp du duc de Guyse, l'amiral exposait combien il était
important pour lui de savoir s'il serait inquiété ou non par
l'ennemi dans sa marche vers la Normandie. — Pariant du duc
de Guise, l'amiral terminait son écrit par ces mots : « Y eut-il
» jamais un ennemy plus déclaré contre autre, que cestuyrlà?
» Et qu'il ne soit vray, pourquoy estoit-il devant Orléans, que
» pour exterminer femmes, enfans, et tout ce que ledict sei-
)) gneur admirai avoit de cher en ce monde? Voire que gens
3> dignes de foy disent qu'il s'estoit vanté de ne pardonner à nul
y> sexe, de ce qui se trouveroit audit Orléans. Il ne laut aussi
•» douter que l'homme de toute l'armée que ledit seigneur
» admirai chercha le plus, le jour de la bataille dernière ne fûst
D cestuy-là. Aussi peu faut-il douter que s'il eust peu bracquer
» un canon contre luy pour le tuer, qu'il ne l'eûsc tait; qu'il
* n'eust semblablement commandé à dix mille harquenouziers,
y> s'il les eust eu à son commandement, de luy tirer entre tous
> les autres, fust-ce en campagne, au-dessus d'une muraille,
> ou derrière une haye. Bref, il n'eust espargné un seul moyen
0) de ceux que le droit des armes permet en temps d hostilité,
^) pour se desfaire d'un si grand ennemy quecestuy-»a luy estoit,
> et à tant d'autres bons subjects du roy *. Et,* pour conclu-
"5) sion, ledit seigneur admirai proteste devant Dieu et ses
» anges, qu'il n'en a fait ni commandé rien davantage que ce
y> qu'il en a mis par escript. Que s'il y en a qui veuillent estre
)) esclaircis davantage, qu'ils parlent à luy et il leur respondra. »
Condé, à la différence de l'amiral, n'avait quitté Orléans que
1. « Or, si le mal faschoit à toutes gens de bien, M., de Guise, qui avait
* allumé le feu, ne pouvoit pas être espargné. Et de moy, combien que j'aye
j toujours prié Dieu de luy faire mercy, si est-ce que j'ay souvent désiré que
j Dieu mist la main, sur luy pour en deslivrer son église, s'il ne le vouloit
> convertir. Tant y a que je puis protester qu'il n'a tenu qu'à moi que, devant
> la guerre, gens de faire et d'exécution ne se soyent efforcez de l'exterminer
* du monde, lesquels ont esté retenuz par ma seule exhortation. > (Calvin^
lettre franc., t. II, p. 553).
— 264 —
pour aller, loin du foyer domestique, occuper, dans un milieu
délétère, une situation aux périls de laquelle pouvait seule ré-
sister une âme fortement trempée. Placé désormais auprès du
roi et de la reine mère, appelé, en sa qualité de prince du sang,
à siéger au conseil privé et à prendre part à la direction des
affaires du royaume, il voyait, à la cour, s'agiter de détestables
passions. A l'aspect de ce foyer des haines déchaînées contre
Coligny, il était sans illusions sur les perverses tendances des
ennemis de cet homme éminent. Il savait que les Guises l'ac-
cusaient d'avoir provoqué le meurtre de François de Lorraine,
et qu'ils incitaient leurs adhérents à la vengeance d'une com-
plicité imaginaire. Neveu dévoué, ami fidèle, il veillait dès lors
avec une sollicitude incessante sur les jours menacés de l'ami-
ral, et s'efforçait de maintenir au-dessus de toute atteinte
l'honneur de ce noble représentant de la réforme française.
« Je crains, disait-il à ce moment *, que parmi tant d'hommes
y> de guerre qui sont ici, il n'y en ait un qui lui tire un coup de
y> pistolet; et je prends autant de soin de son existence que de
y> la mienne. » Aussi, dès que le prince apprit que son oncle,
informé des odieuses menées des Guises, avait quitté Ghâtillon-
sur-Loing pour venir à Saint- Germain, dans l'espoir d'y con-
fondre ses calomniateurs, vola-t-il à sa rencontre, et le conjura-
t-il, en le joignant à Essonne ^, de ne pas se rendre à la cour,
où sa vie serait en danger ^, et où sa présence pourrait, dans
1. Caleud. of slate pap. foreign. Smith to Ihe queen, H mai 1563.
2. Mém. de Condé, t. V, p. 20. — Calend of state pap. foreign. Middlemore
to cecil, 17 mai 1563.
3. Calendl of state pap foreign. Middlemore to cecil, 17 mai 1563 : « The
» secret enterprises of his enemies were then discovered to the admirai, and
» his friends advised him not to come there; of which mind was also the
3) queen molher, but rather for Icar of him. She entertains ail such practises
î as may ruin him. His enemies meant to put the following into exécution
» against him : they obtained secretly what they call hère a prise de corps
D against him for the death of the Duke of Guise, to be saved upon him ou his
» coming, liaving won ail the guaids about the sarae. Aad if he should resist
— 2G5 —
l'état de fermentation des esprits, devenir, malgré lui, le signal
de nouveaux troubles. De ces deux considérations, la seconde
surtout arrêta l'amiral. Touché des supplications et des conseils
de Condé, il consentit à retourner à Ghâtillon-sur-Loing, mais
«n exprimant la ferme résolution d'aller, dès que les circons'
tances le permettraient, occuper auprès du roi la place que
lui assignaient sa naissance, sa charge et ses devoirs, comme
défenseur des droits de ses coreligionnaires.
Tandis que Condé revenait à Saint-Germain, accompagné de
d'Andelot, Coligny, moins en souci de lui-même à ce moment
que de son jeune compagnon d'armes, le prince de Portien, lui,
écrivait, d'Essonne, le 12 mai, au sujet de difficultés suscitées à
tort, en ce qui concernait la solde des reîtres reconduits à la
frontière * : » Je croy que la royne et monsieur le prince
)) (de Condé) y donneront ordre : vous advisant que si j'eusse
» esté à la cour, je n'eusse failli de mectre peine de faire bien
» entendre vos remonstrances et de prendre en main ce qui
» vous touche, comme je feray toute ma vie ; mais encores que je
» m'y fusse achemyné, je n'ay peu y aller, pour les occasions que
» ce porteur vous pourra dire. Au demeurant, quant à ce que
j mandez pour mon particulier, je ne suys pas, de ceste heure, à
y> cognoistre la bonne affection que me portez m'en ayant fait assez
y> de démonstration par tant de notables effectz, vous priant
)) affectueusement d'y vouloir continuer, ensemble faire entière-
:» ment estât de moy comme de celuy que vous trouverez tous-
» jours prest de s'en revencher et de vous servir partout où les
y> moyens et l'occasion se présenteront. ..je vous pry, encores une
» bonne fois, penser que je me sens tant tenu à vous, que vous me
» trouverez tousjours votre humble et bien affectionné amy. »
> they meant to eut him in pièces. This enterprise would never hâve been
3 taken in hand without connivance of the greatest of the court. >
l.Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 3196, f" 11. L'amiral avait déjà écrit au prince de
Portien sur le même sujet, le 8 mai 1563. (Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 3196, f» 8.)
— 206 —
Avant de quitter Essonne, Goligny, le jour même où il écrivil;
au prince de Portion, eut avec l'un des agents de la reine d'An^
gleterre, Middelmore, un entretien relaté par celui-ci dans une
dépêche qu'il adressa le 17 mai, à Gécil ^ .
Cet agent avait déjà, plus d'une fois, soit à Orléans, soit
ailleurs, insisté auprès de la reine mère, de Gondé et de l'ami-
ral, pour qu'on reconnût à sa souveraine le droit de conserver
le Havre, tant que Galais ne lui aurait pas été remis.. Gette pré-'
tention avait été constamment repoussée par les motifs suivants,
savoir: que le traité de paix de mars 1563 déclarait que les
troupes étrangères seraient tenues de sortir immédiatement de
France, et qu'Elisabeth devait d'autant mieux se soumettre à
cette obligation, en ce qui concernait ses soldats, qu'elle avait
déclaré dans une proclamation solennelle, ne les avoir envoyés
que pour soutenir la cause diï roi contre les usurpateurs de son
pouvoir, et celle d'un grand nombre de ses sujets contre les
excès de leurs oppresseurs ; que la paix venait de consolider le
pouvoir royal, d'affranchir les opprimés du joug qui pesait sur
eux; et que dès lors l'appui de la reine d'Angleterre devenait
sans objet. Quant à la restitution de Galais, cette princesse
n'était fondée à prétendre rien de plus que ce qui était consi-
gné dans le traité de Gateau-Gambrésis, auquel nulle modifica-
tion n'avait été apportée depuis sa signature. Gondé et l'amiral
s'étaient nettement prononcés, à plusieurs reprises, sur ce point
spécial, et notamment dans un message adressé, le 30 avril, à
la reine d'Angleterre ^ .
En abordant Goligny, Middlemore reproduisit les prétentions
1. Calend. of state pap. foreign. De Laferrière, le 16* siècle et les Valois,
f» 132 à 135.
2. Calend. of. state pap. foreiga. Message from Gondé and admirai to the
.queen, 30 avril 1563 : « M. Briquemault in their name required that she would,
» according to her protestation be content, the tyranny of Guise beingremoved
i to restore Newhaven to the french.king, and for the restitution of -Calais, to
». hâve treaty of Cambresis newly ratified. »
— 267 —
d'Elisabeth, et se plaignit dé ce que le prince et l'amiral
méconnaissaient ses droits. — L'amiral lui répondit qu'elle
n'aurait aucun grief sérieux à formuler, si l'argent qu'elle avait
prêté lui était rendu, comme il le serait en effet, et si son
droit sur Calais était garanti, comme il continuerait à Têtre
par le traité de 1559. Il déclara hautement qu'il n'avait jamais
promis à la reine d'Angleterre, soit par lettre, soit autrement,
qu'il lui serait loisible de garder le Havre jusqu'à ce que Calais
lui fut restitué ; et que si elle avait une lettre de lui en sens
contraire, il serait curieux de la voir. — Middlemore excipant
de la clause du traité d'Hampton-Court, relative à l'occupation
du Havre, clause qui avait été insérée, sous la pression des
négociateurs anglais, lors de la conclusion intervenue entre
eux, le vidame de Chartres et R. de la Haye, l'amiral affirma
qu'originairement il ignorait les termes de ce traité; qu'il ne
l'avait jamais vu avant son expédition de Normandie, lorsque
Throckmorton le lui communiqua ; et que si, avant d'en signer,
de confiance, la confirmation, il avait pu croire qu'on y eût
inséré autre chose que l'assurance donnée à la reine qu'elle
serait remboursée des sommes par elle prêtées, et que le
secours qu'elle accordait ne préjudicierait pas à son droit sur
Calais, il se fût privé de la bénédiction de Dieu.
On verra bientôt quelles furent, pour Elisabeth, relative-
ment au Havre et à Calais, les conséquences de sa ténacité et
de celle de ses agents.
Le 15 mai, à Saint-Germain, trois jours après l'entrevue de
Coudé et de Coligny à Essonne, au cour5 d'une séance du con-
seil, à laquelle assistait Catherine deMédicis, il fut, sur l'ordre
du roi, donné lecture par le secrétaire d'Etat Bourdin, d'un
écrit dans lequel Louis de Bourbon, s'adressant à cette prin-
cesse, lui tenait ce généreux et ferme langage * :
1. Mém. de Condé, t. V, p. 20 à 2i. — Bibl. nat. mss. f. ir. vol., 3193,
— 2G8 —
«Madame, j'ay esté parler à monsieur Tadmiral, et fait
» venir icy monsieur d'Andelot, pour, en la présence du roy,
» dire à vostre majesté que monsieur Tadmiral m'a asseuré, et
y> le croy, que tout ce qui a esté ou pourroit estre ajousté, pré-
}> sumé et mis en avant contre luy, sur le fait de la mort de
» monsieur de Guyse, outre ce qu'il a confessé et fait imprimer,
» est faux ; qu'ayant esté calomnieusement chargé par la dépo-
y> sition subornée de 'deffunt Merey, contre luy, combien que
» de droit il n'y fûst obligé, estant question d'un fait d'hostilité,
» il a requis à vostre majesté ledit Merey estre gardé prisonnier
» jusques àce qu'il peust estre confronté avec luy, et proteste de
» sa sincérité, à faute de ce faire : à quoy n'ayant esté satisfait,
)) par l'importunité de ses enneniis, cuidants rendre obscure
» la lumière de son innocence, il estime que la protestation par
» luy faite luy doit servir envers toutes personnes de bon juge-
» ment, de suffisant tesmoignage, arrest et déclaration de son
» innocence : parquoy il déclare qu'il a satisfait à sa conscience
)) devant Dieu et à son devoir aivers les hommes. — Et quant
» à nous, c'est-à-dire à moy et à tous ceux qui ont porté les
» armes sous moy, nous disons : puisque les armes ont esté
)) déclarées avoir esté portées pour le service du roy, que le. fait
» de l'homicide mis en avant contre ledit sieur admirai, advenu
's> en temps et fait d'hostilité, n'est justiciable ne subject à estre
)) purgé par voye de justice ; car autrement ce serait directe-
)) ment contrevenir à l'édict de paix, et nous frustrer du bien
)) d'iceluy, au regard des choses advenues et des armes prinses
» d'une part et d'autre : et depuis l'édict de la paix monsieur
» l'admirai s'offre de suyvre la voye de justice pardevant juges,
3) toutesfois non suspects ; à la charge que ses adversaires aussi,
y> ou tenans cause d'eux, seront tenus suyvre pareilles voyes,
f' -iS à 51. — Vie de messire Gaspard de Coligny, ïn-i" Amsterdam 164 i, anno-
tations, p. 136. — Du Bouchet, histoire de la maison de Coligny, p. 536.
— 269 —
D pour le cas à eux imposé, chacune selon l'ordre du temps et
» gravité du crime. De ce, madame, je vous fais très humble
y>- requeste, tant de la part de monsieur l'admirai, que de la
j> mienne ; déclairant que, s'il y a personne qui entreprenne
y> de s'adresser à luy de fait ou de paroles, ou par autre voye
y> que la susdite, je luy feray congnoistre que je m'en ressentiray
y> tout ainsy que s*il estoit fait et adressé à ma personne propre,
» estant son amy, et luy oncle de ma femme, de laquelle j'ai
» plusieurs enfans, et en outre estant un grand chevalier très
)) nécessaire pour le service du roy ; et d'autant que l'inimitié
3> de la maison de Guyse à celle de Ghastillon est notoire, je
y> vous supplie ne permettre que le nom et force du roy, ou
3) couverture de la religion, soit emprunté pour favoriser aux
y> querelles particulières des uns ou des autres, et si ceux de la
)) maison de Guyse en prétendent quelqu'une, qu'ils la déclai-
)) rent, et l'on cognoistra de quel coslé sera le bon droit, et la
3) force pour le maintenir. »
Après la lecture de cet écrit, Gondé en confirma la teneur
par sa parole, et ajouta que l'amiral comptait, dans le royaume,
comme prêts à lui rendre tous bons offices, des parents et des
amis, dont quelques-uns siégeaient, en ce moment même, au
conseil.
Lors, M. le maréchal de Montmorency commença à dire :
« puisqu'à la vérité, en ceste querelle particulière, il n'y alloit
y> point du roi ni de la religion, que l'intention de M. le connes-
> table estoit de porter ses neveux comme ses propres enfans,
)) et y employer toute sa puissance, parens, amys, alliez et ser-
» viteurs ; ce qu'il déclarait, tant de la part de mon dit sieur
)) le connestable, que de la sienne ; car, comme obéissant lils,
» en se conformant du tout à l'intention de son père, il s'em-
y> ployera du tout pour ses cousins germains ' . »
1. Mém. de Condé, t. V, p. 22. — Bibl. nat. inss. f. fr. vol. 3193, f 49. Du
Bouchet, hist. de la maison de Coligny, p. 536.
- 270 —
' « Sur cela, M. d'Andelot, adressant sa parole à la reyne qui
» estoit près du roy, dit que M. l'admirai avoit reçu grand
■» desplaisir, luy ayant osté le moyen de pouvoir venir en cesie
» compaignie, par deux raisons : la première et principale,
» pour le désir qu'il avoit de voir le roy et baiser les mains de
» Sa Majesté; l'autre pour, estant en ladite compaignie,
)) escouter ceux qui en aucune façon le voudroient charger de
y> la mort du feu sieur de Guyse, pour leur respondre et rendre
» bon compte de toutes ses actions; mais, puisqu'il estoit
)) question qu'on demandoit justice de luy, il la demandait pareii-
)) lement, afin de faire ses diligences d'informer des actions
» dudit feu sieur de Guyse, et qu'il espéroit, par bonnes et
» justes preuves, faire apparoistre des choses pour lesquelles il
y> y en avoit qui n'auroient plaisir d'avoir esté cause d'un tel
•y> remuement de mesnage * .y>
En cet état de choses, intervint, le 16 mai, au conseil privé,
un arrêt ainsi conçu ^ :
« Le roy, craignant que la mort de feu M. de Guise, advenue
-^yy à son grand regret, soit pour renouveler quelque aigreur en
D son royaume, s'il y est procédé par autre voye que celle de la
» justice, qui est le chemin permis par les lois divines et hu-
» maines, et non d'y aller par vindictes et par la force des armes,
» la puissance desquelles ne doit estre usurpée par qui que ce
» soit en ce royaume, ny l'exploit et exécution d'icelles tomber
')) en autres mains que celles de Sa Majesté, ou de ses officiers
» et magistrats ordonnez à cet effect ; pour ces causes et consi-
» dérations, et pour la nécessité du temps et de ses affaires :
» Sa dite Majesté a inhibé et défendu, inhibe et défend à
» madame la duchesse douairière de Guise, veufve dudit défunt,
1. Mém. de Condé, t. V, p. 22. — Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 3193, f' 49.
■ Du Bbuchet, i6î«/ p. 536,
2. Du Bouchet, /6jrf. p. 5i7, 538. ■
— 271 —
'» enfans, frères, parens et amis, comme aussi au seigneur de
y> Chastillon, amiral de France, enfans, frères, parens et amis,
» qu'ils n'ayent par eux ni par leurs gens et serviteurs à s'of-
y fenser ne faire offenser les uns les autres par voye de fait et
» de force, ou autrement, pour raison du fait dessus dit, les
^ ayant tous pris en sa protection et sauve-garde spéciale, et ce,
» sur peine d'estre déclarez désobéissans à sa dite Majesté. Et
y> quant à en faire poursuite par justice, Sa Majesté, pour la
» nécessité de ses affaires et, pour autres grandes et importantes
y> et nécessaires occasions et considérations à ce le mou vans,
» veut que la dite poursuite soit surcise et suspendue jusques
» après la pacification de ses dites affaires, les armes déposées,
» ou que par Sa Majesté autrement en aye esté ordonné ; et lors
3> elle fera administrer ladite justice aux parties qui la requer-
)) ront, telle que de raison. »
, Cet arrêt fut immédiatement porté à la connaissance de l'a-
miral, ce lequel y rendant obéissance, se contint en sa maison
« avec ordinaire et privée compagnie de ses amys et domes-
j> tiques, au moyen de quoy les choses demeurèrent en repos
ï) quelque peu de temps M).
D'Andelot était promplement revenu de Saint-Germain à
Châtillon-sur-Loing reprendre, sous le toit de son frère et de sa
belle-sœur, une vie de famille, à l'intimité de laquelle Odet ne
pouvait, en ce moment, s'associer. Retenu loin du château de
Châtillon, il cherchait du moins, par sa correspondance, à se
rapprocher de ceux qu'il aimait ^ .
A six jours delà, d'Andelot, adressant au maréchal de Mont-
morency les capitaines Monnins et Prye, pour affaires de service,
lui disait ^ : «: Je n'ay voulu faillir de vous faire par eux entendre
» de mes nouvelles qui sont bonnes, grâces à Dieu, sinon que
1. Mém. de Gondé, t. V, p. 23.
2. Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 3410, f» 19.
3. Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 3179, f 39.
— 272 — ^
» je ne puis encores me deffaire de ma fièbvre. Pour changer
» d'air, je m'en vays demain à Tanlay, d'où je ne suis pas déli-
» béré de partir bien tost. »
Le lendemain, en effet, d'Andelot quittait le château de
GhâLillon, et Coligny écrivait à Renée de France, résidant alors-
à Montargis ^ : « Madame, j'envoye ce gentilhomme vers vous,
3) tant pour vous visiter, que pour entendre de vos nouvelles,
y> desquelles je vous supplye me faire cest iionneur de m'en
» départir. Quant aux miennes, je luy ay donné charge de vous
)) en dire, et de tout mon petit mesnage. M. d'Andelot, mon
)) frère, part, à ce matin, de ce lieu pour aller en sa maison.
)y J'attends des nouvelles de la court. Tout ce que j'en ay peu
y> apprendre, ces jours passez, c'est que l'édict de la paix a
)) esté publié à Paris, qui n'a esté sans grand contredict du
» prévost des marchans. »
Le jour même oii il faisait porter cette lettre à la duchesse de-
Ferrare, l'amiral en expédiait trois autres, l'une au maréchal
de Montmorency, quant à la désignation d'une ville dans
laquelle sa compagnie tiendrait désormais garnison ^ ; la se-
conde au prince de Portien, sur le mandat confié à un mes-
sager spécial ^ ; la troisième à Catherine de Médicis, contenant
une plainte relative à un fait d'une extrême gravité, et, de plus,.
1. Lettre du 31 mai 1563. Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 3256, f" lU.
2. Lettre du 31 mai 1563. Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 3197, f" 12.
3. Lettre du 31 mai 1563. Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 3196, f° 17. —Ce même
jour, 31 mai, d'Andelot, avant de partir de Châtillon, avait adressé au prince
de Portien les lignes suivantes (Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 3196, f» 18) qui
prouvent en quelle baute estime, lui aussi, il le tenait : « J'ay reçu l'honnesle
» lettre qu'il vous a plu m'escrire par Boudeville, et ne sçaurois asse2 vous-
» remercier des offres que vous me faites; vous priant affectueusement vou-
» loir croire de ma part, qu'il n'y a gentilbomme en ce royaulme qui de
» meilleure volonté s'employastà vous faire plaisir et service que moy, qui ne
» veulx obmetlre à vous dire que vous estes tellemerit honoré et réputé d'ung-
» chascun pour voz déportements vertueux, que vous ne devez vous lasser de
» continuer à si bien faire. » .
— 273 —
touchant, en un point, à la situation personnelle de Coligny.
En voici la teneur * :
« Madame, avec la commodité de M. de Boucard, qui est
3) passé par ce lieu (Châtillon), retournant de Languedoc pour
y> aller trouver vostre Majesté, je n'ay voullu faillir de vous faire
» entendre comme j'ay esté depuis deux jours adverty que ung
)) homme d'armes de ma compagnie a esté tué en sa maison,
3) près du Mans, luy, sa femme et ses enfans, jusques à son
)) chien ; qui est un acte si cruel et inhumain comme assez
» d'autres qui se font ung chacun jour, mesme contre l'édict
y> du roy et les promesses de suretez données, qu'il ne doibt
0 estre toléré entre chrestiens ; et se semble tant par là que par
y> autres démonstrations de mauvaise volonté faites contre moy,
)) qu'on essaye par tous moyens de s'adresser à moy et aux
» miens ; vous supliant très humblement vouloir commander,
y> madame, qu'il m'en soit fait raison et justice, et faire par là
» cognoistre à tels perturbateurs du repos public que telz actes
y> vous desplaisent. — Au demeurant, madame, ayant eu assez
y> d'affaires, ceste année passée, et estant maintenant retiré en
)) ma maison, où j'ay trouvé toutes choses si descousues et en
» si mauvais ordre, que j'ay bien besoin d'y entendre et pourvoir
» (comme vostre Majesté considérera, s'il luy plait), je la sup-
» plieray, à ceste cause, très humblement de vouloir com-
» mander que je soys payé de ce qui m'est deu de mes estats et
» pensions, et commander à M. de Gonnort qu'il regarde à m'en
y> faire assigner, ensemble ne trouver mauvais que le protono-
» taire du Mesnil se présente à vostre Majesté pour cest effect,
» suy vaut la charge que je luy en ay donnée de s'y adresser et
)) vous en requérir de ma part, y)
Notons ici que le même grand dignitaire de la couronne qui,
sans amertume, appelait l'attention de Catherine sur le retard
1. Lellre du 31 mai 1563. Bib). nat. niss. f. fr. vol. 15,875 f» 523.
11. 18
— 274 —
indûment apporté au payement « de ce qui lui était dû de
ses estats et pensions », se relâchait volontiers, en matière
financière, de ses droits de seigneur souverain, et usait, vis-à-
vis de ses vassaux, de ménagements paternels dont nous trou-
vons la preuve dans un document qui mérite d'autant moins
d'échapper à l'oubli, qu'il reproduit le langage de l'amiral
lui-même. Il y est dit* :
« Gaspard, conte de Goulligny, etc., etc., à nostre très cher et
3> très amé cousin, françois de Nancuyse, seigneur de Beaufort,
» et gouverneur pour nous de nos dites seigneuries de delà la
)) Sosne, salut et dilection. — Gomme nos subjectz en icelles
» noz terres et seigneuries souveraines soient tenuz de tout
» temps et ancienneté de nous paier tailles ordinaires, si est-ce
)) que nous, ayant esgard à les soulager et traicter libérallement
» et gratieusement le plus qu'il nous a esté possible, n'avons
» pas accoustumé exiger et lever sur eulx, à la rigueur desdites
)) tailles, tous les ans, ains par quelques années, pour les
)) supporter ne leur en avons demandé aulcune chose ; et toutes-
» fois il est bien raisonnable qu'un chacun seigneur jouysse à
» tout le moins par quelques intervalles de temps non trop
)) long de tous les droictz à luy appartenant, quand ne seroit
» que pour ne se faire tort et préjudice par la trop longue
)) discontinuation de la jouissance; pour laquelle cause, et
T) aussy à raison des graves affaires et excessives despences
)) que nous avons eu puys quelque temps en çà, nous avons
)) advisé de prendre et lever une taille sur nos dictz subjects
)) de noz terres et seigneuries souveraines, en ceste présente
» année; et, à ceste fin, nous à plain confians de vostre
» personne et de voz sens, grande suffisance, loyaulté, pru-
D d'hommie, diligence, cognoissance et expérience en noz af-
» faires desdits pays, vous avons commis, ordonné et député,
\. Bibl. nat. mss. cabinet des titres. V. Colignv.
— ^ 275 —
» commettons, ordonnons et députons par ces présentes pour,
3 appeliez avecques vous noz officiers en nos dictes seigneuries
y> de Beauvoir, Beaupont, Montjuictz et Soubzlamaison, et quel-
> ques-uns des plus notables et apparens habitans d'icelles, .
» faire imposer, asseoir et départir ladite taille le plus égalle-
:> ment et commodément que faire se pourra, le fort portant le
» foible, ainsy qu'est de raison, par trois ou quatre entre eulx,
)) lesquelz à ce faire seront esleuz et nommez par la commune
» et à l'élection et nomination d'icelle commune ordonnez et
y> députez par vous, pour vacquer à faire ladicte assiette,
)) département, jusques à la somme de deux cens livres tour-
y> nois paiable à deux termes, dont le premier sera le premier
» jour d'apvril prochain venant, et le second le premier jour
» d'aoùst prochain ensuivant, es mains de M. Claude Vougy,
y> nostre chastellain audit Chevigna, ou tel autre que vous
y> aviserez bon estre, et lequel à ce faire par vous commis; et,
» pour ce que nous avons esté advertiz que aulcunes personnes
» ecclésiastiques ont acquis des biens et héritages en nos dites
» seigneuries souveraines de gens laïz, ce qui tourneroit à plus
y> grande foule et charge de noz aultres subjectz, si lesdictz
» gens d'église n'estoient pour le regard desdits biens et héri-
y> taiges par eulx acquis de gens laïz imposez et cottisez pour la
ï) levée de ladite taille aussi bien que les aultres, nous voulons
)) et entendons que pour telz biens et héritaiges ilz soient tail-
» labiés aussy et à la mesme raison que noz aultres subjectz.
3) De ce faict nous vous avons donné et donnons pouvoir, puis-
» sance, autorité et commission spéciale. Mandons et com-
» mandons à tous nos justiciers, officiers et subjectz, que à
» vous, en tout ce qui concerne l'exécution de ceste présente
y> commission ilz entendent et obéissent et fassent entendre et
» obéir de tous et chascun, etc., etc., donné à Ghastillon, le
» 6" jour de février 1564. »
Les relations de l'amiral avec Renée de France étaient basées
— 276 —
sur une estime et une confiance réciproques : aussi, peu de
temps après le départ de d'Andelot, Coligny n'hésita-t-il pas à
appeler la bienveillante attention de cette princesse sur la
répression nécessaire de certains faits dont quelques-uns de
ses sujets s'étaient rendus coupables, au détriment de d'An-
delot. Déjà, le 28 mai, celui-ci et son frère avaient conjoin-
tement écrit, de Châtillon, à Renée * : « Madame, suyvant la
)) bonne volonté qu'il vous plaist nous démonstrer, dont nous
y> ne sçaurions assez très humblement vous remercier, nous
» vous supplions faire paroistre si ceux de Montargis ont bien
» ou mal faict de s'estre portez de telle façon à l'endroict d'ung
y> qui vous est si très humble serviteur. Quant à en escrire à
y> la cour, nous n'obmecterons', à la première occasion, de le
s faire entendre à la royne; mais d'autant que ce sont vos
» subjectz et qu'ils vous doibvent la première obéissance, nous
)) n'avons voulu faillir de nous en plaindre premièrement, à
» vous, madame. »
La duchesse s'étant obligeamment mise, en quelque sorte,
à là disposition des deux frères, quant à l'adoption d'une voie
à suivre pour qu'il fût fait droit à leur réclamation, l'amiral
lui répondit, en juin^: « Madame, j'ay reçeu la lettre qu'il
» vous a pieu m'escrire par ce porteur, et ne sçaurois assez
3) vous remercier de tant d'honneur et démonstration de bonne
» volonté qu'il vous a pieu me faire et faictes, ung chacun jour;
)) vous supliant au reste, madame, de me vouloir avoir pour
y> excusé, si je ne vous donne aucun conseil ny advis sur
)) le tort qui a esté faict par vos subjectz de Montargis à
)) M. d'Andelot, mon frère, ne le pouvant bonnement faire
» pour ceste chose qui ne me touche pas moins qu'à luy.
y> Et pour en parler selon leurs déportemens et la consé-
y> quence et exemple qu'apportent telles façons à tous les
1. Bibl. nat. iiiss. f. fr. vol. 3259, f„ 27.
2. Hibl. nat. inss. f. fr. vol. 3256, f° 112.
— 277 —
» autres, desquels on n'oyt autre chose que cruaultez et inhu-
» manitez tendant à troubler ung repos 'public dont l'entre-
y> tenement est si nécessaire en ce royaume, attendu aussy la
» bonne volonté qu'ilz ne peuvent ignorer que vous ne faciez
)) assez paroistre nous porter, on ne pourroit dire autre chose
» sinon qu'ung chastiment exemplaire, faict mesmement soubz
» vostre auctorité, feroit beaucoup de proffit en ce royaume
» pour réprimer telz séditieux qui peuvent estre cause de
y> beaucoup de troubles et inconvéniens, comme vous pouvez
y> trop mieux juger, madame. »
Aux actes de violence signalés à Catherine et à Renée par
Coligny et par d'Andelot comme symptômes de la haine
aveugle dont chacun d'eux était l'objet, s'ajoutaient parfois
les inqualifiables procédés de certains personnages hostiles à
l'amiral et à ses frères. En voici une preuve, en ce qui con-
cerne Odet, dans les faits que retracent ces lignes, adressées
le il juin, par Coligny au maréchal de Montmorency, gou-
verneur de la capitale ^ : « J'ay entendu que M. le cardinal de
y> Guyse loge en une maison, à Paris, près du Louvre, qui est
» à M. le cardinal de Chastillon, où il loge le plus souvent
)) quand il est à Paris, et mesmes quand le roy est audit
» Louvre, en laquelle il retire ses meubles, dont Vaulx, qui
» est à lui, a la garde; et pour ce, je vous supplye de faire
y> tant que ledit logement soit exempt, et qu'il n'y loge plus
» personne, et en parler à la royne, s'il en est besoing. Je ne
)) vous escripts point les insolences que les gens de mondit
y> sieur le cardinal de Guyse font dedans ledit logis. y>
Dans sa retraite de Châtillon, l'amiral, tout en veillant avec
sollicitude aux intérêts des membres de sa famille, en corres-
pondant avec ses amis, et en suivant la marche .des affaires
publiques, se préoccupait constamment de la situation de ses
1. Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 31,179, f*41.
— 278 —
coreligionnaires. Il leur avait immédiatement donné l'exemple
de la soumission aux dispositions de l'édit d'Amboise, et il
tenait à ce qu'on leur rendît cette justice, que, dès le premier
moment, ils l'avaient loyalement exécuté, en déposant les
armes, en renonçant à l'emploi des troupes étrangères, en
restituant toutes les villes et places par eux occupées ; et que,
chaque jour encore, ils l'exécutaient, en se soumettant, quant
à l'exercice de leur culte, aux dispositions restrictives qu'il
formulait. Leur désintéressement, dans l'accomplissement de
ces faits caractéristiques, était d'autant plus grand que, loin
d'avoir obtenu, pour leur propre sûreté, un gage quelconque
de la sincérité des promesses de l'autorité supérieure à leur
égard, ils se trouvaient livrés à la merci et aux haines impla-
cables des hommes de parti qui répudiaient l'édit d'Amboise
dans son principe et dans ses applications. Plus, ainsi, la con-
dition des réformés était précaire, plus Goligny, dès les pre-
miers jours, s'était fait un devoir de prendre en main la
défense de leurs légitimes intérêts; noble et difficile mission,
dont, ainsi que l'histoire en fait foi, il s'acquitta constamment
avec l'énergie d'un inébranlable dévouement.
Calvin, pour sa part, avait si bien vu l'amiral se consacrer,
de coeur, à cette mission généreuse, que, s'appuyant sur la
correspondance qu'il s'honorait d'entretenir avec lui, il avait
dit à Crussol, peu de temps après la promulgation de l'édit
d'Amboise*: « J'ay respondu à M. l'admirai, le priant plus
y> privément de tenir la main à beaucoup de choses, non pas
)) tant pour besoin qu'il ait d'estre picqué, que pour ce qu'il
5) m'avait requis ae ce faire. » Dans la pensée de Calvin, de
même que dans celle de l'amiral, ce qu'il fallait alors,
c'était (( q^i'on fît valoir avec authorité ce qui avait esté
» conclud à l'advantage des fidèles, afin que la paix ne fût
i. Lettres franc, t. II, p. 500. 7 maiMSeS.
— 279 —
)> pas comme un corps sans âme; car l'expérience avai
y> monstre par cy-devant combien les ennemis de Dieu étaient
:» hardis entrepreneurs à mal faire, si on ne leur résistait
j) vivement * . »
Des commissaires avaient été envoyés, au nom du roi,
dans les provinces, pour y faire exécuter l'édit^: mais leur
action demeura trop souvent inefficace. Il en fut ainsi, notam-
ment en I<anguedoc, où Damville, en l'absence du connétable
de Montmorency, son père, était investi des fonctions de gou-
verneur. Voici comment, au dire de de Thou " , il exerçait ces
fonctions :
(( Les protestans se plaignaient hautement de ce qu'il ne
ï> leur rendait pas justice, dans la manière dont il faisait
y> exécuter l'édit de pacification. En effet, après en avoir cora-
ï> muniqué avec le parlement de Toulouse, leur ennemi dé-
y> claré, il entrait, les armes à la main, dans toutes les villes
» dont ils s'étaient depuis peu rendus maîtres, il posait des
» corps de garde aux portes, il faisait arborer des enseignes
y> sur les murs, comme s'il les eût prises par force; il faisait
j) porter toutes les armes, même les épées, aux hôtels de
i> ville ; et afin de n'être pas trompé, il envoyait fouiller très
)) exactement dans les maisons des relis^ionnaires. Il en fil
y> fouetter un à Nîmes, pour n'avoir pas obéi assez prompte-
y> ment. — Les protestans avaient établi, dans les villes
» dont ils étaient maîtres, une louable coutume, observée
y> par tous les juges, de prier Dieu avant que de rien com-
» mencer : Damville défendit cet usage. Un juge, nommé
» Galver, lui ayant dit : Qui est-ce qui nous enseignera les
i. Lettres franc, t. H, p. 509. 10 mai 1563.
2. Voir dans le recueil de Fontanon, t. IV, p. 274 à 276, la commission du
18 juin 1563 * Expédiée par le roy pour.envoyer par les provinces du royaume
> certains commissaires pour faire entretenir l'édit et traité sur la pacification
> des troubles advenus en iceluy. »
3. Hist. univ. t. m, p. 410, 411.
— 280 —
3> voies de la justice, et de qui recevrons-nous les secours
» nécessaires pour la rendre, si nous n'invoquons pas le
» nom de Dieu? Damville répondit que, s'ils voulaient bien
» s'assujétir eux et leurs sectaires à cette coutume de prier,
)) le roi ne voulait pas imposer ce fardeau à ceux qui ne
» s'embarrassaient pas de leurs coutumes. — La licence
» des gens de Damville était effrénée et insupportable : une
ï) troupe de cavaliers d'Albanie et d'Esclavonie, qu'il avait
)) toujours à ses ordres, faisait le dégât dans la campagne
y> comme dans un pays ennemi, en temps de guerre. Dam-
» ville au contraire s'abandonnait en jeune homme aux
» plaisirs et à la débauche, comme en temps de paix. Les
y> protestans souffraient tout patiemment et ne se plai-
X» gnaient que des vexations qu'il leur faisait, en interprétant
)) mal l'édit de pacification. — Le roi, par son édit, accordait
)) aux protestans la liberté de tenir leurs prêches dans toutes
)) les villes et lieux où ils s'assemblaient, le 7 mars dernier :
» Damville, en ajoutant la clause : pourvu que les seigneurs
1» des lieux voulussent bien le permettre, rendit cette grâce
2) inutile. — Par le même édit Sa Majesté, en termes exprès,
» accordait à tous la liberté de conscience : Damville ne
» voulait point l'accorder, non seulement aux religieux qui
y> avaient quitté leurs monastères et renoncé à la religion
)) romaine pendant la guerre, mais pas même à ceux qui y
)j avaient renoncé longtemps auparavant; et il voulait les
» obhger à rentrer dans leurs couvents, et à laisser leurs
)) femmes, ou bien il les forçait à quitter leur pays. — Les
» protestans se plaignaient encore de ce que Damville avait
» fait pendre Mouton, ministre d'Usez, qui s'était un peu
)) échappé en prêchant. — Ils envoyèrent, pour porter leurs
)) plaintes en cour, de Glausonne^ assesseur du présidial de
» Nîmes ; mais ayant parlé au roi avec trop de liberté sur
> cette affaire, Anne de Montmorency, qui prenait le parti de
— 281 —
» son fils, le fit mettre en prison. Ce procédé intimida les
y> protestans, et ils n'osèrent presque plus se plaindre. »
L'impunité ainsi assurée à Damville était un triste présage
de celle qui couvrirait des méfaits analogues aux siens, dont
d'autres provinces ne tarderaient pas à devenir le théâtre, et
des actes de violence auxquels se livreraient des populations
fanatiques et sanguinaires. Catherine de Médicis et ses affidés, en
tolérant de tels excès, et en en fomentant d'autres, soit par leur
incurie, soit même par de secrètes instigations, manquaient à
leurs devoirs, à leurs promesses et ne demeuraient, à l'encontre
des réformés, que trop fidèles à une animosité et à des plans
de destruction que la promulgation de l'édit d'Amboise n'avait
nullement infirmés, quant à eux.
Parmi les questions appartenant à la politique internationale
sur lesquelles se portaient, à cette époque, les méditations de
Coligny, s'en rencontrait une, à la solution pacifique de la-
quelle il aspirait : c'était celle de la restitution immédiate du
Havre par Elisabeth. La cour de France avait engagé cette
question sur une base et dans des termes, qui, en étant acceptés
par la reine d'Angleterre, eussent écarté tout conflit à main
armée. Adoptant l'opinion formellement émise par l'amiral, la
cour soutenait que, des -deux parts, on devait s'en tenir à l'exé-
cution pure et simple du traité de Gâteau-cambrésis, Elisabeth
prétendait le contraire ; et telle était l'opiniâtreté de sa résis-
tance à l'application de ce traité, qu'on avait du depuis quel-
ques semaines, se préparer, activement en France, à recourir
à l'emploi de la force pour expulser du Havre ses troupes, lors-
que Condé, qui partageait l'opinion de Coligny, tenta vis à vis
de cette princesse une démarche de conciliation, en lui écrivant
le 26 juin \ avec l'assentiment de Catherine de Médicis :
1. Record office, State papers. France, vol. 33. — De Laferrière, le xvy siècle
et les Valois, p. 141.
— 282 —
(( Madame, après avoir leu les lettres qu'il a pieu à vQstre
» majesté m'écrire par les sieurs Dannet et de Lahaye, et en-
» tendu d'eux bien au long ce qu'ils avaient charge de me dire
y> de vostre part sur la pacification du différent qui se présente
» entre le roy monseigneur et vous, j'ay pensé, veu la consé-
y> quence grande que peut attirer api'ès soy une telle division,
y> qu'il esloit trop meilleur rechercher les iBoiens de venir à
» une amiable composition, que de tenter le hasard d'un triste
» événement des armes, qui a esté occasion que, sur la propo-
» sition que m'a faicte ledict sieur Dannet, je luy en ay mis en
y> avant une auti'e qui ne me semble moins raisonnable, pour la
D conservation de l'un et de l'autre estât de voz ma|estez que
» très propre pour satisfaire à ce que voz subjectz pourroient
y> objecter de leur interest publicq, qui est que, s'il plaist à vostre
y> majesté envoler pouvoir et tant m'honorer que de vouloir
y> que je requière, en vostre nom, au roy mondict seigneur que,
y> lorsqu'il sera parvenu en aage de majorité, il ratiffie et ap-
» prouve, face ratiffier et approuver tant par la royne sa mère,
3) les princes du sang, seigneurs de son conseil privé, et par
)) toutes ses courts de parlement le contenu au traicté de Cam-
» brésis, je m'efforcerayy rendre tout debvoir et mettre autant
» que je pourray pour luy faire trouver bon, m'estant advis que,
» ce faisant, tous soubçons et mauvaises opinions seront ef-
)) facées, les anciennes amitiez seront d'autant plus confirmées
)) et renouées, que nos voisins, qui n'attendent autre plaisir
y> que d'estre spectateurs de nostre commung malheur, perdront
)) l'espérance de profiter de noz dépouilles; et avecques ce,
» madame, vostre majesté ne sera aucunement blasmée en la
y> sincérité de vos actions, quand chacun cognoistra que la
y> gloire de Dieu et l'affection de secourir le roy, vostre bon
)) frère, ont esté la seule cause de vous faire prendre les armes;
» en quoy l'obligation de ceux qui ont reçu le fruict augmen-
» tera davantage le cours de vostre réputation, et moy parti-
— 283 —
y> culièrement m'en iiendray plus estroictement vostre attenu,
j) pour en tous aultres endroicts na' employer à vous faire ser-
» vice du mesme cœur que je supplie ce bon Dieu vous donner
» madame, en heureuse prospérité, ce que trop mieulx saurez
» désirer. »
Elisabeth ne tint aucun compte de cette letti^e, inspirée par
un noble sentiment, et persista dans des prétentions qui don-
naient un éclatant démenti à ses fwotestations antérieures de
désintéressement, de zèle religieux et de sympathique assi-
stance.
Vainement, le 3 juillet, son ambassadeur en France, Smith,
conjura-t-il l'amiral de lui venir en aide : Coligny ne put que
se référer à l'opinion qu'il avait précédemment émise et qu'ex-
primer la sincérité de ses vœux pour le maintien de la paix,
par ces simples paroles ^ : « Monsieur, j'ay reçu la lettre que
» m'avez escripte par le sieur de Middlemore, présent porteur,
» et entendu de luy les propos que vous luy avez donné charge
» de me dire touchant les choses qui sont passées entre vostre
» nation et la nostre par quelque temps en çà, et le désir que
y> vous avez que nous demeurions en bonne paix les uns avec-
y> ques les autres. Et aussi est-ce une chose grandement à de-
y> sirer de tous gens de bien et pour laquelle obtenir tous ceux
» qui en sont en lieu de pouvoir servir se doibvent employer
» comme je veoy que vous estes disposé de faire de vostre
» costé, vous priant de croire que, aussi du mien, je m'em-
■» ploieray volontiers k cela par tous les moyens que j'en pourray
y> avoir, ainsy que j'ai prié ledit sieur de Middlemore vous dire
2> plus amplement, suivant ce que je luy ay communiqué, etc. y>
Vainement encore, le 5 juillet, Elisabeth, revenant sur ses
déclarations antérieures, allégua-t-elle n'avoir jamais dit qu'elle
ne restituerait point le Havre, tant qu'on ne lui aurait pas rendu
1. Record office, stale papers. France, vol. 34. — De Lafei'rière,ilexvi* siècle
et les Valois, p. 142.
— 284 ~
Calais, mais avoir dit simplement : « A moins qu'on ne lui
eût rendu raison pour Calais *; y> Cette déclaration, qui d'ail-
leurs justifiait implicitement l'opinion émise par Tamiral et
partagée par la cour de France, de même que par Condé, était
beaucoup trop tardive, et le lendemain du jour où elle fut faite
s'ouvrirent les hostilités.
Coligny et d'Andelot n'y prirent aucun part. Les deux frères
étaient en juillet ^ réunis de nouveau l'un à l'autre, au château
de Châtillon-sur-Loing, lorsque Odet vint les y rejoindre ^, et
s'associer aux témoignages d'affection et de sollicitude dont ils
entouraient Charlotte de Laval, gravement malade, en ce mo-
ment. La pieuse compagne de l'amiral commençait à se ré-
tablir, quand elle reçut de Calvin les lignes suivantes * :
« Madame, je rends grâces à Dieu de ce qu'il vous a remise
y> en convalescence d'un mal qui estoit bien à craindre comme
)) mortel, combien que je n'aye point esté en soucy pour ce danger
j) particulier. Toutesfois je n'aypoint laissé d'avoir eu mémoire
» de vous ; car c'est bien raison que, tant monseigneur l'amiral
3) que vous, soiez recommandez à tous vrays serviteurs de Dieu,
!. « We never usedsuch kind of speche as we wold never deliver newhaven
)) oxcept we might hâve callice presently, but the phrase of our speche has
5) been : except we had reason rendred us for callice, so as the one or the
» other may be answerable for our honour. » (State papers office. France. Queen
> Elisabeth to sir Th. Smith. 5 july 1563. — Hist. des pr. de Condé, t. I,
p. 501).
2. Calend. of. state pap. foreign. occurrences in France : « The admirai
» remains at his house, at Chàtillon, with bis brother d'Andelot quietly. >
6 juillet 1563. — Ibid. Smith to the queen. 8 juillet d563. — Ibid. Middlemore
to cecil, i i juillet 1563 : « The admirai is still at his house. They bave no great
» hope of his coming to the court, net Ihat be is not willing, but because
s Ihey will not bave him corne. The cardinal Chàtillon will be at the court
» shortly together with M. de Soubize. They are with the admirai, and are co-
» ming hither to prépare the way for him to follow. — Voir aussi Brantôme,
t. VI, p. 54, 55.
3. Voir les lettres écrites, de Chàtillon, le 30 juillet 1563, par d'Andelot et
par Odet au prince de Portien. (Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 3,196, f" 29 et 30).
4. Lettres franc, t. II, p. 532, 5 août 1563.
- 285 —
y> au nombre desquels j'espère d'avoir lieu, combien que j'en
)) sois plus qu'indigne... Prenez tant plus de courage pour vous
» emploier au service de Dieu, comme vous considérez très
» bien que c'est pour cela qu'il vous a réservée. Je suis très
y> joyeux que monseigneur l'admirai se délibère d'aller en court,
)) à la première occasion qui s'offrira. J'espère que ce voiage
» servira beaucoup et en diverses sortes, comme nous prierons
» Dieu aussi qu'il le face prospérer. »
Sur ce point, Calvin et Th. de Bèze écrivaient à Coligny ', le
jour même où l'un d'eux s'adressait à madame l'amirale :
« Quant à vous, monsieur, nous remercions Dieu de ce que
» vous estes résolu, sitost que M. le comte (de Larochefou-
y> cauld), après estre arrivé en court, vous aura mandé qu'il n'y
» fait pas trop maulvais, de vous achemyner; car on a cogneu
» par vostre absence combien il eust été profitable que vous
y> y fussiez tousjours demeuré, et mesme il semble que tout
)) doibve aller de mal en pis, si Dieu n'y pourvoit bientost, ce
» que nous espérons qu'il fera, par vostre moyen. Ainsy estant
» persuadez qu'il vous a réservé à cest usage nous vous prions,
y> monsieur, tant qu'il nous est possible, de ne laisser passer la
» moindre occasion que ce soit, car vostre face, quoy qu'il en
» soyt, estonnera vos ennemys. »
Le moment n'était pas encore venu pour Coligny de retourner
à la cour : le cardinal de Châtillon seul y fut appelé par Cathe-
rine de Médicis, alors que le Havre venait d'être repris sur les
anglais et qu'elle se disposait à faire, avec le jeune roi, son fils,
une entrée solennelle à Rouen. L'invitation qu'elle adressa,
d'Estalan, le 4 août àOdet * était assez pressante, «c Mon cousin
» lui disait-elle, afin que vous puissiez plus commodément nous
» venir trouver et hors de tout empeschement, j 'envoyé ce por-
1. Lettres franc, t. Il, p. 528, 5 août 1563.
"2. Du Bouchet, hist. de la maison de Coligny, p. il 4.
— 286 —
> teur, huissier de la chambre du roy monsieur mon fils devers
» vous avecques lettres pour commander et ordonner de par luy en
3) toutes villes où vous voudrez passer, qu'elles vous soient ou-
y> vertes, et puissiez entrer et sortir en toute liberté : encores que
» j'estime qu'il n'y en aura point qui face difficulté, moyennant
» que ce soit avec vostre train ordinaire, dont je vous prie bien
» fort, afin de leur oster toute occasion de soupçon. Que si
y> tout le monde estoit bien sage il n'y en auroit point, estant
)) asseurée que vous serez le bien venu. »
Odet ne fut que trop bien accueilli à la cour, au dire de
l'ambassadeur d'Espagne, Ghantonnay, qui, le 17 août, fit part
de ses impressions à Granvelle, en ces termes, empreints de
l'amertume habituelle de son langage * : « Le prince de
» Condé et le cardinal de Ghastillon arrivèrent à Rouen, le
^> lendemain de l'entrée du roi, suivis de plus de cinq cens che-
3) vaux, car tous ceux de la faction des huguenots sortirent en
)) mules et chevaux de louage : ils ont fait vives instances
)) d'avoir presches en ce lieu; ce qui ne fut accordé. La faute
» de tout cecy est à la royne qui n'achève de se déclarer du
)) tout de l'un des costés ; et, comme le connestable qui est
y> tout aveugle sur la grandeur de sa maison et du prince de
» Condé qui en est comme dépendant, qui ne bride ni contre-
» dit au cardinal (de Ghastillon), lequel est plus brave et inso-
y> lent qu'il ne fut oncques, et montre tant qu'il peut que le
)) pouvoir et crédit de ceste cour est entièrement en ceux de sa
» maison, il n'y a homme qui sçeust persuader à la royne, si-
» non qu'il est bien entretenir les protestans et catholiques
» en ce royaume, pour ce qu'il luy semble que ceste division
y> a esté cause de la conservation de son autorité, et est per-
» suadée jusqu'à aujourd'huy que M. de Guyse se voulait em-
)) parer de ce royaume; chose absurde. Vray est que, par
1 . Archives de Vienne. Lettres de Cliantonny. — De Laferrière, le xvi* siècle
et les Valois, p. 162, 163.
— 287 —
y> autre part, Ton pourrait dire que, si elle doit monstrer fa-
» veur pour le présent, ce doit être plustost aux protestans
» qu'aux catholiques, pour endormir les huguenots jusqu'à ce
» qu'on se soit saisy de Lyon et de toutes les autres places.
» Toutesfois c'est grand'chose de voir toute ceste cour remplie
y> et farcie d'huguenots Quelquefois la royne a de bons
» tours contre le prince de Gondé et tous les autres, s'il y avoit
y> continuation; mais cela est en ce qui touche l'autorité. y>
Dès qu'il s'agissait du maintien et de la prépondérance de
son propre pouvoir, Catherine était non moins inflexible que
rusée, dans sa tactique : Condé en fit, à Rouen, la dure expé-
rience. La reddition du Havre ayant eu lieu, ce prince, qui
avait activement concouru aux opérations de l'armée assié-
geante, reçut de la reine mère maintes paroles de congratula-
tion, mais non le titre de lieutenant général du royaume sur
lequel il comptait. Sa déception fut grande lorsque Catherine
réduisit à néant toute prétention de sa part à ce titre, par la
hâte avec laquelle elle amena le parlement de Normandie à
déclarer la majorité du roi.
Remarquons, à l'honneur de Condé, toujours fidèle à ses
oncles, qu'au moment où il était ainsi évincé par Catherine, il
donna à Goligny et à d'Andelot, dont l'appui lui avait été na-
guère si utile, une preuve nouvelle de son attachement et de
sa gratitude, alors surtout qu'ils étaient éloignés de la cour, en
déclarant, à la face de leurs envieux et de leurs ennemis, qu'il
couvrait de sa responsabilité tous leurs actes, depuis la prise
d'armes en 1562 jusqu'à la paix d'Amboise en 1563. Voici
sa déclaration * : ce Nous, Loys de Bourbon, prince de Condé,
•» suffisamment records, instruit et adverty de tout ce qui s'est
)) fait et passé es entreprises et expéditions dressées et conduites
» en ce royaume et ailleurs durant les guerres civiles, et de
1. Hotmail, vie de Goligny, trad. in 4°. Amsterdam, 1644, annotations, p. 46.
— 288 —
» l'occasion d'icelles, qui ont eu cours en ce dict royaume
» depuis le commencement de l'année 1562 jusqu'à la fm d'i-
» celle ou environ, certifions, déclarons et reconnaissons que
y> tout ce qui a esté faict, géré, manié et négocié en ce regard
)) par nos chers et bien-aimés oncles, le sieur de Chastillon,
» amiral de France, et le sieur d'Andelot, frères, chevaliers de
» l'ordre du roy, monseigneur, et jusques après que le traité
y> de paix a esté publié en ce dict royaume, a esté à notre prière
)) et réquision et pour la manutention de notre dignité, autho-
» rite et conservation de nostre maison. Et en tant que de
» besoin serait, ainsi le maintenons et advouons par ces
y> présentes escrites et signées de nostre main et scellées du
]È> scel de nos armes. A Falaize, le 30" jour d'aoust 1563. »
Dans le lit de justice tenu au parlement de Rouen, dont
l'objet principal était la déclaration de majorité du roi, l'édit
d'Amboise fut expressément confirmé; et, lorsque le parlement
de Paris, mis en demeure, en septembre, d'enregistrer la dé-
cision royale, intervenue à Rouen, se plaignit dans d'amères
remontrances, non seulement de ce que ses prérogatives avaient
été méconnues, mais aussi de ce que le roi majeur maintenait
la coexistence de deux religions en France, le souverain écarta
les remontrances par ces fermes paroles, que le parti catholique
prétendait * « estre venues de la boutique de M. le chance-
» lier H) : — ce Je vous veux dire que ne continuiès plus à
» faire comme avés accoustumé, en ma minorité, de vous mes-
» 1er de ce qui ne vous appartient et ne debvés, et qu'à ceste
y> heure que je suis en ma majorité, je ne veux plus que vous
)) vous mesliés que de faire bonne et briefve justice à mes sub-
» jectz; car les roys mes prédécesseurs ne vous ont mis au lieu
y> où vous estes tous que pour cest effect, et non pour vous faire
y> ny mes tuteurs, ny protecteurs du royaume -. » Sans se lais-
i. Mém. (le Coudé, t. I, p. 135.
2. Mém. (le Gondé, t. 1. p. 135.
— 289 —
ser intimider par cette allocution, le parlement de Paris osa
formuler de nouvelles remontrances; mais force lui fut enfin
d'obtempérer à la volonté royale.
Avec les éclats turbulents du parlement de Paris, coïncida
à cette époque, dans les menées des Guises, dirigées contre
Coligny \ une recrudescence, qu'un contemporain signalait
en ces termes ^ :
(( Les sieurs de Guyse, soit que la douleur et passion ne
y> leur permist différer plus longuement la poursuite contre
y> M. l'admirai, ou que, comme aucuns estiment, leur naturel
)) soit d'estre impatients de repos et de voir passer les choses
)) sans quelque remuement ou nouvelles entreprises, délibérè-
)) rent de faire une grande assemblée, tant de leurs parens que
y> de tous autres qu'ils pourraient amasser pour en estre
» accompagnez; pour cest effet, employèrent les mois d'août
» et de septembre à recercher, voir et mander, princes, sei-
)) gneurs, gentilshommes, capitaines et soldatz de toutes parts,
)) tant subjectz du roy qu'estrangers, en intention de venir avec
» un grand préparatif et cérémonie demander justice de la
j) mort du feu duc de Guyse, en la cour de parlement, toutes
> les chambres assemblées, le roy séant en son lict de justice
y> à Paris, où néantmoins sa majesté ne put arriver au temps
3) qu'ils avaient projeté, à l'occasion de la maladie de la royne
» survenue à Meulan ^, durant laquelle et lors mesmement
i . < Nisi propediem regina a Guysianis desciscat, erumpent de integro for-
midolosi motus. Quid consilii agitet admiraldus nescio. In literis quas heri
2» recepi magnam securitatem prge se fert. (Galviaus BuUingero, octob. 1363.
î op. Calvini vol. 20, n» 4 031, p. 166.
3. Mém. de Condé, t. V, g. 23.
4. Mém. de Gaslelnau, liv. V, chap. iv : c La reine-mère estoit tombée d'un
fort tranquenart qu'elle montoii, si rudement que l'on pensoit qu'elle eu dust
mourir, comme elle en fut â l'extrémité. » — Le 15 septembre, le connétable
> écrivait, de Meulan, à l'un de ses fds (Bibl. nat. mss. f. fr, vol. 20,500,
f" 3) : « La royne ne peult encores bouger d'icy de deux ou trois jours, d'autant
» qu'elle se trouve bien mal. » — Gharles IX écrivait également de Meulan a
II. 19
— 290 —
)) que sa majesté estoit au fort de son mal, le bruit esloit
y> commun, et non sans apparence, que les dits sieurs de
y> Guyse avoient délibéré, si la mort de ladite dame fust ensuy-
3) vie, d'employer leurs forces à se saisir de la personne du
» roy et l'emmener à Paris; et encore depuys il a esté sçeu
y> pour vérité que plusieurs practiques s'estoient faictes de leur
y> part, avec les principaux de ladite ville, jusques à avoir esté
» mis en avant et offert par lesdits parisiens de fournir quinze
» mille hommes de pied et huit cents chevaux pour l'exécution
» de ladite entreprise, laquelle fut rompue par la bonté de Dieu,
» qui rendit la santé à cette princesse si sage et nécessaire en
» ce temps pour le bien des affaires du roy et pour le repos com-
y> mun. Cependant M. de Vaudémont s'ennuyait à Paris, lequel
» ils avaient fait venir tant par belles paroles que par importu-
» nitez pour les assister et accompagner; et quelque peine
» qu'ils eussent mis d'assembler gens, leur troupe estoit au
» reste assez petite, sans les soldatz levez pour leur garde, en-
» tretenuz par ceux de leurs gouvernements, et leurs compa-
D gnies de gens d'armes qu'ils avoient fait passer de gouver-
» nement en autre, les faisant vivre à discrétion, loger par
» étiquette, et porter armes descouvertes et deffendues tant par
)) l'édit delà majorité du roy fraîchement publié à Rouen, que
)) par lesdites deffences, dont déjà il estoit venu à la cour de
3) si grandes plaintes, qu'il estoit temps de les employer. Cela
» fut cause qu'ils se hastèrent de venir trouver leurs majestez
» audict Meulan. »
Tel fut le prologue d'une scène qui allait se dérouler dans
cette petite ville, et qu'un appareil théâtral dépouillait d'avance
de toute dignité.
Damville, le 26 septembre (Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 3 202, fo 9) : « La royne
■» madame ma mère a esté, ces jom-s passés, bien fort malade d'une chute de
î cheval dont elle s'estoit blessée en la teste ; mais Dieu a eu pitié de moy et
î de mon royaume, et la nous conserve pour ceste foys, estant en tel «stat,
» que j'espère, elle partira de ce lieu dans quatre ou cinq jours. »
CHAPITRE II
Les Guises, à Meulan. — Ils demandent au roi Tautorisation de poursuivre les meur-
triers du duc François. — Évocation de l'affaire au grand conseil. — Nouvelle re-
quête des guises. — Lettre du roi à Coligny et à ses frères. — Lettre et remontrance
adressées au roi par les trois Chàtillons. — Leur séjour auprès du roi, au Louvre. —
Seule, la duchesse de Guise se porte partie contre l'amiral, qu'elle prétend pouvoir
poursuivre devant la juridiction ordinaire. — Goligny combat cette prétention, et se
réserve le droit de se constituer accusateur, à son tour. — Le roi retient à lui la con-
naissance du litige soulevé par la maison de Guise contre l'amiral, et surseoit à statuer
jusqu'à l'expiration d'un délai de trois ans. — Motifs qui ont porté Catherine à pro-
voquer le sursis. — Coligny revient à Châtillon. — Mauvais vouloir et duplicité de
-Catherine à l'égard des réformés. — Atteintes portées à l'édit de pacification par
diverses déclarations royales. — Animosité des gouverneurs des provinces, des
parlements, des juridictions subalternes, et des agents de l'autorité supérieure contre
les réformés. — Coligny élève la voix en faveur des opprimés. — Vaine promesse
de Catherine, que justice sera faite. — Catherine projeté une longue tournée en
France, afin de se rendre compte de l'état des réformés, dans les provinces, et d'or-
ganiser sur de larges bases le système de compression qui, selon elle, devra néces-
sairement, un jour, entraîner dans toute l'étendue du royaume, l'anéantissement de
la réforme et de ses sectateurs.
Le 26 septembre 1563, arrivèrent à Meulan, la mère, la
veuve, les enfants et les frères du feu duc de Guise. Tous por-
taient des vêtements de deuil. Introduits en la présence du roi,
ils se jetèrent à ses pieds et le conjurèrent de « permettre à
» eulx supplians faire poursuite, dès maintenant, du meurtre
9 commis, aux lieux et devant les juges qu'il appartiendrait ; et
» mander et ordonner estre procédé tant à l'instruction que
» deffmition contre ceulx qui s'en trouveroient chargés et
» coulpables ^ ». Ils reçurent un accueil bienveillant du roi,
i . Mém. de Condé, IV p. 668.
-- 292 —
qui, par décision rendue, le même jour, en séance du conseil
privé, « leur permit de poursuivre en justice, pour le faict du
)) meurtre par devant les juges des pairs de France, lieutenans-
)) généraux de sa majesté, où la cognoissance de ladicte cause
y> en appartiendrait ^ »
Le cardinal de Châtillon, qui se trouvait alors à Meulan, pré-
senta aussitôt, en plein conseil, au nom de ses frères absens,
pour lesquels il se portait fort, une requête ^ tendant à ce que
(c la cognoissance de toutes leurs causes, tant civiles que crimi-
» nelles, mues et à mouvoir, soit en demandant ou en défen-
» dant, fûst interdite à ceulx de la cour de parlement de Paris,
)) qui jà, avoient esté récusez par ses dits frères, et qui par tant
)) de préjugés s'estoient déclarez leurs ennemis capitaux. »
Cette requête « ayant esté mise en délibération du conseil,
» fut trouvée si raisonnable, qu'à ladicte cour fut interdite la
)) cognoissance desdictes causes, et icelles évoquées à la per-
3) sonne du roy, et renvoyée en son grand conseil ^. »
L'évocation au grand conseil, en excluant le parlement de
Paris du droit de connaître de ces causes, en excluait aussi,
virtuellement, tous les autres parlements du royaume. Les
Guises, sans tenir compte de cette élimination, demandèrent,
dans de nouvelles requêtes, que la connaissance des poursuites
qu'ils voulaient exercer fût attribuée à l'un des quatre parle-
ments de Toulouse, de Bordeaux, de Dijon ou de Rouen, et
ajoutèrent qu'ils n'entendaient nullement se départir, d'ailleurs,
de la juridiction du parlement de Paris.
Ces requêtes, dont les conclusions ne pouvaient sérieusement
se soutenir, n'avaient d'autre but que de fatiguer l'amiral et
que d'empêcher qu'il vînt à la cour ^.
1. Mém. de Condé, t. IV, p. 668. — Voir à l'appendice, n„ 24..
2. Bibl. nat. mss. f- fr. vol. 20,46i,fo 81. -^Mém. de Condé, t. V, p. 24, 25.
3. Mém. de Condé, t. V. p 24, 25.
i. Hotman, qui se trouvait alors au château de Chàtillon-sur-Loing, écrivait,
le 3 octobre 1563, au duc An Wurtemberg : « Le roi ne veut plus entendre
— 293 —
Il n'avait pas encore été statué sur leur contenu, lorsque le
roi adressa, le 5 octobre, à Goligny et à ses frères la lettre
suivante * :
«c Mes cousins, pour ce que j'ay ordinairement plusieurs
» plaintes des assemblées qui se font, tant de la part de mes
» cousins, les sieurs de Guise que de la vostre, et que je veoy
» que chacune par là s'excuse sur ce qu'elle dict que ceulx
» qu'elle peut avoir pour ennemys s'arment et accompaignent
» les premiers; et cependant le repos que je désire establir en
» mon royaume s'interrompt, et demeurent beaucoup de choses
y> appartenant à la pacification d'iceluy en désordre et confu-
» sion ; pour obvier à cela, comme je le désire et qu'il est plus
» que nécessaire pour le bien de mon estât, et afin d'oster à
y> mes dits cousins et à vous toute occasion de doubte, deffiance
)) et scrupule, et garder qu'il ne soit procédé, d'une part ny
i) d'autre, au faict de vostre différend par aultre voye que de
» celle de la justice, suivant le commandement que eulx et vous
» en avez eu de moy par cy-devant, j'ay fait présentement (re-
» mettre) par mes dicts cousins en mes mains la promesse dont
» je vous envoie la coppie par le comte de Gharny, chevalier de
» mon ordre et cappitaine de 50 hommes d'armes de mes
» ordonnances, présent porteur, et veulx et entends, mes cou-
ce sins, affin que je demeure asseuré de vostre volonté, comme
» je suis de celle de mesdits cousins, les sieurs de Guise, par
» leur dite promesse, que vous signiez les deux pareilles pro-
» messes que vous présentera ledit comte de Gharny, de ma
ï. parler de prise d'armes ni de nouveaux troubles. S'il faut rendre justice aux
j Guises, il offre le jugement de son conseil privé. Le connétable a pris en
» main la cause de ses neveux. Le cardinal de Châtillon. est ferrt e dans la reli-
» gion. Le prince de Gondé défend avec constance la cause des églises. On ne
> sam'ait croire combien de nobles se joignent à la cause de la religion... Je
» suis avec l'amiral et d'Andelot à Châtillon : Ils sont les courageux patrons et
j défenseurs de notre religion et des églises de France. > (Archives de Stuttgart).
1. Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 20,461, f» 77.
- 294 —
» part, pour les m'apporler, à son retour, et incontinent après
» renvoyer tous ceux qui \ous sont venus trouver pour vous
)) accompaigner, suivant ce que ledit comte de Gharny vous en
y> dira et commandera de ma part plus particulièrement, dont
3) je vous prie le croire comme vous feriez ma propre personne
» et me satisfaire en ce que je vous escriptz, sans y faire aucune
)) difficulté; priant Dieu, mes cousins, qu'il vous ait en sa
3) sainte garde. »
Le modèle de promesse que le comte de Gharny devait faire
signer à l'amiral et à ses frères était ainsi libellé ^ :
ce Nous, Odet, cardinal de Chastillon, Gaspard de Goligny,
)) sieur de Ghastillon, amyral de France, et François de Goli-
» gny, sieur d'Andelot, colonel des gens de guerre à pied fran-
» çois, promettons au roy, nostre souverain seigneur, sur nostre
» honneur et vie, et sur peine d'estre déclarez désobéissans à.
» sa majesté, que, pour raison du différend que nous pour-
)> rions avoir avecq messieurs de la maison de Guise, à l'occa-
)) sion de la mort de feu M. le duc de Guise, nous ne procéde-
2> rons à l'encontre d'eux par aultre voye que jelle de la justice,
» suyvant l'ouverture qu'il a pieu et plaira à sadite majesté nous
» en faire, et le commandement que nous en avons d'elle, sans
.3) par nous ny par noz parentz, amys et serviteurs, ny aultres
» personnages quelconques, procéder ny faire procéder directe-
» ment ou indirectement à l'encontre d'eulx ou aulcuus d'eulx
)) par voye et attemptat d'armes et de forces, ny doresnavant
» nous accompaigner de plus grand nombre que celuy qui est
)) ordinaire à chacun de nous et nécessaire pour nostre ser-
)) vice particulier; et si aulcun attemptast estoit faict à l'en-
)) contre d'eulx ou aulcun d'eulx par nous ou aultre de
y> nostre part, nous en respondrons de noz propres personnes,
1. Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 20, 461, f» 73. — Le modèle de la promesse
que les Guises devaient souscrire était semblable à celui qui fut remis aux
Châtillons. (Voy. Ibid).
— 295 —
3) vyes et biens. En tesmoing de quoy nous avons signé ces
» présentes de noz mains, etc., etc. »
Dès que le comte de Charny, arrivé à Châtillon-sur-Loing,
se fut acquitté de sa mission, les trois frères répondirent en ces
termes, le 8 octobre, à la lettre du roi, datée du 5 * :
(( Sire, nous avons reçeu la lettre qu'il a pieu à vostre ma-
» j esté nous escrire par M. le comte de Charny, par laquelle il
» vous plaist nous faire entendre que vous recevez ordinaire-
» ment plainctes," à vostre grand regret, des assemblées qui se
y> font ; de quoy nous avons ung très grand desplaisir comme
» ceulx qui ne désirent rien plus que de veoir l'establissement
» d'ung bon repoz public et qui n'ont autre but que de suivre
y> entièrement vostre voulloir et intention, et rendre une si
» vraye et entière obéissance à tous les commandemens de
» vostre majesté, qu'elle pourra tousjours congnoistre, s'il luy
» plaist s'en informer plus amplement, que nous n'en sommes
)) autheurs ni coupables. Au demeurant, sire, pour ce que
5) nous ne pourrions signer la promesse que ledit sieur comte
y> nous a apportée, sans nous faire un très grand tort et préju-
» dice, nous supplions très humblement vostre majesté nous
)) vouloir ceste grâce de recevoir les remonstrances et requêtes
)) que sur ce nous vous faisons avec toute humilité, comme vos
)) très humbles et très obéissans subjects et serviteurs, les-
1. Bibl. nat. mss. f. fr. vol 20,461, f" 69. — Voy. ibid. la lettre que, le même
jour, 8 octobre 1563, les trois Châtillons écrivirent à Catherine de lAlédicis. —
A cette date , de Bèze écrivait de Genève à Bullinger : < Guisiani infinitis
» clientibus subnixi minantur se commoturos cœlum et terram potius quam
» cœdem illam, quam optimo et innocentissimo viro (Coligny) imputant, quamvis
> in mediis armis perpetratam ulciscantur. lUe contra domi fortissimese susti-
» net suâ conscientià fretus, nec legitimumjudicium récusât : et adversarios cer-
T) tum est prœtextu illo uti contra conscientiam, ut eum opprimant, quem nunc
> féré eum suis fratribus vident serio causam Christi tueri. Interéa non desunt
» amiralio amici, adeo ut nisi Dorainus miseram Galliam respiciat, hoc sit
5» futurum novi belli incendium. Siquidem certum est nostros jam quoque con-
> venire ut amiralium in optima causa juvent. > (Lettre du 8 octobre 1563,
op. Calvini, vol. 20, n° 4033, p. 167).
— 2Ô6 —
)) quelles nous avons prié M. de BriquemaulL vous présenter,
» lequel il plaira à vostre majesté oyr et croyre de ce qu'il luy
» dira de nostre part comme nous mesmes, qui supplions
» nostre Seigneur voulloir conserver vostre dite majesté, sire,
» en très parfaicte santé et prospérité continuelle. »
A cette lettre était jointe la remontrance suivante * :
(( Ce que messieurs les cardinal de Ghastillon, amyral de
» France, et Dandelot ont prié M. de Briquemault de remons-
» trer de leur part et faire entendre au roy, sur ce que M. le
)) comte de Gharny leur a dict et apporté de la part de sa
)) majesté. »
« Lesdits sieurs cardinal, amyral et Dandelot supplient très
» humblement le roy ne voulloir trouver mauvais si, ayans
» confiance en la bonté et clémence de sa majesté, qui a
» accoustumé d'ouyr bénignement les remon.strances et re-
» questes de ses subjectz et faire distribution égale de justice
)) aux ungs et aux autres, ils ont différé de signer la promesse
j) que M. le comte de Gharny leur a apportée, comme leur
)) estant trop préjudiciable, pour les raisons qu'ils remons-
)) trent à sa majesté avec toute humilité et subjection.
« Et premier, supplient très humblement sadite majesté de
)) ne vouloir adjouster foy aux calomnies de leurs adversaires,
» ains voulloir considérer que ledit sieur amyral par toutes ses
^) actions et déportemens, depuis la pacification des troubles
» passez, tant lorsqu'il arriva à Orléans, au retour de Norman-
» die, que depuis ledit temps jusques à présent, a faict évidem-
» ment cognoistre combien il désire veoir l'establissement du
» repos public et rendre partout une vraye et entière obéis-
» sance aux commandements de sa majesté, comme l'ung de
T> ses très humbles subjectz et serviteurs.
3> Que par l'édict de sa majesté sur ladite pacification, toutes
\. Bibl. nat. mss. f fr. vol. 20 461, f» 61.
— 297 —
» choses advonues durant les troubles demeurans estainctes et
» ensevelies, MM. de Guise ont pris couverture sur une déposi-
» lion variable d'un homme de telle qualité comme estoit Pol-
» trot, de s'adresser audit sieur admirai et commencer une
» querelle avecques luy; sur quoy sa majesté a faict des dé-
» fenses, le 15 de may dernier, aux deux maisons, tant de
)) Guise que de Ghastillon, leurs enfîans, frères, parentz, amys
» et serviteurs, ausquelles ledit sieur amyral ne voulant faillir
J> obéir entièrement, a vescu comme privé en sa maison et s*y
» est contenu avec ordinaire et privée compaignie, sans en rien
» excéder le commandement du roy.
» Que au contraire ceulx de ladite maison de Guise, contreve-
)) nantnon seulement auxdi tes deffences, mais aussy à l'édict
» du roy faict à Rouen, au mois d'aoûst dernier, qui est le pre-
» mier faict depuis qu'il a esté déclaré majeur, nonobstant les
» peines portées par lesdites défenses et édict, ont mandé leurs
)) parents, amys et serviteurs de toutes partz et tous ceulx dont
0 ils ont pensé avoyr ayde et assistance, voire jusques en Alle-
» maigne, comme ledit sieur amyral peut vérifier par aucuns
)) des princes de l'empire qui l'en ont adverty par homme
y> exprez, et comme aussi on a bien esté adverty que, au mesme
;*) temps, le cardinal de Lorraine a escript par deçà à ses amys
» et serviteurs en plusieurs et divers endroicts pour accompai-
» gner ceste assemblée de la maison de Guise, qui faict
» cognoistre la chose avoir esté practiquée de longue main,
» ont en oultre escript et faict part à plusieurs gentilshommes
» et cappitaines de les venir trouver avec leurs armes, che-
» vaux et soldatz, ont faict amas de gens portans armes^ qui ont
)) esté logez par étiquette et vescu à discrétion, comme les
» majestez du roy et de la royne ont esté adverties, estans à
)) Meulan ; ont menasse ouvertement par eulx ou par leurs gens
» ledit sieur amyral, usant contre luy de paroles oultrageuses
» et dict publiquement qu'ils s'assembloient en déhbération
— 298 —
3) de faire eulx mesmes par la force, la justice dudit sieur amy-
» rai, s'ils ne pouvoient obtenir ce qu'ilz demandoient, et en
» cest équipage, qui n'est propre pour demander justice, sont
)) venus à Paris et aux environs ; ce que ledit sieur amyral
» suppiye très humblement sa majesté vouloir considérer et
» s'en ressouvenir pour luy en faire justice, laquelle, comme
» son très humble subject, il requiert avec toute humihté, veu
» qu'il est assez évident que tel attemptat et entreprinse n'es-
» toit dressé sinon contre luy et les siens.
(( Et ne peuvent lesdits sieurs de Guise alléguer qu'il fûst lors
» accompaigné, car encores que plus de six sepmaines aupara-
y> ravant leur dite arrivée à Paris, il eust certain adverlisse-
)) ment de leurs dites entreprinses, de plusieurs endroits, oultre
3) ce qu'il avoit entendu que madame de Guise, l'ancienne douai-
» rière avait mandé à madame la duchesse de Ferrare que
)) M. de Vaudémont arrivoit à Paris avec mille chevaulx, et que
» d'autrepart, ilavoitsçeuquedcuxgentilshommesetung soldat
y> s'estoient vantez d'avoir esté dépeschez par M. d'Aumalle
» pour le venir tuer; il s'est néantmoins contenu en sa maison
y> h l'accoustumée, avec ses serviteurs et familiers, sans croistre
» son train ni sa compaignie jusques à ce que lesdits s''' de Guyse
y> estans en l'équipage que dessus, ont esté presque aux faulx-
y> bourgs de Paris, auquel temps, ledit s' amyral a adverty ses
» voisins et amys desdites entreprinses, qui, pour ceste occa-
» sion se sont tenuz près de lui. Et, d'autre part, aucuns de se&
» amys ayans ouy le bruict qui s'espandoit desdites menasses^
3) sont venuz s'offrir à luy, pour la seureté et défense de sa
)) personne, d'autres y sont aussy venuz parcequ'ilz avoient
y> entendu que lesdits s" de Guise, estimans la royne estre à
» l'extrémité, avoient entreprins de se saisir de la personne du
3) roy et le mener à Paris, et aussitost faire coupper la teste à
3) M. le connestable, et exterminer tout ce qui luy appartenoit ;
3) qui estoit ung bruict commun, dont est advenu que, pour le
— 299 —
» grand nombre de gens qui lors se présentoit pour lesdites
y> occasions audit s' amyral, il a esté contrainct de faire sou-
» ventes fois entendre à ceulx où il avoit moyen et commodité,
3> qu'ilz ne dévoient bouger de leurs maisons. Or, depuis, avec
y> le retour de M', le cardinal de Ghastillon, son frère, ayant
» entendu l'entier recouvrement, grâces à Dieu, de la santé de
» la royne et le grand désir qu'elle a de veoir toutes choses en
» paix, il a renvoyé le plus qu'il a peu de ceulx qui l'estoieut
» venuz trouver, et encores s'en vont tous les jours, comme le
î pourront tesmoigner messieurs le comte de Charny et Bri-
» quemault.
« Partant, actendu la contravention desdits s" de Guise
)) ausdites défenses et édict de sa Majesté, et le peu de res-
y> pect qu'ilz ont porté et aux peynes y contenues, qui engendra
y> soupçon de ce qu'ils pourraient faire cy-après ; attendu mes-
» mement que par la requeste qu'ilz ont présentée à Sa Majesté
» ilz n'ont peu celer qu'ilz veulent plus la vindicte de la dite
y> mort, qui ne sont termes accoustumez ny reçus en justice,
» lesdits s" amyral et Dandelot remonstrent avec toute humi-
» lité à Sa Majesté qu'ils n'ont point occasion de prendre asseu-
y> rance en leurs paroles etescriptz, sinon qu'il plaise à sa dicte
» Majesté, faisant justice de telz attentatz, faictz contre eulx, y
» obvier pour l'advenir.
« Remonstrent avec pareille humilité à sa dite Majesté que
» suivant fa promesse que M. le comte de Charny leur a
» apportée, ils se préjudicieroient par trop et à une infinité
3) d'autres des subjectz, d'autant qu'ils feroient une planche à
y> l'infraction dudit édict de pacification, et s'obligeraient à ce
» qu'ilz ne sont tenuz et dont ils sont libres par iceluy édict,
y> se soubmettant à plaider, voire par devant juges suspectz et
p leur ennemis capitaux, à quoy ilz voyent bien que les dits
î> s'* de Guyse font tous leurs efforts de les attirer pour, par
y> mesme moyen, leur faire recevoir jugement sur un faict
— 300 —
» d'hostilité tel que la mort dudict feu s' de Guyse, de laquelle
» on ne leur peut rien demander par la voie de la justice ordi-
y> naire, et dont ledict s' amyral leur a amplement satisfait
)) par ses escriptz, sans avoir craint d'en déclarer librement et
» en pureté de conscience ce qu'il en savoit, et n'estoit con-
» traint de dire, ayant aussi requis de garder ledit Poltrot pour
)) lui estre confronté, encore qu'il n'y fûst obligé, avec protes-
» tation de sa sincérité, à faulte de ce faire ; de sorte que toutes
)) les recerches et poursuites qu'ils en pourroient faire par
» ladite voie de la justice ordinaire sont directement contraires
» à l'édict du roy sur ladicte pacification, depuis confirmé par
» luy mesme estant majeur, ensemble à la déclaration faite au
)) bois de Vincennes pour instruire les commissaires déléguez
» par les provinces pour l'entretenement d'iceluy édict.
« A ceste cause, lesdits s'" amyral et d'Andelot supplient
» très humblement Sa Majesté de leur faire justice, laquelle
)> ilz luy requièrent comme ses très humbles et très obéissants
)) subjectz et serviteurs, qui est de les rendre jouissans de son dit
» édict et ne permettre qu'il y soit contrevenu ni qu'il soit violé
» pour leur seul et particulier regard ; qui serait les postposer
» à tous ceulx de quelque qualité qu'ils soient comprins audit
» édict, duquel sa dite majesté a déclaré qu'un chacun jouira
•s> pleinement et entièrement.
» Déclarant au reste lesdits s"' amyral et d'Andelot qu'ils ne
» sont consentans ni aucunement coulpables de ladite mort,
» et que ce qu'on en vouldroit présumer ou mettre en avant
» contre ce que ledit s"" amyral a confessé de son bon gré est
D faux; qu'ilz sont gens de bien et d'honneur et qui n'ont
i) jamais rien faictau contraire; et que, encores qu'un tel faict
» ne puisse estre recerché en quelque manière que ce soit
» suivant l'édict, si est-ce que si aucuns les veulent charger,
» ils sont tout prestz avec le congé du roy, de leur respondre ;
» avecques requeste très humble qu'ilz font en toute subjec-
— 301 —
y> tion.à Sa Majesté, de vouloir prendre la justice de leur
» cause en main el ne trouver mauvais s'ils la défendent par
» toutes voyes justes et légitimes.
« Faict à Ghastillon-sur-Loing, le 8' jour d'octobre 1563. »
Le roi et la reine mère furent d'autant plus disposés à
accueillir ces remontrances, que le comte de Gharny leur fit
un rapport favorable de ce qu'il avait vu et entendu à Ghâtil-
lon-sur-Loing * . Ils écrivirent, par Briquemault, à l'amiral et
à ses frères, qui chargèrent aussitôt Bois-le-Gomte de trans-
mettre au souverain et à sa mère l'expression de leur entière
soumission aux volontés royales, consignée dans deux lettres,
en date du 18 octobre.
Odet et Gaspard disaient, dans celle qu'ils adressaient au
roi ^ : «... Si, de toutes parts, vostre Majesté peulteltre obéye
« aussi fidèlement comme elle le sera de la nostre, elle peut
estre assurée d'avoir entier repos en son royaume etc, etc.. »
« Madame, écrivaient-ils, en même temps, à la reine mère ^,
y> nous remercyons très humblement vostre Majesté de la
)) seureté qu'il luy plaist prendre de nous que nous ne fauldrons
y> jamais de satisfaire au vouloir et intention du roy, ce que
)) nous ferons encore paroistre, suyvant les inhibitions et
y> défenses que nous avons reçeus par M. de Briquemault,
3) qu'il a pieu au roy nous envoyer. Ge que nous avons tous-
» jours faict jusques icy et ferons ; de sorte qu'avec juste
)) occasion l'on ne nous pourra imputer que nous veuillions
» troubler le repos de ce royaulme, et vous supplierons encorés
» très humblement, madame, croire que le roy ne trouvera
» point de plus obéissans subjetz et serviteurs que nous ; ce
1. € Le comte de Charny, à son retour, fit bon rapport de la compagnie qu'il
•» avait trouvée à Chastillon, de leur façon de vivre, et du langage que le sieur
■» admirai luy avoit tenu; de sorte que leurs majestez s'en contentèrent. >
{Mém. de Condé, t. V, p. 27)
2. Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 6611, f 72.
3. Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 6 611-, f» 70 et vol. 6621, fo 38.
— 302 —
» que nous asseurons aussi de la part de M. Dandelot, nostre
» frère, auquel nous ferons entendre le vouloir et intention de
» Sa Majesté; ce qu'il vous plaira entendre plus particulière-
» ment du s' de Bois-le-Gornte, présent porteur. »
Le 27 octobre, alors que le roi et la reine mère séjournaient à
Chantilly, chez le connétable, la duchesse de Guise leur présenta
une nouvelle requête % dans laquelle, sans se constituer partie
contre l'amiral, elle persistait à demander que, revenant sur
l'évocation prononcée, le souverain renvoyât à l'un des paie-
ments de France, même à celui de Paris, la connaissance des
poursuites qu'elle entendait exercer.
Le même jour, en séance du conseil privé tenue à Chantilly,
il fut décidé que la requête dont il s'agissait « serait envoyée à
» M. l'amyral de Chastillon, pour la veoir et sur icelle dire et
» respondre ce que bon lui semblerait, pour sur icelle response
» veue estre à faire par raison ^. »
Cette requête ne fut communiquée à l'amiral que vingt et un
jours plus tard.
Au début du mois de novembre, le roi et sa mère ayant quitté
Chantilly et visité Nanteuil et Monceaux, prenaient le chemin de
Fontainebleau, lorsqu'ils apprirent que l'amyral s'avançait dans
la direction de cette ville, avec son train ordinaire, pour leur
présenter ses hommages. Les Guises firent aussitôt venir de
Paris le plus de gens armés qu'ils purent, signalèrent l'approche
de l'un d'eux, d'Aumale, à la tête de mille ou douze cents che-
vaux, déclamèrent contre Coligny, et intimidèrent à tel point
la reine mère, qu'elle lui manda de retourner à Châtillon;
mais l'amiral « fit remonstrer à leurs maj estez qu'il ne pouvoit
« rebrousser chemin, que, premier, il n'en eûst entendu du roy,
» les occasions, et qu'il ne luy eût baisé la main ; ou autre-
1. Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 6621, f» 39.
± Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 6 621, f» 39.
— 303 —
» ment ce luy seroit faire un grand tort et deshonneur, et pour
y> la seconde fois ^ »
Le roi et Catherine ne passèrent qu'un jour à Fontainebleau
et s'arrêtèrent le lendemain, à Ghailly, où l'amiral se présenta
à eux. « 11 leur fit entendre qu'il était venu en intention de se
>) tenir doresnavant plus près de leurs majestez qu'il n'avait
» faict depuis quelque temps, tant pour avoir moyen de faire
» le deu de la charge et rang qu'il tenait en ce royaume,
» qu'afin aussi d'estre en lieu pour pouvoir mieux respondre à
» tous ceux qui levoudroient charger... Les Guises ajoutait-il,
» ne se peuvent douloir qu ils ne peuvent avoir justice, puis-
i) qu'elle leur est ouverte au grand conseil, lequel n'a esté
» requis, nommé, ny affecté par luy, ains du propre mouve-
» ment de Sa Majesté, avec l'advis de son conseil, a esté choisi
» comme non suspect ne recusable pour ne s'estre ceste seule
)) compagnie déclarée partiale durant ces troubles, comme au
» contraire ont fait les quatre parlemens qu'eux mesmes re-
0 quièrent, et qui sont avec pareille raison recusables que le
d parlement de Paris. Bien se pourroit-il avec plus juste
» occasion douloir d'eux, de ce que sans preuve valable et sous
» leur seule opinion et soupçon ils entreprennent de le defférer,
» faisant une planche pour violer l'édict de la pacification et
)) remettre les troubles en ce royaume. Une chose entre autres
j) trouvoit-il en eux de nouvel exemple, et qui entre les Bar-
y> bares mesmes seroit trouvée estrange et déraisonnable ; c'est
i> qu'encores que tous accusateurs ayant tousjours accous-
» tumé de se mettre en peine et devoir pour attirer les accusez
)> à se représenter devant le roy ou sa justice, au contraire ses
» parties taschent par tous moyens dont ils se peuvent adviser,
» et contre tout droit et coustume, qu'il ne comparoisse et se
y> présente devant Sa Majesté, où il sera tousjours plus à
1. Mém. deCondé, t. V, p. 27,
— 304 —
y> propos pour estre ouy, respondre par sa bouche, et pour se
» justifier et recevoir jugement de ce qu'on luy voudroit
» imposer : ce qui démontre assez clairement qu'ils ne tendent
y> sinon à le calomnier et vouloir faire condamner, s'ils pou-
y> voient, sans estre ouy, et par juges apostez : et partant doit
» rendre à Sa Majesté preuvre suffisante de leur mauvaise
)) cause et intentions. — Plusieurs autres raisons allégua ledit
y> s' admirai, servant à la justice de sa cause, dont leurs
y> majestez démonstrérent avoir quelque satisfaction ; et, pour
y> le faire court, au partir delà, il suivit le roy, à une journée
y> prés. — Et combien que lesdits sieurs de Guise fussent bien
» accompagnez, et que partout un bruit commun s'espandist
y> de leur forces et menaces, le lendemain après que le roy fut
)) arrivé à Paris, ledit sieur admirai, contre toutes leurs opi-
» nions et discours, alla, avec une asseurance qui luy est assez
» accoustumée et- familière, trouver Sa Majesté audit Paris ^
)) qui estoit leur principal fort, retraite et franchise; et faut
)) confesser qu'il y entra avec aussi grand honneur, et nota-
3) ble compagnie de seigneurs et gentilshommes, dont aucuns
» volontairement le suivoient, les autres estans sortis aude-
)) vant de luy, que seigneur qui y soit arrivé depuis vingt ans ;
y> lesquels^sieurs de Guise semonstrans au contraire si estonnez,
y> sans grande occasion, qu'aussitost qu'ils le sentirent appro-
ï) cher, ils troussèrent bagages, en diligence et deslogèrent
» tous du Louvre et des environs, pour s'aller retirer à l'hostel
)) de Guyse, où ils faisaient faire ordinairement guet et senti-
)) nelle ; ce qui diminua un peu de leur réputation, au grand
)) regret et desplaisir de leurs amys et serviteurs, qui cou-
» vroient ceste retraite sur ce qu'ils n'eussent eu le cœur de
1 . « Le samedi 20 novembre, l'admirai et Dandelot avec le cardinal de Chas-
» lillon, leur frère, arrivèrent au Louvre, en ceste ville de Paris, et lors mes-
> sieurs de Guyse se retirèrent à l'hostel de Guyse, et semblablement M. le
» duc de Nemours. » (Journal de Bruslart, mém. de Condé, 1. 1, p. 138).
— 305 —
j> voir celui qui avoit fait luer leur frère, sans s'en ressentir
y> sur l'heure ; et protesta madame de Guyse, premier que partir,
» (le 23 novembre) en présence de la royne et d'aucuns sei-
)) gneurs du conseil du roy, qu'elle n'entendait se faire partie
y> contre ledit sieur admirai \ »
Coligny, à ce moment, avait repris auprès du roi la place que
lui assignaient son rang et ses fonctions, logeait au Louvre, et
prenait part aux délibérations du conseil privé ^ .
La requête de la duchesse de Guise, du 27 octobre, et sa
protestation du 23 novembre ayant été communiquées à l'a-
miral, il y répondit par la déclaration suivante, adressée au roi
et à la reine mère ^ : « Pardevant vos majestez remonstre l'a-
» myral de France, vostre très humble subjectet serviteur, sur
» la requeste présentée à vos dites majestez par madame
y> de Guyse, du 27 d'octobre dernier, à lui communiquée le 17
» de ce moys de novembre, que, après avoir veu la déclaration
y> de ladite dame du jour d'hier 23 dudit novembre, par laquelle
y> elle déclajre qu'elle n'entend se rendre partye en ce regard,
•
1. Mém. de Condé, t. V, p. 28 à 30.
2. « The admirai of France has had access to this court, where he assists at
> tlie affairs, having his lodging within it. {Calend. of State pap. foreign).
26 novembre 1563. Trockmorton to the queen.) — La rentrée de Coligny à la
cour indigna Philippe II, qui le 14 décembre 1563, écrivit au duc d'Albe.
« Chantonnay me fait savoir le retour de l'amiral de France à Paris, l'in-
» solence avec laquelle il a parlé à la reine, on même temps que ses vœux
» et projets et ceux de sa faction. Le tout m'a paru de telle importance, que
ï j'ai voulu vous en avertir aussitôt, afin que , bien renseigné de ce qui se
î passe et de l'état dans lequel se trouvent présentement les affaires en
» France, appréciant le résultat probable de l'inimitié haineuse vouée à mes
ï intérêts par l'amiral et le prince de Condé, à raison des offenses qu'ils pré-
» tendent avoir reçues de moi, comme aussi la portée des intelligences
» qu'ils ont cherché constamment à se ménager dans mes états de Flandre,
» vous avisiez aux mesures que l'on pourrait et devrait prendre, et aux
» démarches que l'on aurait à faire auprès de la reine avec chance de suc-
î ces, non seulement en ce qui concerne le remède à apporter aux affaires
» de ce royaume, mais encore afin d'obvier au dommage qui pourrait en ré-
ï sulter pour mes états. » (Pap. d'état de Granvelle, t. VII, p. 268; 269).
3. Bibl. nat., mss. f. fr. vol. 6,621, f 85.
n. 20
— 306 —
» il n'a plus besoing de respondre à ladite requeste, parceque
j de la constitution des parties dépend l'entrée des jugemens,
» et que sans ce préalable ne peult estre requis ne désiré l'of-
î fice de juges. »
Cinq ou six jours après, les Guises reconnaissant la faute
qu'ils avaient commise en se retirant, et vivement blessés de
l'amertume des commentaires et des critiques dont leur retraite
était l'objet, décidèrent entre eux que la veuve de François de
Lorraine, le cardinal de Guise et le duc de Nemours retourne-
raient au Louvre.
A peine y furent-ils revenus, qu'ils virent leur échapper un
appui sur lequel ils avaient complé jusque-là. En effet, divers
gentilshommes dont ils croyaient pouvoir, en temps voulu,
invoquer le témoignage pour accuser Goligny d'avoir trempé
dans le meurtre du duc de Guise, se présentèrent à la reine
mère, afin de décharger l'amiral, et affirmèrent que jamais ils
n'avaient parlé de sa prétendue participation au crime commis ;
qu'ils n'en avaient ni rien su, ni rien connu ; et que ce qu'on,
pouvait avoir fait entendre de contraire h la reine était faiFx
et controuvé \
(( Sur ces entrefaites, les sieurs de Guise, ou ne voulans, ou
y> n'osans, et n'estans conseillez de se déclarer parties contre
y> ledit sieur admirai, luy mirent une femme en teste ^, » en
laissant à la duchesse de Guise, seule, les oin de présenter une
requête dans laquelle elle déclarait se porter partie contre
l'homme que la famille du duc s'abstenait d'attaquer person-
nellement. Elle demandait l'autorisation de poursuivre devant
la juridiction ordinaire, l'évocation antérieure devant, selon
•elle, demeurer sans effet ^.
'j
1. Mém. de Condé, t. V, p. 30.
2. Mém. de Condé, t. V, p. 30.
3. Mém. de Condé, t. V, p. 31, 32.
— 307 --
L'amiral combattit les conclusions de cette requête, dans une
adresse au roi, ainsi formulée * :
« Sire, puisqu'il a pieu à vostre Majesté, non par faveur,
» mais par justice, après grande et meure délibération avec la
» royne vostre mère, princes de vostre sang et autres seigneurs
)) de vostre conseil évoquer à vostre personne toutes les causes,
» tant civiles que criminelles, que vostre très humble et très
» obéissant subject l'admirai de France a et pourra avoir, et
» par mesme moyen attribuer la cognoissance d'iceluy à vostre
y> grand conseil, sans qu'ils eûst esté de la part dudit suppliant
» nommé ou requis, iceluy admirai vous requiert et supplie
)) très humblement que l'importunité et poursuite de madame
» de Guise ne contraigne vostre Majesté révoquer ou rétracter
» vostre arrest et renvoy, et faire ouverture par nouvel exemple,
» de n'estimer stable ce qui par vous et vostre dit conseil est ar-
y> resté ; mesmement que, quoyqu'elle suppose par sesrequestes
)) que par la loi, l'establissement de vostre royaume, la justice,
)) administration et distribution d'icelle est en vostre main, non
3 liée ny obligée à la cour de parlement ou autre, pour, soit de
» volonté, soit par justice, la raison et nécessité le requérant,
» la commettre à qui bon vous semblera, comme vous et voz
» prédécesseurs avez fait en plusieurs cas et exemples; non
» jamais toutes fois en plus grande raison qu'en la cause du
» dit admirai, le party duquel tous les parlemens de ce royaume
» ont non seulement condamné et aûthorizé le contraire, mais
» aussi sont entrez en ligue, et induit les villes où ils sont assis
» à se liguer et bander contre M. le prince de Condé, et ceux
» qui à luy se sont joints pour la conservation de voz édictz et
» authorité, et ont en ce suivy son party ; s'associans ceux
» desdits parlemens, secrètement et sans vostre volonté avec le
» s' de Guyse ; qui a esté cause de retarder ledit admirai
i. Mém. de Condé, t. V, p.32, 33, 34.
— 308 —
y> jusqaes à présent d'accuser la mémoire dudit deffunt, d'avoir
v prins les armes sans adveu de vostre Majesté, en délibération
» de vostre conseil, et fait plusieurs choses au préjudice de vous
y> et du repos de vostre royaume, hors les faits remis et abolis
y> par vostre édict de pacification ; estant très certain qu'en icelles
» cours il n'obtiendroit justice en son droit, et beaucoup moins
y> contre ledit S' de Guyse ; mais, puisqu'ainsi est que la vefve
» et successeurs d'iceluy, au préjudice de vostre repos et de la
:o paix publique de vostre royaume, s'efforcent, sous couleur de
» demander justice, mettre ledit admirai es mains de ses con-
)) jurez ennemis, n'ayant autre occasion qui les puisse ou doive
)) inciter de l'accuser, sachans en conscience qu'il est très inno-
» cent de l'occisiondudict deffunt, que pour attenter à sa vie et
» honneur du dict admirai qui, sous l'authorité de M. le prince
» de Condé, s'est opposé et a résisté aux entreprises contre
)) vostre Majesté ; — ces choses considérées, ledict admirai vous
y> supplie très humblement le faire et laisser jouyr de l'effect de
)) ladicte évocation de renvoy, nonobstant les requestes de
)) ladicte dame vefve, remettant par vous en mémoyre qu'onc-
}) ques il ne nomma ny affecta vostre dict grand conseil, mais
» que la nécessité des affaires passez n'a laissé en vostre royaume
)) autre cour qui de sincère justice et en lieu de seur accez,
» puisse congnoistre de chose qui touche ou appartienne audict
» admirai, soit en demandant ou en deffendant, et y renvoyer
)) lesdites parties pour instruire et juger le procès que ledict
)) suppliant entend intenter et poursuivre contre la mémoire
» dudit feu sieur de Guyse, pour aussi estre par ledit conseil
)) préalablement jugé si ladite vefve sera recevable en sa pré-
» tendue accusation, attendu l'ouverture préjudiciable que ce
)) seroit faire à votre édict de pacification, et conséquemment
» au bien et repos public ; et autrement faire droit aux parties,
y> comme déraison. y>
Ce ferme langage était de nature h faire impression sur le
— 309 —
jeune souverain et sur sa mère. Prêt à répondre, devant qui de
droit, comme accusé, aux odieuses imputations de ses ennemis,
l'amiral revendiquait la faculté de se constituer accusateur à
son tour; et l'accusation, de sa part, s'annonçait comme devant
s'appuyer sur des faits d'une haute gravité. Dès lors il fallait, de
toute nécessité, compter avec le sérieux des moyens de défense
et d'attaque qu'il tenait en réserve ; la situation qu'il venait de
reconquérir à la cour, par la dignité et l'énergie de son attitude *
commandait des ménagements : Catherine et ses conseillers le
comprirent ^.
Tandis que cette princesse s'occupait avec eux d'un parti à
prendre, quant au conflit provoqué par la maison de Guise
contre la maison de Ghâtillon, la propre mère de la duchesse
de Guise, Renée de France, qui jamais n'avait douté de l'inté-
grité et de la complète innocence de Coligny, s'attachait, en
l'absence de celui-ci, à entourer sa femme d'une touchante sol-
licitude, qu'attestent les lignes suivantes, adressées de Ghâtillon
par Charlotte de Laval à Renée, la veille de Noël ^ :
1. c Admiraldus cum ad regem salutandum venisset, valdé humaniter exceptus
» est; inde Lutetiam perrexit cum maximo comitatu. Connestabilis, utstomachum
» invidis faceret, venit in ejus hospitium, et à prandio in arcem regiam eum
» deduxit. Illic consultationi interfuit ubi res maximas fuisse agitatas putant.
» Guisiani, collectis vasis, in adversam urbis partem transierunt. Per ducem
î Nemorsum interea nuntiarunt matri régis se mirari quomodo admiraldum
» pateretur filio tàm propinquum esse. Respondit illa veterem esse régis mi-
» nistrumnec causam esse cur prohiberetur, deinde itaregi placere, verum simui
» esse omnibus satis loci ; se ergo monere ut venirent, quod factum non est.
» Curia vero deprecatores misit ad connestabilem ut nepotis sui animum pla-
» caret. Idem factum à magistro civiumet decurionibus. Rex in curiam venturus
» erat, et admiraldum secum ducturus. » (Calvinus Bullingero, 4 nonas de-
> cembris 1563.) Bibl. de Genève, mss. 107, a. — Voir aussi unelettre de Bèze
â Bullinger, du i décembre 1563 (op. Calvini, vol. 20, n° 4 053, p. 206).
2. c Possidonius noster (Coligny) fortem et invictum se praebet. Quo durius
5 impetitur eo se constantiorem praestat, ac bonus ipsius negotii exitus spe-
» ratur. » (Gallasius Calvino, 5 décembre 1563. op. Calvini, vol. 20, n» 4 058,
p. 214.)
3. Lettre du 24 décembre 1563. Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 3 180, f 116-
— 310 —
« Madame, j'ay reçeu la lettre qu'il vous a pieu m'escrire, et
» vous remercie très humblement de ce qu'il vous plaist me
)) visiter si soigneusement. J'espère, Dieu aydant, après ces
)) festes, aller moy mesmes vous remercier de tant d'honneur et
y) d'obhgations que me faites. Cependant, madame, je vous-
» diray que j'ay esté bien fort aise d'avoir entendu, par ce por-
» teur, des nouvelles de monsieur l'amyral; et, pour l'expé-
)) rience que nous avons eue de l'assistance de Dieu jusqu'à
y> maintenant, cela faict que nous nous remetons du tout en
y> Dieu de tous nos affaires. Et pour ce que j'ay remis audit
» porteur à vous dire de la santé de moy et de mes enfans, je ne
)) vous feray plus long discours, sinon vous présenter mes très
)) humbles x^ecommandations à vostre bonne grâce, et prier Dieu,
» madame, qu'ils vous doinct, en parfaite santé, très heureuse
)) et longue vie. »
Le 31 décembre, le cardinal de Ghâtillon écrivait, de. Paris,
au connétable * : « Monseigneur, on n'a point fait encores de
3) réponse à la requête que mon frère présenta dernièrement,
D encores que par plusieurs fois on se soit assemblé en l'hostel
y> de Guyse. De ce qu'ilz feront et en succédera, nous ne faul-
y> drons de vous tenir directement adverty. »
Le 4 janvier 1564, la duchesse de Guise présenta au roi et
à la reine mère une requête concluant à ce qu'il plût à leurs
majestés seules statuer sur la fm de iion-recevoir résultant,
selon l'amiral, des dispositions de l'édit de pacification.
Sur cette requête intervint, le lendemain 5 janvier, une déci-
sion royale, ainsi conçue ^ :
(( Yeu par le roy, estant en son conseil (suivent les nom-
y> breux visas de requêtes, mémoires, etc., etc.) ; — veu tout
» ce qui par les parties a esté dict, proposé et remonstré, d'une
y> part et d'autre; — considéré aussi par ledict seigneur les
i. Bibl. nat., mss. f. fr. vol. 20, 507, f» Si.
2. Mém de Condé, t. IV, p. i% à 497.
— 311 —
D récusations par icelles parties proposées tant contre lesdictes
» courts de parlement et grand conseil, que gens de son dict
y> conseil privé, et de cela l'impossibilité de trouver juges non
D suspects pour congnoistre dudict affaire, et le bon et grand
y> devoir faict par sa dicte majesté pour leur faire sentir le fruit
» de la justice qu'il leur auroit ouverte, et qu'il désire singuliè-
)) rement leur estre faicte, se voyant seul avec la royne sa mère
y> pour décider dudict affaire, qui est de tel poids et importance
)) qu'il requiert le sage conseil d'un prince plus expérimenté et
)) de plus grand âge que le sien ; voulant obvier aux inconvé-
y> niens que la poursuite du dict affaire faicte en temps si mal
y> à propos pourroit apporter au repos et tranquillité de son dict
» royaume ; et le tout bien considéré par luy : — a, de son
)) propre mouvement, déclaré qu'il a retenu et retient à luy et
y> sa personne la cognoissance dudict procès; lequel, de sa
» pleine puissance et autorité royale, pour les causes et con-
» sidérations dessus dictes, et autres grandes et pertinentes à
» celé mouvans, il a tenu et tient en estât, suspens et surséance
y> pour le temps et terme de trois ans prochains venans, à
y> compter du jour et date de ce présent arrest, ou tel autre
y> temps qu'il plaira au roy, selon que ses affaires le pourront
j> porter; pendant lequel il deffend très expressément auxdictes
» parties, de par sa majesté, de n'attenter ni entreprendre,
» l'une à rencontre de l'autre par voye de faict aucune chose :
» leur est deffendu de nouveau, suivant lesdictes premières
» deffenses, offenser et travailler l'une l'autre directement ou
)) indirectement durant ledict temps, sur peine d'encourir son
)> indignation et d'estre punis comme contempteurs de ses
» ordonnances et commandemens, espérant que ledict temps
» lui apportera ce qu'il désire et attend de la bonté et grâce de
» nostre Seigneur, et plus de moyen de rendre sur ce aux-
y> dictes parties l'équitable justice requise et nécessaire à la
y> descharge de sa conscience. »
— 312 —
En exécution de cette décision et d'un ordre verbalement
donné par le monarque, l'amiral souscrivit, le 1"2 janvier 1564,
l'engagement suivant * ; « Nous, Gaspard de Coligny, sieur de
» Ghastillon, admirai de France, promectons au roy nostre
y> souverain seigneur, sur nostre vie et honneur, que par nous,
» ne de nostre part, ne sera faict, entrepris, ne attenté directe-
» ment ou indirectement aucune chose de faict ne de parolle
» contre les personnes, vie et honneur de messieurs les cardi-
» naux de Lorraine et de Guyse, duc de Guyse, d'Aumalle,
)) marquis d'Elbeuf, leurs enfans, nepveux et parens, du nom et
)) de ladite maison de Guyse ; lesquels nous prenons en nostre
» garde, ayant à cest effect reçeu et accepté, recevons et accep-
» tons le commandement qu'il a pieu à sa majesté nous en faire,
» aujourd'hui, verbalement, lequel nous promectons observer
» sincèrement, inviolablement et de bonne foi. En tesmoing de
)) quoy nous avons signé la présente de nostre seing. »
L'ajournement à trois ans, de la décision à intervenir sur le
conflit existant entre les maisons de Guise et de Ghâtillon,
n'était que l'un de ces expédients dilatoires, trop fréquents, aux-
quels Catherine de Médicis aimait à recourir, plutôt que de
trancher immédiatement une difficulté qui exigeait, dans l'inté-
rêt de la justice, une prompte et éclatante solution. Sa tor-
tueuse tactique, à cet égard, se trahit dans les lignes qu'elle fit
adresser par le jeune roi à Damville ^ : « Je vous advise que,
» voiant le peu de moyen qu'il y avoit de trouver une fin au
» faict de la justice de la mort de mon cousin le duc de Guise,
)) pour la difficulté qu'il y avoit de leur pourvoir de juges, à cause
» des récusations proposées d'une part et d'aultre, j'ay retenu
» la cause à moy, et remis le jugement d'icelle d'icy à trois ans;
» durant lequel temps, tant mesdicts cousins de Guyse, que le
» sieur de Ghastillon et ses frères, ont promis et juré ne se rien
1. Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 6 611, f» 90.
