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THE PUliLS© UEKAKY OF THï
ÎHE AILLES A. BBQWfa I
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in 2010 with funding from
University of Ottawa
http://www.archive.org/details/gazettemusicaled18342pari
GAZETTE MUSICALE
De Paris.
1" ANNÉE, 1834.
$c& iDiircnur Vftbotmtmmt
sfonâ rue &bic/ie/tetc , qj.
Imprimerie do L.ICHKVARD1ERE , r.w du Colombier . 30.
GAZETTE MUSICALE
ma 3><Jima.
n° 27.
PIUX DE l'aBONiNEJÎ.
PARIS,
fr.
DÉPART.
Fr. r.
ÉTBAKC
Fr. c.
3 m. 8
8 75
9 50
6 m. 15
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1 an. 30
33 ..
36 »
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Paraît le DIMANCHE de chaque semaine.
On s'abonne au bureau de la Gazette musicale de paris, rue Richelieu, 97
et chez tous les libraires et marchands de musique de France.
On reçoit les réclamations des personnes qui ont des griefs à exposer, et les avis relatifs à la musii
qui peuvent intéresser le public.
PARIS, DIMANCHE 6 JUILLET 183).
Les lettres, demandes
et envols d'arpent doi-
vent être affranchis, et
adresses au Directeur ,
rue Richelieu, 97.
De l'utilité d'un Opéra-Allemand à Paris.
Les nombreux adorateurs de Beethoven et de Weber
sont dans la joie. L'autorisation de jouer l'opéra alle-
mand vient d'être accordée au théâtre Ventadour. Nous
espérons revoir Fidelio sous les traits de madame
Schrœder, probablement aussi Florestan Haitzinger,
dont la voix merveilleuse a laissé de si profonds souve-
nirs aux habitués de la salle Favart. Mais ce n'est plus
d'un nombre limité de représentations qu'il s'agit; la
troupe allemande sera engagée a l'année, et a ce privi-
lège est joint encore celui non moins précieux des con-
certs. Il est facile de prévoir l'heureuse influence que,
cette exposilion permanente des produits de l'art ger-
manique, ne peut manquer d'exercer sur l'éducation
musicale du public parisien. La musique pour lui de-
vient un besoin de jour en jour plus impérieux; il ne
faudrait que lui imprimer une bonne direction pour que
ce besoin instinctif, se développant , fût accompagné de
goût et de discernement. Ces deux qualités manquent
encore complètement à la majeure partie des contribua-
bles sur lesquels les directeurs de nos institutions lyri-
ques prélèvent chaque année un si confortable budjet.
C'est le défaut de variété dans son répertoire qui rend le
public si lent a marcher dans la voie du progrès. On le
bourre, on le sature, on le noie dans les cavatines a
cabalettes, dans les airs de crescendo, dans les contre-
danses, les galops, les valses, les vaudevilles , les flons-
flons de toute espèce; le vaudeville musical sous toutes
les formes poursuit le passant dans la rue.
» Il n'est temple si saint des anges respecte
» Qui soit contre sa muse un lieu de sûreté.
Le public innocent s'accoutume a donner a ce bruit
scintillant , le nom de l'art ennobli par lesgrands maîtres
et porté par eux jusqu'au rang des plus hautes , des plus
sublimes manifestations de la pensée humaine. On lui
dit : « Ceci est de la musique », il le croit. Sans soup-
çonner qu'il existe réellement quelque chose d'entière-
ment différent, une puissance magique, irrésistible,
presque divine, une poésie des poésies, pour laquelle
ce nom de musique devrait être réservé exclusivement.
Mais il ne faut pas désespérer de le voir enfin sortir de
son erreur. Les gens de tact et de goût, les organisations
sensibles, les esprits cultivés en [viendront 'enfin, espé-
rons-le, a reconnaître que beaucoup de productions ac-
cueillies par eux avec faveur ne sont pas dignes d'un tel
patronage. Us les laisseront aux enfans. Bien étonnés
alors seront nos dilettanti, en reconnaissant qu'ils ont
ignoré si long-temps l'existence des chefs-d'œuvre pour
lesquels ils se passionneront. Le théâtre allemand nous
arrivant d'outre-Bhin , sans aucune concession faite aux
sottes exigences de nos modes parisiennes, avec sa
naïve sauvagerie, comme disent les dandis, avec ses
harmonies pleines de vigueur, ses mélodies originales,
ses formes abruptes, son instrumentation si variée, si
originale, ses chœurs entraînans, ses blondes et rêveuses
primes donnes, formera certes un piquant contraste h nos
habitudes nationales. Les habitués du Conservatoire,
les élus de l'intelligence musicale, ne manqueront pas a
l'appel, et, missionnaires ardens, serviront a propager la
connaissance du vrai Dieu parmi les nations qui s'éga-
rent encore dans les ténèbres de l'idolâtrie. Oui la salle
des menus plaisirs ne doit plus seule retentir des magni-
fiques clameurs du géant de la symphonie. 11 faudra voir
214
GAZETTE MUSICALE
cette grande et belle salle Ventadour envahie par une
foule nouvelle, ardente, curieuse, ne connaissant que
par ouï-dire la force indomptable du titan-Beethoven.
Quelles exclamations de surprise, de joie, d'enthou-
siasme en découvrant ce nouveau monde dont l'abord est
si difficile! L'orchestre, pour être en rapport avec la
grandeur du local , devra surpasser de beaucoup, quand
au nombre des exécutans, celui de la rue Bergère.
M. Girard est trop habile, et en même temps trop épris
de sou art, pour négliger rien de ce qui pourrait contri-
buer a faire de ces concerls des solennités vraiment di-
gnes du sublime génie qu'il veut populariser. C'est a lui
et a M. Strunz qu'on a confié la direction de toute la
partie musicale a Ventadour. Chanteurs, choristes,
orchestre, auteurs devront se concerter avec eux pour
l'accomplissement de l'œuvre qui se prépare. Le talent
bien connu de M. Strunz, son respect pour la vraie
musique, et sa qualité d'Allemand le rendent sous tous
les rapports l'homme spécial , dont la collaboration était
nécessaire à M. Girard. On ne peut attendre que lesplus
heureux résultats de cette double dictature.
Paganini et l'Enlèvement.
Un journal anglais (The true Sun) contient un article
que nous communiquons a nos lecteurs, auxquels rien
de ce qui touche une grande célébrité musicale ne
saurait être indifférent. Nous avons , dit le True
Surij, a entretenir nos abonnés d'un enlèvement qui
pourra leur paraître assez extraordinaire; c'est le célèbre
Paganini qui en est le héros ! Voici quelques détails
fournis par M. Watson, père du jeune et séduisant ob-
jet de la passion qui a égaré l'illustre violoniste. Paga-
nini avait conclu à Londres, avec M. Watson, un
marché d'après lequel ce dernier était chargé de toutes
les démarches relatives aux concerts donnés par le grand
artiste. En conséquence, M. et madame Watson ac-
compagnaient ce dernier dans tous ses voyages a Paris
a Bruxelles, a Londres ou en d'autres lieux. Le mauvais
état de la santé de Paganini fit qu'il lui parut nécessaire
de s'abandonner aux soins d'une famille amie. Aussi,
pendant son dernier séjour a Londres , il s'établit dans
la maison de M. Watson Caltliorpe Street, GrajsJnn
Lane , donnant maintes preuves d'amitié a cette famille,
allant même jusqu'à jouer dans une représentation au
bénéfice de miss Watson. Lundi dernier, le père s'a-
perçut que sa fille était sortie de la maison paternelle
sans avoir donné aucun prétexte pour son départ. Il se
mit a l'instant même a sa poursuite, mais il lui fut im-
possible de se procurer aucuns renseigueniens positifs;
cependant il apprit que le dimanche, Paganini avait
quitté Londres pour se rendre à Douvres. M. Watson
se rendit immédiatement en cette ville, où on lui dit que
le grand musicien avait passé le détroit pour gagner
Boulogne-sur-Mer. Le malheureux père monta aussitôt
sur le paquebot, et à son arrivée à Boulogne il aperçut
Paganini accompagné de son domestique, et observant
avec la plus grande attention tous les passagers. A la
vue de M. Watson, Paganini s'esquiva promptement
en donnant des signes non équivoques d'une grande
frayeur. M. Watson s'adressa sans tarder au consul
anglais, M. Hamliton, qui le reçut avec la plus grande
bonté. Comme on attendait pour le mardi soir le steam
Packet de Londres , M. Watson se rendit promptement
à la douane, accompagné de plusieurs agens de police,
et lorsque la belle fugitive arriva, elle fut reçue par son
père. Le domestique de Paganini s'approcha aussitôt'
donnant des signes d'une violente colère, et disant a
M. Watson : « Que veut dire cela? rendez-moi l'enfant
ou sinon... » Il fut repoussé parla force publique, et le
père retourna a Londres, accompagné de sa fille tout
en larmes. Cette jeune personne, qui n'est âgée que de
seize ans, a témoigné un grand repentir de sa démarche
indiscrète ; mais elle affirme qu'elle y a été poussée
principalement par amour pour son père, dont elle es-
pérait assurer ainsi le bonheur.
Paganini, pendant son séjour a Londres, avait non-
seulement donné a la jeune personne un diadème va-
lant 50 guinées, ainsi que d'autres diamans estimés
a 500 guinées , mais il lui avait promis en outre , qu'aus-
sitôt après son arrivée sur le continent, il l'épouserait
légitimement en lui assurant une dot de 4,000 livres
sterling(l00,000f.). Mademoiselle Watson raconte en-
core que l'on était parvenu a lui arracher une lettre dans
laquelle on lui faisait dire , que se trouvant malheureuse
chez son père, elle suppliait Paganini de la prendre sous
sa protection, promettant de se soumettre a tout ce qu'il
exigerait. Cette jeune personne persiste encore a croire
que M. Paganini viendra la demander en mariage. Mais
plusieurs journaux s'accordent a dire que celui - ci
n'a paru que médiocrement désappointé de la tournure
qu'ont prise les événemens ((}.
La VINA , Guitare indienne.
La description suivante de l'instrument favori des In-
dous est empruntée aux transactions of Asiatic socieiy
(i) Pour ne pas être en retard , nous donnons comme notice
ce fait , contenu aussi dans un Journal Boulogne : nous réser-
vant d'éclairer nos lecteurs, si cette historiette est controuvée
ou contraire à la mérité.
( mémoires de la société Asiatique ). L'auteur, dans une
de ses lettres au président de la société , dit au sujet de
cette description :
« Vous pouvez entièrement compter sur l'exactitude et la pré-
« cision des^détails que je vous fournis, notamment en ce qui
» concerne la construction et la gamme de cet instrument : non
» seulement j'ai tout mesuré moi-même', mais encore, ne vou-
» lant pas m'en rapporter à mon oreille seule quant aux inter-
» valles, j'ai soigneusement et plusieurs fois comparé la vina
« avec le piano, ton pour ton, après avoir accordé les deux ins-
» (rumens ensemble, u
L'auteur prouve, du reste, par la clarté et l'extrême
précision de chaque partie de sa description qu'il avait
toutes les connaissances requises pour hien s'acquitter de
sa tâche.
La Vina, ou, comme on prononce ordinairement,
lahiin, est un insti liaient a chevalet, dans la forme de
la guitare. Le manche est long de 21 c, 8 de pouce. A
quelques pouces au-dessus du manche et à quelques
pouces de distance de chacune de ses deux extrémités se
trouvent deux citrouilles assez grandes, entre lesquelles
et au-dessus desquelles, ainsi qu'on peut le voir par le
le dessin que nous avons donné (I), sont placées les
chevilles taillées en forme de boutons, la table a
habituellement, celle d'un oiseau. La longueur entière
de l'instrument est de 5 pieds 7 pouces; la première ci-
trouille se trouve a une distance de 10 pouces, la seconde
à celle de 2 pieds H pouces '/a environ de l'extrémité
supérieure de l'instrument. Le manche a, a peu près, 2
pouces de large. L'instrument a 7 cordes, dont deux en
acier, qui sont tendues, l'une très-près de l'autre, du côté
droit de l'instrument; les 5 autres cordes sont en cuivre,
dont quatre au-dessus du manche et la 5e du côté
gauche.
L'instrument est accordé de la manière suivante :
m
P Q R
Ce qu'il y a de plus singulier et de plus remarquable
dans ces instrumens , c'est l'extrême hauteur des che-
valets. Le plus bas n'a, il est vrai, que '/8 de pouce de
hauteur; mais cette élévation augmente insensiblement
jusqu'à 7/8 de pouce, et il est, dès lors, évident que
la main ne peut pas toucher le manche. Ces chevalets
n'occupent pas une place invariable sur le manche; l'exé-
cutant les pose , d'après son oreille, comme il le juge con-
rfccc
S T U V
venable, en les fixant avec un peu de cire. L'instrument
a 19 chevalets ; j'ai marqué sur la gamme suivante les
tons qu'ils rendent, en leur conservant les noms que leur
donnent les Indous. Il est très-remarquable que les noms
changent après les mêmes demi-tons que dans notre mu-
sique européenne, car, d'après cette gamme, les Indous
ont, comme nous, aux degrés fa, sol , la, ut et ré deux
tons chromatiques différais :
m ^r io
m
u^
S S £ a a z
o o s
u 3 -g
rô -3 >J ■%•
*JLJ^iAJ=h&=^
tfi
,-M
ffi^Ê
» es. ; ,S o ô à ■ . j§, ,a« ■ a q js ■ ë;. . .,ù5 ■ Si ■ ■ 5
1 ) ' 'oir la ligure n° 2 dans le supplément du n° 25 de la Guzi tte Musicale.
216
GAZETTE MUSICALE
Les cordes marquées des lettres R , S, T, Q sont,
comme on le voit, employées le plus fréquemment; les
autres ne le sont le plus souvent qu'a vide , et le G et le
B qui manquent en haut, sont produits par une pression
de la corde aux chevalets du fa dièze et du la. Il paraît,
du reste, que, par suite de la construction propre aux
mélodies Indiennes , ces tons se présentent rarement. A
l'aide de la citrouille placée a l'extrémité supérieure de
l'instrument, on prend laVina sur l'épaule gauche, de telle
façon que, dans l'attitude ordinaire de l'exécutant quand
il est assis, l'autre citrouille repose sur le genou droit.
Quant au doigté, c' est-a-dire la manière de presser les
cordes sur les chevalets respectifts, on se sert principale-
ment de l'index et du doigt du milieu de la main gauche;
on joue delà 5e corde avec le petit doigt; on ne fait pas
du tout usagé du 4-e ; les deux premiers doigts de la main
droite tirent les sons des A cordes du manche ; le petit
doigt les tire des deux cordes d'acier. Lorsqu'on veut
faire résonner l'instrument bien fort, on remplace quel-
quefois les deux premiers doigts par de petits bâtons de
métal; mais, alors leson, qui est naturellement agréable,
n'a plus de charme, du moins pour des oreilles telles
que les nôtres. Les Indous ont une grande agilité sur
cet instrument , et y jouent des mélodies d'un mouve-
ment très-précipité.
Js ne suis guère a même de fournir des détails sur la
musique des Indous en général ; mais , à mon avis ,
elle est a la fois agréable et empreinte d'un cachet
particulier et propre au pays. Son caractère principal est
une douce mélancolie. Plusieurs circonstances et l'an-
cienneté ainsi que la perfection de la F'ina, celle de quel-
ques autres instrumens , de la gamme, etc., conduisent
et autorisent a penser que les Indous cultivaient déjà la
musique dans un temps bien plus reculé , et qu'ils avaient
atteint, dans la culture de cet art, un bien plus haut de-
gré de perfection. »
Les détails que renferme cet article , détails dont la
précision prouve qu'ils ont été fournis par |un homme
versé dans les connaissances musicales, sont de la plus
haute importance, en ce que la division et le rapport
des tons de cet antique instrument offrent une coïnci-
dence parfaite avec les nôtres, et que, dès lors, ils dé-
montrent suffisamment que, partout où la musique a
été le langage simple et naturel du sentiment, et chaque
fois surtout qu'elle s'est perfectionnée jusqu'à devenir
réellement un art, il n'a jamais pu exister d'autres tons
et d'autres modifications ou de rapports de tons, que
ceux qui se trouvent naturellement dans la voix humaine,
et qui sortent encore aujourd'hui de nos gosiers et du
corps de nos instrumens. Celte vérité est, ainsi que nous
venonsdele dire, delaplus haute importance relativement
aux investigations qui ont pour objet la nature de toute
musique qui n'existe plus; comme, par exemple, celle
des anciens Grecs , laquelle grand nombrede savans et
de musiciens veulent absolument investir des quarts et
tiers de tons que notre oreille ne distingue pas.
Traités Méthodiques.
Traité méthodique d'harmomie où l'Instruction prati-
que et simplifiée est mise a la portée des commançans,
par M. Gérard, ancien professeur au Conservatoire
de Musique. Prix : 56 fr.
Idées suit une théorie de la. musique, par
A. Kretzschmer.
S'il arrivait un jour que l'histoire voulût examiner la silua-
lion de la musique à l'époque actuelle , et qu'elle s'avisât de
baser son jugementsur le mérite de nos compositions musicales
considérées sous le rapport de l'art et de la poésie, d'après
quelques livres détaillés , tels que ceux que nous désignions plus
haut, ainsi que beaucoup d'autres encore dont nous pourrions
donner ici le titre , certes un bien triste résultat se produirait
alors. En général, on est forcéde convenir que, principalement
pour la musique, la théorie n'a pas, depuis quarante ans,
marché d'un pas égal avec la pratique ; il est hors de dout.r que
la science musicale comme tout ce qui a rapport à son ensei-
gnement est restée incomparablement en arrière de l'exercice
pratique de l'art, mais ce désavantage devient bien plus frap-
pant encore, si la comparaison est établie entre la musique et
toutes les autres seiences théoriques ou pratiques dont l'étude
compose l'éducation de l'homme. Que'ques progrès réels ont
pourtant été faits on ne peut le nier ; quel ne doit donc pas être
notre étonnement lorsque aujourd'hui encore nous rencontrons
des ouvrages comme ceux que nous annonçons , le premier si
complètement dépourvu de principes solides, dans lequel il
est impossible de trouver la moindre trace d'un ordre systé-
matique et logique, où l'on chercherait en -vain la clarté, la vé-
rité et quelque point devue d'une philosophie élevée ; le second,
où, à coté de détails qui témoignent une instruction sientifique
des plus profondes , on prétend chercher les principes fonda-
mentaux de toute vérité musicale dans la musique des Grecs, des
Egyptiens, des Chinois et d'autres peuples de l'antiquité, main-
tenant presque inconnus, l'auteur nous accordant tout au plus
l'honneur d'avoir friit un léger progrès; ouvrage dans lequel
on déclare que notre harmonie n'est qu'un tapage insignifiant
f t où l'auteur n'a ni plus ni plus moins que le courage de pré-
tendre nous faire troquer nos oreilles contre celles des Chinois,
des Perses ou des Turcs? Nous devons à nos lecteurs quelques
preuves de ce que nous avançons etnous nous décidons d'autant
plus volontiers à donner quelques courts extraits de cet ou-
vrage, que ces citations seront pleinement suffisantes pour nous
dispenser d'une analyse plus étendue.
C'est ainsi que M. Kietzschmcr s'exprime à la page 6 de son
livre : « On peut affirmer que pour ce qui est de l'harmonie,
» nous avons surpassé les Grecs ; mais il n'est pas moins vrai q'^
» quanta la mélodie nous n'avons jamais atteintà leur hai-/0ur-
» Ils ne connaissaient ni accords parfaits ni accords de septième,
« etc. , etc. Leursaccompagnemens harmonique était celui dont
» se servent encore aujourd'hui les Chinois, les Perses et les
» Turcs. Mais aussi notre oreille ne peut plus comme la leur
« saisir pleinement la beauté d'uncmélodie pure et non dominée
» par une masse bruyante d'harmonie, nous ne pouvons plus
«distinguer comme eux [l'intervalle délicat qui sépare le sol
» bémol du fa dieze et Y ut bémol du si naturel; nos théoriciens
» ont le sensde Youïe tellement émoussé qu'ils enseignent à
» regarder le sol bémol comme plus élevé d'intonation que le
« fa dièze , et pourtant ils accordent ce point qu'on doit ré-
» soaàre fa diêze sur sol, tandis que le_le sol bémol opère sa
» résolution sur \e fa naturel.
« En général , nous ne sommes plus capables de créer un
» Apollon du Belvédère non plus qu'une Vénus de Médias;
j» mais en revanche combien nos tailleurs et nos coiffeurs ne
)> l'emportent ils pas sur ceux des Grecs ! »
Une chose qui ne nous surprendrait pas le moins du monde ,
serait de voir nos lecteurs prendre M. Kretzschmer pour un es-
prit plaisant et moqueur, dirigeant sa satire [contre ce nom-
bre encore assez considérable d'écrivains qui , de la meilleure
foi du monde , et en adjurant tous les saints du paradis , nous
assurent gravement que nous ne réussirons à retrouver une
musique raisonnable , que lorsque nous nous déciderons à traiter
cet art comme on le faisait à l'époque des jeux olympiques, ou
comme l'enseignoit Ptolémée, ou bien encore lorsque nous
serons assez heureux pour composer à la manière de Pales-
trina ou de Josquin, de Bach ou de Haendel, de Lulli ou de
Rameau, etc., etc, (1) Une telle supposilion serait cependant
fort erronée. Nous connaissons personnellement M. Krelz-
schmer et nous le savons trop bon enfant pour le juger capable
d'un Ici procédé.
Le passage suivant donnera à nos lecteurs une idée delà mé-
thode de démonstration adoptée par M. Kretzschmer. Il parle
de la gamme et il dit à ce sujet :
a L'octave se compose de cinq tons entiers et de deux lim-
» mas, ou bien , puisqu'un ton entier est lui-même composé
» d'une apotome et d'un limma, l'octave est formé par cinq
» apotomes et sept Iimmas ou, pour préciser encore avec plus
» de justesse , puisqu'un apotome contient un limma et un
» petit comma , l'octave se compose donc de douze Iimmas et
» de cinq petits commas, et se divise, comme nous le savons,
» en deux moiiiés inégales , dont l'une est une quarte com-
)i posée de deux apotomes et de trois Iimmas (cinq Iimmas et
» deux commas) , et par conséquent ne formant pas tout-à-fait
» la moitié de l'octave, et dont l'autre est une quinte composée
» de trois apotomes et de quatre Iimmas (sept Iimmas et trois
« commas, plus grande par cette raison qu'une moitié d'octave).
» De même la nature a divisé aussi la quinte en deux parties
» qui ne sont pas égales, ou en grande et petite tierce dont la
» première renferme deux apotomes et deux Iimmas, et la se-
(1) Nous ne craignons pas un seul instant que nos lecteurs
se méprennent sur la portée de ce que nous disons ici , et qu'ils
n en tirent une conclusion contraire à noire profond respect,
nous dirons même à l'espèce de vénération religieuse dont nous
sommes animés pour ces maîtres immortels.
( Note de l'Auteur.)
» conde un apotome et deux Iimmas , ce qui prouve que l'une
» est plus grande et l'autre plus petite que la moitié de la
» quinte. »
Donnons maintenant un petit échantillon des prophéties mu-
sicales émises par l'auteur.
« Mais il est évident
que nous ne sommes encore parvenu-
» qu'au seuil du temple de la musique ! Dans cent ans ou peuts
» être mieux, à une époque encore plus rapprochée, découragés
» que nous serons nous autres Européens par l'énormité des
» dettes publiques ou par tout autre motif, nous retournerons
» peut-être sur nos pas et nous habiterons une autre partie du
» globe : l'une des Amériques ou l'Australie où nous appren-
» cirons à régler et à employer convenablement les accords
» de septième et de neuvième. Nous réapprendrons alors à
» distinguer mélodiquement l'intervalle euharmonique qui
» existe entre ut bémol et si naturel , nous saurons nous en
» servir avec fruit , et , par son [secours, nous apprendrons à
» connaître et à comprendre toute une nouvellemine d'accords
u euharmouiques. Telle est probablement la marche que sui-
» vra la musique long-temps après que j'aurai disparu de cette
» terre. Du fond de ma tombe j'adresserai alors mon salut au
« musicien qui saura mettre en œuvre ce que mon esprit n'en-
» trevoit encore que confusément. »
Si de telles erreurs excitent par elles-mêmes un sentiment
pénible , elles paraissent tout-à-fait inexplicables de la part d'un
homme qui d'un autre côté a conçu de l'art et des effets qu'il
produit des idées si justes et si bien senties. Nous citerons
d'autant plus volontiers le passage suivant de l'ouvrage de
M. Krelzshmer que c'est la plus belle réponse qu'on puisse
adresser à une opinion émise , il y a peu de temps , par un ha-
bile musicien, savoir , que la musique n'est rien autre chose
que l'art d'être aussi agréable aue possible à l'oreille :
« Sainte musique, fille du ciel ! toi qui consoles les affligés ,
» qui verses un nouveau charme sur 1rs joies de l'homme heu-
» reux , qui remplis de feu le cœur du guerrier , qui disposes
» un cœur aimant à une tendresse plus vive ; toi qui soutiens
u et ranimes les âmes pieuses, et ne te tais que pour les mé-
« chans, qui donc es-tu? quelle est donc ton essence? toujours
u la même par les effets que tu produis, chez tous les peuples,
» sous toutes les zones et à toutes les époques, et cependant , si
« différente de toi-même , ici et là , jadis et aujourd'hui, som-
» mes-nous donc destinés à ne pas le comprendre , à ne jamais
» entrevoir qui tu es , quelle est ta nature ; toi l'écho mélo-
» dieux d'une plus belle vie , toi Psyché , toujours iusaissisable,
u à moins que tu n'étendes tes ailes? Te dis-tu donc Isis vé-
» nérée : Je suis, je fus, je serai, et personne n'a porté son
» regard sous mon voile qui ne doit être agité par aucune main
u mortelle !
Si on peut blâmer M. Kretzschmer de se laisser aller avec
trop d'abandon à côlé de la plus ordinaire prose à la poésie ou
du moius à ses rêveries poétiques , c'est un reproche qu'on
ne sera pas tenté d'adresser à M. Gérard. Partout des princi-
pes arides expliqués par un déluge d'exemples spéciaux,
ainsi que les appelle l'auteur, jamais un raisonnement logi-
que, jamais une recherche approfondie de la vérité: tel est
ce livre sans commencement et sans fin; livre du nombre de
ceux qui, au lieu d'éveiller l'esprit, ne sont que susceptibles
de le tuer. Cette sorte d'ouvrages ne peut s'adresser qu'à
GIZETTE MUSICALE
ceux qui se contentent de mots au lieu de choses et qui sont
doués d'une obéissance passive.
Le livre dans son entier est divisé en dix chapitres dont deux
seulement sont pourvus de titre. Chaque chapitre se subdi-
vise en plusieurs articles. Nous allons, aussi succinctement que
possible , essayer de donner à nos lecteurs une idée de cet ou-
vrage , au moyen de quelques extraits.
Le premier article du premier chapitre présente un tableau
des différentes clefs ; ce tableau n'est pas là à sa véritable place,
et de plus il n'est ni complet ni convenablement expliqué.
L'auteur dit par exemple : « C'est par la place que la clef oc-
« cupe dans la portée, que l'on voit pour quelle voix ou quel
» instrument un morceau de musique est écrit. C'est aussi
» au moyen de leurs différentes positions supposées ou réelles
« que l'on transpose une pièce de musique dans un autre
» ton. u Tout cela est au moins très-peu clair. Viennent en-
suite quatre articles sous la désignation « Elémens. » Dans le
second de ces articles nous trouvons un détail d'ailleurs in-
complet, « des mesures anciennes et des modernes », sans
que l'auteur ait songé à établir le moins du monde ce qu'on
doit comprendre par le mot mesure. Dans l'article trois « des
» mouvemens de la mesure » , nous trouvons quelques remar-
ques assez justes , mais mal placées ici , sur les mouvemens que
l'on désignait autrefois par les expressions tempo ordinario,
a capella et tempo giusto. Quant aux autres manières de
préciser le mouvement au moyen de certains mots italiens ou
des numéros du métronome , il n'en est pas fait la moindre
mention. Au surplus que fait ce chapitre à cette place? Le qua-
trième article détaille les différentes acceptions du mot ton , et
n'est pas plus satisfaisant. — Dans le neuvième article l'auteur
traite du nombre des dièzes et des bémols dans les différens
tons. Comment ce sujet trouve-t-il ici sa place , c'est ce que
nous ne pouvons comprendre. — Le second chapitre s'occupe
des trois mouvemens , des signes de renforcement et d'affai-
blissement du son, de l'accolade. Quel incroyable mélange des
élémens les plus hétérogènes! Quel peut être le point de liaison
entre l'accolade et le crescendo et le decrescendo , et entre ces
derniers et le mouvement contraire oblique ou droit et vice
versa? Le second article de ce chapitre a pour litre : « Du
Diapason des voix , et celui du troisième article est : de YU-
nisson considéré comme intervalle. Lejquatrième a rapport aux
genres chromatique, diatonique et enharmonique. Nous le ré-
pétons ; quelle confusion d'idées ! Mais lorsque cette confusion
existe dans l'esprit même de l'auteur , peut-on s'attendre à une
théorie claire et logique. Nous accorderons volontiers
l'auteur, qu'il a traité son sujet avec un zèle assidu; nous
convenons même que dans tout le cours de sou ouvrage
M. Gérard se montre un musicien fort estimable (ce qui peut
fort bien arriver à un homme sans qu'il soit pour cela un bon
écrivain). Nous ajouterons que son livre contient plusieurs
choses excellentes qui n'ont d'autre défaut que d'être trop con-
nues et d'être reproduites sous une forme obscure ou aride ;
mais enfin quelle que puisse être la répugnance avec laquelle
nous nous y décidons , nous devons signaler cette production
comme répondant trop peu au point élevé, ou l'art est parvenu
aujourd'hui pour que nous puissions donner une analyse
plus étendue des autres chapitres et articles qui sont encore
en fort grand nombre.
Correspondance.
Saiut-Pélersbourg, le 13 mai.
La Chapelle impériale. — La Muette de Poktici.
Carl Mater.
J'ai entendu beaucoup de belle musique l'hiver dernier :
plusieurs symphonies de Beethoven , la grande symphonie de
Maurer , ouvrage qui, par son originalité et son instrumenta-
tion, est une production immense pour notre époque, et la
grand'mcsse en ré mineur de Cherubini, œuvre vraiment re
marquable , et qui rappelle toujours à mon esprit l'inimitable
Mozart, que Cherubini s'est proposé comme modèle. J'ai en-
tendu aussi résonner la voix colossale de mademoiselle
Heinefetter , ainsi quenelle de mademoiselle Carl ; c'est mal-
heureux que cette dernière chante rarement des œuvres classi-
ques. Mais Ce qui surpasse tout, ce sont les chanteurs de
la cour impériale, chœur immense de voix divines, d'en-
fans, déjeunes gens, et d'hommes, chantant constamment
sans accompagnement (si ce n'est dans les concerts étran-
gers), n'exécutant que les pieuses et angéhques compositions
de l'ancienne église chrétienne, ces grandes et pures créations
des immortels génies de l'art musical , des Palestrina, Hasse,
Lotti, Pergolese, Haendel, Sébastien Bach, Fesca , etc. et
exécutant tout cela d'une manière à faire rêver le ciel. Des
voyageurs qui ont entendu à Rome la chapelle pontificale
disent que la chapelle russe surpasse encore celle de Rome ,
réputée jusqu'ici comme étant sans rivale (1).
J'ai vu aussi la Muette de Porlici, ouvrage qu'on appelle ici
Fenella , et qui nulle part assurément n'est mis en scène avec
plus de luxe et de magnificence qu'à Saint-Pétersbourg. Mais je
me sens saisi d'une tristesse mortelle toutes les fois qu'il faut en-
tendre cette musique, dont l'esprit est l'opposé du goût et de
l'art , bien qu'il soit impossible d'y méconnaître des beautés
détachées , aiusi que le cachet d'un certain talent. Cette œuvre
est là comme un oracle de génie pour prédire la chute désor-
mais inévitable de l'art , et annoncer l'esprit infernal du moyen-
âge, qui tieut notre époque dans ses griffes (2).
Le célèbre pianiste Carl Mayer n'a donné aucun concert
pendant l'hiver dernier. Vous allez me demander si c'est faute
d'avoir du succès; nullement, et c'est plutôt par un mo-
tif tout opposé, s'il faut en croire le bruit qui s'est répandu, et
qui , du reste , paraît très-vraisemblable. On dit qu'au der-
nier concert [donné par Carl Mayer, ce viituose avait distri-
bué beaucoup plus de billets que la salle ne pouvait contenir de
personnes, et que les amateurs désappointés allèrent se plain-
dre au ministre de la police qui manda l'artiste dans son cabi-
net. Il paraît qu'alors a eu lieu une scène dans laquelle le pia-
niste oublia probablement qu'il se trouvait à Saint-Pétersbourg:
ce qu'il y a de certain, c'est que le ministre de la police a in-
timé à M. Mayer la défense de donner aucun concert dans
cette ville.
MM. Gerke et Schreinzer, jeunes pianistes allemands, out
joué souvent l'hiver dernier et ont obtenu beaucoup de succès.
{Journal de Musique de Leipzig.)
(1) Voir la Gazette Musicale, numéros 2 jusqu'à 5, chapelle
Sixtine, par M. Mainzer.
(2) Jede Ansicht muss angehoert werden. Goethe.
(Il faut écouter toutes les opinions.)
REVUE CRITIQUE.
La Mer, Lied. Imitation de l'Allemand, par H. Nougier,
musique de J. Dessauer. Prix : 3 francs (1).
Puisque nous ne craignons pas de critiquer sans ménage-
ment dans cette feuille des œuvres publiées indistinctement par
tous les éditeurs, il doit nous être permis de parler avec
éloge des efforts que fait M. Maurice Schlesinger, uniquement
dans l'intérêt de l'art musical pour acclimater sur le sol fran-
çais certaines productions telles que, par exemple , le Lied al-
lemand , genre de composition du plus haut mérite , et dont il
livre successivement au public un choix remarquable sous la
forme tantôt de traductions , tantôt d'imitations. Dans le nu-
méro 20 de ces feuilles , nous avons déjà fait connaître les qua-
lités caractéristiques des Lieder et le développement progressif
de ce genre, en classant leLied dont nous nous occupions alors,
parmi les productions de la seconde époque de l'art allemand
en fait de Lieder. Le morceau ci-joint appartient à la troisième
époque que nous avons désignée dans notre article précité. Si
la forme extérieure est ainsi suffisamment définie, il ne nous
reste que peu d'observations à faire sur son mérite intrinsèque.
Ce dernier Lied se distingue par un chant profondément senti
et plein d'expression , qui s'appuie sur une harmonie aussi belle
que caractéristique, harmonie qui accompagne jusqu'au bout
une figure mélodique parfaitement adaptée au morceau et
donne à l'ensemble un singulier charme. Nous devons aussi
faire une mention particulière de la belle diction des paroles
allemandes et faire compliment à M. Nougier quia traduit avec
talent et bonheur. Au résumé, si ce Lied pouvait encore laisser
quelque chose à désirer, ce serait peut-être un seule change-
ment dans le rhylhme, qui peut sembler un peu monotone vers
la fin de l'air. Nous espérons que les amis de l'art s'attacheront
bientôt avec prédilection à ce genre de compositions à la fois si
noble et si poétique.
Fantaisies pour la Flûte avec accompagnement de
Piano, sur des motifs àuRevenant, par A. Cottignies.
Op. 53. Prix : 7 fr.
Quelques motifs du Revenant sont ici arrangés avec talent
et sans prétention , de manière à former un tout que l'on est
convenu d'appeler fantaisie. Dans ce genre de morceaux, une
certaine liaison des différons motifs s'obtient au moyen de
quelques idées intermédiares, et avec le secours de quelques
variations des motifs qui s'y prêtent le mieux , la fantaisie se
trouve avoir une longueur suffisante. C'est ainsi qu'on parvient
facilement à coudre ensemble une introduction, un soi-disant
premier morceau allegro moderato, un andanie ou quasi
adagio avec un presto ou allegro en guise de finale , et l'œu-
vre est consommée. Quant à l'art et à la poésie, nous n'avons
pas besoin de remarquer qu'il n'en est et ne peut-être ici au-
cunement question. Du reste et à part toutes ces petites consi-
dérations , le présent opuscule est tout aussi beau que les quel-
ques centaines d'œuvres du même genre publiées par des
compositeurs connus par de grands succès, aussi n'avons-
nous nullement l'intention de blâmer cette production de
(i) Nous donnons cette romance comme supplément.
M. Cottignies , que nous connaissons comme un artiste
fort distingué , notre seule idée étant de mettre à leur place
toutes les compositions de ce genre. Cet ouvrage est très-
brillant pùur l'exécutant , et il doit être d'un assez grand effet
dans le salon ou même dans une salle de concert.
Souvenirs théâtral; deux Fantaisies élégantes pour
le piano, sur des motifs favoris de l'opéra Anna
Bolendj par Czerny ; Op. 247. Prix : 6 fr.
Nous ne savons pas ce que M. Czemy appelle une fantaisie
élégante. Mais ce qu'il y a de certain pour nous , c'est qu'il
faut «ne bien petite dose d'imagination , si toutefois il en faut,
pour écrire des œuvres comme celles que M. Czerny, cet ar-
tiste, d'ailleurs si estimable, publie aujourd'hui avec ce double
titre quelque peu prétentieux. A l'exception des motifs aussi
chantants que gracieux quoique peu neufs que l'auteur a cm-
pruntés aux ouvrages de Douizetti , et qu'il n'a pas même su
arranger avec bonheur pour former un tout musical dans l'ac-
ception la pus ordinaire du mot, nous ne trouvons absolu-
ment rien à louer dans cette production, rien même qui soit à
peu près digne du nom de Czerny.
Souvenir théâtral, trois fantaisiesélégantes pour lepiano sur :
1° La Norma de Bellini.
2° La Straniera. Id.
3° Montechi e Capulelti. Id.
Tout ce que nous venons de dire plus haut s'applique entiè-
rement à ces trois numéros. Le seul mérite de semblables œu-
vres est de ne pas renfermer de trop grandes difficultés et de
fournir en même temps à ceux qui n'ont pu entendre au théâ-
tre les opéras italiens , l'occasion de faire connaissance avec
plusieurs motifs gracieux; c'est de la marchandise comme nous
en voyons souvent avec le nom de Henri Herz , dans les maga-
sins de musique , et que le public commence à apprécier à leur
juste valeur.
Thème original varié pour le violoncelle, avec ac-
compagnement d'orchestre ou de piano, par Auguste
Franchomme; Op. S.
Ce joli thème original est reproduit par trois variations plus
ou moins étendues qui en général sont d'une assez grande diffi-
culté, quoique ne s'écartant jamais de la nature de l'instrument.
Ces variations sont tout à la fois brillantes et gracieuses comme
on avait droit de s'y attendre de la part d'un artiste aussi dis-
tingué que l'auteur. Nous éprouvons cependant le besoin d'ex-
primer un vœu que nous avons formé depuis long-temps et
qui du reste est loin de nous être suggéré par l'opuscule si
distingué de M. Franchomme. En général, nous voudrions voir
les violoncellistes rechercher plus souvent l'occasion d'utiliser
les cordes graves de leur instrument , ces cordes qui ont des
sons si riches et si nobles. Il est rare que nous ne les voyions
pas s'obstiner à faire comme les violonistes qui sont toujours
grimpés dans les hautes régions du chevalet.
GAZETTE MUSICALE DE PARIS.
NOUVELLES.
!*\ Tandis que l'Opéra fait toujours d'abondantes recettes
avec Roberl-le-Diable, Don- Juan et même avec la Muette de
Portici et la Tentation , qui ne sont point encore usés , l'ad-
ministration de ce théâtre ne néglige point l'avenir. On répète
tous les jours la Tempête, ballet, musique de Sclmeitzhofer, qui
doit être représenté vers la fin du mois pour les débuts des jo-
lies demoiselles Elsler. La Juive, opéra en cinq actes, poème
de Scribe, musique A'flalevy, est en répétition. Les artistes
parlent avec enthousiasme du premier acte de cet ouvrage ,
qu'ils ont répété ensemble il y a quelques jours , et si nous
en croyons les personnes dignes de foi qui ont vu la parti-
tion , la Juive est uu opéra destiné à un succès à la Robert.
+% La Dame Blanehe s'est trouvée rajeunie sous les traits de
madame Masi, qui continue ses brillants débuts à l'Opéra-
Comique. Nous avons l'espérance d'entendre incessamment, à
l'occasion d'un bénéfice, le Barbier de Rossini, et pour nous
donner la plus jolie des Rosine; c'est madame Masi qui la re-
présentera ; c'est un rôle dans lequel celte artiste pourra faire
valoir ses avantages.
+% L'Opéra-Allemand, sous la direction musicale de M. Che-
lard, continue avec succès ses représentations à Strasbourg.
*^ On lit dans le Journal des Artistes, du 29 juin : «Le
» célèbre Paganini vient d'inventer un instrument qui doit faire
» l'étonnement et l'admiration de tous les dilettanti. Ce grand
» artiste cherchait depuis long-lemps à produire des sons qui
« offrissent une ressemblance avec la voix humaine. Il croit y
» être parvenu au moyen de l'instrument dont nous parlons,
« et qu'il a nommé la contraviola Paganini ; il est à la viole,
» comme son nom l'indique, ce que la double-basse est au
» violoncelle. Paganini ne craindra point de rival pour le ma-
» niement de cette contraviola, car lors même qu'on parvien-
« drait à l'égaler pour l'exécution , ce qui est presque impossi-
» ble, personne autre que lui n'aurait le bras a*sez long pour
« tenir et parcourir le manche de l'instrument. On en con-
« naîtra bientôt les effets. «
Nous ne prononcerons pas sur le mérite de cet instrument
sans l'avoir vu et entendu ; mais nous craignons que l'inven-
tion n'en soit pas si nouvelle que le semble croire l'inventeur.
Sans parler de la viola di spa'la encore en usage au commen-
cement du siècle passé, viole assez lourde qu'on tenait sur l'é-
paule et qu'on fixait à cause de son poids , au moyen d'un ru-
ban attaché à la poitrine , nous rappellerons ici un instrument
de l'invention de Jean-Sébastien Bach , auquel il avait donné
le nom de viola pomposa. C'était \me viole à cinq cordes
d'un volume plus grand et d'un son plus bas que la viole ordi-
naire. Augmenter ou diminner le volume d'un instrument,
ajouter ou retrancher une corde , etc. , ce sont là de ces inven-
tions qui ne présenteut guère de difficulté que pour le choix
d'un nouveau nom. C'est ainsi qu'on a créé une foule d'instru-
mens qui n'ont pas survécu à leurs auteurs. On verra si la con-
traviola Paganini aura un sort plus heureux.
*+ La fête musicale de Magdebourg aura lieu les 2, 3,4
juillet; M. Frédéric Schneider est chargé de la direction de
cette solennité, qui promet d'être très-brillante.
+* A. Choron, le créateur et le directeur du Conservatoire
de musique clasique qui a rendu de si grands services à l'art
musical, vient de mourir après une longue mabidie. Nous con-
sacrerons quelques (donnes dans notre prochain numéro à la
biographie de cet artiste , si plein de science , de zèle et de dé-
sintéressement.
* Madame Quiney est de retour de son voyage ; espérons
que le beau ciel d'Italie a donné à sa voix plus de justesse et
plus d'agilité.
+*+ M. Ferdinand Ries, vient d'être engagé à Aix-la-Cha-
pelle, comme directeur des orchestres et de l'Académie de
chant de cette ville , avec un traitement de 1,500 thalers (en-
viron 6,000 fiv).
Musique nouvelle ,
Publiée par Maurice Scblesinger.
Adam, le Proscrit arrangé pour deux flûtes par Walkiers.
7 f. 5o
— Ouverture du même opéra arrangée par le même. 4 f. 5o
— Le même opéra arrangé pour deux violons par Strunz.
7 f . 50
— Ouverture de cet opéra arrangé pour deux violons par le
même. q f. 50
Publiée par Richault.
Carnaucl. Etudes, variations, préludes et morceaux divers
doigtés avec le plus grand soin pour le cornet à piston , pre-
mier livre. 12f.
Publiée par Troupenas,
Herz et Lof ont. Trois duos concertans pour piano etviolonsur
des thèmes favoris.
N° 1. Valse du duc deReichsiadt; n° 2. Thème de Gustave;
n° 3. Cavatine de Zelmire. Chaque , 7 f. 50
Publiée par A. Petit.
Gallay œuvre 28. Troisième mélodie pour le cor avec accom-
pagnement de piano sur un^ cavatine de la Somnambula.
7f. 50
— OEuvre 29. Souvenirs du Pirate de Bellini, fantaisie pour
cor et piano. 7 1'. 50
— OEuvre 30. Fantaisie brillante pour cor et piano sur un
motif delà Straniera de Bellini. 7 f. 50
Nota. La partie de cor de ces trois œuvres peut s'exécuter éga-
lement sur le cornet à pistons.
OUVRAGES PUBLIÉS PAR LA MAISON PLEYEL ET O .
Achetés par Prilipp et C".
Dizi. Toutes les OEuvrcs édites par MM. Plejel.
Pleyel (C.) 6 mélanges pour lepiano. N° 1 à 6.
Bauduau. Méthode de violoncelle. Première et deuxième partie.
Kalkbrenner. OEuvres 85, 88, 92, g3, 96.
Achetés par Henri Lemoine.
Kalkbrenner.Op. 16,-17, 18,19,21,22; 25,26,28,30,32,33,
34,37,39, 40, 43, 45, 46, 47, 48, 54, 56, 58, 58, 60, 64, 68,
72, 79, 94, g5, 97, 98, 100, 101 , 102, 103.
Achetés par A. Petit.
Czerni. Premier et deuxième Décameron à deux et à quatre
mains.
— Op. 161. 48 études.
— Op. 1 72 Grande sonate à quatre mains.
Garnier. Méthode de hautbois.
Opéras et Concerts de la semaine.
OPÉRA. — Lundi, Guillaume-Tell, Nathalie. — mercredi, la Muette. —
Vendredi, le COMTE Oby , la SOMNAMBULE.
OPÉRA-COMIQUE. — Dimanche , UNE BONNE FORTUNE, le PrÉ-AUX-CLERCS
et l' Aspirant. — Lundi, les Deux Mousquetaires, le Dilettante et le
Pré. — Mardi , Lestocq. — Mercredi , Ludovic et la Dame Blanche. —
Jeudi, Lestocq. — Vendredi, les deux Mousquetaires, la Dame Blanche
et une Bonne Fortune, — Samedi , Lestocq.
THEATRE N AUTIQDE. — Mardi , jeudi et samedi , Guillaume- Tell.
COXC ERTS . — Champs Élysées et Jardin Turc , tous les jours concert.
Ci-joint un supplément contenant : la Meh, Lied, paroles
de M. Nougier , musique de Dessauer.
MM. Les abonnés, dont l'abonnement finit
le 3o juin, sont priés de le renouveler s'ils ne
veulent pas éprouver de retard dans l'envoi du
Journal. MM. les libraires , marchands de mu-
sique et tous les bureaux de messageries en
province acceptent les abonnemens sans aug-
mentation de prix.
Gérant, MAURICE SCHLESINGER.
rie d'ÉVERAT, rue du Cadr;
Gazette Musicale <ie Paris.
S j^plemem an 27Y' Numéro. T^ A TVT Jl Tl
r , (LI ED! Musique de DESSAUER.
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Ie: année 6 Juillet 1834.
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GAZETTE MUSICALE
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N° 28.
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PARIS.
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Paraît le DIMANCHE de chaque semaine.
On s'abonne au bureau de la Gazette musicale de paris, rue Richelieu, 97;
et chez tous les libraires et marchands de musique de France.
On reçoit les réclamations des personnes qui ont des griefs à exposer, et les avis relatifs à la inusiqu
qui peuvent intéresser le public.
PARIS. DIMANCHE 13 JUILLET 1834.
Les lettres, demandes
et envois d'argent doi-
vent êire affranchis, et
adressés au Directeur ,
rue Richelieu, 97.
EXPOSITION
DES PRODUITS DE L'iNDUSTME.
(4° Article.)
Pianos.
Avant d'aborder l'examen des pianos, disons quel-
quelques mots sur la disposition de la salle qui malheu-
heureuseinent n'est pas avantageuse pour les instrumens
dont nous allons nous occuper. Si on les envisageait
comme meuble de luxe, dont il suffirait de voir l'exté-
rieur, il n'y aurait rien a dire, tout serait bien placé.
Mais l'extérieur n'est qu'une partie accessoire d'un in-
strument de musique; le mécanisme, la qualité du son
en font le principal mérite. Pour en juger, il faut pouvoir
l'ouvrir, l'essayer; or c'est la précisément a quoi on n'a
pas pensé ou pensé trop tard. On avait mal calculé la
place qu'il fallait aux facteurs exposans , les pianos sont
arrivés en nombre, et force a été de les serrer de manière
qu'il fut impossible d'en approcher. Enfin des retarda-
taires sont venus envahir une partie de la place destinée
d'abord a la circulation déjà' assez restreinte. Tous ces
embarras auraient pu être évités , si l'on y avait songé à
temps; mais un inconvénient attaché a la construction
de la salle même n'en aurait pas moins subsisté,
c'est le manque de sonorité. L'entourage de tapis,
absorbant le son, est défavorable aux instrumens exposés.
Juger d'un piano qu'on n'aurait entendu que l'a, ce se-
rait juger de 'a qualité des couleurs qu'on n'aurait vues
qu'au crépuscule. Aussi le jury a-t-il reconnu l'impossi-
bilité de faire son examen dans le pavilion même ; il a
choisi une salle plus convenable au Louvre, et on y a
transporté les pianos que les facteurs ont voulu pré-
senter au concours. Nous ne pouvons qu'applaudir à
celte mesure, mais nous désirerions qu'a l'avenir on
trouvât moyen d'en prévenir la nécessité , en plaçant
les instrumens de musique dans un local d'exposition
tel que l'exige la nature de ces objels.
La fabrication des instrumens de musique est devenue
une branche très-considérable de l'industrie et qui va
encore prendre de plus grands développemens; c'est une
branche à part, en ce que ses produits ne peuvent s'ex-
poser a la simple vue. Il faudrait destiner aux instru-
mens une salle particulière qui, répondant aux lois de
l'acoustique, put faire ressortir leurs qualités de son. L'a
les amateurs auraient les moyens de comparaison , et le
but de l'exposition d'être un véritable concours, serait
atteint pour les facteurs comme il l'a été pour les au-
tres fabricans. Pour mal arranger un chose, mieux vaut
ne pas l'arranger du tout; et nous concevrions le dégoiit
de quelques-uns de. nos premiers facteurs qui ne vou-
draient plus se présenter a une exposition future, si elle
se faisait comme celle d'aujourd'hui.
Après avoir indiqué les mesures à prendre pour fa-
voriser les progrès de l'art et de l'industrie qui s'y
rattache, il nous semble convenable de constater la mar-
che qu'où a suivi pour arriver a la perfection de l'instru-
ment qui nous occupe.
Celui qui, le premier, plaça sous une corde tendue
une touche munie d'une lame de cuivre, ne se doutait
guère de l'importance que prendrait dans les siècles sui-
vans une invention si simple dans son origine, et pro-
bablement il ne voulait qu'améliorer le monocorde que
le déplacement continuel des chevalets rendait d'un
222
GAZETTE MUSICALE
usage incommode. Suivons pas a pas les perfection-
nemens pour ainsi dire imperceptibles, les transfor-
mations successives de cette idée première.
Dans l'antiquité , le monocorde ne servait qu'a me-
surer les proportions des sons , et pour cet effet on se
servait de chevalets mobiles au moyen desquels on divi-
sait la corde. Dans le moyen âge on le fit servir de plus
à régler l'intonation du chant, et c'est alors surtout qu'on
reconnut les imperfections de cet instrument, et les pre-
miers efforts tendirent a remplacer par un mécanisme la
mobilité des chevalets qu'on ne pouvait déplacer qu'à
l'aide des mains. Ce mécanisme ne consista d'abord
qu'en de minées morceaux de bois, sur lesquels une
lame placée perpendiculairement tint lieu de chevalet.
En comprimant cette touche , la lame montait vers la
corde et non-seulement opérait la division , produite
auparavant par le chevalet, mais la faisait résonner en
même temps, et dispensait de la nécessité de la pin-
cer avec le doigt. Ce moyen trouvé, on en tira parti;
on augmenta peu a peu le nombre de ces touches , on
multiplia les cordes, on plaça le tout dans une petite
caisse, et voila le clavicorde inventé, bien petit sans doute,
au son bien mince, mais toujours un premier instrument
a touches et à cordes. Il conserva d'abord le nom de mo-
nocorde ^ preuve évidente de son origine, jusqu'à ce que
le nom de clavicorde prévalût. Ce fut là l'origine de
l'innombrable famille des iustrumens à touches qui se
sont succédés jusqu'à nos jours, et dont une grande
quantité est tombée dans l'oubli^).
Cependant le besoin de sons plus forts fit bientôt
trouver des moyens différens de les produire. On inventa
des sautereaux munis de pointes de plume qui pinçaient
la corde dont la touche correspondante subissait la pres-
sion du doigt. Ces iustrumens reçurent le nom d'e'pi-
nettei, à cause de ces pointes ou épines qui attaquaient
la corde. Le son de ces épinettes, plus fort que celui du
clavicorde , était pourtant encore trop faibleà côté d'au-
tres instrumens. Pour l'augmenter, on agrandit le vo-
lume delà caisse ; on la construisiten forme triangulaire,
ressemblant à celle de nos pianos a queue, et cet instru-
ment prit alors le nom de clavessin. Il fut long-temps le
roi des instrumens à touches , et n'a été complètement
détrôné quedansla seconde moitié du siècle passé, après
(I ) Le clavicorde pcifi ctionné existe encore dans quelques con-
trées du nord de l'Allemagne. En France l'usage s'en est perdu
depuis long-temps. Mais il serait inexact de prétendre avec la
Revue Musicale (tom. VIII, p. 176), que cet instrument n'y a
pas été introduit. Il y était connu sons un autre nom ; car c'est
le maiiichovd'wn , décrit par Meerenue dans son Harmonie
universelle , liv. III, des Instrumens , pag. "M 4.
avoir lutté en vain contre son successeur, le piano, qui
avait sur lui des avantages incontestables. Dépourvu des
moyens de nuancer le son, le clavecin n'en rendait que
d'uniformes, et le jeu de cet instrument, malgré diffé-
rens registres et d'autres améliorations qu'on y introdui-
sit, restait sec et monotone. Le piano au contraire per-
mettait au musicien , de varier le degré de la force selon
la manière dont il frappait les touches, et même dans
son premier état d'imperfection il était , sous ce rapport,
bien supérieur au clavecin le plus parfait. Cependant
cette supériorité fut assez long-temps à être généralement
reconnue, et le piano eut des antagonistes qui, encore
en 1763, se moquaient de ce qu'ils appelaient une mal-
heureuse innovation , disant que jamais le forle'-piano ne
pourrait, dans les orchestres, tenir lieu de clavecin, et
que son usage ne deviendrait jamais général. Cette pré-
diction, grâce au génie de quelques facteurs habiles de
cette époque , s'évanouit bientôt et depuis lors d'innom-
brables améliorations ont successivement porté cet ins-
trument au degré de perfection où nous le voyons au-
jourd'hui.
Nous ne ferons pas ici l'histoire du piano; cela nous
mènerait trop loin ; d'ailleurs nous nous réservons cette
tâche pour un travail spécial sur les instrumens à touches.
Mais nous ne pouvons nous dispenser de dire quelques
mots sur la date de cette invention , pour rectifier les
erreurs qui se sont propagées à ce sujet. Ceux qui pré-
tendent que les premiers pianos parurent à la fin du dix-
huitième siècle, ou qui, avec l'auteur d'un écrit ré-
cemment publié , n'en font remonter l'origine que
vers -1775, se trompent grossièrement. D'autres, attri-
buant celte invention à Godefroy Silbertnann, célèbre
facteur d'orgues à Freibergeu Saxe, en fixent l'époque
vers -1740, c'est encore une erreur. Silbermann fut, il
est vrai , un des premiers qui se mirent à fabriquer régu-
lièrement des pianos, mais il n'en est pas lui-même
l'inventeur. Avant lui on en avait construit plusieurs
dans quelques villes de l'Allemagne sur le modèle de
Scbrœter. Cet homme ingénieux qui, dans un état con-
tinuel de gêne eut durant toute sa vie le malheur de ne
pouvoir exécuter ses projets, avait, en -1717, conçu
l'idée du piano , et construit deux essais inachevés qu'il
présenta en 1721 à l'électeur de Saxe, dans l'espoir
d'obtenir lesmoyens d'exécuter en entier son instrument.
Schrœter n'obtint que des promesses, et, décidé enfin à
quitter la capitale de Saxe, c'est en vain qu'il réclama
ses modèles qu'on avait gracieusement acceptés. Peu de
temps après , différens facteurs essayèrent la construc-
tion de cet instrument, sans qu'il fût question de Schrœ-
ter ; chacun se disant lui-même l'inventeur. On trouve
223
à ce sujet des détails étendus dans une longue lettre
que Schrœter publia en 1 763 pour revendiquer l'hon-
neur de sa découverte. Cette lettre , très-curieuse sous
plusieurs rapports, contient en même temps le dessin de
l'un de ses modèles. La mécanique, comme on le pense
bien, est fort simple; le marteau se mouvant sur une
espèce de goupille, était poussé vers la corde par un pi-
lote perpendiculaire a la touche . L'autre modèle est remar-
quable en ce que son système de construction consistait
à placer les marteaux en-dessus des cordes. L'auteur
n'en donne pas le dessin, disant qu'il avait depuis
long-temps abandonné lui-même cette idée , à cause des
imperfections résultant du peu de solidité des res-
sorts destinés à relever les marteaux des cordes „ et a
cause de la difficulté de remonter les cordes cassés et
d'accorder l'instrument. Aussi les imitateurs de Schrœter
s'en tirent-ils au système ordinaire des marteaux placés
en-dessous, système qui a prévalu fort long-temps. De
nos jours quelques facteurs de Vienne ont repris le sys-
tème des marteaux en-dessus , sans être plus heureux
dans leurs tentatives que le facteur Hillebrand (1)
en 1783. Il était réservé a M. Pape, de triompher de
toutes les difficultés que présente cette construction.
Revenons un moment a Schrœter pour examiner si
l'invention du piano lui appartient réellement. On lui
a contesté ce mérite, on l'a même accusé de plagiat, en
citant un essai fait avant lui en Italie, et dont on lui
supposait la connaissance. En effet, un Italien, Barto-
lommeo Cristofali de Padoue, avait antérieurement ima-
giné de substituer des marteaux aux sautereaux du cla-
vecin. En 1711 , il avait construit trois de ces instrumens,
et un journal italien de cette année publia une descrip-
tion de la nouvelle invention d'un gravicembalo col
piano e forte. Il s'y trouve ajouté un dessin dont la
comparaison avec celui de Schrœter permet de croire
que celui-ci ne l'a pas connu. Les professeurs italiens
s'opposant aux instrumens de Cristofali, son invention
n'obtint pas de succès et fut complètement oublié. Ce ne
fut qu'environ cinquante ans plus tard que des pianos-
forté, venant de l'Allemagne, s'introduisirent en Italie
et s'y répandirent de même qu'en Angleterre et en
France. Les premiers instrumens de ce genre avant été
(1) Dans YAlmanach musical de 1783. Part. I, page 5i , on
trouve la note suivante :
« Piano-Jbrlé composé par M. Hillebrand. La table barmo-
» nique a toute la longueur et toute la largeur donnée à cet
» instrument. Le clavier est placé sur un plan un peu plus
» élevé que celui sur lequel les cordes sont tendues. Les mar-
» teaux frappent les cordes en-dessus, au lieu que dans les
» jorle-pianos ordinaires les marteaux les frappent en-des-
» sous , etc. »
construits sur le modèle de Schrœter , on a pu lui accor-
der le titre d'inventeur, bien qu'il soit juste de recon-
naître qu'a Cristofali appartient l'idée première de sub-
stituer des marteaux aux sauteraux.
Quant aux clavecins a maillets qu'un facteur de Paris,
nommé Marius, présenta en 171 6 a l'académie, et dont
on trouve les dessins avec la description dans le recueil
des Machines et inventions, (tom. m, p. 83 — 90.) il
suffit de jeter un coup d'œil sur ces dessins pour voir
qu'ils n'ont rien de commun avec ceux de Cristofali et
de Schrœter. Dans ces essais grossièrement conçus et exé-
cutés, Marius était loin d'égaler le génie de ces deux
hommes , et il est certain que ses clavecins sont hors de
cause pour l'invention du piano (1 ).
(1) On lit dans la Musique mise à la portée de tout le
monde, page 1 5i et suiv. :
« Déjà, on 171 6, un facteur de Paris , nommé Marius, avait
» présenté à l'examen de l'Académie des Sciences deux clave-
» cins dans lesquels il avait substitué des petits marteaux aux
» languettes pour frapper les cordes. Deux ans après , Christo-
u foro, Florentin perfectionna celte invention et fit le premier
» piano qui a servi de modèle pour ceux qu'on a fails depuis
» lors; mais il paraît que les premiers essais de ce genre furent
» reçus froidement , car ce n'est que vers 1760 que Stumpf,
« en Angleterre, et Silbermann , en Allemagne, eurent des
« fabriques régulières, et commencèrent à multiplier les pia-
» nos. En 1776, MM. Erard frères fabriquèrent les premiers
» instrumens de Cette espèce qui aient été construits en France;
» c?r jusque-là on avait été obligé de les faire venir de Lon-
« dres. »
Ce passage mérite d'être examiné avec soin. Suivons l'au-
teur pas à pas. D'abord , quant à Marius , nous n'insisterons
pas sur un passage contradictoire du même auteur dans la Ile-
vue musicale de iS3o (t. vin, page 202), où il dit que
les clavecins à maillets de Marius étaient au nombre de trois.
L'un et l'autre est inexact , car Marius présenta quatre de ces
instrumens , et les dessins de tous les quatre se trouvent ensem-
ble dans le volume des Mémoires de l'Académie que l'auteur
lui-même a cité.
Quant à Christoforo Florentin , c'est Bartolomeo Cris-
tofali ; il était de Padoue, et non pas Florentin; mais ce fut à
Florence qu'il fit son instrument. Ceci ne pouvait être un per-
fectionnement de l'invention de Marins, parce que Cristofali,
au lieu de venir deux ans après, était venu cinq ans avant ,
en 171 1 . Aussi n'a-t-on qu'à comparer les dessins de l'un et
l'autre, pour se convaincre que leur mécanisme n'a pas la
moindre ressemblance. L'instrument de CristofaU n'a pas servi
de modèle aux pianos qu'on a faits depuis lors. C'est le mé-
canisme inventé par Schrœter, et qui est différent de celui de
Cristofali , que les premiers facteurs ont imité.
Quant à Silbermann , sa fabrique est au moins de vingt ans
antérieure à 1760. Il multiplia dès 1740 les nouveaux instru-
mens; car déjà en 1747 Frédéric-le-Grand possédait se\il forte-
piano, de sa facture, que ce roi avait payé chacun 700 thàh rs
(2,800 francs). Nous pourrions, au reste, nous appuyer sur
L'auteur lui-même qui, dans un autre endroit, est parfaitement
22&
GAZETTE MUSICALE
Tous les premierspianosavaient la forme du clavecin,
c'est-à-dire, on ne fit d'abord que des pianos à queue.
Ce ne fut que vers 1758 que Fiïederici, facteur d'orgues
à Géra, construisit le premier piano en forme carrée.
Poi-r le distinguer du forte-piano ou piano à queue, il
lui donna le nom de fort-bien. Ce nom s'est bientôt
perdu pour se confondre avec celui de forte-piano ,
piano-forte j ou , comme nous disons plus brièvement,
piano; mais la chose est restée. Friedeiïçi trouva beau-
coup d'imitateurs, et les pianos de forme carrée devin-
rent plus nombreux que les autres (1).
d'accord avec ce que nous venons d'avancer. Car nous lisons
dans la Revue Musicale de 1820, t. vin, p. 227 : Dès 1740,
Silbermaim et Spaett (écrivez Spatli), avaient déjà répandu
bon nombre de pianos en Allemagne , et les clavecinistes
s'étaient liâtes d'adopter ces instrumens , etc.
Quant à MM. Erard , ils ne sont pas les premiers qui aient
fabriqué des pianos en France. On en a^ait construits à Paris
avant eux, quoique en petit nombre. Sans parler ici du cla-
vecin à marteaux d'un'M. de Virbès, construit en 1770, nous
citerons un facteur d'orgues, nommé de l'Epine, qui, en 1772,
montra un forte-piano de sa facture , enrichi d'un jeu d'or-
gues, et sur lequel on trouve une notice dans l'Histoire de
l'Académie de celte année, t. i , p. 1G9.
Si , pour soutenir la priorité d'Erard , on nous opposait la
Revue Musicale de 1 830 (t. vin, page 260), où il est dit que
Sébastien Erard fabriquait dès 1766 des pianos, dont la bonté
lui procura une réputation européenne; il nous serait facile de
prouver l'erreur , ou , si l'on veut , la faute typographique de
ce. te date, en citant la Revue Musicale de 1 83 1 , page 214, qui
nous apprend que le jeune Erard arriva à Paris vers 1768,
pour se placer chez un facteur de [clavecins dont il devint bien-
tôt le premier ouvrier. D'ailleurs en 1766, Sébastien Erard né
en 1752 , n'avait que 14 ans> Nous ferons encore observer que
l'auteur d'un article du Temps, réimprimé dans le numéro 24
de la Revue Musicale, dit que Sébastien Erard est venu à
Paris vers 1775, et que le premier piano sorti de ses ateliers,
portait la date de 1778. Comment accorder toutes ces varian-
tes?
(2) Nous nous trouvons ici encore en opposition avec l'au-
teur déjà cité. Il croit que les pianos carrés ont précédé les
pianos à queue. Voie: le passage qui se trouve à ce sujet dans
son esquisse de l'histoire du piano {Revue musicale de 1830,
tom. vin, p. 257) : « Les moyens dont on se servit pour donner
» au piano ^l'intensité qui lui manquait, furent de deux sortes.
» Pour augmenter la sonorité de ['épinette, on avait élargi les
» dimensions de l'instrument, et l'on avait fait le clavecin ; il
» en fut de même du piano; après les petits pianos carrés, on
» fît des pianos à queue d'une forme à peu près semblable au
» clavecin. »
C'est toul-à-fait le contraire de ce qui a eu lieu. La marche
du développement du piano est l'inverse de celle du clavecin.
Celui-ci doit son origine à l' épinette , dont on augmenta le vo-
lume en changeant la forme carrée en forme à queue. Mais
quand on inventa le piano, on prit pour point de départ l'in-
strument alors le plus parfait; c'était le clavecin qu'on voulait
perfectionner en lui donnant la qualité de nuancer leson. Aussi
Tous les instrumens ont subi plus ou moins de chan-
gemens pour parvenir a l'état où nous les voyons au-
jourd'hui; mais il n'y en a aucun qui ait donné lieu a
autant d'essais de modifications que le piano. Ce serait
écrire un gros volume , que d'enregistrer tous ce qu'on
a fait a ce sujet ; un livre de cette nature serait curieux
et utile a la fois. Beaucoup de nos facteurs y trouveraient
a des époques reculées leurs découvertes toutes nou-
velles ; combien de choses tentées et abandonnées il y a
long-temps, puis reprises, pour être abandonnées une
seconde fois! Nous en avons donné et nous en donne-
rons encore plus d'un exemple.
Passons a l'exposition :
Dans notre tableau comparatif des expositions précé-
denles('l)onavul'immeiise progrès, quant aunombre des
exposans. 11 nous reste a examiner celui des instrumens
mêmes. A en croire les annonces brillantes des facteurs
de piano, chacun a contribué à avancer son art , chacun
a perfectionné quelque chose , ne fût-ce que la forme
des X. Il n'y a guère que M. Rogez qui avoue n'avoir
rien inventé, etson piano n'en est pas moins bon que ceux
de beaucoup de ses confrères moins modestes. Nous ne
nous occuperons ici que de ce qui nous semble avoir de
l'importance.
Parmi les cinquante-sept facteurs de piano qui se sont
présentés cette année, se rangent en première ligne :
MM. Erard , Pape et Pleyel. La manufacture d'Erard est
la plus ancienne de celles qui existent aujourd'hui.
Donnons lui le droit de préséance.
Le mérite de Sébastien Erard est connu ; son nombril-
leraà jamais dans l'histoire des instrumens auxquels il a
consacré une vie entière. Si nous lui avons contesté le
mérite d'être le premier qui ait construit des pianos en
France, nous aimons "a reconnaître que le premier, il y
n'a-t-on qu'à regarder les dessins, tant de Cristofali , que de
Schrceler, sans parler de ceux de Marins, pour se convaincre
que Ions étaient calculés pour le clavecin ou pour un instru-
ment dont les cordes eussent la direction des touches. Les pre-
miers facteurs de pianos ne pensèrent nullement à la forme
carrée. L'histoire, comme on a vu plus haut, nous a conservé
le nom du facteur qui l'adopta le premier.
Ce que nous venons de dire rectifie en même temps l'asser-
tion du même auteur (Revue musicale. Tom. vm , p. 258) , que
« les premiers pianos à queue furent construits en Angle-
« terre. »
Ce n'est pas dans un but hostile contre un écrivain célèbre à
juste titre , que nous avons écrit ces lignes. Nous aimons , plus
que tout autre , à reconnaître les grands services que ses
nombreuses recherches ont rendu à l'histoire de l'art. Mais
nous avons dû relever quelques inexactitudes qu'il serait
à. craindre de voir adoptées et répandues sous l'appui d'une
grave autorité.
(1) Voir le numéro 1 g de la Gazette Musicale.
a apporté des perfectionnemens remarquables et puis-
samment contribué a affranchir sa patrie du tribut qu'elle
payait a l'étranger. Avant lui le petit nombre des pianos
fabriqués en France ne suffisant pas aux amateurs , la
plus grande partie venait d'Angleterre et d'Allemagne.
Les pianos anglais l'emportaient pour la beauté du son
et la solidité ; les pianos allemands avaient l'avantagé
delà facilité du toucher. Réunir ces trois qualités, ce
fut l'a où tendirent tous les efforts de Sébastien. Nous ne
passerons pas en revue ce qu'il a fait a ce sujet ; ses prin-
cipales inventions ont été consignées dans un écrit pu-
blié par son neveu, et accompagné de dessins sans les-
quels les descriptions seraient difficilement comprises.
Jamais content de ce que d'autres admiraient comme
parfait , Sébastien cherchait toujours de nouveaux per-
fectionnemens, jusqu'à ce qu'il eût trouvé enfin un mé-
canisme qui couronna tous ses travaux et dont nous al-
lons parler ici. Ce fut en 1823 qu'il parvint a le con-
struire; il présenta alors à l'exposition un modèle de ce
mécanisme qu'on peut nommer un chef-d'œuvre de mé-
canique et qu'il adopta depuis pour ses instrumens. 11
s'était proposé un problème des plus difficiles , c'est de
donner au pianiste le moyen de faire parler la touche a
tel degré qu'elle fût enfoncée. On sait que dans les au-
tres pianos aussitôt qu'on a comprimé la touche , l'échap-
pement s'opère et le marteau retombe , et que pour faire
parler de nouveau la touche, il faut relever le doigt et
frapper de nouveau. Dans le nouveau mécanisme d'É-
rard, le marteau ne retombant qu'en propoition de l'a-
baissement de la louche, celle-ci parle a des degrés pres-
que imperceptibles décompression et l'on n'a pas besoin
d'en relever le doigt entièrcmentpour la faire répéter (|).
Quant au toucher, la dernière perfection semble ici
être atteinte et il sera impossible d'aller au-delà ; mais
une autre question se présente, c'est celle de la solidité.
On a reproché a ce mécanisme d'être trop compliqué
pour pouvoir être solide. Nous ne savons pas par expé-
rience, jusqu'à quel point ce reproche est fondé ; le
temps seul peut en décider.
Les instrumens exposéspar M. Pierre Erard qui di-
rige maintenant l'établissement de son oncle, étaient
de toute beauté. Nous ne dirons rien du piano d'or
avec ses riches peintures et sculptures dans le style
de Louis XIV- La description d'un instrument d'une
(1) Voyez la description de ce mécanisme dans la notice que
vient de publier M. P. Erard, sur les perfectionnemens ap-
portés à la fabrication des pianos , etc. Il est à regretter que
cette notice ne donne pas de dates précises. Les époques des
inventions de Sébastien n'y sont que vaguement indiquées. Il
nous semble cependant que l'auteur, plus que tout autre, de-
vait être à même de fournir à ce sujet des reuseignemens exacts.
telle magnificence que la vue seule peut en donner une
idée exacte, est au-dessus de nos forces ; d'ailleurs
nous tenons peu aux objets de pure curiosité et nous
aurions plutôt voulu examiner l'intérieur, chose im-
possible selon la volonté immuable de l'exposant.
Aux autres instrumens l'accès était libre , et , grâce
aux seins de les faire jouer tous les jours , nous les
avons entendus assez souvent. Malgré l'emplacement
peu favorable a la sonorité , ils produisaient beaucoup
d'effet.
Nous ne pourrions dire au juste le nombre des pianos
exposés par M. Erard ; son exposition changeait conti-
nuellement d'aspect par l'arrivée de nouveaux instru-
mens destinés a remplacer ceux qu'on retirait. Voici ce
que nous avons successivement remarqué :
Deux pianos a queue, l'un simple dans le goût des
meubles du jour, l'autre en style gothique ;
Un grand piano vertical a six octaves et demie;
Un piano de nouvelle forme pour remplacer le piano
carré dans un salon.
Ces instrumens avaient tous le nouveau mécanisme.
Les autres étaient a échappement ordinaire perfec-
tionné.
Deux pianos carrés, l'un a trois, l'autre a deux cordes;
Trois pianos droils dont deux à cordes verticales,
l'un a cordes obliques. Ce dernier était le seul k sept
octaves ; tous les autres n'avaient que six octaves et
demie, et nous aillions voulu féliciter M. Erard de ne
pas avoir fait cette concession a un abus, qu'un facteur-
pianiste s'obliue a répandre par ses instrumens et ses
compositions. Nous y reviendrons plus tard.
H serait difficile de choisir parmi ces pianos, rivali-
sant tous par le fini du travail et des qualités supérieures.
Notre éloge se bornera a dire que tous étaient digues du
nom de leur facteur.
A côté d'Erard se trouvait M. Pape.
Depuis douze ans environ qu'il a fondé son établisse-
ment, ce facteur distingué s'est livré aux améliorations
de ses instrumens avec une persévérance qui lui a fait ob-
tenir les plus hem eux résultats, mais surtout depuis 1827
époque où il abandonna le mécanisme ordinaire pour lui
substituer un mécanisme inverse.
On a vu plus haut qu'à la naissance même du piano,
Schrœter avait déjà proposé deux systèmes, l'un de
marteaux placés en-dessous, l'autre de marteaux en-dessus,
et que ce fut le premier qui , seul prévalut. On a vu que
le système des cordes frappées en-dessus pendant long-
temps a été repris avec peu de succès. Nous ignorons, si
M. Pape a eu connaissance de ces essais, ou s'il doit cette
idée à ses propres investigations. Quoi qu'il en soit, le
mérite d'avoir complètement réussi où ses prédécesseurs
G4ZETXE MUSICALE
avaient échoué, est assez grand pour qu'il puisse sans re-
gret abandonner celui de la priorité.
On conçoit que le mécanisme de M. Pape devait être
plus compliqué que le mécanisme ordinaire. Dans ce-
lui-ci le marteau, après avoir frappé la corde, retombe
par son propre poids. Dans le nouveau mécanisme, au
contraire, le marteau frappant du haut en bas , il faut un
moyen quelconque pour le relever après le coup. L'em-
ploi d'un contre-poids, essayé par quelques facteurs , ren-
dait la touche lourde et difficile, de sorte que la répé-
tition accélérée d'une noie était 'presque impossible. Des
ressorts avaient , outre les mêmes inconvéniens , celui
de s'user, de perdre de leur élasticité , et de rendre alors
le clavier inégal, défaut plus grand même que la lour-
deur. Cependant il fallait opter entre ces deux moyens.
M. Pape s'est décidé pour les ressorts qui disposés par
lui d'une manière ingénieuse ne sont plus assujétis a
s'affaiblir et ont la force nécessaire a leur fonction sans
alourdir le clavier. Les touches des pianos construits
d'après le système de M. Pape, parlent avec beaucoup
de précision et avec assez de facilité. Il en garantit la
solidité et un succès complet a couronné ses travaux.
Ce qui fit persister M. Pape dans ses recherches pour
ce système, ce furent les avantages qu'il lui reconnut ,
et qui consistent dans une harmonie plus forte et plus so-
nore, dans la suppression du barrage en fer, et enfin
dans le maintien plus sûr de l'accord.
M. Pape a exposé cinq instrumens très beaux : un
piano a queue, un vertical, deux pianos carrés et
un d'une nouvelle construction en forme ovale. Dans
ces pianos le nouveau mécanisme est disposé de diffé-
rentes manières pour montrer les diverses applications
dont il est susceptible. L'attention des amateurs se por-
tait sur le piano ovale , petit meuble d'une élégante
simplicité dont le son, malgré le local défavorable, avait
une puissance étonnante en égard au volume de l'in-
strument. Nous aimons h féliciter M. Pape de ses
succès.
La manufacture de MM. Pleyel , aujourd'hui une des
plus considérables, a été établie, nous croyons, en 1809;
mais ce n'est que depuis \ 827 qu'elle a pris un déve-
loppement rapide et prodigieux. N'occupant alors que
trente et quelques ouvriers , elle en a depuis augmenté
le nombre a plus de deux cent cinquante, qui confec-
tionnent plus de mille pianos par an. Un tel succès ne
peut être dû quYune qualité supérieure de ses instru-
mens.
Le mécanisme anglais, comme nous l'avons déjà dit,
était toujours renommé pour sa solidité, mais l'inconvé-
nient de rendre la touche difficile à manier, s'opposait
beaucoup a son succès dans d'autres pays que l'Angle-
terre. Le clavier, il est vrai, parle avec précision , mais
pour le faire parler, il faut une main vigoureuse qui
n'est pas le partage de tout artiste ou amateur. Adopter
ce mécanisme pour des instrumens français , c'était
se mettre dans la nécessité de le perfectionner : voilà
ce qu'ont tenté MM. Pleyel, et en quoi ils ont par-
faitement réussi. Leurs pianos , rivalisent pour le
son avec les meilleurs pianos anglais , et leur sont supé-
rieurs pour la facilité de la touche.
Depuis qnelques années , MM. Pleyel ont introduit
plusieurs modifications dans la construction de leuis
pianos.
La table d'harmonie, partie la plus importante des
instrumens parce que c'est d'elle que dépend la qualité de
son , est quelquefois exposée à se fendre ou à se gercer.
Pour prévenir cet accident, on a imaginé delà doubler.
Le premier, que nons sachions qui ait eu cette idée, fut
unfacteur de Brunswick, nommé Lemme(l )qui, devant,
en 1771 , envoyer un piano a Batavia, craignit qu'une
table ordinaire ne pût résister aux variations de la tem-
pérature dans un si long voyage. Il colla deux tables
en bois de sapin l'une sur l'autre, de manière à ce que
les fibres de chacune, posées transversalement, se prê-
tassent une résistance mutuelle. Depuis lors plusieurs
facteurs ont suivi ce procédé. MM. Pleyel , voulant
donner à leurs tables d'harmonie le plus de solidité pos-
sible , ont, depuis 1 850, adopté un mode de placage en
bois d'acajou ou autre. Tous leurs instrumens , confec-
tionnés depuis , tant pianos que harpes, en sont munis,
et un grand nombre de pianos, expédiés pour l'Améri-
que, leur ont prouvé jusqu'ici la bonté de leur procédé.
MM. Pleyel ont exposé six pianos d'un extérieur élé-
gant et d'une excellence qualité :
Un piano a queue à sept octaves, dont la construc-
tion intérieure est en fer fondu , et le sommier prolongé
aussi en fer.
Deux -pianos carrés de six octaves et demi, le som-
mier également prolongé en fer. Tous les pianos carrés
sont sur des X à bascule qui maintiennent l'instrument
toujours d'a-plomb, et l'usage de ces X devient général
depuis l'expiration du brevet, que MM. Pleyel avaient
pris pour cette invention. Deux petits pianos verticaux,
appelés pianino , genre d'instrument dont la construc-
tion diffère des pianos droits, et qui a été importé
d'Angleterre en 1830. Ces instrumens d'un petit vo-
lume, se recommandent par la qualité du son.
Un grand piano vertical à deux cordes et six octaves
(i) C'était le grand père du facteur Lemme, de Paris, qui
vient de mourir le 5 de ce mois.
et demie. II a une construction particulière en ce que les
cordes et la mécanique sont placés derrière la table d'har-
monie , qui renvoie ainsi directement le son en dehors.
En général on ne saurait trop multiplier les essais pour
la construction et le placement de la table d'harmonie.
C'est la qu'il y a encore des découvertes a faire. L'a-
coustique est en arrière pour la théorie ; la pratique ne
marche qu'en tâtonnant, et c'est ainsi qu'elle a trouvé
la plupart de ses résultats.
Après avoir terminé la revue de ces célèbres facteurs,
on demandera sans doute, auquel des trois nous accor-
dons la préférence. A cette question embarrassante, nous
répondrons , qu'ici bas toute perfection n'est que
relative et qu'une perfection absolue ne sera jamais le
partage d'aucun artiste. Des routes différentes peuvent
conduire au même but ; il est bon que chacun poursuive
la sienne. 11 serait malheureux que tous les facteurs con-
struisissent leurs instrumens sur le même système, car
leur art deviendrait bientôt stationnaire, tandis que la
divergence de principes est une riche source de pro-
grès.
(La suite à un numéro prochain.)
Réponse de Paganini.
On lit dans Y Annotateur de Boulogne :
Attaqué de la manière la plus grave par un article de
votre dernier numéro, je dois vaincre ma répugnance à
parler de moi Stu public, en vous témoignant d'abord
mon étounement de vous voir accueillir une diatribe
contre moi, dont vous ne connaissez pas la vie, sans
avoir préalablement pris de sérieuses informations sur
les faits qui me sont imputés. Depuis long- temps je suis
habitué a voir la plus basse calomnie servir d'escorte à
tous mes voyages et d'accompagnement obligé aux ap-
plaudissemens que j'ai eu l'honneur de recueillir par-
tout : mes moindres actions ont été dénaturées; ma vie
privée a été indignement travestie par l'envie acharnée,
et de dégoûtans et absurdes romans accrédités comme
de l'histoire, avec une incroyable facilité. Je ne réclame
point : je me console en regardant au dedans de moi ;
puisse chacun en faire autant avec le même calme !
Mais accusé d'être le ravisseur d'une jeune personne
de seize ans , mon honneur noirci m'impose la tâche
pénible, mais nécessaire, de ramener les faits a la vérité.
Levant le voile de l'initiative W , que votre mé-
nagement a réservé pour mon calomniateur, quand vous
me nommez tout entier, je vais à mon tour montrer
M. Watson sous quelques-unes de ses faces hideuses.
M. Watson, accompagné d'une miss Wells, qui n'est
pas sa femme, et de miss Watson, sa fille, avait fait
avec moi un traité pour donner ensemble des concerts.
Ce traité, qui n'a point ruiné M. Watson, parce que
depuis long-temps il l'était , a toujours été exécuté par
moi , non-seulement avec fidélité, mais encore avec une
grande abnégation de mes propres intérêts. Pendant
mon dernier voyage a Londres, j'ai dû prendre a ma
charge les dépenses d'hôtel qu'il devaient être payées en
commun. Après compte réglé, j'ai fait a Watson remise
de 50 liv. sterl. qui me redevait. Mis en prison par
ses créanciers, pour la quatrième fois depuis cinq ans,
jJai fourni de ma poche 4-5 liv. pour le rendre à la li-
berté. Je m'étais, par mon traité, réservé le droit de
donner un concert d'adieux a mon bénéfice; mais,
sur sa prière, après sa sortie de prison, j'y renonçai pour
en donner un au nom de sa fille, afin que ses créanciers
ne vinssent pas prendre la recette, me réservant seule-
ment 50 liv. ; sa fille lui remit 120 liv. , produit net de
ce concert. Telle fut, monsieur, ma manière d'agir en-
vers Watson , dont les antécédens , que je n'ai connus
que trop tard, indiquent si bien le caractère. En effet,
un homme qui, depuis quinze ans, laisse languir dans
la misère sa femme légitime a Bath, éloigne de sa mai-
son un fils dont la mère saluait la mort comme un
bienfait qui lui dérobait l'infamie de son père ; qui ac-
cable des traitemens les plus inhumains sa fille, de-
vant laquelle il se livre a tous les désordres d'une vie
licencieuse ; cet homme, dont je n'offre ici qu'une faible
esquisse, mérite-t-il la moindre considération et le cré-
dit que vous accordez a ces récits calomnieux que vous
appeliez des renseignemens officiels?
J'arrive à l'accusation d'enlèvement , par laquelle on
veut faire croire qu'une amourette est la raison qui a
décidé miss Watson à venir me rejoindre a Boulogne.
Reconnaissant a cette jeune personne de grandes dis-
positions pour la musique, dont son père était hors d'état
de tirer uarti, je lui proposai d'en faire mon élève et
l'assurai qu'après trois ans d'études elle serait en état,
par son talent, de se procurer une existence indépen-
dante et le moyen d'être utile a sa famille, surtout a sa
malheureuse mère. Mes propositions , tantôt rejetées ,
tantôt acceptées avec de grandes démonstrations de re-
connaissance, demeurèrent finalement sans résultat. Je
quittai l'Angleterre, renouvelant a Watson mes offres
en faveur de sa fille.
Miss Watson, âgée de 18 ans, et non de 16, avait
déjà commencé la carrière du théâtre où elle pouvait
espérer des succès; mais les vues intéressées de son père,
sacrifiant son avenir au présent , s'arrangeaient mieux
de son séjour chez lui, où les plus indigues traitemens
GAZETTE MUSICALE DE PARIS.
la payaient de son concours dans les concerts , où les
plus rudes travaux du ménage la mettaient dans une
position pire que la dernière des servantes , obligée
qu'elle était d'obéir aux volontés de miss Wells, maî-
tresse de son père.
Lassée enfin de tant d'avanies, de tant de scandales,
c'est pour s'y dérober qu'elle s'est enfuie de la maison
paternelle , et que , se rappelant les propositions que
j'avais faites à son père, elle venait de son propre mou-
vement, demander protection à celui dont les conseils
et la bienveillance lui faisaient espérer un meilleur
avenir.
Je n'ai donc point enlevé missWatson, ainsi que la
fourberie de son père a osé m'en accuser , et si j'avais
eu cette intention coupable, rien ne m'eût été plus fa-
cile, car pendant que Watson était en prison, d'où ma
libéralité l'a fait sortir , sa fille était libre et seule , miss
Wells quittant sa maison toutes les nuits pour aller re-
joindre le prisonnier. .. Mais j'ai le courage de l'avouer,
miss Watson était sûre de trouver en moi le protecteur
qu'elle pouvait chercher et l'assistance que lui refusait
l'auteur de ses jours.
En cela, monsieur, j'obéis a une impulsion de bien-
faisance et de générosité qui mériterait, au lieu de blâme
et d'une lâche accusation, l'éloge des âmes honnêtes,
seules capables d'apprécier une bonne action. A ceux
qui y voient du libertinage et des sentimens honteux ,
pitié et mépris !
Maintenant, monsieur, d'après cet exposé, pensez-
vous consciencieusement qu'une jeune personne, mal-
traitée par son père et par une étrangère qui n'a aucun
droit sur elle, dût supporter toujours le fardeau d'une
existence aussi indigne? Miss Watson n'est-elle pas ex-
cusable de s'éloigner d'un séjour de désordres et de dé-
pravation? Et ne voyez-vous pas qu'en venant ici sans
pudeur, en compagnie de sa complice, miss Wells,
pour reprendre sa fille, M. Watson insultait encore cy-
niquement a la morale publique, sous l'apparence de
faire valoir ses droits de père.
Pour en finir, monsieur, avec cette triste affaire, je
proclame a haute voix que ma conduite a été sans re-
proche, mes vues honnêtes, désintéressées et conformes
aux idées de morale et de religion qui prescrivent se-
cours et protection a l'opprimé. Aussi aucune pensée ne
trouble ma conscience dans tout ce qui s'est passé a
l'égard de cette jeune personne, digne d'un autre sort
que celui qu'elle subit. Je me sens, au surplus, assez
fort pour rester au-dessus de tout ce que la mauvaise
foi et la méchanceté peuvent essayer encore contre un
homme dont quelque gloire et de lâches persécutions !
semblent disputer la vie , sans jamais abattre son cou-
rage. Recevez, etc. N. Paganimi. »
Musique nouvelle ,
Publications des Propriétaires de la Gazette
Musicale de Pari;.
POUR PARAITRE LE 1er AOUT.
PRIX : 1 FRANC
CHAQUE LIVRAISON.
tlDll
iec[ue
Receuil de Fantaisies , Rondos, Variations j Contre-
danses j Valses > etc., sur des motifs à" opéras et
romances favoris , composés par MM. Adam, Chau-
lieu, Chopin, Czerni, Herz, Hommel, Huwten,
Kalkbrenner, Méreaux, Moscheles, Pixis , Pra-
dher, Sovikski, Stoepel, Strauss, Musard, Tol-
eecque, Dufresne, etc., etc.
La Gazette Musicale de Paris , publiée uniquement
dans l'intérclde l'art, esta peine arrivée à son sixième mois
d'existence, et déjà elle a réuni à ses opinions la majorité des
artistes. Un pareil jounal peut et doit rendre de grands ser-
vices à la science en lui donnant Y unité quHui manquait ; les
propriétaires, encouragés par le succès, profiteront des béné-
fices de cette entreprise pour éditer au plus bas prix possi-
ble des ouvrages pour le piano, composés par les auteurs les
plus renommés. On publiera, à dater du 1er août, cliaque
mois, une livraison de ta Bibliothéqne populaire du pianiste,
qui sera du prix de i franc pour Paris, et ) franc 25 c. pour les
cîépartemens franco. Cliaque livraison se composera de ioà /5
pages d'impression et d'une couverture imprimée , cet ouvrage
sera adressé gratis aux abonnés de la Gazette Musicale.
Pour être souscripteur, il suffit de se l'aire inscrire et de
pa\er une livraison d'avance au bureau delà Gazette Musi-
cale de Paris, 97 , rue de Ricbelieu.
On annoncera dans les journaux le contenu de chaque li-
vraison ; la première, qui sera publiée le 1er août, contiendra :
Fantaisie sur des motifs favoris de ROBERT-LE-
DIABLE, par Charles Czerni.
La seconde, publiée ;le ■1er septembre, se composera de :
Caprice brillant sur des thèmes favoris de Ludovic,
de Hérold et Halévj, par Charles Chaulieu.
+% Les mélodies de M. H. Berlioz , dont l'édition était épui-
sée , -viennent d'être réimprimées. Les personnes qui les avaient
demandées inutilement chez M. Scblesingcr peuvent faire ré-
clamer les exemplaires retenus, ils leur seront remis.
Gérant, MAURICE SCHLESINGER.
GAZETTE MUSICALE
mm ^jimn
1" ANNEE.
IV
PIUX DE i/ABONNEM.
PARIS.
DÉPART.
ÉTRAKG
fr.
Fr. c.
Fr. c.
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8 75
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lan.30
33 »
36 »
Paraît le DIMANCHE de chaque semaine.
On s'abonne au bureau de la Gazette Musicale de Paris, rue Richelieu , 97;
et chez tous les libraires et marchands de musique de France.
Ou reçoit les réclamations des personnes qui ont des griefs à exposer, et les avis relatifs à la musiqu
qui peuvent intéresser le public.
PARIS. DIMANCHE 20 JUILLET IS34.
Les lettres, demandes
et envols d'argent doi-
vent êire affranchis, et
adressés au Directeur ,
rue Richelieu, 97.
Le Suicide par enthousiasme.
NOUVELLE.
L'enthousiasme est une passion comme l'amour. Le
fait que nous allons rapporter en fournit une preuve
nouvelle. En ^808, un jeune musicien remplissait de-
puis trois ans , avec un dégoût évident l'emploi de
premier violon dans un théâtre du midi de la France.
L'ennui qu'il apportait chaque soir a Forcheslre, où il
s'agissait presque toujours d'accompagner le tonnelier,
le roi et lefennier, les prétendus ou quelque autre par-
tition de la même école, l'avaient fait passer dans l'es-
prit de la plupart de ses camarades pour un insolent
fanfaron dégoût et de science, qu'il s'imaginait, di-
saient-ils, avoir seul en partage , ne faisant aucun cas
de l'opinion du puhlic dont les applaudissemens lui
faisaient hausser les épaules, ni de celles des artistes
qu'il avait l'air de regarder comme des enfans. Ses rires
dédaigneux et ses mouvemens d'impatience, chaque fois
qu'un pont-neuf se présentait sous son archet , lui
avaient fréquemment attiré de sévères réprimandes de la
part de son chef d'orchestre, auquel il eût depuis long-
temps envoyé sa démission , si la misère , qui semble
presque toujours choisir pour ses victimes des êtres de
celle nature, ne l'avait irrévocablement cloué devant
son pupitre huileux et enfumé. Adolphe D*** était,
comme on voit , un de ces artistes prédestinés à la souf-
france qui, portant en eux-mêmes un idéal du beau, le
poursuivent sans relâche, haïssant avec fureur tout ce
qui n'y ressemble pas. Glurk, dont il avait copié les
partitions pour mieux les connaître, et qu'il savait par
cœur, était son idole. Il le lisait, joua;t et chantait a
toute heure. Un malheureux amateur auquel il donnait
des leçons de solfège, eut l'imprudence de lui dire un
jour que ces opéras de Gluck n'étaient que des cris et du
plain-chant; D***, rougissant d'indignation, ouvre
précipitamment le tiroir de son bureau en tire une
dixaine de cachets de leçons, dont l'amateur lui devait
le prix, et les lui jetant a la tête : « Sortez de chez moi,
» dit-il , je ne veux ni de vous ni de votre argent , et
>' si vous 'osez repasser le seuil de ma porte, je vous
» jette par la fenêtre. » On conçoit qu'avec une pareille
tolérance pour le goût des élèves, D*** ne dut pas faire
fortune en donnant des leçons. Spontini était alors dans
toute sa gloire. L'éclatant succès de \a.Festale, annoncé
par les mille voix de la presse, rendait les diletlanti de
chaque province jaloux de connaître cette partition tant
vantée par les Parisiens, et les malheureux directeurs de
théâtre s'évertuaient a tourner, sinon a vaincre, les dif-
ficultés d'exécution et de mise en scène du nouvel ou-
vrage. Celui de D***, ne voulant pas rester en arrière
du mouvement musical , annonça bientôt a son tour que la
Vestale était a l'étude. D***, exclusif comme tous les
esprits ardens auxquels une éducation solide n'a pas ap-
pris a motiver leurs jugemens, montra d'abord une
prévention défavorable a l'opéra de Spontini, dont il ne
connaissoit pas une note « On prétend qne c'est un
» style nouveau, plus mélodique que celui de Gluck :
» tant pis pour l'auteur , la mélodie de Gluck me
» suffit; le mieux est ennemi du bien. Je parie que
» c'est détestable. » Ce fut en pareilles dispositions
qu'il arriva a l'orchestre le jour de la première répéti-
tion générale. Comme chef tle pupitre, il n'avait pas été
tenu d'assister aux répétitions partielles qui avaient
230
GAZETTE MUSICALE
précédé celle-là, et les autres musiciens, qui, tout en
admirant Lemoine, trouvaient néanmoins Spontini fort
beau, se dirent à son arrivée : « Voyons ce que va dé-
j) cider le grand Adolph.3. » Celui-ci répéta sans laisser
échapper un mot , 'un signe d'admiration ou de blâme. Un
étrange bouleversement s'opérait en lui. Comprenant
bien dès la première scène, qu'il s'agissait la d'une œu-
vre haute et puissante, que Spontini était un génie dont
il ne pouvait méconnaître la supériorité , mais ne se
rendant pas compte cependant de ses procédés, tout
nouveaux pour lui, et qu'une mauvaise exécution de
province rendait encore plus difficiles à saisir, D***
emprunta la partition, en apprit les paroles, étudia un
a un l'esprit, le caractère de chaque personnage, et se
jetant ensuite dans l'analyse de la partie musicale, suivit
ainsi la route qui devait l'amener a une connaissance
véritable et complète de l'opéra entier. Depuis lors on
observa qu'il devenait de plus en plus morose et taci-
turne, éludant les questions qui lui étaient adressées, ou
riant d'un air sardonique quand il entendait ses cama-
rades se récrier d'admiration: « Imbéciles! pcnsait-il
» sans doute, vous êtes bien capables de concevoir un
» tel ouvrage , vous qui admirez les Prétendus. » Ceux-
ci ne doutaient pas, a cette expression d'ironie qui se
dessinait sur les traits de D***, qu'il ne fût aussi sévère
pour 5/70«fc«z qu'il l'avait été pour Ansaume et Lemoine,,
et qu'il ne confondît les trois compositeurs dans la même
condamnation. Le final du second acte l'ayant ému ce-
pendant jusqu'aux larmes, un jour que l'exécution était
un peu moins exécral^e que de coutume, on ne sut plus
que penser de lui. Il est fou , disaient les uns , c'est une
comédie qu'il joue, disaient les autres, et tous, c'est
un pauvre musicien. D*** , immobile sur sa chaise,
plongé dans une rêveiia profonde, essuyant furtivement
ses yeux, ne répondait mot a toutes ces impertinences;
mais un trésor de mépris et de rage s'amassait dans
son cœur. L'impuissance de l'orchestre, celle plus évi-
dente encore des chœurs, le défaut d'intelligence et de
sensibilité des aateurs, les broderies delà première chan-
teuse, les mutilations de toutes les phrases , de toutes
les mesures, les coupures insolentes, en un mot les tor-
tures de toute espèce qu'il voyait infliger a l'œuvre, de-
venu l'objet de sa profonde adoration et qu'il possédait
comme l'auteur lui-même, lui faisaient éprouver un
supplice que je connais fort bien, mais que je ne saurais
décrire. Dante seul en eût été capable, en ajoutant ex-
près un huitième cercle a son enfer. Après le second
acte, la salle entière s'étant levée un soir en poussant
des cris d'admiration , D*** sentit sa fureur le sub-
merger, et, comme un habitué du parquet, lui adressait
plein de joie , cette question banale : « Eh bien !
» monsieur Adolphe , que dites-vous de ça ? — Je dis ,
» lui criaD*** pâle décolère, que vous et tous ceux qui se
» démènent dans cette salle , êtes des sots , des ânes , des
» brutes, dignes tout au plus de la musique de Le-
» moine, puisque, au lieu d'assommer le directeur, les
» chanteurs et les musiciens , vous prenez part en ap-
» plaudissant a la plus indigne profanation dont on
» puisse flétrir le génie. » Pour cette fois l'incartade
était trop forte, et, malgré le talent d'exécution du fou-
gueux artiste , qui en faisait un sujet précieux , malgré
la misère affreuse où l'allait réduire une destitution , le
directeur, pour venger l'injure du public, se vit forcé de
la lui envoyer.
D***, contre l'ordinaire des caractères de sa trempe,
avait des goûts fort peu dispendieux. Quelques épar-
gnes faites sur les appointemens de sa place et les leçons
qu'il avait données jusqu'à cette époque , lui assurant
pour trois mois au moins son existence , ammortirent
le coup de sa destitution et la lui firent même envisager
comme un événement heureux qut pouvait exercer une
influence favorable sur sa carrière d'artiste en le rendant
a la liberté. Mais le charme principal de cette délivrance
inattendue, venait d'un projet de voyage que D***
roulait dans sa tête depuis que le génie de Spontini lui
était apparu. Entendre la Vestale a Paris, tel était le
but constant de son ambition. Le moment d'y atteindre
paraissait arrivé, quand un incident que notre enthou-
siaste ne pauvait prévoir, vint y mettre obstacle. Né
avec un tempérament de feu, des passions indompta-
bles, Adolphe cependant était timide auprès des femmes,
et a part quelques intrigues, fort peu poétiques avec les
princesses de son théâtre, l'amour, l'amour furieux,
dévorant, l'amour frénésie, le seul qui put être le vé-
ritable pour lui, n'avait point encore ouvert de cratère
dans son cœur. En rentrant nn soir chez lui , il trouva
le billet suivant :
« Monsieur, s'il veus était possible de consacrer quelques
» heures à l'éducation musicale d'une élève, assez forte déjà
» pour ne pas mettre votre patience à de trop rudes épreuves,
» je serais heureuse que vous voulussiez bien disposer en ma fa-
» veur.Vos talens sont connus et apréciés, beaucoup plus peut-
>j être que vous ne le soupçonnez vous-même ; ne soyez donc
» pas surpris si , à peine arrivée dans votre ville, une parisienne
» s'empresse de vous confier la direction de ses études dans
» le bel art que vous honorez et comprenez si bien.
HoRTENSE N***.
Le mélange de flatterie et de fatuité ; le ton a la fois
dégagé et engageant de cette lettre excitèrent la curio-
sité de D***, et au lieu d'y répondre par écrit , il réso-
DE PARIS.
231
lut d'aller en personne remercier la Parisienne de sa
confiance, l'assurer qu'elle ne le surprenait nullement,
et lui apprendre que, sur le point départir lui-même
pour Paris, il ne pouvait entreprendre la tâche sans
doute fort agréable qu'elle lui proposait. Ce petit dis-
cours, répété d'avance avec le ton d'ironie qui lui con-
venait, expira sur les lèvres de l'artiste en entrant dans
le salon de l'étrangère. Sa grâce originale et mordante,
sa mise élégante et recherchée ; ce je ne sais quoi enfin
qui se fascine dans la démarche, dans tous les mouve-
naens d'une beauté delà Chaussée-d'Antin, produisirent
tout leur effet sur Adolphe. Au lieu de railler, il com-
mençait a exprimer sur son prochain départ des regrets
dont le son de sa voix et le trouble de toute sa personne
décelaient la sincérité, quand madame N***, en femme
habile, l'interrompit : « Vous partez, monsieur? oh!
» mon Dieu ! j'ai été bien inspirée de ne pas perdre de
» temps. Puisque c'est a Paris que vous allez, cominen-
» çons nos leçons pendant le peu de jours qui vous res-
» tent; immédiatement après la saison des eaux, je re-
» tourne dans la capitale où je serai charmée de vous
» revoir et de profiter alors plus librement de vos con-
» seils. » Adolphe, heureux intérieurement de voir les
raisons dont il avait motivé son refus si facilement dé-
truites, promit de commencer le lendemain, et sortit
tout rêveur ; ce jour-la il ne pensa pas a la Vestale.
(La suite à un numéro prochain.)
Sur les Quintes et les Octaves cachées.
Outre la théorie sur les quintes et octaves visibles
celles sur les quintes et les octaves cachées s'est acquis
une célébrité toute particulière, sans que pourtant l'im-
portance qu'on a donnée a cette question fût de nature
à mettre sous un jour des plus brillans le bon sens qui
a dirigé les recherches musicales. En effet, si la théorie
des quintes et des octaves cachées n'est en elle-même
que le développement extrême de celle des quintes
visibles, et si, comme la première , elle repose sur le
même principe erronné de l'uniformité dans le mouve-
ment des parties, principe au moins fort incomplet et
d'une vérité toute partielle, nous pouvons naturellement
en conclure que les principes par nous précédemment
établis devront nous apparaître aujourd'hui avec un nou-
veau degré de clarté et d'évidence.
Dans les numéros 8, 9 et 12 de la Gazette Mu-
sicale, je crois avoir démontré que les théories établies
sur les quintes et les octaves visibles reposent sur des
bases inexactes et j'espère avoir réussi a présenter la
question sous le jour 'qui lui convient réellement; ce que
j'ai dit a cette occasion doit s'appliquer avec une com-
plète anologie a ce qui me reste a dire au sujet des quintes
et octaves cachées. Je livre donc a mes lecteurs le résul-
tat de mes recherches; puisse cette question si fameuse
leur paraître aussi simple qu'elle est en effet.
Ce qui doit nous occuper avant tout, c'est d'apprendre
a connaître le théorème des quintes et octaves cachées
tel qu'il a été traité jusqu'à ce jour par les divers théori-
ciens, en déclarant jusqu'à quel point, d'après nos prin-
cipes déjà émis , nous partageons ou nous récusons l'au-
torité des maîtres. Il devra [donc nous suffire de nous re-
porter d'une manière générale à l'opinion des Koch et de
Turk comme représenlans de l'ancien système ou de
l'école de Bach, et à celle de Gottfried Weber comme
le représentant ou plutôt le créateur d'une nouvelle
théorie.
Koch, dans son dictionnaire de musique explique sa
théorie à peu près en ces termes :
a Les quintes et les octaves cachées sont celles qui, dans la
» marche de deux parties vers une consonnance parfaite, se
» laissent apercevoir alors seulement qu'on remplit l'espace
» existant entre cette consonnance et l'intervalle qui la précède
» ( autrement dit lorsqu'on se figure cet espace rempli, voyez
» le tableau, fig. 1 ). De semblables quintes ou octaves sont dé-
» fendues dans les parties extérieures ; mais .si la partie du'des-
» sus monte pu descend d'un degré, et que la basse au contraire
» procède par quarte ou par quinte ( Voir le tableau, fig. 2 ,
» elles sont alors permises sans aucune exception.
Turk dit ( page 87 de sa méthode sur la basse fonda-
mentale, quatrième édition ) :
« Outre les quintes et les octaves visibles, il en est encore
» d'autres qu'on appelle cochées. Il est vrai que ces dernières
)> ne sont point entendues; mais cependant une oreille bien
» exercée les sent aisément ou, tout au moins, on se figure voir
« ces quintes ou ces octaves cachées et les entendre réellement.
« Ces quintes et octaves produisent au moins en partie un
« effet désagréable; aussi nesonl-elles pas permises si ce n'est
i) eu cas de nécessité absolue. Il faut surtout les éviter sur les
» notes principales. On peut toujours les introduire au moyen
» des noies de passage cl dans ce cas, il serait fort difficile de
» de les éviter d'une manière convenable. »
Turk parle ensuite de quintes et octaves cachées sem-
blables a celles dont a parlé Koch , et qu'il est inutile
de citer ici une seconde fois.
Les lecteurs amont déjà remarqué le vague et l'en-
tière absence de logique véritable qui caractérisent les
théories établies par ces deux professeurs, et adoptées
depuis par la foule. Ces défauts paraîtront encore plus
frappans lorsque j'aurai exposé le système de G. Weber,
dont les principes sur cette matière l'ont du moins honneur
à son esprit logique, et suivant lequel le nombre des
quintes impropres ou cachées va presque a l'infini. We-
ber dislingue spécialement les espèces suivantes : A.
Les quintes interrompues par des silences. ( Voyez le
232
GAZETTE MUSICALE
tableau, fig. 3. ) Il va même jusqu'à indiquer comme
appartenant a la même catégorie les exemples indiqués
au tableau fig. 4, cependant il remarque, que ces quintes
sont presque insensibles a l'oreille surtout quand les re-
pos sont un peu prolongés.
B. Quintes brisées. (Voyez le tableau fig. 5.) Les
numéros 5 et 6 de cette figure, ne sont pas absolument
vicieux puisqu'on ne les remarque que conditionellement,
comme par exemple , lorsque le timbre des différentes
parties est tellement semblable qu'il devient impossible
pour l'oreille de suivre leur marche, de telle sorte qu'elle
n'en entend plus qu'une seule dans laquelle des quintes
apparaissent. Dans le style sévère, les quatre parties sont
tellement différentes , que cet inconvénient ne peut pas
pas exister. Ce principe ne pourrait donc tout auplus s'ap-
pliquer que dans des morceaux exécutés pardes instrumens
d'un seul et même timbre. Il est évident, qu'à propre-
ment parler, ces quintes ne rentrent pas dans le domaine
des quintes défendues.
Le numéro 5 est doublement vicieux, ( voir plus bas
ce que nous disons à ce sujet.) Le numéro 4 est incorrect
quand le rhythme du morceau n'est pas bien accentué,
mais surtout par la progression de la seconde à la troi-
sième note de la mélodie parce que, dans ce cas , cette
seconde note devient septième et qu'en conséquence il
n'est pas naturel qu'elle suive une marche ascendante.
Dans un mouvement rapide cependant , cet effet même
ne pourra pas être remarqué.
C. Quintes d'accent (Voir le tableau fig. 6), qui
n'existent que dans l'imagination, par cela seul qu'on
se figure comme seules existantes les notes sur lesquelles
on appuie principalement.
Mais si l'on peut se permettre de faire ainsi abstrac-
tion des notes essentielles d'une composition et de se
représenter par ce moyen des formes vicieuses, ue pour-
rait-on pas aussi se figurer qu'un passage juste dans la
réalité est faux? ne pourrait-on pas rêver des dissonnances
désagréables et dire alors : Le compositeur a écrit d'une
manière vicieuse. Est-il donc plus naturel de supprimer
des notes par la pensée que d'en rêver de toutes diffé-
rentes? Pauvres compositeurs !
D. Quintes cachées par des notes de passage. (Voir
le tableau, fig. 7 ).
Je le demande n'est-ce pas faire une véritable chasse
aux quintes, que de dire : « Oui , les notes intermé-
diaires sont ici seulement pour couvrir et masquer les
quintes? » Qui pourrait penser qu'un homme tel que G.
Weber ait pu prendre la peine de rechercher de sem-
blables exemples pour essayer de les classer et de criti-
quer chacun d'eux suivant son mérite ou son démérite ;
ces quintes par opposition avec celles que nous plus bas
appelons quintes d'oreille pourraient être nommées
quintes d'ceil, si toutefois il faut absolument, pour se
montrer savant, employer des expressions subtiles et un
style barbare.
E. Quintes par sauts qui ne peuvent être cachées à
l'œil que lorsque les parties procèdent en sautant ou en
se croisant. (Voir le tableau, fig. 8. ) Outre que cette
espèce de quintes et octaves se rattache, à vrai dire, aux
quintes brisées dont nous avons parlé plus haut , je sou-
tiens de plus qu'ici encore la cause du mauvais effet
ne repose pas sur des quintes qu'on ne découvre
qn'après de nombreuses opérations de l'esprit, mais
bien sur les harmonies incomplètes et étrangères l'une
à l'autre qui se suivent immédiatement sans aucune
transition; anssi, l'exemple précité sonnera-t-il toujours
mal , que cet exemple renferme ou ne renferme pas de
quintes.
F. Quintes intercalées. Ce sont les mêmes dont j'ai
déjà parlé d'après Koch et dont, par une singularité assez
remarquable, la plupart des théoriciens n'ont parlé qu'à
l'occasion des quintes et octaves cachées. M. G. Weber
dit que ces quintes sonnent quelquefois mal et quelque-
fois bien. Vogler les permet sans distinction, etc., etc.
Ici encore la vérité esl bien près de nous ; mais je revien-
drai sur ce sujet.
G. Quintes par mouvement contraire. (Voirie tableau
fig. 90
Si l'on veut chercher et trouver le vice (s'il y en a) du
premier de ces morceaux uniquement dans le rapport des
quintes qui se suivent, il faut, je l'avoue, adopter la
démonstration suivante de G. Weber : « Il n'y a, il est
vrai, dans cet exemple aucun parallèle de quintes, mais
comme le petit sol est l'image du grand, celte manière
de conduire la basse ne diffère guère de celle qui consis-
terait à mettre le grand sol en haut du premier accord,
et, dans ce cas, il y aurait réellemeut parallèle de
quintes. »
Maintenant ne peut-on pas appliquer à cette démon-
stration ce que M. G. Weber dit dans sa Théorie,
vol. iv, page 73. « Voilà ce que ces messieurs appellent
faire une démonstration ; n'est-il pas incroyable qu'on
ose offrir de semblables clînquans comme ayant une
valeur réelle? »
H. Quintes d'oreille. (Voir ie tableau, fig. iO.)
M. G. Weber s'exprime ainsi à ce sujet : II est in-
contestable que cette succession d'accords ne produise
pas un effet agréable ; mais vonloir en chercher la cause
dans une suite de quintes cachées, ce serait pousser
trop loin la rage depoursuivre tout ce qui s'appelle qu.n-
233
tes'; » et il donne alors plusieurs autres raisons très-
bien imaginées, il est vrai , mais qui ne sont justes qu'a
de certaines conditions.
Si nous résumons les précédentes théories, observa-
tions, démonstrations, etc., etc., sur les quintes et les
octaves cachées, il n'en résulte qu'une chose : C'est que
ces théories sont incomplètes, incertaines et en partie
erronnées, et qu'en conséquence elles sont aussi souvent
en contradiction avec elles-mêmes qu'avec la saine pra-
tique, qui existait cependant avant qu'on ne connût les
très-subtiles distinctions de Weber. Ce serait donc ren-
dre un service important , s'il était possible , de mettre
de côté tout ce long théorème en substituant a sa place
un principe qui traçât une limite exacte des quintes ca-
Ghées vraiment vicieuses , et qui enseignât en même temps
à les éviter ou a les faire disparaître. Ce principe nous
l'avons trouvé, il n'a rien de nouveau ; c'est le premier
principe de tous les beaux-arts, le principe qui repose
sur l'unité et la variété. Nous avons vu que la cause es-
sentielle du mauvais effet produit par les quintes et les
octaves visibles résidait uniquement dans l'atteinte por-
tée a ce principe; nous retrouvons le même motif pour
les quintes et les octaves cachées, et la même observa-
tion résulte de toute succession parallèle, c'est-a-dire
que ces successions, à quelque espèce qu'elles appartien-
nent, sont vicieuses ou mal sonnantes a proportion qu'il y
existe a la fois une trop grande uniformité dans le mou-
vement des parties, et une trop grande variété harmo-
nique, autrement dit, des accords étrangers les uns aux
autres. Si nous examinons tous les exemples cités comme
vicieux parïurk, Koch et Weber, nous trouverons
que ces quintes ou ces octaves cachées sont d'autant
moins vicieuses qu'on y remarque, ou , seulement un
mouvement semblable ou parallèle, l'uniformité, ou
bien seulement absence d'analogie et de rapports entre
les différens accords ; mais qu'en même temps, l'exemple
est doublement vicieux, quand les deux fautes se trou-
vent réunies. C'est ainsi, par exemple, que je trouve
tout-a-fait vicieuses les successions de quintes de la fi-
gure 5, successions interrompues par des pauses, parce
que ces pauses ne suffisent pas pour rendre insensible
l'uniformité des mouvemens. Mais ces mêmes successions
et principalement les trois premières deviendraient dou-
blement mauvaises, si la première note de la troisième
partie était un fa dièze; parce que dans ce casles tonalités
ré majeur et ut majeur, étrangères l'une a l'autre au
plus haut point, deviendraient trop rapprochées. Je
regarde comme insignifiant les exemples i et 2, d'après
le dernier principe que je viens de donner , et en outre
parce qu'ici il n'existe réellement pas de mouvement
parallèle. Il en est de même à l'égard des nos 4, 5 et 6,
mais je signale comme répréhensibles sur tous les points
la progression et la constitution harmonique du n° 5. —
Les prétendues quintes d'accent doivent être regardées
comme mauvaises, celles du n° 27, sous le double rap-
port de l'harmonie et du mouvement, celles des nos6et9,
sous le seul rapport des mouvemens, et seulement en-
core s'il est permis de dire : Oui , je me figure telle ou
telle irote hors de l'accord. Quant aux quintes citées sous
les lettres D et E je me suis déjà expliqué à leur égard.
Les quintes et octaves intercalées ainsi que les nomment
Koch et Tiirk ne sont , suivant l'opinion de Weber ,
reconnues comme vicieuses que lorsqu'elles pèchent
contre l'harmonie, autrement ajoute-t-il, tous les mor-
ceaux d'harmonie renfermeraient des fautes. Que les
quintes par mouvement contraire ne soient pas a propre-
ment parler des quintes, c'est ce qu'avoue Weber lui-
même. Il ne faut donc chercher le mauvais effet de ces
quintes que dans la divergence de l'harmonie , et les
quintes rassemblées sous le ne 10 ne sont aucunement
vicieuses. Il en est de même des quintes d'oreilles appar-
tenant a la lettre H.
F. STOEPEL.
Censure Théâtrale.
La circulaire adressée du ministère de l'intérieur aux
directeurs de spectacles doit intéresser les personnes
pour lesquelles la question des théâtres est une ques-
tion importante. Nous la reproduisons. Ainsi , voila la
censure rétablie. Voici le texte de la circulaire adressée
à MM. les directeurs des théâtres de Paris :
Monsieur, l'art. 1 1 du décret du 8 juin 1 806, encore
en vigueur aujourd'hui , donne h l'administration le
droit d'interdire les représentations théâtrales. Depuis
quatre ans, elle s'est trouvée dans l'obligation d'appli-
quer cet article et de défendre la représentation de plu-
sieurs pièces. Les manuscrits ne lui étant pas commu-
niqués, elle n'a pu, le plus souvent, prendre ce parti
que lorsque déjà les directeurs avaient fait les frais de
mise en scène. Il en est résulté des dommages pour eux
et des demandes en indemnités qui n'ont pu être admi-
ses. Les plaintes des directeurs ont fait sentir le besoin
de régulariser cet état de choses. C'est pour arriver a ce
but que je vous ai averti verbablemcnt, et que, survotre
demande , je vous avertis par écrit de ce qui a été ar-
rêté par le ministre de l'intérieur, pour l'exécution du
décret du 8 juin 1806.
Vous avez la faculté d'éviter tout dommage en sou-
mettant d'avance les manuscrits des ouvrages nouveaux
>34
GAZETTE MUSICALE
a la division des beaux-arts et des théâtres. Les pièces
qui n'auront pas été soumises seront interdites purement
et simplement, lorsque par leur contenu elles mérite-
ront l'application du décret, et vous ne pourrez imputer
qu'à vous seul les dommages qui résulteront d'une mise
en scène devenue inutile.
Agréez, monsieur, l'assurance de ma considération la
plus distinguée.
Le chef de la division des beaux-arts et des
théâtres, Gavé.
La Commission dramatique s'est -présentée chez
M. le Ministre de V Intérieur pour protester contre l'ap-
plication du Décret de -1806, et lui demander une loi
qui consacrât la liberté du théâtre et en réprimât la li-
cence. Voici la lettre circulaire de la Commission :
M. le Ministre, tout en ne nous dissimulant point
les difficultés d'une loi pareille, a bien voulu nous prier
de lui soumettre nos idées a ce sujet; mais il nous a
exprimé la crainte que les Chambres n'eussent point,
cette année, le loisir de s'occuper de cette loi. Nous es-
pérons qu'il en sera autrement.
Mais d'ici Ta , nous restons toujours sous l'arbitraire
du Décret de 1 806 , et dans le cas où, aux termes de ce
Décret, l'on voudrait arrêter un ouvrage avant sa re-
présentation, nous avons demandé que le manuscrit de
cet ouvrage ne fût pas livré a un commis qui pourrait
seul et à son gré, le condamner sans appel.
M. le ministre nous ayant priés de lui indiquer un
moyen d'arbitrage, nous avons pensé que les auteurs
ne pourraient avoir de meilleurs défenseurs que ceux
qu'ils avaient déjà investis de leurs pouvoirs et de leur
confiance. Nous lui avons proposé d'intervenir comme
conseils et avocats entre l'autorité et ceux de nos con-
frères qui voudraient bien accepter notre médiation ,
médiation toute officieuse et d'autant plus indépen-
dante, que la Commission dramatique se renouvelant
tous les ans, chacun sera appelé, tour a tour, à être
le défenseur de ses confrères. Ne pouvant détruire l'ar-
bitraire , nous avons cherché du moins a en amortir
les coups.
M. le Ministre y a consenti. Nous l'en remercions;
mais nous ne cesserons pas pour cela de demander à lui
et aux Chambres une loi, que ce provisoire même rend
indispensable, une loi qui consacre la liberté et en ré-
prime les excès.
Signé: E. Sciube, président; Dupaty, vice-prési-
dent; Mélesville , Ferdinand Langlé et Dumakoik,
secrétaires.
Pour copie conforme : les Agens des auteurs :
Signé : J. Michel, Guyot.
Correspondance.
Londres, 3 juillet.
Iht JHusicali
DANS L'ABBAYE DE WESTMINSTER.
Comme parmi les détails qui nous sont parvenus sur cette
fête, il s'en trouve qui, par leur spécialité, n'offriraient pas un
grand intérêt à nos lecteurs , nous nous bornons à en extraire
ici les observations les plus saillantes, en les faisant précéder
du programme de la fête et du tableau comparatif de la com-
position de l'orchestre de \ 784 et de l'orchestre de cette année.
PROGRAMME DE LA FÊTE.
nti.m Antlie
ïfllEEIÎERE J3URKTEE.
(antienne), de Haendel. — Créatii
in Haydn. — Morceaux
choisis !e Satmon , oratorio de Haendel.
DEUXIÈME JOnRWtE0
Coronatinn autlicin (antîeune\ de Haendel. — Air tiré de Davide Pénitente , par Mo-
zart. — Morceaux choisis de la messe en ut pal' Beethoven. — Morceaux choisis de la
2e messe de Haydn.- — Morceaux choisis de Josua , oratorio de Haendet. Morceaux
choisis de la t " inesse de Mozart . — L'oratorio d'Israël en Égrpte , par Haendel . —
TROiSiÈBÏS JOVRSIÈ3.
Quatuor et choeur de Haydn. — Merccauy choisis de Judas Maccabaeus, oratorio
de Haendel. — Motif de Mozart. — Air de Mozart. — Gloria de Pergolèse. — Réci-
tatif etairde-HdcwW. — Choeur de Léo. — Air de Mozart . — Morceaux choisis du
Christ au Mont des Oliviers, par Beethoven. — Anlhem (antienne), de Purcell. —
Solos et chœurs par Haendel. — Airs de Pcrgolèse. — Sextuor et choeur de Haydn. —
Solo et quatuor de Hummcl. — Choeur de Haendel.
TABLEAU COMPARATIF.
1834
1784
Dessus. Femmes.
1834
1784
Violons
80
95
113
11
52
26
— Jeunes g.irçons.
32
47
18
21
74
48
Contre-basses. . . .
18
15
70
83
FKltes
10
6
Basses
108
84
Hautbois
12
26
12
37
397
273
10
12
Artistes de l'Opéra Ita-
8
12
5
2
1 romnones
S
6
lnstrumens ....
223
250
2
—
2
—
5
4
2*3
250
Total. . .
625
525
« Il est curieux de voir par ce tableau qu'en 1784, on a pu
réunir à Londres g5 artistes pour la partie du violon , tandis
que, moins de cent ans auparavant, Lulli put à peine en ras-
semblera à Paris ; et qu'il ne s'en est trouvé cette année-ci
à Londres que 80, lorsque, d'un autre côté, il s'est présenté
un plus grand nombre d'exécutans pour les chœurs et pour les
instrumens à vent. Il estencore assez remarquable qu'en 1784
on ait eu 26 hautbois et 27 bassons , tandis que les clarinettes
imnquaient entièrement
« L'empressement avec lequel le public de nos jours se porte
en foule aux représentations musicales, comme celle de West-
minster, prouve qu'il connaît parfaitement cette propriété spé-
ciale inhérente à la musique sacrée, et notamment au choral, de
croître en effet a\ec le nombre des exécutans. C'est celte pro-
priété particulière qui donne à la musique une sorte de vitalité
à laquelle ne peuvent pas prétendre les autres arts. De quelque
génie qu'elle soit empreinte, la création la plus remarquable
en poésie ou en peinture finira par nous paraître monotone et
fastidieuse si le charme n'en est pas entièrement renouvelé par
quelque circonstance propre à le varier ; tandis qu'en musique
la composition la plus ancienne et avec laquelle nous sommes le
plus familiarisés acquiert , par le seul choix d'une localité plus
propice, par une augmentation extraordinaire du nombre
d'exécutans , une fraîcheur et une puissance dont nous l'aurions
à peine crue susceptible. La perfection de la composition (en
DE PARIS.
tant que l'on comprend par-là l'expression des senlimens in-
times par un arrangement scientifique et poétique des tons) a
peut-être été poussée à son plus haut degré. Pour ce qui nous
regarde, du moins, nous sommes persuadés que, difficilement,
le géniede l'homme saurait surpasser les créations sublimes de
Bach, de Haendel et celles de quelques autres maîtres dont
les noms sont dignes de figurer à côté de ceux-ci. Mais la per-
fection de l'exécution est une chose spéculative de sa nantie;
et , comme nous ne connaissons pas les limites des effets ni des
sensations , nous devons nous résigner à ne voir réaliser nos
rêves sous ce rapport que dans quelque sphère plus parfaite
que celle où nous vivons aujourd'hui. A une époque qui ne se
distingue pas, quant aux arts , par une grande puissance créa-
trice, peut- être n'est-il pas de pensée plus consolante pour
ceux qui sont voués au culte de la musique que l'idée de (et in-
térêt nouveau que d'anciens œuvres ont le pouvoir d'acqué-
rir par suite de quelques circonstances favorables. En cllét, la
centième audition d un morceau nous semble quelquefois être
la première, et des choses qui nous avaient échappé dans les
exécutions précédentes, nous frappent comme de nouvelles dé-
couvertes
n Aucun son n'a frappé l'oreille des auditeurs avant le
commencement de la séance, et, à peine, a-t-on entendu accor-
der un instrument dans le cours de l'exécution; mais, avant
la fin du second acte, nous en avons ressenti 1 inconvénient ;
les sons de plusieurs instrumens à cordes étaient déjà faux.
« Nous avons entendu la création dans son entier; toutes les
conditions se trouvaient réunies pour que l'exécution d'une
composition de ce genre ne laissât rien à désirer; un chœur
nombreux, correct et expressif ; un orchestre riche et choisi;
et cependant nous ne saurions franchement nous déclarer par-
tisan de cet œuvre. Comme composition de musique sacrée, il
offre trop de passages frivoles. Qu'on en compare le style à
celui de l'une des productions instrumentales de 3Ioza>-l ou de
Beethoven , et l'on verra tout ce qu'il perd à ce rapproche-
ment. La musique de Haydn est entièrement dépourvue de
passion et de grandeur, et ses effets ne nous touchent que su-
perficiellement au lieu de pénétrer dans Pâme el d'agir sur no-
tte organisation daus ce qu'elle a de pins intime. Un seul mor-
ceau , des « sept derniers mots » de Haydn , vaut , à notre avis
toute la création, et ce qui, plus que sa valeur intrinsèque,
rend cet oratorio recommandable, c'est l'importance qu'il avait
au moment de son apparition; car il montrait d'une manière
décisive tout le parti que l'on pouvait tirer d'une grande masse
de voix ; c'est l'influence qu'il était destiné à exercer sur l'art
de la composition comme modèle de perfectionnement livré
aux méditations des auteurs contemporains. Si nous excep-
tons un ou deux effets , nous avouons qu'il nous est indifférent
d'entendre ou uon des morceaux tels que ceux-ci : « le Sei-
gneur est grand » , et « les Cieux racontent ri)
« Un vieux amateur , qui a assisté aux deux fêles nuuicales,
el dans le jugement duquel nous avons la plus grande con-
fiance, nous assure que les solos furentmieux chantés en 17S4,
mais que les chœurs ont été mieux exécutés en dernier lieu.
Il nous semble assez naturel que, dans un espace de 50 ans, la
tradition du style de Haendel, quant aux solos, se soit affai-
blie. Toutefois, ce n'est point cette circonstance ni à ce que
l'âge a diminué les moyens de plusieurs chanteurs dont on a
remarqué les pénibles efforts pour soutenir leur ancienne répu-
tation, que l'on doit attribuer les imperfections qui ont frappé
l'auditoire dans l'exécution des solos. On ne peut pas amener
nos chanteurs anglais, grands cl petits, à terminer leurs phra-
ses d'une manière simple. Neuf fois sur dix, nous sommes
obligés d'entendre un suite de notes insignifiantes (« rigma-
role r>y notes), avant que le chanteur se décide àarticuler réel-
lement sa cadence , quoique rien ne soit plus contraire à l'in-
tention du compositeur, et rien plus monotone quel' uniformité.
Aussi n'avons-nous pas jugés dignes de notre critique un cer-
tain nomhre de solos dont l'exécution était non-seulement en-
tièrement dépourvue de mérite, mais encore ne cadrait pas
(1) Nous sommes loin d'approuver ce jugement sur Haydn ,
mais il nous semble assez curieux pour le donner à nos lec-
teurs.
avec le caractère de la fêle.
ci Haendel n'aurait jamais eu les qualités qui le distinguent,
s'il n'eût pas vécu en Angleterre , et s'il n'eût pas étudié ces
modèles d'uue expression vigoureuse et pénétrante que l'on
trouve dans les compositions de Purcell et dans celles de ses
contemporains. En Italie, Haendel eût été un autre Léo; en
Allemagne, un autre Bach; mais, en Angleterre, il a réuni
aux meilleures qualités du style des autres pays l'énergique
expression de sentiment et de situation qui appartient spéciale-
ment à une époque reculée de l'art anglais (V
« Beethoven figure certainement aussi bien à côté de Haen-
del, que Mozart auprès de Sébaitien Bach : il existe entre
ces génies une consanguinité non méconnaissable, et le raffine-
ment de l'instrumentation moderne a si peu énervé le style de
Beethoven que, daus ses chœurs, les masses colossales de tons
produisent un effet qui n'est absolument en rien inférieur à
celui des chœurs de Haendel lui même. Mais le système vocal
de Beethoven repose surunebase extrêmement simple , tandis
que son système instrumental est d'uue grande profondeur et
atteste une habileté à laquelle aucun autre compositeur n'a ja-
mais pu atteindre; et bien que l'effet procède en général du
même principe dans les œuvres de Haendel et de Beethoven ,
cependant l'originalité si vraie de ce dernier lui demeure en-
tièrement en propre. Le superbe « Gloria » de sa messe en ut
nous a suggéré ces observations , el certes, on ne pouvait pas
choisir un moiccau d'introduction plus digne aux ouvrages
de cet illustre compositeur de nos jours
« Jusqu'à présent , l'air de bravoure d'une facture tant soit
peu suraunéc, dont on avait fait choix dans la cinquième messe
de Haydn pour mademoiselle Grisi, n'a encore élê dit par
aucune cantatrice comme il devrait l'être; et il n'est donc pas
surprenant que mademoiselle Grisi ait été obligée Trie se ras-
seoir sur son siège sans avoir produit d'effet. Nous en sommes
très-fàché pour elle; mais nous ne saurions, entre autres,
approuver la singulière tentative qu'elle a faite de terminer cet
air par une cadence, et, moins encore, applaudir à la manière
peu habile dont elle s'en est acquittée. Du reste, cette artiste
a de quoi se consoler par le succès aussi grand que mérité
qu'elle obtient à l'Opéra
« L'O.-atorio d'Israël en Egypte vient justement d'attein-
dre sa quatre-vingt-seizième année , ayant été composé en 1^38,
et il a encore autant de fraîcheur que s'il eût été écrit hier. Le
génie de Haendel s'est élevé , dans cet œuvre sublime et solen-
nel un monument impérissable de sa grandeur. Quoique tous
les oratorios de Haendel brillent par la magnificence de son
talent , il n'en est aucun qui présente un sujet aussi difficile,
traité avec une supériorité plus évidente et une abondance de
ressources plus remarquable qu'Israël en Egypte. C'est le seul
de ses œuvres qui l'emporte sur le Messie , et qui doit avant
tous les autres s'offrir à l'esprit de quiconque nomme son au-
teur
L'intérêt de celle composition est concentré dansl'idée d'une
multitude : aucun caractère n'y est soutenu comme dans quel-
ques autres drames de Haendel , et aucun air remarquable n'y
est interposé , afin que l'attention ne soit pas délournée des
situations frappantes qui se déroulent dans le récit sacré des
chœurs. Haendel était ici, pour ainsi dire, dans son élément ;
c'était là une tâche à son goût, et daus aucune autre composi-
tion, il n'a déployé plus de verve et de vigueur. C'tst en écou-
tant ce bel ouvrage daus son entier, que l'on est surtout frappé
de l'étonnaule variété des formes des fugues, dccille que pré-
sente la structure des choeurs , et que l'on reconnaît que cet
œuvre sublime surpasse tout ce qui a jamais été réalisé eu mu-
sique. Dans son Israël en Egypte , Haendel est aussi plus mo-
derne que dans aucun autre de ses oratorios. Dans ces deux-
chœurs « il répandit une profonde obscurité » et « les ténèbres
les ont enveloppés, » ce grand maître nuus a donné des pro-
gressions d'harmonie tout-à-fait dignes de Mozart et de
Beethoven. Et puisque nous parlons ici des effets modernes
de l'ouvrage, nous ne devons pas négliger de faire remarquer
(1) Cet article est écrit par un Anglais.
236
GAZETTE MUSICALE DE PARIS.
sous ce rapport', la couleur que H.tendel a donnée à l'instru-
mentation , eu soutenant les notes des instrumens à cordes.
« La singulière beauté dulaegage de l'écriture sainte^ auquel
rien ne saurait être comparé sous le rapport de la grandeur
poétique, ne se fait jamais mieux senlir que lorsqu'il est uni à
une musique telle que celle de Haimdel etde Haydn , et chanté
avec l'expression et l'énergie que réclame ce texte magnifique.
I.a richesse et le choix exquis des images , le cours abondant
de ces paroles puissantes^ la vérité et l'énergie des descriptions,
combinés avec le majestueux éclat du sujet, frappent l'esprit
des impressions les plus variées, et remplissent l'âme de subli-
mes et de sainies émotions.
NOUVELLES.
*t Voici la liste des récompenses décernées par le jury aux
facteurs de pianos : M. Pape , première médaille d'or;
MM. Ro'ler et Blanchet, deuxième médaille d'or ; M. Pleyel
et M. Erard, rappel de la médaille d'or, obtenue par eux à la
dernière exposition. Le ministre a accordé en outre à ces deux
habiles facteurs, la croix de la Légion-dTlonneur.
% A l'Opéra on a intercallé dans Gustave un nouveau bal
masqué , c'est un spectacle assez brillant pour y faire courir les
habitans de Paris et les étrangers. Cette innovation égaiera
les habitués de l'Opéra, et procurera au Directeur au moins
vingt recettes fructueuses.
* La Tempête qui fera briller la jolie et gracieuse demoi-
selle Fanni Esler, sera représentée à l'Opéra du 10 au 1 5 août
au plus tard.
* L'Qpéra-Comique est en bonne veine, le public s'y porte
de nouveau, et il fait d'excellentes recettes : ce n'est plus Les-
locq seul qui a ce privilège ; le Chaperon Rouge remis nouvel-
lement au répertoire, plaît infiniment aux habitués de ce théâ-
tre qui applaudissent la musique si fraîche de M. Boyeldieu.
* La première représentation : cVUn Caprice de femme ,
opéra en un acte, attribué à M. Paer , aura lieu demain
lundi, à l'Opéra-Comique; d'avance ou dit beaucoup de bien
de cet ouvrage.
* Le théâtre Nautique nous donnera, clans le courant de la
semaine, un ballet de M. Blache, intitulé : le Nouveau Robin-
son. Cette activité fait honneur au Directeur, dont le zèle est
récompensé par les brillantes recettes de Guillaume Tell.
% Mademoiselle Francilla Pixis , a fait ses premiers débuts
au théâtre de Carlsruhe . elle a chanté avec M. Heitzinger, le
troisième acte A' Othello en italien. Notre correspondant nous
dit que le public a été transporté et n'a pu assez admirer la
beauté de la voix de cette jeune cantatrice et son jeu plein d'é-
nergie; elle a été rappelée après la représentation. Il est bon
d'apprendre aux habitans de Carlsruhe quemademoiselle Pixis
a étudié à Paris et que mesdames Malibran et Grisi lui ont
servi de modèles.
* Madame Pasta vient d'être engagée à Milan pour vingt
représentations de la saison prochaine à raison de 4o,ooo fr.
Milan possédera ainsi en même temps les deux plus grandes
cantatrices du monde.
* Madame Filipo witz , violoniste, que nous avons entendue
cet hiver à Paris, obtient beaucoup de succès h Londres sur-
tout dans les ouvrages de Mayseder qu'elle joue remarquable-
ment bien.
% On vient de publier à Manheim un ouvrage fort inté-
ressant. C'est un recueil de chansons populaires allemands
{Volkslieder) avec des notes historiques et littéraires, par M. de
Erlb.ich, 4f°l-in-80.
* Il y a quelques années, on exécuta à Norwich en Angle-
terre le Messie de Haendcl. Parmi les auditeurs se trouva
R. Hardingham, gentleman sur lequel la musique n'avait ja-
mais fait la moindre impression ; mais , dans cette occasion, elle
produisit sur lui des effets si puissans qu'avant la lin même du
concert, le pauvre homme avait perdu sa raison qu'il n'a plus
recouvrée depuis Burney raconte des cas semblables dans sou
History o/Music.
+*+ Le ministre de l'intérieur, à Bruxelles , vient , à l'occasion
du prochain anniversaire des journées de septembre 183o , de
publier le programme d'un concours littéraire et musical , au-
quel sont appelés tous les artistes belges résidant soit en Bel-
gique , soit en pays étranger. Les étrangers établis en Belgique
depuis dix ans , pourront aussi être admis à concourir. Le sujet
désigné pour le concours de poésie est : Le triomphe de Vin-
dépendance nationale. Les destinées de la Patrie. Le genre
et la forme de cette composition sont laissés au choix des au-
teurs. Chaque pièce ne pourra être moindre de cent vers ,
ni dépasser le nombre de deux cents. Le sujet du concours
musical est une cantate patriotique , mêlée de chœurs avec ac-
compagnement d'orchestre. Les paroles de la cantate sur les-
quelles la musique devra être composée ont déjà été publiées
par les journaux belges. Des médailles en or, de la valeur de
600 fr. et de la valeur de 3oo fr. , seront accordées , à titre de
récompenses nationales, à ceux qui, au jugement de la commis-
sion désignée à cet effet , auront présenté les meilleurs ouvra-
ges. Ces compositions poétiques devront être adressées au mi-
nistre de l'intérieur à Bruxelles avant le 1er septembre, et les
partitions avant le 45 août. L'œuvre de musique qui aura
obtenu la préférence sera exécuté dans un local fermé pendant
les fêtes de septembre ; le ministre de l'intérieur se réserve de
faire publier, s'il y a lieu , aux frais de l'état, les morceaux de
musique et de poésie qui auront été envoyés au concours.
+*+ Les auteurs dramatiques et les compositeurs de Berlin,
MM. Spontini et Raupach à leur tête, ont, avec l'autorisation
du roi de Prusse, formé une association dans le but de deman-
der à la diète germanique une loi qui leur assure désormais les
droits d'auteurs dont jouissent leurs confrères en France. A
l'appui de leur demande, ils feront valoir ce fait que, parmi
les comédies représentées en Allemague dans les quarante der-
nières années , il en est une , entr'autres , qui a eu plus de qua-
rante mille représentations , et qui , cependant , n'a rapporté à
son auteur que la modique somme de 200 thalers (environ
800 francs.
Musique nouvelle ,
Publiée par Troupenas.
Herz. Op. 74. Second concerto pour le piano 12 fr.
Adam. Six petits airs sur Lestocq, pour le piano. 6 fr.
Publiée par madame Rieou Choron.
Choron. Le Prix , cantate , partition. Prix : 6 fr. Parties sépa-
rées, chaque 75 cent.
Publiée par B. Laite.
Grisard. Hélène , romance. 2 fr.
Publiée par Dclahalite.
Labarre. L'Aspirant de marine , tous les morceaux de chant
avec accompagnement de piano et de guittare.
Opéras et Concerts de la semaine.
OPÉRA. — Lundi, Fei'.n.vnd CObtez; Nathalie. — Mercredi, Gustave. —
Vendredi, le premier acte de MARS ET VÉNUS ; le DlEU ET LA BAYADERE; l'acte
des Naïades.
OPÉRA-COMIQUE. — Dimanche, l'ASCÉLUS; le CHAPERON. — Lundi, UNE
Bonne Fortune; le Chaperon. — Mardi , Lestocq. — Mercredi, l'Angelus ;
le PRÉ-AUX-CLERCS. — Jeudi, LESTOCQ. — Vendredi, LUDOVIC et la DAJIE
Blanche. ■ — Samedi , Lestocq.
THÉÂTRE NAUTIQUE. — Mardi, jeudi et samedi, GUILLAUME- Vell.
CONCERTS. — Champs Élysées et Jardin Turc , tous les jours concert.
Ci-joint un supplément contenant les exemples pour l'arti-
cle : sur les quintes et les octaves cachées, et un galop pour
le piano, par Kalliwoda.
Gérant, MAURICE SCHLESINGER.
Sii[>pJesïienl au 29f Numéro.
Gazette Musicale de Paris.
GALOP deRALLIWODA
l'. année 2d Juillet 1834.
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Gazette Musicale de Paris.
TABLEAU EXPLICATIF DES QUINTES et OCTAVES CACHEES.
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GAZETTE MUSICALE
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Paraît le DIMANCHE de chaque semaine.
On s'abonne au bureau de la Gazette Musicale de Paris, nie Richelieu , 97;
et chez tous les libraires ec marchands de musique de France.
Ou reçoit les réclamations des personnes qui ont des griefs à esposcr, et les avis relatifs ?i la musical
qui pcuieut intéresser le public.
PARIS. DIMANCHE 27 JUILLET (834.
Les lettres, demandes
et envois d'argent doi-
vent être affranchis, et
adressas au Directeur ,
rue Richelieu, 97.
Le Suicide par enthousiasme.
(SUITE).
Madame N*** était une de ces femmes adorables
(comme on dit au café Anglais, chez Tortoni et dans trois
ou quatre autres foyers de dandysme) qui , trouvant dé-
licieusement originales leurs moindres fantaisies, pen-
sent que ce serait un meurtre de ne pas les satisfaire et
professent en conséquence une sorte de respect pour
leurs propres caprices, quelque absurdes qu'ils soient.
« Mon cher Fr***, disait y a quelques mois , une
» de ces charmantes créatures à un dilettante célèbre,
» vous connaissez Rossini, dites-lui donc de ma part
» que son Guillaume Tell est un chose mortelle; que
» c'est à périr d'ennui, et qu'il ne s'avise pas d'écrire
» un second opéra dans ce style, autrement madame
» M***** et moi, qui l'avons si bien patronisé, l'ab-
» bandonnerions sans retour. » — Une autre fois :
« Qu'est-ce donc que ce nouveau pianiste polonais, dont
» tous les artistes rafolleut et dont la musique est «
» bizarre? Je veux le voir, amenez-le moi demain. —
» Madame, je ferai mon possible pour cela, mais je
» dois vous avouer que je connais peu l'auteur des
o mazourkas et qu'il n'est point à mes ordres. — Non ,
» sans doute, il n'est pas à vos ordres, mais il doit être
» au mieses. Ainsi , je compte sur lui.?» Cette singu-
lière invitation n'ayant pas été acceptée, la souveraine
annonça à sujets que M. Chopin était un petit original
jouant passablement in piano, mais dont la musique
n'était qu'un logogriplie perpétuel fort ridicule.
Une fantaisie de celte nature fut le seul motif de la
lettre passablement impertinente qu'Adolphe reçut de
madame N***, au moment où il s'occupait de son dé-
part pour Paris. La belle Hortense était de la plus
grande force sur le piano et possédait une voix su-
perbe , dont elle se servait aussi avantageusement qu'il
est possible de le faire, quand l'ame n'y est pas. Elle
n'avait donc nul besoin des leçons de l'artiste provençal;
mais l'apostrophe que celui-ci avait, en plein théâtre, en-
voyée à la face du public, avait, comme on le pense
bien, retenti dans la ville. Notre Parisienne en enten-
dant parler de toutes parts, demanda et obtint sur le
héros de l'aventure des renseignemens qui lui parurent
piquans. Elle voulut le voir aussi; comptant bien , après
avoir à loisir examiné Y original , fait craquer tous ses
ressorts, joué de lui comme d'un nouvel instrument, lui
donner un congé illimité. 11 en arriva tout autrement, ce-
pendant au grand dépit de la jolie simia parisiensis.
Adolphe était fort bien ; de grands yeux noirs pleins de
feu , des traits réguliers qu'une pâleur habituelle cou-
vrait d'une teinte légère de mélancolie, mais où brillait
par intervalles l'incarnat le plus vif selon que l'enthou-
siasme ou l'indignation faisaient battre son coeur ; une
tournure distinguée et des manières fort différentes de
celles qu'on aurait pu lui supposer, à lui qui n'avait
guère vu le monde que par le trou de la toile de son
théâtre ; son caractère emporté et timide à la fois, où se
rencontraient le plus singulier assemblage, de raideur
et de grâce, de patience et de brusquerie , de jovialité
subite et de rêverie profonde, en faisaient, par tout ce
qu'il y avait en lui d'imprévu, l'homme le plus ca-
pable d'enlacer une coquette dans ses propres filets.
C'est ce qui arriva, sans préméditation aucune de la
part d'Adolphe cependant; car il y fut pris le premier.
238
GAZETTE MUSICALE
Dès la première leçon , la supériorité musicale de
madame N*** se montra dans tout son éclat; au lieu
de recevoir des conseils elle en donna presque à son
maître. Les sonates de Steibelt, le Hummel du temps ,
les airs de Païsiello et Cimarosa qu'elle couvrait de bro-
deries par fois d'une audacieuse originalité , lui fourni-
rent l'occasion défaire scintiller successivement chacune
des facettes de son talent. Adolphe, pour qui une telle
femme et une pareille exécution étaient choses nouvel-
les, fut bientôt complètement sous le charme. Après la
grande fantaisie de Steibelt, l'orage, où Hortense lui
sembla disposer en se jouant de toutes les puissances de
l'art musical : « Madame, lui dit-il tremblant d'émo-
» tion , vous vous êtes moquée de moi en me deman-
» dant des leçons ; mais comment pourrais-je vous en
» vouloir d'une mystification qui m'a ouvert a l'impro-
» viste le inonde poétique, le ciel de mes songes d'ar-
» tistes, en faisant de chacun de mes rêves autant de
» sublimes réalités ? Continuez a me mystifier ainsi,
» madame, je vous en conjure, demain, après-demain,
» tous les jours, et je vous devrai les plus enivrantes
» jouissances qu'il m'ait été donné de connaître de ma
» vie. » L'accent avec lequel ces paroles furent dites
par D***, les larmes qui roulaient dans ses yeux, le
spasme nerveux qui agitait ses membres , étonnèrent
Hortense bien plus encore que son talent n'avait surpris
le jeune artiste. Si les cadences , les traits , les harmonies
pompeuses, les mélodies découpées en dentelle, en
naissant sous les blanches mains de la gracieuse fée,
causaient a Adolphe une sorte d'asphixie d'admiration,
la nature impressionnable de celui-ci, sa vive sensibilité,
les expressions pittoresques dont il se servait pour ex-
primer son enthousiasme , ne frappèrent pas moins vi-
vement Hortense. Il y avait si loin de ces suffrages pas-
sionnés, de ce joies si vraiesde l'artiste, aux bravos tièdes
et étudiés des merveilleux de Paris, que l'amour-propre
tout seul aurait suffi pour faire regarder sans trop de ri-
gueur un homme d'un extérieur moins avantageux que
notre héros. L'art et l'enthousiasme se trouvaient en
présence pour la première fois, le résultat d'une pareille
rencontre était facile a prévoire. Adolphe, ivre fou
d'amour, ne cherchant ni de cacher, ni même à mo-
dérer les élans de sa passion toute méridionale , déso-
rienta Hortense et déjoua sans s'en douter le plan de dé-
fense médité par la coquette. Tout cela était si neuf pour
elle... Sans ressentir réellement rien qui approchât de
la dévorante ardeur de son amant, elle comprenait ce-
pendant qu'il y avait la tout un monde de sensations
(si non de sentimens) , que de fades liaisons contractées
antérieurement ne lui avaient jamais dévoilé. Ils furent
heureux ainsi , chacun à sa manière , pendant quelques
semaines; le départ pour Paris était, comme on le pense
bien , indéfiniment ajourné. La musique était pour
Adolphe un écho de son bonheur profond, le miroir où
allaient se réfléchir les rayons de sa délirante passion,
et d'où ils revenaient plus brûlans a son oceur. Pour
Hortense, au contraire, l'art musical n'était qu'un dé-
lassement sur lequel elle était blasée dès long-temps ; il
ne lui procurait que d'agréables distractions , et le plaisir
de se montrer a son amant sous un jour avantageux était
bien souvent le mobile unique qui pût l'attirer au piano.
Tout entier a sa rage de bonheur, Adolphe dans les
premiers jours avait un peu oublié le fanatisme qui jus-
qu'alors avait rempli sa vie. Quoiqu'il fût loin de parta-
ger les opinions parfois étranges de madame N*** sur le
mérite des différentes compositions qui formaient son
répertoire, il lui faisait néanmoins d'étonnantes conces-
sions, évitant, sans trop savoir pourquoi, les points de
doctrine artistique où un vague instinct l'avertissait
qu'il y aurait eu entre eux unedivergence trop marquée.
Il ne fallait rien moins qu'un blasphème affreux , comme
celui [qui lui avait fait mettre a la porte un de ses ;élè-
ves, pour détruire l'équilibre que l'amour violent de
D*** établissait dans son cœur avec ses convictions des-
potiques et passionnées sur la musique. Et ce blasphème,
les jolies lèvres d'Hortense le laissèrent échapper. C'é-
tait par une belle matinée de printemps ; Adolphe, aux
piedsde sa maîtresse, savourait cebonheur mélancolique,
cet accablement délicieux qui succède aux grandes crises
de volupté. L'athée lui-même, en de pareils instans,
entend au dedans de lui s'élever un hymne de recon-
naissance vers la cause inconnue qui lui donna la vie ;
la mort , la mort rêveuse et calme comme la nuit , sui-
vant la belle expression de Moore est alors le bien auquel
on aspire , le seul que nos yeux voilés de pleurs célestes
nous laissent entrevoir pour couronner cette ivresse sur-
humaine. La vie commune, la vie sans poésie, sans
amour, la vie en prose, où l'onmarcheau lieu de voler,
où l'on parle au lieu de chanter , où tant de fleurs aux
couleurs brillantes sont sans parfum et sans grâce, où le
génie n'obtient que le culte d'un jour, et des hommages
glacés, où l'art trop souvent contracte d'indignes al-
liances ; la vie enfin , se présente alors sous un aspect si
glacé, si désert et si triste que la mort, fût elle dépour-
vue du charme réel que l'homme noyé dans le bonheur
lui trouve, serait encore pour lui pleine de charmes en
lui offrant un refuge assuré contre l'existence insipide
qu'il redoute par-dessus tout.
Perdu en de telles pensées, Adolphe tenait une des
mains délicates deson amie, imprimant sur chaque doigt
DE PARIS.
239
de petites morsures qu'il effaçait aussitôt par des baisers
sans nombre ; pendant que de son autre main Hortense
bouclait en fredonnant les noirs cbeveux de son amant.
En écoutant cette voix si pure si pleiue de séduc-
tions, une tentation irrésistible le saisit a 1 improviste.
«Oh! dis-moi l'élégie de la Vestale , mon amour, tu
» sais :
Toi que je laisse sur la terre
Mortel que je n'ose nommer (i).
» Chantée par toi celte prodigieuse inspiration doit être
» d'un sublime inouï. Je ne sais comment je ne te l'ai
» pas encore demandé. Chante, chante-moi Spontini ;
» que j'obtienne tous les bonheurs ensemble ! — Quoi ,
» c'est cela que vous voulez? répliqua madame N***,
» en faisant une petite moue qu'elle croyait charmante,
» cette grande lamentation monotone vous plaît ?.. . Oh
» Dieu ! que c'est ennuyeux ! quelle psalmodie ! Pour-
» tant , si vous y tenez »
La froide lame d'un poignard en entrant dans son
cœur ne l'eut pas déchiré plus cruellement que ces pa-
roles. Se levant en sursaut comme un homme qui dé-
couvre un animal immonde dans l'herbe sur laquelle il
s'était assis, Adolphe fixa d'adord sur Hortense des
yeux pleins d'un feu sombre et menaçant ; puis, se pro-
menant avec agitation dans l'appartement les poings
fermés, les dents serrées convulsivement, il sembla se
consulter sur la manière dont il allait répondre et enta-
mer la rupture; car pardonner un pareil mot était chose
impossible. L'admiration et l'amour avaient fui; l'ange
devenait une femme vulgaire; l'artiste supérieure re-
tombait au niveau des amateurs ignorans et superficiels
qui veulent que l'art les amuse, et n'ont jamais soup-
çonné qu'il eût une plus noble mission ; Hortense n'était
plus qu'une forme gracieuse sans intelligence et sans
ame; la musicienne avait des doigts agiles et un larynx
sonore... rien de plus. Toutefois, malgré la torture af-
freuse qu'Ado1 plie ressentait d'une pareille découverte,
malgré l'horreur d'un aussi brusque désenchantement, il
n'est pas propable qu'il eût manqué d'égards et de mé-
nagemens en rompant avec une femme dont le seul
crime après tout était de n'avoir qu'une organisation
inférieure a la sienne, d'aimer le joli sans comprendre
le beau. Mais incapable comme était Hortense de croire
a la violence de l'orage qu'elle venait de soulever , la
contraction subite de tous les traits d'Adolphe, sa pro-
menade agitée dans le salon, son indignation a peine
contenue, lui parurent choses si comiques qu'elle ne
put résister a un accès de folle gaieté, et laissa échapper
(1) Cet air est toujours supprimé à la représentation.
un bruyant éclat de rire. Avez-vous jamais remarqué
tout ce que le rire éclatant a d'odieux dans certaines
femmes?... Pour moi il est l'indice le plus sûr de la sé-
cheresse de cœur, de l'égoïsme et de la coquetterie. Au-
tant l'expression d'une joie vive a de charmes et de pu-
deur dans quelques femmes, autant elle est chez d'autres
pleine d'une indécente ironie. Leur voix prend alors un
timbre incisif, effronté, impudique, d'autant plus haïs-
sable que la femme est plus jeune et plus jolie; en pa-
reille occasion, je comprends les délices du meurtre , et
je cherche machinalement sous ma main l'oreiller d'O-
thello. Adolphe avait sans doute la mêmemanière de sentir
à cet égard. Il n'aimait déjà plus madame N*** l'instant
d'auparavant , mais il la plaignit d'avoir des facultés aussi
bornées ; il l'eût quittée avec froideur , mais sans ou-
trage. Ce rire méphistophélique auquel elle s'abandonna
sans réserve au moment où le malheureux artiste sentait
sa poitrine se déchirer, l'exaspéra. Un éclair de haine
et d'un indicible mépris brilla soudain dans ses yeux ;
essuyant d'un geste rapide et son front couvert d'une
froide sueur et l'écume sanglante qui s'échappait de ses
lèvres : « Madame, lui dit-il d'une voix qu'elle ne lui
» avait jamais vu prendre, vous êtes une sotte. »
Le soir même il était sur la route de Paris.
(La suite à un numéro prochain.)
PARALLELE
ENTRE
GEORGE FR1ED0IC I1AENDFL ET JEAN SÉBASTIEN BACH.
La biographie de ces deux princes de la musique offre
a la fois des rapports intimes de ressemblance, et les
contrastes les plus tranchés. Nous croyons qu'une juste et
courte appréciation des uns et des autres pourra être de
quelque intérêt pour nos lecteurs.
Haendel etBaib , nés tous deux a uneépoqueoù toute
originalité artistique sommeillait depuis de longues an-
nées ; tous deux morts presque en même temps et dans
un âge déjà avancé, déployèrent tous deux aussi, jus-
qu'à leur dernier soupir, un génie vigoureux et actif.
Us naquirent l'un et l'autre de pareils peu fortunés, gran-
dirent avec une apparence de santé assez chétive , et
furent cependant l'un et l'autre d'une constitution puis-
sante et robuste. Chez Haendel comme chez Bach, un
talent émiiicnl pour la musique se manifesta dès les pre-
mières années de leur vie avec une énergie irrésistible ;
tous deux dans leur enfance reçurent une éducation mu-
sicale basée sur des principes sévères et profonds ; tous
deux furent instruits par des organistes distingués et
s'acquirent eux-mêmes une grande réputation par leur
260
GAZETTE MUSICALE
talent sur l'orgue. Une même destinée les appela tous
deux a une brillante réputation ; une gloire immense
répandit au loin leurs deux noms immortels , et nous les
voyons comblés de distinctions par les plus grands
princes de leur époque; tous deux reçoivent avec re-
connaissance une telle faveur, mais sans pour cela re-
noncer le moins du monde à leur carrière musicale.
Tous deux se sentent entraînés vers toutes les formes
usitées de leur art sublime, tous deux travaillent dans
tous les genres les plusdifférens, mais tous deux consa-
crent de préférence leur génie au genre le plus élevé, le
plus riche, le plus vaste, et travaillent avec amour sur
des sujets religieux. Tous deux , hommes d'une aus-
tère probité, attachés corps et ame a leur religion,
poussent peut-être, à une époque avancée de leur car-
rière, la dévotion jusqu'au mysticisme , sans pourtant
cesser d'être animés par les plus purs principes de leur
croyance, et sans négliger ni l'un ni l'autre aucun de
leurs devoirs d'hommes et de citoyens. Tous deux per-
dent la vue dans leur vieillesse sans devenir infidèles au
culte de leur art. Tous deux s'endorment tranquillement
et pleins de l'idée de Dieu , peu compris par leurs con-
temporains, mais entourés du respect et de considération
générale, et destinés a l'admiration et aux hommages de
la postérité... Voila certes bien des points de ressem-
blance, et cependant ces deux immortels compositeurs
diffèrent entre eux autant comme hommes que comme
artistes.
