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Full text of "Gazette musicale de Paris"

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"Si 


THE  PUliLS©  UEKAKY  OF  THï 
ÎHE  AILLES  A.  BBQWfa  I 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2010  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/gazettemusicaled18342pari 


GAZETTE   MUSICALE 

De  Paris. 

1"   ANNÉE,   1834. 


$c&  iDiircnur  Vftbotmtmmt 

sfonâ  rue    &bic/ie/tetc ,     qj. 


Imprimerie  do  L.ICHKVARD1ERE  ,  r.w  du  Colombier  .  30. 


GAZETTE   MUSICALE 


ma  3><Jima. 


n°  27. 


PIUX  DE  l'aBONiNEJÎ. 

PARIS, 
fr. 

DÉPART. 
Fr.       r. 

ÉTBAKC 
Fr.       c. 

3  m.     8 

8     75 

9     50 

6  m.  15 

(6    50 

18      a 

1  an.  30 

33    .. 

36    » 

£x  (Sfttzttte  iïtttsicale  i>«  iparis 
Paraît    le   DIMANCHE  de  chaque  semaine. 

On  s'abonne  au  bureau  de  la  Gazette  musicale  de  paris,  rue  Richelieu,  97 
et  chez  tous  les  libraires  et  marchands  de  musique  de  France. 

On  reçoit  les  réclamations  des  personnes  qui  ont  des  griefs  à  exposer,  et  les  avis  relatifs  à  la  musii 
qui  peuvent  intéresser  le  public. 


PARIS,  DIMANCHE  6  JUILLET  183). 


Les  lettres,  demandes 
et  envols  d'arpent  doi- 
vent être  affranchis,  et 
adresses  au  Directeur  , 
rue  Richelieu,  97. 


De  l'utilité  d'un  Opéra-Allemand  à  Paris. 

Les  nombreux  adorateurs  de  Beethoven  et  de  Weber 
sont  dans  la  joie.   L'autorisation  de  jouer  l'opéra  alle- 
mand vient  d'être  accordée  au  théâtre  Ventadour.  Nous 
espérons   revoir    Fidelio   sous    les  traits    de    madame 
Schrœder,  probablement  aussi    Florestan   Haitzinger, 
dont  la  voix  merveilleuse  a  laissé  de  si  profonds  souve- 
nirs aux  habitués  de  la  salle  Favart.  Mais  ce  n'est  plus 
d'un  nombre  limité  de  représentations  qu'il  s'agit;  la 
troupe  allemande  sera  engagée  a  l'année,  et  a  ce  privi- 
lège est  joint  encore  celui  non  moins  précieux  des  con- 
certs. Il  est  facile  de  prévoir  l'heureuse  influence  que, 
cette  exposilion  permanente  des  produits  de  l'art  ger- 
manique,  ne  peut   manquer  d'exercer  sur  l'éducation 
musicale  du  public  parisien.  La  musique  pour  lui  de- 
vient un  besoin  de  jour  en  jour  plus  impérieux;  il  ne 
faudrait  que  lui  imprimer  une  bonne  direction  pour  que 
ce  besoin  instinctif,  se  développant ,  fût  accompagné  de 
goût  et  de  discernement.  Ces  deux  qualités  manquent 
encore  complètement  à  la  majeure  partie  des  contribua- 
bles sur  lesquels  les  directeurs  de  nos  institutions  lyri- 
ques prélèvent  chaque  année  un  si  confortable  budjet. 
C'est  le  défaut  de  variété  dans  son  répertoire  qui  rend  le 
public  si  lent  a  marcher  dans  la  voie  du  progrès.  On  le 
bourre,  on  le  sature,  on  le  noie  dans   les  cavatines  a 
cabalettes,  dans  les  airs  de  crescendo,  dans  les  contre- 
danses, les  galops,  les  valses,  les  vaudevilles  ,  les  flons- 
flons  de  toute  espèce;  le  vaudeville  musical  sous  toutes 
les  formes  poursuit  le  passant  dans  la  rue. 

»  Il  n'est  temple  si  saint  des  anges  respecte 
»  Qui  soit  contre  sa  muse  un  lieu  de  sûreté. 


Le  public  innocent  s'accoutume  a  donner  a  ce  bruit 
scintillant ,  le  nom  de  l'art  ennobli  par  lesgrands  maîtres 
et  porté  par  eux  jusqu'au  rang  des  plus  hautes ,  des  plus 
sublimes  manifestations  de  la  pensée  humaine.  On  lui 
dit  :  «  Ceci  est  de  la  musique  »,  il  le  croit.  Sans  soup- 
çonner qu'il  existe  réellement  quelque  chose  d'entière- 
ment différent,  une   puissance   magique,  irrésistible, 
presque  divine,  une  poésie  des  poésies,  pour  laquelle 
ce  nom  de  musique  devrait  être  réservé  exclusivement. 
Mais  il  ne  faut  pas  désespérer  de  le  voir  enfin  sortir  de 
son  erreur.  Les  gens  de  tact  et  de  goût,  les  organisations 
sensibles,  les  esprits  cultivés  en  [viendront  'enfin,  espé- 
rons-le, a  reconnaître  que  beaucoup  de  productions  ac- 
cueillies par  eux  avec  faveur  ne  sont  pas  dignes  d'un  tel 
patronage.  Us  les  laisseront  aux  enfans.  Bien   étonnés 
alors  seront  nos  dilettanti,  en  reconnaissant  qu'ils  ont 
ignoré  si  long-temps  l'existence  des  chefs-d'œuvre  pour 
lesquels  ils  se  passionneront.  Le  théâtre  allemand  nous 
arrivant  d'outre-Bhin ,  sans  aucune  concession  faite  aux 
sottes  exigences  de    nos    modes  parisiennes,   avec   sa 
naïve  sauvagerie,  comme  disent  les    dandis,  avec  ses 
harmonies  pleines  de  vigueur,  ses  mélodies  originales, 
ses  formes  abruptes,  son  instrumentation  si  variée,  si 
originale,  ses  chœurs  entraînans,  ses  blondes  et  rêveuses 
primes  donnes,  formera  certes  un  piquant  contraste  h  nos 
habitudes   nationales.  Les  habitués  du  Conservatoire, 
les  élus  de  l'intelligence  musicale,  ne  manqueront  pas  a 
l'appel,  et,  missionnaires ardens,  serviront  a  propager  la 
connaissance  du  vrai  Dieu  parmi  les  nations  qui  s'éga- 
rent encore  dans  les  ténèbres  de  l'idolâtrie.  Oui  la  salle 
des  menus  plaisirs  ne  doit  plus  seule  retentir  des  magni- 
fiques clameurs  du  géant  de  la  symphonie.  11  faudra  voir 


214 


GAZETTE  MUSICALE 


cette  grande  et  belle  salle  Ventadour  envahie  par  une 
foule  nouvelle,  ardente,  curieuse,  ne  connaissant  que 
par  ouï-dire  la  force  indomptable  du  titan-Beethoven. 
Quelles  exclamations  de  surprise,  de  joie,  d'enthou- 
siasme en  découvrant  ce  nouveau  monde  dont  l'abord  est 
si  difficile!  L'orchestre,  pour  être  en  rapport  avec  la 
grandeur  du  local ,  devra  surpasser  de  beaucoup,  quand 
au  nombre  des  exécutans,  celui  de  la  rue  Bergère. 
M.  Girard  est  trop  habile,  et  en  même  temps  trop  épris 
de  sou  art,  pour  négliger  rien  de  ce  qui  pourrait  contri- 
buer a  faire  de  ces  concerls  des  solennités  vraiment  di- 
gnes du  sublime  génie  qu'il  veut  populariser.  C'est  a  lui 
et  a  M.  Strunz  qu'on  a  confié  la  direction  de  toute  la 
partie  musicale  a  Ventadour.  Chanteurs,  choristes, 
orchestre,  auteurs  devront  se  concerter  avec  eux  pour 
l'accomplissement  de  l'œuvre  qui  se  prépare.  Le  talent 
bien  connu  de  M.  Strunz,  son  respect  pour  la  vraie 
musique,  et  sa  qualité  d'Allemand  le  rendent  sous  tous 
les  rapports  l'homme  spécial ,  dont  la  collaboration  était 
nécessaire  à  M.  Girard.  On  ne  peut  attendre  que  lesplus 
heureux  résultats  de  cette  double  dictature. 


Paganini  et  l'Enlèvement. 

Un  journal  anglais  (The  true  Sun)  contient  un  article 
que  nous  communiquons  a  nos  lecteurs,  auxquels  rien 
de  ce  qui  touche  une  grande  célébrité  musicale  ne 
saurait  être  indifférent.  Nous  avons ,  dit  le  True 
Surij,  a  entretenir  nos  abonnés  d'un  enlèvement  qui 
pourra  leur  paraître  assez  extraordinaire;  c'est  le  célèbre 
Paganini  qui  en  est  le  héros  !  Voici  quelques  détails 
fournis  par  M.  Watson,  père  du  jeune  et  séduisant  ob- 
jet de  la  passion  qui  a  égaré  l'illustre  violoniste.  Paga- 
nini avait  conclu  à  Londres,  avec  M.  Watson,  un 
marché  d'après  lequel  ce  dernier  était  chargé  de  toutes 
les  démarches  relatives  aux  concerts  donnés  par  le  grand 
artiste.  En  conséquence,  M.  et  madame  Watson  ac- 
compagnaient ce  dernier  dans  tous  ses  voyages  a  Paris 
a  Bruxelles,  a  Londres  ou  en  d'autres  lieux.  Le  mauvais 
état  de  la  santé  de  Paganini  fit  qu'il  lui  parut  nécessaire 
de  s'abandonner  aux  soins  d'une  famille  amie.  Aussi, 
pendant  son  dernier  séjour  a  Londres ,  il  s'établit  dans 
la  maison  de  M.  Watson  Caltliorpe  Street,  GrajsJnn 
Lane ,  donnant  maintes  preuves  d'amitié  a  cette  famille, 
allant  même  jusqu'à  jouer  dans  une  représentation  au 
bénéfice  de  miss  Watson.  Lundi  dernier,  le  père  s'a- 
perçut que  sa  fille  était  sortie  de  la  maison  paternelle 
sans  avoir  donné  aucun  prétexte  pour  son  départ.  Il  se 
mit  a  l'instant  même  a  sa  poursuite,  mais  il  lui  fut  im- 
possible de  se  procurer  aucuns  renseigueniens  positifs; 


cependant  il  apprit  que  le  dimanche,  Paganini  avait 
quitté  Londres  pour  se  rendre  à  Douvres.  M.  Watson 
se  rendit  immédiatement  en  cette  ville,  où  on  lui  dit  que 
le  grand  musicien  avait  passé  le  détroit  pour  gagner 
Boulogne-sur-Mer.  Le  malheureux  père  monta  aussitôt 
sur  le  paquebot,  et  à  son  arrivée  à  Boulogne  il  aperçut 
Paganini  accompagné  de  son  domestique,  et  observant 
avec  la  plus  grande  attention  tous  les  passagers.  A  la 
vue  de  M.  Watson,  Paganini  s'esquiva  promptement 
en  donnant  des  signes  non  équivoques  d'une  grande 
frayeur.  M.  Watson  s'adressa  sans  tarder  au  consul 
anglais,  M.  Hamliton,  qui  le  reçut  avec  la  plus  grande 
bonté.  Comme  on  attendait  pour  le  mardi  soir  le  steam 
Packet  de  Londres ,  M.  Watson  se  rendit  promptement 
à  la  douane,  accompagné  de  plusieurs  agens  de  police, 
et  lorsque  la  belle  fugitive  arriva,  elle  fut  reçue  par  son 
père.  Le  domestique  de  Paganini  s'approcha  aussitôt' 
donnant  des  signes  d'une  violente  colère,  et  disant  a 
M.  Watson  :  «  Que  veut  dire  cela?  rendez-moi  l'enfant 
ou  sinon...  »  Il  fut  repoussé  parla  force  publique,  et  le 
père  retourna  a  Londres,  accompagné  de  sa  fille  tout 
en  larmes.  Cette  jeune  personne,  qui  n'est  âgée  que  de 
seize  ans,  a  témoigné  un  grand  repentir  de  sa  démarche 
indiscrète  ;  mais  elle  affirme  qu'elle  y  a  été  poussée 
principalement  par  amour  pour  son  père,  dont  elle  es- 
pérait assurer  ainsi  le  bonheur. 

Paganini,  pendant  son  séjour  a  Londres,  avait  non- 
seulement  donné  a  la  jeune  personne  un  diadème  va- 
lant 50  guinées,  ainsi  que  d'autres  diamans  estimés 
a  500  guinées ,  mais  il  lui  avait  promis  en  outre ,  qu'aus- 
sitôt après  son  arrivée  sur  le  continent,  il  l'épouserait 
légitimement  en  lui  assurant  une  dot  de  4,000  livres 
sterling(l00,000f.).  Mademoiselle  Watson  raconte  en- 
core que  l'on  était  parvenu  a  lui  arracher  une  lettre  dans 
laquelle  on  lui  faisait  dire  ,  que  se  trouvant  malheureuse 
chez  son  père,  elle  suppliait  Paganini  de  la  prendre  sous 
sa  protection,  promettant  de  se  soumettre  a  tout  ce  qu'il 
exigerait.  Cette  jeune  personne  persiste  encore  a  croire 
que  M.  Paganini  viendra  la  demander  en  mariage.  Mais 
plusieurs  journaux  s'accordent  a  dire  que  celui  -  ci 
n'a  paru  que  médiocrement  désappointé  de  la  tournure 
qu'ont  prise  les  événemens  ((}. 


La  VINA  ,  Guitare  indienne. 

La  description  suivante  de  l'instrument  favori  des  In- 
dous  est  empruntée  aux  transactions  of  Asiatic  socieiy 

(i)  Pour  ne  pas  être  en  retard  ,  nous  donnons  comme  notice 
ce  fait ,  contenu  aussi  dans  un  Journal  Boulogne  :  nous  réser- 
vant d'éclairer  nos  lecteurs,  si  cette  historiette  est  controuvée 
ou  contraire  à  la  mérité. 


(  mémoires  de  la  société  Asiatique  ).  L'auteur,  dans  une 
de  ses  lettres  au  président  de  la  société ,  dit  au  sujet  de 
cette  description  : 

«  Vous  pouvez  entièrement  compter  sur  l'exactitude  et  la  pré- 
«  cision  des^détails  que  je  vous  fournis,  notamment  en  ce  qui 
»  concerne  la  construction  et  la  gamme  de  cet  instrument  :  non 
»  seulement  j'ai  tout  mesuré  moi-même',  mais  encore,  ne  vou- 
»  lant  pas  m'en  rapporter  à  mon  oreille  seule  quant  aux  inter- 
»  valles,  j'ai  soigneusement  et  plusieurs  fois  comparé  la  vina 
«  avec  le  piano,  ton  pour  ton,  après  avoir  accordé  les  deux  ins- 
»  (rumens  ensemble,  u 

L'auteur  prouve,  du  reste,  par  la  clarté  et  l'extrême 
précision  de  chaque  partie  de  sa  description  qu'il  avait 
toutes  les  connaissances  requises  pour  hien  s'acquitter  de 
sa  tâche. 

La  Vina,  ou,  comme  on  prononce  ordinairement, 
lahiin,  est  un  insti liaient  a  chevalet,  dans  la  forme  de 
la  guitare.   Le  manche  est  long  de  21  c,  8  de  pouce.  A 


quelques  pouces  au-dessus  du  manche  et  à  quelques 
pouces  de  distance  de  chacune  de  ses  deux  extrémités  se 
trouvent  deux  citrouilles  assez  grandes,  entre  lesquelles 
et  au-dessus  desquelles,  ainsi  qu'on  peut  le  voir  par  le 
le  dessin  que  nous  avons  donné  (I),  sont  placées  les 
chevilles  taillées  en  forme  de  boutons,  la  table  a 
habituellement,  celle  d'un  oiseau.  La  longueur  entière 
de  l'instrument  est  de  5  pieds  7  pouces;  la  première  ci- 
trouille se  trouve  a  une  distance  de  10  pouces,  la  seconde 
à  celle  de  2  pieds  H  pouces  '/a  environ  de  l'extrémité 
supérieure  de  l'instrument.  Le  manche  a,  a  peu  près,  2 
pouces  de  large.  L'instrument  a  7  cordes,  dont  deux  en 
acier, qui  sont  tendues,  l'une  très-près  de  l'autre,  du  côté 
droit  de  l'instrument;  les  5  autres  cordes  sont  en  cuivre, 
dont  quatre  au-dessus  du  manche  et  la  5e  du  côté 
gauche. 

L'instrument  est  accordé  de  la  manière  suivante  : 


m 


P  Q  R 

Ce  qu'il  y  a  de  plus  singulier  et  de  plus  remarquable 
dans  ces  instrumens  ,  c'est  l'extrême  hauteur  des  che- 
valets. Le  plus  bas  n'a,  il  est  vrai,  que  '/8  de  pouce  de 
hauteur;  mais  cette  élévation  augmente  insensiblement 
jusqu'à  7/8  de  pouce,  et  il  est,  dès  lors,  évident  que 
la  main  ne  peut  pas  toucher  le  manche.  Ces  chevalets 
n'occupent  pas  une  place  invariable  sur  le  manche;  l'exé- 
cutant les  pose ,  d'après  son  oreille,  comme  il  le  juge  con- 


rfccc 


S  T  U  V 

venable,  en  les  fixant  avec  un  peu  de  cire.  L'instrument 
a  19  chevalets  ;  j'ai  marqué  sur  la  gamme  suivante  les 
tons  qu'ils  rendent,  en  leur  conservant  les  noms  que  leur 
donnent  les  Indous.  Il  est  très-remarquable  que  les  noms 
changent  après  les  mêmes  demi-tons  que  dans  notre  mu- 
sique européenne,  car,  d'après  cette  gamme,  les  Indous 
ont,  comme  nous,  aux  degrés  fa,  sol ,  la,  ut  et  ré  deux 
tons  chromatiques  différais  : 


m      ^r     io 


m 


u^ 


S     S     £     a     a     z 


o        o        s 
u        3      -g 

rô       -3        >J        ■%• 


*JLJ^iAJ=h&=^ 


tfi 


,-M 


ffi^Ê 


»    es. ;  ,S    o    ô    à ■ .  j§,  ,a«  ■  a    q    js  ■  ë;. .  .,ù5  ■  Si ■  ■  5 

1  )  '  'oir  la  ligure  n°  2  dans  le  supplément  du  n°  25  de  la  Guzi  tte  Musicale. 


216 


GAZETTE  MUSICALE 


Les  cordes  marquées  des  lettres  R ,  S,  T,  Q  sont, 
comme  on  le  voit,  employées  le  plus  fréquemment;  les 
autres  ne  le  sont  le  plus  souvent  qu'a  vide ,  et  le  G  et  le 
B  qui  manquent  en  haut,  sont  produits  par  une  pression 
de  la  corde  aux  chevalets  du  fa  dièze  et  du  la.  Il  paraît, 
du  reste,  que,  par  suite  de  la  construction  propre  aux 
mélodies  Indiennes ,  ces  tons  se  présentent  rarement.  A 
l'aide  de  la  citrouille  placée  a  l'extrémité  supérieure  de 
l'instrument,  on  prend  laVina  sur  l'épaule  gauche,  de  telle 
façon  que,  dans  l'attitude  ordinaire  de  l'exécutant  quand 
il  est  assis,  l'autre  citrouille  repose  sur  le  genou  droit. 
Quant  au  doigté,  c' est-a-dire  la  manière  de  presser  les 
cordes  sur  les  chevalets  respectifts,  on  se  sert  principale- 
ment de  l'index  et  du  doigt  du  milieu  de  la  main  gauche; 
on  joue  delà  5e  corde  avec  le  petit  doigt;  on  ne  fait  pas 
du  tout  usagé  du  4-e  ;  les  deux  premiers  doigts  de  la  main 
droite  tirent  les  sons  des  A  cordes  du  manche  ;  le  petit 
doigt  les  tire  des  deux  cordes  d'acier.  Lorsqu'on  veut 
faire  résonner  l'instrument  bien  fort,  on  remplace  quel- 
quefois les  deux  premiers  doigts  par  de  petits  bâtons  de 
métal;  mais,  alors leson,  qui  est  naturellement  agréable, 
n'a  plus  de  charme,  du  moins  pour  des  oreilles  telles 
que  les  nôtres.  Les  Indous  ont  une  grande  agilité  sur 
cet  instrument ,  et  y  jouent  des  mélodies  d'un  mouve- 
ment très-précipité. 

Js  ne  suis  guère  a  même  de  fournir  des  détails  sur  la 
musique  des  Indous  en  général  ;  mais ,  à  mon  avis , 
elle  est  a  la  fois  agréable  et  empreinte  d'un  cachet 
particulier  et  propre  au  pays.  Son  caractère  principal  est 
une  douce  mélancolie.  Plusieurs  circonstances  et  l'an- 
cienneté ainsi  que  la  perfection  de  la  F'ina,  celle  de  quel- 
ques autres  instrumens ,  de  la  gamme,  etc.,  conduisent 
et  autorisent  a  penser  que  les  Indous  cultivaient  déjà  la 
musique  dans  un  temps  bien  plus  reculé ,  et  qu'ils  avaient 
atteint,  dans  la  culture  de  cet  art,  un  bien  plus  haut  de- 
gré de  perfection.  » 

Les  détails  que  renferme  cet  article ,  détails  dont  la 
précision  prouve  qu'ils  ont  été  fournis  par  |un  homme 
versé  dans  les  connaissances  musicales,  sont  de  la  plus 
haute  importance,  en  ce  que  la  division  et  le  rapport 
des  tons  de  cet  antique  instrument  offrent  une  coïnci- 
dence parfaite  avec  les  nôtres,  et  que,  dès  lors,  ils  dé- 
montrent suffisamment  que,  partout  où  la  musique  a 
été  le  langage  simple  et  naturel  du  sentiment,  et  chaque 
fois  surtout  qu'elle  s'est  perfectionnée  jusqu'à  devenir 
réellement  un  art,  il  n'a  jamais  pu  exister  d'autres  tons 
et  d'autres  modifications  ou  de  rapports  de  tons,  que 
ceux  qui  se  trouvent  naturellement  dans  la  voix  humaine, 
et  qui  sortent  encore  aujourd'hui  de  nos  gosiers  et  du 
corps  de  nos  instrumens.  Celte  vérité  est,  ainsi  que  nous 


venonsdele  dire,  delaplus  haute  importance  relativement 
aux  investigations  qui  ont  pour  objet  la  nature  de  toute 
musique  qui  n'existe  plus;  comme,  par  exemple,  celle 
des  anciens  Grecs ,  laquelle  grand  nombrede  savans  et 
de  musiciens  veulent  absolument  investir  des  quarts  et 
tiers  de  tons  que  notre  oreille  ne  distingue  pas. 

Traités  Méthodiques. 

Traité  méthodique  d'harmomie  où  l'Instruction  prati- 
que et  simplifiée  est  mise  a  la  portée  des  commançans, 
par  M.  Gérard,  ancien  professeur  au  Conservatoire 
de  Musique.  Prix  :  56  fr. 

Idées    suit    une    théorie    de    la.    musique,    par 
A.  Kretzschmer. 

S'il  arrivait  un  jour  que  l'histoire  voulût  examiner  la  silua- 
lion  de  la  musique  à  l'époque  actuelle ,  et  qu'elle  s'avisât  de 
baser  son  jugementsur  le  mérite  de  nos  compositions  musicales 
considérées  sous  le  rapport  de  l'art  et  de  la  poésie,  d'après 
quelques  livres  détaillés ,  tels  que  ceux  que  nous  désignions  plus 
haut,  ainsi  que  beaucoup  d'autres  encore  dont  nous  pourrions 
donner  ici  le  titre ,  certes  un  bien  triste  résultat  se  produirait 
alors.  En  général,  on  est  forcéde  convenir  que,  principalement 
pour  la  musique,  la  théorie  n'a  pas,  depuis  quarante  ans, 
marché  d'un  pas  égal  avec  la  pratique  ;  il  est  hors  de  dout.r  que 
la  science  musicale  comme  tout  ce  qui  a  rapport  à  son  ensei- 
gnement est  restée  incomparablement  en  arrière  de  l'exercice 
pratique  de  l'art,  mais  ce  désavantage  devient  bien  plus  frap- 
pant encore,  si  la  comparaison  est  établie  entre  la  musique  et 
toutes  les  autres  seiences  théoriques  ou  pratiques  dont  l'étude 
compose  l'éducation  de  l'homme.  Que'ques  progrès  réels  ont 
pourtant  été  faits  on  ne  peut  le  nier  ;  quel  ne  doit  donc  pas  être 
notre  étonnement  lorsque  aujourd'hui  encore  nous  rencontrons 
des  ouvrages  comme  ceux  que  nous  annonçons  ,  le  premier  si 
complètement  dépourvu  de  principes  solides,  dans  lequel  il 
est  impossible  de  trouver  la  moindre  trace  d'un  ordre  systé- 
matique et  logique,  où  l'on  chercherait  en  -vain  la  clarté,  la  vé- 
rité et  quelque  point  devue  d'une  philosophie  élevée  ;  le  second, 
où,  à  coté  de  détails  qui  témoignent  une  instruction  sientifique 
des  plus  profondes  ,  on  prétend  chercher  les  principes  fonda- 
mentaux de  toute  vérité  musicale  dans  la  musique  des  Grecs,  des 
Egyptiens,  des  Chinois  et  d'autres  peuples  de  l'antiquité, main- 
tenant presque  inconnus,  l'auteur  nous  accordant  tout  au  plus 
l'honneur  d'avoir  friit  un  léger  progrès;  ouvrage  dans  lequel 
on  déclare  que  notre  harmonie  n'est  qu'un  tapage  insignifiant 
f  t  où  l'auteur  n'a  ni  plus  ni  plus  moins  que  le  courage  de  pré- 
tendre nous  faire  troquer  nos  oreilles  contre  celles  des  Chinois, 
des  Perses  ou  des  Turcs? Nous  devons  à  nos  lecteurs  quelques 
preuves  de  ce  que  nous  avançons  etnous  nous  décidons  d'autant 
plus  volontiers  à  donner  quelques  courts  extraits  de  cet  ou- 
vrage, que  ces  citations  seront  pleinement  suffisantes  pour  nous 
dispenser  d'une  analyse  plus  étendue. 

C'est  ainsi  que  M.  Kietzschmcr  s'exprime  à  la  page  6  de  son 
livre  :  «  On  peut  affirmer  que  pour  ce  qui  est  de  l'harmonie, 
»  nous  avons  surpassé  les  Grecs  ;  mais  il  n'est  pas  moins  vrai  q'^ 
»  quanta  la  mélodie  nous  n'avons  jamais  atteintà  leur  hai-/0ur- 


»  Ils  ne  connaissaient  ni  accords  parfaits  ni  accords  de  septième, 
«  etc. ,  etc.  Leursaccompagnemens  harmonique  était  celui  dont 
»  se  servent  encore  aujourd'hui  les  Chinois,  les  Perses  et  les 
»  Turcs.  Mais  aussi  notre  oreille  ne  peut  plus  comme  la  leur 
«  saisir  pleinement  la  beauté  d'uncmélodie  pure  et  non  dominée 
»  par  une  masse  bruyante  d'harmonie,  nous  ne  pouvons  plus 
«distinguer  comme  eux  [l'intervalle  délicat  qui  sépare  le  sol 
»  bémol  du  fa  dieze  et  Y  ut  bémol  du  si  naturel;  nos  théoriciens 
»  ont  le  sensde  Youïe  tellement  émoussé  qu'ils  enseignent  à 
»  regarder  le  sol  bémol  comme  plus  élevé  d'intonation  que  le 
«  fa  dièze ,  et  pourtant  ils  accordent  ce  point  qu'on  doit  ré- 
»  soaàre  fa  diêze  sur  sol,  tandis  que  le_le  sol  bémol  opère  sa 
»  résolution  sur  \e  fa  naturel. 

«  En  général ,  nous  ne  sommes  plus  capables  de  créer  un 
»  Apollon  du  Belvédère  non  plus  qu'une  Vénus  de  Médias; 
j»  mais  en  revanche  combien  nos  tailleurs  et  nos  coiffeurs  ne 
)>  l'emportent  ils  pas  sur  ceux  des  Grecs  !  » 

Une  chose  qui  ne  nous  surprendrait  pas  le  moins  du  monde , 
serait  de  voir  nos  lecteurs  prendre  M.  Kretzschmer  pour  un  es- 
prit plaisant  et  moqueur,  dirigeant  sa  satire  [contre  ce  nom- 
bre encore  assez  considérable  d'écrivains  qui ,  de  la  meilleure 
foi  du  monde ,  et  en  adjurant  tous  les  saints  du  paradis ,  nous 
assurent  gravement  que  nous  ne  réussirons  à  retrouver  une 
musique  raisonnable  ,  que  lorsque  nous  nous  déciderons  à  traiter 
cet  art  comme  on  le  faisait  à  l'époque  des  jeux  olympiques,  ou 
comme  l'enseignoit  Ptolémée,  ou  bien  encore  lorsque  nous 
serons  assez  heureux  pour  composer  à  la  manière  de  Pales- 
trina  ou  de  Josquin,  de  Bach  ou  de  Haendel,  de  Lulli  ou  de 
Rameau,  etc.,  etc,  (1)  Une  telle  supposilion  serait  cependant 
fort  erronée.  Nous  connaissons  personnellement  M.  Krelz- 
schmer  et  nous  le  savons  trop  bon  enfant  pour  le  juger  capable 
d'un  Ici  procédé. 

Le  passage  suivant  donnera  à  nos  lecteurs  une  idée  delà  mé- 
thode de  démonstration  adoptée  par  M.  Kretzschmer.  Il  parle 
de  la  gamme  et  il  dit  à  ce  sujet  : 

a  L'octave  se  compose  de  cinq  tons  entiers  et  de  deux  lim- 
»  mas,  ou  bien  ,  puisqu'un  ton  entier  est  lui-même  composé 
»  d'une  apotome  et  d'un  limma,  l'octave  est  formé  par  cinq 
»  apotomes  et  sept  Iimmas  ou,  pour  préciser  encore  avec  plus 
»  de  justesse ,  puisqu'un  apotome  contient  un  limma  et  un 
»  petit  comma  ,  l'octave  se  compose  donc  de  douze  Iimmas  et 
»  de  cinq  petits  commas,  et  se  divise,  comme  nous  le  savons, 
»  en  deux  moiiiés  inégales ,  dont  l'une  est  une  quarte  com- 
)i  posée  de  deux  apotomes  et  de  trois  Iimmas  (cinq  Iimmas  et 
»  deux  commas) ,  et  par  conséquent  ne  formant  pas  tout-à-fait 
»  la  moitié  de  l'octave,  et  dont  l'autre  est  une  quinte  composée 
»  de  trois  apotomes  et  de  quatre  Iimmas  (sept  Iimmas  et  trois 
«  commas,  plus  grande  par  cette  raison  qu'une  moitié  d'octave). 
»  De  même  la  nature  a  divisé  aussi  la  quinte  en  deux  parties 
»  qui  ne  sont  pas  égales,  ou  en  grande  et  petite  tierce  dont  la 
»  première  renferme  deux  apotomes  et  deux  Iimmas,  et  la  se- 

(1)  Nous  ne  craignons  pas  un  seul  instant  que  nos  lecteurs 
se  méprennent  sur  la  portée  de  ce  que  nous  disons  ici ,  et  qu'ils 
n  en  tirent  une  conclusion  contraire  à  noire  profond  respect, 
nous  dirons  même  à  l'espèce  de  vénération  religieuse  dont  nous 
sommes  animés  pour  ces  maîtres  immortels. 

(  Note  de  l'Auteur.) 


»  conde  un  apotome  et  deux  Iimmas ,  ce  qui  prouve  que  l'une 
»  est  plus  grande  et  l'autre  plus  petite  que  la  moitié  de  la 
»  quinte.  » 

Donnons  maintenant  un  petit  échantillon  des  prophéties  mu- 
sicales émises  par  l'auteur. 


«  Mais  il  est  évident 


que  nous  ne  sommes  encore  parvenu- 


»  qu'au  seuil  du  temple  de  la  musique  !  Dans  cent  ans  ou  peuts 
»  être  mieux,  à  une  époque  encore  plus  rapprochée,  découragés 
»  que  nous  serons  nous  autres  Européens  par  l'énormité  des 
»  dettes  publiques  ou  par  tout  autre  motif,  nous  retournerons 
»  peut-être  sur  nos  pas  et  nous  habiterons  une  autre  partie  du 
»  globe  :  l'une  des  Amériques  ou  l'Australie  où  nous  appren- 
»  cirons  à  régler  et  à  employer  convenablement  les  accords 
»  de  septième  et  de  neuvième.  Nous  réapprendrons  alors  à 
»  distinguer  mélodiquement  l'intervalle  euharmonique  qui 
»  existe  entre  ut  bémol  et  si  naturel ,  nous  saurons  nous  en 
»  servir  avec  fruit ,  et ,  par  son  [secours,  nous  apprendrons  à 
»  connaître  et  à  comprendre  toute  une  nouvellemine  d'accords 
u  euharmouiques.  Telle  est  probablement  la  marche  que  sui- 
»  vra  la  musique  long-temps  après  que  j'aurai  disparu  de  cette 
»  terre.  Du  fond  de  ma  tombe  j'adresserai  alors  mon  salut  au 
«  musicien  qui  saura  mettre  en  œuvre  ce  que  mon  esprit  n'en- 
»  trevoit  encore  que  confusément.  » 

Si  de  telles  erreurs  excitent  par  elles-mêmes  un  sentiment 
pénible  ,  elles  paraissent  tout-à-fait  inexplicables  de  la  part  d'un 
homme  qui  d'un  autre  côté  a  conçu  de  l'art  et  des  effets  qu'il 
produit  des  idées  si  justes  et  si  bien  senties.  Nous  citerons 
d'autant  plus  volontiers  le  passage  suivant  de  l'ouvrage  de 
M.  Krelzshmer  que  c'est  la  plus  belle  réponse  qu'on  puisse 
adresser  à  une  opinion  émise  ,  il  y  a  peu  de  temps  ,  par  un  ha- 
bile musicien,  savoir  ,  que  la  musique  n'est  rien  autre  chose 
que  l'art  d'être  aussi  agréable  aue  possible  à  l'oreille  : 

«  Sainte  musique,  fille  du  ciel  !  toi  qui  consoles  les  affligés  , 
»  qui  verses  un  nouveau  charme  sur  1rs  joies  de  l'homme  heu- 
»  reux ,  qui  remplis  de  feu  le  cœur  du  guerrier  ,  qui  disposes 
»  un  cœur  aimant  à  une  tendresse  plus  vive  ;  toi  qui  soutiens 
u  et  ranimes  les  âmes  pieuses,  et  ne  te  tais  que  pour  les  mé- 
«  chans,  qui  donc  es-tu?  quelle  est  donc  ton  essence?  toujours 
u  la  même  par  les  effets  que  tu  produis,  chez  tous  les  peuples, 
»  sous  toutes  les  zones  et  à  toutes  les  époques,  et  cependant  ,  si 
«  différente  de  toi-même  ,  ici  et  là  ,  jadis  et  aujourd'hui,  som- 
»  mes-nous  donc  destinés  à  ne  pas  le  comprendre  ,  à  ne  jamais 
»  entrevoir  qui  tu  es ,  quelle  est  ta  nature  ;  toi  l'écho  mélo- 
»  dieux  d'une  plus  belle  vie  ,  toi  Psyché  ,  toujours  iusaissisable, 
u  à  moins  que  tu  n'étendes  tes  ailes?  Te  dis-tu  donc  Isis  vé- 
»  nérée  :  Je  suis,  je  fus,  je  serai,  et  personne  n'a  porté  son 
»  regard  sous  mon  voile  qui  ne  doit  être  agité  par  aucune  main 
u  mortelle  ! 

Si  on  peut  blâmer  M.  Kretzschmer  de  se  laisser  aller  avec 
trop  d'abandon  à  côlé  de  la  plus  ordinaire  prose  à  la  poésie  ou 
du  moius  à  ses  rêveries  poétiques ,  c'est  un  reproche  qu'on 
ne  sera  pas  tenté  d'adresser  à  M.  Gérard.  Partout  des  princi- 
pes arides  expliqués  par  un  déluge  d'exemples  spéciaux, 
ainsi  que  les  appelle  l'auteur,  jamais  un  raisonnement  logi- 
que, jamais  une  recherche  approfondie  de  la  vérité:  tel  est 
ce  livre  sans  commencement  et  sans  fin;  livre  du  nombre  de 
ceux  qui,  au  lieu  d'éveiller  l'esprit,  ne  sont  que  susceptibles 
de  le  tuer.   Cette  sorte  d'ouvrages  ne  peut   s'adresser  qu'à 


GIZETTE  MUSICALE 


ceux  qui  se  contentent  de  mots  au  lieu  de  choses  et  qui  sont 
doués  d'une  obéissance  passive. 

Le  livre  dans  son  entier  est  divisé  en  dix  chapitres  dont  deux 
seulement  sont  pourvus  de  titre.  Chaque  chapitre  se  subdi- 
vise en  plusieurs  articles.  Nous  allons,  aussi  succinctement  que 
possible  ,  essayer  de  donner  à  nos  lecteurs  une  idée  de  cet  ou- 
vrage ,  au  moyen  de  quelques  extraits. 

Le  premier  article  du  premier  chapitre  présente  un  tableau 
des  différentes  clefs  ;  ce  tableau  n'est  pas  là  à  sa  véritable  place, 
et  de  plus  il  n'est  ni  complet  ni  convenablement  expliqué. 
L'auteur  dit  par  exemple  :  «  C'est  par  la  place  que  la  clef  oc- 
«  cupe  dans  la  portée,  que  l'on  voit  pour  quelle  voix  ou  quel 
»  instrument  un  morceau  de  musique  est  écrit.  C'est  aussi 
»  au  moyen  de  leurs  différentes  positions  supposées  ou  réelles 
«  que  l'on  transpose  une  pièce  de  musique  dans  un  autre 
»  ton.  u  Tout  cela  est  au  moins  très-peu  clair.  Viennent  en- 
suite quatre  articles  sous  la  désignation  «  Elémens.  »  Dans  le 
second  de  ces  articles  nous  trouvons  un  détail  d'ailleurs  in- 
complet, «  des  mesures  anciennes  et  des  modernes  »,  sans 
que  l'auteur  ait  songé  à  établir  le  moins  du  monde  ce  qu'on 
doit  comprendre  par  le  mot  mesure.  Dans  l'article  trois  «  des 
»  mouvemens  de  la  mesure  »  ,  nous  trouvons  quelques  remar- 
ques assez  justes ,  mais  mal  placées  ici ,  sur  les  mouvemens  que 
l'on  désignait  autrefois  par  les  expressions  tempo  ordinario, 
a  capella  et  tempo  giusto.  Quant  aux  autres  manières  de 
préciser  le  mouvement  au  moyen  de  certains  mots  italiens  ou 
des  numéros  du  métronome ,  il  n'en  est  pas  fait  la  moindre 
mention.  Au  surplus  que  fait  ce  chapitre  à  cette  place?  Le  qua- 
trième article  détaille  les  différentes  acceptions  du  mot  ton  ,  et 
n'est  pas  plus  satisfaisant.  —  Dans  le  neuvième  article  l'auteur 
traite  du  nombre  des  dièzes  et  des  bémols  dans  les  différens 
tons.  Comment  ce  sujet  trouve-t-il  ici  sa  place ,  c'est  ce  que 
nous  ne  pouvons  comprendre.  —  Le  second  chapitre  s'occupe 
des  trois  mouvemens  ,  des  signes  de  renforcement  et  d'affai- 
blissement du  son,  de  l'accolade.  Quel  incroyable  mélange  des 
élémens  les  plus  hétérogènes!  Quel  peut  être  le  point  de  liaison 
entre  l'accolade  et  le  crescendo  et  le  decrescendo  ,  et  entre  ces 
derniers  et  le  mouvement  contraire  oblique  ou  droit  et  vice 
versa?  Le  second  article  de  ce  chapitre  a  pour  litre  :  «  Du 
Diapason  des  voix  ,  et  celui  du  troisième  article  est  :  de  YU- 
nisson  considéré  comme  intervalle.  Lejquatrième  a  rapport  aux 
genres  chromatique,  diatonique  et  enharmonique.  Nous  le  ré- 
pétons ;  quelle  confusion  d'idées  !  Mais  lorsque  cette  confusion 
existe  dans  l'esprit  même  de  l'auteur  ,  peut-on  s'attendre  à  une 
théorie  claire  et  logique.  Nous  accorderons  volontiers 
l'auteur,  qu'il  a  traité  son  sujet  avec  un  zèle  assidu;  nous 
convenons  même  que  dans  tout  le  cours  de  sou  ouvrage 
M.  Gérard  se  montre  un  musicien  fort  estimable  (ce  qui  peut 
fort  bien  arriver  à  un  homme  sans  qu'il  soit  pour  cela  un  bon 
écrivain).  Nous  ajouterons  que  son  livre  contient  plusieurs 
choses  excellentes  qui  n'ont  d'autre  défaut  que  d'être  trop  con- 
nues et  d'être  reproduites  sous  une  forme  obscure  ou  aride  ; 
mais  enfin  quelle  que  puisse  être  la  répugnance  avec  laquelle 
nous  nous  y  décidons ,  nous  devons  signaler  cette  production 
comme  répondant  trop  peu  au  point  élevé,  ou  l'art  est  parvenu 
aujourd'hui  pour  que  nous  puissions  donner  une  analyse 
plus  étendue  des  autres  chapitres  et  articles  qui  sont  encore 
en  fort  grand  nombre. 


Correspondance. 

Saiut-Pélersbourg,  le  13  mai. 

La  Chapelle  impériale.  —  La  Muette  de  Poktici. 
Carl  Mater. 

J'ai  entendu  beaucoup  de  belle  musique  l'hiver  dernier  : 
plusieurs  symphonies  de  Beethoven ,  la  grande  symphonie  de 
Maurer ,  ouvrage  qui,  par  son  originalité  et  son  instrumenta- 
tion, est  une  production  immense  pour  notre  époque,  et  la 
grand'mcsse  en  ré  mineur  de  Cherubini,  œuvre  vraiment  re 
marquable ,  et  qui  rappelle  toujours  à  mon  esprit  l'inimitable 
Mozart,  que  Cherubini  s'est  proposé  comme  modèle.  J'ai  en- 
tendu aussi  résonner  la  voix  colossale  de  mademoiselle 
Heinefetter ,  ainsi  quenelle  de  mademoiselle  Carl  ;  c'est  mal- 
heureux que  cette  dernière  chante  rarement  des  œuvres  classi- 
ques. Mais  Ce  qui  surpasse  tout,  ce  sont  les  chanteurs  de 
la  cour  impériale,  chœur  immense  de  voix  divines,  d'en- 
fans,  déjeunes  gens,  et  d'hommes,  chantant  constamment 
sans  accompagnement  (si  ce  n'est  dans  les  concerts  étran- 
gers), n'exécutant  que  les  pieuses  et  angéhques  compositions 
de  l'ancienne  église  chrétienne,  ces  grandes  et  pures  créations 
des  immortels  génies  de  l'art  musical ,  des  Palestrina,  Hasse, 
Lotti,  Pergolese,  Haendel,  Sébastien  Bach,  Fesca ,  etc.  et 
exécutant  tout  cela  d'une  manière  à  faire  rêver  le  ciel.  Des 
voyageurs  qui  ont  entendu  à  Rome  la  chapelle  pontificale 
disent  que  la  chapelle  russe  surpasse  encore  celle  de  Rome  , 
réputée  jusqu'ici  comme  étant  sans  rivale  (1). 

J'ai  vu  aussi  la  Muette  de  Porlici,  ouvrage  qu'on  appelle  ici 
Fenella  ,  et  qui  nulle  part  assurément  n'est  mis  en  scène  avec 
plus  de  luxe  et  de  magnificence  qu'à  Saint-Pétersbourg.  Mais  je 
me  sens  saisi  d'une  tristesse  mortelle  toutes  les  fois  qu'il  faut  en- 
tendre cette  musique,  dont  l'esprit  est  l'opposé  du  goût  et  de 
l'art ,  bien  qu'il  soit  impossible  d'y  méconnaître  des  beautés 
détachées ,  aiusi  que  le  cachet  d'un  certain  talent.  Cette  œuvre 
est  là  comme  un  oracle  de  génie  pour  prédire  la  chute  désor- 
mais inévitable  de  l'art ,  et  annoncer  l'esprit  infernal  du  moyen- 
âge,  qui  tieut  notre  époque  dans  ses  griffes  (2). 

Le  célèbre  pianiste  Carl  Mayer  n'a  donné  aucun  concert 
pendant  l'hiver  dernier.  Vous  allez  me  demander  si  c'est  faute 
d'avoir  du  succès;  nullement,  et  c'est  plutôt  par  un  mo- 
tif tout  opposé,  s'il  faut  en  croire  le  bruit  qui  s'est  répandu,  et 
qui ,  du  reste ,  paraît  très-vraisemblable.  On  dit  qu'au  der- 
nier concert  [donné  par  Carl  Mayer,  ce  viituose  avait  distri- 
bué beaucoup  plus  de  billets  que  la  salle  ne  pouvait  contenir  de 
personnes,  et  que  les  amateurs  désappointés  allèrent  se  plain- 
dre au  ministre  de  la  police  qui  manda  l'artiste  dans  son  cabi- 
net. Il  paraît  qu'alors  a  eu  lieu  une  scène  dans  laquelle  le  pia- 
niste oublia  probablement  qu'il  se  trouvait  à  Saint-Pétersbourg: 
ce  qu'il  y  a  de  certain,  c'est  que  le  ministre  de  la  police  a  in- 
timé à  M.  Mayer  la  défense  de  donner  aucun  concert  dans 
cette  ville. 

MM.  Gerke  et  Schreinzer,  jeunes  pianistes  allemands,  out 
joué  souvent  l'hiver  dernier  et  ont  obtenu  beaucoup  de  succès. 
{Journal  de  Musique  de  Leipzig.) 

(1)  Voir  la  Gazette  Musicale,  numéros  2  jusqu'à  5,  chapelle 
Sixtine,  par  M.  Mainzer. 

(2)  Jede  Ansicht  muss  angehoert  werden.         Goethe. 
(Il  faut  écouter  toutes  les  opinions.) 


REVUE  CRITIQUE. 

La  Mer,  Lied.  Imitation  de  l'Allemand,  par  H.  Nougier, 
musique  de  J.  Dessauer.  Prix  :  3  francs  (1). 

Puisque  nous  ne  craignons  pas  de  critiquer  sans  ménage- 
ment dans  cette  feuille  des  œuvres  publiées  indistinctement  par 
tous  les  éditeurs,  il  doit  nous  être  permis  de  parler  avec 
éloge  des  efforts  que  fait  M.  Maurice  Schlesinger,  uniquement 
dans  l'intérêt  de  l'art  musical  pour  acclimater  sur  le  sol  fran- 
çais certaines  productions  telles  que,  par  exemple  ,  le  Lied  al- 
lemand ,  genre  de  composition  du  plus  haut  mérite ,  et  dont  il 
livre  successivement  au  public  un  choix  remarquable  sous  la 
forme  tantôt  de  traductions  ,  tantôt  d'imitations.  Dans  le  nu- 
méro 20  de  ces  feuilles ,  nous  avons  déjà  fait  connaître  les  qua- 
lités caractéristiques  des  Lieder  et  le  développement  progressif 
de  ce  genre,  en  classant  leLied  dont  nous  nous  occupions  alors, 
parmi  les  productions  de  la  seconde  époque  de  l'art  allemand 
en  fait  de  Lieder.  Le  morceau  ci-joint  appartient  à  la  troisième 
époque  que  nous  avons  désignée  dans  notre  article  précité.  Si 
la  forme  extérieure  est  ainsi  suffisamment  définie,  il  ne  nous 
reste  que  peu  d'observations  à  faire  sur  son  mérite  intrinsèque. 
Ce  dernier  Lied  se  distingue  par  un  chant  profondément  senti 
et  plein  d'expression  ,  qui  s'appuie  sur  une  harmonie  aussi  belle 
que  caractéristique,  harmonie  qui  accompagne  jusqu'au  bout 
une  figure  mélodique  parfaitement  adaptée  au  morceau  et 
donne  à  l'ensemble  un  singulier  charme.  Nous  devons  aussi 
faire  une  mention  particulière  de  la  belle  diction  des  paroles 
allemandes  et  faire  compliment  à  M. Nougier  quia  traduit  avec 
talent  et  bonheur.  Au  résumé,  si  ce  Lied  pouvait  encore  laisser 
quelque  chose  à  désirer,  ce  serait  peut-être  un  seule  change- 
ment dans  le  rhylhme,  qui  peut  sembler  un  peu  monotone  vers 
la  fin  de  l'air.  Nous  espérons  que  les  amis  de  l'art  s'attacheront 
bientôt  avec  prédilection  à  ce  genre  de  compositions  à  la  fois  si 
noble  et  si  poétique. 


Fantaisies  pour  la  Flûte  avec  accompagnement  de 
Piano,  sur  des  motifs  àuRevenant,  par  A.  Cottignies. 
Op.  53.  Prix  :  7  fr. 

Quelques  motifs  du  Revenant  sont  ici  arrangés  avec  talent 
et  sans  prétention  ,  de  manière  à  former  un  tout  que  l'on  est 
convenu  d'appeler  fantaisie.  Dans  ce  genre  de  morceaux,  une 
certaine  liaison  des  différons  motifs  s'obtient  au  moyen  de 
quelques  idées  intermédiares,  et  avec  le  secours  de  quelques 
variations  des  motifs  qui  s'y  prêtent  le  mieux  ,  la  fantaisie  se 
trouve  avoir  une  longueur  suffisante.  C'est  ainsi  qu'on  parvient 
facilement  à  coudre  ensemble  une  introduction,  un  soi-disant 
premier  morceau  allegro  moderato,  un  andanie  ou  quasi 
adagio  avec  un  presto  ou  allegro  en  guise  de  finale ,  et  l'œu- 
vre est  consommée.  Quant  à  l'art  et  à  la  poésie,  nous  n'avons 
pas  besoin  de  remarquer  qu'il  n'en  est  et  ne  peut-être  ici  au- 
cunement question.  Du  reste  et  à  part  toutes  ces  petites  consi- 
dérations ,  le  présent  opuscule  est  tout  aussi  beau  que  les  quel- 
ques centaines  d'œuvres  du  même  genre  publiées  par  des 
compositeurs  connus  par  de  grands  succès,  aussi  n'avons- 
nous  nullement  l'intention   de  blâmer    cette   production   de 

(i)  Nous  donnons  cette  romance  comme  supplément. 


M.  Cottignies  ,  que  nous  connaissons  comme  un  artiste 
fort  distingué ,  notre  seule  idée  étant  de  mettre  à  leur  place 
toutes  les  compositions  de  ce  genre.  Cet  ouvrage  est  très- 
brillant  pùur  l'exécutant ,  et  il  doit  être  d'un  assez  grand  effet 
dans  le  salon  ou  même  dans  une  salle  de  concert. 


Souvenirs  théâtral;  deux  Fantaisies  élégantes  pour 
le  piano,  sur  des  motifs  favoris  de  l'opéra  Anna 
Bolendj  par  Czerny  ;  Op.  247.  Prix  :  6  fr. 

Nous  ne  savons  pas  ce  que  M.  Czemy  appelle  une  fantaisie 
élégante.  Mais  ce  qu'il  y  a  de  certain  pour  nous ,  c'est  qu'il 
faut  «ne  bien  petite  dose  d'imagination ,  si  toutefois  il  en  faut, 
pour  écrire  des  œuvres  comme  celles  que  M.  Czerny,  cet  ar- 
tiste, d'ailleurs  si  estimable,  publie  aujourd'hui  avec  ce  double 
titre  quelque  peu  prétentieux.  A  l'exception  des  motifs  aussi 
chantants  que  gracieux  quoique  peu  neufs  que  l'auteur  a  cm- 
pruntés  aux  ouvrages  de  Douizetti ,  et  qu'il  n'a  pas  même  su 
arranger  avec  bonheur  pour  former  un  tout  musical  dans  l'ac- 
ception la  pus  ordinaire  du  mot,  nous  ne  trouvons  absolu- 
ment rien  à  louer  dans  cette  production,  rien  même  qui  soit  à 
peu  près  digne  du  nom  de  Czerny. 
Souvenir  théâtral,  trois fantaisiesélégantes pour  lepiano sur  : 

1°  La  Norma  de  Bellini. 

2°  La  Straniera.     Id. 

3°  Montechi e  Capulelti.  Id. 

Tout  ce  que  nous  venons  de  dire  plus  haut  s'applique  entiè- 
rement à  ces  trois  numéros.  Le  seul  mérite  de  semblables  œu- 
vres est  de  ne  pas  renfermer  de  trop  grandes  difficultés  et  de 
fournir  en  même  temps  à  ceux  qui  n'ont  pu  entendre  au  théâ- 
tre les  opéras  italiens ,  l'occasion  de  faire  connaissance  avec 
plusieurs  motifs  gracieux;  c'est  de  la  marchandise  comme  nous 
en  voyons  souvent  avec  le  nom  de  Henri  Herz  ,  dans  les  maga- 
sins de  musique  ,  et  que  le  public  commence  à  apprécier  à  leur 
juste  valeur. 


Thème  original  varié  pour  le  violoncelle,  avec  ac- 
compagnement d'orchestre  ou  de  piano,  par  Auguste 
Franchomme;  Op.  S. 

Ce  joli  thème  original  est  reproduit  par  trois  variations  plus 
ou  moins  étendues  qui  en  général  sont  d'une  assez  grande  diffi- 
culté, quoique  ne  s'écartant  jamais  de  la  nature  de  l'instrument. 
Ces  variations  sont  tout  à  la  fois  brillantes  et  gracieuses  comme 
on  avait  droit  de  s'y  attendre  de  la  part  d'un  artiste  aussi  dis- 
tingué que  l'auteur.  Nous  éprouvons  cependant  le  besoin  d'ex- 
primer un  vœu  que  nous  avons  formé  depuis  long-temps  et 
qui  du  reste  est  loin  de  nous  être  suggéré  par  l'opuscule  si 
distingué  de  M.  Franchomme. En  général,  nous  voudrions  voir 
les  violoncellistes  rechercher  plus  souvent  l'occasion  d'utiliser 
les  cordes  graves  de  leur  instrument ,  ces  cordes  qui  ont  des 
sons  si  riches  et  si  nobles.  Il  est  rare  que  nous  ne  les  voyions 
pas  s'obstiner  à  faire  comme  les  violonistes  qui  sont  toujours 
grimpés  dans  les  hautes  régions  du  chevalet. 


GAZETTE  MUSICALE  DE  PARIS. 


NOUVELLES. 

!*\  Tandis  que  l'Opéra  fait  toujours  d'abondantes  recettes 
avec  Roberl-le-Diable,  Don- Juan  et  même  avec  la  Muette  de 
Portici  et  la  Tentation  ,  qui  ne  sont  point  encore  usés  ,  l'ad- 
ministration de  ce  théâtre  ne  néglige  point  l'avenir.  On  répète 
tous  les  jours  la  Tempête,  ballet,  musique  de  Sclmeitzhofer,  qui 
doit  être  représenté  vers  la  fin  du  mois  pour  les  débuts  des  jo- 
lies demoiselles  Elsler.  La  Juive,  opéra  en  cinq  actes,  poème 
de  Scribe,  musique  A'flalevy,  est  en  répétition.  Les  artistes 
parlent  avec  enthousiasme  du  premier  acte  de  cet  ouvrage , 
qu'ils  ont  répété  ensemble  il  y  a  quelques  jours  ,  et  si  nous 
en  croyons  les  personnes  dignes  de  foi  qui  ont  vu  la  parti- 
tion ,  la  Juive  est  uu  opéra  destiné  à  un  succès  à  la  Robert. 

+%  La  Dame  Blanehe  s'est  trouvée  rajeunie  sous  les  traits  de 
madame  Masi,  qui  continue  ses  brillants  débuts  à  l'Opéra- 
Comique.  Nous  avons  l'espérance  d'entendre  incessamment,  à 
l'occasion  d'un  bénéfice,  le  Barbier  de  Rossini,  et  pour  nous 
donner  la  plus  jolie  des  Rosine;  c'est  madame  Masi  qui  la  re- 
présentera ;  c'est  un  rôle  dans  lequel  celte  artiste  pourra  faire 
valoir  ses  avantages. 

+%  L'Opéra-Allemand,  sous  la  direction  musicale  de  M.  Che- 
lard,  continue  avec  succès  ses  représentations  à  Strasbourg. 

*^  On  lit  dans  le  Journal  des  Artistes,  du  29  juin  :  «Le 
»  célèbre  Paganini  vient  d'inventer  un  instrument  qui  doit  faire 
»  l'étonnement  et  l'admiration  de  tous  les  dilettanti.  Ce  grand 
»  artiste  cherchait  depuis  long-lemps  à  produire  des  sons  qui 
«  offrissent  une  ressemblance  avec  la  voix  humaine.  Il  croit  y 
»  être  parvenu  au  moyen  de  l'instrument  dont  nous  parlons, 
«  et  qu'il  a  nommé  la  contraviola  Paganini  ;  il  est  à  la  viole, 
»  comme  son  nom  l'indique,  ce  que  la  double-basse  est  au 
»  violoncelle.  Paganini  ne  craindra  point  de  rival  pour  le  ma- 
»  niement  de  cette  contraviola,  car  lors  même  qu'on  parvien- 
«  drait  à  l'égaler  pour  l'exécution  ,  ce  qui  est  presque  impossi- 
»  ble,  personne  autre  que  lui  n'aurait  le  bras  a*sez  long  pour 
«  tenir  et  parcourir  le  manche  de  l'instrument.  On  en  con- 
«  naîtra  bientôt  les  effets.  « 

Nous  ne  prononcerons  pas  sur  le  mérite  de  cet  instrument 
sans  l'avoir  vu  et  entendu  ;  mais  nous  craignons  que  l'inven- 
tion n'en  soit  pas  si  nouvelle  que  le  semble  croire  l'inventeur. 
Sans  parler  de  la  viola  di  spa'la  encore  en  usage  au  commen- 
cement du  siècle  passé,  viole  assez  lourde  qu'on  tenait  sur  l'é- 
paule et  qu'on  fixait  à  cause  de  son  poids  ,  au  moyen  d'un  ru- 
ban attaché  à  la  poitrine  ,  nous  rappellerons  ici  un  instrument 
de  l'invention  de  Jean-Sébastien  Bach  ,  auquel  il  avait  donné 
le  nom  de  viola  pomposa.  C'était  \me  viole  à  cinq  cordes 
d'un  volume  plus  grand  et  d'un  son  plus  bas  que  la  viole  ordi- 
naire. Augmenter  ou  diminner  le  volume  d'un  instrument, 
ajouter  ou  retrancher  une  corde  ,  etc. ,  ce  sont  là  de  ces  inven- 
tions qui  ne  présenteut  guère  de  difficulté  que  pour  le  choix 
d'un  nouveau  nom.  C'est  ainsi  qu'on  a  créé  une  foule  d'instru- 
mens  qui  n'ont  pas  survécu  à  leurs  auteurs.  On  verra  si  la  con- 
traviola Paganini  aura  un  sort  plus  heureux. 

*+  La  fête  musicale  de  Magdebourg  aura  lieu  les  2,  3,4 
juillet;  M.  Frédéric  Schneider  est  chargé  de  la  direction  de 
cette  solennité,  qui  promet  d'être  très-brillante. 

+*  A.  Choron,  le  créateur  et  le  directeur  du  Conservatoire 
de  musique  clasique  qui  a  rendu  de  si  grands  services  à  l'art 
musical,  vient  de  mourir  après  une  longue  mabidie.  Nous  con- 
sacrerons quelques  (donnes  dans  notre  prochain  numéro  à  la 
biographie  de  cet  artiste  ,  si  plein  de  science ,  de  zèle  et  de  dé- 
sintéressement. 

*  Madame  Quiney  est  de  retour  de  son  voyage  ;  espérons 
que  le  beau  ciel  d'Italie  a  donné  à  sa  voix  plus  de  justesse  et 
plus  d'agilité. 

+*+  M.  Ferdinand  Ries,  vient  d'être  engagé  à  Aix-la-Cha- 
pelle, comme  directeur  des  orchestres  et  de  l'Académie  de 
chant  de  cette  ville  ,  avec  un  traitement  de  1,500  thalers  (en- 
viron 6,000  fiv). 


Musique   nouvelle , 

Publiée  par  Maurice  Scblesinger. 

Adam,  le  Proscrit  arrangé  pour  deux  flûtes  par  Walkiers. 

7  f.  5o 

—  Ouverture  du  même  opéra  arrangée  par  le  même.  4  f.  5o 

—  Le  même  opéra  arrangé  pour  deux  violons  par  Strunz. 

7  f .  50 

—  Ouverture  de  cet  opéra  arrangé  pour  deux  violons  par  le 
même.  q  f.  50 

Publiée  par  Richault. 

Carnaucl.  Etudes,  variations,  préludes  et  morceaux  divers 
doigtés  avec  le  plus  grand  soin  pour  le  cornet  à  piston  ,  pre- 
mier livre.  12f. 

Publiée  par  Troupenas, 

Herz  et  Lof  ont.  Trois  duos  concertans  pour  piano  etviolonsur 
des  thèmes  favoris. 

N°  1.  Valse  du  duc  deReichsiadt;  n°  2.  Thème  de  Gustave; 
n°  3.  Cavatine  de  Zelmire.  Chaque  ,  7  f.  50 

Publiée  par  A.  Petit. 

Gallay  œuvre  28.  Troisième  mélodie  pour  le  cor  avec  accom- 
pagnement de  piano  sur   un^  cavatine  de  la  Somnambula. 

7f.  50 

—  OEuvre  29.  Souvenirs  du  Pirate  de  Bellini,  fantaisie  pour 
cor  et  piano.  7  1'.  50 

—  OEuvre  30.  Fantaisie  brillante  pour  cor  et  piano  sur  un 
motif  delà  Straniera  de  Bellini.  7  f.  50 

Nota.  La  partie  de  cor  de  ces  trois  œuvres  peut  s'exécuter  éga- 
lement sur  le  cornet  à  pistons. 

OUVRAGES  PUBLIÉS  PAR  LA  MAISON  PLEYEL  ET  O  . 

Achetés  par  Prilipp  et  C". 

Dizi.  Toutes  les  OEuvrcs  édites  par  MM.  Plejel. 

Pleyel  (C.)  6  mélanges  pour  lepiano.  N°  1  à  6. 

Bauduau.  Méthode  de  violoncelle. Première  et  deuxième  partie. 

Kalkbrenner.  OEuvres  85,  88,  92,  g3,  96. 

Achetés  par  Henri  Lemoine. 

Kalkbrenner.Op.  16,-17,  18,19,21,22;  25,26,28,30,32,33, 
34,37,39,  40,  43,  45,  46,  47,  48,  54,  56,  58,  58,  60,  64,  68, 
72,  79,  94,  g5,  97, 98, 100, 101 ,  102, 103. 

Achetés  par  A.  Petit. 

Czerni.  Premier  et  deuxième  Décameron  à  deux  et  à  quatre 
mains. 

—  Op.  161.  48  études. 

—  Op.  1 72  Grande  sonate  à  quatre  mains. 
Garnier.  Méthode  de  hautbois. 


Opéras  et  Concerts  de  la  semaine. 

OPÉRA.  —  Lundi,  Guillaume-Tell,  Nathalie.  —  mercredi,  la  Muette.  — 

Vendredi,  le  COMTE  Oby  ,  la  SOMNAMBULE. 
OPÉRA-COMIQUE.  —  Dimanche  ,     UNE   BONNE    FORTUNE,    le    PrÉ-AUX-CLERCS 

et  l' Aspirant.  —  Lundi,  les  Deux  Mousquetaires,  le  Dilettante  et  le 
Pré.  —  Mardi ,  Lestocq.  —  Mercredi ,  Ludovic  et  la  Dame  Blanche.  — 

Jeudi,  Lestocq.  —  Vendredi,  les  deux  Mousquetaires,  la  Dame  Blanche 

et  une  Bonne  Fortune,  —  Samedi ,  Lestocq. 
THEATRE  N  AUTIQDE.  —  Mardi ,  jeudi  et  samedi ,  Guillaume- Tell. 

COXC  ERTS .  —  Champs  Élysées  et  Jardin  Turc ,  tous  les  jours  concert. 

Ci-joint  un  supplément  contenant  :  la  Meh,  Lied,  paroles 
de  M.  Nougier  ,  musique  de  Dessauer. 


MM.  Les  abonnés,  dont  l'abonnement  finit 
le  3o  juin,  sont  priés  de  le  renouveler  s'ils  ne 
veulent  pas  éprouver  de  retard  dans  l'envoi  du 
Journal.  MM.  les  libraires ,  marchands  de  mu- 
sique et  tous  les  bureaux  de  messageries  en 
province  acceptent  les  abonnemens  sans  aug- 
mentation de  prix. 


Gérant,  MAURICE  SCHLESINGER. 


rie  d'ÉVERAT,  rue  du  Cadr; 


Gazette  Musicale    <ie  Paris. 
S  j^plemem   an   27Y'  Numéro.  T^    A      TVT  Jl  Tl 

r    ,  (LI ED!     Musique    de     DESSAUER. 

lodcraiD  assai.  '  ^ 


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Ie:    année    6     Juillet     1834. 


sempre^pe   sopra   una   corda. 


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_  cun  zéphyr  rïa_gi  _te   lair, 

Hift  _      -  chen.ist     heut  auf    ge_\vacht, 


au    _  cun     zé_phyr  ne       veiî  _      _     Je,  au  _ 

kein         Liïft_  chen    ist      £e   _      kom  _       _    men,  kein 


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ainsi    sommeille    un  cœur 

so  &chM't  oin     Eerz, 


_  cun   zé_phyrne  veil_     _      _le! 
Liift_chen  ist      geAom    _      -  men! 


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en  proie  à  la  dou  _  leur  ! 

von  Leid    er     ftfllt! 


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M  S.   1598 


GAZETTE   MUSICALE 


mw  jpjimn. 


1"  AA1MÉE. 


N°    28. 


riux  de  l'aeonnem. 

PARIS. 

DÉPART. 

ETRANG 

fr. 

Fr.       c. 

Fr.      c. 

3m.     8 

8     75 

9    50 

6m.  15 

(6   50 

18     , 

1  an.  30 

33    » 

36    » 

4T«  (Sfasette  i&ue'tcale  i>e  |.3srts 
Paraît    le   DIMANCHE  de  chaque  semaine. 

On  s'abonne  au  bureau  de  la  Gazette  musicale  de  paris,  rue  Richelieu,  97; 
et  chez  tous  les  libraires  et  marchands  de  musique  de  France. 

On  reçoit  les  réclamations  des  personnes  qui  ont  des  griefs  à  exposer,  et  les  avis  relatifs  à  la  inusiqu 
qui  peuvent  intéresser  le  public. 


PARIS.  DIMANCHE  13  JUILLET  1834. 


Les  lettres,  demandes 
et  envois  d'argent  doi- 
vent êire  affranchis,  et 
adressés  au  Directeur  , 
rue  Richelieu,  97. 


EXPOSITION 

DES    PRODUITS    DE    L'iNDUSTME. 

(4°  Article.) 

Pianos. 

Avant  d'aborder  l'examen  des  pianos,  disons  quel- 
quelques  mots  sur  la  disposition  de  la  salle  qui  malheu- 
heureuseinent  n'est  pas  avantageuse  pour  les  instrumens 
dont  nous  allons  nous  occuper.  Si  on  les  envisageait 
comme  meuble  de  luxe,  dont  il  suffirait  de  voir  l'exté- 
rieur, il  n'y  aurait  rien  a  dire,  tout  serait  bien  placé. 
Mais  l'extérieur  n'est  qu'une  partie  accessoire  d'un  in- 
strument de  musique;  le  mécanisme,  la  qualité  du  son 
en  font  le  principal  mérite.  Pour  en  juger,  il  faut  pouvoir 
l'ouvrir,  l'essayer;  or  c'est  la  précisément  a  quoi  on  n'a 
pas  pensé  ou  pensé  trop  tard.  On  avait  mal  calculé  la 
place  qu'il  fallait  aux  facteurs  exposans ,  les  pianos  sont 
arrivés  en  nombre,  et  force  a  été  de  les  serrer  de  manière 
qu'il  fut  impossible  d'en  approcher.  Enfin  des  retarda- 
taires sont  venus  envahir  une  partie  de  la  place  destinée 
d'abord  a  la  circulation  déjà'  assez  restreinte.  Tous  ces 
embarras  auraient  pu  être  évités ,  si  l'on  y  avait  songé  à 
temps;  mais  un  inconvénient  attaché  a  la  construction 
de  la  salle  même  n'en  aurait  pas  moins  subsisté, 
c'est  le  manque  de  sonorité.  L'entourage  de  tapis, 
absorbant  le  son,  est  défavorable  aux  instrumens  exposés. 
Juger  d'un  piano  qu'on  n'aurait  entendu  que  l'a,  ce  se- 
rait juger  de  'a  qualité  des  couleurs  qu'on  n'aurait  vues 
qu'au  crépuscule.  Aussi  le  jury  a-t-il  reconnu  l'impossi- 
bilité de  faire  son  examen  dans  le  pavilion  même  ;  il  a 
choisi  une  salle  plus  convenable  au  Louvre,  et  on  y  a 


transporté  les  pianos  que  les  facteurs  ont  voulu  pré- 
senter au  concours.  Nous  ne  pouvons  qu'applaudir  à 
celte  mesure,  mais  nous  désirerions  qu'a  l'avenir  on 
trouvât  moyen  d'en  prévenir  la  nécessité ,  en  plaçant 
les  instrumens  de  musique  dans  un  local  d'exposition 
tel  que  l'exige  la  nature  de  ces  objels. 

La  fabrication  des  instrumens  de  musique  est  devenue 
une  branche  très-considérable  de  l'industrie  et  qui  va 
encore  prendre  de  plus  grands  développemens;  c'est  une 
branche  à  part,  en  ce  que  ses  produits  ne  peuvent  s'ex- 
poser a  la  simple  vue.  Il  faudrait  destiner  aux  instru- 
mens une  salle  particulière  qui,  répondant  aux  lois  de 
l'acoustique,  put  faire  ressortir  leurs  qualités  de  son.  L'a 
les  amateurs  auraient  les  moyens  de  comparaison ,  et  le 
but  de  l'exposition  d'être  un  véritable  concours,  serait 
atteint  pour  les  facteurs  comme  il  l'a  été  pour  les  au- 
tres fabricans.  Pour  mal  arranger  un  chose,  mieux  vaut 
ne  pas  l'arranger  du  tout;  et  nous  concevrions  le  dégoiit 
de  quelques-uns  de. nos  premiers  facteurs  qui  ne  vou- 
draient plus  se  présenter  a  une  exposition  future,  si  elle 
se  faisait  comme  celle  d'aujourd'hui. 

Après  avoir  indiqué  les  mesures  à  prendre  pour  fa- 
voriser les  progrès  de  l'art  et  de  l'industrie  qui  s'y 
rattache,  il  nous  semble  convenable  de  constater  la  mar- 
che qu'où  a  suivi  pour  arriver  a  la  perfection  de  l'instru- 
ment qui  nous  occupe. 

Celui  qui,  le  premier,  plaça  sous  une  corde  tendue 
une  touche  munie  d'une  lame  de  cuivre,  ne  se  doutait 
guère  de  l'importance  que  prendrait  dans  les  siècles  sui- 
vans  une  invention  si  simple  dans  son  origine,  et  pro- 
bablement il  ne  voulait  qu'améliorer  le  monocorde  que 
le    déplacement  continuel   des   chevalets  rendait   d'un 


222 


GAZETTE  MUSICALE 


usage  incommode.  Suivons  pas  a  pas  les  perfection- 
nemens  pour  ainsi  dire  imperceptibles,  les  transfor- 
mations successives  de  cette  idée  première. 

Dans  l'antiquité ,  le  monocorde  ne  servait  qu'a  me- 
surer les  proportions  des  sons ,  et  pour  cet  effet  on  se 
servait  de  chevalets  mobiles  au  moyen  desquels  on  divi- 
sait la  corde.  Dans  le  moyen  âge  on  le  fit  servir  de  plus 
à  régler  l'intonation  du  chant,  et  c'est  alors  surtout  qu'on 
reconnut  les  imperfections  de  cet  instrument,  et  les  pre- 
miers efforts  tendirent  a  remplacer  par  un  mécanisme  la 
mobilité  des  chevalets  qu'on  ne  pouvait  déplacer  qu'à 
l'aide  des  mains.  Ce  mécanisme  ne  consista  d'abord 
qu'en  de  minées  morceaux  de  bois,  sur  lesquels  une 
lame  placée  perpendiculairement  tint  lieu  de  chevalet. 
En  comprimant  cette  touche ,  la  lame  montait  vers  la 
corde  et  non-seulement  opérait  la  division ,  produite 
auparavant  par  le  chevalet,  mais  la  faisait  résonner  en 
même  temps,  et  dispensait  de  la  nécessité  de  la  pin- 
cer avec  le  doigt.  Ce  moyen  trouvé,  on  en  tira  parti; 
on  augmenta  peu  a  peu  le  nombre  de  ces  touches ,  on 
multiplia  les  cordes,  on  plaça  le  tout  dans  une  petite 
caisse,  et  voila  le  clavicorde  inventé,  bien  petit  sans  doute, 
au  son  bien  mince,  mais  toujours  un  premier  instrument 
a  touches  et  à  cordes.  Il  conserva  d'abord  le  nom  de  mo- 
nocorde ^  preuve  évidente  de  son  origine,  jusqu'à  ce  que 
le  nom  de  clavicorde  prévalût.  Ce  fut  là  l'origine  de 
l'innombrable  famille  des  iustrumens  à  touches  qui  se 
sont  succédés  jusqu'à  nos  jours,  et  dont  une  grande 
quantité  est  tombée  dans  l'oubli^). 

Cependant  le  besoin  de  sons  plus  forts  fit  bientôt 
trouver  des  moyens  différens  de  les  produire.  On  inventa 
des  sautereaux  munis  de  pointes  de  plume  qui  pinçaient 
la  corde  dont  la  touche  correspondante  subissait  la  pres- 
sion du  doigt.  Ces  iustrumens  reçurent  le  nom  d'e'pi- 
nettei,  à  cause  de  ces  pointes  ou  épines  qui  attaquaient 
la  corde.  Le  son  de  ces  épinettes,  plus  fort  que  celui  du 
clavicorde ,  était  pourtant  encore  trop  faibleà  côté  d'au- 
tres instrumens.  Pour  l'augmenter,  on  agrandit  le  vo- 
lume delà  caisse  ;  on  la  construisiten  forme  triangulaire, 
ressemblant  à  celle  de  nos  pianos  a  queue,  et  cet  instru- 
ment prit  alors  le  nom  de  clavessin.  Il  fut  long-temps  le 
roi  des  instrumens  à  touches ,  et  n'a  été  complètement 
détrôné  quedansla  seconde  moitié  du  siècle  passé, après 

(I  )  Le  clavicorde  pcifi  ctionné  existe  encore  dans  quelques  con- 
trées du  nord  de  l'Allemagne.  En  France  l'usage  s'en  est  perdu 
depuis  long-temps.  Mais  il  serait  inexact  de  prétendre  avec  la 
Revue  Musicale  (tom.  VIII,  p.  176),  que  cet  instrument  n'y  a 
pas  été  introduit.  Il  y  était  connu  sons  un  autre  nom  ;  car  c'est 
le  maiiichovd'wn  ,  décrit  par  Meerenue  dans  son  Harmonie 
universelle  ,  liv.  III,  des  Instrumens ,  pag.  "M  4. 


avoir  lutté  en  vain  contre  son  successeur,  le  piano,  qui 
avait  sur  lui  des  avantages  incontestables.  Dépourvu  des 
moyens  de  nuancer  le  son,  le  clavecin  n'en  rendait  que 
d'uniformes,  et  le  jeu  de  cet  instrument,  malgré  diffé- 
rens registres  et  d'autres  améliorations  qu'on  y  introdui- 
sit, restait  sec  et  monotone.  Le  piano  au  contraire  per- 
mettait au  musicien ,  de  varier  le  degré  de  la  force  selon 
la  manière  dont  il  frappait  les  touches,  et  même  dans 
son  premier  état  d'imperfection  il  était ,  sous  ce  rapport, 
bien  supérieur  au  clavecin  le  plus  parfait.  Cependant 
cette  supériorité  fut  assez  long-temps  à  être  généralement 
reconnue,  et  le  piano  eut  des  antagonistes  qui,  encore 
en  1763,  se  moquaient  de  ce  qu'ils  appelaient  une  mal- 
heureuse innovation ,  disant  que  jamais  le  forle'-piano  ne 
pourrait,  dans  les  orchestres,  tenir  lieu  de  clavecin,  et 
que  son  usage  ne  deviendrait  jamais  général.  Cette  pré- 
diction, grâce  au  génie  de  quelques  facteurs  habiles  de 
cette  époque ,  s'évanouit  bientôt  et  depuis  lors  d'innom- 
brables améliorations  ont  successivement  porté  cet  ins- 
trument au  degré  de  perfection  où  nous  le  voyons  au- 
jourd'hui. 

Nous  ne  ferons  pas  ici  l'histoire  du  piano;  cela  nous 
mènerait  trop  loin  ;  d'ailleurs  nous  nous  réservons  cette 
tâche  pour  un  travail  spécial  sur  les  instrumens  à  touches. 
Mais  nous  ne  pouvons  nous  dispenser  de  dire  quelques 
mots  sur  la  date  de  cette  invention ,  pour  rectifier  les 
erreurs  qui  se  sont  propagées  à  ce  sujet.  Ceux  qui  pré- 
tendent que  les  premiers  pianos  parurent  à  la  fin  du  dix- 
huitième  siècle,  ou  qui,  avec  l'auteur  d'un  écrit  ré- 
cemment publié ,  n'en  font  remonter  l'origine  que 
vers  -1775,  se  trompent  grossièrement.  D'autres,  attri- 
buant celte  invention  à  Godefroy  Silbertnann,  célèbre 
facteur  d'orgues  à  Freibergeu  Saxe,  en  fixent  l'époque 
vers  -1740,  c'est  encore  une  erreur.  Silbermann  fut,  il 
est  vrai ,  un  des  premiers  qui  se  mirent  à  fabriquer  régu- 
lièrement des  pianos,  mais  il  n'en  est  pas  lui-même 
l'inventeur.  Avant  lui  on  en  avait  construit  plusieurs 
dans  quelques  villes  de  l'Allemagne  sur  le  modèle  de 
Scbrœter.  Cet  homme  ingénieux  qui,  dans  un  état  con- 
tinuel de  gêne  eut  durant  toute  sa  vie  le  malheur  de  ne 
pouvoir  exécuter  ses  projets,  avait,  en  -1717,  conçu 
l'idée  du  piano ,  et  construit  deux  essais  inachevés  qu'il 
présenta  en  1721  à  l'électeur  de  Saxe,  dans  l'espoir 
d'obtenir  lesmoyens  d'exécuter  en  entier  son  instrument. 
Schrœter  n'obtint  que  des  promesses,  et,  décidé  enfin  à 
quitter  la  capitale  de  Saxe,  c'est  en  vain  qu'il  réclama 
ses  modèles  qu'on  avait  gracieusement  acceptés.  Peu  de 
temps  après ,  différens  facteurs  essayèrent  la  construc- 
tion de  cet  instrument,  sans  qu'il  fût  question  de  Schrœ- 
ter ;  chacun  se  disant  lui-même  l'inventeur.  On  trouve 


223 


à  ce  sujet  des  détails  étendus  dans  une  longue  lettre 
que  Schrœter  publia  en  1 763  pour  revendiquer  l'hon- 
neur de  sa  découverte.  Cette  lettre  ,  très-curieuse  sous 
plusieurs  rapports,  contient  en  même  temps  le  dessin  de 
l'un  de  ses  modèles.  La  mécanique,  comme  on  le  pense 
bien,  est  fort  simple;  le  marteau  se  mouvant  sur  une 
espèce  de  goupille,  était  poussé  vers  la  corde  par  un  pi- 
lote perpendiculaire  a  la  touche .  L'autre  modèle  est  remar- 
quable en  ce  que  son  système  de  construction  consistait 
à  placer  les  marteaux  en-dessus  des  cordes.  L'auteur 
n'en  donne  pas  le  dessin,  disant  qu'il  avait  depuis 
long-temps  abandonné  lui-même  cette  idée ,  à  cause  des 
imperfections  résultant  du  peu  de  solidité  des  res- 
sorts destinés  à  relever  les  marteaux  des  cordes  „  et  a 
cause  de  la  difficulté  de  remonter  les  cordes  cassés  et 
d'accorder  l'instrument.  Aussi  les  imitateurs  de  Schrœter 
s'en  tirent-ils  au  système  ordinaire  des  marteaux  placés 
en-dessous,  système  qui  a  prévalu  fort  long-temps.  De 
nos  jours  quelques  facteurs  de  Vienne  ont  repris  le  sys- 
tème des  marteaux  en-dessus ,  sans  être  plus  heureux 
dans  leurs  tentatives  que  le  facteur  Hillebrand  (1) 
en  1783.  Il  était  réservé  a  M.  Pape,  de  triompher  de 
toutes  les  difficultés  que  présente  cette  construction. 

Revenons  un  moment  a  Schrœter  pour  examiner  si 
l'invention  du  piano  lui  appartient  réellement.  On  lui 
a  contesté  ce  mérite,  on  l'a  même  accusé  de  plagiat,  en 
citant  un  essai  fait  avant  lui  en  Italie,  et  dont  on  lui 
supposait  la  connaissance.  En  effet,  un  Italien,  Barto- 
lommeo  Cristofali  de  Padoue,  avait  antérieurement  ima- 
giné de  substituer  des  marteaux  aux  sautereaux  du  cla- 
vecin. En  1711  ,  il  avait  construit  trois  de  ces  instrumens, 
et  un  journal  italien  de  cette  année  publia  une  descrip- 
tion de  la  nouvelle  invention  d'un  gravicembalo  col 
piano  e forte.  Il  s'y  trouve  ajouté  un  dessin  dont  la 
comparaison  avec  celui  de  Schrœter  permet  de  croire 
que  celui-ci  ne  l'a  pas  connu.  Les  professeurs  italiens 
s'opposant  aux  instrumens  de  Cristofali,  son  invention 
n'obtint  pas  de  succès  et  fut  complètement  oublié.  Ce  ne 
fut  qu'environ  cinquante  ans  plus  tard  que  des  pianos- 
forté,  venant  de  l'Allemagne,  s'introduisirent  en  Italie 
et  s'y  répandirent  de  même  qu'en  Angleterre  et  en 
France.   Les  premiers  instrumens  de  ce  genre  avant  été 

(1)  Dans  YAlmanach  musical  de  1783.  Part.  I,  page  5i ,  on 
trouve  la  note  suivante  : 

«  Piano-Jbrlé  composé  par  M.  Hillebrand.  La  table  barmo- 
»  nique  a  toute  la  longueur  et  toute  la  largeur  donnée  à  cet 
»  instrument.  Le  clavier  est  placé  sur  un  plan  un  peu  plus 
»  élevé  que  celui  sur  lequel  les  cordes  sont  tendues.  Les  mar- 
»  teaux  frappent  les  cordes  en-dessus,  au  lieu  que  dans  les 
»  jorle-pianos  ordinaires  les  marteaux  les  frappent  en-des- 
»  sous ,  etc.  » 


construits  sur  le  modèle  de  Schrœter ,  on  a  pu  lui  accor- 
der le  titre  d'inventeur,  bien  qu'il  soit  juste  de  recon- 
naître qu'a  Cristofali  appartient  l'idée  première  de  sub- 
stituer des  marteaux  aux  sauteraux. 

Quant  aux  clavecins  a  maillets  qu'un  facteur  de  Paris, 
nommé  Marius,  présenta  en  171 6  a  l'académie,  et  dont 
on  trouve  les  dessins  avec  la  description  dans  le  recueil 
des  Machines  et  inventions,  (tom.  m,  p.  83  —  90.)  il 
suffit  de  jeter  un  coup  d'œil  sur  ces  dessins  pour  voir 
qu'ils  n'ont  rien  de  commun  avec  ceux  de  Cristofali  et 
de  Schrœter. Dans  ces  essais  grossièrement  conçus  et  exé- 
cutés, Marius  était  loin  d'égaler  le  génie  de  ces  deux 
hommes ,  et  il  est  certain  que  ses  clavecins  sont  hors  de 
cause  pour  l'invention  du  piano  (1  ). 

(1)  On  lit  dans  la  Musique  mise  à  la  portée  de  tout  le 
monde,  page  1 5i  et  suiv.  : 

«  Déjà,  on  171 6,  un  facteur  de  Paris  ,  nommé  Marius,  avait 
»  présenté  à  l'examen  de  l'Académie  des  Sciences  deux  clave- 
»  cins  dans  lesquels  il  avait  substitué  des  petits  marteaux  aux 
»  languettes  pour  frapper  les  cordes.  Deux  ans  après  ,  Christo- 
u  foro,  Florentin  perfectionna  celte  invention  et  fit  le  premier 
»  piano  qui  a  servi  de  modèle  pour  ceux  qu'on  a  fails  depuis 
»  lors;  mais  il  paraît  que  les  premiers  essais  de  ce  genre  furent 
»  reçus  froidement ,  car  ce  n'est  que  vers  1760  que  Stumpf, 
«  en  Angleterre,  et  Silbermann ,  en  Allemagne,  eurent  des 
«  fabriques  régulières,  et  commencèrent  à  multiplier  les  pia- 
»  nos.  En  1776,  MM.  Erard  frères  fabriquèrent  les  premiers 
»  instrumens  de  Cette  espèce  qui  aient  été  construits  en  France; 
»  c?r  jusque-là  on  avait  été  obligé  de  les  faire  venir  de  Lon- 
«  dres.  » 

Ce  passage  mérite  d'être  examiné  avec  soin.  Suivons  l'au- 
teur pas  à  pas.  D'abord  ,  quant  à  Marius  ,  nous  n'insisterons 
pas  sur  un  passage  contradictoire  du  même  auteur  dans  la  Ile- 
vue  musicale  de  iS3o  (t.  vin,  page  202),  où  il  dit  que 
les  clavecins  à  maillets  de  Marius  étaient  au  nombre  de  trois. 
L'un  et  l'autre  est  inexact ,  car  Marius  présenta  quatre  de  ces 
instrumens ,  et  les  dessins  de  tous  les  quatre  se  trouvent  ensem- 
ble dans  le  volume  des  Mémoires  de  l'Académie  que  l'auteur 
lui-même  a  cité. 

Quant  à  Christoforo  Florentin  ,  c'est  Bartolomeo  Cris- 
tofali ;  il  était  de  Padoue,  et  non  pas  Florentin;  mais  ce  fut  à 
Florence  qu'il  fit  son  instrument.  Ceci  ne  pouvait  être  un  per- 
fectionnement de  l'invention  de  Marins,  parce  que  Cristofali, 
au  lieu  de  venir  deux  ans  après,  était  venu  cinq  ans  avant , 
en  171 1 .  Aussi  n'a-t-on  qu'à  comparer  les  dessins  de  l'un  et 
l'autre,  pour  se  convaincre  que  leur  mécanisme  n'a  pas  la 
moindre  ressemblance.  L'instrument  de  CristofaU  n'a  pas  servi 
de  modèle  aux  pianos  qu'on  a  faits  depuis  lors.  C'est  le  mé- 
canisme inventé  par  Schrœter,  et  qui  est  différent  de  celui  de 
Cristofali ,  que  les  premiers  facteurs  ont  imité. 

Quant  à  Silbermann  ,  sa  fabrique  est  au  moins  de  vingt  ans 
antérieure  à  1760.  Il  multiplia  dès  1740  les  nouveaux  instru- 
mens; car  déjà  en  1747  Frédéric-le-Grand  possédait  se\il  forte- 
piano,  de  sa  facture,  que  ce  roi  avait  payé  chacun  700  thàh  rs 
(2,800  francs).  Nous  pourrions,  au  reste,  nous  appuyer  sur 
L'auteur  lui-même  qui,  dans  un  autre  endroit,  est  parfaitement 


22& 


GAZETTE  MUSICALE 


Tous  les  premierspianosavaient  la  forme  du  clavecin, 
c'est-à-dire,  on  ne  fit  d'abord  que  des  pianos  à  queue. 
Ce  ne  fut  que  vers  1758  que  Fiïederici,  facteur  d'orgues 
à  Géra,  construisit  le  premier  piano  en  forme  carrée. 
Poi-r  le  distinguer  du  forte-piano  ou  piano  à  queue,  il 
lui  donna  le  nom  de  fort-bien.  Ce  nom  s'est  bientôt 
perdu  pour  se  confondre  avec  celui  de  forte-piano , 
piano-forte  j  ou ,  comme  nous  disons  plus  brièvement, 
piano;  mais  la  chose  est  restée.  Friedeiïçi  trouva  beau- 
coup d'imitateurs,  et  les  pianos  de  forme  carrée  devin- 
rent plus  nombreux  que  les  autres  (1). 

d'accord  avec  ce  que  nous  venons  d'avancer.  Car  nous  lisons 
dans  la  Revue  Musicale  de  1820,  t.  vin,  p.  227  :  Dès  1740, 
Silbermaim  et  Spaett  (écrivez  Spatli),  avaient  déjà  répandu 
bon  nombre  de  pianos  en  Allemagne ,  et  les  clavecinistes 
s'étaient  liâtes  d'adopter  ces  instrumens ,  etc. 

Quant  à  MM.  Erard  ,  ils  ne  sont  pas  les  premiers  qui  aient 
fabriqué  des  pianos  en  France.  On  en  a^ait  construits  à  Paris 
avant  eux,  quoique  en  petit  nombre.  Sans  parler  ici  du  cla- 
vecin à  marteaux  d'un'M.  de  Virbès,  construit  en  1770,  nous 
citerons  un  facteur  d'orgues,  nommé  de  l'Epine,  qui,  en  1772, 
montra  un  forte-piano  de  sa  facture  ,  enrichi  d'un  jeu  d'or- 
gues, et  sur  lequel  on  trouve  une  notice  dans  l'Histoire  de 
l'Académie  de  celte  année,  t.  i ,  p.  1G9. 

Si ,  pour  soutenir  la  priorité  d'Erard  ,  on  nous  opposait  la 
Revue  Musicale  de  1 830  (t.  vin,  page  260),  où  il  est  dit  que 
Sébastien  Erard  fabriquait  dès  1766  des  pianos,  dont  la  bonté 
lui  procura  une  réputation  européenne;  il  nous  serait  facile  de 
prouver  l'erreur  ,  ou  ,  si  l'on  veut ,  la  faute  typographique  de 
ce. te  date,  en  citant  la  Revue  Musicale  de  1 83 1 ,  page  214,  qui 
nous  apprend  que  le  jeune  Erard  arriva  à  Paris  vers  1768, 
pour  se  placer  chez  un  facteur  de  [clavecins  dont  il  devint  bien- 
tôt le  premier  ouvrier.  D'ailleurs  en  1766,  Sébastien  Erard  né 
en  1752  ,  n'avait  que  14  ans>  Nous  ferons  encore  observer  que 
l'auteur  d'un  article  du  Temps,  réimprimé  dans  le  numéro  24 
de  la  Revue  Musicale,  dit  que  Sébastien  Erard  est  venu  à 
Paris  vers  1775,  et  que  le  premier  piano  sorti  de  ses  ateliers, 
portait  la  date  de  1778.  Comment  accorder  toutes  ces  varian- 
tes? 

(2)  Nous  nous  trouvons  ici  encore  en  opposition  avec  l'au- 
teur déjà  cité.  Il  croit  que  les  pianos  carrés  ont  précédé  les 
pianos  à  queue.  Voie:  le  passage  qui  se  trouve  à  ce  sujet  dans 
son  esquisse  de  l'histoire  du  piano  {Revue  musicale  de  1830, 
tom.  vin,  p.  257)  :  «  Les  moyens  dont  on  se  servit  pour  donner 
»  au  piano  ^l'intensité  qui  lui  manquait,  furent  de  deux  sortes. 
»  Pour  augmenter  la  sonorité  de  ['épinette,  on  avait  élargi  les 
»  dimensions  de  l'instrument,  et  l'on  avait  fait  le  clavecin  ;  il 
»  en  fut  de  même  du  piano;  après  les  petits  pianos  carrés,  on 
»  fît  des  pianos  à  queue  d'une  forme  à  peu  près  semblable  au 
»  clavecin.  » 

C'est  toul-à-fait  le  contraire  de  ce  qui  a  eu  lieu.  La  marche 
du  développement  du  piano  est  l'inverse  de  celle  du  clavecin. 
Celui-ci  doit  son  origine  à  l' épinette  ,  dont  on  augmenta  le  vo- 
lume en  changeant  la  forme  carrée  en  forme  à  queue.  Mais 
quand  on  inventa  le  piano,  on  prit  pour  point  de  départ  l'in- 
strument alors  le  plus  parfait;  c'était  le  clavecin  qu'on  voulait 
perfectionner  en  lui  donnant  la  qualité  de  nuancer leson. Aussi 


Tous  les  instrumens  ont  subi  plus  ou  moins  de  chan- 
gemens  pour  parvenir  a  l'état  où  nous  les  voyons  au- 
jourd'hui; mais  il  n'y  en  a  aucun  qui  ait  donné  lieu  a 
autant  d'essais  de  modifications  que  le  piano.  Ce  serait 
écrire  un  gros  volume ,  que  d'enregistrer  tous  ce  qu'on 
a  fait  a  ce  sujet  ;  un  livre  de  cette  nature  serait  curieux 
et  utile  a  la  fois.  Beaucoup  de  nos  facteurs  y  trouveraient 
a  des  époques  reculées  leurs  découvertes  toutes  nou- 
velles ;  combien  de  choses  tentées  et  abandonnées  il  y  a 
long-temps,  puis  reprises,  pour  être  abandonnées  une 
seconde  fois!  Nous  en  avons  donné  et  nous  en  donne- 
rons encore  plus  d'un  exemple. 

Passons  a  l'exposition  : 

Dans  notre  tableau  comparatif  des  expositions  précé- 
denles('l)onavul'immeiise progrès, quant  aunombre  des 
exposans.  11  nous  reste  a  examiner  celui  des  instrumens 
mêmes.  A  en  croire  les  annonces  brillantes  des  facteurs 
de  piano,  chacun  a  contribué  à  avancer  son  art ,  chacun 
a  perfectionné  quelque  chose ,  ne  fût-ce  que  la  forme 
des  X.  Il  n'y  a  guère  que  M.  Rogez  qui  avoue  n'avoir 
rien  inventé,  etson  piano  n'en  est  pas  moins  bon  que  ceux 
de  beaucoup  de  ses  confrères  moins  modestes.  Nous  ne 
nous  occuperons  ici  que  de  ce  qui  nous  semble  avoir  de 
l'importance. 

Parmi  les  cinquante-sept  facteurs  de  piano  qui  se  sont 
présentés  cette  année,  se  rangent  en  première  ligne  : 
MM.  Erard ,  Pape  et  Pleyel.  La  manufacture  d'Erard  est 
la  plus  ancienne  de  celles  qui  existent  aujourd'hui. 
Donnons  lui  le  droit  de  préséance. 

Le  mérite  de  Sébastien  Erard  est  connu  ;  son  nombril- 
leraà  jamais  dans  l'histoire  des  instrumens  auxquels  il  a 
consacré  une  vie  entière.  Si  nous  lui  avons  contesté  le 
mérite  d'être  le  premier  qui  ait  construit  des  pianos  en 
France,  nous  aimons  "a  reconnaître  que  le  premier,  il  y 

n'a-t-on  qu'à  regarder  les  dessins,  tant  de  Cristofali ,  que  de 
Schrceler,  sans  parler  de  ceux  de  Marins,  pour  se  convaincre 
que  Ions  étaient  calculés  pour  le  clavecin  ou  pour  un  instru- 
ment dont  les  cordes  eussent  la  direction  des  touches.  Les  pre- 
miers facteurs  de  pianos  ne  pensèrent  nullement  à  la  forme 
carrée.  L'histoire,  comme  on  a  vu  plus  haut,  nous  a  conservé 
le  nom  du  facteur  qui  l'adopta  le  premier. 

Ce  que  nous  venons  de  dire  rectifie  en  même  temps  l'asser- 
tion du  même  auteur  (Revue  musicale.  Tom.  vm ,  p.  258) ,  que 
«  les  premiers  pianos  à  queue  furent  construits  en  Angle- 
«  terre.  » 

Ce  n'est  pas  dans  un  but  hostile  contre  un  écrivain  célèbre  à 
juste  titre  ,  que  nous  avons  écrit  ces  lignes. Nous  aimons  ,  plus 
que  tout  autre ,  à  reconnaître  les  grands  services  que  ses 
nombreuses  recherches  ont  rendu  à  l'histoire  de  l'art.  Mais 
nous  avons  dû  relever  quelques  inexactitudes  qu'il  serait 
à. craindre  de  voir  adoptées  et  répandues  sous  l'appui  d'une 
grave  autorité. 

(1)  Voir  le  numéro  1  g  de  la  Gazette  Musicale. 


a  apporté  des  perfectionnemens  remarquables  et  puis- 
samment contribué  a  affranchir  sa  patrie  du  tribut  qu'elle 
payait  a  l'étranger.  Avant  lui  le  petit  nombre  des  pianos 
fabriqués  en  France  ne  suffisant  pas  aux  amateurs ,  la 
plus  grande  partie  venait  d'Angleterre  et  d'Allemagne. 
Les  pianos  anglais  l'emportaient  pour  la  beauté  du  son 
et  la  solidité  ;  les  pianos  allemands  avaient  l'avantagé 
delà  facilité  du  toucher.  Réunir  ces  trois  qualités,  ce 
fut  l'a  où  tendirent  tous  les  efforts  de  Sébastien.  Nous  ne 
passerons  pas  en  revue  ce  qu'il  a  fait  a  ce  sujet  ;  ses  prin- 
cipales inventions  ont  été  consignées  dans  un  écrit  pu- 
blié par  son  neveu,  et  accompagné  de  dessins  sans  les- 
quels les  descriptions  seraient  difficilement  comprises. 
Jamais  content  de  ce  que  d'autres  admiraient  comme 
parfait ,  Sébastien  cherchait  toujours  de  nouveaux  per- 
fectionnemens, jusqu'à  ce  qu'il  eût  trouvé  enfin  un  mé- 
canisme qui  couronna  tous  ses  travaux  et  dont  nous  al- 
lons parler  ici.  Ce  fut  en  1823  qu'il  parvint  a  le  con- 
struire; il  présenta  alors  à  l'exposition  un  modèle  de  ce 
mécanisme  qu'on  peut  nommer  un  chef-d'œuvre  de  mé- 
canique et  qu'il  adopta  depuis  pour  ses  instrumens.  11 
s'était  proposé  un  problème  des  plus  difficiles ,  c'est  de 
donner  au  pianiste  le  moyen  de  faire  parler  la  touche  a 
tel  degré  qu'elle  fût  enfoncée.  On  sait  que  dans  les  au- 
tres pianos  aussitôt  qu'on  a  comprimé  la  touche ,  l'échap- 
pement s'opère  et  le  marteau  retombe  ,  et  que  pour  faire 
parler  de  nouveau  la  touche,  il  faut  relever  le  doigt  et 
frapper  de  nouveau.  Dans  le  nouveau  mécanisme  d'É- 
rard,  le  marteau  ne  retombant  qu'en  propoition  de  l'a- 
baissement de  la  louche,  celle-ci  parle  a  des  degrés  pres- 
que imperceptibles  décompression  et  l'on  n'a  pas  besoin 
d'en  relever  le  doigt  entièrcmentpour  la  faire  répéter  (|). 

Quant  au  toucher,  la  dernière  perfection  semble  ici 
être  atteinte  et  il  sera  impossible  d'aller  au-delà  ;  mais 
une  autre  question  se  présente,  c'est  celle  de  la  solidité. 
On  a  reproché  a  ce  mécanisme  d'être  trop  compliqué 
pour  pouvoir  être  solide.  Nous  ne  savons  pas  par  expé- 
rience, jusqu'à  quel  point  ce  reproche  est  fondé  ;  le 
temps  seul  peut  en  décider. 

Les  instrumens  exposéspar  M.  Pierre  Erard  qui  di- 
rige maintenant  l'établissement  de  son  oncle,  étaient 
de  toute  beauté.  Nous  ne  dirons  rien  du  piano  d'or 
avec  ses  riches  peintures  et  sculptures  dans  le  style 
de   Louis  XIV-  La  description  d'un   instrument  d'une 

(1)  Voyez  la  description  de  ce  mécanisme  dans  la  notice  que 
vient  de  publier  M.  P.  Erard,  sur  les  perfectionnemens  ap- 
portés à  la  fabrication  des  pianos ,  etc.  Il  est  à  regretter  que 
cette  notice  ne  donne  pas  de  dates  précises.  Les  époques  des 
inventions  de  Sébastien  n'y  sont  que  vaguement  indiquées.  Il 
nous  semble  cependant  que  l'auteur,  plus  que  tout  autre,  de- 
vait être  à  même  de  fournir  à  ce  sujet  des  reuseignemens  exacts. 


telle  magnificence  que  la  vue  seule  peut  en  donner  une 
idée  exacte,  est  au-dessus  de  nos  forces  ;  d'ailleurs 
nous  tenons  peu  aux  objets  de  pure  curiosité  et  nous 
aurions  plutôt  voulu  examiner  l'intérieur,  chose  im- 
possible selon  la  volonté  immuable  de  l'exposant. 
Aux  autres  instrumens  l'accès  était  libre ,  et ,  grâce 
aux  seins  de  les  faire  jouer  tous  les  jours  ,  nous  les 
avons  entendus  assez  souvent.  Malgré  l'emplacement 
peu  favorable  a  la  sonorité ,  ils  produisaient  beaucoup 
d'effet. 

Nous  ne  pourrions  dire  au  juste  le  nombre  des  pianos 
exposés  par  M.  Erard  ;  son  exposition  changeait  conti- 
nuellement d'aspect  par  l'arrivée  de  nouveaux  instru- 
mens destinés  a  remplacer  ceux  qu'on  retirait.  Voici  ce 
que  nous  avons  successivement  remarqué  : 

Deux  pianos  a  queue,  l'un  simple  dans  le  goût  des 
meubles  du  jour,  l'autre  en  style  gothique  ; 

Un  grand  piano  vertical  a  six  octaves  et  demie; 
Un  piano  de  nouvelle  forme  pour  remplacer  le  piano 
carré  dans  un  salon. 

Ces  instrumens  avaient  tous  le  nouveau  mécanisme. 
Les  autres  étaient  a  échappement  ordinaire  perfec- 
tionné. 

Deux  pianos  carrés,  l'un  a  trois,  l'autre  a  deux  cordes; 
Trois  pianos  droils  dont  deux  à  cordes  verticales, 
l'un  a  cordes  obliques.  Ce  dernier  était  le  seul  k  sept 
octaves  ;  tous  les  autres  n'avaient  que  six  octaves  et 
demie,  et  nous  aillions  voulu  féliciter  M.  Erard  de  ne 
pas  avoir  fait  cette  concession  a  un  abus,  qu'un  facteur- 
pianiste  s'obliue  a  répandre  par  ses  instrumens  et  ses 
compositions.  Nous  y  reviendrons  plus  tard. 

H  serait  difficile  de  choisir  parmi  ces  pianos,  rivali- 
sant tous  par  le  fini  du  travail  et  des  qualités  supérieures. 
Notre  éloge  se  bornera  a  dire  que  tous  étaient  digues  du 
nom  de  leur  facteur. 

A  côté  d'Erard  se  trouvait  M.  Pape. 
Depuis  douze  ans  environ  qu'il  a  fondé  son  établisse- 
ment, ce  facteur  distingué  s'est  livré  aux  améliorations 
de  ses  instrumens  avec  une  persévérance  qui  lui  a  fait  ob- 
tenir les  plus  hem  eux  résultats,  mais  surtout  depuis  1827 
époque  où  il  abandonna  le  mécanisme  ordinaire  pour  lui 
substituer  un  mécanisme  inverse. 

On  a  vu  plus  haut  qu'à  la  naissance  même  du  piano, 
Schrœter  avait  déjà  proposé  deux  systèmes,  l'un  de 
marteaux  placés  en-dessous,  l'autre  de  marteaux  en-dessus, 
et  que  ce  fut  le  premier  qui ,  seul  prévalut.  On  a  vu  que 
le  système  des  cordes  frappées  en-dessus  pendant  long- 
temps a  été  repris  avec  peu  de  succès.  Nous  ignorons,  si 
M.  Pape  a  eu  connaissance  de  ces  essais,  ou  s'il  doit  cette 
idée  à  ses  propres  investigations.  Quoi  qu'il  en  soit,  le 
mérite  d'avoir  complètement  réussi  où  ses  prédécesseurs 


G4ZETXE  MUSICALE 


avaient  échoué,  est  assez  grand  pour  qu'il  puisse  sans  re- 
gret abandonner  celui  de  la  priorité. 

On  conçoit  que  le  mécanisme  de  M.  Pape  devait  être 
plus  compliqué  que  le  mécanisme  ordinaire.  Dans  ce- 
lui-ci le  marteau,  après  avoir  frappé  la  corde,  retombe 
par  son  propre  poids.  Dans  le  nouveau  mécanisme,  au 
contraire,  le  marteau  frappant  du  haut  en  bas ,  il  faut  un 
moyen  quelconque  pour  le  relever  après  le  coup.  L'em- 
ploi d'un  contre-poids,  essayé  par  quelques  facteurs ,  ren- 
dait la  touche  lourde  et  difficile,  de  sorte  que  la  répé- 
tition accélérée  d'une  noie  était  'presque  impossible.  Des 
ressorts  avaient ,  outre  les  mêmes  inconvéniens ,  celui 
de  s'user,  de  perdre  de  leur  élasticité ,  et  de  rendre  alors 
le  clavier  inégal,  défaut  plus  grand  même  que  la  lour- 
deur. Cependant  il  fallait  opter  entre  ces  deux  moyens. 
M.  Pape  s'est  décidé  pour  les  ressorts  qui  disposés  par 
lui  d'une  manière  ingénieuse  ne  sont  plus  assujétis  a 
s'affaiblir  et  ont  la  force  nécessaire  a  leur  fonction  sans 
alourdir  le  clavier.  Les  touches  des  pianos  construits 
d'après  le  système  de  M.  Pape,  parlent  avec  beaucoup 
de  précision  et  avec  assez  de  facilité.  Il  en  garantit  la 
solidité  et  un  succès  complet  a  couronné  ses  travaux. 

Ce  qui  fit  persister  M.  Pape  dans  ses  recherches  pour 
ce  système,  ce  furent  les  avantages  qu'il  lui  reconnut , 
et  qui  consistent  dans  une  harmonie  plus  forte  et  plus  so- 
nore, dans  la  suppression  du  barrage  en  fer,  et  enfin 
dans  le  maintien  plus  sûr  de  l'accord. 

M.  Pape  a  exposé  cinq  instrumens  très  beaux  :  un 
piano  a  queue,  un  vertical,  deux  pianos  carrés  et 
un  d'une  nouvelle  construction  en  forme  ovale.  Dans 
ces  pianos  le  nouveau  mécanisme  est  disposé  de  diffé- 
rentes manières  pour  montrer  les  diverses  applications 
dont  il  est  susceptible.  L'attention  des  amateurs  se  por- 
tait sur  le  piano  ovale ,  petit  meuble  d'une  élégante 
simplicité  dont  le  son,  malgré  le  local  défavorable, avait 
une  puissance  étonnante  en  égard  au  volume  de  l'in- 
strument. Nous  aimons  h  féliciter  M.  Pape  de  ses 
succès. 

La  manufacture  de  MM.  Pleyel ,  aujourd'hui  une  des 
plus  considérables,  a  été  établie,  nous  croyons,  en  1809; 
mais  ce  n'est  que  depuis  \  827  qu'elle  a  pris  un  déve- 
loppement rapide  et  prodigieux.  N'occupant  alors  que 
trente  et  quelques  ouvriers ,  elle  en  a  depuis  augmenté 
le  nombre  a  plus  de  deux  cent  cinquante,  qui  confec- 
tionnent plus  de  mille  pianos  par  an.  Un  tel  succès  ne 
peut  être  dû  quYune  qualité  supérieure  de  ses  instru- 
mens. 

Le  mécanisme  anglais,  comme  nous  l'avons  déjà  dit, 
était  toujours  renommé  pour  sa  solidité,  mais  l'inconvé- 
nient de  rendre  la  touche  difficile  à  manier,  s'opposait 


beaucoup  a  son  succès  dans  d'autres  pays  que  l'Angle- 
terre. Le  clavier,  il  est  vrai,  parle  avec  précision ,  mais 
pour  le  faire  parler,  il  faut  une  main  vigoureuse  qui 
n'est  pas  le  partage  de  tout  artiste  ou  amateur.  Adopter 
ce  mécanisme  pour  des  instrumens  français  ,  c'était 
se  mettre  dans  la  nécessité  de  le  perfectionner  :  voilà 
ce  qu'ont  tenté  MM.  Pleyel,  et  en  quoi  ils  ont  par- 
faitement réussi.  Leurs  pianos ,  rivalisent  pour  le 
son  avec  les  meilleurs  pianos  anglais ,  et  leur  sont  supé- 
rieurs pour  la  facilité  de  la  touche. 

Depuis  qnelques  années ,  MM.  Pleyel  ont  introduit 
plusieurs  modifications  dans  la  construction  de  leuis 
pianos. 

La  table  d'harmonie,  partie  la  plus  importante  des 
instrumens  parce  que  c'est  d'elle  que  dépend  la  qualité  de 
son ,  est  quelquefois  exposée  à  se  fendre  ou  à  se  gercer. 
Pour  prévenir  cet  accident,  on  a  imaginé  delà  doubler. 
Le  premier,  que  nons  sachions  qui  ait  eu  cette  idée,  fut 
unfacteur  de  Brunswick,  nommé  Lemme(l  )qui,  devant, 
en  1771  ,  envoyer  un  piano  a  Batavia,  craignit  qu'une 
table  ordinaire  ne  pût  résister  aux  variations  de  la  tem- 
pérature dans  un  si  long  voyage.  Il  colla  deux  tables 
en  bois  de  sapin  l'une  sur  l'autre,  de  manière  à  ce  que 
les  fibres  de  chacune,  posées  transversalement,  se  prê- 
tassent une  résistance  mutuelle.  Depuis  lors  plusieurs 
facteurs  ont  suivi  ce  procédé.  MM.  Pleyel ,  voulant 
donner  à  leurs  tables  d'harmonie  le  plus  de  solidité  pos- 
sible ,  ont,  depuis  1 850,  adopté  un  mode  de  placage  en 
bois  d'acajou  ou  autre.  Tous  leurs  instrumens ,  confec- 
tionnés depuis ,  tant  pianos  que  harpes,  en  sont  munis, 
et  un  grand  nombre  de  pianos,  expédiés  pour  l'Améri- 
que, leur  ont  prouvé  jusqu'ici  la  bonté  de  leur  procédé. 

MM.  Pleyel  ont  exposé  six  pianos  d'un  extérieur  élé- 
gant et  d'une  excellence  qualité  : 

Un  piano  a  queue  à  sept  octaves,  dont  la  construc- 
tion intérieure  est  en  fer  fondu ,  et  le  sommier  prolongé 
aussi  en  fer. 

Deux -pianos  carrés  de  six  octaves  et  demi,  le  som- 
mier également  prolongé  en  fer.  Tous  les  pianos  carrés 
sont  sur  des  X  à  bascule  qui  maintiennent  l'instrument 
toujours  d'a-plomb,  et  l'usage  de  ces  X  devient  général 
depuis  l'expiration  du  brevet,  que  MM.  Pleyel  avaient 
pris  pour  cette  invention.  Deux  petits  pianos  verticaux, 
appelés  pianino  ,  genre  d'instrument  dont  la  construc- 
tion diffère  des  pianos  droits,  et  qui  a  été  importé 
d'Angleterre  en  1830.  Ces  instrumens  d'un  petit  vo- 
lume, se  recommandent  par  la  qualité  du  son. 

Un  grand  piano  vertical  à  deux  cordes  et  six  octaves 

(i)  C'était  le  grand  père  du  facteur  Lemme,  de  Paris,  qui 
vient  de  mourir  le  5  de  ce  mois. 


et  demie.  II  a  une  construction  particulière  en  ce  que  les 
cordes  et  la  mécanique  sont  placés  derrière  la  table  d'har- 
monie ,  qui  renvoie  ainsi  directement  le  son  en  dehors. 

En  général  on  ne  saurait  trop  multiplier  les  essais  pour 
la  construction  et  le  placement  de  la  table  d'harmonie. 
C'est  la  qu'il  y  a  encore  des  découvertes  a  faire.  L'a- 
coustique est  en  arrière  pour  la  théorie  ;  la  pratique  ne 
marche  qu'en  tâtonnant,  et  c'est  ainsi  qu'elle  a  trouvé 
la  plupart  de  ses  résultats. 

Après  avoir  terminé  la  revue  de  ces  célèbres  facteurs, 
on  demandera  sans  doute,  auquel  des  trois  nous  accor- 
dons la  préférence.  A  cette  question  embarrassante,  nous 
répondrons  ,  qu'ici  bas  toute  perfection  n'est  que 
relative  et  qu'une  perfection  absolue  ne  sera  jamais  le 
partage  d'aucun  artiste.  Des  routes  différentes  peuvent 
conduire  au  même  but  ;  il  est  bon  que  chacun  poursuive 
la  sienne.  11  serait  malheureux  que  tous  les  facteurs  con- 
struisissent leurs  instrumens  sur  le  même  système,  car 
leur  art  deviendrait  bientôt  stationnaire,  tandis  que  la 
divergence  de  principes  est  une  riche  source  de  pro- 
grès. 

(La  suite  à  un  numéro  prochain.) 


Réponse  de  Paganini. 

On  lit  dans  Y  Annotateur  de  Boulogne  : 

Attaqué  de  la  manière  la  plus  grave  par  un  article  de 
votre  dernier  numéro,  je  dois  vaincre  ma  répugnance  à 
parler  de  moi  Stu  public,  en  vous  témoignant  d'abord 
mon  étounement  de  vous  voir  accueillir  une  diatribe 
contre  moi,  dont  vous  ne  connaissez  pas  la  vie,  sans 
avoir  préalablement  pris  de  sérieuses  informations  sur 
les  faits  qui  me  sont  imputés.  Depuis  long- temps  je  suis 
habitué  a  voir  la  plus  basse  calomnie  servir  d'escorte  à 
tous  mes  voyages  et  d'accompagnement  obligé  aux  ap- 
plaudissemens  que  j'ai  eu  l'honneur  de  recueillir  par- 
tout :  mes  moindres  actions  ont  été  dénaturées;  ma  vie 
privée  a  été  indignement  travestie  par  l'envie  acharnée, 
et  de  dégoûtans  et  absurdes  romans  accrédités  comme 
de  l'histoire,  avec  une  incroyable  facilité.  Je  ne  réclame 
point  :  je  me  console  en  regardant  au  dedans  de  moi  ; 
puisse  chacun  en  faire  autant  avec  le  même  calme  ! 

Mais  accusé  d'être  le  ravisseur  d'une  jeune  personne 
de  seize  ans ,  mon  honneur  noirci  m'impose  la  tâche 
pénible,  mais  nécessaire,  de  ramener  les  faits  a  la  vérité. 

Levant  le  voile  de  l'initiative  W ,  que  votre  mé- 
nagement a  réservé  pour  mon  calomniateur,  quand  vous 
me  nommez  tout  entier,  je  vais  à  mon  tour  montrer 
M.  Watson  sous  quelques-unes  de  ses  faces  hideuses. 

M.  Watson,  accompagné  d'une  miss  Wells,  qui  n'est 


pas  sa  femme,  et  de  miss  Watson,  sa  fille,  avait  fait 
avec  moi  un  traité  pour  donner  ensemble  des  concerts. 
Ce  traité,  qui  n'a  point  ruiné  M.  Watson,  parce  que 
depuis  long-temps  il  l'était ,  a  toujours  été  exécuté  par 
moi ,  non-seulement  avec  fidélité,  mais  encore  avec  une 
grande  abnégation  de  mes  propres  intérêts.  Pendant 
mon  dernier  voyage  a  Londres,  j'ai  dû  prendre  a  ma 
charge  les  dépenses  d'hôtel  qu'il  devaient  être  payées  en 
commun.  Après  compte  réglé,  j'ai  fait  a  Watson  remise 
de  50  liv.  sterl.  qui  me  redevait.  Mis  en  prison  par 
ses  créanciers,  pour  la  quatrième  fois  depuis  cinq  ans, 
jJai  fourni  de  ma  poche  4-5  liv.  pour  le  rendre  à  la  li- 
berté. Je  m'étais,  par  mon  traité,  réservé  le  droit  de 
donner  un  concert  d'adieux  a  mon  bénéfice;  mais, 
sur  sa  prière,  après  sa  sortie  de  prison,  j'y  renonçai  pour 
en  donner  un  au  nom  de  sa  fille,  afin  que  ses  créanciers 
ne  vinssent  pas  prendre  la  recette,  me  réservant  seule- 
ment 50  liv.  ;  sa  fille  lui  remit  120  liv. ,  produit  net  de 
ce  concert.  Telle  fut,  monsieur,  ma  manière  d'agir  en- 
vers Watson ,  dont  les  antécédens ,  que  je  n'ai  connus 
que  trop  tard,  indiquent  si  bien  le  caractère.  En  effet, 
un  homme  qui,  depuis  quinze  ans,  laisse  languir  dans 
la  misère  sa  femme  légitime  a  Bath,  éloigne  de  sa  mai- 
son un  fils  dont  la  mère  saluait  la  mort  comme  un 
bienfait  qui  lui  dérobait  l'infamie  de  son  père  ;  qui  ac- 
cable des  traitemens  les  plus  inhumains  sa  fille,  de- 
vant laquelle  il  se  livre  a  tous  les  désordres  d'une  vie 
licencieuse  ;  cet  homme,  dont  je  n'offre  ici  qu'une  faible 
esquisse,  mérite-t-il  la  moindre  considération  et  le  cré- 
dit que  vous  accordez  a  ces  récits  calomnieux  que  vous 
appeliez  des  renseignemens  officiels? 

J'arrive  à  l'accusation  d'enlèvement ,  par  laquelle  on 
veut  faire  croire  qu'une  amourette  est  la  raison  qui  a 
décidé  miss  Watson  à  venir  me  rejoindre  a  Boulogne. 

Reconnaissant  a  cette  jeune  personne  de  grandes  dis- 
positions pour  la  musique,  dont  son  père  était  hors  d'état 
de  tirer  uarti,  je  lui  proposai  d'en  faire  mon  élève  et 
l'assurai  qu'après  trois  ans  d'études  elle  serait  en  état, 
par  son  talent,  de  se  procurer  une  existence  indépen- 
dante et  le  moyen  d'être  utile  a  sa  famille,  surtout  a  sa 
malheureuse  mère.  Mes  propositions ,  tantôt  rejetées  , 
tantôt  acceptées  avec  de  grandes  démonstrations  de  re- 
connaissance, demeurèrent  finalement  sans  résultat.  Je 
quittai  l'Angleterre,  renouvelant  a  Watson  mes  offres 
en  faveur  de  sa  fille. 

Miss  Watson,  âgée  de  18  ans,  et  non  de  16,  avait 
déjà  commencé  la  carrière  du  théâtre  où  elle  pouvait 
espérer  des  succès;  mais  les  vues  intéressées  de  son  père, 
sacrifiant  son  avenir  au  présent ,  s'arrangeaient  mieux 
de  son  séjour  chez  lui,  où  les  plus  indigues  traitemens 


GAZETTE  MUSICALE  DE   PARIS. 


la  payaient  de  son  concours  dans  les  concerts ,  où  les 
plus  rudes  travaux  du  ménage  la  mettaient  dans  une 
position  pire  que  la  dernière  des  servantes ,  obligée 
qu'elle  était  d'obéir  aux  volontés  de  miss  Wells,  maî- 
tresse de  son  père. 

Lassée  enfin  de  tant  d'avanies,  de  tant  de  scandales, 
c'est  pour  s'y  dérober  qu'elle  s'est  enfuie  de  la  maison 
paternelle ,  et  que ,  se  rappelant  les  propositions  que 
j'avais  faites  à  son  père,  elle  venait  de  son  propre  mou- 
vement, demander  protection  à  celui  dont  les  conseils 
et  la  bienveillance  lui  faisaient  espérer  un  meilleur 
avenir. 

Je  n'ai  donc  point  enlevé  missWatson,  ainsi  que  la 
fourberie  de  son  père  a  osé  m'en  accuser ,  et  si  j'avais 
eu  cette  intention  coupable,  rien  ne  m'eût  été  plus  fa- 
cile, car  pendant  que  Watson  était  en  prison,  d'où  ma 
libéralité  l'a  fait  sortir ,  sa  fille  était  libre  et  seule ,  miss 
Wells  quittant  sa  maison  toutes  les  nuits  pour  aller  re- 
joindre le  prisonnier. ..  Mais  j'ai  le  courage  de  l'avouer, 
miss  Watson  était  sûre  de  trouver  en  moi  le  protecteur 
qu'elle  pouvait  chercher  et  l'assistance  que  lui  refusait 
l'auteur  de  ses  jours. 

En  cela,  monsieur,  j'obéis  a  une  impulsion  de  bien- 
faisance et  de  générosité  qui  mériterait,  au  lieu  de  blâme 
et  d'une  lâche  accusation,  l'éloge  des  âmes  honnêtes, 
seules  capables  d'apprécier  une  bonne  action.  A  ceux 
qui  y  voient  du  libertinage  et  des  sentimens  honteux , 
pitié  et  mépris  ! 