2. Lettre da 8 janvier 1564, Mém. de Gondé, t. V, p. il.
— 313 —
)) demander, ny par armes, ny par la justice; lequel moyen a
» esté trouvé si bon que cela nous a mis en repos et délivré de
» la peine où nous estions pour ceste querelle. »
Ce moyen, que Catherine et son fils trouvaient si bon, n'en
constituait pas moins, au fond, un dém Je justice temporaire-
ment infligé à l'amiral par ceux-là même qui, s'étant réservé le
droit de statuer seuls, sur le litige engagé, eussent pu et dû,
le 5 janvier 1564, proclamer dans une décision définitive son
innocence, à laquelle ils croyaient dès cette époque. Mais
Catherine, se prévalant de l'empire absolu que, comme mère,
«lie 'exerçait sur l'esprit d'un fantôme de roi, sacrifiait sans
scrupule l'accomplissement d'un devoir de justice aux calculs
de son intérêt personnel, qu'elle faisait consister alors à miner
sourdement la haute situation de Coligny en laissant planer sur
lui, pendant plusieurs années, une odieuse accusation K Les
ménagements extérieurs dont elle l'entourait, pendant son
séjour à la cour, n'enlevaient rien à la perversité des intentions
dont elle était animée envers cet ancien conseiller, qui lui avait
donné tant de preuves d'un dévouement éclairé. Chef du parti
réformé, qu'elle travaillait à anéantir, l'amiral ne pouvait
trouver grâce devant elle, depuis qu'elle s'était asservie au joug
du parti contraire. 11 n'était plus pour elle qu'un antagoniste
importun, antagoniste plus que jamais redoutable, par la gran-
deur de son caractère et par la fermeté de ses convictions,
avec lequel elle n'osait se mesurer face à face, et qu'elle ne
songeait à attaquer que par des voies obliques et souterraines.
Affectant de lui montrer bon visage, dans les rapports officiels
qu'elle entretenait avec lui, elle le dénigrait en secret; lui
attribuant sans y croire, des projets et des menées qui étaient
1 . « L'admirai de Ghastillon est entretenu et embrouillé en l'accusation de la
» mort de M. de Guise; bride par laquelle la reyne le retenoit avec les menaces
> de la vengeance des parens du deffunct. » (Mém, de Tavannes, chap. xix).
— 314. —
en désaccord complet avec sa fidélité éprouvée et son incontes-
table loyauté.
Les calomnies de Catherine trouvaient plus d'un écho. En
voici un exemple dans ces paroles du cardinal de Sainte-Croix * :
« Je n'ai pas manqué de dire plusieurs fois à la reine combien
y> il me paraissait préjudiciable à l'intention de sa majesté
y> qu'elle souffrît les Châtillons auprès d'elle; mais elle m'a
y> répondu qu'il lui semble plus sûr de les tenir à la cour que
y> de les laisser aller chez eux, où ils feraient, tous les jours, de
» nouvelles assemblées et mille trames... Elle craint beaucoup
» qu'il ne survienne de nouveaux troubles, sachant que les
)) Châtillons fomentent plus que jamais en Allemagne, et peut-
» être aussi en Angleterre, des intrigues propres à exciter la
3) guerre ; c'est pourquoi elle ne juge pas qu'une femme comme
y> elle puisse prendre de meilleures précautions que celle de
» temporiser. »
Le cardinal de Sainte-Croix se montrait, en même temps,
disposé à entreprendre la tâche de détacher de la religion
réformée l'amiral et ses frères. A le supposer sincère, il fallait
qu'il se fit tout au nioins d'étranges illusions quand il écrivait
à son correspondant habituel ^ : « Les évêques Espagnols sont
» allés chez le prince de Condé, où ils ont reçu le meilleur
y> accueil du monde ; ce prince leur ayant offert ses services et
y> rendu toutes sortes d'honneurs; ce qui fait qu'on tient ici
y> pour certain qu'il se ravisera un jour, et entrera de rechef
» dans le sein de l'église romaine. S'il y avait autant d'espé-
» rance que les Châtillons changeassent de sentiments, ils
» seraient beaucoup plus avancés qu'ils ne le sont, quoiqu'on
)) les laisse parler et qu'on les écoute volontiers à la cour.
1. Lettre du 10 janvier 1564 au cardinal Borromée, ap. Aymon, rec. des
synodes, 1. 1, p. i!i53.
2. Lettre du 15 janvier 1564 au cardinal Borromée, ap. Aymon, ibid. ,
p. 256.
- 315 —
» C'est pourquoi je ne manquerai pas de faire, de mon côté,
y> toute la diligence possible, pour ce qui pourra contribuer,
)> non seulement au salut de leur âme, mais aussi à celui de
■» tant d'autres qui suivraient leur exemple pour retourner à
)) leur devoir. »
Les Guises, peu satisfaits de la décision du 5 janvier, s'étaient
aussitôt éloignés de la cour, en annonçant qu'ils se rendaient
à Joinville, au devant du cardinal de Lorraine, qui revenait
alors du concile de Trente.
Coligny ne quitta le roi et la reine mère qu'après le départ
des Guises, et se retira à Ghâtillon, dans les derniers jours de
janvier *.
Revenu, le 9 mars, à la cour^, qui résidait alors à Fontai-
nebleau, il n'y resta que huit jours, durant lesquels lui et sa
femme subirent, quant à l'exercice de leur culte, une interdic-
tion qu'on venait déjà de faire peser sur Renée de France,
ainsi que cette princesse l'annonçait, le 21 mars, à Calvin, dans
les lignes suivantes, datées de Montargis : « l'occasion qui m'a
» fait partir de la court avant le roy a esté pour m'y estre in-
y> terdit de y faire prescher, comme j'avois faict quelques jours ;
» et non seulement me fust refusé au logis du roy, mais aussy
y> en ung que j'ay achapté, qui est au villaige, que j'ay tousjours
)) preste et dédyé pour tel faict, quand mesme je n'estois point
1. Lettre du cardinal Granvelle à la reine d'Ecosse, du 31 janvier 1564
(Papiers d'état de Granvelle, t. VII, p. 341 à 343). — « L'admirai se retira en
» sa maison avant la venue du cardinal de Lorrayne, de retour du concile. >
{Mém. de Condé, t. II, p. 190, 191). — « In aulâ adventante cardinali omnes
> féré nostri domum redierunt. Bis scripsit adrairalius ne ofïenderemur ; se enim
> quod fecerit optimis consiliis fecisse. Mihi tamen, ut libéré dicam, aulica ista
j prudentia, sicut semper displicuit, adhuc displicet, et hoc véré scio, non dis-
î similem errorem bello civili occasionem prsebuisse. Intereà certum est nihil
î esse nostro illo et ipsius fratribus integrius, vel ipsorum etiam hostium con-
» fessione. » Beza BuUingero 6 mars 1664 op. Calvini, vol. 20, n° 4 082, p. 262.
2. « Giunse alla corte già tre giorni l'amiraglio. » (M. A. Barbaro al senato.
12 mars 1564. Archiv. de Venise, Francia, 1563 à 1566. Senato, seCreta.)
- 316 —
» àla court... monsieur l'amiral et sa femme n'y sont arrivez,
» que le jour que j'en partiz, qui n'y ont peu faire autrement
)) quant à faire prescher, et sont partiz huict jours après, dont
)) ilz me sont venuz dire des nouvelles eulx-mesmes en ce lieu,
)) avec le cardinal leur frère K »
Les relations entre Renée de France, l'amiral et sa femme
devinrent, à cette époque, encore plus étroites qu'auparavant.
« Je loue Dieu, écrivait alors Calvin à Renée ^, qu'il vous a faict
» cognoistre quel est monsieur l'admirai, pour prendre goust
» à sa preudhomie. » Sur ce point. Renée répondait à Calvin ^ :
« je prends aide et conseil de monsieur l'admirai, pour répri-
» mer les vices et scandales, après celuy de Dieu; et se veoit
» qu'entre ses subjectz la religion se accroist et augmente,
» combien qu'il y en a d'autant contraires comme en ce lieu,
» et la pluspart sont soubz ce bailliage, et y a mis des presches
» et ministres. y>
Préoccupé, comme toujours, du sort de ses coreligion-
naires, l'amiral voyait avec douleur leurs droits et leurs intérêts
compromis, avant tout par les actes du pouvoir souverain, que
Catherine résumait en sa personne. Il ne connaissait que trop,
désormais, le mauvais vouloir et la duplicité de cette princesse,
qui, tout en protestant, oralement et par écrit, de sa ferme
volonté de maintenir et d'appliquer l'édit d'Amboise, n'aspirait,
en réalité, qu'à l'anéantir, et lui avait déjà, en quelques mois,
porté de rudes atteintes.
La première de ces atteintes provenait d'une déclaration
royale du 14 juin 1563 *, qui « défendait à tous ceux de la re-
» ligion qu'on disoit réformée, et autres de besongner de leurs
1. Bibl. nat. mss. collect. Dupuy, vol. 86, f' 120 à 125. — Voir appsniice,
n° 25.
2. Lettres franc, t. II, p. 557.
3. Lettre du 21 mars 1564. op. Calvini, vol. 20, p. 268.
4. Fontanon, rec. des ordonn. t. IV, p. 276.
— 317 —
» mestiers et arts, à huis et boutiques ouverts, les jours des
3> fastes commandées par l'église catholique romaine, sur peine
3> de punition corporelle. »
Une seconde atteinte résultait d'une autre déclaration royale
du 49 juin 1563 \ qui « défendoit de faire presches, assem-
y> blées, ny administration de sacrementz de la nouvelle reli-
» gion prétendue réformée, en la cour ny suitte, ny es maisons
y> de Sa Majesté. » Le monarque se vantait de combler par là
une lacune, en réglant un point « dont il n'avait esté faict au-
» cune mention par l'édict de paix, pour certains bons respectz
)) et considérations » qu'il se gardait bien, d'ailleurs, de faire
connaître.
Une série d'atteintes plus graves encore se produisait dans
une troisième déclaration royale du 14 décembre 1563 ^ré-
digée à la suite d'une délibération du conseil privé, au cours
de laquelle Goligny, d'Andelot, Odet, de Larochefoucauld et
Condé avaient en vain lutté contre les opinions émises par la
plupart des membres du conseil. Cette déclaration, dite inter-
prétative, excédait les limites d'une simple interprétation, et
violait ouvertement l'édit d'Amboise, en divers points.
Son premier article portait : « Quant à ce que par nostre
)) édict il est dit que tous gentilshommes, barons, chastellains,
ï> hauts justiciers, et seigneurs tenans plein fief de haubert,
» pourront vivre en leurs maisons èsquelles ils habiteront, en
)) liberté de conscience et exercice de leur religion, nous n'avons
» point entendu, comme encores n'entendons que ceste liberté
» d'exercice de religion s'estende pour les hautes justices ou
» fiefs de haubert qu'ils ont acheté des biens des ecclésias-
)) tiques, en vertu de l'édict de l'aliénation, ne qu'en cela soient
» aucunement comprins les gens ecclésiastiques pour les lieux
3) de leurs bénéfices. i>
1. Mém. de Cojadé, t. IV, p. 505.
2. Fontanon, rec. des ordonn. t. IV, p. 276 à 278.
— 318 —
Celte disposition arbitraire et hostile avait principalement en
vue le cardinal de Châtillon et l'archevêque d'Aix, Saint-Ro-
main, qui professaient publiquement la religion réformée et
s'efforçaient de la propager dans leurs anciens diocèses *.
L'article 6 était ainsi conçu : « afin que ce qui est accordé
» pour les villes èsquelles la religion estoit jusques au septiesme
)) du mois de mars, ne soit trop généralement interprété et
» entendu, nous avons déclaré et déclarons, qu'encores qu'il y
» ait ces mots, toutes les villes^ ce néantmoins nous n'avons
» entendu ny entendons que ce soient autres que celles qui
T> estoient tenues par force, durant les troubles, èsquelles l'exer-
))'cice de ladite religion se faisoit apertement, ledict septiesme
» mars. »
Le culte réformé se trouvait ainsi, sans motif légitime, pros-
crit de plusieurs villes importantes. Il était impossible de se
jouer avec plus d'audace du droit qu'impliquait, en faveur des
réformés, une désignation générique aussi large que celle-ci :
toutes les villes^ inscrite dans l'édit d'Amboise.
L'article 7 ajoutait à celle des dispositions de cet édit qui
interdisait l'exercice de la religion réformée dans la prévôté de
Paris, ce qui suit : « les manans et habitans de nostre bonne
» ville et cité de Paris et du ressort de la prévosté et viconté,
» qui seront de ladite religion prétendue réformée, ne pourront
3) se transporter es bailliages circonvoisins pour assister à l'exer-
» cice qui s'y fera de ladite religion. »
Cette addition fut faite principalement en haine de divers
conseillers au parlement qui, ayant leur domicile dans la capi-
tale, à raison de leurs fonctions, étaient obligés de se transporter
ailleurs pour pouvoir participer à la célébration du culte ré-
formé ^.
Les articles 9 et 10 limitaient abusivement le nombre des
1. De Thou, Hist. univ,, t. III, p. M\.
2. Id., i&i(i., t. m, p. 412.
— 319 —
personnes auxquelles il était permis d'assister soit à un bap-
tême, soit à une inhumation.
L'article 11, spécialement applicable à Paris, exigeait que
toute inhumation d'un réformé se fît « de nuit, sans aucune
y> suite ni compagnie. »
L'article 12, méconnaissant l'autorisation accordée par l'édit
à chacun, de vivre tranquillement dans sa demeure, sans être
jamais inquiété ni troublé pour cause de religion, portait :
a. les religieux et religieuses profez qui se sont licentiez durant
i) et depuis les derniers troubles, retourneront en leurs monas-
» tères, pour y vivre selon les constitutions de l'église catho-
» lique et romaine : autrement seront tenuz vuidernoz royaume
)) et pays, et mesmes s'ilz sont mariez contre le vœu de leur
» profession. »
Le motif allégué pour tenter de justifier cette violation de la
liberté individuelle, des droits de la conscience, et des engage-
ments valablement contractés, se tirait de la prétendue nécessité
de ne pas troubler la paix des familles, qui auraient été obligées
de donner une part dans leurs biens à des individus non comptés
jusque-là pour elles au nombre des héritiers, à cause de leurs
vœux*
L'article 13, en disant : « ne seront reçus à prescher pour
» l'advenir que Français, et de nos sujets, » détruisait la liberté
accordée à tous, sans destinction de nationalité, par l'édit, de
professer publiquement la religion réformée, et décrétait, par
cela même, l'expulsion de plusieurs ministres dévoués qui s'é-
taient fait un devoir de venir, en France, édifier leurs coreli-
gionnaires.
Les articles 14 et 15 imposaient aux réformés, sans respect
pour leurs convictions personnelles, l'obligation d'observer les
jours de fêtes et les jours de maigre, admis par l'église catho-
lique.
1. De Thou, Hist. univ., t. III, p. 412.
— 320 —
L'article 1 7 ne permettait aux réformés d'autres collectes que
celles qui se feraient pour les pauvres, dans les lieux de culte,
à l'issue du service, et « prohibait toutes levées de deniers et
y> cueillettes, enrôlements de personnes et cotisations, encores
» qu'elles fussent volontaires. »
Voilà quelles altérations profondes l'édit d'Amboise avait
subies en quelques mois !
Les réformés, lésés de la sorte dans leurs droits, leurs légi-
times intérêts et leurs personnes par des déclarations du pou-
voir souverain empreintes tout à la fois d'animosité et d'arbi-
traire, l'étaient en outre, journellement par les gouverneurs des
provinces, par les parlemens, par les juridictions subalternes,
et par les nombreux agents de l'autorité supérieure, qui non
seulement affichaient, à leur égard, une partialité révoltante,
dans leurs démêlés avec les catholiques, mais qui, de plus,
assuraient une impunité complète aux auteurs de délits et de
crimes, tels qu'outrages, agressions à main armée, spoliations,
incendies, blessures, meurtres, dont ces mêmes réformés étaient
victimes.
L'amiral, dès que l'un de ces excès était connu de lui, éle-
vait la voix en faveur des opprimés et provoquait le châtiment
des coupables. Ce fut ainsi, qu'après son retour à Ghâtillon, il
s'empressa d'écrire, le 26 février, à Catherine de Médicis ^ :
c( Madame, il vous pleut dernièrement me commander que,
» là où je congnoystroys personnes en ce royaume qui voulussent
» altérer les édictz et ordonnances du roy et empescher le repoz
» publicq d'icelluy, j'eusse à en advertir incontinent Vostre
» Majesté. Maintenant il se présente une occasion d'une grande
» inhumanité et cruaulté qui s'est faite depuys peu de temps
» en la ville de Bloys par aucuns séditieux contre beaucoup
» des meilleurs et des plus paisibles et modestes habitans de
1. Bibl. nat., mss. f. fr., vol. 15542, f 56.
— 321 —
» ladite ville ; et afin, madame, que vostre dicte Majesté soit
» mieulx informée du faict et comme tout cela est passé, je
D luy envoyé une lettre d'un mien secrétaire qui m'en a escript
y> et lequel je la puys asseurer estre fort homme de bien et sans
» aucune passion. Il luy playra la veoyr et ouyr davantage ce
» porteur qui est envoyé vers elle pour obtenir quelque provi-
y> sion et remède convenable ; je la supplieray très humblement
y> de la leur vouloir départir... Madame, je vous supply me
y> pardonner sy je vous dicts que la trop grande impunité est
» cause de toutes ces grandes cruautés et désordres, car il
» semble à ceulx qui les font qu'ilzfont bien, sous ombre qu'on
» leur souffre. Je vous supply, madame, au nom de Dieu, y
» vouloir pourvoir, et vous serés cause que le roy sera bien
y> servy et obéy. »
A cette communication, comme à toutes autres du même
genre, Catherine répondit que justice serait faite : mais quelle
valeur pouvait s'attacher à ses paroles, alors que des faits
empreints d'une incontestable gravité venaient journellement
les démentira
Promettait-elle de faire rechercher et punir les auteurs d'at-
tentats commis sur les réformés : ses promesses étaient, la
plupart du temps, illusoires. Ne l'étaient-elles pas, eu ce sens,
du moins que, conformément à un ordre émané d'elle, sous le
nom du roi, des poursuites s'entamaient : ces poursuites étaient
bientôt abandonnés ; ou, si elles se continuaient, pour la forme,
1. « Non esset difficile sanare omnes tumultus, imô sponté conciderent, nisi
» eos regina clandestinis artibus foveret. Aliud quidem simulât, certum tanien
» est per emissarios ità agere ut quod palam decretum est ia régis consilio,
î irritura suâ improbitate faciant nihili homines. Certé scelerum impunitas
y> satis ostendit eam probare quidquid ad nos opprimendos spectat. » (Calvinus
Bullingero, 29 julii 1563, op. Calvini, vol. 20, n» 3995, p. JH. — Voir aussi
l'écrit intitulé :
)) Doléance faite au roy, sur l'importunité des meurtres et oppressions qui se
» commettent journellement en ce royaume, au préjudice de sesédits. » (Mérn.
de Condé, t. V, p. 164 et suiv.)
II. 21
— 322 —
elles échouaient quant à la répression qu'elles eussent dû
entraîner, devant les parlements ou les autres juridictions,
aveuglés par la haine et dépourvus de tout sentiment de justice.
Des déclamations, des menaces, des émeutes, des violences
éclataient-elles contre les réformés :. les gouverneurs des pro-
vinces, ou leurs subordonnés, refusaient habituellement de les
réprimer, et fomentaient, par leur inaction calculée, l'extension
d'épouvantables désordres, dont parfois quelques-uns d'entre
eux avaient même été les secrets instigateurs ,
Et non seulement cela : mais Catherine contribuait à aggraver
les désastreuses conséquences d'un tel état de choses par la
ténacité avec laquelle elle s'attachait à saper par sa base, en
même temps qu'à détruire en détail, l'édit d'Amboise, et à
mettre les réformés hors la loi ^
Afin de mieux assurer l'exécution des pervers desseins qu'elle
avait conçus contre eux, elle voulut d'abord se rendre compte
personnellement de leur nombre, de leur situation, ainsi que
de la limitation probable de leurs ressources et de leurs forces,
en les voyant de près, dans les différentes parties de la France
qu'ils habitaient, et organiser, d'après ses propres constatations,
le système de compression graduelle auquel elle entendait les
soumettre, pour arriver, un jour, à leur anéantissement final.
Alors elle résolut d'entreprendre, avec le roi son fils, dans les
principales provinces du royaume, une longue tournée à laquelle
elle n'assigna officiellement d'autre caractère que celui d'une
mission de paix et de bienfaisance à accomplir par le souverain,
i. « Je ne cloute pas, écrivait le cardinal de Sainte-Croix au cardinal Bor-
> romée, que voti'e Èminence ne reçoive un grand plaisir d'apprendre que les
» affaires de ce royaume ne prennent pas ce mauvais train que tout le monde
» croyait et publiait, attendu que, par la grâce de Dieu et la prudence
» de la reine très chrétienne, chacun va maintenant au but auquel il doit
» aller. C'est pourquoi on tient pour certain que, dans peu de temps, on
» n'entendra plus parler des huguenots, en France, et chacun reconnaît en cela
» combien on est redevable à la prudence et aux bons conseils de votre Emi-
» nence. j» (Lettre du 24 avril 1564, ap. Aymon. rec. des synodes, t. 1, p. 265).
— 323 —
au sein de populations troublées et souffrantes, dont il voulait
étudier les besoins, soulager les maux et améliorer la condition.
Le but réel de cette tournée est nettement caractérisé par
Davila \ en ces termes :
€ Le roi et la reine prirent la résolution de visiter toutes
» les provinces et les principales villes du royaume. Ils comp-
)) talent, dans ce voyage, travailler utilement à l'avancement des
y> projets qui étaient le mobile et le but de toutes leurs démar-
)) ches. Ils se mettaient à portée de s'aboucher, en Dauphiné,
» avec le duc de Savoie ; à Avignon, avec les ministres du pape,
» et avec le roi d'Espagne ou la reine son épouse, sur les fron-
» tières de Guyenne. Ils pouvaient faire part à ces princes de
» leurs desseins, sans crainte qu'ils parvinssent à la connais-
» naissance des huguenots : inconvénient presque inévitable,
)) s'ils les eussent confiés à des ambassadeurs français qui eussent
y> pu avoir des liaisons avec le parti. C'était d'ailleurs un moyen
» de se ménager l'amitié du souverain pontife et des autres
y> princes catholiques, et de prendre avec eux les mesures con-
» venables pour exécuter à loisir et sans risque la résolution
» que l'on avait formée. Ils espéraient encore pouvoir traiter
0 en personne avec le duc de Lorraine, et par son entremise
» avec les princes protestans d'Allemagne, afin de conclure
y> avec eux une alliance si étroite et si avantageuse, qu'on n'eût
j) plus lieu de craindre qu'ils embrassassent la protection des
Tî) huguenots et vinssent de nouveau se mêler des affaires de
» France.
La cour avait passé l'hiver à Fontainebleau où les ambassa-
deurs de Philippe II, du pape et du duc de Savoie étaient venus,
en février,prier le roi de faire ponctuellement observer, en France,
les décrets du concile qui venait de se tenir à Trente, et l'inviter
à se rendre, vers la fin du mois de mars, dans les Etats du duc
de Lorraine. A Nancy, devaient se trouver divers princes avec
1. Hist. des guerres civ. éd. fr. t. I, p. 208.
_ 324 —
lesquels le roi s'engagerait à l'observation des décrets précités,
et délibérerait sur le choix des moyens propres à combattre
efficacement l'hérésie. Au premier rang de ces moyens devait
figurer, selon les ambassadeurs, la révocation des concessions
laites aux réformés par l'édit de pacification.
La question de la réception pure et simple, en France, des
décrets du concile de Trente soulevait de graves contestations.
Le célèbre jurisconsulte Dumoulin venait de publier une con-
sultation fortement motivée ^, dans laquelle il établissait : « que
)) le concile de Trente ne pouvait et nedevoit estre reçeu, et que
» la réception et approbation d'iceluy seroit contre Dieu et
)) contre le bénéfice de Jésus-Christ et l'Évangile, contre les
» anciens conciles, contre la majesté du roy et droits de la cou-
9 ronne, et régalles, contre les édicts récents de luy et de ses
^) prédécesseurs rois, contre la liberté et immunité de l'église
y> gallicane, autorité des Estats et cours de parlement du
* royaume, et jurisdiction séculière... y>
Le parlement de Paris, tout en condamnent, ab irato, à la
prison Dumoulin, comme entaché de mauvais sentiments, en
matière religieuse, ne pouvait en rien infirmer le sérieux des
critiques disertement développées dans la consultation incri-
minée. D'une autre part, Catherine sentait qu'il serait dangereux,
du moins pour le moment, de formuler en termes exprès une
abrogation, même partielle, de l'édit d'Amboise. Elle éluda donc
la double difficulté qui se dressait devant elle, en congédiant
les ambassadeurs, avec des réponses ambiguës; et bientôt,
pressentant que les négociations entamées, en vue d'une paix à
établir entre l'Angleterre et la France, ne tarderaient pas à
aboutir, elle se décida au départ.
1. Cette consultation, dont les mémoires de Condé t. V, p. 83 a 129) repro-
duisent le texte, et qui est insérée dans les œuvres de Dumoulin (in-f° 1681,
t. V), fut délibérée ù Paris, dans les derniers jours de février 1564, et dédiée
par son auteur au prince de Portien, le 28 mai suivant. (V, mém. de Condé
t. V, p. 82, 83).
CHAPITRE III
Départ de Laudonnière pour la Floride, sur l'ordre de Coligny. — L'amiral à Tanlay. —
Correspondance avec le prince de Porlien. — Synode de Laferté-sous-Jouarre. —
Appui accordé aux réformés de Troycs par le prince et la princesse de Condé. —
L'amiral visite Condé à Vallery, après la mort d'Éléonore de Royc. ■ — Entrevue de
Soubize et de Catherine de Médicis, à Lyon. — D'Andelot et les réformés de Crevant.
— Lettre de Catherine au cardinal deChàtillon. — Déclaration publiée à Roussillon,
remontrances de Condé. — Catherine cherche à apaiser Condé et les Chàtillons. —
Mariage de d'Andelot avec Anne de Salm. — Lettres de Coligny à l'avoyer et au
conseil de Berne, aux magistrats de Zurich et à Th. de Bèze. — Mariage d'Odct
avec Isabelle de Hauteville. — Naissance de Charles de Coligny — Lettres de
l'amiral et de Charlotte de Laval à Renée de France.
Avec le début de la longue tournée entreprise par la reine
mère et par le roi coïncida celui d'une nouvelle expédition mari-
time, à destination de la Floride, conçue par Coligny. Il avait
pressé l'organisation de cette expédition dès que le sursis de
trois ans, décrété quant au conflit soulevé par les Guises, en
l'affranchissant de préoccupations jusque-là incessantes, lui
avait rendu quelque liberté d'action dans la direction des affaires
qui relevaient de sa charge d'amiral de France. Sur sa désigna-
tion expresse, un marin distingué et énergique, professant la
religion réformée, Laudonnière, fut investi du commandement
de l'expédition. Les trois navires, équipés au Havre, dont elle
se composait, reçurent à leur bord des troupes et de nombreux
ouvriers. Ils partirent le 22 avril.
En 1564, comme en 1555 et en 1562, le but que poursuivait
Coligny était de doter sa patrie d'une colonie en Amérique, et
d'y ouvrir, en même temps que des débouchés et un champ
~ 326 —
d'activité pour le commerce, un asile assuré à ceux des réfor-
més français que les circonstances porteraient à s'y fixer.
Nous parlerons plus loin de l'issue de cette troisième expédi-
tion, alors que nous retracerons, dans une esquisse d'ensemble,
le sort des deux expéditions antérieures, et que nous nous occu-
perons d'autres faits maritimes postérieurs à l'année 1564.
Tandis que la reine mère, ayant quitté Fontainebleau, s'a-
vançait avec son fils vers Troyes, et de là vers la Lorraine,
Goligny et Odet se rendirent chez d'Andelot ^ Le trajet de Ghâ-
tillon-sur-Loingà Tanlay ne s'effectua pas sans danger, de l'aveu
même d'un homme qui était loin de s'intéresser à eux. « L'a-
:» mirai et le cardinal son frère, écrivait le secrétaire Sarron ^,
)) le 40 mai 1564, venant, ces jours passez, devers Andelot,
» voulurent passer par une petite villette qu'est sur le che-
y> min ; mais à cause que l'on craignoit que lesdictz Ghastil-
)> Ions ne se vinssent joindre avecq le prince de Gondé pour
y> recommencer quelques garboulles, ceulx de ladite villette ne
)) les voulurent laisser entrer dedans ; ainsleur tirarent, comme
» l'on dict, plusieurs coptz d'arquebouses et dirent plusieurs
» injures, dont ils ont envoyé faire leurs plainctes au roy,
^ lequel a faict dépescher une commission au provost de la
1. « Le roy alla faire sa festo de pasques à Troye en Champaigne, où
> M. Uandelot vint de sa belle maison de Tanlé (Tanlay), qui est là près, faire
j la révérence au roy, et aussy pour se plaindre à luy de quoy un de ses capi-
» taines, ayant une compaignie vieille en garnison à Metz, estant mort, il avoit
» pourveu à la compaignie et l'avoit donné à un autre des siens; et le roy en
» avoit pourveu un autre à sa voulonté et dévotion. M. Dandelot remonstroit
î que c'estoit lui faire tort à son authoritéet privilège de couronnel, qu'il avoit
» de longtemps à pourvoir de places vacquantes de compaignies vieilles, et que
» M. l'amiral avant luy et luy après, avoient tousjours ainsi faictet pratiqué. Mais
» à cela luy respondit très bien et aussitôt la reyne, en plein conseil :M. Dan-
» delot , ne vous attendez plus à cela, car le roy mon fils y veut pourvoir
» désormais. Ce fut à M. Dandelot à passer parla. Quelle reyne brave, et de
» quelle audaoe elle s'en faisait acroyre ! ! (Brantôme, éd. h. Lai. t. VI, p. 50,57).
2. Mém. de Condé, t. II, p. 200.
~ 327 —
» cour pour s'informer sur ce faict, afin de chastier ceulx qui
y> auront failly. »
Réunis à Tanlay, les trois frères y reçurent des nouvelles du
prince de Portien. Les 22 et 29 avril, ils lui adressèrent des
lettres * dans lesquelles ils « l'assuraient qu'ils avoient éprouvé
)) un fort grand contentement d'avoir entendu les bons et ver-
y> tueux propos qu'il avoit tenus, estant à la cour, y> et lui
exprimaient en termes chaleureux, toute leur estime et tout leur
dévouement, ci Je vous remercie, lui écrivit l'amiral, de la
» bonne volonté et affection qu'il vous plaist me continuer.
» Quant à moy, je vous asseureray que vous pouvez faire estât
» de moy et de tout ce qui en deppend, comme de celuy qui
» vous est merveilleusement tenu et obligé, et qui ne désire
)) rien tant que de vous faire paroistre l'envie qu'il a de vous
» faire et plaisir et service, l'occasion s'en offrant. »
Le prince de Portien donnait, à ce moment, une nouvelle
preuve de son attachement à la cause des réformés, en envoyant
à un synode provincial qui siégea, le 27 avril, à Laferté-sous-
Jouarre ^ « lettres par ung sien ministre, nommé M. Pasquet,
» par lesquelles il signifiait à l'assemblée vouloir emploier son
^ corps, ses biens et sa vie pour la querelle du Seigneur. »
Dans ce même synode, que le cardinal Granvelle ^ affirmait
(( s'estre faict soubs le port et faveur » de Goligny et de ses
frères, des princes de Condé et de Portien, et du duc de Bouil-
lon, le ministre Perussel, attaché à la personne de Louis de
Bourbon, « dict que la royne avoit escript à l'admirai lettres
1. Bibl. nat., mss. f. fr. vol. 3196, f-^ iS, 49, 50.
2. Rapport rédigé par un dénonciateur, sur le synode provincial des églises
réformées de Champagne, Brie, Picardie, lie de France, et Vexin français, tenu
le 27 avril 1564, à Laferté-sous-Iouarre. (Bibl. nat,, mss. f. fr. vol. 6 616,
1°^ 96, 97, — Pap. d'État de Granvelle, t. VII, p. 528 à 531. et p. 664. — Ibid.
t. Vlll, p. 17, 18. —Mm. de Condé, t. II, p. 204. — Mém. de Cl. Hatton,
t. I, p. 384.
3. Pap. d'Étaf de Granvelle, t. VIII, p. 17.'
— 328 —
» rudes et estranges, par lesquelles luy mandoit d'estre bien
» advertye que ceulx de la religion réformée se délibéroient de
y> recommencer les troubles du temps passé, pour ausquels
y> obvier elle employerait toute la puissance du royaulme et de
» ses alliés, si comme du pape, roi d'Espaigne et aultres.
)) Lequel récit achevé, ledit Perussel dict que la royne leur
)) imposoit par ses lettres ce quelle-mesme avoit intention de
i) faire, et partant qu'il estoit d'advis de publier que chacun de
ï> leur dicte religion célébrerait le jeûne, la semaine devant la
)) penthecoste, affm que Dieu les veulle inspirer de bon conseil
y> et adresser ceulx de sa saincte église, et que, si la royne de-
y> mandoit à quelle fin ce jeusne seroit pareulxpubhé, luy-mesme
» luy respondroitque la raison vouloit bien queainsy fustfaict,
y> actendu qu'ils avoient descouvert ses menaces et entreprinses.
» — Le président dict assez saigement que la royne ne feroit
y> point tout ce qu'elle vouldroit. — L'assemblée pria au dict
» Perussel de recommander l'affaire de leur église au prince
y> de Gondé et l'animer tousjours de ne point perdre couraige. d
Les trois Châtillon apprirent bientôt, qu'ainsi qu'ils l'avaient
pressenti, ni Gondé, ni surtout sa femme, leur digne nièce ne
perdaient courage.
Le prince et elle se trouvaient auprès du roi et de la reine
mère en avril, à Troyes, où la paix avec l'Angleterre avait été
publiée le 11 dudit mois. Loin de laisser croire que cet impor-
tant événement fut le symptôme d'un rapprochement quelconque
entre elle et Elisabeth sur le terrain des questions religieuses,
Catherine se réserva de prouver par ses actes que nul rappro-
chement de cette nature ne s'était opéré, et elle tint au con-
traire à accentuer de plus en plus le caractère hostile de ses
dispositions à l'égard des réformés.
Elle commença, durant son séjour à Troyes, par enlever au
conseil, en se la réservant à elle-même, la connaissance de
plaintes fort graves qu'articulaient les réformés de la Cham-
— 329 —
pagne; plaintes destinées à demeurer sans réponse et sans répa-
ration, quelles que fussent d'ailleurs, pour les appuyer, les
démarches du prince et de la princesse de Gondé. Les faits sur
ce point sont significatifs ; en voici le résumé :
Les réformés de Troyes étaient violemment maltraités par
le duc d'Aumale, chargé du gouvernement de la Champagne, au
nom de son neveu encore mineur. Réduits à l'impossibilité d'ob-
tenir du duc le moindre respect pour les droits qu'ils tenaient
de l'édit de pacification, ils cherchaient, à proximité du trône, une
protection sous laquelle ils pussent s'abriter. Ce fut alors
qu'Éléonore de Roye pressa son mari de leur accorder l'appui
nécessaire. Gondé ayant échoué dans une réclamation qu'il
avait présentée pour que justice leur fut rendue, elle saisit
bientôt après l'occasion, qui s'offrit à elle, d'intervenir person-
nellement en faveur de ses coreligionnaires auprès de Gathe-
rinede Médicis. Laissons le pieux et véridique Nicolas Pithou
raconter ce qui se passa à cet égard, a Geux de l'église de Troyes,
» dit-il \ ayant esté advertis par le sieur de Saint-Martin des
» propos que le duc d'Aumale lui avoit tenus, et que leurs
y> affaires demouroient en arrière, ils eurent recours au prince
i de Gondé et luy feirent entendre comme le tout se passoit en
» cest endroict; le suppliant qu'il luy pleust vouloir prendre, à
» bon escient, leur faict en mains, autrement qu'ils estoient
y> en voye de demeurer tousjours en un mesme poinct . Le prince
» les pria que delà enadvant ils ne parlassent plus à luy en pu-
)> blic. Si ne laissa-t-il toutesfoys de leur promettre qu'il veil-
Ti leroit et feroit tout debvoir en tout ce qui concerneroit le
y> faict de leur église. Et s'estant, ce mesme jour, trouvé au
» conseil, oubliant ou bien tenant à peu la défense dudit con-
» seil, il ne laissa de parler pour le faict deceulx de Troyes et
)) d'en faire ouverture. Mais au plustost que le duc d'Aumale
I. Hist. de l'église réformée de Troyes, (Bibl. nat., mss. coUec. Dupuy, vol.
698, f"^ 593, 594.
- 330 —
•» luy eiist ouy entamer les propos, il luy dit que la roino mère
> avoit défendu qu'on ne traitast de ceste affaire au conseil, et
y> qu'elle l'avoit réservée à soy ; ce qui garda le prince de Condé
» de passer plus oultre. Voyant ceulx de l'église qu'ils ne prou-
3) fitaient de rien, et que leurs plaintes et doléances avoient
y> esté si mal reçeues et le remède encore plus mal appliqué, ils
)) résolurent de sonder une voye toute nouvelle, qui fut d'en-
y) voyer les plus notables et apparentes bourgeoises de la reli-
» gion vers la royne mère pour essayer si elle ne se rendroit
» point plus favorable et pitoyable envers ce sexe. Ainsi donc-
» ques ayans ceulx de la religion résolu de passer outre à l'exé-
ï) cution de ceste entreprinse, ils esleurent Loyse Nevelet,
y> veuve d'un marchand nommé Nicolas Charlemagne, femme
3) de moyen âge et craignant Dieu. Et pour en faciliter l'effect
» on avisa de s'aider de la faveur de madame la princesse de
» Condé, Éléonore de Roye, dame vertueuse et sage, qui estoit
» pour lors à Troyes. On luy communiqua ceste entreprinse
)) et la pria-t-on qu'il luy pleust moyenner l'accès à ces dames
y> de Troyes vers la royne mère ; ce que ceste bonne princesse
y> promit volontairement faire, et non seulement cela, mais
» aussy de les présenter elle mesme à la royne. Et comme elles
y> estoient prestes de s'acheminer, on rapporta que le prince de
y> Navarre, courant aux barres en la salle du roy, venoit d'estre
ï> blessé, dont toute la court estoit fort triste et troublée. Ce
» qui fit remettre ceste entreprinse à une autre foys, laquelle
)) sans cela on alloit exécuter. Ainsy furent ces bourgeoises
» contraintes de se retirer en bonne dévotion de retourner, à
y> la première commodité, qui toutesfois ne se put oncques
» puis recouvrer. »
Peu de temps après son retour de .Tanlay à Ghâtillon, Goligny
fut profondément affecté, en apprenant la mort de Calvin, en
qui il perdait un ami dont la sympathie, les judicieux conseils
et les pieuses exhortations l'avaient fidèlement soutenu, dans
-- 331 —
une carrière tiaversée par tant d'austères épreuves. Aussi,
quelle ne fut pas son émotion quand il reçut, comme un pré-
cieux legs du grand réformateur, la dédicace de la dernière
œuvre de celui-ci * ; legs dicté par l'inspiration de nobles sen-
timents, dont Th. de Bèze se constitua l'interprète auprès de
l'amiral, en lui disant ^ : « Monseigneur, je me tiens tout assuré
2) que ne ferez pas moins vostre profit de ce dernier œuvre de
» Jean Calvin, ce grand etvrayment excellent serviteur de Dieu,
y> que vous avez accoustumé d'en faire de tous les précédens.. .
y> Si quelqu'un s'enquiert pourquoy nous vous l'avons plustost
y> dédié qu'à quelque autre, je dis franchement que c'est luy
» mesme qui en a esté cause, lequel a pu ordonner de ce qui
3) uy appartenoit ainsy que bon luy a semblé. Mais je dis
» davantage, que pour grandes et justes raisons il eust fait
y> cela qu'il avoit délibéré. Car moy ayant demeuré avec vous
» par l'espace de vingt mois entiers durant la paix et la guerre,
)) et veu de mes propres yeux les grâces singulières tant de l'es-
y> prit que du corps, desquelles, estant absent de vous, il s'es-
y> merveilloit et les avoit en révérence : pourquoy ne m'accor-
» derois-je à son jugement ?... Or, qu'il n'ait point esté trompé
y> du jugement qu'il a fait de vous, si vostre modestie portoit
» d'estre louée en présence, ou s'il estoit licite de s'en enquérir
y> comme on faict en choses douteuses : combien pourroit-on
» mettre en advant de tesmoignages certains et asseurez pour
» vérifier cela ! y>
Vingt mois ne s'étaient pas écoulés depuis la mort de Cal-
vin, lorsqu'à la douleur qu'en éprouvait l'amiral s'ajouta, pour
lui un deuil de famille profondément affligeant : le 23 juillet,
il perdit sa nièce, Éléonore de Roye, princesse de Condé, qu'il
1. Commentaires sur Ézéchiel. Genève 1565.
2. Dédicace de l'ouvrage précité « à très vertueux seigneur, miroir et exem-
ï plaire de piété et de toutes vertus chrestiennes, monseigneur Gaspard de
» Coligny, grand amiral de France, etc., etc. »
— 332 —
aimait d'une affection paternelle, et qu'il avait constamment
soutenue, dans la poignante accumulation d'épreuves imposées
à son cœur de fille, de femme et de mère. Elle venait, jeune
encore, de couronner, en vraie chrétienne, par l'expression su-
prême de sa foi et de ses sentiments intimes, une existence
dont la pureté et la noblesse devaient laisser et ont, en effet,
laissé, dans l'histoire des traces durables.
La mort de cette femme énfinente, de cette compagne, dont
la générosité de cœur égalait la tendresse et le dévouement,
laissait Gondé plus exposé que jamais à des pièges et à des pé-
rils contre lesquels Coligny pouvait mieux que tout autre, le
prémunir, à raison de l'ascendant qu'il exerçait sur lui, au
double titre de parent et d'ami. Le prince séjournait, en août,
au château de Valéry : l'amiral vint l'y voir, le consoler, l'é-
clairer sur sa situation, et s'attacha à le maintenir, par de vi-
rils conseils, au niveau des devoirs que lui dictaient les circon-
stances, à l'égard des réformés.
La gravité de ces circonstances ressortait surtout du rappro-
chement de divers faits caractéristiques.
Arrivée à Lyon, où Soubize était venu la trouver, Catherine,
sourde aux sages représentations de ce fidèle serviteur, l'avait
éconduit de la cour, en alléguant qu'il devait y redouter la pré-
sence de nombreux ennemis *; allégation contre laquelle Sou-
bize avait en vain lutté, et qui, réitérée par la reine mère, équi-
valait pour lui à un ordre de départ. De Lyon il était allé à
Châtillon-sur-Loing ^, faire part à l'amiral de l'impression dé-
favorable que lui laissaient ses entretiens avec Catherine.
D'Andelot, dans une lettre des plus pressantes, en date du
14 juin, s'était plaint à cette princesse de scènes meurtrières
dont Cravant avait été le théâtre, et qui nécessitaient une sé-
1 . Voy. appendice, \r 26.
2. Une lettre de Soubize au maréchal de MontiTiorency, du 25 juillet, est
datée de Chàtillon-sur-Loing. (Bibl. nat., inss. f. fr. vol. 20507, f° I3i.
— 333 —
vère répression. Elle lui avait répondu, de Lyon, le 18 du même
mois \ en lui annonçant que les coupables seraient recherchés
et punis : « Je veux vous faire entendre sur un bruict qui m'a
» esté dict que l'on faict courir par delà, que l'on veut rompre
» l'édict, que nous sommes tant esloignez de cela, que nous le-
y> nous tous ceux qui y contreviendront et entreprendront
» quelque chose au contraire, pour rebelles et désobéissons;
» résolus de les faire chattier et punir comme ennemis et per-
» turbateurs du repos public, et en faire tel exemple, que cha-
» cun congnoistra que nous voulons qu'il demeure, et que tous
» vivent en liberté, sous le bénéfice d'iceluy, sans ennuy ny of-
» fense et empeschement; il n'y a rien, je vous assure, dequoy
y> j'aye plus de soin, ny à quoyje voye le roy monllls, tous les
y> princes et seigneurs de son royaume, et gens de son conseil,
» plus enclins, cognoissant que delà despend le bien du royaume
» et service du roy mondit fils. »
Ce langage était tellement dépourvu de sincérité, que, dès le
24 juin, intervint, à Lyon, une déclaration royale qui renou-
vela la défense, formulée par une déclaration précédente, de
célébrer le culte réformé dans tous les lieux où résiderait le
souverain, aussi longtemps qu'y durerait sa résidence ^.
Catherine n'en adressa pas moins, le 25 juillet, au cardinal
de Châtillon, qui se trouvait alors auprès de l'amiral ^, les lignes
suivantes *, dont le ton menaçant augmenta la défiance des
deux frères : « Mon cousin, j'ay reçu vostre lettre par Sarra-
» gosse ^, répondant à laquelle je ne feray que répéter ce que je
1. Mém. de Condé, t. V, p. 159, 160. .
2. Fontanon, rec. des ordonn. t. IV. p. 279.
3. Lettre du cardinal de Cluitillon au maréchal de Montmorency, datée de
Châtillon, 24 juillet 1504. (Bibl. nat., mss. f. fr. vol. 3 071, f 45).
4. Du Bouchet, hist., de la maison de Goligny, p. 415, 416.
5. « Nous attendons dedans un jour ou deulx Sarragosse, qui est allé à la
> court, et par luy plus particulièrement toutes nouvelles desquelles vous
— 334 —
y> vous ay dernièrement escrit, qui est que le roy, monsieur mon
» fils, et moy n'avons rien plus à cœur que l'entretennement
» de l'édict, et que tous ceux qui s'imprimeront ou feindront
» croire autre chose sur ce de nostre intention nous feront con-
» gnoistre qu'ils ayment le garbouil et sont marris du repos
)) que nous avons tant travaillé et cherchons par tout moyen
y> à tant mieux establir en ce royaume; dont ils se peuvent aussi
y> assurer qu'il ne rapporteront rien que la malle grâce de leur
» prince, quiest,Dieu mercy, assez grand, assez fort, et encore
y> plus délibéré de s'en faire bien croire et obéyr; ayant cognu
2> l'utilité et le bien qui en est venu : Vous priant, mon cousin,
» tenir cela pour résolu, et ne vous lasser pas d'en rendre ca-
» pables ceux qui en seront en doubte ; car telles suspicions
3) sont tant combattues des effets de nostre bonne intention, que
» je voy tous les gens de bien s'en contenter : ainsi je veux
y> croire que tous ceux qui font courir ces bruicts ont à grand
» desplaisir de voir le bien que nostre Seigneur a fait en cet
» endroit à ce royaume. y>
Il y eut plus } le 4 août, à l'instigation de Catherine, fut
publiée à Roussillon, sur la frontière de la Savoie, une nou-
velle déclaration * défendant aux hauts justiciers d'admettre à
la célébration du culte réformé, dans leurs demeures, comme
précédemment, d'autres personnes que leurs vassaux ; interdi-
sant la tenue des synodes, ainsi que toutes cotisations et le-
vées de deniers ; enjoignant aux ecclésiastiques, aux religieux
et aux religieuses, qui avaient quitté leur état, de le reprendre,
et annulant les mariages contractés par les uns et les autres. A
l'observation des dispositions arrêtées sur ces deux points
étaient attachées les peines les plus sévères, et même, dans un
cas particulier, la peine de mort.
j) aurez vostre part. » (Lettre de Coligny au maréchal de Montmorency, datée
de Châtillon, 29 juillet 1564. Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 20 500, f» 5).
1. Fontanoi), roc, des ordonu. t. IV, p. 279 à 281.
— 335 —
De tels faits devaient soulever de sérieuses critiques. Celles
qui partirent du château de Vallery, où Gondé s'inspirait des
vues et des conseils de l'amiral, furent adressées directement à
la reine mère par ce prince, dans une lettre du 31 août *.
« Il est besoin, lui disait-il, de faire plus sincèrement niain-
» tenir et observer l'édict de pacification en son entier, qu'il
y> n'a esté jusques icy, sans y user de tant d'interprétations et
3) commentaires ils ne servent qu'à engendrer et nourrir
» une méfiance et soupçon parmi vostre peuple, principalement
» celuy de la religion, lequel ne peut croyre que ces moyens ne
)) soyent autant de brèches pour finalement le révoquer et le
)) rompre du tout; et les autres, en ceste assurance d'en voir
)) l'effet, se fortifient en une audace de faire pis : car la décla-
)) ration qui a esté naguère expédiée à Roussillon est telle que,
» tant s'en faut qu'elle puisse apporter profit ni édification,
y> qu'au contraire chacun de l'une et l'autre religion ne la peu-
» vent gouster; attendu qu'ils allèguent que les restrictions y
y> contenues sont si aigres et mordantes, que l'on n'en peut es-
» pérer sinon des conjurations et monopoles, ou bien la chute
» du tout en athéisme, par un abandon et mespris de religion.
» Et sur ce point, madame, je ne • me puis contenir de me
)) plaindre d'un article entr' autres, porté par ladite déclaration,
» contenant deffence à tous hauts justiciers, de quelque qualité
0 et condition qu'ils soient, sans aucune exception , de per-
» mettre ni consentir ou recevoir autres que leurs subjets à
y> faire exercice de leur religion en leurs maisons, chasteaux ou
» fiefs, à peine d'estre privez du bénéfice de l'édict, de confis-
» cation de biens ; qui est une condition si dure à porter, et
» principalement à moy et à tous autres, dont les services mé-
» ritent estre plus gracieusement recognus, que je ne puis
» penser que cela provienne de vostre opinion : ains de l'advis
1. Mém. de Condé, t. V, p. 201 à 204.
— 336 —
y> et plustost de l'importunité de ceux qui sont plus garnis de
3) passions et animez contre ceux qui ne peuvent adhérer à leur
)) fantaisie, qu'accompagnez de bonnes raisons, ni du désir du
ï> repos public : considérant d'un costé la subjection en la-
)) quelle je serais de ne pouvoir avoir en ma compagnie au-
y> cuns gentilshommes ou autres, qui me viendroient voir, qui
)) assistassent aux prédications et aux autres exercices de la re-
» ligion, sans estre en danger qu'un conseiller et un petit juge,
)) ou procureur, ou autre de semblable qualité, qui tous ou la
)) plus grande partie nous ont sous ce prétexte en haine, ne
)) viennent prescrire et confisquer mon bien; et de l'autre, les
y> troubles et inconvéniens qui en pourroient advenir; et croy,
» madame, que vous n'avez pas si peu d'estime de moy, de
3) penser que je veuille consentir que les biens que je n'ay au-
y> cunement jamais non plus espargnez que la vie, à vostre ser-
y> vice, soyent a présent submis à la volonté et disposition d'un
» tel passionné conseil, ni moins des autres juges, qui se vou-
» droyent couvrir et aider de ceste ordonnance, et vous supplie
» très humblement m' excuser si j'en parle d'affection; d'autant
y> que je ne pourrois comporter telle indignité davantage, en ce
y> qui concerne les assemblées pour les synodes. Il me semble,
» madame, sous meilleur advis toutes fois, que telles deffences
)) n'estoient nécessaires, veu que delà dépend la discipline ec-
» clésiastique et le remède pour obvier aux hérésies et à toutes
5) iUicites licences, dont les cerveaux moins résouts se sentent
» plus retenus; qui est une bride, laquelle peut beaucoup pro-
» fiter, et bien peu ou nullement nuire, pourveu que les gou-
y> verneurs ou lieutenans-généraux des provinces y assistent,
» ou députent d'autres en leurs places, afin de regarder et de
y> contreroller les abus qui s'y pourroient commettre. — II y a
y> bien autres semblables et aussi poignans articles, dont l'ai-
3) greur mériteroit estre adoucie, et desquels je me déporte à
» présent de parler. y>
— 337 ^
Condé en parla, bientôt après, dans un mémoire étendu *,
qu'il adressa au roi et à la reine mère. Il termina ce mémoire,
en stigmatisant la haine et l'injustice de la plupart des gouver-
neurs, des fonctionnaires et des parlements, par ces paroles
auxquelles il savait qu'adhérait l'amiral :
(( L'animosité de plusieurs gouverneurs, magistrats et offi-
y> ciers est telle que, quand il survient devant leurs yeux des
» menaces ou séditions, qui sont matière des troubles que
)) nous voyons, et de l'altération de Testât, ils connivent ou bien
» finalement ils informent plustost contre les meurtris, que de
» vouloir seulement, par une démonstration de faire justice
)) retenir l'insolence des meurtriers, lesquels il est vraysem-
» blable estre incitez et soustenus par lesdits magistrats et offi-
^ ciers, pour en estre l'impunité toute apparente, qu'il semble-
)) roit que leurs majestez nous auroient en plus grande horreur
» et en moindre opinion et estime que les autres, voyant tous
» les jours nos vies en danger, et nos biens exposez en proye.
» — Que ces choses ne soient véritables, les exemples journelles
» en font plus de foy qu'il n'en seroit de besoin, pour n'avoir
» ordinairement autres rapports que des meurtres et mas-
y> sacres qui tous les jours se commettent, et dont on ne tient
» compte de faire aucune punition en justice, comme les mas-
» sacres et séditions qui se sont faits depuis la publication de
)) l'édict par toutes les provinces de ce royaume, et mesmes à
» Grevan, au Maine, en Vendosmois, en Provence, en Guyenne,
» au Puy, en Auvergne, et fraîchement à Tours, ausquels tant
-» s'en faut qu'il y ait esté pourveu, qu'en aucuns lieux l'on a fait
» superséder les poursuites; es autres, on a informé contre les
)) meurtris ; chose qui a aussi enflammé le cœur des plus mu-
^ tins, et encouragé les moins turbulens à persévérer; en quoy
n) il sera à craindre l'une des deux choses, ou de n'y pouvoir
i. Mém. de Condé, t. V, p. 204 à 214.
II. 22
— 338 -
remédier, quand on en aura envie, ou bien de réduire les
povres outragez en tel désespoir que, voyant la justice leur
estre déniée par la malice des magistrats, contre l'intention
de leurs Maj estez, eux-mesmes regardent de se conserver et
s'essayent d'en faire la vengeance. — Non que ledit sei-
gneur prince ne tienne pour tout asseuré que toutes et
quantesfois que les plaintes en sont adveneues à leurs majes-
tez, qu'il n'ait esté envoyé sur les lieux, pour y remédier, une
fois les gouverneurs des pays, une autre fois des Commis-
saires extraordinaires ; ce qui démontre clairement la bonne
et sincère intention de leurs dites majestez ; mais quelles exé-
cutions s'en sont ensuivies? Les gouverneurs desquels la
charge et devoir est de tenir la main forte pour réprimer
telles violences et séditions, et lesquels ont gardes et forces
entretenues aux despens des pays et provinces pour cesteffect,
la plus grande part d'iceux font servir lesdites forces à leurs
passions, et les employent à supporter l'une part et à dépri-
mer l'autre. Que s'ils se sont transportez sur les lieux, ça
esté plus pour couvrir les fautes que pour les corriger; et
quant aux commissaires, leur pouvoir s'étendait seulement
pour en informer, ou s'il estoit plus ample, ils ont mieux aimé
tenir l'information secrète dans un sac, que de faire justice
publique des délinquans, puisque le fait touche aux catho-
liques. Mais s'il est question de la moindre des plaintes qui
soient venues à leurs majestez, à l'encontre de ceux que l'on
dict huguenotz, incontinent sans attendre pour savoir si elles
estoyent véritables ou non, l'arrest de mort, punition ou
rasement de maisons a esté plustost donné que la commis-
sion pour en informer n'a esté expédiée...... — Ge qui est,
somme toute^ faire ouvertement pencher la balance plus
d'un costé que d'autre, et par là descouvrir l'envie que l'on
a de la rupture et infraction de l'édit, en plusieurs et diverses
sortes ; et principalement en trois points, en inégalité, en
— 339 —
» impossibilité, et une mauvaise affection, laquelle se mani- '
» feste assez, tant aux chefs et principaux qui devroyent faire
y> sincèrement et inviolablement entretenir l'édit, qu'aussi par
» insolence d'un populaire, qui ne prend jamais tant de har-
)) diesse de commettre un mal, sinon quand la licence luy en
s est donnée par les supérieurs; dont advient que tous ceux
» qui sont d'opinion contraire à nous, voyant d'un costé tant
» de faveur, et de l'autre la justice conniver à faire si peu qui
» s'ottroye pour nous, et au contraire si prompte et active à
» nous en ester, et à nous courir sus, à la première émotion
D qui se présente, sans avoir la patience d'attendre la vérité ni
» l'occasion, se desbordent à nous mal faire, tuer et saccager,
» et à machiner et monopoler contre nous : de quoy après avoir
•D beaucoup enduré, les opprimez viennent à faire leurs plaintes
» aux gouverneurs, magistrats, et mesmes aucuns qui sont
D auprès de leurs Majestez, ils respondent ordinairement que
» leurs dites Majestez sont bien empeschées de satisfaire aux
D uns et aux autres : davantage, que les catholiques ne se plai-
)) gnent pas moins de ceux de la religion réformée, que lesdils
J9 de la religion se plaignent des autres ; qui sembleroit estre à
D dire, en bon françois, qu'il faut que chacun souffre de son
» costé, sans qu'il en soit fait autre raison ; et, en ce faisant,
» donner une licence merveilleusement effrénée aux catholiques
)^ d'exécuter leurs mauvaises volontez vers lesdits de la religion;
3) qui est de frapper et tuer tout ce que bon leur semblera, sans
» crainte d'être punis : non sans danger aussi que ceux de la
y> religion ne soyent finalement esmeus à se deffendre, voyant
» ne leur estre faicte aucune justice de ce dont ils se plaignent
» et qu'ils souffrent. Quelquefois aussi advient, et par trop
j> souvent, que les supérieurs, au lieu de s'employer à faire
9 obtenir justice, usent de récriminations, et soudain allèguent
» quelque autre faute faite par ceux de la religion ; joint que,
T> sur ces entrefaites, à l'instant se sèmera un bruit faux de
- 340 —
■ 0 quelque excez qu'il se dira avoir esté faicl de la part de ceux
» de la religion, dont l'on s'aidera pour leur fermer la bouche
■)) et les renvoyer sans rien faire en leurs maisons ; combien que
)) les choses dont les catholiques se peuvent plaindre ordinai-
)) ment de ceux de la religion sont bien légères et aisées à répa-
)) rer, comme d'un tel zèle qu'ils auroyent eu d'ouïr la parole
)) de Dieu, d'aller en autre lieu que celuy qui leur est assigné,
» ou de n'avoir encore remis en quelque endroit la religion ca-
» tholique; mais ce en quoy les cathoHques contreviennent
)) est trop plus rude et irréparable, qui sont meurtriers, cruels
)) et barbares, qu'il ne faut douter que Dieu à la fm n'exauce
)) les cris et gémissemens des povres opprimez qui n'ont au-
)) jourdhuy d'autre recours qu'à Dieu, ne leur voulant les
» hommes faire justice, quelque commandement que leur roi
)) et prince en face; comme il est évident en ce que, depuis
)) l'édict, se trouvera plus de six ou sept-vingts meurtres, dont
)) il n'y a pas eu deux de punis, comme a esté dict. — Voilà
» pour le moins une partie des apparences que ledit seigneur
)) prince et ceux de la religion réformée ont des retranchemens
)) de l'édit et de la mauvaise affection qu'on leur porte; sans
» alléguer ce que les cours de parlements, la plus grande par-
y) tie des juges de provinces, et autres ministres de ce royaume,
» expressément constituez, d'autant qu'ils sont d'opinion con-
)) traire, exercent fort aigrement à l'encontre de nous : en-
» semble les machinations et monopoles et ligues qui ont esté
)) fraischement faictes, et dont leurs majestez ont esté assez in-
» formez ; ce qui ne se fait aux provinces, gouvernemens, ne
» villes de ce royaume, où les gouverneurs et magistrats sont
» conduits d'une affection de faire seulement observer les édits
)) du roy, et entretenir le repos pubhc — Finalement, ledit ,
D seigneur prince ne voulant rien obmettre du devoir du service
D et fidélité qu'il a à leurs majestez, les supplie très humble-
)) ment de vouloir recevoir les raisons et considérations cidessus
— 341 —
» déduites, de bonne pari, ensemble son advis, lequel sur ce
y> il leur déclare avecques toute humilité ; qui est qu'il lui
» semble n'estre possible de remettre ce royaume et les sub-
» jets en Testât qu'il est requis pour vivre selon l'intention de
» leurs majeslez, si l'édict de pacification n'est entretenu selon
j) la première forme et teneur, avec révocation expresse des
» articles des déclarations ou interprétations contraires à
y> iceluy; et que tous excez, séditions et meurtres faits depuis
)■) la publication d'iceluy, tant d'une part comme de l'autre,
» soyent avecques rigueur de brefve et exemplaire justice punis
» et chas.tiez ; ensemble la connivence des magistrats et offi-
y> ciers, sans exception de personne; autrement, il ne voit point
y> que leurs dites majestez puissent establir un commun repos
» et seure tranquillité entre leurs subjets ; mais au contraire
» il prévoit et craint un désespoir et résolution prochaine
)) de ceux qui sont travaillez et offensez, de s'essayer de se
» garder et se faire d'eux mesmes justice, dont ils ne l'ont jamais
y> pu obtenir; chose de très dangereuse et pernicieuse consé-
» quence. »
Catherine, qui redoutait que Condô elles Ghâtillon ne soule-
vassent les réformés contre les oppresseurs dont elle favorisait les
tendances et les actes, enjoignit à son fils de répondre auprince :
qu'il n'avait rien plus à cœur, que de faire rendre une égale
justice à tout ses sujets ; qu'en ce qui concernait les déclarations
interprétatives de l'édit, il s'était décidé par des motifs pérem-
ptoires à les formuler, et qu'il ne doutait pas que le prince, qui
n'avait en vue que le bien de l'Étal et la conservation du royaume,
n'approuvât ces motifs ; qu'en outre, il pensait que jamais il n'é-
tait venu à l'esprit du prince de prétendre régir à sa fantaisie
la volonté de son souverain; que si les gouverneurs ou autres
fonctionnaires avaient manqué à leurs devoirs, il les ferait pu-
nir si sévèrement, qu'on reconnaîtrait qu'il préférait la paix à
toute autre chose; en un mot, qu'il souhaitait uniquement cl
— 342 --
qu'il commandait que l'édit de pacification fût sincèrement
observé partout et qu'on rendît également justice à tous ses
sujets, sans distinction de religion ^
Ce n'étaient là que de stériles assurances, données, sous le
nom du roi, par Catherine, dont les intentions et les actes de-
meuraient d'ailleurs toujours hostiles aux réformés. Aussi,
continua-t-elle, alors que ceux-ci se plaignirent des abus et excès
dont ils étaient victimes, à leur refuser, en fait, les légitimes
réparations qu'elle leur avait promises, en paroles, età arracher,
ça et là, quelque lambeau de plus à l'édit d'Amboise. .
Sur ce point, l'un de ses confidents, approbateur intéressé de
la voie dans laquelle elle s'était engagée, écrivait ^ : « la reine
3) fit, avant de partir d'Avignon, une ordonnance qui est, à mon
» avis, la meilleure qu'elle pouvait employer, afin que désor-
)) mais on ne donne plus, dans son royaume, des charges de
y> judicature à aucune personne de lanouvelle religion, attendu,
y> qu'outre toutes les autres raisons qu'elle en peut avoir, il ne
)) semble pas convenable que les officiers de sa majesté soient
)) d'une autre religion que la sienne. La reine m'a dit que ses
» conseillers voulaient faire le même règlement pour toutes les
» autres charges, mais qu'il en avaient été détournés par la con-
» sidération, que cette défense aurait jeté les huguenots dans
» un trop grand désespoir,qui auraitpu exciter quelques troubles ,
)) mais qu'ils travailleront néanmoins aies exclure peu à peu de
i) tous leurs emplois. — Sa Majesté me témoigna beaucoup de
» joie de ce qu'elle voyait que, par la grâce de Dieu, les affaires
y> de ce royaume prenaient tous les jours un meilleur train, et
<) elle me promit qu'elle ne cesserait pas de faire toujours de
0 nouvelles démarches jusqu'à, ce quelle les eût conduites à
» leur perfection, en médisant expressément que le monde con-
1. De Thou, Hist., univ ., l. III, p. 506.
2. LeUre du cardinal de Sainte-Croix au cardinal Borromée, du 8 no-
vembre 15G4. (Aymon., rec. des synodes, t. I, p. 277).
— 343 —
» naîtra combien il s'est trompé dans les mauvais jugements
D qu'il a faits quelquefois des intentions de sa Majesté. »
Catherine et son fils s'étaient ménagé à Avignon une entrevue
avec Antinori confident du pape. « Alors, rapporte Davila (t. I,
)) p. 212, 213), le roi et la reine firentaux propositions du sou-
» verain pontife la réponse qu'ils n'avaient pas voulu faire à
y) son ambassadeur, ni à ceux d'Espagne et de Savoie. Ils se
» montrèrent disposés à exterminer le Calvinisme et à faire
» observerle concile de Trente dans tout le royaume; mais ils
y> ajoutèrent que, pour prévenir les invasions des Anglais et
» des protestants d'Allemagne, et pour arriver au but qu'ils se
» proposaient sans danger, et sans renouveler le trouble des
D guerres, où périssaient tant de milliers d'âmes et qui déso-
» laient toute la chrétienté, ils avaient résolu de travailler, par
y> des voies lentes et cachées, à enlever aux huguenots leurs
» plus fermes appuis, que leur dessein était de calmer les
)) soupçons du prince de Condé et des Coligny, de fortifier les
» villes suspectes, de remettre l'ordre dans les finances, de
» remplir les coiïres du roi, et de faire d'autres préparatifs qui de-
j> mandaient un temps considérable ; qu'on pourrait agir ensuite
)) avec plus de sûreté, sans courir les risques et les dangers aux-
D quels on s'exposerait infailliblement, et qui feraient échouer
» l'entreprise, pour peu qu'on se précipitât. »
Informé du séjour de l'amiral au château de Vallery, et épiant
de loin, mais en pure perte, soit ce qui pouvait se passer entre
l'oncle et le neveu, soit ce que faisait d'Andelot, à Metz à
Nancy, ou dans le voisinage de ces deux villes, le cardinal de
Lorraine disait confidentiellement à sa belle-sœur la duchesse de
Guise ^ : « il me semble que la royne devrait faire venir le prince
)> à la cour ; cela le divertiroit de beaucoup d'entreprises ;la reine
y> en rira d'Andelot va et vient, et ne sait on que c'est qu'il
1. Lettre du 17 août 1564. Bibl. nat. mss. f. fr. vol, 3211, f» 9.
- 344 —
)) a en la teste : cène sçaurait estre que méchanceté. Je vous
y> prie que l'on ne fasse bruict de rien comme venant de mon
)) costé... Si Dieu vouloitmestre au paradis quelques personnes,
)) encores ferions-nous bonne chère ; mais c'est grand' pitié qui
D fassent tant de maux. »
L'amiral quitta Vallery, laissant, pour le moment du moins,
Condé sous l'impression de l'affectueuse sollicitude dont il n'a-
vait cessé de l'entourer, et des conseils parlesquels il s'était at-
taché à fortifier son esprit et son cœur. Le 23 septembre, il an-
nonça ainsi à de Gordes sa rentrée au château de Ghâtillon ^ :
« Quant à mes nouvelles il y a sept ou huit jours que je suis de
)) retour de Vallery où j'estais allé voir monsieur le prince de
» Condé. )) Il terminait sa missive par ces mots. « monsieur
y> de Gordes, je vous prie faire estât de moi comme de l'un de
» vos meilleurs et anciens amis, et pensez que ceux-là ne
» sont pas des pires. »
Leretourde G oligny ne précéda que de quelques jours l'arrivée
à Ghâtillon-sur-Loing de d'Andelot et de la nouvelle compagne,
Anne de Salm, à laquelle il venait d'unir son sort. Accueillie
par l'amiral et par Charlotte de Laval comme une sœur, Anne
de Salm justifia pleinement ce titre, dans l'intimité de ses re-
lations ultérieures avec eux, par la sincérité et l'élévation de ses
sentiments.
Le second mariage de d'Andelot, approuvé par sa famille,
venait de se conclure au grand déplaisir de la cour de Lorraine
et des Guises, dans des circonstances auxquelles aujourd'hui en-
core s'attache un certain intérêt, et que font seuls connaître,
d'une part, avec impartialité et exactitude, un document d'un
caractère purement privé, et, de l'autre, sur le ton d'une mal-
veillance voisine de la partialité et du dénigrement, divers frag-
ments de correspondance 04J de chronique locale, émanés de
1. Hist. despr. de Condé. t, I. p, 518,
— 345 —
personnages dont l'animosité contre le frère et la belle-sœur de
Goligny se trahissent avec une âpre rudesse. Arrêtons-nous, un
instant, à cette double source d'informations.
Le 27 août 1564, fut dressé, au château d'Essey, par deux
cr tabellions jurez au bailliage de Nancy, » en présence de té-
moins, un acte * contenant les conditions civiles du mariage
projeté entre d'Andelot et Anne de Salm.; acte dont le préam-
bule énonçait dans les termes suivants les noms et qualités, tant
des parties contractantes, que des personnes qui les assistaient :
« Sont comparus haut et puissant seigneur messire François de
» Goligny, seigneur d'Andelot, comte de Montfort, chevalier de
y> l'ordre du roy, capitaine de cinquante hommes d'armes et
» colonel-général des bandes françoises, assisté de honnorez
» seigneurs René de Savoye, baron de Sipierre, et Jean d'Haus-
» sonvillesieurdeViniers,BellonetVentoulx en partie, etc., etc.
» d'une part; — et haute et puissante dame Anne de Salm,
» veufve de feu honnoré seigneur Balthazar de Haussonville,
» escuyer, sieur dudit lieu, Essey, Turquestem, etc., etc., et
3 grand maistre en l'hostel de haut et puissant prince monseigneur
» le duc de Lorraine, Bar, etc., etc., nostre souverain seigneur,
» se disant sienne dame et maistresse, usant librement et fran-
s> chement de ses biens et droits de viduité, assistée de honnorez
» seigneurs messire Atfrican de Haussonville, chevalier et ba-
» ron dudit lieu d'Ormes, etc., etc., mareschal de Barrois, Gas-
» pard de Marcossey, grand escuyer de Lorraine et bailly de
» Glermont, etc., etc., Glande, Antoine de Vienne, sieur de
y> Glervaut, senéschal héréditaire de l'évesché de Metz et de
» plusieurs autres, d'autre part; — lesquels ont reconnu et
» confessé volontairement, sans force, séduction, ne contrainte
y> aucune, qu'en pourparlant du mariage espéré à faire et célé-
» brer entre ledit seigneur d'Andelot et ladite Anne de Salm,
1. Du Boucbet, Hist. de la maison de Coligny, p. 1112 à 1115.
— 346 -
y) s'il plaît à Dieu, ils ont promis, passé et accordé, et est les
2> pacts et conventions ci-aprez déclarez, etc., etc. »
Aux énonciations calmes et précises de l'acte authentique
du 27 août 4564, se juxtaposent, dans la vivacité de leurs
allures, les allégations, les récits, les commentaires passionnés
des détracteurs de d'Andelot et d'Anne de Salm. En voici les
principaux spécimens :
c( Vous avez entendu, mandait le cardinal Granvelle au ba-
i) ronde Bolwiller, le 28 août 1564 ^ , comme Andelot demanda
i> d'entrer à Nancy, à IIIP". Ghevaulx, pour faire la cour h la
y> vefve du feu sieur d'Assonleville, avec laquelle il se vouldroit
» marier. »
Le 30 août, le mariage avait eu lieu, car Jean d'Achey de
Thoraise écrivait, ledit jour, au cardinal son beau-frère ^ :
« M. d'Andelot a épousé, à une lieue près Nancy, la veuve de
» de M". B. d'Aussonville. Le duc et le cardinal de Lorraine,
» ainsi que M. de Guise n'en sont pas fort contons. Il ne fait
» que aller et venir à Metz; ce qui fait craindre qu'il ne
)) brasse quelque chose. Le prévost de Nancy a esté mis en
» prison, pour savoir qui a pratiqué ce mariage. »
Le baron de Bolwiller, dans une dépêche du 4 septembre,
donnaitau cardinal Granvelle^ les détails suivants : « touchant
» la venue devant Nancy de M. d'Andelot, à cause de madame
y> d'Auxonville, je tiens que vous aurez jà entendu que la chose
D a passé plus avant; car je tiens le mariage consumé et dépes-
» ché comme est cy-après dict, encores que la dame soit esté
» exhortée et preschée tant par son alteze, la comtesse de Salm
)) sa mère, que de messieurs les comtes, ses frères, pour
ï) la divertir de l'oppinion où elle estoit au faict de ce ma-
y> riage, qu'a esté, comme est à présupposer, quelque temps
i. Papiers d'État de Granvelle, t. VIII, p. 278.
2. Papiers d'État de Granvelle, t. VIII, p. 278, en note.
3. Papiers d'État de Granvelle, t. VIII, p. 301.
- 347 —
3 avant arresté entre les deux parties, en somme, que per-
» sonne ne put convaincre ladicte dame. Ledict Andelot vint,
» comme le descripvez, se présenter devant ledict Nancy, es-
i> tant pour lors ladicte dame dedans, pour y entrer; mais
» M. le duc de Lorrayne luy feit entendre qu'il attendoit d'heure
) à aultre M. le cardinal de Lorrayne, et que, pour cela, il le
» prioit qu'il eust à chercher aultre logis et ailleurs qu'en la
» dicte ville. Ce nonobstant, ledict Andelot feit desseller ses
y> chevaulx aux laulxbourgs, tant print-il d'audace, si que le
j» dict sieur duc fut contrai net luy recharger qu'il deust cher-
y> cher aultre logis. Lors ledict Andelot feit response que si
)) ledict sieur luy commandoit, qu'il le feroit. Sur quoy luy fut
» dict de la part du duc, qu'il luy répétoit ce qu'il luy avoit
D faict dire : adoncques ledict Andelot se partit. Mais il n'a
» pas pourtant délaissé que samedy, il y a heu à celluy passé
» huit jours, qu'il ne soit venu trouver ladicte dame en un vil-
y> laige nommé Essey, demie-lieue de Nancy, front à front et à
» pleine vue du palais, au faict d'accomplir ce mariaige, estant
» accompagné de cent chevaulx, et faict la salve d'arquebouze-
i) rie, à son entrée audict lieu, à la mode des reytres; estant à
» Nancy, ledict sieur cardinal de Lorrayne, duc, duchesse et
» M. de Guyse, sans mouvement aulcun, comme ainsy j'ay veu.
» Sçay-je bien que, pour ces te salve, ledict sieur cardinal fut
» fort niarry, et le petit sieur de Guyse avoit dict, estant à une
ï) fenestre dudict palais, vis-à-vis dudict Essey, et oyant trom-
)) pettes, voyres parler ce qu'on disoit dans ledict lieu, tant est-
» il proche de Nancy, n'estant que la rivière entre deux, qu'il
y» ne desireroit que d'avoir quelque arquebouze a crocq qui peust
» tirer contre ces villains; ainsi nommoit-il Andelot et sa
» suyle. Lequel estant ainsi arrivé audit Essey, mondit sieur
» le duc de Lorrayne envoya incontinent devers luy, luy inter-
» dire de sa part qu'il ne deust à faire prescher là, ny y tenir
» leur nopces à rhuguenotte;pourquoy je tiens qu'elles seront
— 348 —
» esté faictes à Metz. La mère de la dicte dame et ses frères, ce
y> jour-là, ny le jour de dimanche suyvant, quand se faisoit le
» plus grand festin audict Essey, ne bougèrent de Nancy, dé-
» monstrant grandement ressentir cest acte, et n'ont jamais
» rien sçeu de ce traicté de mariaige, qu'a esté sollicité caute-
•» ment par ung prévost de Nancy, bon huguenot, autrefois
» chambellan de feu monsieur d'Auxonville, et par luy mis en
» cest estât de prévost, lequel monsieur le duc a faict prendre et
y> gecter en fond de fosse, où il est rudement traicté, si qu'il
» n'a lumière qu'il soit, et tient-l'on qu'il le fera fort bien pu-
» nir. »
Le 10 septembre, Granvelle répondait à Bolwiller * : « j'ai
» entendu et par voz lettres et d'ailleurs la particularité de ce
» qu'est passé aux nopces du sieur d'Andelot et le sentement
j) que madame la duchesse, la mère et les frères de la damoi-
» selle en ont montré; mais, à la vérité, j'ay trouvé estrange
» que, la tenant au palais, et s'estant déclarée qu'elle sevouloit
» marier avec ledict sieur d'Andelot, et veuillant sortir de là
» à cest effect, l'on le luy aye permis; et sans doubte si elle
» eust bien à faire à moy, elle n'en fûst sortye, et l'eusse fort
» bien gardée de se marier avec luy ny avec aultre, plustost,
» que de consentir que, à leur barbe, elle aye prins pour mary
» ung ennemy mortel du sang de son seigneur. Et est insouf-
» frable l'insolence dont il use, que M. le cardinal eust grande
» cause de sentir ; mais il y eust heu moyen de faire davantage-
» que de se contenter d'en avoir sentement, et venoit de bon
» cœur à monsieur de Guyse ce qu'il en dict, ne comportant son
» âge de faire davantage. Et certes tous ceulx qui en oyent parler
» treuvent comme moy fort estrange que l'on aye laissé partir
» ladite damoyselle de la court pour s'aller marier. »
On voit par là quel cas le fougueux et autoritaire cardinal
faisait de la liberté individuelle.
1. Papiers d'État de Granvelle, t. YIII, p. 320.
— 349 —
De son côté, un évêque chroniqueur, Meurisse ^ , nous fait
connaître, en le déplorant, l'accueil que d'Andelot reçut à
Metz, immédiatement après son mariage. « Il arriva, dit-il, un
))• grand sujet aux adversaires de lever les cornes, et à l'hérésie
y> de triompher avec plus d'arrogance et d'insolence que de
ù coustume, le second jour de septembre de l'année 1564. Mes-
» sire François de Coligny, sieur d'Andelot, frère de l'amiral, et
» couronnel général de l'infanterie françoise et un des plus puis-
y> sans arcs-boutans de ceste hérésie, estant venu espouser
y> au chasteau de Montoy, Anne de Salm, sœur du comte de
» Salm, et delà estant venu au presche à Metz, le quatrième du
» mesme mois, parceque le gouverneur, la garnison et la bour-
y> geoisie mesme catholique ayant esté obligez de luy rendre de
» grands honneurs : toutes ces choses se passèrent avec tant
» de faste et de pompe, qu'à cest éclat, à ceste nouveauté et à
» un si puissant appuy de ce nouvel évangile, considéré la
)) faiblesse et la simplicité de quelques-uns de ces esprits, la
» foy en eust esté aucunement esbranlée et l'église humiliée,
y> si Dieu par sa miséricorde n'eût fortifié quelques bonnes
y> âmes qui restaient encore icy et ne les eût fait résoudre à ne
» peser pas la vérité de la religion et la sincérité de la foy à la
)) balance d'une vanité mondaine et d'un faste orgueilleux,
» que ceux de ce party ne manquent jamais d'affecter, lorsque
» les occasions s'en rencontrent, s'imaginant que leur religion
D n'est jamais meilleure que lorsqu'ils paraissent le plus. »
Il n'était sorte de bruits absurdes qui ne circulassent au sujet
du mariage de d'Andelot, et que Granvelle ne recueillit avec
soin, en avouant du reste qu'il n'y croyait pas toujours. De là
cette communication que Bolwiller reçut de lui le 24 sep-
tembre ^ : « M. de Vergy m'escript qu'il a nouvelles que le
y> S' d'Andelot moyne sa femme en l'une de ses maisons, et
i. Histoire de l'hérçsie à Metzet dansle pays messin. Metz, 1670, in-4o p. 266.
2. Papiers d'État de Granvelle, t. VIII, p. 358.
— 350 -
y> qu'il, a passé par Chastillon, où il a dansé avec les dames,
D contre ce qu'il souloit faire, monstrant cy-devant que cela
)) répugnait à leur religion Vray est que quelquefoys telz
ï> advertissements ne sont pas véritables. »
De là encore cette nouvelle reçue de France par Granvelle,
y> que le prince de Condé, l'admirai et d'Andelots'estoientjointz
» ensemble soubz couleur des nopces qu'avait fait ledict Ande-
» lot en Lorraine pour machiner quelque chose contre Dieu et
)) contre leur roy, estans assistez du mareschal de Montmo-
» rency qu'estoit l'ungdes plus malheureux hommes et subjets
» que le roy eust après le chancelier \ d
Quelles que fussent les rumeurs qu'eût fait surgir le second
mariage de d'Andelot, elles se détruisaient" d'elles-mêmes par
leur propre inconsistance.
Il est certain que le séjour de d'Andelot à Ghâtillon, quand il
vint de la Lorraine avec Anne de Salm, n'eut d'autre caractère
que celui de l'une de ces douces et calmes réunions de famille,
auxquelles, ainsi que l'amiral, il attachait toujours un grand
prix. C'était alors que dans l'intimité de leurs entretiens, les
deux frères se livraient à un confiant échange de sentiments,
d'idées et de vues, soit sur les plus chers intérêts des êtres
bien-aimés qui les entouraient, soit sur les questions religieuses,
sociales et politiques que soulevaient les faits contemporains.
A ces questions, d'une gravité parfois exceptionnelle, ils n'assi-
gnaient jamais d'autres solutions que celles qui leur étaient
inspirées par leur foi personnelle et leur sympathie pour
leurs co-religionnaires, par l'amour de la patrie et par la
fidélité à leur souverain, dont ils respectaient et tenaient à
faire respecter les prérogatives.
Tous deux, au moment même oii des calomniateurs les accu-
saient € de machiner quelque chose contre Dieu et contre leur
1. Papiers d'État de Granvelle, t. VIlI, p. 483.
- 351 —
» roy, y> prouvaient, une fois de plus, dans une circonstance
postérieure au séjour de d'Andeiot à Châtillon , bientôt suivi
de son retour à Tanlay, que loin d'entrer en lutte contre l'au-
torité divine ou contre l'autorité royale, ils s'efforçaient au
contraire d'amener une puissance étrangère à n'appuyer, en
matière religieuse, les droits des réformés français, auprès de
leur roi, qu'en s'adressant à celui-ci avec tous les ménagements
commandés par l'indépendance de sa situation suprême. C'est
bien là ce qui ressort de diverses lettres adressées par Coligny
et par d'Andeiot aux cantons de Berne et de Zurich, dans le
cours de négociations suivies, en 1564, pour l'établissement
d'une alliance entre ces cantons et la France.
« Magnifiques seigneurs, disait Coligny à l'avoyer et aux
i> membres du conseil de Berne \ ayant entendu Testât auquel
» se retrouvent les affaires de vostre costé, en l'alliance que le
ô roy recerche avecq vous, et que la plus grande difficulté qui
» se trouve maintenant est pour tant que vous désireriez qu'il
» feust inséré en ladite alliance, que l'édictfaict par sa majesté
y> pour la pacification des troubles, en ce qui concerne le faict
» de la religion, feust observé, en cela il fault qu'un chacun
)) advoue le bon zèle duquel vous estes poulsez, et fault par
» mesme moyen que tous serviteurs de Dieu et amateurs du
» repos publicq se content redebvables et obligez à vous, et
» moy entre les aultres je ne veulx faillir de vous en remercyer
» bien affectueusement : mais je vous prye, magnifiques sei-
y> gneurs, considérer que les choses sont en trop bons termes,
» pour demeurer en si bon chemyn, et que si d'aventure sa
)) majesté diffère à ne vouloir que tel article soit inséré, ce n'est
» pas, sans grande occasion; car il seroit, selon mon opinion,
)) plus préjudiciable qu'advantageux, d'autant que les quantons
y> catholiques voudroient se servir de ceste occasion ; et, pour
-1. Archives de Berne. Frankreich. 2* vol., 1551 bis 1569.
— 352 —
)) lever ce scrupule, il me sembleroit qu'il suffiroit bien que,
» traictant de ladite alliance, vous fissiez entendre verbalement
y> vostre conception aux ministres de sa majesté, laquelle par ce
y> moyen sera aussy vallable que si elle estoit insérée, et qu'a-
^ près, quand se viendra à ratifier, que vous entendissiez de la
ï) bouche de sa majesté mesmes son intention estre d'entretenir
» ledit édict, ce que je m'asseure qu'il ne différera nullement,
)) veu tant de déclarations qu'il en a faictes et qu'il renouvelle
» encores tous les jours. Aussy n'y a-t-il pas apparence qu'il*
» deust vouloir autre chose, veu que de cela deppend le bon
» repos et seureté de tout son estât ; et vous sçavez, magnifiques
)) seigneurs, que si je pensoys que telle chose deut estre néces-
» saire, je vous en vouldroys moy-mesmes solliciter, et que,
» oultre le publicq, encores y a il mon particulier qui me
)) debvroit bien y faire penser. Mais tant s'en fault que j'aye
» oppinion que cela peust servir, que je craindrois qu'il peust
» nuyre, d'autant que je ne doubte point qu'estans alliez avec
» sa dicte majesté, vos moyens et auctoritez ne puissent de
)) beaucoup servir pour rompre les desseings des perturbateurs
» du repoz publicq, et nommément de la religion. Pourtant,
» magnifiques seigneurs, vous suppliay-je, au nom de Dieu,
» que, pour l'advancement de sa gloire et aussi pour le bien de
» ce royaulme et de voz pays, vous veuillez entrer en ceste al-
:o liance le plustost que faire se pourra, car de cela deppend
y> tant de bien et d'utilité, selon mon jugement, que je ne désire
» rien tant que cela se puisse effectuer. Vous estes trop advisez
» pour ne considérer les pracliques que l'on a voulu faire par
» voz quantons, et qu'estans alliez du roy vous n'en devez pas
» espérer petite utilité, et oultre cela, encores un grand repoz ;
y> et pour ce que je ne doubte point que vous n'en ayez assez
y> bonne cognoissance, je ne vous en useray de plus long dis-
y> cours, me recommandant bien affectueusement à voz bonnes
» grâces, et priant Dieu vous avoir, magnifiques seigneurs, en
— 353 --
y> sa sainte garde, augmenter envous journellement les grâces
)) de son sainct Esprit, et que vous puissiez servir pour son
» église et à l'advancement de sa gloire. — De Ghastillon, ce
y> dernier jour d'octobre 1564. Vostre humble et bien affectionné
» amy, Ghastillon. »
Le 7 novembre, l'amiral écrivit encore à l'avoyer et au con-
seil de Berne * : « Magnifiques seigneurs, pour ce que je vous ay
D escript il y a desjàhuit jours et suplié de vouloir parachever
y> l'alliance que le roy recerche avecq vous, je ne vous en feray
» plus long discours; mais ayant trouvé ceste occasion pour
y> vous envoyer les lettres que monsieur d'Andelot mon frère
» vous escript, qui n'estoyt icy lorsque je vous feiz ma dépesche,
» je vous ay bien voulu faire encores ce mot de lettre pour vous
ï> dire que, tant plus je considère le bien et l'utilité qui revien-
» dra de ceste alliance, et tant plus cela m'incite davantage de
y> vous supplier, au nom de Dieu et pour l'advancement de son
y> règne que je sçay que vous avez sur toutes choses en singu-
» lière recommandation, d'y vouloir entrer et vous asseurer,
y> magnifiques seigneurs, qu'en tous les endroits où moy ou les
ï» myens aurons moyen de vous servir, que nous le ferons d'aussi
» bonne volonté et affection que vous le sçauriez désirer, comme
y> seigneurs qui le méritent et qui s'emploient si volontairement
» ez choses qui concernent le service de Dieu, me recomman-
y> dant bien affectionnément à vos bonnes grâces, etc., etc. »
Deux lettres identiques à celles ci-dessus furent adressées
par Cohgny « aux magnifiques seigneurs messieurs les bour-
3) guemestres et conseil de Zurich, » les 31 octobre et 6 no-
vembre 1564 ^
Les lettres de d'Andelot transmises par Goligny aux magis-
trats de Berne et à ceux de Zurich ^ étaient conçues dans le
1. Archives de Berne. Frankreich, vol. 2, 1551 bis 1569.
2. Archives de Zurich, documents détachés.
3. Archives de Berne. Frankreich. vol. 2. 1551 bis 1569, et archives de
Zurich, documents détachés.
II. 23
— 35i —
même sens que celles de l'amiral à ces magistrats, en date des
81 octobre et 7 novembre.
Goligny, quelque occupé qu'il fût, en novembre 4564, de
l'alliance projetée entre la France et la Suisse, n'en étendait
pas moins sa sollicitude, dans cette dernière contrée, à la dé-
fense des intérêts privés d'un officier français, en faveur du-
quel il s'adressa simultanément à Th. de Bèze et aux magistrats
de Genève K » Monsieur de Bèze, disait-il, le cappitaine An-
» trague, présent porteur, me faict entendre que les soldatz de
)) la compagnie qu'il avait dedans Mascon, durant les troubles,
» le veulent contraindre de les païer de leur solde, et que, pour
n) ce faire, luy ont faict empescher le bien qu'il a à Genefve,
» disans que ledit Antrague leur en avoit respondu, et encores
)) qu'il feust ainsi, si est-ce que l'usance de la guerre est que
)) les cappitaines ne sont paint tenuz de satisfaire à telles pro-
» messes ny de païer l'appointement de leurs soldatz, si ce n'es-
» toit qu'ils en eussent reçeu le paiement; et partant, je vous
)> prieray, monsieur de Bèze, de faire "tant envers messieurs de
» Genefve, qu'ils tiennent la main à ce que ses dicts biens ne
» luy soient point empeschez pour cette occasion, qui ne se-
» rait chose raisonnable, puisque la coustume de guerre est
» telle que dessus, etc., etc. Vostre entièrement bon amy, Chas-
» tillon. k>
Dans les derniers jours de novembre, Goligny et d'Andelot
quittèrent leurs châteaux de Ghâtillon et de Tanlay, pour se
rendre à celui de Merlemont, en Beauvaisis, où Odet comptait
sur leur présence. Il s'agissait pour eux de l'entourer de leur
affection fraternelle, dans l'une des phases les plus graves de sa
carrière, et de prouver leur franche adhésion à la résolution
qu'il avait prise, d'entrer dans la vie conjugale, et qu'il allait
1. La teneur des deux lettres que Goligny leur adressa, le 13 novembre 1564
étant, à quelques mots près, la même. (Archives de Genève, n°1715), il est inu-
tile de reproduire ici celle qui fut expédiée aux magistrats de Genève.
— 355 —
exécuter, en toute sûreté de conscience, maintenant qu'ayant
abdiqué l'état ecclésiastique, il professait ouvertement la reli-
gion réformée.
Les circonstances, bien connues de Goligny et de d'Andelot,
dans lesquelles Odet avait fait choix d'une compagne, étaient
des plus simples.
Isabelle de Hauteville, fille de Samson de Hauteville, gentil-
homme normand, et de Marguerite de Loré, avait été, à l'âge de
quinze ans, admise au nombre des filles d'honneur de Margue-
rite de France, duchesse de Savoie. Odet, très attaché à cette*
princesse, qui lui avait donné maintes preuves d'afïectueuse
estime et de confiance, vint à sa cour, depuis la conclusion de
la paix d'Amboise, y rencontra Isabelle, dont les convictions re-
ligieuses et la distinction d'esprit l'impressionnèrent vivement,
et la demanda en mariage. La famille de la protégée de la du-
chesse et la duchesse elle-même, ayant approuvé l'union pro-
jetée, Isabelle quitta la cour de Savoie et vint en France.
Les conventions civiles qui précédèrent son union avec Odet
furent consignées dans un aôte authentique du 1" décembre
1564, à la rédaction duquel assistèrent l'amiral et d'Andelot, et
auquel ils apposèrent leurs signatures, ainsi que le sceau de
leurs armes \ Le même jour, la bénédiction nuptiale fut donnée
à Odet et à Isabelle, dans la chapelle du château de Merle-
mont, par Pierre Mallet, ministre de l'Évangile, en présence de
nombreux gentilshommes *.
Goligny revint promptement à Châtillon, où il avait laissé
Charlotte de Laval, dans un état de grossesse fort avancée. Le
1. Du Bouchet, hist. de la maison de Goligny, p. 4.27, 4.28 et Bibl, nat. iiiss.
cabinet des titres, V. Goligny. Notice sur Isabelle de Hauteville par le chevalier
de Bréau Chassebras, son petit-neveu.
2. « Odet n'était point en habit de cardinal, mais vêtu d'une saye de velours
noir et d'un long manteau de cour, sans épée. » (V. Bull, de la soc. d'hist. du
prot. fr, t. XXIII, p. 137).
— 356 —
10 décembre, elle mit au monde un fils \ dont il annonça, le
lendemain la naissance à la duchesse de Ferrare, en lui faisant
parvenir un message de sa femme et de madame d'Andelot -
qui, en sœur dévouée, se trouvait alors au château de Châ-
tillon. La duchesse, dans sa sollicitude pour madame l'amirale,
ayant envoyé, de Montargis, dès le i% une personne de con-
fiance, dans l'espoir d'obtenir par elle des informations rassu-
rantes, Goligny s'empressa de répondre, en ces termes, à la
bienveillante et sympathique Renée de France ^ : « Madame,
y> je ne puys assez humblement vous remercyer de l'honneur
» qu'il vous plaist continuer de nous faire à ma femme et à
» moy, nous démonstrant d'avoir eu ce soing d'elle, d'envoyer
» sçavoir comment elle se porte. Il vous plaira l'avoir pour
)) excusée, madame, sy par ses lettres particulières elle ne vous
y> en fait aussy très humble remerciement, pour estre en Testât
■» qu'elle est, et prendre de bonne part celuy que je vous fais
)) en commun pour elle et pour moy, laquelle du reste, grâces
» à Dieu, se porte bien, et aussy faict l'enfant, comme vous
» pourra dire vostre secrétaire, présent porteur, et entamer au-
» très particularités que je luy ay communiquées pour les vous
» faire entendre, parquoy m'en remettant à sa suffisance, je
y> ne m'étendray en plus de language par les présentes, que pour
» nous recommander tousjours très humblement à vostre
» bonne grâce et supplyer le créateur, madame, qu'il vous
» doinct, en très bonne santé et continuelle prospérité, très
» longue vie. y>
Le 5 janvier 1565, Charlotte de Laval, à qui tout déplace-
ment était encore interdit, écrivit à Renée de France * : « Ma-
1. « Le X de décembre 1564, fut né Charles de GouUigny, mon fils, à Chas-
» tillon, ung dimanche à neuf heures du soir, » (Mention inscrite par l'amiral
sur le livre d'heures de Louise de Montmorency. Bull. prot. t. Il, p. 6),
2. Lettre du H décembre 1504. Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 31i9, f° 51.
3. Lettre du 12 décembre 15G4. Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 3U9, f" 60.
L Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 3211, f» 27.
— 357 —
» dame, j'envoie ce gentilhomme, présent porteur, exprès vers
y> vous, pour vous visiter de ma part, ce que je ferais très vo-
i> lontiers moy-mesme sy ma santé me le permettait. Et parce
» que j'ay donné charge audit porteur de vous dire plus au long
» de mes nouvelles, s'il vous plaist d'en sçavoir, je m'en repo-
y> seray sur luy, quy me gardera de la vous faire plus longue,
» sinon pour vous supplier très humblement de me faire part
» des vostres, et accepter mes très humbles recommandations à
» vostre bonne grâce, etc., etc. y>
Cinq jours après. Renée de France recevait de l'amiral les
lignes suivantes * : « Madame, pour le désir que j'ay de sça-
y> voir de voz nouvelles et de vostre bon portement, je n'ay
» voulu faillir d'envoyer ce gentilhomme pour vous visiter de
» ma part, en attendant que j'aille moy-mesmes faire ce deb-
» voir, lequel si j'ay différé plus que je ne m'attendoys, il vous
y> plaira m'avoir pour excusé et entendre que l'occasion de ce
» retardement procède de ce que je suys encores attendant
y> de jour à aultre la venue du gentilhomme que M. le prince
3) de Gondé doibt envoyer icy pour donner le nom à l'enfant
y> qu'il a pieu à Dieu me donner dernièrement. Et quant aux
» nouvelles que je vous puys mander de la court, madame, je
» n'en ay point de plus fresches que du 27 du passé ; et ne
» sont pas de grande importance, mais seulement de l'arrivée
)) du roy à Montpellier, et que, tant les grandes eaux, comme
» la goutte de laquelle M. le connestable a esté travaillé, ont
)) retardé le chemyn que Sa Majesté debvoit faire. Au reste,
» toutes choses, à la court, passent à l'accoustumée, etc., etc. y>
On voit, une fois de plus, par ces lettres de l'amiral et de sa
femme, de quel caractère affectueux, simple et digne étaient
empreintes leurs relations avec la vénérable duchesse de
Ferrare.
i. RihI. nat. luss. f. k. vol. 325(3, fo HO.
— 358 —
De ces relations résultaient, sous l'influence d'une confiance
réciproque, maints bons oifices rendus en commun à des per-
sonnes de la condition parfois la plus humble. L'amiral dont la
serviabilité ne faisait jamais défaut à quiconque méritait d'être
placé sous son patronage, connaissait si bien la bonté de
Renée de France, qu'il n'hésitait pas à y recourir en faveur
d'autruij alors surtout qu'il pensait pouvoir, en lui recomman-
dant un protégé, servir, en même temps que les intérêts de
celui-ci, les intérêts de la duchesse.
Ce fut ce qu'il fit, le jour même (8 janvier 1565) où il s'excu-
sait, vis à vis de Renée, de n'avoir pas encore pu la visiter, en
appelant sa bienveillance sur le porteur d'une lettre de recom-
mandation, ainsi conçue ^ : « Madame, ce porteur a esté
D quelque temps en ce lieu, lequel m'a fait entendre l'espé-
)) rance (ju'il vous a pieu luy donner de luy faire cest honneur
» de le prendre à vostre service, mais que ne s'estant trouvé
)) propre pour vous servir en Testât de fourrier, il avoit esté
)) remis à estre pourveu de quelque autre estât quand l'occa-
» sion se présenterait, et maintenant il a entendu que vous
y> faictes dresser vos estais, m'ayant requis, à ceste cause,
« de vous escrire en sa faveur, je ne luy ay voulu refuser la
)^ présente, pour vous supplier, madame, d'aultant que je
» l'ay congneu bien morigéné, qu'il vous plaise luy faire tant
» de bien et d'honneur de commander que l'on regarde en
)) quoy il vous pourra faire très humble service, pour y estre
)) employé, etc., etc. »
Tandis que de paisibles communications s'échangeaient ainsi
entre les châteaux de Ghâtillon et de Montargis, le turbulent
cardinal de Lorraine, de concert avec sa famille, agissait de
manière à susciter, dans Paris, de graves désordres. Le contre-
coup s'en fût inévitablement fait sentir au sein des provinces,
1. Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 3 149j f" 51.
- 359 -
si les provocations du prélat n'eussent été refoulées par une
répression immédiate, et si l'amiral ne fût venu rassurer par
sa présence et ses discours la population de la capitale, dans
des circonstances dont l'exposé fera connaître l'influence salu-
taire qu'exerça son intervention.
CHAPITRE IV
Le cardinal de Lorraine, à son entrée en armes dans Paris, est repoussé par le
maréchal de Montmorency. — Lettres de celui-ci au duc de Montpensieret à la reine
mère. — Sur l'invitation du maréchal, Coligny se rend à Paris. — Ses allocutions
aux membres d'une réunion convoquée par le maréchal, au prévôt des marchands
et aux bourgeois notables de la capitale. ^- Sa visite au parlement. — Coligny écrit
au roi. — Lettres du roi au maréchal de Montmorency, à Damville et à d'Andelot.
— Châtiment infligé à Le May. — Pardon accordé par l'amiral à Hambrevillier. —
L'accès de la capitale est momentanément interdit par le roi à l'amiral, à d'Andelot
et à divers autres seigneurs. — Entrevue de Bayonne. — Dépêches du duc d'Albe à
Philippe II. — Desseins de Catherine à l'égard des réformés. — Coligny à Chàtillon.
— Sa lettre aux magistrats de Strasbourg. — Mariage de Condé avec la fille de la
marquise de Rothelin. — Départ de Coligny pour Moulins.
Le cardinal de Lorraine, de retour en France, à l'issue du
concile de Trente, s'était dit menacé des plus grands dangers,
et avait obtenu du roi l'autorisation de s'entourer de gardes,
dont le nombre, originairement illimité, fut bientôt restreint au
chiffre précis de quarante hommes ^ . Cette autorisation de-
meurait nécessairement subordonnée, dans ses effets, aux dis-
positions formelles des édits qui prohibaient le port de certaines
armes, et qui enjoignaient aux gouverneurs des provinces d'in-
terdire l'accès des villes à toutes personnes armées.
Le prélat, ayant résolu, vers la fin de l'année 1564, de se
rendre à Paris, pour y stimuler le zèle de ses créatures et y
provoquer le peuple à un^ démonstration en faveur de la mai-
son de Guise, écrivit au duc d'Aumale de se joindre à lui avec
des gens armés, convoqua ses amis; et, suivi de tous ceux qui
1, Lettre du roi au maréchal de Montmorency. Bibl. nai. mss. f. fr. vol. 3185
f 23
— 361 —
avaient répondu à son appel, il arriva à Saint-Denis, en com-
pagnie de son jeune neveu Henri, fils aîné du feu duc de
Guise. Il se disposait à faire dans Paris une entrée, en quelque
sorte triomphale, lorsqu'il lui fallut, tout à coup, singulière-
ment rabattre de sa téméraire prétention.
En effet, ainsi que le rapporte de Thou * , « François de
» Montmorency, gouverneur de Paris et de l'île de France,
)) homme d'un grand courage et d'une rare probité, apprit
3) que le cardinal marchait armé. Gomme il connaissait son
y> humeur et son emportement, et qu'il n'ignorait pas qu'on
» l'avoit nouvellement aigri contre sa maison, que ce cardinal
» haïssait déjà, il crut qu'il n'en usait ainsi, que pour éprou-
y> ver sa patience, et que, par conséquent, il fallait repousser
» la force par la force. Gependant, comme il était équitable et
y> droit, il voulut d'abord l'avertir de congédier cette suite de
y> gens armés, qui était une contravention aux édits du roi ;
» de ne pas venir, dans un temps suspect, avec tout l'appareil
» d'un homme qui irait à la guerre, et de ne pas entrer, pen-
» dant l'absence de Sa Majesté, dans la capitale du royaume,
» qui n'était que trop portée au trouble et à la sédition. — Il fit
» ensuite réflexion, qu'il ne convenait pas, à cause des diffé-
» rends et de la haine déclarée qui étaient entre eux, d'en-
» voyer faire un pareil compliment au cardinal : Voici le
» moyen qu'il trouva pour garder les bienséances, et pour
3) faire, en même temps, savoir au cardinal ce qu'il avait dessein
]) de lui faire dire. Il vint, le 8 de janvier, au parlement, où il
» savait qu'il y aurait un grand nombre de gens attachés aux
y> Guises, qui ne manqueraient pas de rapporter au cardinal ce
» qu'il aurait dit; et il déclara publiquement à la cour, afin
3) qu'elle n'en prétendît cause d'ignorance, que le roi et la
» reine sa mère lui avaient ordonné, sur toutes choses, de ne
1. Hist. univ. t. m, p. 533 et suiv.
— 362 —
» pas souffrir que qui que ce fût osât approcher de Pans en
» armes, pendant leur absence ; que néanmoins il apprenait que
j quelques-uns, méprisant l'autorité du roi et du gouverneur,
» marchaient en armes dans le royaume et voltigeaient, aux
» environs de Paris; qu'il ne pourrait le souffrir sans manquer
» à son devoir; qu'au reste, il prévoyait que, si ces gens-là
» continuaient dans leur audace, l'affaire, ne se passerait pas
y> sans quelque trouble ; qu'il s'était cru obligé d'en avertir le
» parlement, afm qu'il interposât son autorité; que, pour lui,
» il était résolu, pour s'acquitter de sa charge, de faire obser-
)) ver les édits et de faire tous ses efforts pour empêcher que
)) la témérité de quelques particuliers ne donnât la moindre
)) atteinte à l'autorité légitime du roi et des magistrats ^ —
y> Après avoir parlé de la sorte, Montmorency s'en alla au Lou-
» vre. Il avait bien entendu parler de la permission accordée
» au cardinal ; mais comme celui-ci ne l'avait pas montrée, il se
i> persuada que c'était par mépris pour lui qu'il en usait ainsi,
» et il crut qu'il devait employer toute sorte de moyens pour
y> l'empêcher d'entrer dans la ville. — Le cardinal, de son
)) côté, quoiqu'averti par ses amis, qui allaient souvent le trou-
» ver, de la résolution de Montmorency, ne put jamais se déci-
:) der à montrer la permission qu'il avait obtenue du roi, disant
» que Montmorency le savait, et qu'il était de l'honneur de la
y> maison de Guise et de sa propre réputation, qu'on ne crût
)) pas que ses ennemis lui avaient fait la loi en l'obligeant de
)) montrer ses lettres, principalement dans Paris, où ils avaient
)) tant de créatures et où ils se flattaient que le peuple pren-
ï> drait les armes pour les Guises contre les Montmorencis, à
» cause de la religion. C'était là le voile dont les Guises se
1. « lis ont tous advoué mon dire raisonnable », écrivait le maréchal de
Montmorency à Catherine de Médicis, le jour même (8 janvier 1565), oii il
venait de faire sa déclaration aux membres du parlement de Paris. (Ribl. nat.
mss. f. fr. vol. 0621,^91).
— 363 — .
» couvraient toujours, et ils s'imaginaient que le peuple, qui
» les regardait et les chérissait comme les défenseurs de la foi,
» n'avait que de la haine pour les Montmorencis, qu'il croyait
» moins zélés, à cause de leur attachement au prince de Condé
» et aux Cohgnis. y>
^ Averti par ses amis de la résolution du maréchal de Mont-
morency, le cardinal refusa de montrer la permission qu'il avait
obtenue du roi. Alléguant qu'il y allait de son honneur et de
celui de sa maison de ne pas laisser croire qu'il pût subir la loi
de ses ennemis, il se dirigea vers Paris.
Tandis qu'il s'avançait, « le maréchal lui envoya un prévôt,
y> avec des archers à cheval pour lui ordonner, au nom du roi
^ et du gouverneur de la capitale, de mettre bas les armes. Le
2) cardinal méprisa ce commandement comme injurieux, parce
)) que, disait-il, ces sortes de gens, qui n'ont de pouvoir que sur
» les voleurs, les criminels et les vagabonds, n'avaient aucun
» droit sur les personnes de son rang. Il continua donc sa
3> marche * . »
Qu'advint-il alors? le maréchal de Montmorency lui-même -
va nous l'apprendre :
« Le cardinal ne laissa d'entrer dans cette ville (Paris), avec
» sa garde et avec telle troupe^, que mes prévôts que j'avais
y> envoyés pour constituer prisonniers ceux qu'ils trouveroient
» portans armes defîendues, m'advertirent qu'ils avoient trop
» de gens sur les bras et ne pouvaient exécuter mes comman-
y> démens ; parquoy, à l'instant, je y envoyay quinze harque-
3) buziers de ma garde conduits par leur capitaine, lesquels,
» soudain qu'ils furent aperçus par les gens dudit cardinal,
1. De Thou, hist., univ., t. III, p. 535.
2. Lettre du 15 janvier 1565 au duc de Monipensier. (Bibl. nat, mss. f. fr.
voh 3188, f°^ 6 à 9.