L'esprit inquiet et passionné de Haendel, esprit qui le
poussa an loin a l'étranger , le jeté jeune encore dans le
tumulte du monde et dans un genre de vie où il se com-
plut pendant plus de la moitié de sa carrière , toujours
heureux de sa manière de vivre, soit qu'il eut a com-
battre ou a aimer, soit qu'il eut à prendre l'offensive ou
a se tenir dans les bornes delà défense personnelle. Tout
ce qui sort de la voie ordinaire, tout ce qui impose aux
hommes, les saisit et les domine, tout cela, il voulait
apprendre a le connaître aussi bien comme homme que
comme artiste; il apprit a tirer de toute chose une in-
struction pour son génie ou son caractère sans jamais se
laisser dominer par rien. Porté par son goût particulier
a avoir affaire au peuple au milieu duquel il vivait, il
ne lui répugnait nullement de traiter avec les grands
dirigeant le même peuple, mais il ne voulait se laisser
gouverner ni par les uns ni par les autres, quelque disposé
qu'il pût être a les servir fidèlement. Ce qu'il voulait,
c'étail de chercher en toute chose un enseignement pour
sa vie ou pour son art, habile qu'il était a ramener tout
a sa propre expérience. Ce but, il ne s'en laissa jamais
détourner , et il le poursuivit avec une persévérance
peut-être sans exemple. Aussi fit-il les expériences les
plus variées, dont les unes purent lui faire entrevoir un
bonheur céleste, et les autres le plongèrent dans un
abîme de douleur. Ce fut seulement lorsqu'il arriva à un
âge déjà mur qu'il commença a tenir un compte exact
de lui-même et des choses ; alors il choisit ce qui conve-
nait le plus a son individualité, et le choix qu'il venait
de faire, il s'y tint constamment jusqu'à sa mort, après
'être procure, d ans la carrière qu'il avait élue, plus de
gloire que nul autre avant ou après lui. Il resta garçon ,
mourut riche, et repose aujourd'hui encore à Westmin-
ster-Abhey , sous un monument magnifique. Sa vie fut
celle d'un grand de ce monde.
Et Bach, au contraire! Du moment qu'il eut le bon-
heur d'être placé comme organiste à Armstadt, avec un
traitement annuel de soixante-dix ou quatre-vingt tha-
lers, ses prétentions se trouvèrent satisfaites. Il ne
s'inquiéta plus de se procurer un poste plus brillant, mais
il ne refusa pas de se rendre a tous les appels qui lui fu-
rent faits sans qu'il les eût recherchés, disposé qu'il était
a les regarder comme autant de bienfaits de la provi-
dence. Dans chaque nouvelle place qu'il obtint, tous
ses efforts tendaient a s'en acquitter de son mieux. Il y
consacrait jusqu'à son talent de compositeur. C'est ainsi
qu'en qualité d'organiste il écrivit des morceaux pour
l'orgue ; que comme compositeur de l'église de Weimar,
il composa des psaumes et des cantates religieuses, et
qu'enfin , comme maître de chapelle de la cathédrale de
Leipzig et directeur d'un chœur nombreux et exercé, il
écrivit ses œuvres si difficiles et si savantes avec un
grand nombre de parties ; œuvres que souvent nous ne
pouvons pas dignement apprécier avec le seul secours
de l'oreille , quelque exercée que puisse être cette der-
nière, et qui réclament alors l'intermédiaire d'un second
sens, celui de la vue, comme jadis plusieurs des princi-
pales sculptures de l'antiquité exigeaient qu'on les exa-
minât avec les yeux et avec les mains. Maintes fois il
arriva que des vois et des princes voulurent entendre le
grand artiste , et alors celui-ci se rendait bien modeste-
ment où on l'appelait ; il obéissait aux ordres du souve-
rain, puis, avec la même modestie toujours inaltérable,
il revenait avec un contentement parfait à son étroite
demeure. Qu'il fût le plus grand organiste du monde ,
c'est ce qu'il ne pouvait ignorer; c'était chose trop évi-
dente et reconnue avec trop d'unanimité. Qu'un grand
talent sur l'orgue fût précisément alors ce qui pouvaitt
procurer le plus de gloire et d'argent, particulièrement
en France, en Angleterre et en Hollande, où l'instru-
ment était en brillante faveur, c'est ce que savait tout le
monde, et ce que, sans aucun doute, il savait aussi
241
bien que les autres , et cependant la seule idée ou un
simple désir de mettre un pied hors de sa patrie n'entra
jamais dans son esprit. Il se maria fort jeune encore ,
éleva toute une colonie d'eufans , mourut pauvre, et fut
enterré dans le cimetière de Leipzig on ne sait pas
même où. Sa vie fut exactement celle d'un patriarche.
La différence qu'on remarque dans les œuvres de ces
deux grands artistes provient de la différence qui exis-
tait entre leur génie intime et leur vie extérieure. Mais
en quoi diffèrent, à proprement parler, leurs ouvrages?
On pourrait se contenter de répondre ces seuls mots :
En tout absolument j, si ce n'est qu'une telle réponse
n'apprendrait exactement rien. Nous allons essayer d'ex-
pliquer cette différence.
Dans toutes ses créations Haendel voulait produire de
l'effet, et cet effet il voulait qu'il fût éprouvé par un
grand nombre d'auditeurs, pourvu cependant qu'il pût
avoir confiance en leur sentiment musical. Pour arriver
à ce but il se servait de tous les leviers, et il employait
tous les moyens, ceux-là même dont on n'avait encore
aucune idée, sans pourtant mettre jamais à profit des
ressources triviales ou communes. Bach au contraire
n'avait qu'un but; c'était de produire une œuvre aussi
complète et aussi bonne que possible. Quant à l'effet ,
il s'en rapportait au mérite de son œuvre et au bon sens
des auditeurs éclairés. Comme moyens, il n'employait
que ceux qui étaient en usage de son temps et bien re-
connus pour appartenir à l'art pur; mais il savait en
tirer un rare parti et se les rendre propres par une mer-
veilleuse facilité, et une excessive habitude de combi-
naison harmonique. Cependant le style de Haendel était
populaire , mais dans la noble acception de ce mot ; et
ce n'était que dans quelques parties principales de ses
grands ouvrages (comme par exemple dans le amen du
Messie) qu'il déployait , comme dernier signe de triom-
phe , les innombrables trésors de son immense érudi-
tion. Le style de Bach n'était rien moins que populaire,
en prenant toujours ce mot dans la même acception; et
il n'y avait qu'un petit nombre d'occasions particulières
(comme dans de certains passages de ses composiu'ons
sur la passion) où il se montrait gracieux et désireux
d'être populaire autant que cela entrait dans ses moyens.
Les chants de Haendel, même dans les chœurs les plus
nourris , sont constamment coulans, faciles et expres-
sifs; ceux de Bach, au contraire, sont toujours traités
avec art, et souvent baroques, également difficiles pour
les exéculans comme pour les auditeurs. Chez tous les
deux , l'orchestre joue un rôle important ; mais Haendel
cherche toujours du nouveau et choisit avec discerne-
ment ses motifs dans l'intérêt de l'effet général , tandis
que Bach s'inquiète moins de cet effet que de compléter
une richesse harmon'que dans telle ou telle phrase dé-
tachée. Pour tout dire en un mot, quand Haendel tra-
vaillait, il avait devant les yeux ce qu'il allait créer ; il
voyait, pour ainsi dire, ses motifs errer devant lui, et
son but était de pouvoir faire partager à ses auditeurs
l'impression dont il était affecté. Une fois son image
trouvée , il renonçait volontiers à faire parade de sa
science , et il aurait craint, par des ornemens trop nom-
breux , de faire perdre de vue l'idée principale. Bach ,
tout au contraire, se sentait bien aussi vivement animé;
mais cette émotion était tout intime, de sorte que,
pour exprimer son idée et la faire partager au public, il
croyait ne pouvoir jamais assez faire, ou du moins ne
croyait-il pas pouvoir faire jamais trop.
Haendel nous rappelle souvent Pierre Rubens dans
ses plus belles créations, et Bach nous fait penser invo-
lontairement à maître Albrecht Durer.
I Adolphe Nourrit à Lyon.
Nos lecteurs apprendront avec plaisir que M. Nourrit,
applaudi journellement a Paris , comme un des meil-
leurs ténors de l'époque, vient d'obtenir un brillant
succès à Lyon, En constatant ce fait , nous ne pouvons
nous empêcher de livrer a leur hilarité, l'épitre sui-
vant extrait du Journal de Commerce de Lyon :
HOMMAGE A NOURRIT.
Ainsi que nous le disions avant-hier, un banquet a
été offert mardi, par une réunion d'artistes du Grand-
Théâtre, à M. Adolphe Nourrit qu'ils s'estiment si heu-
reux de pouvoir admirer et étudier pendant un séjour
qui, pour ces artistes comme pour le public, sera ton-
jour de trop courte durée.
Les convives, non compris le héros de la fête, étaient
au nombre de vingt, parmi lesquels on cite MM. Gus-
tave-Blès, Lecomte, Vadé-Bibre , André, Crémon ,
Brumann, Donjon, Cherblanc ; Georges Hainl , Bon-
dard, Martin, Finart, et plusieurs personnes qui ne
sont point attachées au théâtre.
Le banquet a été donné dans un des salons du célèbre
restaurateur Dulel ; ce salon, fort élégamment décoré
aux couleurs nationales par les soins de M. Forgues,
jeune tapissier distingué par son bon goût , portait , au-
dessus d'une jardinière établie sur la cheminée, un tro-
phée allégorique formé d'inslrumens de musique, d'une
partition de Maver-Béer et de la romance de la Folle
que M. Nourrit chante et joue avec tant de perfection.
Les portraits de nos plus fameux compositeurs sur-
montées d'une couronne de chêne, se faisaient remar-
242
GAZETTE MUSICALE
quer dans chacun des panneaux de la tapisserie ; et en
face du siège que devait occuper M. Nourrit, apparais-
sait le portrait de ce grand artiste, couronné de même.
La table , simplement mais artistement ornée , pré-
sentait le plus joli coup d'œil. Dans la serviette de cha-
que convive, se trouvait un bouquet symbolique de
fleurs artificielles, choisies, arrangées d'après les prin-
cipes un peu classiques , un peu arbitraires et un peu
vagues, de ce que l'on nomme le langage des fleurs.
L'idée n'en était pas moins heureuse et délicate, et
M. Nourrit a paru extrêmement flatté de son bouquet qui
était ainsi composé : acanthe-an; platane génie ; e'glan-
frVze-poésie; roseaux-m\\s\<\\\Q ; pied-d' alouette-\és,he\.é ;
cèdre- force ; rose à cent feuilles-gràce; //«-hardiesse;
amflra/ît/ïe-immortalité.
Nous ne parlerons pas de la manière dont M. Nourrit
a été introduit par l'un des commissaires du banquet,
du plaisir que lui a causé l'aspect de la salle ainsi dé-
corée, de l'émotion visible qu'il a ressentie à un si tou-
chant accueil , ni de la gaîté franche et de l'amical aban-
don qui a régné pendant un excellent repas où Dutel a
soutenu dignement sa renommée d'artiste culinaire plein
de savoir _, de goût et d'habileté. Ce sont là de ces choses
que tout le monde sait d'avance, ou que l'on devine si
ou ne les sait pas. Nous nous hâterons donc d'arriver au
dessert, parce qu'alors M. Vadé-Bibre s'est présenté
accompagné de deux de ses camarades, MM. André et
Martin, et a donné lecture des vers suivans , d'une voix
que trahissait une agitation bien naturelle.
Plus de faux dieux , plus de Mythologie!
La Fable a fui devant la vérité;
De ses tristes héros , sans physionomie ,
Le vieux Olympe est déserté;
Et le vrai Dieu , c'est le génie.
Le génie ! En ces lieux il brille tout entier ,
Nourrit nous l'apporta des rives de la Seine ,
Et des plus beaux talens dont s'illustra la scène ,
Il est bien plus que l'héritier.
Et du chant et de la parole,
Du cœur et de l'esprit , de Famé et du savoir ,
Unissant le rare pouvoir,
Dans un rôle, Nourrit ne saurait voir un rôle.
Il voit l'homme partout , tel qu'il fut , tel qu'il est ;
Sur le fait , la nature à lui se laisse prendre ;
Et toujours il sait nous la rendre
Ce qu'elle doit être en effet.
Nommer Masaniello , Robert , Arnold, Orphée,
C'est , hélas! à peine effleurer
La liste des héros dont il sut s'emparer ,
Qu'il rend si vrais à notre ame échauffée,
Que , sous ses traits , il nous faut admirer,
Et qui lui sont un glorieux trophée.
Ah! de son admirable voix ,
Nous qui pouvons ressentir la puissance,
Prosternons-nous ! Notre faiblesse immense
Se borne à l'applaudir et mille et mille fois,
Par devoir encor moins que par reconnaissance ,
Et cherche en vain à concevoir
Comment cette voix si sublime ,
Ensemble ou tour à tour , exprimé
Ou l'amour ou la haine , ou l'horreur^oule crime,
Ou la rage ou le désespoir !...
Artistes, mes amis , quand, dans ce jour prospère,
Nous le possédons avec nous ,
Disons-lui qu'il est notre Dieu et notre père,
Que nous sommes à ses genoux !...
El lorsque nous posons cette simple couronne
Sur son front noble et radieux,
Que c'est l'élève qui la donne
Au maître qu'il chérit le mieux.
Disons , quand près de lui nous avons tout à craindre ,
Qu'à marcher sur ses pas nous bornons tous nos vœux ,
Qu'au plus parfait modèle on ne saurait atteindre ,
Qu'en le suivant, de loin , nous serons trop heureux.
Amis , dans un guerrier d'immortelle mémoire ,
Et qui réalisa la fable des Titans ,
L'Europe agenouillée a redouté vingt ans
Le Napoléon de la gloire.
Nourrit , marchant sous d'autres étendards ,
Et gagnant mainte autre victoire ,
Est le Napoléon des arts.
Il eslimpossible de se faire une idée de l'enthousiasme
et des applaudissemens excités par cette épître où
M. Vadé-Bidre a payé en vers faciles, spirituels et
exempts delà boursouflure a la mode, le juste tribut
d'admiration dû à un artiste qui est incontestablement le
premier chanteur, et le premier tragique de l'époque. Il
est impossible de peindre l'attendrissement de M. Nour-
nit , qui allait jusqu'aux larmes , qui lui a pendant long-
temps interdit l'usage de la parole, et qui ne lui a permis
qu'après plusieurs minutes, de répondre a peu près en
ces termes :
« Messieurs et chers camarades , l'émotion me maîtrise
a un tel point que je ne sais comment vous exprimer ma
reconnaissance pour l'accueil fraternel que je reçois au-
jourd'hui de vous. Je n'ai qu'à me louer des artistes du
théâtre de Lyon , et de l'appui que j'ai trouvé dans le con-
cours de leurs talens. »
Nouveaux applaudissemens, nouvel enthousiasme;
les toasts, portés et rendus, se succèdent avec la plus
franche cordialité et l'épanchement le plus vrai.
Des chansons, des romances sont ensuite chantées par
MM. Guslave-Blès , Martin et Donjon. M. Nourrit ne
veut pas être en reste, et par une galanterie pleine de
délicatesse et d'à-propos, il choisit une romance dont
la musique est l'œuvre de M. Bédard, ex-musicien de
243
l'orchestre du Grand-Théâtre. Les paroles et la musique
ont fait grand plaisir : le chanteur a été ravissant et les
acclamations ont redoublé de force et d'intensité. Le roi
de la fête venaitde lancer le bouquet, la soirée s'est né-
cessairement terminée la. Une députation a reconduit
M. Nourrit a son hôtel, et les connives en en retirant,
n'ont pu se défendre de dire encore combien ils avaient
éprouvé de bonheur dans cette réunion dont le souvenir
ne s'effacera ni de leur mémoire ni de leur coeur.
IE£AIHE DOTAI. DE L-OFÉRA-COIHIÇUE.
Un Caprice de Femme ,
Paroles de M. Lcsguillon , musique de M. Pafr
Reprise du Revenant.
MUSIQUE DE GOMIS.
Depuis la réouverture du théâtre de la Bourse , nous avons
vu défiler sous nos yeux bon nombre de débulans et d'opéras ,
témoignages irrécusables du zèle et de la bonne volonté de l'ad-
ministration ; mais sans Lestocq , aucune pièce, aucun artiste,
n'influe d'une manière décisive sur le chiffre des recettes, dia-
gnostic certain et infaillible de la prospérité d'une direction
théâtrale. Nous sommes , il est vrai , dans le moment le plus
difficile de la saison, et il faut un attrait bien vif et bien puis-
sant pour que le public surmonte sa répugnance contre les cha-
leurs du mois dejuillct.Si un Caprice de Femme, dont la pre-
mière représentation a eu lieu jeudi dernier ne brille pas de
qualités assez saillantes pour faire courir la foule au théâtre
Feydeau, du moins cette pièce d'un mérite incontestable fera
compter au caissier quelques bonnes recettes, et prendra au
répertoire un rang distingué.
La donnée du Caprice de Femme est simple , claire, pas
trop neuve, et ne manque pas de vérité. Madame de Surville ,
la femme au caprice , qui sans doute a la cervelle un peu trou-
blée par la sentimentalité transcendante des œuvres morales de
M. Sand et compagnie, s'ennuie à périr du plat et vulgaire
bonheur du ménage. Son mari riche, spirituel, jeune, plein
d'amour et d'attentions pour elle , a le malheur d'être , dans le
commerce delà vie, d'une facilité de rapports désespérante. Il
a le travers d'avoir confiance en sa femme et de la laisser vivre
à sa guise. Madame de Surville ne peut supporter le prosaïsme
de celte monotone existence ; il lui faut de la jalousie pour juter
un peu de variété et delà jalousie bien conditionnée; car sans
jalousie, chanle-t-ellc, il n'est point d'amour véritable. Survient
M. de Valbrun , fat quelque peu sot, qui se croit amant ohligé
de toute jolie femme. Madame de Survillc le choisit, vu le peu
de danger , pour en faire l'objet de la jalousie de son mari, et
celui-ci, bien loin de s'émouvoir des éloges affectées de M. de
Valbrun, qu'il entend sorlir de la bouche de sa femme, fait
inviter ce même Valbrun à la soirée qui doit avoir lieu re jour-
là même pour la fête de madame de Surville. M. de Valbrun
répond au billet d'invitation par une déclaration d'amour.
Cette lettre tombe entre les mains de M. de Surville , qui ne
peut s'empêcher, pour complaire à sa femme, de commettre
son premier acte de jalousie en la décachetant. Déjà il est surle
point de prendre la jalousie au sérieux, lorsqu'il entend sa
femme développer à une vieille gouvernante sa théorie de co-
quetterie conjugale. De ce moment M. de Surville veutreudre
la leçon qu'on prétendait lui donner ; il feint une jalousie pro-
fonde, et, devant toute la société assemblée. ïi fait une scène
à sa femme qu'il oblige à le laisser seul avec Valbrun. Une
discussion s'élève entre les deux rivaux, mais sur leur adresse
à tirer le pistolet , cl celte quere'le se formule en un pari de
cinq cents francs. Une double détonation se fait bientôt enten-
dre; madame de Surville se trouve mal; toute la compagnie est
en émoi, puis tout s'explique, et madame de Surville se pro-
met bien de mieux choisir ses capiices à l'avenir.
Comme on vient de voir, ce n'est pas la morale qui manque
à cet opéra , qui d'ailleurs est écrit avec esprit. Le dialogue a
du trait , de la finesse , mais il est long , et la marche de la pièce
n'est pas complètement musicale. A quelques rares exceptions
près, les auteurs d'opéras comiques mettent peu d'esprit
dans leurs poèmes; félicitons M. Lesguillon d'avoir évité ce
parti pris , si c'en est un ; nous le féliciterons bien davantage
si nous le voyons dans ses prochains ouvrages imiter l'admira-
ble coupe musicale des libretti italiens auxquels messieurs ses
confrères ont voué le plus profond mépris.
Si le nom de M. Pacr avait été le moins du monde un mys-
tère, avant le lever du rideau les premières mesures de l'ou-
verture auraient aisément fait reconnaître un artiste expéri-
menté. En général , la conduite des morceaux , l'instrumenta-
tion , la disposition des voix décèlent dans ce petit ouvrage le
compositeur consommé : l'instrumentation surtout est écrite
avec un soin remarquable, et si lajraîcheur et l'originalité des
mélodies, comme en savait faire dans son bon temps l'auteur
d'Agnese , d' Achille , et d'une foule d'autres opéras qui ont
fait le tour de l'Europe, était venu se joindre à toutes les qua-
lités que nous nous sommes plus à énumérer, le Caprice d'une
Femme serait un petit chef-d'œuvre. Mais il ne faut pas oublier
que M. Paer a écrit son premier ouvrage en 1784, et il est
vraiment étonnant qu'en 1834 ^ puisse encore trouver des
chants pleins de charme et de grâce comme en renferme cette
partition. Cependant il est un reproche grave que je ne puis
m'empêcber d'adresser àcet illustre maître. Comment M. Paer,
si éminemment musicien, si véritablement italien , qui sait si
parfaitement écrire pour les voix, a-t-il pu se résoudre à com-
poser un opéra tout entier sans une seule basse, un opéra où
l'on n'enlend que des voix aiguës, soit hommes, soit femmes,
des soprani et des tenoriPLe rôle de Surville réclamait impé-
rativement une basse-taille ou tout au moins un baryton ; l'é-
crire pour Lcmonuier, c'était détruire à plaisir tout l'effet des
morceaux d'ensemble. M. Paer se devait à lui-même, et aux
saines doctrines musicales qu'il a soutenues et mises en prati-
que toute sa vie , de ne pas donner un si mauvais exemple. Je
sais bien que M. Paer peut répoudre qu'il n'est pas rigoureu-
sement vrai de classer Lemonnier parmi les ténors, et que celte
seule observation écorne mon raisonnement. — D'accord ; mais
si Lemonnier ne peut être ténor , il est encore bien moins basse-
taille; s'il chante peu dans le haut, il ne chante pas du tout
dans le bas , et ma remarque subsiste. L'air de madame Casi-
mir est parfaitement écrit pour faire briller toutes les richesses
de sa voix. Son succès y a été complet. Que madame Casimir
me pardonne de troubler un peu ses triomphes, mais c'est
précisément parce que la nature l'a douée de facultés meryeil-
2A4
GAZETTE MUSICALE DE PARIS.
leuses qu'il faut lui faire entendre des avis sages et même un
peu sévères. C'est un bien mauvais moyen de prouver l'intérêt
que l'on prend à un artiste en lui criant toujours bravo , bra-
vissimo ! A mon avis, madame Casimir se confie beaucoup
trop à la beauté , à la facilité de sa xoix. Plus je l'entends , et
plus en l'écoutant il m'est difficile dc'recnnnaîlrejcnjellc la véri-
table artiste. Je suis frappé de facultés extraordinaires , de pro-
diges d organisation, et rien au-delà. C'est bien pour le présent,
mais pour l'avenir! Combien de voix magnifiques ont disparu
et se sont subitement éteintes après un petit nombre d'années
de pratique , tandis qu'un chanteur qui connaît et ménage les
ressources de son art peut s'assurer une carrière dix fois plus
longue. Madame Casimir n'a qu'à regarder auprès d'elle , et
elle en verra un bien frappant exemple dans son camarade
Ponchard, qui , avec une organisatien frêle et une voix faible,
chante depuis long-temps, chantera plus long-temps encore,
parce qu'il connaît à fond et qu'il sait ménager les ressources
de son instrument; parce qu'il sait trouver daus l'élude et les
pratiques de l'art, et malgré les désavantages de son organisa-
tion, les moyens certains de se faire applaudir, même à côté
de la voix si saisissante, si ferme et si brillante de madame
Casimir. Moins habile que Ponchard, madame Boulanger ne
sait pas si bien dissimuler les ravages du temps sur son organe.
Sa voix a perdu de son éclat et de sa souplesse dans les sons
élevés; elle fait des efforts trop visibles et malheureusement
vains pour rattraper ce qu'elle ne retrouve plus; et si elle n'y
prend garde , elle remplacera ses notes fugitives par des cris
peu harmonieux. Il faut que madame Boulanger change de
diapason comme elle a su si à propos changer d'emploi, et le
résultat de ce petit sacrifice d'amoar-propre ne sera pas moins
heureux pour cette estimable artiste.
Somme toute , si la pièce nouvelle n'est pas appelée à un
succès de vogue, elle figurera long-temps sur l'affiche et sera
toujours accueillie avec faveur.
Ou a repris dans la même soirée le Revenant de M. Gomis.
L'originalité un peu recherchée de cette musique si différente
de ce que l'on entend chaque jour, produit toujours son effet,
et les mélodies quelquefois étranges inventées par le composi-
teur sont tout-à-fait enharmonie avec la couleur fantastique du
sujet. C'est un des bons ouvrages du répertoire. Boulard a
daus cette pièce un rôle tout-à-fait dans ses moyens. Il le dit
et le chante de la manière la plus convenable.
On annonce comme fort piochain le début à' Inchindi dans
une pièce nouvelle expressément écrite pour lui et pour le
jeune débutant Couilcrc.
Correspondance part[culère.
Turin, le 19 juillet.
Sous le titre de Eran due ed ora son tre, Ricci a écrit ici
vers la fin du dernier printemps , un opéra dont les
aventures de Menegbino ont fourni le sujet. Cette composition,
qui ne manque pas de savoir-faire , a eu assez de succès , bien
que l'on n'y remarque rien de bien nouveau, et qu'il ne se
trouve pas dans toute la partition un seul morceau qui soit
susceptible d'être chanté clans un concert. Les deux buffi-can-
tanti , Scaleze et Frezzolini méritent d'être honorablement cités
parmi les exécutans. Je ne puis encore vous dire les noms des
artistes engagés pour la saison prochaine au théâtre royal
de Carignan : toutefois , on dit que la troupe sera bien
composée. Dès que j'aurai obtenu des renseigiiemens plus po-
sitifs à cet égard , je ne manquerai pas de vous les communi-
quer.
Pugni, l'auteur del giorno de Saint-Micheli s'est esquivé
de Milan.au grand déplaisir de ses créanciers, qui, néan-
moins , lui souhaitent toute sorte de prospérité afin de conser-
ver l'espoir d'en être payés un jour. L'Italie n'est pas aujour-
d'hui un pays convenable pour ceux qui se distinguent de la
masse commune en travaillant pour la gloire seule. Puisse la
fortune sourire ailleurs à Putrni !
NOUVELLES.
%* Rien de nouveau à l'Opéra, si ce n'est le départ du direc-
teur; ce voyage de courte durée est, dit-on, le prélude d'une ab-
sence beaucoup plus prolongée , qui aurait pour but l'organisa-
tion de l'Opéra de Londres, que M. Yéron doit entreprendre
pour la saison prochaine.
*++ MM. Beir et Adam sont chargés par le ministre d'orga-
niser le concert d'instrumens à vent, quiaura lieumardi 2gjuil-
let, dans le Jardin des Tuileries, à huit heures du soir. Plus de
deux cents artistes des théâtres royaux exécuteront l'ouverture
de la Muette, de Guillaume-Tell , delà Gazza ladra , et le
chœur des buveurs du Revenant de M. Gomis ; ce dernier
morceau a produit un effet imposant aux répétitions. On parle
aussi avec éloges de la Marseillaise arrangée pour inslrumens à
vent par M. Adam, et des solos pour cornet à piston, introduits
dans ce chaut national, et exécutés par M. Dufresnes. Nommer
cet habile artiste , c'est faire son éloge.
%* Un petit opéra sans importance, V -Angélus , continue à
être donné àl'Opéra-Comiqut'. Il existe un trop grand nombre
d'amateurs de très-petite musique, pour que nous ne puissions
prédire un succès de vente à l'éditeur qui fera l'acquisition de
celte bluette.
*+* Mardi, représentation gratis à l'Opéra, c'est Gustave
avec son nouveau bal , qui fera les frais de cette représentation ;
le public gratis applaudira autant que le public payant qui,
comme chacun sait, ne manque pas aux appels de la rue Le-
pelletier.
*+* Avant le nouveau Robinson , le théâtre Nautique don-
nera une représentation extraordinaire qui se composera de
Guillaume Tell , précédé d'un grand et brillant concert. On
prétend que le directeur veut nous faire entendre quelques
symphonies de Beethoven, nous le croyons; car pourquoi ne
pas profiter d'un bon orchestre ctd'un chef habile?
*+* L'Opéra-Comique a repris le Revenant de M. Gomis ;
c'est une reprise malheureuse quenous blâmons. Une adminis-
tration habile comme celle deM. Crosnier, aurait dû attendre
l'hiver pour montrer un des meilleurs ouvrages de l'époque,
mis eu scène avec tout l'éclat qu'il mérite, et exécuté par les
artistes de talent nouvellement engagés à ce théâtre. Nous es-
pérons que l'administration suivra mire conseil, car le Reve-
venant, tel qu'il est exécuté a l'Opéra-Comique, n'est qu'une
triste parodie de l'opéra de M. Gomis.
*„* Notre correspondant de Carlsruhe nous mande que ma-
demoiselle Francilla Pixis continue à exciter l'admiration des
habitans de cette ville; dans son second début , elle s'est mon-
trée sous le costume d'homme , on donnait le troisième acte de
Romeo et Giulietta , où. elle a déployé, dans son chant, comme
daus son jeu, du goût et du sentiment, et le nombreux pu-
blic qui assistait à celte représentation, lui a témoigné toute sa
satisfaction par des salves d'applaudissemens. Le 24 juillet,
elle a dû continuer ses débuts par le rôle de Rosine, dans le
Rarbier de Séville. Cettejeune cantatrice donnera , le 2g de ce
mois, une représentation sur le théâtre de Bade, qui se com-
posera d'un concert suivi du troisième acte d' Otello.
%* On nous écrit de Boulogne : Les concerts recommencent
dans celui de M. et madame Pagliardini, artistes fort estimés
ici ; nous avons eu l'occasion d'admirer l'exécution sur le piano
pleine de force et d'énergie deM. Albert Schilling. Nous avons
été fâchés de voir que le jeune artiste si plein de moyens a choisi
de variations de Herz. Un véritable talent comme M. Schilling
devrait abandonner ce genre aux femmes et à ceux incapables de
produire de l'effet avec delà musique, plus élevée; ce sontles
œuvres de Beethoven, Weber, Hummel , Moscheles ou Cho-
pin , qui lui conviennent, et qui feraient envisager son talent
sous son véritable point de vue.
Gérant, MAURICE SCHLESINGER.
P.™. — Inifr
c .l'ÉVEKAT, rue du Cadra» , u° 16
GAZETTE MUSICALE
mm &<Am2.
1" ANNÉE.
N° 31.
PRIX DE 1,'ABOPiNEM.
PARIS.
DÉPART.
ÉTRAKG
fr.
Fr. e.
Fr. c.
3 m. 8
8 75
9 50
6m. 45
46 50
18 »
i an. 30
33 .»
36 »
€a (Saadte iitusicalt ï>* |3aris
Parait le DIMANCHE de chaque semaine.
On s'abonne au bureau de la Gazette Musicale de Paris, rue Richelieu , 97;
et chez tous les libraires et marchands de musique de France.
)n reçoit les réclamations des personnes qui ont des griefs à exposer, et les avis relatifs à la musique
qui peuvent intéresser le public.
PARIS, DIMANCHE 3 AODT 1834.
Les lettres, demandes
et envois d'argent doi-
vent êlre affranchis, et
adressés au Directeur ,
rue Richelieu, 97.
EXPOSITION
DES PRODUITS DE i/lNDUSTRIE.
(5e Article.)
Pianos.
(suite.)
A la veille de la clôture , et lorsqu'on commençait
déjà à déplorer l'absence de ces habiles facteurs ,
MM. Roller et Blanchet ont enfin répondu à l'appel de
l'art et payé largement leur tribut. On sait que ces fac-
teurs ont choisi une spécialité, en ne construisant que les
instrumens nommés piano droit, et piano transpositeur.
Les pianos en forme verticale ont eu long-temps à
lutter contre la prévention du public. On leur repro-
chait, non sans raison, un mécanisme moins solide,
un accord plus difficile, et d'autres inconvéniens attachés
à la nature même de leur construction. Cependant cette
forme avait un avantage sur celle des autres pianos: c'est
de se prêter à uu plus grand nombre d'emplacemens.
Dans un petit appartement , où quelquefois un piano or-
dinaire , à cause de sa largeur et de sa profondeur, est em-
barrassant; le piano vertical n'occupant que la moitié de
la place se range très-commodément. L'importance de
ce résultat engagea plusieurs facteurs à de nouvelles re-
cherches pour lui ôter ses défauts. Leurs efforts ont enfin
obtenu le plus grand succès; car aujourd'hui le piano
vertical est porté à un degré de perfection qui doit satis-
faire aux exigences des artistes.
Lorsqu'on commença à construire les premiers pianos
verticaux , on les fit en forme presque pyramidale , c'est-
à-dire qu'on prit pour modèle les pianos à queue , dont
on plaça la caisse perpendiculairement. Cette idée était la
plus simple et celle qui devait se présenter d'abord. Ce n'é-
tait d'ailleurs une innovation que dans l'application au
piano; carie clavecin perpendiculaire ou vertical existait
plus de deux cents ans auparavant (1). On ignore quel est
lefacteur'qui, le premier, a construit un piano vertical (2);
mais c'est en Allemagne qu'on en a fait les premiers
essais. Cette forme une fois établie, on modifia ces in-
strumens de mille manières, tant pour l'extérieur que
pour le mécanisme et la distribution intérieure. Dans les
derniers temps on s'est surtout occupé à diminuer le
volume, et à en construire d'une dimension aussi petite
que possible sans nuire à la qualité du son. MM. Rol-
ler et Blanchet semblent sous ce rapport avoir atteint
des limites qu'on ne saurait dépasser. L'instrument au-
quel ils ont donné le nom de piano droit, n'a que trois
pieds de hauteur sur une largeur de quatre pieds et
une épaisseur de huit pouces, non compris la saillie du
clavier qui est de sept pouces. C'est une victoire que d'a-
(i) On lit dans la Rev ue musicale (tome \"I1T , page i93),
que Rigoli , de Florence-, inventa, vers 1620 le clavecin
vertical. Nous ferons observer que la forme verticale du cla-
vecin existait déjà en 1536. Car on la trouve dans la Musurgia
de Luscinius dont la première édition parut à l'époque que
nous venons d'indiquer.
(2) M. Fétis , dit (Revue musicale, tome VIII , p. 202), que
le troisième clavecin à maillet, de Marins était vertical. Le
dessin qu'on trouve dans les machines et inventions approu-
vées par l'Académie Royale des Sciences (loin. III, p. 87),
représente cet instrument pris par-devant et en perspeclive
qui, mal exécutée, peut au premier abord induire en erreur.
Mais on n'a qu'à lire le texte qui l'accompagne, et à examiner
le mécanisme de la touche pour se convaincre que ce clavecin
était horizontal comme tous les autres du même facteur.
2/ïG
GAZETTE MUSICALE
voir obtenu dans ces dimensions un instrument a trois
cordes et à six octaves , dont le son intense et plein ne re-
doute pas la comparaison avec celui de pianos beaucoup
plus volumineux. Aussi voyons - nous avec plaisir
que l'usage des pianos droits se répand parmi les ama-
teurs. En effet, rien de plus commode qu'un petit meu-
ble musical de cette espèce qu'on transporte facilement
et qui se place partout où l'on veut. Ce fut a l'exposi-
tion de -1827 que MM. Roiler et Blancliet produisirent
leurs premiers essais des pianos droits. Depuis lors ils y
ont apporté de nombreures améliorations, et ils convien-
nent eux-mêmes que ces pianos d'essai ne sauraient don-
ner qu'une idée incomplète du degré de perfection où
ces mêmes instrumens sont parvenus aujourd'hui.
Les artistes sont encore redevables à M. Roiler
d'avoir fait revivre l'idée de remplacer, par un procédé
mécanique, les difficultés de la transposition.
Il y a assez long-temps que des facteurs se sont occu-
pés de cette idée. Des clavecins avaient déjà reçu un
mécanisme transpositeurs. On trouve mentionné un cla-
vecin d'un Nicolas Ramarino où, par le changement de
ressorts, le même clavier servait a plusieurs tons différens
par degrés semi-toniques. Le P Kircher en a fait la dis-
cription dans le premier volume de sa Musurgie.
Charles Luyton , organiste de la cour de l'empereur
Rodolphe II , possédait un clavecin curieux qui avait été
construit à Vienne, en 1589. Les touches supérieures
étaient divisées ou doubles, pour exprimer la différence
des dièzes et bémols (de sorte que, par exemple, ut dièze
et rébémol étaient produits par des cordes différentes).
En outre le clavier était mobile, et pouvait se transposer
sept fois ; ce qui faisait, d'après l'arrangement de ce
clavier, une transposition de trois tons (1).
. L'auteur dont nous avons tiré cette note, ne donne
pas le nom du facteur de l'instrument. C'est au reste le
plus ancien exemple d'un clavier mobile dont nous
ayons connaissance.
Il paraît cependant que ce mécanisme ne trouva pas
beaucoup d'imitateurs, et que quelques essais isolés,
faits postérieurement, n'ont pas réussi à en généraliser
l'usage.
Plus tard, on imagina un autre procédé. C'était de
faire un chevalet mobile, au moyen duquel on pût, en
raccourcissant ou allongeant l'ensemble des cordes, chan-
ger à l'instant tout l'accord de l'instrument. Mais l'u-
sage de ce chevalet, plus compliqué et moins sûr que
celui du clavier mobile, fut bientôt abandonné, et l'on
est revenu au premier procédé dont la simplicité doit
garantir le succès.
(I) Praetorius, Syntagma mus. t. II, p. 64 et 65.
C'est , nous croyons , en Allemagne que les pianos
ont reçu d'abord le mécanisme transpositeur.Un homme
ingénieux pour la construction des instrumens , sans être
lui-même facteur, le chambellan Bauer a Berlin fit con-
struire, vers 1786, un piano pyramidal , de huit pieds
et demi de hauteur, qui, au moyen de registres, pré-
sentait huit changemens de sons et dont le clavier mo-
bile se transposait de deux tons (1).
Plus tard, ce mécanisme a été reproduit a Vienne,
où, en 1823, le facteur Muller se lit donner un brevet
d'invention. Ce fut dans la même année que M. Roiler
présenta a l'exposition son piano transpositeur, dont on
reconnut le mérite en lui décernant la médaille d'ar-
gent ; mais la priorité sur le facteur de Vienne lui
appartient, car son brevet porte la date de 1820.
M. Roiler a depuis encore perfectionné son instrument,
et tel qu'il le présente aujourd'hui, il semble ne rien
laisser a désirer. Si jusque la les pianos a mécanisme
transpositeur n'ont été faits qu'en petit nombre, ils se
répandent maintenant, et semblent, grâce a cet habile
facteur, être destinés a un succès complet.
Dans le piano transpositeur de M. Roiler, le clavier
mobile, mis en jeu par une clef, se transporte a droite
ou a gauche sous les cordes ; de sorte que, par exemple ,
la touche qui frappe Y ut passe sous Y ut dièze ou ré bé-
mol, et domine ainsi un autre système total, sans que
le doigté éprouve le moindre changement. Pour baisser
le ton, il suffit de porter le clavier de droite à gauche ;
et alors, suivant le nombre de degrés qu'on lui fait par-
courir, la gamme d'ut se change en celle de si au pre-
mier degré, de si bémol au second, et ainsi de suite. On
peut obtenir a l'aigu la même variation : chaque tour
de clef élève d'un demi-ton, si c'est en haut, et baisse
d'un demi-ton , si c'est en bas. Chacun de ces degrés
est d'un demi-ton, et a quelque degré que l'on s'arrête,
le clavier se trouve invariablement fixé.
Ce mécanisme , simple par lui-même et tout-a-fait
isolé du corps et des cordes de l'instrument, ne nuit en
rien à sa solidité.
Nous engageons les personnes qui n'auraient pas
vu le piano transpositeur , a visiter les ateliers de
MM. Roiler et Blancliet. Elles jugeront par elles mêmes
de l'excellence de ces instrumens.
MM. Roiler et Blancliet viennent d'obtenir la mé-
daille d'or. C'est justice; et nous aimons aies en féli-
citer.
Parmi les pianos verticaux, il y en avait un qui atti-
rait l'attention par un écriteau, sur lequel on lisait:
(1) Gcrber, nouv. Dict., art. Bauer.
Piano à sons prolongés d'après un nouveau système de I
dilatation. Cet instrument était Je M. Éder, de Rouen.
Nous avons puisé dans le prospectus très-détaillé qui en |
rendait compte, de quoi expliquer a nos lecteurs ce
nouveau système.
Dans le piano de M. Éder, la fonte de fer remplace
la charpente en bois. Il n'eut d'abord en vue que la so-
lidité du fer supérieure a celle du bois, et permettant
d'employer des cordes plus grosses que les cordes ordi-
naires. Bientôt le fer lui parut offrir un avantage plus
précieux par sa dilatabilité , pour la durée de l'accord.
On sait que dans les salles de concert fortement échauf-
fées , les pianos baissent sensiblement de ton. C'est
l'effet d'une double distension, les cordes s' allongeant
par la chaleur, et le bois au contraire se resserrant sur
lui-même. M. Éder croit avoir trouvé dans la charpente
en fonte le remède à cet inconvénient. La membrure
(dit le prospectus), qui supporte les sommiers auxquels
sont attachées les extrémités des cordes , étant elle-même
susceptible de dilatation par l'action de la chaleur; il
en résulte que, lorsque les cordes s'allongent par l'éléva-
tion de la température, ou se contractent par son abais-
sement, les sommiers, suivant le mouvement de lu fonte
et obéissant a sa propriété dilatable ou contractile , s'é-
cartent ou se rapprochent, en sorte que les cordes, res-
tant toujours a peu près également tendus, le piano
reste a peu près constamment au même diapason.
Nous ne savons pas jusqu'où M. Eder a poussé ses
expériences dans des salles échauffées. Mais le pavillon
n°4-, avec l'alternative d'un courant d'air, et d'une
chaleur étouffante, produites par l'influence des specta-
teurs , fournissait une belle occasion d'épreuve; et
nous ne saurions conclure favorablement, attendu que le
piano en question était bien discors au moment où nous
l'avons essayé. Au reste, M. Éder aurait tort de se croire
l'inventeur de la charpente en fonte. Plusieurs facteurs
l'ont employée, il y a long-temps. Ils en sont revenus
au bois, et nous pourrions citer un facteur très-célèbre
de la capitale , qui , après avoir pris un brevet pour cette
construction, il y a vingt et quelques années, n'a pas
tardé à mettre son modèle au rebut.
Un mérite moins contestable du piano de M. Éder,
c'est la prolongation du son, obtenue, selon lui, par
une manière de barrage plus favorable aux oscillations
du corps vibrant. Nous avons déjà dit , dans un article
précédent, que pour la table d'harmonie il reste encore
dfs expériences à faire. Nous engageons M. Éder a
p oursuivre les siennes.
Le prospectus parle encore d'une mécanique de nou-
velle invention, que M. Éder aurait voulu appliquer à
son instrument; mais que les délais fixés pour l'exposi-
tion ne lui ont pas permis d'achever. Ilpartage en cela le
sort de beaucoup de ses confrères qui , pressés par le
temps et pris au dépourvu , n'ont pu exécuter ce qu'ils
avaient voulu présenter de neuf.
M. Cluesmann a exposé une nouvelle invention, qui
ne pourrait manquer de succès , si elle présentait réelle-
ment Yimmense avantage qu'en proclame l'inventeur.
Malheureusement, elle n'est pas a l'abri d'objections
difficiles à détruire.
Le piano, dit M. Cluesmann, laissait jusqu'ici quel-
que chose a désirer; c'était de pouvoir l'accorder soi-
même sans le secours d'un accordeur. Regardant le ma-
niement de la cheville pour tendre les cordes , comme
principal obstacle a la facilité de l'accord, M. Clues-
mann croit y avoir remédié par un procédé aussi simple
au ingénieux , en substituant a ces chevilles des vis de
pression qui , très-faciles a tourner avec une clef pareille
à celle d'une montre, permettent de tendre ou de déten-
dre les cordes d'une manière presque imperceptible. Au
moyen de ces vis de pression, tout le monde pourra,
selon lui , dorénavant accorder soi-même son piano ;
pour cela, il ne faudra qii avoir l'oreille juste.
C'est comme si l'on disait : pour cela il ne faut que. . .
savoir accorder.
L'accord du piano présente des difficultés ; mais elles
consistent moins dans l'adresse a manier la cheville
(adresse toute mécanique, qui s'acquiert bientôt avec un
peu d'habitude), que dans l'opération qu'on appelle
partition et tempérament. Il faut pour cela non-
seulement une oreille juste, mais une oreille bien exer-
céeà celte sorte de travail. L'avantage des vis dépression
se réduit donc a n'être qu'un moyen plus commode pour
la partie purement mécanique de l'accord ; et cet
avantage sera encore limité aux cas où il s'agit de petites
nuances de hausse ou de baisse. Car, comme il faut tour-
ner trente fois la vis de pression pour obtenir le résultat
d'un seul tour de cheville; on conçoit que l'usage des
vis deviendra au contraire incommode toutes les fois
qu'il s'agira de tendre ou de détendre les cordes consi-
dérablement. Pour monter une corde nouvelle, il fau-
drait des tours innombrables de la vis dépression. Aussi
M. Cluesmann a-t-il reconnu la nécessité de conserver
les chevilles pour cet effet. Dans ses nouveaux pianos,
la corde s'attache au mécanisme destiné à être mû par
lavis de pression; puis elle est roulée, comme d'ordi-
naire, sur une cheville, qui sert à la fixer. Ce n'est
qu'alors, après avoir été accordécprcalablcinent au moyen
de cette cheville, qu'on emploie la vis de pression puni
rectifier l'accord , ou pour le saisir au degré le plus par-
fait.
248
GAZETTE MUSICALE
Remplacer les chevilles d'un côté pour les replacer de
l'autre, et puis venir nous vanter l'avantage de ce chan-
gement qui consiste a empêcher les cordes de se relâcher,
inconvénient inséparable du système de chevilles em-
ployé jusqu'ici : c'est , il faut en convenir , une singu-
lière contradiction. Nous craignons que le système de
M. Cluesmann ne soit pas si favorable au maintien de
l'accord qu'il voudrait le faire croire. Car, dans les pianos
ordinaires, les cordes sont invariablement fixées d'un
côté, tandis que dans les siens, elles peuvent se relâcher
des deux côtés.
M. Cluesmann a pris un brevet d'invention. Nous
croyons qu'il aurait pu se dispenser d'en faire les frais,
car nous doutons fort que ses confrères se fussent empa-
rés de son invention. Il en sera comme de tant d'autres
qui ont été abandonnées par les inventeurs eux-mêmes
avant l'expiration du brevet.
Le Suicide par enthousiasme.
(SUITE).
Ce que pensa la moderne Ariane en se voyant ainsi
délaissée, nul ne lésait. En tout cas, il est probable que
le Thésée, qui devait la consoler et guérir la cruelle
blessure faite a son amour-propre, ne se fit pas attendre.
Hortense n'était pas femme a demeurer ainsi dans l'inac-
tion. Ilf allait un aliment à la dévorante activité de son
esprit et de son cœur. C'est la phrase consacrée, au
moyen de laquelle ces dames poétisent et veulent justifier
leurs écarts les plus^prosaïques. Quoi qu'il en soit, dès
la seconde journée de son voyage, Adolphe complète-
ment désenchanté était tout entier au bonheur de voir
son projet favori, son idée fixe, sur le point de devenir
une réalité. Il allait se trouver enfin a Paris au centre du
monde musical , il allait entendre ce magnifique orches-
tre de T Opéra, ces chœurs si nombreux, si puissans,
entendre madame Branchudans la Vestale Un feuil-
leton de Geoffroy, qu'Adolphe lut en arrivant à Lyon,
vint exaspérer encore son impatience. Contre l'ordinaire
du célèbre critique, il n'avait eu que des éloges à donner.
« Jamais, disait-il, la belle partition de Spontini n'a
» été rendue avec un pareil ensemble par les masses et
» avec une inspiration aussi véhémente par les acteurs
» principaux. Madame Branchu, entre autres, s'est
» élevée au plus haut degré de pathétique , cantatrice
» habile, douée d'une voix puissante, tragédienne con-
» sommée, elle est peut-être le sujet le plus précieux
» dont ait pu s'enorgueillir l'Opéra depuis sa fondation ;
» n'en déplaise aux partisans exclusifs de madame Saint-
» Huberti. Madame Branchu est petite malheureuse-
» ment ; mais le naturel de ses poses , l'énergique vérité
» de ses gestes et le feu de ses yeux font disparaître ce
» défaut de stature ; et dans ses débats avec les prêtres
» de Vesta, l'expression de son jeu est si grandiose
» qu'elle semble dominer le colosse Derivis de toute la
» tête. Hier, un entr'acte fort long a précédé le troisième
» acte. La raison de cette interruption insolite dans la
» représentation était due a l'état violent où le rôle de
» Julia et la musique de Spontini avaient jeté la can-
» tatrice. Dans la prière (ô des infortunés) , sa voix
» tremblante indiquait déjà une émotion qu'elle avait
» peine a maîtriser; mais au final (de ces lieux prêtresse
» adultère) , son rôle tout de pantomime ne l'obligeant
» pas aussi impérieusement a contenir les transports qui
» l'agitaient, des larmes ont inondé ses joues , ses gestes
» sont devenus désordonnés, incohérens, fous., et au
» moment où le pontife lui jette sur la tête l'immense
» voile noir qui la couvre comme un linceul , au lieu
» de s'enfuir éperdue, ainsi qu'elle avait fait jusqu'alors,
» madame Branchu est tombée évanouie aux pieds de
» la grande Vestale. Le public, qui prenait tout cela
» pour de nouvelles combinaisons de l'actrice a couvert
» de ses acclamations la péroraison de ce magnifique
a final; chœurs, orchestre, tamtam, Dérivis1, tout a
» disparu sous les cris du parterre. La salle entière était
» bouleversée. » — Un cheval ! un cheval ! mon royaume
pour un cheval! s'écriait Bichard Ilf. Adolphe eût donné
la terre entière pour pouvoir à l'instant même quitter
Lyon au galop. Il respirait a peine en lisant ces lignes ;
ses artères battaient dans son cerveau a lui donner des
vertiges, il avait la fiè'vre. Force lui fut cependant d'at-
tendre le départ de la lourde voiture, si improprement
nommée diligence , où sa place était retenue pour le len-
demain. Pendant les quelques heures qu'il |dut demeurer
dans les murs de Lyon , Adolphe n'eut garde d'entrer
dans un théâtre. En toute autre occasion , il s'en fut
empressé; mais certain aujourd'hui d'entendre bientôt
le chef-d'œuvre de Spontini dignement exécuté , il vou-
lait jusque-la rester vierge et pur de tout contact avec les
muses provinciales. On partit enfin D***, enfoncé dans
un coin de la voiture , tout entier à ses pensées , gardait
un farouche silence, ne prenant aucune part au caque-
tage de trois dames fort attentives à entretenir avec deux
militaires une conversation suivie. On parla de tout
comme a l'ordinaire; et quand vint le tourdela musique,
les mille et une absurdités débitées à ce sujet purent à
peine arracher a Adolphe ce laconique a parte : « Bec-
» casses ! ! » Il fut obligé pourtant , le second jour du
voyage , de répondre aux questions que la plus âgée des
femmes s'avisa de lui adresser. Impatientées toutes les
DE PARIS.
249
trois du mutisme obstiné du jeune voyageur et des sou-
rires sardoniques qui se dessinaient de temps en temps
sur ses traits , elles décidèrent qu'il parlerait et qu'on sau-
rait le but de son voyage. « Monsieur va a Paris sans
» doute? — Oui, madame. — Pour étudier le droit?
» Non , madame. — Ah ! monsieur est étudiant en
» médecine? — Vous vous trompez, madame. » L'in-
terrogatoire finit la pour cette fois , mais il recommença
le lendemain avec une insistance bien propre a faire
perdre patience à l'homme le plus endurant. « Il paraît
» que monsieur va entrer a l'école polytechnique? —
» Non madame. — Alors , monsieur est dans le com-
» merce ? — Ohj mon Dieu non, madame. — A la
» vérité , rien n'est plus agréable que de voyager pour
» son plaisir, comme fait monsieur, selon tonte appa-
» rence. — Si tel a été mon but en partant, je crois,
» madame, qu'il me sera difficile de l'atteindre pour
» peu que l'avenir ressemble au présent. » Cette repar-
tie faite d'un ton sec, imposa enfin silence a l'imperti-
nente questionneuse, et Adolphe put reprendre le cours
de ses méditations. Qu'allait-il faire en arrivant a Paris...
n'emportant pour toute fortune que son violon et une
bourse de deux cents francs , quels moyens employer
pour utiliser l'un et épargner l'autre... Pourrait-il tirer
parti de son talent. . . Qu'importaient après tout de pareilles
réflexions, de telles craintes pour l'avenir... N'allait-il
pas entendre la Vestale? N'allait-il pas connaître dans
toute son étendue le bonheur si long-temps rêvé? Dût-il
mourir après cette immense jouissance, avait-il le droit
de se plaindre... n'était-il pas juste au contraire que la
vie eût un terme, quand la somme des joies, qui suffit
d'Ordinaire à toute la durée de l'existence humaine, est
dépensée d'un seul coup ?
C'est dans cet état d'exaltation que l'artiste provençal
arriva à Paris. A peine débarqué, il court aux affiches ;
que voit-il sur celle de l'Opéra? les Prétendus. « Inso-
lente mystification, s'écria-t-il , c'était bien la peine de
me faire chasser de mon théâtre, de m'enfuir devant la
musique de Lemoine , comme devant la lèpre ou la peste,
pour la retrouver encore au grand Opéra de Paris. » Le
fait est que cet ouvrage bâtard, ce modèle du style rococo,
poudré, brodé, galonné, qui semble avoir été écrit ex-
clusivement pour les vicomtes de Jodelet et les marquis
de Mascarille, était alors en grande faveur. Lemoine al-
ternait sur l'affiche de l'Opéra avec Gluck et Spontini.
Aux yeux d'Adolphe, ce rapprochement était une pro-
fanation ; il lui semblait que la scène illustrée par les
plus beaux génies de l'Europe, ne devait pas être ou-
verte a d'aussi pâles médiocrités ; que le noble orchestre,
tout frémissant encore des mâles accens d'Iphigénie en
Tauride ou d'Alceste , n'aurait pas dû être ravalé jus-
qu'à accompagner les fredons de Mondor et de la Dan-
dinière. Quant au parallèle de la Vestale avec ces misé-
rables tissus de Pont-Neuf, il s'efforçait d'en repousser
l'idée ; cette abomination lui figeait le sang dans les
veines. Il y a encore aujourd'hui quelques esprits ardens
ou extravagans (comme on voudra), qui ont exactement
la même manière de voir a ce sujet.
Dévorant son désappointement , Adolphe retournait
tristement chez lui quand le hasard lui fit rencontrer un
de ses compatriotes, auquel il avait autrefois donné des
leçons de violon. Celui-ci, riche amateur, fort répandu
dans le monde musical, s'empressa de mettre son maître
au courant de tout ce qui s'y passait et lui apprit que les
représentations de la Vestale, suspendues par l'indispo-
sition de madame Branchu , ne seraient vraisemblable-
ment reprises que dans quelques semaines. Les ouvrages
de Gluck eux-mêmes , quoique formant habituellement
le fond du répertoire de l'Opéra, n'y figurèrent pas,
pendant les premiers temps du séjour d'Adolphe a
Paris. Ce hasard lui rendit ainsi plus facile l'accomplis-
sement du vœu qu'il avait fait, de conserver pour Spon-
tini sa virginité musicale. En conséquence, il ne mit
les pieds dans aucun théâtre, s'abstint de toute espèce
de musique, n'assistant ni aux revues de la garde, ni
aux messes solennelles de Notre-Dame, se bornant à
chercher une place qui pût la faire vivre , sans le con-
damner cependant à recommencer la vie de galérien qui
lui avait été si odieuse en province. Il s'agissait pour
cela de trouver un emploi dans un des trois théâtre ly-
riques. Il se fit entendre successivement aux différens
chefs d'orchestre. M. Persuis qui conduisait l'Opéra et
celui sur lequel il comptait le moins , fut le seul qui
l'encouragea et lui donna des espérances. Adolphe lui
plut, son talent d'exécution sans être très-remarquable
le rendait cependant fort propre a tenir avantageuse-
ment son rang parmi les violons de l'Opéra. Persuis
l'engagea à revenir le voir, lui offrant ses conseils,
avec l'assurance que la première place vaccante à l'or-
chestre serait pour lui. Tranquille de ce côté, et deux
élèves que son protecteur lui avait procurés facilitant
ses moyens d'existence, l'adorateur de Spontini sentait
redoubler son impatience d'entendre la magique parti-
tion. Chaque jour il courait aux affiches, chaque jour
son attente était trompée. Le 22 mars, arrivé le matin
au coin de la rue Richelieu , au moment ou l'afficheur
montait sur l'échelle, après avoir vu placarder succes-
sivement le Vaudeville , l'Opéra-Comique, le Théâtre-
Italien], la Porte-Saint-Martin , Adolphe vit déployer
lentement une grande feuille brune qui |portait en tète:
250
GAZETTE MUSICALE
Académie Impériale de Musique et faillit tomber sur
le pavé en lisant enfin ce nom tant désiré : La Vestale.
(La suite à un numéro prochain.)
La Musique sur les côtes de l'Afrique.
A Inhamban. \ille située aux bords de la rivière du
même nom, et qui forme, sous le rapport de la sa-
lubrité, un des meilleurs établissemens portugais sur
celte partie des côtes orientales de l'Afrique, les natu-
rels du pays, qui doivent a leur vaillance d'être restés
libres, ont une danse très-sauvage, et c'est ordinaire-
ment au son du tambour qu'ils se livrent a ce plaisir.
Leur principal instrument est la marimbah. Il consiste
en dix morceaux ou baguettes d'un bois très-dur qui
sont fixés dans un cadre. Une petite calebasse creusée
sert a chaque baguette de moyen de résonnance. Le tout
ressemble a peu près a une harmonica. Faut-ïl recon-
naître encore aujourd'hui dans les dix baguettes de la
marimbah la gamme primitive d'une double octave telle
qu'elle existait jadis dans ces contrées et dans toute
l'Asie orientale? Il est bien a regretter que, lorsqu'il
s'agit de musique, les relations même de nos voyageurs
les plus modernes soient toujours si imparfaites. — Un
autre instrument qui s'appelle Cassanga , est encore
plus répandu chez les naturels d'Inhamban. Il consiste
en une caisse vide dont le dessus est garni d'un certain
nombre de baguettes en fer de diverse longueur et que
l'on frappe des doigts. Les voyageurs ont trouvé ce
même instrument a Quilimare , ville située sur le
bord de la rivière portant le même nom. A l'occasion
d'une noce, on a vu les habitans placer le fiancé sur
quelques barres de bois posées en travers sur l'orifice
d'un puits, et, pendant qu'on l'arrosait abondamment,
les spectateurs sauiaient autour de lui au son de la Cas-
sanga, en chantant et en exprimant leur joie par de
grands baltemeus de main.
(Voyage du capitaine Oiven.)
Revue Critique.
Krakowiak. Grand rondo de concert pour le piano,
avec accompagnement d'orchestre. Prix : i5 fr. et
7 fr. 50 cent, pour le piano seul.
Si nous ne nous trompons pas, cet œuvre tire son tilre po-
lonais des principaux motifs que nous y rencontrons, et qui,
composés à la manière des chants des environs de Cracovie, se
distinguent des mazourkas soit par nue ressemblance frappante
avec les ranz suisses , soit par la légèreté du rhydime en deux
quarts, soit eufiu parnne nuance touteparliculièrcdevive gaieté.
Les habitans de la pro\incc , qui a pour capitale la ville de Cra-
covie, sont, pour le plus grand nombre des montagnards. De
là, ces chants qui se développent eu longues phrases mélodi-
ques qui, comme celles des ranz , doivent résonner au loin
dans la Vallée et par-dessus la montagne; et aussi ces autres
chants si gais, si naïfs , entremêlés de danses et de dialogues ,
tandis qu'au contraire , la mazourka , plus calme et d'une gaieté
plus sérieuse, s'adresse aux habitans plus maniérés des pays
plats. Dans l'œuvre que nous signalons aujourd'hui à l'atten-
tion du public, M. Chopin donne un exemple caractéristique
de ces deux principaux genres de chants nationaux , ce qui
seul donne déjà à sa production un cachet tout particulier, et
ne rend que plus intéressante la piquante originalité du spiri-
tuel compositeur. Pour ce qui touche à la disposition du mor-
ceau , cette fois encore nous ne saurions donner ascez d'éloges
à la manière caractéristique et savante dont sont traités les in-
strumens accompagnans, non plus qu'à l'unité intime des pen-
sées ou à la manière tout artistique dont elles sont liées
entre elles. Ecrit entièrement à la manière de Hummel, cet
ouvrage est tout-à-fait concertant , et ne saurait être exécuté
sans que l'orchestre fût complet. A ne onsidérer que les dif-
ficultés toujours nouvelles de la partie principale, difficultés
qui se succèdent sans cesse et ne sont interrompues que par
quelques tuttis, on pourrait peut-être se sentir quelque peu
tenté de reprocherau compositeur d'avoir écrit un trop grand
nombre de traits ; ce serait cependant tomber dans une grande
erreur. Dans tout le cours du murceau, les motifs principaux
reviennent si continuellement, soit dans leur totalité, soit dans
de nombreuses imitations, et, au moyen de ces traits si riches
ainsi que de tournures harmoniques toujours nouvelles, ils ac-
quièrent une si admirable variété qu'on ne peut s'empêcher de
les repasser d'un bout à l'autre avec un intérêt sans cesse re-
naissant. L'art du contrepoint , réuni à tant de poésie et à un
goût si délicat , est ce que la composition musicale peut offrir
de plus élevé ; arriver là, c'est se montrer le digne émule des
plus grands maîtres. Cet ouvrage est encore un de ceux oui,
pour être bien exécutés, exigent une étude sérieuse et appro-
fondie,ain^iqu'unecompréheusion intime du géniede M.Cho-
pin. En effet, supposé que l'on joue exactement et en mesure
tous les traits de ce rondo , dont au reste l'exécution est généra-
lement facilitée par une soigneuse indication du doigté, on ne
produira encore aucun effet si on ne possède en même temps
le secret de ces nuances si profondes et si délicates qui prêtent
un tel charme au jeu de l'auteur. Ici nous ferons remarquer
aux nombreux amis de ses compositions, que M. Chopin se sert
avec un art et un succès tout particuliers de la grande pédale.
Il y a un grand nombre d'effets qu'il serait tout-à-fait impos-
sible de rendre si l'on ne suivait pas exactement toutes les in-
dications qui ont rapport à cette pédale. Puissent les vrais amis
del'art musical , qui dans le vain clinquant et le déluge de rou-
lades produits par presque tous les compositeurs modernes , ne
trouvent nécessairement pas assez d'occasions de surmonter
les difficultés véritables, ne pas se laisser effrayer par l'essor
immense que vient de prendre M. Chopin; qu'ils travaillent
avec zèle , et ils ne tarderont assurément pas à se rendre mai
très des plus rebutantes difficultés. Qui veut, peut.
DE PARIS.
Bibliothèque populaire du pianiste, lre livraison.
Fantaisie élégante sur des motifs de Robert le- Diable,
par Charles Czerny.
prix : 1 FR.
Celui-là est riche qui sait faire de ce qu'il possède l'usage le
meilleur et le plus convenable. Sous ce rapport, M. Czerny
compté sans contredit parmi les compositeurs modernes doués
delà plus riche organisation. Eu effet, s'il ne possède pas une
inépuisable faculté d'invention , il n'en a pas moins écrit plus
de trois cents œuvres qui toutes contiennent des détails assez
neufs et assez inléressans pour pouvoir être jouées arec plaisir;
c'est qu'il n'existe pas de bagatelles, si petites qu'elles puissent
paraître , auxquelles M. Czerny ne sache prêter du charme et
de la nouveauté, plus souvent en effet comme arrangeur que
comme compositeur ; or, s'il arrive que M. Czerny rencontre
des motifs comme ceux qu'il vient de choisir dans l'inimitable
Robei tle-Diable de Meyerbeer , pour les arranger en fantai-
sie , on peut affirmer que cette œuvre appartient aux morceaux
les plus distingués de ce genre , et qu'elle mérite le plus bien-
veillant accueil.
Le Souvenir de Paganini, premier concerto pour le
violon, avec accompagnement de grand orchestre,
par Charles Guhr. OEuvre -15.
(Ce concert est composé dans le genre de Paganini et
arrangé pour l'exécution ordinaire.)
Dans une courte préface le compositeur fait observer que
pour jouer son concerto dans le genre qui lui convient l'exé-
cutant doit avoir lu l'ouvrage qu'il a publié sur l'art de
jouer du violon à la Paganini, d'où il suit que l'acquisition
de cet ouvrage sera nécessaire à tous ceux qui voudront jouer
ce concerto dans le style du célèbre violoniste. Le violon doit
être monté d'un demi-ton , de manière à ce que les cordes don-
nent là bémol , mi bémol , si bémol , fa naturel, ce qui doit
produire les effets si souvent remarqués dans l'exécution de
Paganini. Le fragment de concerto, — car nous devons le
nommer aiosi puisqu'il n'est composé que d'un morceau au
lieu de trois, renferme principalement tous ces raffinemensqui
constituent la manière de Paganini, tels quePizzicati,dcs traits
en staccato et des passages en double corde d'une assez grande
difficulté. Ce morceau renferme-t-il cette inspiration, cette
originalité particulière aux compositions de Paganini? c'est ce
dont nous ne saurions décider maintenant, puisque nous ne
connaissons encore que la partie principale et que nous n'avons
pas encore eu l'occasion d'entendre l'accompagnement de l'or-
chestre. Toutefois les chants ne nous paraissent pas très-neufs ,
et ils ne pourraient être relevés que par le mérite de l'instru-
mentation. Maintenant, quant à la question de savoir jusqu'à
quel 'point ce fragment de concerto convient à l'exécution en
gênerai , nous croyons devoir faire remarquer que cette exé-
cution ne sera jamais qu'une imitation du jeu de Paganini,
imitation dont ont soin de se garderies artistes indépendans;
et par conséquent le compositeur est exposé à n'être pas payé
de la peine qu'il s'est donnée, puisque assurément la plupart
des exécutans ne pourront choisir ce morceau sans s'exposer
au reproche de l'imitation. Quant à ceux qui désirent la réali-
sation du système Paganini, cette œuvre ne pourra que leur
être agréable.
M. Guhr parait avoir senti lui-même l'inconvénient que
nous venons de signaler puisqu'il a composé une seconde par-
tie principale dans laquelle les sons de flageolet, les Pizzicationt
été !ai-.sés de côté, et dans cette forme, la composition est des-
tinée à recevoir un meilleur accueil des violonistes quoiqu'il
nous paraisse renfermer beaucoup trop de difficultés, et qu'à
l'exception du chant principal et de l'Adagio , on ne rencontre
que bien peu de motifs neufs ou agréables. Nous attendrons
cependant, pour prononcer notre jugement définitif sur celte
production, que nous l'avons entendue complètement.
Trois airs nationaux, allemand, anglais, tyrolien,
variés pour le piano, par Fr. Stœpel. Op. 3-4.
Trois airs écossais , variés pour le piauo , par le
même. Op. 37.
Le principal méiite de ces deux opuscules consiste dans la
manière heureuse dont ont été variés ces thèmes si bien choisis.
La suiiedes idées principales sur lesquelles reposent les varia-
tions est heureusement conduite jusqu'à la dernière note des
variations sous des formes plus ou moins gracieuses, riches ou
élégantes , suivant la différence des motifs et suivant le carac-
tère propre à chacun d'eux. Le numéro \ a pour thème une
chansonnette bien connue de Weber (Wiegenlied) et la pre-
mière variation principalement est variée avec autant de sim-
plicité que de grâce. Nous rencontrons dans le thème, à la qua-
trième mesure, quelques accords vicieux. Le reproche doit -il
retomber sur Weber? Nous devons le croire, car M. Stoepel
a donné dans cette feuille le développement d'une théorie
qui lui est particulière sur les quintes et les octaves, et où il
traite cette matière avec tant d'esprit et de profondeur qu'une
telle faute ne lui pourrait guère échapper.
Le second motif Tlie Ploug Boy est celui qui a fourni les
développemer.s les plus larges. Le numéro trois, dans V allegro
animato , par son caractère de simplicité originale, caractère
qui distingue généralement tousles véritables chants tyroliens,
se fait aussi remarquer par une élégance soutenue. Les trois
airs écossais , quoique plus difficiles à varier à cause de leur ca-
ractère étrange, qui diffère entièrement du style musical que
nous connaissons, ne sont pourtant pas traités a\ ec moins de
bonheur. En somme, ces opuscules se recommandent auprès
des pianistes d'une force moyenne.
252
GAZETTE MUSICALE DE PARIS.
NOUVELLES.
*t* On répète à l'Opéra, bien lentement, la Tempête; nous
présumons que le directeur, qui compte beaucoup sur ce bal-
let, ne veut point le sacrifier aux chaleurs, et qu'il aime mieux
nous le faire attendre un peu plus long-temps. Les échos des
coulisses nous apprennent que les décorations et les costumes
sont magnifiques , et on ne sait assez vanter le talent mimique
de l'aînée des demoiselles Elsler et la beauté de la cadette; déjà
ou la nomme « la belle Fanny. »
*** Emmeline , et le Barbier de Séville se répètent toujours
à l'Opéra-Comique pour les débuts de madame Masi et de
M. Inkindi; nous espérons voir bientôt ces deux ouvrages , qui
ne sont point d'urgence à ce théâtre puisqu'il fait de bonnes re-
cettes malgré les chaleurs , toutes les fois que Lestocq , ou un
Caprice de Femme se trouvent sur l'affiche.
+% Mademoiselle Taglioni est attendue à Paris vers le 20 de
de ce mois; la Sylphide ne reparaîtra pourtant point avant les
débuts des demoiselles Elsler, qui n'auront lieu que vers la fin
du mois.
.,,% M. Boyeldieu est à Bordeaux ; on le fête par la représen-
tation de ses opéras, des aubades et des festins. Puisse cette
admiration si méritée influer sur l'état de sa santé, et nous
rendre bieutôt un de nos plus spirituels compositeurs.
*+* Mademoiselle Francilla Pixis n'a pas été moins heureuse
à son troisième début qu'aux deux précédens , c'est dans le rôle
de Rosine du Barbier de Séville, qu'elle a reparu le 24 juillet
devant lepublic de Carlsruche qui, selonnotre correspondant,
a fait éclater ce jour-là un enthousiasme presque inoui dansles
annales du théâtre de cette ville. C'est surtout dans la scène de
la leçon, où mademoiselle Pixis a chanté le grand air « / tuoi
frequenti palpiti (le même par lequel Rubini a , dans la Stra-
niera , transporté les dilettanti) , qu'elle a été couverte d'un
tonnerre d'applaudissemens qui s'est répété quatre à cinq fois.
Décidément, celte jeune cantatrice est devenue l'idole des habi-
tans de Garlsruhe, qni ne s'attendaient guère à trouver en elle
tous lestalens réunis qui embrassent les différens genres. Pas-
sionnée dans Desdemona , mélancolique et languissante dans
Ronjeo; elle était enjouée el naturelle dans Rosine; tout
promet un brillant avenir à mademoiselle Pixis.
%* Les spectacles gratis ont été très-suivis ; mais celui qui
avait attiré le plus de monde est le théâtre Nautique. Il était
curieux de voir ces masses entassées les unes sur les autres , ap-
plaudir Guillaume Tell et les Ondines, c'est un grand succès
pour M. Henri , car vox populi, voxDei , et il n'est pas aisé de
se faire comprendre sans le secours de la. parole, par une réu-
nion populaire qui , difficilement , saisit l'action d'un ballet.
*% Le grand concert de la Socité Helvétique donné il y a
peu de jours à Genève avait attiré beaucoup de monde. Voici
les morceaux qui composaient cette fête musicale dont l'i xécu-
tion a laissé beaucoup à désirer : Grande messe de Beethoven ;
l'hymne du soir de Lamartine, musique de Grast de Genève ;
Ave verum de Mozart ; Hymne de Weber , dédié à la Société
Helvétique.
t*+ Un service funèbre , en l'honneur de M. Choron, sera
célébré le g août, en l'église de la Sorbonne. Ses élèves , réunis
aux meilleurs artistes de Paris , exécuteront à grand orchestre
le superbe Introït de la messe de morts de Jomelli , et le Re-
quiem de Mozart. L'orchestre sera dirigé par M, Girard.
4 + Pour le consoler sans doute d'avoir contribué, comme
membre de la commission des auteurs, à l'empêcher déjouer
le rôle de Figaro , M. Scribe a fait pour M. Inchindi un opéra
en un acte; intitulé le Chalet, opéra dans lequel l'ex-chanteur
italien doit remplir un rôle de soldat allemand. On dit que la
musique de cet ouvrage a été confiée à M. Adam. M. Couderc
y remplira également un rôle. Néanmoins, il n'est point
décidé que le Barbier de Séville ne soit représenté au bé-
néfice de Baptiste.
Publications des Propriétaires de la Gazette
Musicale de Pari?.
I-N VENTE.
PRIX : i FRANC
CHAQUE OUVRAGE.
Bibliothèque Populaire
Receuil de Fantaisies , Rondos, Variations , Contre-
danses > Valses , etc. , sur des motifs d'opéras et
romances favoris , composés par MM. Adam, Chau-
lieu, Chopin, Czerni, Herz, Hummel, Hunten,
Kalkbrenker, Meb.ea.ux, Moscheles, Pixis, Pra-
DHER, SOVIMSKI, StOEPEL , StRAUSS, MuSARD, Tol-
BECQXIE, DuFRESNE, etC. , etC.
La Gazette Musicale de Paris , publiée uniquement
dans l'intérêtde l'art, esta peine arrivée à son sixième mois
d'existence, et déjà elle a réuni à ses opinions la majorité des
artistes. Dn pareil journal peut et doit rendre de grands ser-
vices à la science en lui donnant V unité qui lui manquait ; les
propriétaires, encouragés parle succès, profiteront des béné-
fices de cette entreprise pour éditer au plus bas prix possi-
ble des ouvrages pour le piano , composés par les auteurs les
plus renommés. On publiera, à dater du 1er août, chaque
mois, une livraison de la Bibliotheq ne populaire du pianiste,
qui sera du prix de i franc pour Paris, et i franc 25 c. pour les
départemens franco. Chaque livraison se composera de ioà i5
pages d'impression et d'une couverture imprimée , cet ouvrage
sera adressé gratis aux abonnés de la Gazette Musicale.
Pour être souscripteur, il suffit de se faire inscrire et de
payer trois livraisons d'avance au bureau de la Gazette Musi-
cale de Paris, 97 , rue de Richelieu.
On annoncera dans les jou.nîux le contenu de chaque li-
vraison :1a première, qui vient d'être publiée, contient :
Fantaisie sur des motifs favoris de ROBERT-LE-
D!ABLE,par Charles Czerny.
La seconde, publiée Jie ieT septembre , se composera de :
Caprice brillant sur des thèmes favoris de Ludovic,
de He'rold et Hale'vj, par Charles Chaulieu.
Plusieurs fautes se sont glissées dans les Numéros 29 et 30 ,
du Suicide par Enthousiasme :
Au lieu de : qui sefacine , lisez : quifacine.
— Au mieses , lisez : aux miens.
— Ce joies, lisez: ces joies.
~r- De cacher, lisez : à cacher.
— Un aspect si glucé, lisez : un aspect si morne.
— Dépourvudu charme, lisez : dépourvu de t attrait.
— // la plaignit, lisez : il la plaignait.
Gérant, MAURICE SCHLESINGER.
J
Paru. — lœpri
: U'EVERAT, me d« Cadran , n» 16.
GAZETTE MUSICALE
Œ>IM iPéimn^
1" ANNÉE.
N° 32.
PRIX DE l'aBONJXEM.
PARIS.
DÉPART.
ÉTRANG
fr.
Fr. c.
Fr. c.
3 m. 8
8 75
9 50
6m. 15
16 50
18 »
lan.30
33 »
36 »
<Ta (Ô&zttte iïlttsical* i>e jjparto
Paraît le DIMANCHE de chaque semaine.
On s'abonne au bureau de la Gazette Musicale de Paris, rue Richelieu, 97;
et chez tous les libraires et marchands de musique de France.
Ou reçoit les réclamations des personnes qui oui des griefs à exposer, et les avis relatifs à la musique
qui peuveut intéresser le public.
PARIS, DIMANCHE 10 AOUT 1834.
Les lettres, demandes
et envois d'argent doi-
vent être affranchis, et
adressas au Directeur
rue Richelieu, 97.
REPLIQUE
A UN ARTICLE DE LA REVUE MUSICALE.
Le n° 50 de la Revue musicale contient , en sept co-
lonnes, une réponse de M. Féiis à trois notes de la Ga-
zette musicale , où l'on relevait quelques inexactitudes
échappées a M. Fétis en divers endroits.
La polémique , sur des questions de dates et sur des
matières en apparence minutieuses, n'intéresse qu'un
petit nombre de lecteurs. Cependant, lorsqu'il s'agit de
recherches historiques , l'exactitude est de première né-
cessite; aussi nous croyons-nous obligés de répondre
a l'article de M. Fétis , pour soutenir les faits sui-
vans :
Marias a fait quatre Clavecins à maillets, en 1716.
Tous quatre se trouvent a la suite l'un de l'autre, avec
les quatre dessins, dans le recueil des Machines et In-
ventions approuvées par l'académie des Sciences,
tome m, pages 83, 85,87 et 89, n° 172-175. Le
Clavecin brisé du même facteur, construit en 1700, (et
dont M. Fétis a tort de faire le quatrième, pour prouver
qu'il avait raison de n'en compter que trois) se trouve
dans le même recueil, tome I, page 193. M. Fetis nous
reproche de l'avoir confondu avec les Clavecins à
maillets. La preuve du contraire , c'est que nous ne
l'avons pas compté avec les quatre, dont il aurait néces-
sairement alors fait le cinquième.
QuantàCristofali,(qne nousaurions su gré a M. Fétis
de nepasavoiraltéré en Cristo/o/f toutes les foisqu'il nous
a cités; à moins que ce ne soit là encore une paccadille ty-
pographique ) la date de 1711 est incontestable, de
même que le nom, tel que nous l'avons donné. C'est le
Giornale de' Letterati d'Italia , tomo quinto , Anno
MDCCXI. (1) qui contient, page 144- -159, la
description et le dessin dont nous avions parlé.
Cet article, intitulé : Nuovainvenzione d'un Gravecem-
balo col piano , e forte etc, est mentionné dans les biblio-
graphies de Forkel et de Lichtenthal ; mais ni l'un ni
l'autre n'ont indiqué la date. M. Fétis qui , à l'aide de ces
guides, a siheureusement découvert la lettre de Suhrceter,
aurait pu de même y trouver l'indication du journal
italien. Quant a la date, Waltherla lui aurait fournie, de
même que le nouveau Dictionnaire deGerber, aux articles
Cristo/fl//. Nous dirons plus : M. Fétis n'aurait eu qu'à
consulter son propre Dictionnaire biographique des musi-
ciens, actuellement sous presse, et qui, confectionné (nous
l'espérons) non sans le secours de ces deux devan-
ciers, doit contenir cette date. Au lieu de cela, M. Fé-
tis nous oppose trois passages d'auteurs italiens pour
soutenir la date de 1 71 8 et le nom de Cristo/on ou Cris-
tq/ôro. Nous pourrions de beaucoup enrichir ces cita-
tions ; nous pourrions aussi en fournir une nuée d'autres
pour le nom de Cristo/à/;; mais le Giornale de Letterati
seul suffit. Dans les recherches historiques il faut
remonter aux sources , multiplier les citations d'auteurs
qui n'ont fait que se copier l'un l'autre, c'est étaler un
luxe d'érudition, souvent assez peu coûteux.
Quant à Schrccter, M. Fétis ne devrait pas prononcer
sur sa réclamation , sans avoir lu la lettre qui la con-
tient. Si cette réclamation a été faite un peu tard, cela
(1) In Vinezia, MDCCXI. Appresso Gio. Gabriello Ertz.
in-12".
254
GAZETTE MUSICALE
ne prouve nullement qu'elle ne soit pas valable. Schrœ-
ter la fit , lorsque de tout côté on proclamait Sibermann
comme l'inventeur des pianos. Ce fi.it alors qu'il se dé-
termina a protester contre cette injustice du public.
Personne de ses contemporains ne l'a refuté ; au con-
traire ce fut depuis la publication de cette lettre qu'on
lui fit réparation d'honneur en le nommaut l'inventeur
du piano.
Nous avions été assez téméraires pour affirmer, contre
l'opinion émise par M. Fétis, que tous les premiers pia-
nos furent construits en forme de clavecin. M. Fétis ,
pour réfuter ce fait, qui s'appuie sur des autorités irrécu-
sables , se met en trais de déclamation. « Je suis, dit-il,
» l'histoire vivante du piano... Avant huit ans , j'étais
» organiste du chapitre noble de Sainte-Waudru a
» Mons ; et chez les chanoinesses de ce chapitre qui
» étaient toutes allemandes et de grandes familles , il
» n'y avait que des pianos de Silbermann, de Stein, de
» Spacth et d'autres ; tous étaient carrés , et quelques-
» uns remontaient a l'année -1760. » Comment M. Fétis
ne s'est-il pas aperçu qu'ici, au lieu de nous combattre,
il est parfaitement d'accord avec nous, qui avions
dit que le premier piano carré n'a été fait que
vers 1758. Pour nous réfuter, il faudrait citer un piano
carré d'une date antérieure. — M. Fétis finit sa longue
phrase en ajoutant : J'affirme donc que le piano carre'
est le premier , non qu'on a fait, mais qui a été en usage.
Remarquez la finesse de la distinction ! mais elle s'ac-
corde peu avec un passage de M. Fétis lui-même (et
qu'iln' aurait pas dû oublier, parce qu'il l'avait retrouvé
dans une de nos notes), où il affirme que, dès -1740,
Silheimann et Spath avaient déjà répandu bon nombre
de pianos en Allemagne, et que les clavecinistes s'étaient
liâtes d'adopter ces instrumens (1). Tout ce bon nom-
bre de pianos , qu'on s'était hâté d'adopter, assuré-
ment furent en usage : M. Fétis soutiendrait-il que ce
ne furent pas des pianos a queue?
Notre réplique deviendrait trop longue, si nous vou-
lions entrer en discussion sur tous les autres raisonne-
mens de notre adversaire. Nous abandonnons volontiers le
sabot du facteurDe l'Épine : nous ne reviendrons pas sur
la confusion des dates parfaitement justifiée par des fautes
d'impression. Nous souhaitons seulement que les épreu-
ves du Dictionnaire biographique des musiciens soient
plus soigneusement revues que les colonnes des journaux,
où M. Fétis a le malheur d'être si mal servi par les com-
positeurs.
Nous passons a l'attaque que M. Fétis a dirigée con-
(I) Revue musicale de 183o, tom. vin, p. 22j.
tre nous. Nous l'avons réservée pour la fin de notre ré-
plique, parce que c'est la le point le plus curieux.
Nous avions dit que dans le clavicorde, la lame de la
touche montait vers la corde, etnon-seulement opérait la
division produite auparavant par le chevalet (du mono-
corde); mais la faisait résonner en même temps , et dis-
pensait de la nécessité delà pincer avec le doigt.
M. Fétis croit trouver ici une des plus singulières
inadvertances que puisse faire un écrivain. « Ainsi,
» voila (dit-il) qu'en, frappant une corde en des points
» différens, on en varie les intonations , en même temps
» qu'on les fait résonner ! les facteurs de pianos avaient
» toujours cru que l'attaque d'une corde en différens
» points de sa longueur ne fait d'autre effet qu'une di-
» versité dans la qualité ou dans l'intensité du son, et
» que, si l'objet qui la frappe reste fixé sur elle comme
» un chevalet, aucun son ne peut être produit, à moins
» que, concurremment, un autre mode d'impulsion
» quelconque ne soit donné a la corde. 11 était réservé
» a mon critique de leur faire connaître une autre
» théorie. »
Nous voyons en effet , et non sans étonnement , qu'il
nous était réservé d'apprendre quelque chose a M. Fétis,
et de lui faire mieux connaître un instrument dont il
ignore complètement la nature.
Lorsqu'on parle du clavicorde, venir objecter les pia-
nos, c'est singulièrement confondre deux choses d'un
principe tout-a-fait différent.
Dans le piano la corde est frappée par un corps qui la
quitte aussitôt après le coup. Cette corde reposant des
deux côtés (sur les deux chevalets) , la longueur de sa
partie vibrante est déterminée par ces deux points de
repos. Que le marteau la frappe en divers endroits, l'in-
tonation ne variera pas ; il n'y aura Ccomme le dit très-
bien M. Fétis) que diversité dans la qualité ou dans l'in-
tensité du son. Il n'en est pas de même dans le clavicorde.
Ici, du côté opposé au chevalet de la table, les cordes sont
entrelacées de bandes de drap ; la longueur de la partie
vibrante de la corde qui doit donner le son n'est déter-
minée qu'au moment où la lame perpendiculaire de la
touche vient atteindre cette corde. Il faut que cette lame
reste appuyée contre la corde, parce que c'est elle qui
fait le second point d'appui de cette corde, sans quoi on
n'obtiendrait pas de son. Loin d intercepter la vibration
elle la soutient par la pression du doigt sur la touche.
Dans les anciens clavicordes il y avait moins de cor-
des que de touches. M. Fétis, qui devrait au moins his-
toriquement connaître cette circonstance mentionnée
par une foule d'auteurs, comment l'expliquerait-il, sans
admettre qu'une même corde pût servir a plusieurs tou-
ches, et par conséquent varier l'intonation selon lesdif-
férens points où les lames venaient attendre cette
corde ?
Le clavicorde étant aujourd'hui connu de peu de per-
sonnes, et les dictionnaires de musique n'en donnant
qu'une idée incomplète , nous nous proposons d'en faire
une description détaillée que nous ferons accompagner
d'un dessin. La il sera démontré que M. Fétis a eu par-
faitement raison... lorsqu'il a dit qu' il faut bien com-
prendre la nature des choses dont on parle.
Le Suicide par enthousiasme.
(suite et fin.)
(\ ) A peine Adolphe eût-il jeté les yeux sur l'affiche qui
lui annonçait la Vestale pour le lendemain, qu'une sorte
de délire s'empara de lui. Il commença une folle course
dans les rues de Paris, se heurtant contre les angles des
maisons, coudoyant les passans, riant de leurs injures,
parlant, chantant, gesticulant comme un échappé de
Charenton. Abimé de fatigue, couvert de boue, il s'ar-
rêta enfin dans un café, demanda a dîner, dévora, sans
presque s'en apercevoir, ce que le garçon avait mis devant
lui et tomba dans une tristesse étrange. Saisi d'un effroi
dont il ne pouvait pas bien démêler la cause, en pré-
sence de l'événement immense qui allait s'accomplir
pour lui , il écouta quelque temps les rudes battemens
de son cœur, pleura, et laissant tomber sa tète amaigrie
sur la table, s'endormit profondément. La journée du
lendemain fut plus calme; une visite à Persuis en abrégea
la durée. Celui-ci en voyant Adolphe lui remit une lettre
avec le timbre de l'administration de l'Opéra; c'était sa
nomination a la place de second violon. Adolphe remer-
cia son protecteur, mais sans empressement ; cette faveur
qui, dans un autre moment, l'eût comblé de joie, n'était
plus à ses yeux qu'un accessoire de peu d'intérêt ; quel-
ques minutes après il n'y songeait plus. Il évita de parler
à Persuis de la représentation qui devait avoir lieu le
soir même ; un pareil sujet de conversation eût ébranlé
jusqu'aux fibres les plus intimes de son cœur ; il l'épou-
vantait. Persuis ne sachant trop que penser de l'air sin-
(1) Nos lecteurs auront sans doute remarqué une absurdité
des plus choquantes au commencement du dernier numéro de
cette nouvelle. Bien qu'un musicien ne soit pas tenu d'avoir
une connaissance très-approfondie des temps héroïques de la
Grèce, il ne lui est pas permis toutefois d'être ignorant là-
dessus au point de donner à Ariane Thésée pour consolateur
au lieu de Bacchus. L'auteur espère donc qu'on ne se sera pas
mépris sur la cause de ce quiproquo, auquel une distraction,
bien intempestive à la vérité, a pu seule donner lieu.
gulier et des phrases incohérentes du jeune homme, s'ap-
prêtait de lui demander le motif de son trouble, Adolphe
qui s'en aperçut se leva aussitôt et sortit. Quelques tours
devant l'Opéra, une revue des affiches qu'il fit pour se
bien assurer qu'il n'y avait point de changement dans le
spectacle ni dans les noms des acteurs, lui aidèrent à
atteindre le soir de cette interminable journée. Six heures
sonnèrent enfin ; vingt minutes après Adolphe était dans
sa loge ; car j'ai oublié de dire que pour être moins trou-
blé dans son admiration extatique et pour mettre encore
plus de solennité dans son bonheur, il avait, malgré la
folie d'une telle dépense, pris une loge pour lui seul.
Nous allons laisser notre enthousiaste rendre compte lui-
même de cette mémorable soirée. Quelques lignes qu'il
écrivit en rentrant, a la suite de l'espèce de journal d'où
nous avons extrait ces détails, montrent trop bien l'état
de son âme et l'inconcevable exaltation qui faisait le fond
de son caractère ; nous les donnerons ici sans y rien
changer.
23 mars, minuit.
« Voilà donc la vie! je la contemple du haut de mon bon-
heur... impossible d'aller plus loin... jo suis au faite...
redescendre ?... rétrograder?... non certes , j'aime mieux
partir avant que de nauséabondes saveurs puissent empoi-
sonner le goût du fruit délicieux que je viens de cueillir.
Quelle serait mon existence, si je la prolongeais?... celle de
ces milliers de hannetons que j'enlends bourdonner autour
de moi. Enchaîné de nouveau derrière un pupitre, obligé
d'exécuter alternativement des chefs-d'œuvre et d'ignobles
platitudes , je finirais comme tant d'autres par me blaser ;
cette exquise sensibilité qui me fait percevoir tant de sensa-
tions , me rend accessible à tant de sentimens inconnus du
vulgaire, s'émousserait peu à peu; mon enthousiasme se
refroidirait, s'il ne s'éteignait pas tout entier sous la cendre
de l'habitude. J'en viendrais peut-être à parler des hommes
de génie, comme de créatures ordinaires; je prononcerais
les noms de Gluck et de Spontini sans lever mon chapeau.
Je sens bien que je haïrais toujours de toutes les forces de
mon âme ce que je déteste aujourd'hui; mais n'est-il pas
cruel de ne conserver d'énergie que pour la haine? La mu-
sique occupe trop de place dans mon existence. Cette passion
a tué , absorbé toutes les autres. La dernière expérience que
j'ai faite de l'amour m'a trop douloureusement désenchanté.
Trouverais-je jamais une femme dont l'organisation fût
montée au diapason de la mienne ?... non , je le crains, elles
ressemblent toutes plus ou moins à Ilortense. J'avais oublié
ce nom Ilortense comme un seul mot de sa bouche
m'a désillusionné!... Oh humiliation ! avoir aimé de l'amour
le plus ardent , le plus poétique, de toute la puissance du
cœur et de l'âme, une femme sans âme et sans cœur, radi-
calement incapable de comprendre le sens des mots amour,
poésie!... sotte, triple sotte! je n'y puis penser encore sans
sentir mon front se colorer
J'ai eu hier la tentation d'écrire à Spontini pour
lui demander la permission de l'aller voir; mais cette dé-
marche eût-elle été bien accueillie, le grand homme ne
256
GAZETTE MUSICALE
« m'aurait jamais cru capable de comprendre son ouvrage
» comme je le comprends. Je ne serais vraisemblablement à
» ses yeux qu'un jeune homme passionné qui s'est pris d'un
» engouement puéril, pour un ouvrage mille fois au-dessus de
« sa portée. Il penserait de moi ce qu'il doit nécessairement
u penser du public. Peut-êlre même attribuerait-il mes élans
» d'admiration à de honteux motifs d'intérêt , confondant
» ainsi l'enthousiasme le plus sincère avec la plus basse flat-
« teriu. Horreur!... Non, il vaut mieux en finir. Je suis seul
« dans le monde, orphelin dès l'enfance, ma mort ne sera un
» malheur pour personne. Quelques-uns diront : Il était fou.
» Ce sera mon oraison funèbre... Je mourrai après demain...
» On doit donner encore la Vestale que je l'entende une
» seconde fois !... Quel oeuvre !,.. comme l'amour y est
u peint!... et le fanatisme !... Touscesprêtres-dogues, aboyant
» sur leur malheureuse victime... Quels accords dans ce final
» de géant... Quelle mélodie jusque dans les récitatifs... Quel
» orchestre il se meut si majestueusement... les basses on-
u dulent comme les flots de l'Océan. Les instrumens sont efes
« acteurs, dont la langue est aussi expressive, que celle qui se
» parle sur la scène. Derivis a été superbe dans son récitatif
« du second acte; c'était le Jupiter tonnant. Madame Branchu,
» dans l'air « impitoyables dieux » , m'a brisé la poitrine; j'ai
» failli me trouver mal. Cette femme est le génie incarné de la
» tragédie lyrique; elle me réconcilierait avec son sexe. Oh
» oui , je la verrai encore une fois, une fois... cette Vestale...
ii production sui humaine, qui ne pouvait naître que dans un
ii siècle de miracles comme celui de Napoléon. Je concenlre-
» rai en trois heures toute la vitalité de vingt ans d'existeuce...
» après quoi.. .j'irai... ruminermon bonheur dans l'éternité, n
Deux jours après , a dix heures du soir, une détpnna-
tion se fit entendre au coin de la rue de Rameau , en face
de l'entrée de l'Opéra. Des domestiques en riche livrée
accoururent au bruit et relevèrent un jeune homme bai-
gné dans son sang qui ne donnait plus signe de vie. Au
même instant une dame qui sortait du théâtre, s'appro-
cliant pour demander sa voiture, reconnut le visage san-
glant d'Adolphe, et s'écria : « Oh! mon Dieu, c'est le
a malheureux jeune homme qui me poursuit depuis Mar-
» seille ! » Hoitense (car c'était elle) avait instantané-
ment conçu la pensée de faire ainsi tourner au profit de
son amour-propre la mort de celui qui l'avait froissé,
par un si outrageant abandon. Elle y réussit complète-
ment. Le lendemain on disait chez Tortoni : « Cette
madame N*** est vraiment une femme délicieuse ! a son
dernier voyage dans le Midi , un Provençal en est de-
venu tellement fou, qu'il l'a suivie jusqu'à Paris, et s'est
brûlé la cervelle a ses pieds, hier soir, à la porte de
l'Opéra. Voila un succès qui la rendra encore cent fois
plus séduisante. »
Pauvre Adolphe !
Hector Berlioz.
La Musique des anciens Romains.
C'est chez les Grecs que les peuples*de l'Etrurie et
de Rome avaient appris l'art musical et l'art dramati-
que; mais, bien que les plus grands et les plus redouta-
bles dominateurs des Romains, Jules César, Auguste ,
Caligula et Néron , aient prêté un puissant appui k la
musique, cet art n'atteignit jamais chez les Romains k
un haut degré de perfection ; presque toujours il ne jeta
qu'un éclat pâle et contre nature; les Romains s'appe-
laient eux-mêmes et étaient en effet Ijrici sine lyrâ-,
c'est ce dont on peut se convaincre en jetant un coup-
d'ceil sur l'histoire musicale de leur théâtre a cette épo-
que. Tite Live nous apprend que c'est k l'année 364,
avant la naissance de Jésus -Christ, que remontent les
premières traces indiquant l'origine d'une musique théâ-
trale, musique qui, du reste, ne s'adaptait encore ni aux
vers ni aux paroles, mais dont on bornait l'usage a l'ac-
compagnement de la danse. Nous voyons en outre dans
le même auteur que les Romains avaient emprunté cet
art aux Etruriens, et que l'usage des instrumens a cor-
des ne fut guère connu que deux cents ans plus tard ;
encore était-ce des femmes nommées psallriœ et samhu-
cestriœ qui s'en servaient pour accompagner leurs chants.
Sous le consulat de Manlius, le vainqueur des Gaulois,
on attira enfin à Rome, pour l'entrée triomphale de ce
guerrier, une multitude de musiciens grecs , et Suétone
rend compte d'une fête publique célébrée sous l'empire
de Jules César, dans laquelle 22,000 tables étaient
dressées dans les rues de Rome, et où il se trouvait
alors dans la ville de dix a douze mille chanteurs, chan-
teuses et instrumentistes. Auguste ne se montra pas
moins favorable à la musique, bien que personnellement
il ne paraisse pas avoir été un ami véritable de l'art. Il
organisa d'innombrables spectacles, et il ordonna en
outre que toutes les comédies et tous les concerts de-
vaient être examinés et autorisés par de certains édiles
nommés a cet effet, avant qu'il fût permis de les livrer
au public. C'est de son temps qu'on commença à témoi-
gner sa satisfaction ou son mécontentement par des bat-
temens de mains ou par des sifflets. Cet empereur ré-
compensait richement les artistes distingués , et il était
toujours le premier a manifester son approbation par des
applaudissemens. Après sa mort , la musique commença
k déclieoir; mais sa décadence fut complette, lorsque, à
cause d'un meurtre commis en plein théâtre, non-seule-
ment les acteurs et les musiciens, mais même un grand
nombre de spectateurs eurent été exilés.
Caligula rappela à Rome les musiciens avec les ac-
teurs, et il les combla de bienfaits. Il fit aussi venir des
musiciens de l'Orient. Enorgueilli de sa belle voix , ce
tyran avait la manie de vouloir se faire passer pour
Apollon; il poussa même ce caprice jusqu'à faire dorer
sa barbe, a l'occasion d'une grande fête, pour rendre
ainsi plus frappante sa ressemblance avec le dieu de la
musique. Mais quelque passionné qu'ait pu être Cali-
gulapourla musique, il fut encore surpassé a cet égard
par le parricide Néron qui monta sur le trône soixante
ans après la naissance de Jésus-Christ. Aussi Bossuet,
dit-il en parlant de ce monstre , que si son penchant
pour la guerre avait égalé celui qu'il sentait pour l'art
musical , il aurait éclipsé tous les héros connus dans le
monde. 11 passait la plus grande partie de son temps a
exercer sa voix , et dans la troisième année de son
règne , il parut comme chanteur de Naples. Il entra dans
cette ville sous le costume d'Apollon, suivi d'une foule
des plus célèbres musiciens venus avec lui sur des mil-
liers de chars splendides, dont les chevaux et les mulets
étaient ferrés d'argent et dont les serviteurs étaient cou-
verts des plus riches étoffes decamésia. Il chanta la plu-
sieurs jours de suite devant uue innombrable multitude
d'auditeurs, et les applaudissemens qu'il y reçut lui in-
spirèrent une prédilection particulière pour cette ville. Au
moment de son entrée en scène un tremblement de terre
se fit sentir, et il eut l'effronterie de croire que la terre
tremblait par la puissance de son art. Accompagné d'une
suite de cinq cents personnes, Néron se rendit ensuite
en Grèce pour prendre part aux luttes musicales ; il
remporta la victoire et cet honneur le gonfla tellement
de vanité qu'il fit mettre en pièces les statues et tous les
autres monumens attestant les victoires remportées par
d'autres artistes. A son retour, et suivant la coutume
des vainqueurs dans les jeux olympiens, il entra dans
plusieurs villes, par une ouverture pratiquée tout exprès
dans la muraille. A Rome, il fit son entrée sur le char
triomphal d'Auguste, et a l'instar des conquérans traî-
nant a leur suite les rois qu'ils avaient vaincus, il atta-
cha à son char Diodore , célèbre joueur de harpe , sur
lequel il ava't remporté la victoire. En signe de triom-
phe il portait sur sa tête une couronne olympique, et
dans la main une couronne pythique. Devant lui mar-
cbaieut mille huit cents personnes avec des couronnes
aux mains, et sous chacune de ces couronnes on avait
pris soin d'indiquer où elle avait été gagnée, quel
était le nom de l'artiste vaincu , et quel était le chant
qui avait assuré la palme au vainqueur. Malgré toute
cette vanité, et quoiqu'il eût constamment auprès de lui
un phonascus , ou directeur de voix , qui devait être at-
tentif a ce que l'empereur ne se fatiguât pas trop à par-
ler, il paraît non-seulement que sa voix était loin d'être
remarquablement belle , mais même qu'elle était faible et
enrouée. Il est aisé de comprendre que la conduite de
l'empereur n'était pas propre a inspirer aux Romains un
amour bien vif pour l'art divin de la musique, ni par
conséquent a faire arriver cet art à un degré de splen-
deur bien éclatant ; il faudrait nous étonner au contraire
de ce qu'un cœur aussi féroce que celui de Néron eut
pu comprendre cet art si doux, la propriété exclusive
des bous , si nous ne savions que Néron n'apprit la mu-
sique qu'arrivé a l'âge de dix-sept ans lorsqu'il était
déjà empereur; il ne l'étudia pas avec soin, fïdeliter ,
comme dit Ovide; elle n'était pas enracinée en lui; il
ne la comprenait ni ne l'aimait a proprement parler,
mais il en mésusait et l'outrageait même. Ce tyran, par
sa conduite insensée et ses folles prodigalités, avait pré-
paré la ruine de la musique ; l'avarice de Galba , son
successeur, rendit plus prochaine la décadence de cet
art qui tomba enfin dans un oubli complet lorsque les
irruptions de barbares qui ébranlèrent l'Europe toute
entière eurent amené un temps de désolation. Rome
pillée et saccagée tomba entre les mains de nations bru-
tales et ignorantes ; ses monumens furent détruits; ses
théâtres devinrent la proie des flammes; les artistes
tombèrent victimes du désastre commun ; et des siècles
de ténèbres suivirent l'époque si brillante du gouverne-
ment des Césars.
Revue Critique.
Second Concerto, pour le piano, avec accompagne-
ment d'orchestre ; par H. Herz. Op. 74-. Prix : 20 fr. ;
42 fr., et7fr. 50 c.
Ah! quel joli titre, papa. Le grand sceau royal porté par la
gloire sur des guirlandes de roses. — Mais non , Constance , tu
te trompes. Il est impossible de porter sur des guirlandes de
roses tous ces drapeaux, étendards, sceptres, couronne... et
que sais-je encore? Et les tables de Moïse!... Mais non, en-
fant, qui pense donc aujourd'hui à Moïse? c'est la Charte.
Hein! Sa Majesté comme cela dans les nuages, et M. Herz
ceint de lauriers , n'est-ce pas -vraiment chob.e curieuse? Julie ,
regardc-donclebeau evgne Mais, chers enfans, ce n'est pas
pour le litre , quelque magnifique qu'il [misse être, que je vous
ai apporté cet ouvrage ; je désirerais l'entendre. Votre maître
me dit toujours que -vous lisez fort bien à livre ouvert , et le
marchand de musique m'a assuré que vous y trouveriez une
foule de vieilles connaissances. Soyez-en bien certain, me di-
sait-il , quoique le tout compte trente et une pages , si vos de-
moiselles n'aiment que ce qui ressemble à des pensées; si elles
retranchent tout ce qu'il y a là de rabâchage sans idées, ni
âme ni talent , tout le reste se réduit h bien peu de chnse. Ah !
tant mieux, papa, j'aime cela! Il faut qu'un morceau soit
258
GAZETTE MUSICALE
court, alors on n'est pas exposé à perdre de vue la pauvre pe-
tite idée qui sert de motif et qui, comme cela se voit si sou-
vent, d'abord simple et naïve, en dépit de son humble nature,
apparaît tout à coup comme un mendiant travesti en brillant
chevalier, ou comme un roi quand il ouvre... les chambres.
Moi, chère Julie, j'aimerais encore mieux qu'on voulût bien
adopter une fois pour toutes la coupe de la contredanse ou du
galop. Tu sais... les charmans galops de M. Herz ! Encore une
fois, chers enfans, jouez-moi le concerto. Jouez-le bien; je
suivrai autant que possible l'accompagnement du quatuor à la
main, afin de pouvoir en faire un rapport fidèle à notre ai-
mable et spirituelle Olympia qui , dans sa dernière lettre , m'a
demandé mon opinion avec tant d'instances.
Lettre à Olympia.
Paris, août 1834.
Tu m'écris , ma chère Olympia , que , depuis quelque temps ,
il s'est opéré une véritable révolution à Toulouse, ou plutôt
dans le goût musical des amateurs de cette ville. Tu me mar-
ques qu'on ne vent plus ni jouer ni entendre la musique de
Herz, si ce n'est dans les soirées dansantes. Je vois dans ta
lettre qu'on le trouve trivial , usé , dénué enfin de poésie comme
d'originalité; tu ne peux te dissimuler que, dans l'opinion de
tes compatriotes, il passe maintenant pour un compositeur
froid , commun ; et dont la marche , au lieu d'être progressive ,
ressemble plutôt à celle d'une écrevisse. Tu refuses de te ran-
ger à une semblable opinion, toi , notre chère Olympia , qui ,
il y a seulement peu d'années , nous fis passer des instans si
agréables avec les variations sur le motif de la violette de
Caraffa, sur les ravissantes mélodies de Méhul et surdifférens
autres thèmes ; tu ne peux croire à un jugement si sévère, et
tu veux avant tout connaître mon opinion personnelle qnoi-
qu'un certain pressentiment , bien intime et bien secret , te dise
peut-être que tu as tort de te défier de la sentence des Toulou-
sains. Tu désires savoir ce que je pense sur la nouvelle compo-
sition de Herz, parce que lu supposes que je puis considérer
l'art d'un point de vue peut-être plus élevé que celui de la foule,
et , parce qu'en outre , tu ne doutes pas du profond respect
qui m'anime également pour l'art et pour la vérité. Je saisis
avec empressement cette occasion de m'entretenir avec toi ,
notre aimable amie , et je vais essayer de te donner une analyse
de cette nouvelle production de M. Herz, je veux dire son
deuxième concerto.
Le premier morceau , allegro moderato , commence par un
motif assez commun et long de huit mesures {tutti, piano) ,
encore la première moitié de ces huit mesures pourrait-elle
bien être une réminiscence du Freischùtz de Wcber et la se-
conde moitié, un souvenir du concert en mi bémol de Ries.
Après que cette phrase a été répétée^»;* confunco par tout
l'orchestre , M. Herz se sert de quelques accords heurtés et de
quelques formes de chants passablement usées pour nous con-
duire à un second motif qui contraste avec le premier par un
chant , si non bien neuf, du moins agréable et assez riche d'ef-
fet. Après ce motif, qui du reste ne se développe pas avec
assez de simplicité ni de naturel , mais dont en revanche le
rhythme porte à faux , parce que l'auteur a voulu se maniérer,
viennent encore des idées de remplissage qui garnissent plus
d'une page, et sont au moins fastidieuses parce qu'elles n'ont
pas le moindre rapport avec le fond principal de la composi-
tion, et parce qu'en outre, le tutti se prolonge jusqu'à sa-
tiété.
Le premier tutti se termine enfin après un long, bien long
diminuendo , rallentando et pianissimo , ainsi que l'usage s'en
est établi depuis long-temps, afin que l'exécutant puisse entrer
en matière avec une emphase convenable au mîyen d'un^Tor-
tissimo eon fuoeo. L'idée choisie pour cet effet est très-conve-
nable et peut être rangée parmi les plus heureuses pensées de
M. Herz , si toutefois , un mauvais plaisant de musicien
ne vient pas troubler notre joie et trahir , d'une manière
barbare, les sources auxquelles elle a été emprunté note pour
note; pour ma part, ma chère Olympia, malgré le cas que je
fais de celte idée, je ne puis m'empêcher, en critique sincère,
de faire remarquer que je la considère comme un véritable
hors d'œuvre ; en effet , elle est tellement isolée , tellement éloi-
gnée du sens complet de l'œuvre , que M. Herz lui même n'y
revient plus une seule fois, de si loin que ce puisse être, et
qu'au moyen d'une phrase gracieuse, mais connue, chantée
par les hautbois et les clarinettes, il abandonne cette idée pre-
mière pour la remplacer par un cantabile de cinq lignes à l'ar-
rangement duquel on doit quelques éloges. Maintenant,
M. Herz dans son tutti revient aux quatre susdites mesures de
Weber ; non pas qu'il en veuille tirer quelque parti , non sans
doute, mais simplement parce qu'elles lui servent de fil con-
ducteur pour arriver aux quatre susdites mesures de Ries. Il
paraît que ces quatre mesures ont eu le honneur d'être jugées
par M. Herz comme dignes d'être travaillées en concerto; car,
dans les quatorze mesures qui suivent, on les retrouve sans
cesse dialoguées entre le dessus et la basse et revêtues de ces
formes si connues dont M. Herz a fait un tel abus qu'avec la
meilleure volonté du monde, il ne sait plus en trouver de nou-
velles. Au surplus, si malgré tout ce que je viens de dire , on
ne peut méconnaître dans ce premier solo une certaine habi-
leté de style ainsi que des efforts incontestables pour dire ou
exprimer quelque chose , c'est un soin dont le compositeur pa-
raît s'être débarrassé pour remplir sa septième page. Tout ce
que nous y voyons ne se compose que de traits de pacotille
comme il en vient tous les jours sous les doigts de tout pianiste
qui sait développer son accord de dominante , jusqu'à la neu-
vième mineure. Nous voyons ensuite apparaître le second mo-
tif principal dont j'ai déjà fait mention à l'occasion du premier
tutti, et cette fois, il est développé dans un dessin à triolet,
très-chantant d'une grande clarté et d'un fort bon effet; mais,
à compter de la page dix , il est tellement noyé dans les doubles
notes et les octaves franchies par les deux mains , que nous
avons grand besoin d'avoir recours à l'aide secourable de l'or-
chestre pour ne pas perdre tout-à-fait le fil des idées. Quant
aux notes que tu trouveras sur les pages 11 , 12 et 13, je ne
t'en entretiendrai pas , parce qu'elles mêmes ne disent absolu-
ment rien. C'est un brouhaha de notes et de suifes harmoni-
ques de toutes les tonalités usitées, des sauts périlleux de dan-
seur de corde , comme savent en faire ceux-là seulement qui ne
se proposent pas un but plus élevé , que d'exciter les transports
et les applaudissemens des badauds émerveillés quand arrive
la fin du trait. La manière dont il termine son morceau pour-
rait cependant faire honneur au discernement de M. Herz
Arrivé à la treizième page, il s'est subitement rappelé que son
concerto commençait en ut mineur. Dans son saint enthou-
259
siasme de poète, il avait totalement perdu de vue celte circon-
stance insignifiante, pendant toute la durée du premier mor-
ceau. Certes, c'est bien là une de ces preuves incontestables
d'une imagination brûlante qu'il serait injuste de reprocher à
M. Herz, d'autant plus que le feu n'est pas ce qui l'incommode
le plus souvent ; quoi qu'il en soit , il a su se modérer, et il a
pris la résolution héroïque de ne pas terminer son morceau
comme les romantiques qui , dans leur odieux mépris pour
toutes les règles, ne craignent pas de finir une œuvre dans un
tout autre ton que celui qui leur a servi de point de départ;
aussi M. Herz finit-il par une belle gamme en ut majeur. Voilà
qui est plus classique que les classiques ; car les grands maîtres
du seizième siècle terminaient presque toujours leurs morceaux
mineurs par l'accord majeur.
Dans l'andatino qui sert de seconde partie à son concerto,
M. Herz prouve d'une manière irrésistible combien peu, au
besoin, il est homme à s'inquiéter des règles, fussent-elles
même des plus raisonnables , des plus naturelles et des plus in-
dispensables ; et cela, parce qu'il se sera laissé [dire qu'un
homme de génie n'a besoin d'aucunes règles , que les règles
tuent l'imagination dans son plus noble essor, que, pour être
originale, une œuvre doit être composée à l'exclusion de toutes
règles, etc., etc., etc. L'orchestre commence un chant fort
bien écrit, chant , qui, dès l'abord, paraît être d'origine alle-
mande, mais qui peu à peu prend une couleur de mélodie
anglaise. Le rhythme et la mélodie de ce motif reposent sur
huit mesures; mais après nous en avoir donné la première
moitié , au lieu de développer avec grâce et simplicité les quatre
dernières mesures qu'on retrouve trois lignes plus bas avec ces
mots : in tempo , la compositeur paraît s'être laissé emporter
sur les ailes de son indomptable imagination, et n'avoir pas
trouvé le temps de soigner son sujet. Il intercale donc deux
mesures qui ne sont qu'une répétition des deux mesures pré-
cédentes, et il commence aussitôt les variations du motif. La
première de ces variations fait sans contredit honneur à M. Herz,
mais il n'en est pas ainsi de la seconde qui commence à la
page 1 6, et se prolonge pendant plus de trois pages en inter-
minables arpèges qui ne signifient absolument rien , et dont le
but unique paraît être de faire oublier, autant que possible,
l'idée principale.
Si, dans le rondo, les unissons de cors et de trombonnes
interrompus par des notes détachées des basses ne témoignent
pas d'ungénie musical des plus brillans , ils prouvent du moins
qu'avant de commencer son morceau, M. Herz a dû se faire à
peu près le raisonnement suivant : Je veux donner pour rondo
une valse animée en 3/8. Cette valse doit-être gracieuse, aima-
ble, dansante. Mon andantino était déjà composé dans ce genre,
de même que mon premier morceau, si on en excepte l'intro-
duction du premier solo et quelques autres passages pour les
doigts; il faut donc que je commence mon rondo par quelque
chose de sérieux, ou pour mieux dire , par quelque chose qui
ressemble à l'apparition romantique de quelque spectre. Ce
n'est pas chose difficile , car il ne faut pour cela ni suite dans
les idées ni invention ni esprit et voilà le romantique
trouvé (I). L'introduction se trouve créée et la valse commence
(I) On comprend bien que c'est un musicien qui parle!
Note du rédacteur.
aussitôt animée, gracieuse et brillante. Cette valse n'est pas
seulement très-jolie, et elle ne prouve pas uniquement que
M. Herz peut , à l'occasion , remplir une page et demie d'idées
gracieuses et bien liées entre elles, elle démontre encore que
ce compositeur est un fidèle observateur de la nature. Car,
vois-tu chère Olympia, il a introduit dans son rondo un petit
effet d'écho qui est bien une chose véritablement délicieuse.
Tu n'es pas assurément sans avoir entendu parler, l'hiver der-
nier, du fameux quadrille des échos composé par Muzard , des
Champs-Elysées d'hiver. Eh bien ! cela n'était rien encore.
Examine-moi bien l'écho de M. Herz, si tant est que tu veuilles
jouer cette œuvre , tu verras que c'est une invention toute char-
mante. Je ne te dirai rien de précis sur les dix pages de rondo
qui suivent; car, ici , M. Herz a donné à son imagination val-
sante un essor si libre , qu'avec la meilleure volonté du monde ,
il me serait impossible de suivre un ordre tant soit peu régu-
lier, et de garder quelque suite dans la représentation des idées
et des sentimens du compositeur. Des bonds immenses, des
traits en triolets longs d'une page entière , parmi lesquels ce-
pendant on en trouve quelques-uns d'un fort bon effet , comme
par exemple , page 24 , à la dernière ligne et page 26, à la li-
gne 4 ; des croisemens, des embrouillemens de mains et de
doigts, pour finir, un trille avec un point d'orgue ad libitum,
prestissimo , pianissimo , dolcissimo , rallenlandissimo , après
quoi on en revient encore une fois au joli motif de la valse:
voilà tout ee que je puis te dire de plus exact sur les dix pages
en question. Ensuite, quand la valse est arrivée à fin , le tapage
recommence de plus belle, et de telle sorte même, qu'il ne
m'est pas possible de t'en donner une idée. Il faut le voirpour le
croiVe.Toutcsles régions du pianu, au-delà même, je crois, delà
septième octave , sont en mouvement à la fois , et nous avons
une série interminable de leggiero, con fuoeo , pianissimo
fortissimo, sempre piu di fuoeo , con bravura e sempre
crescendo , molto crescendo jusqu'à ce qu'enfin le pauvre
pianiste, épuisé et harassé, succombe à tant d'efforts et ter-
mine piteusement la brillante représentation avec l'accord
parfait d'ut dans ses divers renversemens.
Te voilà à même, ma chère Olympia, d'après ce rapport
fidèle, de te former une opinion sur cette nouvelle création de
M. Herz. Ta belle ame et ta riche imagination t'avaient fait ,
sans doute, rêver tout autre chose pour une œuvre aussi im-
portante qu'un concerto ! Laisse-moi concevoir l'espérance
qu'une de tes prochaines lettres me fournira l'occasion d'admi-
rer la grandeur et l'élévation de tes idées ; quant à moi, tu vois
que tu m'as imposé aujourd'hui une tâche bien triste et bien
décourageante.
La Confession, romance. Paroles de M. Arthur Je
Lucy, musique de Ferdinand Paer.
(Nous donnons ci-joint \cfac simile (le l'autographe de celle romance.)
Les œuvres d'un vétéran de l'art musical tel que M. Paer
sont au-dessus de toute critique. S'il y a lieu d'eu parler sous
celte rubrique, ce ne peut être que pour leur payer noire faible
tribut d'éloges et de reconnaissance. Aussi croyons-nous ne
dire que la vérité, et rien que la vérité, en disant que nous
avons reconnu dans cette romance les gracieuses mélodies du
GAZETTE MUSICALE DE PAKîS.
chantre italien, accompagnées par des harmonies pures et ca.
ractéristiques dignes d'un génie allemand. Puissent de telles
œuvres malheureusement trop rares aujourd'hui servir de mo-
dèles aux nombreux compositeurs de romances! Là , on recon-
naît dans le moindre trait la réunion si précieuse du savoir et
de l'art. Là , l'expression la plus vraie se joint toujours à la
grâce et à tous les charmes de la bonne musique.
Grande valse brillante pour le piano, par Fréd. Chopin.
Op. 18. Prix : 6 fr.
Nous annoncions dernièrement une production de M.Cho-
pin, ses quatre dernières mazourkas , ouvrage qui, malgré
toute la richesse des idées , malgré toute la fraîcheur et la nou-
veauté qu'on y admire, se distingue cependant par une grande
simplicité et ne contient que peu ou point de difficultés. Nous
devons cette fois encore louer les mêmes propriétés aujour-
d'hui si rares , dans la valse que nous recommandons à nos
lecteurs. Il nous paraît donc suffisamment prouvé que lorsque
cet artiste écrit des passages difficiles il n'y est pas poussé par
un vain caprice, mais bien par le sens et le caractère du mor-
ceau, ainsi que cela devrait toujours avoir lieu dans une créa-
tion de l'art. Cette valse est des plus brillantes , quoique par-
ticulièrement convenable à la danse, et elle mérite de se trouver
bientôt sur les pianos dont les pupitres n'ont pointl'habitude de
porter de la musique vulgaire. Même les amateurs qui préfèrent
une belle sonate de Beethoven à des variations ou fantaisies de
certains auteurs à la mode (et Dieu merci le nombre commence
à grossir) , même cts amateurs, disons-nous , joueront avec
plaisir et satisfaction la valse de M. Chopin.
Musique nouvelle,
Publiée par Mebsucnier.
H'ùnten (François). Op. 65. Trois éùrs italiens sur des motifs
de JMercadante, Pacini et Bellini , "variés pour le piano,
chaque, 5 fr.
Publiée par Ph. Petit.
Massini. Le départ de l'Helvétie , tyrolienne, avec accompa-
gnement de piano. 2 fr.
Lhuillier. Le sommeil de l'enfant, romance. 2 fr.
Bruguiere (Edouard). La Fiction , romance. 2 fr.
Duchambge (Madame Pauline). Le Page, romance. 2 fr.
NOUVELLES.
On lit dans le numéro 30 de la Revue Musicale :
a Certes, je suis loin de croire qu'il ne puisse m'èlre échappé
» d'inexactitudes; il serait même difficile que je les eusse évi- '
» tées , ayant rédigé seul , ou à peu près , les premières années j
m de la Revue musicale, et fourni une immense quantité d'ar- j
« ticles pour les autres ; ayant remué dans ce recueil toutes les i
« questions d'histoire, de théorie, de pratique et de littéra- j
» ture de la musique , produit dans tout cela des multitudes i
» de documens inconnus , des théories nouvelles , et fondé une
» philosophie de l'art et de In science qui n'existait pas: ayant
» enfin, nonobstant mes occupations de professeur, mes tra-
» vaux d'artistes et la rédaction de grands ouvrages qui vont
» être mis au jour, écrit, dans la Revue ou dans d'autres jour-
ii naux, environ huit mille pages d'impression en moins de
» huit années; souvent en voyage, privé de livres, et sans
» autre secours que ma mémoire. Je le répète, il serait impos-
» sible qu'il ne me fut pas échappé d'erreurs. »
Voilà un aveu de M. Félis dont il est bon de prendre note.
+*+ A,vant hier , plus de trois mille personnes ont assisté ,
dans l'Eglise des Invalides , au service funèbre de Choron.
Cet empressement à aller entendre les graves accords de Jo-
melli, Mozart etPalestrina , si différons desflons-flons stupides
qui nous poursuivent de toutes parts, dénote un goût réel pour
la musique dont le public de Paris ne paraissait guère suscep-
tible. Les exécutans étaient au nombre de deux cent cinquante.
Plusieurs morceaux ont été fort bien rendus. Nous reviendrons
sur cette solennité remarquable.
Publications des Propriétaires de la Gazette
Musicale de Paris.
EN VENTE.
PRIX ". 1 FRANC
CHAQUE OUVRAGE.
ue
Receuil de Fantaisies , Rondos, P ariations , Contre-
danses , Valses, etc., sur des motifs d' 'opéras et
romances favoris , composés par MM. Adam, Chau-
ltexi, Chopin, Czeray, Herz, Hcjmmel, Huntew,
Kalkbrenner, Méreatjx, Moscheles, Pixis , Pra-
dher, Sowimski, Stoepel, Strauss, Musard, Tol-
BECQUE, DUFRESNE, etC. , etC.
La Gazelle Musicale de Paris , publiée uniquement
dans l'intérètde l'art, esta peine arrivée à son sixième mois
d'existence, et déjà elle a réuni à ses opinions la majorité des
artistes. Un pareil journal peut et doit rendre de grands ser-
vices à la science en lui donnant l'unité qui lui manquait ; les
propriétaires, encouragés parle succès, profiteront des béné-
fices de cette entreprise pour éditer au plus bas prix possi-
ble des ouvrages pour le piano , composés par les auteurs les
plus renommés. On publiera, à dater du \" août, chaque
mois, une livraison de la Bibliotheqne populaire du pianiste,
qui sera du prix de i franc pour Paris, et i franc 25 c. pour les
déparîemens franco. Chaque livraison se composera de ioà i5
pages d'impression et d'une couverture imprimée , cet ouvrage
sera adressé gratis aux abonnés de la Gazette Musicale.
Pour être souscripteur, il suffit de se faire inscrire et de
paver trois livraisons d'avance au bureau de la Gazette Musi-
cale de Paris, 97 , rue de Richelieu.
On annoncera dans les jou.niux le contenu de chaque li-
vraison : la première, qui vient d'être publiée , contient :
Fantaisie sur des motifs favoris de ROBERT-LE -
DIABLE, par Charles Czerny.
La seconde , publiée le 1 er septembre , se composera de :
Caprice brillant sur des thèmes favoris de Ludovic,
de He'rold et Hale'vy, par Charles Chaulieu.
Ci-joint un supplément contenant le^àc simile de la Confes-
sion , romance de M. F. Paër.
Gérant, MAURICE SCHLESINGER.
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GAZETTE MUSICALE
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1" ANNÉE.
n° 33.
PRIX DE L'ABONNE».
PARIS.
DÉPART.
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-C& <&&%vtis iïtitsicaU- be fDarts
Paraît le DIMANCHE de chaque semaine.
On s'abonne an bureau de la Gazette Musicale de Parts , rue Richelieu , 97$
et chez tous les libraires et u arebands de musique de France.
)n reçoit les réel ajn.it ion s des personnes qui ont des griefs à exposer, et les avis relatifs à la iniisiqu
qui peuvent intéresser le public.
PARIS, DIMANCHE M AOUT 483-4
Les lettres, demandes
et envois d'argent doi-
vent êlre affranchis, et
adressés au Directeur ,
rue Richelieu, 97.
EXPOSITION
DES PBODUITS DE l'iNDUSTWE.
(6° Article.)
Pianos.
(suite et fin.)
Nous avons trouvé les pianos de M. Henri Herz con-
stamment fermés, toutes les fois que nous nous sommes
rendus a l'exposilion. Un journal , dont le rédacteur
semble avoir subi la même fatalité, allait jusqu'à dire,
que M. Herz avait emporté les clefs à Londres où il était
allé exposer son talent. Quoi qu'il en soit, n'ayant pu
voir l'intérieur de ces inslrumens , nous ne saurions af-
firmer s'ils avaient plus de sept octaves. Il est certain
qu'ils n'en avaient pas moins. C'est ici le lieu de dire
quelques mots sur ce malheureux perfectionnement. Il
nous semble qu'on aurait mieux fait de ne pas franchir
la limite des six octaves; les touches qu'on a ajoutées
hors de la dansla basse, sont déjà un abus. L'oreille n'en
distingue pas assez les sons qui ne rendent qu'un bour-
donnement confus. Toutefois, cette innovation était ex-
cusable; ces touches delà basse, frappées avec leurs oc-
taves supérieures, peuvent servir à les renforcer, et ce
n'est que de cette manière qu'il faudrait les employer.
Mais les touches ajoutées dans le dessus, a quoi servi-
raient-elles? Une corde, qui n'a pas la longueur conve-
nable pour vibrer, ne peut pas rendre un son. Toute
chose a ses bornes que lui pose la nature ; vouloir les
dépasser, c'est s'obstiner à poursuivre l'impossible.
Quelques facteurs ont essayé de ne pas rester en arrière
de M. Herz. Nous avons vu avec plaisir que le nombre
en était très-petit, et que les plus célèbres convenaient
eux-mêmes de l'abus de cette innovation. Il est a es-
pérer qu'elle sera abandonnée, et que M. Herz s'opiniâ-
trera seul à fabriquer des pianos a sept octaves. lia dé-
claré qu'il ne composera dorénavant que pour des pianos
de cette étendue. Dans ce cas, le public ferait bien de lui
laisser sa musiqne et ses instrumens.
M. Mercier est, selon la Notice de l'exposition, du
petit nombie de ceux qui ont le mieux réussi à amélio-
rer la confection du piano. M. Mercier (poursuit la No-
tice) a eu l'heureuse idée de joindre à son piano une
pe'dale } dont l'emploi est de diminuer le son à volonté
et par gradation , de manière à produire au besoin des
sons fantastiques . L'un de ses pianos a été acheté pour
S. A. la princesse royale de Suède, et M. Mercier a
pris le titre de facteur de S. M. le roi de Suède et de
Norvège. Nous ne savons jusqu'à quel point les sons
fantastiques ont pu influencer le choix de Son Altesse
Royale. Ceux de nos lecteurs qui voudraient connaître
un piano à sons fantastiques, devront se rendre chez
M. Mercier, ce sont là de ces choses dont la description
serait au-dessus de nos forces.
Parlons plutôt d'un autre piano qui n'a de fantastique
que le nom.
slpythmolamprotériquel
Tout le monde a vu ce mot élégamment affiché à
côté d'un piano de M. Langrenez ; tout le inonde a pu
le lire... peut-être. Mais le mot n'est pas de nature à
être retenu par tout le monde. Aussi, avons-nous en-
tendu parler, à dix pas de là, du piano alitique , apilique ,
aprotique, apolanterniqueet autres en ique , tels que la
mémoire des spectateurs, et surtout des spectatrices,
GAZETTE MUSICALE
pouvait les reproduire. En effet , on ne reprochera pas
au mot le manque de longueur. Cependant , n'en déplaise
à M. Langrenez, ou au professeur de grec qui lui a
forgé le mot , il est trop court d'une syllabe pour être
régulièrement composé. Nous nous chargeons de lui
restituer la syllabe qui manque , toutes les fois que nous
aurons a nommer l'instrument de M. Langrenez.
Le piano apythmcnolamprote'rique ( on désirera sans
doute connaître les qualités supérieures qui lui ont valu
une épithète si extraordinaire) , est un piano en forme
carrée, dont le dessous est à jour , et laisse aux sons les
moyens de se reproduire en entier , ce qui imprime à ces
pianos une grande force d'harmonie. De la le nom qui
veut dire sans fonds et plus clair. Si M. Langrenez
n'est pas le premier a construire des pianos sans fonds >
au moins lui revient-il le mérite d'avoir, le premier,
introduit un mot pour indiquer cette construction. Les
autres qualités particulières du piano apjthmenolam-
prole'riijue n'ont pu trouver place dans la composition
du mot. D'abord le mécanisme est en cuivre pour plus
de solidité. Puis une bavre de fer , placée presque tout
autour du piano , empêche le bois de se déjeter. Cette
barre est introduite dans le bois même et n'augmente ,
comme nous assure M. Langrenez, en rien la lourdeur
de l'instrument, ce qui prouverait qu'il a résolu le pro-
blème curieux, de rendre le fer aussi léger que le bois.
Nous arrivons a la qualité la plus merveilleuse des pia-
nos apjthme'nolamprotériques. Leur construction toute
particulière les met a l'abri des variations de l'atmo-
sphère, et ils conservent très -long-temps l'accord.
Voilà qui est vraiment précieux On conçoitque M. Lan-
grenez devait avoir a cœur de prouver l'infaillibilité du
procédé par la justesse permanente de l'accord. Aussi
l'avons-nous toujours trouvé infatigablement occupé a
accorder son piano apythménolamprotérique.
M. Wetzels a exposé deux pianos, dont un a queue,
l'autre en forme verticale. Un troisième , que le temps
n'avait pas permis d'achever, n'a pu être apporté qu'au
Louvre pour le soumettre au jugementdujury. Nous igno-
rons, si c'est celui-ci qui a valu a son auteur le rappel de
la médaille d'argent- mais nous dirons qu'il est pourvu
d'une nouvelle mécanique, pour laquelle M. Wetzels a
pris un brevet d'invention. Les marteaux frappent en des-
sus et se relèvent sans le secours de ressorts. M. Wetzels
s'occupe dans ce moment d'y mettre la dernière main ,
et nous nous proposons d'examiner plus tard cet instru-
ment, quand il sera complètement fini.
Le piano a queue exposé était d'une bonne facture,
mais il était éclipsé par son voisin de forme verticale.
Celui-ci, d'un extérieur volumineux, se distinguait par la
puissance du son , et c'est ce qui avait engagé M. Wet-
zels à lui donner un nom particulier que nous ne sau-
rions approuver. Le prospectus annonçait un piano-or-
chestre , nom qui devait nécessairement induire en
erreur les personnes qui le lisa'ent. Car on devait s'atten-
dre a voir un piano organisé, imitant plusieurs instru-
mens; ou enfin représentant en quelque sorte un orchestre;
tandis que c'était tout bonnement un piano (magnifi-
que, il est vrai ,) et que le nom, dans l'intention du
constructeur, n'exprimait qu'une force de son ca-
pable de lutter contre tout un orchestre. A part, la
critique du mot, l'instrument ne mérite que des
éloges. En général, M. Wetzels se distingue par ce
zèle pour l'art, qui est un sûr garant de progrès.
MM. Kriegelstein et Arnaud ont exposé deux pianos
carrés, l'un orné avec beaucoup d'élégance, l'autre
d'un extérieur plus simple, mais tous deux d'une con-
struction des plus satisfaisantes. Le piano orné avait la
mécanique en-dessus des cordes , dans l'autre elle était
placée comme a l'ordinaire. Un travail soigné recom-
mandait particulièrement ces instrumens, et la décision
du jury, en décernant la médaille d'argent à ces habiles
facteurs, n'a fait que justifier les prévisions des artistes
qui avaient touché ces pianos.
MM. Bell, père et fils, de Londres, dont l'établisse-
ment de Paris date de 1852, se sont présentés a l'expo-
sition avec un beau piano a queue. Facteurs anglais ils
préfèrent naturellement la mécanique anglaise ; mais ils
ont su lui ôter sa lourdeur , et leurs instrumens se distin-
guent par la facilité du clavier. MM. Bell annoncent sur
leur prospectus qu'ils ont, depuis 1825, établi les pianos
de la maison Pleyel. C'est en effet une bonne recom-
mandation.
Parmi les pianos dont le brillant extérieur attirait les
regards des passans , nous avons remarqué un piano
carré en palissandre, de M. Richter , et garni d'incrusta-
tions en cuivre d'un goût exquis. Le luxe extérieur n'est
souvent destiné qu'a cacher la médiocrité d'un instru-
ment ; mais joint a des qualités réelles , comme dans
celui dont nous parlons, il en relève la valeur.
M. Richter, nous aimons a le reconnaître, est un de
ces.hommes modestes qui, uniquement occupés d'obte-
nir des perfectionnemens , dédaignent de recourir au
charlatanisme pour les faire valoir. Il a simplifié le mé-
canisme de ses pianos ; il y a introduit des améliorations
sans jamais se soucier de prendre un brevet. Si M. Rich-
ter ne fait pas de bruit dans le monde musical, ses instru-
mens y font beaucoup d'effet.
M. Taurin, abandonnant le système suivi jus-
DE PARIS.
qu'ici dans la construction du piano, a cherché a eu
établir un autre, tout-a-fait différent. Affranchir la table
d'harmonie du poids dont elle est chargée par la pres-
sion des cordes, poids qui l'empêche dans sa fond ion ,
de recevoir et de développer le son, voila l'objet princi-
pal de son système.
Dans son piano, les cordes sont fixées sur des sup-
ports particuliers , réunis par le haut pour former le
sommier des chevilles, la table d'harmonie est placée
derrière ces supports et reçoit le son par des conducteurs
qui représentent l'ame d'un violon; ces conducteurs ont
juste en longueur la distance qui se trouve entre le der-
rière des supports et la table d'harmonie , de sorte que
celle-ci , n'étant rapprochée qu'au point de contact, con-
serve toute son élasticité. M. Taurin assure obtenir un
son, dont la durée est double de celle des meilleurs pia-
nos connus. On ne saurait porter un jugement décisif sur
ce système d'après le modèle d'essai non achevé , qui se
trouvait a l'exposition. M. Taurin s'occupe , dans ce
moment, de la construction d'un piano auquel il appli-
quera plusieurs modifications. Nous nous réservons de
rendre un compte détaillé de cet instrument aussitôt qu'il
sera fini.
Le récent établissement de [ lusieurs manufactures
dans la province, prouve assez combien le goût musical
se répand en France, et promet pour l'avenir une propa-
gation plus active encore. Nons ne parlons pas de quel-
ques facteurs isolés qui confectionnent avec peine quel-
ques pianos par an, mais de véritables fabriques tellesque
celle de M. Boisselot a Marseille , qui , occupant quarante
h quarante-cinq ouvriers, fait sa besogne eu gros.
Il n'y a pas plus de quatre ans que M. Boisselot a fondé
son établissement, et déjà il a acquis une importance
que voudraient atteindre beaucoup de ses confrères de
la capitale. On nous assure que centà cent vingt pianos,
de différais formats, sortent annuellement des ateliers
de M. Boisselot, parmi lesquels un certain nombre a la
destination de l'étranger. Ce résultat est d'autant plus
beau qu'il n'est dû qu'au véritable mérite. Le piano à
queue, qui figurait a l'exposition, fait preuve du soin
que ce facteur met a la confection de ses inslrumens;
belle qualité de son, égalité et facilité de la touche,
construction soignée dans tous les détails et garantissant
la solidité; voila ce que nous avons constaté en exami-
nant cet instrument. Aussi des artistes distingués, qui
en ont joué , ont-ils exprimé leur entière satisfac-
tion.
C'est la première fois que la province envoyait
des piauos a l'exposition. Le début de M. Boisselot
méritait, ce semble, un encouragement distinctif.
Nous ignorons les motifs du jury qui a cru ne devoir lui
décerner qu'une mention honorable.
Nous terminons ici la revue des pianos admis a l'ex-
position. Il nous aurait fallu doubler ou tripler nos co-
lonnes, si nons avions voulu consacrera chacun des
facteurs un examen spécial. Parmi ceux que nous avons
passés sous silence, il y en a quelques-uns qui ont fait
de bons inslrumens, sans néanmoins présenter rien
d'assez remarquable pour motiver une mention parti-
culière.
BIOGRAPHIE.
Une notice complète sur la vie, les travaux et les ou-
vrages de Choron tiendrait une place honorable et im-
portante dans l'histoire de la musique en France, et il est
fort a désirer que la publication de ses ouvrages iné-
dits soit précédée d'un travail de cette nature, fait
avec le soin et le développement que méritent les im-
menses services qu'il ne cessa de rendre a l'art qu'il cul-
tivait avec tant de dévouement et d'amour. Dans l'im-
possibilité de remplir dignement cette tâche, nous con-
sacrerons quelques colonnes à raconter brièvement les
principaux faits d'une vie si courte et si bien remplie.
Alexandre-Etienne Choron naquit a Caen, où £011
père était directeur des fermes, le 21 octobre 1771 ; il
fit d'excellentes études classiques au collège de Juilly,
qu'il avait terminées à l'âge de 15 ans , après s'être ren-
dues familières la langue et la littérature grecque et ro-
maine. Unepassiun irrésistible l'entraînait vers lesétudes
musicales ; ma s son père qui le destinait a une autre car
rière l'obligeait h diriger ses travaux vers un but tout
différent et entravait ses goûts par toutes sortes d'obs-
tacles. Avec un caractère aussi ardent, aussi tranché que
l'était celui de Choron, ces obstacles ne servaient qu'à
irriter sa soif d'instruction musicale, et dans l'impossibi-
lité où il se trouvait d'obtenir un maître qui lui apprît
les élémens pratiques, absolument privé de livres et de
conseils , il parvînt a se créer, pour ainsi dire, un mode
de notation au moyen duquel il parvint à écrire les airs
qu'il entendait, et, cela, avant d'être en état délire deux
lignes de la notation usuelle. Puis il se procura quelques
livres des théoriciens de l'école deRameau, qui lui don-
nèrent quelques idées de composition. Son premier
maître fut l'abbé Rose, qui lui avait été désigné par
Grétry; mais ce fut Boncsi qui, en lui faisant connaître
les traditions des écoles italiennes, dont il était lui-
même disciple, jeta dans son esprit les premières se-
mences de cette admiration presque exclusive des an-
264
GAZETTE MUSICALE
ciens maîtres de Venise , de Milan , de Naples et de
Rome, de Rome surtout; car il vénérait le chef de l'é-
cole romaine, le grand Palestrina, presqu'a l'égal d'un
dieu.
Choron parvint aux connaissances pratiques de la mu"
sique par un procédé tout opposé a celui que l'on suit
ordinairement : il dit lui-même, dans un de ses écrits,
qu'il est descendu des sommités ■philosophiques de la
science au détail des opérations techniques. En effet, il
n'est pas d'ouvrage important sur la théorie musicale dont
il n'eût fait presque une étude spéciale. Il s'était imposé
la tâche de pouvoir les lire tous dans la langue originale,
et dans ce seul but il avait acquis une connaissance ap-
profondie des différentes langues littéraires. Plusieurs
lui étaient devenues aussi familières que sa langue mater-
nelle, et à une époque où les langues de l'orient étaient
presque abondonnées, il remplil a plusieurs reprises les
fonctions de suppléant pour le cours d'hébreu au collège
de France.
Ces travaux ne suffisaient pas a la prodigieuse acti-
vité d'esprit dont Choron était dominé; il se livra avec
ardeur et succès a l'étude des sciences physiques et ma-
thématiques, qui toujours ont eu pour lui beaucoup d'at-
trait. Monge se l'attacha pendant un assez long espace
de temps a titre d'élève particulier, et c'est sous la di-
rection de ce célèbre mathématicien, qu'il fut répétiteur
pour la géométrie descriptive a l'Ecole Normale en 1795,
et qu'il exécuta tous les plans, calculs et autres travaux
de détail pour l'organisation de l'École Polytechnique ,
alors nommée École centrale des Travaux Publics. A la
création de cet établissement, il y entra comme chef de
brigade.
Tous ces travaux ne pouvaient distraire Choron de
ses occupations favorites, et il commença en 1804 la
série de ses nombreuses publications mus'cales, tantôt
comme auteur , tantôt comme éditeur ou traduc-
teur. C'est malheureusement au prix de sa fortune,
que Choron a payé le rang qu'il s'est acquis parmi les
plus habiles théoriciens , parmi les écrivains les plus es-
timés. Un seul but le guida pendant tout le cours de sa
laborieuse carrière, le développement et le progrès de
l'art musical. Peu soucieux de gloire, d'honneurs et de
fortune, c'est a l'accomplissement de cette pensée uni-
que qu'il a tout sacrifié. Pour faire dignement un exa-
men raisonné de ses divers écrits, il faudrait posséder
les connaissances si variées et si nombreuses, qui pla-
çaient si haut cet artiste justement célèbre. Cette tâche
est au-dessus de nos forces et nous devons nous conten-
ter d'une simple mention. Son premier ouvrage ,
publié en 1804 avec Éiocchi a pour titre : Prin-
cipes d'accompagnement des écoles d'Italie, Paris,
in-f°. Entre cet ouvrage et les principes de composition
des écoles d'Italie, il donna, mais seulement comme
éditeur, un grand nombre d'œuvres de musique sévère
et classique, principalement des maîtres d'Italie les plus
fameux. C'est tout au plus si, de nos jours, de telles en-
treprises auraient le succès dont elles sont si dignes, et
ces publications datent de 50 ans. Les Principes de com-
position des écoles d'Italie > Paris, 1808, 3 vol. in-f0.,
sont un immense faisceau des matériaux les plus riches et
les plus estimés ; il n'a manqué a ce magnifique ouvrage,
devenu rare aujourd'hui, qu'un peu plus d'homogénéité.
Il faut ajouter de nouvelles éditions du Musicien prati-
que d'slzopardij ainsi que du Traité des voix et des in-
strumens d'orchestre de F rancœur , et la traduction du
Traité élémentaire d'harmonie et de composition d'Al-
hrechtsherger, en 2 vol, in-8°, qui a eu deux éditions.
Tel était a peu près le riche bagage scientifique de
Choron a l'époque ou la mort de Framery le fit entrer a
l'Institut avec le titre de correspondant. Trois artistes
seulement composaient alors la section de musique ,
Grétry, Gossec et Méhul, tous trois incapables, malgré
leur mérite incontestable en d'autres genres, de rédiger
un rapport sur un point quelconque de théorie de l'art
tant soit peu épineux. Choron fut donc chargé des tra-
vaux académiques de la section musicale, comme l'avait
été Framery , et fit plusieurs rapports a l'Institut, entre
autres, celui sur \esprincipes de la versificationdeScoppa,
qui passe a juste titre pour un chef-d'œuvre et a propos
duquel l'Académie fut obligée de reconnaître son inca-
pacité de rien faire de semblable. Choron devait espérer
que ce corps savant échangerait a la première occasion le
titre de correspondant qu'il lui avait donné en celui
démembre titulaire. Il n'en fut pas ainsi. L'Académie
des beaux-arts, alors comme aujourd'hui, est ainsi con-
stituée que s'il existait en France un Zarlin, un _]\Iar-
purg ou un P. Martini, ils verraient se fermer sur eux
les bivalves académiques, pour parler comme Choron,
tandis qu'on les ouvrirait avec fracas pour tels immortels
dont la renommée s'étend de la rue Feydeau a la place
de la Bourse.
Pour peu qu'une idée neuve, originale, hardie, mais
par-dessus tout utile, s'offrît a l'intelligence de Choron,
son esprit, d'une activité infatigable, s'en emparait avi-
dement, l'embrassait avec chaleur et ne l'abandonnait
qu'il ne l'eût mise en œuvre. Mais de cette activité même,
de ce besoin de travailler incessamment au progrès de la
pratique comme delà théorie de l'art, naissaient aussi de
nouvelles idées, et la possibilité de donner une forme
complète aux idées précédentes s'évanouissait. De là est
DE PARIS.
advenu le nombre considérable de travaux commencés
que Choron a laissés après lui. Un certain nombre pour-
tant n'eût pas été perdu, car Choron n'abandonnait
guère une idée qu'il ne l'eût analysée et recomposée sur
toutes les faces; c'est seulement alors qu'il fallait revêtir
d'un corps la pensée qu'il se laissait envahir par une plus
nouvelle. Ce serait, en effet, une perte immense et irré-
parable que la perte de Y introduction à l'étude générale
etraisonnëe de la musique. « Cet ouvrage, dit M. Choron
» dans une notice de ses travaux, fruit de quarante à
» cinquante ans de recherches , offrira une théorie en-
» tièrement nouvelle de l'art, déduite de l'analyse phi-
» losophique des facultés musicales de l'entendement hu.
» main, dans laquelle sont exposées les lois générales de
» la formation de tous les idiomes de musique et celles
» des opérations propres à chacun deux. » Ailleurs en-
core, M. Choron fait allusion à cet écrit , auquel il attri-
buait la plus haute importance et qui doit servir de con-
clusion et de complément^ tout ce qu'il avait fait jusque-
la ; il dit : « L'application que par forme d'exercice j'ai
» fréquemment renouvelée des méthodes que peut fournir
» cette science (l'analyse de l'entendement) a des sciences
» déjà faites, m'a mis a portée d'entreprendre avec suc-
» ces, a l'aide de l'analogie, des opérations du même
» genre, et par la de donner l'existence à une science qui
» n'existait point encore; la théorie métaphysique de la
» musique. Plusieurs années de méditations assidues et
» d'observations sur nos facultés et sur les propriétés
» musicales m'ont amené à créer un corps de doctrines
» dans lequel je détermine à priori les lois générales et
» constitutives des divers idiomes ou systèmes de mu-
» sique, ainsi que les règles de détails propres a l'exer-
» cice de l'art de chacun d'eux; et ce qui prouve l'excel-
» lence de ma méthode et la solidité de mes principes,
» c'est que toutes les connaissances que j'en déduis, sont,
» en ce qui concerne notre système particulier, parfaite-
» nient conformes aux règles de l'école, qu'elles servent
» ainsi a confirmer, àéclaircir et à développer.» Plusieurs
artistes érudits et l'un surtout , M. Fétis , dont la parole
doit faire autorité en ces matières, ont conçu quelques
uns des principes fondés par Choron et regardent cet ou-
vrage comme devant ouvrir une nouvelle voie a la théorie
de l'art.
Il reste a dire un mot du Dictionnaire des Musiciens
pour achever cette revue succinle des écrits de Choron ,
relatifs à la théorie et a l'histoire musicale. Le Diction-
naire historique des musiciens, artistes et amateurs,
morts ou vivons, publié en 1810, en 2 vol. in-8° par
Choron et M. F. Fayolle, a été, en grande partie, extrait
et traduit de la biographie allemande de Gerber.Ce livre,
bien qu'imparfait et exécuté a la hâte, a été fort utile dans
notre pénurie de littérature musicale française. Le temps
ajoute nécessairement chaque jour de nouvelles imper-
fections a des recueils de cette nature, jusqu'à ce qu'un
recueil nouveau et plus complet vienne les remplacer
pour avoir à son tour le même sort. Ce qui ne vieillira
pas, c'est le sommaire remarquable de l'histoire de la
musique que Choron plaça a la tète du premier volume,
et qui présente un tableau rapide et succinct des transfor-
mations successives de l'art et des vicissitudes des diver-
ses écoles. Ce Dictionnaire est devenu rare, et voici l'a-
necdote qu'on dit a ce sujet. Les libraires-éditeurs,
comptant sur la curiosité ou l' amour-propre des artistes
nommés clans ce livre, en avaient fait un tirage nom-
breux ; cinq cents exemplaires environ furent vendus
d'abord , et le reste de l'édition resta quelque temps
chez ces libraires. On était alors aux dernières années
de l'empire; aucun vaisseau, destiné au long cours, ne
pouvait sortir sans une cargaison vraie ou feinte de
marchandises françaises. Un capitaine , pressé de partir
et embarrassé d'achever la cargaison , acheta à bon
compte la masse des volumes restant, moyennant quoi il
put mettre à la voile; mais, peu soucieux de littérature
musicale, il n'eut pas plus tôt perdu de vue les côtes,
qu'il jeta la biographie musicale à la mer. Que ce fait
soit réel ou controuvé , il est certain que le Dictionnaire
historique des musiciens est recherché et se trouve ra-
rement.
(La suite au numéro prochain.)
CONCOURS
DU CONSERVATOIRE DE MUSIQUE DE PARIS.
Les concours du Conservatoire sont terminés. Dans
toutes les branches de renseignement, des élèves dis-
tingués sont venus réclamer la récompense de leurs tra-
vaux et de leur talent. Beaucoup trop, peut-être, l'ont
obtenue depuis plusieurs années; le jury du Conserva-
toire se montre trop indulgent et trop faible dans la ré-
partition des prix. Certainement, il est souvent guide
par des considérations toutes bienveillantes, toutes
paternelles, dans la confidence desquelles on ne peut
mettre le public; mais il n'en est pas moins vrai qu'il
abuse de la facilité de partager les récompenses, et qu'il
met souvent, sur la même ligne, des élèves dont l'exé-
cution offre des différences de talent très-tranchées.
Quoi qu'il en soit, les concours de cette année ont
encore démontré l'utilité de ce bel établissement et les
soins qu'apporte, a la bonne direction des études, son
illustre directeur Chérubin),
266
GAZETTE MUSICALE
Le chant, le violon, le piano ont remporté les plus
nombreuses couronnes. Mademoiselle Nau, élève de
madame Damoreau, que le Conservatoire compte main-
tenant avec orgueil au nombre de ses professeurs de
chant (car la révolution de 1850 a aboli la loi salique,
qui régissait les chaires du Conservatoire comme le
trône de France); mademoiselle Nau a partagé un prix
que nous aurions voulu lui laisser entier, tout en désirant
dans son chant plus d'âme, plus de force, plus de vie.
M. Sainton, M. Villain, tous deux élèves de M. Ha-
beneck , ont remporté les deux prix de violon; made-
moiselle Grange, élève de M. Adam; M. Ravina, élève
de M. Zimmermann, se sont distingués parmi les six
premiers prix de piano décernés par le jury, primi inicr
pares.
Le concours de composition a offert une singularité.
Sur neufs concurrens , quatre n'ont pas terminé leur
composition et ont déserté le concours, preuve de mo-
destie et d'un désir de bien faire qui, selon nous, est
d'un bon augure pour leurs succès futurs. Cinq des
concurrens étaient élèves de M. Reicha ; quatre de
M. Halevy, qui a succédé l'an dernier a M. Fétis, au-
jourd'hui directeur du Conservatoire de Bruxelles .
Nous donnons ci-après la liste complète des élèves
couronnés et le nom de leurs professeurs ; on trouvera
parmi ceux-ci bien des noms chers a tous ceux qui ai-
ment et cultivent la musique; élèves jadis du Conser-
vatoire, ils rendent aujourd'hui a une nouvelle généra-
tion ce qu'ilsont reçu decellequi les aprécédés; héritage
de gloire et de talent, qui , loin de se morceler en se di-
visant, s'augmente et s'aggrandit toujours. Il n'y a point
de majorats dans les beaux-arts; la succession est ou-
verte à tous, et, dans ce vaste ei beau domaine, la part
de chacun peut toujours s'étendre.
Concours du contrepoint et de la fugue.
Pas de premier prix.
Deuxième prix : M. Roger, élève de M. Halevy.
Concours de solfège, pour les hommes.
Premier prix partagé entre :
M. Carteret, élève de M. Lebel; M. Crohavé, élève
de M. Goblin ; M. Collin, élève de M. Alkan aîné;
M. Gautier, élève de M. Lebel; M. Gceury, élève de
M. Bien Aimé.
Deuxième prix partagé entre :
M. GilleUe, élève de M. Besozzi; M. Coinchon, élève
de M. Bien Aimé; M. Membre, élève de M. Alkan
aine.
Accessit: M. Delurme, élève de M. Leborne.
Concours de Solfège pour les femmes.
Premier prix partagé entre :
Mademoiselle Sebille, élève de mademoiselle Millin ;
mademoiselle Klotz, élève de mademoiselle Millin ; ma-
demoiselle Baillard, élève de madame Delsarte; made-
moiselle Fargueil , élève de monsieur Moreau; ma-
demoiselle Paquier , élève de mademoiselle Millin ;
mademoiselle Hanoy, élève de mademoiselle Millin.
Deuxième prix partagé entre :
Mademoiselle Lefebvre, élève de M. Moreau; made-
moiselle Séraphin , élève de mademoiselle Barbé ; made-
moiselle Gillette , élève de madame Delsarte ; mademoi-
selle Maillard , élève de M. Moreau ; mademoiselle
Picard, élève de madame Delsarte; mademoiselle Jous-
selin , élève de mademoiselle Goblin ; mademoiselle
Manière , élève de madame Wartel ; mademoiselle
Muller, élève de madame Wartel.
Accessit: mademoiselle Laborde, élève de mademoi-
selle Gobelin; mademoiselle Desprez, élève de madame
Wartel ; mademoiselle Jancigny, élève de mademoiselle
Millin.
Concours d'rarmonie et accompagnement réunis
pour les hommes.
Pas de premier prix.
Le deuxième, partagé entre :
MM. Ladé et Prudent, élèves deM. Dourlen.
Même concours pour les femmes.
Premier prix : mademoiselle Hervy, élève de M. Ri-
faut.
Deuxième prix : mademoiselle Vierling , élève de
M. Rifaut.
Concours de contrebasse, classe de M. Chaft.
Premier prix partagé entre :
MM. Perré et Delpire.
Concours d'orgue, classe de M. Benoist.
Premier prix : M. Alkan aîné.
Deuxième prix : M. Lefebvre.
Concours de violon , classe de M. Habeneck.
Premier prix : M. Sainton.
Deuxième prix : M. Villain.
Concours de harpe, classe de M. Nadermann.
Pas de premier prix.
Deuxième prix :M. Godefroid.
Concours de vocalisation pour les hommes et les
femmes.
Premier prix partagé entre :
Mademo'selle Cuniard, élève de madame Empaire;
mademoiselle Calvé, élève de M. Garaudé; mademoi-
selle Hirne, élève de M. Henri; mademoiselle Fargueil,
élève de M. Panseron.
Deuxième prix partagé entre :
Mademoiselle Charlet, élève de madame Empaire ;
mademoiselle Lemesle, élève de M. Henry, M. Puig,
élève de M. Garaudé.
Concours de violoncelle , classe de M. Norblin.
Premier prix : M. Pilet.
Deuxième prix : M. Seligman.
Concours de flûte, classe de M. Tulou.
Pas de premier prix.
Deuxième prix : M. Forestier.
Concours de hautbois, classe de M. Vogt.
Premier prix : M. Verroust.
Concours de clarinette, classe de M. Berr.
Premier prix : M. Lamour.
Deuxième prix : MM. Lecerf et Stainmelz.
Concours de cor, classe de M. Da.uprat.
Premier prix : M. Forestier.
Concours de basson, classe de M. Gébauer.
Pas de premier prix.
Deuxième prix : M. Yvon.
Concours de chant pour les hommes et les femmes.
Premier prix partagé entre :
Mademoiselle Nau , élève de madame Damoreau-
Cinti ^'mademoiselle Calvé, élève de M. Martin.
Deuxième prix partagé entre :
Mademoiselle Melotte, élève de M. Bordogni; ma-
demoiselle Hirne, élève de M. Ponchard; mademoi-
selle Henchoz , élève de M. Bordogni ; mademoiselle
Vernhet, élève de madame Dainoreau; mademoiselle
Fromont, élève de madame Damoreau; M. Puig,
élève de M. Ponchard.
Concours de piano pour les hommes , classe de
M. Zimmermann.
Premier prix partagé entre :
M. Ravina, M. Alkan 5me et M. Pas de-Loup.
Deuxième prix partagé entre :
M. Petit Anatole, M. Govia et M. Lefebure.
Concours de piano pour les femmes , classe de
M. Adam père.
Premier prix partagé entre :
Mademoiselle Drake , mademoiselle Vierling et ma-
demoiselle Grange.
Deuxième prix : Mademoiselle Decussy.
THÉÂTRE NAUTIQUE.
Le Nouveau Robinson,
BALLET COMIQUE DE M. BLACHE,
Musique de M. Hanssens.
Jusqu'au moment où la troupe de l'Opéra allemand
se sera partagé avec les danseurs de M. Henri la scène
du théâtre Ventadour, notre journal, tout musical, ne
peut prendre un intérêt Lien vif aux représentaiions
données sur ce théâtre; aussi est-ce seulement pour mé-
moire que nous donnons ici place a quelques lignes sur
le nouveau Robinson. .
Le nouveau Robinson de M. Blache, c'est un natura-
liste attaché a une expédition anglaise, souffre-douleur
de tous les aspirans de l'équipage , espèce de jocrisse
renforcé qu'ils se plaisent à rendre victime de leurs
cruelles mystifications. Le reste de la pièce se compose
d'une chèvre, d'un singe, d'un perroquet et de quel-
ques danseuses déguisées en marins. A notre avis, le
nouveau Robinson a un double défaut assez grave ; c'est
d'avoir trop peu de gaieté et trop de luxe de mise en
scène pour une charge, et pas assez de pompe pour un
ballet. Il y avait pourtant, dans cette donnée, le sujet
d'une excellente bouffonnerie dans le genre des panto-
mimes anglaises ; il ne fallait pour cela que trois ou qua-
tre acteurs au plus , mais quelque peu davantage de
verve et d'imagination comique.
M. Hanssens a placé, a la tête du même ballet, une
ouverture, que sans doute il avait en portefeuille, et
dont les dimensions sont presque incommensurables.