Maintenant,  monsieur,  d'après  cet  exposé,  pensez- 
vous  consciencieusement  qu'une  jeune  personne,  mal- 
traitée par  son  père  et  par  une  étrangère  qui  n'a  aucun 
droit  sur  elle,  dût  supporter  toujours  le  fardeau  d'une 
existence  aussi  indigne?  Miss  Watson  n'est-elle  pas  ex- 
cusable de  s'éloigner  d'un  séjour  de  désordres  et  de  dé- 
pravation? Et  ne  voyez-vous  pas  qu'en  venant  ici  sans 
pudeur,  en  compagnie  de  sa  complice,  miss  Wells, 
pour  reprendre  sa  fille,  M.  Watson  insultait  encore  cy- 
niquement a  la  morale  publique,  sous  l'apparence  de 
faire  valoir  ses  droits  de  père. 

Pour  en  finir,  monsieur,  avec  cette  triste  affaire,  je 
proclame  a  haute  voix  que  ma  conduite  a  été  sans  re- 
proche, mes  vues  honnêtes,  désintéressées  et  conformes 
aux  idées  de  morale  et  de  religion  qui  prescrivent  se- 
cours et  protection  a  l'opprimé.  Aussi  aucune  pensée  ne 
trouble  ma  conscience  dans  tout  ce  qui  s'est  passé  a 
l'égard  de  cette  jeune  personne,  digne  d'un  autre  sort 
que  celui  qu'elle  subit.  Je  me  sens,  au  surplus,  assez 
fort  pour  rester  au-dessus  de  tout  ce  que  la  mauvaise 
foi  et  la  méchanceté  peuvent  essayer  encore  contre  un 
homme  dont  quelque  gloire  et  de  lâches  persécutions  ! 


semblent  disputer  la  vie ,  sans  jamais  abattre  son  cou- 
rage. Recevez,  etc.  N.  Paganimi.  » 

Musique  nouvelle , 

Publications   des  Propriétaires   de   la  Gazette 
Musicale  de  Pari;. 


POUR    PARAITRE   LE    1er    AOUT. 

PRIX  :  1  FRANC 

CHAQUE  LIVRAISON. 


tlDll 


iec[ue 


Receuil  de  Fantaisies ,  Rondos,  Variations j  Contre- 
danses j  Valses  >  etc.,  sur  des  motifs  à"  opéras  et 
romances  favoris  ,  composés  par  MM.  Adam,  Chau- 
lieu,  Chopin,  Czerni,  Herz,  Hommel,  Huwten, 
Kalkbrenner,  Méreaux,  Moscheles,  Pixis  ,  Pra- 
dher,  Sovikski,  Stoepel,  Strauss,  Musard,  Tol- 
eecque,  Dufresne,  etc.,  etc. 

La  Gazette  Musicale  de  Paris  ,  publiée  uniquement 
dans  l'intérclde  l'art,  esta  peine  arrivée  à  son  sixième  mois 
d'existence,  et  déjà  elle  a  réuni  à  ses  opinions  la  majorité  des 
artistes.  Un  pareil  jounal  peut  et  doit  rendre  de  grands  ser- 
vices à  la  science  en  lui  donnant  Y  unité  quHui  manquait  ;  les 
propriétaires,  encouragés  par  le  succès,  profiteront  des  béné- 
fices de  cette  entreprise  pour  éditer  au  plus  bas  prix  possi- 
ble des  ouvrages  pour  le  piano,  composés  par  les  auteurs  les 
plus  renommés.  On  publiera,  à  dater  du  1er  août,  cliaque 
mois,  une  livraison  de  ta  Bibliothéqne populaire  du  pianiste, 
qui  sera  du  prix  de  i  franc  pour  Paris, et  )  franc  25  c.  pour  les 
cîépartemens  franco.  Cliaque  livraison  se  composera  de  ioà  /5 
pages  d'impression  et  d'une  couverture  imprimée  ,  cet  ouvrage 
sera  adressé  gratis  aux  abonnés  de  la  Gazette  Musicale. 

Pour  être  souscripteur,  il  suffit  de  se  l'aire  inscrire  et  de 
pa\er  une  livraison  d'avance  au  bureau  delà  Gazette  Musi- 
cale de  Paris,  97  ,  rue  de  Ricbelieu. 

On  annoncera  dans  les  journaux  le  contenu  de  chaque  li- 
vraison ;  la  première,  qui  sera  publiée  le  1er  août,  contiendra  : 

Fantaisie  sur  des  motifs   favoris  de  ROBERT-LE- 
DIABLE,  par  Charles  Czerni. 

La  seconde,   publiée  ;le  ■1er  septembre,  se  composera  de  : 

Caprice  brillant  sur  des  thèmes  favoris  de  Ludovic, 
de  Hérold  et  Halévj,  par  Charles  Chaulieu. 


+%  Les  mélodies  de  M.  H.  Berlioz  ,  dont  l'édition  était  épui- 
sée ,  -viennent  d'être  réimprimées.  Les  personnes  qui  les  avaient 
demandées  inutilement  chez  M.  Scblesingcr  peuvent  faire  ré- 
clamer les  exemplaires  retenus,  ils  leur  seront  remis. 


Gérant,  MAURICE  SCHLESINGER. 


GAZETTE   MUSICALE 


mm  ^jimn 


1"  ANNEE. 


IV 


PIUX  DE  i/ABONNEM. 

PARIS. 

DÉPART. 

ÉTRAKG 

fr. 

Fr.       c. 

Fr.       c. 

3m.    8 

8   75 

9     50 

G  m.  15 

16   50 

18    .. 

lan.30 

33    » 

36    » 

Paraît   le  DIMANCHE  de  chaque  semaine. 

On  s'abonne  au  bureau  de  la  Gazette  Musicale  de  Paris,  rue  Richelieu ,  97; 
et  chez  tous  les  libraires  et  marchands  de  musique  de  France. 

Ou  reçoit    les  réclamations  des  personnes  qui  ont  des  griefs  à  exposer,  et  les  avis  relatifs  à  la  musiqu 
qui  peuvent  intéresser  le  public. 


PARIS.  DIMANCHE  20  JUILLET  IS34. 


Les  lettres,  demandes 
et  envols  d'argent  doi- 
vent êire  affranchis,  et 
adressés  au  Directeur  , 
rue  Richelieu,  97. 


Le  Suicide  par  enthousiasme. 

NOUVELLE. 

L'enthousiasme  est  une  passion  comme  l'amour.  Le 
fait  que  nous  allons  rapporter  en  fournit  une  preuve 
nouvelle.  En  ^808,  un  jeune  musicien  remplissait  de- 
puis trois  ans  ,  avec  un  dégoût  évident  l'emploi  de 
premier  violon  dans  un  théâtre  du  midi  de  la  France. 
L'ennui  qu'il  apportait  chaque  soir  a  Forcheslre,  où  il 
s'agissait  presque  toujours  d'accompagner  le  tonnelier, 
le  roi  et  lefennier,  les  prétendus  ou  quelque  autre  par- 
tition de  la  même  école,  l'avaient  fait  passer  dans  l'es- 
prit de  la  plupart  de  ses  camarades  pour  un  insolent 
fanfaron  dégoût  et  de  science,  qu'il  s'imaginait,  di- 
saient-ils, avoir  seul  en  partage ,  ne  faisant  aucun  cas 
de  l'opinion  du  puhlic  dont  les  applaudissemens  lui 
faisaient  hausser  les  épaules,  ni  de  celles  des  artistes 
qu'il  avait  l'air  de  regarder  comme  des  enfans.  Ses  rires 
dédaigneux  et  ses  mouvemens  d'impatience,  chaque  fois 
qu'un  pont-neuf  se  présentait  sous  son  archet ,  lui 
avaient  fréquemment  attiré  de  sévères  réprimandes  de  la 
part  de  son  chef  d'orchestre,  auquel  il  eût  depuis  long- 
temps envoyé  sa  démission ,  si  la  misère ,  qui  semble 
presque  toujours  choisir  pour  ses  victimes  des  êtres  de 
celle  nature,  ne  l'avait  irrévocablement  cloué  devant 
son  pupitre  huileux  et  enfumé.  Adolphe  D***  était, 
comme  on  voit ,  un  de  ces  artistes  prédestinés  à  la  souf- 
france qui,  portant  en  eux-mêmes  un  idéal  du  beau,  le 
poursuivent  sans  relâche,  haïssant  avec  fureur  tout  ce 
qui  n'y  ressemble  pas.  Glurk,  dont  il  avait  copié  les 
partitions  pour  mieux  les  connaître,  et  qu'il  savait  par 
cœur,  était  son  idole.  Il  le  lisait,  joua;t  et  chantait  a 


toute  heure.  Un  malheureux  amateur  auquel  il  donnait 
des  leçons  de  solfège,  eut  l'imprudence  de  lui  dire  un 
jour  que  ces  opéras  de  Gluck  n'étaient  que  des  cris  et  du 
plain-chant;    D***,    rougissant  d'indignation,    ouvre 
précipitamment  le  tiroir  de  son  bureau  en  tire  une 
dixaine  de  cachets  de  leçons,  dont  l'amateur  lui  devait 
le  prix,  et  les  lui  jetant  a  la  tête  :  «  Sortez  de  chez  moi, 
»  dit-il ,  je  ne  veux  ni  de  vous  ni  de  votre  argent ,  et 
>'  si  vous 'osez  repasser  le  seuil  de  ma  porte,  je  vous 
»  jette  par  la  fenêtre.  »  On  conçoit  qu'avec  une  pareille 
tolérance  pour  le  goût  des  élèves,  D***  ne  dut  pas  faire 
fortune  en  donnant  des  leçons.  Spontini  était  alors  dans 
toute  sa  gloire.  L'éclatant  succès  de  \a.Festale,  annoncé 
par  les  mille  voix  de  la  presse,  rendait  les  diletlanti   de 
chaque  province  jaloux  de  connaître  cette  partition  tant 
vantée  par  les  Parisiens,  et  les  malheureux  directeurs  de 
théâtre  s'évertuaient  a  tourner,  sinon  a  vaincre,  les  dif- 
ficultés d'exécution  et  de  mise  en  scène  du  nouvel  ou- 
vrage. Celui  de  D***,  ne  voulant  pas  rester  en  arrière 
du  mouvement  musical ,  annonça  bientôt  a  son  tour  que  la 
Vestale  était  a  l'étude.  D***,  exclusif  comme  tous  les 
esprits  ardens  auxquels  une  éducation  solide  n'a  pas  ap- 
pris  a  motiver  leurs  jugemens,    montra  d'abord  une 
prévention  défavorable  a  l'opéra  de  Spontini,  dont  il  ne 
connaissoit  pas  une  note  «  On   prétend   qne  c'est  un 
»  style  nouveau,  plus  mélodique  que  celui  de  Gluck  : 
»  tant   pis  pour  l'auteur ,  la  mélodie    de    Gluck   me 
»  suffit;  le  mieux   est  ennemi  du  bien.  Je  parie   que 
»  c'est  détestable.  »  Ce  fut  en  pareilles  dispositions 
qu'il  arriva  a  l'orchestre  le  jour  de  la  première  répéti- 
tion générale.  Comme  chef  tle  pupitre,  il  n'avait  pas  été 
tenu    d'assister  aux  répétitions   partielles    qui  avaient 


230 


GAZETTE  MUSICALE 


précédé  celle-là,  et  les  autres  musiciens,  qui,  tout  en 
admirant  Lemoine,  trouvaient  néanmoins  Spontini  fort 
beau,  se  dirent  à  son  arrivée  :  «  Voyons  ce  que  va  dé- 
j)  cider  le  grand  Adolph.3.  »  Celui-ci  répéta  sans  laisser 
échapper  un  mot , 'un  signe  d'admiration  ou  de  blâme.  Un 
étrange  bouleversement  s'opérait  en  lui.  Comprenant 
bien  dès  la  première  scène,  qu'il  s'agissait  la  d'une  œu- 
vre haute  et  puissante,  que  Spontini  était  un  génie  dont 
il  ne  pouvait  méconnaître  la  supériorité ,  mais  ne  se 
rendant  pas  compte  cependant  de  ses  procédés,  tout 
nouveaux  pour  lui,  et  qu'une  mauvaise  exécution  de 
province  rendait  encore  plus  difficiles  à  saisir,  D*** 
emprunta  la  partition,  en  apprit  les  paroles,  étudia  un 
a  un  l'esprit,  le  caractère  de  chaque  personnage,  et  se 
jetant  ensuite  dans  l'analyse  de  la  partie  musicale,  suivit 
ainsi  la  route  qui  devait  l'amener  a  une  connaissance 
véritable  et  complète  de  l'opéra  entier.  Depuis  lors  on 
observa  qu'il  devenait  de  plus  en  plus  morose  et  taci- 
turne, éludant  les  questions  qui  lui  étaient  adressées,  ou 
riant  d'un  air  sardonique  quand  il  entendait  ses  cama- 
rades se  récrier  d'admiration:  «  Imbéciles!  pcnsait-il 
»  sans  doute,  vous  êtes  bien  capables  de  concevoir  un 
»  tel  ouvrage ,  vous  qui  admirez  les  Prétendus.  »  Ceux- 
ci  ne  doutaient  pas,  a  cette  expression  d'ironie  qui  se 
dessinait  sur  les  traits  de  D***,  qu'il  ne  fût  aussi  sévère 
pour  5/70«fc«z  qu'il  l'avait  été  pour  Ansaume  et  Lemoine,, 
et  qu'il  ne  confondît  les  trois  compositeurs  dans  la  même 
condamnation.  Le  final  du  second  acte  l'ayant  ému  ce- 
pendant jusqu'aux  larmes,  un  jour  que  l'exécution  était 
un  peu  moins  exécral^e  que  de  coutume,  on  ne  sut  plus 
que  penser  de  lui.  Il  est  fou  ,  disaient  les  uns ,  c'est  une 
comédie  qu'il  joue,  disaient  les  autres,  et  tous,  c'est 
un  pauvre  musicien.  D***  ,  immobile  sur  sa  chaise, 
plongé  dans  une  rêveiia  profonde,  essuyant  furtivement 
ses  yeux,  ne  répondait  mot  a  toutes  ces  impertinences; 
mais  un  trésor  de  mépris  et  de  rage  s'amassait  dans 
son  cœur.  L'impuissance  de  l'orchestre,  celle  plus  évi- 
dente encore  des  chœurs,  le  défaut  d'intelligence  et  de 
sensibilité  des  aateurs,  les  broderies  delà  première  chan- 
teuse, les  mutilations  de  toutes  les  phrases ,  de  toutes 
les  mesures,  les  coupures  insolentes,  en  un  mot  les  tor- 
tures de  toute  espèce  qu'il  voyait  infliger  a  l'œuvre,  de- 
venu l'objet  de  sa  profonde  adoration  et  qu'il  possédait 
comme  l'auteur  lui-même,  lui  faisaient  éprouver  un 
supplice  que  je  connais  fort  bien,  mais  que  je  ne  saurais 
décrire.  Dante  seul  en  eût  été  capable,  en  ajoutant  ex- 
près un  huitième  cercle  a  son  enfer.  Après  le  second 
acte,  la  salle  entière  s'étant  levée  un  soir  en  poussant 
des  cris  d'admiration ,  D***  sentit  sa  fureur  le  sub- 
merger, et,  comme  un  habitué  du  parquet,  lui  adressait 


plein  de  joie ,  cette  question  banale  :  «  Eh  bien  ! 
»  monsieur  Adolphe ,  que  dites-vous  de  ça  ?  —  Je  dis , 
»  lui  criaD***  pâle  décolère,  que  vous  et  tous  ceux  qui  se 
»  démènent  dans  cette  salle ,  êtes  des  sots ,  des  ânes ,  des 
»  brutes,  dignes  tout  au  plus  de  la  musique  de  Le- 
»  moine,  puisque,  au  lieu  d'assommer  le  directeur,  les 
»  chanteurs  et  les  musiciens ,  vous  prenez  part  en  ap- 
»  plaudissant  a  la  plus  indigne  profanation  dont  on 
»  puisse  flétrir  le  génie.  »  Pour  cette  fois  l'incartade 
était  trop  forte,  et,  malgré  le  talent  d'exécution  du  fou- 
gueux artiste  ,  qui  en  faisait  un  sujet  précieux ,  malgré 
la  misère  affreuse  où  l'allait  réduire  une  destitution  ,  le 
directeur,  pour  venger  l'injure  du  public,  se  vit  forcé  de 
la  lui  envoyer. 

D***,  contre  l'ordinaire  des  caractères  de  sa  trempe, 
avait  des  goûts  fort  peu  dispendieux.  Quelques  épar- 
gnes faites  sur  les  appointemens  de  sa  place  et  les  leçons 
qu'il  avait  données  jusqu'à  cette  époque ,  lui  assurant 
pour  trois  mois  au  moins  son  existence ,  ammortirent 
le  coup  de  sa  destitution  et  la  lui  firent  même  envisager 
comme  un  événement  heureux  qut  pouvait  exercer  une 
influence  favorable  sur  sa  carrière  d'artiste  en  le  rendant 
a  la  liberté.  Mais  le  charme  principal  de  cette  délivrance 
inattendue,  venait  d'un  projet  de  voyage  que  D*** 
roulait  dans  sa  tête  depuis  que  le  génie  de  Spontini  lui 
était  apparu.  Entendre  la  Vestale  a  Paris,  tel  était  le 
but  constant  de  son  ambition.  Le  moment  d'y  atteindre 
paraissait  arrivé,  quand  un  incident  que  notre  enthou- 
siaste ne  pauvait  prévoir,  vint  y  mettre  obstacle.  Né 
avec  un  tempérament  de  feu,  des  passions  indompta- 
bles, Adolphe  cependant  était  timide  auprès  des  femmes, 
et  a  part  quelques  intrigues,  fort  peu  poétiques  avec  les 
princesses  de  son  théâtre,  l'amour,  l'amour  furieux, 
dévorant,  l'amour  frénésie,  le  seul  qui  put  être  le  vé- 
ritable pour  lui,  n'avait  point  encore  ouvert  de  cratère 
dans  son  cœur.  En  rentrant  nn  soir  chez  lui ,  il  trouva 
le  billet  suivant  : 

«  Monsieur,  s'il  veus  était  possible  de  consacrer  quelques 
»  heures  à  l'éducation  musicale  d'une  élève,  assez  forte  déjà 
»  pour  ne  pas  mettre  votre  patience  à  de  trop  rudes  épreuves, 
»  je  serais  heureuse  que  vous  voulussiez  bien  disposer  en  ma  fa- 
»  veur.Vos  talens  sont  connus  et  apréciés,  beaucoup  plus  peut- 
>j  être  que  vous  ne  le  soupçonnez  vous-même  ;  ne  soyez  donc 
»  pas  surpris  si ,  à  peine  arrivée  dans  votre  ville,  une  parisienne 
»  s'empresse  de  vous  confier  la  direction  de  ses  études  dans 
»  le  bel  art  que  vous  honorez  et  comprenez  si  bien. 

HoRTENSE   N***. 

Le  mélange  de  flatterie  et  de  fatuité  ;  le  ton  a  la  fois 
dégagé  et  engageant  de  cette  lettre  excitèrent  la  curio- 
sité de  D***,  et  au  lieu  d'y  répondre  par  écrit ,  il  réso- 


DE  PARIS. 


231 


lut  d'aller  en  personne  remercier  la  Parisienne  de  sa 
confiance,  l'assurer  qu'elle  ne  le  surprenait  nullement, 
et  lui  apprendre  que,  sur  le  point  départir  lui-même 
pour  Paris,  il  ne  pouvait  entreprendre  la  tâche  sans 
doute  fort  agréable  qu'elle  lui  proposait.  Ce  petit  dis- 
cours, répété  d'avance  avec  le  ton  d'ironie  qui  lui  con- 
venait, expira  sur  les  lèvres  de  l'artiste  en  entrant  dans 
le  salon  de  l'étrangère.  Sa  grâce  originale  et  mordante, 
sa  mise  élégante  et  recherchée  ;  ce  je  ne  sais  quoi  enfin 
qui  se  fascine  dans  la  démarche,  dans  tous  les  mouve- 
naens  d'une  beauté  delà  Chaussée-d'Antin,  produisirent 
tout  leur  effet  sur  Adolphe.  Au  lieu  de  railler,  il  com- 
mençait a  exprimer  sur  son  prochain  départ  des  regrets 
dont  le  son  de  sa  voix  et  le  trouble  de  toute  sa  personne 
décelaient  la  sincérité,  quand  madame  N***,  en  femme 
habile,  l'interrompit  :  «  Vous  partez,  monsieur?  oh! 
»  mon  Dieu  !  j'ai  été  bien  inspirée  de  ne  pas  perdre  de 
»  temps.  Puisque  c'est  a  Paris  que  vous  allez,  cominen- 
»  çons  nos  leçons  pendant  le  peu  de  jours  qui  vous  res- 
»  tent;  immédiatement  après  la  saison  des  eaux,  je  re- 
»  tourne  dans  la  capitale  où  je  serai  charmée  de  vous 
»  revoir  et  de  profiter  alors  plus  librement  de  vos  con- 
»  seils.  »  Adolphe,  heureux  intérieurement  de  voir  les 
raisons  dont  il  avait  motivé  son  refus  si  facilement  dé- 
truites, promit  de  commencer  le  lendemain,  et  sortit 
tout  rêveur  ;  ce  jour-la  il  ne  pensa  pas  a  la  Vestale. 

(La  suite  à  un  numéro  prochain.) 


Sur  les  Quintes  et  les  Octaves  cachées. 

Outre  la  théorie  sur  les  quintes  et  octaves  visibles 
celles  sur  les  quintes  et  les  octaves  cachées  s'est  acquis 
une  célébrité  toute  particulière,  sans  que  pourtant  l'im- 
portance qu'on  a  donnée  a  cette  question  fût  de  nature 
à  mettre  sous  un  jour  des  plus  brillans  le  bon  sens  qui 
a  dirigé  les  recherches  musicales.  En  effet,  si  la  théorie 
des  quintes  et  des  octaves  cachées  n'est  en  elle-même 
que  le  développement  extrême  de  celle  des  quintes 
visibles,  et  si,  comme  la  première  ,  elle  repose  sur  le 
même  principe  erronné  de  l'uniformité  dans  le  mouve- 
ment des  parties,  principe  au  moins  fort  incomplet  et 
d'une  vérité  toute  partielle,  nous  pouvons  naturellement 
en  conclure  que  les  principes  par  nous  précédemment 
établis  devront  nous  apparaître  aujourd'hui  avec  un  nou- 
veau degré  de  clarté  et  d'évidence. 

Dans  les  numéros  8,  9  et  12  de  la  Gazette  Mu- 
sicale, je  crois  avoir  démontré  que  les  théories  établies 
sur  les  quintes  et  les  octaves  visibles  reposent  sur  des 
bases  inexactes  et  j'espère  avoir  réussi  a  présenter  la 
question  sous  le  jour 'qui  lui  convient  réellement;  ce  que 
j'ai  dit  a  cette  occasion  doit  s'appliquer  avec  une  com- 


plète anologie  a  ce  qui  me  reste  a  dire  au  sujet  des  quintes 
et  octaves  cachées.  Je  livre  donc  a  mes  lecteurs  le  résul- 
tat de  mes  recherches;  puisse  cette  question  si  fameuse 
leur  paraître  aussi  simple  qu'elle  est  en  effet. 

Ce  qui  doit  nous  occuper  avant  tout,  c'est  d'apprendre 
a  connaître  le  théorème  des  quintes  et  octaves  cachées 
tel  qu'il  a  été  traité  jusqu'à  ce  jour  par  les  divers  théori- 
ciens, en  déclarant  jusqu'à  quel  point,  d'après  nos  prin- 
cipes déjà  émis ,  nous  partageons  ou  nous  récusons  l'au- 
torité des  maîtres.  Il  devra  [donc  nous  suffire  de  nous  re- 
porter d'une  manière  générale  à  l'opinion  des  Koch  et  de 
Turk  comme  représenlans  de  l'ancien  système  ou  de 
l'école  de  Bach,  et  à  celle  de  Gottfried  Weber  comme 
le  représentant  ou  plutôt  le  créateur  d'une  nouvelle 
théorie. 

Koch,  dans  son  dictionnaire  de  musique  explique  sa 
théorie  à  peu  près  en  ces  termes  : 

a  Les  quintes  et  les  octaves  cachées  sont  celles  qui,  dans  la 
»  marche  de  deux  parties  vers  une  consonnance  parfaite,  se 
»  laissent  apercevoir  alors  seulement  qu'on  remplit  l'espace 
»  existant  entre  cette  consonnance  et  l'intervalle  qui  la  précède 
»  (  autrement  dit  lorsqu'on  se  figure  cet  espace  rempli,  voyez 
»  le  tableau,  fig.  1  ).  De  semblables  quintes  ou  octaves  sont  dé- 
»  fendues  dans  les  parties  extérieures  ;  mais  .si  la  partie  du'des- 
»  sus  monte  pu  descend  d'un  degré,  et  que  la  basse  au  contraire 
»  procède  par  quarte  ou  par  quinte  (  Voir  le  tableau,  fig.  2  , 
»  elles  sont  alors  permises  sans  aucune  exception. 

Turk  dit  (  page  87  de  sa  méthode  sur  la  basse  fonda- 
mentale, quatrième  édition  )  : 

«  Outre  les  quintes  et  les  octaves  visibles,  il  en  est  encore 
»  d'autres  qu'on  appelle  cochées.  Il  est  vrai  que  ces  dernières 
)>  ne  sont  point  entendues;  mais  cependant  une  oreille  bien 
»  exercée  les  sent  aisément  ou,  tout  au  moins,  on  se  figure  voir 
«  ces  quintes  ou  ces  octaves  cachées  et  les  entendre  réellement. 

«  Ces  quintes  et  octaves  produisent  au  moins  en  partie  un 
«  effet  désagréable;  aussi  nesonl-elles  pas  permises  si  ce  n'est 
i)  eu  cas  de  nécessité  absolue.  Il  faut  surtout  les  éviter  sur  les 
»  notes  principales.  On  peut  toujours  les  introduire  au  moyen 
»  des  noies  de  passage  cl  dans  ce  cas,  il  serait  fort  difficile  de 
»  de  les  éviter  d'une  manière  convenable.   » 

Turk  parle  ensuite  de  quintes  et  octaves  cachées  sem- 
blables a  celles  dont  a  parlé  Koch  ,  et  qu'il  est  inutile 
de  citer  ici  une  seconde  fois. 

Les  lecteurs  amont  déjà  remarqué  le  vague  et  l'en- 
tière absence  de  logique  véritable  qui  caractérisent  les 
théories  établies  par  ces  deux  professeurs,  et  adoptées 
depuis  par  la  foule.  Ces  défauts  paraîtront  encore  plus 
frappans  lorsque  j'aurai  exposé  le  système  de  G.  Weber, 
dont  les  principes  sur  cette  matière  l'ont  du  moins  honneur 
à  son  esprit  logique,  et  suivant  lequel  le  nombre  des 
quintes  impropres  ou  cachées  va  presque  a  l'infini.  We- 
ber dislingue  spécialement  les  espèces  suivantes  :  A. 
Les  quintes  interrompues  par  des  silences.  (  Voyez  le 


232 


GAZETTE  MUSICALE 


tableau,  fig.  3.  )  Il  va  même  jusqu'à  indiquer  comme 
appartenant  a  la  même  catégorie  les  exemples  indiqués 
au  tableau  fig.  4,  cependant  il  remarque,  que  ces  quintes 
sont  presque  insensibles  a  l'oreille  surtout  quand  les  re- 
pos sont  un  peu  prolongés. 

B.  Quintes  brisées.  (Voyez  le  tableau  fig.  5.)  Les 
numéros  5  et  6  de  cette  figure,  ne  sont  pas  absolument 
vicieux  puisqu'on  ne  les  remarque  que  conditionellement, 
comme  par  exemple ,  lorsque  le  timbre  des  différentes 
parties  est  tellement  semblable  qu'il  devient  impossible 
pour  l'oreille  de  suivre  leur  marche,  de  telle  sorte  qu'elle 
n'en  entend  plus  qu'une  seule  dans  laquelle  des  quintes 
apparaissent.  Dans  le  style  sévère,  les  quatre  parties  sont 
tellement  différentes ,  que  cet  inconvénient  ne  peut  pas 
pas  exister.  Ce  principe  ne  pourrait  donc  tout  auplus  s'ap- 
pliquer que  dans  des  morceaux  exécutés  pardes  instrumens 
d'un  seul  et  même  timbre.  Il  est  évident,  qu'à  propre- 
ment parler,  ces  quintes  ne  rentrent  pas  dans  le  domaine 
des  quintes  défendues. 

Le  numéro  5  est  doublement  vicieux,  (  voir  plus  bas 
ce  que  nous  disons  à  ce  sujet.)  Le  numéro  4  est  incorrect 
quand  le  rhythme  du  morceau  n'est  pas  bien  accentué, 
mais  surtout  par  la  progression  de  la  seconde  à  la  troi- 
sième note  de  la  mélodie  parce  que,  dans  ce  cas ,  cette 
seconde  note  devient  septième  et  qu'en  conséquence  il 
n'est  pas  naturel  qu'elle  suive  une  marche  ascendante. 
Dans  un  mouvement  rapide  cependant ,  cet  effet  même 
ne  pourra  pas  être  remarqué. 

C.  Quintes  d'accent  (Voir  le  tableau  fig.  6),  qui 
n'existent  que  dans  l'imagination,  par  cela  seul  qu'on 
se  figure  comme  seules  existantes  les  notes  sur  lesquelles 
on  appuie  principalement. 

Mais  si  l'on  peut  se  permettre  de  faire  ainsi  abstrac- 
tion des  notes  essentielles  d'une  composition  et  de  se 
représenter  par  ce  moyen  des  formes  vicieuses,  ue  pour- 
rait-on pas  aussi  se  figurer  qu'un  passage  juste  dans  la 
réalité  est  faux?  ne  pourrait-on  pas  rêver  des  dissonnances 
désagréables  et  dire  alors  :  Le  compositeur  a  écrit  d'une 
manière  vicieuse.  Est-il  donc  plus  naturel  de  supprimer 
des  notes  par  la  pensée  que  d'en  rêver  de  toutes  diffé- 
rentes? Pauvres  compositeurs  ! 

D.  Quintes  cachées  par  des  notes  de  passage.  (Voir 
le  tableau,  fig.  7  ). 

Je  le  demande  n'est-ce  pas  faire  une  véritable  chasse 
aux  quintes,  que  de  dire  :  «  Oui ,  les  notes  intermé- 
diaires sont  ici  seulement  pour  couvrir  et  masquer  les 
quintes?  »  Qui  pourrait  penser  qu'un  homme  tel  que  G. 
Weber  ait  pu  prendre  la  peine  de  rechercher  de  sem- 
blables exemples  pour  essayer  de  les  classer  et  de  criti- 
quer chacun  d'eux  suivant  son  mérite  ou  son  démérite  ; 


ces  quintes  par  opposition  avec  celles  que  nous  plus  bas 
appelons  quintes  d'oreille  pourraient  être  nommées 
quintes  d'ceil,  si  toutefois  il  faut  absolument,  pour  se 
montrer  savant,  employer  des  expressions  subtiles  et  un 
style  barbare. 

E.  Quintes  par  sauts  qui  ne  peuvent  être  cachées  à 
l'œil  que  lorsque  les  parties  procèdent  en  sautant  ou  en 
se  croisant.  (Voir  le  tableau,  fig.  8.  )  Outre  que  cette 
espèce  de  quintes  et  octaves  se  rattache,  à  vrai  dire,  aux 
quintes  brisées  dont  nous  avons  parlé  plus  haut ,  je  sou- 
tiens de  plus  qu'ici  encore  la  cause  du  mauvais  effet 
ne  repose  pas  sur  des  quintes  qu'on  ne  découvre 
qn'après  de  nombreuses  opérations  de  l'esprit,  mais 
bien  sur  les  harmonies  incomplètes  et  étrangères  l'une 
à  l'autre  qui  se  suivent  immédiatement  sans  aucune 
transition;  anssi,  l'exemple  précité  sonnera-t-il  toujours 
mal ,  que  cet  exemple  renferme  ou  ne  renferme  pas  de 
quintes. 

F.  Quintes  intercalées.  Ce  sont  les  mêmes  dont  j'ai 
déjà  parlé  d'après  Koch  et  dont,  par  une  singularité  assez 
remarquable,  la  plupart  des  théoriciens  n'ont  parlé  qu'à 
l'occasion  des  quintes  et  octaves  cachées.  M.  G.  Weber 
dit  que  ces  quintes  sonnent  quelquefois  mal  et  quelque- 
fois bien.  Vogler  les  permet  sans  distinction,  etc.,  etc. 
Ici  encore  la  vérité  esl  bien  près  de  nous  ;  mais  je  revien- 
drai sur  ce  sujet. 

G.  Quintes  par  mouvement  contraire.  (Voirie  tableau 
fig.  90 

Si  l'on  veut  chercher  et  trouver  le  vice  (s'il  y  en  a)  du 
premier  de  ces  morceaux  uniquement  dans  le  rapport  des 
quintes  qui  se  suivent,  il  faut,  je  l'avoue,  adopter  la 
démonstration  suivante  de  G.  Weber  :  «  Il  n'y  a,  il  est 
vrai,  dans  cet  exemple  aucun  parallèle  de  quintes,  mais 
comme  le  petit  sol  est  l'image  du  grand,  celte  manière 
de  conduire  la  basse  ne  diffère  guère  de  celle  qui  consis- 
terait à  mettre  le  grand  sol  en  haut  du  premier  accord, 
et,  dans  ce  cas,  il  y  aurait  réellemeut  parallèle  de 
quintes.  » 

Maintenant  ne  peut-on  pas  appliquer  à  cette  démon- 
stration ce  que  M.  G.  Weber  dit  dans  sa  Théorie, 
vol.  iv,  page  73.  «  Voilà  ce  que  ces  messieurs  appellent 
faire  une  démonstration  ;  n'est-il  pas  incroyable  qu'on 
ose  offrir  de  semblables  clînquans  comme  ayant  une 
valeur  réelle?  » 

H.  Quintes  d'oreille.  (Voir  ie  tableau,  fig.  iO.) 

M.  G.  Weber  s'exprime  ainsi  à  ce  sujet  :  II  est  in- 
contestable que  cette  succession  d'accords  ne  produise 
pas  un  effet  agréable  ;  mais  vonloir  en  chercher  la  cause 
dans  une  suite  de  quintes  cachées,  ce  serait  pousser 
trop  loin  la  rage  depoursuivre  tout  ce  qui  s'appelle  qu.n- 


233 


tes';  »  et  il  donne  alors  plusieurs  autres  raisons  très- 
bien  imaginées,  il  est  vrai ,  mais  qui  ne  sont  justes  qu'a 
de  certaines  conditions. 

Si  nous  résumons  les  précédentes  théories,  observa- 
tions, démonstrations,  etc.,  etc.,  sur  les  quintes  et  les 
octaves  cachées,  il  n'en  résulte  qu'une  chose  :  C'est  que 
ces  théories  sont  incomplètes,  incertaines  et  en  partie 
erronnées,  et  qu'en  conséquence  elles  sont  aussi  souvent 
en  contradiction  avec  elles-mêmes  qu'avec  la  saine  pra- 
tique, qui  existait  cependant  avant  qu'on  ne  connût  les 
très-subtiles  distinctions  de  Weber.  Ce  serait  donc  ren- 
dre un  service  important ,  s'il  était  possible ,  de  mettre 
de  côté  tout  ce  long  théorème  en  substituant  a  sa  place 
un  principe  qui  traçât  une  limite  exacte  des  quintes  ca- 
Ghées  vraiment  vicieuses ,  et  qui  enseignât  en  même  temps 
à  les  éviter  ou  a  les  faire  disparaître.  Ce  principe   nous 
l'avons  trouvé,  il  n'a  rien  de  nouveau  ;  c'est  le  premier 
principe  de  tous  les  beaux-arts,  le  principe  qui  repose 
sur  l'unité  et  la  variété.  Nous  avons  vu  que  la  cause  es- 
sentielle du  mauvais  effet  produit  par  les  quintes  et  les 
octaves  visibles  résidait  uniquement  dans  l'atteinte  por- 
tée a  ce  principe;  nous  retrouvons  le  même  motif  pour 
les  quintes  et  les  octaves  cachées,  et  la  même  observa- 
tion résulte  de  toute  succession  parallèle,  c'est-a-dire 
que  ces  successions,  à  quelque  espèce  qu'elles  appartien- 
nent, sont  vicieuses  ou  mal  sonnantes  a  proportion  qu'il  y 
existe  a  la  fois  une  trop  grande  uniformité  dans  le  mou- 
vement des  parties,  et  une  trop  grande  variété  harmo- 
nique, autrement  dit,  des  accords  étrangers  les  uns  aux 
autres.  Si  nous  examinons  tous  les  exemples  cités  comme 
vicieux  parïurk,  Koch  et  Weber,  nous  trouverons 
que  ces  quintes  ou  ces  octaves  cachées  sont  d'autant 
moins   vicieuses  qu'on  y  remarque,  ou  ,    seulement  un 
mouvement  semblable    ou    parallèle,    l'uniformité,  ou 
bien  seulement  absence  d'analogie  et  de  rapports  entre 
les  différens  accords  ;  mais  qu'en  même  temps,  l'exemple 
est  doublement  vicieux,  quand  les  deux  fautes  se  trou- 
vent réunies.  C'est  ainsi,  par  exemple,  que  je  trouve 
tout-a-fait  vicieuses  les  successions  de  quintes  de  la  fi- 
gure 5,  successions  interrompues  par  des  pauses,  parce 
que  ces  pauses  ne  suffisent  pas  pour  rendre  insensible 
l'uniformité  des  mouvemens.  Mais  ces  mêmes  successions 
et  principalement  les  trois  premières  deviendraient  dou- 
blement mauvaises,  si  la  première  note  de  la  troisième 
partie  était  un  fa  dièze;  parce  que  dans  ce  casles  tonalités 
ré  majeur  et  ut  majeur,  étrangères  l'une  a  l'autre  au 
plus   haut  point,    deviendraient  trop  rapprochées.    Je 
regarde  comme  insignifiant  les  exemples  i  et  2,  d'après 
le  dernier  principe  que  je  viens  de  donner ,  et  en  outre 
parce  qu'ici  il   n'existe  réellement  pas  de  mouvement 


parallèle.  Il  en  est  de  même  à  l'égard  des  nos  4,  5  et  6, 
mais  je  signale  comme  répréhensibles  sur  tous  les  points 
la  progression  et  la  constitution  harmonique  du  n°  5.  — 
Les  prétendues  quintes  d'accent  doivent  être  regardées 
comme  mauvaises,  celles  du  n°  27,  sous  le  double  rap- 
port de  l'harmonie  et  du  mouvement,  celles  des  nos6et9, 
sous  le  seul  rapport  des  mouvemens,  et  seulement  en- 
core s'il  est  permis  de  dire  :  Oui ,  je  me  figure  telle  ou 
telle  irote  hors  de  l'accord.  Quant  aux  quintes  citées  sous 
les  lettres  D  et  E  je  me  suis  déjà  expliqué  à  leur  égard. 
Les  quintes  et  octaves  intercalées  ainsi  que  les  nomment 
Koch  et  Tiirk  ne  sont ,  suivant  l'opinion  de  Weber , 
reconnues  comme  vicieuses  que  lorsqu'elles  pèchent 
contre  l'harmonie,  autrement  ajoute-t-il,  tous  les  mor- 
ceaux d'harmonie  renfermeraient  des  fautes.  Que  les 
quintes  par  mouvement  contraire  ne  soient  pas  a  propre- 
ment parler  des  quintes,  c'est  ce  qu'avoue  Weber  lui- 
même.  Il  ne  faut  donc  chercher  le  mauvais  effet  de  ces 
quintes  que  dans  la  divergence  de  l'harmonie ,  et  les 
quintes  rassemblées  sous  le  ne  10  ne  sont  aucunement 
vicieuses.  Il  en  est  de  même  des  quintes  d'oreilles  appar- 
tenant a  la  lettre  H. 

F.  STOEPEL. 


Censure  Théâtrale. 

La  circulaire  adressée  du  ministère  de  l'intérieur  aux 
directeurs  de  spectacles  doit  intéresser  les  personnes 
pour  lesquelles  la  question  des  théâtres  est  une  ques- 
tion importante.  Nous  la  reproduisons.  Ainsi ,  voila  la 
censure  rétablie.  Voici  le  texte  de  la  circulaire  adressée 
à  MM.  les  directeurs  des  théâtres  de  Paris  : 

Monsieur,  l'art.  1 1  du  décret  du  8  juin  1 806,  encore 
en  vigueur  aujourd'hui ,  donne  h  l'administration  le 
droit  d'interdire  les  représentations  théâtrales.  Depuis 
quatre  ans,  elle  s'est  trouvée  dans  l'obligation  d'appli- 
quer cet  article  et  de  défendre  la  représentation  de  plu- 
sieurs pièces.  Les  manuscrits  ne  lui  étant  pas  commu- 
niqués, elle  n'a  pu,  le  plus  souvent,  prendre  ce  parti 
que  lorsque  déjà  les  directeurs  avaient  fait  les  frais  de 
mise  en  scène.  Il  en  est  résulté  des  dommages  pour  eux 
et  des  demandes  en  indemnités  qui  n'ont  pu  être  admi- 
ses. Les  plaintes  des  directeurs  ont  fait  sentir  le  besoin 
de  régulariser  cet  état  de  choses.  C'est  pour  arriver  a  ce 
but  que  je  vous  ai  averti  verbablemcnt,  et  que,  survotre 
demande ,  je  vous  avertis  par  écrit  de  ce  qui  a  été  ar- 
rêté par  le  ministre  de  l'intérieur,  pour  l'exécution  du 
décret  du  8  juin  1806. 

Vous  avez  la  faculté  d'éviter  tout  dommage  en  sou- 
mettant d'avance  les  manuscrits  des  ouvrages  nouveaux 


>34 


GAZETTE  MUSICALE 


a  la  division  des  beaux-arts  et  des  théâtres.  Les  pièces 
qui  n'auront  pas  été  soumises  seront  interdites  purement 
et  simplement,  lorsque  par  leur  contenu  elles  mérite- 
ront l'application  du  décret,  et  vous  ne  pourrez  imputer 
qu'à  vous  seul  les  dommages  qui  résulteront  d'une  mise 
en  scène  devenue  inutile. 

Agréez,  monsieur,  l'assurance  de  ma  considération  la 
plus  distinguée. 

Le  chef  de  la  division  des  beaux-arts  et  des 
théâtres,  Gavé. 

La  Commission  dramatique  s'est  -présentée  chez 
M.  le  Ministre  de  V Intérieur  pour  protester  contre  l'ap- 
plication du  Décret  de  -1806,  et  lui  demander  une  loi 
qui  consacrât  la  liberté  du  théâtre  et  en  réprimât  la  li- 
cence. Voici  la  lettre  circulaire  de  la  Commission  : 

M.  le  Ministre,  tout  en  ne  nous  dissimulant  point 
les  difficultés  d'une  loi  pareille,  a  bien  voulu  nous  prier 
de  lui  soumettre  nos  idées  a  ce  sujet;  mais  il  nous  a 
exprimé  la  crainte  que  les  Chambres  n'eussent  point, 
cette  année,  le  loisir  de  s'occuper  de  cette  loi.  Nous  es- 
pérons qu'il  en  sera  autrement. 

Mais  d'ici  Ta ,  nous  restons  toujours  sous  l'arbitraire 
du  Décret  de  1 806 ,  et  dans  le  cas  où,  aux  termes  de  ce 
Décret,  l'on  voudrait  arrêter  un  ouvrage  avant  sa  re- 
présentation, nous  avons  demandé  que  le  manuscrit  de 
cet  ouvrage  ne  fût  pas  livré  a  un  commis  qui  pourrait 
seul  et  à  son  gré,  le  condamner  sans  appel. 

M.  le  ministre  nous  ayant  priés  de  lui  indiquer  un 
moyen  d'arbitrage,  nous  avons  pensé  que  les  auteurs 
ne  pourraient  avoir  de  meilleurs  défenseurs  que  ceux 
qu'ils  avaient  déjà  investis  de  leurs  pouvoirs  et  de  leur 
confiance.  Nous  lui  avons  proposé  d'intervenir  comme 
conseils  et  avocats  entre  l'autorité  et  ceux  de  nos  con- 
frères qui  voudraient  bien  accepter  notre  médiation , 
médiation  toute  officieuse  et  d'autant  plus  indépen- 
dante, que  la  Commission  dramatique  se  renouvelant 
tous  les  ans,  chacun  sera  appelé,  tour  a  tour,  à  être 
le  défenseur  de  ses  confrères.  Ne  pouvant  détruire  l'ar- 
bitraire ,  nous  avons  cherché  du  moins  a  en  amortir 
les  coups. 

M.  le  Ministre  y  a  consenti.  Nous  l'en  remercions; 
mais  nous  ne  cesserons  pas  pour  cela  de  demander  à  lui 
et  aux  Chambres  une  loi,  que  ce  provisoire  même  rend 
indispensable,  une  loi  qui  consacre  la  liberté  et  en  ré- 
prime les  excès. 

Signé:  E.  Sciube,  président;  Dupaty,  vice-prési- 
dent; Mélesville  ,  Ferdinand  Langlé  et  Dumakoik, 
secrétaires. 

Pour  copie  conforme  :  les  Agens  des  auteurs  : 
Signé  :  J.  Michel,  Guyot. 


Correspondance. 

Londres,  3  juillet. 

Iht  JHusicali 

DANS  L'ABBAYE   DE    WESTMINSTER. 

Comme  parmi  les  détails  qui  nous  sont  parvenus  sur  cette 
fête,  il  s'en  trouve  qui,  par  leur  spécialité,  n'offriraient  pas  un 
grand  intérêt  à  nos  lecteurs ,  nous  nous  bornons  à  en  extraire 
ici  les  observations  les  plus  saillantes,  en  les  faisant  précéder 
du  programme  de  la  fête  et  du  tableau  comparatif  de  la  com- 
position de  l'orchestre  de  \  784  et  de  l'orchestre  de  cette  année. 

PROGRAMME  DE  LA  FÊTE. 


nti.m  Antlie 


ïfllEEIÎERE    J3URKTEE. 
(antienne),  de  Haendel.  —  Créatii 


in  Haydn.  —  Morceaux 
choisis  !e  Satmon  ,  oratorio  de  Haendel. 

DEUXIÈME  JOnRWtE0 

Coronatinn  autlicin  (antîeune\  de  Haendel.  —  Air  tiré  de  Davide  Pénitente ,  par  Mo- 

zart.  —  Morceaux  choisis  de  la  messe  en  ut  pal'  Beethoven.  —  Morceaux  choisis  de  la 

2e  messe  de  Haydn.- — Morceaux  choisis  de  Josua ,  oratorio  de  Haendet.    Morceaux 

choisis  de  la  t  "  inesse  de  Mozart .  —  L'oratorio  d'Israël  en  Égrpte  ,  par  Haendel .  — 

TROiSiÈBÏS  JOVRSIÈ3. 

Quatuor  et  choeur  de  Haydn. — Merccauy  choisis  de  Judas   Maccabaeus,  oratorio 

de  Haendel.  —  Motif  de  Mozart.  —  Air  de  Mozart.  —  Gloria  de  Pergolèse.  —  Réci- 

tatif  etairde-HdcwW.  —  Choeur  de  Léo.  —  Air  de  Mozart .  —  Morceaux  choisis  du 

Christ    au  Mont   des   Oliviers,  par  Beethoven.  —  Anlhem  (antienne),  de  Purcell.  — 

Solos  et  chœurs  par  Haendel.  —  Airs  de  Pcrgolèse.  —  Sextuor  et  choeur  de  Haydn. — 

Solo  et  quatuor  de  Hummcl.  —  Choeur  de  Haendel. 

TABLEAU  COMPARATIF. 


1834 

1784 

Dessus.  Femmes. 

1834 

1784 

Violons 

80 

95 

113 

11 

52 

26 

—        Jeunes  g.irçons. 

32 

47 

18 

21 

74 

48 

Contre-basses.       .      .      . 

18 

15 

70 

83 

FKltes 

10 

6 

Basses 

108 

84 

Hautbois 

12 

26 



12 

37 

397 

273 

10 

12 

Artistes  de  l'Opéra  Ita- 

8 

12 

5 

2 

1  romnones 

S 

6 

lnstrumens    .... 

223 

250 

2 

— 

2 

— 

5 

4 

2*3 

250 

Total.     .      . 

625 

525 

«  Il  est  curieux  de  voir  par  ce  tableau  qu'en  1784,  on  a  pu 
réunir  à  Londres  g5  artistes  pour  la  partie  du  violon  ,  tandis 
que,  moins  de  cent  ans  auparavant,  Lulli  put  à  peine  en  ras- 
semblera à  Paris  ;  et  qu'il  ne  s'en  est  trouvé  cette  année-ci 
à  Londres  que  80,  lorsque,  d'un  autre  côté,  il  s'est  présenté 
un  plus  grand  nombre  d'exécutans  pour  les  chœurs  et  pour  les 
instrumens  à  vent.  Il  estencore  assez  remarquable  qu'en  1784 
on  ait  eu  26  hautbois  et  27  bassons  ,  tandis  que  les  clarinettes 
imnquaient  entièrement 

«  L'empressement  avec  lequel  le  public  de  nos  jours  se  porte 
en  foule  aux  représentations  musicales,  comme  celle  de  West- 
minster, prouve  qu'il  connaît  parfaitement  cette  propriété  spé- 
ciale inhérente  à  la  musique  sacrée,  et  notamment  au  choral,  de 
croître  en  effet  a\ec  le  nombre  des  exécutans.  C'est  celte  pro- 
priété particulière  qui  donne  à  la  musique  une  sorte  de  vitalité 
à  laquelle  ne  peuvent  pas  prétendre  les  autres  arts.  De  quelque 
génie  qu'elle  soit  empreinte,  la  création  la  plus  remarquable 
en  poésie  ou  en  peinture  finira  par  nous  paraître  monotone  et 
fastidieuse  si  le  charme  n'en  est  pas  entièrement  renouvelé  par 
quelque  circonstance  propre  à  le  varier  ;  tandis  qu'en  musique 
la  composition  la  plus  ancienne  et  avec  laquelle  nous  sommes  le 
plus  familiarisés  acquiert ,  par  le  seul  choix  d'une  localité  plus 
propice,  par  une  augmentation  extraordinaire  du  nombre 
d'exécutans ,  une  fraîcheur  et  une  puissance  dont  nous  l'aurions 
à  peine  crue  susceptible.  La  perfection  de  la  composition  (en 


DE  PARIS. 


tant  que  l'on  comprend  par-là  l'expression  des  senlimens  in- 
times par  un  arrangement  scientifique  et  poétique  des  tons)  a 
peut-être  été  poussée  à  son  plus  haut  degré.  Pour  ce  qui  nous 
regarde,  du  moins,  nous  sommes  persuadés  que,  difficilement, 
le  géniede  l'homme  saurait  surpasser  les  créations  sublimes  de 
Bach,  de  Haendel  et  celles  de  quelques  autres  maîtres  dont 
les  noms  sont  dignes  de  figurer  à  côté  de  ceux-ci.  Mais  la  per- 
fection de  l'exécution  est  une  chose  spéculative  de  sa  nantie; 
et ,  comme  nous  ne  connaissons  pas  les  limites  des  effets  ni  des 
sensations ,  nous  devons  nous  résigner  à  ne  voir  réaliser  nos 
rêves  sous  ce  rapport  que  dans  quelque  sphère  plus  parfaite 
que  celle  où  nous  vivons  aujourd'hui.  A  une  époque  qui  ne  se 
distingue  pas,  quant  aux  arts  ,  par  une  grande  puissance  créa- 
trice, peut- être  n'est-il  pas  de  pensée  plus  consolante  pour 
ceux  qui  sont  voués  au  culte  de  la  musique  que  l'idée  de  (et  in- 
térêt nouveau  que  d'anciens  œuvres  ont  le  pouvoir  d'acqué- 
rir par  suite  de  quelques  circonstances  favorables.  En  cllét,  la 
centième  audition  d  un  morceau  nous  semble  quelquefois  être 
la  première,  et  des  choses  qui  nous  avaient  échappé  dans  les 
exécutions  précédentes,  nous  frappent  comme  de  nouvelles  dé- 
couvertes  

n  Aucun  son  n'a  frappé  l'oreille  des  auditeurs  avant  le 
commencement  de  la  séance,  et,  à  peine,  a-t-on  entendu  accor- 
der un  instrument  dans  le  cours  de  l'exécution;  mais,  avant 
la  fin  du  second  acte,  nous  en  avons  ressenti  1  inconvénient  ; 
les  sons  de  plusieurs  instrumens  à  cordes  étaient  déjà  faux. 

«  Nous  avons  entendu  la  création  dans  son  entier;  toutes  les 
conditions  se  trouvaient  réunies  pour  que  l'exécution  d'une 
composition  de  ce  genre  ne  laissât  rien  à  désirer;  un  chœur 
nombreux,  correct  et  expressif  ;  un  orchestre  riche  et  choisi; 
et  cependant  nous  ne  saurions  franchement  nous  déclarer  par- 
tisan de  cet  œuvre.  Comme  composition  de  musique  sacrée,  il 
offre  trop  de  passages  frivoles.  Qu'on  en  compare  le  style  à 
celui  de  l'une  des  productions  instrumentales  de  3Ioza>-l  ou  de 
Beethoven  ,  et  l'on  verra  tout  ce  qu'il  perd  à  ce  rapproche- 
ment. La  musique  de  Haydn  est  entièrement  dépourvue  de 
passion  et  de  grandeur,  et  ses  effets  ne  nous  touchent  que  su- 
perficiellement au  lieu  de  pénétrer  dans  Pâme  el  d'agir  sur  no- 
tte  organisation  daus  ce  qu'elle  a  de  pins  intime.  Un  seul  mor- 
ceau ,  des  «  sept  derniers  mots  »  de  Haydn  ,  vaut ,  à  notre  avis 
toute  la  création,  et  ce  qui,  plus  que  sa  valeur  intrinsèque, 
rend  cet  oratorio  recommandable,  c'est  l'importance  qu'il  avait 
au  moment  de  son  apparition;  car  il  montrait  d'une  manière 
décisive  tout  le  parti  que  l'on  pouvait  tirer  d'une  grande  masse 
de  voix  ;  c'est  l'influence  qu'il  était  destiné  à  exercer  sur  l'art 
de  la  composition  comme  modèle  de  perfectionnement  livré 
aux  méditations  des  auteurs  contemporains.  Si  nous  excep- 
tons un  ou  deux  effets  ,  nous  avouons  qu'il  nous  est  indifférent 
d'entendre  ou  uon  des  morceaux  tels  que  ceux-ci  :  «  le  Sei- 
gneur est  grand  »  ,  et  «  les  Cieux  racontent  ri) 

«  Un  vieux  amateur  ,  qui  a  assisté  aux  deux  fêles  nuuicales, 
el  dans  le  jugement  duquel  nous  avons  la  plus  grande  con- 
fiance,  nous  assure  que  les  solos  furentmieux  chantés  en  17S4, 
mais  que  les  chœurs  ont  été  mieux  exécutés  en  dernier  lieu. 
Il  nous  semble  assez  naturel  que,  dans  un  espace  de  50  ans,  la 
tradition  du  style  de  Haendel,  quant  aux  solos,  se  soit  affai- 
blie. Toutefois,  ce  n'est  point  cette  circonstance  ni  à  ce  que 
l'âge  a  diminué  les  moyens  de  plusieurs  chanteurs  dont  on  a 
remarqué  les  pénibles  efforts  pour  soutenir  leur  ancienne  répu- 
tation, que  l'on  doit  attribuer  les  imperfections  qui  ont  frappé 
l'auditoire  dans  l'exécution  des  solos.  On  ne  peut  pas  amener 
nos  chanteurs  anglais,  grands  cl  petits,  à  terminer  leurs  phra- 
ses d'une  manière  simple.  Neuf  fois  sur  dix,  nous  sommes 
obligés  d'entendre  un  suite  de  notes  insignifiantes  («  rigma- 
role  r>y notes),  avant  que  le  chanteur  se  décide  àarticuler  réel- 
lement sa  cadence  ,  quoique  rien  ne  soit  plus  contraire  à  l'in- 
tention du  compositeur, et  rien  plus  monotone  quel' uniformité. 
Aussi  n'avons-nous  pas  jugés  dignes  de  notre  critique  un  cer- 
tain nomhre  de  solos  dont  l'exécution  était  non-seulement  en- 
tièrement dépourvue  de  mérite,  mais  encore  ne  cadrait  pas 

(1)  Nous  sommes  loin  d'approuver  ce  jugement  sur  Haydn  , 
mais  il  nous  semble  assez  curieux  pour  le  donner  à  nos  lec- 
teurs. 


avec  le  caractère  de  la  fêle. 


ci  Haendel  n'aurait  jamais  eu  les  qualités  qui  le  distinguent, 
s'il  n'eût  pas  vécu  en  Angleterre ,  et  s'il  n'eût  pas  étudié  ces 
modèles  d'uue  expression  vigoureuse  et  pénétrante  que  l'on 
trouve  dans  les  compositions  de  Purcell  et  dans  celles  de  ses 
contemporains.  En  Italie,  Haendel  eût  été  un  autre  Léo;  en 
Allemagne,  un  autre  Bach;  mais,  en  Angleterre,  il  a  réuni 
aux  meilleures  qualités  du  style  des  autres  pays  l'énergique 
expression  de  sentiment  et  de  situation  qui  appartient  spéciale- 
ment à  une  époque  reculée  de  l'art  anglais  (V 

«  Beethoven  figure  certainement  aussi  bien  à  côté  de  Haen- 
del, que  Mozart  auprès  de  Sébaitien  Bach  :  il  existe  entre 
ces  génies  une  consanguinité  non  méconnaissable,  et  le  raffine- 
ment de  l'instrumentation  moderne  a  si  peu  énervé  le  style  de 
Beethoven  que,  daus  ses  chœurs,  les  masses  colossales  de  tons 
produisent  un  effet  qui  n'est  absolument  en  rien  inférieur  à 
celui  des  chœurs  de  Haendel  lui  même.  Mais  le  système  vocal 
de  Beethoven  repose  surunebase  extrêmement  simple  ,  tandis 
que  son  système  instrumental  est  d'uue  grande  profondeur  et 
atteste  une  habileté  à  laquelle  aucun  autre  compositeur  n'a  ja- 
mais pu  atteindre;  et  bien  que  l'effet  procède  en  général  du 
même  principe  dans  les  œuvres  de  Haendel  et  de  Beethoven  , 
cependant  l'originalité  si  vraie  de  ce  dernier  lui  demeure  en- 
tièrement en  propre.  Le  superbe  «  Gloria  »  de  sa  messe  en  ut 
nous  a  suggéré  ces  observations ,  el  certes,  on  ne  pouvait  pas 
choisir  un  moiccau  d'introduction  plus  digne  aux  ouvrages 
de  cet  illustre  compositeur  de  nos  jours 

«  Jusqu'à  présent ,  l'air  de  bravoure  d'une  facture  tant  soit 
peu  suraunéc,  dont  on  avait  fait  choix  dans  la  cinquième  messe 
de  Haydn  pour  mademoiselle  Grisi,  n'a  encore  élê  dit  par 
aucune  cantatrice  comme  il  devrait  l'être;  et  il  n'est  donc  pas 
surprenant  que  mademoiselle  Grisi  ait  été  obligée  Trie  se  ras- 
seoir sur  son  siège  sans  avoir  produit  d'effet.  Nous  en  sommes 
très-fàché  pour  elle;  mais  nous  ne  saurions,  entre  autres, 
approuver  la  singulière  tentative  qu'elle  a  faite  de  terminer  cet 
air  par  une  cadence,  et,  moins  encore,  applaudir  à  la  manière 
peu  habile  dont  elle  s'en  est  acquittée.  Du  reste,  cette  artiste 
a  de  quoi  se  consoler  par  le  succès  aussi  grand  que  mérité 
qu'elle  obtient  à  l'Opéra 

«  L'O.-atorio  d'Israël  en  Egypte  vient  justement  d'attein- 
dre sa  quatre-vingt-seizième  année ,  ayant  été  composé  en  1^38, 
et  il  a  encore  autant  de  fraîcheur  que  s'il  eût  été  écrit  hier.  Le 
génie  de  Haendel  s'est  élevé  ,  dans  cet  œuvre  sublime  et  solen- 
nel un  monument  impérissable  de  sa  grandeur.  Quoique  tous 
les  oratorios  de  Haendel  brillent  par  la  magnificence  de  son 
talent ,  il  n'en  est  aucun  qui  présente  un  sujet  aussi  difficile, 
traité  avec  une  supériorité  plus  évidente  et  une  abondance  de 
ressources  plus  remarquable  qu'Israël  en  Egypte.  C'est  le  seul 
de  ses  œuvres  qui  l'emporte  sur  le  Messie ,  et  qui  doit  avant 
tous  les  autres  s'offrir  à  l'esprit  de  quiconque  nomme  son  au- 
teur  

L'intérêt  de  celle  composition  est  concentré  dansl'idée  d'une 
multitude  :  aucun  caractère  n'y  est  soutenu  comme  dans  quel- 
ques autres  drames  de  Haendel ,  et  aucun  air  remarquable  n'y 
est  interposé ,  afin  que  l'attention  ne  soit  pas  délournée  des 
situations  frappantes  qui  se  déroulent  dans  le  récit  sacré  des 
chœurs.  Haendel  était  ici,  pour  ainsi  dire,  dans  son  élément  ; 
c'était  là  une  tâche  à  son  goût,  et  daus  aucune  autre  composi- 
tion, il  n'a  déployé  plus  de  verve  et  de  vigueur.  C'tst  en  écou- 
tant ce  bel  ouvrage  daus  son  entier,  que  l'on  est  surtout  frappé 
de  l'étonnaule  variété  des  formes  des  fugues,  dccille  que  pré- 
sente la  structure  des  choeurs ,  et  que  l'on  reconnaît  que  cet 
œuvre  sublime  surpasse  tout  ce  qui  a  jamais  été  réalisé  eu  mu- 
sique. Dans  son  Israël  en  Egypte  ,  Haendel  est  aussi  plus  mo- 
derne que  dans  aucun  autre  de  ses  oratorios.  Dans  ces  deux- 
chœurs  «  il  répandit  une  profonde  obscurité  »  et  «  les  ténèbres 
les  ont  enveloppés,  »  ce  grand  maître  nuus  a  donné  des  pro- 
gressions d'harmonie  tout-à-fait  dignes  de  Mozart  et  de 
Beethoven.  Et  puisque  nous  parlons  ici  des  effets  modernes 
de  l'ouvrage,  nous  ne  devons  pas  négliger  de  faire  remarquer 

(1)  Cet  article  est  écrit  par  un  Anglais. 


236 


GAZETTE  MUSICALE  DE  PARIS. 


sous  ce  rapport',  la  couleur  que  H.tendel  a  donnée  à  l'instru- 
mentation ,  eu  soutenant  les  notes  des  instrumens  à  cordes. 

«  La  singulière  beauté  dulaegage  de  l'écriture  sainte^  auquel 
rien  ne  saurait  être  comparé  sous  le  rapport  de  la  grandeur 
poétique,  ne  se  fait  jamais  mieux  senlir  que  lorsqu'il  est  uni  à 
une  musique  telle  que  celle  de  Haimdel  etde  Haydn  ,  et  chanté 
avec  l'expression  et  l'énergie  que  réclame  ce  texte  magnifique. 
I.a  richesse  et  le  choix  exquis  des  images  ,  le  cours  abondant 
de  ces  paroles  puissantes^  la  vérité  et  l'énergie  des  descriptions, 
combinés  avec  le  majestueux  éclat  du  sujet,  frappent  l'esprit 
des  impressions  les  plus  variées,  et  remplissent  l'âme  de  subli- 
mes et  de  sainies  émotions. 


NOUVELLES. 

*t  Voici  la  liste  des  récompenses  décernées  par  le  jury  aux 
facteurs  de  pianos  :  M.  Pape  ,  première  médaille  d'or; 
MM.  Ro'ler  et  Blanchet,  deuxième  médaille  d'or  ;  M.  Pleyel 
et  M.  Erard,  rappel  de  la  médaille  d'or,  obtenue  par  eux  à  la 
dernière  exposition.  Le  ministre  a  accordé  en  outre  à  ces  deux 
habiles  facteurs,  la  croix  de  la  Légion-dTlonneur. 

%  A  l'Opéra  on  a  intercallé  dans  Gustave  un  nouveau  bal 
masqué ,  c'est  un  spectacle  assez  brillant  pour  y  faire  courir  les 
habitans  de  Paris  et  les  étrangers.  Cette  innovation  égaiera 
les  habitués  de  l'Opéra,  et  procurera  au  Directeur  au  moins 
vingt  recettes  fructueuses. 

*  La  Tempête  qui  fera  briller  la  jolie  et  gracieuse  demoi- 
selle Fanni  Esler,  sera  représentée  à  l'Opéra  du  10  au  1 5  août 
au  plus  tard. 

*  L'Qpéra-Comique  est  en  bonne  veine,  le  public  s'y  porte 
de  nouveau,  et  il  fait  d'excellentes  recettes  :  ce  n'est  plus  Les- 
locq  seul  qui  a  ce  privilège  ;  le  Chaperon  Rouge  remis  nouvel- 
lement au  répertoire,  plaît  infiniment  aux  habitués  de  ce  théâ- 
tre qui  applaudissent  la  musique  si  fraîche  de  M.  Boyeldieu. 

*  La  première  représentation  :  cVUn  Caprice  de  femme  , 
opéra  en  un  acte,  attribué  à  M.  Paer  ,  aura  lieu  demain 
lundi,  à  l'Opéra-Comique;  d'avance  ou  dit  beaucoup  de  bien 
de  cet  ouvrage. 

*  Le  théâtre  Nautique  nous  donnera,  clans  le  courant  de  la 
semaine,  un  ballet  de  M.  Blache,  intitulé  :  le  Nouveau  Robin- 
son.  Cette  activité  fait  honneur  au  Directeur,  dont  le  zèle  est 
récompensé  par  les  brillantes  recettes  de  Guillaume  Tell. 

%  Mademoiselle  Francilla  Pixis  ,  a  fait  ses  premiers  débuts 
au  théâtre  de  Carlsruhe  .  elle  a  chanté  avec  M.  Heitzinger,  le 
troisième  acte  A' Othello  en  italien.  Notre  correspondant  nous 
dit  que  le  public  a  été  transporté  et  n'a  pu  assez  admirer  la 
beauté  de  la  voix  de  cette  jeune  cantatrice  et  son  jeu  plein  d'é- 
nergie;  elle  a  été  rappelée  après  la  représentation.  Il  est  bon 
d'apprendre  aux  habitans  de  Carlsruhe  quemademoiselle  Pixis 
a  étudié  à  Paris  et  que  mesdames  Malibran  et  Grisi  lui  ont 
servi  de  modèles. 

*  Madame  Pasta  vient  d'être  engagée  à  Milan  pour  vingt 
représentations  de  la  saison  prochaine  à  raison  de  4o,ooo  fr. 
Milan  possédera  ainsi  en  même  temps  les  deux  plus  grandes 
cantatrices  du  monde. 

*  Madame  Filipo witz ,  violoniste,  que  nous  avons  entendue 
cet  hiver  à  Paris,  obtient  beaucoup  de  succès  h  Londres  sur- 
tout dans  les  ouvrages  de  Mayseder  qu'elle  joue  remarquable- 
ment bien. 

%  On  vient  de  publier  à  Manheim  un  ouvrage  fort  inté- 
ressant. C'est  un  recueil  de  chansons  populaires  allemands 
{Volkslieder)  avec  des  notes  historiques  et  littéraires,  par  M.  de 
Erlb.ich,  4f°l-in-80. 

*  Il  y  a  quelques  années,  on  exécuta  à  Norwich  en  Angle- 
terre le  Messie  de  Haendcl.  Parmi  les  auditeurs  se  trouva 
R.  Hardingham,  gentleman  sur  lequel  la  musique  n'avait  ja- 
mais fait  la  moindre  impression  ;  mais  ,  dans  cette  occasion,  elle 
produisit  sur  lui  des  effets  si  puissans  qu'avant  la  lin  même  du 
concert,  le  pauvre  homme  avait  perdu  sa  raison  qu'il  n'a  plus 
recouvrée  depuis  Burney  raconte  des  cas  semblables  dans  sou 
History  o/Music. 


+*+  Le  ministre  de  l'intérieur,  à  Bruxelles ,  vient ,  à  l'occasion 
du  prochain  anniversaire  des  journées  de  septembre  183o  ,  de 
publier  le  programme  d'un  concours  littéraire  et  musical  ,  au- 
quel sont  appelés  tous  les  artistes  belges  résidant  soit  en  Bel- 
gique ,  soit  en  pays  étranger.  Les  étrangers  établis  en  Belgique 
depuis  dix  ans  ,  pourront  aussi  être  admis  à  concourir. Le  sujet 
désigné  pour  le  concours  de  poésie  est  :  Le  triomphe  de  Vin- 
dépendance  nationale.  Les  destinées  de  la  Patrie.  Le  genre 
et  la  forme  de  cette  composition  sont  laissés  au  choix  des  au- 
teurs. Chaque  pièce  ne  pourra  être  moindre  de  cent  vers , 
ni  dépasser  le  nombre  de  deux  cents.  Le  sujet  du  concours 
musical  est  une  cantate  patriotique ,  mêlée  de  chœurs  avec  ac- 
compagnement d'orchestre.  Les  paroles  de  la  cantate  sur  les- 
quelles la  musique  devra  être  composée  ont  déjà  été  publiées 
par  les  journaux  belges.  Des  médailles  en  or,  de  la  valeur  de 
600  fr.  et  de  la  valeur  de  3oo  fr. ,  seront  accordées  ,  à  titre  de 
récompenses  nationales,  à  ceux  qui,  au  jugement  de  la  commis- 
sion désignée  à  cet  effet ,  auront  présenté  les  meilleurs  ouvra- 
ges. Ces  compositions  poétiques  devront  être  adressées  au  mi- 
nistre de  l'intérieur  à  Bruxelles  avant  le  1er  septembre,  et  les 
partitions  avant  le  45  août.  L'œuvre  de  musique  qui  aura 
obtenu  la  préférence  sera  exécuté  dans  un  local  fermé  pendant 
les  fêtes  de  septembre  ;  le  ministre  de  l'intérieur  se  réserve  de 
faire  publier,  s'il  y  a  lieu ,  aux  frais  de  l'état,  les  morceaux  de 
musique  et  de  poésie  qui  auront  été  envoyés  au  concours. 

+*+  Les  auteurs  dramatiques  et  les  compositeurs  de  Berlin, 
MM.  Spontini  et  Raupach  à  leur  tête,  ont,  avec  l'autorisation 
du  roi  de  Prusse,  formé  une  association  dans  le  but  de  deman- 
der à  la  diète  germanique  une  loi  qui  leur  assure  désormais  les 
droits  d'auteurs  dont  jouissent  leurs  confrères  en  France.  A 
l'appui  de  leur  demande,  ils  feront  valoir  ce  fait  que,  parmi 
les  comédies  représentées  en  Allemague  dans  les  quarante  der- 
nières années ,  il  en  est  une ,  entr'autres  ,  qui  a  eu  plus  de  qua- 
rante mille  représentations ,  et  qui ,  cependant ,  n'a  rapporté  à 
son  auteur  que  la  modique  somme  de  200  thalers  (environ 
800  francs. 


Musique  nouvelle , 

Publiée  par  Troupenas. 

Herz.  Op.  74.  Second  concerto  pour  le  piano  12  fr. 

Adam.  Six  petits  airs  sur  Lestocq,  pour  le  piano.  6  fr. 

Publiée  par  madame  Rieou  Choron. 

Choron.  Le  Prix  ,  cantate ,  partition.  Prix  :  6  fr.  Parties  sépa- 
rées, chaque  75  cent. 

Publiée  par  B.  Laite. 

Grisard.  Hélène ,  romance.  2  fr. 

Publiée  par  Dclahalite. 

Labarre.  L'Aspirant  de  marine  ,  tous  les  morceaux  de  chant 
avec  accompagnement  de  piano  et  de  guittare. 


Opéras  et  Concerts  de  la  semaine. 

OPÉRA.  —  Lundi,  Fei'.n.vnd  CObtez;   Nathalie.  —  Mercredi,  Gustave. — 

Vendredi,    le  premier  acte  de  MARS  ET  VÉNUS  ;  le  DlEU  ET  LA  BAYADERE;  l'acte 

des  Naïades. 

OPÉRA-COMIQUE.    —  Dimanche,    l'ASCÉLUS;    le    CHAPERON.    —   Lundi,   UNE 

Bonne  Fortune;  le  Chaperon.  — Mardi ,  Lestocq.  —  Mercredi,  l'Angelus  ; 

le    PRÉ-AUX-CLERCS.    —    Jeudi,    LESTOCQ.    — Vendredi,   LUDOVIC   et   la    DAJIE 

Blanche.  ■ —  Samedi ,  Lestocq. 
THÉÂTRE  NAUTIQUE.  — Mardi,  jeudi  et  samedi,  GUILLAUME- Vell. 
CONCERTS.  —  Champs  Élysées  et  Jardin  Turc ,  tous  les  jours  concert. 


Ci-joint  un  supplément  contenant  les  exemples  pour  l'arti- 
cle :  sur  les  quintes  et  les  octaves  cachées,  et  un  galop  pour 
le  piano,  par  Kalliwoda. 

Gérant,  MAURICE  SCHLESINGER. 


Sii[>pJesïienl     au    29f  Numéro. 


Gazette    Musicale   de    Paris. 
GALOP  deRALLIWODA 


l'.  année    2d    Juillet    1834. 


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Trio  D.C. 
•I  Scgno. 


Gazette  Musicale  de   Paris. 
TABLEAU  EXPLICATIF  DES  QUINTES  et  OCTAVES  CACHEES. 


Fiffure  1. 


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GAZETTE   MUSICALE 


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l"  ANNJÉE. 


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30. 


PRIX  DE  L  ABON.XEM. 


fr. 

3m.  8 
6m.  15 
i  an.  30 


8  75 
16  50 
35    » 


■Ca  (Sasette  iltustcale  i>«  fjaris 
Paraît    le   DIMANCHE  de  chaque  semaine. 


On  s'abonne  au  bureau  de  la  Gazette  Musicale  de  Paris,  nie  Richelieu ,  97; 
et  chez  tous  les  libraires  ec  marchands  de  musique  de  France. 

Ou  reçoit    les  réclamations  des  personnes  qui  ont  des  griefs  à  esposcr,  et  les  avis  relatifs  ?i  la  musical 
qui  pcuieut  intéresser  le  public. 

PARIS.  DIMANCHE  27  JUILLET  (834. 


Les  lettres,  demandes 
et  envois  d'argent  doi- 
vent être  affranchis,  et 
adressas  au  Directeur  , 
rue  Richelieu,  97. 


Le  Suicide  par  enthousiasme. 

(SUITE). 

Madame  N***  était  une  de  ces  femmes  adorables 
(comme  on  dit  au  café  Anglais,  chez  Tortoni  et  dans  trois 
ou  quatre  autres  foyers  de  dandysme)  qui ,  trouvant  dé- 
licieusement originales  leurs  moindres  fantaisies,  pen- 
sent que  ce  serait  un  meurtre  de  ne  pas  les  satisfaire  et 
professent  en  conséquence  une  sorte  de  respect  pour 
leurs  propres  caprices,  quelque  absurdes  qu'ils  soient. 
«  Mon  cher  Fr***,  disait  y  a  quelques  mois  ,  une 
»  de  ces  charmantes  créatures  à  un  dilettante  célèbre, 
»  vous  connaissez  Rossini,  dites-lui  donc  de  ma  part 
»  que  son  Guillaume  Tell  est  un  chose  mortelle;  que 
»  c'est  à  périr  d'ennui,  et  qu'il  ne  s'avise  pas  d'écrire 
»  un  second  opéra  dans  ce  style,  autrement  madame 
»  M*****  et  moi,  qui  l'avons  si  bien  patronisé,  l'ab- 
»  bandonnerions  sans  retour.  »  —  Une  autre  fois  : 
«  Qu'est-ce  donc  que  ce  nouveau  pianiste  polonais,  dont 
»  tous  les  artistes  rafolleut  et  dont  la  musique  est  « 
»  bizarre?  Je  veux  le  voir,  amenez-le  moi  demain.  — 
»  Madame,  je  ferai  mon  possible  pour  cela,  mais  je 
»  dois  vous  avouer  que  je  connais  peu  l'auteur  des 
o  mazourkas  et  qu'il  n'est  point  à  mes  ordres.  —  Non  , 
»  sans  doute,  il  n'est  pas  à  vos  ordres,  mais  il  doit  être 
»  au  mieses.  Ainsi ,  je  compte  sur  lui.?»  Cette  singu- 
lière invitation  n'ayant  pas  été  acceptée,  la  souveraine 
annonça  à  sujets  que  M.  Chopin  était  un  petit  original 
jouant  passablement  in  piano,  mais  dont  la  musique 
n'était  qu'un  logogriplie  perpétuel  fort  ridicule. 

Une  fantaisie  de  celte  nature  fut  le  seul  motif  de  la 
lettre  passablement  impertinente   qu'Adolphe  reçut  de 


madame  N***,  au  moment  où  il  s'occupait  de  son  dé- 
part pour  Paris.  La  belle  Hortense  était  de  la  plus 
grande  force  sur  le  piano  et  possédait  une  voix  su- 
perbe ,  dont  elle  se  servait  aussi  avantageusement  qu'il 
est  possible  de  le  faire,  quand  l'ame  n'y  est  pas.  Elle 
n'avait  donc  nul  besoin  des  leçons  de  l'artiste  provençal; 
mais  l'apostrophe  que  celui-ci  avait,  en  plein  théâtre,  en- 
voyée à  la  face  du  public,  avait,  comme  on  le  pense 
bien,  retenti  dans  la  ville.  Notre  Parisienne  en  enten- 
dant parler  de  toutes  parts,  demanda  et  obtint  sur  le 
héros  de  l'aventure  des  renseignemens  qui  lui  parurent 
piquans.  Elle  voulut  le  voir  aussi;  comptant  bien  ,  après 
avoir  à  loisir  examiné  Y  original ,  fait  craquer  tous  ses 
ressorts,  joué  de  lui  comme  d'un  nouvel  instrument,  lui 
donner  un  congé  illimité.  11  en  arriva  tout  autrement,  ce- 
pendant au  grand  dépit  de  la  jolie  simia  parisiensis. 
Adolphe  était  fort  bien  ;  de  grands  yeux  noirs  pleins  de 
feu ,  des  traits  réguliers  qu'une  pâleur  habituelle  cou- 
vrait d'une  teinte  légère  de  mélancolie,  mais  où  brillait 
par  intervalles  l'incarnat  le  plus  vif  selon  que  l'enthou- 
siasme ou  l'indignation  faisaient  battre  son  coeur  ;  une 
tournure  distinguée  et  des  manières  fort  différentes  de 
celles  qu'on  aurait  pu  lui  supposer,  à  lui  qui  n'avait 
guère  vu  le  monde  que  par  le  trou  de  la  toile  de  son 
théâtre  ;  son  caractère  emporté  et  timide  à  la  fois,  où  se 
rencontraient  le  plus  singulier  assemblage,  de  raideur 
et  de  grâce,  de  patience  et  de  brusquerie ,  de  jovialité 
subite  et  de  rêverie  profonde,  en  faisaient,  par  tout  ce 
qu'il  y  avait  en  lui  d'imprévu,  l'homme  le  plus  ca- 
pable d'enlacer  une  coquette  dans  ses  propres  filets. 
C'est  ce  qui  arriva,  sans  préméditation  aucune  de  la 
part  d'Adolphe  cependant;  car  il  y  fut  pris  le  premier. 


238 


GAZETTE  MUSICALE 


Dès  la  première  leçon  ,  la  supériorité  musicale  de 
madame  N***  se  montra  dans  tout  son  éclat;  au   lieu 
de  recevoir  des  conseils  elle    en   donna  presque  à  son 
maître.  Les  sonates  de  Steibelt,  le  Hummel  du  temps , 
les  airs  de  Païsiello  et  Cimarosa  qu'elle  couvrait  de  bro- 
deries par  fois  d'une  audacieuse  originalité  ,  lui  fourni- 
rent l'occasion  défaire  scintiller  successivement  chacune 
des  facettes  de  son  talent.  Adolphe,  pour  qui  une  telle 
femme  et  une  pareille  exécution  étaient  choses  nouvel- 
les, fut  bientôt  complètement  sous  le  charme.  Après  la 
grande  fantaisie  de  Steibelt,   l'orage,  où  Hortense  lui 
sembla  disposer  en  se  jouant  de  toutes  les  puissances  de 
l'art  musical  :  «  Madame,  lui   dit-il  tremblant  d'émo- 
»   tion ,  vous  vous  êtes  moquée  de  moi  en  me deman- 
»  dant  des  leçons  ;  mais  comment  pourrais-je  vous  en 
»  vouloir  d'une  mystification  qui  m'a  ouvert  a  l'impro- 
»   viste  le  inonde  poétique,  le  ciel  de  mes  songes  d'ar- 
»   tistes,  en  faisant  de  chacun  de  mes  rêves  autant  de 
»   sublimes  réalités  ?  Continuez  a  me  mystifier  ainsi, 
»  madame,  je  vous  en  conjure,  demain,  après-demain, 
»  tous  les  jours,  et  je  vous  devrai  les  plus  enivrantes 
»  jouissances  qu'il  m'ait  été  donné  de  connaître  de  ma 
»   vie.  »  L'accent  avec  lequel  ces  paroles  furent   dites 
par  D***,  les  larmes  qui  roulaient  dans  ses  yeux,  le 
spasme  nerveux  qui  agitait  ses  membres ,  étonnèrent 
Hortense  bien  plus  encore  que  son  talent  n'avait  surpris 
le  jeune  artiste.  Si  les  cadences ,  les  traits  ,  les  harmonies 
pompeuses,    les   mélodies   découpées    en  dentelle,   en 
naissant  sous  les  blanches  mains  de  la  gracieuse  fée, 
causaient  a  Adolphe  une  sorte d'asphixie  d'admiration, 
la  nature  impressionnable  de  celui-ci,  sa  vive  sensibilité, 
les  expressions  pittoresques  dont  il  se  servait  pour  ex- 
primer son  enthousiasme ,  ne  frappèrent  pas  moins  vi- 
vement Hortense.  Il  y  avait  si  loin  de  ces  suffrages  pas- 
sionnés, de  ce  joies  si  vraiesde l'artiste,  aux  bravos  tièdes 
et  étudiés  des  merveilleux  de  Paris,  que  l'amour-propre 
tout  seul  aurait  suffi  pour  faire  regarder  sans  trop  de  ri- 
gueur un  homme  d'un  extérieur  moins  avantageux  que 
notre  héros.  L'art  et  l'enthousiasme   se  trouvaient   en 
présence  pour  la  première  fois,  le  résultat  d'une  pareille 
rencontre  était  facile   a  prévoire.    Adolphe,    ivre   fou 
d'amour,  ne  cherchant  ni  de  cacher,  ni  même  à  mo- 
dérer les  élans  de  sa  passion  toute  méridionale ,  déso- 
rienta Hortense  et  déjoua  sans  s'en  douter  le  plan  de  dé- 
fense médité  par  la  coquette.  Tout  cela  était  si  neuf  pour 
elle...  Sans  ressentir  réellement  rien  qui  approchât  de 
la  dévorante  ardeur  de  son  amant,  elle  comprenait  ce- 
pendant qu'il  y  avait  la  tout  un  monde  de  sensations 
(si  non  de  sentimens) ,  que  de  fades  liaisons  contractées 
antérieurement  ne  lui  avaient  jamais  dévoilé.  Ils  furent 


heureux  ainsi ,  chacun  à  sa  manière ,  pendant  quelques 
semaines;  le  départ  pour  Paris  était,  comme  on  le  pense 
bien ,  indéfiniment    ajourné.  La    musique    était    pour 
Adolphe  un  écho  de  son  bonheur  profond,  le  miroir  où 
allaient  se  réfléchir  les  rayons  de  sa  délirante  passion, 
et  d'où  ils   revenaient  plus  brûlans  a  son  oceur.  Pour 
Hortense,  au  contraire,  l'art  musical  n'était  qu'un  dé- 
lassement sur  lequel  elle  était  blasée  dès  long-temps  ;  il 
ne  lui  procurait  que  d'agréables  distractions ,  et  le  plaisir 
de  se  montrer  a  son  amant  sous  un  jour  avantageux  était 
bien  souvent  le  mobile  unique  qui  pût  l'attirer  au  piano. 
Tout  entier  a  sa  rage  de  bonheur,  Adolphe  dans  les 
premiers  jours  avait  un  peu  oublié  le  fanatisme  qui  jus- 
qu'alors avait  rempli  sa  vie.  Quoiqu'il  fût  loin  de  parta- 
ger les  opinions  parfois  étranges  de  madame  N***  sur  le 
mérite  des  différentes  compositions  qui  formaient  son 
répertoire,  il  lui  faisait  néanmoins  d'étonnantes  conces- 
sions, évitant,  sans  trop  savoir  pourquoi,  les  points  de 
doctrine   artistique  où  un   vague   instinct  l'avertissait 
qu'il  y  aurait  eu  entre  eux  unedivergence  trop  marquée. 
Il  ne  fallait  rien  moins  qu'un  blasphème  affreux ,  comme 
celui  [qui  lui  avait  fait  mettre  a  la  porte  un  de  ses  ;élè- 
ves,  pour  détruire  l'équilibre  que  l'amour  violent  de 
D***  établissait  dans  son  cœur  avec  ses  convictions  des- 
potiques et  passionnées  sur  la  musique.  Et  ce  blasphème, 
les  jolies  lèvres  d'Hortense  le  laissèrent  échapper.  C'é- 
tait par  une  belle  matinée  de  printemps  ;  Adolphe,  aux 
piedsde  sa  maîtresse,  savourait  cebonheur  mélancolique, 
cet  accablement  délicieux  qui  succède  aux  grandes  crises 
de  volupté.   L'athée  lui-même,  en  de  pareils   instans, 
entend  au  dedans  de  lui  s'élever  un  hymne  de  recon- 
naissance vers  la  cause  inconnue  qui  lui  donna  la  vie  ; 
la  mort ,  la  mort  rêveuse  et  calme  comme  la  nuit ,  sui- 
vant la  belle  expression  de  Moore  est  alors  le  bien  auquel 
on  aspire ,  le  seul  que  nos  yeux  voilés  de  pleurs  célestes 
nous  laissent  entrevoir  pour  couronner  cette  ivresse  sur- 
humaine. La  vie  commune,  la  vie  sans  poésie,    sans 
amour,  la  vie  en  prose,  où  l'onmarcheau  lieu  de  voler, 
où  l'on  parle  au  lieu  de  chanter ,  où  tant  de  fleurs  aux 
couleurs  brillantes  sont  sans  parfum  et  sans  grâce,  où  le 
génie  n'obtient  que  le  culte  d'un  jour,  et  des  hommages 
glacés,  où  l'art  trop  souvent  contracte   d'indignes   al- 
liances ;  la  vie  enfin ,  se  présente  alors  sous  un  aspect  si 
glacé,  si  désert  et  si  triste  que  la  mort,  fût  elle  dépour- 
vue du  charme  réel  que  l'homme  noyé  dans  le  bonheur 
lui  trouve,  serait  encore  pour  lui  pleine  de  charmes  en 
lui  offrant  un  refuge  assuré  contre  l'existence  insipide 
qu'il  redoute  par-dessus  tout. 

Perdu  en  de  telles  pensées,  Adolphe  tenait  une  des 
mains  délicates  deson  amie,  imprimant  sur  chaque  doigt 


DE  PARIS. 


239 


de  petites  morsures  qu'il  effaçait  aussitôt  par  des  baisers 
sans  nombre  ;  pendant  que  de  son  autre  main  Hortense 
bouclait  en  fredonnant  les  noirs  cbeveux  de  son  amant. 
En  écoutant  cette  voix  si  pure  si  pleiue  de  séduc- 
tions, une  tentation  irrésistible  le  saisit  a  1  improviste. 
«Oh!  dis-moi  l'élégie  de  la  Vestale ,  mon  amour,  tu 
»  sais  : 

Toi  que  je  laisse  sur  la  terre 
Mortel  que  je  n'ose  nommer  (i). 

»  Chantée  par  toi  celte  prodigieuse  inspiration  doit  être 
»  d'un  sublime  inouï.  Je  ne  sais  comment  je  ne  te  l'ai 
»  pas  encore  demandé.  Chante,  chante-moi  Spontini  ; 
»  que  j'obtienne  tous  les  bonheurs  ensemble  !  —  Quoi , 
»  c'est  cela  que  vous  voulez?  répliqua  madame  N***, 
»  en  faisant  une  petite  moue  qu'elle  croyait  charmante, 
»  cette  grande  lamentation  monotone  vous  plaît  ?.. .  Oh 
»  Dieu  !   que  c'est  ennuyeux  !  quelle  psalmodie  !  Pour- 

»  tant ,  si  vous  y  tenez » 

La  froide  lame  d'un  poignard  en  entrant  dans  son 
cœur  ne  l'eut  pas  déchiré  plus  cruellement  que  ces  pa- 
roles. Se  levant  en  sursaut  comme  un  homme  qui  dé- 
couvre un  animal  immonde  dans  l'herbe  sur  laquelle  il 
s'était  assis,  Adolphe  fixa  d'adord  sur  Hortense  des 
yeux  pleins  d'un  feu  sombre  et  menaçant  ;  puis,  se  pro- 
menant avec  agitation  dans  l'appartement  les  poings 
fermés,  les  dents  serrées  convulsivement,  il  sembla  se 
consulter  sur  la  manière  dont  il  allait  répondre  et  enta- 
mer la  rupture;  car  pardonner  un  pareil  mot  était  chose 
impossible.  L'admiration  et  l'amour  avaient  fui;  l'ange 
devenait  une  femme  vulgaire;  l'artiste  supérieure  re- 
tombait au  niveau  des  amateurs  ignorans  et  superficiels 
qui  veulent  que  l'art  les  amuse,  et  n'ont  jamais  soup- 
çonné qu'il  eût  une  plus  noble  mission  ;  Hortense  n'était 
plus  qu'une  forme  gracieuse  sans  intelligence  et  sans 
ame;  la  musicienne  avait  des  doigts  agiles  et  un  larynx 
sonore...  rien  de  plus.  Toutefois,  malgré  la  torture  af- 
freuse qu'Ado1  plie  ressentait  d'une  pareille  découverte, 
malgré  l'horreur  d'un  aussi  brusque  désenchantement,  il 
n'est  pas  propable  qu'il  eût  manqué  d'égards  et  de  mé- 
nagemens  en  rompant  avec  une  femme  dont  le  seul 
crime  après  tout  était  de  n'avoir  qu'une  organisation 
inférieure  a  la  sienne,  d'aimer  le  joli  sans  comprendre 
le  beau.  Mais  incapable  comme  était  Hortense  de  croire 
a  la  violence  de  l'orage  qu'elle  venait  de  soulever  ,  la 
contraction  subite  de  tous  les  traits  d'Adolphe,  sa  pro- 
menade agitée  dans  le  salon,  son  indignation  a  peine 
contenue,  lui  parurent  choses  si  comiques  qu'elle  ne 
put  résister  a  un  accès  de  folle  gaieté,  et  laissa  échapper 

(1)  Cet  air  est  toujours  supprimé  à  la  représentation. 


un  bruyant  éclat  de  rire.  Avez-vous  jamais  remarqué 
tout  ce  que  le  rire  éclatant  a  d'odieux  dans  certaines 
femmes?...  Pour  moi  il  est  l'indice  le  plus  sûr  de  la  sé- 
cheresse de  cœur,  de  l'égoïsme  et  de  la  coquetterie.  Au- 
tant l'expression  d'une  joie  vive  a  de  charmes  et  de  pu- 
deur dans  quelques  femmes,  autant  elle  est  chez  d'autres 
pleine  d'une  indécente  ironie.  Leur  voix  prend  alors  un 
timbre  incisif,  effronté,  impudique,  d'autant  plus  haïs- 
sable que  la  femme  est  plus  jeune  et  plus  jolie;  en  pa- 
reille occasion,  je  comprends  les  délices  du  meurtre  ,  et 
je  cherche  machinalement  sous  ma  main  l'oreiller  d'O- 
thello. Adolphe  avait  sans  doute  la  mêmemanière  de  sentir 
à  cet  égard.  Il  n'aimait  déjà  plus  madame  N***  l'instant 
d'auparavant ,  mais  il  la  plaignit  d'avoir  des  facultés  aussi 
bornées  ;  il  l'eût  quittée  avec  froideur  ,  mais  sans  ou- 
trage. Ce  rire  méphistophélique  auquel  elle  s'abandonna 
sans  réserve  au  moment  où  le  malheureux  artiste  sentait 
sa  poitrine  se  déchirer,  l'exaspéra.  Un  éclair  de  haine 
et  d'un  indicible  mépris  brilla  soudain  dans  ses  yeux  ; 
essuyant  d'un  geste  rapide  et  son  front  couvert  d'une 
froide  sueur  et  l'écume  sanglante  qui  s'échappait  de  ses 
lèvres  :  «  Madame,  lui  dit-il  d'une  voix  qu'elle  ne  lui 
»  avait  jamais  vu  prendre,  vous  êtes  une  sotte.  » 
Le  soir  même  il  était  sur  la  route  de  Paris. 

(La  suite  à  un  numéro  prochain.) 


PARALLELE 

ENTRE 

GEORGE     FR1ED0IC    I1AENDFL    ET    JEAN    SÉBASTIEN    BACH. 

La  biographie  de  ces  deux  princes  de  la  musique  offre 
a  la  fois  des  rapports  intimes  de  ressemblance,  et  les 
contrastes  les  plus  tranchés.  Nous  croyons  qu'une  juste  et 
courte  appréciation  des  uns  et  des  autres  pourra  être  de 
quelque  intérêt  pour  nos  lecteurs. 

Haendel  etBaib  ,  nés  tous  deux  a  uneépoqueoù  toute 
originalité  artistique  sommeillait  depuis  de  longues  an- 
nées ;  tous  deux  morts  presque  en  même  temps  et  dans 
un  âge  déjà  avancé,  déployèrent  tous  deux  aussi,  jus- 
qu'à leur  dernier  soupir,  un  génie  vigoureux  et  actif. 
Us  naquirent  l'un  et  l'autre  de  pareils  peu  fortunés,  gran- 
dirent avec  une  apparence  de  santé  assez  chétive  ,  et 
furent  cependant  l'un  et  l'autre  d'une  constitution  puis- 
sante et  robuste.  Chez  Haendel  comme  chez  Bach,  un 
talent  émiiicnl  pour  la  musique  se  manifesta  dès  les  pre- 
mières années  de  leur  vie  avec  une  énergie  irrésistible  ; 
tous  deux  dans  leur  enfance  reçurent  une  éducation  mu- 
sicale basée  sur  des  principes  sévères  et  profonds  ;  tous 
deux  furent  instruits  par  des  organistes  distingués  et 
s'acquirent  eux-mêmes  une  grande  réputation  par  leur 


260 


GAZETTE  MUSICALE 


talent  sur  l'orgue.  Une  même  destinée  les  appela  tous 
deux  a  une  brillante  réputation  ;  une  gloire  immense 
répandit  au  loin  leurs  deux  noms  immortels  ,  et  nous  les 
voyons  comblés  de  distinctions  par  les  plus  grands 
princes  de  leur  époque;  tous  deux  reçoivent  avec  re- 
connaissance une  telle  faveur,  mais  sans  pour  cela  re- 
noncer le  moins  du  monde  à  leur  carrière  musicale. 
Tous  deux  se  sentent  entraînés  vers  toutes  les  formes 
usitées  de  leur  art  sublime,  tous  deux  travaillent  dans 
tous  les  genres  les  plusdifférens,  mais  tous  deux  consa- 
crent de  préférence  leur  génie  au  genre  le  plus  élevé,  le 
plus  riche,  le  plus  vaste,  et  travaillent  avec  amour  sur 
des  sujets  religieux.  Tous  deux ,  hommes  d'une  aus- 
tère probité,  attachés  corps  et  ame  a  leur  religion, 
poussent  peut-être,  à  une  époque  avancée  de  leur  car- 
rière, la  dévotion  jusqu'au  mysticisme ,  sans  pourtant 
cesser  d'être  animés  par  les  plus  purs  principes  de  leur 
croyance,  et  sans  négliger  ni  l'un  ni  l'autre  aucun  de 
leurs  devoirs  d'hommes  et  de  citoyens.  Tous  deux  per- 
dent la  vue  dans  leur  vieillesse  sans  devenir  infidèles  au 
culte  de  leur  art.  Tous  deux  s'endorment  tranquillement 
et  pleins  de  l'idée  de  Dieu  ,  peu  compris  par  leurs  con- 
temporains, mais  entourés  du  respect  et  de  considération 
générale,  et  destinés  a  l'admiration  et  aux  hommages  de 
la  postérité...  Voila  certes  bien  des  points  de  ressem- 
blance, et  cependant  ces  deux  immortels  compositeurs 
diffèrent  entre  eux  autant  comme  hommes  que  comme 
artistes. 

L'esprit  inquiet  et  passionné  de  Haendel,  esprit  qui  le 
poussa  an  loin  a  l'étranger ,  le  jeté  jeune  encore  dans  le 
tumulte  du  monde  et  dans  un  genre  de  vie  où  il  se  com- 
plut pendant  plus  de  la  moitié  de  sa  carrière  ,  toujours 
heureux  de  sa  manière  de  vivre,  soit  qu'il  eut  a  com- 
battre ou  a  aimer,  soit  qu'il  eut  à  prendre  l'offensive  ou 
a  se  tenir  dans  les  bornes  delà  défense  personnelle. Tout 
ce  qui  sort  de  la  voie  ordinaire,  tout  ce  qui  impose  aux 
hommes,  les  saisit  et  les  domine,  tout  cela,  il  voulait 
apprendre  a  le  connaître  aussi  bien  comme  homme  que 
comme  artiste;  il  apprit  a  tirer  de  toute  chose  une  in- 
struction pour  son  génie  ou  son  caractère  sans  jamais  se 
laisser  dominer  par  rien.  Porté  par  son  goût  particulier 
a  avoir  affaire  au  peuple  au  milieu  duquel  il  vivait,  il 
ne  lui  répugnait  nullement  de  traiter  avec  les  grands 
dirigeant  le  même  peuple,  mais  il  ne  voulait  se  laisser 
gouverner  ni  par  les  uns  ni  par  les  autres,  quelque  disposé 
qu'il  pût  être  a  les  servir  fidèlement.  Ce  qu'il  voulait, 
c'étail  de  chercher  en  toute  chose  un  enseignement  pour 
sa  vie  ou  pour  son  art,  habile  qu'il  était  a  ramener  tout 
a  sa  propre  expérience.  Ce  but,  il  ne  s'en  laissa  jamais 
détourner ,  et  il  le  poursuivit  avec  une  persévérance 


peut-être  sans  exemple.  Aussi  fit-il  les  expériences  les 
plus  variées,  dont  les  unes  purent  lui  faire  entrevoir  un 
bonheur  céleste,  et  les  autres  le  plongèrent  dans  un 
abîme  de  douleur.  Ce  fut  seulement  lorsqu'il  arriva  à  un 
âge  déjà  mur  qu'il  commença  a  tenir  un  compte  exact 
de  lui-même  et  des  choses  ;  alors  il  choisit  ce  qui  conve- 
nait le  plus  a  son  individualité,  et  le  choix  qu'il  venait 
de  faire,  il  s'y  tint  constamment  jusqu'à  sa  mort,  après 
'être  procure,  d ans  la  carrière  qu'il  avait  élue,  plus  de 
gloire  que  nul  autre  avant  ou  après  lui.  Il  resta  garçon  , 
mourut  riche,  et  repose  aujourd'hui  encore  à  Westmin- 
ster-Abhey ,  sous  un  monument  magnifique.  Sa  vie  fut 
celle  d'un  grand  de  ce  monde. 

Et  Bach,  au  contraire!  Du  moment  qu'il  eut  le  bon- 
heur d'être  placé  comme  organiste  à  Armstadt,  avec  un 
traitement  annuel  de  soixante-dix  ou  quatre-vingt  tha- 
lers,  ses  prétentions  se  trouvèrent  satisfaites.  Il  ne 
s'inquiéta  plus  de  se  procurer  un  poste  plus  brillant,  mais 
il  ne  refusa  pas  de  se  rendre  a  tous  les  appels  qui  lui  fu- 
rent faits  sans  qu'il  les  eût  recherchés,  disposé  qu'il  était 
a  les  regarder  comme  autant  de  bienfaits  de  la  provi- 
dence. Dans  chaque  nouvelle  place  qu'il  obtint,  tous 
ses  efforts  tendaient  a  s'en  acquitter  de  son  mieux.  Il  y 
consacrait  jusqu'à  son  talent  de  compositeur.  C'est  ainsi 
qu'en  qualité  d'organiste  il  écrivit  des  morceaux  pour 
l'orgue  ;  que  comme  compositeur  de  l'église  de  Weimar, 
il  composa  des  psaumes  et  des  cantates  religieuses,  et 
qu'enfin ,  comme  maître  de  chapelle  de  la  cathédrale  de 
Leipzig  et  directeur  d'un  chœur  nombreux  et  exercé,  il 
écrivit  ses  œuvres  si  difficiles  et  si  savantes  avec  un 
grand  nombre  de  parties  ;  œuvres  que  souvent  nous  ne 
pouvons  pas  dignement  apprécier  avec  le  seul  secours 
de  l'oreille ,  quelque  exercée  que  puisse  être  cette  der- 
nière, et  qui  réclament  alors  l'intermédiaire  d'un  second 
sens,  celui  de  la  vue,  comme  jadis  plusieurs  des  princi- 
pales sculptures  de  l'antiquité  exigeaient  qu'on  les  exa- 
minât avec  les  yeux  et  avec  les  mains.  Maintes  fois  il 
arriva  que  des  vois  et  des  princes  voulurent  entendre  le 
grand  artiste  ,  et  alors  celui-ci  se  rendait  bien  modeste- 
ment où  on  l'appelait  ;  il  obéissait  aux  ordres  du  souve- 
rain, puis,  avec  la  même  modestie  toujours  inaltérable, 
il  revenait  avec  un  contentement  parfait  à  son  étroite 
demeure.  Qu'il  fût  le  plus  grand  organiste  du  monde  , 
c'est  ce  qu'il  ne  pouvait  ignorer;  c'était  chose  trop  évi- 
dente et  reconnue  avec  trop  d'unanimité.  Qu'un  grand 
talent  sur  l'orgue  fût  précisément  alors  ce  qui  pouvaitt 
procurer  le  plus  de  gloire  et  d'argent,  particulièrement 
en  France,  en  Angleterre  et  en  Hollande,  où  l'instru- 
ment était  en  brillante  faveur,  c'est  ce  que  savait  tout  le 
monde,   et  ce  que,  sans  aucun  doute,  il  savait  aussi 


241 


bien  que  les  autres ,  et  cependant  la  seule  idée  ou  un 
simple  désir  de  mettre  un  pied  hors  de  sa  patrie  n'entra 
jamais  dans  son  esprit.  Il  se  maria  fort  jeune  encore  , 
éleva  toute  une  colonie  d'eufans ,  mourut  pauvre,  et  fut 
enterré  dans  le  cimetière  de  Leipzig  on  ne  sait  pas 
même  où.  Sa  vie  fut  exactement  celle  d'un  patriarche. 

La  différence  qu'on  remarque  dans  les  œuvres  de  ces 
deux  grands  artistes  provient  de  la  différence  qui  exis- 
tait entre  leur  génie  intime  et  leur  vie  extérieure.  Mais 
en  quoi  diffèrent,  à  proprement  parler,  leurs  ouvrages? 
On  pourrait  se  contenter  de  répondre  ces  seuls  mots  : 
En  tout  absolument j,  si  ce  n'est  qu'une  telle  réponse 
n'apprendrait  exactement  rien.  Nous  allons  essayer  d'ex- 
pliquer cette  différence. 

Dans  toutes  ses  créations  Haendel  voulait  produire  de 
l'effet,  et  cet  effet  il  voulait  qu'il  fût  éprouvé  par  un 
grand  nombre  d'auditeurs,  pourvu  cependant  qu'il  pût 
avoir  confiance  en  leur  sentiment  musical.  Pour  arriver 
à  ce  but  il  se  servait  de  tous  les  leviers,  et  il  employait 
tous  les  moyens,  ceux-là  même  dont  on  n'avait  encore 
aucune  idée,  sans  pourtant  mettre  jamais  à  profit  des 
ressources  triviales  ou  communes.  Bach  au  contraire 
n'avait  qu'un  but;  c'était  de  produire  une  œuvre  aussi 
complète  et  aussi  bonne  que  possible.  Quant  à  l'effet , 
il  s'en  rapportait  au  mérite  de  son  œuvre  et  au  bon  sens 
des  auditeurs  éclairés.  Comme  moyens,  il  n'employait 
que  ceux  qui  étaient  en  usage  de  son  temps  et  bien  re- 
connus pour  appartenir  à  l'art  pur;  mais  il  savait  en 
tirer  un  rare  parti  et  se  les  rendre  propres  par  une  mer- 
veilleuse facilité,  et  une  excessive  habitude  de  combi- 
naison harmonique.  Cependant  le  style  de  Haendel  était 
populaire ,  mais  dans  la  noble  acception  de  ce  mot  ;  et 
ce  n'était  que  dans  quelques  parties  principales  de  ses 
grands  ouvrages  (comme  par  exemple  dans  le  amen  du 
Messie)  qu'il  déployait ,  comme  dernier  signe  de  triom- 
phe ,  les  innombrables  trésors  de  son  immense  érudi- 
tion. Le  style  de  Bach  n'était  rien  moins  que  populaire, 
en  prenant  toujours  ce  mot  dans  la  même  acception;  et 
il  n'y  avait  qu'un  petit  nombre  d'occasions  particulières 
(comme  dans  de  certains  passages  de  ses  composiu'ons 
sur  la  passion)  où  il  se  montrait  gracieux  et  désireux 
d'être  populaire  autant  que  cela  entrait  dans  ses  moyens. 
Les  chants  de  Haendel,  même  dans  les  chœurs  les  plus 
nourris  ,  sont  constamment  coulans,  faciles  et  expres- 
sifs; ceux  de  Bach,  au  contraire,  sont  toujours  traités 
avec  art,  et  souvent  baroques,  également  difficiles  pour 
les  exéculans  comme  pour  les  auditeurs.  Chez  tous  les 
deux ,  l'orchestre  joue  un  rôle  important  ;  mais  Haendel 
cherche  toujours  du  nouveau  et  choisit  avec  discerne- 
ment ses  motifs  dans  l'intérêt  de  l'effet  général ,  tandis 


que  Bach  s'inquiète  moins  de  cet  effet  que  de  compléter 
une  richesse  harmon'que  dans  telle  ou  telle  phrase  dé- 
tachée. Pour  tout  dire  en  un  mot,  quand  Haendel  tra- 
vaillait, il  avait  devant  les  yeux  ce  qu'il  allait  créer  ;  il 
voyait,  pour  ainsi  dire,  ses  motifs  errer  devant  lui,  et 
son  but  était  de  pouvoir  faire  partager  à  ses  auditeurs 
l'impression  dont  il  était  affecté.  Une  fois  son  image 
trouvée  ,  il  renonçait  volontiers  à  faire  parade  de  sa 
science ,  et  il  aurait  craint,  par  des  ornemens  trop  nom- 
breux ,  de  faire  perdre  de  vue  l'idée  principale.  Bach  , 
tout  au  contraire,  se  sentait  bien  aussi  vivement  animé; 
mais  cette  émotion  était  tout  intime,  de  sorte  que, 
pour  exprimer  son  idée  et  la  faire  partager  au  public,  il 
croyait  ne  pouvoir  jamais  assez  faire,  ou  du  moins  ne 
croyait-il  pas  pouvoir  faire  jamais  trop. 

Haendel  nous  rappelle  souvent  Pierre  Rubens  dans 
ses  plus  belles  créations,  et  Bach  nous  fait  penser  invo- 
lontairement à  maître  Albrecht  Durer. 


I  Adolphe  Nourrit  à  Lyon. 

Nos  lecteurs  apprendront  avec  plaisir  que  M.  Nourrit, 
applaudi  journellement  a  Paris  ,  comme  un  des  meil- 
leurs ténors  de  l'époque,  vient  d'obtenir  un  brillant 
succès  à  Lyon,  En  constatant  ce  fait ,  nous  ne  pouvons 
nous  empêcher  de  livrer  a  leur  hilarité,  l'épitre  sui- 
vant extrait  du  Journal  de  Commerce  de  Lyon  : 
HOMMAGE  A  NOURRIT. 

Ainsi  que  nous  le  disions  avant-hier,  un  banquet  a 
été  offert  mardi,  par  une  réunion  d'artistes  du  Grand- 
Théâtre,  à  M.  Adolphe  Nourrit  qu'ils  s'estiment  si  heu- 
reux de  pouvoir  admirer  et  étudier  pendant  un  séjour 
qui,  pour  ces  artistes  comme  pour  le  public,  sera  ton- 
jour  de  trop  courte  durée. 

Les  convives,  non  compris  le  héros  de  la  fête,  étaient 
au  nombre  de  vingt,  parmi  lesquels  on  cite  MM.  Gus- 
tave-Blès,  Lecomte,  Vadé-Bibre ,  André,  Crémon  , 
Brumann,  Donjon,  Cherblanc  ;  Georges  Hainl  ,  Bon- 
dard,  Martin,  Finart,  et  plusieurs  personnes  qui  ne 
sont  point  attachées  au  théâtre. 

Le  banquet  a  été  donné  dans  un  des  salons  du  célèbre 
restaurateur  Dulel  ;  ce  salon,  fort  élégamment  décoré 
aux  couleurs  nationales  par  les  soins  de  M.  Forgues, 
jeune  tapissier  distingué  par  son  bon  goût ,  portait ,  au- 
dessus  d'une  jardinière  établie  sur  la  cheminée,  un  tro- 
phée allégorique  formé  d'inslrumens  de  musique,  d'une 
partition  de  Maver-Béer  et  de  la  romance  de  la  Folle 
que  M.  Nourrit  chante  et  joue  avec  tant  de  perfection. 
Les  portraits  de  nos  plus  fameux  compositeurs  sur- 
montées d'une  couronne  de  chêne,  se  faisaient  remar- 


242 


GAZETTE  MUSICALE 


quer  dans  chacun  des  panneaux  de  la  tapisserie  ;  et  en 
face  du  siège  que  devait  occuper  M.  Nourrit,  apparais- 
sait le  portrait  de  ce  grand  artiste,  couronné  de  même. 

La  table ,  simplement  mais  artistement  ornée ,  pré- 
sentait le  plus  joli  coup  d'œil.  Dans  la  serviette  de  cha- 
que convive,  se  trouvait  un  bouquet  symbolique  de 
fleurs  artificielles,  choisies,  arrangées  d'après  les  prin- 
cipes un  peu  classiques ,  un  peu  arbitraires  et  un  peu 
vagues,  de  ce  que  l'on  nomme  le  langage  des  fleurs. 
L'idée  n'en  était  pas  moins  heureuse  et  délicate,  et 
M.  Nourrit  a  paru  extrêmement  flatté  de  son  bouquet  qui 
était  ainsi  composé  :  acanthe-an;  platane  génie  ;  e'glan- 
frVze-poésie;  roseaux-m\\s\<\\\Q  ;  pied-d' alouette-\és,he\.é  ; 
cèdre- force  ;  rose  à  cent  feuilles-gràce;  //«-hardiesse; 
amflra/ît/ïe-immortalité. 

Nous  ne  parlerons  pas  de  la  manière  dont  M.  Nourrit 
a  été  introduit  par  l'un  des  commissaires  du  banquet, 
du  plaisir  que  lui  a  causé  l'aspect  de  la  salle  ainsi  dé- 
corée, de  l'émotion  visible  qu'il  a  ressentie  à  un  si  tou- 
chant accueil ,  ni  de  la  gaîté  franche  et  de  l'amical  aban- 
don qui  a  régné  pendant  un  excellent  repas  où  Dutel  a 
soutenu  dignement  sa  renommée  d'artiste  culinaire  plein 
de  savoir _,  de  goût  et  d'habileté.  Ce  sont  là  de  ces  choses 
que  tout  le  monde  sait  d'avance,  ou  que  l'on  devine  si 
ou  ne  les  sait  pas.  Nous  nous  hâterons  donc  d'arriver  au 
dessert,  parce  qu'alors  M.  Vadé-Bibre  s'est  présenté 
accompagné  de  deux  de  ses  camarades,  MM.  André  et 
Martin,  et  a  donné  lecture  des  vers  suivans ,  d'une  voix 
que  trahissait  une  agitation  bien  naturelle. 

Plus  de  faux  dieux  ,  plus  de  Mythologie! 
La  Fable  a  fui  devant  la  vérité; 
De  ses  tristes  héros  ,  sans  physionomie  , 
Le  vieux  Olympe  est  déserté; 
Et  le  vrai  Dieu  ,  c'est  le  génie. 
Le  génie  !  En  ces  lieux  il  brille  tout  entier  , 
Nourrit  nous  l'apporta  des  rives  de  la  Seine , 
Et  des  plus  beaux  talens  dont  s'illustra  la  scène  , 
Il  est  bien  plus  que  l'héritier. 
Et  du  chant  et  de  la  parole, 
Du  cœur  et  de  l'esprit ,  de  Famé  et  du  savoir , 

Unissant  le  rare  pouvoir, 
Dans  un  rôle,  Nourrit  ne  saurait  voir  un  rôle. 
Il  voit  l'homme  partout ,  tel  qu'il  fut ,  tel  qu'il  est  ; 
Sur  le  fait ,  la  nature  à  lui  se  laisse  prendre  ; 
Et  toujours  il  sait  nous  la  rendre 
Ce  qu'elle  doit  être  en  effet. 
Nommer  Masaniello  ,  Robert ,  Arnold,  Orphée, 

C'est ,  hélas!  à  peine  effleurer 
La  liste  des  héros  dont  il  sut  s'emparer  , 
Qu'il  rend  si  vrais  à  notre  ame  échauffée, 
Que  ,  sous  ses  traits  ,  il  nous  faut  admirer, 
Et  qui  lui  sont  un  glorieux  trophée. 
Ah!  de  son  admirable  voix  , 


Nous  qui  pouvons  ressentir  la  puissance, 
Prosternons-nous  !  Notre  faiblesse  immense 
Se  borne  à  l'applaudir  et  mille  et  mille  fois, 
Par  devoir  encor  moins  que  par  reconnaissance  , 

Et  cherche  en  vain  à  concevoir 

Comment  cette  voix  si  sublime  , 

Ensemble  ou  tour  à  tour  ,  exprimé 
Ou  l'amour  ou  la  haine  ,  ou  l'horreur^oule  crime, 

Ou  la  rage  ou  le  désespoir  !... 
Artistes,  mes  amis  ,  quand,  dans  ce  jour  prospère, 

Nous  le  possédons  avec  nous  , 
Disons-lui  qu'il  est  notre  Dieu  et  notre  père, 

Que  nous  sommes  à  ses  genoux  !... 
El  lorsque  nous  posons  cette  simple  couronne 

Sur  son  front  noble  et  radieux, 

Que  c'est  l'élève  qui  la  donne 

Au  maître  qu'il  chérit  le  mieux. 
Disons  ,  quand  près  de  lui  nous  avons  tout  à  craindre  , 
Qu'à  marcher  sur  ses  pas  nous  bornons  tous  nos  vœux  , 
Qu'au  plus  parfait  modèle  on  ne  saurait  atteindre , 
Qu'en  le  suivant,  de  loin  ,  nous  serons  trop  heureux. 

Amis ,  dans  un  guerrier  d'immortelle  mémoire  , 
Et  qui  réalisa  la  fable  des  Titans , 
L'Europe  agenouillée  a  redouté  vingt  ans 

Le  Napoléon  de  la  gloire. 
Nourrit ,  marchant  sous  d'autres  étendards  , 

Et  gagnant  mainte  autre  victoire  , 

Est  le  Napoléon  des  arts. 

Il  eslimpossible  de  se  faire  une  idée  de  l'enthousiasme 
et  des  applaudissemens  excités  par  cette  épître  où 
M.  Vadé-Bidre  a  payé  en  vers  faciles,  spirituels  et 
exempts  delà  boursouflure  a  la  mode,  le  juste  tribut 
d'admiration  dû  à  un  artiste  qui  est  incontestablement  le 
premier  chanteur,  et  le  premier  tragique  de  l'époque.  Il 
est  impossible  de  peindre  l'attendrissement  de  M.  Nour- 
nit ,  qui  allait  jusqu'aux  larmes ,  qui  lui  a  pendant  long- 
temps interdit  l'usage  de  la  parole,  et  qui  ne  lui  a  permis 
qu'après  plusieurs  minutes,  de  répondre  a  peu  près  en 
ces  termes  : 

«  Messieurs  et  chers  camarades ,  l'émotion  me  maîtrise 
a  un  tel  point  que  je  ne  sais  comment  vous  exprimer  ma 
reconnaissance  pour  l'accueil  fraternel  que  je  reçois  au- 
jourd'hui de  vous.  Je  n'ai  qu'à  me  louer  des  artistes  du 
théâtre  de  Lyon ,  et  de  l'appui  que  j'ai  trouvé  dans  le  con- 
cours de  leurs  talens.  » 

Nouveaux  applaudissemens,  nouvel  enthousiasme; 
les  toasts,  portés  et  rendus,  se  succèdent  avec  la  plus 
franche  cordialité  et  l'épanchement  le  plus  vrai. 

Des  chansons,  des  romances  sont  ensuite  chantées  par 
MM.  Guslave-Blès ,  Martin  et  Donjon.  M.  Nourrit  ne 
veut  pas  être  en  reste,  et  par  une  galanterie  pleine  de 
délicatesse  et  d'à-propos,  il  choisit  une  romance  dont 
la  musique  est  l'œuvre  de  M.  Bédard,  ex-musicien  de 


243 


l'orchestre  du  Grand-Théâtre.  Les  paroles  et  la  musique 
ont  fait  grand  plaisir  :  le  chanteur  a  été  ravissant  et  les 
acclamations  ont  redoublé  de  force  et  d'intensité.  Le  roi 
de  la  fête  venaitde  lancer  le  bouquet,  la  soirée  s'est  né- 
cessairement terminée  la.  Une  députation  a  reconduit 
M.  Nourrit  a  son  hôtel,  et  les  connives  en  en  retirant, 
n'ont  pu  se  défendre  de  dire  encore  combien  ils  avaient 
éprouvé  de  bonheur  dans  cette  réunion  dont  le  souvenir 
ne  s'effacera  ni  de  leur  mémoire  ni  de  leur  coeur. 


IE£AIHE  DOTAI.  DE   L-OFÉRA-COIHIÇUE. 


Un  Caprice  de  Femme , 

Paroles   de   M.    Lcsguillon ,    musique   de  M.    Pafr 


Reprise  du  Revenant. 

MUSIQUE     DE     GOMIS. 

Depuis  la  réouverture  du  théâtre  de  la  Bourse  ,  nous  avons 
vu  défiler  sous  nos  yeux  bon  nombre  de  débulans  et  d'opéras , 
témoignages  irrécusables  du  zèle  et  de  la  bonne  volonté  de  l'ad- 
ministration ;  mais  sans  Lestocq ,  aucune  pièce,  aucun  artiste, 
n'influe  d'une  manière  décisive  sur  le  chiffre  des  recettes,  dia- 
gnostic certain  et  infaillible  de  la  prospérité  d'une  direction 
théâtrale.  Nous  sommes  ,  il  est  vrai ,  dans  le  moment  le  plus 
difficile  de  la  saison,  et  il  faut  un  attrait  bien  vif  et  bien  puis- 
sant pour  que  le  public  surmonte  sa  répugnance  contre  les  cha- 
leurs du  mois  dejuillct.Si  un  Caprice  de  Femme,  dont  la  pre- 
mière représentation  a  eu  lieu  jeudi  dernier  ne  brille  pas  de 
qualités  assez  saillantes  pour  faire  courir  la  foule  au  théâtre 
Feydeau,  du  moins  cette  pièce  d'un  mérite  incontestable  fera 
compter  au  caissier  quelques  bonnes  recettes,  et  prendra  au 
répertoire  un  rang  distingué. 