3. •« Lundi passé, 8 du présent mois (janvier) ung peo avant les trois heures
j après midy, monsieur le révérendissine cardinal de Lorraine, vestu du
— 364 —
)) furent par eux environnés leur présentans arquebuzes et
y> pistollets à l'estomac ; tellement qu'il me fut force de monter
)) à cheval avec bon nombre de gentilshommes de l'une et de
D l'autre religion, car, Dieu merci, les uns et les autres m'o-
y> béissent volontiers en ce que je leur commande, au nom et
» pour le service du roy; le train dudit cardinal fut par moy
» rencontré au coin de Saint-Innocent, et laissay passer tous
)) ceux qui ne portoient armes défendues; mais quand j'aper-
» çus arquebusiers et pistolliers, je m'advançay dedans la rue
)) Saint- Denis et leur fis faire commandement de mettre les
)> armes bas ; et pour ce que, à ceste abordée, au lieu de m'o-
j') béir, un des arquebuziers dudit cardinal tira un des gentils-
)) hommes de ma compagnie, tout ce qui fut rencontré, armé
)) fut déservi un peu plus rudement que je n'avois délibéré.
» Toutefois ne fut faite aucune offense à Lignères, Lavallée,
)) Grenay, Villegagnon, Fosse et autres qui ne portaient armes
)) défendues, et les feis préserver. Ledit cardinal se sauva dedans
y> une maison aisée à forcer ; mais pour ce que j'avais en ma
» compagnie assez de gens qui ne l'aimaient guères, je outre-
)) passai et fis passer à toute ma compagnie ladite maison, afin
)) de luy donner moïen de se retirer à pied dedans son hostel
» de Glugny. Il n'y a homme de guerre qui sçaiche que c'est que
)) de commander, ny homme de jugement, de quelque qualité
)) qu'il soit, qui puisse excuser ledit cardinal d'avoir desdai-
y> gné le roy, puisqu'il a tant desdaigné son lieutenant-général,
y> que d'entrer non seulement en mon gouvernement, mais
)) aussi en la ville capitale de ce royaume avec armes défen-
)) dues, sans m'en advertir. S'il y avoit quelque congé, c'estoit à
» lui à me le monstrer et à moy à l'ignorer, pour le lieu que
î robbon et chappeau, accompaigné du petit seigneur de Guyse et grande
» Iroppe de seigneurs et geus à cheval, venant de Sainct-Denys est entré à
» Paris. ï (Relation de Louis del Rio, attaché à l'ambassade d'Espagn(« en
France. Pap. d'État de Granvelle, t. VllI, p. 600, 601).
~ 365 —
)) je tiens. Et pour ce, mardi au soir, il bailla au premier pré-
y> sident, pour me montrer, un congé qu'il a de faire porter à
'y> ses eens armes défendues, dès le mois de février dernier,
)) signé Bourdin, de par la royne, laquelle usant de son accous-
» tumée prudence et sagesse, ne luy a donné qu'un simple
y> congé qu'on ne refuse ordinairement à tous ceux qu'on sçait
» avoir querelle ; et sous prétexte dudit congé, ledit cardinal se
y> veut attribuer garde d'arquebusiers et capitaine de sa garde ;
» à quoy Sa Majesté tant advisée que chacuii sçait ne pensa
)) oncques, d'autant qu'elle feroit tort à messeigneurs ses
» enfans et à la maison de France. Et pour ce que entre tous
» ceux qui sont nez subjectz du roy il n'y a que ceux de ladite
» maison à qui il appartienne d'avoir garde en ce royaume et
y> à ceux qu'il plaist à Sa Majesté tant honnorer que de leur
» donner commandement sur les armes, toutes fois voiant que
» ledit congé n'en parloit point seulement, je dis que quand le-
» dit cardinal m'envoyeroit le nombre et le nom de ses gens
» ausquels il entend faire porter lesdites armes défendues, au
» gouvernement de l'isle de France, en forme authentique, atta-
» ché au dit congé, dûment collationnée, j'en ordonnerois selon
» le du de ma charge. Sur cela, il partit mercredy matin, deux
> heures avant le jour, avec des lanternes, et se retira à Meu-
» don où et partout ailleurs où il ira en mon gouvernement, il
» ne lui sera souffert faire chose qu'il ne doive faire, pour faire
y> obéir le roy et révérer ses ministres, chacun selon son regard
)) et vaccation Je n'ignore point les artifices dont savent
» user, et d'aiguiser les matières, ceux qui se veulent attribuer,
» en France, plus de dignité et grandeur que les présentes
» loix ne leur permettent. Aucuns disent que ledit sieur cardi-
)) nal avoit fiance au peuple de Paris : mais je l'ai trouvé en
)) pleine rue Saint-Denis, et personne ne bougea, respectant
y> un chacun mes qualités. »
Les détails que fournit ainsi le maréchal se complètent par
— 366 —
les fragments suivants de l'une de ses lettres à la reine mère* :
« Je puis assurer vostre Majesté qu'en toute la rue Saint-
)) Denys le roy ha esté obéy sans que jamais un seul bourgeois
y> de ladite rue ait fait semblant d'y prendre aucun desplaisir
» Ledit cardinal s'en est allé cependant par aultre chemin pas-
» ser à pied sur le pont Notre-Dame, accompagné de quelques
» harquebuziers, aussi à pied, et s'est logé dans son hôtel de
» Clugny, où bientôt après est arrivé son frère, le duc d'Au-
)) maie, en s'accompagnant de leurs amys et serviteurs. De
)) ma part, pour éviter aux inconvéniens, j'ay retiré auprès de
y> moy Madame la douairière de Nevers, la comtesse de
j) Seninghen et la princesse de Porcyan, oii elles seront en
« sûreté, et avec elles M. le prince de Porcyan qui m'a accom-
3) pagné aujourd'huy pour le service du roy, avec plusieurs
D gentilshommes, et se sont tous si saigement gouvernés, que
)) j'ay grande occasion de m'en louer et de le faire entendre à
» vostre Majesté ; et que, s'ils avaient esté portés d'aultre pas-
)) sion que du service de vos dites majestés, ils avoient ung
y> moyen d'exécuter ce qu'ils eussent voulu. Je vous assure,
-» Madame, que la force demeurera au roy et à vous, et en leur
j) absence, à moy, puisque j'ay cest honneur de tenir icy le
» le lieu que j'y tiens. — J'ay esté à quatre heures du soir au
j> parlement, auquel j'ay fait entendre comme tout s'estoit
» passé, le pilant de tenir la main à la justice comme je tien-
j> droys la main à la force. Ils m'-ont respondu que tout ce qui
» estoyt passé n'estoyt rien et que j'avois bien faict, mais
j) qu'ils désiroient, pour la continuation du repos où j'ay esta-
D bli ceste ville qu'on n'en vînt plus avant Le roy m'a faict
» cest honneur de me mettre en main le commandement sur
» les armes, duquel je n'useray jamais que pour le service de
» sa majesté et la faire obéyr d'un chascun, soyt cardinal ou
1. Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 6621, f° 91,
— 367 —
» autre, de quelque qualité qu'il soyt. Madame, je vous supplie
y> ne vous troubler pour l'entreprise dudit cardinal et des
» siens, car jemestray bon ordre, tant qu'ils seront dans mon
y> gouvernement, de les faire contenir en leurs limites. »
Contraint de plier, devant l'énergique attitude du maréchal
de Montmorency, le cardinal de Lorraine se garda bien de
rester à proximité de la capitale. Tandis qu'il se rendait en
Champagne et dans le pays messin, son frère, le duc d'Aumale,
affecta de parcourir, avec un assez grand nombre de gens
armés, les environs de Paris; jetant parla une sorte de défi au
maréchal, et menaçant de susciter des troubles.
Ce fut alors que François de Montmorency invita l'amiral à
quitter Châtillon, et à lui prêter son concours pour le maintien
de l'ordre, dans l'étendue du gouvernement de l'île de France.
Déférant aussitôt à l'appel de son cousin, Coligny arriva à
Paris, le 22 janvier, avec une escorte de trois cents cavaliers.
Le maréchal de Montmorency s'empressa de convoquer un
conseil, auquel assistèrent Claude-Gouffier de Boisy, grand
écuyer de France, les présidents Christophle de Thou, René
Baillet, Pierre Séguier, Christophle de Harlay, et de Bois-
taillé, naguères ambassadeur à Venise. Il exposa les motifs
qui l'avaient porté à réclamer la présence de l'amiral, et
déclara qu'il s'agissait de délibérer en commun sur les moyens
d'assurer le repos public, que compromettaient des rumeurs
et des calomnies journellement répandues.
L'allocution du maréchal amena naturellement Coligny
à prendre la parole. « Il y a longtemps, dit- il (*), que je scay
» le bruict que les meschans et malveillans font courir contre
t) moy, comme si j'avois délibéré de me saisir de ceste ville,
y> que personne n'ignore estre la force et la lumière de la
j> France, mais ces desseins sont propres à ceux qui s'attri-
1. Hotmail, Vie de Coligny, trad. 1665, p. 62 à 66.
— 368 —
» buent quelque droict en la succession du royaume et préten-
y> dent la restitution de certains duchez et comtez leur devoir
» estre faicte. Quant à moy, je n'ay point de prétention au
y> royaume, ny à aucune de ses parties, et, si je l'avois, j'estime
» que, depuis cinq cents ans, personne de la noblesse fran-
» çoise n'a eu tant de moyens que moy de troubler Testât. Il
» vous peut souvenir, après la mort du duc de Guise, et lorsque
» le connestable estoità Orléans, enmon pouvoir, quelle occa-
)) sion j'eus d'entreprendre, si mon humeur eust esté portée
» aux remuemens ; et que la reine mère et le conseil du roy
» n'avoient jamais demandé la paix, que lorsque les affaires
» de ceux de la religion sembloient plus florissantes. Et qui
-» peut ignorer que je ne l'aye recherchée avec très instantes
)) supplications et désir, lorsque plusieurs des plus puissantes
» villes s'estoient déjà mises en ma protection, et que plusieurs
)) autres, tant de Normandie que de Bretagne, m'offraient
» volontairement leur amitié et association ? Qui est-ce qui
)) ne sçait, qu'après la paix faite, pouvant contenter mon am-
y> bition et obtenir du roy des charges et honneurs, j'ay
» toutesfois mieux aimé me retirer en ma maison, et, dans toute
» sorte de retenue et de repos, y mener jusques icy une vie
» privée? — Mais, laissant ce discours pour parler de ce dont
» il est question, ayant esté appelle par le maréchal de Mont-
» morency, je me suis hasté de venir en ceste ville, non pas
)) pour y apporter aucun changement ou trouble, mais plustost
» pour esteindre le feu- que l'audace de quelques-uns estoit,
)) preste à y allumer. J'estime que personne de vous n'ignore la
)) créance qu'ont en moy ceux qui font profession de la pureté
y> de la religion ; plusieurs desquels esmeus de ces nouvelles
» menées et épouvantez des factieux desseins des Guises, vien-
j) nent tous les jours me trouver avec lettres surprises de quel-
» ques capitaines assemblez, qui mandent à leurs vieux sol-
y> datz de se tenir prests, en armes, pour se rendre, au premier
— 369 —
y) commandement, où il sera besoin. Et pour n'user de paroles
» inutiles, il s'en est trouvé d'escrites de Normandie, desquelles
» le propre original a été porté à la royne-mère, et dont vous
» tirant une copie de ma poche, je réciteray seulement un arti-
)) cle : // n'y a 'point de mdien plus aisé de restituer la cou-
» ron?ie de France à ceux à qui elle appartient d^ ancien droict,
» et d'abolir la race des Valois, que d'exterminer tous les hugue-
)) nots, qui la défendent. Pourtant il faut faire vendre leurs
y> bois à V enchère, et du prix en avoir de V argent et des armes ;
)) et, s'ils en veulent plaider, la chose étant jugée, ils nedébat-
y> iront point les frais du procès. — Que diray-je des meurtres
» et voleries qu'ils exercent à toute heure? Il est constant que,
» depuis la publication de la paix, plus de cinq cens de la
» religion ont esté tuez en divers lieux, sans que la mort d'un
y> seul ait esté vengée par le magistrat : et ceux qui font leurs
» plaintes au roy ou à la royne-mère, ne remportent que des
y> paroles, ou quelque feuille de papier, ou peau de parchemin,
» sans effet. Qui ne sçait pas que, depuis peu, il s'est fait publi-
% y> quement, en la ville de Tours, à enseignes déployées, un
» massacre de ceux de la religion, en présence même de celuy
)) que le duc de Montpensier y avoit envoyé pour establir la
» paix? Ce qu'estant, on dit toutes fois que quelques prestres
» ont pris tant de frayeur de mon arrivée en ceste ville, qu'ils
» déhbèrent delà quitter. Si est-ce qu'il n'y a lieu, en France,
y> nulle si forte place, citadelle ou chasteau, où les prestres
» demeurent et célèbrent leurs cérémonies, et mesmes avec
3) plus de repos etseureté, qu'en ma ville de Chastillon K »
Le lendemain de la réunion dont il s'agit, le prévôt des mar-
chands, qu'accompagnaient environ quarante bourgeois de Paris,
1. Tel fut le langage tenu par l'amiral, et que nous fait connaître Hotmail
dont le témoignage est d'un grand poids; car, à raison de ses relations directes,
avec Coligny et avec sa famille, il était parfaitement à portée de savoir exac-
tement ce qui s'était dit et fait alors.
"._ 24
— 370 —
choisis d'entre tous les ordres, l'évêque, le recteur de l'Univer-
sité, et un grand nombre d'ecclésiastiques, étant venus trouver
le maréchal de Montmorency, l'amiral leur tint un discours à
peu près semblable à celui qu'il avait prononcé la veille; puis,
se reportant au temps où il était gouverneur de Paris et de l'île
de France, il leur rappela quelques-uns des actes de son admi-
nistration, qu'il s'était efforcé de rendre tutélaire.
Il vint ensuite, avec le maréchal, visiter le parlement, auquel
il adressa ces paroles * :
« Messieurs, je vous viens offrir, en général et particulier, tout
y> le plaisir et service que je vous pourray faire, et pour vous faire
» entendre que je suis venu en ceste ville, au commandement
» de monsieur mon cousin, qui est icy près, afin de l'obéyr en
)) ce qu'il me commandera; aussy que l'on a voulu donner quel-
» que impression aux citoyens de ceste ville, qui n'est encores
)) du tout effacée ; vous suppliant croyre que le Seigneur Dieu
y> ne m'a encores si peu assisté, qu'il me voulust permectre que
y> je feisse une émotion, pour donner moïen aux larrons et pil-
» lardz de pouvoir exécuter une partie de leur avaricieuse et in-
)) satiable affection de saccager, de laquelle je nepourroys rap-
» porter aultre fruict sinon une perpétuelle ruyne de ma maison
)) et la veue d'une misérable et piteuse désolation de bonnes et
y> notables maisons que je congnois en ceste ville; mais au con-
)) traire je ne désire rien plus que de continuer le peuple en son
)) debvoir et en la pure obéissance des édictz du roy. On a voulu
» dire que j'estois entré avec plus grand nombre qu'en mon train
> ordinaire, et pour ce que je ne m'asseuroys trop de quelscuns
» qui ne me sont amys en ceste ville, j'ay prié mon cousin de
» m'ayder de quelscuns des siens, lequel m'a envoyé cent che-
)) vaulx de sa garde, non de garde privée, mais de garde royale.
» Au surplus, messieurs, je vous supplie que ceux de ma reli-
1. Pap. d'État de Granvelle, t. VIII, p. 6BB.
— 371 —
y> giori, qui ne sont en petit nombre en ceste ville, puissent
» par vostre nioïen jouir du fruict des édictz du roy, ainsy que
» jusques icy vous avez bien voulu permettre, suyvan^ l'intention
» de Sa Majesté, et que, à ceste occasion, ils ne soyent molestez
» ny travaillez en aulcune sorte. »
Le premier président de Thou répondit * :
« Monsieur l'admirai, j'ay charge de la court de vous dire que
* vous soyez le très-bien venu, et qu'elle reçoit très grand plai-
» sir de l'asseurance que nous donnez, et que soyez icy pour la
» deffense et sûreté de ceste ville, estimant ainsy que vous estes
» si bon serviteur, que ne vouldrez entreprendre chose qui tour-
» nast en desplaisir à Sa Majesté. Et pour ce qu'il vient à pro-
3> poz, vous ne serez point marry si on vous récite une histoire
» advenue du temps des parcialitez entre César et Pompée, en
» la république de Rome : César estant dedans la ville. Pompée
» y entra avec ses armes, lesquelles estoyent fort suspectes au
D peuple, à cause de la présence de César; et toutefois Pompée
» se contint si bien et se monstra tant amateur de république,
Ts> qu'il ne voulut rien esmouvoir, encores que lors il l'eûst pu
» faire, et s'en départit sans faire aulcune sédition ; ainsi Dieu
» vous veuille inspirer de faire comme ledit Pompée. »
La vive et fine réplique de Coligny à une admonestation non
moins lourde que déplacée, fut d'un singulier à-propos* ; il dit :
€ que la cour luy faisait grand honneur de le comparer à ung si
» notable personnaige qu'estoit Pompée; et, encores que de soy
y> il ne se réputoit pour tel, si est-ce qu'il le vouloit bien imiter,
y> en ce qu'il estqit patriote, et pour le bien public. Mais luy
» sembloit qu'il n'y avait nulle occasion de luy proposer cest
s exemple, ny de faire comparaison de luy à Pompée, veu qu'il
» n'y avoit point de César à Paris. »
1. Pap. d'Etat de Granvelle, t. VIll, p. 656.
2. Ibid.
— sn —
Du parlement, l'amiral se rendit à Saint-Germain pour y sa-
luer le duc d'Anjou, ne resta que peu de jours à Paris, et en
partit, le 30 janvier, pour retourner à Châtillon.
Le lendemain, 31, le maréchal de Montmorency écrivit au
connétable^ : « Le s"" Hiéronyme s'en allant à la court, je l'ay
» prié de témoigner tant à leurs majestez qu'à vous, mon-
y> seigneur, le repos et tranquillité qui est en ceste ville, en la-
y> quelle l'arrivée de M. l'admirai a esté très doulce et son séjour
D de mesmes, sans que homme vivant aye eu, pendant qu'il a
}) esté icy aulcune injure ne dommaige. Il fust samedy bien
» accueilli du parlement où il parla, toutes les chambres as-
)) semblées. Dimanche il Icust à Saint-Germain-en-Laye faire la
» révérence à monseigneur d'Anjou, hier il partist pour aller
:» droict chez luy, bien content d'un chacun et avec grande satis-
y> faction de tous, ainsy que vous le desduyra ledit s' Hiéro-
)) nyme Je vous suplye très humblement qu'il vous plaise
» de bien remonstrer à la royne qu'elle regarde aux effectz des
)) services que je faictz icy à leurs majestez, qu'elle trouvera
S) utiles et nécessaires pour le bien de leurs affaires, et non pas
» aux artifices et desguisemens de ceux qui, pour leur intérêt
» particuHer, calomnient mes actions, lesquelles, quoy qu'on
» puisse dire, sont telles que Paris ne feust jamais en meilleur
)) estât ny en plus grand repos ny plus obéissant au roy qu'il est. »
Coligny, des qu'il fut rentré dans son château, adressa au roi
une dépêche par laquelle il le rassurait sur l'état de la capitale,
en lui parlant du court séjour qu'il venait d'y faire, dans un in-
térêt d'ordre public.
Le roi, ou, pour mieux dire, la reine mère, n'en conservait
pas moins de vives craintes, à raison de l'influence que pour-
raient exercer ultérieurement sur la population parisienne Co-
ligny, d'Andelot ou certains autres grands seigneurs, s'ils se
1. Bibl. nat. niss. f. fr. vol. 20 500.
— 373 —
trouvaient de nouveau en contact avec cette population. Aussi,
tout en paraissant ne pas blâmer l'empressement avec lequel
l'amiral avait répondu à l'appel du maréchal, et tout en félicitant
même celui-ci d'avoir maintenu l'ordre dans l'étendue de
son gouvernement ' , Catherine avisa-t-elle, par l'intermédiaire
de son fils, à ce que ni les Ghâtillons, ni leurs amys les plus in-
fluens dans les rangs des réformés, ne revinssent de sitôt à Paris.
En effet, à son instigation, le roi écrivit d'abord au maré-
chal ^ : « j'ay sçeu la venue en la ville de Paris de mon cousin
» l'amyral, et avecq quelle prudence vous avez regardé et con-
)) sidéré ce qui deppendait de mon service en cest endroict,
» aussy le soin, bon ordre et diligence dont vous avez usé pour
)) aller au-devant de tous inconvéniens Mon intention est,
» veulx, vous prie et ordonne que vous donniez ordre de faire
» retirer et renvoyer en leurs maisons tous ceux qui sont là ve-
)) nuz, à ceste occasion, deschargeant la ville et les environs des
» armes y attirées et approchées, en manière que par ce moïen
» je la veoye remise en la paisible tranquillité en laquelle elle
y> estoit auparavant. »
De plus, le roi, en entretenant Damville, gouverneur du Lan-
guedoc, de la rencontre du maréchal, son père, et du cardinal
de Lorraine dans Paris, lui dit^ : « d'aultant que ceste nouvelle
y> courra partout, portée par ceulx qui desireroient peult-estre
» qu'elle feust cause de troubler le repos public, je vous en ay
■}> bien voulu advenir, afin que n'en soyez en peine, mais pour
» éviter que les meschans n'en fassent leur prouffict, je vous prie
» donner ordre dans vostre gouvernement que rien ne s'es-
» meuve pour cela et qu'il n'en parte point de noblesse, d'une
i. LeUres de Catherine de Médicis et de Cliarles IX au maréchal de Mont-
morency, écrites en janvier et février 1565. (Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 3185
fo 73; vol. 3 204, f- 71, 81, 87, 94; vol. 3 205, f" 18).
2. Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 3 204, (" 71.
3. 17 janvier 1565. (Bibl. nat. mss. |. fr. vol. 3185, f» 78.)
— 374 —
y> part ny d'aultre, pour aller à la fisle, d'aultant que c'est ung
» cas fortuitement arrivé, où il n'y a rien meslé de la religion,
)) qui est la cause pour laquelle principalement la noblesse par
y> -cy-devant s'est esmeue. Et oultre cela, je y ay tellement pourvu,
y> que, je m'asseure, elle ne passera plus avant ; de façon que
)) leur aller n'y peult estre nécessaire. »
Dans les premiers jours de février, le roi écrivit à d'An-
delot^ .
« Je croy que vous avez été bien adverty de ce qui est passé
» à Paris entre mes cousins le cardinal de Lorraine et le mares-
y> chai de Montmorency, et comme, Dieu mercy, les choses se
» sont enfin accommodées, de façon que ledit sieur cardinal est à
5) Reims, et mon cousin le sieur d'Aumalle en sa maison. Tou-
î> tefois mon cousin l'admirai, vostre frère, ayant esté, à ce
y> que j'ay peu entendre, mandé par ledit mareschal de Mont-
» morency craignant qu'il eust affaire de secours et de forces,
)) s'est achemyné jusques audit Paris avec bonne trouppe pour
y> le secourir, où ayant trouvé les choses en Testât que je vous
)) le mande, il m'escript n'y avoir voulu séjourner davantaige, et
i) s'en est incontinent retourné en sa maison. Et pour ce que je
y> ne doubte point que n'en ayez eu l'allarme, et que ceste nou-
)) velle venue à vous, et voiant vostre frère pour ceste occasion
)) s'acheminer delà, vous vous soyez préparé pour le suivre, je
)) vous en ay bien voulu escripre pour vous advertir de l'es-
)) tat en quoy sont les choses de delà et du contentement que
2) j'ay dudit sieur admirai de ce que il s'est si promptement
» retiré, délaissant la ville au repos et en la tranquilhté là où
» elle est, et vous prye et commande expressément, si vous
» estiez en chemin, défaire comme luy, vous retirant chez vous
» pour y vivre au mesme repos que j'ai sçeu que vous avez faict
y> depuis que vous y estes, ayant de vostre part, travaillé à con-
1. Bibl. nat. mss, f. fr. vol. 6 627, f» 85.
— 375 —
» tenir ceux de vostre religion en toute paciffication, obéys-
y> sance et observation de mes édicts, dont je vous puisasseurer
» que j'ay tout le contentement et satisfaction que pouvez dési-
» rer, comme en toutes occasions je vous feray très bien pa-
» roistre. »
Alors que, par déférence pour la volonté royale, « l'amiral se
contenait en sa maison, » il fut averti par ses amis ce qu'un
)) nommé Le May, homme de petite condition et qui exerçait
» plusieurs voleries en une hostellerie qu'il avoit assez près
» de Chatillon, ayant marchandé avec le duc d'Aumale, frère
3) du duc de Guyse, espioit l'occasion de luy faire un mauvais
» tour, lorsqu'il irait à la chasse, et avoit déjà eu en don cent
» escus, avec un bon cheval. Davantage l'admirai adverty plu-
» sieurs fois des brigandages qu'il faisoit, dont il l'avoit sou-
» vent menacé, et, s'il en entendoit plus parler, qu'il luy feroit
)) faire son procès; ayant, depuis peu de jours, trouvé des té-
y> moins suffisans, l'en avoit fait accuser au parlement, de sorte
y> que, tombé dans les pièges qu'il avoit tendus, il commença
» d'accuser l'admirai, de quelques années, d'avoir traité avec luy
» pour tuer la royne-mère, luy en offrant une grande récom-
» pense. Mais le parlement, ayant reconnu la calomnie, et in-
» formation faite de ses crimes, le condamna à être rompu sur
» la roue ^ »
Inflexible, quant à la répression des crimes et délits com-
mis contre les individus, ou contre la société, Goligny se mon-
trait toujours enclin à couvrir d'un généreux pardon les actes
coupables qui ne s'attaquaient qu'à sa propre personne : en
voici une preuve, parmi plusieurs autres qui pourraient être
citées. (( Il avait eu pendant quelques années, entre ses domes-
i. Hotmail, Vie de Coligny, trad. de 1665, p. 66, 67. — Hugh Fitzwilliam
to the queen. {Calend. of state pap. foreign.) 14 sept. 1566. « The admirai is
ï the rarest iiobleman in Europe. Does not think that he vould ever attempt
j) such treachery against the queen mother as Le May charges him with. >
— 376 —
» tiques et familiers, un certain Ilanibrevillier, de noble famille,
y> duquel se servant en plusieurs bonnes affaires, des lettres
3) furent surprises en cour et envoyées à l'admirai, par les-
y> quelles il mandoit à ceux qu'il n'estoit point besoin présen-
» tement de nommer, que bientôt ilexécuteroitsa commission
» et donneroit le breuvage dormitif à l'admirai. Geluy-ci le fit
» appeler et escrire de sa main quelques lignes sur du papier;
3) puis, ayant confronté les deux escriptures, luy demanda s'il
» reconnaissoit bien la sienne aux lettres qu'il lui monstra,
» lesquelles après avoir reconnues, convaincu en sa conscience
» d'une telle meschanceté, se jetta soudain aux pieds de l'ad-
D mirai, implorant sa miséricorde, qu'il luy accorda, et le
» pardon, à la charge qu'il sortit, à l'instant, de sa maison et
y> ne se présentas! jamais devant luy* . »
Trois mois s'étaient écoulés, durant lesquels Coligny et
d'Andelot n'avaient pas même manifesté l'intention d'appro-
cher de Paris, à la différence du cardinal de Lorraine, qu'on
s'attendait à y voir reparaître, ainsi que le prouve la corres-
pondance du roi et de Catherine avec le maréchal de Mont-
morency ^, lorsque le parlement de Paris reçut du souverain
une lettre datée de Mont-de-Marsan, 2i mai, dont le principal
passage était ainsi conçu ^ : « il nous a semblé à propos d'es-
» crire aux personnages nommés dedans le roolle que présente-
» ment vous envoyons, se abstenir d'aller ny venir en la ville de
» Paris jusques à nostre retour en icelle, dont nous avons bien
» voulu vous advertir comme aussi l'escripvons nous à nostre
» très cher et amé cousin le mareschal de Montmorency, à ce
» qu'il ne permette qu'ils y entrent, et, s'ils y estoient, qu'il ait
i. Ilotnian, vie de Coligny, tra^. de 1665, p. 57. — De Thon, hist., univ.,
t m, p. 665, 606.
2. Lctlres des 16 mars, 3 et 11 mai 1565. (Bibl, nat. mss. f. fr. vol. 319i,
f*" 4-2, il, 57).
;j. Mém. de Coudé, t. 1, p. 156, 157.
— 3/7 —
i> à les en faire retirer ; vous mandant et ordonnant très expres-
» sèment que si aucun d'eux s'ingéroit, entre cy et nostre
y> retour, d'aller en ladite ville, soubs occasion de la poursuite
» de quelques procès, vous n'ayez pendant qu'il sera et demeu-
y> rera en icellc ville et faulxbourgs à luy donner aucune au-
D dience, ne l'admettre à en faire poursuite en personne, d
D'après le rôle annexé à la lettre ci-dessus, les personnes
auxquelles l'accès de la capitale demeurait interdit étaient ^ :
« monsieur de Guise, monsieur d'Aumalle, monsieur de Lon-
))gueville, monsieur de Nevers, monsieurl'admiral, monsieur
D d'Andelot, monsieur de Larochefoucault, monsieur le prince
y> de Porcien, monsieur de Soubize. »
L'interdiction s'étendit à d'autres personnes encore, car le
roi écrivit au maréchal de Montmorency - , en lui mention-
nant le rôle adressé au parlement : «je vous prie et ordonne,
» mon cousin, donner ordre ne laisser entrer dans Paris aulcun
y) des dénommez audictroolle, ne aussy ceulx qui sont dans un
y> aultre roolle particulier cy-incluz desquels je n'escriptz point
)) à ma dite court. y>
Sur ce rôle particulier ^ étaient inscrits les noms suivants :
« monsieur le vidame.de Chartres, Malic^nv, monsieur le comte
y> de Montgomery, monsieur d'Ivoy, monsieur de Bussy Senin-
-» ghen, monsieur de Goulombières. »
La lettre du roi au maréchal se terminait par ces mots :
« mon cousin, je n'ay compris au roole que je vous envoyé et
» à madite court de parlement mes cousins les cardinaulx de
» Lorraine, de Guyse et de Ghastillon, mais je n'ay pas laissé
y> de leur escripre n'aller point audit Paris, et veux que vous
» ne souffriez point qu'ils y entrent, non plus que les
s> aultres. »
i. Mém. de Gondé, {. \, p. 157. — Cibl. nat. mss. f. fr. vol. 3 19i, f' 51.
2. 21 mai J5ti5. P.ibl. nat. mss. f. fr. vol. 3 19i, P 60.
3. \V\h\. nat. mss. f. fr. vol. 3 194, f 49.
— 378 —
Les lettres adressées par le roi aux personnes que désignaient
les deux rôles dont il s'agit étaient identiquement semblables,
à en juger du moins par celles que reçurent d'Andelot et le
prince de Portien, et qui seules sont parvenues jusqu'à nous ^ .
Connaître ce qui fut écrit à d'Andelot, ce sera connaître ce
qui fut également écrit à Coligny.
« Mon cousin, portait la lettre du roi à d'Andelot, quand
y> j'ay bien cherché les occasions qui tiennent quasi tout mon
» royaulme en allarmeet apportent subject à ceulx qui n'ont pas
» l'intention bien nette, je trouve qu'elles proceddent de tant
S) d'allées et venues qui se sont faictes par aulcuns des princi-
» paux de mon royaulme en la ville de Paris, pour les interpré-
» tations diverses que chacun y donne selon son humeur, de
^ façon que ce a esté le subject de tous les bruictz qui ont
» couru et courent encores par mondit royaulme, semez par
)) ceulx qui ne cognoissent pas quelle fiance j'ay de ceux-là et
» combien ils sont esloignezde vouloir troubler le repos de mon
y> dit royaulme ; et ne voyant meilleur remède pour leur oster
y> ceste occasion durant mon absence, j'ay pensé que ceulx
» dont leur peult naistre tel soupçon n'auront désagréable,
» pour le bien de mondit royaulme et me satisfaire aussy en
» chose de telle importance, s'abstenir de tels voyages jusqucs à
)) mon retour en ladite ville, qui sera. Dieu aydant, environ la
'i> Saint-Michel prochaine; qui me fait vous prier, mon cousin,
» si vous y avez quelque procès et affaire, les faire manyer par
» vos gens et procureurs, sans y aller vous mesmes, et faire, en
» ce faisant, que le zèle et sincère dévotion que je sçay que vous
» avez à mon contentement, au bien de mon service et repos
y> de mondit royaulme conduise et dispose selon les occasions
» et mon intention comme à ce que je désire et cognois estre sy
y> nécessaire pour contenir le public et tant mieux retenir ung
i. Lettres du 21 mai 1565, i° à d'Andelot (Bibl. nat, mss. cabinet des titres,
V. Coligny), 2» au prince de Portien (Bibl. nat. inss. f. fr. vol. 3 950, f'SO).
— 379 —
)) chacun en son debvoir; ayant, pour donner plus d'effect à
y> ceste mienne intention, escript à mon cousin le mareschal
» de Montmorency ne souffrir que, avant mondit retour, vous
y) ne aultres de ceux que je luy ay envoyez par roolle, entrent
» dans ladite ville, et à ma court de parlement surseoir la
^ procédure de tous leurs procès, quand ils seront en personne,
^> et, en leur absence, y administrer toute la plus prompte et
)) meilleure justice que faire se pourra. Priant Dieu, mon cousin,
* vous avoir en sa garde. »
Peu de jours après l'envoi des lettres dont il vient d'être fait
mention, Catherine de Médicis et son fils se portèrent à la ren-
contre de la reine d'Espagne, qui se dirigeait vers la France,
accompagnée par le duc d'Albe. D'Irun, où l'on s'était ren-
contré, on se rendit à Saint- Jean-de-Luz. Ce fut là, que l'as-
tucieux représentant de Philippe II, avant même d'avoir remis
au roi et k la reine mère les lettres de son souverain, dont il
était porteur, s'entretint avec quelques-uns des principaux
personnages de la cour de France, les circonvint par ses adu-
lations, et reçut d'eux en échange, maintes confidences qu'il
transmit aussitôt à son maître, par une dépêche du 15 juin. Il
y disait ^
« J'ai fait au connétable, au cardinal de Bourbon et au
y> prince de la Roche-sur- Yon les complimens dont Votre
3) Majesté m'avait chargé pour eux, réservant toutefois au pre-
y> mier les démonstrations les plus amicales. J'ai parlé dans le
» même sens au cardinal de Guise, insistant sur la recomman-
y) dation que Votre Majesté m'avait faite de lui témoigner l'af-
3) fection toute particulière qu'elle porte à sa famille, sa volonté
y> d'en donner des preuves, à chaque occasion, et son regret
)) que le cardinal de Lorraine fût maintenant absent de la cour.
» Le prélat, visiblement ému, me répondit dans les termes de
i. Pap. d'État de Granvelle, t, IX, p. 284 à 292.
— 380 —
» la plus vive reconnaissance, désirant que Votre Majesté vou-
)) lût bien, pour l'amour de Dieu, penser un peu à ce pauvre
y> royaume de France où la religion se perd sans remède, ojou-
y> tant que trois ou quatre malheureux étaient les seuls auteurs
» du mal, et qu'une chose néanmoins déplorable était de voir
)) certains personnages, naturellement bons et inofTensifs, se
» laisser entraîner par la chair et le sang, au point de favoriser
» les auteurs mêmes de tout le désordre; que, puisque je l'en-
» tendais si bien, il voulait s'exprimer clairement, et me priait
)) d'en parler au connétable, sachant fort bien le crédit que
» j'avais sur lui, et qu'il prendrait la chose de ma part mieux
)) que de celle de tout autre Quanta M. de Montpensier,
)) je lui donnai l'assurance des sentimens affectueux qui unissent
» depuis si longtemps Votre Majesté à sa famille, et à lui en
» particulier, à raison de la ligne de conduite qu'il n'avait cessé
» de suivre, ainsi qu'il convenait à un gentilhomme de son rang
y> et à un véritable chrétien. Enchanté de cette ouverture, il se
y> jeta dans mes bras avec affection, m'assurant que lui et tous
i> les gens de bien du royaume n'avaient d'espoir qu'en Votre
» Majesté ; que lui en particulier se ferait mettre en pièces pour
» elle, et que, si on lui ouvrait le cœur, on y trouverait gravé le
» nom de Philippe ; le tout avec une telle expression de physio-
» nomie, qu'il était facile de voir qu'il n'y avait chez lui ni
» feinte, ni arrière-pensée. — En ce moment, M. de Montluc
)) s'approcha de moi pour me parler. Connaissant parfaitement
)> la vanité du personnage, il me sembla que le meilleur moyen
S) d'entrer en matière était de le prendre par son faible ; aussi,
» tout en l'embrassant, lui dis-je à l'oreille : ce mouvement que
)) vous voyez ici, et ces princesses qui se trouvent réunies
» avec tant de bonheur, tout cela, monsieur, c'est votre ou-
)) vrage. Plus tard, et chemin faisant, il vint à moi pour me
» dire : Seigneur, rien ne saurait me retenir de vous chercher
» partout o\\ je puis avoir l'espérance de me rapprocher de vous.
— 381 —
3) A quoi je lui répondis qu'il avait parfaitement raison, puisque
» j'étais le serviteur d'un prince qui lui faisait le plus grand
» honneur que jamais gentilhomme eût reçu d'un souverain.
» Il savait, continuai-je, combien de fois Votre Majesté avait
» été importunée pour cette entrevue qu'elle avait constam-
» ment refusée jusqu'au moment où elle eut vu l'écrit dans le-
» quel, lui Montluc, la considérait comme utile au bien de la
)) religion: circonstance qui vous décida, sire, à accepter l'en-
y> trevue et à commander sur-le-champ les arrangemens néces-
» saires. J'ajoutai que Votre Majesté m'avait, de plus, donné
)) l'ordre de concerter avec lui les mesures à prendre pour re-
» médier aux maux de la religion et rendre au roi de France
» l'autorité dont avaient joui ses ancêtres; de recevoir ses
y> instructions sur le genre d'initiative à prendre, sur la con-
y> duite à tenir, sur le choix des personnes auxquelles je pour-
» rais m'ouvrir, enfin de suivre, en tout et'parlout, le plan qui
» lui paraîtrait à lui le plus convenable. J'ajoutai que, d'après
» cela, il était à môme de juger quelles obligations il devait à un
)) prince qui avait de sa vertu une telle opinion, que, pour ce
» motif seul, il le considérait comme devant être placé à la
» tête d'une négociation aussi importante, nous ordonnant à
y> tous tant que nous sommes ici d'Espagnols, de suivre exacte-
» ment ses avis, de nous conformer aux plans .qu'il aurait tra-
y> ces, ce qui expliquait notre réserve à l'égard des autres sei-
» gneurs auxquels nous n'avions voulu faire aucune ouverture,
» avant de nous être abouchés avec lui et d'avoir connu sa ma-
» nière de voir. — Cet homme, qui a le mérite d'une grande
» franchise, fut saisi, comme de raison, d'un terrible accès de
y> vanité, en entendant un pareil discours, et me dévoila sans
» façon sa pensée constamment mise en pratique dans les
» affaires de religion ; ajoutant que si chacun avait voulu suivre
» son exemple, à l'époque des dernières guerres, c'est-à-dire,
» ne faire grâce de la vie à personne, tout serait actuellement
— 382 —
y> terminé ; mais que, par malheur, beaucoup de braves gens,
» se rencontrant dans la mêlée, se disaient les uns aux autres :
» mon cousin, mon frère, et que la guerre s'éternisait ainsi,
» tandis qu'il n'y aurait pas pour un seul déjeuner avec la ca-
» naille, si tous les hommes de bien voulaient se réunir. Il me
» promit de me donner son opinion par écrit sur toute la matière,
» pourvu que je laissasse ignorer que je lisais le français,
y> me priant avec instance de le cacher soigneusement à tout le
ï) monde. A ces détails il ajouta que le cardinal de Bourbon
» était bon catholique, mais que sa grande occupation était de
» complaire à la reine-mère et de lui rapporter tout ce qui se
» disait; qu'en conséquence, le meilleur moyen de l'employer
j) utilement était de lui confier toutes les choses que je vou-
s> drais faire parvenir à l'oreille de la régente ; de même pour
» M. d'Escars. Quant à MM. de Montpensier, d'Aviia et de
» Saint-Pierre, je pouvais me fier à eux sans réserve, parce
» qu'ils n'avaient tous qu'un seul cœur et qu'une seule volonté
)) pour le service de Dieu, celui de leur souverain et de Votre
)) Majesté elle-même, déterminés qu'ils étaient à mourir pour
» la défense d'une aussi belle cause. Votre Majesté, suivant lui,
» n'était pas moins intéressée que le roi son maître à remédier
» aux maux présens; sachant, comme il disait, que dans les
» Pays-Bas il régnait une grande corruption, non dans la classe
» des seigneurs, mais parmi le peuple. Il me dit, en terminant,
y> qu'il était à sa connaissance personnelle, que la reme-mère
» savait et comprenait parfaitement toute la malice et la fausseté
» des opinions religieuses actuellement en vogue, et qu'elle se
» laisserait scier en deux, plutôt que de se faire huguenote.
« A quoi je répondis qu'une détermination semblable serait
)) excellente pour quiconque n'était responsable et n'avait à
y> rendre compte que de lui-même. Pour en finir, je lui dis que
» ce que j'avais spécialement à lui apprendre, c'était le vif de-
» sir qu'éprouvait Votre Majesté de remédier aux maux de la
— 383 —
)) France, de soutenir les intérêts du roi son bon frère, et sa
y> détermination de consacrer à une telle œuvre toutes les res-
» sources que Dieu avait mises à sa disposition, dans le cas où
y> un sacrifice pareil lui semblerait devoir contribuer à attein-
» dre le but qu'elle se proposait. Voilà pour ce qui concernait
y> Votre Majesté. Quant à Montluc, il avait deux choses à faire :
» l'une, d'indiquer le moyen par lequel on pourrait amener le
» roi de France et sa mère à mettre sérieusement la main à
» l'œuvre, parce que, s'ils consentaient à seconder Votre Ma-
)) jesté, le succès était incontestable; l'autre, dans le cas où
» l'on ne pourrait rien gagner sur eux, de nous faire connaître
» du moins les remèdes à tenter pour la guérison du mal ; car
» il était impossible, en bonne conscience, de laisser plus long-
» temps les choses marcher ainsi à leur perte , sans chercher
)) à y mettre obstacle. 11 me répondit, en remerciant Dieu des
)) bonnes dispositions de Votre Majesté, qu'il achèverait son
» mémoire et me le ferait passer Nous verrons jusqu'à quel
» point l'on peut compter sur les offres de Montluc, duquel je
» me séparai alors, dans la crainte que l'on ne conçut quel-
y> ques soupçons de cet entretien déjà si prolongé.
« Immédiatement après, je m'approchai du roi, dans l'in-
» tention de le sonder sur les principes qu'on lui avait incul-
» qués; débutant par des propos sans conséquence sur la
» chasse, la guerre et autres sujets pareils, que je me bornai à
» effleurer. Insensiblement la conversation tomba sur l'état
)) actuel de son royaume : je le priai de ne point s'épuiser à la
» course, et de veiller soigneusement à sa conservation, dela-
» quelle dépendait le bien de la chrétienté tout entière, puis-
» qu'il me semblait que Dieu l'avait réservé pour accomplir
y> par ses mains une grande œuvre, c'est-à-dire le châtiment
» des offenses qu'on lui faisait, chaque jour, dans son royaume.
)) A quoi il me répondit avec vivacité : Oh ! pour prendre les
» armes, il n'y faut pas songer ; je n'ai pas envie de ruiner mon
— 384 —
» royaume, ainsi qu'on avait commencé à le faire, en s'enga-
» géant dans les guerres précédentes. Ces mots surfirent pour
» me révéler la leçon qu'on lui avait faite : aussi je passai de
y> suite à une autre matière et ne tardai pas à me séparer de lui.
» Abordant alors le prince de la Roche-sur- Yon, je me
» mis à lui parler de matières diverses, et cherchai à luiins-
)) pirer un peu de vanité, en lui disant que, parmi tous les gou-
» verneurs de provinces, il passait pour celui qui savait le mieux
y> contenir le peuple dans l'obéissance . et le devoir; et lui
y> demandant de quels moyens il faisait usage pour obtenir un
)) résultat aussi salutaire, il me répondit que les voies de conci-
» liation et de douceur étaient celles qu'il employait de préfé-
>^ rence; que par elles il avait toujours obtenu le bien que je lui
y> signalais, et qu'en définitive elles étaient le frein le plus puis-
)) sant pour dompter toutes les résistances populaires. Cette
» réponse me sembla cadrer assez avec celle du roi lui-même.
(( Tel est le résumé de ce qui a eu lieu jusqu'à ce jour. Nous
y> tiendrons Votre Majesté au courant de ce qui se présentera par
y) la suite. Il s'agit ici d'une affaire où l'on doit déployer beaucoup
y> de circonspection et de mesure. Nous travaillerons, autant que
» possible, à démêler leur jeu, et donnerons avis de tout à
» Votre Majesté, afin qu'elle daigne nous guider dans cette cir-
» constance importante, etc., etc. »
Dans une seconde dépêche, datée de Bayonne, 21 juin, le
duc d'Albe (1) annonce à Philippe II, qu'ayant eu soin de faire
croire qu'il n'est chargé d'aucune mission, il veut laisser là reine
mère prendre l'initiative des négociations; qu'il a revu Montluc,
le ducde Montpensier, le cardinal de Bourbon, d'Avila; que le
maréchal de Bourdillonet Saint-Pierre l'ont fait prévenir qu'ils
voulaient conférer avec lui ; que quelques autres pei'sonnages
encore sont venus lui parler, mais qu'il les considère comme des
1. Piip. d'État (le Granvelle, t. IX, p. 294 et suiv.
— 385 —
émissaires de la reine-mère, parce qu'ils se sont attachés à lui
prouver que la religion se trouve en France, dans l'état le plus
satisfaisant; que, chaque jour, du moins on porte remède au
mal; que l'on gagne du terrain, et que l'autorité du roi est
universellement respectée. « Les bons, ajoute le duc d'Albe, en
» faisant, allusion, notamment, au cardinal de Guise, auduc de
» Montpensier et à Montluc, tiennent un langage tout opposé.
y> Suivant eux, la situation actuelle du roi de France consiste à
y> avoir vingt catholiques pour un huguenot; les premiers, il est
» vrai, pris dans la classe la plus élevée et la plus recomman-
)) dable, mais qui, chaque jour diminuent de nombre, en pas-
» sant dans les rangs ennemis. Quant aux moyens d'obvier au
» mal, et qui sont, selon eux, d'une très facile exécution, l'un
» consisterait dans la mesure suivante : comme parmi les gou-
» verneurs de province il n'en est pas un seul qui soit huguenot
s> déclaré, et que un ou deux seulement sont soupçonnés d'être
» tels, le roi donnerait ordre à tous d'expulser de leurs gouver-
» nementsles ministres de cette friponnene,oh\ige^ni les sujets
» à vivre en bons catholiques; parce moyen tout serait bientôt
» terminé. Un second expédient serait dans le cas où l'on vou-
)) drait en finir, une bonne fois, avec les cinq ou six, au plus,
» qui sont à la tête de la faction et qui la dirigent, de se saisir
» de leurs personnes et de leur couper la tête, on au moins de
» les confiner en quelque lieu où ils seraient dans l'impossibi-
» lité de renouveler leurs trames criminelles. Tout serait con-
» sommé dès le jour même où l'on aurait mis la main à l'œu-
3) vre, et le roi ni sa mère ne rencontreraient guères, dans
y> cette entreprise, de difficultés que les catholiques ne pussent
» aplanir. Ils se croient tellement assurés du succès, avec l'un
» des deux moyens indiqués, que, sr l'on s'en rapporte à ce
)) qu'ils disent, il ne s'exposeraient pas même à la nécessité de
» tirer une seule épée du fourreau...
C'était déjà quelque chose, pour le duc d'Albe, que de pou-
— 386 —
voir compter sur le concours de ces bons qui s'étaient ouverts à lui
avec un si coupable abandon, et dont la perversité se mesuraità
la bassesse qu'ils affichaient vis-à-vis du sanguinaire souverain de
l'Espagne. Mais il fallait plus encore au digne représentant de
Philippe II : il aspirait à sonder les intentions de Catherine de
Médicis, et, dans le cas probable d'un dissentiment entre elle
et lui, à tout faire pour triompher des objections qu'elle lui
opposerait.
Or, que se passa-t-il à Bayonne, entre cette princesse et le
duc?
« Après une longue discussion sur les événements passés,
)) énonce la dépêche du 21 juin, la reine mère vint à conclure
» que la situation présente était, sans comparaison, plus ras-
» surante qu'à l'époque de l'édit de pacification et qu'elle espé-
» rait la voir désormais se consolider de plus en plus pour
T> moi je lui prouvai jusqu'à l'évidence que le contentement
» d'être affranchie des embarras de la guerre était la cause qui
» lui faisait envisager f état religieux du royaume sous un point
» de vue plus rassurant aujourd'hui qu'à cette époque; qu'en
» aucune manière nous ne pouvions ne pas insister, au nom de
D Votre Majesté pour qu'elle apportât aux maux de la religion le
» remèdeleplus efficace sur ce, la reine me demanda en
» quoi consistaient précisément le remède et la conduite à tenir.
» S'attendant à me voir indiquer comme moyen unique le
» recours aux armes, elle s'était précautionnée d'arguments et de
» répliques pour m'en démontrer l'inopportunité; mais je me
ï) bornai à lui répondre que Votre Majesté, bien qu'elle connût
» aussi bien que la reine mère et que personne en France l'état
» présent des affaires du royaume et la nécessité d'y porter
» secours, quant à la nature précise du remède, s'en remettait
» à elle, qui devait être sur ce point' parfaitement renseignée.
» Je terminai en la suppliant de me faire connaître ses propres
» vues, aiin que je pusse en rendre compte au roi mon maître.
— 387 —
» Elle me répliqua qu'elle s'en rapportait entièrement à mes
» paroles en ce qui concernait la connaissance des affaires du
y> royaume de France, et que, pour ce motif-là même, elle dési-
» rait avoir mon avis sur la question présente. Après m'être fait
» longtemps presser, je la priai de vouloir bien préalablement me
y> dire, si depuis la publication de l'édit qui accordait aux dis-
» sidents une tolérance si grande et tantd'autres concessions, on
» avait perdu ou gagné du terrain, parce que, ce point une fois
y> établi, le choix du remède se trouverait déterminé par là
» même. Sur ce, la reine m'affirma que l'on avaitgagné consi-
» dérablement de terrain depuis cette époque, et se mit à me
» rappeler avec un grand détail les événements passés. x\près
)) qu'elle eut fini, je lui démontrai, preuves en mains, qu'elle me
» trompait ou se trompait elle-même d'une manière fort grave :
)) ajoutant queje savais fort bien qu'en penser, parce que, nonobs-
» tant les assertions de Sa Majesté, il était notoire à tous que la
)) tolérance faisait perdre, chaque jour, du terrain, et que l'on
» ne pouvait se flatter de connaître la situation réelle des affaires
» de ce royaume, sans être parfaitement rensei|,^^4 sur une
)) particularité aussi importante pour la négociation qui nous
» occupait. La reine m 'ayant arrêté en ce moment pour me
» demander si par làje prétendais lui donnera entendre qu'il fal-
» lût recourir aux armes, je lui répondis que je n'en voyais point
)) actuellement la nécessité, et que Votre Majesté elle-même ne
» lui donnerait ce conseil, que dans le cas où cette nécessité
» deviendrait plus urgente. Comme elle me pressait de nouveau
)) pour connaître ma façon de penser, je lui fis réponse, qu'à
» mon avis, il y avait grand besoin de porter un prompt remède
» à tous ces désordres, parce que plus tard, bon gré malgré, ses
» adversaires, venant à prendre les armes, la forceraient d'en
» faire de même, et peut-être en telle circonstance où la mesure
)) serait tardive et de nul effet; que le plan auquel s'arrêtait
» Votre Majesté, et qui la préoccupait au point d'en faire le but
— 388 —
» unique de toutes ses démarches, était de chercher à expulser
> de France cette mauvaise secte, de ramener les sujets du roi
» très chrétien à leur antique soumission et de maintenir la
» reine mère dans la légitime autorité qu'elle exerce. »
Une dépêche du duc d'Albe, non datée, mais assurément
postérieure au 2'J juin 4565, renferme ce passage^ : « Je ra-
» menai l'entretien sur l'état de la religion en France, et les
» pertes qu'elle subissait, chaque jour; toutes choses que la
y> reine mère ne cessa de dénier, ne voulant à aucun prix en
» convenir, mais se prévalant d'argumens si faibles et si froids,
y> qu'elle voyait bien que je ne pouvais les admettre. Cette con-
)) versation avait lieu dans une chambre extrêmement petite, et
y> dans laquelle on ne pouvait rien dire sans être entendu, les
» pièces voisines étant remplies de courtisans. »
Le reste de la dépêche nous montre le duc d'Albe et Catherine
s'en tenant, en ce qui concerne l'état religieux de la France et
les moyens d'y porter remède, aux opinions qu'ils ont respective-
ment émises dans leurs précédens entretiens. On n'y rencontre,
du reste, aucune trace d'une entente finale entre la reine mère
et son interlocuteur.
Est-ce à dire, pour cela, que les rapports de Catherine avec
le duc d'Albe, à Bayonne, se limitèrent aux seuls faits consignés
dans les dépêches de celui-ci? non, ainsi que l'établissent divers
historiens.
« Tandis qu'on feignait, écrit Davila^ de n'être occupé, à
» Bayonne, que de fêtes et de plaisirs, de joutes, de courses de
» bague et d'autres semblables amusemens, on tenait des con-
» seils secrets où, après avoir examiné et balancé les intérêts
» des deux couronnes, on convint que les deux rois devaient
)) agir de concert pour rétablir le calme dans leurs états et y
)) abolir la diversité de rehgion On tendait également, de
1. Pap. d'État de Granvelle, t, IX, p. 311.
2. Hist. des (jucrrcs civ. tr. fr. t. I, p. 213, 215
— 389 —
y> part et d'autre, à la ruine des huguenots et à raffermissement
» de l'autorité royale. On demeura donc d'accord que les deux
y> rois s'entr'aideraient, soit ouvertement, soit en secret, comme
» ils jugeraient le plus à propos pour exécuter un dessein si im-
y> portant et si hazardeux, mais que chacun serait libre d'em-
)) ployer les mesures et les résolutions qu'il croirait les plus con-
)) venables' .
« Les protestans, dit de Thou^ , gens fort soupçonneux, ont
)) publié qu'on avait conclu, dans les conférences de Bayonne,
)) un traité secret entre les deux rois, pour rétablir l'ancienne
» religion, extirper et anéantir la nouvelle ; que ces deux princes
» s'étaient mutuellement donné parole avec serment de se
» prêter secours, toutes les fois qu'ils en auraient besoin; que
3) le roi de France s'était engagé d'aider le roi d'Espagne à faire
3) la guerre dans les Pays-Bas; le roi d'Espagne d'aider le roi
^ de France à réduire les protestans sous son obéissance; et
» tous les deux, de maintenir l'autorité du pape. — Ce qui esl
y> arrivé ensuite apprendra certainement à la postérité si ceia
» est vrai ou faux. — Au moins J.-B. Adriani, qui a continué
» l'histoire de Guichardin avec beaucoup de fidélité et d'exacti-
» tude, et qui, selon toutes les apparences, a beaucoup puisé
j> dans les mémoires de Gosme, duc de Florence, a écrit que ces
» conférences avaient été tenues, à la sollicitation du pape; que
y> le pontife aurait fort souhaité que Philippe II y fût venu ; qu'on
» y délibéra sur les moyens de délivrer la France des protestans,
» qui étaient regardés comme un mal contagieux; et qu'enfin
» on se rangea au sentiment du duc d'Albe, qui, à ce qu'il pré-
» tend, était celui de Philippe : c'était d'abattre les plus hautes
1. « Les revues de France et d'Espagne, à Bayonne, assistées du duc d'Albe,
> résolvent la ruine des hérétiques en France et en Flandre... là il fut résolu
> que lès deux couronnes se protégeraient, maintiendroient la religion catho-
> lique, ruineroient leurs rebelles, et que les chefs séditieux seroient attrapez
> et justiciez. » Qlém. de Tavannes, chap. \ix.)
2, Hist., univ., t. III, p. 550,
— 390 —
» têtes, de suivre l'exemple des vêpres siciliennes, et de mas-
)) sacrer tous les protestans, sans exception. Et parce que le
)) bruit s'était répandu, qu'on allait tenir une assemblée à Mou-
» lins, on crut que ce qu'on pourrait faire de mieux était d'y
» égorger tous les grands de ce parti, qui y viendraient de toutes
)) parts, et d'exterminer en même temps tous les autres, par
» toute la France, au signal qu'on en donnerait. Mais, comme
)) tous les grands du parti protestant ne vinrent pas à Moulins ^ ,
» ou qu'on crut, pour d'autres raisons, qu'il ne fallait pas encore
» exécuter cette entreprise, on la remit à un autre temps. Sept
)) ans après on l'exécuta à Paris, comme dans un lieu plus com-
» mode, lorsqu'on crut avoir trouvé l'occasion favorable, et on
» l'exécuta de la manière dont elle avait été alors résolue. »
P. Mathieu, investi de la confiance de Henri IV, et qui, dans
ses récits, s'est particulièrement attaché à retracer l'histoire de
ce prince, s'exprime ainsi ^ , au sujet de l'entrevue de Bayonne :
« il y eut conseil fort étroit et particulier entre la royne-mère
)) et le duc d'Albe pour l'extirpation de l'amiral et de son party,
» ne proposant meilleur remède que de faire des vespres sici-
)) tiennes, ayant souvent pour refrain ce mot, qu'une tête de
» Saumon est meilleure que celles de cent grenouilles, j'ay ouy
» dire au président de Galignon, chancelier de Navarre, que tout
» ce conseil fut recueilli par le prince de Navarre qui, pour la
s> gentillesse et vivacité de son esprit, estoit admiré des Espa-
y> gnols Les intéressez n'ont rien sçeu que par ce petit prince,
» qui suivoit là royne-mère partout, et elle ne pouvoit le perdre
» de vue. Il se trouva au cabinet, escouta et retint la résolution
» de ce conseil, et il la représenta fidèlement à la royne de Na-
» varre, sa mère. y>
Sans perdre un instant, Jeanne d'Albret informa secrètement
1. 11 sera parlé ci-après de ce qui se passa à l'assemblée de Moulins.
2. Hist. de fr. 1. 1, p. 283.
— 391 —
Condé, l'amiral et les principaux d'entre les réformés, de ce
qui se tramait contre eux. Ainsi avertis, les uns et les autres se
tinrent sur leurs gardes.
Catherine donnait alors une nouvelle preuve de sa duplicité,
en tenant au maréchal de Montmorency ce langage* : « pour
È ce que le roy, monsieur mon fils, ne vouldroitpas que la venue
» de la royne catholique, ma fille donnast occasion à beaucoup
3) d'espritz irréquiètes de mectre en déliance ses subjectz que
)) l'on ayt voulu aucune chose innover au contraire du contenu
» en ses édictz de pacification et majorité et es déclarations qui
}) ont esté encores depuis expédiées, il a advisé de faire la dé-
» pesche qui vous est présentement envoyée et demander le sem-
)) blable à toutes ses courts de parlements, baillis et séneschaulx,
» affm que chacun de sa part face tel debvoir à l'observation des
» dits édictz et déclarations et à lapugnicion de ceulx qui y con-
» treviendront, qu'il se puisse veoir obéy de tous ses dits sub-
» jectz depuysle plus grand jusques au plus petit, et son peuple
» demeurer en repos et tranquillité La royne ma fille s'est
» départie d'avec nous, le 8" de ce moys Nous n'avons parlé
» durant nostre entrevue que de caresses, festoyemens et bonnes
» chères, et, en termes généraux, du désir que chacun a à la
» continuation de la bonne amitié d'entre leurs majestez et à la
» conservation de la paix d'entre leurs subjectz. »
De Rayonne, la cour s'avança lentement dans la direction de
la Loire. Après avoir séjourné à Tours et à Blois, elle se disposa,
sur la fin de l'année, à s'acheminer vers Moulins, où devaient se
réunir, en janvier 1566, sur une convocation expresse du roi,
les princes, les grands dignitaires de la couronne, et autres per-
sonnages notables.
Durant les six mois qui s'écoulèrent entre les conférences de
1. Lettre du 6 juillet 1565, datée de Saint-Jean de Luz. Bibl. nat. mss. f. fr.
vol. 2 303, f° 5.
- 392 —
Bayonne et l'assemblée de Moulins, Goligny continua à résider
à p'eu près constamment à Châtillon-sur-Loing. Il y consacra
son temps à l'accomplissement de ses devoirs'de chef de Famille,
de protecteur de ses coreligionnaires, d'homme d'État, et en-
tretint une active correspondance, soit avec ses parens et amis,
momentanément séparés de lui, soit avec diverses personnes,
françaises ou étrangères dont les relations avaient, à ses yeux,
quelque prix, et au cours desquelles ses habitudes de serviabilité
ne se démentaient point.
La confiance qu'il inspirait était telle, que parfois on recourait
tout naturellement à lui, comme à un bienveillant intermédiaire,
dans le maniement de questions d'intérêt purement privé, dont
sa haute influence pouvait faciliter la solution. Tel fut, en par-
ticun'er, le cas des magistrats de Strasbourg, s'adressant à lui,
au sujet d'un service pécuniaire rendu à sa sœur, la comtesse
de Roye, par Sturm. L'amiral ne pouvait mieux répondre à
leur confiant appel, que par ces lignes, à la fois si simples et si
loyales ^ :
(( Magnificques seigneurs, j'ai reçeu la lettre que m'avez es-
» cripte, du 11 du mois passé, et veu ce que me mandez tou-
» chant quelque argent qui a esté preste à madame de Roye,
» durant qu'elle a esté à Strasbourg et dont M.Sturmius est res-
y> pondant. Je vous diray que je n'ay point eu de congnoissance
5) comme ce fait-là est passé, sinon depuis peu de temps, que
» Peter Clair m'en escripvit, et tout incontinent j'envoyay devers
» ladite dame, encores qu'elle fût extrêmement malade, pour
» sçavoir ce qui en estoit; et, pour l'extrémité en laquelle elle
i> estoit pour lors et est encores de présent, je nepeulz le sçavoir,
» et estoit impossible de luy pouvoir parler de rien ; de sorte que,
y> pour ces occasions-là, nous ne pouvons si promptement re-
» garder les moyens d'y satisfaire, estant impossible que, sans
1. Lettre du 12 août 1565, archives de Strasbourg.
— 393 —
5) sçavoir premièrement comme tout cela est passé, que nous Ift
)) puissions faire. J'envoyay mesmes devers monsieur d'Andelot,
» mon frère pour entendre de luy ce qu'il en sçavoit. Il me f«it
i) responce qu'il n'en pouvoit rendre* raison, d'auUant qu'il
» n'avoit rien manié de ces deniers là, et que ce avoit esté
» madame de Roye. Bfen me mandoit-il qu'il avoit reçu beaucoup
» de plaisir de vous, vous priant, magnificques seigneurs, de
i> croyre que l'extrême malladye de ladite dame est cause que
» ces choses seront un peu plus longues qu'elles n'eussent esté,
» et que, incontinent qu'elle sera guerrye, il n'y aura point de
y> faulte que nous ne regardions de mectre une fin à cela et de
» satisfaire à ceulx qui tant volontairement nous ont secouruz
» en nostre nécessité ; car, encores que je sois entaché de beau-
» coup d'imperfections, si ne le serai-je point d'ingratitude^ ;
y> etferois bien marry que, pour nous avoir faict plaisir, ledict
» Sturmius, n'y aultre, en recueillent aucun desplaisir, et qu'il
j) ne fùst satisfaict de ce qui luy est dû; et croy que monsieur le
» prince de Gondé a semblable volonté; me recommandant bien
» affectionnément à voz bonnes grâces, etc., etc. »
A cette époque, Coligny, dans le cercle de la famille, n'était
pas seulement affecté par la dangereuse maladie de sa sœur,
dont la sant^ avait été fortement ébranlée, lors de la mort de la
princesse de Gondé ; il s'affligeait, en outre des déréglemens
auxquels le prince, dans son veuvage, se laissait entraîner. En
vain avait-il tenté de l'y arracher et accompagné ses persévé-
rantes représentations, du conseil de contracter un second ma-
riage, lorsque enfin vint le jour où le prince se rendit à ses ins-
i. D'Andelot, non plus n'était point ingrat, car il écrivait, le 2 décembre 1565
« à messieurs les maistres et conseil de Strasbourg : le s"' de Francourt vous
» dira de quelle obligation je me sens redevable à toute vostre ville, pour les
> honneurs, faveurs et plaisirs que je y ay reçeuz, en considération desquelz
» vous me ferez, s'il vous plaist, cest honneur, de croire que je seray toute
> ma vie, bien ayse quand Dieu me donnera le moyen de les reconnaître par
> quelque bon service. » (Archives de Strasbourg.)
— 394 —
tances et à celles de Jeanne d'Albret : Le 8 novembre 1565, il
épousa Françoise, Marie d'Orléans-Longueville, fille de Fran-
çois d'Orléans, marquis de Rothelin, et de Jacqueline de
Rohan.
Rentré par cette voie dans le sérieux et la dignité d'une exis-
tence trop longtemps compromise par de 'scandaleux désordres,
Condé, dès le lendemain de sa nouvelle union, revint à ses de-
voirs de protecteur des réformés, en écrivant à Matignon * :
« Geulx de l'église réformée d'Alençon se sont retirez parde-
Ti> vers moy en ce lieu, pour se plaindre de n'avoir par la conti-
» nuation de l'exercice de leur religion, et de ce que vous avez
» interdit M' Pierre Merlin, leur ministre, sous prétexte qu'on
» lui a voulu imputer d'avoir presché, en ung verguier, et faul-
» bourg d'Alençon, d'avoir reçeu à la cène aulcuns personnages
y> qui ne sont du bailliage, et d'avoir prins à femme une dlhioi-
y> selle qui estoit nonnain en l'abbaye du pré. » (Le prince dis-,
culpait Merlin et priait Matignon de le réintégrer).
Dans les derniers jours de décembre, Goligny, pour obéir à
la convocation royale, dut se résigner à quitter son château,
en y laissant Charlotte de Laval, malade depuis plusieurs se-
maines ^ , et se rendre à Moulins.
L'assemblée qui y était convoquée devait, disait-on, s'occu-
per des plaintes formulées par les sujets du roi, des moyens de
remédier aux abus, et de l'extirpation des germes de discorde.
L'amiral savait, d'ailleurs, que Catherine de Médicis se propo-
sait de provoquer, pendant son séjour en Bourbonnais, une
1. Lettre du 9 novembre 1565, datée de Vendôme. (British mus. Bibl. Egerton
miscell. lett. and pap. t. XVII, f" 77. — De Laferrière, la norm. a l'étr. p. 195).
2. Madame l'amirale écrivait, de Chàtillon le 22 décembre 1565, à Renée de
France ; « Madame, ayant entendu que estiez de retour à Montargis, je n'ay
» voulu faillir d'envoyer ce gentilhomme vers vous pour vous visiter, ce que
» j'eusse faict moy mesme, n'eûst esté que'depuys trois sepmaines en çà je suys
» au lict malade, dont je ne me suys encore relevée. » (Bibl. nat. mss. f. fr.
voï. 3 2H,f»61).
— 395 —
décision définitive sur les poursuites intentées contre lui par les
Guises, et d'apaiser la querelle encore, pendante entre le cardi-
nal de Lorraine et le maréchal de Montmorency. Il se prépara
donc à affronter la présence des ennemis qui appelaient de
leurs vœux sa condamnation et à les combattre résolument, sur
le terrain du droit et de l'équité. Calme et ferme, comme tou-
jours, il partit pour Moulins.
Son arrivée dans cette ville fut, de loin, saluée par ces pa-
roles encourageantes de l'un de ses admirateurs * : ce Monsei-
y> gneur, vos ennemis mortels mesmes, et qui hayent en gé-
y> néral tous les fidèles, ne nieront pas que ceux qui vous en
y> veulent pardessus tous autres, ne soyent gens qui pen-
y> senl ne pouvoir subsister sans que toute la religion soit
3) renversée. Mais tant s'en faut, selon que je vous cognois, que
» rien de tout cela puisse rabattre et faire rebouscher en aucune
» sorte la trenche de vos vertus, qu'elle n'en pénétrera que
» plus vivement. Vous mesmes avez senti à bon escient et l'a-
» vez aussi très bien remarqué, quel soin Dieu a de maintenir
» les siens. Vostre innocence et intégrité vous défendent assez
y> contre tous blasmes et calomnies que on vous sçauroit met-
y> tre sus. Vous avez au dedans et au cœur, (voire s'il y en a un
3) de tous ceulx de vostre qualité), ceste forteresse invincible
» d'airain, je dis une bonne et entière conscience, sur laquelle
y> seule estant appuyé, pour certain vous surmonterez aisément
» tous vos adversaires. »
i. Th. de Bèze, 18 janvier 1565, dédicace à Coligny, des Comment, de Calvin
sur Ezéch.
CHAPITRE V
Comparution de Colij^ny et du cardinal de Lorraine devant le roi, à Moulins. — Déci-
sion préliminaire, prise par le roi. — Lettre de Charlotte de Laval. — Arrêt défi-
nitif, proclamant l'innocence de l'amiral. — Réconciliation plus apparente que réelle
de Coligny avec les Guises. — Réclamation de Soubisc. — Catherine n'ose pas exé-
cuter à Moulins, contre les réformés, le sinistre projet qu'elle avait conçu à Rayonne.
— Menaces d'assassinat adressées à Coligny, — Altercation entre le cardinal de
Lorraine et le chancelier. — L'amiral revient deMoulins à Châtillon. — 11 intervient
auprès des Genevois, en faveur de Spifamc et de Chabouillé. — il écrit à de Gordes.
— Séjour de l'amiral et de sa femme à Paris. — Lettre de l'amiral au roi. — Retour
à Châtillon. — Mort de Soubise. — Consolations adressées à sa veuve par Coligny
et Charlotte de Laval. — Téligny est envoyé en mission à Constantinople par l'amiral
— Entretien du roi et de Coligny, au sujet de cette mission.
Dès l'arrivée du roi et de la reine mère à Moulins, des mesu-
res sévères furent arrêtées, en conseil, pour le maintien de
l'ordre dans cette ville K -
De plus, l'exercice du culte réformé y fut interdit par dé-
cision spéciale.
Le 11 janvier, tandis que le roi annonçait au maréchal de
Montmorency, retenu à Paris par ses devoirs de gouverneur,
« qu'il aspirait à accomoder les différends y> existant, d'une
part, entre lui et le cardinal de Lorraine, et de l'autre entre les
Guises et l'amiral ^, ce dernier, répondant à une lettre de
Renée de France, lui disait ^ . « Je ne vous puis déclarer si la
» cour fera icy un long séjour, tant pour ce que je suis si fres-
)) chement avenu , que je n'en ay pas peu aprendre encores
1 . Voyez, Appendice n° 27.
2. Lettre du H janvier i566 (Bibl. nat. mss. f. ff. vol. 3 207,^ \L)
3. Bibl. nat. mss. f. fr. voL 3 239, f' 121.
— 397 —
» plus avant, et aussy que quand l'on dict que l'on fera ung
» séjour en ung lieu, c'est alors que l'on en desloge plus tost;
)) toutefoys, madame, l'on dict que le roy ne partira point d'icy
» de caresme-prenant, et, en quelque lieu que vous soyez, vos-
)) tre présence y servira toujours de beaucoup; vous advysant
» quedepuys deux jours il a esté faict une publication en ceste
)) court portant defence de n'y faire exercice de religion ; en
» sorte que sest qui: est tout ce que je vous puys mander, pour
» ceste heure. »
Le lendemain, 12, l'amiral comparut devant le roy, en
séance du conseil, à laquelle assistait Catherine de Médicis.
Invité à s'cxphquer sur les poursuites intentées contre lui par
la maison de Guise, il affirma qu'il était, à tous égards, inno-
cent du meurtre commis sur la personne de François de Lor-
raine. Il parla, paraît-il, en toute liberté, à en juger par cette
simple mention finale d'un récit contemporain ■•, « il proposa
y> tout ce qu'il voulut. »
Quand il se fut retiré, on fit comparaître le cardinal de Lor-
raine. La reine-mère, prenant aussitôt la parole, lui dit : « Que
y> tous messieurs de ceste compagnie-là estoient d'avis qu'on ne
)) pouvait pourvoir aux affaires du royaume ny au repos public
» des subjectz d'icelluy, que premièrement l'on n'eust appaisé
)) les querelles particulières, et qu'il y en avait deux principales
t> qui le concernaient, l'une, en sa propre personne, contre le
y> mareschal de Montmorency, l'autre, pour l'homicide commis
» en la personne de feu M. de Guyse, contre l'amiral ; que le roy,
y> monsieur son fils, et elle'et toute la compagnie le priaient d'ad-
y> viser de leur estre aydant à trouver quelque moyen d'en faire
» quelque bon accord ; — que l'admirai se submettoit à toute
» bonne raison, et que, partout où il seroit besoin, il diroit et
1. 4 Récit de ce qui se passa i Moulins, l'an 1566,louchant l'accommodement
» des maisons de Guyse, de Montmorency et de Ghaslillon. » (Bibl. nat. mss.
f fr. vol. 3 il»3, {" 59. — Du Rouchet, Hist. de la maison de Coligny, f 542.)
— 398 —
» affirmeroit par tel serment qu'il plairoit à leurs maj estez, qu'il
» n'estoit aucunement coupable de cet homicide; qu'il n'en
» avoit jamais rien sçeu ni entendu qu'après qu'il avoit esté
» faict, et qu'il estimoit et estimeroit toujours tout homme qui
» l'avoit faict faire, meschant et malheureux, et que si luy-
» mesme l'avoit faict il s'estimeroit tel : suppliant leurs majes-
» tez, si quelqu'un l'en vouloit accuser, luy permettre de le
» combattre, — Pour ce, elle prioit ledit sieur cardinal de re-
)) garder à en venir à quelque bon accord, comme il estoit bien
» nécessaire, pour les raisons dessus dites, et pour le bien et
» advancement des affaires et du service du roy ^ »
Le cardinal répondit avec un imperturbable aplomb :
Qu'on venoit de lui « exposer deux choses de grande impor-
» tance, et que telz accords ne se jettoient pas en moule ; mesme
ï) qu'il n'en avoit rien veu par escrit, et que jamais on ne luy en
» avoit rien mandé, toutefois, pour le bien et prospérité des
» affaires et service du roy et pour le repos public, il se met-
» troit en tout debvoir ^ . »
Il s'y mit d'une étrang^î manière, d'abord, en ce qui concer-
nait^a querelle avec le maréchal de Montmorency ; car il sou-
tint, dans un langage à la fois arrogant et déclamatoire, qu'il
avait subi un outrage et des violences, qui rejaillissaient sur
le souverain, sur la reine-mère, sur les princes du sang, sur
d'autres membres du conseil ; toutes personnes auxquelles il se
disait uni par des liens de parenté. Ces mêmes personnes, n'é-
tiiient pas moins intéressées que lui à la réparation qu'il deman-
dait K '
Abordant ensuite le débat soulevé contre l'amiral, il se
montra, au début, réservé, jusqu'à un certain point, cauteleux
même; il prit ensuite le masque de l'hypocrisie; puis, tout en
1, Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 3 193. — Du Bouchet, loc. cit.
2, Hibl. nat. mss, f. fr. vol. 3 193. — Du Bouchet, loc. cit.
3, Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 3 193. — Du Bouchet, loc. cit.
— 399 —
protestant de sa soumission aux volontés du souverain, il
laissa entrevoir qu'il comptait peu sur sa justice ; enfin, ne pou-
vant plus se contenir, il termina, sur le ton de la menace, à
l'égard de Goligny.
Voici ses paroles ^ :
« Quant à ce qui touche l'homicide de feu monsieur mon
» frère, attendu ma qualité et profession dessus dite, et aussi
» que je ne suis que tuteur honoraire de ses enfants, mes
)) nepveux, je n'en puis ne dois respondre, sinon que je ne
)) puis nier que je ne face toute ma vie ce qui me sera possible
» à ce que si malheureux acte ne demeure impuni. Madame
» ma sœur, sa femme, qui est une vertueuse dame et tutrice
)) légitime de ses enfants, vous supplie, sire, comme je fais de
y> mon costé, de luy en faire la raison ; en quoy elle n'entend
» se pourvoir, sinon par justice, comme il vous a pieu luy
» octroyer, n'estant cettuy-cy un fait où il soit besoin du port
» des armes, ni d'en venir au combat ; ce n'est pas un faux
D rapport ou un démenty entre gentilshommes, ou personnes de
» mesme qualité, auquel cas on permet quelquefois le combat;
y> mais icy l'homicide est manifeste, l'on en demande justice
» contre celuy qui l'a faict, laquelle j'estime, sire, que ne me
» voudriez dénier ; ne ce que j'en dis est pour mal talent ne
» haine que je porte à l'amiral, et Dieu m'en soit tesmoin,
» et voudrois qu'il m'eust cousté cinquante mil escus, et que
» par la fin du jugement il se trouvast innocent de ce fait : car
» quelle occasion ay-je de désirer son mal et sa n!ine? mais
» puys-je bien désirer comme j'ay faict, que bonne justice me soit
» faite, et que ceste cause soit connue à la cour du parlement
)) à Paris, estant de telle importance cet affaire, qu'il ne se
» peut vuider sur le champ, coipme il semble, que desjà quïl
1. Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 3193, f»^ 56, 57. — Du Bouchet, ouvr. cité,
p. 540, 541.
— 400 —
» y en ail là dehors une infinité qui attendent pour voir sortir
» l'espousée, pensant très bien que l'issue de toutes ces choses
» se puisse jetter au moulle. Il est vray, sire, que vous nous
» pouvez commander, et que nous ne faudrons jamais de vous
» obéir et de suyvre entièrement ce que vous commanderez,
n) parce que, sire, vous avez privilège de commander ce qu'il
» vous plaist, de juger comme il vous plaist, et faut que vous
» y soyez obéi. Mais il vous plaira penser, sire, que je suis un
» prestre, et madame ma sœur une femme, qui ne pouvons ny
» ne voulons jamais désobéir à vos commandements ; mais
» aussi, outre ce que nous en demanderions acte, et que nous
» ferions entendre à tous les princes de la chrétienté, que tout
)) ce que nous en aurions faict aurait esté par le commande-
» ment que nous auroit faict vostre majesté, sans avoir veu ni
5) entendu ce qui est au fond de la cause, tous tels accords
)) ne dureroient,'ne pourroient durer, sinon en temps que la
» force dureroit, et ne seroient seurs pour la partie accusée,
» ne suffisans pour réparer l'honneur de ceux qui sont offensés,
y> et avec le temps tels accords ne garderoient point que mes
» frères et mes nepveux, à faute d'eux, ceux qui m'attouchent
» de quelque parenté, ne fissent mourir l'amiral, où ils le trou-
» veroient, et qu'ils ne dépendissent jusques à la dernière goutte
» de leur sang. Pourquoy, sire, il vous plaira de bien regarder
> avant que de rien nous commander sur ce fait, et ne nous
y> donner occasion de dire que justice nous ait esté refusée,
y> comme aussi nous nous tenons bien assurez que ne nous la
» voudrez refuser. Et s'il y a quelqu'un de messieurs de vostre
)) conseil qui ait quelque chose à me répondre, je l'escouteray
» très volontiers, mais bien le prieray-je de se souvenir de tout
y> ce que j'ay dit. »
Personne ne répondit au cardinal. Seulement le roi lui dit
(( qu'escrivant aux autres princes chrétiens, il le prioit qu'il li'y
» fust point meslé ; promettant de sa part, de ne jamais le con-
— 401 —
y> traindre de faire accord à son désavantage, ne qui pu st estre
» préjudiciable à l'honneur de luy ny des siens. »
Le cardinal se retira, et la délibération s'ouvrit immédiate-
ment. Quand elle fut terminée, on fit revenir l'amiral, le car-
dinal, la duchesse de Guise, et il leur fut donné connaissance de
la décision préliminaire, prise par le roi, que mentionne le
document suivant * :
« Aujourd'hui douziesme de janvier 1566, le roy estant en son
y> chasteau de Moulins, assisté de la royne sa m^ère, de monsei-
)) gneur le duc, son frère, de messieurs les princes du sang,
» connestable et mareschaulx de France, et autres seigneurs et
» gens de son conseil privé, estant près de sa personne, a faict
» entendre à M. le cardinal de Lorraine et à Mme la duchesse
y> de Guise, d'une part, aussi au seigneur de Chastillon, amyral
» de France, là présents, d'aultre, le singulier désir qu'il a, pour
)^ plusieurs grandes raisons, de mestre une bonne fin au diffé-
» rend qui est entre leurs deux maisons, pour raison del'homi-
» cide advenu en la personne de feu M^ de Guise, et luy mesiiie
» embrasser la deffinition d'iceluy par voye juste et équitable,
» les exhortant et les admonestant chacun de sa part se con-
» former à son intention en cest endroit, et s'en reposer et
>> remettre sur luy. Ce que ayant entendu lesdits seigneurs car-
f> dinal et dame de Guyse, après l'avoir très humblement
)) remercié de l'honneur qu'il leur faisoit, luy ont déclaré estre
» prests et bien disposés de recevoir en cest endroit l'équitable,
» raison et justice qu'ils ont toujours attendu et espéré de sa
» bonté et clémence en toutes choses, comme ses très humbles
» et très obéissants serviteurs et subjelz ; ce que a faict aussy,de
» sa part, ledit sieur admyral. Sur quoy seroit sa dite majesté
» entrée à donner quelque commencement à l'effect de ceste
ï> sienne intention pour acheminer ledict affaire au point de son
i. Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 6 621. f" 119.
H 26
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y> désir ; ce que ne pouvant si promptement estrefaict, et affin
y> que cependant il ne intervienne chose qui peut altérer l'espô-
» pérance du bien qui y est, leur a verbalement commandé et
)) défendu de se mesfaire, ne mesdire de faicts ne de paroles, les
)) ungsaux aultres, par eux ou paraultres, en quelques manières
» que ce soit, directement ou indirectement; et à celle fm les
D a mis et laissé en garde, les ungs aux autres ; ce qu'ils ont,
j) sçauoir est , lesdits seigneurs cardinal et ladite dame de
» Guyse, accepté pour eulx et les enfants dudit feu seigneur duc
» de Guyse, et le dit seigneur amyral aussi ; promectant chacun
» d'eux en son regard, par foy et serment donné esmains de sa
» majesté, et sur leur vyes et honneur, que, de leur part, ils
» satisferont et observeront sincèrement et de bonne foy cestuy
3) sien bon plaisir, vouloir et commandement, et de ce, luy ont
» baillé respectueusement leurs promesses signées de leurs
» seings. Au dit Moulin, les an et jour que dessus, (signé)
» Charles, (et plus bas) de VA.uhesipine. »
La promesse souscrite par l'amiral et par lui remise au roi,
portait* : « Nous, Gaspard de Golligny, sieur de Ghaslillon,
» amyral de France, promettons au roy, nostre souverain sei-
)) gneur, sur nostre vie et honneur, que parnous, ne de nostre
» part, ne sera faict, entreprins ne attenté, directement ne in-
)) directement aucune chose de faict ne de paroUes, contre les
» personnes, vye et honneur de messieurs les cardinaulx de
» Lorraine et de Guyse, des sieurs de Guyse, d'Aumalle, mar-
y> quis d'Elbœuf, leurs enfans, neveux et parens, du nom et
» de ladite maison de Guyse, lesquelz nous prenons en nostre
)) garde, ayant à cest effet reçeu et accepté, recevons et accep-
» tons le commandement qu'il a pieu à sa majesté nous en
» faire cejourd'huy verballement, lequel fious promettons obser-
.)) ver sincèrement, inviolablement et de bonne foy. En tesmoing
i . Bibl. nat. mss. f. fr. vol 20 461, f*- 49.
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ï> de ce, nous avons signé la présente de nostre seing, le XIP
» jour de janvier 1566... . » •
Il est digne de remarque, qu'alors que tout était encore tenu
en suspens, quant au litige soulevé par les Guises, et que rien
ne pouvait faire pressentir à l'amiral si la décision à intervenir
lui rendrait pleine justice, Catherine crut devoir recourir à ses
conseils et à son intervention pour faciliter la solution du difîé-
rentqui divisait le cardinaVde Lorraine et le maréchal de Mont-
morency. Ce fait caractéristique nous est révélé par Catherine
elle-même. « Je ne feray jamais doubte, écrivait-elle au maré-
» chai, le 24 janvier^ , que vous ne vous accommodiez à toutes
» choses raisonnables, tant pour le respect du bien public que
)) pour la particulière prière que je vous en feray; et par ainsy,
» ayant advisé avec mon cousin l'admirai ung honneste moyen
» pour mectre fm à ce qui s'est passé entre mon cousin le
» cardinal de Lorraine et vous, à son arrivée à Paris, j'ay donné
» charge à mondit cousin l'admirai de vous envoyer ce qu'il en
» a lui-mesme mis par escript, qui a esté communiqué à mon
» compère monsieur le connétable vostre père et aux mares-
» chaux de Vieilleville et de Bourdillon, qui l'ont loué et approuvé
)) ainsi que mondit cousin vous le déduira plus particulièrement,
» auquel je m'en remectray et vous prieray et confieray, d'aul-
» tant que vous m'aymez et désirez la conservation de nostre
» commun repo?, que vous vous accomodiez audit escript,
» qui ne part que de personnes qui vous ayment et ont, en ce
» qui vous concerne, la mesme recommandation que leur hon-
y> neur et propre vye. »
Le jour même où Catherine traçait, ces lignes, Sarragosse,
porteur de l'écrit qu'elle mentionnait, et de lettres de l'amiral
1. L'engagement signé par le cardinal de Lorraine et par Anne d'Esté était
conçu à peu près dans les mêmes termes ([ue celui de l'amiral. (Bibl. nat. mss
f. fr. voL 20 461,^53).
2. Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 3201, f» 39.
— 404 — •
et d'Odet, pour Charlotte de Laval, le maréchal de Montmo-
rency et Renée de France, partait de Moulins avec recomman-
dation expresse, après qu'il se serait acquitté d'un intime mes-
sage, au château de Ghâtillon, de se rendre à Paris, en passant
par Mo itargis, « où il baiserait les mains de Renée, de la part
» des deux frères, et lui ferait entendre l'occasion de son
y> voyage^ . »
Charlotte de Laval, dans l'ignorance où elle était de la pro-
chaine arrivée de Sarragosse, écrivait à Renée, au moment où
celui-ci quittait Moulins^ : «. Madame, je vous remercie très-
» humblement de la bonne souvenance qu'il vous plaist avoir
» toujours de moy, et de la bonne part que me faictes ordinai-
» rement de vos nouvelles ; ainsy mesmes que j'ay peu avoir par
» la coppie que m'avez envoyée touchant l'advis de la court.
» J'enay eu aujourd'huy des nouvelles, non de monsieur l'ad-
» mirai, mais d'aucuns qui sont avec luy, par où on m'a mandé
» qu'il n'est aultre bruict que de l'appoinctement que sçavez
» estre en avant : et si ce qu'on me mande a succédé, il serait
)) maintenant faict, qui est qu'il se devait faire le XIX ou XX de
» ce moys. Je prie à Dieu vouloir le tout bien conduyre, attendu
i> qu'après sa gloire, ce soit le repos de tous les gens de bien. »
Le 29 janvier 1566, l'innocence de l'amiral fut proclamée par
un arrêt ainsi conçu ^ :
« Le roy estant bien recors et mémoratif des requesies cy
» devant présentées... (suivent le visa et l'analyse de ces re-
y> quêtes, de la décision prononçant le sursis de trois ans, et de
» la décision préliminaire dul2 janvier 1566; après quoi, il est
». dit) : depuis l'acte du 12 de ce présent mois, le sieur cardinal
1. li. 11. mss. f. fi'. vol. 3256, fo 105, vol. 3 259, f° 28, lettres de Coligny et
d'Odet, à la duchesse de Ferrare.
2. Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 3 2H, f» 63.
3. Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 3 189, f" 65. — Du Bouchot, Hist. de la maison
de Coligny, p. 542 à 544.
— 405 —
» et dame de Guise auroient fait entendre à sa Majesté qu'ils n'a
» voient avec eux les pièces qui pouvoient servir à la justification
» deleurdroit, pour lesquelles recouvrerils auroient requisdélay,
» lequel sa Majesté leur auroit accordé, laquelle toutefois ayant
» par après cogneu que ce délay pourroit tourner à quelque
» longueur, et que toutes les pièces, ou la plupart desquelhs ils
)) entendoient s'ayder, se pouvoient promptement recouvrer^les
y) a admonestez de déclarer quelles estoient legdites pièces nour
» lesquelles ils auroient demandé délay. Aquoy obéissant lesdits
)) sieur cardinal et dame de Guise auroient fait déclaration par-
)) ticulière d'icelles pièces, lesquelles seulement ils entendoient
y> produire pour ce fait, se départant dudit délay, s'il plaisoit à
D sa Majesté les asseurer estre pardevers elle pour estre veues et
» en ordonner par sa Majesté, laquelle auroit ordonné _3t acte
« estre fait et expédié, aussi comme il appert par iceluy acte du
» P' dudit mois, signé de l'Aubespine; après lequel auroit ladite
» dame duchesse de Guise, le 26 desdits mois et an présenté
3> requeste à sa Majesté tendant afin de luy estre permis de faire
» contre les chargez et coupables poursuite de ce que dessus en
)) la cour de parlement de Paris, et y faire porter et envoyer
)) les pièces estant pardevers sa Majesté. Sur quoy le roy auroit
» déclaré qu'il retenoit à luy et à son conseil la cognoissance de
» la matière principale et de tout ce qui en dépend, pour après
» avoir le tout veu, à son dit conseil, faire droit à ladite dame,
y> ainsi qu'il appartiendroit par raison :
y> Et, pour cet effet, auroit sa Majesté, assisté de la reyne sa
)) mère, fait assembler les princes de son sang et autres seigneurs
)) et mareschaux de France, chevaliers de son ordre et conseillers
» en son dit conseil, ci-dessous nommez; et en sa pré-
» sence et desdits sieurs fait faire lecture des confessions de
» feu Jean de Poltrot, soy disant sieur de Merey, exécuté à
]» mort pour ledit homicide, envoyées au roy par sa cour de
» parlement de Paris, en vertu de ses patentes et commande-
- 406 -
1» mens et de toutes et chacimes les pièces spécifiées audit acte
))dul7 de cedit mois, et rapport des autres pièces, actes et
» requestes cy-dessus mentionnées, et d'iceluy lecture et rap-
ports faits ;
(( Sa Majesté auroit cejourd'huy fait entendre ausdits sieur
» cardinal et dame de Guise, ensemble audit sieur de Ghastillon,
» amiral de France, les personnes appellées et assistans audit
» conseil, pour sçavoir s'ils entendoient en récuser aucunes, les-
y> quels sieur cardinal et dame de Guise auroient déclaré
» qu'ils ont présenté rcqueste au roy comme à leur souverain
» et naturel seigneur et non à autre, remettant à luy d'ordonner
)) en ce fait ce qu'il luy plaira, ce que le dit sieur amiral a, de sa
y> part, semblablement respondu, qu'il se remettoit aussi à ce
» qu'il plairoit à sa Majesté d'en ordonner :
» Après lesquelles déclarations auroit Sa Majesté mandé le
)) sieur de Ghastillon, amiral, et luy a enjoint et commandé
)) de déclarer, à sa présence et des susdits, ce qui estoit de la
» vérité dudit homicide, en ce que l'on l'en avoit voulu char-
)) ger et accuser : lequel sieur amiral auroit respondu, qu'il
» avoit cy-devant dit, déclaré et affirmé à Sadite Majesté,
» comme il disoit, déclaroit et affirmoit encores devant Sa Ma-
» jesté comme devant Dieu, qu'il n'avoit fait ne fait faire, ne
» approuvé ledit homicide.
)) Le roy, tout ce que dessus bien entendu et au long exa-
» miné, et après avoir pris sur ce l'advis des dessusdits princes
» et seigneurs, et gens de son conseil, qui i ^iis ont esté d'un
ï> mesme accord et advis, a déclaré ledit sicuf de Ghastillon,
» amiral de France, purgé, deschargé et innocent du fait du-
)) dit homicide, et des charges qu'on luy a voulu ou pourroit
» pour ce regard imputer; et a imposé et impose silence per-
)) pétuel k son procureur général et à tous autres ;
» Fait inhibitions et deffences, tant ausdites parties qu'Ji
» tous autres, en faire cy- après aucunes recherches et pour-
— 407 —
y> suites, ores ne pour l'advenir, soit par voye de justice ouau-
y> trement, et à tous juges d'en prendre aucune cause et co-
» gnoissance;
» A pris ledit seigneur lesdites parties en sa sauvegarde, leur
enjoignant de vivre en amitié, sous son obéissance, sans au-
cune entreprise de fait les uns à l'encontre des autres,
directement ou indirectement. Déclarant dès aprésent ausdites
parties, leurs parens, amis et alliez qui contreviendront à
ce présent jugement, avoir encouru et encourir crime de
lèze-majesté, comme infracteurs de paix et perturbateurs du
repos public, et leurs personnes et bien confisquez, les-
quels biens, audit cas, il a dès à présent, comme pour
lors, unis et incorporez, unit et incorpore au domaine de sa
couronne ;
» Deffendant ledit seigneur, sur les peines que dessus, à
toutes personnes, de quelque qualité que ce soit, de contre-
venir à ce présent arrest, ne iceluy révoquer en doute, con-
troverse ne dispute, et veut iceluy estre envoyé à toutes les
cours département de ce royaume, bailliages et senesc'haussées
d'iceux, pour y estre leu, publié, enregistré; à ce qu'aucun
n'en prétende cause d'ignorance.
)) Fait audit conseil, auquel estoient présens monsieur le
frère du roy, messieurs les cardinal de Bourbon , prince de
Condé, duc de Montpensier, et prince Dauphin, princes du
sang, messieurs les ducs de Longueville et de Nemours, pairs
de France, monsieur le duc de Montmorency aussi pair et
connestablé, monsieur le chancelier, les sieurs de Vieilleville
et de Bourdillon, mareschaux de France, messieurs de Mor-
villier et évoque de Valence, les sieurs de Crussol et de Gri-
maut, chevaliers de l'ordre, l'évesque de Limoges, les sieurs
deLansac, de Ghaune et baron de la Garde, aussi chevaliers
de l'ordre, messieurs Ghristophle de Thou, premier président
et Pierre Séguier, aussi président en la cour de parlement de
— 408' —
» Paris, les sieurs de l'Aubespine et de la Gase-Dieu; tous con-
» seillers en sondit conseil privé, et maistre Baptiste du Mes-
» nil, aussi son conseiller et advocat en ladite cour de parle-
» ment, le 29'' jour de janvier, l'an mil cinq cent soixante et six,
» au chasteau de Moulins en Bourbonnois, et prononcé aux
» parties le dernier jour dudit mois (signé) Bourdin. »
Cet arrêt, bien qu'il ne dût être officiellement « prononcé aux
parties » que le 31 janvier^ , fut officieusement porté à la con-
naissance de Goligny avant cette date, car, dès le 30, il écrivit
à Renée de France -: « Madame, pour l'honneur et faveur
» qu'il vous a pieu tousjours me porter et de désirer que les
» choses qui estoient en différend entre messieurs de Guyse et
)) moy se terminassent amyablement, je n'ay voulu faillir de
» vous advertir comme le jour d'hyer il futoppiné, au conseil,
» dudit différent, où tous, sans nul excepter, furent d'avys que
» je debvois estre déclaré innocent de ce que l'on m'avoit voulu
)) charger de la mort de feu monsieur de Guyse. Là-dessus Sa
» Majesté prononça mon innocence de ce fait-là, et ordonna à
)) son procureur, présent et à venir, de jamais en cognoistre
t> ne faire seulement poursuite et instance, et toutes procédures
» qui en auraient esté faictes, mises au néant, cassées et rescin-
)) dées comme choses non adveneues ».
Le 31 , le roi fit appeler le cardinal de Lorraine et l'amiral,
auxquels fut lu l'arrêt dont les bases avaient été adoptées le 29
Après quoi, le roi leur déclara que, conformément à cet
arrêt, il voulait que toutes causes d'inimitié entre eux cessasent
et qu'ils fussent désormais amis.
Le cardinal se borna à affirmer qu'il voulait en tout et par-
tout obéir aux commandements du souverain.
L'amiral répondit qu'il louait Dieu de ce que son innocence
1. Dii noucliet, ouvr. cité, p. 5ii.
-2. Bibl. uiU. mss. f. fr. vol. 3 193, 1° 31.
- 400 —
était reconnue et de ce que le roi demeurait satisfait de lui. Il
ajouta qu'il avait toujours oui dire que la cause pour laquelle
le cardinal de Lorraine et les siens lui voulaient du mal était
qu'ils le croyaient auteur du meurtre du duc de Guise; qu'ils
avaient maintenant sous les yeux la preuve du contraire ; et
que, s'il pouvait acquérir la certitude que leur mauvais vouloir
eût disparu et qu'ils ne lui souhaitassent plus de mal, il serait
prêt à leur faire service ^ .
Anne d'Esté était présente. Le cardinal de Lorraine et elle,
sur la demande du roi, embrassèrent l'amiral. Tous trois se
promirent de ne garder entre eux aucun ressentiment
Leur réconciliation fut plus apparente que réelle.
Telle fut également la réconciliation qui, plus tard, inter-
vint entre le cardinal de Lorraine et le maréchal de Montmo-
rency- .
Soubize avait droit, lui aussi, à une réparation. Se trouvant
à Moulins, lorsque fut rendu l'arrêt déclaratif de l'innocence
de son intime ami l'amiral, il adressa au roi la requête sui-
vante ^ :
« Sire, le sieur de Soubize, chevalier de votre ordre, vous
)) remonstre qu'il a esté adverty que, par certaines confessions
» faictes par feu Jehan Poltrot, sieur de Merey, estant aux tour-
j> mens à luy ordonnez par la justice, est faicte expresse men-
» tiondudit sieur de Soubize comme s'il eust esté aucunement
» consentant ou adhérant à l'entreprise de la mort de feu
» monsieur de Guyse, ce qui ne s'est jamais trouvé véritable,
» parceque aussi ledit sieur de Soubize ne luy en donna oncque
y> charge ny mandement, et d'ailleurs ne se trouve aucune
» preuve ne présomption contre luy de ce faict. Et pour ce que
» ledit sieur de Soubize craindroit que, à l'advenir, on ne l'en
i. Du Bouchet, p. 545.
2. Moulins, 24 février 1566. Ou Bouchet, p. 545.
3. Mémoires de la vie de Soumise, p. 148.
— 410 —
D voulust accuser ou inquiéter, soubz le prétexte de telle
» depposition nulle et non libre et qui n'est aydée d'aucune
vautre preuve ou conjecture, comme on afaict à monsieur
ï) l'admirai, lequel toutesfois en a esté par vous, Sire, déclaré
» innocent, ledit sieur de Soubize, encores qu'il ne soit expres-
» sèment accusé, vous supplie très humblement. Sire, qu'il vous
» plaise ordonner qu'il soit donné pour son regard, pareil juge-
» ment et arrest par lequel il soit déclaré innocent de ce faict,
» et defîences faictes à tous de ne len appeler ou inquiéter en
y> quelque sorte que ce soit, sur les peines contenues en l'arrest
» dudit sieur admirai. »
Au bas de l'original de cette pièce, à demi-page, sont tracées
par une autre main que celle qui écrivit le corps de la requête
ces lignes significatives : — « Il faut que, pour la pacification
» de toutes choses, il meure ung homme pour le peuple, ou
» qu'il en porte la peine. Et ne donnera ledit sieur de Soubize
y> beaucoup au public, pour ce que aussi bien ne vivra-il plus
3) que deux on troys moys. — Paradvis et ordonnance du con-
seil )) (paraphe).
D'après cette odieuse mention, applicable à l'un des plus
fermes soutiens de la cause réformée, on peut se /aire une idée
de la haine qu'éjjrouvait la majorité du conseil pour les autres
représentans de cette cause, à commencer par Goligny et ses
frères.
Si cette haine, fomentée par la reine mère, ne fit pas alors
explosion; si le projet d'un massacre des réformés, conçu à
Bayonne, ne fut pas mis à exécution dans les murs de Moulins,
cela tint uniquement à l'effroi subit qu'éprouva Catherine, au
moment où allait s'accomplir un épouvantable forfait, ainsi que
le rapporte le véridique biographe de Soubize. Il dit * :
« Le s' de Soubize estant déjà fort mal, ne laissa d'aller
1. Mémoires de la vie de Soubise, 1879, p. 93.
— 441 —
» encores trouver la court à Moulins, dont il ne revint que cinq
y> mois avant sa mort, laquelle luy cuyda encores estre hastée là,
» à cause que ceux qui ont esté les autheurs du massacre qui
» est depuis advenu, l'avaient dès lors entrepris, et résolurent de
)) l'exécuter audit Moulins, à cause que tous les principaulx
» chefs de ceulx de la religion y estoient, hormis M' d'Andelot,
)) lequel je ne suis pas bien asseuré qu'il y fûst. Mais tant y a que
1) depuis les troubles ils n'en avoient sçeu tant assembler que
» lors, qui leur fit résouldre de s'en desfaire tout à la fois; et
j) desjà le maréchal de Bourdillon et le comte de Brissac, qui
» en avoit là charge, estoient entrés dans la chambre de la
» royne (qui cependant se devoit retirer dans un cabinet) estant
)) armez de maille par dessoubz, et devoit le comte de Brissac
• » prendre une querelle d'Allemaigne contre mon s'^le prince, pour
)) avoir occassion de mettre la main à l'espée avec ceulx qui
» estoient attirez pour cette exécution. Mais il prit une sou-
» daine peur à la royne, de sorte qu'elle empescha lors que l'en-
i> treprise ne fût exécutée. ))
Du reste, dans Moulins se répandit le bruit qu'on voulait
assassiner l'amiral ; bruit auquel celui-ci n'attacha pas plus d'im-
portance qu'aux menaces d'attentats sur sa pereonne, dont déjà,
en d'autres circonstances, on l'avait informé, a II avoit été, dit
» Brantôme * , menacé cent fois d'eslre assassiné et qu'il y avoit
» gens attitrez et de toutes parts appostez, pour cela, dont il y
» en avoit des^advis certains, fust à la court, aux armées, aux
» villes, en ses maisons et ailleurs; jamais il n'en monstra
)) aucun semblant d'avoir peur, ny ne s'en accompaigna pas
» plus de croustilleux ^ pour cela ; mais se monstroit si assuré,
» que bien souvent le trouvait-on quelques fois qu'il n' avoit
1. Éd. L. Lai. t. IV, p. 316.
2. « Coustrillieux, coutilliers, soldats porteurs d'une coutille, épée longue,
> menue et tranchante. » L. Lai. ibid.
— 412 —
)) pas quatre hommes avecluy, comme je l'ay veu : et quand on
)) luy disoit, il ne respondoit seulement : celuy qui m'attaic •
» quera, je luy fairai aussi belle peur comme, il me.sçauroit
» faire. — Je le vis une fois à Moulins, lorsque leurs magestez
» lesaccordarentMM. de Guyze et luy : je dis ceux d'église,
)) qu'on disoit qu'il y faisaient pour tous pourtant, mais non
» ceux de l'espée. Il y eut un gentilhomme Italien francizé, que
» je ne nommeray point, le seigneur Jean-Baptiste, qui s'alla
» excuser à luy qu'on luy avoit rapporté qu'il le vouloit
)) tuer; il ne s'en fit que rire, et luy dict seulement qu'il le
:■> pensoit moins de luy que d'homme de la court pour faire ce
» coup-là ; le taxant froidement par ce mot, qu'il n'estoit pas
y> assez courageux et assuré pour faire ce coup. »
La reine mère ayant reculé devant l'exécution du sinistre
projet, conçu à Bayonne, une sorte de calme extérieur régnait
à Moulins, durant la résidence de la cour dans cette ville;
mais certains esprits haineux et remuants y entretenaient, à
l'égard de Coligny et de ses amis, une agitation qui parfois se
faisait jour, au sein du conseil privé.
Dans ce conseil siégeait, en même temps que l'amiral,
l'homme éminent qui, ayant coopéré avec lui à la promulgation
de redit de janvier, déplorait comme lui, les mutilations suc-
cessives qu'avait subies cet édit, sous la pression de Catherine
et de ses affidés. L'Hospital, tout préoccupé qu'il était, à Mou-
lins, de l'élaboration des célèbres ordonnances auxquelles son
nom, aujeurd'hui encore, demeure noblement attaché, se mon-
trait fidèleà ses principes de hberté rehgieuse. Depuis l'entrevue
de Bayonne, au cours de laquelle le duc d'Albe avait tout fait pour
le perdre dans l'esprit de Catherine, il ne possédait plus au
même degré qu'auparavant la confiance de cette princesse ver-
satile et ingrate. L'antagonisme des adversaires du chancelier,
au sein du conseil privé, n'en devint que plus ardent, surtout
en ce qui concernait les mesures applicables à l'exercice du
- 413 —
culte réformé. Une scène des plus vives, qui se passa dans ce con-
seil, en février 1566, en fournit la preuve.
Le cardinal de Lorraine demandait, au nom du parlement de
Bourgogne, l'abrogation de l'ôdit d'Amboise, et prétendait d'ail-
leurs, qu'aux termes de cet édit, les ministres du culte réformé
n'avaient le droit d'assister ni les malades, ni les mourants, dans
les lieux où l'exercice de ce culte n'était pas autorisé. De là,
entre le chancelier et le cardinal la discussion suivante, que rap-
porte un contemporain * :
« Le chancelier dict : comment voulez-vous donc que fassent
» ceux de la religion? C'est une chose pitoyable que de visiter
» et consoler les malades. Voudriez-vous que, lorsqu'ils sont sur
» le point de la mort, ils ne soient point consolez par la parole
» de Dieu? — Demande le cardinal plus tost poison. — A cela
» respond le chancelier : vous le dictes et ils en disent autant
)) de vostre religion. Si vous estimez la leur poison, pourquoy
y> ne disputez-vous à l'encontre d'eux, et ne les confondez par
» textesde lasaincteEscriture, veu qu'ils s'offrentjournellement
«a pourdisputer, et ne demandent autre chose? Une conférence
)) serait plus nécessaire que d'y venir parles violences, lesquelles
» nous avons veu n'avoir de rien servy pour contraindre les
y> hommes à croire contre leur conscience. — Et, continuaiït
j> son propos, dict au cardinal : vous nous voulez, en ce faisant,
y> ramener aux troubles. — Il semble, à vostre dire, que ce soit-
» moy qui les ayt amenez par cy-devant. — Vous le sçavez, res-
9 pond le chancelier. — Alors le cardinal dict qu'il estoit per-
y> misa chascun déparier librement au conseil du roy, et estoit
» d'advis que si ceux qui sont delà nouvelle religion veulent
» estre consolez et visitez en leur maladie, il faut qu'ils le soient
y> par les evesques ou par ceux qui sont commis ou députez
1. Propos fascheux tenus au conseil entre lé cardinal de Lorraine et lecliau-
eelier de l'Hospital. (Bibl. nat. niss. f. fr. vol. 3 951 f» 100. — M. Taillandier,
Vie de l'Hospital, p. 181 àl8i. — Voyez aussi Jfm. de (londé, t. V, p. 50, 5152).
— 444 —
» d'eux. — A quoy respond le chancelier, que ceux de ladite
)) religion tiennent fermement qu'ils blesseroient leurs cons-
)) ciences, s'ils s'assujétissaient au)^ cérémonies des prestres et
y> évesques, et que de les forcer, il n'y avoit ordre, qui ne vou-
» droit voir renaistre les troubles. Que de vouloir estre consoles
i> par les prestres, ils y consentiroient encore moins. Et de dire
» que les ministres les allassent visiter et consoler par permis-
» sion des évesques ou curez, l'on sçavoit que lesdits éves-
)) ques et curez n'y consentiroient jamais. — Alors le cardinal
» de Lorraine adressant la parole à M' le cardinal de Bourbon
» luy dict : vous voyez, monsieur, comme il ne faut plus d'éves-
» ques, pensant par là rendre le cardinal de Bourbon favorable
» à sa cause. — C'est grand cas, dict le chancelier, que voulez
» si mal à ceux de la religion. Vous ne pouvez endurer que vifs
» ils servent à Dieu, et voulez qu'estants prêts à mourir ils n'en
» oyent parler aucunement. Voulez-vous qu'ils meurent comme
» bêtes etchevaux? — Le cardinal maintint là-dessus qu'il faut
» qu'ils soyent visitez et consolez par les évesques et curez. Le
y> chancelier maintint le contraire et dict : vous taschez merveil-
» leusementàles ruiner et affaiblir. — A quoy respond le cardinal :
» aussi taschons-nous par tous moyens à les rendre foibles, afin
ï) qu'ils ne demeurent en ce royaume et qu'il n'y reste que la
» seule religion du roy. — Plusieurs seigneursdu conseil
* j) trouvèrent bien estranges les façons de faire dudit cardinal. »
Au moment où Charles de Lorraine venait d'éclater ainsi, en
plein conseil, contre les sectateurs de la religion réformée,
Renée de France, appartenant à cette même religion, recevait,
de Moulins, une lettre * dans laquelle il osait affirmer « qu'il ne
X) sçauroit jamais avoir plus grand heur que de se trouver en
» lieu où il pourrait lui faire très humble service. »
Vers la même époque^, des lettres d'une tout autre nature
. 1.18 février 1566. Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 3 "21 1 , f 67.