Cette ouverture a dû donner beaucoup de mal a l'auteur
quand il l'a écrite , et ce travail a été peut-être une étude
fort utile des formes et des idées de Weber; mais elle ne
va pas du tout devant un ballet comique. En général, la
musique tout entière de M. Hanssens a été faite un peu
trop sérieusement. Nous désirons que cet artiste nous
fournisse au plus tôt une meilleure occasion d'apprécier
son talent de compositeur, qu'on dit très-remarquable.
Cette bluette sans importance, et dans laquelle, pour
la première fois, a ce théâtre, l'eau est réellement mise
en scène, a toujours prouvé la bonne volonté et l'activité
des directeurs, et l'excellente mise en scène du Guil-
laume Tell fait bien augurer du grand ballet chinois
qu'on monte en ce moment.
PROTESTATION
De MM. les auteurs et compositeurs dramatiques .
Voici le texte de la Protestation qui a été délibérée,
et, plus tard , rédigée par les membres de la commission
dramatique.
268
GAZETTE MUSICALE DE PARIS.
ATTENDU :
1°Que l'article 7 de charte de 1850, deuxième pa-
ragraphe, porte textuellement :
« La Censure ne pour/ a jamais être rétablie; »
2° Qu'il a été entendu par le ministère et les Cham-
bres que ce mot : Censure, impliquait a la fois et la
presse et les théâtres , puisque ces derniers ont été dès
lors affranchis des mesures préventives qui pesaient sur
eux et que les précédens gouvernemens avaient conser-
vées; ■
Qu'ainsi le décret de 1806 s'est trouvé abrogé de fait
et incompatible avec les libertés publiques;
5° Que le 19 janvier 1831 , le ministre de l'intérieur,
parlant au nom du gouvernement et apportant à la
chambre des députés un projet de la loi pour la répres-
sion des délits commis par la voie des représentations
théâtrales, disait à la tribune :
« Loin de nous la pensée , pour le but limité que
» nous avons voulu atteindre , de recourir aux moyens
» préventifs qui jureraient et avec l'ensemble de nos
» lois et avec nos propres convictions. La censure
» pourrait exister encore ; mais nous la tenons pour
» morte : elle a été tuée par les censeurs ; »
Que, plus loin, il propose a la chambre « de faire juger
» les délits du théâtre par la belle institution du jury. »
— Qu'il dit encore : « A certaines époques on a traité
» de la même manière les différens modes d'exprimer sa
)> pensée; et que la Censure théâtrale marchait de front
» avec la Censure politique; et l'on sait que le despo-
» tisme ne s'amuse pas à graduer les libertés ; l'unifor-
» mité lui plaît et il la met dans toutes les sortes d'arbi-
» traire ; »
Qu'enfin, discutant les moyens de répression, il ajou-
tait : « L'administration , a laquelle nous ne reconnais-
» sons pas le droit d'empêcher la représentation d'une
» pièce de théâtre , sera cependant officiellement préve-
» nue Après la première représentation, le juge
a d'instruction pourra suspendre la pièce ; »
4° Qu'ainsi la pensée du gouvernement était bien d'as-
similer les théâtres a la presse , reconnaissant que ces
deux modes de publication étaient indivisibles et devaient
être soumis a la même juridiction.
Par tous ces motifs , et s'appuyant sur le respect dû
à la charte jurée par les trois pouvoirs de l'état, les
membres soussignés de la commission des auteurs et
compositeurs dramatiques, en vertu du mandat qu'ils
ont reçu de leurs confrères , protestent contre toute ap-
plication occulte, déguisée ou ostensible du décret de
1 806 ou de tout autre décret ou ordonnance gai serait
illégalement invoquée contre la liberté du théâtre, et dé-
clarent qu'ils s'opposeront a l'arbitraire par tous les
moyens qui sont en leur pouvoir.
Par ces protestation et déclaration , les auteurs drama-
tiques se retranchent donc derrière la charte jusqu'à la
promulgation d'une loi spéciale sur les théâtres, loi qui,
aux termes de l'art. 7 du pacte fondamental de l'état ,
ne peut jamais être préventive.
Formulé et délibéré en assemblée générale.
Paris, ce mercredi 5 août 1 834-.
Les membres de la Commission dramatique :
Lemercier , Fontan , Alexandre-Dumas , Ferdinand-
Langlé, Frédéric-Soulié, Meiville, Maillan, Duma-
noir _, Fictor-Hugo , de Longpré, Piccini , Alboise,
Arnould.
Pour copie conforme.
Les agens des auteurs :
Gutot, J.-Michet.
NOUVELLES.
\ La mort vient de répandre le deuil flans une des familles
les* plus honorables de l'Alsace, et d'enlever au monde musical
un des plus dignes interprètes de nos grands maîtres. Made-
moiselle Caroline Hartmann, cette musicienne consommée
et qui occupait un si haut rang parmi les amateurs de France,
a cessé de -vivre. Dès l'âge le plus tendre , elle captivai! déjà les
suffrages de tous les connaisseurs par le (aient avec lequel elle
'surmontait les plus grandes difficultés sur le piano. Elle avait
reçu des leçons (le nos premiers maîtres et , en dernier lieu,
elle avait complété son éducation musicale sous la direction de
M. Liszt, Chopin, Pixis, etc. La maison de son père était le
rendez-vous de tous les artistes distingués qui passaient en
Alsace, et tous payaient leur tribut d admiration au grand
mérite de mademoiselle Hartmann. II est vivement à regretter
que la mort , en frappant indistinctement autour d'elle , enlève
aux arts leurs plus termes soutiens , et nous déplorons en par-
ticulier la perte qu'ils viennent défaire, parce que c'est surtout
en province que les progrès de l'art musical ont besoin d'être
secondés par l'influence et l'exemple de quelque talent supé-
rieur.
4% C'est toujours pour la fin du mois que l'on nous promet
à l'Opéra, le ballet de la Tempéle : musique, décorations, mise
en scène , tout marche au gré des auteurs,
Les répétitions de la Juive se poursuivent au même théâtre
avec une grande activité : chaque jour révèle de nouvelles
beautés dans cette partition, dont les derniers actes justifient
l'opinion favorable que l'on avait conçue de cet ouvrage dès les
premières répétitions.
++ Madame Amélia Masi, de l'Opéra-Comique,a eu l'honneur
de*présentcr à la reine des Français un recueil de romances et
de nocturnes, dont S. M. a daigné agréer la dédicace. Une mu-
sique suave , gracieuse et légère assure la vogue à cette nou-
velle production.
S. M. a fait prévenir madame Masi, qu'elle devait faire par-
tie des artistes appelés aux concerts delà cour.
*+ On a organisé à Cheltenham , près de Londres , des con-
certs en plein air, à l'instar de ceux des Champs-Elysées , sous
le nom de Évening Musical Promenades. La foule se porte à
ces réunions.
* Il y a dans ce moment à Marseille un théâlre italien qui
est*très-peu suivi à cause de la médiocrité des chanteurs et des
cantatrices.
Gérant, MAURICE SCHLESINGER.
. — I*^ri
: .l'ÉVERAT, rut du Cadra», ■* 1*.
a>m zpdamn®*
n° 8â.
PRIX DE l'aDONNEM.
PARIS.
DÉPART.
ÉTltA!<G
fr.
Fr. ,-.
Fr. c.
3 m. f.
8 75
9 50
6 m. )5
16 5u
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1 an. 30
35 »
36 »
£» (&«zette iïtusicale i>* {paris
Paraît le DIMANCHE de chaque semaine.
On s'abonne au bureau de la Gazette Musicale de Paris, rue Richelieu , 97;
et chez tous les libraires et marchands de musique de France.
)o reçoit les réclamations des personnes qui ont des griefs à exposer, et les avis relatifs
qui peuvent intéresser le public.
musique
PARIS. DIMANCHE 24 AOUT 1S3'(.
Les lettres, demandes
et envois d'argent doi-
vent être affranchis, et
adresses au Directeur ,
rue Richelieu, 97.
BIOGRAPHIE.
CHORON.
(suite et fin.)
Choron a suivi dans sa carrière d'artiste absolument
la même marche que dans ses études musicales. Au lieu
de se faire de la pratique, comme un point de départ
pour s'élever ensuite a la théorie, nous l'avons vu, au
contraire, descendre de la philosophie de l'ait, aux
procédés techniques ; de même , il a commencé par être
historien et théoricien, pour devenir maître de chapelle
et professeur.
Ses connaissances mathématiques l'avaient fait atta-
cher, en 1815, a la rédaction du bulletin d'encourage-
ment pour l'industrie nationale; vers ce temps, Bigot
de Préameneu, alors ministre des cultes, lui donna la
direction de la musique dans les fêtes publiques et les
cérémonies religieuses, et le chargea en même temps de
rédiger un vaste projet pour la réorganisaiion des maî-
trises et des chœurs de cathédrales dans tout l'empire.
Ces plans, qui devaient rendre a la France quatre-
vingts institutions musicales dont la révolution l'avait
privée, furent présentés par lui à Napoléon qui les ap-
prouva, et l'ordre de les mettre immédiatement à exé-
cution, allait être donné, lorsque arrivèrent les désas-
tres de la campagne de Russie et la chute de l'empereur.
La rentrée desBouibonsfitperdre a Choron lesemplois qu'il
tenait du gouvernement ; et il ouvrit alors une école pu-
blique de musique qui , faible dans ses commencemens ,
s'est élevée successivement par la seule capacité du fon-
dateur, jusqu'à devenir une institution nationale, jus-
qu'à se montrer la redoutable et heureuse rivale du Con-
servatoire royal de musique. Les succès obtenus par cette
école sont dus a la supériorité des procédés de la méthode
concerta/île, sorte d'enseignement mutuel inventé par
Choron autant qu'au zèle infatigable, al'invincible per-
sévérance de cet habile professeur. Un arlicle de Neu-
koinin, inséré dans la Gazette musicale de Leipzig
de 1825, fait connaître la date précise, sinon de l'inven-
tion , du moins des premiers essais de la méthode con-
certante. Neukomm nous apprend qu'en 18H, Choron
donnait a Paris, dans une école de musique, des leçons
gratuites d'après les principes de l'enseignement mutuel
appbqué à l'art musical , et qu'incontestablement la
gloire de cette invention appaitient a cet artiste. Neu-
komm lui-même avait été témoin [de ces essais ; et
frappé des grands avantages que semblait lui présenter
cette méthode, il la recommandait vivement a celles
d'Allemagne. Ce pays a profité de ces sages avis; au-
jourd'hui l'enseignement mutuel appliqué, a la musique,
est en usage dans des centaines d'écoles allemandes ; et
Choron , après avoir donné pendant vingt ans des
preuves innombrables, et presque miraculeuses des ré-
sultats de son invention , a vu la sienne mourir avec
lui; mais n'anticipons pas.
En \ 800 , Choron avait publié une méthode d'instruc-
tion primaire pour apprendre en même temps à lire et à
écrire; des expériences publiques en avaient constaté
l'utilité, piincipalement sur de grandes réunions d'en-
fans : le souvenir de ces essais le fit appeler dans la com-
mission chargée d'introduire l'enseignement mutuel
dans les écoles primaires , et ses idées servirent de base
aux procédés qui furent adoptés. Modifiant ses idées
270
GAZETTE MUSICALE
premières, il dressa pour les écoles tous les syllabaires
et tableaux de lecture dont on se sert encore aujourd'hui
dans la plupart de ces établissemens. Les travaux de
rette nature ne donnent'a leurs auteurs.ni beaucoup de
gloire ni beaucoup de profit; mais par ces raisons même
ils convenaient parfaitement h l'ame généreuse et bien-
faisante de Choron, et c'était pour lui de douces dis-
tractions de ses occupations habituelles.
Appelé , de 1 81 5 a 1 8 1 7 , a la direction de l'académie
royale de musique, Choron apporta dans cette admini-
stration ce zèle constant, cette ardeur désintéressée qu'il
mettait dans les grandes comme dans les petites choses;
peut-être était-il moins bien doué de cette souplesse de
forme indispensable pour conduire un corps aussi diffi-
cile a manier qu'une troupe d'opéra; toutefois il signala
dignement son passage a ce théâtre, et il a laissé a ses
successeurs un exemple difficile a imiter ; car vingt mois
lui suffirent pour remettre au répertoire douze ouvrages
anciens et en monter sept nouveaux. L'état de décadence,
chaque jour plus sensible où se trouvait a l'Opéra toute
la partie du chant, lui lit songer aux moyens de remédier
à ce mal et de restaurer les études relatives a cet art.
Point n'était besoin comme aujourd'hui de procéder par
suppressions; le Conservatoire n'existait pas ; de sottes
rancunes l'avaient effacé des budgets; et cette admirable
école instrumentale , qui permit a Paris d'enfanter en
quelques heures des orchestres formidables et presque
miraculeux, n'était plus qu'un vain nom. Trop préoc-
cupé delà faiblesse insignifiante du chant dans cet éta-
blissement, Choron peut-être était sous le poids de
quelques préventions mal fondées relativement aux au-
tres parties de celte institution. Toujours est-il que le
projet de réorganisation, qu'il proposa au ministre, fut
un véritable service rendu a l'art ; car il consistait à in-
troduire en France le régime si simple , si économique et
si fécond en résultats des anciens conservatoires d'Italie.
Malheureusement, l'intérêt de l'art et l'intérêt des ar-
tistes ne sont pas si intimement liés que l'un ne soit
parfois contraint de céder h l'autre : l'intérêt des artistes
l'emporta. Choron proposait deux choses : un pension-
nat pour le chant et un budget normal pour tout l'éia-
blisscment de 68,000 francs, et rien de plus. Tel n'était
pas le compte des artistes qui voulaient compter leur do-
tation par centaines de mille francs. Il est besoin -d'ex-
pliquer comment un plus gros budget nuit a l'art : c'est
facile. Dans l'organisation d'un conservatoire, telle qu'elle
existe aujourd'hui, et que Choron voulait réformer, il
faut beaucoup de maîtres, et partant un gros budget
pour mi petit nombre d'élèves. Chaque professeur don-
nant au plus trois leçons par semaine, d'une heure cha-
cune, et n'a J mettant que huit élèves au plus dans sa
classe , il en résulte qu'il faut qu'un élève soit grande-
ment favorisé lorsqu'il reçoit trois quarts d'heure de
leçons par semaine; le reste du temps, il est livré a ses
propres forces. Pour trois-cents élèves, par exemple, il
faudra donc une prodigieuse quantité de professeurs, et
les leçons n'en seront pas moins peu fréquentes et de pe-
tite durée. — A. ce mode vicieux, Choron voulait sub-
stituer le régime italien que ses études sur l'histoire de
la musique lui avaient fait connaître et apprécier. Dans
un ancien conservatoire, il n'y avait que deux mai.ies
titulaires: un décomposition, un de chant; les maîtres
d'instrumens venaient du dehors. Ne nous occupons que
du chanl. Ce maître unique donnait chaque jour une
heure de leçon a laquelle assistait la totalité des élèves,
quelque fût leur nombre. La leçon se passait ainsi : les
plus torts d'entre les élèves, occupant des places à part,
recevaient directement la leçon du professeur qui expo-
sait les règles, donnait des exemples , les faisait exécu-
ter par les élèves-maîtres , indiquait les défauts et les
moyens de les corriger. Cette hciue écoulée, les élèves
se formaient en autant de subdivisions qu'il y avait dV-
lèves-maîtres , et chacun de ceux-ci redisait a sa section
la leçon qu'il avait reçue lui-même. Le professeur assis-
tait a cette seconde leçon. Puis aux momens d'étude,
d'autres subdivisions se formaient. Par cette méthode,
chaque élève avait donc un travail journalier de deux
heures, et son attention était d'autant plus excitée qu'il
devenait maître a son tour. Ainsi , cela se passait a JNa-
plcs dans le dix-septième etle dix-huitième siècle, et les
bons chanteurs sortaient de ces écoles par douzaines.
Pour les autres éludes, on suivait la même marche. Ces
explications suffisent pour montrerla différence des deux
enseignemens.
Le pensionnat que Choron voulait former d'après ces
principes, et le composer de soixante-dix a quatre-vingts
chanteurs des deux sexes, ne fut point établi : plus tard
il fut organisé dans des proportions plus restreintes ; mais
l'enseignement adopté fut maintenu. L'un et l'autre sub-
sistent aujourd'hui; c'est tout ce qu'on en peut dire.
A la sortie de l'administration de l'Opéra , Choron
fut choisi pour diriger une fraction de ce pensionnat
destinée à régénérer les chœurs des théâtres ; on lui
donna le nom d'école royale et spéciale de chant. Plus
de deux cents choristes sont effectivement sortis de cette
éccle; mais bientôt cet habile professeur, tout honteux
du rôle subalterne auquel on l'avait réduit, voulut don-
ner â son institution un but plus noble et plus utile. Il
lui fit prendre le nomde Conservatoire de musique reli-
gieuse , et depuis 1830, celui de Conservatoire de mu-
DE !>A£iS.
271
sicjue classique. Voici en quels termes Choron explique
ce but qu'il a si bien rempli, et qui , chaque jour, sem-
blait grandir avec son zèle et son amour de l'art; il
embrasse :
1° La conservation des œuvres classiques de musique,
c'est-à-dire le soin de choisir et de recueillir, principa-
lement parmi les grandes compositions vocales en tout
genre des maîtres de toutes les écoles et de toutes les gé-
nérations , les portions de leur œuvre dignes d'être con-
servées à la postérité, d'en faire l'objet d'études spéciales
et de les faire exécuter avec toute la perfection dont elles
sont susceptibles.
2° Le perfectionnement du chant national et l'accrois-
sement de la civilisation par l'enseignement universel
de la musique élémentaire et la propagation générale du
chant choral ; le perfectionnement des méthodes, et l'in-
struction de jeunes professeurs destinés a seconder les
vues des législateurs relatives à l'introduction du chant
dans l'enseignement primaire.
En -1 826 , Choron construisit à ses frais, dans son
institution, une salle de concert où , pendant plusieurs
années, ses élèves ont fait entendre les chefs-d'œuvre
des anciennes écob s religieuses, des Palestrina, des
Hœndel, des Cléri, des Carissimi , etc. ; tout Paris
courut entendre ces productions exécutées par de jeu-
nes enfans avec une supériorité d'ensemble désespérante
pour des artistes consommés, et dont on n'avait point
encore eu d'exemple dans nos écoles. Depuis 1825, il
avait été nommé maître de chapelle a la Sorbonne ; et
chaque dimanche, chaque jour de fêle, les dilettantides
quartiers les pins éloignés se pressaient en foule dans
l'étroite enceinte de cette église, naguère vaste et déserte,
où, pour la première fois, furent entendus le Miserere
d'Allegii, le Slabat mater a deux chœurs de Palestrina,
compositions du style le plus religieux et le plus sévère,
et d'une telle difficulté qu'elles avaient semblé jusqu'a-
lors condamnées a ne pas sortir de l'enceinte de la cha-
pelle pontificale.
La perfection d'exécution où Choron savait conduire
ses élèves était due principalement à la gravité, à la sé-
vérité et surtout à la bonne direction de leurs études
premières. Sa méthode concertante les amenait graduel-
lement, rationnellement et sans fatigue, depuis les plus
simples rudimensdela gammejusqu'aux combinaisons de
tons et de mesure les plus compliqués; ces leçons n'étant
jamais chantantes, mais seulement charitables, ils deve-
naient lecteurs malgré eux ; chantant toujours en parties ;
et, dès l'origine de leur éducation, la justesse et la me-
sure n'étaient qu'un jeu pour eux; enfin, par l'habitude
qu'ils acquéraient delà musique sévère des écoles classi-
ques, ils se jouaient des plus grandes difficultés du style
moderne. Basée sur les principes des écoles italiennes,
Choron a rendu sa méthode concertante également utile
au maître et à l'élève , sous le rapport de la durée des
études, non pas en essayant de l'abréger extraordinaire
ment , ce qu'il savait impossible; mais en donnant à un
seul professeur le moyen d'enseigner simultanément l'art
de lire la musique à un nombre quelconque d'élèves,
quel que soit le degré d' avancement de chacun d'eux.
Tous ces procédésd'enseignement, Choron les a écrits
et développés dans les ouvrages nombreux qu'il a publiés
sur la musique élémentaire, le chant choral , etc.; mais
ce qu'il n'a pu mettre dans des livres, ce qui est mal-
heureusement mort avec lui , c'est cet enthousiasme
communicatif, cette ferveur de conviction qu'il faisait
naître comme h son insu chez tous ceux qui l'écoutaient;
c'est cette influence toute personnelle et presque magi-
que sons laquelle il plaçait ses auditeurs ou ses élèves-
Choron a présenté sans aucun doute un des phénomènes
musicaux les plus extraordinaires, car lui qui jamais
n'avait été un praticien consommé, il savait obtenir des
niasses les plus rebelles, les plus inertes, une perfec-
tion d'ensemble telle qu'un chef consommé ne l'obtient
souvent pas d'artistes de profession.
Il faut pourtant reconnaître que, préoccupé de la
perfection de l'ensemble, Choron a trop négligé rensei-
gnement individuel du chant. Soit que les procédés mé-
caniques lui fussent inconnus, soit qu'il eût une con-
fiance irop grande dans les résultats de ses méthodes,
il n'a pas cherché a développer chez quelques artistes
qui lui doivent leur éducation les dons naturels qui de-
vaient en faire des chanteurs remarquables. A l'excep-
tion de Dupiez, nous ne connaissons pas un chanteur
de premier rang sorti de celte institution; mais, en re-
vanche, quelle foule d'excellens musiciens, de chan-
teurs de second ordre, de professeurs distingues a-t-il
pu compter au nombre de ses élèves ! Nous citerons
seulement Janscnnc , Wartel , Tbénard , Hébert,
Am. Boulanger, Hippolyie Monpou, mesdames Du-
prez , Massy, etc. , etc.
Les trois dernières années de la vie de Choron ont dû
être bien affreuses; car il est mort a la peine, luttant
contre son mauvais sort , contre l'indifférence, il fau-
drait dire contre l'ingratitude de l'administration; mais
toujours occupé de l'avenir , de l'avancement et Je la
propagation de l'art musical. Après avoir perdu sa place
de maître de chapelle a la Sorbonne par suite de la révo-
lution de 1850; après avoir vu son budget de 56,000 f.
réduit a i 5,000 par l'ignorance et le mauvais vouloir
d'un ministre, par la jalousie honteuse de ses confrères,
272
GAZETTE MUSICALE
il ne s'occupait encore que des moyens de se créer de nou-
velles ressources. Dans la prospérité, tout ce qu'il pouvait
gagner élaitemployé a des publications d'ouvrages classi-
ques capitaux, dont il forma un riche répertoire pour ses
cours et ses concerts. Lorsqu'il se vit frappé dans ce
qu'il avait de plus cher, ses élèves et son école , il forma
un projet gigantesque, et dont les suites pouvaient être
incalculables si ses forces ne l'avaient pas trahi. Les
fonds alloués a l'entretien des chœurs des cathédrales
ayant été rayés du budget en 1832, Choron entreprit
d'organiser seul les chœurs de chant, non pas seulement
dans les églises , mais dans les écoles publiques , dans
les corps militaires, etc. Il avait composé dans ce but
des morceaux a quatre parties qui pouvaient s'exécuter
a une, deux, trois ou quatre , et qu'il faisait apprendre
séparément à chaque genre de voix, puis les réunissait
successivement les uns aux autres. Les résultats qu'il
obtint par ces procédés tiennent véritablement du pro-
dige. A La Rochelle, où se fit son premier essai, six
jours lui suffirent pour créer un chœur de quatre-vingt
dix chanteurs en quatre jours. Il en fit de même à Char-
tres et a Luçon. A Nantes il organisa trois chœurs en
une semaine, un de quatre-vingt, un de cent dix, et
un de cent soixante, pouvant se réunir ou former
plusieurs masses. Arrivé a Angers un dimanche matin ,
il ne put commencer ses opérations que le lendemain a
trois heures et demie, et a cinq heures trois quarts, un
chœur de trois cents cinquante voix exécuta un motet a
la Vierge, a sept parties, dont quatre réelles. De retour
a Paris , il fit deux réunions semblables a Saint-Sulpice
et à Notre-Dame dans l'une desquelles on ne comptait
pas moins de huit a neuf cents chanteurs. Ces masses de
chanteurs, qu'après quelques heures d'exercice, Choron
faisait chanter en parties avec un ensemble étonnant, se
composaient habituellement non pas d'amateurs ou d'ar-
tistes, mais de simples ouvriers, de gens du peuple,
sans aucune culture musicale. Après de telles merveilles
Choron ne doutait pas qu'on ne lui donnât a instruire
les enfans des écoles d'indigens, et il se proposait de
donner un concert au bénéfice des parens pauvres, dans
le milieu du Champ-de-Mars avec une niasse de trente
mille voix , et Choron aurait réussi s'il eût vécu.
Tant de fatigues , une activité d'esprit qui semblait
croître avec l'âge ; l'indifférence du ministère et de la
chambre des députés pour ses élèves qu'il nourrissait
littéralement de ses deniers (i) achevèrent de briser le
(1) Celui qui écrit ces lignes a vu de ses yeux la preuve po-
sitive que peu de temps avant sa mort, Choron fut obligé de
vendre une petit rente, la dernière qui lui restait, pour sub-
venir aux dépenses de son établissement.
corps de ce malheureux artiste, car son ame avait tou-
jours confiance dans l'avenir. Lorsqu'il sentit la mort
approcher,, il voulut dicter une note pour recommander
au ministre tout ce qui lui était cher, son épouse, qui,
depuis longues années, s'était vouée aux travaux les
plus rudes du pensionnat; M. Nicou son élève, devenu
son gendre et son suppléant, et par-dessus tout l'avenir
de l'école qu'il avait créée. Ses dernières paroles n'ont
pas été entendues ; le conservatoire de musique clas-
sique est supprimé... Qui doit -on accuser de cet acte de
vandalisme?
Choron, avant de mourir, a fait lui-même son épita ••
plie. Cet homme dont la vie fut un continuel dévoue-
ment, et qui jamais ne mentit à sa conscience, a voulu
faire graver sur son tombeau ce qu'il pensait de lui-
même : il ne sera démenti par personne.
ALEXANDER STEPHANUS
CHORON,
E VALESIO OR1UNDUS,
NATUS CADEMI, DIE 1\ S1"''5 1771
LU TERIS BONIS ARTIBUSAC SCIENT LIS ACCURATE ET FELICITER STUDU1T;
SED MDSICAM SACRAM ET DIDACTICAM
PRJISERTIM EXCOLDIT,
RELLIGIONI ATQUE PUBLÎC/E UTILITATI
PR.ECIPUE CONSULENS
BONIS ET BONO TOTUS INTENTUS ET FAVENS
SE IPSUM AC SUA PRORSUS ABNEGAVIT.
QUAM MULTA AD N1MIDM ARTIS DAMNUM IMPI.RFECTA RELINQUENS
VARIIS rUBLICIS MUNEIUBUS FUNCTUS
OBIIT DIE 28 JBNI1 \ 834.
ORATE TRO EO.
La liste complète des ouvrages de Choron formera un
article important dans la bibliographie musicale. Nous
avons cité les principaux ouvrages de théorie, voici
ceux relatifs a l'enseignement pratique :
Cours élémentaire de solfège et de chant; plusieurs cahiers
contenant les premières leçons de solfège et plusieurs suites de
leçons élémentaires à uuc, deux, trois et quatre voix, des meil-
leurs auteurs , à l'usage des écoles primaires.
Méthode de plain-chant.
Exercices comparés de plain-chant et de musique élémen-
taire à l'aide desquels on peut apprendre l'un par l'autre ou
l'un indépendamment de l'autre, en ce qu'ils ont de commun,
la musique et le chant ecclésiastique.
Méthode concertante transcendante à quatre parties, d'un
degré différent de difficulté , qui peuvent s'exécuter ensemble
ou séparément, à l'usage des écoles spéciales, maîtrises de ca-
thédrales , etc.
La même élémentaire a trois parties à l'usage des pension-
nats, maisons d'éducation de l'un et l'autre sexe, des sémi-
naires, des écoles primaires, etc.
Méthode élémentaire d'orgue, à l'aide de laquelle un élève,
possédant les connaissances élémentaires de musique et de
forte-piano, peut apprendre à loucher l'orgue et à composer
ou improviser pour cet instrment.
Méthode transcendante d'orgue, par M. Rink, organiste
de la cour de Darmstadt , traduite de l'allemand.
Il a composé un grand nombre Je morceaux de mu-
sique d'église, beaucoup de romances dont une surtout,
la Sentinelle, est devenue populaire. Il laisse inachevé :
Exposition abrégée des principes fondamentaux de la mu-
sique, ou Précis élémentaire des loi* constitutives de tous les
idiomes ou systèmes de musique , avec leur application au sys-
tème ecclésiastique, reste de la musique grecque, et au système
européen moderne.
Manuel encyclopédique de musique.
Traité de contre-point antique , par Fux , nouvelle traduc-
tion, avec des notes.
Traité de composition moderne, par J. Preindl , traduit de
l'allemand , avec des notes.
Considérations sur la situation actuelle de la musique, et
pa t culièrement de la musique vocale en France.
Introduction a l'étude générale et raisonnée de la mu-
sique.
Le répertoire des contrapuntistes : Extrait méthodique
des écrivains les plus estimés sur l'art du contre-point.
JUGEMENT DU TRIBUNAL DE COMMERCE
Dans l'affaire de l'Académie Royale de Musique et
l'Opéra- Comique contre les Concerts aériens des
Champs-Elysées.
On se rappelle que MM. Véron et Crosnier, en leur qualité
de directeurs de l'Académie Royale de Musique et de l'Opéra-
Comique , avaient cité devant le tribnnal de commerce M. Mas-
son de Puilneuf, fondateur des concerts des Champs-Elysés
pour s'entendre condamner 1° à cesser désormais de faire exé-
cuter, dans ses concerts les ouvertures et autres morceaux ap-
partenant aux répertoires de ces deux théâtres, et 2° à leur
payer 80,000 francs à titre de dommages et intérêts, à raison
du préjudice causé jusqu'à ce jour. Voiri le texte du jugement
rendu le 20 août dernier dans celte affaire.
Le Tribnnal ,
« Attendu que les droits des auteurs ont été réglés par les
lois des 13-1 9 janvier, 19 juillet , 6 août 1791, et 19 juillet 1793;
» Que la propriété littéraire et celle des 'oeuvres musicales
sont sous la protection de ces lois , qui ne sont pas abrogées ;
» Attendu que, aux termes de l'ait. 1er du décret rendu par
la Convention nationale le 1 g juillet 1793, les auteurs d'écrits
en tous genres, les compositeurs de musique, doivent jouir
seuls, durant leur vie entière, du droit exclusif de vendre,
faire vendre cl distribuer leurs ouvrages, et d'en céder la pro-
priété en tout ou en partie;
>> Que leurs héritiers ou cessionnaires doivent jouir du même
doit durant l'espace de dix ans après la mort des auteurs;
» Qu'aux termes de l'art 3 de la loi des 1 3-1 g janvier 1791,
et de l'art. 1er de la loi des 1 cj jdillel-6 août de la même année,
les ouvrages des auteurs vivons , soit qu'ils fussent ou non gra-
vés ou imprimés, ne peuvent être représentés sur aucun théâ-
tre public daDs toute l'étendue du royaume , saus le consente-
ment formel ou par écrit des auteurs ou celui de leurs héritiers
ou cessionnaires;
» Attendu que Crosnier et Véron sont propriétaires du réper-
toire des théâtres de l'Opéra et de l'Opéra-Comique ; qu'ils ont
r-n outre traité avec les différens auteurs des ouvrages par eux
ajoutés à ce répertoire; qu'ils ont seuls le droit de faire jouer
et représenter, en tout ou en partie, ceux de ces ouvrages qui
ne sont pas tombés dans le domaine public;
» Que les auteurs , en se réservant ou en cédant le droit de
faire graver et vendre leurs ouvrages , n'ont pu céder le droit
de les faire représenter, puisqu'il était aliéné par eux au profit
des administrations théâtrales, avec lesquelles ils avaient pré-
cédemment contracté ;
» Que les éditeurs, en achetant le droit de graver et de ven-
dre des ouvrages déjà représentés, ne peuvent transmettre à
ceux qui les achèteut que l'usage permis par la loi ;
» Qu'eu vain, Masson de Puitncuf prétend qu'il ne représente
pas les ouvrages ou qu'il ne les fait exécuter qu'en partie ;
qu'un concert, érigé en spéculation permanente, ouvert aux
mêmes heures que les théâtres, ayant ses affiches, ses bureaux,
ses employés, et où le public est admis en payant , est une
entreprise placée sous la dénomination généiique de spectacles
publics ;
» Que s'emparer, sans droits, d'une partie de la chose d'au-
trui , ce n'est pas moins porter une atteinte au droit de pro-
priété;
» Que les directeurs de l'Opéra et de l'Opéra-Comique, qui
montent à grand frais à leurs risques et périls, des ouvrages
dont le succès est incertain, éprouveraient un préjudice con-
sidérable, s'il était permis à tout entrepreneur de spectacles ,
de choisir, sans aucune chance de perte, tout ou partie des
pièces favorablement accueillies , et d'en tirer profit , eu les fa -
sant exécuter en public;
» Attendu que Crosnier agit encore comme subrogé aux
droits des auteurs, suivant conventions du 27 mai 1834, enre-
gistrées le 18 juillet suivant; qu'aux termes de ces conven-
tions , les auteurs signataires se sont formellement interdit le
droit d'autoriser l'exécution de tout ou partie de leurs ouvra-
ges sur aucun théâtre de la capitale ni dans aucun concerlpu-
blic et payant, durant les cinq aunées qui suivront la pre-
mière représentation, sauf les motifs arrangés en conlredauces
ou mis eu variations ;
» Que ces conventions sont d'ailleurs conformes aux réglc-
mens pris par l'autorité administrative le a5 avril 1807 ;
« En ce qui louche la demande en dommages et intérêts;
» Attendu que Crosnier et Véron ont toléré pendant long-
temps l'exécution des œuvres musicales qui fait l'objet du pro-
cès : qu'ils ne peuvent ainsi imputer qu'à eux-mêmes le tort
qu'ils ont pu éprouver;
« Par tous ces motifs,
» Fait défense à Masson dePuitneuf d'exéculerou faire exécu-
ter à l'avenir, dans ses concerts publics , tout ou partie des ou-
vrages dépendant des répertoires des théâtres de l'Opéra et
de l'Opéra-Comique, dont la première représentation ne re-
monte pas à cinq années de ce jour ; sinon et faute par lui de
se soumettre au présent jugement , le condamne par toutes les
voies de droit , et même par corps, à payer aux demandeurs la
somme de 200 fr. par chacune des contraventions qui seraient
commises et régulièrement constatées ;
274
GAZETTE MUSICALE
« Déclare Véron , Crosnieret Cerflierr non reccablcs clans
leurs demandes en dommages et intérêts; ordonne l'exécution
provisoire nonobstant appel, à la charge par Crosnier et Véron
de fournir caution, que le Tribunal fixe à 3o,ooo fr. ; con-
damne Masson de Puitneuf en tous les dépens.
Sans nous engager iei dans l'examen et la critique détaillée
des motifs de ce jugement, dont appel sera probablement in-
terjeté, nous nous permettrons seulement de dire qu'il nous
semble basé sur une perpétuelle confusion du droit de repré-
senter des ouvrages dramatiques, et du droit d'exécuter quel-
ques morceaux de musique dépendans de ces ouvrages.
De cette confusion , si elle était consacrée , naîtrait une ques-
tion nouvelle et fort importante, laquelle s'agiterait entre les
compositeurs et les éditeurs de musique. En effet, la propriété
de ces derniers, propriété acquise et exploitée à grands frais, ne
se trouverait-elle pas singulièrement restreinte, si les directeurs
de spectacle pouvaient l'entraver cl la frapper d'interdit? Em-
pêcher l'exécution de l'ouverture , ou d'un morceau quelcon-
que d'un opéra, n'est-ce pas en empêcher jusqu'à un certain
point la vente? Croit-on, par exemple, que le galop de Gus-
tave eut joui d'une vogue si populaire , et par conséquent d'un
si grand débit, si tous les orchestres de Paris n'en eussent si
souvent fait retentir les airs ?
Nous appelons l'attention sur celte considération , qui, dans
l'intérêt même de l'art et des artistes, ne doit pas être né-
gligée.
Revue Critique.
Douze Libuetti, par F. L. Berlhé.
La première question que beaucoup de lecteurs ne manque-
ront pas d'adresser à l'auteur de ces deux volumes est celle-ci:
« Pourquoi n'avez-vous pas fait lire, recevoir, mettre en mu-
sique et représenter vos librelti, au lieu de les publier ainsi
tout nus? » Pourquoi? répondra l'auteur; et mou Dieu vous
ignorez donc qu'il faut être connu pour pouvoir se faire con-
naître au théâtre; vous ne savez donc pas que les directeurs
nient qu'il faille faire un premier ouvrage avant que d'arriver
au second, et qu'ils n'admettent pas de commencement à la
carrière de l'écrivain dramatique , soit poète, soit musicien. »
Supposons un compositeur inconnu qui, poussé par une mal-
heureuse fantaisie , aurait écrit un grand opéra ; il voudra le
faire lire. « Qu'a-t-il fait? demande le directeur. — Rien, il
commence. — En ce cas , qu'il aille àl'Opéra-Comique. » Notre
homme se présente au second théâtre lyrique. « Qu'a-t-il fait ?
demande le directeur. — Il a fait un ouvrage qu'il vous ap-
porte. — Mais, auparavant, a-t-il été joué sur quelque théâtre?
— Non , il commence. — En ce cas, qu'il aille au Vaudeville.»
Le malheureux descend encore. Arrivé au Vaudeville avec son
manuscrit : « Qu'a-t-il fait? demande le directeur. — Rien , il
commence. — En ce cas, je n'en veux pas; que ne fait-il des
romances pour montrer un peu comment il écrit. » Le pauvre
auteur fait des romances; il arrive plein d'une trop juste mé-
fiance chez un éditeur de musique.» Qu'avez-vous fait? lui
jette encore à la léte celui-ci. — Fiien , je commence; et, pu-
bliées par vous, je pense que ces romances pourraient me
faire connaître rapidement. — Monsieur, je ne puis me char-
ger de l'édition des œuvres d'un auteur absolument inconnu ;
faites des contredanses , vous pourrez peut-être avec quelques
protections les fiire exécuter aux Cham; s-Elysées. » Heureu-
sement pour M. Berthé, les contre-danses n'ont pas de parole--;
il aura en conséquence évité cette dernièie humiliation. Quoi
qu'il en soit, des dégoûts de la nature de ceux que je -viens
d'indiquer auront sans doute obligé l'auteur des douze librelti
à les faire imoiimei'; s'exposant ainsi à voir quelque homme
en réputation sans idées profiter des idées de l'homme sans
réputation.
La manière dont M. Berthé envisage son sujet est, à notre
avis, la véritable et la seule bonne. Il reconnaît avec toute
l'Europe musicale qu'un libretto n'est pas et ne peut même
pas être un ouvrage littéraire, et que celui qui vent travailler
pour la si eue lyrique doit d'abord prendre pour devise : lotit
pour la musique. Aussi, plusieurs des nouveaux librelti qui ,
malgré les modestes prétentions de l'auteur , ne sont point dé-
pourvusd'un mérite dramatique qui en rend la lecture atta-
chante, nous ont-ils paru admirablement disposés pour le
compositeur. Imogine est celui que nous sommes portés à citer
de préférence ; le choix du sujet, tiré du fameux roman de
Lewis (Le Moine), le sombre intérêt qui s'attache au principal
personnage , ces superstitions du moyen-âge si pleines d'une
sauvage poésie, la manière dont les chœurs sont jetés dans
l'action, et, enfin, la belle scène du repas nuptial, font de cet
ouvrage une bonne fortune pour le compositeur.'Eu outre,
notre attention a été spécialement attirée par Imagine parce
que nous savions que l'auteur du ballet de Proserpitie et de
tant d'autres productions remarquables, M. Schneilzhoeffer ,
avait déjà écrit la musique des deux premiers actes. La partition
de la Tempête, qu'il termine en ce moment, l'a détourné
quelque temps d'une oeuvre si bien en harmonie avec la nature
de son talent. Espérons queM. Schneilzhoeffer s'empressera de
terminer Imogine, et que , rendant à l'auteur toute jns'ice , le
directeur de l'Opéra se décidera à la monter.
Messe solennelle à trois voix (chœurs ad libitum), a
grand orchestre ou accompagnement de piano ou or-
gue, par A. de Garaude. Prix : -13 f. la partition de
piano.
L'élat où se trouve aujourd'hui en France la musique n li-
gieuse, est des plus déplorables. Naguère encore, nous avions
des écoles destinées à l'étude de cette branche si importante de-
là musique; nous avions des temples consacrés pour en perpé-
tuer la splendeur ; aujourd'hui , temples et écoles sont déserts
oufermés. Lamusique est bannie des églises, au moins decelles
du chef de l'état , et cela , non pas parce que , comme le faisait
jadis le pape Marcellus , on l'a jugée indigne de la majesté des
lieux saints , mais bien parce qu'on l'a considérée comme ne
valant pas le vil métal qu'elle aurait coûté. Le dernier appui
de cet art sublime n'est plus ; Choron vient de mourir, infati-
gable dans les efforts qu'il s'était imposés pour mener à bien
sa sainte entreprise, et, maintenant, rien n'est plus rare que de
rencontrer dans les riches magasins de musique des composi-
tions qui, comme celle que nous annonçons, soient destinées
| à honorer le Créateur. Tandis qu'en Angleterre, bien qu'ace i-
blés sous le poids des affaires les plus épineuses, soit de lin-
térieur, soit de l'extérieur , le roi et les grands du royaume ne
dédaignent nullement de présider des fêtes musicales qui du-
rent des journées entières; tandis que le peuple anglais , ce
même peuple qu'on est si disposé à représenter comme totale-
ment dépourvu de tout sentiment de l'art, se précipite en foule
sous le majestueux portique de Westminster pour écouter avec
ferveur et recueillement les saintes hymnes qui lui ont été lé-
guées par les bardes pieux des siècles passés; taudis que, dans
les églises de la Suisse et de toute l'Allemagne . des hymnes
pures et harmonieuses retentissent répétées par <Jes milliers de
voix à l'occasion de ces fêtes si solennelles où des fou'cs in-
nombrables d'artistes cl d'amateurs se réunissent à l'envi les
uns des antres pour exécuter dignement les chefs-d'œuvre de
toutes les époques ; tandis qu'enfin , dans ces divers pays , des
chants de prière et de reconnaissance éclatent malin et soir sur
les bines des écoles... notre peuple à nous, le peuple français
sait à peine maintenant ee que sont le chant et la musique, et
ne peut plus être flatté que par le frivole caqueta ge et les chants
papillotes de nos modernes opéras! Et qu'on ne vienne pas
('ire .-Nous ne sommes pas , nous'ne deviendrons jamais musi-
ciens ! Ce ne serait qu'une misérable et calomnieuse excuse.
Donnez, vous grands personnages qui dirigez les rênes de l'é-
tat, donnez seulement la musique à votre peuple, et vous ne
tarderez pas à vous convaincre que ce peuple n'est pas seu'e-
ment passionné pour l'honneur et la liberté, mais qu'il est en
même temps impressionnable à lanvgique influence des beaux-
arts. Au reste , que peuvent faire nos paroles el nos vœux? Qui
voudra écouler les unes et exaucer les autres? Retournons
donc à l'œuvre qui nous occupe. Ce n'est pas sans être animés
d'un vif sentiment d'attente favorable que nous en avons entre-
pris l'examen ; car il y a long-temps que M. de Garaudé nous
est connu comme excellent professeur el en même temps comme
praticien habile. Nos espérances ont cependant été dépassées.
Dans tout le cours de sou ouvrage, M. Garaudé a prouvé qu'il
est un de ces compositeurs qui ne se contentent pas de connaî-
tre les secrets les plus cacliés de leur art, mais qui en même
temps unissent l'originalité à lagiâce et à la profondeur de
l'expression; aussi a-t-il su imprimer à son œuvre un cachet
si nob'e et si religieux que nous n'hésitons pas à recommander
vivement auprès de toutes les églises où l'on s'occupe encore
de musique, cette messe quiesttrès-courte et facile d'exécution.
Une seule chose, il faut le dire , nous a choqués dans cette pro-
duction . c'esL la prosodie vicieuse d'un grand nombre de mots
Indus; c'est ainsi que nous trouvons : Laudamus propter ma-
gnum qui st'des, etc., etc., ce sont là toutes fautes impardon-
nables. En supposant qu'il soit permis de chanter en français
sans s'embarrasser de cette soi te de difficulté, la langue latine
est plus exigeante, cl demande au moins qu'on ait égard à la
quantité dans les mots qu'on emploie.
Puisse M. Garaudé nous gratifier encore souvent de produc-
tions aussi distinguées que celle-ci !
être un peu lourde et embarrassée. Parmi l'es "varia lions, nous
citerons spécialement la seconde et la quatrième qui se distin-
guent par une certaine nouveauté de formes; cl nous ajoute-
rons que l'ouvrage dans son entier prouve un compositeur ha-
bile el travaillant avec autant de soin que d'amour de son art.
En général , cette fantaisie ne présente pas de grandes diffi-
cultés, et, bien exécutée, elle doit produire un très-bel effet.
Fantaisie et variations pour le piano , par Fr. Kalk-
brenner. Op. -125. Prix : 7 fr. 50 c.
Cet opuscule est une des plus jolies productions qui soient
sorties de la plume de M. Kalkbrenner depuis quelque temps.
Rien que composé dans la forme aujourd'hui si usée de
l'air varié , il se recommande cependant par quelques particu-
larités intéressantes. L'introduction prépare fort convenable-
ment l'auditeur au thème de la Sicilienne de Bellini , motif
empreint d'un sentiment profond , mais dont l'allure est peut-
Tr.ois valses sentimentales pour le piano, par Charles
Keller. Prix : 5 fr.
Quoique très-convenables à la danse et présentant souvent
des effets aussi neufs qu'inléressans sous le rapport de l'har-
monie comm: sous celui delà mélodie, ces valses n'en sont
pas moins à notre avis un peu trop difficiles , un peu trop em-
preintes d'une certaine recherche; nous pourrions même dire
un peu trop précieuses. Nous croyons, par exemple, pouvoir
reprocher de la recherche au compositeur, lorsque clans le nu-
méro I , à la neuvième mesure , au lieu de reprendre tout natu-
lellement sa pensée principale, il préfère se perdre dans une
figure qui n'est ici nullement à sa place, qui est entièrement
étrangère, et dont l'effet n'est rien moins qu'agréable. La fin
du même numéro eslaussi maniérée et n'est pas d'un effet plus
heureux. Dans le n° i , le sol naturel , qui se trouve dans la se-
conde el la troisième mesure de la basse , serait plus convena-
blement représenté par.un_/« double dièze. Le n° trois est celui
qui nous satisfait le mieux. Il est exempt des défauts que nous
venons designa'cr, cl se recommande par une grande fraîcheur
aussi bien que par des idées neuves et agréables. Nous désirons
voir M. Relier consacrer sa muse à des sujets plus élevés, et
nous sommes assurés que s'il prend ce parti, il ne pourra
m nquer de faire preuve d'un talent très-distingué.
NOUVELLES.
j,*+ On nous mande de Boulogne-sur- Mer que mademoi-
selle Blahelka , pianiste d'un grand mérite , y a donné le 6 de
ce mois un concert qui a réuni tout ce que cette ville, où se trou-
vent beaucoup de familles anglaises, renferme de beau monde
et d'amateurs de la bonne musique. Le choix des morceaux n'a
rien laissé à désirer, et le public a fréquemment exprimé la sa-
tisfaction que lui faisait éprouver le talent des artistes. La béné-
ficiaire , surtout, a enlevé tous les suffrages par la précision et
la brillante facilité avec laquelle elle a exécuté les variations
composées par Mavseder sur un thème de la Sémiramide et
un nouveau morceau île sa composition : Ilecolleclion of En-
gland , morceau quia élé vivement applaudi par les connais-
seurs. Parmi les autres rxérulans, on cite avec beaucoup d'é-
loge MM. Poignet, GodeÉroid, Chardard et [Vivien , qui ont
donné dans ce concert de nouvelles preuves du talent distingué
qu'on leur connaît.
* Les concours du Conservatoire de musique de Bruxelles
ont élé fort satisfaisons en égard au peu de temps qui s'est
écoulé cfepnïs la restauration de cet établissement par les
soins de M. Fétis. Le jury, présidé par M. Fétis , ne s'est pas
montré prodigne de couronnes, et n'a décerné que les récom-
penses qui luiront paru rigoureusement méritées. Dans la plu-
part des classes, il n'y a point eu de premier prix, et les se-
conds prix décernés n'ont point été partagés entre plusieurs
élèves.
On écrit de Marseille :
* Due troupe de jeunes acteurs el actrices, sous le nom de-
gymnase dramatique, attire la foule à notre grand théâtre, et
fait des recettes qui souvent dépassent mille ècus; recette qui,
depuis long-temps, nVt.i: réservée qu'à Robert-U -Diable .
GAZETTE MUSICALE DE l'ARIS.
chef-d'œuvrcde Meycr-Beer.Parmi lesjeunes talons il se trouve
aussi un pianiste, qui a joué hier un rondo sur la Sicilienne
de Robert le-Diable, par Kalkbrcnner ; il a produit beoucoup
d'effet malgré une exécution plus que médiocre. Nous croyons
que le piano à queue dont il s'est servi, et qui sort de la fabri-
que de M. Boisselot, de notre ville, était pour beaucoup diius
ce succès. Des basses vigoureuses, un médium d'une grande
beauté, et les deux dernières octaves d'en haut d'un brillant et
d'une justesse rares, ont excité de l'enthousiasme. Marseille est
dans ce moment la seule ville de province qui puisse se flatter
de posséder un facteur de pianos dont les inslrumens peuvent
se mettre en ligne avec les meilleurs pianos sortis des ateliers
des premières maisons de Paris. Nous avons appris a\cc satis-
faction que les instruirions de ce fabricant ont eu une mention
honorable à l'exposition de Paris. S'il continue ainsi à perfec-
tionner ses travaux, une médaille d'or ne lui manquera pas à
la prochaine exposition, et il l'aura méritée.
,,,% Il paraît que madame Amélia Masi veut rompre l'enga-
gement qu'elle avait contracté avec l'administration de l'Opéra-
Çomique, qui, dit on , n'en remplit pas les clauses, d'abord ,
quant aux opéras traduits, it, en second lieu, quant aux rôles
spécialement écrits pour cette cantatrice. Les i raductions éprou-
vent diverses entraves, et aucun rôle n'a encore été écrit pour
madame Masi.
t*+ Une observation curieuse vient d'être faite par M. le doc-
teur Brofferio ; il s'agit d'un effet extraordinaire produit par
la musique sur une femme âgée de 28 ans , née et élevée dans
un petit village du Piémont, mariée depuis sept ans, n'ayant
jamais eu d'enfans, d'un teint fleuri, d'une constitution ro-
buste, et qui eu octobre dernier fut au bal de la fêle locale de
son village. L'orchestre était choisi et bruyant ; c'était la pre-
mière fo.s de sa vie qu'elle l'entendait. Par extraordinaire,
cette tète dura trois jours ainsi que le bal, et cette femme y
dansa constamment a"c.c un sorte d'enthousiasme ; jamais elle
n'avait entendu une musique aussi bruyante , ni dansé avec au-
tant de plaisir.
Après la fêle, elle continua à entendre le son delà musique,
cpii l'avait émue et séduite : soit qu'elle mangeât , marchât , ou
qu'elle se couchât, ce son mélodieux étant tellement dans sa
tète, qu'elle ne pouvait pas même dormir. Les morceaux qui
avaient été joués étaient des mouferines ; et, comme il y eu
avait eu beaucoup , chacune d'elles passait à son tour dans sa
tète, telle qu'elle avait été jouée, et faisaient ainsi place à Ja
suivante, etc.
L'insomnie qui accompagnait cet état commença par troubler
les digistions, ainsi que toutes les autres fonctions vitales. Des
empiriques et plusieurs médecins instruits ayant été appelés,
aucune médication ne put faire cesser les sons qu'elle entendait.
Enfin, plus le trouble des fonctions digestives, la faiblesse et
les sueurs nocturnes augmentaient, plus les sons musicaux !
croissaient eu intensité dans sa tête. Le docteur Brofferio, ap- ]
pelé trois fois en consultations, trouva toujours le pouls vif,
ii régulier et intermittent , comme on l'observe lors d'une épou- j
vante subite. Réduite à une consomption nerveuse extrême, elle \
mourut au bout de six mois , sans que , pendant tout ce temps, '
elle ait cessé une minute d'entendre ces sons qui de\enaint
très-pénibles à mesure que son état empirait.
Pour amuser la société, le premier violon s'élant permis
plusieurs lazzis désharmoniques, ces sons se répétaient égale-
ment dans la tête de la malade, et plus sa maladie s'aggravait ,
plus ses discordances se répétaient ; cela vint au point , que,
tenant sa tête entre ses mains , elle s'écriait : Ah ! qu'elle voix
fausse!
On conçoit aisément qu'une puissance quia si fortement agi \
sur l'organe auditif, et qui a produit un effet si extraordinaire
sur le sengorium commune , ait pu déterminer en lui un mou-
vement de répétition semblable aux expressions long-temps
soutenues ; mais ce qui est inconcevable, c'est que celte im-
pression au lieu de diminuer ait toujours été en augmentant au
point de produire une consomption nerveuse que nous ne
croyons pas avoir encore été observée.
+*t La réouverture du Théâtre-Italien se présente sous les
auspices les plus favorables, les artistes engagés jusqu'à présent
nous promettent une saison brillante, ce sout : MM. Rubini,
Tamburini, Lablache , Ivanoff, Santini : et mesdames Julie
GrisijJFink Loor et Schullz. Outre ces noms l'on nous fait espérer
trois ouvrages nouveaux expressément composés par MM. Bel-
lini, Donizetti et Gabassi, pour Paris. L'orchestre doit êtie di-
rigé par M. Parisini, direttore de l'orchestre du théâtre de la
Pei-gole, à Florence.
t*ç Un singulier cas de somnambulisme se présente eu ce
moment à New-Yorck. Un jeune homme de dix-neuf ans , ap-
partenant à une estimante famille de commerçans , manifestait
depuis long-temps des dispositions prononcées pour la musi-
que ; il s'avisa de prendre quelques leçons de violon à l'insu de
sesparens, qui n'avaient pas jugé à propos de favoriser sou
goût. Mais son secret ne tarda pas à être découvert par l'inci-
dent le plus étrange.
Depuis plusieurs semaines on entendait, au milieu de la nuit ,
les sons d'un instrument h cordes qui partaient de la chambre
habitée par le jeune homme. Après quelquesjours d'hésitation ,
on pénétra dans cette appartement et l'on vit le virtuose se
piomener en chemise dans sa chambre , tenant l'archet d'une
main et le violon de l'autre. On acquit la conviction qu'il
venait de se réveiller par le bruit qu'on avait fait à sa porte.
Sa confusion et le désordre du lit ne laissèrent aucun doute à
cet égard.
Les païens consultèrent un célèbre médecin sur cette mala-
die. Celui-ci demanda une plume et de l'encre et prescrivit le
traitement suivant :
Faites- lui prendre toits les jours des leçons de musique.
On espère que la famille sera assez sage pour suivre celte or-
donnance,
Musique nouvelle ,
Publiée par Rirbault.
A. Fessr et 31. Singer. Fantaisie brillante et concertante pour
piano et violon. 7 fr. 5o c.
Ganz (Maurice). Op. '16. Fantaisie pour le violoncelle. 10 fr.
Publiée par Hri soi mer.
JJ'ngner (Charles). Op. 1. Grand trio pour piano, violon et
violoncelle. 12fr.
Publiée par Delabanle.
Ililler (Ferd.). Op. 14. Trois caprices ponr le piano. CI]. 5 fr.
— Op. 15. Six suites d'études pour le piano. 21 f.
Publie par Paeeiui.
Reuehel (J.). Op. 14. Choix de valses allemandes pour piano.
4 fr, 5o c.
— Op. 1 I. Six airs de la Dame du Lac, arrangés
pour la clarinette, avec accomp. de violon et basse ou de
piano. 6 fr. et 5 fr.
Sowinski. Op. 34- Fantaisie pour le piano sur la cavatinç de
Pacini , chaulée dans la Slraniera et précédée d'une mélo-
die polonaise. 7 fr. 5o c.
Cbcz l'auteur.
Sowinski. Album lyrique. Mélodies polonaises, contenant dix
morceaux de différons caractères pour le chaut, avec accom-
pagnement de piano. 10 fr.
Pub'iée par Scboneuberger.
Lacout (Adolphe). Op. 2- Six valses brillantes pour piano.
5fr,
Publiée par Henri Lemuiuc.
Bertini (Henri) jeune. Op. 94. Caprice pour le piano.
Publiée par Denaiu et Delamarre.
Berlhé (F. L.). Douze Libretli , 2 volumes.
Gérant, MAURICE SCHLESINGER.
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: il'EVERAT, ruc du Cadran, 1
GAZETTE MUSICALE
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1" ANNÉE.
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PRIX DE l'aBO\'\£M.
PARIS.
DÉPART.
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£a (ftaaetie iJlusicals ï>* ijjîarts
Paraît le DIMANCHE de chaque semaine.
On s'abonne au bureau de la Gazette Musicale de PAnis, rue Richelieu, 97;
et chez tous les libraires et marchands de musique de France.
>Q reçoit les réclamations des personnes qui ont des griefs à exposer, et les avis relatifs à la
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qui ont des griefs à exposer, et le:
\cut iiilcresser le public.
PARIS, DIMANCHE 31 AOUT 1834.
Les lettres, demandes
et envois d'argent doi-
vent être affranchis, et
adresses du Directeur ,
rue Richelieu, 97.
MUSIQUE ET POÉSIE NATIONALES
DU DANEMARCK, DE LA NORWÉGE, DE LA SUEDE, ETC.
A la suite de l'essai que nous avons donné sur la mu-
sique et la poésie nationales de la Pologne et de la petite
Russie (numéros i0, "H et 14), nous avions promis
d'ouvrir sur ce même sujet les mines si fécondes de l'Al-
lemagne; nous croyons que le lecteur ne nous saura pas
mauvais gré de reculer quelque peu l'accomplissement
de cette promesse, pour lui faire parcourir certaines
contrées du nord qui ne laissent pas d'offrir un sujet in-
téressant d'étude à l'observateur.
Nous n'avons point la prétention de traiter d'une ma-
nière complète le sujet que nous avons embrassé. Com-
ment, en effet, pourrions-nous le faire? les livres d'his-
toire ne font mention de la musique que comme d'une
chose très-insignifiante; on y touche à peine en passant;
et la littérature musicale ne nous offre sur la musique
nationale qu'un vide désespérant. Si nous n'avons pu
rencontrer d'ouvrage qui s'occupe de cette spécialité,
c'est sans doute qu'il n'a paru à aucun auteur jusqu'à
présent qu'une telle matière fût aussi impoitante et
aussi riche en conséquences que nous l'avons avancé
dans nos articles sur la Pologne, et que nous espérons le
prouver plus tard par l'Allemagne, la France, l'Espa-
gne, etc. Quelques écrivains, il faut l'avouer, ont bien
parlé de musique nationale, mais en la confondant avec
la musique populaire ; encore donnent-ils souvent ce
dernier nom a la musique usée, à la musique des orgues
de Barbarie, a ce qu'on appelle la musique des rues. Il en
est donc résulté pour nous une extrême difficulté de re-
cherches, et il en naît en même temps une excuse toute
naturelle pour l'insuffisance de notre travail. Mais nous
aurons atteint notre but si nous sommes parvenus à
éveiller l'attention sur un sujet aussi digne de la fixer,
et si l'on juge que nous l'avons approfondi autant que
nous le permtttiiit le petit nombre de matériaux cu'il
nous a été possible de réunir.
On pourrait dire de la musique nationale ce que le
célèbre Herder (1) a dit de la musique populaire dans
laquelle il comprend les chants des héros et les hymnes
guerriers « qu'une petite collection de tels morceaux sur
les guerres, les héros et les exploits de chaque peuple,
accompagnés de leur musique, donnerait de la vie à
ces articles de l'histoire qui sont le principal objet des
études du philosophe.» Le chant populaire, transmis par
le père à son fils, est un héritage de la famille; le chant
national, le chant politique est l'héritage de la nation.
Parmi les chants nationaux les plus anciens qui nous
aient été conservés, nous citerons ceux des poètes Scan-
dinaves dans lesquels se trouve peint avec des couleurs
si vraies le caractère du pays et du temps, qu'ils suffi-
sent pour donner une connaissance complète des usages
et des mœurs, des sciences et de la mythologie de ce
peuple si vieux, et du siècle où il florissait. Ces poètes se
nommaient scaldcs; ils étaient, dans la Scandinavie, ce
que les bardes étaient, selon J.-J. Rousseau, dans les
Gaules : prêtres, prophètes, poètes et musiciens.
Il y a dans les poésies des scaldes un mélange de sen-
timens religieux, de passion pour la gloire, et d'amour;
leurs chants guerriers et amoureux remontent aune très-
haute antiquité et révèlent un peuple à la fois galant et
(!) Slimmen (1er Voelkcr inLicdorn.
GAZETTE MUSICALE
brave, toujours également prêt a puiser ses inspirations
dans les bauts faits d'un héros ou dans les charmes d'une
maîtresse.
Nous trouvons dans l'Edda (1), comme dans toutes
les poésies nationales Scandinaves, ce même caractère de
religion , de galanterie et de bravoure qui distingua plu-
sieurs siècles après la chevalerie des autres pays de l'Eu-
rope. Aventuriers et pirates, les héros Scandinaves, rois
delaNonvége, delà Suéde, du Danemark, étaient sur
mer ce qu'étaient les chevaliers sur terre , ne reconnais-
sant également d'autre droit que celui du plus fort. Et
de même que ceux-ci , entraînés par une pensée com-
mune, se réunirent plus tard pour combattre .les enne-
mis de leur croyance, les Sarrasins dans les croisades ,
les Maures en Espagne; ceux-là rassemblaient leurs forces
pour dévaster les côtes et porter la guerre dans le Nord
comme dans l'Orient ; c'est dans leurs chants même que
nous apprenons qu'ils croisaient tantôt sur les côtes des
Celtes, tantôt sur celles de Naples, de la Sicile et de la
Turquie. A la suite des chevaliers marchaient des trou-
badours, des ménestrels, des bardes, chargés de chanter
leurs exploits guerriers, leurs tournois, leurs combats
singuliers, leurs crimes, leurs amours et leurs belles;
les Scandinaves avaient aussi des chanteurs qui étaient
leurs compagnons, leurs historiens sur le champ de ba-
taille, leurs flatteurs dans la vie paisible du château,
conseillers non moins habiles dans les hasards de la
guerre, que rusés et adroits dans ceux de l'amour.
Quant au but et au sujet des chants Scandinaves, nous
trouvons dans un ancien ouvrage danois (1) ce rensei-
gnement précis et complet : Argumenta carniinum et
cantilenarum danicarum fuerunt plerumque bellum
regnorum et regum, duella gigantum , pugnce et prœ-
clara fortium virorum facinora, illustrium personarum
connubia, amores ,jietus \, fata ,Jormarum varice méta-
morphoses, infortunia , errata et errantium pœnœ et
supplicia ; atcpie harum cantilenarum multa hodièaue
exstant vestigia.
Mais ce n'étaient pas seulement les scaldcs qui chan-
taient les héros ; ces derniers étaient souvent scaldes
eux-mêmes ; ainsi , dans le quatrième siècle, Ossian ,
après avoir déposé sa lauce, chantait Trennor , Fingal ,
Oscar et ses propres exploits. Tel l'histoire nous montra
depuis Alfred-le-Grand, pèlerin troubadour sur le sol
ennemi; tels encore Richard -Cœur-de-Lion , poète et
compositeur; Guillaume IX, comte de Poitou, duc
d'Aquitaine, etThéobald, roi de Navarre, qui furent
les bardes les plus célèbres de leur temps , le premier
(1) Recueil de chants Scandinaves.
(1) Ileptachordum danieum , 1646.
dans le douzième siècle, le second au commencement
du treizième.
Les chants qui nous restent sur les héros de la Suède,
de la Norwége et du Danemarck, ont été presque tous
composés par eux-mêmes ; dans le nombre se trouve un
document précieux appartenant au neuvième siècle et
connu sous le nom A' Ode de Régner Lodhrog. Ce guer-
rier fameux, poète et pirate, régnait en Danemark;
après de longues courses sur les mers les plus lointaines,
conduit prisonnier en Angleterre par son ennemi Ella,
il y périt des morsures que lui firent les serpens dont on
avait rempli sa prison. Ce fut au milieu d'horribles
douleurs que le héros composa la complainte dont nous
Darlons. Elle est consacrée tout entière au souvenir de
ses grandes actions dont le récit n'est interrompu que
par la prédiction des vengeances que tireront ses fils de
son affreuse captivité, et par l'expression de la joie que
lui donne l'espoir de s'asseoir bientôt a la table d'O-
din (I); sentimens que lui arrachait sans doute la dou-
leur, au milieu de ses inspirations poétiques.
Nous ne pouvons résister au plaisir de citer quelques
fragmens de ce morceau si curieusement empreint de la
barbarie du temps où vivait Régner Lodbrog, et si re-
marquable par un mélange bizarre d'idées héroïques et
religieuses.
« L'Orient m'a vu; j'y préparais une proie sanglante aux
loups dévoraus.
h Je me suis battu à Fépée le jour de ce grand combat où
j'envoyai dans le palais d'Odin les peuples de Helsingue.
« Puis nos vaisseaux légers nous portèrent à Ifa, où le fer de
nos lances , fumant de sang ennemi , entrait clans les cui-
rasses les mieux trempées , où les buucliers se brisaient sous
les coups de nos épées.
» Je me suis battu à l'épée ce jour où , près d'un cap de l'An-
gleterre , j'ai vu dix mille de mes ennemis couebés sur la
poussière ; de nos glaives tombait une rosée de sang ; volupté
aussi douce pour moi que si mes bras avaient serré le corps
céleste d'une belle femme!
w Je me suis battu à l'épée ce jour où la puissance de mon
bras fit naître le dernier crépuscule pour ce jeune homme si
fier de sa belle chevelure.
» Quelle est la destinée d'un brave, si ce n'est de tomber l'un
des premiers au milieu d'une grêle de flèches? il traîne une
existence ennuyeuse , celui que n'a jamais blessé le fer en-
nemi ; le lâche ne sait pas faire usage de son cœur
» Prompt et hardi dans le combat doit être celui qui aspire à
se faire aimer de sa maîtresse
» Je me suis battu à l'épée.... mais j'éprouve aujourd'hui
qu'un destin inexorable pèse sur la vie de l'homme. Dcvais-
je croire ciu'il serait réservé à Ella de mettre fin à une aussi
belle carrière, lorsque , demi-mort , je faisais couler encore
des flots de sang.
» Je me suis battu à l'épée mais mon cœur tressaille de
(f) Dieu des Scandinaves.
DE PAiiiS.
« joie ; car, dans le palais d'Odin , se préparc un feslin pour
u nie recevoir; assis bientôt dans sa splendide demeure, j'y
» boirai de la bière avec lui dans le ciâne de nos ennemis.
» Le brave ne redoute point !a mort. Des paroles d'effroi ne
» sortiront point de ma bouche , en me présentant au banquet
.. d'Odin.
» Je me suis battu à l'épée Ah! si mes fils savaient à
u quelles tortures on m'a livré , qu'ils souhaiteraient avec ar-
n deur de voler à de satiglans combats! La mère que je leur ai
» donnée , leur a fait des cœurs de braves ^1 ).
>i Je me suis battu dans cinquante-un combats ; je n'ai pu
» rencontrer un roi plus vaillant que moi mais il est temps
« que je finisse; Odin m'envoie ses déesses pour m'introduirc
» dans son palais ; je vais, assis à une place d'honneur, boire
u de la bière avec les dieux. Les heures de ma vie sont écou-
« lées;je meurs en riant. »
La musique de cette ode , comme celle de presque
toutes les chansons Scandinaves anciennes, est empreinte
d'un caractère qui rappelle le plain-chant grégorien ; elle
respire une élévation d'âme mêlée d'une sombre teinte
de tristesse; elle a en même temps de l'expression, de
la profondeur et de la grâce. On l'a publiée a Bruns-
wick dans un recueil de chants populaires, fait avec
goût et talent, et qui porte le titre de bardale (2).
Au milieu du onzième siècle vivait en Norwége He-
rald le vaillant, un des plus illustres de ces aventuriers,
qui croisa sur les mers du nord, sur la Méditerranée et
sur les côtes d'Afrique. Fait prisonnier et retenu quel-
que temps esclave a Constanlinople, il composa, comme
Régner Lodbrog, une ode dans laquelle il chante sa
gloire et ses combats; mais il s'y plaint que sa vaillance
et sa supériorité sur les autres guerriers n'aient pu tou-
cher le cœur d'Elissif, filie de Jarislas, roi de Russie.
Mallet , dans l'ouvrage que nous avons cité, nous
donne, page \o6\, une traduction de cette ode dont les
passages suivans nous ont surtout paru remarquables :
« Mes navires ont fait le tour de la Sicile- nous étions alors
« biillans et magnifiques... cependant une fille de Russie me
u méprise !
» Dans ma jeunesse, je me suis battu avec les peuples de
» Dronlheim. Ce fut un terrible combat: je laissai leur jeune
u roi mort sur le champ de bataille... Cependant une jeune
« fille de Russie me méprise!
a Je sais faire huit exercices; je combats vaillamment ; je
» me tiens fermement à cheval ; je suis accoutumé à nager;
» je sais courir en patins; je lance le javelot; je m'entends à
« ramer... Cependant une jeune fille de Russie me méprise!
(i) Le vœu de Lodbrog fut exaucé ; ses fils le vengèrent.
(2) Celte ode de Lodbrog, encore chantée en Islande, se
trouve dans la Litteratura musica lTrormii; elle a été traduite
en français par Mallet dans ses Monumens de la mythologie
et tle la poésie des Celles, p. 150; chacune des vingt-cinq
strophes qu'elle contient commence par ces mots : hiuggo ver
men hiotvi.
u Peut-elle nier, cette jeune fille , que le jour où, posté près
« de la ville, dans le pajs du midi , je livrai un combat, je
» me suis servi courageusement de mes armes?... Cependant
u une jeune file de Russie me méprise !
11 Je suis né dans le brave pays de Norwége, là où les habi-
» tans manient si bien les arcs; mais j'ai préféré conduire
» mes vaisseaux , l'effroi des paysans , parmi les écueils de la
« mer, et loin du séjour des hommes... Cependant une jeune
» fille de Russie me méprise ! »
Les scaldes qui chantaient non seulement les exploits
des guerriers, mais encore la mythologie Scandinave,
furent chassés plus tard par les moines; ainsi se perdit
l'ancienne poésie.
De même qu'il existait peu de différence dans les
mœurs et les usages de la Suède et du Danemark, les
chants de ces deux pays sont marqués du même cachet ;
étudier les uns , c'est prendre une idée presque complète
des autres. Nous citerons, sur les chants danois (I), un
ouvrage danois qui comprend, en trois parties , les ro-
mances, les ballades et les poésies historiques du moyen
âge. Parmi ces derniètes, qui sont surtout du domaine
de notre sujet, il en est une dont la mélodie ne manque
ni de feu, ni d'un élan tout particulier; elle commence
ainsi :
Damark deilig vang'o.; Tange
Lukt med Bolgen blaa.
Dans l' Essai sur la musique , de M. de la Borde,
nous trouvons (tome 2, p. 598) une traduction de ce
chant, par M. Jacobi , secrétaire delà Société ro\ aie
des Sciences de Copenhague, qui dit n'avoir pu réussir
a s'en procurer la musique. Pour celle-ci, nous ren-
voyons le lecteur a la collection dont nous avons parlé ;
quant à la traduction de M. Jacobi, nous citerons ce
commencement :
« O Danemark! pays agréable de champs et de prairies, en-
« touré par les flots azurés ; pays dont la jeunesse robuste est
» toujours prête aux combats contre les Germains, les Slavons,
u les Vandales, et partout où la gloire l'appelle! etc.
On nous dit que les Suédois, en guerre avec la Po-
logne, dans le quinzième siècle, avaient pris la coutume
de chanter avant de marcher a l'ennemi, coutume qui
était, selon Busby (1), commune à tous les peuples
guerriers. Le privilège d'entonner le chant de combat
appartenait, dit cet auteur, au barde qui l'avait com-
posé
Pendant la guerre de trente ans , guerre religieuse ;
Gustave Adolphe, chaque matin et chaque soir, a'inu
qu'au moment de la bataille, inspirait son armée en
(1) Udvalgtc D.imke viser fra middcl-alderen , Udgivc al
ryerup og Rohbek, 1814, Kjobenhavri.
(2) General hislorv of musica.
2S0
GAZETTE MUSICALE
chantant avec elle des plain-chants qui sont encore au-
jourd'hui chantés dans les églises protestantes de l'Alle-
magne.
Le motif principal de la pénurie de documens dans
laquelle nous laisse la littérature musicale sur les pays
du Nord , est plutôt , nous le soupçonnons , le manque
d'écrivains connaisseurs et amateurs, que le manque de
chants dans ces pays ; c'est vers le midi, dans l'Italie et
dans l'Espagne, que se portent les voyageurs; la Nor-
wége, la Finlande, la Laponie, ne sont visitées que par
des commerçans. Dans ces contrées où la nature trop
avare refuse aux habitans même les premières nécessi-
tés de l'homme, la vie politique est moins active, moins
féconde en événemens que sous les climats méridionaux;
aussi provoque-t-elle moins au patriotisme, aux actions
héroïques, et n'appelle-t-elle point le secours de la mu-
sique et de la poésie pour éveiller dans le cœur de
l'homme les grands sentimens de dévouement et de bra-
voure. Mais la vie privée y est d'autant plus riche en
faits que la nature y a entouré de hasards et de dangers
le cours ordinaire de l'existence. Plus uniforme que le
midi , le nord n'en offre pas moins des beautés pittores-
ques. Ses mois entiers de nuits sans jours , éclairées par
l'aurore boréale, ne donnent pas peu d'aliment à l'ima-
gination; ses soleils multiples paraissant a la fois au-
dessus de l'horizon, même à minuit, et d'autres jeux
de la nature produits par la mer glaciale, sont autant de
beautés qui vous forcent à l'admiration.
Il ne nous faudrait que ciler quelques chansons po-
pulaires des Lapons et des Finlandais pour donner de
la vie de ces peuples une idée plus claire et plus com-
plète que ne le pourraient faire de longues relations de
voyages.
A défaut de chants nationaux , nous croyons que le
lecteur ne verra pas ici sans intérêt quelques mots sur
leurs chansons populaires ; nous sommes d'autant plus
portés a en parler que nous ne pensons pas revenir sur
ce sujet dans cette feuille.
Les Lapons se divisent en deux classes principales ,
le montagnard et l'habitant des côtes ; le premier est no-
made par nature et par nécessité ; il se livre à la direc-
tion de ses rennes, qui, en cherchant sous la neige leur
nourriture (la mousse des rennes), suivent librement la
route qui leur convient, fixant ainsi la marche et même
!e destin de leur maître. Son troupeau se compose de
deux ou trois cents de ces animaux ; s'il arrive que la
maladie le réduise à cinquante, alors il devient insuffi-
sant pour nourrir le Lapon qui le donne en garde à
quelque autre dont il se fait le serviteur; ou bien il
entre dans la classe des Lapons de la côte ; il devient
pêcheur. Là, ses habitudes changent; a cette patience
qu'il possédait a un si haut degré dans les souffrances
delà vie nomade, succède une étonnante intrépidité
qui lui fait braver tous les dangers de l'Océan. Mais on
prétend qu'il reste gravé dans son cœur un souvenir
ineffaçable de ses montagnes , et que tous ses désirs,
toutes ses pensées, tous ses travaux n'ont d'autre but
que de lui donner les moyens d'y retourner.
Quelques voyageurs font beaucoup de cas du talent
poétique et du talent musical des Lapons. Conselt ,
voyageur anglais que conduisit à Tornéele désir de voir
le soleil au-dessus de l'horizon, a minuit, a recueilli
plusieurs chants lapons qui font honneur au goût de ce
peuple dont pourtant la nature a seule formé le talent.
Si l'on en croit Arthur de Capell Brooke, le chant
des Lapons est au contraire insignifiant comme leur
danse. Habillé de peaux de rennes depuis la tête jus-
qu'aux pieds, le Lapon croit danser en levant alterna-
tivement chaque pied et le laissant retomber à la même
place. Ce voyageur assure avoir entendu des chansons
laponnes qui ne contenaient que ces mots : l-es loups,
les loups. Quelque pauvre que soit un tel poème, on le
conçoit pourtant dans la bouche d'un conducteur de
rennes dont toute la richesse, toute l'existence est inhé-
rente à son troupeau et qui pour cela même est néces-
sairement obligé de faire aux loups une guerre conti-
nuelle. Arthur de Capell, qui fait partie du petit
nombre d'écrivains dont l'attention s'est poitée sur la
capacité musicale d'un peuple, dit, dans son ouvrage
intitulé : un Hiver en Laponie et en Suède j que c'est
par confusion des Lapons avec les Finlandais que l'on
fait tant d'éloges des premiers sous-le rapport de la mu-
sique et de la poésie.
Sheffer en donne une idée très-avantageuse quand, a
propos de la chanson finlandaise : le Voyage vers la
bien aimée , il dit dans son ouvrage : Laponia ,
p. 282 :
« Interea subindb visitât amans amicani suani , ad quant
» dum lendit, canlione amaloriâ se oblectat , viœque failli
» tœdium. Soient enim uti plerumque canlionibus ejusmodi ,
» non dira quamdam modulationem, sed quant quisque
» putat optimam, nec eodem modo , sed alio et alio , prout
» inter ijtsum canendunt cuique jucundissimum videtur. »
« Ainsi l'amante -visite son amant, et pendant qu'il court
» -vers elle, il se distrait et cliarme l'ennui de son voyage par
» une chanson amoureuse. Le plus souvent leurs chansons ne
h sont point soumises à une mesure, à une modulation de telle
» ou telle sorte; chacun chante ce qui lui paraît le mieux, non
» d'une manière uniforme, mais en variant , selon le mode
n qu'il juge inlérieuremeut devoir être le plus agréable. i>
Nous avons sous les yeux une traduction de la chan-
DE PARIS.
son que nous venons de citer; mais elle donnerait une
bien faible idée de cette œuvre qui peint avec des cou-
leurs si vraies la nature et la vie du peuple lapon ; nous
préférons reproduire ici le résumé qu'en fait en peu de
mots Herder (1).
« Oh! que de naïveté, de naturel, de désir dans ce qu'é-
» prouve le jeune Lapon qui se plaint de la longueur du che-
» min ; qui invoque tout ce qui s'offre à ses regards sur la
)> route, le soleil , les arbres, les nuages, les oiseaux; qui im-
» plore leur secours pour l'aider à arriver promptement au
» lac Orra où habite sa maîtresse ! Oh! qu'il est bien dans la
)) nature qu'il revienne sans cesse sur la lenteur de sa course,
» qu'il se plaigne d'être devancé par son âme et par sa pen-
u sée, qu'il fasse des vœux pour découvrir la route la plus
» courte et la plus rapide ! »
Nous avons également admiré la beauté et en même
temps la simplicité touchante d'une autre chanson que
donne Sheffer et dont Herder a fait la traduction. Le
Laponien, dans son traîneau, adresse de tendres exhor-
tations a son renne Kulnasatz, et l'engage a courir lé-
gèrement pour lui faire franchir les lacs; et, dans son
rapide essor, saluant chaque nouveau lac qui se présente
a traverser, il demande en palpitant a son cher Kulna-
satz, si son œil n'aperçoit pas enfin sa maîtresse.
Cette seule chanson ne suffit-elle pas pour nous pein-
dre la physionomie du pays, avec ses lacs glacés qui le
couvrent, et sur lesquels glissent rapidement et le renne,
et le guide , et le traîneau ?
On trouve encore dans Gœrner ( Dissert, de orig. et
relig. finnorum, p. 40) une autre chanson nommée,
chanson de l'ours de Finlande; mais retournons a la
poésie et à la musique nationales. Celles-ci, que l'on
chercherait en vain chez un peuple nomade , se retrou-
vent partout où le commerce a fixé un certain nombre
d'habitans réunis.
En Norvvége, l'on danse et l'on chante beaucoup.
Les danses ordinaires sont la walse, la polonaise et la
sauteuse qui ressemble a nos contredanses. Chanteurs et
danseurs sont toujours accompagnés par un violon, ins-
trument qui est habituellement possédé par un membre
au moins de chaque famille. Dans la finnmark, où le
punch est l'unique rafraîchissement des réunions , où
chacun apporte sa pipe sans laquelle il se croirait mal-
heureux et ne pourrait même trouver du plaisir à boire
son punch , où les chambres sont pleines de fumée a ne
s'y pouvoir reconnaître, le maître de la maison porte le
premier toast avec une chanson qui s'appelle Gammel
Norke: vive l'ancienne Norvvége!
Cette chanson produit sur toute la société un effet
(I) Stimmcn der Yce'.kcr in L:edern.
électrique ; chacun se lève, remplit jusqu'au bord son
vaste verre qu'il choque aussitôt contre tous les autres ;
puis les voix réunies reprennent en chœur avec un en-
thousiasme difficile a décrire. L'évèque Nordakl Bruun
de Bergen est l'auteur de la poésie et de la mélodie de
ce chant, qui tient surtout son caractère national d'une
grande simplicité jointe à une expression rare et a une
vérité admirable.
Il commence ainsi :
Boer sug paa des hoêiti , elc.
Trois couplets sont destinés à peindre les trois classes
d'habitans du pays, leur bonheur, leur supériorité sur
les autres peuples.
Dans le premier, c'est le chasseur montagnard qui
avec ses souliers de neige, court à la poursuite du renne
dont la chasse le fait vivre :
« Sur la cime des monts , dit-il, est l'asile des âmes satis-
» faites ; le bruit du monde n'arrive pas jusqu'à ma demeure
» élevée comme le ciel. »
La vie du pasteur dans ses fertiles vallées est le sujet
du second couplet :
« Là, où mon troupeau trouve sa nourriture, je me ris
» des caprices de la mode et [des renies qui font la richesse.
» De mon humble vallée , je vois combien tombent de têtes
» puissantes ; sur ma colline, je suis en sûreté, en vidant la
» coupe de l'amitié. »
Dans le troisième , c'est le pêcheur des côtes qui
parle :
o Je comble mon bateau de poissons, jusqu'à le faire couler;
» je suis heureux , riche et content. Un mets suffit sur la table
» de l'homme sobre. Il faut que le poisson nage ; je chante et
» je bois à un heureux' succès de la pêche.
Ce couplet est toujours accueilli avec enthousiasme
par des hommes qui trouvent dans la pêche leur princi-
pale branche de commerce.
Eufin, un quatrième couplet chante à la fois la mon-
tagne, la vallée et la pêche :
ci Non , la Norvvége n'est pas un désci t ; la nature nous y
» donne la gaîté. Buvons à la fortune et à la gloire de la Nor-
» wé"e; que le succès suive partout celui qui aime et noire
>. société et noire pays ! >>
Joseph Mainzer.
T3i)ATaE SOÏA1 SE L"OPERA-COIfIIÇUE.
Le Fils du Prince,
OPÉKA EN 2 ACTES.
Paroles de M. Scribe, musique de M. de Fclirc.
Ou m'a conté que M. Scribe , faligué à l'excès par une exu-
bérance de fécondité à laquelle il ne pouvait mettre un terme, ré-
GAZETTE SILSICALE
solut de s'y soustraire en fuyant ses collaborateurs, en mettant
entre eux et lui le long chemin qui sépare Paris de la Suisse ;
que le démon dramatique ne se rébutant point pour si peu ,
mont» dans la chaise de poste du fécond et spirituel auteur, si
bien qu'à peine arrivé à la frontière , au lieu de repos qu'il avait
espéré de son voyage, M. Scribe se trouve avoir enfanté sans
s'en être à peine aperçu deux vaudevilles et un opéra. Recon-
naissant alors "qu'on lutle en vain contre sa destinée , il re-
broussa chemin, et, pendant le retour, un opéra et deux vau-
devilles vinrent augmenter d'autant son fonds littéraire. Le Fils
du Prince est-il né de l'aller ou du retour, je ne le sais; tou-
jours est-il qu'il est venu au monde dans ces momens où quan-
doque bonus dormilat poeta. Puisque j'en suis aux cita-
tions ,
S'il est un conte usé, commun et rebattu, c'est bien certes
l'histoire du Fils du prince , que je vais vous conter. Le duc
Albert de Wéimar n'a pas encore atteint sa majorité , et déjà
fuyant les honneurs et les grandeurs il s'est enfui dans les bois
pour v trouver le véritable amour d'opéra comique, une ber-
bère et une chaumière. La bergère du fils du prince, c'est
Emelinc , fille d'un officier mort au champ d'honneur (style
d'opéra comique), avec laquelle il s'est marié secrètement sous
le nom du comte Adolphe son cousin, franc étourdi... d'opéra
comique. Le vieux duc, cependant, a arrêté un double mariage
entre Albert et la princesse Blanche, entre le comte Adolphe
et une certaine comtesse dont le nom m'échappe. Adolphe est
aimé de la princesse Blanche , et , comme son cousin , veut rom-
pre celte union ; il y réussit en jouant un bon tour à sen oncle :
il se fait passer pour mort. — Vous a\ez déjà de\iué le reste.
Emeline se désole el dévoile son mariage secret ; Blanche ap-
prend ainsi l'infidélité d'Adolphe; courroux du vieux duc. Puis
tout s'explique; Emeline reconnaît son mari dans le fils du
prince qui se trouve ainsi atteint et convaincu d'avoir pris un
faux nom , de s'être marié sans le consentement paternel ; nou-
veau courroux du vieux duc. Enfin cet excellent prince se res-
souvient que la scène ne se passe pas à Vienne, mais sur la
place de la Bourse; il pardonne et unit les deux amans en dé-
tournant les yeux. Au milieu de cette pièce , qui n'est , à vrai
dire , qu'un prétexte à musique , est jeté un rôle de gouverneur
ridicule assez bouffonnement joué par Féréol.
C'est toujours une bonne fortune pour un compositeur que
d'écrire sa musique, sa première musique surtout, sur un
poème signé Scribe ; aussi concevons-nous aisément que
M. de Fellrc a du s'estimer favorisé d'avoir pour ses débuts le
Fils du Prince, toute faible qu'est cette pièce. Il est juste d'a-
jouter que M. Scribe, dont levaient et l'adresse se révèlent
dans les choses de moindre importance, a su tirer quelques
situations musicales de ce fonds plus que léger.
Ce n'est pas sans quelque embarras que nous allons faire
connaître notre pensée sur la musique de M. de Feltre. Un dé-
but , et surtout un début de musicien compositeur, est une
chose difficile à juger. Il y a tant de différence entre la pre-
mière parution d'un jeune artisle et celles qu'il produit dans la
maturité de son talent ; il y a tant d'artistes qui promettent
d'abord et ne tiennent jamais ; d'autres qui commencent fai-
blement et s'élèvent si haut , qu'il est [bon d'y songer à deux
fois avant de distribuer un éloge ou un blâme absolu. Le plus
sage est de ne jamais prononcer sur l'avenir et de s'en tenir à
juger le présent. Ainsi donc, la partition du Fils du Prince
est, sans contredit , l'œuvre d'un musicien de talent; de génie,
je ne sais , nous verrons plus tard. Dans la musique de M. de
Feltre il y a , comme dans tous les débuts, une tendance évi-
dente à l'imitation de quelques maîtres, une recherche trop
palpable demojens d'effet; l'expérience peut corriger ces dé-
fauts. Dans un art , quel qu'il soit , on ne parvient à l'origina-
lité que lorsqu'on a acquis une entière confiance en ses propres
forces, mais cette confiance , les artistes ne peuvent l'acquérir
qu'en essayant des routes déjà fréquentées. Malheureusement
la plupart se prennent d'une exclusion admirative pour telle
ou telle individualité, et se Condamnent ainsi à rester toujours
plagiaires ou tout au moins vulgaires imitateurs. Il y a beau-
coup à louer 'dans la première oeuvre de M. de Feltre. En
général , il a traité son orchestre en musicien expérimenté; les
insl rumens divers y occupent habituellement leur place natu-
relle, et concourent bien chacun à l'ensemble général. Si quel-
ques passages sontun peu lourds parfois , parfois trop bruyans,
il faut l'attribuer au peu d'habitude qu'a l'artiste de faire agir
à volonté une masse aussi difficile à manier. Dans son ouver-
ture, qui n'est cependant pas un des morceaux saillans de la
partition , on aperçoit déjà les défauts en même temps que les
qualités dont nous venons de parler. Il n'est pas douteux qu'a-
près deux ou trois ouvrages joués on ne cite l'orchestre de
M. de Feltre comme l'un des mieux entendus et des mieux
conduits. Ce jeune artiste ne possède pas au même degré l'art
d'employer, de groupper, et de faire valoir les voix ; c'est par-
là, et un peu par l'invention, que pèchent les morceaux de sa
pièce. L'invention est une qualité qui ne se donne pas , mais
que le travail développe lorsque la nature en a jeté les germes
dans l'intelligence. L'art de disposer les voix , au contraire , est
une chose qui s'apprend , que tout musicien peut posséder en
faisant pour l'acquérir des efforts sérieux et rationcls.
Eu somme la musique du Fils du Prince a obtenu un succès
mérité; plusieurs morceaux ont été remarqués et vivement ap-
plaudis. Au premier acte , un duo d'une coupe assez singulière
entre madame Casimir et Jansenne. Dans ce morceau , les
solos des deux chanteurs, au lieu d'être dessinés avec régula-
rité et de se succéder avec symétrie comme dans les duos ita-
liens , sont séparés par un ensemble et n'ont entre eux aucune
ressemblance mélodique ; la phrase chantée par Jansenne , sans
être tout-à-fait neuve, est remplie d'une passion profonde et
bien sentie, la coda est moins heureuse et ne répond pas à ce
qui précède. Après ce duo, Couderc chante un air fait avec
soin , et pourtant écrit dans des cordes sourdes et peu favora-
bles; est-ce la faute du chanteur, est-ce au compositeur qu'on
doit s'en prendre? si je ne me trompe, à tous les deux un peu.
Des couplets en mouvement de valse écrits musicalement avec
infiniment d'esprit et de finesse, et chantés par Féréol, ont eu
les honneurs du bis et ceux de la soirée. II y a dans le milieu
un motif du plus gracieux effet. Il nous reste à citer un airbril-
lant auquel madame Casimir a prêté le charme de sa ravis-
sante voix , et des couplets chantés avec le mauvais timbre de
celle de Jansenne, et pourtant applaudis à triple salve, grâce
au talent remarquable de ce jeune artisle. Un trio au second
acte mérite encore d'être mentionné. Il est chanté par ma-
dame Masi , MM. Couderc et Jansenne , et renferme des parties
louables; mais il a produit peu d'effet, je crois, à cause des chan-
teurs. La voix un peu cotonneuse de madame Masi manque de
relief et la codavwace, dans le genre que les Italiens nomment
nota e parola, ne convient aucunement à ces deux messieurs.
En général, la musique de M. de Feltre. écrit avec soin eteon-
DE PARIS.
science, ne peut que gagner aux auditions suivantes. Le seul
rôle de voix grave, celui du grand duc devait être joué par
Boulard qui l'a abandonné deux jours avant la représentation.
Ces quarante-huit heures ont suffi à Henri pour s'y montrer ce
qu'il sait être toujours , très-convenable.
Le théâtre de l'Opéra -Comique possède une belle et bonne
basse taille un vrai biiffb caillante, Int-hindi, dont les débuis
ne se feront plus attendre. C'est , dit-on , la semaine prochaine
que sera représenté le Chalet , petit opéra en un acte, écrit
par Adolphe Adam pour cet habile chanteur.
Revue Critique.
variations de conceut composées pour le [liatio j avec
accompagnement fie quatuor, par Henri Bertini jeune,
6p 69; prix : 9 fr.
Nous devons commencer par avouer que nous ignorions que
l'auteur de l'ouvrage en question eût fait un aussi grand nom-
bre de compositions, et que , parmi celles-ci, nous ne connais-
sions d'importantes que deux collections d'études et uu
sextuor. Si notre jugement doit être basé sur ce soixantième
ouvrage, nous serons forcés de dire que M. Bertini se débat
un peu lourdement au milieu de vieilles formes, et que, où il
cherche à paraître gracieux, il ne parvient pas à dissimuler
une physionomie taut soit peu aigre-douce. Les variations
dont nous parlons, pèchent contre les exigences les moins sé-
vères de l'art , et si l'on veut donner aux passages qu'on y
trouve le titre de brillans , on ne saurait du moins leur ac-
corder le mérite de la nouveauté. D'ordinaire les composi-
teurs occupent alternativement ou simultanément les deux
mains.; ici, la main gauche e.sl traitée comme un enfant pour
lequel on a de l'aversion. L'auteur nous paraît surtout avoir
mal réussi dans l'adagio; on n'y trouve pas trois mesures de
chant, pas la moindre trace du thème; il ne consiste qu'en
formes vieillies, sans goût, sans suite et sans effet. Nous
sommes même tentés d'appeler curieux le crescendo qui com-
mence à la 1 I ° page et conduit à un final que nous ne saurions
davantage recommander aux amis du bon goût. L'accompa-
gnement du quatuor est tout à-fait insignifiant.
les souvenirs, trois duos concerlans , extraits des bal-
lets de l'Académie royale de Musique, par II. Brod,
arrangés pour flûte et piano, par Walkiers; nu-
méros 1,2, 5; prix : 6 fr. chaque.
Nous ne saurions déterminer quelle part de gloire doit être
réclamée par chacun des deux auteurs de cet ouvrage ; mais
nous pouvons affirmer que l'arrangement en est bien fait et
peut procurer quelques heures d'une agréable distraction ; il
ne présente que peu de difficultés.
Tivoli de Vienne , collection de valses favorites pour
le piano, par J. Strauss ; prix : 5 fr.
Nous avons pris en main les valses en question avec une
prévention favorable: mais elles ont peu répondu à notre at-
tente ; elles sont dansantes et faciles ; mais il leur manque cette
verve agréable qui caractérise ordinairement les valses de
Vienne, et qui a sans doute contribué à fonder la grande re-
nommée de l'auteur.
Trois Airs italiens variés pour le piano, par Fr. Hunten.
Op. 65. Chaque numéro : 5 fr.
M. Hunten continue, avec son habileté et son expérience or-
dinaires , à arranger pour le piano des airs chantans et agréa-
bles. Partout il fait preuve de bon goût et ne se perd jamais
dans ces passages que l'on nomme casse-cous. Ses difficultés
même n'offrent pas d'obstacles pour le doigté. Les trois nu-
méros dont nous parlons appartiennent, quant à la difficulté,
à la classe moyenne des ouvrages de cet auteur. Ce peu de
mots seront, nous n'en doutons pas, une suffisante recom-
mandation.
Quatre Polonaises pour le piano a quatre mains, par
François Schubert. Op. 75. Prix : 6 fr.
François Schubert, dont nous annonçons aujourd'hui l'œu-
vre 75, est encore bien loin d'être connu en France autant qu'il
le mériterait. Nous nous expliquons cette singularité par deux
raisons: la première, c'est que son principal mérite , celui qui
lui a acquis une gloire immortelle, consiste à avoir créé d'in-
nombrables compositionsdanslegenreleplus élevé des Lieder
allemands , genre de musique quelque peu étranger au carac-
tère français , mais qui pourtant commence à se faire jour par
la puissance de beauté qui le caractérise; la seconde est sa mort
prématurée qui l'a enlevé trop tôt au monde et au domaine de
l'art.
Les quatre polonaises qui font l'objet de cet article se dis-
tinguent comme toutes les compositions de Schubert par la
beauté des mélodies comme par la richesse de l'harmonie et
l'originalité des rhylhmes; elles ne sont pas difficiles d'exécution
et produisent cependant un très-bel effet.
Deuxième nocturne concertant pour piano et violon,
[par Alexis Roger. Op. -42. Prix : 7 fr. 50.
La couverture de cet ouvrage est en beau papier jaune , le
litre est supérieurement fait , le papier sur 1 equel on a imprimé
les notes, est excellent et forme un fort joli cahier très-agréa-
ble à l'œil. Malheureusement voilà tout. Si ou veut payer pour
cela 7 f. 50 c, on reçoit par-dessus le marché: l°trois pages
de notes décorées du litre d'introduction; 2° dix autres pages
de notes auxque'les on a donné le nom d'Andante ou Va-
îiazioni; 3" plus en, ore sept, autres pages de notes qu'on peut
jouer sur le violon ; mais si les deux artistes coucertans tien-
nent à ne pas faire avec cette production un fiasco des plus com-
plets, ils feront bien de l'exécuter à huis-clos. Tout cela est
désigné sous le titre modeste de Nocturne.
Rondo pour le piano 'a quatre ma'ns et "Variations sur
la valse favorite de François Schubert, pour le piano
a quatre mains, par Ch. Czernv. Op. 252. Prix du
premier ouvrage : 7 fr. 50 ; du second , 6 fr.
Ces deux opuscules trouveront beaucoup d'amateurs , le der-
nier surtout à cause du charmant thème qui lui sert de base
2S4
GAZETTE MUSICALE DE PARIS.
Tous deux sont arrangés par M. Czerny avec le bonheur et
la grâce qu'on lui connaît; nous nous dispenserons donc d'en
faire un éloge plus élcndu. Aucun des deux n'est difficile d'exé-
cution.
NOUVELLES.
+*+ L'Opéra nous montrera la Tempête lundi 8 septembre.
Décorations et costumes de toute beauté, et les demoiselles
Elsler, c'est plus qu'il n'en faut pour espérer un grand succès.
D'avance on dit beaucoup de bien de la musique. C'est
M. Schneitzhofer qui en est l'auteur.
+\ La location des loges et stalles du théâtre Italien va as-
sez grand train pour que l'on ne puisse douter qu'à l'ouver-
ture toute la salle ne se trouve louée. MM. les retardataires fe-
ront bien de se dépêcher s'ils ne veulent courir îisque de voir
leurs places favorites envahies par d'autres amateurs. Cet em-
pressement extraordinaire est dû à la composition de la troupe
inique dans les annales de ce théâtre. Jamais Paris n'a vu une
troupe italienne composée de noms aussi célèbres ; nous nous
plaisons à en donner la nomenclature :
MM. Rubini, lyanoff (primi tenori); Lablache, Tamburini,
Santini (primi bassi); Profeti (2° bassn); Magliano (2° lenore).
Mesdames Julie-Grisi, Fink-Loor, Schulz (primi sopranï) ;
Brambilla (contralto); Amigo, Rossi (2° soprani).
Pendant celte saison , trois opéras nouveaux , composés
exprès pour les Bouffes , y seront donnés, savoir : Ernani ,
paroles de Rossi, musique de Gabussi ; J. Puritani diScozia,
paroles de Pcpoli , musique de Bcllini; Marino Faliero, pa-
roles de Romani, musique de Donizetti. Plus, les chefs-d'œu-
vre de l'ancien répertoire. On remontera il Matrimonio Se-
gretlo , ave« Lablache , Tamburini et Rubini : jamais cet
ouvrage n'aura été joué ainsi, la Prova de l'opéra séria,
renforcée de plusieurs morceaux, de manière à en faire uu ou-
vrage <?o/\se pour toute la soirée (Lablache, Tamburini , Rubini
y auront des rôles); la Gazza ladra et la Cenerenlola réuni-
ront aussi L-îblachc et Tamburini. M. Parisini sera le nouveau
chef d'orchestre. C'est le dernier directeur de l'orchestre de la
Pergola à Florence. A du talent, cet artiste joint l'avantage de
parler bien français, chose indispensable pour conduire nos
musiciens, et dont manquait totalement Zamboni, qui diri-
geait l'orchestre à ja saison dernière.
*M Une bonne nouvelle pour les dilettanti, c'est l'engage-
ment de M. Cholletet de madame Prévost à l'Opéra-Comique.
Sous peu nous reverrons ces deux artistes sur le théâtre de la
Bourse.
*+ Tandis que tous les journaux parient d'un opéra nou-
veau de liossini, nous avons le regret d'assurer nos lecteurs
que le célèbre Maestro n'a rien fait, si ce n'est quelques ro-
mances et nocturnes français qui trouveront à leur appari-
tion écho dans tous les salons.
+*+ C'est vers la fin du mois d'octobre que nous aurons
l'opéra allemand au théâtre Nautique.
^*+ Zampa , de Hérold, est traduit en Italien. Cet ouvrage
sera bientôt représenté aux théâtres de Naples et de Milan.
.„% Le célèbre violon Maurer a donné des concerts à Mos-
cou qui ont obtenn un lirillant succès.
+% Braham , le seul grand chanteur anglais vient de
mourir.
*± Donizetti écrit un opéra nouveau intitulé : Maria
Sluart.
+*+ M. Robbrechts, un de nos meilleurs violons, composi-
teur de talent, doit être incessamment engagé comme profes-
seur du Conservatoire de Bruxelles. Paris regrettera cet habile
artiste.
+*+ M. Féréol quitte l'Opéra-Comique ; c'est avec regret que
nous apprenons cette nouvelle à nos lecteurs. Madame Masi a
résilié son engagement , pour se vouer de nouveau au théâtre
italien, nous aurons une jolie femme de moins au théâtre de
la Bourse.
+% Le Chalet, opéra en un acte, attribué à MM. Melesville
et Adam , sera représenté samedi prochain à l'Opéra comique.
t*t Depuis quinze jours l'Opéra s'occupe exclusivement de
la Tempête. Cet ouvrage représenté, on reprendra avec acti-
vité les répétitions de la Juive, de Scribe et Halévy. La pre-
mière représentation de ce grand et important opéra aura
probablement lieu dans les premiers jours d'octobre.
Musique nouvelle ,
Publiée par J. Melssonuier.
Hérold. Zampa. Partition réduite pour le piano. Prix net :
3o fr.
Gasse. Méthode de violon pour servir d'introduction à celle
du Conservatoire. Prix net : 12 fr. 5o c.
Grubert. Méthode de cornet à piston. ' 4 fr. 5o c.
Hunten. Op. 65. Trois airs italiens variés pour le piano.
N° 1. La Zaïra, de Mercadante. Prix net : 2 fr. 5o c.
N° 2. La Niobe,dePacini. Id. 2 fr. 5o c.
N° 3. La Norma , de Bellini. Id. 2 fr. 5o c.
Camus. Cavatines italiennes avec les points d'orgues recueillis
et arrangés pour la flûte avec piano. 1 , 2 et 3 , chaque :
2 fr. 5o c.
Bailly. Six Valses pour cornet à pistons et piano. Prix net :
2 fr. 5o c.
Cornette. Quinze petits airs sur Zampa, pour deux cornets à
pistons. Prix net : 2 fr. 5o c.
Musard fils. Venise , quadrille arrangé pour deux cornets à
pistons. 1 fr. 25 c.
Chollet. L'Odalisque, valse favorite du Jardin Turc, pour le
piano. Prix net : \ fr. 5o c.
Tulou. Le Bouquet de bal , fantaisie pour flûte avec orchestre
ou piano. Prix cet : 5 fr.
Dotzauer. Op. 123. Soixante-quinze leçons pour violoncelle
pour faire suite à sa méthode. 3e suite. Prix net : 3 f. ^5 c.
Pilati. Op. 43. Six Airs variés pour piano. 1 re liv. Adieux à la
Suisse, danses et galops suisses. Prix net : 3 fr.
2e Liv. Thème de Carafa; air anglais. Prix net : 3 fr.
3e Liv. La Folle, thème original. Prix net : 3 fr.
— Venise , rondoletto sur le quadiille de Musard. Prix net :
2 fr. 5o c.
Monpou et Roger de Beauvoir. Le vent sur mer, pour
piano. 4 fr.
— — Le Noir, pour piano. 1 fr.
— et Victor Hugo. Lesdeux Archers, pour piano. \ fr.
Abonnement de Musique
D'UN GENRE NOUVEAU.
pour la MUSIQUE INSTRUMENTALE et pour les PARTITIONS
D'OPÉRA.
L'Abonné paiera la somme de 5o fr. ; il recevra pendant
l'année deux morceaux de Musique instrumentale ou une
partition et un morceau de musique , qu'il aura le droit de
changer trois fois par semaine; et au fur et à mesure qu'il
trouvera un morceau ou une partition qu'il lui plaira, dans le
nombre de ceux qui figurent sur mon Catalogue , il pourra le
garder jusqu'à ce qu'il en ait reçu assez pour égaler la somme
de 70 fr., prix marqué, et que l'on donnera à chaque abonné
pour les 5o francs payés par lui. De cette manière l'ABOINNÉ
aura la facilité de lire autant quebon lui semblera, en dépensane
cinquante francs par année, pour lesquels il conservera pour
n5 t'r. de musique.
L'abonnement de six mois est de 3o francs , pour lesquels on
conservera en propriété pour 45 fr. de musique. Pour trois mois
le prix est de 20 fr. ; on gardera pour 3o fr. de musique. En
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N. B. Les frais de transport sont au compte de MM. les
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On s'abonne au bureau de la Gazette Musicale de Paris, rue Richelieu , 97;
et chez lous les libraires et n arcliands de musique de France.
>n reçoit les réelaraatiuns des personnes qui oui des griefs à exposer, et les avis relatifs a la inusiqu
qui peuvent '
ut des griefs à exposer,
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TARIS. DIMANCHE 7 SEPTEMBRE I83'(.
Les lettres, demandes
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vent être affranchis, et
adresses au Directeur ,
rue Richelieu, 97.
SERVICE FUNEBRE
DE CHORON.
La musique sacrée est chose rare aujourd'hui; cette
belle branche de l'art s'amoindrit chaque jour et finira
vraisemblablement par disparaître entièrement. Sa dé-
cadence date de ia suppression des maîtrises; ces insti-
tutions, utiles d'abord au culte dont elles embellissaient
les cérémonies, étaient fort précieuses en outre pour
l'art musical ; le grand nombre de compositeurs et de
chanteurs distingués qui en sont sortis en fournit la
preuve. A cette époque les compositions religieuses
avaient un but; les auteurs qui se sentaient entraînés
vers ce genre noble et majestueux, les admirateurs de la
sublime poésie des livres saints, ne s'exposaient pas, en
écrivant une messe ou un oratoire, à ne produire qu'un
œuvre stérile pour eux , condamné en naissant à l'ob-
scurité la plus profonde, faute d'être exécuté. Aujour-
d'hui , supposons qu'une messe nouvelle vienne à pa-
raître, qu'en fera le compositeur?... rien, absolument
i'ien. Y a-t-il a Paris une seule église où il puisse trou-
ver les chœurs et l'orchestre dont il a besoin? Pas une.
Parmi les curés riches qui desservent les diverses pa-
roisses de la capitale, s'en trouvera-t-il un assez ami
de la musique pour faire venir a ses frais des exécuians
de l'extérieur, et faire entendre dignement la partition
inconnue?... cela est peu probable. En supposant que
cet homme généreux se présentât, oserait-il bien se
mettre en opposition avec l'archevêque qui défend de
laisser chanter des femmes musiciennes dans les églises?
il serait arrêté t< ut court dans ses bonnes intentions. La
voix humaine est déjà bien assez bornée, sans diminuer
encore son étendue en écrivant des chœurs sans soprani:
Et voyez un peu quelle absurdité dans cette interdiction
des voix féminines! On a le malheur' d'entendre jour-
nellement dans les temples des voix aigres et fausses ,
chanter tant bien que mal a l'unisson de stupides can-
tiques : l'archevêque ne trouve la rien à redire; instrui-
sez ces mêmes femmes, apprenez-leur la musique, civi-
lisez-les, et essayez alors de les réunir en un chœur dé-
cent et exercé dans le même local où naguère elles nous
déchiraient les oreilles : l'archevêque s'y opposera. Je
vais plus loin; un compositeur qui voudrait, en payant
lui-même les frais de l'exécution , faire entendre une
messe écrite seulement pour des voix d'hommes, ou
dont les soprani seraient chantés par des enfans, ne
pourrait encore y parvenir. Il lui faudrait obtenir l'as-
sentiment du curé; le curé le renverrait a l'archevêque,
et l'archevêque refuserait son autorisation. L'auteur de
cet article en parle par expérience. Ou dit que M. le
curé de Saint-Roch , grand amateur de musique, a fait
ce qu'il a pu pour l'introduire dans son église. Ses ef-
forts jusqu'à présent n'ont pu aboutir qu'à former une
réunion de douze ou quinze instrumensà vent. De pa-
reils moyens sont de la plus complète inutilité pour
l'exécution d'une messe, quelque simple qu'elle soit. Et
cependant la musique qu'on fait à Saint-Roch obtient
une espèce de réputation. On en parle comme d'une
chose remarquable dont on est redevable an pasteur.
Quinze instrumens à vent!., et pas le moindre chœur
capable de chanter convenablement un motet à quatre
parties! — Cela donne la mesure de la barbarie où la
suppression des maîtrises a replongé en France la
musique d'église.
286
GAZETTE MUSICALE
Restaient la Chapelle Royale et l'école de Choron.
Dans la première, on pouvait chaque dimanche en-
tendre les compositions de MM. Lesueur et Chérubini,
exécutées par un orchestre peu nombreux , mais excel-
lent, et un assez giand chœur dont les femmes n'étaient
pas exclues.
« Il est avec les rois des accommodemens. » Lia der-
nière révolution est venue y mettre ordre; plus de mu-
sique aux Tuileries, plus de chants sacrés; les vain-
queurs de juillet avaient prononcé l'arrêt en brisant les
instrumens de la chapelle; depuis lors, le silence le plus
légal n'a pas cessé d'y régner.
L'institution de musique religieuse de la rue de
Vaugirard, où nous allions admirer il y a quelques six
ans les grands ouvrages de Haendel , de Marcello et de
Palestrina, s'était cruellement ressenlie du même coup
qui anéantit la chapelle royale; toutefois elle avait con-
tinué d'exister, grâce au désintéressement et à l'énergie
incroyables de son fondateur. Choron vient de mourir...
et avec lui son école. Enfin, voila l'œuvre de destruc-
tion accomplie; il n'y a pas dans toute l'étendue de la
France un seul établissement pour la propagation ou
seulement la conservation de la musique sacrée. Vous
avez fait table rase. Barbarie !.. Le public cependant
serait loin d'accueillir avec indifférence les efforts qui
tendraient a empêcher la disparition radicale de l'art
qui, dans tous les temps et chez tous les peuples civi-
lisés, fut le plus bel ornement des temples et des céré-
monies religieuses. La foule [qui encombrait dernière-
ment les avenues de l'Hôtel- des- In valides pour enten-
dre Mozart, Joinclli et Palestrina exécutés parles élèves
de Choron , offrait dans son empressement une protes-
tation énergique en faveur de cette | opinion. Quelques
annonces dans les journaux avaient suffi [pour faire ac-
courir près de neuf mille personnes que {la musique
seule attirait dans celte église éloignée. Il n'y avait là ni
motif de réunion politique, ni grands personnages, ni
cérémonies pompeuses, ni spectacle d'aucune espèce ;
on ne venait ni pour voir ni pour être vu, mais uni-
quement pour entendre ; et ce fait remarquable , il faut
le citer avec insistance, car il prouve un progrès sen-
sible dans l'éducation musicale des Parisiens. Cet audi-
toire immense, auquel on avait annoncé la messe pour
dix heures , a dû attendre jusqu'à onze. L'absence d'une
partie fort importante de l'orchestre, les instrumens de
cuivre, était cause de ce retard ; le chef, M. Girard, ne
voulait' pas commencer sans eux. Il a été forcé de le
faire cependant , car les exécutans retardataires n'ont pas
paru, et, sur une masse de cent cinquante instrumens
on n'a pu compter qu'un trombonne et une trompette.
Le chœur au contraire était au grand complet, et parmi
les cent quarante voix qui le composaienr on remarquait
une cinquantaine déjeunes femmes; l'aumônier des In-
valides, moins rigide que la [dupait de ses confrères,
avait bien voulu fermer les yeux sur cette infraction aux
réglemens ecclésiastiques. Bien que cette cérémonie mu-
sicale funèbre eut été montée un peu à la hâte; que les
répétitions en eussent été fort peu nombreuses U faites
incomplètement, le Requiem de Mozart est si connu
des artistes; celui de Jomelli est écrit dans un style si
large et si facile, et chacun apportait tant de bonne vo-
lonté, que l'exécution générale a été fort satisfaisante.
L'agnus sans accompagnement, parodié sur le motet de
Palestrina {Alln riva), a été rendu avec une rare perfec-
tion , sans que le chœur ait eu à se reprocher la moindre
déviation de diapason. Chanté par une très-grande
niasse de voix, mille ou douze cents par exemple, ce
morceau produirait un effet écrasant. Le rhythme et la
mélodie n'ayant presque point été employés par l'auteur,
cet effet donnerait la mesure de la puissance véritable
de l'harmonie, quand les accords sont choisis et mis en
œuvre de celle manière.
Le Lacrymosa et le Conjulatis de Mozart ont été
également bien rendus, tant par les voix que par l'or-
chestre. L'effet du Tuba miriim a été nul comme à l'or-
dinaire. C'est que, malgré la profonde vénération que
chacun ressent pour Mozart, malgré la beauté de la
phrase mélodique qui sert de début à ce morceau , il est
impossible de ne pas éprouver à son sujet un désappoin-
tement foit désagréable. La poésie en est sublime et vous
remplit d'une sainte épouvante; l'imagination grandit
et s'élance au-devant de ce peuple innombrable que
l'effrayante trompette de l'armée céleste vient d'arra-
cher au sommeil de la mort et de presser tremblant aux
pieds du souverain juge. Il estnalurelde chercher dans
la musique que le compositeur a placée sur ces terribles
paroles des pensées et des images non-seulement ana-
logues, mais plus puissantes encore, surtout quand le
compositeur s'appelle Mozart. Et pour être vrai il faur
bien avouer que dans la composition célèbre qui nous
occupe, ce morceau ne présente presque rien de sail-
lant. Un seul trombonne a été destiné par l'auteur à
rendre l'effet du formidable appel de l'archange. Pour-
quoi donc un seul, quand trente, quand trois cents ne
seraient pas de trop? Serait-ce parce que la poésie dit
tuba et non pas tubœl il n'est pas possible d'attribuer à
Mozart une aussi sotte et étrange bévue. Pourquoi , im-
médiatement après cet appel et la phrase vocale qui y
correspond, ce calme inattendu dans tout le morceau et
cet accompagnement bien plus inattendu encore des
DE PARIS.
Imssous dans le médium?.. Il s'agit bien là de bassons!
Il s'agit bien pour le chanteur de filer des sons quand
nous cherchons la peinture des dernières convulsions de
l'univers expirant. C'est la le « exorilur clanwr que vi-
rum clangor que tubarum ■> de Virgile. Il est inconceva-
ble que Mozart s'y soit trompé ; cela est impossible
même, et nous aimons mieux croire que cette partie du
Requiem n'avait été qu'esquissée par lui , et que le con-
tinuateur n'en aura pas saisi l'esprit en la terminant.
Plusieurs personnes en sortant se plaignaient d'avoir
mal entendu et accusaient la maigreur de l'orchestre. La
raison en est que toutes les fois que le nombre des exé-
cutans ne sera pas en rapport exact avec la niasse d'air
qui doit être mise en vibration , les auditeurs placés
très-près de l'orchestre seront les seuls qui pourront être
émus; tous les autres n'éprouveront que des sensations
faibles et ne saisiront point l'ensemble ni les détails Tel
élait le cas a l'occasion du service de Choron ; trois cents
personnes ne suffisent pas pour répandre les harmonies,
quelque larges qu'elles soient , dans une enceinte aussi
vaste que celle de l'église des Invalides; il en faudrait
six cents tout au moins. D'ailleurs on avait négligé
d'exhausser les voix et les instrumens sur les gradins
d'un amphithéâtre, et cette précaution est indispensable
en pareille occasion.
Malheureusement, tout cela coûte beaucoup d'argent,
et les pauvres élèves de Choron , malgré l'assistance gra-
tuite du grand nombre d'instrumentistes qui s'étaient
joints a eux , avaient dû se mettre en frais pour la somme
de dix huit cent francs, que les dons volontaires perçus
a la porte n'ont pas couverts entièrement.
II. Berlioz.
Ferdinand Hiller.
La musique, depuis quelques années, n'a pas cessé
d'offrir à l'observateur plusieurs circonstances aussi cu-
rieuses qu'intéressantes. Pendant que d'un côté, un goût
prononcé , on peut même dire un véritable intérêt pour
la musique, s'était si généralement répandu que l'étude
de cet art était reconnue comme faisant une partie es-
sentielle et nécessaire de toute bonne éducation , le goût
musical cependant avait pris une si fâcheuse direction
que la foule ne voulait plus entendre que de la musique
légère et frivole, dénuée de toute forme artistique, a
moins qu'en admettant la chance la plus favorable,
elle ne s'adressât a ce genre de musique qui s'entoure
du cortège de la poésie, de la peinture et de la danse ,
genre qui n'est point le plus pur et le plus élevé de
l'art musical. Aujourd'hui , où Rossini, le plus
jeune des grands maîtres , paraît s'être voué a une
complète inaction; aujourd'hui , où depuis la mort de
Beethoven, le plus sublime des génies créateurs de
la musique , une longue et noble race de maîtres de
l'art, paraît s'être éteinte, ne laissant pour dernier
rejeton que le seul Meyerl/eer; aujourd'hui enfin, où
des hommes tels que Hummel, Moscheles, Field, Kalk-
brenner et Pixis, etc., etc., semblent avoir atteint l'a-
pogée de leur art, il se forme sous nos yeux un cercle de
jeunes talcns qui développent lents brillantes facultés
avec une énergie telle que nous nous croyons en droit
d'affirmer que nous sommes sur le point de voir s'ouvrir
devant nous une nouvelle ère musicale. Oui , nous le
disons avec confiance, nous croyons que commence pour
nous une nouvelle et plus belle phase de l'art, celle où
la plus brillante habileté pratique viendra se marier à la
plus riche et la plus sublime poésie, celle où, au chaime
des formes neuves et étincelantes, saura se joindre en-
core la sagesse noble et élevée des classiques ; pour tout
dire enfin , nous espérons voir bientôt se compléter di-
gnement l'immense édifice musical qui a pour créateur
les Bach, les Gluck, les Mozart , les Beethoven et les
Paganini, et dont nous retrouvons les plus fermes sou-
tiens dans Listz, Chopin, Hiller, Berlioz, Mendelsohn
Schumann, Thalberg,etc, etc. Cette idée a jeté en nous
de si profondes racines que la publication de notre feuille
n'en est que le résultat; et si nous avons manifesté et suivi
la résolution de poursuivre et de combattre sans me'nage-
me/is la mauvaise musique, sous quelque forme qu'elle
se présentât, et quels que fussent les noms auxquels
nous dussions nous attaquer , rien ne nous semble en
revanche plus naturel que de travailler de toutes nos
forces à signaler la bonne musique, ainsi que les artistes
dans lesquels nous voyous les germes d'un nouvel ave-
nir, nous proposant de mettre au grand jour eux et
leurs efforts, de les faire connaître, de les animer de
nos encouragemens ou de les ramener par un juste
blâme, s'ils venaient a s'égarer dans une fausse voie ou
à tomber dans le découragement. Dans cet article qui
doit servir d'introduction a plusieurs autres du même
genre, nous nous occuperons d'une composition de
M. F. Hiller, l'un de ces jeunes artistes sur lesquels
nous avons fondé nos plus belles espérances, et qui déjà
a su justifier nos prévisions avec tant de bonheur et
avec un succès si éclatant. Cet ouvrage est intitulé : Six
suite* il' études pour le piano-forte , et il est la quinzième
œuvre du compositeur. Qu'il nous soit permis de jeter
un coup d'œil sur la route suivie jusqu'à ce jour par le
jeune artiste : cela nous mènera aux meilleurs éclaircis-
semens qui puissent nous guider dans une juste appré-
ciation des caractères distinctifs de son talent.
288
GAZETTE MtSICALE
M. Hillerest né en 1812, à Francfort, sur le Mein.
Ses parens, qui jouissaient d'une honorable aisance,
surent éveiller de bonne heure ses facultés intellectuel-
les, les observer avec sollicitude et les développer avec
succès. Une organisation musicale des plus riches fut ce
qui le distinguait particulièrement , et dès 1 âge de
douze ans, il surpassait déjà toutes les espérances qu'on
était en droit de concevoir de son travail assidu
tant pour ce qui touche la pratique du piano que pour
ce qui se rattache a l'étude plus sévère de l'harmonie et
du contrepoint. Pour cette dernière branche d'instruc-
tion, tout en profitant des autres occasions d'acquérir de
la science, il s'était abandonné aux soins d'un professeur
nommé Vollweiler, homme d'un savoir entendu, quoi-
que peut-être quelque peu pédantesque. Sous la direc-
tion de ce maître, il apprit a écrire le canon et la fugue
d'après les règles les plus strictes de l'art. Mais
l'organisation franche et hardie du jeune élève l'empê-
chèrent de se laisser tyranniser par le pédaiitisrne du pro-
fesseur ou par les règles souvent fort embrouillées de la
science. L'anecdote suivante nous en fournira une preuve
remarquable. A cette époque, l'auteur du présent article
dirigeait a Francfort un cours public sur la théorie de
l'harmonie, destiné tout a la lois aux artistes et aux ama-
teurs. Il s'éleva un jour une discussion sur celte ques-
tion : Quels sont les accords qu'on peut lier immédiate-
ment ensemble? l'opinion du jeune harmoniste , âgé
alors de douze ans, fut celle-ci : « Je pense qu'on peut
lier immédiatement entre eux tous les accords sans
distinction aucune. » Ce n'est pas ici le lieu d'examiner
une telle assertion qui n'est vraie qu'a moitié, et je
rentre dans mon sujet.
Arrivé a l'âge de treize ans, le jeune Hiller fut
confié aux soins du célèbre Hummel, et, pour l'étude
du piano comme pour celle de la composition, il
sut tellement mettre a profit les excellentes leçons
d'un maître si distingué, que non-seulement il par-
vint à pouvoir exécuter quelques-uns des chefs-
d'œuvre du professeur, entièrement dans le style et avec
la manière de ce dernier, mais que comme composi-
teur même, ses essais furent couronnés de l'encoura-
geante approbation de Hummel. M. Hiller alla ensuite
passer quelques mois à Vienne ; et en t 828 , il quitta
définitivement Francfort pour venir se fixer à Paris où,
depuis ce temps, nous avons pu suivre tous ses progrès
pas a pas. Dans tous les temps et a toutes les époques,
les modèles sur lesquels se sont appuyées principalement
les études de M. Hiller, ont été les inestimables compo-
sitions classiques de Bach , et les sublimes créations de
Beethoven. Ces grandes œuvres, il faut le croire, dans
leur imposante sévérité, dans la profondeur immense
qui distingue jusqu'à leur forme extérieure, clans leur
idéalité si poétique et parfois si sombre, surtout pour ce
qui touche Beethoven , sont celles qui se rapportent le
plus au caractère de Hiller et aux créations de l'art telles
que les a rêvées sa jeune imagination. Par suite de ses
rapports intimes et intéressaus avec Bach, rapports dans
lesquels a dû l'entraîner une étude assidue, pour ne pas
dire passionnée des œuvres de ce grand maître, et avec
la connaissance si approfondie qu'il avait acquise dès
son enfance des formes et des règles du style sévère de la
composition, Bâcha dû nécessairement lui apparaître
comme le modèle le plus riche et le plus accompli qu'il
pût se proposer, et en outre, la prédilection qu'il res-
sentit plus tard pour le genre majestueux de la sympho-
nie, a dû de toute nécessité l'attacher plus encore a l'é-
tude des chefs-d'œuvre créés par Beethoven. Nous de-
vons donc nous atteudre'a trouver dans les compositions
de M. Hiller, comme traits caractéristiques de son ta-
lent, la gravité d'abord , qui, lorsqu'elle se joint a Y hu-
mour , dégénère facilement en captice, peut imprimer
son cachet aux peintures même delà grâce et de l'amour,
mais reste de préférence dans une sphère de croyance
pure, de contemplation calme , de prière élevée et su-
blime, quoique pouvant parfois aussi inspirer la crainte
et la terreur. Une seconde qualité éminente sera l'éner-
gie; car elle est inhérente a la première; et enfin, une
supériorité remarquable dans la manière de créer des
formes savantes. Après avoir, pour ainsi dire, fait nue
analyse a priori de l'œuvre ci -dessus, il nous suffira d'un
examen rapide pour justifier pleinement la justesse de
notre opinion,, pour faire ressortirplus pleinement et plus
clairement encore quelques détails imporlans , et
nous mettre en dioit d'assurer à M. Hiller un rang dis-
tingué parmi les plus grands et les plus habiles maîtres
de l'art musical.
Fa première étude allegro energico repose sur un
trait mélodique de quatre notes qui ne donne lieu à au-
cun développement réel de chant, mais que le compo-
siteur a su traiter avec tant d'habileté sous le double rap-
port du rhythme et de l'harmonie, qu'au bout de trois
pages, il nous paraît enecreaussi neuf qu'intéresrant.
L'étude n° 2 est aussi originale d'invention que dif-
ficile a exécuter d'une manière convenable. Le compo-
siteur commence avec une basse très-étrange alternative-
ment a deux et à trois parties, sur laquelle se développe
la mélodie non moins étrange du dessus, et qui cependant
éveille une inquiétude vague plutôt qu'un sentiment de
crainte, ou celui-ci encore plutôt que la terreur. Ce mor-
ceau nous a fortement rappelé la scène des sorcières
dans le Macbeth de Shakespeare ,'el nous y avons reconnu
la plus belle peinture musicale de cette magnifique situa-
tion. L'élude est écrite en ré mineur, et se termine
d'une manière surpi enaii.te dans, le mode majeur. On se
sent tout a coup calmé et soulagé comme par un effet
magique, et l'oreille se repose avec charme d'un tumulte
sauvage au milieu duquel cependant l'ordre et la symé-
trie n'ont pas cessé de régner.
L'étude suivante est un andanle religioso , et offre
un morceau aussi beau que profondément senti , dans
lequel M. lliller se montre heureux élève de l'immortel
Bach. Comme l'a fait presque constamment ce grand
maître dans ses préludes de Choral , le jeune composi-
teur a adopté pour motif principal un ancien chant de
choral, et l'interrompant au moyen de quelques in-
terludes, il le fait revenir comme partie de dessus,
comme canlus firmus d'un morceau noble et gracieux.
Celui-là seul qui s'est appliqué a de semblables travaux
peut dignement apprécier la difficulté qu'il y a a réunir,
dans une composition semblable une harmonie riche et
pure a tant de mouvement dans les deux mains. Nous
félicitons sincèrement M. Hillcr sur une telle réussite.
11 n'y a, il est vrai, dans cette étude rien de dansant, rien
qui charme l'oreille aux dépens du sens musical ; mais,
en revanche, elle respire la piété, la foi , l'édification.
• Vient ensuite un morceau molto v'wace. Nous n'a-
vons pu trouver le caractère qui pouvait convenir à
cette élude. Beaucoup de mouvement a la main droite ,
dans les deux mains une forme unique depus le com-
mencement jusqu'à la fin, et des difficultés remarqua-
bles, voila tout ce que nous pourrions signaler sur ce
numéro.
Le numéro S de cette suite nous offre un morceau
remarquable sous beaucoup de rapports. Cette étude est
composée dans un genre tout nouveau et tout autrement
qu'on n'a coutume de le faite. Ici chaque main est consi-
dérée isolément, et si leur réunion produit un effet
aussi harmonieux, cela parait être l'effet du hasard plutôt
que le résultat d'une combinaison. Pendant que la main
droite a exécutéune figure, staccato en doubles croches,
la main gauche, de son côté, depuis le commence-
ment jusqu'à la fin, fait entendre un chant lié des plus
agréables ; pendant que la main droite fait un long cres-
cendo, la main gauche exécute un decrescendo de
même durée. Le tout produit un effet dont l'originalité
est égale à celle avec laquelle cela a été senti et pensé.
Dans le dernier numéro de cette première suite, les
deux mains se partagent alternativement l'exécution de
deux figures d'une grande originalité. L'une, jouée d'à-
bord par la main droite, est d'une difficulté extraordi-
naire, et offre un excellent exercice pour ceux qui peu-
vent embrasser au moins l'intervalle de dixième. La
seconde forme un chant à deux parties, qui procède par
octaves à l'unisson , et donne à l'ensemble du morceau
une couleur toute particulière, nous pourrions dire dra-
matique.
Pour résumer tout ce que nous venons de dire sur les
six premières études, nous remarquerons seulement que
nous y trouvons la confirmation de cette opinion par
nous ci-dessus émise : le principal caractère du talent
de M. Hil'.er est la gravité, Vhumo.tr souvent sombre,
rarement gai ou gracieux, et, par-dessus tout , une
richesse rare de toutes les ressources de l'art, une pra-
tique accomplie: le tout formant une source abondante
d'instruction pratique pour les compositeurs et les pia-
nistes.
Ainsi que nous l'avons dit plus haut , l'œuvre se di-
vise en six suites différentes, dont chaque numéro parti-
culier nous semble ne devoirêtreni considéré ni exécuté
sans liaison avec les autres; car tous sont réunis par
un plan bien arrêté. Chaque morceau séparé n'est qu'un
membre d'un grand tout qui trouve son développement
dans une suite tout entière. La seconde suite se com-
pose d'un andanle poco agitato qui , considéré dans
toute son étendue, repose bien sur un motif particulier,
mais non pas sur une seule figure principale. Quelle
que soit l'habileté avec laquelle M. Hillcr a introduit
cette figure avec deux formes différentes, nous ne pou-
vons cependant lui dissimuler qu'elle nous a paru trop
uniforme et trop dénuée de sentiment. Il en est tout au-
trement du morceau suivant dans lequel nous trouvons
de la vie et beaucoup de mouvement, mais cri , tout en
demandant à être joué avec une grande rapidité, ren-
ferme des difficultés immenses. La figure principale ap-
paraît alternativement aux deux mains, et l'expression
doit monter par degrés jusqu'à la peinture d'une joie
presque délirante. Le morceau qui suit est du plus bel
effet. C'est un adagio dans lequel le dessus à trois par-
ties est accompagné par un magnifique chant delà basse
et acquieil ainsi un grand intérêt. Ici encore les deux
parties procèdent d'une manière entièrement indépen-
dante l'une de l'autre, et n'offre ainsi un autre exemple
remarquable pour ce genre d'étude. Cette suite se ler-
in 'ne par un allrg o moderati qui, pour l'invention et
l'exécution, appartient aux productions les plus dis-
tinguer, et renferme aussi des difficultés extraordinaires.
I! nous est impossible de suivre plus loin une analyse
détaillée de cet ouvrage d'un si haut intérêt. Nous nous
voyons forcés de renvoyer le lecteur à l'œuvre elle-
même, et nous ne craignons pas de mettre sa patience à
GAZETTE MUSICALE
une rude épreuve. Nous nous bornerons Jonc a faire en
général 1rs remarques suivantes : La troisième suite
tout entière est écrite clans le style du contrepoint strict;
le numéro premier se développe avec une vigou-
reuse énergie; la fugue qui suit est écrite avec une rare
supériorité et exprime des sentimens remplis de grâce et
de profondeur, au moyen d'imitations de contrepoint
admirablement liées enlre elles. Vient ensuite une gigue
que nous n'hésitons pas à mettre a côté des meilleurs
ouvrages de ce genre produits par les anciens maîtres ,
mais dont, l'exécution est aussi ires-difficile. En général ,
dans cette œuvre, les difficultés paraissent s'accroître a
chaque pas; et si nous exceptons les études de Chopin
et celles deKessler, nous ne connaissons aucun ouvrage
qui offre une telle richesse de difficultés originales pour
le piano, et dans lequel régnent cependant aussi constam-
ment une plus grande clarté et une symétrie plus suivie.
Mais ce que nous ne trouvons dans aucun autre ouvrage
du même genre, c'est une telle profusion de formes
rythmiques et harmoniques toutes-nouvelles jointes a une
telle perfection de style musical. Puisse M. Hiller ani-
mer ses images d'un coloris plus chaud et plus gracieux!
et nous sommes assurés d'avoir encore à le remercier des
plus vives jouissances que puisse procurer la perfection
de l'art ! Avec des armes si fortes et si puissantrs on ne
peut que sortir victorieux du combat.
Fit. Stoepel.
Revue Critique.
Trio pour piano, violon et basse ; Trois Quatuors pour
deux violons, alto et basse, par Hemi Reber.
Beaucoup de lecteurs ignorent encore, sans doute, le nom
de M. Reber. Nous allons tâcher de montrer quels sont ses
droits à une attention sérieuse de la part des -vrais amis de l'art
musical. Entré il y a quelques années au conservatoire, avec
des idées déjà arrêtées , il en sortit , sans que les leçons qu'il y
avait reçues eussent en aucune façon modifié ses opinions sur
les diverses théories de la science musicale. Les professeurs
n'aiment guère les élèves déjà forts ; il les trouvent pour l'or-
dinaire plus ou moins rebelles aux doctrines de l'école; les ti-
mides et crédules commençans, toujours prêts à se prosterner
sans raisonnement devant l'autorité delà parole dumailre,
sont bien plus faciles à gouverner. L'éducation a peu de prise
sur les hommes d'un certain âge; il devient alors , dit Destut
de Tracy, aussi difficile de leur inculquer de nouvelles idées,
qu'il le serait d'écrire des caractères lisibles sur un papier
déjà tout bai bouille d'encre. C'est un malheur bien souvent ;
que'quefois , au contraire , il faut s'en applaudir ; dans le cas ,
par exemple, où il ne s'agirait que de barbouiller d'encre
un papier déjà couvert de caractères lisibles. En sortant
du Conservatoire, M. Reber se présenta au concours annuel
de composition musicale de l'Institut. On sait que dans l'im-
possibilité d'admettre tous ceux qui voudraient concourir, le
choix des candidats est dé'erminé par une épreuve prélimi-
naire à laquelle ils sont tenus de se soumutre. M. Reber ne
fut point admis. Sans doute, le jury académique eut ses rai-
sons pour l'exclure; il ne nous appartient pas d'élever un
doute sur la justice de celte décision.
Quoiqu'il en soit, le jeune compositeur, se bornant à cette
première tentative , renonça à courre le prix de Rome, et se
contenta d'écrire dans la retraite les œuvres remarquables
dont nous allons nous occuper. Plusieurs exécutions incom-
plètes et inexactes des quatuors de M. Reber ne nous avaient
laissé entrevoir qu'en partie les précieuses qualités qni les dis-
tinguent. On pense communément qu'un quatuor est chose
assez facile à exécuter d'une manière passable , tt l'on s'abs-
tient en conséquence de f.iire les répétitions qu on regarde
comme absolument nécessaires pour toute autre musique. Celte
grave erreur a pu être accréditée par ces pâles ouvrages por-
tant le nom de quatuors, qui ne sont en réalilé que des sonates
de \iolon, avec un accompagnement plus ou moins plat de
trois instrumens à cordes. Dans l'exécution ds quatuors vé-
ritables , tels que ceux de Haydn, de Mozart , dt Beethoven ,
de Fesca , de Schubert , etc. , il n'est point de degrés du mé-
diocre au pire. Voilà pourquoi ceux de Reber, qui, par l'élé-
vation du style et la profondeur de la pensée, appartiennent à
la grande école dont nous venons de nommer les chefs, nous
éla;ent demeurés presque inconnus jusqu'à ce jour. Enfin,
M. Seghcrs, homme détalent et de conscience, qui le premier
avait découvert toute la portée du talent de Reber, a voulu le
produire au grand jour par une exécution digne, evacte, cha-
Lureuse, poétique, en un mot par une de ces exécutions sans
lesquelles il n'y a pas de compositeur qui puisse se flatter de
pouvoir être compris. MM. Listz , Urhan , Franchomme et
Cuvillon s'étaientjoints àlui dans cette occasion, et avaient soi-
gneusement répété deux jours à l'avance. Certes, l'auteur ne
pouvait choisir mieux ses parrains en entrant dans la lice; aussi,
la nombreuse société réunie dans les salons de M. Duport
a-t-elle témoigné par les plus vives exclamations et son éton-
nement et le plaisir qu'elle trouvait à une pareille surprise.
M. Reber, à son début, a obtenu le plus brillant st le plus véri-
table succès. Nous ne saurions trouver précisément une res-
semblance entre son style et celui d'aucun autre compositeur;
cependant aux gens qui veulent à toute force établir des paral-
lèles et qui demanderont en parlant de Reber : à qui ressem-
ble-t-il ? de quelles formes connues son style se rapproche-t-il ?
A ces gens-là nous répondrons que, différant en général de 1 1
manière de Schubert , il montre cependant avec le compositeur
Viennois quelques points de contact dans les détails. La mé-
lodie de Reber est évidemment dephysionomie allemande; elle
pénètre doucement; elle est mélancolique, méditative, par
fois d'une naïveté extrême , souvent passionnée ;mais rarement
on la voit s'animer d'une gaieté sans mélange , et sa joie rap-
pelle involontairement Shakespeare , quand il peint : « la pa-
tience sur un monument, souriapt à la douleur. » Son har-
monie est large , d'une grande noblesse et d'une hardiesse
extrême. Par exemple , dans un passage exécuté pianissimo
par les violons et l'alto, deux demi-tous placés l'un sur l'au-
tre, si naturel, ut , ré bémol , sont présentés cependant de
telle sorte qu'il ne résulte de cette quasi-discordance qu'un
effet doux et pittoresque , extrêmement heureux. Il emploie le
DE PARIS.
rhythme avec originalité et finesse. L'instrumentation même,
qui, dans un quatuor d'instrumens presque semblables, ne
peut exister que dans l'opposition du timbre de l'alto ou du
violoncelle avec celui d<*s violons, dans les effets de pizzicato
combinés avec ceux de Y archet , ou dans les divers caractères
des quatre cordes de chaque instrument, lui a fourni une mul-
titude de contrastes piquans ou dramatiques. Il possède en
outre, au suprême degré, l'art des modulations. Son trio de
piano, si habilement exécuté par M. Lislz , présente une
phrase remarquable dans son excessive simplicité qui a produit
sur l'auditoire une sensation profonde. Elle était due unique-
ment au choix exquis des accords qui soutenaient le chant, et à
la conclusion inattendue de cette mélodie qui, commencée en
ta naturel majeur, finit brusquement en la ilièze mineur.
Ceci est de la plus grande nouveauté. Certes il est impossible
de méconnaître dans M. Reber tous les symptômes du génie
musici'. Nous désirons vivement qu'il nous fournisse bientôt
l'occasion de l'apprécier dans quelque composition plus éten-
due. En terminant , nous lui donnerons un conseil qui sera
peut-être pour lui de quelque utilité. Il est incontestablement
grand et beau de concevoir en entier le plan d'un ouvrage et
d'en subordonner l'ensemble à une pensée-mère ; mais cette
unité n'exclut point la -variété. Les différens morceaux des
quatuors de Reber nous ont paru quelquefois trop fréres-ju-
maux; les nuances de l'un ne tranchent pas assez sur le coloris
de l'autre. S'il est un art dans lequel les oppositions soient im-
périeusement exigées par la nature même de notre organisa-
tion, à coup sûr c'est la musique. Non que nous sentions,
comme le parterre de la Comédie-Française, le besoin de quel-
que bouffonnerie après un drame qui a fait couler nos larmes,
désireux de détruire ainsi nos dernières impressions par des
impressions nouvel' es d'un genre opposé ; c'est au contraire
pour augmenter l'effet de chacun des traits marquans de ses
tableaux que nous engagerons M. Reber à ne pas placer une
scène mélancolique et tendre auprès d'une seconde scène où la
tendresse et la mélancolie dominent presque exclusivement. Ce
défaut n'a pas beaucoup d'importance pour des compositions
destinées comme les quatuors à être exécutées eu petit comité
devant un auditoire attentif, qui emploie volontiers toutes les
forces de son imagination à s'unir d'intention avec l'auteur ,
mais en toute autre circonstance il devient plus grave, et bien
souvent on l'a vu compromettre le succès des plus magnifiques
productions.
Quelques morceaux de musique sacrée, pour des voix sans
accompagnement, publiés chez SI. Richaul , ainsi que les qua-
tuors dont nous venons de parler, nous ont paru écrits avec
une grande pureté; ce sont de douces expansions religieues,
comme dans notre prosaïque France on n'en peut plus aujour-
d'hui entendre nulle part.
Rokdo brillant pour le piano , sur la romance : la
Jeune Fille ; par Fessy, prix : 5 fr.
Cet ouvrage nous a appris bien des choses : i° qu'on peut
appeler brillant ce qui n'a que de la simplicité cl quelquefois
même de la pauvreté; 1° qu'un rondo peut se faire avec un
an danle maéstoso et un allegro moderato; 3° que deux trio-
lets égalent un sixlole. (Voir la dernière mesure de \' amiante
maéstoso).
De tout cela , comme de la possibilité défaire ra'sonnable-
ment, un rondo brillant d'une romance sentimentale , et des
combinaisons harmoniques comme cilles -ci la bémol, la
bécarre, dans le chant avec sol, si, ré comme accompagne-
ment, etc. , etc., nous n'avions certes pas eu la moindre idée,
jusqu'au moment où l'ouvrage de M. Fcssy nous est tombé
dans les mains. Nous nous croyons donc suffisamment auto-
risés à le recommander aux amateurs de curiosités, en ajou-
tant toutefois qu'il ne présente aucune difficulté et qu'il rem-
plit scrupuleusement les neuf pages prescrites par la loi
pour, éviter le timbre. Celte loi fiscale existe encore e«
France ait 19e siècle.
Bibliothèque populaire du Pianiste , ie livraison.
Caprice brillant sur des thèmes de Ludovic, par
C. Chaulieu, op. 152. Prix : I fr.
M. Chaulieu , par une longue suite de compositions pour
le piano , s'est acquis une certaine popularité qui prouve
qu'il connaît le goût de son public et qu'il s'est bien s'y confor-
mer. Ses productions sont mélodieuses sans jamais renfermer
de grandes difficultés et ne manquent pas d'une certaine tour-
nures d'élégance. Nous aurons cependant une question à
adresser à SI. Chaulieu, qui, nous le croyons, est l'auteur
d'une Théorie de l'harmonie! Sur quelle base repose sa ma-
nière d'écrire l'accord : si naturel , fa dièze , si naturel , main
gauche ; et la , mi bémol , la , main droite ?
fantaisie pour le piano sur la Cavatiue favorite de Pac-
cini de la Stra/iiera , précédée d'une Mélodie polo-
naise, parSowinski ; Op. 34. Prix : 7 fr. 50 cent.
Les deux motifs sont très-agréables et arrangés avec beau-
coup de goût et d'habileté pour le piano : quant à la forme de
ce morceau, elle s'éloigne quelque peu de celle des variations ,
et nous en savons gré à SI. Sowinski. Cette composition , dont
toutes les parties se lient parfaitement ensemble, est , eu gé-
néral, brillante : on pourrait reprocher à l'aiùeur, que la par-
lie de la main droite est écrite de manière à faire briller celle-ci
un peu trop aux dépens de la main gauche.
Souvenirs polonais, Variations brillantes, pour
le piano, par Louis Ançot; Op. 40. Prix : 7 fr.
130 cent.
M. Ançot est un des imitateurs de SI. Henri Hcrz , que le
monde ingrat aura bientôt oublié. On sait ce que nous pensons
de celte école (si , toutefois, ce mot est ici à sa place) on en
connaît aussi les qualités caractéristiques. Nous croyons pou-
voir nous dispenser d'entrer dans un examen plus approfondi
de la nouvelle composition de SI. Ançot , dont elle n'est sûre-
ment pas le meilleur ouvrage. Il nous semble , toutefois y re-
connaître que SI. Aurot est un pianiste habile cl un bon mu-
sicien.
GAZETTE MUSICALE DE S'AF.ÎS.
NOUVELLES.
4,*+ C'est décidément mercredi que se montrera à l'Opéra, le
ballet delà Tempête, ouvrage qui, à en juger par les répétitions
générale , est destin™ à un grand succès.
+% Depuis un an , Robert- le- Diable a obtenu, à Vienne,
.soixante-quatre représentations au grand théâtre royal , et
quarante-cinq au petit théâtre de la Josephstadt. Il est à re-
marquer que le petit chœur dansé du second acte a été bissé
dans cette ville à chaque représentation ; l'effet de ce morceau,
qui passe inaperçu à Paris, doit être attribué à l'excellence des
chœurs de femmes.
A% Mademoiselle Lngher, que nous avons applaudie l'an-
née dernière, au théâtre Italien , est en ce moment à Livourne,
où chaque représentation est pour cette cantatrice l'occasion
d'un nouveau triomphe.
+% Valenline , tel est le litre d'un opéra en trois actes,
poème de Planard , musique de Marliani , en répétition dans ce
moment à l'Opéra-Comique.
+% Nous avons rendu compte du succès que l'opéra de
M. Fontmichcl , llGilano,s obtenu à Marseille. Ce jeune com-
positeur depuis peu à Paris, a fait exécuter cet ouvrage au foyer
par les artistes de l'Opéra-Comique. Le directeur enchant é "de
cette partition , lui a promis un poème, et bientôt nous con-
naîtrons à Paris la musique de M. Fontmichel.
+*+ La partition de l'Opéra : Il Bravo, de Marliani, sera
incessamment publié, elle fera plaisir aux dilettante.
+*+ C'est le 25 et le 26 septembre que les deux premiers
concerts de l'association musicale belge auront lieu à Bruxelles,
le premier soir, dnns le jardin botanique, un grand concert
d'harmoire composé d'une réunion de plus de mille artistes et
amateurs. Ou y exécutera de grandes ouvertures arrangées
par Snel et Bend> r , une fanfare pour cent trompettes en dif-
férais tons, cinquante cors et cinquante trombonnes ; des
morceaux en échos pour deux orchestres , et la bataille de
Waterloo par Beethoven.
Le 26. Grand concert vocal et insliumenlal dans l'ancienne
Eglise des Augustius, un chœur composé d'environ trois cent
cinquante personnes, et un orchestre de deux cent ringt mu-
siciens exécuteront des morceaux choisis du Messie de Hacn-
del , une ouverture héroiqueavec chœur composé par M. Daus-
soigne-Méhul, (en continuation du dernier opéra de Méhul ,
Valentine de Milan), la cantate qui vient d'obtenir le premier
prix au concours, cl la belle symphonie en ut mineur des
Beethoven. C'est sans contredit, la plus belle et la plus grande
fête musicale donnée jusqu'ici en Belgique.
+*+ Un opéra nouveau de Beissiger : le Moulin du rocher
d'Estalièies a été représenté, le 3 d août, surle grand Opéra de
Berlin, et a obtenu du succès, malgré la pauvreté du poème
qui est presque incompréhensible.
*t M. Boyeldieu est dangereusement malade à Bordeaux. Le
correspondant qui nous communique cette triste nouvelle,
ajoute que les médecins craignent pour les jours du célèbre
compositeur.
t*„ MM. Meyerbeer et Paganiui sont arrivés celte semaine à
Paris; le premier partira demain pour Boulogne-sur-Mer;
M. Paganini ira incessamment à Gênes, où il a l'intention de se
retirer dans son château , qui est une des plus belles propriétés
de ce pays.
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piano, sur la cavatine : I tuoij'requenti palpiti. Op. ifi.
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— Variations concertantes pour violon et piano , sur une ca-
vatine de Meyerbeer : Ah corne rapida. Op. M . 6 fr.
— Variations concertantes pour violon et piano , sur une ca-
vatine de Mercadente : Soa\>e imagine. Op. \ 8. 6 fr.
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pistons obligé. 2 fr.
Ancot (£.). Souvenir italien. Variations de Concert pour
piano. Op. 3g. 6 fr.
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et progressifs, arrangés pour la harpe, sur plusieurs cava-
tines et airs italiens. Chaque ; 2 fr. 25 c.
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Paraît le DIMANCHE de chaque semaine.
On s'abonne au bureau de la Gazette Musicale de Paris , rue Richelieu , 97:
et chez tous les libraires et marchands de musique de France.
>r, reçoit les réclamations des personnes qui ont des griefs à exposer, et les avis relatifs a la musiqi
qui peinent intéresser le public.
PARIS. DIMANCHE M SEPTEMBRE IS3
Les lettres, demandes
et envois d'argent doi-
vent être affranchis, et
adressés au Directeur ,
rue Richelieu, 97.
ACROSTICHE
PAGAPilNI (i).
•S ower of harmony, thon mystic charm ,
t* polio , in some nearly human forai ,
fi5 reat source of sounds, unknown , unlieard befoie ;
> ngels soft strains , or some fell dœmons roar
g ow throe, the soûl extatic thèmes diffuse
*•> n taies enchanting, such a lover' s use;
ig ow sportive fingers , fairy revels show
w n a pleasing concert with thy magie bow.
(-1) Extrait de Monlhly-Belle Assemblée. (Traduction libre.)
Souverain maître de l'harmonie, doué d'un charme
mystérieux ! ô toi , véritable Apollon sous une forme à
peu près humaine; large source de mélodies, inconnues
jusqu'ici à l'imagination et à l'oreille, et tour à tour ri-
vales des accords de l'ange ou des rugissemens du démon,
tantôt l'ame en extase rêve en écoutant les doux enchan-
temens de l'amour, tantôt le délire de tes doigts s'unit à la
magie de ton archet pour peindre une voluptueuse
orgie.
De l'origine de l'Opéra.
FRAGMENT.
Les Grecs vers le milieu du *,5e siècle fuyant leur pa-
trie pour échapper a l'esclavage, apportèrent a l'Italie les
chaînes de la plus noble domination , celle de l'art et des
sciences; l'enthousiasme qu'ils inspirèrent alla jusqu'à
l'exagération ; et on ne trouva plus rien de beau que ce qui
était à la grecque. Bientôt nous voyons les Italiens con-
sacrer leurs investigations et leurs efforts a ressusciter
le théâtre si renommé des anciens grecs. On savait que
chez eux la tragédie alliait l'action dramatique , la réci-
tation des chœurs, harmonieusement rytmés, la musi-
que, la danse et la peinture. Mais en dépit de toutes les
recherches, on n'avait pas encore pu découvrir de quelle
manière ces divers élémens se mêlaient entre eux pour
concourir au plus merveilleux ensemble. Au lieu de la
tragédie grecque qu'on poursuivait, on finit par trou-
ver l'opéra, genre de spectacle entièrement nouveau, et
qui fut a son origine loin de cette perfection où nous
l'admirons aujourd'hui. L'opéra emprunta d'abord ses
sujets aux croyances religieuses, aussi portait-il le nom
de mystère. Le premier opéra , emprunté aux textes
sacrés, fut représenté sur une place publique de Rome,
en l'an 1440, c'était la conversion de saint Paul, par
Francesco Paverini, les premiers essais de l'opéra pro-
fane lurent un Orfée et une tragédie en musique, dont
le cardinal Riatti , neveu du pape Sixte IV avait
composé les vers, et qui fut représentée a 1480.
Vers l'an 11500, les papes avaient déjà ira théâtre avec
machines et décors, et, lorsque le cardinal Beitrand de
Bibiena, fit représenter devant Léon X la comédie de
2!)4
GAZETTE MUSICALE
la Calandra, on admira les peintures de Peruzzy.
En 1550, quand saint Philippe de Néri vint a Rome
pour fonder l'ordre des oratoriens , il s'empara du drame
lyrique et le fit servir avec beaucoup de succès au but
qu'il se proposait; En effet, connaissant le grand pen-
chant du peuple en faveur des représentations lyriques,
il fit travailler les meilleurs poètes sur des sujets religieux
auxquels on donna une forme lyrico-dramalique; les
compositeurs les plus distingues furent chargés de
mettre en musique ces poèmes, qui furent représentés
par les plus habiles chanteurs, et Philippe de Néri veilla
en outre a ce que ce spectacle eut lieu principalement
pendant le carnaval , époque qui empêchait générale-
ment le peuple de se rendre au service divin. Ces œu-
vres miisico-dramatiques, qui ont conservé leur forme
jusqu'à nos jours , furent nommées alors oratorios , à
cause de l'ordre religieux dont elles provenaient, ou
peut-être au contraire fut-ce l'ordre lui-même qui tira
son nom de ces ouvrages. Les compositeurs les plus im-
portais qui travaillaient a cette époque pour le drame
lyrique, furent : Alfonso délia Viola, Strigio , Malvezzi,
Emilio del Cavaliero , et Orazio Vecchi di Modena, et
leurs œuvres offrent rarement matière a l'admiration.
S'il faut avouer que ces ouvrages n'étaient guère que de
monotones psalmodies, on peut établir entre eux et ceux
qui parurent cinquante ans plus tard, la même compa-
raison qu'entre les opéras de Lully et ceux de l'immortel
Mozart. Cet immense intervalle fut franchi ainsi que
je vais le dire :
A Florence, les Médicis surtout s'étaient distinguées
par leur passion pour l'hellénisme. Eux et leurs amis
avaient parfaitement compris combien, avec les oratorios
et la manière dont on traitait la partie musicale dans
les pièces religieuses ou profanes, dans les madrigaux
et les canzonette ; combien, dis-je, on était encore
éloigné d'atteindre a la hauteur de la tragédie des
Grecs ; aussi , encouragés par le succès de leur aca-
démie de philosophie grecque, établissement déjà célè-
bre a cette époque , et riche en heureux résultats , con-
curcnt-ils le projet d'instituer sur le même plan une
académie pour l'élude du drame des anciens Hellènes ,
afin de pouvoir faire renaître l'antique tragédie comme
ils avaient déjà réussi a faire revivre l'école de Platon.
Cependant tous leurs efforts durent échouer contre la
maladresse et l'ignorance des musiciens. Ceux-ci ne
connaissaient, que leur contrepoint, qu'ils comprenaient
Lien et qu'ils employaient avec habileté; mais cette con-
naissance n'était d'âucuu secours pour le but qu'on se
proposait , et ils ne savaient rien autre chose. Plusieurs
d'entre eux pouvaient bien aussi avoir de la mauvaise
volonté : l'art tel qu'on le connaissait subsistait depuis
des siècles , et il ne manquait pas de gens qui s'en dé-
claraient satisfaits et qui ne pouvaient concevoir rien
au- delà.
L'idée d'établir une académie de drame grec semblait
presque abandonnée, lorsque survint un homme qui
s'empara de cette idée , s'y attacha et parvint a la réa-
liser par un rare assemblage de persévérance et d'habi-
leté. Cet homme était Giovami de Bardi , .comte de
Vernio, savant aussi remarquable par son esprit et sa
vaste érudition , que par sa profonde connaissance de
la musique. Il rassembla ses amis Giacopo, Corsi et Pie-
tro Strozzi, Girolamo Mei el Vincenzio Galilei, le père
du célèbre Galilée Galilei , et il proposa à leurs efforts
réunis le problème suivant : faire des recherches con-
cernant l'exécution des poésies dramatiques sur les
théâtres grecs, et sous le rapport musical. Pour arriver a
un résultat, il fut avant tout nécessaire d'introduire et
de mettre en honneur léchant a une seule partie jus-
qu'alors méprisé et même entièrement proscrit, il fallut
aussi donner à ce chant une forme nouvelle qui se rap-
prochât de la déclamation ordinaire, qui évitât toutes
les répétitions inutiles, qui pût se prêter aisément à
toutes les formes de la poésie, et qui fournît au chan-
teur les moyens d'exprimer librement toutes les inten-
tions et toutes les nuances conçues par le poète; et cette
idée d'une musique conforme en même temps aux poé-
sies et a leur déclamation animée, Vincenzio Galilei la
réalisa ; il trouva ce que nous nommons le récitatif, con-
dition principale de l'Opéra dans laquelle repose l'ori-
gine primitive du drame lyrique. Au reste, cette inven-
tion même fut loin d'être adoptée avec enthousiasme.
Le premier emploi de cette forme, ainsi qu'on peut le
supposer, n'obtint pas dès l'abord une bien grande fa-
veur , et l'on n'osa pas l'adapter aux poésies dramatiques
proprement dites. Les premières compositions que
Vincenzio Galileo travailla sur ce plan, et qu'il chanta
en s'accompagnant du Luth, furent la scène terrible où
le Dante représente Ugolin dans la tour de la Faim, et
plusieurs passages des complaintes de Jérémies sur la
chute du peuple de Dieu.
Que cette nuova musica, comme on l'appelait alors ,
fût celle-là même que l'on cherchait , c'est un point sur
lequel on fut bientôt d'accord ; il s'agissait maintenant
de l'approprier à la scène et de créer des pièces conve-
nables. On ne tarda pas à y réussir également. Rinuc-
cini , un des poètes les plus distingués de l'époque,
s'adjoignit à l'académie ainsi que Julio Caccini, un des
meilleurs chanteurs de Rome, et Jacopo Péri, l'un des
composiieurs les plus estimés alors en Italie. Rinuccini
écrivit un drame ayant pour titre Daphné, et Péri s'as-
socia a Caccini pour le mette en musique. Ce fut l'a le
premier ope'ra , dans le sens que nous attachons à ce
mot, et cet ouvrage fut représenté avec un succès d'en-
thousiasme , dans le palais de Corsi , noble Florentin ,
en présence de la cour toscane, d'un grand nombre de
cardinaux et de plusieurs autres grands personnages. La
réussite de cet opéra ne put se comparer qu'à l'étonne-
ment inexprimable qu'il excita, car jamais jusqu'alors
on n'avait vu la peinture, la poésie et la musique exer-
cer par leur réunion un charme aussi puissant. Rinuc-
cini écrivit ensuite le poème A' Eurydice dont Péri et
Caccini firent la musique. Caccini composa le rôle
d'Eurydice, et Péri se chargea du reste. L'ouvrage fut
représenté a Florence , a l'occasion du mariage de
Henri IV, avec Marie de Médicis , et c'est le premier
opéra qui ait été imprimé; il parut a Venise dans l'an-
née 1608. Dansle même temps que Péri, vivaient enltalie
Emilio del Cavaliero et Claudio de Mouteverde, deux
artistes qui s'essayèrent aussi avec bonheur dans legenre
de l'opéra. Le premier refit la musique de la Daphné de
Rinuccini et de X Ariane de Péri avec plus de succès
encore que ce dernier, bien qu'on pût lui reprocher
plus d'une faute sous le double rapport de la mélodie et
de l'harmonie.