La  donnée  du  Caprice  de  Femme  est  simple  ,  claire,  pas 
trop  neuve,  et  ne  manque  pas  de  vérité.  Madame  de  Surville  , 
la  femme  au  caprice  ,  qui  sans  doute  a  la  cervelle  un  peu  trou- 
blée par  la  sentimentalité  transcendante  des  œuvres  morales  de 
M.  Sand  et  compagnie,  s'ennuie  à  périr  du  plat  et  vulgaire 
bonheur  du  ménage.  Son  mari  riche,  spirituel,  jeune,  plein 
d'amour  et  d'attentions  pour  elle  ,  a  le  malheur  d'être  ,  dans  le 
commerce  delà  vie,  d'une  facilité  de  rapports  désespérante.  Il 
a  le  travers  d'avoir  confiance  en  sa  femme  et  de  la  laisser  vivre 
à  sa  guise.  Madame  de  Surville  ne  peut  supporter  le  prosaïsme 
de  celte  monotone  existence  ;  il  lui  faut  de  la  jalousie  pour  juter 
un  peu  de  variété  et  delà  jalousie  bien  conditionnée;  car  sans 
jalousie,  chanle-t-ellc,  il  n'est  point  d'amour  véritable. Survient 
M.  de  Valbrun ,  fat  quelque  peu  sot,  qui  se  croit  amant  ohligé 
de  toute  jolie  femme.  Madame  de  Survillc  le  choisit,  vu  le  peu 
de  danger  ,  pour  en  faire  l'objet  de  la  jalousie  de  son  mari,  et 
celui-ci,  bien  loin  de  s'émouvoir  des  éloges  affectées  de  M.  de 
Valbrun,  qu'il  entend  sorlir  de  la  bouche  de  sa  femme,  fait 
inviter  ce  même  Valbrun  à  la  soirée  qui  doit  avoir  lieu  re  jour- 
là  même  pour  la  fête  de  madame  de  Surville.  M.  de  Valbrun 
répond  au  billet  d'invitation  par  une  déclaration  d'amour. 
Cette  lettre  tombe  entre  les  mains  de  M.  de  Surville  ,  qui  ne 
peut  s'empêcher,  pour  complaire  à  sa  femme,  de  commettre 


son  premier  acte  de  jalousie  en  la  décachetant.  Déjà  il  est  surle 
point  de  prendre  la  jalousie  au  sérieux,  lorsqu'il  entend  sa 
femme  développer  à  une  vieille  gouvernante  sa  théorie  de  co- 
quetterie conjugale.  De  ce  moment  M.  de  Surville  veutreudre 
la  leçon  qu'on  prétendait  lui  donner  ;  il  feint  une  jalousie  pro- 
fonde, et,  devant  toute  la  société  assemblée.  ïi  fait  une  scène 
à  sa  femme  qu'il  oblige  à  le  laisser  seul  avec  Valbrun.  Une 
discussion  s'élève  entre  les  deux  rivaux,  mais  sur  leur  adresse 
à  tirer  le  pistolet ,  cl  celte  quere'le  se  formule  en  un  pari  de 
cinq  cents  francs.  Une  double  détonation  se  fait  bientôt  enten- 
dre; madame  de  Surville  se  trouve  mal;  toute  la  compagnie  est 
en  émoi,  puis  tout  s'explique,  et  madame  de  Surville  se  pro- 
met bien  de  mieux  choisir  ses  capiices  à  l'avenir. 

Comme  on  vient  de  voir,  ce  n'est  pas  la  morale  qui  manque 
à  cet  opéra ,  qui  d'ailleurs  est  écrit  avec  esprit.  Le  dialogue  a 
du  trait ,  de  la  finesse  ,  mais  il  est  long ,  et  la  marche  de  la  pièce 
n'est  pas  complètement  musicale.  A  quelques  rares  exceptions 
près,  les  auteurs  d'opéras  comiques  mettent  peu  d'esprit 
dans  leurs  poèmes;  félicitons  M.  Lesguillon  d'avoir  évité  ce 
parti  pris  ,  si  c'en  est  un  ;  nous  le  féliciterons  bien  davantage 
si  nous  le  voyons  dans  ses  prochains  ouvrages  imiter  l'admira- 
ble coupe  musicale  des  libretti italiens  auxquels  messieurs  ses 
confrères  ont  voué  le  plus  profond  mépris. 

Si  le  nom  de  M.  Pacr  avait  été  le  moins  du  monde  un  mys- 
tère, avant  le  lever  du  rideau  les  premières  mesures  de  l'ou- 
verture auraient  aisément  fait  reconnaître  un  artiste  expéri- 
menté. En  général ,  la  conduite  des  morceaux  ,  l'instrumenta- 
tion ,  la  disposition  des  voix  décèlent  dans  ce  petit  ouvrage  le 
compositeur  consommé  :  l'instrumentation  surtout  est  écrite 
avec  un  soin  remarquable,  et  si  lajraîcheur  et  l'originalité  des 
mélodies,  comme  en  savait  faire  dans  son  bon  temps  l'auteur 
d'Agnese ,  d' Achille  ,  et  d'une  foule  d'autres  opéras  qui  ont 
fait  le  tour  de  l'Europe,  était  venu  se  joindre  à  toutes  les  qua- 
lités que  nous  nous  sommes  plus  à  énumérer,  le  Caprice  d'une 
Femme  serait  un  petit  chef-d'œuvre.  Mais  il  ne  faut  pas  oublier 
que  M.  Paer  a  écrit  son  premier  ouvrage  en  1784,  et  il  est 
vraiment  étonnant  qu'en  1834  ^  puisse  encore  trouver  des 
chants  pleins  de  charme  et  de  grâce  comme  en  renferme  cette 
partition.  Cependant  il  est  un  reproche  grave  que  je  ne  puis 
m'empêcber  d'adresser  àcet  illustre  maître.  Comment  M. Paer, 
si  éminemment  musicien,  si  véritablement  italien  ,  qui  sait  si 
parfaitement  écrire  pour  les  voix,  a-t-il  pu  se  résoudre  à  com- 
poser un  opéra  tout  entier  sans  une  seule  basse,  un  opéra  où 
l'on  n'enlend  que  des  voix  aiguës,  soit  hommes,  soit  femmes, 
des  soprani  et  des  tenoriPLe  rôle  de  Surville  réclamait  impé- 
rativement une  basse-taille  ou  tout  au  moins  un  baryton  ;  l'é- 
crire pour  Lcmonuier,  c'était  détruire  à  plaisir  tout  l'effet  des 
morceaux  d'ensemble.  M.  Paer  se  devait  à  lui-même,  et  aux 
saines  doctrines  musicales  qu'il  a  soutenues  et  mises  en  prati- 
que toute  sa  vie ,  de  ne  pas  donner  un  si  mauvais  exemple.  Je 
sais  bien  que  M.  Paer  peut  répoudre  qu'il  n'est  pas  rigoureu- 
sement vrai  de  classer  Lemonnier  parmi  les  ténors,  et  que  celte 
seule  observation  écorne  mon  raisonnement.  —  D'accord  ;  mais 
si  Lemonnier  ne  peut  être  ténor ,  il  est  encore  bien  moins  basse- 
taille;  s'il  chante  peu  dans  le  haut,  il  ne  chante  pas  du  tout 
dans  le  bas ,  et  ma  remarque  subsiste.  L'air  de  madame  Casi- 
mir est  parfaitement  écrit  pour  faire  briller  toutes  les  richesses 
de  sa  voix.  Son  succès  y  a  été  complet.  Que  madame  Casimir 
me  pardonne  de  troubler  un  peu  ses  triomphes,  mais  c'est 
précisément  parce  que  la  nature  l'a  douée  de  facultés  meryeil- 


2A4 


GAZETTE  MUSICALE  DE  PARIS. 


leuses  qu'il  faut  lui  faire  entendre  des  avis  sages  et  même  un 
peu  sévères.  C'est  un  bien  mauvais  moyen  de  prouver  l'intérêt 
que  l'on  prend  à  un  artiste  en  lui  criant  toujours  bravo  ,  bra- 
vissimo  !  A  mon  avis,  madame  Casimir  se  confie  beaucoup 
trop  à  la  beauté  ,  à  la  facilité  de  sa  xoix.  Plus  je  l'entends  ,  et 
plus  en  l'écoutant  il  m'est  difficile  dc'recnnnaîlrejcnjellc  la  véri- 
table artiste.  Je  suis  frappé  de  facultés  extraordinaires ,  de  pro- 
diges d  organisation,  et  rien  au-delà.  C'est  bien  pour  le  présent, 
mais  pour  l'avenir!  Combien  de  voix  magnifiques  ont  disparu 
et  se  sont  subitement  éteintes  après  un  petit  nombre  d'années 
de  pratique ,  tandis  qu'un  chanteur  qui  connaît  et  ménage  les 
ressources  de  son  art  peut  s'assurer  une  carrière  dix  fois  plus 
longue.  Madame  Casimir  n'a  qu'à  regarder  auprès  d'elle  ,  et 
elle  en  verra  un  bien  frappant  exemple  dans  son  camarade 
Ponchard,  qui ,  avec  une  organisatien  frêle  et  une  voix  faible, 
chante  depuis  long-temps,  chantera  plus  long-temps  encore, 
parce  qu'il  connaît  à  fond  et  qu'il  sait  ménager  les  ressources 
de  son  instrument;  parce  qu'il  sait  trouver  daus  l'élude  et  les 
pratiques  de  l'art,  et  malgré  les  désavantages  de  son  organisa- 
tion, les  moyens  certains  de  se  faire  applaudir,  même  à  côté 
de  la  voix  si  saisissante,  si  ferme  et  si  brillante  de  madame 
Casimir.  Moins  habile  que  Ponchard,  madame  Boulanger  ne 
sait  pas  si  bien  dissimuler  les  ravages  du  temps  sur  son  organe. 
Sa  voix  a  perdu  de  son  éclat  et  de  sa  souplesse  dans  les  sons 
élevés;  elle  fait  des  efforts  trop  visibles  et  malheureusement 
vains  pour  rattraper  ce  qu'elle  ne  retrouve  plus;  et  si  elle  n'y 
prend  garde ,  elle  remplacera  ses  notes  fugitives  par  des  cris 
peu  harmonieux.  Il  faut  que  madame  Boulanger  change  de 
diapason  comme  elle  a  su  si  à  propos  changer  d'emploi,  et  le 
résultat  de  ce  petit  sacrifice  d'amoar-propre  ne  sera  pas  moins 
heureux  pour  cette  estimable  artiste. 

Somme  toute ,  si  la  pièce  nouvelle  n'est  pas  appelée  à  un 
succès  de  vogue,  elle  figurera  long-temps  sur  l'affiche  et  sera 
toujours  accueillie  avec  faveur. 

Ou  a  repris  dans  la  même  soirée  le  Revenant  de  M.  Gomis. 
L'originalité  un  peu  recherchée  de  cette  musique  si  différente 
de  ce  que  l'on  entend  chaque  jour,  produit  toujours  son  effet, 
et  les  mélodies  quelquefois  étranges  inventées  par  le  composi- 
teur sont  tout-à-fait  enharmonie  avec  la  couleur  fantastique  du 
sujet.  C'est  un  des  bons  ouvrages  du  répertoire.  Boulard  a 
daus  cette  pièce  un  rôle  tout-à-fait  dans  ses  moyens.  Il  le  dit 
et  le  chante  de  la  manière  la  plus  convenable. 

On  annonce  comme  fort  piochain  le  début  à' Inchindi  dans 
une  pièce  nouvelle  expressément  écrite  pour  lui  et  pour  le 
jeune  débutant  Couilcrc. 

Correspondance  part[culère. 

Turin,  le  19 juillet. 

Sous  le  titre  de  Eran  due  ed  ora  son  tre,  Ricci  a  écrit  ici 
vers  la  fin  du  dernier  printemps  ,  un  opéra  dont  les 
aventures  de  Menegbino  ont  fourni  le  sujet.  Cette  composition, 
qui  ne  manque  pas  de  savoir-faire  ,  a  eu  assez  de  succès  ,  bien 
que  l'on  n'y  remarque  rien  de  bien  nouveau,  et  qu'il  ne  se 
trouve  pas  dans  toute  la  partition  un  seul  morceau  qui  soit 
susceptible  d'être  chanté  clans  un  concert.  Les  deux  buffi-can- 
tanti ,  Scaleze  et  Frezzolini  méritent  d'être  honorablement  cités 
parmi  les  exécutans.  Je  ne  puis  encore  vous  dire  les  noms  des 
artistes  engagés  pour  la  saison  prochaine  au  théâtre  royal 
de  Carignan  :  toutefois ,  on  dit  que  la  troupe  sera  bien 
composée.  Dès  que  j'aurai  obtenu  des  renseigiiemens  plus  po- 
sitifs à  cet  égard  ,  je  ne  manquerai  pas  de  vous  les  communi- 
quer. 


Pugni,  l'auteur  del  giorno  de  Saint-Micheli  s'est  esquivé 
de  Milan.au  grand  déplaisir  de  ses  créanciers,  qui,  néan- 
moins ,  lui  souhaitent  toute  sorte  de  prospérité  afin  de  conser- 
ver l'espoir  d'en  être  payés  un  jour.  L'Italie  n'est  pas  aujour- 
d'hui un  pays  convenable  pour  ceux  qui  se  distinguent  de  la 
masse  commune  en  travaillant  pour  la  gloire  seule.  Puisse  la 
fortune  sourire  ailleurs  à  Putrni  ! 


NOUVELLES. 

%*  Rien  de  nouveau  à  l'Opéra,  si  ce  n'est  le  départ  du  direc- 
teur; ce  voyage  de  courte  durée  est,  dit-on,  le  prélude  d'une  ab- 
sence beaucoup  plus  prolongée  ,  qui  aurait  pour  but  l'organisa- 
tion de  l'Opéra  de  Londres,  que  M.  Yéron  doit  entreprendre 
pour  la  saison  prochaine. 

*++  MM.  Beir  et  Adam  sont  chargés  par  le  ministre  d'orga- 
niser le  concert  d'instrumens  à  vent,  quiaura  lieumardi  2gjuil- 
let,  dans  le  Jardin  des  Tuileries,  à  huit  heures  du  soir.  Plus  de 
deux  cents  artistes  des  théâtres  royaux  exécuteront  l'ouverture 
de  la  Muette,  de  Guillaume-Tell ,  delà  Gazza  ladra  ,  et  le 
chœur  des  buveurs  du  Revenant  de  M.  Gomis  ;  ce  dernier 
morceau  a  produit  un  effet  imposant  aux  répétitions.  On  parle 
aussi  avec  éloges  de  la  Marseillaise  arrangée  pour  inslrumens  à 
vent  par  M.  Adam,  et  des  solos  pour  cornet  à  piston,  introduits 
dans  ce  chaut  national,  et  exécutés  par  M.  Dufresnes.  Nommer 
cet  habile  artiste  ,  c'est  faire  son  éloge. 

%*  Un  petit  opéra  sans  importance,  V -Angélus ,  continue  à 
être  donné  àl'Opéra-Comiqut'.  Il  existe  un  trop  grand  nombre 
d'amateurs  de  très-petite  musique,  pour  que  nous  ne  puissions 
prédire  un  succès  de  vente  à  l'éditeur  qui  fera  l'acquisition  de 
celte  bluette. 

*+*  Mardi,  représentation  gratis  à  l'Opéra,  c'est  Gustave 
avec  son  nouveau  bal ,  qui  fera  les  frais  de  cette  représentation  ; 
le  public  gratis  applaudira  autant  que  le  public  payant  qui, 
comme  chacun  sait,  ne  manque  pas  aux  appels  de  la  rue  Le- 
pelletier. 

*+*  Avant  le  nouveau  Robinson  ,  le  théâtre  Nautique  don- 
nera une  représentation  extraordinaire  qui  se  composera  de 
Guillaume  Tell ,  précédé  d'un  grand  et  brillant  concert.  On 
prétend  que  le  directeur  veut  nous  faire  entendre  quelques 
symphonies  de  Beethoven,  nous  le  croyons;  car  pourquoi  ne 
pas  profiter  d'un  bon  orchestre  ctd'un  chef  habile? 

*+*  L'Opéra-Comique  a  repris  le  Revenant  de  M.  Gomis  ; 
c'est  une  reprise  malheureuse  quenous  blâmons.  Une  adminis- 
tration habile  comme  celle  deM.  Crosnier,  aurait  dû  attendre 
l'hiver  pour  montrer  un  des  meilleurs  ouvrages  de  l'époque, 
mis  eu  scène  avec  tout  l'éclat  qu'il  mérite,  et  exécuté  par  les 
artistes  de  talent  nouvellement  engagés  à  ce  théâtre.  Nous  es- 
pérons que  l'administration  suivra  mire  conseil,  car  le  Reve- 
venant,  tel  qu'il  est  exécuté  a  l'Opéra-Comique,  n'est  qu'une 
triste  parodie  de  l'opéra  de  M.  Gomis. 

*„*  Notre  correspondant  de  Carlsruhe  nous  mande  que  ma- 
demoiselle Francilla  Pixis  continue  à  exciter  l'admiration  des 
habitans  de  cette  ville;  dans  son  second  début  ,  elle  s'est  mon- 
trée sous  le  costume  d'homme  ,  on  donnait  le  troisième  acte  de 
Romeo  et  Giulietta ,  où.  elle  a  déployé,  dans  son  chant,  comme 
daus  son  jeu,  du  goût  et  du  sentiment,  et  le  nombreux  pu- 
blic qui  assistait  à  celte  représentation,  lui  a  témoigné  toute  sa 
satisfaction  par  des  salves  d'applaudissemens.  Le  24  juillet, 
elle  a  dû  continuer  ses  débuts  par  le  rôle  de  Rosine,  dans  le 
Rarbier  de  Séville.  Cettejeune  cantatrice  donnera  ,  le  2g  de  ce 
mois,  une  représentation  sur  le  théâtre  de  Bade,  qui  se  com- 
posera d'un  concert  suivi  du  troisième  acte  d'  Otello. 

%*  On  nous  écrit  de  Boulogne  :  Les  concerts  recommencent 
dans  celui  de  M.  et  madame  Pagliardini,  artistes  fort  estimés 
ici  ;  nous  avons  eu  l'occasion  d'admirer  l'exécution  sur  le  piano 
pleine  de  force  et  d'énergie  deM.  Albert  Schilling.  Nous  avons 
été  fâchés  de  voir  que  le  jeune  artiste  si  plein  de  moyens  a  choisi 
de  variations  de  Herz.  Un  véritable  talent  comme  M.  Schilling 
devrait  abandonner  ce  genre  aux  femmes  et  à  ceux  incapables  de 
produire  de  l'effet  avec  delà  musique,  plus  élevée;  ce  sontles 
œuvres  de  Beethoven,  Weber,  Hummel ,  Moscheles  ou  Cho- 
pin ,  qui  lui  conviennent,  et  qui  feraient  envisager  son  talent 
sous  son  véritable  point  de  vue. 

Gérant,  MAURICE  SCHLESINGER. 


P.™.  —  Inifr 


c  .l'ÉVEKAT,  rue  du  Cadra»  ,  u°  16 


GAZETTE   MUSICALE 


mm  &<Am2. 


1"  ANNÉE. 


N°    31. 


PRIX  DE  1,'ABOPiNEM. 

PARIS. 

DÉPART. 

ÉTRAKG 

fr. 

Fr.       e. 

Fr.       c. 

3  m.    8 

8     75 

9     50 

6m.  45 

46   50 

18      » 

i  an.  30 

33    .» 

36    » 

€a  (Saadte  iitusicalt  ï>*  |3aris 
Parait    le  DIMANCHE  de  chaque  semaine. 

On  s'abonne  au  bureau  de  la  Gazette  Musicale  de  Paris,  rue  Richelieu ,  97; 
et  chez  tous  les  libraires  et  marchands  de  musique  de  France. 

)n  reçoit   les  réclamations  des  personnes  qui  ont  des  griefs  à  exposer,  et  les  avis  relatifs  à  la  musique 
qui  peuvent  intéresser  le  public. 


PARIS,  DIMANCHE  3  AODT  1834. 


Les  lettres,  demandes 
et  envois  d'argent  doi- 
vent êlre  affranchis,  et 
adressés  au  Directeur  , 
rue  Richelieu,  97. 


EXPOSITION 

DES    PRODUITS    DE   i/lNDUSTRIE. 

(5e  Article.) 


Pianos. 

(suite.) 

A  la  veille  de  la  clôture ,  et  lorsqu'on  commençait 
déjà  à  déplorer  l'absence  de  ces  habiles  facteurs  , 
MM.  Roller  et  Blanchet  ont  enfin  répondu  à  l'appel  de 
l'art  et  payé  largement  leur  tribut.  On  sait  que  ces  fac- 
teurs ont  choisi  une  spécialité,  en  ne  construisant  que  les 
instrumens  nommés  piano  droit,  et  piano  transpositeur. 

Les  pianos  en  forme  verticale  ont  eu  long-temps  à 
lutter  contre  la  prévention  du  public.  On  leur  repro- 
chait, non  sans  raison,  un  mécanisme  moins  solide, 
un  accord  plus  difficile,  et  d'autres  inconvéniens  attachés 
à  la  nature  même  de  leur  construction.  Cependant  cette 
forme  avait  un  avantage  sur  celle  des  autres  pianos:  c'est 
de  se  prêter  à  uu  plus  grand  nombre  d'emplacemens. 
Dans  un  petit  appartement ,  où  quelquefois  un  piano  or- 
dinaire ,  à  cause  de  sa  largeur  et  de  sa  profondeur,  est  em- 
barrassant; le  piano  vertical  n'occupant  que  la  moitié  de 
la  place  se  range  très-commodément.  L'importance  de 
ce  résultat  engagea  plusieurs  facteurs  à  de  nouvelles  re- 
cherches pour  lui  ôter  ses  défauts.  Leurs  efforts  ont  enfin 
obtenu  le  plus  grand  succès;  car  aujourd'hui  le  piano 
vertical  est  porté  à  un  degré  de  perfection  qui  doit  satis- 
faire aux  exigences  des  artistes. 

Lorsqu'on  commença  à  construire  les  premiers  pianos 
verticaux ,  on  les  fit  en  forme  presque  pyramidale ,  c'est- 
à-dire  qu'on  prit  pour  modèle  les  pianos  à  queue ,  dont 


on  plaça  la  caisse  perpendiculairement.  Cette  idée  était  la 
plus  simple  et  celle  qui  devait  se  présenter  d'abord.  Ce  n'é- 
tait d'ailleurs  une  innovation  que  dans  l'application  au 
piano;  carie  clavecin  perpendiculaire  ou  vertical  existait 
plus  de  deux  cents  ans  auparavant  (1).  On  ignore  quel  est 
lefacteur'qui,  le  premier,  a  construit  un  piano  vertical  (2); 
mais  c'est  en  Allemagne  qu'on  en  a  fait  les  premiers 
essais.  Cette  forme  une  fois  établie,  on  modifia  ces  in- 
strumens de  mille  manières,  tant  pour  l'extérieur  que 
pour  le  mécanisme  et  la  distribution  intérieure.  Dans  les 
derniers  temps  on  s'est  surtout  occupé  à  diminuer  le 
volume,  et  à  en  construire  d'une  dimension  aussi  petite 
que  possible  sans  nuire  à  la  qualité  du  son.  MM.  Rol- 
ler et  Blanchet  semblent  sous  ce  rapport  avoir  atteint 
des  limites  qu'on  ne  saurait  dépasser.  L'instrument  au- 
quel ils  ont  donné  le  nom  de  piano  droit,  n'a  que  trois 
pieds  de  hauteur  sur  une  largeur  de  quatre  pieds  et 
une  épaisseur  de  huit  pouces,  non  compris  la  saillie  du 
clavier  qui  est  de  sept  pouces.  C'est  une  victoire  que  d'a- 

(i)  On  lit  dans  la  Rev ue  musicale  (tome  \"I1T ,  page  i93), 
que  Rigoli ,  de  Florence-,  inventa,  vers  1620  le  clavecin 
vertical.  Nous  ferons  observer  que  la  forme  verticale  du  cla- 
vecin existait  déjà  en  1536.  Car  on  la  trouve  dans  la  Musurgia 
de  Luscinius  dont  la  première  édition  parut  à  l'époque  que 
nous  venons  d'indiquer. 

(2)  M.  Fétis ,  dit  (Revue  musicale,  tome  VIII ,  p.  202),  que 
le  troisième  clavecin  à  maillet,  de  Marins  était  vertical.  Le 
dessin  qu'on  trouve  dans  les  machines  et  inventions  approu- 
vées par  l'Académie  Royale  des  Sciences  (loin.  III,  p.  87), 
représente  cet  instrument  pris  par-devant  et  en  perspeclive 
qui,  mal  exécutée,  peut  au  premier  abord  induire  en  erreur. 
Mais  on  n'a  qu'à  lire  le  texte  qui  l'accompagne,  et  à  examiner 
le  mécanisme  de  la  touche  pour  se  convaincre  que  ce  clavecin 
était  horizontal  comme  tous  les   autres  du  même  facteur. 


2/ïG 


GAZETTE  MUSICALE 


voir  obtenu  dans  ces  dimensions  un  instrument  a  trois 
cordes  et  à  six  octaves ,  dont  le  son  intense  et  plein  ne  re- 
doute pas  la  comparaison  avec  celui  de  pianos  beaucoup 
plus  volumineux.  Aussi  voyons  -  nous  avec  plaisir 
que  l'usage  des  pianos  droits  se  répand  parmi  les  ama- 
teurs. En  effet,  rien  de  plus  commode  qu'un  petit  meu- 
ble musical  de  cette  espèce  qu'on  transporte  facilement 
et  qui  se  place  partout  où  l'on  veut.  Ce  fut  a  l'exposi- 
tion de  -1827  que  MM.  Roiler  et  Blancliet  produisirent 
leurs  premiers  essais  des  pianos  droits.  Depuis  lors  ils  y 
ont  apporté  de  nombreures  améliorations,  et  ils  convien- 
nent eux-mêmes  que  ces  pianos  d'essai  ne  sauraient  don- 
ner qu'une  idée  incomplète  du  degré  de  perfection  où 
ces  mêmes  instrumens  sont  parvenus  aujourd'hui. 

Les  artistes  sont  encore  redevables  à  M.  Roiler 
d'avoir  fait  revivre  l'idée  de  remplacer,  par  un  procédé 
mécanique,  les   difficultés  de  la  transposition. 

Il  y  a  assez  long-temps  que  des  facteurs  se  sont  occu- 
pés de  cette  idée.  Des  clavecins  avaient  déjà  reçu  un 
mécanisme  transpositeurs.  On  trouve  mentionné  un  cla- 
vecin d'un  Nicolas  Ramarino  où,  par  le  changement  de 
ressorts,  le  même  clavier  servait  a  plusieurs  tons  différens 
par  degrés  semi-toniques.  Le  P  Kircher  en  a  fait  la  dis- 
cription  dans  le  premier  volume  de  sa  Musurgie. 

Charles  Luyton ,  organiste  de  la  cour  de  l'empereur 
Rodolphe  II ,  possédait  un  clavecin  curieux  qui  avait  été 
construit  à  Vienne,  en  1589.  Les  touches  supérieures 
étaient  divisées  ou  doubles,  pour  exprimer  la  différence 
des  dièzes  et  bémols  (de  sorte  que,  par  exemple,  ut  dièze 
et  rébémol  étaient  produits  par  des  cordes  différentes). 
En  outre  le  clavier  était  mobile,  et  pouvait  se  transposer 
sept  fois  ;  ce  qui  faisait,  d'après  l'arrangement  de  ce 
clavier,  une  transposition  de  trois  tons  (1). 

.  L'auteur  dont  nous  avons  tiré  cette  note,  ne  donne 
pas  le  nom  du  facteur  de  l'instrument.  C'est  au  reste  le 
plus  ancien  exemple  d'un  clavier  mobile  dont  nous 
ayons  connaissance. 

Il  paraît  cependant  que  ce  mécanisme  ne  trouva  pas 
beaucoup  d'imitateurs,  et  que  quelques  essais  isolés, 
faits  postérieurement,  n'ont  pas  réussi  à  en  généraliser 
l'usage. 

Plus  tard,  on  imagina  un  autre  procédé.  C'était  de 
faire  un  chevalet  mobile,  au  moyen  duquel  on  pût,  en 
raccourcissant  ou  allongeant  l'ensemble  des  cordes,  chan- 
ger à  l'instant  tout  l'accord  de  l'instrument.  Mais  l'u- 
sage de  ce  chevalet,  plus  compliqué  et  moins  sûr  que 
celui  du  clavier  mobile,  fut  bientôt  abandonné,  et  l'on 
est  revenu  au  premier  procédé  dont  la  simplicité  doit 
garantir  le  succès. 

(I)  Praetorius,  Syntagma  mus.  t.  II,  p.  64  et  65. 


C'est ,  nous  croyons ,  en  Allemagne  que  les  pianos 
ont  reçu  d'abord  le  mécanisme  transpositeur.Un  homme 
ingénieux  pour  la  construction  des  instrumens  ,  sans  être 
lui-même  facteur,  le  chambellan  Bauer  a  Berlin  fit  con- 
struire, vers  1786,  un  piano  pyramidal ,  de  huit  pieds 
et  demi  de  hauteur,  qui,  au  moyen  de  registres,  pré- 
sentait huit  changemens  de  sons  et  dont  le  clavier  mo- 
bile se  transposait  de  deux  tons  (1). 

Plus  tard,  ce  mécanisme  a  été  reproduit  a  Vienne, 
où,  en  1823,  le  facteur  Muller  se  lit  donner  un  brevet 
d'invention.  Ce  fut  dans  la  même  année  que  M.  Roiler 
présenta  a  l'exposition  son  piano  transpositeur,  dont  on 
reconnut  le  mérite  en  lui  décernant  la  médaille  d'ar- 
gent ;  mais  la  priorité  sur  le  facteur  de  Vienne  lui 
appartient,  car  son  brevet  porte  la  date  de  1820. 
M.  Roiler  a  depuis  encore  perfectionné  son  instrument, 
et  tel  qu'il  le  présente  aujourd'hui,  il  semble  ne  rien 
laisser  a  désirer.  Si  jusque  la  les  pianos  a  mécanisme 
transpositeur  n'ont  été  faits  qu'en  petit  nombre,  ils  se 
répandent  maintenant,  et  semblent,  grâce  a  cet  habile 
facteur,  être  destinés  a  un  succès  complet. 

Dans  le  piano  transpositeur  de  M.  Roiler,  le  clavier 
mobile,  mis  en  jeu  par  une  clef,  se  transporte  a  droite 
ou  a  gauche  sous  les  cordes  ;  de  sorte  que,  par  exemple , 
la  touche  qui  frappe  Y  ut  passe  sous  Y  ut  dièze  ou  ré  bé- 
mol, et  domine  ainsi  un  autre  système  total,  sans  que 
le  doigté  éprouve  le  moindre  changement.  Pour  baisser 
le  ton,  il  suffit  de  porter  le  clavier  de  droite  à  gauche  ; 
et  alors,  suivant  le  nombre  de  degrés  qu'on  lui  fait  par- 
courir, la  gamme  d'ut  se  change  en  celle  de  si  au  pre- 
mier degré,  de  si  bémol  au  second,  et  ainsi  de  suite.  On 
peut  obtenir  a  l'aigu  la  même  variation  :  chaque  tour 
de  clef  élève  d'un  demi-ton,  si  c'est  en  haut,  et  baisse 
d'un  demi-ton ,  si  c'est  en  bas.  Chacun  de  ces  degrés 
est  d'un  demi-ton,  et  a  quelque  degré  que  l'on  s'arrête, 
le  clavier  se  trouve  invariablement  fixé. 

Ce  mécanisme ,  simple  par  lui-même  et  tout-a-fait 
isolé  du  corps  et  des  cordes  de  l'instrument,  ne  nuit  en 
rien  à  sa  solidité. 

Nous  engageons  les  personnes  qui  n'auraient  pas 
vu  le  piano  transpositeur ,  a  visiter  les  ateliers  de 
MM.  Roiler  et  Blancliet.  Elles  jugeront  par  elles  mêmes 
de  l'excellence  de  ces  instrumens. 

MM.  Roiler  et  Blancliet  viennent  d'obtenir  la  mé- 
daille d'or.  C'est  justice;  et  nous  aimons  aies  en  féli- 
citer. 

Parmi  les  pianos  verticaux,  il  y  en  avait  un  qui  atti- 
rait l'attention  par  un  écriteau,  sur  lequel  on  lisait: 

(1)  Gcrber,  nouv.  Dict.,  art.  Bauer. 


Piano  à  sons  prolongés  d'après  un  nouveau  système  de  I 
dilatation.  Cet  instrument  était  Je  M.  Éder,  de  Rouen. 
Nous  avons  puisé  dans  le  prospectus  très-détaillé  qui  en  | 
rendait  compte,  de  quoi  expliquer  a   nos  lecteurs  ce 
nouveau  système. 

Dans  le  piano  de  M.  Éder,  la  fonte  de  fer  remplace 
la  charpente  en  bois.  Il  n'eut  d'abord  en  vue  que  la  so- 
lidité du  fer  supérieure  a  celle  du  bois,  et  permettant 
d'employer  des  cordes  plus  grosses  que  les  cordes  ordi- 
naires. Bientôt  le  fer  lui  parut  offrir  un  avantage  plus 
précieux  par  sa  dilatabilité  ,  pour  la  durée  de  l'accord. 
On  sait  que  dans  les  salles  de  concert  fortement  échauf- 
fées ,  les  pianos  baissent  sensiblement  de  ton.  C'est 
l'effet  d'une  double  distension,  les  cordes  s' allongeant 
par  la  chaleur,  et  le  bois  au  contraire  se  resserrant  sur 
lui-même.  M.  Éder  croit  avoir  trouvé  dans  la  charpente 
en  fonte  le  remède  à  cet  inconvénient.  La  membrure 
(dit le  prospectus),  qui  supporte  les  sommiers  auxquels 
sont  attachées  les  extrémités  des  cordes  ,  étant  elle-même 
susceptible  de  dilatation  par  l'action  de  la  chaleur;  il 
en  résulte  que,  lorsque  les  cordes  s'allongent  par  l'éléva- 
tion de  la  température,  ou  se  contractent  par  son  abais- 
sement, les  sommiers,  suivant  le  mouvement  de  lu  fonte 
et  obéissant  a  sa  propriété  dilatable  ou  contractile ,  s'é- 
cartent ou  se  rapprochent,  en  sorte  que  les  cordes,  res- 
tant toujours  a  peu  près  également  tendus,  le  piano 
reste  a  peu  près  constamment  au  même  diapason. 

Nous  ne  savons  pas  jusqu'où  M.  Eder  a  poussé  ses 
expériences  dans  des  salles  échauffées.  Mais  le  pavillon 
n°4-,  avec  l'alternative  d'un  courant  d'air,  et  d'une 
chaleur  étouffante,  produites  par  l'influence  des  specta- 
teurs ,  fournissait  une  belle  occasion  d'épreuve;  et 
nous  ne  saurions  conclure  favorablement,  attendu  que  le 
piano  en  question  était  bien  discors  au  moment  où  nous 
l'avons  essayé.  Au  reste,  M.  Éder  aurait  tort  de  se  croire 
l'inventeur  de  la  charpente  en  fonte.  Plusieurs  facteurs 
l'ont  employée,  il  y  a  long-temps.  Ils  en  sont  revenus 
au  bois,  et  nous  pourrions  citer  un  facteur  très-célèbre 
de  la  capitale  ,  qui ,  après  avoir  pris  un  brevet  pour  cette 
construction,  il  y  a  vingt  et  quelques  années,  n'a  pas 
tardé  à  mettre  son  modèle  au  rebut. 

Un  mérite  moins  contestable  du  piano  de  M.  Éder, 
c'est  la  prolongation  du  son,  obtenue,  selon  lui,  par 
une  manière  de  barrage  plus  favorable  aux  oscillations 
du  corps  vibrant.  Nous  avons  déjà  dit ,  dans  un  article 
précédent,  que  pour  la  table  d'harmonie  il  reste  encore 
dfs  expériences  à  faire.  Nous  engageons  M.  Éder  a 
p oursuivre  les  siennes. 

Le  prospectus  parle  encore  d'une  mécanique  de  nou- 
velle invention,  que  M.  Éder  aurait  voulu  appliquer  à 


son  instrument;  mais  que  les  délais  fixés  pour  l'exposi- 
tion ne  lui  ont  pas  permis  d'achever.  Ilpartage  en  cela  le 
sort  de  beaucoup  de  ses  confrères  qui ,  pressés  par  le 
temps  et  pris  au  dépourvu ,  n'ont  pu  exécuter  ce  qu'ils 
avaient  voulu  présenter  de  neuf. 

M.  Cluesmann  a  exposé  une  nouvelle  invention,  qui 
ne  pourrait  manquer  de  succès  ,  si  elle  présentait  réelle- 
ment Yimmense  avantage  qu'en  proclame  l'inventeur. 
Malheureusement,  elle  n'est  pas  a  l'abri  d'objections 
difficiles  à  détruire. 

Le  piano,  dit  M.  Cluesmann,  laissait  jusqu'ici  quel- 
que chose  a  désirer;  c'était  de  pouvoir  l'accorder  soi- 
même  sans  le  secours  d'un  accordeur.  Regardant  le  ma- 
niement de  la  cheville  pour  tendre  les  cordes  ,  comme 
principal  obstacle  a  la  facilité  de  l'accord,  M.  Clues- 
mann croit  y  avoir  remédié  par  un  procédé  aussi  simple 
au  ingénieux  ,  en  substituant  a  ces  chevilles  des  vis  de 
pression  qui ,  très-faciles  a  tourner  avec  une  clef  pareille 
à  celle  d'une  montre,  permettent  de  tendre  ou  de  déten- 
dre les  cordes  d'une  manière  presque  imperceptible.  Au 
moyen  de  ces  vis  de  pression,  tout  le  monde  pourra, 
selon  lui ,  dorénavant  accorder  soi-même  son  piano  ; 
pour  cela,  il  ne  faudra  qii  avoir  l'oreille  juste. 

C'est  comme  si  l'on  disait  :  pour  cela  il  ne  faut  que. . . 
savoir  accorder. 

L'accord  du  piano  présente  des  difficultés  ;  mais  elles 
consistent  moins  dans  l'adresse  a  manier  la  cheville 
(adresse  toute  mécanique,  qui  s'acquiert  bientôt  avec  un 
peu  d'habitude),  que  dans  l'opération  qu'on  appelle 
partition  et  tempérament.  Il  faut  pour  cela  non- 
seulement  une  oreille  juste,  mais  une  oreille  bien  exer- 
céeà  celte  sorte  de  travail.  L'avantage  des  vis  dépression 
se  réduit  donc  a  n'être  qu'un  moyen  plus  commode  pour 
la  partie  purement  mécanique  de  l'accord  ;  et  cet 
avantage  sera  encore  limité  aux  cas  où  il  s'agit  de  petites 
nuances  de  hausse  ou  de  baisse.  Car,  comme  il  faut  tour- 
ner trente  fois  la  vis  de  pression  pour  obtenir  le  résultat 
d'un  seul  tour  de  cheville;  on  conçoit  que  l'usage  des 
vis  deviendra  au  contraire  incommode  toutes  les  fois 
qu'il  s'agira  de  tendre  ou  de  détendre  les  cordes  consi- 
dérablement. Pour  monter  une  corde  nouvelle,  il  fau- 
drait des  tours  innombrables  de  la  vis  dépression.  Aussi 
M.  Cluesmann  a-t-il  reconnu  la  nécessité  de  conserver 
les  chevilles  pour  cet  effet.  Dans  ses  nouveaux  pianos, 
la  corde  s'attache  au  mécanisme  destiné  à  être  mû  par 
lavis  de  pression;  puis  elle  est  roulée,  comme  d'ordi- 
naire, sur  une  cheville,  qui  sert  à  la  fixer.  Ce  n'est 
qu'alors,  après  avoir  été  accordécprcalablcinent  au  moyen 
de  cette  cheville,  qu'on  emploie  la  vis  de  pression  puni 
rectifier  l'accord ,  ou  pour  le  saisir  au  degré  le  plus  par- 
fait. 


248 


GAZETTE  MUSICALE 


Remplacer  les  chevilles  d'un  côté  pour  les  replacer  de 
l'autre,  et  puis  venir  nous  vanter  l'avantage  de  ce  chan- 
gement qui  consiste  a  empêcher  les  cordes  de  se  relâcher, 
inconvénient  inséparable  du  système  de  chevilles  em- 
ployé jusqu'ici  :  c'est ,  il  faut  en  convenir ,  une  singu- 
lière contradiction.  Nous  craignons  que  le  système  de 
M.  Cluesmann  ne  soit  pas  si  favorable  au  maintien  de 
l'accord  qu'il  voudrait  le  faire  croire.  Car,  dans  les  pianos 
ordinaires,  les  cordes  sont  invariablement  fixées  d'un 
côté,  tandis  que  dans  les  siens,  elles  peuvent  se  relâcher 
des  deux  côtés. 

M.  Cluesmann  a  pris  un  brevet  d'invention.  Nous 
croyons  qu'il  aurait  pu  se  dispenser  d'en  faire  les  frais, 
car  nous  doutons  fort  que  ses  confrères  se  fussent  empa- 
rés de  son  invention.  Il  en  sera  comme  de  tant  d'autres 
qui  ont  été  abandonnées  par  les  inventeurs  eux-mêmes 
avant  l'expiration  du  brevet. 


Le  Suicide  par  enthousiasme. 

(SUITE). 

Ce  que  pensa  la  moderne  Ariane  en  se  voyant  ainsi 
délaissée,  nul  ne  lésait.  En  tout  cas,  il  est  probable  que 
le  Thésée,  qui  devait  la  consoler  et  guérir  la  cruelle 
blessure  faite  a  son  amour-propre,  ne  se  fit  pas  attendre. 
Hortense  n'était  pas  femme  a  demeurer  ainsi  dans  l'inac- 
tion. Ilf allait  un  aliment  à  la  dévorante  activité  de  son 
esprit  et  de  son  cœur.  C'est  la  phrase  consacrée,  au 
moyen  de  laquelle  ces  dames  poétisent  et  veulent  justifier 
leurs  écarts  les  plus^prosaïques.  Quoi  qu'il  en  soit,  dès 
la  seconde  journée  de  son  voyage,  Adolphe  complète- 
ment désenchanté  était  tout  entier  au  bonheur  de  voir 
son  projet  favori,  son  idée  fixe,  sur  le  point  de  devenir 
une  réalité.  Il  allait  se  trouver  enfin  a  Paris  au  centre  du 
monde  musical ,  il  allait  entendre  ce  magnifique  orches- 
tre de  T Opéra,  ces  chœurs  si  nombreux,  si  puissans, 
entendre  madame  Branchudans  la  Vestale Un  feuil- 
leton de  Geoffroy,  qu'Adolphe  lut  en  arrivant  à  Lyon, 
vint  exaspérer  encore  son  impatience.  Contre  l'ordinaire 
du  célèbre  critique,  il  n'avait  eu  que  des  éloges  à  donner. 
«  Jamais,  disait-il,  la  belle  partition  de  Spontini  n'a 
»  été  rendue  avec  un  pareil  ensemble  par  les  masses  et 
»  avec  une  inspiration  aussi  véhémente  par  les  acteurs 
»  principaux.  Madame  Branchu,  entre  autres,  s'est 
»  élevée  au  plus  haut  degré  de  pathétique ,  cantatrice 
»  habile,  douée  d'une  voix  puissante,  tragédienne  con- 
»  sommée,  elle  est  peut-être  le  sujet  le  plus  précieux 
»  dont  ait  pu  s'enorgueillir  l'Opéra  depuis  sa  fondation  ; 
»  n'en  déplaise  aux  partisans  exclusifs  de  madame  Saint- 
»  Huberti.  Madame  Branchu  est  petite  malheureuse- 


»  ment  ;  mais  le  naturel  de  ses  poses ,  l'énergique  vérité 
»  de  ses  gestes  et  le  feu  de  ses  yeux  font  disparaître  ce 
»  défaut  de  stature  ;  et  dans  ses  débats  avec  les  prêtres 
»  de  Vesta,  l'expression  de  son  jeu  est  si  grandiose 
»  qu'elle  semble  dominer  le  colosse  Derivis  de  toute  la 
»  tête.  Hier,  un  entr'acte  fort  long  a  précédé  le  troisième 
»  acte.  La  raison  de  cette  interruption  insolite  dans  la 
»  représentation  était  due  a  l'état  violent  où  le  rôle  de 
»  Julia  et  la  musique  de  Spontini  avaient  jeté  la  can- 
»  tatrice.  Dans  la  prière  (ô  des  infortunés) ,  sa  voix 
»  tremblante  indiquait  déjà  une  émotion  qu'elle  avait 
»  peine  a  maîtriser;  mais  au  final  (de  ces  lieux  prêtresse 
»  adultère) ,  son  rôle  tout  de  pantomime  ne  l'obligeant 
»  pas  aussi  impérieusement  a  contenir  les  transports  qui 
»  l'agitaient,  des  larmes  ont  inondé  ses  joues ,  ses  gestes 
»  sont  devenus  désordonnés,  incohérens,  fous.,  et  au 
»  moment  où  le  pontife  lui  jette  sur  la  tête  l'immense 
»  voile  noir  qui  la  couvre  comme  un  linceul ,  au  lieu 
»  de  s'enfuir  éperdue,  ainsi  qu'elle  avait  fait  jusqu'alors, 
»  madame  Branchu  est  tombée  évanouie  aux  pieds  de 
»  la  grande  Vestale.  Le  public,  qui  prenait  tout  cela 
»  pour  de  nouvelles  combinaisons  de  l'actrice  a  couvert 
»  de  ses  acclamations  la  péroraison  de  ce  magnifique 
a  final;  chœurs,  orchestre,  tamtam,  Dérivis1,  tout  a 
»  disparu  sous  les  cris  du  parterre.  La  salle  entière  était 
»  bouleversée.  »  — Un  cheval  !  un  cheval  !  mon  royaume 
pour  un  cheval!  s'écriait  Bichard  Ilf.  Adolphe  eût  donné 
la  terre  entière  pour  pouvoir  à  l'instant  même  quitter 
Lyon  au  galop.  Il  respirait  a  peine  en  lisant  ces  lignes  ; 
ses  artères  battaient  dans  son  cerveau  a  lui  donner  des 
vertiges,  il  avait  la  fiè'vre.  Force  lui  fut  cependant  d'at- 
tendre le  départ  de  la  lourde  voiture,  si  improprement 
nommée  diligence ,  où  sa  place  était  retenue  pour  le  len- 
demain. Pendant  les  quelques  heures  qu'il  |dut  demeurer 
dans  les  murs  de  Lyon ,  Adolphe  n'eut  garde  d'entrer 
dans  un  théâtre.  En  toute  autre  occasion ,  il  s'en  fut 
empressé;  mais  certain  aujourd'hui  d'entendre  bientôt 
le  chef-d'œuvre  de  Spontini  dignement  exécuté ,  il  vou- 
lait jusque-la  rester  vierge  et  pur  de  tout  contact  avec  les 
muses  provinciales.  On  partit  enfin  D***,  enfoncé  dans 
un  coin  de  la  voiture ,  tout  entier  à  ses  pensées ,  gardait 
un  farouche  silence,  ne  prenant  aucune  part  au  caque- 
tage  de  trois  dames  fort  attentives  à  entretenir  avec  deux 
militaires  une  conversation  suivie.  On  parla  de  tout 
comme  a  l'ordinaire;  et  quand  vint  le  tourdela  musique, 
les  mille  et  une  absurdités  débitées  à  ce  sujet  purent  à 
peine  arracher  a  Adolphe  ce  laconique  a  parte  :  «  Bec- 
»  casses  !  !  »  Il  fut  obligé  pourtant ,  le  second  jour  du 
voyage ,  de  répondre  aux  questions  que  la  plus  âgée  des 
femmes  s'avisa  de  lui  adresser.  Impatientées  toutes  les 


DE  PARIS. 


249 


trois  du  mutisme  obstiné  du  jeune  voyageur  et  des  sou- 
rires sardoniques  qui  se  dessinaient  de  temps  en  temps 
sur  ses  traits ,  elles  décidèrent  qu'il  parlerait  et  qu'on  sau- 
rait le  but  de  son  voyage.  «  Monsieur  va  a  Paris  sans 
»  doute? —  Oui,  madame.  —  Pour  étudier  le  droit? 

» Non ,  madame.  —  Ah  !  monsieur  est  étudiant  en 

»  médecine? —  Vous  vous  trompez,  madame.  »  L'in- 
terrogatoire finit  la  pour  cette  fois ,  mais  il  recommença 
le  lendemain  avec  une  insistance  bien  propre  a  faire 
perdre  patience  à  l'homme  le  plus  endurant.  «  Il  paraît 
»  que  monsieur  va  entrer  a  l'école  polytechnique?  — 
»  Non  madame.  —  Alors ,  monsieur  est  dans  le  com- 
»  merce  ?  —  Ohj  mon  Dieu  non,  madame.  —  A  la 
»  vérité ,  rien  n'est  plus  agréable  que  de  voyager  pour 
»  son  plaisir,  comme  fait  monsieur,  selon  tonte  appa- 
»  rence.  —  Si  tel  a  été  mon  but  en  partant,  je  crois, 
»  madame,  qu'il  me  sera  difficile  de  l'atteindre  pour 
»  peu  que  l'avenir  ressemble  au  présent.  »  Cette  repar- 
tie faite  d'un  ton  sec,  imposa  enfin  silence  a  l'imperti- 
nente questionneuse,  et  Adolphe  put  reprendre  le  cours 
de  ses  méditations.  Qu'allait-il  faire  en  arrivant  a  Paris... 
n'emportant  pour  toute  fortune  que  son  violon  et  une 
bourse  de  deux  cents  francs ,  quels  moyens  employer 
pour  utiliser  l'un  et  épargner  l'autre...  Pourrait-il  tirer 
parti  de  son  talent. . .  Qu'importaient  après  tout  de  pareilles 
réflexions,  de  telles  craintes  pour  l'avenir...  N'allait-il 
pas  entendre  la  Vestale?  N'allait-il  pas  connaître  dans 
toute  son  étendue  le  bonheur  si  long-temps  rêvé?  Dût-il 
mourir  après  cette  immense  jouissance,  avait-il  le  droit 
de  se  plaindre...  n'était-il  pas  juste  au  contraire  que  la 
vie  eût  un  terme,  quand  la  somme  des  joies,  qui  suffit 
d'Ordinaire  à  toute  la  durée  de  l'existence  humaine,  est 
dépensée  d'un  seul  coup  ? 

C'est  dans  cet  état  d'exaltation  que  l'artiste  provençal 
arriva  à  Paris.  A  peine  débarqué,  il  court  aux  affiches  ; 
que  voit-il  sur  celle  de  l'Opéra?  les  Prétendus.  «  Inso- 
lente mystification,  s'écria-t-il ,  c'était  bien  la  peine  de 
me  faire  chasser  de  mon  théâtre,  de  m'enfuir  devant  la 
musique  de  Lemoine ,  comme  devant  la  lèpre  ou  la  peste, 
pour  la  retrouver  encore  au  grand  Opéra  de  Paris.  »  Le 
fait  est  que  cet  ouvrage  bâtard,  ce  modèle  du  style  rococo, 
poudré,  brodé,  galonné,  qui  semble  avoir  été  écrit  ex- 
clusivement pour  les  vicomtes  de  Jodelet  et  les  marquis 
de  Mascarille,  était  alors  en  grande  faveur.  Lemoine  al- 
ternait sur  l'affiche  de  l'Opéra  avec  Gluck  et  Spontini. 
Aux  yeux  d'Adolphe,  ce  rapprochement  était  une  pro- 
fanation ;  il  lui  semblait  que  la  scène  illustrée  par  les 
plus  beaux  génies  de  l'Europe,  ne  devait  pas  être  ou- 
verte a  d'aussi  pâles  médiocrités  ;  que  le  noble  orchestre, 
tout  frémissant  encore  des  mâles  accens  d'Iphigénie  en 


Tauride  ou  d'Alceste  ,  n'aurait  pas  dû  être  ravalé  jus- 
qu'à accompagner  les  fredons  de  Mondor  et  de  la  Dan- 
dinière.  Quant  au  parallèle  de  la  Vestale  avec  ces  misé- 
rables tissus  de  Pont-Neuf,  il  s'efforçait  d'en  repousser 
l'idée  ;  cette  abomination  lui  figeait  le  sang  dans  les 
veines.  Il  y  a  encore  aujourd'hui  quelques  esprits  ardens 
ou  extravagans (comme  on  voudra),  qui  ont  exactement 
la  même  manière  de  voir  a  ce  sujet. 

Dévorant  son  désappointement ,  Adolphe  retournait 
tristement  chez  lui  quand  le  hasard  lui  fit  rencontrer  un 
de  ses  compatriotes,  auquel  il  avait  autrefois  donné  des 
leçons  de  violon.  Celui-ci,  riche  amateur,  fort  répandu 
dans  le  monde  musical,  s'empressa  de  mettre  son  maître 
au  courant  de  tout  ce  qui  s'y  passait  et  lui  apprit  que  les 
représentations  de  la  Vestale,  suspendues  par  l'indispo- 
sition de  madame  Branchu  ,  ne  seraient  vraisemblable- 
ment reprises  que  dans  quelques  semaines.  Les  ouvrages 
de  Gluck  eux-mêmes ,  quoique  formant  habituellement 
le  fond  du  répertoire  de  l'Opéra,  n'y  figurèrent  pas, 
pendant  les  premiers  temps  du  séjour  d'Adolphe  a 
Paris.  Ce  hasard  lui  rendit  ainsi  plus  facile  l'accomplis- 
sement du  vœu  qu'il  avait  fait,  de  conserver  pour  Spon- 
tini sa  virginité  musicale.  En  conséquence,  il  ne  mit 
les  pieds  dans  aucun  théâtre,  s'abstint  de  toute  espèce 
de  musique,  n'assistant  ni  aux  revues  de  la  garde,  ni 
aux  messes  solennelles  de  Notre-Dame,  se  bornant  à 
chercher  une  place  qui  pût  la  faire  vivre ,  sans  le  con- 
damner cependant  à  recommencer  la  vie  de  galérien  qui 
lui  avait  été  si  odieuse  en  province.  Il  s'agissait  pour 
cela  de  trouver  un  emploi  dans  un  des  trois  théâtre  ly- 
riques. Il  se  fit  entendre  successivement  aux  différens 
chefs  d'orchestre.  M.  Persuis  qui  conduisait  l'Opéra  et 
celui  sur  lequel  il  comptait  le  moins ,  fut  le  seul  qui 
l'encouragea  et  lui  donna  des  espérances.  Adolphe  lui 
plut,  son  talent  d'exécution  sans  être  très-remarquable 
le  rendait  cependant  fort  propre  a  tenir  avantageuse- 
ment son  rang  parmi  les  violons  de  l'Opéra.  Persuis 
l'engagea  à  revenir  le  voir,  lui  offrant  ses  conseils, 
avec  l'assurance  que  la  première  place  vaccante  à  l'or- 
chestre serait  pour  lui.  Tranquille  de  ce  côté,  et  deux 
élèves  que  son  protecteur  lui  avait  procurés  facilitant 
ses  moyens  d'existence,  l'adorateur  de  Spontini  sentait 
redoubler  son  impatience  d'entendre  la  magique  parti- 
tion. Chaque  jour  il  courait  aux  affiches,  chaque  jour 
son  attente  était  trompée.  Le  22  mars,  arrivé  le  matin 
au  coin  de  la  rue  Richelieu ,  au  moment  ou  l'afficheur 
montait  sur  l'échelle,  après  avoir  vu  placarder  succes- 
sivement le  Vaudeville ,  l'Opéra-Comique,  le  Théâtre- 
Italien],  la  Porte-Saint-Martin  ,  Adolphe  vit  déployer 
lentement  une  grande  feuille  brune  qui  |portait  en  tète: 


250 


GAZETTE  MUSICALE 


Académie  Impériale  de  Musique  et  faillit   tomber  sur 
le  pavé  en  lisant  enfin  ce  nom  tant  désiré  :  La  Vestale. 
(La  suite  à  un  numéro  prochain.) 


La   Musique  sur  les  côtes  de  l'Afrique. 

A  Inhamban.  \ille  située  aux  bords  de  la  rivière  du 
même  nom,  et  qui  forme,  sous  le  rapport  de  la  sa- 
lubrité, un  des  meilleurs  établissemens  portugais  sur 
celte  partie  des  côtes  orientales  de  l'Afrique,  les  natu- 
rels du  pays,  qui  doivent  a  leur  vaillance  d'être  restés 
libres,  ont  une  danse  très-sauvage,  et  c'est  ordinaire- 
ment au  son  du  tambour  qu'ils  se  livrent  a  ce  plaisir. 
Leur  principal  instrument  est  la  marimbah.  Il  consiste 
en  dix  morceaux  ou  baguettes  d'un  bois  très-dur  qui 
sont  fixés  dans  un  cadre.  Une  petite  calebasse  creusée 
sert  a  chaque  baguette  de  moyen  de  résonnance.  Le  tout 
ressemble  a  peu  près  a  une  harmonica.  Faut-ïl  recon- 
naître encore  aujourd'hui  dans  les  dix  baguettes  de  la 
marimbah  la  gamme  primitive  d'une  double  octave  telle 
qu'elle  existait  jadis  dans  ces  contrées  et  dans  toute 
l'Asie  orientale?  Il  est  bien  a  regretter  que,  lorsqu'il 
s'agit  de  musique,  les  relations  même  de  nos  voyageurs 
les  plus  modernes  soient  toujours  si  imparfaites.  —  Un 
autre  instrument  qui  s'appelle  Cassanga ,  est  encore 
plus  répandu  chez  les  naturels  d'Inhamban.  Il  consiste 
en  une  caisse  vide  dont  le  dessus  est  garni  d'un  certain 
nombre  de  baguettes  en  fer  de  diverse  longueur  et  que 
l'on  frappe  des  doigts.  Les  voyageurs  ont  trouvé  ce 
même  instrument  a  Quilimare ,  ville  située  sur  le 
bord  de  la  rivière  portant  le  même  nom.  A  l'occasion 
d'une  noce,  on  a  vu  les  habitans  placer  le  fiancé  sur 
quelques  barres  de  bois  posées  en  travers  sur  l'orifice 
d'un  puits,  et,  pendant  qu'on  l'arrosait  abondamment, 
les  spectateurs  sauiaient  autour  de  lui  au  son  de  la  Cas- 
sanga, en  chantant  et  en  exprimant  leur  joie  par  de 
grands  baltemeus  de  main. 

(Voyage  du  capitaine  Oiven.) 


Revue  Critique. 

Krakowiak.  Grand  rondo  de  concert  pour  le  piano, 
avec  accompagnement  d'orchestre.  Prix  :  i5  fr.  et 
7  fr.  50  cent,  pour  le  piano  seul. 

Si  nous  ne  nous  trompons  pas,  cet  œuvre  tire  son  tilre  po- 
lonais des  principaux  motifs  que  nous  y  rencontrons,  et  qui, 
composés  à  la  manière  des  chants  des  environs  de  Cracovie,  se 
distinguent  des  mazourkas  soit  par  nue  ressemblance  frappante 
avec  les  ranz  suisses  ,  soit  par  la  légèreté  du  rhydime  en  deux 
quarts, soit  eufiu  parnne  nuance  touteparliculièrcdevive  gaieté. 


Les  habitans  de  la  pro\incc  ,  qui  a  pour  capitale  la  ville  de  Cra- 
covie, sont,  pour  le  plus  grand  nombre  des  montagnards.  De 
là,  ces  chants  qui  se  développent  eu  longues  phrases  mélodi- 
ques qui,  comme  celles  des  ranz ,  doivent  résonner  au  loin 
dans  la  Vallée  et  par-dessus  la  montagne;  et  aussi  ces  autres 
chants  si  gais,  si  naïfs  ,  entremêlés  de  danses  et  de  dialogues  , 
tandis  qu'au  contraire ,  la  mazourka  ,  plus  calme  et  d'une  gaieté 
plus  sérieuse,  s'adresse  aux  habitans  plus  maniérés  des  pays 
plats.  Dans  l'œuvre  que  nous  signalons  aujourd'hui  à  l'atten- 
tion du  public,  M.  Chopin  donne  un  exemple  caractéristique 
de  ces  deux  principaux  genres  de  chants  nationaux ,  ce  qui 
seul  donne  déjà  à  sa  production  un  cachet  tout  particulier,  et 
ne  rend  que  plus  intéressante  la  piquante  originalité  du  spiri- 
tuel compositeur.  Pour  ce  qui  touche  à  la  disposition  du  mor- 
ceau ,  cette  fois  encore  nous  ne  saurions  donner  ascez  d'éloges 
à  la  manière  caractéristique  et  savante  dont  sont  traités  les  in- 
strumens  accompagnans,  non  plus  qu'à  l'unité  intime  des  pen- 
sées ou  à  la  manière  tout  artistique  dont  elles  sont  liées 
entre  elles.  Ecrit  entièrement  à  la  manière  de  Hummel,  cet 
ouvrage  est  tout-à-fait  concertant ,  et  ne  saurait  être  exécuté 
sans  que  l'orchestre  fût  complet.  A  ne  onsidérer  que  les  dif- 
ficultés toujours  nouvelles  de  la  partie  principale,  difficultés 
qui  se  succèdent  sans  cesse  et  ne  sont  interrompues  que  par 
quelques  tuttis,  on  pourrait  peut-être  se  sentir  quelque  peu 
tenté  de  reprocherau  compositeur  d'avoir  écrit  un  trop  grand 
nombre  de  traits  ;  ce  serait  cependant  tomber  dans  une  grande 
erreur.  Dans  tout  le  cours  du  murceau,  les  motifs  principaux 
reviennent  si  continuellement,  soit  dans  leur  totalité,  soit  dans 
de  nombreuses  imitations,  et,  au  moyen  de  ces  traits  si  riches 
ainsi  que  de  tournures  harmoniques  toujours  nouvelles,  ils  ac- 
quièrent une  si  admirable  variété  qu'on  ne  peut  s'empêcher  de 
les  repasser  d'un  bout  à  l'autre  avec  un  intérêt  sans  cesse  re- 
naissant. L'art  du  contrepoint ,  réuni  à  tant  de  poésie  et  à  un 
goût  si  délicat ,  est  ce  que  la  composition  musicale  peut  offrir 
de  plus  élevé  ;  arriver  là,  c'est  se  montrer  le  digne  émule  des 
plus  grands  maîtres.  Cet  ouvrage  est  encore  un  de  ceux  oui, 
pour  être  bien  exécutés,  exigent  une  étude  sérieuse  et  appro- 
fondie,ain^iqu'unecompréheusion  intime  du  géniede  M.Cho- 
pin. En  effet,  supposé  que  l'on  joue  exactement  et  en  mesure 
tous  les  traits  de  ce  rondo  ,  dont  au  reste  l'exécution  est  généra- 
lement facilitée  par  une  soigneuse  indication  du  doigté,  on  ne 
produira  encore  aucun  effet  si  on  ne  possède  en  même  temps 
le  secret  de  ces  nuances  si  profondes  et  si  délicates  qui  prêtent 
un  tel  charme  au  jeu  de  l'auteur.  Ici  nous  ferons  remarquer 
aux  nombreux  amis  de  ses  compositions,  que  M.  Chopin  se  sert 
avec  un  art  et  un  succès  tout  particuliers  de  la  grande  pédale. 
Il  y  a  un  grand  nombre  d'effets  qu'il  serait  tout-à-fait  impos- 
sible de  rendre  si  l'on  ne  suivait  pas  exactement  toutes  les  in- 
dications qui  ont  rapport  à  cette  pédale.  Puissent  les  vrais  amis 
del'art  musical ,  qui  dans  le  vain  clinquant  et  le  déluge  de  rou- 
lades produits  par  presque  tous  les  compositeurs  modernes ,  ne 
trouvent  nécessairement  pas  assez  d'occasions  de  surmonter 
les  difficultés  véritables,  ne  pas  se  laisser  effrayer  par  l'essor 
immense  que  vient  de  prendre  M.  Chopin;  qu'ils  travaillent 
avec  zèle  ,  et  ils  ne  tarderont  assurément  pas  à  se  rendre  mai 
très  des  plus  rebutantes  difficultés.  Qui  veut,  peut. 


DE  PARIS. 


Bibliothèque  populaire  du  pianiste,  lre  livraison. 
Fantaisie  élégante  sur  des  motifs  de  Robert  le- Diable, 
par  Charles  Czerny. 

prix  :  1  FR. 

Celui-là  est  riche  qui  sait  faire  de  ce  qu'il  possède  l'usage  le 
meilleur  et  le  plus  convenable.  Sous  ce  rapport,  M.  Czerny 
compté  sans  contredit  parmi  les  compositeurs  modernes  doués 
delà  plus  riche  organisation.  Eu  effet,  s'il  ne  possède  pas  une 
inépuisable  faculté  d'invention  ,  il  n'en  a  pas  moins  écrit  plus 
de  trois  cents  œuvres  qui  toutes  contiennent  des  détails  assez 
neufs  et  assez  inléressans  pour  pouvoir  être  jouées  arec  plaisir; 
c'est  qu'il  n'existe  pas  de  bagatelles,  si  petites  qu'elles  puissent 
paraître  ,  auxquelles  M.  Czerny  ne  sache  prêter  du  charme  et 
de  la  nouveauté,  plus  souvent  en  effet  comme  arrangeur  que 
comme  compositeur  ;  or,  s'il  arrive  que  M.  Czerny  rencontre 
des  motifs  comme  ceux  qu'il  vient  de  choisir  dans  l'inimitable 
Robei  tle-Diable  de  Meyerbeer ,  pour  les  arranger  en  fantai- 
sie ,  on  peut  affirmer  que  cette  œuvre  appartient  aux  morceaux 
les  plus  distingués  de  ce  genre ,  et  qu'elle  mérite  le  plus  bien- 
veillant accueil. 


Le  Souvenir  de  Paganini,  premier  concerto  pour  le 
violon,  avec  accompagnement  de  grand  orchestre, 
par  Charles  Guhr.  OEuvre  -15. 

(Ce  concert  est  composé  dans  le  genre  de  Paganini  et 
arrangé  pour  l'exécution  ordinaire.) 

Dans  une  courte  préface  le  compositeur  fait  observer  que 
pour  jouer  son  concerto  dans  le  genre  qui  lui  convient  l'exé- 
cutant doit  avoir  lu  l'ouvrage  qu'il  a  publié  sur  l'art  de 
jouer  du  violon  à  la  Paganini,  d'où  il  suit  que  l'acquisition 
de  cet  ouvrage  sera  nécessaire  à  tous  ceux  qui  voudront  jouer 
ce  concerto  dans  le  style  du  célèbre  violoniste.  Le  violon  doit 
être  monté  d'un  demi-ton  ,  de  manière  à  ce  que  les  cordes  don- 
nent là  bémol ,  mi  bémol ,  si  bémol ,  fa  naturel,  ce  qui  doit 
produire  les  effets  si  souvent  remarqués  dans  l'exécution  de 
Paganini.  Le  fragment  de  concerto,  —  car  nous  devons  le 
nommer  aiosi  puisqu'il  n'est  composé  que  d'un  morceau  au 
lieu  de  trois,  renferme  principalement  tous  ces  raffinemensqui 
constituent  la  manière  de  Paganini,  tels  quePizzicati,dcs  traits 
en  staccato  et  des  passages  en  double  corde  d'une  assez  grande 
difficulté.  Ce  morceau  renferme-t-il  cette  inspiration,  cette 
originalité  particulière  aux  compositions  de  Paganini?  c'est  ce 
dont  nous  ne  saurions  décider  maintenant,  puisque  nous  ne 
connaissons  encore  que  la  partie  principale  et  que  nous  n'avons 
pas  encore  eu  l'occasion  d'entendre  l'accompagnement  de  l'or- 
chestre. Toutefois  les  chants  ne  nous  paraissent  pas  très-neufs  , 
et  ils  ne  pourraient  être  relevés  que  par  le  mérite  de  l'instru- 
mentation. Maintenant,  quant  à  la  question  de  savoir  jusqu'à 
quel  'point  ce  fragment  de  concerto  convient  à  l'exécution  en 
gênerai ,  nous  croyons  devoir  faire  remarquer  que  cette  exé- 
cution ne  sera  jamais  qu'une  imitation  du  jeu  de  Paganini, 
imitation  dont  ont  soin  de  se  garderies  artistes  indépendans; 


et  par  conséquent  le  compositeur  est  exposé  à  n'être  pas  payé 
de  la  peine  qu'il  s'est  donnée,  puisque  assurément  la  plupart 
des  exécutans  ne  pourront  choisir  ce  morceau  sans  s'exposer 
au  reproche  de  l'imitation.  Quant  à  ceux  qui  désirent  la  réali- 
sation du  système  Paganini,  cette  œuvre  ne  pourra  que  leur 
être  agréable. 

M.  Guhr  parait  avoir  senti  lui-même  l'inconvénient  que 
nous  venons  de  signaler  puisqu'il  a  composé  une  seconde  par- 
tie principale  dans  laquelle  les  sons  de  flageolet,  les  Pizzicationt 
été  !ai-.sés  de  côté,  et  dans  cette  forme,  la  composition  est  des- 
tinée à  recevoir  un  meilleur  accueil  des  violonistes  quoiqu'il 
nous  paraisse  renfermer  beaucoup  trop  de  difficultés,  et  qu'à 
l'exception  du  chant  principal  et  de  l'Adagio ,  on  ne  rencontre 
que  bien  peu  de  motifs  neufs  ou  agréables.  Nous  attendrons 
cependant,  pour  prononcer  notre  jugement  définitif  sur  celte 
production,  que  nous  l'avons  entendue  complètement. 


Trois  airs  nationaux,  allemand,    anglais,  tyrolien, 
variés  pour  le  piano,  par  Fr.  Stœpel.  Op.  3-4. 

Trois   airs  écossais  ,   variés   pour   le  piauo  ,    par   le 
même.  Op.  37. 

Le  principal  méiite  de  ces  deux  opuscules  consiste  dans  la 
manière  heureuse  dont  ont  été  variés  ces  thèmes  si  bien  choisis. 
La  suiiedes  idées  principales  sur  lesquelles  reposent  les  varia- 
tions est  heureusement  conduite  jusqu'à  la  dernière  note  des 
variations  sous  des  formes  plus  ou  moins  gracieuses,  riches  ou 
élégantes  ,  suivant  la  différence  des  motifs  et  suivant  le  carac- 
tère propre  à  chacun  d'eux.  Le  numéro  \  a  pour  thème  une 
chansonnette  bien  connue  de  Weber  (Wiegenlied)  et  la  pre- 
mière variation  principalement  est  variée  avec  autant  de  sim- 
plicité que  de  grâce.  Nous  rencontrons  dans  le  thème,  à  la  qua- 
trième mesure,  quelques  accords  vicieux.  Le  reproche  doit -il 
retomber  sur  Weber?  Nous  devons  le  croire,  car  M.  Stoepel 
a  donné  dans  cette  feuille  le  développement  d'une  théorie 
qui  lui  est  particulière  sur  les  quintes  et  les  octaves,  et  où  il 
traite  cette  matière  avec  tant  d'esprit  et  de  profondeur  qu'une 
telle  faute  ne  lui  pourrait  guère  échapper. 

Le  second  motif  Tlie  Ploug  Boy  est  celui  qui  a  fourni  les 
développemer.s  les  plus  larges.  Le  numéro  trois,  dans  V  allegro 
animato  ,  par  son  caractère  de  simplicité  originale,  caractère 
qui  distingue  généralement  tousles  véritables  chants  tyroliens, 
se  fait  aussi  remarquer  par  une  élégance  soutenue.  Les  trois 
airs  écossais  ,  quoique  plus  difficiles  à  varier  à  cause  de  leur  ca- 
ractère étrange,  qui  diffère  entièrement  du  style  musical  que 
nous  connaissons,  ne  sont  pourtant  pas  traités  a\  ec  moins  de 
bonheur.  En  somme,  ces  opuscules  se  recommandent  auprès 
des  pianistes  d'une  force  moyenne. 


252 


GAZETTE  MUSICALE  DE  PARIS. 


NOUVELLES. 

*t*  On  répète  à  l'Opéra, bien  lentement,  la  Tempête;  nous 
présumons  que  le  directeur,  qui  compte  beaucoup  sur  ce  bal- 
let, ne  veut  point  le  sacrifier  aux  chaleurs,  et  qu'il  aime  mieux 
nous  le  faire  attendre  un  peu  plus  long-temps.  Les  échos  des 
coulisses  nous  apprennent  que  les  décorations  et  les  costumes 
sont  magnifiques  ,  et  on  ne  sait  assez  vanter  le  talent  mimique 
de  l'aînée  des  demoiselles  Elsler  et  la  beauté  de  la  cadette;  déjà 
ou  la  nomme  «  la  belle  Fanny.  » 

***  Emmeline ,  et  le  Barbier  de  Séville  se  répètent  toujours 
à  l'Opéra-Comique  pour  les  débuts  de  madame  Masi  et  de 
M.  Inkindi;  nous  espérons  voir  bientôt  ces  deux  ouvrages  ,  qui 
ne  sont  point  d'urgence  à  ce  théâtre  puisqu'il  fait  de  bonnes  re- 
cettes malgré  les  chaleurs ,  toutes  les  fois  que  Lestocq ,  ou  un 
Caprice  de  Femme  se  trouvent  sur  l'affiche. 

+%  Mademoiselle  Taglioni  est  attendue  à  Paris  vers  le  20  de 
de  ce  mois;  la  Sylphide  ne  reparaîtra  pourtant  point  avant  les 
débuts  des  demoiselles  Elsler,  qui  n'auront  lieu  que  vers  la  fin 
du  mois. 

.,,%  M.  Boyeldieu  est  à  Bordeaux  ;  on  le  fête  par  la  représen- 
tation de  ses  opéras,  des  aubades  et  des  festins.  Puisse  cette 
admiration  si  méritée  influer  sur  l'état  de  sa  santé,  et  nous 
rendre  bieutôt  un  de  nos  plus  spirituels  compositeurs. 

*+*  Mademoiselle  Francilla  Pixis  n'a  pas  été  moins  heureuse 
à  son  troisième  début  qu'aux  deux précédens  ,  c'est  dans  le  rôle 
de  Rosine  du  Barbier  de  Séville,  qu'elle  a  reparu  le  24  juillet 
devant  lepublic  de  Carlsruche  qui,  selonnotre  correspondant, 
a  fait  éclater  ce  jour-là  un  enthousiasme  presque  inoui  dansles 
annales  du  théâtre  de  cette  ville.  C'est  surtout  dans  la  scène  de 
la  leçon,  où  mademoiselle  Pixis  a  chanté  le  grand  air  «  /  tuoi 
frequenti  palpiti  (le  même  par  lequel  Rubini  a ,  dans  la  Stra- 
niera  ,  transporté  les  dilettanti) ,  qu'elle  a  été  couverte  d'un 
tonnerre  d'applaudissemens  qui  s'est  répété  quatre  à  cinq  fois. 
Décidément,  celte  jeune  cantatrice  est  devenue  l'idole  des  habi- 
tans  de  Garlsruhe,  qni  ne  s'attendaient  guère  à  trouver  en  elle 
tous  lestalens  réunis  qui  embrassent  les  différens  genres.  Pas- 
sionnée dans  Desdemona ,  mélancolique  et  languissante  dans 
Ronjeo;  elle  était  enjouée  el  naturelle  dans  Rosine;  tout 
promet  un  brillant  avenir  à  mademoiselle  Pixis. 

%*  Les  spectacles  gratis  ont  été  très-suivis  ;  mais  celui  qui 
avait  attiré  le  plus  de  monde  est  le  théâtre  Nautique.  Il  était 
curieux  de  voir  ces  masses  entassées  les  unes  sur  les  autres  ,  ap- 
plaudir Guillaume  Tell  et  les  Ondines,  c'est  un  grand  succès 
pour  M.  Henri ,  car  vox  populi,  voxDei ,  et  il  n'est  pas  aisé  de 
se  faire  comprendre  sans  le  secours  de  la.  parole,  par  une  réu- 
nion populaire  qui ,  difficilement ,  saisit  l'action  d'un  ballet. 

*%  Le  grand  concert  de  la  Socité  Helvétique  donné  il  y  a 
peu  de  jours  à  Genève  avait  attiré  beaucoup  de  monde.  Voici 
les  morceaux  qui  composaient  cette  fête  musicale  dont  l'i  xécu- 
tion  a  laissé  beaucoup  à  désirer  :  Grande  messe  de  Beethoven  ; 
l'hymne  du  soir  de  Lamartine,  musique  de  Grast  de  Genève  ; 
Ave  verum  de  Mozart  ;  Hymne  de  Weber ,  dédié  à  la  Société 
Helvétique. 

t*+  Un  service  funèbre ,  en  l'honneur  de  M.  Choron,  sera 
célébré  le  g  août,  en  l'église  de  la  Sorbonne.  Ses  élèves  ,  réunis 
aux  meilleurs  artistes  de  Paris ,  exécuteront  à  grand  orchestre 
le  superbe  Introït  de  la  messe  de  morts  de  Jomelli ,  et  le  Re- 
quiem de  Mozart.  L'orchestre  sera  dirigé  par  M,  Girard. 

4  +  Pour  le  consoler  sans  doute  d'avoir  contribué,  comme 
membre  de  la  commission  des  auteurs,  à  l'empêcher  déjouer 
le  rôle  de  Figaro ,  M.  Scribe  a  fait  pour  M.  Inchindi  un  opéra 
en  un  acte;  intitulé  le  Chalet,  opéra  dans  lequel  l'ex-chanteur 
italien  doit  remplir  un  rôle  de  soldat  allemand.  On  dit  que  la 
musique  de  cet  ouvrage  a  été  confiée  à  M.  Adam.  M.  Couderc 
y  remplira  également  un  rôle.  Néanmoins,  il  n'est  point 
décidé  que  le  Barbier  de  Séville  ne  soit  représenté  au  bé- 
néfice de  Baptiste. 


Publications  des  Propriétaires   de   la  Gazette 
Musicale  de  Pari?. 


I-N    VENTE. 


PRIX  :  i  FRANC 

CHAQUE  OUVRAGE. 

Bibliothèque   Populaire 

Receuil  de  Fantaisies ,  Rondos,  Variations ,  Contre- 
danses >  Valses ,  etc. ,  sur  des  motifs  d'opéras  et 
romances  favoris ,  composés  par  MM.  Adam,  Chau- 
lieu,  Chopin,  Czerni,  Herz,  Hummel,  Hunten, 
Kalkbrenker,  Meb.ea.ux,  Moscheles,  Pixis,   Pra- 

DHER,  SOVIMSKI,  StOEPEL ,  StRAUSS,   MuSARD,   Tol- 
BECQXIE,  DuFRESNE,  etC.  ,  etC. 

La  Gazette  Musicale  de  Paris  ,  publiée  uniquement 
dans  l'intérêtde  l'art,  esta  peine  arrivée  à  son  sixième  mois 
d'existence,  et  déjà  elle  a  réuni  à  ses  opinions  la  majorité  des 
artistes.  Dn  pareil  journal  peut  et  doit  rendre  de  grands  ser- 
vices à  la  science  en  lui  donnant  V unité  qui  lui  manquait  ;  les 
propriétaires,  encouragés  parle  succès,  profiteront  des  béné- 
fices de  cette  entreprise  pour  éditer  au  plus  bas  prix  possi- 
ble des  ouvrages  pour  le  piano ,  composés  par  les  auteurs  les 
plus  renommés.  On  publiera,  à  dater  du  1er  août,  chaque 
mois,  une  livraison  de  la  Bibliotheq  ne  populaire  du  pianiste, 
qui  sera  du  prix  de  i  franc  pour  Paris,  et  i  franc  25  c.  pour  les 
départemens  franco.  Chaque  livraison  se  composera  de  ioà  i5 
pages  d'impression  et  d'une  couverture  imprimée ,  cet  ouvrage 
sera  adressé  gratis  aux  abonnés  de  la  Gazette  Musicale. 

Pour  être  souscripteur,  il  suffit  de  se  faire  inscrire  et  de 
payer  trois  livraisons  d'avance  au  bureau  de  la  Gazette  Musi- 
cale de  Paris,  97 ,  rue  de  Richelieu. 

On  annoncera  dans  les  jou.nîux  le  contenu  de  chaque  li- 
vraison :1a  première,  qui  vient  d'être  publiée,  contient  : 

Fantaisie  sur  des  motifs  favoris  de  ROBERT-LE- 
D!ABLE,par  Charles  Czerny. 

La  seconde,  publiée  Jie  ieT  septembre ,  se  composera  de  : 

Caprice  brillant  sur  des  thèmes  favoris  de  Ludovic, 
de  He'rold  et  Hale'vj,  par  Charles  Chaulieu. 


Plusieurs  fautes  se  sont  glissées  dans  les  Numéros  29  et  30  , 
du  Suicide  par  Enthousiasme  : 

Au  lieu  de  :  qui  sefacine ,  lisez  :  quifacine. 

—  Au  mieses ,  lisez  :  aux  miens. 

—  Ce  joies,  lisez:  ces  joies. 
~r-        De  cacher,  lisez  :  à  cacher. 

—  Un  aspect  si  glucé,  lisez  :  un  aspect  si  morne. 

—  Dépourvudu  charme, lisez  :  dépourvu  de t attrait. 

—  //  la  plaignit,  lisez  :  il  la  plaignait. 

Gérant,  MAURICE  SCHLESINGER. 


J 


Paru.  — lœpri 


:  U'EVERAT,  me  d«  Cadran ,  n»  16. 


GAZETTE   MUSICALE 


Œ>IM  iPéimn^ 


1"  ANNÉE. 


N°   32. 


PRIX  DE  l'aBONJXEM. 

PARIS. 

DÉPART. 

ÉTRANG 

fr. 

Fr.      c. 

Fr.       c. 

3  m.     8 

8   75 

9     50 

6m.  15 

16   50 

18      » 

lan.30 

33    » 

36      » 

<Ta  (Ô&zttte  iïlttsical*  i>e  jjparto 
Paraît   le  DIMANCHE  de  chaque  semaine. 

On  s'abonne  au  bureau  de  la  Gazette  Musicale  de  Paris,  rue  Richelieu,  97; 
et  chez  tous  les  libraires  et  marchands  de  musique  de  France. 

Ou  reçoit    les  réclamations  des  personnes  qui  oui  des  griefs  à  exposer,  et  les  avis  relatifs  à  la  musique 
qui  peuveut  intéresser  le  public. 


PARIS,  DIMANCHE    10  AOUT  1834. 


Les  lettres,  demandes 
et  envois  d'argent  doi- 
vent être  affranchis,  et 
adressas  au  Directeur 
rue  Richelieu,  97. 


REPLIQUE 

A    UN    ARTICLE    DE    LA    REVUE    MUSICALE. 

Le  n°  50  de  la  Revue  musicale  contient ,  en  sept  co- 
lonnes, une  réponse  de  M.  Féiis  à  trois  notes  de  la  Ga- 
zette musicale  ,  où  l'on  relevait  quelques  inexactitudes 
échappées  a  M.  Fétis  en  divers  endroits. 

La  polémique ,  sur  des  questions  de  dates  et  sur  des 
matières  en  apparence  minutieuses,  n'intéresse  qu'un 
petit  nombre  de  lecteurs.  Cependant,  lorsqu'il  s'agit  de 
recherches  historiques ,  l'exactitude  est  de  première  né- 
cessite; aussi  nous  croyons-nous  obligés  de  répondre 
a  l'article  de  M.  Fétis ,  pour  soutenir  les  faits  sui- 
vans  : 

Marias  a  fait  quatre  Clavecins  à  maillets,  en  1716. 
Tous  quatre  se  trouvent  a  la  suite  l'un  de  l'autre,  avec 
les  quatre  dessins,  dans  le  recueil  des  Machines  et  In- 
ventions approuvées  par  l'académie  des  Sciences, 
tome  m,  pages  83,  85,87  et  89,  n°  172-175.  Le 
Clavecin  brisé  du  même  facteur,  construit  en  1700,  (et 
dont  M.  Fétis  a  tort  de  faire  le  quatrième,  pour  prouver 
qu'il  avait  raison  de  n'en  compter  que  trois)  se  trouve 
dans  le  même  recueil,  tome  I,  page  193.  M.  Fetis  nous 
reproche  de  l'avoir  confondu  avec  les  Clavecins  à 
maillets.  La  preuve  du  contraire ,  c'est  que  nous  ne 
l'avons  pas  compté  avec  les  quatre,  dont  il  aurait  néces- 
sairement alors  fait  le  cinquième. 

QuantàCristofali,(qne  nousaurions  su  gré  a  M.  Fétis 
de  nepasavoiraltéré  en Cristo/o/f  toutes  les  foisqu'il  nous 
a  cités;  à  moins  que  ce  ne  soit  là  encore  une  paccadille  ty- 
pographique )  la    date  de  1711    est  incontestable,  de 


même  que  le  nom,  tel  que  nous  l'avons  donné.  C'est  le 
Giornale  de'  Letterati  d'Italia ,  tomo  quinto  ,  Anno 
MDCCXI.  (1)  qui  contient,  page  144-  -159,  la 
description  et  le  dessin  dont  nous  avions  parlé. 
Cet  article,  intitulé  :  Nuovainvenzione  d'un  Gravecem- 
balo  col  piano  ,  e  forte  etc,  est  mentionné  dans  les  biblio- 
graphies de  Forkel  et  de  Lichtenthal  ;  mais  ni  l'un  ni 
l'autre  n'ont  indiqué  la  date.  M.  Fétis  qui ,  à  l'aide  de  ces 
guides,  a  siheureusement  découvert  la  lettre  de  Suhrceter, 
aurait  pu  de  même  y  trouver  l'indication  du  journal 
italien.  Quant  a  la  date,  Waltherla  lui  aurait  fournie,  de 
même  que  le  nouveau  Dictionnaire  deGerber,  aux  articles 
Cristo/fl//.  Nous  dirons  plus  :  M.  Fétis  n'aurait  eu  qu'à 
consulter  son  propre  Dictionnaire  biographique  des  musi- 
ciens, actuellement  sous  presse,  et  qui,  confectionné  (nous 
l'espérons)  non  sans  le  secours  de  ces  deux  devan- 
ciers, doit  contenir  cette  date.  Au  lieu  de  cela,  M.  Fé- 
tis nous  oppose  trois  passages  d'auteurs  italiens  pour 
soutenir  la  date  de  1 71 8  et  le  nom  de  Cristo/on  ou  Cris- 
tq/ôro.  Nous  pourrions  de  beaucoup  enrichir  ces  cita- 
tions ;  nous  pourrions  aussi  en  fournir  une  nuée  d'autres 
pour  le  nom  de  Cristo/à/;;  mais  le  Giornale  de  Letterati 
seul  suffit.  Dans  les  recherches  historiques  il  faut 
remonter  aux  sources ,  multiplier  les  citations  d'auteurs 
qui  n'ont  fait  que  se  copier  l'un  l'autre,  c'est  étaler  un 
luxe  d'érudition,  souvent  assez  peu  coûteux. 

Quant  à  Schrccter,  M.  Fétis  ne  devrait  pas  prononcer 
sur  sa  réclamation ,  sans  avoir  lu  la  lettre  qui  la  con- 
tient. Si  cette  réclamation  a  été  faite  un  peu  tard,  cela 

(1)  In   Vinezia,  MDCCXI.  Appresso  Gio.    Gabriello  Ertz. 

in-12". 


254 


GAZETTE  MUSICALE 


ne  prouve  nullement  qu'elle  ne  soit  pas  valable.  Schrœ- 
ter  la  fit ,  lorsque  de  tout  côté  on  proclamait  Sibermann 
comme  l'inventeur  des  pianos.  Ce  fi.it  alors  qu'il  se  dé- 
termina a  protester  contre  cette  injustice  du  public. 
Personne  de  ses  contemporains  ne  l'a  refuté  ;  au  con- 
traire ce  fut  depuis  la  publication  de  cette  lettre  qu'on 
lui  fit  réparation  d'honneur  en  le  nommaut  l'inventeur 
du  piano. 

Nous  avions  été  assez  téméraires  pour  affirmer,  contre 
l'opinion  émise  par  M.  Fétis,  que  tous  les  premiers  pia- 
nos furent  construits  en  forme  de  clavecin.  M.  Fétis  , 
pour  réfuter  ce  fait,  qui  s'appuie  sur  des  autorités  irrécu- 
sables ,  se  met  en  trais  de  déclamation.  «  Je  suis,  dit-il, 
»  l'histoire  vivante  du  piano...  Avant  huit  ans  ,  j'étais 
»  organiste  du  chapitre  noble  de  Sainte-Waudru  a 
»  Mons  ;  et  chez  les  chanoinesses  de  ce  chapitre  qui 
»  étaient  toutes  allemandes  et  de  grandes  familles ,  il 
»  n'y  avait  que  des  pianos  de  Silbermann,  de  Stein,  de 
»  Spacth  et  d'autres  ;  tous  étaient  carrés  ,  et  quelques- 
»  uns  remontaient  a  l'année  -1760.  »  Comment  M.  Fétis 
ne  s'est-il  pas  aperçu  qu'ici,  au  lieu  de  nous  combattre, 
il  est  parfaitement  d'accord  avec  nous,  qui  avions 
dit  que  le  premier  piano  carré  n'a  été  fait  que 
vers  1758.  Pour  nous  réfuter,  il  faudrait  citer  un  piano 
carré  d'une  date  antérieure.  — M.  Fétis  finit  sa  longue 
phrase  en  ajoutant  :  J'affirme  donc  que  le  piano  carre' 
est  le  premier ,  non  qu'on  a  fait,  mais  qui  a  été  en  usage. 
Remarquez  la  finesse  de  la  distinction  !  mais  elle  s'ac- 
corde peu  avec  un  passage  de  M.  Fétis  lui-même  (et 
qu'iln' aurait  pas  dû  oublier,  parce  qu'il  l'avait  retrouvé 
dans  une  de  nos  notes),  où  il  affirme  que,  dès  -1740, 
Silheimann  et  Spath  avaient  déjà  répandu  bon  nombre 
de  pianos  en  Allemagne,  et  que  les  clavecinistes  s'étaient 
liâtes  d'adopter  ces  instrumens  (1).  Tout  ce  bon  nom- 
bre de  pianos  ,  qu'on  s'était  hâté  d'adopter,  assuré- 
ment furent  en  usage  :  M.  Fétis  soutiendrait-il  que  ce 
ne  furent  pas  des  pianos  a  queue? 

Notre  réplique  deviendrait  trop  longue,  si  nous  vou- 
lions entrer  en  discussion  sur  tous  les  autres  raisonne- 
mens  de  notre  adversaire.  Nous  abandonnons  volontiers  le 
sabot  du  facteurDe  l'Épine  :  nous  ne  reviendrons  pas  sur 
la  confusion  des  dates  parfaitement  justifiée  par  des  fautes 
d'impression.  Nous  souhaitons  seulement  que  les  épreu- 
ves du  Dictionnaire  biographique  des  musiciens  soient 
plus  soigneusement  revues  que  les  colonnes  des  journaux, 
où  M.  Fétis  a  le  malheur  d'être  si  mal  servi  par  les  com- 
positeurs. 

Nous  passons  a  l'attaque  que  M.  Fétis  a  dirigée  con- 

(I)  Revue  musicale  de  183o,  tom.  vin,  p.  22j. 


tre  nous.  Nous  l'avons  réservée  pour  la  fin  de  notre  ré- 
plique, parce  que  c'est  la  le  point  le  plus  curieux. 

Nous  avions  dit  que  dans  le  clavicorde,  la  lame  de  la 
touche  montait  vers  la  corde,  etnon-seulement  opérait  la 
division  produite  auparavant  par  le  chevalet  (du  mono- 
corde); mais  la  faisait  résonner  en  même  temps  ,  et  dis- 
pensait de  la  nécessité  delà  pincer  avec  le  doigt. 

M.  Fétis  croit  trouver  ici  une  des  plus  singulières 
inadvertances  que  puisse  faire  un  écrivain.  «  Ainsi, 
»  voila  (dit-il)  qu'en,  frappant  une  corde  en  des  points 
»  différens,  on  en  varie  les  intonations ,  en  même  temps 
»  qu'on  les  fait  résonner  !  les  facteurs  de  pianos  avaient 
»  toujours  cru  que  l'attaque  d'une  corde  en  différens 
»  points  de  sa  longueur  ne  fait  d'autre  effet  qu'une  di- 
»  versité  dans  la  qualité  ou  dans  l'intensité  du  son,  et 
»  que,  si  l'objet  qui  la  frappe  reste  fixé  sur  elle  comme 
»  un  chevalet,  aucun  son  ne  peut  être  produit,  à  moins 
»  que,  concurremment,  un  autre  mode  d'impulsion 
»  quelconque  ne  soit  donné  a  la  corde.  11  était  réservé 
»  a  mon  critique  de  leur  faire  connaître  une  autre 
»  théorie.  » 

Nous  voyons  en  effet ,  et  non  sans  étonnement ,  qu'il 
nous  était  réservé  d'apprendre  quelque  chose  a  M.  Fétis, 
et  de  lui  faire  mieux  connaître  un  instrument  dont  il 
ignore  complètement  la  nature. 

Lorsqu'on  parle  du  clavicorde,  venir  objecter  les  pia- 
nos, c'est  singulièrement  confondre  deux  choses  d'un 
principe  tout-a-fait  différent. 

Dans  le  piano  la  corde  est  frappée  par  un  corps  qui  la 
quitte  aussitôt  après  le  coup.  Cette  corde  reposant  des 
deux  côtés  (sur  les  deux  chevalets) ,  la  longueur  de  sa 
partie  vibrante  est  déterminée  par  ces  deux  points  de 
repos.  Que  le  marteau  la  frappe  en  divers  endroits,  l'in- 
tonation ne  variera  pas  ;  il  n'y  aura  Ccomme  le  dit  très- 
bien  M.  Fétis)  que  diversité  dans  la  qualité  ou  dans  l'in- 
tensité du  son.  Il  n'en  est  pas  de  même  dans  le  clavicorde. 
Ici,  du  côté  opposé  au  chevalet  de  la  table,  les  cordes  sont 
entrelacées  de  bandes  de  drap  ;  la  longueur  de  la  partie 
vibrante  de  la  corde  qui  doit  donner  le  son  n'est  déter- 
minée qu'au  moment  où  la  lame  perpendiculaire  de  la 
touche  vient  atteindre  cette  corde.  Il  faut  que  cette  lame 
reste  appuyée  contre  la  corde,  parce  que  c'est  elle  qui 
fait  le  second  point  d'appui  de  cette  corde,  sans  quoi  on 
n'obtiendrait  pas  de  son.  Loin  d  intercepter  la  vibration 
elle  la  soutient  par  la  pression  du  doigt  sur  la  touche. 

Dans  les  anciens  clavicordes  il  y  avait  moins  de  cor- 
des que  de  touches.  M.  Fétis,  qui  devrait  au  moins  his- 
toriquement connaître  cette  circonstance  mentionnée 
par  une  foule  d'auteurs,  comment l'expliquerait-il,  sans 
admettre  qu'une  même  corde  pût  servir  a  plusieurs  tou- 


ches,  et  par  conséquent  varier  l'intonation  selon  lesdif- 
férens  points  où  les  lames  venaient  attendre  cette 
corde  ? 

Le  clavicorde  étant  aujourd'hui  connu  de  peu  de  per- 
sonnes, et  les  dictionnaires  de  musique  n'en  donnant 
qu'une  idée  incomplète ,  nous  nous  proposons  d'en  faire 
une  description  détaillée  que  nous  ferons  accompagner 
d'un  dessin.  La  il  sera  démontré  que  M.  Fétis  a  eu  par- 
faitement raison...  lorsqu'il  a  dit  qu' il  faut  bien  com- 
prendre la  nature  des  choses  dont  on  parle. 


Le  Suicide  par  enthousiasme. 

(suite  et  fin.) 

(\  )  A  peine  Adolphe  eût-il  jeté  les  yeux  sur  l'affiche  qui 
lui  annonçait  la  Vestale  pour  le  lendemain,  qu'une  sorte 
de  délire  s'empara  de  lui.  Il  commença  une  folle  course 
dans  les  rues  de  Paris,  se  heurtant  contre  les  angles  des 
maisons,  coudoyant  les  passans,  riant  de  leurs  injures, 
parlant,  chantant,  gesticulant  comme  un  échappé  de 
Charenton.  Abimé  de  fatigue,  couvert  de  boue,  il  s'ar- 
rêta enfin  dans  un  café,  demanda  a  dîner,  dévora,  sans 
presque  s'en  apercevoir,  ce  que  le  garçon  avait  mis  devant 
lui  et  tomba  dans  une  tristesse  étrange.  Saisi  d'un  effroi 
dont  il  ne  pouvait  pas  bien  démêler  la  cause,  en  pré- 
sence de  l'événement  immense  qui  allait  s'accomplir 
pour  lui ,  il  écouta  quelque  temps  les  rudes  battemens 
de  son  cœur,  pleura,  et  laissant  tomber  sa  tète  amaigrie 
sur  la  table,  s'endormit  profondément.  La  journée  du 
lendemain  fut  plus  calme;  une  visite  à  Persuis  en  abrégea 
la  durée.  Celui-ci  en  voyant  Adolphe  lui  remit  une  lettre 
avec  le  timbre  de  l'administration  de  l'Opéra;  c'était  sa 
nomination  a  la  place  de  second  violon.  Adolphe  remer- 
cia son  protecteur,  mais  sans  empressement  ;  cette  faveur 
qui,  dans  un  autre  moment,  l'eût  comblé  de  joie,  n'était 
plus  à  ses  yeux  qu'un  accessoire  de  peu  d'intérêt  ;  quel- 
ques minutes  après  il  n'y  songeait  plus.  Il  évita  de  parler 
à  Persuis  de  la  représentation  qui  devait  avoir  lieu  le 
soir  même  ;  un  pareil  sujet  de  conversation  eût  ébranlé 
jusqu'aux  fibres  les  plus  intimes  de  son  cœur  ;  il  l'épou- 
vantait. Persuis  ne  sachant  trop  que  penser  de  l'air  sin- 

(1)  Nos  lecteurs  auront  sans  doute  remarqué  une  absurdité 
des  plus  choquantes  au  commencement  du  dernier  numéro  de 
cette  nouvelle.  Bien  qu'un  musicien  ne  soit  pas  tenu  d'avoir 
une  connaissance  très-approfondie  des  temps  héroïques  de  la 
Grèce,  il  ne  lui  est  pas  permis  toutefois  d'être  ignorant  là- 
dessus  au  point  de  donner  à  Ariane  Thésée  pour  consolateur 
au  lieu  de  Bacchus.  L'auteur  espère  donc  qu'on  ne  se  sera  pas 
mépris  sur  la  cause  de  ce  quiproquo,  auquel  une  distraction, 
bien  intempestive  à  la  vérité,  a  pu  seule  donner  lieu. 


gulier  et  des  phrases  incohérentes  du  jeune  homme,  s'ap- 
prêtait de  lui  demander  le  motif  de  son  trouble,  Adolphe 
qui  s'en  aperçut  se  leva  aussitôt  et  sortit.  Quelques  tours 
devant  l'Opéra,  une  revue  des  affiches  qu'il  fit  pour  se 
bien  assurer  qu'il  n'y  avait  point  de  changement  dans  le 
spectacle  ni  dans  les  noms  des  acteurs,  lui  aidèrent  à 
atteindre  le  soir  de  cette  interminable  journée.  Six  heures 
sonnèrent  enfin  ;  vingt  minutes  après  Adolphe  était  dans 
sa  loge  ;  car  j'ai  oublié  de  dire  que  pour  être  moins  trou- 
blé dans  son  admiration  extatique  et  pour  mettre  encore 
plus  de  solennité  dans  son  bonheur,  il  avait,  malgré  la 
folie  d'une  telle  dépense,  pris  une  loge  pour  lui  seul. 
Nous  allons  laisser  notre  enthousiaste  rendre  compte  lui- 
même  de  cette  mémorable  soirée.  Quelques  lignes  qu'il 
écrivit  en  rentrant,  a  la  suite  de  l'espèce  de  journal  d'où 
nous  avons  extrait  ces  détails,  montrent  trop  bien  l'état 
de  son  âme  et  l'inconcevable  exaltation  qui  faisait  le  fond 
de  son  caractère  ;  nous  les  donnerons  ici  sans  y  rien 
changer. 

23  mars,  minuit. 

«  Voilà  donc  la  vie!  je  la  contemple  du  haut  de  mon  bon- 
heur... impossible  d'aller  plus  loin...  jo  suis  au  faite... 
redescendre  ?...  rétrograder?...  non  certes  ,  j'aime  mieux 
partir  avant  que  de  nauséabondes  saveurs  puissent  empoi- 
sonner le  goût  du  fruit  délicieux  que  je  viens  de  cueillir. 
Quelle  serait  mon  existence,  si  je  la  prolongeais?...  celle  de 
ces  milliers  de  hannetons  que  j'enlends  bourdonner  autour 
de  moi.  Enchaîné  de  nouveau  derrière  un  pupitre,  obligé 
d'exécuter  alternativement  des  chefs-d'œuvre  et  d'ignobles 
platitudes  ,  je  finirais  comme  tant  d'autres  par  me  blaser  ; 
cette  exquise  sensibilité  qui  me  fait  percevoir  tant  de  sensa- 
tions ,  me  rend  accessible  à  tant  de  sentimens  inconnus  du 
vulgaire,  s'émousserait  peu  à  peu;  mon  enthousiasme  se 
refroidirait,  s'il  ne  s'éteignait  pas  tout  entier  sous  la  cendre 
de  l'habitude.  J'en  viendrais  peut-être  à  parler  des  hommes 
de  génie,  comme  de  créatures  ordinaires;  je  prononcerais 
les  noms  de  Gluck  et  de  Spontini  sans  lever  mon  chapeau. 
Je  sens  bien  que  je  haïrais  toujours  de  toutes  les  forces  de 
mon  âme  ce  que  je  déteste  aujourd'hui;  mais  n'est-il  pas 
cruel  de  ne  conserver  d'énergie  que  pour  la  haine?  La  mu- 
sique occupe  trop  de  place  dans  mon  existence.  Cette  passion 
a  tué ,  absorbé  toutes  les  autres.  La  dernière  expérience  que 
j'ai  faite  de  l'amour  m'a  trop  douloureusement  désenchanté. 
Trouverais-je  jamais  une  femme  dont  l'organisation  fût 
montée  au  diapason  de  la  mienne  ?...  non  ,  je  le  crains,  elles 
ressemblent  toutes  plus  ou  moins  à  Ilortense.  J'avais  oublié 

ce  nom Ilortense comme  un  seul  mot  de  sa  bouche 

m'a  désillusionné!...  Oh  humiliation  !  avoir  aimé  de  l'amour 
le  plus  ardent ,  le  plus  poétique,  de  toute  la  puissance  du 
cœur  et  de  l'âme,  une  femme  sans  âme  et  sans  cœur,  radi- 
calement incapable  de  comprendre  le  sens  des  mots  amour, 
poésie!...  sotte,  triple  sotte!  je  n'y  puis  penser  encore  sans 

sentir  mon  front  se  colorer 

J'ai  eu  hier  la  tentation  d'écrire  à  Spontini  pour 

lui  demander  la  permission  de  l'aller  voir;  mais  cette  dé- 
marche  eût-elle   été  bien  accueillie,  le  grand  homme    ne 


256 


GAZETTE  MUSICALE 


«  m'aurait  jamais  cru  capable  de  comprendre  son  ouvrage 
»  comme  je  le  comprends.  Je  ne  serais  vraisemblablement  à 
»  ses  yeux  qu'un  jeune  homme  passionné  qui  s'est  pris  d'un 
»  engouement  puéril,  pour  un  ouvrage  mille  fois  au-dessus  de 
«  sa  portée.  Il  penserait  de  moi  ce  qu'il  doit  nécessairement 
u  penser  du  public.  Peut-êlre  même  attribuerait-il  mes  élans 
»  d'admiration  à  de  honteux  motifs  d'intérêt ,  confondant 
»  ainsi  l'enthousiasme  le  plus  sincère  avec  la  plus  basse  flat- 
«  teriu.  Horreur!...  Non,  il  vaut  mieux  en  finir.  Je  suis  seul 
«  dans  le  monde,  orphelin  dès  l'enfance,  ma  mort  ne  sera  un 
»  malheur  pour  personne.  Quelques-uns  diront  :  Il  était  fou. 
»  Ce  sera  mon  oraison  funèbre...  Je  mourrai  après  demain... 

»  On  doit  donner  encore  la  Vestale que  je  l'entende  une 

»  seconde  fois  !...  Quel  oeuvre  !,..  comme  l'amour  y  est 
u  peint!...  et  le  fanatisme  !...  Touscesprêtres-dogues,  aboyant 
»  sur  leur  malheureuse  victime...  Quels  accords  dans  ce  final 
»  de  géant...  Quelle  mélodie  jusque  dans  les  récitatifs...  Quel 

»  orchestre il  se  meut  si  majestueusement...  les  basses  on- 

u  dulent  comme  les  flots  de  l'Océan.  Les  instrumens  sont  efes 
«  acteurs,  dont  la  langue  est  aussi  expressive,  que  celle  qui  se 
»  parle  sur  la  scène.  Derivis  a  été  superbe  dans  son  récitatif 
«  du  second  acte;  c'était  le  Jupiter  tonnant.  Madame  Branchu, 
»  dans  l'air  «  impitoyables  dieux  »  ,  m'a  brisé  la  poitrine;  j'ai 
»  failli  me  trouver  mal.  Cette  femme  est  le  génie  incarné  de  la 
»  tragédie  lyrique;  elle  me  réconcilierait  avec  son  sexe.  Oh 
»  oui ,  je  la  verrai  encore  une  fois,  une  fois...  cette  Vestale... 
ii  production  sui humaine,  qui  ne  pouvait  naître  que  dans  un 
ii  siècle  de  miracles  comme  celui  de  Napoléon.  Je  concenlre- 
»  rai  en  trois  heures  toute  la  vitalité  de  vingt  ans  d'existeuce... 
»  après  quoi.. .j'irai...  ruminermon  bonheur  dans  l'éternité,  n 

Deux  jours  après ,  a  dix  heures  du  soir,  une  détpnna- 
tion  se  fit  entendre  au  coin  de  la  rue  de  Rameau ,  en  face 
de  l'entrée  de  l'Opéra.  Des  domestiques  en  riche  livrée 
accoururent  au  bruit  et  relevèrent  un  jeune  homme  bai- 
gné dans  son  sang  qui  ne  donnait  plus  signe  de  vie.  Au 
même  instant  une  dame  qui  sortait  du  théâtre,  s'appro- 
cliant  pour  demander  sa  voiture,  reconnut  le  visage  san- 
glant d'Adolphe,  et  s'écria  :  «  Oh!  mon  Dieu,  c'est  le 
a  malheureux  jeune  homme  qui  me  poursuit  depuis  Mar- 
»  seille  !  »  Hoitense  (car  c'était  elle)  avait  instantané- 
ment conçu  la  pensée  de  faire  ainsi  tourner  au  profit  de 
son  amour-propre  la  mort  de  celui  qui  l'avait  froissé, 
par  un  si  outrageant  abandon.  Elle  y  réussit  complète- 
ment. Le  lendemain  on  disait  chez  Tortoni  :  «  Cette 
madame  N***  est  vraiment  une  femme  délicieuse  !  a  son 
dernier  voyage  dans  le  Midi ,  un  Provençal  en  est  de- 
venu tellement  fou,  qu'il  l'a  suivie  jusqu'à  Paris,  et  s'est 
brûlé  la  cervelle  a  ses  pieds,  hier  soir,  à  la  porte  de 
l'Opéra.  Voila  un  succès  qui  la  rendra  encore  cent  fois 
plus  séduisante.  » 

Pauvre  Adolphe  ! 

Hector  Berlioz. 


La  Musique  des  anciens  Romains. 

C'est  chez  les  Grecs  que  les  peuples*de  l'Etrurie  et 
de  Rome  avaient  appris  l'art  musical  et  l'art  dramati- 
que; mais,  bien  que  les  plus  grands  et  les  plus  redouta- 
bles dominateurs  des  Romains,  Jules  César,  Auguste  , 
Caligula  et  Néron ,  aient  prêté  un  puissant  appui  k  la 
musique,  cet  art  n'atteignit  jamais  chez  les  Romains  k 
un  haut  degré  de  perfection  ;  presque  toujours  il  ne  jeta 
qu'un  éclat  pâle  et  contre  nature;  les  Romains  s'appe- 
laient eux-mêmes  et  étaient  en  effet  Ijrici  sine  lyrâ-, 
c'est  ce  dont  on  peut  se  convaincre  en  jetant  un  coup- 
d'ceil  sur  l'histoire  musicale  de  leur  théâtre  a  cette  épo- 
que. Tite  Live  nous  apprend  que  c'est  k  l'année  364, 
avant  la  naissance  de  Jésus -Christ,  que  remontent  les 
premières  traces  indiquant  l'origine  d'une  musique  théâ- 
trale, musique  qui,  du  reste,  ne  s'adaptait  encore  ni  aux 
vers  ni  aux  paroles,  mais  dont  on  bornait  l'usage  a  l'ac- 
compagnement de  la  danse.  Nous  voyons  en  outre  dans 
le  même  auteur  que  les  Romains  avaient  emprunté  cet 
art  aux  Etruriens,  et  que  l'usage  des  instrumens  a  cor- 
des ne  fut  guère  connu  que  deux  cents  ans  plus  tard  ; 
encore  était-ce  des  femmes  nommées  psallriœ  et  samhu- 
cestriœ  qui  s'en  servaient  pour  accompagner  leurs  chants. 
Sous  le  consulat  de  Manlius,  le  vainqueur  des  Gaulois, 
on  attira  enfin  à  Rome,  pour  l'entrée  triomphale  de  ce 
guerrier,  une  multitude  de  musiciens  grecs ,  et  Suétone 
rend  compte  d'une  fête  publique  célébrée  sous  l'empire 
de  Jules  César,  dans  laquelle  22,000  tables  étaient 
dressées  dans  les  rues  de  Rome,  et  où  il  se  trouvait 
alors  dans  la  ville  de  dix  a  douze  mille  chanteurs,  chan- 
teuses et  instrumentistes.  Auguste  ne  se  montra  pas 
moins  favorable  à  la  musique,  bien  que  personnellement 
il  ne  paraisse  pas  avoir  été  un  ami  véritable  de  l'art.  Il 
organisa  d'innombrables  spectacles,  et  il  ordonna  en 
outre  que  toutes  les  comédies  et  tous  les  concerts  de- 
vaient être  examinés  et  autorisés  par  de  certains  édiles 
nommés  a  cet  effet,  avant  qu'il  fût  permis  de  les  livrer 
au  public.  C'est  de  son  temps  qu'on  commença  à  témoi- 
gner sa  satisfaction  ou  son  mécontentement  par  des  bat- 
temens  de  mains  ou  par  des  sifflets.  Cet  empereur  ré- 
compensait richement  les  artistes  distingués ,  et  il  était 
toujours  le  premier  a  manifester  son  approbation  par  des 
applaudissemens.  Après  sa  mort ,  la  musique  commença 
k  déclieoir;  mais  sa  décadence  fut  complette,  lorsque,  à 
cause  d'un  meurtre  commis  en  plein  théâtre,  non-seule- 
ment les  acteurs  et  les  musiciens,  mais  même  un  grand 
nombre  de  spectateurs  eurent  été  exilés. 

Caligula  rappela  à  Rome  les  musiciens  avec  les  ac- 
teurs, et  il  les  combla  de  bienfaits.  Il  fit  aussi  venir  des 
musiciens  de  l'Orient.  Enorgueilli  de  sa  belle  voix ,  ce 


tyran  avait  la  manie  de  vouloir  se  faire  passer  pour 
Apollon;  il  poussa  même  ce  caprice  jusqu'à  faire  dorer 
sa  barbe,  a  l'occasion  d'une  grande  fête,  pour  rendre 
ainsi  plus  frappante  sa  ressemblance  avec  le  dieu  de  la 
musique.  Mais  quelque  passionné  qu'ait  pu  être  Cali- 
gulapourla  musique,  il  fut  encore  surpassé  a  cet  égard 
par  le  parricide  Néron  qui  monta  sur  le  trône  soixante 
ans  après  la  naissance  de  Jésus-Christ.  Aussi  Bossuet, 
dit-il  en  parlant  de  ce  monstre ,  que  si  son  penchant 
pour  la  guerre  avait  égalé  celui  qu'il  sentait  pour  l'art 
musical ,  il  aurait  éclipsé  tous  les  héros  connus  dans  le 
monde.  11  passait  la  plus  grande  partie  de  son  temps  a 
exercer  sa  voix ,  et  dans  la  troisième  année  de  son 
règne  ,  il  parut  comme  chanteur  de  Naples.  Il  entra  dans 
cette  ville  sous  le  costume  d'Apollon,  suivi  d'une  foule 
des  plus  célèbres  musiciens  venus  avec  lui  sur  des  mil- 
liers de  chars  splendides,  dont  les  chevaux  et  les  mulets 
étaient  ferrés  d'argent  et  dont  les  serviteurs  étaient  cou- 
verts des  plus  riches  étoffes  decamésia.  Il  chanta  la  plu- 
sieurs jours  de  suite  devant  uue  innombrable  multitude 
d'auditeurs,  et  les  applaudissemens  qu'il  y  reçut  lui  in- 
spirèrent une  prédilection  particulière  pour  cette  ville.  Au 
moment  de  son  entrée  en  scène  un  tremblement  de  terre 
se  fit  sentir,  et  il  eut  l'effronterie  de  croire  que  la  terre 
tremblait  par  la  puissance  de  son  art.  Accompagné  d'une 
suite  de  cinq  cents  personnes,  Néron  se  rendit  ensuite 
en  Grèce  pour  prendre  part  aux  luttes  musicales  ;  il 
remporta  la  victoire  et  cet  honneur  le  gonfla  tellement 
de  vanité  qu'il  fit  mettre  en  pièces  les  statues  et  tous  les 
autres  monumens  attestant  les  victoires  remportées  par 
d'autres  artistes.  A  son  retour,  et  suivant  la  coutume 
des  vainqueurs  dans  les  jeux  olympiens,  il  entra  dans 
plusieurs  villes,  par  une  ouverture  pratiquée  tout  exprès 
dans  la  muraille.  A  Rome,  il  fit  son  entrée  sur  le  char 
triomphal  d'Auguste,  et  a  l'instar  des  conquérans  traî- 
nant a  leur  suite  les  rois  qu'ils  avaient  vaincus,  il  atta- 
cha à  son  char  Diodore ,  célèbre  joueur  de  harpe ,  sur 
lequel  il  ava't  remporté  la  victoire.  En  signe  de  triom- 
phe il  portait  sur  sa  tête  une  couronne  olympique,  et 
dans  la  main  une  couronne  pythique.  Devant  lui  mar- 
cbaieut  mille  huit  cents  personnes  avec  des  couronnes 
aux  mains,  et  sous  chacune  de  ces  couronnes  on  avait 
pris  soin  d'indiquer  où  elle  avait  été  gagnée,  quel 
était  le  nom  de  l'artiste  vaincu ,  et  quel  était  le  chant 
qui  avait  assuré  la  palme  au  vainqueur.  Malgré  toute 
cette  vanité,  et  quoiqu'il  eût  constamment  auprès  de  lui 
un  phonascus ,  ou  directeur  de  voix  ,  qui  devait  être  at- 
tentif a  ce  que  l'empereur  ne  se  fatiguât  pas  trop  à  par- 
ler, il  paraît  non-seulement  que  sa  voix  était  loin  d'être 
remarquablement  belle ,  mais  même  qu'elle  était  faible  et 


enrouée.  Il  est  aisé  de  comprendre  que  la  conduite  de 
l'empereur  n'était  pas  propre  a  inspirer  aux  Romains  un 
amour  bien  vif  pour  l'art  divin  de  la  musique,  ni  par 
conséquent  a  faire  arriver  cet  art  à  un  degré  de  splen- 
deur bien  éclatant  ;  il  faudrait  nous  étonner  au  contraire 
de  ce  qu'un  cœur  aussi  féroce  que  celui  de  Néron  eut 
pu  comprendre  cet  art  si  doux,  la  propriété  exclusive 
des  bous ,  si  nous  ne  savions  que  Néron  n'apprit  la  mu- 
sique qu'arrivé  a  l'âge  de  dix-sept  ans  lorsqu'il  était 
déjà  empereur;  il  ne  l'étudia  pas  avec  soin,  fïdeliter , 
comme  dit  Ovide;  elle  n'était  pas  enracinée  en  lui;  il 
ne  la  comprenait  ni  ne  l'aimait  a  proprement  parler, 
mais  il  en  mésusait  et  l'outrageait  même.  Ce  tyran,  par 
sa  conduite  insensée  et  ses  folles  prodigalités,  avait  pré- 
paré la  ruine  de  la  musique  ;  l'avarice  de  Galba ,  son 
successeur,  rendit  plus  prochaine  la  décadence  de  cet 
art  qui  tomba  enfin  dans  un  oubli  complet  lorsque  les 
irruptions  de  barbares  qui  ébranlèrent  l'Europe  toute 
entière  eurent  amené  un  temps  de  désolation.  Rome 
pillée  et  saccagée  tomba  entre  les  mains  de  nations  bru- 
tales et  ignorantes  ;  ses  monumens  furent  détruits;  ses 
théâtres  devinrent  la  proie  des  flammes;  les  artistes 
tombèrent  victimes  du  désastre  commun  ;  et  des  siècles 
de  ténèbres  suivirent  l'époque  si  brillante  du  gouverne- 
ment des  Césars. 


Revue  Critique. 

Second  Concerto,  pour  le  piano,  avec  accompagne- 
ment d'orchestre  ;  par  H.  Herz.  Op.  74-.  Prix  :  20  fr.  ; 
42  fr.,  et7fr.  50  c. 

Ah!  quel  joli  titre,  papa.  Le  grand  sceau  royal  porté  par  la 
gloire  sur  des  guirlandes  de  roses.  —  Mais  non ,  Constance  ,  tu 
te  trompes.  Il  est  impossible  de  porter  sur  des  guirlandes  de 
roses  tous  ces  drapeaux,  étendards,  sceptres,  couronne...  et 
que  sais-je  encore?  Et  les  tables  de  Moïse!...  Mais  non,  en- 
fant, qui  pense  donc  aujourd'hui  à  Moïse?  c'est  la  Charte. 
Hein!  Sa  Majesté  comme  cela  dans  les  nuages,  et  M.  Herz 
ceint  de  lauriers  ,  n'est-ce  pas  -vraiment  chob.e  curieuse?  Julie  , 

regardc-donclebeau  evgne Mais, chers  enfans,  ce  n'est  pas 

pour  le  litre  ,  quelque  magnifique  qu'il  [misse  être,  que  je  vous 
ai  apporté  cet  ouvrage  ;  je  désirerais  l'entendre.  Votre  maître 
me  dit  toujours  que  -vous  lisez  fort  bien  à  livre  ouvert ,  et  le 
marchand  de  musique  m'a  assuré  que  vous  y  trouveriez  une 
foule  de  vieilles  connaissances.  Soyez-en  bien  certain,  me  di- 
sait-il ,  quoique  le  tout  compte  trente  et  une  pages ,  si  vos  de- 
moiselles n'aiment  que  ce  qui  ressemble  à  des  pensées;  si  elles 
retranchent  tout  ce  qu'il  y  a  là  de  rabâchage  sans  idées,  ni 
âme  ni  talent ,  tout  le  reste  se  réduit  h  bien  peu  de  chnse.  Ah  ! 
tant  mieux,   papa,  j'aime  cela!  Il  faut  qu'un  morceau  soit 


258 


GAZETTE  MUSICALE 


court,  alors  on  n'est  pas  exposé  à  perdre  de  vue  la  pauvre  pe- 
tite idée  qui  sert  de  motif  et  qui,  comme  cela  se  voit  si  sou- 
vent, d'abord  simple  et  naïve,  en  dépit  de  son  humble  nature, 
apparaît  tout  à  coup  comme  un  mendiant  travesti  en  brillant 
chevalier,  ou  comme  un  roi  quand  il  ouvre...  les  chambres. 
Moi,  chère  Julie,  j'aimerais  encore  mieux  qu'on  voulût  bien 
adopter  une  fois  pour  toutes  la  coupe  de  la  contredanse  ou  du 
galop.  Tu  sais...  les  charmans  galops  de  M.  Herz  !  Encore  une 
fois,  chers  enfans,  jouez-moi  le  concerto.  Jouez-le  bien;  je 
suivrai  autant  que  possible  l'accompagnement  du  quatuor  à  la 
main,  afin  de  pouvoir  en  faire  un  rapport  fidèle  à  notre  ai- 
mable et  spirituelle  Olympia  qui ,  dans  sa  dernière  lettre ,  m'a 
demandé  mon  opinion  avec  tant  d'instances. 


Lettre  à  Olympia. 

Paris,  août  1834. 

Tu  m'écris  ,  ma  chère  Olympia  ,  que ,  depuis  quelque  temps , 
il  s'est  opéré  une  véritable  révolution  à  Toulouse,  ou  plutôt 
dans  le  goût  musical  des  amateurs  de  cette  ville.  Tu  me  mar- 
ques qu'on  ne  vent  plus  ni  jouer  ni  entendre  la  musique  de 
Herz,  si  ce  n'est  dans  les  soirées  dansantes.  Je  vois  dans  ta 
lettre  qu'on  le  trouve  trivial ,  usé  ,  dénué  enfin  de  poésie  comme 
d'originalité;  tu  ne  peux  te  dissimuler  que,  dans  l'opinion  de 
tes  compatriotes,  il  passe  maintenant  pour  un  compositeur 
froid ,  commun  ;  et  dont  la  marche ,  au  lieu  d'être  progressive , 
ressemble  plutôt  à  celle  d'une  écrevisse.  Tu  refuses  de  te  ran- 
ger à  une  semblable  opinion,  toi ,  notre  chère  Olympia  ,  qui , 
il  y  a  seulement  peu  d'années  ,  nous  fis  passer  des  instans  si 
agréables  avec  les  variations  sur  le  motif  de  la  violette  de 
Caraffa,  sur  les  ravissantes  mélodies  de  Méhul  et  surdifférens 
autres  thèmes  ;  tu  ne  peux  croire  à  un  jugement  si  sévère,  et 
tu  veux  avant  tout  connaître  mon  opinion  personnelle  qnoi- 
qu'un  certain  pressentiment ,  bien  intime  et  bien  secret ,  te  dise 
peut-être  que  tu  as  tort  de  te  défier  de  la  sentence  des  Toulou- 
sains. Tu  désires  savoir  ce  que  je  pense  sur  la  nouvelle  compo- 
sition de  Herz,  parce  que  lu  supposes  que  je  puis  considérer 
l'art  d'un  point  de  vue  peut-être  plus  élevé  que  celui  de  la  foule, 
et ,  parce  qu'en  outre ,  tu  ne  doutes  pas  du  profond  respect 
qui  m'anime  également  pour  l'art  et  pour  la  vérité.  Je  saisis 
avec  empressement  cette  occasion  de  m'entretenir  avec  toi , 
notre  aimable  amie  ,  et  je  vais  essayer  de  te  donner  une  analyse 
de  cette  nouvelle  production  de  M.  Herz,  je  veux  dire  son 
deuxième  concerto. 