— 415 —
arrivaient, soit de Moulins, soit de Châtillon, au château de
Montargis : Goligny tenait la princesse au courant de ce qui se
passait à la cour ; et Charlotte de Laval, tout en transmettant
les nouvelles reçues de son mari, combinait ses efforts avec
ceux de Renée, pour le soulagement des pauvres et des
malades.
Quel souffle de charité, et quel confiant appel dans ces sim-
ples lignes, adressées par madame l'ami raie à sa vénérable
amie M « Geste pauvre femme qui est de ce lieu, grandement
» affligée d'une maladie dont elle en a perdu un œil, se retirant
y> à Montargis, à la promesse de quelque personnage dndit lieu
)) de la guérir ou donner allégement à son mal, m'a requis,
» avec quelque moïen que je luy ai donné, de la vouloir accom-
)) paigner de ceste lettre, pour vous supplier très humblement
» qu'il vous plaise d'user en son endroict de vostre bonté et
» charité accoustumée ^. Je vous puis bien asseurer, madame,
)) que la pauvre femme a tousjours vescu honnestement ; mais,
» comme l'on se trouve bien souvent environné des afflictions
y> qu'il plaist à ce bon Dieu envoïer, et sans y penser, ainsy
)) elle s'est trouvée saisie de ceste calamité qui est si grande, que
» l'aulmosne qu'il vous plaira luy faire sera fort bien employée.
» Et parce que je.m'asseure que les pauvres affligez se resen-
» tent continuellement de vostre largesse, ceste recommanda-
T> tion y servira de quelque chose. »
Le 8 mars, Goligny arriva de Mouhns à Châtillon, avec son
1. 14 février 1566. Bibl. nat. mss. f fr. vol. 3 211,^64.
2. « Je sçay, madame, écrivait Calvin à Renée de France, que vous avez esté
■» comme une mère nourricière des povres fidèles deschassés, qui ne sçavoient
•» où se retirer. Je sçay Won que princesse ne regardant que le monde auroit
» honte et prendroit quasi à injure qu'on appelast son chasteau ung hostel-Dieu.
» Mais je ne vous sçaurois faire plus grand honneur que de parler ainsy pour
3) louer et recongnoistre l'humanité de laquelle vous avez usé envers les enfants
> de Dieu qui ont eu leur refuge à vous. > (Lettres franc, t. II, p. 514,
10 mai 1563.)
— 416 -
oncle le connétable et son frère Odet \ qui tous deux séjour-
nèrent, quelque temps, sous son toit.
Bientôt s'offrit à lui l'occasion d'étendre son patronage sur
Spifame, seigneur de Passy, à qui était intenté, à Genève, un
procès des plus graves, sur la dénonciation de Jeanne d'Al-
bret-. Cette princesse avait écrit ù Th. de Bèze, en le priant
de communiquer au conseil de la ville une lettre dans laquelle
elle représentait Spifame comme un fourbe et un ambitieux
qui cherchait à rentrer dans l'église romaine et intriguait pour
obtenir l'évêché de Toul, comme un homme sans mœurs,
comme un faussaire et un calomniateur. Spifame soutenait que
son intention était d'administrer, en ministre du culte ré-
formé, le diocèse de Toul, s'il en eût obtenu la direction; il re-
poussait l'accusation de calomnie; il avouait du reste, mais
comme remontant à une date fort ancienne, certains faits
d'inconduite et la fabrication de deux faux, à l'égard desquels
il invoquait des circonstances propres à atténuer singulière-
ment sa culpabilité. Jeté en prison, le il mars, il fit appel à
l'intervention de l'amiral, en l'entretenant principalement du
grief tiré des démarches relatives à l'évêché de Toul.
Ce fut alors que Goligny écrivit, le 30 mars, au conseil de
Genève^ : « Magnifficques seigneurs, j'ay entendu que M. de
» Passy estoit détenu prisonnier, pour raison de quelques choses
)) passées pour l'évesché de Toul ; et pour ce qu'il y a quel-
y) que temps qu'il m'en escripvit une lettre, mesmes me sou-
i. LeUro do CharloUe de Laval à la duchesse de ferrare, du 7 mars 1566
(Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 3i2H, f° 72) : « Madame, s'en allant M. Malot vers
» vous, je n'ay voulu faillir de vous escrire la présente pour vous advertir que
ï M. le connestable et messieurs le cardinal de Chastillon et admirai doyvcnt
» arriver demain au soir icy, avec bonne compagnye. Je ne sçay point encore
» quel séjour mondit sieur le connestable y fera, mais s'il vous plaist me com-
> mander, je le vous feray entendre ci-après quand je l'auray sçeu.
2. Voyez Haag, France prot., V Spifame.
3. Archives de Genève, n" 1 715.
— 417 —
)) vient qu'il m'en envoya des mémoyres par lesquelz je cogneu
)) que son intention ne tendoit en cela qu'à la gloire de Dieu et
» au service du roy, chose touteffois plus à désirer qu'à espé-
)) rer, je vous en ay bien voulu escripre ceste lettre, et vous
» prier, magnifficques seigneurs, autant affection né ment que je
)) puys, que, si au reste il se trouvoit avoir commis quelque
y> faulte, comme il advient que les plus excellens font le plus
)) souvent, vous veuilliez préférer doulceur et clémence à ri-
y> gueur de justice, en considération de son aage et du fidèle
» debvoir qu'il a faict en plusieurs grandes charges, et des
)) services qu'il a semblablement faictz et pourra encore faire
» aux églises refformées pour l'advancement et accroissement
y> du règne de Dieu ; ce que je m'asseure que vous considérerez
)) bien. »
L'instruction de l'affaire fut conduite avec une précipitation
telle, qu'une impitoyable sentence, condamnant à mort Spi-
fame, reçut son exécution avant que parvînt à Genève la lettre
de l'amiral. Peut-être, à la lecture de cette lettre, le conseil se
fût-il désisté de sa tendance à infliger une peine excessive;
mais il statua ab irato, et, le 23 mars, l'infortuné Spifame
eut la tête tranchée ^
Jean Chabouillé, son gendre, pouvait être inquiété, par suite
de la malveillance avec laquelle serait interprétée une mission
qu'il avait récemment remplie en Savoie ; l'amiral en fut in-
formé, et se fit un devoir de le protéger contre des détracteurs
éventuels, en écrivant à Th. de Bèze^ : « Ce porteur (Gha-
» bouille) s'en va à Genefve, suivant l'avis que vous luy avés
)) donné; et encores qu'il n'aye point entendu que l'on le soup-
)) çonne d'aulcune chose, si esse qu'ayant entendu que l'on di-
)) soit que feu M"" de Passy avoit quelque pratique pour faire
1. Lettre de Th. de Béze à Pithou, 22 avril 1566. {Bull. soc. d'il, du prot.
fr. t. XI, p. 268.)
2. Archives de Genève, n» 1715, 18 avril 1566.
H il
— 418 —
» surprendre Genefve, et qu'ayant esté freschement pour mes
» affaires devers monsieur de Savoye, il ne vouldroit pas que
)) l'on le soupçonnast de quelque meschanceté, il s'en va là
» pour se présenter ; et peult-on bien penser qu'il ne seroit pas
» bien venu en mon endroict, sije l'estimois aultre que homme
y> de bien; mais l'ayant tousjours cogneu tel, je ne veulx pas
y> faillir à luy rendre ce tesmoignage, veu aussy que freschement
» il a préféré mon service à son particulier. »
Cinq mois plus tard, Goligny donnait à Ghabouillé une nou-
velle preuve d'estime et de bienveillance : ce Ayant cogneu,
» mandoit-il au conseil de Genève ^ que M. Jehan Ghabouillé,
y> gendre de feu M. de Passy, est affectionné et fidèle en mon ser-
)) vice, je me suis de moy-mesme employé pour le mettre d'ac-
)) cord avec M. deBissaulx, lequel, après plusieurs remises, s'est
)) rapporté à moy des différends qu'ils ont pour les biens que le-
» dit feu s' de Passy a laissez en ce royaulme; ce que j'ai volontiers
» accepté; et parce qu'il est besoing veoir l'acte delà probationdu
)) mariage d'iceluy deffunt et les testaments, contracts et codi-
» cilles qu'il a faictz en vostre cité, concernant Anne, sa fille, je
)) vous prie bien fort les faire délivrer au porteur de la présente,
» en telle forme qu'ilz puissent faire foy parde çà touchant ce f aict-
» là ; et encores, messieurs, que ce soyt chose raisonnable, ainsy
» qu'il me semble, je ne laisseray icy, oultre l'obligation que le-
)) dict Ghabouillé vous en debvra, de m'en sentir en mon par-
)> ticulier, bien gratifié de vous. »
Goligny avait quitté Ghâtillon depuis quelque temps, etséjour-
nait à la cour, où ses ennemis cherchaient à le discréditer par
leurs calomnies : l'une de ses lettres à de Gordes en fournit la
preuve. « Je vous eusse, lui disait-il , plus tost faict responce, si
» je me fusse trouvé à propoz quant Ion vous a dépesché où qu'il
1. Archives de Genève, n° 1715, 17 septembre 1566.
2. Hist. despr. de Gondé, t. I, p. 534.
— 419 —
» est allé quelques-ungs par delà, ce que n'ay peu faire de tant
)) que j'estois à Paris. Il y a plusieurs particularitez que je vous
» vouldrois bien faire sçavoir, mais nous sommes en ung temps
)) qu'il ne fait pas bon escripre. Je vous diray seullement qu'il
» y a quinze jours qu'il y eut une alarme en ceste court, à
)) cause de quelque compaignye de gens que l'on disoit estre
» assemblée à Paris par M' d'Andelot, mon frère, etmoy, dont
]!) il y eut des mareschaulx commis pour s'en enquérir et infor-
» mer. Et croy qu'ilz ne trouveront pas ce que l'on eust bien
» voulu. Je ne doubte point que vous n'en eussiez esté bien
» adverty. Je fais mon conte de séjourner encores quelque
y> temps en ceste court, mais je ne vous puys encores asseurer
» combien ce sera, car je me gouverneray selon ce que je verray
y> et au doigt et à l'œil. Je vous prieray, au demeurant,
» monsieur de Gordes,de faire entièrement estât de moy comme
» de l'ungde vos meilleurs et plus seurs amis. y>
Le 28 juin, Charlotte de Laval avait rejoint son mari dans la
capitale, et en informait Renée de France, en ces termes * :
c; Madame, estant arrivée en ceste ville, jeny ay pas voulu rete-
)) nir vostre coche davantaige, craignant de vous en faire faulte,
T> et la vous renvoyé présentement, vous remercyant très hum-
D blement de l'honneur qu'il vous a pieu me faire de la me
ï» prester. Je ne vous puys mander aultres nouvelles, d'aultant
y> que depuys que je suis arrivée je n'ay aprins chose qui mérite
)) de vous estre escripte, et aussi que je n'ay encores guères veu
)j personne que monsieur l'amyral. j>
Le roi, dans des circonstances que nous ne saurions préci-
ser, paraissant attacher une importance particulière à l'arres-
tation d'un individu du nom de Latour, sur lequel pesaient cer-
taines charges, avait enjoint à l'amiral de faire le nécessaire
pour qu'il fût saisi. Le 14 août, Coligny annonça, de Paris, au
i. Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 32H, f» 90. Lettre du 28 juin 1566.
— 420 —
roi ce qui suit ^ : « Sire, ayant veu le commandement qu'il vous
y> plaist me faire par vostre lettre du 12 de ce moys pour tenir la
)) main à la capture d'un nommé Latour, lequel a esté chargé
)^ par Dumay, voleur naguères prins et admené en ceste ville, je
)) n'ay voulu faillir à dépescher incontinent ce gentilhomme
» devers Vostre Majesté pour luy faire entendre tout ce que m'a
» semblé estre bon de vous faire sçavoir sur ce faict. » S'adres-
sant, le même jour à Catherine de Médicis, l'amiral disoit que
le gentilhomme chargé de la voir de sa part <iestoitinstruictpar
» luy de beaucoup de particularités dont il rendroit compte, si
y> c'estoit le plaisir de la royne de l'entendre ^ . » Le 26 du même
mois, Catherine mandait au connétable^ : « Mon compère, à ce
(( que j'ay peu veoir par vostre lettre que j'ay reçeue aujour-
» d'huy, le s' Davantigny et Latour sont arrivés auprès de vous,
y> dont j'ay esté bien aise et m'avez fait grand plaisir de les avoir
» retenuz, comme je vous prye de faire encores jusques à ce
)) que nous soyons apttes à ce que nous puissions sçavoir la vé-
» rite du fait dont ils sont chargez. Vostre nepveu, M. l'admirai,
» m'avait bien mandé qu'il les avoit trouvez par les chemins et
)) qu'ils s'en venaient nous trouver ; mais il est beaucoup meil-
)) leur qu'ils nous attendent là où vous estes ; vous priant
y> cependant leur commander de n'en bouger, comme j'estime,
» puisqu'ils sont venus si Hbrement, qu'ils ne feront. »
Cependant les moindres démarches de Coligny étaient épiées ;
un séjour qu'il venait de faire au château de son frère, le
cardinal de Châtillon, fut l'objet de rapports dont il s'attacha
à démontrer la fausseté, dans sa correspondance avec le roi.
(( Sire, écrivit-il, en dernier lieu *, le 17 aoiit, hier soir, assez
» tard, après que la depesche que je vous avais faicte fut partie,
1. Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 15 882, f» 169.
2. Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 15 882, f» 167.
3. Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 3207, f° 23.
4. Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 3193, f" 60.
J
— 421 —
); je reçus, par iing homme que M. le cardinal de Chastillon
)) m'envoya, la lettre de Vostre Majesté, qui me fut portée à
)) Bresle depuys que j'en fus party, comme aussi estoient les
» aultres qui y estoient venuz; tellement que, pour faire de-
» partir ceste compagnie, il n'estoit point besoing d'em-
» ployer les lettres et le commandement de Vostre Majesté.
» Et pour ce que par mes précédendes j'ay satisfait en partye
3> au contenu en icelles , je ne vous ennuyeray de redicte ;
y> mais, sur ce qu'il reste à respondre, je vous diray. Sire, que
» en ladicte compagnie n'estoient aultres personnages de qua-
» lité que ceulx que j'ay déclarez par mes précédentes; par-
» quoi je vous puis bien dire que ce que l'on a rapporté, que
y> M. le prince de Porlien, les sieurs D et de Bouvryy es-
y> toient est faulx. Dont je m'esbahis que gens qui debvroient
» bien reguarderet sçavoir comment ils parlent et asseurent
» les choses soyent si legiers premièrement à les voir, puys à
» les faire entendre à Vostre Majesté; faisant par ce moïen de
y> très maulvais offices, et à l'endroict de vos meilleurs et plus
» fidèles serviteurs, taschant à les vous rendre aultant suspectz
i) comme vous y debvez avoir de fiance; et pouresclaircir main-
y> tenant Vostre Majesté de l'occasion de ladite assemblée, e
» vous dirai, Sire, que, quant à M. de Sénarpont, c'est ung de
» mes plus anciens amys, dont nous désirions bieji de nous voir
y> cependant que nous n'estions pas guères esloignés l'ung de
» l'aultre et en ung lieu où il se pouvoit asseurer d'estre le bien
)) venu. Aussy, quant à M. de Morvilliers, il est de mes vieilles
» congnoissances, tellement que, sa maison n'estant que à six ou
)) sept lieues de Bresle, il voulut bien prendre ceste commodité
» de venir faire ung office de Visitation convenable àlacognois-
y> 5ance et amytié que nous avons piéça ensemble. De là. Sire,
» ce que je vous puys dire de l'occasion de leur venue. Ainsi il
)) ne me reste que à vous faire entendre à quoy ceste compagnie
» s'est employée, qui n'a pas esté pour mettre aulcung en
— 422 -
» soupçon ou défiance, car le plus de nostre (passe-temps)
)) estans là, ce a esté d'aller à la chasse et voler le perdereau,
» combien que aussy parmy ce passe-temps nous y avons fait
:ù ung bon office : c'est l'accord de deux gentilshomme, l'ung
» de la maison de Bouflair, l'aultre des Hebarson, lesquels
i> estans en querelle et aïans moïen l'ung et l'aultre d'assembler
)) gens et s'accompagner, eussent pu mettre quelque trouble au
» pais si leur querelle fust venue plus advant. En tout ce que
-» dessus, Sire, vous pouvez voir qu'il n'y a rien dont Vostre
» Majesté puisse avoir sinon contentement et satisfaction, et
» pouvez vous tenir assuré que je n'entreprendray jamais
» chose au contraire; car, quant aux aultres particularitez
» qui vous ont esté dictes, je ne puis pas penser quelles elles
)) sont, mais bien ay-je opinion qu'il n'y a non plus de vérité
)) que en la plupart de ce que m'escripvez avoir esté rapporté
y) à Vostre Majesté; et touteffoys. Sire, si c'est vostre plaisir de.
D me les déclarer, je mettrai peine de vous y satisfaire aussy.
i) Et a tant je supplye le créateur, etc., etc. »
Revenu de Paris, dans les derniers jours du mois d'août, à
Ghâtillon, d'où il ne pouvait désormais s'absenter de quelque
temps, Goligny ne tarda pas à apprendre que la maladie dont
Soubise souffrait quand il quitta Moulins, s'était aggravée. Re-
tenu par la force des circonstances loin de son ami, l'amiral lui fit
connaître le profond regret qu'il éprouvait de ne pouvoir, pour
le moment, franchir la longue distance qui les séparait l'un
de l'autre, car il eût été heureux de le revoir, de s'entretenir
encore avec lui, de l'entourer de son affection et de ses soins.
A son retour du Bourbonnais, Soubise a était déjà fort mal;
)) de sorte que ceux qui le voyaient n'espéraient plus qu'il peust
» vivre ; ce que luy cognoissoit mieux que personne, et ne se
» fàchoit sinon pour la peur qu'il avoit, s'il advenoit quelque
» affaire, de ne pouvoir servir comme il eut désiré, combien
0 qu'il se résolust, comment que ce fûst, de se faire traîner en
— 423 —
» quelque lieu, soit en une armée ou en une ville, où il peust
)) achever d'employer ce peu de vie qui lui restoit au service de
y> Dieu et de sa patrie. Cependant il s'estudioit à couronner le
» reste de ses gestes par une mort digne de la vie qu'il avoit
i) menée, se rendant de plus en plus assidu à ouïr la parole de
» Dieu et à le prier et invocquer non seulement en public,
i) mais en son particulier, demeurant tous les jours quatre ou
» cinq heures enfermé dans son cabinet à prier Dieu et à lire
)) en sa parole. Quand il voyait ses amis, il les consoloit de sa
» mort, laquelle il leur disoit à tous qu'il sentoit tous les jours
» approcher, hormis à Madame de Soubize, sa femme, à laquelle
D il ne le voulut jamais dire, et les prioit tous de ne le luy dire
» point, pour l'appréhension qu'il avoit de son ennuy ; mais à
)) tous ses aultres amis il les prioit de ne s'attrister point et de
» considérer l'heur qu'il estoit près de recevoir, avec une infi-
)•) nité d'aultres belles choses Environ un quart d'heure avant
)) mourir, il voulut voir sa fille pour luy donner sa bénédiction,
» avant partir de ce monde, puis la fit retirer, et un quart d'heure
» après rendit l'esprit, ayant dit pour la dernière parole : mon
)) Dieu, je recommande mon âme entre tes mains; et, qui est
)) une chose incroyable, la Dame de Soubize eut la constance
» de demeurer auprès de luy et de le consoler jusques à l'article
)) delà mort, ce qu'elle eut juré, peu d'heures auparavant, estre
y> hors de sa puissance ; mais elle s'y contraignit de ceste façon,
» pour ce qu'elle voyait qu'il avoit plaisir qu'elle y fûst et qu'il
» oyoit plus volontiers ce qu'elle luy disoit * que ce que les
» autres luy pouvaient dire. Je vous laisse à penser si, au
» partir delà, elle demeura désolée, et si elle eut besoingdes
» consolations qui lui furent adressées. »
Les plus chers amis de Soubise s'associèrent au deuil de sa
veuve, dans des lettres consolatoires qui nous ont été conservées^
1 . V. Appendice, n» 28.
Au premier rang de ces lettres se placent celles de Coligny et
de sa femme.
<r Madame, écrivait l'amiral \ quand je fis partir, ces jours
y> passez, le capitaine Renconneau pour visiter M. de Soubize,
)) je ne m'attendoys à rien moins qu'aux nouvelles que m'en
y) mandoit hier M. d'Aubeterre, vostre frère; et craignant de
)) vous renouveler vostre ennuy, je ne vous diray point l'ex-
ï) trême regret que j'endure de ceste perte que j'ay faicte; car
)) elle est plus grande que je ne la vous sçaurois dire n'y escryre :
» et vous diray seulement que je la ressents aultaot qu'on
» peult faire d'un vray et parfait amy, ce que je n'oseray dire
)) s'il m'en est demeuré encores un auquel j'eusse si parfaite
y> fiance. Mais pour ce que ce n'est point à nous à contester la
)) volonté de Dieu, et qu'il est certain qu'il ne fait rien de ses
)) créatures qui ne soit bon pour sa gloire et le salut des siens,
» c'est bien raison que nous nous conformions à sa volonté. Et
)) d'aultant, madame, que je sçais qu'entre toutes les. aultres
» vostre ennuy surpasse tous les aultres, je vous supplieray
)) maintenant pratiquer en vous le conseil que vous sçauriez
)) donner à quelqu'un de vos amis, s'il estoit en vostre place. Je
)) sçais bien que les pertes fraisches et les premiers mouve-
» mens sont malaisez à dompter; mais il ne fault pas aussi que
» nous nous laissions succomber à l'ennuy; ainsi il fault ré-
» sister, en marquant l'assistance de Dieu. Le principal remède
» à cella, c'est d'avoir quelque homme de bien, comme je sçais
» que vous n'en aurez point faulte, qui ordinairement vous
)) lise ou déclare quelques textes propres à cella pour consoler
)) ceulx qui sont en affliction, et surtout que vous ne demeuriez
)) jamais seulle. — La plus grande consolation que vous et
» tous ses amis pouvez avoir, c'est qu'en la foy en laquelle il a
» plu à Dieu l'appeler, il possède l'héritage que nostre seigneur
i. Bull, de la s. d'hist. du protest. fr. t. II, p. 550, 551.
_ 425 —
» a promis aux siens. Je sçais bien aussi que ce n'est pas ce
)) que vous lui plaignez, mais plustost une séparation pour
y> quelque temps. Ce ne serait pas bien aimer, si nous désirions
y> plustost une vue bien incertaine de nos amis, pour les priver
)) d'une vie éternelle, quand ils la possèdent. C'est chose pour-
» tant que nous ne désirons pas d'advancer, mais quand aussi
)) il a plu à Dieu d'en ordonner, c'est bien de quoy s'ayder à se
* résoudre. Or, madame, pour ce que je m'assure que vous
» sçaurez bien practiquer maintenant les grâces que Dieu a
» mises en vous, je ne m'estendray davantage sur ce propos,
» sçachant aussi que vous n'aurez pas faulte de l'assistance et
y> consolation de beaucoup de gens de bien. — Mais la cause
» principale pour laquelle je vous envoyé ce gentilhomme, est
y> pour vous supplier de croire que l'amour que je portoy à feu
)) monsieur de Soubize n'est point morte avec luy, mais qu'elle
» revit en vous et en Mademoiselle de Partenay, vostre fille, et
«> que vous pouvez faire estât de moy comme du meilleur frère
» et plus parfait ami que vous ayez en ce monde. N'eust esté la
» grande distance de vous à moy, j'eusse très volontiers fait
» en personne l'office de ce porteur. Je luy ay aussi donné charge
)) devons dire quelques aultres particularités de ma part. Et
>•> parce que je sçay qu'il s'en sçaura bien acquitter, je m'en
» remettray sur luy pour vous présenter mes bien affectionnées
» recommandations à vostre bonne grâce, et prier nostre Sei-
» gneur. Madame, vous combler par son Saint Esprit et vous
» faire la grâce de porter patiemment sa sainte volonté. — De
» Chastillon XXII de septembre 1566. — Vostre entièrement
» bon et bien affectionné ami, Chastillon. y>
Charlotte de Laval, partageant les sentiments de son mari,
s'exprimait en ces termes * : « Madame, je crois que ne doub-
1. Bull, de la soc. d'hist. du protest. fr. t. II, p. 551, 552.
r
— 426 —
y> lez point combien les nouvelles que nous avons eues de la
» Visitation et affliction qu'il a pieu à Dien de vous envoyer et
y> h nous aussy, nous ont esté ennuyeuses. Car, après vous, il
)) n'y a personne qui l'ait avec occasion plus ressentie, pour
» estre l'amitié entre nous non point seulement d'amis mais
y> de frères, si elle ne peult estre meilleure ni plus grande. Je
» vous prieray donc, madame, croire que je voudroy que nous
D feussions un peu plus près voysins , car moy-mesmes m'iroy
D offrir et essayer à vous servir et assister de tout ce qui seroit
» en ma puissance; ce que je vous offre par ceste lettre, j'ai-
» meroy beaucoup mieulx vous pouvoir dire et monstrer par
ï> effet que le vous escrire : disposez donc de tout ce qui y est»
D pour en faire comme du vostre propre. Je m'asseure,madame,que
ï) Dieu, vous assiste de telle façon, et tant de gens de bien, que
» vous pratiquez la doctrine que Dieu nous donne, de telle
» sorte qu'en faites vostre proffit en ceste affliction, et qu'après
D avoir senti la force qu'aencores la chair sur nous, retournerez
» à cognoistre que Dieu vous est père et qu'il visite ses enfans
» comme il luy plaist, et qu'il ne fault point murmurer contre
» luy, mais recognoistre que nous sommes ses créatures, et
i) nous mettre entre ses mains, pour non seulement marchan-
» derà Dieu, mais afin qu'il dispose de nous entièrement. Et il
i) est si bon et si sage, qu'il sçaura mieulx ordonner de nous
» que nous ne fairions nous mesmes. — Je vous prieray, ma-
» dame, pour la fin de ceste lettre, que l'amitié que nous nous
ï) sommes portée du vivant de monsieur de Soubize ne diminue
)) point; car, de mon costé, je me délibère de vous faire pa-
» roistre par tous moyens, et à mademoiselle de Parthenay, que
)) celle que j'avoy à monsieur de Soubize, je la veux augmenter
» et remettre en vous deux. Je vous présenteray en cest endroit
y> mes biens humbles recommandations à vostre bonne grâce,
» priant Dieu, madame, vous donner son sainct Esprit, qui vous
)) allège en vos afflictionsé -^ De Ghastillon, ce 22 de sep-
— 427 —
y> tembre. — Vostre obéissante et bien affectionnée amie à ja-
)) mais, Charlotte de Laval. »
La mort d'un souverain étranger survenue peu de jours après
celle de Soubize, en septembre 1566, impressionna dans une
certaine mesure, Coligny, en mettant instantanément obstacle
à la consolidation de relations qu'il avait commencé à nouer en
Orient, dans des vues et en présence de circonstances qu'il eût
été intéressant de connaître autrement que par de simples in-
dices.
En 1566, l'amiral chargea Téligny d'une mission lointaine,
sur le fond de laquelle rien de précis n'a jamais transpiré, et
qui ne se produit à nous aujourd'hui que sous son aspect pu-
rement extérieur. Toutefois, quelques données historiques
nous permettent d'en pressentir le caractère et l'objet.
Antérieurement à 1566, diverses tentatives, dont la corres-
pondance diplomatique de l'époque contient quelques traces,
avaient été faites, en vue de rapports à établir entre les réfor-
més français et la Porte Ottomane. D'après le témoignage de
l'un des ambassadeurs de Charles IX, l'amiral, et l'un de ses
frères, entretenaient, en 1564, à un moment donné, d'activés
relations épistolaires avec le Levant, ce Messieurs l'admirai et
)) d'Andelot, écrivait de Boistaillé* à de Pétremol, sont partis de
y> la court. Je ne voy rien de ceste part digne de vous estre
y> escript pour ceste heure, sinon qu'il vient à ces seigneurs
» coup à coup plusieurs dépêches du Levant extraordinaires,
d de l'occasion desquelles je n'ay peu rien entendre à la vérité :
» mais de ce que j'en puis conjecturer par l'extérieur, ce ne
» peult estre que pour chose passée amyablement entre le
)) Grand Seigneur et eulx, pour la jalousie qu'ils ont ordinaire-
» ment de ses armées. i>
I. Dans le cours d'informations sur les affaires de France, que contenaient
ses lettres des 12, 22 février et 15 mars 1564. (V. négoc. de la France avec le
Levant, in-i" t^ III, p. 751
— 428 —
Non seulement, en effet, à la date de 1564, la renommée
de l'amiral de France était parvenue jusqu'es dans les contrées
du Levant, et le Sultan Selim II, le tenait en haute estime ;
mais, de plus, ce prince, spécialement en 1565, entretint avec
lui des rapports amicaux et alla même jusqu'à réclamer ses
conseils. Ce fut alors, qu'en réponse aux avances flatteuses qui
lui étaient adressées, l'amiral envoya, en 1566, Téligny vers
ce sultan.
En même temps que Téligny, partirent pour Gonstantinople
quelques seigneurs calvinistes. Son départ et le leur coïnci-
dèrent avec celui de Guillaume de Grand-Rye, dit Grandchamp,
envoyé par le roi de France auprès du Grand Seigneur, et que
l'on considérait comme secrètement huguenot. « Vous eussiez
» dit, raconte Brantôme * , qui, de son côté, se rendait à Malte,
)) en compagnie de trois cents gentilshommes, que ceste année
» la (1566) estoit venue et destinée pour faire voyager les
» Français. Les uns allarenten Hongrie..., les aultres allarent
» en l'armée du Grand Seigneur avec l'ambassadeur du roy,
y> Monsieur de Grand-Champ comme Monsieur de la Fin La
» Nocle et plusieurs autres. Les autres allarent en Gonstanti-
» nople, comme les seigneurs de Ville-Gonin, de Théligny, de
» Longua, de Genissac, tous huguenots. »
La mission de Téligny , on n'en saurait douter, avait son im-
portance : mais quel en était l'objet? c'est ce que le jeune envoyé,
fidèle au secret promis, se garda bien de révéler, quelque pres-
santes que fussent, à ce sujet, les instances d'un infatigable in-
terrogateur, se disant « son grand ami. » Laissons parler ici
ce dernier, ce C'est un grand cas, dit-il ^ , qu'un seigneur simple
)> et non point souverain, mais pourtant d'un très haut et an-
» cien lignage ayt faict trembler toute la chrétienté et remplie
1. Éd. L. Lai. t. V, p. /i05, 406.
2. Hrantôme, ibid. t. IV, p. 307, 308.
— 429 —
» de son nom et de sa renommée, tellement qu'alors de l'admi-
» rai de France en estoit-il plus parlé que du roi de France. Et
» si son nom estoitcognu parmi les chrétiens, il est allé jusques
» aux Turcz; de telle façon, et il n'y a rien si vray, que le
» grand sultan Soliman, l'un des grands personnages et capi-
» taines qui régna despuis les Ottomans, un an avant qu'il
» mourut* , l'envoya rechercher d'amitié et accointance, et lui
» demanda advis comme d'un oracle d'Apolo ; et, comme je
» tiens de bon lieu, ilz avoient quelque intelligence pour faire
» quelque haute entreprise, que je nai/ jamais peu tirer ny
» sçavoir de Monsieur de Téligny, mon grand amy et frère d'al-
» liance, qui fut despesché de monsieur l'admirai et le seigneur
» de Ville-Gonin à Gonstantinople, là où ilz ne le trouvarent-
» point, car il estoit desjà party pour son voyage de Siguet où
y> il mourut. -»
Téligny demeura ainsi dans l'impossibilité de s'acquitter de
la mission qui lui avait été confiée.
A la déception qui en résultait pour lui s'ajouta bientôt un
vif chagrin. L'un de ses compagnons de voyage, lié avec lui
d'une étroite amitié, le sensible et infortuné Ville-Gonin por-
tait dans son cœur une plaie profonde ; il tomba gravement
malade, à Gonstantinople et y rendit le dernier soupir entre les
bras de Téligny. Sa fm fut celle d'un chrétien. Un touchant
hommage fut rendu à sa mémoire et à l'amitié que Téligny lui
portait, par un contemporain dont le cœur sympathique se ré-
vèle dans une pièce de vers étendue- à laquelle nous emprun-
terons seulement ces quelques lignes :
«... 0 seigneur Téligny, seigneur plein de sagesse,
\. Il mourut au siège de Szygeth, dans la nuil du 5 au 6 septembre 1566.
2. Complainte à Charles de Telligny sur le trespas du seigneur Nicolas de
Touteville, seigneur de Vllleconnin, gentilhomme de la chambre du roy, dé-
cédé en Constantinople, au mois de février dernier passé (^1567). (Bibl. nat.
mss. f. fr. vol. 22 561, f»^ 32 et suiv.)
— 430 —
» De bonté, de vertu et de grande proësse,
» Mais quel deuil, quel regret et quel grand desconfort
» Te pouvoit bien saisir, à l'heure de sa mort,
» Quand entre tes deux bras, d'une voix my-mourante
ï II te disoit : Amy, amy, je me contente
» De mourir maintenant puisqu'il plaist au seigneur
J> De m'appeller à luy, me faisant la faveur
» De mourir pour le moins en la santé et la voye
> Où j'espère qu'il fault que mon salut je voye.
»
» Et toy, mon Téligny, ensuyvant l'amitié
» Qu'ensemble avons icy, prendz, s'il te plaist pitié
» De ce myen corps mourant
» Et en ce lieu forain donne à mes pauvres os
» Leur dernier, attendu, et désiré repos. »
La mission de Téligny à Constantinople avait inquiété le
gouvernement français : une année environ s'était écoulée de-
puis qu'elle avait été confiée au jeune négociateur, lorsqu'un
jour, Charles IX, profitant de la présence de l'amiral à la cour,
le fit entrer dans son cabinet et lui dit* : « Vous inspirez des
)) soupçons au roi d'Espagne : déclarez moi franchement s'il
» est vrai ou non que Téligny et Ville-Gonnin soient allés à Gons-
» tantinople pour y nouer avec le Sultan des trames ayant pour
y> but de seconder le parti protestant. Il n'en est rien, Sire,
» répondit énergiquement l'amiral ; je proteste contre toute in-
» terprétation défavorable à cet égard ; mon intervention dans
y> cette affaire n'a rien eu que de légitime. »
Le roi parut accepter cette réponse et garda le silence.
1. Galend of State pap. foreign. 6april 1567, n° 1068. Sir Henry Norristo
Cecil.
CHAPITRE YI
Exposé sommaire des tentatives de colonisation faites par Coligny. — YiUegagnon au
Brésil. — Ribaut et Laudonnière, à la Floride. — Massacre des colons français par
les Espagnols, dans la Floride. — Réparation demandée à l'Espagne. — Intervention
de Coligny. — Dépêches de l'ambassadeur de France en Espagne. — Philippe H
refuse toute réparation. — Appui accordé par Coligny à une expédition maritime
dirigée par le fils de Monluc. — Coligny protège contre les violences des Portugais
les intérêts du commerce français sur la côte d'Afrique.
A l'insuccès (ie la mission de Téligny, en 1566, s'ajouta,
dans le cours de cette même année, un autre insuccès, d'une
plus grande portée, celui de la dernière des tentatives de colo-
nisation dues à l'initiative et aux persévérants efforts de Coligny;
tentatives dont l'exposé sommaire doit trouver ici sa place.
Et d'abord, en ce qui concerne la première des expéditions
maritimes organisées par les soins de l'amiral, dans une pensée
de colonisation, nous avons déjà mentionné la mission qu'il
confia, en 1555, à Villegagnon \ l'arrivée de celui-ci au Brésil,
et le départ, en 1556, de la petite phalange d'hommes dévoués
qui alla le rejoindre, sous la direction de Philippe de Gorguil-
leray, sieur du Pont, et dont Jean de Léry faisait partie ^.
Si Villegagnon, au lieu de surprendre par son astuce la con-
fiance de Coligny, eût été un homme droit, désintéressé, ca-
pable de se tenir à la hauteur de ses devoirs, le succès eût pro-
bablement couronné son zèle, dans l'accomplissement d'une
i. Voir notre t. I", p. 145 à 147,
2. Voir notre t. I«, p. 230 à 235.
— 432 —
lâche loyalement assumée et fidèlement poursuivie; mais il
n'était qu'un fourbe, qu'un ambitieux sans capacité, qu'un des-
pote haineux; et, désertant ses obligations, ses promesses, il
sacrifia à ses détestables passions les intérêts supérieurs qu'il
était chargé de sauvegarder et les Français dont il devait, loin
de la métropole, protéger à tout prix l'existence. Un stigmate
particulier s'attache à sa défection : il la consomma précisé-
ment à une époque où il échappait à l'autorité et au contrôle
de l'amiral, prisonnier des Espagnols, dans les Pays-Bas.
Rien de plus frappant, sur ce triste épisode, que le récit de
Jean de Léry, auquel nous ferons ici quelques emprunts K
€ Nous allâmes, dit-il, descendre, le 9 mars 1557, en l'isle
» et fort appelle Goligny. La première chose que nous fismes,
» après avoir mis pied à terre, fut de tous ensemble rendre
» grâces à Dieu. Gela fait, nous fûmes trouver Villegagnon, le-
» quel nous attendant en une place nous saluasmes tous l'un
» après l'autre : comme aussi lui de sa part avec un visage ou-
» verl, ce sembloit, nous accollant et embrassant, nous fit un
» fort bon accueil. Après cela, le sieur du Pont, nostre conduc-
» teur, avec Richier et Ghartier, ministres de l'évangile, luy
» ayant brièvement déclaré la cause principale qui nous avoit
■» meus de faire ce voyage et de passer la mer avec tant de dif-
» ficultez pour l'aller trouver, à sçavoir, suyvant les lettres
y> qu'il avoit escrites à Genève, que c'estoit pour dresser une
» église réformée selon la parole de Dieu en ce païs-là, lui
y> leur répondant là-dessus usa de ces propres paroles : — Quant
» à moy, dit-il, ayant voirement dès longtemps et de tout mon
y> cœur désiré telle chose, je vous reçois très volontiers à ces
)) conditions; mesmes parce que je veux que nostre église ait
» renom d'estre la mieux réformée pardessus toutes les autres,
1. Jean de Léry, histoire d'un voyage fait en la terre du Brésil, 4' édition,
année 1600, pages 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 72, 77, 78. 87, 88, 95, 424, 425,
471,472,473,474,475.
— 433 —
y> dès maintenant j'entends que les vices soient réprimez
y> Derechef s'adressant à nostre compagnie, dit : mes enfants,
)) car je veux estre vostre père, comme Jésus-Christ estant en
)) ce monde n'a rien fait pour lui, ainsi tout ce qu'il a faict a
)) été pour nous, aussi ayant ceste espérance que Dieu me pré-
» servera en vie jusques à ce que nous soyons fortifiés en ce
■» païs, et que vous vous puissiez passer de moi, tout ce que je
)) prétends faire ici est tant pour vous que pour tous ceux qui y
y> viendront à mesme fin que vous estes venus. Car je délibère
y> d'y faire une retraite aux pauvres fidèles qui seront persé-
» cutez en France, en Espagne, et ailleurs outre mer, afin
» que sans crainte ni du roy, ni de l'empereur ou d'autres
y> potentats, ils y puissent purement servir à Dieu selon sa vo-
3) lonté
» Après cela, Villegagnon ayant commandé que tous ses
» gens s'assemblassent promptement avec nous en une petite
» salle qui estoit au milieu de l'isle, le ministre Richier fit le
y> premier presche, au fort de Coligny. Durant iceluy, Villega-
» gnon, ne cessant de joindre les mains, de lever les yeux au
» ciel, de faire de grands soupirs et autres semblables conte-
ï> nances, faisoit esmerveiller un chacun de nous.
)) Au partir de là, on nous mena tous porter des pierres
» et de la terre en ce fort de Coligny qu'on continuoit de bastir :
» c'est le bon traitement que Yillegagnon nous fit dès le beau
)) premier jour, à nostre arrivée. Le lendemain et les jours sui-
» vans, il nous fit porter la terre et les pierres en son fort : voire
ï) en telle diligence, qu'avec nos incommoditez et débilitez, es-
» tant contraints de tenir coup à la besogne depuis le poinct du
y> jour jusques à la nuict, il sembloit bien nous traiter un peu
» plus rudement que le devoir d'un bon père, tel qu'il avoit dit
» à nostre arrivée nou^ vouloir estre, ne portoit envers ses
3 enfans. Toutefois, tant pour le grand désir que nous avions
y> que ce bastiment et retraite qu'il disoit vouloir faire aux
II. 28
- 434 —
» fidèles en ce païs-là se parachevast, que parce que maistre
» Pierre Richier, nostre plus ancien ministre, afin de nous
» encourager davantage, disoit que nous avions trouvé un second
» saint Paul en Villegagnon, comme de faict je n'ouïs jamais
)) homme mieux parler de la religion et réformation chres-
» tienne qu'il faisoit lors, il n'y eut celui de nous qui, par ma-
» nière de dire, outre ses forces ne s'employast allègrement,
» l'espace d'environ un mois à faire ce mestier, lequel néan-
» moins nous n'avions pas accoustumé. Sur quoy je puis dire
» que Villegagnon ne s'est peu justement plaindre que, tant
» qu'il fit profession de l'Évangile en ce païs-là, il ne tirast de
y> nous tout le service qu'il voulut. »
Des réunions pour l'exercice du culte se tinrent régulière-
ment. Dans l'une d'elles, Villegagnon, « tant, comme il disoit,
. y> pour dédier son fort à Dieu, que pour faire confession de sa
» foy en face de l'Église, s'estant mis à genou sur un carreau de
» velours, lequel son page portoit ordinairement après luy,
)) prononça à haute voix deux oraisons, » dans la première des-
quelles il fit entendre ces paroles : « plaise à toi, nostre sei-
y> gneur et père, estendre ta bénédiction sur ce lieu de Coligny
» et païs de France antarctique, pour estre inexpugnable re-
» traicte à ceux qui, à bon escient et sans hypocrisie y auront
» recours, pour se dédier avec "nous à l'exaltation de ta gloire,
y> et que, sans trouble des hérétiques, te puissions invoquer
» en vérité; fais aussi que ton Évangile règne en ce lieu, y for-
y> tifianttes serviteurs Qu'il te plaise aussi, ôDieu de toute
y> bonté, estre protecteur du roy, nostre souverain seigneur
)) selon la chair, de sa femme, de sa lignée et son conseil :
)) messire Gaspard de Coligny, sa femme et sa lignée, les con-
» servant en volonté de maintenir et favoriser ceste tienne
y> égUse : et veuille à moi, ton très humble esclave, donner
» prudence de me conduire, de sorte que je ne fourvoyé point
;o du droit chemin et que je puisse résister à tous les em-
- 435 —
» peschemens que Satan me pourroit faire, sans ton aide.
y> Cependant, pour le faire court, vérifiant bientôt après
» ce qu'a dit un ancien, assavoir : qu'il est malaisé de con-
» trefaire longtemps le vertueux, tout ainsi qu'on apercevoit
)) aisément qu'il n'y avoit qu'ostentation dans le faict de Ville-
» gagnon, et que, quoique luy et Cointat^ eussent abjuré publi-
» quement la papauté, ils avoient néanmoins plus d'envie de
)) débattre et contester que d'apprendre et profiter, aussi ne
» tardèrent pas beaucoup à esmouvoir des disputes touchant la
y> doctrine, mais principalement sur le poinct de la cène. Toutefois
» Villegagnon faisant toujours bonne mine et protestant ne de-
y> sirer rien plus que d'estre droitement enseigné, renvoya en
5 France Ghartier, ministre, afin que sur ce diflérend de la
» cène il rapportast les opinions de nos docteurs, et nommé-
» ment celle de maistre Jean Calvin, à l'advis duquel il disoit se
» vouloir du tout submettre: » Peu de temps après, « Villega-
« gnon, déclarant tout ouvertement qu'il avoit changé l'opinion
» qu'il disait autrefois avoir eue de Calvin, sans* attendre sa
» réponse qu'il avoit envoyé quérir par le ministre Chartier, dit
y> que c'estoit un raeschant hérétique desvoyé de la foi : et, de
» fait, dès lors nous montra fort mauvais visage.
» La dissimulation de Villegagnon nous fut si bien descou-
y> verte, qu'ainsi qu'on dit communément, nous cognusmes
» lors de quel bois il se chauffoit. Que si on demande mainte-
y> nant quelle fut l'occasion de ceste révolte : quelques-uns des
» nostres tenoient que le cardinal de Lorraine et autres qui luy
» avaient escrit de France, l'ayant reprins fort asprement par
» leurs lettres de ce qu'il avoit quitté la religion catholique ro-
» maine, de crainte qu'il en eust, il changea soudain d'opinion.
1. « Uq nommé ieaa Coiatat, estudùint de Sorbonne, aspirant secrètement à
» je ne say quelle dignité épjscopale fantastique. » (Th. de Bèze, Hist. ceci.,
t.J,p. 160).
— 436 —
)) Toustefois, j'ai entendu depuis mon retour, que Villegagnon,
y> devant mesme qu'il partit de France, pour tant mieux se
y> servir du nom et autorité de M. l'admirai de Chastillon, et
» aussi pour abuser plus facilement, tant l'église de Genève,^
» en général, que Calvin en particulier, avoit prins avis avec
y> ledit cardinal de Lorraine de se contrefaire de la religion. Mais
)) quoi qu'il en soit, je puis asseurer que, lors de sa révolte,
» comme s'il eûst eu un bourreau en sa conscience, il devint si
)) chagrin que, jurant à tout propos, le corps Sainct- Jacques,
)) qui estoit son serment ordinaire, qu'il romproist la teste, les
y> bras et les jambes au premier qui le fascheroit,nulnes'osoit
)) plus trouver devant lui. »
On peut, d'après cela, se faire une idée du sort réservé aux
pauvres colons. Ils furent victimes de mauvais traitements et
d'actes de cruauté qui leur rendirent le joug de Villegagnon
insupportable. Ainsi frappée au cœur dès son origine, la colonie
ne fit que languir jusqu'au jour où Villegagnon l'ayant lâche-
ment désertée, les Portugais consommèrent sa ruine.
Le récit de Jean de Léry, que nous ne pouvons reproduire
dans toute son étendue, est formel sur ces divers points. Bor-
nons-nous aux citations suivantes :
« H advint que Villegagnon, détestant de plus en plus et
» nous et la doctrine laquelle nous suivions, disant qu'il ne
)) nous voulait plus souffrir ni endurer en son fort ni en son
)) isle, commanda que nous en sortissions. Vray est que nous
y> avions bien moyen de l'en chasser lui-mesme si nous eussions
y> voulu : mais, tant afin de lui oster toute occasion de se
y> plaindre de nous, que parce que la France et autres pais
)) estant abreuvez que nous estions allez pardelà pour y vivre
)) selon la réformation de l'évangile, craignans de mettre quel-
y> que tache sur iceluy, nous aimasmes mieux, en obtem-
» pérant à Villegagnon et sans contester davantage, lui quitter
y> la place Il nous avoit brassé la trahison que vous orrez :
— 437 —
» c'est qu'ayant donné au maistre du navire ^ un petit coffret
» enveloppé de toile cirée, à la façon de la mer, plein de lettres
» qu'il envoyait pardeçà à plusieurs personnes, il y avoit aussi
y> mis un procès qu'il avoit fait et formé contre nous et à
» nostre insçu, avec mandement exprès au premier juge auquel
» on le bailleroit en France, qu'en vertu d'icelui il nous retinst
)) et fist brusler comme hérétiques qu'il disoit que nous estions,
» tellemement qu'en récompense des services que nous lui
» avions faits, il avoit comme scellé et cacheté nostre congé
» de cette desloyauté. »
Jean de Léry, après avoir parlé de son arrivée et de celle de
ses compagnons en Bretagne, ajoute : « Advint que le s' du
» Pont, nostre conducteur, ayant eu congnoissance à quelques
» gens de justice de ce pays-là, lesquels avoient sentiment de
» la religion dont nous faisions profession, le coffret couvert
)) de toile cirée dans lequel estoit le procès et forces lettres
» adressantes à plusieurs personnages leur estant baillé,
» après qu'ils eurent veu ce qui leur estoit mandé, tant s'en
)) fallut qu'ils nous traitassent de la façon que Villegagnon de-
» siroit, qu'au contraire, oultre qu'ils nous firent la meilleure
)) chère qui leur fut possible, encore offrant leurs moyens
» à ceux de notre compagnie qui en avoient afaire, ils prestè-
» rent argent au s"" du Pont et à quelques autres. Voilà comme
» Dieu, qui surprend les fins en leurs cautelles, non seulement
» par le moyen de ces bons personnages, nous délivra du dan-
)■> ger où le révolté de Villegagnon nous avoit mis, mais, qui plus
)) est, la trahison qu'il nous avoit brassée estant descouverte, le
)) tout retourna à nostre soulagement et à sa confusion. »
Des seize personnes qui avaient quitté le Brésil, cinq,
redoutant les dangers d'un voyage entrepris avec un navire
en mauvais état et atteint d'une voie d'eau dès qu'il eut
I. Il s'agit <lu navire qui allait recevoir à son bord. J. de Léry et autres.
— 438 —
appareillé, retournèrent, dans une chaloupe, au fort de Goli-
gny. « Là, Villegagnon, à cause de l'Evangile, fit noyer trois de
y> ces personnes, assavoir P. Bourdon, J. du Bordel et M. Ver-
» neuil je dirai encore ce mot, que Villegagnon ayant esté
D le premier qui a respandu le sang des enfans de Dieu en ce
» pays nouvellement congneu, à bon droit, à cause de ce cruel
» acte, quelqu'un l'a nommé le Gain de l'Amérique Ville-
» gagnon abandonna le fort de Coligny qui a esté depuis par
)) sa faute prins des Portugais avec l'artillerie marquée au
» coing de France, outre le carnage qu'ils firent des poures
3) François qu'il y laissa. »
(( Afin de mieux faire entendre que Villegagnon fut
y> seul cause que les François n'ont point anticipé et ne sont
)) demeurez en ce païs-là (le Brésil), je ne veulx oublier à dire
y> qu'un nommé Faribau, de Rouen, qui estoit capitaine en ce
)) vaisseau \ ayant à la requeste de plusieurs notables person-
3> nages faisans profession de la religion réformée, au royaume
» de France, fait expressément ce voyage pour explorer la terre
» et choisir promptement lieu pour habiter, nous dit que,
D n'eust esté la révolte de Villegagnon, on avoit, dès la mesme
y> année (1557) délibéré de passer sept ou huit cents personnes
,)) dans de grandes hourques de Flandre, pour commencer à
» peupler l'endroict où nous estions. Gomme, de faict, je crois
)) fermement, si cela ne fûst intervenu, et que Villegagnon eust
» tenu bon, qu'il y auroit à présent plus de dix mille P'rançois,
» lesquels, outre la bonne garde qu'ils eussent fait de nostre
» isle et de nostre fort contre les Portugais, qui ne l'eussent
» jamais sçeu prendre, comme ils ont fait depuis nostre retour,
y) posséderaient maintenant, sous l'obéissance du roy, un grand
» pays en la terre du Brésil, lequel à bon droict, en ce cas on
)) eust peu continuer d'appeler France Antarctique.
i . Celui qui ramena en France Jean de Léry et ses compagnons.
i
— 439 —
» Villagagnon, de retour en France, fit du pis qu'il put, et de
» bouche et par escrit contre ceux de la religion évangélique,
» dont il ne remporta que deshonneur et réputation de fol \ )> Il
se déshonora encore par sa servilité vis-à-vis de TEspagne et
surtout par son ingratitude envers Coligny, dont il devint
l'ennemi et le vil détracteur ^.
L'amiral, ainsi que nous l'avons déjà dit ^, ne s'était pas laissé
décourager par l'insuccès de sa tentative de colonisation, au
Brésil. Indignement trompé par Villegagnon, il ne désespérait
pas cependant de rencontrer des hommes d'honneur et de
capacité qui, à la différence d'un tel devancier, répondraient à la
confiance dont ils seraient investis, pour la conduite d'une nou-
velle entreprise. Il poursuivit donc son projet de doter la
France d'une possession transatlantique, et d'y assurer, le cas
échéant, un. refuge à ses coreligionnaires.
Ses vues s'arrêtèrent sur une vaste et belle contrée de
l'Amérique du nord, la Floride, ravagée naguère par des agres-
seurs européens qui loin de réussir à en faire la conquête,
avaient été châtiés de leur cruauté, par une juste expulsion. Là
où les Espagnols, ces prétendus maîtres du nouveau monde,
que Coligny détestait, au double titre d'ennemis de sa religion
et d'ennemis de sa patrie, avaient en vain tenté d'asservir les
indigènes à un joug odieux, il voulut asseoir la domination de la
France * , par les seules voies qu'autorisaient à la fois une
religion de paix et une tendance franchement civilisatrice. Il se
1. Voir, sur Villegagnon, lo Th. de Bèze. Hist. eccL, t. I, p. 158 à 161 ; —
2° d'Aubigné, hist. univ., t. 1, liv. 1, ch. xvi, et liv. II, ch. vm. — 3° R. de
Laplanche, hist. de France sous François II, éd. de 1576, p. 229, 230; — 4° de
Thou, hist. univ., t. II, p. 381 à 384; — 5» Bayle, dict. hist. V. Villegagnon,
et V- Richer.
2. V. Appendice, n» 29.
3. Voir, ci-dessus, liv. m, chap. i.
i. « Je diviseray la terre d'.\mérique en trois principales parties : celle qui
» est vers le pôle arctique ou septentrion est nommée la nouvelle France, pour
» autant que, l'an 1524, Jean Verrazano, Florentin, fut envoyé par le roy
» François P' et par madame la régente, sa mère, aux terres neuves, ausquelles
montrait en cela fidèle à une politique dont il avait été l'ini-
tiateur en 1555, et qu'il suivit invariablement jusqu'au terme de
sa noble carrière ; politique éminemment sage, éminemment
patriotique, qui consistait à tenir haut élevé le drapeau de la
France, en regard de celui de l'Espagne, à lutter dans le nou-
veau monde,, comme dans l'ancien, contre les envahissements
de cette puissance néfaste, et à saper par sa base la prépondé-
rance qu'elle s'arrogeait, au détriment des droits et des intérêts
de la nation française.
Ayant longuement mûri son plan, Goligny le mit à exécution
en 1562. Le capitaine. Jean Ribaut, dont il avait fait choix pour
diriger la nouvelle expédition maritime, partit du Havre, à des-
tination de la Floride, en compagnie d'un homme également
estimé de l'amiral, le capitaine Laudonnière, auteur d'une
histoire de la Floride \ dont les premières lignes portent "^ :
» il prit terre et descouvrit toute la coste qui est depuis le tropique du cancer,
» à sçavoir depuis le 28" degré jusques au 50® et encore plus devers le north. 11
» planta en ce pais les enseignes et armoiries du roy de France ; de sorte que
> les Espagnols mesmes qui y furent depuis ont nommé ce pais terre fran-
» cesque. Elle s'étend doncques en latitude depuis le 25'^ degré jusques au 54*
» vers le septentrion, et en longitude, depuis le 210° jnsques au 330e... Sa partie
» méridionale se nomme La Floride, à raison qu'elle fut descouverte le jour de
» pasques flories La nouvelle France est presque aussi grande que toute
» notre Europe. La partie toutesfois d'icelle la plus moyenne et habituée est la
» Floride, en laquelle plusieurs françois ont fait plusieurs voyages à diverses
» fois, tellement qu'elle est maintenant la région plus recognue qui soit en toute
» ceste partie de la nouvelle France. Le cap d'icelle est comme un long bout
» de terre estendu en mer de cent lieues, et lire droit vers le midy. Elle a vis
ï à vis, à 25 lieues, l'isle de Cuba, autrement appellée Isabelle; vers le levant
» les isles de Bahama et Lucaye, et vers l'occident le golphe de Mexico. » Cette
description date du xvi» siècle. Elle est tirée de l'ouvrage de Laudonnière
(pages 2 à 5) dont le titre sera ci-après reproduit dans toute son étendue.
1. Histoire notable de la Floride, située es Indes occidentales, contenant les
trois voyages faits en icelle par certains capitaines et pilotes françois, descrits
par le capitaine Laudonnière, qui y a commandé l'espace d'un ou trois moys
à laquelle a esté àdjousté un quatriesme voyage fait par le capitaine Gourgues,
mise en lumière par M. Basanier, gentilhomme françois, mathématicien.
Paris, 1853, in-12.
2. Hist. not. de la Floride, p. 15, 16, 17.
— 4il —
(( L'admirai de Ghastillon, seigneur plus désireux du bien
» public que de son propre, ayant cogneu la volonté du roy son
)) prince, qui estoit de faire recognoistre les terres neuves, fit
» en toute diligence équipper des vaisseaux propres pour ce
^ faict, et lever gens dignes de telle entreprise, entre lesquels,
» il esleut le capitaine Jean Ribaut, homme véritablement
» expérimenté au faîct de la marine, lequel ayant reçeu son
)) commandement, se mit en mer, l'an i562, le 18" jour de
» février, accompagné seulement de deux roberges du roy,
y> mais si bien fournies de gentilshommes, du nombre desquels
y> j'estois, et de vieux soldats, qu'il avoit moyen de faire quelque
» chose mémorable et remarquable à jamais. — Ayant doncques
y> navigué deux moys sans aucunement tenir la route accous-
y> tumé des Espagnols, il prist port en la nouvelle France, ter-
» rissant après un cap, lequel il appella Cap français, en
» l'honneur de nostre France. De ce lieu côtoyant vers le sep-
» tentrion, il descouvrit une fort belle et grande rivière dans
y> laquelle il fit planter, non fort loin de l'embouchure d'icelle,
» une colonne de pierre de taille, sur un petit costeau de terre
» sablonneuse, en laquelle les armoiries de France estoient
y> empreintes et gravées. Ce fait, il s'embarqua derechef, afin
» de tousjours poursuivre la recognoissance qu'il vouloit faire
» de la coste septentrionale. Après avoir navigué quelque temps,
D il prist terre en l'autre costé de la rivière, et lors commanda,
» en la présence de quelques Indiens qui l'attendaient exprès,
» de faire les prières pour remercier le Seigneur de ce que
» sans péril ou danger aucun il avoit conduit par sa grâce le
y> peuple François jusques à ces lieux estranges. »
Dans le cours de ses explorations, que rien ne troubla,
Ribaut se rendit compte de l'état de la contrée et des ressources
qu'elle offrait; il établit, çà et là des pierres portant les armes
de France, et donna à diverses rivières qu'il rencontra les
noms de Mai, de Somme, de Loire, de Charente, de Garonne,
— 442 —
de Gironde^ de Belle, de Basse, de Grande, de Libourne, de
Port-Boyal, de Chenonceau. N'ayant trouvé partout que des
dispositions pacifiques chez les indigènes, il se décida à laisser
parmi eux, sur un point déterminé, une petite troupe qu'il
installa dans un fort rapidement construit par son ordre et
nommé Charlesfort, dont il confia le commandement au capi-
taine Albert, en lui disant * : « J'ay à vous'prier, en la présence
» de tous, que vous ayez à vous acquitter si sagement de vostre
)) devoir, et si modestement gouverner la petite troupe que je
y> vous laisse, laquelle de si grande gayeté demeure soubz vostre
y> obéissance, que jamais je n'aye occasion que de vous louer,
» et ne taire, comme j'en ay bonne envie, devant le roy, le
« fidèle service, qu'en la présence de nous tous, lui promettez
» faire en sa nouvelle France. »
Ribaut fut confirmé dans la pensée qu'il avait alors conçue,
de revenir en France, afin d'y travailler à l'affermissement de la
colonie naissante, par cette considération sur laquelle on
insista auprès de lui '^, savoir : « qu'il avoit occasion de se con-
» tenter, veu qu'il ne pouvait faire davantage; qu'il avoit
y) recogneu en six sepmaines plus que les Espagnols n'avaient
» fait en deux ans es conquestes de leur Nouvelle-Espagne, et
)) que ce seroit un grandissime service qu'il feroit au roy, s'il
» luy portoit nouvelles, en si peu de temps, de son heureuse
» découverte. » L'absence conseillée serait d'ailleurs d'une
courte durée. Après s'être assuré que la métropole lui fourni-
rait de nouvelles ressources en faveur de la Floride, il retour-
nerait dans cette contrée, où il agirait désormais avec d'autant
plus d'efficacité, que son entreprise se serait concihé, en France,
de nouvelles sympathies et un plus large concours. Ribaut
partit donc avec Laudonnière et le reste de ses gens, et aborda
à Dieppe, le 20 juillet 1562.
4. Hist. not. de la Floride, p. 38.
2. Hist. nol. de la Floride, \\. 40.
-« 443 ^
La guerre civile, à laquelle la France était alors en proie,
réduisait Goligny à l'impossibilité de s'occuper de la Floride.
Sans nouvelles de la mère-patrie, fatiguée d'un long isole-
ment, mécontente de son chef, la petite garnison de Charles-
fort se révolta, tua le capitaine Albert, voulut se rendre en
France, prit la mer sur une chétive embarcation, et, au terme
d'une navigation désastreuse, fut recueillie par des marins
anglais qui la conduisirent dans l'un des ports de leur nation.
Ribaut, à son retour en France, avait combattu dans les
rangs des réformés. Réfugié en Angleterre, lors de la paix
d'Amboise, il publia un opuscule qui retraçait son exploration
de la Floride, et mit par là, à son insu, la reine et les hommes
d'État d'Angleterre sur la voie de tentatives à faire ultérieure-
ment pour s'emparer de cette contrée.
Dès qu'en 1564, il fut libre d'agir, Coligny, persévérant dans
ses efforts de colonisation, » pressa tellement le roi d'envoyer
s> une seconde flotte à la Floride, qu'il l'obtint K y> Sur sa dési-
gnation, le commandement en fut donné à Laudonnière ^ et
non point à Ribaut, qui ne voulait ou ne pouvait encore quitter
l'Angleterre.
« Depuis la paix faicte en France, dit Laudonnière ^, l'ad-
» mirai de Chastillon remonstraau roi comme l'on n'avoit nou-
» velle aucune des gens que le capitaine Jean Ribaut avoit laissez
» en la Floride et que ce seroit grand dommage de les laisser
» perdre, à cause de quoy le roy luy accorda de faire équipper
» trois vaisseaux, l'un de six-vingts tonneaux, l'autre de cent,
» et le troisième de soixante, pour les aller chercher et secou-
» rir. Ledit admirai doncques bien informé du fidèle service
» que j'ay faict, tant à Sa Majesté qu'à ses prédécesseurs roys
» de France, fit entendre au roy le moyen que j'avois de luy
1. De Thou, hist. umv., t. IV, p. 113.
2. Voir ci-dessus, livre IV, chap, in.
3. Hist. not. de la Floride, p. 61, 62.
— 444 —
» faire service en ce voyage, qui fut cause qu'il m'establit chef
» de ces trois vaisseaux, et me commanda de partir en dili-
» gence, pour exécuter son commandement; à quoy ne voulant
» contrevenir, ains me sentant heureux d'estre esleu entre une
y> infinité d'autres, lesquels, à mon jugement, se fussent assez
y> bien acquittés de ceste charge, je m'embarquay au Havre de
» Grâce, le 2T d'avril 1564. »
Ayant atteint la Floride, Laudorinière explora de nouveau le
pays, et inaugura, en chef chrétien, la construction d'un fort,
qu'il nomma la Caroline. « Là, rapporte-t-il\ nous chan-
)) tasmes louanges au seigneur, le suppliant vouloir par sa
)) saincte grâce continuer son accoustumée bonté envers nous,
y> ses pauvres serviteurs, et désormais nous ayder en toutes nos
)) entreprises, si que le tout retournast à sa gloire et à l'avan-
» cément de nosti'e foy. Les prières faites, chacun commença
y> de prendre courage. »
Calmes et faciles, au début, les relations de Laudonnière
avec les indigènes changèrent peu à peu de caractère, et lui
créèrent des difficultés dont une partie provint de l'inimitié de
diverses tribus, les unes à l'égard des autres. Il y eut plus ; l'indis-
cipline et la cupidité de plusieurs des hommes placés sous son
commandement aggravèrent sa situation. Une conjuration se
forma contre lui; ses jours furent menacés; les révoltés l'em-
prisonnèrent, et, dans l'enivrement d'une criminelle indépen-
dance, parcoururent la mer des Antilles, en s'y livrant à des
actes de piraterie que les Espagnols leur firent bientôt expier.
Délivré par l'énergie de ceux de ses hommes qui lui étaient
demeurés fidèles, Laudonnière reprit son commandement et
renoua des relations amicales avec les indigènes. Mais le jour
vint où les ressources alimentaires qu'on avait originairement
tirées de ceux-ci s'épuisèrent, où leur bon vouloir se refroidit.
1 . Hist. not. de la Floride, p. 83.
— 445 —
et où les colons français ayant négligé la culture de la terre,
pour ne se livrer qu'à la recherche des métaux précieux,
éprouvèrent les horreurs de la famine.
Sous la pression de ce désastre, Laudonnière se décida à
quitter, avec les siens, le sol de la Floride. « lln'yavoit, raconte-
» t-iP , celuy de nous quin'eust un extresme regret d'abandon-
» ner un païs auquel nous avions enduré tant de travaux
■» et nécessitez pour descouvrir ce que, par la propre faute des
» nostres, il falloit laisser... je laisse à penser combien il nous
» touchoit au cœur de nous esloigner d'un lieu abondant en
» richesses, comme bien nous en estions advertis, pour auquel
y> parvenir et faire service à nostre prince, nous avions laissé
» nostre propre païs, femmes, enfans, parens, et amys, et
y> avions passé pardessus les périls de la mer, et estions là
» arrivez comme en un comble de tout souhait. »
Tout-à-coup apparurent, non loin de la côte, quatre navires
Anglais. Jean Hawkins, qui les commandait, offrit à Laudon-
nière des vivres et provisions de diverses espèces, qu'il accepta
mais non sans se défier de la présence de Hawkins dans ces
parages; d'autant plus que celui-ci lui proposa de le ramener
en France. Laudonnière refusa nettement la proposition. « Je
y> craignois, dit-iP , en parlant de Hawkins, qu'ils ne voulust
y) attenter quelque chose en la Floride, au nom de sa mais-
» tresse... », ailleurs il mentionne^ a: Sa peur que la royne
y> d'Angleterre ne s'encourageast davantage prendre pied en
y> icelle Floride. »
Hawkins ayant promptement quitté Laudonnière, celui-ci
hâtait les préparatifs de son propre départ, lorsqu'une circon-
stance inopinée les lui fit brusquement interrompre. Ribaut
arrivait, à la tête d'une Hotte composée de sept navires, pour
i. Hist. iiot. de la Floride, p. 169;
i. Hist. not. de la Floride, p. 173.
3. Hist. not. de la Floride, p. 175.
— 416 —
reprendre la direction des opérations dans la Floride, à la place
de Laudonnière, rappelé en France, par suite de faux rapports
an moyen desquels on l'avait desservi dans l'esprit de l'amiral.
Ce dernier, du reste, ne notifiait à Laudonnière son rappel
qu'avec les plus grands ménagements, de manière k lui faire
sentir qu'il lui procurait par là le moyen de se justifier complè-
tement. (( Capitaine, lui écrivait-il * , par ce qu'aucuns de ceux
» qui sont revenuz de la Floride parlent indifféremment de la
y> terre, le roy désire vostre venue, afin que, selon vostre efîect,
» il se résoude d'y faire une grande despense, ou du tout la lais-
3) ser : et pour ce, j'envoye le capitaine Jean Ribaut pour y
» commander, auquel vous délivrerez tout ce qu'avez en charge,
)) et l'instruirez de tout ce que pourrez avoir descouvert. Ne pensez
y> point que ce que je vous envoyé quérir soit pour malconten-
» tement et méfiance que j'aye de vous, mais c'est pour vostre
» bien et konneur, et vous assure que, toute ma vie, vous au
)) rez un bon maistre en moi. »
Laudonnière démontra aisément à Ribaut la fausseté des ac-
cusations contenues dans les rapports dont il vient d'être parlé,
refusa l'offre que lui fit Ribaut de partager avec lui le com-
mandement de la Floride, et annonça qu'il était déterminé à
retourner en France.
Quelques jours s'étaient à peine écoulés depuis l'arrivée de
Ribaut, lorsque fut signalée l'approche de plusieurs navires es-
pagnols. Quoique la France fût en paix avec l'Espagne, ils ve-
naient, sous la conduite de Pedro Menendez de Abila, farouche
exécuteur des ordres de Philippe II, attaquer, au mépris de
tous les droits, et sans déclaration préalable de guerre, les
Français dans leur possession.
Un conseil de guerre se tint, sous la présidence de Ribaut.
Laudonnière, dont l'avis fut partagé par tous les membres de
1. Hist. not. de la Floride p. 184.
— 447 —
ce conseil, excepté le président, opina pour qu'en n'opérant
d'abord que sur terre, on marchât droit à l'ennemi et on le har-
celât par une série d'escarmouches, tandis que des travailleurs,
laissés à la Caroline, en augmenteraient les fortifications, en
prévision d'un siège à subir. Cet avis, que dictait la prudence,
fut repoussé par Ribaut, qui ordonna que l'action s'engageât
d'abord sur mer entre les navires français et la flotte espagnole ;
après quoi, on se mesurerait sur terre avec les troupes débar-
quées.
Ribaut mit à la voile : ses navires, assaillis par un coup de
vent, se brisèrent sur des écueils. Suivi de ses hommes, qui,
comme lui, avaient échappé au naufrage, et cherchant, sous
le coup de dangers et de souffrances de tout genre à rejoindre
le fort Caroline, il fut rencontré par un corps de troupes es-
pagnoles dont le chef lui jura que, s'il mettait bas les armes, il
serait traité avec humanité, ainsi que ses gens, exténués de
faim et de fatigue. Ce chef et sa horde, voyant les Français dé-
sarmés, se ruèrent sur eux et les égorgèrent.
Le fort Caroline, dont Ribaut avait confié la défense à Lau-
donnière, sans lui laisser un nombre de soldats suffisant * ,
fut envahi par des forces espagnoles considérables, qui massa-
crèrent impitoyablement la garnison et jusqu'à des femmes et
des enfants, Laudonnière et deux de ses compagagnons échap-
pèrent à la fureur des bourreaux. Ils purent, à quelque temps
de là, partir pour la France.
Les abominables excès commis dans la Floride soulevèrent
l'indignation générale, en Europe. Dès qu'il les connut le re-
présentant de la France en Espagne, protesta avec énergie et
somma Philippe II d'en désavouer et punir les auteurs. Phi-
lippe II et ses complices se montrèrent, dans leurs réponses et
1 . € Ce qui estoit demeuré au fort estoit composé partie de malades, partie
» aussi d'artisans, de femmes et petits enfans, ie tout montant au nombre de deux
> cent quarante âmes. (Relation de LeChalleux, ap. hist. de la Floride, p. 465).
— 448 —
dans leurs actes, ce qu'ils avaient toujours été et ce qu'ils ne
cessèrent d'être, des hommes de sang, dont la cruauté, l'arro-
gance et la mauvaise foi atteignaient les dernières limites de la
dépravation. D'accusés ils se firent accuiiateurs; ei qualifiant
l'occupation de la Floride d'agression coupable à leur égard,
ils osèrent demander le châtiment de l'amiral de France, qui
seul, prétendaient-ils, l'avait ordonnée.
Quelle fut, dans ces circonstances l'attitude du roi de France,
ou plutôt de sa mère? la correspondance de Forquevaulx,
ambassadeur à Madrid, nous la fera connaître ' .
Le 23 février 1566, Forquevaulx écrit à Catherine de Médi-
cis : (( Le duc d'Albe m'a parlé de la part du roy catholique.....
» Ils veulent s'attaquer contre M. l'admirai pour couvrir et des-
)) guiser le tort qu'ils vous ont faict de tuer vos subjects. »
Le 16 mars, il adresse à Charles IX la communication sui-
vante : (( Leduc d'Albe m'a dic.t que Melendez escript que
» tant ceux du fort, qui estoient 150,que les susdictz nommé-
)) ment Ribaut et Le Coursset ont dict et confessé qu'ils estoient
y> allez à la Floride par commandement de M. l'admirai, et à
y> ces fms ont trouvé ses commissions, lettres et instructions,
y> et pour se devoir impatroniser à la Havanne. A ceste cause,
» le roy (Philippe II) prie et requiert Vostre Majesté luy faire
3) raison et punition dudict amiral, comme perturbateur de la
» paix et cause du désordre advenu Sire,j'ay répondu au duc
» d'Albe que c'est bienloing de vostre intention ce qu'il allègue
)) que Vostre Majesté a désadvouez les subjects qui sont allez ou
» iront audit pais (la Floride), d'antienne conqueste; par quoy
» ce qui a esté exécuté très inhumainement contre vos subjectz
y> par P. Melendez, plus digne bourreau que bon soldat, ne
1 . Les dépêches de Forquevaulx renferment, sur les demandes de réparation
auxquelles donnèrent lieu les massacres de la Floride des détails d'une réelle
importance. Ces dépèches ont été publiées par M. Gaffarel dans la seconde
partie de son intéressantehistoire de laFloride française (Paris 1875,1 vol. in-8").
— 449 —
)> touche M. l'admira), sinon pour le devoir de sa charge, la-
» quelle veut qu'il sache qui va et qui vient par les mers de
» vostre royaume. Mais ledit Melendez et les siens ont bien
y> monstre qu'ils extermineroient volontiers tous les François,
» s'ils en avoient le pouvoir. Que je ne sçay de quelle sorte
)) aura esté prins un si cruel massacre, quand Vostre Majesté
» et messieurs de vostre conseil l'auront entendu. Et au regard
y> de M. l'admirai, qu'il est en vostre court quant et les plus
» grands de vostre royaume, en bonne justification qu'il se jus-
» tifierafort bien de tout ce qu'on luy voudra imputer, toutesfois
» que la nouvelle que l'homme de Melendez a porté le capitaine
)) Jean Ribaut, Le Gourssot et autres dire qu'ils estoient vos
» subjectz et envoyez de vostre part, Sire, ainsi qu'ils feroient
» tousjours foy de vostre adveu. Il me sembloit que cela devoit
» appaiser la fureur des Espaignols ores qu'il n'en fut rien,
» lesquels Espaignols ont monstre leur proësse sur gens désar-
)) mez, morts à demi de faim, rendux et requérants qu'on les
)) print à mercy. Gomme françois et vostre subject, j'avois hor-
» reur quand je pensois à un faict si exécrable, et qu'il me
)) sembloit que Dieu ne le vouldroit laisser impuni, p
Le 17 mars, Catherine tient à Forquevaulx ce langage, qui
prouve qu'une fois au moins elle comprend ses devoirs de mère
d'un roi de France, et de protectrice des sujets qui relèvent à la
fois de lui et d'elle :
« Avant que l'ambassadeur d'Espaigne ait dépesché son
» courrier, est arrivé vostre premier paquet dont vostre autre
» dépesché fait mention, par où j'ay esté bien particulièrement
» advertie comme est passé ce malheureux massacre fait à la
» Floride, et les propos que vous en a tenus le duc d'Albe,
» avecques la response que vous y avez faicte, bonne et perti-
» nente, et telle que requiert un cas si cruel et inhumain, dont
» je n'avois voulu faire aucun bruit,^ ne faire connoistre que
y> j'en sçusse rien jusqu'à hier, que ledict ambassadeur ayant
II. 29
— 450 —
» demandé audience au roy, monsieur mon fils, et à moy, nous
» vint trouver, et après plusieurs autres propos qu'il nous tint,
s> nous dit qu'il avoit charge de son maistre, monsieur mon
)) beau-fils, nous advertir qu'il estoit arrivé en Espaigne un
y> capitaine portant nouvelles que P. Melendez ayant trouvé en
» la terre de Floride quelques français advouez et chargez de
» lettres de M. l'Admirai, qui avoient en leur compagnie quel-
y> ques ministres qui plantaient là la religion nouvelle, il les
» avoit chastiez comme il dit en avoir commandement du roy
y> son maistre. Bien confessoit-il que ce avoit esté un peu plus
y> rudement et cruellement que son dict maistre n'eust désiré,
» mais qu'il n'avoit pas moins faict que de leur courir sus
)) comme à pirates et gens qui estoient là pour entreprendre
» sur ce qui luy appartient; disant néantmoins que le roy soii
» maistre demandoit justice dudict admirai. — Le roy mon
» fils, qui estoit encore dans le lict assez débile pour la maladie
T» qu'il a eue, dont il est, grâces à Dieu, du tout dehors, vou-
» lut que je luy fisse response : qui fut que je l'avois desjà bien
» sçeu par homme qui nous en estoit revenu, et ne pouvois,
» comme mère commune, queje n'eusse une douleur incroyable
» au cœur, d'avoir entendu qu'entre princes, si amis, alliez et
» apparentez que sont ces deux roys, et en si bonne paix lors, et
» au temps que nous observons envers eux tant et de si grands
» offices d'amitié, un carnage si horrible eust esté commis des
» subjectz du roy mondit fils auquel jusqu'alors, à cause de sa
» maladie, je n'en avois pas voulu parler. Que j'estois comme
)) hors de moy quand j'y pensois et ne me pouvois persuader
)) que le roy son maistre ne nous en feit la réparation et justice.
)) Carde couvrir cela sur l'adveu dudict admirai, qu'il n'y a pas
» de quoy, estant bien croyable qu'il n'a pas laissé aller tant de
)) gens hors de ce royaume sans le sçeu du roy mon fils, qui
» estime que le commerce et la navigation est libre partout à
y> ses subjectz. Et que ceste terre où le faict s'est commis n'est
— 454 —
» point à luy mais de si long' temps descouverte de nos subjetz
y> qu'elle en porte encores le nom comme il en a esté, et ses
y> ministres ausvsi, j'à adverti par vous. Et quand bien ils eûs-
» sent esté dans les propres pays du roy son maistre, faisans
)) autrement qu'il n'appartenait entre amis, qu'ils se debvoient
» contenter de les prendre prisonniers et les rendre au roy
» mon fils, pour les faire punir, s'ils avoient failli, sans en user
y> ainsi, dont je ne pouvois croire qu'il ne nous rendit contents*
3> Qu'il sembloit que l'on vouloit brider le roy mon fils, l'en-
» fermer en ce royaume et lui roigner les aisles, chose qu'il ne
» pourroit, et ne seroit aussi conseillé de souffrir, luy appor-
if tant parla un argument d'autrement penser et pourvoir à ses
î affaires, comme il sçaura bien faire, si Dieu plaict, et ne
•0 luy en défaillent les moyens etc. etc. — Ledict ambassa-
3) deur essaioit tousjours de couvrir le faict sur l'admirai, et
D qu'il y avoit des ministres de la religion, qui estoit chose fort
» desplaisante à son maistre. — Mais je luy ay dict que nous
» ne sommes pas enquis quelles gens allèrent audict voyage,
» et que si c' estoit à soûetter, je voudrois que tous les hugue-
j> nots fussent en ce païs-là, où il ne peut justement dire qu'il
» ait intérest, puisque la terre est nostre, comme nous la pré-
)) tendons ; nous faisant bien cognoistre qu'on ne veut guère le
» repos de ce royaume, puisque l'on nous veut ainsi oster le
3> moyen de l'y mettre ; mais quoy que ce soit, ce n'est pas à
y> eux de punir nos subjectz, et ne disputons point s'ils estoient
y> de la religion ou non, ains du meurtre qu'ils en ont fait dont
» il est bien raisonnable que son maistre fasse faire justice que
y> nous luy en demandons. — A quoy il m'a semblé quel'am-
-» bassadeur a esté bien empesché de respondre... Il avait
» amassé un monde de plaintes pour donner couleur à celle de
» la Floride, où il y a aussi peu de fondement ; mais ce qu'il en
» a rapporté, est qu'il a bien connu que nous l'avons trouvé très
» mauvais et ne pense pas que nous l'oublions. Ce que j'ay bien
— 452 —
» voulu vous escripre ainsi au long de la part du roy mon fils;
y> vous priant et ordonnant faire bien entendre au roy catholique,
» en le priant très affectueusement qu'il veuille, pour le devoir
» et la raison, en faire faire la justice et réparation que mérite
» un si énorme outrage. »
Forquevaulx, dans une audience que lui accorde Philippe II,
ne se montre pas moins ferme vis-à-vis de ce monarque, que
vis-à-vis du duc d'Albe :
(( Je luy ay remontré, écrit-il à Catherine, le 9 avril, le dis-
» cours que Mgr le duc d'Albe me feitde son mandement, aus-
» sitost après l'advis venu du succez de la Floride, avec la mort
)) des Français, laquelle il imputoitàM. l'admirai comme occa-
» sion et motif qu'ils y estoient allez, et me requérant vouloir
» escripre à Voz Majestez qu'il feust leur bon plaisir de faire
» justice dudict admirai comme infracteur de la paix... Si
» P. Melendez et ses gens, continue Forquevaulx, fussent sol-
y> datz, ils se dévoient contenter de la victoire que la mer leur
» avoit donnée et n'eussent voulu pour aucun commandement
y> exécuter tel carnage sur hommes presque morts de faim et de
» naufrage, requérans estre traictez en subjectz du roy et bons
» amis des Espaignols avec lesquels ils n'avoient guerre ni
y> différend... Les François avoient esté agressez sans les som-
)) mer de vuider la terre, et n'avoient donné loisir à ceux du fort
» derespondre,ainsles avoient assaiUis, combien qu'ils feussent
» en la terre de l'antienne conquête de France... » A cela Phi-
lippe répond : » qu'ayant sçeu l'allée d'une bonne force de
» Luthériens tant François que autres, et leur descente enl'en-
» droict le plus important à sa navigation (La Floride) , il n'a-
)) voit peu ni deu moins faire que d'envoyer gens par de là pour
» les en desloger ; qu'à pirates comme ils estoient, ne falloit user
» de grâce ni bon traictement à telles gens, ne aussi peu
» observer envers eux les cérémonies accoustumées entre gens
)) de guerre. — J'ay répliqué, ajoute Forquevaulx, que vos sub-
— 453 —
» jectz, madame, ne pouvoient estre estimés pirates, puisqu'ils
y> offraient monstrer patente du roy, ou pour le moins en mons-
y> troient-ils de M. l'admirai, ^ lequel, au faict de la marine,
» représente la personne de Sa Majesté, et n'eûst permis sortir
» tel nombre de François et de navires armés, hors des havres
y> de France, sans le sçeu et adveu du roy mon maistre. Mais
y> que Melendez et les siens s'estoient voulu signaler par le
» trophée des ossements des françois, vos soldats et subjectz ;
0 lequel faict Dieu ne permettroit demeurer impuni, et que Sa
» Majesté ne le devoit permettre, ains apprendre à Melendez et
» autres ministres d'user d'une victoire moins insolentement,
i) si victoire méritoit estre appellée unedéfaicte advenue mieulx
y> à son advantage qu'il n'eûs.t sçeu soûeter, et quelque rigueur
» qu'il eûst chargé d'user aux François en venant au-dessus,
» cela s'entendoit s'ils fesoientrésistence,' et durant l'ardeur du
)) combat, et non à froid sang ; lequel acte si cruel requeroit
)> pour la réputation de Sa Majesté catholique et pour satisfaire
» à la réparation que vos majestez en demandent et appaiser
» tout au royaume de France, qui ne parle aujourd'hui d'autre
» chose, que Melendez et ses gens, qui ont commis le crime,
y> en souffrenc condigne punition. — Ledict sieur roy m'a
y> respondu qu'il communiqueroit là-dessus avec le duc d'Albe,
» pour adviser ce qui se debvrait faire ; mais je m'assure que
» c'estoit pour se défaire de moy, car ledict duc ne contredira
y> jamais à soi-mesme, estant la commune opinion de tous que
)) c'est luy qui conseilla ce massacre. i>
Les prévisions de Forquevaulx n'étaient que trop fondées.
Tandis que Philippe II temporisait, que faisait Coligny? Dès
que les massacres de la Floride avaient été connus en France,
il s'était empressé d'appuyer, auprès du roi et de la reine mère
1. Au moment où Forquevaulx parlait ainsi de l'amiral, celui-ci dressait un •
rôle des vice-amiraux, capitaines de vaisseaux et marins français, sur lequel
figurait encore le nom de Ribaut. (Voir à Vappendice le n° 30.)
— 454 —
les plaintes des familles d'une foule de victimes immolées sur
le sol de la Floride, et d'insister pour que l'Espagne fût con-
trainte à une réparation. Maintenant il s'occupait de rendre à
la liberté ceux des rares compagnons de Laudonnière et de
Ribaut qui n'avaient échappé à la mort que pour languir en
captivité, sous la main brutale des Espagnols.
Le 18 août, il adressa à Charles IX, en faveur de l'un des
infortunés captifs la lettre que voici ^ :
ce Sire, le sieur d'Huilly, fdz de feu M. Allegrct, lequel fut
y> advocat du roy en ce parlement (de Paris), du règne du roy
y> François, vostre ayeul, ayant pour vostre service entreprins le
y> voiage de la Floride dernièrement faict sous la conduite du
)) capp" Jehan Ribault, et prins la charge des vivres, de la jus-
» tice et des monstres des compaignyes et forces que conduisait
3) ledict Jehan Ribault, laquelle charge je luy avois donnée,
» pour ce qu'il estoit de bon lieu, bien capable et idoine de faire
» service a Vostre Majesté, a esté jusques icy tenu pour perdu
i> et mort en la desfaicte exécutée contre vos subjectz arrivez
)) audict pays par les Espagnolz ; mais depuis quelques jours
)) s'est entendu qu'il est encores vivant, prisonnier et captif en
)) la puissance d'ung desdicts Espaignolz ; et par ce, sire, que
y> ce seroit grand dommaige de perdre ce perso nnaige qui est
)) de service, appartenant à beaucoup de gens de bien et d'hon-
» neur qui sont la plus part officiers de ceste couronne, et que
)) contre tout droit et raison il est debtenu prisonnier et mal-
)) traicté, il m'a semblé ne pouvoir faire de moings, à la prière
)) de tant de gens de bien auxquelz il appartient que de certifier
» à Vostre Majesté de sa qualité et suffisance, en vous suppliant
)) très humblement qu'il vous plaise escripre à l'ambassadeur
D de Vostre Majesté en Espagne qu'il fasse mettre ledict Huilly
)) en liberté, attendu qu'il n'y a aucune raison de le détenir pri-
y> sonnier, et user envers luy le droict de la guerre. y>
1. Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 15 882, f» iU.
I
— 455 —
A une date très rapprochée de celle de cette lettre, Pierre
Bertrand de Monluc, partait de Bordeaux comme chef d'une
expédition maritime, patronée par Goligny et autorisée par le
roi de France.
« On sçait bien, dit Biaise de Monluc, dans ses commen-
y> taires * , et la royne mieulx que tout autre, que je ne feuz
» jamais l'auteur de ceste infortunée entreprinse : monsieur l'ad-
)) mirai sçait bien combien je taschay à la rompre, non pas pour
)) vouloir retenir mon fds sur les cendres, mais pour la crainte
y> que j'avois qu'il ne feust cause d'ouvrir la guerre entre la
» France et l'Espaigne. Et encor que je l'eusse désiré, si
y> eussé-je voulu que quelque autre eûst faict l'ouverture pour
ï> la tirer de noz maisons. Le dessein de mon filz n'estoit pas
» de rompre rien avec l'Espaignol, mais je voyois bien qu'il
» estoit impossible qu'il ne donnâst là ou au roy de Portugal ;
y> car, à veoir et ouyr ces gens, on diroit que la mer est à eulx.
» Monsieur l'Admirai n'aymoit et estimoit que trop mon filz,
» ayant tesmoigné au roy qu'il n'y avoit prince ny seigneur en
» France qui eust peu, de ses seuls moyens et sans bienfaict du
y> roy, dresser en si peu de temps un tel équipaige. Il disoit
y> vray, car il avoit gagné le cœur de tous ceux qui le congnois-
y> soient et qui vouloient suivre les armes ; et moy j'estois si
» mal advisé, qu'il me sembloit que la fortune luy devoit estre
y> aussy favorable qu'à moy. »
On lit dans un mémoire à la reine, rédigé par Biaise de Monluc,
le 8 juillet 1566^ : « Le capitaine Monluc a délibéré aller
)) descouvrir qnelques isles que certains Portugais expérimentés,
3) qui sont avec luy, luy ont déclaré estre inhabitées et incon-
i> gneues. Et y estant, son intention est d'y planter des bornes,
» et par ceste introduction rendre cest endroict-là utile au
1. Éd. dcRuble, t. III, p. 75.
2. Monluc. éd. de Ruble, t. V, p. 61 et suiv.
— 456 —
)) service du roy, commode et favorable à tous les subjets de
» sa majesté qui ont à voiager en cest endroict. Ce qu'il a, dès le
y> commencement, faict entendre au roy et à la royne, qui ne
» le trouvèrent mauvais. Parquoy il a faict toutes diligences
» pour se rendre prest à partir en cest équippaige : pour y par-
» venir, a obligé et hypothéqué à plusieurs sa personne et
)) tous ses biens. »
Dans une lettre au roi, du 23 août. Biaise de Monluc ajoutait* :
(( Je m'en suis venu en ceste ville (Bordeaux) pour voirl'embar-
)) quement du capitaine Monluc, mon fds, lequel il faict au-
» jourd'huy avec quatre roberges et une patache, qui vont à la
)) rame et à la voille et deux beaux navires, dans lesquelz il y a
» sept ou huit cents hommes de guerre, sans les mariniers,
» qu'il faict beau voir; car, sire, il y a bien trois cens gen-
D tilshommes, dont y en a une demye-douzaine qui sont de
)) meilleure maison que luy ne moy, qui luy font cest honneur
» d'aller soubz luy à ce voiage. Je ne vous sçaurais, sire, assez
» remercier du congé qu'il vous a pieu luy octroyer. »
Pierre-Bertrand de Monluc appareilla, et, après avoir essuyé
en route une forte tempête, 11 s'approcha de Madère. Quelques-
uns de ses gens, envoyés à terre pour y faire certains approvi-
sionnements, furent attaqués et poursuivis par les insulaires.
Outré de cet acte d'hostilité, commis en pleine paix, Monluc, à
la tête de ses troupes, refoula vivement les agresseurs, et emporta
d'assaut la ville; mais mortellement blessé, dans la dernière
phase de l'action, il succomba au bout de peu de jours.
« Sa mort, dit de Thou ^, rendit inutile son entreprise, dont
3) il y avoit lieu d'espérer un grand succès ". Le roi de Portugal
1. Monluc, éd. de Ruble, t. V, p. 69.
2. Hist. Univ., t. IV, p. 122.
3. Brantôme (éd. L. Lai. t. IV, p. U) dit, en parlant du fds de Monluc : « Si
» ce capitaine eust vescu, il eust faict de grandes entreprises sur l'Espagnol et
» Portugais, car il y avoit de grandz desseins. Il m'en conta aucuns... Ce fut
— 457 —
» ayant fait faire des plaintes, à ce sujet, par les représentans
» qu'il avoit à la cour de France, l'affaire fut agitée dans le con-
» seil. L'amiral entreprit de justifier cette expédition ; il montra
» clairement que nos gens ne pouvaient être blâmés d'avoir
» vengé avec tant de courage les injures reçues autrefois des
» Portugais (au Brésil), dans une expédition dont il s'étoit
)) chargé ; en un mot, il plaida avec tant de force la cause des
» compagnons de Monluc, que la crainte avait obligés de se
)) disperser et de se cacher, qu'ils furent tous absous des accu-
» sations que l'on avait intentées contre eux. »
En même temps qu'il faisait rendre justice à ces vaillants
Français, Coligny, dont la vigilance était incessante, protégeait
les marins Normands contre le retour de violences et de spo-
liations dont ils avaient été victimes, en Afrique, de la part
des Portugais, dans des parages totalement indépendants de
la domination de ceux-ci.
De là cette dépêche qu'il adressa de Ghâtillon, le 16 octo-
bre 1566, à Catherine ^ :
« Madame, estant dernièrement à la court, je vous feys en-
)) tendre comme ung nommé le capitaine Bontemps et aulcuns
)) bourgeois et marchands de Bouen, auroient équippé ung
» grand navyre et deux autres moyens, et dedans iceulx faict
» charger grand nombre de marchandises non prohibées ni
D deffendues, ainsy qu'il est accoustumé pour aller faire le
y> voïage du Gap de Vert, Guinée et rivière de Sarlyonne. Or,
» estant arrivez lesdicts troys navires, les cappitaineset maistres
y> d'iceulx délibérèrent d'envoyerdedansladite rivière lesditsdeux
» moyens avec quatre vingts hommes et bonne quantité de vic-
y> tuailles et marchandises, comme toiles blanches et toutes
» un très grand dommage de cet homme-là, car, quoy qu'il en fust, son brave
» courage le poussoit à attenter beaucoup. »
1. Bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg. — Public, de la soc. des
arch., hist. de la Saintonge et de l'Aunis.
— 458 —
» sortes de merceryes , en intention d'y pouvoir trafiquer
» amyablement et de gré à gré, en demandant marchandise à
» ceulx de la terre, ainsi que ledict Bontemps avoit aultrefoys
y> faict; ce qu'ils exécutèrent. Mais, tout aussy tost qu'ils
)) avoient commencé de tenter l'ouverture de ceste traicte, ils
» furent surpris de sept navyres portugais équippés en guerre
» et marchandise, lesquels les chargèrent et entourèrent avec
» telle furye d'artillerye et d'hommes armés, qu'ils firent couler
y> à fond les deux navires françois, ensemble leurs dictes mar-
)) chandises, artillerye, et tout ce qui estoit dedans, tuèrent
» quatorze hommes et en blessèrent environ soixante, la plus
» grande partie desquels sont tous demeurés impotens de
)) leurs membres, chose qui est merveilleusement pitoyable,
y> attendu mesmement que les endroits où ledict Bontemps et
y> ceulx de sa compagnie voulaient paisiblement trafiquer n'es-
» toient de l'obéissance du roy de Portugal ; et davantage le
j^ reste de leur équipaige furent contraincts d'eulx sauver, ainsi
» blessés, des mains desdicts Portugais, avec les bateaux du
» navyre qui leur resta. Ce que Vostre Majesté trouva fort
)) maulvais. Et pour ce, Madame, que ledict Bontemps et
» bourgeois d'iceulx navyres se délibérèrent de faire derechef
» cemesme voyageavec deux navyres seuUement, pour tousjours
» descouvrir et faire chose qui tourne au profit des subjects du
)) roy et utilité de ce royaulme, et aussy pour essayer d'eulx
» rescompenser de la grande perte qu'ilz ont faicte, comme
» plus amplement Vostre Majesté sera, s'il luy plaist, informée
y> par les informations qui en ont esté faictes par les officiers de
» l'amyrauté au Havre de Grâce, que je luy envoyé exprès par
y> ce présent porteur qui est à moy, ils craignent que, faisant
)) ce dict voyage, ils soient encore empeschez et molestez par
» lesdits portugais ; ils supplient très-humblementVostre Majesté,
y> et moy aussy, qu'ayant égard tant à la perte desdicts hommes,
)) navyres et marchandises, qu'il luy plaise de leur vouloir
— 459 —
y> promettre que, faisant doulcement leur dict commerce et
» trafficq avec les habitans de ladicte rivière de Sarlyonne et
y> aultres lieux de ceste coste-là, sy d'adventure ils y trouvoient
y> ou rencontroient des Portugais faisant traiCte aux lieux et
)) endroicts où ils ont faict le dommaige et cruaulté au dict
)) Bontemps, et que leur fûst donné par lesdicts Portugais em-
» peschement de faire et contynuerleur dict trafficq, qu'en se
)) défendant la victoire demeuroit audict Bontemps, il ne luy
» en soit ny auxdicts bourgeois et marchands, pour raison de ce
» que dessus, imputé ne mys en avant aulcune repréhension,
D ne donné, à leur retour aucun (tourment). Et d'aultant qu'il
» me semble. Madame, que c'est chose raisonnable, ils sup-
y> pUent très-humblement Vostre Majesté , et moy aussy, de
•» leur accorder ceste requeste, et me faire entendre sur cest
» effect son intention, pour les leur faire ensuyvre, parce qu'ils
» n'attendent plus aultre chose que cela pour sortir en mer, et
y> que le temps et la saison les pressent de partir. Au demeu-
y> rant. Madame, je ne veulx faillir de vous dire comme, ung
i> peu avant que ledict Bontemps partist pour aller faire son
y> dernier voyage, il me feist requeste de le faire assister, par le
» garde de la marine, de deux pièces d'artilleryede bronze, por-
y> tant calibre de moyenne, du nombre de celles qui appartien-
y> nent au roy et qui estoient lors dedans la grange de ladicte
» marine, audict Havre de Grâce, pour servir à latuition et def-
» fence de ses dicts navyres, à rencontre des pirates et escu-
» meurs de mer qui sont ordinairement en grand nombre, ce
» que je luy accorday et ordonnay audict garde de luy délivrer
y> les deux pièces d'artillerye, et le faisant obliger de les rendre
y> et remettre dedans ladicte grange, à son retour, ou bien d'en
» paier la valleur au roy, au cas qu'il en advînt perte durant son
y> dict voyage; à quoy ledict Bontemps s'est engagé. Et par ce,
» Madame, qu'il est maintenant poursuivi par ledit garde de
» rendre lesdites pièces, suivant mon ordonnance, ledict Bon-
— 460 -
» temps et lesdicts bourgeois et marchands supplient très-
» humblement Vostre Majesté, attendu qu'ils ont esté perdus
» dedans lesdicts deux navyres mis à fond par lesdicts Portugais,
y> avec beaucoup d'aultre artillerye qui estoient à eulx, il lui
y> plaise de faire don audict Bontemps des dictes deux moyennes
» de bronze, et commander qu'il en soit ïaict une ordonnance
» audict garde. »
Froissé de la conquête de Madère, Philippe II refusa désor-
mais toute réparation, à raison des massacres de la Floride.
Coligny eut alors la douleur de voir le gouvernement français
s'arrêter dans ses réclamations, et, plutôt que de recourir aux
armes contre l'Espagne pour lui infliger un châtiment mérité,
plier sous le coup d'un humiliant affront.
Il était réservé à un simple gentilhomme, à de Gourgues, que
son ardent patriotisme transforma en héros, de relever, plus
tard, dans la Floride, le drapeau de la France, et d'y venger
ses compatriotes, en faisant expier aux Espagnols leurs exécra-
bles forfaits ^ Mais ne recevant aucun appui de la métropole,
deGourgues, abandonné à ses seules forces, ne pouvait, tout gé-
néreux et vaillant qu'il était, fonder un établissement qui assurât
à la France la possession de la Floride. Cette vaste et belle
contrée fut donc perdue pour la patrie des Goligny, des Ri-
baut, des Laudonnière et de leur intrépide émule.
Les annales de l'histoire entretiennent le culte des nobles
souvenirs. Aussi pouvons-nous, grâces à elles, nous convaincre
que, quel qu'ait été l'insuccès des tentatives de colonisation de
1555, de 1562, del564et de 1565, ces tentatives honoreront
à jamais le patriotisme et les vues généreuses du grand
homme qui les conçut et les exécuta. '
1 . Voir, à la suite de l'histoire notable de la Floride par Laudonnière (Paris,
1853, 1 vol. in-i2, p. 207 à 223) le récit intitulé : « Quatriesme voyage des
» françois en la Floride, sans le capitaine Gourgues, en l'an 1567.
— 461 —
L'Espagne, après uvoir soutenu la lutte contre les efforts
de l'amiral de France, au delà des mers, allait la continuer
en Europe. Elle voyait, ajuste titre, en lui le plus redoutable
de ses adversaires ; car il n'est pas, pour un ennemi pervers et
intolérant, d'antagonisme plus grave à affronter, dans le do-
maine politique et religieux, que celui de la droiture et de la
fermeté d'une conscience chrétienne.
CHAPITRE VII
Mouvements dans les Pays-Bas. — Catherine redoute une alliance entre les réformés
français et ceux des Pays-Bas. — La duchesse de Ferrare_ et Pierins. Mort de celui-
ci. — Coligny est consulté par Jeanne d'Albret sur le renvoi de Morely, précepteur
du prince de Béarn. — Mort de la comtesse de Roye. — Mort du prince de Portien.
— Arrivée du duc d'Albe dans les Pays-Bas. — Coligny représente le roi, au baptême
d'un enfant du prince de Condé. — Demande de renvoi des Suisses. — Entrevue de
Thoré, fils du connétable avec Coligny. — Assemblées des chefs réformés, à Valéry
et à Châtillon. Conseils de modération et de patience, donnés par Coligny. — Der-
nière assemblée Opinions diverses. On se décide à une prise d'armes.
Coligny, depuis le refus fait par l'Espagne d'accorder une
réparation quelconque, à raison des massacres commis dans la
Floride, se tenait plus que jamais en éveil sur les obsessions
diplomatiques et sur les menées occultes des agents de Phi-
lippe II. Il voyait ce monarque s'immiscer, chaque jour,
davantage dans les affaires de la France, et pousser d'autant
plus la reine mère et son fils à la persécution de leurs sujets
réformés, qu'il redoutait la conclusion d'une alliance entre
ceux-ci et leurs coreligionnaires des Pays-Bas ; alliance qui
était également un objet d'appréhension pour Catherine et
Charles IX. L'amiral, tenu par ses relations personnelles au
courant de ce qui se passait au-delà comme en deçà de la
frontière septentrionale de sa patrie, applaudissait à la lutte
récemment engagée en Brabant, en Flandre et en d'autres
provinces encore, contre un gouvernement hostile au maintien
de libertés publiques légitimement conquises, et fauteur des
horribles excès de l'inquisition. Il s'affligeait, en même temps,
des funestes tendances du gouvernement français qui, servile-
— 463 —
ment associé aux vues de Philippe II, formait des vœux pour
le triomphe de celui-ci dans les Pays-Bas, et espérait en tirer un
surcroît de force pour arriver à l'anéantissement final de la
réforme dans le royaume.
La correspondance de la reine mère et du roi témoignait de
leur défiance à l'égard des moindres communications qui pou-
vaient s'établir, à la frontière, entre les réformés des deux
Etats, et du désir de voir Philippe II réussir dans ses projets
de compression des populations Brabançonnes, flamandes et
autres.
C'est ainsi que Charles IX écrivait, le 1" mars 1567 à de
Humières, gouverneur de Péronne* : « Les advis divers que
y> nous avons des remuemens qui se préparent en plusieurs
» lieux de la chrestienté, mesmes chez nos voisins, nous meu-
y> vent à vous faire ceste recharge de chose dont j'ay assez esté
» par vous adverty, vous mandant, à ceste cause, que vous
3) ayez l'œil plus ouvert que jamais, et prenez garde que en
y> vostre ressort, il ne se face aucun amas ne assemblée en
» armes, ne entreprinses quelconques qui soient pour troubler
D le repos, et sitôt que vous en entendrez quelque chose et
j> qu'il y aura voire jusques à troys hommes ensemble pour y
» donner commencement, soubz quelque prétexte que ce soit, y
» aller ou envoyer incontinent pour y pourveoir et mettre le pied
» sur ce qui commenceroit à s'allumer, et faire si bien chastier
» ceulx qui ne seroient de la partie, que les autres y preignent
» exemple vous aurez aussy le soing de vous enquérir si
3) aucuns de mes subjects se desbauchent pour sortir hors
» nostre royaume et aller ayder à ceulx qui remuent mesnage
y> ailleurs, pour les faire arrester et chastier comme infrac-
» teurs de nos commandemens et deflences. y>
C'est ainsi encore que Catherine, mandait à de Humières^ :
i. Bibl. nat. mss. f. fr. vol, 3178, f«49.
2. Lettre du 29 mars 1567. Bibl. nat, mss, f. fr. vol. 3178, fo 53.
— 464 —
« J'ay entendu toutes les nouvelles que m'avez faict sçavoir de
» Testât des choses de voz voisins, qui m'ont esté confirmées
» de tant d'endroiclz que je les tiens pour bien véritables, et
y> toutes choses en si bon train pour le service du roy calholi-
ï> que, mon beau-fils, que j'espère qu'il n'aura besoing d'en-
» voyer de grandes forces en ses Pays-Bas pour y restablir son
)) obéissance toute telle qu'il l'a voudra avoir de ses subjectz. »
A cette époque, venait de se terminer, en France, la carrière
terrestre d'un « bon personnage, » fort connu de l'amiral, qui,
sous le patronage direct de «la duchesse de Ferrare, s'était
assigné la pieuse ^tâche de traduire en langue espagnole le
texte du Nouveau-Testament et d'en préparer la dissémination
au sein des populations asservies par le roi cathoHque au joug
du despotisme et de l'inquisition. Ce bon personnage, Espagnol
lui-même, s'était ému, en chrétien, des souffrances imposées
à ses compatriotes, de la misère morale, inséparable des
ténèbres dans lesquelles ils demeuraient plongés ; et il avait
travaillé à leur affranchissement spirituel, en les conviant à
accueillir les enseignements et les consolations de l'Évangile.
Il avait tenté d'édifier, là où le fanatisme de Philippe II n'a-
vait amoncelé que des ruines.
Un ami se rendit auprès de Renée l'interprète des dernières
pensées de l'humble chrétien, dans ces lignes touchantes * :
(( Madame de Ferrare. — Grâce et paix par Jésus-Christ!!
» — Madame, suivant le commandement que Vostre Excel-
)) lence m'avait fait tout incontinent que j'arrivay en ceste ville
» de Paris, j'allai au logis de monsieur Pierins ^ , lequel je
» trouvai si extrêmement malade, que, à une heure après minuit,
i. LeUre de Bellerive, du 20 octobre i566, datée de Paris. (Bibl. nat. mss
f. fr. vol. 3 230, f" 125).
2. Une lettre adressée le 28 mai 1566, par les ministres de l'église d'Anvers
à Renée de France, prouve l'estime que s'était conciliée Pierins, par sa piété,
l'étendue de son savoir, et la noblesse de son caractère. (Bibl. nat. mss. f. fr.
vol. 3 211, f« 80).