Si Claudio de Monteverde ne put se flatter d'attein-
dre immédiatement a la perfection de l'opéra , il contri-
bua du moins à la préparer. Lui etLudovicode Viadana
se firent une brillante réputation comme harmonistes,
et, chez leurs élèves, le récitatif, comme la musique
dramatique en général, apparut plus large et plus riche
que chez leurs devanciers. Carissimi principalement ,
élève de Monteverde s'acquit une éclatante renommée.
L'harmonie vigoureuse de son orchestre excitait l'ad-
miration, ainsi que la manière habile dont ce composi-
teur savait employer tous les instrumens connus a cette
époque. La célébrité de Carissimi se soutint et fut encore
rehaussée par ses élèves Cavalli et Cesti. Cavalli trouva
X Aria, et donna ainsi à l'Opéra son plus gracieux orue-
menl; et si les airs de Carissimi ressemblaient encore
aux mélodies simples de nos menuets, Cesti en intro-
duisit de nouveaux dans lesquels l'ait du chanteur put
se développer en roulades et en fioriture. Son opéra de
Doris nous en offre des preuves; et Burney, dans son
histoire de la musique, nous a communiqué d'autres
exemples du même genre. Nous trouvons aussi dès ce
temps les airs ornés de cadences, ce qui , joint aux re-
marques de Busby dans son histoire de l'art musical (1),
nous donne la preuve que dès-lors l'Italie possédait
(I) Vol. 2, page 318.
des chanteurs fort habiles. Elle avait même déjà des
castrats, et le premier musino de la chapelle pontifi-
cale se retrouve vers le milieu du xvie siècle sous le nom
de Hieronymus Rossini. Jusque-la les parties de soprano
avaient été chantées par des Espagnols qui employaient
le fausset. Presque tous les dix ans, l'opéra gagna quel-
que nouvelle beauté; en effet, vers 1690, Nicolo Lo-
groscino trouva le finale, ou du moins il en fit un
usage des plus heureux, et il est le premier qui nous en
offre des exemples. C'est enfin dans les opéras d'Ales-
sandro Scarlatli que nous trouvons les premières ritour-
nelles précédant les airs, de sorte qu'a compter de ce
temps lu forme de l'opéra s'est trouvée fixée telle que
nous la connaissons aujourd'hui. Alessandro Scarlatti
naquit en 1658, et mourut en 1758. Outre ses nom-
breuses musiques religieuses, il composa, dit-on, 109 opé-
ras, et c'est a lui principalement qu'on attribue l'amé-
lioration des ouvertures qui jusqu'alors n'avaient pas eu
le moindre rapport avec le caractère de l'ouvrage qu'elles
précédaient. L'opéra avait été purement romantique
dans le genre sérieux ou comique. Les opéras héroïques
n'étaient pas encore connus ; ce genre d'opéra est une
production des temps postérieurs, elestdû principalement
aux Français.
Du reste, jusqu'au milieu du seizième siècle, et qua-
rante ans au moins aprèsl'invention de l'Opéra en Italie,
les Français n'avaientencoreproduitaucundramelyrique;
les Italiens avaient bien lait connaître ce genre de pièces
en France, mais personne n'osait prendre sur soi d'écrire
un opéra français. Il paraît pourtant que cela tenait
moins a l'impuissance des artistes qu'à cette opinion que
la langue française n'est pas musicale, opinion que cent
ans plus tard J.-J. Rousseau soutint avec tout le feu et
tout le mordant qui le caractérisaient. Lors de l'origine
de l'opéra en Italie , on ne connaissait en France que des
ballets dans lesquels la danse était entremêlée de récits ,
et pour lesquels on ne s'assùjétissait ni aux règles du
goût ni a celles de l'art dramatique. Ce fut l'italien Bal-
thasarini, connu ausà sous le nom de Beaujoyeux, qui
introduisit les premières règles; et pour reconnaître un
tel service, Catherine de Médicis le nomma intendant
de sa musique, et directeur de tous les ballets ainsi que
de toutes les représentations théâtrales a la cour. Ce fut
ce même Ballhasarini qui, aidé de Baïf, Ronsard et plu-
sieurs autres, mit en scène ce fameux ballet comique
d'une magnificence si vraiment royale, et qui coûta ,
dit-on, plus de cent mille écus. Le premier essai d'un
opéra français est dû a l'abbé Perriu et a Cambert , orga-
niste de l'église Saint-Honoré à Paris. Le premier fit les
vers d'une pastorale ayant pour titre : Pomone, et le se-
206
GAZETTE MLS1CALE
cond en composa la musique. Celte tentalive fut cou-
ronnée du plus brillant succès; le poète avait prouvé
que les Français pouvaient aussi prétendre à avoir un
drame lyrique; et la musique enchanta tellement le pu-
blic qu'on crut ne pouvoir comparer les mélodies des
flûtes douces qu'aux chants suaves des concurrens
dans les jeux olympiques. Plus laid, Perrin et Carobert
se présentèrent avec leur opéra d' 'Ariane , et dès ce mo-
ment les Italiens ne réussirent plus a plaire aux Fran-
çais avec leurs pièces italiennes. Perrin obtinl alors la
permission d'établir un théâtre public destiné a l'opéra,
et il s'installa a cet effet dans la salle de spcciacle de la
rue Mazarine. Le marqnis de Sourdeac auquel l'art du
machiniste et du décorateur est redevable des plus grands
services, ne tarda pas à se faire nommer t'tulaire de ce
privilège. Perrin fut remplacé comme poète du théâtre
par Gilbert qui se présenta avec une pastorale dont
Lulli avait fait la musique. Ce fut la le modeste début
de ce grand compositeur devenu depuis si cé'èbre. Le
succès inouï qu'il obtint , joint à la rare adresse qui le
caractérisait, le plaça bientôt a la tête du théâtre de
l'Opéra. Il s'adjoignit Quinault, cl en 167 2 il donna
son premier grand opéra , les Fêtes de /' Amour, ou-
vrage dans lequel Quinault était encore loin de promet-
tre ce qu'il devait être un jour comme poète Ijrico-dra-
matique. Lulli travailla constamment avec Quinault ,
et il s'engagea a lui payer -4,000 livres pour chacun des
opéras qu'il écrirait dans l'espace d'une année. Qui-
nault accepta ces conditions, mais il dut se soumettre a
un soit qui n'était rien moins qu'agréable. Lulli exer-
çait sur lui une tyrannie perpétuelle, et les beaux ou-
vrages de Quinault n'offrent peut-être pas une strophe,
un vers, une idée, qui n'aient été sévèrement épluchés
par le compositeur, et pour lesquels le poète ait pu se
dispenser d'obtenir l'assentiment du musicien. Tout ce
qu'écrivait Quinault il devait le montrer chaque jour a
Lulli qui l'examinait scène par scène. De son côté, Lulli
étant lui-même un grand violoniste, fut obligé de se
donner beaucoup de mal pour mettre les musiciens de
son orchestre en état d'exccu'er ses œuvres. Lulli fut
aussi le premier compositeur qui introduisit dans la mu-
sique d'opéra la réunion des instrumens a vent avec les
instiuinens a cordes ; avant lui les instrumens à corde
avaient été seuls employés pour l'accompagnement.
L'opéra subit encore une innovation aussi importante
et s'embellit d'un nouveau charme, lorsqu'en 1681 Lulli
fit, pour la première fois, paraître des danseuses sur le
théâtre, dans la représentation de son opéra : le Triom-
phe de F Amour. Ce grand maître parcourut toute sa
carrière avec autant de gloire que de bonheur, et il la
termina dignement en 1686 par l'opéra d' Armide qui
passe pour son meilleur ouvrage. Les musiciens les plus
distingués qui suivirent pas à pas la route tracée par
Lulli, furent Destouches, Campra, Monteclair et La-
lande. Ainsi, pendant tout un siècle, Lulli, représenté
par ses élèves, domina sans partage la scène de l'Opéra
français. En 1753, Rameau survint avec son opéra
A'JIippoljte et Aricie, et cet ouvrage, comme en géné-
ral les autres compositions du même maître, produisit
une grande sensation dans le monde musical. Long-
temps encore les partisans de Lulli disputèrent le succès
du nouveau venu; on opposait les opéras de Rameau a
Y Armide, a YAtis, et aux autres ouvrage de Lulli, et
ces derniers étaient encore ceux qui attiraient le plus
la foule. Mais enfin, par la création de Castor etPallux,
Rameau s'assura la victoire, et désormais il put régner
sans rivaux sur la scène lyrique, comme l'avait fait pré-
cédemment Lulli. Les productions de Rameau furent
entendues avec un tel plaisir qu'on ne pouvait croire a
la possibilité de composer des airs plus beaux , plus rem-
plis de charme, ou des chœurs d'un effet plus puissant;
on s'imaginait sérieusement que les ouvrages de Rameau
avaient poussé l'art jusque dans ses limites les plus re-
culées.
Cependant les Italiens étaient bien loin d'en être
restés au point où ils étaient parvenus avec Scarlatti;
et, comme nous le verrons lorsque nous revendrons
a eux, ils suivaient avec ardeur et succès la roule
déjà tracée. A l'époque où floiissait Rameau, des chan-
teurs Italiens arrivèrent a Paris ; on les nomma Bouffons,
et pendant le séjour de huit mois qu'ils firent parmi
nous, ils exécutèrent la Sciva Padrona, de Pergolèse ; //
Partagio , de Jomelli ; / Fiaggiatoni , de Léo de Vinci;
et la pureté de ces compositions, la douceur et la simpli-
cité des mélodies, qualités souvent réunies chez les
divers maîtres a la vigueur et a l'éclat , ne tardèrent pas
a effacer les ouvrages de Rameau qui ne parurent alors
que des psalmodies traînantes bizarres et dépourvues de
grâces. Ce fut le signal dtune nouvelle guerre. Les partis
qui jusque là avaient [pris fait et cause pour ou contre
Lulli et Piameau, s'unirent désormais contre l'ennemi
commun et rombalirent vaillamment pro aris etfocis.
Les antagonistes se rassemblaient chaque soir et cher-
chaient naturellement à tourner en ridicule ce qui a\ aifpû
plaire dansle camp ennemi. Bons mots, brochures, pam-
phlets, rien n'y manqua, et tout cela fit un feu croisé
qu'on nourrit très-vigoureusement de part et d'autre;
mais comme ces armes furent les seules qu'on mit en usage,
cette guerre n'eut pas de très-grandes conséquences poul-
ies progrès de l'ait. Cependant Rameau triompha encore
une fois en apparence; les bouffons furent congédiés et
quittèrent Paris, en 1753. Mais ce n'était qu'un simu-
lacre de victoire; les partisans de la musique véritable-
ment belle, ceux qui se distinguaient par la pureté de
leur goût; ceux qui avaient entendu avec transport les
productions des Galuppi, des Léo, des Pergolèse et des
Jomelli, ceux-là, dis-je, conservaient h ces composi-
teurs un fidèle souvenir. Cette vérité fut géuéralement
sentie et se manifesta surtout jusqu'à l'évidence lorsque
Banian, ayant fait des paroles françaises sur l'inimitable
Serva Padrona, de Pergolèse; il obtint le succès le
plus franc et !e plus général. C'est ainsi que la mélo-
die et le [chant, bannis du grand opéra, se réfugiè-
rent chez le joyeux vaudeville qui, pendant un demi -
siècle, et alors plus que jamais, peut-être, excita
au plus haut point l'intérêt des amateurs de la musique
dramatique.
Nous louchons h l'époque où brillèrent Ducis, Phi-
lidor et Monsigny, les véritables fondateurs de l'Opéra -
Comique et Grétrv le plus grand-maître de cette école.
Le Sorcier, de Philidor obtint une telle vogue qu'a la
la première représentation de cet ouvrage, Philidor fut
appelé a venir recevoir les applaudissemens du public ,
distinction que ce compositeur partageait seul jusque
alors avec Voltaire, et qui n'avait étéjusque-la décernée
it aucun maître de l'Italie.
Nous recevons du réélire auteur de Montana et Stéphanie,
la lettre suivante , accompagnée d'un canon énigmatiqiie, que
nos abonnés liront avec intérêt. D'après le désir de M. Berton ,
nous y joignons le thème. Dans noire numéro prochain
nous donnerons ce canon en partition; ce sera à la fois un
fac simile de l'écriture de l'illustre compositeur et le mot de
cette énigme musicale.
A M- le Ocrant de la Gazette musicale.
Monsieur,
Comme vous avez institué votre Gazelle dans le but utile d'y
traiter toutes les questions qui se rattachent à la culture de
l'ait musical, j'ai dû. penser quêtons les genres décompositions
pouvaient y trouver place , et je viens vous proposer aujourd'hui
d'insérer dans l'un de vos numéros , un petit Canon énigma-
tique composé pour l'Album de mon illustre ami Ckérubini.
Je sais bien qu'un morceau de cette espèce a peu d'impor-
tance ; mais cependant, comme on n'a pas toujours dédaigné
d'insérer des jeux d'esprit de cette nature, même dans les
feuilles littéraires et scientifiques du plus haut intérêt , je crois
qu'un canon énigmalique ne serait pas déplacé dans une
Gazelle telle que la vôtre. Au surplus , si l'on était obligé de
s'excuser auprès de quelques lecteurs un peu trop sévères,
d'avoir fait usage d'un semblable badinage harmonique, on
pourrait rappeler à leur mémoire que plusieurs compositeurs
et surtout les plus justement célèhres , ont pris souvent plaisir
a de tels jeux; que, notamment, l'immortel Haydn s'en était
fait une douée habitude ; et qu'il aurait eu du regret à se voir
contraint de passer un seul jour sans composer quelques mor-
ceaux de ce genre. Les murs de sa maison en étaient tapissés ,
son escalier , sa salle à manger, son cabinet , sa chambre à
coucher, toute son habitation en était ornée; il semblait trouver
une douce jouissance dans cette espèce de repos, de délasse-
ment qu'il donnait quotidiennement aux élans de «on brillant
génie! Repos simulé, qui sans laisser éteindre entièrement les
sons de sa divine lyre , n'était qu'un prélude aux merveilles
dont 'ce prince de l'harmonie sut embellir le domaine musi-
ca'. En effet, Haydn n'a pas passé un seul jour de sa vie sans
composer , et même sans lire , étudier nos auteurs classiques ,
surtout l'histoire de la musique Del padre Martini, et cher-
cher à résoudre les problèmes harmoniques qui abondent dans
ce bel ouvrage! Cela, peut-être, étonnera quelques personnes :
un musicien aussi habile! un génie aussi supérieur! lire, étu-
dier!... O.i pourrait leur faire observer que toujours les plus
savans. les plus habiles , sont ceux qui croient ne pas tout sa-
voir et avoir besoin encore de beaucoup apprendi e. Pour nous
c'est là le cachet du vrai mérite , du talent réel ; téinxn , Vol-
taire, qui, lisant quelques auteurs anciens, lut surpris dans cette
occupation par l'un de ses amis, qui , ne pouvant contenir sa
surprise, lui dit : « Comment, l'ous, Voltaire , vous le savant
des savans, vous, le savoir incarné , vous lisez! — Oui,
mon ami, répondit-il , je mets du bois au feu. » Haydi en
faisait autant et nous n'avous pas à regretter les momens que
ces deux féconds génies ont donnés à de telles distractions.
Salicri, l'élève, l'ami de Gluck, de ce père de la tragédie
lyrique , avait aussi , si l'on peut s'exprimer de cette manière ,
la monomanie canonique , qui le poursuivait à toute heure,
en tous lieux. A ce sujet, on cite encore fort souvent à Vienne,
en parlant de cet habile maître , le trait suivant : L'un des
plus grands seigneurs de la cour impériale, recevant à dîner
plusieurs notabilités étrangères, et voulant jouir du plaisir de
leur présenter l'une des gloires musicales dont s'honore l'é-
cole allemande, invite Salicri. Le jour de l'invitation ar-
rivé , Saliery était encore à son piano , lorsque l'horloge de
Saint-Eliennc vient l'avertir qu'il était plus que temps de par-
tir; il s'arrache à ses inspirations, s'habille à la hâte , sort de
chez lui, s'achemine vers l'hôtel du grand seigneur et y entre.
Mais , pendant ce temps , l'heure voulue , pour servir le diuer ,
avait sonné et le ponctuel maîlre-d'hôtcl avait fait prévenir son
excellence qu'elle était servie. Monseigneur, portant ses re-
gards sur la foule de ses nombreux convives , y cherche vaine-
ment Salie i; alo-s il donne l'ordre que l'on s'enquière du
maestro; on vient annoncer que le suisse l'a vu entrer, mais
qu'on ne sait on il a porté ses pas; nouveaux ordres de recher-
ches; enfin après bien du soin on finit par découvrir le héros
de la fêle dans l'embrasure d'une des croisées de la grande
galerie, un genou à terre et écrivant sur l'autre au crayon,
ouoi? Un canon.
A celle nouvelle , hilarité générale; Salicri cuire au milieu
de ce bruit en entonnant son canon pour toute excuse.
Monseigneur, qui était un dilettante de première forée ,
voyant que le canon avait été composé en L'honneur de ses con-
vives , s'empresse , en prenant la seconde entrée du canon , de
joindre sa voix à celle du maestro, qui non-seulement fut ab-
sous, mais fêté parla compagnie, comme le méritait l'auteur
de Tarare, des Dan aides , de la Grotte de Trophonius et
GAZETTE MUSICALE
d'un grand nombre d'autres ouvrages -recoin mandables à plus
d'un litre.
Si quelques personnes ont le désir de connaître ce qui a été
composé de plus remarquable en ce genre; elles peuvent d'a-
bord consulter l'ouvrage que nous avons déjà ciléel qui a pour
litre : Sloria délia musica , per Giam-Balista 'Martini ,
édition en trois volumes , in-4°, imprimée à Bologne, en 1757.
Elles trouveront des canons énigmatiques de différentes
espèces. Tous les carlouches placés au commencement ou à
la fin de divers chapitres eu sont ornés ; les problèmes
qu'offrent plusieurs de ces canons énigmatiques restent encore
à résoudre. Cherubini fut un des premiers qui sut pénétrer
dans les détours de ce labyrinthe harmonique ; ce fait ne doit
étonner personne; un tel honneur appartenait de droit au
maître des maîtres. Je pourrais citer encore une foule
d'auteurs qui ont produit d'excellentes compositions en ce
genre, mais en prononçant le nom de mon ami, je sens
qu'il faut revenir au motif de ma lettre qui déjà me paraît
un peu longue ; je reviens donc à mon canon, et vous le
fais parvenir ; si vous trouvez bon de l'insérer dans l'un de
vos numéros, je crois qu'il faut d'abord n'en produire que le
thème , et, par sftite, dans l'un des numéros suivans , donner le
mot de l'énigme, c'est à dire le canon en partition.
CANON ÉNIGMATIQTJE.
3È3E
F£
Faire un
-k-GL_,_/3_
non e - ni - Etna-
gH=f^^f^f^PT~~ -gHN»-j£:
ti- que! Mon cher Che - ru-bi - ni, c'est par
3^gÉ
-o-
r^EFH
3fe
trop dia - ho - li-que! C'est bon pour toi qui fais la
f>- . -19- \tn
\-fy . ^ n • s—
A tous nos ïrnnls
n (9 G-
>anls, nos ma - 1 1 n-s en 11111 - si - que!
J'ai l'honneur d'être , monsieur, avec une parfaite considéra-
lion,
Le Chevalier,
H. BERTON ,
Membre de fin lilut, officier de la Mtiop-d'Hanlft&r,
Piofrsscur nuCjm.eivatouc.
— On nous prie d'insérer la note suivante, extraite
du Constitutionnel du 9 septembre :
M. Pierre Erard, dans une nouvelle et longue note adressée
aux journaux , a essayé de soutenir sa précédente assertion par
laquelle il disputait la première médailles d'or décernée à
M. Pape par le jury de cette année. Pour justifier ce qu'il avait
avancé , M. P. Erard a imaginé de dire dans cette seconde note
que s'il n'avait pas reçu cette première médaille d'or, c'est
parce que le jury de 1834 avait décidé que pour économiser le
mêlai on ne redonnerait point de médailles d'or aux fabri-
cans qui en auraient obtenu aux expositions précédentes.
L'explication est au moins bizarre , car la liste des récompenses
décernées prouve évidemment qu'à cet égard le jury n'a pas
été plus économe du métal tt qu'il n'a pas opéré différemment
cetle année que lors des autres expositions, puisque sept fa-
bricans de diverses branches d'industrie qui, en 1827, avaient
obtenu des médailles d'or, en ont encore reçu en 1834; dans
la partie des instrumens de musique, trois fabricaus ont éga-
lement obtenu en 1834 des médailles pareilles à celles qui leur
avaient été accordées en 1827.
On sait d'ailleurs quelle distance met le jury entre une nou-
velle médaille accordée à un exposant et un simple rappel ;
l'une constate un progrès, l'autre est quelque fois un témoi-
gnage de tolérance et d'égards.
Après avoir vu dans la liste des récompenses publiée au
Moniteur, M. P. Erard porté pour rappel de la médaille d'or,
il devait réclamer pour les soutenir; mais ne voulant opposer
que des faits positifs à des allégations inexactes , il sollicitait
avec instances la publication du rapport qui devait rétablir les
choses dans leur entière vérité, lorsqu'à paru dans le Journal
du Commerce du 25 août un document qui, évidemment, est
une analyse de ce rapport; nous en citerons ce qui concerne
M. Erard et M. Pape, après avoir expliqué le mode d'après
lequel le jury a opéré. Deux classifications distinctes ont été
établies par lui , savoir : le son et le mécanisme. La première
médaille était destinée au piano qui réunirait à la force, à la
qualité du son et à la facilité du toucher, un mécanisme simple
et solide; c'est sur cetle base que le jury a îendu sa décision.
« Sous le point de vue de la qualité des sons , mais sous ce |
« point de vue seulement , dit l'analyse que nous venons de
» citer, M. Erard , pour les pianos à queue , a été placé au pre-
» mier rang, et M. Pape a été placé en première ligne pour ses
« pianos de nouvelle construction. Quant à la construction ,
» M. P. Erard a fait usage dans ses pianos à queue du méca-
» nisme à double échappement imaginé par son oncle Sébas-
» tien Erard, et dont l'emploi permet de redoubler la note
» avant que la touche soit entièrement relevée. On peut lui re-
» piocher d'être d'une complication extrême et par consé-
» quent d'offrir peu de chances de durée. »
Relativement au nouveau mécanisme de M. Pape , voici com-
ment s'exprime le même document :
« A diverses reprises, on avait tenté, mais sans succès, de
» placer le mécanisme des marteaux en dessus du plan des
» cordes, au lieu de le placer en dessous, comme on le fait ha-
» bituellement. M. Pape , reconnaissant combien cette wodifi-
» cation serait avantageuse , soit pour les qualités du son , soit
» pour les chances de durée de l'instrument, a adopté ce sys-
» tème dans ses pianos, et, après avoir vaincu de nouvelles
» difficultés, a réussi à construire un mécanisme en-dessus,
) nui parait remplir lus conditions les plus favorables au jeu de
j l'instrument. Les perfection nemens important et les modi-
> fications 1res heureuses introduites par JU. Pape dans la
i construction des pianos, paraissent avoir déterminé la cem-
> mission à lui décerner la première médaille d'or.
» La maison Erard, à laquelle il avait été décerné plusieurs
' médailles d'er aux expositions précédentes, n'a obtenu , en
■ 1834 , que le rappel de cette récompense; nous avons qucl-
i ques motifs de penser qu'elle aurait obtenu une nouvelle mé-
■ daille d'or, si une plus longue expérience eût prononcé sur
> la durée et Ta bonté de ses pianos à queue.
» On se rappelle que, dans le discours prononcé à l'occa-
i sion de la distribution des médailles , le roi a annoncé qu'aux
i récompenses décernées par le jury, il voulait en ajouter
i d'autres qui lui fussent personnelles. Deux des e«posans
i dont nous venons de nous occuper ont eu part à ces laveurs
i émanées directement de la royauté , et auxquelles le jury est
i resté complètement étranger. Ce sont MM. Plcyel et Erard
> qui ont reçu la décoration de la Légion-d'Ilonneur. Ce n'est
> donc pas sans étonnemeut qu'on a vu une note cômmuui-
i quée aux journaux avancer que M. Erard a obtenu la pre-
i mière récompense , puisque lia première médaille d'or a été
i décernée à M. Pape par le jury, qui n'a accordé à M. Erard
i qu'un simple rappelas cette médaille... »
Revue Critique.
Variations brillantes pour le piano-forte, sur un air
suédois, par Jacques Herzj Op. 2-4. Prix : 7 fr.
30 cent.
Si nous sommes bien instruits (et nous croyons le tenir de
bonne source), l'air auquel M. Herz donne l'épilhète de sué-
dois, est un air allemand , généralement connu « Herr Bruder
nimm das Glaeschen » , sauf quelques légers changemens à la
première mesure du thème et à la troisième de la ritournelle.
L'introduction est presque un peu trop pompeuse, et on ne
peut guères l'appeler qu'un prélude, puisque l'on n'y trouve
aucune allusion saillante au thème : le tout est donc un agréa-
ble assemblage de fragmens sans liaison inlime, mais qui ,
comme ou dit habituellement , est d'un bon effet. Le thème
est très-bien arrangé : seulement, dans l'avant-dernière et la
dernière mesures , nous aurions voulu que la dernière croche
au dessus de la deuxième partie fût un sol , pour éviter la sen-
sation désagréable qui résulte des octaves correspondantes
entre l'alto et le ténor. Nous avons été particulièrement satis-
faits de la première variation : tout-:.-fait conçue dans l'esprit
du thème et d'un caractère original, elle est, en outre , parfai-
tement écrite. Le N° 3 est brillant, mais il n'a rien de neuf et
l'on n'y Louve pas plus de traces du thème que dans le n° 3,
qui ne laisse d'ailleurs rien à désirer sous lu rapport de la
forme et de l'exécution. Nous avons le même bien à dire de
l'audante, et nous regrettons seulement que le compositeur n'y
ait pas un peu plus rappelé le thème. Le finale qui suit est
d'un caractère gai et gracieux j il est , comme toute l'œuvre,
d'une exécution assez difficile, c'est en résumé un morceau
brillapt qui produit beaucoup d'effet dans les salons.
Trois Chants a quatre voix pour deux ténors et deux
basses, composés par Ferdinand Lavainne. Op. 15.
Prix : 4 fr.
Le compositeur qui nous était jusqu'ici entièrement inconnu,
annonce dans ce morceau d'heureuses dispositions naturelles.
Des efforts quelquefois couronnés de succès pour être neuf et
original , et surtout une louable tendance à renforcer les tour-
nures harmoniques , où il réussit assez bien. Mais d'un autre
côlé , il trahit une ignorance absolue du style sévère, une con-
tinuelle négligence des règles établies pour la conduite des par-
lies de chant, pour leur disposition artistique ei, caractéristique,
et enfin pour l'orthographie musicale. Nous n'en citerons que
les exemples suivans mesure \ à 5, p. 1 , et mesure \ à 2, p. a,
et le dernier tact du même numéro, où la septième monte, ce
que nous avons déjà remarqué précédemment, et où se trouvent
des octaves cachées, entre le premier ténor et la basse. Le re
dièze dans les deux dernières mesures du premier ténor, doit
être mi bémol. La fin du n° 8 est ce qui nous a plu davantage ;
l'auteur y laisse apercevoir de véritables dispositions.
Grand Rondo brillant, pour le piano, par Lavainne.
Op. 9. Prix : 6 francs.
Le motif principal est agiéable et brillant; l'ensemble, riche
en passages sautillans et rapides, interrompus quelquefois par
des idées sans liaisons, et où l'on trou\ e plus de recherche que
d'intérêt et de nouveauté. Le compositeur paraît bien connaître
lu piano, et n'épargne pas les difficultés d'exécution. Nous tire-
rons au reste de ce morceau les mêmes conclusions que du pré-
cédent.
Ouverture pour le piano, a [quatre mains, par La-
vainne. Op. ^0. Prix : 7 fr. 50 c.
A côlé de quelques passages qui sont d'anciennes connais-
sances , nous en rencontrons qui ne manquent pas d'originalité,
et à travers beaucoup de bruit ressortent quelques traits , qui
promettent au jeune compositeur un avenir dramatique, quand
il aura perfectionné son goût et son sens musical par de bonnes
études.
Grande Fantaisie dramatique pour le piano, avec ac-
compagnement d'orchestre (ad libitum), par Lavainne.
Op. U.
Cette ouvrage vient à l'appui de ce que nous avons déjà dit
de M. Lavainne. On y trouve une telle complication de traits,
de passages et de cadences, qu'il y a de quoi faire perdre l'esprit
plutôt qu'acquérir du savoir. Néanmoins, nous croyons pou-
voir présager des succès à l'auteur s'il renonce à quelques mau-
vaises habitudes et s'il ne néglige rien pour s initier, par des
études profondes, aux mystères élevés de la science musicale.
GAZETTE MUSICALE DE PARIS.
Fantaisie pour le piano, sur un thème de la Révolte
au Sérail, de Labarre, par L. An.cot. Op. 43.
Prix : 6 francs.
Nour passons sur l'introduction qui n'est point ce qu'elle de-
vrait être , et mérite tout au plus le nom de prélude. Quant au
thème, il est excellent, et ne pouvait être plus heureusement
choisi, si l'on admet eu principe qne, moins le thème a d'éloffe,
plus il est inigniliant , dépourvu d'harmonie et de mélodie , et
plus il se prête à être varié, laissant à l'auteur plus de liberté
pour montrer son savoir faire, y jeter de la mé'odie et de l'har-
monie, et animer la tristesse du thème par les moindres modi-
fications rythmiques. Un pareil thème a un avantage pour le
compositeur consciencieux ; il peut, dès la seconde variation,
le replonger sans scrupule dans l'oubli , pour laisser librement
courir ses idées sur le piano. Les variations sont du reste écrites
avec soin et correction , et prouvent de nouveau que M. A ncot
connaît son instrument. Nous citons comme d'un grand effet
et remarquable par sa fraîcheur , le final que M. Ancot a
nommé Mazourka.
NOUVELLES.
jj*^ Comme nous l'avions annoncé , M. Mcyerbeer est parti
pour Boulogne. Il sera de retour à Paris vers la fin du mois
de septembre.
+% La première représentation du nouveau ballet a été reculée
encore de quelques jours. Un effet de lumière qui exigeait
quelques réparations dans l'éclairage au gaz est la cause de cet
ajournement; mais M. Véron nous promet que la Tempête
grondera demain lundi dans la rue Lepelletier.
+*+ Le Théâtre- Italien ouvrira le i d'octobre ; les artistes ar-
rivent déjà : Tamburini , Mademoiselle Schulz sont à Paris, et
l'on attend aujourd'hui même Lablache, Rubini ■ et made-
moiselle Julie Grisi; avant l'ouverture celte admirable troupe
sera au grand complet.
f** Le Chalet de Scribe et Adam ne sera représenté quejeurli
à l'Opéra-Comique. Ce retard doit être attribué au voyage des
artistes de ce théâtre pour Compiègne.
+% Le Ballet chinois paraîtra incessamment a u Théâtre-Nau-
tique.
/* L'opéra italien que Bellini compose en ce moment , est
très-avancé ; il ne manque plus que trois ou quatre morceaux,
et ce compositeur espère que son ouvrage sera représenté à Pa-
ris dans le courant de décembre.
S+.Valentinelnon Valenline est le titre de l'opéra attribué à
MM. Planard et Paul Duport,el dont M. Marliani a composé la
musique; nous croyons savoir de bonne source qu'il y aura,
ayant la première représentation, un changement de titre plus
significatif sur le sujet de celle pièce que l'on dit intéressante.
*** M. Strunz , auteur' de la musique duballet de Guillaume-
Tell, vient de partir pour l'Allemagne; il doil ramener à Pa-
ris des chanteurs et des chœurs allemands. On dit aussi que la
mission de cet arlisle est d'engager pour l'orchestre des ins-
trumens en cuivre qui abondent, en Allemagne et surtout en
Autriche, et qui sont fort rares à Paris.
. *** Lulli, devenu célèbre à jamais par ses compositions mu-
sicales , et qui fut surintendant de la musique de Louis XIV ,
compte encore aujourd'hui à Paris quelques descendant ; ce
sont MM. le marquis de Dampierre , pair de France, son frère
le comte de Dampierre et la marquise Dessoles, leur sœur; c'est
la seule branche de la famille du Lulli, qui soit venue jusqu'à
nous. J n
*% On a représenté, il y a quelques semaines, à l'Opéra -An-
glais de Londres, un ouvrage original ; c'est un événement qui
mérite d'être mentionné à cause de sa rareté. Le compositeur
s'appelle Lee. Il a obtenu un plein succès. La pièce a pour litre:
l'Hôte mort. On a remarqué epic la salle était pleine d'éditeurs
de musique. On parle aussi avec beaucoup d'éloges d'un opéra
de John Barnctt. , intitulé : le Sylphe de la montagne.
Musique nouvelle ,
Publiée par Maurice ScLlesin6er.
Bellini. lYorma, tragédie lyrique en 2 actes , pour piano seul,
avec accompagnement de flûte ou de violon ad libitum. 24 f.
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7 fr. 50 c.
— L'Ouverture du même opéra. 4 fr. jfj c.
Adam. Le Proscrit, arrangé pour deux flûtes , par Strunz.
7 fr. 50 c.
— L'Ouverture du même opéra. 4 fr. 50 c.
— Le même opéra arrangé pour deux violons. 7 fr. 50 c.
— L Ouverture du même opéra. 4 fr. 50 c.
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Grisard. 7 fr. 50 c.
PuliliJe pnr Henri Lemoiiie.
Dejazet. Fantaisie pour le piano , sur la Folle. 6 fr.
Publiée par Truupenas.
Herz. Op. 76. Variations brillantes de Bravura, sur le Pré-
aux-Clercs, pour piano et orchestre. 15 fr. et 7 fr. 50 c.
— Variations brillantes sur un thème de Mathilde de Sha-
hran. 7 fr. 5o c.
Kalkbrenner. Mélange sur les motifs de Lestocq. 6 fr.
Adam. Six petils Airs tirés de Lestocq. 6 fr.
Labarre. Le départ de la jeune fille , romance. 2 fr.
Duver/ioi. Variations sur la rouile de Lestocq. 5 fr.
Publiée par Paccini.
flarîiani. Il Bravo, opéra en 3 actes, partition de piano.
Prix net. 20 fr.
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tachés.
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pour la MUSIQUE INSTRUMENTALE et pour les PARTITIONS
D'OPÉRA.
L'Abonné paiera la somme de 00 fr. ; il recevra pendant
l'année deux morceaux de Musique instrumentale ou une
partition et un morceau de musique , qu'il aura le droit de
changer trois fois par semaine ; et au fur et à mesure qu'il
trouvera un morceau ou une partition qu'il lui plaira, dans le
nombre de ceux qui figurent sur mon Catalogue , il pourra le
garder jusqu'à ce qu'il en ait reçu assez pour égaler la somme
de 75 fr., prix marqué, et que l'on donnera à chaque abonné
pour les 5o francs payés par lui. De cette manière l'ABONNË
aura la facilité de lire autant qnebon lui semblera, en dépensane
cinquante francs par année, pour lesquels il conservera pour
75 fr. de musique.
L'abonnement de six mois est de 3o francs , pour lesquels on
conservera en propriété pour 45 fr. de musique. Pour trois mois
le prix est de 20 fr. ; on gardera pour ^o fr. de musique. En
province ,on enverra quatre morceaux à la fois. Affranchir.
N. B. Les frais de transport sont au compte de MM. les
Abonnés. — Chaque abonné est tenu d avoir un carton
pour porter ta musique. (Affranchir.)
Gérant, MAURICE SCHLESINGER.
GAZETTE MUSICALE
n° 38.
PRIX DE l'aBONNEM.
PARIS.
DÉPART.
ÉTBAKG
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Fr. r.
Fr. c.
3 m. 8
8 75
9 50
6m. 15
16 50
18 »
< an. 30
33 »
36 »
€a <&aztite iïtusicaU' *>*> |3artg
Paraît le DIMANCHE de chaque semaine.
On s'abonne au bureau de la Gazette Musicale de Paris, rue Richelieu
et chez tous les libraires et marchands de musique de France.
Ou reçoit les réclamations des personnes qui ont des griefs à exposer, et les avis relatifs à la
qui peuvent intéresser le public.
PARIS, DIMANCHE 21; SEPTEMBRE 1834.
Les letlres, demandes
et envois d'argent doi-
vent èlre affranchis, et
adressés au Directeur ,
rue Richelieu, 97.
ACAr.rr.-iE poï;ic de itcsiçvE.
La Tempête,
Ballet en 2 actes, précédé d'un Prologue, de M. Coraly , musique de
M. Schneïlzoëfftr, décors de MM. Ciceri, Feuchères, etc.
J'ai en aversion les ballets; je pense que ce spectacle,
dans lequel les gestes sans paroles sont les seuls inter-
prètes de la pensée (quand pensée il y a), est excessive-
ment absurde , plus absurde cent fois qu'un drame parlé
d'où les gestes seraient exclus. On n'a jamais songé pour-
tant a introduire sur la scène un pareil mode d'exécu-
tion pour les poètes. Si on voulait en faire l'expérience,
elle serait sans succès incontestablement. Chacun ne
manquerait pas de se récrier contre cette monstrueuse
innovation qui, condamnant les acteurs a l'immobilité ,
les ferait ressembler aux statues des dieux du paganisme,
dont les traits étaient aussi calmes en rendant un oracle
terrible que lorsqu'ils annonçaient la joie et le bonheur.
Pourquoi nous priver de l'expression mimique, si puis-
sante quand elle est habilement employée? Voila certes
une bien sotte idée, dirait aussitôt le public. Pourquoi
ùter a l'art dramatique l'un de ses plus grands moyens
d'action, quand on {devrait au contraire chercher à lui
en donner de nouveaux? A cela que trouverait-on a ré-
pondre? Je ne le vois pas trop. Eh bien, nous voyons tous
les jours, dans un genre opposé , des acteurs se dislo-
quer les bras, s'exposer a des luxations de la colonne
vertébrale, se défigurer à force de roulemens d'yeux et
de contorsions ridicules, pour nous faire comprendre
quelque lieu commun dramatique. Y parviennent-ils, au
moins? tant de pénibles efforts sont-ils couronnés de
succès? Si peu, que toutes les fois qu'il s'agit d'une idée
d'où l'intelligence générale de la pièce dépend, on se
voit forcé de l'écrire en toutes lettres sur quelque tableau
placé bien en évidence, où les spectateurs peuvent lire,
comme dans la Belle au Bois, dormant : Elle dormira
cent ans.
Un jeune Arabe, nouvellement arrivé a Paris, me
disait un jour : v Je suis allé voir jouer les muets , hier
» soir. — Les muets ! que voulez-vous dire? — Oui, je
m suis allé a l'Académie Royale de Musique. On y re-
» présentait une pièce qui m'a un peu ennuyé, parce
» que, n'ayant jamais étudié le langage des signes, je
» n'y comprenais presque rien. J'ai été surpris de la
« beauté de vos femmes muettes; il est rare que ces
» êtres incomplets ne joignent pas à ce défaut quelque
« autre infirmité plus ou moins apparente. — Mais je
» vous jure qu'il n'y a pas de mueis ni surtout de
» muettes a l'Opéra. Placé un peu plus près de la
» scène , le babil immodéré de ces dames vous eût ras-
» sure, beaucoup plus peut-être que vous ne l'eussiez
» désiré. — Alors pourquoi les acteurs de la pièce que j'ai
» vue ne parlaient-ils donc pas? — Parce que, dans ce
» genre de spectacle, la parole est prohibée. — Vous
jj vous raillez de moi ; comment croirai-je jamais qu'un
» peuple aussi avancé en civilisation , aussi spirituel
» que le peuple français , adopte comme genre spé-
» cial une aussi énorme bêtise. Autant vaudrait me dire
» que vous défendez a vos littérateurs d'employer dans
» leurs écrits plus d'un certain nombre de mots, a
» l'exclusiou du reste de la langue ; que dans certains
» théâtres de Paris , vous avez des danseurs qui ne doi-
» vent danser que sur un pied , des chanteurs qui n'em-
» ploient que six notes et un public pour applaudir a
302
GAZETTE MUSICALE
» cette folle mutilation de leurs facultés! a On voit que
mon interlocuteur , quoique fort instruit dans la lan-
gue française, n'avait pas encore eu le temps de se fa-
çonner aux habitudes européennes ; il demeura persuadé
que je plaisantais, et que nous ne pouvions être assez
déraisonnables pour prendre plaisir a interdire la parole
à des acteurs qui peuvent parler. Il n'aura sans doute
pas tardé à trouver dans nos arts beaucoup d'autres dé-
raisons, semblables a celle qui lui avait paru incroyables
au premier abord. Quoi qu'il en soit, comme nous parta-
geons sa manière de voir a l'égard des ballets-panto-
mimes , au lieu de faire une critique sérieuse de la Tem-
pête, nous donnerons seulement l'historique des im-
pressions du public a cette représentation.
Beaucoup de places étaient vides pendant le premier
acte de Cortès dont le ballet était précédé. Les fidèles ad-
mirateurs des inspirations de Spontini avaient seuls cru
pouvoir se mettre au-dessus de la mode, dont le caprice
enjoint aux fashionables de ne jamais entendre autre
chose que la pièce nouvelle, un jour de première repré-
sentation. Ils eussent mieux fait cette fois de se con-
former aux usages reçus. Chacun en remontant au foyer
s'indignait du gâchis musical qu'il venait d'entendre.
Mademoiselle Jawureck a chanté Amazily en véritable
Mexicaine. Les chœurs toujours en arrière du temps et
au dessous du ton se sont montrés les dignes compa-
triotes de la sœur de ïelasco. Les danseurs ne s'étaient
même pas donné la peine de prendre les cymbales et
tambours dont ils doivent se servir dans la scène du sa-
crifice des prisonniers; c'était d'un sans façon dont on
voit peu d'exemples. L'orchestre seul n'a rien eu a se
reprocher.
Enfin le ballet a commencé. Le Prologue , où
nous avons vu une brillante cohue de coslnmrs grecs
et turcs, représente, à ce que dit le livret, le sac d'une
ville. C'est le récit de Prospero, dans le diame de
Shakespeare, mis en action. Cette introduction a paru
assez ennuyeuse et dépourvue d'originalité ; elle offre
beaucoup de poin'.s de ressemblance avec le dernier acte
du siège de Corinthe. La musique, ayant toujours a
peindre des scènes de carnage et d'horreur, est remplie
d'effets violens dont le bruit assourdit et fatigue. Cepen-
dant on a dû remarquer un trait de tous les instrumens
de cuivre en octaves , d'une grande énergie et plusieurs
passages fort gracieux dans le chœur chanté derrière la
toile pendant l'introduction. Au premier acte, nous
tommes dans l'île enchantée. Une foule de génies de
l'air, du feu, de la terre et des eaux entourent Léa (la
Miranda de Shakespeare), et exécutent aux ordres d'Obe-
ron (lePiospero de Shakespeare), des danses assez pitto-
resques. Avec autant de moyens on aurait pu cependant
obtenir de plus piquantes combinaisons. Lea-Mininda
ne s'intéresse plus guère a tous ces jeux; Oberon-Pros-
pero, inquiet de sa tristesse, ordonne aux génies d'aller
chercher les plus riches produits de chacun de leurs
domaines, et de venir les déposer aux pieds de leur jeune
souveraine. Lea est bientôt environnée de rubis, d'é-
nKTaudes, de coquillages, de coraux et de fleurs ; c'est
a en perdre la vue, tant est vif le scintillement de toutes
ces couleurs variées. La jeune fille, un instant enchantée
a l'aspect de ces merveilles, examine tout, touche a tout,
et, guidée par son instinct féminin, fait un choix pour se
former une brillante parure ; aussitôt arrive le fatal ,
l'inévitable miroir où elle s'admire en minaudant et en
levant la jambe gauche, comme dans la Tentation,
comme dans Psyché, comme partout. On ne s'attendait
pas a trouver, en 1834-, un tel lieu commun a l'Opéra.
Cette diversion aux peines secrètes delà jeune fille est
de courte durée; l'orchestre joue l'air de Richard :
« Je sens mon cœur qui bat , qui bat , etc.
Ce qui veut dire, pour ceux qui connaissent la musique et
les paroles de l'opéra deGretry,que.yoft cœurbat. Oheron
lui demande le sujet de son trouble(il devrait bien le sa-
voir puisqu'il est sorcier); et pour faire comprendre au
public la réponse de Lea, l'orchestre aussitôt déjouer
l'air du page, dans le Mariage de Figaro; ce qui si-
gnifie pour ceux qui savent par cœur la musique et les
paroles de l'opéra de Mozart, qu'un trouble inconnu
l'agite, qu'elle cherche et appelle un bonheur inconnu ,
au-devant duquel son cœur s'élance et palpite. Admira-
ble éloquence des gestes ! — N'importe, il n'y a pas de
temps a perdre, il faut la marier cette jeune fille; Oberon
pense comme nous, et fait comprendre sa pensée sans
que l'orchestre ait besoin de jouer le chœur des Danaï-
des : Descends des deux , doux Hjmênée; est-ce a la
vérité de la pantomime de Montjoie qu'il faut en savoir
gré, ou a la force de notre pénétration? Notre modestie
nous empêche de prononcer là-dessus. Décidé a marier
Lea, Oberon n'a plus qu'une chose à faire , c'est de lui
trouver un mari. Or, il n'y a point d'hommes dans l'île,
bien que tous ces génies dont elle est peuplée aient ab-
solument les traits de la race humaine. Le magicien or-
donne alors au gentil Ariel, dont nous n'avons pas en-
core parlé, quoiqu'il lève aussi fort bien la jambe gau-
che, de rassembler son armée aérienne, d'exciter une
horrible tempête, et de faire échouer sur le rivage un
! vaisseau qui porte le futur époux de Lea. Aussitôt, les
i Sylphes, les Gnomes et les Salamandres se mettent a
i l'œuvre;
Porto nox incubai atra.
DE PARIS.
303
Les vagues s'enflent et mugissent ; l'éclair fend la
mer, etc. (Je vous ferai une belle description de tem-
pête en style académique une autre fois). Grâce a la
beauté des décors, et au procédé ingénieux qui repré-
sente avec le plus rare bonheur une mer furieuse, le
1 public a parfaitement compris de quoi il s'agissait , sans
que l'orchestre ait fait entendre le moindre souvenir de
Pierrot dans le Tableau Parlant :
« Les vents entre eux se font la guerre ;
« On entend gronder ie tonnerre. »
Le vaisseau échoue, et de tous les passagers et mate-
lots, Fernando, aimable et beau jeune homme, échappe
seul à la mort. Il aborde dans l'île, sans que l'eau salée
ni les sables paraissent avoir endommagé le moins du
monde son beau costume de midshipman. Lea, laissée
seule a dessein par Oberon , aperçoit l'élégant nau-
fragé; elle l'aime, il l'aime, ils s'aiment. Fernando ne
s'amuse pas à jouer aux échecs avec sa maîtresse, comme
dans Shakespeare ; il s'empresse au contraire de guider
la timide inexpérience de la jeune vierge vers un ber-
ceau de verdure, où ils seront plus à l'aise pour causer
à la manière des pigeons de La Fontaine « Mon
voyage dépeint vous sera a" un plaisir extrême. » Lea se
laisse doucement conduire; a peine a-t-el!e mis le pied
sur le gazon fleuri, déjà deux clarinettes roucoulent à
l'orchestre le duo du Prisonnier. Les habitués de l'O-
péra-Comique et quelques autres qui savent par cœur les
paroles et la musique de l'opéra de Pella-Maria com-
prennent aussitôt que cela veut dire :
Je sens mon cœur qui palpite ;
Mon cœur palpite en tous voyant.
D'honneur, je commence a craindre que l'ingénue ne
meure d'un anévrisme, car voici la troisième fois au
moins que nous la voyons se plaindre de palpitations.
Oberon intervient fort h propos pour interrompre la
conversation des deux amans. Il accueille Fernando ; le
bel étranger sera l'époux de Lea; mais il faut qu'une
épreuve vienne rassurer Oberon sur la sincérité de l'a-
mour du jeune homme. En conséquence, les génies,
conduits par Ariel, endorment Lea sur un lit de fleurs,
au pied duquel Fernando, vaincu parle même charme,
vient bientôt aussi tomber assoupi. La décoration change;
nous retrouvons les deux dormeurs dans la même situa-
tion ; le lieu de la scène seul est changé. Fernando s'é-
veille le premier; une rose, tombée du sein de sa belle
compagne , vient rouler a ses pieds ; il la ramasse et la
couvre de baisers, comme dans Mars et Vénus. « Ali !
bon, voila la rose, » se sont écriés plusieurs babitués de
l'Opéra. Fernando se retourne, au soupir que laisse
échapper la dormeuse en s'éveillaut. 0 surprise ! ce n'est
pas Lea ; une beauté inconnue s'avance aux yeux éblouis
de notre héros. C'est la fée Alcine (mademoiselle Elsler),
chargée par Oberon de faire subir au futur époux
de Léa la redoutable épreuve. La ravissante fée n'é-
pargne rien pour séduire. Tendres aveux , sourires cé-
lestes, danse inexprimable, dangereux enlacemcns,
tout est mis en œuvre. Mais il n'y a que le public de
séduit ; au moment où Alcine présente à Fernando sa
baguette magique en signe de soumission absolue, la
salle a retenti d'une trombe de bravos, telle que n'en
avait peut-être encore jamais entendu la danseuse vien-
noise, et le fidèle Fernando, usant du pouvoir que l'im-
prudente fée venait lui confier, a étendu sa baguette et
fait disparaître (l'ingrat!) tt la belle Alcine et toute sa
brillante cour. Le voila donc sorti vainqueur de l'é-
preuve. Oberon est satisfait ; dans une magnifique grotte
de stalacties dont l'entrée donne accès aux rayons d'un
soleil éblouissant, la tendre Lea est unie a son amant,
et chacun comprend son bonheur, sans que ( ô miracle
delà pantomime!) l'orchestre fasse entendre le fameux
duo de la Vestale :
« Sur cet aulc! sacré viens recevoir ma foi. >i
Plaisanterie à part , le ballet de la Tempête , bien
qu'entaché de plusii urs lieux communs , a cependant été
monté avec un soin tout particulier. Le luxe de la mise
en scène est vraiment royal ; plusieurs effets , entre au-
tres celui de la mer agitée, dont les flots viennent se bri-
ser avec fracas sur la grève qu'ils couvrent de flocons
d'écume , et l'illumination lointaine de la grotte de sta-
lactites , ont paru aussi nouveaux qu'ingénieusement
rendus ; en outre , chacun a reconnu , dans le choix
des costumes, le goût parfait qui caractérise les dessins
de M. Duponchel. La musique de M. Schneitzoeffer
nous a semblé remarquable partout où le compositeur a
pu jouir d'un peu de liberté; nous lui reprocherons ce-
pendant de n'avoir pas assez varié les moyens vio'ens
que le sujet l'obligeait a employer si fréquemment. Mais
savons-nous bien s'il lui a été loisible d'en agir autre-
ment? Il n'y a pas de tâche plus pénible et plus ingrate
â la fois que celle imposée nécessairement au composi-
teur d'une musique de ballet. Quand il a fini, on le fait
recommencer. Est-il content d'un morceau, dont il a
sagement ménagé la conduite et le développement, le
maître chorégraphe arrive, il faut couper ceci, allonger
cela , supprimer entièrement une période ou même re-
faire le morceau. Puis aux répétitions les danseurs de-
mandent une autre instrt.mentation, quidestrombonnes,
qui de la grosse caisse, la où fauteur avait peut-être
mis des flûtes avec un accompagnement en pizzicato.
304
GAZETTE MUSICALE
Pauvre compositeur! Pour un homme de la trempe de
ceux que les chorégraphes italiens traînent a leur suite,
ee rôle d'esclave n'a rien de bien difficile , il est le seul
auquel il soit propre, la nature l'a façonné tout exprès;
mais quand le musicien est un artiste distingué, comme
M. Schneitzoeffer , alors il faut sincèrement le plaindre
de se trouver placé dans une semblable position ; elle est
affreuse.
LE PROTEE.
Parmi tant de feuilles légères qui surgissent de toutes
parts, vrais enfans perdus de la littérature et qu'un
printemps le plus souvent voit naîlre et mourir, nous
devons en excepter toutefois une élégante Revue des
modes, recueil tout fashionable, et auquel nous prédi-
sons un succès de longue durée ; le 3e numéro du Protee
qui vient de paraître, est de nature a ne pas donner de
démenti à nos prévisions. Les noms des collaborateurs
de ce journal suffiraient seuls pourindiquer la place qu'il a
droit deprendreà côté de la RevuedeParis et delà Re-
vue des Deux-Mondes. Nous mettrons en première ligne
dans ce numéro un article, de M. Léon Gorlian, inti-
tulé : les Deux existences. C'est un contraste profond et
brillant de satire amère contre le siècle et de sensibilité
à la fois. Michel Raymond n'a pas non plus démenti sa
belle réputation dans son article intitulé: Comment sont
fait les anges , dans lequel il offre un tableau de sa pro-
pre jeunesse. Madame Dupin occupe dignement sa place
entre ces deux écrivains distingués, dans sa nouvelle de
Catherine Pair. N'oublions pas un joli article de modes
qui a tout l'attrait d'une féerie, et dont nous regrettons
de ne pas connaître l'auteur, qui signe par les initiales
Élise de G Mais ce qui entre dans notre domaine et
nous donne droit de parler du Prote'e , c'est la romance
que M. Berlioz a publiée dans le dernier numéro. Cette
légère composition a fourni au musicien une nouvelle
occasion de se montrer original ; tout en n'employant
que des moyens fort simples , il a su , par la vérité pas-
sionnée de la mélodie et par une harmonie originale,
sortir tout-a-fait de la route battue par le peuple des ro.
manciers. Les gravures de modes ne sont pas non plus
de celles qui traînent dans les recueils ordinaires de ce
genre; on les croirait échappées au crayon vraiment ar-
tiste de Gavarni. En somme : voilà une livraison com-
plète. Les prochaines renfermeront des articles de
MM. Louis Desnoyers, Léon Gozean , en un mot de
toute l'élite denotre jeune littérature.
Correspondance.
M. Paganini nous communique la lettre suivante , adressée
par lui au Journal des Débats :
« Monsieur le rédacteur , Le singulier moyen employé par
votre spirituel feuilletonniste , pour m' engager à donner un
concert au bénéfice des pauvres, m'oblige de répondre a cette
attaque. Depuis plus de trois mois en Fiance je n'ai donné au-
cun concert; ma santé délabrée exige le plus grand repos, et
je retourne à Gènes , ma patrie , pour y passer tout le temps
nécessaire à mon complet rétablissement. J'ai donné à Paris
deux concerts au bénéfice des pauvres, qui a le droit de douter
que je n'éprouverais du plaisir à eu donner un troisième? J'es-
père que vous voudrez donner place à ces lignes dans votre
estimable journal. Nicolo PAGANINI.
Revue Critique.
FRÉDÉRIC CHOPIN.
La ci dabjem la mano, varié pour le piano, avec
ace. d'orch. (op. 2. Prix : -15 f., \ 2 f., et 7 f. 50c),
et CoNCERTopour le piano , avec accompagnement
d'orchestre (op. 11. Prix : 24- et 12 fr.)
Il est difficile, peut-être même impossible, de comparer les
créations artistiques de deux hommes dont le mérite-peut bien
être égal , quoiqu'il se manifeste par des moyens différens ; car
dans les arts, on arrive souvent au même point par les che-
mins les plus opposés; rien au contraire de plus naturel et de
plus utile que de comparer entre elles les œuvres d'un même
artiste prises à diverses époques. Un tel parallèle devient à la
fois intéressant et instructif, non-seulement pour nous-mêmes,
mais encore pour l'artiste; car il y trouve sa récompense la
plus belle et la plus légitime. Il y puise la conviction encoura-
geante qu'il est dans la voie du progrès , et ces leçons de per-
sévérance qui lui enseignent que, pour atteindre le but, il ne
suffit pas d'un élan, mais qu'il faut les efforts successifs d'une
vie entière.
Le premier des deux œuvres que nous venons d'indiquer a
élé le début heureux et brillant de M. Chopin dans la carrière
musicale; et peu d'années se sont écoulées entre la création de
cet œuvre et celle du concerto. Nous devons ranger cet artiste
parmile petitnombrede génies favorisésqui, le but toujours de-
vant les yeux , marchent avec autant de force que de hardiesse,
sans s'inquiéter de ce que fait la foule autour d'eux, de ce
qu'elle désire, de ce qui est son besoin ou sa mode. Essayons
de le suivre dans sa course d'un regard observateur, mais ami ;
un homme comme lui ne doit pas plus être blessé par nos
scrupules qu'ébloui par notre admiration.
Le premier des deux œuvres dont nous avons à nous occu-
per nous paraît porter l'empreinte des circonstances où se trou-
vait alors l'auteur. M. Chopin qui avait fait, à Varsovie, son
éducation sous les yeux de ses parens , arriva vers 1829 à
Vienne, ancienne et célèbre capitale du monde musical; là se
conservait tout vivant encore le souvenir du plus grand et du
plus populaire des maîtres de la musique , de ce Mozart, aussi
cher aux profanes, qu'aux artistes eux-mêmes ; et rien de plus
305
naturel pour le jeune arliste que la tentation de s'appuyer , à
son preriùer pas dans la carrière, sur une des plus belles mélo-
dies de ce divin créateur; à cette époque brillaient sur les élé-
gans pianos de la haute comme de la moyenne société les noms
de Czerny , Moschelès, Kalkbrenner, Herz , attachés à de ri-
ches recueils de variations , et , pour être admis comme par
grâce dans le cercle de ces privilégiés, M. Chopin se vit en
quelque sorte forcé à écrire aussi, lui, des variations, à égaler, à
surpasser même, s'il était possible , tout ce bruit dont la foule
était enivrée.
Si nous ne regardons que l'introduction de son morceau , il
n'y a point d'égalité entre lui et ses prédécesseurs, car il an-
nonce déjà la supériorité de sa nature artistique avec autant de
précision que de bonheur; et sauf quelques passages où il laisse
percer une certaine prétention, il se maintient dans les limites
de la vérité et du naturel. Cette introduction commence par
une petite phrase qui nous fait pressentir d'utic manière adroite
et ingénieuse le principal dessin du thème ; à cette phrase exé-
cutée par le quatuor, suceède bientôt un solo de piano dont les
traits gracieux et neufs , brillans et parfois audacieux , dont les
combinaisons harmoniques, aussi bien conduites qu'originales
nous annoncent un génie qui envisage l'arl d'un point de vue
très-élevé, mais n'ose encore s'affranchir entièrement des for-
mes conventionnelles qui lui sont désormais inutiles. L'accom-
pagnement se fait d'abord en longues notes par le quatuor, et
de temps en temps seulement les inslrumens à vent font ré-
sonner les quatre premières notes du thème ; plus lard se dé-
veloppe avec vigueur la pensée principale, en même temps
que la partie solo s'accroît dans la même proportion en mélo-
dies originales, brillantes et difficiles. Un passage surtout nous
paraît mériter une attention particulière, c'est celui qui com-
mence avec la cinquième page ; on ne manquera pas , an pre-
mier aspect, de le trouver bizarre, tant sous le rapport de la
construction rhylhmique que sous celui du doigté prescrit ; et
pourtant il n'en est pas ainsi ; le doigté en est au conl raire ha-
bilenientcalciilé,et la construction rhylhmique dans le meilleur
ordre , quoiqu'il soit difficile à saisir. Les doubles croches syn-
copées rendent nécessaire la division en triples croches ; et ,
pour faciliter celte division à l'exécutant, M. Chopin prescrit
deux doigts pour chaque double croche; le changement de ces
deux doigls peut justement se faire dans le temps qu'exige la
valeur des triples croclies, et de celte manière est rendue facile
l'exécution d'un passage qui serait impraticable avec tout autre
moyen. Ce même passage, à peu dp chose près, revient deux
mesures plus loin; mais nous y remarquons une faute d'im-
pression qui pourrait rendre son exécution très-difficile : le
dernier ut est de trop.
Si nous trouvons très-bien arrangée pour le piano la gra-
cieuse mélodie du thème , nous ne pouvons nier cependant que
la pensée des deux premières mesures ne soit trop souvent ré-
pétée; peut-être M. Chopin aurait-il dû réduire tout le thème
à seize ou vingt mesures, comme il l'a fait dans la variation
qui suit.
La première variation est on ne peut plus remarquable. Tout
entier à quatre parties et en triolets qui pourtant laissent le
ihême ressortir au moyen des doigts qui restent libres , tantôt
dans une main, tantôt dans l'autre, ce morceau présente un
intérêt si varié et des effets si neufs , que nous n'hésitons pas à
le regarder comme un des meilleurs du genre.
Nous donnerons moins d'éloges à la variation suivante qui
roule entièrement sur des triples croches en unissons pour les
deux mains , accompagnées pizzicato par le quatuor ; bien que
l'ensemble produise un très-grand effet, et que l'auteur y ait
jeté des difficultés d'exécution , la forme en est cependant un
peu vieillie.
La troisième variation est, selon l'usage, calculée pour la
main gauche qui se promène dans toutes les régions de la
basse, exécutant des roulades difficiles, pendant que la main
droite fait entendre le thème quelquefois orné de petits traits
assez agréables. Quoique cette variation soit dans le style ordi-
naire, M. Chopin nesemontrepourtantjamaisconimun ou plat.
La quatrième se compose de sauts très-difficiles pour les
deux mains , et rappelle assez bien le thème dans la partie su-
périeure.
Mais c'est dans l'adagio qui suit que le composileur déploie
surtout une sensibilité à la fois tendre et énergique ; si, pour
nous , ce n'est pas un tableau achevé dans tous ses détails , ou
qui développe dans son ensemble tout un sentiment, nous y
voyons cependant une esquisse spirituelle, animée par d'agréa-
bles souvenirs du thème.
Quant au finale alla polacca , nous ne connaissons rien de
plus brillant , et , parmi les nombreux traits de génie dont il
est rempli, nous citerons le passage de la page 20 (8e mesure),
charmant et savant à la fois, et toute la fin, à partir de la
page 23 ; ce n'est pas un bruit forcé comme on nous en fait en-
tendre ordinairement à la fin d'un morceau ; c'est l'entier déve-
loppement d'une pensée qui depuis long-temps occupe l'ima-
gination de l'artiste, et qui éclate enfin dans toute son énergie.
Dans un concerto, de même que dans tout autre morceau dont
la forme est réglée par de certaines conventions, le génie du
compositeur sent son indépendance enchaînée par la tyrannie
delà mode; car c'est une règle depuis long-temps adoptée qu'un
concerto se compose d'un premier morceau principal, d'un
adagio et d'un finale. Nous sommes loin pourtant de vouloir
reprocher à M. Chopin de s'être soumis au joug d'un tel usage:
d'abord il doit son origine à une pensée tout à-fait artistique :
que par exemple, l'idée fondamentale qui doit être représen-
tée par le premier morceau soit la douleur avec ses angoisses
et ses déchircmens; n'est-il pas bien que, succédant au mou-
vemens tumultueux du désespoir, Y adagio vienne, par un
doux attendrissement, replacer l'amedans un état de calme et
de sérénité, pour qu'elle se trouve ensuite , dans un rondo vif
et léger , entraînée à des idées de gaieté et de bonheur ? —
D'autre part , le génie de l'artiste créateur ne saurait se trouver
entravé par un plan tracé dans un sens aussi large. Le joug de
la routine élait bien autrement pesant lorsqu'elle prescrivait à
l'artiste le ton dans lequel il devait moduler, et le nombre de
tonalités qu'il lui était permis d'employer dans son ouvrage :
régime étroit et desséchant auquel Haydn consentit encore à se
soumettre , que Mozart et surtout Beethoven repoussèrent
avec autant de bonheur que de raison, et dont le véritable ar-
tiste doit s'affranchir ainsi que de toutes les entraves opposées
au génie; car sans uuc liberté entière, point de prospérité
pour l'art. Nous félicitons M. Chopin de ce qu'il est franche-
ment entré dans cette voie régénératrice , en composant l'ou-
vrage dont nous allons essayer de donner l'analyse.
L'orchestre débute , allegro maëstoso , par un motif que sa
franchise, jointe à une force et à une richesse d'harmonie peu
communes, destiné à produire une impression vive et à faire
pressentir tous ce que le génie peut enfanter de grand et de
GAZETTE MLStCALE
beau. Les combinaisons harmoniques les plus distinguées -vien-
nent, dès ce début, frapper noire oreille , sans que pourtant
l'auteur puisse être accusé de prétention ou de recher. he. Puis,
toujours dans le ton principal, qui est mi-mineur, commence
un chant qui forme avec le premier motif un contraste agréa-
ble, quoique sans rompre l'uniformité de l'ensemble, et de-
vient plus tard d'un grand effet en s'élevanl jusqu'au^orto-
simo , accompagné dans les basses par une imitation de l'é-
nergique pensée dont nous avons parlé. Arrivé sur la dominante
du ton principal, le compositeur nous conduit par une tran-
sition gracieuse , écrite avec art et délicatesse , à un cantabile
en mi-majeur, amené naturellement, et qui, dans sa belle
simplicité , se rattache intimement à tout ce qui a précédé. Ce
cantabile est d'abord exécuté par le quatuor auquel , peu à
peu, se joint tout l'orchestre; et à peine s'est-il développé dans
un énergique fortissimo , que les basses reprennent spontané-
ment, avec le plus grand effet le premier trait principal en ut
pour nous ramener, par un pianissimo gradué, au ton de mi-
mineur dans lequel s'annonce enfin le premier solo.
Cette introduction porte, comme on le voit, dans la pensée
et dans l'exécution , l'empreinte d'un maître ; elle est l'expo-
sition bien tracée de tout le premier morceau ; de notes para-
sites, aucune; rien de vague, d'oiseux ; rien qui n'ait un sens
bien positif.
Plein de vigueur et d'éclat, le solo commence avec le même
motif que l'introduction; bientôt s'y joint le chant que nous
avons déjà fait remarquer, élégamment orné d'abord, comme
solo, développé ensuite dans un passage admirable comme
tous ceux- de M. Chopin qui ont en effet pour caractère
éminemment disliuclif : d'allier la richesse de l'harmonie,
à une mélodie originale et de partager entre les deux mains
une tâche parfois pénib'eau lieu d'en fatiguer une seule par des
courses longues et précipitées. Ces passages sont d'une exécu-
tion d'autant plus difficile qu'ils n'ont aucun point de ressem-
blance avec ceux que l'on rencontre ordinairement dans les
œuvres des autres compositeurs.
Vient enfin , comme dans l'introduction, le cantabile en
mi-majeur, exposé par le piano d'abord , dans toute sa simpli-
cité, accompagné ensuite par le quatuor, puis se développant
de la manière la plus brillante , tandis que tout l'opeliestre exé-
cute un accompagnemeut remarquable par ses difficultés et
par ses merveilleuses combinaisons. Ici un tutti puissant in-
terrompt le premier solo pour amener le dernier des motifs
annoncés par l'introduction, d'abord en ut et bientôt après en
mi-mineur.
Ce deuxième solo présente les plus grandes difficultés ; il
peut être regardé comme ce qui a jamais été écrit de plus dis-
tingué, sous le rapport du plan et de la sage coordination de
toutes les parties. Dans le mouvement le plus compliqué des
passages solos, toujours la plus grande clarté et toujours un
orchestre qui nous rappelle, comme de loin, de doux souve-
nirs de la mélodie principale, espèce de fil conducteur à tra-
vers ce dédale des riches fantaisies d'une imagination exallée.
C'est I'orch- stre qui ressaisit la première pensée pour con-
duire à la seconde qui reparait en partie avec de nouvelles va-
riations; le cantabile revient encore dans toute sa grâce et
nous amène à de brillans passages toujours ingénieux et d'un
grand effet , avec lesquels le mon eau arrive à sa fin.
La seule observation que nous ayons à faire repose sur un
défait qui se rencontre ordinairement ('ans les créations des
jeunes artistes que la nature et l'étude ont richement doués :
partout surabondance de bien ; que le génie de l'auteur soit
moins prodigue, qu'il se tienne un peu plus près de la ligne
ordinaire, qu'il se montre plus calme, plus simple, plus fa-
cile, plus court, et nous garantissons qu'il ajoutera encore à
la reconnaissance des élèves et à l'admiration des maîtres.
Point de course durables, si elle franchi tout d'abord les limites,
si elle ne se soumet aux lois d'une gradation naturelle. Pourquoi
perdre sa tète dans les nuages? ut suffit il pas de l'élever au-
dessus de toutes les autres?
M. Chopin nous donne, comme adagio, une romance qui,
après quelques mesures de l'orchestre, devient solo de piano,
et dont la ravissante simplicité , repose doucement l'âme
agitée par le premier morceau si énergique et si animé. Son
motif te développe, sous un accompagnement très-caractéris-
tique de l'orchestre , dans des espèces de variations , qui exi-
gent de la part de l'exécutant une intelligence si profonde
que nous les regardons comme d'une exécution exlraordinai-
remrnt difficile. Ces', ici surtout que l'auteur fait preuve d'un
génie richement inventif: une même pensée reproduite pen-
dant sept pages , toujours neuve et intéressante et sans sortir
un instant du caractère dominant!
Dans le final vivace, quelques accords énergiques de l'or-
chestre servent d'introduction à un motif gracieux et gai en
mi majeur exécuté par le piano solo; ce qui nous a paru sur-
tout mériter l'attention par une naïveté tout originale, ce
sont les rentrées qui arrivent toujours si inattendues qu'elles
donnent à l'ensemble un charme indescriptible. Il faut louer
aussi le travail de l'orchestre et surtout cène facture caractéris-
tique par laquelle il contribue si puissamment à faire ressortir
les pensées principales. Le second solo est très-bien d'inven-
tion, mais aussi très-difficile; il amène , pages 3iet34, un
épisode intéressant à côté duquel l'orchestre produit des effets
merveilleux, par une vigueur rhylmique dont l'originalité se
soutient constamment.
Si nous avons maintenant a émettre notre opinion difinitive
sur deux œuvres composés à un intervalle de quelques années,
nous dirons que, dans le premier, M. Chopin Jetait annoncé
déjà comme un artiste distingué, qu'il y avait marqué avec
précision la nature de son génie, mais qu'il a dépassé de bien
loin dans le second toutes les espérances qu'on avait dû
raisonnablement concevoir. M. Chopin, soit dans le méca-
nisme de l'art du piano, soit dans la poésie musicale , s'est élevé
au-dessus de tous ses contemporains, graceà l'instruction qu'il
a puisée dans leurs glorieux travaux, mais surtout grâce à la
nature qui nous a donné en lui un de ses enfans privilégiés.
Puisse-t-il continuer, comme nous le désirons, comme nous
le comprenons, et nous sommes certains de l'accompagner de
notre attachement et de notre admiration jusqu'au faîte le plus
élevé de la gloire.
François Stoepel.
Souvenir suédois. Variations de concert pour le piano,
\ ar L. Ancot. Op. 42. Prix : 7 fr. oO c.
Nous avons déjà plusieurs fois pailédu caractère des intro-
ductions, et expliqué leur triple différence; mjjs nous retrou-
vons toujours les mêmes défauts, la même absence de plan.
Pour fortifier nos observations, on nous permettra de revenir
en peu de mots sur ce sujet.
Une introduction pour des ouvrages considérables comme
concertos, etc., doit être au moins l'exposition de la première
partie principale. Pour des airs variés, elle doit en traits déli-
cats annoncer le thème dans un mouvement et un caractère
qui contrastent avec lui, a'tin de le laisser toujours dominer
comme le point lumineux de l'ensemble , ou bien enfin elle ne
doit être qu'un prélude, et alors se distinguer du thème par
un carartère entièrement opposé, et avec une forme indépen-
dante, liai-suite du raisonnement que nous venons d'indiquer.
M. A. donne dans son introduction , après quatre inusures qui
présentent l'accord en ut mineur dans ses quatre positions,
un chant qui pour la forme ressemble entièrement au thème,
ainsi que l'accompagnement de la main gauche, de sorte que
celle uniformité de l'introduction et du thème n'est interrom-
pue que par de courtes cadenc-s, et ne permet pas au dernier
de produire le bel effet dont il est susceptible; non pas que
nous le prenions de bonne foi pour un air suédois, mais parce
qu'il est en effet plein de mélodie et d'un bon style. Ce qu'il y
a de suédois dans ce chant primitif doit néces-airement avoir
disparu sous l'arrangement moderne; et c'est toujours une
perle. Nos compositeurs devraient, quand ils choisissent un
chant national ou plutôt populaire, s'attacher toujours à en
conserver le caractère naïf, n'eût-il même rien d'artistique, au
lieu de l'étouffer de prime abord, privilège qu'il faut laisser aux
variations depuis trop long-'emps à la mode. Nous n'avons
rien à dire des variations de M. Ancot. Elles sont composées
avec le même savoir, la même inspiration artistique que celles
de tel autre compositeur, adopté et joué avec prédilection par
des daines qui ne connaissent rien de mieux. Elles sont aussi
difficiles, au^si brillantes, pour ne pas dire plus; en un mot ,
admirables pour le salon , comme prélude d'uue contredanse.
NOUVELLES.
* On nous communique 'e lettre suivante, propre à dissi-
per les craintes qu'avait inspirées l'étal de santé de notre célè-
bre Boyeldieu. Voici le passage qui contient celle bonne nou-
velle :
« Ci si avec bien de la satisfaction que je m'empresse de vous
rassurer à l'égard de la santé de Boyeldieu : il va mieux.
» Les journaux n'ont point exagéré sa position, vu que nous
avons failli le perdre. Mais, grâce au ciel, il va maintenant assez
bien pour entreprendre un retour à Paris ; il doit être parti de
Bordeaux Ici?, et arrivera probablement vers le 25 , ne voya-
geant qu'à petites journées.
h Son fils Adrien est allé le rejoindre , il y a environ quinze
jours , et sa présence n'a pas peu contribué à améliorer l'état
de son pauvre père. »
„*i La troisième représentation de la Tempêta n'a pas ob-
tenu plus de 'uccès que les deux précédentes, malgré les cou-
pures ; c'est décidément un fiasco, le troisième éprouvé par
M. Véron depuis qu'il dirige l'Obéra.
t + Les répétitions de la Juive sont reprises à l'Opéra. Cet
important ouviagesur lequel L'administration fonde l'espérance
d'un brillant hiver, sera représenté vers le 1 5 novembre.
t*+ Les habitués de l'Opéra désirant voir et applaudir sou-
vent mademoiselle Fanny Elssler, ont prié M. Yéron de con-
fier plusieurs rôles du répertoire à celle nouvelle sylphide,
seule capable de vaincre les Tempêtes. Déjà on parle du rôle
de Miranda dans la Tentation, créé avec beaucoup de grâce
et de talent par la jolie mademoiselle Duverney, et d'un pas
de deux entre mademoiselle Taglioni cl mademoiselle Fanny
Elssler, et qui doit être intercalé dans le bal masqué de Gus-
tave; il y aurait là de quoi remplir bien des fois la vaste en-
ceinte de l'Académie Royale de Musique.
t*t La célèbre actrice Palazzezi est en ce moment à Mar-
seille. Elle vient d'Espagne et retourne en Italie.
t\ La troisième représentation de la Tempête a été un vé-
ritable triomphe pour mademoiselle Fanny Elsler. Il fallait
tout le talent de cette célèbre danseuse pour rendre supporta-
bles les représentations de ce faible ouvrage.
*,. Mademoiselle Ida Bertrand, sœur de la célèbre harpiste,
et qui réunit à une des plus belles voix de contre-alto la mé-
thode des Paer et des Bordogni, débutera cet hiver au théâtre
Italien. Ou dit que cette jeune personne a choisi le rôle A'Ar-
snce pour son entrée dans le monde dramatique.
t*¥ Il y a beaucoup plus d'amateurs de location que de loges
au théàt.c Italien. Pour peu que cela continue , les Bouffes se-
ront obligés de donner leurs représentations à l'OpJia pour
satisfaire aux demandes des dilettanti.
*f+M. Singïer, qui fut Ion;; temps avec succès directeur du
théâtre de Lyon ; et se montra moins hebile ou moins heureux
dans l'exercice des mêmes fonctions à l'Opéra-Coinique de Pa-
ris, va , dit-on, ressaisir le sceptre dramatique de la seconde
ville de France.
Tel brille au second rang qui s'éclipse au premier.
+% Lesnge, ancien sociétaire de l'Opcra-Comique , v ient de
mourir à Chantilly, à l'âge de 74 ans. Il avait été choisi par le
prince <!e Condé pour diriger au château le ihéâre d'amateurs.
Depuis la mort de ce prince , qui n'avait pas laissé l'héritage de
sa générosité avec celui de ses biens immenses , Lesagc se trou-
vait, dit-on, dans un état voisin de la gêne , par la perte des
bienfaits de son protecteur , et les longues difficultés opposées
par le gou\ ornement actuel aux pensions de l'Opcra-Comique.
* L'Opéra-Comique a reçu, et doit mettre bientôtà l'étude,
un ouvrage intitulé : // Gitarm , représenté une fois à Mar-
seille. La partition fait, dit- on , honneur au talent de M. Font-
mic/iel. Quant au poème, il sera revu et corrigé par un auteur
habitué à la scène.
*¥ Madame Degli Anloni , qui a débuté à Londres, vient
d'arriver à Paris. Elle possède une fort belle voix de contre-
atto. Les dilettanti l'cnt ndront peut-être cet hiver au Théâtre-
Italien.
+% M. Labarre a fait preuve d'esprit en retirant V Aspirant
de Marine du répertoire de l'Opéra-Comique.
t*¥ Le Chalet ne sera représenté à l'Opéra-Comique que
mardi prochain ; une indisposition de M. Inchindi est cause de
ce retard.
* Plusieurs jourmux assurent que Paganini veut se retirer
à Gènes, dans le palais qu'il a fait bâtir , afin d'y fonder un
conservatoire pour l'enseignement gratuit (\u violon d'après sa
méthode. Nous sommes sûrs que ce fait est contronvé. Le plus
célèbre des violons espère êlre de retour à Paris vers Pâques.
* Sur les couvertures de 'a musique à bas prix , nous
voyons annoncé la musique de M. Bsrtini à \ sous la page,
et celle de MM. Meifred, Tulou, etc., à des prix nets qui équi-
valent au moins 2 sous la page. Comment M. Bert-ini permet-
il à son éditeur une pareille appréciation de sen laleul?
* On annonce au théâtre de Lyon les débuts d'un fils d'El-
r<°'<-
Musique nouvelle ,
Pulilitc par Bre'lk0[if et H.urtcl , à Leipiî;.
Belcke , Fr. Trois Sonatines pour le piano avec violfn. Op. 52
1 fr.
Lasekk Ch. Trois Morceaux sentimentaux pour piano-forte et
violoncelle. 4 ""■
et Ranimer. Introduction et Variations pour piano- forte et
violoncelle. Op. 19. 4 '''■
Richte<- (W.). Duo pour piano-forte et flûte. Op. |4. 5 fr.
Belcke (Fr.). Duo concertant pour deux trombonnes de basse
ou deux bassons. Op. 55. 2 fr. 50 c.
Jacobi (C. ). Pot-pourri pour le basson avec accompagnement
de l'orchestre. Op. 15. 5 fr. 5o c.
Les prix sont nets sans remise.
Gérant, MAURICE SCHLESINGER.
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GAZETTE MUSICALE
IÙ1B 3>dŒ33®,
X" ANNÉE.
n° 39.
PRIX DE l'aBONNEM.
PARIS.
DÉPART.
ÉTBAKG
fr.
Fr. c.
Fr. c.
3 m. 8
8 75
9 50
6 m. 15
16 50
18 .,
1 an. 30
33 »
36 »
Ca (Stizettt iïtueicalt; ï>* |3aris
Paraît le DIMANCHE de chaque semaine.
On s'abonne au bureau de la Gazette Musicale de Paris, rue Richelieu , 97;
et chez lous les libraires et marchands de musique de France.
On reçoit les réclamations des personnes qui ont des griefs à exposer, et les avis relatifs à la musique
qui peuvent intéresser le j.iiLiIic.
PARIS, DIMAPJCHE 28 SEPTEMBRE 1834.
Les lettres, demandes
et envois d'argent doi-
vent êlre affranchis, et
adressés au Directeur ,
rue Richelieu, 97.
Le frère de Rameau.
Jean-Philippe Rameau, que pendantla moitié dusiècle
passé on appelale grand Rameau, et le neveu de Rameau,
ce Diogène moderne, dont Diderot a tracé un portrait si
pittoresque dans cet admirable dialogue qui n'est arrivé
jusqu'à nous qu'a travers une traduction allemande ,
sont les deux seuls membres de celte famille de musi-
ciens dont l'existence soit généralement connue. S'il faut
en croire Mercier qui a consacré un chapitre de son Ta-
bleau de Paris aux deux Rameau, l'oncle et le neveu ,
le frère du grand Rameau n'était pas moins remarquable
par la tournure originale de son esprit et la singularité de
ses aventures. Ce frère se nommait Claude , et se fit un
nom célèbre parmi les orgauistes de son temps. Bien que
son caractère inquiet et fougueux le poussât successive-
ment dans beaucoup de villes du royaume pour y exer-
cer son art, il passa cependant la plus grande partie de
sa vie a Dijon, la patrie de toute sa famille , où il tint
pendant longues années l'orgue de la cathédrale et celui
de l'abhaye de Sainte-Bénigne. Mercier fait raconter 'a
Rameau, le neveu, la façon plus que singulière dont son
père Claude le lança dans le monde; voici quelques
fragmens de ce curieux morceau qui serviront a les faire
connaître l'un et l'autre. « Mon oncle musicien (c'est le
neveu qui parle ) , est un grand homme ; mais mon
père soldat, puis violon, puis marchand, était un
plus grand homme encore. — J'avais 22 ans îévolus,
lorsque mon père entra dans ma chamhre et me dit :
Combien de temps veux-tu vivre encore ainsi , lâche
fainéant? 11 y a deux années que j'attends de tes œu-
vres; sais-tu qu'à l'âge de vingt ans j'étais pendu et
que j'avais un état? — Comme j'étais fort jovial , je
répondis à mon père : C'est un état que d'être pendu?
mais comment fûtes-vous pendu et encore mon père?
>j Ecoute, me dit-il, j'étais soldat et maraudeur; le
grand prévôt me saisit et me fit accrocher à un arbre.
Une petite pluie empêcha la corde de glisser comme il
faut , ou plutôt comme il ne fallait pas. Le bourreau
m'avait laissé ma chemise parce qu'elle était trouée : des
hussards passèrent, ne me prirent pas encore ma che-
mise parce qu'elle ne valait rien ; mais d'un coup de
sabre ils coupèrent ma corde , et je tombai sur la terre ;
elle était humide ; la fraîcheur remit mes esprits ; je cou-
rus en chemise vers un bois voisin ; j'entrai dans une
taverne ; je dis à la femme : Ne vous effrayez pas de me
voir en chemise, j'ai mon bagage derrière moi. Vous
saurez — Je ne vous demande qu'une plume, de l'encre,
quatre feuilles de papier , un pain d'un sou et une cho-
pine de vin. Ma chemise trouée disposa sans doute la
femme de la taverne à la commisération. J'écrivis sur les
quatre feuilles de papier : Aujourd'hui grand spectacle
donné par le fameux Italien; les premières places à six
sous, et les secondes à trois. Tout le monde entrera en
payant. Je me retranchai derrière une tapisserie, j'em-
pruntai un violon, je coupai ma chemise en morceaux,
j'en fis cinq marionnettes que j'avais barbouillées avec
de l'encre et un peu de mon sang ; et me voilà tour à
tour à faire parler mes marionnettes, à chanter, à jouer
du violon derrière ma tapisserie.
» J'avais préludé en donnant à mon violon un son
extraordinaire. Le spectateur accourut , la salle fut pleine.
Pendant une semaine entière , je donnai deux représen-
tations par jour. Je sortis de la taverne avec une casaque,
310
GAZETTE MUSICALE
trois chemises , des souliers et des bas , et assez d'argent
pour passer la frontière. Un petit enrouement, occa-
sioné par la pendaison, avait disparu totalement; de
sorte que l'étranger admira ma voix sonore. Tu vois
que j'étais illustre a vingt ans et que j'avais un état. Tu
en as vingt-deux , tu as une chemise neuve sur le corps ,
voila douze francs; sors de chez moi. »
Ce chiffre douze paraît avoir eu une grande influence
sur la vie de Claude Rameau ; car c'est pour une somme
de douze francs qu'il soutint a deux reprises un procès
contre les magistrats municipaux de Dijon.
Dijon, cette moderne Athènes, ainsi que la nomme
Claude, dans son plaidoyer, pour attacher a elle un
homme de son mérite, avait comblé cet artiste d'un dé-
luge de faveurs municipales. En 1727 , il p!ut aux ma-
gistrats de lui accorder trente livres de pension annuelle,
pension dont Claude jouit pendant 27 ans ; déjà il jouis-
saitd'une autre faveur non moins honorable, l'exemption
de la taille qui s'élevait a 12 livres par an. Mais un jour,
un des magistrats municipaux se crut offensé par un air
de violon improvisé devant lui par Claude Rameau; de-
là dénonciation, de- la condamnation contre le pauvre
musicien, pour le soumettre a la taille. Rameau résista
et voulut plaider pour l'honneur de la musique. Nous
avons pensé qu'il serait curieux de faire sortir du tom-
beau bibliologique, appelé Causes célèbres , le plaidoyer
écrit et prononcé par Cl. Rameau à cette occasion. Nous
le donnons ici sans y changer une lettre.
» J'ai vu, disait-il, les derniers jours d'un siècle fa-
meux qui fut celui des beaux -arts. Dans ces temps heu-
reux , les talens ouvraient la carrière de l'honneur et de
la fortune, ils ne payaient ni tailles ni subsides; alors
un musicien avait droit à l'estime publique. On encou-
rageait ses travaux , on lui prodiguait les distinctions et
les récompenses ; on se gardait bien de le condamner a
l'amande et ses meubles n'étaient jamais saisis.
» Ce bel âge n'est plus; le goût a changé; cet empresse-
ment si général d'encourager les talens a disparu ; l'es-
prit de futilité remplace le génie. Le grand Lulli autre-
fois si fêté, si récompensé, cet homme célèbre, à qui la
musique valut une charge de secrétaire du roi, ne rece-
vrait aujourd'hui qu'un vain encens. Que dis- je! il évi-
terait a peine les sifflets de quelques - uns de mes
concitoyens.
«Malgré les plaisirs qu'ils me doivent, malgré les amu-
semens que je leur ai procurés, je n'ai pu moi-même
échapper a la censure des magistrats municipaux. Leurs
prédécesseurs avaient récompensé mes services , par
l'exemption des charges communes; ils avaient ajouté
a ce bienfait une pension modique, mais très-honorable
puisqu'elle était l'aveu et la récompense des talens. J'étais
heureux, je jouissais de l'estime publique, et le rece-
veur de cette ville m'en donnait tous les ans, sur ma
quittance, un témoignage assuré. Mais tout a coup les
marques précieuses de celte estime se sont évanouies,
toutes mes prérogatives ont cessé , et les talens se sont
vus flétris en ma personne de la manière le plus desho-
norante.
» J'avais un jour assemblé quelques amis ; la joie qui
nous animait n'était pas tumultueuse et les voisins n'en
étaient pas scandalisés. Nous nous occupions d'un jeu in-
nocent. Au milieu de notre partie, j'imaginai un air nou-
veau et je pris mon violoD pour l'exécuter. Dans ce mo-
ment un magistrat subalterne, que je n'attendais pas,
m'honora de sa visite. Il fallait que cet homme ne se
plût pas a !a musique, puisqu'il se crut insulté. On écri-
vit un procès-verbal et je fut condamné à cinquante li-
vres d'amende.
» Je payai cette somme sans murmurer. Un inconnu
prit officieusement ma défense et voulut porter celte af-
faire au tribunal du public ; il débita un long écrit sous
mon nom. Je ne le lus pas, et je déclarai que je n'y
avais aucune part; mais on n'eut pas d'égard à mes pro-
testations, je fus compris au rôle de la taille, et je vis
mes meubles indignement saisis.
«Les magistrats municipaux, en mefaisant cet affront,
ont-ils bien réfléchi que j'étais musicien? Se sont-ils
rappelé qu'un musicien est un homme rare; que la na-
ture s'épuise a le former, et qu'elle en donne à peine
deux dans le même siècle? Qu'il me soit permis de com-
parer le musicien au poète : c'est le même génie qui les
inspire, c'est le même feu qui les anime, ils sont égale-
ment asservis aux règles de l'harmonie. L'objet de leurs
talens est le même , puisque leurs veilles sont consa-
crées a chanter les louanges du très-haut et a célébrer les
belles actions des héros.
«Est-on poète pour avoirfait quelques madrigaux sans
art , quelques chansons sans esprit? est-on musicien
pour avoir composé quelques airs, ou fredonné quel-
ques ariettes a la fin d'un repas? Non, sans doute ; l'un
et l'autre titre n'appartiennent qu'à ces esprits sublimes
animés d'un souffle divin, dont toutes les compositions
ont toute la force et l'énergie convenable au sujet, dont
les ouvrages sont marqués au coin de l'immortalité.
«Or, on sait combien la nature est avare de ces grands
hommes , a peine comptera-t-on dix poètes depuis Ho-
mère jusqu'à notre temps. J'ose dire qu'on connaît en-
core moins d'excellens musiciens.
» On en a vu paraître un dans notre siècle : son nom
est au-dessus de l'envie. Auteur d'un nouveau traité
DE PAKI9.
311
de musijue, il a réduit l'harmonie à ses principes natu-
rels; il a défriché ce vafte champ, que les anciens maî-
tres avaient laissé presque inculte. Le public a admiré
son système et le succès a même passé ses espérances.
Avant lui, quinze années suffisaient à peine pour ap-
prendre à toucher le clavecin ; il a abrégé la route or-
dinaire, et dix-huit mois d'étude instruisent aujourd'hui
de cette partie si difficile et si essentielle. Tout Paris
applaudit à cet illustre maître , toute l'Europe l'ad-
mire; il est mon frère, j'ai ma portion de son savoir, et
l'on veut me deshonorer!
» Je pourrais parler ici de différentes] pièces de ma
composition, pièces admirées des connaisseurs ; je pour-
rais rappeler les plaisirs qu'ont causés cette représenta-
lion si vive et si animée des caractères de la guerre,
cette imitation si naturelle et si frappante du chant des
oiseaux. Quelle autre main que la mienne pourrait
exécuter sur l'orgue ces grands sujets qui sont de ma
composition?
«Mais oublions mes talens, et ne considérons que mes
services. J'ai consacré cinquante ans de veilles et de
travaux à l'amusement de ma pairie; j'ai donné des fêtes
brillantes; j'ai établi des concerts, dont la réputation at-
tirait en cette ville un concours d'étrangers; j'ai multi-
plié les plaisirs; j'ai communiqué, et pour ainsi dire
perpétué mes talens, en formant des élèves, dont plu-
sieurs se font admirer dans la capitale du royaume.
Enfin , si l'on a dans celte ville quelque goût pour l'har-
monie, j'ose dire qu'il n'est dû qu'à moi.
« J'ai donné, dans tous les temps, des preuves écla-
tantes de mon zèle et de mon dévouement pour la gloire
de mon pays. La dernière assemblée des États-Géné-
raux m'offrit une occasion bien flatteuse de prouver
combien elle m'était chère. Il s'agissait de donner une
fête à l'auguste prince qui venait prendre possession du
gouvernement. Je fus prié d'en composer la musique ;
je fus chargé de veiller a l'exécution : je ne négligeai
rien pour rendre celte fête complète. Je parvins en trois
jours, à faire chanter des gens qui n'avaient pas les
premières notions de l'harmonie. L'applaudissement fut
général.
» Athènes, en pareille occasion, m'aurait élevé des
statues, et a Dijon, cette moderne Athènes, au lieu de
récompenser ces nouveaux services, on m'impose a la
taille, on me prive d'une modique pension, dans le
temps même que mes veilles tournent à sa gloire !
»J'ai rempli avec uue exactitude scrupuleuse les con-
ditions du traité fait avec les magistrats municipaux
pour me retenir en cette ville ; et ils pourront se dispen-
ser impunément de remplir leurs obligations à cet égard !
» Onies concitoyens! à qui réservez- vous ces honneurs
et ces distinctions que vous accordiez autrefois aux ta-
lens, et qui distinguaient parmi vous les artistes?
» Brillante pyrotechnie, vous les mériterez sans doute,
ces prérogatives; vous senz bientôt l'âme des specta-
cles, l'ornement des soupers les plus délicats; vous se-
rez également les délices des honnêtes gens et du vul-
gaire... Le public, attiré par le plaisir des yeux , ne se
lassera pas de vous admirer. Vous êtes déjà en honneur,
vous êtes a la mode; cela suffit pour vous mériter toutes
les attentions. La musique autrefois estimée se verra
donc bannie de toutes les parties de plaisir ; vous lui se-
rez préférée, tandis qu'on la reléguera dans nos temples,
et qu'à peine on la croira digne de chanter les louanges
de Dieu?
» Ce sera donc en vain que j'aurai cultivé mes talens ?
inutilement aurai-je acquis quelque perfection dans mon
art. Cette exemption de taille dont je suis déchu , cette
pension dont je suis privé, on ira les offrir avec em-
pressement à un ouvrier dont tout le mérite consiste à
broyer du charbon et du salpêtre?
» Ainsi cette ville aura un artificier en titre, dont tou-
tes les fonctions seront d'amuser, chaque année pen-
dant un quart d'heure, les yeux du public. Elle hono-
rera un artisan de l'exemption de la taille et des charges
publiques, tandis que son musicien , qui lui a fait hon-
neur en tant d'occasions, se verra privé des mêmes pré-
rogatives après de si longs services.
» Mânes des Lambert, des Lalande, des Corelli, quelle
surprise sera la vôtre lorsque vous apprendrez que notre
siècle préfère un artificier a votre élève, à votre imita-
teur, a l'héritier de vos talens !
»La musique n'est pas le seul objet des dégoûts du pu-
blic. Je vois avec douleur que tous les beaux arts tom-
bent dans le mépris. Cette scène brillante, autrefois si
dignement occupée par les Mole et les 'Préville, s'est
vue livrée a des bouffons, a des farceurs, à des sau-
teurs. Notre parterre si délicat, si difficile, s'est em-
pressé de courir a un misérable Opéra-Comique, à un
vil spectacle de singes et de chiens ; tel est le goût ac-
tuel. On fait cas d'un magot de porcelaine parce qu'il
est ventru et contrefait, tandis que Ton méprise les ou-
vrages de nos Phidias et de nos Praxitèle. Bientôt nous
verrons brocanter un tableau de Raphaël ou de Rubens
contre un écran peint par Vateau où contre une boîte
vernie par Martin.
«Maisinutilementdéclaraerai-jecontre cette décadence
du goût et le discrédit général où sont maintenant les
beaux-arts. Que l'on oublie les charmes de la musique ;
qu'une symphonie tendre et touchante n'ait plus d'attraits
GAZETTE MUSICALE
pour nos Dijonnais ; que ce peuple inconstant et léger se
livre à d'autres plaisirs ; mais qu'il se souvienne du moins
qu'il fut un temps auquel le musicien Rameau contri-
buait , par ses talens , a la gloire de sa patrie : que l'on
se rappelle qu'autrefois il était admiré, et que, depuis
peu , il a eu l'honneur de plaire a un grand prince , les
délices et l'appui de la Bourgogne.
«Tels sont les titres que je réclame aujourd'hui. Sil'es-
time que l'on avait autrefois pour les vrais talens, ne
peut me procurer Je rétablissement des privilèges dont
j'avais été gratifié, j'ose attendre cette faveur de mes
compatriotes. En effet , cette modique pension , cette
exemption que je réclame , ne sont pas , a beaucoup près,
l'intérêt des sommes que mes talens leur ont procurées.
Je ne saurais trop le redire, î'affiuence des étrangers en
cette ville est due aux concerîs que j'ai formés. J'avais
lieu de croire que nos magistrats auraient été touchés de
ces raisons, j'avais lieu d'attendre qu'ils me rendraient
justice; ils ne l'ont pas encore fait.
» Je les prie de considérer que la peine dont ils veulent
me punir est peu proportionnée à la faute que l'on m'im-
pute; voudraient-ils apprendre a la postérité que le mu-
sicien Rameau a payé cinquante livres d'amende pour
avoir joué du violon ; qu'il a été privé de l'exemption
delà taille et d'une petite pension, parce qu'un écrivain
inconnu s'est avisé de mettre son nom a la tête d'un li-
belle oublié?
«Et vous, magistrats, dont le tribunal est le temple
du goût, ainsi que le sanctuaire de la justice, laisserez-
vous subsister cette flétrissure dont on a déshonoré ma
vieillesse? permettrez-vous que mes dernières années
s'écoulent dans la honte et dans l'opprobre? Ne souffrez
pas que l'on étouffe ainsi le génie. Arrêtez, par votre
jugement, la chute des beaux-arts, et ils se réuniront
tous pour élever a votre gloire un monument éternel.
»' Amphion rassembla des pierres au son de sa lyre , et
tout d'un coup il parut une ville, elle fut habitée, cette
ville : eh! a quoi eût-elle servi sans habitans? Croyez-
vous, messieurs, qu' Amphion y paya la taille? Non,
sans doute, et les Thébains ne furent pas assez ingrats
pour le comprendre dans leurs rôles.
» Je n'ai pas bâti la ville de Dijon ; mais est-ce ma
faute? c'est dans ses murs que j'ai pris naissance , et le
destin lui avait accordé l'avantage d'exister quelques
siècles avant moi. Il m'était cependant réservé une gloire
bien plus flatteuse que celle de mouvoir des pierres ; j'ai
remué les cœurs de mes concitoyens , j'ai égayé les es-
prits, et je puis dire, sans blesser la plus exacte vérité,
qu'il en est peu qui ne me doivent quelques instans de
plaisir.
«Quel sera donc le salaire de mes travaux ? quel sera
le prix de cette harmonie louchante, que j'ai le premier
fait connaître a ma patrie? On veut flétrir mes lauriers ,
on veut remplir d'amertume les dernières années de ma
vie, on veut m'arracher une faveur qui me fut accordée
pour m'encourager à cultiver mes talens : et dans quel
temps me fait-on cette injure? c'est précisément après
avoir fait, pendant trente années, l'expérience de l'agré-
ment et de l'utilité de mes services.
»J'ai lu mon histoire romaine, et mes concitoyens ne
trouveront pas mauvais que je les compare a ce peuple
fameux, dont la sagesse et la valeur ont conquis tout
l'univers. Scipion qui , par tant de victoires , devait être
précieux à son pays, le grand Scipion se vit cité devant
un peuple ingrat, qui dans un oubli léthargique de ses
propres intérêts, s'aveuglait au point de vouloir exiler
le plus ferme soutien de l'état. Quelle fut la défense de
ce grand homme? Citoyens, dit-il, allons au capitole
rendre grâce aux dieux des victoires qu'ils m'ont fait
remporter sur vos ennemis.
»I1 est des héros de tous les genres : tout homme utile
a sa patrie peut aspirer à ce titre. Permettez-moi , mes-
sieurs, de comparer ma situation actuelle a celle du vain-
queur d' Annibal. Si je n'ai pas repoussé l'ennemi de vos
murs, j'ai du moins chassé la tristesse et l'ennui de vos
cœurs. On exila Scipion : on veut m' exiler aussi , mes-
sieurs, car me mettre a la taille c'est la même chose.
Ne puis-je dire à l'exemple de ce grand homme : suivez-
moi , citoyens , venez dans vos temples , dans vos con-
certs , applaudir h des talens que vous couronnâtes cent
fois, et qui sont toujours les mêmes? Ce Romain géné-
reux se défendit par la gloire que lui avaient méritée
des victoires passées, au lieu que l'orgue et le clavecin
me préparent tous les jours de nouveaux triomphes.
»Ce n'est pas a Dijon seulement que l'on connaît mes
talens, et ma réputation n'est pas enfermée dans l'étroite
enceinte de ses murs. Si huit ou dix villes de la Grèce
ont eu querelle sur l'honnncur qu'elles prétendaient tou-
tes d'avoir vu naître le divin Homère, trente villes de
France se sont disputé l'avantage de jouir de mes talens;
Lyon, Marseille, Orléans, Strasbourg, m'ont proposé
des avantages assez brillans pour me retenir; toutes ces
villes ont admiré les fruits de mes veilles, et Paris même
aurait couronné mes progrès dans la musique, si j'eusse
voulu m'y arrêter : j'aurais, dans cette ville, marché a
grands pas vers la gloire ; mais j'ai voyagé comme le sage
Ulysse, et, comme lui, j'ai préféré ma patrie a l'immor-
talité.
»Pouvais-je prévoir, messieurs, qu'un jour viendrait
où cette même patrie, qui me reçut avec tant d'applau-
dissemens, qui m'honora des privilèges les plus flatteurs,
me retirerait ces prérogatives , et me forcerait a me con~
damner moi-même à un honteux exil.
«Pouvais-je croire quecette ville, dont le goût et l'amour
pour les talens est si connu, chercherait a les avilir en
ma personne , et se porterait a des excès que l'on par-
donnerait a peine a la barbarie gothique des siècles d'igno-
rance?
«J'examine scrupuleusement toute nia conduite, et je
cherche a pénétrer quelle est la cause de celle disgrâce.
J'interroge mes amis; ils s'accordent a me dire poliment
que mou imprudence a indisposé les sieurs maires et éche-
vifts contre moi.
» Je ne sais pas , messieurs , quel est mon crime ;
mais du moins faudrait-il m'en convaincre avant que
de me punir. Je S'iis pénétré de respect pr>ur les magis-
trats, et je ne me suis jamais écarté des égards que je
leur dois.
» Quelle est donc mon imprudence? je n'en sais rien-
Mais quand ce serait une folie, ne devrait-on pas la par-
donner à mes talens et a l'art que j'exerce ? La folie et la
musique sont sœurs : sans cette heureuse vivacité, sans
ces écarts brillans de génie, que le stupide vulgaire ap-
pelle égarement d'esprit , l'harmonie ne subsisterait plus,
ou ne serait plus qu'un amas confus de sons monotones
et languissans.
«Lorsquelesmagistratsmunicipaux voulurent me fixer
à Dijon, ils ne me firent pas promettre une gravité ca-
tonienne, et ne cherchèrent point a contraindre ce beau
feu qui caractérise le grand musicien. La condition qu'ils
m'imposèrent, fut de continuer à exercer des talens dont
le public était satisfait. J'ai i empli cette condition, mes-
sieurs, avec la dernière exactitude. Que l'on compte les
musiciens que j'ai formés; que l'on se rappelle ces
concerts dont la réputation attirait a Dijon une foule
d'étrangers et où j'ai dépensé plus de 20;000 fr. pour
la gloire de ma patrie.
»J'ai l'avantage d'avoir formé le goût de mes conci-
toyens pour la musique ; toute votre jeunesse me doit ,
messieurs, cette partie essentielle de son éducation, et
l'on veut me traiter comme le dernier violon qui joue
dans les chœurs de l'Opéra ! ! Souffrirez-vous, mes-
sieurs, que , malgré le privilège dont j'ai joui pendant
trente années , on me fasse l'affront de me comprendre
dans les rôles de la taille ? Si ce privilège ne m'était
pas dû, que ne me le refusait-on dès le commencement?
N'a-t-on attendu si tard à me l'ôter que pour rendre
l'outrage plus sensible ?
» Je suis le frère du grand Rameau, ce père de l'har-
monie, ce créateur de la musique, et j'ose dire que je
suis digne delui : ce titre seul devrait me valoir l'exemp-
tion de la taille. Dans !a prise de Thèbes, Alexandre
épargna la maison de Pindare ; les descendans du célèbre
La Fontaine jouissent, en considéiation des talens de
leur bisaïeul , de l'exemption de la taille, qui leur est
accordée par les intendans de Champagne : et le frère
du grand Rameau se verra enlever le même privilège ,
tandis qu'on ne le conteste pas a un grand nombre de
gens qui le méritent moins que lui? Quel avantage si
considérable pourra revenir a la ville, de la taille a la-
quelle j'ai élé imposé? On m'attaque à la fin de ma car-
rière : il ne me reste plus que trois ou quatre ans a vivre,
et trois ou quatre fois 12 francs diminueront-ils beau-
coup la charge annuelle des citoyens?
» Ce procès est moins celui de ^Rameau que celui des
beaux arts. S'ils venaient a le perdre, les sciences autre-
fois accueillies et fêtées dans cette ville capitale en se-
raient bannis pour jamais , et l'opprobre que je recevrais
rejaillirait sur ma patrie. Que dis-je ! elle en supporte-
rait toute la honte pour avoir traité les talens comme ils
le furent autrefois lorsqu'un essaim de barbares , sorti du
Nord , inonda toute l'Europe.
«Dans les beaux siècles de la république romaine, les
illustres, les hommes a talens étaient nourris aux dépens
du public. J'ai lu quelque part qu'il y avait a Athènes
un prytanée destiné a les y loger. A Dijon on les exemp-
tait autrefois de la taille , et on leur accordait une mo-
dique pension , bien moins utile qu'honorable. Mainte-
nant on veut soumettre le frère du grand Rameau aux
charges municipales ; on lui refuse cette modique pen-
sion confirmée par le prince, et méritée par trente ans
de travaux.
«Levez-vous, messieurs , et jugez ma cause ; ne souf-
frez pas que le zèle énorme de nos magistrats me prive
d'une faible récompense qui m'est due à tant de titres;
ne permettez pas qu'on expose les talens et le savoir au
mépris et a l'abaissement ; faites voir a toute la France
que cette main qui balance les intérêts et les droits des
sujets du roi sait récompenser le mérite et encourager les
beaux arts.
«C'est en 1731 que cette cause fut plaidée à Dijon de-
vant la cour municipale qui, sans doute, eut honte de
sa conduite anti-musicale; car on rendit à Rameau sa
pension , et on lui continua son exemption de la taille ;
mais le cœur de l'artiste ne put pardonner à ses conci-
toyens leur ingratitude, bien que passagère; il quitta
Dijon et alla s'établir à Autun où il mourut en 1761 .
«Il reste une petite difficulté sur l'identité de Claude
Rameau avec le père du neveu de Rameau. Dans le fa-
meux dialogue de Diderot il est dit plusieurs fois que le
M&
GAZETTE MUSICALE
père du neveu était apothicaire à Dijon , et ne serait J
donc pas Claude l'organiste? mais d'une autre part, les
biographes du grand Rameau ne lui donnent qu'un seul |
frère, et ce frère est Claude. Il faut de toute nécessité
que quelqu'un ait fait erreur, Diderot, Mercier ou les
biographes. Nous abandonnons volontiers la solution de
ce problême à la sagacité de nos lecteurs. »
THÉÂTRE ROTAI. DE I/'OPÉRA-COEIIQUE.
Le Chalet,
Paroles de M. Scribe; musique de M. Ad. Adam.
DÉBUT D'INCHIINDI.
Un mot de la pièce : vrai canevas a la Scribe , fin ,
spirituel, adroitement tissu , conduit avec cette habileté
que vous savez tous, et dont je ne vous donnerai qu'une
courte analyse. Betty est une jeune Suissesse fort at-
trayante, ma foi (c'est madame Pradher qui rem-
plit ce rôle), qui, bien qu'elle aime réellement un jeune
suisse doué de toutes les qualités désirables pour faire
un bon mari , jeune, amoureux, riche , simple, et même
un peu bête, veut rester fille pour rester libre. Sur-
vient le frère de Betty, devenu sergent après quinze
ans de service , et qui n'a pas vu sa sœur depuis qu'il
s'est engagé ; il sait déjà l'amour du jeune suisse, qui se
nomme , je crois , Daniel ; mais c'est seulement en arri-
vant qu'il apprend les beaux projets de Betly et son aver-
sion pour le mariage. En bon frère, en homme sage qui
sait apprécier l'utilité de ce sacrement, il donne, sans
se faire connaître, une bonne leçon a sa chère sœur.
Aidé de ses soldats, il met au pillage la maison de Betty,
qui est allée au marché, oubliant d'en fermer la porte ,
enfonce sa cave et s'installe chez elle pour y faire grande
chère a ses dépens. La pauvre fille a bientôt vu le dan-
ger que l'on court a être seule ; elle veut se faire un ap-
pui de Daniel qu'elle a repoussé, tandis que le sergent
qui ne veut voir en lui qu'un rival (car il feint aussi
d'être amoureux de Betty), le provoque en duel. Est-il
besoin de dire que Betty ne peut résister à tant d'épreu-
ves , et qu'elle-même va au-devant du mariage qu'elle
affectait si fort de fuir? Avec cette donnée, M. Scribe
a su amener des situations piquantes, de ce comique de
bon goût qu'il manie si bien; et ces situations, il les a
développées daine manière vraiment musicale. Il faut
dire que le musicien ne lui a pas fait défaut. M. Adam
n'a peut-être mérité jamais autant, d'éloges. Je ne
dirai rien de son ouverture qui, avec de jolis motifs,
me paraît dans toute la première moitié, trop unifor-
mémenttranquille. Quelques pbrases/oWë en auraientbien
relevé les gracieuses mélodies. Il a trop compté sur les
artistes de l'orchestre chargés des solo. S'il avait eu
Brod et Berr , je serais peut-être obligé de parler tout
autrement de cette prétendue uniformité.
L'air de Couderc ( Daniel) , qui réellement n'est
pas le meilleur de la pièce, n'a produit que peu d'effet ;
l'entrée d'Inchindi a été glaciale, et ce pauvre vir-
tuose que j'ai vu si souvent applaudir a côté des plus
habiles chanteurs du théâtre italien, s'est laissé in-
timider, tout effrayé qu'il semblait d'avoir à lutter
contre des artistes de la force de MM. Boulard et
Henri. Peu a peu pourtant, l'auditoire s'est laissé aller
à l'esprit du dialogue, a Yenù-ain de la musique,
et poco a poco_, rinforzando , il a été entraîné jus-
ques a l'enthousiasme , c'est le mot. Ce qui l'a mené
là, c'est d'abord un chœur de soldats, d'une mélodie
franche et bien accentuée, puis des couplets militaires
d'Inchindi sur l'amour, le vin et le tabac, d'un motif
heureux et bien trouvé. Je ferai observer à M. Adam,
qu'une coda mélodique est ce qui convient à un morceau
de cette nature , et que quatre mesures d'un chant con
brio, placé à la fin du refrain , vaudraient à ces couplets
une salve bien nourrie, qu'ils auront grand peine à ob=
tenir avec la phrase quasi-déclamée qui leur sert de ter-
minaison, D'autres couplets encore, dialogues entre le
ténor et le soprano , M. Couderc et M me Pradher, ont
été fort goûtés. Bs sont charmans en effet, pleins de
grâce et de finesse. Mais les deux morceaux capitaux de
l'ouvrage, sont le final et surtout le duo entre Iii-
chindi et Couderc.
Le final , composé de plusieurs parties , est une grande
srène habilement conduite, où la mélodie ne manque
jamais , et , il est juste de le dire, bien soutenue par l'en-
chaînement et la succession on ne peut plus adroite des
situations données par le poète. Comme je ne suis pas
assez heureusement doué pour mettre en provision dans
ma tête tout un opéra après une seule audition, je me vois
forcé d'arrêter ici l'analyse de ce final. J'ai gardé le duo
pour la fin, parce qu'à mon avis c'est ce qu'il y a de mieux
dans la partition, peut-être aussi le morceau le plus
complet qu'ait jamais écrit M. Adam. Ce duo, composé
dans de larges proportions, servirait à prouver au be-
soin, si déjà cela n'avait été prouvé mille fois, que la
musique française, même celle d'opéra comique, ne re-
pousse aucunement les développemens qu'on s'est obstiné
long-temps à regarder comme un des caractères exclu-
sifs de la musique italienne. Ce duo, avec ses trois mou-
vemens , un allegro parlante , un andante cantabile , et
un finale alla militare , a paru court, parce que chaque
partie a sa mélodie et son orchestration bien trouvées et
315
bien conduites, parce que les motifs en sont heureux et
pittoresques; qu'en un mot tout y est bon et a sa place.
Sans la maladresse de l'orchestre, la première partie de
ce duo aurait été bissée , ce que le public demandait à
grands cris.
En somme , la pièce a beaucoup amusé; la musique
a été applaudie. Le Chalet aura des représentations
nombreuses et suivies. Madame Pradher est char-
mante; Couderc promet beaucoup et se montre fort
intelligent. Quant à Incbindi, il a prouvé aux gens
qui savent entendre quelle est sa supériorité sur ses
nouveaux camarades en tant que chanteur. Comme
acteur il les vaut, tout au moins. Encore huit jours,
et le public saura apprécier Inchindi a sa réelle valeur.
École de Musique de M. François Stœpel ,
KDE MONSIGNY, N° 6.
Quoique les succès obtenus depuis près de six ans par
M, Stœpel aient fait suffisamment connaître et apprécier le mé-
rite de son enseignement, nous croyons néanmoins devoir
rappeler succinctement les caractères qui différencient sa mé-
thode des méthodes ordinaires, et reproduire les idées qui
l'ont conduit aux réformes qu'il a exécutées dans l'art d'ensei-
gner le piano et la composition musicale.
M. Stœpel enseigne simultanément les principes de l'harmo-
nie et le piano ; de plus il combine dans son établissement les
avantages de l'enseignement individuel avec ceux de l'ensei-
gnement collectif.
Quelques mots suffiront pour faire comprendre l'utilité de
celte double combinaison. Relativement à l'association de l'é-
tude de l'harmonie avec celle de l'instrument , il n'est per-
sonne qui n'en apprécie immédiatement les avantages ; c'est
faire marcher de front deux parties du même art qui s'éclai-
rent mutuellement , et dont l'une , la connaissance de l'har-
monie, si négligée jusqu'ici , est comme la grammaire d'une
langue dont on ne possède encore que les mots. Cette combi-
naison n'a été négligée par ceux qui se sont occupés de l'en-
seignement de la musique qu'à cnuse des difficultés que pré-
sentait son exécution. M. Stœpel croit être parvenu à les
vaincre, en simplifiant d'uue part la théorie de l'harmonie, et
en la ramenant à des principes clairs et positifs, et de l'autre
en transmettant cette théorie à ses élèves parles faits eux-mê-
mes qui lui servent de base, contrairement aux méthodes
précédemment usitées , où les règles sout des abstractions con-
tinuelles qui fatiguent l'attention et exigent une grande con-
tention d'esprit.
Les avantages qui résultent de la combinaison de l'enseigne-
ment individuel avec l'enseignement collectif ne sout pas
moins faciles à saisir. Disons d'abord comment cette combinai-
son s'exécute. Des professeurs particuliers , en nombre propor-
tionné à celui des élèves, sont chargés d instruire chacune
d'elles individuellement, et de la préparer à participer à l'in-
struction et à l'exécution collectives. Celles-ci consistent soit
dans des démonstrations et interrogations faites par M. Stœpel
lui-même , soit dans l'exécution concertante des morceaux
choisis suivant le degré de force des différentes classes. De
cette combinaison et de cette simultanéité des moyens résul-
tent évidemment la combinaison et la simultanéité d'effet pro-
pre à chacun d'eux. Ainsi dans la leçon individuelle l'élève re-
çoit tous les soins d'une surveillance spéciale et plus active ;
elle acquiert la connaissance des principes du doigté et des dif-
ficultés du mécanisme , et l'idée de concourir ensuite à l'exécu-
tion d'ensemble double ses efforts et son attention. Outre l'é-
mulation qu'excite l'exécution concertante , elle donne la pré-
cision , 1:< mesure, l'aplomb , et une connaissance plus parfaite
des nuances de l'expression musicale qu'il est si difficile de
transmettre dans l'enseignement individuel.
Si l'expérience n'avait pas justifié depuis long-temps les pré-
visions de sa théorie, M. Stœpel en appellerait aux suffrages
flatteurs des nombreuses familles qui l'honorent de leur con-
fiance , et aux témoignages des hommes les plus compétens
que la France possède.
Il y a déjà près de cinq ans qu'une commission de la direc-
tion des beaux-arts, composée de MM. Chérubini, Auber,
Boïeldieu , le comte Turpin de Crissé et le vicomte de Gines-
tet , a bien voulu faire connaître dans un rapport détaillé l'ap-
probation et l'intérêt qu'elle a accordés à la méthode de
M. Stœpel. Voici le résumé de ce rapport , tel qu'il a été pu-
blié dans le Moniteur du 21 avril -1 830 :
« L'avis de la commission est que le mode d'enseignement
» de M. Stœpel , tant pour l'harmonie que pour le piano , mé-
» rite les succès qu'il a obtenus , et que les encouragemens
» qu'il pourrait recevoir ne seraient que la juste récompense
« des talens et des qualités qui distinguent cet habile profes-
» seur. »
ORDRE DES COURS.
COURS DE PIANO ET d'hARMOHIE SIMULTAMEMEHT.
Tous les jours , de midi à une heure et demie , la classe des
élèves commençantes; tous les jours, de une heure et demie à
trois heures, la classe des élèves de moyenne force; tous les
jours , de trois heures à quatre heures et demie , la classe des
élèves 1rs plus avancées. On ne peut encore admettre qu'un
petit nombre d'élèves pour les cours de lundi , mercredi et ven-
dredi. M. Stœpel réservera ces places à celles des élèves qui
veulent bien lui en faire la demande.
M. Listz dirigera un cours auquel ne seront admises que des
élèves très-avancées et au nombre de douze. Le prix est de60f.
par mois , payable d'avance.
M. Stœpel dirigera , une fois par semaine , des exercices con-
certans , à deux et à quatre mains , sur huit pianos. Ces exer-
cices , destinés à remplacer les leçons d'accompagnement , ne
sont exécutés que par des personnes dont l'éducation musicale
est assez avancée pour les dispenser de suivre les cours.
Le prix d'abonnement , payable d'avance , est, pour trois
leçons par semaine :
Pour six mois , de 150 fr.; pour trois mois, de 90 fr.; pour
un mois, de 40 fr.
Le prix des exercices concertans est de 50 fr. pour toute la
saison.
COURS DE CHANT.
M. Alary, élève de M. Rubini, fera des cours de chant élé-
mentaire , de vocalisation et de chant italien.
Il y aura en outre tous les samedis soir, à huit heures et de-
mie , une réunion gratuile de chanteurs pour l'exécution de
316
GAZETTE MUSICALE DE PARIS.
chœurs et d'hymnes à trois et quatre voix d'hommes. Les ama-
teurs sont invités à se faire inscrire les dimanches , de huit à
dix heures du matin.
On peut assister aux différens cours ; des cartes d'entrée se-
ront à cet effet délivrées dans le local de l'établissement, qui
est constamment ouvert aux parens des élèves.
Les cours commenceront mercredi 4" octobre prochain.
NOUVELLES.
+*+ Il est à remarquer que tous les journaux ont proclamé le
brillant succès de la Tempête ; la Gazette musicale seule a
dit la vérité. La rareté du public payant constate le tristesuccès
de ce ballet plus qu'insignifiant. La troisièm e représentation a
produit environ la moitié de la recette des représentations or-
dinaires de Robert le Diable. Dans cette occasion , le charlata-
nisme dp nos confrères n'a pas servi à l'habile directeur de l'A-
cadémie royale de Musique.
J*+ La comtesse du Comte Ory s'est montrée vendredi
sous les traits de mademoiselle Falcon ; elle a chanté fort bien
la musique de Rossini , et le public a applaudi l'habile can-
tatrice autant que la belle comtesse.
+* Les ddetlante sont dans la joie; leur temple va être de
nouveau à leur di.position. Le théâtre Italien ouvre le 2 oc-
tobre,et par la Gazza Ladra, cet opéra favori des Européens,
où Lablache et Tamburini sont si merveilleux , et où mademoi-
selle Grisi, dans le rôle de Ninetta, se montre à la fois actrice
passionnée et grande cantatrice; les autres rôles seront rem-
plis par MM. Ivanof et Sanlini. Cette réunion promet un en-
semble admirable.
*± Il se prépare dans ce moment une grande fête musicale
à Birmingham; elle aura lieu dans les premiers jours d'octo-
bre. Tout y sera nouveau, ou du moins inusité en pareille
occasion : d'abord une salle nouvelle dans le Town-Hall (Hô-
tel-de-Ville) , qui pourra contenir 7000 personnes. On enten-
dra un orgue nouveau , le plus grand de l'Angleterre; un ora-
torio nouveau de Neukomm, intitulé David, et enfin M. Mos-
chelès, le célèbre pianiste, est engagé pour faire entendre ses
nouvelles compositions les 2e et 4e jours, chose d'autant plus cu-
rieuse, que l'usage exclut en Angleterre la musique instru-
mentale des fetes musicales.
+*+ On annonce que l'Opéra-Comique vient d'engager ma-
demoiselle Annette Lebrun, fille de l'auteur de la musique du
Rossignol. Mademoiselle Lebrun possède , dit-on , une voix de
contr'alto remarquable.
+*+ On s'occupe toujours beaucoup au théâtre Nautique du
grand ballet nouveau les Chinois. M. Auber fait des Chinois
pour l'Opéra-Comique, et un théâtre des boulevards donnera,
dit-on , une parodie burlesque intitulée : les Chinois de Paris.
+% L'Opéra est allé aujourd'hui à Fontainebleau donner par
oi dre une représentation du Philtre.
+*t Dernièrement en passant à Calais , Rubini a donné , par
excès d'obligeance, un spectacle bizarre, et peut-être inouï
dans les fastes du théâtre. On devait représenter l'opéra du
Barbier de Séville , arrangé par Castilblaze , au bénéfice d'un
artiste. On vint prier le célèbre voyageur déjouer le râle d'Al-
maviva ; en véritable artiste, Rubini ne vit que le plaisirde ren-
dre service, et accepta sans faire d'autre réflexion. Le soir il entre
en scène, chante en italien l'air de la Sérénade, et sort après
l'introduction pour ne reparaître que quand Figaro est sur le
théâtre. Quelle est sa surprise d'entendre le Figaro lui donner
sa réplique en français, langue que Rubini parle très-difficile-
ment. Un autre moins sûr de la laveur du public, se serait dé-
concerté; loin de IN, Rubini continua de répondre en italien au
français de ses interlocuteurs. Dans un seul passage , il hasarda
en français une plaisanterie qui fut accueillie pari hilarité et les
bravos de toute l'assemblée.
* t Madame Ponchard a été malade; elle reparaîtra incessam-
ment à l'Opéra-Coinique.Puisque celte cantatrice a des préten-
tions, nous nous occuperons spécialement de son talent, la pre-
mière fois qu'elle créera un rôle nouveau.
*+ irac/ii«rfiestimpatronisé maintenant à l'Opéra-Comique.
Nous le verrons incessamment dans le Barbier de Séville. Ma-
dame Casimir chantera le rôle de Rosine.
+% M. Poek, deVicnne, une des meilleures basses-tailles
de l'Allemagne, vient de chanter, à Berlin, le rôle de
Bertram, dans Robert le Diable , avec un succès tel, que
cet ouvrage a dû être représenté deux fois dans le courant d'une
semaine , chose extraordinaire dans la capitale de la Prusse.
M. Poek a excité tant d'enthousiasme, qu'il vient, d'être engagé
au théâtre royal de Berlin. Mademoiselle Ltttzer, dePrague , a
< hanté l'Isabelle dans le même opéra. Elle a obtenu beaucoup
de succès.
t*t A l'une des dernières répétitions de Marie Stuart , opéra
nouveau de Donizelti, qu'on s'occupe en ce moment de mon-
ter au théâtre Saint-Charles , à Naples, il est arrivé un acci-
dent tragi-comique qui fait le sujet de toutes les conversations
de cette capitale. Les deux prime donne , Elisabeth et Marie
Stuart, madame Ronzi de Begnis et madame del Sere se sont
d'abord prises aux cheveux et se sont ensuite battues à coup de
poing comme de véritables furies. Madame del Sere, quia eu
le dessous, a été si maltraitée par son heureuse adversaire,
qu'elle sera forcée de garder le lit au moins cpiinze jours. On
est fort curieux de voir comment ces deux dames se tireront
de leur rôle à la première représentation ; on a lieu de penser
qu'elles mettront dans leurs regards de colère une rare vérité.
*M La ville de Clermont manque de professeurs de pianos ;
un de nos eorrespondans dans cette ville rous dit qu'un jeune
homme quiaurait du talent y ferait fort bien ses affaires et au-
rait autant d'élèves qu'il en voudrait.
„% Madame Dorus Gras est de retour de Valenciennes où
elle a donné quelques représentations. Celle cantatrice, un des
orn^mens de l'Opéra , reparaîtra incessamment ; elle doit rem-
plir un rôle très-importînt dans la Juive.
Publications des Propriétaires de la Gazette
Musicale de Pari;.
PIUX : i FRANC
CHAQUE OUVRAGE,
ET 1 Fit. 25 CENT. FRAISCO POUR LES DÉPAItTEMEKS.
Bibliothèque Populaire
Receuil de Fantaisies , Rondos, Variations , Contre-
danses , Valses, etc., sur des motifs a" opéras et
romances favoris.
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jStrûuss, tiMler et Canner.
Gérant, MAURICE SCHLESINGER.
GAZETTE MUSICALE
mm iPdamzi®*
RÉDIGÉE PAR MM. ADAM, G. E. ANDERS , BERTON (membre de l'IllStitut), BERLIOZ, CASTIL-BLAZE , A. GDEMER , HALÉVY
(professeur de contrepoint au Conservatoire), Jules jajvln , liszt, lesueur (membre de l'Institut), j. maixzer, marx
(rédacteur de la gazette musicale de berlin), d'ortigue , panofka , richard, j. g. seyfried (maître de chapelle
à Vienne), F. stœpel, etc. , etc.
N° iO.
PRIX DE l'aBON.NEM.
PARIS.
DÉPART.
ÉTRAKG
fr.
Fr. c.
Fr. c.
3 m. 8
8 75
9 50
6m. 15
(6 50
t8 »
( an. 30
33 »
36 «
■£■& (Sasette iîtusicaU' i>e sparts
Paraît le DIMANCHE de chaque semaine.
On s'abonne au bureau de la Gazette Musicale de Paris, rue Richelieu , 97;
et chez tous les libraires et marchands de musique de France.
Ou reçoit les réclamations des personnes qui ont des griefs à exposer, et les avis relatifs a I.
qui peuveut intéresser le public.
usique
PARIS, DIMANCHE 5 OCTOBRE 1834
Les lettres, demandes
et envois d'argent doi-
vent être affranchis, et
adresses au Directeur ,
rue Richelieu, 97.
MM. Les abonnés, dont l'abonnement finit
le 3o septembre, sont priés de le renouveler s'ils
ne veulent pas éprouver de retard dans l'envoi
du Journal.
UN BÉNÉFICIAIRE
ET
RUBINI A CALAIS.
On raconte une anecdote assez originale, qui fait hon-
neur a la bonté autant qu'à l'esprit de Rubini. Un pau-
vre diable d'Ilalien, sans argent, .sans crédit, sansbottes,
(comme dit Robert Macaire), ne sachant en un mot à
quel saint se vouer, imagina, il y a quelque temps,
d'aller à Londres demander au célèbre chanteur son
compatriote de le tirer d'embarras. Il s'agissait pour cela
de profiter du court instant qui sépare ordinairement les
engagemens de Rubini en Angleterre de ceux con-
tractés à Paris, et le prenant au vol, de donner un con-
cert à son passage à Calais. Rubini consentit à tout,
promit de se trouver au rendez-vous à jour fixe et en-
gagea le malheureux auquel il rendait la vie, à repartir
au plus vite pour aller tout préparer. Celui-ci revient
en effet plein d'espoir, monte un concert, affiche monts
et merveilles, fait imprimer le nom de Rubini en lettres
de six pouces de haut, place les billets, brosse son cha-
peau pour la première fois peut-être depuis un an,
achète des lottes , se remonte le corp^ et l'âme, et le
soir du concert , devant une salle pleine se \o\ forcé de
venir, la mort dans le cœur, saluer le public aussi bas
que possible, et de lui annoncer que, M. Rubini n'étant
pas arrivé , le concert se trouvait nécessairement remis
à huit jours. Pauvre homme ! quelles tortures ! quelles
angoisses! mais il n'était pas au bout. Il avait a con-
naître, sans en éviter une, toutes les douceurs d'un
bénéfice.
Le concert est annoncé de nouveau; Rubini a bien
promis d'être exact ; tout va bien ; il y a plus de monde
encore que la première fois, le petit nombre de billeis
qui restaient ayant été pris. Mais les grands artistes
comme Rubini ne peuvent répondre de leur exactitude si
long-temps d'avance ; trop d'intérêts se rattachent à
eux pour leur laisser une entière liberté. Rubini se vit
donc forcé une seconde fois de manquer au rendez-vous.
Le bénéficiaire, courbant l'épine dorsale jusqu'à se la
rompre, vint, tout pâle d'horreur, proposer à l'assemblée
un second ajournement. Le public, pensant être pris
pour dupe, ne voulut pas en entendre parler, et réclama
a grands cris son argent. Il fallut bien le rendre, le ren-
dre jusqu'au dernier sou. La fameuse paire de bottes
n'était pas payée heureusement; sans quoi , le caissier
eût trouvé dans ses comptes un déficit de quatorze francs.
Le malheureux Italien allait se brûler la cervelle quand
sa providence, son dieu, son chanteur, son Rubini ar-
rive enfin. Il lui raconte ses mésaventures et l'horrible
embarras où il se trouvait, r Eh bien , il n'y a point de
» temps a perdre; recommencez, je ne puis vous faire
» défaut cette fois, puisque me voilà. » Trotte, trotte ,
318
GAZETTE MUSICALE
bénéficiaire, va revoir ton directeur, ton chef d'or-
chestre, ta chanteuse, ton basson et ta flûte; cours chez
l'imprimeur , commande une affiche superbe , où tu fe-
ras suivre le nom fameux de Rubini de ces mots : ré-
cemment arrivé de Londres; n'épargne ni marches ni
contre marches ; convoque le ban et l' arrière-ban des
dilettanli ; crie à qui voudra l'entendre dans les cafés ,
les resta urans, au port, dans les rues , sur les toits : Ru-
bini est arrivé, personne ne te croira ; on te répondra
avec un rire menaçant : « A d'autres, charlatan, tu ne
nous attraperas plus. » Cependant la séance est ouverte;
Rubini s'avance, son cahier à la main, devant un audi-
toire, hélas! bien différent de celui qui toujours, et
partout, se presse pour l'entendre. Quelques nouveaux
débarqués qui n'avaient pas eu le temps d'apprendre la
déconfiture des deux concerts précédens , et un petit
nombre de bons Calaisiens plus richement doués que les
autres des trois vertus théologales , la foi , l'espérance et
la charité , s'étaient seuls rendus au troisième appel de
l'étranger. Rubini chanta comme à l'ordinaire, c'est-a-
dire qu'il fut admirable, ravissant, stupéfiant; mais la
recette, aye! aye ! quel vide dans la caisse ! la recette ne
couvrait pas les frais, et il y avait à payer l'imprimeur,
l'afficheur, les musiciens, la salle, l'éclairage et le droit
des pauvres. Ce dernier article, il faut l'avouer, suffi-
rait en pareil cas pour faire tomber en épilepsie un
homme plus patient que noire Italien. C'est bien la plus
débontée, la plus absurde, la plus révoltante, la plus
insolente et la plus impie des mystifications. Parce que
nos honorables députés , que Dieu confonde ! ont fait
une loi sur un objet qui leur était aussi étranger que
beaucoup d'autres, un impôt, que dis-je, un impôt?
un mandat de spoliation se trouve lancé contre les don-
neurs de concerts. Un compositeur, qui n'a qu'a peine
de quoi vivre, voudra faire entendre un ouvrage d'où
dépend son avenir, il montera une belle solennité mu-
sicale, il engagera un superbe orchestre; sa partition
exécutée avec ensemble et vigueur ira aux nues; mais la
recelte n'a été que de deux mille francs, les frais étaient
de dix-neuf cent , et voilà le fermier du droit des pau-
vres qui vient réclamer cinq cent francs, le quart de la
recelte brute, auquel il a droit de par la loi. En sorte,
que le malheureux artiste au lieu de la modique somme
de cent francs qu'il gagnait pour avoir composé un ou-
vrage remarquable et avoir réussi à le faire dignement
exécuter à ses risques et périls, se trouve tout d'un
coup dépouillé de son bénéfice et imposé de quatre cent
francs de par la loi. C'est le droit des pauvres ; c est-a-
dire le droit du fermier des pauvres, qui, ne donnant ja-
mais de concerts , trouve fort commode qu'on en donne
pour lui; pour lui qui prend le quart delà recette sans
faire entrer en ligne de compte la moindre partie des
frais .
Mais revenons a notre bénéficiaire. Le droit des pau-
vres joint aux frais du concert, excédant de beaucoup
la somme perçue, il vient trouver Rubini , lui compte
son désappointement, et lui indique un moyen excellent
de le tirer d'affaire. Ce serait que Rubini fût assez bon
pour chanter le comte Almaviva daus le Barbier de Sé-
ville. Toute la population de Calais étant assurée a pré-
sent de la présence du célèbre chanteur, et ne craignant
plus de se voir trompée dans son attente, la salle serait
comble, et le fermier des pauvres n'aurait le droit de
prendre que le onzième d'une si belle recelte , au lieu
du quart qu'il avait pris dans celle du concert , parce
que cette fois il s'agirait d'une représentation drama-
tique (admirable distinction ! il paraît que nos députés
qui font de si belles lois , en veulent personnellement
à la musique. Ce sont sans doute les sérénades que beau-
coup de ces messieurs essuient en retournant dans les
départemens qui leur ont inspiré une pareille haine pour
les concerts ). « Jouons le Barbier, je veux bien, dit cet
» excellent Rubini ; allez vite vous arranger avec le di-
» recteur et comptez sur moi. » Nouveaux efforts ,
nouvelles courses de l'infortuné bénéficiaire — Tout
marche à souhait; le directeur, les acteurs, sont en-
chantés de donner une représentation avec Rubini; les
arrangeinens sont bientôt pris ; on affiche ; les billets
sont enlevés en un clin d' œil ; on répète, la pièce va
bien ; il ne reste plus à faire qu'une dernière répétition
à laquelle Rubini a promis d'assister. Il s'y rend en
effet. Mais voici bien une autre affaire. A peine , le pre-
mier morceau est-il commencé, que Rubini l'interrompt.
« Comment! comment! en français! vous chantez en
» français? on ne m'avait pas prévenu de cela; jamais
» je n'en dirai un mot, c'est impossible, » Et les acteurs
français de répliquer : «Comment! comment! en ita-
» lien ? vous voulez que nous chantions en italien , c'est
» de toute impossibilité, nous ne savons pas la langue. »
— « Ah mon Dieu! je suis perdu, s'écrie alors le pauvre
» diable de bénéficiaire, s' arrachant les cheveux, je suis
» perdu , perdu sans ressource ! Santa Madona ! Pieta !
» Sono pazzo, ammazzato, morto! ! ! — Tout n'est pas
» perdu, dit Rubini, frappé de ce désespoir, la repré-
» sentation aura lieu , continuons et soyez tranquilles ,
» j'arrangerai ça. »
Le soir, enèffet, il entre gravement en scène, et au mo-
ment où chacun se demandait comment allait être résolue
la difficulté, Rubini répond à son interlocuteur français:
« Cosa vol dire ? eh !.. , non so troppo bene lo francese !
DE PARIS.
» Ah! bene, bene, adesso, capisco. » La salle entière
d'éclater de rire à ce dialogue bouffon. Une fois désarmé
par l'hilarité, l'auditoire adoptait nécessairement l'exé-
cution du Barbier dans les deux langues ; l'opéra a donc
continué avec le plus grand succès , et a la satisfaction
du public qui ne pouvait assez applaudir à l'incompa-
rable talent autant qu'à la spirituelle obligeance du grand
altiste et de l'excellent homme. Il ne faut pas croire
qu'une pareille tentative fût absolument sans danger; le
public des petites villes est d'ordinaire assez turbulent,
souvent même fort discourlois ; celui de Calais avait été
déjà mécontenté par deux fois à l'occasion de Rubini ;
il se pouvait donc fort bien que la hardiesse du chanteur
italien fût prise en mauvaise part et servît a faire éclater
les fâcheuses manifestations d'un ressentiment mal éteint.
Il n'en a point été ainsi, a la vérité; mais l'incertitude
du succès en cette occasion, relève infiniment a nos
yeux ia noble conduite de Rubini, dont on parlera peu
sans doute parce qu'il est coutumier du fait.
H. Berlioz.
DE SPONTINI,
ET DU CARACTÈRE DE SES COMPOSITIONS DRAMATIQUES.
Notre but, dans cet examen, n'est pas de relever les
imperfections qu'une critique sévère peutdécouvrirdans
le talent de Spontini , mais de signaler à l'admiration
les qualités fortes et originales qui lui ont mérité le rang
qu'il occupe dans l'estime des artistes.
C'est un lieu commun fréquemment usité dans la
critique, que de comparer aux ouvrages d'aujourd'hui
ceux des temps passés. Cette comparaison peut être
juste, en tant que l'on part du principe que le beau reste
éternellement beau , et que le temps ne saurait altérer
le caractère primitif de la beauté véritable. Mais ne sa-
vons-nous pas quelle influence exercent les circonstan-
ces contemporaines sur les plus hautes créations de l'art,
et ne faut-il pas, dans l'appréciation équitable des chefs-
d'œuvre, faire la part des idées qui dominaient a l'épo-
que où ils ont été conçus?
Or, les ouvrages de Spontini imposent rigoureusement
cette nécessité, et c'est pour l'avoir méconnue qu'on a
porté tant de jugemens erronés contre lui. Ses ouvrages
diffèrent en tous points de ce que l'harmonie a créé jus-
qu'à ce jour, et pourtant ils satisfont pleinement aux
idées les plus pures de la vraie beauté. Si cependant on
voulait établir un parallèle entre lui et un de nos an-
ciens maîtres, si on était curieux de chercher un point
de comparaison pour ses beautés, on le trouverait dans
Gluck : Spontini est le Gluck moderne.
Dans l'art du théâtre, la perfection serait de faire
abnégation complète de soi-même, et de sa propre na-
ture pour s'identifier entièrement avec les passions qu'on
doit peindre. Mais il n'en va pas ainsi, et chez la plupart
des compositeurs dramatiques, c'est le sentiment le plus
développé en eux, qui devient le type habituel de l'ex-
pression qu'ils prêtent a leurs personnages. Quoique
nous ne voulions point nous dissimuler que Spontini
ait quelquefois échoué contre cet écueil, il s'élève néan-
moins encore sous ce rapport au-dessus de ses contem-
porains Rossini , Weber, Spohr, etc. ; et d'ailleurs,
lorsqu'il sacrifie la vérité artistique a un sentiment pré-
dominant , ne faut-il pas rejeter une partie de ce tort
sur les poètes de son époque, eux qui , par la concep-
tion presque uniforme de leurs héros et héroïnes, ont
mis Spontini dans la nécessité d'être trop souvent mono-
tone et sans couleur? Les mobiles principaux des
personnages des opéras de Spontini sont , a peu d'ex-
ceptions près , F honneur et Y amour , et le résultat de la
lutte qui s'élève entre ces deux passions , le triomphe
de l'héroïsme. Et comme ces sentimeus sont le reflet
des idées nationales dont s'inspirait alors la poésie fran-
çaise, n'était-il pas naturel que l'auteur s'identifiât
avec eux? L'honneur et l'amour forment donc le carac-
tère principal de ses créations ; ces sentimens, l'un tout
en dehors, l'autre, d'une énergie concentrée, se mani-
festent chez lui dans toute leur puissance, et nous pou-
vons affirmer avec raison que la jorce est le caractère
fondamental des compositions de Spontini.
Il n'est pas sans exemple dans la littérature et dans
les arts, que les détails de l'exécution modifient l'idée
qui a présidé a la conception primitive; mais les grands
talens ne procèdent pas ainsi en musique. Dès qu'une
idée se présente à leur imagination , elle doit être con-
çue en quelque sorte dans toute sou étendue et dans tous
ses développemens, et s'élancer de leur cerveau, pour
ainsi dire , tout armée des combinaisons instrumentales
qui doivent compléter son ensemble.
Le moindre embellissement qu'on lui adjoindrait plus
tard, et à froid, paraîtrait superflu et altérerait l'har-
monie pure et belle qui convient à ses parties isolées. Il
y a, nous le savons, bien des compositeurs dont les ou-
vrages laissent apercevoir à l'audition la manière dont
ils ont été travaillés, d'abord au piano, ou sur nn au-
tre instrument favori , ensuite avec l'accompagnement
d'un quatuor, et enfin en partition; mais ces auteurs
ne sont pas ce qu'on appelle des hommes de génie.
Peut-il être question de verve poétique et de vérité dans
l'ensemble, lorsque tant d'efforts séparent la conception
première de l'exécution définitive. Il n'est de vraie poé-
sie que celle où l'esprit, le cœur et l'imagination s'u-
320
GAZETTE MUSICALE
nissent intimement. Or, il est historiquement prouvé
que Spontini est artiste et qu'il l'est de cette manière.
Il travaille lentement, non pas en esquissant un projet
un quatuor et en y ajoutant d'abord un instrument
puis un autre ; non , il conçoit le tout d'un seul
jet, avec toute l'immense richesse qui se présente a
son âme. Coordonner ses idées, les employer selon
les exigences de la situation , classer dans l'ordre le plus
symétrique ce que son imagination lui offre en abon-
dance, voila ce qui lui coule du travail. Spontini est un
poète parmi les musiciens (1 ).
Ces raisons peuvent aussi répondre au reproche adres-
sé si souvent a Spontini, et même avec plus de vraisem-
blance sur son instrumentation, comme trop forte, trop
chargée, écrasant les voix , et ne faisant de ses opéras
qu'un bruit fastueux et étourdissant, etc. Ainsi on ra-
conte que Zelter, revenant un soir d'entendre Olympia,
et passant devant une trentaine de tambours qui bat-
taient la retraite, s'écria: « Cette musique la repose-
de l'autre ! » Il serait facile de prouver combien
cesjugemens sont légers; mais nous préférons citer une
autre anecdote. Le même Zelter, lorsqu'il sut que Beetho-
ven avaitcomposé la Bataille de Fittoria , dans laquelle
on devait entendre, entre autres effets bruyans, de vé-
ritables coups de canon , écrivit a Goethe uue disser-
tation fort savante sur ce genre de musique. Plus tard
il entendit cette symphonie et fut enchanté. Il se repro-
che amèrement une critique injuste comme toutes celles
qu'on peut faire contre Beethoven. La véritable apolo-
gie de Spontini, il faut, comme nous l'avons dit, la
chercher dans les sujets mêmes de ses poèmes. Il faut
nous représenter les situations, les caractères sur les-
quels le compositeur avait a travailler; il faut nous sou-
venir des impressions toutes vivantes, de l'exaltation
presque frénétique que jetait en ce moment dans les es-
prits le plus grand des héros dont l'image et les hauts
faits aient occupé tous les artistes, puis considérer les
prestiges qui se rattachaient à un Fernand-Cortès, con-
quérant de tout un peuple, à une fille d'Alexandre-le-
Grand, a la peinture des mœurs de Rome antique.
N'était-il pas nécessaire que sur d'aussi puissantes don-
nées fournies par le poète, le compositeur déployât tous les
effets que son art mettait à sa disposition. Nous conve-
nons aisément que les ouvrages de Spontini exigent un
plus grand orchestre que presque tous ceux des autres
compositeurs ; mais nous soutenons aussi sans crainte
(1) L'exécution matérielle des partitions dcSponlini pourrait
déjà nous eu servir de preuves. On n'y trouve aucun bis, ni
corne sopra ; tout est écrit avec la plus grande précision , et de
manière à faire croire que ses yeux même ne peuvent suppor-
ter une irrégularité et un décousu matériels.
qu'il se trouve toujours dans un rapport beaucoup plus
direct avec l'ensemble del'ouvrage, et surtout avec l'im-
portance des idées musicales que la moitié du même
orchestre avec les pauvres motifs de contredanses dont
on nous gratifie sons le nom de grands opéras (1). Nous
allons donner encore une autre preuve, que tous les
moyens que Spontini a employés dans ses ouvrages, sont
motivés par l'idée fondamentale qu'ils expriment ; car
on trouve dans ses partitions toujours deux piano pour
un forte; et ce sage mélange et cette division d'expres-
sion produisent de beaux et grands effets, même avec
un orchestre médiocrement nombreux. Mais quand ces
masses, et avec elles les effets qu'elles produisent, se
doublent, alors les critiques malveillans n'y entendent
plus que du bruit.
Nous' pourrions facilement, et d'une manière viclo-
torieuse, réfuter des reproches tels que les suivans :
Pourquoi ne se trouve-t-il pas de chanteurs ni de can-
tatrices pour les opéras de Spontini? Nous n'aurions
qu'a demander combien il y en a pour Oifeoâe Gluck,
pour A Iceste, pour Armide, et pour Oberon de Weber.
Les œuvres de Spontini ne sont donc, en aucune ma-
nière, des opéras qui ne produisent que du faste et du
bruit j car ces effets bruyans sont partout appropriés au
but qu'ils veulent atteindre.
Parmi les compositeurs dramatiques, Gluck fut le
premier qui s'occupa de la déclamation jusqu'alors en-
tièrement négligée. Mais son zèle a donner la valeur
propre a chaque mot, même a chaque syllabe, le porta
à négliger souvent l'expression mélodique. C'est là la
cause de ce que ses récitatifs sont des chef-d'œuvres
qu'on ne pourra dépasser ; car ce sont plutôt l'harmonie
etlerhythme que la mélodie qui forment leurs beautés
principales. La déclamation de Gluck est, si l'on peut
s'exprimer ainsi , une traduction mot a mot en musique,
et c'est par là que ses imitateurs ont commis le plus de
fautes. Les compositeurs ne s'occupèrent plus d'idées
musicales, mais de syllabes.
Les Italiens s'étaient depuis long-temps résignés à ne
faire prédominer dans la musique que la mélodie. Alors
vint Spontini. Il prit des Italiens le charme de la mélo-
die ; de Gluck l'art de la déclamation musicale , et en
ne. se rapprochant des meilleurs maîtres allemands que
pour ce qui concernait l'harmonie, il devint le compo-
siteur de tous les pays et de tous les temps. Comme
Gluck, il dédaigna l'usage des fioriture et des orne-
mens factices, et là où il s'en est servi, ils se trouvent
(1) Il est superflu de faire la remarque que nous sommes
bien éloignés de ranger dans cette catégorie Robert-le-Diable
de Meyei béer, et Guillaume-Tell de Russini .
321
dans le plus heureux accord. Avec le sens des paroles et
leur déclamation, Spontini est un déclamateur lyrique
accompli.
Les expériences les plus intéressantes nous ont appris
clairement combien le problème d'une semblable union
est difficile à résoudre en musique. Charles-Marie de
Weber fut, sans contredit, sinon le génie le plus fécond,
du moins le compositeur le plus ingénieux qui jamais ait
existé. Il fit dans son Eurjanthe le premier essai d'une
déclamation lyrique; mais il ne réussit pas a atteindre la
reproduction fidèle du sens des paroles. Il se tira de rette
difficulté avec plus de bonheur dans Oberon ; là , We-
ber est digne de lui ; la il se montre le premier compo-
siteur allemand qui ait su réunir une déclamation par-
faite a la richesse mélodique la plus entraînante. La
puissance d'une véritable déclamation lyrique est telle-
ment grande, qu'elle prévaut sur la division rhythmi-
que des phrases musicales. Nous trouvons déjà dans
Gluck , chez qui la déclamation était dominante , et
dans les opéras de Spontini et de Weber, des phrases
de cinq, sept et neuf mesures, qui n'ont pas des ré-
ponses d'une égale dimension, et qui par conséquent
sont fausses selon les règles du rhythme , et pourtant
cela ne froisse jamais le sentiment rhylhmique.
La littérature allemande, et particulièrement celle
du journalisme, est riche en doeumens intéressans sut
les ouvrages de Spontini. Il a trouvé beaucoup de con-
tradictions , peut-être plus que d'éloges ; mais nous
croyons ce blâme motivé par d'autres causes que ses œu-
vres. Ses admirateurs les plus estimés étaient l'excellent
écrivain fantastique Hoffmann et le savant, professeur
Marx , à la plume énergique duquel on doit plus d'un
travail estimable de ce genre, lors delà brillante époque
musicale de Berlin. Fr. STOEPEL.
Une nouvelle Production de M. H. Herz.
Variations brillantes ( di bravura ) avec accompagnement
d'orchestre sur le trio favori du Pré -aux- Clercs, par
H. Herz. Op. 76. Prix H 5 fr. Pour piano seul : 7 fr. 5o c.
Nos lecteurs auront sans doute remarqué que nous
nous occupons souvent de M. Herz, et que déplus, nous
faisons de ses œuvres un examen plus rigoureux que si
nous avions à traiter des productionsde MM.Chaulieu,
Fessy, Lavainne, Roger, etc., etc. Notre intention n'est
pas de nous excuser sur ce point auprès de nos lecteurs,
car en cela , notre propre patience est assurément sou-
mise à la plus rude de toutes les épreuves; mais nous es-
pérons qu'il nous sera permis d'exposer en peu de mots
les causes qui nous poussent à en agir comme nous le fai-
sons.
Nous avons souvent à nous occuper de M. Herz :
c'est que souvent , trop souvent hélas ! en bon indus-
triel , il met en mouvement la roue de sa machine à va-
riations. M. Herz est né pour briller en Angleterre,
cette terre classique des fabriques.
Nous faisons de ses productions un examen plus ri-
goureux, etc., etc. Parmi les compositeurs du même
genre, ou si l'on préfère que nous nous servions des
anciennes dénominations, de ce genre, qui distinguait
jadis les Steibelt, les Latottr, les Gélineck , les lanhall
et quelques autres représentans de ce style, le plus com-
mun et le plus élégant , le pluspto et en même temps le
plus précieux, le plus vide d'idées et partant le plus
aisé à saisir ; parmi ces compositeurs, disons-nous,
M. Herz est sans contredit le plus distingué de tous et
celui qui a su jeter le plus vif éclat sur le genre qu'il a
adopté (1). Imbus comme nous le sommes des idées que
nous avons si souvent émises sur l'art , fermement ré-
solus à combattre de toutes nos forces la musique mé-
diocre et indigne de la sainteté de son nom ; celle-là
même qui depuis dix ans est presque parvenue à faire
oublier ou du moins négliger et méconnaître les admi-
rables œuvres classiques de Beethoven , Mozart , JVe-
ber, Moschelès et Hummel, n'élait-re pas pour nous un
véritable devoir de nous attaquer aux champions les
plus haut placés? Devions-nous poursuivre de pauvres
et insignifians écoliers, tandis que le chef, poursuivant
fièrement, e! sans être gêné par sa conscience, son œuvre
d'argent et de lucre? Et n'avons-nous pas dû employer
les expressions du blâme le plus sévère, lorsque nous
avons vu l'égoïsme et l'avarice nous présenter si fière-
ment une impénétrable cuirasse? Quand bien même
notre conduite ne devrait nous mener à aucun résultat
satisfaisant, nous aurons toujours la consolation de
penser que nous avons consacré toutes nos forces à la
défense de la bonne cause. Mais remercions Apollon
de ce que nos conseils sont bien loin d'avoir été perdus !
Partout, nous trouvons des esprits qui savent nous com-
prendre et des voix qui répondent à la nôtre ; nous avons
donc l'assurance de voir toutes les vaines et fières ido-
les succomber tôt ou tard pour faire place enfin à l'art
véritable.
La nouvelle œuvre de M. Herz (N° 76) est si diamé-
tralement opposée à toute idée artistique, elle est si loin
de réaliser l'attente que doit éveiller, dans l'année 1854,
(•I) On nous pardonnera de ne pas employer le '""_ot chef
d'école pour désigner M. Herz. D'une part, cet* , dénomina-
tion rappelle des phases de l'ait trop nobles et trop grandes ;
de l'autre , le mot école emporte avec soi l'idée d'une science
acquise , et il ne peut pas être question de cela à propos de
M. Herz.
GAZETTE MUSICALE
une composition écrite pour le piano , qu'il ne peut être
ici nullement question d'un analyse scientifique ou rai-
sonnée d'après les principes de l'art. Nous nous conten-
terons donc de quelques remarques pour le profit et
l'instruction des amateurs qui ne seraient pas à même
d'examiner par eux-mêmes cette nouvelle production.
Le titre renferme trois et peut-être bien même quatre
choses de trop. On a donné aux variations la double dé-
nomination de variations brillantes et de bravoure. Par
le mot brillant; on sous-entend implicitement l'idée de
quelque chose de riche , de distingué , de quelque chose
enfin qui s'élève au-dessus du vulgaire ; en effet, cou-
vrez un mendiant ou un homme du commun des plus
riches accoutremens, un tel homme ne saura jamais par-
venir a briller dans la juste acception du mot. De même
aussi, le seul mot bravoure présente à l'esprit une cer-
taine idée de force et de noblesse; la bravoure est le plus
bel ornement d'un homme qui comprend sa dignité ; son
caractère distinctif est celui d'une énergique gravité.
Or, nous le demandons, comment rattacher les idées de
brillant et de bravoure à une œuvre dont le thème est
formé par l'une des plus jolies contredanses de Musard ,
un de ces motifs légers qui chaque soir viennent donner
à l'habitué du café Turc des velléités si dansantes. L'au-
teur aurait-il voulu exprimer par son titre qu'il faut se
munir d'une bonne dose de courage avant d'oser s'atta-
quer à ce pâle remaniement d'idées vieillies et surannées?
L'aveu serait aussi par trop naïf! M. Herz aurait dû se
contenter d'annoncer des variations nouvellement sor-
ties de sa fabrique; un tel titre eût amplement suffi.
Nous regardons aussi comme une superfétation le pré-
tendu accompagnement d'orchestre dont le compositeur
nous fait fête. En effet, nous affirmons que tout homme
qui, après avoir rassemblé tout son courage, voudra
se décider a jouer ce morceau d'un bout à l'autre,
pourra fort aisément le faire sans éprouver la moindre
gêne par l'absence de l'orchestre. En cas de besoin , un
bon orchestre n'aurait nulle peine a improviser un ac-
compagnement au moins égal a celui qui a été écrit par
le compositeur lui-même. Que nous regardions le prix
de -15 francs comme une annonce exubérante, c'est ce
qui nous paraît encore trop clair pour que nous nous y
arrêtions un seul instant.
L'introduction commence par un tutti composé d'ac-
cords énergiques, c'est a dire pointés, et qui doivent
être frappés avec force et résolution. Ce tutti est ensuite
interrompu par une courte phrase pianissimo pour les
flûtes, les hautbois ou les violons, puis il se termine de
la manière la plus commune et la plus triviale par un
solo de cor diminuendo e rilardando. Le solo de piano
entame ensuite un trait entièrement analogue au motif,
et qui, s'il eut été traité avec un vrai talent musical,
aurait pu former un fort joli cantabile ; mais le compo-
siteur s'est laissé emporter par un tel déluge dénotes, de
trilles et d'accords plus ou moins baroques, qu'au bout
de quelques instaus, on ne tarde guère a perdre de vue
l'idée principale. A la quatrième page, tout au commen-
cement, M. Herz s'oublie au point qu'il copie note pour
note un passage d'un concerto de Weber (Y). Pour un
compositeur de 'a force de M. Herz, c'est un véritable
malheur que de rappeler de semblables œuvres ; et pour-
tant chacun sait s'il s'en fait faute. La mélodie du trio
favori du Pre'-aux Clercs est arrangée en octaves pour
la main droits, et la main gauche exécute un Accompa-
gnement formé par une suite d'accords qui n'ont rien
que de fort ordinaire.
La première variation est écrite en triolets et ressem-
ble a toutes celles que l'on retrouve dans les œuvres du
même genre, et qui, nous devons le croire, se trouvent
toujours faites d'avance. En effet, toutes les combinai-
sons peuvent se rapporter au même thème avec un avan-
tage égal.
La seconde variation brille par la même trivialité.
Nous donnons ici, dans tout son brillant entourage, la
figure principale qui sert de type aux huit premières et
aux huit dernières mesures :
Variation 2.
con leggierezza rt»%
meno vivo ( 0
Voici l'autre.
Maintenant si l'on veut bien remarquer que les huit
dernières mesures de la seconde reprise sont la répéti-
tion exacte des huit premières mesures formant la pre-
mière reprise, et de plus, que les quatre dernières me-
sures de la seconde reprise ne sont, a une octave supé-
rieure, que la stricte répétition des quatre premières
mesures de cette même reprise , on pourra se convaincre
que la variation tout entière se compose seulement de
douze mesures qu'on aurait pu écrire sur deux portées
de musique. Voila pourtant comment on remplit
des pages ! ! Par la même occasion , et pendant que
nous sommes comme perdus au milieu de ces tristes
détails , nous ferons encore une remarque sur une
(1 ) Voyez les œuvres de Weber, morceau de salon, p. 204.
Paris, édition de Maurice Schlesinger.
DE PARIS.
autre particularité de la composition de M. Herz.