Le  premier  morceau ,  allegro  moderato ,  commence  par  un 
motif  assez  commun  et  long  de  huit  mesures  {tutti,  piano)  , 
encore  la  première  moitié  de  ces  huit  mesures  pourrait-elle 
bien  être  une  réminiscence  du  Freischùtz  de  Wcber  et  la  se- 
conde moitié,  un  souvenir  du  concert  en  mi  bémol  de  Ries. 
Après  que  cette  phrase  a  été  répétée^»;*  confunco  par  tout 
l'orchestre ,  M.  Herz  se  sert  de  quelques  accords  heurtés  et  de 
quelques  formes  de  chants  passablement  usées  pour  nous  con- 
duire à  un  second  motif  qui  contraste  avec  le  premier  par  un 
chant ,  si  non  bien  neuf,  du  moins  agréable  et  assez  riche  d'ef- 
fet. Après  ce  motif,  qui  du  reste  ne  se  développe  pas  avec 
assez  de  simplicité  ni  de  naturel ,  mais  dont  en  revanche  le 
rhythme  porte  à  faux ,  parce  que  l'auteur  a  voulu  se  maniérer, 
viennent  encore  des  idées  de  remplissage  qui  garnissent  plus 


d'une  page,  et  sont  au  moins  fastidieuses  parce  qu'elles  n'ont 
pas  le  moindre  rapport  avec  le  fond  principal  de  la  composi- 
tion, et  parce  qu'en  outre,  le  tutti  se  prolonge  jusqu'à  sa- 
tiété. 

Le  premier  tutti  se  termine  enfin  après  un  long,  bien  long 
diminuendo  ,  rallentando  et  pianissimo ,  ainsi  que  l'usage  s'en 
est  établi  depuis  long-temps,  afin  que  l'exécutant  puisse  entrer 
en  matière  avec  une  emphase  convenable  au  mîyen  d'un^Tor- 
tissimo  eon  fuoeo.  L'idée  choisie  pour  cet  effet  est  très-conve- 
nable et  peut  être  rangée  parmi  les  plus  heureuses  pensées  de 
M.  Herz ,  si  toutefois  ,  un  mauvais  plaisant  de  musicien 
ne  vient  pas  troubler  notre  joie  et  trahir ,  d'une  manière 
barbare,  les  sources  auxquelles  elle  a  été  emprunté  note  pour 
note;  pour  ma  part,  ma  chère  Olympia,  malgré  le  cas  que  je 
fais  de  celte  idée,  je  ne  puis  m'empêcher,  en  critique  sincère, 
de  faire  remarquer  que  je  la  considère  comme  un  véritable 
hors  d'œuvre  ;  en  effet ,  elle  est  tellement  isolée  ,  tellement  éloi- 
gnée du  sens  complet  de  l'œuvre  ,  que  M.  Herz  lui  même  n'y 
revient  plus  une  seule  fois,  de  si  loin  que  ce  puisse  être,  et 
qu'au  moyen  d'une  phrase  gracieuse,  mais  connue,  chantée 
par  les  hautbois  et  les  clarinettes,  il  abandonne  cette  idée  pre- 
mière pour  la  remplacer  par  un  cantabile  de  cinq  lignes  à  l'ar- 
rangement duquel  on  doit  quelques  éloges.  Maintenant, 
M.  Herz  dans  son  tutti  revient  aux  quatre  susdites  mesures  de 
Weber  ;  non  pas  qu'il  en  veuille  tirer  quelque  parti ,  non  sans 
doute,  mais  simplement  parce  qu'elles  lui  servent  de  fil  con- 
ducteur pour  arriver  aux  quatre  susdites  mesures  de  Ries.  Il 
paraît  que  ces  quatre  mesures  ont  eu  le  honneur  d'être  jugées 
par  M.  Herz  comme  dignes  d'être  travaillées  en  concerto;  car, 
dans  les  quatorze  mesures  qui  suivent,  on  les  retrouve  sans 
cesse  dialoguées  entre  le  dessus  et  la  basse  et  revêtues  de  ces 
formes  si  connues  dont  M.  Herz  a  fait  un  tel  abus  qu'avec  la 
meilleure  volonté  du  monde,  il  ne  sait  plus  en  trouver  de  nou- 
velles. Au  surplus,  si  malgré  tout  ce  que  je  viens  de  dire ,  on 
ne  peut  méconnaître  dans  ce  premier  solo  une  certaine  habi- 
leté de  style  ainsi  que  des  efforts  incontestables  pour  dire  ou 
exprimer  quelque  chose ,  c'est  un  soin  dont  le  compositeur  pa- 
raît s'être  débarrassé  pour  remplir  sa  septième  page.  Tout  ce 
que  nous  y  voyons  ne  se  compose  que  de  traits  de  pacotille 
comme  il  en  vient  tous  les  jours  sous  les  doigts  de  tout  pianiste 
qui  sait  développer  son  accord  de  dominante  ,  jusqu'à  la  neu- 
vième mineure.  Nous  voyons  ensuite  apparaître  le  second  mo- 
tif principal  dont  j'ai  déjà  fait  mention  à  l'occasion  du  premier 
tutti,  et  cette  fois,  il  est  développé  dans  un  dessin  à  triolet, 
très-chantant  d'une  grande  clarté  et  d'un  fort  bon  effet;  mais, 
à  compter  de  la  page  dix ,  il  est  tellement  noyé  dans  les  doubles 
notes  et  les  octaves  franchies  par  les  deux  mains ,  que  nous 
avons  grand  besoin  d'avoir  recours  à  l'aide  secourable  de  l'or- 
chestre pour  ne  pas  perdre  tout-à-fait  le  fil  des  idées.  Quant 
aux  notes  que  tu  trouveras  sur  les  pages  11 ,  12  et  13,  je  ne 
t'en  entretiendrai  pas ,  parce  qu'elles  mêmes  ne  disent  absolu- 
ment rien.  C'est  un  brouhaha  de  notes  et  de  suifes  harmoni- 
ques de  toutes  les  tonalités  usitées,  des  sauts  périlleux  de  dan- 
seur de  corde ,  comme  savent  en  faire  ceux-là  seulement  qui  ne 
se  proposent  pas  un  but  plus  élevé  ,  que  d'exciter  les  transports 
et  les  applaudissemens  des  badauds  émerveillés  quand  arrive 
la  fin  du  trait.  La  manière  dont  il  termine  son  morceau  pour- 
rait cependant  faire  honneur  au  discernement  de  M.  Herz 
Arrivé  à  la  treizième  page,  il  s'est  subitement  rappelé  que  son 
concerto  commençait  en  ut  mineur.  Dans  son  saint  enthou- 


259 


siasme  de  poète,  il  avait  totalement  perdu  de  vue  celte  circon- 
stance insignifiante,  pendant  toute  la  durée  du  premier  mor- 
ceau. Certes,  c'est  bien  là  une  de  ces  preuves  incontestables 
d'une  imagination  brûlante  qu'il  serait  injuste  de  reprocher  à 
M.  Herz,  d'autant  plus  que  le  feu  n'est  pas  ce  qui  l'incommode 
le  plus  souvent  ;  quoi  qu'il  en  soit ,  il  a  su  se  modérer,  et  il  a 
pris  la  résolution  héroïque  de  ne  pas  terminer  son  morceau 
comme  les  romantiques  qui ,  dans  leur  odieux  mépris  pour 
toutes  les  règles,  ne  craignent  pas  de  finir  une  œuvre  dans  un 
tout  autre  ton  que  celui  qui  leur  a  servi  de  point  de  départ; 
aussi  M.  Herz  finit-il  par  une  belle  gamme  en  ut  majeur.  Voilà 
qui  est  plus  classique  que  les  classiques  ;  car  les  grands  maîtres 
du  seizième  siècle  terminaient  presque  toujours  leurs  morceaux 
mineurs  par  l'accord  majeur. 

Dans  l'andatino  qui  sert  de  seconde  partie  à  son  concerto, 
M.  Herz  prouve  d'une  manière  irrésistible  combien  peu,  au 
besoin,  il  est  homme  à  s'inquiéter  des  règles,  fussent-elles 
même  des  plus  raisonnables ,  des  plus  naturelles  et  des  plus  in- 
dispensables ;  et  cela,  parce  qu'il  se  sera  laissé  [dire  qu'un 
homme  de  génie  n'a  besoin  d'aucunes  règles  ,  que  les  règles 
tuent  l'imagination  dans  son  plus  noble  essor,  que,  pour  être 
originale,  une  œuvre  doit  être  composée  à  l'exclusion  de  toutes 
règles,  etc.,  etc.,  etc.  L'orchestre  commence  un  chant  fort 
bien  écrit,  chant ,  qui,  dès  l'abord,  paraît  être  d'origine  alle- 
mande,  mais  qui  peu  à  peu  prend  une  couleur  de  mélodie 
anglaise.  Le  rhythme  et  la  mélodie  de  ce  motif  reposent  sur 
huit  mesures;  mais  après  nous  en  avoir  donné  la  première 
moitié ,  au  lieu  de  développer  avec  grâce  et  simplicité  les  quatre 
dernières  mesures  qu'on  retrouve  trois  lignes  plus  bas  avec  ces 
mots  :  in  tempo ,  la  compositeur  paraît  s'être  laissé  emporter 
sur  les  ailes  de  son  indomptable  imagination,  et  n'avoir  pas 
trouvé  le  temps  de  soigner  son  sujet.  Il  intercale  donc  deux 
mesures  qui  ne  sont  qu'une  répétition  des  deux  mesures  pré- 
cédentes, et  il  commence  aussitôt  les  variations  du  motif.  La 
première  de  ces  variations  fait  sans  contredit  honneur  à  M.  Herz, 
mais  il  n'en  est  pas  ainsi  de  la  seconde  qui  commence  à  la 
page  1 6,  et  se  prolonge  pendant  plus  de  trois  pages  en  inter- 
minables arpèges  qui  ne  signifient  absolument  rien ,  et  dont  le 
but  unique  paraît  être  de  faire  oublier,  autant  que  possible, 
l'idée  principale. 

Si,  dans  le  rondo,  les  unissons  de  cors  et  de  trombonnes 
interrompus  par  des  notes  détachées  des  basses  ne  témoignent 
pas  d'ungénie  musical  des  plus  brillans ,  ils  prouvent  du  moins 
qu'avant  de  commencer  son  morceau,  M.  Herz  a  dû  se  faire  à 
peu  près  le  raisonnement  suivant  :  Je  veux  donner  pour  rondo 
une  valse  animée  en  3/8.  Cette  valse  doit-être  gracieuse,  aima- 
ble, dansante.  Mon  andantino  était  déjà  composé  dans  ce  genre, 
de  même  que  mon  premier  morceau,  si  on  en  excepte  l'intro- 
duction du  premier  solo  et  quelques  autres  passages  pour  les 
doigts;  il  faut  donc  que  je  commence  mon  rondo  par  quelque 
chose  de  sérieux,  ou  pour  mieux  dire ,  par  quelque  chose  qui 
ressemble  à  l'apparition  romantique  de  quelque  spectre.  Ce 
n'est  pas  chose  difficile ,  car  il  ne  faut  pour  cela  ni  suite  dans 

les  idées  ni  invention  ni  esprit et  voilà  le  romantique 

trouvé  (I).  L'introduction  se  trouve  créée  et  la  valse  commence 


(I)  On  comprend  bien  que  c'est  un  musicien  qui  parle! 

Note  du  rédacteur. 


aussitôt  animée,  gracieuse  et  brillante.  Cette  valse  n'est  pas 
seulement  très-jolie,  et  elle  ne  prouve  pas  uniquement  que 
M.  Herz  peut ,  à  l'occasion  ,  remplir  une  page  et  demie  d'idées 
gracieuses  et  bien  liées  entre  elles,  elle  démontre  encore  que 
ce  compositeur  est  un  fidèle  observateur  de  la  nature.  Car, 
vois-tu  chère  Olympia,  il  a  introduit  dans  son  rondo  un  petit 
effet  d'écho  qui  est  bien  une  chose  véritablement  délicieuse. 
Tu  n'es  pas  assurément  sans  avoir  entendu  parler,  l'hiver  der- 
nier, du  fameux  quadrille  des  échos  composé  par  Muzard  ,  des 
Champs-Elysées  d'hiver.  Eh  bien  !  cela  n'était  rien  encore. 
Examine-moi  bien  l'écho  de  M.  Herz,  si  tant  est  que  tu  veuilles 
jouer  cette  œuvre ,  tu  verras  que  c'est  une  invention  toute  char- 
mante. Je  ne  te  dirai  rien  de  précis  sur  les  dix  pages  de  rondo 
qui  suivent;  car,  ici  ,  M.  Herz  a  donné  à  son  imagination  val- 
sante un  essor  si  libre  ,  qu'avec  la  meilleure  volonté  du  monde , 
il  me  serait  impossible  de  suivre  un  ordre  tant  soit  peu  régu- 
lier, et  de  garder  quelque  suite  dans  la  représentation  des  idées 
et  des  sentimens  du  compositeur.  Des  bonds  immenses,  des 
traits  en  triolets  longs  d'une  page  entière ,  parmi  lesquels  ce- 
pendant on  en  trouve  quelques-uns  d'un  fort  bon  effet ,  comme 
par  exemple ,  page  24  ,  à  la  dernière  ligne  et  page  26,  à  la  li- 
gne 4  ;  des  croisemens,  des  embrouillemens  de  mains  et  de 
doigts,  pour  finir,  un  trille  avec  un  point  d'orgue  ad  libitum, 
prestissimo  ,  pianissimo ,  dolcissimo  ,  rallenlandissimo ,  après 
quoi  on  en  revient  encore  une  fois  au  joli  motif  de  la  valse: 
voilà  tout  ee  que  je  puis  te  dire  de  plus  exact  sur  les  dix  pages 
en  question.  Ensuite,  quand  la  valse  est  arrivée  à  fin ,  le  tapage 
recommence  de  plus  belle,  et  de  telle  sorte  même,  qu'il  ne 
m'est  pas  possible  de  t'en  donner  une  idée.  Il faut  le  voirpour  le 
croiVe.Toutcsles  régions  du  pianu,  au-delà  même, je  crois,  delà 
septième  octave ,  sont  en  mouvement  à  la  fois  ,  et  nous  avons 
une  série  interminable  de  leggiero,  con  fuoeo  ,  pianissimo 
fortissimo,  sempre  piu  di  fuoeo ,  con  bravura  e  sempre 
crescendo  ,  molto  crescendo  jusqu'à  ce  qu'enfin  le  pauvre 
pianiste,  épuisé  et  harassé,  succombe  à  tant  d'efforts  et  ter- 
mine piteusement  la  brillante  représentation  avec  l'accord 
parfait  d'ut  dans  ses  divers  renversemens. 

Te  voilà  à  même,  ma  chère  Olympia,  d'après  ce  rapport 
fidèle,  de  te  former  une  opinion  sur  cette  nouvelle  création  de 
M.  Herz.  Ta  belle  ame  et  ta  riche  imagination  t'avaient  fait , 
sans  doute,  rêver  tout  autre  chose  pour  une  œuvre  aussi  im- 
portante qu'un  concerto  !  Laisse-moi  concevoir  l'espérance 
qu'une  de  tes  prochaines  lettres  me  fournira  l'occasion  d'admi- 
rer la  grandeur  et  l'élévation  de  tes  idées  ;  quant  à  moi,  tu  vois 
que  tu  m'as  imposé  aujourd'hui  une  tâche  bien  triste  et  bien 
décourageante. 


La  Confession,   romance.   Paroles  de  M.   Arthur  Je 
Lucy,  musique  de  Ferdinand  Paer. 

(Nous  donnons  ci-joint  \cfac  simile  (le  l'autographe  de  celle  romance.) 

Les  œuvres  d'un  vétéran  de  l'art  musical  tel  que  M.  Paer 
sont  au-dessus  de  toute  critique.  S'il  y  a  lieu  d'eu  parler  sous 
celte  rubrique,  ce  ne  peut  être  que  pour  leur  payer  noire  faible 
tribut  d'éloges  et  de  reconnaissance.  Aussi  croyons-nous  ne 
dire  que  la  vérité,  et  rien  que  la  vérité,  en  disant  que  nous 
avons  reconnu  dans  cette  romance  les  gracieuses  mélodies  du 


GAZETTE  MUSICALE  DE  PAKîS. 


chantre  italien,  accompagnées  par  des  harmonies  pures  et  ca. 
ractéristiques  dignes  d'un  génie  allemand.  Puissent  de  telles 
œuvres  malheureusement  trop  rares  aujourd'hui  servir  de  mo- 
dèles aux  nombreux  compositeurs  de  romances!  Là  ,  on  recon- 
naît dans  le  moindre  trait  la  réunion  si  précieuse  du  savoir  et 
de  l'art.  Là  ,  l'expression  la  plus  vraie  se  joint  toujours  à  la 
grâce  et  à  tous  les  charmes  de  la  bonne  musique. 


Grande  valse  brillante  pour  le  piano,  par  Fréd.  Chopin. 
Op.  18.  Prix  :  6  fr. 

Nous  annoncions  dernièrement  une  production  de  M.Cho- 
pin, ses  quatre  dernières  mazourkas  ,  ouvrage  qui,  malgré 
toute  la  richesse  des  idées  ,  malgré  toute  la  fraîcheur  et  la  nou- 
veauté qu'on  y  admire,  se  distingue  cependant  par  une  grande 
simplicité  et  ne  contient  que  peu  ou  point  de  difficultés.  Nous 
devons  cette  fois  encore  louer  les  mêmes  propriétés  aujour- 
d'hui si  rares ,  dans  la  valse  que  nous  recommandons  à  nos 
lecteurs.  Il  nous  paraît  donc  suffisamment  prouvé  que  lorsque 
cet  artiste  écrit  des  passages  difficiles  il  n'y  est  pas  poussé  par 
un  vain  caprice,  mais  bien  par  le  sens  et  le  caractère  du  mor- 
ceau, ainsi  que  cela  devrait  toujours  avoir  lieu  dans  une  créa- 
tion de  l'art.  Cette  valse  est  des  plus  brillantes ,  quoique  par- 
ticulièrement convenable  à  la  danse,  et  elle  mérite  de  se  trouver 
bientôt  sur  les  pianos  dont  les  pupitres  n'ont  pointl'habitude  de 
porter  de  la  musique  vulgaire.  Même  les  amateurs  qui  préfèrent 
une  belle  sonate  de  Beethoven  à  des  variations  ou  fantaisies  de 
certains  auteurs  à  la  mode  (et  Dieu  merci  le  nombre  commence 
à  grossir)  ,  même  cts  amateurs,  disons-nous  ,  joueront  avec 
plaisir  et  satisfaction  la  valse  de  M.  Chopin. 


Musique  nouvelle, 

Publiée  par  Mebsucnier. 

H'ùnten  (François).  Op.  65.  Trois  éùrs  italiens  sur  des  motifs 

de  JMercadante,   Pacini  et  Bellini ,  "variés  pour   le   piano, 

chaque,  5  fr. 

Publiée  par  Ph.  Petit. 

Massini.  Le  départ  de  l'Helvétie  ,  tyrolienne,  avec  accompa- 
gnement de  piano.  2  fr. 
Lhuillier.  Le  sommeil  de  l'enfant,  romance.  2  fr. 
Bruguiere  (Edouard).  La  Fiction  ,  romance.  2  fr. 
Duchambge  (Madame  Pauline).  Le  Page,  romance.  2  fr. 


NOUVELLES. 


On  lit  dans  le  numéro  30  de  la  Revue  Musicale  : 
a  Certes,  je  suis  loin  de  croire  qu'il  ne  puisse  m'èlre  échappé 
»  d'inexactitudes;  il  serait  même  difficile  que  je  les  eusse  évi-  ' 
»  tées  ,  ayant  rédigé  seul ,  ou  à  peu  près ,  les  premières  années  j 
m  de  la  Revue  musicale,  et  fourni  une  immense  quantité  d'ar-  j 
«  ticles  pour  les  autres  ;  ayant  remué  dans  ce  recueil  toutes  les  i 
«  questions  d'histoire,  de  théorie,  de  pratique  et  de  littéra-  j 
»  ture  de  la   musique  ,  produit  dans  tout  cela  des  multitudes  i 
»  de  documens  inconnus  ,  des  théories  nouvelles ,  et  fondé  une 
»  philosophie  de  l'art  et  de  In  science  qui  n'existait  pas:  ayant 
»  enfin,  nonobstant  mes  occupations  de  professeur,  mes  tra- 
»  vaux  d'artistes  et  la  rédaction  de  grands  ouvrages  qui  vont 
»  être  mis  au  jour,  écrit,  dans  la  Revue  ou  dans  d'autres  jour- 
ii  naux,  environ  huit  mille  pages  d'impression  en  moins  de 
»  huit  années;  souvent  en  voyage,  privé  de  livres,  et  sans 
»  autre  secours  que  ma  mémoire.  Je  le  répète,  il  serait  impos- 
»  sible  qu'il  ne  me  fut  pas  échappé  d'erreurs.  » 

Voilà  un  aveu  de  M.  Félis  dont  il  est  bon  de  prendre  note. 

+*+  A,vant  hier  ,  plus  de  trois  mille  personnes  ont  assisté  , 
dans  l'Eglise  des  Invalides ,  au  service  funèbre  de  Choron. 
Cet  empressement  à  aller  entendre  les  graves  accords  de  Jo- 
melli,  Mozart  etPalestrina  ,  si  différons  desflons-flons  stupides 
qui  nous  poursuivent  de  toutes  parts,  dénote  un  goût  réel  pour 
la  musique  dont  le  public  de  Paris  ne  paraissait  guère  suscep- 
tible. Les  exécutans  étaient  au  nombre  de  deux  cent  cinquante. 
Plusieurs  morceaux  ont  été  fort  bien  rendus.  Nous  reviendrons 
sur  cette  solennité  remarquable. 


Publications   des  Propriétaires  de   la  Gazette 
Musicale  de  Paris. 


EN    VENTE. 

PRIX  ".  1  FRANC 

CHAQUE  OUVRAGE. 

ue 


Receuil  de  Fantaisies ,  Rondos,  P ariations ,  Contre- 
danses ,  Valses,  etc.,  sur  des  motifs  d' 'opéras  et 
romances  favoris ,  composés  par  MM.  Adam,  Chau- 
ltexi,  Chopin,  Czeray,  Herz,  Hcjmmel,  Huntew, 
Kalkbrenner,  Méreatjx,  Moscheles,  Pixis  ,  Pra- 
dher,  Sowimski,  Stoepel,  Strauss,  Musard, Tol- 

BECQUE,  DUFRESNE,  etC.  ,  etC. 

La  Gazelle  Musicale  de  Paris  ,  publiée  uniquement 
dans  l'intérètde  l'art,  esta  peine  arrivée  à  son  sixième  mois 
d'existence,  et  déjà  elle  a  réuni  à  ses  opinions  la  majorité  des 
artistes.  Un  pareil  journal  peut  et  doit  rendre  de  grands  ser- 
vices à  la  science  en  lui  donnant  l'unité  qui  lui  manquait  ;  les 
propriétaires,  encouragés  parle  succès,  profiteront  des  béné- 
fices de  cette  entreprise  pour  éditer  au  plus  bas  prix  possi- 
ble des  ouvrages  pour  le  piano ,  composés  par  les  auteurs  les 
plus  renommés.  On  publiera,  à  dater  du  \"  août,  chaque 
mois,  une  livraison  de  la  Bibliotheqne  populaire  du  pianiste, 
qui  sera  du  prix  de  i  franc  pour  Paris, et  i  franc  25  c.  pour  les 
déparîemens  franco.  Chaque  livraison  se  composera  de  ioà  i5 
pages  d'impression  et  d'une  couverture  imprimée  ,  cet  ouvrage 
sera  adressé  gratis  aux  abonnés  de  la  Gazette  Musicale. 

Pour  être  souscripteur,  il  suffit  de  se  faire  inscrire  et  de 
paver  trois  livraisons  d'avance  au  bureau  de  la  Gazette  Musi- 
cale de  Paris,  97  ,  rue  de  Richelieu. 

On  annoncera  dans  les  jou.niux  le  contenu  de  chaque  li- 
vraison :  la  première,  qui  vient  d'être  publiée ,  contient  : 

Fantaisie  sur  des  motifs  favoris  de  ROBERT-LE  - 
DIABLE,  par  Charles  Czerny. 

La  seconde ,  publiée  le  1 er  septembre  ,  se  composera  de  : 

Caprice  brillant  sur  des  thèmes  favoris  de  Ludovic, 
de  He'rold  et  Hale'vy,  par  Charles  Chaulieu. 

Ci-joint  un  supplément  contenant  le^àc  simile  de  la  Confes- 
sion ,  romance  de  M.  F.  Paër. 

Gérant,  MAURICE  SCHLESINGER. 


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GAZETTE   MUSICALE 


mw  ipjiibii, 


1"  ANNÉE. 


n°  33. 


PRIX  DE  L'ABONNE». 

PARIS. 

DÉPART. 

ÉTriAKG 

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Fr.       r. 

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3  m.    8 

8     75 

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33    » 

36    » 

-C&  <&&%vtis  iïtitsicaU-  be  fDarts 
Paraît    le   DIMANCHE  de  chaque  semaine. 

On  s'abonne  an  bureau  de  la  Gazette  Musicale  de  Parts ,  rue  Richelieu ,  97$ 
et  chez  tous  les  libraires  et  u  arebands  de  musique  de  France. 

)n  reçoit    les   réel  ajn.it  ion  s  des  personnes  qui  ont  des  griefs  à  exposer,  et  les   avis  relatifs  à  la  iniisiqu 
qui  peuvent  intéresser  le  public. 


PARIS,  DIMANCHE    M  AOUT  483-4 


Les  lettres,  demandes 
et  envois  d'argent  doi- 
vent êlre  affranchis,  et 
adressés  au  Directeur , 
rue  Richelieu,  97. 


EXPOSITION 

DES    PBODUITS    DE    l'iNDUSTWE. 

(6°  Article.) 


Pianos. 

(suite  et  fin.) 

Nous  avons  trouvé  les  pianos  de  M.  Henri  Herz  con- 
stamment fermés,  toutes  les  fois  que  nous  nous  sommes 
rendus  a  l'exposilion.  Un  journal  ,  dont  le  rédacteur 
semble  avoir  subi  la  même  fatalité,  allait  jusqu'à  dire, 
que  M.  Herz  avait  emporté  les  clefs  à  Londres  où  il  était 
allé  exposer  son  talent.  Quoi  qu'il  en  soit,  n'ayant  pu 
voir  l'intérieur  de  ces  inslrumens ,  nous  ne  saurions  af- 
firmer s'ils  avaient  plus  de  sept  octaves.  Il  est  certain 
qu'ils  n'en  avaient  pas  moins.  C'est  ici  le  lieu  de  dire 
quelques  mots  sur  ce  malheureux  perfectionnement.  Il 
nous  semble  qu'on  aurait  mieux  fait  de  ne  pas  franchir 
la  limite  des  six  octaves;  les  touches  qu'on  a  ajoutées 
hors  de  la  dansla  basse,  sont  déjà  un  abus. L'oreille  n'en 
distingue  pas  assez  les  sons  qui  ne  rendent  qu'un  bour- 
donnement confus.  Toutefois,  cette  innovation  était  ex- 
cusable; ces  touches  delà  basse,  frappées  avec  leurs  oc- 
taves supérieures,  peuvent  servir  à  les  renforcer,  et  ce 
n'est  que  de  cette  manière  qu'il  faudrait  les  employer. 
Mais  les  touches  ajoutées  dans  le  dessus,  a  quoi  servi- 
raient-elles? Une  corde,  qui  n'a  pas  la  longueur  conve- 
nable pour  vibrer,  ne  peut  pas  rendre  un  son.  Toute 
chose  a  ses  bornes  que  lui  pose  la  nature  ;  vouloir  les 
dépasser,  c'est  s'obstiner  à  poursuivre  l'impossible. 
Quelques  facteurs  ont  essayé  de  ne  pas  rester  en  arrière 
de  M.  Herz.  Nous  avons  vu  avec  plaisir  que  le  nombre 


en  était  très-petit,  et  que  les  plus  célèbres  convenaient 
eux-mêmes  de  l'abus  de  cette  innovation.  Il  est  a  es- 
pérer qu'elle  sera  abandonnée,  et  que  M.  Herz  s'opiniâ- 
trera  seul  à  fabriquer  des  pianos  a  sept  octaves.  lia  dé- 
claré qu'il  ne  composera  dorénavant  que  pour  des  pianos 
de  cette  étendue.  Dans  ce  cas,  le  public  ferait  bien  de  lui 
laisser  sa  musiqne  et  ses  instrumens. 

M.  Mercier  est,  selon  la  Notice  de  l'exposition,  du 
petit  nombie  de  ceux  qui  ont  le  mieux  réussi  à  amélio- 
rer la  confection  du  piano.  M.  Mercier  (poursuit  la  No- 
tice) a  eu  l'heureuse  idée  de  joindre  à  son  piano  une 
pe'dale  }  dont  l'emploi  est  de  diminuer  le  son  à  volonté 
et  par  gradation  ,  de  manière  à  produire  au  besoin  des 
sons  fantastiques .  L'un  de  ses  pianos  a  été  acheté  pour 
S.  A.  la  princesse  royale  de  Suède,  et  M.  Mercier  a 
pris  le  titre  de  facteur  de  S.  M.  le  roi  de  Suède  et  de 
Norvège.  Nous  ne  savons  jusqu'à  quel  point  les  sons 
fantastiques  ont  pu  influencer  le  choix  de  Son  Altesse 
Royale.  Ceux  de  nos  lecteurs  qui  voudraient  connaître 
un  piano  à  sons  fantastiques,  devront  se  rendre  chez 
M.  Mercier,  ce  sont  là  de  ces  choses  dont  la  description 
serait  au-dessus  de  nos  forces. 

Parlons  plutôt  d'un  autre  piano  qui  n'a  de  fantastique 
que  le  nom. 

slpythmolamprotériquel 

Tout  le  monde  a  vu  ce  mot  élégamment  affiché  à 
côté  d'un  piano  de  M.  Langrenez  ;  tout  le  inonde  a  pu 
le  lire...  peut-être.  Mais  le  mot  n'est  pas  de  nature  à 
être  retenu  par  tout  le  monde.  Aussi,  avons-nous  en- 
tendu parler,  à  dix  pas  de  là,  du  piano  alitique ,  apilique , 
aprotique,  apolanterniqueet  autres  en  ique ,  tels  que  la 
mémoire  des  spectateurs,  et  surtout  des  spectatrices, 


GAZETTE  MUSICALE 


pouvait  les  reproduire.  En  effet ,  on  ne  reprochera  pas 
au  mot  le  manque  de  longueur.  Cependant ,  n'en  déplaise 
à  M.  Langrenez,  ou  au  professeur  de  grec  qui  lui  a 
forgé  le  mot ,  il  est  trop  court  d'une  syllabe  pour  être 
régulièrement  composé.  Nous  nous  chargeons  de  lui 
restituer  la  syllabe  qui  manque ,  toutes  les  fois  que  nous 
aurons  a  nommer  l'instrument  de  M.  Langrenez. 

Le  piano  apythmcnolamprote'rique  (  on  désirera  sans 
doute  connaître  les  qualités  supérieures  qui  lui  ont  valu 
une  épithète  si  extraordinaire) ,  est  un  piano  en  forme 
carrée,  dont  le  dessous  est  à  jour ,  et  laisse  aux  sons  les 
moyens  de  se  reproduire  en  entier ,  ce  qui  imprime  à  ces 
pianos  une  grande  force  d'harmonie.  De  la  le  nom  qui 
veut  dire  sans  fonds  et  plus  clair.  Si  M.  Langrenez 
n'est  pas  le  premier  a  construire  des  pianos  sans  fonds  > 
au  moins  lui  revient-il  le  mérite  d'avoir,  le  premier, 
introduit  un  mot  pour  indiquer  cette  construction.  Les 
autres  qualités  particulières  du  piano  apjthmenolam- 
prole'riijue  n'ont  pu  trouver  place  dans  la  composition 
du  mot.  D'abord  le  mécanisme  est  en  cuivre  pour  plus 
de  solidité.  Puis  une  bavre  de  fer ,  placée  presque  tout 
autour  du  piano ,  empêche  le  bois  de  se  déjeter.  Cette 
barre  est  introduite  dans  le  bois  même  et  n'augmente  , 
comme  nous  assure  M.  Langrenez,  en  rien  la  lourdeur 
de  l'instrument,  ce  qui  prouverait  qu'il  a  résolu  le  pro- 
blème curieux,  de  rendre  le  fer  aussi  léger  que  le  bois. 
Nous  arrivons  a  la  qualité  la  plus  merveilleuse  des  pia- 
nos apjthme'nolamprotériques.  Leur  construction  toute 
particulière  les  met  a  l'abri  des  variations  de  l'atmo- 
sphère, et  ils  conservent  très -long-temps  l'accord. 
Voilà  qui  est  vraiment  précieux  On  conçoitque  M.  Lan- 
grenez devait  avoir  a  cœur  de  prouver  l'infaillibilité  du 
procédé  par  la  justesse  permanente  de  l'accord.  Aussi 
l'avons-nous  toujours  trouvé  infatigablement  occupé  a 
accorder  son  piano  apythménolamprotérique. 

M.  Wetzels  a  exposé  deux  pianos,  dont  un  a  queue, 
l'autre  en  forme  verticale.  Un  troisième  ,  que  le  temps 
n'avait  pas  permis  d'achever,  n'a  pu  être  apporté  qu'au 
Louvre  pour  le  soumettre  au  jugementdujury.  Nous  igno- 
rons, si  c'est  celui-ci  qui  a  valu  a  son  auteur  le  rappel  de 
la  médaille  d'argent-  mais  nous  dirons  qu'il  est  pourvu 
d'une  nouvelle  mécanique,  pour  laquelle  M.  Wetzels  a 
pris  un  brevet  d'invention.  Les  marteaux  frappent  en  des- 
sus et  se  relèvent  sans  le  secours  de  ressorts.  M.  Wetzels 
s'occupe  dans  ce  moment  d'y  mettre  la  dernière  main , 
et  nous  nous  proposons  d'examiner  plus  tard  cet  instru- 
ment, quand  il  sera  complètement  fini. 

Le  piano  a  queue  exposé  était  d'une  bonne  facture, 
mais  il  était  éclipsé  par  son  voisin  de  forme  verticale. 
Celui-ci,  d'un  extérieur  volumineux,  se  distinguait  par  la 


puissance  du  son  ,  et  c'est  ce  qui  avait  engagé  M.  Wet- 
zels à  lui  donner  un  nom  particulier  que  nous  ne  sau- 
rions approuver.  Le  prospectus  annonçait  un  piano-or- 
chestre ,  nom  qui  devait  nécessairement  induire  en 
erreur  les  personnes  qui  le  lisa'ent.  Car  on  devait  s'atten- 
dre a  voir  un  piano  organisé,  imitant  plusieurs  instru- 
mens;  ou  enfin  représentant  en  quelque  sorte  un  orchestre; 
tandis  que  c'était  tout  bonnement  un  piano  (magnifi- 
que, il  est  vrai ,)  et  que  le  nom,  dans  l'intention  du 
constructeur,  n'exprimait  qu'une  force  de  son  ca- 
pable de  lutter  contre  tout  un  orchestre.  A  part,  la 
critique  du  mot,  l'instrument  ne  mérite  que  des 
éloges.  En  général,  M.  Wetzels  se  distingue  par  ce 
zèle  pour  l'art,  qui  est  un  sûr  garant  de  progrès. 

MM.  Kriegelstein  et  Arnaud  ont  exposé  deux  pianos 
carrés,  l'un  orné  avec  beaucoup  d'élégance,  l'autre 
d'un  extérieur  plus  simple,  mais  tous  deux  d'une  con- 
struction des  plus  satisfaisantes.  Le  piano  orné  avait  la 
mécanique  en-dessus  des  cordes ,  dans  l'autre  elle  était 
placée  comme  a  l'ordinaire.  Un  travail  soigné  recom- 
mandait particulièrement  ces  instrumens,  et  la  décision 
du  jury,  en  décernant  la  médaille  d'argent  à  ces  habiles 
facteurs,  n'a  fait  que  justifier  les  prévisions  des  artistes 
qui  avaient  touché  ces  pianos. 

MM.  Bell,  père  et  fils,  de  Londres,  dont  l'établisse- 
ment de  Paris  date  de  1852,  se  sont  présentés  a  l'expo- 
sition avec  un  beau  piano  a  queue.  Facteurs  anglais  ils 
préfèrent  naturellement  la  mécanique  anglaise  ;  mais  ils 
ont  su  lui  ôter  sa  lourdeur ,  et  leurs  instrumens  se  distin- 
guent par  la  facilité  du  clavier.  MM.  Bell  annoncent  sur 
leur  prospectus  qu'ils  ont,  depuis  1825,  établi  les  pianos 
de  la  maison  Pleyel.  C'est  en  effet  une  bonne  recom- 
mandation. 

Parmi  les  pianos  dont  le  brillant  extérieur  attirait  les 
regards  des  passans ,  nous  avons  remarqué  un  piano 
carré  en  palissandre,  de  M.  Richter ,  et  garni  d'incrusta- 
tions en  cuivre  d'un  goût  exquis.  Le  luxe  extérieur  n'est 
souvent  destiné  qu'a  cacher  la  médiocrité  d'un  instru- 
ment ;  mais  joint  a  des  qualités  réelles ,  comme  dans 
celui  dont  nous  parlons,  il  en  relève  la  valeur. 

M.  Richter,  nous  aimons  a  le  reconnaître,  est  un  de 
ces.hommes  modestes  qui,  uniquement  occupés  d'obte- 
nir des  perfectionnemens ,  dédaignent  de  recourir  au 
charlatanisme  pour  les  faire  valoir.  Il  a  simplifié  le  mé- 
canisme de  ses  pianos  ;  il  y  a  introduit  des  améliorations 
sans  jamais  se  soucier  de  prendre  un  brevet.  Si  M.  Rich- 
ter ne  fait  pas  de  bruit  dans  le  monde  musical,  ses  instru- 
mens y  font  beaucoup  d'effet. 

M.  Taurin,     abandonnant   le    système    suivi   jus- 


DE  PARIS. 


qu'ici  dans  la  construction  du  piano,  a  cherché  a  eu 
établir  un  autre,  tout-a-fait  différent.  Affranchir  la  table 
d'harmonie  du  poids  dont  elle  est  chargée  par  la  pres- 
sion des  cordes,  poids  qui  l'empêche  dans  sa  fond  ion , 
de  recevoir  et  de  développer  le  son,  voila  l'objet  princi- 
pal de  son  système. 

Dans  son  piano,  les  cordes  sont  fixées  sur  des  sup- 
ports particuliers ,  réunis  par  le  haut  pour  former  le 
sommier  des  chevilles,  la  table  d'harmonie  est  placée 
derrière  ces  supports  et  reçoit  le  son  par  des  conducteurs 
qui  représentent  l'ame  d'un  violon;  ces  conducteurs  ont 
juste  en  longueur  la  distance  qui  se  trouve  entre  le  der- 
rière des  supports  et  la  table  d'harmonie ,  de  sorte  que 
celle-ci ,  n'étant  rapprochée  qu'au  point  de  contact,  con- 
serve toute  son  élasticité.  M.  Taurin  assure  obtenir  un 
son,  dont  la  durée  est  double  de  celle  des  meilleurs  pia- 
nos connus.  On  ne  saurait  porter  un  jugement  décisif  sur 
ce  système  d'après  le  modèle  d'essai  non  achevé ,  qui  se 
trouvait  a  l'exposition.  M.  Taurin  s'occupe  ,  dans  ce 
moment,  de  la  construction  d'un  piano  auquel  il  appli- 
quera plusieurs  modifications.  Nous  nous  réservons  de 
rendre  un  compte  détaillé  de  cet  instrument  aussitôt  qu'il 
sera  fini. 

Le  récent  établissement  de  [  lusieurs  manufactures 
dans  la  province,  prouve  assez  combien  le  goût  musical 
se  répand  en  France,  et  promet  pour  l'avenir  une  propa- 
gation plus  active  encore.  Nons  ne  parlons  pas  de  quel- 
ques facteurs  isolés  qui  confectionnent  avec  peine  quel- 
ques pianos  par  an,  mais  de  véritables  fabriques  tellesque 
celle  de  M.  Boisselot  a  Marseille ,  qui ,  occupant  quarante 
h  quarante-cinq  ouvriers,  fait  sa  besogne  eu  gros. 

Il  n'y  a  pas  plus  de  quatre  ans  que  M.  Boisselot  a  fondé 
son  établissement,  et  déjà  il  a  acquis  une  importance 
que  voudraient  atteindre  beaucoup  de  ses  confrères  de 
la  capitale.  On  nous  assure  que  centà  cent  vingt  pianos, 
de  différais  formats,  sortent  annuellement  des  ateliers 
de  M.  Boisselot,  parmi  lesquels  un  certain  nombre  a  la 
destination  de  l'étranger.  Ce  résultat  est  d'autant  plus 
beau  qu'il  n'est  dû  qu'au  véritable  mérite.  Le  piano  à 
queue,  qui  figurait  a  l'exposition,  fait  preuve  du  soin 
que  ce  facteur  met  a  la  confection  de  ses  inslrumens; 
belle  qualité  de  son,  égalité  et  facilité  de  la  touche, 
construction  soignée  dans  tous  les  détails  et  garantissant 
la  solidité;  voila  ce  que  nous  avons  constaté  en  exami- 
nant cet  instrument.  Aussi  des  artistes  distingués,  qui 
en  ont  joué  ,  ont-ils  exprimé  leur  entière  satisfac- 
tion. 

C'est  la  première  fois  que  la  province  envoyait 
des  piauos  a  l'exposition.  Le  début  de  M.  Boisselot 
méritait,    ce    semble,    un    encouragement  distinctif. 


Nous  ignorons  les  motifs  du  jury  qui  a  cru  ne  devoir  lui 
décerner  qu'une  mention  honorable. 

Nous  terminons  ici  la  revue  des  pianos  admis  a  l'ex- 
position. Il  nous  aurait  fallu  doubler  ou  tripler  nos  co- 
lonnes, si  nons  avions  voulu  consacrera  chacun  des 
facteurs  un  examen  spécial.  Parmi  ceux  que  nous  avons 
passés  sous  silence,  il  y  en  a  quelques-uns  qui  ont  fait 
de  bons  inslrumens,  sans  néanmoins  présenter  rien 
d'assez  remarquable  pour  motiver  une  mention  parti- 
culière. 


BIOGRAPHIE. 


Une  notice  complète  sur  la  vie,  les  travaux  et  les  ou- 
vrages de  Choron  tiendrait  une  place  honorable  et  im- 
portante dans  l'histoire  de  la  musique  en  France,  et  il  est 
fort  a  désirer  que  la  publication  de  ses  ouvrages  iné- 
dits soit  précédée  d'un  travail  de  cette  nature,  fait 
avec  le  soin  et  le  développement  que  méritent  les  im- 
menses services  qu'il  ne  cessa  de  rendre  a  l'art  qu'il  cul- 
tivait avec  tant  de  dévouement  et  d'amour.  Dans  l'im- 
possibilité de  remplir  dignement  cette  tâche,  nous  con- 
sacrerons quelques  colonnes  à  raconter  brièvement  les 
principaux  faits  d'une  vie  si  courte  et  si  bien  remplie. 

Alexandre-Etienne  Choron  naquit  a  Caen,  où  £011 
père  était  directeur  des  fermes,  le  21  octobre  1771  ;  il 
fit  d'excellentes  études  classiques  au  collège  de  Juilly, 
qu'il  avait  terminées  à  l'âge  de  15  ans  ,  après  s'être  ren- 
dues familières  la  langue  et  la  littérature  grecque  et  ro- 
maine. Unepassiun  irrésistible  l'entraînait  vers  lesétudes 
musicales  ;  ma  s  son  père  qui  le  destinait  a  une  autre  car 
rière  l'obligeait  h  diriger  ses  travaux  vers  un  but  tout 
différent  et  entravait  ses  goûts  par  toutes  sortes  d'obs- 
tacles. Avec  un  caractère  aussi  ardent,  aussi  tranché  que 
l'était  celui  de  Choron,  ces  obstacles  ne  servaient  qu'à 
irriter  sa  soif  d'instruction  musicale,  et  dans  l'impossibi- 
lité où  il  se  trouvait  d'obtenir  un  maître  qui  lui  apprît 
les  élémens  pratiques,  absolument  privé  de  livres  et  de 
conseils ,  il  parvînt  a  se  créer,  pour  ainsi  dire,  un  mode 
de  notation  au  moyen  duquel  il  parvint  à  écrire  les  airs 
qu'il  entendait,  et,  cela,  avant  d'être  en  état  délire  deux 
lignes  de  la  notation  usuelle.  Puis  il  se  procura  quelques 
livres  des  théoriciens  de  l'école  deRameau,  qui  lui  don- 
nèrent quelques  idées  de  composition.  Son  premier 
maître  fut  l'abbé  Rose,  qui  lui  avait  été  désigné  par 
Grétry;  mais  ce  fut  Boncsi  qui,  en  lui  faisant  connaître 
les  traditions  des  écoles  italiennes,  dont  il  était  lui- 
même  disciple,  jeta  dans  son  esprit  les  premières  se- 
mences de  cette  admiration  presque  exclusive  des  an- 


264 


GAZETTE  MUSICALE 


ciens  maîtres  de  Venise ,  de  Milan ,  de  Naples  et  de 
Rome,  de  Rome  surtout;  car  il  vénérait  le  chef  de  l'é- 
cole romaine,  le  grand  Palestrina,  presqu'a  l'égal  d'un 
dieu. 

Choron  parvint  aux  connaissances  pratiques  de  la  mu" 
sique  par  un  procédé  tout  opposé  a  celui  que  l'on  suit 
ordinairement  :  il  dit  lui-même,  dans  un  de  ses  écrits, 
qu'il  est  descendu  des  sommités  ■philosophiques  de  la 
science  au  détail  des  opérations  techniques.  En  effet,  il 
n'est  pas  d'ouvrage  important  sur  la  théorie  musicale  dont 
il  n'eût  fait  presque  une  étude  spéciale.  Il  s'était  imposé 
la  tâche  de  pouvoir  les  lire  tous  dans  la  langue  originale, 
et  dans  ce  seul  but  il  avait  acquis  une  connaissance  ap- 
profondie des  différentes  langues  littéraires.  Plusieurs 
lui  étaient  devenues  aussi  familières  que  sa  langue  mater- 
nelle, et  à  une  époque  où  les  langues  de  l'orient  étaient 
presque  abondonnées,  il  remplil  a  plusieurs  reprises  les 
fonctions  de  suppléant  pour  le  cours  d'hébreu  au  collège 
de  France. 

Ces  travaux  ne  suffisaient  pas  a  la  prodigieuse  acti- 
vité d'esprit  dont  Choron  était  dominé;  il  se  livra  avec 
ardeur  et  succès  a  l'étude  des  sciences  physiques  et  ma- 
thématiques, qui  toujours  ont  eu  pour  lui  beaucoup  d'at- 
trait. Monge  se  l'attacha  pendant  un  assez  long  espace 
de  temps  a  titre  d'élève  particulier,  et  c'est  sous  la  di- 
rection de  ce  célèbre  mathématicien,  qu'il  fut  répétiteur 
pour  la  géométrie  descriptive  a  l'Ecole  Normale  en  1795, 
et  qu'il  exécuta  tous  les  plans,  calculs  et  autres  travaux 
de  détail  pour  l'organisation  de  l'École  Polytechnique  , 
alors  nommée  École  centrale  des  Travaux  Publics.  A  la 
création  de  cet  établissement,  il  y  entra  comme  chef  de 
brigade. 

Tous  ces  travaux  ne  pouvaient  distraire  Choron  de 
ses  occupations  favorites,  et  il  commença  en  1804  la 
série  de  ses  nombreuses  publications  mus'cales,  tantôt 
comme  auteur  ,  tantôt  comme  éditeur  ou  traduc- 
teur. C'est  malheureusement  au  prix  de  sa  fortune, 
que  Choron  a  payé  le  rang  qu'il  s'est  acquis  parmi  les 
plus  habiles  théoriciens  ,  parmi  les  écrivains  les  plus  es- 
timés. Un  seul  but  le  guida  pendant  tout  le  cours  de  sa 
laborieuse  carrière,  le  développement  et  le  progrès  de 
l'art  musical.  Peu  soucieux  de  gloire,  d'honneurs  et  de 
fortune,  c'est  a  l'accomplissement  de  cette  pensée  uni- 
que qu'il  a  tout  sacrifié.  Pour  faire  dignement  un  exa- 
men raisonné  de  ses  divers  écrits,  il  faudrait  posséder 
les  connaissances  si  variées  et  si  nombreuses,  qui  pla- 
çaient si  haut  cet  artiste  justement  célèbre.  Cette  tâche 
est  au-dessus  de  nos  forces  et  nous  devons  nous  conten- 
ter d'une  simple  mention.  Son  premier  ouvrage  , 
publié  en    1804   avec    Éiocchi   a   pour  titre    :    Prin- 


cipes d'accompagnement  des  écoles  d'Italie,  Paris, 
in-f°.  Entre  cet  ouvrage  et  les  principes  de  composition 
des  écoles  d'Italie,  il  donna,  mais  seulement  comme 
éditeur,  un  grand  nombre  d'œuvres  de  musique  sévère 
et  classique,  principalement  des  maîtres  d'Italie  les  plus 
fameux.  C'est  tout  au  plus  si,  de  nos  jours,  de  telles  en- 
treprises auraient  le  succès  dont  elles  sont  si  dignes,  et 
ces  publications  datent  de  50  ans.  Les  Principes  de  com- 
position des  écoles  d'Italie >  Paris,  1808,  3  vol.  in-f0., 
sont  un  immense  faisceau  des  matériaux  les  plus  riches  et 
les  plus  estimés  ;  il  n'a  manqué  a  ce  magnifique  ouvrage, 
devenu  rare  aujourd'hui,  qu'un  peu  plus  d'homogénéité. 
Il  faut  ajouter  de  nouvelles  éditions  du  Musicien  prati- 
que d'slzopardij  ainsi  que  du  Traité  des  voix  et  des  in- 
strumens  d'orchestre  de  F  rancœur ,  et  la  traduction  du 
Traité  élémentaire  d'harmonie  et  de  composition  d'Al- 
hrechtsherger,  en  2  vol,  in-8°,  qui  a  eu  deux  éditions. 

Tel  était  a  peu  près  le  riche  bagage  scientifique  de 
Choron  a  l'époque  ou  la  mort  de  Framery  le  fit  entrer  a 
l'Institut  avec  le  titre  de  correspondant.  Trois  artistes 
seulement  composaient  alors  la  section  de  musique , 
Grétry,  Gossec  et  Méhul,  tous  trois  incapables,  malgré 
leur  mérite  incontestable  en  d'autres  genres,  de  rédiger 
un  rapport  sur  un  point  quelconque  de  théorie  de  l'art 
tant  soit  peu  épineux.  Choron  fut  donc  chargé  des  tra- 
vaux académiques  de  la  section  musicale,  comme  l'avait 
été  Framery ,  et  fit  plusieurs  rapports  a  l'Institut,  entre 
autres,  celui  sur  \esprincipes  de  la  versificationdeScoppa, 
qui  passe  a  juste  titre  pour  un  chef-d'œuvre  et  a  propos 
duquel  l'Académie  fut  obligée  de  reconnaître  son  inca- 
pacité de  rien  faire  de  semblable.  Choron  devait  espérer 
que  ce  corps  savant  échangerait  a  la  première  occasion  le 
titre  de  correspondant  qu'il  lui  avait  donné  en  celui 
démembre  titulaire.  Il  n'en  fut  pas  ainsi.  L'Académie 
des  beaux-arts,  alors  comme  aujourd'hui,  est  ainsi  con- 
stituée que  s'il  existait  en  France  un  Zarlin,  un  _]\Iar- 
purg  ou  un  P.  Martini,  ils  verraient  se  fermer  sur  eux 
les  bivalves  académiques,  pour  parler  comme  Choron, 
tandis  qu'on  les  ouvrirait  avec  fracas  pour  tels  immortels 
dont  la  renommée  s'étend  de  la  rue  Feydeau  a  la  place 
de  la  Bourse. 

Pour  peu  qu'une  idée  neuve,  originale,  hardie,  mais 
par-dessus  tout  utile,  s'offrît  a  l'intelligence  de  Choron, 
son  esprit,  d'une  activité  infatigable,  s'en  emparait  avi- 
dement, l'embrassait  avec  chaleur  et  ne  l'abandonnait 
qu'il  ne  l'eût  mise  en  œuvre.  Mais  de  cette  activité  même, 
de  ce  besoin  de  travailler  incessamment  au  progrès  de  la 
pratique  comme  delà  théorie  de  l'art,  naissaient  aussi  de 
nouvelles  idées,  et  la  possibilité  de  donner  une  forme 
complète  aux  idées  précédentes  s'évanouissait.  De  là  est 


DE  PARIS. 


advenu  le  nombre  considérable  de  travaux  commencés 
que  Choron  a  laissés  après  lui.  Un  certain  nombre  pour- 
tant n'eût  pas  été  perdu,  car  Choron  n'abandonnait 
guère  une  idée  qu'il  ne  l'eût  analysée  et  recomposée  sur 
toutes  les  faces;  c'est  seulement  alors  qu'il  fallait  revêtir 
d'un  corps  la  pensée  qu'il  se  laissait  envahir  par  une  plus 
nouvelle.  Ce  serait,  en  effet,  une  perte  immense  et  irré- 
parable que  la  perte  de  Y  introduction  à  l'étude  générale 
etraisonnëe  de  la  musique.  «  Cet  ouvrage,  dit  M.  Choron 
»  dans  une  notice  de  ses  travaux,  fruit  de  quarante  à 
»  cinquante  ans  de  recherches ,  offrira  une  théorie  en- 
»  tièrement  nouvelle  de  l'art,  déduite  de  l'analyse  phi- 
»  losophique  des  facultés  musicales  de  l'entendement  hu. 
»  main,  dans  laquelle  sont  exposées  les  lois  générales  de 
»  la  formation  de  tous  les  idiomes  de  musique  et  celles 
»  des  opérations  propres  à  chacun  deux.  »  Ailleurs  en- 
core, M.  Choron  fait  allusion  à  cet  écrit ,  auquel  il  attri- 
buait la  plus  haute  importance  et  qui  doit  servir  de  con- 
clusion et  de  complément^  tout  ce  qu'il  avait  fait  jusque- 
la  ;  il  dit  :  «  L'application  que  par  forme  d'exercice  j'ai 
»  fréquemment  renouvelée  des  méthodes  que  peut  fournir 
»  cette  science  (l'analyse  de  l'entendement)  a  des  sciences 
»  déjà  faites,  m'a  mis  a  portée  d'entreprendre  avec  suc- 
»  ces,  a  l'aide  de  l'analogie,  des  opérations  du  même 
»  genre,  et  par  la  de  donner  l'existence  à  une  science  qui 
»  n'existait  point  encore;  la  théorie  métaphysique  de  la 
»  musique.  Plusieurs  années  de  méditations  assidues  et 
»  d'observations  sur  nos  facultés  et  sur  les  propriétés 
»  musicales  m'ont  amené  à  créer  un  corps  de  doctrines 
»  dans  lequel  je  détermine  à  priori  les  lois  générales  et 
»  constitutives  des  divers  idiomes  ou  systèmes  de  mu- 
»  sique,  ainsi  que  les  règles  de  détails  propres  a  l'exer- 
»  cice  de  l'art  de  chacun  d'eux;  et  ce  qui  prouve  l'excel- 
»  lence  de  ma  méthode  et  la  solidité  de  mes  principes, 
»  c'est  que  toutes  les  connaissances  que  j'en  déduis,  sont, 
»  en  ce  qui  concerne  notre  système  particulier,  parfaite- 
»  nient  conformes  aux  règles  de  l'école,  qu'elles  servent 
»  ainsi  a  confirmer,  àéclaircir  et  à  développer.»  Plusieurs 
artistes  érudits  et  l'un  surtout ,  M.  Fétis ,  dont  la  parole 
doit  faire  autorité  en  ces  matières,  ont  conçu  quelques 
uns  des  principes  fondés  par  Choron  et  regardent  cet  ou- 
vrage comme  devant  ouvrir  une  nouvelle  voie  a  la  théorie 
de  l'art. 

Il  reste  a  dire  un  mot  du  Dictionnaire  des  Musiciens 
pour  achever  cette  revue  succinle  des  écrits  de  Choron  , 
relatifs  à  la  théorie  et  a  l'histoire  musicale.  Le  Diction- 
naire historique  des  musiciens,  artistes  et  amateurs, 
morts  ou  vivons, publié  en  1810,  en  2  vol.  in-8°  par 
Choron  et  M.  F.  Fayolle,  a  été,  en  grande  partie,  extrait 
et  traduit  de  la  biographie  allemande  de  Gerber.Ce  livre, 


bien  qu'imparfait  et  exécuté  a  la  hâte,  a  été  fort  utile  dans 
notre  pénurie  de  littérature  musicale  française.  Le  temps 
ajoute  nécessairement  chaque  jour  de  nouvelles  imper- 
fections a  des  recueils  de  cette  nature,  jusqu'à  ce  qu'un 
recueil  nouveau  et  plus  complet  vienne  les  remplacer 
pour  avoir  à  son  tour  le  même  sort.  Ce  qui  ne  vieillira 
pas,  c'est  le  sommaire  remarquable  de  l'histoire  de  la 
musique  que  Choron  plaça  a  la  tète  du  premier  volume, 
et  qui  présente  un  tableau  rapide  et  succinct  des  transfor- 
mations successives  de  l'art  et  des  vicissitudes  des  diver- 
ses écoles.  Ce  Dictionnaire  est  devenu  rare,  et  voici  l'a- 
necdote qu'on  dit  a  ce  sujet.  Les  libraires-éditeurs, 
comptant  sur  la  curiosité  ou  l' amour-propre  des  artistes 
nommés  clans  ce  livre,  en  avaient  fait  un  tirage  nom- 
breux ;  cinq  cents  exemplaires  environ  furent  vendus 
d'abord ,  et  le  reste  de  l'édition  resta  quelque  temps 
chez  ces  libraires.  On  était  alors  aux  dernières  années 
de  l'empire;  aucun  vaisseau,  destiné  au  long  cours,  ne 
pouvait  sortir  sans  une  cargaison  vraie  ou  feinte  de 
marchandises  françaises.  Un  capitaine ,  pressé  de  partir 
et  embarrassé  d'achever  la  cargaison  ,  acheta  à  bon 
compte  la  masse  des  volumes  restant,  moyennant  quoi  il 
put  mettre  à  la  voile;  mais,  peu  soucieux  de  littérature 
musicale,  il  n'eut  pas  plus  tôt  perdu  de  vue  les  côtes, 
qu'il  jeta  la  biographie  musicale  à  la  mer.  Que  ce  fait 
soit  réel  ou  controuvé ,  il  est  certain  que  le  Dictionnaire 
historique  des  musiciens  est  recherché  et  se  trouve  ra- 
rement. 

(La  suite  au  numéro  prochain.) 


CONCOURS 

DU    CONSERVATOIRE    DE    MUSIQUE    DE    PARIS. 

Les  concours  du  Conservatoire  sont  terminés.  Dans 
toutes  les  branches  de  renseignement,  des  élèves  dis- 
tingués sont  venus  réclamer  la  récompense  de  leurs  tra- 
vaux et  de  leur  talent.  Beaucoup  trop,  peut-être,  l'ont 
obtenue  depuis  plusieurs  années;  le  jury  du  Conserva- 
toire se  montre  trop  indulgent  et  trop  faible  dans  la  ré- 
partition des  prix.  Certainement,  il  est  souvent  guide 
par  des  considérations  toutes  bienveillantes,  toutes 
paternelles,  dans  la  confidence  desquelles  on  ne  peut 
mettre  le  public;  mais  il  n'en  est  pas  moins  vrai  qu'il 
abuse  de  la  facilité  de  partager  les  récompenses,  et  qu'il 
met  souvent,  sur  la  même  ligne,  des  élèves  dont  l'exé- 
cution offre  des  différences  de  talent  très-tranchées. 

Quoi  qu'il  en  soit,  les  concours  de  cette  année  ont 
encore  démontré  l'utilité  de  ce  bel  établissement  et  les 
soins  qu'apporte,  a  la  bonne  direction  des  études,  son 
illustre  directeur  Chérubin), 


266 


GAZETTE  MUSICALE 


Le  chant,  le  violon,  le  piano  ont  remporté  les  plus 
nombreuses  couronnes.  Mademoiselle  Nau,  élève  de 
madame  Damoreau,  que  le  Conservatoire  compte  main- 
tenant avec  orgueil  au  nombre  de  ses  professeurs  de 
chant  (car  la  révolution  de  1850  a  aboli  la  loi  salique, 
qui  régissait  les  chaires  du  Conservatoire  comme  le 
trône  de  France);  mademoiselle  Nau  a  partagé  un  prix 
que  nous  aurions  voulu  lui  laisser  entier,  tout  en  désirant 
dans  son  chant  plus  d'âme,  plus  de  force,  plus  de  vie. 
M.  Sainton,  M.  Villain,  tous  deux  élèves  de  M.  Ha- 
beneck ,  ont  remporté  les  deux  prix  de  violon;  made- 
moiselle Grange,  élève  de  M.  Adam;  M.  Ravina,  élève 
de  M.  Zimmermann,  se  sont  distingués  parmi  les  six 
premiers  prix  de  piano  décernés  par  le  jury,  primi  inicr 
pares. 

Le  concours  de  composition  a  offert  une  singularité. 
Sur  neufs  concurrens ,  quatre  n'ont  pas  terminé  leur 
composition  et  ont  déserté  le  concours,  preuve  de  mo- 
destie et  d'un  désir  de  bien  faire  qui,  selon  nous,  est 
d'un  bon  augure  pour  leurs  succès  futurs.  Cinq  des 
concurrens  étaient  élèves  de  M.  Reicha  ;  quatre  de 
M.  Halevy,  qui  a  succédé  l'an  dernier  a  M.  Fétis,  au- 
jourd'hui directeur  du  Conservatoire  de  Bruxelles  . 

Nous  donnons  ci-après  la  liste  complète  des  élèves 
couronnés  et  le  nom  de  leurs  professeurs  ;  on  trouvera 
parmi  ceux-ci  bien  des  noms  chers  a  tous  ceux  qui  ai- 
ment et  cultivent  la  musique;  élèves  jadis  du  Conser- 
vatoire, ils  rendent  aujourd'hui  a  une  nouvelle  généra- 
tion ce qu'ilsont  reçu  decellequi  les  aprécédés;  héritage 
de  gloire  et  de  talent,  qui ,  loin  de  se  morceler  en  se  di- 
visant, s'augmente  et  s'aggrandit  toujours.  Il  n'y  a  point 
de  majorats  dans  les  beaux-arts;  la  succession  est  ou- 
verte à  tous,  et,  dans  ce  vaste  ei  beau  domaine,  la  part 
de  chacun  peut  toujours  s'étendre. 

Concours  du  contrepoint  et  de  la  fugue. 

Pas  de  premier  prix. 

Deuxième  prix  :  M.  Roger,  élève  de  M.  Halevy. 

Concours  de  solfège,  pour  les  hommes. 
Premier  prix  partagé  entre  : 

M.  Carteret,  élève  de  M.  Lebel;  M.  Crohavé,  élève 
de  M.  Goblin  ;  M.  Collin,  élève  de  M.  Alkan  aîné; 
M.  Gautier,  élève  de  M.  Lebel;  M.  Gceury,  élève  de 
M.  Bien  Aimé. 

Deuxième  prix  partagé  entre  : 

M.  GilleUe,  élève  de  M.  Besozzi;  M.  Coinchon,  élève 
de  M.  Bien  Aimé;  M.  Membre,  élève  de  M.  Alkan 
aine. 

Accessit:  M.  Delurme,  élève  de  M.  Leborne. 


Concours  de  Solfège  pour  les  femmes. 
Premier  prix  partagé  entre  : 

Mademoiselle  Sebille,  élève  de  mademoiselle  Millin  ; 
mademoiselle  Klotz,  élève  de  mademoiselle  Millin  ;  ma- 
demoiselle Baillard,  élève  de  madame  Delsarte;  made- 
moiselle Fargueil ,  élève  de  monsieur  Moreau;  ma- 
demoiselle Paquier  ,  élève  de  mademoiselle  Millin  ; 
mademoiselle  Hanoy,  élève  de  mademoiselle  Millin. 
Deuxième  prix  partagé  entre  : 

Mademoiselle  Lefebvre,  élève  de  M.  Moreau;  made- 
moiselle Séraphin  ,  élève  de  mademoiselle  Barbé  ;  made- 
moiselle Gillette ,  élève  de  madame  Delsarte  ;  mademoi- 
selle Maillard  ,  élève  de  M.  Moreau  ;  mademoiselle 
Picard,  élève  de  madame  Delsarte;  mademoiselle  Jous- 
selin ,  élève  de  mademoiselle  Goblin  ;  mademoiselle 
Manière  ,  élève  de  madame  Wartel  ;  mademoiselle 
Muller,  élève  de  madame  Wartel. 

Accessit:  mademoiselle  Laborde,  élève  de  mademoi- 
selle Gobelin;  mademoiselle  Desprez,  élève  de  madame 
Wartel  ;  mademoiselle  Jancigny,  élève  de  mademoiselle 
Millin. 

Concours   d'rarmonie    et    accompagnement   réunis 

pour  les  hommes. 

Pas  de  premier  prix. 

Le  deuxième,   partagé   entre  : 

MM.  Ladé  et  Prudent,  élèves  deM.  Dourlen. 

Même  concours  pour  les  femmes. 
Premier  prix  :  mademoiselle  Hervy,  élève  de  M.  Ri- 
faut. 

Deuxième  prix  :  mademoiselle  Vierling  ,  élève  de 
M.  Rifaut. 

Concours  de  contrebasse,  classe  de  M.  Chaft. 

Premier  prix  partagé  entre  : 
MM.  Perré  et  Delpire. 

Concours  d'orgue,  classe  de  M.  Benoist. 
Premier  prix  :  M.  Alkan  aîné. 
Deuxième  prix  :  M.  Lefebvre. 

Concours  de  violon  ,  classe  de  M.  Habeneck. 
Premier  prix  :  M.  Sainton. 
Deuxième  prix  :  M.   Villain. 
Concours  de  harpe,  classe  de  M.  Nadermann. 
Pas  de  premier  prix. 
Deuxième  prix  :M.  Godefroid. 
Concours  de  vocalisation  pour  les  hommes  et  les 
femmes. 
Premier  prix  partagé  entre  : 
Mademo'selle  Cuniard,  élève  de  madame  Empaire; 


mademoiselle  Calvé,  élève  de  M.  Garaudé;  mademoi- 
selle Hirne,  élève  de  M.  Henri;  mademoiselle  Fargueil, 
élève  de  M.  Panseron. 

Deuxième  prix  partagé  entre  : 
Mademoiselle  Charlet,  élève  de  madame  Empaire  ; 
mademoiselle  Lemesle,  élève  de  M.  Henry,  M.  Puig, 
élève  de  M.  Garaudé. 
Concours  de  violoncelle  ,  classe  de  M.  Norblin. 
Premier  prix  :  M.  Pilet. 
Deuxième  prix  :  M.  Seligman. 

Concours  de  flûte,  classe  de  M.  Tulou. 
Pas  de  premier  prix. 
Deuxième  prix  :  M.  Forestier. 

Concours  de  hautbois,  classe  de  M.  Vogt. 
Premier  prix  :  M.  Verroust. 

Concours  de  clarinette,  classe  de  M.  Berr. 
Premier  prix  :  M.  Lamour. 
Deuxième  prix  :  MM.  Lecerf  et  Stainmelz. 

Concours  de  cor,  classe  de  M.  Da.uprat. 
Premier  prix  :  M.  Forestier. 

Concours  de  basson,  classe  de  M.  Gébauer. 
Pas  de  premier  prix. 
Deuxième  prix  :  M.  Yvon. 
Concours  de  chant  pour  les  hommes  et  les  femmes. 
Premier  prix  partagé  entre  : 
Mademoiselle    Nau ,   élève    de   madame  Damoreau- 
Cinti  ^'mademoiselle  Calvé,  élève  de  M.  Martin. 
Deuxième  prix  partagé  entre  : 
Mademoiselle  Melotte,  élève  de  M.  Bordogni;  ma- 
demoiselle  Hirne,  élève   de   M.  Ponchard;  mademoi- 
selle Henchoz  ,  élève  de  M.   Bordogni  ;   mademoiselle 
Vernhet,  élève  de  madame  Dainoreau;  mademoiselle 
Fromont,    élève   de   madame    Damoreau;   M.   Puig, 
élève  de  M.  Ponchard. 

Concours    de  piano    pour  les    hommes  ,    classe   de 
M.  Zimmermann. 

Premier  prix  partagé  entre  : 
M.  Ravina,  M.  Alkan  5me  et  M.  Pas  de-Loup. 

Deuxième  prix  partagé  entre  : 
M.  Petit  Anatole,  M.  Govia  et  M.  Lefebure. 
Concours   de    piano    pour    les    femmes  ,    classe   de 
M.  Adam  père. 
Premier  prix  partagé  entre  : 
Mademoiselle  Drake ,  mademoiselle  Vierling  et  ma- 
demoiselle Grange. 

Deuxième  prix  :  Mademoiselle  Decussy. 


THÉÂTRE     NAUTIQUE. 


Le  Nouveau  Robinson, 

BALLET    COMIQUE    DE    M.     BLACHE, 

Musique  de  M.  Hanssens. 

Jusqu'au  moment  où  la  troupe  de  l'Opéra  allemand 
se  sera  partagé  avec  les  danseurs  de  M.  Henri  la  scène 
du  théâtre  Ventadour,  notre  journal,  tout  musical,  ne 
peut  prendre  un  intérêt  Lien  vif  aux  représentaiions 
données  sur  ce  théâtre;  aussi  est-ce  seulement  pour  mé- 
moire que  nous  donnons  ici  place  a  quelques  lignes  sur 
le  nouveau  Robinson.  . 

Le  nouveau  Robinson  de  M.  Blache,  c'est  un  natura- 
liste attaché  a  une  expédition  anglaise,  souffre-douleur 
de  tous  les  aspirans  de  l'équipage ,  espèce  de  jocrisse 
renforcé  qu'ils  se  plaisent  à  rendre  victime  de  leurs 
cruelles  mystifications.  Le  reste  de  la  pièce  se  compose 
d'une  chèvre,  d'un  singe,  d'un  perroquet  et  de  quel- 
ques danseuses  déguisées  en  marins.  A  notre  avis,  le 
nouveau  Robinson  a  un  double  défaut  assez  grave  ;  c'est 
d'avoir  trop  peu  de  gaieté  et  trop  de  luxe  de  mise  en 
scène  pour  une  charge,  et  pas  assez  de  pompe  pour  un 
ballet.  Il  y  avait  pourtant,  dans  cette  donnée,  le  sujet 
d'une  excellente  bouffonnerie  dans  le  genre  des  panto- 
mimes anglaises  ;  il  ne  fallait  pour  cela  que  trois  ou  qua- 
tre acteurs  au  plus ,  mais  quelque  peu  davantage  de 
verve  et  d'imagination  comique. 

M.  Hanssens  a  placé,  a  la  tête  du  même  ballet,  une 
ouverture,  que  sans  doute  il  avait  en  portefeuille,  et 
dont  les  dimensions  sont  presque  incommensurables. 
Cette  ouverture  a  dû  donner  beaucoup  de  mal  a  l'auteur 
quand  il  l'a  écrite ,  et  ce  travail  a  été  peut-être  une  étude 
fort  utile  des  formes  et  des  idées  de  Weber;  mais  elle  ne 
va  pas  du  tout  devant  un  ballet  comique.  En  général,  la 
musique  tout  entière  de  M.  Hanssens  a  été  faite  un  peu 
trop  sérieusement.  Nous  désirons  que  cet  artiste  nous 
fournisse  au  plus  tôt  une  meilleure  occasion  d'apprécier 
son  talent  de  compositeur,  qu'on  dit  très-remarquable. 

Cette bluette  sans  importance,  et  dans  laquelle,  pour 
la  première  fois,  a  ce  théâtre,  l'eau  est  réellement  mise 
en  scène,  a  toujours  prouvé  la  bonne  volonté  et  l'activité 
des  directeurs,  et  l'excellente  mise  en  scène  du  Guil- 
laume Tell  fait  bien  augurer  du  grand  ballet  chinois 
qu'on  monte  en  ce  moment. 


PROTESTATION 
De  MM.  les  auteurs  et  compositeurs  dramatiques . 

Voici  le  texte  de  la  Protestation  qui  a  été  délibérée, 
et,  plus  tard  ,  rédigée  par  les  membres  de  la  commission 
dramatique. 


268 


GAZETTE  MUSICALE  DE  PARIS. 


ATTENDU  : 

1°Que  l'article  7  de  charte  de  1850,  deuxième  pa- 
ragraphe, porte  textuellement  : 

«  La  Censure  ne  pour/ a  jamais  être  rétablie;  » 

2°  Qu'il  a  été  entendu  par  le  ministère  et  les  Cham- 
bres que  ce  mot  :  Censure,  impliquait  a  la  fois  et  la 
presse  et  les  théâtres ,  puisque  ces  derniers  ont  été  dès 
lors  affranchis  des  mesures  préventives  qui  pesaient  sur 
eux  et  que  les  précédens  gouvernemens  avaient  conser- 
vées;   ■ 

Qu'ainsi  le  décret  de  1806  s'est  trouvé  abrogé  de  fait 
et  incompatible  avec  les  libertés  publiques; 

5°  Que  le  19  janvier  1831  ,  le  ministre  de  l'intérieur, 
parlant  au  nom  du  gouvernement  et  apportant  à  la 
chambre  des  députés  un  projet  de  la  loi  pour  la  répres- 
sion des  délits  commis  par  la  voie  des  représentations 
théâtrales,  disait  à  la  tribune  : 

«  Loin  de  nous  la  pensée  ,  pour  le  but  limité  que 
»  nous  avons  voulu  atteindre ,  de  recourir  aux  moyens 
»  préventifs  qui  jureraient  et  avec  l'ensemble  de  nos 
»  lois  et  avec  nos  propres  convictions.  La  censure 
»  pourrait  exister  encore  ;  mais  nous  la  tenons  pour 
»  morte  :  elle  a  été  tuée  par  les  censeurs  ;  » 

Que,  plus  loin,  il  propose  a  la  chambre  «  de  faire  juger 
»  les  délits  du  théâtre  par  la  belle  institution  du  jury.  » 
—  Qu'il  dit  encore  :  «  A  certaines  époques  on  a  traité 
»  de  la  même  manière  les  différens  modes  d'exprimer  sa 
)>  pensée;  et  que  la  Censure  théâtrale  marchait  de  front 
»  avec  la  Censure  politique;  et  l'on  sait  que  le  despo- 
»  tisme  ne  s'amuse  pas  à  graduer  les  libertés  ;  l'unifor- 
»  mité  lui  plaît  et  il  la  met  dans  toutes  les  sortes  d'arbi- 
»  traire  ;  » 

Qu'enfin,  discutant  les  moyens  de  répression,  il  ajou- 
tait :  «  L'administration  ,  a  laquelle  nous  ne  reconnais- 
»  sons  pas  le  droit  d'empêcher  la  représentation  d'une 
»  pièce  de  théâtre ,  sera  cependant  officiellement  préve- 

»  nue Après  la  première  représentation,  le  juge 

a  d'instruction  pourra  suspendre  la  pièce  ;  » 

4°  Qu'ainsi  la  pensée  du  gouvernement  était  bien  d'as- 
similer les  théâtres  a  la  presse  ,  reconnaissant  que  ces 
deux  modes  de  publication  étaient  indivisibles  et  devaient 
être  soumis  a  la  même  juridiction. 

Par  tous  ces  motifs ,  et  s'appuyant  sur  le  respect  dû 
à  la  charte  jurée  par  les  trois  pouvoirs  de  l'état,  les 
membres  soussignés  de  la  commission  des  auteurs  et 
compositeurs  dramatiques,  en  vertu  du  mandat  qu'ils 
ont  reçu  de  leurs  confrères ,  protestent  contre  toute  ap- 
plication occulte,  déguisée  ou  ostensible  du  décret  de 
1 806  ou  de  tout  autre  décret  ou  ordonnance  gai  serait 
illégalement  invoquée  contre  la  liberté  du  théâtre,  et  dé- 


clarent qu'ils  s'opposeront   a   l'arbitraire   par  tous  les 
moyens  qui  sont  en  leur  pouvoir. 

Par  ces  protestation  et  déclaration  ,  les  auteurs  drama- 
tiques se  retranchent  donc  derrière  la  charte  jusqu'à  la 
promulgation  d'une  loi  spéciale  sur  les  théâtres,  loi  qui, 
aux  termes  de  l'art.  7  du  pacte  fondamental  de  l'état , 
ne  peut  jamais  être  préventive. 

Formulé  et  délibéré  en  assemblée  générale. 

Paris,  ce  mercredi  5  août  1 834-. 

Les  membres  de  la  Commission  dramatique  : 
Lemercier ,   Fontan  ,  Alexandre-Dumas  ,  Ferdinand- 

Langlé,  Frédéric-Soulié,  Meiville,  Maillan,  Duma- 

noir  _,  Fictor-Hugo  ,  de  Longpré,  Piccini ,   Alboise, 

Arnould. 

Pour  copie  conforme. 
Les  agens  des  auteurs  : 

Gutot,  J.-Michet. 


NOUVELLES. 

\  La  mort  vient  de  répandre  le  deuil  flans  une  des  familles 
les* plus  honorables  de  l'Alsace,  et  d'enlever  au  monde  musical 
un  des  plus  dignes  interprètes  de  nos  grands  maîtres.  Made- 
moiselle Caroline  Hartmann,  cette  musicienne  consommée 
et  qui  occupait  un  si  haut  rang  parmi  les  amateurs  de  France, 
a  cessé  de  -vivre.  Dès  l'âge  le  plus  tendre  ,  elle  captivai!  déjà  les 
suffrages  de  tous  les  connaisseurs  par  le  (aient  avec  lequel  elle 
'surmontait  les  plus  grandes  difficultés  sur  le  piano.  Elle  avait 
reçu  des  leçons  (le  nos  premiers  maîtres  et ,  en  dernier  lieu, 
elle  avait  complété  son  éducation  musicale  sous  la  direction  de 
M.  Liszt,  Chopin,  Pixis,  etc.  La  maison  de  son  père  était  le 
rendez-vous  de  tous  les  artistes  distingués  qui  passaient  en 
Alsace,  et  tous  payaient  leur  tribut  d  admiration  au  grand 
mérite  de  mademoiselle  Hartmann.  II  est  vivement  à  regretter 
que  la  mort ,  en  frappant  indistinctement  autour  d'elle  ,  enlève 
aux  arts  leurs  plus  termes  soutiens  ,  et  nous  déplorons  en  par- 
ticulier la  perte  qu'ils  viennent  défaire,  parce  que  c'est  surtout 
en  province  que  les  progrès  de  l'art  musical  ont  besoin  d'être 
secondés  par  l'influence  et  l'exemple  de  quelque  talent  supé- 
rieur. 

4%  C'est  toujours  pour  la  fin  du  mois  que  l'on  nous  promet 
à  l'Opéra,  le  ballet  de  la  Tempéle  :  musique,  décorations,  mise 
en  scène  ,  tout  marche  au  gré  des  auteurs, 

Les  répétitions  de  la  Juive  se  poursuivent  au  même  théâtre 
avec  une  grande  activité  :  chaque  jour  révèle  de  nouvelles 
beautés  dans  cette  partition,  dont  les  derniers  actes  justifient 
l'opinion  favorable  que  l'on  avait  conçue  de  cet  ouvrage  dès  les 
premières  répétitions. 

++  Madame  Amélia  Masi,  de  l'Opéra-Comique,a  eu  l'honneur 
de*présentcr  à  la  reine  des  Français  un  recueil  de  romances  et 
de  nocturnes,  dont  S.  M.  a  daigné  agréer  la  dédicace.  Une  mu- 
sique suave ,  gracieuse  et  légère  assure  la  vogue  à  cette  nou- 
velle production. 

S.  M.  a  fait  prévenir  madame  Masi,  qu'elle  devait  faire  par- 
tie des  artistes  appelés  aux  concerts  delà  cour. 

*+  On  a  organisé  à  Cheltenham ,  près  de  Londres ,  des  con- 
certs en  plein  air,  à  l'instar  de  ceux  des  Champs-Elysées  ,  sous 
le  nom  de  Évening  Musical  Promenades.  La  foule  se  porte  à 
ces  réunions. 

*  Il  y  a  dans  ce  moment  à  Marseille  un  théâlre  italien  qui 
est*très-peu  suivi  à  cause  de  la  médiocrité  des  chanteurs  et  des 
cantatrices. 


Gérant,  MAURICE  SCHLESINGER. 


.  —  I*^ri 


:  .l'ÉVERAT,  rut  du  Cadra»,  ■*  1*. 


a>m  zpdamn®* 


n°  8â. 


PRIX  DE  l'aDONNEM. 

PARIS. 

DÉPART. 

ÉTltA!<G 

fr. 

Fr.       ,-. 

Fr.       c. 

3  m.    f. 

8    75 

9     50 

6  m.  )5 

16   5u 

18     .. 

1  an.  30 

35    » 

36     » 

£»  (&«zette  iïtusicale  i>*  {paris 
Paraît    le   DIMANCHE  de  chaque  semaine. 

On  s'abonne  au  bureau  de  la  Gazette  Musicale  de  Paris,  rue  Richelieu ,  97; 
et  chez  tous  les  libraires  et  marchands  de  musique  de  France. 

)o  reçoit    les  réclamations  des  personnes  qui  ont  des  griefs  à  exposer,  et  les  avis  relatifs 
qui  peuvent  intéresser  le  public. 


musique 


PARIS.  DIMANCHE  24  AOUT  1S3'(. 


Les  lettres,  demandes 
et  envois  d'argent  doi- 
vent être  affranchis,  et 
adresses  au  Directeur , 
rue  Richelieu,  97. 


BIOGRAPHIE. 

CHORON. 
(suite  et  fin.) 

Choron  a  suivi  dans  sa  carrière  d'artiste  absolument 
la  même  marche  que  dans  ses  études  musicales.  Au  lieu 
de  se  faire  de  la  pratique,  comme  un  point  de  départ 
pour  s'élever  ensuite  a  la  théorie,  nous  l'avons  vu,  au 
contraire,  descendre  de  la  philosophie  de  l'ait,  aux 
procédés  techniques  ;  de  même ,  il  a  commencé  par  être 
historien  et  théoricien,  pour  devenir  maître  de  chapelle 
et  professeur. 

Ses  connaissances  mathématiques  l'avaient  fait  atta- 
cher, en  1815,  a  la  rédaction  du  bulletin  d'encourage- 
ment pour  l'industrie  nationale;  vers  ce  temps,  Bigot 
de  Préameneu,  alors  ministre  des  cultes,  lui  donna  la 
direction  de  la  musique  dans  les  fêtes  publiques  et  les 
cérémonies  religieuses,  et  le  chargea  en  même  temps  de 
rédiger  un  vaste  projet  pour  la  réorganisaiion  des  maî- 
trises et  des  chœurs  de  cathédrales  dans  tout  l'empire. 
Ces  plans,  qui  devaient  rendre  a  la  France  quatre- 
vingts  institutions  musicales  dont  la  révolution  l'avait 
privée,  furent  présentés  par  lui  à  Napoléon  qui  les  ap- 
prouva, et  l'ordre  de  les  mettre  immédiatement  à  exé- 
cution, allait  être  donné,  lorsque  arrivèrent  les  désas- 
tres de  la  campagne  de  Russie  et  la  chute  de  l'empereur. 
La  rentrée  desBouibonsfitperdre  a  Choron  lesemplois  qu'il 
tenait  du  gouvernement  ;  et  il  ouvrit  alors  une  école  pu- 
blique de  musique  qui ,  faible  dans  ses  commencemens , 
s'est  élevée  successivement  par  la  seule  capacité  du  fon- 
dateur, jusqu'à  devenir  une  institution  nationale,  jus- 


qu'à se  montrer  la  redoutable  et  heureuse  rivale  du  Con- 
servatoire royal  de  musique.  Les  succès  obtenus  par  cette 
école  sont  dus  a  la  supériorité  des  procédés  de  la  méthode 
concerta/île,  sorte  d'enseignement  mutuel  inventé  par 
Choron  autant  qu'au  zèle  infatigable,  al'invincible  per- 
sévérance de  cet  habile  professeur.  Un  arlicle  de  Neu- 
koinin,    inséré  dans  la  Gazette  musicale   de  Leipzig 
de  1825,  fait  connaître  la  date  précise,  sinon  de  l'inven- 
tion ,  du  moins  des  premiers  essais  de  la  méthode  con- 
certante. Neukomm  nous  apprend  qu'en  18H,  Choron 
donnait  a  Paris,  dans  une  école  de  musique,  des  leçons 
gratuites  d'après  les  principes  de  l'enseignement  mutuel 
appbqué   à  l'art   musical ,  et    qu'incontestablement  la 
gloire  de  cette  invention  appaitient  a  cet  artiste.  Neu- 
komm  lui-même  avait  été  témoin  [de  ces  essais  ;  et 
frappé  des  grands  avantages  que  semblait  lui  présenter 
cette  méthode,    il   la  recommandait   vivement  a  celles 
d'Allemagne.  Ce  pays  a  profité  de  ces  sages  avis;  au- 
jourd'hui l'enseignement  mutuel  appliqué,  a  la  musique, 
est  en  usage  dans  des  centaines  d'écoles  allemandes  ;  et 
Choron  ,  après  avoir    donné   pendant  vingt    ans   des 
preuves  innombrables,  et  presque  miraculeuses  des  ré- 
sultats de  son  invention ,   a  vu  la  sienne  mourir  avec 
lui;  mais  n'anticipons  pas. 

En  \  800 ,  Choron  avait  publié  une  méthode  d'instruc- 
tion primaire  pour  apprendre  en  même  temps  à  lire  et  à 
écrire;  des  expériences  publiques  en  avaient  constaté 
l'utilité,  piincipalement  sur  de  grandes  réunions  d'en- 
fans  :  le  souvenir  de  ces  essais  le  fit  appeler  dans  la  com- 
mission chargée  d'introduire  l'enseignement  mutuel 
dans  les  écoles  primaires  ,  et  ses  idées  servirent  de  base 
aux  procédés  qui  furent  adoptés.  Modifiant    ses  idées 


270 


GAZETTE  MUSICALE 


premières,  il  dressa  pour  les  écoles  tous  les  syllabaires 
et  tableaux  de  lecture  dont  on  se  sert  encore  aujourd'hui 
dans  la  plupart  de  ces  établissemens.  Les  travaux  de 
rette  nature  ne  donnent'a  leurs  auteurs.ni  beaucoup  de 
gloire  ni  beaucoup  de  profit;  mais  par  ces  raisons  même 
ils  convenaient  parfaitement  h  l'ame  généreuse  et  bien- 
faisante de  Choron,  et  c'était  pour  lui  de  douces  dis- 
tractions de  ses  occupations  habituelles. 

Appelé ,  de  1 81 5  a  1 8 1 7  ,  a  la  direction  de  l'académie 
royale  de  musique,  Choron  apporta  dans  cette  admini- 
stration ce  zèle  constant,  cette  ardeur  désintéressée  qu'il 
mettait  dans  les  grandes  comme  dans  les  petites  choses; 
peut-être  était-il  moins  bien  doué  de  cette  souplesse  de 
forme  indispensable  pour  conduire  un  corps  aussi  diffi- 
cile a  manier  qu'une  troupe  d'opéra;  toutefois  il  signala 
dignement  son  passage  a  ce  théâtre,  et  il  a  laissé  a  ses 
successeurs  un  exemple  difficile  a  imiter  ;  car  vingt  mois 
lui  suffirent  pour  remettre  au  répertoire  douze  ouvrages 
anciens  et  en  monter  sept  nouveaux.  L'état  de  décadence, 
chaque  jour  plus  sensible  où  se  trouvait  a  l'Opéra  toute 
la  partie  du  chant,  lui  lit  songer  aux  moyens  de  remédier 
à  ce  mal  et  de  restaurer  les  études  relatives  a  cet  art. 
Point  n'était  besoin  comme  aujourd'hui  de  procéder  par 
suppressions;  le  Conservatoire  n'existait  pas  ;  de  sottes 
rancunes  l'avaient  effacé  des  budgets;  et  cette  admirable 
école  instrumentale ,  qui  permit  a  Paris  d'enfanter  en 
quelques  heures  des  orchestres  formidables  et  presque 
miraculeux,  n'était  plus  qu'un  vain  nom.  Trop  préoc- 
cupé delà  faiblesse  insignifiante  du  chant  dans  cet  éta- 
blissement, Choron  peut-être  était  sous  le  poids  de 
quelques  préventions  mal  fondées  relativement  aux  au- 
tres parties  de  celte  institution.  Toujours  est-il  que  le 
projet  de  réorganisation,  qu'il  proposa  au  ministre,  fut 
un  véritable  service  rendu  a  l'art  ;  car  il  consistait  à  in- 
troduire en  France  le  régime  si  simple ,  si  économique  et 
si  fécond  en  résultats  des  anciens  conservatoires  d'Italie. 
Malheureusement,  l'intérêt  de  l'art  et  l'intérêt  des  ar- 
tistes ne  sont  pas  si  intimement  liés  que  l'un  ne  soit 
parfois  contraint  de  céder  h  l'autre  :  l'intérêt  des  artistes 
l'emporta.  Choron  proposait  deux  choses  :  un  pension- 
nat pour  le  chant  et  un  budget  normal  pour  tout  l'éia- 
blisscment  de  68,000  francs,  et  rien  de  plus.  Tel  n'était 
pas  le  compte  des  artistes  qui  voulaient  compter  leur  do- 
tation par  centaines  de  mille  francs.  Il  est  besoin  -d'ex- 
pliquer comment  un  plus  gros  budget  nuit  a  l'art  :  c'est 
facile.  Dans  l'organisation  d'un  conservatoire,  telle  qu'elle 
existe  aujourd'hui,  et  que  Choron  voulait  réformer,  il 
faut  beaucoup  de  maîtres,  et  partant  un  gros  budget 
pour  mi  petit  nombre  d'élèves.  Chaque  professeur  don- 
nant au  plus  trois  leçons  par  semaine,  d'une  heure  cha- 


cune, et  n'a J mettant  que  huit  élèves  au  plus  dans  sa 
classe ,  il  en  résulte  qu'il  faut  qu'un  élève  soit  grande- 
ment favorisé  lorsqu'il  reçoit  trois  quarts  d'heure  de 
leçons  par  semaine;  le  reste  du  temps,  il  est  livré  a  ses 
propres  forces.  Pour  trois-cents  élèves,  par  exemple,  il 
faudra  donc  une  prodigieuse  quantité  de  professeurs,  et 
les  leçons  n'en  seront  pas  moins  peu  fréquentes  et  de  pe- 
tite durée.  —  A.  ce  mode  vicieux,  Choron  voulait  sub- 
stituer le  régime  italien  que  ses  études  sur  l'histoire  de 
la  musique  lui  avaient  fait  connaître  et  apprécier.  Dans 
un  ancien  conservatoire,  il  n'y  avait  que  deux  mai.ies 
titulaires:  un  décomposition,  un  de  chant;  les  maîtres 
d'instrumens  venaient  du  dehors.  Ne  nous  occupons  que 
du  chanl.  Ce  maître  unique  donnait  chaque  jour  une 
heure  de  leçon  a  laquelle  assistait  la  totalité  des  élèves, 
quelque  fût  leur  nombre.  La  leçon  se  passait  ainsi  :  les 
plus  torts  d'entre  les  élèves,  occupant  des  places  à  part, 
recevaient  directement  la  leçon  du  professeur  qui  expo- 
sait les  règles,  donnait  des  exemples ,  les  faisait  exécu- 
ter par  les  élèves-maîtres ,  indiquait  les  défauts  et  les 
moyens  de  les  corriger.  Cette  hciue  écoulée,  les  élèves 
se  formaient  en  autant  de  subdivisions  qu'il  y  avait  dV- 
lèves-maîtres ,  et  chacun  de  ceux-ci  redisait  a  sa  section 
la  leçon  qu'il  avait  reçue  lui-même.  Le  professeur  assis- 
tait a  cette  seconde  leçon.  Puis  aux  momens  d'étude, 
d'autres  subdivisions  se  formaient.  Par  cette  méthode, 
chaque  élève  avait  donc  un  travail  journalier  de  deux 
heures,  et  son  attention  était  d'autant  plus  excitée  qu'il 
devenait  maître  a  son  tour.  Ainsi ,  cela  se  passait  a  JNa- 
plcs  dans  le  dix-septième  etle  dix-huitième  siècle,  et  les 
bons  chanteurs  sortaient  de  ces  écoles  par  douzaines. 
Pour  les  autres  éludes,  on  suivait  la  même  marche.  Ces 
explications  suffisent  pour  montrerla  différence  des  deux 
enseignemens. 

Le  pensionnat  que  Choron  voulait  former  d'après  ces 
principes,  et  le  composer  de  soixante-dix  a  quatre-vingts 
chanteurs  des  deux  sexes,  ne  fut  point  établi  :  plus  tard 
il  fut  organisé  dans  des  proportions  plus  restreintes  ;  mais 
l'enseignement  adopté  fut  maintenu.  L'un  et  l'autre  sub- 
sistent aujourd'hui;  c'est  tout  ce  qu'on  en  peut  dire. 

A  la  sortie  de  l'administration  de  l'Opéra  ,  Choron 
fut  choisi  pour  diriger  une  fraction  de  ce  pensionnat 
destinée  à  régénérer  les  chœurs  des  théâtres  ;  on  lui 
donna  le  nom  d'école  royale  et  spéciale  de  chant.  Plus 
de  deux  cents  choristes  sont  effectivement  sortis  de  cette 
éccle;  mais  bientôt  cet  habile  professeur,  tout  honteux 
du  rôle  subalterne  auquel  on  l'avait  réduit,  voulut  don- 
ner â  son  institution  un  but  plus  noble  et  plus  utile.  Il 
lui  fit  prendre  le  nomde  Conservatoire  de  musique  reli- 
gieuse ,  et  depuis  1830,  celui  de  Conservatoire  de  mu- 


DE  !>A£iS. 


271 


sicjue  classique.  Voici  en  quels  termes  Choron  explique 
ce  but  qu'il  a  si  bien  rempli,  et  qui ,  chaque  jour,  sem- 
blait grandir  avec  son  zèle  et  son  amour  de  l'art;  il 
embrasse  : 

1°  La  conservation  des  œuvres  classiques  de  musique, 
c'est-à-dire  le  soin  de  choisir  et  de  recueillir,  principa- 
lement parmi  les  grandes  compositions  vocales  en  tout 
genre  des  maîtres  de  toutes  les  écoles  et  de  toutes  les  gé- 
nérations ,  les  portions  de  leur  œuvre  dignes  d'être  con- 
servées à  la  postérité,  d'en  faire  l'objet  d'études  spéciales 
et  de  les  faire  exécuter  avec  toute  la  perfection  dont  elles 
sont  susceptibles. 

2°  Le  perfectionnement  du  chant  national  et  l'accrois- 
sement de  la  civilisation  par  l'enseignement  universel 
de  la  musique  élémentaire  et  la  propagation  générale  du 
chant  choral  ;  le  perfectionnement  des  méthodes,  et  l'in- 
struction de  jeunes  professeurs  destinés  a  seconder  les 
vues  des  législateurs  relatives  à  l'introduction  du  chant 
dans  l'enseignement  primaire. 

En  -1 826 ,  Choron  construisit  à  ses  frais,  dans  son 
institution,  une  salle  de  concert  où  ,  pendant  plusieurs 
années,  ses  élèves  ont  fait  entendre  les  chefs-d'œuvre 
des  anciennes  écob  s  religieuses,  des  Palestrina,  des 
Hœndel,  des  Cléri,  des  Carissimi  ,  etc.  ;  tout  Paris 
courut  entendre  ces  productions  exécutées  par  de  jeu- 
nes enfans  avec  une  supériorité  d'ensemble  désespérante 
pour  des  artistes  consommés,  et  dont  on  n'avait  point 
encore  eu  d'exemple  dans  nos  écoles.  Depuis  1825,  il 
avait  été  nommé  maître  de  chapelle  a  la  Sorbonne  ;  et 
chaque  dimanche,  chaque  jour  de  fêle,  les  dilettantides 
quartiers  les  pins  éloignés  se  pressaient  en  foule  dans 
l'étroite  enceinte  de  cette  église,  naguère  vaste  et  déserte, 
où,  pour  la  première  fois,  furent  entendus  le  Miserere 
d'Allegii,  le  Slabat  mater  a  deux  chœurs  de  Palestrina, 
compositions  du  style  le  plus  religieux  et  le  plus  sévère, 
et  d'une  telle  difficulté  qu'elles  avaient  semblé  jusqu'a- 
lors condamnées  a  ne  pas  sortir  de  l'enceinte  de  la  cha- 
pelle pontificale. 

La  perfection  d'exécution  où  Choron  savait  conduire 
ses  élèves  était  due  principalement  à  la  gravité,  à  la  sé- 
vérité et  surtout  à  la  bonne  direction  de  leurs  études 
premières.  Sa  méthode  concertante  les  amenait  graduel- 
lement, rationnellement  et  sans  fatigue,  depuis  les  plus 
simples  rudimensdela  gammejusqu'aux  combinaisons  de 
tons  et  de  mesure  les  plus  compliqués;  ces  leçons  n'étant 
jamais  chantantes,  mais  seulement  charitables,  ils  deve- 
naient lecteurs  malgré  eux  ;  chantant  toujours  en  parties  ; 
et,  dès  l'origine  de  leur  éducation,  la  justesse  et  la  me- 
sure n'étaient  qu'un  jeu  pour  eux;  enfin,  par  l'habitude 
qu'ils  acquéraient  delà  musique  sévère  des  écoles  classi- 


ques, ils  se  jouaient  des  plus  grandes  difficultés  du  style 
moderne.  Basée  sur  les  principes  des  écoles  italiennes, 
Choron  a  rendu  sa  méthode  concertante  également  utile 
au  maître  et  à  l'élève  ,  sous  le  rapport  de  la  durée  des 
études,  non  pas  en  essayant  de  l'abréger  extraordinaire 
ment ,  ce  qu'il  savait  impossible;  mais  en  donnant  à  un 
seul  professeur  le  moyen  d'enseigner  simultanément  l'art 
de  lire  la  musique  à  un  nombre  quelconque  d'élèves, 
quel  que  soit  le  degré  d' avancement  de  chacun  d'eux. 

Tous  ces  procédésd'enseignement,  Choron  les  a  écrits 
et  développés  dans  les  ouvrages  nombreux  qu'il  a  publiés 
sur  la  musique  élémentaire,  le  chant  choral ,  etc.;  mais 
ce  qu'il  n'a  pu  mettre  dans  des  livres,  ce  qui  est  mal- 
heureusement mort  avec  lui ,  c'est  cet  enthousiasme 
communicatif,  cette  ferveur  de  conviction  qu'il  faisait 
naître  comme  h  son  insu  chez  tous  ceux  qui  l'écoutaient; 
c'est  cette  influence  toute  personnelle  et  presque  magi- 
que sons  laquelle  il  plaçait  ses  auditeurs  ou  ses  élèves- 
Choron  a  présenté  sans  aucun  doute  un  des  phénomènes 
musicaux  les  plus  extraordinaires,  car  lui  qui  jamais 
n'avait  été  un  praticien  consommé,  il  savait  obtenir  des 
niasses  les  plus  rebelles,  les  plus  inertes,  une  perfec- 
tion d'ensemble  telle  qu'un  chef  consommé  ne  l'obtient 
souvent  pas  d'artistes  de  profession. 

Il  faut  pourtant  reconnaître  que,  préoccupé  de  la 
perfection  de  l'ensemble,  Choron  a  trop  négligé  rensei- 
gnement individuel  du  chant.  Soit  que  les  procédés  mé- 
caniques lui  fussent  inconnus,  soit  qu'il  eût  une  con- 
fiance irop  grande  dans  les  résultats  de  ses  méthodes, 
il  n'a  pas  cherché  a  développer  chez  quelques  artistes 
qui  lui  doivent  leur  éducation  les  dons  naturels  qui  de- 
vaient en  faire  des  chanteurs  remarquables.  A  l'excep- 
tion de  Dupiez,  nous  ne  connaissons  pas  un  chanteur 
de  premier  rang  sorti  de  celte  institution;  mais,  en  re- 
vanche, quelle  foule  d'excellens  musiciens,  de  chan- 
teurs de  second  ordre,  de  professeurs  distingues  a-t-il 
pu  compter  au  nombre  de  ses  élèves  !  Nous  citerons 
seulement  Janscnnc  ,  Wartel ,  Tbénard ,  Hébert, 
Am.  Boulanger,  Hippolyie  Monpou,  mesdames  Du- 
prez ,  Massy,  etc. ,  etc. 

Les  trois  dernières  années  de  la  vie  de  Choron  ont  dû 
être  bien  affreuses;  car  il  est  mort  a  la  peine,  luttant 
contre  son  mauvais  sort ,  contre  l'indifférence,  il  fau- 
drait dire  contre  l'ingratitude  de  l'administration;  mais 
toujours  occupé  de  l'avenir ,  de  l'avancement  et  Je  la 
propagation  de  l'art  musical.  Après  avoir  perdu  sa  place 
de  maître  de  chapelle  a  la  Sorbonne  par  suite  de  la  révo- 
lution de  1850;  après  avoir  vu  son  budget  de  56,000  f. 
réduit  a  i  5,000  par  l'ignorance  et  le  mauvais  vouloir 
d'un  ministre,  par  la  jalousie  honteuse  de  ses  confrères, 


272 


GAZETTE  MUSICALE 


il  ne  s'occupait  encore  que  des  moyens  de  se  créer  de  nou- 
velles ressources. Dans  la  prospérité,  tout  ce  qu'il  pouvait 
gagner  élaitemployé  a  des  publications  d'ouvrages  classi- 
ques capitaux,  dont  il  forma  un  riche  répertoire  pour  ses 
cours  et  ses  concerts.  Lorsqu'il  se  vit  frappé  dans  ce 
qu'il  avait  de  plus  cher,  ses  élèves  et  son  école ,  il  forma 
un  projet  gigantesque,  et  dont  les  suites  pouvaient  être 
incalculables  si  ses  forces  ne  l'avaient  pas  trahi.  Les 
fonds  alloués  a  l'entretien  des  chœurs  des  cathédrales 
ayant  été  rayés  du  budget  en  1832,  Choron  entreprit 
d'organiser  seul  les  chœurs  de  chant,  non  pas  seulement 
dans  les  églises ,  mais  dans  les  écoles  publiques ,  dans 
les  corps  militaires,  etc.  Il  avait  composé  dans  ce  but 
des  morceaux  a  quatre  parties  qui  pouvaient  s'exécuter 
a  une,  deux,  trois  ou  quatre  ,  et  qu'il  faisait  apprendre 
séparément  à  chaque  genre  de  voix,  puis  les  réunissait 
successivement  les  uns  aux  autres.  Les  résultats  qu'il 
obtint  par  ces  procédés  tiennent  véritablement  du  pro- 
dige. A  La  Rochelle,  où  se  fit  son  premier  essai,  six 
jours  lui  suffirent  pour  créer  un  chœur  de  quatre-vingt 
dix  chanteurs  en  quatre  jours.  Il  en  fit  de  même  à  Char- 
tres et  a  Luçon.  A  Nantes  il  organisa  trois  chœurs  en 
une  semaine,  un  de  quatre-vingt,  un  de  cent  dix,  et 
un  de  cent  soixante,  pouvant  se  réunir  ou  former 
plusieurs  masses.  Arrivé  a  Angers  un  dimanche  matin  , 
il  ne  put  commencer  ses  opérations  que  le  lendemain  a 
trois  heures  et  demie,  et  a  cinq  heures  trois  quarts,  un 
chœur  de  trois  cents  cinquante  voix  exécuta  un  motet  a 
la  Vierge,  a  sept  parties,  dont  quatre  réelles.  De  retour 
a  Paris ,  il  fit  deux  réunions  semblables  a  Saint-Sulpice 
et  à  Notre-Dame  dans  l'une  desquelles  on  ne  comptait 
pas  moins  de  huit  a  neuf  cents  chanteurs.  Ces  masses  de 
chanteurs,  qu'après  quelques  heures  d'exercice,  Choron 
faisait  chanter  en  parties  avec  un  ensemble  étonnant,  se 
composaient  habituellement  non  pas  d'amateurs  ou  d'ar- 
tistes, mais  de  simples  ouvriers,  de  gens  du  peuple, 
sans  aucune  culture  musicale.  Après  de  telles  merveilles 
Choron  ne  doutait  pas  qu'on  ne  lui  donnât  a  instruire 
les  enfans  des  écoles  d'indigens,  et  il  se  proposait  de 
donner  un  concert  au  bénéfice  des  parens  pauvres,  dans 
le  milieu  du  Champ-de-Mars  avec  une  niasse  de  trente 
mille  voix  ,  et  Choron  aurait  réussi  s'il  eût  vécu. 

Tant  de  fatigues ,  une  activité  d'esprit  qui  semblait 
croître  avec  l'âge  ;  l'indifférence  du  ministère  et  de  la 
chambre  des  députés  pour  ses  élèves  qu'il  nourrissait 
littéralement  de  ses  deniers  (i)  achevèrent  de  briser  le 

(1)  Celui  qui  écrit  ces  lignes  a  vu  de  ses  yeux  la  preuve  po- 
sitive que  peu  de  temps  avant  sa  mort,  Choron  fut  obligé  de 
vendre  une  petit  rente,  la  dernière  qui  lui  restait,  pour  sub- 
venir aux  dépenses  de  son  établissement. 


corps  de  ce  malheureux  artiste,  car  son  ame  avait  tou- 
jours confiance  dans  l'avenir.  Lorsqu'il  sentit  la  mort 
approcher,,  il  voulut  dicter  une  note  pour  recommander 
au  ministre  tout  ce  qui  lui  était  cher,  son  épouse,  qui, 
depuis  longues  années,  s'était  vouée  aux  travaux  les 
plus  rudes  du  pensionnat;  M.  Nicou  son  élève,  devenu 
son  gendre  et  son  suppléant,  et  par-dessus  tout  l'avenir 
de  l'école  qu'il  avait  créée.  Ses  dernières  paroles  n'ont 
pas  été  entendues  ;  le  conservatoire  de  musique  clas- 
sique est  supprimé...  Qui  doit -on  accuser  de  cet  acte  de 
vandalisme? 

Choron,  avant  de  mourir,  a  fait  lui-même  son  épita •• 
plie.  Cet  homme  dont  la  vie  fut  un  continuel  dévoue- 
ment, et  qui  jamais  ne  mentit  à  sa  conscience,  a  voulu 
faire  graver  sur  son  tombeau  ce  qu'il  pensait  de  lui- 
même  :  il  ne  sera  démenti  par  personne. 

ALEXANDER    STEPHANUS 

CHORON, 

E  VALESIO    OR1UNDUS, 

NATUS  CADEMI,  DIE  1\    S1"''5  1771 

LU  TERIS  BONIS  ARTIBUSAC  SCIENT  LIS  ACCURATE  ET  FELICITER  STUDU1T; 

SED    MDSICAM  SACRAM  ET  DIDACTICAM 

PRJISERTIM  EXCOLDIT, 

RELLIGIONI     ATQUE      PUBLÎC/E    UTILITATI 

PR.ECIPUE  CONSULENS 

BONIS    ET    BONO    TOTUS    INTENTUS  ET  FAVENS 

SE    IPSUM    AC    SUA    PRORSUS    ABNEGAVIT. 

QUAM   MULTA  AD  N1MIDM  ARTIS  DAMNUM  IMPI.RFECTA  RELINQUENS 

VARIIS    rUBLICIS    MUNEIUBUS    FUNCTUS 

OBIIT  DIE  28  JBNI1   \  834. 

ORATE   TRO    EO. 

La  liste  complète  des  ouvrages  de  Choron  formera  un 
article  important  dans  la  bibliographie  musicale.  Nous 
avons  cité  les  principaux  ouvrages  de  théorie,  voici 
ceux  relatifs  a  l'enseignement  pratique  : 

Cours  élémentaire  de  solfège  et  de  chant;  plusieurs  cahiers 
contenant  les  premières  leçons  de  solfège  et  plusieurs  suites  de 
leçons  élémentaires  à  uuc,  deux,  trois  et  quatre  voix,  des  meil- 
leurs auteurs  ,  à  l'usage  des  écoles  primaires. 

Méthode  de  plain-chant. 

Exercices  comparés  de  plain-chant  et  de  musique  élémen- 
taire à  l'aide  desquels  on  peut  apprendre  l'un  par  l'autre  ou 
l'un  indépendamment  de  l'autre,  en  ce  qu'ils  ont  de  commun, 
la  musique  et  le  chant  ecclésiastique. 

Méthode  concertante  transcendante  à  quatre  parties,  d'un 
degré  différent  de  difficulté  ,  qui  peuvent  s'exécuter  ensemble 
ou  séparément,  à  l'usage  des  écoles  spéciales,  maîtrises  de  ca- 
thédrales ,  etc. 

La  même  élémentaire  a  trois  parties  à  l'usage  des  pension- 
nats, maisons  d'éducation  de  l'un  et  l'autre  sexe,  des  sémi- 
naires, des  écoles  primaires,  etc. 

Méthode  élémentaire  d'orgue,  à  l'aide  de  laquelle  un  élève, 
possédant  les   connaissances  élémentaires  de  musique  et  de 


forte-piano,  peut  apprendre  à  loucher  l'orgue  et  à  composer 
ou  improviser  pour  cet  instrment. 

Méthode  transcendante  d'orgue,  par  M.  Rink,  organiste 
de  la  cour  de  Darmstadt ,  traduite  de  l'allemand. 

Il  a  composé  un  grand  nombre  Je  morceaux  de  mu- 
sique d'église,  beaucoup  de  romances  dont  une  surtout, 
la  Sentinelle,  est  devenue  populaire.  Il  laisse  inachevé  : 

Exposition  abrégée  des  principes  fondamentaux  de  la  mu- 
sique, ou  Précis  élémentaire  des  loi*  constitutives  de  tous  les 
idiomes  ou  systèmes  de  musique  ,  avec  leur  application  au  sys- 
tème ecclésiastique,  reste  de  la  musique  grecque,  et  au  système 
européen  moderne. 

Manuel  encyclopédique  de  musique. 

Traité  de  contre-point  antique  ,  par  Fux  ,  nouvelle  traduc- 
tion, avec  des  notes. 

Traité  de  composition  moderne,  par  J.  Preindl ,  traduit  de 
l'allemand  ,  avec  des  notes. 

Considérations  sur  la  situation  actuelle  de  la  musique,  et 
pa  t culièrement  de  la  musique  vocale  en  France. 

Introduction  a  l'étude  générale  et  raisonnée  de  la  mu- 
sique. 

Le  répertoire  des  contrapuntistes  :  Extrait  méthodique 
des  écrivains  les  plus  estimés  sur  l'art  du  contre-point. 


JUGEMENT  DU  TRIBUNAL  DE  COMMERCE 

Dans  l'affaire  de  l'Académie  Royale  de  Musique  et 
l'Opéra- Comique  contre  les  Concerts  aériens  des 
Champs-Elysées. 

On  se  rappelle  que  MM.  Véron  et  Crosnier,  en  leur  qualité 
de  directeurs  de  l'Académie  Royale  de  Musique  et  de  l'Opéra- 
Comique  ,  avaient  cité  devant  le  tribnnal  de  commerce  M.  Mas- 
son  de  Puilneuf,  fondateur  des  concerts  des  Champs-Elysés 
pour  s'entendre  condamner  1°  à  cesser  désormais  de  faire  exé- 
cuter, dans  ses  concerts  les  ouvertures  et  autres  morceaux  ap- 
partenant aux  répertoires  de  ces  deux  théâtres,  et  2°  à  leur 
payer  80,000  francs  à  titre  de  dommages  et  intérêts,  à  raison 
du  préjudice  causé  jusqu'à  ce  jour.  Voiri  le  texte  du  jugement 
rendu  le  20  août  dernier  dans  celte  affaire. 

Le  Tribnnal , 

«  Attendu  que  les  droits  des  auteurs  ont  été  réglés  par  les 
lois  des  13-1 9 janvier,  19  juillet ,  6  août  1791,  et  19  juillet  1793; 

»  Que  la  propriété  littéraire  et  celle  des 'oeuvres  musicales 
sont  sous  la  protection  de  ces  lois ,  qui  ne  sont  pas  abrogées  ; 

»  Attendu  que,  aux  termes  de  l'ait.  1er  du  décret  rendu  par 
la  Convention  nationale  le  1  g  juillet  1793,  les  auteurs  d'écrits 
en  tous  genres,  les  compositeurs  de  musique,  doivent  jouir 
seuls,  durant  leur  vie  entière,  du  droit  exclusif  de  vendre, 
faire  vendre  cl  distribuer  leurs  ouvrages,  et  d'en  céder  la  pro- 
priété en  tout  ou  en  partie; 

>>  Que  leurs  héritiers  ou  cessionnaires  doivent  jouir  du  même 
doit  durant  l'espace  de  dix  ans  après  la  mort  des  auteurs; 

»  Qu'aux  termes  de  l'art  3  de  la  loi  des  1 3-1  g  janvier  1791, 
et  de  l'art.  1er  de  la  loi  des  1  cj  jdillel-6  août  de  la  même  année, 
les  ouvrages  des  auteurs  vivons  ,  soit  qu'ils  fussent  ou  non  gra- 
vés ou  imprimés,  ne  peuvent  être  représentés  sur  aucun  théâ- 


tre public  daDs  toute  l'étendue  du  royaume  ,  saus  le  consente- 
ment formel  ou  par  écrit  des  auteurs  ou  celui  de  leurs  héritiers 
ou  cessionnaires; 

»  Attendu  que  Crosnier  et  Véron  sont  propriétaires  du  réper- 
toire des  théâtres  de  l'Opéra  et  de  l'Opéra-Comique  ;  qu'ils  ont 
r-n  outre  traité  avec  les  différens  auteurs  des  ouvrages  par  eux 
ajoutés  à  ce  répertoire;  qu'ils  ont  seuls  le  droit  de  faire  jouer 
et  représenter,  en  tout  ou  en  partie,  ceux  de  ces  ouvrages  qui 
ne  sont  pas  tombés  dans  le  domaine  public; 

»  Que  les  auteurs ,  en  se  réservant  ou  en  cédant  le  droit  de 
faire  graver  et  vendre  leurs  ouvrages  ,  n'ont  pu  céder  le  droit 
de  les  faire  représenter,  puisqu'il  était  aliéné  par  eux  au  profit 
des  administrations  théâtrales,  avec  lesquelles  ils  avaient  pré- 
cédemment contracté  ; 

»  Que  les  éditeurs,  en  achetant  le  droit  de  graver  et  de  ven- 
dre des  ouvrages  déjà  représentés,  ne  peuvent  transmettre  à 
ceux  qui  les  achèteut  que  l'usage  permis  par  la  loi  ; 

»  Qu'eu  vain,  Masson  de  Puitncuf  prétend  qu'il  ne  représente 
pas  les  ouvrages  ou  qu'il  ne  les  fait  exécuter  qu'en  partie  ; 
qu'un  concert,  érigé  en  spéculation  permanente,  ouvert  aux 
mêmes  heures  que  les  théâtres,  ayant  ses  affiches,  ses  bureaux, 
ses  employés,  et  où  le  public  est  admis  en  payant ,  est  une 
entreprise  placée  sous  la  dénomination  généiique  de  spectacles 
publics  ; 

»  Que  s'emparer,  sans  droits,  d'une  partie  de  la  chose  d'au- 
trui ,  ce  n'est  pas  moins  porter  une  atteinte  au  droit  de  pro- 
priété; 

»  Que  les  directeurs  de  l'Opéra  et  de  l'Opéra-Comique,  qui 
montent  à  grand  frais  à  leurs  risques  et  périls,  des  ouvrages 
dont  le  succès  est  incertain,  éprouveraient  un  préjudice  con- 
sidérable, s'il  était  permis  à  tout  entrepreneur  de  spectacles  , 
de  choisir,  sans  aucune  chance  de  perte,  tout  ou  partie  des 
pièces  favorablement  accueillies  ,  et  d'en  tirer  profit ,  eu  les  fa  - 
sant  exécuter  en  public; 

»  Attendu  que  Crosnier  agit  encore  comme  subrogé  aux 
droits  des  auteurs,  suivant  conventions  du  27  mai  1834,  enre- 
gistrées le  18  juillet  suivant;  qu'aux  termes  de  ces  conven- 
tions ,  les  auteurs  signataires  se  sont  formellement  interdit  le 
droit  d'autoriser  l'exécution  de  tout  ou  partie  de  leurs  ouvra- 
ges sur  aucun  théâtre  de  la  capitale  ni  dans  aucun  concerlpu- 
blic  et  payant,  durant  les  cinq  aunées  qui  suivront  la  pre- 
mière représentation,  sauf  les  motifs  arrangés  en  conlredauces 
ou  mis  eu  variations  ; 

»  Que  ces  conventions  sont  d'ailleurs  conformes  aux  réglc- 
mens  pris  par  l'autorité  administrative  le  a5  avril  1807  ; 

«  En  ce  qui  louche  la  demande  en  dommages  et  intérêts; 

»  Attendu  que  Crosnier  et  Véron  ont  toléré  pendant  long- 
temps l'exécution  des  œuvres  musicales  qui  fait  l'objet  du  pro- 
cès :  qu'ils  ne  peuvent  ainsi  imputer  qu'à  eux-mêmes  le  tort 
qu'ils  ont  pu  éprouver; 

«  Par  tous  ces  motifs, 

»  Fait  défense  à  Masson  dePuitneuf  d'exéculerou  faire  exécu- 
ter à  l'avenir,  dans  ses  concerts  publics  ,  tout  ou  partie  des  ou- 
vrages dépendant  des  répertoires  des  théâtres  de  l'Opéra  et 
de  l'Opéra-Comique,  dont  la  première  représentation  ne  re- 
monte pas  à  cinq  années  de  ce  jour  ;  sinon  et  faute  par  lui  de 
se  soumettre  au  présent  jugement ,  le  condamne  par  toutes  les 
voies  de  droit ,  et  même  par  corps,  à  payer  aux  demandeurs  la 
somme  de  200  fr.  par  chacune  des  contraventions  qui  seraient 
commises  et  régulièrement  constatées  ; 


274 


GAZETTE  MUSICALE 


«  Déclare  Véron ,  Crosnieret  Cerflierr  non  reccablcs  clans 
leurs  demandes  en  dommages  et  intérêts;  ordonne  l'exécution 
provisoire  nonobstant  appel,  à  la  charge  par  Crosnier  et  Véron 
de  fournir  caution,  que  le  Tribunal  fixe  à  3o,ooo  fr.  ;  con- 
damne Masson  de  Puitneuf  en  tous  les  dépens. 

Sans  nous  engager  iei  dans  l'examen  et  la  critique  détaillée 
des  motifs  de  ce  jugement,  dont  appel  sera  probablement  in- 
terjeté,  nous  nous  permettrons  seulement  de  dire  qu'il  nous 
semble  basé  sur  une  perpétuelle  confusion  du  droit  de  repré- 
senter des  ouvrages  dramatiques,  et  du  droit  d'exécuter  quel- 
ques morceaux  de  musique  dépendans  de  ces  ouvrages. 

De  cette  confusion  ,  si  elle  était  consacrée  ,  naîtrait  une  ques- 
tion nouvelle  et  fort  importante,  laquelle  s'agiterait  entre  les 
compositeurs  et  les  éditeurs  de  musique.  En  effet,  la  propriété 
de  ces  derniers,  propriété  acquise  et  exploitée  à  grands  frais,  ne 
se  trouverait-elle  pas  singulièrement  restreinte,  si  les  directeurs 
de  spectacle  pouvaient  l'entraver  cl  la  frapper  d'interdit?  Em- 
pêcher l'exécution  de  l'ouverture ,  ou  d'un  morceau  quelcon- 
que d'un  opéra,  n'est-ce  pas  en  empêcher  jusqu'à  un  certain 
point  la  vente?  Croit-on,  par  exemple,  que  le  galop  de  Gus- 
tave eut  joui  d'une  vogue  si  populaire ,  et  par  conséquent  d'un 
si  grand  débit,  si  tous  les  orchestres  de  Paris  n'en  eussent  si 
souvent  fait  retentir  les  airs  ? 

Nous  appelons  l'attention  sur  celte  considération  ,  qui,  dans 
l'intérêt  même  de  l'art  et  des  artistes,  ne  doit  pas  être  né- 
gligée. 


Revue  Critique. 

Douze  Libuetti,  par  F.  L.  Berlhé. 