— 465 —
» il rendist son esprit entre les mains du Seigneur avec telle
» assurance de son salut que tous les assistans avons occasion
y> de glorifier le Seigneur et en édifier nostre foy, d'autant qu'en
)) sa mort nous avons vu une certaine vérification de la victoire
y> que nostre rédempteur Jésus gaigna contre la mort. Au reste,
y> madame, tout ainsi que ce bon personnage vous a esté fidèle
» serviteur, en sa vie, il ne s'est pas oublié de faire son debvoir
3) mesmes à l'heure de la mort, lequel me dist ces dernières
» paroles : qu'il vous supplioit très humblement que ce fùst
» vostre bon plaisir d'estre son héritière et testamentaire, afin
» que par vostre commandement son entreprinse tant souhai-
» tée, en son vivant, fnst accomplie après sa mort, à sçavoir
)) l'impression du Nouveau-Testament en Espaignol, et quelques
j) autres petits traittés. A quoy faire, il souhaiteroit que ses
)) livres, meubles, et l'argent qui par la libéralité de vostre
)) Excellence luy estoit desjà assigné pour la fin de ceste année
y> fûst employé en ladite impression ; lequel argent, nonobstant
» le commandement de vostre lettre il n'estoit pas encore
j) emprunté, d'autant qu'il l'avoit dédié pour payer les chi-
» rurgiens. Il avoit baillé charge de faire quelque petite provi-
» sion de bled et de vin pour son retour; il souhaitoit que ce
)) fût le bon plaisir de vostre Excellence qne cela s'employast
)) pour la nourriture de ces deux personnes espaignols qu'il
3> tenoit en sa compaignie, vous suppliant très humblement
» n'avoir point esgard au peu de moyens qu'ils ont pour vous
« faire service, mais que vostre Excellence considère qu'ils sont
y> estrangers, destitués de tout moyen et faveur de ce royaume,
» et que leur pérégrination est pour une si bonne et juste
» cause, à sçavoir pour suivre le pur et vray service de Dieu.
j) D'advantaige, madame, vous les obligerez à vous faire très
y> humble service. »
Peu après l'arrivée de cette lettre au château de Montargis»
Renée reçut un billet de l'amiral. Dans un langage aussi simple
II. 30
__ 466 —
que celui qu'avait tenu l'ami de Pierins, il recourait, en
faveur d'un protégé, à l'inépuisable bonté de la duchesse. « Ma-
» dame, lui disait-il \ ce porteur s'en va maintenant pardevers
y> vous pour vous supplier qu'il vous plaise, continuant envers
» luy vostre faveur, recommander tellement son affaire, qu'il
» ne ressente plus les empêchemens qui luy ont esté donnez à
y> la jouissance de son estât; et pour ce, madame, qu'il vous
» sçaura réciter son faict, je ne vous feray davantage d'ennuy
y> pour en faire le compte, sinon pour vous supplier très
)) humblement qu'il vous plaise avoir pitié de ce pauvre homme
)) et luy aider de vostre bon moïen; et, oultre que particulière-
)) ment il vous en demeurera tant redevable, semblablement
» sa femme et ses petits enfans en demeureront aussi en per-
» pétuelle obligation, et à prier Dieu de vous conserver lon-
» guement en bonne santé; et, de ma part, madame, je supplie
» le Créateur vous donner, en toute perfection de santé, très
» heureuse et très longue vye. »
A quelque temps de là, Jeanne d'Albret, tout en invoquant,
comme reine, pour le maintien de ses droits, le concours de
Goligny ^, crût devoir, comme mère, le consulter sur un grave
parti à prendre, en ce qui concernait l'éducation du jeune
prince de Béarn, ayant alors pour précepteur Morély. Il s'agis-
sait de savoir s'il n'y avait pas lieu de congédier Morély, à rai-
son des critiques qu'avait attirées sur lui la publication d'un écrit
dans lequel il alléguait la nécessité de substituer aux consis-
toires, des assemblées de fidèles réglant souverainement les
questions de dogme et de discipline. Jeanne désirait être éclai-
rée sur ce point par l'amiral. « Quand je prins Morelly, disait-
» elle ^, ce fut sans le cognoistre, et par l'avis de ceulx qui ont
y> esté trompés comme moy. Une sayne afection de l'avense-
i. Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 3 133, fo 56. i8 novembre 1566.
2. Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 3 259, fo 6.
3. Bull, de la soc. d'hist. du prot. fr. t. XVI, p. 65.
— 467 —
y> ment de mon filz en la crainte de Dieu a mené el eus et moy,
» eus à me l'enseigner, et moy à le prendre, et mesme désir et
y> voulonté à m'en défaire. » Coligny répondit à l'appel qui lui
était adressé. Sur l'avis qu'il émit et que partagea une réunion
de graves personnages, convoqués par la reine pour entendre
Morély, le renvoi de ce dernier fût décidé. Jeanne en informa,
le 6 décembre 1566, Th. de Bèze, en ces termes * : « J'ay prins
» la résolution d'oster Morelly de près de mon filz, atendant
)) que Dieu luy ait faict grasse de se recognoistre. Et d'aultant
y> que la charité veut toujours et désire plus tôt la miséricorde de
y> Dieu que sa terrible justice, il a semblé à toute la compagnie
» que, sans adousir la playe de la conscience dudit Morelly par
» connivense, il a esté bon aussy de n'user de telle véhémense
» qu'elle le peust accabler, l'admonestant toujours de re-
» cognoistre sa faulte tant lourde qu'il fault que le temps et
» l'expérience esclaircissent son esprit. »
L'amiral de son côté, écrivit à Th. de Bèze, le 29 janvier 1567^ :
» Quant à Morelly, je confesse certainement que j'ay esté
)) déçeu, ayant maintenant fort bonne cognoissance de son
» humeur et complexion, et estant bien au demeurant de
» cest advis qu'on doibt, à l'endroict de ceulx qui se res-
)) semblent et qui sont touchés de mesme maladie, user de
y> médicamens des plus forts et réprimandes rigoureuses, et
» que la douceur, comme vous m'escripvez, ne fait qu'empirer
» le mal. »
A ces réflexions l'amiral ajoutait l'expression de sa haute
estime pour Th. de Bèze, en lui disant : « Vous pouvez bien
» croire que, pour la bonne cognoissance que j'ay, de si long-
-» temps, de vos comportemens, je ne vous auray jamais en
y> autre réputation que celle que vous sçavez fort bien que
4. Ibid.
2. Biblioth. de Genève. Mémoires sur les églises de France. Vol. 197.
» j'ay tousjours eue Monsieur de Besze, je vous puys
» dire en vérité et devant Dieu que, depuys le temps que je
y> vous ay pratiqué et congneu, je n'ay jamais eu aultre opi-
» nion de vous sinon celle que l'on peult avoir d'un homme
y> qui chemine nettement en sa charge et vocation. Et encores
)) que les hommes les plus parfaits ne sont pas exempts de
y> quelques passions et affections de la chair, si est-ce que
» jusques icy je n'en ay pas aperçu en vous desquelles je vous
» vous voulusse taxer. Et quant il seroit aultrement, je vous
)) dirois et manderois privemenl-, vous priant de prendre tous-
)) jours d'aussy bonne part ce que je vous manderé, comme
» je vous pry de faire le mesme en mon endroict, car Dieu ju-
» géra de quel zèle et esprit nous sommes poulcés. — Vostre
» bien bon amy, Chastillon. y>
La cause de la réforme, en France, perdit, dans le cours de
l'année d567, deux de ses principaux appuis, la comtesse de
Roye et le prince de Portien. Leur mort plongea Coligny dans
une profonde affliction.
Il avait été constamment pour sa sœur un ami dévoué ; de-
puis trois ans, il avait redoublé de tendresse et de sollicitude à
son égard, alors qu'il était témoin des souffrances imposées
à son cœur par la fin prématurée d'Eléonore, princesse de
Gondé; souffrances sous le poids desquelles se déclara une
grave maladie. La comtesse de Roye, que soutinrent, jusqu'à
l'heure suprême, les pieuses consolations de sa famille, termina
en chrétienne résignée et confiante, une existence noblement
remplie. Au deuil de ceux qui la pleuraient purent, de nouveau,
s'appliquer ces paroles prononcées, à l'occasion d'un deuil pré-
cédent, par sa fille, la comtesse de Larochefoucault ^ : « De fait,
» ce n'est pas sans cause que Dieu prépare peu à peu les siens
» à beaucoup de misères et calamitez : car par ce moyen [il leur
1. Bull, de la soc. d'iiist. du protest. fr. t. II, p. 552,
— 469 — .
» apprend de bonne heure à haïr ce monde, pour chercher leur
)) repos et félicité au ciel; et puis estant endurcis au mal, ils
» portent bien plus patiemment tout ce qu'il plàist à Dieu leur
» envoyer, et surtout quand il frappe rudemement sur eux,
» ou par perte de biens ou de leurs plus chers parens et
» amis : c'est alors que comme gens aguerris, ils soutiennent
)) vaillamment les coups, sçachant bien que celuy qui les a
» destinez à cela les fournira de force et de vertu pour résister
» jusques au bout Ayons nostre cœur fiché en l'espérance
)) de la résurrection bienheureuse. Et combien que l'absence
» d'une telle personne soit tant dommageable pour nous qui
» avions bien besoin d'une si bonne et parfaite amie, toutesfois
» c'est bien raison que nous nous submections tous paisible-
» blement à la bonne volonté de nostre Dieu, qui a voulu faire
yy participante de sa gloire son esleue, au temps qu'il a cogneu
» estre expédient. »
Le princede PorLien fut, tout jeune encore, enlevé à l'affec-
tion de Goligny. Il avait, dans sa courte carrière, montré une
élévation morale, une piété et un dévouement que l'amiral mieux
que tout autre avait pu apprécier. Les phases les plus saillantes
de cette carrière, sitôt brisée, se résument dans les faits sui-
vants :
Issu, en 1541, du mariage de Charles de Croy, comte de Se-
ninghen et de Porcien, baron de Renel, et de Françoise d'Am-
boise, iVntoine de Croy était en bas âge lorsqu'il perdit son père.
Il hérita du double titre de comte et de baron, qu'il devait
échanger ultérieurement contre celui de prince. — Elevé par
la comtesse de Seninghen, il puisa, dans une éducation dirigée
avec autant de fermeté que de tendresse, des enseignements et
des inspirations qui le préparèrent à une carrière sérieuse.
Alliant les dons du cœur à ceux de l'intelligence, le fils était
digne de sa mère. En 1559, il adhéra aux doctrines de la ré-
forme, qu'elle avait, pour sa part, adoptées, au début de 1558.
— 470 —
Il se concilia la bienveillance de Goligny ; salutaire patronage
sous lequel s'abrita sa jeunesse.
L'amiral, qui avait reconnu chez le fils de Françoise d'Amboise
une justesse de vues, une fermeté de caractère, et, dans l'action,
des aptitudes que son extrême jeunesse rendait d'autant plus
remarquables, lui ouvrit l'accès des assemblées de Vendôme,
de La Ferté-sous-Jouarre et de Fontainebleau. — Antoine de
Croy épousa, en octobre 1 560, Catherine de Clèves, fille du
.duc de Neverset de Marguerite de Bourbon, et devint ainsi neveu
par alliance du prince de Gondé. A l'occasion de son mariage,
des lettres-patentes firent de la terre de Portien un marquisat
qui, le 4 juin 1561, fut érigé en principauté. Durant son séjour
à St-Germain, lors du colloque de Poissy, le prince de Portien
s'occupa beaucoup plus des intérêts spirituels de ses coreli-
gionnaires, que des démarches accomplies en sa faveur pour lui
faire obtenir le commandement de cinquante hommes d'armes
et le collier de l'ordre du roi. Porté d'ailleurs par un récent état
de souffrance à de graves réflexions, il avait puisé un redouble-
ment de zèle pour les choses religieuses, tant dans l'étude des
événements dont la cour était alors le théâtre, que dans d'in-
times entretiens avec sa mère, ses tantes, Eléonore de Roye et
Jeanne d'Albret, Gondé, Goligny et Charlotte de Laval. — In-
digné du massacre de Vassy,il s'empressa, après avoir vainement
cherché à pénétrer dans Provins par surprise, de se joindre à
Louis de Bourbon et à Goligny, pour prendre en main, à leur
exemple, la cause des opprimés. Envoyé d'Orléans en Cham-
pagne, il assura d'abord le passage de d'Andelot à travers cette
province, réunit ce qu'il put de troupes, et tenta de porter se-
cours çàet là, aux réformés. Peu s'en fallut qu'il ne s'emparât
de Troyes et qu'il n'y accomplît la délivrance de ses coreli-
gionnaires. Il rallia, en dernier lieu, un petit corps dontil confia
le commandement intérimaire à Semide, gentilhomme expé-
rimenté, et il s' avança jers Strasbourg, au devant de d'Andelot,
— 471 —
avec qui il rentra dans Orléans. Suivant G onde dans sa marche
sur Paris, il terrifia la population de cette ville par l'attaque
qu'il dirigea contre le faubourg Saint- Victor. A la bataille de
Dreux, il se signala à la fois par sa valeur et par sa générosité
envers le connétable, dont il avait, comme fils, à se plaindre, et
auquel il sauva la vie. Accompagnant l'amiral en Normandie,
il prit Pont-l'Évêque et Bernay. La paix ayant été conclue en
1563, il s'acquitta avec zèle et fermeté de la difficile mission de
reconduire à la frontière les reitres ; mission dans l'accomplis-
sement de laquelle les conseils et l'influence de Coligny le sou-
tinrent puissamment. — En 1565, le prince de Portien assista
le maréchal de Montmorency dans la juste résistance qu'il op-
posa aux provocations du cardinal de Lorraine, entrant dans
Paris, à la tête d'une force armée agressive, au mépris de la
défense qui lui en avait été faite. Le roi, mécontent, en cette
circonstance, du maréchal et du prince, enjoignit à celui-ci
de quitter la cour, où il ne reparut que dans l'été de 1566. —
Vers cette époque, Antoine de Groy perdit sa mère. Quelques
mois plus tard, il tomba malade; et, le 5 mai 1567, à l'âge de
vingt-six ans, « il mourut estouffé de poison », dit d'Aubigné *.
On cite ^ ces paroles que, dans un entretien suprême, il adressa
à sa femme : « Vous estes jeune, vous estes belle, et vous estes
» riche ; toutes ces qualités jointes ensemble, avec celle d'une
» illustre extraction, vous feront rechercher de beaucoup de
» gens. J'approuve que vous soyez remariée; je vous laisse le
y> choix des partis, et de tout le royaume je n'en excepte qu'un
y> seul homme, le duc de Guise : c'est l'homme du monde que je
y> hais le plus, et je vous demande en grâce que mon plus grand
» ennemy ne soit pas héritier de ce que j'ay le plus aymé de tous
» mes biens. » Infidèle aux recommandations et à la mémoire
1. Hist. univ., t. I, liv. IV. — Voir aussi : Mém. de Condé t. VI, p. 39 à 52,
et hist. vérit. du calvinisme. Amst. 1683, p. 374.
2. Le Laboureur, addit. aux mém. de CasteJnau, t. 1, p. 181 .
- 472 —
de celui qui l'avait tant aimée, la veuve du prince osa, à cinq
ans de là, devenir la femme du duc de Guise K
Cependant la marche des événements, en France et au delà
des frontières, ne cessait de préoccuper l'amiral et ses amis. Le
duc d'Albe, envoyé par Philippe II dans les Pays-Bas avec un
corps d'armée destiné àl'extermination des hérétiques, allait tra-
verser la Savoie, la Bourgogne et la Lorraine. Alléguant la né-
cessité de surveiller les mouvements du chef espagnol et de ses
troupes, le gouvernement français venait d'effectuer en Suisse
la levée d'un nombre considérable de soldats, dont l'arrivée
dans le royaume inspirait à Goligny et à Gondé certaines appré-
hensions. Gatherine et son fils cherchèrent à les dissiper, non
par une assurance directe de la loyauté de leurs intentions,
mais par la voie indirecte d'une faveur apparente que l'ami-
ral et le prince acceptèrent sans l'avoir recherchée, et qui
d'ailleurs ne diminua nullement leurs légitimes défiances. Voici
en quoi consista cette faveur, simplement empruntée aux usages
de la cour.
« Le prince de Gondé ayant eu un fils, le roy, selon la cous-
» tume, luy voulant donner le nom, et s'y trouvant de ladiffi-
i . Au-dessus de l'hommage rendu par plusieurs historiens au caractère et aux
belles qualités d'Antoine de Croy se place l'hommage, bien autrement expressif
qui ressort des nombreuses lettres que lui adressèrent, à diverses époques, sa
mère, Coligny, Charlotte de Laval, d'Andelot, le cardinal de Châtillon, Condé,
EléonoredeRoye,Jeanne d'Albret,le maréchal de Montmorency, Feuquières, Cal-
vin, de Bèze,les magistrats de Strasbourg, les ducs de Wurtemberg, de Lorrainei
de Juliers, l'électeur palatin Frédéric III, le duc J. Casimir, Philippe de Croy,
Robert de Lamarck, et d'autres personnages notables, — On peut consulter, en
ce qui concerne le prince de Portion, ses lettres et celles qui lui ont été adressées
(Bibl. nat. mss. f. fr. volumes 3 124, 3 136, 3 159, 3 182, 3 188, 3 189, 3 195,
3 210, 3 212, 3 216, 3 632, 3 950, 4 682, 20 507. Ibid. fonds Colbert V« vol. 24).
puis, les archives de Genève; celles de Berne; la corresp. franc, de Calvin,
t. H, p. 505; les mém. de Gondé, t. Il, et 6; Vhist. ceci., de Th. de Bèze,
passim; Vhist. univ., de Thou, t. III; les mém. de Cl. Haton, t. I; Le Labou-
reur, addit. aux mém. de Gastelnau, t. I, p. 380, 381, et t. II, p. 247, 248; le
Bull, de la soc. d'hist. du protest, franc, année 1869.
— 473 —
» culte à cause de la religion, il luy pleust de faire l'honneur
y> à l'admirai de présenter l'enfant en son nom au baptesme et
)) à recevoir les sacrez commencemens de la religion ^ ce qui fut
)) fait, comme il est ordinaire en la cour des princes, à grande
y> pompe et magnificence. Au festin, l'admirai fut seul, comme
» le roy, assis en une table et servi par les mêmes officiers; ce
» que plusieurs interprétoient à ung témoignage de la singulière
» bienveillance que le roy luy portoit. '-. »
Coligny ne pouvait plus croire désormais à cette bienveillance.
Des révélations sinistres achevèrent de l'éclairer sur sa situa-
tion et sur celle de sa famille, de ses amis, de ses coreligion-
naires vis-à-vis de la royauté.
En effet, « le prince de La Roche-sur- Yon, qui estoit du sang
» royal, et, à cause de cette proximité, fort amy du prince de
)) Condé, ayant escrit à l'admirai, le priant de luy envoyer se-
» crétement quelque sien plus particulier confident par lequel
y> il le peust informer de choses très importantes à son salut et
» qui ne dévoient point être divulguées, luy donna advis, que le
y> conseil pris à Bayonne estoit de détruire entièrement la reli-
» gion réformée et tous ceux qui en faisaient profession, et qu'à
» cet effet on avoit fait la levée des Suisses ^, sous prétexte de
i. « J'ay esté ces jours passez à Vallery, au baptesme de l'enfant de mon-
» sieur le prince de Condé, qui m'y avoit convié, et a esté porté ledit enfant par
» monsieur l'amiral, au nom du roy, s'estant trouvé au dit lieu de Vallery mon-
» sieur le cardinal de Chastillon, messieurs d'Andelot, de Larochefoucault, de
)) Janlis et plusieurs autres seigneurs et gentilhommes, tellement que la com-
» pagnie estoit fort honorable et fut bien festoyée dudit sieur prince, et récrée
» de plusieurs honnestes passe temps. » (F^ettre de Sault à de Gordes, du
30 juin 1567, hist. des pr. de Condé, t. I, p. 537).
"2. Hotmann, vie de Coligny, trad. de 1665, p. 67, 68.
3. « C'est pour cela, dit de Thou {hist. univ., t. IV, p. 2), qu'on avoit depuis
» peu enrôlé six mille suisses, et qu'on faisait actuellement des levées dans tout
î le royaume. Ce n'était pas certainement pour faire la guerre au duc d'Albe et
» aux Espagnols, avec qui l'on était en si bonne intelligence, surtout depuis
» l'entrevue et les conférences de Bayonne, Les Espagnols les protestants,
» tous les gens sages et expérimentés, les courtisans eux mêmes, si on les
— 474 —
)) garder les frontières et de les opposer aux troupes du duc
» d'Albe. Ce qui fut aussi confirmé à l'admirai par diverses lettres
y) et messages *. »
Aux impressions produites sur l'espirit de Coligny par de
telles révélations et par la succession des événements de 1563 à
1567, correspondaient les impressions personnelles de ses
amis. De Lanoue a fidèlement traduit les unes et les autres ^ :
(( Les principaux de la religion, dit-il, qui ouvroyent les yeux
y) pour la conservation tant d'eux que d'autrui, ayant fait un
)) gros ramas de ce qui s'estoit fait contre eux et de ce qui se
3) brassoit encore, disoyent qu'indubitablement, on les vouloit
ï) miner peu à peu, et puis tout à un coup leur donner le coup
» de la mort. Des causes qu'ils alléguoyent, les unes estoient
3) manifestes, et les autres secrettes. — Quant aux premières,
» elles consistoient es démantellement d'aucunes villes et con-
)) struction de citadelles es lieux où ils avoyent l'exercice public;
» plus es massacres qui en plusieurs endroits se commettoyent
)) et en assassinats de gentilshommes signalez, de quoy on
» n'avoit peu obtenir aucune justice; aux menaces ordinaires
)) qu'en bref ils ne lèveroient pas la teste si haut ; et singulière-
» ment en la venue des Suysses, combien que le duc d'Albe
)) fust déjà passé en Flandres, lesquels n'avoyent esté levez que
y> pour la crainte simulée de son passage. — Quant aux se-
» crettes, ils mettoyent en avant aucunes lettres interceptées, ve-
» nantes de Rome et d'Espagne, où les desseins qu'on vouloit
» exécuter se descouvrirent fort à plain : la résolution prise à
» interrogeait, ne pouvaient en disconvenir. C'est encore à cela que tendaient
» les fréquents conseils que l'on tenait entre le pape ou ses ministres et ceux
» des deux rois, conseils où le pontifene travaillait qu'à entretenir et augmenter
» la haine de ces deux princes contre les protestants de France et des Pays-
» Bas, et à faire allumer, dans le même temps, le feu de la guerre par Philippe
» en Flandre et par Charles dans son royaume. >
1. Ilotman, vie de Coligny, tr. de 1065, p. 69.
2. Disc, polit, et milit.,i^. 723.
— 475 —
y> Bayonne avecques le duc d'Albe d'exterminer les huguenots
» de France et les gueux de Flandres, de quoy on avoit esté
» averti par ceux de qui on ne se doutoit pas. — Toutes ces
» choses, et plusieurs autres dont je me tais, resveilloyent fort
y> ceux qui n'avoyent pas envie qu'on les prist endormis. — Et
» me recorde que les chefs de la religion firent en peu de temps
» trois assemblées, tant à Valéry qu'à Chastillon, où se trou-
D vèrent dix ou douze des plus signalez gentilshommes, pour
» délibérer sur les occurrences présentes et chercher des expé-
» diens légitimes et honnestes pour s'asseurer entre tant de
D frayeurs, sans venir aux derniers remèdes.
ce Aux deux premières, les opinions furent diverses. Néant-
» moins plus par le conseil de monsieur l'admirai que de nul
» autre, chacun fut prié d'avoir encore patience, et qu'en
» affaires si graves comme celles-ci, qui amenoyent beaucoup
» de maux, on devoit plustost s'y laisser entraîner par la néces-
» site, qu'y courir par la promptitude de la volonté, et qu'en
» bref on verroit plus clair. »
Le roi fut supplié de renvoyer les Suisses, dont la présence
en France n'était plus nécessaire, depuis que le duc d'Albe
était arrivé dans les Pays-Bas. L'ajournement de leur renvoi
accrut la défiance de Coligny et des réformés.
Le connétable, que cette défiance inquiétait, voulut sonder
les intentions de son neveu, et chargea, à cet effet, Thoré,
l'un de ses fils, de se rendre àChâtillon-sur-Loing, d'y remettre
un mémoire à l'amiral et de provoquer des explications.
Un écrit, en forme de note, sans date ni signature, rédigé,
comme tout porte à le croire, par Coligny lui-même, contient,
en substance, la réponse qu'il fit au mémoire remis par Thoré.
Voici la teneur de €et écrit. * :
« Mons. l'amyral a esté merveillement ayse d'avoir ce bien
1. Bibl. nat. mss. t. fr. vol. 3 MO, f 66.
- 476 —
5> de veoir mons. de Thoré, pour pouvoir parler à luy aussy
y> franchement comme il feroit à son propre frère ; et pour ce
2) que par le mémoyre qu'il a rapporté, monsieur le connestable
» s'esbahit pourquoy sest que ceulx de la religion sont en plus
» grande deffiance que de coustume, et que par ledit mémoyre
y> il est porté que l'on s'asseure que nul de ladite religion ne
)) s'est remué, qu'ils n'ayeiit eu les instructions de luy, il veult
» bien respondre pour ce qui luy touche, et puys dire les rai-
y> sons qui peuvent mettre ceulx de ladite religion en deffiance.
» — Et quant à son faict, il déclare franchement et ouverte-
)) ment que nul de ceulx de ladite religion n'a pris les armes
» ny par son conseil, ny par ses advertissementz. Et pourtant ne
)) luy sçauroit l'on faire ung plus grand tort que de semer telz
» bruictz de luy, car sestsuyvant ce que l'on a voulu tousjours
» dire qu'il estoit chef de part, pour le rendre plus odieulx au
» roy, qui néantmoins n'a point de plus fidelle ny affectionné
)) subject et serviteur, s'estant tellement conduit que de tout
)) son pouvoir il a empesché ces troubles et s'y est tellement
» comporté, que ceulx de ladite religion mesmes l'en ont eu à
» suspect, et qu'ilz disoient qu'il avoit des moyens et intelli-
» gencespour se tirer de la fange et y laisser les aultres. Il voul-
» droyt aussy que l'on se souvynt combien, durant les plus
)) grands troubles il s'est monstre affectionné au bien et repoz
)) de ce royaulme, et que, s'il eûst eu ung aultre desseing, il
. » avoit bien le moyen d'entreprendre d'aultres choses qu'il n'a
» faict. Et pour ce que, sur ce propoz, il en a déclaré davan-
)) taige audit s' de Thoré, il s'en remettra sur luy, désirant bien
» que désormais l'on ne luy preste plus ces charitez, que de
)) dire que ceulx de ladite religion ne font rien que par son
» conseil et instructions. Et, pour ce qui est de l'occasion pré-
» sente, il ne veult pas nyer que, pour les raisons qu'il a d'estre
» en deffiance de ceulx de la maison de Guyse, il n'en ayt parlé
» avec ses meilleurs parens et amys ; mais que pour cela il ayt
— 477 —
» conseillé à ung seul de prendre les armes, il prend sur son
» honneur qu'il ne l'a pasfaict; et ce qu'il en avoit aussi mandé
)) à mondit s' le connestable par La Chavane, c'estoit comme
)) à son père, et non pas pour en rien dire ny au roy ny à la
» royne ; car aussi ledict La Ghavane avoit commandement de
» n'en parler qu'à luy ; mais c'est grand cas qu'il fault que ceulx
y> de Guyse facent tousjours espouser leurs querelles à Sa
» Majesté ; et vauldroit mieulx se remmémorer que telle chose
» a cuidé apporter la ruyne de ce royaulme. Le dit sieur amyral
)) prie aussi que désormais l'on ne se prenne à luy que de son
)) faict duquel il respondra comme ung homme de bien et d'hon-
» neur doibt faire. — Quant à la deffiance que ceulx de ladite
y> religion peuvent avoir et de ce qu'il est à entendre, il dira
» bien qu'il n'est possible d'en avoir davantage qu'ilz en ont.
)) Les raisons sont de la façon que l'on se gouverne en leur en-
» droict concernant des forces que le roy a, que l'on ne peult
» présumer estre à aultre intention que pour leur courre sus,
)) selon la bonne intelligence et amytié qui est entre le royd'Es-
y> pagne et luy. Et ce qui la donne encore plus grande, c'est
» que l'on veult que l'on croye que sans ce remuement icy le
)) roy vouloit licentier les Suysses, et aussy que l'on dict que Sa
)) Majesté ne veut plus que l'on luy donne de troys mois en
» troys mois. Sur quoy sera respondu que l'on a bien veu que
)) toutes celles que l'on a données pour le passé, c'a esté chose
» qui a esté artificiellement faicte pour rendre tousjours ceulx
» de ladicte religion odieux à sadite Majesté, car s'il y eust eu...
» desseing, l'on ne sçayt qui eut empesché que l'on en eust veu
)) d'autres effects en ceste dernière foys. Tout homme de juge-
)) ment dira que c'est plus pour chercher une occasion que de
» l'avoir trouvée ; car qui eust eu envie d'entreprendre quelque
» chose, l'on n'eûst pas attendu le passage des Espaignolz ny
» contenu les Suysses en ce royaulme, el n'a pas esté chose si
y> secrètement faite que l'on ne l'aye préveue cinq et six moys
_ 478 —
» devant ; il sembleroit plustost que ce fust pour se servir de
» l'occasion que l'on a tousjours dicf que l'on feroit, qui est
» que l'on esguillonneroit tous ceulx de ladite religion, que
» l'on leur feroit faire quelque chose, pour fonder une querelle
» et leur courre sus. — H y a plusieurs aultres raisons qui
y> seroient trop longues à escripre et desquelles il en a dict une
» bonne partie audict s' deThoré. — Et reste maintenant à dire
» le moyen pour remédier à telles deffiances, qui ne peut estre
» donné que par le roy, en monstrant que Sa Majesté n'a point
» de deffiance de ses subjectz ; mais ce n'est pas le moyen en
» faisant les recherches que l'on faict tant en Normandye
y> qu'aux grands jours, par lesquelles nul de ceulx de la reli-
» gion, depuis le plus grand jusques au plus petit, ne se peult
» dire exempt des crimes de lèze-majesté, si c'est comme ce
» que l'on veult imputer à crime, et n'y a personne qui n'aye
» occasion de trouver cela bien rude et estrange, veu que de ce
)) que ledit sieur amyral sçait, il dict devant Dieu qu'il ne sçayt
D point que ceulx de ladite religion ayent aucune volunté que de
» bien et fidèlement servir sadite Majesté et emploier pour cela
» leurs corps et leurs biens. — Quant au particulier dudict
» sieur amyral, il supplie mondit sieur le connestable de se res-
» souvenir des propos et asseurances qu'il luy a données, et
y> qu'il n'est pas sy meschant ny malheureux que de prester
» l'oreille à ceulx qui voudroient attempter à la personne du
ï> roy ne de son estât, et qu'il ne luy donnera jamais occasion
)) de perdre la bonne opinion et estime que justement il peut
» avoir de luy. »
Cependant Goligny et ses amis, informés que les Suisses quit-
taient la frontière pour s'avancer dans l'intérieur de la France,
envoyèrent aussitôt un agent sûr vers le connétable ; et, voulant
à tout prix, éviter l'effusion du sang, ils lui adressèrent de
« nouvelles soubmissions pour supporter l'édict de Roussillon,
» et autres indignitez qui ne sembloient point tolérables ; le
— 479 —
» suppliant d'avoir pitié de la France, et, aux despens de leur
y> humilité, remettre tout en paix. Ce vieil conseiller les paya
y> d'une estrange raison, après plusieurs autres : que voudriez-
» vous, dit-il qu'on fist de ces Suysses bien payez, si on ne les
y> employoit * ? »
Goligny et ses amis ne pouvaient accepter une raison de ce
genre. Une dernière démarche fut tentée : l'amiral et Condé se
rendirent à la cour, « où ils remonstrèrent, l'un après l'aultre,
y> au roy, à sa mère, au conseil qu'il n'y avoit juste occasion
» ni raison de ceste levée et introduction de six mille Suisses
» dedans le royaume, si d'aventure on ne prétendait les
y> employer pour la ruine de ceux de la religion, qui estoient
» encores en plus grand nombre que l'on ne pensoit pas ; que
î> la guerre passée en avoit fait preuve ; et que si leurs ennemys
» entreprenoient autre chose qu'à point, ils se tiendroient sur
» leurs gardes et ne se lairroient pas esgorger par les brigands
» et perturbateurs du repos public. Sur cela, ils supplièrent
» très humblement le roy d'avoir compassion de tant de
y> familles honnestes et de tout son royaume, mais ils furent
j) rebutez et indignement traitiez ^. y>
Coligny avait horreur de la guerre civile ; et ses constants
efforts, de 1563 à 1567, avaient tendu à en éviter le retour.
Dans les deux assemblées tenues à Valéry et à Ghâtillon, il s'é-
tait attaché à contenir l'indignation et l'ardeur de ses amis ; il
avait obtenu qu'ils se résignassent à un rôle d'expectative. Mais,
ainsi qu'il le pressentait, de nouveaux dangers, en venant me-
nacer les réformés, mettraient un terme à leur patience. Ces
dangers, au premier rang desquels figuraient l'insuccès de la
dernière tentative faite pour arrêter la marche des suisses vers
le centre de la France, et la certitude acquise de l'existence
1. D'Aubigné, Hist. univ., t. I, livre IV, chap. vu.
2. Hist de cinq rois,' p. 318, 319.
— 480 —
d'un complot ourdi par la cour, nécessitèrent, de l'avis de
l'amiral lui-même, la convocation d'une troisième assemblée,
qui suivit, à moins d'un mois d'intervalle, la tenue de la seconde.
A cette troisième assemblée, comme aux deux précédentes,
se trouvaient, outre Goligny, Gondé, de Larochefoucault, Bou-
card, Briquemault \ et d'autres chefs -. De Lanoue en rend
compte en ces termes ^ :
« Les cerveaux s'eschaufFèrent davantage, tant pour les con-
» sidérations passées, que pour nouveaux avis qu'on eut, et
» nommément pour un, que messieurs le prince et admirai
» affirmèrent venir d'un personnage de la cour très affectionné
» à ceux de la religion, lequel asseuroit qu'il s'estoit là -tenu un
)) conseil secret, où délibération avoit esté faicte de se saisir
)) d'eux, puis faire mourir l'un, et garder l'autre prisonnier;
» mettre, en même temps, deux mille suysses à Paris, deux
» mille à Orléans, et le reste l'envoyer àPoictiers; puis casser
» l'édict de pacification, et en refaire un autre du tout con-
» traire : et qu'on n'en doutast point. Or, cela ne fut pas
)) malaisé à croire, veu qu'on voyoit desjà les suysses s'achemi-
)) ner vers Paris, qu'on avoit tant de fois promis de renvoyer.
« Et y eut quelques-uns qui estoyent là, plus sensitifs et
1. Il est digne de remarque, qu'à une date voisine de celle de la troisième
assemblée, Goligny, que les préoccupations même les plus graves, ne détour-
naient jamais d'un bon office à accomplir, vis-à-vis de qui que ce fût, et
surtout vis-à-vis d'un ami, écrivit, le 6 septembre 1567, au syndic et au
conseil de Genève : « magnifiques seigneurs, d'autant que j'ay esté prié par
» monsieur de Briquemault de vous escripre en faveur de sa fille qui
» est en vostre ville, à ce que vous veuilliez avoir ses affaires et son bon
» droict pour recommandé en justice ; et encore que je m'asseure bien que
» vous estes assez amateurs de cela et qu'il ne soit point de besoing de
» vous en escrire, si est-ce que trouvant ceste prière raisonnable, et aussy
» pour l'amitié que je porte audit sieur Briquemault, je l'ai bien^ voulu
> faire, etc., etc. »
2. D'Aubigné, Hist. univ,, t. IV, chap. vu.
3. Disc, polit, et mil., p. 724 et suiv.
— 481 ~
» impatiens que les autres qui tinrent ce langage : Comment?
» Veut-on attendre qu'on nous vienne lier les pieds et les mains,
)j et puis qu'on nous traîne sur les eschaffaux de Paris, pour
» assouvir par nos morts honteuses la cruauté d' autrui? Quels
» avis faut-il plus attendre? Voyons-nous pas desjà l'ennemi
y> estranger qui marche armé vers nous et nous menace de ven-
y> geance, tant pour les offenses qu'ils reçeurent de nous à
)) Dreux, que pour les injures que nous avons faites aux catho-
» liques, en nous défendant? Avons-nous mis en oubli que plus
» de trois mille personnes de nostre religion sont péries par
» morts violentes, depuis la paix, pour lesquelles toutes nos
» plaintes n'ont jamais peu obtenir autre raison que des res-
» ponses frivoles ou des dilations trompeuses? Si c'estoit le
» vouloir de nostre roy que nous fussions ainsy outragez et
y> vilipendez, paravanture le supporterions-nous plus doucc-
y> ment ; mais puisque nous sçavons que cela se fait par ceux
» qui se couvrent de son nom et qui nous veulent oster l'accès
» envers lui et sa bienveillance, afin qu'estans destituez de tout
» support et aide nous demeurions leurs esclaves ou leur proye,
» supporterons-nous telles insolences? Nos pères ont eu pa-
» tience plus de quarante ans, qu'on leur a fait esprouver toutes
» sortes de supplices, pour la confession du nom de Jésus-
y> Christ, laquelle cause nous maintenons aussy. Et à cette
» heure, que non seulement les familles et bourgades, mais les
» villes toutes entières, sous l'aultorité et bénéfice de deux
» édits royaux, ont fait une déclaration de foy si notoire, nous
» serions indignes de porter ces deux beaux titres de chrestien
» et de gentilhomme, que nous estimons estre l'honneur de nos
)) ornemens, si par nostre négligence ou lascheté, en nous per-
» dant nous laissons périr une si grande multitude de gens.
» Parquoy nous vous supplions messieurs, qui avez embrassé la
» défense commune, de prendre promptement une bonne réso-
y> lution, car l'affaire ne requiert plus qu'on temporise.
31
— 482 —
« Les autres qui estoyent en ce conseil furent esmeus, non
» tant pour la véhémence des parolles, que pour la vérité
» d'icelles. Mais, comme il y en a toujours qui sont fort consi-
.1) dératifs \ ceux-là répliquèrent qu'ils apercevoyent bien le
» danger apparent, néantmoins que la salvation leur estoit ca-
y> chée : car, si nous voulons, disoient-ils, avoir refuge aux
)) plaintes et doléances, il est tout clair qu'elles servent plus à
» irriter ceux à qui on les fait, que de remèdes. Si aussi nous
)) levons les armes, de combien de vitupères, calomnies et ma-
)) lédictions serons-nous couverts par ceux qui nous imputans
» la coulpe des misères qui s'ensuyvront, ne pouvans deschar-
» ger leur colère sur nous, la deschargeront sur nos pauvres
y> familles demeurées esparses en divers lieux. Mais, puisque
» de plusieurs maux on doit tousjours choisir les moindres, il
» semble qu'il y ait encores moins de mal d'endurer les pre-
» mières violences de nos ennemis, que les commencer sur
)) eux, et nous rendre coulpables d'une agression publique et
)) générale.
« M. d'Andelot prit la parole après et dit : vostre opinion,
y> messieurs, qui venez de parler, est fondée sur quelque pru-
D dence et équité apparente ; mais les principales drogues mé-
» dicinales, propres pour purger l'humeur peccante qui abonde
» aujourd'huy au corps universel de la France luy défaillent,
» qui est la fortitude et la magnanimité. Je vous demande, si
)) vous attendez que soyons bannis es païs estranges, liez dans
)) les prisons, fugitifs par les forests, courus à force du peuple,
y> mesprisez des gens de guerres et condamnez par l'authorité
» des grands, comme nous n'e'n sommes pas loin, que nous
3) aura servi nostre patience et humilité passée? que nous
1. Coligny était du nombre de ces hommes considératifs ; aussi d'Aubigné,
parlant de son attitude en présence des événements qui motivèrent la troisième
assemblée j dit-il : « l'amiral voulait endurer toutes extrêinitez et se confier en
l'innocence. » {Hist. univ., 1. 1, liv. IV, chap. vu.)
b
— 483 —
» profitera alors nostre innocence? a qui nous plaindrons-
» nous? mais qui est-ce qui nous voudra seulement ouir? Il est
» temps de nous désabuser et de recourir à la défense, qui n'est
» pas moins juste que nécessaire, et ne nous soucier point si
» on dit que nous avons esté autheurs de la guerre ; car ce sont
» ceux-là qui par tant de manières ont rompu les conventions
» et pactibns publiques, et qui ont jette jusques dans nos
» entrailles six mille soldats estrangers, qui par effet nous l'ont
)) desjà déclarée. Que si nous leur donnons encor cest avan-
» tage de frapper les premiers coups, nostre mal sera sans
» remède. t>
(( Peu de discours y eut-il après, sinon une approbation de
)) tous d'embrasser la force, pour se garantir d'une ruine pro-
)) chaîne. Mais s'il y eut des difficultez à se résoudre sur ceci,
» il n'y en eut pas moins pour sçavoir comme on devoit procé-
j> der en ceste nouvelle entreprise.
« Aucuns vouloyent que les chefs et principaux de la religion
T) se saisissent doucement d'Orléans, ville confédérée, et après
» envoyassent remonstrer à leurs majestez, que sentant apro-
)) cher les Suysses, ils s'estoyent là retirez, avecques leurs amis,
)) pour leur seureté, et qu'en les Hcentiant, chacun retourne-
)) roit à sa maison. A ceux-là futrespondu qu'ils avoyent oublié
» qu'à Orléans y avoit un grand portail fortifié, gardé par suf-
» lisante garnison de catholiques, par lequel ils pourroyent
)) toujours faire entrer gens en la ville, et que le temps n'es-
y> toit plus de plaider ni se défendre avec les paroles et le pa-
T> pier, ains avecques le fer. Autres trouvoyent bon de prendre
» par toutes les provinces, tant de villes qu'on pourroit, puis
D se mettre sur la défensive : lequel avis ne fut non plus reçu,
» pour ce, dit-on, qu'aux premiers troubles, de cent que ceux
)) de la religion tenoyent, au bout de huit mois il ne leur en
» demoura pas douze entre les mains : d'autant qu'ils n'avoyent
» armées suffisantes pour les secourir.
— 48i —
(i Enfin on conclud de prendre les armes, et, à ce commen-
» cernent de guerre observer quatre choses : la première, de
)) s'emparer de peu de villes, mais d'importance ; la seconde,
(T de composer une armée gaillarde; la tierce, de tailler en
» pièces les suysses, par la faveur desquels les catholiques se-
» roient tousjours maîtres de la campagne; la quatrième,
» d'essayer de chasser M. le cardinal de Lorraine de la cour,
» que plusieurs imaginoyent solliciter continuellement le roy
» à ruiner ceux de la religion.
« De grandes difficultez furent encore proposées sur ces deux
;) derniers points ; car on dit que le cardinal et les suysses
)) marchoyent tousjours avec le roy, et que, attaquant les uns,
)) et voulant intimider l'autre, on diroit que l'entreprise auroit
» esté faite contre la majesté royale, et non contre autrui^ ;
)) toutesfois elles furent vuidées par ceste réplique : c'est que l'évé-
)) nement descouvriroit quelles seroyent leurs intentions, comme
)) ils rendirent tesmoignage de celles du roy Charles septième,
» estant encore daulphin, qu'il n'avoit levé les armes, ni contre
y> son père, ni contre le royaume; davantage, qu'on sçavoit bien
)) queles françois en corps n'avoient jamais attenté contre la per-
1. Cette objection n'eût pas arrêté, s'il eût encore vécu, en 1567, l'un des
plus fidèles serviteurs de la couronne, Soubise; car, dès 1565, il avait émis
l'avis que les réformés, dans l'intérêt de leur cause, pouvaient et devaient re-
courir à la force, pour séparer le roi de l'entourage qui l'asservissait. En effet,
ou lit dans les mémoires de la vie de Soubise (p. 88, 89) : « Au retour de La
» Rochelle, il revint chez luy et dist à la dame de Soubize, sa femme, qu'il
» voyait bien, veu la façon dont toutes choses se gouvernoient, qu'il seroit né-
» cessaire de se saisir de la personne du roy, et l'oster des mains de ceux qui
ï taschoient à se servir de son authorité pour un temps affin d'accroistre la leur
» et se faire, à la fin, rois, s'ils pourroient; partant, au contraire, estoit be-
» soing de les reculer d'auprès de sa personne et d'en approcher les princes du
» sang et vrais serviteurs de la couronne, pour bien instruire le roy, en sorte
» qu'il fùst, un jour, tel que doibt cstre un prince vrayment chrestien et ver-
» tueux. Vray est que le tout estoit do faire si bien l'entreprise, qu'on n'y
» faillist point, car s'il advenoit qu'elle fùst faillie, c'esloit la ruyne de Testât.
» Cela avait-il dès lors en l'entendement, comme depuis Ta dict la dame de
> Soubise sa femme. >
— 485 —
y> sonne de leur prince. Finalement, si ce premier succès esloit
)) favorable, qu'il pourroit retrancher le cours d'une longue et
j) ruineuse guerre, en tant qu'on auroit le moyen de faire
» entendre au roy la vérité des affaires qu'on lui desguisoit;
» dont se pourroit ensuyvre la reconfirmation des édicts, mes-
y> mement quand ceux qui vouloyent prévenir se sentiroient
» prévenus.
« Voilà quelle fut la résolution que prindrent lors tous ces
» personnages qui se trouvèrent ensemble ; lesquelz, combien
» qu'ils fussent douez de grande expérience sçavoir, valeur et
)) prudence, si est-ce que ce qu'ils avoyent si diligemment
» examiné et tant bien projeté, se trouva quand on vint aux
» effects, merveilleusement esloigné de leur attente : et d'au-
» très choses, à quoy ils n'avoyent quasi point pensé, pour les
» tenir trop seures ou difficiles, se tournèrent en leur bénéfice ;
)) dont bien leur servit. Par ceci se peut cognoistre que les
)) bonnes délibérations ne sont pas toujours suyvies de bon
» succès. Ce que j'ay dit n'est pas pour taxer ceux de qui j'ay
y> parlé, la vertu desquels j'ay toujours grandement admirée,
» ny pour faire négliger la prudence et la diligence aux affaires :
» ains seulement pour advertir que l'accomplissement de nos
» œuvres ne gist pas tant en l'humaine proposition, qu'en la
y> divine disposition. »
CHAPITRE VIII
Les chefs réformés se réunissent à Rozay en Brie. — Ils adressent une requête au
roi. — Arrivée des Suisses à Mcaux. — Le roi s'enfuit à Paris. — Les confédérés
prennent position à Saint-Denis. — Le roi somme Condé, Coligny et leurs compa-
gnons d'armes de se rendre auprès de lui. — Demandes présentées par les con-
fédérés. — Ils en restreignent la portée. — Le connétable rend tout accommo-
dement impossible. — Bataille de Saint-Denis. — Lettres de Condé, de Coligny et
de ses frères au sénat de Strasbourg et au conseil de Genève. — Les confédérés
quittent Saint-Denis. — Mémoire de Condé au roi. — Réponse du roi. — Mission
confiée à Téligny. Lettres de Condé. — Lettre du roi au duc d'Anjou. — Répqjise
du roi à Condé. — Coligny écrit au duc d'Anjou. — Négociation entamée entre la
cour et le cardinal de Châtillon. — Rupture de cette négociation. — L'armée des
confédérés se rend en Lorraine, à la rencontre des auxiliaires allemands.
Condé avait indiqué, pour la fin de septembre (1567), à Rozay,
on Brie, une réunion en armes, à laquelle la majeure partie de
la noblesse des environs se rendit. Autour du prince se grou-
pèrent, dans cette localité, ses oncles, Coligny, d'Andelot, son
beau-frère, Larochefoucault, et quatre cents hommes de cava-
lerie.
Catherine, venue de Monceaux à Meaux avec le roi, fut
informée de ce qui se passait. Voulant empêcher les réformés
d'agir, jusqu'à ce que les six mille Suisses, qui accéléraient
leur marche, fussent arrivés auprès de son fils, elle envoya le
maréchal de Montmorency demander à Condé pourquoi il s'a-
vançait, à la tête d'une troupe armée. Le maréchal rencontra
les confédérés à Torcy, près de Lagny, reçut de leurs chefs
communication d'une requête destinée à être placée sous les
yeux du roi, et entama des conférences, qu'il eut l'adresse de
prolonger. Il exhortait, en ami, disait-il, ses interlocuteurs à
— 487 —
demeurer dans la voie de la soumission et de la fidélité, à quitter
les armes et à venir, comme des suppliants, présenter au sou-
verain leurs doléances et leurs demandes. Aux exhortations
du maréchal ils répondirent : que les grands et beaux mots
d'obéissance et de fidélité n'étaient plus que des expressions
sonores et spécieuses; que les gens qui en faisaient parade et
les rappelaient sans cesse à autrui en avaient très souvent eux-
mêmes profané la sainteté, en désignant comme ennemis du
roi ceux qui voulaient mettre im frein à leur ambition, et en
les réduisant, malgré eux, à la triste nécessité de prendre les
armes, pour soutenir la justice de leur cause; qu'au reste, s'ils
réussissaient, l'événement ferait connaître la droiture de leurs
intentions; et qu'en réprimant l'ambition de leurs ennemis,
ils mettraient bientôt fin à la guerre qu'ils étaient contraints
de recommencer ^
Les conférences se continuaient, lorsqu'on apprit, à Torcy,
que les Suisses approchaient de Meaux. Gondé chercha à les
rejoindre en rase campagne ; mais il était trop tard : déjà ils
s'étaient massés en ville auprès du roi. Un conseil se tint à
Meaux : on y décida le départ immédiat pour Paris. Vers
minuit, le roi quitta Meaux, escorté par les six mille Suisses et
par neuf cents gentilshommes. A la pointe du jour, il fut ren-
contré par la petite troupe du prince, qui fit bonne contenance.
Il n'y eut, du reste, entre elle et l'escorte royale que de légères
escarmouches; car, des deux parts, on jugeait opportun de ne
pas engager une bataille.
Le 28 septembre, avant la chute du jour, le roi arriva à Paris,
d'où il écrivit aussitôt au duc de Nevers ^ : « Ceux qui se sont
» eslevez marchoient droict à moy pour me venir enfermer dans
» Meaulx, où avecques moy estoyent logez mes Suisses ; ce que
1. De Thou, hist. univ., t. IV, p. 7.
2,Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 3 221, fM. Lettre du 28 septembre i567.
» veoïant, je me suis résolu de monter à cheval et emmener
)) avecques moy lesdits Suisses pour me mettre dans ceste ville
y> de Paris; chose qui m'a si bien et heureusement succédé
)) que, Dieu mercy, je y suis de présent, comme aussy sont les-
» dits Suisses, lesquels aussy ils ont essayé d'entamer et les
:» combattre ; mais ils s'en sont mal trouvez. »
Le même jour, Catherine mandait au duc de Nevers ^ : « Vous
» jugerez assez en quels termes nous sommes, et combien il
» est besoing que vous ayez l'œil ouvert à la conservation de
» ce dont vous avez la charge ; ne s'estant pas commencée (la
» guerre) sans que ceux qui l'entreprennent ayent beaucoup
)) d'intelligences partout, et mesme de vostre costé. A quoy je
» vous prie bien fort prendre garde de bien près, n'y allant de
» rien moins que de la perte de cest estât et du dangier de nos
» vies. y>
La reine mère, dans le conseil tenu à Meaux, avait émis l'avis
qu'on ne sortît pas de cette ville, attendu qu'elle était « assez
)) bonne, défendue par une armée ; et que d'ailleurs il y avoit
» honte à lascher pied. » Elle s'opposait à toute idée de fuite,
surtout parcequ'elle se disait à elle-même « que Paris estant
)) tout guisard, elle ne pourroit plus là se conserver d'authorité,
» qu'autant qu'il plairoit à la maison de Lorraine. » Mais « la
» marée l'emporta dedans Paris ^. y> Aussi, le langage qu'elle
tint au duc de Nevers, le 28 septembre, prouvait-il qu'elle ne
s'y sentait nullement à l'abri des appréhensions.
Quant au cardinal de Lorraine qui, n'écoutant que son intérêt
personnel, avait fortement conseillé le retour dans la capitale,
il s'était bien gardé d'y entrer avec Charles IX qu'il avait lâche-
ment abandonné en route. « Aux premières escarmouches,
» quoique légères, qui s'estoient attaquées durant le passage du
i. Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 3 221, f» 3.
2. D'Aubigné, hist. univ., 1. 1, liv. IV, chap. vu.
— 489 —
)) roy auprès de Claye, le prélat, craignant que tout s'enga-
» geast dès là à une bataille, avoit pris un cheval d'Espagne,
» et de là le chemin de Château-Thierry, voulant, comme il
» disoit, aller haster un secours ; dont avint que sa trouppe fut
)) chargée par fort peu de gens, son bagage et sa vaisselle d'ar-
» gent prise, et lui à grand' peine gagna Reims \ »
Les réformés, s'étant ralliés à Claye, y restèrent cinq jours.
En attendant qu'il fut répondu à la requête remise au maré-
chal de Montmorency, dont ils pressentaient au surplus que
les conclusions seraient repoussées par le roi, ils appelèrent à
eux tous les hommes de guerre qui, en France, venaient,
presque au même moment, de prendre les armes, et ils pressè-
rent les levées de troupes sur divers points du royaume.
Maîtres de Montereau-fault-Yonne, ils s'approchèrent de
Paris, qu'ils voulaient investir, brûlèrent plusieurs moulins,
dans le voisinage, et s'attachèrent à intercepter les principales
voies de communication entre les provinces et la capitale.
Effrayée de l'énergie que déployaient Condé, Coligny et les
autres chefs, la reine mère leur envoya une députation, chargée,
en même temps qu'elle blâmerait leur prise d'armes, d'entrer
avec eux en pourparlers. Pour écarter tout blâme, les confé-
dérés s'appuyèrent sur les faits et les motifs consignés dans
leur dernière requête ^ . Ils ajoutèrent qu'ils suppliaient le roi de
faire droit à leurs réclamations ; lui promettant que, dès qu'elles
seraient accueillies et que l'exercice de leurs droits serait sérieu-
sement garanti, ils renonceraient aux hostilités.
Le 2 octobre, ils prirent position à Saint-Denis. Une nouvelle
députation vint les y trouver, et leur communiqua un projet
d'édit, ayant pour objet, selon elle, l'établissement d'une paix
fondée sur l'équité et la raison. L'édit projeté était conçu en
1. D'Aubigné, hist. univ., t. I, liv. IV, chap. vu.
2. Voir le texte de cette requête, à Y appendice , n° 31 .
— 490 —
des termes tels, qu'il ne pouvait satisfaire les confédérés. Aussi,
exprimèrent-ils le désir que le roi, pour dissiper leurs justes
défiances et celles de leurs coreligionnaires, autorisât Gondé
et ses compagnons, qui déposeraient leurs armes, à se rendre
auprès de sa personne, et à lui soumettre, avec tous les déve-
loppements nécessaires, leurs demandes, tendant en substance,
au renvoi immédiat des troupes étrangères, au châtiment des
calomniateurs et fauteurs de désordres, au rétablissement de
l'édit qui consacrait la liberté religieuse, à la diminution des
impôts démesurément accrus, à l'attribution des dignités, hon-
neurs et fonctions, sans distinction de culte, enfin, à la convo-
cation d'une assemblée des États du royaume ^
Au seul énoncé de ces demandes, qu'elle taxait d'attaques
indirectement dirigées contre son autorité souveraine, Cathe-
rine éclata de colère; et, dans la violence de ses récriminations
et de ses menaces, associant, plus étroitement que par le passé,
le roi et la cour à la haine qu'elle portait aux réformés, elle
rompit brusquement les négociations, et poussa à la guerre.
A son instigation, le roi signa, le 7 octobre, l'ordre suivant,
dont la notification devait être faite par des hérauts d'ar-
mes ^ :
« De par le roy. — Gomme il ne soit permis à autre qu'à
» nous seul de faire assembler en nostre royaume et hors
)) d'icelluy gens ou autrement, ny faire convocation du peuple,
» levées de deniers, proclamations et publications de lettres
)) et papiers concernant Testât de nostre royaume et obéissance
)) deue à nostre Majesté souveraine, seule et non communi-
y> cable à autre de nos subjectz, en quelques estatz et dignitez
» qu'ils soyent, qui ne peuvent et ne doivent obéir à autre que
» nous mesmes, ceux qui nous sont plus proches du sang et
1. Voir, à Vappendice n° 32, le texte de leurs demandes.
2. Bibl. nal. mss. f. fr. vol. 20 624. f» 98,
— 491 —
y> tiennent des estatz généraux de nostre royaume, estiez liez
» par serment exprès de nous ayder et servir envers tous et
» contre tous, sans aucune exception. A ces causes, estant
» advertis de l'assemblée en armes qui est à Saint-Denis et
» autres lieux circonvoisins, dont Ton dict le prince de Gondé,
» le cardinal de Chastillon, l'amiral, d'Andelot et Larochefou-
» cault, de Genlis, de Glermont d'Amboise, de Sault, de Bou-
» cart et Bouchavannes, de Péquiny, de Lisy, de Mouy-Saint-
y> Phal, d'Esternay, comte de Montgommery, vidame de Ghar-
». très, estre les chefs et principaux conducteurs ; ce que ne
» nous sommes jusques à présent peu persuader, ains au con-
)) traire en avons attendu toute fidélité, loyale sujétion et obéis-
» sance, avons commandé et ordonné au premier de nos
» héraux, sur ce requis, qu'il ait à sommer et interpeller tous
3) les susdits et autres seigneurs, gentilshommes, officiers, de
y> quelque qualité qu'ils soient, estans avec eux et qui leur
j) amènent forces, occupent nos villes et font amas de gens en
» leur faveur, à ce qu'ils aient présentement, et ce, sur le
» simple commandement, à venir pardevers nous, sans armes,
» pour nous rendre l'obéissance commandée et ordonnée de
3) Dieu, par la grâce duquel nous régnons et avons esté mis et
D constitué roy sur eux, ou bien déclarer promptement s'ils
» entendent approuver telle sinistre et mauvaise entreprise,
» ad vouer lesdites assemblées qu'ils ont faictes et font en
5) armes ou autrement, à la foule et oppression de nos subjectz,
» mépris et contempnement de nostre autorité et dignité, et
» semblablement les publications qui se font par escripts, tant
» signez que non signez, couverts d'une couleur et prétexte
» d'un prétendu bien public; pour, ladite déclaration par eux
y> faite, estre par nous advisé à ce que devons faire pour raison.
y> Faict en nostre chasteau du Louvre, à Paris, le VIP jour
» d'octobre 1567. (signé) Gharles. — De l'Aubespine, Ro-
» bertet. »
— 492 —
Une instruction remise, le même jour aux hérauts d'armes,
portait ^ :
« Les héraulx d'armes députez pour aller trouver le prince
)) de Gondé, là part qu'il sera, sonneront trois fois de leurs
» trompettes, au lieu publicq, chasteau, ou village, où sera
» ledit prince, au devant de la porte, sans entrer au dedans
» de son logis, et crieront trois fois à haulte voix : de par le
» roy, vous, Louis de Bourbon, prince de Gondé, du sang et
» de la couronne de France, je vous fais commandement et
» somme, de par le roy, vostre souverain seigneur et maître,
» entre les mains duquel avez faict serment de fidélité et
» obéissance, le venir trouver à Paris, là où il vous attend, les
y> bras ouverts, pour vous recevoir, et, en vous faisant misé-
» ricorde, recommande son service.
« Icy les héraulx sonneront et feront pose, attendant res-
» ponce et après crieront, en mesme voix haulte et éclatante :
» de par le roy ! Au refus de quoy, je vous déclare que le roy,
» mon maistre, se pourvoira contre vous par toutes voyes et
» manières, ainsy que bon luy semblera, et généralement con-
» tre tous ceux qui vous suivent.
« Icy sonneront en concert et s'en reviendront sans attendre
» aucune responce, après aussi avoir crié et prononcé en
)) mesme voix éclatante à l'amiral, à d'Andelot, et diront ce
)) qui s'en suit :
« Vous, Gaspard de Goligny, admirai et officier de la cou-
y> ronne de France, qui avez fait serment de fidélité et service
» au roy, vostre souverain seigneur et maistre, je vous com-
» mande, de par Sa Majesté, la venir trouver en sa cité de
» Paris, où il vous attend, pour recevoir ses commandemens à
» faire le service que vous lui devez ; au refus de quoy, je vous
ï) déclare que le.roy mon maistre se pourvoira contre vous, par
1. Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 20 621, f" 95.
- - 493 —
» toutes voyes et manières, ainsy que bon luy semblera, et gé-
y> néralement contre tous ceux qui vous suivent.
« Autant à d'Andelot, colonel de l'infanterie de France.
<L Lesdits héraulx,de la part de M. le connestable, demanderont
)) à parler au cardinal de Ghastillon, lequel si leur dit : parlez
)> haut, diront et crieront en mesme voix éclatante et haute ce
» qui s'ensuit :
« Monsieur le cardinal de Ghastillon, M. le connestable de
» France nous a chargé de vous dire qu'il est desplaisant d'une
» si mauvaise nourriture qu'il a fait de vous et de vos frères,
y> pour n'avoir jamais rien espargné, mais cecherché tous les
» moyens de vous eslever et promouvoir aux grands estatz et
» dignilez de France, laquelle vous tourne aujourd'huy en trou-
» ble et ruine ; ce qu'il n'eûst jamais pensé, ny qu'il se dut
» trouver traîtres en sa race, au roy et à la couronne de France ;
y> desquels troubles, pour la libérer, fera ce qu'il pourra pour
y> vous rompre tout et exterminer. »
Les chefs réformés, sans s'émouvoir autrement des somma-
tions qui leur étaient adressées, mais désirant du moins éviter,
autant que possible, l'explosion d'une guerre civile, se prêtèrent
à une large concession. Restreignant donc la portée de leurs
demandes, ils se bornèrent, dans une nouvelle requête ^, à sol-
liciter le roi d'accorder à ses sujets réformés le libre exercice
de leur culte, en tous lieux indistinctement, et, par consé-
quent, d'abroger toutes déclarations et dispositions restrictives
de cette liberté.
Aussitôt s'opéra, à la cour, un revirement notable dans
les esprits ; et il fut décidé, en dépit d'une vive résistance oppo-
sée par Catherine, que les négociations seraient reprises.
Elles le furent, en effet, à La Ghapelle-Saint-Denis, entre
Anne de Montmorency, le maréchal, son fils, de Gonnor,
1. Voir, à l'appendicCy n" 33 le texte de cette requête.
— 494 —
Armand de Gontaud Biron, et Claude de l'Aubespine, d'une part ,
et Condé, Goligny, Odet, d'Andelot, le vidame de Chartres, de
Sault, et de Cany, de Tautre. Le connétable ferma la voie à
tout accommodement, par son aveugle opiniâtreté à soutenir
que le roi ne consentirait jamais au libre exercice de la religion
nouvelle; que les autorisations concédées, en matière reli-
gieuse, par les édits aux réformés n'étaient que provisoires ;
que le souverain était résolu, non à tolérer indéfiniment la
coexistence de deux religions dans ses États, mais à employer
tous les moyens possibles pour faire prédominer l'ancienne ; et
qu'il aimerait mieux être en guerre avec ses sujets, que se ren-
dre, par une imprudente tolérance, suspect, si ce n'est même
odieux à la plupart des princes étrangers.
La guerre étant ainsi devenue inévitable, on s'y prépara de
part et d'autre.
Grâce à l'expérience et à l'activité de ses lieutenants, Condé
réunit autour de lui, en peu de temps, une petite armée com-
posée d'environ deux mille hommes de cavalerie et quatre mille
d'infanterie, dont il espérait accroître, de jour en jour, l'effectif.
11 divisa ses troupes en trois corps, dont l'un occupa Saint-
Denis, l'autre Saint-Ouen, et le dernier Aubervilliers. D'Ande-
lot fut détaché à Poissy, avec treize cents hommes. De Lanoue,
envoyé à Orléans, avec un petit nombre de soldats, fut assez
habile pour s'emparer de cette ville, dont l'occupation devait
assurer le passage des troupes levées en Guyenne et destinées à
renforcer l'armée du prince.
Condé venait, pour investir Paris, de disséminer, en partie,
ses forces. Profitant de cette circonstance, le connétable songea
à l'attaquer et à reprendre sur lui Aubervilliers, Saint-Ouen,
Saint-Denis. Il espérait y réussir, sans en venir à une bataille,
qu'il se croyait dispensé d'engager, à raison de la supériorité
numérique des troupes placées sous son commaadement ; mais
Condé, Coligny et les autres chefs étaient prêts à accepter et à
— 495 —
soutenir dignement la lutte, quelles que fussent les proportions
qu'elle prît. Or, ces proportions furent celles d'une véritable
bataille, que le connétable se vit amené à leur livrer, le
10 novembre 4567.
De Lanoue dit, au sujet de cette bataille, à laquelle de-
meure attaché le nom de bataille de Saint-Denis ^ : « Elle fut
» mémorable, en ce que si peu d'hommes osèrent se présenter
» devant une armée si puissante qu'estoitcelle quisortitde Paris,
D et la soustenir, car elle n'avoit pas moins de quinze ou seize
» mille hommes de pied, et plus de deux mille lances : là où,
ï) en celle du prince de Condé, ainsi séparée comme lors elle
y> se retrouva, toute sa cavallerie n'arrivoit à mille chevaux, et
y> quasi autant d'harquebuziers ^ — L'occasion de ce grand
y> combat vint d'une erreur que les huguenots firent, dont
» M. le connestable se sçeut dextrement prévaloir. L'erreur fut
» en ce que M. d'Andelot, qui estoit actif, alla pour surprendre
» Poissi et tira de l'armée cinq cens chevaux et huit cens
y> harquebuziers, qui n'estoient pas des pires. J'ay ouy dire
» que, quand on proposa ceste entreprise au conseil, aucuns
» remonstroyent, qu'il ne la falloit faire; car grandes forces
» estoient arrivées à Paris ; et puis on avoit observé qu'aux
1. Disc, polit, et milit. p. 739 et suiv.
2. « CeUe bataille (de Saint-Denis) eut un spectateur que nous ne pouvons ou-^
» blier, ce fut le mesme chambrier du grand seigneur, qu'on avoit amusé depuis
» Bayonrie, qui fut convié avec des principaux de Paris d'aller à Montmartre
» voir le passe-temps du combat; ce qui a esté jugé une grande ignorance à
» celui qui avoit la charge des ambassadeurs, de lui laisser voir un roi, que
» son maistre tient estre le plus grand des chrestiens, avoir des sujets qui osent
» présenter des batailles sous sa moustache : quoi que ce soit, l'ambassadeur
» voyant sortir les trois gros de Saint-Denis, et puis les trois charges, mais sur-
» tout voiant enfoncer tant d'escadrons et de bataillons par une poignée de
» gens, et donner au général, s'écria par deux fois : Oh! si le grand seigneur
» avoit mille hommes de mesme que ces blancs pour mettre à la teste de cha-
» cune de ses armées, l'univers ne lui dureroit que deux ans. » (D'Aubigné,
hist. univ., t. I, liv. IV^, chap. x.)
- 496 —
» escarmouches dernières, les gentilshommes catholiques n'a-
y> voient fait que crier : huguenots, attendez encores trois ou
» quatre jours, et nous verrons si vous estes si mauvais qu'en
)) faites la mine ; et que c'estoient advertissemens de bataille par
)) ceux qui estoyent exhortez par leurs chefs de s'y préparer, et
y> qu'on ne devoit négliger cela. Mais, comme on est quelque-
» fois rempli de trop de confiance, on ne laissa de passer outre.
» — M. le connestable estant adverti de ceci par ses espies,
y> jugea qu'il ne fallait laisser passer ceste feste sans danser;
y> et, comme c'estoit un vieux routier de guerre, il ne se con-
y> tenta pas d'estre asseuré par les aureilles, il voulut l'estre
)) aussy par les yeux. Parquoy il fit sortir, le jour mesme, sept
» ou huit cens lances, favorisées, es retraites, d'un nombre
)) d'harquebuziers, pour se présenter en ordonnance à la veue
» des logis de ceux de la religion, pour sçavoir leurs forces à la
)) vérité, et de ce corps se desbandèrent deux cens lances qui
y> leur allèrent donner une très chaude alarme. Eux ne failli-
» rent de la prendre, et pensans qu'on les venoit attaquer à
» bon escient, tous sortirent avec leurs chefs, en bonne déli-
)) bération. Mais les catholiques ayans reconnu ce qu'ils vou-
» loient, se retirèrent, et les capitaines en allèrent faire le
y> rapport à M. le connestable, l'assurant que toute leur force
y> de pied et de cheval ne passoit deux mille hommes, mais,
» comme on dit, prompte à l'esperon. C'est, répondit-il, le
» temps de les attraper, et qu'un chacun se prépare à la bataille
» qui se donnera demain. — A l'aube du jour, il fit sortir toute
» son armée aux champs, sa délibération estant, s'ils ne vou-
)) loient venir au combat, de leur faire quitter, à coups de
» canon, Aubervilliers, et Saint-Ouyn où M. l'admirai et le
)) s' de Genlis estoient logez, espérant après gaigner les ba-
» teaux de passage pour trancher chemin à M. d'Andelot. Et,
» à ce que j'ay entendu, ledit sieur connestable estimoit qu'ils
» ne se hazarderoyent pas de combattre, n'ayant toutes leurs
— 497 —
» forces entières, et qu'ils se retireroyent tous dans la ville de
» Saint-Denis ; ce qui arriva autrement ; car il n'y eut pas
3» moins d'ardeur de venir aux mains, d'un costé que d'autre,
» nonobstant la grande inégalité. — Les catholiques avoient
y> quatre avantages sur leurs ennemis, sçavoir : l'artillerie, le
)) nombre d'hommes, les bataillons de picques, et la place
» haute et relevée. Tout cela n'empêcha point que ceux de la
)) religion ne les allassent assaillir, lesquels se rangèrent
y> en trois corps de cavallerie, mais tous simples, c'est-à-dire en
» haye, qui est un ordre très mauvais, encores que nostre gen-
}) darmerie l'ait longtemps pratiqué ; mais l'expérience nous a
» enseignez devenir à l'usage des esquadrons. Le combat s'en-
)) suyvit après, qui fut fort furieux, et dura près de trois quarts
» d'heure : et ceux qui y ont ensanglanté leur espée, soit d'un
i> costé ou d'autre, se peuvent vanter de n'avoir pas faute de
)) courage, l'ayant esprouvé en un lieu si périlleux. — M. l'ad-
y> mirai m'a quelquefois dit que l'harquebuzerie à pied, qu'il
y> avoit rangée à ses flancs, lui servit grandement; car tirant de
y> cinquante pas, elle fit beaucoup d'offense à la cavallerie des
)) catholiques, qu'il chargea. — Voilà où nos discordes nous
» ont conduits, de nous baigner dans le sang les uns des autres.
» L'issue fut telle que ceux de la religion furent chassez de
» dessus la place et suyvis plus d'un demi quart de lieue ; et par
ï) aventure que pis leur fust arrivé, sans la nuit, laquelle les
» favorisa à leur retraite, qui ne fut sans quelque désordre. Il y
» eut aussi de l'autre costé des gens qui se retirèrent non moins
» diligemment que de bonne heure, et spécialement l'infanterie
» parisienne. En somme, les catholiques eurent l'honneur de
» la bataille en ce que le champ et la possession des morts leur
}} demoura. — M. le prince de G onde avoit jà mandé à
» M. d'Andelot de retourner en diligence; il lui redepescha
D encores pour le haster, craignant que le lendemain on ne le
)^ vinst rattaquer. Mais à minuit il retourna très marri de n'avoir
II. 32
» esté à la feste. Et après que chacun se fut reposé, les chefs
» dirent qu'il estoit nécessaire de rabattre un peu de la gloire
)) que leurs ennemys pensoient avoir acquise, en leur monstrant
» qu'on n'avoit pas perdu le cœur ni l'espérance : et mettant
» leur petite armée aux champs, bien délibérée, ils s'allèrent
y> présenter devant les fauxbourgs de Paris, bruslant un village
» et des moulins à vent, à la veue de la ville, pour les acertener
» que tous les huguenots n'estoyent pas morts, et qu'il y avoit
y> encore de l'exercice préparé, mais personne ne sortit, à cause,
» comme il est bien à présumer, de la perte de M. le connesta-
» ble. Cette démonstration que firent les huguenots conserva
y> leur réputation. y>
Le connétable, blessé à mort, avait été ramené à Paris : il y
expira, le lendemain de la bataille.
Dans le cours de l'action, avaient péri, du côté des catho-
liques, le comte de Ghaulnes, Jérôme de Turin, Claude de Ba-
tarnai, baron d'Anton, plusieurs des principaux officiers, qua-
rante gentilshommes; et, du côté des réformés, plus de cinquante
combattans appartenant à la haute noblesse, notamment Fran-
çois, comte de Sault, de Saint- André, son frère, Nicolas de
Champagne, comte de la Suze, Charles d'Ailly de Piquigny,
vidame d'Amiens, et son fils, de Carènes, et François de Bar-
bançon de Gany.
Quant à Coligny, il avait couru le plus grand danger. Un che-
val turc, qu'il montait, dont la bouche était forte et dure, rompit
sa bride, s'emporta, et l'entraîna dans la mêlée des fuyards de
l'armée catholique, qui, s'ils eussent reconnu l'amiral, lui
eussent fait un mauvais parti; mais comme ils ne pouvaient se
rendre compte que ce fut lui qui se trouvât parmi eux, il réussit
à se dégager de la mêlée, et rejoignit, sain et sauf, ses compa-
gnons d'armes à Saint-Denis.
Alors que la petite troupe des réformés occupait encore cette
ville, Coligny, ses frères et Gondé crurent devoir adresser au
— 499 —
Sénat de Strasbourg, le 14 novembre *, une lettre collective,
ainsi conçue :
c Aux très magnifiques seigneurs, messieurs du Sénat de
» Strasbourg. — Messieurs, vous avez peu estre cy-devant bien
» informez de la malheureuse conspiration d'aucuns mauvais et
)) infidèles conseillers du roy contre tous les princes, seigneurs,
» gentilshommes et autres subjectz de Sa Majesté, suivans la
» pureté de l'Évangile, à laquelle ainsi que l'exécution en estoit
» prochaine, nous avons été contraintz de nous opposer et avoir
» recours au seul et dernier remède qui nous restoit, de re-
)) pousser la force par la force; supplians, néantmoings conti-
» nuellement Sa Majesté par requestes, par escript, avec toute
» l'humilité qu'ung bon et naturel subject doibt à son prince
» de n'adjousier foy aux pernicieux conseils de ses dictz con-
)) seillers, et nous accorder seulement la liberté de l'exercice de
» nostre religion et pur service de Dieu, avec la seureté de nos
)) personnes et biens ; mais la malignité desdits infidèles con-
» seillers a esté telle que, abusans de l'aage du roy, ilz l'ont
» destourné d'entendre aux moyens de pacification et à nos
» justes et légitimes requestes, et cependant assemblent forces
» de toutes partz, tant dedans que dehors ce royaume, pour
» nous exterminer, ne pensans que aux conseils de la guerre en
y> laquelle Dieu a permis, pour nous chastier de ses verges,
» qu'ils soient entrez si avant que de nous avoir desjà donné
)) une bataille dont ilz n'ont raporté, grâces à Dieu, que honte
» et dommage, après laquelle nous n'avons néantmoins délaissé
y> de les recercher de nouveau du bien de la paix, afin de pré-
)) venir le mal dont ce royaume est menasse, auquel tant s'en
i> fault qu'ilz ayent volunté de pourvoir de remède convenable,
» que au contraire ils démonstrent estre plus animez que au-
» paravant et n'avoir autre but que de ruiner la doctrine évan-
i. Archives de Saint-Thomas, à Strasbourg.
— 500 —
» gélique. — Et par ce, messieurs, que ceste cause est publique
y> et de singulière importance pour tous ceulx qui font pro-
» fession de la pure religion, et que nous avons besoing d'estre
» par eulx secouruz contre si grandes forces, nous avons estimé
» ne pouvoir avoir meilleur recours que à vous qui vous estes
y> des premiers employez pour l'advancement de la gloire de
» Dieu et avez toujours maintenu constamment et vertueuse-
» ment la vraye religion, afin de vous vouloir prier, au nom de
y) Dieu, de nous vouloir, à ce besoing, aider des grans moyens
y> qu'il vous a mis en mains, jusques à la somme de cent mille
» talers, pour seureté de laquelle, oud'aultre telle somme que
y) vous nous vouldrez fournir, nous vous envoyons nostre blanc
0) signé et scellé, pour le faire remplir en telle et si seure forme
» que vous adviserez ; vous prometans en oultre par la présente,
» devant Dieu, et sur nostre foy et honneur, de satisfaire au
y> contenu de ladite obligation, de mesme de vous en passer
» encore tels autres actes et instrumens que vous vouldrez et
» verrez estre besoing; oultre ce que toute la cause vous en sera
y> grandement obligée, nous vous en demeurerons particulière-
» ment et si estroitement obligez, que, toutes nos vies nous
)) serons prestz de nous en revencher partout où le moyen et
)) occasion se présenteront, vous conjurant de rechef, au nom
-» de Dieu, qu'en ce faict, qui touche son honneur et le salut
)) public, vous veillez nous subvenir aussy promptement que le
)) cas le requiert, coupans chemin de vous mêsmes à toutes les
2) difficultez que la distance des lieux et le dangier des passaiges
y> pourroient apporter, auxquelles nous n'aurions moyen de
)) donner si tost ordre, et vous confians de nostre foy et parole
» que nous vous donnons. — Sur ce, nous suplions nostre sei-
» gneur, messieurs, vous vouloir conserver en parfaite santé et
» prospérité, et vous tenir en sa très saincte garde. De Sainct
3) Denys en France, ce XIIII novembre 4567 : vos entièrement
» bons amys, Loys de Bourbon, Ghastillon, cardinal de Chas-
— 501 —
y> tillon, Andelot. — P. S. Messieurs, vous entendrez le surplus
3 par le s'Zambres, présent porteur, auquel nous vous prions
y> adjouster foy comme à nous mesmes. »
Le lendemain, 15 novembre, la lettre suivante, revêtue des
signatures de Gondé, de Goligny, d'Odet, de d'x\ndelot, et de
six autres chefs réformés, fut expédiée aux syndic et conseil de
Genève ^ :
» Messieurs, vous pouvez estre suffisamment advertiz des
)) pernicieux desseings et capitalles entreprises qui de long-
0 temps estoient brassées par deçà contre tous ceulx qui font
y) profession de la religion réformée en ce royaume, lesquelles
» estant sur le point d'estre exécutées, Dieu nous a fait la
y> grâce de les descouvrir, qui nous a réduictz en ceste néces-
:s> site de nous assembler, non sans grand regret, pour les maulx
y> que nous cognoissons que pourra apporter en cedit royaume
» ceste guerre, afin d'essayer avec l'ayde de Dieu de nous en
3) garantir ; et voyans que l'on s'ayde de tous moyens que l'on
» se peult adviser contre nous, et mesmes de toutes sortes d'es-
» trangiers et de toutes nations,nous sommes aussi contraintsd'en
» faire venir d'Allemagne, et pour le payement d'iceulx avons
» nécessairementbesoin de nos bons amys, et mesmes de ceulx
» qui favorisent une si sainte cause comme vous faictes, vous
» ayant à ceste fin bien voulu faire la présente pour vous prier,
y> messieurs, le plus affectionnément que faire pouvons, et sur
)) tout ce que vous désirez faire service à Dieu et plaisir à ceste
» compaignie, de nous vouloir prester les cinquante mille
y> tallers que vous aviez dernièrement empruntez de ceulx de
3) Basle, et où vous les auriez rendus, vouloir prester vostre
» nom pour les recouvrer, et oultre la seureté que vous en
» donnera ce porteur, que nous envoyons exprès, et l'asseurance
» que vous donnons que, si vous ne vous contentez de nos
1. Archives do Genève, u" 1839.
— 502 —
» blancs signez, vous en baillerons cy-après tels autres actes
y> et instruments que vous vouldrcz demander, vous vous pou-
)) vez asseurer qu'en meilleure occasion ne pouvez-vous vous
y> employer pour l'advancement et la gloire de Dieu comme....
» pour Testât que nous en faisons sur la confiance qu'avons
)) de vostre bonne amytié et affection en nostre endroict. »
Les confédérés, craignant que l'armée royale ne les assié-
geât dans Saint-Denis, abandonnèrent cette ville et se rendirent
à Montereau.
La princesse de Gondé et Charlotte de Laval étaient venues
au devant d'eux * : le prince el l'amiral assurèrent aussitôt leur
acheminement vers Orléans, dont de Lanoue venait de se
rendre maître, et où elles seraient en sûreté, ainsi que leurs
enfants.
De Montereau, dont la garde fut confiée à un officier d'une
bravoure éprouvée, les confédérés s'avancèrent dans la direc-
tion de la Lorraine, à la rencontre des troupes auxiliaires
qu'ils attendaient d'Allemagne; et après s'être emparés de
Pont-sur- Yonne, de Brai-sur-Seine et de Nogent-sur-Seine, ils
arrivèrent à Epernay.
Cependant Catherine, immédiatement après la mort du con-
nétable, avait fait nommer au commandement général des
troupes royales son fils de prédilection, Henri, duc d'Anjou ^, à
peine adolescent, et conséquemment incapable d'exercer par
lui-même une autorité, dont furent investis, de fait, les chefs et
seigneurs placés auprès de lui par sa mère. Sous la dictée de
celle-ci, Henri, dérisoirement transformé en chef militaire,
1. La Popelinière, hist. de Fr. liv. 13, P 34.
2. Lettres de Charles IX, du 18 novembre 1567 au duc de Nevers età Matignon
Bibl. nat. mss. f. fr. voL 3 190 f 65 et vol. 3 193, f» 19. — « La reyne désirant
s la mort des grands est contente de celle du connestable; résout d'oster le
» commandement général des deux maisons de Guyse et Montmorency, et le
» porter à son second fils M. d'Anjou, et l'assister de bons capitaines. » {Mém.
de Tavannes, chap. xx.
— 503 —
avait écrit au duc de Nevers ^ : « Mon cousin, je m'asseure
y> que, pour l'amitié que vous me portez, vous ne serez marry
y> d'entendre ce que le roy monseigneur et frère vous escrit,
» par où vous verrez la charge qu'il m'a donnée de son lieute-
» nant-général et chef de ses armées, et de laquelle charge je
» mettray peine de m'en acquitter, au contentement et satis-
» faction dudit seigneur, et le plus au soulagement de ses
» sujets que faire se pourra. »
Tandis que l'armée royale suivait celle des réformés dans
sa marche, des pourparlers de paix avaient été engagés, vers
la fin du mois de novembre; des notes et des mémoires avaient
été échangés ^ , sans faire avancer la discussion, quand Gondé,
pour la serrer de plus près, fit remettre au roi, le 4 décembre,
par de La Gastine un mémoire ainsi libellé ^ :
« Monsieur le prince de Gondé et ceulx de sa compagnie
» supplient très-humblement Sa Majesté de vouloir croire qu'ils
» ne désirent autre chose que le bien d'une bonne et durable
» paix, et lerepos et tranquillité perpétuelle de ce royaulme. —
y> Que suivant ce qu'il a pieu à Sa Majesté cy-devant leur faire
)) entendre par messieurs les connestable, mares^hal de Mont-
» morency et autres sieurs de son conseil, et maintenant par
» l'escript que le s' de Lagastine a apporté, l'édict de la paci-
» fication leur soyt permis et accordé en la forme qu'il a esté
» faict, le VII de mars 1563, purement et simplement, ostant
» les restrictions, modifications, déclarations et interprétations
y> qui y ont esté adjoustées et lesquelles ont esté la semence
y> des troubles présens. — Qu'il plaise aussy à Sa Majesté, que
» tous haults justiciers et ayans pleins fiefs de haubert puissent
)) avoir l'exercice de la religion réformée en leurs maisons, pour
1. Bibl.nat. mss. f. fr. 3193, f» 20. Lettre du 18 novembre 1567.
2. 29 novembre 1567. Bibl. nat. mss. fonds Colbert, V^ vol. 24, f'114. —
Ann. 1567. Ibid., vol. 24, f^ 115, 116. 119. —2 décembre 1567. Ibid. vol. 24,
fos 121^ 122.
3: Bibl. nat. mss. fonds Colbert, V<=. vol. 24, f« 123.
- 501 —
j) tous ceulx qui s'y vouldront trouver, librement, sans con-
)) train te et sans armes, et qu'en chacun bailliage, senes-
5) chaussée, ou gouvernement tenant lieu de bailliage, lieux
)) commodes soient assignez pour l'exercice de ladite religion,
)) au choix et nomination desdits de la dite religion, qui sera
)) promptement faicte ; ensemble qu'ez bailliages qui sont de si
)) longue estendue que ung seul lieu ne leur peult suffire pour
» faire ledit exercice, il plaise à Sa Majesté, en soulageant
» sesdits subjectz, leur vouloir bailler quelque autre lieu pour
» secours, à leur choix, pour ceulx qui s'y voudront trouver. —
y) Qu'il plaise en oultre à Sa Majesté, en usant de sa bonté et
3) libéralité royale envers sesdits subjectz, en considération qu'il
» est impossible qu'un si grand nombre des habitans de la
» ville de Paris qui font profession de la dite rehgion et plusieurs
3) sieurs gentilshommes et autres personnes de tous estatz qui
» sont contrainctz y faire séjour pour leurs affaires et procez
y> y puissent vivre sans exercice d'icelle, leur permettre quelque
2) lieu en la banlieue de ladite ville, tel que sa Majesté vouldra
j-> ordonner pour y faire ledit exercice, à ce que cy-après ses
)) édictz puissent estre observez sans aucune contradiction, et
» que chacun ne pense désormais qu'en luy rendant entière
2) obéissance à vivre selon les règles de sa religion. — Et à ce
D que ung chacun soit esclaircy de ce qui est comprins soubz le
» mot d'exercice de ladite religion, qu'il plaise à Sa Majesté
» déclarer et spécifier par son édict tout ce qui est nécessaire
» pour l'entretenement d'icelluy exercice, sçavoir : presches,
» administration de sacremens, catéchismes, écoles, mariages,
y> Visitation de malades, sépultures, censures, consistoires, col-
» loques et synodes. — Finalement pour couper chemin entre
)) les subjectz à toutes deffiances ou occasions et espérances
» d'entreprendre les uns sur les autres, qu'il plaise à Sa Majesté
)) que son édict de pacification soit perpétuel et irrévocable,
)) avec la forme et seuretez à ce requises. »
I
— 505 —
Le 7 décembre, Gombaut transmit à Gondé une réponse
signée par le roi ^ Elle portait :
« Le roy accorde à M. le prince de Gondé et à tous ceulx qui
y> sont de la religion prétendue réformée, qu'ils puissent jouyr
y> de l'édict de pacification faictà Orléans, purement et simple-
y> ment, levant et ostant toutes restrictions, modifications,
y> déclarations et interprétations qui ont esté faictes depuis le
D T jour de mars jusques à aujourd'huy ; et quant aux gen-
y> tilshommes qui sont de la qualité de ceulx qui peuvent faire
» prescher en leurs maisons, Sa Majesté, s'asseurant qu'ils ne
» feront rien qui préjudicie à son service en leurs dites maisons
» pour le regard desdits presches, est contente de leur oster
y> toutes restrictions. — Et pour la seurete de ce que dessus,
)) le roy leur baillera sa parole, ses lettres-patentes et son scel,
y> le tout omologué par ses courts de parlementz, qui sont
» toutes les seuretez que ung roy peult donner à ses subjectz
y> et que les subjectz peuvent demander et attendre de leur
3 prince. — Et cela faict et omologué à ladite court de parle-
» ment de Paris, Sa Majesté veult et entend que ledit sieur
)> prince de Gondé et ceulx de ladite religion se désarment et
)) départent des armes et se retirent en leurs maisons, dans
)) vingt-quatre heures après, et remectent entièrement les villes
)) qu'ils tiennent et occupent à présent en son obéissance et
y> entre les mains du roy. — Voulant et entendant sadite Ma-
» jesté que, aussitost qu'ils auront accepté les susdites condi-
)) tions, ils ayent en toute diligence à contremander toutes les
)) forces d'estrangers par eulx appelez à leur service pour, en
» ce faisant, auter à la fouUe du pauvre peuple de son royaulme.
» — Qui est la finalle intention et résolution de sadite Majesté,
y> à quoy s'ils ne se consentent et accordent, ne fault plus en
y> parler! »
1. Rihl. nat. mss, fonds Colbert, V" vol. "24, f" 136.
— 506 —
Cet écrit passait sous silence quelques-uns des chefs de récla-
mation présentés par Condé, et laissait dans le vague certains
points, qu'il était indispensable d'éclaircir. Aussi, Téligny fut-il
envoyé, du camp près d'Epernay, vers le roy, pour s'acquitter
d'une mission que précisait l'instruction suivante ^ , en date du
16 décembre :
« Monsieur le prince de Condé et toute sa compaignye n'ayant
» jamais rien plus désiré que de veoir bientost en ce royaulme
» une bonne et asseurée paix et une entière réconciliation des
y) volontez dessubjectz du roy, a grandement loué Dieu, ayant
)) veu ung mémoire que le s"" de Combaulx luy a apporté de la
y> part de sa Majesté, et reçeu non moindre plaisir et d'autant
» plus grand encores après qu'il a entendu la créance et charge
» que avoit ledit s' de Combaulx de déclairer et déduire plus
particulièrement les articles contenus au dict mémoire, pour
l'espérance que cella luy donne que Dieu fera bientost la
grâce à ce royaume de jouir du bien et bénéfice d'une bonne
et durable paix. Mais pour ce que la parolle y sert de bien peu
sy l'effect ne s'en ensuit, affin de faire paroistre le désir et
affection singulière que ledit sieur prince et sa compaignye
ont non seulement de procurer et advancer ung si heureux
commencement, mais aussi de l'effectuer bientost, s'il plaist
à Dieu luy en faire la grâce, comme il en a la volonté ; d'aul-
tant que par ledit mémoire il n'est faict mention ny aulcune-
ment satisfait à quelques articles contenuz ou inserez en
celluy que ledit sieur prince a naguières envoyé à Sa Majesté,
et que en celluy que a aporté le s"" de Combaulx il semble
y en avoir qui ne sont bien particulièrement spéciffiez et
déclarez, lesquelz on pourra révocquer en quelque doubte ou
difficulté, pour n'estre assez bien entenduz, affin d'oster toutes
» occasions de nouvelles interprétations ou déclarations et
1. Bibl. nat. mss. fonds Golbert, V« vol. U, f» 131.
— 507 —
y> rendre l'intention et volonté de Sa Majesté, vouloir depputer
)) certains personnaiges d'honneur et de qualité, amateurs du
» bien et repoz de ce royaume, pour en conférer et communi-
i) quer, en lieu propre et convenable, avec messieurs les cardi-
y> nalde Ghastillon, comte de Larochefoucault et s"" de Boucha-
)) vannes, que ledit sieur prince a, de sa part, nommez et choisiz
3) pour cest effect, lesquelz ensemble rédigeront -le tout par
y> escript le plus intelligiblement que faire se pourra, estimant
» ledict sieur prince que l'on ne peult prendre une voye plus
ï> prompte et plus brefve pour bientost parvenir à l'efïect et
» exécution d'une bonne paix, d'autant mesmes que les allées
T> et venues de ceulx que Sa Majesté dépescheroit pardevers
» ledit sieur prince pour traicter de ce faict n'apporteroient
» que longueurs et dilations, au grand préjudice des affaires
y> de Sa Majesté, et à la foulle et oppression de ses subjectz,
» et affm de faire encores entendre plus particulièrement à
y> Sa Majesté l'intention dudit sieur prince et de quelle sincé-
3) rite il veult cheminer en ce faict, il la supplie très hunible-
» ment avoir pour agréable qu'il luy ait envoyé le s' de Thé-
)) ligny, présent porteur, sur lequel il se remet du surplus. Faict
3) au camp près Espernay, le 16 de décembre 1567. »
Trois lettres ^, adressées par Gondé au roi, à la reine mère,
et au duc d'Anjou, spécifiaient le but précis de la mission
confiée à Téligny. Il suffira de reproduire ici la lettre que reçut
le roi, la voici :
« Sire, suyvant le mémoyre qu'il a pieu à Vostre Majesté
)) envoyer, signé de vostre main, par le s' de Combault, lequel,
)) après l'avoir bien considéré, j'ay faict veoir aux principaulx
» de ceste armée, tous ont esté d'advis, et moy avecques eulx,
y> de despescher vers vostre Majesté le s' de Théligny, présent
)> porteur, pour vous supplier très humblement, sire, qu'il vous
1. Bibl. nat. mss. fonds Colbert, vol. U, fo« 132, 133, I3i.
- 508 —
» plaise désigner certains notables personnages, lesquelz
» avecques messieurs les cardinal de Ghastillon, comte de
j> Larochefoucault et de Bouchavannes, ayent à se trouver en
» tel lieu qu'il vous plaira ordonner, et là estant assemblez,
y> puyssent conférer des poinctz qui nous ont semblé subjectz à
» interprétation et éclaircissement, afin que de la résolution
» qui sur ce en sera prinse soyt basti un tel et si bon fondement
» de réunion et réconciliation entre vos subjectz que la paix
)) en soyt perpétuelle et le bien de vostre estât en parfaite seu-
y> retté, comme de nostre part, sire, et affectueusement nous
» le desirons, et nous remectant du surplus àla suffisance dudict
» s' de Théligny de ce qu'il a à vous très humblement remons-
)) trer, je supplieray le créateur vous donner, sire, en toute
)) vertueuse prospérité très heureuse et très longue vye.
» Escript au camp de Sainct-Martin, ce 17" jour de décembre
)) 4567. — Vostre très humble et très obéissant subject et ser-
» viteur, Loys de Bourbon. »
Le 20 décembre, Charles IX envoya au duc d'Anjou, Ligne-
rolles, porteur de ces ligues ^ :
(( Le roy envoyé présentement à monseigneur le duc d'Anjou,
» son frère, le double des lettres que monseigneur le prince
» de Gondé luy a escriptes par le s' de Telligny, ensemble
)) coppie de l'instruclion baillée par ledit sieur prince audit
» s' de Telligny, sur lesquelles après qu'il a esté ouy par Sa
» Majesté, et semblablement le s' de Gombault, sa dite Majesté
)) a adviséde faire audit s' prince laresponce telle que mondict
)) seigneur son frère pourra veoir, laquelle luy est présentement
i) envoyée par sa dite majesté, afin que mondict seigneur son
)> frère et les princes et seigneurs qui sont auprès de luy ^,
1. Bibl. nat. mss. fonds Colbert, vol. 2i, f» 135.
2. Le conseil du duc d'Anjou se composait alors des ducs de Nemours et de
Longueville, d'Artus de Cessé, maréchal de France, de Gaspard de Saulx comte
— 509 —
» l'ayant veue et entendue, en puissent dire franchement et
)) mander à sa dite Majesté leur advis, qu'elle veult et entend
» suyvre et croire comme elle a tousjours faict, pour l'asseu-
» rance qu'elle a qu'ils la sçauront très bien conseiller en tous
» affaires et mesmes encestuy-cy, où comme jusques à présent
)) il ne s'est riens faict ny passé que par l'advis d'eulx tous. Sa
y> dite Majesté aussy veult et entend les en rendre incessam-
» ment advertis pour, selon leur bon conseil, se y gouverner,
» résouldre et conduire. — Or, afm de ne perdre point le temps,
» Sa Majesté, en attendant d'avoir leur advis, n'a point voulu
» retenir icy ledict s' de Telligny, lequel dès demain elle dépes-
» chera avec ledict Combault et le fera passer par le camp,
» affin, que, si tant est que mondit seigneur son frère et lesdits
» princes et seigneurs ayant entendu l'intention de sa dite
» Majesté telle qu'ils la verront par escript et que leur dira
» au surplus le s' de Lignerolles, sont d' advis de bailler audit
» de Telligny ladite responce, mondit seigneur son frère la luy
y> face incontinent délivrer et le renvoyé vers ledit prince de
» G onde pour le tenir au plustost que faire se pourra adverty de
» l'intention de sa dite Majesté. — Et cependant cela s'asseure
» que, durant ceste négociation de paix de laquelle l'issue est
» incertaine et dépend de la volonté de Dieu, mondit seigneur
» son frère et lesdits princes et seigneurs estans avec luy n'o-
» blieront riens à faire de ce que le debvoir de la guerre leur
» offrira, ayant sadite Majesté remis eneulx toute sa principale
» espérance et confiance. — Sa dite Majesté a avec grand
» regret entendu la prinsedu jeune Lanssac qui estoit dépesché
» pour chose de très grande importance, et aymant le père et
» le fils comme il faict, désire que, s'il est prins quelque pri-
)) sonnier de la qualité dudit Lanssàc, mondit seigneur son
» frère le garde et accorde pour l'eschange d'icelluy. — Si les-
de Tavannes, de Sébastien de Luxembourg de Martigues, de François de Car-
navalet, gouverneur du prince, et de Jean de Losses.
— 510 —
» dits articles et responce faicte par Sa Majesté sur le mémoyre
» apporté de la part du s' de Telligny sont trouvez bons par
y> mondict seigneur son frère et les princes et seigneurs qui
» sont avec luy, il faudra que, au retour que ledict de Telligny
y> fera vers mondict seigneur son frère, et semblablement le
» s' de Combault, qu'il baille aux dicts de Telligny et Gombault
» ladicte responce, affin que, allant vers ledict sieur prince
)) de Gondé, ledict Gombault, il puisse sçavoir et entendre de
» luy son intention et icellë rapporter à mon dict seigneur son
ï) frère. y>
La réponse du roi à Gondé, mentionnée dans les lignes ci-
dessus et, comme elles, datée du 20 décembre, portait ^ :
« Par les articles que le roy a dernièrement envoyés à mon-
» seigneur le prince de Gondé et à ceulx de sa compagnie tou-
» chant les conditions de la paix. Sa Majesté a estimé s'estre
» mise en tel debvoir et les avoir si amplement esclairciz de son
)) intention et de ce qu'elle leur vouloit et entendoit accorder et
)) octroyer sur les requestes et demandes par eulx faictes tant
» pour la liberté de leurs consciences que pour toutes les seu-
» retez pareulx désirées pour leurs vies, biens et honneur, qu'il
» s'assuroit que après avoir esté veuz par eux lesdicts articles, il
» n'y auroit plus rien à délibérer ne changer à iceulx. — Mais
D depuis voïant que ledict sieur prince de Gondé et ceux de
y> sadicte compagnye n'aiant purement et simplement accepté
» lesdits articles, luy ont envoyé le s' de Telligny pour luy faire en
» tendre qu'ils désireroient estre plus amplement satisfaits et
)) esclairciz et que à ces fins il pleust à Sa dite Majesté de dep-
» puter trois notables personnaiges, comme à présent ils nom-
)) ment de leur part, à sçavoir: messieurs les cardmal de Ghastil-
» Ion , comte de Larochefoucault et Bouchavanes, ponr convenir
)) et s'assembler en tel lieu qu'il plairoit à Sa dite Majesté de
1. Bibl. nat..mss. fonds Coibert, V*- vol. 24, f 136.
— 511 —
» choisir et nommer afin d'esclaircir davantage ledit dernier
)) mémoire, et leur satisfaire aussy quelques poincts qui estoient
» portez par un autre mémoire précédent, envoyé de leur part à
» Sa dite Majesté, par le s' de Gombault sur ce mesme faict; —
» Sa dite Majesté, après avoir ouy lesdits s" de Telligny et Gom-
» bault sur tout ce que dessus, et veu les lettres de mondit sieur
» le prince de Gondé et l'instruction par escript par luy donnée
» audit sieur de Telligny, a bien voulu faire entendre au sieur
y> prince de Gondé et à ceulx de sa compagnie que, ne voulant
y> rien obmectre pour l'entière réunion de ses sudjectz et paci-
y> fication de son roïaulme, il est toujours très content de leur
y> accorder et octroyer le contenu ausdicts derniers articles qu'il
» a tousjours estimez assez amples et intelligibles, sans qu'il soit
)) besoing pour ce regard d'aucune assemblée de depputez. Et
» toutesfoys sy sur iceulx il y a quelque doubte ou interpréta-
» tion à faire dont ils désirent estre satisfaicts. Sa dicte Majesté,
j) commeen sa présence elle a faict arrester ledict dernier mé-
» moyre à eulx envoyés sera contente que les dessusdicts sieurs
j) nommez par ledit sieur prince ou autres telz qu'il vouldra
)) choisir, puissent présentement venir en toute liberté et seureté
» là part où sera Sa dicte Majesté, pour, en sa présence, estre
» esclairciz et faire l'interprétation nécessaire sur ledict mé-
y> moire, ausquelz par Sa dicte Majecté sera donnée toute gra-
» cieuse audience et seur accez et toute raisonnable satisfaction
y> et contentement. — Et pour l'effect que dessus sa dicte Ma-
» jesté leur fera délivrer les saufs-conduictz nécessaires tant
» pour l'aller que pour le séjour et retour aussitost que ledict
» s"" prince luy fera entendre qu'il vouldra recevoir ce moyen,
» si mieulx il n'aime, pour éviter à toute longueur, prendre
» ledit sauf-conduit de monsieur le duc d'Anjou, son frère, y)
Il avait été convenu que pendant la durée « du voyage de
» Téligny en cour », aucun acte d'hostilité ne serait commis
de part ni d'autre. Le 21 décembre, Goligny qui, avec l'avant-
— 512 —
aarde, était à Notre-dame-de-l'Espine, se plaignit d'une viola-
tion de la convention au duc d'Anjou, en ces termes ^ :
(( Monseigneur, le s' de Chirniervan, que vous despeschastes
» hier devers monseigneur le prince de Condé, passa là où
y> j'estois, lequel medist de vostre part que vous entendiez, qu'en
» attendant le retour de M. de Telligny auquel vous avez donné
)) congé d'aller trouver le roy, vostre armée ne passast point
» deçà la rivière de Marne, et qu'il ne se feist nul acte d'hosti-
» lité. Touteffoys contre cela sont venuz quelques-ungs de vostre
3) armée, ceste nuict, donner à ung logis auquel il y avoit quel-
)) ques gens de cheval logez de ceste avant-garde : chose que je
)) ne puis penser, monseigneur, que vous entendiez. Et pourtant
» vous suppliay-je très-humblement de m'en vouloir faire raison,
» et vous pouvant asseurer que, quand il se fûst présenté toutes
» les plus belles occasions du monde, je n'eusse souffert que
» l'on eûst rien entrepris contre la parolle qui m'avoit esté
» donnée de vostre part, comme j'ay donné charge à ce gentil-
» homme, présent porteur, vous faire entendre, et lequel pour
» tant je vous' supplieray très-humblement de vouloir escouter
» et croyre. »
Le 23 décembre, Téligny quitta la cour, reçut du duc d'Anjou
la réponse à Condé, que le roi avait communiquée au duc, et
l'apporta au prince ^.
Condé, Coligny et les autres chefs, acceptant cette réponse
comme satisfaisante, décidèrent que le cardinal de Chastillon,
accompagné, non de Larochefoucault et de Bouchavanes, dont
la présence à l'armée était jugée nécessaire, mais seulement de
quelques gentilshommes, irait conférer avec le roi, ou ses re-
présentants.
Le 25 décembre, le duc d'Anjou envoya, du camp de Vitry-
1. Bibl. nat. mss. fonds Colbert, V" vol. 24, f» 138.
2. Lettre du roi au duc d'Anjou, du 23 décembre 1567. Bibl. nat. mss. fonds
Colbert, V vol. 24, f 137.
- 513 —
le-François à Gondé, pour le cardinal de Ghastillon, un sauf-
conduit \ dont l'insuffisance motiva la lettre suivante, que le
prince écrivit d'Aspremont, au duc, le 27 décembre 2 :
« Monseigneur, ayant veu la depesche qu'il a pieu à leurs
)) Majestez me faire par le s' de Gombault, ensemble le sauf-
» conduit envoie pour monsieur le cardinal de Ghastillon,
» et ceulx qui le doivent accompaigner en ceste négociation
» limité jusques au nombre de vingt chevaulx seullement, j'ay
» bien ozé prendre la hardiesse de vous envoyer ce gentilhomme,
» présent porteur, pour vous remonslrer très humblement que
» la qualité de mondit sieur le cardinal, qui n'a accoustumé de
y> marcher par païs avecques si peu de train, ny son aage ne per-
» mectent pas maintenant de commencer, mesmement attendu
» l'incommodité des logis par les champs et en ceste saison,
» sans y comprendre les sieurs qui l'accompagneront, vous sup-
y> pliant, à ceste cause, monseigneur, aussy très humblement
)) qu'il vous plaise luy vouloir envoïer de vostre part ung aultre
y> sauf-conduit par lequel il puisse s'acheminer avecques sa dite
y> compagnie jusques au nombre de cent chevaulx, qui est le
y> moings à quoy ils doivent estre réduicts, et pour plus grande
» authorisation de ceste charge, vostre bon plaisir pareillement
)) soit de despescher quelque gentilhomme ou personnage
» d'honneur et de réputation qui les vienne recevoir vers Bar-
■» le-Duc, pour les vous conduire, si le trouvez bon, ou à
» tout le moings vers leurs dites majestez, ainsy, monseigneur,
» que de toutes ces choses ledit porteur vous fera très humble
y> requeste de ceste part. »
Satisfaction ayant été donnée au prince sur ce point, le car-
dinal partit.
Alors qu'il se rendait h Bar et de là à Ghâlons, les confé-
1. Lettre dtt duc d'Anjou à Gondé, du 25 décembre 1567. Bibl. nat. inss.
fonds Colbert. Ve vol. 2i, f> 137.
± Bibl. nul. niss. fonds Colbert. V vol. 24, f° liO.
- ël4 ~~
dérés se voyant menacés par l'armée royale, qu'un corps de
troupes envoyées par le duc d'Albe venait de renforcer, obviè-
rent au danger que leur eût fait courir alors une bataille, en
se mettant pronlptement en route pour la Lorraine, afm d'y
recevoir les auxiliaires allemands, surlesquels ils comptaient.
En même temps, l'amiral, pour entretenir les hommes d'État
de l'Angleterre dans de bonnes dispositions en faveur des ré-
formés français, écrivit à Gécil * :
«c Monsieur, les grands et vertueux et recommandables offices
» que vous avez faits jusques à ceste heure pour l'avancement
» de nostre cause et les effets qui s'en sont suivis, et dont nous
)) nous ressentons à bon escient, nous rendent un témoignaige
» si certain et asseuré du zèle et affection si singulière qu'il a
T> pieu à Dieu de mettre en vous, en ce qui touche son honneur
» et gloire et la conservation des églises qu'il a recuillies en ce
i> royaulme, oultre ce que nous en avons apprins par les
y> lettres et dépêches de monsieur le cardinal de Ghastillon,
» que j'ay pensé que je vous ferois tort et à moy mesme si je
» voulois essayer d'augmenter une si bonne et sainte volonté
» par un discours de raisons, et que ce seroit aultant si je
» voulois adjouter de la chaleur au feu ; de sorte que je me
)) contenLeray, s'il vous plaist, de vous supplier seulement par
» ceste-ci de vouloir entendre de Testât de noz affaires, de ce
y> gentilhomme présent porteur, oultre ce que vous en dira
» aussi en particulier monsieur le cardinal de Ghastillon, et nous
)) continuer la mesme et semblable volonté, et faire comme
» vous avez tousjours accoustumé et que nous avons tousjours
» attendu et espéré de vous; et combien que vous soyez 6on-
j) duit à cela pour la cognoissance que vous avez de l'équité
)) et justice de ceste Cause, qui vous est commune avec tous
)) les gens de bien, sy ne iaisseray-je pourtant, oultre le géné-
1. Record office state pap. France, vol. XLll. — De Laferrière, le XVP siècle
et les Valois, p. 204, 205*
— 515 —
» rai, de vous remercier en mon particulier de ce que vous
» avez fait jusques à ceste heure. Ce sera de mesme affection
1> que je désire estre recommandé bien affectueusement à vos
» bonnes grâces, priant le créateur, qu'en augmentant en vous,
)) monsieur, les siennes, il vous maintienne toujours en sa
» sainte garde et protection. »
r Le lendemain de l'arrivée du cardinal de Châtillon à Ghâ-
lons-sur-Marne, la reine mère vint dans cette ville, en compagnie
des cardinaux de Bourbon, de Lorraine et de Guise, et déclara
au frère de l'amiral que les explications et éclaircissements qu'il
sollicitait, au nom des chefs réformés, se rattachaient à une
matière sur laquelle le roi, en son conseil, devait se prononcer
directement; qu'il fallait donc aller trouver Charles IX à Vin-
Cennes, où il résidait. Le cardinal de Châtillon obtempéra;
mais au lieu d'être admis à conférer avec le roi, il reçut l'ordre
de s'expliquer d'abord avec Jean de Morvilliers et Louis de
Saint-Gelais de Lansac, puis avec le premier président Chris-
tophe de Thou et le président René Baillet. Odet, soupçonnant
qu'on voulait traîner l'affaire en longueur, sans rien conclure,
refusa de traiter.
Trois jours s'étaient écoulés depuis son refus, lorsque Cathe-
rine, qui s'était rendue à Paris, le fit venir au couvent des
Minimes, et lui dit qu'il ne suffisait pas de traiter de la paix, si
Ton ne convenait des moyens d'empêcher que le feu de la
guerre, qui aurait été éteint, ne se rallumât ; et elle le pria de lui
donner, sur ce point, son avis :
Le cardinal répondit sur-le-champ * : « Puisque la crainte,
3) les exils et les différents supplices n'ont rien gagné jusqu'à
» présent sur les réformés; qu'au contraire, la persécution n'a
» fait qu'augmenter leur nombre et les fortifier, et que, les
» deux partis se trouvant fatigués de la guerre, il a fallu en
\. De Thou, Uû. univ., t. IV, p. 39.