Ce compositeur a écrit en tête de la deuxième varia-
tion : con leggierezza. Pour l'ordinaire, c'est l'a que l'on
place les mots qui doivent spécifier le caractère du mor-
ceau entier. Mais ici, concilier la leggeriezza avec le
staccato ou avec forte confuoco e ben marcato, ou en-
fin avec la bravura, c'est un véritable contre-sens; le
mot scherzando eût amplement suffi. Pour indiquer le
mouvement , M. Herz écrit en outre meno vivo , et en
même temps il indique le numéro du métronome. Pour-
quoi cela ? Il écrit encore en toutes lettres le mot staccato,
A quoi bon tout cela ? A rien , sinon à faire des mots et
a parer quelque peu sa marcbandise. On doit indiquer
avec soin toutes les nuances , mais il faudrait éviter le
double emploi et surtout des mots qui se contredisent.
Si tout n'était pas digne de remarque dans une œu-
vre de M. Herz , je ne pourrais retenir une exclamation
à la vue de la cinquième variation.
Voilà comment M. Herz nous apprend ce qu'il en-
tend par la bravura. N'est-ce pas instructif? Mais au
lieu de donner a cette occasion des remarques <jui pour-
raient ne paraître que pâles sans être salisfaisantes, nous
quoique le staccato soit bien suffisamment annoncé par ; communiquons a nos lecteurs la variation elle-même
les points et les traits qui surmontent toutes les notes, dans la totalité.
iProcédos de E. DuvcrRer
5-ÏU
GAZETTE MUSICALE DE l'AIUS.
Maintenant on reprend les huit premières mesures, et
voilà ce que M. Herz appelle la bravura.
11 nous faudrait des volumes si nous voulions indi-
quer toutes les sources auxquelles M. Herz a été puiser
ses inspirations, et si nous devions entrer dans une ana-
lyse sévère du prétendu adagio con espressione formant
la quatrième variation , ou dans celle du rondo finale
qui la suit. Cet adagio est une véritable monstruosité
farcie de lieux-communs, sans qu'on y puisse trouver
la moindre trace d'ame, d'esprit ou de charme. Quant
au finale, il ne mérite aucune mention. C'est le plus
mauvais finale qui soit jamais sorti de la plume de
M. Herz, et il confirme parfaitement ce mot de l'un de
nos collègues : c'est un pas de clerc !
NOUVELLES.
+*+ Le public apprendra avec plaisir qu'il est sur maintenant
d'entendre l'opéra nouveau en 5 actes de M. Meyerbeer à l'A-
cadémie Royale de Musique. Les difficultés sont applanies ;
M. Véron rend à M. Meyerbeer les 3o,ooo fr. qu'il avait reçus
à litre de dédit de cet illustre compositeur, quand celui-ci,
obligé pour la santé de sa femme, de partir l'an passé pour
l'Italie, ne put livrer sa partition à l'époque convenue. Par
suite de cette restitution , la partition de M. Meyerbeer appar-
tient dès à présent au directeur de l'Opéra qui la montera après
la Juive , de M. Halévy, actuellement en répétition. L'admi-
nistration de l'Opéra-Comique avait fait de son côté une dé-
marche pour s'approprier cette partition en offrantàM. Meyer-
beer la somme cle 3o,ooo fr. à titre de prime, dans le cas où
M. Verron ne se fut pas décidé à rendre cette somme. Nous ne
saurons assez louer l'empressement de MM. Crosnier et Cerf-
beer , ils prouvent par cette démarche qu'ils ne reculent de-
vant aucun sacrifice pour faire de l'Opéra-Comique un vérita-
ble Opéra, puisque pour exécuter cette vaste composition il
aurait fallu en outre augmenter considérablement les chœurs
et l'orchestre. Nous savons que l'auteur de Robert- le-Diable ,
sensible à ce généreux procédé, termine en ce moment un
opéra comique en 3 actes pour ce théâtre.
+++ Le théâtre Italien a été ouvert jeudi par la Gazza Ladra.
Lablache , Tamburini, Ivannff et Sanlini , ont eu des salves
d'applaudissemens. Cette représentation était un vrai triomphe
pour la belle Julie Grisi , qui a beaucoup travaillé pendant
son absence. Ses progrès sont remarquables et comme canta-
trice et comme mime.
+% Mercredi , mademoiselle Thérèse Elsler, dansant un pas
de deux avec mademoiselle Fanny , dans le bal de Gustave,
a obtenu un brillant et légitime succès. Le pas réglé par cette
charmante danseuse lui fait honneur ; il est du meilleur goût ,
et prouve que l'auteur est bon choréographe.
+% La Juive, de MM. Scribe et Halévv, ira en scène vers la
fin du mois de novembre. L'administration fait des frais con-
sidérables pour représenter cet ouvrage avec tout le luxe dont
l'Académie royale est susceptible: elle fonde les plus grandes
espérances et sur le poème et sur la musique de cet opéra.
*+ Le succès du Chalet continue à l'Opéra-Comique. Cette
jolie parution de M. Adam a été acquise par M. Schœnenber-
ger, qui doit la publier incessamment.
+*+ M. Brcuer, compositeur de l'opéra les Rosières , qui a
été représenté récemment à Diifseldorff , vient d'arriver à
Paris.
t*+ La semaine prochaine, le ballet intitulé : les Chinois,
dont on dit d'avance le plus gran:} bien, se montrera au théâtre
Ventadour.
% Notre célèbre Boyeldieu est arrivé à Paris. Il ne va
pas mieux , et il y a peu d'espérance pour son rétablisse-
ment ; les douleurs de tête sont moins fortes.
% La musique de : le Fils du Prince, opéra de M. de Fel-
tre,se publie dans ce moment. Plusieurs morceaux viennent
de paraître.
+*+ Robert le-Diable vient d'obtenir le succès le plus écla-
tant à Amsterdam. L'enthousiasme s'est manifesté à un tel
point que tous les chanteurs , et même le directeur, ont clé
redemandés.
+*+ Madame Malibran est à Lucques, l'Italie est heureuse et
fière de nous avoir dérobé cette admirable cantatrice.
*+ Les Chinois, tel est le titre d'un opéra nouveau de
MM. Scribe et Auber, qui sera repiésenlé au théâtre de la
Bourse , immédiatement après Valentin.
*„ Avant la fin du mois , nous verrons Valentin à l'Opéra--
Comique ; la musique est de M. Marliani, auteur de l'opéra 11
Bravo. On dit beaucoup de bien de la pièce, attribuée à
MM. Planard et Paul Duport.
*+ H y a toujours beaucoup de monde à l'Opéra-Comique ;
le public se plaît dans la jolie salle de la Bourse, et l'adminis-
tration de ce théâtre fait tous !es efforts possibles pour y fixer
la vogue.
+*+ On vient de représenter avec succès au théâtre de
Francfort un opéra en 4 actes, intitulé : une Visite à Bedlam,
dont la partition est due à M. Rosenheim , pianiste de talent.
* LeChalet a obtenu beaucoup de succès à Fontainebleau;
toute la cour a applaudie et la jolie musique de M. Adam , et
la belle voix i'Iuchindi.
*+ L'Opéra-Comique vient d'engager mademoiselle Far-
gueuil , jeune et jolie personne, élève de Bordogny.
t% Le Conseil municipal de Lyon vient de prendre une
décision qui peut prolonger indéfiniment la clôture du grand
théâtre de cette ville. Ou ne peut que déplorer une telle me-
sure qui est à la fois une perte pour l'art, et un triste symp-
tôme de la situation commerciale du pays. On est surtout
étonné , lorsqu'on pense que M. Singier , qui a déjà fait pros-
pérer si long-temps le grand théâtre de Lyon, ne demandait
pour s'en charger encore qu'une subveulion de 60,000 francs ,
et que le Conseil persiste à n'en allouer que i4,ooo. C'est donc
pour une différence de 26,000 francs que l'art du théâtre, et
notamment la musique, qui en est une si noble partie , vont
cesser d'avoir asile et appui dans la seconde capitale de la
France. Avec un budget qui prodigue l'or à pleine main pour
tant d'emplois inutiles , avec une subvention si considérable
pour tel théâtre privilégié de Paris, tant de fonds secrets pour
la police, tant d'impôts produits par les jeux , etc., etc., on se
demande comment nos prétendus prolecteurs de l'art, ne
peuvent consacrer une aussi modique somme à maintenir le
seul théâtre qui put dignement faire écho à ceux de Paris pour
nos chefs-d'œuvre dramatiques, et surtout lyriques.
+* Féréol vient de contracter un nouvel engagement avec
l'Opéra Comique.
J*^ La musique de Robert-le-Di able a fait avant-hier tout
entière les honneurs d'une messe de mariage à l'église Sailt-
Euslache. C'était M. Benoît, professeur au Conservatoire, qui,
celte fois , par extraordinaire, touchait l'orgue. Cette belle
musique , exécutée en présence d'une nombreuse assemblée
réunie pour prier, et avec le talent qu'on connaît à cet excel-
lent professeur, a produit une grande sensation, notamment
lorsque, au moment de l'élévation, l'orgue a fait entendre l'air
qui accompagne le chant d'église à la fin du 5e acte de cette
belle partition. Les mariés étaient M. Martial Célérier et ma-
demoiselle Gouiu, fille du chef de division à l'administration
générale des postes, que M. Meyerbeer, qu'on sait être lié
n'amitié avec le père de la future , assistait comme témoin.
+*+ Spagnoletli , le plus célèbre chef d'orchestre de l'Angle-
terre , vient de mourir, frappé d'anorexie foudroyante.
Gérant, MAURICE SCHLESINGER
— Ijur.riu.cric .l'EVEKAT. rue du CaJn
GAZETTE MUSICALE
RÉDIGÉE PAR MM. ADAM, G. E. ANDERS , BERTON (membre de l'Institut), BERLIOZ, CASTIL-BLAZE , A. G0EMER , HALÉTY
(professeur de contrepoint au Conservatoire), Jules janin , liszt, lesueur (membre de l'Institut), j. mainzer, marx
(rédacteur de la gazette musicale de*eblin), d'ortigue, panofejv , richard, j. g. seyfried (maître de chapelle
à Vienne), F. stœpel, etc. , etc.
1" ANNÉE.
N° M.
PRIX DE L ABONNEM.
PARIS.
DÉPART.
ÉTRANG
fr.
Fr. c.
Fr. c.
8 m. 8
8 75
9 50
6 m. 15
16 50
18 .
1 an. 30
53 >.
56 »
£a (Sf&zetts ifàxxôijcaU h je |3*ris
Paraît le DIMANCHE de chaque semaine.
On s'abonne au bureau de la Gazette Musicale de Paris, rue Richelieu , 97;
et chez tous les libraires et marchands de musique de France.
On reçoit les réclamations des personnes qui ont des griefs à exposer, et les avis relatifs à la musique
qui peuvent intéresser le public.
PARIS. DIMANCHE 12 OCTOBRE 1834.
Les lettres, demandes
et envois d'argent doi-
vent être affranchis, et
adressés au Directeur ,
rue Richelieu, 97.
BOIELDIEU.
Boieldieu n'est plus! il a succombé à une phthisie qui, depuis plusieurs
mois, n'annonçait que trop à ses amis la perte douloureuse qu'ils allaient
faire. Lui seul paraissait ignorer que la mort s'avançait rapidement, et qu'elle
le frapperait bientôt. J'e'tais près de lui dix jours avant sa derniereheure.il était
calme et tranquille; et si je n'avais vu sa mort écrite sur son front pâle, dans
ses yeux brillans d'un éclat lugubre, j'aurais pu croire, à ses discours, qu'une
longue carrière lui était encore promise. Sa famille lui cachait ses pleurs pour
lui parler de l'avenir. Peut-être aussi lui-même déguisait-il le secret de
son agonie sous une apparente sécurité ; peut-être eut-il ce courage pour ne
pas affliger ceux qui l'aimaient, pour tromper la douleur de sa femme, de son
fils, de son frère , qui ne l'ont pas quitté, et qui voyaient à chaque instant la
vie se retirer de ce cœur si bon, de cet esprit si aimable, si affectueux!
Nous parlerons un autre jour des ouvrages de cet homme célèbre. Nous
n'avons aujourd'hui qu'un seul mot : Boieldieu est mort !
Il s'est éteint mercredi 8 octobre, à quatre heures après midi , a sa maison
de campagne de Jarcy , qu'il avait voulu revoir. Il était né le .23 dé-
cembre 1775. Ses obsèques auront lieu lundi prochain, i3 octobre , a
Saint-Roch, où l'orchestre de l'Opéra et de l'Opéra-Comique , ainsi que les
élèves du Conservatoire , exécuteront un service funèbre. Tout ce que Paris
renferme de musiciens viendra rendre un dernier hommage a sa mémoire.
F. Halevy.
GAZETTE MUSICALE
GUILLAUME - TELL ,
DE ROSSINI.
Rossini las d'entendre sans cesse critiquer ses ou-
vrages sous le rapport de l'expression dramatique , plus
las peut-être encore de l'admiration aveugle de ses fa-
natiques partisans , employa un moyen fort simple pour
imposer silence a l'une et se débarrasser des autres , ce
fut d'écrire une partition sérieusement pensée, méditée
a loisir et consciencieusement exéeutée d'un bout à l'au-
tre suivant les conditions exigées de tous temps par le
bon sens et le goût. Il fit Guillaume Tell. Ce bel ouvrage
doit donc être considéré comme l'application des nou-
velles théories de l'auteur , comme l'éveil de plus gran-
des et de plus nobles facultés dont les exigences du peu-
ple sensuel pour lequel il écrivit jusqu'alors avaient
nécessairement rendu le développement impossible. C'est
sous- ce rapport que sans engouement , comme sans pré-
ventions aucunes , nous allons examiner la dernière par-
tition de Rossini.
A n'envisager que les suffrages qu'il a mérités , les
applaudissemens qu'il a excités, les conversions qu'il a
faites, Guillaume Tell a sans doute obtenu un succès
immense; succès d'admiration spontanée chez le uns,
de réflexion et d'analyse chez beaucoup d'autres. Et
pourtant on est forcé d'avouer qu'il n'a pas pu joindre à
cette gloire, celui de tous les succès auquel les direc-
recteurs , souvent même les auteurs , sont plus sensibles,
je veux dire le succès populaire , le succès a" argent. Le
peuple des dileltanli est hostile à Guillaume Tell qu'il
trouve froid et ennuyeux. Les causes d'une pareille di-
vergence d'opinions, resortiront je l'espère, des études
que nous proposons au lecteur de faire avec nous sur
cette importante production. Suivons l'auteur pas à pas
dans la nouvelle route où il est entré, et qu'il eût par-
courue d'une marche rapide et plus ferme sans quelques
regards que la force d'habitudes enracinées lui a fait
jeter en arrière. Ces rares exemples viennent confirmer
encore le vieil adage : « Dans les arts il faut un parti
pris, les moyens termes ne valent rien. »
OUVERTURE.
Pour la première fois Rossini a voulu composer son
ouverture dans les données dramatiques admises par
tous les peuples de l'Europe , les Italiens seuls excepté.
En débutant dans ce style de musique instrumentale,
qui, pour lui, était entièrement nouveau, il en a ag-
grandi la forme , de telle sorte , que son ouvertu.ee est
devenue, a vrai dire, une symphonie en quatre parties
bien distinctes, au lieu d'un morceau a deux inouvemens
dont on se contente ordinairement. La première, peint
assez bien, a mon avis, le calme d'une solitude pro-
fonde, ce silence solennel de la nature, quand les élé-
nieïis et les passions humaines sont en repos, c'est poéti-
quement commencer ; des scènes animées qui vont
suivre naîtra un foit beau contraste; contraste d'expres-
sion, contraste mgme d'instrumentation; cettepremière
partie étant écrite seulement pour cinq violoncelles solo
accompagnés du reste des basses et contrebasses , pen-
dant qtie l'orchestre entier est mis en action dans le mor-
ceau suivant : l' Orage. Ici l'auteur aurait pu, ce me
semble, abandonner avec avantage les rythmes carrés,
les phrases a correspondances égales , les cadences a re-
tours périodiques, qu'il emploie avec tant de bonheur
partout ailleurs : « souvent un beau désordre est un
effet de l'art » , a dit un anteur dont la réserve classique
ne peut être contestée. Beethoven l'a prouvé , dans son
prodigieux cataclysme de la symphonie pastorale; aussi
a-t -il atteint le but que le compositeur italien n'a fait
qu'entrevoir sans l'atteindre. Plusieurs effets d'harmonie
sont remarquables et ingénieusement mis en évidence; de
l'accord de neuvième mineure , entre autres naissent des
effets vraiment singuliers. On est faehé de retrouver en-
core dans l'orage de Guillaume Tell , ces notes jetées,
d'instrumens a vent que les amateurs appellent des
gouttes de pluie ; ce moyen avait été déjà employé par
Rossini dans la petite ondée du Barbier de Séville, et
dans je ne sais quel autre opéra. En revanche il a su ti-
rer de la grosse caisse sans cimballes des bruits pittores-
ques où l'imagination retrouve volontieis ie retentisse-
ment d'un tonnerre lointain parmi les anfractuosités des
montagnes. Le decrescendo obligé de la tempête est mé-
nagé avec une iare habileté. En somme, ce n'est pas sai-
sissant, foudrayant, comme la tempête de Beethoven,
tableau musical auquel il sera peut-être impossible de
trouver jamais un pendant ; il n'y a pas là ce caractère
sombre et désolé qu'on admire dans l'introduction d'I-
phigénie en Tauride; mais c'est beau et plein de ma-
jesté. Malheureusement le musicien se laisse toujours
voir; nous le suivons constamment dans ses combinai-
sons, dans celles même qui paraissent le plus excentri-
ques. Beethoven au contraire a su se dérober entièrement
aux investigations de l'auditeur; ce n'est plus un or-
chestre ; ce n'est plus de la musique qu'on entend , mais
bien la voix tumultueuse des torrens du ciel , mêlée aux
fracas des torrens de la terre, aux éclats furieux de la
foudre, au froissement des arbres déracinés, aux raffales
d'un vent exterminateur, aux cris d'effroi des hommes
et aux beuglemens des troupeaux. Cela consterne, cela
fait frémir; l'illusion est complète. L'émotion que donne
DE PARIS.
32Ï
Rossini dans la même circonstance est loin d'atteindre a
un pareil degré. 'Mais poursuivons. A l'orage succède
une scène pastorale de la plus grande fraîcheur; la
mélodie du cor anglais en style de ranz de vaches est
délicieuse, et les folâtreries de la flûte au-dessus de ce
chant calme, sont d'une fraîcheur et d'une gaîlé ravis-
santes. Nous remarquerons en passant que le triangle,
qui frappe par intervalles de petits coups pianissimo, est
ici fort à sa place ; c'est la sonnette des troupeaux pais-
sant tranquillement pendant que les bergers se renvoient
leurs joyeuses chansons. Ah! vous allez voir un effet
dramatique dans cet usage dutriangle?nousdira-t-on; en
ce cas veuillez nous apprendre ce que représentent les
violons, les altos, les basses, les clarinettes, etc.? A cela
je répondrai que ce sont des inslrumens de musique,
qu'ils sont les conditions de l'existence de l'art, tandis
que le triangle n'étant qu'un simple morceau de fer dont
le son n'est pas rangé dans la classe des sons apprécia-
bles , ne doit être entendu au milieu d'un morceau doux
et calme que dans le cas où sa présence y serait parfaite-
ment motivée, autrement il ne paraîtrait qu'une bizar-
rerie ridicule. Aux dernières notes du cor anglais, qui
chante la mélodie pastoral e, entrent les trompettes son-
nant une fanfare rapide, incisive, sur le si naturel,
tierce majeure du ton de sol, établi dans le morceau pré-
cédent, lequel «devient en deux mesures dominans de
mi majeur et fixe, ainsi d'une manière aussi simple
qu'inattendue la tonalité de l'allégro suivant. Cette der-
nière partie de l'ouverture est traitée avec un brio, une
verve, qui excitent toujours les transports de l'audi-
toire, mais elle est entièrement établie sur un rythme
aujourd'hui bien usé; et le thème est presque entière-
ment le même que celui de l'ouverture de Femand Cor-
tès. Le trait en stacato des premiers violons , voltigeant
du ton d'ut dièze mineur à celui de sol dièze mineur,
est un épisode des plus heureux spirituellement jette au
milieu de cette instrumentation guerrière; il offre en
outre un moyen de retour au thème principal , qui
donne a cette rentrée une impétuosité irrésistible; l'au-
teur en a su tirer parti fort habilement. La péroraison de
ce pétulant allegro est d'une grande chaleur. Enfin,
malgré le défaut d'originalité du thème et du rythme,
malgré un abus de grosse caisse fort désagréable dans
certains momens et l'emploi un peu vulgaire de cet ins-
trument frappant toujours les temps forts comme dans
les pas redoublé où dans les musiques des bals champê-
tres, il faut avouer que l'ensemble du morceau est traité
avec une supériorité incontestable, une verve telle que
Rossini n'en avait peut être pas encore montré de si en-
traînante et que l'ouverture de Guillaume Tell est une
œuvre, d'un immense talent qui ressemble au génie a
s'y méprendre.
(La suite au numéro prochain.)
SUR LA POÉTIQUE DE LA MUSIQUE INSTRUMENTALE (l).
Dans le domaine des arts, toute conception doit être
le produit d'un sentiment intime , dont l'exécution doit
porter la visible empreinte. C'est dans la liaison la plus
étroite possible de l'idée et de h forme que réside la vé-
ritable essence du beau. Plus la forme est l'image vi-
vante et animée de Vidée ^ plus l'artiste s'est approché
du suprême degré du beau. Aussi, un simple et vain
étalage de coquetterie extérieure ne saurait constituer
une œuvre artistique. C'est à la seule pensée primitive,
transparente sous les, formes de toute production de l'art,
qu'il appartient de lui imprimer un caractère de no-
blesse et d'élévation. Dans toutes les jouissances que
donnent les arts , les sens matériels ne doivent pas seuls
être affectés ; il fant que l'âme et l'esprit soient égale-
ment saisis parla manifestation de l'idée esthétique; car
c'est cette idée qui est précisément ce quelque chose
d'intime que l'exécution s'attache à traduire en formes
sensibles.
Dès-lors un examen de la musique purement instru-
mentale, sans aucune association avec des paroles; un
examen qui a pour objet à la fois de rechercher jusqu'à
quel point le ton est propre à devenir l'interprète des
sensations intimes , et de présenter la musique comme
un art réellement esthétique, c'est-à-dire comme un beau
jeu dont les combinaisons obéissent à une idée détermi-
née ; un tel examen , disons-nous, nous semble être d'un
haut intérêt et pour l'art et pour les artistes.
Tant que l'on ne parviendrait pas a démontrer à
l'aide d'une théorie bien motivée qu'il est "possible de
rendre jusqu'à un certain degré une idée sensible par un
pur et simple assemblage de tons ( la musique instru-
mentale) , aussi long-temps la musique 'ne serait qu'un
jeu frivole, embelli déformes de tons conventionnelles ;
elle devrait se retirer et disparaître du domaine des vé-
ritables beaux -arts; elle ne formerait enfin un art,
qu'autant qu'elle serait unie à la poésie ou à la danse.
Un auteur spirituel , très-versé dans la philosophie de
l'art , disait à ce sujet :
« L'essentiel dans les beatrx:arts est qu'ils nous ouvrent le
» monde intérieur et l'exposent a. nos regards : tous les autres
» plaisirs qu'ils peuvent nous offrir, sont bien au-dessous de
(1) Fragment d'un ouvrage qui paraîtra prochainement sous
ce titre.
328
GAZETTE MUSICALE
„ celui là. Dès lors , l'objet le plus important d'une théorie sur
,, un art quelconque , c'est d'indiquer les moyens d'exprimer
» les sensations intimes. Une théorie qui n'accomplit pas celle
» tâche, est sans aucune valeur; elle manque son but le plus
„ intéressant et le plus élevé. Du reste , la science des tons
» peut offrir des moyens satifaisans de rendre en musique les
» sentimens intimes. »
Fonder d'une manière plus positive une théorie mu-
sicale de ce caractère supérieur (théorie qui, jusqu'à
présent , n'a encore été nulle part établie avec une clarté
et un ensemble suffisans), tel est l'objet que nous avons
en vue dans cet essai. Nous nous proposons particu-
lièrement d'y signaler, d'une manière plus frappante
qu'on ne l'a fait encore, la puissance descriptive et poé-
tique du simple langage des tons sans le secours de la
parole et du geste, et c'est ce qui nous fait espérer qu'a
la différence des théories ordinaires, qui n'offrent que de
simples préceptes sur les formes, notre théorie a nous
sera jugée digne du titre de Poétique de l'art des tons.
Toutefois, avant de commencer notre tâche, nous
devons nous livrer a quelques observations sur plusieurs
formes vicieuses que prend, parfois, la musique instru-
mentale, et sous lesquelles elle s'est , malheureusement
déjà montrée si fréquemment que des penseurs profonds
lui ont souvent disputé tout caractère vraiment esthé-
tique (1).
La Musique instrumentale _, ainsi que l'expérience ne
nous Ta que trop appris, peut se montrer sous la forme
d'un jeu de fantaisie avec de belles combinaisons de
tons, et dans lequel il ne s'introduit, si ce n'est fortui-
tement , et sans aucun dessein prémédité de la part du
compositeur, rien de caractéristique que ce qui tient
naturellement aux procédés de l'art que l'on met en
usage. En écrivant un morceau de ce genre, le compo-
siteur ne songeait pas, dans le fait, a y exprimer quel-
que chose de profond; peut-être n'avait-il aucune sen-
sation intime , aucune pensée, aucun sentiment déter-
miné a rendre. Sans être nettement frappé d'une idée
quelconque ; sans éprouver cette exaltation inspiratrice
que Platon appelait une sorte de frénésie , un délire di-
(1) Il est remarquable que le célèbre Hoffmann lui-même,
à la fois musicien distingué et écrivain spirituel , se soit rangé
de temps en temps parmi ces détracteurs de la musique instru-
mentale. En effet, souvent il s'est mis en contradiction avec
lui-même , après avoir prouvé dans d'autres occasions la puis-
sance expressive de cette musique par des exemples fondés
sur les nuances des mélodies , sur la nature des instrumens , et
même sur de simples jîgures de tons. On le voit même s'écrier
une fois : «Àvez-vousseulementeulepressentiment del'essence
propre de la musique, vous autres pauvres compositeurs de
musique instrumentale , qui vous évertuez péniblement à ex-
primer dans vos œuvres des sentimens positifs ?... »
vin (1), il liait ensemble, l'un après l'autre, les tons
qui flattent vaguement nos sens ; coordonnait la struc-
ture du soi-disant ensemble d'après une règle en partie
conventionnelle, et nommait le tout : symphonie, con-
cert, sonate, etc. , etc. Peu lui importe si, en procé-
dant ainsi , la suite et la division des morceaux partiels
sont conformes aune loi supérieure : d'autres composi-
teurs n'ont-ils pas construit de la même façon leurs cou-
vres tant préconisés? Dans leurs ouvrages le presto ou
le scherzo , avec son contraste si tranchant , ne suit-il
pas aussi , sans aucune transition, Y adagio, et ne vient-
il pas de même heurter d'une manière désagréable la
disposition d'âme de l'auditeur doué d'une organisation
délicate? La routine est le Pégase de ces artistes! com-
ment l'un ou l'autre s'aviserait-il de ne pas faire comme
ses devanciers, surtout s'il ne se doute pas seulement des
rapports intimes de la Musique en général avec l'âme
humaine? Pour tous ces praticiens, le désir de cha-
touiller agréablement l'oreille est, à bien dire, et sans
qu'eux-mêmes se l'avouent précisément , le seul objet ,
le seul but de leurs créations. Ou ce genre de musique
ne captive pas les facultés supérieures et intimes de
l'homme, ou bien il produit un effet fâcheux par les
excitations trop sensuelles qu'il peut faire naître, et
dès-lors, cette manière de comprendre la musique doit
être bannie du domaine des véritables beaux-arts , tant
pour son peu de valeur esthétique que pour les impres-
sions dangereuses qu'elle exerce sur le moral.
A l'avenir donc, la Musique instrumentale ne doit se
produire qu'avec un caractère d'impression déterminé et
une beauté de formes qui y soit appropriée, et il faut
qu'elle renonce a être un jeu frivole et capricieux sans
autre mérite qu'une simple entente dn métier. En effet,
dans ces compositions où les difficultés sont entassées
sans grâce, dont le seul mérite consiste en une série de
passages scabreux sans mélodie et dépourvus de sens
harmonique , véritables casse-cous pour l'artiste ; dans
ces morceaux, disons-nous, le compositeur n'a évidem-
ment eu d'autre but que de fournir au soi-disant vir-
tuose l'occasion de montrer et de faire briller son adresse
mécanique. L'esprit de l'auditeur ne découvre plus rien
dans ces compositions, après qu'il est revenu du pre-
mier sentiment de surprise, mêlée de pitié, que lui a
causé cette machine a cadences. Aussi, dans tous ces
cas-la , ne saurait-il le moins du monde être question
d'une exécution vraiment esthétique.
Une autre fonne non artistique de la musique instru-
mentale peut être convenablement désignée par le nom
(i) Plato Ion., p. 145. — Phaedros, p. 352. (Editio
Lugd. i5go).
fiË PARIS.
329
de méthodique ou savante ; il s'agit de cette forme où
l'on a strictement suivi les préceptes de l'école. Ici tou-
tes les parties ont été scrupuleusement conduites d'après
les règles usuelles d'une vieille pratique- les disso-
nances ont été préparées et résolues; les figures soute-
nues a travers les augmentations et les diminutions vou-
lues, souvent en dépit de la nature et en dépit du ca-
ractère du morceau. — C'est tout au plus si un œuvre
de cette espèce captive peut-être la réflexion , ou excite
les facultés spéculatives de l'auditeur, en raison d'une
symétrie parfaite , mais, d'ailleurs, toujours monotone.
Dans une telle composition , il n'y a rien encore pour le
cœur; notre organisation intérieure n'en est pas émue :
elle occupe seulement la froide raison, si, toutefois,
celui qui écoute , est en état de comprendre et d'ana-
lyser cette traduction arithmétiquement arlistisque.
Toutes ces formes musicales, peuvent, sans doute,
avoir uu certain caractère de beauté; mais, incontesta-
blement, comme elles ont toujours été le produit des
époques les moins poétique de l'art, elles sont aussi ,
considérées en elles-mêmes, comme étant sans valeur
esthétique positive ; leur mérite ne peut jamais être
qu'un mérite très -relatif. Partout où les facultés les plus
vulgaires de la pensée sont mises en œuvre exclusive-
ment et de préférence, la ne saurait régner le véritable
beau.
Une forme , non moins vicieuse de la Musique ins-
trumentale, est celle que l'on peut appeler Informe pit-
toresque. Je m'explique. Les compositeurs qui l'ont
adoptée, imitent le bruit de l'orage et de l'ouragan, la
chute de la grêle et les fracas de la guerre ; ils peignent
îe lever et le coucher du soleil. Dans ces sortes de pein-
tures, le langage naturel de la vie intime est violenté
de la manière la plus abusive et la plus déraisonnable
pour le faire servir à la représentation plastique de phé-
nomènes étranges, qui s'adressent en partie a de tout
autres sens, et qui, souvent, n'ont même absolument
rien de beau. « L'art, dit Lessingavec autant de raison
que de justesse d'expression, l'art ne doit pas vouloir
réaliser tout ce qu'il a le pouvoir de faire. » Quand
même il serait possible de représenter d'une manière
frappante, par le moyen des tons, toutes les choses dont
nous venons de parler, de telles compositions n'en se-
raient pas moins contraires à la nature intime et supé-
rieure de la Musique ; elles n'en seraient pas moins com-
plètement défectueuses, et \eavfonne ne saurait tout
au plus être employée quelquefois que pour des mor-
ceaux d'un style comique ou fantastique. Si le composi-
teur se laisse entraîner a de pareilles peintures, c'est que
pendant qu'il s'attache a donner aux tons une expres-
sion, un caractère matériel déterminé, il n'a pas nette-
ment devant les yeux , ou qu'il a tout-à-f'ait perdu de
vue la loi esthétique , qui n'engendre jamais rien qui ne
soit véritablement beau.
Cette musique imitative occupe , sans contredit
aussi l'esprit ; mais elle ne l'affecte pas non plus d'une
manière convenable. En dernière analyse, les scènes
de bataille les plus furieuses, l'imitation la plus parfaite
des gémissemens des mourans n'agissent pas autrement
sur lui que le cri imité du coucou : à dire la chose telle
qu'elle est au fond, ces imitations ne font, les unes et
les autres, qu'amuser l'auditeur. De tels effets, qu'on
doit éviter, même dans le vrai comique, sont aussi du
nombre de ceux qu'on ne saurait tolérer dens le vérita-
ble domaine des beaux-arts.
Si, maintenant, nous jetons un regard scrutateur sur
les productions habituelles de la Musique instrumentale,
nous reconnaîtrons, en effet, dans la plupart d'entre
elles, l'empreinte et le mélange de ces modes de compo-
sitions non-artistiques sur lesquels nous venons de nous
expliquer ; nous trouvons qu'elles n'offrent que ca et
la' des traces de cette musique de l'âme que nous avons
déjà caractérisée, et d'une véritable poésie musicale.
Combien tous ces œuvres sont loin de réaliser les idées
que de grands esprits, des âmes profondément poéti-
ques ont développées sur la musique. Hadsclii Chalfa,
un sage de l'Orient, du onzième siècle dit : L'âme
quand elle se sent ravie par de belles mélodies, aspire a
la contemplation d'êtres supérieurs et a se voir trans-
portée dans un monde meilleur et plus pur que le nôtre.
Parla musique, ajoule-t-il, les âmes qui sont comme
obscurcies par l'enveloppe épaisse des corps, sont pré-
parées et disposées à entier en commerce avec les esprits
purs qui entourent le trône du tout-puissant. » Ce
charme ineffable de la musique qui, déjà sur cette terre,
procure à certaines âmes des visions célestes, ce charme
n'est rpas l'expression hyperbolique d'une admiration
d'artiste; des observations psychologiques attestent
comme un fait certain l'existence d'hommes doués d'une
intuition plus fine que les autres, à qui la musique fait
apparaître, devant leur vue intime, des figures belles et
merveilleuses, et qu'elle pénétre d'un ravissement cé-
leste.
Que la musique ordinaire produise rarement ,
même au plus faible degré, de tels effets, c'est à notre
avis, une chose facile à concevoir. Aussi voit-on, cha-
que jour, diminuer le crédit de ces fausses œuvres de
l'art que l'on nous offre en place des divines créations
de l'art véritable, et entend-on ceux dont les intérêts
s'en trouvent lésés, se récrier contre le froid accueil fait
330
GAZETTE MUSICALE
a leurs ouvrages! Cependant, si les concerts des vir-
tuoses se dépeuplent de plus en plus, ce n'est point que
le sentiment des arts s'éteigne; c'est, au contraire , parce
qu'il s'épure, parce que, chaque jour, il acquiert un
plus grand degré de perfection. Les symphonies les
plus bruyantes de ces artistes, leurs brillans solos res-
tent sans effet. Vainement, ils déployent toute la dexté-
rité de leurs doigts; vainement, ils introduisent dans
leur musique une, danse d'ours , le son de la cornemuse
et d'autres gentillesses ; vainement, le violoniste gravit-
il jusqu'aux régions les plus élevées de son instrument,
jusqu'à des sons dépourvus de timbre ; vainement, le
joueur de. contrebasse execute-t-il sur son instrument
colossal des variations écrites pour le violon; enfin,
plus vainement encore s'avance l'armée des pianistes ,
qui, au fond, ne savent pas eux-mêmes s'ils chantent
ou s'ils jouent seulement sur leur instrument ; si c'est
par gammes ou par harpèges qu'ils doivent parcourir ou
franchir en sautant les sept octaves de leur long clavier;
tout, tout reste inutile ; les salles de concert demeurent
et demeureront désertes aussi long-temps que l'art de
la composition ne sera pas élevé jusqu'à être l'expression
vivante d'une existence purement intime; aussi long-
temps que le compositeur n'apparaîtra pas uniquement
comme un véritable orateur dont les accens inspirés nous
rendent la poésie du cœur avec la toute-puissance de
l'art. D'autres preuves irréfragables démontrent encore
que, si les salles de concert demeurent vides, ce n'est
point que le goût des arts s'affaiblisse ou que l'éducation
musicale du public ne soit pas assez perfectionnée pour
qu'il puisse apprécier une œuvre artistique; et ces preu-
ves établiront, en outre, que c'est uniquement aux ou-
vragesqui lui sont offerts qu'il faut attribuer son indiffé-
rence. La salle des concerts du Conservatoire est toujours
remplie autant que cela est physiquement possible, et
cependant si ces concerts réunissent une société aussi
nombreuse que choisie, elle n'est certes pas attirée par la
variété prodigue du programme ni par le pittoresque du
choix des douze ou quinze morceaux que l'on exécute
dans ces réunions musicales. Là, ce ne sont assurément
pas non plus des noms d'artistes offrant le charme de la
nouveauté et promettant à la curiosité publique de faire
entendre des merveilles encore inconnues , qui appellent
les amateurs ; car les exécutans sont toujours les mêmes
artistes honorables de l'institution même, depuis bien
long-temps connus de tout le monde, et dont nous avons
vu naître et fleurir le talent, mais qui sont et demeurent
invariablement jeunes parce que le talent véritable dont
ils sont doués reste toujours dans l'éclat de la fraîcheur
et de la nouveauté, grâce aux chefs-d'œuvre vrais et im-
mortels qu'ils nous font entendre , grâce a ces admira-
bles symphonies de Beethoven et de Mozart, a ces com-
positions instrumentales dramatiques de Weber, qui
respirent l'âme et la vie dans toutes leurs parties. Ici
(c'est à dire dans les compositions de ces maîtres), la
musique appaïaît sous une forme tout opposée aux for-
mes habituelles que nous avons décrites plus haut,
comme un art véritable inspiré par l'âme, et comme
une manifestation des plus intimes sensations d'un es-
prit qui se meut dans une sphère supérieure. Ces accens
du véritable sentiment partent du cœur, et, comme
transmis par une chaîne électrique, vont réveiller les
mêmes sensations dans le cœur des autres. Ici, le talent
de ces maîtres a réalisé le seul vrai précepte fondamen-
tal de l'art en animant d'un souffle céleste cette beauté
extérieuoe de la musique qui consiste dans les formes,
soit que, dans leurs compositions, le ton s'unisse à la
parole pour devenir chant, soit qu'un souffle inspiré tra-
verse un tuyau mélodieux , soit que la corde frémisse
sous une main guidée par un sentiment à la fois profond
et délicat.
De telles œuvres prouvent d'une manière irréfragable
que la musique a, tout aussi bien que la poésie lyrique,
le pouvoir de dévoiler et d'exprimer les sentimens les
plus intimes dn cœur de l'homme; qu'elle a même ce
pouvoir a un plus haut degré que le poète ne le possède
avec ses mots d'une valeur arbitraire et convention-
nelle , de sorte que la sphère élevée de la musique com-
mence là ou la parole se trouve insuffisante ; car le cœur
comprend aussi la musique sans paroles, car le cœur
comprend du moment qu'il est touché. D'un autre côté,
l'histoire et l'expérience nous apprennent que la musique
exerce avec le même pouvoir son influence sur les or-
ganisations même les plus incultes, mais aussi que le
compositeur qui veut produire de tels effets doit non-
seulement être susceptible d'éprouver lui-même tous les
sentimens, toutes les sensations, mais encore connaître
parfaitement leur origine et leur mode de développe-
ment. Ainsi donc, notre tâche, celle de créer une poé-
tique de la musique comme pur art des tons se résume
dons la solution des deux questions suivantes :
i ° Quels sont les sentimens et les idées que l'art des
sons employé isolément, peut exprimer de manière à
produire nne impression nette et déterminée?
2°. Comment, eu égard à la nature des moyens
dont on dispose, peut-on arriver à cette expression ?
François Stoepel.
DE PARIS.
Revue Critique.
Premier Trio pour piano-forte, violon et violoncelle,
par J. Rosenhain ; Op. 2.
Introduction et variations brillantes pour le
piano, par le même; Op. S.
« Dès l'aube du matin. » romance variée pour le
piano, par le même; Op. 8.
Daus l'impossibilité où nous sommes de donner une analyse
détaillée de ces trois ouvrages , nous nous bornerons à quel-
ques remarques. Le premier trio est, à quelques excep-
tions près, d'une bonne facture, et sous le rapport harmonique
il ne manque ni de mérite ni d'assez beaux effets ; nous vou-
drions seulement, quant à ce qui touche la partie mélodique,
y trouver plus de grâce , d'originalité , de variété et de brillant.
Le second de ces ouvrages est fait sur un motif de Zampa , et
ne se distingue guère des variations que nous entendons tous
les jours , soit pour la forme , soit pour le fond. Nous sommes
beaucoup plus conter.s du dernier numéro dans lequel l'auteur
fait plus souvent preuve d'invention, tout en nous gratifiant de
formes rythmiques assez originales. Nous nous félicitons sincè-
rement d'avoir parcouru ces trois productions puisqu'elles
nous ont lait faire connaissance avec un musicien qui nous était
totalement inconnu , et qui nous paraît être un virtuose fort
distingué. Nous concevons l'espérance de le voir par la suite
créer des œuvres fort remarquables , s'il veut prendre la ferme
résolution d'abandonner franchement le sentier si battu de la
mode , et d'étudier son art chez les grands modèles de l'art
musical.
Instructions to my daughter for playng on the
enharmonic guitar. Being an attempt to effect the
exécution of correct harmony, ou principles analo-
gous to those of the ancient enharmonie. By a mem-
berof the university of Cambridge (Instructions pour
jouer de la guitare enharmonique).
L'auteur de cet essai sur une exécution correcte d'après les
principes analogues à l'ancienne enharmonique est , si nous
sommes bien instruits , le célèbre Perronet Thompson si
connn par ses profondes études dans le domaine des mathéma-
tiques, et de plus éditeur de la Westmiustcr-Rcview, profes-
seur à l'université de Cambridge, etc. clc. Cette circonstance,
ainsi que les quelques mots de préface par lesquels l'auteur ex-
prime la persuasion d'avoir toujours été d'une grande clarté,
eu outre un coup-d'œil rapide jeté sur le contenu de l'ouvrage,
tout nous donne l'assurance que celte publication ne peut
manquer d'offrir un grand intérêt aux guitaristes comme aux
théoriciens. Nous sommes fermement persuadés néanmoins
que l'enharmonique des anciens Grecs n'a et ne peut avoir
absolument rien de commun avec noire musique , et ne peut
lui être appliquée sous aucun rapport. Nous nous proposons
de soumettre cet ouvrage à un examen plus approfondi, et
d'en rendre compte en temps utile.
NOUVELLES.
*% C'est mardi que le théâtre Ventadour donnera Chao-
Kan , ballet chinois dont Paris parle déjà. On dit que ce ballet
est monté avec beaucoup de luxe , et qu'il fera le plus grand
honneur au talent de M. Henri, le plus distingué des maîtres
de ballets.
*M Toutes les loges étant louées à l'année, nous engageons
les étrangers qui désirent visiter le théâtre Italien de retenir
de bonne heure le peu de stalles qui restent. Déjà au mois
d'octobre on ne peut trouver place clans ce temple d'Apollon !
Avions-nous tort d'engager l'administration de donner ses re-
présentations à l'Opéra? Avec une troupe composée par les
Lablache, Rubini, Tamburini, Ivanoff, Santini, et de mes-
dames Grisi, Schultz, et Fink-Loor, l'affluence des dilettanti
ne peut manquer à ce théâtre.
*M M. Véron, pour prouver qu'il profite d'une forte subven-
tion pour encourager à ses risques et périls les jeunes compo-
siteurs qui donnent le plus d'espérances, a, dit-on, chargé
M. B*+, de composer un opéra en 2 actes, qui passerait entre
la Juive et l'ouvrage de M. Meyerbeer.
^ + Le théâtre de l'Opéra-Comique a pris l'initiative sur
tous les autres théâtres de la capitale; il donnera une représen-
tation dont le produit sera destiné à la souscription pour éle-
ver un monument à la mémoire de Boieldieu.
+*+ Madame Mimi Dupais qui , depuis quelques années, avait
quitté le théâtre, doit incessamment faire sa rentrée au théâtre
du Kaerntnerthor à Vienne. La mort prématurée du prince
de T*** est pour beaucoup, assure-t-on, dans cette résolu-
lion. Le plus célèbre des ténors d'Allemagne, M. Wild, vient
déjouer au même théâtre, Zampa, avec grand succès.
*^ Le conseil d'administration de la ville de Lyon a enfin
entendu les justes plaintes de la presse; il a accorde à M. Sin-
gier la subvention qu'il demandait. Le théâtre de Lyon ouvrira
de nouveau ses portes le 21 octobre. Les premiers opéras re-
présentés seront : Hobert-le-Diable , Ludovic , et le Pré aux
Clercs.
+% L'opéra-ballet de la Tentation , qui a dû chez nous son
succès à une musique si originale, vient d'être imité à Lon-
dres , sous le titre bizarre de la Main noire, ou le Derviche
et la Péri. Cet ouvrage a été représenté pour l'ouverture du
théâtre Adelphi.
+*t Madame Pasta, qui doit chanter cet automne au théâtre
de Bologne, est arrivée dans cette ville le 19 septembre. On a
déjà commencé les répétitions des pièces où elle doit figurer.
+*+ La police de Bologne a défendu la mise en scène de deux
grands ballets intitulés : la chute de Missolonghi, et Imelsa
et Bonifazi. Ce dernier sujet est un fait historique de la répu-
blique bolanaise dn moyen -âge. On est arrivé à tel point que
les gouvernemens italiens craignent même que les peuples ap-
prennent l'histoire de leur pays ou de leur époque.
+*+ MM. Henri Brovcllio et Léon Nutly, tous deux artistes à
Dou.iy , viennent de traduire pour la scène française le bel
opéra de Sémirâmide, de Rossiui. Cet ouvrage, destiné au
théâtre de Bruxelles, y sera probablement représenté dans le
cours de l'hiver. D'après ce que nous mande notre correspon-
dant, la traduction en est élégante et surfont parfaitement
adaptée à la musique. Nous devons donc applaudir à l'heureuse
idée des traducteurs qui feront jouir les dilettanti des provinces
d'une des plus belles productions de Ilossini qu'on n'avait
jusqu'alors entendu qu'au théâtre Italien.
+*+ Dabadie et sa femme voulaient , dit-on , prendre leur re-
traite , mais le ministre de l'intérieur ; n'a pas accepté celle du
mari, et quand à madame Dabadie, il paraît qu'elle n'a pas en-
core le temps exigé par les réglemeus pour profiter des droits
à la pension.
.*, Les répétitions de la Juive se poursuivent avec activité
à 1 Académie royale de musique, les élus qui y assistent par-
lent de cet opéra comme d'un chefs-d'œuvre, qui fera une
haute réputation à M. Ilalévy.
324
GAZETTE MUSICALE DE PARIS.
\ Nous recevons.des nouvelles de la société philharmonique
duCalvados, en même temps que le compte rendu de l'assem-
blée générale qu'elle a tenue le 4 août dernier. Nous ne saunons ,
donner assez d'éloges à une institulion dont le but u'a pas été
seulement d'organiser des concerts plus ou moins bnllans ,
mais bien de fonder une école de chant destinée à propager
dans toutes les classes le goût et la connaissance de la musique.
Nous regrettons seulement qu'un goût plus sévère ne soit pas
venu présider au choix des moreer.ux qui ont été exécutés dans
cette solennité. Nous aurions aimé en outre à voir les élèves
prendre une plus large part dans l'exécution. Quelques chœurs
de plus , et quelques airs variés de moins; ainsi composé, le
programme nous aurait paru plus digne des honorables efforts
de la SociétéPhilharmonique.
+% Encore un engagement à l'Opéra-Comique qui monte
fort bien sa pépinière de jeunes artistes. Cette fois c'est le tour
de mademoiselle Nau , élève de madame Dainoreau, qui débu-
tera , dit-on , incessamment à ce théâtre.
* La prompte arrivée de madame Finck-Foor à Paris a dé-
terminé la direction du théâtre Italien à intervertir l'ordre des
pièces qu'il doit offrir au public, et à monter immédiatement
fa Straniera pour les débuts de cette cantatrice.
+% Un journal dit : le Paganini de la contrebasse > Drago-
netti, inventeur des archets qui portent son nom , doit bientôt
faire un voyage sur le continent , et donner à Paris quelques
concerts.
+% M. Taglioni père , maître de ballets à l'Opéra, vient de
renouveler son engagement avec ce théâtre. Un plaisant disait
qu'on aurait dû stipuler parmi les clauses qu'il nous donnerait
une seconde fille, puisque la première a été jusqu'ici son
meilleur ouvrage.
*** La censure Napolitaine a rayé du réperloire du théâtre
Saint-Charles les opéras de Guillaume-Tell , Palesina, Bca-
trix Tendo, Marie Stuart, comme renfermant desrpassages
dangereux pour la religion et pour l'état.
*** Le directeur de l'Opéra-Comique recrute avec activité
des actrices pour son théâtre. Il a engagé mademoiselle Far-
gueil qui a peu de voix , il est vrai , mais chez laquelle on croit
reconnaître de grandes dispositions pour la scène ; madame
Annette Lebrun , qui possède une très-belle voix de contralto ,
et mesdemoiselles Calvé et Melolte, soprani, qui donnent des
espérances. On annonce les débuts prochains de ces dames,
toutes quatre élèves du Conservatoire, où elles se sont distin-
guées par leurs succès.
*% Le buste de madame Pasla vient d'être inauguré dans
la salle du Casino de Côine , en mémoire d'une aciion géné-
reuse qu'elle fit il y a quelque temps, en donnant un concert au
bénéfice des maisons de charité de cette ville. Ce buste a été
fait par le sculpteur Monti, de Ravenne , et il porte une in-
scription destinée à retracer un souvenir si honorable pour la
grande cantatrice.
Musique nouvelle ,
Publiée par Paccini.
Paer. Un Caprice de femme (morceaux détachés avec accom
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N° 4 . Duo : Pourquoi me donner, chère amie. 5 fr.
2. Cavatine : Quand on dort dans les chaînes. 3 fr.
3. Air : Voix ravissante. 4 fr. 5o c.
4. Air : Victoire, victoire. 4 fr. 5o c.
5. Trio : Pour savoir ce que veut madame. 6 fr.
6. Air comique : Tous les jaloux sont des hiboux.
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3 livraisons de cette série sont publiées; elles se composent
de Norma , de Bellini;'la Vestale et Fernand-Cortez, -de
Sponlini. La 5e livraison contiendra : Ludovic, de Hérold et
Halévy; la 6V la Juive, d' Halévy.
Les séries précédentes de la Collection des Chefs-d'œuvre
lyriques modernes , contiennent :
ïre Série. \. Semiramis. — 2. Zelmira. — 3. Robin des Bois.
— 4. Le Sacrifice. — 5. Le Crociato. — 6. La
, Neige.
IIe Série. -I . Elisa et Claudio. — 2. Fidelio. — 3. Maometto.
— 4. Matilde de Shabran.
IIP Série. 1 . Moïse. — 2. Siège de Corinlhe. — 3. Marguerite
d'Anjou. — 4. Emmeline.
IVe Série. \ . La Muette de Portici. — 2. La Straniera. — 3. Il
Pirata. — l\. Obéron. — 5. Fausto. — 6. Ro-
bert-le-Diable.
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L'Abonné paiera la somme de 5o fr. ; il recevra pendant
l'année deux morceaux de Musique instrumentale ou une
partition et un morceau de musique , qu'il aura le droit de
changer trois fois par semaine ; et au fur et à mesure qu'il
trouvera un morceau ou une partition qu'il lui plaira , dans le
nombre de ceux qui figurent sur mon Catalogue, il pourra le
garder jusqu'à ce qu'il en ait reçu assez pour égaler la somme
de j5 fr., prix marqué, et que l'on donnera à chaque abonné
pour les 5o francs payés par lui. De cette manière l'ABONNE
aura la facilité de lire autant quebon lui semblera, en dépensane
cinquante francs par année , pour lesquels il conservera pour
75 fr. de musique.
L'abonnement de six mois est de 3o francs , pour lesquels on
conservera en propriété pour 45 fr. de musique. Pour trois mois
le prix est de 20 fr.; on gardera pour 00 fr. de musique. Eu
province ,on enverra quatre morceaux à la fois. Affranchir.
N. B. Les frais de transport sont au compte de MM. les
Abonnés. — Chaque abonné est tenu d'avoir un carton
pour porter la musique. (Affranchir.)
GAZETTE MUSICALE
RÉDIGÉE PAR MM. ADAM, G. E. ANDERS , BERT0N (membre de l'inslïtut), BERLIOZ, CASTIL-BLAZE , A. GUEMER , HAUÉVY
(professeur de contrepoint au Conservatoire), Jules janin , liszt, lesueur (membre de l'Institut), j. mainzer, marx
(rédacteur de la gazette musicale de berlin), d'ortigue , panofka , richard, j. g. seyfried (maître de chapelle
à Vienne), F. stœpel, etc., etc.
1" ANNÉE.
Pi'
u%
PRIX DE l' ABONNE».
PARIS.
DÉPART.
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36 »
<Ta gazette iiîusicale J>£ ijparts
Paraît le DIMANCHE de chaque semaine.
On s'abonne au bureau de la Gazette Musicale de Paiîie, tue Riilielicu, il7;
et cliez tous les libraire? ei n archands de musique de France.
)u reçoit les réclamations des personnes qui ont des griefs à espuser, et les avis relatifs à la musiqu
qui peuvent intéresser le public.
PARIS, DIMANCHE I!» OCTOBRE 183<S.
Les lettres, demandes
et envois d'argent doi-
vent être affranchis, el
adressés au Directeur ,
rue Ric'iclicu, M".
Monseigneur l'archevêque de Paris.
« Bénissons à jamais ,
» Le seigneur dans ses bienfaits. »
(Cantique populaire.)
En ce temps Ta Paris avait encore un archevêque ;
Et cet archevêque ne ressemblait point a un autre ar-
chevêque ;
Et sa foi était sincère et sa piété éclairée;
Et quand les impies faisaient des railleries inconve-
nantes sur ses réunions pies avec les jeunes personnes du
sacré cœur, il se contentait de soupirer en croisant les
mains sur son cœur, et toutes jeunes pies du sacré cœur
lui répoudaient en chœur;
Et il arriva qu'un artiste célèbre de ce temps là vint à
mourir.
Et un autre grand artiste voulant célébrer dignement
la mémoire de son ami , eût l'idée impie de rassembler
un peuple d'habiles musiciens pour chanter une sainte
élégie sur sa tombe;
Et cet homme de génie impie, malgré son nom de
Chérubin, pensa que Dieu ne serait point offensé si les
voix des femmes se mêlaient aux graves accens des
hommes dans ce concert de sublimes douleurs ;
Et le curé de l'église où devaient avoir lieu les poéti-
ques funérailles, ayant déclaré que la plus belle moitié
de l'espèce humaine ne pouvait être admise a pleurer la
mort d'un homme illustre sans l'autorisation de son sei-
gneur l'archevêque, l'homme de génie impie, au nom de
Chérubin , répondit : « Nous irons prier humblement
» votre seigneur l'archevêque de permettre a la voix
« des femmes de s'élever dans le temple , comme un
» parfum d'agréable odeur. »
Et le seigneur archevêque prévenu de cette démarche
qui allait être faite auprès de sa grandeur, ayant con-
sulté ses dames du Sacré Cœur, qui chantent faux, il
fut décidé que les daines du chœur profane, qui chan-
tent juste , ne seraient point admises dans le temple ;
Et quant l'homme de génie , au nom de Chérubin ,
vint dans le palais archiépiscopal , il trouva le saint ar-
chevêque environné de son saint troupeau, et il essuya
un refus formel ;
Et le saint archevêque , ayant ajouté en raillant :
« Puisqu'il s'agit des funérailles d'un musicien , donnez
» un concert et non pas une messe. » L'homme de gé-
nie, qui raille assez bien aussi, lui répondit : « Mon-
» seigneur, nous gardons le concert pour vous; »
Ets'étant adressé en désespoir de cause à l'aumônier
des Invalides , l'homme de génie ne le trouva point en-
vironné déjeunes pies ; en conséquence, les dames im-
pies, qui chantent juste, ne furent point exclues du
saint lieu, et sans en demander permission au seigneur
l'archevêque, l'aumônier, homme de tact et d'esprit,
autorisa la cérémonie ;
Etl'homme de génie au nom de Chérubin, nepouvant
faire entendre son magnifique ouvrage dans une église
enfumée, aux mesquines proportions, située dans le plus
sale quartier de Paris, fut obligé de se contenter du
334
GAZETTE MUSICALE
dôme glorieux des Invalides, où cent jeunes femmes
impies encore plus belles que les dames pies du Sacré
Cœur, chantèrent ses accords sublimes, qui en montant
vers le trône du Très-Haut émurent d'un divin enthou-
siasme les trophées appendus aux voûtes du temple,
legs glorieux d'un autre génie ;
Et les jeunes pies du Sacré Cœur, ayant appris cette
défaite chantèrent plus faux que de coutume le len-
demain.
Et le seigneur archevêque, pour réparer la fati-
gue qu'il avait causée a l'homme de génie au nom
de Chérubin, mangea de plus qu'a l'ordinaire une per-
drix anx truffes « et but à son souper, quatre grands
coups devin. »
Amem.
BOIELDIEU.
Boiledieu naquit à Rouen , dans le mois de décem-
bre 1775. Son père, homme d'esprit, était secrétaire du
cardinal de Larochefoucauld , archevêque de Rouen. Il
s'aperçut bientôt des dispositions de son fils Adrien pour
la musique, et sa place à l'archevêché lui permettant de
s'occuper de les développer, il lui fit donner de bonne
heure les premières notions de cet art qui devait l'illus-
trer, et le confia aux soins de Broche , organiste de la
cathédrale.
De spirituels biographes qui nous ont devancés dans
l'hommage que nous essayons de rendre aujourd'hui a la
mémoire de Boieldieu , ont représenté le premier maître
de ce grand musicien, sous un aspect que des renseigne-
mens plus certains nous mettent a même de modifier.
Comme on le verra plus tard , Broche ne brillait certai-
nement pas par l'aménité de fes manières et la douceur
de son caractère ; mais ce n'était pas non plus un homme
aux habitudes grossières, un de ces buveurs de ca-
thédrale qui rendent au cabaret un culte plus assidu qu'à
l'autel. Broche était un homme de plaisir, qui aimait la
talde et la bonne chère. Ce n'était donc pas un buveur
ordurïer, c'était un bon vivant, aimable et joyeux,
que de notre temps on eût décoré de la convenante épi-
thète de viveur.
Mais il y avait deux hommes en Broche : autant
Broche le viveur était élégant et fashionàble , autant
Broche l'organiste était brutal et colère. Reçu dans la
bonne société de la ville, homme du monde à souper,
le lendemain matin ce n'était plus pour ses pauvres
élèves, qu'un tyran, un pédagogue impitoyable, qui
appuyait ses argumens de force démonstrations corpo-
relles, et qui traitait ses écoliers comme son orgue,
pedibus et manibus. — Cet homme , comme on le voit ,
est un vrai personnage d'opéra-comique , et on pour-
rait en faire un maître de chapelle d'une espèce toute
nouvelle.
Boieldieu , qui avait le malheur d'être plus jeune que
ses camarades , fut bien plus à plaindre qu'eux, car il de-
vint bientôt l'esclave , le groom de son professeur. Si
Broche se montrait le soir bien paré, si la poignée de
son épée était resplendissante , si sa chaussure était écla-
tante, c'était aux' soins du pauvre petit Boïel (comme
on l'appelait alors) qu'il devait sa brillante tenue. Le
pauvre enfant ! combien il devait souffrir, lorsque au lieu
de promener ses petites mains sur le piano , sur l'orgue,
il était obligé de les salir pour que le soir M. Broche fût
bien chaussé. Que de larmes il dut répandre ! Que Dieu
les pardonne a Broche ces larmes d'enfant! Boieldieu les
lui avait pardonnées.
C'est au milieu de ces souffrances, de ces tortures
physiques et morales que le talent du petit Boïel s'accrut
et grandit : son heureuse organisation le sauva. Les
mauvais traitemens de Broche ne l'abrutirentpoint. Qui
sait au contraire si les pleurs qu'il versait , les réflexions
qu'il faisait sur son triste sort et sur l'injustice de son
maître , ne contribuèrent pas a développer en lui ce
germe de sensibilité qu'il avait apporté en nassant et
qui devint un des caractères distinctifs de son talent?
Quoi qu'il en soit, les mauvais traitemens de Broche
continuaient toujours, tellement qu'un jour, le petit
Boïel, frappé de terreur a la vue d'un pâté qu'il venait
de faire sur un livre appartenant a son maître, ne crut
pouvoir se soustraire au dan jer qui le menaçait qu'en
prenant la fuite. Il partit seul, a pied, et vint à Paris.
On le renvoya cependant a sa famille, a son maître,
qui s'amenda un peu. Le petit Boïel grandissait; Broche
commençait a devenir fier de son élève, lorsqu'enfin un
beau soir, on donna à Rouen une première représenta-
tion d'un opéra en un acte, composé a Rouen par un
poète de Rouen et un musicien de Rouen. Tout cela
eut un immense succès, et, à compter de ce jour, le petit
Boïel devint Boieldieu.
Ce début, ce succès obtenu en province, poussèrent
Boieldieu a Paris, cette ville des grandes réputations et
des notables succès. C'était en -1795, époque de vigueur
et d'énergie. La peinture, la musique, les beaux-arts,
étaient alors des choses sérieuses et fortes comme les
affaires publiques. David ne badinait pas quand il pei-
gnait Marat expirant dans sa baignoire, ni Chérubini
quand il écrivait Lodoïska et Me'de'e, ni Berton, quand
il composait le Délire et Montano. Méhul avait donné
Stratonice , Euplirosine et Cora din, Lesueur, la Caverne.
Boieldieu arrivaaParis au milieu de cette musique reten-
335
tissante et vigoureuse. Il sentit que son heure n'était pas
venue encore ; il mit sous clé sa première partition -, et
se fit accordeur des pianos pour vivre.
Cependant il composait toujours ; car comment ne pas
obéir à cette voix intérieure qui no-us soutient et nous
dirige? Il composait donc, et n'ayant pas de poème qui
pût recevoir ses douces et naïves inspirations, il fit de
charmantes romances.
Il y avait en ce temps, à Paris, un homme dont la
spécialité ne s'est pas continuée jusqu'à nous. Ce n'était
pas un acteur, ce n'était pas même un musicien, c'était
un chanteur. Il chantait tout, Tkoasel Enfant chéri des
Dames, Armiàe et les romances à la mode. Cet homme
était Garât, et Garât était alors dans toute la fraîcheur
de sa réputation, de sa voix, de son admirable talent.
Garât vit les romances de Boieldieu, il les chanta; Erard
ouvrait alors , comme aujourd'hui, ses salons a tout ce
que Paris renfermait d'artistes, et ce fut là que Boiel-
dieu obtint à Paris son premier succès.
La vogue de ces romances enhardit les hommes de
lettres, et Boieldieu put écrire un opéra. Le premier
qui lui fut confié fut Zoraïme et Zulnare, en trois actes;
mais il ne put faire représenter cet ouvrage qu'après
deux opéras en un acte, la Famille suisse, et Montreuil
et Verville , joués tous deux en 1797. 1798 vit paraître
Zoraïme et Zulnare, et la Bot de Suzette; il donna en
1 799 les Méprises espagnoles , et en 1 800 , Beniowski
et le Calife de Bagdad.
Cependant Boieldieu avait été nommé professeur de
piano au Conservatoire, ce grand et bel établissement
que la France doit a la convention. Cherubini ensei-
gnait la composition dans cette école. Boieldieu , le
professeur de piano, Boieldieu, le compositeur renommé
du Calife et de Beniowski voulut devenir l'élève de l'au-
teur de Lodoïska, à'Elisa, de Me'déej des Deux four-
nées. Il voulut se soumettre à des études sévères, et ap-
prendre, par des travaux raisonnes et suivis, ce qu'il
avait dû jusqu'ici a son heureuse intelligence, à son
goût, a son organisaiion supérieure.
Ce fut pour Boieldieu une de ces périodes où l'artiste
modifie son style, et change sa manière. Plus tard il
n'aimait pas qu'on lui parlât de ses premiers ouvrages,
qu'il trouvait, disait-il, mal écrits. Il rangeait dans cette
classe Zoraïme et Zulnare, où l'on trouve de la chaleur,
de la passion, de beaux chants; Beniowski, remarquable
par son énergie ; et le charmant Calife de Bagdad , si
gracieux, si aimable, si naturel.
Un homme de beaucoup d'esprit m'a raconté que le
Calife de Bagdad pensa désunir deux amis, deux colla-
borateurs, deux hommes c lèbres Mébul et Hoffmann.
C'était le jour de la première représentation. Après la
pièce : Vomi, dit Méhul en se levant, un charmant
poème. — Non, répond Hoffmann, le poème n'a pas le
sens commun , c'est la musique qui est ravissante. » La
discussion continue, ils s'échauffent, et il fallut l'in-
tervention d'un ami pour appaiser cette querelle nais-
saute.
Le premier ouvrage qu'écrivit Boieldieu, après qu'il
se fut fait l'élève de son ami , fut ma Tante Aurore. Ses
nouveaux travaux avaient donné a son talent une im-
pulsion favorable, et l'on trouve dans ce nouvel opéra
une instrumentation élégante et soignée, des dessins
bien suivis, des morceaux d'ensemble combinés avec
art et remplis d'effets ingénieux. Le fameux quatuor est
un chef-d'œuvre et restera comme une des plus belles
productions de l'école française. Le public de la pre-
mière représentation , peu sensible aux beautés musi-
cales de cet ouvrage, siffla, et l'on crut a une chute;
mais le compositeur avait apprécié son œuvre; il tint
bon; le poète fit des coupures, et, deux jours après, ma
Tante Aurore se trouva resserrée en deux actes , et ob-
tint, sous cette forme, un succès qui fit époque dans la
carrière de Boieldieu.
C'était, au reste, un beau temps pour la musique en
France, que celui qui voyait à la fois Cherubini, Ber-
ton , Lesueur, Mehul , Boieldieu , Catel, travaillant
tous, et répandant leurs beaux ouviages sur deux théâ-
tres qui se les disputaient.
Boieldieu, h celte époque; était un des hommes de
Paris les plus a la mode. Son talent, son esprit aimable
et affectueux, son caractère gai et ouvert, le faisaient
rechercher des sociétés les plus élégantes. Il était en ou-
tre un des plus jolis hommes de son temps , et il obtint,
dans les salons, des succès de plus d'un genre, et qui
durent le flatter autant qu'avaient pu le faire ses triom-
phes du théâtre.
Cependant, vers 1804, tourmenté par des chagrins
domestiques., il prit tout à coup la résolution de quitter
la France. En deux jours il se décida , lit tous ses pré-
paratifs , et le troisième jour il était en voyage, se diri-
geant vers la Russie , où il savait retrouver une famille
qu'il aimait comme la sienne.
Il n'avait d'antre but, en quittant laFr.mce, que de
chercher des distractions et d'oublier ses chagrins au
milieu de cette famille amie; mais arrivé aux. frontières
de l'empire, il reçut un message d'Alexandre. Le nom
de Boieldieu était arrivé long-temps avant lui au bout
de l'Europe, et l'empereur Alexandre ., par reconnais-
sance pour 1 artiste céièbre qui venait le visite:', lui
conférait le titre de son maître de chapelle.
GAZETTE MUSICALE
Boyeldieu fut reçu a Saint-Pétersbourg de la manière
la plus flatteuse. On lui donna la plus belle fête qu'on
puisse offrir à un compositeur; on exécuta, à \ H ermi-
tage J le Calife. La famille impériale et toute la cour
remplissaient la salle éclatante de lumière et de
diamans; mais ce n'était pas pour cette cour si fastueuse
et si brillante que l'empereur fesait chanter ses acteurs,
fesait jouer son orchestre; c'était pour Boieldieu, pour
le musicien , pour l'homme qui venait de France, et qui
consentait a consacrer son génie à la Russie qui le rece-
vait si bien.
L'empereur Alexandre traita avec Boyeldieu. Les
bases de cette alliance signée a Saint-Pétersbourg , fu-
rent d'une part : 1° que Boieldieu s'engageait a fournir
a Alexandre trois opéras nouveaux par an , composés
expressément pour lui; 2° qu'Alexandre fournirait a
Boieldieu trois poèmes français destinés a être mis en
musique par le dit Boieldieu ; 5° pour l'exécution de ce
traité, Alexandre, empereur, mettait à la disposition
de Boieldieu, compositeur, toutes les forces dramati-
ques de son empire. Cette alliance, entre l'artisje et le
souverain, stipulait en outre pour le compositeur, des
appointemens très-honorables.
Ce traité entre ces deux puissances par la grâce de
Dieu , la royauté et le génie , dura sept ans, et il faut le
dire, ce ne fut pas la royauté qui l'enfreignit. L'homme
de talent au bout de sept ans, soupira après sa patrie,
mais il n'osa pas la réclamer tout haut ; c'était en \ 811 ,
il demanda un congé, l'obtint, se hâta de retournera
Paris pour y rester. 11 ne savait pas que trois ans après
Alexandre viendrait l'y chercher a la tête de ses cosa-
ques, et le sommerait de retourner a son poste, On a as-
signé diverses causes a la guerre de Russie, peut-être
Alexandre ne voyait-il dans ces grands événemens
qu'une occasion de reconquérir son maître de chapelle.
Retournons a Saint-Pétersbourg. L'autocrate s'était
engagé s fournir a Boieldieu trois poèmes fiançais par
an, mais il ne s'était pas engagé a les faire. Delà,
grandes difficultés lorsqu'il s'agit d'exécuter cet article
du traité. La toute-puissance de l'empereur, le knout
et autres moyens ordinaires , échouèrent contre ces dif-
ficultés. On chercha partout, depuis la Pologne jus-
qu'en Sibérie , depuis les frontières de la Chine jus-
qu'aux Monts -Oural : on trouva des fourrures pré-
cieuses, des métaux, des diamans plus précieux encore,
mais des poèmes français !.. l'immense empire n'en pro-
duisait pas.
On fit donc un amendement au traité , et Boieldieu
fut obligé de puiser a la Bibliothèque qu'il avait ap-
portée avec lui. C'est ainsi qu'il composa Aline, reine de
Golconde , opéra sur lequel Berton venait de faire une
excellente musique; Télëmaquè ' , que Lesueur avait fait
représenter avec grand succcs'a l'Opéra de Paris; les
toitures versées, d'après un vaudeville de M. Dupaty;
la Jeune Femme colère , d'après une comédie de
M. Etienne; des chœurs pour l 'Atkalie , de Racine; les
Deux Par avens, Amour et mystère , de J. Pain et de
Bouin ainsi qu'une grande quantité de marches et de
morceaux militaires pour la garde impériale russe.
Un seul poème fut écrit pour lui à Pétersbourg , c'est
Abderkhan ; l'auteur était un chanteur du Théâtre-Im-
périal , un Français qui voulut essayer de faire un opéra
pour les Russes ; mais une chute honteuse le punit de
sa présomption.
Tous les autres ouvrages que nous venons de nom-
mer eurent le plus brillans succès. Les chœurs iïAtkaliej
faisaient tant d'effet qu'une célèbre tragédienne française
qui se trouvait alors en Russie , cessa de jouer le rôle
principal , car les applaudissemens s'adressaient tous
aux chœurs de Boieldieu et délaissaient la tragédienne.
Télémaque était un des ouvrages que Boieldieu pré-
férait. Il paraît que cet opéra , que nous ne connaissons
pas, non plus que les chœurs d'Athalie, renferme de
grandes beautés.
Télémaque, grand opéra en trois actes, fut écrit en six
semaines. L'impératrice venait d'accoucher; et pendant
que le canon annonçait à tcutes les Russies la naissance
d'un prince, Boieldieu reçut l'ordre de commencer à
l'instant même un opéra qui devait être écrit, répété et
joué au bout de six semaines , ni plus ni moins , pour cé-
lébrer les relevailles de l'auguste accouchée. Il n'y a
qu'un autocrate qui puisse donner un pareil ordre ; l'o-
tocrate fut obéi. Pendant que Boieldieu écrivait , les
copistes copiaient, les artistes du théâtre apprenaient, les
décorateurs peignaient, les tailleurs coupaient et cou-
saient ; et lorsque Boieldieu sortit de chez lui , son œuvre
terminé, il alla au théâtre, et entendit son opéra parfai-
tement exécuté à grand orchestre. On avait tout répété
sans lui. Heureux Boieldieu!
Comme nous l'avons dit, après tous ces travaux,
Boieldieu eut le mal du pays ; il revint a Paris, où de
nouveaux succès l'attendaient.
La suite au prochain numéro.
GUILLAUME -TELL ,~
Second article.
Cet acte s'ouvre par un chœur d'une belle et noble
simplicité. Une joie douce était le sentiment que le com-
positeur avait à peindre, et difficilement on imaginerait
DE PARIS.
quelque éhose de mieux , de plus vrai et de plus déli-
cat en même temps, que la mélodie qu'il a placée sur
ces vers :
« Quel jour serein le ciel présage
« Célébrons-le dans nos concerls. »
Les harmonies vocales, soutenues d'un accompagne-
ment en style de ranz de vaches, respirent le bonheur et
la paix. La modulation du sol naturel en mi bémol qui
se trouve vers la fin du morceau devient originale par
la manière dont elle est présentée , et produit un excel-
lent effet. La romance qui suit :
« Accours dans ta nacelle. »
ne nous paraît pas a la même hauteur ; la mélodie n'en
est pas toujours naïve comme il convient a la chanson
d'un pêcheur d'Underwald; plusieurs phrases sont enta-
chées de ce style minaudier que les chanteurs par leurs
broderies banales ont malheureusement mis en circula-
tion. En outre, pourquoi cet accompagnement de deux
harpes pour le chant d'un suisse? on ne sait trop. Guil •
laume, qui se taisait pendant toute l'introduction et la
première strophe du pêcheur, débute par un monologue
mesuré plein de caractère ; c'est bien la l'indignation
concentrée d'un amant de la liberté, a l'âme fière et
profonde. L'instrumentation en est parfaite, aussi bien
que les modulations , quoiqu'il se présente dans la parlie
vocale quelques intervalles d'une intonation fort diffi-
cile. Le défaut général de tout l'ouvrage commence déjà
a se faire sentir ici. Cette scène se prolonge trop, et les
trois morceaux qui la composent n'étant pas de couleurs
assez diférentes, il en résulte une monotonie fatigante
que vient encore augmenter le silence de l'orchestre
pendant la romance. En général, a moins que la scène
ne soit animée par un puissant intérêt dramatique, il est
rare qu'il ne résulte pas (à l'Opéra) une froideur mor-
telle de cette inaction des iustrumens. Le théâtre, en
outre, est si vaste, qu'une voix seule partie du fond
n'arrive a l'oreille du spectateur que dépourvue de cette
chaleur de vibrations qui est la vie de la musique, et
sans laquelle il est fort rare qu'une mélodie puisse se
dessiner nettement et avoir toute son action. Après une
sonnerie de ranz en échos , où quatre cors en sol et en
mi naturel représentent la trompe des pasteurs helvéti-
ques , un mouvement allegro vivace vient réveiller l'at-
tention. Ce chœur, plein d'une verve passionnée, serait
admirable si les vers exprimaient le contraire de cequ'ils
disent réellement. 11 est en mi mineur, et la mélodie en
est si pleine d'agitation et d'effroi , qu'a la première re-
présentation, n'entendant pas les paroles, comme cela
arrive presque toujours dans les grands théâtres, je crus
a la nouvelle de quelque catastrophe , telle que l'assassi-
nat du père Melchtal tout au moins; cependant, bien loin
de la , le chœur chante :
« On entend, des montagnes,
» Le signal du repos ;
» La fête des campagnes
» Abrège nos travaux.
C'est la première fois qu'il est arrivé a Rossini de faire
un contresens de celte nature. A ce chœur, qui est le
deuxième dans la même scène , succède , après un réci-
catif obligé, un troisième chœur maëstoso , remarquable
surtout par une gamme du si mitoyen au si aigu , lancée
au travers de l'harmonie par le soprano avec un rare
bonheur. Mais l'action ne marche pas ; ce défaut est
rendu beaucoup plus sensible par un quatrième chœur
d'un caractère violent plutôt que joyeux , toujours
chanté à pleine voix, instrumenté constamment à plein
orchestre, et accompagné a grands coups de grosse
caisse sur chaque temps fort de la mesure. Ce morceau,
absolument inutile à l'intérêt dramatique, offre peu
d'intérêt sous le rapport musical. On a fait dans la par-
tition qui nous occupe d'impitoyables coupures , on se
serait bien gardé de rien ôter ici, c'eut été trop raison-
nable; les coupeurs ne savent retrancher que les belles
choses. Dans l'opération de la castration ce sont en effet
les parties nobles qu'on enlève. Ainsi j de compte fait,
voilà quatre chœurs avec tous leurs développemens ,
pour chanter le jour serein, la fête des campagnes , cé-
lébrer le travail et l'amour, et parler des cors qui se ré-
pondent près des torrens qui grondent. Une semblable
monotonie dans l'emploi des moyens, que n'excusent
pas même les exigences du drame, dont la marche se
trouve ainsi arrêtée sans 'but, est d'une grande mala-
dresse , surtout en commençant. Il semble que l'ouvrage
ait été dominé en beaucoup d'endroits par la fâcheuse
influence qui entraînait le compositeur dans cette voie.
Je dis le compositeur, parce qu'un homme comme Ros-
sini obtient toujours de son poète tout ce qu'il veut, et
l'on sait que pour Guillaume -Tell il a demandé a
M. Jouy une foule de changemens qui ne lui ont pas été
refusés.
On remarque un défaut de variété jusque dans le style
mélodique ; de nombreuses tenues sur la dominante se
font remarquer dans la vocale ; une tendance presque
irrésistible semble entraîner.Je compositeur vers le cin-
quième degré de l'échelle musicale, autour duquel il
tourne avec une persistance fatigante. Exemples dans le
premier acte :
Pendant la fanfare des quatre cors en ?ni bémol, Ar-
nold chante :
338
GAZETTE MUSICALE
« Mais quel bruit ruais quel bruit
h Des tyrans qu'a vomis l'Allemagne
» Le cor sonne sur la montagne. »
Toutes ces paroles sont sur une seule note, le si bé-
mol. Dans le duo qui suit, Arnold dit encore presqu'en
tièrement sur ce même si bémol , dominante du ton de
mi, les deux -vers :
« Sous le fardeau de l'esclavage
» Quel grand cœur n'est pas abattu ? »
Plus loin , après avoir modulé en ré, Guillaume et
Arnold disent alternativement sur le la naturel, domi-
nante du nouveau ton :
« Soyons hommes, et nous vaincrons.
» Et comment venger nos affronts ?
« Tout pouvoir injuste est fragile. »
c'est a peine si cinq syllabes placées sur les notes ré, fa
et ut dièze, aux désinences des phrases, peuvent se faire
distinguer a travers le bourdonnement obstiné de cette
dominante. Le ton de fa est établi ; aussitôt Y ut, domi-
nante, résonne :
« Songe aux biens que tu perds ? —
» Qu'importe ! — Quelle gloire espérer des revers?...
» Ton espérance ? — Est la victoire,
» La tienne aussi, j'ai besoin de le croire. »
Ailleurs :
« Du danger quand sonnera l'heure ,
» ami je serai prêt. «
toujours sur la dominante. La fanfare des cors recom-
mence-t-elle en mi bémol, Guillaume s'écrie :
«Qu'entends-je?.. c'est Gésier... Quoi! tandis qu'il nous brave
» Voudrais-tu, volontaire esclave,
» D'un regard dédaigneux implorer la faveur ? »
Ces quatre vers sont entièrement sur le si, dominante.
Fidèle h sa note favorite, Tell l'emploie encore exclusi-
vement pour dire vers la fin du même morceau ;
« Entends au loin les chants de l'hyménée ;
» N'attristons pas la fête des pasteurs ;
« A leurs plaisirs ne mêlons pas des pleurs. »
Un aussi grave défaut nuit immensément a l'effet géné-
ral de ce beau duo. Je dis beau, parce que malgré ce
carillon de dominantes , il est réellement admirable sous
tous les autres rapports: l'instrumentation est traitée
avec un soin et une délicatesse remarquables ; les mo-
dulations sont variées-, le chant d'Arnold :
« O Malhilde, idole de mon âme! »
est d'une suavité extrême ; beaucoup d'autres phrases de
Guillaume sont pleines d'accens dramatiques, et à l'ex-
ception de la musique du vers :
« Mais à la vertu je me rends. »
tout est d'une grande noblerse.
Les moicîàux suivans sont tous plus ou moins remar-
quables. Nous citerons de préférence le chœur en lami-
neur :
« Hymen ée ,
» Ta journée
» Luit pour nous. »
qui serait d'un effet neuf et piquant, s'il était exécuté
comme on aurait le droit d'exiger que tous les chœurs le
fussent a l'Académie Royale de Musique. L' allegro pan-
tomime des arehers est aussi d'une grande énergie; plu-
sieurs airs de danses se distinguent par de fraîches mé-
lodies et un orchestre des plus soignés. Le grand final
qui couronne cet acte nous paraît beaucoup moins sa-
tisfaisant. D'abord, les tenues sur la dominante dans les
voix et dans l'orchestre, qui avaient cessé pendant quel-
que temps, s'y montrent de nouveau. Après quelques
exclamations du chœur des suisses, on entend les sol-
dats de Gessler :
« De la justice voici l'heure.
« Malheur au met rtrier !
» Qu'il meure ! »
Tout cela est dit sur la note si dominante de mi mi-
neur, qui déjà a été employée comme pédale par les
basses de l'orchestre, pendant les dix-neuf premières
mesures du début du morceau. On serait tenté de croire
en voyant cette persistance du compositeur à revenir a
la plus usée et a la plus monotone des formes musicales ,
qu'il n'a agi ainsi que par paresse. Il est fort commode
en effet d'écrire une phrase d'orchestre dont l'harmonie
ne roule que sur les deux accords fondamentaux du ton,
et, quand on a un débit de paroles a faire la-dessus, de
le placer sur la note commune aces deux accords, la
dominante. Cela épargne au compositeur beaucoup de
temps et de travail. A cette introduction succède une
prière :
ii Vierge que les chrétiens adorent. »
D'un mouvement lent , je dirai presque traînant, ac-
compagnée d'une façon assez ordinaire, dont l'effet est
de suspendre l'action et l'intérêt musical , fort mal à
propos. Les à parte syllabiques du chœur de soldats
pendant le chant des femmes, ne sont pas heureux. « Les
vois-tu tous tremblans? — Obéissez! il y va de vos
jours. » La musique de ces paroles n'est ni menaçante,
ni ironique; c'est tout bonnement une série de notes de
remplissage qui servent à compléter les accords, mais
n'expriment ni le mépris ni la colère. Quand enfin les
femmes ont achevé leur longue prière, la fureur de
Rodolphe , le plus ardent satellite de Gésier, éclate avec
violence. L'orchestre se précipite en tumulte, les trom-
bonnes rugissent, les violons poussent des cris aigus,
tous les instrumens peignent a l'envi les horreur du pil-
339
lage et du ravage dont les Suisses sont menacés; mal-
heureusement tout cela est calqué sur le final de la Ves-
tale. Dessin des basses et des altos, accords stridens des
instrumens de cuivre, gammes incisives des premiers
violons , accompagnement syllabique du second chœur
sous un chant large de soprano , tout est dans Spontini.
Ajoutons toutefois, que la Stretta de ce cœur contient
un effet magnifique dû en entier à Rossini ; c'est la
gamme descendante syncopée de tout le chœur en oc-
taves, pendant que les voix aiguës, les flûtes et les pre-
miers violons tiennent avec) force l'accord de tierce
majeure mi sol, contre lequel les notes ré dièze, la et
fa dièze des voix inférieures, viennent se heurter en
frémissant. Cette seule idée , par sa grandeur et sa puis-
sance, efface absolument toute les parties antérieures du
final ; elle les fait complètement oublier ; on était fati-
gué en commençant, en finissant on est ému; l'auteur
paraissait manquer d'invention , il se relève et vous
étonne par un trait inattendu. Rossini est plein de ces
contrastes.
La suite au prochain numéro.
THÉÂTRE MABTIÇUE.
Chao-Kang,
Ballet chinois en 4 aclcs , de M. Henry; musique de M. Carlini ,
* décors de MM. Devoir et Pourchet.
■/*
Les Chinois vont pleuvoir sur les théâtres de Paris. Grands
et petits , chacun va nous montrer le sien en opéra, en vaude-
ville, en drame, etc. Voici pourtant M. Henry qui a taillé une
rude besogne à ceux qui viendront après lui; plus adroit et
plus actif, il a su arriver le premier. A en juger par une pre-
mière représentation , M. Henry tient pour long-temps la vo-
gue qu'il a dignement su conquérir ; il sera difficile de la lui
arracher.
Le sujet de Chao-Kang est monarchiquement très-édifiaut.
C'est nu empereur qu'on chasse du trône, qu'on empoisonne,
et qui bientôt est restauré et se met à trôner de nouveau comme
si de rien n'était. Personne au reste n'a songé que ce ballet
avait une donnée quelconque, si ce n'est le fescur de pro-
gramme, qui paraît même y attacher une grande importance ,
car il a fait un livret pompeusement explicatif; précédé d'une
préface où il expose gravement l'ingénieuse théorie du geste
de convention, renouvelé des Romains. Je vous recommande
en particulier cette préface merveilleuse , qui certes n'est pas
la partie la moins bouffonne du spectacle. Laissons donc de
côté ce prétendu programme, et contentons-nous d'affirmer
qu'il est difficile de voir quelque chose de plus curieux , de
p'us varié, de plus brillant et souvent de plus bouffon que les
richesses choréograpliiques que M. Henry a su grotipper au-
tour de son Chao-Kang. Un ballet fait tout entier pour les
yeux ne se décrit pas, et bien moins encore celui où une mul-
titude de tableaux . de scènes , de danses, de décors , se renou-
velle pendant 4 actes d'une façon vraiment étourdissante;
mais il est aujourd'hui pour nous d'une vérité incontestable
que de tous les maîtres de ballet connus , M. Henry est , sans
contredit, celui dont l'imagination sait le mieux trouver de
nouvelles et piquantes combinaisons dans un sujet en appa-
rence épuisé et tari. Si M. Véron ne parvient à attacher
M. Henrv à son théâtre, il perd décidément toute sa réputation
d'habileté.
Chao-Kang est de ces pièces comme il en paraît de loin en
loin , auxquelles la -vogue est nécessairement acquise; non que
leur mérite soit sans reproches, non qu'elles doivent le jour à
une idée inexploitée jusque-là, mais seulement parce que leur
ensemble tranche vivement avec la masse homogène des pro-
ductions contemporaines.
Continuellement distrait par la pompe du spectacle , la ri-
chesse des décors, la variété des costumes, et par-dessus tout
par l'incomparable habileté de la mise en scène, je ne saurais
parler au long de la musique qui m'a généralement semblé
gracieuse et chantante. Une seconde audition est nécessaire
pour cela et aussi pour rendre à chacun selon son mérite; c'est
ce que j'essaierai de faire dans le prochain numéro.
NOUVELLES.
+% M. Berlioz va commencer une nouvelle série de concerts
dont l'attrait sera puissant pour tout ce qui s'intéresse réelle-
ment aux progrès de l'art musical. Un orchestre de cent trente
musiciens, dirigé par M. Girard , exécutera , outre les compo-
sitions déjà connues de M. Berlioz , une nouvelle symphonie en -
4 parties , avec alto principal , intitulée Ilarold; un trio pour
trois voix et orchestre, sur des paroles de Victor Hugo ; une
fantaisie pour soprano et orchestre sur une ode orientale de
Victor Hugo , et une grande fantaisie pour piano et orchestre
composée par M. Listz sur deux fragmens du mélologue de
M. Berliozjpa Ballade du Pêcheur, et la Chanson des Brigands.
Le premier concert aura lieu le 9 novembre prochain à deux
heures. Le prix des places sera le même que celui des concerts
du Conservatoire. On s'inscrit d'avance chez M. Schlesinger,
rue Richelieu , 97.
»** Ç)i25 francs , tel est le chiffre de la recette delà -M 3e re-
présentation de Robert-le-Diable, de Meverbeer.
*+ Les concerts de l'hôtel Lafitte prennent consistance ; la
foule s'y porte , et il est à désirer que la nouvelle salle soit bien-
tôt terminée pour contenir les amateurs de concerts , dont le
nombre augmente journellement.
% M. Louis Lacombe, jeune pianiste de talent, est dans ce
moment à Tienne, où il doit donner quelques concerts.
* Toute l'attention des amateurs de musique en Angle
icrre est portée dans ce moment sur la grande fête musicale de
Birmingham; cette solennité, dont le but est d'augmenter la
dotation d'un hôpital, et qui se renouvelle tous les trois ans
depuis 1784 , a servi cette année à l'inauguration de la grande
salle que cette riche ville manufacturière vient de faire con-
struire pour les grandes assemblées , et surtout pour les réu-
nions musicales. Les dimensions en sont gigantesques, mais si
bien proportionnées d'après les règles de l'acoustique , qu'on
peut saisir de tous les poinls de la salle les modulations les plus
faibles de la' voix. Le piano même y produit de l'effet. 3Iosche-
Ves vient d'y obtenir un succès d'enthousiasme, tout le fini de
son jeu a pu être apprécié dans cet immense local comme dans
un salon ordinaire par un auditoire de plus de 3, 5oo personnes.
On avait choisi pour cette occasion un des nouveaux pianos de
Pierre Erard. Une autre curiosité en fait d'inslrumens était le
nouvel orgue, construit sur les plus grandes dimensions con-
nues. L'orgue est indisp* nsable pour exécuter les grandes
compositions de Hacndel ; il se joint à l'orchestre pour accom-
pagner les chœurs; c'est dans ces sortes de solennités où l'on
340
GAZETTE MUSICALE DE PARIS.
réunit quelquefois quatre, cinq , et jusqu'à six cents musiciens,
qu'il faut entendre les compositions de ce grand maître; nous
n'avons en Franco aucune idée de l'effet qu'elles produisent.
On peut juger de l'empressement des riches en Angleterre
pour ces magnifiques concerts-monstres , par les recettes de
quatre oratorios le matin ; et de trois concerts le soir; elles se
sont élevées, en quatre jours, à la somme de trois cent qua-
rante mille francs !!!...
+% Suivant le bulletin sur l'acquisition du buste deBoieldieu,
par le ministère de l'intérieur, l'hommage de ce buste a été of-
fert à l'Institut.
+*„ On parle à Rouen d'ériger une statue à Boieldieu.
+% L'un de nos rédacteurs, M. Stœpel a offert, pour un con-
cert au bénéfice des pauvres de Saint-Etienne , et qui aura lieu
le 1er novembre , ses beaux salons de la rue Monsigny,à M. Ju-
les Janin, qui est aussi notre collaborateur et toutes les gran-
des notabilités musicales ont témoigné leur empressement à
concourir à cette bonne action. On cite de M. [iaillot une lettre
pleine de modestie. Nous rapportons textuellement celle qui a
été écrite par Rossiui pour accorder à Rubini et à Tauibunni ,
l'autorisation de paraître à ce concert.
u J'ai fait part, mon cher Jules, à M. Robert, directeur, et
à M. Sévérini, régisseur général du théâtre Italien , de votre
demande. La permission à laquelle vous attachez tant de prix
vous est accordée. M. Robert et M. Sévéïini retiennent quatre
places pour le concert qui aura lieu, comme vous me l'indi-
quez, dans la salle de 51. Stœpel, se réservant le droit de payer
Ces quatre places deux cents francs. Je me charge moi-même
de prévenir Rubini et Tamburini, afin qu'ils se rendent à
leur poste lejour qui sera fixé pour le concert. Je suis très-
heureux d'avoir été l'intermédiaire d'une affaire qui vous ho-
nore autant qu'elle vous intéresse , et surtout , je suis
fier d'y avoir réussi; car, je ne vous dissimule pas que
M. Robert, ayant refusé la même faveur à tout le monde de-
puis qu'il est directeur du théâtre Ita'ieu, il a fallu un motif
aussi puissant- que les malheurs de vos compatriotes, et le dé-
sir de vous obliger personnellement , pour lui faire transiger
avec la loi qu'il avait dû s'imposer. »
Le soir même où il a reçu cette lettre , M. Jules Janin l'a mise
à l'encan au profit de ses pauvres compatriotes. Elle a été ad-
jugée au prix de cent un lianes à M. de Font-Michel , auteur
de la musique du Gitano , représenté avec succès à Marseille.
+% Plusieurs journaux annoncent un opéra fantastique de
M. Auber, intitulé la Fille de L'Air , comme devant être monté
à l'Académie Royale de Musique, après la Juive, de ftj. Ha-
lévy, et la Saint-Barthélémy (titre provisoire), de M. Meyer-
becr, nous pouvons assurer qu'il n'en est pas encore question
rue Lopellctii r.
+% Il y avait foule dimanche dernier au théâtre des Arts, à
Ptouen , où l'on donnait la Dame Blanche, de Boieldieu. Tous
les artistes, portant un crêpe au bras, en signe de deuil, ont
exécuté cet admirable ouvrage avec une grande perfection. Les
écharpes noires que portaient les femmes, les babils de deuil ,
dont s'étaient revêtus tous les musiciens de l'orchestre, prê-
taient un [caractère solennel à cette représentation. A la fin du
dernier acte , le buste de Boieldieu a été apporté sur le théâtre
au milieu de tous les artistes en grand deuil. Une allocution
courte, mais pleine de sentiment et de dignité, a été prononcée
par l'un des acteurs de la troupe, qui a ensuite déposé sur le
front du chantre immortel une couronne de fleurs. Deux au
très epuronnes ont été jetées de la salle, et le rideau s'est
abaissé sur cette scène attendrissante, qui vivra long-temps
dans le souvenir des Rouennais, si justement fiers de compter
Boieldieu parmi leurs compatriotes.
.,,% Le ministère de l'intérieur vient d'acquérir pour deux
mille francs le buste en marbre de Boieldieu par Dantan. Ce
buste est, dit-on, de la plus grande ressemblance.
*x On vient d'accorder à M. Adrien Boieldieu, fils du cé-
lèbre compositeur, une indemnité annuelle de 1200 francs sur
les crédits des beaux-arts.>
*** On assure que l'académie des beaux-arts a décidé qu'on
ajournerait à six mois la nomination du successeur de Boiel-
lieu. ,Cette mesure , hommage rendu à la mémoire d'un si
rand artiste, honore à la fois ceux qui l'ont prise et celui qui
n est l'objet.
grau
en est l'objet
Musique nouvelle,
PubîL'e par Pjccinï.
Marliani. Il Bravo, opéra en deux actes. Morceaux détachés
avec accompagnement de piano.
N° 1 . Cavalina : Reo di Colpe.
2. Duo : Ncl folto délia uotte.
3. Coro : Piu non vedra.
4. Cavatina : Il Gondolier tranquillo.
5. Terzetlino : Cedi a miei prieghi.
6. Canzone : Il fasto e losplendorc.
-j. Duo : No non sperar.
8. Terzetto : Quai sorpresa.
g. Pregfrera : Quando il di fra l'ombre incerto.
10. Duelto : Odiare io non potrei.
1 1 . A ria : Se nella tomba almcno
•12. Coro : Avrem vindétla intera.
13. Aria finale : Sospendete il colpo atroce.
Bruguière. La Fiction.
— Mère et Sœur.
— La Fille du pêcheur.
Duchambge. La Prière au village.
— Le Page.
Lhuillier. La Questionneuse.
— L'Espagnole et son Patron.
31asini. Le Départ de l'Helvétie
4 fr. 5o c.
5fr.
3fr.
4 fr. 5o c.
2 fr. 25 c.
3fr.
6fr.
6fr.
2fr.
5fr.
4 fr. 5o c.
2fr.
4 fr. 5o c.
2fr.
2
2
2
2
2
2
2
Abonnement de Musique
D'UN GENRE NOUVEAU.
pour la MUSIQUE INSTRUMENTALE et pour les PARTITIONS
L'Abonné paiera la somme de 5o fr. ; il recevra pendant
l'année deux morceaux de Musique instrumentale ou une
partition et un morceau de musique , qu'il aura le droit de
changer trois fois par semaine ; et au fur et à mesure qu'il
trouvera un morceau ou une partition qu'il lui plaira, dans le
nombre de ceux qui figurent sur mon Catalogue , il pourra le
garder jusqu'à ce qu'il en ait reçu assez pour égaler la somme
de y5 fr., prix marqké, et que l'on donnera à chaque abonné
pour les 5o francs payés par lui. De cette manière l'ABONNË
aura la facilité de lire autant quebon lui semblera, en dépensane
cinquante francs par année, pour lesquels il conservera pour
n5 fr. de musique.
L'abonnement de six mois est de 3o francs, pour lesquels on
conservera en propriété pour 45 fr. de musique. Pow trois mois
le prix est de 20 fr. : on gardera pour 3o fr. de musique. Eu
province ,on enverra quatre morceaux à la fois. Affranchir.
N. B. Les frais de transport sont au compte de MM. les
Abonnés. — Chaque abonné est tenu d'avoir un Carton
pour porter la musique. (Affranchir.)
Gérant, MAURICE SCHLESINGER
GAZETTE MUSICALE
RÉDIGÉE PAR MM. ADAM, G. E. ANDERS , BERT0N (membre de l'institut), BERLIOZ, CASTIL-BLAZE , A. GUEMER HALÉVY
(professeur de contrepoint au Conservatoire), Jules jahin , liszt, lesueur (membre de l'Institut), j. mainzer marx
(rédacteur de la gazette musicale de berlin), d'ortigue , panofka , richard, j. g. setfried' (maître de chapelle
à Vienne), F. stcepel, etc. , etc. v
N°
£3.
PRIX DE l'abONNEM.
PARIS.
DÉPART.
etrang
fr.
Fr. r.
Fr. c.
3 m. 8
8 75
9 50
6 m. 15
(6 50
18 ..
1 an. 30
53 »
56 )i
£» (gazette fflusitale i>g fîarb
Paraît le DIMANCHE de chaque semaine.
On s'abonne au bureau de la Gazette Musicale de Paris, rue Richelieu, 97;
et chez tous les libraires et marchands de musique de France.
On reçoit les réclamations des personnes qui ont des griefs à exposer, et les avis relatifs à la mnsiqi
qui peuvent intéresser le public.
PARIS. DIMANCHE 26 OCTOBRE IS34.
Les lettres, demandes
et envois d'argent doi-
vent êlre affranchis, et
adressas au Directeur ,
rue Richelieu, 97.
GUILLAUME - TELL ,
Troisième article. — 2e acte.
La toile se lève; nous assistons a une chasse ; les che-
vaux traversent la scène au galop; la fanfare que nous
avions entendue déjà deux ou trois fois dans l'acte pré-
cédent retentit de nouveau, instrumentée autrement, il
est vrai, et liée a un chœur d'un beau caractère, mais
c'est un malheur que celle répétition si fréquente d'un
thème qui par lui-même est assez peu remarquable. La
marche du poème y obligeait le musicien, voilà sa justi-
fication ; pourtant, comme nous l'avons déjà dit , Ros-
sini pouvait obtenir de l'auteur du libretlo une autre
disposition dans l'enchaînement des scènes, de manière
a éviter d'aussi nombreuses chances de monotonie. Il ne
l'a pas fait et s'en est repenti trop tard. Poursuivons. Au
milieu du chœur que nous venons d'indiquer, se trouve
un trait diatonique, exécuté a l'unisson par les cors et
les quatre bassons, d'une énergique originalité, et l'en-
semble du morceau serait entraînant sans le tourment
que causent a l'auditeur doué d'une organisation un peu
délicate, d'innombrables coups de grosse caisse frappés
sur les temps forts, dont l'effet est d'autant plus mal-
heureux qu'il fait ressortir encore des formes rythmi-
ques qui manquent absolument de nouveauté. Je sais
bien que Rosfini répondra à cela : ces formes que vous
méprisez sont précisément celles que le public comprend
le plus aisément ; d'accord , mais si vous professez un si
grand respect pour les habitudes de la foule ignorante ,
vous devez vous borner aux choses les plus communes
en mélodie, en harmonie, en instrumentation. Vous
vous en étez gardé cependant , pourquoi donc alors le
rythme seul serait-il condamné par vous au vulgarisme?
D'ailleurs la critique artiste ne peut ni ne doit faire en-
trer en ligne de compte de semblables considérations.
Suis-je, moi qui m'occupe exclusivement de l'art musi-
cal depuis tant d'années , dans le même cas que l'ama-
teur qui entend tous les trois ou quatre mois un opéra?
mes organes n'ont-ils pas acquis plus de délicatesse que
ceux de l'étudiant qui , chaque dimanche , se délecte à
jouer des duos de flûte? suis-je ignorant comme le mar-
chand de la rue Saint-Denis? en un mot, admettez-vous
en musique le progrès , et dans la critique une qualité
qui la distingue de l'instinct aveugle , le goût et le juge-
ment? vous l'admettez bien certainement. Alors peu im-
porte la facilité plus ou moins grande du public à com-
prendre les 'choses nouvelles ! ceci est une question de
résultats matériels, une question d'industrie, et c'est de
l'art que nous nous occupons. D'ailleurs, le public n'est
pas si stupide qu'on veut bien le croire, a Paris surtout ;
il ne repousse pas les innovations, quand elles lui sont
présentées avec une heureuse franchise; ceux qui lui
sont hostiles, il est presque inutile de les nommer, ce
sont les demi-savans. Non, franchement, de pareilles
raisons sont inadmissibles ; vous avez écrit un rythme
commun, non pas parce que le public n'en eut pas
adopté un autre, mais bien parce que c'est plus facile et
surtout plus tôt fait de répéter ce qui a déjà été si sou-
;/i2
GAZETTE MUSICALE
vent employé , que de chercher des formes plus neuves
et plus distingués.
Le chœur lointain de la cloche semble venir à l'appui
de notre opinion, en contrastant avec le slvle de celui
qui le précède. Ici toutest d'une pureté, d'une fraîcheur
et d'une nouveauté pleines de charmes. La terminaison
du morceau présente même une suite d'accords d'un ef-
fet délicieux, bien que ces harmonies se succèdent dans
un ordre [prohibé par toutes les règles admises depuis
l'origine [des écoles. Je veux parler de l'enchaînement
d'accords parfaits diatoniques par mouvement sembla-
ble, qui se trouve sous le vers quatre fois répété :
« Voici la nuit. »
Il est écrit de la manière la plus incorrecte, au dire des
magister de la science musicale, car les basses sont con-
tinuellement à l'octave des premiers soprani, et par
conséquent aussi toujours a la quinte des seconds. A
l'accord parfait majeur d'ut, succède celui de si naturel
majeur, puis celui de la mineur, et enfin celui de la to-
nique sol. La raison de l'agréable effet résultant de ces
quatre quintes et octaves successives, est d'abord dans
le court silence qui sépare les accords ; silence qui
suffit pour les isoler l'un de l'autre et donner a chaque
son fondamental l'aspect d'une tonique nouvelle; en-
suite dans la couleur naïve du morceau, qui non-seule-
ment autorise, mais rend pittoresque au plus haut de-
gré cette infraction aux ordonnances des anciens. Bee-
thoven avait écrit déjà une semblable progression d'ac-
cords parfaits dans la première partie de la symphonie
héroïque; tout le monde connaît la majestueuse noblesse
de ce passage. Croyez donc à des règles positives en
musique!... A peine l'hymne du soir que nous venons
de citer s'est-il éteint comme un gracieux crépuscule ,
que nous voyons revenir encore la fanfare des cors, et
avec elle l'inévitable pédale sur la dominante :
« Du gouverneur le cor résonne ;
» C'est notre retour qu'il ordonne. »
Ces deux vers sont dits par le chœur et le chef des
chasseurs, en entier sur le si bémol. Les mêmes obser-
vations que nous avons faites plus haut deviennent ici
d'une application plus directe et plus forte... Dès le
morceau suivant, le compositeur prend un essor plus
élevé; c'est un tout autre style. L'entrée en scène de
Mathilde est précédée d'uue longue ritournelle double-
ment intéressante sous le rapport de l'harmonie et de
l'expression dramatique. C'est bien là une passion con-
tenue et cette agitation fébrile qui fait battre le cœur
d'une jeune fille obligée de cacher son amour. Puis vient
un récitatif d'une diction parfaite, supérieurement dia-
logué avec l'orchestre qui reproduit des fra^mens de la
ritournelle. A cette introduction succède la romance
bien connue : « Sombres forets. » Rossini a peu écrit ,
a notre avis, de morceaux aussi élégans, aussi frais,
d'une mélodie aussi distinguée, aussi heureusement
modulés que celui - ci ; outre le mérite immense du
chant et de l'harmonie, on y trouve un mode d'accom-
pagnement dans les altos et les premiers violons plein
de mélancolie , ainsi qu'un effet pianissimo de tim-
balles au commencement de chaque couplet, qui ex-
cite vivement l'attention de l'auditeur. On croit en-
tendre un de ces bruits de la nature , dont la cause
reste inconnue, tels qu'on en remarque par le temps le
plus calme au milieu des bois ; un de ces bruits étran-
ges qui redoublent en nous le sentiment du silence et de
l'isolement. Voilà de la poésie, voila de la musique,
voilà l'art beau noble et pur, tel enfin que ses adora-
teurs voudraient le voir toujours. Ce style se soutient
jusqu'à la fin de l'acte où désormais nous allons mar-
cher de merveille en merveille. Dans le duo entre Ar-
nold et Malthide, si plein de passion chevaleresque,
nous signalerons seulement comme une tache une lon-
gue pédale de cors et trompettes sur le sol, alternative-
ment tonique et dominante , dont l'effet est atroce dans
certains momens. Puis, nous reprocherons au maestro
d'avoir abondé dans le sens des anciens compositeurs
français, qui se seraient crus deshonorés si , quand il
était question de gloire ou de victoire dans les paroles,
ils n'eussent fait entendre aussitôt les trompettes dans
l'orchestre. Ici, Rossini nous a traités comme les dilet-
tanti de 1803, comme les admirateurs de Séda:ne trt de
Monsigny, et dès qu'il a lu dans son libretto :
'c Retournez aux champs de la gloire, *
» Volez à de nouveaux exploits.
» On s'ennoblit par la victoire.
» Le monde approuvera mon choix. »
En avant la fanfare obligée , aura-t-il dit, j'écris pour
des Français. Il nous semble aussi que ce duo fort dé-
veloppé gagnerait à ce que le motif de l'ensemble :
« Dans celle que j'aime. »
ne fut pas répété. Le mouvement de ce passage étant
plus lent que le reste, il s'en suit nécessairement deux
interruptions qui brisent l'élan général et refroidissent la
scène en la prolongeant inutilement. Mais dès ce moment,
jusqu'au dernier accord du second acte, ce défaut ne se
présentera plus. Walter et Guillaume surviennent ;
Mathilde s'enfuit; Arnold reste pour s'entendre amère-
ment reprocher son amour pour la fille des tyrans de
l'Helvétie. Rien de plus beau que ce récitatif, comme
expression et noblesse tant dans les voix que dans l'or-
DE PARIS.
343
chestre. Deux phrases frappent surtout par la vérité de
leur accent, celle de Walter :
« Peut-être plus qu'un autre
« Dois-tu chercher a les connaître. »
Et l'apostrophe de Guillaume :
« Sais-tu bien ce que c'est que d'aimer sa patrie? »
Enfin éclate la tragique ritournelle du trio. Ici, nous
avouons que malgré notre rôle de critique et les obliga-
tions qu'il impose , il nous est imposible de porter la
froide lame du scalpel au cœur de cette sublime créa-
tion. Analyser?... quoi? la passion, le désespoir, les
larmes , les cris d'un fils éperdu apprenant le meurtre
de son père?... Dieu m'en garde ! Faire de mesquines
observations de détails , chicaner l'auteur sur un gru-
petlo, sur un solo de flûte, sur une obscure partie de
second violon? Oh non ; si d'autres s'en sentent le cou-
rage qu'ils le fassent, pour moi il me manque absolu-
ment. Je ne puis que m'écrier comme la foule , beau !
suberbe ! admirable ! déchirant ! . . .
Il faut pourtant que je ménage mes épithètes admira-
tives, car j'en aurai besoin pour le reste de cette acte qui
se soutient presque continuellement a la même hauteur.
L'arrivée des trois cantons a fourni au compositeur l'oc-
casion d'écrire trois morceaux de caractères entièrement
différens. Le premier chœur est d'un style fort et ro-
buste qui nous indique un peuple de laboureurs aux
mains rudes, aux infatigables bras. Au second, d'une
mélodie douce et voilée, on reconnaît les timides pas-
teurs. L'expression de leurs craintes est d'une grâce et
d'une naïveté ravissantes. Ceux du canton d'Uri, les
pécheurs, arrivent en barques sur le lac pendant que
l'orchestre imite aussi bien qu'il soit possible a la mu-
sique instrumentale de le faire, les mouvemens et les
efforts cadencés d'une troupe de rameurs. A peine ces
derniers venus sont ils débarqués, les trois chœurs se
réunissent dans un ensemble syllabique , chanté rapi-
dement à demi-voix, accompagné des instrumens à
cordes pizzicato et de quelques accords sourds des ins-
trumens a vent.
« Guillaume, lu le vois ,
» Trois peuples à la fois
» Sont armés rie leurs droits
» Contre un pouvoir infâme. »
Celte phrase , dite d'abord par le chœur des pêcheurs
et reprise ensuite parles deux autres qui l'entremêlent de
leurs exclamations et de laconiques a parte est d'une
grande vérité dramatique. C'est une foule, dont chaque
individu ému d'espoir et de crainte, à peine a contenir
les sentimens qui l'agitent, où tous veulent parler et
s'interrompent mutuellement. L'exécution de ce coro
parlato est assez difficile, ceci soït dit en |passant pour
excuser un peu les choristes de l'Opéra qui le disent or-
dinairement fort ma1.
Mais Guillaume prend la parole, ils se taisent : « Ar-
rectis auribus adstant. »
11 les anime, il les échauffe, il leur apprend la mort
cruelle de Melctal, leur promet des armes et leur de-
mande enfin directement : « Nous seconderez-vous? »
(Le chœur) : « N'en doutez pas, oui , tous. — Prêts à vain-
» cre? — Oui, tous. — Prêts a mourir? — Oui, tous. »
Alors unissant leur voix, ils jurent d'un ton grave et
solennel au Dieu des rois et des bergers de se soustraire
a l'esclavage et d'exterminer leurs tyrans. Cette gravité
en pareille circonstance, qui eut été absurde s'il se fut
agi de Français ou d'Italiens , est admirable pour un
peuple au sang froid comme le peuple Suisse, dont les
résolutions sont moins soudaines sans manquer cepen-
dant de fermeté ni de force pour les accomplir. Le mou-
vement ne s'anime qu'a la fin, quand Arnold apperce-
vant les premiers rayons du soleil , s'écrie : « Voila le
» jour, pour nous c'est un signal d'allarmes. — (Guil-
» laume.) De victoire! — (Walter.) Quel cri doit y
» répondre? — (Arnold, seul.) Aux armes! — (Ar-
» nold, Guillaume, "Walter ensemble.) Aux armes!
» aux armes ! » Tout le chœur, les personnages , l'or-
chestre et les instrumens de percussion qui n'ont pas été
entendus depuis le commencement de l'acte : « Aux
» armes! » Et toute la masse instrumentale de se pré-
citer comme une avalanche dans un impétueux allegro
sous un dernier et terrible cri de guerre qui s'élance de
toutes ces poitrines frémissantes à l'aurore d'un premier
jour de liberté !
Ah ! c'est sublime. Respirons.
La suite au prochain numéro.
BOIELDIEU.
( SUITE ET FIN.)
Boieldieu arriva donc a Paris dans le courant de l'an-
née i 8 14 .
A cette époque , Nicolo , compositeur fécond et gra-
cieux, réussissait beaucoup à l'Opéra-Comique, et pen-
dant plusieurs années , il s'établit une espèce de lutte
entre ces deux maîtres, au grand profit du théâtre, et a
la grande joie des critiques du temps , bonnes gens que
nos écrivains d'aujourd'hui doivent trouver bien ridi-
cules ; car ils aimaient l' Opéra-Comique, ils le disaient,
ils l'imprimaient, et ils rechercheient avec empresse-
ment l'occasion de travailler pour ce théâtre.
L'année même de son retour à Paris, il fit jouer les
Deux paravents ou Rien de trop , petit opéra sans im-
344
GAZETTE MUSICALE
portance qu'il avait composé en Russie. L'année sui-
vante il écrivit et fit représenter Jean-de-Paris , un de
ses bons ouvrages et un de ses beaux succès; il plaça
dans cet opéra un morceau tiré de son Télémaque. C'est
l'air si connu : Quel plaisir d' être en voyage, chanté
parla princesse de Navarre, et qui, dans Télémaque,
faisait partie du rôle d'Eucharis , que remplissait made-
moiselle Philis.
La Jeune Femme colère , dont nous avons déjà parlé,
suivit de près Jean-de-Paris. Le sujet, l'intrigue, les
caractères de cette comédie étaient peu propres à la mu-
sique. Cependant cet ouvrage a deux morceaux bien re-
marquables et que tous les amateurs de musique con-
naissent et apprécient. Le trio, dans lequel un vieux
serviteur et sa vieille épouse viennent faire leurs adieux
a la jeune femme qui les a chassés , est empreint d'une
sensibilité touchante et comruunicalive. Le quatuor dans
lequel la jeune femme colère et son mari demandent une
clef qu'ils ont perdue, est fait avec beaucoup d'art, et
ces mots : la clef, la clef, sont rendus d'une manière
heureuse et vraie.
On donna, en 1815, le Nouveau Seigneur, un de
ses ouvrages de prédilection . Cet opéra obtint un succès
très-brillant et bien mérité, et c'est à juste titre que
Boieldieu lui assignait une place distinguée parmi ses
compositions. Les mélodies en sont toujours spirituelles,
gracieuses et distinguées; l'instrumentation est partout
élégante et vive. Le Nouveau Seigneur était d'ailleurs
très-bien exécuté , et Martin , comme chanteur et comme
comédien , était excellent dans le rôle principal.
Les années qui suivirent furent tristes pour les arts.
1814, -18-15 et -1816, ne virent presque paraître que
des ouvrages de circonstance, ouvrages bien nommés,
car ils survivent rarement a la circonstance qui les a
commandés. En 1814, on fit une levée en masse; au-
teurs et compositeurs furent convoqués, et Boieldieu
aussi dût prendre les armes ,- c'est-à-dire la plume, con-
tre l'empereur Alexandre, son protecteur et presque son
ami , et dont il ne parlait qu'avec respect et reconnais-
sance.
Boieldieu écrivit donc sa part de Bayarda Mézières,
opéra comique qu'il composa en société avecChérubini,
Catel et Nicolo, tandis que ses confrères Berton, Le-
sueur et Méhul , écrivirent l'Oriflamme, pour l'Acadé-
mie impériale de Musique. Ces opéras renfermaient de
beaux morceaux , qui ne sauvèrent pas l'empire. Pen-
dant son séjour a Paris , Alexandre vit plusieurs fois
Boieldieu; le souverain traita toujours l'artiste avec la
même distinction et la même bienveillance i il l'engagea
plusieurs fois à retourner en Russie , pour qu'il pût , lui
disait-il , achever de gagner sa pension , et il ne lui té-
moigna pas le moindre ressentiment de ce qu'il avait
porté les armes contre lui dans Bajard à Mézières.
Il donna aussi, cette même année -1814, Angëla,
opéra comique en un acte, qu'il avait composé avec ma-
dame Gail, son élève.
En 1816, a l'occasion du mariage du duc de Berry,
il composa Charles de France; et, pour écrire cet ou-
vrage, il s'associa un jeune compositeur encore inconnu,
dont il protégeait ainsi les débuts dans la carrière si dif-
ficile du théâtre. Ce jeune homme, c'était Hérold ! que
la mort vient de frapper aussi, jeune et si riche d'avenir!
Avant Charles de France , il avait donné la Fête du
Village voisin , composition élégante et spirituelle, mais
un peu froide.
Peu d'années après, un des chefs de l'école française,
un des soutiens de ce genre grave et sérieux, de cette
musique que, si j'osais, j'appellerais consulaire, car il
me semble la voir s'avancer fière et mâle , précédée de
licteurs et de faisceaux , Méhul vint à mourir...
Méhul laissait une place vacante à l'Institut. Boiel-
dieu , Nicolo , pouvaient seuls prétendre à le rempla-
cer. L'élection fut vivement disputée; Boieldieu l'em-
porta, et, pour célébrer dignement sa nomination, il
donna en 1819 un de ses plus beaux opéras, le Petit
Chaperon Rouge, dont le succès fut immense.
L'année suivante, il refit presque entièrement pour la
scène française un de ses opéras représentés en Russie ,
les Voitures versées. Cet ouvrage eut une destinée pa-
reille a celle de ma Tante Aurore ; sifïïée en trois actes,
cette pièce se releva en deux actes, jouit d'une écla-
tante faveur, et resta depuis lors au courant du réper-
toire.
Il fit encore après deux ouvrages de circonstance,
Blanche de Provence, pour la naissance du duc de Bor-
deaux, en 1821 , avec Chérubini , Berton, Kreutzer et
Paè'r, et en 1825 , pour le sacre de Charles X, Phara-
mond, avec Berton et Kreutzer.
Pharamond précéda de peu de temps son avant-der-
nier opéra et son chef-d'œuvre, celui de tous ses ouvra-
ges qui eut le plus d'éclat et de retentissement, et que
l'orgueilleuse Italie elle-même applaudit encore, la
Dame Blanche enfin, représentée le 10 décembre 1 825,
et qui , traduite dans toutes les langues , a été exécutée
sur tous les théâtres de l'Europe.
Les Deux Nuits terminèrent la carrière musicale
si brillante et si bien remplie de cet illustre et fécond
compositeur.
A partir cette époque (20 mai 1829) , attaqué d'une
phthisie laryngée, Boieldieu cessa d'écrire. La maladie,
DE PARIS.
345
les souffrances, détruisaient lentement cette organisation
si fine et si délicate. Il voyagea, il essaya l'air doux et
tiède de la Provence, de l'Italie; il alla, dans les Pyré-
nées, chercher des bains, des eaux, dont il avait déjà
éprouvé le salutaire effet; mais ce fut en vain ; la mort
l'avait déjà marqué. Il revint a Jarcy, c'était sa maison
de campagne, son jardin, qu'il avait dessiné, qu'il ai-
mait comme il aimait sa ville natale, sa ville de Rouen,
dont il parlait sans cesse, Il est mort le 8 de ce mois ,
entouré de sa famille, dans les bras de sa femme, de son
fils Adrien, a qui il lègue toute la gloire de son nom,
le plus bel héritage qu'un père puisse laisser à ses en-
fans!
Ses funérailles ont eu lieu a Paris le 13 octobre. Il a
eu pour cortège tout ce que Paris renferme d'hommes
distingués; et pour dernier adieu, sous les voûtes
d'une grande et noble église, le Requiem de Chérnbini !
Boieldieu a laissé vingt opéras; deux, Tëlemaque et
Aline ne sont pas connus en France, où ils n'ont jamais
été réprésentés ni publiés.
La musique de Boieldieu est toujours élégante. La dis-
tinction, la grâce, la douceur, qui faisaient le fonds de
son caractère, se retrouvent dans tous ses ouvrages. Sa
musique est bonne, elle fait aimer l'homme qui l'a pensée
et écrite; elle est coquette, elle cherche a plaire.
Arrivé h Paris pendant la période énergique musicale
qui vît paraître les beaux ouvrages de ses contemporains,
Boieldieu sentit le besoin de donner a son style la force
et la gravité dont ses émules et ses rivaux avaient em-
preint leurs compositions; mais il y a lieu de croire que,
sans ces circonstances, il eût appartenu plus long-temps
a l'école purement mélodique de Paèsiello et de Cimarosa.
Ses élèves les plus distingués [sont MM. Adolphe
Adam et Labarre. Comme professeur de piano, il a
compté dans sa classe MM. Fétis et Zimmerman.
Tous ses confrères l'aimaient et l'ont pleuré. MM. Ché-
rnbini, Berton, Lesueivr., Mayerbeer, Auber, Rossini,
Paér, Caraffa, etc., sont venus lui rendre un triste et
dernier hommage. Les jeunes compositeurs portaient le
deuil d'un maître et d'un ami. Son cœur sera porté a
Rouen. Son corps est au cimetière du Père Laclutise,
cette vaste nécropole de tant d'hommes illustres; car
dès qu'un homme se distingue en France, il accourt a
Paris; mais Paris est avare, il ne lâche point sa proie,
il ne la rend qu'a la terre. F. H.
THEATRE ITALIEN.
Encore la Gazza Ladra , la Straniera, il Barbiere di Sii'i-
glia, encore il Pirata! pourquoi pas? voilà six mois bien
comptés que nous sommes privés de ces ouvrages, et beau-
coup d'étrangers arrivés depuis peu de temps à Paris ne les
ont jamais entendus. Lablache, Tamburini, Santini, trio de
basses unique au inonde, figurent dans cet opéra ; mademoi-
selle Grisi, Ivanoflo ténor, Tenu tout exprès de Russie pour
achever son éducation musicale en si bonne compagnie, tien-
nent les autres parties principales, et certes une semblable exé-
cution a du faire éprouver de nouvelles jouissances aux fidèles
habitués qui seraient en droit de regarder la Gazza Ladra
comme une vieille pièce. Quatre représentations diatoniques
ou consécutives, si vous l'aimez mieux, quatre recettes aussi
abondantes qu'elles peuvent l'être l'ont démontré.
La compagnie italienne est riche , nombreuse , brillante ; elle
a son côté faible pourtant. Si nous la divisons en deux batail-
lons , si nous inscrivons sur leurs enseignes : côté des hommes,
coté des femmes , ainsi que cela se pratique au Conservatoire
de Musique, aux bains du Pont-Neuf comme aux bains Chi-
nois, on verra clairement qu'au Théâtre-Italien
Du coté de la barbe est la loute-puissancc.
Rubini, Tamburini, sont des voisins très-incommodes pour
une prima donna , quand il ont fait merveille dans leur cava-
line , dans leur duo , qu'ils ont porté l'enthousiasme à son der-
nier dejré , qu'ils ont fait rafle debravos et d'applaudissemens;
il faut nécessairement que le public fasse un effort et se cotise
pour offrir encore une part satisfaisante à la prima donna. Il
est vrai que le chevalier Rubini rivalise en galanterie avec les
chevaliers frauçais et veut bien placer quelquefois à la fin de la
pièce la cavatine qui doit exciter les transports les plus animés .
la bombe éclate alors et ne peut éclabousser personne , la can-
tatrice a terminé sa harangue. Mademoiselle Grisi seule paraît
sans trop de désavantage à côté des trois colosses du chant.
Madame Finlc-Lohr n'a point réussi dans ses premiers débuts
par la Straniera, la romance qu'elle a dite avant d'entrer en
scène avait déjà indisposé le public. La voix de la débutante
est d'un timbre désagréable, et celte romance lancée à toute
force de poumons ne venait pas d'assez loin pour être modifiée
par les lois de l'acoustique. Le rôle d'Alaïde est écrit dans des
cordes fort élevées et criard ; il faut chanter un trio fort long,
assez mal bâti, avec Rubini et Tamburini, l'épreuve est cruelle
pour une chanteuse médiocre.
Mademoiselle Brambilla doit se reontrer incessamment; elle
a choisi le rôle d'Arsace dans Sémiramide. Une cantatrice du
même nom est depuis long-temps connue en Italie; elle a chanté
pendant plusieurs années à Madrid; notre Brambrilla n'a de
commun avec elle que le nom; aucun lien de parenté ne les
unit. Je ne pourrai parler de ce nouvel Arsace que quand il
se sera fait connaître à Babvlc comme à Paris. Un autre Arsace
nous est promis ; quelle que soit la destinée de mademoiselle
Brambilla; que cette virtuose suive la marche ascendante de
inademoiselle Julia Grisi, ou qu'elle s'accroche en chemin sur
les pas de madame Finie Lohr, nous avons la certitude de voir
débuter dans ce rôle capital mademoiselle Ida-Bertrand, élève
de Bordoguict de Paër. Cette très-jeune virtuose s'est fait re-
marquer déjà dans les concerts comme cantatrice , et si Nourrit
lui a donné des soins pour la déclamation et le jeu de la scène ,
c'est pour modérer la fougue dramatique de ce talent précoce.
Nous avons une belle et bonne Sémiramide , nous 'possédons
un , deux, trois Assur prêts à conspirer contre elle; la fourni-
ture des Arsace est doublement préparée; Sémiramide ne sac-
rait défaillir. Nous comptons sur Profeti pour nous dire Belo ,
366
GAZETTE MUSICALE
gran nume t'intesi , commençant en fa majeur tt se reposant
sur le ré bémol. Il est déjà tout prêt à se coiffer de la mitre
polironiforrne d'Oroë.
// Matrimonio Segretto , soutenu par Lablache, Rubini,
Tamburini, mademoiselle Grisi, -va triompher d'une manière
ravissante. On faisait répéter le fameux duo des deux basses.
Cette fois Tamburini chantant la partie du comte Robinsone ,
on voudra l'entendre au moins une fois de plus. La prova
d'un Opéra séria nous promet des divertissemens d'une folle
gaîté tous les jours où la tragédie ne devra pas nous arracher
des larmes. Trois nouveautés établies tout exprès pour notre
théâtre italien défileront en six mois : Ernani, I Puritani ,
Maria Stuart, de Gabussi, de Belliui, de Donizelti, soyez
surpris après cela que les dileltanti aient déjà retenu toutes les
Wes! P.P. P.
Correspondance particulière.
Vienne, 27 septembre 1834.
J'éprouve le regret de vous dire que Hummel vient de n'ob-
tenir ici qu'un assez pâle succès, tant pour sa manière déjouer
que pour ses compositions nouvelles. On ne pouvait eu vérité
se défendre d'un sentiment pénible en voyant un homme si
célèbre , jouissant d'une fortune considérable et d'une gloire
immense , venir, mu vraisemblablement par l'amour du gain ,
compromettre et sa gloire et ses intérêts, au lieu de se reposer
tranquillement sur ses lauriers, comme il pourrait le faire si
aisément. Assurément la ville de Vienne reconnaît hautement
les services qu'il a su rendre à une époque maintenant loin de
nous; personne n'ignore que , dans le temps de sa gloire,
Hummel ne connaissait point de rival : mais ce qu'on sait aussi,
c'est qu'aujourd'hui le premier pianiste d'une capitale trouve
un antagoniste dans la capitale voisine. Hummel trouva l'étude
du piano encore assez peu avancée , et par sa découverte de
difficultés techniques presque entièrement inconnues avant
lui, ainsi que par le style grandiose des compositions qu'il sut
Créer , il é eva le piano au rang des iustrumens de concerts ; il
a exercé une heureuse influence sur les pianistes tant par les
leçons directes que par la publication de sa méthode. Tout cela
on le reconnaît pleinement. Hummel a su en tirer un assez
grand profit , ici comme à l'étranger ; et je repousse donc avec
force, au nom des habitans de Vienne , toute espèce de repro-
che d'ingratitude. Malheureusement, son calme dans les passa-
ges les plus difficiles, ce calme que l'on regardait autrefois
comme le comble de l'art, et que l'on offrait comme exemple
à tous les élèves , aujourd'hui les approches de la vieillesse
l'ont fait dégénérer en une espèce de flegme, qui laisse les audi-
teurs d'autant plus froids que t 'exécution poétique des vir-
tuoses modernes nous a donné l'habitude de voir suppléer à la
sécheresse de son du piano par le feu de l'exécution, par les
nuances les plus variées , et enfin par l'emploi des ressources
diverses qui font paraître cet instrument dans tout son charme
et toute sa puissance. Ou a remarqué aussi avec peine que dans
ses traits chromatiques, Hummel fit usage des pédales, ce qui
ne lui arrivait presque jamais autrefois, même dans des passages
où l'on aurait pu regarder comme beaucoup plus convenable
l'emploi de ces pédales. La pédale una corda , adoptée avec
tant de succès par Moschelès , Chopin , Mendelsohn et Thal-
berg, est aussi une ressource qui manque entièrement à Hum-
mel. C'est en outre un point incontestable que la nouvelle mé-
thode italienne de chant a étendu sa bienfaisante influence
jusqne sur la musique instrumentale , qu'elle' a introduit plu-
sieurs changemens qui , bien que peu nombreux en apparence,
n'en sont pas moins très importans pour le goût et l'effet ; tels
sont par exemple : l'appoggiature exécutée plus lentement et
avec plus de goût ; la cadence (dont une exécution vieillie rap-
pellerait le maître d'école de 1770); le portamento ; le trille
plus coquet et plus élégant, commencé avec lenteur, enflé avec
une percussion toujours plus rapide, et terminé en mourant;
cette autre nuance si riche d'effet "du diminuendo e rallen-
tando, une exécution libre et dégagée ; la percussion marquée
et capricieuse de quelques notes détachées et importantes ; enfin
le feu de l'exécution. Notre oreille ainsi habituée ne pouvaij
plusse plaire à des traits surannés. Hummel a joué un nouveau
concerto, le cor enchanté, d'Obéron (fantaisie), un nouveau
rondo (le Retour de Londres), l'ancien concerto en la bémol
majeur, et, de plus , il a improvisé deux fois. Il a conservé
toute son ancienne supériorité lorsqu'il se livre à son imagina-
tion, et c'est avec le plus vif plaisir que je me vois à même de
lui payer sous ce rapport un juste tribut d'éloges ; et pourtant,
dans la stricte acception du mot , ce qu'il a joué ne peut s'appe-
ler produit de l'imagination , mais seulemeïit improvisation
libre. En effet, l'imagination est un don céleste ; c'est une fille
du génie qui daigne rarement se révéler à nous à heure fixe
pour que nous puissions librement nous parer de ses charmes.
Elle peut, il est vrai, exprimer les émotions d'un cœur pro-
fondément touché ou les inspirations de l'enthousiasme; mais
comment espérer la trouver chez un donneur de concerts que
peuvent accabler la crainte , la vanité , l'ambition , l'amour du
gain, le chagrin ou l'épuisement, et dont la disposition man-
que par conséquent de la couleur poétique qui lui serait né-
cessaire. La plupart des improvisations reposent sur une con-
naissance technique des formes , sur une pratique précoce qui
assurent 'pour toujours les moyens mécaniques, sans qu'il soit
besoin d'avoir recours à l'œuvre de Czerni ( l'Art d'improviser
sur le piano). L'improvisation sur un thème donné dépend le
plus souvent d'une mémoire suffisante , plus encore de la rou-
tine et de la connaissance intime comme de la pratique, pour
ainsi dire instinctive, des figures musicales, conditions au
moyen desquelles il devient facile de lier enlr'elles les notes
saillantes du thème ; et dont tout pianiste exercé se sentira
d'autant moius gêné qu'il y trouvera un frein salutaire à la
vitesse souvent imolontaire de ses doigts. Certes j'aimerais à
surprendre en secret les inspirations du génie lorsque livré à la
solitude et affecté par quelque émotion profonde , il s'aban-
donne à uue véritable improvisation. Mozart, Schubert, fle-
ber, Moschelès, Mendelsohn, Chopin, doivent sans aucun
doute avoir plus d'une fois traduit musicalement l'expression
de.leurs peines ou de leurs joies ; ne doit-il pas en être Je même
de notre Bocklet qui voit aujourd'hui son ancienne popularité
écrasée par les succès toujours croissans de Tlialberg? n'est-q
pas certain qu'il cherchera desadoucissemensà sa douleur dans
l'improvisation où il est si habile, tandis qu'au contraire, mal-
gré la faveur dont il a été comblé précédemment , son jeO est
trop souvent défectueux? Bocklet sent assurément d'une ma-
nière intime l'esprit des compositions qu'il doit exécuter , mais
ses moyens techniques sont tiop faibles , et d'ailleurs le mau-
vais état de sa santé ne lui laisse pas assez de vigueur pour
qu'il puisse faire passer par ses doigts les sentimens qu'il
DE PABIS.
34;
éprouvé sans, aucun doute. Tbalberg , au contraire , Thalberg
chante, il déclame, il s'abandonne à tous les charmes de la
coquetterie, et il sait tirer de son instrument les sons les plus
enchanteurs. C'est principalement à l'expression des chanls
qu'il s'attache , et, doué lui-même d'une jolie voix, il la cultive
avec le plus grand soin. Lorsqu'il joue au piano le thème : la
Ci darem la mano , on ne peut s'empêcher de croire entendre
chanter le même air ; les sons enflés, la passion intime et l'es-
prit des paroles, la résistance apparente deZerline, sa défaite
prochaine, le piano exprime tout cela comme le ferait la voix
la plus dramatique. Ce morceau seul suffit pour ranger Thal-
berg parmi les plus grands maîlres. Maintenant figurez-vous
un arlisle qui , à un talent mécanique le plus prodigieux et le
plus achevé, joint encore une grâce incomparable et un calme
parfait dans le corps comme dans les doigts, représentez-vous
cet artiste doué d'un extérieur noble et séduisant , aussi distin-
gué au physique que par ses facultés intellectuelles , gratifiez-le
de plus d'une position sociale entièrement indépendante , et
vous aurez encore peine à vous faire une juste idée del'enthou-
siasme qui accompagne chacune de ses séances. C'est à lui que
le piano est redevable d'avoir repris faveur dans les salons ,
dont il a été presque exilé ainsi que toute musique instrumen-
tale, par le chant, qui avait tout envahi. Les compositions de
M. Thalberg se distinguent assurément avec avantage des œu-
vres de Herz, Czerny, Chanlicu et consorts , et ont principale-
ment pour but de ramener le public sur lequel il exerce une
influence extraordinaire , au goût de la musique sévère ; aussi
a-t-il soin de choisir des morceaux savans, qu'il sait faire va-
loir par son inimitable exécution, pour habituer à un mieux
progressif le public qu'on a gâté par tant de mauvaise musique.
Il eut|, cet été , le malheur de cracher le sang; j'aurais voulu
que vous fussiez témoin du touchant intérêt qu'il a générale-
ment inspiré ; partout on s'entretenait de sa maladie comme
d'un événement public; chaque jour l'élite de la société venait
prendre des informations sur sa santé , et , après son rétablis-
sement , le jour où il a reparu pour la première fois, lia reçu
de l'assemblée l'accueil le plus empressé et le plus cordial. On
espère qu'il va se rendre incessamment à Paris, et, malgré les
exigences que doit naturellement faire naître un jugement
aussi favorable que le mien , c'est avec la plus ferme confiance
que j'attends la confirmation de mon panégyrique , si même on
ne trouve pas qu'il a été trop faible.
Au mois de mars de l'année prochaine , nous devons avoir
une troupe italienne dans laquelle on sejlatte de compter Ru-
bini, Donzelii ; mesdames Grisi et Malibran avec d'autres ar-
tistes distingués. Cette entreprise , garantie d'avance par le
beau monde, aurait dit-on pour but , outre le plaisir qu'on en
attend, de servir d'acte d'opposition contre l'ennuyeux réper-
toire de Duport, et elle doit s'établir dans les commence-
mens au théâtre de Joseph-Stadt. Cependant cette petite salle
ne saurait contenir qu'un fort petit nombre d'auditeurs et les
recettes resteraient inférieures aux dépenses ; peut-être en
outre, ces héros du chant feraient-ils difficulté de paraître sur
un misérable théâtre de faubourg et enfin on prétend que , de
son côté, Duport a fait des propositions par suite desquelles
on aurait définitivement choisi le théâtre de la porte de
Carinthie.
Nous avons vu le Pré aux Clercs , et cet ouvrage , quoique
supérieurement exécuté par les chœurs et par l'orchestre, n'a
produit presqu'aucun elfet à cause de la mesquinerie de la mise
en scène. Les Deux Nuits, de votre Boyeldieu, ont procuré
un vif plaisir aux connaisseurs qui se voient malheureusement
dans la fâcheuse position d'être obligés de lutter contre le goût
du public , et même de s'en tenir à une opposition directe.
L'engouement pour les valses fait ici de si terribles progrès
que le goût de la bonne musique en est presque entièrement
anéanti. Comme on m'assure que l'usage des concerts en plein
air s'est aussi établi chez vous , je ne puis que recommander, à
vous comme au public parisien , de ne jouir de ce plaisir qu'a-
vec la plus grande retenue. La valse, avec ses douces mélodies,
son allure frétillante et son rythme si cadencé , représente vé-
ritablement en musique l'usage des excitans dans la vie ordi-
naire; or, la médecine et l'esthétique doivent vous apprendre
que l'usage immodéré des excitans est mortel pour l'esprit
comme pour le corps. Vienne, nous en offre aujourd'hui un
déplorable exemple. Vienne, le bereeau de la musique, Vienne
ou Gluck, Mozart, Haydn, Beethoven, Weigl, Hummel,
Moschelès, et mille autres, ont élevé leur grandeur, où les pre-
miers chanteurs du inonde ont célébré leurs triomphes, cette
ville où au théâtre, à l'église, dans les salons, on entendait
partout les accords d'une musiquenoble, sublime et puissante,
Vienne est aujourd'hui sous le joug des Strauss et des Luuner.
Les soirées de ces musiciens sont fréquentées pa;- la société la
plus distinguée , et c'est à peine si les marchands de musique
osent offrir à leurs chalands autre chose que des compositions
analogues à celles de ces deux hommes. L'effet tout matériel
produit par celte espèce de musique est suffisamment constaté
par le grand nombre de dames qui s'empressent à ver.ir l'en-
tendre; le cercle de ceux dont le goût est resté pur va toujours
en' se rétrécissant, et le pis est que rarement il s'élève une voix
puissante pour s'opposer à ce débordement. Nous avons pour-
tant l'espérance de voir bientôt le torrent rentrer dans ses li-
mites, et l'illusion du public se dissiper.
Malgré ce fâcheux état de choses, Roberl-le-Diable, de
Meyerbeer , se soutient toujours avec succès. Breiting ( Ro-
bert) est vraiment un ehanteur qui fait chaque jour de nou-
veaux pas jvers la perfection. Staudigel (Bertram) est doué
d'une voix merveilleuse; il est assurément la première basse
de l'Allemagne, et madame Emst est une chanteuse à roula-
des du premier mérite. Le talent de ces artistes , réuni au génie
du compositeur , assure pour long-temps à cet ouvrage un suc-
cès brillant et durable.
La Chiaradi Rosenberg,àc Ricci, n'a offert rien d'intéres-
sant si ce n'est un duo comique et un trio. Le Serment, au
contraire, a beaucoup réussi au théâtre de Joseph-Stadt, et
malgré les ressources très-bornées de ce théâtre, on a fort
applaudi l'exécution dirigée avec le plus grand talent par le
maître de chapelle Conradin Kreutzer. Le directeur du théâ-
tre Royal, Duport, vient de mettre cet opéra à l'étude, et
presse les répétitions avec activité.
Les attaques de Henri Herz et de ses imprudens amis con-
tre le gérant de la Gazette Musicale, ont excité ici l'intérêt gé-
néral, et je ne pense pas avoir besoin d'ajouter que Cet intérêt
se concentrait sur vous seul, car c'est vraiment folie de vouloir
employer la force et la violence pour contredire un jugement
juste et confirmé depuis long-temps par l'assentiment de tous
les musiciens. J'avoue que tout le inonde ne peut pas sentir
d'après les règles de l'esthétique ; j'ajoute même qu'il ne doit
pas en être ainsi, car dans ce cas, le musicien et le critique
34,8
GAZETTE MUSICALE DE PARIS.
qui, à une manière de sentir vraie, joindraient des études
consciencieuses , se trouveraient n'avoir aucun avantage sur la
masse du public. S'il arrive à un musicien d'être bien inspiré
par le hasard , et de produire à son insu quelques idées heu-
reuses , il ne lui sera pas plus permis de s'en glorifier qu'il ne
serait permis à un homme qui aurait gagné un numéro à la
loterie d'attribuer le choix de son numéro à la puissance de ses
facultés intellectuelles. Un tel musicien doit jouir de son bon-
heur dans un modeste silence, et réserver son courage pour la
mauvaise fortune. Puisqu'il tire des avantages pécuniaires de
l'heureux hasard qui l'a favorisé, qu'il sache se borner là, et
qu'il ne vienne pas ambitionner une gloire qui ne lui appar-
tient fpas. Que M. Herz ait emprunté aux compositions de
Hummel , Ries , Kalkbrenner , et surtout de liloschelès beau-
coup de passages (ce n'est pas ce qu'il y a de plus mal dans ses
œuvres), et qu'il les ait habillées de formes italiennes moder-
nes qui, à tout prendre, ne sont pas de son invention , c'est
ce qui a été dit assez souvent en Allemagne ; et parce que la
critique fatiguée de répéter toujours le même reproche a eu le
tort impardonnable de se taire un moment, et par cela même
d'augmenter le mal , M. Herz se croit offensé lorsque quel-
qu'un vient lui dire la vérité ! Je ne veux cependant pas lui
contester toute espèce de mérite; ses études contiennent plu-
sieurs excellens 'exereices pour les doigts ; il ne manque pas
non plus de goût , et il semble avoir été créé tout exprès pour
un public sans prétention. Après tout, peut-on c-mser avec
tout le monde sur des sujets savans, esthétiques , intéressans,
qui présupposent le sentiment et la réflexion? Combien d'hom-
mes ne seraient pas condamnés à un éternel silence s'il fallait
retrancher de leur vocabulaire : Comment vous portez-vous ?
avez-vous hien dormi? ou bien, aimez-vous la bonne chère,
le bon vin ? et autres phrases analogues. Les compositions de
Herz contiennent des choees tout aussi intéressantes , tout aussi
indispensables à ce genre de public dont nous parlons , et l'on
y trouve parfois des jongleries techniques , triste résultat
d'une pratique vide d'idées, et plus propre à intéresser l'œil
qu'à charmer l'oreille. Je ne conseille pas à M. Herz de venir
à Vienne avec de telles prétentions. La salle de concert ne réus-
sirait que difficilement à couvrir les fiais de voyage, et son or-
gueil ne saurait manquer d'être froissé par la rareté des ap-
plaudissemens. Tout au contraire, je pense qu'il doit être le
très-bien venu dans beaucoup de soirées dansantes, s'il y joue
ses quadrilles et ses galops.
Il se prépare ici une grande fête mnsicale à laquelle doivent
prendre part 600 musiciens 'environ , et destinée, suivant le
programme, à opposer une digue à la tendance si frivole de la
musique nouvelle. On doit, le 6 et le 9 novembre , exécuter
l'oratorio de Haendel Belizard , nouvellement instrumenté par
Mosel. A.Z.
NOUVELLES.
^ La \ 1 ]e représentation de Roberl-le-Diable a été une
des plus brillantes. Tout ce que Paris renferme de plus à la
mode s'était donné rendez-vous à 1 Opéra; madame Damo-
reau reparaissait après une assez longue maladie, et son émo-
tion, sans rien ôter à l'admirable jusiesse de son chant , an-
nonçait cependant un peu d'affaiblissement dans sa voix. Quant
à Levasseur qui n'avait pas joué depuis trois mois le rôle de
Bertram, il a paru sublime. Nous devons des éloges à madame
Dorus-Gras dont le double talent d'actrice et de chanteuse
grandit tous les jours. Le trio a produit un effet tel que Levas-
seur, Nourrit et madame Dorus ont été redemandés à grands
cris après la représentation. La recette a dépassé g ,000 francs.
*^ Aujourd'hui dimanche l'Opéra donne une représenta-
tion extraordinaire composés de la Tempête, du 1° acte de
Guillaume-Tell , et du deuxième acte du ballet-opéra de la
Tentation. L'orchestre exécutera la fameuse ouverture du
Freischutz de Weber.
+% Toujours foule au thàtre Nautique. Nous garantissons
cent représentations à ce ballet dont nous parlerons plus au
long dans notre prochain numéro.
+*+ La foule se porte à toutes les représentations des Bouffes.
Quel que soit l'ouvrage que l'on nous donne. 'Lenthousiasme
des ddettanti est tel , que sans courir aucun danger , l'admi-
nistration de ce théâtre pourrait faire lithographier l'affiche.
Aujourd'hui théâtre italien: et pendant toute la saison le
monde fashionable de Paris ne manquera à la salle Favart.
±* Madame Pasta vient de faire fiasco à Bologne. La Norma,
le chef-d'œuvre de Bellini , et il y a peu d'années le triomphe
de cette cantatrice, lui a causé celte mésavanture. Se retirer du
théâtre , c'est un bon conseil à donner à un aussi admirable ta-
lent : Madame Pasta arrivée à sa maturité doit jouir des fruits
de ses peines ; elle possède les terres les plus belles , et envi-
ron 60,000 livres de rentes.
* Il parait certain que MM. Robert et Severini , directeurs
du théâtre royal Italien , vont obtenir pour six ans, la direction
de l'Opéra de Londres.
+* Le marchand jorain nommé Valentin , pendant les répé-
titions , se montrera la semaine prochaine à i'Opéra-Comique ,
Le Libretto , est, dit-on, fort intéressant et offre de situations
neuves et dramatique. Quant à la musique elle est due à un
jeune compositeur : il faut l'entendre avant de ne rien pré-
juger.
* La Somnambula, reprise jeudi dernier, a fait le plus
grand plaisir. Rubini a chanté d'une manière ravissante, et
mademoiselle Grisi l'a parfaitement secondé.
%La huitième représentation de la Tempête, accompagnée
parla ravissante Fanny Elssler, a lieu aujourd'hui dimanche
Ce fait équivaut à un aveu de la part du directeur.
„% Le Chalet continue ses succès à l'opéra-comique : In-
chindi y est maintenant parfaitement impalronisé, et ce théâ-
tre possède en lui une des meilleures oasse- tailles.
+% Mademoiselle Francilla Pixis a obtenu un brillant succès
à Francfort; elle a chanté le 3e acle d'Othello en italien, et
quatre morceaux , dans un concert donné au grand théâtre de
cette ville.
+*t Le conseil municipal de Rouen a envoyé une députation
de trois de ses membres à Paris, pour aller chercher le cœur
de Boïeldieu, que la veuve du célèbre compositeur a accordé à
la ville de Rouen. Ce sont MM. Henri Barbot, Blanche et Le-
gentil qui ont été désignés pour remplir celte mission. Le cœur
de Boïeldieu sera déposé dans le cimetière Monumental, où une
colonne sera élevée aux frais de la ville. Le conseil a voté pour
cet objet une somme de 12,000 francs. Il a été eu outre décidé
que la promenade désignée jusqu'ici sous le nom de Pelite-Pro-
vence, serait désormais appelée cours-Boieldieu.
* Le magasin de musique de M. Troupenas vient d'être
acireté 300,000 francs par M. Deloi, libraire éditeur de la
France Pittoresque.
*. Nous recommandons avec satisfaction l'établissement
pour la location de pianos, que 51. Ferry de Boulogne, vient de
former à Paris, rue de Bichelieu, n° ï00. On truuve dans ses
magasins , des pianos neufs des meilleurs (acteurs de Paris, tel
que de MM. Pape , Pleyel , Pelzold . Pfeiffer, Wetzels, Klepfer,
etc.-, lesprix de location sont modérés. Un établissement de
ce genre ne peut manquer de réussir.
* On vient d'engager à I'Opéra-Comique M. Riquier, ac-
teur qui sort du théâtre de Lille.
* L'opéra ch'-nois que promettent MM. Scribe et Auber,
aura , dit-on, pour titre : le Chenal de Bronze.
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paris. — Imprimerie il'EVERAT, rue da Cadran
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(professeur de coulrepoint au Conservatoire), Jules janin , liszt, lesueur (membre de l'Institut), j. mainzer, marx
(rédacteur de la gazette musicale de berlin), d'ortigue , panofka , richard, j. g. seyfried (maître de chapelle
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GUILLAUME -TELL,
4e article. — 3e et 4P acte.
Nous avons laissé Arnold au désespoir, ne respirant
que guerre et que vengeance. La mort de son père lui
imposant de nouveaux devoirs, l'arrache brusquement
au charme qui l'eût entraîné peu a peu jusque dans les
rangs des ennemis de son pays. Plein de sinistres pen-
sées , ses paroles a Mathilde au commencement de l'acte
suivant, décèlent une sombre et farouche préoccupation.
« Je reste pour vtnger mon père. —
» Qu'espérez-vous? — C'est du sang que j'espère;
» Je renonce aux faveurs duj>orl;
» Je renonce à tout ce que j'aime ,
u A la gloire, à vous-même... —
)> A moi, Melctal? — Mon père est mort. »
L'expression de ces sentimens tumultueux règne dans
toute la longue ritournelle qui précède et prépare l'en-
trée en scène des deux amans. Après un court mais éner-
gique récitatif, où nous retrouvons encore une phrase de
cinq mesures dite en entier par Arnold sur une seule note
le niî'j commence le grand air Agitato de Mathilde. Ce
morceau n'est pas a son début, aussi heureux dans le
choix des mélodies et dans le sentiment dramatique que
nous le trouvons a la fin. Il semble que le compositeur
l'ait commencé de sang-froid et se soit animé peu à peu a
mesure qu'il se pénétrait de son sujet. La première phrase
est ce que nous pourrions appeler une phrase a compar-
titnens ; elle est de la famille innombrable des mélodies
de huit mesures , dont quatre sur l'accord de la tonique
et autant sur celui de le dominante, comme celles qui
se trouvent au commencement de presque tous les con-
certos de Viotti, de Rode, de Kreutzer et de leurs imita-
teurs. Ce style qui se laisse deviner de fort loin aurait
du, ce me semble, être abandonné définitivement par
Rossini dans la composition de son dernier et peut être
de son plus important ouvrage. En outre , les deux vers
qui suivent :
« Dans ma cour quelle solitude .'
» Tu ne seras plus près de moi. »
sont loin d'avoir été rendus en musique avec la sensibi-
lité qu'ils exigent impérieusement. C'est glacial et com-
mun, malgré une instrumentation qui pourrait être moins
tourmentée dans sa richesse surabondante. Comme pour
faire oublier ce début tant soit peu scolastique, la péro-
raison est admirable d'originalité , de grâce et de senti-
ment. L'imagination la plus exigeante ne saurait deman-
der au compositeur des accens plus vrais ni plus nobles,
quand il fait dire a Mathilde avec un mélancolique
abandon :
« Sur la rive étrangère
» Si je ne puis à ta misère
» Offrir mes soins consolateurs,
» Mon âme te suit tout entière;
» Elle est fidèle à tes malheurs. »
Nous ne sommes pas aussi satisfaits de l'ensemble h
deux voix qui termine la scène. Il devait être déchirant
comme l'adieu de deux amans qui se séparent pour ne
350
GAZETTE MUSICALE
plus se revoir; il n'est, à part la vocalise chromatique
de Mathilde sur le mot Melcthal, que brillant et sur-
chargéd'instrumens à vent, sans oppositions ni contrastes.
Malgré cela , il est fort à regretter, ne fût ce qu'à cause
des beaux élans d'inspiration que nous avons signalés ,
que cette scène soit aujourd'hui entièrement supprimée
a la représentation. L'acte commence à présent parle j un opéra italien , bien italien, mais dans une conception
chœur des soldats de Gésier, célébrant d'une façon rude : comme Guillaume Tell, où la raison a droit de cité,
et fière le centième anniversaire de la conquête de la j où tout n'est pas exclusivement consacré à faire briller
Suisse et son adjonction a l'empire germain. Puis on les chanteurs, un tel morceau est plus qu'un contre-
danse, comme de raison, on trouverait a l'Opéra, pré- sens, c'est un non-sens. Le récitatif suivant remplit
« Espoir de ma race ,
» O toi que j'embrasse,
» Porte au loin tes pas. »
il ne devrait que lui faire un signe et prononcer rapide-
ment ces deux mots : Sauve-toi. S'appesantir dans un
andanle sur cette idée serait indifférent peut-être dans
texte à ballets jusque dans une représentation du juge-
ment dernier. N'importe, les airs de danse tout impré-
gnés de tournures mélodiques suisses, sont d'une rare élé-
gance et tous (j'en excepte cependant l'allégro en sol
intitulé pas de soldats) ont été écrits avec soin. C'est au
milieu de ce ballet que se trouve la fameuse tyrolienne
aujourd'hui populaire, si remarquable par ses modu-
lations et le rhylhnie vocal qui lui sert d'accompagne-
ment. AvantRossini on n'avait pas fait entendre au théâ-
tre des successions immédiates d'accords a l'aspect de
toniques d'un caractère tranché, comme celle qu'on re-
marque a la trente-troisième mesure, où la mélodie
arpège dans l'accord majeur de si naturel, pour retomber
aussitôt dans celui de la tonique véritable sol. Ce petit
morceau que Rossini a écrit sans doute un matin en dé-
jeunant , a eu un succès vraiment incroyable , pendant
que des beautés d'un ordre incomparablement supérieur
n'ont obtenu qu'un nombre assez restreint de suffrages.
11 est vrai que ces suffrages étaient d'une toute autre na-
ture que ceux qui avaient si bien accueilli la jolie tyro-
lienne. Aux yeux de certains compositeurs, les applau-
dissemens de la foule sont utiles mais peu flatteurs, pour
ces artistes l'opinion des esprits élevés est seule de quel-
que prix. D'autres au contraire ne font cas que de la
quantité, fort peu de la qualité. Comme les sauvages de
l'Amérique, avant que des relations plus fréquentes avec
les Européens leur eussent appris la valeur des mon-
naies, ils préfèrent cent sous a une pièce d'or.
Après les danses vient la fameuse scène de la pomme.
Le style en est généralement nerveux et dramatique.
Une phrase de Tell nous paraît d'un bien beau carac-
tère , c'est sa réponse a l'exclamation de Gésier :
« C'est là mon prisonnier. —
Guill. » Puisse-t-il être le dernier ! »
Ce que je crois au contraire absolument faux de sen-
timent et d'expression, c'est le mouvement de Tell au
moment où, concevant des craintes pour son fils, il le
prend a part, l'embrasse et lui ordonne de fuir.
Au lieu de :
exactement les conditions que nous venons d'indiquer.
« Rejoins ta mère, je l'ordonne;
« Qu'au sommet de nos monts la flamme brille et donne
u Aux trois cantons le signal des combats. »
Ce débit précipité rend plus sensible encore le défaut
d'expression dont on est choqué la première fois que
cette même idée se présente. Mais quelle revanche prend
le compositeur dans les touchans avis de Guillaume à
Jemmy :
« Sois immobile , et , sur la terre , •
» Incline un genou suppliant. »
Comme l'accompagnement des violoncelles pleure
admirablement sous le chant de ce père dont le cœur se
brise en embrassant son fils ! Et cet orchestre presque
silencieux ne laissantentendre que àesaccoriispizzicato,
coupés par des repos d'une demi-mesure ! Et ces bassons
qui tiennent pianissimo de longues notes plaintives !
comme tout cela est plein d'émotions, d'angoisses, et
exprime l'attente du grand événement qui va s'accom-
plir ! Les dernières phrases du chant :
« Jemmy! Jemmy songea ta mère ;
« Elle nous attend tous les deux. »
sont d'une irrésistible vérité; cela arrache les entrailles.
Oh! les partisans du suffrage populaire ont beau dire,
quoique cette sublime inspiration n'excite que de rares
et froids applaudissemens, il y a quelque chose là dedans
de plus noble, de plus haut, de plus fait pour qu'un
.homme s'enorgueillisse de l'avoir produit, que dans une
tyrolienne gracieuse, fût-elle applaudie par cent mille
mains et chantée par les femmes et "les enfans de toute
l'Europe. Il y a une différence entre le joli et le beau !
Affecter de se ranger du côté du grand nombre pour faire
valoir de petites gentillesses au dépens de ce qui s'adresse
aux sentimens les plus intimes du cœur, s'est se montrer
industriel habile, mais non pas artiste qui sent sa dignité
et son indépendance. La première partie du finale de ce
troisième acte renferme un passage d'un admirable éner-
gie, qui toujours a été annihilé à l'Opéra parla faiblesse
DE PARIS.
des moyens de la cantatrice: je veux parler de cet éclat
soudain qui e'chappe à la timide Mathilde.
«Au nom du souverain je le prends sous ma gai de.
» Quand toul un peuple indigné \ous regarde,
» Osez, osez l'arracher de mes bras. i>
Cette indignation est heureusement rendue tant parla
voix que par les instrumens; c'est vrai comme Gluck et
Spontini.Lethèmesyllabiqueduchœurd'hommes« quand
l'orgueil les égare » accompagnant le chant si ingénieu-
sement modulé des soprani est d'un excellent effet. La
stretta de ce chœur ne contient au contraire que des cris
furieux, que motivent les paroles il est vrai, mais qui ne
produisent aucune émotion sur l'auditoire dont ils bru-
talisent l'ouïe fort inutilement. La encore, il eût fallu
peut-être changer les vers du libretto , car il était fort
difficile si non impossible de dire : « Anathème a Gésier »
autrement qu'avec de furibondes vociférations qui ne
comportent ni mélodie, ni rhythme, et empêchent par
leur violence toute appréciation de l'harmonie.
Le quatrième acte nous ramène les passions indivi-
duelles et par conséquent un repos nécessaire après le
le fracas de l'acte précédent. Arnold vient revoir la chau-
mière déserte de son père; son cœur rempli d'un amour
sans espoir, de projets de vengeance, tous ses sens agités
par les scènes de sang et de carnage toujours présentes à
sa pensée, succombent accablés sous le poid du plus dé-
chirant contraste. Tout est calme et silencieux. C'est la
paix. C'est la tombe. Et le sein sur lequel il lui serait si
doux en un pareil moment de répandre les larmes de la
piété filiale, ce cœur auprès duquel seul !e sien pourrait
battre avec moins de douleur, l'infini l'en sépare... Ma-
thilde ne sera jamais a lui La situation est poétique,
elle est d'une tristesse poignante même , aussi a-t elle
inspiré au musicien un air que nous n'hésitons pas a ap-
peler le plus beau de la pièce. Toute l'ame souffrante du
jeune Melchtal y est répandue; les plus douloureux re-
tours sur le passé y sont peints avec de ravissantes mé-
lodies; l'harmonie et les modulations n'y sont employées
que pour renforcer l'expression mélodique, jamais par
caprice musical ; l'allégro avec chœurs qui suit est plein
de fougue, il couronne dignement une aussi belle scène.