La  première  question  que  beaucoup  de  lecteurs  ne  manque- 
ront pas  d'adresser  à  l'auteur  de  ces  deux  volumes  est  celle-ci: 
«  Pourquoi  n'avez-vous  pas  fait  lire,  recevoir,  mettre  en  mu- 
sique et  représenter  vos  librelti,  au  lieu  de  les  publier  ainsi 
tout  nus?  »  Pourquoi?  répondra  l'auteur;  et  mou  Dieu  vous 
ignorez  donc  qu'il  faut  être  connu  pour  pouvoir  se  faire  con- 
naître au  théâtre;  vous  ne  savez  donc  pas  que  les  directeurs 
nient  qu'il  faille  faire  un  premier  ouvrage  avant  que  d'arriver 
au  second,  et  qu'ils  n'admettent  pas  de  commencement  à  la 
carrière  de  l'écrivain  dramatique ,  soit  poète,  soit  musicien.  » 
Supposons  un  compositeur  inconnu  qui,  poussé  par  une  mal- 
heureuse fantaisie  ,  aurait  écrit  un  grand  opéra  ;  il  voudra  le 
faire  lire.  «  Qu'a-t-il  fait?  demande  le  directeur.  —  Rien,  il 
commence.  —  En  ce  cas  ,  qu'il  aille  àl'Opéra-Comique.  »  Notre 
homme  se  présente  au  second  théâtre  lyrique.  «  Qu'a-t-il  fait  ? 
demande  le  directeur.  —  Il  a  fait  un  ouvrage  qu'il  vous  ap- 
porte. —  Mais,  auparavant,  a-t-il  été  joué  sur  quelque  théâtre? 
—  Non  ,  il  commence.  — En  ce  cas,  qu'il  aille  au  Vaudeville.» 
Le  malheureux  descend  encore.  Arrivé  au  Vaudeville  avec  son 
manuscrit  :  «  Qu'a-t-il  fait?  demande  le  directeur.  —  Rien  ,  il 
commence.  —  En  ce  cas,  je  n'en  veux  pas;  que  ne  fait-il  des 
romances  pour  montrer  un  peu  comment  il  écrit.  »  Le  pauvre 
auteur  fait  des  romances;  il  arrive  plein  d'une  trop  juste  mé- 
fiance chez  un  éditeur  de  musique.»  Qu'avez-vous  fait?  lui 
jette  encore  à  la  léte  celui-ci.  —  Fiien ,  je  commence;  et,  pu- 
bliées par  vous,  je  pense  que  ces  romances  pourraient  me 
faire  connaître  rapidement.  —  Monsieur,  je  ne  puis  me  char- 
ger de  l'édition  des  œuvres  d'un  auteur  absolument  inconnu  ; 
faites  des  contredanses  ,  vous  pourrez  peut-être  avec  quelques 


protections  les  fiire  exécuter  aux  Cham;  s-Elysées.  »  Heureu- 
sement pour  M.  Berthé,  les  contre-danses  n'ont  pas  de  parole--; 
il  aura  en  conséquence  évité  cette  dernièie  humiliation.  Quoi 
qu'il  en  soit,  des  dégoûts  de  la  nature  de  ceux  que  je  -viens 
d'indiquer  auront  sans  doute  obligé  l'auteur  des  douze  librelti 
à  les  faire  imoiimei';  s'exposant  ainsi  à  voir  quelque  homme 
en  réputation  sans  idées  profiter  des  idées  de  l'homme  sans 
réputation. 

La  manière  dont  M.  Berthé  envisage  son  sujet  est,  à  notre 
avis,  la  véritable  et  la  seule  bonne.  Il  reconnaît  avec  toute 
l'Europe  musicale  qu'un  libretto  n'est  pas  et  ne  peut  même 
pas  être  un  ouvrage  littéraire,  et  que  celui  qui  vent  travailler 
pour  la  si  eue  lyrique  doit  d'abord  prendre  pour  devise  :  lotit 
pour  la  musique.  Aussi,  plusieurs  des  nouveaux  librelti  qui  , 
malgré  les  modestes  prétentions  de  l'auteur  ,  ne  sont  point  dé- 
pourvusd'un  mérite  dramatique  qui  en  rend  la  lecture  atta- 
chante, nous  ont-ils  paru  admirablement  disposés  pour  le 
compositeur.  Imogine  est  celui  que  nous  sommes  portés  à  citer 
de  préférence  ;  le  choix  du  sujet,  tiré  du  fameux  roman  de 
Lewis  (Le  Moine),  le  sombre  intérêt  qui  s'attache  au  principal 
personnage ,  ces  superstitions  du  moyen-âge  si  pleines  d'une 
sauvage  poésie,  la  manière  dont  les  chœurs  sont  jetés  dans 
l'action,  et,  enfin,  la  belle  scène  du  repas  nuptial,  font  de  cet 
ouvrage  une  bonne  fortune  pour  le  compositeur.'Eu  outre, 
notre  attention  a  été  spécialement  attirée  par  Imagine  parce 
que  nous  savions  que  l'auteur  du  ballet  de  Proserpitie  et  de 
tant  d'autres  productions  remarquables,  M.  Schneilzhoeffer  , 
avait  déjà  écrit  la  musique  des  deux  premiers  actes.  La  partition 
de  la  Tempête,  qu'il  termine  en  ce  moment,  l'a  détourné 
quelque  temps  d'une  oeuvre  si  bien  en  harmonie  avec  la  nature 
de  son  talent. Espérons  queM.  Schneilzhoeffer  s'empressera  de 
terminer  Imogine,  et  que ,  rendant  à  l'auteur  toute  jns'ice ,  le 
directeur  de  l'Opéra  se  décidera  à  la  monter. 


Messe  solennelle  à  trois  voix  (chœurs  ad  libitum),  a 
grand  orchestre  ou  accompagnement  de  piano  ou  or- 
gue, par  A.  de  Garaude.  Prix  :  -13  f.  la  partition  de 
piano. 

L'élat  où  se  trouve  aujourd'hui  en  France  la  musique  n  li- 
gieuse,  est  des  plus  déplorables.  Naguère  encore,  nous  avions 
des  écoles  destinées  à  l'étude  de  cette  branche  si  importante  de- 
là musique;  nous  avions  des  temples  consacrés  pour  en  perpé- 
tuer la  splendeur  ;  aujourd'hui ,  temples  et  écoles  sont  déserts 
oufermés.  Lamusique  est  bannie  des  églises,  au  moins  decelles 
du  chef  de  l'état ,  et  cela  ,  non  pas  parce  que  ,  comme  le  faisait 
jadis  le  pape  Marcellus  ,  on  l'a  jugée  indigne  de  la  majesté  des 
lieux  saints  ,  mais  bien  parce  qu'on  l'a  considérée  comme  ne 
valant  pas  le  vil  métal  qu'elle  aurait  coûté.  Le  dernier  appui 
de  cet  art  sublime  n'est  plus  ;  Choron  vient  de  mourir,  infati- 
gable dans  les  efforts  qu'il  s'était  imposés  pour  mener  à  bien 
sa  sainte  entreprise,  et,  maintenant,  rien  n'est  plus  rare  que  de 
rencontrer  dans  les  riches  magasins  de  musique  des  composi- 
tions qui,  comme  celle  que  nous  annonçons,  soient  destinées 
|  à  honorer  le  Créateur.  Tandis  qu'en  Angleterre,  bien  qu'ace  i- 
blés  sous  le  poids  des  affaires  les  plus  épineuses,  soit  de  lin- 
térieur,  soit  de  l'extérieur  ,  le  roi  et  les  grands  du  royaume  ne 
dédaignent  nullement  de  présider  des  fêtes  musicales  qui  du- 
rent des  journées  entières;  tandis  que  le  peuple  anglais ,  ce 


même  peuple  qu'on  est  si  disposé  à  représenter  comme  totale- 
ment dépourvu  de  tout  sentiment  de  l'art,  se  précipite  en  foule 
sous  le  majestueux  portique  de  Westminster  pour  écouter avec 
ferveur  et  recueillement  les  saintes  hymnes  qui  lui  ont  été  lé- 
guées par  les  bardes  pieux  des  siècles  passés;  taudis  que,  dans 
les  églises  de  la  Suisse  et  de  toute  l'Allemagne .  des  hymnes 
pures  et  harmonieuses  retentissent  répétées  par  <Jes  milliers  de 
voix  à  l'occasion  de  ces  fêtes  si  solennelles  où  des  fou'cs  in- 
nombrables d'artistes  cl  d'amateurs  se  réunissent  à  l'envi  les 
uns  des  antres  pour  exécuter  dignement  les  chefs-d'œuvre  de 
toutes  les  époques  ;  tandis  qu'enfin  ,  dans  ces  divers  pays  ,  des 
chants  de  prière  et  de  reconnaissance  éclatent  malin  et  soir  sur 
les  bines  des  écoles...  notre  peuple  à  nous,  le  peuple  français 
sait  à  peine  maintenant  ee  que  sont  le  chant  et  la  musique,  et 
ne  peut  plus  être  flatté  que  par  le  frivole  caqueta ge  et  les  chants 
papillotes  de  nos  modernes  opéras!  Et  qu'on  ne  vienne  pas 
('ire  .-Nous  ne  sommes  pas  ,  nous'ne  deviendrons  jamais  musi- 
ciens !  Ce  ne  serait  qu'une  misérable  et  calomnieuse  excuse. 
Donnez,  vous  grands  personnages  qui  dirigez  les  rênes  de  l'é- 
tat, donnez  seulement  la  musique  à  votre  peuple,  et  vous  ne 
tarderez  pas  à  vous  convaincre  que  ce  peuple  n'est  pas  seu'e- 
ment  passionné  pour  l'honneur  et  la  liberté,  mais  qu'il  est  en 
même  temps  impressionnable  à  lanvgique  influence  des  beaux- 
arts.  Au  reste  ,  que  peuvent  faire  nos  paroles  el  nos  vœux?  Qui 
voudra  écouler  les  unes  et  exaucer  les  autres?  Retournons 
donc  à  l'œuvre  qui  nous  occupe.  Ce  n'est  pas  sans  être  animés 
d'un  vif  sentiment  d'attente  favorable  que  nous  en  avons  entre- 
pris l'examen  ;  car  il  y  a  long-temps  que  M.  de  Garaudé  nous 
est  connu  comme  excellent  professeur  el  en  même  temps  comme 
praticien  habile.  Nos  espérances  ont  cependant  été  dépassées. 
Dans  tout  le  cours  de  sou  ouvrage,  M.  Garaudé  a  prouvé  qu'il 
est  un  de  ces  compositeurs  qui  ne  se  contentent  pas  de  connaî- 
tre les  secrets  les  plus  cacliés  de  leur  art,  mais  qui  en  même 
temps  unissent  l'originalité  à  lagiâce  et  à  la  profondeur  de 
l'expression;  aussi  a-t-il  su  imprimer  à  son  œuvre  un  cachet 
si  nob'e  et  si  religieux  que  nous  n'hésitons  pas  à  recommander 
vivement  auprès  de  toutes  les  églises  où  l'on  s'occupe  encore 
de  musique, cette  messe  quiesttrès-courte  et  facile  d'exécution. 
Une  seule  chose,  il  faut  le  dire  ,  nous  a  choqués  dans  cette  pro- 
duction .  c'esL  la  prosodie  vicieuse  d'un  grand  nombre  de  mots 
Indus;  c'est  ainsi  que  nous  trouvons  :  Laudamus propter  ma- 
gnum qui  st'des,  etc.,  etc.,  ce  sont  là  toutes  fautes  impardon- 
nables. En  supposant  qu'il  soit  permis  de  chanter  en  français 
sans  s'embarrasser  de  cette  soi  te  de  difficulté,  la  langue  latine 
est  plus  exigeante,  cl  demande  au  moins  qu'on  ait  égard  à  la 
quantité  dans  les  mots  qu'on  emploie. 

Puisse  M.  Garaudé  nous  gratifier  encore  souvent  de  produc- 
tions aussi  distinguées  que  celle-ci  ! 


être  un  peu  lourde  et  embarrassée.  Parmi  l'es  "varia  lions,  nous 
citerons  spécialement  la  seconde  et  la  quatrième  qui  se  distin- 
guent par  une  certaine  nouveauté  de  formes;  cl  nous  ajoute- 
rons que  l'ouvrage  dans  son  entier  prouve  un  compositeur  ha- 
bile el  travaillant  avec  autant  de  soin  que  d'amour  de  son  art. 
En  général ,  cette  fantaisie  ne  présente  pas  de  grandes  diffi- 
cultés, et,  bien  exécutée,  elle  doit  produire  un  très-bel  effet. 


Fantaisie  et  variations  pour  le  piano  ,  par  Fr.  Kalk- 
brenner.  Op.  -125.  Prix  :  7  fr.  50  c. 

Cet  opuscule  est  une  des  plus  jolies  productions  qui  soient 
sorties  de  la  plume  de  M.  Kalkbrenner  depuis  quelque  temps. 
Rien  que  composé  dans  la  forme  aujourd'hui  si  usée  de 
l'air  varié  ,  il  se  recommande  cependant  par  quelques  particu- 
larités intéressantes.  L'introduction  prépare  fort  convenable- 
ment l'auditeur  au  thème  de  la  Sicilienne  de  Bellini  ,  motif 
empreint  d'un  sentiment  profond  ,  mais  dont  l'allure  est  peut- 


Tr.ois  valses  sentimentales  pour  le  piano,  par  Charles 
Keller.  Prix  :  5  fr. 

Quoique  très-convenables  à  la  danse  et  présentant  souvent 
des  effets  aussi  neufs  qu'inléressans  sous  le  rapport  de  l'har- 
monie comm:  sous  celui  delà  mélodie,  ces  valses  n'en  sont 
pas  moins  à  notre  avis  un  peu  trop  difficiles ,  un  peu  trop  em- 
preintes d'une  certaine  recherche;  nous  pourrions  même  dire 
un  peu  trop  précieuses.  Nous  croyons,  par  exemple,  pouvoir 
reprocher  de  la  recherche  au  compositeur,  lorsque  clans  le  nu- 
méro I ,  à  la  neuvième  mesure  ,  au  lieu  de  reprendre  tout  natu- 
lellement  sa  pensée  principale,  il  préfère  se  perdre  dans  une 
figure  qui  n'est  ici  nullement  à  sa  place,  qui  est  entièrement 
étrangère,  et  dont  l'effet  n'est  rien  moins  qu'agréable.  La  fin 
du  même  numéro  eslaussi  maniérée  et  n'est  pas  d'un  effet  plus 
heureux.  Dans  le  n°  i ,  le  sol  naturel ,  qui  se  trouve  dans  la  se- 
conde el  la  troisième  mesure  de  la  basse  ,  serait  plus  convena- 
blement représenté  par.un_/«  double dièze.  Le n°  trois  est  celui 
qui  nous  satisfait  le  mieux.  Il  est  exempt  des  défauts  que  nous 
venons  designa'cr,  cl  se  recommande  par  une  grande  fraîcheur 
aussi  bien  que  par  des  idées  neuves  et  agréables.  Nous  désirons 
voir  M.  Relier  consacrer  sa  muse  à  des  sujets  plus  élevés,  et 
nous  sommes  assurés  que  s'il  prend  ce  parti,  il  ne  pourra 
m  nquer  de  faire  preuve  d'un  talent  très-distingué. 


NOUVELLES. 

j,*+  On  nous  mande  de  Boulogne-sur- Mer  que  mademoi- 
selle Blahelka  ,  pianiste  d'un  grand  mérite  ,  y  a  donné  le  6  de 
ce  mois  un  concert  qui  a  réuni  tout  ce  que  cette  ville,  où  se  trou- 
vent beaucoup  de  familles  anglaises,  renferme  de  beau  monde 
et  d'amateurs  de  la  bonne  musique.  Le  choix  des  morceaux  n'a 
rien  laissé  à  désirer,  et  le  public  a  fréquemment  exprimé  la  sa- 
tisfaction que  lui  faisait  éprouver  le  talent  des  artistes.  La  béné- 
ficiaire ,  surtout,  a  enlevé  tous  les  suffrages  par  la  précision  et 
la  brillante  facilité  avec  laquelle  elle  a  exécuté  les  variations 
composées  par  Mavseder  sur  un  thème  de  la  Sémiramide  et 
un  nouveau  morceau  île  sa  composition  :  Ilecolleclion  of  En- 
gland  ,  morceau  quia  élé  vivement  applaudi  par  les  connais- 
seurs. Parmi  les  autres  rxérulans,  on  cite  avec  beaucoup  d'é- 
loge MM.  Poignet,  GodeÉroid,  Chardard  et  [Vivien ,  qui  ont 
donné  dans  ce  concert  de  nouvelles  preuves  du  talent  distingué 
qu'on  leur  connaît. 

*  Les  concours  du  Conservatoire  de  musique  de  Bruxelles 
ont  élé  fort  satisfaisons  en  égard  au  peu  de  temps  qui  s'est 
écoulé  cfepnïs  la  restauration  de  cet  établissement  par  les 
soins  de  M.  Fétis.  Le  jury,  présidé  par  M.  Fétis ,  ne  s'est  pas 
montré  prodigne  de  couronnes,  et  n'a  décerné  que  les  récom- 
penses qui  luiront  paru  rigoureusement  méritées.  Dans  la  plu- 
part des  classes,  il  n'y  a  point  eu  de  premier  prix,  et  les  se- 
conds prix  décernés  n'ont  point  été  partagés  entre  plusieurs 
élèves. 

On  écrit  de  Marseille  : 

*  Due  troupe  de  jeunes  acteurs  el  actrices,  sous  le  nom  de- 
gymnase  dramatique,  attire  la  foule  à  notre  grand  théâtre,  et 
fait  des  recettes  qui  souvent  dépassent  mille  ècus;  recette  qui, 
depuis    long-temps,  nVt.i:   réservée  qu'à  Robert-U  -Diable . 


GAZETTE  MUSICALE  DE  l'ARIS. 


chef-d'œuvrcde  Meycr-Beer.Parmi  lesjeunes  talons  il  se  trouve 
aussi  un  pianiste,  qui  a  joué  hier  un  rondo  sur  la  Sicilienne 
de  Robert  le-Diable,  par  Kalkbrcnner  ;  il  a  produit  beoucoup 
d'effet  malgré  une  exécution  plus  que  médiocre.  Nous  croyons 
que  le  piano  à  queue  dont  il  s'est  servi,  et  qui  sort  de  la  fabri- 
que de  M.  Boisselot,  de  notre  ville,  était  pour  beaucoup  diius 
ce  succès.  Des  basses  vigoureuses,  un  médium  d'une  grande 
beauté,  et  les  deux  dernières  octaves  d'en  haut  d'un  brillant  et 
d'une  justesse  rares,  ont  excité  de  l'enthousiasme.  Marseille  est 
dans  ce  moment  la  seule  ville  de  province  qui  puisse  se  flatter 
de  posséder  un  facteur  de  pianos  dont  les  inslrumens  peuvent 
se  mettre  en  ligne  avec  les  meilleurs  pianos  sortis  des  ateliers 
des  premières  maisons  de  Paris.  Nous  avons  appris  a\cc  satis- 
faction que  les  instruirions  de  ce  fabricant  ont  eu  une  mention 
honorable  à  l'exposition  de  Paris.  S'il  continue  ainsi  à  perfec- 
tionner ses  travaux,  une  médaille  d'or  ne  lui  manquera  pas  à 
la  prochaine  exposition,  et  il  l'aura  méritée. 

,,,%  Il  paraît  que  madame  Amélia  Masi  veut  rompre  l'enga- 
gement qu'elle  avait  contracté  avec  l'administration  de  l'Opéra- 
Çomique,  qui,  dit  on ,  n'en  remplit  pas  les  clauses,  d'abord  , 
quant  aux  opéras  traduits,  it,  en  second  lieu,  quant  aux  rôles 
spécialement  écrits  pour  cette  cantatrice.  Les  i  raductions  éprou- 
vent diverses  entraves,  et  aucun  rôle  n'a  encore  été  écrit  pour 
madame  Masi. 

t*+  Une  observation  curieuse  vient  d'être  faite  par  M.  le  doc- 
teur Brofferio  ;  il  s'agit  d'un  effet  extraordinaire  produit  par 
la  musique  sur  une  femme  âgée  de  28  ans ,  née  et  élevée  dans 
un  petit  village  du  Piémont,  mariée  depuis  sept  ans,  n'ayant 
jamais  eu  d'enfans,  d'un  teint  fleuri,  d'une  constitution  ro- 
buste, et  qui  eu  octobre  dernier  fut  au  bal  de  la  fêle  locale  de 
son  village.  L'orchestre  était  choisi  et  bruyant  ;  c'était  la  pre- 
mière fo.s  de  sa  vie  qu'elle  l'entendait.  Par  extraordinaire, 
cette  tète  dura  trois  jours  ainsi  que  le  bal,  et  cette  femme  y 
dansa  constamment  a"c.c  un  sorte  d'enthousiasme  ;  jamais  elle 
n'avait  entendu  une  musique  aussi  bruyante  ,  ni  dansé  avec  au- 
tant de  plaisir. 

Après  la  fêle,  elle  continua  à  entendre  le  son  delà  musique, 
cpii  l'avait  émue  et  séduite  :  soit  qu'elle  mangeât ,  marchât ,  ou 
qu'elle  se  couchât,  ce  son  mélodieux  étant  tellement  dans  sa 
tète,  qu'elle  ne  pouvait  pas  même  dormir.  Les  morceaux  qui 
avaient  été  joués  étaient  des  mouferines  ;  et,  comme  il  y  eu 
avait  eu  beaucoup  ,  chacune  d'elles  passait  à  son  tour  dans  sa 
tète,  telle  qu'elle  avait  été  jouée,  et  faisaient  ainsi  place  à  Ja 
suivante,  etc. 

L'insomnie  qui  accompagnait  cet  état  commença  par  troubler 
les  digistions,  ainsi  que  toutes  les  autres  fonctions  vitales.  Des 
empiriques  et  plusieurs  médecins  instruits  ayant  été  appelés, 
aucune  médication  ne  put  faire  cesser  les  sons  qu'elle  entendait. 
Enfin,  plus  le  trouble  des  fonctions  digestives,  la  faiblesse  et 
les  sueurs  nocturnes  augmentaient,  plus  les  sons  musicaux  ! 
croissaient  eu  intensité  dans  sa  tête.  Le  docteur  Brofferio,  ap-  ] 
pelé  trois  fois  en  consultations,   trouva  toujours  le  pouls  vif, 
ii  régulier  et  intermittent ,  comme  on  l'observe  lors  d'une  épou-  j 
vante  subite.  Réduite  à  une  consomption  nerveuse  extrême, elle  \ 
mourut  au  bout  de  six  mois ,  sans  que  ,  pendant  tout  ce  temps,   ' 
elle  ait  cessé  une  minute  d'entendre  ces  sons  qui   de\enaint 
très-pénibles  à  mesure  que  son  état  empirait. 

Pour  amuser  la  société,  le  premier  violon  s'élant  permis 
plusieurs  lazzis  désharmoniques,  ces  sons  se  répétaient  égale- 
ment dans  la  tête  de  la  malade,  et  plus  sa  maladie  s'aggravait , 
plus  ses  discordances  se  répétaient  ;  cela  vint  au  point  ,  que, 
tenant  sa  tête  entre  ses  mains  ,  elle  s'écriait  :  Ah  !  qu'elle  voix 
fausse! 

On  conçoit  aisément  qu'une  puissance  quia  si  fortement  agi  \ 
sur  l'organe  auditif,  et  qui  a  produit  un  effet  si  extraordinaire 
sur  le  sengorium  commune  ,  ait  pu  déterminer  en  lui  un  mou- 
vement de  répétition  semblable  aux  expressions  long-temps 
soutenues  ;  mais  ce  qui  est  inconcevable,  c'est  que  celte  im- 
pression au  lieu  de  diminuer  ait  toujours  été  en  augmentant  au 
point  de  produire  une  consomption  nerveuse  que  nous  ne 
croyons  pas  avoir  encore  été  observée. 

+*t  La  réouverture  du  Théâtre-Italien  se  présente  sous  les 
auspices  les  plus  favorables,  les  artistes  engagés  jusqu'à  présent 
nous  promettent  une  saison  brillante,  ce  sout  :  MM.  Rubini, 
Tamburini,  Lablache  ,  Ivanoff,  Santini  :  et  mesdames  Julie 
GrisijJFink  Loor  et  Schullz. Outre  ces  noms  l'on  nous  fait  espérer 


trois  ouvrages  nouveaux  expressément  composés  par  MM.  Bel- 
lini,  Donizetti  et  Gabassi,  pour  Paris.  L'orchestre  doit  êtie  di- 
rigé par  M.  Parisini,  direttore  de  l'orchestre  du  théâtre  de  la 
Pei-gole,  à  Florence. 

t*ç  Un  singulier  cas  de  somnambulisme  se  présente  eu  ce 
moment  à  New-Yorck.  Un  jeune  homme  de  dix-neuf  ans ,  ap- 
partenant à  une  estimante  famille  de  commerçans ,  manifestait 
depuis  long-temps  des  dispositions  prononcées  pour  la  musi- 
que ;  il  s'avisa  de  prendre  quelques  leçons  de  violon  à  l'insu  de 
sesparens,  qui  n'avaient  pas  jugé  à  propos  de  favoriser  sou 
goût.  Mais  son  secret  ne  tarda  pas  à  être  découvert  par  l'inci- 
dent le  plus  étrange. 

Depuis  plusieurs  semaines  on  entendait,  au  milieu  de  la  nuit  , 
les  sons  d'un  instrument  h  cordes  qui  partaient  de  la  chambre 
habitée  par  le  jeune  homme.  Après  quelquesjours  d'hésitation , 
on  pénétra  dans  cette  appartement  et  l'on  vit  le  virtuose  se 
piomener  en  chemise  dans  sa  chambre  ,  tenant  l'archet  d'une 
main  et  le  violon  de  l'autre.  On  acquit  la  conviction  qu'il 
venait  de  se  réveiller  par  le  bruit  qu'on  avait  fait  à  sa  porte. 
Sa  confusion  et  le  désordre  du  lit  ne  laissèrent  aucun  doute  à 
cet  égard. 

Les  païens  consultèrent  un  célèbre  médecin  sur  cette  mala- 
die. Celui-ci  demanda  une  plume  et  de  l'encre  et  prescrivit  le 
traitement  suivant  : 

Faites- lui  prendre  toits  les  jours  des  leçons  de  musique. 

On  espère  que  la  famille  sera  assez  sage  pour  suivre  celte  or- 
donnance, 


Musique  nouvelle , 

Publiée  par  Rirbault. 

A.  Fessr  et  31.  Singer.  Fantaisie  brillante  et  concertante  pour 

piano  et  violon.  7  fr.  5o  c. 

Ganz  (Maurice).  Op. '16.  Fantaisie  pour  le  violoncelle.      10  fr. 

Publiée  par  Hri  soi  mer. 

JJ'ngner  (Charles).  Op.  1.  Grand  trio  pour  piano,  violon  et 
violoncelle.  12fr. 

Publiée  par  Delabanle. 

Ililler  (Ferd.).  Op.  14.  Trois  caprices  ponr  le  piano.  CI].  5  fr. 

—  Op.  15.  Six  suites  d'études  pour  le  piano.  21  f. 

Publie  par  Paeeiui. 

Reuehel  (J.).  Op.  14.  Choix  de  valses  allemandes  pour  piano. 

4  fr,  5o  c. 

—  Op.  1  I.  Six  airs  de  la  Dame  du  Lac,  arrangés 
pour  la  clarinette,  avec  accomp.  de  violon  et  basse  ou  de 
piano.  6  fr.  et  5  fr. 

Sowinski.  Op.  34-  Fantaisie  pour  le  piano  sur  la  cavatinç  de 
Pacini  ,  chaulée  dans  la  Slraniera  et  précédée  d'une  mélo- 
die polonaise.  7  fr.  5o  c. 

Cbcz  l'auteur. 

Sowinski.  Album  lyrique.  Mélodies  polonaises,  contenant  dix 
morceaux  de  différons  caractères  pour  le  chaut,  avec  accom- 
pagnement de  piano.  10  fr. 

Pub'iée  par  Scboneuberger. 

Lacout   (Adolphe).  Op.  2-  Six  valses  brillantes  pour  piano. 

5fr, 

Publiée  par  Henri  Lemuiuc. 

Bertini  (Henri)  jeune.  Op.  94.  Caprice  pour  le  piano. 

Publiée  par  Denaiu  et  Delamarre. 

Berlhé  (F.  L.).  Douze  Libretli ,  2  volumes. 

Gérant,  MAURICE  SCHLESINGER. 


■  Irppr, 


:  il'EVERAT,  ruc  du  Cadran,  1 


GAZETTE   MUSICALE 


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1"  ANNÉE. 


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PRIX  DE  l'aBO\'\£M. 

PARIS. 

DÉPART. 

ÉTRAPiG 

fr. 

Fr.       <■. 

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3m.     8 

8    75 

9     50 

6  m.  15 

<6    50 

18     ,. 

)  an.  50 

53    a 

56    .. 

£a  (ftaaetie  iJlusicals  ï>*  ijjîarts 
Paraît   le  DIMANCHE  de  chaque  semaine. 

On  s'abonne  au  bureau  de  la  Gazette  Musicale  de  PAnis,  rue  Richelieu,  97; 
et  chez  tous  les  libraires  et  marchands  de  musique  de  France. 

>Q  reçoit    les  réclamations  des  personnes  qui  ont  des  griefs  à  exposer,  et  les  avis  relatifs  à  la 
qui  pei 


qui  ont  des  griefs  à  exposer,  et  le: 
\cut  iiilcresser  le  public. 


PARIS,  DIMANCHE  31   AOUT  1834. 


Les  lettres,  demandes 
et  envois  d'argent  doi- 
vent être  affranchis,  et 
adresses  du  Directeur , 
rue  Richelieu,  97. 


MUSIQUE  ET  POÉSIE  NATIONALES 

DU     DANEMARCK,     DE    LA    NORWÉGE,     DE    LA    SUEDE,   ETC. 

A  la  suite  de  l'essai  que  nous  avons  donné  sur  la  mu- 
sique et  la  poésie  nationales  de  la  Pologne  et  de  la  petite 
Russie  (numéros  i0,  "H  et  14),  nous  avions  promis 
d'ouvrir  sur  ce  même  sujet  les  mines  si  fécondes  de  l'Al- 
lemagne; nous  croyons  que  le  lecteur  ne  nous  saura  pas 
mauvais  gré  de  reculer  quelque  peu  l'accomplissement 
de  cette  promesse,  pour  lui  faire  parcourir  certaines 
contrées  du  nord  qui  ne  laissent  pas  d'offrir  un  sujet  in- 
téressant d'étude  à  l'observateur. 

Nous  n'avons  point  la  prétention  de  traiter  d'une  ma- 
nière complète  le  sujet  que  nous  avons  embrassé.  Com- 
ment, en  effet,  pourrions-nous  le  faire?  les  livres  d'his- 
toire ne  font  mention  de  la  musique  que  comme  d'une 
chose  très-insignifiante;  on  y  touche  à  peine  en  passant; 
et  la  littérature  musicale  ne  nous  offre  sur  la  musique 
nationale  qu'un  vide  désespérant.  Si  nous  n'avons  pu 
rencontrer  d'ouvrage  qui  s'occupe  de  cette  spécialité, 
c'est  sans  doute  qu'il  n'a  paru  à  aucun  auteur  jusqu'à 
présent  qu'une  telle  matière  fût  aussi  impoitante  et 
aussi  riche  en  conséquences  que  nous  l'avons  avancé 
dans  nos  articles  sur  la  Pologne,  et  que  nous  espérons  le 
prouver  plus  tard  par  l'Allemagne,  la  France,  l'Espa- 
gne, etc.  Quelques  écrivains,  il  faut  l'avouer,  ont  bien 
parlé  de  musique  nationale,  mais  en  la  confondant  avec 
la  musique  populaire  ;  encore  donnent-ils  souvent  ce 
dernier  nom  a  la  musique  usée,  à  la  musique  des  orgues 
de  Barbarie,  a  ce  qu'on  appelle  la  musique  des  rues.  Il  en 
est  donc  résulté  pour  nous  une  extrême  difficulté  de  re- 
cherches, et  il  en  naît  en  même  temps  une  excuse  toute 


naturelle  pour  l'insuffisance  de  notre  travail.  Mais  nous 
aurons  atteint  notre  but  si  nous  sommes  parvenus  à 
éveiller  l'attention  sur  un  sujet  aussi  digne  de  la  fixer, 
et  si  l'on  juge  que  nous  l'avons  approfondi  autant  que 
nous  le  permtttiiit  le  petit  nombre  de  matériaux  cu'il 
nous  a  été  possible  de  réunir. 

On  pourrait  dire  de  la  musique  nationale  ce  que  le 
célèbre  Herder  (1)  a  dit  de  la  musique  populaire  dans 
laquelle  il  comprend  les  chants  des  héros  et  les  hymnes 
guerriers  «  qu'une  petite  collection  de  tels  morceaux  sur 
les  guerres,  les  héros  et  les  exploits  de  chaque  peuple, 
accompagnés  de  leur  musique,  donnerait  de  la  vie  à 
ces  articles  de  l'histoire  qui  sont  le  principal  objet  des 
études  du  philosophe.» Le  chant  populaire,  transmis  par 
le  père  à  son  fils,  est  un  héritage  de  la  famille;  le  chant 
national,  le  chant  politique  est  l'héritage  de  la  nation. 

Parmi  les  chants  nationaux  les  plus  anciens  qui  nous 
aient  été  conservés,  nous  citerons  ceux  des  poètes  Scan- 
dinaves dans  lesquels  se  trouve  peint  avec  des  couleurs 
si  vraies  le  caractère  du  pays  et  du  temps,  qu'ils  suffi- 
sent pour  donner  une  connaissance  complète  des  usages 
et  des  mœurs,  des  sciences  et  de  la  mythologie  de  ce 
peuple  si  vieux,  et  du  siècle  où  il  florissait.  Ces  poètes  se 
nommaient  scaldcs;  ils  étaient,  dans  la  Scandinavie,  ce 
que  les  bardes  étaient,  selon  J.-J.  Rousseau,  dans  les 
Gaules  :  prêtres,  prophètes,  poètes  et  musiciens. 

Il  y  a  dans  les  poésies  des  scaldes  un  mélange  de  sen- 
timens  religieux,  de  passion  pour  la  gloire,  et  d'amour; 
leurs  chants  guerriers  et  amoureux  remontent  aune  très- 
haute  antiquité  et  révèlent  un  peuple  à  la  fois  galant  et 

(!)  Slimmen  (1er  Voelkcr  inLicdorn. 


GAZETTE  MUSICALE 


brave,  toujours  également  prêt  a  puiser  ses  inspirations 
dans  les  bauts  faits  d'un  héros  ou  dans  les  charmes  d'une 
maîtresse. 

Nous  trouvons  dans  l'Edda  (1),  comme  dans  toutes 
les  poésies  nationales  Scandinaves,  ce  même  caractère  de 
religion  ,  de  galanterie  et  de  bravoure  qui  distingua  plu- 
sieurs siècles  après  la  chevalerie  des  autres  pays  de  l'Eu- 
rope. Aventuriers  et  pirates,  les  héros  Scandinaves,  rois 
delaNonvége,  delà  Suéde,  du  Danemark,  étaient  sur 
mer  ce  qu'étaient  les  chevaliers  sur  terre ,  ne  reconnais- 
sant également  d'autre  droit  que  celui  du  plus  fort.  Et 
de  même  que  ceux-ci ,  entraînés  par  une  pensée  com- 
mune, se  réunirent  plus  tard  pour  combattre  .les  enne- 
mis de  leur  croyance,  les  Sarrasins  dans  les  croisades  , 
les  Maures  en  Espagne;  ceux-là  rassemblaient  leurs  forces 
pour  dévaster  les  côtes  et  porter  la  guerre  dans  le  Nord 
comme  dans  l'Orient  ;  c'est  dans  leurs  chants  même  que 
nous  apprenons  qu'ils  croisaient  tantôt  sur  les  côtes  des 
Celtes,  tantôt  sur  celles  de  Naples,  de  la  Sicile  et  de  la 
Turquie.  A  la  suite  des  chevaliers  marchaient  des  trou- 
badours, des  ménestrels,  des  bardes,  chargés  de  chanter 
leurs  exploits  guerriers,  leurs  tournois,  leurs  combats 
singuliers,  leurs  crimes,  leurs  amours  et  leurs  belles; 
les  Scandinaves  avaient  aussi  des  chanteurs  qui  étaient 
leurs  compagnons,  leurs  historiens  sur  le  champ  de  ba- 
taille, leurs  flatteurs  dans  la  vie  paisible  du  château, 
conseillers  non  moins  habiles  dans  les  hasards  de  la 
guerre,  que  rusés  et  adroits  dans  ceux  de  l'amour. 

Quant  au  but  et  au  sujet  des  chants  Scandinaves,  nous 
trouvons  dans  un  ancien  ouvrage  danois  (1)  ce  rensei- 
gnement précis  et  complet  :  Argumenta  carniinum  et 
cantilenarum  danicarum  fuerunt  plerumque  bellum 
regnorum  et  regum,  duella  gigantum ,  pugnce  et  prœ- 
clara  fortium  virorum  facinora,  illustrium  personarum 
connubia,  amores ,jietus \,  fata ,Jormarum  varice  méta- 
morphoses, infortunia ,  errata  et  errantium  pœnœ  et 
supplicia  ;  atcpie  harum  cantilenarum  multa  hodièaue 
exstant  vestigia. 

Mais  ce  n'étaient  pas  seulement  les  scaldcs  qui  chan- 
taient les  héros  ;  ces  derniers  étaient  souvent  scaldes 
eux-mêmes  ;  ainsi ,  dans  le  quatrième  siècle,  Ossian  , 
après  avoir  déposé  sa  lauce,  chantait  Trennor  ,  Fingal , 
Oscar  et  ses  propres  exploits.  Tel  l'histoire  nous  montra 
depuis  Alfred-le-Grand,  pèlerin  troubadour  sur  le  sol 
ennemi;  tels  encore  Richard  -Cœur-de-Lion ,  poète  et 
compositeur;  Guillaume  IX,  comte  de  Poitou,  duc 
d'Aquitaine,  etThéobald,  roi  de  Navarre,  qui  furent 
les  bardes  les  plus  célèbres  de  leur  temps ,  le  premier 

(1)  Recueil  de  chants  Scandinaves. 
(1)  Ileptachordum  danieum  ,  1646. 


dans  le  douzième  siècle,  le  second  au  commencement 
du  treizième. 

Les  chants  qui  nous  restent  sur  les  héros  de  la  Suède, 
de  la  Norwége  et  du  Danemarck,  ont  été  presque  tous 
composés  par  eux-mêmes  ;  dans  le  nombre  se  trouve  un 
document  précieux  appartenant  au  neuvième  siècle  et 
connu  sous  le  nom  A' Ode  de  Régner  Lodhrog.  Ce  guer- 
rier fameux,  poète  et  pirate,  régnait  en  Danemark; 
après  de  longues  courses  sur  les  mers  les  plus  lointaines, 
conduit  prisonnier  en  Angleterre  par  son  ennemi  Ella, 
il  y  périt  des  morsures  que  lui  firent  les  serpens  dont  on 
avait  rempli  sa  prison.  Ce  fut  au  milieu  d'horribles 
douleurs  que  le  héros  composa  la  complainte  dont  nous 
Darlons.  Elle  est  consacrée  tout  entière  au  souvenir  de 
ses  grandes  actions  dont  le  récit  n'est  interrompu  que 
par  la  prédiction  des  vengeances  que  tireront  ses  fils  de 
son  affreuse  captivité,  et  par  l'expression  de  la  joie  que 
lui  donne  l'espoir  de  s'asseoir  bientôt  a  la  table  d'O- 
din  (I);  sentimens  que  lui  arrachait  sans  doute  la  dou- 
leur, au  milieu  de  ses  inspirations  poétiques. 

Nous  ne  pouvons  résister  au  plaisir  de  citer  quelques 
fragmens  de  ce  morceau  si  curieusement  empreint  de  la 
barbarie  du  temps  où  vivait  Régner  Lodbrog,  et  si  re- 
marquable par  un  mélange  bizarre  d'idées  héroïques  et 
religieuses. 

«  L'Orient  m'a  vu;  j'y  préparais  une  proie  sanglante  aux 
loups  dévoraus. 

h  Je  me  suis  battu  à  Fépée  le  jour  de  ce  grand  combat  où 
j'envoyai  dans  le  palais  d'Odin  les  peuples  de  Helsingue. 
«  Puis  nos  vaisseaux  légers  nous  portèrent  à  Ifa,  où  le  fer  de 
nos  lances  ,  fumant  de  sang  ennemi ,  entrait  clans  les  cui- 
rasses les  mieux  trempées  ,  où  les  buucliers  se  brisaient  sous 
les  coups  de  nos  épées. 

»  Je  me  suis  battu  à  l'épée  ce  jour  où ,  près  d'un  cap  de  l'An- 
gleterre ,  j'ai  vu  dix  mille  de  mes  ennemis  couebés  sur  la 
poussière  ;  de  nos  glaives  tombait  une  rosée  de  sang  ;  volupté 
aussi  douce  pour  moi  que  si  mes  bras  avaient  serré  le  corps 
céleste  d'une  belle  femme! 

w  Je  me  suis  battu  à  l'épée  ce  jour  où  la  puissance  de  mon 
bras  fit  naître  le  dernier  crépuscule  pour  ce  jeune  homme  si 
fier  de  sa  belle  chevelure. 

»  Quelle  est  la  destinée  d'un  brave,  si  ce  n'est  de  tomber  l'un 
des  premiers  au  milieu  d'une  grêle  de  flèches?  il  traîne  une 
existence  ennuyeuse  ,  celui  que  n'a  jamais  blessé  le  fer  en- 
nemi ;  le  lâche  ne  sait  pas  faire  usage  de  son  cœur 

»  Prompt  et  hardi  dans  le  combat  doit  être  celui  qui  aspire  à 

se  faire  aimer  de  sa  maîtresse 

»  Je  me  suis  battu  à  l'épée....  mais  j'éprouve  aujourd'hui 
qu'un  destin  inexorable  pèse  sur  la  vie  de  l'homme.  Dcvais- 
je  croire  ciu'il  serait  réservé  à  Ella  de  mettre  fin  à  une  aussi 
belle  carrière,  lorsque  ,  demi-mort ,  je  faisais  couler  encore 
des  flots  de  sang. 
»  Je  me  suis  battu  à  l'épée mais  mon  cœur  tressaille  de 

(f)  Dieu  des  Scandinaves. 


DE  PAiiiS. 


«  joie  ;  car,  dans  le  palais  d'Odin  ,  se  préparc  un  feslin  pour 
u  nie  recevoir;  assis  bientôt  dans  sa  splendide  demeure,  j'y 
»  boirai  de  la  bière  avec  lui  dans  le  ciâne  de  nos  ennemis. 
»  Le  brave  ne  redoute  point  !a  mort.  Des  paroles  d'effroi  ne 
»  sortiront  point  de  ma  bouche ,  en  me  présentant  au  banquet 
..  d'Odin. 

»  Je  me  suis  battu  à  l'épée Ah!  si  mes  fils  savaient  à 

u  quelles  tortures  on  m'a  livré  ,  qu'ils  souhaiteraient  avec  ar- 
n  deur  de  voler  à  de  satiglans  combats!  La  mère  que  je  leur  ai 
»  donnée  ,  leur  a  fait  des  cœurs  de  braves  ^1  ). 

>i   Je  me  suis  battu  dans   cinquante-un  combats  ;  je  n'ai  pu 

»  rencontrer  un  roi  plus  vaillant  que  moi mais  il  est  temps 

«  que  je  finisse;  Odin  m'envoie  ses  déesses  pour  m'introduirc 
»  dans  son  palais  ;  je  vais,  assis  à  une  place  d'honneur,  boire 
u  de  la  bière  avec  les  dieux.  Les  heures  de  ma  vie  sont  écou- 
«  lées;je  meurs  en  riant.  » 

La  musique  de  cette  ode ,  comme  celle  de  presque 
toutes  les  chansons  Scandinaves  anciennes,  est  empreinte 
d'un  caractère  qui  rappelle  le  plain-chant  grégorien  ;  elle 
respire  une  élévation  d'âme  mêlée  d'une  sombre  teinte 
de  tristesse;  elle  a  en  même  temps  de  l'expression,  de 
la  profondeur  et  de  la  grâce.  On  l'a  publiée  a  Bruns- 
wick dans  un  recueil  de  chants  populaires,  fait  avec 
goût  et  talent,  et  qui  porte  le  titre  de  bardale  (2). 

Au  milieu  du  onzième  siècle  vivait  en  Norwége  He- 
rald le  vaillant,  un  des  plus  illustres  de  ces  aventuriers, 
qui  croisa  sur  les  mers  du  nord,  sur  la  Méditerranée  et 
sur  les  côtes  d'Afrique.  Fait  prisonnier  et  retenu  quel- 
que temps  esclave  a  Constanlinople,  il  composa,  comme 
Régner  Lodbrog,  une  ode  dans  laquelle  il  chante  sa 
gloire  et  ses  combats;  mais  il  s'y  plaint  que  sa  vaillance 
et  sa  supériorité  sur  les  autres  guerriers  n'aient  pu  tou- 
cher le  cœur  d'Elissif,  filie  de  Jarislas,  roi  de  Russie. 

Mallet ,  dans  l'ouvrage  que  nous  avons  cité,  nous 
donne,  page  \o6\,  une  traduction  de  cette  ode  dont  les 
passages  suivans  nous  ont  surtout  paru  remarquables  : 

«  Mes  navires  ont  fait  le  tour  de  la  Sicile-  nous  étions  alors 
«  biillans  et  magnifiques...  cependant  une  fille  de  Russie  me 
u  méprise  ! 

»  Dans  ma  jeunesse,  je  me  suis  battu  avec  les  peuples  de 
»  Dronlheim.  Ce  fut  un  terrible  combat:  je  laissai  leur  jeune 
u  roi  mort  sur  le  champ  de  bataille...  Cependant  une  jeune 
«   fille  de  Russie  me  méprise! 

a  Je  sais  faire  huit  exercices;  je  combats  vaillamment  ;  je 
»  me  tiens  fermement  à  cheval  ;  je  suis  accoutumé  à  nager; 
»  je  sais  courir  en  patins;  je  lance  le  javelot;  je  m'entends  à 
«  ramer...  Cependant  une  jeune  fille  de  Russie  me  méprise! 

(i)  Le  vœu  de  Lodbrog  fut  exaucé  ;  ses  fils  le  vengèrent. 

(2)  Celte  ode  de  Lodbrog,  encore  chantée  en  Islande,  se 
trouve  dans  la  Litteratura  musica  lTrormii;  elle  a  été  traduite 
en  français  par  Mallet  dans  ses  Monumens  de  la  mythologie 
et  tle  la  poésie  des  Celles,  p.  150;  chacune  des  vingt-cinq 
strophes  qu'elle  contient  commence  par  ces  mots  :  hiuggo  ver 
men  hiotvi. 


u  Peut-elle  nier,  cette  jeune  fille  ,  que  le  jour  où,  posté  près 
«  de  la  ville,  dans  le  pajs  du  midi ,  je  livrai  un  combat,  je 
»  me  suis  servi  courageusement  de  mes  armes?...  Cependant 
u   une  jeune  file  de  Russie  me  méprise  ! 

11  Je  suis  né  dans  le  brave  pays  de  Norwége,  là  où  les  habi- 
»  tans  manient  si  bien  les  arcs;  mais  j'ai  préféré  conduire 
»  mes  vaisseaux  ,  l'effroi  des  paysans  ,  parmi  les  écueils  de  la 
«  mer,  et  loin  du  séjour  des  hommes...  Cependant  une  jeune 
»  fille  de  Russie  me  méprise  !  » 

Les  scaldes  qui  chantaient  non  seulement  les  exploits 
des  guerriers,  mais  encore  la  mythologie  Scandinave, 
furent  chassés  plus  tard  par  les  moines;  ainsi  se  perdit 
l'ancienne  poésie. 

De  même  qu'il  existait  peu  de  différence  dans  les 
mœurs  et  les  usages  de  la  Suède  et  du  Danemark,  les 
chants  de  ces  deux  pays  sont  marqués  du  même  cachet  ; 
étudier  les  uns  ,  c'est  prendre  une  idée  presque  complète 
des  autres.  Nous  citerons,  sur  les  chants  danois  (I),  un 
ouvrage  danois  qui  comprend,  en  trois  parties ,  les  ro- 
mances, les  ballades  et  les  poésies  historiques  du  moyen 
âge.  Parmi  ces  derniètes,  qui  sont  surtout  du  domaine 
de  notre  sujet,  il  en  est  une  dont  la  mélodie  ne  manque 
ni  de  feu,  ni  d'un  élan  tout  particulier;  elle  commence 
ainsi  : 

Damark  deilig  vang'o.;  Tange 
Lukt  med  Bolgen  blaa. 

Dans  l' Essai  sur  la  musique ,  de  M.  de  la  Borde, 
nous  trouvons  (tome  2,  p.  598)  une  traduction  de  ce 
chant,  par  M.  Jacobi ,  secrétaire  delà  Société  ro\  aie 
des  Sciences  de  Copenhague,  qui  dit  n'avoir  pu  réussir 
a  s'en  procurer  la  musique.  Pour  celle-ci,  nous  ren- 
voyons le  lecteur  a  la  collection  dont  nous  avons  parlé  ; 
quant  à  la  traduction  de  M.  Jacobi,  nous  citerons  ce 
commencement  : 

«  O  Danemark!  pays  agréable  de  champs  et  de  prairies,  en- 
«  touré  par  les  flots  azurés  ;  pays  dont  la  jeunesse  robuste  est 
»  toujours  prête  aux  combats  contre  les  Germains,  les  Slavons, 
u  les  Vandales,  et  partout  où  la  gloire  l'appelle!  etc. 

On  nous  dit  que  les  Suédois,  en  guerre  avec  la  Po- 
logne, dans  le  quinzième  siècle,  avaient  pris  la  coutume 
de  chanter  avant  de  marcher  a  l'ennemi,  coutume  qui 
était,  selon  Busby  (1),  commune  à  tous  les  peuples 
guerriers.  Le  privilège  d'entonner  le  chant  de  combat 
appartenait,  dit  cet  auteur,  au  barde  qui  l'avait  com- 
posé 

Pendant  la  guerre  de  trente  ans ,  guerre  religieuse  ; 
Gustave  Adolphe,  chaque  matin  et  chaque  soir,  a'inu 
qu'au  moment  de  la  bataille,  inspirait  son  armée  en 

(1)  Udvalgtc  D.imke  viser  fra  middcl-alderen ,  Udgivc  al 
ryerup  og  Rohbek,  1814,  Kjobenhavri. 

(2)  General  hislorv  of  musica. 


2S0 


GAZETTE  MUSICALE 


chantant  avec  elle  des  plain-chants  qui  sont  encore  au- 
jourd'hui chantés  dans  les  églises  protestantes  de  l'Alle- 
magne. 

Le  motif  principal  de  la  pénurie  de  documens  dans 
laquelle  nous  laisse  la  littérature  musicale  sur  les  pays 
du  Nord ,  est  plutôt ,  nous  le  soupçonnons ,  le  manque 
d'écrivains  connaisseurs  et  amateurs,  que  le  manque  de 
chants  dans  ces  pays  ;  c'est  vers  le  midi,  dans  l'Italie  et 
dans  l'Espagne,  que  se  portent  les  voyageurs;  la  Nor- 
wége,  la  Finlande,  la  Laponie,  ne  sont  visitées  que  par 
des  commerçans.  Dans  ces  contrées  où  la  nature  trop 
avare  refuse  aux  habitans  même  les  premières  nécessi- 
tés de  l'homme,  la  vie  politique  est  moins  active,  moins 
féconde  en  événemens  que  sous  les  climats  méridionaux; 
aussi  provoque-t-elle  moins  au  patriotisme,  aux  actions 
héroïques,  et  n'appelle-t-elle  point  le  secours  de  la  mu- 
sique et  de  la  poésie  pour  éveiller  dans  le  cœur  de 
l'homme  les  grands  sentimens  de  dévouement  et  de  bra- 
voure. Mais  la  vie  privée  y  est  d'autant  plus  riche  en 
faits  que  la  nature  y  a  entouré  de  hasards  et  de  dangers 
le  cours  ordinaire  de  l'existence.  Plus  uniforme  que  le 
midi ,  le  nord  n'en  offre  pas  moins  des  beautés  pittores- 
ques. Ses  mois  entiers  de  nuits  sans  jours ,  éclairées  par 
l'aurore  boréale,  ne  donnent  pas  peu  d'aliment  à  l'ima- 
gination; ses  soleils  multiples  paraissant  a  la  fois  au- 
dessus  de  l'horizon,  même  à  minuit,  et  d'autres  jeux 
de  la  nature  produits  par  la  mer  glaciale,  sont  autant  de 
beautés  qui  vous  forcent  à  l'admiration. 

Il  ne  nous  faudrait  que  ciler  quelques  chansons  po- 
pulaires des  Lapons  et  des  Finlandais  pour  donner  de 
la  vie  de  ces  peuples  une  idée  plus  claire  et  plus  com- 
plète que  ne  le  pourraient  faire  de  longues  relations  de 
voyages. 

A  défaut  de  chants  nationaux ,  nous  croyons  que  le 
lecteur  ne  verra  pas  ici  sans  intérêt  quelques  mots  sur 
leurs  chansons  populaires  ;  nous  sommes  d'autant  plus 
portés  a  en  parler  que  nous  ne  pensons  pas  revenir  sur 
ce  sujet  dans  cette  feuille. 

Les  Lapons  se  divisent  en  deux  classes  principales , 
le  montagnard  et  l'habitant  des  côtes  ;  le  premier  est  no- 
made par  nature  et  par  nécessité  ;  il  se  livre  à  la  direc- 
tion de  ses  rennes,  qui,  en  cherchant  sous  la  neige  leur 
nourriture  (la  mousse  des  rennes),  suivent  librement  la 
route  qui  leur  convient,  fixant  ainsi  la  marche  et  même 
!e  destin  de  leur  maître.  Son  troupeau  se  compose  de 
deux  ou  trois  cents  de  ces  animaux  ;  s'il  arrive  que  la 
maladie  le  réduise  à  cinquante,  alors  il  devient  insuffi- 
sant pour  nourrir  le  Lapon  qui  le  donne  en  garde  à 
quelque  autre  dont  il  se  fait  le  serviteur;  ou  bien  il 
entre  dans  la  classe  des  Lapons  de  la  côte  ;   il  devient 


pêcheur.  Là,  ses  habitudes  changent;  a  cette  patience 
qu'il  possédait  a  un  si  haut  degré  dans  les  souffrances 
delà  vie  nomade,  succède  une  étonnante  intrépidité 
qui  lui  fait  braver  tous  les  dangers  de  l'Océan.  Mais  on 
prétend  qu'il  reste  gravé  dans  son  cœur  un  souvenir 
ineffaçable  de  ses  montagnes ,  et  que  tous  ses  désirs, 
toutes  ses  pensées,  tous  ses  travaux  n'ont  d'autre  but 
que  de  lui  donner  les  moyens  d'y  retourner. 

Quelques  voyageurs  font  beaucoup  de  cas  du  talent 
poétique  et  du  talent  musical  des  Lapons.  Conselt , 
voyageur  anglais  que  conduisit  à  Tornéele  désir  de  voir 
le  soleil  au-dessus  de  l'horizon,  a  minuit,  a  recueilli 
plusieurs  chants  lapons  qui  font  honneur  au  goût  de  ce 
peuple  dont  pourtant  la  nature  a  seule  formé  le  talent. 

Si  l'on  en  croit  Arthur  de  Capell  Brooke,  le  chant 
des  Lapons  est  au  contraire  insignifiant  comme  leur 
danse.  Habillé  de  peaux  de  rennes  depuis  la  tête  jus- 
qu'aux pieds,  le  Lapon  croit  danser  en  levant  alterna- 
tivement chaque  pied  et  le  laissant  retomber  à  la  même 
place.  Ce  voyageur  assure  avoir  entendu  des  chansons 
laponnes  qui  ne  contenaient  que  ces  mots  :  l-es  loups, 
les  loups.  Quelque  pauvre  que  soit  un  tel  poème,  on  le 
conçoit  pourtant  dans  la  bouche  d'un  conducteur  de 
rennes  dont  toute  la  richesse,  toute  l'existence  est  inhé- 
rente à  son  troupeau  et  qui  pour  cela  même  est  néces- 
sairement obligé  de  faire  aux  loups  une  guerre  conti- 
nuelle. Arthur  de  Capell,  qui  fait  partie  du  petit 
nombre  d'écrivains  dont  l'attention  s'est  poitée  sur  la 
capacité  musicale  d'un  peuple,  dit,  dans  son  ouvrage 
intitulé  :  un  Hiver  en  Laponie  et  en  Suède  j  que  c'est 
par  confusion  des  Lapons  avec  les  Finlandais  que  l'on 
fait  tant  d'éloges  des  premiers  sous-le  rapport  de  la  mu- 
sique et  de  la  poésie. 

Sheffer  en  donne  une  idée  très-avantageuse  quand,  a 
propos  de  la  chanson  finlandaise  :  le  Voyage  vers  la 
bien  aimée  ,  il  dit  dans  son  ouvrage  :  Laponia  , 
p.  282  : 

«  Interea  subindb  visitât  amans  amicani  suani ,  ad  quant 
»  dum  lendit,  canlione  amaloriâ  se  oblectat ,  viœque  failli 
»  tœdium.  Soient  enim  uti  plerumque  canlionibus  ejusmodi , 
»  non  dira  quamdam  modulationem,  sed  quant  quisque 
»  putat  optimam,  nec  eodem  modo ,  sed  alio  et  alio ,  prout 
»  inter  ijtsum  canendunt  cuique  jucundissimum  videtur.  » 

«  Ainsi  l'amante  -visite  son  amant,  et  pendant  qu'il  court 
»  -vers  elle,  il  se  distrait  et  cliarme  l'ennui  de  son  voyage  par 
»  une  chanson  amoureuse.  Le  plus  souvent  leurs  chansons  ne 
h  sont  point  soumises  à  une  mesure,  à  une  modulation  de  telle 
»  ou  telle  sorte;  chacun  chante  ce  qui  lui  paraît  le  mieux,  non 
»  d'une  manière  uniforme,  mais  en  variant ,  selon  le  mode 
n  qu'il  juge  inlérieuremeut  devoir  être  le  plus  agréable.  i> 

Nous  avons  sous  les  yeux  une  traduction  de  la  chan- 


DE  PARIS. 


son  que  nous  venons  de  citer;  mais  elle  donnerait  une 
bien  faible  idée  de  cette  œuvre  qui  peint  avec  des  cou- 
leurs si  vraies  la  nature  et  la  vie  du  peuple  lapon  ;  nous 
préférons  reproduire  ici  le  résumé  qu'en  fait  en  peu  de 
mots  Herder  (1). 

«  Oh!  que  de  naïveté,  de  naturel,  de  désir  dans  ce  qu'é- 
»  prouve  le  jeune  Lapon  qui  se  plaint  de  la  longueur  du  che- 
»  min  ;  qui  invoque  tout  ce  qui  s'offre  à  ses  regards  sur  la 
)>  route,  le  soleil ,  les  arbres,  les  nuages,  les  oiseaux;  qui  im- 
»  plore  leur  secours  pour  l'aider  à  arriver  promptement  au 
»  lac  Orra  où  habite  sa  maîtresse  !  Oh!  qu'il  est  bien  dans  la 
))  nature  qu'il  revienne  sans  cesse  sur  la  lenteur  de  sa  course, 
»  qu'il  se  plaigne  d'être  devancé  par  son  âme  et  par  sa  pen- 
u  sée,  qu'il  fasse  des  vœux  pour  découvrir  la  route  la  plus 
»  courte  et  la  plus  rapide  !  » 

Nous  avons  également  admiré  la  beauté  et  en  même 
temps  la  simplicité  touchante  d'une  autre  chanson  que 
donne  Sheffer  et  dont  Herder  a  fait  la  traduction.  Le 
Laponien,  dans  son  traîneau,  adresse  de  tendres  exhor- 
tations a  son  renne  Kulnasatz,  et  l'engage  a  courir  lé- 
gèrement pour  lui  faire  franchir  les  lacs;  et,  dans  son 
rapide  essor,  saluant  chaque  nouveau  lac  qui  se  présente 
a  traverser,  il  demande  en  palpitant  a  son  cher  Kulna- 
satz, si  son  œil  n'aperçoit  pas  enfin  sa  maîtresse. 

Cette  seule  chanson  ne  suffit-elle  pas  pour  nous  pein- 
dre la  physionomie  du  pays,  avec  ses  lacs  glacés  qui  le 
couvrent,  et  sur  lesquels  glissent  rapidement  et  le  renne, 
et  le  guide ,  et  le  traîneau  ? 

On  trouve  encore  dans  Gœrner  (  Dissert,  de  orig.  et 
relig.  finnorum,  p.  40)  une  autre  chanson  nommée, 
chanson  de  l'ours  de  Finlande;  mais  retournons  a  la 
poésie  et  à  la  musique  nationales.  Celles-ci,  que  l'on 
chercherait  en  vain  chez  un  peuple  nomade ,  se  retrou- 
vent partout  où  le  commerce  a  fixé  un  certain  nombre 
d'habitans  réunis. 

En  Norvvége,  l'on  danse  et  l'on  chante  beaucoup. 
Les  danses  ordinaires  sont  la  walse,  la  polonaise  et  la 
sauteuse  qui  ressemble  a  nos  contredanses.  Chanteurs  et 
danseurs  sont  toujours  accompagnés  par  un  violon,  ins- 
trument qui  est  habituellement  possédé  par  un  membre 
au  moins  de  chaque  famille.  Dans  la  finnmark,  où  le 
punch  est  l'unique  rafraîchissement  des  réunions ,  où 
chacun  apporte  sa  pipe  sans  laquelle  il  se  croirait  mal- 
heureux et  ne  pourrait  même  trouver  du  plaisir  à  boire 
son  punch ,  où  les  chambres  sont  pleines  de  fumée  a  ne 
s'y  pouvoir  reconnaître,  le  maître  de  la  maison  porte  le 
premier  toast  avec  une  chanson  qui  s'appelle  Gammel 
Norke:  vive  l'ancienne  Norvvége! 

Cette  chanson  produit  sur  toute  la  société  un  effet 

(I)  Stimmcn  der  Yce'.kcr  in  L:edern. 


électrique  ;  chacun  se  lève,  remplit  jusqu'au  bord  son 
vaste  verre  qu'il  choque  aussitôt  contre  tous  les  autres  ; 
puis  les  voix  réunies  reprennent  en  chœur  avec  un  en- 
thousiasme difficile  a  décrire.  L'évèque  Nordakl  Bruun 
de  Bergen  est  l'auteur  de  la  poésie  et  de  la  mélodie  de 
ce  chant,  qui  tient  surtout  son  caractère  national  d'une 
grande  simplicité  jointe  à  une  expression  rare  et  a  une 
vérité  admirable. 
Il  commence  ainsi  : 

Boer  sug  paa  des  hoêiti ,  elc. 

Trois  couplets  sont  destinés  à  peindre  les  trois  classes 
d'habitans  du  pays,  leur  bonheur,  leur  supériorité  sur 
les  autres  peuples. 

Dans  le  premier,  c'est  le  chasseur  montagnard  qui 
avec  ses  souliers  de  neige,  court  à  la  poursuite  du  renne 
dont  la  chasse  le  fait  vivre  : 

«  Sur  la  cime  des  monts  ,  dit-il,  est  l'asile  des  âmes  satis- 
»  faites  ;  le  bruit  du  monde  n'arrive  pas  jusqu'à  ma  demeure 
»  élevée  comme  le  ciel.  » 

La  vie  du  pasteur  dans  ses  fertiles  vallées  est  le  sujet 
du  second  couplet  : 

«  Là,  où  mon  troupeau  trouve  sa  nourriture,  je  me  ris 
»  des  caprices  de  la  mode  et  [des  renies  qui  font  la  richesse. 
»  De  mon  humble  vallée  ,  je  vois  combien  tombent  de  têtes 
»  puissantes  ;  sur  ma  colline,  je  suis  en  sûreté,  en  vidant  la 
»  coupe  de  l'amitié.  » 

Dans   le   troisième ,   c'est  le  pêcheur   des    côtes  qui 

parle  : 

o  Je  comble  mon  bateau  de  poissons,  jusqu'à  le  faire  couler; 
»  je  suis  heureux  ,  riche  et  content.  Un  mets  suffit  sur  la  table 
»  de  l'homme  sobre.  Il  faut  que  le  poisson  nage  ;  je  chante  et 
»  je  bois  à  un  heureux'  succès  de  la  pêche. 

Ce  couplet  est  toujours  accueilli  avec  enthousiasme 
par  des  hommes  qui  trouvent  dans  la  pêche  leur  princi- 
pale branche  de  commerce. 

Eufin,  un  quatrième  couplet  chante  à  la  fois  la  mon- 
tagne, la  vallée  et  la  pêche  : 

ci  Non ,  la  Norvvége  n'est  pas  un  désci  t  ;  la  nature  nous  y 
»  donne  la  gaîté.  Buvons  à  la  fortune  et  à  la  gloire  de  la  Nor- 
»  wé"e;  que  le  succès  suive  partout  celui  qui  aime  et  noire 
>.  société  et  noire  pays  !  >> 

Joseph  Mainzer. 


T3i)ATaE   SOÏA1  SE    L"OPERA-COIfIIÇUE. 


Le  Fils  du  Prince, 

OPÉKA  EN  2  ACTES. 

Paroles  de  M.  Scribe,  musique  de  M.  de  Fclirc. 

Ou  m'a  conté  que  M.  Scribe  ,  faligué  à  l'excès  par  une  exu- 
bérance de  fécondité  à  laquelle  il  ne  pouvait  mettre  un  terme, ré- 


GAZETTE  SILSICALE 


solut  de  s'y  soustraire  en  fuyant  ses  collaborateurs,  en  mettant 
entre  eux  et  lui  le  long  chemin  qui  sépare  Paris  de  la  Suisse  ; 
que  le  démon  dramatique  ne  se  rébutant  point  pour  si  peu  , 
mont»  dans  la  chaise  de  poste  du  fécond  et  spirituel  auteur,  si 
bien  qu'à  peine  arrivé  à  la  frontière  ,  au  lieu  de  repos  qu'il  avait 
espéré  de  son  voyage,  M.  Scribe  se  trouve  avoir  enfanté  sans 
s'en  être  à  peine  aperçu  deux  vaudevilles  et  un  opéra.  Recon- 
naissant alors  "qu'on  lutle  en  vain  contre  sa  destinée ,  il  re- 
broussa chemin,  et,  pendant  le  retour,  un  opéra  et  deux  vau- 
devilles vinrent  augmenter  d'autant  son  fonds  littéraire. Le  Fils 
du  Prince  est-il  né  de  l'aller  ou  du  retour,  je  ne  le  sais;  tou- 
jours est-il  qu'il  est  venu  au  monde  dans  ces  momens  où  quan- 
doque  bonus  dormilat  poeta.  Puisque  j'en  suis  aux  cita- 
tions , 

S'il  est  un  conte  usé,  commun  et  rebattu,  c'est  bien  certes 
l'histoire  du  Fils  du  prince ,  que  je  vais  vous  conter.  Le  duc 
Albert  de  Wéimar  n'a  pas  encore  atteint  sa  majorité  ,  et  déjà 
fuyant  les  honneurs  et  les  grandeurs  il  s'est  enfui  dans  les  bois 
pour  v  trouver  le  véritable  amour  d'opéra  comique,  une  ber- 
bère et  une  chaumière.  La  bergère  du  fils  du  prince,  c'est 
Emelinc ,  fille  d'un  officier  mort  au  champ  d'honneur  (style 
d'opéra  comique),  avec  laquelle  il  s'est  marié  secrètement  sous 
le  nom  du  comte  Adolphe  son  cousin,  franc  étourdi...  d'opéra 
comique.  Le  vieux  duc,  cependant,  a  arrêté  un  double  mariage 
entre  Albert  et  la  princesse  Blanche,  entre  le  comte  Adolphe 
et  une  certaine  comtesse  dont  le  nom  m'échappe.  Adolphe  est 
aimé  de  la  princesse  Blanche  ,  et ,  comme  son  cousin ,  veut  rom- 
pre celte  union  ;  il  y  réussit  en  jouant  un  bon  tour  à  sen  oncle  : 
il  se  fait  passer  pour  mort.  —  Vous  a\ez  déjà  de\iué  le  reste. 
Emeline  se  désole  el  dévoile  son  mariage  secret  ;  Blanche  ap- 
prend ainsi  l'infidélité  d'Adolphe;  courroux  du  vieux  duc. Puis 
tout  s'explique;  Emeline  reconnaît  son  mari  dans  le  fils  du 
prince  qui  se  trouve  ainsi  atteint  et  convaincu  d'avoir  pris  un 
faux  nom  ,  de  s'être  marié  sans  le  consentement  paternel  ;  nou- 
veau courroux  du  vieux  duc.  Enfin  cet  excellent  prince  se  res- 
souvient que  la  scène  ne  se  passe  pas  à  Vienne,  mais  sur  la 
place  de  la  Bourse;  il  pardonne  et  unit  les  deux  amans  en  dé- 
tournant les  yeux.  Au  milieu  de  cette  pièce  ,  qui  n'est ,  à  vrai 
dire  ,  qu'un  prétexte  à  musique  ,  est  jeté  un  rôle  de  gouverneur 
ridicule  assez  bouffonnement  joué  par  Féréol. 

C'est  toujours  une  bonne  fortune  pour  un  compositeur  que 
d'écrire  sa  musique,  sa  première  musique  surtout,  sur  un 
poème  signé  Scribe  ;  aussi  concevons-nous  aisément  que 
M.  de  Fellrc  a  du  s'estimer  favorisé  d'avoir  pour  ses  débuts  le 
Fils  du  Prince,  toute  faible  qu'est  cette  pièce.  Il  est  juste  d'a- 
jouter que  M.  Scribe,  dont  levaient  et  l'adresse  se  révèlent 
dans  les  choses  de  moindre  importance,  a  su  tirer  quelques 
situations  musicales  de  ce  fonds  plus  que  léger. 

Ce  n'est  pas  sans  quelque  embarras  que  nous  allons  faire 
connaître  notre  pensée  sur  la  musique  de  M.  de  Feltre.  Un  dé- 
but ,  et  surtout  un  début  de  musicien  compositeur,  est  une 
chose  difficile  à  juger.  Il  y  a  tant  de  différence  entre  la  pre- 
mière parution  d'un  jeune  artisle  et  celles  qu'il  produit  dans  la 
maturité  de  son  talent  ;  il  y  a  tant  d'artistes  qui  promettent 
d'abord  et  ne  tiennent  jamais  ;  d'autres  qui  commencent  fai- 
blement et  s'élèvent  si  haut ,  qu'il  est  [bon  d'y  songer  à  deux 
fois  avant  de  distribuer  un  éloge  ou  un  blâme  absolu.  Le  plus 
sage  est  de  ne  jamais  prononcer  sur  l'avenir  et  de  s'en  tenir  à 
juger  le  présent.  Ainsi  donc,  la  partition  du  Fils  du  Prince 
est,  sans  contredit ,  l'œuvre  d'un  musicien  de  talent;  de  génie, 


je  ne  sais  ,  nous  verrons  plus  tard.  Dans  la  musique  de  M.  de 
Feltre  il  y  a  ,  comme  dans  tous  les  débuts,  une  tendance  évi- 
dente à  l'imitation  de  quelques  maîtres,  une  recherche  trop 
palpable  demojens  d'effet;  l'expérience  peut  corriger  ces  dé- 
fauts. Dans  un  art ,  quel  qu'il  soit ,  on  ne  parvient  à  l'origina- 
lité que  lorsqu'on  a  acquis  une  entière  confiance  en  ses  propres 
forces,  mais  cette  confiance  ,  les  artistes  ne  peuvent  l'acquérir 
qu'en  essayant  des  routes  déjà  fréquentées.  Malheureusement 
la  plupart  se  prennent  d'une  exclusion  admirative  pour  telle 
ou  telle  individualité,  et  se  Condamnent  ainsi  à  rester  toujours 
plagiaires  ou  tout  au  moins  vulgaires  imitateurs.  Il  y  a  beau- 
coup à  louer 'dans  la  première  oeuvre  de  M.  de  Feltre.  En 
général ,  il  a  traité  son  orchestre  en  musicien  expérimenté;  les 
insl rumens  divers  y  occupent  habituellement  leur  place  natu- 
relle, et  concourent  bien  chacun  à  l'ensemble  général.  Si  quel- 
ques passages  sontun  peu  lourds  parfois  ,  parfois  trop  bruyans, 
il  faut  l'attribuer  au  peu  d'habitude  qu'a  l'artiste  de  faire  agir 
à  volonté  une  masse  aussi  difficile  à  manier.  Dans  son  ouver- 
ture, qui  n'est  cependant  pas  un  des  morceaux  saillans  de  la 
partition ,  on  aperçoit  déjà  les  défauts  en  même  temps  que  les 
qualités  dont  nous  venons  de  parler.  Il  n'est  pas  douteux  qu'a- 
près deux  ou  trois  ouvrages  joués  on  ne  cite  l'orchestre  de 
M.  de  Feltre  comme  l'un  des  mieux  entendus  et  des  mieux 
conduits.  Ce  jeune  artiste  ne  possède  pas  au  même  degré  l'art 
d'employer,  de  groupper,  et  de  faire  valoir  les  voix  ;  c'est  par- 
là,  et  un  peu  par  l'invention,  que  pèchent  les  morceaux  de  sa 
pièce.  L'invention  est  une  qualité  qui  ne  se  donne  pas  ,  mais 
que  le  travail  développe  lorsque  la  nature  en  a  jeté  les  germes 
dans  l'intelligence.  L'art  de  disposer  les  voix  ,  au  contraire  ,  est 
une  chose  qui  s'apprend  ,  que  tout  musicien  peut  posséder  en 
faisant  pour  l'acquérir  des  efforts  sérieux  et  rationcls. 

Eu  somme  la  musique  du  Fils  du  Prince  a  obtenu  un  succès 
mérité;  plusieurs  morceaux  ont  été  remarqués  et  vivement  ap- 
plaudis. Au  premier  acte  ,  un  duo  d'une  coupe  assez  singulière 
entre  madame  Casimir  et  Jansenne.  Dans  ce  morceau ,  les 
solos  des  deux  chanteurs,  au  lieu  d'être  dessinés  avec  régula- 
rité et  de  se  succéder  avec  symétrie  comme  dans  les  duos  ita- 
liens ,  sont  séparés  par  un  ensemble  et  n'ont  entre  eux  aucune 
ressemblance  mélodique  ;  la  phrase  chantée  par  Jansenne  ,  sans 
être  tout-à-fait  neuve,  est  remplie  d'une  passion  profonde  et 
bien  sentie,  la  coda  est  moins  heureuse  et  ne  répond  pas  à  ce 
qui  précède.  Après  ce  duo,  Couderc  chante  un  air  fait  avec 
soin  ,  et  pourtant  écrit  dans  des  cordes  sourdes  et  peu  favora- 
bles; est-ce  la  faute  du  chanteur,  est-ce  au  compositeur  qu'on 
doit  s'en  prendre?  si  je  ne  me  trompe,  à  tous  les  deux  un  peu. 
Des  couplets  en  mouvement  de  valse  écrits  musicalement  avec 
infiniment  d'esprit  et  de  finesse,  et  chantés  par  Féréol,  ont  eu 
les  honneurs  du  bis  et  ceux  de  la  soirée.  II  y  a  dans  le  milieu 
un  motif  du  plus  gracieux  effet.  Il  nous  reste  à  citer  un  airbril- 
lant  auquel  madame  Casimir  a  prêté  le  charme  de  sa  ravis- 
sante voix ,  et  des  couplets  chantés  avec  le  mauvais  timbre  de 
celle  de  Jansenne,  et  pourtant  applaudis  à  triple  salve,  grâce 
au  talent  remarquable  de  ce  jeune  artisle.  Un  trio  au  second 
acte  mérite  encore  d'être  mentionné.  Il  est  chanté  par  ma- 
dame Masi ,  MM.  Couderc  et  Jansenne ,  et  renferme  des  parties 
louables;  mais  il  a  produit  peu  d'effet,  je  crois,  à  cause  des  chan- 
teurs. La  voix  un  peu  cotonneuse  de  madame  Masi  manque  de 
relief  et  la  codavwace,  dans  le  genre  que  les  Italiens  nomment 
nota  e  parola,  ne  convient  aucunement  à  ces  deux  messieurs. 
En  général,  la  musique  de  M.  de  Feltre.  écrit  avec  soin  eteon- 


DE  PARIS. 


science,  ne  peut  que  gagner  aux  auditions  suivantes.  Le  seul 
rôle  de  voix  grave,  celui  du  grand  duc  devait  être  joué  par 
Boulard  qui  l'a  abandonné  deux  jours  avant  la  représentation. 
Ces  quarante-huit  heures  ont  suffi  à  Henri  pour  s'y  montrer  ce 
qu'il  sait  être  toujours  ,  très-convenable. 

Le  théâtre  de  l'Opéra -Comique  possède  une  belle  et  bonne 
basse  taille  un  vrai  biiffb  caillante,  Int-hindi,  dont  les  débuis 
ne  se  feront  plus  attendre.  C'est  ,  dit-on  ,  la  semaine  prochaine 
que  sera  représenté  le  Chalet ,  petit  opéra  en  un  acte,  écrit 
par  Adolphe  Adam  pour  cet  habile  chanteur. 


Revue  Critique. 

variations  de  conceut  composées  pour  le  [liatio  j  avec 
accompagnement  fie  quatuor,  par  Henri  Bertini  jeune, 
6p  69;  prix  :  9  fr. 

Nous  devons  commencer  par  avouer  que  nous  ignorions  que 
l'auteur  de  l'ouvrage  en  question  eût  fait  un  aussi  grand  nom- 
bre de  compositions,  et  que  ,  parmi  celles-ci,  nous  ne  connais- 
sions d'importantes  que  deux  collections  d'études  et  uu 
sextuor.  Si  notre  jugement  doit  être  basé  sur  ce  soixantième 
ouvrage,  nous  serons  forcés  de  dire  que  M.  Bertini  se  débat 
un  peu  lourdement  au  milieu  de  vieilles  formes,  et  que,  où  il 
cherche  à  paraître  gracieux,  il  ne  parvient  pas  à  dissimuler 
une  physionomie  taut  soit  peu  aigre-douce.  Les  variations 
dont  nous  parlons,  pèchent  contre  les  exigences  les  moins  sé- 
vères de  l'art ,  et  si  l'on  veut  donner  aux  passages  qu'on  y 
trouve  le  titre  de  brillans  ,  on  ne  saurait  du  moins  leur  ac- 
corder le  mérite  de  la  nouveauté.  D'ordinaire  les  composi- 
teurs occupent  alternativement  ou  simultanément  les  deux 
mains.;  ici,  la  main  gauche  e.sl  traitée  comme  un  enfant  pour 
lequel  on  a  de  l'aversion.  L'auteur  nous  paraît  surtout  avoir 
mal  réussi  dans  l'adagio;  on  n'y  trouve  pas  trois  mesures  de 
chant,  pas  la  moindre  trace  du  thème;  il  ne  consiste  qu'en 
formes  vieillies,  sans  goût,  sans  suite  et  sans  effet.  Nous 
sommes  même  tentés  d'appeler  curieux  le  crescendo  qui  com- 
mence à  la  1  I  °  page  et  conduit  à  un  final  que  nous  ne  saurions 
davantage  recommander  aux  amis  du  bon  goût.  L'accompa- 
gnement du  quatuor  est  tout  à-fait  insignifiant. 


les  souvenirs,  trois  duos  concerlans ,  extraits  des  bal- 
lets de  l'Académie  royale  de  Musique,  par II.  Brod, 
arrangés  pour  flûte  et  piano,  par  Walkiers;  nu- 
méros 1,2,  5;  prix  :  6  fr.  chaque. 

Nous  ne  saurions  déterminer  quelle  part  de  gloire  doit  être 
réclamée  par  chacun  des  deux  auteurs  de  cet  ouvrage  ;  mais 
nous  pouvons  affirmer  que  l'arrangement  en  est  bien  fait  et 
peut  procurer  quelques  heures  d'une  agréable  distraction  ;  il 
ne  présente  que  peu   de  difficultés. 

Tivoli  de  Vienne  ,  collection  de  valses  favorites  pour 
le  piano,  par  J.  Strauss  ;  prix  :  5  fr. 
Nous  avons  pris  en  main   les  valses  en   question    avec  une 
prévention  favorable:  mais  elles  ont  peu  répondu  à  notre  at- 
tente ;  elles  sont  dansantes  et  faciles  ;  mais  il  leur  manque  cette 


verve  agréable  qui  caractérise  ordinairement  les  valses  de 
Vienne,  et  qui  a  sans  doute  contribué  à  fonder  la  grande  re- 
nommée de  l'auteur. 


Trois  Airs  italiens  variés  pour  le  piano,  par  Fr.  Hunten. 
Op.  65.  Chaque  numéro  :  5  fr. 

M.  Hunten  continue,  avec  son  habileté  et  son  expérience  or- 
dinaires ,  à  arranger  pour  le  piano  des  airs  chantans  et  agréa- 
bles. Partout  il  fait  preuve  de  bon  goût  et  ne  se  perd  jamais 
dans  ces  passages  que  l'on  nomme  casse-cous.  Ses  difficultés 
même  n'offrent  pas  d'obstacles  pour  le  doigté.  Les  trois  nu- 
méros dont  nous  parlons  appartiennent,  quant  à  la  difficulté, 
à  la  classe  moyenne  des  ouvrages  de  cet  auteur.  Ce  peu  de 
mots  seront,  nous  n'en  doutons  pas,  une  suffisante  recom- 
mandation. 


Quatre  Polonaises  pour  le  piano  a  quatre  mains,  par 
François  Schubert.  Op.  75.  Prix  :  6  fr. 

François  Schubert,  dont  nous  annonçons  aujourd'hui  l'œu- 
vre 75,  est  encore  bien  loin  d'être  connu  en  France  autant  qu'il 
le  mériterait.  Nous  nous  expliquons  cette  singularité  par  deux 
raisons:  la  première,  c'est  que  son  principal  mérite  ,  celui  qui 
lui  a  acquis  une  gloire  immortelle,  consiste  à  avoir  créé  d'in- 
nombrables compositionsdanslegenreleplus  élevé  des  Lieder 
allemands  ,  genre  de  musique  quelque  peu  étranger  au  carac- 
tère français  ,  mais  qui  pourtant  commence  à  se  faire  jour  par 
la  puissance  de  beauté  qui  le  caractérise;  la  seconde  est  sa  mort 
prématurée  qui  l'a  enlevé  trop  tôt  au  monde  et  au  domaine  de 
l'art. 

Les  quatre  polonaises  qui  font  l'objet  de  cet  article  se  dis- 
tinguent comme  toutes  les  compositions  de  Schubert  par  la 
beauté  des  mélodies  comme  par  la  richesse  de  l'harmonie  et 
l'originalité  des  rhylhmes;  elles  ne  sont  pas  difficiles  d'exécution 
et  produisent  cependant  un  très-bel  effet. 


Deuxième  nocturne  concertant  pour  piano  et  violon, 
[par  Alexis  Roger.  Op.  -42.  Prix  :  7  fr.  50. 

La  couverture  de  cet  ouvrage  est  en  beau  papier  jaune ,  le 
litre  est  supérieurement  fait ,  le  papier  sur  1  equel  on  a  imprimé 
les  notes,  est  excellent  et  forme  un  fort  joli  cahier  très-agréa- 
ble à  l'œil.  Malheureusement  voilà  tout.  Si  ou  veut  payer  pour 
cela  7  f.  50  c,  on  reçoit  par-dessus  le  marché:  l°trois  pages 
de  notes  décorées  du  litre  d'introduction;  2°  dix  autres  pages 
de  notes  auxque'les  on  a  donné  le  nom  d'Andante  ou  Va- 
îiazioni;  3"  plus  en,  ore  sept,  autres  pages  de  notes  qu'on  peut 
jouer  sur  le  violon  ;  mais  si  les  deux  artistes  coucertans  tien- 
nent à  ne  pas  faire  avec  cette  production  un  fiasco  des  plus  com- 
plets, ils  feront  bien  de  l'exécuter  à  huis-clos.  Tout  cela  est 
désigné  sous  le  titre  modeste  de  Nocturne. 

Rondo  pour  le  piano  'a  quatre  ma'ns  et  "Variations  sur 
la  valse  favorite  de  François  Schubert,  pour  le  piano 
a  quatre  mains,  par  Ch.  Czernv.  Op.  252.  Prix  du 
premier  ouvrage  :  7  fr.  50  ;  du  second  ,  6  fr. 

Ces  deux  opuscules  trouveront  beaucoup  d'amateurs ,  le  der- 
nier surtout  à  cause   du  charmant  thème  qui   lui  sert  de  base 


2S4 


GAZETTE  MUSICALE  DE  PARIS. 


Tous  deux  sont  arrangés  par  M.  Czerny  avec  le  bonheur  et 
la  grâce  qu'on  lui  connaît;  nous  nous  dispenserons  donc  d'en 
faire  un  éloge  plus  élcndu.  Aucun  des  deux  n'est  difficile  d'exé- 
cution. 


NOUVELLES. 

+*+  L'Opéra  nous  montrera  la  Tempête  lundi  8  septembre. 
Décorations  et  costumes  de  toute  beauté,  et  les  demoiselles 
Elsler,  c'est  plus  qu'il  n'en  faut  pour  espérer  un  grand  succès. 
D'avance  on  dit  beaucoup  de  bien  de  la  musique.  C'est 
M.  Schneitzhofer  qui  en  est  l'auteur. 

+\  La  location  des  loges  et  stalles  du  théâtre  Italien  va  as- 
sez grand  train  pour  que  l'on  ne  puisse  douter  qu'à  l'ouver- 
ture toute  la  salle  ne  se  trouve  louée.  MM.  les  retardataires  fe- 
ront bien  de  se  dépêcher  s'ils  ne  veulent  courir  îisque  de  voir 
leurs  places  favorites envahies  par  d'autres  amateurs.  Cet  em- 
pressement extraordinaire  est  dû  à  la  composition  de  la  troupe 
inique  dans  les  annales  de  ce  théâtre.  Jamais  Paris  n'a  vu  une 
troupe  italienne  composée  de  noms  aussi  célèbres  ;  nous  nous 
plaisons  à  en  donner  la  nomenclature  : 

MM.  Rubini,  lyanoff  (primi  tenori);  Lablache,  Tamburini, 
Santini  (primi  bassi);  Profeti  (2°  bassn);  Magliano  (2°  lenore). 
Mesdames  Julie-Grisi,  Fink-Loor,  Schulz  (primi  sopranï)  ; 
Brambilla  (contralto);  Amigo,  Rossi  (2°  soprani). 

Pendant  celte  saison ,  trois  opéras  nouveaux ,  composés 
exprès  pour  les  Bouffes ,  y  seront  donnés,  savoir  :  Ernani , 
paroles  de  Rossi,  musique  de  Gabussi  ;  J.  Puritani  diScozia, 
paroles  de  Pcpoli ,  musique  de  Bcllini;  Marino  Faliero,  pa- 
roles de  Romani,  musique  de  Donizetti.  Plus,  les  chefs-d'œu- 
vre de  l'ancien  répertoire.  On  remontera  il  Matrimonio  Se- 
gretlo ,  ave«  Lablache ,  Tamburini  et  Rubini  :  jamais  cet 
ouvrage  n'aura  été  joué  ainsi,  la  Prova  de  l'opéra  séria, 
renforcée  de  plusieurs  morceaux,  de  manière  à  en  faire  uu  ou- 
vrage <?o/\se  pour  toute  la  soirée  (Lablache,  Tamburini ,  Rubini 
y  auront  des  rôles);  la  Gazza  ladra  et  la  Cenerenlola  réuni- 
ront aussi  L-îblachc  et  Tamburini.  M.  Parisini  sera  le  nouveau 
chef  d'orchestre.  C'est  le  dernier  directeur  de  l'orchestre  de  la 
Pergola  à  Florence.  A  du  talent,  cet  artiste  joint  l'avantage  de 
parler  bien  français,  chose  indispensable  pour  conduire  nos 
musiciens,  et  dont  manquait  totalement  Zamboni,  qui  diri- 
geait l'orchestre  à  ja  saison  dernière. 

*M  Une  bonne  nouvelle  pour  les  dilettanti,  c'est  l'engage- 
ment de  M.  Cholletet  de  madame  Prévost  à  l'Opéra-Comique. 
Sous  peu  nous  reverrons  ces  deux  artistes  sur  le  théâtre  de  la 
Bourse. 

*+  Tandis  que  tous  les  journaux  parient  d'un  opéra  nou- 
veau de  liossini,  nous  avons  le  regret  d'assurer  nos  lecteurs 
que  le  célèbre  Maestro  n'a  rien  fait,  si  ce  n'est  quelques  ro- 
mances et  nocturnes  français  qui  trouveront  à  leur  appari- 
tion écho  dans  tous  les  salons. 

+*+  C'est  vers  la  fin  du  mois  d'octobre  que  nous  aurons 
l'opéra  allemand  au  théâtre  Nautique. 

^*+  Zampa ,  de  Hérold,  est  traduit  en  Italien.  Cet  ouvrage 
sera  bientôt  représenté  aux  théâtres  de  Naples  et  de  Milan. 

.„%  Le  célèbre  violon  Maurer  a  donné  des  concerts  à  Mos- 
cou qui  ont  obtenn  un  lirillant  succès. 

+%  Braham  ,  le  seul  grand  chanteur  anglais  vient  de 
mourir. 

*±  Donizetti  écrit  un  opéra  nouveau  intitulé  :  Maria 
Sluart. 

+*+  M.  Robbrechts,  un  de  nos  meilleurs  violons,  composi- 
teur de  talent,  doit  être  incessamment  engagé  comme  profes- 
seur du  Conservatoire  de  Bruxelles.  Paris  regrettera  cet  habile 
artiste. 

+*+  M.  Féréol  quitte  l'Opéra-Comique  ;  c'est  avec  regret  que 
nous  apprenons  cette  nouvelle  à  nos  lecteurs.  Madame  Masi  a 
résilié  son  engagement ,  pour  se  vouer  de  nouveau  au  théâtre 
italien,  nous  aurons  une  jolie  femme  de  moins  au  théâtre  de 
la  Bourse. 

+%  Le  Chalet,  opéra  en  un  acte,  attribué  à  MM.  Melesville 
et  Adam  ,  sera  représenté  samedi  prochain  à  l'Opéra  comique. 


t*t  Depuis  quinze  jours  l'Opéra  s'occupe  exclusivement  de 
la  Tempête.  Cet  ouvrage  représenté,  on  reprendra  avec  acti- 
vité les  répétitions  de  la  Juive,  de  Scribe  et  Halévy.  La  pre- 
mière représentation  de  ce  grand  et  important  opéra  aura 
probablement  lieu  dans  les  premiers  jours  d'octobre. 

Musique   nouvelle , 

Publiée  par  J.  Melssonuier. 

Hérold.  Zampa.  Partition  réduite  pour  le  piano.  Prix  net  : 

3o  fr. 
Gasse.  Méthode  de  violon  pour  servir  d'introduction  à  celle 

du  Conservatoire.  Prix  net  :  12  fr.  5o  c. 

Grubert.  Méthode  de  cornet  à  piston.  '  4  fr.  5o  c. 

Hunten.  Op.  65.   Trois  airs  italiens   variés  pour  le   piano. 

N°  1.  La  Zaïra,  de  Mercadante.  Prix  net  :  2  fr.  5o  c. 

N°  2.  La  Niobe,dePacini.  Id.  2  fr.  5o  c. 

N°  3.  La  Norma ,  de  Bellini.  Id.  2  fr.  5o  c. 

Camus.  Cavatines  italiennes  avec  les  points  d'orgues  recueillis 

et  arrangés  pour  la  flûte  avec  piano.   1 ,  2  et  3 ,   chaque  : 

2  fr.  5o  c. 
Bailly.  Six  Valses  pour  cornet  à  pistons  et  piano.  Prix  net  : 

2  fr.  5o  c. 
Cornette.  Quinze  petits  airs  sur  Zampa,  pour  deux  cornets  à 

pistons.  Prix  net  :  2  fr.  5o  c. 

Musard  fils.  Venise ,  quadrille  arrangé  pour  deux  cornets  à 

pistons.  1  fr.  25  c. 

Chollet.  L'Odalisque,  valse  favorite  du  Jardin  Turc,  pour  le 

piano.  Prix  net  :  \  fr.  5o  c. 

Tulou.  Le  Bouquet  de  bal ,  fantaisie  pour  flûte  avec  orchestre 

ou  piano.  Prix  cet  :  5  fr. 

Dotzauer.  Op.  123.  Soixante-quinze  leçons  pour  violoncelle 

pour  faire  suite  à  sa  méthode.  3e  suite.  Prix  net  :  3  f.  ^5  c. 
Pilati.  Op.  43.  Six  Airs  variés  pour  piano.  1 re  liv.  Adieux  à  la 

Suisse,  danses  et  galops  suisses.  Prix  net  :  3  fr. 

2e  Liv.  Thème  de  Carafa;  air  anglais.  Prix  net  :  3  fr. 

3e  Liv.  La  Folle,  thème  original.  Prix  net  :  3  fr. 

—  Venise  ,  rondoletto  sur  le  quadiille   de  Musard.  Prix  net  : 

2  fr.  5o  c. 

Monpou  et  Roger  de  Beauvoir.    Le  vent   sur    mer,   pour 

piano.  4  fr. 

—  —  Le  Noir,  pour  piano.  1  fr. 

—  et  Victor  Hugo.  Lesdeux  Archers,  pour  piano.  \  fr. 

Abonnement  de  Musique 

D'UN  GENRE  NOUVEAU. 

pour  la  MUSIQUE  INSTRUMENTALE  et  pour  les  PARTITIONS 

D'OPÉRA. 

L'Abonné  paiera  la  somme  de  5o  fr.  ;  il  recevra  pendant 
l'année  deux  morceaux  de  Musique  instrumentale  ou  une 
partition  et  un  morceau  de  musique ,  qu'il  aura  le  droit  de 
changer  trois  fois  par  semaine;  et  au  fur  et  à  mesure  qu'il 
trouvera  un  morceau  ou  une  partition  qu'il  lui  plaira,  dans  le 
nombre  de  ceux  qui  figurent  sur  mon  Catalogue ,  il  pourra  le 
garder  jusqu'à  ce  qu'il  en  ait  reçu  assez  pour  égaler  la  somme 
de  70  fr.,  prix  marqué,  et  que  l'on  donnera  à  chaque  abonné 
pour  les  5o  francs  payés  par  lui.  De  cette  manière  l'ABOINNÉ 
aura  la  facilité  de  lire  autant  quebon  lui  semblera,  en  dépensane 
cinquante  francs  par  année,  pour  lesquels  il  conservera  pour 
n5  t'r.  de  musique. 

L'abonnement  de  six  mois  est  de  3o  francs ,  pour  lesquels  on 
conservera  en  propriété  pour  45  fr.  de  musique.  Pour  trois  mois 
le  prix  est  de  20  fr.  ;  on  gardera  pour  3o  fr.  de  musique.  En 
province  ,  on  enverra  quatre  morceaux  à  la  fois.  Affranchir.  ■ 

N.  B.  Les  frais  de  transport  sont  au  compte  de  MM.  les 
Abonnés.  —  Chaque  abonné  est  tenu  d'avoir  un  carton 
pour  porter  la  musique.  (Affranchir.) 

Gérant,  MAURICE  SCHLESINGER. 


■  Imprimerie  iI'liVERAT,  rue  du  GiilrMi , 


mm  s>cû®>2®. 


n°  36. 


PRIX  DE  L'ABONNES!. 

PARIS. 

DÉPART. 

ETRABG 

fr. 

Fr.       r. 

Fr.       c. 

3m.     8 

8     75 

9     50 

6m.  15 

(6   50 

.18      ,, 

1  an.  30 

33    » 

36    » 

£«  <3as,ette  i$tusi,cAle  i>*  -parts 
Paraît    le   DIMANCHE  de  chaque  semaine. 

On  s'abonne  au  bureau  de  la  Gazette  Musicale  de  Paris,  rue  Richelieu ,  97; 
et  chez  lous  les  libraires  et  n  arcliands  de  musique  de  France. 

>n  reçoit   les  réelaraatiuns  des  personnes  qui  oui  des  griefs  à  exposer,  et  les  avis  relatifs  a  la  inusiqu 
qui  peuvent  ' 


ut  des  griefs  à  exposer, 
Intéresser  le  ruLlic. 


TARIS.  DIMANCHE  7   SEPTEMBRE  I83'(. 


Les  lettres,  demandes 
et  envois  d'argent  doi- 
vent être  affranchis,  et 
adresses  au  Directeur  , 
rue  Richelieu,  97. 


SERVICE    FUNEBRE 

DE  CHORON. 

La  musique  sacrée  est  chose  rare  aujourd'hui;  cette 
belle  branche  de  l'art  s'amoindrit  chaque  jour  et  finira 
vraisemblablement  par  disparaître  entièrement.  Sa  dé- 
cadence date  de  ia  suppression  des  maîtrises;  ces  insti- 
tutions, utiles  d'abord  au  culte  dont  elles  embellissaient 
les  cérémonies,  étaient  fort  précieuses  en  outre  pour 
l'art  musical  ;  le  grand  nombre  de  compositeurs  et  de 
chanteurs  distingués  qui  en  sont  sortis  en  fournit  la 
preuve.  A  cette  époque  les  compositions  religieuses 
avaient  un  but;  les  auteurs  qui  se  sentaient  entraînés 
vers  ce  genre  noble  et  majestueux,  les  admirateurs  de  la 
sublime  poésie  des  livres  saints,  ne  s'exposaient  pas,  en 
écrivant  une  messe  ou  un  oratoire,  à  ne  produire  qu'un 
œuvre  stérile  pour  eux  ,  condamné  en  naissant  à  l'ob- 
scurité la  plus  profonde,  faute  d'être  exécuté.  Aujour- 
d'hui ,  supposons  qu'une  messe  nouvelle  vienne  à  pa- 
raître, qu'en  fera  le  compositeur?...  rien,  absolument 
i'ien.  Y  a-t-il  a  Paris  une  seule  église  où  il  puisse  trou- 
ver les  chœurs  et  l'orchestre  dont  il  a  besoin?  Pas  une. 
Parmi  les  curés  riches  qui  desservent  les  diverses  pa- 
roisses de  la  capitale,  s'en  trouvera-t-il  un  assez  ami 
de  la  musique  pour  faire  venir  a  ses  frais  des  exécuians 
de  l'extérieur,  et  faire  entendre  dignement  la  partition 
inconnue?...  cela  est  peu  probable.  En  supposant  que 
cet  homme  généreux  se  présentât,  oserait-il  bien  se 
mettre  en  opposition  avec  l'archevêque  qui  défend  de 
laisser  chanter  des  femmes  musiciennes  dans  les  églises? 
il  serait  arrêté  t<  ut  court  dans  ses  bonnes  intentions.  La 
voix  humaine  est  déjà  bien  assez  bornée,  sans  diminuer 


encore  son  étendue  en  écrivant  des  chœurs  sans  soprani: 
Et  voyez  un  peu  quelle  absurdité  dans  cette  interdiction 
des  voix  féminines!  On  a  le  malheur'  d'entendre  jour- 
nellement dans  les  temples  des  voix  aigres  et  fausses , 
chanter  tant  bien  que  mal  a  l'unisson  de  stupides  can- 
tiques :  l'archevêque  ne  trouve  la  rien  à  redire;  instrui- 
sez ces  mêmes  femmes,  apprenez-leur  la  musique,  civi- 
lisez-les, et  essayez  alors  de  les  réunir  en  un  chœur  dé- 
cent et  exercé  dans  le  même  local  où  naguère  elles  nous 
déchiraient  les  oreilles  :  l'archevêque  s'y  opposera.  Je 
vais  plus  loin;  un  compositeur  qui  voudrait,  en  payant 
lui-même  les  frais  de  l'exécution  ,  faire  entendre  une 
messe  écrite  seulement  pour  des  voix  d'hommes,  ou 
dont  les  soprani  seraient  chantés  par  des  enfans,  ne 
pourrait  encore  y  parvenir.  Il  lui  faudrait  obtenir  l'as- 
sentiment du  curé;  le  curé  le  renverrait  a  l'archevêque, 
et  l'archevêque  refuserait  son  autorisation.  L'auteur  de 
cet  article  en  parle  par  expérience.  Ou  dit  que  M.  le 
curé  de  Saint-Roch ,  grand  amateur  de  musique,  a  fait 
ce  qu'il  a  pu  pour  l'introduire  dans  son  église.  Ses  ef- 
forts jusqu'à  présent  n'ont  pu  aboutir  qu'à  former  une 
réunion  de  douze  ou  quinze  instrumensà  vent.  De  pa- 
reils moyens  sont  de  la  plus  complète  inutilité  pour 
l'exécution  d'une  messe,  quelque  simple  qu'elle  soit.  Et 
cependant  la  musique  qu'on  fait  à  Saint-Roch  obtient 
une  espèce  de  réputation.  On  en  parle  comme  d'une 
chose  remarquable  dont  on  est  redevable  an  pasteur. 
Quinze  instrumens  à  vent!.,  et  pas  le  moindre  chœur 
capable  de  chanter  convenablement  un  motet  à  quatre 
parties! —  Cela  donne  la  mesure  de  la  barbarie  où  la 
suppression  des  maîtrises  a  replongé  en  France  la 
musique  d'église. 


286 


GAZETTE  MUSICALE 


Restaient  la  Chapelle  Royale  et  l'école  de  Choron. 

Dans  la  première,  on  pouvait  chaque  dimanche  en- 
tendre les  compositions  de  MM.  Lesueur  et  Chérubini, 
exécutées  par  un  orchestre  peu  nombreux  ,  mais  excel- 
lent, et  un  assez  giand  chœur  dont  les  femmes  n'étaient 
pas  exclues. 

«  Il  est  avec  les  rois  des  accommodemens.  »  Lia  der- 
nière révolution  est  venue  y  mettre  ordre;  plus  de  mu- 
sique aux  Tuileries,  plus  de  chants  sacrés;  les  vain- 
queurs de  juillet  avaient  prononcé  l'arrêt  en  brisant  les 
instrumens  de  la  chapelle;  depuis  lors,  le  silence  le  plus 
légal  n'a  pas  cessé  d'y  régner. 

L'institution  de  musique  religieuse  de  la  rue  de 
Vaugirard,  où  nous  allions  admirer  il  y  a  quelques  six 
ans  les  grands  ouvrages  de  Haendel ,  de  Marcello  et  de 
Palestrina,  s'était  cruellement  ressenlie  du  même  coup 
qui  anéantit  la  chapelle  royale;  toutefois  elle  avait  con- 
tinué d'exister,  grâce  au  désintéressement  et  à  l'énergie 
incroyables  de  son  fondateur.  Choron  vient  de  mourir... 
et  avec  lui  son  école.  Enfin,  voila  l'œuvre  de  destruc- 
tion accomplie;  il  n'y  a  pas  dans  toute  l'étendue  de  la 
France  un  seul  établissement  pour  la  propagation  ou 
seulement  la  conservation  de  la  musique  sacrée.  Vous 
avez  fait  table  rase.  Barbarie  !..  Le  public  cependant 
serait  loin  d'accueillir  avec  indifférence  les  efforts  qui 
tendraient  a  empêcher  la  disparition  radicale  de  l'art 
qui,  dans  tous  les  temps  et  chez  tous  les  peuples  civi- 
lisés, fut  le  plus  bel  ornement  des  temples  et  des  céré- 
monies religieuses.  La  foule  [qui  encombrait  dernière- 
ment les  avenues  de  l'Hôtel- des- In  valides  pour  enten- 
dre Mozart,  Joinclli  et  Palestrina  exécutés  parles  élèves 
de  Choron  ,  offrait  dans  son  empressement  une  protes- 
tation énergique  en  faveur  de  cette  | opinion.  Quelques 
annonces  dans  les  journaux  avaient  suffi  [pour  faire  ac- 
courir près  de  neuf  mille  personnes  que  {la  musique 
seule  attirait  dans  celte  église  éloignée.  Il  n'y  avait  là  ni 
motif  de  réunion  politique,  ni  grands  personnages,  ni 
cérémonies  pompeuses,  ni  spectacle  d'aucune  espèce  ; 
on  ne  venait  ni  pour  voir  ni  pour  être  vu,  mais  uni- 
quement pour  entendre  ;  et  ce  fait  remarquable ,  il  faut 
le  citer  avec  insistance,  car  il  prouve  un  progrès  sen- 
sible dans  l'éducation  musicale  des  Parisiens.  Cet  audi- 
toire immense,  auquel  on  avait  annoncé  la  messe  pour 
dix  heures ,  a  dû  attendre  jusqu'à  onze.  L'absence  d'une 
partie  fort  importante  de  l'orchestre,  les  instrumens  de 
cuivre,  était  cause  de  ce  retard  ;  le  chef,  M.  Girard,  ne 
voulait' pas  commencer  sans  eux.  Il  a  été  forcé  de  le 
faire  cependant ,  car  les  exécutans  retardataires  n'ont  pas 
paru,  et,  sur  une  masse  de  cent  cinquante  instrumens 
on  n'a  pu  compter  qu'un  trombonne  et  une  trompette. 


Le  chœur  au  contraire  était  au  grand  complet,  et  parmi 
les  cent  quarante  voix  qui  le  composaienr  on  remarquait 
une  cinquantaine  déjeunes  femmes;  l'aumônier  des  In- 
valides, moins  rigide  que  la  [dupait  de  ses  confrères, 
avait  bien  voulu  fermer  les  yeux  sur  cette  infraction  aux 
réglemens  ecclésiastiques.  Bien  que  cette  cérémonie  mu- 
sicale funèbre  eut  été  montée  un  peu  à  la  hâte;  que  les 
répétitions  en  eussent  été  fort  peu  nombreuses  U  faites 
incomplètement,  le  Requiem  de  Mozart  est  si  connu 
des  artistes;  celui  de  Jomelli  est  écrit  dans  un  style  si 
large  et  si  facile,  et  chacun  apportait  tant  de  bonne  vo- 
lonté, que  l'exécution  générale  a  été  fort  satisfaisante. 
L'agnus  sans  accompagnement,  parodié  sur  le  motet  de 
Palestrina  {Alln  riva),  a  été  rendu  avec  une  rare  perfec- 
tion ,  sans  que  le  chœur  ait  eu  à  se  reprocher  la  moindre 
déviation  de  diapason.  Chanté  par  une  très-grande 
niasse  de  voix,  mille  ou  douze  cents  par  exemple,  ce 
morceau  produirait  un  effet  écrasant.  Le  rhythme  et  la 
mélodie  n'ayant  presque  point  été  employés  par  l'auteur, 
cet  effet  donnerait  la  mesure  de  la  puissance  véritable 
de  l'harmonie,  quand  les  accords  sont  choisis  et  mis  en 
œuvre  de  celle  manière. 

Le  Lacrymosa  et  le  Conjulatis  de  Mozart  ont  été 
également  bien  rendus,  tant  par  les  voix  que  par  l'or- 
chestre. L'effet  du  Tuba  miriim  a  été  nul  comme  à  l'or- 
dinaire. C'est  que,  malgré  la  profonde  vénération  que 
chacun  ressent  pour  Mozart,  malgré  la  beauté  de  la 
phrase  mélodique  qui  sert  de  début  à  ce  morceau  ,  il  est 
impossible  de  ne  pas  éprouver  à  son  sujet  un  désappoin- 
tement foit  désagréable.  La  poésie  en  est  sublime  et  vous 
remplit  d'une  sainte  épouvante;  l'imagination  grandit 
et  s'élance  au-devant  de  ce  peuple  innombrable  que 
l'effrayante  trompette  de  l'armée  céleste  vient  d'arra- 
cher au  sommeil  de  la  mort  et  de  presser  tremblant  aux 
pieds  du  souverain  juge.  Il  estnalurelde  chercher  dans 
la  musique  que  le  compositeur  a  placée  sur  ces  terribles 
paroles  des  pensées  et  des  images  non-seulement  ana- 
logues,  mais  plus  puissantes  encore,  surtout  quand  le 
compositeur  s'appelle  Mozart.  Et  pour  être  vrai  il  faur 
bien  avouer  que  dans  la  composition  célèbre  qui  nous 
occupe,  ce  morceau  ne  présente  presque  rien  de  sail- 
lant. Un  seul  trombonne  a  été  destiné  par  l'auteur  à 
rendre  l'effet  du  formidable  appel  de  l'archange.  Pour- 
quoi donc  un  seul,  quand  trente,  quand  trois  cents  ne 
seraient  pas  de  trop?  Serait-ce  parce  que  la  poésie  dit 
tuba  et  non  pas  tubœl  il  n'est  pas  possible  d'attribuer  à 
Mozart  une  aussi  sotte  et  étrange  bévue.  Pourquoi ,  im- 
médiatement après  cet  appel  et  la  phrase  vocale  qui  y 
correspond,  ce  calme  inattendu  dans  tout  le  morceau  et 
cet  accompagnement   bien   plus   inattendu   encore  des 


DE  PARIS. 


Imssous  dans  le  médium?..  Il  s'agit  bien  là  de  bassons! 
Il  s'agit  bien  pour  le  chanteur  de  filer  des  sons  quand 
nous  cherchons  la  peinture  des  dernières  convulsions  de 
l'univers  expirant.  C'est  la  le  «  exorilur  clanwr  que  vi- 
rum  clangor  que  tubarum  ■>  de  Virgile.  Il  est  inconceva- 
ble que  Mozart  s'y  soit  trompé  ;  cela  est  impossible 
même,  et  nous  aimons  mieux  croire  que  cette  partie  du 
Requiem  n'avait  été  qu'esquissée  par  lui ,  et  que  le  con- 
tinuateur n'en  aura  pas  saisi  l'esprit  en  la  terminant. 

Plusieurs  personnes  en  sortant  se  plaignaient  d'avoir 
mal  entendu  et  accusaient  la  maigreur  de  l'orchestre.  La 
raison  en  est  que  toutes  les  fois  que  le  nombre  des  exé- 
cutans  ne  sera  pas  en  rapport  exact  avec  la  niasse  d'air 
qui  doit  être  mise  en  vibration ,  les  auditeurs  placés 
très-près  de  l'orchestre  seront  les  seuls  qui  pourront  être 
émus;  tous  les  autres  n'éprouveront  que  des  sensations 
faibles  et  ne  saisiront  point  l'ensemble  ni  les  détails  Tel 
élait  le  cas  a  l'occasion  du  service  de  Choron  ;  trois  cents 
personnes  ne  suffisent  pas  pour  répandre  les  harmonies, 
quelque  larges  qu'elles  soient ,  dans  une  enceinte  aussi 
vaste  que  celle  de  l'église  des  Invalides;  il  en  faudrait 
six  cents  tout  au  moins.  D'ailleurs  on  avait  négligé 
d'exhausser  les  voix  et  les  instrumens  sur  les  gradins 
d'un  amphithéâtre,  et  cette  précaution  est  indispensable 
en  pareille  occasion. 

Malheureusement,  tout  cela  coûte  beaucoup  d'argent, 
et  les  pauvres  élèves  de  Choron  ,  malgré  l'assistance  gra- 
tuite du  grand  nombre  d'instrumentistes  qui  s'étaient 
joints  a  eux ,  avaient  dû  se  mettre  en  frais  pour  la  somme 
de  dix  huit  cent  francs,  que  les  dons  volontaires  perçus 
a  la  porte  n'ont  pas  couverts  entièrement. 

II.  Berlioz. 


Ferdinand  Hiller. 

La  musique,  depuis  quelques  années,  n'a  pas  cessé 
d'offrir  à  l'observateur  plusieurs  circonstances  aussi  cu- 
rieuses qu'intéressantes.  Pendant  que  d'un  côté,  un  goût 
prononcé  ,  on  peut  même  dire  un  véritable  intérêt  pour 
la  musique,  s'était  si  généralement  répandu  que  l'étude 
de  cet  art  était  reconnue  comme  faisant  une  partie  es- 
sentielle et  nécessaire  de  toute  bonne  éducation  ,  le  goût 
musical  cependant  avait  pris  une  si  fâcheuse  direction 
que  la  foule  ne  voulait  plus  entendre  que  de  la  musique 
légère  et  frivole,  dénuée  de  toute  forme  artistique,  a 
moins  qu'en  admettant  la  chance  la  plus  favorable, 
elle  ne  s'adressât  a  ce  genre  de  musique  qui  s'entoure 
du  cortège  de  la  poésie,  de  la  peinture  et  de  la  danse  , 
genre  qui  n'est  point  le  plus  pur  et  le  plus  élevé  de 
l'art  musical.  Aujourd'hui  ,  où  Rossini,  le  plus 
jeune  des    grands    maîtres  ,    paraît  s'être   voué  a   une 


complète  inaction;  aujourd'hui  ,  où  depuis  la  mort  de 
Beethoven,  le  plus  sublime  des  génies  créateurs  de 
la  musique ,  une  longue  et  noble  race  de  maîtres  de 
l'art,  paraît  s'être  éteinte,  ne  laissant  pour  dernier 
rejeton  que  le  seul  Meyerl/eer;  aujourd'hui  enfin,  où 
des  hommes  tels  que  Hummel,  Moscheles,  Field,  Kalk- 
brenner  et  Pixis,  etc.,  etc.,  semblent  avoir  atteint  l'a- 
pogée de  leur  art,  il  se  forme  sous  nos  yeux  un  cercle  de 
jeunes  talcns  qui  développent  lents  brillantes  facultés 
avec  une  énergie  telle  que  nous  nous  croyons  en  droit 
d'affirmer  que  nous  sommes  sur  le  point  de  voir  s'ouvrir 
devant  nous  une  nouvelle  ère  musicale.  Oui ,  nous  le 
disons  avec  confiance,  nous  croyons  que  commence  pour 
nous  une  nouvelle  et  plus  belle  phase  de  l'art,  celle  où 
la  plus  brillante  habileté  pratique  viendra  se  marier  à  la 
plus  riche  et  la  plus  sublime  poésie,  celle  où,  au  chaime 
des  formes  neuves  et  étincelantes,  saura  se  joindre  en- 
core la  sagesse  noble  et  élevée  des  classiques  ;  pour  tout 
dire  enfin  ,  nous  espérons  voir  bientôt  se  compléter  di- 
gnement l'immense  édifice  musical  qui  a  pour  créateur 
les  Bach,  les  Gluck,  les  Mozart  ,  les  Beethoven  et  les 
Paganini,  et  dont  nous  retrouvons  les  plus  fermes  sou- 
tiens dans  Listz,  Chopin,  Hiller,  Berlioz,  Mendelsohn 
Schumann,  Thalberg,etc,  etc.  Cette  idée  a  jeté  en  nous 
de  si  profondes  racines  que  la  publication  de  notre  feuille 
n'en  est  que  le  résultat;  et  si  nous  avons  manifesté  et  suivi 
la  résolution  de  poursuivre  et  de  combattre  sans  me'nage- 
me/is  la  mauvaise  musique,  sous  quelque  forme  qu'elle 
se  présentât,  et  quels  que  fussent  les  noms  auxquels 
nous  dussions  nous  attaquer ,  rien  ne  nous  semble  en 
revanche  plus  naturel  que  de  travailler  de  toutes  nos 
forces  à  signaler  la  bonne  musique,  ainsi  que  les  artistes 
dans  lesquels  nous  voyous  les  germes  d'un  nouvel  ave- 
nir, nous  proposant  de  mettre  au  grand  jour  eux  et 
leurs  efforts,  de  les  faire  connaître,  de  les  animer  de 
nos  encouragemens  ou  de  les  ramener  par  un  juste 
blâme,  s'ils  venaient  a  s'égarer  dans  une  fausse  voie  ou 
à  tomber  dans  le  découragement.  Dans  cet  article  qui 
doit  servir  d'introduction  a  plusieurs  autres  du  même 
genre,  nous  nous  occuperons  d'une  composition  de 
M.  F.  Hiller,  l'un  de  ces  jeunes  artistes  sur  lesquels 
nous  avons  fondé  nos  plus  belles  espérances,  et  qui  déjà 
a  su  justifier  nos  prévisions  avec  tant  de  bonheur  et 
avec  un  succès  si  éclatant.  Cet  ouvrage  est  intitulé  :  Six 
suite*  il' études  pour  le  piano-forte ,  et  il  est  la  quinzième 
œuvre  du  compositeur.  Qu'il  nous  soit  permis  de  jeter 
un  coup  d'œil  sur  la  route  suivie  jusqu'à  ce  jour  par  le 
jeune  artiste  :  cela  nous  mènera  aux  meilleurs  éclaircis- 
semens  qui  puissent  nous  guider  dans  une  juste  appré- 
ciation des  caractères  distinctifs  de  son  talent. 


288 


GAZETTE  MtSICALE 


M.  Hillerest  né  en  1812,  à  Francfort,  sur  le  Mein. 
Ses  parens,  qui  jouissaient  d'une  honorable  aisance, 
surent  éveiller  de  bonne  heure  ses  facultés  intellectuel- 
les, les  observer  avec  sollicitude  et  les  développer  avec 
succès.  Une  organisation  musicale  des  plus  riches  fut  ce 
qui  le  distinguait  particulièrement ,  et  dès  1  âge  de 
douze  ans,  il  surpassait  déjà  toutes  les  espérances  qu'on 
était  en  droit  de  concevoir  de  son  travail  assidu 
tant  pour  ce  qui  touche  la  pratique  du  piano  que  pour 
ce  qui  se  rattache  a  l'étude  plus  sévère  de  l'harmonie  et 
du  contrepoint.  Pour  cette  dernière  branche  d'instruc- 
tion, tout  en  profitant  des  autres  occasions  d'acquérir  de 
la  science,  il  s'était  abandonné  aux  soins  d'un  professeur 
nommé  Vollweiler,  homme  d'un  savoir  entendu,  quoi- 
que peut-être  quelque  peu  pédantesque.  Sous  la  direc- 
tion de  ce  maître,  il  apprit  a  écrire  le  canon  et  la  fugue 
d'après  les  règles  les  plus  strictes  de  l'art.  Mais 
l'organisation  franche  et  hardie  du  jeune  élève  l'empê- 
chèrent de  se  laisser  tyranniser  par  le  pédaiitisrne  du  pro- 
fesseur ou  par  les  règles  souvent  fort  embrouillées  de  la 
science.  L'anecdote  suivante  nous  en  fournira  une  preuve 
remarquable.  A  cette  époque,  l'auteur  du  présent  article 
dirigeait  a  Francfort  un  cours  public  sur  la  théorie  de 
l'harmonie,  destiné  tout  a  la  lois  aux  artistes  et  aux  ama- 
teurs. Il  s'éleva  un  jour  une  discussion  sur  celte  ques- 
tion :  Quels  sont  les  accords  qu'on  peut  lier  immédiate- 
ment ensemble?  l'opinion  du  jeune  harmoniste  ,  âgé 
alors  de  douze  ans,  fut  celle-ci  :  «  Je  pense  qu'on  peut 
lier  immédiatement  entre  eux  tous  les  accords  sans 
distinction  aucune.  »  Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  d'examiner 
une  telle  assertion  qui  n'est  vraie  qu'a  moitié,  et  je 
rentre  dans  mon  sujet. 

Arrivé  a  l'âge  de  treize  ans,  le  jeune  Hiller  fut 
confié  aux  soins  du  célèbre  Hummel,  et,  pour  l'étude 
du  piano  comme  pour  celle  de  la  composition,  il 
sut  tellement  mettre  a  profit  les  excellentes  leçons 
d'un  maître  si  distingué,  que  non-seulement  il  par- 
vint à  pouvoir  exécuter  quelques-uns  des  chefs- 
d'œuvre  du  professeur,  entièrement  dans  le  style  et  avec 
la  manière  de  ce  dernier,  mais  que  comme  composi- 
teur même,  ses  essais  furent  couronnés  de  l'encoura- 
geante approbation  de  Hummel.  M.  Hiller  alla  ensuite 
passer  quelques  mois  à  Vienne  ;  et  en  t  828  ,  il  quitta 
définitivement  Francfort  pour  venir  se  fixer  à  Paris  où, 
depuis  ce  temps,  nous  avons  pu  suivre  tous  ses  progrès 
pas  a  pas.  Dans  tous  les  temps  et  a  toutes  les  époques, 
les  modèles  sur  lesquels  se  sont  appuyées  principalement 
les  études  de  M.  Hiller,  ont  été  les  inestimables  compo- 
sitions classiques  de  Bach  ,  et  les  sublimes  créations  de 
Beethoven.  Ces  grandes  œuvres,  il  faut  le  croire,  dans 


leur  imposante  sévérité,  dans  la  profondeur  immense 
qui  distingue  jusqu'à  leur  forme  extérieure,  clans  leur 
idéalité  si  poétique  et  parfois  si  sombre,  surtout  pour  ce 
qui  touche  Beethoven  ,  sont  celles  qui  se  rapportent  le 
plus  au  caractère  de  Hiller  et  aux  créations  de  l'art  telles 
que  les  a  rêvées  sa  jeune  imagination.  Par  suite  de  ses 
rapports  intimes  et  intéressaus  avec  Bach,  rapports  dans 
lesquels  a  dû  l'entraîner  une  étude  assidue,  pour  ne  pas 
dire  passionnée  des  œuvres  de  ce  grand  maître,  et  avec 
la  connaissance  si  approfondie  qu'il  avait  acquise  dès 
son  enfance  des  formes  et  des  règles  du  style  sévère  de  la 
composition,  Bâcha  dû  nécessairement  lui  apparaître 
comme  le  modèle  le  plus  riche  et  le  plus  accompli  qu'il 
pût  se  proposer,  et  en  outre,  la  prédilection  qu'il  res- 
sentit plus  tard  pour  le  genre  majestueux  de  la  sympho- 
nie, a  dû  de  toute  nécessité  l'attacher  plus  encore  a  l'é- 
tude des  chefs-d'œuvre  créés  par  Beethoven.  Nous  de- 
vons donc  nous  atteudre'a  trouver  dans  les  compositions 
de  M.  Hiller,  comme  traits  caractéristiques  de  son  ta- 
lent, la  gravité  d'abord  ,  qui,  lorsqu'elle  se  joint  a  Y  hu- 
mour ,  dégénère  facilement  en  captice,  peut  imprimer 
son  cachet  aux  peintures  même  delà  grâce  et  de  l'amour, 
mais  reste  de  préférence  dans  une  sphère  de  croyance 
pure,  de  contemplation  calme  ,  de  prière  élevée  et  su- 
blime, quoique  pouvant  parfois  aussi  inspirer  la  crainte 
et  la  terreur.  Une  seconde  qualité  éminente  sera  l'éner- 
gie; car  elle  est  inhérente  a  la  première;  et  enfin,  une 
supériorité  remarquable  dans  la  manière  de  créer  des 
formes  savantes.  Après  avoir,  pour  ainsi  dire,  fait  nue 
analyse  a  priori  de  l'œuvre  ci -dessus,  il  nous  suffira  d'un 
examen  rapide  pour  justifier  pleinement  la  justesse  de 
notre  opinion,,  pour  faire  ressortirplus  pleinement  et  plus 
clairement  encore  quelques  détails  imporlans  ,  et 
nous  mettre  en  dioit  d'assurer  à  M.  Hiller  un  rang  dis- 
tingué parmi  les  plus  grands  et  les  plus  habiles  maîtres 
de  l'art  musical. 