— 516 —
» venir à un accommodement, il me semble qu'il n'y a point de
» meilleur moyen de l'affermir, que de faire un traité qui con-
y> tienne, de part et d'autre, tous les sujets de Sa Majesté, en
)) leur rendant également justice, sans faire aucune distinction
» de religion; et que le roi, suivant les mouvemens de la bonté
» qui lui est naturelle, partage entre eux les dignités, les
» honneurs, les grâces et les magistratures, en sorte qu'il ne
» paraisse faire que ce qu'il lui plaît, mais cependant avec
ji> raison, avec justice, et avec équité. »
Odet ajouta que, pour faire évanouir les défiances, il fallait
congédier toutes les troupes étrangères et toutes les nouvelles
levées, puisque c'était la crainte seule des unes et des autres
qui avait causé la seconde guerre et forcé les réformés à pren-
dre les armes, attendu qu'ils n'avaient pas d'autre ressource, pour
mettre à couvert leurs biens et leurs vies. « Voilà, dit-il ^ le
» vrai et le seul moyen d'établir une paix solide. Qui que ce
» soit, gentilhomme ou autre, ne sortira jamais de sa maison,
)) lorsqu'il croira que sa conscience, sa liberté, sa vie, sa for-
y> tune, sa charge et son emploi seront en assurance. Il est aisé
)> de prouver cette vérité par l'exemple d'une multitude innom-
» brable de gens que ce seul motif fait, tous les jours, venir
» en foule auprès du prince de Gondé, dont ils connaissent à
» peine le nom, qui n'ont jamais reçu de lui aucun bienfait, et
)) qui n'en espèrent aucun; très résolus à retourner chacun
» chez soi, dès que le roi aura bien voulu les maintenir sans
» crainte dans la paisible possession de ce qu'ils ne peuvent
y> s*assurer par les armes, qu'en risquant beaucoup. y>
Florimond Robertet, secrétaire d'État, ayant mis par écrit ce
discours du cardinal, la reine mère promit à ce dernier d'en
parler au roi, et s'en alla.
Le lendemain, Morvilliers vint trouver le cardinal de Châ-
1. De Thou, liist. univ., t. IV, p. 39.
— 517 -~
tillon, auquel il notifia une décision prise, le 20 janvier 1568,
par le roy, et ainsi conçue * :
« Le roy ayant entendu par la royne, sa mère, et M. le car-
)) dinal de Bourbon ce que le cardinal de Giiastillon leur a dit
» de la part du prince de Gondé et ceulx de sa compagnie des
» moyens qu'ils dévoient proposer pour la seureté dudit sieur
y> roy et repos de son royaume; en quoy toutesfois sadite Majesté
» ny ceulx de son conseil n'ont trouvé par lesdits moyens telle
» seureté qu'il en deust demeurer satisfait, a déclaré par l'ad-
» vis de tout son dict conseil, qu'il veult et entend leur obser-
y> ver ce que par cy-devant il leur a envoyé signé de sa main,
» pourveu toutesfois et à la charge que se confiant iceulx à la
» promesse dudict seigneur roy signée de sa main, ilz facent au
» préalable retirer tous les reistres, lansquenetz et autres
» estrangers qu'ils ont pardelà, les licentient et renvoyent,
» comme par les articles à eulx envoyez sadite Majesté enten-
)) doit et leur enjoignoit qu'ils feissent promptement. — Et sur
» ce qu'ilz proposent et requièrent touchant la seureté qu'ilz
» offrent donner de ne se povoir mectre en armes à l'advenir
» ny faire aucune collecte de deniers, qu'il plaise à sa dite
» Majesté de les recevoir comme ses subjectz et leur faire
» congnoistre par effect qu'il ne les a en moindre bonne estime
» que les catholiques, c'est chose que sadite Majesté est très
» contente de faire, et pour y mieulx parvenir, désire, veult et
y> entend qu'ilz viennent cy-après là part qu'il plaira à sadite Ma-
» jesté leur déclairer et esclaircir le faict qui advint entre Paris
» et Meaulx, pour par ce moyen lever à sadite Majesté toute la
)) mauvaise opinion qu'elle pourroit avoir conçue d'eulx. — Et
D estant tout ce que dessus par eulx effectué, sadite Majesté
y> leur accomplira par effect ce qu'il leur a promis par escript. »
Le cardinal de Ghâtillon répondit aussitôt"^ : que le prince de
1. Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 15 544, f" 112.
2. De Thou, hist. univ., t. IV, p. 40.
— 518 —
Condé et les confédérés n'avaient pris les armes que dans une
extrêmenécessité,etpourleurjustedéfense;que,s'ilsnereussent
pas fait, leurs ennemis eussent impunément achevé de les perdre
el de bouleverser le royaume ; qu'ainsi, ils ne pouvaient congé-
dier les troupes auxiliaires qu'ils avaient été obligés de faire
venir pour les opposer à tant de troupes étrangères que leurs
ennemis avaient levées en Italie, en Suisse, et dans les Pays-
Bas, sans exposer leurs vies, ou sans se voir réduits à aban-
donner le royaume; qu'ils ne refusaient pas néanmoins de
déposer les armes, dès qu'on aurait remis les choses dans leur
état primitif, pourvu que Sa Majesté congédiât aussi les Itahens,
les Suisses et les troupes nouvellement envoyées par le roi
d'Espagne, qu'on n'avait appelées que pour servir des projets
d'extermination. En ce qui concernait l'affaire de Meaux, le
cardinal protestait, au nom du prince de Condé et de tous les
confédérés, qu'ils n'avaient jamais pensé à former une conjura-
tion, ni contre Sa Majesté, ni contre sa maison, et qu'ils aime-
raient mille fois mieux mourir que d'avoir une pareille pensée ;
qu'ils étaient venus à Meaux uniquement pour se jeter aux
genoux de Sa Majesté et pour la supplier, avec toute l'humilité
et la soumission possibles, de vouloir bien révoquer l'arrêt que
leurs ennemis l'avaient forcée de prononcer, et qui était sur le
point d'être exécuté contre eux et contre tous ceux qui protes-
taient n'avoir point d'autre vue que de réformer et corriger les
abus qui s'étaient glissés dans la religion ; que c'était contre ces
ennemis seulement, et non contre l'autorité de la majesté du
roi qu'ils avaient pris les armes; ce qu'ils étaient prêts à soute-
nir, à main armée, contre ceux qui oseraient dire le contraire;
que, pour cela, il suppliait Sa Majesté de vouloir bien rendre
ses bonnes grâces au prince de Condé et à tous ses partisans, de
les regarder comme de très bons, très soumis, et très fidèles
sujets, de leur accorder une pleine et entière liberté de con-
science, et de les maintenir dans le libre exercice de leur reli-
— 549 —
gion, ainsi que dans la paisible jouissance de leurs biens et de
leurs dignités ; protestant qu'ils étaient disposés à se laisser
réduire à la dernière extrémité et à souffrir tout ce qu'il plai-
rait à Dieu de permettre ou d'ordonner, plutôt que de se livrer
entre les mains de leurs ennemis, qui étaient ceux du roi et de
l'État, et que d'être abandonnés à leur merci.
Les confédérés, ne pouvant plier devant l'injonction royale,
de se rendre, en quelque sorte, à discrétion, les négociations
furent rompues, et le cardinal de Châtillon se retira.
Charles IX écrivit alors aux officiers placés sous le comman-
dement du duc d'Anjou * : « Messieurs, l'asseurance que j'ay que
» mon frère vous rendra bien au long informez comme s'est
» passée la négociation du cardinal de Ghastillon touchant la
y> paix, sera cause que je ne vous en feray aultre discours par
» ceste lettre. Bien vous diray-je, puisqu'il n'y a eu moyen de
» parvenir à ladite paix, qu'il fault avoir recours à Dieu pour
» le prier de tout mon cœur de m'assister et favoriser en ma
» juste querelle, de laquelle, avec son bon secours, la bonne
» conduite de mondit frère et la vertu et vaillance de vous
» tous", je ne me puis promectre que toute bonne yssue. Vous
i^ priant tous, en ceste occasion, et en une si sainte et justt
» querelle comme est la mienne, où il va et de l'honneur de
» Dieu et de la conservation de mon estât et seureté de ma
» couronne, me faire à bon escient paroistre que, à bonne et
» juste occasion je me fie extrêmement en vous, et que plus
i) seurement ne puis-je mectre la conservation de mon dict
» estât que entre les mains de mondit frère et de vous tous. Et
» sachant assez de quelle affection vous embrassez tous ceste
)) cause, me remectant sur ce que mondit frère vous en dira
» plus au long, je fmiray ceste lettre en priant Dieu qu'il vous
y> ayt en sa saincte et digne garde. »
i. Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 15 544, f» 92. Lettre du 20 janvier 1568.
— 520 —
La réception de cette lettre ne changea rien à la résolu-
tion, récemment prise par le conseil placé auprès du duc d'An-
jou, de ne pas poursuivre l'armée des confédérés ; résolution
au sujet de laquelle de Lanoue * s'exprime ainsi : « L'armée de
« monseigneur (le duc d'Anjou), voyant cest éloignement (de
» l'armée du prince de Gondé), désista de la poursuite. Et
)) aucuns se glorifioyent de ce qu'on avoit chassé les hugue-
» notz hors du royaume. Autres plus clairvoyans, s'apperce-
» vans bien qu'on ne les pouvoit plus empescher de joindre
» leurs forces allemandes, furent d'avis de les laisser courre,
)) et aviser aux moyens de les garder de rentrer. Mais il y en
» eut aussi, et non petite quantité, qui jettèrent un grand
» blasme sur aucun conseillers de monseigneur, de quoy on
y) les avoit laissé eschapper sans les combattre, et disoyent que
y) l'admirai s'entendoit secrètement avec eux; ce qui estoit une
» imagination du tout fausse, et de quoy luy mesme se rioit •
)) m' ayant dit plusieurs fois n'en avoir nulle, mais qu'il tasche-
y> roit cependant à les entretenir en ce soupçon. »
1. Disc, polit, et milit, p. 745.
CHAPITRE IX
L'Électeur palatin Frc'déric III et son fils le duc Casimir. — Leur sympathie pour les
réformés français. — Frédéric justifie, dans une protestation, l'envoi de troupes auxi-
liaires en France, sous la conduite de son fils. — Jonction de ces troupes avec celles
de Condé, en Lorraine. — Sacrifices faits par celles-ci pour subvenir au payement
de la solde des auxiliaires allemands. — Rentrée des confédérés en France, l'amiral
y assure leur marche, leur approvisionnement et leur séjour. — Siège de Chartres. —
Fait d'armes de Coligny. — Renée de France à Montargis. — Charlotte de Laval à
Orléans. Soins assidus qu'elle prodigue aux blessés, aux malades, aux pauvres. —
Atteinte d'une maladie mortelle, elle écrit à son mari. — L'amiral accourt à Orléans.
Mort de madame l'amirale. — Profonde affliction de Coligny. — Son allocution à ses
enfants. — Il est obligé de les quitter pour aller reprendre son commandement, sous
les murs de Chartres. — Négociations en vue d'une paix. — La paix, dite de Longju-
meau est conclue. — Lettre de l'amiml à Catherine. — II revient à Châtillon. —
Lettre que Th. de Rèze lui adresse, au sujet de la mort de Charlotte de Laval.
Les troupes auxiliaires, à la rencontre desquelles marchaient
Condé et ses compagnons d'armes, étaient envoyées par un
prince, l'électeur palatin Frédéric III, et conduites par un chef,
le duc Casimir, son fils, dont on appréciera d'autant mieux les
sympathies pour la réforme française, qu'on se sera préalable-
ment rendu compte du caractère et des antécédents de chacun
d'eux.
Frédéric III, dit le Pieux, fils aîné du comte palatin Jean II
de Simmern, et deBéatrix, fille du margrave Christophe de
Bade, naquit à Simmern, Te i4 février 1525. Son père, ami des
lettres, prit un soin particulier de son éducation, et, pour la
compléter, le fit, au sortir de l'adolescence, séjourner à la cour
de Lorraine et à celle de Charles-Quint. A dix-huit ans, Fré-
déric prit part à une campagne contre les Turcs. Il épousa
Marie, fille du margrave Casimir de Brandenbourg-Kulenbach
et de la princesse bavaroise Suzanne, qui fut unie, en secondes
noces, au prince Otton-Henri. Le jeune couple habita tour à
tour Simmern et le château de Birkenfeld. Élevée dans les
croyances luthériennes, Marie amena peu à peu Frédéric à y
adhérer, alors que de sérieuses impressions l'eurent détaché
du catholicisme, qui ne répondait plus aux besoins de son âme.
Sincère et ferme dans ses convictions religieuses, il dut rompre
avec son beau-frère, le margrave Albert, chez qui l'intérêt poli^
tique étouffait fréquemment la voix de la conscience. Il y eut
plus : la sincérité et la fermeté de ses convictions lui firent
encourir la disgrâce de son père, qui lui retira tout appui,
toutes ressources. Loin de suivre l'exemple de divers petits
princes, qui pour prix de leur servilité, recevaient une pension
de l'empereur ou de quelque autre souverain catholique, il ne
fléchit pas sous l'épreuve; et, d'accord avec sa noble compagne,
il préféra, à une aisance indignement acquise, le maintien de
son honneur, dans les angoisses de la pauvreté; angoisses
d'autant plus vives, qu'il souffrait, avant tout, des privations
imposées à sa femme et à ses nombreux enfants. Une corres-
pondance émouvante porte la trace des anxiétés qui prédomi-
naient, au foyer domestique, mais atteste en même temps, la
pleine confiance de Frédéric et de Marie dans la bonté de leur
père céleste ; témoin ce passage de l'une des lettres de Marie :
(( Nulle issue pour nous, dans la détresse, si Dieu ne nous vient
» en aide. Ah! veuille ce Dieu tout-puissant nous accorder la
» vraie patience, afin que nous portions sans être accablés par
y> son poids, la croix qu'il nous impose! si Dieu n'était pas notre
y> suprême consolateur, nous nous désespérerions de la présence
)) de tous les enfants qu'il nous a donnés, et de l'absence de
» ressources nécessaires ; mais, puisque Dieu nous a accordé
» tous ces chers petits, et que peut-être il nous en accordera
» d'autres encore, eh bien ! j'espère, oui j'espère, qu'avec le
— 523 — '
)) temps il nous fournira le moyen de les élever honorablement.»
La foi qui soutenait ainsi Frédéric et Marie, dans l'épreuve du
dénuement, les soutint également dans d'autres épreuves plus
poignantes, dans celles qu'ils subirent en perdant plusieurs de
leurs enfants.
En 1556 s'ouvrit devant Frédéric la perspective de son élé-
vation à l'Electorat, quand il deviendrait vacant par la mort
d'Otton-Henri; celui-ci n'y fut alors promu, qu'à un âge avancé,
et sans enfant pour lui succéder. En 1557, Frédéric perdit son
père, dont il avait adouci les derniers moments, en l'assistant
de ses pieuses exhortations, de ses prières, et en l'amenant à la
foi évangélique. Appelé désormais à gouverner la principauté de
Simmern, il favorisa parmi ses sujets l'affermissement de la
relipon qu'il professait, et prit une part active 'aux affaires
ecclésiastiques qui intéressaient en commun les princes d'Alle-
magne. Otton-Henri étant mort, le 12 février 1559, Frédéric fut
investi, à Heidelberg, de la dignité Electorale, « Je te conjure,
)) écrivit-il alors à un prince ami, de t'unir à moi dans mes
» prières, pour demander à Dieu de m'accorder, dès le début
» de mon gouvernement, grâce, intelligence, sagesse, et le se-
» cours de son Saint-Esprit, afin que je puisse m'acquitter de
)) la charge qu'il m'a confiée, à la gloire de son saint nom, pour
» le bonheur de mes sujets, et en rendre dignement compte,
^i le jour où je comparaîtrai devant le tribunal du Christ. »
Dominant des hauteurs de la foi chrétienne les difficultés
que lui suscitait un antagonisme, soit religieux, soit politique,
Frédéric passa résolument du Luthéranisme au Calvinisme, dès
qu'il s'y sentit appelé par sa conscience. Ses judicieux conseils,
sa douceur, sa tendresse calmèrent les anxiétés de Marie, qui
était demeurée Luthérienne.
Peut-être Frédéric III n'a-t-il jamais mieux justifié le surnom
de pieux, que par sa noble attitude, d'une part, au foyer do-
mestique, et de l'autre, dans la série de ses généreux efforts en
. — 524 —
faveur des réformés français cruellement persécutés. Ils étaient
pour lui des frères en la foi, et il le leur prouva, soit en prenant
leur défense auprès de leur souverain, dans d'énergiques repré-
sentations adressées à celui-ci, soit en cherchant à les arra-
cher au supplice, comme il le fit pour Anne du Bourg, soit en
répondant à leurs appels par l'envoi de troupes en France, sous
la conduite de son fils, le duc Jean Casimir.
Ce dernier « avoit esté, quelque espace de temps, nourry en
» France et y avoit reçeu beaucoup de gracieusetés et hon-
» neurs \ » tout jeune qu'il était, sous Henrill, il y avait été
bienveillamment accueilli par quelques-uns des principaux re-
présentans delà réforme, avec lesquels il était resté en relations
depuis son retour en Allemagne M Autorisé par son père, vers
la fin de l'année 1567, à se rendre en France, à la tête d'un
3orps de troupes, pour y secourir Gondé, Coligny et les autres
chefs réformés, il caractérisa en ces termes ^ 'la mission qu'il
se proposait de remplir : « pour préserver la couronne de France
» d'une extrême et totale ruine, je me suis armé contre ceulxqui
» imposent par leurs mauvais conseils et practiques que leroy
)) ne puisse déclarer sa clémence naturelle et affection de père
» envers ses pauvres subjectz, et qui le contraignent par leurs
» autoritez d'obéir plus à leurs affections débordées qu'à lavo-
)) lonté de son Dieu. » — Frédéric III, de son côté, mandait *
au duc de Wurtemberg : ce Mon fils, le duc J. Casimir n'a eu
y> congé de moy pour faire ce voyage, ne autre intention que
» pour le bien de la dignité royale et des fidèles subjectz, aussy
)) pour obvier et empescher, de son possible, à toutes sortes de
1. Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 6 619.
2. Voyez ses lettres au prince de Portien et à Renée de France. (Bibl. nat. mss.
f. fr. vol. 3196,3 218).
3. Lettre du 4 janvier 1568 <iu maréchal de Vieilleville. Bibl. nat. mss. f. fr.
vol. 15 514,
/k Lettre du 13 février 1568, Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 15 5i4, f» 292.
— 525 —
» mauvais conseils qui, à mon regret, s'effectuent journelle-
y> ment, sçaichant bien qu'il est bien délibéré de ne se laisser
» esmouvoir ny employer à aultre effect; parquoy je ne luy
» ay pu reffuser la license comme à ung jeune prince chrestien
» sur une telle intention chrestienne ^ »
Les senliments dont étaient animés l'Electeur et son fils à
l'égard des réformés français se révèlent plus particulièrement
dans une protestation mémorable que Frédéric III rédigea, le 6
décembre 1567". Ce document témoigne delà ferme attitude
que surent conserver vis-à-vis de l'Empereur, Frédéric et
Casimir, alors qu'une politique étroite et partiale leur repro-
chait de secourir leurs coreligionnaires français. Ces deux prin-
ces avouent sans détour leur sympathie pour des chrétiens, op-
i . La chaleureuse syinpathie de Frédéric III pour ses coreligionnaires de
France, et surtout pour Coligny, éclate dans sa vaste correspondance, et se re-
flète dans son testament. En publiant l'une et l'autre, et en enrichissant sa
double publication de notes substantielles, le savant et judicieux M. Kluckhohn
a élevé un monument durable à la mémoire du prince Électeur. (Voy. 1° Briefe
Friederichs des Frommen, Kurfùrsten der pfalz, 1868, 3 vol. in-S». — 2" Das
testament Friedrichs des Frommen, von A. Kluckhohn, h\-i°). — On peut con-
sulter sur Frédéric III : 1» Le Laboureur, addit. aux mém: de Castelnau, t. I,
p. 538 à 542. — â'* les mémoires de Condé, passim; — S° Brantôme, éd. L.
Lai. t. I, p. 313; 4° Baum, Th. de Dezc, append. — 5° Archiv. de Stuttgart,
Frankreich, 16, n» 40; — 6" en Angleterre, {Calcnd. of State papers foreign.
séries, ann. 1560, 1562, 1563, 1567, 1568) ; — 7" A Genève, archrv. municip.
n» 1753; — 8" en France, Bibl. nat. mss. fonds français, vol. 2 812,3 193,
3196, 3 216, 3 314, 3 318, 6619, 15 544, et fonds Colbert, vol. 397. — Les
lettres adressées par Coligny, d'Andelot Condé et autres à Frédéric III prouvent
en quelle haute estime ils tenaient ce prince, dont Hotman, de son côté, (dédi-
cace de la franço-g allia) caractérisait le sage gouvernement, en ces termes •
« II y a, ce croy-je, seize ans, prince très illustre, que Dieu a mis une bonne
> partie de la coste du Rhin sous le pouvoir et sauvegarde de votre Excellence
> et depuis ce temps là on ne saurait croire ni sufOsamment exprimer en quel
» repos et tranquillité on a vescu en tous les pays de vostre obéyssance, res-
> semblant proprement à une bonace riante de la mer plate et tranquille, oîi il
> ne souffle aucun vent que doux et gracieux : tant toutes choses y ont tousjours
» esté, moyennant vostre sage prévoyance, paisibles, saintement et religieu-
•» sèment ordonnées. »
2. Voir à Vappendicc, w 34, le texte complet de cette protestation.
— 526 —
primés j et leur ardeur à seconder les légitimes efforts tentés en
faveur de la liberté religieuse; ils démontrent péremptoirement
que leur intervention dans les affaires de France ne porte au-
cune atteinte aux relations qu'ils soutiennent avec l'empire ;
et leur langage est celui d'hommes de cœur qui revendiquent
avec une noble indépendance le maintiende droits personnels,
qu'ils n'entendent au surplus exercer sans entraves, que pour
mieux accomplir un grand devoir de conscience et de charité
chrétienne.
Il importe de ne pas perdre de vue. que l'Électeur palatin,
avant de consentir au départ de son fils pour la France, avait
voulu être positivement fixé sur l'état exact des hommes et des
choses dans ce pays. Vinceslas Zuliger, l'un de ses ministres,
qu'il y avait envoyé,l.ui rendit fidèlement compte de ce qu'il avait
vu, tant) à la cour qu'à l'armée de Louis de Bourbon. Ainsi
renseigné, Frédéric III sut se dégager des liens dans lesquels
Rochetel, évêque de Reims et de Lansac, ambassadeur du roi
de France, avaient tenté de l'enserrer, et il laissa partir le duc
Casimir,àla tête d'un corps de troupes, en disant alors, entre au-
tres choses, à l'Empereur, dans sa protestation * :
(C Le prince de Gondé, l'admirai, et des aultres, se sont dé-
» clarés au comte palatin et l'ont faict entendre l'entreprise à
-» rencontre d'eulx, et en quel danger ilz sont, avec beaucoup
)) de chrestiens de France, sur cela assurant qu'ils n'estoient
» délibérez d'accorder ou passer aultres choses sinon les con-
3) tenuz de l'édict de pacification, dont ledict comte palatin n'a
» sçeu avoir aulcune mauvaise appréhension ou opinion du
» prince de Condé n'y aultres grands seigneurs desquelz, comme
i> dict est, aulcuns sont du sang royal et pourveuz des plus
3> grands estatz,personnes honorables et de bonne conversation
» et vie, que ceux-là aient jamais pensé à aulcune rébellion,
» moins tâché de prendre les armes contre leur propre parent,
1. Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 6619, f«^ 189 et «uiv.
— 527 —
» un jeune et innocent seigneur et roy, toiit ainsy comme ledict
» Electeur en a mesmement escript 'au roy, luy mandant
j) qu'il ne desiroit et ne souhaitoit aultre chose à Sa Majesté
» sinon tranquilité et repos de son royaulme, et que les
» choses demeurassent d'un côsté et d'aultre paisibles selon
y> l'édict de la pacification; et en s'excusant devers Sa Majesté,
» s'asseure bien que ces troubles et tumultes ne s'élèvent pas
y> entre le jeiine innocent roy et. ses vassaulx, mais plutôst entre
y> lesdicts vassaUlx et le cardinal de Lorraine et ses àdhérens,
1) lesquelz, aux aullres troubles, ont semblablement tasché,
i> suyvant en celaleurs patentes et par eulx publiées, d'extirper
» et suffoquer entièrement tous ceulx qui sont de l'évangile et
y> de la vràye religion chrestienne ; de quoy ceulx du costé du
D prince de Gondé en avoient présenté requestes au roy et à la
)) royne mère en pi'otestant publiquement devant Dieu et tout
» le monde par ainsi les affaires de France, quant aux
» troubles présens, se portent de sorte que ce ne doibve point
» estre imputé ou imposé au prince de Gondé et à ses àdhérens
)) comme une rébellion ou séditiouj mais plustôt comme une
y> défense nécessaire et permise de la nature pour sa propre
» personne et plusieurs mil chrestiens, pour le roy mesme et
y> sa couronne contre les dessusdits leurs adversaires.
« Ledict Electeur fait response que son fils, le duc
« Gasimir,depuis peu de temps Itiy avoit donné à entendre com-
» ment qu'il auroit esté plusieurs fois requis et prié, non seule-
y> ment des princes du sang royal, mais aussi de la plus grande
3) partie de la noblesse de France et de toute sorte des eslats et
)) personnages aimant l'honneur etlapaix, que si en cas fortuit
)) il advient qu'au temps advenir, par l'incitation des enhemys
» du repos publicq eulx et beaucoup d'aultres dépendant de la
)) vraye religion feussent par violence et force pressés oultre et
)) contre rédictduroytouchantlapacification,etque le royaulme
» de France tombast derechef en danger d'une misérable
- 528-^
y> ruine et destruction qu'il pleust audict duc Casimir, pour la
» conservation de ladite pacification, pour la réputation du jeune
y> roy et aussi pourTenipeschement de la misérable effusion du
» sang de plusieurs mils innocents chrestiens, de leur vouloir
» secourir de forte main avec quelques mil chevaulx et aultres
» gens de guerre. Ce que ledict duc Casimir, ayant esté quelque
» espace de temps nourry en France et y reçeu beaucoup degra-
» cieusetés et honneurs, ne l'a pas voulu refuser pour le bien de
» Sa Majesté et de ses subjectz. Ainsy ledict duc Casimir auroit
)) prié l'Electeur son père de ne luy point vouloir refuser un tel
» voyage tout chres tien et honnorable, ains plutost d'une affec-
» tion paternelle à son filz et jeune prince le. luy vouloir accor-
» der pour s'expérimenter et voir quelque chose.
(( D'aultant que ledict Électeur, du passé et de long-
» temps, à la requeste de son dict filz avoit promis et accordé
,y> que, s'il se présentoit aulcune guerre chrestienne et hono-
» rable, il ne fauldroit de luy donner son congé d'y aller ; veu
3) que ceste entreprinse du prince de Condé et de ses adhérens
» n'est pas contre, ains pour Sa Majesté et la conservation de
)) son royaulme, ensemble la purification, défense et soulage-
D ment des chrestiens pressés, permis justement et de la loi de
)) nature ; et d'aultant que, aux troubles passés, l'an 1562,
ï) le secours qui vint du Saint-Empire pour le prince de Condé,
y> n'a esté tombé pour ce faict en aulcun inconvénient ou offensé
)) la paix publique et les constitutions d'icelle, c'est la raison
» pour laquelle l'électeur a faict moins de difficulté de donner
Ti^ le congé à son aymé filz, pour s'en aller à la guerre ; joinct
» aussi qu'il n'eust sçeu prétendre en cela aulcune raison juste
D de refus, t»
De Lanoue ^ nous fait connaître les circonstances dans les-
quelles le duc Casimir, qu'il qualifie de « prince doué de vertus
i.Dis. polit, et niUit^ p. 745 ù 748.
— 529 ^
y> chrestiennes, et auquel ceulx de la religion sont fort
» obligés ^ , )) opéra en Lorraine, sa jonction avec l'armée des
reformés, et il retrace en termes saisissants, le désintéressement
et l'esprit de sacrifice dont les chefs et les soldats de cette armée
firent preuve envers les Allemands, auxquels il s'agissait de
fournir une solde.
« Je veux raconter, dit-il, quelques mouvemens et iégèretez
y> de ceulx de la religion, pendant le petit séjour qu'ils firent en
)) Lorraine : aussi la libéralité volontaire qu'ils montrèrent au
» milieu de tant de pauvreté qui les environnait ; action que
» j'estime impratiquable au temps où nous sommes.
)) Plusieurs s'estoyent persuadez, et le bruit en couroit aussi,
» qu'on n'auroit pas mis le pied dans la Lorraine, que les cocqs
» des Reitres ne s'entendissent chanter : mais après y avoir
» séjourné quatre et cinq jours, on n'en sçavoit non plus de
» nouvelles que lorsqu'on estoit devant Paris ; ce qui engendra
» du murmure parmi aucuns mesmes de la noblesse, qui don-
» noyent des attaques assez rudes à leurs chefs en leurs devis
» ordinaires, tant l'impatience est grande parmi nostre nation.
y> Eux l'ayant entendu s'efforçoyent d'y remédier. Et comme les
» hommes difficilement s'esloignent de leurs inclinations, aussi
ï) les dissuasions dont usèrent ces chefs furent différentes; car
» le prince de Condé, qui estoit d'une nature joyeuse, se moc-
y> quoit si à propos de ces gens si cholères et appréhensifs, qu'il
y> faisoit rire ceux mesmes qui excédoyent le plus en l'un et en
» l'autre; de l'autre costé, monsieur l'admirai, avec ses paroles
» graves leur faisoit tant de honte, qu'enfin ils furent contraints
» de se radoucir et rapaiser. Je luy demanday lors, si l'armée
i. En ce qai concerne le duc Casimir, vovez 1» ses lettres (Bibl. nat. mss. f. fr.
vol. 3 196, 3 218, 6619, 15 544; — 2" Brantôme, éd. L. Lai. t. 1, p. 323, à 326,
— 3" De Thou, hist. univ., ia-i" t. IV, p. 5 à 8. — 4» Mém. de Gastelnau et
addit. de Le Laboureur, in-f» t. II, p. 538 à 546; — 5° Mém. de Cl. Hatoi;,
pcssim; - 6° Klùckholin, Briefe Friedcrichs des Frommen, passa??.
11. ' 3i
' — 530 —
^ > de monseigneur nous suyvoit, quel conseil il prendroit? Nous
» acheminer, dit-il, vers Bacchara, où les Reilres doyvent avoir
y> fait leur assemblée, €t qu'il ne falloit combattre sans eux, et
i) que l'ardeur première ne fust un peu reschauffée. Mais s'ils ne
y> s'y fussent trouvez, répliquera quelqu'un, qu'eussent fait les
» huguenots? Je pense qu'ils eussent soufflé en leurs doigts,
» car il faisoit grand froid. Or, toute ceste fascherie fut bientost
» convertie en resjouissance, quand ils entendirent au vray que
y> le duc Casimir marchait et qu'il estoit prochain. Ce n'estoyent
» que chansons et gambades, et ceux qui avoyent le plus crié
» sautoyent le plus haut. Ces comportemens vérifièrent très
n) bien le dire de Tite-Live : que les Gaulois sont prompts à
y> entrer en cholère, et par conséquent prompts à se resjouir,
ï lesquelles passions excèdent aisément, si, à l'imitation des
•» sages, on ne les modère par l'usage de la raison.
i> Monsieur le prince de Condé ayant sçeu par ses négociateurs
» d'Allemagne que les Reitres s'attendoyent de toucher pour
> le moins cent mille escus, estans joints avec luy, il fut bien
» en plus grand'peine qu'il n'avoit esté auparavant pour les
» mouvemens des siens, d'autant qu'il n'en avoit pas deux mille.
» Là convint-il faire de nécessité vertu, et tant luy que monsieur
)) l'admirai, qui avoyent une merveilleuse créance entre ceux
D de la religion, desployèrent tout leur art, crédit et éloquence
» pour persuader un chacun de départir des moyens qu'il avoit
H) pour ceste contribution si nécessaire, dont dépendoit le con-
î> lentement de ceux qu'on avoit si dévotieusement attendus.
» ÏIux mesmes monstrèrent exemple les premiers, donnant leur
» propre vaisselle d'argent. Les ministres en leurs prédications
» exhortèrent à cest effect, et les plus affectionnez capitaines y
» préparèrent aussi leurs gens. Car en une afaire si extraordi-
» aaire, il esloit besoin de s'ayder de toutes sortes d'instruments.
3) On vit une disposition très grande en plusieurs de la no-
2) blesse de s'ea acquitter loyalement. Mais quand il fut ques-
— 531 —
y> tion de presser les disciples de la picorée, qui ont ceste pro-
--» priéléde sçavoir vaillamment prendre, et lascheraent donner,
» là fut l'effort du combat : toutefois moitié pai' amour, moitié
y> par crainte, ils s'en acquittèrent beaucoup mieux qu'on ne
' 3) cuidoit. Et cette libéralité fut si générale, que jusqu'aux gou-
y> jats des soldats, chacun bailla : de manière qu'à la fin on ré-
y> putoit à deshonneur d'avoir peu contribué. Il y en eut de
» ceux-ci qui fii*ent honte à des gentilshommes, eu offrant plus
y> volontairement de l'or, qu'eux n'avoyent fait de l'argent.
» Somme, que le tout ramassé, on trouva, tant en ce qui esLoit
» monnoyé qu'en vaisselle et chaînes d'or, plus de quatre-vingts
- » mille livres ; qui vindrent si à poinct, que sans cela difficile-
» ment eùt-on appaisé les Reitres. Je sçay.bien qu'il y en eut
• » beaucoup qui furent aiguillonnez à donner, y estans pressez
y> par l'exemple, la honte et les persuasions ; toutefois c'est
n) chose certaine que bonne partie y furent poussez de zèle et
» d'affection, qui se monstra en ce qu'ils offrirent plus (ju'on
y> ne leur avoit demandé. N'est-ce pas là un acte digne d'es-
D bahissement, de voir une ai'mée, point payée et despourvue de
» moyens, qui estimait comme un prodige de se dessaisir des
.)) petites commoditez qu'elle avait, pour subvenii- à ses néces-
» sitez, ne les espargner pour en accommoder d'autres, qui
y> par avanture ne leur en sçavoyent guères de gré? Il serait im-
» possible maintenant de faire le semblable, parce que les
y> choses généreuses sont quasi hors d'usage ^ . y>
Dès que les chefs réformés, après avoir opéré leur jonclien
avec le duc J. Casimir, furent assurés du concours des troupes
1. « Marque le lecteur un trait qui n'a point d'exemple en rautiquité : que
» ceux qui dévoient demander paye et murmurer pour n'en avoir point puissent
» et veuillent, en leur extrême pauvreté, contenter une armée avec cent mille
» livres, à quoi se monta ceste brave gueuserie, argument aux plus sages d'au-
» près du roi pour prescher la paix, tenant pour invincible le parti qui a la
* passion pour différence, et pour solde la nécessité. » (d'Aubigné, hist. univ.y
t, I, liv. IV, chap. XV.)
— 532 —
de celui-ci, aux exigences pécuniaires desquelles il venait d'être
donné satisfaction, avec tout l'élan d'un rare esprit de sacri-
fice, Coligny conseilla à Gondé de se diriger immédiatement
vers Paris, de prendre position non loin de la capitale, et d'ap-
puyer ses opérations sur Orléans, d'où il serait à portée de tirer
des secours. Ce sage conseil fut suivi.
L'amiral, grâce à l'habileté consommée qu'il déploya, comme
grand capitaine et comme administrateur militaire, réussit à
ramener intacte, en plein hiver, de l'intérieur de la Lorraine au
centre de la France, une armée de plus de vingt mille hommes,
dépourvue d'argent, d'artillerie, de munitions, et constamment
harcelée, dans sa marche, par une armée, de beaucoup supé-
rietire en nombre.
Ici encore, le témoignage de de Lanoue est précis, et entière-
ment à l'honneur de Coligny :
c( Ceux de la religion, dit-il * , rebroussèrent chemin, ayant
» opinion que l'armée ennemie les costoyeroit, tant pour les
-» empescher de bransquetter plusieurs petites villes foibles
» que pour espier une occasion d'attraper quelqu'une de leurs
» troupes. Alors la France regorgeoit de toutes sortes de
» vivres : ce néantmoins tousjours faloit-il grand art et diligence
» pour nourrir une armée de plus de vingt mille hommes, point
» payée, qui n'estoit favorisée du pais comme l'autre, et qui
)) n'avoit qu'un très petit équipage pour les munitions. Monsieur
y> l'admirai estoit, sur toutes choses, soigneux d'avoir de très
» habiles commissaires, et de leur faire avoir voicture selon la
» nécessité huguenotte, et souloit dire, quand il estoit question
» de dresser corps d'armée : commençons à former ce monstre
y> par le ventre. Or, pour ce que nostre coustume estoit, que la
» cavallerie logeoit escartée dans les bons villages, lesdits com-
)) missaires, outre les chariots qu'ils avoient avec eux, tenoyent
1. Disc, polit, et milit. p. 74t>, 750.
— 533 —
)) encore en chacune cornette un boulangier et deux chevaux
y> de charge, qui n'estoyent plustost arrivez au quartier, qu'ils
y> se mettoyent àfaire du pain, et après l'envoyoyent au corps de
» l'infanterie. Et quand ces petites commoditez estoyent toutes
» rassemblées, qui sortoyent de quarante cornettes que pou-
y> vions avoir alors, cela se montoit beaucoup : et delà aussi
y> souvent s'envoyoyent chairs et vins, estans les gentilshommes
)) si affectionnez qu'ils n'espargnoyent au séjour leurs charrois
)) pour conduire ce qu'il convenoit. Les petites villettes prises,
y> on les réservoit pour les munitionnaires, et menaçoit-on les
y> autres, où il n'y avoit point de garnison, de brusler une lieue
y> h la ronde d'elles, si elles n'envoyoyent quelques munitions.
)) De manière que nostre infanterie, qui logeoit serrée, estoit
)) ordinairement accommodée. Je ne mets point ici en conte les
» butins qui se faisoyent, tant par les gens de pied que de
)) cheval sur ceux de contraire parti, et ne faut point douter que
y> ce grand animal dévoratif passant parmi tant de provinces
)) n'y trouvast toujours la pasture. »
L'armée des confédérés était arrivée à proximité de Paris.
Goligny et G onde, voyant que l'armée ennemie ne les observait
qu'à distance et s'abstenait de leur livrer bataille, résolurent
de la contraindre à sortir de l'inaction, en assiégeant sous se?
yeux, une ville d'une certaine importance ! Ils se dirigèrent
donc sur Chartres, qu'ils investirent rapidement.
« Au séjour que nous fismes devant cette place, raconte de
y> Lanoue* , monsieur l'admirai fit une belle contr'entreprise
)) qui se démesla en la manière que je diray. L'armée contraire
)) estoit audelà de la rivière de Seine, qui n'osoit approcher
)) en corps de celle du prince, et ne sçay les causes pourquoy.
» Elle ne voulut pourtant perdre l'occasion de porter quelque
» faveur à ceux de dedans. Et pour cet effet fut envoyé M. de
1. Disc, polit, et milit, p. 757.
— 53* —
)) La Valette, qui estoitun capitaine renommé ^ , avec dix-huit
» cornettes de cavalerie, pour tascher de surprendre quelqu'une
)) de nos troupes au logis, endommager nos fourrageurs, rom-
» pre nos vivres, et nous tenir souvent en alarmes. Il s'appro-
y> cha à quatre lieues près du camp, logeant assez serré, d'où
)) il commençoit à nous molester grandement. De quoy mon-
)) sieur l'admirai estant adverty, il-prit la charge d'y pourvoir.
)) Et comme il avoit accoutumé d'aller en gros, de peur, disoit-
» il, de faillir le gibier, aussi prit-il trois mille cinq cents che-
» vaux et partit de si bonne heure, qu'à soleil levé, il se trouva
» dans le milieu des quartiers de ceste cavallerie qui, nonobs-
» tant les bonnes gardes qu'elle tenoit en campagne, ne se peut
» garantu" que plusieurs ne feussent enveloppez ; et yeut quatre
)) di'apeaux pris, mais peu de gens tuez. M. de La Valette qui
))' estoit logé dans Oudan, rallia quatre ou cinq cens chevaulx
))et estant suivy de plus de mille desnostres, il se retira néant-
» moins avec une belle façon, tournant souvent teste: aussi
» avoit-il art et expérience. »
Effrayée des conséquences que pouvait entraîner l'échec in-
fligé par Coligny à La Valette, Catherine prit l'initiative de
pourparlers préliminaires qui, dans sa pensée ^ devaient frayer
la voie à de prochaines négociations. L'objet direct die ces négo-
ciations devait être la conclusion d'une paix qui, en désarmant
les réformés, affermirait son autorité personnelle.
Tandis que la reine mère s'absorbait alors, comme d'habi-
tude, dans ses calculs politiques, ses appréhensions et ses in-
trigues, deux femmes d'élite, l'une à Orléans, l'autre à Montar-
gis, se consacraient, en chrétiennes, à l'accomplissement des
plus saints devoirs, et répandaient autour d'elles les trésors
d'une inépuisable charité, d'un dévouement à toute épreuve.
1. Voyez un rapport dans lequel La Valette fait part au duc d'Anjou de ses obser-
vations sur les mouvements des chefs reformés. (Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 15 544,
fo 1901, février 1568.)
— 535 —
Charlotte de Laval, tout en veillant sur ses enfants avec une
tendre sollicitude, employait chaque jour de longues heures, dans
les murs d'Orléans, à soulager les pauvres, à soigner les ma-
lades, et particulièrement les blessés militaires, à consoler les
affligés et les mourants, à visiter les familles en deuil. EUle se:
prodiguait ainsi au dehors, sans observer les ménagements que
commandait l'état de sa santé, plus fortement ébranlée que ja-
mais. Quelle que fût la distance qui la séparât de Montargis,
elle se concertait journellement avec la duchesse deFerraresur
des actes de bienfaisance à accompHr. Dans une lettre qui très
probablement fut la dernière qu'elle adressa à Renée de France,
on la voit rendre compte d'une double démarche tentée en
faveur de deux protégés de cette princesse. « Madame, lui écri-
y> vait-elle, le 12 février 1568* , j'ay reçeu la lettre qu'il vous a
» pieu m'er-crire par ce porteur, pour lequel j'ay faict tout ce
» qui m'a esté possible, comme il vous le fera entendre bien au ;
» long, et comme aussy je me suis emploïée pour la femme de
)) l'appothicaire qu'il vous a pieu me recommander ; mais je n'ay
» sçeu obtenir ce qu'elle demandait. Pour la conséquence, ce
» mesme porteur vous pourra dire de mes nouvelles, qui me
» gardera de vous ennuyer de plus longue lettre, pour prier le
s créateur, en cest endroict, vous conserver, madame, en sa
» sainte et digne garde, avec mes très humbles recommanda-
» tions à vostre bonne grâce. y>
Non moins serviable et correspondant non moins actif que
sa femme, Coligny écrivait du camp d'Angerville, à Renée de
> France le 13 février^ : « Je vous diray, madame, que je ré-
» puteray toujours à grand heur et honneur de trouver occa-
)> sion où je vous puisse faire service, comme la chose que j'ay
)> tousjours le plus désirée, et que je feray tousjours le plus vo-
i. Bibl, nat. mss. f. fr. vol. 3 218, f 82.
± Bibl. nat. mss; f. fr. vol. 3 256, f» 104.
-536 —
3) lontiers. Quant à ce que le sieur de Bouchefort m'a dict de
3) vostre part, je lui en ay dict ce qu'il m'en semble et entre
)) autres choses, que quand on s'est mys en tout le devoir
» qu'on sçauroit requérir, il faut laisser l'événement et l'issue
y> à Dieu, lequel sçaura bien parachever l'œuvre qu'il a encom-
)) mencée. »
Le 15 du même mois, l'amiral faisait appel en faveur d'un
malade, à la bienveillance de la duchesse, en ces termes ^:
» Madame, ce gentilhomme, présent porteur, m'a prié vous
y> supplier, comme je fais très humblement, de vouloir per-
y> mettre qu'il puisse séjourner dans Montargis et s'y faire mé-
* dicamenter; et d'autant que je sçay que cela vous est assez
y> recommandable de soy,je ne vous en feray plus longue lettre,
y> mais me recommanderay très humblement à vostre bonne
» grâce, priant le créateur qu'il vous donne, madame, avec les
2) siennes très sainctes, très heureuse et très longue vie. »
En présence du typhus qui commençait à sévir parmi les
blessés amenés à Orléans, le dévouement déjà si grand, de Char-
lotte de Laval, sembla s'accroître encore. Mais bientôt ses for-
ces s'épuisèrent; elle ressentit les atteintes de la contagion,
s'alita et voyant que sa fin approchait, elle traça de sa propre
main quelques lignes qu'elle adressa à son mari. Elle lui di-
sait- : (( qu'elle s'estimait bien malheureuse de mourir sans
)) l'avoir revu, lui qu'elle avait toujours aimé plus qu'elle-même'
)) et qui eût pu l'aider à franchir ce dernier passage ; que néan-
)) moins elle se consolait, sachant ce qui le retenait loin d'elle;
» qu'elle le conjurait, pour elle-même^ qu'il avait toujours ai-
)) mée, et au nom de leurs enfants, qu'elle lui laissait comme
D gages de son amour, de combattre jusqu'à la dernière extrê-
3) mité pour le service de Dieu et pour l'avancement de la religion;
» que, comme elle lui savoit un grand fond de tendresse pour
1. Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 3 133, f° 51.
2. Vie de Coligny. Cologne, 1 686, p. 342.
— 537 --
y> le roi , qui le rendoit fort retenu quand il s'agissait de prendre les
)■) armes, elle le priait de se souvenir que Dieu était le premier
» maître qu'il eut ; qu'il était donc obligé de le servir, de préfé-
y> rence à tout autre ; après quoi elle n'empêchait point qu'il ne
» fît tout ce que son cœur lui pouvait dicter ; que c'était là ce
» qu'elle lui recommandait particulièrement ; après quoi elle le
)) conjurait d'élever ses enfants dans la pureté de la religion, afin
» que, lui venant à manquer, ils pussent, un jour, remplir sa
ï) place ; que, comme il leur était nécessaire, elle le priait de
» ne s'exposer qu'autant que les circonstances l'exigeraient ;
y> qu'il prît garde cependant à la maison de Guise; qu'elle ne
D savait pas si elle lui devait dire la même chose de la reine
y) mère, étant défendu de juger mal de son prochain ; mais
y> qu'enfin elle avait donné tant de marques de son ambition,
y> qu'un peu de défiance était bien pardonnable. y>
A la réception de ces lignes, l'amiral « partit soudain du
» camp * et amena tous les médecins qu'il put; il vint rendre à
» sa femme toute l'assistance d'un affectionné et fidèle mary.
» Mais voyant que tous les remèdes et l'art de la médecine
> cédoient à la force du mal, après avoir recommandé son âme
% à Dieu -, il se retira en sa chambre, où plusieurs de ses
» amis le suivirent pour le consoler. Alors il se prit à dire avec
» larmes et soupirs, comme la plupart s'en peuvent souvenir:
» mon Dieu, que t'ai- je fait ? quel péché ai-je commis, pour
» être si rudement chastié et accablé de tant de maux ? à la
y> mienne volonté, que je peusse vivre plus saintement et donner
y> un meilleur exemple de piété ! père très sainct regarde-moy,
)) s'il te plaît, en tes miséricordes, et allège mes peines !!
i. Hotman, vie de Coligny, tr. de If 65, p. 75 à 77,
2. Ce fut le 3 mars 1568 qne Charlotte de Laval rendit le dernier soupir. Le
livre d'heures de Louise de Montmorency contient la mention suivante, inscrite
par Coligny lui-même sur le feuillet qui relate la naissance de chacun de ses
enfants : « Le 111 de mars 1568, mourut madame l'admiralle, leur mère, Char-
j> lotte de Laval, à Orléans. » {Bull, de la soc. d'hist. du protest. fr. 1. 11, p. 6.)
-. 538 —
« Puis s'estant relevé par les chrétiennes exhortations de
» ses amis, il se fit amener ses enfants, et lem' représenta
» qu'une si grande perte que celle de leur mère leur devoit
» enseigner qu'il ne leur restoit plus d'appuy en ce monde;
y> que les maisons et chasteaux, quoique bien fortifiez et somp-
)) tueux, ne nous avoient point esté donnez pour une demeure
» et possession perpétuelle, mais comme une hostellerie, et par
» emprunt; enfin que toutes choses humaines estoient péris-
)) sables et caducques, hors la miséricorde d'un seul Dieu, à
»• laquelle se remettant, et rejettant toute autre ayde humaine,
)) ils ne dévoient point douter de l'y trouver.
« Le lendemain il fit venir leur précepteur, nommé Legresle \
» et lui dit qu'il falloit retourner en l'armée, ne sçachant pas ce
» qui luy pourroit arriver, et le pria d'avoir soin de ses enfants,
)) et de les instruire, comme il luy avoit souvent commandé,
)) en toute piété et bonnes sciences, d
Laissant donc ses enfants à la garde du fidèle Legresle, l'a-
miral quitta cette ville d'Orléans dans laquelle, à la perte, déjà
si douloureuse, d'un fils, en 1562, venait de s'ajouter, pour lui,
la perte plus douloureuse encore, d'une pieuse et héroïque com-
pagne. Il reprit son commandement, sous les murs de. Chartres, *
dont le siège se continuait.
Des négociations étaient alors ouvertes àLonjumeau, entre
le cardinal de Ghâtillon, de Laroohefoucauld, et Bouchavannes,
du côté des confédérés, Armand de GontaudBiron et Henri de;
Mesmes de Malassise, du côté du roi, pour arrêter les baseSv
d'un traité de paix.
1. Coligny, qui, sous la direction éclairée et vigilante de Nicolas Bérauld,son
précepteur, avait joui du bienfait d'une excellente éducation, voulut que ses
enfants pussent, à leur tour, recevoir une éducation semblable. Sou choix, se
porta sur un homme que recommandaient, à ses yeux, ainsi qu'à ceax de Char-
lotte de Laval, une piété vivante, une parfaite délicatesse de sentiments, et un
esprit à la fois droit et élevé, en d'autres termes, sur Legresle, qui s'acquitta
constaramenjt av.ec zèle et succès de. sa mission de pcécepteur.
_ 539 —
Condé inclinait vers un accommodement : Coligny, au con-
traire, y était formellement opposé. II soutenait * que la cour
ne faisait des propositions de paix, que pour diviser les réfor-
més, dont elle ne pouvait triompher, tant qu'ils demeuraient
unis et sous les armes, que pour les désarmer et les con-
traindre à rendre les places qui leur servaient d'asile, que pour
détruire toutes leurs forces, et pour les empêcher de s'emparer
de Chartres. H ne se dissimulait pas, d'ailleurs, que des circon-
stances d'une haute gravité tendaient à amener une solution
pacifique, à laquelle^, toute précaire qu''elle fiit, il faudrait ce-
pendant accéder. En effet, déjà une partie, des troupes de la
Saintonge et du Poitou s'en étaient allées, sans l'autorisation
du prince de Condé; d'autres menaçaient d'agir de même. De
plus, des murmures se faisaient entendre : on disait que, puis-
qu'on n'avait pris les armes que pour en venir à une paix, et que
la: cour la demandait, il n'y avait plus autre chose à faire qu'à
terminer une guerre si funeste et si ruineuse ; que le soldat ne
pouvait obtenir son prêt, et que souvent on le laissait man-
quer de vivres; que la noblesse, éloignée de ses foyers, souf-
frait beaucoup ; que ses propriétés étaient dévastées par l'enne-
mi ; que les chefs confédérés devaient ne pas pousser à bout
la patience de leurs partisans par une fausse prudence ou plu-
tôt par une véritable obstination.
Vint le jour où ceux qui étaient le plus opposés à la paix,
durent y donner les mains. Elle fut signée, le 23 mars 1568,
et à cette même date, intervint un édit du roi ^ qui remit en
vigueur l'éditde pacification du 19^ mars 1563, dégagé désor-
mais « des restrictions, modifications, déclarations et interpré-
ft tations » qui en avaient altéré le sens et la portée.
i. De Thou, hist. univ., l. IV, p. 54. — De Lanoue, Disc, polit, et milit.
p. 759, 760, 761.
2. Fontanon, iîec. des édits et ordonnances, t. IV, p. 289 et suiv. — Voyez, à
l'appendice, n° 35,1e texte complet de rédil: du 23 mars 1568.
— 540 —
Immédiatement après la signature de la paix, le siège de
Chartres fut levé. « Ceux de la religion licencièrent leurs
» estrangers, se retirèrent en leurs maisons, puis posèrent les
y> armes, chacun en particulier, ayant opinion, au moins le vul-
» gaire, que les catholiques feroyentle semblable. Ils se conten-
» tèrent seulement de le promettre ^ »
Au moment où il allait reprendre le chemin de Châtillon-
sur-Loing, Coligny acceptant loyalement la situation que
l'édit du 23 mars 1568 faisait à ses corehgionnaires, écrivit,
le 29 du dit mois, à Catherine de Médicis ^ :
(c Madame, ayant entendu que Monsieur le prince de Condé
» envoyoit M. de Boucart devers vos majestés, je n'ay voulu
» faillir par mesme moyen à vous faire ce mot de lettre et vous
» dire le grand ayse que je reçois avecque tous les gens de bien
)) de ce qu'il a plu à Dieu, en nous donnant une paix, nous dé-
» livrer et ce pauvre royaulme de tant de misères et calamitez
y> que la guerre nous apportoit. Il me reste mamtenant une
)) chose que je désire sur toutes, c'est que je puisse avoir ce
)) bien de baiser les mains de vos majestez et me justifier de
)) tant de calomnies et maulvaises impressions que l'on leur a
)) voulu donner de moy, et vous faire paroistre que vous n'avés
y> point un plus fidelle et affectionné serviteur queje vous suys.
y) Attendant, Madame, queje puisse avoir ce bien, je me reti-
» reray, Dieu aydant, en ma maison, où pour tout le bien et
3) contentement que je désire avoir en ce monde, c'est d'estre
)) assuré de vostre bonne grâce. Mais pour ce que ma maison
y> est assise sur le grand chemin par lequel la plupart des
3) estrangers qui sont en ce royaulme ont à se retirer et passent
» journellement, je vous supplye, madame, m'estre tant favo-
y> rable, que par vostre moïen je puisse obtenir du roy une
1, De Lanoue, Disc, polit, et milit. p. 761.
2. Bibl. nat. mss. fonds Colbert. V. vol. 24, f HO bis.
— 541 —
» garde pour ma seureté et pour tel temps qu'il plaira à vostre
y> majesté. Et pour ce que je sçay bien qu'il est plus raison-
» nable de relever le roy de despence que de l'y faire entrer,
y> j'ay dict quelques particularitez et moyens à M. de Boucart,
» par lesquels le roy n'y entrera point, et sur lesquels il vous
» plaira madame, l'escouter et croire. Et sur ce, je supply nostre
y> Seigneur, Madame, que augmentant en vous ses grâces, il
» donne à vostre majesté, en parfaite santé très heureuse et
» très longue vie. De Bonneval, ce XXIX'' de mars 1568. Vostre
» très humble et très obéissant subject et serviteur, Ghastillon.»
On ne sait comment cettre lettre fut accueillie par Catherine.
Retenu pendant plusieurs jours par d'impérieux devoirs, soit
à Bonneval, soit à Orléans, Coligny ne fut de retour à-Châtil-
lon, en compagnie d'Odet, que le 12 avril. Dès le lendemain,
les deux frères écrivirent à la duchesse de Ferrare K La sym-
pathie de Renée pour l'amiral, dans un deuil dont elle mesurait
l'étendue, fut à la hauteur de l'affection qu'elle avait vouée à
Charlotte de Laval, ainsi qu'à lui-même.
Les plus chers amis de CoHgny s'associant à ses sentiments,
de cœur et de pensée, mesurèrent dans toute son étendue
l'austère dispensation sous laquelle il s'inclinait. Touché de
leur sohicitude, il les laissa lire dans son âme, et se montra,
aux yeux de tous, pénétré de cette conviction, qu'en l'affligeant,
<( le Seigneur l'advertissait de se desdier du tout à luy mieux
)) que jamais. »
L'un de ces amis. Th. de Bèze, s'attaehant à l'expression de
cette conviction, consignée dans une lettre, que l'amiral lui
avait adressée après la mort de Charlotte de Laval, y répondit
par ces belles paroles ^ :
(c Monseigneur, il s'en fault beaucoup que'l'estat auquel il
i. Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 3 133, f»^ 49 et 54.
2. Bibl. de Genève, vol. 17. Lettre du 27 juin 1568, datée de Genève,
— 542--
D plaist à Dieu que je sois maintenant et de corps et d'esprit me
» permette de faïremon debvoir pour vous soulager en une telle
» et si grande affliction, combien qu'encore que je fusse aussi
)) bien dispos que je fus oncques et de l'un et de l'aultre, je m'y
» trouverais bien empesché, comme celuy qui ay bonne part,
» avec toute l'église de Dieu, à une telle perte, et pour mesme
» raison je ay bien besoin de chercher pour moy ce que je voul-
0 droys vous départir. Mais je sçay que, grâces au Seigneur, il
» seroit malaisé de vous enseigner remèdes que Dieu ne vous ayt
D desjà appris, tellement qu'il ne reste que ce seul point d'at-
» tendre en patience, qu'en les appliquant, vous en sentiez la
i> vertu, comme il est certain qu'à la fm vous l'apercevrez, suy-
)) vaut ce que le Véritable a promis, à sçavoir qu'il ne permettra
» que l'épreuve surmonte la force qu'il nous donne; l'infirmité
» que vous sentez non seulement ne vous doibt effrayer, mais au
» contraire, vous doibt assurer de la victoire, d'aultant que c'est
» le vray et ordinaire moyen duquel Dieu se sert pour consom-
» mer la vertu qu'il donne aux siens, affm que nous ayant fait
3) sentir qui nous sommes en nous, nous soyons d'aultant plus
t) ardents de chercher noslre force en celuy qui la donne, et
» finalement, qu'après avoir vaincu, nous en donnions l'hon-
» neur entier à celuy auquel il appartient.
3) Je vous supplie donc seulement de ce point, pour le présent,
i) et ce, d'autant plus, que je sçay que de vostre naturel vous
» estes pensif et solitaire, que vous fuyez tous moyens de nourrir
» vostre mal, non point en vous divertissant de ce que Dieu
)) veult bien que vous sentiez et considériez à bon escient, mais
» en oyant très souvent et volontiers ceulx en l'esprit et en la
)) bouche desquels Dieu a mis les remèdes qui vous sont néces-
)) saires ; et puis aussy arrestant pluslost vostre pensée à consi-
)) dérer ceste tant juste et bonne providence de Dieu reluisant
» surtout en la conduite et au soin paternel qu'il a de ses en-
2) fants, comme vous en avez mille expériences particulières,
— 513 —
D qu'à méditer la perte que vous avez faicte ny ce qui en dé-
y> pend.
i> Si depuis qiïe vous avez embrassé la querelle du Seigneur,
T> mille afflictions vous sont survenues, ne vous esbaliissez pas ;
)) mais vous souvienne qu'il fault que les membres soyent faicts
D conformes au chef. Si, en la première guerre, vous avez perdu
» votre fils aisné, en la seconde, celle que vous aimiez comme
» vous-mesmes, et le tout comme si Dieu luy mesmes vous fai-
D soit la guerre, souvenez-vous qu'Abram a bien perdu son père,
» Jacob a bien perdu sa femme bien-aymée, en suyvant le Sei-
. 3) gneur comme pas à pas. Tels événements doncques ne sont
D pas argumens nécessaires de l'ire de Dieu contre nous, com-
» bien que ne puissions faillir de nous humilier et de chercher
» la raison de nos afflictions en naus-mesmes, mais sont aultant
D d'espreuves pour nous apprendre à nous congnoistre, afin
» aussy que le Seigneur soit glorifié par la force qu'il nous
i> donne.
» m'assurant que le Seigneur vous aura cependant for-
y> tifîé grandement, au lieu de poursuivre cet argument qui
» serait plustost pour renouveler la playe que pour achever de
T> la consolider, je loueray Dieu de la grâce qu'il vous a faite de
j> ne succomber à une telle et si grande affliction, et plustost
i> d'y proffiter, comme je l'ay congneu dès la première lettre
» qu'il vous a pieu m'en escrire à laquelle vous avez ajouté de
)) vostre main que par cela le Seigneur vous advertissait de
)) vous desdier du tout à luy mieux que jamais, parole pour
3> certain venant de Dieu et digne de vous, Monseigneur, qui
3) estes du petit nombre de ceux auxquels je puis appliquer
f> ceste tant belle et précieuse sentence de l'apôtre, à sçavoir
)) qu'il vous a esté donné non seulement de croire au Seigneur,
■ 3) mais aussi d'estre affligé pour luy. Car la mort, ou plustost
. » l'heureux repos de feue madame vostre bonne partie, est tel-
- » lement advenue selon le cours de nature, tel qu'il a plu à Dieu
— 544. —
» l'ordonner, que cependant nul n'ignore que Testât présent
» de l'église du Seigneur, qu'elle a toujours aymée en toutes
y> choses, et ce qu'elle prévoyait estre prochain à icelle, ne luy
» ayent grandement advancé ses jours, oultre la peine qu'elle
)) prenoit et de corps et d'affection entière pour servir les
y> pauvres et navrés ou aultrement affligés pour la querelle du
)) Seigneur.
» Et je ne doubte point aussy que cela, entr'autres choses,
» n'aye beaucoup servy et serve encore désormais à vous con-
)) soler et fortifier contre plusieurs pensées diverses qne je me
» suis vivement forgées, pensant à ce que vous pouviez penser.
» mais oultre tout cela, puisque la vraye amitié porte qu'on
y> s'oublie soi-même pour ce qu'on ayme, voyant le paouvre et
» calamiteux estât présent, et prévoyant tout clèrement les
)) misères certaines qui suivront les présentes, je m'assure que
» vous avez conclu comme moy qu'il y a sans comparaison trop
)) meilleure occasion de s'esjouyr de ce que le Seigneur l'a reti-
» rée à point, que de lamenter le dommage que vous en avez
» reçu, pour ce que, en ce faisant, ce seroit monstrer que, du-
y> rant sa compagnie, vous vous seriez aymé vous-mesme, et
» non pas elle, ce que je m'assure estre éloigné de vostre inten-
)) tion, hormis qu'il ne se peult faire que le trésor que vous avez
)) perdu ne vous face regretter ce que vous aviez et dont vous
» appercevez de plus en plus là nécessité. Mais le souverain
» remède est celui que vous avez pris, à sçavoir la puissance, la
» sagesse, la bonne volonté du Seigneur : la puissance, pour
» vous assurer que nul moyen ne luy défaut; la sagesse,
» pour bien recongnoistre qu'il sçayt trop mieux, sans compa-
y> raison, que vous mesme ce qui vous est bon et aux vostres ;
y> la bonne volonté, pour vous résouldre à cette tant ferme et
)) certaine conclusion qui est propre aux esleus de Dieu, à sa-
» voir : que celuy qui nous a choisis par son conseil éternel et
» immuable, dont nostre vocation nous est un témoignage infail-
— 545 —
)) lible résonnant en nos oreilles par la prédication de sa paroUe
» accompagnée de ses sacrements, et en nos esprits par son.
» Saint-Esprit, ainsi comme il peut tout, ne veult rien aussyet
» par conséqaent ne fait rien que pour le salut des siens.
» Cette consolation, Monseigneur, vous est nécessaire, non
)) seulement pour ce coup, mais aussy pour toutes les diffî-
1 cultes tant grandes et terribles qui se présentent, et que j'es-
)) time, de ma part, inévitables. y>
Quelles étaient les grandes et terribles difficultés, signalées
par de Bèze, que Goligny avait désormais à affronter? quel fut,
dans sa lutte contre elles, le secret de son indomptable énergie?
quel fut surtout, dans la défense de la plus noble des causes,
le secret de sa fidélité jusqu'au martyre?
Telles sont les questions à l'examen desquelles nous nous
attacherons, dans la suite de ce récit.
35
APPENDICE
Édit du 17 janvier 1562.
(Fontanon, rec. des Edits et ordonn., t. IV, p. 267 à 269).
a. Charles, etc., etc., à tous ceux qui ces présentes lettres verront, salut. — On
» sçait assez quels troubles et séditions se sont despieça et 'le jour en jour
» suscitées, accrues et augmentées en ce royaume par la malice du temps et
» de la diversité des opinions qui régnent en la religion : et que quelques
» remèdes que nos prédécesseurs ayent tenté pour y pourvoir, tant par la
» rigueur et sévérité des punitions, que par douceur, selon leur accoustumée
» et naturelle bénignité et clémence : la chose a pénétré si avant en nostre dict
» royaume, et dedans les esprits d'une partie de nos subjects de tous sexes,
» estatz et quahtez et conditions, que nous nous sommes trouvez bien empes-
ï chez à nostre nouvel advénement à ceste couronne, d'adviser et résoudre les
» moyens que nous aurions à suyvre, pour y apporter quelque bonne et salu-
» taire provision. Et de faict, après avoir longuement et meurement consulté de
» cest affaire avec la royne nostre très honorée et très amée dame et mère, et
» nostre très cher et très anié oncle, le roy de Navarre, nostre lieutenant général,
» réprésentant nostre personne par tous nos royaume et pays, et autres princes
» de nostre sang, et gens de nostre conseil privé : nous aurions fait assembler
» en nostre court de parlement à Paris nostre dict oncle, princes de nostre
» sang, pairs de France, et autres princes et seigneurs de nostre dict conseil
» privé, lesquels avec les gens de nostre dicte cour auroient, après plusieurs
» conférences et délibérations, résolu l'édict du mois de juillet dernier, par
» lequel nous aurions entre autres choses défendu, sur peine de confiscation
» de corps et de biens, tous conventicules et assemblées publiques avec armes
» ou sans armes, ensemble les privées, où se feroient presches et administra-
» tion des sacremens en autre forme que selon l'usage observe en l'église
» catholique dès et depuis la foy chrestienne reçue par les roys de France, nos
» prédécesseurs, et par les évéques et prélats, curez, leurs vicaires et députez :
— 548 —
> ayans lors estimé que la prohibition desdictes assemblées estoit le princi-
» pal moyen, en attendant la détermination d'un concile général, pour rompre
» le cours à la diversité desdites opinions : et, en contenant par ce moyen nos
» subjects en union et concorde, faire cesser tous troubles et séditions, les-
» quelles au contraire par la désobéissance, dureté et mauvaise intention des
» peuples, et pour s'estre trouvée l'exécution dudit édict difficile et périlleuse,
» se sont beaucoup plus accrues et cruellement exécutées, à nostre très grand
» regret et desplaisir qu'elles n'avaient faict auparavant; pour à quoy pourvoir,
> et attendu que ledit édict n'estoit que provisionnel, nous aurions esté con-
» seillez de faire en ce lieu autre assemblée de nostre dict oncle, princes de
f nostre sang et gens de nostre conseil privé, pour, avec bon nombre de pré-
» sidens et principaux conseillers de nos cours souveraines, par nous mandez,
» à ceste fin, et qui nous pourroient rendre fidèle compte de l'estat et nécessité
» de leurs provinces, pour le regard de ladite religion, tumultes et séditions,
» adviser les moyens les plus propres, utiles et commodes d'apaiser et faire
» cesser toutes les dites séditions ; ce qui a esté faict ; toutes choses bien et
» meurement digérées et délibérées en nostre présence, et de nostre dite dame
» et mère, par une si grande et notable compagnie, nous avons par leur advis
» et meure délibération dict et ordonné, disons et ordonnons ce qui s'en
» suit :
» i°. — A sçavoir que tous ceux de la nouvelle religion, ou autres qui se sont
» emparez des temples, seront tenus, après la publication de ces présentes, d'eu
» vuider ets'en départir : ensemble des maisons, biens et revenus appartenans
* aux ecclésiastiques, en quelques lieux qu'ils soient situez et assis, desquels
» ils leurs délaisseront la pleine et entière possession et jouyssance, pour en
> jouyr en telle liberté et seureté qu'ils faisoient auparavant qu'ils en eussent
ï esté dessaisis. Rendront et restitueront ce qu'ils ont prins des reliquaires ef
» ornemens desdits temples et églises, sans que ceux de ladite nouvelle religion
» puissent prendre autres temples, ny en édifier dedans ou dehors les villes, ny
j donner ausdicts ecclésiastiques en la jouissance et perception de leurs dismes,
» et revenus, et autres droits et biens quelconques, ores ne pour l 'advenir,
» aucun trouble, destourbier ny empeschement. Ce que nous leur avons
» inhibé et défendu, inhibons et défendons par ces dites présentes, et d'abattre
^ et desmolir croix, images et faire autres actes scandaleux et séditieux, sur
» peine de la vie, et sans aucune espérance de grâce ou rémission.
> 2° — Et semblablement de s'assembler dedans lesdites villes pour y faire
» presches et prédications soit en public ou en privé, ny de jour, ny de nuict.
» 3". — Et néantmoins pour entretenir nos subjectz en paix et concorde, en
* attendant que Dieu nous face la grâce de les pouvoir réunir et remettre
» en une mesme bergerie, qui est tout nostre désir et principale intention :
» avons par provision et jusqu'à la détermination dudit concile général, ou
» que par nous autrement en ait esté ordonné, sursis, suspendu et supersédé,
» surseons, suspendons et supersédons les défenses et peines apposées tant au
» dict édit de juillet qu'autres précédons, pour le regard des assemblées qui
» se feront de jour hors desdites villes, pour faire lefors presches et autres
» exercices de leur religion.
— 549 —
> 4». — Défendant, sur lesdites peines, à tous juges, magistrats, et autres
» personnes, de quelque estât, qualité ou conditions qu'ils soient, que, lorsque
9 ceux de ladite religion nouvelle iront, viendront et s'assembleront hors des-
ï dites yilles, pour le faict de leur dite religion, ils n'ayent à les y empescher,
» iaquiéter, molester, ne leur courir sus, en quelque sorte et manière que ce
j» soit. Mais où quelques-uns voudroient les offenser, ordonnons à nos dits
» magistrats et officiers que, pour éviter tous troubles et séditions, il les
» empeschent et facent sommairement et sévèrement punir tous séditieux,
s de quelque religion qu'ils soient, selon le contenu en nos dicts précédens
î édicts et ordonnances : mesmes en celles qui seront contre les dicts séditieux,
» et pour le port des armes, que nous voulons et entendons en toutes autres
» choses sortir leur plein et entier effect et demeurer en leur force et vertu :
» 5°. — Enjoignons de nouveau, suyvant icelles, à tous nos dicts subjectz,
» de quelque religion, estât, qualité ou condition qu'ils soient, qu'ils n'ayent
'» à faire aucunes assemblées à port d'armes, et à ne s'entr'injurier, reprocher,
» ne provoquer pour le faict de la religion, ne faire, esmouvoir, procurer oti
> favoriser aucune sédition, mais vivent et se comportent les uns avec lès
» autres doucement et gracieusement, sans porter aucunes pistoles, pistolets,
■> harquebuzes, n'autres armes prohibées et défendues, soit qu'ils voisent aus-
i dites assemblées ou ailleurs : si ce n'est aux gentilshommes, pour les da-
» gués et espées, qui sont les armes qu'ils portent ordinairement.
B 6o. — Défendons en outre aux ministres et principaux de ladite religion
» nouvelle, qu'ils ne reçoivent en leurs dictes assemblées aucunes personnes,
» sans premièrement s'estre bien informez de leurs vies, mœurs et conditions
» afin que, si elles sont poursuyvies en justice, ou condamnées par défauts et
» contumaces de crime méritant punition, ils les mettent et rendent à nos
B officiers pour en faire la punition. Et toutes et quantes fois que nos dicts
» officiers voudront aller ausdites assemblées pour assister à leurs prcsches et
> voir quelle doctrine y sera annoncée, qu'ils les reçoivent et respectent, selon
» la dignité de leurs charges et offices. Et si c'est pour prendre et appréhender
i quelque malfaiteur, qu'ils leur obéissent prestent et donnent toute ayde,
» faveur et assistance dont ils auront besoin.
» "" — Qu'ils ne facent aucuns synodes ne consistoires, si ce n'est par congé,
> ou en présence de l'un de nos dits officiers, ne semblablement aucune créa-
» tion de magistrats entre eux, loix, statuts et ordonnances, pour estre chose qui
j appartient à nous seuls ; mais s'ils estiment estre nécessaire de constituer
> entre eux quelques règlemens pour l'exercice de leur dite religion, qu'ils les
> monstrent à nos dicts officiers qui les authoriseront, s'ils voyent que ce soit
ï chose qu'ils puissent et doivent raisonnablement faire : sinon nous en advep-
ï liront pour en avoir nostre permission, et autrement en attendre nostrc
» vouloir et intention.
ï 8o — Ne pourront en semblable faire aucuns enrooUemeos de gens, soil
j pour se fortifier et ayder les uns les autres, ou pour offenser autruy, ne
> pareillement aucunes impositions, cueillettes et levées de deniers sur eux.
> Et quant à leurs charitez et aumosnes, elles se feront, non par cotisation et
.» position, mais volontairement.
— 550 —
» 9° — Seront ceux de ladite nouvelle religion tenus garder nos loix politi-
1 ques, mesmes celles qui sont reçeues en noslre église catholique en fait de
» festes et jours chômables, et de mariage pour degrez de consanguinité et
î affinité : afin d'obvier aux débats et procez qui s'en pourroyent ensuyvre, à la
» ruyne de la plus part des bonnes maisons de nostre royaume et à la dissolu-
» tiens des liens d'amitié qui s'acquièrent par mariage et alliance entre nos
» subjects.
» 10" — Les ministres seront tenus se retirer pardevers nos officiers des
» lieux pour jurer en leurs mains l'observation de ces présentes et promettre
» de ne prescher doctrine qui contrevienne à la pure parole de Dieu, selon
» qu'elle est contenue au symbole du concile de Nicène et es livres cano-
» niques du vieil et nouveau testament : afin de ne remplir nos subjects, de
j> nouvelle hérésie. Leur défendant très expressément et sur les mesmes peines
» que dessus, de ne procéder en leurs presches par convice contre la messe et
ï les cérémonies reçues et gardées en nostre dite église catholique, et de n'aller
» de lieu en autre et de village en village, pour y prescher par force, contre le
» gré et consentement des seigneurs, curés, vicaires et marguilliers des
» paroisses.
> 11° — Et en semblable à tous prescheurs de n'user en leurs sermons et pré-
» dicalions, d'injures et invectives contre lesdits ministres et leurs sectateurs,
» pour estre chose qui jusques icy a beaucoup plus servi à exciter le peuple à
» sédition, qu'à le provoquer à dévotion.
» 12° — Et à toutes personnes, de quelque estât, qualité ou condition qu'ils
B soyent, de ne recevoir, receler ny retirer en sa maison aucun accusé, pour-
» suivy ou condamné pour sédition : sur peine de mille escus d'amende appli-
» cable aux pauvi'cs. Et où il ne sera solvable, sur peine du fouet et de banis-
» sèment.
» 13" — Voulons en outre que tous imprimeurs, semeurs et vendeurs de
» placards et libelles diffamatoires, soient punis, pour la première fois, du
» fouet, et pour la seconde, de la vie.
» 14° — Et pour ce que tout l'effect et observation de ceste présente ordon-
» nance, qui est faite pour la conservation du repos général et universel de
» nostre royaume, et pour obvier à tous troubles et séditions, dépend du devoir,
» soin et diligence de nos officiers, avons ordonné et ordonnons que les édicts
» par nous faicts sur les résidences seront gardez inviolablement, et les offices
» de ceux qui n'y satisferont, vacans et impétrables, sans qu'ils y puissent estre
» mis ny conservez, soit par lettres patentes ou autrement.
3» 15° — Que tous baillifs, séneschaux, prévôts et autres nos magistrats et
B officiers seront tenus, sans attendre prière ou réquisition, d'aller prompte-
ï ment et incontinent la part où ils entendront qu'aura esté commis quelque
3) maléfice, pour informer ou faire informer contre les délinquans et malfaiteurs,
» et se saisir de leurs personnes, et faire et parfaire leur procez : et ce, sur
» peine de privation de leurs estais, sans espérance de restitution, et de tous
» donimages et intérêts envers les parties : et s'il est question de sédition,
» puniront les séditieux sans déférer à l'appel, selon et appelé avec eux tel
> nombre de nos. autres officiers ou advocats fameux qu'il est porté par nostre
— 551 —
3> dict édict de juillet, et tout ainsi que si c'estoit par arrêt de l'une de nos cours
» souveraines.
» 16° — En défendant à nostre très cher et féal. chancelier et à nos amez et
» féaux les maistres des requestes ordinaires de nostre hostel, tenans les
» sceaux de nos chancelleries, de ne bailler aucuns reliefs d'appel, et à nos
» cours de parlement de ne les tenir pour bien relevez, ne autrement empes-
» cher la cognoissance de nos dicts officiers inférieurs, audit cas de sédition,
» attendu la périlleuse conséquence, et ce qu'il est besoingd'y donner prompte
» provision et exemplaire punition.
» Si donnons en mandement, etc., etc. — Donné à Saint-Germain en Laye, le
» 17" jour de janvier, l'an de grâce 1561 (1562. n. st.) et de nostre règne le
» deuxiesme. Ainsi signé par le roy estant en son conseil, Bourdin. >
II
Lettre des ministres et députés des églises réformées de France. Février 1562.
(De Bèze, Hist, eccl, t. I, p. 681 à 683, et Mém. de Condé,t. III, p. 96 à 98).
« Grâces et paix par nostre Seigneur Jésus-Christ.
« Très chers frères, vous savés que de tout temps l'obéissance que les
j) hommes doivent à leurs magistrats a esté fort recommandée, tant pour le
» repos de la conscience, que pour la conservation de la paix et tranquillité
» publique. Vous n'ignorés aussi que satan, ennemi du genre humain, a tous-
» jours suscité gens tumultueux pour troubler et mettre en désordre ce qui se
» doit maintenir en toute paix et union. Et ce mal est advenu non seulement
» entre les payens et autres qui n'ont eu la vraye congnoissance de Dieu, mais
D aussi est parvenu jusques à ceux qui se glorifient du titre de chrestiens, tel-
j lement que l'église mesme de Jésus-Christ, qui se devoit contenir en toute crainte
» el obéissance, n'a peu estre exempte de tel malheur. Combien que pour dire
» vray, ceux-là ne sont vrais. membres de Jésus-Christ ni du corps de l'église,
» qui ne se peuvent assujétir aux ordonnances de ceux que le seigneur leur a
» donnés pour supérieur, n'estoit qu'elles fussent telles que, pour y obéir, il
s fallust désobéir au roy des roys et seigneur des seigneurs. Or l'occasion qui
» nous esmeutàvous escrire ceci vient de ce qu'il a pieu à Dieu nous monstrer
» par l'édict nouvellement faict, quel soin paternel il a non seulement de faire
» croistre son église, mais aussi de la conserver sous sa saincte protection, non
> pas qu'il ne l'ait tousjours gardée (car comment eust-elle peu résister à
» tant d'assaux, si celuy qui l'a fondée ne luy eust tenu la main) : mais pour
» ce qu'il daigne maintenant user d'autres moyens qu'il n'avoit faict jusqu'à
— 552 —
' !lprésent en ce royaume, en mettant ceux qui font professioH de l'évangile
> sous la sauvegarde du roy, nostre prince naturel, et des magistrats et gou-
> verneurs ordonnés par luy. Cela nous doit esmouvoir d'autant plus à louer
■» ceste infinie bonté de nostre père céleste, qui a finalement exaucé le cry de
» ses enfants, et puis aussi à porter meilleure affection que jamais à nostre
> roy, et à luy rendre toute obéissance, pour l'inciter de plus en plus à nous
» ayder en l'équité de nostre cause jusques icy tant mesprisée par les faux pré-
» judices cpi'on avoit de nous. Certes nous voyons maintenint par efîect que les
» roys sont nourrissiers de l'église et prests à défendre l'outrage que les enne-
j> mys lui voudroient faire. Et pourtant très chers frères, nous vous prions, au nom
» de Dieu, que faciès telle diligence que l'édict soit tellement gardé, que le roy,
» la royne, et tout son conseil ayent occasion de se contenter de l'obéissance de
î ceux qui sont sous vostre charge. Et pour ce qu'il y a certaines clauses en
* l'édict, l'exécution desquelles pourroit estre' trouvée fascheuse et difficile,
» nous vous envoyons ce que nous avons peu adviser touchant la manière par
ï laquelle on pourra en toute crainte et humilité rendre à César ce qui est à
» César, et à Dieu ce qui est à Dieu, comme aussi nous pensons estre la
» volonté du roy et de son conseil en -tout cest édict, que Dieu soyt obéi le
» premier. Il est certain qu'il semblera à plusieurs qu'on pouvoit selon le
» temps obtenir plus grande liberté que celle qui se présente, mesme qu'il
î sera grief à ceux qui ont desjà occupé les temples et autres lieux publics
» dans les villes, de les laisser: mais ceux-cy s'y estans adonnés de leur autho-
» l'ité privée, doivent plutost recognoistre leur indiscrétion, que trouver
» estrange de se voir privés des lieux esquels il se sont ingérez, sans attendre
5) que Dieu marchast devant eux, par la providence et bonne volonté duquel
j> il est plus que juste et raisonnable que soyons gouvernés. Davantage il faut
» considérer que si nous sommes privés pour un temps de quelque commodité,
» le grand bien qui s'off're de l'autre costé doit efiacer l'ennuy qu'aucuns pour-
» ront avoir de ce qu'ils perdent ; joint que ce n'est pas icy le dernier bénéfice
» que nous espérons de nostre roy, moyennant la grâce de Dieu, lequel roy,
î> estant persuadé de nostre obéissance et soubmission, sera de plus en plus
» enclin à nous ouïr patiemment et à nous faire droict et raison de tout ce que
» proposerons à Sa Majesté.; Qui sera l'endroict, très chers frères oîi nous
» prierons nostre Dieu vous vouloir maintenir en sa saincte grâce, après nous
» estre très affectueusement recommandés à vos bonnes prières. De Saint-
:i> Germain en Laye, au 'mois de février 1561 (1562 n. st.).
^ 553
3»
Avis et conseil des ministres et députés des églises de France, estans en cour, sur
« l'exécution et observance des principales clauses de l'édict de janvier.
(De Bèze, Hist. eccl., t. I, p. 683 à 687, et 3Iém. de Condé t. III, p. 93 à 96).
ARTICLE -1
t
« Le premier article de cest édict commande de viiider les temples et ren-
» dre tous biens et lieux occupés sur les ecclésiastiques Romains, et de ne les
» empescher en la perception de leurs revenus, et de rendre les ornemens et
•» reliquaires ; défend aussi d'édifier temples dedans ni dehors les villes.
» On est d'avis qu'il faut obéir sans difficulté ; et quant à la restitution des
» ornemens et reliquaires, si ceux qui les auront ravis sont de l'égliseréformée
» seront admonestés de les rendre, et qu'à faute de ce faire, ils doivent estre
> désavoués et retranchés du corps de l'église.
ARTICLE 2
» Par le second article il est défendu d'abattre images, briser les croix, et
» faire aucun acte scandaleux.
» Faut obéir, comme aussi il a esté ordonné es synodes cy-devant tenus : car
» l'office du ministre est d'abattre les idoles du cœur des hommes par la pré-
» dication de la parole de Dieu, et non autrement : et la vocation des personnes
» privées ne s'estend plus avant que de prier Dieu qu'il inspire tellement les
» rois et princes, qu'ils s'emploient à avancer sa gloire et à abattre toute
» idolâtrie.
ARTICLE 3
> Le troisiesme article défend de s'assembler de jour ou de nuict pour faire
» prescher dans les villes.
t Cest article pourroit sembler rade ; mais en y regardant cle près, on trou-
» vera que les prières domestiques de chacune famille dans les villes n'y sont
— 554 —
» prohibées, ni les consistoires, moyennant qu'ils se facent selon l'ordonnance
» de l'édict : ni les propositions, pourvu qu'elles soient tellement reiglées,
•» qu'il n'y ait que les proposans avec les ministres et autres auxquels il appar-
» tiendra de consacrer les proposans, afin aue l'assemblée ne soit tron grande
» et se face paisiblement.
ARTICLE 4
» Le quatriesme défend tout port d'armes et assemblées, sauf aux gentils-
hommes espées et dagues qui leur sont ordinaires.
» Faut entièremement obéir, car nostre combat doit plustost estre par armes
spirituelles, à savoir par prières et patience, contre les adversaires de vérité.
ARTICLE 5
» Le cinquiesme défend de recevoir aux assemblées aucuns sans s'informer
» de leurs vies et conditions, afin de les rendre aux magistrats, s'ils en sont
î requis.
» 11 ne s'entend de tous ceux qui viendront à la prédication, ains de ceux
» qui seront reçus et advoués en l'église, c'est-à-dire de ceux qui s'assujetiront
» à la discipline d'icelle : et pourtant faudra que les ministres remonstrent cest
» article spécialement sur le temps de la cène, en pleine assemblée.
ARTICLE 6
5> Le sixiesme commande de souffrir l'assistance des magistrats aux assem-
» blées, et de les respecter.
» Nous devons désirer que les magistrats se trouvent aux assemblées et
» soient reçus en lieu honorable, qui ne soit occupé, en leur absence ou pré-
2) sence, d'aucune personne privée.
ARTICLE 7
» Par le septième il est inhibé de tenir consistoires, assemblées ou synodes,
» sans la présence ou congé d'un des officiers du roy.
» Par ce qu'il y a certains jours estabUs pour les consistoires, il faudra dé-
» clarer cest ordre aux magistrats, afin qu'ils y assistent, si bon leur semble :
» et d'autant que nous ne prétendons rien faire qui ne soit cognu de tous et
— 555 —
» principalement de ceux qui nous représentent nostre roy et prince, il faudra
■» signifier le temps et le lieu desdits synodes, tant au magistrat du lieu duquel
» chacun ministre partira, que du lieu où le synode se tiendra, et demander
» acte de ladite déclaration et signification.
ARTICLE 8
» Le huitiesme défend la création d'aucuns magistrats, loix, ou statuts.
» Faut obéir et advertir le magistrat de l'ordre qu'on a cy-devant tenu es
églises réformées, sans confondre la vocation ecclésiastique avec la politique.
ARTICLE 9
» Par le neufviesme sont défendus enroollemens de gens, impositions de
» deniers, excepté les aumosnes volontaires.
» L'édict porte de soy l'exception nécessaire touchant les aumosnes et con-
» tributions volontaires, pour l'entretenement des ministres et pour la nourriture
» des pauvres. »
ARTICLE 10
» Le dixiesme commande d'observer les lois politiques, comme les festes
» honorables, et es mariages les degrés de consanguinité.
î lies ministres doivent admonester les auditeurs d'y obéir, veu que la li-
t berté de la conscience n'y est intéressée et que l'apostre nous admoneste
» d'user de nostre droict sans le scandale du prochain.
ARTICLE 11
3» L'onziesme charge les ministres de jurer entre les mains des officiers du
» roy l'observation de l'édict, et de ne prescher autre chose que ce qui est
ï contenu au symbole de Nicène et livres canoniques du vieil et nouveau
» testament.
» Faut obéir et faire le serment entre les mains du magistrat subalterne
î royal, auquel appartient la cognoissance et jurisdiction de la police, et non
> d'autres ; il faudra jurer par le nom de Dieu vivant, et si le juge exige une
> autre forme de serment, on s'y doit opposer en toute modestie.
— 556 —
ARTICLE 42
» Le douziesme défend de prescher et procéder par conviées contre la messe
» et autres cérémonies reçues et gardées en l'église catholique.
» Faudra user de telle modestie que chacun puisse entendre qu'on ne tend à
» autre fin qu'à édification, et non point à provoquer et à injurier les personnes.
ARTICLE 13
» Le treiziesme défend d'aller de village en village y prescher par force,
» contre la volonté des seigneurs, curés, et marguilliers.
î Quand il y aura quelques-uns en un village qui désireront vivre selon l'E-
» vangile, ils pourront demander un ministre à l'église, lequel ministre sera
» envoyé au magistrat du lieu pour prester le serment selon la forme de l'édict,
» et par ce moyen on viendra audevant des courreurs qui se fourrent dedans
» les troupeaux, sans légitime vocation. Au surplus ne faudra planter l'Evangile
» par force d'armes ne violence : ains seulement par la pure et sainte prédica-
» tion de la parole de Dieu.
ARTICLE 14
ï Le quatorziesrae défend de ne receler aucuns poursuivis ou condamnés
» pour sédition.
» Il faut obéir en bonne conscience et monstrer par effect que nous ne
» sommes point receleurs ne fauteurs de meschans, mais au contraire ennemis
» de tout ce qui répugne à la volonté de Dieu. »
(Castelnau, Mémoires, liv. III, «hap. v).
c
» Cependant l'édit fut vérifié et publié es parlemens Alors les ministres
ï preschèrent plus hardiment, qui çà qui là, les uns par les champs, les autrss
— 557 —
■» en des jardins et à découvert, partout où l'affection ou la passion les gui-
» dait et où ils pouvaient trouver du couvert, comme es vieilles salles et nui-
» suites, et jusques aux granges; d'autant qu'il leur estoit défendu de bastir
î temples et prendre aucune chose d'église. Les peuples curieux de voir chose
» nouvelle, y alloient de toutes parts, et aussi bien les catholiques que les pro-
■» testants, les uns seulement pour voir les façons de cette nouvelle doctrine,
)) les autres pour l'apprendre, et quelques autres pour connoistre. et remarquer
» ceux qui estoient protestans. Us preschoient en françois, sans alléguer aucun
ï latin A la fin de leurs presches, ils faisoient des prières et ehantaient des
■» psaumes en rythme françoise, avec la musique et quantité de bonnes voix,
» dont plusieurs demeuraient bien édifiez, comme désireux de chose nouvelle,
j» de sorte que le nombre croissoit tous les jours. Là aussi se parloit de corriger
» les abus, et d'une réformation, de faire des aumosnes, et choses semblables,
» belles en l'extérieur, qui occasionnèrent plusieurs catholiques de se ranger à
» ce party. »
I
Énumération de divers faits, desquels ressort la preuve que les réformés se soumirent,
pour la tenue de leurs assemblées religieuses, aux prescriptions de l'édit de janvier,
aussitôt après sa publication.
Agen. — « Obéissance fut rendue (à l'édit) par ceux d'.4gen, le 14 du mois
i de février, après la publication de l'édict, et se trouva mesmes beaucoup plus
3» grand peuple au sermon de dehors la ville, qu'on n'en avoit veu aupara-
s vaut : cequi faschoit fort leurs adversaires. » {Bèze, hist., eccl., t. I, p. 811).
Aix-en-Provence. — « Le comte de Cursol estant entré en la ville, fit pu-
» blier l'édict de janvier, suivant lequel ceux de la religion, furent réintégrés
» avec exercice de leur religion dehors la ville Le mesme jour de la pu-
» blication de l'édict, ils choisirent pour le sermon un lieu hors la ville, sous
» un pin, etc., etc. » (Bèze, hist. eccl., 1. 1, p. 896).
Angers. — « Fut publié l'édict de janvier, suivant lequel, delà en avant, les
» assemblées, se firent es fauxbourgs, près les portes de la ville. » (Bèze, hist.,
» eccl, 1. 1, p. 755.)
Angoulème. — < L'édict de janvier ayant esté publié à Angoulème, ceux de
« la religion commencèrent à prendre un merveilleux accroissement, sans au-
» cun remuement toutesfois , continuans les presches au dehors. » (Bèze,
> hist.y eccl, t. II, p. 813, 814.)
— 558 —
Autun. — « L'édict de janvier arriva, pour la jouissance duquel, encore qu'il
« ne fùst publié à Dijon, s'estant assemblez les principaux de la religion, fut
» advisé d'un commun accord, que désormais on ne s'assembleroit point es
B temples de l'église romaine, mais bien en une grange , incontinent fut
9 dressé le consistoire, et en général fut mis en train l'exercice de la religion,
» suivant l'édict de janvier, avec un merveilleux accroissement. » (Bèze, hist.,
■» eccL, t. I, p. 784.)
Auxerre. — « Advertis de l'édict de janvier, ceux de la religion, achetèrent
3) un beau lieu pour h^isiiv, joignant les fossés de la ville, où ils commencèrent
» de faire l'exercice de la religion, en grande modestie et patience, combien
» qu'ils fussent ordinairement travaillés, et qu'entre autres indignités, la
» publication de l'édict en l'audience du bailly de Sens leur fùst refusée et dé-
> layée de jour à jour jusques après pasques, combien que mandement du roy
» leur fùst envoyé exprès par un courrier. »,(Bèze, hist., eccL, t.l, 769, 770.)
Beaune. — « Combien que l'édict de janvier ne fùst encore publié par le
» parlement (de Bourgogne), ceux de la religion supplièrent ce parlement de
» ne trouver mauvais s'ils usoient de ce que l'édict leur permettait. Et par ainsi
» commencèrent de prescher aux fauxboitrgs de la bretonnière en une grange,
» surnommée de Groseli, dont auparavant ils s'estoient asseurés, prévoyans ce
» qu'on leur préparoit. Peu après par la pratique des prostrés estans déboutés
» de ceste grange, s'assemblèrent en une autre nommé des Brevots, au mesme
» fauxbourg. î (Bèze, hist., eccL, t. 1, p. 782.)
Beziers. — « Sur la fin de février fut publié l'édict de janvier en vertu du-
T> quel les sermons commencèrent d'estre faicts hors la ville. •» (Bèze, hist.,
» eccl, t. I, p. 880.)
Bordeaux. — « L'édict de janvier fut publié, le 6 de février, à Bordeaux, et
» suivant iceluy ceux de la religion, sans aucune réplique, voire mesmes un
» jour devant la publication, firent prescher, hors la ville, en une grange, hors
» la porte Sainte-Croix : et leur ayant esté depuis escrit, les députés des églises
» estant pour lors encore à la cour, le mescontentement qu'on avait de cer-
« tains turbulens abatteurs d'autels et images, contre lesquels finalement les
» églises mesmes seroient contraintes de se dresser, ceux de Bordeaux décla-
» rèrent ne vouloir avoir aucune communication avec telles gens, et l'en-
» voyèrent notifier aux églises du haut païs. » (Bèze, hist., eccL, t. I, p. 789
» et 810.)
Bourges. — « Suivant l'édict de janvier les assemblées se firent librement es
» fauxbourgs Saint-Sulpicc. » (Bèze, hist., eccl., t. 1, p. 760.)
Bretagne. — « Il fallut que le parlement de Bretagne enregistrât l'édict de
» janvier, qui fut un bénéfice dontjouirentavec profit ceux qu'avoient reçu l'E-
» vangile. En effet, la prédication eu ceste conjoncture fut si efficace, que dix
» belles et grandes églises se trouvèrent dressées en Bretagne Les assem-
» blées continuèrent quelque temps sans ti'ouble, mais hors des villes, con-
» fermement à l'édict de janvier. » (Ph. Lenoir, hist., eccl., de Bretagne,
■» p. 78 et 83, — Bèze, hist., eccl., i. 11, p. 748.)
Castres. — « L'édict de janvier estant apporté le !8'= de février, on cessa de
» prescher au temple de la Platte, pour aller prescher hors la porte de la ville.
— 559 —
•» en un boulevart. lequel par la libéralité des particuliers de la ville fut tan-
1 tost couvert de toilles. ? (Bèze, hist., eccL, t. I, p. 875.)
Chatillon-sur-Loing, — « Les gens de la religion s'accommodèrent d'un pe-
» tit temple, situé aux fauxbourgs, appartenant à l'hôtel-Dieu et quasi tout
» désert et destitué, auquel lieu ils se maintinrent en bon repos et sans aucun
î mescontentement apparent. » (Bèze, hist., eccL, t. Il, p. 4^57).
Castelnaudary . — « Ceux de la religion estoient au sermon, hors de la ville,
3> suivant l'édict de janvier, joignant un moulin à pastel. î (Bèze, hist., eccl.y
» t. 111, p. 159.)
Foix. — « L'édict de janvier estant publié, ceux de Foix qui estoient de la
> religion commencèrent à prescher hor'S la ville, obéissans à l'édict en tout et
» partout. 3 (Bèze, hist., eecl.,t. III, p. 202.)
Grenoble. — « Le presche, suivant l'édict de janvier se faisoit à Grenoble,
> aux fauxbourgs, en une cour, appartenant à un marchand nommé Bernar-
» din Curial. » (Bèze, hist., eccL, t. III, p. 240.)
Meaux. — « Estant faict l'édict de janvier, encore que la cour de parlement
» de Paris en refusast la publication, l'église de Meaux entr'autres ne laissa
» de le pratiquer en grande paix. » (Bèze, Itist., ceci., t. II, p. 350.)
Montpellier. — « Viret venu à Montpellier, commença d'y exercer le minis-
» tère, ayant esté l'édict de janvier publié le 7 du mois de février, suivant le-
» quel ceux de la religion se retirèrent et choisirent le grand fossé du portai!
> de Lottes. » (Bèze, hist., eccl.,t. I, p. 888.)
Nîmes. — « Les temples ayant esté quittés par ceux de la religion en la ville
» de Nîmes, suivant le mandement du seigneur comte de Crussol, le 20" dejan-
» vier 1562, ils commencèrent leur exercice ordinaire, en l'hospital, hors la
D ville. » (Bèze, hist., eccL, t. III, p, 138.)
Rouen. — « Le 27* dudict mois fat publié l'édict de janvier à Rouen, et sui-
» vaut iceluy fut dressé l'exercice de ceux de la religion aux fauxbourgs, en
» toute obéissance. » (Bèze hist., eccL, t. II, p. 610). — ■ « Les religionnaires
» prêchaient dans les fauxbourgs de Rouen et dans les campagnes, suivis et
» écoutés plus qu'on ne saurait dire Des officiers du roi chargés d'assister
» aux presches comme surveillans, il y en eut qui finirent par assister comme
» fidèles à ces prêches. î (Floquet, hist. du parlement de Normandie, t. II,
j p. 37-i.)
Sens. — « En la ville de Sens, par les menées du chapitre et clergé qui y est
Tt très puissant, estant ville archiépiscopale, et par les pratiques de Robert
» Hémard, lieutenant criminel, il y avoit une très grande résislance à ce que
» l'édict de janvier ne fùst publié, quelque commandement que le roy en eust
» faict. Ce nonobstant ceux de la religion ayant acheté et basti im lieu hors
)) la ville et sur les fossés d'icelle, y faisoient leur exercice. » (Bèze, hist., eccL,
» t. II, p. 396.)
Toulouse. — « Le vendredi sixiesme de février 1562, l'édict de janvier par
lequel l'exercice de la religion estoit permis aux fauxbourgs des villes fut
publié en la cour de parlement de Toulouse, sans trop grand contredit, en
apparence. Suivant cela, du Nort, ministre de la parole de Dieu, ayant fait le
serment requis par l'édict entre les mains du séneschal,viguier et capitoulsdela
— 560 —
ville, fit le premier sermon hors la ville joignant la maison des héritiers du
feu seigneur d'Olivieres, jadis président auquel assistèrent les capitouls et
viguier de Toulouse, avec les forces de la ville pour empêcher qu'aucun tu-
multe n'en- advint. » (Béze, hist. eccl. t. III, p. i.)
L'énoncé de ces faits est confirmé par la lettre suivante de de Nort à
Calvin, du 10 février 1562 (opa Calvini, vol. XIX, p. 282, n" 3714) : — « Mon-
» sieur et père, je ne doute point que n'ayés entendu par les lettres qu'en-
» voyay dernièrementà M. Raimon (Merlin) comment j'avoys esté envoyéenceste
» ville (Toulouse) par le synode tenu dernièrement à Sainte-Foy. Or, depuis ce
» temps-là. Dieu par sa grâce a tellement béni l'œuvre, que non seulement le
» troupeau est creu en un nombre merveilleux jusques huit à neuf mille per-
» sonnes, sans mentir, mais aussi jouissons ^'une pleine liberté, pré-
» chant publiquement hors de la ville, où le magistrat assiste avec un grand
» nombre de gens armés qui contiennent tout le monde en paix, et dès lors
» que quelqu'un bouge, est appréhendé et mené en prison. Sapmedr passé,
» qui estoit le 7 du présent, fusappellé devant messieurs de la ville qui
» m'avouèrent et reçurent pour ministre, promettans, que d'ores et desjà ils
» me mettoient en leur sauvegarde, puis me firent jurer de prêcher purement
» et syncèrement la parole de Dieu comme elle est contenue au vieil et nouveau
» testament; et delà avec sept à huit cents hommes armés m'emmenèrent au
» lieu oîi faloit prescher et m'en ramenèrent de mesrae, et continuèrent tous
» les jours, jusques à ce que tout soit en bonne paix. »
Des lettres d'abolition, d'octobre 1562 (Bèze, hist. eccl. t. III, p. 40 à 44.)
attestent, en ces termes, l'attitude régulière des réformés, dans la pratique de
leur culte : — « Comme ainsi soit que l'édict par nous faict en janvier dernier
» pour apaiser les troubles et esmotions survenus en nostre royaume : aucuns
» de nos sujets, habitant de nostre ville de Toulouse, qui avaient suivi la nou-
» velle religion, pour ce qu'on leur avoit faict entendre que, c'estoil la seule
» voye de salut, se sont incontinent rendus obéissans et fait leurs assemblées Aors
» ladite ville, ne desirans autre chose que servir à Dieu et à nous en toute mo-
» destie, et pour l'exercice de ladite religion ayent appelé des ministres en
» plus grand nombre qu'ils n'avoient auparavant, iceux nourris et entretenus
» en leurs maisons se trouvant ordinairement aux presches et exhortations
» prières et autres exercices qu'ils ont accoustumé, mesme communiqué et
» participé à leurs sacremens, et quelques-uns d'entr'eux pris des charges e*
» estais de leur religion ou police par eux appelés diacres, surveillans et
» autres, et se seroient trouvés en leurs conseils synodes el consistoires, tant en
» ladite ville que autres lieux circonvoisins , toujours paisibles et sans
» trouble etc., etc. >
Des citations de ce genre pourraient être multipliées.
561 —
Des citations d'un autre genre pourraient encore être faites ici : ce seraient
celles qui se rattacheraient aux actes de trouble et de violence, ayant, dès les
premiers jours de l'exécution régulière de l'édict de janvier par les réformés,
entravé l'exercice légal de leur culte. Mais les faits, en cette matière sont telle-
ment nombreux, qu'il faut renoncer à l'idée d'en présenter ici le tableau.
On pourra d'ailleurs les connaître en consultant surtout les histoires particu-
lières des villes et provinces de France, au xvi« siècle, ainsi que divers docu-
mens publics et privés de cette époque.
Formation du parti catholique, 1561 .
(M. Mignet, Journal des savants, année 1859.)
« Le parti catholique se forma dès lors à part de la royauté, et se prépara
» à agir sans elle, malgré elle, et à la fin même contre elle. Resté fort puis-
» sant dans les provinces, il était le maître dans Paris, où il dominait exclu-
» sivement, et dont le peuple presque tout entier conservait à l'ancienne re-
» ligion un attachement passionné, poursuivait de ses haines et menaçait de
» ses violences les partisans du culte nouveau. Tant que les rois de France
» s'étaient opposés par leurs édits, à l'hérésie calviniste et l'avaient rigoureu-
» sèment condamnée, les catholiques s'étaient rangés sous leur autorité avec
» une fidélité satisfaite. Il n'en fut plus de même lorsque la régente Catherine
» de Médicis cédant à la nécessité et se dirigeant d'après une politique hu-
» maine et louable, entra dans les voies de la tolérance, et admit, sous la mi-
» norité de Charles IX, l'existence légale du protestantisme, que la persévé-
» rance des interdictions et la sévérité des châtimens n'avaient empêché ni de
> s'introduire dans l'État, ni de s'y étendre pendant la toute-puissance de
s François I", de Henri II et de François II. Dès ce moment, la passion du
» parti catholique se manifesta, soit à Paris, soit dans les provinces, par de
» fanatiques agressions et de séditieux massacres. Le dévouement à la re-
» ligion, l'emporta même, chez lui, sur l'obéissance envers la couronne : il
» prépara, en 1561, au début du règne de Charles IX, la ligue qu'il re-
11. 36
— 562 —
» nouvela en 1584, sous Henri III, et qu'il resserra, après 1589, contre
■» Henri IV. A ces diverses époques, il fut animé du même désir, le triomphe
» absolu du catholicisme; il marcha vers le même but, l'extirpation par la
» guerre de l'hérésie que n'avait pu interdire l'autorité ; il suivit au dedans
» les mêmes chefs, les princes de la maison de Lorraine; il réclama au de-
» hors les mêmes appuis, les Nulles du pape et les soldats de Philippe II. »
Relation des conférences de Saverne, par le duc Christophe de Wurtemberg.
{Bull, de la soc. cl'hist. du prot. fr., t. IV, p. 184 à 196.)
« Arrivé à Saverne, le 15 février 1562, dans la soirée, chez le duc de Guise
» et le cardinal de Lorraine, ces deux frères m'exposèrent, comme le disait
» déjà la lettre d'invitation, que mes liaisons d'autrefois avec le duc et le triste
» état de la France, leur avaient inspiré un vif désir de s'entretenir affectueu-
» sèment avec moi, et avec mes théologiens. Je répondis que la lettre m'avait
» déterminé à venir, et que j'étais tout à leur disposition. »
€ Le lendemain, 16 février, à sept heures du matin, le duc vint me trouver
» dans mon appartement, parla de différentes choses de nature générale, et
» me dit que le cardinal souhaitait avoir, après le déjeuner, une conversation
» à part avec mes théologiens. Je ne fis aucune objection, et, informé que le
* cardinal prêcherait, j'allai assister à son sermon. 11 y avait environ deux
» cents personnes. Il prêcha sur l'Évangile de la tentation de Jésus-Christ au
» désert. Tout son sermon avait pour but de montrer qu'on ne doit rechercher
1» d'autres médiateurs ni intercesseurs que Jésus-Christ, qui est notre unique
» sauveur et la seule propitiation pour nos péchés; que nous ne devons pas
» non plus nous confier en nos bonnes œuvres, etc., etc.
« Après le déjeuner, le cardinal me pria de lui envoyer mes théologiens,
» pour qu'il pût s'entretenir avec eux amicalement et fraternellement; ce qui
» eut lieu. Les théologiens se rappelent sans doute ce qu'il leur dit.
« Après midi le duc revint chez moi dans mon appartement. 11 parla longue-
» ment des calamités de toutes sortes qui accablaient la France, depuis une
» vingtaine d'années ; puis il ajouta qu'à tous ces maux s'était jointe la discorde
» religieuse; que la reine mère et le roi de Navarre, pour y remédier, avaient
» convoqué le synode de Poissy, mais qu'à ce synode les ministres calvinistes
» s'étaient, dès l'abord, montrés comme gens avec lesquels il n'y a pas de con-
> ciliation à espérer ; qu'ils avaient appelé idolâtres tous les catholiques, et
— 563 —
î qu'il était résulté de cela une irritation intolérable^ 11 me pria de lui exposer
» quelle est notre religion à nous autres Allemands et de lui dire si nous nous
» accordons avec les ministres français sur tous les points. Il ajouta, avec
j beaucoup de paroles, qu'il aimerait s'éclairer et mettre sa conscience en
» repos; qu'il avait été élevé dans la foi de ses ayeux(si elle est fausse dit-il,
» j'en suis fâché) ; qu'homme de guerre depuis sa jeunesse, il est resté
» ignorant en religion, et que bien certainement si on lui montrait qu'il a ét<j
» dans l'erreur jusqu'à présent, il suivrait volontiers et de grand cœur les nou-
» veaux enseignements qu'on lui donnerait.
« Je lui répondis que les calamités de la France devaient inspirer de la pitié
» à tous les chrétiens, mais qu'il ne fallait nullement se cacher que les causes
» s'en trouvaient dans les péchés de ce pays, parmi lesquels, dis-je, ce n'est
> certainement pas le moindre que d'avoir fait mourir pour la foi, depuis un
» si grand nombre d'années, tant de milliers de personnes innocentes.
« Quant au colloque de Poissy, dis-je, les actes que vous m'en avez envoyé
» prouvent que les prélats n'y avaient pas l'intention de conférer sérieusement
» avec les ministres français pour arriver à un accord et à une réformation. Au
» lieu d'examiner la confession de foi des ministres article par article, ils se
ï sont jetés de suite sur l'un des derniers, et précisément sur le plus propre
» à faire rompre le colloque. Toutefois j'espère qu'à une autre conférence, on
ï n'aura en vue que l'honneur de Dieu et de sa parole, et qu'alors le Seigneur
3» bénira de telles intentions.