Ce morceau cependant , h en juger par les applaudisse-
mens qu'il reçoit, ne produit sur le public qu'un assez
médiocre effet. C'est trop fin pour lui y les nuances déli-
cates de celte nature lui échappent presque toujours
Ah! si l'on pouvait réduire le public a une assemblée de
cinquante personnes sensibles et intelligentes, quel bon-
heur alors de faire de l'art ! . . . — Le trio accompagné des
instrumens a vent seuls, et la prière pendant l'orage , qui
succèdent a l'air dont nous venons de parler , ont été
supprimés avant la première représentation. Cette cou-
pure est bien fâcheuse surtout à cause de la prière qui
nous paraît être d'un pîttoresqne achevé. D'ailleurs la
donnée musicale du morceau étaitassez neuve pour qu'on
fit une exception en sa faveur. Sans doute il y eut, lors
de la mise en scène, quelques raisons de machines ou
de décors qui firent supprimer cette partie intéressante
de la partition ; il n'y avait donc pas a hésiter, on sait
qu'à l'Opéra les directeurs supportent la musique.
Dès ce moment, jusqu'au chœur final, nous ne trou-
vons plus guère que du remplissage. Ce sont des éclats
d'orchestre pendant que Guillaume .lutte sur le lac avec
la tempête; des fragmens de récitatif entremêlés de
chœur, etc.; toutes choses que le musicien écrit avec la
certitude qu'on ne les écoutera pas. Le dernier chœur,
au contraire :
« Tout change et grandit en ces lieux...
« Quel air pur ! »
est une belle expansion harmonique. Les ranz de vaches
flottent gracieusement sur ces larges accords, et l'hymne
solennel de la liberté suisse s'élève vers le ciel, impo-
sant et calme, comme la prière de l'homme juste.
H. Berlioz.
HISTORIQUE DE LA REPRÉSENTATION
DE
RUBINI A CALAIS.
Nos lecteurs ont sans doute oublié déjà une espèce de conte
fantastique qui parut il y a quelques semaines dans la Gazette
Musicale, sous le titre de Rubini à Calais. Quoique le prétendu
bénéficiaire n'y fut ni nommé ni désigné en aucune façon et
malgré la couleur générale de l'article qui n'avait aucun carac-
tère sérieux qui pût faire croire à l'authenticité des détails, le
célèbre chanteur, qui en était le héros, nous ayant assuré que
cette plaisanterie avait fait de la peine à un professeur de mu-
sique de Calais fort honorable, sous tous lesrapporls; qui s'est,
en effet, occupé de monter cette représentolion, nous nous
empressons de dire en peu de mots ce que nous tenons aujour-
d'hui de Rubini lui-même.
M. *** professeur de musique à Calais désirant faire quelque
chose d'agréable à la Société philharmonique de celle ville,
élait allé à Londres engager Rubini pour un conçut qui devait
avoir lieu à son passage, moyennant la somme de i2uo francs
qu'on lui offrail. Rubini ne voulut accepter que 1000 francs el
promit de se trouver à Calais au jour indiqué. Mais ses enga-
gemens à Manchester l'ayant retenu plus long-temps qu'il n'a-
vait compté, le concert annoncé manqua en effet. Quand la
séance put enfin avoir lieu, Rubini s'étaul informé du chiffre de
la recette apprit qu'il lie s'élevait pas au dessus de 1200 francs
el que, par conséquent, ses mille francs ajoutés aux frais de la
soirée formeraient un total excédant de beaucoup la somme
perçue.
Le directeur du théâtre lui avait fait le malin même la
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GAZETTE MUSICALE
proposition de donner une représentation complète pour la
somme de 600 francs ; Rubini n'avait pts accepté. Mais en pen-
sant au déficit qui se trouvait dans la recette du conçoit, il
réfléchit qu'un moyen excellent de le combler serait que les
intéressés allassent s'arranger avec le directeur pour une repré-
sentation, promettant pour son compte de jouer gratuitement.
Ils y consentirent, l'arrangement eut lieu et la représentation
se passa à peu près comme nous l'avons raconté. Bien loin que
le personnage imaginaire que nous avons peint comme un
malheureux sans asyle puisse offrir aucun trait applicable à
M. ***, nous savons pertinemment que la maison de cet artiste
distingué est toujours ouverte à ceux de ses compatriotes que
poursuit la mauvaise fortune. II est donc impossible que per-
sonne ait pu voir là dedans autre chose qu'un jeu d'esprit fort
inoffensif.
Hector Berlioz.
FÊTES MUSICALES DE BRUXELLES.
( 25 ET 26 SEPTEMBRE. )
A l'exemple de l'Allemagne et de l'Angleterre , la Belgique
vient de fonder une association qui a pour but le progrès de la
musique. Cette heureuse idée , elle la doit à M. Fétis , appelé il
y a environ dix-huit mois à Bruxelles pour y diriger le conser-
vatoire et la musique particulière du roi Léopold, grand ama-
teur et compositeur lui-même. Une pareille institution, assise
sur des bases larges , ne peut produire que des résultats fé-
conds et heureux pour la prospérité de l'art musical dans ce
pays. L'association, cette conquête moderne, dont l'utilité est
incontestablement établie pour l'industrie, ne doit pas rendre
de moins grands services aux arts et particulièrement à la mu-
sique. C'est par elle qu'on inculquera aux masses le goût de la
musique grandiose et poétique ; c'est par elle qu'on excitera en-
tre toutes les villes une noble émulalion qui tournera au profit
delà généralité. Le goût de la musique est à la vérité assez ré-
pandu dans la Belgique ; mais malheureusement ce goût est
dirigé presqu'exclusivement vers la musique de petite dimen-
sion, sans portée artistique, sans poésie en un mot; musique
industrielle , comme l'a si bien nommée Berlioz , telles que les
variations Kaleïdoscopiques , les fantaisies commandées par
les éditeurs , les romances sans rythme ni modulations , les
morceaux an anges, le déluge de valses, contredanses et ga-
lops dont l'harmonie élégante saute constamment de la toni-
que à la dominante, et remonte toujours avec la même élé-
gance de celle-ci à la première ; toute musique enfin plate et
sans couleur, où il n'v a ni poésie ni dignité. C'est ce goût qui
attriste tous les vrais amis de l'art et qu'il faut extirper; ce
sont les fabricans de cette honteuse marchandise, véritable
poison qu'on ne doit se lasser de traduire devant le tribunal du
public , au moyen de son organe habituel , la presse. Gloire
donc à ceux qui travaillent à l'extermination de pareilles plati-
tudes ! gloire aux auteurs de l'association belge ! car l'accom-
plissement de leur projet est certes un des moyens les plus
propres à détourner les niasses de ces misérables avortons , de
les familiariser avec les chef-d'œuvres des plus grands maîtres,
surtout en ce qu'elle donne la faculté de les exécuter d'une ma-
nière digne d'eux et seule capable d'en faire apprécier toutes
les beautés. Applaudissons à ces efforts , et formons des vœux
pour que cet heureux exemple soit bientôt suivi par la France!
la France, qui vient de perdre avec Choron son admirable in-
stitution de musique religieuse , où l'on voyait accourir tout ce
que Paris renferme d'amateurs éclairés et d'artistes conscien-
cieux pour y étudier les chefs-d'eeuvres des écoles italiennes et
allemandes. Maintenant que deviendront pour nous toutes ces
belles compositions? où sera-t-il possible de les entendre? Et
quand même on le voudrait , où trouverat-on les moyens de
les exécuter, si on laisse se perdre la tradition de cette exécu-
tion large dont Choron avait su si bien inspirer l'esprit à ses
élèves? car autre chose est de chanter les mâles compositions
des Haendel , des Bach, des Léo, des Porpora, des Caris-
simi, des Paleslrina, des Scarlatti, des Monterende, dïAlle-
gri, et de vocaliser les cavatincs à gargouillades de nos opé-
ras ultramontains modernes. Eh bien! tous ces chef-d'œuvres
seront bientôt perdus pour nous!... Qu'on se hâte donc de pa-
rer à l'incurie ou à l'ignorance de nos administrateurs des
Beaux Arts qui viennent de supprimer ce dernier asile des
Haendel et autres. Qu'on se hâte de former, à l'exemple de la
Belgique , une vaste association qui comprendra toutes les
villes du royaume ; que chacun vienne déposer aux pieds de
cette noble institution ses petites haines et ses rivalités; alors,
et seulement alors la France acquerra ce degré de prospérité
artistique auquel elle est digne de s'élever , et dont elle possède
dans son sein tous les élémens.
Jetons un conp-d'œil sur la première réunion de l'association
belge. Si le résultat n'a pas toujours répondu à l'attente, cela
tient à des causes que nous développerons'plus loin, el surtout
aux difficultés immenses qui sont inséparables d'une première
organisation. Nous ne parlerons pas du service funèbre qui a
été célébré le 23 septembre à Sainle-Gudule , et où l'on a exé-
cuté le Requiem de Cherubiui , nous n'y avons pas assisté ; tout
ce que nous avons pu en apprendre, c'est que l'exécution en a
été assez médiocre. Il est vrai que ce n'était pas l'association
qui s'était chargée de l'exécution de cette magnifique composi-
tion , msis bien les musiciei.t ordinaires de l'église. Pour notre
part , nous avons regretté beaucoup que l'association ne se fût
pas occupée de cette œuvre; c'eût été certes mille fois préféra-
ble à ce concert en plein air an 25, donton attendait des effets
merveilleux , mais qui a été loin de les produire.
A ce concert, il n'y avait pas i4oo musiciens, comme on l'a-
vait annoncé d'avance, mais 600; c'est encore une réunion
assez respectable pour obtenir des résultats immenses partout
ailleurs qu'en plein air. Car je dirai avec Berlioz « il n'y a pas
de musique possible en plein air , pour mille et une raisons
dont la moindre est qu'on n'entend pas. Non , on n'entend
pas ! on n'entend ni nuances , ni même un seul accord bien net,
bien complet. L'harmonie est là sans force, sans puissance; la
mélodie sans expression, sans chaleur vitale; toute idée poé-
tique y est insaisissable , ou devient un hors-d'œuvre absurde.
Tout se réduit et se réduira toujours , dans un orchestre en
plein air, à un bruit rythmé , sur lequel surnagent ça et là quel-
ques lambeaux de sautillante mélodie que le timbre perçant de
la petite flûte fait entendre malgré les coups de tampon et les
beuglemens c'u taureau ophicléide. » Nous établissons néan-
moins encore une différence selon les lieux. Ainsi, par exem-
ple, dans les concours de musique qui ont lieu fréquemment
dans la Belgique et dans le département du Nord , l'exécution
qui a lieu ordinairement sur une place publique , est sans con-
tredit beaucoup moins incomplète que celle qui a lieu en plein
air, dans un lieu isolé de tout comme le Jardin-Botanique de
Bruxelles. Le cercle de maisons qui entourcnl les places publi-
ques aide au moins à refouler les sons -vers l'oreille de l'audi-
teur. Nous savons bien que la différence n'est qu'un degré du
plus ou moins incomplet , mais encore cette différence ne laisse
pas que d'être assez sensible. Par cela seul, le concert monstre
n'a donc pas produit l'effet qu'on en attendait. S'il nous était
permis de donner un conseil , ce serait de renoncer dorénavant
à la musique en plein air et de la remplacer par un concert
dans un loeal 'fermé, où l'on ferait entendre une messe de
quelque grand compositeur; ou bien , si vous tenez absolument
à votre concert-»(on.sr/*e, cherchez un emplacement assez vaste
pour contenir et vos exéculans et les auditeurs. Sans cela vous
aurez beau augmenter le nombre de vos musiciens , vous les
centupleriez que toujours l'air seul absorberait les sons de la plu-
part de vos insl rumens et que l'auditeur devrait se contenter
de quelques sifflemens de petite flûte ou de quelques hurle-
rai ens de trombounes.
L'exécution a été satisfaisante à l'égard de certains mor-
ceaux , et on peut dire que l'ensemble de ces morceaux eût été
complet , c'est-à-dire aussi complet qne possible en plein air,
sans la difficulté, pour celte masse d'exécutans , de saisir les
battemens de mesure du chef d'orchestre qui se trouvait placé
dans une trop grande obscurité. L'écho, composé pour deux
orchestres par M. Félis , est le morceau quia fait le plus de
plaisir et qui a laissé le moins à désirer , tant sous le rapport
de l'effet que sous le rapport de l'e<céculion. Je ne parlerai pas
du mérile de la composition, il y a eu tout autant de mérite
qu'il peut y en avoir dans une pièce de ce genre , c'est-à-dire,
autant démérite qui! peut y avoir à coudre ensemble quelques
phrases de manière à ce que chacune de ces phrases et même
chaque membre de phrase puisse être répété par les deux or-
chestres alternativement. Nous avons regretté de voir sur le
programme la belle ouverture de la Flûte Enchantée, chef-
d'œuvre de savoir et de grâce ; si quelque composition devait
être éloignée d'une aussi énorme machine, c'était bien celle-là.
Aussi l'exécution y a été ce qu'elle devait être, lourde, et
d'autant plus lourde, que le mouvement de l'allégro a été trop
lent. L'ouverture de I/ans Heiling, musique de Marschener, ex-
cepté quelques longueurs, contient de bonnes choses, et l'exé-
cution en a été salisfaisanle. Je passe sur tous les pots-pourris
et j'arrive à la bataille (Vittoria) de Beethoven. J'ai vu écrit
sur le programme , composée par Beethoven; je doute néan-
moins que que Beethoven ait composé cette symphonie pour
deux orchestres militaires , je crois, au contraire , qu'elle a été
faite pour grand orchestre symphonique. Quoi qu'il en soit,
nous aurions pu donner une analyse de cette œuvre qui n'a
pas encore été exéculée en France, à cause de quelques souve-
nirs haineux qui s'y rattachent ; niais il faut bien le dire, l'exé-
cution en a été tellement faible, que nous n'oserions entrepren-
dre une pareille lâche, assez difficile déjà à une première audi-
tion , lorsque l'exécution ne laisse rien à désirer. Quelle est la
cause decctle faiblesse. Le manque de répétition? Le froid de
la brise du soir ? Peut être les deux ; mais toujours esl-il que
les adorateurs de Beethoven ont eu à s'affliger. Ajoutez tou-
jours qu'on n'entendait pas ; impossible de distinguer, au mi-
lieu de ce brouhaha-, autre chose que quelques coups de grosse
caisse, ou quelques lambeaux de phrases siffiées par les petites
flûtes. Enfin , il faut le dire une fris pour toutes, il n'y a pas
de musique possible en plein «(/-.Combien n'est-il pas regret-
table que tout ce temps et ces frais n'aient pas été dépenses
pour une cause meilleure! Cependant, ce dernier essai était
peut-être nécessaire pour convaincre ses auteurs de l'impossibilité
de la réussite de ce genre de musique. Puissent-ils être con-
vaincus!...
Flâtons-nous d'arriver au concert du 26. Là au moins , nous
entendrons de la musique et nous serons un peu dédommagé
de la myslification du monstre-concert de la veille.
Le concert a commencé par l'ouverture d'Anacréon, de Ché-
rubini. Cette composition , connue de tout le monde, renferme
de belles choses , mais n'est pas selon nous à la hauteur des
compositions instrumentales modernes. Ce qui lui donne sur-
tout un air suranné, c'est un trait de premier violon qui se
trouve vers la fin et qui serait mieux placé dans un concerto
que dans une ouverture. Outre que de semblables traits vieil-
lissent , il est presqu'impossible qu'une virgtaine de violons
exécutent un passage de ce genre avec uneprécision telle qu'on
n'en croirait entendre qu'un seul. Celle ouverture a été bien
rendue. Néanmoins, je reprocherai un peu de mollesse dans
les atlaques , et c'est un reproche que je serai obligé de faire
plus d'une lois. Malheureusement , je crains que cela ne tienne
un peu à l'indolence naturelle et au caractère un peu apatique
du pays.
Jeviens à la cantate quia obtenu lepremier prix au concours.
Elle dénote en son jeune auteur, M Busschop de Bruges, un
talent réel qui lui fait le plus grand honneur. Plusieurs parties ,
Iraitées de main de maître, prouvent qu'il n'en est pas à son
coup d'essai. Nous dirons même qu'il y a double mérite,
quand on peut faire de la bonne musique sur un sujet aussi
usé et sur des vers tels que ceux du concours. Nous ne les ci-
terons pas , car tout le monde a pu en j uger comme nous dans
les journaux, nous nous contentons seulement de dire que
nous n'y trouvons de comparable que les cantates de concours
de l'institut. Et à propos de l'institut, que diront ces messieurs
lorsqu'ils apprendront qu'on ne s'est pas assuré d'avance si les
concurrens savaient faire quelque belle et bonne fugue à trois
ou à plus de sujets, ou bien quelque canon à l'écrevisse , soit
même énigmatique ; preuve irrécusable, selon eux, que l'on a
du génie et que l'on est apte à faire de la musique dramati-
que? Que diront-ils du prix qui a été adjugé par des musiciens?
Sans doute ils trouveront cette méthode absurde , à la bonne
heure! Chez eux, à l'institut, oh! cela est bien mieux! là,
lorsque le grand jour arrive, on assemble les peintres , les
architectes , les sculpteurs , les graveurs en médailles et en
taille douce, auxquels, par faveur spéciale sans doute , on ad-
joint les musiciens ; et là, tous ces peintres, architectes , sculp-
teurs , graveurs , etc. , décident à la majorité des voix non
d'une médaille comme à Bruxelles , mais souvent de l'existence
entière d'un compositeur. Cela est d'une absurdité incroyable,
n'est-ce pas ? Eh bien! cela se fait au dix-neuvième siècle, à
Paris, la ville la plus civilisée du monde !... Mais revenons à la
cantale de M. Busschop.
L'introduction et le premier récitatif sont d'un beau carac.
1ère, les couleurs en sout fortes et pittoresque. L'andaiite qui
suit est d'une facture large ; une mélodie simple et expressive .
plusieurs modulations heureuses, et une instrumentation élé-
gante et nourrie, font de ce morceau le meilleur sans contredit
de la cantate. Vient après cela un chœur d'un beau style. Nous
aimons moins le récitatif et le solo qui suivent. La mélodie, qui
est une espèce de marche exécutée par le solo en même temps
que par les instrunicns à vent dans le haut , n'a pas le carac-
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GAZETTE MUSICALE
1ère de grandeur dont le reste de la cantate est empreint. Il
eût mieux valu, selon nous, entrelacer ce solo avec la reprise
du chœur ; l'effet eût été plus chaleureux , et cela aurait donné
du mouvement à cette partie qui est un peu froide, à cause du
retour par trop symétrique du même chœur. Il est vrai que
les vers sont horriblement disposés à cet effet; néanmoins,
M. Busschop a assez de talent pour surmonter un pareil
éceuil. En résumé , cette composition décèle un vrai mérite , et
prouve que son auteur est capable de s'élever plus haut. L'exé-
cution de la partie principale était confiée à un amateur qui a
fait preuva de zèle, mais dont la voix n'est pas assez forte-
ment timbrée pou.' un morceau de ce genre. — Je ne puis m'em-
pêcher de dire en passant combien c'est pitié de voir la ma-
nière dont la plupart des journaux belges ont rendu compte
de la cantate de M. Busschop. Presque tous l'ont jugée selon
leur couleur politique; ils n'ont pas craint d'abaisser l'art pour
le mettre au niveau de l'esprit de parti. Aussi c'est la passion
qui a pu seule dicter une pareille critique , car sans cela nous
serions obligé de l'attribuer à une ignorance complète de l'art.
Les morceaux choisis du sublime oratorio, le Messie de
Haendel, ont été généralement bien exécutés par les 280 chan-
teurs fournis par les principales villes de la Belgique. 11 y a
eu de l'ensemble et de la précision dans l'exécution. Les nuan-
ces n'ont pas toujours été observées, et il manquait parfois de
la vigueur : excepté ces petites taches , on peut dire que le ré-
sultat en a été satisfaisant. Le solo de contralto a été bien dit
par une jeune élève du conservatoire qui possède une voix
pure et du sentiment musical. Tous ces morceaux ont été vi-
vement applaudis. Telle est et sera toujours la puissance de
cette musique , qu'elle éleclrisera même ceux qui sont le moins
préparés à la goûter. Ces résultats sont d'un heureux augure
pou;- l'avenir de l'associalion.
L'ouverture héroïque (Bruxelles en "!83o et 1 83i ) composée
par M. Daussoigne Méhul , directeur du conservatoire de
Liège, ouvrait la seconde partie. C'est une grande et belle
composition, mais dans laquelle on est fâché de rencontrer
quelques moyens mécaniques, telle que coups de canon , feux
de peloton, etc.; tout ce charlatanisme peut aider à couvrir la
faiblesse de quelque composition médiocre; mais quand on a
du talent comme M. Daussoigne, et qu'on est capable de faire
un morceau tel que son ouverture, on doit éviter de se servir
de pareils moyens. Cela ne peut plus faire d'effet que sur quel-
ques badauds ou sur les bonnes d'enfans. Le quatuor sans ac-
compagnement est bien pensé; la mélodie et l'harmonie en
sont expressives. Les voix se marient bien , et la disposition en
est élégante. Cette espèce d'invocation ou prière contraste heu-
reusement avec l'introduction et le chœur final qui suit. Le
chœur est plein de verve; il y a surtout un dessein mélodique
dans les ténors qui s'enchiîne avec la partie de soprano dont
l'ensemble forme un effet charmant. En somme , c'est un beau
morceau.
On a voulu dignement finir cette solennité, et pour cela on a
choisi une des plus sublimes compositions du géant de la mu-
sique, la symphonie en ut mineur de Beethoven. Que dire de
cette œuvre coloss'ile! toutes les formes enthou^iastiques ne
sont elles pas trop faibles? le vocabulaire ne contient pas d'ex-
pression pour rendre le sentiment qu'elle inspire.Parlons de l'exé-
cution, et surloul tâchons d'oublier un instant que nous l'avons
entendue parle premier orchestre du monde, relui du conser-
vatoire de Paris. A quelques nuances près, l'introduction a
été bien rendue, le mouvement a été bien pris; mais il n'en a
pas été de même de celui de l'adagio, il était un peu trop lent,
ce qui a ôté à cette belle élégie une partie de son caractère et
de sa naïveté. Le sémillant scherzo a élé bien dit, mais un peu
lourdement. Quand au foudrayant début du finale, il a pro-
duit son effet accoutumé, et ici moins qu'ailleurs on s'est aperçu
du manque de vigueur. Cependant, il faut le dire, ce défaut a
constamment dominé dans l'exécution générale. A part ces lé-
gères fautes, l'exécution a été bonne, et aussi bonne même
qu'il était possible de l'obtenir d'une réunion de 250 instru-
mentistes dont la plupart se connaissaient peu ou point. Ajou-
trz à tout cela la difficulté d'une première organisation , et l'on
sera surpris d'un résultat aussi heureux.
Le local était bien disposé et décoré avec goût; on a été so-
bre de draperies, et on a bien fait. Le seul reproche qu'on
pourrait adresser serait que l'estrade des exécutans éta:t peut-
être trop petite : les musiciens y semblaient un peu gênés, et
il est évident que les habits, les robes, etc. , ont dû briser les
sons et les vibrations de manière à rendre beaucoup inférieur
à ce qu'on devait en attendre l'effet d'une réunion aussi nom-
breuse de voix et d'instrumens.
Somme toute, il faut féliciter l'association belge de ses ef-
forts. Le premier pas qu'elle vient de faire dans le progrès sera
sans doute favorable aux destinées de l'ait dans ce pays; nous
le désirons axec ardeur. Puisse ce noble exemple être imité par
la France ! ( Vigie. )
THEATRE 1TALI :s/.
La Straniera ; la Prova d'un Opéra séria.
Madame Fink-Lohr a reparu deux fois dans la Straniera, je ne
puis pas dire précisément qu'elle ait pris une revanche, mais
elle a rajusté bien des choses et prouvé qu'elle ferait mieux en-
core, si le public voulait l'encourager. Cette débutante pos-
sède une belle et bonne voix de soprano , elle peut attaquer les
sons élevés sans craindre que l'instrument refuse de sonner.
Elle ne manque pas d'agilité, mais soit inexpérience ou timi-
dité les résultais sont toujours incertains , les bonnes choses se
rencontrent bien près des mauvaises, et sa gamme la mieux
articulée, le trait chromatique le mieux attaqué amènent d'au-
tres passages mal dirigés et d'une exécution vicieuse quoique
moins difficiles. A la fin de la Straniera , madame Fink-Lohr
nous a donné une cavaline qui n'est point de la partition , ca-
vatine hérissée de traits scabreux dont elle a dit une partie
avec bonheur et l'autre faihlement. Celte cavatine substituée au
bel air : Or sei pago ciel tramendo , ne mérite pas tant d'hon-
neur, on l'accepterait volontiers s'il ne fallait point faire le sa-
crifice de l'air qu'elle remplace et qui est le meilleur de la par-
tition. Or sei pago est à peu près dégarni de roulades, c'est
une mélodie puissante et dramatique , d'un beau dessin, d'un
mouvement noble et passionné; une cantatrice sûre de sa voix
dans les cordes élevées doit toujours réussir dans l'exécution
de ce morceau. Je conseille à madame Fink-Lohr de nous le
rendre, son intérêt et le nôtre le réclament également. Tam-
burini a chanté délicieusement sa romance Meco tu vient o
misera! et Rubini comme à l'ordinaire s'est montré deux fois
ravissant , merveilleux dans l'air de Niobe , car on le lui a fait
répéter et c'est avec la même fraîcheur d'organe et plus de ri-
chesse d'orneinens qu'il l'a redit.
Dans la Prova d'un opéra séria, il n'y a ni pièce, ni mu-
siquc , les acleurs groupés autour du maestro Campanone sont
autant de compères pour lui donner la réplique et recevoir ses
burlesques avis. Mais il y a le spirituel , le réjouissant Labla-
che, pièce et musique, il improvise tout et sait tenir ses audi-
teurs dans un avis de folle gaîté dont les transports éclatent à
chaque instant. L'art du comédien chanteur n'a jimais atteint
avant lui ce degré d'intelligence, d'aplomp, de verve scintil-
lante, joint à la plus belle voix qu'on puisse imaginer pour
l'emploi de bouffe comique. Mademoiselle Grisi était char-
mante en négligé coquet de prima donna ; elle a très-bien
chanté le fameux duo de Guglielmi , et s'est fait applaudir dans
sa cavatine. Ivauof nous a redit l'air qu'il avait ajouté dsns
VAgnese et s'en est fort bien acquitté. Santini a lutté de folie
et de [ uissance vocale avec son camarade Lablache. Succès
d'enthousiasme, intarissable gaîté, farce du meilleur goùl, foule
immense, cent personnes erraient dans les corridors et pour-
tant elles n'ont pas fait de démarches pour obtenir le rembour-
sement des fonds qu'ils avaient avancés , et que leur exclusion
d'une salle comble leur donnait le droit de réclamer; au théâtre
italien, même les corridors sont bons , toutes les places y sont
fashionable.
THÉÂTRE ROYAL DE I/'OPÉK.A-COMIQCE.
Le Marchand Forain,
Opéra comique en trois actes ; paroles de MM. Planard et Duport ,
musique de M. Marliani.
Le Marchand Forain , tel est le litre du drame représenté
vendredi dernier à l'Opéra-Comique; le comte de Saklorf s'est
avisé de se remarier à soixante ans; le comte de Milder lui a
fait épouser sa sœur afin d'avoir la direction de l'immense for-
tune du beau-frère, et de puiser à cette source féconde les du-
cats dont il a besoin sans cesse pour réparer ses pertes au jeu ,
ou payer les frais de ses folles dépenses. Henri de Saldorf est
obligé de fuir la maison paternelle; le comte l'a chassé, mau-
dit, à cause d'un mariage d'amour, et toute la tendresse du
vieux mari s'adresse à Mina , petite fille , unique fruit de sa
nouvelle union. Cette fille meurt en nourrice; Milder en est
désolé , et, pour ne pas perdre les avantages d'une donation
énorme faite par Saldorf à sa femme à l'occasion du baptême
de Mina , il s'empresse de substituer un autre enfant du même
sexe à celui que l'on a perdu.
Cette manœuvre s'exécute à l'aide d'un bohémien , nommé
Valentin , brave homme et millionaire qui cache sa fortune
dans la valise et sous les habits du marchand-forain. Le crédit
de Valentin s'étend jusqu'au bout du monde, et pourtant il
n'ose se faire connaître à cause de sa proscription dont la race
bohémienne est frappée. C'est dans les souterrains d'une vieille
abbaie qu'il habite et reçoit la visite annuelle de sa très-nom-
breuse lignée. Vingt ans se passent. Nous voyous au second
acte Mina fort heureuse au si in de la famille Saldorf, elle va
épouser un capitaine de cavalerie. Valentin se cache encore; il
est berger au château de Saldorf, Milder a voulu s'en défaire
pour se débarrasser d'uu créancier et du témoin de la substitu-
tion d'enfant. Ce Milder, scélérat consommé, vient au château
pour conclure le mariage de Mina qu'il destine au favori du
prince. Madame de Saldorf oppose sa parole donnée au capi-
taine et la tendresse qu'elle a pour sa fille. Milder réplique en
avouant à la comtesse qu'elle n'a pas d'enfant, et que Mina,
fille d'emprunt , doit être sacrifiée pour l'intérêt de la famille
qut a bien voulu l'adopter.
Au troisième acte, Valentin est saisi, une condamnation à
mort menace sa tête, il demande à voir le vieux comte de Sal-
dorf, et rencontre chez lui Henri , devenu général , lui apprend
que Mina est sa fille qu'il lui avait confiée , il y a vingt ans ,
quand il partit pour aller à la guerre. Mina est donc toujours
madame de Saldorf; tout le moude est content excepté le traître
Milder. Le comte n'est plus père , mais il est grand père, cette
qualité convient mieux à son âge; je ne sais si la comtesse sa
femme accepte avec autant de résignation , le titre de grand-
mère ; à Paris on dit boune-maman , par euphénisure.
L'action de ce drame présente des situations dramati-
ques et attachantes. La partition de M. Marliani aurait dû se
ressentir de l'influence du librelto , mais on voit que ce com-
positeur a voulu faire vite et se hâter afin d'arriver à la fin de
sun œuvre. On attendait beaucoup mieux de l'auteur duBravo.
L'ouverture, ^'introduction , la queue du second acte, que je
puis appeler finale, sont d'une facture négligée et d'une mélo-
die fort ordinaire, Le morceau d'ensemble en la mineur ,
du troisième acte, serait très remarquable si le premier final
de Semiramide n'était pas si connu. Je ne signalerai point
d'autres réminiscences , j'aurais trop à faire. Le quatuor ou
quintetto , qui ouvre le second acte, est agréable, et le trio qui
le suit est fortjoli. Ce morceau a été applaudi franchement par
le public. Le duo chanté par Ponchard et madame Casimir est
bien coupé , mais le trait en imitation périodique, attaqué tour
à tour par les deux parties vocales , a été déjà chanté par Ru-
bini et madame Grisi dans le Bravo du même auteur.
Thénard, qui avait fort bien joué le rôle de Valentin , est
venu nommer les auteurs, et de nouveaux applaudissemens
ont éclaté Les autres personnages principaux étaient représen-
tés par Henri , Ponchard , Couderc et mesdames Casimir et
Massy. Madame Casimir a touché faux plus d'une fois; elle a
chanté pourtant d'une manière brillante le trio, le duo et une
cavatine où les trilles abondent. Malgré la faiblesse de la parti-
tion, le Marchand forain a obtenu un succès complet et fera
de bonnes recettes.
Chao-Kang,
4me REPRÉSENTATION.
Puisque nous avons promis à nos lecteurs de leur parler une
seconde fois du chef-d'œuvre chorégraphique de M. Henry, et
particulièrement de la musique et des acteurs , il faut bien tenir
nos engageinens, bien que tout doive se borner à répéter nos
premiers éloges.
La musique, avons-nous dit, est gracieuse et chantante.
Gracieuse , d'accord , mais c'est dansante qu'il fallait écrire.
Les airs de M. Carlini sont fort dansans en effet , et bien adap-
tés aux situations. La phrase musicale marche toujours si bien
d'accord avec l'action chorégraphique qu'il semble que le com-
positeur et le maître de ballets n'ont eu qu'une seule et même
pensée. On a remarqué eu particulier le pas de la gamme, celui
des parasols, le galop des lanternes et le 3e acte presque tout
entier. L'instrumentation de M. Carlini est très convenable et
sulfisammenl soignée; et si elle manque un peu d'éclat , c'est
moins à lui qu'il en faut faire reproche qu'aux architectes de la
salle Ventadour. Ces messieurs semblent, eu effet, n'avoir eu
356
GAZETTE MUSICALE DE PARIS.
pour but en édifiant leur théâtre que la solution de ce singu-
lier problème d'acoustique : quarante musiciens étant donnés ,
leur construire un orchestre dans lequel ils ne feront pas plus
de bruit que s'ils n'étaient que douze. Jamais problême n'a été
plus victorieusement résolu.
Passons aux acteurs. Nos confrères de tous les formats se
sont occupés à peu près exclusivement de distribuer leurs élo-
ges aux principaux acteurs et danseurs. Nous n'en dirons donc
rien et les regarderons comme très-suffisamment loués. Il n'en
est point de même du corps de ballet tant mâle que femelle ,
qu'on a traité avec trop peu de cérémonie, tandis que c'est à
lui qu'est dû réellement le succès de Chao-Kang. 5'il est vrai
qu'il est plus difficile de diriger une troupe de comédiens
qu'une armée véritable, M. Henry vient de nous prouver qu'il
aurait été un bien grand général. Nous ne saurions cependant
nous empêcher d'adresser à l'habile chorégraphe un léger re-
proche. M. Henry a quelque peu exagéré , à notre avis, l'ap-
plication de l'obéissance passive. La régularité, la perfection
de ses groupes est telle qu'on voit trop la ficelle qui remue si
uniformément cette multitude de jambes , de bras, de têtes, les
fi°wans, en un mot, poussent trop loin la parfaite imitation
du magotisme. Malgré ces défauts, Chao-Kang (que le ven-
deur de programmes prononce Kao-Kang, et M. Stanislas Ju-
lien, le chinois breveté, Tchao-Kang), n'en demeure pas moins
une composition chorégraphique d'un mérite supérieur, digne
en tout point de l'empressement du public. La 4e représenta-
tion à laquelle nous avons assisté avait réuni une nombreuse et
brillante assemblée , et tout fait augurer qu'il en sera long-
temps de même.
Un petit mot en finissant à M. Henry sur son grand uni-
forme d'empereur. Le dessinateur des costumes, fatigué sans
doute de ses longues recherches pour atteindre la vérité histo-
rique, a terminé sa lâche par une bévue. Il a affublé Chao-
Kang d'une grande vilaine robe rouge fort peu chinoise , ser-
rée par une ceiuture qui l'est encore moins. Les Chinois heu-
reusement voyagent peu , car s'il s'en trouvait un à Paris , il
rirait bien de l'accoutrement de M. Henry ; il rirait bien sur-
tout en voyant un empereur chinois tout habillé de rouge ,
lorsqu'il était si facile d'apprendre en ouvrant lé premier
ouvrage venu, que la couleur jaune est le signe distinclif du
pouvoir suprême dans l'empire du milieu.
NOUVELLES.
+*+ Les efforts de M- Jules Janin. en faveur de ses pauvres
compatriotes , les inondés de Saint-Etienne, ont été eourounés
du plus grand succès. Tous les grands noms artistes de Paris ,
mademoiselle Taglioni à leur tête , se sont fait inscrire sur
celte liste de bienfaisance. Voici enfin qu'aujourd'huiM. Slcepel
annonce un concert pour mercredi prochain, 5 novembre,
pour lequel le Théâtre Italien soutenu de l'Opéra, ont payé
leur contingent , et dont la recelte est destinée à soulager les
grandes infortunes. C'est Rossini lui-même qui a arrangé et
disposé le programme de ce concert que nous donnons les pre-
miers telqu'ila été définitivement arrêté. i° Ouverture d'Obe-
ron pour cinq pianos à quatre mains , parles jeunes élèves
de M. Stœpel; 2° duo de Bellini , chanté par Temburini et
mademoiselle Bougart, son élève ; 3° quintetto de Mozart,
exécuté par MM. Baillot, Vidal, Urhan Mialle et JYorblin ;
4° Air de Donzinelti , chanté par madame Damoreau ; —
5° Duo de Moïse, chanté par MM. Rubini et Tamburini;
6° La É/ochelte , grande fantaisie pour piano, composée et
exécutée par M. Litz.
DEUXIEME PARTIE.
7° Air varié pour le violon composé et exécuté par M. Bail-
\oi ; 8° Adélaïde de Beethoven , chanté par Rubini; 6° Air de
la Ceuerentola, , chanté par madame Dcgly-Antotiy ; io Duo
de Zoraïde, chanté par madame Damoreau cl Rubini; ii°
Duo de Mosehester; pour le piano , exécuté par M. Litz et
mademoiselle Lambert; 12° Piomaucas de mademoiselle Puget,
[Indiana et la Somnambula), chantées par madame Damoreau.
Comme on voit, ce sera là une admirable soirée pour le
dilettante. C'est la première fois que Rubini chantera à
Paris , Y Adélaïde de Beethoven ; aussi le public, à la seule
anaonce de ce beau concert , s'est-il empressé de se faire iu-
scriie. Déjà nne grande partie de l'élégante aristocratie pari-
sienne a fait retenir une plaee pour ce soir là , le roi , la reine
et le prince royal n'ont pas été des derniers à encourager le
noble désintéressement de tant de grands artistes. Le concert
aura lieu mercredi 5 novembre, à l'institution musicale de
M. Stœpel , rue Monsigny . n° 6.
On distribue encore des bille*s chez M. Stœpel , rue Monsi-
guy , n° 6; chez M. Jules Janin , rue de Tournon , n° 8 ; et
chez Maurice Schlesinger , n° 97 , rue de Richelieu.
Le prix du billet est de dix francs.
+% M. Severini est parti pour Londres, pour signer l'acte
par lequel il devii ni pendant six ans directeur du grand Opéra
de cette ville. En Angleterre le directeur paie aux propriétaires
de la salle et du privilège une somme de 3oo,ooo Irancs environ;
à Paris le gouvernement donne à M. Véron la belle salle de
l'Opéra, et ajoute une petite subvention de 800,000 francs !
+*+ Le succès de mesdemoiselles Elslcr continue et aug-
mente à chaque représentation. Une bonne partie des brillan-
tes recettes de l'Opéra est due au talent de ces belles et gra-
cieuses danseuses.
t*+ Voici le programme complet du premier concert que
donnera M. Berlioz dimanche prochain 6 novembie à deux
heures, dans la salle des meuus plaisir^. Un grand nombre de
personnes ayant témoigné le désir d'entendre encore la sym-
phonie fantastique, elHarold nécessitant de la part de l'orchestre
des études qui ne pourront être faites que pour le second concert,
l'auteur a cru devoir se rendre au vœu desamateurs. \? Episode
delà vie d'un artiste exécuté par cent trente artistes distingués,
sous l'habile direction de M. Girard ne peut que gagner à celte
nouvelle épreuve; on se rappelle l'exécution foudroyante de
l'année dernière, il est probable que celle qui se prépare lui
sera supérieure encore. En outre M. Berlioz a ajouté à son ou-
vrage plusieurs effets d'orchestre nouveaux qui en augmente-
ront sensiblement l'éclat. i° Ouverture du Roi Léar, de M.Ber-
lioz; 20 Quatuor pour 2 ténors et basses, avec orchestre, sur
une Orientale de Victor Hugo [Sara la baigneuse), musique
de M.Berlioz (exécuté pour la première fois.) Chant: MM. Puig,
Boulanger, ***** et Hense. 3° Fantaisie pour le violon, sur la
romance de Richard Cœur-de-Lion, composée et exécutée
par M. Panofka. 4° Air de la Donna delLago, chanté par ma -
dame WilIan-Bordogiii.5° La belle Voyageuse, légende Irlan-
daise pour quatre voix et orchestre, musique de M. Berlioz
(exécutée pour la première fois). Chant : MM. Puig, Boulanger,
***** et Hense. 6° Episode de la vie d'un Artiste, symphonie
fantastique en cinq parties, de M. Berlioz. ire partie. Rêve-
ries; — Passions. 2e partie. Un bal. 3e partie. Scène aux champs.
4e partie Marche du supplice. 5e pai tie. Songe d'une nuit de
sabbat. (Messe funèbre burlesque, parodie du Diesirae, Ronde
du sabbat, la Ronde du sabbat et le Dies ira? ensemble).
On trouve des billets d'avance chez M. Rély, au Conserva-
toire; M. Schlesinger, rue de Richelieu, n° 97, et]chez les prin-
cipaux marchans de musique. Prix des places : premières loges,
8 fr.; Secondes, 6 fr.; Stalles d'orchestre et de balcon. 6 fr.;
Rez-de-Chaussée, 5 fr.; Parterre, 3 fr.; Amphithéâtre 2 fr.
AU NUMERO 44 EST JOINT :
GALERIE DE LA GAZETTE MUSICALE, N° 2.
i|Poriratt t)e Moesitti.
Gérant, MAURICE SCHLESINGER
^S<.v*.cUc XY& u.6*cJlc % C,Savu> ,1b 'W, ( I'" aimcc
y [(CDACMIM^ Bi© S S [ M !.
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RÉDIGÉE PAR MM. ADAM, G. E. ANDERS , BERTON (membre de l'Institut), BERLIOZ, CASTIL-BLAZE , A. GDEMER , HALÉVY
(professeur de contrepoint au Conservatoire), Jules janin , liszt, lesueur (membre de l'Institut), j. mainzer, marx
(rédacteur de la gazette musicale de berlin), d'ortigue , panofka , richard, j. g. setfried (maître de chapelle
à Vienne), F. stœpel, etc. , etc.
1" ANNÉE.
Kl'
£5.
PRIX DE l'aBONNEM.
PARIS.
DÉPART.
ÉTRAKG
fr.
Fr. c.
Fr. c.
3m. 8
8 75
9 50
6m. 15
16 50
18 ..
I an. 30
33 »
36 »
£a (iïazttte lUus'xe&lc jde paris
Paraît le DIMANCHE de chaque semaine.
On s'abonne au bureau de la Gazette Musicale de Paris, tuc Richelieu , 97;
et chez tous les libraires et marchands de musique de France.
Ou reçoit les réclamations des personnes qui ont des griefs ;i exposer, et les avis relatifs à la musique
qui peuvent intéresser le public.
PARIS. DIMANCHE SI NOV3IEBRE I83Î.
Les lciircs, demandes
et envois d'argent doi-
vent êlre affranchis, et
adressas au Directeur ,
rue Richelieu, 97.
COUP-S'ŒH, SUR, LE BÉVELOPPEMEHT E1S-
TOR-1QUE DE LA MUSIQUE MOBEH.ÏSE .
L'histoire de l'humanité offre trois ères principales. Il
en est de même de la musique dont l'histoire présente
trois périodes distinctes. Dans l'enfance de l'humanité,
a l'époque où l'Asie et plus tard .seulement l'Egypte avec
une partie de l'Europe était le siège principal de la vie
humaine, celle-ci développait toutes ses forces clans une
unité non divisée. A cette époque, la musique est en-
fantine, simple, et elle n'apparaît qu'accompagnée de
la poésie. Elle ne se montre alors que comme mélodie
avec un rythme qui la domine, parce qu'elle est liée a
un langage prosodie et à la mimique. La musique n'est
pas encore libre ; c'est encore un art dépendant , attaché
et soumis a un autre art. Et cet état d'enfance et de su-
jétion de la musique qui se borne a une mélodie simple
et rythmée, on le retrouve encore aujourd'hui chez tous
les peuples dont la vie naturelle est restée dans l'enfance
sans prendre aucun développement. Pendant la seconde
période déjà vie humaine dont l'idée dominante fut la
religion du christ', et le siège principal l'Europe, l'hu-
manité s'éleva jusqu'aux sphères élevées de la vie intel-
lectuelle, jusqu'à la contemplation de Dieu , et par suite
jusqu'à la hauteur de la vie sociale. La musique apparut
alors comme le langage des anges; céleste intermédiaire
entre Dieu et les hommes, elle fut l'expression d'une vie
spirituelle et profondément passionnée. La musique reli-
gieuse fit retentir ses puissants accords, et la musique
mondaine s'éleva jusqu'à la peinture de sentimens plus
purs et plus passionnés. L'entière perfection de la musi-
que ne devait, ne pouvait briller librement que dans la
troisième période de la vie humaine, a cette époque où
l'harmonieux développement de la religion , des sciences
et des arts, franchissait les limites de l'Europe pour di-
riger sa course victorieuse sur toute la surface de la
terre.
Etudier attentivement cette période principale qui
commence au quinzième siècle et qui , à l'époque où
nous vivons, n'a pas encore atteint ses dernières limites,
nous instruire sur la vie et les efforts des grands maîtres
qui s'y sont illustrés, voilà quel est le but que nous
nous proposons aujourd'hui.
PREMIÈRE ÉPOQUE OU ÉCOLE FLAMANDE.
Après avoir vu presque tous les pays de l'Europe oc-
cidentale dans lesquels la religion chrétienne s'était éta-
blie , fournir des hommes éclairés et voués au culte de la
musique, après avoir assisté au développement delà
musique considérée comme science et comme art , déve-
loppement qui trouva de fidèles et puissans secours en
Italie comme en France, en Allemagne comme dans les
Pays-Bas et même jusque dans l'intérieur de l'Angle-
terre, après avoir examiné la nouvelle musique cb ré-
tienne se débarrassant peu à peu des entraves imposées
jadis par les anciens Grecs , et s'élevaut déjà a une hau-
teur imposante par la réunion du rythme, de l'écriture et
de l'harmonie, nous trouvons dans les Pays-Bas, à
compter du milieu du quatorzième siècle jusqu'à la fin
358
GAZETTE MUSICALE
du quinzième les fondateurs d'une école qui continue a
briller jusqu'à la fin du dix-ssptièine siècle, et qui a pro-
duit presque tous les maîtres dont les noms ont brillé
dans les grandes écoles musicales de l'Europe. Cette
école flamande s'acquit la gloire de créer lu théorie du
contrepoint régulier, soit simple, soit double, et de pro-
pager dans presque toute l'Europe , par ses leçons et ses
efforts, l'amour et la science de la musique. C'est Guil-
lelmus Dufay, né à Chyniay dans l'Hennegau , que l'his-
toire signale comme le plus ancien et le plus remarqua-
ble des maîtres de cette époque. Il fut , jusqu'à l'année
1432, chanteur de la chapelle pontificale où l'on trouve
encore plusieurs inesses de ce compositeur, qui sont une
preuve incontestable que, dès celle époque, l'art devait
avoir déjà subi bien des perfectionnemens dans les Pays-
Bas. Kiesevetter, dans son histoire de la musique,
prétend qu'aujourd'hui encore on pourrait entendre avec
plaisir les compositions de Dufay, ainsi que quelques-
unes de ses élèves ou de ses contemporains , attendu que
l'harmonie en est très-pure et que l'effet en est beaucoup
mieux calculé que dans les tours de force de contrepoint
si célébrés dans le siècle suivant (I). Un homme aussi
célèbre et plus connu encore aujourd'hui fut Ockenheim,
autre flamand qui florissait de 14-50 a -14-80, et qui dès-
lors passait pour le plus savant des contrepointistes.
Nous ne nommerons parmi ses nombreux et célèbres
contemporains ou successeurs que les sui vans : Obrecht,
Tinctor le fondateur de la vieille école napolitaine, Jos.
quin-des-Prés, Henri Isaac ( // Tedesco) , Goudinel ,
Guillelmus Guarnerii Hycaert , Willart, Gafurius et
Goodendach, qui tous, ainsi que beaucoup d'autres,
professèrent plus ou inoins long-temps en Italie ou four-
nirent exclusivement cette contrée de leurs compositions
pratiques; car, jusqu'à l'année 1509, il ne se produisit
aucun compositeur italien de quelque importance. L'es-
sence des compositions musicales de cette époque avait
principalement pour but la perfection du contrepoint, et
Josquin fut celui dont les efforts amenèrent surtout un
heureux résultat. Ses plus jeunes contemporains et ses
successeurs durent travailler à leur tour à renfermer peu
à peu cette science dans des bornes raisonnables, et
leurs travaux ne tardèrent pas a être couronnés de suc-
cès. L'invention de l'imprimerie de la musique répandit
au loin les œuvres musicales autefois trop dispendieuses;
et dès-lors non-seulement les maîtres de l'Italie , mais
encore ceux de l'Allemagne et de la France, purent tra-
va'ller au même but pour acquérir la même gloire. En
Italie, on nomme Constanzo jesta 3 chanteur de la cha-
(-1 ) Kiesevetter. Histoire de l'origine et du développement de
notre musique moderne. Leipzig, -1834-
pelle du pape, comme le premier qui ait dignement
mérité le nom de contrepointiste. Baini, le biographe
de Palestrina, regarde Constanzo Festa comme le pré-
curseur de Soupheros. tant ses œuvres se distinguent par
la noble simplicité et le charme gracieux des motifs,
bien qu'elles soient fort inférieures aux compositions de
Palestrina pour la hardiesse et l'habileté du travail. En
Allemagne, on citait déjà avec distinction les noms
d'Adam de Fulda, Stephen Malu et Hermann Finck ;
mais Johann Walter, Ludwig Senfl, Benedictus Ducis,
et Thomas Stolzer, devaient encore briller avec plus
d'éclat. La France avait aussi quelques grands maîtres
tels que Capentras, Leonardo Barré et d'autres. L'espa-
gne même se glorifiait de son célèbre Morales , etc. C'est
ainsi que tous ces maîtres firent du seizième siècle une
des époques les plus brillantes dans l'histoire de la mu-
sique; et cela, non sculemeut parce que la musique re-
ligieuse atteignit alors une hauteur jusques la inconnue ,
ou parce que la science recula ses limites d'une manière
extraordinaire, mais encore parce que dans le même
temps la musique instrumentale fit d'immenses progrès,
surtout pour ce qui touche le jeu de l'orgue. C'est aussi
a cette époque qu'appartient l'invention du madrigal.
Le madrigal est généralement une courte poésie dont le
sujet est une peinture de l'amour ou une scène de la vie
pastorale ; cette poésie se termine par une pensée pro-
fonde ou par un trait spirituel , et il est surtout remar-
quable en cela qu'il fournissait au compositeur l'occa-
sion et la facilité de chercher une mélodie dont le carac-
tère se trouvât' en rapport avec le sens de ce vers, ce a
quoi on n'avait encore jamais pensé dans la composition
des motets et des messes. C'est encore vers ce temps que
remonte la véritable chanson a plusieure "parties, dans
laquelle on imitait les chants du peuple, et que l'on
écrivait dans le contrepoint le plus simple; mais ce
genre apparuent presque exclusivement a Naples, d'où
vient qu'il a été désigné sous le nom : vitlanelle alla
Napoliianaj, ou canzona villanescha. Kiesevetter qui
peut se permettre des développemens plus étendus que
les nôtres, caractérise ainsi qu'il suit cette époque qui
précède celle de Palestrina
Quoique l'art n'ait subi aucune réforme essentielle ,
les musiciens ont cependant fait d'immenses progrès en
habileté et en a-plomb. Leurs desseins ne manquent
même pas d'une certaine grâce. Les raffinemens exagé-
rés, les canons et les énigmes musicales sont successi-
vement passés de mode, de même qu'une grande partie
des subtilités de la théorie mensurale, de sorte que la
lecture des partitions de celte époque n'offre plus au-
cune difficulté.
La suite à un prochain numéro.
DE PARIS.
NECROLOGIE.
BEAUVARLET-CHARPENTIER , ORGANISTE.
Nous exprimions récemment dans cette feuille nos re-
grets d' artistes sur la décadence rapide, ou pour mieux
dire sur la ruine imminente de la musique d'église , ce
premier fondement de l'art , le seul sur lequel il pût
encore s'appuyer aujourd'hui , et se maintenir long-
temps a la même hauteur. On dirait que le sort est d'in-
telligence avec nos mœurs et nos institutions pour accé-
lérer cette œuvre de destruction et d'oubli. Chaque an-
née emporte successivement tous ceux qui conservaient
encore les vieilles traditions, tous ceux qui, en nous
rappelant si bien le passé, pouvaient encore nous faire
croire a un avenir. Après avoir déploré naguère la perte
irréparable du zèle et du talent de Choron , nous voilà
de nouveau appelés aujourd'hui à en annoncer une au-
tre, qui aura moins de retentissement sans doute , mais
qui ne laisse pas d'être vivement regrettable pour une
spécialité importante et trop négligée.
Ne nous semble-t-il pas, à voir disparaître ces der-
niers vétérans de la grande milice qui soutenait le dra-
peau de la musique sacrée, ne nous semble-t-il pas as-
sister à cette célèbre messe , où chaque concertant, après
avoir achevé sa partie, éteignait sa lumière, et s'éloi-
gnait dans les ténèbres toujours croissantes , pour ne
plus revenir, pour n'être jamais remplacé ?...
Jacques-Marie Bcauvarlet-Charpentier, qui vient de
mourir à Paris, à l'âge de soixante-neuf ans, apparte-
nait a une famille également distinguée dans les arts et
dans la littérature, puisque la France lui doit l'habile
graveur du roi, Beauvarlet, et ce poète qui nous fut
trop tôt ravi, ce tendre et brillant Mille voie, qui avait su
allier la pureté de goût des deux derniers siècles avec
les couleurs et les sujets plus sombres, que la poésie af-
fectionne aujourd'hui.
Quant a la musique, la branche de cette famille a la-
quelle appartenait Bcauvarlet-Charpentier, y semblait
exclusivement vouée. Son ayeul Charpentier était un
des compositeurs les plus estimés du siècle de Louis XIV.
Il avait donné un opéra de Me'de'e, qui obtint le suf-
frage des connaisseurs du temps. Molière s'étant brouillé
avec Lully, qui , devenu directeur de l'Opéra, avait fait
par ordonnance du roi retirer aux comédiens français
une partie de leurs symphonistes et de leurs chanteurs,
confia a Charpentier la musique du Malade imaginaire.
L'éloge du caractère de Charpentier est tout entier dans
l'amitié que lui portait notre grand piète comique. Ce
fut à lui, suivant les anecdotes de cette époque, qu'il
adressa cette réflexion si profonde, arrachée par le trait
de probité d'un pauvre mendiant : « Ou la vertu va-t-
elle se nicher ? »
Au reste, pour devenir un des meilleurs interprètes
de l'orgue , pour se distinguer dans la carrière des Bach,
des Hœndel , des Links , Beauvarlet trouvait un exem-
ple d'illustration plus direct et plus rapproché de lui.
Son père avait acquis dans cet art une légitime re-
nommée. Il y avait obtenu le suffrage et l'admiration
d'unjuge compétent, de Jean-Jacques Bousseau. A Lyon,
où Charpentier le père avait commencé a se faire
connaître, l'auteur du Dictionnaire de Musique ;\ 'ayant
entendu un jour, répondit a un de ses voisins qui lui
demanda ce qu'il en pensait : « Ce que f en pense !
c'est qu'il a trop de talent pour qu'il vous reste. » Celte
prédiction du grand écrivain se réalisa comme tant d'au-
tres; et, nommé archevêque de Paris, M. de Montazet,
s'empressa de doter la capitale du monde d'un talent
dont la seconde capitale de la France était si fière.
Sous les yeux d'un tel maître, son fils formé, suivant
l'expression de Bossuet, par les leçons vivantes et par la
pratique j prouva bientôt que l'héritage paternel ne de-
vait pas dépérir entre ses mains. La révolution vint ar-
rêter l'essor de son précoce talent ; les églises étaient
fermées , les citants avaient cessé!
Ne trouvant plus d'orgue où se poser, la main de
Beauvarlet saisit une épée; il courut à la frontière re-
pousser les ennemis de la France. Mais , après avoir
payé son tribut à l'amour de la patrie, il ne tarda pas à
revenir à l'amour de son art. Ce fut à Nantes qu'il re-
commença d'abord à le cultiver. Les maisons les plus
honorables de la ville lui furent bientôt ouvertes. Parmi
ses compositions, on remarqua plusieurs chants patrioti-
ques, où, dans les inspirations de l'artiste, se retrouvait
encore l'énergie du citoyen et du soldat.
Quand l'ordre fut rétabli, dès qu'il y eut tolérance
pour la religion, on se souvint que, pendant les excès
de l'anarchie révolutionnaire , Beauvarlet avait préservé
plusieurs orgues d'une destruction presque inévitable.
En faveur de ce service, le clergé lui pardonna ceux
qu'il avait, les armes à la main, rendus au pays; et on
accorda à la reconnaissance pour le sauveur des orgues
un poste qu'on eût peut-être refusé à la supériorité de
de l'organiste. 11 fut donc appelé à Paris afin d'y rem-
plir, à l'église Saint-Paul, une place qui était pour lui
un véritable patrimoine, d'autant plus légitime qu'en y
retrouvant les souvenirs de la longue célébrité de son
père, il y retrouvait aussi les premiers titres de la
sienne.
A la rare perfection de son talent comme exécutant ,
il joignit un mérite distingué comme compositeur. Nous
GAZETTE MUSICALE
ne citerons ici que pour mémoire un petit opéra {les
Jeunes aveugles), donné par lui sur une scène secon-
daire; c'est le seul ouvrage dramatique qu'il ait produit
et sans doute une délicatesse de bon goût l'empêcha
d'imiter cet auteur du dix-hutième siècle :
Qui dînait de l'église cl soupait du théâtre.
On ne peut attribuer son prompt et définitif éloigne
ment de la scène qu'à un scrupule de ce genre , et non à
la stérilité de son imagination, quand on parcourt les
nombreux morceaux détachés qu'il a publiés soit pour
le piano, soit pour le chant.
Mais c'est surtout dans la spécialité où il excellait
par son jeu, que nous aimons encore à le voir se signaler
par ses productions. Elles sont considérables, et nous
mentionnerons au premier rang sa méthode qui jouit
d'une haute estime parmi les artistes qui ont fait entrer
l'étude du plus beau des instrumens dans le cercle de
leurs connaissances musicales.
L'héritage de talent que Beauvarlet Charpentier avait
reçu de son père, il l'a, dit-on, fidèlement transmis à
son fils. Nous faisons des vœux pour que ce jeune
adepte ne se laisse pas décourager par l'insouciance ac-
tuelle, nous ne dirons pas pour les progrès, mais
pour la conservation de sou art. Puisse-t-il contribuer
r>ar d'heureux efforts à empêcher la prescription de
s'établir contre la musique d'église, dont tôt ou tard un
gouvernement plus éclairé finira par reconnaître l'im-
portance !
ïpbigénie en Tauride.
Ce n'est pas sans raison que cet opéra passe pour le
chef-d'œuvre deGluck. Il nous semble en effet que dans
aucune autre partition, le vieil athlète de la musique
dramatique n'a montré une force de pensée aussi grande
et aussi soutenue. En examinant cette énergique et som-
bre conception d'un profond génie, deux éceuils sont a
éviter; le premier, le plus dangereux peut-être, est le
penchant qui pourrait entraîner a juger une production
de 1777, suivant les lois qui régissent aujourd'hui le
monde musical , sans tenir compte des progrès immen-
ses des exécutans, d'après lesquels ce qui était imprati-
cable au temps de Gluck est aujourd'hui d'une extrême
facilité, sans penser que 1rs perfectionnnemens de l'art
sont dus en grande partie à l'observation , et que par
conséquent, la somme des nôtres doit être naturelle-
ment plus considérable que celle qu'avait pu recueillir
au siècle dernier le compositeur allemand. Le second
écucil dont nous aurons aussi à nous éloigner, serait
l'enthousiasme irréfléchi, qui porte tout artiste impres-
sionnable et fidèle aux objets de son culte, a ne voir que
des beautés dans les ouvrages auxquels il dût ses pre-
miers élans d'admiration, et dont il fût ébloui à un âge
où le défaut d'expérience le mettait dans l'impossibilité
d'avoir des notions axactes sur l'état véritable de l'art
contemporain. S'il arrivait que la supposition d'un
excès d'enthousiasme pour Gluck parut absurde aujour-
d'hui, je répondrais par le récit historique de mes pro-
pres impressions , qu'on ne croira pas facilement quoi-
que je ne l'exagère en rien. Quand j'arrivai a Paris, en
1 820, je n'avais jamais mis les pieds dans une salle de
spectacle; je ne connaissais la musique instrumentale que
par les quatuors de Pleyel dont les quatre amateurs,
composant la Société philarmonique de ma ville natale,
me régalaient tous les dimanches après la messe parois-
siale, et je n'avais d'autre idée de la musique dramati-
que que celle que j'avais pu me former en parcourant
un recueil d'anciens airs d'opéra arrangés avec accom-
gnement de guitare. Dans le nombre de ces morceaux
ainsi réduits se trouvaient deux scènes à1 Orphée qui
devinrent bientôt l'objet de ma prédilection. Entendre
un orchestre complet , lire une grande partition , tout
cela n'était alors pour moi que des rêves que je n'espé-
rais pas voir un jour se réaliser. Ma passion naissante
pour Gluck se développa tout à coup prodigieusement
à la lecture de la Notice biographique sur le célèbre
compositeur qui parut à cette époque dans la Biogra-
phie Universelle. La description de l'orage d' Iphigénie ,
celle des danses des Scytes, la Dissertation sur le som-
meil d'Oreste, me faisaient palpiter d'un ardent désir
d'entendae toutes ces merveilles; et quand mon père
eût décidé que j'irai à Paris pour y continuer mes études
médicales, je ne surmontai l'horreur que m'inspirait les
travaux anatomiques , qu'en songeant a l'Opéra où je
pourrais enfin comtempler Gluck dans toute sa gloire.
Mon attente fût long-temps trompée; cependant,
après trois mois de séjour dans la capitale, je n'avais
pas encore vu figurer sur l'affiche le nom d'un opéra
de Gluck. Chaque matin, je courais pâle d'atteute de-
vant la place Cambrai , l'heure ou l'afficheur devait
iii'apporter un désapointement nouveau , et après avoir
vu placarder : le Rossignol, ou le Devin de village,
ou les Prétendus j, ou le Ballet de Nina, je m'en re-
tournais en accablant de malédictions Lebrun , Rous-
seau, Lemoine, Pertuis et le directeur de l'Opéra.
Je logeais alors avec un de mes camarades d'études
(aujourd'hui médecin fort distingué), à qui j'avais fait
partager jusqu'à un certain point mon fanatisme musi-
cal. On sait que le spectacle de Opéra s'annonce toujours
deux fois, ce qui donne à l'administration la latitude
DE PARIS.
361
de changer, au jour de la représentation, la pièce affi-
chée la veille. Un matin, je m'approchai machinale-
ment des affiches , sans que l'intérêt qui m'y amenait
d'ordinaire existât cependant, puisque le jour précédent
j'avais vu s'élever triomphant Rossini, encore accom-
pagné des Pages du duc de Vendôme. Après avoir jeté
un coop-d'œil indifférent sur le théâtre Français , 10-
péra-Comique es le Vaudeville, je regarde l'Opéra,
comptant retrouver le nom que j'y avais vu figurer la
veille Loin delà, tout était changé mes ge-
noux commencèrent a trembler, mes dents a claquer, et
pouvant a peine me soutenir, je me dirigeai vers mon
hôiel saisi d'une espèce de vertige. — « Qu' as-tu? me
dit R*****, en me voyant rentrer tout défait et mon
» mouchoir devant le nez; es-tu tombé?... tn saignes...
» Que t'esl-il arrivé? parle donc. — On joue... on
» joue... ce soir... Jphig... I phi génie en Tauride. —
» Ah!... » Et nous restâmes tous les deux muets,
étourdis, suffoqués, anéantis h l'idée que nous allions
le soir même voir le chef-d'œuvre de Gluck. R***
cependant ne saigna pas au nez. J'ai oublié de dire
qu'avant ce grand jour, j'avais trouvé le moyen de
m'introduire a la Bibliothèque du Conservatoire où j'a-
vais appris par cœur d'un bout a l'autre la fameuse par-
tition. Décrire ce que j'éprouvai en la voyant, repré-
senter n'est pas en mon pouvoir ; je dirai seulement que
l'effet de ces sombre mélodies se continua long-temps
après, et que j'en pleurai toute la nuit; je me tordais
dans mon lit, chantant et sanglottant tout a la fois ,
comme un homme sur le point de devenirfou. La grande
vogue de Rossini commençait précisément a cette épo-
que ; ses admirateurs , aussi fanatiques clans leur
genre, que je pourais l'être dans le mien , étaient pour
moi l'objet d'une haîne et d'une horreur a peine croya-
bles. S'il eût été alors en mon pouvoir de mettre un
baril de poudre sous la salle Louvois et de la faire
sauter pendant la représentation de la Gazza ou du
Barhiere avec tout ce qu'elle contenait, a coup sûr je
je n'y eusses pas manqué. Le lecteur peut bien penser
que mon sang s'est singulièrement refroidi et que mes
opinions musicales se sont beaucoup modifiées; cepen-
dant l'influence des premières impressions est telle et
mon admiration pour Gluck est encore si grande, que
je crois qu'il sera prudent a moi, en analysant celui de
ses ouvrages qui m'a le plus frappé, de me tenir en
garde contre les souvenirs de unes et l'entraînement
ii réfléchi de l'autre.
( La suite au numéro prochain. )
CONCERT
AU BÉNÉFICE DES INONDÉS DE SAINT-ÉTIENNE.
La saison des concerts ne pouvait assurément s'ouvrir
plus dignement et d'une maeière plus brillante que par
cette fête musicale qui, à un but si noble, réunissait en
même temps les plus beaux élémens de succès. Puisse
ce commencement être d'un bon augure pour l'avenir.
Tous les morceaux que nous avions annoncés ont été
exécutés, tous, a l'exception d'un seul, le duo de piano,
qui a dû être retranché par suite d'une indisposition de
mademoiselle Lambert.
Si maintenant nous disons que des artistes tels que
Baillot, Rubini, Tamburini, List et celte autre virtuose
si aimable et si distinguée, madame Damoreau, ont
excité un enthousiasme universel, que de plus le pu-
blic, bien que pressé et étroitement dans les immenses
salons de M. Stœpel, est cependant resté jusqu'à la der-
nière note en donnant de son admiration les témoigna-
ges les plus expressifs, certes nous nous ferons aisément
comprendre et nous n'aurons rien dit de nouveau pour
les amis des arts. Nous nous contenterons donc de si-
gnaler deux particularités qui nous ont paru dignes
d'attention. Nous voulons parler de l'ouverture d' Obe-
ron, exécutée sur cinq pianos par dix élèves de M. Fran-
çois Stœpel, la plupart enfans de dix a douze ans, et du
chant de madame Degli An ton i. L'ouverture si difficile
A'Oheron a été, nous devons le dire, exécutée par ces
vingt mains enfantines avec une précision et un ablomb
admirables, et surtout avec une observation si fine et si
détaillée des moindres nuances artistiques, qu'on aurait
pu croire entendre un seul artiste profondément pénétré
de son sujet. C'est assurément faire le plus bel éloge
possible du professeur ainsi que de sa méthode, et nous
ne doutons pas qu'un établissement qui produit des ré-
sultais si désirables, puisqu'il procure économie de
temps et d'argent dans l'étude de la musique, n'attire
puissamment les nombreuses familles qui, comme nous,
voient dans l'étude de ce bel art uu des complémens les
plus importans et les plus nécessaires de toute bonne
éducation.
Madame Degli Antoiii, qui doit, dit-on, débuter a
l'Opéia-Italien, réunit a une voix très-belle une méthode
excellente et un chant des plus expressifs. Sa tenue est
en outre gracieuse et animée, de sorte que nous croyons
pouvoir féliciter la direction du Théâtre-Italien sur l'ac-
quisition qu'elle vient de faire de cette aimable artiste.
(1) Parmi les jeunes e\éculans, nous avons [particulière-
ment remarqué mesdemoiselles Lia , Francisca et Crémieux.
362
GAZETTE MUSICALE
APHORISMES.
ESTÉTIQUE.
On désigne généralement ainsi la théorie du goût ,
et par ce mot goût on entend cette faculté intellectuelle
qui permet d'apprécier dignement le beau et le sublime,
soit dans l'art, soit dans la nature. Or, si cette appré-
ciation, comme toute autre opération de l'esprit, repose
sur des lois primitives , et si c'est a la philosophie qu'il
appartient de rechercher ces lois , il s'en suit que l'es-
thétique n'est autre chose que la science des lois primi-
tives et originaires qui doivent guider l'esprit humain
dans la critique du beau et du sublime. En outre ,
comme le beau et le sublime sont les sources d'un sen-
timent de plaisir qu'eux seuls peuvent produire, on peut
encore définir l'esthétique de la manière suivante : elle
est la science des conditions primitives du plaisir dés-
intéressé que nous font éprouver nos perceptions soit in-
times, soit extérieures.
Revue Critique.
Ottavo concerto in modo di scena cantante per ilviolino
con accompag/iamento d'orcliestra or di piano com-
posto da Luigi Spohr. Op. 4-7. Paris, chez Richaut.
Cette composition est une de ce les qui méritent une ana-
lyse détaillée tant pour le fond dos idées que pour la forme
dont on les a revêtues. Nous avons étéjusqu'ici habitués à voir
les concertos divisés en trois parties, dont la première est or-
dinairement un allegro subdivisé lui-même en trois solos cou-
pés par de courts tutti, et dont la seconde partie forme un
adagio qui généralement conduit à un Jinale auquel les com-
positeurs ont toujours donné la forme d'un rondo ou celle
d'une polonaise. Cette forme a été religieusement conservée
par tous les compositeurs qui ont écrit des concertos pour le
violon ou pour le piano; et un bien petit nombre seulement
ont osé s'en écarter. Parmi ses novateurs je citerai principale-
ment Weber qui a donné à son grand morceau de concert
une forme toute nouvelle, et Louis Spohr, le seul des composi-
teurs pour le violon qui ait renoncé à l'ancien usage, en créant
ce nouveau concerto auquel il donne le nom de scène de
chant. Nous avons en main la partition de ce morceau ; il
nous sera donc facile d'entrer dans quelques détails. L'intro-
duction (allegro mollo) forme un premier tutti plein de vi-
gueur et dont le théine principal très-heureusement trouvé
prête à des développemens étendus ; après ce tutti, le violon
principal débute par un récitatif coupé de temps à autre parle
motif principal du tutti que remplace le quatuor. On ne peut
que donner des éloges à la manière dont est traitée ici la partie
de violon. Le récitatif est empreint d'un caractère élégiaque,
et l'auteur a su tirer le plus grand p rli de l'idée principale du
tutti, pour en varier l'expression et l'amener progressivement
à une teinte de plus en plus passionnée, jusqu'à ce qu'enfin ,
après quelques traits fort remarquables dans lesquels le violon
principal trouve suffisamment l'occasion de briller, le récitatif
se termine en amenant à un délicieux adagio dont l'accompa-
gnement très-habilement travaillé porte la vie et la fraîcheur
dans la mélodie principale, remarquable aussi par son allure
mélancolique. Tout à coup apparaît un morceau à 2/4 en la
bémol majeur, écrit dans un mouvement passionné, et dans
lequel les premiers violons exécutent le dessin priucipal, tan-
dis que le violon récitant chante largement sur la quatrième
corde et revient au chant majestueux de Vadagio après quel-
ques "phrases vives et précipitées sur lesquelles l'orchestre
brode un accompagnement du plus grand effet. Nous devons
louer fans restriction celte forme aussi neuve que belle, car
nous sommes forcés de reconnaître que les plaintes des ama-
teurs sont généralement fondées lorsqu'ils prétendent qu'un
concerto en trois parties ennuie généralement , attendu que
dans la plupart de ces compositions on ne retrouve aucune
unité dans les trois frngmens. Il arrive très-fréquemment dans
des morceaux de ce genre que le premier et le dernier solo ont
entr'eux si peu de rapports et de liaison que chacun d'eux peut
être exécuté isolément, tandis qu'au contraire dans le grand
et véritable concerto en mi bémol de Beethoven, tout le
inonde reconnaîtra l'unité qui domine toute l'œuvre. Il de-
vient donc de la plus grande importance pour un concerto de
ce genre , que l'exécutant joue les trois parties de suite", car
alors le concerto n'est autre chose qu'une symphonie pour un
instrument solo et l'orchestre, autrement dit, une peinture
de caractère que personne n'a le droit de rogner, et qui doit
être représentée sans la moindre interruption ou le moindre
changement.
C'est aussi sous ce point de vue qu'il faut considérer le con-
certo qui nous occupe. C'est une peinture musicale moins éten-
due il est vrai qu'un concerto ordinaire , mais qui satisfait aux
exigences les plus sévères de la critique. Sans vouloir peindre
par des paroles des idées que nous croyons devoir laisser juger
par l'auditeur, nous remarquerons seulement qu'on retrouve
dans cette nouvelle production de M. Spohr ce même caractère
élégiaque qui distingue le reste de ses compositions, si ce n'est
qu'ici il a employé des couleurs plus vives et plus passionnées
que de coutume, ce qui donne un nouveau charme à ce der-
nier morceau. Après ces courtes réflexions, nous nous faisons
un devoir de retourner à notre analyse. La reprise de Vadagio
est du meilleur effet , parce que la mélodie en est douce et ten-
dre, et forme ainsi un point de repos que les traits animés qui
précèdent ont su faire désirer. Après un court récitatif en dou-
bles cordes , l'orchestre attaque un allegro rempli d'énergie,
dont !e violon principal ne tarde pas à s'emparer. Jusqu'à pré-
sent le violon principal n'avait eu que du chant, mais il se
lance alors dans des traits de bravoure qui sont ici entièrement
à leur place. Dans une œuvre ainsi disposée, on sent tout le
charme de semblables traits qui passent inaperçus dans de si
nombreuses compositions , et qui finissent même par inspirer
le dégoût . parce que l'oreille n'entend pas autre chose. Q^.and
ce passage brillant est termine, l'auteur ramène encore une
fois le motif du premier récitatif, et cela forme une très-agréa-
ble liaison entre les difficultés qui précèdent el le morceau qui
suit. Le compositeur déploie dans cette dernière partie toutes
ses ressources de virtuose violoniste; ses traits sont des plus
brillans et sa cadence finale produit le plus grand effet.
Pour résumer notre jugement sur cet ouvrage, nous nous
bornerons donc à ceci : la forme est nouvelle et unie; les traits
de mélodie sont mélancoliques et caractérisés ; les^ traits sont
brillaus sans être trop difficiles, et ils n'ont aucune analogie
avec les traits parfois pesans qu'on retrouve dans beaucoup
d'autres productions du même compositeur; l'instrumentation
est soignée et remarquable comme on avait le droit de l'atten-
dre de M. Spohr; en un mot, le tout forme une œuvre remar-
quable et un morceau à' effet pour le violon.
24 Récréations courtes, faciles et brillantes, sur des
mélodies françaises et étrangères, par Charles Chau-
lieu. Chaque récréation : 50 centimes.
Oui , cinquante centimes ! Un de nos plus célèbres écono-
mistes disait à la tribune : Y a-t-il du bon marché pour de la
mauvaise marchandise?
Plaisanterie musicale pour la flûte, avec accompa-
gnement, de quatuor ou piano, par Tulou; ceuv.? 68;
prix : 2 fr. 50 c.
M. Tulou, en homme d'esprit, a donné le titre de plaisante-
rie à son œuvre; mais le public ne goûtera guère les plaisante-
ries dans le genre de celles que M. Tulou vient de lui offrir.
Grand solo de concours pour flûte et quatuor ou
piano, par Tulou; œuvre 69. Prix : 2 fr. 50 c
C'est un morceau brillant, mais sans conséquence; il laisse
loin derrière lui les compositions gracieuses que M. Tulou a
livré autrefois à l'avidité des flûtistes.
Variations sur la Stramera , par J.-B. Duvernoy.
Op. 66. Prix : 1 fr. 50 c.
Le jeune auteur arrivé à l'œuvre 66 a grand besoin pour se
faire une réputation de livrer au public au moins un bon ou-
vrage. Avec la meilleure volonté et toute indulgence envers
les jeunes artistes, nous n'oserions recommander aux amateurs
ses variations sur la Straniera; c'est un ouvrage complètement
manqué.
NOUVELLES.
+ * La commission de non-surveillance de l'Opéra remplit,
on ne peut mieux, ses devoirs. Depuis un an ce théâtre n'a donné
aucun opéra nouveau, et la Juive ne sera pas prèle pendant tout
le temps [que M. Véron fera de l'argent avec des vieilleries
pompeusement annoncées tt avec Robert le Diable , dont cha-
que représentation produit toujours plus de 9000 fr.
*,* Nous aurons l'Opéra-Allemand , vers la fin du mois, au
théâtre Ventadour. Plusieurs artistes sont déjà arrivés; on en
attend beaucoup d'autres. Nous donnerons dans notre pro-
chain numéro les noms de tous les chanteurs et cantatrices en-
engagés pour cet hiver.
t*+ Plusieurs centaines d'élèves de première force sortis du
Conservatoire, attestent le talent de M. Zimmermann. Cet
habile artiste qui n'a jamais cessé de travailler pour le bien-
être de l'art , et qui depuis trois ans réunit chez lui chaque se-
maine l'élite des artistes de Paris pour faire de la bonne ;nu-
sique , a donné jeudi dernier une soirée en honneur de son
maître, le grand et célèbre compositeur dont la France musi-
cale porte le deuil. Tout ce que nous y avons entendu exécu-
ter avec une rare perfection était de Boieldieu. Dans le grand
nombre d'artisles qui assislaientà cette solennité, nous avons
remarqué MM. Rossini, Meyerbecr , Auber, Halevy, Cho-
pin , Ililler, Rubini, etc. etc.
+% Les pensions acquises à titre onéreux par les artistes de
l'Opéra-Comique, viennent d'être inscrits au grand-livre de la
delte publique. Le total de ces pensions s'élève à 'l5o,ooo fr.
par année. L'arrière doit être payé ces jours-ci. C'est avec plai-
sir que nous annonçons crt acte de justice si tardif, dû à l'in-
fatigable activilé de M. Mitouflet. Un assez grand nombre d'ar-
tisles est redevable à cet habile avoué de gain de cause dans les
procès les plus douteux.
+*,. M. le maire de Rouen a commandé le buste de Boieldieu
pour la somme de 3,ooo fr. à M. Dantan jeune. Ce portrait du
célèbre compositeur que la ville de Rouen s'honore d'avoir vu
naître, est destiné au Musée de cette ville, on dit que M. Dan-
tan sera également chargé d'exécuter un buste en marbre de
Boieldieu [.our la ville de Marseille.
+*, Un journal dont les rédacteurs se disent musiciens , ap-
pell. ■ l'auteur de la Sylphide : Slrinoshoeffer. Il nous semble
que M. Schneitzhofer a trop souvent fait preuve de talent pour
qu'il soit permis à-un écrivain , ne fut-il que pianiste; d'igno-
rer son nom.
Le Marchand Forrain continue à attirer beaucoup de
e à rOpéra-Comi.;ue. Nous répétons
gent est dû à MM. Planard et Paul Duport.
monde à l'Opéra-Comiijue. Nous répétons que ce succès
&
t*t On assure qu'il y a un grand rôle pour Inchindi dans
l'opéra chinois que promet M. Auber. C'est une preuve nou-
velle que l'habile compositeur sait tirer parti de tous les avan-
tages que la nouvelle administration met à sa disposition.
*+ Chao-Kang continue ses succès. Les danses, la musi-
que et les costumes de ce ballet chinois, égaient quatre fois par
semaine un public nombreux accouru à l'appel du théâtre
Ventadour.
+% Le théâtre de Bruxelles monte, en ce moment , un opéra
intitulé : Philippe cC Arleweldl ; poème et partition tout y sera
du terroir; la pièce est attribuée au général Niellon, et la mu-
sique à un compositeur belge , nommé Nichelot.
+*+ Ou vient de recevoir à l'Opcra-Comiquc une pièce en
trois actes, intitulée : le Chevalier noir, qu'on attribue à
M. Melcsville ; la musique est, dil-on , confiée à M. Despréaux.
*+ C'est le 3"! octobre que le cœur de Boieldieu a été remis à
M. H. Barbet par M. le docteur Boucher-du-Gaâ , en son cabi-
net, rue Taitbout; n° 6. Le cœur préparé au dento-chlorure
de mercure (sublime corrosif) et paifaitcmant disséché, a été
renfermé dans une forte boite en plomb, soudée de toutes
parts, et entourée d'une croix en ruban noir, scellé de deux
sceaux de cire. Cette boite en plomb, renfermée dans unebeitc
d'argent , avec une copie du procès-verbal d'acceptation par la
villa de Rouen , de ce don précieux , doit rester déposée à 1 hô-
tel-de-ville , jusqu'au jour ou les derniers honneurs seront ren-
dus ii Boieldieu â la cathédrale, avant la translation au cime-
tière monumental , où doit être érigé le mausolée qui doit la
renfermer. Des chariots du mobilier de la couronne pot tenta
Rouen des riches tentures, mises à la disposition du comité de
souscription, pour pouvoir donner à cette funèbre solennité
toute la potnpe dont elle est susceptible. On annonce que,
Ponchard doit représenter l'Opéra-Comique à celte cérémonie.
Des députes de l'institut, du Conservatoire et delà Commis-
sion dramatique s'y rendront aussi.
*i Madame Amélia Masi vient de quitter Rouen oit »lle a
donné des représentations fort suivies. Cette cantatrice va se
rendre à Calais où elle est attendue avec impatience.
+*4 Les six premiers morceaux de la partition du Cheval de
Bronze, ont été dit-on, déjà donnés à la copie par M. Auhcr.
+*+ M. Solomé qui avait été sur le point d'accepter la direc-
tion des théâtres de Bruxelles, vient d'y renoncer, les clauses
de l'engagement lui ayant paru trop onéreuses.
364
GAZETTE MUSICALE DE PARIS.
+% Le concert de M. Berlioz a lieu aujourd'hui dimanche ,
au Conservatoire, rue Bergère, il est probable que l!affluence
sera grande, car presque toutes les loges et stalles sont loués.
+*+ L'Opéra-Comique annonce pour mardi prochain , une
représentation au bénéfice d'un artiste ; elle se composera de la
quatrième représentation du Marchand Forain et du Chalet ,
entre les deux pièces : Concert composé de l'ouverture de
Zampa, Concerto pour violon , par Rovelli , et variations bril-
lantes de Meyseder, exécutés par madame Fillipowicz, élève
de Paganini ; — Air du Barbier chanté par mademoiselle Le-
brun , et duo de Sémiramide , chanté par M. Inchindi et ma-
demoiselle Lebrun. C'est plus qu'il n'eu faut pour remplir la
petite salle de la Bourse. Le prix des places n'est pas aug-
menté.
+*t Le théâtre Vantadour s'occupe, en ce moment, d'une
pièce en un acte intitulée : la Mascarade. C'est un ouvrige
que M. Henri a fait représenter, il y a long-temps, à l'étranger,
et auquel ressemble beaucoup, dit-on, le Bal de Gustave.
+% L'affaire du théâtre de Biuxelles est enfin terminée ; la
direction est confiée à M.Bernard, qui exploitera en même
temps les théâtres d'Anvers et de Bruxelles.
+% M. Mira , qui a dirigé 1rs bals masqués de l'Opéra l'hi-
ver dernier, vient d'obtenu du directeur de l'Académie royale
de musique le privilège de tous les autres bals, tant que le
théâtre restera sous l'administration actuelle.
+,f+ La Prova d'un opéra Séria a obtenu un succès prodi-
gieux au Théâtre-Italien. Lablaclie à fait pouffer de rire les di.
lettanti, qui de bonne heure avaient encombré la salle du Théâ-
tre Italien.
% Blangini, connu par d'élégantes compositions musicales,
publie aujourd'hui sa biographie, qui se rattache indirectement
à l'histoire contemporaine, à cause de la position qu'il a toujours
occupée dans la haute société.
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dher. 2 »
3. Air chanté par M. Inchindi. 3 -5
4- Chanson militaire par M. Inchindi. 3 75
4 (bis). La même, pour voix de lenor. 3 75
5. Duo chanté par madame Pradhcr et M. Cou-
derc. 5 »
6. Duo chanté par MM. Inchindi et Couderc. 5 «
7. Romance chantée par madame Pradher et
M. Couderc. 2 5o
8. Trio chantépar madamcPradher et MM. In-
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RÉDIGÉE PAR MM. ADAM, G. E. ANDERS , BERT0N (membre de l'IOSlUut), BERLIOZ, CASTIL-BLAZE , A. GUEMER , HALÉVY
(professeur de contrepoint au Conservatoire), Jules janin , liszt, lesueur (membre de l'Institut), j. mainzer, marx
(rédacteur de la gazette musicale de berlin), d'ortigue , panofka , richard, j. g. seyfried (maître de chapelle
à Vienne), F. stœpel, etc., etc.
1" ANNÉE.
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46.
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fr.
Fr. c.
Fr. c.
3m. 8
8 75
9 50
6m.J5
46 50
t8 .,
(an. 30
33 >.
36 »
£» (Sasttte iHxxe'ttaïe ï>* ^Jaris
Paraît le DIMANCHE de chaque semaine.
On s'abonne au bureau de la Gazette Musicale de Paris, rue Richelieu , 97;
et chez lotis les libraires et it.archands de musique de France.
)u reçoit les réclamations des personnes qui ont des griefs à exposer, et les avis relatifs à la musîmi
ont des griefs à ejp
l intéresser le public
PARIS. DIMANCHE IC NOVEMBRE (834.
Les lettres, demandes
et envois d'argent doi-
vent êlre affranchis, et
adressés au Directeur ,
rue Richelieu, 97.
Iphîgénie en Tauride.
1er acte.
rticle
On voit, au premier coup d'œil, que cet ouvrage est
du petit nombre de ceux que les auteurs écrivent avec
passion. Le sujet en effet ne pouvait être mieux choisi
pour faire ressortir tout les richesses pathétiques du gé-
nie de Gluck ; c'était un thème admirable pour la sombre
et puissante imagination qui déjà avait produit Alceste,
l'acte des enfeis dans Orphée, le caractère d'Hidraot
dans Armidezl les merveilleuses scènes du dénoûment
d' Ip'a'géiiie en Auliàe. Aussi le musicien s'empare-t-il
dès le début de l'attention de l'auditeur. Au lieu d'é-
crire une ouverture, comme on n'eût jamais avant lui
osé s'en dispenser, il nous fait assister en commençant à
une scène de calme ; la) nature est en repos, les froides
ondes de la mer Noiie se balancent mollement, aucun
orage ne gronde sur cette plage [sauvage et désolée
Etait-il possible de donner a ce tableau musical plus
de grandeur et de vérité? Les moyens que Gluck
avait a sa disposition étaient- ils suffisans pour cela?
A ces deux questions nous ne pouvons nous empêcher
de répondre par l'affirmative. Oui, l'esprit va beaucoup
au-delà ; la contemplation de ce sommeil momentané
des élémens pouvait être rendue avec une majesté in-
comparablement supérieure aux gracieuses ondulations
de la mélodie de Gluck. Toutefois il faut convenir qu'il
y a un charme extrême dans cet amiante si simple et si
court. Le chant en est pur, l'harmonie naturelle, les
basses bien dessinées; ajoutons en outre qu'il s'y trouve
un effet d'instrumentation qui n'a pas été imité depuis ,
cJest une tenue pianissimo des deux trompettes a l'unis-
son sur la dominante. Cet instrument que l'on n'em-
ploie guère que dans le forte ou le mezzo forte , donne
par son timbre mordant un caractère particulier à cette
pédale, et augmente sensiblement à son entrée l'intérêt
musical du morceau. L'allégro qui suit est intitulé :
Tempête. 11 roule presque entièrement sur l'opposition
d'une mesure forte a une mesure piano, et les dessins
des instrumens a cordes ne consistent qu'en des gammes
ascendantes d'une octave à l'autre, dont la persistance
finit à la longue par fatiguer. Signalons cependant un
admirable trait épisodique. Quelques mesures avant
l'entrée d'Iphigénie , les basses tiennent le fa dièze tre-
molando; les violons s'agitent dans les sonswf, sol,
septième et neuvième, pendant qu'au-dessus de toute
l'harmonie les petites flûtes serpentent, en suivant, h la
quarte supérieure (qui devient une onzième par le tim-
bre aigu de l'instrument ) , la marche des premiers vio-
lons. Il résulte de cette étrange disposition des parties
un effet déchirant et sauvage, aussi heureux qu'inat-
tendu. On est surpris de ne pas entendre de tronibonnes
dans un morceau de cette nature; Gluck, en les réser-
vant exclusivement pour la scène des Euménides qui ne
vient qu'au second acte, a fait preuve d'une grande
force de volonté; mais peut-être aussi a-t-il donné dans
ce cas une extension exagérée à son système. Certes il
est beau de savoir ménager ses ressources , et les réser-
366
GAZETTE MUSICALE
ver pour les occasions les plus importantes ; mais il ne
faudrait pas pourtant en être si avare que des scènes de
la nature de celle qui ouvre l'opéra d'Iphigénie fussent
privées de leurs auxiliaires les plus puissans. C'est faire
ressortir un coin du tableau en condamnant tout le reste
a une demi-obscurité. A coup sûr, s'il y a un moment
où les cris des trombonnes puissent être bien placés, c'est
dans une tempête; Beethoven l'a bien prouvé. Malgré
cette économie extrême dans l'instrumentation , malgré
le nombre excessif des gammes ascendantes des instru-
mens a cordes, malgré un défaut assez sensible de grands
contrastes , ce morceau émeut profondément. Je crois
que l'harmonie et la vérité d'expression des parties vo-
cales en sont la cause. Peu de musiciens ont su tirer un
plus grand effet de l'accord de septième diminuée. Gluck
l'emploie avec une grande habileté, tantôt complet,
tantôt privé d'une de ses notes intermédiaires. Rare-
ment il met à la basse le ton fondamental: l'aspect sous
lequel il présente cet accord le plus volontiers est celui
de son second renversement, dont l'accent est incompa-
rablement plus sinistre. On ne saurait douter que cette
disposition de l'harmonie ne soit le résultat d'une inten-
tion spéciale du compositeur. Le choix des paroles sous
lesquelles la septième diminuée se trouve ainsi renversée
le prouve évidemment. Exemples : a l'entrée d'Iphi-
génie :
« Grands Dieux, soyez-nous secourables ! »
l'accord est la dièze, ut dièze, mi, sol; la basse frappe
le toi;
« Détournez vos foudres vengeurs, u
l'accord est mi dièze _, sol dièze ■> si, ré; la basse frappe
le si;
« Si ces bords cruels et sinistres. »
l'accord est re' dièze, fa dièze j, la, ut; la basse frappe
le la;
« Sont l'objet de votre courroux. »
l'accord est la dièze , ut dièze , mi , sol; la basse frappe
encore le toi. En d'autres occasions, il arrive bien que le
son grave de l'accord se trouve placé dans les parties
inférieures; mais alors on peut remarquer que l'harmo-
nie ne se compose pas entièrement , pour les disson-
nances, de septièmes diminuées (comme dans les pas-
sages que nous venons de citer), il y a un mélange de
septièmes dominantes qui démontre clairement que le
compositeur a voulu adoucir son expression harmonique
en lui conservant cependant encore une certaine àpreté.
Le retour du calme nous paraît beaucoup mieux rendu
et plus satisfaisant , sous tous les rapports , que ce qui
précède. La dégradation des tons y est supérieurement
ménagée ; l'orchestre, tout en continuant son rôle d'ac-
teur principal , accompagne pourtant fort bien la voix
d'Iphigénie, et permet d'entendre chaque mot. Ceci
n'est pas d'une médiocre importance, il faut bien le
dire ; pour quiconque ne peut entendre ou comprendre
les paroles , Gluck doit être le plus ennuyeux et le plus
insupportable des compositeurs. La transition du chant
mesuré au récitatif est si habilement conduite dans toute
la fin de ce morceau , qu'on s'en aperçoit a peine. Bien
des compositeurs prendraieut cette observation pour une
critique pleine d'ironie; mais en tenant compte des idées
que Gluck s'était formées du chant dramatique (idées
qui nous semblent justes en grande partie), il importait
essentiellement qu'Iphigéuie ne parût pas terminer un
air, au moment où l'orchestre achève son tableau musi-
cal. Elle observe le retour du calme et doit se garder
peut-être plus encore de donner a sa diction des formes
musicales trop prononcées , que de chanter simplement
au travers de l'orchestre des notes de remplissage sans
accent ni mélodie. C'est une double difficulté qu'un
sentiment exquis ?de l'expression pouvait seul faire sur-
monter, et Gluck l'a vaincue, presque sans y songer,
tant il était dans sa nature d'être avant tout expressif et
vrai!
Les deux pages de récitatif qui suivent , où s'établit
un dialogue entre Iphigénie et deux prétresses cory-
phées, ne produisent qu'une monotonie glaciale , comme
il arrive toujours quand on fait chanter seuls des cho-
ristes. Puis ces bouts de rôles ainsi conçus , ne sont-ils
pas au moins aussi ridicule en musique aujourd'hui, que
nous le paraissent en litérature dramatique les confi-
dentes de tragédies dans l'ancienne école du théâtre
français ? Les choristes sont faits pour chanter des
chœurs ; toutes les fois que vous voudrez leur confier
des rôles individuels, quelque faciles qu'ils soient, vous
êtes sûr de faire rire l'auditoire ou tout au moins de le
fatiguer. Le temps viendra peut-être où les chœursseront
exécutés par des artistes doués d'une belle voix et habi-
les chanteurs, mais ce temps n'était pas encore arrivé
pour Gluck , il ne l'est pas pour nous : en attendant cet
âge d'or de la musique, il est prudent de ne confier des
récitatifs ou solos importans qu'a des artistes que leurs
études ont mis dans le cas de pouvoir les exécuter d'une
manière convenable. L'instant d'ennui causé par la con-
versation des coryphées est bien vite oublié dès qu'Iphi-
génie a repris la parole.
Nous ne connaissons rien de plus étonnant que ce
récitatif obligé, si justement célèbre sous le nom du
songe d'Iphigénie. On ne sait ce qu'il faut le plus admi-
rer, ou de l'incroyable profondeur dramatique du rôle
DE PARIS.
de l'actrice ou de la vérité de celui de l'orchestre.
D'abord les instrumens a cordes frappent quatre fois sur
la note fa dieze a l'octave et a l'unisson. La tonalité de
fa dieze est donc pour ainsi dire établie, quand sur les
mots : Celte nuit , elle change d'une façou inattendue
pour rentrer dans la tonalité de re par l'accord de
quinte diminuée à' ut dieze renversé. Ici le frisson com-
mence a se faire sentir.
i J'ai revu le palais de mon père. »
Plainte de l'orchestre.
« J'allais jouir de ses embrassemens ,
» J'oubliais en ces doux momens
« Ses anciennes rigueurs et quinze ans de misère. »
Aux mots quinze ans , deux lourds accords dissonans
fortement plaqués, expriment bien le poids immense de
douleurs dont le souvenir vient accabler la malheureuse
fille du roi de Mycènes. Plus loin, après avoir décrit le
palais de son père embrasé par la foudre , elle se tait un
instant ; les hautbois et les flûtes , qu'on n'a point en-
core entendus, laissent échapper un soupir doulou-
reux ;
« Du milieu des débris fumans,
» Sort une voix plaintive et tendre. »
Second soupir ;
« Jusqu'au fond de mou cœur elle se fait entendre. «
Trait rapide et bref de tous les instrumens a cordes a
l'unisson ;
« Je vole à ces tristes accens. «
Second trait plus haut d'un ton que le précédent ;
« A mes yeux aussitôt se présente mou père. »
Accord fort et sec, frappé par les altos et les basses ,
auquel répondent les violons par deux notes piano en
octaves et en succession de sixte. Ces notes isolées, par-
tant de différens points de l'orchestre, peignent avec
une vérité inouïe, l'étonnement, l'effroi subit, la stu-
péfaction. « Sanglant, » même effet, plus haut; « percé
de coups, » même effet, plus haut, « et d'un spectre
inliumain, » même effet, plus liant d'une tierce ;
« fuyant la rage meurtrière, » même effet, encore plus
haut. Frissonnement de tout l'orchestre ; « Ce spectre
affreux, >j le frémissement des instrumens continue,
pendant que la voix manque a Iphigénie , qui s'arrête
épouvantée de ce qu'elle va dire; enfin, elle s'écrie pré-
cipitamment : « C'était ma mère. » Sur le mot mère ,
grand accord diminué et fort de tout l'orchestre. Silence.
« Elle m'arme d'un glaive, » trait pianissimo, court ,
très rapide. « Et disparait soudain, » même trait, plus
bas; « Je veux juir; on me crie : 'Âiréter! c'est Oreste. »
Sur ce dernier hémistiche arrête , grands accords syn-
copés de toute la masse instrumentale. Silence...
« Je vois un malheureux et je lui tends la main.
» Je veux le secourir, un ascendant funeste
» Forçait mon bras à lui percer le sein. »
Deux accords brefs. Elle tombe sur l'autel. Prodi-
gieux ! admirable! sublime! inaccessible! écrasant!
cela confond , on ne peut respirer ; je me rappelle même
qu'un jour a l'Opéra , la cantatrice ayant admirablement
rendu la nuance du crescendo de la voix sur les mots :
« Plaintive et tendre , » je poussai un cri terrible qui fit
éclater de rire toute la salle. Quelques lecteurs vont en
faire autant, sans doute ; ma foi , tant pis pour eux.
( La suite au numéro prochain. )
KING'S THEATRE DE LONDRES.
M. Severini est revenu de Londres sans avoir terminé : la
nomination du directeur du King's théâtre pour la saison pro-
chaine est encore reculée; mais tout fait présumer que ce sera
M. Laporte qui en restera encore en possession pendant deux
années. Voici ce qu'on lit à ce sujet dans le Courrier des
théâtres.
La gestion de M. Laporte, le directeur titulaire actuel , n'a
été heureuse que dans ses premières années. Elle ne l'est plus,
et son état est tel qu'après une lutte pénible contre d'innom-
brables créanciers , M. Laporte a enfin perdu sa liberté. Il est
à Londres dans la prison réservée aux débiteurs embarrassés.
De là , cependant , il correspond avec tout le monde , fait
tête à l'orage, discute ses .intérêts passés, présens et à
venir , signe même des engagemens , et réclame la direction
du King's théâtre, aux termes de son bail de trois années, qui
en a encore deux à courir. Il paraît que, pour s'assurer cette
dernière possession , sur trois mille louis dont il était redeva-
ble pour son loyer, M. Laporte en aurait donné mille , croyant
bien que cette somme était imputable sur cette seule dette.
Mais les syndics des créanciers (car la location de la salle ap-
partient aux victimes de plusieurs faillites) auraient reçu ces
mille louis , non pas comme à-compte sur le prix du loyer de
M. Laporte , mais comme provision sur d'autres dettes de cet
.administrateur. Si Cette dernière prétention était reconnue par
les tribunaux, qui sans doute vont être appelés à en décider ,
le mauvais état des affaires de M. Laporte l'empêchant de
fournir une nouvelle somme par forme d'à-compte sur le mon-
tant de son bail , la possession de ce bail lui échapperait,
et l'on pourrait choisir un autre directeur. Si, au contraire ,
les magistrats admettent que les mille louis sont réellement un
à-compte sur le prix du loyer, il y aura engagement synnllng-
malique , reconnu par les parties elles-mêmes , entre M.
Laporte et les syndics locateurs; et ce dernier, maître du bail,
le deviendra tout naturellement de l'exploitation.
Mais en Angleterre les procès commencent et finissent rare-
ment. Ou en cile qui durent depuis un demi-siècle, et dont la
conclusion n'est pas même probable. Plusieurs des théâtres de
Londres sont noyés de procès, sans que les directeurs qui
368
GAZETTE MUSICALE DE PARIS.
occupent ces localités y trouvent le moindre obstacle à leurs
travaux.
Tel était donc l'état de la question lorsqu'après la saisie de
la personne de M. Laporte , les syndics-chambres ont eu
l'idée d'ouvrir un concours pour l'admission d'un nouveau
directeur. Nous avons dit ceux qui se sont présentés. De ce
nombre étaient MM. Robert et Severini , qui sont chez nous
à la tête du Théâtre-Italien. Leur offre a prévalu. Aussitôt ,
pour mieux s'entendre sur les détails et bien connaître la situa-
tion générale, M. Sévérini est parti pour Londres. Là , il s'es
convaincu de l'impossibilité de se charger de la direction du
King's théâtre , sans courir les chances fort alarmantes d'un
procès dont M. Laporte et ses ayant-cause seraient les parties
les plus actives. Ces obstacles ne sont pas même les seuls op-
posés à la prudence pleine de probité de MM. Robert et Seve-
rini. Celui-ci revient donc", et les choses en sont là.
Pour justifier la réserve de M. Sévérini en cette occasion ,
nous allons produire un document d'après lequel on jugera
combien il y a lieu de s'inquiéter des recelles dans une exploi-
tation qui exige les dépenses suivantes :
Premiers sujets (chants) et choristes, 10,000 liv. sterl.
Danseurs , y compris le corps de ballet , 8,000
Loyer du théâtre , 1 1 ,000
Orchestre, 7,200
Eclairage , 1 ,5oo
Chauffage du théâtre , 200
Service militaire et de police, 200
Billets, 200
Averlissemens , '20
Régie du théâtre, 600
Figurans , 200
Copie de la musique , J0°
Dépenses légales , 20°
Ouvreuses de loges , 20°
Costumes et habilleurs , 56o
Mises en scène et décorations , 6bo
Blanchissage , 00
Balayage du théâtre (quatre hommes à
5 schellings par jour , et autres dé-
penses) , I0°
Machinistes, "2°
Portier , 3o
Serviteurs, 4°
Surveillant , 3o
Menues dépenses, taxes, assurance,
réparations , etc. , environ r,ooo
Total.
C'est-à-dire environ 1,062,750 fr.
Recettes.
Montant des souscriptions pour l'an-
née i834,
Recette au bureau ,
Représentation au bénéfice de Laporte,
42,5io liv. sterl.
26,000 liv. sterl-
l5,000
4 1 ,ooo
1,000
42,000
Total.
C'est-à-dire environ i,o5o,ooo fr.
De sorte que, pour avoir exposé nécessairement un capital
d'un million soixante-deux mille sept cent cinquante francs ,
le directeur, à qui les jours et les nuits n'ont pas suffi pour
gouverner comme il faut son entreprise, source de tant d'in-
quiétudes et de tourmens , obtient en résultat une perte de
douze mille sept cent cinquante francs !
Celte affaire , si elle n'est améliorée et rendue plus facile
sous l'aspect financier, ne peut donc convenir qu'à deux per-
sonnes : un honnête homme résolu à s'y ruiner , ou un fripon
qui, n'ayant rien à perdre , se décidera à tous les sales moyens
pour y gagner quelque chose.
CONCERT DE M. BERLIOZ.
C'est avec plaisir que nous avons vu la saison musi-
cale s'ouvrir par deux concerts remarquables , dont cha-
cun offrait un genre d'intérêt particulier. Après avoir été
charmés mercredi dernier dans les salons de M. Stœpel,
par les meilleurs morceaux de musique allemande et
italiennne, exécutés avec une rare perfection les dilettanti
ont rencontré des jouissances plus vives encore au con-
cert donné par M. Berlioz, dans la salle du Conserva-
toire , et qui a commencé par l'ouverture du Roi Lear ,
de ce compositeur. Cette ouverture est une de ces œu-
vres dont on sent toujours mieux le mérite a mesure
qu'on les approfondit davantage, et nous nous réservons
d'en dire notre opinion après que nous l'aurons encore en-
tendue plusieurs fois. — Les deux quatuors de chant avec
accompagnement d'orchestre , le premier sur une orien-
tale de Victor Hugo (Sara la baigneuse) ; et le second :
La Belle voyageuse > légende irlandaise, ont captivé
l'intérêt de l'assemblée par la conduite originale des
voix, et la manière dont ces quatuors ont été chantés
par MM. Puig, Hense et Boulanger. Indépendamment
de ces compositions de M. Berlioz et de sa symphonie
fantastique dont nous parlerons a la fin de cet article, ce
concert offrait un autre atlrait , le début de M. Panojka
et de Mme JVillan-Bordogm. Nous nous plaisons
a constater le succès de ces deux talens remarqua-
quables. M. Panofka a exécuté une fantaisie écr'te pour
le violon, sur cet air favori de Grétry, qui est devenu
national : Une Fièvre brûlante. Le choix du thème de-
vait faire pressentir que cette fantaisie ne serait pas sur-
chargée de ces difficultés dont la plupart des œuvres de
nos virtuoses sont saturées ; et, en effet, M. Panofka
nous a fait entendre une composition qui, bien qu'analo-
gue au thème et remplie de sentiment, ne manque néan-
moins ni de brillant ni de variété. Dès l'introduction ,
où le violon exécute un chant noble et d'une belle
instrumentation , le public a témoigné sa satisfaction
par de vifs applaudissemensbien mérités par l'exécution
grandiose, pure et passionnée de la cantilène et la préci-
sionde la cadence. Les variations, dont la première porte
l'empreinte d'un sentiment élevé , et dont la seconde est
d'une grande difficulté, et a doubles cordes avec des
coups d'archet tout particuliers, ainsi que l'adagio, sont
fort remarquables. La variation finale, où les premiers vio-
lons de l'orchestre répètent le thème , pendant que le
violonsolo se livre à de brillans passages, a, de même que
le Coda, excitédeviis applaudissemens, qui ont redoublé
au moment où le jeune et modeste artiste s'est retiré.
Notre opinion sur le mérite de M. Panofka s'accorde en-
tièrement avec celle qu'un des critiques allemand des plus
célèbre, M. le professeur Marx, à Berlin, exprimait déjà
sur son compte en "1829, dans la Gazette musicale de
Berlin. Il disait alors : « Tous ceux qui ont enlendu
» M. Panofka ont apprécié la vigueur et la beauté des
» sons qu'il sait tirer de son violon, la hardiesse et la
» chaleur qu'il met dans son exécution ; tous désirent
» l'entendre bientôt de nouveau. »
Après la fantaisie de M. Panofka, Mme Willan-
Bordogni a chanté un air de la Donna ciel lago. Une
belle méthode , beaucoup de facilité et de vigueur d'ex-
pression sont les qualités que nous reconnaissons avec
plaisir à cette artiste. Sortie de l'école célèbre de son
père, douée d'un beau mezzo-soprano , elle sait donner
un essor tout particulier à sa voix, et, accueillie avec
beaucoup de faveur par l'assemblée entière , elle mérite
de prendre rang parmi les cantatrices distinguées.
La seconde partie du concert se. composait de la sym-
phonie fantastique de Berlioz. Nous le dirons hardi-
ment : nous plaignons les auteurs et les amateurs qui
ont été, cette fois, privés d'entendre ce chef-d'œuvre.
Pour nous , nous l'avions déjà entendu quatre fois ;
mais , jamais il n'avait été exécuté avec autant de feu ,
avec autant d'enthousiasme , par l'excellent orchestre du
Conservatoire. 11 serait superflu de chercher à analyser
celte symphonie ; faire un examen analytique de l'idée
fondamentale toute poélique, et de la dernière exécu-
tion si parfaite de cette composition, est, en effet, une
chose aussi impossible que d'analyser la symphonie
Eroica de Beethoven.
Comment, en effet , donner une idée exacte de cette
instrumentation neuve, originale et grandiose? Com-
ment rendre cette impression poélique de terreur que
cause la marche du supplice? Comment peindre avec des
paroles la délicieuse scène aux champs? Comment, en-
fin , décrire le bal et toutes les sensations que le composi-
teur a exprimées dans cette partiede son œuvre? Se livrer
a cette analyse, ce serait nous le répétons, ce serait entre-
prendre unechose impossible. Nous dirons donc seulement
que si l'on a le désir d'entendre une composition gran-
diose, véritablement poétique, pleine d'originalité et em-
preinte des vrais caractères de la musique, on doit s'em-
presser d'aller entendre cette symphonie. Berlioz s'y
montre un compositeur grand et original dont on doit
attendre beaucoup. Il ne nous reste donc à parler que de
l'effet que cette symphonie a produit. Jamais elle n'a-
vait encore été exécutée avec autant de verve, de préci-
sion et d'ensemble. Honneur à l'excellent directeur d'or-
chestre, M. Girard ! Honneur à tous les artistes de l'or-
chestre , qui ont su comprendre cette création de Ber-
lioz dans toutes ses nuances qu'ils ont rendues avec
un merveilleux talent. Le public électrisé a redemandé,
au milieu des plus vifs applaudissemens, la marche du
supplice que l'orchestre à de nouveau exécutée comme
un seul vistuose , et., après avoir témoigné le désir de
voir M. Berlioz, il lui a prodigué les plus bruyantes
marques de satisfaction , quand ce compositeur a paru
sur l'estrade de l'orchestre. Ainsi s'est terminé un con-
cert qui était une véritable fête musicale. M. Berlioz en
donnera encore deux, dont le premier aura lieu diman-
che âo novembre; on n'y entendra que des composi-
tions toutes nouvelles de ce génie musical.
PROJET D'ERECTION
D UN MONUMENT EN BRONZE A LA MÉMOIRE DE
CH. M. DE WEBER.
Les artistes allemands qui se trouvent en grand nom-
bre à Londres ont conçu le projet d'élever un monu-
ment en bronze à la mémoire de Ch. M. de Weber.
On lit h cet égard dans une feuille anglaise : « A moins
que les restes de Weber ne soient réclamés par sa fa-
mille, ou que toute l'Allemagne ne tienne à honneur de
revendiquer ses droits sur les dépouilles mortelles de
son illustre compatriote, nous ne doutons pas de l'exé-
cution du projet des artistes allemands réunis a Londres;
car ils se flattent avec raison que, non seulement tous
leurs concitoyens élablis en Angleterre voudront con-
courir a son accomplissement, mais qu'ils recevront
aussi des fonds de la part des nombreux admirateurs du
génie de Weber qui sont répandus en Allemagne et dans
les autres pays où l'on a déploré sa mort précoce. Jus-
qu'à présent, les restes du célèbre compositeur sont tou-
jours déposés dans le caveau de la chapelle de Sainte-
Marie, à Mooifield, nia's sans aucune marque de dis-
tinction, et renfermés dans trois cercueils dont Je poids
menace de fouler bientôt les cendres de cet immortel ar-
tiste. Afin de prévenir ce fâcheux événement, il est
question de changer cet état de choses , et même de
transporter le cercueil dans un autre lieu ; mais rien n'est
GAZETTE MUSICALE
encore décidé sur ce point. Le dessin et l'entière exécu-
tion du monument ont été confiés à M. Charles Hertler
de Breslau , artiste distingué, qu'un voyage entrepris
dans l'intérêt de la science et de son art a conduit de-
puis peu a Londres, et qui a promis de seconder de tous
ses moyens l'accomplissement du projet. Parmi les sous-
criptions déjà reçues, se trouvent celles de MM. Mosche-
ler, Mendelsohn Bartholdi, de madame Stockhausen, de
M. Mangold, maître delà chapelledu grand-ducideHesse,
a Darmstadt, celle de madame Dulken, professeur de
piano distinguée, à Londres, etc. Pour l'Allemagne, c'est
à Berlin , le libraire et éditeur de musique , M. Schle-
singer qui se charge de recevoir les souscriptions et de
tenir le public au courant des progrès de l'entreprise ,
a laquelle tous les journaux sont invités à s'intéresser par
la publication du projet des artistes allemands de Lon-
dres.» — A Paris, une liste de souscriptions sera ouverte
chez M. Maurice Schlesinger, 97, rue de Richelieu.
APHORISMES.
N° 2. — GOUT.
On distingue le goût matériel de celui qui est pure-
ment intellectuel : ce dernier s'étend a la critique du
beau et du sublime dans l'art ou dans la nature. Mais,
d'une part, l'expérience démontre que le goût intellec-
tuel se manifeste aussi diversement que le goût matériel,
ce qui a fait qu'on a voulu étendre a cette espèce de
goût l'ancien proverbe : de gustibus non est disputan-
dum (1).
D'un autre côté , l'expérience enseigne encore que
le goût, ou , si l'on veut, les jugements portés d'après
les lois de l'estétique peuvent donner lieu a de nom-
breuses disputes , sans qu'il soit aisé de fixer le terrain
d'une manière précise, parce qu'il faut toujours faire la
part du temps , du lieu , ainsi que de l'organisation in-
dividuelle des critiques opposés. On reconnaîtra donc
qu'il faut diviser le goût en deux catégories : le goût
instinctif, et le goût cultive'. Par le premier, on en-
tend cette disposition matérielle qui nous porte vers une
appréciation du beau et du sublime; par le second , on
désigne la même disposition plus ou moins développée
par l'expérience et la pratique. C'est ainsi que l'on assi-
gne au goût les diverses épithètes de rude, grossier,
opposées a celles-ci -.fin , délicat , ou formé. On peut
donc dire de tel homme qu'il manque absolument de
geiit, quoiqu'il ne puisse arriver a personne d'être tota-
lement privé d'une certaine disposition a apprécier le
(•)) Il ne faut pas disputer des goûts.
beau et le sublime. Le sauvage le plus grossier a une
espèce de goût qui lui est propre; aussi devrait- on di-
viser l'absence de goût en absolue et relative. La pre-
mière ne peut se rapporter qu'aux animaux , et la seconde
a cette espèce d'hommes qui se rapprochent de la brute.
Le goût diffère du génie en ce que celui-ci crée , tandis,
que l'autre se borne a juger. Mais , de même que le goût
peut exister sans s'allier au génie , de même aussi ce
dernier n'est pas nécessairement uni avec le goût ; ou,
en d'autres termes , il peut très bien arriver qu'une
grande puissance créatrice ne se trouve pas accompa-
gnée d'un goût délicat et épuré.
Revue Critique.
Rondo militaire sur un air du Serment, d'Auber,
pour le piano, par Henry Herz. Op. 69; prix :
7 fr. 50 c.
Cette ncuvellc production de M. Herz ne contient absolu-
mont rien de nouveau, à moins qu'on ne veuille regarder
comme nouveautés certaines progressions passablement vi-
cieuses que l'auteur eût dû éviter par pitié pour nos oreilles. A
part cela, cet ouvrage, comme tous ceux publiés récemment
par ce compositeur, est totalement dépourvu de jfraîcheur et
d'éclat , et même de ce soin qu'on ne pouvait méconnaître dans
ses premières œuvres ; et du reste il ne pouvait en être autre-
ment. Lorsqu'avec ses œuvres, bien calculées pour le piano, et
dans lesquelles règne constamment une seule et mêmejcouleur,
bien appréciée du reste par tous, parce qu'elle est à la portée du
vulgaire , M. Herz fut parvenu à se faire un certain nom , il se
trouva bien venu auprès des marchands de musique, qui virent
en lui un arrangeur adroit et jouissant de la faveur du public,
et par la même occasion, le compositeur ne tarda pas à s'aper-
cevoir qu'il suivait la véritable route, la seule qui pût le mener
à une prompte réussite, autrement dit, à la fortune. C'est à
celte spéculation si prosaïque , si contraire à toute idée d'ar-
tiste, [que la plupart des productions de M. Herz doivent le
jour. Que doit faire la critique? doit-elle traiter tous ces ar-
rangemens , indignes avortons de l'avarice, comme des com-
positions véritables ? Ces pâles et insipides produits de l'amour
du gain, doit-elle s'en occuper comme d'oeuvres inspirées par
l'âme et le talent? Suivre une telle ligne ne serait-ce pas imiter
ceux qui s'aviseraient d'arracher les dents d'un mourant pour
l'empêcher de mordre personne avant sa mort? Nous croyons
mieux faire en indiquant le véritable point de vue sous lequel
doit être considéré un tel écrivailleur , ainsi que les causes qui
ont pu contribuera le faire réussir. Par ce moyen, nous pour-
rons laisser dans l'oubli plusieurs morceaux d'un compositeur
qui se copie lui-même , et nous nous faciliterons les moyens
d'examiner des ouvrages où l'on voit briller un avenir. Parmj
les jeunes artistes qui font des efforts sérieux , il en est tels qui
méritent une semblable distinction, puisqu'au milieu de l'apa-
thie générale ils u'ont pas craint de rechercher dans la nature
les lois sublimes de ce beau idéal qui brille dans les œuvres des
grands maîtres.
C'est encore aujourd'hui une question intéressante que celle
de savoir comment les arrangerons de Czerny et de Herz ont
pu être accueillis avec une faveur aussi incroyable, dans un
moment où Beethoven léguait à l'univers ses dernières compo-
sitions pour le piano, tandis que le génie de Schubert créait
pour le même instrument des p eiutures si animées , dans un
moment enfin où l'ill ustre auteur du Frejschulz suivait aussi
une route si différente, H ne manque pas de personnes qui ré-
pondront à celte question en accusant le goût corrompu du
public. Nous allons de notre côté exprimer des idées que nous
croyons plus près de la vérité.
Lorsque Beethoven parut, le piano était encore un instru-
ment presque nouveau, dont la puissance de son et la richesse
harmonique représentaient à son oreille un orchestre tout entier.
Son habileté extiaordinaire pour cette époque le mettait aisé-
ment à même de s'abaudonner à toutes les ressources de son
génie, et, dans ses sonates pour le piano , il a reproduit une
partie du nouveau monde créé par sa colossale imagination ;
mais il arriva souvent que ce qu'il écrivait pour le piano ne
pouvait produire aucun effet parce que cela était contraire au
caractère de l'instrument ; et comment en eût il été autrement ,
puisque le mécanisme qu'il possédait, il le devait à l'étude du
clavecin et à ses compositions pour l'orgue. Weber et Schu-
bert le suivirent de plus ou moins près dans cette manière d'é-
crire pour le piano. Tandis que Beethoven , avec sa riche et
poétique imagination, retrouvait dans le piano l'idée de tous les
autres instrumens, Clemenli, plus calme et plus réfléchi ,
voyait là un instrument encore entièrement neuf, entièrement
inco nnu , et qui réclamait une théorie. C'est par là que Cle-
menli a droit à notre reconnaissance, c'est par là que sa gloire
sera durable. Une fois la route tracée , on reconnut le véritable
caractère de l'instrument , et l'on dut se rendre compte des
conditions nécessaires pour obtenir un son pur et propre à ren-
dre un chant suave. Et quel est l'homme dans le monde entier
qui, après avoir entendu les compositions de Field dignement
exécutées, puisse mettre en doute que le piano soit un instru-
ment chantant? Que l'on essaie de reproduire sur d'autres in-
strumens ces gracieuses mélodies et leur délicieux effet ! on n'y
parviendra pas! Cela seul prouverait l'excellence de l'instru-
ment auquel ces mélodies doivent lejour.
Quand les élèves de démenti , de même qu'en Allemagne
Humel (qui dans ses oeuvres n'est fidèle ni au système de
Clementi , ni à celui de Beethoven , et que l'on pourrait appe-
ler l'homme du juste-milieu), ainsi que Moschelès, eurent pro-
curé au piano tous les perfectionnemens désirables , Czerny et
Herz trouvèrent tout préparé un style qu'ils modifièrent à leur
manière, ou plutôt qu'ils affaiblirent. C'est à cette manière
de traiter l'instrument qu'ils doivent pour la plus grande par-
tie le bonheur qui a accompagné leurs arrangemens. Là , rien
n'est perdu , et les passages les plus difficiles sont de nature à
faire briller l'exécutant un peu studieux pour s'en rendre maî-
tre ; mais aussi celte propriété, dont ils^ont plutôt hérité qu'ils
ne l'ont acquise par eux-mêmes , c'est le seul bon côté de leurs
œuvres, dans lesquelles on ne saurait retrouver nulle trace des
poétiques efforts des J.-B. Cramer, des John Field, des Fer-
dinand Ries, des J.-N. Hummel , des Ign. Moschelès, des
Louis Berger , et des Chopin.
On a dit que M. Herz avait bien compris son époque : oui
certes; il en a dignement chanté la sécheresse , et la foule l'a
applaudi. Qu'il tâche de la comprendre encore aujourd'hui ;
qu'il se garde bien de confondre l'aurore avec le couchant , et
par-dessus tout qu'il pardonne à ses contemporains d'avoir
placé sur sa tête un laurier dont il n'était pas digne.
{Nouvelle Gazette Musicale de Leipzic. N. fo.)
NOUVELLES.
J*, L'Opéra jouit dans ce moment d'une vogue telle qu'un
spectacle de nécessité a produit vendredi dernier plus de
6;ooo francs de recette.
+%. Moïse a produit au Théâtre italien un effet prodigieux.
Lablache s'est surpassé dans un air de Paccini, qu'il a inter-
callé vers la fin de l'opéra, et que le public enthousiasmé a
voulu entendre une seconde fois. Cet ouvrage a fait cette se-
maine trois abondantes recettes.
+% Pour satisfaire à l'empressement des dilettanti qui ne
peuvent trouvor place aux représentations ordinaires du théâ-
tre Italien , on annonce pour aujourd'hui dimanche , par ex-
traordinaire , une représentation somposée de : la Prova d'un
Opéra séria et II Barbiere , réduit en un acte. La salle sera
trop petite !
* Avant le Cheval de bronze, que doit précéder le Che-
valier noir, l'Opéra-Comique donnera la Sentinelle perdue ,
opéra eu un acte, dont la poème est attribué à M. de Saint-
Georges , et la musique à M. Rifaut, qui, dans la place qu'il
occupe à l'Opéra-Comique , a rendu tant de services aux au-
teurs et aux compositeurs ses confrères.
+** A l'Opéra-Comique te Marchand Forain et le Chalet
attirent beaucoup de monde. Mardi dernier ces deux pièces
réunies ont produit une recette de 5,ooo francs. On a entendu
dans la même soirée deux morceaux exécutés par madame Fi-
lipowitz, sur le violon , avec un rare talent et une pureté de son
remarquable.
A Incessamment le théâtre Ventadour donnera une repré-
sentation au bénéfice de M. Henry, composée d'une pièce nou-
velle intitulée : le Condamné pour opinion politique, dans la-
quelle la célèbre tragédienne anglaise , madame Smithson-Ber-
lioz , remplira le rôle principal.
+*+ Voici le programme du deuxième concert que M. Ber-
lioz donnera dimanche 23 novembre dans la salle du Conser-
vatoire, rue Bergère. Tous les morceaux exécutés dans ce
concert sont nouveaux, et n'ont jamais été exécutés aupara-
vant : PREMIÈRE PARTIE :
Fantaisie romantique, pour soprano et orchestre, sur une
Orientale de Victor Hugo, musique de M. Berlioz. Chanté par
mademoiselle Falcon. — Solo de violon, par M. Ernest. —
Les Ciseleurs de Florence , trio avec chœurs et orchestre , de
M. Berlioz. Chanté par MM. Puig, Boulanger et ***. — Grande
Fantaisie fantastique, sur deux thèmes de M. Berlioz {la Bal-
lade du Pécheur et la Chanson de Brigands) , composée et
exécutée par M. Listz. — Romance avec orchestre , de M. Ber-
lioz, chantée par mademoiselle Falcon. — Ouverture de ff 'a-
verley , de M Berlioz, dcuxième partie :
Harold, symphonie en quatre parties, avec un alto princi-
pal, de M. Berlioz. — \'c Partie. Harold aux Montagnes,
scène de mélancolie, de bonheur et de joie. — 2e Partie. Mar-
che de Pèlerins chantant la Prière du soir. — 3e Partie. Séré-
nade d'un Montagnard des Abruzes à sa maîtresse. — 4e Par"
lie Orgie de Brigands. — L'alto sera joué par M. Urhau. —
L'orchestre composé de plus de 100 musiciens, sera dirigé par
M. Girard, l'habile chefd'orchestre du théâtre Nautique.
+% La commission de la souscription du mouument de
Boieldieu vient d'adresser une circulaire à messieurs les direc-
teurs des théâtres lyriques des départemens, et à messieurs les
présideus des sociétés philharmoniques pour les engager à se-
conder les efforts des artisles de Paris, soit par la voie des re-
présentalious théâtrales, soit par celle des souscriptions indi-
GAZETTE MUSICALE
visuelles, soit enfin par celle d'un concert public donn; au
profit de la souscription. Nous ne douions pas qu'on ne s'em-
presse de répondre à celte généreuse invitation.
* Un ballet joué au théâtre de la Pergola sous le litre de
là Foresta Perigliosa , n'a été que médiocrement applaudi.
+*+ Lestocq vient d'être représenté avec succès sur le théâtre
d'Amiens.
* L'Opéra-Comique donnera le Cheval de Bronze , de
Scribe et d'Auber, \ers le 20 décembre.
+*t Mme Mainvieille-Fodor, vient d'être soumise à une opé-
ration douloureuse que M. le docteur Cnweilhier a pratiquée
avec bonheur. Il s'agissait de s'opposer aux progrès d'une hu-
încur fistulaire qui aurait pu mettre en danger les jours de la
malade. Vers le milieu du mois , Mme Fodor sera en état de
retourner à Fontainebleau où elle a fixé son domicile.
% Pa°anini se trouve actuellement à la magnifique V Ma
Crayonna-, dont il a l'ait l'acquisition, et qui est située dans
les états de Panne. Le marquis de Negro, célèbre poêle génois,
qui est venu passer l'automne à Parme où il a vu son compa-
triote Paganini , vient de lui adresser une ode fort belle qu'il a
fait imprimer, et qui est digne , dit-on, du louange cl du louan-
geur.
+% Avignon , Toulouse et Montpellier ont, payé leur tribut
à la mémoire de Boieldieu, dans trois représentations extraor-
dinaires auxquelles le public a souscrit avec empressement.
+*+ Arnal se trouvait dernièrement au balcon du théâtre Ita-
lien; Tamburini , Lablache , mademoiselle Grisi chantaient.
Un importun maudit était assis auprès de lui et ne cessait de
fredonnera ses oreilles. Enfin Arnal n'y tient plus. Sa mau-
vaise humeur s'exhale en un seul mol, ii est vrai, mais expres-
sif s'il fut jamais. Monsieur se trouve incommodé, dit le fâ-
cheux , oserai-je bien demander la cause de son mécontente-
ment ? Eh ne voyez-vous pas, monsieur, que j'encage contre
ces diables de chanteurs qui depuis le commencement de la
soirée m'empêchent de vous entendre.
Musique nouvelle ,
A paraître incessamment chez Maurice Schles iager
MORCEAUX SUR LES MOTIFS
DE
CHAO-KANG :
Kalkbrenner. Galop des Lanternes.
— Deux airs de ballets. Nos 1 et 2. Chaque.
5
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Adam. Mosaïque. 6 »
— Enfantillage. 5 »
Duvernois. Deux Rondos. Chaque. 5 »
Cottignies. Trois fantaisies pour flûte. 5 «
Contredanses pour tous les instrumens arrangées par Tol-
becque et Musard.
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7 fr. 5o c.
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Louis N... (Op. 19). Fantaisie pour piano et violon avec basse
ad libitum sur la romance : Au revoir, Louise. g fr.
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J.-B. Duvernois, (Op 65.) Deux thèmes variés pour le piano.
Chaque. 5 fr. »
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Urhan {Ch.). A elle , lettres pour le piano , avec l'épigi
aphi
t Peut-être dans la foule
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Nous rendrons incessamment compte 'de cet ou-
vrage très-remarquable.
Publiée par Dclabante.
T. Labarre. L'Aspirant de Marine, opéra comique
eu un acle. Partition. 75
Parties d'orchestre. j5
— L'AspiranldeMarine.Ouverturepourorchestre. -12
Millier. L'aspirant de Marine, arrangé pour deux
violons. 7
— L'Aspirant de Marine, ouverlure pour deux vio-
lons. 3
5o
5o
Lud. Leplus. L'Aspirant de Marine, pour deux
flûtes. 7
— L'Aspirant de Marine, ouverture pour deux
flûtes, 3
J.-P. Pixis. Op. 120. Les trois Clochettes, avec
orchestre. 18
— Op. 120. Id. pour piano, violon, alto-basse. 12
— Op. 12) . Fantaisie militaire, avee orchestre. 18
— Op. 121. Id. pourpinnoav. violon, alto et basse. 12
— Op. 118. Quatrième Irio, pour piano, violon et
violoncelle. 1 2
Abonnement de Musique
D'UN GENRE NOUVEAU.
pour la MUSIQUE INSTRUMENTALE et pour les PARTITIONS
D'OPÉRA.
L'Abonné paiera la somme de 5o fr. ; il recevra pendant
l'année deux morceaux de Musique instrumentale ou une
partition et un morceau de musique , qu'il aura le droit de
changer trois fois par semaine ; et au fur et à mesure qu'il
trouvera un morceau ou une partition qu'il lui plaira, dans le
nombre de ceux qui figurent sur mon Catalogue , il pourra le
garder jusqu'à ce qu'il en ait reçu assez pour égaler la somme
de 75 fr., prix marqué, et que l'on donnera à chaque abonné
pour les 5o francs payés par lui. De cette manière l'ABONNE
aura la facilité de lire autant que bon lui semblera, en dépensane
cinquante francs par année, pour lesquels il conservera pour
75 fr. de musique.
L'abonnement de six mois est de 3o francs , pour lesquels on
conservera en propriété pour 45 fr. de musique. Pour trois mois
je prix est de 20 fr. ; on gardera pour 3o fr. de musique. En
province ,on enverra quatre morceaux à la fois. Affranchir.
N. B. Les frais de transport sont au compte de MM. les
Abonnés. — Chaque abonné est tenu d'avoir un carton
pour porter la musique. (Affranchir.)
Errata.
N°45. Page 358, ligne 29, lisez : Goudimel , Guilelmus
Guarncrii, Hycaert, Willaert; et sur la colonne suivante,
ligne 4 > au lieu de : Soupheros , lisez : son héros. Ligne 9 de
la même colonne, au lieu de : Stephen Malu, lisez : Stephen
Mahu. Page 361 , ligne 5 , au lieu de : s'élever triomphant
Rossini, lisez : s'élever triomphant le Rossignol.
Gérant, MAURICE SCHLESINGER
d'EVERAT. rue du Cadrai, b"l<J
GAZETTE MUSICALE
RÉDIGÉE PAR MM. ADAM, G. E. ANDERS , BERTON (membre de l'Institut), BERLIOZ, CASTIL-BLAZE , A. GUEMEB , HALÉYY
(professeur de contrepoint au Conservatoire), Jules janin , liszt, lesueur (membre de l'Institut), j. mainzer, marx
(rédacteur de la gazette musicale de berlin), d'ortigue , paxofka , richard, j. g. setfried (maître de chapelle
à Vienne), F. stœpel, etc. , etc.
1" ANNEE.
If 47.
PRIX DE L ABONNEM.
PARIS.
DÉPART.
ÉTRAKG
fr.
Fr. v.
Fr. c.
3m. 8
8 75
9 50
6 m. 15
16 50
18 ..
1 an. 30
33 «
36 n
£a (fjfazette iltusijcal* i>e \iavis
Paraît le DIMANCHE de chaque semaine.
On s'abonne an bureau de la Gazette Musicale de Paris, rue Richelieu, 97;
cîiez MM. If s directeurs des Postes, aux boréaux des Messageries,
et chez tous les libraire^ et Marchands de musique de France.
)u reçoit les réclamations des personnes qui ont des griefs à exposer, et les avis relatifs à 1;
qui peinent intéresser le nublic.
PARIS. DIMANCHE 23 NOVEMBRE 1834.
Nonobstant les supplé-
mens, romances ,fac li-
mite de Tëcriture d'au-
teurs célèbres et la galerie
des artistes , MM. les
abonnis de la Gazette
Mu icule de Paris , re-
< everont le premier de
chaque mois un morceau
de musique de piano.
Les lettres, demandes
et envois d'argent doi-
vent êlre affranchis, et
adressés au Directeur ,
rue Richelieu, 97.
COUP-D'ŒIÏ. SUR. LE DEVELOPPEMENT HIS-
TORIQUE DE LA MUSIQUE MODERNE (1).
ÉPOQUE ITALIENNE (1560-1720).
(&tolt Romaine.
Jusqu'à présent notre attention s'est portée exclusi-
ment sur l'école flamande ainsi que sur le nombre impo-
sant de grands maîtres qui l'ont illustrée, et nous avons
vu ces artistes répandre partout l'ait et la science de la
musique. Ce sont maintenant les Italiens chez lesquels
nous allons trouver l'art poussé a son plus haut point
de perfection et de popularité; car maintenant la Flan-
dre, cette antique et glorieuse patrie de l'art musical,
n'est plus représentée que par trois grands noms : Or-
lando di Lasso, Ciprian de Bore, Philippe de M.ons.
Mais à la tète de cette époque si remarquable, à laquelle
nous donnerons de préférence le nom d'Ecole italienne,
se place sans contredit Giovanni Pierluigi da Palastri-
na, né en 1524 , dans la petite ville de Palestrina , près
de l'ancienne Pranesta aux environs de Rome. En 1540,
et par conséquent dans la seizième année de son âge ,
comme il annonçait les plus belles dispositions pour la
musique, ses parens l'envoyèrent se former à Rome où
les musiciens étrangers , espagnols , français et flamands
jouissaient alors d'une haute estime. Parmi ces derniers
se trouvait Claude Goudimel de Bourgogne, qui diri-
geait a Rome une école de musique dont sont sortis,
(i) Voir Yerrata relatif au premier article.
entre autres artistes célèbres, Aniinuccia et G. M. Na-
nini. C'est a ce compositeur distingué (décapité depuis
a Lyon , dans l'année 1572 , comme huguenot. ) qu'ap-
partient, suivant les preuves fournies par Baini, l'hon-
neur d'avoir été le maître de Palestrina. En 1551, Pa-
lestrina fut appelé a la cbapelle pontificale créé par le
pape Jules II dans la basilique de Saint-Pierre du Vati-
can , et il y fut nommé magister pueiorum puis magis-
ter capellœ. En 1554-, il publia son premier ouvrage
consistant en un volume de messes, qui lui valut l'estime
des connaisseurs et la faveur du papeJulesII, par lequel
il fut placé, en 1555, au nombre des chanteurs de la cha-
pelle pontificale. Il prit possession de cette dernière place
en renonçant a celle de maître de chapelle a l'église de
Saint-Pierre du Vatican. Mais ce protecteur de Pales-
trina mourut quelques mois après, et la faveur de Mar-
cellus II ne put lui être d'un grande utilité parce que ce
pape lui-même mourut a son tour, après un règne de
vingt-un jours seulement. Paul IV monta alors sur le
siège pontifical, et, malheureusement pour notre Pales-
trina, le nouveau pape vint a trouver mauvais que,
parmi les chanteurs de la chapelle, il s'en trouvât plu-
sieurs qui non-seulement étaient étrangers aux ordres
spirituels , mais qui même étaient engagés dans les
nœuds du mariage. Palestrina, qui s'était marié précé-
demment, fut donc renvoyé avec, une faible pension, de
la chapelle pontificale , l'année même où il y était entré
(<555), et lui ainsi que sa famille fussent devenus la
374
GAZETTE MUSICALE
proie du besoin si on ne lui eût bientôt offert une place
tout nouvellement vacante à l'église Saint- Jean de La-
tran , place qu'il accepta avec reconnaissance malgré la
modicité des appointemens, et qu'il remplit avec zèle
jusqu'à l'année 1561 , où on lui conféra, a Sainte-Marie
Majeure , une autre place un peu plus productive. Pen-
dant tout ce temps, Palestrina n'était pas resté inactif,
bien qu'il ne livrât a l'impression aucun de ses ouvrages.
Tout a coup, en 1660, ses Improperia, qu'il exécuta le
Vendredi-Saint dans son église excitèrent une attention
si vive et si générale que le pape Pie IV lui en demanda
une copie, et ce sont les mêmes qu'on exécute encore
tous les Vendredis-Saints dans la chapelle du pape. Pa-
lestrina fit hommage au même pape, dans l'année 1562,
d'une messe a six voix sur les syllables ut, ré, mi, fa,
sol, la, et cette messe, surtout le cmcifixus, plurent
extrêmementau souverain pontife ainsi qu'aux cardinaux.
Mais une autre circonstance devait bientôt donner un
nouveau relief a l'immense talent de Palestrina. Au con-
cile de Trente, qui fut convoqué en 1562, après un
ajournement de dix années, on en vint a regarder comme
nécessaire une réforme dans la musique religieuse. Les
pères trouvaient un grand sujet de scandale dans la réu-
nion de paroles profanes et licencieuses avec la musique
sacrée , car alors encore existait la coutume si vicieuse
de composer des messes sur des paroles mondaines et trop
souvent frivoles. Mais le principal reproche concernait
la composition musicale en elle-même, et l'on se plai-
gnait surtout qu'au milieu des desseins de conlre point ,
à travers le dédale des canons et des fugues, les textes
saerés devinssent souvent tout-a-fait inintelligibles. On
fut sur le point de décider qu'à l'avenir la musique fi-
gurale sérail bannie de l'église ; l'apologie de quelques lé-
gats (non impedias musicam) jointe a des représentations
que l'empereur Ferdinand fit faire par son ambassadeur,
adoucirent le courroux des pères, et l'on remit a la fin
du concile les dispositions a prendre sur l'amélioration
du chant religieux. Dans l'année 1565, le pape nomma
enfin une commission de huit cardinaux pour applanir
cette difficulté, et on leur adjoignit huit membres de la
chapelle pontificale. Dans celte assemblée, on convint
tout d'abord que les chansons mondaines seraient pro-
scrites des messes et des motets. On eut plus de peine à
s'entendre sur l'exigence des cardinaux qui voulaient
que les paroles sacrées fussent récitées sans interruption
ni répétition , de manière a ce qu'on pût aisément les
comprendre, ce a quoi les chanteurs répondirent tout
naturellement que c'était une demande a laquelle il était
impossible de satisfaire, attendu que l'essence de la musi-
que harmonique consistait précisément dans les imitations
et les fugues, et que vouloirse priverde ces ressources, c'é-
tait prétendre anéantir la musique, qu'ainsi la demande
des cardinaux était inadmissible surtoutpour des composi-
tions de longue haleine. On s'entendit enfin sur un point;
l'on convint de faire un essai dans un style noble et
simple tout a la fois, et, a cet effet, on élut Palestrina dont
les Improperia et la messe ut, ré, ini, fa, sol , la avaient
frappé l'attention des cardinaux. Il écrivit en consé-
quence,- d'après le plan qui lui était tracé , trois messes
à six voix, et, dès la première épreuve, la question fut
déclarée résolue. La troisième de ces messes fut surtout
regardée comme la meilleure et, en conséquence , à la
première solennité religieuse, qui suivit cette épreuve,
elle fut exécutée aux acclamations unanimes en présence
du pape et des cardinaux (1 ).
Le pape donna a Palestrina une preuve non équivo-
que de satisfaction puisqu'il le nomma compositeur de la
chapelle pontificale ; celte place ainsi que celle de maître
de chapelle à Saint-Pierre du Vatican qu'il avait rési-
gnée bien contrairement a ses intérêts, dans l'an-
née 1555, et que la mort d'Animuccia venait de rendre
vacante, fut pour le grand homme une espèce de com-
pensation aux longues privations qu'ils avait eu souffrir.
C'est vers cette époque que Palestrina, conjointement
avec G. M. Nanini ,_son ami et condisciple sous Goudi-
mel, ouvrirent à Rome cette école célèbre qui a produit
plusieurs compositeurs distingués, que depuis Nanini
continua a diriger, et dont l'esprit s'est conservé pen-
dant de longues années , principalement dans la chapelle
du pape. Palestrina termina sa glorieuse carrière dans
l'année 1594. Sa mort se trouve consignée a la date du
2 février 159-4, sur le registre de la chapelle papale par
la note suivante écrite de la main du chanteur Gamboce :
« Ce malin est mort le très-éininent musicien, M. Gio-
» vanni Pierluisci notre cher collègue et maître de cha-
» pelle de l'église Saint-Pierre , où son convoi a été ac-
» compagne non-seulement par tous les musiciens de
» Rome, mais encore par une immense multitude de
» peuple, pendant que le collège en totalité chantait le
» libéra me domine. »
Palestrina repose dans l'église Saint-Pierre au pied de
l'autel Saint-Simon et Judas , et sur sa tombe se trouve
celte inscription : « Johannes Petrus Aloysius Prœnes-
(1) Nous avons emprunté ces détails à l'estimable ouvrage
de Baini, et nous leur avons donné quelque étendue parce qu'ils
rectifient pleinement la version ordinaire sur la Missa papœ
Marcelli. C'est celte messe qui, réunie à quelques autres,
forma un volume que Palestrina dédia en ]56y au roi d'Espa-
gne Philippe II, sous le titre : Missa papœ Marcelli-, voulant
par ce titre témoigner un sentiment de gratitude envers son
auguste protecteur, le pape Marcellus II.
» tinus musicœ princeps! » Voici la liste de ses œuvres
dont, après sa mort, un grand nombre a été livré a l'im-
pression par les soins de son fils. Douze livres de messes
a quatre, cinq et six voix (Baini en possède un treizième
et un quatorzième livre, tous deux inédits). Un livre
de messes a huit voix ; deux livres de motets a quatre
voix et cinq livres de motets à cinq voix. Un livre d'of-
fertorium ( 68 numéros). Deux livres de litanies, sans
compter plusieurs compositions détachées de ce genre
contenues dans divers recueils; un livre d'hymnes pour
toutes les fêtes de l'année; un livre de magnificat pour
cinq et six voix ; un autre livre de magnificat à huit voix;
un livre de lamentations; deux livres de madrigaux a
quatre voix ; deux livres de madrigaux religieux a cinq
voix , abstraction faite de madrigaux détachés qu'on
peut trouver dans différais recueils. En outre, le digne
père Baini possède trois volumes de motets, un livre de
litanies et enfin deux livres de lamentations, !e tout en-
core inédit.
Le premier recueil des madrigaux publié en 1581
contient quelques chants d'amour ; mais le second qui
parut dans l'année de sa mort renferme des compositions
plus sévères dans lesquelles la poésie, qui exprime tou-
jours une piété pure, mystique, ardente, une espérance
céleste et une entière confiance en Dieu, est revêtue de
mélodies qui semblent l'écho divin d'un monde plus
élevé,. Ce sont les dernières inspirations d'une âme pieuse,
sainte et divine, qui se consacre tout entière ;a Dieu et
a l'espoir d'une vie plus sublime. Le madrigal était a
cette époque la seule forme usitée dans les chants d'une
nature élevée; les paroles se composaient de seize vers
environ et étaient chantées par un nombre de voix obli-
gées qui n'était pas moindre de quatre et qui n'excé-
dait pas sx.
Le madrigal est né des chants psalmodiés a contre-
point figuré, accompagnés par l'orgue, et a son tour
c'est lui qui a donné naissance au motet. Le prince Ge-
sualdo da Venosa , contemporain dePalestrina, porta le
madrigal a un haut point de perfection ; les madri-
gaux , bien que les mélodies en soieut encore graves et
solennelles, furent bientôt dans toute l'Europe les chants
favoris des hommes comme des femmes. Alessandro
Scarlatti fut celui qui donna à ce genre son entière per-
fection. On cite comme un des plus beaux madrigaux a
quatre voix celui de Palestiina : « Alla riva del Tebro,
giovinelto vitkV io vago pastore » et on peut le trouver
imprimé dans le Saggio fondamentale de Martini. La
littérature abonde en panégyriques aussi justes que spiri-
tuels sur le talent incomparable dont Palestiina sut don-
ner tant de preuves. Le savant et respectable père Mar-
tini, dans l'ouvrage que nous venons de citer, apprécie
ainsi qu'il suit le mérite de Palestrina : « Ce grand
homme n'avait pas seulement 1 e mérite d'avoir étudié
tous les grands maîtres qui l'avaient précédé depuis deux
siècles; il savait encore, ce qui est bien plus digne d'ad-
miration , s'approprier toutes les ressources les plus va-
riées de leur art et de leur invention , mais après leur
avoir imprimé le cachet de son génie particulier. La-
borde compare le style de Palestrina avec l'ordre des co-
lonnes toscanes qui produisent sur notre âme un effet si
puissant par le mélange de grandeur et de simplicité qui
les distingue.
Si nous voulons maintenant , en thèse générale , ju-
ger Palestrina comme artiste, il faut nous rappeler avant
tout qu'il n'avait alors a sa disposition ni récitatif, ni
airs comme dans nos messes et nos oratorios. Le réci-
tatif, inventé seulement à sa mort , ne dut sa perfection
qu'a Allessandre Scarlatti et a Perti ; et quant a Varia ,
ce furent Cesti et Cavalli qui , vers le milieu du XVIIe
siècle, tournèrent leurs recherches de ce côté. Aussi,
dans les œuvres de Palestrina lui-même , le texte resta-
t-il toujours subordonné aux finesses du contre-point.
D'accompagnement instrumental , il ne pouvait encore
en être aucunement question. Quel petit nombre de
lessources étaient donc a la disposition de notre grand
maître ! et cependant , quels immenses effets n'a-t-il
pas su produire ! Le style de Palestrina se distingue par
la forée et l'élévation , comme celui de Léo brillait ,
un siècle plus tard , par la grâce enchanteresse de ses
mélodies unies librement a l'harmonie. Chez Palestrina,
ce que l'on trouve le plus souvent, se sont des suites
d'accords simples, purs, que n'interrompt qu'un petit
nombre de dissonnances préparées , et que relève rare-
ment une marche chromatique. Et pourtant on se trom-
perait fort si on se persuadait que toutes ses œuvres
sont écrites dans le style qui , dans la messe Papœ
Marcelli, parvint a réconcilier les cardinaux avec la
musique Jigurale. Le biographe de Palestrina remarque
même qu'il n'écrivit plus une seule autre messe dans le
même style. 11 avait étudié a fond toutes les finesses de
l'école, et il n'a pas manqué de les mettre en œuvre ;
mais ce qui fait son principal mérite, c'est qu'au mi-
lieu des entraves qu'il s'étaient évidemment imposées ,
il procède constamment avec une allure libre et dégagée
qui ne laisse jamais soupçonner la moindre gène ou le
moindre embarras. « Partout, dit Burney dans son his-
toire générale de la musique , partout , chez Palestrina ,
brille le feu du génie, malgré les embarras si gênans
du plein-chant , du canon , de la fugue , des inversions,
et de tous ces autres empèchemens si propres à refroidit;,
376
GAZETTE MUSICALE
pour ne pas dire a glacer tout autre que ce grand com-
positeur. » On peut admirer comme des modèles de
simplicité musicale ses improperia, une partie de ses
psaumes de vêpres, ses litanies et ses lamentations.
Parmi ceux de ses morceaux où il a eu plus recours aux
finesses de l'art et qui peuvent passer pour des chefs-
d'œuvre du genre ; nous citerons particulièrement sa
messe en canon intitulée Adfugam ; la strophe finale
de son hymne inimitable , dans laquelle le cantus firmus
est traité dans le style le plus sévère, en canon à deux
voix, tandis que les autres parties entièrement indépen-
dantes imitent entr' elles les divers membres de la phrase;
ou bien encore cet offertoiïum : « Tribularen si nesci-
rem, » dans lequel une voix intermédiaire fait entendre
un thème assez court qui, de sept pauses en sept pau-
ses , monte d'un degré, a cinq reprises différentes, en
descendant par le même procédé ( le même jeu se trou-
vant répété dans sept autres parties et précisément dans
le même ordre ) , tandis que les autres voix exécutent
entr' elles une foule de traits fugues. La messe du pape
Marcellus elle-même renferme une foule d'imitations
dont messieurs les commissaires spirituels ne soupçon-
naient assurément par l'existence, étrangers qu'ils
étaient aux mystères de l'art.
( La suile au numéro prochain.)
FETE FUNEBRE
EN L'HONNEUR DE BOYELOIEU, A ROUEN.
Un étranger qui serait arrivé à Rouen le jeudi 1 5 no-
vembre au matin sans avoir été prévenu de ce qui
allait s'y passer, eût été grandement surpris de l'aspect
que présentait cette ville. La garde nationale et la troupe
de ligne sous les armes, l'hôtel-de-ville et la cathéirale
toutes tendues de noir, une population se pressant dans
les rues étroites qui avoisinent le lieu de la cérémonie,
toutes les cloches mises en branle, toutes les autorités sur
pied pouvaient faire penser qu'il s'agissait de célébrer la
mémoire d'un souverain , d'un des puissans de la terre :
cependant l'air de curiosité répandu sur tous les visages
ne laissait place a la manifestation d'aucune mauvaise
passion : pas de ces rires indécens, de ces plaisanteries
déplacées, comme nous en avons entendu si souvent dans
des cérémonies du même genre, m&is qui alors étaient
célébrées poiirdes hommes dont le pouvoir avait fait tout
le mérite. L'hommage rendu à un simple citoyen avait
quelque chose de touchant qui excitait une vive sympa-
thie dans le peuple; car il n'est pas de profession, quel-
que obscure qu'elle soit, d'où il ne soit permis de s'élan-
cer pour se faire un nom dans les arts où il n'y a d'autre
aristocratie que celle du talent, et où, au contraire, une
humble naissance est souvent un tilre de gloire. Il me
semble, en effet, qu'Haydn, que Boïeldieu, admis dans
l'intimité et traités avec déférence par des têtes couron-
nées, devaient se dire avec orgueil : Mon père n'était
qu'un pauvre charron de village, ma mère tenait une pe-
tite boutique de mercerie à Rouen. Les Rouennais ont
parfaitement compris que ces honneurs rendus à leur il-
lustre concitoyen les honoraient eux-mêmes. Cela atteste
un grand progrès : la meilleure réponse à faire à ceux qui
prétendent que le commerce et les arts sont incompati-
bles est l'exemple d'une ville toute commerçante sen-
tant si bien l'illustration que fait rejaillir sur elle le grand
musicien qui est né dans ses murs.
Une chapelle ardente était élevée sous le péristile de
l'hôtel-de-ville. Le cœur de Boïeldieu était déposé sur un
riche catafalque. A dix heures et demie précises le cor-
tège se mit en marche pour la cathédrale. Les brâjicards
du catafalque étaient portés par MM. Arnédée Méreaux,
Fournier, (ami deBoïtldieu), Andrieu, premier ténorjdu
théâtre de Rouen, et Nicololsouard, frère du célèbre com-
positeur de ce nom, et aussi artiste du théâtre de Rouen.
Les coins du drap étaient portés par MM. Henri Barbet,
membre de la chambre des députés et maire de Rouen,
Dibbon, Thomas, président de la Société libre d'émula-
tion, Duputel, président de l'académie de Rouen, et
MM. Zimmerman, Martin, Sevvrin et A. Adam, tous
quatre invités par la ville de Rouen a assister a cette
pieuse cérémonie. Pendant le traget de l'hôtel de ville a
la cathédrale, la musique de la ligne et de la garde natio-
nale exécutait des symphonies appropriées à la circon-
stance. A l'entrée de l'église, l'orchestre fit entendre une
marche funèbre de M. Berton, et la marche de Beetho-
ven connue sous le nom de marche pour la mort d'un
héros. Vint ensuite l'admirable messe de Chérubin! ,
fort convenablement exécutée par les amateurs et les ar-
tistes de la ville réunis ; puis l'air des Chevaliers de la
Fidélité , arrangé en trio avec des paroles latines par
M. Panseron. La décoration intérieure de la cathédrale
était la même que celle de l'église de Saint-Denis aux
obsèques de Louis XVIII. Toutes les tentures avaient
été prêtées par l'administration des Menus-Plaisirs. Cette
belle église gothique offrait un coup-d' œil magnifique.
Honneur au clergé de Rouen , qui a mis tant de bonne
volonté dans cette circonstance qu'on en avait eu a dé-
plorer de mauvaise a Paris; tous les archevêques ne se
ressemblent pas, grâce au ciel, et il en est qui savent
apprécier la reconnaissance et le génie. Dans le long tra-
jet qui sépare l'église du cimetière monumental, on dut
passer par le théâtre. La était le buste de Boïeldieu cou-
ronné de cyprès; M. Salomé, directeur du théâtre, re-
DE PARIS.
mit entre les mains d'un des commissaires le dernier ou-
vrage de Boïeldieu, la partition des Deux-Nuits,, dédiée
à la ville de Rouen, pour être portée devant le cata-
falque. Alors se déployèrent huit grandes bannières
noires où étaient écrits en lettres d'argent les titres des
principaux opéras de Boïeldieu. Ces bannières prirent
place dans le cortège. Eu ce moment, la musique com-
mença à faire entendre des airs de Boïeldieu. Par un ha-
zard remarquable ; le premier qu'on exécuta fut l'air :
Tournez fuseaux légers de la Dame-Blanche , le même
qu'on entendit a Paris au cimetière du Père-Lacbaise, au
moment où le cercueil descendait dans la tombe ; et cette
circonstance produisit une vive émotion sur ceux qui
avaient assisté a la première cérémonie.
Il est bien d'observer ici la parfaite convenance qui se
fit remarquer dans les moindres détails de ce qu'on fit à
Rouen pour honorer la mémoire de Boïeldieu. Si quel-
quefois on a l'occasion de blâmer l'intolérance sacer-
dotale, il n'est pas moins juste de convenir qu'il est des
croyances et même des préjugés qu'il faut savoir respec-
ter. Ainsi , tout ce qui pouvait se rattacber au souvenir
du théâtre fut éloigné avec soin tant que durèrent les cé-
rémonies de l'église, et ce n'est qu'au sortir delà cathé-
drale, qu'eurent lieu et la remise de la partition, et le dé-
ploiement des bannières, et l'exécution des airs d'opéras.
Cette preuve de tact et de goût fut parfaitement sentie.
Le cortège prit alors l'apparence d'une marche triom-
phale : c'est ainsi qu'il passa devant la promenade qu'on
vient de décorer du nom de cours Boïeldieu , puis de-
vant la modeste maison où s'écoula l'enfance de notre
célèbre compositeur. Un spectacle imposant se déploya
à l'arrivée au cimetière monumental. Toutes les hau-
teurs environnantes étaient couvertes d'une immense po-
pulation accourue de dix lieues a la ronde. Cette foule
bigarée formait un contraste magique avec le cortège noir
et silencieux qui se déployait a ses regards étonnés; joi-
gnez a cela un temps magnifique, une des plus belles vues
qui existent au monde, Rouen a nos pieds avec ses mai-
sons noires et antiques, et les tours et les flèches orgueil-
leuses de ses églises, la Seine, serpentant a travers les ad-
mirables campagnes qu'elle féconde, un tel tableau de-
vait survivre a [cette solennité. M. H. Burbet commanda
sur-le-champ a M. Bellangé, qui assistait a la cérémonie,
de reproduire cet effet unique sur la toile, l'assurant qu'il
achèterait le tableau pour son compte si la ville n'en fai-
sait pas l'acquisition.
Au cimetière, plusieurs discours furent prononcés, et
on chanta un trio sans accompagnement dont les paro-
les et la musique avaient été composés exprès par M. Ber-
ton. Ce morceau, très-simple et d'une mélodie pure, fut
parfaitement exécuté par trois amateurs dont je regrette
de ne pouvoir citer les noms, et produisit beaucoup d'ef-
fet; il est digne, et de celui qui l'a composé, et de celui
a qui il s'adresse : ce sont bien les adieux de Berton a
Boïeldieu.
Là devait se terminer la cérémonie ; mais un incident
vint encore la prolonger, et y jeter un nouvel intérêt.
Le peuple qui remplissait le cimetière voulut voir le cœur
de Boïeldieu , et ne se contenta pas qu'un des commis-
saires le lui montrât élevé dans ses mains ; il fallut qu'il
redescendît tout le champ du repos, montrant a la foule
empressée ce dernier reste d'un grand homme. C'était un
noble et touchant spectacle que celui de cette immense
population se découvrant avec respect devant cette triste
relique ; il fallait voir des hommes presque déguenillés
se disant entre eux : « C'était l'auteur de la Dame-Blan-
che! ! » Et ces vieillards s'approchant pour lire les mots
gravés sur la boîte d'argent, s'écriant avec orgueil : « Né
a Rouen ! » Puis se disant entre eux : « C'était cepen-
dant ce petit Boïel qui était si gentil , que nous avons
vu si enfant ! Qui nous aurait dit qu'il dût finir avant
nous? » — puis petit a petit la foule s'écoula silencieuse
et recueillie, sans le moindre désordre, et ne se doutant
pas du sublime exemple qu'elle venait de donner par cet
hommage éclatant a un artiste.
Nous serions injustes si nous ne rendions pas toute la
justice qu'ils méritent à ceux qui ont dirigé cette belle
cérémonie. M. Henri Barbet a le premier droit à nosre-
mercimens. 11 est impossible de mettre plus de grâce et
d'aménité que n'en a employé ce fonctionnaire envers
tous les artistes qui se sont prêtés a cette entreprise.
MM. Amédée Méreaux et Gaugain ont déployé un zèle
inimaginable pour amener un résultat dont les personnes
seules qui ont assisté a cette magnifique cérimonie peu-
vent se faire idée.
Si les Rouennais sont fiers de compter Boïeldieu au
nombre de leurs compatriotes, il n'est pas maintenant
un artiste qui ne s'honorerait d'avoir reçu le jour dans
une cité qui sait ainsi apprécier le vrai mérite.
Adolphe Adam.
Iphigénie en Tauride.
•1er acte. — 3mo article.
« O songe affreux! nuit effroyable!
» O douleur! ô mortel effroi!
» Ton courroux cst-il implacable ?
a Entends nos cris, ô ciel! apaise-toi.
Ce chœur est d'un beau caractère dans son auda-
cieuse simplicité. Il est en effet sans mélodie et sans des-
GAZETTE MUSICALE DE PARIS.
sins d'accompagnement. Gluck s'est borné a des accords
plaqués dans les voix et dans l'orchestre, se contentant,
pour le rhythme de suivreceluiquelameilleuredictiondes
paroles. indiquait. Il présente aussi une singularité que
les professeurs nommeront, comme toujours, une ex-
travagance, il commence en mi mineur, et finit en la.