Fa  première  étude  allegro  energico  repose  sur  un 
trait  mélodique  de  quatre  notes  qui  ne  donne  lieu  à  au- 
cun développement  réel  de  chant,  mais  que  le  compo- 
siteur a  su  traiter  avec  tant  d'habileté  sous  le  double  rap- 
port du  rhythme  et  de  l'harmonie,  qu'au  bout  de  trois 
pages,  il  nous  paraît  enecreaussi  neuf  qu'intéresrant. 

L'étude  n°  2  est  aussi  originale  d'invention  que  dif- 
ficile a  exécuter  d'une  manière  convenable.  Le  compo- 
siteur commence  avec  une  basse  très-étrange  alternative- 
ment a  deux  et  à  trois  parties,  sur  laquelle  se  développe 
la  mélodie  non  moins  étrange  du  dessus,  et  qui  cependant 
éveille  une  inquiétude  vague  plutôt  qu'un  sentiment  de 
crainte,  ou  celui-ci  encore  plutôt  que  la  terreur.  Ce  mor- 
ceau  nous   a  fortement   rappelé   la  scène  des  sorcières 


dans  le  Macbeth  de  Shakespeare  ,'el  nous  y  avons  reconnu 
la  plus  belle  peinture  musicale  de  cette  magnifique  situa- 
tion. L'élude  est  écrite  en  ré  mineur,  et  se  termine 
d'une  manière  surpi enaii.te  dans, le  mode  majeur.  On  se 
sent  tout  a  coup  calmé  et  soulagé  comme  par  un  effet 
magique,  et  l'oreille  se  repose  avec  charme  d'un  tumulte 
sauvage  au  milieu  duquel  cependant  l'ordre  et  la  symé- 
trie n'ont  pas  cessé  de  régner. 

L'étude  suivante  est  un  andanle  religioso ,  et  offre 
un  morceau  aussi  beau  que  profondément  senti ,  dans 
lequel  M.  lliller  se  montre  heureux  élève  de  l'immortel 
Bach.  Comme  l'a  fait  presque  constamment  ce  grand 
maître  dans  ses  préludes  de  Choral ,  le  jeune  composi- 
teur a  adopté  pour  motif  principal  un  ancien  chant  de 
choral,  et  l'interrompant  au  moyen  de  quelques  in- 
terludes, il  le  fait  revenir  comme  partie  de  dessus, 
comme  canlus  firmus  d'un  morceau  noble  et  gracieux. 
Celui-là  seul  qui  s'est  appliqué  a  de  semblables  travaux 
peut  dignement  apprécier  la  difficulté  qu'il  y  a  a  réunir, 
dans  une  composition  semblable  une  harmonie  riche  et 
pure  a  tant  de  mouvement  dans  les  deux  mains.  Nous 
félicitons  sincèrement  M.  Hillcr  sur  une  telle  réussite. 
11  n'y  a,  il  est  vrai,  dans  cette  étude  rien  de  dansant,  rien 
qui  charme  l'oreille  aux  dépens  du  sens  musical  ;  mais, 
en  revanche,  elle  respire  la  piété,  la  foi ,  l'édification. 
•  Vient  ensuite  un  morceau  molto  v'wace.  Nous  n'a- 
vons pu  trouver  le  caractère  qui  pouvait  convenir  à 
cette  élude.  Beaucoup  de  mouvement  a  la  main  droite  , 
dans  les  deux  mains  une  forme  unique  depus  le  com- 
mencement jusqu'à  la  fin,  et  des  difficultés  remarqua- 
bles, voila  tout  ce  que  nous  pourrions  signaler  sur  ce 
numéro. 

Le  numéro  S  de  cette  suite  nous  offre  un  morceau 
remarquable  sous  beaucoup  de  rapports.  Cette  étude  est 
composée  dans  un  genre  tout  nouveau  et  tout  autrement 
qu'on  n'a  coutume  de  le  faite. Ici  chaque  main  est  consi- 
dérée isolément,  et  si  leur  réunion  produit  un  effet 
aussi  harmonieux,  cela  parait  être  l'effet  du  hasard  plutôt 
que  le  résultat  d'une  combinaison.  Pendant  que  la  main 
droite  a  exécutéune  figure,  staccato  en  doubles  croches, 
la  main  gauche,  de  son  côté,  depuis  le  commence- 
ment jusqu'à  la  fin,  fait  entendre  un  chant  lié  des  plus 
agréables  ;  pendant  que  la  main  droite  fait  un  long  cres- 
cendo, la  main  gauche  exécute  un  decrescendo  de 
même  durée.  Le  tout  produit  un  effet  dont  l'originalité 
est  égale  à  celle  avec  laquelle  cela  a  été  senti  et  pensé. 

Dans  le  dernier  numéro  de  cette  première  suite,  les 
deux  mains  se  partagent  alternativement  l'exécution  de 
deux  figures  d'une  grande  originalité.  L'une,  jouée  d'à- 
bord  par  la  main  droite,  est  d'une  difficulté   extraordi- 


naire, et  offre  un  excellent  exercice  pour  ceux  qui  peu- 
vent embrasser  au  moins  l'intervalle  de  dixième.  La 
seconde  forme  un  chant  à  deux  parties,  qui  procède  par 
octaves  à  l'unisson  ,  et  donne  à  l'ensemble  du  morceau 
une  couleur  toute  particulière,  nous  pourrions  dire  dra- 
matique. 

Pour  résumer  tout  ce  que  nous  venons  de  dire  sur  les 
six  premières  études,  nous  remarquerons  seulement  que 
nous  y  trouvons  la  confirmation  de  cette  opinion  par 
nous  ci-dessus  émise  :  le  principal  caractère  du  talent 
de  M.  Hil'.er  est  la  gravité,  Vhumo.tr  souvent  sombre, 
rarement  gai  ou  gracieux,  et,  par-dessus  tout ,  une 
richesse  rare  de  toutes  les  ressources  de  l'art,  une  pra- 
tique accomplie:  le  tout  formant  une  source  abondante 
d'instruction  pratique  pour  les  compositeurs  et  les  pia- 
nistes. 

Ainsi  que  nous  l'avons  dit  plus  haut ,  l'œuvre  se  di- 
vise en  six  suites  différentes,  dont  chaque  numéro  parti- 
culier nous  semble  ne  devoirêtreni  considéré  ni  exécuté 
sans  liaison  avec  les  autres;  car  tous  sont  réunis  par 
un  plan  bien  arrêté.  Chaque  morceau  séparé  n'est  qu'un 
membre  d'un  grand  tout  qui  trouve  son  développement 
dans  une  suite  tout  entière.  La  seconde  suite  se  com- 
pose d'un  andanle  poco  agitato  qui ,  considéré  dans 
toute  son  étendue,  repose  bien  sur  un  motif  particulier, 
mais  non  pas  sur  une  seule  figure  principale.  Quelle 
que  soit  l'habileté  avec  laquelle  M.  Hillcr  a  introduit 
cette  figure  avec  deux  formes  différentes,  nous  ne  pou- 
vons cependant  lui  dissimuler  qu'elle  nous  a  paru  trop 
uniforme  et  trop  dénuée  de  sentiment.  Il  en  est  tout  au- 
trement du  morceau  suivant  dans  lequel  nous  trouvons 
de  la  vie  et  beaucoup  de  mouvement,  mais  cri ,  tout  en 
demandant  à  être  joué  avec  une  grande  rapidité,  ren- 
ferme des  difficultés  immenses.  La  figure  principale  ap- 
paraît alternativement  aux  deux  mains,  et  l'expression 
doit  monter  par  degrés  jusqu'à  la  peinture  d'une  joie 
presque  délirante.  Le  morceau  qui  suit  est  du  plus  bel 
effet.  C'est  un  adagio  dans  lequel  le  dessus  à  trois  par- 
ties est  accompagné  par  un  magnifique  chant  delà  basse 
et  acquieil  ainsi  un  grand  intérêt.  Ici  encore  les  deux 
parties  procèdent  d'une  manière  entièrement  indépen- 
dante l'une  de  l'autre,  et  n'offre  ainsi  un  autre  exemple 
remarquable  pour  ce  genre  d'étude.  Cette  suite  se  ler- 
in 'ne  par  un  allrg  o  moderati  qui,  pour  l'invention  et 
l'exécution,  appartient  aux  productions  les  plus  dis- 
tinguer, et  renferme  aussi  des  difficultés  extraordinaires. 

I!  nous  est  impossible  de  suivre  plus  loin  une  analyse 
détaillée  de  cet  ouvrage  d'un  si  haut  intérêt.  Nous  nous 
voyons  forcés  de  renvoyer  le  lecteur  à  l'œuvre  elle- 
même,  et  nous  ne  craignons  pas  de  mettre  sa  patience  à 


GAZETTE  MUSICALE 


une  rude  épreuve.  Nous  nous  bornerons  Jonc  a  faire  en 
général  1rs  remarques  suivantes  :  La  troisième  suite 
tout  entière  est  écrite  clans  le  style  du  contrepoint  strict; 
le  numéro  premier  se  développe  avec  une  vigou- 
reuse énergie;  la  fugue  qui  suit  est  écrite  avec  une  rare 
supériorité  et  exprime  des  sentimens  remplis  de  grâce  et 
de  profondeur,  au  moyen  d'imitations  de  contrepoint 
admirablement  liées  enlre  elles.  Vient  ensuite  une  gigue 
que  nous  n'hésitons  pas  à  mettre  a  côté  des  meilleurs 
ouvrages  de  ce  genre  produits  par  les  anciens  maîtres  , 
mais  dont,  l'exécution  est  aussi  ires-difficile.  En  général , 
dans  cette  œuvre,  les  difficultés  paraissent  s'accroître  a 
chaque  pas;  et  si  nous  exceptons  les  études  de  Chopin 
et  celles  deKessler,  nous  ne  connaissons  aucun  ouvrage 
qui  offre  une  telle  richesse  de  difficultés  originales  pour 
le  piano,  et  dans  lequel  régnent  cependant  aussi  constam- 
ment une  plus  grande  clarté  et  une  symétrie  plus  suivie. 
Mais  ce  que  nous  ne  trouvons  dans  aucun  autre  ouvrage 
du  même  genre,  c'est  une  telle  profusion  de  formes 
rythmiques  et  harmoniques  toutes-nouvelles  jointes  a  une 
telle  perfection  de  style  musical.  Puisse  M.  Hiller  ani- 
mer ses  images  d'un  coloris  plus  chaud  et  plus  gracieux! 
et  nous  sommes  assurés  d'avoir  encore  à  le  remercier  des 
plus  vives  jouissances  que  puisse  procurer  la  perfection 
de  l'art  !  Avec  des  armes  si  fortes  et  si  puissantrs  on  ne 
peut  que  sortir  victorieux  du  combat. 

Fit.   Stoepel. 


Revue  Critique. 

Trio  pour  piano,  violon  et  basse  ;  Trois  Quatuors  pour 
deux  violons,  alto  et  basse,  par  Hemi  Reber. 

Beaucoup  de  lecteurs  ignorent  encore,  sans  doute,  le  nom 
de  M.  Reber.  Nous  allons  tâcher  de  montrer  quels  sont  ses 
droits  à  une  attention  sérieuse  de  la  part  des  -vrais  amis  de  l'art 
musical.  Entré  il  y  a  quelques  années  au  conservatoire,  avec 
des  idées  déjà  arrêtées  ,  il  en  sortit ,  sans  que  les  leçons  qu'il  y 
avait  reçues  eussent  en  aucune  façon  modifié  ses  opinions  sur 
les  diverses  théories  de  la  science  musicale.  Les  professeurs 
n'aiment  guère  les  élèves  déjà  forts  ;  il  les  trouvent  pour  l'or- 
dinaire plus  ou  moins  rebelles  aux  doctrines  de  l'école;  les  ti- 
mides et  crédules  commençans,  toujours  prêts  à  se  prosterner 
sans  raisonnement  devant  l'autorité  delà  parole  dumailre, 
sont  bien  plus  faciles  à  gouverner.  L'éducation  a  peu  de  prise 
sur  les  hommes  d'un  certain  âge;  il  devient  alors  ,  dit  Destut 
de  Tracy,  aussi  difficile  de  leur  inculquer  de  nouvelles  idées, 
qu'il  le  serait  d'écrire  des  caractères  lisibles  sur  un  papier 
déjà  tout  bai  bouille  d'encre.  C'est  un  malheur  bien  souvent  ; 
que'quefois ,  au  contraire  ,  il  faut  s'en  applaudir  ;  dans  le  cas , 
par  exemple,  où  il  ne  s'agirait  que  de  barbouiller  d'encre 
un  papier  déjà  couvert  de  caractères  lisibles.  En  sortant 
du   Conservatoire,  M.  Reber  se  présenta  au  concours  annuel 


de  composition  musicale  de  l'Institut.  On  sait  que  dans  l'im- 
possibilité d'admettre  tous  ceux  qui  voudraient  concourir,  le 
choix  des  candidats  est  dé'erminé  par  une  épreuve  prélimi- 
naire à  laquelle  ils  sont  tenus  de  se  soumutre.  M.  Reber  ne 
fut  point  admis.  Sans  doute,  le  jury  académique  eut  ses  rai- 
sons pour  l'exclure;  il  ne  nous  appartient  pas  d'élever  un 
doute  sur  la  justice  de  celte  décision. 

Quoiqu'il  en  soit,  le  jeune  compositeur,  se  bornant  à  cette 
première  tentative  ,  renonça  à  courre  le  prix  de  Rome,  et  se 
contenta  d'écrire  dans   la   retraite  les   œuvres  remarquables 
dont  nous  allons  nous  occuper.  Plusieurs   exécutions  incom- 
plètes et  inexactes  des  quatuors  de  M.  Reber   ne  nous  avaient 
laissé  entrevoir  qu'en  partie  les  précieuses  qualités  qni  les  dis- 
tinguent. On  pense   communément  qu'un  quatuor  est  chose 
assez  facile  à  exécuter  d'une  manière  passable ,  tt  l'on  s'abs- 
tient en   conséquence  de  f.iire   les  répétitions  qu  on   regarde 
comme  absolument  nécessaires  pour  toute  autre  musique.  Celte 
grave  erreur  a  pu  être  accréditée  par  ces  pâles  ouvrages  por- 
tant le  nom  de  quatuors,  qui  ne  sont  en  réalilé  que  des  sonates 
de  \iolon,  avec  un  accompagnement  plus   ou  moins   plat  de 
trois  instrumens  à  cordes.  Dans  l'exécution   ds  quatuors  vé- 
ritables ,  tels  que  ceux  de  Haydn,  de  Mozart ,  dt  Beethoven  , 
de  Fesca ,  de  Schubert ,  etc. ,  il  n'est  point  de  degrés  du  mé- 
diocre au  pire.  Voilà  pourquoi  ceux  de  Reber,  qui,  par  l'élé- 
vation du  style  et  la  profondeur  de  la  pensée,  appartiennent  à 
la  grande  école  dont  nous  venons  de  nommer  les  chefs,   nous 
éla;ent  demeurés  presque  inconnus  jusqu'à   ce  jour.  Enfin, 
M.  Seghcrs,  homme  détalent  et  de  conscience,  qui  le  premier 
avait  découvert  toute  la  portée   du  talent  de  Reber,  a  voulu  le 
produire  au  grand  jour  par  une  exécution  digne,  evacte,  cha- 
Lureuse,  poétique,  en  un  mot  par  une  de  ces  exécutions  sans 
lesquelles  il  n'y  a  pas  de  compositeur  qui  puisse  se  flatter  de 
pouvoir  être  compris.  MM.   Listz ,  Urhan ,  Franchomme  et 
Cuvillon  s'étaientjoints  àlui  dans  cette  occasion,  et  avaient  soi- 
gneusement répété  deux  jours  à  l'avance.  Certes,  l'auteur  ne 
pouvait  choisir  mieux  ses  parrains  en  entrant  dans  la  lice;  aussi, 
la  nombreuse   société  réunie  dans  les    salons  de  M.   Duport 
a-t-elle  témoigné  par  les  plus  vives  exclamations  et  son  éton- 
nement  et  le  plaisir   qu'elle  trouvait  à  une  pareille  surprise. 
M.  Reber,  à  son  début,  a  obtenu  le  plus  brillant  st  le  plus  véri- 
table succès.  Nous  ne  saurions  trouver  précisément  une  res- 
semblance entre  son  style  et  celui  d'aucun  autre  compositeur; 
cependant  aux  gens  qui  veulent  à  toute  force  établir  des  paral- 
lèles et  qui  demanderont  en  parlant  de  Reber  :  à  qui  ressem- 
ble-t-il  ?  de  quelles  formes  connues  son  style  se  rapproche-t-il  ? 
A  ces  gens-là  nous  répondrons  que,  différant  en  général  de  1 1 
manière  de  Schubert ,  il  montre  cependant  avec  le  compositeur 
Viennois  quelques  points  de  contact  dans  les  détails.  La  mé- 
lodie de  Reber  est  évidemment  dephysionomie  allemande;  elle 
pénètre  doucement;  elle  est  mélancolique,   méditative,  par 
fois  d'une  naïveté  extrême ,  souvent  passionnée  ;mais  rarement 
on  la  voit  s'animer  d'une  gaieté  sans  mélange ,  et  sa  joie  rap- 
pelle involontairement  Shakespeare  ,  quand  il  peint  :  «  la  pa- 
tience sur  un  monument,  souriapt  à  la  douleur.  »  Son  har- 
monie est  large ,    d'une  grande  noblesse  et   d'une  hardiesse 
extrême.  Par  exemple ,  dans  un  passage  exécuté   pianissimo 
par  les  violons  et  l'alto,   deux  demi-tous  placés  l'un  sur  l'au- 
tre,  si  naturel,  ut ,  ré  bémol ,  sont  présentés   cependant  de 
telle  sorte  qu'il  ne  résulte  de  cette    quasi-discordance  qu'un 
effet  doux  et  pittoresque  ,  extrêmement  heureux.  Il  emploie  le 


DE  PARIS. 


rhythme  avec  originalité  et  finesse.  L'instrumentation  même, 
qui,  dans  un  quatuor  d'instrumens  presque  semblables,  ne 
peut  exister  que  dans  l'opposition  du  timbre  de  l'alto  ou  du 
violoncelle  avec  celui  d<*s  violons,  dans  les  effets  de  pizzicato 
combinés  avec  ceux  de  Y  archet ,  ou  dans  les  divers  caractères 
des  quatre  cordes  de  chaque  instrument,  lui  a  fourni  une  mul- 
titude de  contrastes  piquans  ou  dramatiques.  Il  possède  en 
outre,  au  suprême  degré,  l'art  des  modulations.  Son  trio  de 
piano,  si  habilement  exécuté  par  M.  Lislz  ,  présente  une 
phrase  remarquable  dans  son  excessive  simplicité  qui  a  produit 
sur  l'auditoire  une  sensation  profonde.  Elle  était  due  unique- 
ment au  choix  exquis  des  accords  qui  soutenaient  le  chant,  et  à 
la  conclusion  inattendue  de  cette  mélodie  qui,  commencée  en 
ta  naturel  majeur,  finit  brusquement  en  la  ilièze  mineur. 
Ceci  est  de  la  plus  grande  nouveauté.  Certes  il  est  impossible 
de  méconnaître  dans  M.  Reber  tous  les  symptômes  du  génie 
musici'.  Nous  désirons  vivement  qu'il  nous  fournisse  bientôt 
l'occasion  de  l'apprécier  dans  quelque  composition  plus  éten- 
due. En  terminant ,  nous  lui  donnerons  un  conseil  qui  sera 
peut-être  pour  lui  de  quelque  utilité.  Il  est  incontestablement 
grand  et  beau  de  concevoir  en  entier  le  plan  d'un  ouvrage  et 
d'en  subordonner  l'ensemble  à  une  pensée-mère  ;  mais  cette 
unité  n'exclut  point  la  -variété.  Les  différens  morceaux  des 
quatuors  de  Reber  nous  ont  paru  quelquefois  trop  fréres-ju- 
maux;  les  nuances  de  l'un  ne  tranchent  pas  assez  sur  le  coloris 
de  l'autre.  S'il  est  un  art  dans  lequel  les  oppositions  soient  im- 
périeusement exigées  par  la  nature  même  de  notre  organisa- 
tion, à  coup  sûr  c'est  la  musique.  Non  que  nous  sentions, 
comme  le  parterre  de  la  Comédie-Française,  le  besoin  de  quel- 
que bouffonnerie  après  un  drame  qui  a  fait  couler  nos  larmes, 
désireux  de  détruire  ainsi  nos  dernières  impressions  par  des 
impressions  nouvel' es  d'un  genre  opposé  ;  c'est  au  contraire 
pour  augmenter  l'effet  de  chacun  des  traits  marquans  de  ses 
tableaux  que  nous  engagerons  M.  Reber  à  ne  pas  placer  une 
scène  mélancolique  et  tendre  auprès  d'une  seconde  scène  où  la 
tendresse  et  la  mélancolie  dominent  presque  exclusivement.  Ce 
défaut  n'a  pas  beaucoup  d'importance  pour  des  compositions 
destinées  comme  les  quatuors  à  être  exécutées  eu  petit  comité 
devant  un  auditoire  attentif,  qui  emploie  volontiers  toutes  les 
forces  de  son  imagination  à  s'unir  d'intention  avec  l'auteur  , 
mais  en  toute  autre  circonstance  il  devient  plus  grave,  et  bien 
souvent  on  l'a  vu  compromettre  le  succès  des  plus  magnifiques 
productions. 

Quelques  morceaux  de  musique  sacrée,  pour  des  voix  sans 
accompagnement,  publiés  chez  SI.  Richaul ,  ainsi  que  les  qua- 
tuors dont  nous  venons  de  parler,  nous  ont  paru  écrits  avec 
une  grande  pureté;  ce  sont  de  douces  expansions  religieues, 
comme  dans  notre  prosaïque  France  on  n'en  peut  plus  aujour- 
d'hui entendre  nulle  part. 


Rokdo  brillant  pour  le  piano ,    sur   la  romance  :  la 
Jeune  Fille  ;  par  Fessy,  prix  :  5  fr. 

Cet  ouvrage  nous  a  appris  bien  des  choses  :  i°  qu'on  peut 
appeler  brillant  ce  qui  n'a  que  de  la  simplicité  cl  quelquefois 
même  de  la  pauvreté;  1°  qu'un  rondo  peut  se  faire  avec  un 
an danle  maéstoso  et  un  allegro  moderato;  3°  que  deux  trio- 
lets égalent  un  sixlole.  (Voir  la  dernière  mesure  de  \' amiante 
maéstoso). 


De  tout  cela ,  comme  de  la  possibilité  défaire  ra'sonnable- 
ment,  un  rondo  brillant  d'une  romance  sentimentale ,  et  des 
combinaisons  harmoniques  comme  cilles -ci  la  bémol,  la 
bécarre,  dans  le  chant  avec  sol,  si,  ré  comme  accompagne- 
ment, etc. ,  etc.,  nous  n'avions  certes  pas  eu  la  moindre  idée, 
jusqu'au  moment  où  l'ouvrage  de  M.  Fcssy  nous  est  tombé 
dans  les  mains.  Nous  nous  croyons  donc  suffisamment  auto- 
risés à  le  recommander  aux  amateurs  de  curiosités,  en  ajou- 
tant toutefois  qu'il  ne  présente  aucune  difficulté  et  qu'il  rem- 
plit scrupuleusement  les  neuf  pages  prescrites  par  la  loi 
pour,  éviter  le  timbre.  Celte  loi  fiscale  existe  encore  e« 
France  ait  19e  siècle. 


Bibliothèque  populaire  du  Pianiste  ,  ie  livraison. 
Caprice  brillant  sur  des  thèmes  de  Ludovic,  par 
C.  Chaulieu,  op.  152.  Prix  :  I  fr. 

M.  Chaulieu  ,  par  une  longue  suite  de  compositions  pour 
le  piano  ,  s'est  acquis  une  certaine  popularité  qui  prouve 
qu'il  connaît  le  goût  de  son  public  et  qu'il  s'est  bien  s'y  confor- 
mer. Ses  productions  sont  mélodieuses  sans  jamais  renfermer 
de  grandes  difficultés  et  ne  manquent  pas  d'une  certaine  tour- 
nures d'élégance.  Nous  aurons  cependant  une  question  à 
adresser  à  SI.  Chaulieu,  qui,  nous  le  croyons,  est  l'auteur 
d'une  Théorie  de  l'harmonie!  Sur  quelle  base  repose  sa  ma- 
nière d'écrire  l'accord  :  si  naturel ,  fa  dièze  ,  si  naturel ,  main 
gauche  ;  et  la  ,  mi  bémol ,  la ,  main  droite  ? 


fantaisie  pour  le  piano  sur  la  Cavatiue  favorite  de  Pac- 
cini  de  la  Stra/iiera ,  précédée  d'une  Mélodie  polo- 
naise, parSowinski  ;  Op.  34.  Prix  :  7  fr.  50  cent. 

Les  deux  motifs  sont  très-agréables  et  arrangés  avec  beau- 
coup de  goût  et  d'habileté  pour  le  piano  :  quant  à  la  forme  de 
ce  morceau,  elle  s'éloigne  quelque  peu  de  celle  des  variations  , 
et  nous  en  savons  gré  à  SI.  Sowinski.  Cette  composition  ,  dont 
toutes  les  parties  se  lient  parfaitement  ensemble,  est ,  eu  gé- 
néral, brillante  :  on  pourrait  reprocher  à  l'aiùeur,  que  la  par- 
lie  de  la  main  droite  est  écrite  de  manière  à  faire  briller  celle-ci 
un  peu  trop  aux  dépens  de  la  main  gauche. 


Souvenirs  polonais,  Variations  brillantes,  pour 
le  piano,  par  Louis  Ançot;  Op.  40.  Prix  :  7  fr. 
130  cent. 

M.  Ançot  est  un  des  imitateurs  de  SI.  Henri  Hcrz  ,  que  le 
monde  ingrat  aura  bientôt  oublié.  On  sait  ce  que  nous  pensons 
de  celte  école  (si ,  toutefois,  ce  mot  est  ici  à  sa  place)  on  en 
connaît  aussi  les  qualités  caractéristiques.  Nous  croyons  pou- 
voir nous  dispenser  d'entrer  dans  un  examen  plus  approfondi 
de  la  nouvelle  composition  de  SI.  Ançot ,  dont  elle  n'est  sûre- 
ment pas  le  meilleur  ouvrage.  Il  nous  semble  ,  toutefois  y  re- 
connaître que  SI.  Aurot  est  un  pianiste  habile  cl  un  bon  mu- 
sicien. 


GAZETTE  MUSICALE  DE   S'AF.ÎS. 


NOUVELLES. 


4,*+  C'est  décidément  mercredi  que  se  montrera  à  l'Opéra,  le 
ballet  delà  Tempête, ouvrage  qui, à  en  juger  par  les  répétitions 
générale  ,  est  destin™  à  un  grand  succès. 

+%  Depuis  un  an ,  Robert-  le- Diable  a  obtenu,  à  Vienne, 
.soixante-quatre  représentations  au  grand  théâtre  royal  ,  et 
quarante-cinq  au  petit  théâtre  de  la  Josephstadt.  Il  est  à  re- 
marquer que  le  petit  chœur  dansé  du  second  acte  a  été  bissé 
dans  cette  ville  à  chaque  représentation  ;  l'effet  de  ce  morceau, 
qui  passe  inaperçu  à  Paris,  doit  être  attribué  à  l'excellence  des 
chœurs  de  femmes. 

A%  Mademoiselle  Lngher,  que  nous  avons  applaudie  l'an- 
née dernière,  au  théâtre  Italien  ,  est  en  ce  moment  à  Livourne, 
où  chaque  représentation  est  pour  cette  cantatrice  l'occasion 
d'un  nouveau  triomphe. 

+%  Valenline ,  tel  est  le  litre  d'un  opéra  en  trois  actes, 
poème  de  Planard  ,  musique  de  Marliani ,  en  répétition  dans  ce 
moment  à  l'Opéra-Comique. 

+%  Nous  avons  rendu  compte  du  succès  que  l'opéra  de 
M.  Fontmichcl ,  llGilano,s  obtenu  à  Marseille.  Ce  jeune  com- 
positeur depuis  peu  à  Paris,  a  fait  exécuter  cet  ouvrage  au  foyer 
par  les  artistes  de  l'Opéra-Comique.  Le  directeur  enchant  é "de 
cette  partition  ,  lui  a  promis  un  poème,  et  bientôt  nous  con- 
naîtrons à  Paris  la  musique  de  M.  Fontmichel. 

+*+  La  partition  de  l'Opéra  :  Il  Bravo,  de  Marliani,  sera 
incessamment  publié,  elle  fera  plaisir  aux  dilettante. 

+*+  C'est  le  25  et  le  26  septembre  que  les  deux  premiers 
concerts  de  l'association  musicale  belge  auront  lieu  à  Bruxelles, 
le  premier  soir,  dnns  le  jardin  botanique,  un  grand  concert 
d'harmoire  composé  d'une  réunion  de  plus  de  mille  artistes  et 
amateurs.  Ou  y  exécutera  de  grandes  ouvertures  arrangées 
par  Snel  et  Bend>  r  ,  une  fanfare  pour  cent  trompettes  en  dif- 
férais tons,  cinquante  cors  et  cinquante  trombonnes  ;  des 
morceaux  en  échos  pour  deux  orchestres ,  et  la  bataille  de 
Waterloo  par  Beethoven. 

Le  26.  Grand  concert  vocal  et  insliumenlal  dans  l'ancienne 
Eglise  des  Augustius,  un  chœur  composé  d'environ  trois  cent 
cinquante  personnes,  et  un  orchestre  de  deux  cent  ringt  mu- 
siciens exécuteront  des  morceaux  choisis  du  Messie  de  Hacn- 
del ,  une  ouverture  héroiqueavec  chœur  composé  par  M.  Daus- 
soigne-Méhul,  (en  continuation  du  dernier  opéra  de  Méhul  , 
Valentine  de  Milan),  la  cantate  qui  vient  d'obtenir  le  premier 
prix  au  concours,  cl  la  belle  symphonie  en  ut  mineur  des 
Beethoven.  C'est  sans  contredit,  la  plus  belle  et  la  plus  grande 
fête  musicale  donnée  jusqu'ici  en  Belgique. 

+*+  Un  opéra  nouveau  de  Beissiger  :  le  Moulin  du  rocher 
d'Estalièies  a  été  représenté,  le 3 d  août,  surle  grand  Opéra  de 
Berlin,  et  a  obtenu  du  succès,  malgré  la  pauvreté  du  poème 
qui  est  presque  incompréhensible. 

*t  M.  Boyeldieu  est  dangereusement  malade  à  Bordeaux.  Le 
correspondant  qui  nous  communique  cette  triste  nouvelle, 
ajoute  que  les  médecins  craignent  pour  les  jours  du  célèbre 
compositeur. 

t*„  MM.  Meyerbeer  et  Paganiui  sont  arrivés  celte  semaine  à 
Paris;  le  premier  partira  demain  pour  Boulogne-sur-Mer; 
M.  Paganini  ira  incessamment  à  Gênes,  où  il  a  l'intention  de  se 
retirer  dans  son  château ,  qui  est  une  des  plus  belles  propriétés 
de  ce  pays. 


J.  Ghys.  Andante  et  variations  concertantes  pour  violon  et 
piano,  sur  la  cavatine  :  I tuoij'requenti  palpiti.   Op.   ifi. 

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vatine de  Meyerbeer  :  Ah  corne  rapida.  Op.  M .  6  fr. 

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vatine de  Mercadente  :  Soa\>e  imagine.  Op.  \  8.  6  fr. 

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<T«  (Bazette  iHitsicale  be  ijjîarto 
Paraît    le   DIMANCHE  de  chaque  semaine. 

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>r,  reçoit   les  réclamations  des  personnes  qui  ont  des  griefs  à  exposer,  et  les  avis  relatifs  a  la  musiqi 
qui  peinent  intéresser  le  public. 


PARIS.   DIMANCHE  M   SEPTEMBRE  IS3 


Les  lettres,  demandes 
et  envois  d'argent  doi- 
vent être  affranchis,  et 
adressés  au  Directeur  , 
rue  Richelieu,  97. 


ACROSTICHE 


PAGAPilNI  (i). 

•S  ower  of  harmony,  thon  mystic  charm  , 

t*  polio ,  in  some  nearly  human  forai , 

fi5  reat  source  of  sounds,  unknown  ,  unlieard  befoie  ; 

>  ngels  soft  strains ,  or  some  fell  dœmons  roar 

g  ow  throe,  the  soûl  extatic  thèmes  diffuse 

*•>  n  taies  enchanting,  such  a  lover' s  use; 

ig  ow  sportive  fingers ,  fairy  revels  show 

w  n  a  pleasing  concert  with  thy  magie  bow. 


(-1)  Extrait  de  Monlhly-Belle  Assemblée.  (Traduction  libre.) 

Souverain  maître  de  l'harmonie,  doué  d'un  charme 
mystérieux  !  ô  toi  ,  véritable  Apollon  sous  une  forme  à 
peu  près  humaine;  large  source  de  mélodies,  inconnues 
jusqu'ici  à  l'imagination  et  à  l'oreille,  et  tour  à  tour  ri- 
vales des  accords  de  l'ange  ou  des  rugissemens  du  démon, 
tantôt  l'ame  en  extase  rêve  en  écoutant  les  doux  enchan- 
temens  de  l'amour,  tantôt  le  délire  de  tes  doigts  s'unit  à  la 
magie  de  ton  archet  pour  peindre  une  voluptueuse 
orgie. 


De  l'origine  de  l'Opéra. 

FRAGMENT. 

Les  Grecs  vers  le  milieu  du  *,5e  siècle  fuyant  leur  pa- 
trie pour  échapper  a  l'esclavage,  apportèrent  a  l'Italie  les 
chaînes  de  la  plus  noble  domination ,  celle  de  l'art  et  des 
sciences;  l'enthousiasme  qu'ils  inspirèrent  alla  jusqu'à 
l'exagération  ;  et  on  ne  trouva  plus  rien  de  beau  que  ce  qui 
était  à  la  grecque.  Bientôt  nous  voyons  les  Italiens  con- 
sacrer leurs  investigations  et  leurs  efforts  a  ressusciter 
le  théâtre  si  renommé  des  anciens  grecs.  On  savait  que 
chez  eux  la  tragédie  alliait  l'action  dramatique ,  la  réci- 
tation des  chœurs,  harmonieusement  rytmés,  la  musi- 
que, la  danse  et  la  peinture.  Mais  en  dépit  de  toutes  les 
recherches,  on  n'avait  pas  encore  pu  découvrir  de  quelle 
manière  ces  divers  élémens  se  mêlaient  entre  eux  pour 
concourir  au  plus  merveilleux  ensemble.  Au  lieu  de  la 
tragédie  grecque  qu'on  poursuivait,  on  finit  par  trou- 
ver l'opéra,  genre  de  spectacle  entièrement  nouveau,  et 
qui  fut  a  son  origine  loin  de  cette  perfection  où  nous 
l'admirons  aujourd'hui.  L'opéra  emprunta  d'abord  ses 
sujets  aux  croyances  religieuses,  aussi  portait-il  le  nom 
de  mystère.  Le  premier  opéra  ,  emprunté  aux  textes 
sacrés,  fut  représenté  sur  une  place  publique  de  Rome, 
en  l'an  1440,  c'était  la  conversion  de  saint  Paul,  par 
Francesco  Paverini,  les  premiers  essais  de  l'opéra  pro- 
fane lurent  un  Orfée  et  une  tragédie  en  musique,  dont 
le  cardinal  Riatti  ,  neveu  du  pape  Sixte  IV  avait 
composé  les  vers,  et  qui  fut  représentée  a  1480. 

Vers  l'an  11500,  les  papes  avaient  déjà  ira  théâtre  avec 
machines  et  décors,  et,  lorsque  le  cardinal  Beitrand  de 
Bibiena,   fit   représenter  devant  Léon  X  la  comédie  de 


2!)4 


GAZETTE  MUSICALE 


la  Calandra,  on  admira  les  peintures  de  Peruzzy. 
En  1550,  quand  saint  Philippe  de  Néri  vint  a  Rome 
pour  fonder  l'ordre  des  oratoriens ,  il  s'empara  du  drame 
lyrique  et  le  fit  servir  avec  beaucoup  de  succès  au  but 
qu'il  se  proposait;  En  effet,  connaissant  le  grand  pen- 
chant du  peuple  en  faveur  des  représentations  lyriques, 
il  fit  travailler  les  meilleurs  poètes  sur  des  sujets  religieux 
auxquels  on  donna  une  forme  lyrico-dramalique;  les 
compositeurs  les  plus  distingues  furent  chargés  de 
mettre  en  musique  ces  poèmes,  qui  furent  représentés 
par  les  plus  habiles  chanteurs,  et  Philippe  de  Néri  veilla 
en  outre  a  ce  que  ce  spectacle  eut  lieu  principalement 
pendant  le  carnaval ,  époque  qui  empêchait  générale- 
ment le  peuple  de  se  rendre  au  service  divin.  Ces  œu- 
vres miisico-dramatiques,  qui  ont  conservé  leur  forme 
jusqu'à  nos  jours  ,  furent  nommées  alors  oratorios  ,  à 
cause  de  l'ordre  religieux  dont  elles  provenaient,  ou 
peut-être  au  contraire  fut-ce  l'ordre  lui-même  qui  tira 
son  nom  de  ces  ouvrages.  Les  compositeurs  les  plus  im- 
portais qui  travaillaient  a  cette  époque  pour  le  drame 
lyrique,  furent  :  Alfonso  délia  Viola,  Strigio ,  Malvezzi, 
Emilio  del  Cavaliero  ,  et  Orazio  Vecchi  di  Modena,  et 
leurs  œuvres  offrent  rarement  matière  a  l'admiration. 
S'il  faut  avouer  que  ces  ouvrages  n'étaient  guère  que  de 
monotones  psalmodies,  on  peut  établir  entre  eux  et  ceux 
qui  parurent  cinquante  ans  plus  tard,  la  même  compa- 
raison qu'entre  les  opéras  de  Lully  et  ceux  de  l'immortel 
Mozart.  Cet  immense  intervalle  fut  franchi  ainsi  que 
je  vais  le  dire  : 

A  Florence,  les  Médicis  surtout  s'étaient  distinguées 
par  leur  passion  pour  l'hellénisme.  Eux  et  leurs  amis 
avaient  parfaitement  compris  combien,  avec  les  oratorios 
et  la  manière  dont  on  traitait  la  partie  musicale  dans 
les  pièces  religieuses  ou  profanes,  dans  les  madrigaux 
et  les  canzonette  ;  combien,  dis-je,  on  était  encore 
éloigné  d'atteindre  a  la  hauteur  de  la  tragédie  des 
Grecs  ;  aussi ,  encouragés  par  le  succès  de  leur  aca- 
démie de  philosophie  grecque,  établissement  déjà  célè- 
bre a  cette  époque ,  et  riche  en  heureux  résultats ,  con- 
curcnt-ils  le  projet  d'instituer  sur  le  même  plan  une 
académie  pour  l'élude  du  drame  des  anciens  Hellènes , 
afin  de  pouvoir  faire  renaître  l'antique  tragédie  comme 
ils  avaient  déjà  réussi  a  faire  revivre  l'école  de  Platon. 
Cependant  tous  leurs  efforts  durent  échouer  contre  la 
maladresse  et  l'ignorance  des  musiciens.  Ceux-ci  ne 
connaissaient,  que  leur  contrepoint,  qu'ils  comprenaient 
Lien  et  qu'ils  employaient  avec  habileté;  mais  cette  con- 
naissance n'était  d'âucuu  secours  pour  le  but  qu'on  se 
proposait ,  et  ils  ne  savaient  rien  autre  chose.  Plusieurs 
d'entre  eux  pouvaient  bien  aussi  avoir  de  la  mauvaise 


volonté  :  l'art  tel  qu'on  le  connaissait  subsistait  depuis 
des  siècles ,  et  il  ne  manquait  pas  de  gens  qui  s'en  dé- 
claraient satisfaits  et  qui  ne  pouvaient  concevoir  rien 
au- delà. 

L'idée  d'établir  une  académie  de  drame  grec  semblait 
presque  abandonnée,  lorsque  survint  un  homme  qui 
s'empara  de  cette  idée ,  s'y  attacha  et  parvint  a  la  réa- 
liser par  un  rare  assemblage  de  persévérance  et  d'habi- 
leté. Cet  homme  était  Giovami  de  Bardi ,  .comte  de 
Vernio,  savant  aussi  remarquable  par  son  esprit  et  sa 
vaste  érudition ,  que  par  sa  profonde  connaissance  de 
la  musique.  Il  rassembla  ses  amis  Giacopo,  Corsi  et  Pie- 
tro  Strozzi,  Girolamo  Mei  el  Vincenzio  Galilei,  le  père 
du  célèbre  Galilée  Galilei ,  et  il  proposa  à  leurs  efforts 
réunis  le  problème  suivant  :  faire  des  recherches  con- 
cernant l'exécution  des  poésies  dramatiques  sur  les 
théâtres  grecs,  et  sous  le  rapport  musical.  Pour  arriver  a 
un  résultat,  il  fut  avant  tout  nécessaire  d'introduire  et 
de  mettre  en  honneur  léchant  a  une  seule  partie  jus- 
qu'alors méprisé  et  même  entièrement  proscrit,  il  fallut 
aussi  donner  à  ce  chant  une  forme  nouvelle  qui  se  rap- 
prochât de  la  déclamation  ordinaire,  qui  évitât  toutes 
les  répétitions  inutiles,  qui  pût  se  prêter  aisément  à 
toutes  les  formes  de  la  poésie,  et  qui  fournît  au  chan- 
teur les  moyens  d'exprimer  librement  toutes  les  inten- 
tions et  toutes  les  nuances  conçues  par  le  poète;  et  cette 
idée  d'une  musique  conforme  en  même  temps  aux  poé- 
sies et  a  leur  déclamation  animée,  Vincenzio  Galilei  la 
réalisa  ;  il  trouva  ce  que  nous  nommons  le  récitatif,  con- 
dition principale  de  l'Opéra  dans  laquelle  repose  l'ori- 
gine primitive  du  drame  lyrique.  Au  reste,  cette  inven- 
tion même  fut  loin  d'être  adoptée  avec  enthousiasme. 
Le  premier  emploi  de  cette  forme,  ainsi  qu'on  peut  le 
supposer,  n'obtint  pas  dès  l'abord  une  bien  grande  fa- 
veur ,  et  l'on  n'osa  pas  l'adapter  aux  poésies  dramatiques 
proprement  dites.  Les  premières  compositions  que 
Vincenzio  Galileo  travailla  sur  ce  plan,  et  qu'il  chanta 
en  s'accompagnant  du  Luth,  furent  la  scène  terrible  où 
le  Dante  représente  Ugolin  dans  la  tour  de  la  Faim,  et 
plusieurs  passages  des  complaintes  de  Jérémies  sur  la 
chute  du  peuple  de  Dieu. 

Que  cette  nuova  musica,  comme  on  l'appelait  alors , 
fût  celle-là  même  que  l'on  cherchait ,  c'est  un  point  sur 
lequel  on  fut  bientôt  d'accord  ;  il  s'agissait  maintenant 
de  l'approprier  à  la  scène  et  de  créer  des  pièces  conve- 
nables. On  ne  tarda  pas  à  y  réussir  également.  Rinuc- 
cini ,  un  des  poètes  les  plus  distingués  de  l'époque, 
s'adjoignit  à  l'académie  ainsi  que  Julio  Caccini,  un  des 
meilleurs  chanteurs  de  Rome,  et  Jacopo  Péri,  l'un  des 
composiieurs  les  plus  estimés  alors  en  Italie.  Rinuccini 


écrivit  un  drame  ayant  pour  titre  Daphné,  et  Péri  s'as- 
socia a  Caccini  pour  le  mette  en  musique.  Ce  fut  l'a  le 
premier  ope'ra ,  dans  le  sens  que  nous  attachons  à  ce 
mot,  et  cet  ouvrage  fut  représenté  avec  un  succès  d'en- 
thousiasme ,  dans  le  palais  de  Corsi ,  noble  Florentin  , 
en  présence  de  la  cour  toscane,  d'un  grand  nombre  de 
cardinaux  et  de  plusieurs  autres  grands  personnages.  La 
réussite  de  cet  opéra  ne  put  se  comparer  qu'à  l'étonne- 
ment  inexprimable  qu'il  excita,  car  jamais  jusqu'alors 
on  n'avait  vu  la  peinture,  la  poésie  et  la  musique  exer- 
cer par  leur  réunion  un  charme  aussi  puissant.  Rinuc- 
cini  écrivit  ensuite  le  poème  A' Eurydice  dont  Péri  et 
Caccini  firent  la  musique.  Caccini  composa  le  rôle 
d'Eurydice,  et  Péri  se  chargea  du  reste.  L'ouvrage  fut 
représenté  a  Florence  ,  a  l'occasion  du  mariage  de 
Henri  IV,  avec  Marie  de  Médicis  ,  et  c'est  le  premier 
opéra  qui  ait  été  imprimé;  il  parut  a  Venise  dans  l'an- 
née 1608.  Dansle  même  temps  que  Péri,  vivaient  enltalie 
Emilio  del  Cavaliero  et  Claudio  de  Mouteverde,  deux 
artistes  qui  s'essayèrent  aussi  avec  bonheur  dans  legenre 
de  l'opéra.  Le  premier  refit  la  musique  de  la  Daphné  de 
Rinuccini  et  de  X Ariane  de  Péri  avec  plus  de  succès 
encore  que  ce  dernier,  bien  qu'on  pût  lui  reprocher 
plus  d'une  faute  sous  le  double  rapport  de  la  mélodie  et 
de  l'harmonie. 

Si  Claudio  de  Monteverde  ne  put  se  flatter  d'attein- 
dre immédiatement  a  la  perfection  de  l'opéra  ,  il  contri- 
bua du  moins  à  la  préparer.  Lui  etLudovicode  Viadana 
se  firent  une  brillante  réputation  comme  harmonistes, 
et,  chez  leurs  élèves,  le  récitatif,  comme  la  musique 
dramatique  en  général,  apparut  plus  large  et  plus  riche 
que  chez  leurs  devanciers.  Carissimi  principalement  , 
élève  de  Monteverde  s'acquit  une  éclatante  renommée. 
L'harmonie  vigoureuse  de  son  orchestre  excitait  l'ad- 
miration, ainsi  que  la  manière  habile  dont  ce  composi- 
teur savait  employer  tous  les  instrumens  connus  a  cette 
époque.  La  célébrité  de  Carissimi  se  soutint  et  fut  encore 
rehaussée  par  ses  élèves  Cavalli  et  Cesti.  Cavalli  trouva 
X Aria,  et  donna  ainsi  à  l'Opéra  son  plus  gracieux  orue- 
menl;  et  si  les  airs  de  Carissimi  ressemblaient  encore 
aux  mélodies  simples  de  nos  menuets,  Cesti  en  intro- 
duisit de  nouveaux  dans  lesquels  l'ait  du  chanteur  put 
se  développer  en  roulades  et  en  fioriture.  Son  opéra  de 
Doris  nous  en  offre  des  preuves;  et  Burney,  dans  son 
histoire  de  la  musique,  nous  a  communiqué  d'autres 
exemples  du  même  genre.  Nous  trouvons  aussi  dès  ce 
temps  les  airs  ornés  de  cadences,  ce  qui ,  joint  aux  re- 
marques de  Busby  dans  son  histoire  de  l'art  musical  (1), 
nous  donne  la  preuve  que  dès-lors    l'Italie    possédait 

(I)  Vol.  2,  page  318. 


des  chanteurs  fort  habiles.  Elle  avait  même  déjà  des 
castrats,  et  le  premier  musino  de  la  chapelle  pontifi- 
cale se  retrouve  vers  le  milieu  du  xvie  siècle  sous  le  nom 
de  Hieronymus  Rossini.  Jusque-la  les  parties  de  soprano 
avaient  été  chantées  par  des  Espagnols  qui  employaient 
le  fausset.  Presque  tous  les  dix  ans,  l'opéra  gagna  quel- 
que nouvelle  beauté;  en  effet,  vers  1690,  Nicolo  Lo- 
groscino  trouva  le  finale,  ou  du  moins  il  en  fit  un 
usage  des  plus  heureux,  et  il  est  le  premier  qui  nous  en 
offre  des  exemples.  C'est  enfin  dans  les  opéras  d'Ales- 
sandro  Scarlatli  que  nous  trouvons  les  premières  ritour- 
nelles précédant  les  airs,  de  sorte  qu'a  compter  de  ce 
temps  lu  forme  de  l'opéra  s'est  trouvée  fixée  telle  que 
nous  la  connaissons  aujourd'hui.  Alessandro  Scarlatti 
naquit  en  1658,  et  mourut  en  1758.  Outre  ses  nom- 
breuses musiques  religieuses,  il  composa,  dit-on,  109  opé- 
ras, et  c'est  a  lui  principalement  qu'on  attribue  l'amé- 
lioration des  ouvertures  qui  jusqu'alors  n'avaient  pas  eu 
le  moindre  rapport  avec  le  caractère  de  l'ouvrage  qu'elles 
précédaient.  L'opéra  avait  été  purement  romantique 
dans  le  genre  sérieux  ou  comique.  Les  opéras  héroïques 
n'étaient  pas  encore  connus  ;  ce  genre  d'opéra  est  une 
production  des  temps  postérieurs,  elestdû  principalement 
aux  Français. 

Du  reste,  jusqu'au  milieu  du  seizième  siècle,  et  qua- 
rante ans  au  moins  aprèsl'invention  de  l'Opéra  en  Italie, 
les  Français  n'avaientencoreproduitaucundramelyrique; 
les  Italiens  avaient  bien  lait  connaître  ce  genre  de  pièces 
en  France,  mais  personne  n'osait  prendre  sur  soi  d'écrire 
un  opéra  français.  Il  paraît  pourtant  que  cela  tenait 
moins  a  l'impuissance  des  artistes  qu'à  cette  opinion  que 
la  langue  française  n'est  pas  musicale,  opinion  que  cent 
ans  plus  tard  J.-J.  Rousseau  soutint  avec  tout  le  feu  et 
tout  le  mordant  qui  le  caractérisaient.  Lors  de  l'origine 
de  l'opéra  en  Italie  ,  on  ne  connaissait  en  France  que  des 
ballets  dans  lesquels  la  danse  était  entremêlée  de  récits  , 
et  pour  lesquels  on  ne  s'assùjétissait  ni  aux  règles  du 
goût  ni  a  celles  de  l'art  dramatique.  Ce  fut  l'italien  Bal- 
thasarini,  connu  ausà  sous  le  nom  de  Beaujoyeux,  qui 
introduisit  les  premières  règles;  et  pour  reconnaître  un 
tel  service,  Catherine  de  Médicis  le  nomma  intendant 
de  sa  musique,  et  directeur  de  tous  les  ballets  ainsi  que 
de  toutes  les  représentations  théâtrales  a  la  cour.  Ce  fut 
ce  même  Ballhasarini  qui,  aidé  de  Baïf,  Ronsard  et  plu- 
sieurs autres,  mit  en  scène  ce  fameux  ballet  comique 
d'une  magnificence  si  vraiment  royale,  et  qui  coûta , 
dit-on,  plus  de  cent  mille  écus.  Le  premier  essai  d'un 
opéra  français  est  dû  a  l'abbé  Perriu  et  a  Cambert ,  orga- 
niste de  l'église  Saint-Honoré  à  Paris.  Le  premier  fit  les 
vers  d'une  pastorale  ayant  pour  titre  :  Pomone,  et  le  se- 


206 


GAZETTE  MLS1CALE 


cond  en  composa  la  musique.  Celte  tentalive  fut  cou- 
ronnée du  plus  brillant  succès;  le  poète  avait  prouvé 
que  les  Français  pouvaient  aussi  prétendre  à  avoir  un 
drame  lyrique;  et  la  musique  enchanta  tellement  le  pu- 
blic qu'on  crut  ne  pouvoir  comparer  les  mélodies  des 
flûtes  douces  qu'aux  chants  suaves  des  concurrens 
dans  les  jeux  olympiques.  Plus  laid,  Perrin  et  Carobert 
se  présentèrent  avec  leur  opéra  d' 'Ariane ,  et  dès  ce  mo- 
ment les  Italiens  ne  réussirent  plus  a  plaire  aux  Fran- 
çais avec  leurs  pièces  italiennes.  Perrin  obtinl  alors  la 
permission  d'établir  un  théâtre  public  destiné  a  l'opéra, 
et  il  s'installa  a  cet  effet  dans  la  salle  de  spcciacle  de  la 
rue  Mazarine.  Le  marqnis  de  Sourdeac  auquel  l'art  du 
machiniste  et  du  décorateur  est  redevable  des  plus  grands 
services,  ne  tarda  pas  à  se  faire  nommer  t'tulaire  de  ce 
privilège.  Perrin  fut  remplacé  comme  poète  du  théâtre 
par  Gilbert  qui  se  présenta  avec  une  pastorale  dont 
Lulli  avait  fait  la  musique.  Ce  fut  la  le  modeste  début 
de  ce  grand  compositeur  devenu  depuis  si  cé'èbre.  Le 
succès  inouï  qu'il  obtint ,  joint  à  la  rare  adresse  qui  le 
caractérisait,  le  plaça  bientôt  a  la  tête  du  théâtre  de 
l'Opéra.  Il  s'adjoignit  Quinault,  cl  en  167  2  il  donna 
son  premier  grand  opéra ,  les  Fêtes  de  /' Amour,  ou- 
vrage dans  lequel  Quinault  était  encore  loin  de  promet- 
tre ce  qu'il  devait  être  un  jour  comme  poète  Ijrico-dra- 
matique.  Lulli  travailla  constamment  avec  Quinault , 
et  il  s'engagea  a  lui  payer -4,000  livres  pour  chacun  des 
opéras  qu'il  écrirait  dans  l'espace  d'une  année.  Qui- 
nault accepta  ces  conditions,  mais  il  dut  se  soumettre  a 
un  soit  qui  n'était  rien  moins  qu'agréable.  Lulli  exer- 
çait sur  lui  une  tyrannie  perpétuelle,  et  les  beaux  ou- 
vrages de  Quinault  n'offrent  peut-être  pas  une  strophe, 
un  vers,  une  idée,  qui  n'aient  été  sévèrement  épluchés 
par  le  compositeur,  et  pour  lesquels  le  poète  ait  pu  se 
dispenser  d'obtenir  l'assentiment  du  musicien.  Tout  ce 
qu'écrivait  Quinault  il  devait  le  montrer  chaque  jour  a 
Lulli  qui  l'examinait  scène  par  scène.  De  son  côté,  Lulli 
étant  lui-même  un  grand  violoniste,  fut  obligé  de  se 
donner  beaucoup  de  mal  pour  mettre  les  musiciens  de 
son  orchestre  en  état  d'exccu'er  ses  œuvres.  Lulli  fut 
aussi  le  premier  compositeur  qui  introduisit  dans  la  mu- 
sique d'opéra  la  réunion  des  instrumens  a  vent  avec  les 
instiuinens  a  cordes  ;  avant  lui  les  instrumens  à  corde 
avaient  été  seuls  employés  pour  l'accompagnement. 

L'opéra  subit  encore  une  innovation  aussi  importante 
et  s'embellit  d'un  nouveau  charme,  lorsqu'en  1681  Lulli 
fit,  pour  la  première  fois,  paraître  des  danseuses  sur  le 
théâtre,  dans  la  représentation  de  son  opéra  :  le  Triom- 
phe de  F  Amour.  Ce  grand  maître  parcourut  toute  sa 
carrière  avec  autant  de  gloire  que  de  bonheur,  et  il  la 


termina  dignement  en  1686  par  l'opéra  d' Armide  qui 
passe  pour  son  meilleur  ouvrage.  Les  musiciens  les  plus 
distingués  qui  suivirent  pas  à  pas  la  route  tracée  par 
Lulli,  furent  Destouches,  Campra,  Monteclair  et  La- 
lande.  Ainsi,  pendant  tout  un  siècle,  Lulli,  représenté 
par  ses  élèves,  domina  sans  partage  la  scène  de  l'Opéra 
français.  En  1753,  Rameau  survint  avec  son  opéra 
A'JIippoljte  et  Aricie,  et  cet  ouvrage,  comme  en  géné- 
ral les  autres  compositions  du  même  maître,  produisit 
une  grande  sensation  dans  le  monde  musical.  Long- 
temps encore  les  partisans  de  Lulli  disputèrent  le  succès 
du  nouveau  venu;  on  opposait  les  opéras  de  Rameau  a 
Y  Armide,  a  YAtis,  et  aux  autres  ouvrage  de  Lulli,  et 
ces  derniers  étaient  encore  ceux  qui  attiraient  le  plus 
la  foule.  Mais  enfin,  par  la  création  de  Castor  etPallux, 
Rameau  s'assura  la  victoire,  et  désormais  il  put  régner 
sans  rivaux  sur  la  scène  lyrique,  comme  l'avait  fait  pré- 
cédemment Lulli.  Les  productions  de  Rameau  furent 
entendues  avec  un  tel  plaisir  qu'on  ne  pouvait  croire  a 
la  possibilité  de  composer  des  airs  plus  beaux ,  plus  rem- 
plis de  charme,  ou  des  chœurs  d'un  effet  plus  puissant; 
on  s'imaginait  sérieusement  que  les  ouvrages  de  Rameau 
avaient  poussé  l'art  jusque  dans  ses  limites  les  plus  re- 
culées. 

Cependant  les  Italiens  étaient  bien  loin  d'en  être 
restés  au  point  où  ils  étaient  parvenus  avec  Scarlatti; 
et,  comme  nous  le  verrons  lorsque  nous  revendrons 
a  eux,  ils  suivaient  avec  ardeur  et  succès  la  roule 
déjà  tracée.  A  l'époque  où  floiissait  Rameau,  des  chan- 
teurs Italiens  arrivèrent  a  Paris  ;  on  les  nomma  Bouffons, 
et  pendant  le  séjour  de  huit  mois  qu'ils  firent  parmi 
nous,  ils  exécutèrent  la  Sciva  Padrona,  de  Pergolèse  ;  // 
Partagio ,  de  Jomelli  ;  /  Fiaggiatoni ,  de  Léo  de  Vinci; 
et  la  pureté  de  ces  compositions,  la  douceur  et  la  simpli- 
cité des  mélodies,  qualités  souvent  réunies  chez  les 
divers  maîtres  a  la  vigueur  et  a  l'éclat ,  ne  tardèrent  pas 
a  effacer  les  ouvrages  de  Rameau  qui  ne  parurent  alors 
que  des  psalmodies  traînantes  bizarres  et  dépourvues  de 
grâces.  Ce  fut  le  signal  dtune  nouvelle  guerre.  Les  partis 
qui  jusque  là  avaient  [pris  fait  et  cause  pour  ou  contre 
Lulli  et  Piameau,  s'unirent  désormais  contre  l'ennemi 
commun  et  rombalirent  vaillamment  pro  aris  etfocis. 
Les  antagonistes  se  rassemblaient  chaque  soir  et  cher- 
chaient naturellement  à  tourner  en  ridicule  ce  qui  a\  aifpû 
plaire  dansle  camp  ennemi.  Bons  mots,  brochures,  pam- 
phlets, rien  n'y  manqua,  et  tout  cela  fit  un  feu  croisé 
qu'on  nourrit  très-vigoureusement  de  part  et  d'autre; 
mais  comme  ces  armes  furent  les  seules  qu'on  mit  en  usage, 
cette  guerre  n'eut  pas  de  très-grandes  conséquences  poul- 
ies progrès  de  l'ait.  Cependant  Rameau  triompha  encore 


une  fois  en  apparence;  les  bouffons  furent  congédiés  et 
quittèrent  Paris,  en  1753.  Mais  ce  n'était  qu'un  simu- 
lacre de  victoire;  les  partisans  de  la  musique  véritable- 
ment belle,  ceux  qui  se  distinguaient  par  la  pureté  de 
leur  goût;  ceux  qui  avaient  entendu  avec  transport  les 
productions  des  Galuppi,  des  Léo,  des  Pergolèse  et  des 
Jomelli,  ceux-là,  dis-je,  conservaient  h  ces  composi- 
teurs un  fidèle  souvenir.  Cette  vérité  fut  géuéralement 
sentie  et  se  manifesta  surtout  jusqu'à  l'évidence  lorsque 
Banian,  ayant  fait  des  paroles  françaises  sur  l'inimitable 
Serva  Padrona,  de  Pergolèse;  il  obtint  le  succès  le 
plus  franc  et  !e  plus  général.  C'est  ainsi  que  la  mélo- 
die et  le  [chant,  bannis  du  grand  opéra,  se  réfugiè- 
rent chez  le  joyeux  vaudeville  qui,  pendant  un  demi  - 
siècle,  et  alors  plus  que  jamais,  peut-être,  excita 
au  plus  haut  point  l'intérêt  des  amateurs  de  la  musique 
dramatique. 

Nous  louchons  h  l'époque  où  brillèrent  Ducis,  Phi- 
lidor  et  Monsigny,  les  véritables  fondateurs  de  l'Opéra - 
Comique  et  Grétrv  le  plus  grand-maître  de  cette  école. 
Le  Sorcier,  de  Philidor  obtint  une  telle  vogue  qu'a  la 
la  première  représentation  de  cet  ouvrage,  Philidor  fut 
appelé  a  venir  recevoir  les  applaudissemens  du  public  , 
distinction  que  ce  compositeur  partageait  seul  jusque 
alors  avec  Voltaire,  et  qui  n'avait  étéjusque-la  décernée 
it  aucun  maître  de  l'Italie. 


Nous  recevons  du  réélire  auteur  de  Montana  et  Stéphanie, 
la  lettre  suivante  ,  accompagnée  d'un  canon  énigmatiqiie,  que 
nos  abonnés  liront  avec  intérêt.  D'après  le  désir  de  M.  Berton  , 
nous  y  joignons  le  thème.  Dans  noire  numéro  prochain 
nous  donnerons  ce  canon  en  partition;  ce  sera  à  la  fois  un 
fac  simile  de  l'écriture  de  l'illustre  compositeur  et  le  mot  de 
cette  énigme  musicale. 

A  M-  le  Ocrant  de  la   Gazette  musicale. 
Monsieur, 

Comme  vous  avez  institué  votre  Gazelle  dans  le  but  utile  d'y 
traiter  toutes  les  questions  qui  se  rattachent  à  la  culture  de 
l'ait  musical,  j'ai  dû.  penser  quêtons  les  genres  décompositions 
pouvaient  y  trouver  place  ,  et  je  viens  vous  proposer  aujourd'hui 
d'insérer  dans  l'un  de  vos  numéros  ,  un  petit  Canon  énigma- 
tique  composé  pour  l'Album  de  mon  illustre  ami  Ckérubini. 

Je  sais  bien  qu'un  morceau  de  cette  espèce  a  peu  d'impor- 
tance ;  mais  cependant,  comme  on  n'a  pas  toujours  dédaigné 
d'insérer  des  jeux  d'esprit  de  cette  nature,  même  dans  les 
feuilles  littéraires  et  scientifiques  du  plus  haut  intérêt ,  je  crois 
qu'un  canon  énigmalique  ne  serait  pas  déplacé  dans  une 
Gazelle  telle  que  la  vôtre.  Au  surplus  ,  si  l'on  était  obligé  de 
s'excuser  auprès  de  quelques  lecteurs  un  peu  trop  sévères, 
d'avoir  fait  usage  d'un  semblable  badinage  harmonique,  on 
pourrait  rappeler  à  leur  mémoire  que  plusieurs  compositeurs 
et  surtout  les  plus  justement  célèhres  ,  ont  pris  souvent  plaisir 


a  de  tels  jeux;  que,  notamment,  l'immortel  Haydn  s'en  était 
fait  une  douée  habitude  ;  et  qu'il  aurait  eu  du  regret  à  se  voir 
contraint  de  passer  un  seul  jour  sans  composer  quelques  mor- 
ceaux de  ce  genre.  Les  murs  de  sa  maison  en  étaient  tapissés  , 
son  escalier ,  sa  salle  à  manger,  son  cabinet ,  sa  chambre  à 
coucher,  toute  son  habitation  en  était  ornée;  il  semblait  trouver 
une  douce  jouissance  dans  cette  espèce  de  repos,  de  délasse- 
ment qu'il  donnait  quotidiennement  aux  élans  de  «on  brillant 
génie!  Repos  simulé,  qui  sans  laisser  éteindre  entièrement  les 
sons  de  sa  divine  lyre ,  n'était  qu'un  prélude  aux  merveilles 
dont  'ce  prince  de  l'harmonie  sut  embellir  le  domaine  musi- 
ca'.  En  effet,  Haydn  n'a  pas  passé  un  seul  jour  de  sa  vie  sans 
composer  ,  et  même  sans  lire  ,  étudier  nos  auteurs  classiques  , 
surtout  l'histoire  de  la  musique  Del  padre  Martini,  et  cher- 
cher à  résoudre  les  problèmes  harmoniques  qui  abondent  dans 
ce  bel  ouvrage!  Cela,  peut-être,  étonnera  quelques  personnes  : 
un  musicien  aussi  habile!  un  génie  aussi  supérieur!  lire,  étu- 
dier!... O.i  pourrait  leur  faire  observer  que  toujours  les  plus 
savans.  les  plus  habiles  ,  sont  ceux  qui  croient  ne  pas  tout  sa- 
voir et  avoir  besoin  encore  de  beaucoup  apprendi  e.  Pour  nous 
c'est  là  le  cachet  du  vrai  mérite  ,  du  talent  réel  ;  téinxn  ,  Vol- 
taire, qui,  lisant  quelques  auteurs  anciens,  lut  surpris  dans  cette 
occupation  par  l'un  de  ses  amis,  qui ,  ne  pouvant  contenir  sa 
surprise, lui  dit  :  «  Comment,  l'ous,  Voltaire  ,  vous  le  savant 
des  savans,  vous,  le  savoir  incarné ,  vous  lisez!  — Oui, 
mon  ami,  répondit-il  ,  je  mets  du  bois  au  feu.  »  Haydi  en 
faisait  autant  et  nous  n'avous  pas  à  regretter  les  momens  que 
ces  deux  féconds  génies  ont  donnés  à  de  telles  distractions. 

Salicri,  l'élève,  l'ami  de  Gluck,  de  ce  père  de  la  tragédie 
lyrique  ,  avait  aussi ,  si  l'on  peut  s'exprimer  de  cette  manière  , 
la  monomanie  canonique  ,  qui  le  poursuivait  à  toute  heure, 
en  tous  lieux.  A  ce  sujet,  on  cite  encore  fort  souvent  à  Vienne, 
en  parlant  de  cet  habile  maître ,  le  trait  suivant  :  L'un  des 
plus  grands  seigneurs  de  la  cour  impériale,  recevant  à  dîner 
plusieurs  notabilités  étrangères,  et  voulant  jouir  du  plaisir  de 
leur  présenter  l'une  des  gloires  musicales  dont  s'honore  l'é- 
cole allemande,  invite  Salicri.  Le  jour  de  l'invitation  ar- 
rivé ,  Saliery  était  encore  à  son  piano ,  lorsque  l'horloge  de 
Saint-Eliennc  vient  l'avertir  qu'il  était  plus  que  temps  de  par- 
tir; il  s'arrache  à  ses  inspirations,  s'habille  à  la  hâte  ,  sort  de 
chez  lui,  s'achemine  vers  l'hôtel  du  grand  seigneur  et  y  entre. 
Mais ,  pendant  ce  temps ,  l'heure  voulue  ,  pour  servir  le  diuer , 
avait  sonné  et  le  ponctuel  maîlre-d'hôtcl  avait  fait  prévenir  son 
excellence  qu'elle  était  servie.  Monseigneur,  portant  ses  re- 
gards sur  la  foule  de  ses  nombreux  convives  ,  y  cherche  vaine- 
ment Salie  i;  alo-s  il  donne  l'ordre  que  l'on  s'enquière  du 
maestro;  on  vient  annoncer  que  le  suisse  l'a  vu  entrer,  mais 
qu'on  ne  sait  on  il  a  porté  ses  pas;  nouveaux  ordres  de  recher- 
ches; enfin  après  bien  du  soin  on  finit  par  découvrir  le  héros 
de  la  fêle  dans  l'embrasure  d'une  des  croisées  de  la  grande 
galerie,  un  genou  à  terre  et  écrivant  sur  l'autre  au  crayon, 
ouoi?  Un  canon. 

A  celle  nouvelle  ,  hilarité  générale;  Salicri  cuire  au  milieu 
de  ce  bruit  en  entonnant  son  canon  pour  toute  excuse. 

Monseigneur,  qui  était  un  dilettante  de  première  forée  , 
voyant  que  le  canon  avait  été  composé  en  L'honneur  de  ses  con- 
vives ,  s'empresse  ,  en  prenant  la  seconde  entrée  du  canon  ,  de 
joindre  sa  voix  à  celle  du  maestro,  qui  non-seulement  fut  ab- 
sous, mais  fêté  parla  compagnie,  comme  le  méritait  l'auteur 
de  Tarare,  des  Dan  aides ,   de  la  Grotte  de  Trophonius   et 


GAZETTE  MUSICALE 


d'un  grand  nombre  d'autres  ouvrages  -recoin  mandables  à  plus 
d'un  litre. 

Si  quelques  personnes  ont  le  désir  de  connaître  ce  qui  a  été 
composé  de  plus  remarquable  en  ce  genre;  elles  peuvent  d'a- 
bord consulter  l'ouvrage  que  nous  avons  déjà  ciléel  qui  a  pour 
litre  :  Sloria  délia  musica ,  per  Giam-Balista  'Martini  , 
édition  en  trois  volumes  ,  in-4°,  imprimée  à  Bologne,  en  1757. 
Elles  trouveront  des  canons  énigmatiques  de  différentes 
espèces.  Tous  les  carlouches  placés  au  commencement  ou  à 
la  fin  de  divers  chapitres  eu  sont  ornés  ;  les  problèmes 
qu'offrent  plusieurs  de  ces  canons  énigmatiques  restent  encore 
à  résoudre.  Cherubini  fut  un  des  premiers  qui  sut  pénétrer 
dans  les  détours  de  ce  labyrinthe  harmonique  ;  ce  fait  ne  doit 
étonner  personne;  un  tel  honneur  appartenait  de  droit  au 
maître  des  maîtres.  Je  pourrais  citer  encore  une  foule 
d'auteurs  qui  ont  produit  d'excellentes  compositions  en  ce 
genre,  mais  en  prononçant  le  nom  de  mon  ami,  je  sens 
qu'il  faut  revenir  au  motif  de  ma  lettre  qui  déjà  me  paraît 
un  peu  longue  ;  je  reviens  donc  à  mon  canon,  et  vous  le 
fais  parvenir  ;  si  vous  trouvez  bon  de  l'insérer  dans  l'un  de 
vos  numéros,  je  crois  qu'il  faut  d'abord  n'en  produire  que  le 
thème  ,  et,  par  sftite,  dans  l'un  des  numéros  suivans  ,  donner  le 
mot  de  l'énigme,  c'est  à  dire  le  canon  en  partition. 

CANON    ÉNIGMATIQTJE. 


3È3E 


F£ 


Faire     un 
-k-GL_,_/3_ 


non       e    -    ni  -  Etna- 


gH=f^^f^f^PT~~  -gHN»-j£: 


ti- que!  Mon    cher  Che  -  ru-bi  -   ni,     c'est  par 


3^gÉ 


-o- 


r^EFH 


3fe 


trop  dia  -  ho  -  li-que!  C'est  bon  pour  toi  qui  fais  la 
f>-    .   -19-     \tn 


\-fy  .     ^         n  •  s— 


A  tous      nos        ïrnnls 

n       (9 G- 


>anls,      nos       ma  -  1 1  n-s       en       11111    -    si    -   que! 

J'ai  l'honneur  d'être ,  monsieur,  avec  une  parfaite  considéra- 
lion, 

Le  Chevalier, 

H.  BERTON  , 

Membre  de  fin  lilut,  officier  de  la  Mtiop-d'Hanlft&r, 
Piofrsscur  nuCjm.eivatouc. 


—  On  nous  prie  d'insérer  la  note  suivante,  extraite 
du  Constitutionnel  du  9  septembre  : 

M.  Pierre  Erard,  dans  une  nouvelle  et  longue  note  adressée 
aux  journaux  ,  a  essayé  de  soutenir  sa  précédente  assertion  par 
laquelle  il  disputait  la  première  médailles  d'or  décernée  à 
M.  Pape  par  le  jury  de  cette  année.  Pour  justifier  ce  qu'il  avait 
avancé  ,  M.  P.  Erard  a  imaginé  de  dire  dans  cette  seconde  note 
que  s'il  n'avait  pas  reçu  cette  première  médaille  d'or,  c'est 
parce  que  le  jury  de  1834  avait  décidé  que  pour  économiser  le 
mêlai  on  ne  redonnerait  point  de  médailles  d'or  aux fabri- 
cans  qui  en  auraient  obtenu  aux  expositions  précédentes. 
L'explication  est  au  moins  bizarre ,  car  la  liste  des  récompenses 
décernées  prouve  évidemment  qu'à  cet  égard  le  jury  n'a  pas 
été  plus  économe  du  métal  tt  qu'il  n'a  pas  opéré  différemment 
cetle  année  que  lors  des  autres  expositions,  puisque  sept  fa- 
bricans  de  diverses  branches  d'industrie  qui,  en  1827,  avaient 
obtenu  des  médailles  d'or,  en  ont  encore  reçu  en  1834;  dans 
la  partie  des  instrumens  de  musique,  trois  fabricaus  ont  éga- 
lement obtenu  en  1834  des  médailles  pareilles  à  celles  qui  leur 
avaient  été  accordées  en  1827. 

On  sait  d'ailleurs  quelle  distance  met  le  jury  entre  une  nou- 
velle médaille  accordée  à  un  exposant  et  un  simple  rappel  ; 
l'une  constate  un  progrès,  l'autre  est  quelque  fois  un  témoi- 
gnage de  tolérance  et  d'égards. 

Après  avoir  vu  dans  la  liste  des  récompenses  publiée  au 
Moniteur,  M.  P.  Erard  porté  pour  rappel  de  la  médaille  d'or, 
il  devait  réclamer  pour  les  soutenir;  mais  ne  voulant  opposer 
que  des  faits  positifs  à  des  allégations  inexactes  ,  il  sollicitait 
avec  instances  la  publication  du  rapport  qui  devait  rétablir  les 
choses  dans  leur  entière  vérité,  lorsqu'à  paru  dans  le  Journal 
du  Commerce  du  25  août  un  document  qui,  évidemment,  est 
une  analyse  de  ce  rapport;  nous  en  citerons  ce  qui  concerne 
M.  Erard  et  M.  Pape,  après  avoir  expliqué  le  mode  d'après 
lequel  le  jury  a  opéré.  Deux  classifications  distinctes  ont  été 
établies  par  lui ,  savoir  :  le  son  et  le  mécanisme.  La  première 
médaille  était  destinée  au  piano  qui  réunirait  à  la  force,  à  la 
qualité  du  son  et  à  la  facilité  du  toucher,  un  mécanisme  simple 
et  solide;  c'est  sur  cetle  base  que  le  jury  a  îendu  sa  décision. 
«  Sous  le  point  de  vue  de  la  qualité  des  sons ,  mais  sous  ce  | 
«  point  de  vue  seulement ,  dit  l'analyse  que  nous  venons  de 
»  citer,  M.  Erard  ,  pour  les  pianos  à  queue  ,  a  été  placé  au  pre- 
»  mier  rang,  et  M.  Pape  a  été  placé  en  première  ligne  pour  ses 
«  pianos  de  nouvelle  construction.  Quant  à  la  construction , 
»  M.  P.  Erard  a  fait  usage  dans  ses  pianos  à  queue  du  méca- 
»  nisme  à  double  échappement  imaginé  par  son  oncle  Sébas- 
»  tien  Erard,  et  dont  l'emploi  permet  de  redoubler  la  note 
»  avant  que  la  touche  soit  entièrement  relevée.  On  peut  lui  re- 
»  piocher  d'être  d'une  complication  extrême  et  par  consé- 
»  quent  d'offrir  peu  de  chances  de  durée.  » 

Relativement  au  nouveau  mécanisme  de  M.  Pape ,  voici  com- 
ment s'exprime  le  même  document  : 

«  A  diverses  reprises,  on  avait  tenté,  mais  sans  succès,  de 
»  placer  le  mécanisme  des  marteaux  en  dessus  du  plan  des 
»  cordes,  au  lieu  de  le  placer  en  dessous,  comme  on  le  fait  ha- 
»  bituellement.  M.  Pape  ,  reconnaissant  combien  cette  wodifi- 
»  cation  serait  avantageuse ,  soit  pour  les  qualités  du  son  ,  soit 
»  pour  les  chances  de  durée  de  l'instrument,  a  adopté  ce  sys- 
»  tème  dans  ses  pianos,  et,  après  avoir  vaincu  de  nouvelles 
»  difficultés,  a  réussi  à  construire  un    mécanisme  en-dessus, 


)  nui  parait  remplir  lus  conditions  les  plus  favorables  au  jeu  de 
j  l'instrument.  Les  perfection nemens  important  et  les  modi- 

>  fications  1res  heureuses  introduites  par  JU.  Pape  dans  la 
i  construction  des  pianos,  paraissent  avoir  déterminé  la  cem- 

>  mission  à  lui  décerner  la  première  médaille  d'or. 

»  La  maison  Erard,  à  laquelle  il  avait  été  décerné  plusieurs 
'  médailles  d'er  aux  expositions  précédentes,  n'a  obtenu  ,  en 

■  1834  ,  que  le  rappel  de  cette  récompense;  nous  avons  qucl- 
i  ques  motifs  de  penser  qu'elle  aurait  obtenu  une  nouvelle  mé- 

■  daille  d'or,  si  une  plus  longue  expérience  eût  prononcé  sur 

>  la  durée  et  Ta  bonté  de  ses  pianos  à  queue. 

»  On  se  rappelle  que,  dans  le  discours  prononcé  à  l'occa- 
i  sion  de  la  distribution  des  médailles  ,  le  roi  a  annoncé  qu'aux 
i  récompenses  décernées  par  le  jury,  il  voulait  en  ajouter 
i  d'autres  qui  lui  fussent  personnelles.  Deux  des  e«posans 
i  dont  nous  venons  de  nous  occuper  ont  eu  part  à  ces  laveurs 
i  émanées  directement  de  la  royauté  ,  et  auxquelles  le  jury  est 
i  resté  complètement  étranger.  Ce  sont  MM.  Plcyel  et  Erard 

>  qui  ont  reçu  la  décoration  de  la  Légion-d'Ilonneur.  Ce  n'est 

>  donc  pas  sans  étonnemeut  qu'on  a  vu  une  note  cômmuui- 
i  quée  aux  journaux  avancer  que  M.  Erard  a  obtenu  la  pre- 
i  mière  récompense  ,  puisque  lia  première  médaille  d'or  a  été 
i  décernée  à  M.  Pape  par  le  jury,  qui  n'a  accordé  à  M.  Erard 
i  qu'un  simple  rappelas  cette  médaille...  » 


Revue  Critique. 

Variations  brillantes  pour  le  piano-forte,  sur  un  air 
suédois,  par  Jacques  Herzj  Op.  2-4.  Prix  :  7  fr. 
30  cent. 

Si  nous  sommes  bien  instruits  (et  nous  croyons  le  tenir  de 
bonne  source),  l'air  auquel  M.  Herz  donne  l'épilhète  de  sué- 
dois, est  un  air  allemand ,  généralement  connu  «  Herr  Bruder 
nimm  das  Glaeschen  »  ,  sauf  quelques  légers  changemens  à  la 
première  mesure  du  thème  et  à  la  troisième  de  la  ritournelle. 
L'introduction  est  presque  un  peu  trop  pompeuse,  et  on  ne 
peut  guères  l'appeler  qu'un  prélude,  puisque  l'on  n'y  trouve 
aucune  allusion  saillante  au  thème  :  le  tout  est  donc  un  agréa- 
ble assemblage  de  fragmens  sans  liaison  inlime,  mais  qui , 
comme  ou  dit  habituellement ,  est  d'un  bon  effet.  Le  thème 
est  très-bien  arrangé  :  seulement,  dans  l'avant-dernière  et  la 
dernière  mesures ,  nous  aurions  voulu  que  la  dernière  croche 
au  dessus  de  la  deuxième  partie  fût  un  sol ,  pour  éviter  la  sen- 
sation désagréable  qui  résulte  des  octaves  correspondantes 
entre  l'alto  et  le  ténor.  Nous  avons  été  particulièrement  satis- 
faits de  la  première  variation  :  tout-:.-fait  conçue  dans  l'esprit 
du  thème  et  d'un  caractère  original,  elle  est,  en  outre  ,  parfai- 
tement écrite.  Le  N°  3  est  brillant,  mais  il  n'a  rien  de  neuf  et 
l'on  n'y  Louve  pas  plus  de  traces  du  thème  que  dans  le  n°  3, 
qui  ne  laisse  d'ailleurs  rien  à  désirer  sous  lu  rapport  de  la 
forme  et  de  l'exécution.  Nous  avons  le  même  bien  à  dire  de 
l'audante,  et  nous  regrettons  seulement  que  le  compositeur  n'y 
ait  pas  un  peu  plus  rappelé  le  thème.  Le  finale  qui  suit  est 
d'un  caractère  gai  et  gracieux  j  il  est ,  comme  toute  l'œuvre, 
d'une  exécution  assez  difficile,  c'est  en  résumé  un  morceau 
brillapt  qui  produit  beaucoup  d'effet  dans  les  salons. 


Trois  Chants  a  quatre  voix  pour  deux  ténors  et  deux 
basses,  composés  par  Ferdinand  Lavainne.  Op.  15. 
Prix  :  4  fr. 

Le  compositeur  qui  nous  était  jusqu'ici  entièrement  inconnu, 
annonce  dans  ce  morceau  d'heureuses  dispositions  naturelles. 
Des  efforts  quelquefois  couronnés  de  succès  pour  être  neuf  et 
original ,  et  surtout  une  louable  tendance  à  renforcer  les  tour- 
nures harmoniques  ,  où  il  réussit  assez  bien.  Mais  d'un  autre 
côlé  ,  il  trahit  une  ignorance  absolue  du  style  sévère,  une  con- 
tinuelle négligence  des  règles  établies  pour  la  conduite  des  par- 
lies  de  chant,  pour  leur  disposition  artistique  ei,  caractéristique, 
et  enfin  pour  l'orthographie  musicale.  Nous  n'en  citerons  que 
les  exemples  suivans  mesure  \  à  5,  p.  1  ,  et  mesure  \  à  2,  p.  a, 
et  le  dernier  tact  du  même  numéro,  où  la  septième  monte,  ce 
que  nous  avons  déjà  remarqué  précédemment,  et  où  se  trouvent 
des  octaves  cachées,  entre  le  premier  ténor  et  la  basse.  Le  re 
dièze  dans  les  deux  dernières  mesures  du  premier  ténor,  doit 
être  mi  bémol.  La  fin  du  n°  8  est  ce  qui  nous  a  plu  davantage  ; 
l'auteur  y  laisse  apercevoir  de  véritables  dispositions. 


Grand  Rondo  brillant,  pour  le  piano,  par  Lavainne. 
Op.  9.  Prix  :  6  francs. 

Le  motif  principal  est  agiéable  et  brillant;  l'ensemble,  riche 
en  passages  sautillans  et  rapides,  interrompus  quelquefois  par 
des  idées  sans  liaisons,  et  où  l'on  trou\  e  plus  de  recherche  que 
d'intérêt  et  de  nouveauté.  Le  compositeur  paraît  bien  connaître 
lu  piano,  et  n'épargne  pas  les  difficultés  d'exécution.  Nous  tire- 
rons au  reste  de  ce  morceau  les  mêmes  conclusions  que  du  pré- 
cédent. 


Ouverture  pour  le  piano,  a  [quatre  mains,  par  La- 
vainne. Op.  ^0.  Prix  :  7  fr.  50  c. 

A  côlé  de  quelques  passages  qui  sont  d'anciennes  connais- 
sances ,  nous  en  rencontrons  qui  ne  manquent  pas  d'originalité, 
et  à  travers  beaucoup  de  bruit  ressortent  quelques  traits  ,  qui 
promettent  au  jeune  compositeur  un  avenir  dramatique,  quand 
il  aura  perfectionné  son  goût  et  son  sens  musical  par  de  bonnes 
études. 


Grande  Fantaisie  dramatique  pour  le  piano,  avec  ac- 
compagnement d'orchestre  (ad  libitum),  par  Lavainne. 
Op.  U. 

Cette  ouvrage  vient  à  l'appui  de  ce  que  nous  avons  déjà  dit 
de  M.  Lavainne.  On  y  trouve  une  telle  complication  de  traits, 
de  passages  et  de  cadences,  qu'il  y  a  de  quoi  faire  perdre  l'esprit 
plutôt  qu'acquérir  du  savoir.  Néanmoins,  nous  croyons  pou- 
voir présager  des  succès  à  l'auteur  s'il  renonce  à  quelques  mau- 
vaises habitudes  et  s'il  ne  néglige  rien  pour  s  initier,  par  des 
études  profondes,  aux  mystères  élevés  de  la  science  musicale. 


GAZETTE  MUSICALE  DE  PARIS. 


Fantaisie  pour  le  piano,  sur  un  thème  de  la  Révolte 
au  Sérail,  de  Labarre,  par  L.  An.cot.  Op.  43. 
Prix  :  6  francs. 

Nour  passons  sur  l'introduction  qui  n'est  point  ce  qu'elle  de- 
vrait être  ,  et  mérite  tout  au  plus  le  nom  de  prélude.  Quant  au 
thème,  il  est  excellent,  et  ne  pouvait  être  plus  heureusement 
choisi,  si  l'on  admet  eu  principe  qne,  moins  le  thème  a  d'éloffe, 
plus  il  est  inigniliant ,  dépourvu  d'harmonie  et  de  mélodie  ,  et 
plus  il  se  prête  à  être  varié,  laissant  à  l'auteur  plus  de  liberté 
pour  montrer  son  savoir  faire,  y  jeter  de  la  mé'odie  et  de  l'har- 
monie, et  animer  la  tristesse  du  thème  par  les  moindres  modi- 
fications rythmiques.  Un  pareil  thème  a  un  avantage  pour  le 
compositeur  consciencieux  ;  il  peut,  dès  la  seconde  variation, 
le  replonger  sans  scrupule  dans  l'oubli ,  pour  laisser  librement 
courir  ses  idées  sur  le  piano.  Les  variations  sont  du  reste  écrites 
avec  soin  et  correction  ,  et  prouvent  de  nouveau  que  M.  A  ncot 
connaît  son  instrument.  Nous  citons  comme  d'un  grand  effet 
et  remarquable  par  sa  fraîcheur  ,  le  final  que  M.  Ancot  a 
nommé  Mazourka. 


NOUVELLES. 

jj*^  Comme  nous  l'avions  annoncé  ,  M.  Mcyerbeer  est  parti 
pour  Boulogne.  Il  sera  de  retour  à  Paris  vers  la  fin  du  mois 
de  septembre. 

+%  La  première  représentation  du  nouveau  ballet  a  été  reculée 
encore  de  quelques  jours.  Un  effet  de  lumière  qui  exigeait 
quelques  réparations  dans  l'éclairage  au  gaz  est  la  cause  de  cet 
ajournement;  mais  M.  Véron  nous  promet  que  la  Tempête 
grondera  demain  lundi  dans  la  rue  Lepelletier. 

+*+  Le  Théâtre- Italien  ouvrira  le  i  d'octobre  ;  les  artistes  ar- 
rivent déjà  :  Tamburini ,  Mademoiselle  Schulz  sont  à  Paris,  et 
l'on  attend  aujourd'hui  même  Lablache,  Rubini  ■  et  made- 
moiselle Julie  Grisi;  avant  l'ouverture  celte  admirable  troupe 
sera  au  grand  complet. 

f**  Le  Chalet  de  Scribe  et  Adam  ne  sera  représenté  quejeurli 
à  l'Opéra-Comique.  Ce  retard  doit  être  attribué  au  voyage  des 
artistes  de  ce  théâtre  pour  Compiègne. 

+%  Le  Ballet  chinois  paraîtra  incessamment  a  u  Théâtre-Nau- 
tique. 

/*  L'opéra  italien  que  Bellini  compose  en  ce  moment  ,  est 
très-avancé  ;  il  ne  manque  plus  que  trois  ou  quatre  morceaux, 
et  ce  compositeur  espère  que  son  ouvrage  sera  représenté  à  Pa- 
ris dans  le  courant  de  décembre. 

S+.Valentinelnon  Valenline  est  le  titre  de  l'opéra  attribué  à 
MM.  Planard  et  Paul  Duport,el  dont  M.  Marliani  a  composé  la 
musique;  nous  croyons  savoir  de  bonne  source  qu'il  y  aura, 
ayant  la  première  représentation,  un  changement  de  titre  plus 
significatif  sur  le  sujet  de  celle  pièce  que  l'on  dit  intéressante. 

***  M.  Strunz  ,  auteur'  de  la  musique  duballet  de  Guillaume- 
Tell,  vient  de  partir  pour  l'Allemagne;  il  doil  ramener  à  Pa- 
ris des  chanteurs  et  des  chœurs  allemands.  On  dit  aussi  que  la 
mission  de  cet  arlisle  est  d'engager  pour  l'orchestre  des  ins- 
trumens  en  cuivre  qui  abondent,  en  Allemagne  et  surtout  en 
Autriche,  et  qui  sont  fort  rares  à  Paris. 

.  ***  Lulli,  devenu  célèbre  à  jamais  par  ses  compositions  mu- 
sicales ,  et  qui  fut  surintendant  de  la  musique  de  Louis  XIV , 
compte  encore  aujourd'hui  à  Paris  quelques  descendant  ;  ce 
sont  MM.  le  marquis  de  Dampierre  ,  pair  de  France,  son  frère 
le  comte  de  Dampierre  et  la  marquise  Dessoles,  leur  sœur;  c'est 
la  seule  branche  de  la  famille  du  Lulli,  qui  soit  venue  jusqu'à 
nous.  J     n 

*%  On  a  représenté,  il  y  a  quelques  semaines,  à  l'Opéra -An- 
glais de  Londres,  un  ouvrage  original  ;  c'est  un  événement  qui 


mérite  d'être  mentionné  à  cause  de  sa  rareté.  Le  compositeur 
s'appelle  Lee.  Il  a  obtenu  un  plein  succès.  La  pièce  a  pour  litre: 
l'Hôte  mort.  On  a  remarqué  epic  la  salle  était  pleine  d'éditeurs 
de  musique.  On  parle  aussi  avec  beaucoup  d'éloges  d'un  opéra 
de  John  Barnctt. ,  intitulé  :  le  Sylphe  de  la  montagne. 


Musique  nouvelle , 

Publiée  par  Maurice  ScLlesin6er. 

Bellini.  lYorma,  tragédie  lyrique  en  2  actes  ,  pour  piano  seul, 

avec  accompagnement  de  flûte  ou  de  violon  ad  libitum.  24  f. 

Gomis.  Le  Revenant,  arrangé   pour  deux  flûtes,  par  Strunz. 

7  fr.  50  c. 

—  L'Ouverture  du  même  opéra.  4  fr.  jfj  c. 
Adam.   Le  Proscrit,   arrangé  pour  deux  flûtes  ,  par  Strunz. 

7  fr.  50  c. 

—  L'Ouverture  du  même  opéra.  4  fr.  50  c. 

—  Le  même  opéra  arrangé  pour  deux  violons.  7  fr.  50  c. 

—  L  Ouverture  du  même  opéra.  4  fr.  50  c. 
Mereaux.   Fantaisie  brillante  pour  le  piano  ,  sur  la  Folle  de 

Grisard.  7  fr.  50  c. 

PuliliJe  pnr  Henri  Lemoiiie. 

Dejazet.  Fantaisie  pour  le  piano  ,   sur  la  Folle.  6  fr. 

Publiée  par  Truupenas. 

Herz.   Op.  76.   Variations  brillantes  de  Bravura,  sur  le   Pré- 
aux-Clercs, pour  piano  et  orchestre.       15  fr.  et  7  fr.  50  c. 

—  Variations  brillantes  sur  un  thème  de  Mathilde  de  Sha- 
hran.  7  fr.  5o  c. 

Kalkbrenner.  Mélange  sur  les  motifs  de  Lestocq.  6  fr. 

Adam.  Six  petils  Airs   tirés  de  Lestocq.  6  fr. 

Labarre.  Le  départ  de  la  jeune  fille ,  romance.  2  fr. 

Duver/ioi.  Variations  sur  la  rouile  de  Lestocq.  5  fr. 

Publiée  par  Paccini. 

flarîiani.  Il  Bravo,  opéra   en  3  actes,   partition    de   piano. 
Prix  net.  20  fr. 

—  L'ouverture,  les  cavatines,  duos  et  trios  de  cet  opéra,  dé- 
tachés. 


D'UN  GENRE  NOUVEAU. 

pour  la  MUSIQUE  INSTRUMENTALE  et  pour  les  PARTITIONS 

D'OPÉRA. 

L'Abonné  paiera  la  somme  de  00  fr.  ;  il  recevra  pendant 
l'année  deux  morceaux  de  Musique  instrumentale  ou  une 
partition  et  un  morceau  de  musique  ,  qu'il  aura  le  droit  de 
changer  trois  fois  par  semaine  ;  et  au  fur  et  à  mesure  qu'il 
trouvera  un  morceau  ou  une  partition  qu'il  lui  plaira,  dans  le 
nombre  de  ceux  qui  figurent  sur  mon  Catalogue ,  il  pourra  le 
garder  jusqu'à  ce  qu'il  en  ait  reçu  assez  pour  égaler  la  somme 
de  75  fr.,  prix  marqué,  et  que  l'on  donnera  à  chaque  abonné 
pour  les  5o  francs  payés  par  lui.  De  cette  manière  l'ABONNË 
aura  la  facilité  de  lire  autant  qnebon  lui  semblera,  en  dépensane 
cinquante  francs  par  année,  pour  lesquels  il  conservera  pour 
75  fr.  de  musique. 

L'abonnement  de  six  mois  est  de  3o  francs ,  pour  lesquels  on 
conservera  en  propriété  pour  45  fr.  de  musique.  Pour  trois  mois 
le  prix  est  de  20  fr.  ;  on  gardera  pour  ^o  fr.  de  musique.  En 
province  ,on  enverra  quatre  morceaux  à  la  fois.  Affranchir. 

N.  B.  Les  frais  de  transport  sont  au  compte  de  MM.  les 
Abonnés.  —  Chaque  abonné  est  tenu  d  avoir  un  carton 
pour  porter  ta  musique.  (Affranchir.) 

Gérant,  MAURICE  SCHLESINGER. 


GAZETTE   MUSICALE 


n°  38. 


PRIX  DE  l'aBONNEM. 

PARIS. 

DÉPART. 

ÉTBAKG 

fr. 

Fr.       r. 

Fr.      c. 

3  m.    8 

8     75 

9    50 

6m.  15 

16   50 

18     » 

<  an.  30 

33    » 

36    » 

€a  <&aztite  iïtusicaU'  *>*>  |3artg 
Paraît    le   DIMANCHE  de  chaque  semaine. 

On  s'abonne  au  bureau  de  la  Gazette  Musicale  de  Paris,  rue  Richelieu 
et  chez  tous  les  libraires  et  marchands  de  musique  de  France. 

Ou  reçoit   les  réclamations  des  personnes  qui  ont  des  griefs  à  exposer,  et  les  avis  relatifs  à  la 
qui  peuvent  intéresser  le  public. 


PARIS,  DIMANCHE  21;  SEPTEMBRE  1834. 


Les  letlres,  demandes 
et  envois  d'argent  doi- 
vent èlre  affranchis,  et 
adressés  au  Directeur , 
rue  Richelieu,  97. 


ACAr.rr.-iE  poï;ic  de   itcsiçvE. 

La  Tempête, 

Ballet  en  2  actes,  précédé  d'un  Prologue,  de  M.  Coraly  ,   musique  de 
M.  Schneïlzoëfftr,  décors  de  MM.  Ciceri,  Feuchères,  etc. 

J'ai  en  aversion  les  ballets;  je  pense  que  ce  spectacle, 
dans  lequel  les  gestes  sans  paroles  sont  les  seuls  inter- 
prètes de  la  pensée  (quand  pensée  il  y  a),  est  excessive- 
ment absurde ,  plus  absurde  cent  fois  qu'un  drame  parlé 
d'où  les  gestes  seraient  exclus.  On  n'a  jamais  songé  pour- 
tant a  introduire  sur  la  scène  un  pareil  mode  d'exécu- 
tion pour  les  poètes.  Si  on  voulait  en  faire  l'expérience, 
elle  serait  sans  succès  incontestablement.  Chacun  ne 
manquerait  pas  de  se  récrier  contre  cette  monstrueuse 
innovation  qui,  condamnant  les  acteurs  a  l'immobilité  , 
les  ferait  ressembler  aux  statues  des  dieux  du  paganisme, 
dont  les  traits  étaient  aussi  calmes  en  rendant  un  oracle 
terrible  que  lorsqu'ils  annonçaient  la  joie  et  le  bonheur. 
Pourquoi  nous  priver  de  l'expression  mimique,  si  puis- 
sante quand  elle  est  habilement  employée?  Voila  certes 
une  bien  sotte  idée,  dirait  aussitôt  le  public.  Pourquoi 
ùter  a  l'art  dramatique  l'un  de  ses  plus  grands  moyens 
d'action,  quand  on  {devrait  au  contraire  chercher  à  lui 
en  donner  de  nouveaux?  A  cela  que  trouverait-on  a  ré- 
pondre? Je  ne  le  vois  pas  trop.  Eh  bien,  nous  voyons  tous 
les  jours,  dans  un  genre  opposé ,  des  acteurs  se  dislo- 
quer les  bras,  s'exposer  a  des  luxations  de  la  colonne 
vertébrale,  se  défigurer  à  force  de  roulemens  d'yeux  et 
de  contorsions  ridicules,  pour  nous  faire  comprendre 
quelque  lieu  commun  dramatique.  Y  parviennent-ils,  au 
moins?  tant  de  pénibles  efforts  sont-ils  couronnés  de 
succès?  Si  peu, que  toutes  les  fois  qu'il  s'agit  d'une  idée 


d'où  l'intelligence  générale  de  la  pièce  dépend,  on  se 
voit  forcé  de  l'écrire  en  toutes  lettres  sur  quelque  tableau 
placé  bien  en  évidence,  où  les  spectateurs  peuvent  lire, 
comme  dans  la  Belle  au  Bois,  dormant  :  Elle  dormira 
cent  ans. 

Un  jeune  Arabe,  nouvellement  arrivé  a  Paris,  me 
disait  un  jour  :  v  Je  suis  allé  voir  jouer  les  muets ,  hier 
»  soir.  —  Les  muets  !  que  voulez-vous  dire?  —  Oui,  je 
m  suis  allé  a  l'Académie  Royale  de  Musique.  On  y  re- 
»  présentait  une  pièce  qui  m'a  un  peu  ennuyé,  parce 
»  que,  n'ayant  jamais  étudié  le  langage  des  signes,  je 
»  n'y  comprenais  presque  rien.  J'ai  été  surpris  de  la 
«  beauté  de  vos  femmes  muettes;  il  est  rare  que  ces 
»  êtres  incomplets  ne  joignent  pas  à  ce  défaut  quelque 
«  autre  infirmité  plus  ou  moins  apparente.  — Mais  je 
»  vous  jure  qu'il  n'y  a  pas  de  mueis  ni  surtout  de 
»  muettes  a  l'Opéra.  Placé  un  peu  plus  près  de  la 
»  scène ,  le  babil  immodéré  de  ces  dames  vous  eût  ras- 
»  sure,  beaucoup  plus  peut-être  que  vous  ne  l'eussiez 
»  désiré.  — Alors  pourquoi  les  acteurs  de  la  pièce  que  j'ai 
»  vue  ne  parlaient-ils  donc  pas?  —  Parce  que,  dans  ce 
»  genre  de  spectacle,  la  parole  est  prohibée.  —  Vous 
jj  vous  raillez  de  moi  ;  comment  croirai-je  jamais  qu'un 
»  peuple  aussi  avancé  en  civilisation  ,  aussi  spirituel 
»  que  le  peuple  français ,  adopte  comme  genre  spé- 
»  cial  une  aussi  énorme  bêtise.  Autant  vaudrait  me  dire 
»  que  vous  défendez  a  vos  littérateurs  d'employer  dans 
»  leurs  écrits  plus  d'un  certain  nombre  de  mots,  a 
»  l'exclusiou  du  reste  de  la  langue  ;  que  dans  certains 
»  théâtres  de  Paris ,  vous  avez  des  danseurs  qui  ne  doi- 
»  vent  danser  que  sur  un  pied ,  des  chanteurs  qui  n'em- 
»   ploient  que  six  notes  et  un  public  pour  applaudir  a 


302 


GAZETTE  MUSICALE 


»  cette  folle  mutilation  de  leurs  facultés!  a  On  voit  que 
mon  interlocuteur ,  quoique  fort  instruit  dans  la  lan- 
gue française,  n'avait  pas  encore  eu  le  temps  de  se  fa- 
çonner aux  habitudes  européennes  ;  il  demeura  persuadé 
que  je  plaisantais,  et  que  nous  ne  pouvions  être  assez 
déraisonnables  pour  prendre  plaisir  a  interdire  la  parole 
à  des  acteurs  qui  peuvent  parler.  Il  n'aura  sans  doute 
pas  tardé  à  trouver  dans  nos  arts  beaucoup  d'autres  dé- 
raisons, semblables  a  celle  qui  lui  avait  paru  incroyables 
au  premier  abord.  Quoi  qu'il  en  soit,  comme  nous  parta- 
geons sa  manière  de  voir  a  l'égard  des  ballets-panto- 
mimes ,  au  lieu  de  faire  une  critique  sérieuse  de  la  Tem- 
pête, nous  donnerons  seulement  l'historique  des  im- 
pressions du   public  a    cette    représentation. 

Beaucoup  de  places  étaient  vides  pendant  le  premier 
acte  de  Cortès  dont  le  ballet  était  précédé.  Les  fidèles  ad- 
mirateurs des  inspirations  de  Spontini  avaient  seuls  cru 
pouvoir  se  mettre  au-dessus  de  la  mode,  dont  le  caprice 
enjoint  aux  fashionables  de  ne  jamais  entendre  autre 
chose  que  la  pièce  nouvelle,  un  jour  de  première  repré- 
sentation. Ils  eussent  mieux  fait  cette  fois  de  se  con- 
former aux  usages  reçus.  Chacun  en  remontant  au  foyer 
s'indignait  du  gâchis  musical  qu'il  venait  d'entendre. 
Mademoiselle  Jawureck  a  chanté  Amazily  en  véritable 
Mexicaine.  Les  chœurs  toujours  en  arrière  du  temps  et 
au  dessous  du  ton  se  sont  montrés  les  dignes  compa- 
triotes de  la  sœur  de  ïelasco.  Les  danseurs  ne  s'étaient 
même  pas  donné  la  peine  de  prendre  les  cymbales  et 
tambours  dont  ils  doivent  se  servir  dans  la  scène  du  sa- 
crifice des  prisonniers;  c'était  d'un  sans  façon  dont  on 
voit  peu  d'exemples.  L'orchestre  seul  n'a  rien  eu  a  se 
reprocher. 

Enfin  le  ballet  a  commencé.  Le  Prologue  ,  où 
nous  avons  vu  une  brillante  cohue  de  coslnmrs  grecs 
et  turcs,  représente,  à  ce  que  dit  le  livret,  le  sac  d'une 
ville.  C'est  le  récit  de  Prospero,  dans  le  diame  de 
Shakespeare,  mis  en  action.  Cette  introduction  a  paru 
assez  ennuyeuse  et  dépourvue  d'originalité  ;  elle  offre 
beaucoup  de  poin'.s  de  ressemblance  avec  le  dernier  acte 
du  siège  de  Corinthe.  La  musique,  ayant  toujours  a 
peindre  des  scènes  de  carnage  et  d'horreur,  est  remplie 
d'effets  violens  dont  le  bruit  assourdit  et  fatigue.  Cepen- 
dant on  a  dû  remarquer  un  trait  de  tous  les  instrumens 
de  cuivre  en  octaves ,  d'une  grande  énergie  et  plusieurs 
passages  fort  gracieux  dans  le  chœur  chanté  derrière  la 
toile  pendant  l'introduction.  Au  premier  acte,  nous 
tommes  dans  l'île  enchantée.  Une  foule  de  génies  de 
l'air,  du  feu,  de  la  terre  et  des  eaux  entourent  Léa  (la 
Miranda  de  Shakespeare),  et  exécutent  aux  ordres  d'Obe- 
ron  (lePiospero  de  Shakespeare),  des  danses  assez  pitto- 


resques. Avec  autant  de  moyens  on  aurait  pu  cependant 
obtenir  de  plus  piquantes  combinaisons.  Lea-Mininda 
ne  s'intéresse  plus  guère  a  tous  ces  jeux;  Oberon-Pros- 
pero,  inquiet  de  sa  tristesse,  ordonne  aux  génies  d'aller 
chercher  les  plus  riches  produits  de  chacun  de  leurs 
domaines,  et  de  venir  les  déposer  aux  pieds  de  leur  jeune 
souveraine.  Lea  est  bientôt  environnée  de  rubis,  d'é- 
nKTaudes,  de  coquillages,  de  coraux  et  de  fleurs  ;  c'est 
a  en  perdre  la  vue,  tant  est  vif  le  scintillement  de  toutes 
ces  couleurs  variées.  La  jeune  fille,  un  instant  enchantée 
a  l'aspect  de  ces  merveilles,  examine  tout,  touche  a  tout, 
et,  guidée  par  son  instinct  féminin,  fait  un  choix  pour  se 
former  une  brillante  parure  ;  aussitôt  arrive  le  fatal , 
l'inévitable  miroir  où  elle  s'admire  en  minaudant  et  en 
levant  la  jambe  gauche,  comme  dans  la  Tentation, 
comme  dans  Psyché,  comme  partout.  On  ne  s'attendait 
pas  a  trouver,  en  1834-,  un  tel  lieu  commun  a  l'Opéra. 
Cette  diversion  aux  peines  secrètes  delà  jeune  fille  est 
de  courte  durée;  l'orchestre  joue  l'air  de  Richard  : 

«  Je  sens  mon  cœur  qui  bat ,  qui  bat ,  etc. 

Ce  qui  veut  dire,  pour  ceux  qui  connaissent  la  musique  et 
les  paroles  de  l'opéra  deGretry,que.yoft  cœurbat.  Oheron 
lui  demande  le  sujet  de  son  trouble(il  devrait  bien  le  sa- 
voir puisqu'il  est  sorcier);  et  pour  faire  comprendre  au 
public  la  réponse  de  Lea,  l'orchestre  aussitôt  déjouer 
l'air  du  page,  dans  le  Mariage  de  Figaro;  ce  qui  si- 
gnifie pour  ceux  qui  savent  par  cœur  la  musique  et  les 
paroles  de  l'opéra  de  Mozart,  qu'un  trouble  inconnu 
l'agite,  qu'elle  cherche  et  appelle  un  bonheur  inconnu , 
au-devant  duquel  son  cœur  s'élance  et  palpite.  Admira- 
ble éloquence  des  gestes  !  —  N'importe,  il  n'y  a  pas  de 
temps  a  perdre,  il  faut  la  marier  cette  jeune  fille;  Oberon 
pense  comme  nous,  et  fait  comprendre  sa  pensée  sans 
que  l'orchestre  ait  besoin  de  jouer  le  chœur  des  Danaï- 
des  :  Descends  des  deux ,  doux  Hjmênée;  est-ce  a  la 
vérité  de  la  pantomime  de  Montjoie  qu'il  faut  en  savoir 
gré,  ou  a  la  force  de  notre  pénétration?  Notre  modestie 
nous  empêche  de  prononcer  là-dessus.  Décidé  a  marier 
Lea,  Oberon  n'a  plus  qu'une  chose  à  faire  ,  c'est  de  lui 
trouver  un  mari.  Or,  il  n'y  a  point  d'hommes  dans  l'île, 
bien  que  tous  ces  génies  dont  elle  est  peuplée  aient  ab- 
solument les  traits  de  la  race  humaine.  Le  magicien  or- 
donne alors  au  gentil  Ariel,  dont  nous  n'avons  pas  en- 
core parlé,  quoiqu'il  lève  aussi  fort  bien  la  jambe  gau- 
che, de  rassembler  son  armée  aérienne,  d'exciter  une 
horrible  tempête,  et  de  faire  échouer  sur  le  rivage  un 
!  vaisseau  qui  porte  le  futur  époux  de  Lea.  Aussitôt,  les 
i  Sylphes,  les  Gnomes  et  les  Salamandres  se  mettent  a 
i  l'œuvre; 

Porto  nox  incubai  atra. 


DE  PARIS. 


303 


Les  vagues  s'enflent  et  mugissent  ;  l'éclair  fend  la 
mer,  etc.  (Je  vous  ferai  une  belle  description  de  tem- 
pête en  style  académique  une  autre  fois).  Grâce  a  la 
beauté  des  décors,  et  au  procédé  ingénieux  qui  repré- 
sente avec  le  plus  rare  bonheur  une  mer  furieuse,  le 
1  public  a  parfaitement  compris  de  quoi  il  s'agissait ,  sans 
que  l'orchestre  ait  fait  entendre  le  moindre  souvenir  de 
Pierrot  dans  le  Tableau  Parlant  : 

«  Les  vents  entre  eux  se  font  la  guerre  ; 
«  On  entend  gronder  ie  tonnerre.  » 

Le  vaisseau  échoue,  et  de  tous  les  passagers  et  mate- 
lots, Fernando,  aimable  et  beau  jeune  homme,  échappe 
seul  à  la  mort.  Il  aborde  dans  l'île,  sans  que  l'eau  salée 
ni  les  sables  paraissent  avoir  endommagé  le  moins  du 
monde  son  beau  costume  de  midshipman.  Lea,  laissée 
seule  a  dessein  par  Oberon  ,  aperçoit  l'élégant  nau- 
fragé; elle  l'aime,  il  l'aime,  ils  s'aiment.  Fernando  ne 
s'amuse  pas  à  jouer  aux  échecs  avec  sa  maîtresse,  comme 
dans  Shakespeare  ;  il  s'empresse  au  contraire  de  guider 
la  timide  inexpérience  de  la  jeune  vierge  vers  un  ber- 
ceau de  verdure,  où  ils  seront  plus  à  l'aise  pour  causer 

à  la  manière  des  pigeons  de   La  Fontaine «  Mon 

voyage  dépeint  vous  sera  a" un  plaisir  extrême.  »  Lea  se 
laisse  doucement  conduire;  a  peine  a-t-el!e  mis  le  pied 
sur  le  gazon  fleuri,  déjà  deux  clarinettes  roucoulent  à 
l'orchestre  le  duo  du  Prisonnier.  Les  habitués  de  l'O- 
péra-Comique et  quelques  autres  qui  savent  par  cœur  les 
paroles  et  la  musique  de  l'opéra  de  Pella-Maria  com- 
prennent aussitôt  que  cela  veut  dire  : 

Je  sens  mon  cœur  qui  palpite  ; 
Mon  cœur  palpite  en  tous  voyant. 

D'honneur,  je  commence  a  craindre  que  l'ingénue  ne 
meure  d'un  anévrisme,  car  voici  la  troisième  fois  au 
moins  que  nous  la  voyons  se  plaindre  de  palpitations. 
Oberon  intervient  fort  h  propos  pour  interrompre  la 
conversation  des  deux  amans.  Il  accueille  Fernando  ;  le 
bel  étranger  sera  l'époux  de  Lea;  mais  il  faut  qu'une 
épreuve  vienne  rassurer  Oberon  sur  la  sincérité  de  l'a- 
mour du  jeune  homme.  En  conséquence,  les  génies, 
conduits  par  Ariel,  endorment  Lea  sur  un  lit  de  fleurs, 
au  pied  duquel  Fernando,  vaincu  parle  même  charme, 
vient  bientôt  aussi  tomber  assoupi.  La  décoration  change; 
nous  retrouvons  les  deux  dormeurs  dans  la  même  situa- 
tion ;  le  lieu  de  la  scène  seul  est  changé.  Fernando  s'é- 
veille le  premier;  une  rose,  tombée  du  sein  de  sa  belle 
compagne ,  vient  rouler  a  ses  pieds  ;  il  la  ramasse  et  la 
couvre  de  baisers,  comme  dans  Mars  et  Vénus.  «  Ali  ! 
bon,  voila  la  rose,  »  se  sont  écriés  plusieurs  babitués  de 
l'Opéra.    Fernando   se  retourne,   au  soupir  que  laisse 


échapper  la  dormeuse  en  s'éveillaut.  0  surprise  !  ce  n'est 
pas  Lea  ;  une  beauté  inconnue  s'avance  aux  yeux  éblouis 
de  notre  héros.  C'est  la  fée  Alcine  (mademoiselle  Elsler), 
chargée  par  Oberon  de  faire  subir  au  futur  époux 
de  Léa  la  redoutable  épreuve.  La  ravissante  fée  n'é- 
pargne rien  pour  séduire.  Tendres  aveux  ,  sourires  cé- 
lestes, danse  inexprimable,  dangereux  enlacemcns, 
tout  est  mis  en  œuvre.  Mais  il  n'y  a  que  le  public  de 
séduit  ;  au  moment  où  Alcine  présente  à  Fernando  sa 
baguette  magique  en  signe  de  soumission  absolue,  la 
salle  a  retenti  d'une  trombe  de  bravos,  telle  que  n'en 
avait  peut-être  encore  jamais  entendu  la  danseuse  vien- 
noise, et  le  fidèle  Fernando,  usant  du  pouvoir  que  l'im- 
prudente fée  venait  lui  confier,  a  étendu  sa  baguette  et 
fait  disparaître  (l'ingrat!)  tt  la  belle  Alcine  et  toute  sa 
brillante  cour.  Le  voila  donc  sorti  vainqueur  de  l'é- 
preuve. Oberon  est  satisfait  ;  dans  une  magnifique  grotte 
de  stalacties  dont  l'entrée  donne  accès  aux  rayons  d'un 
soleil  éblouissant,  la  tendre  Lea  est  unie  a  son  amant, 
et  chacun  comprend  son  bonheur,  sans  que  (  ô  miracle 
delà  pantomime!)  l'orchestre  fasse  entendre  le  fameux 
duo  de  la  Vestale  : 

«  Sur  cet  aulc!  sacré  viens  recevoir  ma  foi.  >i 

Plaisanterie  à  part  ,  le  ballet  de  la  Tempête ,  bien 
qu'entaché  de  plusii  urs  lieux  communs ,  a  cependant  été 
monté  avec  un  soin  tout  particulier.  Le  luxe  de  la  mise 
en  scène  est  vraiment  royal  ;  plusieurs  effets  ,  entre  au- 
tres celui  de  la  mer  agitée,  dont  les  flots  viennent  se  bri- 
ser avec  fracas  sur  la  grève  qu'ils  couvrent  de  flocons 
d'écume  ,  et  l'illumination  lointaine  de  la  grotte  de  sta- 
lactites ,  ont  paru  aussi  nouveaux  qu'ingénieusement 
rendus  ;  en  outre ,  chacun  a  reconnu ,  dans  le  choix 
des  costumes,  le  goût  parfait  qui  caractérise  les  dessins 
de  M.  Duponchel.  La  musique  de  M.  Schneitzoeffer 
nous  a  semblé  remarquable  partout  où  le  compositeur  a 
pu  jouir  d'un  peu  de  liberté;  nous  lui  reprocherons  ce- 
pendant de  n'avoir  pas  assez  varié  les  moyens  vio'ens 
que  le  sujet  l'obligeait  a  employer  si  fréquemment.  Mais 
savons-nous  bien  s'il  lui  a  été  loisible  d'en  agir  autre- 
ment? Il  n'y  a  pas  de  tâche  plus  pénible  et  plus  ingrate 
â  la  fois  que  celle  imposée  nécessairement  au  composi- 
teur d'une  musique  de  ballet.  Quand  il  a  fini,  on  le  fait 
recommencer.  Est-il  content  d'un  morceau,  dont  il  a 
sagement  ménagé  la  conduite  et  le  développement,  le 
maître  chorégraphe  arrive,  il  faut  couper  ceci,  allonger 
cela  ,  supprimer  entièrement  une  période  ou  même  re- 
faire le  morceau.  Puis  aux  répétitions  les  danseurs  de- 
mandent une  autre  instrt.mentation,  quidestrombonnes, 
qui  de  la  grosse  caisse,  la  où  fauteur  avait  peut-être 
mis  des  flûtes  avec  un  accompagnement  en   pizzicato. 


304 


GAZETTE  MUSICALE 


Pauvre  compositeur!  Pour  un  homme  de  la  trempe  de 
ceux  que  les  chorégraphes  italiens  traînent  a  leur  suite, 
ee  rôle  d'esclave  n'a  rien  de  bien  difficile ,  il  est  le  seul 
auquel  il  soit  propre,  la  nature  l'a  façonné  tout  exprès; 
mais  quand  le  musicien  est  un  artiste  distingué,  comme 
M.  Schneitzoeffer ,  alors  il  faut  sincèrement  le  plaindre 
de  se  trouver  placé  dans  une  semblable  position  ;  elle  est 
affreuse. 


LE  PROTEE. 

Parmi  tant  de  feuilles  légères  qui  surgissent  de  toutes 
parts,  vrais  enfans  perdus  de  la  littérature  et  qu'un 
printemps  le  plus  souvent  voit  naîlre  et  mourir,  nous 
devons  en  excepter  toutefois  une  élégante  Revue  des 
modes,  recueil  tout  fashionable,  et  auquel  nous  prédi- 
sons un  succès  de  longue  durée  ;  le  3e  numéro  du  Protee 
qui  vient  de  paraître,  est  de  nature  a  ne  pas  donner  de 
démenti  à  nos  prévisions.  Les  noms  des  collaborateurs 
de  ce  journal  suffiraient  seuls  pourindiquer  la  place  qu'il  a 
droit  deprendreà  côté  de  la  RevuedeParis  et  delà  Re- 
vue des  Deux-Mondes.  Nous  mettrons  en  première  ligne 
dans  ce  numéro  un  article,  de  M.  Léon  Gorlian,  inti- 
tulé :  les  Deux  existences.  C'est  un  contraste  profond  et 
brillant  de  satire  amère  contre  le  siècle  et  de  sensibilité 
à  la  fois.  Michel  Raymond  n'a  pas  non  plus  démenti  sa 
belle  réputation  dans  son  article  intitulé:  Comment  sont 
fait  les  anges ,  dans  lequel  il  offre  un  tableau  de  sa  pro- 
pre jeunesse.  Madame  Dupin  occupe  dignement  sa  place 
entre  ces  deux  écrivains  distingués,  dans  sa  nouvelle  de 
Catherine  Pair.  N'oublions  pas  un  joli  article  de  modes 
qui  a  tout  l'attrait  d'une  féerie,  et  dont  nous  regrettons 
de  ne  pas  connaître  l'auteur,  qui  signe  par  les  initiales 

Élise  de  G Mais  ce  qui  entre  dans  notre  domaine  et 

nous  donne  droit  de  parler  du  Prote'e ,  c'est  la  romance 
que  M.  Berlioz  a  publiée  dans  le  dernier  numéro.  Cette 
légère  composition  a  fourni  au  musicien  une  nouvelle 
occasion  de  se  montrer  original  ;  tout  en  n'employant 
que  des  moyens  fort  simples ,  il  a  su  ,  par  la  vérité  pas- 
sionnée de  la  mélodie  et  par  une  harmonie  originale, 
sortir  tout-a-fait  de  la  route  battue  par  le  peuple  des  ro. 
manciers.  Les  gravures  de  modes  ne  sont  pas  non  plus 
de  celles  qui  traînent  dans  les  recueils  ordinaires  de  ce 
genre;  on  les  croirait  échappées  au  crayon  vraiment  ar- 
tiste de  Gavarni.  En  somme  :  voilà  une  livraison  com- 
plète. Les  prochaines  renfermeront  des  articles  de 
MM.  Louis  Desnoyers,  Léon  Gozean  ,  en  un  mot  de 
toute  l'élite  denotre  jeune  littérature. 