« Pour ce qui est de notre accord avec les ministres français, je lui dis que
» nous ne différons d'eux que dans l'article de la sainte cène et qu'il y avait
» espoir qu'on parviendrait à s'unir, à cet égard ; la dispute provenant princi-
» paiement de malentendus. J'ajoutai qu'il trouverait une exposition complète de
» notre foi dans les lettres et dans les livres que je lui avais déjà envoyés, et que,
» s'il avait quelque question particulière à me faire, je lui répondrais volontiers.
s 11 me demanda alors ce que nous entendons par idolâtrie.
« On est idolâtre, lui dis-je, lorsqu'on adore d'autres dieux que le vrai Dieu,
» ou qu'on cherche d'autres médiateurs que le fils de Dieu, Notre-Seigneur
» Jésus-Christ, ou qu'on met sa confiance dans les saints, dans la Vierge Mra-ie,
» ou dans ses propres bonnes œuvres.
» Je n'adore d'autre Dieu que le vrai Dieu, me répondit-jl ; je me confie uni-
» ({uement en Jésus-Christ; je sais bien que ni la mère de Notre-Seigneur, m
» les saints ne peuvent m'être en aide ; je sais bien aussi que je ne puis être
» sauvé par mes bonnes œuvres, mais par les mérites de Jésus-Christ.
« Moi. — Voilà ce que j'entends avec joie ; le Seigneur veuille vous mainte-
» nir dans cette confession.
« Le duc. — Nous voilà donc d'accord en cela.
« Moi. — Mais puisque vous croyez et confessez ainsi, il faut aussi vous dé-
» clarer contre tout ce qui est opposé à cette confession, comme, par exemple,
» le culte des saints, les pèlerinages, le purgatoire, la messe idolàtrique et le
» prétendu sacrifice non sanglant de la messe.
« Le duc. — Je suis maintenant mieux informé en tout cela que je ne l'étais
» autrefois, et je vous prie d'en parler demain aussi à mon frère le cardinal.
— 5G4 —
"» Veuillez seulement encore me dire ce que vous trouvez de mauvais dans la
» messe et ce que vous pensez du sacrifice de l'autel.
« Quand je lui eus répondu (dans le sens de la doctrine Luthérienne), il dit :
» mais De Bèze a enseigné publiquement, en présence de la reine mère, du
» roi de Navarre, de tous les princes et seigneurs et de tout le synode, que le
» vrai corps et le vray sang de Jésus-Christ sont éloignés du saint sacrement
» autant que le ciel est éloigné de la terre; qu'il n'y a qu'une manducation
» spirituelle, et que, matériellement ce n'est que du pain et du vin. C'est pour-
» quoi les prélats n'ont plus voulu conférer aveclui ni avec les siens.
« Je répondis que De Bèze, n'avait peut-être eu en vue que de combattre
» l'opinion papistique qui fait résider le corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ
» dans le tabernacle comme dans une prison et qui prétend le promener en
» forme d'hostie.
« Le duc s'excusa en disant que c'était là une matière trop difficile pour lui.
» Veuillez en conférer demain avec mon frère, ajouta-t-il.
« Alors je lui dis : puisque nous en sommes maintenant à nous expliquer
» l'un avec l'autre, je ne puis m'empècher de vous informer que vous et votre
» frère êtes hautement soupçonnés, en Allemagne, d'avoir contribué à faire
» périr, après le décès de Henri II, et encore de son vivant, plusieurs milliers
» de personnes qui ont été misérablement livrées à la mort, à cause de leur foi ;
» comme ami et comme chrétien, je dois vous avertir : gardez-vous du sang inno-
» cent. Les chàtimens de Dieu vous atteindraient dans cette vie et dans l'autre.
« 11 me répondit avec de grands soupirs : je sais bien qu'on nous accuse de
» cela et d'autres choses encore, mon frère et moi; mais on nous fait tort;
» nous vous l'expliquerons tous deux avant votre départ. Puis il ajouta : j'ai
y oublié tantôt de vous demander une chose : d'où vient que dans votre reli-
» gion, vous êtes si divisés, tandis que, dans l'église romaine, il y a eu depuis
» si longtemps et il y a encore plus grande unité?
Suivent des explications du duc Christophe, tendant à revendiquer, pour les
chrétiens évangéliques, une unité véritable, et à montrer que, dans le pa-
pisme, l'unité n'est que hiérarchique. 11 cile entre autres lesdivergences d'opinions
entre les ordres religieux et l'existence de cinq canons différents de la messe.
« S'il en est ainsi, dit alors le duc de Guise, je me ferai Luthérien, moi
» aussi; car il faut qu'il y ait unité dans la messe, ou le tout est faux. Mais je
» vous prie d'en parler aussi à mon frère !
« Je répondis que je le ferais quand je le verrais, mais que j'aimerais qu'on
» me remît les livres papistes dont j'aurais besoin pour établir mes preuves.
« Ainsi' finit notre conversation du 16 février.
« Le 17 février, le duc de Guise vint de nouveau me trouver dans mon
» appartement, à sept heures du matin. Il me dit que les sujets que nous
» avions traités hier l'avaient empêché, presque toute la nuit, de dormir;
» qu'il en avait parlé au cardinal, et que celui-ci aimerait avoir encore une
» conférence avec Brentius, en ma présence, après le déjeuner. Je répondis
■» que ce sera comme le cardinal le souhaitera. Ensuite nous parlâmes d'affai-
» res privées, d'anciennes guerres, etc., etc.
« A huit heures, nous allâmes au second sermon du cardinal. De même que
— 565 -
» la veille, il répéta plusieurs fois que nous devons adorer Dieu seulement tel
» qu'il est au ciel, et que notre unique médiateur, avocat et intercesseur, c'est
» Jésus-Christ, nullement la mère de Dieu, ni les autres saints ; que nous ne
» devons pas invoquer les saints, etc., etc.
« Après le sermon, le cardinal me dit qu'il savait par son frère notre entre-
ï> tien de la veille; qu'il était extrêmement réjoui de notre entrevue; qu'elle
» lui était plus précieuse que n'importe quel bien delà terre; qu'il espérait
» voir tourner toutes choses à bien, car, dit-il, j'ai conversé bien frat^rnelle-
» ment avec Brentius et avec vos autres théologiens; j'espère que nous nous
» sommes bien entendus et que nous nous sommes quittés d'accord. Maintenantje
» souhaite conférer encore avec Brentius sur quelques points, en votre pré-
» sence : je vous exposerai alors catégoriquement et ouvertement quelle est ma
» foi, et comment je pense qu'on pourra mettre en bonne voie les affaires de
» religion.
« Je répondis que j'avais grand plaisir à l'entendre parler ainsi, et que j'i-
» rai chez lui avec Brentius, à l'heure qu'il lui plairait.
« Après le déjeuner, midi à peine sonné, le duc de Guise entra pour me
» dire que le .cardinal allait venir chez moi. Je répondis que ce serait moi qui
» irais le trouver chez lui; et ainsi nous nous rendîmes ensemble chez le car-
» dinal de Lorraine où se trouvaient aussi les deux autres frères, le cardinal
» de Guise et le grand prieur. On me fit prendre place entre les quatre frèi-es :
> le duc de Guise et le cardinal de Guise à ma droite, le cardinal de Lorraine
» et le grand prieur à ma gauche, Brentius était assis en face de nous. Hors de
» nous six, il n'y avait personne dans l'appartement.
« Le cardinal de Lorraine commença par s'adresser à Brentius, à peu près en
» ces mots : docteur Brentius, mon père, nous avons conféré hier amicalement
» sur plusieurs points principaux de la foi chrétienne, sur le péché originel, le
» baptême, l'invocation des saints, les prières pour les morts, la justification,
» devant Dieu, et le symbole des apôtres. Maintenant j'aimerais encore m'en-
» tendre avec vous sur trois ou quatre articles, en présence de votre seigneur,
» mon cousin le duc de Wurtemberg : 1° sur les objections que vous faites
» contre la messe; 2° sur la hiérarchie ecclésiastique; 3° si les zwingliens et
» les calvinistes sont hérétiques; si l'on doit punir les hérétiques, et cora-
» ment ; enfin 4° si c'est par le concile de Trente, qui, en vérité, dit-il, n'est
» pas un concile, mais plutôt une simple réunion, conventus, ou par d'autres
» voies qu'il faudra tâcher d'arriver à une solution des affaires religieuses.
« Et d'abord, que blâmez-vous dans la messe? Dites, s'il vous plaît, toute
i votre pensée, à cet égard, sans vous gêner.
« Alors Brentius, après s'être excusé de sa franchise, énumère au cardinalles
* erreurs et les abus relatifs à la messe. — Nota. — Brentius lui-même saura
» le mieux se rappeler ce qu'il a dit.
« Réponse du cardinal. — Je me suis accordé hier avec vous sur ce point,
5) qu'on doit adorer Dieu seul, qui est au ciel, et que notre unique avocat est
5) le fils de Dieu, Jésus-Christ. Je répète aussi, en présence de mon cousin le
» duc de Wurtemberg, que Jésus-Christ doit être adoré seulement tel qu'il
ï est au ciel.
— 566 —
« Brentius. — Révérendissime Seigneur, vous ne pensez donc pas qu'on
ï doive l'adorer dans le pain, ni le promener dans des processions?
« Le cardinal. — ^ J'avoue que nous avons été trop loin en cela. On doit ado-
■» rer et invoquer Jésus-Christ seulement, tel qu'il est au ciel; mais dans l'eu-
» cliaristie nous le devons vénérer, par exemple, nous agenouiller quand quel-
» qu'un communie, ou faire la révérence en recevant le saint sacrement. Je ne
» pense pas que vous, ou mon cousin le duc de Wurtemberg, vous blâmiez
» cela.
« Brentius et moi. — Nous ne saurions blâmer cela.
« Le cardinal. — Pour ce qui est de l'invocation des saints dans le grand
« canon de la messe, de l'opinion que la messe est un sacrifice, et de l'usage
j) de dire des messes pour les vivants et pour les morts, je dois avouer qu'en
» cela aussi on a été trop loin. La messe ne doit être célébrée que lorsqu'il y
» a des communions, et dans ce sens qu'elle n'est pas un sacrifice, mais un
» acte de communication du sacrifice accompli sur l'autel de la croix : Non
» sacrificitim sed memoria sacrificii prœstiti in arâ crucis.
» Brentius. — Révérend seigneur, si l'on supprimait les abus de la messe,
» nous serions bientôt d'accord.
« Le cardinal. — Que pensez-vous donc de la hiérarchie ecclésiastique?
» Approuvez-vous qu'il y ait un chef suprême appelé pape, des cardinaux,
» des archevêques, etc., etc.?
« Brentius. — Jésus-Christ est le chef de l'église ; il ne veut pas de vicaire.
» Quant aux cardinaux, l'Écriture n'en parle pas ; mais il doit y avoir des de-
» grés dans l'administration ecclésiastique; nous concédons aussi qu'il y ait
» des évêques, pourvu qu'ils soient élus régulièrement.
« Le cardinal. — Bien ; nous pourrons nous accorder en cela aussitôt. A
)) défaut d'une robe rouge, j'en porterai volontiers une noire. Mais, Brentius,
» que dites-vous des zwingliens et des calvinistes? Sont-ils hérétiques, ou
» non? Doit-on punir les hérétiques? Et comment?
« Brentius. — Quoique les zwingliens et aussi Calvin se trompent dans l'arti-
» cle de la sainte Cène, la charité chrétienne exige qu'on ait bon espoir à l'é-
» gard de ces chrétiens tombés dans une erreur. Il faut les avertir, les exhor-
» ter et prier pour eux ; car dans tous les autres articles de notre foi, ils sont
» d'accord avec nous.
» Brentius pria aussi le cardinal de ne rien faire avec précipitation à l'égard
» de ces chrétiens fourvoyés. 11 ajouta qu'avec la grâce de Dieu, ils pourront
» être ramenés, et qu'il y avait d'ailleurs, comme le cardinal le savait bien, une
» grande différence à faire entre celui qui enseigne une erreur, et de simples
» ouailles, etc., etc.
« Ensuite le cardinal demanda à Brentius ce qu'il pensait des moyens de ré-
» tablir la concorde dans la chrétienté.
« Brentius répondit qu'il y avait cinq moyens. Nota. Brentius se rappelle
3) sans doute ce qu'il a dit, à ce sujet.
«: Le cardinal. — Le concile assemblé à Trente ne fera rien de bon. D'un
5 autre côté, il n'y a non plus rien à espérer de nos calvinistes de France, Ils
> ne veulent pas écouter, mais être écoutés. Croyez-m'en, sire cousin, si de
— 567 —
» Bèze et ses collègues avaient, à Poissy, voulu accepter et signer, la confes-
» sion d'Augsbourg, j'aurais obtenu des prélats que nous nous fussions arrangés
» avec eux.
« Moi. — Mais si, à l'avenir, De Bèze et ses collègues approuvent et si-
» gnent la confession d'Augsbourg, le ferez-vous également de votre côté?
« Le cardinal. — Vous l'avez entendu; vous, Brentius, mon père, vous l'avez
» de même entendu hier avec vos confrères ; de plus, je prends Dieu à témoin
« qne je pense et que je crois comme je le dis, et qu'avec la grâce de Dieu, je
» vivrai et mourrai dans ces sentimens. Je le répète donc : J'ai lu la confes-
» sion d'Augsbourg; j'ai lu aussi Luther, Mélanchton, Brentius et d'autres;
» j'approuve entièrement leurs doctrines et je m'accorderai bien vite avec eux
» dans tout ce qui concerne la hiérarchie ecclésiastique. Mais il faut que je
» dissimule encore quelque temps, afin de gagner plusieurs qui sont encore
» faibles dans la foi.
« Après cela Brentius le pria de travailler avec les autres prélats à ce que la
» parole de Dieu fût avancée en France et qu'on y arrivât à un accord en ma-
» tière religieuse, ou du moins, à défaut de cela, à une paix de religion,
» comme en Allemagne.
« Le cardinal. — Si De Bèze et les autres ministres français étaient aussi
» modérés et aussi raisonnables que vous autres théologiens allemands, on
» pourrait traiter avec eux et espérer une conciliation; mais je désespère de
» ceux-là; il n'y a rien à faire avec eux.
(C A cela je dis que lui et les siens devraient pourtant conférer de nouveau
» avec les ministres français, et examiner ce que, dans leur confession de foi
» il y a à approuver ou à blâmer.
« Le cardinal. — Certes je ne manquerai pas d"y contribuer, pour ma part.
9 Si le roi de Navarre et la reine mère convoquent encore une fois les prélats,
» je montrerai que c'est à tort qu'on m'accuse d'être opposé à toute concession,
3> Dans mes trois évêchés, je fais prêcher l'Évangile, librement, connue par la
» grâce de Dieu, vous me l'avez entendu prêcher aujourd'hui et hier ; je ne
« souffre plus dans mes évêchés, qu'on dise la messe, à moins qu'il n'y ait des
» communions, et je m'occupe maintenant de supprimer le canon de la messe,
» en introduisant un rite dont je vous enverrai un exemplaire après pâques.
« Finalement Brentius conjura encore une fois le cardinal de s'employer à
» faire cesser les persécutions en France; à quoi le cardinal répondit : je ferai
» comme vous dites, et, de plus, je vous prie instamment de m'écrire souvent,
» mon père. Si, dans l'accomplissement de mes fonctions ecclésiastiques, vous
» remarquez quelque chose qui vous déplaise, veuillez me l'écrire et m'avertir.
» Moi aussi, je vous écrirai et je vous reconnaîtrai toujours pour mon père en
» Christ ; Semper agnoscam te uti patrem meiim in Christo.
« Ainsi se termina la conférence entre le cardinal et Brentius. Plus tard, le
» cardinal me dit, en présence du duc de Guise : vous avez informé mon frère,
» qu'en Allemagne on nous soupçonne tous deux d'avoir contribué à faire mou-
» rir un grand nombre de chrétiens innocents, sous les règnes de Henri et de
» François II. Eh bien! je vous le jure, au nom de Dieu, mon créateur, et en y
» engageant le salut de mon âme, je ne suis coupable de la mort d'aucun
— 568 —
:» homme condamné pour cause de religion. Ceux qui alors étaient dans les
» conseils peuvent m'en rendre témoignage. Au contraire, toutes les fois qu'il
» s'agissait d'affaires criminelles en matière de religion, je disais au roi Henri,
> ou au roi François II que ce n'était pas de mon ministère ; que cela regar-
» dait le pouvoir séculier; et je m'en allais.
« Puis, se tournant vers Brentius, il répéta ces protestations en latin. 11
» ajouta : Quoique le président du Bourg fût dans les ordres, j'ai prié le roi de
» l'épargner. C'est un homme instruit, disais-je, etc., etc.
« Le duc de Guise de même, avec de grands sermens, affirma qu'il était
» innocent de la mort de ceux qu'on avait condamnés pour cause de leur foi.
» On a souvent, ajouta-t-il, cherché à nous tuer, le cardinal et moi, soit à coups
» de feu, soit par l'épée, soit par le poison, et bien que les coupables fussent
» arrêtés, je ne me suis jamais mêlé de leur punition.
« Moi. — J'éprouve pour l'amour de vous une grande satisfaction à vous en-
» tendre parler de la sorte; et, si vous le souhaitez, je ferai part de vos décla-
» rations à nos amis, en Allemagne.
« Tous deux me prièrent de le faire. De mon côté, je les conjurai itérative-
» ment de ne pas persécuter les pauvres chrétiens de France. Dieu ne laisse-
» rait pas s?ns châtimenl, dis-je, un pareil péché.
« Ils me donnèrent alors la main, le cardinal et le duc de Guise, promettant
» sur leur foi de princes et sur le salut de leur âme, de ne persécuter ni ouver-
» tement, ni en secret les partisans de la nouvelle doctrine.
« Je répondis : notre Dieu, père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, veuille
» vous maintenir dans ces sentimens et vous confirmer 'dans les résolutions que
» vous exprimez !
« Ensuite le duc de Guise parla au cardinal de ce que je lui avais dit hier du
» grand nombre d'opinions différentes parmi les ordres religieux du papisme et
» des cinq espèces de messes. Le cardinal convint qu'il en était ainsi, et finit
» par ces mots : que dirai-je? notre église romaine est pleine de supersti-
j> tions.
« Ainsi se termina noire conversation du 17 février.
« 18 février. — De très bonne heure, le duc de Guise m'envoya son homme
» d'affaires Bascalon. Il me fit dire qu'il avait, ainsi que son frère, oublié hier
)) de me parler de deux objets, et que l'après-midi étant fixée pour le départ,
» ils viendraient m'en entretenir dans la matinée. Ils désiraient, dit Rascalon,
» me demander si je ne serais pas d'avis que le cardinal s'employât, avec
» l'empereur et le pape, à organiser en Allemagne, dans une ville située com-
» modément pour ceux de la confession d'Augsbourg, une conférence amicale
» entre des représentans autorisés du catholicisme et du luthéranisme, à l'effet
» d'aviser à une entente chrétienne. Une fois l'accord établi avec les Luthériens
» d'Allemagne, dit-il, les anglais, les écossais, les religionnaires français etpo-
» lonais suivraient, sans doute ; car l'exemple de l'Allemagne leur impose, et
» le mal cesserait. En second lieu, les Guises me priaient d'écrire au roi de
» Navarre que, cousins et anciennes connaissances, le duc et moi, nous nous
» sommes donné rendez-vous à Saverne pour nous revoir; que là nous en
D sommes venus à parler d'affaires de religion ; que les Guises sont disposés à
— 569 ~
» un arrangement, et qu'à une nouvelle cojiférence, le cardinal prouverait cer-
» tainement qu'il n'entend pas jouer la comédie.
€ Je répondis à Rascalon que je réfléchirais à ces deux demandes et que j'i-
s rais en parler à son maître et au cardinal, à l'heure qui leur conviendrait.
« A huit heures, le cardinal et le duc entrèrent chez moi. Le cardinal déve-
» loppa avec beaucoup d'éloquence le projet d'un colloque à tenir en Allema-
)) gne, et me demanda si je pensais que les princes de la confession d'Augs-
» bourg y prêteraient la main. Je répondis qu'ils le feraient certainement si
» l'empereur le leur demandait, quoique, à vrai dire, ajoutai-je, jusqu'à pré-
» sent, ces sortes de conférences aient malheureusement produit peu de fruits.
j Enfin le cardinal me pria de communiquer son projet aux princes de la
» confession d'Augsbourg; car, ajouta-t-il, s'il n'y a pas de refus de ce côté,
» l'empereur et le pape consentiront à une conférence ; j'ai mes raisons pour le
» croire ; je suis bien informé. Si au contraire les décisions du concile de
» Trente prévalaient, il serait fort à craindre qu'on ne vînt aux armes.
« Sur cela, je lui demandai de me faire savoir exactement dans quels termes
» il voudrait que j'écrivisse aux princes Allemands, d'un côté, et de l'autre.
» d'après la seconde communication de Rascalon, au roi de Navarre; de peur,
» ajoutai-je, que je ne dise trop ou trop peu, en votre nom. Ils me promirent
» de m'envoyer Rascalon à Stuttgart, pour s'accorder avec moi, à ce sujet, le
» temps étant trop court pour rien dresser par écrit, avant le départ.
« C'est ainsi que nous quittâmes Saverne, le 18 février, après midi, les quatre
» frères de la maison de Guise et moi. Avant de nous séparer, tous les quatre,
» en me donnant la main, me promirent, encore une fois, de n'agir ni en enne-
y> mis, ni en persécuteurs, envers ceux qui, disaient-ils, ont adopté la nouvelle
» doctrine et quitté le papisme, mais de contribuer, selon leur pouvoir, à l'é"
» tablissement d'une concorde chrétienne.
Nota. — « Réjoui des bonnes paroles qu'on lui donnait, le duc de Wurtem-
» berg rédigea immédiatement la relation ci-dessus et en fit part à ses amis ;
» mais le LandgraVe de Hessen jugea, dès l'abord, même avant de connaître
3> l'horrible massacre de Vassy, que la conduite des Guise à Saverne n'avait été
» que tromperie. Arrivé, plus tard, lui-même, à cette conviction, le loyal duc
» Christophe écrivit au bas de sa relation : Hélas! on voit maintenant com-
y> ment ils ont tenu ces promesses!! Deus.sit ultor doli et perjlrii, cujus
» NAMQUE RES AGITUR ! !
Un document du xvi' siècle (Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 20 783, f 37. - - Bull,
de la Soc. d'Hist. du protest. fr. ann. 29, p. H9) ajoute le détail suivant :
« Le duc de Wurtemberg, pour s'assurer de la vérité, envoya homme exprès
» sur le lieu pour se enquérir au vray de tout ce qui s'estoit passé ; lequel
» estant de retour et aïant fait entendre la cruauté dudict de Guyse contre les pro-
» testans de Vassy, il en fut si fort irrité, qu'd dist qu'il se vengeroit ; et de
» faict, si ledict duc de Guyse ne fùst mort, il délibéroit de faire divulguer son
» hypocrisie, et luy offrir le combat, pour le tort qui luy avoit faict. Ce qu'ayant
» esté entendu par le duc de Guyse,iascha par tous moïens de l'apaiser, et pour
- 570 —
» cest effect envoya devers le duc de Wurtemberg un nommé Rascalon, son va-
» let de chambre, qui autrefoys avoit esté nourry en Allemagne, par lequel il
» luy fit présent de quelques bons chiens courans, le voulant par cela gratif-
» fier, pour ce qu'il aimoit la chasse. Mais ledit duc de Wurtemberg, au lieu
» de les recepvoir, les feit tuer en la présence dudit Rascalon, qu'il feit mettre
» en prison par l'espace de sept ou huit jours, au pain et à l'eau; et au dépar-
)) tir, lui dit ces mots : va dire à ton maistre que si je le tenois, je luy en ferois
» autant comme j'ay faict à ses chiens. »
Agitation menaçante, à Paris, voyez :
1" Le sauvage manifeste, adressé par divers habitans de Paris au roi, à la
reine mère et au conseil privé, postérieurement à l'édit du 17 janvier 1562
(Bull, de la soc. d'Hist. du prot. fr. t. XVII, p. 534 et suiv.).
2° « Pour venir maintenant aux déportements de la ville et du parlement de
» Paris, il n'y eut pratique ne ligue qui fust oubliée pour empescher la publica-
» tion de l'édict, maintenant sous ombre de certaines modifications qu'on y
» voulait faire, maintenant par oppositions, quelquefois aussi par menaces
» accompagnées de pratiques évidentes. Mesme ceux de la religion allans et
» venans d'un bout de la ville à autre avec une infinie multitude, il y avait
» certains garnemens atitrés au coin des rues pour outrager les passans; ce
» qui contraignait ceux de la religion de se munir aussi de* leurs armes pour
» leur défense : et si les défendans n'eussent esté plus retenus que les assail-
» lans, il n'y a doute que pour lors la force ne fust demeurée à ceux de la reli-
» gion. La royne parmi ces troubles estoit bien empeschée craignant de
» décheoir si elle se déclaroit d'un costé et d'autre ou si elle se lenoit
» du tout neutre, et bien aise cependant que chacune des deux factions la flat-
» toit ; au lieu que sans cela elle n'eust eu bien afi'aire à se maintenir, elle déli-
» béra d'entretenir les uns et les autres le mieux qu'elle pourroit, inclinant
» toutesfois plustost vers le costé des catholiques romains comme estant les
« plus forts, pour finalement se déclarer du costé qui l'emporterait. » (De Bèze,
Hist. eccl., t. I, p. 689, 690).
3" Catherine, dans son propre intérêt eût dû, selon Throckmorton, incliner
plutôt du côté des réformés : « The queen mother fearing some alliance between
» the king of [Navarre, the duke of Guise, and the constable at whose devo-
« tion divers great personnages wholy dépend) reposes her trust in the favou-
) rers of the protestant religion. The papists hère being the stronger party.
à
• ~ 571 —
» and maintained by the king of spain and otlier great princes, it is tinae for
» the queen to countenance the protestants and to see that they be not wea-
» kened in France. » (Throckmorton to the queen. 6 mars 1562. Galend. of
î State pap. foreign.)
9'
Résistance du parlement de Bourgogne.
(De Bèze, hist. eccL, t. III, p. 391.)
< Le maire de Dijon, assisté d'un chanoine se disant syndic du clergé, avait
ï obtenu que le parlement, au lieu de faire publier l'édict de janvier, envoye-
» roit deux conseillers au roy pour faire tant que la province de Bourgogne
» ne fùst comprise en l'édict. Cela luy estant octroyé, et ayant sous-main faict
» entendre à la cour, qu'en la ville de Dijon et aultres du duché de Bourgogne
» il n'y avoit point de gens de la religion, ni forme d'assemblée, combien qu'en
» la seule ville de Dijon il y eust plus de deux mille personnes requérant la pu-
» blication de l'édict, il fut mandé par lettres du dernier de mars au sieur de
» Tavannes, lieutenant pour le roy, en l'absence du duc d'Aumale, gouverneur,
» de ne permettre les presches à Dijon, ni aux villes de frontières, et par ainsi
» fut l'édict de janvierfrustratoire pour la ville de Dijon. Ce néantmoins que
» huict jours après, à sçavoir le 8 d'avril, ceulx de la religion obtindrent no-
» nosbtant les troubles déjà bien avancés, lettres contraires et autres encore
» du douziesme dudit mois, adressantes à la cour et à Tavannes, pour procéder
» à la publication et exécution de l'édict, sous peine de s'en prendre à eux.
» Mais tout cela ne servit de rien, d'autant que les conseillers de la religion ro-
» maine estoient en plus grand nombre. »
— 572 —
10»
Médiation du cardinal de Chàtillon, en 1562,
Le cardinal de Ciiàtillon à Catherine de Médicis. 7 avril 1562.
(Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 6 611, f» 59.)
« Madame, m'estant retiré icy en mon abayede Saint-Benoist, suyvant ce que
» je vous fis entendre, passant par Melun, depuis deux jours ce porteur qui est
» à monsieur d'Acqs m'y est venu trouver, lequel m'a dict que, ainsi qu'il
» estoit prest de partir de la cour estant naguères audict Melun, quand vous
)) entendistes qu'il venoit vers moy, vous luy commandastes de me dire de vos-
» tre part que je m'employasse de tout mon pouvoir de conseiller à monsieur le
» prince de Condé de poser les armes, luy et tous ceux qui sont en sa compa-
» gnie, qui a esté cause, qu'aussitost qncj'ayreçeu ceste créance, j'ai dépesché
» ce dict porteur vers mondictsieur le prince pour le prier de permettre àl'ung de
» mes frères de venir en lieu où je peusse parler à luy,afinde le tenir advertyde
» quelques propos que j'avois à luy dire. Ce qu'ayant entendu, il a ce jourd'huy
« envoyé mon frère monsieur Dandelot jusques à Gergeau où je me suis trouvé
» au disner et n'ay failly de luy user de toutes les remonstrances dont je me suis
» peu adviser pour satisfaire à vostre vouloir et intention, afin de les faire en-
» tendre à mondict s' le prince. Sur quoy il m'a dict que monsieur de Valence
» estoit hier venu pour ce mesme effect vers mon dict s'^ le prince, et que desjà
» il vous avoit fait entendre sa responce : ce qui me fait d'autant plus espérer
» l'exécution de vostre volonté que je la voy autant désirée de leur costé, ainsi
» que m'a dict mon dict frère, qu'il est possible ; de sorte qu'il ne me reste à
» vous dire, madame, sinon que, s'il se trouvoit encore cy après qnelque diffi-
» culte en ce faict, et que vous pensez que j'y puisse faire service au roy et à
» vous, comme je n'ay et n'auray jamais autre volonté, je me réputeray très
» heureux, si vous le me commandez, de m'employer davantage en aussi bonne
» œuvre, tant pour obéyr à vos commandemens, que pour l'affection que j'ay
» et doy avoir au bien de vostre repos et de ce royaume et de la tranquiUité
» publique, ensemble d'obvier, en tout ce qui me sera possible, à la calamité et
-» désolation qui peut provenir par telles voyes et déportemens, si la bonté de
» Dieu n'y pourveoit.
^ 573 —
Le cardinal de Châtillon à Catherine de Médicis. 15 avril 1562.
(Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 6 611, 1° 61.)
« Madame, ayant reçeu la lettre qu'il y a pieu à Vostre Majesté m'eserire, je
■>■> l'ay incontinent envoyée à monsieur l'amyral, mon frère, à ce qu'il peust
» mieux par icelle entendre vostre intention, qui l'ha communiquée à monsieur
» le prince de Condé, lequel l'ha à ce matin envoyé me trouver en ce lieu, où
» je suis venu exprez, pour y faire response. Qui est telle que ledict sieur prince
» n'ha autre désir ny affection que de vous obéyr et exécuter vos commande-
» mens, et est prest de poser les armes, aux conditions qu'il manda liyer par
» M. de Gonnort, lesquelles luy mesme et ceulx qui ont esté jusques icy envoyez
» de la part du roy vers ledict s' prince ont trouvé si raisonnables, qu'ils ont
» dict que'ceulx qui les refuseroient se mectroient en leur tort. Vous suppliant
» au reste très humblement madame, vouloir croire que j'ay et auray toute
» ma vie telle dévotion à vostre service et au bien du repos public, que je ne
» fauldray de faire tous les bons offices et cercher tous les moyens qu'il me sera
» possible pour essayer d'apaiser ces troubles, dont il ne peut provenir que ca-
» lamité en ce royaume, ainsi que j'ay donné charge à Sarragosse, présent por-
■» teur, vous dire plus amplement, s'il plaist à Vostre Majesté l'ouyr. Qui me
» gardera de vous ennuyer de plus longue lettre, etc., etc.
Le cardinal de Châtillon à Catherine de Médicis. 20 avril 1562.
(Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 6 611, f» 64.)
« Madame, aussitôt que j'ay reçeu la lettre qu'il a pieu à Vostre Majesté m'escryre
D par le prothonotaire de Sarragosse, je n'ay failly de l'envoyer à monsieur le
» prince de Condé, le priant de permettre à l'un de mes frères de venir à Jargeau
» où j'avais résolu de me trouver pour faire ce qu'il vous plaist me commander.
_ 574 —
» Maisayantleditsieurprinceveu par laditelettreque vous desirez entendre quelle
» seureté il demandoit pour laisser les armes, il a voulu prendre ceste peine de
» me venir faire luy mesme sa response en ce lieu, oîi je n'ay rien oblié de ce
» que j'ay peu et sçeu juger propre et nécessaire pour l'effect de vostre inten-
» tion, laquelle, comme chacun peult veoir, ne tend qu'à la tranquillité de tout
» ce royaume. A quoy il m'a respondu pour résolution qu'il ne désire plus grande
» seureté pour luy et pour toute sa compaignie que de veoir le roy et vous en
» pleine et entière liberté, et qu'après cela, au moindre commandement de voz
» inajestez, il fera clairement et promptement veoir à ung chacun qu'autre occa-
» sion ne luy a mis' les armes à la main que le très exprès et urgent service du
» roy, et vostre. Voylà, madame, tout ce que j'ay peu tirer de luy, quelque
» vive remontrance que je luy aye sçeu faire de l'extrême ennuy que vous portez
» de veoir ces troubles, et du désir que vos subjectz doibvent avoir d'y procu-
» curer bientost quelque bonne fin. Et pour ce que en cela je ne me vouldrois
» laisser surmonter au plus affectionné et obligé de voz serviteurs, je vous di-
» roy pour la fin, madame, que je m'estimeroy bien heureux si là ou ailleurs
» mon labeur, mon bien et ma vie vous peuvent apporter le contentement que
» vous desirez, etc., etc.
Le cardinal de Châtillon à Catherine de Médicis. 22 mai 15625
(Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 66H f= 67.)
« Madame, ayant veu l'instance et commandement qu'il a pieu à Vostre
» Majesté me faire par la lettre que m'a apporté de vostre part à Lisle où j'es-
» tois logé M. le comte de Villars, pour m'employer pardeçà à la pacification
» des troubles qui sont en ce royaume, et la prière que à ceste fin ledit sieur
» conte et avecque luy M. de Vieilleville me feirent audict lieu de Lisle, de ve-
» nir en ceste ville, je n'ay voulu faillir de ce faire, y estant pour cest effect
» arrivé, ce matin, où il ne me déplaist sinon que les choses ne se soient pas
» accomodées selon que je puis cognoistre que vostre dite Majesté le désire,
» pour la dévotion et grand désir que j'ay de vous y pouvoir servir de mesme
» intention que vous en avez à laquelle Vostre Majesté se peut asseurer, ma-
» dame, que je respondray tousjours en ce qu'il me sera possible de toute l'o-
» béissance et service que vous pouvez vous promettre de moy, et tant en cela
» qu'en tout autre endroit. Mais comme vous pourrez entendre par eulx, leur
» response estoit dès hier faicte et tellement conclue, ainsi qu'ils la vous
» apportent, que, à mon grand regret, je ne l'ay peu faire aucunement changer,
9 vous suppliant, madame, de vouloir croire que je m'estimeray tousjours très
— 575 —
» heureux qu'il vous plaise me donner autant de moyen de vous tesmoigner par
» les effectz la servitude que je vous veulx rendre, comme j'en ay de volonté,
» dont m'attendant que par lesdits sieurs conte de Villars et s"' de Vieille-
» ville vous serez suffisamment inforjjiée, je m'en remettray sur eux, etc., etc. »
Le cardinal de Châtillon à Catherine de Médicis. 20 aoiit 156"2.
(Mém. de Coudé, t. III, p. 605 à 607.)
« Madame, m'estant retiré en ma maison, suyvant la permission qu'il avôit
» pieu au roy, en vostre faveur, me donner, avecques seureté pour mes per-
» sonne et biens, je n'y ay pas esté presque plustost arrivé, que, comme je vous
» ay desjà mandé, l'on ne m'ayt adverty de toutes partz où j'ay du bien, que
» l'on le me faisoit saisir; et encores depuis quelques jours ne cessent de me
» venir advertissemens, d'un sur l'autre, que la cour de parlement, à la re-
» queste des gens du roy, doibvent décerner adjournement personnel et prinse
» de corps contre moy; dont pour désirer rien mieux que mes actions tant du
» passé que celles qui peuvent regarder l'advenir fussent congnues par tous les
» gens de bien, je ne me donneroys pas beaucoup de peyne ; et mesme con-
» gnoissant que de vostre naturel vous estes tant juste et raisonnable
» que vous ne vouldriez jamais souffrir que une injustice fust faicle à ung de
» vos subjectz qui vous est si fidèle et affectionné serviteur que vous sçavez
» que je l'ay esté, comme je suis et seray toute ma vie, avecques ce que moy et
» les miens nous sommes pas trop apperçeus de la faveur qu'il vous a pieu nous
ï porter jusques icy, pour recepvoir quelque mauvais traicte ment, à vostre sçeu
}) et consentement où vostre volunté et puissance seroyent libres ; mais voyant
» que tout cela se faict par la suscitation et menées de mes ennemys, qui pour
» le jourd'huy ne sont point si petits, que chacun ne voye bien qu'ils osent
» d'entreprendre, et comme tout ce royaume s'en trouve, et vous mesme, ma-
» dame, qui ne faictes, sinon ce qu'ilz veulent; voyant aussy que mes ditz enne-
» mys, comme il est notoire à chacun, ne cherchent rien tant que la ruyne de
» moy et toute ma maison, et mesmes qu'il y on a l'un d'eux qui n'a point eu
» de honte de se faire nommer pour l'un de mes principaux juges, dans un
» rescript du pape, que l'on m'a dict qu'il a faict venir de Rome pour me
» faire mon procez, et dont le pape a esté tellement sollicité ou plustost
» importuné, par l'espace de plus de six moys, que pendant les dictes soUicita-
» trons et importunitez il luy est eschappé de dire que, encores qu'il ne trou-
9 vast bon ni raisonnable de l'accorder, il veoit bien qu'il seroit à la fin con-
» iraint de le bailler malgré luy, comme il a faict, ainsy qu'il me a esté donné
— 57G —
» à entendre par des gens de bien, dignes de foy et telz estimez de Vostre Ma-
» jesté; comme aussy je croy bien que vous l'avez sçeu, longtemps a, et beau-
j coup de autres bons tours que l'on me brasse, non, comme je me asseure,
» sans vostre grand regret; il m'a, à ceste. cause, semblé, madame, _qu'il sei'oit
« plustost trouvé bon devozmajestez,queaultrement, que je me retirasse, comme
» je fay, en quelque lieu de seureté et hors de leur puissance, pour préserver
» mon honneur et ma vye de leurs maulvaises intentions en mon endroyt, jus-
» ques à ce, s'il est possible, que le roy soyt en aage de commander, qui ne
» sera jamais sitost que je le désire, et que je puysse veoir Sa Majesté juger
» de laquelle des deux partyes il aura esté plus fidèlement servy, pour inconti-
» nent m'en aller jecter à voz piedz, et vous rendre compte de moy, ensemble
» me submetre à vos bons plaisirs et commandemens; vous rendre aussi le
» service que je suis tenu et obligé : vous suppliant toutesfoys cependant, ma-
» dame, ne trouver maulvaise ceste retraicte que je fay, qui ne sera jamais en
» lieu où n'ayez sur moy toute puissance, pour en estre servye et obéye autant
» que vous ayés jamais esté : car je ne prétendz rien moins que me retirer de
» vostre obéyssance, mais seulement de la force et violence de mesdits enne-
» mys, ad ce qu'ilz ne me puissent faire le mal qu'ilz me pourchassent, et aussy
» peumexclure ny excuser de vous aller trouver avant que le roy soyt en aage,
» quant il vous plairoit que je le feisse ainsi ; nioyennant aussy qu'il vous pleust
» me donner telle seureté de mesditz ennemys, qu'ilz ne sçeussent mettre à exé-
» cution contre moy, la maulvaise volonté qu'ilz me portent; et ce qui m'adonne
» encores du tout plus grand argument et corayge de prendre ce party, et en
» croire le conseil que mes amys me donnent, c'est madame, l'exemple que j'ay
» veu de M. et madame de Crussol, lesquelz, quelque près qu'ilz feussent de
» Vostre Majesté, vous ne avez peu garantir du pouvoyr de violence de leurs enne-
» mys, s'ilz ne se fussent eslongnez et absentez comme ilz sont; ce que ne je fay
» point de double que vous ne eussiez consenty ny permis, si vous les eussiez
» peu tenir près de vostre personne sans danger. Or, les occasions pour les-
» quelles on leur en veult comme aux aultres, il n'est besoin que je le vous
» dyse, pour ce que on sçayt assez et qu'elles vous seront ung jour et au roy
» encores plus manifestes, qu'elles ne sont. Dieu aydant, lequel sur ce je sup-
» plieray mettre Voz Majectez en voz premières libertez, ad ce que lors, si plus-
» tost ne peult estre, et Dieu me préserve la vie jusques-là, je puisse joyr de
î l'heur et bien de voz présences ; et après avoir présenté mes plus que très
» humbles recommandations à vostre bonne grâce, qu'ils vous doinct, madame,
» en très parfecte santé, plus que très heureuse et très longue vie. De Chastil-
ï> Ion, ce XX° jour d'août 1562.
rn
iOo
Lettre royale, du 22 août 1562.
(Archiv. nat. de France, I. 969.)
« Charles, par la grâce de Dieu, roy de France, à tous ceulx qui ces pré-
» sentes lettres verront, salut. — Gomme pour ayder à pacifilcr les troubles
» qui de présent sont en nostre royaulme, nous ayons ci-devant commandé à
» plusieurs grand seigneurs de eulx transporter en nostre ville d'Orléans, mes-
» mementà nostre très cheret bien amé cousin le cardinal de Chastillon, en la-
» quelle il a faict séjour jusques à ce que l'espérance luy ayt défailly, de pou-
» voir paciffier lesdicls troubles, et après, de nostre congé et permission, s'est
» retiré en sa maison, et soit ainsy que soubz prétexte des arrêts donnez en
s nostre cour de parlement de Paris par lesquelz il a esté ordonné que les biens
» et bénéfices de ceulx qui sont suspectz de favoriser ceux qui se sont esle-
» vez, en armes pour le faict de la nouvelle religion, nostre procureur général
». en icelle, non adverty des causes et raisons pour lesquelles nostre cousin a
» faict séjour en ladite ville d'Orléans et que ce fùst par nostre commandement
» et pour nostre service, auroit fait saisir partie du bien de nostre dit cousin
» le cardinal de Chastillon, et veult faire saisir le reste ; nous à ces causes, ne
» voulons que ce que nostre dict cousin a faict pour nostre commandement et
» de laroyne nostre très chère dame et mère,pour la paciffication desdits troubles
» et bien de nostre royaume et nostre service luy apporte tel préjudice et
» dommage, avons déclaré et déclarons que nostre dit cousin le cardinal de
» Chastillon par nostre commandement exprès s'est transporté en nostre dite
» ville d'Orléans, et y a faict séjour et que en ce il nous a fait service très
» agréable duquel nous sommes contantez et nous contentons, que ne voulons
» luy tourner à aucun préjudice; ains voulons et nous plaist qu'il se puisse
» retirer en ses maisons, ainsy que bon luy semblera, en actendant tel autre
5> commandement que luy vouldrons faire pour nostre service, et que en la
» jouissance de son bien et de ses bénéfices ne luy soit donné aucun trouble
s et empêchement, et que, si aucun trouble luy estoit donné en iceulx par
» saisye ou aultremeni, il luy soit levé et esté, et lequel par ces prétextes nous
, y> avons levé et osté, levons et estons, de nostre pleine puissance et autorité
» royale, imposant, sur ce, silence perpétuel à nostre procureur général et à tous
-» aultres, si donnons en mandement, etc., etc. — Donné au camp de Lazenay
» près de IJourges, le X-MI^jour d'août, l'an de grâce 156!2, et de nostre règne
> le deuxiesme. >
Il 37
— 578
II
Il y a loin de la médiation officieuse du cardinal de Châtillon, dans les cir-
constances dont il s'agit, au rôle plus qu'étrange que joua, en 1562, le cardi-
nal de Lorraine, vis-à-vis de la belle-mère du prince de Condé, pour tenter,
entre ce prince et les GuiSe, un rapprochement d'ailleurs impossible.
Laissons parler, sur ce point, un document contemporain. (Bibl. nat. mss. f.
fr. vol. 20 783, f 37. — Bull, de la soc. de l'hist. du prot. fr. ann. 29,
p. 116, 117) :
« Au temps que M. le prince se retira à Orléans, le cardinal de Lorraine,
» estant à Soissons, envoia un gentilhomme à Magdeleine de Mailly, dame de
» Roye, estant pour lors à Muret, distant de cinq lieues, pour la prier luy per-
» mettre de luy communiquer quelque affaire de conséquence, ce que luy ayant
» accordé, s'achemina vers elle, à laquelle il fist autant d'accueil et de révé-
» rence comme à sa propre mère, la congratulant et exaltant de toutes louan-
» ges, qu'il disoit excéder en vertus les plus douées de ce royaulme. Et après
» la supplia de se vouloir emploier pour persuader à M. le prince de Condé de
» quicter son entreprise et de faire alliance et confédération perpétuelle avec
» M. de Guise son frère. Et pour confirmation d'icelle, il accorderoit le ma-
» riage qu'il adviseroit de leurs enfans. A quoy la dame de Roye fit response
» que, si ledict s"" de Guise se voulait départir de son entreprise, pour ne faire
3> la guerre aux protestans, elle y emploieroit tous ses moyens et authorilé ;
3» aultrement qu'elle aymeroit mieux que M. le prince fùst dix pieds sous terre
» que quicter la religion pour s'allier aux ennemis d'icelle; ce que le cardinal
» commença à signifier les matières, poursuivant l'alliance et que, icelle faicte,
» l'on adviseroit quelque bon moyen pour appaiser le différend de la religion. Et
ï pour la mieux gaigner, commença de ce chef à redoubler ses louanges plus
» que auparavant ; à quoy ladite dame fit response qu'il n'avoit tousjours eu si
» bonne opinion d'elle, lors mesmement qu'il la feist constituer prisonnière à
» Saint-Germain-en-Laye, lorsque le prince estoit à Orléans, pour le soupçon
» qu'il avOit contre elle d'avoir sçeu l'entreprise d'Amboyse. A quoy le cardi-
» nal dit que les chrestiens doibvent oublier les injures passées ; à quoy elle
» répliqua qu'elle avoit oublié véritablement, selon le commandement de Dieu,
» pour n'en pourchasser point de vengeance; mais que de ne se souvenir du
» tout, cela luy estoit impossible, veu que l'affliction de la prison luy avoit
» engendré une goutte qui la réveilloit toutes les nuits. — Le souper estant
» prest interrompit leurs propos, après lequel souper, ainsi que ladite dame
» parloit à quelques-uns et se pourmenoit par la salle, au veu et présence de
> tous les serviteurs tant de luy que de ladite dame, le cardinal parlant si haut
— 579 —
» que ladite dame le pouvoit entendre, dit qu'icelle dame estoit si sage, élo-
» quente et prudente, qu'il la voulait à boa droit accomparer à Salomon et il
» pourroit bien dire comme la royne de Saba, qu'il en avoit plus connu que la
» renommée ne portait ; le tout tendant à fin de la faire condescendre à sa dé-
fi mande. Mais la cognoissant persévérer en sa résolution, il s'en alla en la
» court où il la dénigra autant qu'il l'avoit louée en sa présence, comme depuis
» ladite dame en fut advertie par un grand seigneur estant près de la court. >
Ho
Voici ce que Castelnau {;mém. liv. III, chap. viii) dit du prince de Condé, de l'amiral
et des autres seigneurs réunis à Orléans, en avril 1562 :
« Les seigneurs et la noblesse protestante conclurent que puisqu'ils avaient
)) un prince du sang pour leur chef, qui vivroit et raourroit avec eux, il leur
» falloit mettre le tout à la fortune et au hasard de la guerre : voyant aussi
» qu'ils avoient l'admirai, principal officier de la couronne, et digne chef de
» parti, pour les bonnes et grandes qualitez qu'il avoit en luy. Et d'autant
» qu'il avoit quelque apparence de tenir sa religion plus estroitement que nul
» autre, il tenoit en bride, comme un censeur, les appétits immodérez des
s jeunes seigneurs et gentilshommes protestans, par une certaine sévérité qui
» lui estoit naturelle et bienséante. Et d'Andelot, son frère, combien qu'il n'eûst
? pas tant d'expérience, estoit tenu néanmoins fort vaillant et hasardeux, et
» avoit beaucoup de créance avec les soldatz. Et pour le regard du cardinal de
» Chastillon, leur frère, il avoit esté dés sa jeunesse nourry au maniement des
» grandes affaires, et estoit très grand courtisan, qui aimoit et faisoit plaisir et
» caresse à la noblesse : quant au prince Porcien, il estoit jeune, prorapt, vo-
» lontaire, et toutesfoys bien suivi : comme estoient les sieurs de Rohan de
» P.retagne, de Larochefoucault, de Genlis, de Montgommery, de Grammont, de
» Soubise, de Mouy, de Piennes, et plusieurs autres seigneurs auxquels se
» ralliaient de toutes parts quantité de leurs parens, amis et serviteurs, tant
» capitaines, soldats qu'artisans, et plusieurs mesmes de la maison du roy et de
» la cour ; ce qui accrut tellement le nombre des protestans,qu'ils eurent moyen
» de faire une armée, mais non pas telle que celle des catholiques, qui avoient
» Je roy pour eux et la plupart des villes. »
— 580
(Hub. Lcngueli lib. II, epistolar. cpist. 72. 19 avril 1562). .
({ Qui sunt Aureliœ videntur esse paratiores. Jàm eniin féré habeiit ad qiia
y> tuôr niillia equitum oplime armatorum, quorum plerique sunt ex pnecipuâ
» nobilitatc hujus regni, et inter eos sunt multi egregii viri. Nuper accersitus
» Aui'oliam fui spcctator niodestiaî eorum, et cîim maximà voluptate per ali-
» quot (lies sum conversatus cùni pluriniis qui otnncs visi inihi sunt pleni lidu-
» ciâ, et hoc suo inslituto nihil aliud spectare quàm gloriam Dei. Si isti honii-
» nés interirent, existimo quôd non soliim ipsa virtus, sed etiam virtutis
» serainarium in hoc regno extingueretur. »
12"
« Summa maiidatorum quœ Darlaco adolcsccnti nobili Beniensi data sunt ab illus-
» tr'no principe Ludovico Borbonio Condciisi et quàm plurimis hujus regni proceri-
» bus qui Aureliis Hbcraudi christianissiini régis Domini sui clcmentis causa con-
» vencrunt.»
{Arch. de Berne, Franiireich., vol. 2, aun. 1554 bis 1569. — Mém. de Condé, t. Ul,
p. 270.)
« Ut senatus araplissimarum civitatum Helveticarumquœ religionem Evaugeli-
» cam amplexae sunt mandata dent omnibus parrochiis et pastoribus suarum eccle-
» siarumutplebemsuaniadprecescohortenturhocpericulosissimo tempore apud
» Deum Opt. Max. adhibendas pro tantis calamitatibus et œrumnis qute propter
» civile bellum quod jàin in galiiâ exortum est, videntur ecclesiis gallicanis ini-
* pendcre, qiiemadmodùmphiniiis intelligetur ex eà dcciaratione et protestatioue
)) principisCondensis quas Gallicé scripta unà cùm hislilteris et mandatis missa
y> est. — Ut iideni senatus operani dare velint ne ii qui nuper christianiss. re-
» gem vi atquc arniis Fontenablœi cœperunt, captivumque primtim in arcem
» Melunenscmdeinde J^utetiam abduxerunt, subsidinm ullum ex Helvetià nan-
» cisci possint adversùs eumdem illustriss. principem Condensem caeterosque
— 581 —
» sumnios hujus regni proceros, ([ui nuper ad régis regiiiiieque defensionem
» suscipiendani arma capere equitumqui; lurmas ovocare coacti sunt. — Pos-
» treniô ut si helvetia? cohortes quœ jàin al) illis regiae inajest.predonibus evo-
» catae dicuniur, exitii prohiberi non possint, videant salteni iidem amplissimi
» senatus, quid tùm cliristianiss. régi vicino et confœderato suo, tùin etiàm
» iiluslriss. principi et regni proceribus subsidii atque adjumenti his extremis
» temporibus mittendum putent ne magiio lotius orbis nialo et incommode ea
» tyrannis in hoc florenliss. regno inslituatur. qiuB vicinis quoque regionibus
» summam brevi tempore pestem ac perniciem allatura sit. — Et si forsitan
» dictis civitatibus perlatse fuerint litera; sub régie nomine quibus subsidium
» aliquod petatur, nôrint eas vi, metu et coacti extortas à prajdictis pnedoni-
» bus et proptereà potiùs contemnandos quàm amplectendos esse donec fuerit
» cbristianiss. rexHberatus. — Uatum Aurelite XII aprilis, annoDom'. MDLXII.
» Loys de Bourbon. »
■13"
lo Lcllrps de Condé au conseil de Genève, du H avril 1562 (Arcltiv. de Genève,
n. 1712 et aux magistrats de Berne, de même date. (Archiv. de Berne. Frankreich.
vol. 2, ann. 1551 bis 15G9).
2" Lettres de Coligny et de d'Andclot aux magistrats de Berne et à ceux de Zurich, en
date du 20 avril 1562 {Archiv. de Berne. Frankreich. vol. 2, ann. 1551 bis 1569
et Archiv. de Zurich, série dedocuments manuscrits). Conçues en des termes iden-
tiques, ces lettres des deux frères portaient :
< Magnifici spectabiles et prœstantissimi viri : etsi confidimus vos ex su-
» perioribus nostris illustrissimique principis Condensis literis ac mandalis
» intellexisse quemadmodûm nonnulli in hoc regno praîpotentes domini, col-
» Icctis necessariorum clientumque suorum copiis, armatisque hominibus re-
» gem nostrum unà cùm matre et fratre ceperint, captivosque ad arbitrium
» suum abduxerint, tamen operœ pretium nos facturos patavimus si eâ do re
» iterùm magnificentiae vestra; scriberemus : praesertim cùm ex eo tempore
» renuntiatum nobis à cerlis hominibus fuerit abductores illos regio nomine ac
> sigillo pro veteri suà consuetudine abutentes, aliquot peditum cohortes ex
» pagis vestris evocasse : ut longé maximam et florentissimam Gallicie nobili-
» tatis partem quœ sese illorum conatibus opponit alienis armis opprimunt ;
» quô faciliùs illi suae dominandi cupiditali, quae vobis, ut speramus, non
» ignota est, servire possint, quamquàm aulem nemo eorum qui hùc ex omni-
» bus regni partibus ad nos convenerunt, dubitat, vos pro vestriB clarissimoe-
» que gentis pristinà fortitudine veterique necessitudine quam cùm christianis-
— 582 —
» simis regibus semper usque adhùc sanctissimé coluistis, passuros eam
» amplissimo vestro nomini macula inuri ut regiorum prœdonum cupiditatis
) ministri dici possitis tamen ea nostro hâc in parte officio deessemus, neve
» rex noster reginave ipsius mater propediem ut speramus in libertatem majes-
» tate suâ dignam x-estituta nostram in vobis admonendis atque cohortandis
)) negligentiam accusare possit, proptereà iterîuii ac saepiùs petere à magnifi-
» centiâ vestrà voluimus ne spem illam quam ipsorum majestas de amicitiâ et
» confœderatione vestrâ summam concepit, inanem esse patiamini : nàm quod
» ad nos attinet, queraadmodùra et fortunas omnes nostras vitamque ac sangui-
» nem cîim hoc flore nobilitatis Gallicae quœ bîic incredibili ardore ad nos per
» brevi spatio advolavit, parati sumus liberandi régis nostri causa profundere
» ita nostram in omnibus hujus regni amicis ac vicinis appellandis diligentiam
» meriti desiderari non patiemur : ut omnes intelligant nos in conservandâ
» régi nostro suâ coronâ, valesiœque gentis majestate omne nostrum studium
» operam industriamque consumpsisse quemadmodiam vos quoque, magnifici
» Domini, speramus praeclar.um vestrum ergà regem nostrum animum hoc
» summo suo tempore demonstraluros qua? ea nos spes fallat, ita vehementer à
» vobis petimus ne majore studio non possimus. — Valete magnifici Domini
» etspectatissimiviri; Deus rempublicam vestram universamque gentem Helve-
^ vefium tueatur. — Datas Aureliis XX april. 1562.
« Voz entièrement bons et bien affectionnez amys
« Chastillon, Andelot. »
ii°
(De Lanoiie, Disc, polit, et milit., p. 081 à 684).
« Lorsque ceste guerre commença, les chefs et capitaines se ressouvenoyent
» cncores du bel ordre militaire qui avoit esté pratiqué en celles qui s'estoyent
» faites sous le roy François, et Henri son fils, et plusieurs soldats en estoienl
» aussi mémoratifs : pour laquelle occasion il semble que ceux qui prindrent
» les armes se contenoyent aucunement en leur devoir. Mais ce qui eut plus de
» force à cest effect furent les continuelles remonstrances es prédications, où
» ils estoyent admonestez de ne les employer à l'oppression du pauvre peuple :
» et puis le zèle de religion, dont la plus grand'part estoyent menez, avoit
» alors beaucoup de vigueur. De manière que sans aucune contrainte chacun se
bridoit volontairement pour ne commettre point ce que souventes fois l'hor-
» reur des supplices ne peut empescher : et principalement la noblesse se
i monstra, à ce commencement, très digne du nom qu'elle portoit, car mar-
» chant par la campagne, où la licence de vivre est sans comparaison plus grande
— 583 —
» que dans les villes, elle ne pilloit point ni ne battoit ses hostes, et se conten-
» toit de fort peu. Et les chefs, et la plus part d'icelle, qui de leurs maisons
» avoyent apporté quelques moyens, payoyent honnestement . On ne voyoit point
» fuir personne des villages, ni n'oyoit-on ni cris ni plaintes. Somme, c'estoit
» un désordre très-bien ordonné. Quand il se commettoit un crime en quelque
» troupe, on bannissoit celui qui l'avoit commis, ou on le livroit es mains de la
» justice, et les propres compagnons n'osoyent pas mesme "ouvrir la bouche
» pour excuser le criminel, tant on avoit en détestation les meschancetez, et
» estoit-on amateur de vertu. »
15°
D'Aubigné (hist. univ. t. I, liv. III, chap. i), parlant du massacre de Vassy,
dit : « Je laisserai aux histoires expresses de telles pièces à conter les actes
» tragiques de ce jour, me contentant de dire que 300 personnes et davantage
» esteintes, donnèrent le premier exemple aux uns pour tuer impunément, aux
» autres pour n'espérer point de miséricorde. — Geste licence donna le branle
» àCahors, à Sens, à Auxerre et à Tours de traiter demesme façon, de mille à
» douze cens personnes. De ces derniers furent enfermez 300 dans l'église de La
» Riche, aux faubourgs, affamez par trois jours, puis liez deux à deux et menez à
» l'escorcherie, et sur un sable de la rivière, là assommez de différentes façons.
» Les petits enfans s'y vendaient un escu. Une femme de beauté excellente
» ayant fait pitié à celuy qui la menait tuer, un autre l'entreprit et pour mons-
» trer la fermeté de son courage, la despouilla nue et prit plaisir avec d'autres
)) à voir périr et fener ceste beauté par la mort. — De quelques femmes gros-
s) ses, qui accouchèrent en mourant, un enfant jette dans la rivière fut porté
» sur l'eau, la main droite levée en haut, autant que les veues le peurent con-
» duire. — Le président de Tours fut lié à des saulles comme on va au Plessis,
» et lui fut vivant le ventre ouvert pour cercher dans ses boyaux de l'or qu'ils
» y pensaient caché. — Delà vindrent en moindre, mais tous marquez d'insi-
» gnes cruautez, les massacres de Aurillac, Nemours, Grenade, Garcassonne,
» Villeneuve d'Avignon, Marsilargnes, Senlis, Amiens, Abbeville, Meaux, Ghâ-
» Ions, Troyes, Bar-sur-Seine, Épernay, Ne vers, Ghastillon-sur-Loire, Gien,
» Moulins, Yssoudun, le Mans, x\ngers, Gram, Blois, Mer et Poitiers. J'adjous-
» terois bien Rouen et autres qui suivent ce temps-là, mais il y faut une dis-
ï tinction : assavoir que les premiers massacres donnèrent cause à la prise des
» armes, et cette prise d'armes donna la cause aux derniers. Pourtant tout ce
s qui est dit des villes susnommées ne se confond point avec ce qu'on trouvera
» ci-après aux mesmes villes parmi la ferveur des armes. »
— 584 —
46°
Lettre du connétablcà Coligiiy. 12 mai 15G2.
(Bibl. nat. mss. f . IV. vol. 3 410, i" 50).
« Mon nepveu, il n'y aura jamais temps ni saison où voz lettres ne me soient
» agréables, pour l'assurance aussy que j'ay que vous me rccongnoistrez lous-
)) jours pour un second père et le plus cher oncle que jamais eût nepveu.
» Comme je vous ay faict congnoistre par des preuves et feray toujours, où
» j'auray moyen, si vous ne me donnez grande occasion de faire aullrement.
» Et là-dessus, mectant à part toutes les remonstrances que vous me touchez
» par vostre lettre du VI de ce moys des choses passées et dont il semble que
» vous soyez meu d'avoir la défiance que vous démonstrez. Je vous prieray,
» mon nepveu, croyre et tenir pour chose certaine, que je n'ay pas le
» sang si froid et la nature si dure que je voulzisse vcoir chose qui vous
» apportast ni honte, ni dommage, ayant tant cherché vostre bien, vostre
» honneur et vostre grandeur, ainsi que vous pouvez sçavoir. Mais je vous
» confesseray bien que j'ay eu et auray toute ma vye incroiable regret de
» penser qu'il soit sorty tant de mal de l'ombre d'une deffiance que l'on dé-
» monstre avoyr. A quoy je vous promectz bien que je n'ay point congnue que
» l'onpensast de ce cousté. Je ne sçay ne piège ne ratouere tenduz ne prépa-
» rez pour cela, quelque opinion que vous ayez, laquelle je seray très ayse
» pour le bien et contentement que je vous désire que vous veuillez laisser, et
» au demeurant penser que j'espère tant de la grâce de Dieu, à qui seul je
» remetz la conduite de mes actions et le jugement de mes intentions, qu'il
» fera congnoistre à tout le monde que je n'ay cherché le mal ne le déplaisir
» de personne, mais la conservation de son honneur et le bien et service du
» roy et repoz de ce royaume dont je no croiray jamais que par sa bonté il
» permecte qu'il ne tombe sur moy seul ni sur les miens ayans semblable
» bonne intention, aucune hayne ni dommage; mais bien craindray-je que con-
» tinuant ce que je veoy, n'advienne une ruyne universelle à ce royaulnie
3» dont ceulx qui en sont cause, estant nostre Seigneur juste juge comme il est,
» sentiront les premiers désastres, et à personne du monde n'en déplaira-il plus
» que à moy, qui ay trop d'ennuy et de douleur de vous veoir de la partye, ne
» pouvant croyre, mon nepveu, si vous considérez bien ce qui est desjà survenu
» depuis ces troubles encommencez et combien il y a de mal et de pitié par ce
» royaume, que cela ne vous perce jusques au sang et ne vous face désirer de
» veoir une lin plus to'st aujourd'hui que demain. Et sur ce, je prie Dieu vous
» donner ce que desirez. De Paris, le 12' jour de mai I5G2.
— 585 —
17»
Diseiplinii de l'armée de Condé, au cimp de Vaussoudun.
(De Lanoue, Disc, polit, et milit., p. 682 à G81.)
« Au camp de Vaussoudun près Orléans, où le prince de Condé séjourna près
» de quinze jours, l'infanterie fit voir qu'elle estoit touchée du sentiment (de la
» vertu). Elle estoit logée en campagne, et le nombre des enseignes ne passoit
» trente-six.
« Je remarquay alors quatre ou cinq choses notables. La première est, qu'en-
» tre ceste grande troupe onn'eûstpas ouy un blasphème du nom de Dieu. Car,
» lorsque quelqu'un, plus encore par coustume que par malice, s'y aban-
» donnoit, on se courrouçoit asprement contre lui : ce qui en réprimoit beau-
» coup. La seconde, on n'eùst pas trouvé une paire de dez ni un jeu de cartes,
» en tous les quartiers : qui sont des soarces de tant de querelles et de larcins.
* Tiercement, les femmes en estoient bannies, lesquelles ordinairement ne
» hantent en tels lieux sinon pour servir à la dissolution. En quatrième lieu,
» nul ne s'escartoit des enseignes, pour aller fourrager : ains tous estoyent
» satisfaits des vivres qui leur estoyent distribuez, ou du peu de solde qu'ils
» avoyent leçeu. Finalement, au soir et au matin, à l'assiette et lèvenient des
» gardes, les prières publiques se faisoient *, et le chant des psalmes retentis-
» soit en l'air. Es quelles actions on remarquoit de la piétié eu ceux qui n'ont
» pas accoustumé d'en avoir beaucoup es guerres. Et combien que la justice
» fùst alors sévèrement exécutée, si est-ct; que peu en sentirent la rigueur,
» pour ce que peu de desbordements parurent. — Certainement plusieurs
» s'esbahissoyent de voir une si belle disposition : et mesmement, une fois,
î mon frère le sieur de ïéligny et moy en discourant «avec monsieur l'admirai,
» la prisions beaucoup. Sur ce il nous dit : c'est voiremont une belle chose,
» moyennant qu'elle dure; mais je crains que ces gens icy ne jettent toute leur
» bonté à la fois, et que, d'ici à deux mois, il ne leur sera demeuré que la
» malice. J'ay commandé à l'infanterie longtemps, et laconnois : elle accomplit
» souvent le proverbe qui dit : déjeune hermite, vieux diable : sicelle-cy y fault.
» nous ferons la croix à la cheminée. Nous nous mismes à rire, sans y prenilre
» garde davantage, jusques à ce que l'expérience nous fit connoistre qu'il avoit
» esté prophète en ceci. »
1. Voyez dans les Mémoires de Condé (t. III, p. 202 à 266) le texte « des prières
)i ordinaires des soldats de l'armée conduire par M. le prince de Condé, accommo-
» dées selon l'occurrence du temps. »
— 586 —
Quelques lignes de Brantôme (éd. L. Lîil. t. VII, p. 204) sur le début des
relations de l'amiral avec de Lanoue, doivent trouver place ici.
« Nos guerres civiles, dit-il, estant survenues, M. de Lanouo se mit à suivre
» le party de la religion, de laquelle il estoit grand zélateur; et aussy que
» M. l'admirai, voyant sa suffisance, l'avoit attiré pour autant se décharger
» de son grand faix, ainsi qu'il le servit très bien et le soulagea fort; car dès
» lors il commençoit à estre bon capitaine, d'autant qu'il aimoit fort à lire, et
» ce qu'il lisoitille pratiquoit très bien quand il estoit en sa charge de guerre ;
» et aussy qu'il en aymoit fort à discourir, comme je l'ay fort ouy attentive-
» ment bien souvent.
18°
Lettre du prince de Condé à Montgommery et à Briquemault, 24 septembre 1562.
(Archiv. nat. de France, I. 969).
« Messieurs, j'ay esté fort ayse d'entendre les bonnes nouvelles que vous
» m'avez mandées, lesquelles sont arrivées fort à propos pour nous tenir adver-
» tis comme nos ennemys font leur desseing de vous allez assaillir, et de faict,
» pour ceste occasion, ont fait partir de Paris vingt canons qui descendent par
» eau. Mais ne doubtant point que vous n'ayez bien pourveu à ce que jugerez
» estre nécessaire pour leur respondre, je me reposeray sur l'assurance que
» m'en donnez et que de tout temps j'en ay. Et quant à vous, monsieur de
» Lorges, quand je depeschay M. de Bricquemault par dellà, les rumeurs
» estoient si grandes qu'ils vouloient aller surprendre Roueii, et moytout incer-
» tain de la part oîi vous estiez pour soubdain vous en donner advis, que cela
» fut cause de le y envoier affin d'éviter les premiers et plus grands dangers.
» Touleffoys j'estime que vous considérerez bien que la charge est assez "grande,
» puisque les affaires se présentent pour employer deux vertueux gentils-
» hommes, qui me faict vous prier et l'ung et l'aultre de tellement unir voz
» volontez que mettant soubz les pieds toutes difficultés de prééminences, vous
» pourvoiez et remédiez à tout; car, puisque c'est la cause de Dieu qui se doibt
» traicter en toute sincérité et droicture, mon oppinion est que en cecy l'ambi-
» tion ne doibt point trouver place entre nous. Aussi veulx-je bien croire que
» la v'ostre se rendra conforme à la myenne. Au regard de l'infanterie, je
» trouve bon que le sieur des Groses y commande, ce que vous luy ferez
» entendre de ma part, attendant que la commodité du temps soit plus propre
» pour luy en escrire, ensemble aux autres capitaines et gentilshommes qui
» sont auprès de vous, lesquels, je m'asseure, m'en excuseront bien pour ce
«. coup. Et en ce qui touche le faict de messieurs de la ville, je vous prie vive-
— 587 —
» ment leur remonstrer combien ilz desfavoriseroient noz affaires, s'ilz man-
» quoient à la promesse des deniers qu'ilz m'ont faicte ; leur représentant le
» devoir auquel le besoing requiert qu'ilz s'emploient pour y satisfaire; car
» c'est le principal nerf de toutes nos forces, et mesmes que cela est déjà des-
» tiné comme vous sçavez pour subvenir à ce que amène monsieur d'Andelot,
» qui n'est pas une petite compaignie, dont aujourd'huy nous en avons reçeu
» nouvelles, comme il se haste le plus qu'il peult, et l'attendons en brief. Au
» demeurant, monsieur de Bricquemault, vous avez très saigement faict de
» retenir les lettres que monsieur le cardinal, mon frère, escrivail à ceulx de
» Rouen, affyn de leur coupper le chemyn aux amorses auxquelles ils se feus-
» sent peu laisser aposter, cognoissant bien que ce sont des stratagèmes de nos
» ennemis, desquels surtout il est besoing, messieurs, que vous donniez garde
» et mesmes de trahisons, parce que, oultre le bruit qui court icy qu'ils pra-
» tiquent des intel'.igencesavecques aucunsde delà, ils se vantentd'avoir quatre
e capitaines en mains qui leur feront de bons services, et c'est le seul motif de
» l'entreprise du voiage; mais j'espère que sitost que aurez reçeu ceste lettre,
» vous sçaurez bien rompre ce piège, et que nostre Seigneur les fera eulx
» mêmes tomber en la fosse où ilz tasclient de vous précipiter et manifestera
» en brief l'exaltation de sa gloire, ce que de très bon cœur je luy supplie de
» vous donner, messieurs, ce que plus desirez, — Escript ce XXIIII" jour de
» septembre i562. — Vostre bien bon amy pour jamais, Loys de Bourbon. »
19°
Le jeune duc de Nevers et le prince de Portion, son beau-frère.
« Or avoit le seigneur duc de Novers, fds de la sœur du roy de Navarre et
> du prince de Condé, succédé un peu auparavant à feu son père, au gouver-
» nement de Champagne : et d'autant qu'il s'estoit rangé notoirement du costé
» de la religion, avoit esté de bonne heure et durant le parlement de Paris,
» mandé par le prince par deux ou trois messagers pour le venir trouver avec
» le plus de forces qu'il pourroit. Suivant donc cest advertissement, il assembla
3» bon nombre de seigneurs et gentilshon\mes, en délibération de se joindre au
» prince son oncle, avec advertissement à ceux de Troyes de se tenir prests :
» et ne sçeut pas plustost l'arrivée du prince à Orléans, qu'il luy envoya le
y> sieur de Passy, auparavant évesque de Novers, et lors ministre de la parole
» de Dieu, avec charge expresse de jurer et promettre en son nom audit sieur
» prince, son oncle, qu'il ne faudroit de le venir trouver incontinent. Ce néant-
» moins, par les pratiques et menées de deux personnages qui le possédoient,à
— 588 —
» sçavoir Desbordes, gentilhomme fort desbordé et qui avoit une aiu-ieime que-
» relie avec le frère du sieur de Genlis qui estoit à Orléans, avec le prince,
» et un sien secrétaire nommé Vigenaire,se servanttous deux des alléchemens
» du roy de Navarre, l'esbranlèrent du commencement jusques-là qu'il promit
» d'aller à la cour, là où pou à peu il fut destourné de son entreprise, ce qui
» depuis luy causa la mort par celuy mesme qui en fut cause, comme il sera
» dit cy après. » (De Bèze, Hist. ceci., t. II, p. 370, 371. — Voyez aussi une
lettre adressée par De Bèze au jeune duc de Nevers, eu mars 1562, ap. Baum,
append. p. 173.)
Plus explicite que Th. De Bèze, Nicolas Pilhou nous donne le secret de la
déchéance morale de François de Clèves, et nous montre dans quelle effroyable
proportion les désordres de la vie privée d'un homme haut placé réagissent
sur sa vie publique, en ternissent l'éclat et la déslionnorent. Nous ne retrace-
rons pas ici le tableau des désordres auxquels les suppôts des Guises pous-
sèrent le duc de Nevers, pour mieux l'an-acher à la profession religieuse qu'il
avait faite jusqu'alors. Ouekjucs lignes seulement du récit de Pitliou donneronl
suffisamment la mesure de la perversité de ces suppôts, (jui réussirent à domi-
ner le jeune prince, que le duc de Guise appelait dérisoirement le petit homme.
(De Bèze, Hist. ceci., t. II, p. 414). — « Ceux de l'église dit Pithou, Hist. eccl. de
» l'églisedeTroyes(Bibl.nat.,mss. collect. Dupuy, vol. 698, f" 217), ne désespé-
» roient pas encore du duc de Nevers, d'autant qu'ils appercevoient en luy quelque
» résidu de semence de piété qui les nourrissoit et entretenoit toujours en quelque
» bonne espérance. Mais quelques-uns de ceux qui estoient auprès de sa personne
» faschez au possible dele voir encore retenu plus qu'ils ne désiroient de quelque
» crainte et révérence de la religion, qui les empeschoit d'acheminer du tout
» leurs desseins, résolurent de tenter tous les moyens possibles pour enlever
» tout ce qui restoit de bon en luy et i-ompre toutes les digues qui les empes-
» choient de faire en son endroict les approches telles qu'ils désiroient. Espérans
» qu'ayant gaigné ce point sur luy et luy avoir fait quitter ou oublier du tout
» son devoir envers Dieu et le peu de piété qui lui restoit, ilz le manieroient
» delà en advant plus à l'aise et le formeroient comme ilz voudroient; le plus
» prompt et expédient moyen qu'ils purent choisir pour acheminer la trame
» de ceste pernicieuse résolution fut d'user d'un meschant ot pernicieux con-
» seil Alors on commença à voir un merveilleux et estrange changement
» en l'hostcl du duc de Nevers et une nouvelle manière de vivre; car, au lieu
» de pseaumes et chansons spirituelles qui souloient résonner par tout son
» logis, on n'oyoit plus retentir que des chansons impudiques et du fol amour.
» La Bible et tous autres livres de la Sainte Escripture furent mis sous les
» pieds Brief, on vit en peu d'heures Dieu banni du fout de ceste maison :
» et fut le duc de Nevers veillé et manié de si près, qu'oubliant petit à petit
» toute honnesteté et son devoir, il se laissa tellement aller aux alléchemens et
» suggestions pernicieuses de ces gens-là, (|ue delà à peu de temps il se trouva
» en un fort mauvais chemin Telle povreié ayant succédé de ceste façon
» conduisit avec le temps le duc de Nevers à telle extrémité que, se souciant
» peu de la religion, il se laissa abastardir du tout et devint plus dissolu que de
» coustume. Ce qui fut un fort grand dommage ; car, à la vérité, c'estoit un
— 589 —
» prince fort débonnaire, d'un prompt et gentil esprit, et qui proniettoit beau-
» coup, s'il ne se feust laissé gourverner à telles gens. »
Quant au prince de Portion, quelque pénible (jui; fût pour lui la perspective
d'une lutte engagée indirectement avec son beau-frèro, il n'en prit pas moins
la résolution d'agir sans retard en Champagne.
11 assura d'abord le passage de d'Andelot à travers cette ^'ovince, réunit ce
qu'il put de troupes, et chercha à porter secours, çà et là, aux réformés.
Les diverses phases de l'histoire de ceux-ci, dans la vaste étendue de la Cham-
pagne et de la Brie, au xW^ siècle,'est empreinte d'un intérêt particulier. Nous
ne prétendons même pas l'esquisser ici. 11 nous suffira de signaler les efforts
spéciaux auxquels se livra Antoine de Croy 'en faveur de ceux des habitans de
Troyes qui comptaient sur lui comme sur un libérateur. Peu s'en fallût qu'il ne
pénétrât dans cette ville et qu'il n'y accomplît la délivrance de ses coreligion-
naires *. Son entreprise n'échoua qu'à raison du peu de forces dont il pouvait
disposer.
A la suite de divers mouvemens opérés dans la contrée avec une persévérance
et une énergie qui no demeurèrent pas toujours sans succès, Antoine de Croy
se replia en août 156^, sur l'une des extrémités delà Champagne. « M. le prince
» de Porfien, écrivait Hotnian le 8 de ce mois^, est avec douze cents chevaux et
» douze enseignes de gens de pied qui s'assemblent des pais de Champagne, de
» Rethelois et de Lorraine. » Le 30, il ajoutait-* : « Le prince de Portien est en
» la Champagne ou bien près, avec six cents chevaux et deux mil hommes de
» pied conduitz par le capitaine Béthune, et croy ([u'ils tiennent maintenant
» un chasteau nommé Rocqueroy, où il y a huict pièces d'artillerie, à quoy ils
» prétendent fort. »
Vers cette même époque, Chantonnay, qui épiait, jour par jour, les moindres
mouvements des chefs réformés, expédiait en Espagne * les renseignements sui-
vants : « 10 août. Il n'est encores nouvelles de l'artillerie qui doit venir d'A-
» miens. Si le conte de Seninghen, que l'on dict à ceste heure le prince de Por-
» cyan, rassemble (juelque chevaulx, et gens de pied, comme il est après, au
» couslel de Champaigne et Rethelois, il pourroitcopper chemin à ladite artille-
)> rie, pour l'accompaignenient de laquelle il n'y a gens depputez si M. d'Omale
» n'yfaict escorte, quitoutesfois n'a pas grand camp pour en répartir ; L'on disoit
» que ledict prince de Porcyan estoit après pour surprendre Ghàlon en Cham-
» paigne, ou Troyes. Je crois aussi feroit-il, s'il pouvoit, pour ouvrir le che-
» min aux Allemands, s'il y en vient. — 28 août. L'on a dépesché plusieurs
» commissions à des gentilshommes de Champagne pour lever gens, afin de
> faire teste au prince de Porcyan. — l^" septembre. Monsieur de Nevers est
» arrivé au camp, bien accompagné. 11 est mieux là que en Champaigne, pour
» raison du prince de Porcyan, son beau-frère. — 3 septembre. En Champai-
j» gne, les s"^* de Rochefort, de Ryal et autres, y ont assemblé force gens, pour
1. Mém. (le CL Ilatton: t. I, p. -270.
:2. Lettre aux magistrats rte Berne (Arcttires de Berne. Fiaiikreicli, vol. 2).
3. Lettre aux magistrats de Berne {Archives de Berne. Frankreich, vol. 2).
4. Mém. de Condé, t. II, p. 60, G7, 70, 76, 83, M.
— 590 —
» deffaire l'arraée du prince dePorcyan, qui a pensé prendre sainte Menehould
» mais il a esté repoulsé ; et à ce que j'entens, il ne pourra soustenir. 11 avoit
» mis quelques gens à Bar-sur-Seine, qui ont esté taillez en pièces. — 16sep-
» tembre. Le s'' de Vendôme m'a faict entendre que le conte de Senigga
» (Antoine de Croy) avoit esté contraint de se retirer avec grande perte de
» ses gens, et s'estoit rendu dedans le chastel de Porcian où l'on le vouloit
» assiéger. »
Le prince de Portien se retira, en dernier lieu, dans son château de Mont-
cornet, où il rallia les troupes réformées de la Champagne; et il en forma un
petit corps, dont il confia le commandement à un gentilhomme nommé
Semide ^ et il partit pour se rendre à Strasbourg, au-devant de d'Andelot.
20°
Voici, dans ses parties principales, le texte des pouvoirs conférés à la comtesse de Roye,
par les chefs réformés, le 18 décembre 1562.
{Archives de Stuttgart. Frankreich. B. 16, n. 73.)
« A haulte et puissante dame Magdalaine de Mailly, dame de Roye, salut
» et dilection!.... Comme nous puissions prévoir, à nostre grand regret, que
» la guerre par nous entreprise pour le service de Dieu, du roy nostre souve-
» rain seigneur, et pour le bien public de ce royaume, est pour prendre long
» traict, et que, à ceste cause, pour fournir aux grands frais qu'il nous con-
» vient faire et soustenir pour icelle entretenir et continuer jusques à ce que le
» plaisii* de Dieu sera nous en donner l'heureuse yssue que nous prétendons
s nous ayons besoiug de faire et assembler le meilleur fonds de deniers
» qu'il nous sera possible, lequel est le vray nerf de la guerre, et que entr'au-
B 1res endl^oictz desquels nous ont esté faictes offres de nous subvenir et aider
» libéralement, vous nous ayés faict entendre que, au pays d'Allemaigne,
» auquel vous estes de présent, vous seriez tellement employée pour nous
» moyenner tel secours d'argent que vous ayez trouvé aulcuns princes domi-,
» nants et aultres notables personnages, lesquels, menez d'un bon zèle et
» affection envers une si sainte entreprise comme est celle-cy, à laquelle nous
» avons dévoué nos biens et personnes, vous ont déclairé qu'ils sont contens
» nous ayder et accommoder par prest de bonnes et grandes sommes de deniers,
» en leur estant par vous pour nous et en nostre nom pourveu de bonnes et
» suffisantes seuretez d'estre bien satisfaictz et remboursés aux termes et con-
ii Voyez De Bczc, hist. eccl., t. II,. p. 394, — Haag, France prot. v'^ Sémîda et
Meaux (Louis de).
— 591 —
» ditions et par les moyens que vous, en vostre dict nom, aurez convenu et
» accordé avec eux; auquel party, après avoir esté consulté et deslibéré entre
» nous, il nous auroit semblé bon d'entendre; pour ce est-il que nous et cha-
» cun de nous, tant en général que en particulier, vous avons constituée
» commise et depputée, constituons, commettons et depputons par ces présen-
» tes, pour traicter, convenir et accorder pour nous et en noslre nom avecques
» tous et chacun de ceulx lesquelz vous aurez trouvés avoir intention de nous
» accommoder par prest d'argent des parties et sommes de deniers qu'ils nous
» fourniront et presteront, des voies, conditions et moyens de leur en faire le
• » remboursement et leur en passer telles recognoissances, obligations et seu-
» retez que vous adviserez bon estre, et généralement, en ceste affaire, vous
» employer tout ainsi que nous ferions et pourrions faire nous mesmes en pré-
» sence. De ce faire nous vous avons donné et donnons toute puissance, auto-
■» rite, commission et mandement spécial, et de pouvoir substituer et commectre
» à traicter et accorder ce que dessus, en vostre absence, tel ou telz que bon
» vous semblera; promettons en bonne foy et parolle de vérité avoir pour
» aggréable, garder, entretenir, ratifier et approuver tout ce qui par vous ou
■» aultres de par vous commis et substitués aura esté accordé, faict et passé en
» l'affaire susdicte ; et toutes et chacunes les parties et sommes de deniers
» ainsi par vous prises et reçues ou par aultres ayant tel pouvoir de vous, bien
» et loyalement rendre et payer ou faire rendre et payer, selon et en la forme
» et manière que par vous ou iceulx ayant pouvoir de vous aura esté accordé
» et convenu; et ce, soubz obligation de tous et chacuns noz biens, tant
» meubles que immeubles, présents et advenir, etc., etc. »
21o
Extrait d'un mémoire secret aanexé à une lettre écrite, le :28 mars 1563, par le cardinal
de Sainte-Croix au cardinal Borromée.
(Aymon, Recueil des synodes, t. I, p, 227 et suiv.)
« Si la reine se conduit d'une manière conforme à ce qu'elle dit, et selon
» qu'il est convenable, on pourra sans doute beaucoup mieux châtier ces gens-
» là quand ils seront désarmés et dispersés, outre qu'il est fort expédient de
» les décréditer auprès des Anglais et Allemands.
« Sa Majesté n'a plus maintenant Navarre, qui lui donnait des sujets de
» crainte, ni aucun autre personnage contre lequel elle porte sa haine si loin
» que de s'écarter de son but pour éviter qu'il ne devienne trop puissant ;
> c'est pourquoi elle pacifiera toutes choses en peu d'heures quand il lui
— 592 —
» plaira ; mais s'il arrive autrement, je ne vois pas qu'il y ait dans ce royaume
» des gens capables de le bien diriger.
« Le connétable est non seulement décrépit, mais seul; et quand il serait
» aidé par quelques-uns contre le ])arti des ennemis, on voit que jusqu'à pré-
» sent ils en ont agi d'une telle manière, qu'il y a sujet de craindre qu'ils
)) en usent de même à l'avenir ; c'est pourquoi il faudrait penser à ce qu'on
)) doit faire, avant que le mal devienne plus grand.
« Le sentiment de plusieurs et même de tout le monde est ({ue cet accord
» qu'on vient de faire ne saurait durer, et que dans trois ou quatre mois nous
» serons en plus mauvais état qu'auparavant, attendu que s'étantfait beaucoup
» de saccagemens et de meurtres, les intéressés ne voudront pas facilement les
» pardonner ni en abolir la mémoire, sans qu'on leur en fasse des réparations;
» outre que deux religions dans un même royaume sont toujours la source de
» quelque désordre et sédition : étant d'ailleurs très évident que ceux de Paris,
» de Toulouse et de la plupart des autres villes de ce royaume prennent les
» choses d'un si mauvais, côté, qu'il ne semble pas que ce nouvel accommode-
» ment puisse avoir son effet.
« Ceux de la Bourgogne ont envoyé dire qu'ils ne veulent point de prédica-
» tions, ni que les huguenots retournent dans ce pays-là et que, lorsqu'ils ren-
» dirent leurs hommages au roi, Sa Majesté leur promit de les maintenir dans
» leur religion ; que s'il pense de faire quelque chose au contraire, ils n'assurent
» plus Sa Majesté que cette province ne changera pas de maistre : et attendu
» qu'elle est sur les confins de la Flandre, on entend fort bien ce qu'ils veulent
» (lire, et l'on croit même que quelques autres provinces tiendront le même
» langage.
« Le connétable fait voir que la nécessité a obligé la cour de signer cet
» accord tel qu'il est, mais qu'on y remédiera dans la suite, et il ne parle qu'à
» demi-mot, en telle sorte qu'il semble avoir d'autres pensées qu'il ne veut pas
» expliquer.
« Lui ayant dit moi-même que ces conventions paraissent n'avoir été faites
» que pour avoir le temps d'instruire le roi dans la nouvelle religion, en attendant
» qu'il soit hors de l'âge de minorité, il me répondit qu'il s'agissait en cela des
» biens et de la vie de tous les Français, et que, par conséquent, je devais croire
» qu'on n'avait pas cette pensée. C'est de quoi il m'assura fortement, en me di-
)) sant que je l'écrivisse de sa part à Sa Sainteté ; que je lui fisse entendre qu'on
» donneroit une bonne éducation au roi,quc tout irait bien parce qu'on châtie-
)) rait, un jour, ceux qui avaient causé la ruine de ses états; que pour lui, il
» ne pense uniquement et n'a désormais autre chose à faire qu'à servir Dieu et
» le pape en tout ce qu'il pourra. Il ne dit point cela dans la vue d'obtenir des
» charges ou des bénéfices, parce qu'il ne cherche pas ses intérêts propres,
» témoignant au contraire qu'il n'a pas de plus grand remords de conscience que
» celui d'avoir demandé quelques faveurs à Sa Sainteté pour le cardinal de Chà-
» tillon, et qu'à l'avenir il veut faire paraître les bonnes intentions qu'il a pour
» la religion catholique. »
— 593 —
Charles de Téligny et sa famille.
Quelques mots d'abord sur deux des ascendants de Charles de Téligny.
Son aïeul paternel, François de Téligny, sénéchal de Rouergue et de Beau-
caire, a laissé dans l'histoire un nom recommandable. « Ce M. de Téligny, dit
» Brantôme *, fut, en son temps, estimé et réputé pour un très sage chevalier et
» bon capitaine, et qui servit bien ses roys deçà et delà les montz. Il fut gou-
» verneur pour quelque temps de Testât de Milan Il se comporta en ceste
» charge si sagement et modestement, qu'il n'y perdit pas un seul poulce de
» terre, mais très bien garda ce qu'on lui avoit donné en charge, et si contenta
)) tout le peuple delà et ne leur donna jamais subject de révolte. Lorsque
» M. de Nemours vint secourir Bresse (Brescia), et, qu'en chemin, J.-P. Daillon,
> général, fut deffaict, il menoit les coureurs avec M. de Bayard qui avoit i
» fiebvre ^ et tous deuv firent la charge si furieusement qu'ils esbranlarent le
-» reste dont le gros eut bon marché. Il garda aussi très bien Thérouanne d'un
» siège de neuf sepmaines, y estant lieutenant du roy Louis XII, là oii se donna
» la journée des éperons ^. Enfin ce M. de Téligny, assez aagé, vint mourir en
» Picardie, en une charge qu'il fit contre les ennemis, oîi nul n'y fut blessé ny
» tué queluy seul, afin que ccste rencontre fùst remarquée etsignalée seulement
» par la blessure et la mort d'un si bon capitaine ; car pour autre chose ne pou-
» voit-elle pas estre, pour rencontre si légère et petite. >
Il s'agit là d'une circonstance de beaucoup antérieure au siège de Saint-
Quentia, en 1557, lors duquel succomba, après avoir été grièvement blessé dans
une sortie, un officier du nom de Téligny. Cet officier était, non pas, comme on
l'a prétendu à tort *, François de Téligny, de qui il vient d'être parlé, mais bien
Charles de Téligny, chevalier, seigneur de La Salle, sous-lieutenant de la com-
i. Edit. L. LaL,t.Y, f. 'irS.
2. Chronique deBayart, par le loyal serviteur, chap. XLIX, ann. 1512.
3. Chronique de Bayart, par le loyal serviteur, cliap. LVII .' « pour îcelle garae
» cstoient commis deux gaillards et hardis gentilshommes, l'ung le seigneur de Téli-
» gny, seneschal de Rouergue, cappitaine saige et asseuré, et ung autre dn pays mesme,
» appelé le seigneur de Pont-de-Rémy. »
-i. Le Laboureur, addil. aux méin. de Gastelnau, in-f, t. II, p. 578. — Sandraz de
Courtilz, Vie de CoUgny, Cologne, 1686, p. 176.
— 594 —
pagnie du Dauphin *. Il servait sous les ordres du glorieux défenseur de la place
assiégée, et il fut assisté par lui à ses derniers moments 2.
De l'union de François de Téligny avec Charlotte de la Haye naquirent une
fille, Renée de Téligny, qui épousa, le il août 1542, Jean du Plessis, chevalier,
seigneur de La Parine s, et un fils, Louis, sieur de Téhgny, de Lierville et du
Chastelier,qui entra de bonne heure dans la carrière militaire, se distingua, en
1544, à lacamisade de Boulogne *, et devint guidon du duc d'Orléans.
Par son mariage avec Arétuse V.ernon, fdle de Raoul Vernon, sieur de Mon-
treuil-Bonnin, grand fauconnier de France, et d'Anne Gouffier, Louis de Téligny
s'allia auxmaisons de Montmorency, de Ghâtillon,de Gondé,etdeLarochefoucauld.
En effet, Anne Gouffier était fille de Philippe de Montmorency, femme de Guillaume
Gouffier, laquelle avait pour nièce Louise de Montmorency, maréchale de Ghâ-
tillon, mère de la comtesse de Roye, d'Odet, de Gaspard, et de François de
Goligny, et aïeule d'Éléonore de Pioye, princesse de Condé, ainsi que de Char-
lotte de Roye, comtesse de Larochefoucauld ". Louis de Téligny devint ainsi
cousin par alhance de la maréchale, de ses enfants et petits-enfants, dont Aré-
tyise Vernon était la propre cousine.
La carrière qu'avait embrassée Louis de Téligny ne fut que trop tôt entravée par
une gêne pécuniaire dans laquelle l'entraîna une généfosité mal entendue ; gêne
que l'àpreté de ses créanciers transforma finalement en une situation désas-
treuse, dont il supporta les rigueurs avec constance et dignité. « Ce fort hon-
» neste gentilhomme de fils raconte, à ce sujet, Brantôme g, imita le père en va-
» leur et sagesse; et pour estre tel, il fut en ses jeunes ans guidon de feu
» M^'. d'Orléans; dont il s'en acquitta si dignement que, pour se faiïe parestre
» en coste charge, s'enfonça si fort en de si grande debtes, comme sont coustu-
» miers les jeunes gens, que ses créditeurs le poursuivant estrangement, fut
» contraint d'abandonner la France et se retirer à Venise, où de mon temps, je
1. Telles sont les qualifications qu'attribue à Ctiarles de Téligny le P. Anselme
{liist. gén. et chron. t. III, p. 61'3), en ajoutant que ce même Téligny, eut pour
femme Marie de Bassa, vetive de René de Laval. — Les diverses personnes qui, dans
le cours du xvi" siècle, ont porté le nom de Téligny, sont mentionnées par le P. Anselme,
aux t. m, p. 640, 643, 045; IV, p. 719; VI, p. 783; et VII, p. 13 et 153, de son
ouvrage.
2. Voyez ce que rapporte, à cet égard, G. de Goligny, dans le récit qu'il a laissé du
siège de Saint-Quentin, et que nous avons reproduit dans le t. I" du présent ouvrage.
— Voyez aussi les vies des hommes illustres de la France, t. XIV, p. 133 à 137. — Il
existe : 1° une lettre du 23 septembre L555, adressée au connétable par Charles de
Téligny, sous-lieutenant de la compagnie du Dauphin (Bib. nat. mss. f. fr. voL 3 155,
f" 72) et 2° deux lettres de l'amiral à Béquincourt et à de Ilumières, des 3 janvier 1549
et 27 avril 1557 (Bibl. nat. -mss. f. fr. vol. 3 128, fo 24, et vol. 3144, f 7j dans les-
quelles il parle de Charles de Téligny. ■
3. P. Anselme, hist. gén. et clironol,, t. IV, p. 749.
4. Montluc, comment, édit. de M. de Ruble, t. I, p. 193.
5. Le Laboureur, addit. anx mém. de Castelnau, in-f", t. II, p. 578.
6. Éd. L. Lal.,l. V, p. 420.
— 595 —
» l'ai vu; et si monstroit encore, en sa misère et pauvreté, nn courage bon et
» point encore ravallé. Il y est mort pourtant en cest estât i. >
Louis de Téligny eut d'Arétuse Vernon deux fds, dont l'aîné reçut le nom de
Charles, et une fille à laquelle fut donné celui de Marguerite.
Où et quand naquirent ces trois enfans? oîi, par qui et comment furent-ils
élevés? Vécurent-ils, pendant un certain temps, séparés ou non, soit de leur
père et de leur mère, soit seulement de l'un d'eux, depuis que Louis de Téligny
se fut retiré en Italie ? Ces diverses questions sont jusqu'à présent demeurées,
pour nouS) sans réponses.
Ce que nous savons du moins, c'est que Charles de Téligny, dès sa plus ten-
dre jeunesse, se trouva placé sous le bienveillant patronage de Gaspard de
Coligny. L'affection que, pénétré de reconnaissance, il avait vouée à l'amiral, et
la vénération qu'il lui témoignait loin de porter la moindreatteinte à ses relations
de famille, n'avaient fait que les fortifier. Il n'eut qu'à se souvenir des leçons
qu'il avait reçues au foyer de Gaspard de Coligny et de sa digne compagne,
Charlotte de Laval, en qui il avait rencontré une seconde mère. Un cœur aimant
et dévoué, tel que le sien, dut porter haut le sentiment de la piété filiale. Aussi,
nul doute qu'il n'ait constamment saisi avec ardeur toute occasion qui s'offrit
à lui de visiter, dans sa solitude, le père bian-aimé auquel la force des cir-
constances avait imposé une pénible expatriation. Si aucuns détails ne nous sont
fournis sur ce point, les conjectures les plus favorables sont du moins pleine-
ment autorisées. En voici une, parmi plusieurs autres, relative à un voyage que
Charles de Téhgny fit au delà des Alpes, peu après la mort de François II. Il
est permis de croire que ce fut au retour d'une excursion à Venise, oîi il était
allé porter à son père les témoignages d'une pieuse affection, qu'il se rendit eu
-Savoie, en février 1561.
Quelques faits permettent de conjecturer ce que fat, à d'autres égards,
Charles de Téligny, On aime à le voir, plein de sollicitude pour son jeune
frère, déjà pourvu d'un précepteur, quant à ses premières études, chercher à lui
assurer, sous une forte direction, le bienfait d'une éducation chrétienne. Honoré
gi'âces à l'intermédiaire de l'amiral, da privilège de soutenir depuis quelque
temps une correspondance avec Calvin, toujours prêt à éclairer de ses conseils
la jeunesse ^ aussi bien que l'âge mûr, il s'adressa au grand réformateur, en
ces termes ^ : « Monsieur, combien que je ne sçache pour cette heure chose
» qui mérite de vous estreescrite, si n'ay-je voulu laisser aller mon frère, lequel
» j'envoie à Genève pour estudier, sans l'accompagner de ce mot pour tousjours
» me raraentevoir en vostre bonne grâce et vous supplier bien fort, monsieur,
)) de l'avoir pour recommandé, luy faisant et à moy tant de bien de le repren-
1. Selon do Thou(/us(. univ., t. IV, p. 490) Louis de Théligny vivait encore en 1571.
2. Voyez les lettres de Calvin au duc de Longueville et à la marquise de Rothelin,
des 26 mai et 22 août 1559 {corresp. franc., t. II, p. 265, 267, 286) ; au prince de Por-
tien, du 8 mai 1563 (ibid., t. II, p. 505); à François Daniel, des 25 juillet 1559
(ibid., t. II, p. 284); 26 novembre 1559 et 13 février 1560 {Bibl. de Berne, collect.,
Bongars, vol. 141, p. 47. 49).
3. Archives de M. Tronchin, orig. autogr.
— 596 —
î dre quelquefois, l'advertissant par votre bon conseil de son devoir, à ce qu'il
» puisse profiter non seulement aux lettres, mais principalement en la crainte
■» de Dieu, s Les sentiments du jeune chrétien percent dans cette lettre si simple
et si respectueuse, qui se termine par la demande d'un ministre, en faveur
d'une paroisse que des relations de famille lui rendent doublement chère •.
Charles de Tcligny n'était pas moins attaché à sa sœur, qu'à son frère. Son
amitié pour Marguerite s'étendit naturellement à l'homme distingué dont elle
devint la compagne, et auquel il se sentit avec bonheur attaché par d'indisso-
lubles liens. Il y eut entre lui et François de l^anoue, devenu son allié, et voué
à la même carrière que lui, plus qu'un rapprochement occasionnel, plus même
qu'une fraternité d'armes : il y eut une véritable fraternité de cœur. Rarement,
en effet, deux jeunes hommes furent mieux faits pour s'aimer d'une vive et sta-
ble affection, basée sur une entière conformité de sentiments, de convictions et
de caractères, que ne le furent le frère aîné et le mari de Marguerite de
Téligny. Aussi, le seul nom qu'ils se donnaient dans l'intimité de leurs rela-
tions, ou en parlant l'un de l'autre ^, était-il toujours celui de frère, dont l'em-
ploi entre eux se justifiait si bien.
23»
Lettre de Coligny à Warwick, du 11 avril 1563
(Forbes, a full view, etc., etc., t. II, p. 383, 381).
« Monsieur, pour ce que j'ay entendu qu'il a esté faict arrest sur quelques
» navyres qui sont de présent au Havre de grâce, que les marchands dudictheu ont
» faict apprester, équipper et victualler pour faire les voyages du Brésil et de la
» terre-neufve, et que, pour ce faire, ilz ont frayez beaucoup de deniers qu'ilz
» ont empruntez de plusieurs personnes à interest, pour avoir achapté lesdictes
» victuailles et autres choses qui leur estoient nécessaires à double prix par
» les incommoditez qui sont de présent en ce pays-là, et estant empeschez de
» partir et faire leurs voyaiges, cela seroit cause entièrement de toute leur ruyne,
» pour s'estre engagez de tous costés ; avecques ce qu'ils ont desjà souffert et
» porté pour les inconvényens des guerres passées ; et pour ce, monsieur, que
1. Montreuil-Bonnin, localité à laquelle se rattachait unepossassion des ascendants
de Charles de Tcligny. Arétuse Vernon, sa mère était dama de Montrcuil-Bannin, ù titre.
<rhéritière de son propre père, Raoul Vernon, sieur dudit Montreuil. (Voy. Le Laboureur,
addit. aux mém. de Castelnau, t, II, p. 577). Charles de Téligny lui-même devint sei-
gneur de Montreuil-Bonnin. (Voy. duBouchet, hist. de la maison, de Coligny,]). 577 à58l .)
2. De Lanoue, Disc, polit, et milit., Bâle, 1587, p. 683.
— 507 —
» je voy qu'il y a grande pitié et désolation en eulx, je vous prieray bien fort,
» de tant qu'il m'est possible, de ne les empescher point de faire leurs dicts
)) voyaiges et traficques de marchandises d'aultant mesme que laroyne d'Augle-
» terre par les accords qui ont esté faicts avec elle a promis de les laisser
» trafficquer et faire voyaiges comme ilz avaient accoustumé, et de ne les
» y empescher en sorte que soit. Et au regard de ce que j'entendz qu'il y
» a un article dedans le traité de paix dont vous estes mal content, qui
» porte que les estrangers sortiront hors de ce royaulme, cela ne s'entend
» point pour la royne d'Angleterre, car mesmes M. le prince de Condé ne vou-
» lut point qu'il fust parlé de Sa Majesté, que premièrement je ne fusse de re-
» tour du voyage que je feiz dernièrement en Normandye, pour sçavoir en quel
» estât estoient les affaires et quel langaige m'avoit tenu M. de Throckmorton ;
» et quand je fuz arrivé, l'on envoya quérir l'ambassadeur de sa dite Majesté
» pour luy communiquer comme toutes choses se passoient pour ledict traicté
» de paix, et mesme de ce qui touchoit le faict de sa dicte Majesté, ce qu'on luy
» donna à entendre, oii il ne fut rien conclu, que premièrement elle n'en fùst
y> advertye , et, pour ce faire, l'on a dépesché M. de Briquemault, qui doibt pas-
» ser par le dict havre de grâce, et duquel vous sçaurez ce qu'il a à dire à Sa
» 3Iajesté touchant ce faict, espérant que vous en demeurerez satisfaict. Par
» quoy je vous prieray encores d'avoir pitié de ces pauvres gens et leur permet-
» tre qu'ilz puissent faire leurs voyages, d'aultant que la saison se passe, et
» vous ferez beaucoup pour eulx. Je me recommanderay, bien affectionnément
» à vostre bonne grâce, et supplieray le créateur, monsieur, vous donner très
» bonne et très longue vye. De Chastillon, ce XP jour d'avril 1563. Vostre
» entièrement bon et bien affectionné amy, Chastillon.
2.4°
Écrit non daté, ni signé, mais rédigé probablement vers le 26 septembre 1563. Il porte
la trace des espérances alors conçues par les Guises, de leur haine contre les Ctiàtil-
lons, le connétable, le chancelier, et de leur crainte que l'affaire relative au meurtre
du duc de Guise fût évoquée au conseil du roi.
(Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 3i57, f-^ 89 et suiv.).
« Le cardinal qui est icy avec ses frères envoya, le jour d'hier, deux fois en
» mon logis, pour aller le trouver. Je n'y estois point, pour ce que j'estois allé
» à deux lieues de Paris, Moy de retour, je l'allay trouver au grand logis, où je
» trouvay bonne compagnye.
« Y estant arrivé, ledict cardinal me voyant entrer dans la salle où il estoit,
» se leva tout aussytost de sa chaize oi!i il estoit assis, et m'appelant, m^ mena
» dans le jardin du dicl logis, me demanda sy j'avois poinct oy nouvelles de cellui
— 598 —
» qui est maintenant en son gouvernement, et qu'il enavoit reçeu des nouvelles
» par le secrétaire de M. de Montluc.
» Lors il me dict qu'il me vouloit conter la vye au mauvais riche, et comme il
* s'estoit déclaré ennemy de sa maison, pour soustenir ses nepveux ; que c'es-
9 toit pour considération des bienfaits qu'il avoit reçeu d'eux, de ce que par deux
» foys, ils luy avoient faict jouher sa vye à trois dez, dont il avoit rapporté l'hon-
» neur et proffict que chacun sçait.
« Toutelïois que malgré luy et toutes ses praticques, ils avoient obtenu en
9 leur requête ce qu'ils avoient désiré, et (ju'ils estoient renvoyés par le roy, par
9 l'avys des princes, aux juges ordinaires des pairs de France et lieutenants gé-
» néraux du roy, qui sont messieurs de la Cour de Parlement de Paris qui ont
» accoustumé de juger telles matières et à qui la cognoissance appartient du
» faict dont ilz recherchent justice;
« Que ce matin, ilz se doibvent retirer vers ladite court avec leur dite requête,
> pour demander l'enthérinement et avoir commissaires desléguez pour informer
» de eurs faictz ;
« Que de l'information, ilz ne s'en donnent peyne, car ce qui se trouve par
» escript est suffisant pour obtenir l'issue de ce qu'ilz désirent, et qu'il est
» impossible que jamais homme peult échapper à un tel faict sans y laisser
» la teste ;
« Que sy n'estoit qu'il faut suyvre la forme de justice, ce qui est de preuves et
» vériffié suffiroit, mais puisqu'il commance par ceste voye et qu'ilz ont. la vo-
» lonté du roy par escript, il suffit de suyvre ses erres, car ce sera occasion de
9 clorre la bouche à tous ceulx qui vouldroient parler qu'ilz veulent user de
* force, et puysque la justice parle il ne fault plus parler de force, sy ce n'est
» pour l'exécution de ce qui sera ordonné ;
« Qu'ilz n'ont plus de crainte de ryen en leur faict, sy ce n'est que ce traistre
» chancelier brouillast les cartes et que voullust sceller l'évocation que le cardi-
» nal de Ch. pourseuit soubz la main de son oncle ;
« Que si ledict chancelier la depeschoit, qu'il se pouvoit bien asseurer qu'il en
» niaudiroit l'heure, car il ne feroit pas de tort seulement à leur maison, mais à
» dix mil personnes qui s'en sauroyent bien ressentir, et qu'en attendant ils le
» prendroyentà partie, en son propre et privé nom;
* Qu'il est assez sale sans s'aller mettre davantaige en la fange ; tesmoing les
« belles œuvres qu'il a faictes pour l'occasion de la maladye de la royne ;
« Qu'il s'est bien descouvert ce que le mauvais riche a faict et conspiré d'avoir
» esté si hardy que de délibérer se saisir du roy, advenant inconvénient de la
» royne, et qu'on sçait bien le rôle qu'ilz avoient faict jouer à ce fol de Laferté,
» dont il n'estoit pas quicte ;
« Que pour avoir la main plus forte, ledict mauvais riche avoit faict venir sa
» compagnie et celle de son fdz le mareschal à deux lieues près de la court ; de
» quoy la royne est amplement advertye, et qui n'obliera rien de ce faire, ainsi
» qu'elle leur a très bien asseuré ;
« Que sycela feust avenu il y eust eu de terribles jeux joués, car de permet-
» tre qu'un tel acte eust esté faict en la présence des serviteurs du roy, cela ne
* s'eût peu faire ;
— 599 —
« Qu'ilz furent aussitost advertiz de toutes ses menées et des levées qui furent
» faites par le prince de C. et mesmes par le s"" de Sénarpont et avec d'autres,
» dont il y en a qui en respondront, quelque jour;
« ToutelToys qu'il regrettoit ce paouvre vieil resveur pour l'honneur de son
» filz, et qu'il estoit impossible qu'il se peust jamais laver de la faulte qu'il a
» faicte, mesme des lettres qu'il a escriptes à plusieurs gentilshommes dont ilz
» en ont recouvert quelques-unes, entr'autre d'ung gentilhomme près Viguy qui
» fit response que si M. Dampville y estoit ou qu'il eust à faire de luy. qu'il
» exposeroit sa vie pour son service ;
« (}ue plusieurs autres s'estoient bien escuzés de l'aller trouver et dont la
» royne a esté bien informée, ainsi qu'il cognoistra, quelque jour.