Ceci ri est pas permis. .
Le récitatif qui suit est énormément trop long ; d'ail-
leurs le mode d'accompagnement adopté par l'auteur con-
tribue a en augmenter la monotonie. Ce sont des tenues
à quatre parties clans les instrumens à cordes. Il faut
avouer qu'on ne pourrait guère imaginer quelque chose
deplusdésavantageuxpourle|chanteurct de plus fatiguant
pour l'auditeur. Cette harmonie stagnante finit au bout
de fort peu de temps par faire naître un besoin de som-
meil presque irrésistible. C'est cependant ainsi que Gluck
accompagne tous les récitatifs ordinaires : il ne quitte les
tenues que lorsque la scène s'anime et que le dialogue
prend assez d'intérêt pourjse rapprocher du récitatif oblige.
Nous avons vu plus haut comment il sait alors
faire perler l'orchestre. Enfin vient le premier air : « 0
toi qui prolongeas nos jours, » c'est bien beau , bien no
ble, bien pénétrant. L'accord de quarte augmentée,
placé sur le mot : je l'implore , est d'un sens dramatique
profond : il s'agit de faire sentir qu'Ipbigénie demande
la mort comme l'unique faveur qu'elle puisse désormais
espérer ; cette nuance ne pouvait échapper à un homme
comme Gluck, et il a su la faire ressortir avec son habi-
leté ordinaire. Le reste de la phrase est magnifique, c'est
la douleur antique dans toute sa majestueuse beauté. La
seconde partie de l'air tourne un peu au récitatif, l'ac-
compagnement en est assez ordinaire ; on remarque seu-
lement une gradation bien sentie sur les deux derniers
vers :
« J'ai vu s'élever contre moi
» Les dieux, ma patrie et mon père. •>
La voix jusqu'au mot patrie, observe un crescendo, et
retombe tout-a-coup comme étouffée par les larmes sur
les mots « et mon père. » La cadence se fait en ut dièze
mineur, donnant ainsi tout l'avantage possible au retour
du thème primitif qui est en la.
Après un second chœur de prêtresses, écrit seulement
a deux parties, comme le premier, mais accompagné
par des accords soutenus d'instrumens a vent , au milieu
desquels se font remarquer les gémissemens des bassons,
la scène change et s'anime enfin d'une vie nouvelle. Le
farouche roi de la Tauride , Thoas , vient consulter
îphigénie sur les moyens de la délivrer des terreurs qui
l'obsèdent. Ce rôle comme tous ceux que Gluck a écrits
pour la voix de basse, est a peu près inexécutable aujour-
d'hui. Il roule constamment dans les cordes hautes , ut
dièze, ré, mi, fa dièze, et même sol; or, ces deux der-
nières notes n'existent réellement pas dans l'étendue na-
turelle de la basse. On justifie mal le compositeur en
disant que le diapason de son temps était d'un ton plus
bas que le nôtre ; cette raison n'empêche pas que tout ne
soit encore trop haut pour pouvoir être chanté par une
voix ordinaire. Le diapason était plus bas, soit, mais
tout ce que vous y gagnez , c'est que les sol deviennent
des fa, et les fa dièzes des mi.
Il est plus probable que Gleck n'a écrit ainsi que pour
obtenir ces sons forcés de basse, qui ont , lorsque le
chanteur peut les donner avec adresse , un caractère de
férocité tous particulier. Ce timbre âpre et rude est très-
avantageux dans certains cas; on conçoit que le compo-
siteur se soit laissé entraîner a en tirer parti. Mais de la,
sont venus les cris qui pendant si long-temps ont rendu
ridicule certaine partie de l'exécution vocale a l'Opéra:
de la , résultait également un autre inconvénient , c'est
que les chanteurs n'exerçaient leur voix que depuis lemé-
dium jusqu'aux notes élevées, perdaient ainsi a la lon-
gue tous leurs sons graves, et devenaient incapables de
chanter un air écrit pour le véritable diapason de la
basse, quand l'occasion s'en présentait. L'air de Thoas,
dont nous allons nous occuper, est remarquable sous
rapport. La voix ne parcourt que l'étendue d'une dix-
ième diminuée, depuis le mi dièze du médium, jusqu'au
sol naturel haut; de telle sorte qu'une vraie basse pour-
rait le chanter d'un bout a l'autre a l'octave inférieure
avec infiniment moins de difficulté que tel qu'il est écrit.
La suite au prochain numéro.
Revue Critique.
Vingt-cinq Caprices pour le piano, composés par
M. Bertini jeune. Op. 94.
Cet ouvrage, complément des études caractéristiques
du même auteur, sera publié en six livraisons de vingt
à vingt-cinq planches au prix de 2 fr. 50 c. la livrai-
son, etc., etc.
Voici un titre qui captive notre attention, en ce qu'il nous
annonce d'un côté une œuvre d'art , et de l'autre une mar-
chandise. Nous regrettons d'être forcés d'avouer que cette
double recherche est loin de nous avoir conduits aux résultats
les plus satisfaisans ; une chose tout au moins nous paraît cer-
taine , c'est que M. Bertini est un peu plus fort en arithmé-
tique qu'en logique, mais qu'à tout prendre il n'est bien
avancé dans aucune de ces deux branches de la science. Nous
expliquons notre pensée.
M. Bertini donne le nom de Caprices à la composition qui
nous occupe. Musicalement parlant, un Caprice, tout le monde
le sait, est un morceau qui, par la forme comme par le fond ,
se distingue des créations musicales ordinaires et régulières ;
une composition dans laquelle la gaielé montée jusqu'à l'i-
vresse se change soudain en chagrin ou en humeur fantasque ;
où une tendre et rêveuse mélancolie fait place tout à coup à
des idées terribles et heurtées ; une composition enfin où au-
cune situation de l'âme ne parvient à se développer libre et
complète, mais où les nuauces les plus opposées et les plus
contraires se combattent mutuellement pour se faire place
tour à tour. Un tel morceau devra donc se distinguer aussi
par un changement fréquent des formes extérieures, que
ces changemens portent soit sur la mélodie ou l'harmonie,
soit sur le rythme , soit enfin sur le mouvement ; ceci est une
vérité incontestable , s'il est bien prouvé que , pour parvenir à
une expression variée, il faut avant tout varier les moyens d'ex-
pression.
Or, dans toute l'œuvre de M. Bertini , nous rencontrons
toujours et partout un ordre tellement constant, tellement
immuable dans les formes extérieures, soit de mélodie ou
d'harmonie , soit de rhythme , soit de mouvement , et il en ré-
sulte une telle uniformité , ou plutôt une telle unité de tons
dans l'expression, que, pour une semblable composition , le
titre de Caprice est celui qui peut le moins convenir. En outre
comment de véritables caprices pourraient-ils servir de complé-
ment à des études caractéristiques? c'est ce qui est pour nous
chose tout-à-fait incompréhensible. C'est ici que la logique de
M. Bertini nous paraît singulièrement en défaut. Le côté ca-
ractéristique d'une œuvre de l'art nous paraît résider avaut
tout dans le développement complet et détaillé d'une idée im-
portante ou dans la peinture exacte d'une situation de l'âme,
de telle sorte que l'ensemble général et ses parties les plus mi-
nimes sdient empreints d'un cachet particulier qu'on ne puisse
méconnaître, de manière enfin à ce que le tout soit dans un
rapport parfait avec les moindres détails. Maintenant, ces qua-
lités, comment les rendre compatibles avec la nature si libre ,
si indépendante, si variée du caprice? c'est là ce que nous
ne pouvons concevoir. Et en outre, ces prétendus Caprices,
qui, nous le dirons en passant , sont d'une assez médiocre dif-
ficulté , comment peuvent-ils servir de complément aux études
caractéristiques, ouvrage presque constamment remarquable,
par des difficultés beaucoup plus importantes et par une con-
ception bien autrement élevée ? Quant à ce qui touche le talent
d'arithméticien que nous nous plaisons à reconnaître en M. Ber-
tini, nous dirons seulement que, d'après son titre, nous ne
croyons pas sa méthode désavantageuse puisqu'il a trouvé de
vendre pour un prix très-modique (?. fr. 5o c.) vingt ou vingt-
cinq pages de musique , sans cependant donner aux acheteurs
une plus grande quantité de marchandise que ne le comporte
la modicité du prix. Avec une légère addition des signes usités
de répétition, en supprimant presque toutes les terminaisons
trop longues ou trop fastidieuses, et en retranchant un pendu
luxe de l'impression, les vingt ou vingt-cinq pages eussent pu
fort aisément être réduites à dix ou douze, et l'ensemble
de l'œuvre y eût gagné d'être débarrassé d'une foule de lon-
gueurs fort ennuyeuses. Reste une autre question, celle de
savoir s'il, est avantageux pour l'art en général de réduire à
presque rien le prix des œuvres musicales. Nous n'entrepren-
drons pas aujourd'hui de la résoudre. Nous serions charmés
que M. Bertini, qui , comme artiste, a fait le premier pas dans
celte carrière , daignât expliquer publiquement , pour l'instruc-
tion et l'exemple des autres, ses idées, qu'avant tout nous ne
pouvons nous empêcher de regarder comme quelque peu in-
compréhensible.
Nous nous empressons maintenant de donner à nos lecteurs
quelques détails plus précis sur celte œuvre en elle-même. La
première livraison contient quatre Caprices , dont trois sont
écrits en 3/8 et un en 12/8. Le mouvement de la valse est donc
celui qui domine. Considérés comme valses, ces caprices sont
réellement fort jolis, fort animés et surtout très-dansants, et en
dépit de plusieurs traits des plus vulgaires, il se trouve quel-
ques pensées nouvelles remarquables p3r l'invention, principa-
lement pages 2 et 3, les deux dernières et les deux premières
lignes ; page y, lignes 4, 5, 6; page -16 toute entière Mais pour
tout ce qui est grâce, expression vive et passionnée, ou autres
qualités analogues, on n'en trouve nulle trace dans celte livrai-
son. Lei quatre numéros de la deuxième livraison se recom-
mandent par une plus grande variété de rhylhme, et par plus de
grandeur dans la disposition générale. Le premier mouvement
du cinquième numéro est celui qui nous a particulièrement plu.
C'est un morceau plein d'intérêt pour la forme et pour le fond.
Nous sommes moins satisfaits du deuxième mouvement , qui ,
dans sa constante uniformité , n'offre rien de nouveau ni d'a-
gréable, et qui n'est en aucun rapport avec la pensée princi-
pale. Le sixième Caprice n'est encore qu'une valse assez heu-
reuse, de même que le numéro 8, en observant .toutefois que
la forme principale des deux morceaux , quoique conservée
d'un bout à l'autre avec beaucoup d'hahilclé, ne présente ce-
pendant rien de gracieux ni d'original. Nous sommes plus con-
tents du numéro 7 sous le double rapport du travail et de l'in-
vention. Nous distinguerons sous les mêmes points de vue le
numéro g, qui 'ne ^manque pas d'une _vive expression carac-
téristique, bien qu'on puisse lui reprocher de l'uniformité ainsi
qu'une certaine absence de'grace et de légèreté. Le numéro "10
est encore un autre exercice en forme de valse. La basse , quel-
que peu triviale , est traitée avec un certain ait, mais la même
figure est conservée d'un bout à l'autre du morceau, c'est-à-
dire pendant six pages, de sorte qu'elle finit par être des plus
fatigantes pour l'oreille. Le numéro \\ ne manque pas d'o-
riginalité , et il est souvent bien travaillé ; mais ici encore
on prouve une basse trop raide; tandis que le chant de la
droite est loin d'avoir assez d'importance pour faire disparaître
l'uniformité de la basse. Le douzième Caprice forme un fort
joli scherzo, et peut être considéré comme un gracieux complé-
ment à l'ensemble de l'œuvre. Maintenant , s'il nous faut résu-
mer notre opinion sur cette publication de M. Bertini, nous le
ferons aiusi qu'il suit : M. Bertini vient de prouver encore une
fois qu'il veut et qu'il peut faire mieux que la foule des compo-
siteurs; c'est un homme qui écrit avec habileté pour le piano,
qui sait au mieux relever la valeur de ses pensées musicales par
toutes ressources possibles, et qui sait surtout produire dis ef-
fets neufs et remarquables par d'ingénieuses combinaisons du
rhythme.Mais ses idées comme ses images manquent de ce feu
sacré et de cette fraîcheur poétique qui vont droit à l'amc. Ses
œuvres ne peuvent ni loucher ni animer , et c'est grand dom-
mage , car ce sont là de ces qualités qui ne s'acquièrent pas,
la nature seule peut les donner, et elle ne peut faire à uu ai tiste
aucun don plus riche ou plus précieux.
3'SO
GAZETTE MUSICALE
NOUVELLES.
t*^. Aujourd'hui dimanche, à l'Opéra , la 116e représentation
de R,)be/-t-le-T>iable. M. Véron a préparé une petite place dans
son énorme coffre-fort pour recevoir 10,000 francs.
+% Mardi prochain , 25 novembre, l'Opéra-Italien donnera
un opéra nouveau, Erncini , expressément écrit pour ce théâ-
tre par M. Gabussi , jeune compositeur connu dans le monde
fashionable par des duos italiens que les salons de Paris ont
applaudis l'hiver dernier.
^^ On annonce pour la semaine prochaine à l'Opéra-Co-
mique la première représentation de la Sentinelle perdue. Le
même jour, mademoiselle Annette Lebrun débutera dans le
rôle de madame de Melval , dos Voitures versées.
+*t Pas de belle fête sans Robert-le- Diable ; c'est partout
comme à Paris. Pour célébrer l'arrivée de l'empereur de Rus-
sie à Berlin on a donné au grand Opéra le chef-d'œuvre de
Meyerbeer, il est inulile de dire que la représentation a été des
plus brillantes, et que l'ouvrage a obtenu un succès d'enthou-
siasme.
»% Aujourd'hui dimanche, au Conservatoire, concert de
M. Berlioz. Toutes les notabilités musicales se trouveront dans
la salle pour juger les nouvelles compositions de M. Berlioz.
+% Les cours de M. Slœpel , rue Monsigny, n° 6, sont fort
suivis cette année. Il est curieux de voir des enfans de six à
douze ans exécuter sur douze pianos des ouvertures, avec verve
et goût. Les progrès des élèves de ce professeur sont remar-
quables, et nous ne saurions assez recommander cette utile
institution aux parens qui veulent faire de leurs enfans de bons
musiciens.
<% On a exécuté cette semaine , Jdans les salons Laffitte et
aux concerts Musard , une ouverture composée des principaux
motifs de Robert- le-Diable. Cet ouvrage n'a pas produit d'ef-
fet rue Laflilte, et a obtenu un succès d'enthousiasme aux con-
certs Musard. Nous ne pouvons en accuser l'orchestre de ce
premier établissement. 11 est composé de jeunes gens de beau-
coup détalent. La faute en est à M. Mohr, excellente clari-
nette , mais très-mauvais chef d'orchestre, et qui devrait cé-
der cette place à un artiste plus expérimenté.
£% L Athénée musical va reprendre le cours de ses concerts:
l'orchestre sera dirigé par M. Grasset. Le président de cette
société est M. Onslow , que nous regretlons de ne pas voir à
Paris. L'Institut a déjà marqué sa place.
+*+ Pour le carnaval prochain, on a engagé MM. Schober-
lechner, Bonfiglii (tenorj, Ronconi. On donnera AnnaBolena
et un opéra nouveau de Mercadante.
*** Zampa , de Hérold , a été représenté à Turin , au théâtre
Çarignan , par Ronconi (bariton), Basadouna (ténor), ma-
dame Roser Balfe (soprano). Cet ouvrage a obtenu un grand
succès malgré la faiblesse extrême des chanteurs qui tous, à
l'exception de Ronconi, ont fait fiasco. — La Parisina , de
Donizetti, a été représentée au même théâtre. Ce n'est pas un
grand ouvrage; mais avec une meilleure exécution cet ouvrage
aurait pu se soutenir pendant quelque temps, car il contient
plusieurs petits morceaux bien calculés pour le succès.
*V M. Hauman,'violonisle belge, qui s'est déjà fait entendre
à Paris , donne en ce moment des concerts très-suivis au grand
théâtre de Lyon.
*% On a représenté ces jours passés à Strasbourg un opéra-
comique dont la musique est du chef d'orchestre, nommé
M. Jupin. Nous applaudissons à cette émancipation de l'art dans
les provinces.
+% Nous sommes heureux d'annoncer que la direction des
beaux arts , en reconnaissance des importans services rendus
aux études musicales par M. Choron, vient d'accorder à sa
veuve une pension de 1 ,200 francs. M. et madame ÎNicou Cho-
ron s'occupent très-activement de l'ouverture des cours lyriques
qu ils ont annoncés. Elle n'est retardée que par les distribu-
tions du local. La classe peu fortunée sera admise à ces cours,
comme elle l'était au Conservatoire de la rue de Vaugirard,
ressource précieuse pour nos artisans , parmi lesquels se mani-
feste quelquefois de grandes dispositions pour le chant, sans
qu'elles ptûssentêtre cultivées. Ainsi le zèle généreuxdeM. Cho-
ron semble s'être transmis à ses enfans , dont la première am-
bition est de soutenir dignement la célébrité de son nom, seul
héritage qu'il leur ait légué; espérons que l'autorité supérieure
se déciderajenfiu à encourager ces deux entreprises si utiles pour
la propogation de la musique dans la capitale.
+% Le grand duo de Beethoven, pour piano et violon, dédié
à Kreutzer, que MM. List et Urhan devaient exécuter pendant
une messe basse à l'église Saint- \'incent de Paul , hier samedi
jour de la sainte Cécile, ne sera exécuté que lundi 24, à onze
heures. Les répétitions du concert de M. Berlioz ayant empê-
ché ces messieurs de pouvoir être libre à cette heure.
+% On a représenté le 12 novembre, à Toulouse, Axel,
opéra comique en un acte , dont la musique est l'œuvre d'un
de nos jeunes compatriotes, M. Justin Cassaux. Malgré un
poème absurde (c'est une épisode de la guerre de trente ans) ,
dépourvu de toute situation dramatique, malgré des longueurs
et des défauts dans la musique, qui décèlent les débuts d'un
jeune homme , et par conséquent l'inexpérience de la scène ,
l'ouvrage a obtenu un plein succès.
- Op.
piano
-Op.
-Op.
-Op.
- Op.
-Op.
-Op.
Op.
Op.
— Op. 13
Op. 1
Op.
Op.
Op.
Op
- up. 17
Musique nouvelle ,
Publiée par Maurice Schloinger.
Ouvrages pour le piano composés par
FRÉDÉRIC CHOPIN.
2. La Ci Darenila Mano , de don Juan, vaiié pour le
7 fr. 50 c.
Avec accompagnement d'orchestre. 45 fr.
6. Cinq Mazurkas, danses polonaises. 5 fr.
7. Quatre idem. idem. 5 fr-
8. Premier trio pour piano , violon et violoncelle.
-12 fr.
q. Trois nocturnes. 6 fr.
•lu. Douze grandes éludes. 18 fr.
11. Premier concerto pour piano seul. 12 fr.
idem. avec accompagnement d'orchestre.
2\ fr.
12. Variations brillantes sur le rondo favori : Je
vends des scapulaires, de Ludovic. 6. fr.
Fantaisie sur des airs nationaux polonais pour
piano seul. 7 fr. 50 c.
Avec accompagnement d'orchestre. 15 fr.
Krakowiak. Grande ronde de concert pour piano
seul. 7 fr. 50 c.
Avec accompagnement d'orchestre. 15 fr.
Trois nocturnes. 6 fr.
Grand rondo , pour piano seul. 7 fr. 50 c.
Quatre mazurkas idem. 6 fr.
18. Grande valse brillante idem.
Publiée par Delabaule.
6 fr.
F. Hun te/i. Op. 63. Premier quadrille varié pour
le piano.
Osborne. Op. 13. Variations sur la valse du comte
de Gallemberg.
Lebel. Souvenirs de don Juan , en deux livraison.
Chaque.
F. Hiller. Op. 14. Trois caprices. Chaque.
T. Labarrc. Op. 67. Trois duos sur la Révolte au
Sérail, pour harpe et piano. N° 1 , l'Alham-
bra; IN0 2, le Bain; N° 3, le Camp. Chaque.
— Op. 69. Duo pour harpe et piano sur l'Aspirant
de Marine.
— Op. 68. Fantaisie sur l'Aspirant de Marine,
pour la harpe.
50
50
Ci-joint un supplément contenant :
&t«tli<ma , composée et beHée à iiutirti , par ©iuJtu
Ctlaig.
Gérant, MAURICE SCHLESINGEfi
: ,l'EVERAT. rue du Cadrai
Supplément au 47e numéro. GAZETTE MUSICALE DE PARIS. l^anuce 25 novembre 1834.
SICILIANA.
Composta c detiicata ail' Esimio Rubllll .
Dal suo amico
Giulio Alafy .
Prix: 2Î
Paris , chez Maurice Schlesinger, rue de Richelieu IN. 97.
Métro: / = 92
PIANO FORTE
ITE.J
ïtt
nfffrffflffffiTTffT-fffrfrifr.
Oh so _ a _ ve mammo _ Jet _ ta che ti mostri a me si bel _ Iaseifimma _ gine di quella che ncl
-*— i — k-t— i — fcn h , i — l.
, -f-^ — ' 1 Ie — m— ■ ^
■■« mi pm_se amor. Tu vez_zo_ saeal pardi- let _ taspiri un fia_to lu_sin_ghie _ ro e ri_diia_mi almiopen.
sie_ro la re _ gi_na del mio cor, e ri_chia_mi al mio pensie_ro al mio pen sie-roAh! la re_
2. S trotta
Comea te do mille ba ci colmio labbro inamo _ ra-to potes- s' io sul vol_toa_ma_to un soi
baccio almen stampar
potess , io sul Iab _ bro ama _ to
un soi
bacçio almen stampar benchèa quel de di fu - ga _ ci fosse il ter_mi_ne con _ gmn _ to con un
se _ co _Io quel pun_to mi ve _ dresti tu can _ ffiar, con un se _ co_lo quel pun _ to con un
rail ■> ^jgpiQ Tempo.
_ co_lo quel pun_to Ali! Mi ve _ dresti mi ve - dresti tu can _ giar
can _ ffiar.... Ali! la lara la la la la ra la la la ra la la la la ra
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M . S . 176?)
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GAZETTE MUSICALE
RÉDIGÉE PAU JIM. ADAM, G. E. ANDERS , BERTON (membre de l'Institut), BERLIOZ, CASTIL-BLAZE , A. GUEMER , HALÉVY
(professeur de contrepoint au Conservatoire), Jules janin , liszt, lesueur (membre de l'Institut), j. mainzer, marx
(rédacteur de la gazette musicale de berlin), d'ortigue , panofka, richard, j. g. setfried (maître de chapelle
à Vienne), r. stœpel, etc. , etc.
ANNÉE.
ff
iS.
PRIX DE L ABONNES!.
PARIS.
DÉPART.
ÉTRAKG
fr.
Fr. c.
Fr. c.
3 m. 8
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9 50
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€a Oaïïitc ititueisalt J>* $arts
Paraît le DIMANCHE de chaque semaine.
©n s'abonne au bureau de la Gazette Musicale de Paris, rue Richelieu , 97;
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>n reçoit les réclamations des personnes qui ont des griefs à exposer, et les avis relatifs à fa musiqu
PARIS, DIMANCHE 50 NOVEMBRE 1834.
Nonobstant les supple'-
mens, romances,yac si-
mile de l'écriture d'au-
teurs célèbreset la galerie
des artistes , MM. les
.ibonnis de la Gazette
Mu icale de Paris, re-
ceveront le premier de
chaque mois un morceau
de musique de piano.
Les lettres, demandes
et envois d'argent doi-
vent être affranchis, et
adressas au Directeur ,
rue Richelieu, 97.
STANCES
PRONONCEES AU CERCLE DES BEAUX-ARTS , A MARSEILLE,
A L'OCCASION DE LA FÊTE FUNÈBRE EN HONNEUR DE BOIELDIEU,
PAR MÉRY.
Novembre!... Triste mois , où les morts ont leur fête !
Où l'automne flétrit l'artiste et le poêle',
Comme l'herbe du champ, le pampre des raisins,
Et les jetle glacés sous les cyprès -voisins !
C'est le mois où l'on meurt , lorsqu'on reçut dans l'ame
Le rayon des beaux-arts, cette homicide flamme
Qui dévore l'artiste et ne pardonne pas ,
Et s'éteint avec lui le jour de son trépas.
Tant que l'été rayonne, une vive lumière
Semble rendre l'arliste à sa vigueur première ,
Et quand la feuille roule au vent froid de l'hiver ,
Il meurt, et Dieu le livre à l'insulte du ver !
Maintenant usez-vous à créer des merveilles ;
Desséchez votre joue au flambeau de vos veilles;
Etreignez les beaux-arts dans vos bras amoureux;
Même avant d'en jouir vous périrez sur eux;
Car vous n'aurez jamais , sous de verdoyans dômes ,
Cette belle vieillesse accordée à tant d'hommes,
Ces vieux ans où l'on meurt au comble de ses vœux
Entouré , comme un roi , d'enfans et de neveux.
Et nous qui survivons , depuis bien des années,
A tant de noms éteins , tant de gloires fanées,
Oracles que le monde écoutait à genoux ,
Avant le terme écrit tous tombés devant nous ,
Nous laisserions passer leur convoi funéraire
Sans murmurer un mot de plainte ou de prière ,
Sans élever la voix contre la voix du sort,
Et demander raison à l'immortelle mort ?
Non ! chez nous les beaux-arts ont planté leur bannière :
A l'artiste tombé de sa couche dernière
Nous porterons en chœur, autour de son cercueil ,
Un consolant tribut d'harmonie et de deuil ;
Et puis , qui les connaît les secrets du grand terme ?
Qui sait si l'âme fuit à l'heure oii l'œil se ferme ?
Si les ombres des morts, pour charmer leurs douleurs ,
Ne planent pas sur ceux qui leur donnent des pleurs?
Qui sait si ce soir même, au milieu du silence,
Lorsque vers Boïeldieu sa musique s'élance ,
Oui , qui sait s'il n'est point arrivé sur nos pas
Un auditeur de plus que nous ne voyons pas ?
Ah ! nous ignorons tout ! Dans le doute où nous sommes,
Le certain c'est qu'il faut honorer les grands hommes ;
Soit que l'ombre arrivée à son céleste port
Prête , en riant, l'oreille aux hymnes de sa mort ,
Soit qu'un dernier hommage offert aux nobles âmes
Dans quelque artiste enfant rallume d'autres flammes,
Et qu'une seule larme au génie expirant
Lui donne un successeur que le destin nous rend.
Ici , surtout ici , dans la ville où l'on chante ,
Où l'art est honoré d'une faveur touchante,
Où la vive jeunesse attise de sa main
Le foyer allumé sur un autel germain ;
Où l'on a tout compris, depuis la baicarolle
Que chante le pêcheur dans un facile rôle ,
Jusqu'à l'immense abîme, où Beethoven-le-Grand
Fait couler à pleins bords sou lyrique torrent:
Oui, c'est ici, surtout , que des hommages tristes
Doivent environner la tombe des artistes!
Car sous notre beau ciel, où rien n'est engourdi ,
382
GAZETTE MUSICALE
Toule corde s'échauffe aux rayons du midi ;
Car le jour n'est pas loin , quoique l'heure soit lente ,
Où l'art fécondera notre terre brûlante ,
Où Marseille verra de glorieux enfans
Pour remplacer les morts se lever triomphans;
Où portant aveceux, pour enseigne complète ,
La plume , le burin, la lyre, la palette,
Un nouveau bataillon de Marseillais épars
Ira faire à Paris le dix août des beaux arts !
Les beaux-arts sont à vous ! Triste ou joyeuse fête ,
Son archet à la main , Marseille est toujours prête :
Elle ouvre son église aux funèbres convois ;
Elle a fendu sa voûte avec quatre cents voix (1) ;
Son puissant requiem, le jour qu'elle l'entonne,
On croit que le Ciel s'ouvre et que la foudre tonne ;
Le formidable chœur sort des rangs épaissis
Si grand, que Dieu l'entend sur la nuée assis :
Au sentier des besux-arts sa bannière guidée
Toujours marche en avant vers quelque noble idée :
Boïeldieu mort, voilà nos oichestres en deuil
Réunis , et de loin saluant son cercueil :
Quel Requiem faut-il à la douleur publique ?
Cette enceinte aussitôt devient la basilique
Où la corde et l'airain vous prêtant leur appui
Seconderont des chants qui nous parlent de lui.
Le programme du soir, c'est l'histoire suivie
En heureux échelons marqués dans notre vie ;
Il n'est pas un seul air qui ne rappelle à tous
D'harmonieux instans et des plaisirs bien doux ;
Soit que nous retrouvions nos plus fraîches années
Aux notes que le temps n'a point encor fanées ,
Au chant de Zoraïme , à l'orchestre riant
Arrivé de Bagdad, la cité d'Orient;
Soit que nous remontions à notre plus bel âge
En écoutant , ce soir, la Fête du Village;
Ou qu'un doux souvenir bien plus récent encor
Nous ramène en Ecosse , au son joyeux du cor,
Avec la Dame Blanche, au pied de la tourelle
D'où Boïeldieu jeta tant de grâces sur elle :
Mélodieux tribut que l'on paie aujourd'hui
Au grand homme qui meurt, en l'empruntant à lui;
Car c'est avec ces airs de gracieux mélange
Que l'orchestre français entonne sa louange ;
C'est ainsi qu'on répond à son funèbre adieu :
Voilà le Requiem digne de Boïeldieu !
MÉRY.
DES SOCIÉTÉS PHILHARMONIQUES
DANS LE MIDI DE LA FRANCE.
Toute pensée qui tend a resserrer les liens sociaux
parmi les hommes, alors même qu'elle n'a pas une uti-
lité directe et pratique, ne peut être que civilisatrice et
morale. Qandla musique ne serait qu'une distraction et
un plaisir, elle serait encore un élément puissant de so-
(1) Allusion au Requiem de Clierubini , exécuté à Marseille , zn
mémoire de Beethoven.
ciabilité, par cela seul qu'elle a le privilège d'agir sur
es masses, de réunir une foule d'individus dans des im-
pressions et des sentimens communs, et de leur procurer
des jouissances simultanées qui ne manquent pas, après
tout, d'un attrait intellectuel. Je ne sais si je dois à l'a-
mour d'un art préféré une de ces illusions aussi natu-
relles à l'âge où je suis qu'elles sont regrettables lorsque
les années et, il faut bien ajouter aussi, l'expérience, vien-
nent à jeter leur prisme désenchanteur au-devant des
choses de la vie; mais je ne pourrais m'imaginer que la
mésintelligence et l'antipathie pussent se glisser jamais
entre des personnes qui depuis long - temps ont l'ha-
bitude de chanter ensemble. 11 y a dans la musique une
telle force d'union, qu'elle polit et adoucit ce qu'il y a de
rude et d'âpre a la surface de chaque individualité. Elle
provoque a l'expansion et a la franche expression des sen-
timens spontanés, parcetle sorte d'ivresse qu'elle commu-
nique aux sens et a l'ame. Si l'on me montrait un chœur
ou un orchestre composé d'habiles artistes qui eussent
partagé les mêmes études et les mêmes succès, s'enten-
dant, se devinant sur un geste et un signe, par suite
d'une vieille accoutumance, j'affirmerais que ces gens-lâ
s'aiment les uns les autres d'après le seul indice de la
perfection constante de leur exécution. Si, au contraire,
cette exécution devenait tout d'un coup molle et né-
gligée, si la parfaite harmonie cessait d'exister parmi
eux, je parierais que, pour expliquer ce phénomène de
solution de continuité, qui , au reste, ne saurait être que
momentané, il faudrait en rechercher la cause dans
un principe indépendant de ce qui tient à la science
et l'habileté. Je crois que le bon et ingénieux Choron
était mû par une pensée profondément sociale et de
haute portée politique lorsqu'il se mettait, avec son
infatigable ardeur , a la recherche d'une méthode
pour former les mœurs du peuple en lui apprenant à
chanter. Un peuple qui chante est un peuple content, et
par conséquent un peuple moraL Je crois également, avec
Hector Berlioz, que la meilleure manière d'entretenir la
discipline parmi les soldats, d'en faire des êtres humains
et réguliers, en les sauvant de l'oisiveté et de la débau-
che, serait de les rendre musiciens au moyen d'un ensei-
gnement collectif. Depuis quelque temps on parle
beaucoup du progrès musical qui s'est fait parmi nous.
Les artistes étrangers de distinction qui arrivent chaque
année à Paris sont forcés de le reconnaître , en même
temps qu'ils y contribuent. Soyez sûr que ce progrès cor-
respond aux progrès de l'esprit public, et ce double mou-
vement, éminemment social en ce qu'il est à la fois mo-
ral et artistique, nos provinces méridionales viennent
d'en constater l'universalité, en établissant en certaines
villes des Comités d'art et des Sociétés philharmoniques.
Les amis des arts doivent fonder de grandes espéran-
ces sur ces Sociétés , non pas tant a cause des ressources
que présente le pays où elles se sont formées (elles y sont
plus bornées peut-être qu'ailleurs) , mais à cause de ce
sentiment vif et pénétrant, de ce goût intelligent et de
cet enthousiasme natif et sincère qui distingue la popu-
lation. A cet égard, il importe d'autant plus de caracté-
riser ce goût et ce sentiment de l'art , dans les pays du
Nord et dans les contrées méridionales, que la meilleure
méthode et les procédés les plus sûrs pour obtenir tous
les résultats possibles, doivent être basés sur cette exacte
notion et cette connaissance première.
A Paris, le peuple n'est pas musicien. Les musiciens
se rencontrent parmi les gens lettrés, dans le nombre de
ceux sur lesquels la civilisation a agi d'une influence di-
recte. Le goût musical n'y est pas un goût naturel, niais
acquis. Il ne vient pas de l'éducation, il vient de l'ins-
truction. C'est une culture travaillée, apprêtée, factice,
de serre-chaude, de luxe et de bon ton. Une dame de la
Chaussée-d'Antin donne un piano et un maîlre de mu-
sique a sa fille, comme elle donne un tilbury a son fils,
et comme elle se donne a elle-même un cachemire. L'art
est une chose de mode et de vanité qui peut bien jeter
son lustre sur les dehors de l'existence, mais qui ne tient
par aucun lien au nœud intime de la vie. Voila pour-
quoi l'examen est toujours superficiel , la critique indul-
gente, l'enthousiasme sans élan et réservé; c'est que
chacune de ces choses est réglée par les convenances. La
froideur du public parisien a l'égard d'un auteur ou d'un
acteur inconnu prouve encore son inaptitude native : il
attend que le mot d'ordre parte de quelque supériorité
adoptée. Tout ce qu'on peut dire de ce public, c'est que,
s'il est incapable le plus souvent d'apprécier les beautés
d'un ordre élevé et profond, il a du moins par fois l'es-
prit de s'ennuyer juste.
Dans le Midi, c'est l'inverse : l'instruction et la civi-
lisation de ce pays tuent le sentiment de l'art ; le peuple
seul y est musicien. La nature, qui, a Paris, n'a rien
fait pour l'organisation musicale de l'homme, développe,
en Provence, dans les individus, un instinct sûr, naïf
et vrai, et qui se présenterait quelquefois sous la forme
de talent ou de génie, si la routine, le petit esprit de sys-
tème et les moyens artificiels d'instruction a l'action des-
quels il est soumis ne finissaient par l'éteindre, l'étouf-
fer, ou du moins par le fausser, l'abrutir au point de
le rendre monstrueux et barbare. Mais lorsqne ce goût
pour la musique est développé par une méthode claire,
rationnelle et bien ordonnée, comme a Marseille, a Aix,
et dans toutes les villes qui sont en progrès ; lorsque cet
enseignement est combiné de manière à féconder ce qu'il
y a dans l'élève de natif, d'originel, de propre au cli-
mat, par les principes et les connaissances qu'on lui fait
acquérir : alors l'étude de la musique est comme l'étude
des langu.- s pour certaines personnes ; les notions des ac-
cords viennent se ranger d'elles-mêmes, comme dit No-
dier, sous les perceptions du sens intelligent, en sorte
qu'apprendre n'est plus que se souvenir.
J'ai déjà eu l'occasion de dire plusieurs fois que Mar-
seille était, sous le rapport du sentiment et de l'intelli-
gence de l'art, une ville plus avancée que Paris. Avant
de revenir sur ce sujet, il_faut que je me débarrasse d'une
pensée qui me poursuit et m'offusque.
La laugue provençale, cette langue si spirituelle, si
naïve, si énergique, si imagée, aussi riche et plus flexi-
ble que le français, plus expressive et aussi harmonieuse
que l'italien, cette langue dor.t M. Raynouard a re-
cueilli les monumens, qu'un célèbre critique allemand,
W- Schlegel, a apprise et sur laquelle il a écrit
un traité, cette langue se perd de jour en jour. Il est
même évident pour moi que le sentiment de cette déca-
dence a inspiré et dirigé les travaux de ces deux savans.
Une pareille langue, avec ses idiomes variés, qui lui prê-
tent comme autant de physionomies particulières, ne
peut subsister qu'autant que les relations de ceux qui la
parlent restent resserrées dans le cercle étroit du ha-
meau , du village ou de la commune. Plus les commu-
nications se multiplient, plus elle s'efface et disparaît de-
vant le flot de la civilisation qui lui apporte la langue
nationale, laquelle tend à devenir générale dans notre
patrie, comme au-dehors elle tend à devenir universelle.
Il y a trente ans, le français que parlaient les gens ins-
truits de nos contrées méridionales n'était guères que la
traduction littérale du patois vulgaire; maintenant le
patois des paysans adopte les tours et se plie aux in-
flexions de la langue française : et le poète provençal le
plus distingué aujourd'hui , M. Dieouloufet, a trop d'é-
légance et d'apprêt clans son style pour que ses poésies,
coulantes et gracieuses d'ailleurs, puissent être considé-
rées autrement que comme du patois francisé. Hé bien,
la pensée qui me préoccupe, la voici : c'est que cette lan-
gue, éminemment musicale, s'en allant, qui sait si elle
n'emportera pas, a la longue, avec elle, ce goût et ce sen-
timent pour la musique innés chez les Provençaux ,
et si les bienfaits toujours croissans de la civilisation eu-
ropéenne, sous le point de vue artistique, pourront
compenser, pour mes compatriotes, la perte qu'aura en-
traînée la mort de leur langue-mère?
J'avais besoin de dire cela, bien que j'espère, au fond,
que mes craintes ne sont qu'imaginaires. Rien, jusqu'à
384
GAZETTE MUSICALE
présent du moins , ne les justifie. Je crois pouvoir affir-
mer que le mouvement artistique qui se fait dans les tê-
tes méridionales est plus animé que jamais. Allez à Mar-
seille et dans les cités environnantes : la. vous entendrez
le soir, la nuit même, des chœurs d'hommes à deux , à
trois, a quatre parties, circulaut dans les rues, se
grossissant a chaque amateur ^qu'ils rencontrent, jus-
qu'à ce qu'enfin l'heure avancée force les virtuoses
a se détacher les uns des autres , et a regagner chacun
son logis en solo. Et ce ne sont pas la de ces désoeu-
vrés qui sortent gris du cabaret, défaillants d'excès
et de fatigue, qui hurlent et vocifèrent dans l'ivresse. Ce
sont de paisibles citoyens, de joyeux ouvriers qui ren-
trent chez eux après la journée, le calme dans le cœur,
la mélodie sur les lèvres. L'aspect seul de Marseille a
quelque chose de musical. Voyez cette belle population
qui s'agite et sourit, cette ville expansive qui parle et
qui chante. On dirait qu'on ne pénètre dans les maisons
que pour y dormir; que rien ne s'y fait en secret, que les
affaires se traitent a haute voix dans la rue. Marseille
possède en ce moment Mansui, dont on a dit, à la mort
de Dusseck, que Dusseck allait revivre en lui; Mansui
qui , le premier, a apporté et fait connaître en France
les œuvres de Beethoven pour le piano. Allez à Mar-
seille, et demandez a Mansui de vous jouer, avec ses
belles études qu'on dirait écrites par Cramer, la sonate
en si mineur de Clementi, qu'on dédaigne peut-être à
Paris, et qui pourrait être signée : Beethoven. Autour de
Mansui se groupent plusieurs jeunes amateurs plus ar-
tistes qu'une foule de Parisiens qui font profession d'être
artistes et qui ne sont pas même amateurs. Parmi ces
messieurs, dont je veux taire les noms, vous trouvez
des théoriciens, des instrumentistes, des littérateurs-mu-
siciens d'un rare talent. Us vous feront, quand vous vou-
drez, au milieu d'un dîner chez Segond, une biographie
complète des compositeurs étrangers les moins connus.
Ce sont ces messieurs qui ont fondé dans leur ville une
Sociélé desjConcerts et un Cercle des arts où l'on exécute
depuis quinze ans les symphonies de Beethoven1, les
messes et les ouvertures de Cherubini. Bientôt les Mar-
seillais leur devront de pouvoir apprécier les composi-
tions des deux principaux représentons delà jeune école,
Heitor Berlioz et Henri Reber. Et si vous croyez que ces
messieurs sont des professeurs de musique, détrompez-
vous ; ce sont, en partie, des avocats, des négocians, des
gens que leur profession semblerait circonscrire dans les
intérêts de la vie positive. Et puis, mêlez-vous au peu-
ple ; entrez dans les chantiers, dans les ateliers, dans les
manufactures, et là vous entendrez, non ces airs de re-
but, ces niaises chansonnettes de l'Opéra-Comique et du
Vaudeville , que les orgues de Barbarie colportent
dans les boutiques et les échoppes , mais de belles , de
grandes mélodies de Robert-le- Diable, qui est allé aussi
électriser la population marseillaise ; de belles et grandes
mélodies de Freyschutz et de Guillaume- Tell , et jus-
qu'aux accens de Beethoven. N'oublions pas non plus
qu'un des principaux journaux de Marseille possède un
feuilleton musical qui ferait honneur à un de nos grands
journaux quotidiens ; surtout n'omettons pas de dire
qu'un jeune compositeur, M. de Fontmichel, vient de
faire recevoir un ouvrage à l'Opéra-Comique sur la seule
recommandation du _succès que cet opéra, IlGitano,
avait obtenu sur le giand-lhéâtre de celte ville, et que
deux Marseillais, MM. Bénédit et Boisselot, sont au-
jourd'hui comptés parmi nos jeunes artistes les plus
estimés.
Puisque je parle de Marseille, je veux racconter une
impression dont j'aime a me retracer le souvenir : je ne
sors pas de mon sujet. Dans le courant du mois d'octobre
dernier, je revenais de Marseille à Aix une après-
midi. A mon arrivée dans cette dernière ville, un orage
violent se déclara, et me força de chercher un asile dans
le cabinetlittéraiiedeM. Aubin, a l'extrémité du Cours.
L'orage cessa au bout d'une heure, et je voulus sortir
pour continuer mes courses en ville. Je fus arrêté a l'en-
trée même du cabinet littéraire par le spectacle d'un so-
leil couchant magnifique. Rien n'était splendide comme
la perspective de ce soleil, dont les rayons enluminaient
de mille couleurs d'épais nuages, se jouaient dans l'éther
limpide, et se glissaient a travers le feuillage des arbres
éloignés. Ce qui me frappa le plus en ce moment, ce fut
de .voir toute la population du Cours sortir de ses maga-
sins pour venir contempler ce tableau. Elle resta la,
muette de surpiise et d'admiration, jusqu'à ce que la dé-
gradation insensible des nuances eût formé le crépus-
cule. Je ne pense pas qu'ailleurs que dans le midi de la
France les gens du peuple laissent là leurs affaires pour
aller considérer un effet du soleil couchant ; d'où je con-
clus que le peuple dont je parle est essentiellement ar
tiste. Ce pays doit produire des peintres, des architectes,
des poètes, des musiciens; et s'il n'en est pas ainsi, il
faut penser, ainsi que je l'ai dit, que les circonstances
favorables de développement lui manquent presque tou-
jours. Rien n'est plus propre que les méthodes routi-
nières, employées généralement dans les petites localités
de ces contrées, à pétrifier les organisations, et à les ren-
dre à la fois incorrigibles et incapables de progrès.
Il y a , en outre , des exemples de passion malheu-
reuse pour la musique. Je n'en ai connu qu'un seul,
mais j'affirme qu'il en vaut dix ; et j'avoue ici avec peine
DE PARIS.
que c'est mon propre pays qui me l'a fourni. J'entends
par passion malheureuse pour la musique une fré-
nésie, une véritable rage de notes et de sons qui s'em-
pare violemment de certains individus que j'appellerai
anti-musicaux, et qui ont été tellement disgraciés de la
nature qu'ils sont nés avec un goût faux, avec une voix
fausse et une oreille fausse , sans que l'art ni l'exercice
aient jamais pu rectifier leur organisation. J'ai rencontré
une fois un de ces êtres ainsi conformés, condamné a
trouver le plus grand charme de sa vie à racler du vio-
lon du matin au soir et du soir au matin , en dépit des
locataires, dont il écorchait les oreilles, et qu'il forçait a
décamper, et du propriétaire, désespéré de voir sa maison
devenue solitaire comme celle du Lépreux. Quittait-il
un instant son instrument, le lieutenant P était le
meilleur, le plus doux, le plus spirituel même des hom-
mes. Le reprenait-il, le diable n'y aurait pas tenu. Un
jeune amateur, très -fort de ma connaissance, alla un
jour dans la ville qu'il habitait, et comme il y était pré-
cédé d'une certaine réputation musicale (il ne faut pas
être très-habile pour se faire une renommée dans ces con-
trées), le lieutenant P*** donna en son honneur une
soirée de quatuors le jour même de son arrivée. Or, vous
saurez que chez lui on n'exécutait d'autre musique que
les opéras de Rossini arrangés en quatuors. C'était la,
avec les quatuors d'Ignace Pleyel, ce que l'on appelait
de la musique chantante. Ceux de Haydn et de Mozart
étaient étiquetés musique savante, et ceux de Beethoven,
musique extravagante. Beethoven extravagant ! soit. —
En vérité, ces gens-là voudraient nous faire croire qu'ils
n'ont jamais fait de folies de leur vie, qu'ils ont constam-
ment et régulièrement fait leurs quatre repas pendant
quarante ans de suite, que le lendemain ressemble tou-
jours à la veille, qu'ils se sont toujours conduits d'après
les règles strictes du bon sens; en un mot, ils semblent
supposer que l'homme est essentiellement un animal rai-
sonnable.— Mais revenons. Quoiqu'on ne jouât, chez le
lieutenant*** d'autre musique que celle de Rossini ,
cependant, ce soir-là la, première œuvre de quatuors de
Beethoven parut sur le pupitre, et cela en considération
du jeune amateur. On proposa la partie de premier vio-
lon à l'étranger. Celui-ci, voyant qu'il était devenu le
point de mire, n'osa se r'squer, et accepta le second vio-
lon. On jouait le quatuor en la majeur à six-huit. On
en était au délicieux andanle en ré avec variations. Les
autres exécutans, c'est-à-dire, le premier violon, l'alto et
le violoncelle, s'évertuaient à qui appuierait le plus fort sur
la corde, et à qui dominerait les autres. Le nouveau venu
jouait tout bonnement pianissimo, comme le signe pp.
l'indiquait. Le lieutenant, qui ne jouait pas, était de-
debout derrière lui , suivant attentivement sa partie, et
donnant de temps en temps des marques d'impatience.
Les autres spectateurs (vous diriez peut-être les audi-
auditeurs , moi j'ai de bonnes raisons pour dire les spec-
tateurs), les autres spectateurs donc étaient rangés du
côté opposé ; parmi eux se trouvait un guitariste ,
jeune homme , du reste , heuroueement organisé. Le
maître de la maison s'approche de ce dernier : — « Ce
» monsieur joue trop piano, lui dit- il; on ne l'en-
» tend pas : prenez votre 'guitare, et venez doubler
■» sa partie. » Le guitariste obéit , il [avança une chaise,
s'assit à côté du second violon eu lui, donnant sans façon
un coup de genou pour obtenir un peu de place, accor-
da sa guitare tandis que le quatuor continuait toujours,
et se mit à pincer avec l'ongle des notes sèches , maigres
et grêles, que l'autre s'efforçait découler et de filer le
plus doucement possible. Exécutans et assistans prirent
cela avec le plus grand sérieux du monde. Rien n'était
plus simple et plus naturel. Le lieutenant *** , frap-
pant sur l'épaule du guitariste, dit avec l'aplomb d'une
ignorante candeur : « Maintenant cela va bien ; on en-
» tend cette partie. » L'étranger se prêta de bonne grâce
à cette naïve mystification. Inutile d'ajouter que le vir-
tuose auxiliaire put à peine arracher trois notes dans la
rapidité du finale mais on rejeta la faute sur le compo-
siteur, qui avait oublié de doigter son œuvre pour la gui-
tare.
Cela se passait en l'an de grâce 1828, dans une petite
ville du comtat Venaissin; et vous me croirez, j'espère,
sur parole, lorsque je vous aurai appris que l'amateur
en question n'était autre que moi , qui vous parle.
Encore un fait qui prouvera ce que deviennent dans
ces contrées certains individus abandonnés à leur seul
instinct et privés d'instruction. — Un bourgeois d'un
petit village près deCavaillon vint en cette ville mon-
trer à un amateur un petit orgue qu'il avait fait lui-
même pour se désennuyer. La première idée de l'ama-
teur fut d'ouvrir l'instrument, afin d'en examiner le mé-
canisme intérieur. I! trouva le procédé ingénieux et l'exé-
cution satisfaisante. Ensuite, portant la main sur le cla-
vier pour en essayer le son , il fut tout surpris de voir
que le clavier ne se composait que des tons naturels; les
dièzes et les bémols manquaient totalement. — « Mais,
» lui dit-il, vous avez oublié les touches noires; je ne
» vois là que les touches blanches. » — Voici textuelle-
ment la réponse du villageois : — « Oh! pour ces notes-
» là, moi,y'e lien use pas. » Le pauvre homme se con-
tentait déjouer la gamme en ut majeur, Ah! vous dirai-
je, maman, ou quelque autre air de même force. Hé
bien, cet homme-là avait peut-être du génie! On ne
GAZETTE MUSICALE DE PARIS.
peut contester du moins qu'il n'eût du goût pour la mu-
sique, et le goût suppose presque toujours des disposi-
tions.
Ce sont ces dispositions et ce goût que les artistes et
et les amateurs du département de Vaucluse s'effor-
cent aujourd'hui de favoriser en fondant une société
philharmonique Idépartementale. Cette province est fé-
conde en sujets heureux autant qu'elle est riche de sou-
venirs. Là aussi se sont perpétuées quelques familles mu-
siciennes, dont plusieurs subsistent encore, et au sein des-
quelles les maîtrises ont entretenu, même au-delà de leur
suppression, la culture d'un art favori. Les familles des
Fialon, desBonaud, des Derrive, etc., y ont acquis une
sorte de célébrité , comme en Allemagne, l'ancienne et
illustre famille des Bach, et, tout récemment, celles des
Borner et des Muller. Du reste il suffirait, pour l'hon-
neur de la contrée, de dire que mon excellent maître, pa-
rent et ami, Castil-Blaze y a vu le jour, ainsi que son
père. Déjà, grâce au soins de MM. Astruck et E. M.
Jouve, la symphonie en ut mineur, l'ouverture d'OZ>e-
rou et d'autres grandes œuvres ne sont plus des mer-
veilles ignorées du public vauclusien. Le zèle de la mé-
tropole a réveillé le zèle des villes circonvoisines. Ca-
vaillon a suivi, la première, l'exemple donné par le
chef-lieu du département. Apt se dispose à suivre l'élan,
et a donné son adhésion par l'organe de M. Jouve.
Nous applaudissons de toutes nos forces à l'idée créatrice
de ces pacifiques associations ; et, pour faire apprécier,
avec leurs avantages, les bases sur lesquelles elles sont
fondées, comme aussi pour exciter le zèle des princi-
pales villes du royaume, nous ferons connaître les vues
aussi nobles qu'éclairées que le président de la société
philharmonique c!e Cavaillon , M. Valère-Martin, vient
de communiquer à ses compatriotes dans une lettre adres-
sée au directeur du journal du département.
« Que la société centrale travaille de tout son pou-
» voir à établir des réunions semblables dans toutes les
» villes du département..., c'est une condition essen-
» tielle de son existence. En effet , si nous admettons
» qu'elle perd, année commune, deux de ses membres ,
» il est probable que toutes les sociétés que j'appellerai
» ses suffragantes perdront aussi annuellement deux
» des leurs au profit de la métropole, lesquels rempla-
» ceront les membres sortis, sans perte aucune, puis-
» qu'ils entreront tout formés. Ainsi nul obstacle n'ar-
» rètera les progrès de la société centrale. Mais on con-
» çoit que, privée d'un pareil secours, elle serait à
» chaque instant menacée dans son existence, ou que,
» se soutenant avec beaucoup de peine , elle n'attein-
» drait jamais le but qu'elle se propose. Les diverses so-
» ciétés, groupées autour de celle d'Avignon, dont elles
» feraient comme autant de fractions , formeraient avec
» celle-ci une association départementale ; de plus , elles
» seraient des écoles en quelque sorte préparatoires où
» s'exerceraient la plupart des sujets dont la société cen-
» traie devra se recruter. Elles correspondraient avec
» cette dernière, l'informeraient de leur état respectif,
» et lui fourniraient au besoin telle voix ou tel instru-
» mentiste qui lui manquerait. Ce système, dont je vous
» soumets l'aperçu, étant tout à l'avantage de la société
» principale, celle-ci doit s'attacher avec persévérance
» à fonder ces réunions, en leur prêtant toutes les res-
» sources dont sont privées ordinairement les petites
» villes
» Votre journal a exprimé avant moi le désir devoir
» se réaliser le projet d'une association philarmonique
» vauclusienne, dans le but d'obtenir les mêmes résul-
» tats que les sociétés de l'Allemagne et des pays voi-
» sins. Je crois que nous sommes encore loin delà. l'Al-
» lemagne est en haleine , et nous nous réveillons d'un
» long sommeil. Les élémens d'une grande exécution
» sont en son pouvoir; les nôtres sont à naître en par-
» tie. Je conviens, monsieur, que nous avons, sur nos
» voisins d'outre-Rhin, l'avantage d'être réunis sous les
» mêmes lois, d'obéir aux mêmes idées, de parler le
» même langage ; mais il n'y a pas leur unité dans nos
» entreprises , et surtout nous manquons de leur persé-
» vérance. Qu'on ne croie pas néanmoins que je fasse
» ressortir ces inconvéniens pour refroidir un noble
» zèle. Cette pensée est loin de moi : mes actes sont là
» pour en témoigner. Je voudrais, au contraire, le sti-
» muler, le soutenir, ce zèle en butte au haineux défi
» de cette portion paralysante de la société qui cherche
» à flétrir dès sa naissance toute idée heureuse et fé-
» conde, et qui, comme on le dit, ne veut faire nilais-
» ser faire. Tandis que les dénigreurs s'en vont poussant
» des cris stupides , fondons cette association sur de so-
» lides bases; éclairons-nous de la saine critique, et
» étudions surtout le public auquel nous nous adres-
» sons, afin de nous mettre à sa portée. Pour cela, il
» faut que le Comité de musique compose son répertoire
» avec intelligence et discernement. Comment, en effet,
» pourrait-on faire l'éducation musicale du public, si
» l'on commençait par lui faire entendre de la musique
>• qu'il ne comprend pas? H y a ici deux écueils à évi-
» ter : le premier, c'est de ne lui donner que des mor-
» ceaux trop surannés , ce qui s'opposerait à l'avancë-
» ment de son éducation; le second, c'est d'avoir un ré-
» pertoire composé de morceaux d'un goût trop mo-
» derne : le public n'en pourrait saisir les beautés, parce
3SÎ
» qu'il y serait arrivé sans gradation. Je voudrais que
» vos concerts devinssent une sorte de cours historique
» de musique, qui, faisant passer par degrés l'auditoire
» d'un style à un autre, lui rendît jsensible la filiation
» qui existe entre tel et tel genre, tel et tel auteur, telle
» et telle école. Vous comprendrez, monsieur, ma pen-
» sée sans qu'il me soit nécessaire de la développer. . . »
Joseph d'Ortigue.
A M. LE REDACTEUR DE LA GAZETTE MUSICALE.
UNE SOIREE MUSICALE A PARIS.
Ne vous effrayez pas, mon ami, en me voyant disposé à
vous parler d'une soirée musicale ! Ne craignez pas de m'enten.
dre vous raconter que je me suis trouvé invité à passer la soirée
chez madame de ***, et cela par un billet ^bien élégant , vous
savez... un de ces billets fashionables où on lit tout au bas de
la page cet avis jeté là en passant , avec une négligence de bon
ton : on fora de la musique. Rassurez-vous, mon intention
n'est pas de vous décrire toutes les brillantes toilettes des jolies
femmes, de vous rapporter les bons mots plus ou moins spiri-
tuels de leurs adorateurs, ni de vous détailler tous les airs va-
riés , galops , contredanses ou romances et autres chefs-d'œu-
vre exécutés , suivant l'usage , au milieu d'une bonne causerie
en chœur! Non mon ami, c'est d'une toute autre soirée que je
prétends vous entretenir, et la pensée que mon compte-rendu
pourra peut-être servir de base pour quelqu'une des nombreu-
| ses soirées qui se préparent , me fait espérer que vous voudrez
bien m'accorder une petite place dans votre estimable journal^
« Si vous n'avez rien de mieux à faire , venez me voir dans la
soirée,» me dit l'autre jour notre ami Hiller placé dans une
loge à côté de la mienne, au concert Berlioz; et au jour dit ,
ma modeste pendule ne manqua pas de me rappeler ma pa-
role.
Reçu dans le salon de mon ami avec cette bonne et bien-
veillante cordialité allemande que vous connaissez, je me trou-
vai réuni avec le doyen respectable de l'art musical, l'illustre
Chérubiui; non loin de lui , j'aperçus Meyeibeer, le plus heu-
reux et le plus grand de nos compositeurs dramatiques ; plus
loin , Baillot, ce p.-ince des violonistes français; puis, notre
spirituel et jovial Chopin ; puis, le grave et profond Hiller,
notre aimable hôte si remarquable |par ses vastes connaissan-
ces musicales et ses idées élevées sur l'art; puis enfin, une
foule de dames et de messieurs faisant cercle autour de Chéru-
bini et prêtant une oreille attentive aux saillies spirituelles et
piquantes de l'aimable vieillard.
Cependant, on ouvre un magnifique piano de Pape, et le
violon aux sons enchanteurs abandonne sa soigneuse enve-
loppe ; qu'est-ce que nous allons jouer? une sonate de S. Bach!
Oui mon ami, oui, tout autant. Et le divin Baillot entame
l'adagio de la 3" sonate, et notre Hiller, tout enthousiasmé
d'exécuter les œuvres de son maître chéri, avec le secours
d'un si puissant auxiliaire , accompagne d'une main frémis-
sante de joie le chant céleste de la suave mélodie, tandis que
dans le vigoureux allegro qui vient ensuite , l'énergie de son
jeu pénètre tous les cœurs des plus nobles et des plus sublimes
idées. Etre témoin d'une telle lutte, contempler deux artistes
de cette trempe, l'un dans tout le feu d'une bouillonnante jeu-
nesse, l'autre dans toute la vigueur de l'âge mur, les admirer
dans les nobles efforts que fait chacun d'eux pour faire briller
son rival , assister à uu pareil spectacle , se repaître de ces
émotions , il y a là , mon ami , tout un monde de bonheur ! Et
Baillot, et Hiller, nous donnèrent ainsi deux sonates de l'im-
mortel Bach , et tous les assistans se sentaient pénétrés d'une
joie d'admiration et d'un enthousiasme indicible. C'est ainsi
que se termina la première partie du programme non im-
primé , non écrit même , de notre soirée. Et la seconde partie
commença. Vous croyez peut-être que ce fut par un air de
Lodo'iska, ou par un duo des Deux Journées, ou par un trio
de Marguerite d'Anjou , ou enfin par la grande scène de Ro-
bert-le-Diable ? Non , mon ami , rien de tout cela. Avec de tels
artistes on oublie aisément tous ces petits égards de société.
Baillot et Hiller exécutèrent la grande sonate pour piano et
violon dédiée par Beethoven à son ami Kreutzer. Vous me dis-
pensez sans doute de vous redire ce qui a déjà été répété en
chœur par des milliers de voix, sur ce chef-d'œuvre de compo-
sition musicale. Mais ce que je ne puis taire, ce que je ne peux
passer sous silence , c'est la manière dont ce chef-d'œuvre a été
exécuté, c'est cet enthousiasme presque délirant qui inondait
tous les assistans; c'est cette joie céleste qui les embrasait tous ,
c'est cette ivresse divine qui s'emparait de tous les esprits. 11
n'y a qu'un Baillot dans le monde ! Ce mécanisme si savant
uni , non pas seulement au goût le plus pur ou au sentiment le
plus exquis , mais encore à une inspiration vraiment poétique
qui fait planer du vol de l'aigle ce génie puissant et l'élève jus-
qu'à des régions dont l'esprit attentif des auditeurs n'auraient
pas même pu pressentir la hauteur ; ces admirables qualités ,
ces dons si rares du ciel, lui ont depuis long-temps assuré une
place d'honneur parmi le petit nombre des élus d'Apollon. Il
est digne de sa gloire ; il est heureux de ses impressions d'ar-
tiste, et il faut plaindre ceux qui n'ont pu contempler ainsi
que nous ses traits illuminés comme d'un rayon céleste,
pendant qu'il remporte dans le domaine de l'art quelque
noble et sublime victoire. Quant à notre ami Hiller, je n'ai
nul besoin , je pense , de vous vanter ici son talent. Il a trouvé
sa récompense dans les embrassemens fraternels que se sont
prodigués les deux rivaux, vers la fin de la délicieuse séance,
après laquelle tout le monde, assurément, regagna sa de-
meure, l'esprit agité , comme le mien, par des sentimens de
joie cl de bonheur.
Telle est la soirée musicale à laquelle j'ai assisté à Paris le
24 novembre 1834.
François Stoepei,.
NOUVELLES.
.*+ Aujourd'hui dimanche, double fête extraordinaire à
l'Opéra : Robert-le-Diable , et mesdemoiselles Fanny et Thé-
rèse Elslcr, qui danseront un pas nouveau au second acte.
* Nos lecteurs nous sauront gré de ne pas leur faire l'ana-
lyse ae la soi-disant nouvelle partition de M. Gabussi. H leur
suffira de savoir quErnani a été donné deux fois cette se-
maine aux Italiens, et restera probablement pour toujours ou-
blié. Que dire en effet d'un ouvrage admirablement exécute
par des chanteurs tels que Rubini , Tamburini, Santtni et
mademoiselle Gn«,et qui n'obtient point de succès?
585
GAZETTE MUSICALE
J%, Cette semaine nous avons vu à l'Opéra : Robert-le-Dia-
ble , la Sylphide , et/a Tempête. Chiffre rie la recelte : 23,200f.
C'est le théâtre priviligié de la haute société et de la bourgeoi-
sie ; toutes les bourses lui paient leur tribut.
*„ On répète toujours à l'Opéra , avec activité, la Juive.
On dit des merveilles de cette nouvelle partition de M. Ha-
lévy.
M\ L'Opéra-Comique nous prépare plusieurs nouveautés
dont une la Sentinelle perdue pour lundi prochain. En
attendant, le Marchand Forain et le Chalet attirent beaucoup
de monde à ce théâtre.
»% Rien de nouveau sur l'ouverture définitive du théâtre
Allemand. Qui va piano va sano.
+.% On dit que M. Henry, le maître de ballets par excel-
lence , est engagé à l'Opéra pour composer un ballet. Cet
honneur ne pouvait lui manquer après le succès de Chao-
Kang, succès d'argent qui augmente à chaque représen-
tation.
* On écrit , de Munich , que mademoiselle Francilla Pixis
a débuté le 1 5 de ce mois au théâtre royal, et a obtenu un suc-
cès immense ; après avoir chanté un grand air italien et plu-
sieurs romances de M. Dcssauer , qui ont excité de bien vifs
applaudissemens, modemoiselle Pixis a fini la soirée par le
3e acte de Romeo e Jiulietta; bien secondée par madame Has-
sclt , elle a été vivement applaudie et comme cantatrice et
comme actrice. Toute la cour assistait à cette belle représen-
tation , et le roi ainsi que la reine-mère joignirent leurs ap-
plaudissemens à ceux du nombreux auditoire qui, à la fin du
spectacle, redemandait à grand cris les deux cantatrices.
M. Pixis a également eu <-a part de gloire dans cette soirée; il
a fort bien joué le rondo a-sec les clochettes de sa composition ,
et le public lui a donné les marques les plus flatteuses de sa
satisfaction. Monsieur et mademoiselle Pixis partiront inces-
samment pour l'Italie.
+% Mademoiselle Smithson montre un talent fort remar-
quable dans : Une heure d'un Condamné , qui, réuni à C/iao-
Kang, produit d'excellentes receltes au théâtre Nautique.
*%, Lafont , notre célèbre violon , est en ce moment à Ber-
lin ; il y obtient les plus brillans succès. Dans un concert donné
dans les appartemens de l'impératrice de Russie, momentané-
ment à Berlin, ce virtuose s'est fait entendre ainsi que M.Ganz
(violoncelle), et Taubcrt (pianiste). Pour témoigner sa satis-
faction, Sa Majesté leur a lait remettre des tabatières d'or or-
nées de diamans. Depuis long-temps pareille chose n'est arri-
vée aux artistes étrangers qui viennent à Paris et qui ont l'hon-
neur d'être appelés aux Tuileries. Est-ce manque de goût , ou
parcimonie?
**„ Le concert Musard continue ses succès. L'ouverture de
Roberl-le -Diable , arrangement habile de plusieurs motifs
saillans de cet opéra , est exécuté avec une perfection remar-
quable , et augmente encore la vogue dont cet établissement
jouit en ce moment.
^^ Nous recommandons aux mères de famille les cours de
piano de mademoiselle Meschyn. Cet excellent professeur,
élève distinguée de M. Kalkbrenner, donne aussi des leçons
particulières. Les cours ont lieu rue Baffault, n" 19, deux fois
par semaine. Prix de souscription par mois : 25 frans , paya-
bles d'avance.
+% Robert-le-Diable vient d'être représenté à Toulon. Cet
admirable opéra a été accueilli par un immense succès.
.%, Les directeurs de tous les théâtres de Paris s'occupent en
ce moment d'un projet d'affichage original. Les seize affiches
seraient réuuies en une seule. Seize compartimens égaux de
différentes couleur permettraient à l'œil de distinguer sur-le-
champ le théâtre dont on voudrait connaître le spectacle. On
assure que les administrateurs trouveraient dans ce nouveau
mode une grande économie.
+-% On lit dans un journal : Pour faire attendre moins impa-
tiemment la première représentation de la Juive, on prépare
à l'Opéra un haliet on un acte dont le titre est encore un mys-
tère. Mademoiselle Taglioni doit y remplir le principal rôle.
Nous pouvons assurer que cette nouvelle est dénuée de fonde-
ment , et que rien ne sera monté à l'Opéra avant l'ouvrage de
M. llaléw.
+*t Voici le programme du troisième et dernier concert que
donnera cette année M. Berlioz au Conservatoire. Il aura heu
dimanche prochain 7 décembre à deux heures. L'affluence a
été telle au dernier qu'on a refusé plus de cent cinquante per-
sonnes aux stalles et parterre. Les amateurs qui voudront être
surs de leurs places feront donc bien de se hâter. On trouve
comme à l'ordinaire des billets chez M. Schlesinger, rue de
Richelieu 97, et chez M. Rety, au Conservatoire. — i° Ouver-
ture des Francs-Juges , de M. Berlioz ; 2" les Ciseleurs de Flo-
rence, trio avec choeur et orchestre, de M. Berlioz (exécuté
pour la première foisl; 3° Andante pour le piano , composé et
exécuté par M. Chopin ; 4° Air chanté par mademoiselle Bou-
cault; 5° Ouverture du Roi Lear, de M. Berlioz; 6" Air italien
chanté par madame Gny-Sainlville; 7° Harold, symphonie en
quatre parties, de M. Berlioz (l'alto sera joué par M. TJrhan).
\ re partie : Harold aux montagnes , scènes de mélancolie , de
bonheur et de joie. 2e partie. Marche de pèlerins chantant la
prière du soir. 3e partie : Sérénade d'un montagnard des
Abruzes à sa maîtresse. 4" partie : Orgie de Brigands.
*% La grande symphonie fantastique de Hector Berlioz
en partition de piano , arrangée par Liszt, vient de paraître.
Nous rendrons compte de cette importante publication.
+% Spontini s'occupe du second et troisième acte de Agnes
de JJohenstauffen. Il y a trois ans que le premier acte de cet
opéra a été représenté à Berlin.
+% Aujourd'hui a deux heures, grand concert dans les sa-
lons Laffitte, donné par monsieur et madame Willent Bordo-
gni. On y entendra MM. Tilmant , Dorus, Barbet , Boulan-
ger, et les bénéficiaires. Prix des places : 5 francs.
■*,+ On annonce que madame Clara Margueron, de l'Opéra-
Comique, vient de contracter un engagement pour le théâtre
de Marseille.
+% Le giand théâtre de Lyon vient de faire sa réouverture
par le Barbier de Séville, de Rossini. Dans cet opéra, on à
applaudi M. Fouchet, ténor que nous, avons vu à l'Opéra-Co-
mique.
+*+ Mademoiselle Annette Lebrun devait faire son premier
début à l'Opéra-Comiquc , dans les Voitures versées, mais
une indisposition d'Hébert empêchant déjouer cette pièce , ou
y a substitué le Concert à la cour.
L'abondance des matières nous oblige de remettre
notre article sur le concert de M. Berlioz au prochain
numéro.
Musique nouvelle ,
A. Ropicquet. Op. "14. Yalse favorite, dansée par mademoi-
selle Elsler, à l'Opéra, dans Gustave, arrangée pour le
piano , avec accompagnement de violon. 4 fr. 50 c.
Czerhy. Op. 24y. Souvenirs de la Somnambula. "Trois fantai-
sies élégantes sur des motifs favoris des opéras deBellini,
pour le piano. Nos 1, 2 et 3. Chaque : 6 fr. «
Publiée par J. Meissonoier.
Musard. Madrid , 2e quadrille espagnol pour le piano.
4 fr. 5o c.
Publiée par Schonenberger.
Le Chalet. Partition et parties séparées chaque : 100 fr. »
— Ouverture à grand orchestre. 10 »
— Ouverture pour le piano. 5 »
Adam. Op. 92. Mélange sur le Chalet, pour le piano.
6 fr. u
Ropiquet. Op. 8. Introduction et variation sur un thème ori-
ginal dédié à Paganini , pour le violon , avec accompa-
gnement de piano. 6 fr. »
Op. 9. Le Divertissement, six thèmes variés pour le violon
"seul. Deux suites. Chaque : 5 fr. »
Gérant, MAURICE SCHLESINGEE.
GAZETTE MUSICAL
mm &JUB&0*
RÉDIGÉE PAR MM. ADAM, G. E. ANDERS , BERTON (membre de l'Institut), BERLIOZ, CASTIL-BLAZE , A. GDEMER , HALÉVY
(prqfesseur de contrepoint au Conservatoire), Jules janin , liszt, lesueur (membre de l'Institut), j. mainzer, marx
(rédacteur de la gazette musicale de berlin), d'ortigue , panofka , richard, j. g. seyfried (maître de chapelle
à Vienne), F. stœpel, etc. , etc.
1" ANNÉE.
M*
A9.
PRIX DE L ABO.NNEM.
PARIS.
DÉPART.
ÉTRAHG
fr.
Fr. c.
Fr. c.
3 m. 8
8 75
9 50
6m. 15
16 50
18 ..
\ an. 30
33 »
36 «
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chez MM. les directeurs des Poslcs, aux bureaux des Messageries,
et chez tous les libraires et marchands de musique de France.
>n reçoit les réclamations des personnes qui ont des griefs à exposer, et les avis relatifs à la muslqu-
qui peu\ent intéresser le public.
PARIS. DIMANCHE 7 DECEMBRE I83'i.
Nonobstant les supplé-
mens, romances ,yac si-
mile de récriture d'au-
teurs célèbres et la galerie
des artistes , MSI. les
abonnis de la Gazelle
Mu icale de Paris , re-
cèleront le premier de
chaque mois un morceau
de musique de piano.
Les lettres, demandes
et envois d'argent doi-
vent être affranchis, et
adressés 2U Directeur ,
rue Riclielieu, 97.
Iphigénie en Tauride.
3mt et dernier article.
L'air de ïhoas en si mineur est un modèle ^expres-
sion grandiose et terrible. L'accompagnement tremu-
lando des contrebasses, pendant que !e reste de l'or-
chestre frappe ce hythme sinistre , employé depuis avec
tant de bonheur par Mozart , pour l'entrée de la statue
de don Juan, est d'un admirable sentiment dramatique.
L'éclat soudain de tous les instruirons sur le vers :
« Je crois voir sous mes pas la terre s'entrouvrir! »
produit un effet incroyable , si l'on considère avec quelle
modération ce passage est instrumenté. A ce morceau,
succède sans aucune interruption le chœur des Scytcs.
Le ton de ré majeur , dans lequel il est écrit , lié h celui
de si naturel mineur, clonne à ce chant sauvage une
force de tonalité prodigieuse. Ici, pour la première et
dernière fois , Gluck a employé les petites flûtes , les
cymbales et le tambour de basque. En voyant entrer en
scène cette troupe de cannibales, aboyant une harmonie
heurtée et syllabique, pendant que le bruit métallique
tics cymbales semble résulter du cliquetis de la forêt de
haches que brandissent les Scytcs et qu'on voit s'agiter
dans l'air, il est diffici'e de ne pas éprouver un saisisse-
ment profond.
Le second chœur : « Il nous fallait du sang » est
d'un style plus large et plus bru tal encore, s'il est pos-
sible. 11 roule constamment clans 1rs tons de ré majeur
«naturel mineur, fa dièze mineur. Les phrases en sont
lourdes et grossières; on dirait d'un chœur de bouchers
ivres. L'horreur tragique, excitée a d'un si haut degré
par les voies, ne diminue point quand l'orchestre seul
se fait entendre. Le ballet des Scythes est universellement
admiré, et certes c'est ajuste titre. Cet air léger et stac-
cato, accompagné d'un triangle et exécuté pianissimo
par tous lesinstrumens, pendant que des danseurs à l'as,
pect hideux passent rapidement sur la scène comme des
ombres, fait frémir. Le genre fantastique se montre la
dans toute sa puisssance. Il ne faut pas le dire trop
haut : quelques admirateurs de Gluck seraient capables
de nous traiter de blasphémateurs , et de regarder l'épi -
thè'e maudite accolée a l'une de ses œuvres comme une
insulte grave.
An second acte, nous assistons aux douloureux débats
d'Oreste et de Pyladc. Les deux héros grecs chantent
chacun un air où le caractère sombre, désespéré, de
l'un contraste admirablement avec la résignation douce
et triste de l'autre. Que trouverait-on parmi les modernes
de plus ravissant de mélodie , de plus vrai et de plus
tendre que le morceau : « Unis dès la /dus tendre en-
fance? » La phrase surtout: « La mort même est une
'faveur, puisque le tombeau nous rassemble » arrache
1 presque toujours des larmes réelles au chanteur chargé du
rôle de Pylade.
Mais une scène d'une bien autre portée se prépaie.
Pylade a été arraché des bras de son ami. Oicste, accablé
390
GAZETTE MUSICALE
de douleur et de rage , après quelques blasphèmes con-
vulsifs, tombe dans un accablement profond.
« Où suis-je?... A l'horreur qui m'obsèrle
« Quelle tranquillité succède ?
» Le calme rentre dans mon cœur!...
» Mes maux ont donc lassé la colère céleste!...
» Je touche au terme du malheur...
» Vous laissez respirer le parricide Oreste
» Dieux justes! ciel vengeur!
» Oui , oui , le calme rentre dans mon cœur. »
On ne sait comment exprimer son admiration a l'aspect
de ce magnifique contre- sens. Oreste s'endort; l'orches-
tre s'agite sourdement; l'acteur parlede calme, et les vio-
lons glapissent de petites plaintes syncopées auxquelles
les basses répondent par des coups sourds , rhythmés de
deux en deux mesures au commencement du morceau, et
de trois en trois vers la fin, pendant qu'à travers ces pul-
sations fébriles , le timbre mordant, mais triste, des
altos gronde une sorte d'accompagnement qu'on pour-
rait difficilement caractériser avec des paroles , l'auteur
l'ayant écrit dans un rhythme mêlé de notes syncopées et
de notes détachées qu'on n'avait jamais entendu aupa-
ravant , et qui depuis lors n'a été reproduit nulle
part. «Oreste ment, disait Gluck: il a tué sa mère.
« Le chœur des Furies pendant le sommeil du par-
ricide est tine conception étonnante de grandeur in-
fernale ; le travail des voix est presque constamment
dessiné sur des gamines ascendantes et descendantes de
trombonnes d'un effet prodigieux. Cet acte se termine
d'une manière qu'on trouverait aujourd'hui bien mala-
droite, par un andante moderato qui va toujours en
decrescendo. Iphigénie fait un retour sur elle-même; elle
repasse dans sa mémoire tous ses malheurs passés ; elle
pleure avec ses femmes et sort de la scène a pas lents, les
yeux baissés , pendant que l'orchestre s'éteint en mur-
murant les dernières phrases de sa noble plainte.
Oh! que c'est ennuyeux! que c'est froid! que c'est
monotone! diraient aujourd'hui bien des gens; quec'est
beau! que c'est noble ! que c'est vrai ! que cette douleur
est majestueuse ! comme le cœur est serré par ce tableau
de l'abandon et de l'isolement de la triste fille du roi de
Mytènes! diraient quelques autres: et nous ne pourrions
nous empêcher d'être de l'avis de ces derniers.
Tout le reste est a cette hauteur. Le duo entre les deux
amis, le récitatif obligé d'Oreste furieux, l'air suppliant
de Pylade « Ahl mon ami, f implore ta pilie'» son élan
héroïque « Divinité des grandes âmes » Le grand air
d'Iphigénie, si dramatiquement accompagné par les basses
pendant un remolo continuel des seconds violons et altos,
tout cela est merveilleux de passion de mélodie, de force
de pensée, tout cela saisit et entraîne; on ne sait si l'effet
résidte de la poésie ou de l'action, ou de la pantomime
ou de la musique, tant cette dernière est intimement
unie à la pantomime, à la poésie et à l'action. Etquand,
à côté des grands traits que nous venons de citer , on
trouve l'expression du calme religieux portée au point
où nous l'admirons dans le chœur des prêtresses «.Chaste
Jille de Latone» quand on entend ces hymnes sublimes ,
empreints d'une mélancolie antique qui reporte l'audi-
teur au milieu des temples de l'ancienne Grèce , on ne
se demande point : Gluck est-il un poète, un dramatiste
ou un musicien? mais on s'écrie: Gluck est un grand
homme.
Hector Berlioz.
TBÉATBE ETABÏ1SHE.
La dernière heure d'un Condamné,
Scène pantomine tragique de M. Henri , musique de M. Pugni.
Ce fut un grand événement dans le monde littéraire
et dramatique, que l'arrivée de la troupe anglaise
amenée par M. Laurent en 1827. Un essai infructueux
dans le même genre , tenté quatre ou cinq ans aupara-
vent à la Porte-St. -Martin , avait fait concevoir de vé-
ritables craintes pour le début des artistes de Drury-
Lane et de Covent-Garden. Mais en quatre ans l'esprit
public fait bien des progrès , et aulieu d'accueillir les
Anglais avec des sifflets et des huées, comme le parterre
de la Porte-St. -Martin l'avait fait naguère , ce furent
des larmes, des applaudissemens , des cris d'enthou-
siasme et d'étonnemeut , tels que n'en avait sans doute en-
core jamais entendus la froide salle de l'Odéon. La pre-
mière représentation à'Hamlet , donna lieu a une scène
des plus rares et des plus intéressantes; elle n'a jamais
été connue du public ; nous croyons que l'occasion est
venue de la publier. Charles Kemble en arrivant a Paris,
comptait jouer Romeo pour son début ; mais où trouver
une Juliette? » Vous n'avez pas de Juliette? dit-il au
directeur, impossible de monter Romeo. Il faut com-
mencer par Hamlet; le rôle d'Ophelia n'est rien ; nous
le donnerons à Miss Smithson. « Ce plan fut adopté a
la grande consternation de la jeune actrice, qui se croyait
absolument incapable de jouer Ophelia , suivant les con-
ditions voulues par les traditions théâtrales. 11 faut vous
dire, au risque de n'être pas cru , qu'Ophélia, ce per-
sonnage si naïf, si modeste , si tendre, si mélancolique,
si voilé , cette création divine du plus grand génie dra-
matique, était ordinairement joué par cequ'on appelle en
Angleterre une cantatrice. Pourquoi, s'il vous plaît? —
parce que dans les dernières scènes de folie de la malheu-
reuse fille de Polonius, elle chante plusieurs anciennes
ballades, dont les paro'es offrent par intervalles quel-
ques allusions plus oiunoins directes aux souffrances qui
ont déchiré son cœur et altéré sa raison. En conséquence
une demoiselle a la voix agile, était en possession de-
puis longues années de venir se placer sur le devant du
théâtre, commeune prima donna italienne, et dérouler son
tissu de douleurs en interminables roulades et cadences
qui lui valaient d'autaut plus d'applaudissemens , qu'elles
étaient plus révoltantes d'absurdité.
0 Shakespeare ! voila bien ce que t'appelles dans ton
Hamlet , déchirer de la passion comme un lambeau de
vieille e'toffe : Est-il possible de porter plus loin l'outrage
au sentiment poétiqueetau sens commun ! MissSmithson/
qui n'est pas une cantatrice , se voyait donc forcée de ten-
ter une épreuve , dont toutes ses devancières n'avaient tiré
gloire qu'âla faveur d'une vocalisation brillante. [Dans son
désespoir, elle offrit une semaine de ses appoinlemens à
chacune des autres actrices qui composaient la troupe
de M. Laurent, pour jouer Ophelia a sa place, mais
aucune ne voulut accepter , chacune était offensée qu'on
n'eut pas jeté les yeux sur elle la prcmièie. Forcée de se
dévouer, Miss Smithson, après bien des larmes, accepta
le rôle, qu'elle regardait comme au-dessus de ses forces,
et s'enferma une journée pour travailler. Le soir, quand
sa mère vint ouvrir la chambre d'études , dont elle
l'avait priée d'emporter la clef, elle la trouva bien chan-
gée : son visage rayonnait ; au lieu des larmes qui Je ma-
tin remplissaient ses yeux, un feu extraordinaire leur
donnait un éclat inconnu, sa personne avait un aspect
nouveau, plus noble, plus assuré, en quelque sorte
prophétique, en un mot tel que sa mère ne l'avait jamais
observé : c'était l'aspect du génie dans l'ivresse de sa vic-
toire. Une composition sublime venait de naître, celle
du rôle d'Ophélia, de l'Ophelia de Shakespeare, de la
lille bien-aimée du plus grand des poètes , dont de ri-
dicules traditions nous avaient voilé jusqu'ici les ineffa-
bles traits. Mais ce qu'il y a de bien remarquable dans
cette circonstance, c'est que MissSmithson, bien cer-
taine qu'on ne la laisserait pas jouer Ophelia comme elle
l'entendait, avait en même temps appris le rôle suivant
les us et coutumes de la routine théâtrale. De sorte que
le lendemain a la répétition, en la voyant suivre assez
bien le mode d'exécution adopté par toutes les actrices ,
on se félicitait d'avoir eu confiance dans cette jeune per-
sonne peu connue , dont le talent n'avait jamais encore
été mis en évidence ; et la représentation fut fixée au
lendemain.
Pendant toute la durée de la dernière répétition, Miss
Smithson avait été d'une docilité parfaite. On lui disait :
« Vous prenez cette posture » , elle la prenait ; « vous
vous placez à droite » , elle s'y plaçait ; « vous avancez,
vous reculez » , elle avançait et reculait. Tout était bien ,
on était enchanté. Mais le soir de la représentation ar-
rivé, l'artiste exécuta son plan. L'Ophelia qui s'avança
aux regards effrayés de toute la troupe et aux yeux émer-
veillés du public , n'était pas l'Ophelia que l'on connais-
sait ; je le crois bien , c'était la véritable , celle que le
poète rêva j celle qu'il caractérise complètement par ce
peu de mots :
K Thonght and afliction , passion , hell its elf
» She turns to favour, and to pretliuess (i). »
Quelle témérité , quelle impertinence ! oser ainsi fou-
ler aux pieds les traditions ! Miss Smithson pouvait lire
ces reproches dans les yeux de tous ses camarades. Quand
vint le quatrième acte , la scène de folie , le triomphe
des cantatrices qui roucoulent si agréablement le déses-
poir et l'égarement, elle osa bien davantage : elle inter-
rompit sa douloureuse chanson par une scène muette
h laquelle nul ne s'attendait; puis, agenonillée devant le
voile noir tombé de sa tête , croyant pleurer sur le lin-
ceul de son père , elle laissa échapper ce sanglot déchi-
rant qu'aucune langue humaine, qu'aucun effort de l'art
musical lui-même ne saurait rendre, et sortit de la scène
au milieu du frémissement , des pleurs et des applaudis-
semens de rassemblée, (car il y a toujours en pareil cas
des malheureux qui trouvent la force d'applaudir).
Etonnée de ce murmure confus, et ne sachant s'il expri-
mait le blâme ou l'approbation , l'actrice , éperdue de
craintes de toute espèce , se retourne vers un acteur qui
se trouvait près d'elle dans la coulisse: « Mon Dieu, mon
Dieu , que disent-ils ? sont-ce des marques d'approbation
ou de mécontentement? — Ce qu'ils disent! vous avez
un succès immense. Ma foi , continuez. »
Ainsi rassurée et autorisée a être encore sublime , elle
rentra pour la dernière scène de folie, ses cheveux bi-
zarrement ornés de brins de paille et une corbeille de
plantes sauvages a la main. Sa distribution de fleurs au
roi , a la reine et à son frère Laèrtes produisit un éton-
nement profond ; la manière surtout dont elle laifsa
échapper ces mots : » Je voulais vous donner quelques
violettes, mais elles se sont tontes fanées a la mort de
mon père, « fit éclater des sanglots a peine contenus jus-
que là. Et quand, après avoir exhalé vers le ciel la der-
nière phrase de sa triste complainte, d'une voix douce
connue le soupir d'un ramier mourant, elle murmura :
« Paix a son ame, et a toutes les âmes chrétiennes! Je
(•)) La rêverie, la douleur, la passion, l'enfer lui-même,
prennent en elle du charme et de la grâce.
392
GAZETTE MUSICALE
le demande a Dieu » ; la salle présenta un aspect impos-
sible a décrire. Un de nos grands poètes, qui était pré-
sent, fut même si violemment ému, que forcé, de quitter
sa loge pour éviter de se donner en spectacle au parterre,
il ne put assister au reste de la représentation.
Ainsi éclairée sur la nature et l'élévation des facultés
dont elle était douée, Miss Smithson aborda sans crainte
les rôles de Juliette , de Jane Shore, de Cordelia , de
Belvidera, deDesdeniona, etc., et chacun sait les succès
qu'elle y obtint. Toutefois, s'appuyant sur les suffrages
unanimes du public français , elle osa demander d'exé-
cuter ces différais rôles tels qu'elle les concevait.
N'est-ce pas une chose admirable et tout-a-fait carac-
téristique de voir le génie , aux pieds de la routine ter-
rassée , lui demandant humblement la permission d'user
de sa victoire ?
La conséquence de l'originalité incontestable du talent
de Miss Smithson était difficile à prévoir. Son jeu ne
ressemblant en aucune façon a celui des acteurs français,
en France on ne manqua pas de dire : C'est l'école an-
glaise; le public et les artistes anglais, surpris de ne pas
retrouver la copie de leurs modèles favoris , s'écrièrent
a leur tour: C'est V école française , elle imite les ac-
teurs de Paris. Bien loin d'en copier aucun cepen-
dant , Dieu sait le nombre de ceux et surtout de celles
qui ont fait leur profit de ses effets les plus remarqua-
bles. Mais c'est une des lois cruelles auxquelles ne
peuvent se soustraire les novateurs dans tous les genres :
ils profitent peu de leurs créations , d'autres savent se
les approprier, les gaspiller et en faire de l'or.
Mais venons a la pièce nouvelle, dans laquelle nous
avons revue Miss Smithson au théâtre Ventadour. Le
mot pièce est peut-être bien ambitieux, c'est plutôt srène
ou fragment qu'il faudrait dire, car en vérité cet acte
est si court, si peu développé, si dépourvu d'invention,
qu'on voit bien que M. Henry a été pris au dépourvu , et
n'a pas eu le temps de composer quelque chose de plus
digne de son beau talent. Un colonel de cavalerie est
condamné à mort; sa femme, anéantie par la douleur et
l'insomnie, est assoupie sur une chaise, près du berceau
de son enfant. Un geôlier apporte la sentence au moment
où la femme du condamné se réveille ; elle saisit le fatal
écrit., le parcourt rapidement, et tombe évanouie. Quand
elle recouvre ses sens, la raison l'a abandonnée ; elle mé-
connaît son mari , le repousse , éclate de rire au moment
où les gardes viennent le conduire a la mort, s'assied
d'un air féroce près de son enfant , qu'elle indique vou-
loir défendre avec rage contre quiconque voudrait le lui
enlever ; cédant ensuite a son affreux désespoir, elle es-
saie de s'étrangler avec ses cheveux , quand le geôlier ,
l'homme vertueux et sensible, comme il en faut toujours,
la force de voir son enfant qui sommeille. A cette vue ,
ses mains crispées se desserrent , ses cheveux retombent ,
elle berce son fils en gémissant et s'endort de nouveau ,
au milieu de ses rires convulsifs et de ses larmes amères,
quand le roulement lugubre du tambour vient la rendre
aux angoisses les plus douloureuses. Elle se lève, suit
d'un oreille épouvantée chaque son qui parvient jusqu'à
elle , et tombe enfin en poussant un cri déchirant , au
moment où une décharge de mousqueterie annonce que
tout est fini. Le succès de Miss Smithson dans un genre
où elle est privée du puissant moyen de la parole et de
tous les avantages d'un organe admirable est d'autant
plus flatteur pour son amour propre , qu'elle n'avait joué
la pantomime qu'une seule fois, dans la Muette a l'Opéra,
pour un bénéfice. Elle a été constamment pathétique,
sans rien perdre de la grâce de ses poses , et redemandée
à grands cris à la fin de la représentation , elle est venue
un peu tard recevoir les bravos de toute la salle. Il est
juste de dire que M. Henry, dans un autre genre et par
d'autres moyens , l'a fort bien secondée.
La musique que M. Pugni a composée a cette occa-
sion ne manque ni de charme ni d'expression ; plu-
sieurs morceaux sont instrumentés avec talent. L'air qui
précède la marche funèbre , sur lequel la folle berce son
enfant , est bien en scène et d'une mélodie simple et tou-
chante. Pourquoi sommes-nous obligés de reprocher au
compositeur une ouverture du style le plus commun, et
totalement en opposition avec le caractère passionné et
tragique que comportait une scène aussi sombre? On
pardonne volontiers d'être absurde aux gens qui sont
constamment a cent lieues de la vérité; mais quand on
sait être expressif dans un enchaînement de scènes diffé-
rentes , comme l'a été M. Pugui, on est en droit d'exi-
ger de l'auteur qu'il le soit dans son ouverture, et tou-
jours et partout.
THEATRE H.DYAL EE fOP^P.A.COBÎIDgE.
La Sentinelle perdue,
0[)éra eu un acte; paroles de M. de Saint-George, musique
de M. Rifaut.
Un vaudeville joué vers 1821 , sur le théâtre de la
Porte-Saint-Martin, vaudeville ayant alors pour titre:
La petite Annette, si j'ai bonne mémoire, vient d'être
arrangé en opéra et représenté sur notre seconde scène
lyrique. Comme le plus grand nombre de nos lecteurs
n'a pas gardé le souvenir de cette bagatelle dramatique,
je dois leur en faire connaître le sujet.
DE PARIS.
André, soldat de la garde impériale, a été placé en
sentinelle sur un pont, près d'un moulin, par son ser-
gent-major Marengo, qui est aussi son parrain , son tu-
teur. Marengo l'aimait beaucoup et lui mit la pipe a la
bouche a un âge où les enfans préfèrent la douceur des
dragées au suc un peu trop amer du tabac. Le régiment
a quitté le pays, battant en retraite, et l'on a oublié de
relever la sentinelle de son poste avancé. André n'a pas
bougé; il est en pays ennemi, en Allemagne, et les
bonnes gens qui l'entourent ont bien voulu lui permeitre
de continuer sa faction avec armes et bagjge, chose qui
paraîtrait au moins singulière tout autre part que dans
un opéra-comique. Enfin , l'auteur le veut ainsi , je ne le
chicanerai point. \ Trois mois après, le régiment revient
près du moulin; Marengo le précède; il apprend avec
surprise que son pupille André mène une vie assez douce
au moulin et qu'il va se marier a Laura , fille du meu-
nier. Marengo s'empresse d'adresser un billet à son pro-
tégé, pour l'avertir du danger qui le menace. André, ne
répondant plus a l'appel depuis trois mois, a été consi-
déré comme déserteur, el si le régiment le saisit, il sera
puni. Le fiancé de Laura trouve ce billet sur la table, au
moment de signer son contrat de mariage ; il quitte la
noce et va se poster en faction sur le pont. Là , fidèle à
sa consigne, il croise la baïonnette contre son beau-pèie,
contre Laura même, qui voudraient passer pour aller
avertir le général autrichien. Les Français vainqueurs,
annoncés par des coups de canon, arrivent enfin et re-
trouvent André , la sentinelle perdue, au lieu même où
ils l'avaient laissée. Le déserteur supposé prouve sa pré-
sence au corps par la constance qu'il a mise a garder le
poste qu'on lui avait confié. Marengo va relever André
avec les cérémonies d'usage; tout le monde le félicite,
l'embrasse; André épouse sa bien-aimée Laura.
Tel est le tableau militaire, troupier, si l'on aime
mieux , donné a M. Rifaut pour le mettre en musique.
Le vaudeville a pris des formes plus robustes sous la
main du compositeur, qui l'a gonflé d'une ouverture et
d'une introduction assez bruyantes. La scène de séduction
entre la petite fille et le factionnaire est d'un bon effet;
le duo est bien posé ; la mélodie laisse pourtant à désirer.
Les couplets d'André, calqués sur les bouffonneries de
Charles Plantade, deLhudlier, sont au-dessous du genre
de l' opéra-comique. On a beaucoup applaudi un chœur
en mouvement de valse. La musique de M. Rifaut est
bien faite ; mais on ne me trouvera pas sévère si je dis
qu'elle manque d'invention. C'est encore un succès que
nous avons a constater. G. I. K.
FETE DE SAINTE CECILE.
Cette solennité musicale a é(é célébrée lundi dernier , 24 cou-
rant, et aussi dignement que de coutume, dans l'église de St. -Vin-
cent-de-Paule. Beethoven , Litz et Urkan (le fondateur de celte
fêle tout artistique) en faisaient les frais : aussi l'affluence des
fidèles était-elle considérable. C'est qu'eu effet il ne s'agissait
de rien moins que d'entendre le grand duo de Beethoven pour
piano et violon, dédié à Kreutzer et exécuté par MM. Listz et
IL han! Une telle réunion de talens consciencieux n'est déjà pas
chose assez commune pour que les vrais amateurs hésitent à en
jouir; c'est probablement pour cela qu'une heure avant le com-
mencement du morceau , il n'était plus possible de trouver
une place dans l'église.
Ces expressions de morceau et d'église, ainsi rapprochées au
hazard , me rappellent certaines observations critiques que j'ai
recueillies au passage , et que je consigne ici dans toute leur
force.
Quelques personnes donc (il est vrai qu'elles n'étaient pas les
mieux placées) murmuraient les mots d'inconvenant, de scan-
daleux même, si j'ai de bonnes oreilles : elles étaient choquées
de la présence d'un piano dans une église ; puis le choix du
morceau . — De la musique profane pendant la célébration de
la messe: le recueillement des fidèles devait en être considéra-
blement troublé ; enfin cet appareil tout mondain de concert ,
quesais-je? C'est terrible, en vérité, que voulez-vous répondre
à des gens qui trouvent inconvenant de faire de la musique
pour fêter une musicienne? scandaleux de faire entendre un
piano dans une église, où l'on entend habituellement un orgue?
Le choix du morceau n'est-il pas bien condamnable, quand, de
tous les majestueux et sublimes morceaux de Beethoven , le
duo en question est peut-être le plus majestueux et le plus su-
blime? — Mais , c'est de la musique profane... Comment l'en-
tendez-vous, s'il vous plait? Sciait-ce seulement par hazard
que vous n'y trouvez ni les mots de Kyrie eleison , ni ceux de
Sanctus , Sabaofh? et si les mots seuls font pour nous la mu-
sique, que de musique saccée, à votre compte, aurait paru pro-
fane au religieux Beethoven ! Quant au trouble considérable
apporté au recueillement des fidèles , pendant la célébration de
la messe , oh! de grâce, ne le mettez pas sur la conscience de
nos trois artistes. Hélas ! le recueillement n'est pas une habitude
dans nos temples: et j'ai vu telle cérémonie , telle orthodoxe du
cube catholique causer plus de distraction aux fidèles que ne
l'a fait l'exécution du grand duo. D'ailleurs la grande musique,
bien loin de distraire, absorbe l'aine, la fait se concentrer en elle-
même; puis, peu-à-peu l'élève, et l'ame, qui s'élève , remonte
nécessairement jusqu'à son créateur. Quelques lignes collées à
la porte de quelques magasins de musique , ou perdues dans les
annonces de quelques journaux, pour faire savoir que Listz et
Urhan joueraient un duo de Beethoven : quel appareil de con-
cert! quelle pompe toute mondaine !
J'aime mieux croire, pour l'honneur du jugement de ces cri-
tiques retardataires et mal placés , que leur dépit seul parlait
en ce moment. INon, la musique profondément religieuse de
Beethoven ne sera jamais inconvenante dans une église ; non,
le piano el le violon ne seront jamais scandaleux dans une
église, quand ils y réuniront leurs accords pour fêter l'harmo-
nieuse patronne qui, la première, a introduit des instrumens
dans l'église. C'est principalement à ce titre que Sainte Cécile a
droit aux hommages de tous les instrumentistes. Pourquoi donc
3g4
GAZETTE MUSICALE
île tous ces artistes , Urhan est-il le seul qui pense à la fête de
Sainte Cécile ? Oh ! c'est que Urhan , homme et artiste à part ,
fait précisément de la Sainte Cécile une fête tout-à-fait à part ,
oh il peut rendre un hommage public à l'art dont il nourrit
religieusement le culte dans son âme; c'est que, pour fêter
Sainte Cécile, il faut nécessairement une église, et que seulement
dans une église il ose étaler ces admirables pages de son Bee-
thoven , que le monde ne veut pas ou ne sait pas lire. Serait-ce
donc au scintillement coquet des lustres , au frôlement de la
moire et du satin, au gazouillement de nos dandys en gants
jaunes , aux molles odeurs de ces houquets factices , les trois
quarts du maintien de nos belles de salon , qu'on irait faire en-
tendre les mâles accents , les soupirs mélancoliques , les phrases
éloquentes, les transports si vrais, si tendres, si passionnes
d'une âme plus qu'humaine ? Oh ! que Urhan a bien raison de
préférer une église! Remarquez bien ensuite qu'il ne prétend
imposer le joug de son goût à qui que ce soit : sa fête , il la cé-
lèbre pour lui et comme il l'entend ; il n'y invite , il n'en re-
pousse personne: il prévient seulement, que tel jour, à telle
heure , on exécutera tel morceau de Beethoven dans telle église :
Alors, comme une église est ouverte à tout le monde, entrera
qui voudra , ou mieux , qui pourra. Mais comme , d'un autre
coté , toute manifestation d'approbation ou d'improbation est
défendue dans une église, comprendra et jouira tout bas qui
pourra , s'ennuiera et blasphémera tout bas qui voudra : chacun
en aura toujours pour son argent. Or, maintenant, si dans cette
foule Uihan a le bonheur de rencontrer quelques âmes qui
comprennent la sienne et qui jouissent à l'unisson de celte ad-
mirable musique , si libéralement offerte , eh bien , ce sont tou-
jours quelques hommages de plus facilement rendus à cegénie
de Beethoven. Urhan a-t-il le malheur de ne pouvoir pas se faire
comprendre? il lui est facile de s'en consoler, puisqu'il l'ignore;
parvient-il enfin h convertir à la grande école une ame égarée
long-temps à la suite de la musique mondaine? celte concession
est un Douvel acte méritoire, dont lui tiendra compte le dieu
de l'harmonie. Cette manière d'envisager l'art a bien aussi son
mérite : pour sa noblesse et le désintéressement au moins, elle
n'est pas de son siècle.
Aussi pour s'aider dans cette espèce d'apostolat musical,
Urhan a-t-il grand soin de s'adjoindre des artistes aussi digues
que lui de la hauteur, de la sainteté presque de leur mission :
Cette année c'était Lis'z , le grand pianiste , qui prêtait son aide
à Urhan, et Dieu sait quelle aide! Il faut croire que le lieu même,
la circonstance et l'amitié prêtaient à Listz leur triple inspira-
tion , leur triple enthousiasme ; car jamais , et nous en appelons
au souvenir de tous ceux qui ont eu le bonheur de l'entendre
lundi dernier, non, jamais Beethoven n'avait trouvé un aussi
éloquent interprète. Ainsi, qui jamais a rendu et qui rendra
jamais avec cette désespérante perfection sa ravissante poésie
du premier morceau ? Ne comprenez-vous pas la lutte impuis-
sante d'une ame aux prises avec une force inconnue et tenace
qui l'embrasse , qui l'étreint, qui l'abat , qui ne la laisse se re-
lever que pour l'abattre encore , pour la dompter enfin ? ne
vous sen liez-vous pas touché des plaintes de cette ame qui, n'en
peut mais, qui cède parce qu'il faut céder, mais qui semble
demander pourquoi d'une voix incertaine et tremblante? ce
qu'exprime si heureusement cette petite phrase mélancolique
et monotone , qui revient toujours après le tonnerre des plus
larges accords !
Et l'andante , que de suavité ! que de grâce ! que de sérénité
céleste dans ce thème , si admirablement varié pour le piano et
pour le violon, qui se répondenteomme deux gémissantes voix !
n'est-ce pas la plus douce prière de l'abattement , l'hymne le
plus touchant delà résignation et de l'espérance ?
Et comme celte ame un moment subjuguée, se relève indépen-
dante, heureuse et fièredans ce finale, empreint de tant de verve
et de lant d'originalité ! C'est un chant de triomphe , commencé
sur la terre , et qui va finir dans le ciel. Toutes les idées sont
colossales dans Beethoven, dans ce géant dj la musique; il faut
cirait donc un orchestre entier pour exprimer tout ce qu'il confie
au seul piano et au seul violon ; mais comme ces deux instru-
mens grandissent sous le talent de Listz et de Urhan , on peut
se flatter , après les avoir entendus, d'avoir compris Beethoven
autant qu'il était donné au piano et au violon de le faire com-
prendre • aussi honneur , trois fois honneur et reconnaissance à
Listz et à Urhan , qui nous ont initiés aux merveilles de cet ad-
mirable chef-d'œuvre ! Courage! nobles i hampions de l'art ! à
l'œuvre sans relàohe ! vos travaux porteront leurs fruits !
SECOND CONCERT DE M. BERLIOZ.
Nous ne prétendons point ici faire l'analyse de la
symphonie exécutée dimanche dernier au Conservatoire.
Nous venons seulement constater un nouveau triomphe
d'Hector Berlioz. Oui, nouveau triomphe, bien qu'une
première audition soit insuffisante pour que le public ,
les artistes, les musiciens eux-mêmes, puissent pénétrer
le sens d'une vaste composition ; nouveau triomphe,
bien que l'orchestre n'ait pas eu le temps de rendre l'exé-
cution digne de lui et digne de l'ouvrage. Mais la foule
est venue, et la foule a été attentive, sympathique, et
elle a su faire la part des circonstances dont nous ve-
nons de parler. Mais un morceau a été applaudi avec
fureur et redemandé avec acclamation. Ce morceau,
exécuté hier, est aujourd'hui célèbre. Dans les salons,
dans les foyers , partout où l'on se rassemble, l'on en-
tend parler de la Marche des Pèlerins; partout l'on
s'extasie sur l'effet de ce rythme mystérieux, de cette
prière a laquelle les arpèges de l'alto principal prêtent
une couleur si religieuse, et de cette cloche que l'on en-
tend d'abord dans le lointain, dont le son devient
toujours plus fort et plus distinct a mesure que les moi-
nes avancent au monastère, et qui , lorsqu'ils sont en-
trés dans la chapelle, finit par résonner seule, en laissant
toutefois parvenir a l'oreille le murmure d'une psalmo-
die grave avec ses interruptions et ses pauses. Quel en-
thousiasme ne produira pas ce morceau et le suivant,
la Sérénade, tous deux si frappansjde vérité et saisissans
de couleur, lorsque les exécutans, débarrassés d'une
préoccupation insupportable et continuelle, libres d'une
gêne matérielle, et maîtres de leurs parties , seront tout
entiers sous l'influence des sentimens qui les domine-
ront , et lorsqu'ils seront devenus les interprètes d'une
DE PARIS.
395
pensée devenue leur propre pensée! Le public n'a pas
tout compris, il est vrai, mais ce qu'il a compris lui ré-
vèle la portée de ce qu'il a à comprendre, et du connu
il arrivera a l'inconnu.
Nous reviendrons sur cette symphonie. Nous la mé-
diterons, nous l'étudierons avec conscience, et nous tâ-
cherons de saisir la pensée de l'auteur dans toutes les par-
ties de son œuvre. Pour le moment, nous ne pourrions
que hasarder des conjectures sur le premier morceau, et
surtout sur le quatrième, l'Orgie de brigands , dans les-
quels, a travers des torrens d'une harmonie encore obs-
cure et nuageuse, nons avons cru entrevoir d'étincelan-
tes beautés et découvrir des traits d'une expression vi-
goureuse et vraie, tels que cette terreur qui saisit les bri-
gands au milieu de leur fête et de leur joie frénétique,
lorsqu'un bruit de pas, entendu autour d'eux, leur fait
craindre une surprise fatale. Mais nous pouvons dire
dès a présent, sans crainte de nous tromper, que si Ber-
lioz semble particulièrement doué de la faculté de pein-
dre les scènes sombres et terribles , il trouve dans des ta-
bleaux plus calmes de sereines inspirations, des couleurs
qui reposent, des images fraîches aux nuances veloutées.
Les mélodies du premier allegro, les solo de cor anglais
et d'alto principal, dans la Sérénade, justifient cette ob-
servation.
Nous parlerons aussi de cette fantaisie sur l'Orientale
de Victor Hugo, la Captive, chef-d'œuvre de mélodie, de
science et d'instrumentation , comme la romance tirée
du roman de Marie, est un chef-d'œuvre de douce mélan-
colie et de simplicité. Quant a l'ouveiture de Waverley,
rendue avec beaucoup de feu par l'orchestre , nous
avouons qu'elle ne nous avait jamais produit autant d'ef-
fet que dimanche dernier. Il y a loin de cette ouverture a
celles des Francs-Juges et du Roi Léar ; mais elle est
digne de les précéder.
On se demande quelquefois par quels procédés le com-
positeur qui ne joue, comme Berlioz, d'aucun instru-
ment obtient les effets extraordinaires d'instrumenta-
tion qui abondent dans ses symphonies. A cela on
peut répondre par un seul mot : Je génie. Or le gé-
nie ne s'apprend pas. On ne l'acquiert pas au moyen
d'une méthode. Le génie est une révélation. Ber-
lioz ne joue d'aucun instrument, a la vérité; mais il
joue de tous à la fois, c'est-à-dire que son instrument,
c'est l'orchestre, et de même que l'instrumentiste n'a pas
besoin de mettre les doigts sur son piano ou d'emboucher
la clarinette pour avoir l'idée des différens timbres qui
correspondent aux différentes notes aux perceptions des-
quelles il rapporte ses mélodies, de même aussi les effets
d'orchestre se révèlent instinctivement, soudainement et
sans effort a l'instrumentaliste, comme le peintre conçoit
un tableau dans son imagination avec ses contrastes
d'ombres et de lumières.
Berlioz a déjà plus de renommée que tels ou tels com-
positeurs, auteurs de plusieurs opéras qui n'ont manqué
ni d'exécutans ni de prôneurs ; et pourtant les portes du
théâtre lui sont encore fermées, Isolé de toute coterie, il
a pris à partie le public, et a obtenu au-dehors de bril-
lans succès. Seul, il s'est fait une scène, des drames, un
orchestre. Mais , dira-t-on peut-être, ce n'est pas que
nous contestions le talent du jeune artiste , mais vous
avouez que le public a peine a comprendre sa musique ;
c'est précisément pour cela que nous n'en voulons pas.
— Oui , nous admettons que la musique de Berlioz con-
trarie les habitudes du public. Cependant vous voyez
que le public s'y fait. Et puis, de ce qu'un artiste n'est
pas compris, faut-il couclure que les moyens de se faire
comprendre doivent lui être refusés? Du reste, le théâtre
change la question. Au théâtre, le poème est un inter-
prète suffisant de la musique. Vous avez dans les ballets,
dans les décors, dans les chanteurs, de brillans acces-
soires et des compensations certaines. Oui, le public n'ap-
préciera pas tout d'un coup le mérite d'un opéra écrit
par l'auteur de la Symphonie fantastique. Mais il se trou-
vera la encore quelque Marche du supplice, quelque
Prière des Pèlerins qui l'électrisera. Peut-on dire que
le public apprécie aujourd'hui toutes les beautés d'un
Don Giovani, d'un Guillaume-Tell, d'un Rohert-le-
Diable? Assurément non, et voyez pourtant le succès,
la vogue opiniâtre de ces ouvrages ! Chaque jour le jeune
artiste recrute dans le public une masse formidable con-
tre laquelle vous ne pourrez bientôt plus résister. Croyez-
nous, n'attendez pas qu'il vous force la main ; il vous
sera plus glorieux de la lui tendre.
NOUVELLES.
♦ Aujourd'hui troisième et dernier concert de M. Hector
Be* lOZ. Nous ne doutons que la salle du Conservatoire ne soit
remplie de bonne heure d'amateurs avides d'écouter avec un
silence religieux la indique do ce jeune et déjà célèbre compo-
siteur. Mademoiselle Heinefetter vient d arriver a Pans pour
remplir une promesse faite à M. Berlioz. Nous 1 entendrons au-
jourd'hui même ; elle chantera un air de Domzetti.
* On parle déjà beaucoup dans les salons d'une nouvelle
scèVe en forme de romance , de M. Meyerbeer : le Moine. Ce
morceauqui fera époquescra incessamment publie dans 1 Hom-
mage aux Dames, album de chant.
* Aux Bouffes , toujours même affluence ;'il est impossible
deVouver place à ce théâtre, où les plus brillantes toilettes
sont de rigueur cette année.
• M. Strauss, le compositeur et exécutant de valses de
Vienne, qui jouit d'une .grande renommée pour ce genre de
musique, est dans ce moment à Berlin; il y est arrive avec son
orchestre composé do trente personnes.
396
GAZETTE MUSICALE DE PARIS.
t.*+ Le théâtre Naulique nous a fait entendre hier soir pour
la première fois une partie des chœurs du théâtre Allemand,
qui ont produit un effet magique. Si, comme tout le fait espé-
rer, la troupe allemande se compose d'artistes habiles, l'hiver
ne pourra manquer d'être productif à ce théâtre qui mérite ,
sous tous les rapports, des encouragemens du gouvernement.
% Robert-le-Diable vient d'être représenté à Calais avec
le sucrés que M. Meyerbeer est accoutumé à obtenir partout
aujourd'hui. Les acteurs, le décorateur, ont eu également droit
au* applaudisssmens du public.
+% Un petit ballet en deux actes, de la composition de
M. Henri, sera mis à l'étude à l'Académie Royale de Musique
aussitôt que ce théâtre nous aura montré la Juive, d'Halévy,
que l'on répète avec activité.
+% La 117e représentation de Robert à l'Opéra a pro-
duit 9^88 fr., et l'on a renvoyé plus de 5oo personnes qui n'ont
pu trouver place dans la vaste salle de l'Opéra.
+.*. M. Serda, qui est dans ce moment à Bruxelles, est en-
gagé à l'Opéra pour le mois d'avril prochain. Ce théâtre pos-
sédera alors les deux plus brillantes basse-tailles français.
»% Les amateurs de musique d'Orléans viennent de fonder
un institut musical. Deux cours de musique, dont un gratuit,
seront professés d'après la mélhode de Choron. Un troisième
cours de chant et de vocalisation sera ouvert incessamment.
Des classes d'instrument seront créées plus tard , suivant les
ressources de la Société, qui ne consistent que dans les sous-
criptions des amateurs. Nous espérons que le gouvernement,
et surtout le maire de la ville d'Orléans accorderont appui et
protection à un établissement aussi utile.
*% Les musiciens de Lille ont célébré la Sic Cécile d'une ma-
nière inusitée. Au lieu de faire chanter une graud'messe ,
comme ils en avaient l'habitude, ils se sont réunis an nombre
de plus de cent , et ont parcouru les principales rues de la ville
en exécutant des pas redoublés avec un ensemble et un accord
qu'on était loin d'attendre d'une aussi grande réunion. Arrivés
sur la grande place, ils ont exécuté avec une verve extraordi-
naire l'ouverture de la Muette et la valse de Robert-le-Diable
Le public , qui était accouru en foule , a témoigné par des ap-
plaudissemens tout le plaisir qu'il éprouvait.
k* On parle au théâtre de la Bourse d'un ouvrage en trois
actes, le Duc de Guise à Nuples , dont le poème est attribué
à M. Théodore Anne, connu dans la littérature par plusieurs
■vaudevilles et quelques livres politiques, et la musique à M. Ri-
faut, l'auteur de celle de la Sentinelle perdue.
*% L'Opéra-Comique a reçu cette semaine un ouvrage dont
la musique est d'un jeune compositeur de Boulogne, le poème
de M. Villain-Saint- Hilaire. Cet ouvrage avait déjà été reçu
par le comité de ce théâtre sous l'administration de M. Paul.
*% MM. Sowinsky et Piobrechls donnent en ce moment de
brillans concerts à Caen. Ces artistes habiles parcoureront une
partie de la France avant de revenir à Paris.
+*+ Il est question du prochain début à l'Opéra de made-
moiselle Zélie Pierson, sœur de la charmante Louise Pierson ,
sitôt enlevée à son art; cette jeune personne a subi vendredi
dernier un examen en présence de MM. "Véron , Duponchel et
Coraly. Elle s'en est acquittée de façon à donner les plus
grandes espérances.
*% Madame Filippowicz , qui récemment a obtenu beau-
coup de succès à l'Opéra-Comique, et qu'ait justement appréciée
comme violon de premier ordre, vient de quitter Paris ; elle
donnera des concerts à Lille, Arras , Bruxelles et Amsterdam.
t*+ Pour les débuts de mademoiselle Brambilla nous verrons
incessamment la Semiramide.
^Les soirées musicales de M.Zimmermann prennent chaque
mois un essor plus grand. Jeudi dernier nous y avons en-
tendu, le grand septuor de Muminel, exécuté avec lalenl par
M. Cholet; un duo chanté par H. Nourrit et MUe Falcon ; un
concerto de Chopin , joué avec une perfection rare par un en-
fant de 10 ans, le petit Goréat, élève de M. Zimmermann ; on
a particulièrement remarqué et applaudi une fantaisie pour le
violon sur Ecco rident:: .'e Rossiui , composé et-exécutépar
M. P.inofk.i , dont nous avons déjà parlé lors de son brillant
début au premier concert de M. Berlioz. Un quatuor, chanté
par MM. Dupont Piog, Prévost et Derivis; mérite des éloges,
ce morceau remarquable est de M. Clapisson ; nous l'enga-
geons beaucoup aie publier, et nous nous ferons un devoir
d'en faire une analyse détaillée.
■*+ Les débuts de mademoiselle Anuette Lebrun à l'Opéra-
Comique donnent les plus belles espérances. Que cette jeune
et jolie personne continue à travailler , et elle sera une canta
trice de premier ordre
+*+ Strasbourg , du 28 noembre. — Une nombreuse et bril-
lante société s'était réunie, mercredi dernier, à la reprise de
Robert-le-Diable, donnée au bénéfice de M. Julien. Cette a f-
fluence , qui n'a manqué à aucune des représentations de cet
opéra , était un nouvel hommage rendu à la sublime partition
de Meyerbeer, au luxe de la mise en scène , aux efforts de tout
genre faits par le directeur, M. Brice, pour que l'exécution fût
digne de l'ouvrage, et enfin du talent de M. Julien, dont la
voix se déploie avec tant de charme et d'éclat dans le rôle de
Robert. Les autres sont tous remplis d'une manière distinguée.
La voix ronde et sonore de M. Roy, l'intelligence |avec laquelle
il a saisi la sombre physionomie de Bertram ; le brillant , la lé-
gèreté, l'articulation parfaite de Mme Valmont ; la mélhode
exquise de Mlle Ferrant!, ;et le tmbre pur de son organe; le
chant souple et facile de M. Lange : voi'à des élémens de succès
inconlestaibes, qui nous prome'tent une suite de brillantes
sobées. Les danses fantastiques, les décors du troisième et du
cinquième actes, el généralement la Iraîcheuret la richesse des
costumes, attestent qu'on a voulu nous séduire aussi bien par
les yeux que pur l'aine et les oreilles.
Pour paraître le 13 décembre chez Maurice Sehlesinger :
ILB IBilILie,
ETRENNES AUX PIANISTES,
Contredanses , Valses et Galops , composés pour le piano , par
K.ALKHRENNER , F. HUNTEN, DESSVUER. REISSIGER , ALARY ,
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Galop de Vienne; galop avec clochette. — F. Hunten. Ga
lop parisien. — Reissiger. Galop Saxon. — Strauss. A la plus
Belle , nouvelles valses favorites de Vienne. — Kalkbrenner.
Valse brillante. — F. Hunten. Coblentz, valse favorite. —
Alarj. Valse favorite de Milan. — Lanne^. Ne m'oubliez pas,
cotillons et galops ; Claire, valse favorite de Vienne. — Mu-
sard. Quadrille Anglais et valse.
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Recueil dei5 Romances et Nocturnes inédits, avec accompa-
gnement de piano, composés par
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— Adam. Oh! crue je hais ma pension. — Paer. La Confes-
sion. — Béllini. Il rimprovero Carafa. Son g/i ocehi di.
— Alaiy. Jane Shore, et Nocturne italien. — Féréol. Chante
le repos el la dame an collier d'or. — Lejey-lrfiland. Les Clo-
ches du soir et le jeune Enfant. — Q»esnel. Pas d'amour et
fais-toi Corsaire. — Marmontel. — L'Elégante des bords du
Missouri.
MM. les abonnés recevront avec le N° 49 de la
Gazette Musicale : Le Galop des Lanterne de Chao-
Kang, arrangé pour le piano, par Kalkbrenner.
Gérant, MAURICE SCHLESINGEB.
GAZETTE MUSICALE
RÉDIGÉE PAR MM. ADAM, G. E. ANDERS , BERTON (membre (le l'Inslitlll), BERLIOZ, CASTIL-BLAZE , A. GUEMER , HALÉVY
(professeur de crulrepoint au Conservatoire), Jules jasin , liszt, lesceur (membre de l'Institut), j. mainzer, marx
(rédacteur de la gazette musicale de berlik), d'ortigue , pa.nofka , richard, j. g. seyfried (maître de chapelle
a Vienne), f. stœpel. etc. , etc.
1" ANNÉE.
n° 50.
PRIX DE l'aBONNEM.
PARIS.
DÉPART.
ÉTRAMG
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18 ..
lan.30
33 ..
36 »
£h (Sazette iïtueicale X>e sparts
Paraît le DIMANCHE de chaque semaine.
On s'abonne au bureau de la Gazette Musicale de Paris, rue Richelieu, 97^
chez MM. les directeurs des Postes, aux bureaux des Messageries,
et chez tous les libraires et n archands de musique de France.
Ou reçoit les réclamations dei
qui oui des griefs à exposer, et les avis relatifs à la musîc[ii>
vent intéresser le public.
PARTS. DIMANCHE U l-ECEMBRE 1834.
Konobslant les suppld-
mens, romances, fac sir
mile de l'écriture d'au-
teurs célèbres et la galerie
des artistes , MM. les
abonnis de la Gazette
Mu haïe de Paris , re-
(cveronl le premier de
chaque mois un morceau
de musique de piano.
Les lettres, demandes
et envois d'argent doi-
vent être affranchis, et
adressés au Directeur ,
rue Richelieu. 97.
L HOMME VERT,
COMTE FANTASTIQVE ,
Jpûr ilt. 1 3amn,
Ceci est une aventure tirée des Mémoires d'un musi-
cien. Les détails de cette histoire sont simples et si tou-
chans, que je les ai tous réunis pour 1< s rendre tels que
je les aiappiis et reçus; aux musiciens jeunes et vieux,
qui nous lisent réunis qu'ils sont par l'amour de l'art,
cette belle et innocente passion.
— J'étais encore un enfant, mais un enfant de seize
ans (c'est le musicien allemand qui parle), que déjà je
me croyais un maître. J'étais si jeune ! et parce que déjà
mon violon résonnait sur l'archet en mille accords, je
croyais n'avoir presque plus rien a faire. Heureuse pré-
somption de l'âge! Mon père, qui était un musicien de la
vieille roche, était lier de moi, non pas comme un maître
est fier de son élève, mais comme un père est fier de son
fils. Du reste, je travaillais la nuit et le jour. Mon vio-
lon était ma vie , et je m'abandonnais d'autant plus a
cette ardeur musicale, que je croyais déjà, moi-même ce
pauvre commençant, que chaque jour j'allais atteindre à
la perfection.
Cependant je n'étais pas le seul obsédé de la même
passion dans notre petite ville allemande. Plusieurs jeunes
maîtres comme moi s'abandonnaient a la même frénésie
musicale. Nous eûmes bientôt arrangé un quatuor, le
quatuor, ce rêve de tout musicien qui commence!
Toute la rue venait trois à quatre fois par semaine chez
mon père écouter nos quatuors. Nous donnions a tous
nos voisins autant et plus d'harmonie qu'ils n'en pou-
vaient prendre dans une soirée. Us nous écoutaient, ils
nous louaient, ils nous admiraient, ils nous applaudis-
saient; ils faisaient merveilleusement leur partie dans les
concerts de notre éducation musicale. Pour ma part, je
ne crois pas qu'en aucun temps de ma vie j'aie joué du
violon avec plus d'amour et plus d'orgueil.
Un soir d'automne, 1 air était doux et limpide, le ciel
était calme, la terre tournait sur elle-même avec un mou-
vement plus lent que de coutume, et nos violons se res-
sentaient de tout ce calme si doux , quand tout à coup,
au milieu du vaste salon de mon père où nous donnions
nos concerts, nous vîmes entrer un homme de l'appa-
rence la plus étrange. Il portait de petites culottes étroites
d'une coupe fort antique et de couleur violette, pauvre
velours usé et qui avait perdu son éclat; ses bas de laine
étaient bleus et a carreaux ; ses souliers , très-recouverts,
étaient ornés d'agraffes en argent. Tout ce costume, déjà
si bizarre, était complété par un habit vert perroquet,
et rehaussé par de larges etflamboyans boulons en acier;
au-dessus de cet habit on vovait une immense cravate
noire, et au-dessus de la cravate une tète mélan-
colique : cette tète était ornée de longs cheveux bou-
clés. Cet homme était sans sourire, mais ses yeux étaient
vifs et ardens. Il entia chez mon père sans se faire an-
noncer, puis, voyant dans le coin de la salle une petite
GAZETTE MUSICALE
place -vide a côté de la jolie Nanrel, ma couùne, il fut
s'asseoir à cette place, après quoi, prenant un air atten-
tif, il prêta l'oreille au quatuor.
Mais la présence de cet étranger nous avait tous frappé
de je ne sais quelle peur immense et inexplicable. A peine
il fut assis à côté de la jolie Nanrel , que la mesure man-
qua à nos quatre violons. En vain mon père accourut à
notre secours, et mon pèrec'était un habile musicien, rien
n'yfit; tout le quatuor fut dérangé. Alors l'étrangerse leva
et vint a moi, et d'un air sévère : « Jeune homme, me dit-
il , votre ardeur vous emporte trop loin ; vous êtes atta-
ché à un archet trop fougeux pour vous ; c'est la un
instrument qu'il ne faut pas toucher à l'improviste , de
peur de se brûler les doigts. » Puis se tournant vers mes
trois confrères, il adresse a chacun d'eux des paroles de
reproche, avec un air de doute sur leur avenir d'artiste ,
qui rendait ces paroles bien cruelles. Pour moi, j'avoue
que je sentis un froid mortel circuler dans mes veines,
quand je vis l'air méprisant de l'étranger : je me croyais
si fort un excellent violon 1 Cependant l'homme vert ra-
massa mon archet que j'avais laissé tomber, il prit mon
violon de mes mains, et il se mit a en jouer. Alors je me
sentis plus humilié que jamais.
Mais aussi quelle verve! et quel jeu admirable! et
quels accords venus du ciel ! et quelles plaintes harmo-
nieuses tirait l'étranger de mon violon ! On eût dit qu'une
âme invisible, cachée dans ce bois sonore, étaitsubitement
réveillée par un rayon venu d'en haut. Jamais, non , ja-
mais, même dans mes songes d'été, je n'avais rêvé cet
idéal ! Oui , à coup sûr c'était un esprit invisible et char-
mant qui chantait dans mon violon obéissant aux doigts
de l'homme vert.
Quand l'étranger eut déposé son instrument, on l'é-
coutait encore. Aux premières notes qu'il avait laissé
tomber de son archet, toute l'assemblée s'était levée d'un
mouvement unanime; et maintenant qu'elle n'écoutait
plus, elle applaudissait de ce murmure silencieux qui
vaut mieux que les plus bruyans bravos de ce monde.
Mon père fut le premier qui prit la main de l'étranger, et
qui lui adressa de respectueuses paroles de bien-venue.
L'homme vert cependant, rendu a toute sa modestie na-
turelle, rougissait de tant d'hommages. La foule enfin
prit congé, et nous restâmes seuls, mon père, moi et
l'homme vert.
Nous savions que dans notre bonne petite ville il y
avait, ce même mois de septembre, une réunion de grands
maîtres allemands qui devaient former un savant et utile
congrès musical; naturellement nous fûmes persuadés
que l'homme vert était un maître nouvellement arrivé
pour l'assemblée, et mon père s'empressa de lui offrir
l'hospitalité de sa maison : l'homme vert accepta en nous
tendant la main. Le voilà donc notre hôte; le voila assis
a notre table, assis a notre foyer domestique comme le
frère de mon père. Simple, et bon, et savant, Dieu le
sait ! Surtout son grand et inépuisable sujet de conver-
sation, c'était la facture des instrumens, et les meilleures
combinaisons a employer pour arriver a des résultats in-
croyables et tout nouveaux; une fois sur ce sujet,
l'homme vert ne tarissait plus.
Voila la vie que nous menions depuis quinze jours,
entourant notre bon hôte de tous les soins qu'il méritait,
prêtant l'oreille a ses leçons , et le bénissant dans notre
caîurde tous ses conseils quand il nous disait : « Jeunes
gens, aimez la musique ; c'est le pain des âmes ; la mu-
sique nous fait mieux connaître le but de la vie ; c'est
l'immortalité de la terre. » Ainsi parlait-il. Mais si par
hasard survenait un étranger, notre savant ami s'en-
fuyait dans le jardin. Il aimait a être seul , ou du moins
à être seul avec nous. Un jour cependant arriva chez
mon père un de ses amis nommé Kurz, riche marchand
de bois des environs. Ce bonhomme Kurz, a vrai dire,
n'était guère homme à mon goût. Il était riche, il était
généreux; il ne savait que vendre cher et acheter a bas
prix ; c'était un homme comme tous les hommes ; moins
que rien, pour moi fils d'artiste et qui n'aimais que les
artistes. A l'aspect du marchand de bois, l'homme vert
sortit àlahâte; mais Kurzl'avait déjà entrevu et reconnu;
et le suivant des yeux: « Quel homme avez- vous recueilli
chez vous, » dit-il à mon père; » vous avez là un singu-
lier hôte, sur ma parole, et ma foi j'aurais plutôt parié
qu'il était au fond de l'eau que dans votre maison. »
Ainsi parla M. Kurz.
— Vous le connaissez donc, s'écria mon père avec
une curiosité mal déguisée?
— Si je le connais! dit M. Kurz. Il along-temps habité
mon village ; il a nom Beze, il est charpentier de son
état: mais c'est un homme fantasque qui s'occupe fort
peu des choses de ce monde. 11 y a quelque temps
que l'orgue de notre petite église ayant perdu le son , la
commune résolut d'avoir un orgue tout neuf ; aussitôt
votre hôte, Beze, vint nous proposer ses services. Il se
chargeait de construire l'orgue tout seul à ses frais; il
ne demandait que les matériaux. Il avait l'air si con-
vaincu, et son offre était d'ailleurs si acceptable, qu'elle
fut acceptée. Le voilà donc qui se met à l'ouvrage; il
arrange, il dérange, il prépare, il appartient à son œuvre
corps et âme; il y passe la nuit, il y passe le jour, il en
perd le boire et le manger. Enfin son œuvre est achevée.
L'orgue résonne dans l'église, et jamais on n'avait vu n'en
de plus beau. On arrive de toutes parts pour admirer ce
chef-d'œuve. Nous accourons tous nous autres les nota-
bles de l'endroit; tout le village est dans l'attente. Beze
cependant nous explique le mécanisme de son instru-
ment; il entre dans les plus minutieux détails ; il poursuit
chacune de ses démonstrations. En même temps, pour
dernière démonstration, il se met a l'orgue et il en joue.
Nous étions tout oreilles et tout silence, et nous enten-
dions a peine mille sons confus et sans aucun sens. Aus-
sitôt le vieil organiste de la paroisse, hors de lui, sort
des rangs, impatient de nous montrer son savoir faire
sur cet instrument si noble et si beau ; mais l'instrument
est rebelle a toute mélodie. Alors mille brocards de pieu,
voir surle malencontreux ouvrier : d'une commune voix
son orgue est déclaré détestable. Enfin grand tumulte
dans l'église. Beze cependant n'en fut pas intimidé; il
sortit en jetant sur nous un regard ironique, et comme
s'il avait fait un chef-d'œuvre méconnu. Voila, mon
cher ami , l'hôte illustre que vous recevez chez vous !
Ainsi parla M. Kurz , avec cette facilité empesée d'un
ignorant qui se sent assez d'argent pour s'élever jusqu'à
la fatuité. Je ne sais pas ce que dit ensuite ce marchand ;
il m'aurait été impossible d'entendre parler ainsi plus
long-temps de mon ami ; j'entrai dans le jardin pour le
rejoindre. En effet, il était au jardin, a sa place accou-
tumée,surle gazon, aupied du grand pommier, le visage
tourné vers le soleil couchant. Quand il m'eut aperçu,
il me fit signe d'approcher. «Voyez, me dit-il d'une
voix émue, comme le soleil se couche la-bas dans toute
sa splendeur; eh bien, le moindre nuage peut obscurcir
cet éclat de feu. Telle est l'histoire de l'homme de génie;
les propos d'un ignorant peuvent le ternir un instant,
mais aussi le premier souffle chasse le nuage d'un jour.»
J'étais profondément ému de ces mélancoliques pa-
roles; je voulus rassurer mon ami. « Oh ! me dit-il, je
ne crans rien ; mon àme ne peut pas être troublée par
le vulgaire; je sais bien que le progrès n'est pas chose si
facile, et qu'attendre est tout en ce monde. L'exemple de
nos pères nous a été inutile; toute perfection est assurée
d'être repoussée par les hommes ; tirez-les de la routine,
ils feront le signe de la croix comme s'ils avaient vu
l'Ante-Cbrist ! Mais après Dieu le temps est le maître. Ce
bel orgue que j'ai construit, ce grand ouvrage de mes
mains, possède une âme , mais il faut un homme qui
réveille cette àme endormie. C'est l'histoire du cheval
d'Alexandre, qui n'a pu être monté que par Alexandre.
En même temps le soleil jetait un demi' r adieu à tout
le paysage; la lumière s'en allant par degrés, remontait
au ciel en glissant légèrement sur les montagnes. « Mon
ami, reprit l'homme vert, qu'importe d'ailleurs l'âme
insensible d'un instrument de bois ou de plomb, quand
on pense à l'âmeimmortelle? eh ! que d'âmes errantes s'en
vont lâ-bas dans celte enveloppe de rosée, embaumée par
le parfum des fleurs !
Et quand la nuit fut venue : « Allons, me dit-il,
allons, mon fils, jouer du violon. »
Peu à peu cependant notre ville s'animait d'une foule
nouvelle. L'heure du concours musical étant venue,
les maîtres accoururent en foule de toutes parts. C'était
dans toute la ville à qui leur donnerait l'hospitalité la
plus digne à tous ces grands noms. La musique est l'or-
gueil et le bonheur de notre Allemagne chérie ! Chaque
grand musicien nouveau venu était reçu comme un roi ;
son entrée était un triomphe véritable; nous nous por-
tions sur le passage de tous ces maîtres pour les voir,
pour les applaudir. Nous vîmes arriver tour a tour les
maîtres célèbres; Grawun, l'inépuisable génie qui puisa
toutes ses inspirations dans son cœur; Fursch et Hasse,
ses deux compagnons fidèles ; le grand Téléman , que
nous avait confié sa bonne ville de Hambourg; puis le
jeune Gasmann , dont l'Allemagne pressentait la gloire
fu'.ure; enfin, nous vîmes arriver une lettre de Gluck
lui-même, absent malgré lui de cette fête des arts ,
Gluck exprimait a ses élèves combien il se reprochait
son absence. Sa lettre se terminait par le» vœux les plus
sincères pour les progrès de l'art allemand. Enfin se
forma dans notre petite ville le cercle le plus intéres-
sant et le plus curieux des plus grands maîtres de notre
âge.
Ces grands hommes étaient en même temps les plus
simples et les meilleurs des hommes. Leurs conférences
étaient plus que publiques; elles avaient lieu dans le
plus vaste salon de la meilleure auberge de la ville , a
l'enseigne de Sainte Cécile, et la on pouvait venir les
entendre et les voir tant qu'on voulait. Moi, tout ti-
mide, je ne manquais pas a cette grande fête. Je me
glissais entre les tables, je me cachais dans un coin; et
la, pendant des heures entières, j'écoutais ces discours
merveilleux et je contemplais ces nobles visages. De
temps a autre les maîtres interrompaient leurs conver-
sations pour s'offrir les uns les autres, quelques grands
verres d'un vieux vin allemand qui leur réjouissait le
cœur.
Un soir, qu'ils étaient tous réunis, et que j'étais a mon
poste a les entendre, la conversation vint a tomber
sur l'Homme vert. Chacun répéta ce qu'il avait entendu
dire d'un musicien mystérieux qui se cache h tous les
regards. « Par le ciel, dit Grawun, il ne sera pas dit que
nous ne ferons pas connaissance avec un homme de génie
qui se cache; faisons-le venir, enfans ; qu'il soit des
nôtres; qu'il parle avec nous, qu'il boive avec nous,
400
GAZETTE MUSICALE
qu'il partage notre conversation et nos plaisirs. » j
Alors moi, tout humblement, je m'avançai au milieu ;
du groupe. « Mes maîtres, dis-je humblement, l'homme
dont vous parlez est en effet un grand musicien, un gé-
nie qui se cache; mais vous aurez beau l'inviter, il ne
voudra pas venir. » Alors tout étonnés ils répètent :
Il ne voudra pas venir! Et mille questions se pressaient
l'une et l'autre. Moi, les voyant attentifs, je leur ra-
contai l'histoire de l'orgue du village voisin; et com-
ment personne n'en pouvait jouer, et comment c'était
là un grand sujet de reproche et un grand chagrin pour
mon ami.
Quand les maîtres eurent entendu cette histoire, ils
furent saisis d'une grande ardeur. « Mes amis , dit Gra-
wuu, demain matin de bonne heure, jour de dimanche,
nous irons voir cet orgue qui ne veut pas chanter. Par
le roi David ! cela serait étrange si un instrument quel-
conque résistait a tant de maîtres réunis !
A ces mots Hasse et Fursch applaudirent. Téléman
ajouta qu'il réfléchirait au moyen de ramener au pied de
son orgue le mystérieux ouvrier qui l'avait fait, mais le
jeune Gasmanu s'écria en poussant un soupir : « Mes
amis, il y a un homme dans le monde qui tirerait des
sons de la pierre. Mais où es-tu, notre maître divin,
Emmanuel Bacli ? »
Ils se donnèrent rendez-vous autour de l'orgue pour
le lendemain matin.
Le lendemain, le plus beau jour se levait sur la petite
église qui renfermait l'orgue du maître charpentier,
lorsque deux hommes a pied entrèrent dans l'église
par la porte du cimetière. L'un de ces deux hommes
était dans la force de l'âge ; on voyait sur son large front
la profondeur de ses pensées; son grand œil Lieu brillait
d'un éclat doux et calme : celui qui l'accompagnait était
un jeune homme vif et bon, et d'un frais visage épanoui.
« Maître, disait-il, pourquoi vous arrêter ainsi en che-
min? la réunion des maîtres sera finie quand vous arri-
verez— Mon fils, dit l'autre, une voix a mon cœur me
pousse à entrer dans cette église. N'as-tu pas entendu
hier ce qu'un voyageur nous racontait d'un orgue mys-
térieux que nul encore ne peut toucher; ce voyageur
appelait cet orgue le travail du délire, le ciel m'envoye
pour savoir si ce n'est pas le produit du génie. Entrons
donc, mon enfant; prie le ciel tout bas ; je vais accom-
pagner sur cet orgne ta prière du matin.
Ils rentrèrent. Le maître fut se recueillir assis devant
l'orgue dont son élève défendit la porte. Bientôt l'église
se remplit de fidèles qui venaient entendre la messe du
dimanche; bienlôt les maîtres, fidèles au rendez- vous
qu'ils s'élaient donné la veille, vinrent h l'église; et,
comme le prêtre était à l'autel, ils se mirent a genoux
en priant. Tout-a-coup, un bruit descendu du ciel
fait retentir la petite église ; les sons les mieux nour-
ris, des sons divins, s'exhalent de cet orgue muet jus-
qu'alors. Les fidèles restent interdits, comme s'ils en-
tendaient un ange; les maîtres relèvent la tête, chacun
cherchant quel est celui d'entr'eux qui touche l'orgue,
et ils s'épouvantent en se retrouvant tous à genoux à
la même place; le prêtre lui-même est saisi d'une se-
crète terreur. Cependant , l'orgue touché par un génie
inspiré était tour a tour grave, sublime, mélancolique,
passionné, plaintif; tantôt flûte, tantôt tonnerre, tan-
tôt louange a Dieu, tantôt terreur des hommes; on
écoutait, on admirait, on restait prosterné!
Dans cette foule un homme seul levait la tête , c'était
l'homme vert! Il était près de l'autel, appuyé contre
un pilier, et il regardait son orgue, son ouvrage animé,
ou plutôt il regardait le ciel. A la fin, sa pensée était
donc manifestée aux hommes! a la fin, sa révélation
était donc complète! Il ne pleurait pas, il ne priait
pas, il écoutait a peine , il se croyait le jouet d'un rêve;
il était le plus heureux de toute cette heureuse foule at-
tendrie, passionnée , quand il vit que tous les regards
étaient fixés sur lui avec orgueil; il sortit de l'église
d'un pas rapide, et la messe continua.
Quand la grande messe fut achevée , les maîtres se
pressèrent a la porte de l'orgue pour savoir quel était
l'ange qui en avait touché ainsi. — La porte s'ouvrit.
— Ils s'écrièrent tous : — Emmanuel Bach ! — Em-
manuel Bach!
C'était lui-même Emmanuel Bach! Mes amis, dit-
il , bonjour. Voici votre frère arrivé. Mais où est
l'homme de génie qui a fait cet orgue, où est-il que je
l'embrasse, ou plutôt que je me jette a ses pieds? On
répondit a Emmanuel que cet homme était invisible,
et les maîtres ajoutèrent : - — Viens déjeûner, notre
maître, à l'enseigne de Sainte-Cécile?
Le soir venu, Emmanuel Bach et Grawn se pro-
menaient dans le jardin de mon père. Ils cherchaient ;
ils appelaient mon ami l'homme vert. A la fin , ils le
trouvèrent sous son arbre favori; mais dans quel état,
ô ciel ! la tète de mon pauvre ami était penchée contre
le tronc de l'arbre, son œil, encore ouvert , cherchait
vaguementles derniers rayons dusoleil, ses mains étaient
étendues sur ses genoux, et aucun mouvement de son
cœur n'annonçait qu'il respirât.
Je me précipite , Emmanuel Bach se précipite , Grawn
tient la tête de mon ami, on l'appelé! alors il ouvre
les yeux , ses mains se dilatent comme s'il voulait jouer
de l'orgue, puis apercevant les maîtres étrangers : —
&0I
Ah! dit-il, vous ici, mes maîtres, ah! vous ici, Em-
manuel Bach , vous , mou Dieu de ce matin , ah ! par-
donnez-moi si je ne vous reçois pas avec tout respect ;
je n'en puis plus , l'émotion m'a tué, je succombe sous
le bonheur, je suis écrasé par le son de mon bel orgue.
— Je meurs.
Les deux maîtres se placèrent près du pauvre char-
pentier. — Oui, dit-il, je puis mourir; Grawn à ma
gauche, Emmaunel Bach h ma droite! puis se tournant
vers moi, il me tendit la main. — Adieu, mon fils, me
dit-il ; vous , mes maîtres , bénissez-moi !
Le dernier rayon dn beau soleil emporta l'ame de
mon ami dans le nuage rose, le doux crépuscule tom-
bait sur ce noble visage comme un filet argenté, et,
dans le lointain, tout faisait silence pour écouler une
simple et pieuse mélodie mortuaire qui s'échappait de
la fiûte enchantée de Grawn. J. Jakin.
DE L'IMPOT PRïLEVE SUR LA MUSIQUE,
SOUS LE NOM DE DROIT DES INDIGENS.
Lorsque le temps sera venu où la profession de mu-
sicien pourra être exercée librement, quand les mains
qui aujourd'hui serrent la gorge des compositeurs , et
leur permettent a peine de respirer , auront été forcées
de lâcher prise , on ne croira pas que l'injustice révol-
tante dont ils sont victimes ail pu jamais exister. Nos
sages de la chambre des députés ont fait une loi qui au-
torise le vol et la spoliation. Je le prouve ; a l'époque où
la question du droit des pauvres sur les recettes des spec-
tacles, bals et concerts a été agitée, les directeurs des
nombreux théâtres de Paris se réunirent pour défendre
leur cause et ils firent si bien que le droit des indigens
fut réduit , pour eux , au onzième de la recette. Mais
les concerts n'eurent pas de représentant, personne ne
les protégea contre la générosité des gens qui savent si
bien faire l'aumône avec le bien d'autrui. En consé
quence pendant qu'on n'exigeait de l'art dramatique
que leonzièmede ses recettes, on extorqua a la musique
le quart des siennes, et cela sans faire entrer le moins
du monde en ligne de compte les frais énormes, inévi-
tables pour le moindre concert. Ainsi pour les séances
du conservatoire, le gouvernement accorde bien la salle
gratuitement, mais il n'y en a pas moins un déboursé de
250 francs pour les ouvreuses , les garçons d'orchestre ,
le fumiste, le lampiste, le bois, l'éclairage, les pompiers
et la garde municipale; viennent ensuite les affiches ,
programmes et billets dont l'impression coûte 150 fr.;
la copie, qui va de 150. a 200 francs par concert, et
les exécutans. Car enfin ils faut qu'ils vivent aussi,
et depuis que les directeurs ont imaginé de donner600fr.
par an a un excellent violon , les artistes sont bien forcés
de tirer de leur talent tout le parti possible. De sorte
qu'une orchestre complet, payés au taux le plus bas pour
un concert et deux répétitions , ne peut coûter moins"de
1000 francs. Que sera-ce si le compositeur veut faire en-
tendre un chœur; les frais s'élèveront aussitôt de 5 ou
600 cent francs. Mais je suppose que par économie, il
renonce a l'exécution de toute musique chorale, quoi-
qu'il en eut pu résulter peut-être un avantage immense
pour l'avenir de sa carrière , l'addition des sommes que
nous avons énmnérées plus haut nous donnera toujours
un total de 1500 francs. Une recette égale à cette somme
est assez belle pour un concert, il n'arrive pas toujours
qu'elle aille au-de-la ; d'après la loi, le fermier du droit
des indigens pourra cependant venir vous demander
575 francs, que vous serez obligé de lui donner quoique
vous n'ayez pas un soude bénéfice. C'est une spoliation,
rien de moins. C'est demander aux compositeurs la bourse
ou la vie, absolument comme pourraient le faire les hé-
ros de la forêt de Bondy : Oui, la bourse ou la vie, car
la vie d'un artiste est dans la publicité de ses œuvres, et
quand il ne lui reste d'autre alternative que de demeurer
inconnu en gardant ses partitions en porte-feuille, ou de
se laisser dépouiller, souvent de son strict nécessaire,
pour obtenir l'exhibition publique de ces compositions,
pour peu qu'il ait de sang artiste dans les veines , il
n'hésitera pas. Cette loi est tellement absurde, tellement
monstrueuse, que le régisseur du droit des indigens
n'ose pas\n faire exécuter. Il se contente presque tou-
jours d'une somme que le donneur de concert lui paye
d'avance, et qui pour l'ordinaire est moindre que celle
a laquelle il aurait droit de par la loi. — De quoi vous
plaignez vous donc alors , me dira-t-on. — Je me plains
de ce que la possibilité d'être aussi rudement imposés
existe pour les compositeurs; que ce soit de 575 francs
ou de la moitié de cette somme, peu importe, ils n'en
sont pas moins dépouillés indignement du fruit de leurs
travaux, quand la recette du concert dépasse les frais, et
de leur nécessaire, quand les dépenses ne sont pas couver-
tes. D'ailleurs, voici une autre circonstance où la loi
étant appliquée plus strictement devient plus oppressive
et plus injuste. Je veux parler des concerts donnés dans
les théâtres. Le régisseur du droit des pauvres refuse en
ce cas d'entrer dans aucun arrangement préliminaire et
exige non pas le quart (il ne l'ose pas encore), mais le
huitième delà recette brute. Si l'on me demande pour-
quoi la faveur accordée aux concerts de la rue bergère
est refusée a ceux de la rue de Monsigny , je répondrai
492
GAZETTE MUSICALE
que je l'ignore complètement. Tout ce que je sais c'est
que, pour la fête musicale qui doit avoir lieu
au théâtre Venta Jour avec trois cents musiciens, les dé-
penses seront de 4500 francs, que si la recette n'est
qu'égale a cette somme, au lieu du huitième qu'il compte
prélever, le régisseur des indigens n'aura pas un sou.
Il m'intentera un procès; je le perdrai; tant mieux, je
voudrais qu'on allât jusqu'à me condamner a six mois
de prison ; il serait curieux de voir au centre de la civi-
lisation , chez le peuple qui se dit le plus policé de l'Eu-
rope , et qui parle de liberté jusqu'à se désarticuler la
mâchoire , il serait curieux, dis-je, de voir emprisonner
un homme qui, n'ayant point de superflu, refuse de faire
des aumônes de 1000 francs , et résiste a un brigandage
égal dont on voudrait le rendre victime, par la raiso n
unique qu'il est musicien au lieu d'être peintre , com-
positeur au lieu d'être poète ou sculpteur. Quelle mora-
lité trouvez-vous d'ailleurs dans cette charité forcée? Que
dirait-on si , rencontrant M. *** d ins la rue, vous alliez
le prendre au collet et lui arracher de vive force le hui-
tième de l'argent qu'il aurait sur lui , ou son habit, s'il
avait parhasard oublié sa bourse, en lui disant : c'est pour
les pauvres. On dirait qu'il vaut mieux vivre chez les
Tartares qu'au milieu d'un peuple où l'on est exposé à
de pareilles vexations. Eh bien, si une chose semblable
arrivait, j'affirme que la justice et la morale publique se-
seraient moins insolement outragées , qu'elles ne le sont
dans l'acte qui ravit a un artiste pauvre , le misérable
produit de tant de pénibles labeurs , de si cruelles in-
somnies; j'affirme que l'opinion des honnêtes gens serait
moins évidemment foulée aux pieds, qu'elle ne l'est par
une loi qui, non-seulement permet, mais ordonne de
prendre à un homme le quart ou le huitième d'un béné-
fice que trop souvent il n'a pas fait , et qui par consé-
quent n'existe pas !! ! L. F.
Bévue critique.
Hymnes sacrées de Klopstock, mises en musique pour
4 voix, par J. Meyerbeer.
Tel est le titre d'un ouvrage que le hasard nous a fait rencon-
trer et dont nous tenons à rendre compte à nos lecteurs , tant
à cause du mérite réel qui le distingue , que par suite du vif
intérêt qui s'attache tout naturellement au nom célèbre de l'au-
teur, M. Meyerbeer, et de la musique religieuse! Meyerbeer,
le créateur de Robert le Diable, du Crocinto, de Marguerite
d'Anjou , à' Emma di Resburgo , etc., etc., et d'un autre côté
Klopstock , ce poète sublime, au génie si mystique ! Meyerbeer
et de la musique savante , s'écrieront les diletlanti ? Et nous ne
pourrons mieux leur répondre qu'en les renvoyant au litre
ci-dessus , auquel nous pourrions ajouter encore ceux de cin-
quante psaumes ou de mainte autre composition sacrée ; et ce
que nous pourrons affirmer en outre, c'est que Meyerbeer
n'est devenu un si grand compositeur dramatique , que parce
qu'avant tout il est un grand maître dans le style religieux,
puisque ce genre exige précisément les études sévères qui pa-
raissent indispensables au compositeur dramatique, et sans
lesquelles il n'y a point de véritable musicien , dans la stricte
acception du mot. La présente livraison contient quatre hym-
nes échappées à la plume pieuse du croyant Klopstock, elle
compositeur nous paraît les avoir destinées principalement à
être exécutées avec le religieux recueillement du foyer domes-
tique, plutôt qu'avec l'éclat d'une pompeuse solennité. Elles
sont simples , graves , d'une vérité d'expression parfaite ; outre
la disposition musicale qui révèle le grand maître, on y trouve
cette grâce si originale que donne une croyance calme et sin-
cère ; à côté des plus riches modulations est placé le chant le
plus gracieux , et l'on y admire enfin des combinaisons mélo-
diques ou harmoniques si naturelles et en même temps si
pleines d'art, que l'on ne saurait donner trop d'éloges à cette
œuvre dans son entier. Quelle vérité de sentiment et quel art
dans l'expression le compositeur n'a-t-il pas répandus sur ces
mots :
<< Wenu ich einsl von jenem Schlutnmer (l )
a 'Welcher Todt heisst aufsteh ,
« XJnd von dièses Lebens Kummer
» Frey den schœnen Morgen seh !
Quelle vérité et quel naturel lorsque le chœur repète ces pa-
roles acco npagnées par des accords graves et majestueux!
Et quand \ienl ce qui suit :
» O dauû wach ich auders auf (2) ! »
On entend alors une imitation en contre-point pleine de mou-
vement , et qui peint , avec la vérité la plus fidèle , l'idée d'une
consolante espérance. Nous admirons tout particulièrement le
numéro 3 qui commence par une invocation à trois voix
d'hommes , et dans lequel les beautés musicales les plus rares
se trouvent jointes à l'expression la plus vraie comme la plus
énergique. Ici , comme dans toute cette œuvre , M. Meyerbeer
a su réunir l'expression dramatique et la grâce délicate qu'on
lui connaît avec toute la dignité et la gravité que réclame
avant tout la musique religieuse. Partout on reconnaît le
grand musicien et en même temps l'homme sensible et
religieux. Puissent de nombreuses productions du même
genre se répandre promptement en France. De Semblables
œuvres offrent assurément le moyen le plus assuré de popu-
lariser l'art divin de la musique, tout en la ramenant à sa
forme la plus noble et la plus aimable.
Variations brillantes, et Finale a la hongroise,
pour le piano, sur la cavatine favorite de Mathilde
de Skabran^ par H. Herz. Op. 77. Prix : 7 fr. 50 c.
L'introduction commence par un allégro moderato de huit
mesures, en ré mineur , qui, bien que la pensée ne soit rieu
moins que neuve, pouvait cependant promettre quelque chose
de bien ; mais le compositeur a préféré remplacer ce motif par
(1) Lorsque je m'éveillerai de ce sommeil que l'on appelle la mort,
et que délivré de la douleur de cette vie , je verrai la belle matinée !
(2) Oh ! alors , je m'éveillerai tout autre.
DE PARIS.
Z,Oi
un autre en si mineur, qui n'a aucun rapport avec le premier
et qui est pourtant loin d'être dénué de charme. Il consiste en
notes tenues par la partie supérieure accompagnées en triolets,
pendant douze mesures, par des accords de la basse. Yicnt en-
suite dans l'intérêt du contraste, un trait formé avec les notes
de l'accord de septième diminuée de ré dièze qui produit l'effet
d'un véritable éclair, puis nous trouvons une suite d'accords
scientifiques parmi lesquels malheureusement les fausses rela-
tions ne manquent pas, mais dont, à ce qu'il paraît, M. Herz
se trouve pleinement satisfait. Tout ceci est suivi d'une autre
pensée, autrement dit, du chant de la basse accompagne par
arpegges de la main droite, et se terminant pp et Icntissimo
pour faire place encore à une autre idée qui à vrai dire est un
peu calquée sur le thème et comme lui eu ré mineur. On voit
que M. Herz est riche en idées. Toutes celles que nous venons
de détailler remplissent deux pages et n'ont pas le moindre
rapport les unes avec les autres. Vient alors le thème se com-
posant delà célèbre cavaline, remarquablement bien arrangée
pour le piano. La première variation en triolets est riche en
sauts et en bonds des plus étranges et elle doit paraître bien
belle quand elle est exécutée avec les manœuvres convenables
des bras, de la tête et des mains.
La deuxième variation est presque majestueuse, et n'est pas
dépourvue de cet effet que la foule admire si volontiers. Dans
la troisième variation, des passages très-ordinaires de la basse
alternent avec des passages chromatiques tout aussi insignifiaus
pour la main droite, si bien que nous devons encore leur préfé-
rer de beaucoup les deux variations précédentes. Dans la qua-
trième variation, M. Herz a donné a son imagination un essor
plus libre que de coutume. Elle présente plusieurs passages
qui ne sont pas dépourvus de charme, quoiqu'elle soit con-
stamment basée sur les suites harmoniques du thème répétées
jusqu'à satiété.
Le final forme un allégro à la hongroise. Nous ne pouvons
dérider si c'est bien là du hongrois de bon aloi. Tout ce que
nous pouvons sffirmer , c'est que, dans tout le cours du mor-
ceau, nous n'avons absolument rien trouvé de neuf, de beau on
d'original. En revanche nous pouvons appliquer à ce finale le
titre d'une comédie anglaise: Much ado abouL notliing. (1)
NOUVELLES.
\* Les répétitions de La Juive d'Halevy se poursuivent avec
activité à l'Opéra. Trois actes ont déjà été répétés généralement,
et l'orchestre et les artistes en sont émerveillés. Suivant toute
apparence, la première représentation aura lieu vers le 15
janvier.
%* La direction de l'Académie royale de musique vient,
dit-on , de rejeter deux programmes, calqués sur le genre des
pantomimes italiennes et qui avaient pour titres : Sardanapale
et la Selle Arsenne.
* * L'espace nous manquant pour donner l'analyse détaillée
de la nouvelle symphonie de M. Berlioz, nous sommes obligés
de remettre l'insertion de cet article au prochain numéro de la
Galette musicale. Constatons, en attendant, un fait déjà
maintes fois observé , mais qu'on ne saurait trop répéter , c'est-
à-dire que des compositions d'une nature aussi élevée ont besoin
de plusieurs exécutions pour être comprises et des artistes, in-
terprètes du compositeur, et du public qui l'écoute. L'orchestre,
qui avait manqué d'assurance à la première exécution d'Haro.'d,
s'est élevé, à la seconde, au plus haut degré de verve et de
puissance. L'effet produit par plusieurs parties de ce magnifique
poème musical a été de nature à dédommager amplement son
(t) Beaucoup de bruit pour rien.
auteur des peines et des soins innombrables que sou exhibition
a dû lui router. La salle entière était tlcctrisée. A dimanche les
détails. M11' Heinefetter, qui se faisait entendre à Paris pour la
première fois depuis son retour, et que l'on dit engagée au
Théâtre-Italien, a obtenu, dans celle séance, un beau succès,
qu'une voix d'une grande pureté et un sentiment musical
exquis lui ont bien mérité.
*.»* M. Adolphe Adam vient de recevoir une tabatière en or
de la princesse Marie à qui il avait offert la dédicace de la par-
tition du Chalet.
%f GliPuritani, opéra séria de Bellini , sont sur lé point de
faire leur apparition à la salle Favart. Nous souhaitons an
maestro ilalien de s'être élevé à la hauteur d'un des plui admi-
rables chefs-d'œuvre du romancier écossais.
%* L'Opéra-Comique commence à donner . tous les samedis*
des soirées vraiment musicales. A celle qui a eu lieu hier,
M.Inchindi, M,le Lebrun et M. Panofka , ont prouvé qu'i's
étaient dignes des applaudissemens que le public leur prodigue
ordinairement, et dont ils ont recueilli une ample moisson.