Correspondance. 

M.  Paganini  nous  communique  la  lettre  suivante  ,  adressée 
par  lui  au  Journal  des  Débats  : 

«  Monsieur  le  rédacteur ,  Le  singulier  moyen  employé  par 
votre  spirituel  feuilletonniste  ,  pour  m' engager  à  donner  un 
concert  au  bénéfice  des  pauvres,  m'oblige  de  répondre  a  cette 
attaque.  Depuis  plus  de  trois  mois  en  Fiance  je  n'ai  donné  au- 
cun concert;  ma  santé  délabrée  exige  le  plus  grand  repos,  et 
je  retourne  à  Gènes  ,  ma  patrie  ,  pour  y  passer  tout  le  temps 
nécessaire  à  mon  complet  rétablissement.  J'ai  donné  à  Paris 
deux  concerts  au  bénéfice  des  pauvres,  qui  a  le  droit  de  douter 
que  je  n'éprouverais  du  plaisir  à  eu  donner  un  troisième?  J'es- 
père que  vous  voudrez  donner  place  à  ces  lignes  dans  votre 
estimable  journal.  Nicolo  PAGANINI. 


Revue  Critique. 
FRÉDÉRIC    CHOPIN. 

La  ci  dabjem  la  mano,  varié  pour  le  piano,  avec 
ace.  d'orch.  (op.  2.  Prix  :  -15  f.,  \  2  f.,  et  7  f.  50c), 
et  CoNCERTopour  le  piano ,  avec  accompagnement 
d'orchestre  (op.  11.  Prix  :  24-  et  12  fr.) 

Il  est  difficile,  peut-être  même  impossible,  de  comparer  les 
créations  artistiques  de  deux  hommes  dont  le  mérite-peut  bien 
être  égal ,  quoiqu'il  se  manifeste  par  des  moyens  différens  ;  car 
dans  les  arts,  on  arrive  souvent  au  même  point  par  les  che- 
mins les  plus  opposés;  rien  au  contraire  de  plus  naturel  et  de 
plus  utile  que  de  comparer  entre  elles  les  œuvres  d'un  même 
artiste  prises  à  diverses  époques.  Un  tel  parallèle  devient  à  la 
fois  intéressant  et  instructif,  non-seulement  pour  nous-mêmes, 
mais  encore  pour  l'artiste;  car  il  y  trouve  sa  récompense  la 
plus  belle  et  la  plus  légitime.  Il  y  puise  la  conviction  encoura- 
geante qu'il  est  dans  la  voie  du  progrès ,  et  ces  leçons  de  per- 
sévérance qui  lui  enseignent  que,  pour  atteindre  le  but,  il  ne 
suffit  pas  d'un  élan,  mais  qu'il  faut  les  efforts  successifs  d'une 
vie  entière. 

Le  premier  des  deux  œuvres  que  nous  venons  d'indiquer  a 
élé  le  début  heureux  et  brillant  de  M.  Chopin  dans  la  carrière 
musicale;  et  peu  d'années  se  sont  écoulées  entre  la  création  de 
cet  œuvre  et  celle  du  concerto.  Nous  devons  ranger  cet  artiste 
parmile  petitnombrede  génies  favorisésqui,  le  but  toujours  de- 
vant les  yeux ,  marchent  avec  autant  de  force  que  de  hardiesse, 
sans  s'inquiéter  de  ce  que  fait  la  foule  autour  d'eux,  de  ce 
qu'elle  désire,  de  ce  qui  est  son  besoin  ou  sa  mode.  Essayons 
de  le  suivre  dans  sa  course  d'un  regard  observateur,  mais  ami  ; 
un  homme  comme  lui  ne  doit  pas  plus  être  blessé  par  nos 
scrupules  qu'ébloui  par  notre  admiration. 

Le  premier  des  deux  œuvres  dont  nous  avons  à  nous  occu- 
per nous  paraît  porter  l'empreinte  des  circonstances  où  se  trou- 
vait alors  l'auteur.  M.  Chopin  qui  avait  fait,  à  Varsovie,  son 
éducation  sous  les  yeux  de  ses  parens ,  arriva  vers  1829  à 
Vienne,  ancienne  et  célèbre  capitale  du  monde  musical;  là  se 
conservait  tout  vivant  encore  le  souvenir  du  plus  grand  et  du 
plus  populaire  des  maîtres  de  la  musique  ,  de  ce  Mozart,  aussi 
cher  aux  profanes,  qu'aux  artistes  eux-mêmes  ;  et  rien  de   plus 


305 


naturel  pour  le  jeune  arliste  que  la  tentation  de  s'appuyer ,  à 
son  preriùer  pas  dans  la  carrière,  sur  une  des  plus  belles  mélo- 
dies de  ce  divin  créateur;  à  cette  époque  brillaient  sur  les  élé- 
gans  pianos  de  la  haute  comme  de  la  moyenne  société  les  noms 
de  Czerny  ,  Moschelès,  Kalkbrenner,  Herz  ,  attachés  à  de  ri- 
ches recueils  de  variations  ,  et ,  pour  être  admis  comme  par 
grâce  dans  le  cercle  de  ces  privilégiés,  M.  Chopin  se  vit  en 
quelque  sorte  forcé  à  écrire  aussi,  lui,  des  variations,  à  égaler,  à 
surpasser  même,  s'il  était  possible  ,  tout  ce  bruit  dont  la  foule 
était  enivrée. 

Si  nous  ne  regardons  que  l'introduction  de  son  morceau  ,  il 
n'y  a  point  d'égalité  entre  lui  et  ses  prédécesseurs,  car  il  an- 
nonce déjà  la  supériorité  de  sa  nature  artistique  avec  autant  de 
précision  que  de  bonheur;  et  sauf  quelques  passages  où  il  laisse 
percer  une  certaine  prétention,  il  se  maintient  dans  les  limites 
de  la  vérité  et  du  naturel.  Cette  introduction  commence  par 
une  petite  phrase  qui  nous  fait  pressentir  d'utic  manière  adroite 
et  ingénieuse  le  principal  dessin  du  thème  ;  à  cette  phrase  exé- 
cutée par  le  quatuor,  suceède  bientôt  un  solo  de  piano  dont  les 
traits  gracieux  et  neufs  ,  brillans  et  parfois  audacieux  ,  dont  les 
combinaisons  harmoniques,  aussi  bien  conduites  qu'originales 
nous  annoncent  un  génie  qui  envisage  l'arl  d'un  point  de  vue 
très-élevé,  mais  n'ose  encore  s'affranchir  entièrement  des  for- 
mes conventionnelles  qui  lui  sont  désormais  inutiles.  L'accom- 
pagnement se  fait  d'abord  en  longues  notes  par  le  quatuor,  et 
de  temps  en  temps  seulement  les  inslrumens  à  vent  font  ré- 
sonner les  quatre  premières  notes  du  thème  ;  plus  lard  se  dé- 
veloppe avec  vigueur  la  pensée  principale,  en  même  temps 
que  la  partie  solo  s'accroît  dans  la  même  proportion  en  mélo- 
dies originales,  brillantes  et  difficiles.  Un  passage  surtout  nous 
paraît  mériter  une  attention  particulière,  c'est  celui  qui  com- 
mence avec  la  cinquième  page  ;  on  ne  manquera  pas  ,  an  pre- 
mier aspect,  de  le  trouver  bizarre,  tant  sous  le  rapport  de  la 
construction  rhylhmique  que  sous  celui  du  doigté  prescrit  ;  et 
pourtant  il  n'en  est  pas  ainsi  ;  le  doigté  en  est  au  conl  raire  ha- 
bilenientcalciilé,et  la  construction  rhylhmique  dans  le  meilleur 
ordre  ,  quoiqu'il  soit  difficile  à  saisir.  Les  doubles  croches  syn- 
copées rendent  nécessaire  la  division  en  triples  croches  ;  et , 
pour  faciliter  celte  division  à  l'exécutant,  M.  Chopin  prescrit 
deux  doigts  pour  chaque  double  croche;  le  changement  de  ces 
deux  doigls  peut  justement  se  faire  dans  le  temps  qu'exige  la 
valeur  des  triples  croclies,  et  de  celte  manière  est  rendue  facile 
l'exécution  d'un  passage  qui  serait  impraticable  avec  tout  autre 
moyen.  Ce  même  passage,  à  peu  dp  chose  près,  revient  deux 
mesures  plus  loin;  mais  nous  y  remarquons  une  faute  d'im- 
pression qui  pourrait  rendre  son  exécution  très-difficile  :  le 
dernier  ut  est  de  trop. 

Si  nous  trouvons  très-bien  arrangée  pour  le  piano  la  gra- 
cieuse mélodie  du  thème ,  nous  ne  pouvons  nier  cependant  que 
la  pensée  des  deux  premières  mesures  ne  soit  trop  souvent  ré- 
pétée; peut-être  M.  Chopin  aurait-il  dû  réduire  tout  le  thème 
à  seize  ou  vingt  mesures,  comme  il  l'a  fait  dans  la  variation 
qui  suit. 

La  première  variation  est  on  ne  peut  plus  remarquable. Tout 
entier  à  quatre  parties  et  en  triolets  qui  pourtant  laissent  le 
ihême  ressortir  au  moyen  des  doigts  qui  restent  libres  ,  tantôt 
dans  une  main,  tantôt  dans  l'autre,  ce  morceau  présente  un 
intérêt  si  varié  et  des  effets  si  neufs  ,  que  nous  n'hésitons  pas  à 
le  regarder  comme  un  des  meilleurs  du  genre. 

Nous  donnerons  moins  d'éloges  à  la  variation   suivante  qui 


roule  entièrement  sur  des  triples  croches  en  unissons  pour  les 
deux  mains ,  accompagnées  pizzicato  par  le  quatuor  ;  bien  que 
l'ensemble  produise  un  très-grand  effet,  et  que  l'auteur  y  ait 
jeté  des  difficultés  d'exécution  ,  la  forme  en  est  cependant  un 
peu  vieillie. 

La  troisième  variation  est,  selon  l'usage,  calculée  pour  la 
main  gauche  qui  se  promène  dans  toutes  les  régions  de  la 
basse,  exécutant  des  roulades  difficiles,  pendant  que  la  main 
droite  fait  entendre  le  thème  quelquefois  orné  de  petits  traits 
assez  agréables.  Quoique  cette  variation  soit  dans  le  style  ordi- 
naire, M.  Chopin nesemontrepourtantjamaisconimun  ou  plat. 
La  quatrième  se  compose  de  sauts  très-difficiles  pour  les 
deux  mains ,  et  rappelle  assez  bien  le  thème  dans  la  partie  su- 
périeure. 

Mais  c'est  dans  l'adagio  qui  suit  que  le  composileur  déploie 
surtout  une  sensibilité  à  la  fois  tendre  et  énergique  ;  si,  pour 
nous  ,  ce  n'est  pas  un  tableau  achevé  dans  tous  ses  détails ,  ou 
qui  développe  dans  son  ensemble  tout  un  sentiment,  nous  y 
voyons  cependant  une  esquisse  spirituelle,  animée  par  d'agréa- 
bles souvenirs  du  thème. 

Quant  au  finale  alla  polacca  ,  nous  ne  connaissons  rien  de 
plus  brillant ,  et ,  parmi  les  nombreux  traits  de  génie  dont  il 
est  rempli,  nous  citerons  le  passage  de  la  page  20  (8e  mesure), 
charmant  et  savant  à  la  fois,  et  toute  la  fin,  à  partir  de  la 
page  23  ;  ce  n'est  pas  un  bruit  forcé  comme  on  nous  en  fait  en- 
tendre ordinairement  à  la  fin  d'un  morceau  ;  c'est  l'entier  déve- 
loppement d'une  pensée  qui  depuis  long-temps  occupe  l'ima- 
gination de  l'artiste,  et  qui  éclate  enfin  dans  toute  son  énergie. 
Dans  un  concerto,  de  même  que  dans  tout  autre  morceau  dont 
la  forme  est  réglée  par  de  certaines  conventions,  le  génie  du 
compositeur  sent  son  indépendance  enchaînée  par  la  tyrannie 
delà  mode;  car  c'est  une  règle  depuis  long-temps  adoptée  qu'un 
concerto  se  compose  d'un  premier  morceau  principal,  d'un 
adagio  et  d'un  finale.  Nous  sommes  loin  pourtant  de  vouloir 
reprocher  à  M.  Chopin  de  s'être  soumis  au  joug  d'un  tel  usage: 
d'abord  il  doit  son  origine  à  une  pensée  tout  à-fait  artistique  : 
que  par  exemple,  l'idée  fondamentale  qui  doit  être  représen- 
tée par  le  premier  morceau  soit  la  douleur  avec  ses  angoisses 
et  ses  déchircmens;  n'est-il  pas  bien  que,  succédant  au  mou- 
vemens  tumultueux  du  désespoir,  Y  adagio  vienne,  par  un 
doux  attendrissement,  replacer  l'amedans  un  état  de  calme  et 
de  sérénité,  pour  qu'elle  se  trouve  ensuite  ,  dans  un  rondo  vif 
et  léger ,  entraînée  à  des  idées  de  gaieté  et  de  bonheur  ?  — 
D'autre  part ,  le  génie  de  l'artiste  créateur  ne  saurait  se  trouver 
entravé  par  un  plan  tracé  dans  un  sens  aussi  large.  Le  joug  de 
la  routine  élait  bien  autrement  pesant  lorsqu'elle  prescrivait  à 
l'artiste  le  ton  dans  lequel  il  devait  moduler,  et  le  nombre  de 
tonalités  qu'il  lui  était  permis  d'employer  dans  son  ouvrage  : 
régime  étroit  et  desséchant  auquel  Haydn  consentit  encore  à  se 
soumettre  ,  que  Mozart  et  surtout  Beethoven  repoussèrent 
avec  autant  de  bonheur  que  de  raison,  et  dont  le  véritable  ar- 
tiste doit  s'affranchir  ainsi  que  de  toutes  les  entraves  opposées 
au  génie;  car  sans  uuc  liberté  entière,  point  de  prospérité 
pour  l'art.  Nous  félicitons  M.  Chopin  de  ce  qu'il  est  franche- 
ment entré  dans  cette  voie  régénératrice  ,  en  composant  l'ou- 
vrage dont  nous  allons  essayer  de  donner  l'analyse. 

L'orchestre  débute  ,  allegro  maëstoso  ,  par  un  motif  que  sa 
franchise,  jointe  à  une  force  et  à  une  richesse  d'harmonie  peu 
communes,  destiné  à  produire  une  impression  vive  et  à  faire 
pressentir  tous  ce  que  le  génie  peut  enfanter  de   grand   et   de 


GAZETTE  MLStCALE 


beau.  Les  combinaisons  harmoniques  les  plus  distinguées  -vien- 
nent,  dès  ce  début,  frapper  noire  oreille  ,  sans  que  pourtant 
l'auteur  puisse  être  accusé  de  prétention  ou  de  recher.  he.  Puis, 
toujours  dans  le  ton  principal,  qui  est  mi-mineur,  commence 
un  chant  qui  forme  avec  le  premier  motif  un  contraste  agréa- 
ble, quoique  sans  rompre  l'uniformité  de  l'ensemble,  et  de- 
vient plus  tard  d'un  grand  effet  en  s'élevanl  jusqu'au^orto- 
simo ,  accompagné  dans  les  basses  par  une  imitation  de  l'é- 
nergique pensée  dont  nous  avons  parlé.  Arrivé  sur  la  dominante 
du  ton  principal,  le  compositeur  nous  conduit  par  une  tran- 
sition gracieuse ,  écrite  avec  art  et  délicatesse  ,  à  un  cantabile 
en  mi-majeur,  amené  naturellement,  et  qui,  dans  sa  belle 
simplicité  ,  se  rattache  intimement  à  tout  ce  qui  a  précédé.  Ce 
cantabile  est  d'abord  exécuté  par  le  quatuor  auquel ,  peu  à 
peu,  se  joint  tout  l'orchestre;  et  à  peine  s'est-il  développé  dans 
un  énergique  fortissimo  ,  que  les  basses  reprennent  spontané- 
ment, avec  le  plus  grand  effet  le  premier  trait  principal  en  ut 
pour  nous  ramener,  par  un  pianissimo  gradué,  au  ton  de  mi- 
mineur  dans  lequel  s'annonce  enfin  le  premier  solo. 

Cette  introduction  porte,  comme  on  le  voit,  dans  la  pensée 
et  dans  l'exécution  ,  l'empreinte  d'un  maître  ;  elle  est  l'expo- 
sition bien  tracée  de  tout  le  premier  morceau  ;  de  notes  para- 
sites, aucune;  rien  de  vague,  d'oiseux  ;  rien  qui  n'ait  un  sens 
bien  positif. 

Plein  de  vigueur  et  d'éclat,  le  solo  commence  avec  le  même 
motif  que  l'introduction;  bientôt  s'y  joint  le  chant  que  nous 
avons  déjà  fait  remarquer,  élégamment  orné  d'abord,  comme 
solo,  développé  ensuite  dans  un  passage  admirable  comme 
tous  ceux-  de  M.  Chopin  qui  ont  en  effet  pour  caractère 
éminemment  disliuclif  :  d'allier  la  richesse  de  l'harmonie, 
à  une  mélodie  originale  et  de  partager  entre  les  deux  mains 
une  tâche  parfois  pénib'eau  lieu  d'en  fatiguer  une  seule  par  des 
courses  longues  et  précipitées.  Ces  passages  sont  d'une  exécu- 
tion d'autant  plus  difficile  qu'ils  n'ont  aucun  point  de  ressem- 
blance avec  ceux  que  l'on  rencontre  ordinairement  dans  les 
œuvres  des  autres  compositeurs. 

Vient  enfin ,  comme  dans  l'introduction,  le  cantabile  en 
mi-majeur,  exposé  par  le  piano  d'abord ,  dans  toute  sa  simpli- 
cité, accompagné  ensuite  par  le  quatuor,  puis  se  développant 
de  la  manière  la  plus  brillante ,  tandis  que  tout  l'opeliestre  exé- 
cute un  accompagnemeut  remarquable  par  ses  difficultés  et 
par  ses  merveilleuses  combinaisons.  Ici  un  tutti  puissant  in- 
terrompt le  premier  solo  pour  amener  le  dernier  des  motifs 
annoncés  par  l'introduction,  d'abord  en  ut  et  bientôt  après  en 
mi-mineur. 

Ce  deuxième  solo  présente  les  plus  grandes  difficultés  ;  il 
peut  être  regardé  comme  ce  qui  a  jamais  été  écrit  de  plus  dis- 
tingué, sous  le  rapport  du  plan  et  de  la  sage  coordination  de 
toutes  les  parties.  Dans  le  mouvement  le  plus  compliqué  des 
passages  solos,  toujours  la  plus  grande  clarté  et  toujours  un 
orchestre  qui  nous  rappelle,  comme  de  loin,  de  doux  souve- 
nirs de  la  mélodie  principale,  espèce  de  fil  conducteur  à  tra- 
vers ce  dédale  des  riches  fantaisies  d'une  imagination  exallée. 

C'est  I'orch-  stre  qui  ressaisit  la  première  pensée  pour  con- 
duire à  la  seconde  qui  reparait  en  partie  avec  de  nouvelles  va- 
riations; le  cantabile  revient  encore  dans  toute  sa  grâce  et 
nous  amène  à  de  brillans  passages  toujours  ingénieux  et  d'un 
grand  effet ,  avec  lesquels  le  mon  eau  arrive  à  sa  fin. 

La  seule  observation  que  nous  ayons  à  faire  repose  sur  un 
défait  qui   se  rencontre  ordinairement  ('ans  les   créations   des 


jeunes  artistes  que  la  nature  et  l'étude  ont  richement  doués  : 
partout  surabondance  de  bien  ;  que  le  génie  de  l'auteur  soit 
moins  prodigue,  qu'il  se  tienne  un  peu  plus  près  de  la  ligne 
ordinaire,  qu'il  se  montre  plus  calme,  plus  simple,  plus  fa- 
cile, plus  court,  et  nous  garantissons  qu'il  ajoutera  encore  à 
la  reconnaissance  des  élèves  et  à  l'admiration  des  maîtres. 
Point  de  course  durables,  si  elle  franchi  tout  d'abord  les  limites, 
si  elle  ne  se  soumet  aux  lois  d'une  gradation  naturelle.  Pourquoi 
perdre  sa  tète  dans  les  nuages?  ut  suffit  il  pas  de  l'élever  au- 
dessus  de  toutes  les  autres? 

M.  Chopin  nous  donne,  comme  adagio,  une  romance  qui, 
après  quelques  mesures  de  l'orchestre,  devient  solo  de  piano, 
et  dont  la  ravissante  simplicité  ,  repose  doucement  l'âme 
agitée  par  le  premier  morceau  si  énergique  et  si  animé.  Son 
motif  te  développe,  sous  un  accompagnement  très-caractéris- 
tique de  l'orchestre  ,  dans  des  espèces  de  variations  ,  qui  exi- 
gent de  la  part  de  l'exécutant  une  intelligence  si  profonde 
que  nous  les  regardons  comme  d'une  exécution  exlraordinai- 
remrnt  difficile.  Ces',  ici  surtout  que  l'auteur  fait  preuve  d'un 
génie  richement  inventif:  une  même  pensée  reproduite  pen- 
dant sept  pages  ,  toujours  neuve  et  intéressante  et  sans  sortir 
un  instant  du  caractère  dominant! 

Dans  le  final  vivace,  quelques  accords  énergiques  de  l'or- 
chestre servent  d'introduction  à  un  motif  gracieux  et  gai  en 
mi  majeur  exécuté  par  le  piano  solo;  ce  qui  nous  a  paru  sur- 
tout mériter  l'attention  par  une  naïveté  tout  originale,  ce 
sont  les  rentrées  qui  arrivent  toujours  si  inattendues  qu'elles 
donnent  à  l'ensemble  un  charme  indescriptible.  Il  faut  louer 
aussi  le  travail  de  l'orchestre  et  surtout  cène  facture  caractéris- 
tique par  laquelle  il  contribue  si  puissamment  à  faire  ressortir 
les  pensées  principales.  Le  second  solo  est  très-bien  d'inven- 
tion,  mais  aussi  très-difficile;  il  amène  ,  pages  3iet34,  un 
épisode  intéressant  à  côté  duquel  l'orchestre  produit  des  effets 
merveilleux,  par  une  vigueur  rhylmique  dont  l'originalité  se 
soutient  constamment. 

Si  nous  avons  maintenant  a  émettre  notre  opinion  difinitive 
sur  deux  œuvres  composés  à  un  intervalle  de  quelques  années, 
nous  dirons  que,  dans  le  premier,  M.  Chopin  Jetait  annoncé 
déjà  comme  un  artiste  distingué,  qu'il  y  avait  marqué  avec 
précision  la  nature  de  son  génie,  mais  qu'il  a  dépassé  de  bien 
loin  dans  le  second  toutes  les  espérances  qu'on  avait  dû 
raisonnablement  concevoir.  M.  Chopin,  soit  dans  le  méca- 
nisme de  l'art  du  piano,  soit  dans  la  poésie  musicale  ,  s'est  élevé 
au-dessus  de  tous  ses  contemporains,  graceà  l'instruction  qu'il 
a  puisée  dans  leurs  glorieux  travaux,  mais  surtout  grâce  à  la 
nature  qui  nous  a  donné  en  lui  un  de  ses  enfans  privilégiés. 
Puisse-t-il  continuer,  comme  nous  le  désirons,  comme  nous 
le  comprenons,  et  nous  sommes  certains  de  l'accompagner  de 
notre  attachement  et  de  notre  admiration  jusqu'au  faîte  le  plus 
élevé  de  la  gloire. 

François  Stoepel. 

Souvenir  suédois.  Variations  de  concert  pour  le  piano, 
\  ar  L.  Ancot.  Op.  42.  Prix  :  7  fr.  oO  c. 

Nous  avons  déjà  plusieurs  fois  pailédu  caractère  des  intro- 
ductions, et  expliqué  leur  triple  différence;  mjjs  nous  retrou- 
vons toujours  les  mêmes  défauts,  la  même  absence  de  plan. 
Pour  fortifier  nos  observations,  on  nous  permettra  de  revenir 
en  peu  de  mots  sur  ce  sujet. 


Une  introduction  pour  des  ouvrages  considérables  comme 
concertos,  etc.,  doit  être  au  moins  l'exposition  de  la  première 
partie  principale.  Pour  des  airs  variés,  elle  doit  en  traits  déli- 
cats annoncer  le  thème  dans  un  mouvement  et  un  caractère 
qui  contrastent  avec  lui,  a'tin  de  le  laisser  toujours  dominer 
comme  le  point  lumineux  de  l'ensemble  ,  ou  bien  enfin  elle  ne 
doit  être  qu'un  prélude,  et  alors  se  distinguer  du  thème  par 
un  carartère  entièrement  opposé,  et  avec  une  forme  indépen- 
dante, liai-suite  du  raisonnement  que  nous  venons  d'indiquer. 
M.  A.  donne  dans  son  introduction  ,  après  quatre  inusures  qui 
présentent  l'accord  en  ut  mineur  dans  ses  quatre  positions, 
un  chant  qui  pour  la  forme  ressemble  entièrement  au  thème, 
ainsi  que  l'accompagnement  de  la  main  gauche,  de  sorte  que 
celle  uniformité  de  l'introduction  et  du  thème  n'est  interrom- 
pue que  par  de  courtes  cadenc-s,  et  ne  permet  pas  au  dernier 
de  produire  le  bel  effet  dont  il  est  susceptible;  non  pas  que 
nous  le  prenions  de  bonne  foi  pour  un  air  suédois,  mais  parce 
qu'il  est  en  effet  plein  de  mélodie  et  d'un  bon  style.  Ce  qu'il  y 
a  de  suédois  dans  ce  chant  primitif  doit  néces-airement  avoir 
disparu  sous  l'arrangement  moderne;  et  c'est  toujours  une 
perle.  Nos  compositeurs  devraient,  quand  ils  choisissent  un 
chant  national  ou  plutôt  populaire,  s'attacher  toujours  à  en 
conserver  le  caractère  naïf,  n'eût-il  même  rien  d'artistique,  au 
lieu  de  l'étouffer  de  prime  abord,  privilège  qu'il  faut  laisser  aux 
variations  depuis  trop  long-'emps  à  la  mode.  Nous  n'avons 
rien  à  dire  des  variations  de  M.  Ancot.  Elles  sont  composées 
avec  le  même  savoir,  la  même  inspiration  artistique  que  celles 
de  tel  autre  compositeur,  adopté  et  joué  avec  prédilection  par 
des  daines  qui  ne  connaissent  rien  de  mieux.  Elles  sont  aussi 
difficiles,  au^si  brillantes,  pour  ne  pas  dire  plus;  en  un  mot  , 
admirables  pour  le  salon  ,  comme  prélude  d'uue  contredanse. 

NOUVELLES. 

*  On  nous  communique  'e  lettre  suivante,  propre  à  dissi- 
per les  craintes  qu'avait  inspirées  l'étal  de  santé  de  notre  célè- 
bre Boyeldieu.  Voici  le  passage  qui  contient  celle  bonne  nou- 
velle : 

«  Ci  si  avec  bien  de  la  satisfaction  que  je  m'empresse  de  vous 
rassurer  à  l'égard  de  la  santé  de  Boyeldieu  :  il  va  mieux. 

»  Les  journaux  n'ont  point  exagéré  sa  position,  vu  que  nous 
avons  failli  le  perdre.  Mais,  grâce  au  ciel,  il  va  maintenant  assez 
bien  pour  entreprendre  un  retour  à  Paris  ;  il  doit  être  parti  de 
Bordeaux  Ici?,  et  arrivera  probablement  vers  le  25  ,  ne  voya- 
geant qu'à  petites  journées. 

h  Son  fils  Adrien  est  allé  le  rejoindre  ,  il  y  a  environ  quinze 
jours  ,  et  sa  présence  n'a  pas  peu  contribué  à  améliorer  l'état 
de  son  pauvre  père.  » 

„*i  La  troisième  représentation  de  la  Tempêta  n'a  pas  ob- 
tenu plus  de  'uccès  que  les  deux  précédentes,  malgré  les  cou- 
pures ;  c'est  décidément  un  fiasco,  le  troisième  éprouvé  par 
M.  Véron  depuis  qu'il  dirige  l'Obéra. 

t +  Les  répétitions  de  la  Juive  sont  reprises  à  l'Opéra.  Cet 
important  ouviagesur  lequel  L'administration  fonde  l'espérance 
d'un  brillant  hiver,  sera  représenté  vers  le  1  5  novembre. 

t*+  Les  habitués  de  l'Opéra  désirant  voir  et  applaudir  sou- 
vent mademoiselle  Fanny  Elssler,  ont  prié  M.  Yéron  de  con- 
fier plusieurs  rôles  du  répertoire  à  celle  nouvelle  sylphide, 
seule  capable  de  vaincre  les  Tempêtes.  Déjà  on  parle  du  rôle 
de  Miranda  dans  la  Tentation,  créé  avec  beaucoup  de  grâce 
et  de  talent  par  la  jolie  mademoiselle  Duverney,  et  d'un  pas 
de  deux  entre  mademoiselle  Taglioni  cl  mademoiselle  Fanny 
Elssler,  et  qui  doit  être  intercalé  dans  le  bal  masqué  de  Gus- 
tave; il  y  aurait  là  de  quoi  remplir  bien  des  fois  la  vaste  en- 
ceinte de  l'Académie  Royale  de  Musique. 

t*t  La  célèbre  actrice  Palazzezi  est  en  ce  moment  à  Mar- 
seille. Elle  vient  d'Espagne  et  retourne  en  Italie. 


t\  La  troisième  représentation  de  la  Tempête  a  été  un  vé- 
ritable triomphe  pour  mademoiselle  Fanny  Elsler.  Il  fallait 
tout  le  talent  de  cette  célèbre  danseuse  pour  rendre  supporta- 
bles les  représentations  de  ce  faible  ouvrage. 

*,.  Mademoiselle  Ida  Bertrand,  sœur  de  la  célèbre  harpiste, 
et  qui  réunit  à  une  des  plus  belles  voix  de  contre-alto  la  mé- 
thode des  Paer  et  des  Bordogni,  débutera  cet  hiver  au  théâtre 
Italien.  Ou  dit  que  cette  jeune  personne  a  choisi  le  rôle  A'Ar- 
snce  pour  son  entrée  dans  le  monde  dramatique. 

t*¥  Il  y  a  beaucoup  plus  d'amateurs  de  location  que  de  loges 
au  théàt.c  Italien.  Pour  peu  que  cela  continue  ,  les  Bouffes  se- 
ront obligés  de  donner  leurs  représentations  à  l'OpJia  pour 
satisfaire  aux  demandes  des  dilettanti. 

*f+M.  Singïer,  qui  fut  Ion;;  temps  avec  succès  directeur  du 
théâtre  de  Lyon  ;  et  se  montra  moins  hebile  ou  moins  heureux 
dans  l'exercice  des  mêmes  fonctions  à  l'Opéra-Coinique  de  Pa- 
ris, va  ,  dit-on,  ressaisir  le  sceptre  dramatique  de  la  seconde 
ville  de  France. 

Tel  brille  au  second  rang  qui  s'éclipse  au  premier. 

+%  Lesnge,  ancien  sociétaire  de  l'Opcra-Comique  ,  v  ient  de 
mourir  à  Chantilly,  à  l'âge  de  74  ans.  Il  avait  été  choisi  par  le 
prince  <!e  Condé  pour  diriger  au  château  le  ihéâre  d'amateurs. 
Depuis  la  mort  de  ce  prince ,  qui  n'avait  pas  laissé  l'héritage  de 
sa  générosité  avec  celui  de  ses  biens  immenses  ,  Lesagc  se  trou- 
vait, dit-on,  dans  un  état  voisin  de  la  gêne  ,  par  la  perte  des 
bienfaits  de  son  protecteur  ,  et  les  longues  difficultés  opposées 
par  le  gou\  ornement  actuel  aux  pensions  de  l'Opcra-Comique. 

*  L'Opéra-Comique  a  reçu,  et  doit  mettre  bientôtà  l'étude, 
un  ouvrage  intitulé  :  //  Gitarm  ,  représenté  une  fois  à  Mar- 
seille. La  partition  fait,  dit- on  ,  honneur  au  talent  de  M.  Font- 
mic/iel.  Quant  au  poème,  il  sera  revu  et  corrigé  par  un  auteur 
habitué  à  la  scène. 

*¥  Madame  Degli  Anloni ,  qui  a  débuté  à  Londres,  vient 
d'arriver  à  Paris.  Elle  possède  une  fort  belle  voix  de  contre- 
atto.  Les  dilettanti  l'cnt  ndront  peut-être  cet  hiver  au  Théâtre- 
Italien. 

+%  M.  Labarre  a  fait  preuve  d'esprit  en  retirant  V Aspirant 
de  Marine  du  répertoire  de  l'Opéra-Comique. 

t*¥  Le  Chalet  ne  sera  représenté  à  l'Opéra-Comique  que 
mardi  prochain  ;  une  indisposition  de  M.  Inchindi  est  cause  de 
ce  retard. 

*  Plusieurs  jourmux  assurent  que  Paganini  veut  se  retirer 
à  Gènes,  dans  le  palais  qu'il  a  fait  bâtir ,  afin  d'y  fonder  un 
conservatoire  pour  l'enseignement  gratuit  (\u  violon  d'après  sa 
méthode.  Nous  sommes  sûrs  que  ce  fait  est  contronvé.  Le  plus 
célèbre  des  violons  espère  êlre  de  retour  à  Paris  vers  Pâques. 

*  Sur  les  couvertures  de  'a  musique  à  bas  prix ,  nous 
voyons  annoncé  la  musique  de  M.  Bsrtini  à  \  sous  la  page, 
et  celle  de  MM.  Meifred,  Tulou,  etc.,  à  des  prix  nets  qui  équi- 
valent au  moins  2  sous  la  page.  Comment  M.  Bert-ini  permet- 
il  à  son  éditeur  une  pareille  appréciation  de  sen  laleul? 

*  On  annonce  au  théâtre  de  Lyon  les  débuts  d'un  fils  d'El- 

r<°'<-  

Musique   nouvelle , 

Pulilitc  par  Bre'lk0[if  et  H.urtcl  ,  à  Leipiî;. 

Belcke  ,  Fr.  Trois  Sonatines  pour  le  piano  avec  violfn.  Op.  52 

1  fr. 
Lasekk  Ch.  Trois  Morceaux  sentimentaux  pour  piano-forte  et 

violoncelle.  4  ""■ 
et  Ranimer.  Introduction  et  Variations  pour  piano- forte  et 

violoncelle.  Op.  19.  4  '''■ 

Richte<-  (W.).  Duo  pour  piano-forte  et  flûte.  Op.  |4.  5  fr. 

Belcke  (Fr.).  Duo  concertant  pour  deux  trombonnes  de  basse 

ou  deux  bassons.   Op.  55.  2  fr.  50  c. 

Jacobi  (C.  ).  Pot-pourri  pour  le  basson  avec  accompagnement 

de  l'orchestre.  Op.  15.  5  fr.  5o  c. 

Les  prix  sont  nets  sans  remise. 


Gérant,  MAURICE  SCHLESINGER. 


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GAZETTE   MUSICALE 


IÙ1B    3>dŒ33®, 


X"  ANNÉE. 


n°  39. 


PRIX  DE  l'aBONNEM. 

PARIS. 

DÉPART. 

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1  an.  30 

33    » 

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Ca  (Stizettt  iïtueicalt;  ï>*  |3aris 
Paraît    le   DIMANCHE  de  chaque  semaine. 

On  s'abonne  au  bureau  de  la  Gazette  Musicale  de  Paris,  rue  Richelieu  ,  97; 
et  chez  lous  les  libraires  et  marchands  de  musique  de  France. 

On  reçoit    les  réclamations  des  personnes  qui  ont  des  griefs  à  exposer,  et  les  avis  relatifs  à  la  musique 
qui  peuvent  intéresser  le  j.iiLiIic. 


PARIS,  DIMAPJCHE  28  SEPTEMBRE  1834. 


Les  lettres,  demandes 
et  envois  d'argent  doi- 
vent êlre  affranchis,  et 
adressés  au  Directeur , 
rue  Richelieu,  97. 


Le  frère  de  Rameau. 

Jean-Philippe  Rameau,  que  pendantla  moitié  dusiècle 
passé  on  appelale  grand  Rameau,  et  le  neveu  de  Rameau, 
ce  Diogène  moderne,  dont  Diderot  a  tracé  un  portrait  si 
pittoresque  dans  cet  admirable  dialogue  qui  n'est  arrivé 
jusqu'à  nous  qu'a  travers  une  traduction  allemande  , 
sont  les  deux  seuls  membres  de  celte  famille  de  musi- 
ciens dont  l'existence  soit  généralement  connue.  S'il  faut 
en  croire  Mercier  qui  a  consacré  un  chapitre  de  son  Ta- 
bleau de  Paris  aux  deux  Rameau,  l'oncle  et  le  neveu  , 
le  frère  du  grand  Rameau  n'était  pas  moins  remarquable 
par  la  tournure  originale  de  son  esprit  et  la  singularité  de 
ses  aventures.  Ce  frère  se  nommait  Claude  ,  et  se  fit  un 
nom  célèbre  parmi  les  orgauistes  de  son  temps.  Bien  que 
son  caractère  inquiet  et  fougueux  le  poussât  successive- 
ment dans  beaucoup  de  villes  du  royaume  pour  y  exer- 
cer son  art,  il  passa  cependant  la  plus  grande  partie  de 
sa  vie  a  Dijon,  la  patrie  de  toute  sa  famille  ,  où  il  tint 
pendant  longues  années  l'orgue  de  la  cathédrale  et  celui 
de  l'abhaye  de  Sainte-Bénigne.  Mercier  fait  raconter  'a 
Rameau,  le  neveu,  la  façon  plus  que  singulière  dont  son 
père  Claude  le  lança  dans  le  monde;  voici  quelques 
fragmens  de  ce  curieux  morceau  qui  serviront  a  les  faire 
connaître  l'un  et  l'autre.  «  Mon  oncle  musicien  (c'est  le 
neveu  qui  parle  ) ,  est  un  grand  homme  ;  mais  mon 
père  soldat,  puis  violon,  puis  marchand,  était  un 
plus  grand  homme  encore.  —  J'avais  22  ans  îévolus, 
lorsque  mon  père  entra  dans  ma  chamhre  et  me  dit  : 
Combien  de  temps  veux-tu  vivre  encore  ainsi  ,  lâche 
fainéant?  11  y  a  deux  années  que  j'attends  de  tes  œu- 
vres; sais-tu  qu'à  l'âge  de   vingt  ans  j'étais  pendu  et 


que  j'avais  un  état?  —  Comme  j'étais  fort  jovial ,  je 
répondis  à  mon  père  :  C'est  un  état  que  d'être  pendu? 
mais  comment  fûtes-vous  pendu  et  encore  mon  père? 

>j  Ecoute,  me  dit-il,  j'étais  soldat  et  maraudeur;  le 
grand  prévôt  me  saisit  et  me  fit  accrocher  à  un  arbre. 
Une  petite  pluie  empêcha  la  corde  de  glisser  comme  il 
faut ,  ou  plutôt  comme  il  ne  fallait  pas.  Le  bourreau 
m'avait  laissé  ma  chemise  parce  qu'elle  était  trouée  :  des 
hussards  passèrent,  ne  me  prirent  pas  encore  ma  che- 
mise parce  qu'elle  ne  valait  rien  ;  mais  d'un  coup  de 
sabre  ils  coupèrent  ma  corde  ,  et  je  tombai  sur  la  terre  ; 
elle  était  humide  ;  la  fraîcheur  remit  mes  esprits  ;  je  cou- 
rus en  chemise  vers  un  bois  voisin  ;  j'entrai  dans  une 
taverne  ;  je  dis  à  la  femme  :  Ne  vous  effrayez  pas  de  me 
voir  en  chemise,  j'ai  mon  bagage  derrière  moi.  Vous 
saurez —  Je  ne  vous  demande  qu'une  plume,  de  l'encre, 
quatre  feuilles  de  papier ,  un  pain  d'un  sou  et  une  cho- 
pine  de  vin.  Ma  chemise  trouée  disposa  sans  doute  la 
femme  de  la  taverne  à  la  commisération.  J'écrivis  sur  les 
quatre  feuilles  de  papier  :  Aujourd'hui  grand  spectacle 
donné  par  le  fameux  Italien;  les  premières  places  à  six 
sous,  et  les  secondes  à  trois.  Tout  le  monde  entrera  en 
payant.  Je  me  retranchai  derrière  une  tapisserie,  j'em- 
pruntai un  violon,  je  coupai  ma  chemise  en  morceaux, 
j'en  fis  cinq  marionnettes  que  j'avais  barbouillées  avec 
de  l'encre  et  un  peu  de  mon  sang  ;  et  me  voilà  tour  à 
tour  à  faire  parler  mes  marionnettes,  à  chanter,  à  jouer 
du  violon  derrière  ma  tapisserie. 

»  J'avais  préludé  en  donnant  à  mon  violon  un  son 
extraordinaire.  Le  spectateur  accourut ,  la  salle  fut  pleine. 
Pendant  une  semaine  entière  ,  je  donnai  deux  représen- 
tations par  jour.  Je  sortis  de  la  taverne  avec  une  casaque, 


310 


GAZETTE  MUSICALE 


trois  chemises ,  des  souliers  et  des  bas ,  et  assez  d'argent 
pour  passer  la  frontière.  Un  petit  enrouement,  occa- 
sioné  par  la  pendaison,  avait  disparu  totalement;  de 
sorte  que  l'étranger  admira  ma  voix  sonore.  Tu  vois 
que  j'étais  illustre  a  vingt  ans  et  que  j'avais  un  état.  Tu 
en  as  vingt-deux  ,  tu  as  une  chemise  neuve  sur  le  corps  , 
voila  douze  francs;  sors  de  chez  moi.  » 

Ce  chiffre  douze  paraît  avoir  eu  une  grande  influence 
sur  la  vie  de  Claude  Rameau  ;  car  c'est  pour  une  somme 
de  douze  francs  qu'il  soutint  a  deux  reprises  un  procès 
contre  les  magistrats  municipaux  de  Dijon. 

Dijon,  cette  moderne  Athènes,  ainsi  que  la  nomme 
Claude,  dans  son  plaidoyer,  pour  attacher  a  elle  un 
homme  de  son  mérite,  avait  comblé  cet  artiste  d'un  dé- 
luge de  faveurs  municipales.  En  1727 ,  il  p!ut  aux  ma- 
gistrats de  lui  accorder  trente  livres  de  pension  annuelle, 
pension  dont  Claude  jouit  pendant  27  ans  ;  déjà  il  jouis- 
saitd'une  autre  faveur  non  moins  honorable,  l'exemption 
de  la  taille  qui  s'élevait  a  12  livres  par  an.  Mais  un  jour, 
un  des  magistrats  municipaux  se  crut  offensé  par  un  air 
de  violon  improvisé  devant  lui  par  Claude  Rameau;  de- 
là dénonciation,  de- la  condamnation  contre  le  pauvre 
musicien,  pour  le  soumettre  a  la  taille.  Rameau  résista 
et  voulut  plaider  pour  l'honneur  de  la  musique.  Nous 
avons  pensé  qu'il  serait  curieux  de  faire  sortir  du  tom- 
beau bibliologique,  appelé  Causes  célèbres ,  le  plaidoyer 
écrit  et  prononcé  par  Cl.  Rameau  à  cette  occasion.  Nous 
le  donnons  ici  sans  y  changer  une  lettre. 

»  J'ai  vu,  disait-il,  les  derniers  jours  d'un  siècle  fa- 
meux qui  fut  celui  des  beaux -arts.  Dans  ces  temps  heu- 
reux ,  les  talens  ouvraient  la  carrière  de  l'honneur  et  de 
la  fortune,  ils  ne  payaient  ni  tailles  ni  subsides;  alors 
un  musicien  avait  droit  à  l'estime  publique.  On  encou- 
rageait ses  travaux  ,  on  lui  prodiguait  les  distinctions  et 
les  récompenses  ;  on  se  gardait  bien  de  le  condamner  a 
l'amande  et  ses  meubles  n'étaient  jamais  saisis. 

»  Ce  bel  âge  n'est  plus;  le  goût  a  changé;  cet  empresse- 
ment si  général  d'encourager  les  talens  a  disparu  ;  l'es- 
prit de  futilité  remplace  le  génie.  Le  grand  Lulli  autre- 
fois si  fêté,  si  récompensé,  cet  homme  célèbre,  à  qui  la 
musique  valut  une  charge  de  secrétaire  du  roi,  ne  rece- 
vrait aujourd'hui  qu'un  vain  encens.  Que  dis- je!  il  évi- 
terait a  peine  les  sifflets  de  quelques  -  uns  de  mes 
concitoyens. 

«Malgré  les  plaisirs  qu'ils  me  doivent,  malgré  les  amu- 
semens  que  je  leur  ai  procurés,  je  n'ai  pu  moi-même 
échapper  a  la  censure  des  magistrats  municipaux.  Leurs 
prédécesseurs  avaient  récompensé  mes  services  ,  par 
l'exemption  des  charges  communes;  ils  avaient  ajouté 
a  ce  bienfait  une  pension  modique,  mais  très-honorable 


puisqu'elle  était  l'aveu  et  la  récompense  des  talens.  J'étais 
heureux,  je  jouissais  de  l'estime  publique,  et  le  rece- 
veur de  cette  ville  m'en  donnait  tous  les  ans,  sur  ma 
quittance,  un  témoignage  assuré.  Mais  tout  a  coup  les 
marques  précieuses  de  celte  estime  se  sont  évanouies, 
toutes  mes  prérogatives  ont  cessé ,  et  les  talens  se  sont 
vus  flétris  en  ma  personne  de  la  manière  le  plus  desho- 
norante. 

»  J'avais  un  jour  assemblé  quelques  amis  ;  la  joie  qui 
nous  animait  n'était  pas  tumultueuse  et  les  voisins  n'en 
étaient  pas  scandalisés.  Nous  nous  occupions  d'un  jeu  in- 
nocent. Au  milieu  de  notre  partie,  j'imaginai  un  air  nou- 
veau et  je  pris  mon  violoD  pour  l'exécuter.  Dans  ce  mo- 
ment un  magistrat  subalterne,  que  je  n'attendais  pas, 
m'honora  de  sa  visite.  Il  fallait  que  cet  homme  ne  se 
plût  pas  a  !a  musique,  puisqu'il  se  crut  insulté.  On  écri- 
vit un  procès-verbal  et  je  fut  condamné  à  cinquante  li- 
vres d'amende. 

»  Je  payai  cette  somme  sans  murmurer.  Un  inconnu 
prit  officieusement  ma  défense  et  voulut  porter  celte  af- 
faire au  tribunal  du  public  ;  il  débita  un  long  écrit  sous 
mon  nom.  Je  ne  le  lus  pas,  et  je  déclarai  que  je  n'y 
avais  aucune  part;  mais  on  n'eut  pas  d'égard  à  mes  pro- 
testations, je  fus  compris  au  rôle  de  la  taille,  et  je  vis 
mes  meubles  indignement  saisis. 

«Les  magistrats  municipaux, en mefaisant  cet  affront, 
ont-ils  bien  réfléchi  que  j'étais  musicien?  Se  sont-ils 
rappelé  qu'un  musicien  est  un  homme  rare;  que  la  na- 
ture s'épuise  a  le  former,  et  qu'elle  en  donne  à  peine 
deux  dans  le  même  siècle?  Qu'il  me  soit  permis  de  com- 
parer le  musicien  au  poète  :  c'est  le  même  génie  qui  les 
inspire,  c'est  le  même  feu  qui  les  anime,  ils  sont  égale- 
ment asservis  aux  règles  de  l'harmonie.  L'objet  de  leurs 
talens  est  le  même ,  puisque  leurs  veilles  sont  consa- 
crées a  chanter  les  louanges  du  très-haut  et  a  célébrer  les 
belles  actions  des  héros. 

«Est-on  poète  pour  avoirfait  quelques  madrigaux  sans 
art ,  quelques  chansons  sans  esprit?  est-on  musicien 
pour  avoir  composé  quelques  airs,  ou  fredonné  quel- 
ques ariettes  a  la  fin  d'un  repas?  Non,  sans  doute  ;  l'un 
et  l'autre  titre  n'appartiennent  qu'à  ces  esprits  sublimes 
animés  d'un  souffle  divin,  dont  toutes  les  compositions 
ont  toute  la  force  et  l'énergie  convenable  au  sujet,  dont 
les  ouvrages  sont  marqués  au  coin  de  l'immortalité. 

«Or,  on  sait  combien  la  nature  est  avare  de  ces  grands 
hommes ,  a  peine  comptera-t-on  dix  poètes  depuis  Ho- 
mère jusqu'à  notre  temps.  J'ose  dire  qu'on  connaît  en- 
core moins  d'excellens  musiciens. 

»  On  en  a  vu  paraître  un  dans  notre  siècle  :  son  nom 
est  au-dessus  de  l'envie.    Auteur  d'un  nouveau  traité 


DE  PAKI9. 


311 


de  musijue,  il  a  réduit  l'harmonie  à  ses  principes  natu- 
rels; il  a  défriché  ce  vafte  champ,  que  les  anciens  maî- 
tres avaient  laissé  presque  inculte.  Le  public  a  admiré 
son  système  et  le  succès  a  même  passé  ses  espérances. 
Avant  lui,  quinze  années  suffisaient  à  peine  pour  ap- 
prendre à  toucher  le  clavecin  ;  il  a  abrégé  la  route  or- 
dinaire, et  dix-huit  mois  d'étude  instruisent  aujourd'hui 
de  cette  partie  si  difficile  et  si  essentielle.  Tout  Paris 
applaudit  à  cet  illustre  maître ,  toute  l'Europe  l'ad- 
mire; il  est  mon  frère,  j'ai  ma  portion  de  son  savoir,  et 
l'on  veut  me  deshonorer! 

»  Je  pourrais  parler  ici  de  différentes]  pièces  de  ma 
composition,  pièces  admirées  des  connaisseurs  ;  je  pour- 
rais rappeler  les  plaisirs  qu'ont  causés  cette  représenta- 
lion  si  vive  et  si  animée  des  caractères  de  la  guerre, 
cette  imitation  si  naturelle  et  si  frappante  du  chant  des 
oiseaux.  Quelle  autre  main  que  la  mienne  pourrait 
exécuter  sur  l'orgue  ces  grands  sujets  qui  sont  de  ma 
composition? 

«Mais  oublions  mes  talens,  et  ne  considérons  que  mes 
services.  J'ai  consacré  cinquante  ans  de  veilles  et  de 
travaux  à  l'amusement  de  ma  pairie;  j'ai  donné  des  fêtes 
brillantes;  j'ai  établi  des  concerts,  dont  la  réputation  at- 
tirait en  cette  ville  un  concours  d'étrangers;  j'ai  multi- 
plié les  plaisirs;  j'ai  communiqué,  et  pour  ainsi  dire 
perpétué  mes  talens,  en  formant  des  élèves,  dont  plu- 
sieurs se  font  admirer  dans  la  capitale  du  royaume. 
Enfin ,  si  l'on  a  dans  celte  ville  quelque  goût  pour  l'har- 
monie, j'ose  dire  qu'il  n'est  dû  qu'à  moi. 

«  J'ai  donné,  dans  tous  les  temps,  des  preuves  écla- 
tantes de  mon  zèle  et  de  mon  dévouement  pour  la  gloire 
de  mon  pays.  La  dernière  assemblée  des  États-Géné- 
raux m'offrit  une  occasion  bien  flatteuse  de  prouver 
combien  elle  m'était  chère.  Il  s'agissait  de  donner  une 
fête  à  l'auguste  prince  qui  venait  prendre  possession  du 
gouvernement.  Je  fus  prié  d'en  composer  la  musique  ; 
je  fus  chargé  de  veiller  a  l'exécution  :  je  ne  négligeai 
rien  pour  rendre  celte  fête  complète.  Je  parvins  en  trois 
jours,  à  faire  chanter  des  gens  qui  n'avaient  pas  les 
premières  notions  de  l'harmonie.  L'applaudissement  fut 
général. 

»  Athènes,  en  pareille  occasion,  m'aurait  élevé  des 
statues,  et  a  Dijon,  cette  moderne  Athènes,  au  lieu  de 
récompenser  ces  nouveaux  services,  on  m'impose  a  la 
taille,  on  me  prive  d'une  modique  pension,  dans  le 
temps  même  que  mes  veilles  tournent  à  sa  gloire  ! 

»J'ai  rempli  avec  uue  exactitude  scrupuleuse  les  con- 
ditions du  traité  fait  avec  les  magistrats  municipaux 
pour  me  retenir  en  cette  ville  ;  et  ils  pourront  se  dispen- 
ser impunément  de  remplir  leurs  obligations  à  cet  égard  ! 


»  Onies  concitoyens!  à  qui  réservez- vous  ces  honneurs 
et  ces  distinctions  que  vous  accordiez  autrefois  aux  ta- 
lens, et  qui  distinguaient  parmi  vous  les  artistes? 

»  Brillante  pyrotechnie,  vous  les  mériterez  sans  doute, 
ces  prérogatives;  vous  senz  bientôt  l'âme  des  specta- 
cles, l'ornement  des  soupers  les  plus  délicats;  vous  se- 
rez également  les  délices  des  honnêtes  gens  et  du  vul- 
gaire... Le  public,  attiré  par  le  plaisir  des  yeux ,  ne  se 
lassera  pas  de  vous  admirer.  Vous  êtes  déjà  en  honneur, 
vous  êtes  a  la  mode;  cela  suffit  pour  vous  mériter  toutes 
les  attentions.  La  musique  autrefois  estimée  se  verra 
donc  bannie  de  toutes  les  parties  de  plaisir  ;  vous  lui  se- 
rez préférée,  tandis  qu'on  la  reléguera  dans  nos  temples, 
et  qu'à  peine  on  la  croira  digne  de  chanter  les  louanges 
de  Dieu? 

»  Ce  sera  donc  en  vain  que  j'aurai  cultivé  mes  talens  ? 
inutilement  aurai-je  acquis  quelque  perfection  dans  mon 
art.  Cette  exemption  de  taille  dont  je  suis  déchu ,  cette 
pension  dont  je  suis  privé,  on  ira  les  offrir  avec  em- 
pressement à  un  ouvrier  dont  tout  le  mérite  consiste  à 
broyer  du  charbon  et  du  salpêtre? 

»  Ainsi  cette  ville  aura  un  artificier  en  titre,  dont  tou- 
tes les  fonctions  seront  d'amuser,  chaque  année  pen- 
dant un  quart  d'heure,  les  yeux  du  public.  Elle  hono- 
rera un  artisan  de  l'exemption  de  la  taille  et  des  charges 
publiques,  tandis  que  son  musicien  ,  qui  lui  a  fait  hon- 
neur en  tant  d'occasions,  se  verra  privé  des  mêmes  pré- 
rogatives après  de  si  longs  services. 

»  Mânes  des  Lambert,  des  Lalande,  des  Corelli,  quelle 
surprise  sera  la  vôtre  lorsque  vous  apprendrez  que  notre 
siècle  préfère  un  artificier  a  votre  élève,  à  votre  imita- 
teur, a  l'héritier  de  vos  talens  ! 

»La  musique  n'est  pas  le  seul  objet  des  dégoûts  du  pu- 
blic. Je  vois  avec  douleur  que  tous  les  beaux  arts  tom- 
bent dans  le  mépris.  Cette  scène  brillante,  autrefois  si 
dignement  occupée  par  les  Mole  et  les  'Préville,  s'est 
vue  livrée  a  des  bouffons,  a  des  farceurs,  à  des  sau- 
teurs. Notre  parterre  si  délicat,  si  difficile,  s'est  em- 
pressé de  courir  a  un  misérable  Opéra-Comique,  à  un 
vil  spectacle  de  singes  et  de  chiens  ;  tel  est  le  goût  ac- 
tuel. On  fait  cas  d'un  magot  de  porcelaine  parce  qu'il 
est  ventru  et  contrefait,  tandis  que  Ton  méprise  les  ou- 
vrages de  nos  Phidias  et  de  nos  Praxitèle.  Bientôt  nous 
verrons  brocanter  un  tableau  de  Raphaël  ou  de  Rubens 
contre  un  écran  peint  par  Vateau  où  contre  une  boîte 
vernie  par  Martin. 

«Maisinutilementdéclaraerai-jecontre  cette  décadence 
du  goût  et  le  discrédit  général  où  sont  maintenant  les 
beaux-arts.  Que  l'on  oublie  les  charmes  de  la  musique  ; 
qu'une  symphonie  tendre  et  touchante  n'ait  plus  d'attraits 


GAZETTE  MUSICALE 


pour  nos  Dijonnais  ;  que  ce  peuple  inconstant  et  léger  se 
livre  à  d'autres  plaisirs  ;  mais  qu'il  se  souvienne  du  moins 
qu'il  fut  un  temps  auquel  le  musicien  Rameau  contri- 
buait ,  par  ses  talens ,  a  la  gloire  de  sa  patrie  :  que  l'on 
se  rappelle  qu'autrefois  il  était  admiré,  et  que,  depuis 
peu  ,  il  a  eu  l'honneur  de  plaire  a  un  grand  prince  ,  les 
délices  et  l'appui  de  la  Bourgogne. 

«Tels  sont  les  titres  que  je  réclame  aujourd'hui.  Sil'es- 
time  que  l'on  avait  autrefois  pour  les  vrais  talens,  ne 
peut  me  procurer  Je  rétablissement  des  privilèges  dont 
j'avais  été  gratifié,  j'ose  attendre  cette  faveur  de  mes 
compatriotes.  En  effet ,  cette  modique  pension ,  cette 
exemption  que  je  réclame ,  ne  sont  pas ,  a  beaucoup  près, 
l'intérêt  des  sommes  que  mes  talens  leur  ont  procurées. 
Je  ne  saurais  trop  le  redire,  î'affiuence  des  étrangers  en 
cette  ville  est  due  aux  concerîs  que  j'ai  formés.  J'avais 
lieu  de  croire  que  nos  magistrats  auraient  été  touchés  de 
ces  raisons,  j'avais  lieu  d'attendre  qu'ils  me  rendraient 
justice;  ils  ne  l'ont  pas  encore  fait. 

»  Je  les  prie  de  considérer  que  la  peine  dont  ils  veulent 
me  punir  est  peu  proportionnée  à  la  faute  que  l'on  m'im- 
pute; voudraient-ils  apprendre  a  la  postérité  que  le  mu- 
sicien Rameau  a  payé  cinquante  livres  d'amende  pour 
avoir  joué  du  violon  ;  qu'il  a  été  privé  de  l'exemption 
delà  taille  et  d'une  petite  pension,  parce  qu'un  écrivain 
inconnu  s'est  avisé  de  mettre  son  nom  a  la  tête  d'un  li- 
belle oublié? 

«Et  vous,  magistrats,  dont  le  tribunal  est  le  temple 
du  goût,  ainsi  que  le  sanctuaire  de  la  justice,  laisserez- 
vous  subsister  cette  flétrissure  dont  on  a  déshonoré  ma 
vieillesse?  permettrez-vous  que  mes  dernières  années 
s'écoulent  dans  la  honte  et  dans  l'opprobre?  Ne  souffrez 
pas  que  l'on  étouffe  ainsi  le  génie.  Arrêtez,  par  votre 
jugement,  la  chute  des  beaux-arts,  et  ils  se  réuniront 
tous  pour  élever  a  votre  gloire  un  monument  éternel. 

»'  Amphion  rassembla  des  pierres  au  son  de  sa  lyre ,  et 
tout  d'un  coup  il  parut  une  ville,  elle  fut  habitée,  cette 
ville  :  eh!  a  quoi  eût-elle  servi  sans  habitans?  Croyez- 
vous,  messieurs,  qu' Amphion  y  paya  la  taille?  Non, 
sans  doute,  et  les  Thébains  ne  furent  pas  assez  ingrats 
pour  le  comprendre  dans  leurs  rôles. 

»  Je  n'ai  pas  bâti  la  ville  de  Dijon  ;  mais  est-ce  ma 
faute?  c'est  dans  ses  murs  que  j'ai  pris  naissance  ,  et  le 
destin  lui  avait  accordé  l'avantage  d'exister  quelques 
siècles  avant  moi.  Il  m'était  cependant  réservé  une  gloire 
bien  plus  flatteuse  que  celle  de  mouvoir  des  pierres  ;  j'ai 
remué  les  cœurs  de  mes  concitoyens  ,  j'ai  égayé  les  es- 
prits, et  je  puis  dire,  sans  blesser  la  plus  exacte  vérité, 
qu'il  en  est  peu  qui  ne  me  doivent  quelques  instans  de 
plaisir. 


«Quel  sera  donc  le  salaire  de  mes  travaux  ?  quel  sera 
le  prix  de  cette  harmonie  louchante,  que  j'ai  le  premier 
fait  connaître  a  ma  patrie?  On  veut  flétrir  mes  lauriers , 
on  veut  remplir  d'amertume  les  dernières  années  de  ma 
vie,  on  veut  m'arracher  une  faveur  qui  me  fut  accordée 
pour  m'encourager  à  cultiver  mes  talens  :  et  dans  quel 
temps  me  fait-on  cette  injure?  c'est  précisément  après 
avoir  fait,  pendant  trente  années,  l'expérience  de  l'agré- 
ment et  de  l'utilité  de  mes  services. 

»J'ai  lu  mon  histoire  romaine,  et  mes  concitoyens  ne 
trouveront  pas  mauvais  que  je  les  compare  a  ce  peuple 
fameux,  dont  la  sagesse  et  la  valeur  ont  conquis  tout 
l'univers.  Scipion  qui ,  par  tant  de  victoires  ,  devait  être 
précieux  à  son  pays,  le  grand  Scipion  se  vit  cité  devant 
un  peuple  ingrat,  qui  dans  un  oubli  léthargique  de  ses 
propres  intérêts,  s'aveuglait  au  point  de  vouloir  exiler 
le  plus  ferme  soutien  de  l'état.  Quelle  fut  la  défense  de 
ce  grand  homme?  Citoyens,  dit-il,  allons  au  capitole 
rendre  grâce  aux  dieux  des  victoires  qu'ils  m'ont  fait 
remporter  sur  vos  ennemis. 

»I1  est  des  héros  de  tous  les  genres  :  tout  homme  utile 
a  sa  patrie  peut  aspirer  à  ce  titre.  Permettez-moi ,  mes- 
sieurs, de  comparer  ma  situation  actuelle  a  celle  du  vain- 
queur d' Annibal.  Si  je  n'ai  pas  repoussé  l'ennemi  de  vos 
murs,  j'ai  du  moins  chassé  la  tristesse  et  l'ennui  de  vos 
cœurs.  On  exila  Scipion  :  on  veut  m' exiler  aussi ,  mes- 
sieurs, car  me  mettre  a  la  taille  c'est  la  même  chose. 
Ne  puis-je  dire  à  l'exemple  de  ce  grand  homme  :  suivez- 
moi  ,  citoyens ,  venez  dans  vos  temples ,  dans  vos  con- 
certs ,  applaudir  h  des  talens  que  vous  couronnâtes  cent 
fois,  et  qui  sont  toujours  les  mêmes?  Ce  Romain  géné- 
reux se  défendit  par  la  gloire  que  lui  avaient  méritée 
des  victoires  passées,  au  lieu  que  l'orgue  et  le  clavecin 
me  préparent  tous  les  jours  de  nouveaux  triomphes. 

»Ce  n'est  pas  a  Dijon  seulement  que  l'on  connaît  mes 
talens,  et  ma  réputation  n'est  pas  enfermée  dans  l'étroite 
enceinte  de  ses  murs.  Si  huit  ou  dix  villes  de  la  Grèce 
ont  eu  querelle  sur  l'honnncur qu'elles  prétendaient  tou- 
tes d'avoir  vu  naître  le  divin  Homère,  trente  villes  de 
France  se  sont  disputé  l'avantage  de  jouir  de  mes  talens; 
Lyon,  Marseille,  Orléans,  Strasbourg,  m'ont  proposé 
des  avantages  assez  brillans  pour  me  retenir;  toutes  ces 
villes  ont  admiré  les  fruits  de  mes  veilles,  et  Paris  même 
aurait  couronné  mes  progrès  dans  la  musique,  si  j'eusse 
voulu  m'y  arrêter  :  j'aurais,  dans  cette  ville,  marché  a 
grands  pas  vers  la  gloire  ;  mais  j'ai  voyagé  comme  le  sage 
Ulysse,  et,  comme  lui,  j'ai  préféré  ma  patrie  a  l'immor- 
talité. 

»Pouvais-je  prévoir,  messieurs,  qu'un  jour  viendrait 
où  cette  même  patrie,  qui  me  reçut  avec  tant  d'applau- 


dissemens,  qui  m'honora  des  privilèges  les  plus  flatteurs, 
me  retirerait  ces  prérogatives ,  et  me  forcerait  a  me  con~ 
damner  moi-même  à  un  honteux  exil. 

«Pouvais-je  croire  quecette  ville,  dont  le  goût  et  l'amour 
pour  les  talens  est  si  connu,  chercherait  a  les  avilir  en 
ma  personne ,  et  se  porterait  a  des  excès  que  l'on  par- 
donnerait a  peine  a  la  barbarie  gothique  des  siècles  d'igno- 
rance? 

«J'examine  scrupuleusement  toute  nia  conduite,  et  je 
cherche  a  pénétrer  quelle  est  la  cause  de  celle  disgrâce. 
J'interroge  mes  amis;  ils  s'accordent  a  me  dire  poliment 
que  mou  imprudence  a  indisposé  les  sieurs  maires  et  éche- 
vifts  contre  moi. 

»  Je  ne  sais  pas ,  messieurs ,  quel  est  mon  crime  ; 
mais  du  moins  faudrait-il  m'en  convaincre  avant  que 
de  me  punir.  Je  S'iis  pénétré  de  respect  pr>ur  les  magis- 
trats, et  je  ne  me  suis  jamais  écarté  des  égards  que  je 
leur  dois. 

»  Quelle  est  donc  mon  imprudence?  je  n'en  sais  rien- 
Mais  quand  ce  serait  une  folie,  ne  devrait-on  pas  la  par- 
donner à  mes  talens  et  a  l'art  que  j'exerce  ?  La  folie  et  la 
musique  sont  sœurs  :  sans  cette  heureuse  vivacité,  sans 
ces  écarts  brillans  de  génie,  que  le  stupide  vulgaire  ap- 
pelle égarement  d'esprit ,  l'harmonie  ne  subsisterait  plus, 
ou  ne  serait  plus  qu'un  amas  confus  de  sons  monotones 
et  languissans. 

«Lorsquelesmagistratsmunicipaux  voulurent  me  fixer 
à  Dijon,  ils  ne  me  firent  pas  promettre  une  gravité  ca- 
tonienne,  et  ne  cherchèrent  point  a  contraindre  ce  beau 
feu  qui  caractérise  le  grand  musicien.  La  condition  qu'ils 
m'imposèrent,  fut  de  continuer  à  exercer  des  talens  dont 
le  public  était  satisfait.  J'ai  i empli  cette  condition,  mes- 
sieurs, avec  la  dernière  exactitude.  Que  l'on  compte  les 
musiciens  que  j'ai  formés;  que  l'on  se  rappelle  ces 
concerts  dont  la  réputation  attirait  a  Dijon  une  foule 
d'étrangers  et  où  j'ai  dépensé  plus  de  20;000  fr.  pour 
la  gloire  de  ma  patrie. 

»J'ai  l'avantage  d'avoir  formé  le  goût  de  mes  conci- 
toyens pour  la  musique  ;  toute  votre  jeunesse  me  doit , 
messieurs,  cette  partie  essentielle  de  son  éducation,  et 
l'on  veut  me  traiter  comme  le  dernier  violon  qui  joue 
dans  les  chœurs  de  l'Opéra  !  !  Souffrirez-vous,  mes- 
sieurs, que  ,  malgré  le  privilège  dont  j'ai  joui  pendant 
trente  années ,  on  me  fasse  l'affront  de  me  comprendre 
dans  les  rôles  de  la  taille  ?  Si  ce  privilège  ne  m'était 
pas  dû,  que  ne  me  le  refusait-on  dès  le  commencement? 
N'a-t-on  attendu  si  tard  à  me  l'ôter  que  pour  rendre 
l'outrage  plus  sensible  ? 

»  Je  suis  le  frère  du  grand  Rameau,  ce  père  de  l'har- 
monie, ce  créateur  de  la  musique,   et  j'ose  dire  que  je 


suis  digne  delui  :  ce  titre  seul  devrait  me  valoir  l'exemp- 
tion de  la  taille.  Dans  !a  prise  de  Thèbes,  Alexandre 
épargna  la  maison  de  Pindare  ;  les  descendans  du  célèbre 
La  Fontaine  jouissent,  en  considéiation  des  talens  de 
leur  bisaïeul ,  de  l'exemption  de  la  taille,  qui  leur  est 
accordée  par  les  intendans  de  Champagne  :  et  le  frère 
du  grand  Rameau  se  verra  enlever  le  même  privilège  , 
tandis  qu'on  ne  le  conteste  pas  a  un  grand  nombre  de 
gens  qui  le  méritent  moins  que  lui?  Quel  avantage  si 
considérable  pourra  revenir  a  la  ville,  de  la  taille  a  la- 
quelle j'ai  élé  imposé?  On  m'attaque  à  la  fin  de  ma  car- 
rière :  il  ne  me  reste  plus  que  trois  ou  quatre  ans  a  vivre, 
et  trois  ou  quatre  fois  12  francs  diminueront-ils  beau- 
coup la  charge  annuelle  des  citoyens? 

»  Ce  procès  est  moins  celui  de  ^Rameau  que  celui  des 
beaux  arts.  S'ils  venaient  a  le  perdre,  les  sciences  autre- 
fois accueillies  et  fêtées  dans  cette  ville  capitale  en  se- 
raient bannis  pour  jamais ,  et  l'opprobre  que  je  recevrais 
rejaillirait  sur  ma  patrie.  Que  dis-je  !  elle  en  supporte- 
rait toute  la  honte  pour  avoir  traité  les  talens  comme  ils 
le  furent  autrefois  lorsqu'un  essaim  de  barbares ,  sorti  du 
Nord ,  inonda  toute  l'Europe. 

«Dans  les  beaux  siècles  de  la  république  romaine,  les 
illustres,  les  hommes  a  talens  étaient  nourris  aux  dépens 
du  public.  J'ai  lu  quelque  part  qu'il  y  avait  a  Athènes 
un  prytanée  destiné  a  les  y  loger.  A  Dijon  on  les  exemp- 
tait autrefois  de  la  taille ,  et  on  leur  accordait  une  mo- 
dique pension  ,  bien  moins  utile  qu'honorable.  Mainte- 
nant on  veut  soumettre  le  frère  du  grand  Rameau  aux 
charges  municipales  ;  on  lui  refuse  cette  modique  pen- 
sion confirmée  par  le  prince,  et  méritée  par  trente  ans 
de  travaux. 

«Levez-vous,  messieurs  ,  et  jugez  ma  cause  ;  ne  souf- 
frez pas  que  le  zèle  énorme  de  nos  magistrats  me  prive 
d'une  faible  récompense  qui  m'est  due  à  tant  de  titres; 
ne  permettez  pas  qu'on  expose  les  talens  et  le  savoir  au 
mépris  et  a  l'abaissement  ;  faites  voir  a  toute  la  France 
que  cette  main  qui  balance  les  intérêts  et  les  droits  des 
sujets  du  roi  sait  récompenser  le  mérite  et  encourager  les 
beaux  arts. 

«C'est  en  1731  que  cette  cause  fut  plaidée  à  Dijon  de- 
vant la  cour  municipale  qui,  sans  doute,  eut  honte  de 
sa  conduite  anti-musicale;  car  on  rendit  à  Rameau  sa 
pension ,  et  on  lui  continua  son  exemption  de  la  taille  ; 
mais  le  cœur  de  l'artiste  ne  put  pardonner  à  ses  conci- 
toyens leur  ingratitude,  bien  que  passagère;  il  quitta 
Dijon  et  alla  s'établir  à  Autun  où  il  mourut  en  1761 . 

«Il  reste  une  petite  difficulté  sur  l'identité  de  Claude 
Rameau  avec  le  père  du  neveu  de  Rameau.  Dans  le  fa- 
meux dialogue  de  Diderot  il  est  dit  plusieurs  fois  que  le 


M& 


GAZETTE  MUSICALE 


père  du  neveu  était  apothicaire  à  Dijon ,  et  ne  serait  J 
donc  pas  Claude  l'organiste?  mais  d'une  autre  part,  les 
biographes  du  grand  Rameau  ne  lui  donnent  qu'un  seul  | 
frère,  et  ce  frère  est  Claude.  Il  faut  de  toute  nécessité 
que  quelqu'un  ait  fait  erreur,  Diderot,  Mercier  ou  les 
biographes.  Nous  abandonnons  volontiers  la  solution  de 
ce  problême  à  la  sagacité  de  nos  lecteurs.   » 


THÉÂTRE  ROTAI.  DE  I/'OPÉRA-COEIIQUE. 

Le  Chalet, 

Paroles  de  M.  Scribe;  musique  de  M.  Ad.  Adam. 
DÉBUT  D'INCHIINDI. 

Un  mot  de  la  pièce  :  vrai  canevas  a  la  Scribe ,  fin , 
spirituel,  adroitement  tissu ,  conduit  avec  cette  habileté 
que  vous  savez  tous,  et  dont  je  ne  vous  donnerai  qu'une 
courte  analyse.  Betty  est  une  jeune  Suissesse  fort  at- 
trayante, ma  foi  (c'est  madame  Pradher  qui  rem- 
plit ce  rôle),  qui,  bien  qu'elle  aime  réellement  un  jeune 
suisse  doué  de  toutes  les  qualités  désirables  pour  faire 
un  bon  mari ,  jeune,  amoureux,  riche ,  simple,  et  même 
un  peu  bête,  veut  rester  fille  pour  rester  libre.  Sur- 
vient le  frère  de  Betty,  devenu  sergent  après  quinze 
ans  de  service ,  et  qui  n'a  pas  vu  sa  sœur  depuis  qu'il 
s'est  engagé  ;  il  sait  déjà  l'amour  du  jeune  suisse,  qui  se 
nomme ,  je  crois ,  Daniel  ;  mais  c'est  seulement  en  arri- 
vant qu'il  apprend  les  beaux  projets  de  Betly  et  son  aver- 
sion pour  le  mariage.  En  bon  frère,  en  homme  sage  qui 
sait  apprécier  l'utilité  de  ce  sacrement,  il  donne,  sans 
se  faire  connaître,  une  bonne  leçon  a  sa  chère  sœur. 
Aidé  de  ses  soldats,  il  met  au  pillage  la  maison  de  Betty, 
qui  est  allée  au  marché,  oubliant  d'en  fermer  la  porte  , 
enfonce  sa  cave  et  s'installe  chez  elle  pour  y  faire  grande 
chère  a  ses  dépens.  La  pauvre  fille  a  bientôt  vu  le  dan- 
ger que  l'on  court  a  être  seule  ;  elle  veut  se  faire  un  ap- 
pui de  Daniel  qu'elle  a  repoussé,  tandis  que  le  sergent 
qui  ne  veut  voir  en  lui  qu'un  rival  (car  il  feint  aussi 
d'être  amoureux  de  Betty),  le  provoque  en  duel.  Est-il 
besoin  de  dire  que  Betty  ne  peut  résister  à  tant  d'épreu- 
ves ,  et  qu'elle-même  va  au-devant  du  mariage  qu'elle 
affectait  si  fort  de  fuir?  Avec  cette  donnée,  M.  Scribe 
a  su  amener  des  situations  piquantes,  de  ce  comique  de 
bon  goût  qu'il  manie  si  bien;  et  ces  situations,  il  les  a 
développées  daine  manière  vraiment  musicale.  Il  faut 
dire  que  le  musicien  ne  lui  a  pas  fait  défaut.  M.  Adam 
n'a  peut-être  mérité  jamais  autant,  d'éloges.  Je  ne 
dirai  rien  de  son  ouverture  qui,  avec  de  jolis  motifs, 
me  paraît  dans  toute  la  première  moitié,  trop  unifor- 
mémenttranquille.  Quelques  pbrases/oWë  en  auraientbien 


relevé  les  gracieuses  mélodies.  Il  a  trop  compté  sur  les 
artistes  de  l'orchestre  chargés  des  solo.  S'il  avait  eu 
Brod  et  Berr ,  je  serais  peut-être  obligé  de  parler  tout 
autrement  de  cette  prétendue  uniformité. 

L'air  de  Couderc  (  Daniel) ,  qui  réellement  n'est 
pas  le  meilleur  de  la  pièce,  n'a  produit  que  peu  d'effet  ; 
l'entrée  d'Inchindi  a  été  glaciale,  et  ce  pauvre  vir- 
tuose que  j'ai  vu  si  souvent  applaudir  a  côté  des  plus 
habiles  chanteurs  du  théâtre  italien,  s'est  laissé  in- 
timider, tout  effrayé  qu'il  semblait  d'avoir  à  lutter 
contre  des  artistes  de  la  force  de  MM.  Boulard  et 
Henri.  Peu  a  peu  pourtant,  l'auditoire  s'est  laissé  aller 
à  l'esprit  du  dialogue,  a  Yenù-ain  de  la  musique, 
et  poco  a  poco_,  rinforzando  ,  il  a  été  entraîné  jus- 
ques  a  l'enthousiasme ,  c'est  le  mot.  Ce  qui  l'a  mené 
là,  c'est  d'abord  un  chœur  de  soldats,  d'une  mélodie 
franche  et  bien  accentuée,  puis  des  couplets  militaires 
d'Inchindi  sur  l'amour,  le  vin  et  le  tabac,  d'un  motif 
heureux  et  bien  trouvé.  Je  ferai  observer  à  M.  Adam, 
qu'une  coda  mélodique  est  ce  qui  convient  à  un  morceau 
de  cette  nature ,  et  que  quatre  mesures  d'un  chant  con 
brio,  placé  à  la  fin  du  refrain ,  vaudraient  à  ces  couplets 
une  salve  bien  nourrie,  qu'ils  auront  grand  peine  à  ob= 
tenir  avec  la  phrase  quasi-déclamée  qui  leur  sert  de  ter- 
minaison, D'autres  couplets  encore,  dialogues  entre  le 
ténor  et  le  soprano  ,  M.  Couderc  et  M me  Pradher,  ont 
été  fort  goûtés.  Bs  sont  charmans  en  effet,  pleins  de 
grâce  et  de  finesse.  Mais  les  deux  morceaux  capitaux  de 
l'ouvrage,  sont  le  final  et  surtout  le  duo  entre  Iii- 
chindi  et  Couderc. 

Le  final ,  composé  de  plusieurs  parties ,  est  une  grande 
srène  habilement  conduite,  où  la  mélodie  ne  manque 
jamais ,  et ,  il  est  juste  de  le  dire,  bien  soutenue  par  l'en- 
chaînement et  la  succession  on  ne  peut  plus  adroite  des 
situations  données  par  le  poète.  Comme  je  ne  suis  pas 
assez  heureusement  doué  pour  mettre  en  provision  dans 
ma  tête  tout  un  opéra  après  une  seule  audition,  je  me  vois 
forcé  d'arrêter  ici  l'analyse  de  ce  final.  J'ai  gardé  le  duo 
pour  la  fin,  parce  qu'à  mon  avis  c'est  ce  qu'il  y  a  de  mieux 
dans  la  partition,  peut-être  aussi  le  morceau  le  plus 
complet  qu'ait  jamais  écrit  M.  Adam.  Ce  duo,  composé 
dans  de  larges  proportions,  servirait  à  prouver  au  be- 
soin, si  déjà  cela  n'avait  été  prouvé  mille  fois,  que  la 
musique  française,  même  celle  d'opéra  comique,  ne  re- 
pousse aucunement  les  développemens  qu'on  s'est  obstiné 
long-temps  à  regarder  comme  un  des  caractères  exclu- 
sifs de  la  musique  italienne.  Ce  duo,  avec  ses  trois mou- 
vemens ,  un  allegro  parlante  ,  un  andante  cantabile ,  et 
un  finale  alla  militare ,  a  paru  court,  parce  que  chaque 
partie  a  sa  mélodie  et  son  orchestration  bien  trouvées  et 


315 


bien  conduites,  parce  que  les  motifs  en  sont  heureux  et 
pittoresques;  qu'en  un  mot  tout  y  est  bon  et  a  sa  place. 
Sans  la  maladresse  de  l'orchestre,  la  première  partie  de 
ce  duo  aurait  été  bissée ,  ce  que  le  public  demandait  à 
grands  cris. 

En  somme  ,  la  pièce  a  beaucoup  amusé;  la  musique 
a  été  applaudie.  Le  Chalet  aura  des  représentations 
nombreuses  et  suivies.  Madame  Pradher  est  char- 
mante; Couderc  promet  beaucoup  et  se  montre  fort 
intelligent.  Quant  à  Incbindi,  il  a  prouvé  aux  gens 
qui  savent  entendre  quelle  est  sa  supériorité  sur  ses 
nouveaux  camarades  en  tant  que  chanteur.  Comme 
acteur  il  les  vaut,  tout  au  moins.  Encore  huit  jours, 
et  le  public  saura  apprécier  Inchindi  a  sa  réelle  valeur. 


École  de  Musique  de  M.  François  Stœpel , 

KDE    MONSIGNY,    N°    6. 

Quoique  les  succès  obtenus  depuis  près  de  six  ans  par 
M,  Stœpel  aient  fait  suffisamment  connaître  et  apprécier  le  mé- 
rite de  son  enseignement,  nous  croyons  néanmoins  devoir 
rappeler  succinctement  les  caractères  qui  différencient  sa  mé- 
thode des  méthodes  ordinaires,  et  reproduire  les  idées  qui 
l'ont  conduit  aux  réformes  qu'il  a  exécutées  dans  l'art  d'ensei- 
gner le  piano  et  la  composition  musicale. 

M.  Stœpel  enseigne  simultanément  les  principes  de  l'harmo- 
nie et  le  piano  ;  de  plus  il  combine  dans  son  établissement  les 
avantages  de  l'enseignement  individuel  avec  ceux  de  l'ensei- 
gnement collectif. 

Quelques  mots  suffiront  pour  faire  comprendre  l'utilité  de 
celte  double  combinaison.  Relativement  à  l'association  de  l'é- 
tude de  l'harmonie  avec  celle  de  l'instrument ,  il  n'est  per- 
sonne qui  n'en  apprécie  immédiatement  les  avantages  ;  c'est 
faire  marcher  de  front  deux  parties  du  même  art  qui  s'éclai- 
rent mutuellement ,  et  dont  l'une  ,  la  connaissance  de  l'har- 
monie, si  négligée  jusqu'ici ,  est  comme  la  grammaire  d'une 
langue  dont  on  ne  possède  encore  que  les  mots.  Cette  combi- 
naison n'a  été  négligée  par  ceux  qui  se  sont  occupés  de  l'en- 
seignement de  la  musique  qu'à  cnuse  des  difficultés  que  pré- 
sentait son  exécution.  M.  Stœpel  croit  être  parvenu  à  les 
vaincre,  en  simplifiant  d'uue  part  la  théorie  de  l'harmonie,  et 
en  la  ramenant  à  des  principes  clairs  et  positifs,  et  de  l'autre 
en  transmettant  cette  théorie  à  ses  élèves  parles  faits  eux-mê- 
mes qui  lui  servent  de  base,  contrairement  aux  méthodes 
précédemment  usitées  ,  où  les  règles  sout  des  abstractions  con- 
tinuelles qui  fatiguent  l'attention  et  exigent  une  grande  con- 
tention d'esprit. 

Les  avantages  qui  résultent  de  la  combinaison  de  l'enseigne- 
ment individuel  avec  l'enseignement  collectif  ne  sout  pas 
moins  faciles  à  saisir.  Disons  d'abord  comment  cette  combinai- 
son s'exécute.  Des  professeurs  particuliers  ,  en  nombre  propor- 
tionné à  celui  des  élèves,  sont  chargés  d  instruire  chacune 
d'elles  individuellement,  et  de  la  préparer  à  participer  à  l'in- 
struction et  à  l'exécution  collectives.  Celles-ci  consistent  soit 
dans  des  démonstrations  et  interrogations  faites  par  M.  Stœpel 
lui-même ,  soit  dans  l'exécution  concertante  des  morceaux 
choisis  suivant  le  degré  de  force  des  différentes  classes.  De 


cette  combinaison  et  de  cette  simultanéité  des  moyens  résul- 
tent évidemment  la  combinaison  et  la  simultanéité  d'effet  pro- 
pre à  chacun  d'eux.  Ainsi  dans  la  leçon  individuelle  l'élève  re- 
çoit tous  les  soins  d'une  surveillance  spéciale  et  plus  active  ; 
elle  acquiert  la  connaissance  des  principes  du  doigté  et  des  dif- 
ficultés du  mécanisme  ,  et  l'idée  de  concourir  ensuite  à  l'exécu- 
tion d'ensemble  double  ses  efforts  et  son  attention.  Outre  l'é- 
mulation qu'excite  l'exécution  concertante  ,  elle  donne  la  pré- 
cision ,  1:<  mesure,  l'aplomb  ,  et  une  connaissance  plus  parfaite 
des  nuances  de  l'expression  musicale  qu'il  est  si  difficile  de 
transmettre  dans  l'enseignement  individuel. 

Si  l'expérience  n'avait  pas  justifié  depuis  long-temps  les  pré- 
visions de  sa  théorie,  M.  Stœpel  en  appellerait  aux  suffrages 
flatteurs  des  nombreuses  familles  qui  l'honorent  de  leur  con- 
fiance ,  et  aux  témoignages  des  hommes  les  plus  compétens 
que  la  France  possède. 

Il  y  a  déjà  près  de  cinq  ans  qu'une  commission  de  la  direc- 
tion des  beaux-arts,  composée  de  MM.  Chérubini,  Auber, 
Boïeldieu  ,  le  comte  Turpin  de  Crissé  et  le  vicomte  de  Gines- 
tet ,  a  bien  voulu  faire  connaître  dans  un  rapport  détaillé  l'ap- 
probation et  l'intérêt  qu'elle  a  accordés  à  la  méthode  de 
M.  Stœpel.  Voici  le  résumé  de  ce  rapport ,  tel  qu'il  a  été  pu- 
blié dans  le  Moniteur  du  21  avril  -1 830  : 

«  L'avis  de  la  commission  est  que  le  mode  d'enseignement 
»  de  M.  Stœpel ,  tant  pour  l'harmonie  que  pour  le  piano  ,  mé- 
»  rite  les  succès  qu'il  a  obtenus ,  et  que  les  encouragemens 
»  qu'il  pourrait  recevoir  ne  seraient  que  la  juste  récompense 
«  des  talens  et  des  qualités  qui  distinguent  cet  habile  profes- 
»  seur.  » 

ORDRE  DES  COURS. 

COURS    DE    PIANO    ET    d'hARMOHIE    SIMULTAMEMEHT. 

Tous  les  jours ,  de  midi  à  une  heure  et  demie ,  la  classe  des 
élèves  commençantes;  tous  les  jours,  de  une  heure  et  demie  à 
trois  heures,  la  classe  des  élèves  de  moyenne  force;  tous  les 
jours ,  de  trois  heures  à  quatre  heures  et  demie ,  la  classe  des 
élèves  1rs  plus  avancées.  On  ne  peut  encore  admettre  qu'un 
petit  nombre  d'élèves  pour  les  cours  de  lundi ,  mercredi  et  ven- 
dredi. M.  Stœpel  réservera  ces  places  à  celles  des  élèves  qui 
veulent  bien  lui  en  faire  la  demande. 

M.  Listz  dirigera  un  cours  auquel  ne  seront  admises  que  des 
élèves  très-avancées  et  au  nombre  de  douze.  Le  prix  est  de60f. 
par  mois  ,  payable  d'avance. 

M.  Stœpel  dirigera  ,  une  fois  par  semaine ,  des  exercices  con- 
certans  ,  à  deux  et  à  quatre  mains  ,  sur  huit  pianos.  Ces  exer- 
cices ,  destinés  à  remplacer  les  leçons  d'accompagnement ,  ne 
sont  exécutés  que  par  des  personnes  dont  l'éducation  musicale 
est  assez  avancée  pour  les  dispenser  de  suivre  les  cours. 

Le  prix  d'abonnement ,  payable  d'avance  ,  est,  pour  trois 
leçons  par  semaine  : 

Pour  six  mois  ,  de  150  fr.;  pour  trois  mois,  de  90  fr.;  pour 
un  mois,  de  40  fr. 

Le  prix  des  exercices  concertans  est  de  50  fr.  pour  toute  la 
saison. 

COURS    DE    CHANT. 

M.  Alary,  élève  de  M.  Rubini,  fera  des  cours  de  chant  élé- 
mentaire ,  de  vocalisation  et  de  chant  italien. 

Il  y  aura  en  outre  tous  les  samedis  soir,  à  huit  heures  et  de- 
mie ,  une  réunion  gratuile  de  chanteurs  pour  l'exécution  de 


316 


GAZETTE  MUSICALE  DE  PARIS. 


chœurs  et  d'hymnes  à  trois  et  quatre  voix  d'hommes.  Les  ama- 
teurs sont  invités  à  se  faire  inscrire  les  dimanches  ,  de  huit  à 
dix  heures  du  matin. 

On  peut  assister  aux  différens  cours  ;  des  cartes  d'entrée  se- 
ront à  cet  effet  délivrées  dans  le  local  de  l'établissement,  qui 
est  constamment  ouvert  aux  parens  des  élèves. 

Les  cours  commenceront  mercredi  4"  octobre  prochain. 


NOUVELLES. 

+*+  Il  est  à  remarquer  que  tous  les  journaux  ont  proclamé  le 
brillant  succès  de  la  Tempête  ;  la  Gazette  musicale  seule  a 
dit  la  vérité.  La  rareté  du  public  payant  constate  le  tristesuccès 
de  ce  ballet  plus  qu'insignifiant.  La  troisièm  e  représentation  a 
produit  environ  la  moitié  de  la  recette  des  représentations  or- 
dinaires de  Robert  le  Diable.  Dans  cette  occasion  ,  le  charlata- 
nisme dp  nos  confrères  n'a  pas  servi  à  l'habile  directeur  de  l'A- 
cadémie royale  de  Musique. 

J*+  La  comtesse  du  Comte  Ory  s'est  montrée  vendredi 
sous  les  traits  de  mademoiselle  Falcon  ;  elle  a  chanté  fort  bien 
la  musique  de  Rossini ,  et  le  public  a  applaudi  l'habile  can- 
tatrice autant   que  la  belle  comtesse. 

+*  Les  ddetlante  sont  dans  la  joie;  leur  temple  va  être  de 
nouveau  à  leur  di.position.  Le  théâtre  Italien  ouvre  le  2  oc- 
tobre,et  par  la  Gazza  Ladra,  cet  opéra  favori  des  Européens, 
où  Lablache  et  Tamburini  sont  si  merveilleux ,  et  où  mademoi- 
selle Grisi,  dans  le  rôle  de  Ninetta,  se  montre  à  la  fois  actrice 
passionnée  et  grande  cantatrice;  les  autres  rôles  seront  rem- 
plis par  MM.  Ivanof  et  Sanlini.  Cette  réunion  promet  un  en- 
semble admirable. 

*±  Il  se  prépare  dans  ce  moment  une  grande  fête  musicale 
à  Birmingham;  elle  aura  lieu  dans  les  premiers  jours  d'octo- 
bre. Tout  y  sera  nouveau,  ou  du  moins  inusité  en  pareille 
occasion  :  d'abord  une  salle  nouvelle  dans  le  Town-Hall (Hô- 
tel-de-Ville) ,  qui  pourra  contenir  7000  personnes.  On  enten- 
dra un  orgue  nouveau ,  le  plus  grand  de  l'Angleterre;  un  ora- 
torio nouveau  de  Neukomm,  intitulé  David,  et  enfin  M.  Mos- 
chelès,  le  célèbre  pianiste,  est  engagé  pour  faire  entendre  ses 
nouvelles  compositions  les  2e  et  4e  jours,  chose  d'autant  plus  cu- 
rieuse, que  l'usage  exclut  en  Angleterre  la  musique  instru- 
mentale des  fetes  musicales. 

+*+  On  annonce  que  l'Opéra-Comique  vient  d'engager  ma- 
demoiselle Annette  Lebrun,  fille  de  l'auteur  de  la  musique  du 
Rossignol.  Mademoiselle  Lebrun  possède  ,  dit-on  ,  une  voix  de 
contr'alto  remarquable. 

+*+  On  s'occupe  toujours  beaucoup  au  théâtre  Nautique  du 
grand  ballet  nouveau  les  Chinois.  M.  Auber  fait  des  Chinois 
pour  l'Opéra-Comique,  et  un  théâtre  des  boulevards  donnera, 
dit-on  ,  une  parodie  burlesque  intitulée  :  les  Chinois  de  Paris. 

+%  L'Opéra  est  allé  aujourd'hui  à  Fontainebleau  donner  par 
oi  dre  une  représentation  du  Philtre. 

+*t  Dernièrement  en  passant  à  Calais  ,  Rubini  a  donné  ,  par 
excès  d'obligeance,  un  spectacle  bizarre,  et  peut-être  inouï 
dans  les  fastes  du  théâtre.  On  devait  représenter  l'opéra  du 
Barbier  de  Séville ,  arrangé  par  Castilblaze  ,  au  bénéfice  d'un 
artiste.  On  vint  prier  le  célèbre  voyageur  déjouer  le  râle  d'Al- 
maviva  ;  en  véritable  artiste,  Rubini  ne  vit  que  le  plaisirde  ren- 
dre service,  et  accepta  sans  faire  d'autre  réflexion.  Le  soir  il  entre 
en  scène,  chante  en  italien  l'air  de  la  Sérénade,  et  sort  après 
l'introduction  pour  ne  reparaître  que  quand  Figaro  est  sur  le 
théâtre.  Quelle  est  sa  surprise  d'entendre  le  Figaro  lui  donner 
sa  réplique  en  français,  langue  que  Rubini  parle  très-difficile- 
ment. Un  autre  moins  sûr  de  la  laveur  du  public,  se  serait  dé- 
concerté; loin  de  IN,  Rubini  continua  de  répondre  en  italien  au 
français  de  ses  interlocuteurs.  Dans  un  seul  passage  ,  il  hasarda 
en  français  une  plaisanterie  qui  fut  accueillie  pari  hilarité  et  les 
bravos  de  toute  l'assemblée. 


* t  Madame  Ponchard  a  été  malade;  elle  reparaîtra  incessam- 
ment à  l'Opéra-Coinique.Puisque  celte  cantatrice  a  des  préten- 
tions, nous  nous  occuperons  spécialement  de  son  talent,  la  pre- 
mière fois  qu'elle  créera  un  rôle  nouveau. 

*+  irac/ii«rfiestimpatronisé  maintenant  à  l'Opéra-Comique. 
Nous  le  verrons  incessamment  dans  le  Barbier  de  Séville.  Ma- 
dame Casimir  chantera  le  rôle  de  Rosine. 

+%  M.  Poek,  deVicnne,  une  des  meilleures  basses-tailles 
de  l'Allemagne,  vient  de  chanter,  à  Berlin,  le  rôle  de 
Bertram,  dans  Robert  le  Diable ,  avec  un  succès  tel,  que 
cet  ouvrage  a  dû  être  représenté  deux  fois  dans  le  courant  d'une 
semaine  ,  chose  extraordinaire  dans  la  capitale  de  la  Prusse. 
M.  Poek  a  excité  tant  d'enthousiasme,  qu'il  vient,  d'être  engagé 
au  théâtre  royal  de  Berlin.  Mademoiselle  Ltttzer,  dePrague  ,  a 
<  hanté  l'Isabelle  dans  le  même  opéra.  Elle  a  obtenu  beaucoup 
de  succès. 

t*t  A  l'une  des  dernières  répétitions  de  Marie  Stuart ,  opéra 
nouveau  de  Donizelti,  qu'on  s'occupe  en  ce  moment  de  mon- 
ter au  théâtre  Saint-Charles ,  à  Naples,  il  est  arrivé  un  acci- 
dent tragi-comique  qui  fait  le  sujet  de  toutes  les  conversations 
de  cette  capitale.  Les  deux  prime  donne ,  Elisabeth  et  Marie 
Stuart,  madame  Ronzi  de  Begnis  et  madame  del  Sere  se  sont 
d'abord  prises  aux  cheveux  et  se  sont  ensuite  battues  à  coup  de 
poing  comme  de  véritables  furies.  Madame  del  Sere,  quia  eu 
le  dessous,  a  été  si  maltraitée  par  son  heureuse  adversaire, 
qu'elle  sera  forcée  de  garder  le  lit  au  moins  cpiinze  jours.  On 
est  fort  curieux  de  voir  comment  ces  deux  dames  se  tireront 
de  leur  rôle  à  la  première  représentation  ;  on  a  lieu  de  penser 
qu'elles  mettront  dans  leurs  regards  de  colère  une  rare  vérité. 
*M  La  ville  de  Clermont  manque  de  professeurs  de  pianos  ; 
un  de  nos  eorrespondans  dans  cette  ville  rous  dit  qu'un  jeune 
homme  quiaurait  du  talent  y  ferait  fort  bien  ses  affaires  et  au- 
rait autant  d'élèves  qu'il  en  voudrait. 

„%  Madame  Dorus  Gras  est  de  retour  de  Valenciennes  où 
elle  a  donné  quelques  représentations.  Celle  cantatrice,  un  des 
orn^mens  de  l'Opéra ,  reparaîtra  incessamment  ;  elle  doit  rem- 
plir un  rôle  très-importînt  dans  la  Juive. 


Publications   des   Propriétaires   de   la   Gazette 
Musicale  de  Pari;. 


PIUX  :  i  FRANC 

CHAQUE  OUVRAGE, 

ET  1  Fit.  25  CENT.  FRAISCO  POUR  LES  DÉPAItTEMEKS. 

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Receuil  de  Fantaisies ,  Rondos,  Variations  ,  Contre- 
danses ,  Valses,  etc.,  sur  des  motifs  a" opéras  et 
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COMPOSÉS    PAR 

jStrûuss,  tiMler  et  Canner. 

Gérant,  MAURICE  SCHLESINGER. 


GAZETTE   MUSICALE 

mm  iPdamzi®* 

RÉDIGÉE   PAR    MM.    ADAM,    G.    E.    ANDERS ,  BERTON   (membre    de  l'IllStitut),    BERLIOZ,   CASTIL-BLAZE ,  A.  GDEMER ,  HALÉVY 

(professeur  de  contrepoint  au  Conservatoire),  Jules  jajvln  ,  liszt,  lesueur  (membre  de  l'Institut),  j.  maixzer,  marx 
(rédacteur  de  la  gazette  musicale  de  berlin),  d'ortigue  ,  panofka  ,  richard,  j.  g.  seyfried  (maître  de  chapelle 
à  Vienne),  F.  stœpel,  etc. ,  etc. 


N°    iO. 


PRIX  DE  l'aBON.NEM. 

PARIS. 

DÉPART. 

ÉTRAKG 

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3  m.    8 

8     75 

9     50 

6m.  15 

(6   50 

t8    » 

(  an.  30 

33    » 

36    « 

■£■&  (Sasette  iîtusicaU'  i>e  sparts 
Paraît    le   DIMANCHE  de  chaque  semaine. 

On  s'abonne  au  bureau  de  la  Gazette  Musicale  de  Paris,  rue  Richelieu ,  97; 
et  chez  tous  les  libraires  et  marchands  de  musique  de  France. 

Ou  reçoit   les  réclamations  des  personnes  qui  ont  des  griefs  à  exposer,  et  les  avis  relatifs  a  I. 
qui  peuveut  intéresser  le  public. 


usique 


PARIS,  DIMANCHE  5  OCTOBRE  1834 


Les  lettres,  demandes 
et  envois  d'argent  doi- 
vent être  affranchis,  et 
adresses  au  Directeur  , 
rue  Richelieu,  97. 


MM.  Les  abonnés,  dont  l'abonnement  finit 
le  3o  septembre,  sont  priés  de  le  renouveler  s'ils 
ne  veulent  pas  éprouver  de  retard  dans  l'envoi 
du  Journal. 


UN  BÉNÉFICIAIRE 

ET 

RUBINI    A    CALAIS. 

On  raconte  une  anecdote  assez  originale,  qui  fait  hon- 
neur a  la  bonté  autant  qu'à  l'esprit  de  Rubini.  Un  pau- 
vre diable  d'Ilalien,  sans  argent, .sans  crédit,  sansbottes, 
(comme  dit  Robert  Macaire),  ne  sachant  en  un  mot  à 
quel  saint  se  vouer,  imagina,  il  y  a  quelque  temps, 
d'aller  à  Londres  demander  au  célèbre  chanteur  son 
compatriote  de  le  tirer  d'embarras.  Il  s'agissait  pour  cela 
de  profiter  du  court  instant  qui  sépare  ordinairement  les 
engagemens  de  Rubini  en  Angleterre  de  ceux  con- 
tractés à  Paris,  et  le  prenant  au  vol,  de  donner  un  con- 
cert à  son  passage  à  Calais.  Rubini  consentit  à  tout, 
promit  de  se  trouver  au  rendez-vous  à  jour  fixe  et  en- 
gagea le  malheureux  auquel  il  rendait  la  vie,  à  repartir 
au  plus  vite  pour  aller  tout  préparer.  Celui-ci  revient 
en  effet  plein  d'espoir,  monte  un  concert,  affiche  monts 
et  merveilles,  fait  imprimer  le  nom  de  Rubini  en  lettres 
de  six  pouces  de  haut,  place  les  billets,  brosse  son  cha- 
peau pour  la  première  fois  peut-être  depuis  un  an, 
achète  des  lottes ,  se  remonte  le  corp^  et  l'âme,  et  le 
soir  du  concert ,  devant  une  salle  pleine  se  \o\  forcé  de 


venir,  la  mort  dans  le  cœur,  saluer  le  public  aussi  bas 
que  possible,  et  de  lui  annoncer  que,  M.  Rubini  n'étant 
pas  arrivé ,  le  concert  se  trouvait  nécessairement  remis 
à  huit  jours.  Pauvre  homme  !  quelles  tortures  !  quelles 
angoisses!  mais  il  n'était  pas  au  bout.  Il  avait  a  con- 
naître, sans  en  éviter  une,  toutes  les  douceurs  d'un 
bénéfice. 

Le  concert  est  annoncé  de  nouveau;  Rubini  a  bien 
promis  d'être  exact  ;  tout  va  bien  ;  il  y  a  plus  de  monde 
encore  que  la  première  fois,  le  petit  nombre  de  billeis 
qui  restaient  ayant  été  pris.  Mais  les  grands  artistes 
comme  Rubini  ne  peuvent  répondre  de  leur  exactitude  si 
long-temps  d'avance  ;  trop  d'intérêts  se  rattachent  à 
eux  pour  leur  laisser  une  entière  liberté.  Rubini  se  vit 
donc  forcé  une  seconde  fois  de  manquer  au  rendez-vous. 
Le  bénéficiaire,  courbant  l'épine  dorsale  jusqu'à  se  la 
rompre,  vint,  tout  pâle  d'horreur,  proposer  à  l'assemblée 
un  second  ajournement.  Le  public,  pensant  être  pris 
pour  dupe,  ne  voulut  pas  en  entendre  parler,  et  réclama 
a  grands  cris  son  argent.  Il  fallut  bien  le  rendre,  le  ren- 
dre jusqu'au  dernier  sou.  La  fameuse  paire  de  bottes 
n'était  pas  payée  heureusement;  sans  quoi ,  le  caissier 
eût  trouvé  dans  ses  comptes  un  déficit  de  quatorze  francs. 
Le  malheureux  Italien  allait  se  brûler  la  cervelle  quand 
sa  providence,  son  dieu,  son  chanteur,  son  Rubini  ar- 
rive enfin.  Il  lui  raconte  ses  mésaventures  et  l'horrible 
embarras  où  il  se  trouvait,  r  Eh  bien  ,  il  n'y  a  point  de 
»  temps  a  perdre;  recommencez,  je  ne  puis  vous  faire 
»  défaut  cette  fois,  puisque  me  voilà.  »  Trotte,  trotte  , 


318 


GAZETTE  MUSICALE 


bénéficiaire,  va  revoir  ton  directeur,  ton  chef  d'or- 
chestre, ta  chanteuse,  ton  basson  et  ta  flûte;  cours  chez 
l'imprimeur  ,  commande  une  affiche  superbe ,  où  tu  fe- 
ras suivre  le  nom  fameux  de  Rubini  de  ces  mots  :  ré- 
cemment arrivé  de  Londres;  n'épargne  ni  marches  ni 
contre  marches  ;  convoque  le  ban  et  l' arrière-ban  des 
dilettanli  ;  crie  à  qui  voudra  l'entendre  dans  les  cafés  , 
les  resta urans,  au  port,  dans  les  rues ,  sur  les  toits  :  Ru- 
bini est  arrivé,  personne  ne  te  croira  ;  on  te  répondra 
avec  un  rire  menaçant  :  «  A  d'autres,  charlatan,  tu  ne 
nous  attraperas  plus.  »  Cependant  la  séance  est  ouverte; 
Rubini  s'avance,  son  cahier  à  la  main,  devant  un  audi- 
toire, hélas!  bien  différent  de  celui  qui  toujours,  et 
partout,  se  presse  pour  l'entendre.  Quelques  nouveaux 
débarqués  qui  n'avaient  pas  eu  le  temps  d'apprendre  la 
déconfiture  des  deux  concerts  précédens ,  et  un  petit 
nombre  de  bons  Calaisiens  plus  richement  doués  que  les 
autres  des  trois  vertus  théologales ,  la  foi ,  l'espérance  et 
la  charité ,  s'étaient  seuls  rendus  au  troisième  appel  de 
l'étranger.  Rubini  chanta  comme  à  l'ordinaire,  c'est-a- 
dire  qu'il  fut  admirable,  ravissant,  stupéfiant;  mais  la 
recette,  aye!  aye  !  quel  vide  dans  la  caisse  !  la  recette  ne 
couvrait  pas  les  frais,  et  il  y  avait  à  payer  l'imprimeur, 
l'afficheur,  les  musiciens,  la  salle,  l'éclairage  et  le  droit 
des  pauvres.  Ce  dernier  article,  il  faut  l'avouer,  suffi- 
rait en  pareil  cas  pour  faire  tomber  en  épilepsie  un 
homme  plus  patient  que  noire  Italien.  C'est  bien  la  plus 
débontée,  la  plus  absurde,  la  plus  révoltante,  la  plus 
insolente  et  la  plus  impie  des  mystifications.  Parce  que 
nos  honorables  députés  ,  que  Dieu  confonde  !  ont  fait 
une  loi  sur  un  objet  qui  leur  était  aussi  étranger  que 
beaucoup  d'autres,  un  impôt,  que  dis-je,  un  impôt? 
un  mandat  de  spoliation  se  trouve  lancé  contre  les  don- 
neurs de  concerts.  Un  compositeur,  qui  n'a  qu'a  peine 
de  quoi  vivre,  voudra  faire  entendre  un  ouvrage  d'où 
dépend  son  avenir,  il  montera  une  belle  solennité  mu- 
sicale, il  engagera  un  superbe  orchestre;  sa  partition 
exécutée  avec  ensemble  et  vigueur  ira  aux  nues;  mais  la 
recelte  n'a  été  que  de  deux  mille  francs,  les  frais  étaient 
de  dix-neuf  cent ,  et  voilà  le  fermier  du  droit  des  pau- 
vres qui  vient  réclamer  cinq  cent  francs,  le  quart  de  la 
recelte  brute,  auquel  il  a  droit  de  par  la  loi.  En  sorte, 
que  le  malheureux  artiste  au  lieu  de  la  modique  somme 
de  cent  francs  qu'il  gagnait  pour  avoir  composé  un  ou- 
vrage remarquable  et  avoir  réussi  à  le  faire  dignement 
exécuter  à  ses  risques  et  périls,  se  trouve  tout  d'un 
coup  dépouillé  de  son  bénéfice  et  imposé  de  quatre  cent 
francs  de  par  la  loi.  C'est  le  droit  des  pauvres  ;  c  est-a- 
dire  le  droit  du  fermier  des  pauvres, qui,  ne  donnant  ja- 
mais de  concerts ,  trouve  fort  commode  qu'on  en  donne 


pour  lui;  pour  lui  qui  prend  le  quart  delà  recette  sans 
faire  entrer  en  ligne  de  compte  la  moindre  partie  des 
frais . 

Mais  revenons  a  notre  bénéficiaire.  Le  droit  des  pau- 
vres joint  aux  frais  du  concert,  excédant  de  beaucoup 
la  somme  perçue,  il  vient  trouver  Rubini ,  lui  compte 
son  désappointement,  et  lui  indique  un  moyen  excellent 
de  le  tirer  d'affaire.  Ce  serait  que  Rubini  fût  assez  bon 
pour  chanter  le  comte  Almaviva  daus  le  Barbier  de  Sé- 
ville.  Toute  la  population  de  Calais  étant  assurée  a  pré- 
sent de  la  présence  du  célèbre  chanteur,  et  ne  craignant 
plus  de  se  voir  trompée  dans  son  attente,  la  salle  serait 
comble,  et  le  fermier  des  pauvres  n'aurait  le  droit  de 
prendre  que  le  onzième  d'une  si  belle  recelte  ,  au  lieu 
du  quart  qu'il  avait  pris  dans  celle  du  concert ,  parce 
que  cette  fois  il  s'agirait  d'une  représentation  drama- 
tique (admirable  distinction  !  il  paraît  que  nos  députés 
qui  font  de  si  belles  lois ,  en  veulent  personnellement 
à  la  musique.  Ce  sont  sans  doute  les  sérénades  que  beau- 
coup de  ces  messieurs  essuient  en  retournant  dans  les 
départemens  qui  leur  ont  inspiré  une  pareille  haine  pour 
les  concerts  ).  «  Jouons  le  Barbier,  je  veux  bien,  dit  cet 
»  excellent  Rubini  ;  allez  vite  vous  arranger  avec  le  di- 
»  recteur  et  comptez  sur  moi.  »  Nouveaux  efforts , 
nouvelles  courses  de  l'infortuné  bénéficiaire —  Tout 
marche  à  souhait;  le  directeur,  les  acteurs,  sont  en- 
chantés de  donner  une  représentation  avec  Rubini;  les 
arrangeinens  sont  bientôt  pris  ;  on  affiche  ;  les  billets 
sont  enlevés  en  un  clin  d' œil  ;  on  répète,  la  pièce  va 
bien  ;  il  ne  reste  plus  à  faire  qu'une  dernière  répétition 
à  laquelle  Rubini  a  promis  d'assister.  Il  s'y  rend  en 
effet.  Mais  voici  bien  une  autre  affaire.  A  peine ,  le  pre- 
mier morceau  est-il  commencé,  que  Rubini  l'interrompt. 
«  Comment!  comment!  en  français!  vous  chantez  en 
»  français?  on  ne  m'avait  pas  prévenu  de  cela;  jamais 
»  je  n'en  dirai  un  mot,  c'est  impossible,  »  Et  les  acteurs 
français  de  répliquer  :  «Comment!  comment!  en  ita- 
»  lien  ?  vous  voulez  que  nous  chantions  en  italien ,  c'est 
»  de  toute  impossibilité,  nous  ne  savons  pas  la  langue.  » 
—  «  Ah  mon  Dieu!  je  suis  perdu,  s'écrie  alors  le  pauvre 
»  diable  de  bénéficiaire,  s' arrachant  les  cheveux,  je  suis 
»  perdu ,  perdu  sans  ressource  !  Santa  Madona  !  Pieta  ! 
»  Sono  pazzo,  ammazzato,  morto!  !  !  —  Tout  n'est  pas 
»  perdu,  dit  Rubini,  frappé  de  ce  désespoir,  la  repré- 
»  sentation  aura  lieu  ,  continuons  et  soyez  tranquilles , 
»  j'arrangerai  ça.  » 

Le  soir,  enèffet,  il  entre  gravement  en  scène,  et  au  mo- 
ment où  chacun  se  demandait  comment  allait  être  résolue 
la  difficulté,  Rubini  répond  à  son  interlocuteur  français: 
«  Cosa  vol  dire  ?  eh  !.. ,  non  so  troppo  bene  lo  francese  ! 


DE  PARIS. 


»  Ah!  bene,  bene,  adesso,  capisco.  »  La  salle  entière 
d'éclater  de  rire  à  ce  dialogue  bouffon.  Une  fois  désarmé 
par  l'hilarité,  l'auditoire  adoptait  nécessairement  l'exé- 
cution du  Barbier  dans  les  deux  langues  ;  l'opéra  a  donc 
continué  avec  le  plus  grand  succès ,  et  a  la  satisfaction 
du  public  qui  ne  pouvait  assez  applaudir  à  l'incompa- 
rable talent  autant  qu'à  la  spirituelle  obligeance  du  grand 
altiste  et  de  l'excellent  homme.  Il  ne  faut  pas  croire 
qu'une  pareille  tentative  fût  absolument  sans  danger;  le 
public  des  petites  villes  est  d'ordinaire  assez  turbulent, 
souvent  même  fort  discourlois  ;  celui  de  Calais  avait  été 
déjà  mécontenté  par  deux  fois  à  l'occasion  de  Rubini  ; 
il  se  pouvait  donc  fort  bien  que  la  hardiesse  du  chanteur 
italien  fût  prise  en  mauvaise  part  et  servît  a  faire  éclater 
les  fâcheuses  manifestations  d'un  ressentiment  mal  éteint. 
Il  n'en  a  point  été  ainsi,  a  la  vérité;  mais  l'incertitude 
du  succès  en  cette  occasion,  relève  infiniment  a  nos 
yeux  ia  noble  conduite  de  Rubini,  dont  on  parlera  peu 
sans  doute  parce  qu'il  est  coutumier  du  fait. 

H.  Berlioz. 


DE  SPONTINI, 

ET    DU    CARACTÈRE    DE    SES    COMPOSITIONS    DRAMATIQUES. 

Notre  but,  dans  cet  examen,  n'est  pas  de  relever  les 
imperfections  qu'une  critique  sévère peutdécouvrirdans 
le  talent  de  Spontini ,  mais  de  signaler  à  l'admiration 
les  qualités  fortes  et  originales  qui  lui  ont  mérité  le  rang 
qu'il  occupe  dans  l'estime  des  artistes. 

C'est  un  lieu  commun  fréquemment  usité  dans  la 
critique,  que  de  comparer  aux  ouvrages  d'aujourd'hui 
ceux  des  temps  passés.  Cette  comparaison  peut  être 
juste,  en  tant  que  l'on  part  du  principe  que  le  beau  reste 
éternellement  beau  ,  et  que  le  temps  ne  saurait  altérer 
le  caractère  primitif  de  la  beauté  véritable.  Mais  ne  sa- 
vons-nous pas  quelle  influence  exercent  les  circonstan- 
ces contemporaines  sur  les  plus  hautes  créations  de  l'art, 
et  ne  faut-il  pas,  dans  l'appréciation  équitable  des  chefs- 
d'œuvre,  faire  la  part  des  idées  qui  dominaient  a  l'épo- 
que où  ils  ont  été  conçus? 

Or,  les  ouvrages  de  Spontini  imposent  rigoureusement 
cette  nécessité,  et  c'est  pour  l'avoir  méconnue  qu'on  a 
porté  tant  de  jugemens  erronés  contre  lui.  Ses  ouvrages 
diffèrent  en  tous  points  de  ce  que  l'harmonie  a  créé  jus- 
qu'à ce  jour,  et  pourtant  ils  satisfont  pleinement  aux 
idées  les  plus  pures  de  la  vraie  beauté.  Si  cependant  on 
voulait  établir  un  parallèle  entre  lui  et  un  de  nos  an- 
ciens maîtres,  si  on  était  curieux  de  chercher  un  point 
de  comparaison  pour  ses  beautés,  on  le  trouverait  dans 
Gluck  :  Spontini  est  le  Gluck  moderne. 

Dans  l'art  du  théâtre,  la  perfection  serait  de  faire 


abnégation  complète  de  soi-même,  et  de  sa  propre  na- 
ture pour  s'identifier  entièrement  avec  les  passions  qu'on 
doit  peindre.  Mais  il  n'en  va  pas  ainsi,  et  chez  la  plupart 
des  compositeurs  dramatiques,  c'est  le  sentiment  le  plus 
développé  en  eux,  qui  devient  le  type  habituel  de  l'ex- 
pression qu'ils  prêtent  a  leurs  personnages.  Quoique 
nous  ne  voulions  point  nous  dissimuler  que  Spontini 
ait  quelquefois  échoué  contre  cet  écueil,  il  s'élève  néan- 
moins encore  sous  ce  rapport  au-dessus  de  ses  contem- 
porains Rossini ,  Weber,  Spohr,  etc.  ;  et  d'ailleurs, 
lorsqu'il  sacrifie  la  vérité  artistique  a  un  sentiment  pré- 
dominant ,  ne  faut-il  pas  rejeter  une  partie  de  ce  tort 
sur  les  poètes  de  son  époque,  eux  qui ,  par  la  concep- 
tion presque  uniforme  de  leurs  héros  et  héroïnes,  ont 
mis  Spontini  dans  la  nécessité  d'être  trop  souvent  mono- 
tone et  sans  couleur?  Les  mobiles  principaux  des 
personnages  des  opéras  de  Spontini  sont ,  a  peu  d'ex- 
ceptions près ,  F honneur  et  Y  amour ,  et  le  résultat  de  la 
lutte  qui  s'élève  entre  ces  deux  passions ,  le  triomphe 
de  l'héroïsme.  Et  comme  ces  sentimeus  sont  le  reflet 
des  idées  nationales  dont  s'inspirait  alors  la  poésie  fran- 
çaise, n'était-il  pas  naturel  que  l'auteur  s'identifiât 
avec  eux?  L'honneur  et  l'amour  forment  donc  le  carac- 
tère principal  de  ses  créations  ;  ces  sentimens,  l'un  tout 
en  dehors,  l'autre,  d'une  énergie  concentrée,  se  mani- 
festent chez  lui  dans  toute  leur  puissance,  et  nous  pou- 
vons affirmer  avec  raison  que  la  jorce  est  le  caractère 
fondamental  des  compositions  de  Spontini. 

Il  n'est  pas  sans  exemple  dans  la  littérature  et  dans 
les  arts,  que  les  détails  de  l'exécution  modifient  l'idée 
qui  a  présidé  a  la  conception  primitive;  mais  les  grands 
talens  ne  procèdent  pas  ainsi  en  musique.  Dès  qu'une 
idée  se  présente  à  leur  imagination  ,  elle  doit  être  con- 
çue en  quelque  sorte  dans  toute  sou  étendue  et  dans  tous 
ses  développemens,  et  s'élancer  de  leur  cerveau,  pour 
ainsi  dire  ,  tout  armée  des  combinaisons  instrumentales 
qui  doivent  compléter  son  ensemble. 

Le  moindre  embellissement  qu'on  lui  adjoindrait  plus 
tard,  et  à  froid,  paraîtrait  superflu  et  altérerait  l'har- 
monie pure  et  belle  qui  convient  à  ses  parties  isolées.  Il 
y  a,  nous  le  savons,  bien  des  compositeurs  dont  les  ou- 
vrages laissent  apercevoir  à  l'audition  la  manière  dont 
ils  ont  été  travaillés,  d'abord  au  piano,  ou  sur  nn  au- 
tre instrument  favori ,  ensuite  avec  l'accompagnement 
d'un  quatuor,  et  enfin  en  partition;  mais  ces  auteurs 
ne  sont  pas  ce  qu'on  appelle  des  hommes  de  génie. 
Peut-il  être  question  de  verve  poétique  et  de  vérité  dans 
l'ensemble,  lorsque  tant  d'efforts  séparent  la  conception 
première  de  l'exécution  définitive.  Il  n'est  de  vraie  poé- 
sie que  celle  où  l'esprit,  le  cœur  et  l'imagination  s'u- 


320 


GAZETTE  MUSICALE 


nissent  intimement.  Or,  il  est  historiquement  prouvé 
que  Spontini  est  artiste  et  qu'il  l'est  de  cette  manière. 
Il  travaille  lentement,  non  pas  en  esquissant  un  projet 
un  quatuor  et  en  y  ajoutant  d'abord  un  instrument 
puis  un  autre  ;  non ,  il  conçoit  le  tout  d'un  seul 
jet,  avec  toute  l'immense  richesse  qui  se  présente  a 
son  âme.  Coordonner  ses  idées,  les  employer  selon 
les  exigences  de  la  situation ,  classer  dans  l'ordre  le  plus 
symétrique  ce  que  son  imagination  lui  offre  en  abon- 
dance, voila  ce  qui  lui  coule  du  travail.  Spontini  est  un 
poète  parmi  les  musiciens  (1  ). 