« Au mesme instant que ces propoz furent tenuz, arriva ung gentilhomme
» ayant une chaisne au col, qui veiioit du lieu oîi est monsieur l'aniyral, qui
» l'asseura l'avoir veu et parlé à luy, et qu'il avoit huh cens chevaux ; que de
» tous costés ilz amassoyent, soyt luy ou ses adhérens.
« Ce gentilhomme parla longuement aux femmes et aux frères.
« Je ne puis sçavoir aultre chose synon que monsieur de Vaudémont estoyt
» party pour s'en aller en sa maison, mais qu'il ii'oblyroyt rien de son costé, non
» moins que faisoient les aultres du leur, et que quant il sera besoing de prendre
» la force, il sçavoit bien à qui elle devoit demourer, et qu'il espéroit d'en
» sçavoir le court ou le long, dans peu de jours ;
« Que cependant il vouloit escrire à celuy qui est en son gouvernement, pour
» l'advertir de la façon que toutes choses estoient passées et la bonne vye que
p menoit son père, à la suscitation de bons traistres, meschans meurtriers, et
y>- mesmes de son bon frère, duquel il luy en manderoyt sa fantaysie.
« Tous les frères et le prince qui est icy avec eux, et la dame leur sœur,
» doibvent escrire, et je dois avoir les lettres ce jourd'huy ;selon ce qu'il se pourra
B découvrir du contenu, vous en serez adverty, et moy mesmes vous iray trou-
» ver, s'il en est besoing. Je croiz qu'ils atendront l'issue de ce qui sera avysé
» aujourd'huy sur le contenu de leur requête.
« Hier ilz allèrent au logis de plusieurs présidens et conseillers pour commu-
» niquer leur faict. Us se promectent merveilles de ce costé ; mais ilz craigiXent
» fort l'évocation.
« Il est bezoing rompre le mémoire, et que l'on prenne garde à beaucoup de
» personnes, car ilz s'asseurent de sçavoir toutes choses, »
Lettre de Sarron, secrétaire de l'ambassadeur d'Espagne, du 16 juin 1564.
{Mém. de Condé, t. II, p. :201.)
L'interjdiction de faire prêcher, dont se plaignait Renée de France, pour elle
— GOO —
personnellement, de même que pour l'amiral et sa femme, pesa, à quelque
temps delà, sur Jeanne d'Albret, à Mâcon. En effet, Sarron écrivait :
« Le jeudy de l'Octave du corpus Domini, se feit une procession, à Mascon,
» fort dévote, en laquelle le roy très chrestien, monsieur d'Orléans, la royne-
» mère, messieurs de Montpensier, prince de la Roche-sur- Yon, les cardinaulx
» de Bourbon et de Guyse, duc d'Aumale, connestable, chancelier et plusieurs
» chevaliers de l'ordre, et sieurs et dames de la court, assistèrent fort dévotement
» ayant torches ou cierges en leurs mains : qui donna si bon exemple, que plu-
» sieurs auxquelz on faisoit croire que lesditz roy et royne estoient huguenotz et
» n'alloient à la messe, se sont réduitz. — Et pour ce que ledict seigneur roy
» feit crier le jour devant que ceulx de la ville qui sont la plupart huguenotz
» deussent assister à ladite procession et faire tendre ou mectre ramée devant
)) leurs maisons, madame de Vandosme qu'est maintenant en court, en feit
» plainte à la royne, luy remonstrant que c'estoit contrevenir àl'édict de la paci-
» fication, et que l'on ne devoit forcer personne de sa conscience, luy en deman-
» dant justice. — A l'arrivée de ladite dame de Vandosme à Mascon, tous les
» huguenotz du dict Mascon luy furent au devant; et après luy avoir faict la ré-
ï vérence, et supplié d'avoir la cause de la religion pour recommandée, luy
■» offrirent corps et biens pour la défence d'icelle ; à quoy elle promit tenir si
» bonne main, qu'ilz congnoistroient avoir en elle une bonne protectrice ; et
» leur dit que pendant sa demeure audit Mascon, ilz pourroient aller à la pres-
•» che en sa maison : car elle avoit huict bons ministres ; mais comme le roy fut
» adverty que ladite dame faisoit prescher, ce qu'est deffendu par ledict édict
» comme aurez bien veu par icelluy, il luy envoya deffendre de plus le faire, et
» luy feit dire que si ses ministres s'avançoyent de prescher à la suite de sa
» court, qu'il les feroit chastier si aigrement, qu'aultres y prendraient exemple ;
> dont ladite dame fûst fort faschée ; et quelque requeste qu'elle ayt sçeu faire
3) de pouvoir faire prescher secrètement en sa chambre, l'on ne luy a voulu
•» permectre, combien je pense qu'elle ne laisse de le faire secrètement : car
» pour tousjours donner plus de chaleur et de cœur aux huguenotz, inconti-
» nent qu'elle fut arrivée en ceste ville, qui fut avant l'arrivée dudict seigneur
» roy, elle alla au presche en leur temple qu'ilz font édifier sur les fossez, en ung
» lieu dit les Terraulx, où tous les jours y besongnent de telle fureur, que les
» gentilshommes et damoiselles y portent la hoste. Si est-ce qu'ilz n'ont le
■» cacquet si hault qu'ils vouloient avoir, combien qu'ilz dient toujours quelque
> chose. Enfin je vous asseure que ce voyage sera cause d'un grand bien pour
» nostre rehgion, car le roy et la royne font grandes démonstrations de catho-
> liques, allans ordinairement à la messe, tantost en une église et tantost en
» une aultre ; qui donne grand exemple et cœur aux bons de continuer en leur
» religion, et à plusieurs huguenotz de se réduyre, comme il s'en réduict
» journellement. >
-- 601
2G»
Entretiens de Soubize avec Catherine de Médicis, à Lyon, en 1564.
(Mémoires de la vie de Jean de Parthenay-Larchevéque, sieur de Soubize, 1879,
p. 80 et suiv.).
« Après les premiers troubles, le premier voyage que le s"" de Soubize fit à la
» court fut quand le roy estoit à Lion, où ils virent monsieur et madame de
» Savoye ; lequel voyage estoit trouvé fort hasardeux, do sorte que, mesme en
» Allemaigne, on le trouvoit l'estre beaucoup plus que celuy que monsieur l'admi-
» rai avoit auparavant faictà Paris, et disait-on que M. l'admirai y estoit allé
» ayant le rapport du prince de Condé de qui il estoit proche allié, d'un con-
» nétable de France, son oncle, de deux mareschaudx de France, ses cousins,
» et de ses deux frères, dont l'un commandait à l'infanterie françoise, et l'aul-
> tre avoit grand pouvoir, et si n'alloit qu'à trente lieues de sa maison, là où
) le sieur de Soubize alloit à six vingt lieues de la sienne, sans tout ce que
» dessus, ayant les mesmes ennemis que M. l'admirai, ot oultre ceulx-là un
» prince du sang. Toutesfois, combien qu'il n'y allast qu'avecques son train, si
» est-ce qu'il se trouva si fort à la court que ses ennemis le craignoient, car
» tous ceulx de la religion, qui y estoient en assez grand nombre, se rangeoient
» à l'accompagner, et oultre ce, toute la ville estoit à sa dévotion, à cause qu'il
» les avoit si bien traictez pendant qu'il y commandoit, qu'ils firent mesme tout
» ce qu'ils peurent pour l'avoir pour gouverneur.
« Or n'avoit-il jusques-là sçeu perdre du tout l'espérance qu'il avait eue de
> la royne, et combien qu'il eust entendu comme elle avoit essayé d'attraper
» M. l'admirai à Saint-Germain en Laye, et aultres traicts qu'elle avoit faicts,
» si est-ce qu'il ne s'estoit point encores voulu persuader du tout qu'il n'y eust
> moyen de la remectre au bon train auquel il l' avoit veu autres fois, se vou-
> lant toujours faire accroire que ce qu'elle avoit faict estoit plus tost partimi-
» dite, ou par persuasion, que par malice. Mais bien s'asseuroit-il de se résoudre
» la première fois qu'il parleroit à elle, s'il y avoit encores quelque espérance ;
-» ce qu'il fit bientost, car dès qu'il eut faict la révérence, et qu'il fut entré en
D propos avec elle touchant la prise des armes, luy alléguant que ce qu'il avoit
j faict estoit par son commandement, à quoy elle luy répliquoit comme elle l'avoit
» bien voulu retenir à la court et puis renvoyer chez luy ; sur quoi il luy répliquoit
» derechef ce qu'il luy avoit respondu (ainsy qu'il est touché cydessus) et luy
» disoit davantage qu'il ne pouvoit moins faire, la voyant prisonnière avec le roy et
» messieurs ses enfans; elle appela M. le connestable, lequel le mareschal de
D Vieilleville qui estoit parent et fort amy du s' de Soubize, admusoit, afin qu'il
î n'ouyst ce que ledit s"^ disoit à la royne, et luy dict : maisque diriez-vous, mon
— 602 —
» compère, que Soubize a tousjours oppinion que le roy et moy estions prison-
» niers? àquoy leconnostablerespondit : je le croy, madame, car s'ils n'eussent
» pas pensé cela, ilz estoient trop bien advisez pour faire ce qu'ils ont faict.
« Quand le s"" de Soubize vit ce traict-là en la royne, il fut comme j'ai dit,
» tout résolu qu'elle ne feroit jamais rien de bien, et n'y en eut plus d'espérance.
» Ce néantmoins il ne laissa de parler tousjours à elle aussi librement que de
i> coustume; qui estoit de telle sorte qu'il n'y avoit homme en France qui eustla
» pi'ivauté de ce faire comme luy, s'estant tellement acquis de tout temps ceste
» liberté, qu'il la continuoit toujours, de sorte que ceulx qui le voyaient parler à
» elle avecque ceste franchise, et qu'elle le trouvoit bon, pensoient qu'il la
» gouvernast du tout, et plusieurs courtisans sur éeste opinion, se sont, au
)■> partir de là, souvent venuz offrir à luy. Or, tardoit-il fort à la royne qu'elle
» lepeust faire partir de la cour, pour ce qu'il lui sembloit qu'il luy ronipoit tous
» ses desseins, de sorte qu'elle estoit tous les jours à luy dire : que faites-vous
» icy? Vous y avez tant d'ennemys, que ne vous en allez-vous? et quand il luy
» disoit qu'il ne les craignoit point, elle luy respondoit qu'elle avoit peur pour
» luy. Mais, madame, luy disoit-il, puisque je n'en ai point, vous ne devez pas
■» plus craindre pour moy que moy mesmes; à quoy elle luy disoit r je le scay
» bien que vous n'avez point de peur, car vous avez la plupart de la court pour
» vous, et toute ceste ville; mais j'ay peur, vous voyant icy si fort, qu'il n'ad-
)) vienne de la folie. Je crains tant que vous ne laciez quelque chose. Je me
» doubtois bien, madame, dit le s'' de Soubize, que c'estoit la peur que vous
» aviez pour moy; mais je n'ay rien à leur demander. Si vous avez tant de
» puissance sur eulx que vous dictes, défendez leur de commencer, et je vous
» promects, sur mon honneur, que je ne le fer ay pas de ma part; mais, s'ils
» commencent, j'achéveray si à bon escient, qu'il en sera mémoire.
« Et pour ce qu'elle continuoit tousjours à le presser de s'en aller, il luy di-
» soit : c'est grand cas, madame, que vous ne voulez esloigner du roy que les
» bons et anciens serviteu'rs de ceste couronne, et ceulx qui ont exposé leurs
» vies pour délivrer vos majestésde la captivité où vous estiez, et n'en approchez
» que ceùlx qui veulent la ruine devons et de vostre estât, tellement que, si je
» voulois estre en vostre bonne grâce et estre approché de la personne du roy
» je ne tiendrois pas le chemyn que j'ai tenu, et n'est pas faulte de sçavoir ce
» qu'il faudroit faire pour y parvenir. Et que feriez-vous? dit la royne. Je vous
» prendrois prisonniers, dit le s"" de Soubize, le roy et vous, comme ont faict
» ceulx de Guise. Je sèmerois des libelles diffamatoires par Paris contre vous,
» pour animer le peuple, comme ilz ont faict. Je prendrais charge de vous
» estouffer entre deux couettes, comme elle fut donnée à M. de Nemours, au
» raareschal de Sainct-André et à Rocandolphe. Je vous menacerois, tous les
» jours, comme ilz faisoient; je me ferois craindre à vous, comme ilz font, et
» usurperois le plus d'aulhorité que je pourrois, en diminuant la vostre. Je
» sçay bien que, faisant cela, je serois favorisé de vous. Vous ne me presse-
» riez pas de m'en aller. J'obtiendrais tout ce que je demanderais, comme ilz
3» font, au lieu que ceulx qui ont bazardé leur vie pour vous délivrer de ceste
» tyrannie, sont reculez et mal voulus de vous; mais j'aime mieulx l'cstre en
» bien faisant, que d'estre advancé par telz moyens.
— 60» —
« Là-dessuslaroynerioitet l'asseuroit que ce n'estoit point cela, qu'elle l'ai-
» moit, et (fue c'estoit l'amitié qu'elle luy portoit qui luy faisoit dire ce qu'elle
» disoit; qu'elle n'aimoit point ceulx de Guise, lesquels elle cognoissoit bien,
» mais qu'elle estoit contrainte de se feindre encores, pour quelque bonne
B occasion qu'elle ne pouvoit dire ; mais qu'il s'asseurast que c'estoit pour
» quelque chose de bon, ce que mesmes elle disoit tous les jours à madame de
» Savoye, laquelle le racontant au s"" de Soubize (car c'estoit un des hommes de
» France qu'elle aimoit et en qui elle se doit le plus), ledit s"" luy respondit : je
» ne m'étonne plus, madame, si la royne ne mepeultdirepourquoy ellefaictce
î qu'elle faict, puisque c'est chose qu'elle vous cèle. Toutesfois il estoit desjà
» tout résolu de ne faire plus d'estat de ses promesses.
» Quand il fut prest à partir de la court, il vint, le jour avant, à la royne,
» et luy dist : madame, j'ay une bonne nouvelle à vous dire. Eh quoi ! dit la
» royne? Je voudrois donc un beau présent de vous, premier que de la vous
» dire; et ainsi s'estant fait presser assez longtemps, c'est, dit-il que je m'en
ï vais demain. Sur quoy la royne se prenant à rire, il luy dit : je sçavois
» bien, madame, que je vous ferois bien aise; mais quand vous plaira-t-il que
■» je revienne? Là-dessus la royne lui dit: Nous délibérons d'aller en tel et en
» tel lieu (qui estoit tout le discours du voyage de Rayonne), puis nous repasse-
» ronspar fols et tels païs, et quand nous serons enGuienne, vers vos quartiers
» (qui ne pouvoit estre plustost que de deux ans), envoyez vers moy, et je
» vous manderay ce que vous devez faire. C'est à dire, respond le s' de Soubize,
» que vous voulez estre asseurée de ne me veoir de deux ans; et, au partir
» delà, quand j'envoyeray vers vous, vous me manderez : il y a encores un
» chat de la maison de Guise ; ne venez pas, car il vous esgratignera. Or, je
» vous diray, madame, ce que je feray. J'envoyeray vers vous quand vous se-
» rez en Guienne, puisque vous me le commandez : mais je seray aussy tost
» près de vous que le messagier ; ce qu'il fit. »
27"
Ordonnance du 7 janvier 1566.
(Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 3207, f 5.)
« Ordre que le roy veult estre gardé en sa ville de Mollins.
« Affin que, pendant que le roy fera séjour en ceste ville de Mollins, toutes
» choses y soient contenues en meilleur ordre etpollice, et éviter tout débat et
f inconvénient, Sa Majesté a ordonné ce qui s'en suyt.
« Premièrement, que les deffences cy-devant par luy faicles à toutes per-
» sonnes de ne s'injurier et provoquer de parolle ny de faict, tant pour le faict
— 604 —
> de la religion que autre occasion, aussy de renouveller les anciennes que-
» relies ni en faire de nouvelles, et de mectrc la main a l'espée, seront dere-
> chef publyées, à son de trompe, par le prévost de son hostel, et ce, sur
» peine de la vye.
» Deffences aussy seront falotes à tous paiges et lacquais porter aucunes
» espées ni dagues, dedans le chasteau, la ville et les faulxbourgs dudict Mol-
» lins, sur peine aux paiges et petiz lacquais d'estre fouettez par leurs escuiers,
» et aux grands lacquais d'avoir l'estrapade, aussy confiscation desdites espées
» et dagues.
« Commandement sera faict aux habitans de ceste dite ville et faulxbourgs
» mectre et avoir tout du long de la nuict, de deux en deux maisons, chan-
» délies allumées dedans lanternes, affm que ceulx qui passeront par les rues
» puissent estre mieux congneuz, sur peine d'amende.
« Sera mys et estably ung corps de garde de vingt soldatz des bandes du
» s"" Strozzy, en la place ou autre lieu qu'il sera cy-après, advysé.
» Et pour la nuict y aura une patrouille de douze soldatz desdites bandes, et
» seront conduictz par ung chef d'icello, chacun à son tour, qui se pourmèiiera
» toute la nuict par ladite ville et faulxbourgs affm d'éviter qu'il n'y ait aucune
» rumeur, et à ceste fin demourront les portes de ladite ville ouvertes toute la
» nuict.
« Sera aussy defïendu et prohibé à toutes personnes, depuis que minuict sera
» sonné, de sortir des maisons, aller ne se pourmener par ladite ville et faulx-
X bourgs, sinon en portant torches ou lanterne allumée, et pour chose néces-
> saire ; et si ceulx de ladite patrouille en trouvent aucuns faisant autrement,
» les arresteront et les rendront ez mains du mestre de camp desdites bandes ,
» qui le lendemain en advertira le roy, pour en ordonner son bon plaisir.
» Le prévost de l'hostel et ses lieutenans se pourmèneront tout le jour par
» ladite ville et faulxbourgs, avecques ses archers, pour avoir l'œil qu'il n'y ait
» aucune chose de désordre.
« Monsieur le connestable ira quand bon luy semblera et sera nécessaire, se
» pourmener par ladite ville et faulxbourgs, et messieurs les mareschaulx de
» France aussy, pour veoir comme toutes choses se porteront et pourveoir à ce
» qui sera nécessaire.
« Le roy veut et entend aussy que les cappitaines de ses gardes et leurs
» lieutenanz et chefz se pourmènent ordinairement par la cour du chasteau
n avec le plus grand nombre d'archers que faire se pourra, pour regarder qu'il
» n'y ayt aucun désordre, et quand le roy sortira pour s'aller pourmener, les-
» dits cappitaines, l'accompagneront avec tous leurs archers, partie desquelz
» demourra derrière le roy avecques ung desdits capitaines, pour avoir l'œil à
» ceulx qui iront et viendront près Sa Majesté, laissant tousjours néantmoyns
» huict ou dix archers qui ne bougeront du chasteau.
« Le cappitaine de la garde des suysses fera le semblable, de sa part.
« Veult et entend aussy sadite Majesté que le me&me ordre et reigle qui fut
» dernièrement gardé à Baionne soyt quant le roy disnera «t souppera, aux
> audiences et de jour en la salle du bal^ chambre, antichambre, et salle ordi-
» naire de sadite Majesté, observé en tout et partout.
— 605 —
« Et affin que le peuple ne soyt foullé ni pillé es environs de ceste dite ville,
» entend aussy sadite Majesté que le lieutenant du prévost de son liostel
» ordonné pour les villaiges, aille faire ses chevauchées et rapporte ses pro-
» cès-verbaux, pour veoir ceulx qui paient ou non, affin d'y estre pourveu
» ainsy qu'il appartiendra.
« Faict au conseil du roy tenu à Mollins, le septième jour de janvier 1566
« (signé) : de l'Aubespine.
28°
Madame de Soubize.
{Mémoires de la vie de Jean de Parthenaij-Larchevéqtie, sieur de Soubiz,e, p. 23,76, 77.)
Après s'être signalé au siège de Metz, Soubize épousa, en 1553, Antoinette
d'Aubeterre, l'une des filles d'honneur de la reine mère, < laquelle il aymoit
» longtemps auparavant, et avant que penser à l'espouser, luy avoit donné
» cognoissance de la vraye religion, comme à celle qu'il aymoit lors comme
» sa sœur, et avec laquelle depuis il vescut jusques à sa mort en la plus grande
» et parfaite amitié qui peult estre entre mary et femme. »
Si nous ne pouvons ici retracer la vie. si pure et si belle de madame de Sou-
bize, insistons du moins sur un trait qui prouve que cette femme, distinguée à
tous égards, était une héroïque chrétienne.
A peine son mari, envoyé à Lyon par Condé, en 1562, lui avait-il annoncé,
par un messager fidèle, son arrivée en cette ville, où il l'engageait à venir le
rejoindre, qu'elle lui écrivit : « qu'elle avoit eu advertissement qu'on la vou-
» loit prendre, elle et sa fille, et les mener devant Lyon, menaçant le sieur de
» Soubize de les tuer toutes deux, s'il ne rendoit la ville ; ce qu'elle ne mandoit
» audit sieur son mari comme chose certaine, de peur de l'affliger, mais seu-
» lement le supplioit, au nom de Dieu, si d'avanture cela advenoit, de n'estre
» esmeu de nulle affection naturelle, mais de préférer la gloire de Dieu et son
» debvoir à la vie d'elle et de sa fille, d'autant qu'elle eùst beaucoup mieux
» aymé mourir de mille morts, si faire se pouvoit, que si cela eust esté cause
» de luy rien faire faire contre l'honneur de Dieu, le sien et le service ds son
» roy; adjoustant que ce qu'elle luy en mandoit n'estoit pour double qu'elle
» eûst de sa résolution, mais pour luy rendre tesmoignage de la sienne Le
» sieur de Soubize a dict maintes fois depuis à sa femme que c'estoit un des
» plus grands plaisirs qu'il avoit jamais reçus, de la voir en ceste résolulion. »
— 606
29°
Villegagnon au cardinal Granvelle. 25 mai 1564.
(Papiers d'État de Granvelle, l. Vil, p. 660.)
« Monseigneur, j'auré un desplaisir incroyable d'estre approché si prez de
» vous sans vous faire la révérence, et vous communiquer des choses passées
» en cesle sinistre et déplorable condition de temps, où Dieu m'a continuelle-
» ment exercilé en la compaignie de nostre prince, le preux et saint Françoys,
» duc de Guise, que Dieu par sa miséricorde, veuille absoudre. — S'il n'i avoit
» aultre considération que de mon intérest, je ne fanldroye à vous aller trou-
» ver : car j'ay quicté tous les estatz et pensions que j'ay eu du roy ; ayant
» prins congé de la royne-mère à Bar, dernièrement, ai dit tout hault que jus-
» ques à ce que le roy soyt ennemi formel des ennemis de Dieu et de son
» église, les Aygnos (Huguenots), c'est-à-dire, en langue de Suisse, rebelles et
» conjurés contre leur prince pour la liberté je ne porteré jamays armes au ser-
» vice dudit seigneur, ce que je veulx tenir et observer religieusement, et
» employer tout ce que Dieu a mis en moy à nuire à ceste infélice et exécrable
» secte. Je vous eusse voulontiers communiqué de quelque mienne délibéra-
» tion, si vous n'eussiez trouvé maulvoys mon aller pardevers vous ; mais j'es-
» père que, quelque jour, vous le pourrez entendre. Je sohayte estre aymé et
» cogneu du roy Philippe, corne j'ay esté de l'heureuse mémoyre de l'empereur
» son père, pour m'aller reposer et consoler auprès de lui, attendant l'occasion
« que je désire, etc., etc. »
Villagagnon au cardinal Granvelle. 27 mai 1564.
(Papiers d'Etat de Granvelle, t. VII, p. 663.)
« Dieu, inspirant le roy Philippe d'entreprendre quelque chose en faveur
» del'Eglise,jenefauldréàle servir de tel soin, zèle et dévotion que j'ay servyles
» roys mes maistres, si mon service luyest agréable, soyt contre les aygnoz soyt
» contre les Turcs : car j'ay délibéré de obéir au conseil et commandement que
» me feit d'heureuse mémoyre le bon Charles, moy estant à Crémone, où il m'en-
» voya le sieur Gymera, mon compagnon : c'est de ne pourter jamays armes
» sinon contre les ennemys de nostre saincte religion La royne (Catherine)
» est en une crainte incroyable des Allemanz qu'ilz ne reviennent au secours des
— 607 —
» aygnoz, et cependant elle les laysse fortifler et augmenter. Toutesfoys m'es-
» tant trouvé ces jours passez avec ung de son conseil, je luy remonstray que
» messire Gaspar de Colligny et ceulx de son parti ne sont ignorans de nostre
» loy salique, laquelle dit que les biens des rebelles, annexés à la couronne par
» arrêt de la cour, sont inalliénables, puis après ce n'est au prince d'en fayre
» don ne grâce ; qu'en force de ceste loy, ledit de Colligny voyt soy et sa pos-
» térité hors de Chastillon et inhabile d'avoir biens et honneurs en France, sinon
» par souffrance et tant qu'il plaira au prince, duquel la volonté et délibération
» luy peut estre peu certène ; que cela pourra faire que ledit de Colligny voul-
» dra, en ayant occasion, faire tuer ceulx qui lui semblera pour faire aultre
» loys, et se fortifier d'aultres remèdes. En oultre, que si la royne veult faire
» en ce resguard estindre la loy salique, que îe roy Philippe (d'Espagne) aura
» autant de raison de dire que ladite loy ne vault et ne doibt avoir lieu en ce
» qu'elle' ordonne de la succession au royaulnie, en en déboutant les femmes :
» car toutes ces deux cautions viennent d'une source. J'ay procuré assés d'aul-
») 1res moyens pour amener lesdits rebelles en haine et suspicion de ladite
» dame, et à mon partement, je luy di que j'avoye esté estropié pour son ser-
» vice, combattant les ennemis de la couronne, quoy que l'on en eûst dit,
» que par la court de parlement ilz avoyent esté déclayrés telz : à quoy elle
» ne me respondit aulcune chose ; puis en me départant d'elle, elle me feit signe
» de l'œil et me feit approcher et me dit : asseurez-vous, Villegaignon, que je
» suis vostre amie; ce que je n'attendoye d'elle, ayant aultre foys dit que j'es-
» toye trop passionné; par ainsi j'euz quelque froyde espérance qu'elle se
» ennuisera bientost de ces gens-là. — 'En faisant fin, monseigneur, je vous
» supplieré de me tenir tousjours en vostre bonne grâce, et vousasseure que je
» ne ferayjamais paL\ avec les ennemis de nostre saincte foy, et qu'ilz me peu-
» vent tenir pour formellement consacré à leur nuire de ce que Dieu a miz de
j puissance en moy, comme fit Hanibal s'en allant contre les Romains, d
Villegagnon à Charles IX. 26 décembre 1567.
(Bibl. nal. collect. Harlay, n. 318, P 179. — Append. aux mém. de CL Hatton,
t. II, p. H05, 1106.)
« Le s"" de Clayrmont s'est retiré à Préci, disant avoir saulve-garde de
» vostre Majesté et pardon de ses fautes, auprès duquel toutesfoys se retirent
» les ennemis, come s'il estoit non repentant de l'intelligence des Collignis. Il
» vous playra, sire, me fère entendre come j'auray à me maintenir avec lui.
» Il a prins, comme j'entens, en sa protection le s' de Choiuot et son chasteau,
» retraycte des brigands. Ceulx de Courtenay, de Chastillon et de Chasteau-
» Renard n'ont moindre commerce avec eulx qu'avec ung de voz principaux
» ennemis. D'aultre costé, nous avons Valeri, Dolot, Chevri, chasteaux occupez
» par le prince de Condé, pleins de brigands, qui sont continuellement à batre
^ et espier les chemins pour voler les passans, disantz estre en saulve-guarde
— 608 —
» de vostre Majesté; et pour endormir voz pauvres subjectz, portent croyx
» blanches en leurs manteaulx, jusques à l'approche de leur proye qu'ilz se
» descouvrent et monstrent leur casaque de huguenotz. Nous pourrions remé-
î dier à ces inconvéniens, si avions de bons souldars bien payez et bien
» vivans, etc., etc. »
30»
État de dépense pour la marine royale. 23 avril 1566.
(Bibl. nat. mss. f. fr. vol. 3;i97, f U.)
« Estât de la despense de la somme de seize mil vingt livres tournois, par
» nous ordonnée pour estre convertie et eraploiée au paiement des visamyraulx,
ï> de France, Picardie et Bretaigne, gentilzhommes, cappitaines, maistres,
» pillotles, canonniers, charpentiers, gardiens de vaissaulx, et autres officiers
» et pensionnaires ordinaires de nostre marine de Ponant, contenus en ce pré-
» sent estât pour leurs gaiges et appointemens, durant l'année commençant le
» premier jour de janvier, l'an mil cinq cens soixante six, et finissant le dernier
» jour de décembre prochain ensuivant, selon que iceux noz officiers et pen-
» sionnaires ont esté appointez et couchez en ce dict estât par nostre très cher
» et amé cousin le s'' de Chastillon, chevalier de nostre ordre et amyral de
» France, auquel nous en avons donné la totalle charge et superintendance, et
» voulons que les deniers revenans bons par mort, forfaicture ou aultrement
» des desuommez cy-après soyent payez et délivrez par nostre amé et féal con-
» seiller et trésorier-général de nostre extraordinaire de la guerre 31. Guil-
» laume Brochet, ainsy qu'il luy sera ordonné par nostre dit cousin l'amyral,
» auquel rapportant les ordonnances avec les quictances de celuy ou ceulx à qui
» lesdites sommes auront par luy esté ordonnées, nous voulons icelles estre
» passées et allouées es comptes dudit trésorier par nos amés et féaulx les
» gens de nos comptes à Paris, ausquelz nous mandons ainsi le faire sans
» difficulté.
« Et premièrement :
« Au s"" de La Meilleraye, chevalier de l'ordre et visamyral de
» France Cil 1 . ?..
« Au s"^ de Bonisse, chevalier de l'ordre et visamyral dey Bretaigne. Cil I. z.
« Au s"" de Sénarpont, aussi chevalier de l'ordre et visamyral
» de Picardie T \. z.
« Au s' de Fors, lieutenant général dudit s"" amyral en la coste
» de Caux r llir 1. z.
— 609 —
« Cappitaines. V
<i Au s^ de La Grippure IIII» 1. z
« Au s"" Saunes IIII' 1. z.
c Au cappitaine Jehan Ribault IIII» 1. z.
(Suivent les noms de 39 autres capitaines).
(Puis viennent les noms de 9 commissaires de l'artillerie et canonniers,
de 15 pilotes et maîtres de navires, de 10 écrivains, de 4 charpentiers, de 6
gardes de vaisseaux, et de 6 officiers) .
« Nous, Charles, par la grâce de Dieu, roy de France certiffions à nos amés
» et féaulx les gens de nos comptes à Paris, et aultres qu'il appartiendra, que
» nous avons ordonné et ordonnons la somme de seize mille vingt livres tour-
» nois cy-dessus mentionnée pour estre convertie et employée au paiement des
» officiers et pensionnaires de nostre dite marine de Ponant, desnommez en
» cest estât, pour leurs gaiges et appoinctemens durant l'année mil cinq cens
j soixante six, suyvant le département que il a esté faict par nostre dict cousin
» l'amyral de France, et voulons ladite somme estre baillée es mains de nostre
» trésorier général de l'extraordinaire de la guerre, maistre Guillaume Brochet
» et par luy payée aux dessus nommez par quartiers, en rapportant le présent
» estât signé de notre main, avec quictance des personnes y desnommées où elles
» cscherront, nous voulons les parties et sommes de deniers ainsy pai^ luy
» payées, baillées et délivrées estre passées et allouées es la dépense de ses
» comptes et rabattus des deniers de sa recepte et trésorerie par vous les gens
» de nos dits comptes, à Paris, ausquels nous mandons ainsy ce faire ; car tel
» est nostre plaisir, nonobstant quelconques ordonnances, arrêtés de comptes,
» mandemens et deffences à ce contraires.
« Faict à Ezray le XXIll^ jour d'avril, l'an 1566.
« Ainsi signé Charles, et au dessoubz, de L'Aubespine.
« Collation faictc par nous Edme Pyat et Hannetier, notaires et tabellions
» de Chaslillon-sur-Loing, à l'original de ces présentes, le dernier jour d'avril,
» l'an 1566. Pyat, Hannetier. >
31«
Requête des réformés.
(La Popelinièrc, hist. de Fr. ,li\. XII, f 20
« Au roy. — Sire, vos très humbles et très obéissans sujets et serviteurs,
» les premiers princes de vostre sang, seigneurs, gentilshommes et autres, qui
» vivent en ce royaume selon la pureté de l'Évangile, sous vostre obéissance,
"• 39
— 610 —
» vous remonstrent en toute humilité : que, combien que la vérité aye ceste force
)) et propriété de se faire assez paraistre de soy-mesme : que néantmoins ne
» pouvans plus porter qu'avec un extrême regret les calomnies et impostures
» que ceulx de la maison de Guyse, ennemis du bien et repos de ce royaulme,
» leur veulent par artifices et moyens industrieux mettre à sus les meschan-
■» cetez et sinistres opinions qu'ils taschent journellement d'imprimer en vostre
» esprit : que lesdils premiers princes de vostre sang, seigneurs, gentils-
» hommes et autres de la religion se soyent tant oubliez eux-mesmes et la
» générosité de leurs ancestres, et le devoir de fidélité qu'ils vous doyvent
» comme à leur souverain prince et seigneur naturel, que d'avoir voulu ou
» attenter à vostre personne, ou entreprendre sur vostre estât; craignans
» qu'avec le temps telles impressions prennent racine trop forte, et que leur
» trop longue patience et silence serve de preuve auxdits de Guyse et donne
» occasion au commun peuple, qui est de soy assez crédule, d'y adjousler quel-
» que foy, et à eux-mesmes, qui de tout temps sont assez mal affectionnez en
» leur endroit, à cause de la religion seulement dont ilz font profession : et
» desirans faire toucher au doigt et à l'œil, combien telles accusations sont
» eslongnées de toute apparence de vérité, et combien à bon droit on pourroit
» impropérer ausdits de Guyse lesdits crimes, si on veut examiner toutes leurs
» affections passées ; ont estimé lesdits premiers princes du sang, gentils-
» hommes et autres de la religion, qu'ilz ne pouvoient ny ne dévoient avoir
» recours à autre, après Dieu, qu'à vostre Majesté, pour luy en faire leurs
» justes plaintes et doléances et en avoir la l'éparation telle qu'ils en espèrent,
» et que le cas le semble bien requérir, laquelle ils supplient très humblement
» vouloir considérera quelle finpouvoit tendre la grande et soigneuse recerche
» que lesdits de Guyse ont fait faire de leur race et généalogie, par le moyen de
» laquelle ils ont voulu faire croire qu'ils estoient descendus du sang des légi-
» times rois de France, et la couronne usurpée sur leurs ancestres ; les droits
» par eux mis en avant, qu'ils prétendent sur les duché d'Anjou et comté de
» Provence; les troubles et divisions qu'ils ont mis en ce royaume et qu'ils
» nourrissent et entretiennent encore aujourd'huy, comme le seul et plus
» expédient moyen pour parvenir à leurs ambitieux desseins ; les fausses et
» calomnieuses impressions qu'ils donnent à vostre Majesté, de vos plus fidèles
» sujets et obéissans serviteurs, sous couleur et titre de la religion, qui n'ont
» jamais en aucune manière espargné ny leurs vies, ni leurs biens pour con-
» server vostre vie et vostre couronne contre leur tyrannie et violence. Et raes-
» raement es derniers troubles et qui ont mieux aimé supporter avec une pa-
» tience incroyable une infinité d'injures, oppressions et injustices, que d'estre
» veus s'eslongner tant peu que ce soit de l'obéyssance qu'ils doivent à vostre
» Majesté, espérant tousjours que le temps leur apporterait quelque soulage-
» ment de leurs maux; de façon qu'on peut juger aisément (si on se veut entiére-
» ment despouiller de toute passion particulière), que lesdits de Guyse ne peu-
» vent imputer à infidélité et desloyauté ausdits premiers princes, gentilhommes,
» et autres de la religion, sinon de s'estre opposez vertueusement à leurs perni-
» cieuses entreprinses. Ce qui doit estre prins et reconnu pour une loyauté et
» fidélité qui sera à jamais remarquée de toute la postérité, comme en ceste
-^ 611 —
» occasion qui s'offre aujourd'huy, lesdits de la religion et tous ceux qui sont
» tant soit peu affectionnez à la conservation de ceste couronne, mériteroient
» estre à bon droict taxés non seulement d'infidélité mais de trahison et las-
» cheté trop grande, si de tous les moyens qu'il plaira à Dieu leur donner ils
» ne repoussoyent encores avec une mesme vertu et constance les nouvelles
» entreprinses desdits de Guyse naguéres basties par les menées et pratiques
» du cardinal de Lorraine et par le moyen de l'intelligence qu'il a avec les
» estrangers, qui ne peut tendre qu'à la subversion et ruine totale de cest estât.
» Et par ce moyen lesdites accusations n'ayant aucun fondement ni couleur de
» vérité, et n'ayant esté forgées et mises en avant par lesdits accusateurs que
» pour rétorquer sur vos plus fidèles serviteurs les crimes dont, à bonne et
» juste cause, on les peut dire eux mesmes estre suffisamment atteints et con-
» vaincus; il plaise à vostre Majesté ordonner en estre fait une rigoureuse et
» exemplaire punition, et telle que lesdits premiers princes, seigneurs, gentils-
« hommes et autres de la religion mériteroyent bien, si l'accusation proposée
» par lesdits de Guyse à l'encontre d'eux estoit véritable. Et d'autant que les-
» dits de Guyse ne laisseront rien en arrière pour calomnier et faire trouver
» mauvais que lesdits princes, seigneurs et gentilshommes de la religion soyent
» venus trouver vostre dite Majesté avec armes, pour ce qu'il semble que ce
» n'est la façon en laquelle le sujet doive venir trouver son prince; ils vous
» supplient très humblement vouloir considérer, qu'estant déjà tenus comme
» coulpables des crimes à eux imposés par lesdits de Guyse, et estant vostre
» Majesté par leurs persuasions entrée en une manifeste défiance d'eux, et s'es-
» tant, pour ceste cause, armée des forces estrangères, combien qu'elles eussent
» esté mandées sous autre couleur, et ayans aussi esté tenus trois conseils, tant
» à Marchaix qu'à Montceaux pour se saisir des personnes desdits premiers
» princes et autres principaux seigneurs de la religion, et vostre Majesté na-
» guères encore sollicitée et sommée d'entretenir la promesse par vous de
« longtemps faite au roy d'Espagne de vous saisir desdits principaux de la reli-
» gion et exterminer tous ceux qui en font profession ; il ne leur pouvait rester
» autre moyen de leur accez en ce lieu, sans encourir un danger et péril éminent
» de leurs personnes, qu'avec les armes : desquelles ils protestent, devant vostre
» Majesté comme devant Dieu, qu'ils n'ont jamais eu autre volonté d'user
» comme encore ils n'ont, que pour le bien de vostre service et la conservation
» et maintien de vostre grandeur et couronne, de la royne vostre mère, de
» messeigneurs vos frères et de tous ceux qui vous appartiennent; et quinedé-
» généreront jamais de la vertu de leurs ancestres, la fidélité desquels a fait
» remarquer de toute ancienneté, la nation française entre toutes les autres
■» comme la plus loyale et fidèle à son prince. »
— 042
32"
Demandes des réformés.
(La Popelinière, hist. de Fr., liv. XII, fo 21.)
» Après que M. le chancelier eut leu, hier, troisième de ce mois, en présence
» de M. le prince de Condé et des seigneurs et autres gentilzhommes qu'il a
» assemblez, les lettres patentes qu'il a pieu au roy leur envoyer, par les-
» quelles il n'estoit satisfaict aux points contenus en la requeste par eux
» cy-devant adressée à Sa Majesté, ledit seigneur chancelier Itur fit entendre
» que Sa Majesté trouveroit bon, s'ils avoient autre chose à requérir ou re-
» monstrer davantage, pour lever les armes et restablir le repos public en ce
» royaume, qu'ils eussent à le déclarer, pour y eslre pourveu, ainsi que Sa
» Majesté trouveroit convenable. Qui est cause que ledit seigneur prince et
» ceux de sa compagnie n'ont voulu faillir de luy remonstrer en toute humilité
» ce qui s'en suit. — Premièrement, parce que la source et seule cause de ce
» que les armes ont esté uaguères prinses en ce royaume est provenue du'soup-
» çon et déliance qu'aucuns malins estans près de Sa Majesté, par calomnies el
î impostures luy ont engendrée et imprimée, et qu'il a demonstré avoir de tous
» ses sujets vivans en ce royaume selon la pureté de l'Évangile, et conséquem-
y> ment de la nécessité en quoy ils se sont trouvés réduits, de conserver la
» liberté de leurs consciences, leurs vies et biens, contre lea^desseins, enlre-
> prises et préparatifs des forces qu'ils ont veues dressées contre eux. — A
» ceste cause, ils supplient très humblement Sa Majesté vouloir considérer
» qu'il n'y a autre meilleur expédient ne plus certain remède pour remettre et
■» réduire toutes choses en bon estât et ce royaume en sa première splendeur
» et tranquillité que faire paroistre à ses dits sujets qu'il est asseuré de leur
» fidélité et loyauté, et qu'il a osté telles défiances. Ce qui ne se peut mieux
» faire qu'en ne tenant aucunes forces estrangères et extraordinaires près de sa
» personne, non plus que les roys ses prédécesseurs ont fait : pour incontinent
» après commander audit seigneur prince et sa compagnie de le venir trouver
» pour luy baiser les mains et les tenir près de sa personne comme ses autres
» sujets, afin de lever non seulement toute occasion de défiance, mais aussi
» toute mauvaise opinion et note d'infamie, qui autrement en plusieurs lieux
)> leur pourroit demeurer, de laquelle plustost que n'estre par tels moyens des-
» chargez et reconnus pour telz qu'ils sont, c'est à sçavoir bons et fiièles
» sujets de Sa Majesté, ils sont tous résolus de mourir. Et d'autant donc que
» telle défiance, et conséquerament la prinse des armes sont procédées de la
» malignité et suggestion de ceux de Guyse et autres leurs adhérens. enne-
— 613 —
» mis invétérés de ceste cause et du repos public, et que par leurs calomnies
» et fausses accusations ledit seigneur prince et si grand nombre de noblesse
» sont grandement outragez en leur honneur et loyauté, suppliant très humble-
» ment Sa Majesté de leur en faire réparation, et qu'il leur soit satisfait,
» attendu qu'il n'y a aucun bon fondement de vérilé en leurs accusations, et
» que Sa Majesté a peu évidemment juger et connoistre que ledit seigneur
» prince et ceux de sa compagnie n'ont jamais eu aucune mauvaise volonté ne
» entreprise contre sa personne ou son estât, ains que la seule cause et néces-
» site les a contraints de prendre les armes pour se conserver : puis qu^'lyans
» moyens de s'assembler si promptement, comme ils ont démonstré, ilz ne
» l'ont fait que lorsqu'il y a eu forces estrangères en ce royaume, et non pas
» quand ils ont eu depuis quatre ou cinq ans moyen et occasion de pouvoir
» exécuter sans nulle difficulté un mauvais dessein, s'ils l'eussent eu. Et parce
» que le motif de toutes les divisions et animositez qui se nourrissent entre les
» sujets de Sa Majesté, à cause de la religion, vient principalement des déclara-
» tions, interprétations, restrictions et modifications faictes sur l'édict de paci-
» fication, au moyen desquelles les malins, sous prétexte de zèle de religion,
> taschent par tous moyens de le desnuer et retrancher, tellement qu'il ne luy
» demeure que le seul nom ; et en outre se nourrissent tousjours en ime espé-
» rance de pouvoir par recerche de contraventions ausdites déclarations, rendre
» coulpables tous ceux de la religion réformée, pour par après non seulement
» avoir occasion de les priver du bénéfice dudict édict, mais aussi d'entreprendre
» sur eux et les ruiner. Ledit seigneur prince et ceux de sa compagnie supplient
» très humblement Sa Majesté, pour couper du tout cy-après chemin à telles re-
» cherches et semences de troubles, vouloir permettre l'exercice de ladite reli-
» gion libre, sans distinction ou limitation des lieux ou personnes, ainsi que
)) l'empereur Charles, après les guerres qu'il avait eues contre ceux de la
•» Germanie, trouva bon leur accorder, encores qu'il fùst demeuré victorieux et
» qu'il tinst les principaux princes et chefs en sa puissance ; ce qui depuis y a
» causé et entretenu un bon repos, lequel y dure encores à présent. Et d'autant
» aussi que ce qui mescontente la noblesse de ce royaume, est de veoir les
» charges, honneurs et faveurs départis à personnes indignes, et ceux qui sont
» de basse condition eslre les plus proches de la personne de Sa Majesté, ou
» s'ils sont de la qualité de noblesse, n'avoir aucune expérience des armes
» et n'en avoir fait profession, indignes de la grandeur d'un si grand roy.
j Partant, ledit seigneur prince, les officiers de la couronne, seigneurs et
> gentilzhommes qui sont en sa compagnie, remonstrent en toute humilité à Sa
> Majesté que, pour le bien de ses affaires et de son service et pour sa gran-
» deur, il sera ti'ès requis de départir les charges et honneurs selon les ver-
î tus et mérites, et d'approcher de sa personne ceux qui en sont dignes ; pa-
î reillement ordonner que les officiers de la couronne et autres seigneurs qui
» ont les charges et en sont capables, les puissent faire sans qu'aucun s'avance
> d'entreprendre sur icelles. Par mesme moyen, d'autant que ce qui altère
» généralement les cœurs des sujets est le mespris de faveur et inégalité dont
» on leur use : qu'il plaise à Sa Majesté, pour ne les bigarrer, et afin de les
» réunir tous ensemble et rendre ceux de ladite religion contens et hors de
— 614 —
> désir pour jamais de changement et nouveauté, les traiter également en la
» promotion aux degrez, estats et honneurs, selon leur capacité, sans distinc-
»■ tion de religion. Et lors tous soupçons et défiances cesseront, sans qu'il
» reste plus à un chacun, sinon de vivre selon les règles de sa religion et
» s'employer à qui mieux pour le service de Sa Majesté. Finalement, parce
» que, de toutes parts, les estats de ce royaume généralement, et mesme le
ï poure peuple se lamente et deut griefvement d'estre oppressé et accablé de
» charges sur charges, nouvelles impositions, subsides et tributs insupportables,
» qui se lèvent et augmentent de jour à autre, sans aucune nécessité de guerres
» et affaires, ni occasion raisonnable de dépense, ains par l'invention et ava-
» rice d'aucuns estrangers et mesme des Italiens, au moyen du crédit et faveur
» ([u'ils ont en ce royaume, le tout au grand préjudice de la noblesse, qui
» avoit de tout temps accoustumé d'estre exempte de telles impositions et
» charges, lesquelles retombent principalement sur elle, sans qu'il tourne à
» l'acquit du roy ny à son profit, mais seulement d'aucuns particuliers estans
» auprès de sa personne, et mesmes des gens de basse qualité, lesquels,
» comme sang-sues tirans la substance d'ung chascun, se sont en peu de
» temps enrichis avec une opulence et abondance si excessive, que telles
» richesse ne peuvent estre sinon très suspectes, et faire croire qu'ils tiennent
» la main à tels forgeurs de daces, pour en tirer quelques immenses présens ou
» pour avoir grand'part au butin. Aceste cause, ledit seigneur prince seigneurs
» et gentilshommes de sa compagnie remonstrent et requièrent très humblement
» à sa majesté de vouloir retourner ses yeux de pitié, et desboucher ses
» oreilles aux cris et doléances de son povre peuple, pour le soulager d'un si
j pesant fardeau, ensemble sa noblesse qui s'en sent grandement chargée, le
» faisant jouir des franchises et exemptions accoustumées, du temps des roys
» ses prédécesseurs. — Et à ce que ceste remonslrance soit bien entendue et
» considérée et qu'on puisse juger de quel .poids et conséquence elle est, afin
» aussi que Sa Majesté soit bien esclaircie de la vérité et s'il y a en cela de
» la passion particulière et d'oîi elle procède, ledit seigneur prince, seigneurs
» et gentilshommes de sa compagnie supplient très humblement Sa Majesté de
» vouloir faire pour cest effect une libre convocation des estats de son royaume,
» selon les loix, ordres et coustumes anciennes, comme autrefois et souvent a
» esté faict en pareil cas, procédant de moindre occasion : à ce que, par com-
» munavis, quelque bon ordre et règlement puisse estre donné à tant de maux
» et misères, par un remède convenable, et l'avarice et prodigalité bridée, et
» les mains retenues de ceux qui dévorent et dissipent la substance du roy
» et de son peuple. »
615 —
33».
Requête des réformés.
(La Popelinière, hist. de Fr., liv. XII, f» 23).
« Au Roy. — Sire; après que par plusieurs lesmoignages et preuves bien
> vériffiées et suffisantes, nous avons esté infailliblement avertis et informés des
» menaces, délibérations et résolutions d'abolir le ministère et exercice de la
» religion réformée et d'exterminer ou chasser hors vostre royaume tous ceux
» qui en font profession, ensemble des préparatifs des forces dressées contre
» nous pour cest effest : nous nous sommes lors trouvez réduits en telle cxtré-
» mité, que nous avons esté forcez, contre nostre volonté, de nous assembler,
3» et avec un incroyable regret et desplaisir nous résoudre, selon la loy et de-
» voir de nature, de défendre etconservernos vies, nosbiens et mesme laliberté
» de nos consciences : nous estans armez seulement pour notre seureté contre
» nos ennemis estant auprès de vostre personne, lesquels autrement ne nous
» eussent donné seur accez à Vostre Majesté, vers laquelle nous sommes ache-
» minez, non en autre intention que pour l'esclaircir des calomnies et impo-
» stures de nos dits ennemis, et remonstrer le mal, ruine et désolation que
» pouvait apporter un si cruel et pernicieux conseil, lequel nous sçavons ne
» pouvoir procéder de vostre aage et naturel, et estre du tout eslongné de la
» clémence et bonté accoustumée de Vostre Majesté, laquelle, sur toutes choses,
» nous supplions, à jointes mains et au nom de Dieu, d'autant que la pre-
» raière reconnoissance et obéissance luy est due, nous vouloir permettre de
» le servir et invoquer librement et en public, selon la pureté de son évangile,
» sans distinction de lieux ou personnes : ostant les interprétations et restric-
» tions à vostre esdict de pacification, desquelles la malignité et passion de nos
» dits ennemis s'est servie pour nous faire i*etomber aux troubles présens, et
» cy-après s'en pourroient servir : sans laquelle liberté et service de Dieu nous
î ne pouvons vivre, et sommes tous résolus de mourir. Ensemble, Sire,
» qu'il plaise à Vostre Majesté, vous monstrant tel à l'endroict de vos sujets,
» comme au vostre Dieu s'est monstre favorable, vous eslevant par-dessus tous
» pour estre aimé, servi et honoré, nous octroyer seureté et assurance de
» nos personnes et biens : à ce qu'un chacun de nous faisant son estât et ce
» qui est de sa vocation, selon son degré et qualité, ne pensions qu'à vous
» rendre l'obéissance qui, après Dieu, vous est deue, souveraine et seule : et
» nous employer entièrement pour le service de Vostre Majesté, avec telle fidé-
> lité, loyauté et subjection, que bons et naturels sujets doivent. Et d'autant.
— 616 —
» Sire, qu'estant nez vos subjects, nous sommes obligez de désirer et procurer,
ï autant qu'il nous est possible, la conservation et seur restablissement de
» vostre estât : voyans le malcontcntemont de plusieurs et mesme du peuple, à
» cause des surcharges et nouvelles impositions qui s'eslèvent sans qu'elles
» tournent à vostre profit, et que la bienveillance de vos sujets est l'appui et
» soustèneraent de vostre couronne; nous avons par mesme moïen supplié
•» Vostre Majesté, Sire, comme par forme d'avis et remonstrance seulement, de
» vouloir jeter vos yeux de pitié sur vostre poure peuple pour le soulager; et
» à ce que Vostre Majesté cougnoisse d'où procède le mal, de vouloir, pour ce
» regard, faire, si bon vous semble, une libre convocation des estats de vostre
» royaume : qui est un moyen et remède duquel les roys vos prédécesseurs,
» estansen leur plus meur aage, se sont servis avec moindre occasion, tant
» pour contenter leurs sujets que pour de plus en plus establir leur estât; ce qui
» est tourné tellement à leur louange, que mesraes aucuns d'eux en ont esté ap-
» pelés sages, et les autres pères du peuple. — Au demeurant,' Sire, nous
» protestons tous devant Dieu et ses anges, que jamais ne nous est tombé au
» cœur ni en la pensée d'attenter aucunement contre vostre personne ou contre
» vostre estât, duquel nous désirons, autant qu'autres de vos sujets, l'accroisse-
» ment et prospérité, ny de la royne vostre mère, ny de messeigneurs vos
» frères, ausquels nous n'avons autre désir que de rendre l'obéissance à laquelle
» Dieu et notre devoir nous oblige ; et que nous ne nous sommes assemblez
» que par nécessité et contrainte des entreprises de nos ennemis, estans tousjours
» prests, avec la liberté du service de Dieu et nostre seureté, de sacrifier nos
» personnes et nos biens pour vostre service, partout où il plaira à Vostre
» Majesté nous commander; la suppliant très humblement de vouloir, selon sa
» bonté naturelle, prendre en bonne part et nous accorder la supplication et
» requeste présentée, laquelle avec nous un si grand nombre de noblesse et de
» personnes de tous estats vous présentent avec toute humilité, et vous servir
•» de nos personnes et biens, sans ajouter foy aux pernicieux conseils de nos
» dits ennemis et les vostres ; qui pour satisfaire à leur passion, ne se donnent
» peine du danger de ruine inévitable auquel vostre royaume est sur le point de
» tomber, pourveu que la nostre y soit conjointe; lequel nous supplions nostre
> seigneur Jésus vouloir conserver, ensemble Vostre Majesté, avec continuel ac-
> croissement de grandeur et prospérité. »
Si-
Protestation de l'électeur palatin Frédéric III et du duc Casimir, son fils, en date
du 6 décembre 1567.
(Bibl. nat. mss. f. fr. vol. G 619 fos 189 â 198).
« Le s' Jehan, Achilles Ilsung, conseiller de la Majesté Impériale, nostre
— 617 —
» souverain seigneur, ayant esté envoyé en ambassade de par Sa Majesté devers
» les illustrissimes et illustres princes le comte palatin Frédéric, Électeur, et
> son aymé fds le duc Jehan Casimir, comte palatin, touchant le dessaing que
> ledit duc Jehan Casimir avoit d'aller en la guerre en France, après avoir faict
» sa relation et dict de bouche ce qui luy avoit esté commandé de leur dire de
> la part de Sa Majesté, lem* a présenté toute sa charge en escript, ensemble
» des lectres de créance lesquelles lesdicts princes les ayant reçues et ouvriz
j avec la révérence deue, eu ont suffisamment entendu les contenuz.
> Sur quoy, premièrement, ils en remercient très-humblement Sa Majesté
s des gracieuses et aimables salutations soubhaistans très humblement à Sa
» Majesté et à tous les siens, avec un gouvernement bienheureux, salut et féli-
» cité temporelle et perpétuelle.
» Et quant à l'article principal et la charge dudit ambassadeur, ledit sieur
» Électeur n'est pas ignare de quoy Sa Majesté luy a escript du neuvième du moys
» passé de novembre, en luy faisant souvenance des aultres troubles de France,
> et davantage de ce que un prétendu ambassadeur du roy de France, nommé
» Laners, en avoit faict entendre et puis après sollicité auprès de Sa dicte Ma-
B jesté, suyvant lesquelles lectres ledict sieur Électeur n'eust pas voulu faillir
> d'en envoyer incontinent la response à Sa Majesté, si ne fust advenu
» qu'au mesme temps quand ledit sieur Electeur reçeutlesdictes lectres de Sa
» Majesté, y arrivèrent deux ambassadeurs, l'un de la part du roy, et l'autre du
> prince de Condé, desquels, en y séjournant, ledict sieur Électeur espérait de
> savoir toutes choses, ensemble la qualité des affaires et troubles modernes
» en France, d'une et d'autre part, pour en mander les nouvelles tant plus
» asseurées à Sa Majesté, espérant que pour icelle raison il seroit excusé
» sans tomber en aulcune mauvaise grâce de Sa Majesté s'il auroil retardé et
» détenu la responce un peu plus qu'à luy ne convenoit.
» Or, c'est que naguères sont arrivés devers ledict sieur Électeur, trois am-
» bassadeurs se référant tous sur et au nom de la couronne de France; le pre-
» mier, le dessus nommé Laners, lequel toutefois se nommoit devant le sieur
» Électeur de la Lignerol, qu'est le mesme qui entreprint, aux troubles passés,
» d'amener monsieur, frère du roy, avec luy, sur lequel faict ilfulprins etdé-
» tenu quelque temps en prison ; le second, l'évesque de Rennes, lequel est
> fort proche parent de ceulx qui conduisent ceste affaire en France; le troi-
» sième, de Lansacq, lesquels lui ont déclairé le tumulte et sédition qu'est
» présentement en France, et quasi de la sorte mesme comme Sa Majesté en a
» escript audict sieur Électeur. Mais ledit sieur Électeur voyant leurs rel.i-
> tiens, et spécialement de Lignerol ou Laners et aussi de l'évesque de Rennes
> avec sa lectre de créance et leur façon de dire tant différentz, suspectz et
» aulcunement contraires à la vérité et pleins de farderie sans aulcun fonde-
» ment, ne leur a voulu adjouster aulcune foy, ains estant bien informé, en a
» trouvé tout au contraire.
» A sçavoir qu'aulcuns qu'ont esté cause principale des troubles passés en
> France en s'abusant du nom et tiltre du jeune roy, ont taché d'exterminer
» entièrement nostre vraye religion chrestienne, pour la continuation de la-
» quelle entreprinse ont recommencé et extrêmement travaillé non seulement
- 618 —
» pour faire casser et annuler par toute la France l'édict de la pacification
» ayant esté par le moyen, ayde et consentement de tous estatz érigé, accepté
» et publié, et pour mectre en l'exécution et effect le concile de Trente; mais
» aussi par l'incitation d'aulcunscardinaulx, comme celuy de Lorraine et aultres,
» pour prendre le prince de Condé, l'admirai et aultres seigneurs en leurs
» maisons, afin de les exécuter, et pour continuer par ainsy en la persécu-
î tion et extirpation de nostre vraye religion chrestienne, comme l'on en a
» eu quelque advertissement venant du conseil qu'a esté tenu en France,
» le 8^ de septembre; et aussy d'ailleurs, joinct que l'exemple et expérience
» du meurdre de beaucoup de chrestiens tués et deschassés en diverses na-
» tiens, ensemble la perturbation moderne de l'église de France nousle déclai»
» rent, avec beaucoup d'aultres circonstances plus amplement.
» C'est l'occasion pour laquelle ledict prince de Condé, l'admirai et leurs
» parens et alliés, ensemble les principaulx officiers et estatz de la couronne,
» ont esté contrainctz de prendre les armes et suyvant la loy de nature, de se
» mectre en défense contre ceulx qui se sont déclairés leurs adversaires, s'a-
» busant à leur advantage du nom du jeune roy tout au contraire de l'édict, non
» tant seulement pour la conservation de l'édict de la pacification du royaulme,
î la sauvegarde de leurs personnes, l'assurance et défense de beaucoup des
» innocents christiens, leurs corps, sang et biens, mais aussi pour la protection
» du roy et de son royaulme auquel ces troubles menacent, si l'on n'y pré-
» voyoit, entière destruction et perturbation.
» Et combien que ledit comte palatin n'a pas voulu, au commencement du
» tout adjouster foy à ces choses, c'est néanmoins qu'il s'est souvenu de ce qu'a
» esté passé en cas pareil en Frémce, aux premiers troubles, soubz le tiltre de
» la rébellion contre le jeune roy, là oîi toutesfois l'on a trouvé aultres choses;
» en effect et par espéciale opération et pi'ovidence de nostre seigneur Dieu, a
» esté lors remédié et gardé d'une grande effusion et bain de sang,
» Sur quoy le prince de Condé, l'admirai et des aultres se sont déclairés
» audit comte palatin et l'ont fait entendre l'entreprinse à rencontre d'eulx, et
5) en quel danger ilz sont avec beaucoup des chrestiens de France, sur cela
» asseurant qu'ilz n'estoient délibérez d'accorder ou passer aultres choses,
» sinon les contenuz de l'édict de pacification, dont ledict comte palatin n'a
» sçeu avoir aulcune maulvaise appréhension ou opinion du prince de Condé ny
» aultres grands seigneurs desquels, comme dict est, aulcuns sont du sang
D royal et pourveuz des plus grands estats, personnes honorables et de bonne
î conversation et vie, que ceulx-là aient jamais pensé à aulcune rébellion,
» moins tâché de prendre les armes contre leur propre parent, un jeune et
» innocent seigneur et roy. Tout ainsi comme ledict Électeur en a mesmement
» escript au roy, luy mandant qu'il ne désiroit et ne souhaitoit aultre chose à
T> Sa Majesté, sinon tranquillité et repos de son royaulme, et que les choses
» demeurassent d'un costé. et d'aultre paisibles selon l'édict de la pacification ;
» et, en s'excusant devers Sa Majesté, s'asseure bien que ces troubles et
» tumultes ne s'élèvent pas entre le jeune innocent roy et ses vassaulx, mais
» plus tost entre lesdicts vassaulx et le cardinal de Lorraine et ses adhérons,
» lesquels, aux aultres troubles, ont semblablement tasché, suyvant en cela
— 619 —
» leurs patentes et par eulx publiées, d'extirper et de suffoquer entièrement
» tous ceulx qui sont de l'Evangile et de la vraye religion christiene. De quoy
» ceulx du costé du prince de Condé en avoient présenté requeste au roy et à
î la reyne mère, en protestant publiquement devant Dieu et tout le monde.
s Davantage lodict comte palatin et son fils Casimir n'ont pas voulu faillir,
» pour mieulx déclarer les affaires, d'advertir Sa Majesté que quand le dernier
» ambassadeur du roy, nommé Lansacq, a esté en ce lieu et trouvé un arabas-
» sadeur du prince de Condé son proche parent, avec lequel il désiroit de
» parler en présence dudit Electeur et de son fils Casimir, là où enfin s'est
» trouvé que Icdict Lansacq n'eust point sçeu respondre ny remontrer à
» l'auUre avec aulcun fondement ou raison pour imputer ce détestable vice de
» rébellion au prince de Condé; ains ledict ambassadeur du roy, mesme en-
» semble beaucoup d'aultres, ayant la cognoissance des affaires, ont esté con-
» vaincus de confesser el dire que la cause de ceste guerre en France venoit
» de nul aullra que du cardinal de Lorraine, lequel, pour exterminer et persé-
» cuter misérablement les pauvres christiens par toute la France, avoit bien
» fort travaillé de faire fondre beaucoup d'ornementz des églises et en faire
» forger de l'argent afin d'en lever, au nom du roy, des gens de guerre à cheval
î et de pied pour la guerre advenir.
» .loinct que ledict Electeur a esté asseurément adverty que ledict cardinal
î mesmement avoit parié à des bannys de l'empire et fugitifs en France, leur
» demandant si ne vouldroient pas servir à cette affaire.
» Semblablement ont esté monstrées audict Électeur non seulement lectres
» contenant que le roy mande aux quelques coronels qu'ilz ne facent aulcunc
ï levée des gens pour son service jusqu'à ce qu'ilz recevront aultres nouvelles
» et mandement de la dicte Majesté ; mais aussi l'Électeur a secrètement en-
» tendu des gens d'apparence et de creue qu'aulcuns princes de plus proches
» du sang ont reçu l'advertissement de Sa Majesté et de la royne mère, alors
» que le cardinal sollicita et institua ceste guerre, qu'ils ne fissent aulcun sem-
ï blantet qu'ils, comme neutres, en attendissent la fin.
» Avec cela ledict Électeur ne veult aussi faillir d'advertir Sa Majesté davan-
» tage que ledict ambassadeur de Lansacq le pria bien fort de vouloir dépes-
» cher l'un ou plusieurs de son Conseil devers Sa Majesté, en France, pour
» faire entendre à sadicte Majesté que puisqu'ainsi soit que l'on ne pouvoit, les
» reistres et gens de pied déjà levés et admassés, casser et renvoyer sans
» grands frais et intérest de l'empire et des estats, qu'il plust à sadicte Majesté
■» de permettre audict duc Casimir de le laisser passer avec ses gens, en con-
î sidération que Sa Majesté s'en pouvoit servir, n'estajit pas trop asseuré ny
> d'un ny d'aultre costé, ce qu'a esté ainsy déclaré à Sa Majesté.
» Et par ainsi Sa Majesté considérant les choses dessus dictes pourra faci-
» lement entendre que les affaires de France, quant aux troubles présens, se
» portent bien aultrement et au contraire de ce que Lignerol, lequel se nomma
> devant Sa Majesté et en plusieurs lieux aultrement Laners, a faict faulse-
» ment accroire à sa dicte Majesté, de sorte que ce ne doibve point estre im-
» puté ou imposé au prince de Condé et à ses adhérons comme une rébellion
» ou sédition, mais plustost comme une défense nécessaire et permise de la
- 020 -
» nature pour sa propre personne et plusieurs mil christiens, pour le roy
» mesme et sa couronne contre les dessus dicts leurs adversaires. Et ledict
» Électeur s'asseure bien que si Sa Majesté eùst plustost entendu ceste infor-
» mation véritable et ouï, comme de raison, ceulx de la part du prince de
» Condé, que ledict Laners, lequel a faict accroire à d'aultres princes comme
» s'il eust esté envoyé de la part du duc d'Albe et dict beaucoup de contra-
» riétez, n'eust pas si facilement esmeu Sa Majesté d'envoyer les advertisse-
» mens et mandemens audict Électenr, et ce quand concerne la cause princi-
» pale.
» Mais touchant ce que Sa Majesté mande davantage avoir entendu qu'il se
» faisoit amas de grand nombre et plusieurs mil chevaulx avec le consente-
> ment et ayde dudict Électeur pour les mener au prince de Condé et ses
» comploiclz, item que son fds le duc Jehan Casimir en seroit le coronel, et
» aussi l'advertissement et discours que Sa Majesté en a fait audict Électeur
T> en luy proposant devant les yeux la mauvaise réputation, diminution de sa
» grandeur, reproches et dangers qu'en despendoient si ces choses ainsi entre-
» prinses contre la constitution de la paix publique sans congé et sans aulcunes
» lectres patentes de Sa Majesté se mecteroient en exécution.
» Sur cela ledit Electeur faict response que son fils le duc Casimir depuis
» peu de temps luy avoit donné à entendre comment qu'il auroit esté plusieurs
» fois requis et prié non seulement des princes du sang royal mais aussi de la
» plus grande partie de la noblesse de France et de toute sorte des estats et
» personnages aymant l'honneur et la paix, que si en cas fortuit il advient qu'au
» temps advenir, par l'incitation des ennemys du repos publicq eulx et beau.
» coup d'aultres christiens dépendant de la vraye rehgion feussent par violence
» et force pressés oultre et contre l'édict du roy touchant la pacification, et que
» le royaume de France tombast derechef en danger d'une misérable ruine et
» destruction, qu'il plùst audit duc Casimir, pour la conservation de ladicte pa-
» cification, pour la réputation du jeune roy et aussy pour l'empeschement de
» la misérable effusion de sang de plusieurs mil innocents christiens, de leur
» vouloir secourir de forte main avec quelques mil chevaux et autres gens de
» guerre. Ce que ledict duc Casimir îiyant esté quelque espace de temps
» nourry en France et y reçu beaucoup de gracieusetés et honneur, ne l'a pas
i voulu refuser pourle biendeSaMajesté et de ses subjectz. Ainsy ledict duc Ca-
» simir auroit prié l'Électeur son père de ne luy point vouloir refuser un tel
» voyage tant christien et honorable, ains plus tost d'une affection paternelle
» à son fils et jeune prince luy le vouloir accorder pour s'expérimenter et veoir
» quelques choses.
» Et combien que l'Électeur n'en a rien sçeu au commencement de telle
j promesse de son fils, tellement que quand il a esté adverty desdicts troubles
» en a reçeu grande perturbation et fascherie à son esperit ne désirant d'en
» tendre auhre chose sinon que l'on y remédiat de bonne heure, de sorte que
» ledictÉlecteur ayant esté requis des quelques circonvoisins princes du Uhin,
» amateurs de la paix et repos publicq et comme les plus proches voisins de
» ces troubles pour se trouver personnellement ou par leur commises con-
» seilliers à un certain lieu convenable à consulter de ces choses et temps
— 6^21 —
» périlleux, et par quel moyen et advis non seulement de Sa Majesté mais aussi
» des Électeurs et princes du Saint Empire ce feu allumé se pourroit entière-
» ment esteindre moyennant une paix, ferme, stable et asseurance de toute la
» christienté. C'est néantmoins que ledict Électeur, nonobstant sa bonne volonté
» et adhortations n'en a jamais sçeu parvenir à l'exécution de ces désirs,
* d'aultant que plusieurs estimoient une telle assemblée plus superflue que
» nécessaire.
» Cependant veu que les affaires de France se continuaient de pis en pis, le
» duc Casimir pria ledict Électeur, son père, Immblemement qu'il luy pleust
j de luy donner congé de satisfaire à sa promesse, laquelle il avoit faict tant
» seulement pour l'advancement et augmentation de l'honneur de Dieu et de
» sa saincte parolle, soulagement de beaucoup et plusieurs mil innocents
y> christiens, pressés aussy et principalement pour le bien et prouffict du roy
» innocent et de sa coronne, sans qu'il en prétendoit aulcune richesse d'or, ar-
» gent, biens, terres, gloire vaine ou proufict. Et d'aultant que ledict Électeur
» du passé et de longtemps à la requestc de son dict fdz luy avoit promis et
» accordé que s'il se présenloit aulcune guerre christienne et honorable, qu'il
» ne fauldroit de luy donner son congé d'y aller, veu que ceste entreprinse du
» prince de Condé et de ses adhérons n'est pas contre, ains pour Sa Majesté et
» la conservation de son royaulme, ensemble la pacification, défense et soula-
» gement des christiens pressés permise justement et de la loi de nature.
» Et puisqu'il est permis à ceulx qui tâchent d'exterminer en France la
» vraye religion de lever publiquement et sans aulcun empeschement des gens
» de guerre au Saint Empire, à ceste occasion, les aultres et ceulx qui voul-
» droient volontiers soubstenir les christiens suppressés comme leur vray
y> commembre en l'édict de la pacification, ont d'aultant moins d'espérance de
)) secours de ce costé, joinct que dernièrement, à l'assemblée des Électeurs, au
» cercle du Rhin, qu'a été tenue à Bingen, il fut arresté et conclud qu'il seroit
» permis au roy de faire amas des gens de guerre en ce quartier pour le ser-
» vice de Sa Majesté.
» Au surplus, aux troubles passés, l'an 156!2, il a esté permis des Électeurs
» cl princes, en cas semblable, d'envoyer secours et ayde au prince de Condé
» et aultres christiens suppressés, par le moyen de laquelle ayde ilz ont tant
» fait que les choses sont parvenues au repos et pacification louable, ayant par
j ce mesme moyen contregardé et sauvé une bien fort grande effusion de
» sang des innocents, laquelle eifusion pourroit encores pour le présent estre
» prévenue, si les choses pouvoient demeurer en leur entier et comme elles
» ont esté passées, ou si l'on moyennoit la grâce et ayde de Dieu n'y préveoir
y> de bonne heure.
■>> Et d'aultant que, ausdicts troubles, le secours qui vient du Saint Empire
» pour le prince de Condé n'a esté tombé pour ce fait en aulcun inconvénient
» ou ofifencé la paix publique et les constitutions d'icelle, c'est la raison pour
ï laquelle ledict. Électeur a faict moins de difficulté de donner le congé à son
» aymé fils pour s'en aller à la guerre; joinct îiussy qu'il n'eût sceu prétendre
» en cela aulcune raison juste de refus.
» Toutesfois, en ceste manière et condition que, quand ledit duc Casimir
- 622 —
» mèneroit ses reistres et geus de guerre en France, que cela ne se feroit
» aultrement synon suivant le contenu des constitutions impériales et le reçès
» mesme de la paix publique pour la levée, passage et leur retour et qu'en sa
» capitulation, Sa Majesté, le Saint Empire, les Estats et membres d'iceluy se-
» roient préservés et saulves, dont ledict duc Casimir seroit tenu de s'obliger
» de tout cela et des promesses qu'il en feroit audict Électeur son père, comme
» le premier et chief des Électeurs au cercle du Rhin ; ce qu'a esté ainsi faic-
» et suyvant lesdictes ordonnances des constitutions ledict duc Casimir en a adt
» verty tous les princes circonvoisins aux pays desquels il attendoit des gens de
» guerre, au moyen de quoyil a obtenu et a esté favorisé du passage et aultres
» commodités de tout costé, comme ledict Électeur en a mandé plus amplement
» toutes les nouvelles à la Majesté Impériale par ses lettres de la date du
» 17" de novembre lesquelles il espère que Sa Majesté aura reçeu.
» Et puisque les affaires sont en tel estât comme dessus dict est, l'Électeur
» et son fils Casimir ne pensent point que Sa Majesté doibve estre de la per-
» mission du dict Électeur à l'entreprinse de son lils Casimir aulcunement
» offensée, comme ainsi soit que lesdits Électeur et son fds Casimir n'en crai-
» gnent pas aulcune diminution de leur grandeur, reproches et inconvéniens,
» ains en espèrent plustost louange, honneur et récompense; en quoy ils s'em-
î ployent pour les persécutés de Jésus-Christ selon sa saincte promesse et
» comme l'on en a autrefois veu l'expérience et mesmement les Électeurs et
» princes lesquels avoient aux aultres troubles, envoyé secours et ayde pour
» les affaires des christiens en cas semblable en reçoivent encore pour cejourd'buy
» louange et honneur. Et après la paix faicte le roy estant adverty des reitres
» et aultres qui avoient esté employés pour le service de Sa Majesté, les a
» tous faict bien payer.
» Or, touchant que Sa Majesté a faict répéter auxdicts Électeur et son fils
» Casimir les constitutions impériales de la paix publique, ensemble l'ordon-
» nance de l'exécution, et qu'il a pleust à Sa Majesté leur commander de
» casser et renvoyer leurs reistres, sur cela ilz disent qu'ils ne pensent point
» avoir offensé en cela lesdites constitutions impériales, veu qu'ils ne se peu-
> vent souvenir ny entendre soit de la simple lectre ou du sens desdictes con-
» stitutions de la paix publique, que leur entreprinse et choses semblables,
» sauf toutesfois la liberté de la Germanie et de l'empire, ensemble les accords
» de Passau, comme l'on veult alléguer, y soient défendeus. Et d'aultant qu'à tout
» temps et espécialement despuis naguères le semblable a esté entreprins et
» et exécuté sans aulcun empeschement par des princes de leur qualité, et
» aussi de plus basse condition et estât, cela faict espérer et accroire lesdicts
» Électeur et son fils, que Sa Majesté ne le prendra pas autrement qu'en bonne
» part et ne vouldroit pour cela entreprendre aulcune chose contre eulx comme
» soit notoire que beaucoup d'aultres aient eu raison et bon droit en cas sem-
» blable et de mesme importance.
» Et pour la conclusion, touchant de renvoyer les reistres du duc Casimir, il
» ne sçauroit encores qu'il bien le vouldroit casser et renvoyor, d'aultant que
» toute l'armée marchoit et une grande partie en estoit desjà oultre le Rhin,
» si l'on ne se vouldroit mectre en danger d' estre cause d'une grande alarme
— 623 -
» et sédition par tout l'empire, comme Sa Majesté pourra plus amplement en
» soy mesme considérer les dangers et inconvéniens qu'en despendent si l'on
» veoit au cœur et milieu de l'empire traîner une si grande armée de tant de
» chevaulxet gens de pied sans avoir faict monstre ou reçeu aulcun payement
» pour la solde de trois moys et un moys pour le retour.
» Pour ceste occasion, ledit Électeur espère que Sa Majesté, après avoir bien
» entendu ces informations véritables et remonstrances, le prendra en sa pro-
» tection et l'en tiendra pour bien excusé, comme ainsi soit qu'il aye entreprins
» la charge des reistres pour nulle aultre raison sinon pour ayder et secourir
» aux pauvres christiens de France si misérablement persécutés, afln d'ayder à
9 les remectre en repos, saulve-garde el paix perpétuelle. En quoy Sa Majesté,
» ensemble des aultres potentats, les pouvoit bien secourir, pour la grande
» conséquence qu'en despend et aussi pour éviter la suspection et jalousie qu'en
ï pourra venir entre les princes et Estats de l'empire de veoir de telle façon
» en tous les royaulmes et pays circonvoisins avec persécutions misérables,
» meurtres et effusion du sang de si grand nombre des fidèles et bons chris-
» tiens, extirper et suff'ocquer la vraye religion chrestienne et défendre le
» nom et la vraye confession de Jésus-Christ et sa saincte parole; et oultre ce
> permectre que le pape, lequel s'est tousjours en cela efforcé devers les em-
» pereurs, roys et potentatz, continue ainsy en sa tyrannie et propos inhumains
» et cruels dont nostre Seigneur mesme ne pourra enfin plus veoir ny endurer
» telle inhumanité et misérable boucherie des fidèles et membres de Jésus-
» Christ.
» Et par ainsi espère que Sa Majesté, en considérant bien les choses dessus
» dictes pour sa vocation et tenant le lieu, là où il a pieu à Dieu l'appeler, ne
» fauldrapas d'empescheret résister à tous ceulx quy rcspandentle'sang desin-
» nocents et tâchent à chasser les pauvres christiens et toute la christ ienté au
» bain de sang, avec une persécution misérable et horrible de quoy sa
» Majesté et tous ceux quy remédieront en recevront du Seigneur Dieu, en
» ce monde et en l'autre sa bénédiction perpétuelle et éternelle, et tous
» les potentatz seront sans aucun double richement récompensez de fidélité,
» paix, victoire, tranquilUté et union, et par ce moyen l'ire et punition de
» Dieu venant d'idolâtrie et effusion de sang sera appaisée.
» Voilà ce que l'Electeur a voulu donner pour responce à l'ambassadeur de
» Sa Majesté pour le faire entendre à sa dicte Majesté, à laquelle ledit Électeur
» se faict très humblement recommander.
» Signée à Heidelberg, soubz les cachets desdictz Électeur et duc Casimir,
» imprimés à dessoubs, sameydy, le 6 décembre 1567.
624 —
35«
Édit du 23 mars 1568.
(Fontanon, rec. des édits et ordonn., t. IV, p. 287, 288.
(( Charles, etc., etc.^ considérant les grands maux et calamitez advenus parles
» troubles et guerres, desquels nostre royaulme a esté depuis quelque temps,
» et est encores de présent affligé : et prévoyant la désolation qui pourroit cy-
» après advenir, si par la grâce et miséricorde de nostre seigneur lesdits trou-
» blés n'estoient promptement pacifiez: Nous, pour à iceux mettre fin, remédier
» aux affictions qui en procèdent, remettre et faire vivre nos subjects en paix,
» union, repos et concorde, comme toujours a esté nostre intention : sçavoir
» faisons, qu'après avoir sur ce prins l'advis et conseil de la royne, nostre
)) très chère et très honorée dame et mère, de nos très chers et très amez
» frères, les duc d'Anjou, nostre lieutenant général, et duc d'Alençon, princes
» de nostre- sang, et autres grands et notables personnages de nostre conseil
» privé : par leur advis et conseil, pour les causes et raisons dessusdites, et
» autres bonnes et grandes considérations à ce nous mouvans, avons en con-
» firmant en tant que besoing seroit, de nouveau, nostre édict de pacification
» du 19« mars 1562 (1563 n. s.), [pour eslre observé en tous et chacuns les
)) poincts et articles tant ainsi que si de mot à mot ils estoient cy transcripts
» et inserez, dict, déclaré, statué et ordonné, disons, déclarons, statuons et
» ordonnons, voulons et nous plaist ce qui s'ensuit.
» 1. — A sçavoir que tous ceux de la religion prétendue réformée, jouyssent
» dudict édict de pacification purement et simplement et qu'il soit exécuté en
» tous ses points et articles selon sa première forme et teneur, levant et estant
» toutes restrictions, modifications, déclarations et interprétations qui ont esté
)) faites depuis le jour et date d'iceluy, jusques à la publication de ces présentes.
» 2. — Et quant aux gentilshommes et seigneurs de la qualité de ceux qui
» [)euvent faire prescher en leurs maisons suyvant l'édict de pacification, nous
» asseurant qu'ils ne feront chose qui préjudicie à nostre sein^ice, sous cou-
» leur et prétexte desdits prédits presches, et n'en abuseront : nous levons
» et ostons toutes restrinctiohs, tant pour le regard, que pour ceux qui y vou-
» dront aller.
» 3. — D'avantage, les gentilshommes et seigneurs du pays de provence de
» la qualité susdite, jouiront du bénéfice du dict édict et pourront en se faisant
- 625 -^
> faire prescher en leurs maisons, comme ceux des autres provinces, estant
» de la susdite qualité : et néantmoins pour le regard de la comté et sene-
» chaucée dudit provence, il n'y aura lieu que celuy de iMérindol.
« 4. — Que ceux de ladite religion retourneront et seront conservez, maintenus
» et gardez soubznostre protection entousleurs biens,honneurs, estats, charges,
» offices et dignitez, de quelque qualité qu'ils soient : nonobstant tous édicts,
» lettres, décrets, saisies, procédures, jugements, sentences, arrêts contre eux,
JD tant vivants que morts, donnez depuis le commencement de ceste dernière
» levation et exécution d'iceux ; tant pour le faict de ladite religion, levée et
» solde d'estrangers, collectes de deniers, euroollemens d'hommes, voyages et
» ambassades aux pays estranges, et dedans cestuy nostre royaume, avant et
» durant les derniers troubles, par le commandement de nostre cousin le prince
» de Condé, que pour les armes prinses à ceste occasion, et ce qui s'en est en-
» suivy ; lesquels nous déclarons nuls et de nul effect, sans ce que, pour raison
» de ce, eux, ny leurs enfants, héritiers et ayant cause, soient aucunement
» empeschez en la jouissance desdits biens et honneurs, ne qu'ils soient tenus
jo en prendre de nous autre provision que ces dites présentes, par lesquelles
» nous mettons leurs personnes et biens en pleine liberté, les déchargeant de
» toutes prinses de villes, ports d'armes, assemblées, saisies et prinses de nos
» deniers et finances, establissement de justice entr'eux, jugements et exécution
» d'icelle.
« 5. — Et afin qu'il ne soit douté de la droite intention de nostre dit cousin
» le prince de Condé, avons dict et déclaré, disons et déclarons que nous
» tenons et réputons iceluy nostre dit cousin pour nostre bon parent fidèle
> subject et serviteur, comme de mesme nous tenons tous les seigneurs, che-
» valiers, gentilshommes, et autres habitans des villes, communautés, bour-
» gades et autres lieux de nostre dit royaume, pays et obéissance, qui l'ont
» suyvi, secouru et accompagné en ceste présente guerre, et durant ces tu-
» multes, en quelque part que ce soit de ce dit royaume, pour nos bons et
* loyaux subjects et serviteurs.
K 6. — Et demeurera nostre dit cousin quitte et deschargé, comme par
» ces présentes signées de nostre main nous le quittons et deschargeons de
» tous les deniers qui ont esté par luy ou par son commandement pris et
» levez en nos receptes générales et particulières, à quelques sommes qu'ils
» se puissent monter et semblablement de ceux qui ont esté, ainsi que dit est,
» par luy ou de son ordonnance aussi pris et levez des communautez, villes,
» argenteries, rentes et revenus des églises et autres par luy employez en
» l'occasion de ceste présente guerre : sans ce que luy, les siens, ne ceux qui
» ont esté par luy commis à la levée desdits deniers, lesquelz, et semblable-
ce ment ceux qui les ont fournis et baillez en demeureront quittes et des-
» chargez, et lesquels nous en quittons et deschargeons, ne puissent être
» aucunement recherchez pour le présent ny pour l'advenir : ny aussy pour
» la fabrication de la monnoye, fonte d'artillerie, confection de pouldres et
» salpestres, fortifications de villes, démolitions faites pour lesdites fortifica-
» cations par le commandement d'iceluy nostre dit cousin en toutes les villes
» de nostre royaume et pays de nostre obéissance : et généralement de toutes
II. 40
— 626 —
» autres démolitions, sans ce qu'on en puisse prétendre aucune chose à l'ad-
» venir : dont les corps et habitans d'icellcs demeureront semblablcment
» deschargez, et iceux en deschargeons par ces dites présentes.
« 7. — Et ne pourront aucuns de nos subjectz quereller et faire poursuite
» d'aucuns fruitz, revenus arrérages de rentes, deniers, et autres meubles
y> qu'ils prétcndroient leur avoir esté prins et levez sur eux, ny autres dom-
» mages faicts depuis le commencement de ces troubles jusqu'au jour de la
» publication de ces présentes, faicte aux deux camps et armées. Qui sera pour
» le regard du parlement de Paris trois jours après la date de ces dites présentes :
» et pour le regard des autres parlemens, huict jours après la date de cesdites
» présentes : dedans lequel temps sera mandé en toute diligence à nos gouver-
» neurs et lieutenans généraux, de le faire incontinent publier et observer
» chacun en tous les lieux et endroits de son gouvernement oîi il appartiendra,
» sans attendre la publication desdites cours, à ce que nul n'en prétende
» cause d'ignorance, et que plus promptement toutes voyes d'hostilité, prinses
» et démolitions d'une part et d'autre cessent. Déclarant dès à présent que
» toutes démolitions, prinses et ravissemens de biens meubles et autres actes
» d'hostilité qui se feront depuis ledit temps, sont subjects à restitution et
» réparation.
« 8. — Mandons aussi à nos cours de parlement, qu'incontinent après ledit
» édict reçu, ils ayent, toutes choses cessantes, iceluy nostre dit édict faire
» publier et enregistrer en nos dites cours, selon sa forme et teneur : et à
» nos procureurs généraux respectivement d'en requérir et poursuyvre la
» publication, sans y faire aucune difficulté, user de longueur, ny attendre
» de nous autres jussions ou mandement pour, comme dit est, mettre plus
» prompte fin à toutes inimitiez, rancunes et hostilitez.
« 9. — Entendons davantage que la ville et ressort de la prévosté et vi-
» comté de Paris demeurent exempts de tout exercice de ladite religion,
> suivant le contenu audit édict de pacification, demeurant iceluy en sa pre-
» mière force et vigueur.
« 10. — Et voulons semblablement qu'après la publication de ces dites
j présentes faite en nostre cour de parlement de Paris, et es deux camps,
» ceux de ladite religion désarment promptement et séparent leurs forces
» pour se retirer, et que les villes et places occupées soient promptement
> rendues et remises en leur premier estât et commerce avec toutes les artil-
» leries et munitions, qui seront en nature : comme aussi les maisons des
» particuliers qui ont esté occupées soient respectivement rendues à ceux à
» qui elles appartiendront : et tous prisonniers, soit de guerre ou pour le
» faict de la religion, soient semblablement mis en liberté de leurs personnes
» et biens sans payer aucune rançon.
« H. — Et afin que cy-après toutes occasions de troubles, tumultes et sédi-
» lions cessent, et pour mieux réconcilier et unir les intentions et volon-
» tez de nos dits subjectz les uns envers les autres et de cestc union main-
» tenir plus facilement l'obéissance que tous nous doivent, avons ordonné et
» ordonnons, entendons, voulons et nous plaist, que toutes injures et oflen-
» ses, que l'iniquité du temps et les occasions qui en sont survenues ont pu
— 627 —
> faire naistre entre nos dits subjectz, et toutes autres choses passées et cau-
» sées de ces présens tumultes, demeurent esteintes, comme mortes, enseve-
> lies et non advenues ; défendant très expressément sur peine de la vie à
» tous nos dits subjectz, de quelque estât et qualité qu'ils soyent, qu'ils n'ayent
» à s'attaquer, injurier, ny provoquer l'un l'autre par reproches de ce qui est
» passé, disputer, quereller ny contester ensemble d'aucun fait, s'offenser ny
î outrager de faict ny de parole : mais se contenir et vivre paisiblement
» ensemble, comme frères, amis et concitoyens : sur peine à ceux qui y contre-
j viendront et qui seront cause et motifs de l'injure et offense qui adviendroit,
9 d'estre sur le champ et sans autre forme de procez, punis selon la rigueur
» de nostre présente ordonnance.
« 12. — Et pour faire cesser tout scrupule et doute, nos dits subjectz se
> départiront et désisteront de toutes associations qu'ils ont dedans et dehors
» ce royaume, et ne feront doresnavant aucunes levées de deniers, enroole-
» hiens d'hommes, congrégations ny autres assemblées que celles qui sont
» permises par ce présent édict, et sans armes : ce que nous leur prohibons et
ï défendons aussi, sur peine d'estre punis rigoureusement, et comme contemp-
» leurs et infracteurs de nos commandemens et ordonnances.
« 13. — Leur défendant en outre très expressément, et sur les mesmes
i peines, de ne troubler, molester ny inquiéter les ecclésiastiques, en la célé-
» bration du divin service, jouissance et perception des fruicts et revenus de
» leurs bénéfices, dixmes et tous autres droicts et devoirs qui leur appar-
î tiennent : sans que ceux de ladite religion puissent s'aider, prendre, ne
> retenir aucun temple ou église desdits gens ecclésiastiques : lesquels nous
> entendons dès maintenant remis en leurs églises, maisons, biens, dixmes,
» possessions et revenus, pour user et jouir tout ainsi qu'ils faisoient aupara-
B vaut ces tumultes, faire et continuer le service divin et accoustumé par eux
» en leurs dites églises, sans moleste, ny empeschement quelconque.
« 14. — Voulons, ordonnons et nous plaist que le contenu cydessus,
î ensemble nostre dit premier édict de pacification, auquel ces présentes se
» réfèrent et sont confirmatives d'iceluy, soient inviolablement entretenus,
» gardez et observez par tous les lieux et endroicts de nostre royaume,
î jusques à ce qu'il ait pieu à Dieu nous faire la grâce que nos subjects soient
î réunis en une mesme religion.
« Si donnons en mandement à nos amés et féaux les gens tenans nos cours
» de parlement, chambres de nos comptes, cours de nos aydes, baillifs, sé-
» neschaux, et autres nos justiciers et officiers qu'il appartiendra, ou leurs
» lieutenans, que cestuy nostre présent édict et ordonnance ils facent lire,
» publier et enregistrer en leurs cours et jurisdictions, et iceluy entretenir
» et faire entretenir, garder et observer inviolablement de poinct en poinct,
» et du contenu jouyr et user pleinement et paisiblement ceux qu'il appa-
» tiendra, cessant et faisant cesser tous troubles et empeschemens au con-
j traire. Car tel est nostre plaisir.
« En tcsmoing de ce nous avons -signé ces présentes de nostre main et à
> icelles faict mettre nostre scel.
« Donné à Paris, le SS-^ jour de mars, l'an de grâce 1568 et de nostre règne
— 628 —
» le huitième. Ainsi signé Charles. Et au dessous, par le roy, en son conseil,
» Robcrtet.
« Leues, publiées et enregistrées, ouy sur ce et ce requérant le procureur
» général du roy, à Paris, en parlement, le 27" jour de mars, l'an de
» grâce 1568. Signé Du Tillet. »
FIN
TABLE DES CHAPITRES
LIVRE TROISIÈME
CHAPITRE PREMIER
Analyse des dispositions de l'édit du 17 janvier 1562. — Sages conseils donnés aux
réformés par les représentants des églises, sur l'observation de cet édit. — Ces
conseils sont suivis. — Résistances opposées à l'édit par le parti catholique. —
Défection du roi de Navarre. — Il pactise avec Philippe II, insulte Jeanne d'Al-
bret et cherche à éliminer Coligny de la cour. — Celui-ci, pour sauver Catherine de
Médicis d'une situation difficile, se retire volontairement à Châtillon-sur-Loing.
— Départ pour la Floride, de Ribaut.dont l'expédilion a été organisée par Coligny.
— Efforts des Guise pour priver les réformés français de l'appui de leurs coreligion-
naires à l'étranger. — Correspondance du duc de Guise avec le duc de Wurtemberg.
— Conférences de Saverne. — Hypocrisie de François et de Charles de Lorraine. —
- Massacre de Vassy 1
CHAPITRE II
Coligny, Condé,rHospital,deFrancourt, de Bcze demandent que les auteurs du massacre
de Vassy soient punis. — Antoine de Bourbon rompt définitivement avec les ré-
formés.— Condé les soutient, à Paris. — Usurpation du pouvoir souverain par Fran-
çois de Lorraine et ses adhérents. —Catherine de Médicis plie devant eux. — Elle
écoute les détracteurs de l'amiral. — Condé se retire à Meaux, et y appelle l'amiral.
— Celui-ci hésite à prendre les armes. Sa femme l'y décide. — De Meaux, Coligny
écrit à Catherine de Médicis. — Conseil donné à cette princesse de conduire le roi
à Orléans, où les chefs réformés feront respecter l'autorité du souverain et celle de
sa mère, et assureront l'inviolabilité de leurs personnes contre les atteintes des en-
nemis de la royauté. — Insistance de Soubize sur ce point, au nom de Condé, de
Coligny et des autres chefs. — Catherine ne suit pas ce conseil. — Antoine de
Bourbon et les triumvirs entraînent le roi de Fontainebleau à Paris. — Occupation
d'Orléans par les chefs réformés. — Vaines tentatives de Catherine pour obtenir d'eux
qu'ils déposent les armes. ~ Arrivée de Charlotte de Laval et de la princesse de
Condé à Orléans 3:2
630 —
CHAPITRE III
Manifeste de Condé. —Acte d'association des chefs réformés. — Mission qu'ils confèrent
aux agents envoyés par eux en Allemagne, en Angleterre, en Savoie, en Suisse. —
Rôle des agents du triumvirat, à l'étranger. — Attitude des puissances étrangères.
— Les chefs réformes s'attachent à accroître leurs forces et à déjouer les manœuvres
de leurs adversaires. — Us s'efforcent de maintenir l'ordre à Orléans. — Catherine
lente d'amener Condé à déposer les armes. — Moyens de pacification indiqués par
Condé à Catherine. — Réponse évasive que reçoit le prince. — Requête du trium-
virat, tendant au renversement de l'édit de janvier. — Lettres de Coligny au con-
nétable et à Catherine. — Lettres de Condé à cette princesse. — Exaspération des
triumvirs. Ils se disposent à entrer en campagne, en s'appuyant sur les troupes
qu'ils ont appelées de l'étranger. — Les reformés n'appellent encore en France
aucunes troupes étrangères. — Intolérance des triumvirs. — Respect de la liberté
religieuse par les chefs réformés, vis-à-vis des catholiques 65
CHAPITRE IV
L'armée catholique et celle des réformés s'avancent à la rencontre l'une de l'autre.
— Conférence de Toury. — Elle échoue. — Conférence de Talsy, également suivie
d'insuccès. — Des négociations, on passe à l'action. — Camisade. — Reprise de
Beaugency. — Envoi de Soubize, de Larochefoucauld et d'autres chefs réformés
dans les provinces. — Missions do Briquemault en Angleterre, et de d'Andelot
en Allemagne. — Orléans est décimé par la peste. — Héroïque dévouement de
madame l'amirale, de la princesse de Condé et de plusieurs autres femmes, en pré-
sence des ravages exercés par le fléau. — Mort du fils aîné de Coligny, à Orléans.
— Lettre de l'amiral à sa femme. — Arrêt du parlement de Paris contre les ré-
formés. — Protestation de Condé. — Arrivée et séjour de la comtesse de Roye à
Strasbourg. — Démarches de d'Andelot en Allemagne pour y lever des troupes. —
Siège de Bourges. — Coligny attaque avec succès, près de Châtcaudun, un fort convoi
de l'ennemi. — Reddition de Bourges. — L'armée catholique se dispose à assiéger
Rouen , 114
CHAPITRE V
Traité d'IIampton-Court. — Briquemault et Montgommery à Rouen. — Siège et prise
de cette ville. — Projet de Coligny et de Condé. — D'Andelot, à la tète des troupes
levées en Allemagne, traverse la France, sans être entravé dans sa marche par
Tavanes, Novers et Saint-André. — Réponse_^de Coligny à de Gonnor qui lui a de-
mandé une entrevue. — Arrêt du parlement de Paris condamnant à mort Coligny,
d'Andelot et autres. — D'Andelot rejoint son frère et Condé. — Mort du roi de Na-
varre. — L'armée des réformés marche sur Paris. — Pourparlers entamés par Ca-
therine. — Ils n'aboutissent pas. — Condé écrit à Elisabeth. — Pouvoirs conférés à
la comtesse de Roye par les chefs des réformés. — Bataille de Dreux. — Récit de
cette bataille, par Coligny. — Le connétable et Condé, prisonniers, sont conduits,
l'un à Orléans, l'autre à Dreux. — Lettres de Coligny à Elisabeth, à Throckmorton;
à Montgommery. — Réponse d'Elisabeth à Coligny. — L'amiral à Orléans. — 11
écrit de nouveau à Elisabeth. — Il confie à d'Andelot la défense d'Orléans, et part
avec ses troupes pour la Normandie. — Écrit dans lequel il déduit les motifs qui le
— 631 —
portent à se rendre dans cette province. — Lettres adressées par lui à la reine
d'Angleterre, à la reine mère, à Condé et à l'un des princes protestants de l'Alle-
magne , 150
CHAPITRE YI
Coligny arrive en Normandie. — Missions de Téligny en Angleterre. Correspondance
de Coligny relative à cette mission. — Siège d'Orléans par le duc de Guise. — Poltrot
assassine le duc. — Entrevue de Catherine de Médicis et de la princesse de Condé.
— Le procès verbal de l'interrogatoire subi par Poltrot est communiqué à Coligny.
— Lettre et réponse détaillée, dans lesquelles Coligny repousse avec indignation les
allégations accusatrices de l'assassin. Il demande à être confronté avec lui. — Sans
égard pour sa demande, on précipite le jugement et l'exécution à mort de Poltrot. —
Opérations militaires de Coligny en Normandie. — Entrevue de Condé et du conné-
table, ménagée par Catherine, pour hâter, en l'absence de l'amiral, la conclusion
d'un traité de pai.x défavorable aux réformés. — Défaillance de Condé dans les pour-
parlers de paix. — Édit d'Amboise. — Arrivée de l'amiral à Orléans; sa protestation
contre le traité de paix n'est pas accueillie. — Il se résigne, par patriotisme, à ac-
cepter les conditions de ce traité. — Bientôt il quitte Orléans et la cour 207
LIVRE IV
CHAPITRE PREMIER
Retour de Coligny à Châtillon-sur-Loing, en chef de] famille et seigneur chrétien. — Sa
bienveillance pour d'Erlach et Téligny. — Son intervention protectrice dans une af-
faire de prise maritime. — Manœuvres ourdies par ses ennemis. Accusation repro-
duite.— Coligny, dans une seconde déclaration, se disculpe de toute participation
au meurtre du duc de Guise. — 11 s'achemine vers la cour. — Condé le rencontre à
Essonne et le décide à retourner à Chàtillon. — L'honneur de l'amiral est noble-
ment défendu, en séance du conseil privé, par Condé, d'Andelot et le maréchal do
Montmorency. — Décision royale. — Correspondance de Coligny avec le prince do
Portien, Renée de France, Catherine de Médicis et Calvin. — Coligny défend les
droits de ses coreligionnaires. — Démarche de l'ambassadeur d'Angleterre auprès de
Coligny, au sujet des prétentions d'Elisabeth sur Calais. — Reprise du Havre. —
Odet suit la cour à Rouen. — Déclaration de la majorité du roi. — Maladie de la
reine mère à Meulan. — Les Guises se concertent de nouveau pour agir contre
Coligny 257
CHAPITRE II
Les Guises à Meulan. — Us deniandent au roi l'autorisation de poursuivre les rneur»
triers du duc François. — Évocatjon de l'affaire au grand conseil. — Nouvelle requête
des Guises. — Lettre du roi à Coligny et à ses frères. — Lettre et remontrance
adressées au roi par les trois Chàtillons. — Leur séjour auprès du roi, au Louvre. — •
Seule, la duchesse de Guise se porte partie contre l'amiral, qu'elle prétend pou-
voir poursuivre devant la juridiction ordinaire. — Coligny combat cette préten-
tion, et se réserve le droit de se constituer accusateui", à son tour. — Le roi retient
— 632 —
à lui la connaissance du litige soulevé par la maison de Guise contre l'amiral, et
surseoit à statuer jusqu'à l'expiration d'un délai de trois ans. — Motifs qui ont porté
Catherine à provoquer le sursis. — Coligny revient à Châtillon. -^ Mauvais vouloir
et duplicité de Catherine à l'égard des réformés. — Atteintes portées à l'édit de paci-
fication par diverses déclarations royales. — Animosité des gouverneurs des pro-
vinces, des parlements, des juridictions suhalternes, et des agents de l'autorité supé-
rieure contre les réformés. — Coligny élève la voix en faveur des opprimés. —
Vaine promesse de Catherine, que justice sera faite. — Catherine projeté une
longue tournée en France, afin de se rendre compte de l'état des réformés, dans les
provinces, et d'organiser sur de larges bases le système de compression qui, selon
elle, devra nécessairement, un jour, entraîner dans toute l'étendue du royaume,
l'anéantissement de la réforme et de ses sectateurs 291
CHAPITRE III
Départ de Laudonnière pour la Floride, sur l'ordre de Coligny. — L'amiral à Tanlay. —
Correspondance avec le prince de Portien. — Synode de Lafer té-sous- Jouarre. —
Appui accordé aux réformés de Troyes par le prince et la princesse de Condé. —
L'amiral visite Condé à Vallery, après la mort d'Éléonore de Roye. — Entrevue de
Soubize et de Catherine de Médicis, à Lyon. — D'Andelot et les réformés de Crevant.
— Lettre de Catherine au cardinal de Châtillon. — Déclaration publiée à Roussillon,
remontrances de Condé. — Catherine cherche à apaiser Condé et les Châtillons. —
Mariage de d'Andelot avec Anne de Salm. — Lettres de Coligny à l'avoyer et au
conseil de Berne, aux magistrats de Zurich et à Th. de Bèze. — Mariage d'Odet
avec Isabelle de Hauteville. — Naissance de Charles de Coligny — Lettres de
l'amiral et de Charlotte de Laval à Renée de France 325
CHAPITRE IV
Le cardinal de Lorraine, à son entrée en armes dans Paris, est repoussé par le
maréchal de Montmorency. — Lettres de celui-ci au duc de Montpensier et à la reine
mère. — Sur l'invitation du maréchal, Coligny se rend à Paris. — Ses allocutions
aux membres d'une réunion convoquée par le maréchal, au prévôt des marchands
et aux bourgeois notables de la capitale. — Sa visite au parlement. — Coligny écrit
' au roi. — Lettres du roi au maréchal de Montmorency, à Damville et à d'Andelot.
— Châtiment infligé à Le May. — Pardon accordé par l'amiral à Hambrevillier. —
L'accès de la capitale est momentanément interdit par le roi à l'amiral, à d'Andelot
et à divers autres seigneurs. — Entrevue de Rayonne. — Dépèches du duc d'Albe à
Philippe H. — Desseins de Catherine à l'égard des réformés. — Coligny à Châtillon.
— Sa lettre aux magistrats de Strasbourg. — Mariage de Condé avec la fille de la
marquise de Rothelin. — Départ de Coligny pour Moulins 360
CHAPITRE V
Comparution de Coligny et du cardinal de Lorraine devant le roi, à Moulins. — Déci-
sion préliminaire, prise par le roi. — Lettre de Charlotte de Laval. — Arrêt défi-
nitif, proclamant l'innocence fle l'amiral. — Réconciliation plus apparente que réelle
de Coligny avec les Guises. — Réclamation de Soubise. — Catherine n'ose pas exé-
cuter à Moulins, contre les réformés, le sinistre projet qu'elle avait conçu à Rayonne.
— Menaces d'assassinat adressées à Coligny. — Altercation entre le cardinal de
Lorraine et le chancelier. — L'amiral revient de Moulins à Châtillon. — 11 intervient
— 633 —
auprès des Genevois, en faveur de Spifame et de Chabouillé. — Il écrit à de Gordes
— Séjour de l'amiral et de sa femme à Paris. — Lettre de l'amiral au roi. — Retour
à Chàtillon. — Mort de Soubise. — Consolations adressées à sa veuve par Colign
et Charlotte de Laval. — Téligny est envoyé en mission à Constantinople par l'amiral.
— Entretien du roi et de Coligny, au sujet de celte mission 390
CHAPITRE VI
Exposé sommaire des tentatives de colonisation faites par Coligny. — Villegagnon
au Brésil. — Ribaut et Laudonnière à la Floride. — Massacre des colons français
par les Espagnols dans la Floride. — Réparation demandée à l'Espagne. — Inter-
vention de Coligny. — Dépèches de l'ambassadeur de France en Espagne. — Phi-
lippe II refuse toute réparation. — Appui accordé par Coligny à une expédition maritime
dirigée par le fils de Montluc. — Coligny protège contre les violences des Portugais
les intérêts du commerce français sur la côte d'Afrique 431
CHAPITRE VII
Mouvements dans les Pays-Bas. — Catherine redoute une alliance entre les réformés
français et ceux des Pays-Bas. — La duchesse de Ferrare et Pierins. — Mort de celui
ci. — Coligny est consulté par Jeanne d'Albret sur le renvoi de Morely, précepteur
du prince de Béarn. — Mort de la comtesse de Roye. — Mort du prince de Portien.
— Arrivée du duc d'Albe dans les Pays-Bas. — Coligny représente le roi, au baptême
d'un enfant du prince de Condé. — Demande de renvoi des Suisses. — Entrevue de
Thoré, fils du connétable avec Coligny. — Assemblées des chefs réformés, à Valéry
et à Chàtillon. Conseils de modération et de patience, donnés par Coligny. — Der-
nière assemblée. Opinions diverses. On se décide à une prise d'armes 462
CHAPITRE VIII
Les chefs réformés se réunissent à Rozay en Bric. — Us adressent une requête au roi. — ■
Arrivée des Suisses à Meaux. — Le roi s'enfuit à Paris. — Les confédérés prennent
position à Saint-Denis. — Le roi somme Condé, Coligny et leurs compagnons d'armes
de se rendre auprès de lui. — Demandes présentées par les confédérés. — Ils en
restreignent la portée. — Le connétable rend tout accommodement impossible. —
Bataille de Saint-Denis. — Lettres de Condé, de Coligny et de ses frères au sénat de
Strasbourg et au conseil de Genève. — Les confédérés quittent Saint-Denis. — Mé-
moire de Condé au roi. — Réponse du roi. — Mission confiée à Téligny. Lettres
de Condé. — Lettre du roi au duc d'Anjou. — Réponse du roi à Condé. — Coligny
écrit au duc d'Anjou. — Négociation entamée entre la cour et le cardinal de
Chàtillon. — Rupture de cette négociation. — L'armée des confédérés se rend en Lor-
raine, à la rencontre des auxiliaires allemands 486
CHAPITRE IX
L'électeur Palatin Frédéric III et son fils le duc Casimir. — Leur sympathie pour
les réformés français. — Frédéric justifie, dans une protestation, l'envoi des
troupes auxiliaires en France, sous la conduite de son fils. — Jonction de ces troupes
avec celles de Condé, en Lorraine. — Sacrifices faits par celles-ci pour subvenir au
payemenldcla solde des auxiliaires allemands. — Rentrée des confédérés en France,
— 634 —
l'amiral y assure leur marche, leur approvisionnement et leur séjour. — Siège de
Chartres. — Fait d'armes de Coligny. — Renée de France à Montargis. — Cliarlolte
de Laval à Orléans. Soins assidus qu'elle prodigue aux blessés, aux malados, aux
pauvres. — Atteinte d'une maladie mortelle, elle écrit à son mari. — L'amiral ac-
court à Orléans. Mort de madame l'amirale. — Profonde affliction de Goligny.
— Son allocution à ses enfants. — Il est obligé de les quitter pour reprendre son
commandement, sous les murs de Chartres. — Négociations en vue d'une paix. —
La paix dite de Longjumcau est conclue. — Lettre de l'amiral à Catherine de Mé-
dicis. — il revient à Chàtillon. — Lettre que Th. de Bèze lui adresse, au sujet de
la mort de Charlotte de Laval 521
FIN DE LA TABLE DES MATIERES.
^AhIS. — IMPRIMEHIE EMILE MAUTINET, UUE MIO.N'ON, 2.
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