%* Attendons un second rôle avant de juger MUe Brambilla
qui a débuté dans Semiramis, au Théâtre-Italien. Mllc Grisi
était admirable dans le rôle difficile de la Sémiramide, elle a
été redemandée.
%* On parle dans les coulisses de l'Opéra d'un examen gé-
néral des classes de danse, qui a eu lieu devant M. Véron et
les sommités de l'art chorégraphique. On y a distingué M11" Ma-
ria, Fitz-James et Pierson , qui, pour la grâce, l'aplomb, la
légèreté, font, dit-on, beaucoup d'honneur au professeur ae
perfectionnement , M. Barré. Le corps diplomatique tressaillera
de joie à celte importante nouvelle.
V On attend à Lille Cbolet et Mllc Prévost qui doivent y dé-
buter , le 1 5 de ce mois.
%* Génot, qui était déjà chef des chœurs à l'Opéra-Comique,
vient d'y être appelé aux fonctions de régisseur de la scène.
%* Ou s'occupe déjà, à l'Opéra-Comique, des décors et des
costumes du Cheval-de-Bronze, que ce théâtre promet pour
la fin de janvier.
*+* On annonce que le théâtre Ventaclour veut payer son
tribut de bienfaisance à l'infortune des Polonais. Anlony et un
opéra-comique composeront le spectacle, sans doute avec une
des productions indigènes du terroir. Drame, musique et danse,
c'est la^trinité de l'art invoquée à l'appui d'une bonne œuvre
toute nationale.
* \* Le 6 de ce mois , jour de la Saint-Nicolas, une grande
messe a été chantée dans la chapelle de l'école normale primaire,
de l'Académie de Paris, par les élèves-maîtres. O salutaris,
de l'italien Bennelti, a surtout produit un très-bel effet. Nous
ne saurions mentionner avec trop d'éloges ces rares efforts
pour remettre en vigueur et populariser la musique d'église , à
laquelle se rattache par un lien si étroit la prospérité de l'art en
général.
%* Nous avons annoncé qu'on avait joué sur le théâtre de
Strasbourg un opéra dont la musique était de M. Jupin , chef
d'orchestre du théâtre de cette ville. Le poème est une pièce du
Gymnase, la Vengeance italienne ou le Français à Florence.
%+ Voici le programme du concert que M. Ernst donnera,
le 23 de ce mois, dans les salons de M. Stoepel, 6, rue
Monsigny. Première partie : i Duo, ehanté par MM. Boulanger
et Lanza. — 2 Amiante, composé par M. Ernst, suivi d'une
Polonaise de Mayseder, exécutés par M Ernst. — 3 Roman-
ces, chaulées par M.Richelmi. — <}. Solo de flûte , par M. Do-
rus. — 5. Duo chanté par M"'e Degli- Antony et Mlle Ducros.
—6. Duo pour piauo et violon, sur des motifs du Pré-au-C.lercs,
composé et exécuté par MM. C. Schunke et Ernst. — 7. Air
chanté par M. Lanza. Deuxième partie- —8. Si tu ne vieus:
ariette composée par M. Ernest , chantée par M. Boulanger.—
9. Invitation à la valse(va!se dramatique pour le piano), com-
posée et exécutée par M. C. Schunke. — 10. Air italien, chante
par Mmc Degli-Antony. —.11. Grande fantaisie pour le violon,
composée et exécutée par M. Ernst. — 12. Duo, chanté par
Mrac Dcgli-Antoni et Mllc Ducros. On trouve des billets : chez
MM. Schlesiuger, 97, rue Richelieu ; Pacini, Lauucr, etc.
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gauntlet de Wcdtar-Scolt. 6 fr.
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motifs de Robert le Diable, piano et violon.
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mons de la Tentation. 5 fr.
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RÉDIGÉE PAR MM. ADAM, G. E. ANDERS , BERT0N (membre de l'Institut), BERLIOZ, CASTIL-BLAZE, A. GUEMER HALÉW
(professeur de contrepoint au Conservatoire), Jules jamin , liszt, lesueur (membre de l'Institut), j. mainzer marx
(rédacteur de la gazette musicale de berlin), d'ortigue , panofka , richard, j. g. seyfried (maître de chapelle
a Vienne), f. stœpel, etc. , etc.
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ESQUISSE BIOGRAPHIQUE.
Louis van Beethoven , le dernier grand maîtrejdécédé,
qui a reculé les limites de l'art musical en portant la mu-
sique instrumentale à son plus haut point de perfection,
et qui n'a pas encore été dépassé dans jla carrière; Louis
van Beethoven _, né le i 7 décembre i 770 , a terminé ses
jours le 26 mars 1827.
Lorsque l'on entreprend de parler de ce grand artiste,
on reconnaît aussitôt qu'il serait, moins embarrassant
d'écrire un livre tout entier sur son compte que de lui
consacrer seulement quelques pages.
Il serait, du reste, aussi aisé que superflu de faire l'é-
loge d'un artiste qui tient si fortement ses contemporains
sous le charme de ses puissantes créations. Toutefois, le
moment où ces chefs-d'œuvres ont été [conçus est préci-
sément encore trop rapproché de nous pour qu'il soit
facile de s'en former une idée bien exacte, de saisir la
véritable physionomie de l'artiste, et de lui assigner son
rang parmi ses grands devanciers. Peut-être, cette en-
treprise n'aurait-elle, cependant, rien d'impossible pour
un homme de l'art qui s'y livrerait sans aucune préven-
lion, si, même, l'esprit le plus juste et le plus ferme n'était
pas nécessairement troublé par ce conflit d'opinions con-
iradictoires, de tendances et d'efforts en sens inverse qui
caractérise notre époque comme il marque toute époque
île création: peut-être, disons-nous, cette entreprise se-
rait-elle couronnée du succès, si les idées nouvelles et
les vieilles opinions si tenaces ne se disputaient le terrain
de la science musicale, si jeune encore d'ailleurs, et si,
enfin, il ne résultait pas de cet état de choses, même
chez les hommes doués d'une capacité supérieure, uu tel
combat entre leurs sensations et leur raisonnement qu'ils
n'osent pas se fier à leur jugement. D'un autre côté ,
comment pourrait-on s'entendre sur le mérite d'un ar-
tiste, alors surtout que cet artiste est un contemporain,
quand les idées sur l'art et sur l'histoire de l'art sont
encore loin d'être arrêtées ? Au milieu d'une telle incer-
titude sur les idées premières , on ne saurait aller jusqu'à
une démonstration dont il reste encore a la philosophie
de l'art a poser les prémisses , et , dans cette situation ,
l'on ne peut fournir sur les grands maîtres que de sim-
ples esquisses biographiques sans preuves rigoureuses a
l'appui des opinions que l'on est conduit a émettre sur
leurs œuvres.
La vie extérieure de Beethoveu s'est écoulée d'une
manière encore plus simple et plus obscure que celle de
la plupart des maîtres de son rang. Fils d'un ténor delà
chapelle de l'Electeur de Cologne, il fnt, dès sa plus
tendre enfance, à portée d'entendre tous les jours de la
musique excellente, et il était aisé de remarquer les vives
impressions qu'il en recevait. Ayant eu de bonne heure
des maîtres aux frais de l'Électeur, il n'avait encore que
8 ans, et l'on admirait déjà son talent sur le violon ; à
l'âge de M ans, il se distinguait également par la ma-
400
GAZETTE MUSICALE
nièredontil exécutait les études de Bach, connues sous le
titre le Clavecin bien tempéré de Bach ; a 13 ans, il avait
écrit plusieurs sonates. Lorsqu'il eut atteint sa 22e an-
née, son protecteur l'envoya a Vienne, où il reçut les
leçons deJos. Haydn, qui lui fit connaître les'onvrages de
Hœndel, et celles d'Albreehtsberger pendant les absences
de Haydn. C'est alors que commença sa carrière d'artiste.
Déjà, ses compositions étaient applaudies; mais elles
étaient aussi l'objet de critiques plus ou moins sévè-
res. Ainsi, le spirituel J. S. Reichard ne pouvait
s'accorder avec Beethoven sur la manière dont celui-ci
avait conçu son Adélaïde, une de ses premières compo-
sitions, et qui, selon Reichard, était plutôt un air
a due caratteri qu'un Lied (1). Haydn lui-même, as-
sure-t-on, avait fondé des espérances plus grandes sur le
talent d'exécution que sur le talent décomposition de son
élève : ce qui, néanmoins,, paraît hors de doute, c'est
qu'a celte époque, ce dernier excitait déjà l'intérêt le
plus vif par ses fantaisies.
Beethoven remplissait alors ses heures de loisir par
l'étude des langues étrangères et par la lecture des meil-
leurs poètes. Sous l'influence d'un penchant solitaire, il
paraît s'être approprié dans ses lectures beaucoup de pen-
sées par le tour particulier que son esprit original le por-
tait à leur donner. Ainsi, par exemple , il adopta au
nombre de ses locutions familières quantité de bons mots
ou de traits épigrammatiques répandues dans les anec-
dotes de la gazette musicale de Leipzig, traits auxquels
le fil de ses observations semble avoir continué à se rat-
tacher en silence, et il en advint que ses réflexions du-
rent souvent être incompréhensibles à tous ceux qui n'a-
vaient pas lu ces anecdotes absolument dans les mêmes
termes que lui. On cite de lui plus d'un propos qui prou-
vent combien sa pensée était empreinte de raison , de
noblesse et d'élévation. Toutefois, le trait prédominant
de son caractère , même hors du domaine de la musique,
paraît avoir été un goût décidé pour cette vie intime ,
isolée, paisible et mystérieuse, qui rattache bien ça et la
ses ressorts à des points saillants de la vie extérieure ,
rnaisjqui, cependant, en réalité, reste étrangère au monde
positif.
C'est ainsi que la vie de Beethoven s'écoulait au
milieu de ses distractions presque studieuses et de ses
travaux artistiques, auxquels il se livrait, depuis 1801 ,
avec la plus grande activité. Son domicile était fixé à
Vienne, qu'il ne quittait en général que pour faire quel-
(i) Nos lecteurs doivent maintenant être familiarisés avec ce
dernier genre de compositions allemandes , qui tient le milieu
entre la romance et les airs d'opéra. M. Dessauer a publié à
Paris plusieurs Lied très-remarquables.
ques courtes absences comme pour aller aux eaux ou, plus
tard, pour habiter momentanément la campagne pen-
dant l'été. Lorsqu'en 1809 il fut appelé à diriger la
chapelle royale de Hesse-Cassel , l'archiduc Charles se
joignit a d'autres de ses amis pour retenir au milieu d'eux,
en lui faisant une pension, cette dernière gloire de l'art
allemand. C'est ainsi qu'à l'exception de la place d'orga-
niste qu'il avait remplie dans sa jeunesse, Beethoven
demeura toute sa vie sans emploi fixe et dans une entière
liberté de vivre à son gré.
Celte position, si éventuelle d'ailleurs , lui permettait
de suivre entièrement son penchant pour la retraite, et
il y fut encore poussé par un commencement de [surdité
dont il fut atteint en 1810, surditéqui augmentant peu-
à-peu jusqu'à le priver, enfin, totalement del'ouïe, acheva
de le détacher de toutes relations sociales et d'isoler son
génie d'artiste de toute influence, de toute distraction du
monde extérieur. Dès ce moment, les souvenirs qui lui
restaient de l'empire des sons, s'emparèrent exclusive-
ment de son imagination, et, voltigeantsans cesse autour
de lui comme des êtres immatériels, rendirent sa vie
intime toujours plus mystérieuse pour les profanes, mais
toujours plus féconde pour ceux dont l'âme sympathi-
sait avec la sienne. On aurait dit que quelque chose de
cette existence toute de mystère était répandu sur sa
personne. Partout où il se montrait, dans les rues ou dans
les champs, lafoule des joyeux Viennois devenait paisible
et l'on regardait comme à la dérobée et avec une sorte de
respect religieux cet homme que l'on voyait cheminer si
profondément absorbé en lui-même. Un sentiment qui
s'était répandu jusquesdans les classes les plus inférieures,
éloignait de sa personne toute espèce de bruit ou tout en-
tourage inconvenant. C'est ainsi qu'une bande de char-
bonniers le rencontrant un jour, tous s'arrêtèrent d'un
commun accord et demeurèrent silencieusement courbés
sous le poids de leurs fardeaux, jusqu'à ce que le respec-
table rêveur les eût dépassés. Même de la part des classes
élevées, les témoignages de considération se multipliaient
à son égard. — Cependant, au milieu de ces marques gé-
nérales d'estime, le travail et la tension continuelle de
son esprit épuisèrent ses forces physiques plutôt encore
que cette extrême activité intellectuelle : il mourut à
l'âge de 57 ans d'un état complet de faiblesse, qui avait,
pris le caractère de l'hydropisie.
Ses premiers œuvres ,, notamment ses variations pour
le piano, ses sonates , trios , quatuois , concertos et ses
premières symphonies ( en ut et en ré majeur ) ap-
partiennent , quant à leurs caractères principaux , à la
tendance que Jos. Haydn et Mozart avaient imprimée à la
musique instrumentale. Beethoven paraît avoir éprouvé
DE PARIS.
40"
d' abord un penchant sympathique pour la fraîcheur , la
sérénité et la teinte souvent humoristique des composi-
tions de Haydn , en même temps qu'il semble avoir été
entraîné par la suavité et les tendres inspirations qui
abondent dans celles de Mozart. Cette tendance imitative
de Beethoven continue a se J montrer dans une partie de
ses autres ouvrages, tels que ses 4e et 8e symphonies (en
si B mol majeur et en fa majeur) , ses merveilleux trios
(en si B mol majeur, ceuv. 97) et beaucoup de ses sonates.
Mais, si le génie de Haydn et de Mozart inclina de bonne
heure vers les compositions dramatiques et la musique
d'église (de sorte que beaucoup de leurs œuvres de piano
ressemblent, comparativement à leurs autres ouvrages ,
a des productions dues simplement au caprice et à des
inspirations momentanées), Beethoven suivit , lui, une
autre direction. Son habitude de s'isoler des scènes du
monde, par suite de laquelle il demeurait également
étranger au théâtre ainsi qu'aux formes et aux lois du
drame et de l'église, cette habitude l'amena a préférer le
domaine de la musique instrumentale, et à s'attajher ,
dès-lors, au piano, orchestre complet et qui convient si
bien aux solitaires. Ses compositions pour cet instru-
ment devinrent, avec les quatuors qui s'y rattachent, la
principale et la véritable sphère de son talent Créateur.
Le résultat extérieur de ce penchant de Beethoven
pour le piano fut un luxe extraordinaire d'exécution, une
grande convenance dans la manière de traiter l'instru-
ment, une intelligence parfaite de son caractère et de ses
ressources, qualités que nous ne trouvons que ça et là
chez Haydn et pi us rarement encore chez Mozart , et a
l'égard desquelles Dussec et le prince Louis-Ferdinand de
Prusse sont les principaux devanciers et émules de Bee-
thoven. Sous la main de ce dernier, les figures devinrent
plus larges et plus riches; les accords plus pleins et plus
harmonieux au moyen de combinaisons ingénieuses et
non purement mécaniques ; la mélodie plus nette, plus
saillante et plus diversement nuancée a l'aide de super-
positions d'octaves et de l'arrangement intelligent des
voix accessoires; la phrase, enfin, plus nombreuse et plus
claire par la conduite parfaite des voix, souvent disposées
soit dans le goût du quatuor, soit clans celui de l'orches-
tre. On ne saurait nier que le grand perfectionnement
qu'a reçu le piano, et le progrès général dans la partie
technique de l'exécution n'aient eu une grande influence
sur les développemens du talent de Beethoven. Mais il
est facile de reconnaître que ces développements ne se
réduisaient pas à un progrès matériel et éventuel. Le
moindre examen suffit, au contraire, pour se convaincre
qu'un riche génie artistique s'est épanché dans ses com-
positions , et a su élever le piano a sa hauteur pour en
faire l'organe le plus propre a rendre ses inspirations. La
vérité de ce fait devient surtout sensible si l'on compare
des sonates de Mozart avec les premières petites sonates
de Beethoven (par exemple, celles des œuvres 2 et 10)
et, ensuite, ces dernières avec des sonates postérieures
du même auteur appartenant a la même tendance ( celles
des œuvres 53 et 90), ou bien encore les concertos de
piano de Mozart avec les premiers concertos que Beetho-
ven a écrits dans un style imitatif; si, enfin , on rappro-
che ces derniers avec les concertos plus grands que Bee-
thoven a composés plus tard, comme, par exemple, celui
en mi B mol (ceuv. 73). — Il est certain que, du temps
même de Beethoven, ainsi qu'après sa mort , des progrès
remarquables ont été faits dans la partie technique de
l'art de jouer du piano et que certains passages de ses
compositions ont été notamment surpassés en difficultés
et en richesse ; mais on ne sache pas que l'on ait décou-
vert de nouvelles ressources à cet instrument ou que l'on
ait seulement ouvert au jeu de bravoure une voie plus
spirituelle ou plus artistique et d'un meilleur goût ,
! quelques estimables 'que soient d'ailleurs sons d'autres
points de vue les efforts des artistes qui ont survécu à
Beethoven.
Ces mélodies plus chantantes, plus puissantes, plus
intimes; cet accroissement d'harmonie, ce riche déve-
loppement de toutes les ressources du piano , tout cela
exigeait un aggrandissement du cadre de la composition,
une disposition plus grandiose des masses , une combi-
naison et plus variée et plus profonde des thèmes et des
motifs, et c'est, en effet, dans l'arrangement extérieur
des masses , dans le développement plus large de
,res idées que se montre le second progrès de Beetho-
ven. Pour s'en convancre, il n'y a qu'à comparer sa
deuxième symphonie avec sa première ou bien avec les
symphonies de Haydn et de Mozart. On ne conçoit pas
même qu'une sonate comparable à la sienne en si bémol
majeur (œuvre 106) , sous le rapport du développement
et de la richesse d'exécution, aurait pu être écrite par
l'un de ses devanciers. Le morceau solo de piano le plus
remarquable de Mozart, si riche en belles pensées et
dont les deux parties offrent un si grand caractère d'u-
nité, se compose cependant de deux parties, qui, mal-
gré l'unité du ton fondamental , n'ont pu se fondre en
un seul tout.
Ce que nous venons de signaler de remarquable dans
le talent de Beethoven sous le rapport extérieur, a aussi
imprimé quelque chose de plus intime aux œuvres de ce
grand compositeur. Ses pensées, la manifestation de ses
sentimens en deviennent plus grandioses, plus puissan-
tes, plus entraînantes; pour le fixer et l'attacher souvent
40S
GAZETTE MUSICALE
si long-temps , un thème devait nécessairement être
senti plus profondément par l'artiste ; une sensation sur
laquelle il s'était si long-temps arrêté, devait se produire
ensuite d'une manière plus claire et plus forte, et c'est
ainsi que les compositions de Beeihoven grandissaient et
prenaient ce caractère d'unité que l'on trouve encore rare,
ment et presque jamais d'une manièie complète dans les
œuvres de ses devanciers. On ne peut même pas nier que
cette absorption dans ses pensées , cet abandon total avec
lequel il se livrait à ses sentimens intimes , n'aient sou-
vent conduit Beethoven dans ses compositions jusqu'à
l'insaliété, a tel po nt qu'il ne savait pas finir; qu'en
écrivant il joignait a une inspiration profonde une autre
inspiration plus profonde encore, et que les sens de ses
auditeurs se fatiguent plus vite que le désir toujours sa-
tisfait de leur ame ne s'épuise. Ce qu'il faut admirer
aussi dans ce grand maître , c'est que jamais ce torrent
de sentiment ne rompt la digue d'une forme sagement
choisie par l'artiste , et ne s'élargit qu'en se conformant
toujours strictement aux règles. La sonate en si bémol
majeur, dont nous avons déjà fait mention , quelques-
uns des derniers quatuors et notamment le premier mor-
ceau de la neuvième symphonie offrent la preuve de
cette assertion .
Par cette manière large et grandiose de raviver sans
cesse le thème et le développement des motifs , de faire
briller chaque motif par de nouveaux tours , toujours
plus riches et plus profonds, Beethoven était naturelle-
ment conduit a pénétrer si avant dans les replis de son
inépuisable imagination et a en tirer des combinaisons
tellement neuves et souvent même tellemeut imprévues,
que, parfois, elles doivent paraître bizarres au musicien,
à qui les secrets de l'art ne sont pas encore suffisamment
dévoilés. La plupart de ses derniers œuvres sont remplis
de ces tours nouveaux, et montrent comment, en par-
tant du genre de Haydn et de Mozard, Beethoven, tou-
jours conséquent dans sa marche avec lui-même, s'est
avancé d'un pas hardi dans la rorte profonde qu'il s'é-
tait creusée. Sous le rapport de l'originalité, nous cite-
rons comme sa production la plus riche et la plus incom-
parable ses variations (œuvre 120), dans lesquelles il est
parti des idées les plus tendres pour aller jusqu'à la spécu-
lation minutieuse, jusqu'à une dialectique obstinée d'un
sentiment toujours progressif, morceau où il se met au-
dessus de toutes les formes admises.
La plupart des œuvres de Beelhoven que nous avons
analysées jusqu'ici , font déjà de lui un artiste tellement
original, tellement différent de ses devanciers, que nous
pouvons, dès ce moment, le suivre dans les autres ré-
gions de sa sphère d'action, sans avoir a craindre de
perdre de vue sa physionomie caractéristique.
Cette richesse et celte profondeur qui sont le type de
ses compositions pour le piano , nous les retrouvons, en
effet, dans ses compositions d'orchestre, et, en raison
de la puissance des moyens, elles y apparaissent encore
à un degré supérieur et avec un nouveau caractère de
grandeur.
Beelhoven a su y répandre plus abondamment cette
force et ce riche coloris dont le piano lui avait laissé en-
trevoir les formes immatérielles. Ici il se plonge dans les
accords , il lie les voix, les sépare et les réunit encore :
c'est la réalité de ce qu'il n'avait pu que pressentir au
piano. Son génie puise toujours plus profondément a la
source des sons; de nouvelles clartés se montrent à lui ,
le silence de la profondeur où il est descendu, devient
toujours plus mystérieux^ l'allure des voix toujours plus
aisée et plus hardie; il poursuit '-enfin ses succès dais
celte nouvelle carrière jusqu'à ce que (et notamment
dans la neuvième symphonie) il y ait aussi atteint a la
perfection, c' est-a-dire jusqu'à ce que les voix, mar-
chant d'abord chacune librement, comme si elle n'était
là que pour elle seule , se confondent ensuite , toujours
avec une merveilleuse aisance, pour ne former qu'un
admirable tout... une polyphonie à laquelle on ne peut
comparer que celle de Sébastien Bach, bien qu'elle soit
née d'une toute autre manière. Bach rassemble voix sur
voix ; les lois du double contrepoint lui fournissent son
point de départ, et le guident dans sa route; il consi-
dère l'harmonie comme un moyen qui se développe de
lui-même. Beethoven s'attache à étendre la donnée har-
monique , et il en fait un tissu toujours plus libre et plus
riche ; l'harmonie fait sa base, de laquelle il part sous la
direction d'une voix principale ; cependant, souvent ,
l'émancipation ou le développement de chaque voix est
le but vers lequel il tend, quelquefois même à son insçu ;
suivant l'occasion , il fait servir à cette tendance les for-
mes du double contrepoint, d'où il arrive que là où elles
devraient être le but (comme dans le finale de la sonate,
œuvre ilO et ailleurs) , elles ne sont pas portées dans
ses ouvrages à ce point de perfection que l'on devait at-
tendre^ du génie de cet artiste. — ■ Une seule chose ne
se trouve pas dans les œuvres de Beethoven; c'est cette
naïveté enfantine , cette sérénité semblable à la pureté
d'un ciel azuré , qui sont propres à l'instrumentation de
Haydn. Beelhoven se plaisait davantage à nous conduire
dans la région des orages ou à nous faire respirer l'air
balsamique d'une nuit indienne.
C'est ainsi , comme nous venons de le raconter, qu'il
s'était identifié avec son inonde instrumental ; qu'il s'é-
tait fait de ses inslrumens ses organes de prédilection ;
qu'il se sentait plus de liberté dans leur sphère et plus
d'affinité avec eux qu'avec les êtres humains ; tel que
DE PARIS.
409
le Brame , dont l'esprit abstrait s'attache de préférence
aux nombreux phénomènes du règne animal et du
règne végétal , et qui , dans ses contemplations fantasti-
ques, perd presque de vue l'espèce humaine. 11 suit de
là que la musique vocale ne pouvait devenir aussi fami-
lière à ce maître que la musique instrumentale. Toute-
fois, un esprit comme le sien devait aussi faire de pré-
cieuses découvertes dans cette partie de l'art, et il n'est
pas permis a un chanteur de ne pas connaître ses airs sur
les paroles de Gellert, son recueil de chansons dédié aux
absens et beaucoup d'autres morceaux de chant de sa
composition. Mais les qualités intimes de la voix hu-
maine et les propriétés musicales du langage ne pa-
raissent pas s'être révélées à lui comme on aurait pu le
croire à l'égard d'un tel artiste. On voit qu'une grande
partie de sa musique vocale ne lui a pas été inspirée par
les paroles; mais qu'il a , pour ainsi dire, transporté sur
celles-ci les inspirations d'une musique libre; souvent, le
charme de ses chants est rompu et contrarié par la pa-
role ; souvent , ils sont contraires a la nature de la voix ;
souvent, enfin, comme dans Fidelio , l'orchestre do-
mine la musique vocale , ou les voix (comme dans sa
dernière messe en ré majeur, cenvre 23), se confondent
pour former un chœur qui présente un tout a côté de
l'orchestre. Ainsi , quant aux premières époques de
Beethoven, sa première messe, son oratorio (/e Christ
au mont des Oliviers), son opéra Ele'onore (retouchée
sous le nom de Fidelio), sont sans doute remplis du
plus profond génie musical, et notamment son opéra
peut être considéré comme la création dramatique la
plus parfaite depuis Mozart ; toutefois, en entrant pro-
fondément dans l'essence tde la musique vocale et du
chent dramatique, on trouvera dans ces œuvres, d'ail
leurs si admirables, plusieurs imperfections qu'on ne se
sent, du reste, le courage de relever qu'en s'appuyant
sur les ouvrages des grands devanciers de Beethoven.
Averti peut-être par son inslinct sur la nature de son
talent, Beethoven se retira d'autant plus profondément
dans sa solitude enchantée. Ce que, avec sa surdité sur-
tout, il ne pouvait trouver dans les liaisons sociales, son
monde a lui , ses voix le lui offraient ; il le sentait dans
ses instruments. Sa musique sur Egmont, son ouverture
de Coriolan lui traduisirent mieux les poètes que n'eus-
sent pu faire ses chants. Ses sensations si profondes
tournèrent en un état habituel. Jamais on n'a mieux
rendu les adieux sans fin d'un couple amoureux, le vide
de la solitude, ee bonheur plein delarmeset de transports
a la fois de deux âmes qui se disent réciproquement : «je
te retrouve» , que Beethoven ne l'a fait dans sa sonate
(œuv. 81): les adieux, l'absence et le retour. C'est
d'une manière non moins admirable qu'il a su peindre,
dans sa symphonie en ut mineur, cette lutte d'un esprit
vigoureux et sensible qui, après "s'être relevé de son
abattement par un regard jeté vers le ciel et être, néan-
moins , retombé dans les sombres accès de son scepti-
cisme, parvient, par un dernier effort, au triomphe le
plus éclatant de ses doutes. Une page de son histoire in-
time nous est fournie par sa sonate (quasi fantaisie , en
ut mineur n"2, œuv. 27), écrite par lui au mo-
ment où il se trouva déçu dans un tendre sentiment
auquel il fut obligé de renoncer. Ceux dont le cœur res-
sent pour Beethoven cette sympathie sans laquelle les
arts en général ne sauraient être bien compris, recon-
naîtront facilement dans la sonate œuv. 5 et dans d'au-
tres de ses ouvrages de pareilles manifestations de sen-
tiinens déterminés et les dispositions de l'ame du
compositeur au moment où il écrivait , alors même qu'il
n'a pas eu soin d'avertir le public de ces dispositions par
des suscriptions expresses comme celles que portent
l'œuvre 81 — 26 , son avant-dernier quatuor et quelques
autres de ses compositions.
Nous ne venons de tracer qu'un portrait bien impar-
fait de la physionomie originale de Beethoven et qu'une
analyse également incomplète de ses œuvres. Toutefois,
nous osons nous flatter d'avoir fourni dans cette esquisse
simple et rapide quelques traits , quelques données pro-
pres à mieux faire apprécier le génie de cet immortel ar-
tiste, qui, jusqu'aux derniers moments de sa carrière ,
s'est illustré par d'éclatans travaux et par son amour re-
ligieux et passionné pour un ait, dont, nous le répétons,
ses heureux efforts ont incontestablement agrandi le
domaine. A. Marx.
DU MOUVEMENT MUSICAL
A PARIS.
Jamais, depuis que les Français s'occupent d'art, on
n'a observé chez eux un tel empressement a accueillir
tout ce qui peut favoriser les développemens de la mu-
sique. C'est une fureur, une rage; on n'entend parler
de toutes parts que de nouveaux établissemens qui s'é-
lèvent, d'associations d'artistes qui se forment, de ten-
tatives pour l'introduction de Topera allemand, de con-
certs périodiques et isolés, de nouveaux journaux de mu-
sique, de publications a bon marché, de débuts de chan-
teurs , etc., etc. A quoi aboutira tout ce remue-ménage?
— Je ne sais — toujours y a-t-il un avantage pour les
musiciens a ce que le public s'occupe d'eux , et s'en oc-
cupe avec autant d'ardeur. Voyons cependant ce qu'il y
a de réellement artiste, ou tout au moins de musical ,
MO
GAZETTE MUSICALE
dans cette multitude de tentatives faites au nom de l'art
sublime de Mozart et de Beethoven.
L'une des plus remarquables dont on parle en ce mo-
ment, sous la dénomination de Gymnase musical , pré-
tend se fonder sur des bases nouvelles, a l'aide demoyens
qui n'ont pas encore été mis en pratique, et n'avoir au-
cune analogie avec les concerts créés jusqu'à ce jour.
Les entrepreneurs font bâtir a cet effet, dans un des plus
beaux quartiers de Paris , une salle susceptible de rece-
voir de onze à douze cents personnes, dont toutes les
places, numérotées et divisées en stalles, pourront être
louées en tel nombre que ce soit par représentation ou
pour toute la durée de la saison musicale. L'orchestre
sera nombreux et choisi, et dirigé par un compositeur
distingué qui a fait ses preuves depuis long-temps. Des
chœurs, également dirigés par un maître habile, com-
pléteront l'ensemble de ces concerts. Le choix des mor-
ceaux nouveaux , exécutés au Gymnase musical , sera
déterminé par un jury formé de tout ce que la capitale
renferme de grands compositeurs. Indépendamment de
la musique nouvelle et de celle des maîtres célèbres, on
soumettra au public des partitions d'opéras étrangers et
inédits qui n'auront jamais été entendus a Paris. On
fouillera les archives de notre musique et celles de tous
les peuples, pour faire revivre de l'oubli les composi-
tions les plus saillantes et les plus originales. Les ro-
mances mêmes y seront admises. Hâtons-nous d'ajouter
que l'indulgence des fondateurs du Gymnase musical ne
s'étend pas plus loin , et que la contredanse n'y figurera
point.
Les chanteurs et instrumentistes trouveront ainsi un
moyen facile de faire apprécier leurs talens , sans être
obligés , comme aujourd'hui, de monter a grand' peine
un mauvais concert qui n'attire personne, et où ils sont
pour l'ordinaire fort mal secondés. Enfin les directeurs
ne visent a rien moins qu'à donner a leur établissement
le rang intermédiaire entre l'Opéra et les Bouffes.
Nous faisons des vœux sincères pour que ce plan
puisse être réalisé dans toutes ses parties; mais, franche-
ment, il nous paraît fort douteux qu'on y parvienne.
Comment composer un grand itt bon orchestre, quand
les théâtres ont déjà tant de peines a y parvenir? Les
concerts de MM. Masson et Musard n'ont-ils pas enlevé
tout ce qu'il y avait à Paris d'instrumentistes capables
en disponibilité? — On en fera venir de province. —
Soif, mais les musiciens de province, quel'e que soit la
réputation dont quelques - uns jouissent dans leurs dé-
partemens, seront-ils en état d'exécuter la musique ins-
trumentale moderne, dont les difficultés effraient même
les musiciens de Berlin, de Vienne et de Paris? — Puis
quel est ce compositeur distingue' qui a fait ses preuves
depuis loug-lempsj auquel doit être confiée la direction
de l'orchestre?.-.... Il est permis de penser que si son
nom pouvait être une recommandation, on se fût bien
gardé de le taire. La difficulté d'avoir des chœurs sup-
portables sera plus grande encore. Il n'y aurait d'autre
moyen de la vaincre, que d'envoyer dans le midi de la
France , où les belles voix sont assez communes, d'aller
en chercher même en Allemagne et en Italie. Mais quel-
les dépenses ! Il faudrait bien des actionnaires pour les
couvrir. Les trouvera-t-on ? Dieu le veuille! mais c'est
peu probable. L'idée de passer en revue la musique de
toutes les époques, a l'imitation des concerts historiques
de M. Fétis, est excellente, et c'est une chance réelle
de succès. Nous en voyons braucoup moins dans le pro-
jet de faire entendre, après un examen préalable dit
jury, les compositions nouvelles des auteurs qui com-
mencent. Le public s'intéresse peu a de pareils concours,
et il aime tout autant qu'ils se fassent a huis clos qu'en
sa présence. Le titre de Gymnase justifie cependant toute
espèce d'essai; mais, encore une fois, le public qui
pnie n'accorde pas la moindre importance aux mots, c'est
aux choses qu'il s'attache ; et si on lui donne de pâles
compositions d'écoliers , vous aurez beau dire que votre
institution est un gymnase, la caisse restera vide. Nous
ne pouvons donc que recommander a la direction une
extrême réserve sur cet article , d'autant plus que les
décisions d'un jury, quel qu'il soit, en matière d'art,
sont rarement heureuses.
Dans tous les cas, c'est toujours une excellente idée
que celle qui a porté les chefs de l'entreprise à faire bâ-
tir une salle de concert sur le plan de celle de la rue
Bergère (la seule réellement bonne à Paris). Les artistes
qui ne peuvent obtenir l'autorisation de se faire enten-
dre aux Menus-Plaisirs, pendant la meilleure saison de
l'année , à cause du privilège accordé a la société du
Conservatoire, pourront s'adresser au Gymnase musical.
Il est question dans ce moment-ci d'une autre entre-
prise, qui, bien que formée par une association d'artis-
tes célèbres pour la plupart, ne nous semble pas avoir
le moindre élément de succès. Le Cercle musical, tel est
le titre adopté parla nouvelle société. Litz, Chopin,
Bertini , Labarre, Brod, Franchomme, Cuvillon , Ge-
raldi, tels sont les noms que l'on remarque sur la liste
de ses fondateurs. Le lieu des séances n'est pas encore
définitivement arrêté. Il a beaucoup été question de la
salle humide, obscure et enfumée de la rue Chantereine.
Nous regardons un pareil choix , s'il est conservé, comme
du plus funeste augure. D'ailleursnous ne voyons guère
le but que se propose la société du Cercle musical. Ces
DE PARIS.
411
concerts seront sans orchestre , ou a peu près ; il n'y aura
aucun effet de niasse. En ce cas , tout se réduisant a des
soli, à des duos, trios, quatuors ou quintetti , il est dif-
ficile de croire , malgré la supériorité incontestable de
plusieurs des artistes que nous venons de nommer, a un
succès de longue durée; il est plus difficile encore de
comprendre l'avantage qui résultera pour chacun des
associés d'une semblable communauté de biens et de ta-
lens. Supposons que l'un d'eux eût voulu donner un
concert : assurément aucun des autres n'aurait refusé
d'y prendre part, s'il en eût été prié. Que gagnent-ils
donc tous à se constituer en société? l'avantage seule-
mens de pouvoir éluder les poursuites , souvent fort im-
portunes , des bénéficiaires qui battent le pavé de Paris,
et d'avoir la faculté de congédier ceux qui viennent de-
mander un solo de piano, de violon , de hautbois ou de
violoncelle , avec ce peu de mots : « Bien désolé de ne
« pouvoir vous être agréable, mais je fais partie du Cer-
» cle musical, et des engagemens d'honneur interdisent
» à tous les membres de cette société de jouer ailleurs
« que dans les concerts qu'elle donne. » Attendons les
résultats
La direction du théâtre Ventadour fait des efforts in-
croyables pour réaliser la promesse qu'elle a faite depuis
si long-temps aux admirateurs de Weber et de Beetho-
ven, de leur rendre Oberon , le Freischûtz et Fidelio.
Les chœurs sont presque complets; ils ont même déjà été
admis a, faire leurs preuves. Diverses productions voca-
les de l'école allemande, chantées sans accompagnement
dans les entr'actes de Chao-Kang, ont prouvé que la
supériorité des choristes d'outre-Rhin ne pouvait être
contestée. Il y a dans leur exécution de la chaleur, de
la précision et un sentiment sérieux de l'art qu'on cher-
cherait on vain dans les masses chantantes de nos théâ-
tres lyriques. Plusieurs acteurs delà troupe engagée par
M. Strunz sont également arrivés; ils attendent sans
doute impatiemment le moment de débuter. A quand
donc l'ouverture?
M. Crosnier, de son côté , ne s'endort pas ; les pièces
nouvelles se succèdent avec rapidité a l'Opéra-Comique,
et les concerts ajoutés aux représentations du samedi, en
augmentant a l'intérêt du spectacle, ne pourront qu'exer-
cerla plus heureuse influence sur l'éducation deshabitués
du théâtre de la Bourse , en les accoutumant a des for-
mes musicales plus larges et plus variées que celles dont
on les berce depuis longues années: A la dernière de ces
soirées musicales, le violon de M. Panofkn a fait sensa-
tion. Le jeu de cet artiste est plein d'un charme mélan-
colique et tendre qu'on ne trouve pas chez beaucoup de
ses rivaux ; ses chants ont de la suavité, de l'élégance,
et ses traits ne manquent ni de prestesse ni d'éclat. Pon-
chard, dans le même concert, a chanté avec l'admira-
ble sensibilité qu'on lui connaît, deux romances assez
peu originales, sur lesquelles l'ame du chanteur a su ré-
pandre la chaleur et le coloris qui leur manquaient. La
nature est une marâtre bien sotte et bien ingrate, on ne
peut en disconvenir, en voyant un artiste tel que Pon-
chard a peu près dépourvu de l'organe dont il pourrait
faire un si merveilleux usage. Dernièrement encore, à
la reprise de Zémire et Azor, il a su rendre aux chants
de Grétry une fraîcheur dont on ne les aurait pas crus
susceptibles; son air favori : « Du moment qu'on aime »
lui a valu deux salves d'applaudissemens de bon aloi.
Mais ce n'est pas tout d'avoir des chanteurs et des solis-
tes remarquables pour donner des concerts , les morceaux
d'ensemble de voix et d'instrumens sont de rigueur au-
jourd'hui. M. Crosnier s'abstient cependant de mettre
en évidence ses chœurs et son orchestre; il faut croire
qu'il a de fort bonnes raisons pour cela. Mais il est pro-
bable qu'il médite d'importantes améliorations dans l'exé-
cution des masses , sans quoi il serait impossible d'ajou-
ter foi au bruit qui circule depuis quelques jours de la
mise en scène du Freischûtz. Les chœurs de Weber con-
fiés aux choristes de l'O^éra-Comique !!!! Dans l'état
actuel de ce théâtre, cela serait curieux. Et l'orchestre,
avec ses cinc[ violons de chaque côté, essayant la fou-
droyante ouverture Oh! non, jamais, ce serait
trop fort.
Les débuts n'ont pas été très-heureux sous la nouvelle
administration. Mademoiselle AméliaMasi, après avoir
obtenu a son apparition une espèce de succès, s'est mise,
aux représentations suivantes, a chanter tellement faux,
que, malgré sa jolie figure et le bon accueil qu'elle avait
reçu le premier jour, elle a dû quitter la partie. Made-
moiselle Lebrun possède un fort beau contralto qu'elle a
beaucoup exercé dans les traits, fort peu dans le chant
soutenu , et qui ne trouvera pas de quelque jemps l'oc-
casion de paraître avec avantage à l'Opéra - Comique ,
puisqu'il n'y apas un véritable rôle de contralto dans tout
le répertoire. D'ailleurs, malgré sa belle voix et sa jolie
figure, nousnous croyons en conscience obligés de lui
donner le mêmeconseil quele signor Astuccio lui adresse
dausle Concert à la Cour, celui detravailler encore deux
ou trois ans avant de s'aventurer dans un rôle important.
Les dëbutans chanteurs ont beaucoup mieux réussi que
ces clames. Inckindi en première ligne; sa belle basse si
pleine, si mordante, deviendra de jour en jour plus
utile. Puis Couderc, second ténor, qui ne manque ni
d'aplomb ni d'intelligence. Et enfin Jansenne , dont la
voix un peu voilée possède pourtant un principe d'émo-
415
GAZETTE MUSICALE
tion qui donne à son exécution un charme aussi rare que
réel, pourront rendre de grands services au théâtre qui a
eu le hon esprit de se les attacher.
A l'Opéra, rien de nouveau. On monte lentement la
Juive, dont l'immense partition nécessite des répétitions
innombrables. Et tout le reste, en attendant, est sacrifié
aux deux danseuses reines, mademoiselle Taglioni et
mademoiselle Elssler. La Tempête ., la Révolte au Sé-
rail, ou le nouveau bal masqué de Gustave , forment le
fond du répertoire, à l'aide de quelque acte sublime de
Guillaume Tell ou de la / ' estale, qu'on fourre sur l'af-
fiche comme supplément , et qu'on exécute avec une né-
gligence scandaleuse. Rossini et Spontini doivent être
bien flattés d'être ainsi traités, comme des amis de la mai-
son avec lesquels on n'a pas besoin de se gêner. L'autre
jour on donnait le second acte de Guillaume Tell, et
tout y était exécuté avec un laisser-aller si dédaigneux,
que le machiniste lui-même n'a pas cru nécessaire de
rester a son poste, de sorte qu'à la fin de la scène sur le
Gruili, quand Arnold s'écrie: « Voicilejourl » la toile
du fond est demeurée immobile et le soleil n'a pas paru.
Madame Dabadie a joué pour la première fois le rôle
ingrat et difficile de dona El vire dans Don Juan, et,
a part quelques sons douteux dans les cordes hautes, il
faut lui rendre la justice de dire qu'elle s'en est tirée gé-
néralement à son honneur. Mademoiselle Fakonfait des
progrès sensibles ; il est désormais évident que sur el!e
repose l'avenir de la musique dramatique à l'Opéra. Nous
l'engageons seulement , dans l'intérêt de sa voix et de la
dignité de son talent, à ne point forcer outre mesure
certains sons; ceUe habitude une fois prise, elle en vien-
drait à crier, et il serait trop tard pour se corriger. Je
voudrais voir mademoiselle Falcon essayer le rôle si no-
ble et si beau à'Ipkigénie en Tauride; mais, pour une
pareille tentative, il faudrait un acteur qui n'est plus à
l'Opéra, et un esprit artistique dont la direction est fort
dépourvue. On profanerait le chef-d'œuvre du vieux
Gluck avec autant de sang-froid qu'on en met à mutiler
les compositeurs modernes. Ainsi paix à sa cendre; je
retire ma proposition. La vogue de Robert-le-Diable ne
ralentit point, la 1 19" représentation a encore produit
une recette de 9,600 fr.
Il nous reste a parler des publications a bon marché ,
dont les affiches-monstres, larges comme les portes d'une
cathédrale, couvrent les murs de Paris. Jadisla musique
se payait au prix marqué; les éditeurs se bornèrent en-
suite a faire la remise d'un tiers , on ne payait , il y a
quelques jours, que la moitié; désormais les plus belles
pages de Beethoven , deWeber, de Mozart, de Hutumel
etdeMosthelès, se vendront pour un sou; nous en vien.
drons a avoir la musique pour rien, et quand on n'en
voudra plus, il y aura des gens qui poursuivront les
passans dans les rues pour en bourrer leurs poches de
vive force. Oh ! c'est une belle chose dans les arts que
la popularité ! (i).
GRANDE FETE MUSICALE DE VIENNE.
JOURNÉES DES S ET 6 NOVEMBRE 1854.
Dans le cours du mois de novembre dernier, le co-
mité du Conservatoire avait, par l'organe des feuilles
publiques, invité les artistes et les amateurs de musique
à donner par leurs concours plus d'éclat à l'exécution
projetée de l'oratorio Balsazar, cette grande composi-
tion de HEendel. Cet appel répandit tout a coup une
nouvelle vie dans le monde musical ; car on ne saurait
dire jusqu'à quel point la manie des walses a fait dégé-
nérer dans ces derniers temps le sentiment musical des
Viennois et rendu la plupart d'entre eux incapables de
goûter une musique plus large et plus compliquée que
celles de morceaux de danse. Cependant, nous sommes
à même de dire à l'honneur des habitans de Vienne
que, non-seulement le nombre immense d'exécutans
qu'on désirait réunir , se trouva promptement au com-
plet par suite de l'invitation du Conservatoire, mais
encore qu'il s'est présenté un tel surnombre que l'on
aurait pu organiser simultanément deux fêtes musicales
également brillantes. Cette circonstance a fait connaître
de nouveau les grandes ressources que Vienne possède
sous ce rapport : il est vrai que l'on cesse de s'en étonner
si l'on considère qu'indépendammentd'un grand nombre
d'églises qui ont toutes un orchestre et des chœurs
excellens , il existe dans cette ville une foule de sociétés
[ihilotechniques; plus la chapelle impériale, cinq théâ-
tres, ie Conservatoire et un nombre incalculable d'ar-
tistes et d'amateurs qui se sont tous empressés d'offrir
leurs services. D'un autre côté, le but accessoire de
cette solennité, qui était démettre un frein au goût
déraisonnable du jour, et le désir de relever à l'étranger la
renommée de Vienne, quelque peu déchue sous le rap-
port musical, ont donné aux esprits une impulsion
extraordinaire et excité un enthousiasme qu'augmentait
encore le choix du chef-d'œuvre destiné a être exécuté.
Le manège impérial a paru le local le plus convenable
pour cette grande fête. C'est, en effet, une des salles
les plus imposantes que l'on puisse voir, et qui peut
contenir plus de 5,000 personnes : elle était comblé aux
deux représentations. Toutes les notabilités, la famille
(\) Sjus, être tout à fait du même avis sur tous les points avec
notre spirituel collaborateur , nous nous faisons un devoir d'in-
sérer cet article. (Ci-joint Supplément.)
»E PARIS.
413
impériale eu tête , s'y étaient rendues ; un grand nombre
d'étrangers étaient également accourus , soit du dehors,
soit des provinces de l'empire.
La direction suprême de l'orchestre et des chœurs
avait été confiée au célèbre Weigl , ce vétéran de l'art ,
qui s'est acquitté de sa tache avec tant de prévoyance,
avec une activité si juvénile et avec un talent si remar-
quable que ce corps immense de 834- exécutans a marché
avec un ensemble et une précision qui ont excité un en-
thousiasme général. Voici la liste des différentes voix
et la composition de l'orchestre :
4 Voix solo,
150 Soprani,
121 Contr'altes,
126 Ténors,
-150 Basses-tailles.
351 Chanteurs et cantatrices.
59 Premiers violons,
59 Seconds violons ,
40 Altos,
40 Violoncelles,
50 Contre-basses,
12 Flûtes,
12 Haut-bois,
12 Clarineltes,
12 Bassons,
12 Cors,
6 Trompettes,
5 Timballes ,
6 Trombonnes.
50 j Inslrumens,
Les effets produits par cette masse d'exécutans ont été
on ne peut plus imposans et celui des chœurs a réellement
eu quelque chose de colossal. Malgré la différence qui
existe entre le style de Hœndel et le style moderne, tous
les auditeurs ontétéémus par le genre noble et grave de
sa composition, et tous ont été attendris par le caractère
pur et naïf de ses mélodies. — C'est en 1744 que
Hœndel composa cet oratorio qui, dans la partition ori-
ginale, consiste en 65 numéros. Pour accommoder cette
grande œuvre a notre époque, tache qui avait été entre-
prise et exécutée par le conseiller de la cour, M . de
Mosel, ce musicien distingué avait eu a remplir trois
conditions importantes : c'était , d'abord , de renfor-
cer l'instrumentation si débile du temps dont il s'agit,
et d'y faire entrer la partie de l'orgue , qui y manque
pour ainsi dire totalement; en second lieu d'élaguer
avec tact et mesure ce que la partition de Hujiulel offrait
de trop suranné; et, en troisième lieu, de traduire le
texte anglais d'une manière appropriée a la musique,
chose non moins difficile que les deux premiers points.
Quant a l'instrumentation , il serait superflu de dé-
montrer la nécessité de l'enrichir, puisque les opéras
qui ne datent que de 25 ans, et auxquels on reprochait
alors d'être trop bruyans , nous paraissent déjà trop fai-
blement instrumentés : il n'y a plus que la grosse caisse
qui ait encore le pouvoir d'agirsurnotre tympan endurci.
En ce qui concerne la partie de l'orgue, Hœndel joignait
a son vaste talent de compositeur, le mérite d'être un
des meilleurs organistes de son temps ; et , a la grande
jouissance de ses contemporains , il exécutait lui-même ,
lorsqu'on donnait un de ses oratorios, la partie de
l'orgue qui servait de base a l'ensemble. (On sait qu'il
a écrit 15 concertos pour l'orgue). Cette partie est encore
aujourd'hui exécutée en Angleterre, telle que Hœndel
l'a écrite; mais évidemment insuffisante, elle a besoin
d'être renforcée et complétée. Le sort de toute œuvre
dont l'auteur a trop largement payé tribut à la mode,
est toujours de vieillir de bonne heure : un laps de 20 ou
de 50 années , n'est, en effet, qu'un moment fugitif en
comparaison de la durée solide qui est acquise à un
chef-d'œuvre exempt de ce défaut , et l'on verra bientôt
tomber dans un entier oubli bien des compositeurs que
l'on porte actuellement aux nues et notamment beaucoup
d'auteurs de la trop futile école italienne. Celte Némésis
esthétique qui venge ainsi le bon goût , n'épargne pas
même les classiques, lorsque, cédant aux circonstances,
ils ont pris en trop grande considération les exigences de
leur époque ; et c'est ce que nous voyons arriver au-
jourd'hui a l'égard de ffendel , de Gluck et de Mozart ,
quoique d'ailleurs, cette remarque ne puisse s'appli-
quer qu'à un petit nombre de leurs compositions. — La
tâche de l'arrangeur de l'oratorio de Hamdel ( pour en
revenir a la fête musicale de Vienne) consistait donc,
au résumé, à élaguer ce qui , dans cet ouvrage, portait
trop évidemment l'empreinte du temps passé , à eu con-
server seulement les parties essentielles et a donner
ainsi a l'ensemble un caractère homogène, un caractère
d'unité. Quelques grandes que fussent les difficultés de
ce travail, M. deMoscl, déjà si avantageusement connu
par l'arrangement de la musique de Samson et de
Jephta, s'en est acquitté avec un rare talent, et l'ora-
torio de Hœndel , épuré et complété par ses soins, est
désormais un chef-d'œuvre irréprochable.
La forme de cette composition est toute dramatique ;
on la place néanmoins au-dessous de Jephta et de Judas
Maccabœus. Le détail des beautés qu'elle renferme,
dépasserait les bornes étroites d'un article de journal.
Siipiti'ni m.
1,1 h
GAZETTE MUSICALE
Le génie de Haendel y éclate d'une .manière admirable.
On a redemandé avec enthousiasme un des chœurs.
L'ensemble de cet ouvrage est empreint d'une teinte
tant soit peu romantique, qui lui donne un charme
particulier, et le rend encore plus intéressant aux par-
tisans de la tendance musicale de nos jours. Les chan-
teurs chargés dessolis se sont spécialement distingués :
c'étaient madame Kraus-Wranitzki , mademoiselle Ho-
nig, MM. Lutz et Reggla. C'est justice que de citer les
noms de ces estimables artistes.
A. L***
CORRESPONDANCE .
Vienne, le 1 0 décembre.
Notre existence musicale devient de plus en plus animée. Pour
mettre un peu d'ordre dans les nouvelles que j'ai à vous com-
muniquer, je commencerai par faire mention chs concerts des
artistes russes que vous avez eus à Paris, et dont le genre de
musique n'a pas été goûté dans notre capitale. Il faut convenir
qu'il y a , en effut, quelque chose qui répugne , dans une mu-
sique qui a été enseigné à l'aide du knout , et où les exécutans,
comme s'ils étaient transportés dans la Sibérie musicale, sont
condamnés pour toute leur vie à ne jamais faire entendre qu'un
seul ton.
Nous avons été dédommagés par M. Levy, le jeune, qui,
dans un concerto de cor , a charmé tous ses auditeurs par les
notables progrès qu'il a encore faits dans son art. A M. Levy
a succédé M. Lacombe, dont la grande habilité mécanique sur
le piano a obtenu beaucoup d'applaudisseineus : puisse-t-il ne
pas trop s'attacher à ce genre de mérite, et ne pas grossir le
nombre de ces soi-disant merveilles musicales qui n'ont pas
tardé à tomber tous dans l'oubli.
MM. Jansa , Ilolz, Linke et Lindhaker ont fait des progrès
sensibles dans l'art d'exécuter le quatuor, et il est permis de
croire qne l'influence du taleut que montrent dans ce genre les
célèbres frères Millier , n'est pas étranger à cette amélioration.
Tous les quinze jours , une société d'artistes et d'amateurs se
réuuit ici pour exécuter exclusivement la musique de Beetho-
ven , ses quatuors , ses trios , ses sonates solos , ses mor.ccau'c
de chants , en un mot tout ce qu'a écrit ce célèbre compositeur.
A la dernière séance, une de ses sonates a été rendue d'une ma-
nière parfaitement conforme à son génie, par M. Fischhof,
dont la verve et l'habilité ont enlevé tous les suffrages.
Les acteurs Wild et Pock continuent à charmer les viennois;
le premier dans un nouvel et trèi-bon opéra de Conrad Kreutzer
intitulé : Le bivouac de Grenade.
Les compositions de Chopin commencent à être en vogue
malgré les petites cabales de gens dont la lourde médiocrité ne
peut pardonner à ce jeune auteur le caractère grandiose et la
tendance élevée de ses compositions. Le sentiment noble qui
respire dans les œuvres de celte artiste , ne peut manquer de le
mettre tout à-fait à la mode au détriment de MM. Herz et
Czerny.
P. S. Je sors à l'instant du concert que le Conservatoire a
donné pour célébrer la mémoire de Goethe et de Beethoven.
En voici le programme : Ouverture de Léonore, le calme de la
nier et l'heureuse navigation , suivi de choeurs , musique de
Beethoven; ouverture, entr'actes, airs et mélodrames jpour la
tragédie d'Egmont de Goethe.
Le public a été saisi d'admiration en voyant avec quel art le
génie de Beethoven a su s'associer aux hautes inspirations de
Goethe. On ne peut que sentir une pareille musique; en rendre
par des paroles les effets et l'émotion qu'ils produisent , c'est
vouloir entreprendre l'impossible. D. A.
M. Joseph d'Ortigue nous prie de publier la lettre sui-
vante qui lui a été adressée.
AvignoD, 5 décembre 1834.
Monsieur,
Dans le no 4.8 de la Gazelle Musicale, nous avons lu avec
un véritable intérêt, un article signé de vous, ayant pour litre:
Des sociétés philharmoniques dans le midi de la France. En
rendant justice à nos intentions et en louant nos efforts, vous
excitez notre zèle et faites un acte, pour lequel les musiciens de
Vaucluse vous doivent des remercîmens....
Cependant en me rendant l'interprète <le la reconnaissance
des membres de la société philharmonique d'Avignon, je dois
relever une inexactitude qui s'est glissée dans ce que vous dites
sur nous; voici vos paroles : Déjà, grâce aux soins de MM. As-
truc et E. M. Jouve, la symphonie en ut mineur , l'ouverture
d'Oberon et d'autres grands œuvres fie sent plus de s merveil-
les ignorées du public Vauclusien.
Il est vrai que nous avons puisé dans les trésors de la haute
science musicale , mais nos essais et nos éludes , n'ont été d i
rigés que par M. Astrnc notre chef d'orchestre, aux talens seul
duquel et aux soins assidus et éclairés de notre administration
nous devons nos succès.
M. Jouve, qui jouit d'ailleurs de toule notre estime, n'a pu
prendre aucune part à nos travaux, puisqu'il habite la ville
d'Apt.
Vous croirez , Monsieur , que cette observation , qui n'a rien
de désobligeant pour M. Jouve , n'est dictée que par le dés'r de
rendre à chacun la justice qui lui est due. Cette justice, \ou
le savez, est la récompense la plus flatteuse des travaux de l'ar.
tiste, surtout quand elle lui est décernée en présence du public.
J'espère que vous serez assez bon pour faire mention de ma
réclamation dans le plus prochain numéro de la Gazelle Musi-
cale.
Veuillez me croire avec la plus haute estime , Monsieur , voire
très-humble et très-obéissant serviteur ;
Le président de la société philharmonique d'Avignon ,
M. de Ribiers.
NOUVELLES.
v+* L'académie royale des Beaux-Arts (Institut de Fiance) ,
dans sa dernière séance, a nommé M. Meyerbeer associé étran-
ger. Ce célèbre compositeur était déjà depuis plusieurs années,
membre correspondant de cette classe de l'Institut.
%* L'Opéra vient de recevoir un ballet de M. Henri; ce
transfuge de la chorégraphie de la salle Ventadour passe ,
dit-on, bannières déplovées, dans le camp de la rue Lepelletier.
Le titre du nouveau ballets : Le Siège de Calais.
*+* Le bruit court que l'Opéra-Comique a l'intention de
glisser dansson répertoire le chef-d'oeuvre de Webcr, le Freys-
415
chùtz, si long-temps défiguré à l'Odéon sous le litre de Robin
des bois. De nouveaux chœurs seront engagés pour- cet ou-
vrage , et l'orchestre renforcé. La nouvelle administration de ce
théâtre neuéglige aucun moyen pour rendre à l'Opéra-Comique
l'ancienne faveur dont il jouissait à si juste titre.
*+* M. Berlioz donnera un quatrième concert aux Menus-
Plaisirs, dimanche prochain. On y entendra cette fois ses deux
grandes symphonies : La Fantastique^ Harold séparées par
un intermède piquant dont la composition n'est pas encore ar-
rêtée. Ons'inscritd'avancechezM.Rety, auConsGrvaloire, chez
M. Schlcsinger et chez M. Paccini , boulevard des Italiens. Le
prix des places est le même qu'aux concerts précédens de
M. Berlioz.
%* Voici le programme de la matinée musicale que M. Fran-
çois Stœpel donnera, rue Monsigny, ri. 6, le jeudi i5 décem-
bre i834, à 2 heures : Grand duo pour 2 pianos, composé pnr
M. Fr. Listz et exécuté par M. Chopin et l'auteur ; deux ro-
mances : Le Pécheur Napolitain, musique de M. Thys, et Ma
Normandie, paroles et musique de M. Bérat , chantées par
M. Richelmi; solode violon, composé etexéculé par M. Erueit;
air de Niobé , de Paccini, chanté par Mlle Heinef'elter ; impro-
visation sur l'orgue expressif, par Mad. de La Hye ; air italien,
chanté par Mad. Degli-Antony; duo pour le piano à 4 mains,
de Moscheles, exécuté par MM. Chopin et Listz ; air italien ,
chanté par Mad. Degli-Antony ; improvisation sur l'orgue ex-
pressif, par Mad. de La Hye; variations sur l'air du Garçon
suisse , chantées par Mlle Heincfclter. Le prix des billets est
de 5 fr. On les trouve chez SI- Maurice Schlcsinger, 97, rue
Richelieu.
%* Mme Francilla Pixis continue ses brillans succès à Munich
Elle a reparu le 1 1 de ce mois dans le Capuletti et Montecchi.
Notre correspondant nous mande, que la jeune cantatrice a
surpassé toutes les espérances ; elle a été rappcllée quatre fois
dans la même soirée , chose presque inouïe dans les annales du
héâtre de cette capitale. Madame Harselt fsoprano) , M. Bayer
( premier ténor ) et M. Lenzl ( première basse - taille ) ,
chœurs et l'orchestre conduits par l'habile dire leurM. Morald,
n'ont rien laissé à désirer à cette représentation, à laquelle toute
la cour assistait. La salle était comble , c'est un très-beau suc-
cès pour cette jeune cantatrice.
++* Ali Baba de Cherubini vient d'être représenté <,vec
succès au théâtre royal de Dresde.
*+* Un petit journal sans conséquence, annonce que la Re-
vue Musicale, passe en d'autres mains ; M. Edouard Fétis fils,
nous prie d'annoncer, que celte nouvelle est éronnée, et qu'il
continuera l'année prochaine, le journal publié par lui.
*+* On annonce la mort de Zingarelli, si célèbre par l'opéra
As Roméo et Juliette. Nous avons recules journaux d'Italie jus-
qu'au fi décembre, il ne font aucune mention de cet événement .
*+* M. Louis Schunke, jeune pianiste de beaucoup de talent,
et un des principaux rédacteurs de la nouvelle gazette musicale
de Leipzig, rient de mourir.
*+* No-.is lisons dans la nouvelle gazette musicale de Liep-
zig, journal plein d'intérêt, et qui est aujourd'hui au premier
rang parmi les journaux de musique publiés en Allemagne :
» On assure que Haydn a voyagé en Hongrieavcc une bande
» de Bohémiens, jusqu'à l'âge de 4ïi. ans» — Nous donnons ce
fait curieux sans en garantir la véracité.
*t* Le Lièittfto italien va-t-il devenir aussi aristocratique par
ses auteurs , que par l'auditoire auquel il est destiné ? on attti-
bucau comte Popoloceluideg7i .Pi/n'Énn;, la première nouveauté
que nous offrira le théâtre Favart.
\* Il est depuis long-temps question de restaurer la s'.llede
l'Académie royale de musique. On fixe maintenant l'époque de
cette grande régénération au carnaval prochain. Pourvu que ce
ne soit pas une mystification de circonstance!
*t* La société philotechniquc a tenu dimanche dernier sa
séance trimestrielle. A près avoir eu tendu un rapport des poésies,
des dissertations critiques et littéraires, l'assemblée a eu pour
indemnité de fort jolies romances de M. Thys, chantées avec
beaucoup de goût par M. Richelmi et quelques échantillons de
la verve tant soit peu aventureuse et bizarre qui caractérise la
musique de M. Monpou.
*+* Il n'est rien qui inspire plus d'intérêt et de sympathie
que de voir les talens se continuer ou se remplacer dans la
même famille ; la fille d'un des plus illustres) philologues ita-
liens, du commentateur de Dante, mademoiselle Biagioli ,
Eromet de soutenir dans la carrière musicale l'héritage de célé-
rité que lui a légué son père. Sa brillante exécution sur le piano
obtient en ce moment beaucoup de succès aux concerts de
M. Musard.
* * Les tribunaux viennent de prononcer la séparation de
corps demandée par Mmc Cinti-Damoreau contre son mari. Un
mauvais plaisant disait: Mmc Damoreau ne courrait aucun risque
en s'adréssant aux juges; elle était bien sûre de ne pas manquer
de voix.
*J* On vient de représenter à Venise au théâtre Benedetto ,
un opéra de Paccini: Fidanzoti. Ce faible ouvrage a obtenu
du succès, ce qui prouve jusqu'à quel poiut l'Italie est pauvre
de compositeurs. MmeGiacase, prima donna, Tati (tenor) et
Léonardi (basse) ont puissamment contribué à la réussite de ce
nouveau chef-d'œuvre! du très-savant Paccini.
%* Le i5novembredernier,le chanteur Tombolini, jadis l'idole
des dilettanti de Berlin, à modestement célébré, au milieu de
sa famille et de quelques amis le cinquantième anniversaire de
son séjour dans celte ville. Il e-,1 né en l'année 1766, à Ferma,
dans les états de l'église. Il vint le i5 novembre 1784, à Ber-
lin, où, quelques jours après, il chanta devant irédéric-le-
Grand, qui fut très -satisfait de son talent. f)ès-lors, il continua,
sans interruption, à chanter au grand théâtre italien, jusqu'à
la fin de l'année 1809. En 1815, il se faisait encore eutendre
dans les concerts.
* * On vient de représentera Londres, sur le théâtre Covent-
Garden, le Masque Rouge, dont le sujet est emprunté au Bravo
de Cooper : la musique est celle que Marliani a composée
pour le ihéâire italien de Paris; elleaétéarrangéepar M.Cookc,
pour être adaptée au drame anglais, usage horrible des anglais,
qui ont déjà défigurée de la même façon, la musique du Frei.s-
chutz, celle de la Fldte enchantée, de Mozart , de Robert-le-
Diable, de Meyerbeer, ainsi que d'autres belles partitions.
.Malgré l'arrangement qu'elle a subi, la musique de Marliani
et la magnifique mise en scène de la nouvelle pièce, ont excité
les plus vils applaudisscmeus, ainsi que les chanteurs et les
cantatrices qui ont figuré dans ce drame. L'exécution du Bravo
a eu lieu sur la scène même. Le Times observe à ce sujet que ,
bien qu'on ait fait preuve de beaucoup d'adresse daus la mise
en scane de cet acte sanglant, on aurait cependant mieux fait
de le supprimer. Aussi, cette scène a-t-elle donné lieu à des
marques d'improbation, et l'on assure (chose assez surprenante
de la part des Anglais si avides de toutes sortes de spectacles)
qu'elle ne sera pas reproduite aux futures représ. ntationc.
*+* La faculté de philosophie de Leipzig, àdécernélediplôme
de docteur, honoris causa, à M. Marschner. maître de la cha-
pelle royale à |Hanovie, auteur de « la Juive et le Templier,
opéra que le théâtre Nautiqne nous promerincessamment.
%* La société philotechnique de la Thuringe, invite les ama-
teurs de l'art musical, par l'organe delà Gazette d'état de
Prusse, à souscrire pour l'érection d'un monument à la mé-
moire de Ilandel, monument qui doit être construit sur le mo-
dèle de celui de Westminster.
%* La première représentation de la Somnambule de Bel-
lini, a été fort orageuse au théâtre Josephstadt de Vienne. Le
ténor a paru si mauvais au public, que chaque fois qu'il voulait
chanter, c'était le signal d'une explosion de rires bruyans, de
cris et d'applaudissemens ironiques : le tapage était assourdis-
sant. Cependaut, les autres acteurs, déconcertés par cette scène,
ne faisant guères mieux que leur malencontreux camarade, la
salle finit par prendre gaiement la chose, et cette singulière re-
présentation en deviut on ne peut plus amusante. La pièce ne
put aller jusqu'à la fin, que par l'intelligence du directeur de
l'orchestre qui eut le soin de sauter un certain nombre de mor-
ceaux, pour arriver plue vile au finale. L'autorité ayant fait au
ténor la défense de re| arailrer l'administration du théâtre s'est
empressée de lui donner sou congé.
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Missouri.
Gérant, MAURICE SCHLESINGEE.
GAZETTE MUSICALE
RÉDIGÉE PAR MM. ADAM, G. E. ANDERS , BERTON (membre de l'Institut), BERLIOZ, CASTIL-BLAZE , A. GUEMER HALÉVY
(professeur de contrepoint au Conservatoire), Jules janin , liszt, lesuecr (membre de l'Institut), j. maixzer marx
(rédacteur de la gazette musicale de berlin), d'ortigue, panofka , richard, j. g. seyfrieo' (maître <le chapelle
à Vienne), f. swepel, etc., etc.
1" ANNÉE.
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52.
PRIA DE L ABONNE)!.
PARIS.
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16 5U
t8 »
lan.30
35 >.
36 »
£a dSazutU iïïusicalf hg paris
Paraît le DIMANCHE de chaque semaine.
©n s'abonne au bureau de la Gazette Musicale de Paris, rue Richelieu, i)7;
chez MM. les directeurs des Postes, aux bureaux des Messageries,
et chez tous les libraires et marchands de musique de France.
)n reçoit les réclamations des personnes qui ont des griefs à exposer, et les avis relatifs à la musïqu
qui peuvent intéresser le public.
PARIS, DIMANCHE 28 DECEMBRE 1834.
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MM. les souscripteurs à la Gazette musicale
dont l'abonnement finit le 3i décembre, sont
prié de le renouveller, s'ils ne veulent point
éprouver de retard dans l'envoie du Journal.
Il suffira d'envoyer un bon sur la poste ou de
donner avis par lettre affranchie ; on fera traite
sur les personnes qui s'abonneront au moins
pour six mois. Il sera joint au ï" Numéro de
Janvier une entame sur une valse inédite de
Meyerbeer j, par Leidersdorf. — Le 2e Numéro
contiendra le Portrait de M. Lablache.
I.
Dans la salle de la célèbre taverne de Londres « the
good ffoman» _, City, Fleetstreet, N° 77, était assis
dans son large fauteuil, les mains croisées sur le ventre,
John Farrerij le maître de la maison, qui attendait ses
hôtes.
Il était sept heures du soir ; c'était le moment où se
rendaient régulièrement chez lui les habitués,, les doyens
de cette respectable taverne, et Tom , son premier gar-
çon , se tenait près de la porte , un cruchon de porter
mousseux a la main , pour recevoir ainsi le premier en-
trant, comme c'était encore l'usage à Londres en l'an-
née \ 1A\ .
Immédiatement devant John Farren , était placée de-
bout mistriss Bess' (abréviation d'Élisaheth), « sa bonne
femme » , ses maigres bras appuyés sur ses hanches] et
le rouge de la colère sur ses joues, ordinairement d'un
jaune pâle.
« Est-ce donc bien vrai, maître John , lui disait-elle
d'un ton criard? est-ce donc bien possible que vous son-
giez sérieusement à jeter notre Ellen (abréviation d'Éléo-
nore), notre unique enfant, à la tête de cet aventurier
allemand, qui a l'air de n'avoir pas de quoi manger? »
« Jeter à la tète? répondit tranquillement John Far-
ren; non, mistriss Bess'; mais Ellen aime le jeune
homme, et God dam! c'est un brave garçon, bien
tourné, honnête, adroit, laborieux »
« Et pauvre comme un rat d'église , reprit mistriss
Bess', en coupant la parole à son mari ; et personne ne
sait au juste ce qu'il est, votre brave garçon ! »
« Ah! son compatriote , le maître Haendel, dit que
ce jeune homme promet quelque chose d'extraordi-
naire. »
« Oui-da ! laissez-moi donc tranquille avec votre mon-
sieur Haendel ! ne voila-t-il pas un homme bien distin-
gué? n'est-il pas bien considéré votre monsieur Hrendel,
depuis qu'il a gâté ses affaires auprès de Sa Majesté? a
la bonne heure, dans le temps qu'il lui était permis d'en-
trer tous les jours dans Carlton-House , je ne dis pas;
418
GAZETTE MUSICALE
mais maintenant qu'il en a été banni par suite de ses
manières hautaines, est-il autre chose qu'un musicien
ambulant ordinaire? »
« God dam ! s'écria alors John Farren avec une cer-
taine véhémence ; retenez votre mauvaise langue , mis-
triss Bess' ! et respectez le maître Hœndel que j'estime
autant qu'aucun homme de la vieille Angleterre! — et
puisqu'il rend bon témoignage de Joseph, je sais ce
que j'aurai a faire. Avez-vous compris, mistriss Bess'?»
« Très-bien, et faites comme vous voudrez; mais je
vous en préviens, vous compterez sans votre hôte. »
«L'hôte, c'est moi ! répondit John avec un léger sou-
rire, et vous, Bess', vous êtes ma bonne femme dont
j'ai fait peindre le portrait sur mon enseigne, quand
vous étiez encore jeune et jolie. »
La «bonne femme» s'apprêtait a la riposte, quand
la porte s'ouvrit pour donner entrée a deux hommes de
fort bonne mine. Tom se saisit rapidement d'une se-
conde cruche, les posa toutes les deux sur la table ronde
placée au milieu de la salle, et prit une attitude d'obéis-
sance, pendant que mistriss Bess', jetant un regard de
mauvaise humeur sur les deux étrangers , sortit de l'ap-
partement.
« Eh bien ! s'écria l'aîné des deux convives, homme
d'une taille presque colosf aie, et dont la figure belle et
expressive recevait encore plus d'éclat du feu extraor-
dinaire qui brillait dans ses yeux ; eh bien ! maître John ,
comment cela va-t-il ?
« Très-bien , monsieur Hœndel , répondit ce dernier ;
et d'autant mieux que vous arrivez juste a point pour
faire taire ma « bonne femme. »
« Le vieux dragon a-t-il encore grondé? »
« Vous savez que c'est-là son habitude. »
« Sans doute, je le sais bien; mais, de par Dieu, si
elle était ma femme, je l'enfermerais dans l'armoire aux
soufflets de l'orgue de Saint-Paul, et lui ferais bourdon-
ner aux oreilles un air qui lui ôterait pour toujours l'en-
vie de grommeler. »
Maître John se tint le ventre en riant de toutes ses
forces de la cure imaginée par son hôte chéri , tandis que
Hœndel, après avoir remis sa caune^et son chapeau au
garçon, s'assit a côté de son compagnon, homme d'une
taille moyenne et d'un extérieur aussi simple crue mo-
deste; ce n'était qu'en regardant bien le coin de ses
yeux, d'une expression d'ailleurs fort douce, que l'ob-
servateur pouvait y découvrir l'indice d'une grande fi-
nesse et d'un penchant a la satire; le nom de cet homme
c't;iit William Hogarth, et il passait pour un bon pein-
tre de portraits.
«Vous croyez donc, dit Hœndel a celui-ci, en le
fixant attentivement ; vous croyez donc que ce Bedford
ferait quelque chose pour mon Messie , si je lui faisais
un doigt de cour? »
« Je ne veux pas que vous lui fassiez la cour , répli-
qua Hogarth, en appuyant sur les mots; c'est une chose
que je n'exigerai pas de vous, et il n'est pas dans les
trois royaumes un seul brave garçon qui voulût vous y
engager ; dites-lui votre affaire tout bonnement et en
peu de mots , et soyez sûr qu'il emploiera toute son in-
fluence pour que vous puissiez faire exécuter dignement
votre ouvrage. »
« Mais n'est-ce pas une chose a devenir fou, s'écria
Hœndel avec emportement, que d'être dans le cas de sol-
liciter les bonnes grâces d'un original comme S. A. le
duc de Bedfort , pour vous faire entendre le meilleur,
oui , Dieu le sait , William ! le meilleur ouvrage que
j'aie encore écrit? Malédiction! Encore si cette Altesse
y entendait quelque chose ! mais le duc se connaît en
musique comme ce malotru du Yorkshire qui , dans le
temps, a tellement massacré mon Saiil, que je n'ai pu
m'empêcher de le rosser d'importance. »>
« Eh bien , reprit Hogarth avec gaîté ; depuis 28 ans
que vous habitez l'Angleterre, n'avez-vous pas encore
remarqué combien peu la protection d'une Altesse igno-
rante est dans le cas de nuire à une véritable œuvre ar-
tistique? Vous me connaissez, Hœndel, et vous savez
que je ne déteste rien comme l'adulation vis-à-vis de
qui que ce soit ; mais je puis vous assurer que si je ne
voulais me tenir en bons termes qu'avec ceux qui sont
capables de juger mes ouvrages, God dam! je devrais
m'eslimer trop heureux de trouver assez de portaits a
faire pour pouvoir soutenir ma femme et mes enfants :
il faudrait alors renoncer a toute distraction et même à
prendre mon verre de punch dans ce club où vous vous
êtes si bien amusé. Vous le savez aussi bien que moi :
le talent, le génie des arts et l'argent nécessaire pour
pouvoir les cultiver, se trouvent rarement ou presque
jamais dans la possession du même individji. Rendons
grâces au ciel de ce que les niais ou les simples ont en-
core assez de bonhomie pour ne pas nous envier notre
lot, et pour nous abandonner les miettes de leurs fes-
tins. »
Pendant que Hogarth philosophait ainsi, Hœndel avait
appuyé ses deux bras sur la table et posé sa tête sur ses
mains. Sans lever les yeux et sans changer d'altitude,
il murmurait tout bas : Les choses resteront-elles tou-
I jours ainsi, et ne viendra-t-il jamais le temps où l'artiste
' pourra jouir, dans toute sa pureté, du plaisir qu'il pro-
I cure aux autres par ses ouvrages? — Hogarth ! continua-
t-il en élevant tout-à-coup la voix avec feu et en regar-
419
dant fixement son ami ; Hogarth, voudrais-tu quitter
ton pays pour exercer ton ait sur une terre étran-
gère? »
« God dam! répondit Hogarth; pas pour le inonde
entier. »
« Voilà, répliqua Hœndel avec plus de vivacité
encore; tu as persévéré, et tu recueilles aujourd'hui le
fruit de ta fidélité à ton pays. Moi, je quittai le mien
précisément au moment où une nouvelle vie semblait
devoir s'y répandre dans les arts. Oh! sans doute, ce
germe s'y est heureusement développé ! que ne pourrais-
je y réaliser avec les dons que le ciel m'a départis ! —
Si mes compatriotes ont accompli quelque chose de
grand, c'est sans moi, pendant que je m'évertue ici
uniquement a faire comprendre a vos imbéciles de chan-
teurs et de ménétriers j ce que c'est que la musique. —
Ah ! si je n'en étais déjà à ma cinquantième année, dès
demain je regagnerais mon pays a toutes jambes! Que le
Ciel me confonde , si je n'aimerais pas mieux y être pâ-
tre que d'être ici directeur du théâtre de Haymarket ou
même maître de chapelle de Sa Majesté Britannique, qui
se délecte, avec toute la valetaille de la cour, des chants
d'un maudit castrat a la mode! — Hogarth! vous de-
vriez faire un tableau représentant cet eunuque et les
femmes de Londres en adoration devant lui , et lui ten-
dant leurs offrandes. »
« C'est déjà fait, répliqua Hogarth en riant; mais,
chut ! ne voilà-t-il pas nos amis ?
La porte s'ouvrit de nouveau, et successivement en-
trèrent messire Tyers, le propriétaire du Vauxhall ,
l'abbé Dubos, le docteur Benjamin Hvaldy et Joseph
Wach, jeune allemand qui, sous la direction de Hœndel,
se consacrait à l'étude du chant, et que suivait miss
Ellen , la fille de la maison. Masler John se leva de des-
sus son siège; Tom servit le porter, et ou entendait ré-
sonner au dehors la voix de la « bonne femme a , qui
se querellait avec ses domestiques.
II.
Hœndel fit un signe d'amitié à son élève. Eh bien !
lui dit-il , où en es-tu de ta partie ? avances-tu , et pour-
rai-je bientôt te la faire répéter?
« Je travaille beaucoup, monsieur Hœndel, répondit
Joseph, et ce ne sera pas faute de bonne volonté si je ne
m'acquitte pas bien de ma tâche; il faut seulement que
vous ayez un peu de patience avec moi. »
« Hum ! murmura Hœndel; puisque j'en ai eu si long-
temps avec les idiots de ce pays-ci, je n'en manque-
rai pas, sans doute, si tôt pour toi. Mais laissons cela
jusqu'à demain malin, et, en attendant, cause à ton
aise avec ta bien-aimée. »
Oh! monsieur Hœndel , s'écria Ellen d'un air à la
fois boudeur et comique; il paraît que, selon vous,
Joseph ne doit être mon « sweet heart » que lorsqu'il
n'a rien de mieux à faire? »
« Ce serait, sans doute, ce qu'il y aurait de plus con-
venable, petit lutin, dit Hœndel en riant; mais il est
difficile de prêcher des amoureux; votre père le sait par
expérience ; n'est-il pas vrai , mon vieux John? »
John Farren répondit _, avec un léger sourire , en s'in-
clinant : « C'est juste; mais puisque l'on dit qu'il n'est
pas bon que l'homme reste seul, je tiens pour le proverbe
qui veut que l'on se marie de bonne heure, et je cite
pour preuve mon propre mariage et mon enseigne « the
good Woman. »
Tout le monde se prit à rire , excepté Ellen et Joseph,
déjà trop absorbés dans leur conversation pour avoir pu
entendre le discours du vieux John.
« Monsieur Hœndel, dit l'abbé Dubos en prenant la
parole; savez-vous bien que je n'ai pu dormir toute la
nuit dernière, parce que votre chœur « La gloire du Sei-
gneur se révèle » retentissait toujours à mes oreilles ? Je
suis d'avis que votre gloire à vous se révélera aussi par
votre Messie, dès que vous réussirez à le faiie exécuter.
Malheureusement, le lord-archevêque paraît aussi se dé-
clarer contre cette représentation. »
Hœndel rougit, comme cela lui arrivait toujours lors-
qu'il entrait en colère : «Le lord-archevêque, répéta-t-
il ; aha ! le lord-archevêque ; c'est encore là un beau ser-
viteur de D'eu ! N'est-il pas venu m' offrir de me com-
poser un texte pour mou Messie, et quand je lui eus
tranquillement demandé s'il me croyait païen et étran-
ger à la Bible , ou s'il se flattait de faire un texte meilleur
que les Saintes Ecritures, ne s'est-il pas avisé de me tour-
ner le dos et de s'en aller crier à la cour que j'étais un
ingrat et grossier personnage? — Eh bien ! cela y est ar-
rivé fort à propos ! »
(c C'est qu'en effet, observa prudemment John Farren,
il ne fait pas bon manger des cerises avec les grands
seigneurs. »
« Je croyais, murmura Handel , que ce proverbe n'a-
vait cours que sur le continent; mais je vois que, mal-
heureusement , il est également de mise dans le pays de
la liberté. »
«Le bien et le mal se trouvent toujours réunis sur cette
terre, dit en souriant Benjamin Hvaldy; et à cet égard
la proportion est presque partout la même. Il faut pren-
dre le monde tel qu'il est, mon cher Hœndel! Conve-
nez, du reste, que jamais vous ne vous sentez plus haut
placé au-dessus du vulgaire, que jamais vous n'êtes
plus convaincu de votre mérite que lorsqu'apt'ès avoir
rtïo
GAZETTE MUSICALE
long-temps lutté contre les cabales de l'ignorance, vous
parvenez a faire exécuter un de vos ouvrages ; alors,
vous voyez même vos ennemis subjugés par votre ta-
lent' et forcés de l'admirer. »
« Je ne me moque pas mal de l'admiration des fous
et des lâches, s'écria Handel courroucé. » Mais Benja-
min , toujours occupé a le calmer , reprit : « Mon ami ,
tout homme qui est encore capable d'admirer ce qui est
bon et beau , ne saurait être aussi méchant que les appa-
rences semblent quelquefois l'indiquer. Le cœur de
l'homme renferme un certain je ne sais quoi , qui , a
moins qu'il ne l'en arrache violemment, empêche même
l'être le plus dégradé de tomber entièrement dans l'a-
bîme. Ce quelque chose, je ne puis vous le définir bien
au juste; mais ['art, et surtout la musique, sont la meil-
leure pierre de touche pour reconnaître si l'homme n'a
pas entièrement renoncé à lui-même. »
« Ce que vous dites, observa messire Thiers,. est
très-vrai,- pour moi, j'aime passionnément la musique,
et je pense, ajouta-t-il en s'adressant a Hœndel, comme
votre illustre compatriote, le grand réformateur Luther,
pour qui l'homme dont l'ame est insensible au merveil-
leux charme de la musique n'est qu'une espèce de brute.
Mais, cher Hœndel , ne jugez pas trop sévèrement mes
braves compatriotes ; les dons du ciel sont répartis di-
versement, et si mes compatriotes n'ont'pas encore fait,
dans le délicieux art de la musique, autant de progrès
que les vôtres , ils possèdent d'autres qualités. »
« Vous êtes depuis long-temps en Angleterre, ajouta
l'abbé Dubos, et vous y avez, sans doute, éprouvé bien
des contrariétés, notamment de la part de ceux dont
vous aviez besoin pour faire exécuter vos ouvrages.
Mais , s'il est vrai , mon bon Hœndel , que vous ayez eu
souvent a vous plaindre de la cour et des grands; s'il
est vrai que nos musiciens et nos chanteurs soient moins
habiles que ceux de votre pays; si, enfin, nous ne sommes
pas organisés de manière a saisir et a comprendre tout
ce qu'il y a de sublime dans vos oeuvres, n'est-il pas
également certain que le peuple britannique a fait de
vous son favori, son idole? Le nom de Handel n'est-il
pas prononcé par la bouche du loyal John Bull avec au-
tant d'affection et d'estime que celui de l'orateur le plus
illustre du Parlement? Eh bien! mon cher maître, s'il
en est ainsi , sachez, au moins une fois , pour l'amour
de ce brave John Bull, vous prêter un peu aux circons-
tances; montrez- vous une fois un peu plus flexible, afin
que nous entendions votre Messie. Vous ne perdrez
rien pour cela de votre dignité, et n'en serez pas moins
le bon et loyal allemand que nous avons toujours estimé
en vous. »
« God dam ! s'écria Hogarth : c'est bien ce que je lui
ai dit aussi. Et nous de même, crièrent a leur tour
Thiers et Hvaldy.»
Hœndel demeura encore quelques moments silencieux
en regardant ses amis d'un air assez sombre; mais, tout-
a-coup, sa physionomie changea d'expression, le sourire
parut sur ses lèvres , et alors il s'écria d'une voix forte :
« Palsambleu! vous avez raison après tout, mes vieux
amis ; vous avez raison; voici ma main ; demain matin je
vais chez le duc , et vous entendrez le Messie j quand
mêmetous les imbécillesdes trois royaumes etdu continent
voudraient s'y opposer. Tom! un autre cruchon! »
De bruyans applaudissemens accueillirent cette dé-
claration. John Farren fit même un bond de joie; mais
le plus content fut Joseph qui dit doucement à sa maî-
tresse : « Oh! chère Ellen, s'il réussit, nos vœux sont
accomplis; il m'en a donné sa parole. »
III.
Le lendemain, suivant sa promesse, Hœndel monta
en carosse, et se rendit chez le duc deBedford. Son
Altesse donnait ce jour-là un grand déjeûner, et la moi-
tié delà cour se trouvait rassemblée chez lui. Cepen-
dant, dès que les laquais eurent reconnu Hœndel, ils
s'empressèrent d'en instruire leur maître.
Le duc de Bedford n'était rien moins que connaisseur
en matière de musique; mais il aimait le faste , tenait a
la réputation de protecteur des arts, et faisait consister
son plus grand bonheur à se montrer , sous ce rapport ,
plus empressé et aussi généreux quelle roi.
Mettre le grand artiste allemand sur la liste de ses
protégés , c'était depuis long-temps son plus vif désir,
sachant très-bien que ce n'était pas la défaveur du roi
qui avait éloigné Hœndel de Carllon-House. Le roi esti-
mait, au contraire, d'autant plus le compositeur étran-
ger qu'il savait apprécier son mérite, et qu'il rendait
pleinement justice a son génie. Mais le caractère libre
et énergique de Hœndel n'avait pu se plier au ton et aux
manières si strictement observées , non -seulement à
Carllon-House, mais encore dans les grands cercles de
la capitale , et ses relations avec la cour et la noblesse
avaient ainsi presqu'entièrement cessé. Toutefois, sa re-
nommée allait toujours croissant. Son oratorio Satil, qu'il
avait fait exécuter l'année précédente, d'abord à Lon-
dres, puis dans les grandes villes des Royaumes-Unis ,
avait fait reconnaître en lui un maître consommé dans
l'art des tons. Le roi avait été ravi de cet ouvrage; la
cour et la noblesse feignaient du moins de partager son
admiration ; mais c'est surtout dans les rangs du peuple
que le nom de Hœndel était célèbre. A peine le duc eut-
421
il appris l'arrivée de ce maître, qu'il s'empressa d'aller
au-devant de lui, et de le prendre amicalement par la
main pour le conduire sans cérémonie au milieu de ses
nobles convives. Mais Hœndel, le remerciant de l'hon-
neur que S. A. voulait lui faire, dit au duc qu'il était
seulement venu pour lui demander un un acte de com-
plaisance.
« C'est très-bien, maître Hœndel, répondit le duc
en souriant; allons causer dans mon cabinet. » Hœndel
suivit le duc, a qui il fit connaître son désir, en lui di-
sant laconiquement « qu'il serait obligea S. A. de vou-
loir bien ramener au bon sens l'archevêque et le lord-
maire de Londres , afin qu'ils n'entravassent pas davan-
tage l'exécution de son Messie, surtout à l'égard du lo-
cal qu'il avait choisi; car, ajouta-t-il énergiquement,
de par tous les diamres ! c'est bien moi qui dois savoir
le mieux où ma musique fera le plus d'effet. »
Leduc fut entièrement de l'avis de Hœndel , et lui
promit d'user de toute son influence pour faire cesser
et pour prévenir tous les obstacles qui pourraient encore
s'opposer à la représentation du Messie.
Hœndel fut charmé, moins encore peut-être de cette
promesse , que de la manière toute gracieuse dont elle
lui fut faite parle duc, habituellement poli sans doute,
mais aussi irès-fier.
« Maintenant, maître Hœndel, dit le duc, venez
aussi avec moi au 'salon. Il ya, je le sais bien, plus
d'une figure que vous ne verrez pas avec plaisir; mais
vous y trouverez un de vos braves compatriotes, que
j'ai engagé pour ma chapelle ; il s'appelle Kellermann ,
et, suivant les connaisseurs ., il a un beau talent sur la
flûte. »
« Comment, s'écria joyeusement Hœndel, ce brave
garçon est à Londres et au service de votre Altesse? a
la bonne heure! Je vous suis, monseigneur, votre salon
fût-il rempli d'orang-outangs. »
« Oh! il n'y en manque pas, répondit gaîment le
duc, en avançant avec Hœndel vers le salon; mais vous
y verrez aussi quelque bonne poularde rôtie. »
Un mouvement se manifesta dans tout le salon lors-
que l'illustre maître de la maison y entra en conduisant
Hœndel parla main.
Le duc, après avoir rapidement présenté l'artiste al-
lemand a la société , fit signe a son compatriote Keller-
mann , et Hœndel, sans s'imposer la moindre gêne, em-
brassa son ancien ami avec toute l'effusion de la joie et
toutes les démonstrations de la cordialité. Cette scène
paraissait faire plaisir au duc de Bedford, et il laissa les
deux amis se livrer avec abandon au bonheur de se re-
voir, bien que l'idole du grand monde de Londres, il
signor Farinelli , placé auprès du 'piano , toussât plu-
sieurs fois légèrement pour faire connaître qu'il était
prêt à chanter , et pour engager Kellermann a venir
l'accompagner.
Celui-ci s'en aperçut enfin, serra la main de Hœndel
en souriant, retourna a sa place, prit sa flûte, et il si-
gnor Farinelli, après avoir toussé encore plusieurs fois,
se mit a chanter un air sentimental d'une voix douce et
claire.
Rien ne répugnait davantage a Hœndel , homme de
caractère et si énergique dans ses œuvres , que le chant
d'un castrat, et tout le luxe d'ornemens dont Farinelli
embellissait son chant , n'était à ses yeux qu'une profa-
nation de la nature et de l'art musical. Cependant, quel-
qu'htimeur qu'il ressentît de la doucereuse manière du
malheureux italien , il ne put s'empêcher de rire inté-
rieurement des transports que fit éclater son auditoire :
les hommes tournaient les yeux et soupiraient de ravis-
sement ; les ladies se pâmaient : « Sweet! Sweet! »
disaient les unes , tandis que d'autres répondaient : « yes,
indeed! » en fermant les yeux et en oubliant leur ré-
serve ordinaire.
Il signor Farinelli termina son morceau. Les plus
vifs applaudissemens furent sa récompense : Handel pen-
sait a son élève Joseph.
Farinelli ayant appris la présence d'il signor Aendel,
dont le nom n'était pas inconnu en Italie , témoigna le
désir de faire sa connaissance, et le duc voulut se don-
ner le plaisir de les présenter l'un a l'autre. « J'ai ap-
pris, dit Farinelli, en mauvais anglais a Hœndel , igno-
rant que celui-ci sût l'italien : J'ai appris que il signor
Aendel avait fait la mousique d'oun opéra , il Messia.
Y a-t-il dans cet opéra une partie pour le célèbre signor
Farinelli , je veux dire per moi?
Hœndel regardait avec de grands yeux , des pieds à la
tête, cette singulière figure, parée, comme une femme,
de dentelles et de pierreries ; enfin, il lui répondit d'un
ton bref, et en prenant les cordes les plus basses de sa
voix : No -> signora.
Farinelli recula de quelques pas ; les hommes étouf-
fèrent avec peine un rire bruyant qui était sur le poiut
de leur échapper , et les ladies se détournèrent en rou-
gissant. Handel prit congé de l'assemblée et se retira.
Arrivé dans le corridor , il rencoutra Hogarth qui lui
montra, en riant , une esquisse représentant toute la ré-
union que Hœndel quittait, faisant éclater ses transports
en écoutant le chant de Farinelli. « Par ordre du duc, »
dit-il tout bas a Hœndel. — C'est une perfidie de
l'Altesse, répondit celui-ci d'un ton assez sérieux. Le
peintre satirique fit un mouvement des épaules.
Sil[ylHii ni
£22
GAZETTE MUSICALE
IV.
Assis solitairement dans sa petite chambre , Hsendel
était absorbé dans sa partition, dont il examinait, une
dernière fois, attentivement chaque note ; tantôt sou-
riant à la vue d'un passage qui lui avait réussi, tantôt
devenant sérieux en trouvant un autre dont il n'était
pas satisfait ; réfléchissant, raturant et substituant une
phrase a une autre. Enfin, ses regards s'arrêtèrent sur
le dernier « Amen » ; ils s'y reposèrent long-temps ,
bien long-temps, jusqu'à ce qu'une larme tombât sur le
feuillet. « Cette note, dit-il alors d'un ton recueilli,
cette note est peut-être la meilleure de toutes. 0 toi !
esprit puissant et sublime, accepte l'offrande de cet ou-
vrage ; reçois mes actions de grâces, seigneur ! c'est toi
qui m'as permis de le faire. »
Il ferma la partition , fit quelques tours dans sa cham-
bre, et s'assit ensuite dans son fauteuil , les mains croi-
sées, pour se livrer a une douce rêverie sur le temps de
sa jeunesse... pour rêver a son pays.
C'est ainsi que le trouva Kellermann , quand il vint
le chercher, sur le soir, pour l'emmener a la taverne.
Hœndel l'accueillit avec la cordialité d'un homme
attendri par de doux souvenirs. Long-temps ils causè-
rent ensemble delà patrie, de leur art et des maîtres
distingués qui vivaient alors en Allemagne. Enfin, ils
partirent pour la taverne, où les attendaient leurs com-
muns amis.
« Eh bien., la paix est donc faite, s'écria gaiement
Hogarth , en voyant entrer Hœndel ; est-ce que mon con-
seil n'était pas bon? Le Duc n'a-t-il pas été bien avec
toi , et n'es-tu pas un aussi brave garçon qu'auparavant?»
Hœndel répondit d'un mouvement de tète, en sou-
riant avec bonhomie , et prit sa place accoutumée auprès
de la table ronde.
« Oui, continua Hogarth , ton affaire est maintenant
faite, — et tu n'a plus à t'inquiéter de rien ; mais moi ,
pauvre diable, j'ai éprouvé un vilain échec pour mon
dernier ouvrage. »
(c Toi ! lui dit Hœndel avec étonnement ; toi , dont la
réputation augmente de jour en jour?
«Oui, joliment, reprit Hogarth avec humeur; on
vient de se moquer de moi d'une bonne façon. Tu te
souviens, sans doute, que, dans le tems où l'on vendit
ici à l'enchère la Léda du Corrège pour -10,000 guinées,
je dis que si l'on voulait me donner une somme pareille,
je me faisais fort de fournir un ouvrage qui vaudrait ce-
lui du peintre italien. Lord Grosvenor me prit au mot.
Je me mets a l'œuvre; je néglige d'autres travaux pour
me livrer a mon entreprise, et, après une année d'ap-
plication constante, mon tableau est achevé. Je l'apporte
à sa Seigneurie; il réunit tous les amis pour l'examiner,
et tous — comme je viens de te le dire — se mettent a
rire , et déclarent que mon ouvrage ne vaut rien ; si bien
qu'il ma fallu le remporter et essuyer encore chez moi
les brocards de ma femme.
Tout le monde sç mit â rire, excepté Hœndel qui,
après avoir gardé quelques momens le silence , dit a
son ami : Hogarth ! tu es un brave garçon, mais souvent
passablement niais ! Tu n'es pas en état de juger les maî-
tres italiens, d'abord parce qu'ils ont une tout autre ma-
nière que la tienne, et, en second lieu, parce que tu ne
connais pas précisément leurs meilleurs ouvrages. Si tu
avais été , comme moi , en Italie et notamment a Rome,
où l'on voit briller les grandes créations de Raphaël et
de Michel- Ange, tu les vénérerais comme je vénère les
anciens compositeurs italiens de musique sacrée. Les pein-
tres modernes ressemblent plus ou moins dans leur genre
au signor Farinelli. »
« Soit! s'écria Hogarth, je ne veux pas te contredire
sur ce point : dis-nous plutôt si tu es content de tes chan-
teurs et de tes musiciens ; pense-tu qu'il ne s'acquitte-
ront pas trop mal de leur tâche ?
« Trop mal , non ! répondit Hœndel ; je les ai fait tra-
vailler comme des nègres , et Joseph m'a bien secondé
pour leur faire apprendre leurs parties. Le premier so-
prano est furieusement médiocre, ce qui me chagrine à
cause de quelques morceanx. »
En ce moment, Joseph Wach se montra à la porte,
et dit: un mot, je vous prie, Monsieur Hœndel ! »
« Eh bien, qu'est-ce donc? demanda Hœndel en s'en
allant. Ses amis se regardèrent en souriant, et JohnFar-
ren fit un mouvement de joie dans son grand fauteuil.
Joseph avait pris Hœndel par la main, et l'avait en-
traîné rapidement dans sa chambre, où, a la grande sur-
prise de ce dernier, il rencontra la jolie Ellen.
« Eh bien, que me voulez-vous donc? dit Hœndel ,
dont la physionomie commençait à se rembrunir. Que
faites- vous si tard dans la chambre de ce jeune homme ,
Miss Ellen? »
« Il va vous le dire lui-même , répondit Ellen en rou-
gissant, et Joseph, se hâtant de prendre la parole, dit a
Hœndel : Ne pensez pas de mal d'Ellen, cher maître ; ce
que nous avons fait ensemble, nous pouvons l'avouer
devant le monde entier. — « Eh bien , parle alors, » re-
prit Hœndel avec vivacité. Joseph continua : « Tout
ce que je suis et tout ce que je sais, c'est à vous, mon
maître chéri, que je le dois. Quand je fus sans appui,
c'est vous qui prîtes soin de moi, et, pour faire de mm
un artiste vraiment estimable, vous avez sacrifié bien
DE PARIS.
423
des heures, pendant lesquelles rems eussiez pu créer
beaucoup de belles choses... »
« Eh bien, fou que vous êtes ! s'écria Hœndel en riant
avec bonhomie ; crois-tu donc que ce n'est pas créer quel-
que chose que de former un bon chanteur?
« Soit! répliqua Joseph; mais je vous dois tout »
« Cela n'est encore pas vrai , répondit Hœndel , ton
talent , tes dispositions naturelles , tu les dois a Dieu. »
« Oui , mais tout le reste c'est a vous que j'en suis re-
devable. »
« Et quand cela serait , après ?
« Eh bien, mon cher maître, j'avais souvent remar-
qué avec un vif regret la peine immense qu'il vous fal-
lait prendre avec des chanteurs et des cantatrices mé-
diocres, parce que leur méthode ne convenait pas a l'exé-
cution de vos ouvrages , pour les mettre sur une meil-
leure voie »
« Ah , sans doute , c'est la une de mes misères ! dit
Hœndel en soupirant. »
« J'ai donc voulu essayer, continua Joseph , de for-
mer une chanteuse a votre gré et dont vous pussiez être
entièrement satisfait ; je crois l'avoir amenée maintenant
an point qu'elle pourrait hasarder de se faire entendre
devant vous ; — la voilà , ajouta-t-il , en montrant
Ellen.
Hœndel ouvrit de grands yeux , et regarda avecéton-
nement la jeune fille , en disant : Ellen ! —
« Oui , moi , cher Monsieur Hœndel ! s'écria Ellen
en fixant à son tour sur lui ses beaux yeux , dans les-
quels brillaient la candeur de son âme et l'affection
qu'elle portait au protecteur de Joseph.»
« Peut-elle chanter devant vous, maître? dit alors
celui-ci. »
« Oui , certainement , répondit Hœndel en s'asseyant ;
je suis curieux de voir quel élève tu as su former. »
Joseph sauta joyeusement au piano; Ellen se plaça h
côté de lui, et commença a chanter.
Quel ne fut pas l'étonnement de Hœndel, lorsque,
dans le morceau chanté par Ellen , il reconnut un des
airs les plus importants de son Messie, dont l'exécution
devait avoir lieu le surlendemain , cet air si merveilleu-
sement beau : « Je sais que mon sauveur existe ! » Et,
quant à !a manière dont Ellen exécuta ce morceau, le
lecteur pourra en juger quand je lui aurai dit que, lors-
qu'elle eut fini , Hœndel était immobile sur sa chaise,
un doux sourire sur les lèvres, et ses grands yeux si vifs,
remplis des larmes d'une profonde et religieuse émotion.
Bientôt, il respira avec force, se leva, baisa Ellen sur
le front cl sur ses yeux où brillaient aussi des larmes, et
lui demanda d'un ton plein de douceur : N'est-il pas vrai»
Ellen j ma chère enfant , n'est- il pas vrai que vous chan-
terez après demain a la représentation de mon ouvrage?
«0, sans doute, mon maître, mon père! — s'écria la
jeune fille en sanglotant et en jetant ses bras autour du
cou de Hœndel , pendant que Joseph, faisant éclater les
plus vifs transports , chantait avec toute l'expression de
la joie :
Réveille-toi .... réveille-toi aux chants du bonheur !
ô triomphe ! ô doux ravissement!
V.
« Amen.» Cette parole, accompagnée de sons célestes,
retentissait, le surlendemain, dans les vastes détours de
la cathédrale de Londres ., et expirait doucement dans
ses angles les plus éloignés.» Amen » répéta a voix basse
Hœndel , en posant sur son pupitre la baguette avec la-
quelle il avait dirigé l'orchestre. Inexécution de son im-
mortel chef-d'œuvre avait réussi au-delà de toute attente.
11 avait produit l'effet le plus puissant sur le nombreux
auditoire , ainsi que sur tous les chanteurs et musiciens
de l'orchestre. La gloire de Hœndel était désormais im-
périssable.
En sortant de l'église, Hœndel trouva un équipage
qui, par les ordres du roi., l'attendait pour le conduire
a Carlton-House.
Ce fut entouré de toute sa cour que George H reçut le
maître allemand.
Bravo , maître Hœndel , s'écria-t-il du ton le plus bien-
veillant, quand celui-ci parut a ses yeux ; il faut être
juste et reconnaître que vous nous avez fait un don pré-
cieux dans votre Messie ; c'est une œuvre parfaite. »
«Fous trouvez j, Sire?» répondit Hœndel, en regardant
joyeusement le roi.»
« Je vous le repète, répliqua Georges ; et maintenant,
dites ce que je pourrais faire pour vous en remercier?
— Eh bien ! que votre Majesté emploie d'une manière
avantageuse lejeunehommequi a si heureusement chanté
la partie du ténor, et je lui en aurai une grande obliga-
tion. Ce jeune homme est mon élève, et lui aussi a formé
une écolière qu'il aspire a épouser; c'est la belle Ellen,
fille du vieux John Farren, et quia elle-mêmemontré tant
de talent dans la représentation de mon Messie ; le père
consent à ce mariage, mais la mère s'y oppose d'autant
plus que Joseph Wach n'a pas encore d'emploi , et votre
Majesté sait bien qu'il est difficile de lutter contre la vo-
lonté des femmes.
« Vous êtes dans l'erreur, maître Hœndel, répondit
eu souriant George, je ne connais pas ces difficultés-là;
Ultt
GAZETTE MUSICALE
quant a Joseph , il est, dès aujourd'hui, attaché à notre
chapelle en qualité de premier Ténor. »
« En vérité? s'écria avec joie Hœndel. Eh bien ! j'en
remercie Votre Majesté de tout mon cœur, et je la féli-
cite de cette excellente acquisition. »
George garda quelques instans le silence ; puis il re-
prit, dans la pensée que Hœndel voudrait peut-être lui
offrir de nouvean ses propres services : « Maître Hœndel,
n'avez-vous rien a me demander pour vous-même? je
serais fort aise de faire quelque chose pour vous person-
nellement., puisque vous nous avez procuré un si bel
amusement par votre Messie. »
• Virement choqué de ce mot « amusement » , Hœndel
devint rouge de colère, et répliqua d'une voix forte :
« Sire , je n'ai pas voulu amuser Votre Majesté , mais la
rendre meilleure par cet ouvrage. »
Toute la cour fut interdite.
Le roi recula d'un pas et regarda avec surprise le
maître audacieux; mais, tout a coup il éclata de rire,
et, se rapprochant de Hœndel., il lui dit : « Vous êtes et
vous demeurerez toujours un rude personnage j Hœndel!
mais aussi (lui frappant d'une manière bienveillante sur
l'épaule) un honnête et brave garçon! Allez; faites ce
que vous voudrez ; nous resterons bons amis. » Puis ,
ayant congédié Hœndel d'un signe amical et gracieux ,
celui-ci se retira , remercia Dieu quand il eut tourné le
dos à Carlton-House ., et courut a sa chère taverne.
Est-il nécessaire de dire quels transports excita dans
le cœur des deux amans la bonne nouvelle dont Hœndel
était porteur? d'ajouter qu'il fut étouffé d'embrassemens?
John Farren attira de force « sa bonne femme » dans
ses bras, et l'embrassa vertement, malgré son opposi-
tion, en criant gaiement : « God dam, Bess! il faut que
nous soyons d'accord aujourd'hui , toutes les cloches de
la vieille Angleterre dussent-elles en sonner le tocsin! »
Pendant dix ans encore., Hœndel parcourut l'Angle-
terre, en créant de nouveaux chefs-d'œuvre. Lorsque
enfin, dans sa dernière année , sa vue s'obscurcit, alors
ce fut Ellen qui le soigna avec une tendresse filiale, et
son mari écrivit sous la dictée du maître ses dernières
compositions.
Sous les voûtes de Westminster s'élève orgueilleuse-
ment le magnifique mausolée en marbre qui a été érigea
la mémoire de Hœndel. Le temps pourra le détruire!
mais il durera toujours le monument que ce maître s'est
élevé lui-même par ses hautes et religieuses inspirations,
en créant... le Messie.
(Nouvelle Gns tte m-suale de Lepzig, traduit par M. du Mont.)
TROISIEME CONCERT DE M. BERLIOZ.
Il faut , lorsqu'on veut rendre compte d'un concert
de Berlioz , se résoudre a paraître tenter une chose pres-
que absurde, depuis que M. Fétis fils (qu'il faut bien se
garder de confondre avec son père , savant musicien ,
créateur de la Reçue musicale , ainsi que d'une foule
d'ouvrages recommandables) a prouvé nettement, par
les raisonnemens les plus péremptoires , qu'un tel con-
cert est une des plus risibles monstruosités de notre
époque. Qu'on se figure un concert sans musique , —
car M. Fétis fils soutient que Berlioz n'est nullement
musicien ! Qu'on se représente cinq cents personnes ap-
partenant , ou du moins paraissant appartenir à la race
humaine, s'imaginant toutes entendre de la musique,
allant même jusqu'à se persuader que cette musique les
émeut profondément, et payant leur plaisir imaginaire
par les applaudissemens les plus frénétiques ; qu'on se
figure cette foule abusée par l'erreur la plus grossière,
pendant qu'au milieu de toute la multitude , un homme,
un seul , possède assez de bon sens pour apprécier le
tout a sa juste valeur, et nous rire au nez a nous tous
pauvres fous! Cet homme, c'est M. Fétis fils, à qui,
certes , des idées métaphysiques sont bien loin
d'être étrangères, puisqu'il sait très- bien cet axiome :
Qu'un homme « qui adopte des manières ou des
vues entièrement différentes de celles des autres
hommes, n'est point un original, mais bien un mania-
que. «Tout cela peut paraître fort étrange; mais M. Fé-
tis fils démontre ad oculos qu'il a parfaitement ra'son. 11
prouve très-pertinemment que M. Berlioz est « un
romantique en observateur qui, depuis quinze ans,
parle avec les littérateurs de Shakspeare, Goethe,
Alighieri , avec les peintres de Van-Dyk , Holbein et
Durer; avec les aichitectes, des merveilles d'élégance
et de hardiesse qui brillent dans les cathédrales et dans
les hôtels- de -ville de la Flandre et de la Norman-
die. » Voila donc tout le public de ses concerts com-
posés exclusivement de peintres , de littérateurs et d'ar-
chitectes romantiques , et applaudissant a des folies qu'il
a la simplicité de prendre pour de la musique. Mais une
preuve bien autrement convaincante que toutes les au-
tres, c'est que M. Berlioz applique à toutes ses compo-
sitions des noms romantiques . Nous le demandons ,
n'est-ce pas là une démonstration bien claire, et ces rai-
sonnemens ne sont-ils pas bien justes et bien profonds?
Mais ce n'est pas tout. M. Fétis fils parle aussi en musi-
cien. Il soutient que la musique de Berlioz n'est nulle-
ment originale, qu'elle se borne a être étrange. « Il ne
marche pas (c'est M. Fétis fils qui parle) dans les voies
DE PARIS.
4)5
frayées parWeber et Beethoven. » — « Il n'y a qu'une
prétention frappante à l'imitation delà manière des deux
maîtres, et il n'y a rien de nouveau que l'exagération de
formes de style déjà connues.» — Il n'a point été possible
aM. Fétis fils «de trouver, dans l'espace dedeuxheures,
une idée mélodique développée pendant une durée de
vingt mesures. » M. Fétis fils dit tout cela et bien
d'autres choses encore, et, si ce n'était pas bien
connu de tout le monde, non - seulement qu'il n'est
pas musicien , mais encore qu'il est entièrement étran-
ger à la moindre connaissance en musique, si ce n'était
pas une vérité devenue triviale que M. Fétis fils, voulant
faire de la critique musicale, a, pour remplir cette
mission , tout autant de vocation qu'un danseur pour
parler astronomie, il nous serait assurément très-facile de
prouver tout cela d'après les paroles mêmes de M. Fétis,
fils. Mais nous ne croyons pas que cela en vaille lapeine;
aussi n'avons-nous relevé ce bavardage que pour mon-
trer que nous reconnaissons toute la difficulté de notre
position , au moment où nous voulons développer nos
idées sur Berlioz au sujet duquel nous n'entendons nulle-
ment adopter cette ridicule pensée qu'il n'est pas
musicien et que sa musique n'est pas delà musique, bien
que nous ne prétendions le comparer ni à Weber ni à
Beethoven.
On peut distinguer en général trois différons genres
de conceptions ou de créations musicales que nous
pourrions ainsi classer : le genre purement musical , —
le genre prétendu imitatif — et le genre poétique. Dans
les compositions purement musicales, le compositeur se
borne a se dire : Je vais faire une symphonie qui com-
mencera par un allégro brillant; viendra ensuite un
adagio gracioso, puis un scherzo comme on en fait au-
jourd'hui , et pour terminer, un finale alla polacca.
Quant au rhytbme et à la tonalité, leur choix dépendra
peut-être des circonstances les plus insignifiantes. La
longueur ainsi que la forme extérieure pourront être
empruntées à un ouvrage célèbre du même genre. On
joint a tout cela les contrastes les plus forts que l'on
peut trouver, et, s'il est possible, des mélodies agréa-
bles qu'on oppose aux masses bruyantes de l'orchestre.
Si maintenant il arrive qu'on reconnaisse ça et la dans
l'ouvrage quelques traces d'une conception gracieuse ,
comme cela doit arriver naturellement , parce qu'on
ne pourra jamais méconnaître un certain charme dans
des notes combinées entre elles avec ordre et naturel, la
composition est alors achevée , le chef-d'œuvre terminé.
Que cette sorte de création artistique ne mérite qu'un
rang bien inférieur , et qu'elle doive même presque
être considérée comm: indigne de ce titre d'honneur,
c'est un point sur lequel nous croyons qu'il est inutile
de nous arrêter.
Le second genre des conceptions musicales , le
genre imitatif , procède de la manière suivante : Le
musicien se figure un voyageur qui tantôt gravit une
montagne et rencontre sur sa route d'effroyables pré-
cipices , tantôt , au doux murmure d'un ruisseau , au
sein d'une molle oisiveté, prête une oreille attentive
au chant joyeux des oiseaux; qui tout a coup, au mi-
lieu d'une furieuse tempête, admire la grandeur et la
puissance de la nature , ou bien, a la chute d'un beau
soleil d'été, rêve qu'il est de retour dans sa patrie, sur
le seuil de la chaumière où il a reçu le jour. Le compo-
siteur nous peint alors par le mouvement de son ryth-
me, la marche plus ou moins précipitée du voyageur,
au moyen d'un crescendo bien gradué , il représente la
hauteur delà montagne; les précipices sont exprimés par
de piquantes combinaisons harmoniques ou par l'inter-
ruption soudaine de la marche musicale,— le murmure
des ruisseaux et le chant des oiseaux est traduit par le
bourdonnement des violons et les traits gracieux de la
flûte, et, plus on s'est rapproché de la nature, plus on
a représenté avec fidélité ces différentes circonstances
avec le seul secours des sons, plus aussi on se flatte d'a-
voir approché de la perfection. Haydn et Hœndel lui-
même fournissent plusieurs exemples de pareilles obser-
vations. Nous n'avons pas besoin de dire que nous
n'accordons à ce genre de création qu'une place se-
condaire et que nous le rejetons même entièrement
I quand le compositeur ne se renferme pas dans la pein-
ture d'une idée esthétique vraiment belle. Nous accor-
dons au contraire la plus grande estime a ce troisième
mode de composition où le musicien s'échauffe sur une
grande idée esthétique, s'en pénètre sous toutes ses
faces les plus diverses, pour nous révéler ensu.te par ses
accords les sentimens qui ont enflammé son imagination,
de manièreà, éveiller en nous les mêmes sentimens, a nous
I éleveravec lui jusqu'à la hauteurde ses idées, à nous faire
monter comme lui jusqu'au comble de l'enthousiasme ,
J à nous faire souffrir de sa propre douleur, de manière
| enfin a ce. que nous gémissions comme lui dans toutes
les angoisses du désespoir. C'est la précisément ce qui
caractérise la manière de Berlioz. Ce compositeur est
I poète avant tout, sa riche imagination , sa profonde sen-
sibilité lui fournissent des idées si nettes , si vives et si
vraies, son génie artistique donne une telle sûreté au
choix qu'il fait parmi les plus riches trésors du langage
musical, que, sans peindre précisément, il réussit, par
une frappante vérité d'expression, à nous émouvoir de ce
qui l'a ému lui-même, a nous remplir des idées qui 1 ont
426
GAZETTE MUSICALE
inspiré. Et si parfois, il descend jusqu'au second genre de
composition que nous avons appelé imitatif, si de temps à
autre, il fait choix de moyens tout matériels pour don-
ner plus de force a l'expression , il trahit encore un sen-
timent si tendre et si délicat, il fait preuve d'un goût si
fin que ces digressions mêmes conservent un puissant
intérêt sous le rapport de l'art. Qu'on se rappelle seule-
ment sa marche du supplice , ou sa marche des pèle-
rins, ou encore sa sérénade du montagnard. Maintenant,
si nous devons reconnaître à M. Berlioz un rang si élevé
comme poète musical, rang dont M, Fétis fils n'a pas
même su pressentir l'existence, nous n'en avons pas
moins a constater d'importantes observations sur
ce qui touche la facture de ses œuvres. Une com-
position musicale doit, comme toute autre, former
un tout, c'est-à-dire consister en différentes parties qui
bien coordonnées entre elles puissent prises même isolé-
ment rappeler l'idée fondamentale de telle sorte qu'un fil
commun a toutes les tienne constamment dans le rapport
le plus étroit et le plus intime. Or , l'esprit ou cette idée
fondamentale qui anime le tout consiste dans les créa-
tions musicales en ce qui touche les combinaisons mélo-
diques et harmoniques. Leur unité intime forme le fil
qui met en rapport les parties diverses ; c'est le rythme
le retour régulier de différentes combinaisons de la me-
sure qui produit l'idée de l'ordre extérieur, ou plutôt
cet ordre lui-même.
Cette unité dans les combinaisons mélodiques et har-
moniques et cet ordre que produit le rhythme vérita-
ble, on regrette de ne pas les rencontrer toujours dans
les œuvres de Berlioz et c'est précisément ce défaut qui ,
aux yeux d'hommes ignorans en musique , comme
M. Fétis fils, par exemple, fait disparaître la richesse
d'harmonie et la beauté de la mélodie pour ne laisser
voir qu'un désordre cahotique ou une entière pauvreté
de motifs mélodiques. Une œuvre seule de Berlioz four-
nirait aisément ample matière à des volumes entiers pour
un compositeur qui, profondément versé dans les secrets
et les ressources du contrepoint, saurait reproduire l'idée
la plus simple sous toutes les formes et toutes les combi-
naisons possibles, sans que cependant cette idée toujours
neuve cessât d'être constamment la même. C'est là un
malheur de notre époque : on méprise les éludes sévères
de nos ancêtres et on préfère se perdre dans des rêve-
ries sans horison plutôt que de s'assujettir à une régu-
larité indispensable. Nous avons la conviction qu'il suf-
firait de ce point de vue pour ramener sur le chemin le
plus -sût de la gloire un artiste dont la France devrait
se montrer fière, tandis que l'envie acharnée et une im-
placable méchanceté le poursuivent de leurs tra:ts et
que la sottise cherche impudemment à l'éloigner de la
lice.
Voilà quelles sont nos idées générales sur la musique
de Berlioz. Quant à ce qui touche l'exécution nous nous
bornerons à dire qu'elle a été des pins satisfaisantes ,
quoique les nuances n'aient pas toujours été rendues
avec une grande perfection d'exactitude. Nous ajoute-
rons en outre que M. Urhan a joué cette fois son solo
beaucoup mieux qu'au dernier concert ; et. en effet , de
tels ouvrages veulent être étudiés avec le plus grand
soin dans leur ensemble comme dans leurs détails.
Nous devons des éloges tous particuliers à mademoiselle
Heinefetter qui a chanté un air fort difficile avec le plus
grand art et un beau talent d'expression ; aussi a-t-elle
reçu du public des marques non équivoques du succès
le plus flatteur. Nous en dirons autant de M. Boulanger
qui , en exécutant un morceau de la composition de
M. Berlioz a montré qu'outre une voix remplie d'ex-
pression et une belle méthode de chant , il possède en-
core la faculté de comprendre l'esprit de la composition
que l'on confie à son talent.
Pour terminer, M. Chopin, ce compositeur si spirituel
et pianisteinimitable dansson genre, a exécuté un adagio
de sa composition. C'est un morceau qui, dans sa com-
binaison avec ce qui précède et ce qui suit , doit, sans
aucun doute, produire un fort bel effet II est très-bien
arrangé et fort riche en nuances délicates; de sorte
qu'il présenta des contrastes bien saillans avec les masses
colossales de l'orchestre de M, Berlioz. P. R.
SOIREE MUSICALE DE M. H. ERNST.
(23 décembre ; dans les salons de M. F. Stœpel.)
MATINÉE MUSICALE SE M. FRANÇOIS STŒPEL.
(25 décembre.)
Bien que le système des soirées musicales entre peu
dans nos idées sur l'art et sur la manière de le cultiver ,
quelque peu d'importance que nous attachions par con-
séquent à rendre compte de ces réunions, nous devons
cependant faire une exception à l'égard de celles que
nous venons de nommer ; car toutes les deux ont été re-
marquables tant par l'exécution parfaite des morceaux
du programme que par le rendez- vous que s'y étaient
donné les artistes les plus distingués de la capitale.
Dans la soirée du 25 décembre, c'est surtout M. Ernst
qui a brillé par son rare talent sur le violon. A une fa-
cilité extraordinaire sur son instrument , il joint une
exécution si noble et si caractéristique, une expression
si délicate et si pénétrante, que nous n'hésitons pas à le
placer à côté des plus grands artistes de nos jours. Nous
DE PARIS.
427
le voyons aussi, comme compositeur, sur une excellente
route; bien que la nature même des morceaux solos et
leur forme actuelle ne favorisent guère la composition
de quelque œuvre importante de ce genre , nous serions
même tentés de dire qu'elles s'y opposent tout a fait.
Après M. Ernst, nous devons faire une mention toute
particulière de M . Charles Schunke. Depuis long-temps
cet artiste est connu dans le monde musical comme l'un
des virtuoses les plus habiles , et son exécution , pleine
d'expression , a aujourd'hui quelque chose de si sympa-
thique, de si communicatif, que l'auditoire l'a écouté
avec le plus vif intérêt dans le charmant duo composé
par lui et M. Enist sur quelques-uns des motifs du Pré-
aux-Clercs. — M. Dorus s'est tenu a la hauteur de ces
deux artistes dans un solo de flûte. — A la tête de la
partie de chant figurait madame Degli-Antoni. Indé-
pendamment de ce que cette cantatrice possède une voix
fraîche et d'une grande étendue, sa méthode est excel-
lente et son chant si vrai, si puissant, que madame De-
gli-Antoni nous paraît naturellement destinée au chant
dramatique; nous avons peine à concevoir comment
l'opéra italien, si magnifiquement monté en voix
d'hommes, mais si pauvre en voix de femmes, ne cher-
che point à se l'attacher. — Mademoiselle Ducros et
messieurs Boulanger et Lanza ont contribué d'une ma-
nière tout a fait digne d'éloges à cette soirée où il y avait
foule.
Toutefois, sous le rapport de l'art, la matinée de
M. Stoepel nous a paru mériter un intérêt plus vif. Mes-
sieurs Liszt et Chopin l'ont ouverte d'une manière bril-
lante par le grand duo a quatre mains de Moscheles,
pour le piano. Nous croyons superflu de dire que ce
morceau j l'un des chefs-d'œuvre du compositeur, a été
exécuté avec une rare perfection de talent par les deux
plus grands virtuoses de notre époque sur le piano.
Le brillant dans l'exécution joint à une délicatesse ache-
vée , une élévation soutenue, le contraste de la vivacité
la plus entraînante et de la sérénité la plus calme, de la
légèreté la plus gracieuse et du sérieux le plus grave;
on ne peut espérer l'habile mélange de toutes ces nuan-
ces que de la part de deux artistes placés à ia même
hauteur et doués au même degré du sentiment profond
de leur art.
Les suffrages les plus bruyans ont, mieux que nous
ne pourrions le faire par nos paroles, témoigné a MM.
Liszt et Chopin a quel point ils ont charmé leur audi-
toire, qu'ils ont une seconde fois électrisé, en exécutant
le duo pour deux pianos, composé par M. Liszt Cette
composition est un ouvrage d'une grande portée , et que
nous ne nous sentons pas en état d'apprécier en détail
après une seule audition. Considéré dans son ensemble,
nous y avons admiré de belles mélodies qui sortent du
genre vulgaire, beaucoup de combinaisons jharmoniques
également riches et originales , des effets qui font le
plus grand honneur au talent de composition de M. Liszt,
et qui ne peuvent être produits que, par une imagina-
tion aussi féconde et aussi chaleureuse que la sienne. Il
est naturel , on le conçoit aisément, que le mérite et le
charme d'une telle production ne soient d'abord com-
pris et senti que par le petit nombre ; toutefois , les
denx artistes se sont atthé, par leur exécution, d'unani-
mes applauuissemens. M. Ernst a fourni de nouvelles
preuves de son talent, en jouant, sur le violon, 'un solo
que M. Liszt a accompagné, a l'improviste, avec son
habileté ordinaire. En terminant nos réflexions sur la
partie instrumentale , nous ferons encore (mention de
madame de la Hye, qui a joué une improvisation sur
l'orgue expressif, et qui , en développant avec beau-
coup dégoût et de facilité toutes les ressources de cet
instrument , a montré qu'elle joignait h de solides con-
naissances musicales l'imagination d'une improvisa-
trice. Dans la partie du chant se sont successivement
distingués M. Richehni , Mlle Heinefetter et Mme De-
gli-Antoni. Le talent aimable de M. Richelmi est connu
depuis long-temps, et lui a valu de nouveaux témoi-
gnages de satisfaction de la part du public. Mlle Heine-
fetter qui, il y a déjà quatre ans , charmait les habitués
du théâtre italien , tant par la rare beauté de sa voix que
par son chant si expressif, nous a paru digne de pren-
dre aujourd'hui rangpanni les premières cantatrices de
notre époque. Depuis son premier séjour à Paris ,
Mlle Heinefetter a chanté avec le plus grand succès sur
les théâtres des principales villes d'Italie ; elle arrive de
Saint- Pé:ersbourg pour s'en retourner en Italie. Voilà
encore une grande artiste que l'opéra italien n'a pas su
conserver ; et nous pouvons d'autant moins nous em-
pêcher de lui en vouloir beaucoup , qu'il suffirait d'un
rhume de Mlle Grisi pour interrompre les représenta-
lions. Mme Degli-Antoni a chanté deux airs avec tout
le charme de sa belle voix et de sa belle méthode ; les
vifs applaudissements du public ont dû prouver a cette
cantatrice qu'il rendait justice a son mérite.
NOUVELLES.
%* M. Gliysest revenu à Paris, et se propose de douner plu-
sieurs concerts.
%* Jeudi dernier , MM. Ernst et Schunke ont obtenu un
brillant succès à l'Opéra-comique, où ils ont joué un duo, pour
piano et violon sur un motif du Pré aux Clercs.
%* Le théâtre de la Bourse va monter, pour le carnaval , un
ouvrage en un acte, attribué a la collaboration de MM. Planard
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M. Emile Barrateau.
" Gérant, MAURICE SCHLESINGEE .
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TABLES DU PREMIER VOLUME DE LA GAZETTE MUSICALE DE PARIS.
ANNÉE 1834.
TABLE ALPHABÉTIQUE DES MATIÈRES:
Académie Royale de musique. Voy. Théâtres.
— — des beaux arts. Voy. Con-
servatoire.
Analyse de Guillaume Tell.
— cVIphige'nie en Tauride. Voyez
ces mots.
Annonces de Musique nouvelle et de littérature
musicale. . 1 8, 26, 34, 42 , 50 , 66 , 74 , 82 ,
90, 98, 108, 124, 132, 140,148, 156,
164, 188, 196,212, 220, 228, 236, 252,
260, 275, 284,292,300,307,316, 524,
539 , 365, 371 , 380 , 387 , 396 , 404 , 416,
421.
Aphorismes, Eslétique. 3G2.
— Goût. 370.
B.
Ballade (sur la). 78.
Biographie, kécrologie, etc.
Baillot, par M. Panofka. 189.
Beauvarlet Charpentier. 559.
Beethoven (Louis Van), esquisse
biogr. , par A. Marx. 405.
Bcnnati (mort de) 90.
Boïeldieu (sur la mort de) par M
F. Halevy. 325.
— Notice Biogr. par M. Ha
levy. 354 , 343.
— ( Sur la fête funèbre en
rhon.de), par M. A.Adam.
377.
— Stances en son honneur,
par M. Mcry. 581 .
Choron. 265, 269.
— I Sur le service funèbre de)
par M. H. Berlioz. 2S5.
— MonseigneuiTArchevéque
de Paris. 533.
— (Pension'alaveuvede)580.
Gluck par M. II. Berlioz. 173,
181.
Haendel, (parallèle entre G. F. )
et J. S. Bach. 259.
Hillcr (Ferdinand). 287.
Mozart, par M. J Mainzer. 128,
135.
Onslovv (Genrge), par M. Fr.
Stoepel , av. port. 149.
Sponlini( de), et du caracièrc de
ses compositions dramati-
ques, par M. Fr. Stoepel.
519.
Siadler. 16.
Thévenard, parM.Casti!-B!azc. 51 .
Canon, (lettre de M. Bcrton avec un)énig-
matique. 297.
— (dcs)deM.Chérubini, par M. Halevy. 75.
Chant (méthode de), liée à une théorie géné-
rale de la musique, par M, J. Mainzer. 199.
Chapelle (la) Sixtine a Rome, par M. J. Mainzer.
11 , 22.28, 38.
— (sur la) Impériale de Saint-Péters-
bourg. 218.
Censure théâtrale. — Lettre de M. Cave. —
Protestation de la commission dramatique.
233. Autre protestation de la nouvelle com-
m ssion dramatique. 267.
Concerts du conservatoire. — 1" concert. 41
2» — 57.
3e — 72
Sur la 4P séance, par M
J. d'Ortigues. 88
Sur les 5, 6, et 7e con-
certs, par M. H,
Berlioz. 133.
— de l'Athénée musical. 66.
— 40° concert. — Histoire de cet établis-
sement. 138.
— Pour les inonlés de Saint-Étienne. 356
361.
— de l'association musicale Belge. 292.
— (5e) Philarmonique de Londres. 171.
— Spirituels de Vienne. 146.
— de M. Berlioz— 1" concert. 356, 368.
2e — 371,394.
3e — 388, 403,
*424,
— de M. Buteux. 155.
— de M11" Bertrand. 131.
— de M. Ernst. 426.
— de M"" Filipovvitz. 131.
— (2e et dernier) de M. Ghys. 106.
— de M. Haumann. 154.
— de M. Herz.106.
— (sur un) chez M. Hiller, par M. Stoe-
pel. 387.
— de M. Lafont. 90.
— de M."lc Mayer. 131.
— de M. Moschelen, a Londres. 180.
— (»• rie) des frètes Muller, par M. Cas-
til-Blaze. 80.
— deM.Osborne. 106.
— de M. Panscron. 131.
— deM.Profoti. 122.
— de M. Rhein. 131.
— de M. Schmidt. 89.
— de M. Schunkc. 131.
— de M, Servais. 151.
— de M. Stoepel. 426.
— de Mm° Slcckhatiscn. 81.
Voyez feus JMusicales»
Concours de Musique et voyage d'Italie du
Lauréat , par M. H. Berlioz. 35.
— Musical à Bruxelles. 236.
Conservatoire de Musique. Concours et Prix.
196, 265. — F oyez Concerts.
Conlraviola-Paganini. 220.
Correspondance d'Avignon, lettre adressée à
M. d'Ortigue. 414.
— de Bordeaux. 137. 171.
— de Dijon. 130.
— de Marseille. 123.
— d'Aix-la-Chapelle. 179.
— de Berlin. 57, 123, 137, 156.
— de Milan. 179.
— de Saint-Pétersbourg. 21 8.
— de Turin. 214.
— de Vienne. 116, 347, 414.
lettre de M. Bertnn de l'Institut,
avec un canon énigmatique.
197.
lettre de Puganini au Journal
des Doluus.301.
E.
Enseignement musical. Ecole de M. F. Stoepel.
30, 315,
— Mutuel. 198.
' C'e»t par cireur que cet article pyi îe la 3<guaUire P. K
Exécution musicale. Liszt, F. Hiller, Chopin et
Berliui; par Guéraer. 4.
Exposition des produits de l'industrie française.
Facteurs d'instrumens, statistique des expo-
sans. 153.
— Premier article. — Orgue expressif , histoire
de ses perfectionnemens. — M. Muller, par
M. Anders. 165.
— Deuxième article. — Improvisateur méca-
nique de M. Glon. 185.
Troisième article. — Orgue-Cabias av pi. 197.
— Quatrième article. — Pianos. Ërard , Pape ,
Pleyel. 224.
— Cinquième article. — Pianos. Roller et Blan-
chet, Eder, Cluesmann. 245.
— Sixième article. — Pianos. Hertz, Mercier,
Langrcnrz, Wetzels , Kriegclstein , Bell,
Richler, Taurin , Boissclot. 261 .
Médailles décernées aux facteurs de pianos. 236.
— Note sur la discussion entre messieurs Pape et
Erard relativement à la médaille d'or. 298.
Fêles musicales de santé Cécile, à Paris. 393.
— D'Aix-la-Chapclle.74116,170
— DeBruxelles. 552.
— DeLaHaye. 212,
— De Birmingham. 359.
— De Londres en l'honneur de
Uaenlel.211 , 234.
— DcVienne. 412.
Gazette Musicale. — La rédaction au public. 1 .
— ( Rencontre entre M. Billard et le gérant
de la). 99.
— Procès avec M. Hers. 140, 141.
Guillaume Tell de Rossini ( analyse du ) , par
M. H. Berlioz. 52t>, 556, 341 , 549.
Impôt ( de 1'), prélevé sur la musique soin le
nom de droit des indigens. 401 .
Instruira ns. — Voyez eontraviola , lyre , orgue ,
piano , tam-tam, vina rt exposition.
Instrumentation (sur 1' ), par M. J. Mainzer.
67,91.
Iphigénie en Tauride de Gluck ( analyse de 1' ) .
par M. H. Berlioz 561,365,577,389.
Lyre d'Apollon ( sur ta ) instrument inventé
par M. Schmidt. 89.
M.
Maladie musicale ( singulier eus de ). 276.
Matinée musicale. Voyez concert.
Musique ( sur la ) sacrée, par Hoffmann. 20:.
— ( la ) chez les anciens romains. 256.
— ( coup-d'œil sur le développement, his-
torique de la ) moderne. — Ecole
flamande. 557. — Ecole romaine 573
— ( De la) cl de la poésie nation ah s pal
J. Mainzer. 75. 85, 112.
— Et poésie nationales du Daiicniarrk , r!i
la Norwègo, de la Suède , etc. par
J. Mainzer. 277.
— (La ) sur les côtes d'Arri<|ue. 250.
— (La) en chine par Seyfried. 19U.
— in?trunïcntn!e (essai sur la pné ique ! !
ta ) par F. Stoepel. 527.
Ilpp'.r'mi lit
uo
GAZETTE MUSICALE
IV.
Nouvelles de Paris, 8, 17, 26, 34, 42, 49, 58,
66, 74, 82,90, 97, 107, 116, 124, 132,
140, 148, 156,164, 188, 196, 204, 212,
22o, 236 , 252 , 260 , 268 , 275 , 284 , 292,
300 , 307, 3 1 6 , 323 , 339, 348 , 356 , 363 ,
371 , 380 , 587, 396 , 403 , 41 4 , 427.
Nouvelles des Déparlemens , 42, 49, 66, 74,
82, 90, 108, (23, 132. 140, 171, 196, 204,
220 , 252 , 268 , 275 , 292 , 300 , 307, 31 6 ,
323 , 339 , 348 , 363 , 371 , 380 , 387, 396 ,
403.
Nouvelles étrangères, 8 , (7, 26, 34, 42, 49 ,
56, 57, 58, 66, 74, 82, 97, 107, 116,
123, 124, 132, 140, 146, 148, 156, 164,
171, 179, 188, 196,212,220, 236, 252,
268 , 275 , 284 , 292 , 300 , 307, 31 6 , 323 ,
339, 348, 363,371,380, 387, 396, 414.
o.
Opéra (de l'origine de 1'). Fragment, 294.
Opéra. Voy. Théâtres.
Orgue (origine de 1') ,15^.
Orgue-Cabias, 197.
Orgue expressif, 165.
Paris (du mouvement musical à), 409.
Pianos (rapport de l'institut sur les) de Pape,
46.
Polémique. — La critique et M. H. Herz, 104.
— sur un article de la Revue Musi-
cale, 18u.
— Réplique a un article de la Revue
Musicale , 253.
— Sur un article de la Revue Musi-
cale relatif à M. Rerlioz, 424.
Procès et plaidoyer du frère de Rameau, 309.
— de la Gazette Musicale, 140, 141.
— de Rossini avec la liste civile, 129.
— entre MM. Véron, Crosnier, Cerfbeer,
et M. Masson de Puitneuf sur l'exécu-
tion des ouvertures d'opéra , 204.
— Jugement du tribunal de commerce, qui
condamne M. Masson de Puitneuf, 273.
Q.
Quintes cl les octaves défendues (sur les); par
Fr. Siocpel,59, 70, 94.
Quintes et les octaves cachées (sur les); par le
même, 251 .
R.
Revue critique. — Littératcre musicale. —
Théorie. — Ouvrages élé-
mentaires, etc.
Berthé, 12. Libretti, 274.
Kreizsclimer. Idée sur une
théorie de la musique, 216.
Gérard. Traité d'harmonie ,
idem. .
Czerny Etude de la vélocité
p. piano, op. 299, 97.
— L'art d'improviser ,
op. 200, 45.
— L'art de préluder ,
op. 300, 61.
Ilunlcn. Méfhode p. le piano.
op. 60, 121.
Gasse. Méthode de violon ,
178.
Instruction pour jouer de la
guitare enharmonique. 331 .
Chaut.
Garaudé. Messe à trois voix ,
274.
Bfssems. Mélodies dramati-
ques, P.1 .
Berlioz, 9 mélodies, 169.
Coussemakcr, 5 chansonnet-
tes, 195.
— 6 mélodies, 132.
critique. Dessauer. La mer, lied ,219.
— Le retour des pro-
mis, 187.
— Romance italienne,
65.
Glacser. Romance, idem.
Hiller. Vous! lied, 163.
Labarre. 6 romances, 1 07.
— 6 chasses, 25.
Lambert. Trio et romance ,
203.
Lhuillier. Romances et chan-
sonnettes , 1 88.
Lavaiune. 5 chants à quatre
voix, 299.
Masset. 3 romances, 203.
McyerBeer. A une jeune mère ,
207.
— Hymnes sacrés ,
402.
Paer. Romance, 259.
Piano.
Ancot. Souvenirs polonais ,
op. 40,291.
— Souvenirs suédois ,
op. 42 . 306.
— Fantaisie sur la Ré-
volte, op. 43, 300.
Bertini. Variations de concert,
op. 69, 283.
25 caprices, op. 94,
378.
Blahetka. Pièce de concert,
op. 25, 203.
Chaulicu . Copies sur Ludovic,
op. 152,291.
Vingt - quatre ré-
créations, 363.
Chopin. Variations brillantes
sur Ludovic^ 3ô.
— Fantaisie, op. 13,
194.
— 4 mazourkas. op. 17,
210.
— Ktakowiak , grand
rondo, 250.
— Gr. valse, op. 18,
260.
— La ci darem, op. 2.
Concerlo,op.l 1 ,304.
Czerny. Souvenir théâtral ,
op. 247, 219.
Fantaisie sur Robert
le diable, 251 ,
— Rondo et var. a qua-
tre mains, op. 2:2,
283.
Duvernoy. Var. sur la Stra-
niera, op. 66, 363.
Fessy. Rondo brillant, 291.
H. Herz. Fantaisie et var. sur
Otcllo, 5.
— Var. à 4 m. sur le
Philtre, 13.
— Rondo militaire sur
le serment, op. 69 ,
48, 370.
— 6galopsbrillants,73.
— 2" concerto, op. 74,
257.
— Var. 6ur le Pré aux
Clercs, op. 76, 321 .
— Var. sur Mathilde,
op. 77, 402.
J. Herz. Var. brill. op. 24 ,
299.
— Grand rondo sur Lu-
dovic, 26.
Hiller. La danse des Fées,
op. 9, 26.
— La sérénade, op 11,
33.
critique. — 6 suites d'études,
287.
Hummel. 24 gr. études, op.
125, 17.
Hunten (F). 4 rondos, 25.
— Fantaisie sur Ludo-
vic, 33.
— 3 airs variés, op. 55,
139.
— — op. 65,
283.
Hunten (W). Beautés du Re-
venant, 139.
Kalkbrenner. Var. brill. op.
120, 53.
— Thème de Nor-
ma , varié, op.
122, 97.
Fantaisie et var.
op. 123,275.
Keller. 3 Valses , ibid.
Lavainne. Gr. rondo , op. 9 ,
299.
— Ouverture à 4 m.
op. 10, ibid.
— Gr. fantaisie, op. ib.
Lemoine. Valse du Revenant,
138.
— 17° bagatelle sur
Ludovic, 139.
Méreaux. Fantaisie, op. 41 ,
211.
Moschelcs et Mendelshon.
— Variai, brill. sur
Peciosa, a /j mains,
123.
Pixis. 2e caprice sur Ludovic,
op. 125, 33.
— 3 airs italiens, op. 124,
48.
— Impromptu à 4 m. sur
le Revenant, 139.
— 3 caprices sur le Reve-
nant, 203.
Schubert. 4 polonaises a 4 m.
op. 75, 283.
Schilling. Variât, brill. op. 1 ,
152.
— Rondo , op. 3, 203.
Sowinski. Air des légions pob-n.
op. 31, 33.
— Morceau de salon , op.
26, 49.
— Mélange sur Anna Bo-
lena, 90.
— Lcsregrets,à4m.l39.
— Fantaisie sur la Slra-
niera, 291.
Stoepel. 5 airs nationaux , op.
34. — 3 airs écossais,
op. 37, 251.
Strauss. Tivoli de Vienne,
Valses, 2S3.
PIANO ET VIOLOM , OU TIOLOKCELLE, etc.
Osborne. Fantaisie brill. 16.
Rogier. 2° nocturne concer-
tant, 283.
Ghys. Introd. et variât. 152.
Schunke. 5 fantaisies p. piano
et violoncelle, 65.
Rosenheim. Trio pour piano,
violon et violon-
celle, 331 .
VIOLOM.
Spohr. Études, 14?.
— 5e concerto , 562.
Rode. 12 études, 16.
— Variations, idem.
— Vacations et finale sur
nel Cor, 65.
Ernst. Introd. et variât, sur
Ludovic , ibid.
DE PARIS.
Revue critique. Gulir. Souvenirs de Paganini,
concerto, 251.
TRIOS-QUATUORS.
Reber. Trio. — 5 quatuors,
290.
Lambert. 3 quatuors, 204.
VIOLONCELLE.
Dotzauer. 4 rondinos, 65.
Franchomme. Thème varié ,
29.
FLUTE.
Cotlignies. Fantaisie sur le
Serment, 219.
— 2 fantaisies sur le
Revenant, 211.
Tulou. Plaisanterie musicale,
363.
— Gr. solo de concours, Théâtre
ibid.
Walkiers. Fantaisie sur Ludo-
vic, 90.
— Les Souvenirs, trois
duos de brod, 283.
S.
Synagogue juive (Vienne et la) pendant le
années 1826, 27 et 28; par M. J. Mainzer,
125-143.
Société philharmonique de Dijon, 130.
— du midi de la France, 382 ,414.
Soirée musicale. Voy. Concert.
Somnambulisme musical, 2/6.
Statue vocale de Memnon (sur la) ; par M. An- j
ders, 117.
Tams-tams (procédé des Chinois pour fabri-
quer les) et les cymbales ; par StanislasJulien .
— Observations de M. Darcet sur ce pro-
cédé, 161.
. — Académie royale de Musique.
Don Juan, de Mozart, 83, 102.
La Tempête , ballet, 301 .
MM. Véron et Meycr Béer, 324.
Italien. Don Giovanni , 7,97.
La Straniera, 5i .
Musé, 42.
Il bravo, de Marliani , 47.
Représentation au béné ce de
M"0 Ungher, 67.
Programme de la saison, 284.
Ouverture , 324.
Sur les chanteurs, 346.
La Straniera-la Prova , 354.
i. Ernani , de Gabussi , 387.
de l'Opéra-Comique. Le Revenant,
de M. Gomis, 14, 24.
Une bonne fortune, de M. Adam
32.
Lestocq, de M. Auber, 176.
L'Aspirant de Marine, de M. La-
barre, 192.
Un caprice de Femme , de M. Pacr,
243.
Le Fils du Prince , de M. de Feltre
281.
Le Chalet, de M. Adam, 314.
Le Marchand Forain, de M. Mar-
liani, 355.
La Sentinelle perdue, de M. Ri-
faut, 592.
Nautique. Ouverture. Les Omîmes,
Guillaume Tell, musique de
M. Strunz, 193.
Le nouveau Robinson , musique
de M. Janssens, 267.
Chao-Kang, musique de M. Car-
Iini , 339, 355.
La dernière heure d'un condamné,
musique de M Pugni, 390.
(de l'utilité d'un) allemand à Pa-
ris, 213.
de Bordeaux, 171.
de Calais, 351 .
de Douay. Paul 1"., op. en 3 a.,
musique de MM. Lefebvre, Luce
et Borezy, 108.
de Lyon, 324.
de Marseille. El Gitano, op. en
4 a., musique de M. Fontmichel,
123.
de Strasbourg. Robert le Diable,
396.
de Toulouse. Axel. op. en 1 a.,
musique de M. Cassaux, 380.
de Londres King's theater, 367.
Covent-Garden, 415.
V.
— Le dîner deBcelhoven, conte fantat-
M. tique; par J. Janin, 1, 9.
Hoffmann, conte fantastique, par
le même, 99, 109.
L'homme vert, conte fantastique;
par le même, 397.
Le suicide par enthousiasme, nou-
velle; par M. II. Berlioz, 230,
237, 248, 255.
Variétés. Haendel, conte, 417.
Alibaba et sainte Cécile, 19.
Adolphe Nourrit à Lyon , 241 .
Opéras du Carnaval en Italie, 47.
Liste des théâtres sur lesquels Ro-
bert le Diable a été représenté
196.
Liste des maîtres de chapelle du
Vatican, d'après Baini, 163.
Paganini et l'enlèvement, 214.
Réponse de M. Paganini, 227.
Acrostiche anglais sur M. Paganini,
293.
Songe de CI]. M. YVeber, écrit par
lui-même, 27.
Projet d'un monument en bronze»
la mémoire de cet artiste, 369.
Un bénéûciaire et Rubini à Calait ;
par H. Berlioz, 317.
Historique de la représentation de
Rubini à Calais ; par M. H. Ber-
lioz , 551 .
Vina (la), guitare indienne, 214.
PLANCHES ET MUSIQUE.
Improperia de Palestrina. — Fragmens de
l'œuvre 70 de H. Herz. (Suppl. au n°. 2.)
Romance de Glaeser. — Romance italienne de
M. Dessauer. (Suppl. au n°. 8.)
Canoni a 3 voci composti da Cherubini ( fac
simile). (Suppl. au n° 10.)
A une jeune mère, de M. Mayer Béer. (Suppl.
an n°. 13.)
Portrait de M. G. Onslow; par Vigneron.
(Suppl. au n°. 19.)
Vous! lied; par F. Hiller. (Snppl. an n°. 20.)
Monologue d'Asteria dans le Télémaque de
Gluck. (Snppl. au n°. 22.)
Le Retour des Promis, de M. Dessauer. (Suppl.
au n°. 23.)
La Vina, guitare indienne. — Orgue Cabias ,
exemple de notation. — Valse composée par
M. J. P. Pixis. (Suppl. au n° 25.)
La Mer. Lied; par M. Dessauer. (Suppl. au
n° 27.)
Galop de Kalliwoda. — Tableau explicatif des
quintes et octaves cachées. (Suppl. au n°.29.)
La Confession. Romance de M. Paer ( fac
simile.) ( Suppl. au n". 52.)
Canon énigmatique ; par M. Berton (fac simile).
p. 508.
Portrait de Rossini. (Suppl. au nD. 44.)
Siciliana composta da G. Alary. (Suppl. au
n°. 47.)
TABLE ALPHABETIQUE DES NOMS.
Adam (Adolphe), 32, 31, 244, 314, 324, 377,
403.
Ancot(L), 291, 300, 306.
Anders(G. E.), 117, 165.
André (A), 196.
Arnaud, 262.
Artot, 148.
Auber, 8, 73, 176.
Bach(J. S.), 82, 123,239.
Baillot, 17, 189.
Baini, 23, 163.
Barnett (Joh), 300.
Beauvarlet-Charpcntier, 359.
Beethoven, 1, 9, 41, 43, 58, 88, 134, i05.
Bell,2ti2.
Belleville-Oury (Mme), 97.
Bcllini, 8. 17, 31,54,56, 116, 137, 415.
Benoît, 524.
Bennati, 90.
Berlioz, 54, 55, 153, 169, 175, 181,230,
237,248, 255, 304, 317, 526,336,341,
349, 356, 361, 565, 368, 371, 57", 388,
589, 594, 405, 424.
Berr, 244.
Berthé(L), 274.
Bcrlini(H), 4, 283, 378.
Berton, 42, 46, 74, 297.
Berton Dis , 26.
Bertrand (Mlle A ), 131, 196.
Bertrand (Mlle I.), 66.
Bessems , 81 .
Biagioli (Mlle), 415.
Billard, 99.
Blahetka(Mlle), 66, 203,275.
Blangini , 364.
Bohrcr (Anton), 188.
Boïeldieu, 17, 49,73, 252,292,307, 324,
325, 351, 340, 345 347, 348, 363,371,
377, 381 .
Boïeldieu fils, 540.
Boisselot, 196,265.
Bordogni (Mlle), 42, 368.
Boresy, 108.
Borghese, 116.
Braham,284.
Brambilla, 403.
Brcucr, 524.
Brofferio, 276.
Busschop , 555.
Buteux , 155.
Cabias, 197.
Carafa, 73.
Carlini, 355, 539.
Cassaux (J.), 280.
Castaing (E.-J.-M.), 164.
Castil-Blaze , 51,80.
Cave, 235.
Chauiieu, 291, 263.
Chelard, 220.
Cherubini , 19, 26, 57, 75, 133, 415.
Choppin, 4, 33, I 94, 210, 251, 26u, 304, 427.
|Chorm, 49, 140, 220, 252, 260,263,269,
| 285, 333, 380.
38
GAZETTE MUSICALE
Cinti-Damorcau (Mme), 548, 415.
Clapisson, 596.
Clucsmann, 245.
Collet, 196.
Cottignies, 196, 211,219.
Coussemaker, 152, 195.
Cramer, 8.
Cristofali , 225, 255.
Czerny, 45, 61, 97, 219, 251, 285.
Dabadie, 551.
Damoreau (Mme). Voyez Cinti-Damoreau.
Darcet, 161.
Daussoigne-Méhul, 564.
Degli-Antoni (Mme), 307, 427.
Dessauer, 65, 187, 219.
Donizetti,8, 17, 18, 49, 107, 116, 124,516,
580.
Dorus , 8 .
Dorus-Gras (Mme), 316.
Dolzaner, 65.
Dumas , 204.
Duvernoy, 565.
Eder, 245.
Eichhorn, 82.
Elwart, 196.
Erard , 224, 256, 298.
Erlbach , 256.
Ernst, 17, 65, 426.
Falcon (Mlle), 264, 316.
Fargucil, 324.
Feltre,281,524.
Fercol , 524.
Fesca, 58.
Fessy , 291 .
Féïis, 180, 195,253, 275, 352.
Félisfils, 425.
Feuillet (Mme), 82.
Filippovvicz (Mme) , 131 , 396.
Finck-Lohr (Mme) , 354.
Folz (les frères), 164.
Fonlmiche), 123,504.
Ferget, 49.
Franchomme, 219.
Gabuesi , 587.
Gabrieli, 8, 65.
Garaudé, 274.
Garcia (Mme Manuel), 90.
Gasse, 178.
Gérard, 216.
Ghys, 106, 152,427.
Ginestet, 58.
Giorgio di Roma , 164.
Girard, 213.
Glaescr, 8, 65.
Glon, 185.
Gluck, 42, 181 ,173, 273, 361, 365, 377, 589.
Gomis, 14, 42.
Grasset, 380.
Grisi(Mlle J.),7, 34.
Guémer , 4.
Gubr , 251 .
Haendel,58, 74, 211, 234, 239, 554, 417.
HalcVy, 8, 19, 75, 75, 525.
Hanssens , 267.
Hardingham, 256.
Harlmann (Mlle Caroline), 268.
Haumann, 154, 580.
Ilninefetlcr , 18, 427.
Hérold , 8, 580.
sHerz(H), 5. 13, 48, 75, 104, 106, 124, 140
141,257, 261, 521,347, 570, 402.
Herz (J), 26, 299.
Hetsch (L), 8.
Hilier (F), 4, 26, 35, 74, 165, 237, 5S7.
Hoffmann , 206.
Hummel (F.-N ), 17, 3,46.
Hunten (F), 25, 35, 159, 285.
Hunten(W), 139.
Hyc (Mme de la), 427.
Inchrndi,2l2, 314.
.Tanin (J.), 1, 9, 67,99, 109.
Jansscns, 267.
Jelensperger, 204.
Julien (Stanislas), 161.
Jupin , 230, 403.
Kalkbrcnner, 33, 97, 275.
Kcller (Cbarles), 275.
Kretsclimer(A), 216.
Kreutzer (Conrad), 414.
Kriegelslein, 262.
Lablache, 34, 371 .
Labarrc, 25,75,82,107, 192.
Lacombe, 559.
Lagarin, 57.
Lal'ont, 90,588.
Lambert (G), 203,204.
Langrenez, 261.
Lanza , 90.
Lavainc (F), 299.
Lebrnn (Mlle Annettc), 51 6, 3i;6.
Lee , 500.
Lefebvre , 1C8.
Lemoine, 158. 139.
Lepin , 90.
Lcsage , 307.
Lhuillicr, 188.
Lichtenstein , 8 , 123.
Liszt, 4,395, 427.
Lobe, 8.
Lccwe, 17, 42.
Luce, 108.
Lulli, 500.
Mainvielle-Fodor (Mme), 572.
Mainzer (J), 11, 22, 28, 58, 67,91,
155, 188,199,277.
Malibran,26, 122, 130, 164, 179, 188,
212 324.
Marliani, 34, 47, 355, 415.
Martini , 62!
Marscbner , 8, 415.
Marx (A.\ 405
Masi (Mlle A. , 164, 196, 2U4, 22U, 268,
563.
Masset, 8, 203.
Maycr(Mlle), 124,151.
Mayer (Cari.), 218.
Maurcr, 284.
Mazas, 89.
Mazoni, 148.
Mendelsouéhn-Bartlioldy, 123.
Mercadante, 116.
Mercier, 265.
Mereanx(A), 42,211.
Mery, 381.
Mcyer Béer, 42, 49, 56, i 07, 187, 211,
324)347,396,402, 114.
Miltitz , 8.
Moniot(A.), 137.
Montai, 164.
Moschcles, 123, 180.
Mozart, 7, 57, 83, 88, 89, 97, 102, 128,
Millier (les quatre frères), 56, 66, 74, 81
96, 97.
Muller, 165.
Negri (Benoît), 164. ,
Ncumann, 17.
Nicou-ChoroD , 580.
Nourrit (A\ 241 .
Onsloiv, 154, 149, 380.
Onipue (J. d'), 88, 585, 414.
Osbornc. (G.-A.1, 10, 106.
Pacini, 26,49, 415.
Pacr, 213, 259.
Paganini , 8, 54, 82, 214, 220, 227, 292
507, 572.
Palazzezi, 307.
Pal-strina, 22.
Pancliioni, 152.
Panofka (Henri), 116, 189,558.
Panseron, 151.
Pape, 46, 225, 256, 298.
Pasta^Mmc), 179, 236, 331 , 348.
Peignai (Mlle\ 49.
Tlacct, 196. '
Pleyel , 226, 236.
Pixis, 33, 48, 139, 196, 203.
Pixis (MlleFrancilla),41,236,244,252, 348,
388,415.
Pcek, 316.
Pott,74.
Profeii, 122.
Pugni, 196, 244, 390.
Quiney, 200.
Rameau (le frère de), 309.
Raupach , 82.
Reber (Henri), 290.
Reissiger, 292.
Rhoin, 131.
Ricci, 107,244.
Richelmi, 138.
Richter, 262.
Ries, 74, 220.
Rifaut,3H2.
Riquier, 348.
Robrechls, 396.
Rode|P), 16,65.
Roger ,A\ 283.
Roller et Blanchct, 236, 245.
Ronzi-Debegnis (Mme), 516.
Rosenlieiin, 321, 331.
RosMni, 42, 57, 129, 211, 284, 331, 326,
336, 341, 349.
Rousselot, 57.
Rubini,7, 32, 316, 351.
Rungenliagen, 123.
128, Salieri, 297.
Schilling (A), 132, 203.
196, Sclileiermacher; 82.
Suhlesinger, 82.
'Smidi(A), 8, 89.
! Schneider (F), 140.
' Schnei'.zolfcer, 301.
1 Schroeier, 222, 2~>3.
276, Schubert, 283.
ichuliz, 7.
JSchunke(C), 63, 131, 429.
Schunke (Louis), 415.
|Serda,396.
Sere (Mme del), 316.
Servais, 66, 132, 154.
JSeyfried, 96, 157, 190.
jSiboni, 132.
j Silbermann , 222.
! Skramp , 8.
jSowinski (A), 33, 49, 90, 139, 291,396.
1 Spagnoletli, 324.
2a2, Spohr, 147,362.
;Spontini,34,319.
i Stadler, 16.
j Stockhausen (Mlle), 8,26, 74, 81 .
IStoepel, 30, 41,42,49,57,59,70,72,94,
| 149,169,231,287,315,519,327,340, 426.
135. Stranss,283,395.
», 90, 'SlTunz, 194,213,300.
|Sudre,212.
i Tamburini, 7, 74.
Taurin , 262.
Thalberg,347.
Thevenard ,51.
Tilmant , 8.
Tombolini, 415.
Troupenas , 348
jTulou, 363.
(Urhan,393.
'Ungher, (Mlle) 7, 8, 42, 67, 122, 164, 292.
Vieuxlemps (H), 57.
|Vogt, 74.
YValkiers, 90, 283.
;Watson (miss), 214, 227.
j Wcber(ch.m.de), 27,369.
jWcigl, 413.
i Wetzels, 262.
j Weastone(Ck), 98.
i Willens-Bordogni. — Vovez Bordo^ni.
; Wolffram, 8, 82.
Zimmermann , 365, 396.
BOSTON PUBLIC LIBRARY
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