Ces  raisons  peuvent  aussi  répondre  au  reproche  adres- 
sé si  souvent  a  Spontini,  et  même  avec  plus  de  vraisem- 
blance sur  son  instrumentation,  comme  trop  forte,  trop 
chargée,  écrasant  les  voix  ,  et  ne  faisant  de  ses  opéras 
qu'un  bruit  fastueux  et  étourdissant,  etc.  Ainsi  on  ra- 
conte que  Zelter,  revenant  un  soir  d'entendre  Olympia, 
et  passant  devant  une  trentaine  de  tambours  qui  bat- 
taient la  retraite,  s'écria:  «  Cette  musique  la  repose- 
de  l'autre  !  »  Il  serait  facile  de  prouver  combien 
cesjugemens  sont  légers;  mais  nous  préférons  citer  une 
autre  anecdote.  Le  même  Zelter,  lorsqu'il  sut  que  Beetho- 
ven avaitcomposé  la  Bataille  de  Fittoria  ,  dans  laquelle 
on  devait  entendre,  entre  autres  effets  bruyans,  de  vé- 
ritables coups  de  canon ,  écrivit  a  Goethe  uue  disser- 
tation fort  savante  sur  ce  genre  de  musique.  Plus  tard 
il  entendit  cette  symphonie  et  fut  enchanté.  Il  se  repro- 
che amèrement  une  critique  injuste  comme  toutes  celles 
qu'on  peut  faire  contre  Beethoven.  La  véritable  apolo- 
gie de  Spontini,  il  faut,  comme  nous  l'avons  dit,  la 
chercher  dans  les  sujets  mêmes  de  ses  poèmes.  Il  faut 
nous  représenter  les  situations,  les  caractères  sur  les- 
quels le  compositeur  avait  a  travailler;  il  faut  nous  sou- 
venir des  impressions  toutes  vivantes,  de  l'exaltation 
presque  frénétique  que  jetait  en  ce  moment  dans  les  es- 
prits le  plus  grand  des  héros  dont  l'image  et  les  hauts 
faits  aient  occupé  tous  les  artistes,  puis  considérer  les 
prestiges  qui  se  rattachaient  à  un  Fernand-Cortès,  con- 
quérant de  tout  un  peuple,  à  une  fille  d'Alexandre-le- 
Grand,  a  la  peinture  des  mœurs  de  Rome  antique. 

N'était-il  pas  nécessaire  que  sur  d'aussi  puissantes  don- 
nées fournies  par  le  poète,  le  compositeur  déployât  tous  les 
effets  que  son  art  mettait  à  sa  disposition.  Nous  conve- 
nons aisément  que  les  ouvrages  de  Spontini  exigent  un 
plus  grand  orchestre  que  presque  tous  ceux  des  autres 
compositeurs  ;  mais  nous   soutenons  aussi  sans  crainte 

(1)  L'exécution  matérielle  des  partitions  dcSponlini  pourrait 
déjà  nous  eu  servir  de  preuves.  On  n'y  trouve  aucun  bis,  ni 
corne  sopra  ;  tout  est  écrit  avec  la  plus  grande  précision ,  et  de 
manière  à  faire  croire  que  ses  yeux  même  ne  peuvent  suppor- 
ter une  irrégularité  et  un  décousu  matériels. 


qu'il  se  trouve  toujours  dans  un  rapport  beaucoup  plus 
direct  avec  l'ensemble  del'ouvrage,  et  surtout  avec  l'im- 
portance des  idées  musicales  que  la  moitié  du  même 
orchestre  avec  les  pauvres  motifs  de  contredanses  dont 
on  nous  gratifie  sons  le  nom  de  grands  opéras  (1).  Nous 
allons  donner  encore  une  autre  preuve,  que  tous  les 
moyens  que  Spontini  a  employés  dans  ses  ouvrages,  sont 
motivés  par  l'idée  fondamentale  qu'ils  expriment  ;  car 
on  trouve  dans  ses  partitions  toujours  deux  piano  pour 
un  forte;  et  ce  sage  mélange  et  cette  division  d'expres- 
sion produisent  de  beaux  et  grands  effets,  même  avec 
un  orchestre  médiocrement  nombreux.  Mais  quand  ces 
masses,  et  avec  elles  les  effets  qu'elles  produisent,  se 
doublent,  alors  les  critiques  malveillans  n'y  entendent 
plus  que  du  bruit. 

Nous' pourrions  facilement,  et  d'une  manière  viclo- 
torieuse,  réfuter  des  reproches  tels  que  les  suivans  : 
Pourquoi  ne  se  trouve-t-il  pas  de  chanteurs  ni  de  can- 
tatrices pour  les  opéras  de  Spontini?  Nous  n'aurions 
qu'a  demander  combien  il  y  en  a  pour  Oifeoâe  Gluck, 
pour  A Iceste,  pour  Armide,  et  pour  Oberon  de  Weber. 
Les  œuvres  de  Spontini  ne  sont  donc,  en  aucune  ma- 
nière, des  opéras  qui  ne  produisent  que  du  faste  et  du 
bruit j  car  ces  effets  bruyans  sont  partout  appropriés  au 
but  qu'ils  veulent  atteindre. 

Parmi  les  compositeurs  dramatiques,  Gluck  fut  le 
premier  qui  s'occupa  de  la  déclamation  jusqu'alors  en- 
tièrement négligée.  Mais  son  zèle  a  donner  la  valeur 
propre  a  chaque  mot,  même  a  chaque  syllabe,  le  porta 
à  négliger  souvent  l'expression  mélodique.  C'est  là  la 
cause  de  ce  que  ses  récitatifs  sont  des  chef-d'œuvres 
qu'on  ne  pourra  dépasser  ;  car  ce  sont  plutôt  l'harmonie 
etlerhythme  que  la  mélodie  qui  forment  leurs  beautés 
principales.  La  déclamation  de  Gluck  est,  si  l'on  peut 
s'exprimer  ainsi ,  une  traduction  mot  a  mot  en  musique, 
et  c'est  par  là  que  ses  imitateurs  ont  commis  le  plus  de 
fautes.  Les  compositeurs  ne  s'occupèrent  plus  d'idées 
musicales,  mais  de  syllabes. 

Les  Italiens  s'étaient  depuis  long-temps  résignés  à  ne 
faire  prédominer  dans  la  musique  que  la  mélodie.  Alors 
vint  Spontini.  Il  prit  des  Italiens  le  charme  de  la  mélo- 
die ;  de  Gluck  l'art  de  la  déclamation  musicale  ,  et  en 
ne.  se  rapprochant  des  meilleurs  maîtres  allemands  que 
pour  ce  qui  concernait  l'harmonie,  il  devint  le  compo- 
siteur de  tous  les  pays  et  de  tous  les  temps.  Comme 
Gluck,  il  dédaigna  l'usage  des  fioriture  et  des  orne- 
mens factices,  et  là  où  il  s'en  est  servi,  ils  se  trouvent 

(1)  Il  est  superflu  de  faire  la  remarque  que  nous  sommes 
bien  éloignés  de  ranger  dans  cette  catégorie  Robert-le-Diable 
de  Meyei béer,  et  Guillaume-Tell  de  Russini . 


321 


dans  le  plus  heureux  accord.  Avec  le  sens  des  paroles  et 
leur  déclamation,  Spontini  est  un  déclamateur  lyrique 
accompli. 

Les  expériences  les  plus  intéressantes  nous  ont  appris 
clairement  combien  le  problème  d'une  semblable  union 
est  difficile  à  résoudre  en  musique.  Charles-Marie  de 
Weber  fut,  sans  contredit,  sinon  le  génie  le  plus  fécond, 
du  moins  le  compositeur  le  plus  ingénieux  qui  jamais  ait 
existé.  Il  fit  dans  son  Eurjanthe  le  premier  essai  d'une 
déclamation  lyrique;  mais  il  ne  réussit  pas  a  atteindre  la 
reproduction  fidèle  du  sens  des  paroles.  Il  se  tira  de  rette 
difficulté  avec  plus  de  bonheur  dans  Oberon  ;  là  ,  We- 
ber est  digne  de  lui  ;  la  il  se  montre  le  premier  compo- 
siteur allemand  qui  ait  su  réunir  une  déclamation  par- 
faite a  la  richesse  mélodique  la  plus  entraînante.  La 
puissance  d'une  véritable  déclamation  lyrique  est  telle- 
ment grande,  qu'elle  prévaut  sur  la  division  rhythmi- 
que  des  phrases  musicales.  Nous  trouvons  déjà  dans 
Gluck ,  chez  qui  la  déclamation  était  dominante ,  et 
dans  les  opéras  de  Spontini  et  de  Weber,  des  phrases 
de  cinq,  sept  et  neuf  mesures,  qui  n'ont  pas  des  ré- 
ponses d'une  égale  dimension,  et  qui  par  conséquent 
sont  fausses  selon  les  règles  du  rhythme ,  et  pourtant 
cela  ne  froisse  jamais  le  sentiment  rhylhmique. 

La  littérature  allemande,  et  particulièrement  celle 
du  journalisme,  est  riche  en  doeumens  intéressans  sut 
les  ouvrages  de  Spontini.  Il  a  trouvé  beaucoup  de  con- 
tradictions ,  peut-être  plus  que  d'éloges  ;  mais  nous 
croyons  ce  blâme  motivé  par  d'autres  causes  que  ses  œu- 
vres. Ses  admirateurs  les  plus  estimés  étaient  l'excellent 
écrivain  fantastique  Hoffmann  et  le  savant,  professeur 
Marx ,  à  la  plume  énergique  duquel  on  doit  plus  d'un 
travail  estimable  de  ce  genre,  lors  delà  brillante  époque 
musicale  de  Berlin.  Fr.  STOEPEL. 


Une  nouvelle  Production  de  M.  H.  Herz. 

Variations  brillantes  (  di  bravura  )  avec  accompagnement 
d'orchestre  sur  le  trio  favori  du  Pré -aux- Clercs,  par 
H.  Herz.  Op.  76.  Prix  H 5  fr.  Pour  piano  seul  :  7  fr.  5o  c. 

Nos  lecteurs  auront  sans  doute  remarqué  que  nous 
nous  occupons  souvent  de  M.  Herz,  et  que  déplus,  nous 
faisons  de  ses  œuvres  un  examen  plus  rigoureux  que  si 
nous  avions  à  traiter  des  productionsde  MM.Chaulieu, 
Fessy,  Lavainne,  Roger,  etc.,  etc.  Notre  intention  n'est 
pas  de  nous  excuser  sur  ce  point  auprès  de  nos  lecteurs, 
car  en  cela ,  notre  propre  patience  est  assurément  sou- 
mise à  la  plus  rude  de  toutes  les  épreuves;  mais  nous  es- 
pérons qu'il  nous  sera  permis  d'exposer  en  peu  de  mots 
les  causes  qui  nous  poussent  à  en  agir  comme  nous  le  fai- 
sons. 


Nous  avons  souvent  à  nous  occuper  de  M.  Herz  : 
c'est  que  souvent ,  trop  souvent  hélas  !  en  bon  indus- 
triel ,  il  met  en  mouvement  la  roue  de  sa  machine  à  va- 
riations. M.  Herz  est  né  pour  briller  en  Angleterre, 
cette  terre  classique  des  fabriques. 

Nous  faisons  de  ses  productions  un  examen  plus  ri- 
goureux, etc.,  etc.  Parmi  les  compositeurs  du  même 
genre,  ou  si  l'on  préfère  que  nous  nous  servions  des 
anciennes  dénominations,  de  ce  genre,  qui  distinguait 
jadis  les  Steibelt,  les  Latottr,  les  Gélineck ,  les  lanhall 
et  quelques  autres  représentans  de  ce  style,  le  plus  com- 
mun et  le  plus  élégant ,  le  pluspto  et  en  même  temps  le 
plus  précieux,  le  plus  vide  d'idées  et  partant  le  plus 
aisé  à  saisir  ;  parmi  ces  compositeurs,  disons-nous, 
M.  Herz  est  sans  contredit  le  plus  distingué  de  tous  et 
celui  qui  a  su  jeter  le  plus  vif  éclat  sur  le  genre  qu'il  a 
adopté  (1).  Imbus  comme  nous  le  sommes  des  idées  que 
nous  avons  si  souvent  émises  sur  l'art ,  fermement  ré- 
solus à  combattre  de  toutes  nos  forces  la  musique  mé- 
diocre et  indigne  de  la  sainteté  de  son  nom  ;  celle-là 
même  qui  depuis  dix  ans  est  presque  parvenue  à  faire 
oublier  ou  du  moins  négliger  et  méconnaître  les  admi- 
rables œuvres  classiques  de  Beethoven  ,  Mozart ,  JVe- 
ber,  Moschelès  et  Hummel,  n'élait-re  pas  pour  nous  un 
véritable  devoir  de  nous  attaquer  aux  champions  les 
plus  haut  placés?  Devions-nous  poursuivre  de  pauvres 
et  insignifians  écoliers,  tandis  que  le  chef,  poursuivant 
fièrement,  e!  sans  être  gêné  par  sa  conscience,  son  œuvre 
d'argent  et  de  lucre?  Et  n'avons-nous  pas  dû  employer 
les  expressions  du  blâme  le  plus  sévère,  lorsque  nous 
avons  vu  l'égoïsme  et  l'avarice  nous  présenter  si  fière- 
ment une  impénétrable  cuirasse?  Quand  bien  même 
notre  conduite  ne  devrait  nous  mener  à  aucun  résultat 
satisfaisant,  nous  aurons  toujours  la  consolation  de 
penser  que  nous  avons  consacré  toutes  nos  forces  à  la 
défense  de  la  bonne  cause.  Mais  remercions  Apollon 
de  ce  que  nos  conseils  sont  bien  loin  d'avoir  été  perdus  ! 
Partout,  nous  trouvons  des  esprits  qui  savent  nous  com- 
prendre et  des  voix  qui  répondent  à  la  nôtre  ;  nous  avons 
donc  l'assurance  de  voir  toutes  les  vaines  et  fières  ido- 
les succomber  tôt  ou  tard  pour  faire  place  enfin  à  l'art 
véritable. 

La  nouvelle  œuvre  de  M.  Herz  (N°  76)  est  si  diamé- 
tralement opposée  à  toute  idée  artistique,  elle  est  si  loin 
de  réaliser  l'attente  que  doit  éveiller,  dans  l'année  1854, 

(•I)  On  nous  pardonnera  de  ne  pas  employer  le  '""_ot  chef 
d'école  pour  désigner  M.  Herz.  D'une  part,  cet*  ,  dénomina- 
tion rappelle  des  phases  de  l'ait  trop  nobles  et  trop  grandes  ; 
de  l'autre  ,  le  mot  école  emporte  avec  soi  l'idée  d'une  science 
acquise  ,  et  il  ne  peut  pas  être  question  de  cela  à  propos  de 
M.  Herz. 


GAZETTE  MUSICALE 


une  composition  écrite  pour  le  piano ,  qu'il  ne  peut  être 
ici  nullement  question  d'un  analyse  scientifique  ou  rai- 
sonnée  d'après  les  principes  de  l'art.  Nous  nous  conten- 
terons donc  de  quelques  remarques  pour  le  profit  et 
l'instruction  des  amateurs  qui  ne  seraient  pas  à  même 
d'examiner  par  eux-mêmes  cette  nouvelle  production. 
Le  titre  renferme  trois  et  peut-être  bien  même  quatre 
choses  de  trop.  On  a  donné  aux  variations  la  double  dé- 
nomination de  variations  brillantes  et  de  bravoure.  Par 
le  mot  brillant;  on  sous-entend  implicitement  l'idée  de 
quelque  chose  de  riche ,  de  distingué ,  de  quelque  chose 
enfin  qui  s'élève  au-dessus  du  vulgaire  ;  en  effet,  cou- 
vrez un  mendiant  ou  un  homme  du  commun  des  plus 
riches  accoutremens,  un  tel  homme  ne  saura  jamais  par- 
venir a  briller  dans  la  juste  acception  du  mot.  De  même 
aussi,  le  seul  mot  bravoure  présente  à  l'esprit  une  cer- 
taine idée  de  force  et  de  noblesse;  la  bravoure  est  le  plus 
bel  ornement  d'un  homme  qui  comprend  sa  dignité  ;  son 
caractère  distinctif  est  celui  d'une  énergique  gravité. 
Or,  nous  le  demandons,  comment  rattacher  les  idées  de 
brillant  et  de  bravoure  à  une  œuvre  dont  le  thème  est 
formé  par  l'une  des  plus  jolies  contredanses  de  Musard , 
un  de  ces  motifs  légers  qui  chaque  soir  viennent  donner 
à  l'habitué  du  café  Turc  des  velléités  si  dansantes.  L'au- 
teur aurait-il  voulu  exprimer  par  son  titre  qu'il  faut  se 
munir  d'une  bonne  dose  de  courage  avant  d'oser  s'atta- 
quer à  ce  pâle  remaniement  d'idées  vieillies  et  surannées? 
L'aveu  serait  aussi  par  trop  naïf!  M.  Herz  aurait  dû  se 
contenter  d'annoncer  des  variations  nouvellement  sor- 
ties de  sa  fabrique;  un  tel  titre  eût  amplement  suffi. 
Nous  regardons  aussi  comme  une  superfétation  le  pré- 
tendu accompagnement  d'orchestre  dont  le  compositeur 
nous  fait  fête.  En  effet,  nous  affirmons  que  tout  homme 
qui,  après  avoir  rassemblé  tout  son  courage,  voudra 
se  décider  a  jouer  ce  morceau  d'un  bout  à  l'autre, 
pourra  fort  aisément  le  faire  sans  éprouver  la  moindre 
gêne  par  l'absence  de  l'orchestre.  En  cas  de  besoin ,  un 
bon  orchestre  n'aurait  nulle  peine  a  improviser  un  ac- 
compagnement au  moins  égal  a  celui  qui  a  été  écrit  par 
le  compositeur  lui-même.  Que  nous  regardions  le  prix 
de  -15  francs  comme  une  annonce  exubérante,  c'est  ce 
qui  nous  paraît  encore  trop  clair  pour  que  nous  nous  y 
arrêtions  un  seul  instant. 

L'introduction  commence  par  un  tutti  composé  d'ac- 
cords énergiques,  c'est  a  dire  pointés,  et  qui  doivent 
être  frappés  avec  force  et  résolution.  Ce  tutti  est  ensuite 
interrompu  par  une  courte  phrase  pianissimo  pour  les 
flûtes,  les  hautbois  ou  les  violons,  puis  il  se  termine  de 
la  manière  la  plus  commune  et  la  plus  triviale  par  un 
solo  de  cor  diminuendo  e  rilardando.    Le  solo  de  piano 


entame  ensuite  un  trait  entièrement  analogue  au  motif, 
et  qui,  s'il  eut  été  traité  avec  un  vrai  talent  musical, 
aurait  pu  former  un  fort  joli  cantabile  ;  mais  le  compo- 
siteur s'est  laissé  emporter  par  un  tel  déluge  dénotes,  de 
trilles  et  d'accords  plus  ou  moins  baroques,  qu'au  bout 
de  quelques  instaus,  on  ne  tarde  guère  a  perdre  de  vue 
l'idée  principale.  A  la  quatrième  page,  tout  au  commen- 
cement, M.  Herz  s'oublie  au  point  qu'il  copie  note  pour 
note  un  passage  d'un  concerto  de  Weber  (Y).  Pour  un 
compositeur  de  'a  force  de  M.  Herz,  c'est  un  véritable 
malheur  que  de  rappeler  de  semblables  œuvres  ;  et  pour- 
tant chacun  sait  s'il  s'en  fait  faute.  La  mélodie  du  trio 
favori  du  Pre'-aux  Clercs  est  arrangée  en  octaves  pour 
la  main  droits,  et  la  main  gauche  exécute  un  Accompa- 
gnement formé  par  une  suite  d'accords  qui  n'ont  rien 
que  de  fort  ordinaire. 

La  première  variation  est  écrite  en  triolets  et  ressem- 
ble a  toutes  celles  que  l'on  retrouve  dans  les  œuvres  du 
même  genre,  et  qui,  nous  devons  le  croire,  se  trouvent 
toujours  faites  d'avance.  En  effet,  toutes  les  combinai- 
sons peuvent  se  rapporter  au  même  thème  avec  un  avan- 
tage égal. 

La  seconde  variation  brille  par  la  même  trivialité. 
Nous  donnons  ici,  dans  tout  son  brillant  entourage,  la 
figure  principale  qui  sert  de  type  aux  huit  premières  et 
aux  huit  dernières  mesures  : 


Variation  2. 

con  leggierezza     rt»% 
meno  vivo  (  0 


Voici  l'autre. 


Maintenant  si  l'on  veut  bien  remarquer  que  les  huit 
dernières  mesures  de  la  seconde  reprise  sont  la  répéti- 
tion exacte  des  huit  premières  mesures  formant  la  pre- 
mière reprise,  et  de  plus,  que  les  quatre  dernières  me- 
sures de  la  seconde  reprise  ne  sont,  a  une  octave  supé- 
rieure, que  la  stricte  répétition  des  quatre  premières 
mesures  de  cette  même  reprise  ,  on  pourra  se  convaincre 
que  la  variation  tout  entière  se  compose  seulement  de 
douze  mesures  qu'on  aurait  pu  écrire  sur  deux  portées 
de  musique.  Voila  pourtant  comment  on  remplit 
des  pages  !  !  Par  la  même  occasion  ,  et  pendant  que 
nous  sommes  comme  perdus  au  milieu  de  ces  tristes 
détails  ,  nous  ferons  encore   une    remarque  sur    une 

(1  )  Voyez  les  œuvres  de  Weber,  morceau  de  salon,  p.  204. 
Paris,  édition  de  Maurice  Schlesinger. 


DE  PARIS. 


autre  particularité  de  la  composition  de  M.  Herz. 
Ce  compositeur  a  écrit  en  tête  de  la  deuxième  varia- 
tion :  con  leggierezza.  Pour  l'ordinaire,  c'est  l'a  que  l'on 
place  les  mots  qui  doivent  spécifier  le  caractère  du  mor- 
ceau entier.  Mais  ici,  concilier  la  leggeriezza  avec  le 
staccato  ou  avec  forte  confuoco  e  ben  marcato,  ou  en- 
fin avec  la  bravura,  c'est  un  véritable  contre-sens;  le 
mot  scherzando  eût  amplement  suffi.  Pour  indiquer  le 
mouvement ,  M.  Herz  écrit  en  outre  meno  vivo  ,  et  en 
même  temps  il  indique  le  numéro  du  métronome.  Pour- 
quoi cela  ?  Il  écrit  encore  en  toutes  lettres  le  mot  staccato, 


A  quoi  bon  tout  cela  ?  A  rien ,  sinon  à  faire  des  mots  et 
a  parer  quelque  peu  sa  marcbandise.  On  doit  indiquer 
avec  soin  toutes  les  nuances ,  mais  il  faudrait  éviter  le 
double  emploi  et  surtout  des  mots  qui  se  contredisent. 

Si  tout  n'était  pas  digne  de  remarque  dans  une  œu- 
vre de  M.  Herz ,  je  ne  pourrais  retenir  une  exclamation 
à  la  vue  de  la  cinquième  variation. 

Voilà  comment  M.  Herz  nous  apprend  ce  qu'il  en- 
tend par  la  bravura.  N'est-ce  pas  instructif?  Mais  au 
lieu  de  donner  a  cette  occasion  des  remarques  <jui  pour- 
raient ne  paraître  que  pâles  sans  être  salisfaisantes,  nous 


quoique  le  staccato  soit  bien  suffisamment  annoncé  par  ;  communiquons  a   nos   lecteurs  la   variation  elle-même 
les  points  et  les  traits  qui  surmontent  toutes  les  notes,      dans  la  totalité. 


iProcédos  de  E.  DuvcrRer 


5-ÏU 


GAZETTE  MUSICALE  DE  l'AIUS. 


Maintenant  on  reprend  les  huit  premières  mesures,  et 
voilà  ce  que  M.  Herz  appelle  la  bravura. 

11  nous  faudrait  des  volumes  si  nous  voulions  indi- 
quer toutes  les  sources  auxquelles  M.  Herz  a  été  puiser 
ses  inspirations,  et  si  nous  devions  entrer  dans  une  ana- 
lyse sévère  du  prétendu  adagio  con  espressione  formant 
la  quatrième  variation ,  ou  dans  celle  du  rondo  finale 
qui  la  suit.  Cet  adagio  est  une  véritable  monstruosité 
farcie  de  lieux-communs,  sans  qu'on  y  puisse  trouver 
la  moindre  trace  d'ame,  d'esprit  ou  de  charme.  Quant 
au  finale,  il  ne  mérite  aucune  mention.  C'est  le  plus 
mauvais  finale  qui  soit  jamais  sorti  de  la  plume  de 
M.  Herz,  et  il  confirme  parfaitement  ce  mot  de  l'un  de 
nos  collègues  :  c'est  un  pas  de  clerc  ! 


NOUVELLES. 

+*+  Le  public  apprendra  avec  plaisir  qu'il  est  sur  maintenant 
d'entendre  l'opéra  nouveau  en  5  actes  de  M.  Meyerbeer  à  l'A- 
cadémie Royale  de  Musique.  Les  difficultés  sont  applanies  ; 
M.  Véron  rend  à  M.  Meyerbeer  les  3o,ooo  fr.  qu'il  avait  reçus 
à  litre  de  dédit  de  cet  illustre  compositeur,  quand  celui-ci, 
obligé  pour  la  santé  de  sa  femme,  de  partir  l'an  passé  pour 
l'Italie,  ne  put  livrer  sa  partition  à  l'époque  convenue.  Par 
suite  de  cette  restitution ,  la  partition  de  M.  Meyerbeer  appar- 
tient dès  à  présent  au  directeur  de  l'Opéra  qui  la  montera  après 
la  Juive ,  de  M.  Halévy,  actuellement  en  répétition.  L'admi- 
nistration de  l'Opéra-Comique  avait  fait  de  son  côté  une  dé- 
marche pour  s'approprier  cette  partition  en  offrantàM.  Meyer- 
beer la  somme  cle  3o,ooo  fr.  à  titre  de  prime,  dans  le  cas  où 
M.  Verron  ne  se  fut  pas  décidé  à  rendre  cette  somme.  Nous  ne 
saurons  assez  louer  l'empressement  de  MM.  Crosnier  et  Cerf- 
beer ,  ils  prouvent  par  cette  démarche  qu'ils  ne  reculent  de- 
vant aucun  sacrifice  pour  faire  de  l'Opéra-Comique  un  vérita- 
ble Opéra,  puisque  pour  exécuter  cette  vaste  composition  il 
aurait  fallu  en  outre  augmenter  considérablement  les  chœurs 
et  l'orchestre.  Nous  savons  que  l'auteur  de  Robert-  le-Diable  , 
sensible  à  ce  généreux  procédé,  termine  en  ce  moment  un 
opéra  comique  en  3  actes  pour  ce  théâtre. 

+++  Le  théâtre  Italien  a  été  ouvert  jeudi  par  la  Gazza  Ladra. 
Lablache ,  Tamburini,  Ivannff  et  Sanlini ,  ont  eu  des  salves 
d'applaudissemens.  Cette  représentation  était  un  vrai  triomphe 
pour  la  belle  Julie  Grisi ,  qui  a  beaucoup  travaillé  pendant 
son  absence.  Ses  progrès  sont  remarquables  et  comme  canta- 
trice et  comme  mime. 

+%  Mercredi ,  mademoiselle  Thérèse  Elsler,  dansant  un  pas 
de  deux  avec  mademoiselle  Fanny ,  dans  le  bal  de  Gustave, 
a  obtenu  un  brillant  et  légitime  succès.  Le  pas  réglé  par  cette 
charmante  danseuse  lui  fait  honneur  ;  il  est  du  meilleur  goût , 
et  prouve  que  l'auteur  est  bon  choréographe. 

+%  La  Juive,  de  MM.  Scribe  et  Halévv,  ira  en  scène  vers  la 
fin  du  mois  de  novembre.  L'administration  fait  des  frais  con- 
sidérables pour  représenter  cet  ouvrage  avec  tout  le  luxe  dont 
l'Académie  royale  est  susceptible:  elle  fonde  les  plus  grandes 
espérances  et  sur  le  poème  et  sur  la  musique  de  cet  opéra. 

*+  Le  succès  du  Chalet  continue  à  l'Opéra-Comique.  Cette 
jolie  parution  de  M.  Adam  a  été  acquise  par  M.  Schœnenber- 
ger,  qui  doit  la  publier  incessamment. 

+*+  M.  Brcuer,  compositeur  de  l'opéra  les  Rosières ,  qui  a 
été  représenté  récemment  à  Diifseldorff ,  vient  d'arriver  à 
Paris. 

t*+  La  semaine  prochaine,  le  ballet  intitulé  :  les  Chinois, 
dont  on  dit  d'avance  le  plus  gran:}  bien,  se  montrera  au  théâtre 
Ventadour. 


%  Notre  célèbre  Boyeldieu  est  arrivé  à  Paris.  Il  ne  va 
pas  mieux  ,  et  il  y  a  peu  d'espérance  pour  son  rétablisse- 
ment ;  les  douleurs  de  tête  sont  moins  fortes. 

%  La  musique  de  :  le  Fils  du  Prince,  opéra  de  M.  de  Fel- 
tre,se  publie  dans  ce  moment.  Plusieurs  morceaux  viennent 
de  paraître. 

+*+  Robert  le-Diable  vient  d'obtenir  le  succès  le  plus  écla- 
tant à  Amsterdam.  L'enthousiasme  s'est  manifesté  à  un  tel 
point  que  tous  les  chanteurs ,  et  même  le  directeur,  ont  clé 
redemandés. 

+*+  Madame  Malibran  est  à  Lucques,  l'Italie  est  heureuse  et 
fière  de  nous  avoir  dérobé  cette  admirable  cantatrice. 

*+  Les  Chinois,  tel  est  le  titre  d'un  opéra  nouveau  de 
MM.  Scribe  et  Auber,  qui  sera  repiésenlé  au  théâtre  de  la 
Bourse  ,  immédiatement  après  Valentin. 

*„  Avant  la  fin  du  mois  ,  nous  verrons  Valentin  à  l'Opéra-- 
Comique  ;  la  musique  est  de  M.  Marliani,  auteur  de  l'opéra  11 
Bravo.  On  dit  beaucoup  de  bien  de  la  pièce,  attribuée  à 
MM.  Planard  et  Paul  Duport. 

*+  H  y  a  toujours  beaucoup  de  monde  à  l'Opéra-Comique  ; 
le  public  se  plaît  dans  la  jolie  salle  de  la  Bourse,  et  l'adminis- 
tration de  ce  théâtre  fait  tous  !es  efforts  possibles  pour  y  fixer 
la  vogue. 

+*+  On  vient  de  représenter  avec  succès  au  théâtre  de 
Francfort  un  opéra  en  4  actes,  intitulé  :  une  Visite  à  Bedlam, 
dont  la  partition  est  due  à  M.  Rosenheim ,  pianiste  de  talent. 

*  LeChalet  a  obtenu  beaucoup  de  succès  à  Fontainebleau; 
toute  la  cour  a  applaudie  et  la  jolie  musique  de  M.  Adam  ,  et 
la  belle  voix  i'Iuchindi. 

*+  L'Opéra-Comique  vient  d'engager  mademoiselle  Far- 
gueuil  ,  jeune  et  jolie  personne,  élève  de  Bordogny. 

t%  Le  Conseil  municipal  de  Lyon  vient  de  prendre  une 
décision  qui  peut  prolonger  indéfiniment  la  clôture  du  grand 
théâtre  de  cette  ville.  Ou  ne  peut  que  déplorer  une  telle  me- 
sure qui  est  à  la  fois  une  perte  pour  l'art,  et  un  triste  symp- 
tôme de  la  situation  commerciale  du  pays.  On  est  surtout 
étonné  ,  lorsqu'on  pense  que  M.  Singier ,  qui  a  déjà  fait  pros- 
pérer si  long-temps  le  grand  théâtre  de  Lyon,  ne  demandait 
pour  s'en  charger  encore  qu'une  subveulion  de  60,000  francs  , 
et  que  le  Conseil  persiste  à  n'en  allouer  que  i4,ooo.  C'est  donc 
pour  une  différence  de  26,000  francs  que  l'art  du  théâtre,  et 
notamment  la  musique,  qui  en  est  une  si  noble  partie ,  vont 
cesser  d'avoir  asile  et  appui  dans  la  seconde  capitale  de  la 
France.  Avec  un  budget  qui  prodigue  l'or  à  pleine  main  pour 
tant  d'emplois  inutiles ,  avec  une  subvention  si  considérable 
pour  tel  théâtre  privilégié  de  Paris,  tant  de  fonds  secrets  pour 
la  police,  tant  d'impôts  produits  par  les  jeux ,  etc.,  etc.,  on  se 
demande  comment  nos  prétendus  prolecteurs  de  l'art,  ne 
peuvent  consacrer  une  aussi  modique  somme  à  maintenir  le 
seul  théâtre  qui  put  dignement  faire  écho  à  ceux  de  Paris  pour 
nos  chefs-d'œuvre  dramatiques,  et  surtout  lyriques. 

+*  Féréol  vient  de  contracter  un  nouvel  engagement  avec 
l'Opéra  Comique. 

J*^  La  musique  de  Robert-le-Di able  a  fait  avant-hier  tout 
entière  les  honneurs  d'une  messe  de  mariage  à  l'église  Sailt- 
Euslache.  C'était  M.  Benoît,  professeur  au  Conservatoire,  qui, 
celte  fois  ,  par  extraordinaire,  touchait  l'orgue.  Cette  belle 
musique  ,  exécutée  en  présence  d'une  nombreuse  assemblée 
réunie  pour  prier,  et  avec  le  talent  qu'on  connaît  à  cet  excel- 
lent professeur,  a  produit  une  grande  sensation,  notamment 
lorsque,  au  moment  de  l'élévation,  l'orgue  a  fait  entendre  l'air 
qui  accompagne  le  chant  d'église  à  la  fin  du  5e  acte  de  cette 
belle  partition.  Les  mariés  étaient  M.  Martial  Célérier  et  ma- 
demoiselle Gouiu,  fille  du  chef  de  division  à  l'administration 
générale  des  postes,  que  M.  Meyerbeer,  qu'on  sait  être  lié 
n'amitié  avec  le  père  de  la  future ,  assistait  comme  témoin. 

+*+  Spagnoletli ,  le  plus  célèbre  chef  d'orchestre  de  l'Angle- 
terre ,  vient  de  mourir,  frappé  d'anorexie  foudroyante. 


Gérant,  MAURICE  SCHLESINGER 


—  Ijur.riu.cric  .l'EVEKAT.  rue  du  CaJn 


GAZETTE   MUSICALE 

RÉDIGÉE   PAR   MM.    ADAM,    G.    E.    ANDERS ,  BERTON  (membre    de  l'Institut),   BERLIOZ,   CASTIL-BLAZE ,  A.  G0EMER ,  HALÉTY 

(professeur  de  contrepoint  au  Conservatoire),  Jules  janin  ,  liszt,  lesueur  (membre  de  l'Institut),  j.  mainzer,  marx 
(rédacteur  de  la  gazette  musicale  de*eblin),  d'ortigue,  panofejv  ,  richard,  j.  g.  seyfried  (maître  de  chapelle 
à  Vienne),  F.  stœpel,  etc. ,  etc. 


1"  ANNÉE. 


N°    M. 


PRIX  DE  L  ABONNEM. 


PARIS. 

DÉPART. 

ÉTRANG 

fr. 

Fr.       c. 

Fr.       c. 

8  m.     8 

8    75 

9    50 

6  m.  15 

16    50 

18     . 

1  an.  30 

53    >. 

56     » 

£a  (Sf&zetts  ifàxxôijcaU  h  je  |3*ris 
Paraît    le   DIMANCHE  de  chaque  semaine. 

On  s'abonne  au  bureau  de  la  Gazette  Musicale  de  Paris,  rue  Richelieu  ,  97; 
et  chez  tous  les  libraires  et  marchands  de  musique  de  France. 

On  reçoit   les  réclamations  des  personnes  qui  ont  des  griefs  à  exposer,  et  les   avis  relatifs  à  la  musique 
qui  peuvent  intéresser  le  public. 


PARIS.  DIMANCHE  12  OCTOBRE  1834. 


Les  lettres,  demandes 
et  envois  d'argent  doi- 
vent être  affranchis,  et 
adressés  au  Directeur , 
rue  Richelieu,  97. 


BOIELDIEU. 

Boieldieu  n'est  plus!  il  a  succombé  à  une  phthisie  qui,  depuis  plusieurs 
mois,  n'annonçait  que  trop  à  ses  amis  la  perte  douloureuse  qu'ils  allaient 
faire.  Lui  seul  paraissait  ignorer  que  la  mort  s'avançait  rapidement,  et  qu'elle 
le  frapperait  bientôt.  J'e'tais  près  de  lui  dix  jours  avant  sa  derniereheure.il  était 
calme  et  tranquille;  et  si  je  n'avais  vu  sa  mort  écrite  sur  son  front  pâle,  dans 
ses  yeux  brillans  d'un  éclat  lugubre,  j'aurais  pu  croire,  à  ses  discours,  qu'une 
longue  carrière  lui  était  encore  promise.  Sa  famille  lui  cachait  ses  pleurs  pour 
lui  parler  de  l'avenir.  Peut-être  aussi  lui-même  déguisait-il  le  secret  de 
son  agonie  sous  une  apparente  sécurité  ;  peut-être  eut-il  ce  courage  pour  ne 
pas  affliger  ceux  qui  l'aimaient,  pour  tromper  la  douleur  de  sa  femme,  de  son 
fils,  de  son  frère  ,  qui  ne  l'ont  pas  quitté,  et  qui  voyaient  à  chaque  instant  la 
vie  se  retirer  de  ce  cœur  si  bon,  de  cet  esprit  si  aimable, si  affectueux! 

Nous  parlerons  un  autre  jour  des  ouvrages  de  cet  homme  célèbre.  Nous 
n'avons  aujourd'hui  qu'un  seul  mot  :  Boieldieu  est  mort  ! 

Il  s'est  éteint  mercredi  8  octobre,  à  quatre  heures  après  midi ,  a  sa  maison 
de  campagne  de  Jarcy ,  qu'il  avait  voulu  revoir.  Il  était  né  le  .23  dé- 
cembre 1775.  Ses  obsèques  auront  lieu  lundi  prochain,  i3  octobre ,  a 
Saint-Roch,  où  l'orchestre  de  l'Opéra  et  de  l'Opéra-Comique ,  ainsi  que  les 
élèves  du  Conservatoire ,  exécuteront  un  service  funèbre.  Tout  ce  que  Paris 
renferme  de  musiciens  viendra  rendre  un  dernier  hommage  a  sa  mémoire. 

F.  Halevy. 


GAZETTE  MUSICALE 


GUILLAUME  -  TELL , 

DE  ROSSINI. 

Rossini  las  d'entendre  sans  cesse  critiquer  ses  ou- 
vrages sous  le  rapport  de  l'expression  dramatique ,  plus 
las  peut-être  encore  de  l'admiration  aveugle  de  ses  fa- 
natiques partisans ,  employa  un  moyen  fort  simple  pour 
imposer  silence  a  l'une  et  se  débarrasser  des  autres ,  ce 
fut  d'écrire  une  partition  sérieusement  pensée,  méditée 
a  loisir  et  consciencieusement  exéeutée  d'un  bout  à  l'au- 
tre suivant  les  conditions  exigées  de  tous  temps  par  le 
bon  sens  et  le  goût.  Il  fit  Guillaume  Tell.  Ce  bel  ouvrage 
doit  donc  être  considéré  comme  l'application  des  nou- 
velles théories  de  l'auteur ,  comme  l'éveil  de  plus  gran- 
des et  de  plus  nobles  facultés  dont  les  exigences  du  peu- 
ple sensuel  pour  lequel  il  écrivit  jusqu'alors  avaient 
nécessairement  rendu  le  développement  impossible.  C'est 
sous-  ce  rapport  que  sans  engouement ,  comme  sans  pré- 
ventions aucunes ,  nous  allons  examiner  la  dernière  par- 
tition de  Rossini. 

A  n'envisager  que  les  suffrages  qu'il  a  mérités ,  les 
applaudissemens  qu'il  a  excités,  les  conversions  qu'il  a 
faites,  Guillaume  Tell  a  sans  doute  obtenu  un  succès 
immense;  succès  d'admiration  spontanée  chez  le  uns, 
de  réflexion  et  d'analyse  chez  beaucoup  d'autres.  Et 
pourtant  on  est  forcé  d'avouer  qu'il  n'a  pas  pu  joindre  à 
cette  gloire,  celui  de  tous  les  succès  auquel  les  direc- 
recteurs ,  souvent  même  les  auteurs ,  sont  plus  sensibles, 
je  veux  dire  le  succès  populaire ,  le  succès  a" argent.  Le 
peuple  des  dileltanli  est  hostile  à  Guillaume  Tell  qu'il 
trouve  froid  et  ennuyeux.  Les  causes  d'une  pareille  di- 
vergence d'opinions,  resortiront  je  l'espère,  des  études 
que  nous  proposons  au  lecteur  de  faire  avec  nous  sur 
cette  importante  production.  Suivons  l'auteur  pas  à  pas 
dans  la  nouvelle  route  où  il  est  entré,  et  qu'il  eût  par- 
courue d'une  marche  rapide  et  plus  ferme  sans  quelques 
regards  que  la  force  d'habitudes  enracinées  lui  a  fait 
jeter  en  arrière.  Ces  rares  exemples  viennent  confirmer 
encore  le  vieil  adage  :  «  Dans  les  arts  il  faut  un  parti 
pris,  les  moyens  termes  ne  valent  rien.  » 

OUVERTURE. 

Pour  la  première  fois  Rossini  a  voulu  composer  son 
ouverture  dans  les  données  dramatiques  admises  par 
tous  les  peuples  de  l'Europe ,  les  Italiens  seuls  excepté. 
En  débutant  dans  ce  style  de  musique  instrumentale, 
qui,  pour  lui,  était  entièrement  nouveau,  il  en  a  ag- 
grandi  la  forme ,  de  telle  sorte ,  que  son  ouvertu.ee  est 
devenue,  a  vrai  dire,  une  symphonie  en  quatre  parties 
bien  distinctes,  au  lieu  d'un  morceau  a  deux  inouvemens 


dont  on  se  contente  ordinairement.  La  première,  peint 
assez  bien,  a  mon  avis,  le  calme  d'une  solitude  pro- 
fonde, ce  silence  solennel  de  la  nature,  quand  les  élé- 
nieïis  et  les  passions  humaines  sont  en  repos,  c'est  poéti- 
quement commencer  ;  des  scènes  animées  qui  vont 
suivre  naîtra  un  foit  beau  contraste;  contraste  d'expres- 
sion, contraste  mgme  d'instrumentation;  cettepremière 
partie  étant  écrite  seulement  pour  cinq  violoncelles  solo 
accompagnés  du  reste  des  basses  et  contrebasses ,  pen- 
dant qtie  l'orchestre  entier  est  mis  en  action  dans  le  mor- 
ceau suivant  :  l' Orage.  Ici  l'auteur  aurait  pu,  ce  me 
semble,  abandonner  avec  avantage  les  rythmes  carrés, 
les  phrases  a  correspondances  égales  ,  les  cadences  a  re- 
tours périodiques,  qu'il  emploie  avec  tant  de  bonheur 
partout  ailleurs  :  «  souvent  un  beau  désordre  est  un 
effet  de  l'art  » ,  a  dit  un  anteur  dont  la  réserve  classique 
ne  peut  être  contestée.  Beethoven  l'a  prouvé ,  dans  son 
prodigieux  cataclysme  de  la  symphonie  pastorale;  aussi 
a-t  -il  atteint  le  but  que  le  compositeur  italien  n'a  fait 
qu'entrevoir  sans  l'atteindre.  Plusieurs  effets  d'harmonie 
sont  remarquables  et  ingénieusement  mis  en  évidence;  de 
l'accord  de  neuvième  mineure ,  entre  autres  naissent  des 
effets  vraiment  singuliers.  On  est  faehé  de  retrouver  en- 
core dans  l'orage  de  Guillaume  Tell ,  ces  notes  jetées, 
d'instrumens  a  vent  que  les  amateurs  appellent  des 
gouttes  de  pluie  ;  ce  moyen  avait  été  déjà  employé  par 
Rossini  dans  la  petite  ondée  du  Barbier  de  Séville,  et 
dans  je  ne  sais  quel  autre  opéra.  En  revanche  il  a  su  ti- 
rer de  la  grosse  caisse  sans  cimballes  des  bruits  pittores- 
ques où  l'imagination  retrouve  volontieis  ie  retentisse- 
ment d'un  tonnerre  lointain  parmi  les  anfractuosités  des 
montagnes.  Le  decrescendo  obligé  de  la  tempête  est  mé- 
nagé avec  une  iare  habileté.  En  somme,  ce  n'est  pas  sai- 
sissant, foudrayant,  comme  la  tempête  de  Beethoven, 
tableau  musical  auquel  il  sera  peut-être  impossible  de 
trouver  jamais  un  pendant  ;  il  n'y  a  pas  là  ce  caractère 
sombre  et  désolé  qu'on  admire  dans  l'introduction  d'I- 
phigénie  en  Tauride;  mais  c'est  beau  et  plein  de  ma- 
jesté. Malheureusement  le  musicien  se  laisse  toujours 
voir;  nous  le  suivons  constamment  dans  ses  combinai- 
sons, dans  celles  même  qui  paraissent  le  plus  excentri- 
ques. Beethoven  au  contraire  a  su  se  dérober  entièrement 
aux  investigations  de  l'auditeur;  ce  n'est  plus  un  or- 
chestre ;  ce  n'est  plus  de  la  musique  qu'on  entend ,  mais 
bien  la  voix  tumultueuse  des  torrens  du  ciel ,  mêlée  aux 
fracas  des  torrens  de  la  terre,  aux  éclats  furieux  de  la 
foudre,  au  froissement  des  arbres  déracinés,  aux  raffales 
d'un  vent  exterminateur,  aux  cris  d'effroi  des  hommes 
et  aux  beuglemens  des  troupeaux.  Cela  consterne,  cela 
fait  frémir;  l'illusion  est  complète.  L'émotion  que  donne 


DE  PARIS. 


32Ï 


Rossini  dans  la  même  circonstance  est  loin  d'atteindre  a 
un  pareil  degré.  'Mais  poursuivons.  A  l'orage  succède 
une  scène  pastorale  de  la  plus  grande  fraîcheur;  la 
mélodie  du  cor  anglais  en  style  de  ranz  de  vaches  est 
délicieuse,  et  les  folâtreries  de  la  flûte  au-dessus  de  ce 
chant  calme,  sont  d'une  fraîcheur  et  d'une  gaîlé  ravis- 
santes. Nous  remarquerons  en  passant  que  le  triangle, 
qui  frappe  par  intervalles  de  petits  coups  pianissimo,  est 
ici  fort  à  sa  place  ;  c'est  la  sonnette  des  troupeaux  pais- 
sant tranquillement  pendant  que  les  bergers  se  renvoient 
leurs  joyeuses  chansons.  Ah!  vous  allez  voir  un  effet 
dramatique  dans  cet  usage  dutriangle?nousdira-t-on;  en 
ce  cas  veuillez  nous  apprendre  ce  que  représentent  les 
violons,  les  altos,  les  basses,  les  clarinettes,  etc.?  A  cela 
je  répondrai  que  ce  sont  des  inslrumens  de  musique, 
qu'ils  sont  les  conditions  de  l'existence  de  l'art,  tandis 
que  le  triangle  n'étant  qu'un  simple  morceau  de  fer  dont 
le  son  n'est  pas  rangé  dans  la  classe  des  sons  apprécia- 
bles ,  ne  doit  être  entendu  au  milieu  d'un  morceau  doux 
et  calme  que  dans  le  cas  où  sa  présence  y  serait  parfaite- 
ment motivée,  autrement  il  ne  paraîtrait  qu'une  bizar- 
rerie ridicule.  Aux  dernières  notes  du  cor  anglais,  qui 
chante  la  mélodie  pastoral  e,  entrent  les  trompettes  son- 
nant une  fanfare  rapide,  incisive,  sur  le  si  naturel, 
tierce  majeure  du  ton  de  sol,  établi  dans  le  morceau  pré- 
cédent, lequel  «devient  en  deux  mesures  dominans  de 
mi  majeur  et  fixe,  ainsi  d'une  manière  aussi  simple 
qu'inattendue  la  tonalité  de  l'allégro  suivant.  Cette  der- 
nière partie  de  l'ouverture  est  traitée  avec  un  brio,  une 
verve,  qui  excitent  toujours  les  transports  de  l'audi- 
toire, mais  elle  est  entièrement  établie  sur  un  rythme 
aujourd'hui  bien  usé;  et  le  thème  est  presque  entière- 
ment le  même  que  celui  de  l'ouverture  de  Femand  Cor- 
tès.  Le  trait  en  stacato  des  premiers  violons  ,  voltigeant 
du  ton  d'ut  dièze  mineur  à  celui  de  sol  dièze  mineur, 
est  un  épisode  des  plus  heureux  spirituellement  jette  au 
milieu  de  cette  instrumentation  guerrière;  il  offre  en 
outre  un  moyen  de  retour  au  thème  principal ,  qui 
donne  a  cette  rentrée  une  impétuosité  irrésistible;  l'au- 
teur en  a  su  tirer  parti  fort  habilement.  La  péroraison  de 
ce  pétulant  allegro  est  d'une  grande  chaleur.  Enfin, 
malgré  le  défaut  d'originalité  du  thème  et  du  rythme, 
malgré  un  abus  de  grosse  caisse  fort  désagréable  dans 
certains  momens  et  l'emploi  un  peu  vulgaire  de  cet  ins- 
trument frappant  toujours  les  temps  forts  comme  dans 
les  pas  redoublé  où  dans  les  musiques  des  bals  champê- 
tres, il  faut  avouer  que  l'ensemble  du  morceau  est  traité 
avec  une  supériorité  incontestable,  une  verve  telle  que 
Rossini  n'en  avait  peut  être  pas  encore  montré  de  si  en- 
traînante et  que  l'ouverture  de   Guillaume  Tell  est  une 


œuvre,  d'un  immense    talent  qui  ressemble  au  génie  a 
s'y  méprendre. 

(La  suite  au  numéro  prochain.) 


SUR    LA   POÉTIQUE  DE  LA  MUSIQUE  INSTRUMENTALE  (l). 

Dans  le  domaine  des  arts,  toute  conception  doit  être 
le  produit  d'un  sentiment  intime ,  dont  l'exécution  doit 
porter  la  visible  empreinte.  C'est  dans  la  liaison  la  plus 
étroite  possible  de  l'idée  et  de  h  forme  que  réside  la  vé- 
ritable essence  du  beau.  Plus  la  forme  est  l'image  vi- 
vante et  animée  de  Vidée ^  plus  l'artiste  s'est  approché 
du  suprême  degré  du  beau.  Aussi,  un  simple  et  vain 
étalage  de  coquetterie  extérieure  ne  saurait  constituer 
une  œuvre  artistique.  C'est  à  la  seule  pensée  primitive, 
transparente  sous  les,  formes  de  toute  production  de  l'art, 
qu'il  appartient  de  lui  imprimer  un  caractère  de  no- 
blesse et  d'élévation.  Dans  toutes  les  jouissances  que 
donnent  les  arts ,  les  sens  matériels  ne  doivent  pas  seuls 
être  affectés  ;  il  fant  que  l'âme  et  l'esprit  soient  égale- 
ment saisis  parla  manifestation  de  l'idée  esthétique;  car 
c'est  cette  idée  qui  est  précisément  ce  quelque  chose 
d'intime  que  l'exécution  s'attache  à  traduire  en  formes 
sensibles. 

Dès-lors  un  examen  de  la  musique  purement  instru- 
mentale, sans  aucune  association  avec  des  paroles;  un 
examen  qui  a  pour  objet  à  la  fois  de  rechercher  jusqu'à 
quel  point  le  ton  est  propre  à  devenir  l'interprète  des 
sensations  intimes ,  et  de  présenter  la  musique  comme 
un  art  réellement  esthétique,  c'est-à-dire  comme  un  beau 
jeu  dont  les  combinaisons  obéissent  à  une  idée  détermi- 
née ;  un  tel  examen ,  disons-nous,  nous  semble  être  d'un 
haut  intérêt  et  pour  l'art  et  pour  les  artistes. 

Tant  que  l'on  ne  parviendrait  pas  a  démontrer  à 
l'aide  d'une  théorie  bien  motivée  qu'il  est  "possible  de 
rendre  jusqu'à  un  certain  degré  une  idée  sensible  par  un 
pur  et  simple  assemblage  de  tons  (  la  musique  instru- 
mentale) ,  aussi  long-temps  la  musique  'ne  serait  qu'un 
jeu  frivole,  embelli  déformes  de  tons  conventionnelles  ; 
elle  devrait  se  retirer  et  disparaître  du  domaine  des  vé- 
ritables beaux -arts;  elle  ne  formerait  enfin  un  art, 
qu'autant  qu'elle  serait  unie  à  la  poésie  ou  à  la  danse. 

Un  auteur  spirituel ,  très-versé  dans  la  philosophie  de 
l'art ,  disait  à  ce  sujet  : 

«  L'essentiel  dans  les  beatrx:arts  est  qu'ils  nous  ouvrent  le 
»  monde  intérieur  et  l'exposent  a.  nos  regards  :  tous  les  autres 
»  plaisirs  qu'ils  peuvent  nous  offrir,  sont  bien  au-dessous  de 

(1)  Fragment  d'un  ouvrage  qui  paraîtra  prochainement  sous 
ce  titre. 


328 


GAZETTE  MUSICALE 


„  celui  là.  Dès  lors ,  l'objet  le  plus  important  d'une  théorie  sur 
,,  un  art  quelconque  ,  c'est  d'indiquer  les  moyens  d'exprimer 
»  les  sensations  intimes.  Une  théorie  qui  n'accomplit  pas  celle 
»  tâche,  est  sans  aucune  valeur;  elle  manque  son  but  le  plus 
„  intéressant  et  le  plus  élevé.  Du  reste ,  la  science  des  tons 
»  peut  offrir  des  moyens  satifaisans  de  rendre  en  musique  les 
»  sentimens  intimes.  » 

Fonder  d'une  manière  plus  positive  une  théorie  mu- 
sicale de  ce  caractère  supérieur  (théorie  qui,  jusqu'à 
présent ,  n'a  encore  été  nulle  part  établie  avec  une  clarté 
et  un  ensemble  suffisans),  tel  est  l'objet  que  nous  avons 
en  vue  dans  cet  essai.  Nous  nous  proposons  particu- 
lièrement d'y  signaler,  d'une  manière  plus  frappante 
qu'on  ne  l'a  fait  encore,  la  puissance  descriptive  et  poé- 
tique du  simple  langage  des  tons  sans  le  secours  de  la 
parole  et  du  geste,  et  c'est  ce  qui  nous  fait  espérer  qu'a 
la  différence  des  théories  ordinaires,  qui  n'offrent  que  de 
simples  préceptes  sur  les  formes,  notre  théorie  a  nous 
sera  jugée  digne  du  titre  de  Poétique  de  l'art  des  tons. 

Toutefois,  avant  de  commencer  notre  tâche,  nous 
devons  nous  livrer  a  quelques  observations  sur  plusieurs 
formes  vicieuses  que  prend,  parfois,  la  musique  instru- 
mentale, et  sous  lesquelles  elle  s'est ,  malheureusement 
déjà  montrée  si  fréquemment  que  des  penseurs  profonds 
lui  ont  souvent  disputé  tout  caractère  vraiment  esthé- 
tique (1). 

La  Musique  instrumentale _,  ainsi  que  l'expérience  ne 
nous  Ta  que  trop  appris,  peut  se  montrer  sous  la  forme 
d'un  jeu  de  fantaisie  avec  de  belles  combinaisons  de 
tons,  et  dans  lequel  il  ne  s'introduit,  si  ce  n'est  fortui- 
tement ,  et  sans  aucun  dessein  prémédité  de  la  part  du 
compositeur,  rien  de  caractéristique  que  ce  qui  tient 
naturellement  aux  procédés  de  l'art  que  l'on  met  en 
usage.  En  écrivant  un  morceau  de  ce  genre,  le  compo- 
siteur ne  songeait  pas,  dans  le  fait,  a  y  exprimer  quel- 
que chose  de  profond;  peut-être  n'avait-il  aucune  sen- 
sation intime ,  aucune  pensée,  aucun  sentiment  déter- 
miné a  rendre.  Sans  être  nettement  frappé  d'une  idée 
quelconque  ;  sans  éprouver  cette  exaltation  inspiratrice 
que  Platon  appelait  une  sorte  de  frénésie ,  un  délire  di- 

(1)  Il  est  remarquable  que  le  célèbre  Hoffmann  lui-même, 
à  la  fois  musicien  distingué  et  écrivain  spirituel ,  se  soit  rangé 
de  temps  en  temps  parmi  ces  détracteurs  de  la  musique  instru- 
mentale. En  effet,  souvent  il  s'est  mis  en  contradiction  avec 
lui-même ,  après  avoir  prouvé  dans  d'autres  occasions  la  puis- 
sance expressive  de  cette  musique  par  des  exemples  fondés 
sur  les  nuances  des  mélodies  ,  sur  la  nature  des  instrumens ,  et 
même  sur  de  simples jîgures  de  tons.  On  le  voit  même  s'écrier 
une  fois  :  «Àvez-vousseulementeulepressentiment  del'essence 
propre  de  la  musique,  vous  autres  pauvres  compositeurs  de 
musique  instrumentale ,  qui  vous  évertuez  péniblement  à  ex- 
primer dans  vos  œuvres  des  sentimens  positifs  ?...  » 


vin  (1),  il  liait  ensemble,  l'un  après  l'autre,  les  tons 
qui  flattent  vaguement  nos  sens  ;  coordonnait  la  struc- 
ture du  soi-disant  ensemble  d'après  une  règle  en  partie 
conventionnelle,  et  nommait  le  tout  :  symphonie,  con- 
cert, sonate,  etc. ,  etc.  Peu  lui  importe  si,  en  procé- 
dant ainsi ,  la  suite  et  la  division  des  morceaux  partiels 
sont  conformes  aune  loi  supérieure  :  d'autres  composi- 
teurs n'ont-ils  pas  construit  de  la  même  façon  leurs  cou- 
vres tant  préconisés?  Dans  leurs  ouvrages  le  presto  ou 
le  scherzo  ,  avec  son  contraste  si  tranchant ,  ne  suit-il 
pas  aussi ,  sans  aucune  transition,  Y  adagio,  et  ne  vient- 
il  pas  de  même  heurter  d'une  manière  désagréable  la 
disposition  d'âme  de  l'auditeur  doué  d'une  organisation 
délicate?  La  routine  est  le  Pégase  de  ces  artistes!  com- 
ment l'un  ou  l'autre  s'aviserait-il  de  ne  pas  faire  comme 
ses  devanciers,  surtout  s'il  ne  se  doute  pas  seulement  des 
rapports  intimes  de  la  Musique  en  général  avec  l'âme 
humaine?  Pour  tous  ces  praticiens,  le  désir  de  cha- 
touiller agréablement  l'oreille  est,  à  bien  dire,  et  sans 
qu'eux-mêmes  se  l'avouent  précisément ,  le  seul  objet , 
le  seul  but  de  leurs  créations.  Ou  ce  genre  de  musique 
ne  captive  pas  les  facultés  supérieures  et  intimes  de 
l'homme,  ou  bien  il  produit  un  effet  fâcheux  par  les 
excitations  trop  sensuelles  qu'il  peut  faire  naître,  et 
dès-lors,  cette  manière  de  comprendre  la  musique  doit 
être  bannie  du  domaine  des  véritables  beaux-arts ,  tant 
pour  son  peu  de  valeur  esthétique  que  pour  les  impres- 
sions dangereuses  qu'elle  exerce  sur  le  moral. 

A  l'avenir  donc,  la  Musique  instrumentale  ne  doit  se 
produire  qu'avec  un  caractère  d'impression  déterminé  et 
une  beauté  de  formes  qui  y  soit  appropriée,  et  il  faut 
qu'elle  renonce  a  être  un  jeu  frivole  et  capricieux  sans 
autre  mérite  qu'une  simple  entente  dn  métier.  En  effet, 
dans  ces  compositions  où  les  difficultés  sont  entassées 
sans  grâce,  dont  le  seul  mérite  consiste  en  une  série  de 
passages  scabreux  sans  mélodie  et  dépourvus  de  sens 
harmonique  ,  véritables  casse-cous  pour  l'artiste  ;  dans 
ces  morceaux,  disons-nous,  le  compositeur  n'a  évidem- 
ment eu  d'autre  but  que  de  fournir  au  soi-disant  vir- 
tuose l'occasion  de  montrer  et  de  faire  briller  son  adresse 
mécanique.  L'esprit  de  l'auditeur  ne  découvre  plus  rien 
dans  ces  compositions,  après  qu'il  est  revenu  du  pre- 
mier sentiment  de  surprise,  mêlée  de  pitié,  que  lui  a 
causé  cette  machine  a  cadences.  Aussi,  dans  tous  ces 
cas-la ,  ne  saurait-il  le  moins  du  monde  être  question 
d'une  exécution  vraiment  esthétique. 

Une  autre  fonne  non  artistique  de  la  musique  instru- 
mentale peut  être  convenablement  désignée  par  le  nom 

(i)  Plato  Ion.,  p.  145.  —  Phaedros,  p.  352.  (Editio 
Lugd.  i5go). 


fiË  PARIS. 


329 


de  méthodique  ou  savante  ;  il  s'agit  de  cette  forme  où 
l'on  a  strictement  suivi  les  préceptes  de  l'école.  Ici  tou- 
tes les  parties  ont  été  scrupuleusement  conduites  d'après 
les  règles  usuelles  d'une  vieille  pratique-  les  disso- 
nances ont  été  préparées  et  résolues;  les  figures  soute- 
nues a  travers  les  augmentations  et  les  diminutions  vou- 
lues, souvent  en  dépit  de  la  nature  et  en  dépit  du  ca- 
ractère du  morceau.  —  C'est  tout  au  plus  si  un  œuvre 
de  cette  espèce  captive  peut-être  la  réflexion  ,  ou  excite 
les  facultés  spéculatives  de  l'auditeur,  en  raison  d'une 
symétrie  parfaite ,  mais,  d'ailleurs,  toujours  monotone. 
Dans  une  telle  composition  ,  il  n'y  a  rien  encore  pour  le 
cœur;  notre  organisation  intérieure  n'en  est  pas  émue  : 
elle  occupe  seulement  la  froide  raison,  si,  toutefois, 
celui  qui  écoute ,  est  en  état  de  comprendre  et  d'ana- 
lyser cette  traduction  arithmétiquement  arlistisque. 
Toutes  ces  formes  musicales,  peuvent,  sans  doute, 
avoir  uu  certain  caractère  de  beauté;  mais,  incontesta- 
blement, comme  elles  ont  toujours  été  le  produit  des 
époques  les  moins  poétique  de  l'art,  elles  sont  aussi , 
considérées  en  elles-mêmes,  comme  étant  sans  valeur 
esthétique  positive  ;  leur  mérite  ne  peut  jamais  être 
qu'un  mérite  très  -relatif.  Partout  où  les  facultés  les  plus 
vulgaires  de  la  pensée  sont  mises  en  œuvre  exclusive- 
ment et  de  préférence,  la  ne  saurait  régner  le  véritable 
beau. 

Une  forme ,  non  moins  vicieuse  de  la  Musique  ins- 
trumentale, est  celle  que  l'on  peut  appeler  Informe  pit- 
toresque. Je  m'explique.  Les  compositeurs  qui  l'ont 
adoptée,  imitent  le  bruit  de  l'orage  et  de  l'ouragan,  la 
chute  de  la  grêle  et  les  fracas  de  la  guerre  ;  ils  peignent 
îe  lever  et  le  coucher  du  soleil.  Dans  ces  sortes  de  pein- 
tures, le  langage  naturel  de  la  vie  intime  est  violenté 
de  la  manière  la  plus  abusive  et  la  plus  déraisonnable 
pour  le  faire  servir  à  la  représentation  plastique  de  phé- 
nomènes étranges,  qui  s'adressent  en  partie  a  de  tout 
autres  sens,  et  qui,  souvent,  n'ont  même  absolument 
rien  de  beau.  «  L'art,  dit  Lessingavec  autant  de  raison 
que  de  justesse  d'expression,  l'art  ne  doit  pas  vouloir 
réaliser  tout  ce  qu'il  a  le  pouvoir  de  faire.  »  Quand 
même  il  serait  possible  de  représenter  d'une  manière 
frappante,  par  le  moyen  des  tons,  toutes  les  choses  dont 
nous  venons  de  parler,  de  telles  compositions  n'en  se- 
raient pas  moins  contraires  à  la  nature  intime  et  supé- 
rieure de  la  Musique  ;  elles  n'en  seraient  pas  moins  com- 
plètement défectueuses,  et  \eavfonne  ne  saurait  tout 
au  plus  être  employée  quelquefois  que  pour  des  mor- 
ceaux d'un  style  comique  ou  fantastique.  Si  le  composi- 
teur se  laisse  entraîner  a  de  pareilles  peintures,  c'est  que 
pendant  qu'il  s'attache  a   donner  aux  tons  une  expres- 


sion, un  caractère  matériel  déterminé,  il  n'a  pas  nette- 
ment devant  les  yeux ,  ou  qu'il  a  tout-à-f'ait  perdu  de 
vue  la  loi  esthétique ,  qui  n'engendre  jamais  rien  qui  ne 
soit  véritablement  beau. 

Cette  musique  imitative  occupe ,  sans  contredit 
aussi  l'esprit  ;  mais  elle  ne  l'affecte  pas  non  plus  d'une 
manière  convenable.  En  dernière  analyse,  les  scènes 
de  bataille  les  plus  furieuses,  l'imitation  la  plus  parfaite 
des  gémissemens  des  mourans  n'agissent  pas  autrement 
sur  lui  que  le  cri  imité  du  coucou  :  à  dire  la  chose  telle 
qu'elle  est  au  fond,  ces  imitations  ne  font,  les  unes  et 
les  autres,  qu'amuser  l'auditeur.  De  tels  effets,  qu'on 
doit  éviter,  même  dans  le  vrai  comique,  sont  aussi  du 
nombre  de  ceux  qu'on  ne  saurait  tolérer  dens  le  vérita- 
ble domaine  des  beaux-arts. 

Si,  maintenant,  nous  jetons  un  regard  scrutateur  sur 
les  productions  habituelles  de  la  Musique  instrumentale, 
nous  reconnaîtrons,  en  effet,  dans  la  plupart  d'entre 
elles,  l'empreinte  et  le  mélange  de  ces  modes  de  compo- 
sitions non-artistiques  sur  lesquels  nous  venons  de  nous 
expliquer  ;  nous  trouvons  qu'elles  n'offrent  que  ca  et 
la'  des  traces  de  cette  musique  de  l'âme  que  nous  avons 
déjà  caractérisée,  et  d'une  véritable  poésie  musicale. 
Combien  tous  ces  œuvres  sont  loin  de  réaliser  les  idées 
que  de  grands  esprits,  des  âmes  profondément  poéti- 
ques ont  développées  sur  la  musique.  Hadsclii  Chalfa, 
un  sage  de  l'Orient,  du  onzième  siècle  dit  :  L'âme 
quand  elle  se  sent  ravie  par  de  belles  mélodies,  aspire  a 
la  contemplation  d'êtres  supérieurs  et  a  se  voir  trans- 
portée dans  un  monde  meilleur  et  plus  pur  que  le  nôtre. 
Parla  musique,  ajoule-t-il,  les  âmes  qui  sont  comme 
obscurcies  par  l'enveloppe  épaisse  des  corps,  sont  pré- 
parées et  disposées  à  entier  en  commerce  avec  les  esprits 
purs  qui  entourent  le  trône  du  tout-puissant.  »  Ce 
charme  ineffable  de  la  musique  qui,  déjà  sur  cette  terre, 
procure  à  certaines  âmes  des  visions  célestes,  ce  charme 
n'est  rpas  l'expression  hyperbolique  d'une  admiration 
d'artiste;  des  observations  psychologiques  attestent 
comme  un  fait  certain  l'existence  d'hommes  doués  d'une 
intuition  plus  fine  que  les  autres,  à  qui  la  musique  fait 
apparaître,  devant  leur  vue  intime,  des  figures  belles  et 
merveilleuses,  et  qu'elle  pénétre  d'un  ravissement  cé- 
leste. 

Que  la  musique  ordinaire  produise  rarement  , 
même  au  plus  faible  degré,  de  tels  effets,  c'est  à  notre 
avis,  une  chose  facile  à  concevoir.  Aussi  voit-on,  cha- 
que jour,  diminuer  le  crédit  de  ces  fausses  œuvres  de 
l'art  que  l'on  nous  offre  en  place  des  divines  créations 
de  l'art  véritable,  et  entend-on  ceux  dont  les  intérêts 
s'en  trouvent  lésés,  se  récrier  contre  le  froid  accueil  fait 


330 


GAZETTE  MUSICALE 


a  leurs  ouvrages!  Cependant,  si  les  concerts  des  vir- 
tuoses se  dépeuplent  de  plus  en  plus,  ce  n'est  point  que 
le  sentiment  des  arts  s'éteigne;  c'est,  au  contraire ,  parce 
qu'il  s'épure,  parce  que,  chaque  jour,  il  acquiert  un 
plus  grand  degré  de  perfection.  Les  symphonies  les 
plus  bruyantes  de  ces  artistes,  leurs  brillans  solos  res- 
tent sans  effet.  Vainement,  ils  déployent  toute  la  dexté- 
rité de  leurs  doigts;  vainement,  ils  introduisent  dans 
leur  musique  une,  danse  d'ours ,  le  son  de  la  cornemuse 
et  d'autres  gentillesses  ;  vainement,  le  violoniste  gravit- 
il  jusqu'aux  régions  les  plus  élevées  de  son  instrument, 
jusqu'à  des  sons  dépourvus  de  timbre  ;  vainement,  le 
joueur  de.  contrebasse  execute-t-il  sur  son  instrument 
colossal  des  variations  écrites  pour  le  violon;  enfin, 
plus  vainement  encore  s'avance  l'armée  des  pianistes , 
qui,  au  fond,  ne  savent  pas  eux-mêmes  s'ils  chantent 
ou  s'ils  jouent  seulement  sur  leur  instrument  ;  si  c'est 
par  gammes  ou  par  harpèges  qu'ils  doivent  parcourir  ou 
franchir  en  sautant  les  sept  octaves  de  leur  long  clavier; 
tout,  tout  reste  inutile  ;  les  salles  de  concert  demeurent 
et  demeureront  désertes  aussi  long-temps  que  l'art  de 
la  composition  ne  sera  pas  élevé  jusqu'à  être  l'expression 
vivante  d'une  existence  purement  intime;  aussi  long- 
temps que  le  compositeur  n'apparaîtra  pas  uniquement 
comme  un  véritable  orateur  dont  les  accens  inspirés  nous 
rendent  la  poésie  du  cœur  avec  la  toute-puissance  de 
l'art.  D'autres  preuves  irréfragables  démontrent  encore 
que,  si  les  salles  de  concert  demeurent  vides,  ce  n'est 
point  que  le  goût  des  arts  s'affaiblisse  ou  que  l'éducation 
musicale  du  public  ne  soit  pas  assez  perfectionnée  pour 
qu'il  puisse  apprécier  une  œuvre  artistique;  et  ces  preu- 
ves établiront,  en  outre,  que  c'est  uniquement  aux  ou- 
vragesqui  lui  sont  offerts  qu'il  faut  attribuer  son  indiffé- 
rence. La  salle  des  concerts  du  Conservatoire  est  toujours 
remplie  autant  que  cela  est  physiquement  possible,  et 
cependant  si  ces  concerts  réunissent  une  société  aussi 
nombreuse  que  choisie,  elle  n'est  certes  pas  attirée  par  la 
variété  prodigue  du  programme  ni  par  le  pittoresque  du 
choix  des  douze  ou  quinze  morceaux  que  l'on  exécute 
dans  ces  réunions  musicales.  Là,  ce  ne  sont  assurément 
pas  non  plus  des  noms  d'artistes  offrant  le  charme  de  la 
nouveauté  et  promettant  à  la  curiosité  publique  de  faire 
entendre  des  merveilles  encore  inconnues ,  qui  appellent 
les  amateurs  ;  car  les  exécutans  sont  toujours  les  mêmes 
artistes  honorables  de  l'institution  même,  depuis  bien 
long-temps  connus  de  tout  le  monde,  et  dont  nous  avons 
vu  naître  et  fleurir  le  talent,  mais  qui  sont  et  demeurent 
invariablement  jeunes  parce  que  le  talent  véritable  dont 
ils  sont  doués  reste  toujours  dans  l'éclat  de  la  fraîcheur 
et  de  la  nouveauté,  grâce  aux  chefs-d'œuvre  vrais  et  im- 


mortels qu'ils  nous  font  entendre ,  grâce  a  ces  admira- 
bles symphonies  de  Beethoven  et  de  Mozart,  a  ces  com- 
positions instrumentales  dramatiques  de  Weber,  qui 
respirent  l'âme  et  la  vie  dans  toutes  leurs  parties.  Ici 
(c'est  à  dire  dans  les  compositions  de  ces  maîtres),  la 
musique  appaïaît  sous  une  forme  tout  opposée  aux  for- 
mes habituelles  que  nous  avons  décrites  plus  haut, 
comme  un  art  véritable  inspiré  par  l'âme,  et  comme 
une  manifestation  des  plus  intimes  sensations  d'un  es- 
prit qui  se  meut  dans  une  sphère  supérieure.  Ces  accens 
du  véritable  sentiment  partent  du  cœur,  et,  comme 
transmis  par  une  chaîne  électrique,  vont  réveiller  les 
mêmes  sensations  dans  le  cœur  des  autres.  Ici,  le  talent 
de  ces  maîtres  a  réalisé  le  seul  vrai  précepte  fondamen- 
tal de  l'art  en  animant  d'un  souffle  céleste  cette  beauté 
extérieuoe  de  la  musique  qui  consiste  dans  les  formes, 
soit  que,  dans  leurs  compositions,  le  ton  s'unisse  à  la 
parole  pour  devenir  chant,  soit  qu'un  souffle  inspiré  tra- 
verse un  tuyau  mélodieux ,  soit  que  la  corde  frémisse 
sous  une  main  guidée  par  un  sentiment  à  la  fois  profond 
et  délicat. 

De  telles  œuvres  prouvent  d'une  manière  irréfragable 
que  la  musique  a,  tout  aussi  bien  que  la  poésie  lyrique, 
le  pouvoir  de  dévoiler  et  d'exprimer  les  sentimens  les 
plus  intimes  dn  cœur  de  l'homme;  qu'elle  a  même  ce 
pouvoir  a  un  plus  haut  degré  que  le  poète  ne  le  possède 
avec  ses  mots  d'une  valeur  arbitraire  et  convention- 
nelle ,  de  sorte  que  la  sphère  élevée  de  la  musique  com- 
mence là  ou  la  parole  se  trouve  insuffisante  ;  car  le  cœur 
comprend  aussi  la  musique  sans  paroles,  car  le  cœur 
comprend  du  moment  qu'il  est  touché.  D'un  autre  côté, 
l'histoire  et  l'expérience  nous  apprennent  que  la  musique 
exerce  avec  le  même  pouvoir  son  influence  sur  les  or- 
ganisations même  les  plus  incultes,  mais  aussi  que  le 
compositeur  qui  veut  produire  de  tels  effets  doit  non- 
seulement  être  susceptible  d'éprouver  lui-même  tous  les 
sentimens,  toutes  les  sensations,  mais  encore  connaître 
parfaitement  leur  origine  et  leur  mode  de  développe- 
ment. Ainsi  donc,  notre  tâche,  celle  de  créer  une  poé- 
tique de  la  musique  comme  pur  art  des  tons  se  résume 
dons  la  solution  des  deux  questions  suivantes   : 

i  °  Quels  sont  les  sentimens  et  les  idées  que  l'art  des 
sons  employé  isolément,  peut  exprimer  de  manière  à 
produire  nne  impression  nette  et  déterminée? 

2°.  Comment,  eu  égard  à  la  nature  des  moyens 
dont  on  dispose,  peut-on  arriver  à  cette  expression  ? 

François  Stoepel. 


DE  PARIS. 


Revue  Critique. 

Premier  Trio  pour  piano-forte,  violon  et  violoncelle, 

par  J.  Rosenhain  ;  Op.  2. 
Introduction    et    variations    brillantes    pour    le 

piano,  par  le  même;  Op.  S. 
«  Dès  l'aube  du  matin.  »  romance    variée    pour    le 

piano,  par  le  même;  Op.  8. 

Daus  l'impossibilité  où  nous  sommes  de  donner  une  analyse 
détaillée  de  ces  trois  ouvrages  ,  nous  nous  bornerons  à  quel- 
ques remarques.  Le  premier  trio  est,  à  quelques  excep- 
tions près,  d'une  bonne  facture,  et  sous  le  rapport  harmonique 
il  ne  manque  ni  de  mérite  ni  d'assez  beaux  effets  ;  nous  vou- 
drions seulement,  quant  à  ce  qui  touche  la  partie  mélodique, 
y  trouver  plus  de  grâce  ,  d'originalité ,  de  variété  et  de  brillant. 
Le  second  de  ces  ouvrages  est  fait  sur  un  motif  de  Zampa ,  et 
ne  se  distingue  guère  des  variations  que  nous  entendons  tous 
les  jours  ,  soit  pour  la  forme  ,  soit  pour  le  fond.  Nous  sommes 
beaucoup  plus  conter.s  du  dernier  numéro  dans  lequel  l'auteur 
fait  plus  souvent  preuve  d'invention,  tout  en  nous  gratifiant  de 
formes  rythmiques  assez  originales.  Nous  nous  félicitons  sincè- 
rement d'avoir  parcouru  ces  trois  productions  puisqu'elles 
nous  ont  lait  faire  connaissance  avec  un  musicien  qui  nous  était 
totalement  inconnu  ,  et  qui  nous  paraît  être  un  virtuose  fort 
distingué.  Nous  concevons  l'espérance  de  le  voir  par  la  suite 
créer  des  œuvres  fort  remarquables  ,  s'il  veut  prendre  la  ferme 
résolution  d'abandonner  franchement  le  sentier  si  battu  de  la 
mode ,  et  d'étudier  son  art  chez  les  grands  modèles  de  l'art 
musical. 

Instructions  to  my  daughter  for  playng  on  the 
enharmonic  guitar.  Being  an  attempt  to  effect  the 
exécution  of  correct  harmony,  ou  principles  analo- 
gous  to  those  of  the  ancient  enharmonie.  By  a  mem- 
berof  the  university  of  Cambridge  (Instructions  pour 
jouer  de  la  guitare  enharmonique). 

L'auteur  de  cet  essai  sur  une  exécution  correcte  d'après  les 
principes  analogues  à  l'ancienne  enharmonique  est ,  si  nous 
sommes  bien  instruits ,  le  célèbre  Perronet  Thompson  si 
connn  par  ses  profondes  études  dans  le  domaine  des  mathéma- 
tiques, et  de  plus  éditeur  de  la  Westmiustcr-Rcview,  profes- 
seur à  l'université  de  Cambridge,  etc.  clc.  Cette  circonstance, 
ainsi  que  les  quelques  mots  de  préface  par  lesquels  l'auteur  ex- 
prime la  persuasion  d'avoir  toujours  été  d'une  grande  clarté, 
eu  outre  un  coup-d'œil  rapide  jeté  sur  le  contenu  de  l'ouvrage, 
tout  nous  donne  l'assurance  que  celte  publication  ne  peut 
manquer  d'offrir  un  grand  intérêt  aux  guitaristes  comme  aux 
théoriciens.  Nous  sommes  fermement  persuadés  néanmoins 
que  l'enharmonique  des  anciens  Grecs  n'a  et  ne  peut  avoir 
absolument  rien  de  commun  avec  noire  musique  ,  et  ne  peut 
lui  être  appliquée  sous  aucun  rapport.  Nous  nous  proposons 
de  soumettre  cet  ouvrage  à  un  examen  plus  approfondi,  et 
d'en  rendre  compte  en  temps  utile. 


NOUVELLES. 

*%  C'est  mardi  que  le  théâtre  Ventadour  donnera  Chao- 
Kan  ,  ballet  chinois  dont  Paris  parle  déjà.  On  dit  que  ce  ballet 
est  monté  avec  beaucoup  de  luxe ,  et  qu'il  fera  le  plus  grand 
honneur  au  talent  de  M.  Henri,  le  plus  distingué  des  maîtres 
de  ballets. 

*M  Toutes  les  loges  étant  louées  à  l'année,  nous  engageons 
les  étrangers  qui  désirent  visiter  le  théâtre  Italien  de  retenir 
de  bonne  heure  le  peu  de  stalles  qui  restent.  Déjà  au  mois 
d'octobre  on  ne  peut  trouver  place  clans  ce  temple  d'Apollon  ! 
Avions-nous  tort  d'engager  l'administration  de  donner  ses  re- 
présentations à  l'Opéra?  Avec  une  troupe  composée  par  les 
Lablache,  Rubini,  Tamburini,  Ivanoff,  Santini,  et  de  mes- 
dames Grisi,  Schultz,  et  Fink-Loor,  l'affluence  des  dilettanti 
ne  peut  manquer  à  ce  théâtre. 

*M  M.  Véron,  pour  prouver  qu'il  profite  d'une  forte  subven- 
tion pour  encourager  à  ses  risques  et  périls  les  jeunes  compo- 
siteurs qui  donnent  le  plus  d'espérances,  a,  dit-on,  chargé 
M.  B*+,  de  composer  un  opéra  en  2  actes,  qui  passerait  entre 
la  Juive  et  l'ouvrage  de  M.  Meyerbeer. 

^  +  Le  théâtre  de  l'Opéra-Comique  a  pris  l'initiative  sur 
tous  les  autres  théâtres  de  la  capitale;  il  donnera  une  représen- 
tation dont  le  produit  sera  destiné  à  la  souscription  pour  éle- 
ver un  monument  à  la  mémoire  de  Boieldieu. 

+*+  Madame  Mimi  Dupais  qui ,  depuis  quelques  années,  avait 
quitté  le  théâtre,  doit  incessamment  faire  sa  rentrée  au  théâtre 
du  Kaerntnerthor  à  Vienne.  La  mort  prématurée  du  prince 
de  T***  est  pour  beaucoup,  assure-t-on,  dans  cette  résolu- 
lion.  Le  plus  célèbre  des  ténors  d'Allemagne,  M.  Wild,  vient 
déjouer  au  même  théâtre,  Zampa,  avec  grand  succès. 

*^  Le  conseil  d'administration  de  la  ville  de  Lyon  a  enfin 
entendu  les  justes  plaintes  de  la  presse;  il  a  accorde  à  M.  Sin- 
gier  la  subvention  qu'il  demandait.  Le  théâtre  de  Lyon  ouvrira 
de  nouveau  ses  portes  le  21  octobre.  Les  premiers  opéras  re- 
présentés seront  :  Hobert-le-Diable ,  Ludovic ,  et  le  Pré  aux 
Clercs. 

+%  L'opéra-ballet  de  la  Tentation ,  qui  a  dû  chez  nous  son 
succès  à  une  musique  si  originale,  vient  d'être  imité  à  Lon- 
dres ,  sous  le  titre  bizarre  de  la  Main  noire,  ou  le  Derviche 
et  la  Péri.  Cet  ouvrage  a  été  représenté  pour  l'ouverture  du 
théâtre  Adelphi. 

+*t  Madame  Pasta,  qui  doit  chanter  cet  automne  au  théâtre 
de  Bologne,  est  arrivée  dans  cette  ville  le  19  septembre.  On  a 
déjà  commencé  les  répétitions  des  pièces  où  elle  doit  figurer. 

+*+  La  police  de  Bologne  a  défendu  la  mise  en  scène  de  deux 
grands  ballets  intitulés  :  la  chute  de  Missolonghi,  et  Imelsa 
et  Bonifazi.  Ce  dernier  sujet  est  un  fait  historique  de  la  répu- 
blique bolanaise  dn  moyen -âge.  On  est  arrivé  à  tel  point  que 
les  gouvernemens  italiens  craignent  même  que  les  peuples  ap- 
prennent l'histoire  de  leur  pays  ou  de  leur  époque. 

+*+  MM.  Henri  Brovcllio  et  Léon  Nutly,  tous  deux  artistes  à 
Dou.iy  ,  viennent  de  traduire  pour  la  scène  française  le  bel 
opéra  de  Sémirâmide,  de  Rossiui.  Cet  ouvrage,  destiné  au 
théâtre  de  Bruxelles,  y  sera  probablement  représenté  dans  le 
cours  de  l'hiver.  D'après  ce  que  nous  mande  notre  correspon- 
dant, la  traduction  en  est  élégante  et  surfont  parfaitement 
adaptée  à  la  musique.  Nous  devons  donc  applaudir  à  l'heureuse 
idée  des  traducteurs  qui  feront  jouir  les  dilettanti  des  provinces 
d'une  des  plus  belles  productions  de  Ilossini  qu'on  n'avait 
jusqu'alors  entendu  qu'au  théâtre  Italien. 

+*+  Dabadie  et  sa  femme  voulaient ,  dit-on ,  prendre  leur  re- 
traite ,  mais  le  ministre  de  l'intérieur  ;  n'a  pas  accepté  celle  du 
mari,  et  quand  à  madame  Dabadie,  il  paraît  qu'elle  n'a  pas  en- 
core le  temps  exigé  par  les  réglemeus  pour  profiter  des  droits 
à  la  pension. 

.*,  Les  répétitions  de  la  Juive  se  poursuivent  avec  activité 
à  1  Académie  royale  de  musique,  les  élus  qui  y  assistent  par- 
lent de  cet  opéra  comme  d'un  chefs-d'œuvre,  qui  fera  une 
haute  réputation  à  M.  Ilalévy. 


324 


GAZETTE  MUSICALE  DE  PARIS. 


\  Nous  recevons.des  nouvelles  de  la  société  philharmonique 
duCalvados,  en  même  temps  que  le  compte  rendu  de  l'assem- 
blée générale  qu'elle  a  tenue  le  4  août  dernier.  Nous  ne  saunons  , 
donner  assez  d'éloges  à  une  institulion  dont  le  but  u'a  pas  été 
seulement  d'organiser  des  concerts  plus  ou  moins  bnllans , 
mais  bien  de  fonder  une  école  de  chant  destinée  à  propager 
dans  toutes  les  classes  le  goût  et  la  connaissance  de  la  musique. 
Nous  regrettons  seulement  qu'un  goût  plus  sévère  ne  soit  pas 
venu  présider  au  choix  des  moreer.ux  qui  ont  été  exécutés  dans 
cette  solennité.  Nous  aurions  aimé  en  outre  à  voir  les  élèves 
prendre  une  plus  large  part  dans  l'exécution.  Quelques  chœurs 
de  plus ,  et  quelques  airs  variés  de  moins;  ainsi  composé,  le 
programme  nous  aurait  paru  plus  digne  des  honorables  efforts 
de  la  SociétéPhilharmonique. 

+%  Encore  un  engagement  à  l'Opéra-Comique  qui  monte 
fort  bien  sa  pépinière  de  jeunes  artistes.  Cette  fois  c'est  le  tour 
de  mademoiselle  Nau ,  élève  de  madame  Dainoreau,  qui  débu- 
tera ,  dit-on ,  incessamment  à  ce  théâtre. 

*  La  prompte  arrivée  de  madame  Finck-Foor  à  Paris  a  dé- 
terminé la  direction  du  théâtre  Italien  à  intervertir  l'ordre  des 
pièces  qu'il  doit  offrir  au  public,  et  à  monter  immédiatement 
fa  Straniera  pour  les  débuts  de  cette  cantatrice. 

+%  Un  journal  dit  :  le  Paganini  de  la  contrebasse  >  Drago- 
netti,  inventeur  des  archets  qui  portent  son  nom  ,  doit  bientôt 
faire  un  voyage  sur  le  continent ,  et  donner  à  Paris  quelques 
concerts. 

+%  M.  Taglioni  père  ,  maître  de  ballets  à  l'Opéra,  vient  de 
renouveler  son  engagement  avec  ce  théâtre.  Un  plaisant  disait 
qu'on  aurait  dû  stipuler  parmi  les  clauses  qu'il  nous  donnerait 
une  seconde  fille,  puisque  la  première  a  été  jusqu'ici  son 
meilleur  ouvrage. 

***  La  censure  Napolitaine  a  rayé  du  réperloire  du  théâtre 
Saint-Charles  les  opéras  de  Guillaume-Tell ,  Palesina,  Bca- 
trix  Tendo,  Marie  Stuart,  comme  renfermant  desrpassages 
dangereux  pour  la  religion  et  pour  l'état. 

***  Le  directeur  de  l'Opéra-Comique  recrute  avec  activité 
des  actrices  pour  son  théâtre.  Il  a  engagé  mademoiselle  Far- 
gueil  qui  a  peu  de  voix  ,  il  est  vrai ,  mais  chez  laquelle  on  croit 
reconnaître  de  grandes  dispositions  pour  la  scène  ;  madame 
Annette  Lebrun ,  qui  possède  une  très-belle  voix  de  contralto  , 
et  mesdemoiselles  Calvé  et  Melolte,  soprani,  qui  donnent  des 
espérances.  On  annonce  les  débuts  prochains  de  ces  dames, 
toutes  quatre  élèves  du  Conservatoire,  où  elles  se  sont  distin- 
guées par  leurs  succès. 

*%  Le  buste  de  madame  Pasla  vient  d'être  inauguré  dans 
la  salle  du  Casino  de  Côine  ,  en  mémoire  d'une  aciion  géné- 
reuse qu'elle  fit  il  y  a  quelque  temps,  en  donnant  un  concert  au 
bénéfice  des  maisons  de  charité  de  cette  ville.  Ce  buste  a  été 
fait  par  le  sculpteur  Monti,  de  Ravenne ,  et  il  porte  une  in- 
scription destinée  à  retracer  un  souvenir  si  honorable  pour  la 
grande  cantatrice. 


Musique   nouvelle , 

Publiée  par  Paccini. 

Paer.   Un  Caprice  de  femme  (morceaux  détachés  avec  accom 
pagnement  de  piano  )  : 
Ouverture  arrangée  pour  piano.  4  fr.  5o  c. 

N°  4  .  Duo  :  Pourquoi  me  donner,  chère  amie.  5  fr. 

2.  Cavatine  :  Quand  on  dort  dans  les  chaînes.  3  fr. 

3.  Air  :  Voix  ravissante.  4  fr.  5o  c. 

4.  Air  :  Victoire,  victoire.  4  fr.  5o  c. 

5.  Trio  :  Pour  savoir  ce  que  veut  madame.  6  fr. 

6.  Air   comique  :    Tous   les  jaloux    sont    des   hiboux. 

4  fr.  5o  c. 

Publiée  par  Frère. 

Plantade.  Les  petits  chanteurs    des  rues.  Ronde.  Paroles  de 

M.  F.  de  Courcy.  2  fr. 

—  La  même  pour  guitare.  !  fr. 


Collection  des   chefs-d'œuvre  lyriques   modernes  des 
écoles  française,  allemande  et  italienne,  en  partition 
de  piano.  Ve  Série,  livraison  IV,  contenant  : 
ZAMPA ,  de  HÉROLD. 

3  livraisons  de  cette  série  sont  publiées;  elles  se  composent 
de  Norma  ,  de  Bellini;'la  Vestale  et  Fernand-Cortez, -de 
Sponlini.  La  5e  livraison  contiendra  :  Ludovic,  de  Hérold  et 
Halévy;  la  6V  la  Juive,  d' Halévy. 
Les    séries  précédentes  de  la  Collection  des   Chefs-d'œuvre 

lyriques  modernes ,  contiennent  : 
ïre  Série.  \.  Semiramis.  —  2.  Zelmira.  —  3.  Robin  des  Bois. 

—  4.  Le  Sacrifice.  —  5.  Le  Crociato.  —  6.  La 
,  Neige. 

IIe  Série.  -I .  Elisa  et  Claudio.  —  2.  Fidelio.  —  3.  Maometto. 

—  4.  Matilde  de  Shabran. 

IIP  Série.  1 .  Moïse.  —  2.  Siège  de  Corinlhe.  —  3.  Marguerite 

d'Anjou.  — 4.  Emmeline. 
IVe  Série.  \  .  La  Muette  de  Portici.  — 2.  La  Straniera.  —  3.  Il 

Pirata.  —  l\.  Obéron.  —  5.  Fausto.  —  6.  Ro- 

bert-le-Diable. 
Le  prix  de  souscription  est  de  1 8  francs  net  sans  remise  pour 
chaque  livraison.  On  peut  souscrire  pour  chaque  série  séparé- 
ment. 

Publiée  par  J.  Mclssonnier. 

Alph.  de  Fcllre.  Le  Fils  du  Prince  (morceaux  détachés  avec 
accompagnement  de  piano  ou  de  guitare  )  : 
Ouverture  arrangée  pour  le  piano.  5  fr. 

N°  \  .  Duo  :  Ni  les  grandeurs  ni  la  richesse.  » 

2.  Air  :  Dans  ses  penchans.  4  fr.  5o  c. 

3.  Couplets  :  Pour  braver  l'orage  qui  gronde.  2  fr.  5o  c. 

4.  Chœur  de  chasseurs  :  Chasseur  qui  d'un  pas  rapide. 

3  fr. 

5.  Couplets  :  D'un  bal  vif  et  brillant.  2  fr.  5o  c. 

6.  Air  :  Laissez-moi ,  je  vous  en  conjure.  4  fr.  5o  c. 

7.  Chœur    et    cavatine    :  Après   trois   mois  d'absence. 
7  (bis).  Cavatine  :  Merci  mes  bons  amis.  2  fr.  5o  c. 

8.  Romance  :  Palais  pompeux.  2  fr. 
0.  Trio  :  Venez,  rassurez-vous,  madame.  7  fr.  50  c. 


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L'Abonné  paiera  la  somme  de  5o  fr.  ;  il  recevra  pendant 
l'année  deux  morceaux  de  Musique  instrumentale  ou  une 
partition  et  un  morceau  de  musique  ,  qu'il  aura  le  droit  de 
changer  trois  fois  par  semaine  ;  et  au  fur  et  à  mesure  qu'il 
trouvera  un  morceau  ou  une  partition  qu'il  lui  plaira ,  dans  le 
nombre  de  ceux  qui  figurent  sur  mon  Catalogue,  il  pourra  le 
garder  jusqu'à  ce  qu'il  en  ait  reçu  assez  pour  égaler  la  somme 
de  j5  fr.,  prix  marqué,  et  que  l'on  donnera  à  chaque  abonné 
pour  les  5o  francs  payés  par  lui.  De  cette  manière  l'ABONNE 
aura  la  facilité  de  lire  autant  quebon  lui  semblera,  en  dépensane 
cinquante  francs  par  année ,  pour  lesquels  il  conservera  pour 
75  fr.  de  musique. 

L'abonnement  de  six  mois  est  de  3o  francs ,  pour  lesquels  on 
conservera  en  propriété  pour  45  fr.  de  musique. Pour  trois  mois 
le  prix  est  de  20  fr.;  on  gardera  pour  00  fr.  de  musique.  Eu 
province  ,on  enverra  quatre  morceaux  à  la  fois.  Affranchir. 

N.  B.  Les  frais  de  transport  sont  au  compte  de  MM.  les 
Abonnés.  —  Chaque  abonné  est  tenu  d'avoir  un  carton 
pour  porter  la  musique.  (Affranchir.) 


GAZETTE   MUSICALE 

RÉDIGÉE    PAR   MM.    ADAM,    G.    E.    ANDERS ,  BERT0N  (membre    de  l'inslïtut),    BERLIOZ,   CASTIL-BLAZE ,  A.  GUEMER ,  HAUÉVY 

(professeur  de  contrepoint  au  Conservatoire),  Jules  janin  ,  liszt,  lesueur  (membre  de  l'Institut),  j.  mainzer,  marx 
(rédacteur  de  la  gazette  musicale  de  berlin),  d'ortigue  ,  panofka  ,  richard,  j.  g.  seyfried  (maître  de  chapelle 
à  Vienne),  F.  stœpel,  etc.,  etc. 


1"  ANNÉE. 


Pi' 


u% 


PRIX  DE  l' ABONNE». 

PARIS. 

DÉPART. 

ÉTRAKG 

fr. 

Fr.       r. 

Fr.       c. 

3m.    8 

8     T5 

9    50 

6m.  »5 

16    50 

18    » 

1  an.  30 

33    » 

36    » 

<Ta  gazette  iiîusicale  J>£  ijparts 
Paraît    le   DIMANCHE  de  chaque  semaine. 

On  s'abonne  au  bureau  de  la  Gazette  Musicale  de  Paiîie,  tue  Riilielicu,  il7; 
et  cliez  tous  les  libraire?  ei  n  archands  de  musique  de  France. 

)u  reçoit    les  réclamations  des  personnes  qui  ont  des  griefs  à  espuser,  et  les  avis  relatifs  à  la  musiqu 
qui  peuvent  intéresser  le  public. 


PARIS,  DIMANCHE  I!»  OCTOBRE  183<S. 


Les  lettres,  demandes 
et  envois  d'argent  doi- 
vent être  affranchis,  el 
adressés  au  Directeur , 
rue  Ric'iclicu,  M". 


Monseigneur  l'archevêque  de  Paris. 

«  Bénissons  à  jamais  , 
»  Le  seigneur  dans  ses  bienfaits.  » 

(Cantique  populaire.) 

En  ce  temps  Ta  Paris  avait  encore  un  archevêque  ; 

Et  cet  archevêque  ne  ressemblait  point  a  un  autre  ar- 
chevêque ; 

Et  sa  foi  était  sincère  et  sa  piété  éclairée; 

Et  quand  les  impies  faisaient  des  railleries  inconve- 
nantes sur  ses  réunions  pies  avec  les  jeunes  personnes  du 
sacré  cœur,  il  se  contentait  de  soupirer  en  croisant  les 
mains  sur  son  cœur,  et  toutes  jeunes  pies  du  sacré  cœur 
lui  répoudaient  en  chœur; 

Et  il  arriva  qu'un  artiste  célèbre  de  ce  temps  là  vint  à 
mourir. 

Et  un  autre  grand  artiste  voulant  célébrer  dignement 
la  mémoire  de  son  ami ,  eût  l'idée  impie  de  rassembler 
un  peuple  d'habiles  musiciens  pour  chanter  une  sainte 
élégie  sur  sa  tombe; 

Et  cet  homme  de  génie  impie,  malgré  son  nom  de 
Chérubin,  pensa  que  Dieu  ne  serait  point  offensé  si  les 
voix  des  femmes  se  mêlaient  aux  graves  accens  des 
hommes  dans  ce  concert  de  sublimes  douleurs  ; 

Et  le  curé  de  l'église  où  devaient  avoir  lieu  les  poéti- 
ques funérailles,  ayant  déclaré  que  la  plus  belle  moitié 
de  l'espèce  humaine  ne  pouvait  être  admise  a  pleurer  la 
mort  d'un  homme  illustre  sans  l'autorisation  de  son  sei- 
gneur l'archevêque,  l'homme  de  génie  impie,  au  nom  de 


Chérubin ,  répondit  :  «  Nous  irons  prier  humblement 
»  votre  seigneur  l'archevêque  de  permettre  a  la  voix 
«  des  femmes  de  s'élever  dans  le  temple ,  comme  un 
»  parfum  d'agréable  odeur.  » 

Et  le  seigneur  archevêque  prévenu  de  cette  démarche 
qui  allait  être  faite  auprès  de  sa  grandeur,  ayant  con- 
sulté ses  dames  du  Sacré  Cœur,  qui  chantent  faux,  il 
fut  décidé  que  les  daines  du  chœur  profane,  qui  chan- 
tent juste ,  ne  seraient  point  admises  dans  le  temple  ; 

Et  quant  l'homme  de  génie  ,  au  nom  de  Chérubin , 
vint  dans  le  palais  archiépiscopal ,  il  trouva  le  saint  ar- 
chevêque environné  de  son  saint  troupeau,  et  il  essuya 
un  refus  formel  ; 

Et  le  saint  archevêque ,  ayant  ajouté  en  raillant  : 
«  Puisqu'il  s'agit  des  funérailles  d'un  musicien  ,  donnez 
»  un  concert  et  non  pas  une  messe.  »  L'homme  de  gé- 
nie, qui  raille  assez  bien  aussi,  lui  répondit  :  «  Mon- 
»  seigneur,  nous  gardons  le  concert  pour  vous;    » 

Ets'étant  adressé  en  désespoir  de  cause  à  l'aumônier 
des  Invalides ,  l'homme  de  génie  ne  le  trouva  point  en- 
vironné déjeunes  pies  ;  en  conséquence,  les  dames  im- 
pies, qui  chantent  juste,  ne  furent  point  exclues  du 
saint  lieu,  et  sans  en  demander  permission  au  seigneur 
l'archevêque,  l'aumônier,  homme  de  tact  et  d'esprit, 
autorisa  la  cérémonie  ; 

Etl'homme  de  génie  au  nom  de  Chérubin,  nepouvant 
faire  entendre  son  magnifique  ouvrage  dans  une  église 
enfumée,  aux  mesquines  proportions,  située  dans  le  plus 
sale  quartier  de  Paris,   fut  obligé   de  se  contenter  du 


334 


GAZETTE  MUSICALE 


dôme  glorieux  des  Invalides,  où  cent  jeunes  femmes 
impies  encore  plus  belles  que  les  dames  pies  du  Sacré 
Cœur,  chantèrent  ses  accords  sublimes,  qui  en  montant 
vers  le  trône  du  Très-Haut  émurent  d'un  divin  enthou- 
siasme les  trophées  appendus  aux  voûtes  du  temple, 
legs  glorieux  d'un  autre  génie  ; 

Et  les  jeunes  pies  du  Sacré  Cœur,  ayant  appris  cette 
défaite  chantèrent  plus  faux  que  de  coutume  le  len- 
demain. 

Et  le  seigneur  archevêque,  pour  réparer  la  fati- 
gue qu'il  avait  causée  a  l'homme  de  génie  au  nom 
de  Chérubin,  mangea  de  plus  qu'a  l'ordinaire  une  per- 
drix anx  truffes  «  et  but  à  son  souper,  quatre  grands 
coups  devin.  » 

Amem. 

BOIELDIEU. 

Boiledieu  naquit  à  Rouen ,  dans  le  mois  de  décem- 
bre 1775.  Son  père,  homme  d'esprit,  était  secrétaire  du 
cardinal  de  Larochefoucauld  ,  archevêque  de  Rouen.  Il 
s'aperçut  bientôt  des  dispositions  de  son  fils  Adrien  pour 
la  musique,  et  sa  place  à  l'archevêché  lui  permettant  de 
s'occuper  de  les  développer,  il  lui  fit  donner  de  bonne 
heure  les  premières  notions  de  cet  art  qui  devait  l'illus- 
trer, et  le  confia  aux  soins  de  Broche ,  organiste  de  la 
cathédrale. 

De  spirituels  biographes  qui  nous  ont  devancés  dans 
l'hommage  que  nous  essayons  de  rendre  aujourd'hui  a  la 
mémoire  de  Boieldieu  ,  ont  représenté  le  premier  maître 
de  ce  grand  musicien,  sous  un  aspect  que  des  renseigne- 
mens  plus  certains  nous  mettent  a  même  de  modifier. 
Comme  on  le  verra  plus  tard ,  Broche  ne  brillait  certai- 
nement pas  par  l'aménité  de  fes  manières  et  la  douceur 
de  son  caractère  ;  mais  ce  n'était  pas  non  plus  un  homme 
aux  habitudes  grossières,  un  de  ces  buveurs  de  ca- 
thédrale qui  rendent  au  cabaret  un  culte  plus  assidu  qu'à 
l'autel.  Broche  était  un  homme  de  plaisir,  qui  aimait  la 
talde  et  la  bonne  chère.  Ce  n'était  donc  pas  un  buveur 
ordurïer,  c'était  un  bon  vivant,  aimable  et  joyeux, 
que  de  notre  temps  on  eût  décoré  de  la  convenante  épi- 
thète  de  viveur. 

Mais  il  y  avait  deux  hommes  en  Broche  :  autant 
Broche  le  viveur  était  élégant  et  fashionàble ,  autant 
Broche  l'organiste  était  brutal  et  colère.  Reçu  dans  la 
bonne  société  de  la  ville,  homme  du  monde  à  souper, 
le  lendemain  matin  ce  n'était  plus  pour  ses  pauvres 
élèves,  qu'un  tyran,  un  pédagogue  impitoyable,  qui 
appuyait  ses  argumens  de  force  démonstrations  corpo- 
relles, et  qui  traitait  ses  écoliers  comme  son  orgue, 
pedibus  et  manibus.  —  Cet  homme ,  comme  on  le  voit , 


est  un  vrai  personnage  d'opéra-comique ,  et  on  pour- 
rait en  faire  un  maître  de  chapelle  d'une  espèce  toute 
nouvelle. 

Boieldieu  ,  qui  avait  le  malheur  d'être  plus  jeune  que 
ses  camarades ,  fut  bien  plus  à  plaindre  qu'eux,  car  il  de- 
vint bientôt  l'esclave ,  le  groom  de  son  professeur.  Si 
Broche  se  montrait  le  soir  bien  paré,  si  la  poignée  de 
son  épée  était  resplendissante ,  si  sa  chaussure  était  écla- 
tante, c'était  aux'  soins  du  pauvre  petit  Boïel  (comme 
on  l'appelait  alors)  qu'il  devait  sa  brillante  tenue.  Le 
pauvre  enfant  !  combien  il  devait  souffrir,  lorsque  au  lieu 
de  promener  ses  petites  mains  sur  le  piano  ,  sur  l'orgue, 
il  était  obligé  de  les  salir  pour  que  le  soir  M.  Broche  fût 
bien  chaussé.  Que  de  larmes  il  dut  répandre  !  Que  Dieu 
les  pardonne  a  Broche  ces  larmes  d'enfant!  Boieldieu  les 
lui  avait  pardonnées. 

C'est  au  milieu  de  ces  souffrances,  de  ces  tortures 
physiques  et  morales  que  le  talent  du  petit  Boïel  s'accrut 
et  grandit  :  son  heureuse  organisation  le  sauva.  Les 
mauvais  traitemens  de  Broche  ne  l'abrutirentpoint.  Qui 
sait  au  contraire  si  les  pleurs  qu'il  versait ,  les  réflexions 
qu'il  faisait  sur  son  triste  sort  et  sur  l'injustice  de  son 
maître ,  ne  contribuèrent  pas  a  développer  en  lui  ce 
germe  de  sensibilité  qu'il  avait  apporté  en  nassant  et 
qui  devint  un  des  caractères  distinctifs  de  son  talent? 

Quoi  qu'il  en  soit,  les  mauvais  traitemens  de  Broche 
continuaient  toujours,  tellement  qu'un  jour,  le  petit 
Boïel,  frappé  de  terreur  a  la  vue  d'un  pâté  qu'il  venait 
de  faire  sur  un  livre  appartenant  a  son  maître,  ne  crut 
pouvoir  se  soustraire  au  dan jer  qui  le  menaçait  qu'en 
prenant  la  fuite.  Il  partit  seul,  a  pied,  et  vint  à  Paris. 

On  le  renvoya  cependant  a  sa  famille,  a  son  maître, 
qui  s'amenda  un  peu.  Le  petit  Boïel  grandissait;  Broche 
commençait  a  devenir  fier  de  son  élève,  lorsqu'enfin  un 
beau  soir,  on  donna  à  Rouen  une  première  représenta- 
tion d'un  opéra  en  un  acte,  composé  a  Rouen  par  un 
poète  de  Rouen  et  un  musicien  de  Rouen.  Tout  cela 
eut  un  immense  succès,  et,  à  compter  de  ce  jour,  le  petit 
Boïel  devint  Boieldieu. 

Ce  début,  ce  succès  obtenu  en  province,  poussèrent 
Boieldieu  a  Paris,  cette  ville  des  grandes  réputations  et 
des  notables  succès.  C'était  en  -1795,  époque  de  vigueur 
et  d'énergie.  La  peinture,  la  musique,  les  beaux-arts, 
étaient  alors  des  choses  sérieuses  et  fortes  comme  les 
affaires  publiques.  David  ne  badinait  pas  quand  il  pei- 
gnait Marat  expirant  dans  sa  baignoire,  ni  Chérubini 
quand  il  écrivait  Lodoïska  et  Me'de'e,  ni  Berton,  quand 
il  composait  le  Délire  et  Montano.  Méhul  avait  donné 
Stratonice ,  Euplirosine  et  Cora din,  Lesueur,  la  Caverne. 
Boieldieu  arrivaaParis  au  milieu  de  cette  musique reten- 


335 


tissante  et  vigoureuse.  Il  sentit  que  son  heure  n'était  pas 
venue  encore  ;  il  mit  sous  clé  sa  première  partition  -,  et 
se  fit  accordeur  des  pianos  pour  vivre. 

Cependant  il  composait  toujours  ;  car  comment  ne  pas 
obéir  à  cette  voix  intérieure  qui  no-us  soutient  et  nous 
dirige?  Il  composait  donc,  et  n'ayant  pas  de  poème  qui 
pût  recevoir  ses  douces  et  naïves  inspirations,  il  fit  de 
charmantes  romances. 

Il  y  avait  en  ce  temps,  à  Paris,  un  homme  dont  la 
spécialité  ne  s'est  pas  continuée  jusqu'à  nous.  Ce  n'était 
pas  un  acteur,  ce  n'était  pas  même  un  musicien,  c'était 
un  chanteur.  Il  chantait  tout,  Tkoasel  Enfant  chéri  des 
Dames,  Armiàe  et  les  romances  à  la  mode.  Cet  homme 
était  Garât,  et  Garât  était  alors  dans  toute  la  fraîcheur 
de  sa  réputation,  de  sa  voix,  de  son  admirable  talent. 
Garât  vit  les  romances  de  Boieldieu,  il  les  chanta;  Erard 
ouvrait  alors ,  comme  aujourd'hui,  ses  salons  a  tout  ce 
que  Paris  renfermait  d'artistes,  et  ce  fut  là  que  Boiel- 
dieu  obtint  à  Paris  son  premier  succès. 

La  vogue  de  ces  romances  enhardit  les  hommes  de 
lettres,  et  Boieldieu  put  écrire  un  opéra.  Le  premier 
qui  lui  fut  confié  fut  Zoraïme  et  Zulnare,  en  trois  actes; 
mais  il  ne  put  faire  représenter  cet  ouvrage  qu'après 
deux  opéras  en  un  acte,  la  Famille  suisse,  et  Montreuil 
et  Verville ,  joués  tous  deux  en  1797.  1798  vit  paraître 
Zoraïme  et  Zulnare,  et  la  Bot  de  Suzette;  il  donna  en 
1 799  les  Méprises  espagnoles ,  et  en  1 800 ,  Beniowski 
et  le  Calife  de  Bagdad. 

Cependant  Boieldieu  avait  été  nommé  professeur  de 
piano  au  Conservatoire,  ce  grand  et  bel  établissement 
que  la  France  doit  a  la  convention.  Cherubini  ensei- 
gnait la  composition  dans  cette  école.  Boieldieu ,  le 
professeur  de  piano,  Boieldieu,  le  compositeur  renommé 
du  Calife  et  de  Beniowski  voulut  devenir  l'élève  de  l'au- 
teur de  Lodoïska,  à'Elisa,  de  Me'déej  des  Deux  four- 
nées. Il  voulut  se  soumettre  à  des  études  sévères,  et  ap- 
prendre, par  des  travaux  raisonnes  et  suivis,  ce  qu'il 
avait  dû  jusqu'ici  a  son  heureuse  intelligence,  à  son 
goût,  a  son  organisaiion  supérieure. 

Ce  fut  pour  Boieldieu  une  de  ces  périodes  où  l'artiste 
modifie  son  style,  et  change  sa  manière.  Plus  tard  il 
n'aimait  pas  qu'on  lui  parlât  de  ses  premiers  ouvrages, 
qu'il  trouvait,  disait-il,  mal  écrits.  Il  rangeait  dans  cette 
classe  Zoraïme  et  Zulnare,  où  l'on  trouve  de  la  chaleur, 
de  la  passion,  de  beaux  chants;  Beniowski,  remarquable 
par  son  énergie  ;  et  le  charmant  Calife  de  Bagdad ,  si 
gracieux,  si  aimable,  si  naturel. 

Un  homme  de  beaucoup  d'esprit  m'a  raconté  que  le 
Calife  de  Bagdad  pensa  désunir  deux  amis,  deux  colla- 
borateurs, deux  hommes  c  lèbres  Mébul  et  Hoffmann. 


C'était  le  jour  de  la  première  représentation.  Après  la 
pièce  :  Vomi,  dit  Méhul  en  se  levant,  un  charmant 
poème.  —  Non,  répond  Hoffmann,  le  poème  n'a  pas  le 
sens  commun ,  c'est  la  musique  qui  est  ravissante.  »  La 
discussion  continue,  ils  s'échauffent,  et  il  fallut  l'in- 
tervention d'un  ami  pour  appaiser  cette  querelle  nais- 
saute. 

Le  premier  ouvrage  qu'écrivit  Boieldieu,  après  qu'il 
se  fut  fait  l'élève  de  son  ami ,  fut  ma  Tante  Aurore.  Ses 
nouveaux  travaux  avaient  donné  a  son  talent  une  im- 
pulsion favorable,  et  l'on  trouve  dans  ce  nouvel  opéra 
une  instrumentation  élégante  et  soignée,  des  dessins 
bien  suivis,  des  morceaux  d'ensemble  combinés  avec 
art  et  remplis  d'effets  ingénieux.  Le  fameux  quatuor  est 
un  chef-d'œuvre  et  restera  comme  une  des  plus  belles 
productions  de  l'école  française.  Le  public  de  la  pre- 
mière représentation  ,  peu  sensible  aux  beautés  musi- 
cales de  cet  ouvrage,  siffla,  et  l'on  crut  a  une  chute; 
mais  le  compositeur  avait  apprécié  son  œuvre;  il  tint 
bon;  le  poète  fit  des  coupures,  et,  deux  jours  après,  ma 
Tante  Aurore  se  trouva  resserrée  en  deux  actes ,  et  ob- 
tint, sous  cette  forme,  un  succès  qui  fit  époque  dans  la 
carrière  de  Boieldieu. 

C'était,  au  reste,  un  beau  temps  pour  la  musique  en 
France,  que  celui  qui  voyait  à  la  fois  Cherubini,  Ber- 
ton  ,  Lesueur,  Mehul ,  Boieldieu ,  Catel,  travaillant 
tous,  et  répandant  leurs  beaux  ouviages  sur  deux  théâ- 
tres qui  se  les  disputaient. 

Boieldieu,  h  celte  époque;  était  un  des  hommes  de 
Paris  les  plus  a  la  mode.  Son  talent,  son  esprit  aimable 
et  affectueux,  son  caractère  gai  et  ouvert,  le  faisaient 
rechercher  des  sociétés  les  plus  élégantes.  Il  était  en  ou- 
tre un  des  plus  jolis  hommes  de  son  temps ,  et  il  obtint, 
dans  les  salons,  des  succès  de  plus  d'un  genre,  et  qui 
durent  le  flatter  autant  qu'avaient  pu  le  faire  ses  triom- 
phes du  théâtre. 

Cependant,  vers  1804,  tourmenté  par  des  chagrins 
domestiques.,  il  prit  tout  à  coup  la  résolution  de  quitter 
la  France.  En  deux  jours  il  se  décida  ,  lit  tous  ses  pré- 
paratifs ,  et  le  troisième  jour  il  était  en  voyage,  se  diri- 
geant vers  la  Russie  ,  où  il  savait  retrouver  une  famille 
qu'il  aimait  comme  la  sienne. 

Il  n'avait  d'antre  but,  en  quittant  laFr.mce,  que  de 
chercher  des  distractions  et  d'oublier  ses  chagrins  au 
milieu  de  cette  famille  amie;  mais  arrivé  aux. frontières 
de  l'empire,  il  reçut  un  message  d'Alexandre.  Le  nom 
de  Boieldieu  était  arrivé  long-temps  avant  lui  au  bout 
de  l'Europe,  et  l'empereur  Alexandre .,  par  reconnais- 
sance pour  1  artiste  céièbre  qui  venait  le  visite:',  lui 
conférait  le  titre  de  son  maître  de  chapelle. 


GAZETTE  MUSICALE 


Boyeldieu  fut  reçu  a  Saint-Pétersbourg  de  la  manière 
la  plus  flatteuse.  On  lui  donna  la  plus  belle  fête  qu'on 
puisse  offrir  à  un  compositeur;  on  exécuta,  à  \  H  ermi- 
tage J  le  Calife.  La  famille  impériale  et  toute  la  cour 
remplissaient  la  salle  éclatante  de  lumière  et  de 
diamans;  mais  ce  n'était  pas  pour  cette  cour  si  fastueuse 
et  si  brillante  que  l'empereur  fesait  chanter  ses  acteurs, 
fesait  jouer  son  orchestre;  c'était  pour  Boieldieu,  pour 
le  musicien ,  pour  l'homme  qui  venait  de  France,  et  qui 
consentait  a  consacrer  son  génie  à  la  Russie  qui  le  rece- 
vait si  bien. 

L'empereur  Alexandre  traita  avec  Boyeldieu.  Les 
bases  de  cette  alliance  signée  a  Saint-Pétersbourg ,  fu- 
rent d'une  part  :  1°  que  Boieldieu  s'engageait  a  fournir 
a  Alexandre  trois  opéras  nouveaux  par  an ,  composés 
expressément  pour  lui;  2°  qu'Alexandre  fournirait  a 
Boieldieu  trois  poèmes  français  destinés  a  être  mis  en 
musique  par  le  dit  Boieldieu  ;  5°  pour  l'exécution  de  ce 
traité,  Alexandre,  empereur,  mettait  à  la  disposition 
de  Boieldieu,  compositeur,  toutes  les  forces  dramati- 
ques de  son  empire.  Cette  alliance,  entre  l'artisje  et  le 
souverain,  stipulait  en  outre  pour  le  compositeur,  des 
appointemens  très-honorables. 

Ce  traité  entre  ces  deux  puissances  par  la  grâce  de 
Dieu ,  la  royauté  et  le  génie ,  dura  sept  ans,  et  il  faut  le 
dire,  ce  ne  fut  pas  la  royauté  qui  l'enfreignit.  L'homme 
de  talent  au  bout  de  sept  ans,  soupira  après  sa  patrie, 
mais  il  n'osa  pas  la  réclamer  tout  haut  ;  c'était  en  \  811 , 
il  demanda  un  congé,  l'obtint,  se  hâta  de  retournera 
Paris  pour  y  rester.  11  ne  savait  pas  que  trois  ans  après 
Alexandre  viendrait  l'y  chercher  a  la  tête  de  ses  cosa- 
ques, et  le  sommerait  de  retourner  a  son  poste,  On  a  as- 
signé diverses  causes  a  la  guerre  de  Russie,  peut-être 
Alexandre  ne  voyait-il  dans  ces  grands  événemens 
qu'une  occasion  de  reconquérir  son  maître  de  chapelle. 

Retournons  a  Saint-Pétersbourg.  L'autocrate  s'était 
engagé  s  fournir  a  Boieldieu  trois  poèmes  fiançais  par 
an,  mais  il  ne  s'était  pas  engagé  a  les  faire.  Delà, 
grandes  difficultés  lorsqu'il  s'agit  d'exécuter  cet  article 
du  traité.  La  toute-puissance  de  l'empereur,  le  knout 
et  autres  moyens  ordinaires  ,  échouèrent  contre  ces  dif- 
ficultés. On  chercha  partout,  depuis  la  Pologne  jus- 
qu'en Sibérie ,  depuis  les  frontières  de  la  Chine  jus- 
qu'aux Monts -Oural  :  on  trouva  des  fourrures  pré- 
cieuses, des  métaux,  des  diamans  plus  précieux  encore, 
mais  des  poèmes  français  !..  l'immense  empire  n'en  pro- 
duisait pas. 

On  fit  donc  un  amendement  au  traité ,  et  Boieldieu 
fut  obligé  de  puiser  a  la  Bibliothèque  qu'il  avait  ap- 
portée avec  lui.  C'est  ainsi  qu'il  composa  Aline,  reine  de 


Golconde ,  opéra  sur  lequel  Berton  venait  de  faire  une 
excellente  musique;  Télëmaquè ' ,  que  Lesueur  avait  fait 
représenter  avec  grand  succcs'a  l'Opéra  de  Paris;  les 
toitures  versées,  d'après  un  vaudeville  de  M.  Dupaty; 
la  Jeune  Femme  colère  ,  d'après  une  comédie  de 
M.  Etienne;  des  chœurs  pour  l 'Atkalie ,  de  Racine;  les 
Deux  Par  avens,  Amour  et  mystère ,  de  J.  Pain  et  de 
Bouin  ainsi  qu'une  grande  quantité  de  marches  et  de 
morceaux  militaires  pour  la  garde  impériale  russe. 

Un  seul  poème  fut  écrit  pour  lui  à  Pétersbourg ,  c'est 
Abderkhan  ;  l'auteur  était  un  chanteur  du  Théâtre-Im- 
périal ,  un  Français  qui  voulut  essayer  de  faire  un  opéra 
pour  les  Russes  ;  mais  une  chute  honteuse  le  punit  de 
sa  présomption. 

Tous  les  autres  ouvrages  que  nous  venons  de  nom- 
mer eurent  le  plus brillans  succès.  Les  chœurs iïAtkaliej 
faisaient  tant  d'effet  qu'une  célèbre  tragédienne  française 
qui  se  trouvait  alors  en  Russie ,  cessa  de  jouer  le  rôle 
principal ,  car  les  applaudissemens  s'adressaient  tous 
aux  chœurs  de  Boieldieu  et  délaissaient  la  tragédienne. 

Télémaque  était  un  des  ouvrages  que  Boieldieu  pré- 
férait. Il  paraît  que  cet  opéra ,  que  nous  ne  connaissons 
pas,  non  plus  que  les  chœurs  d'Athalie,  renferme  de 
grandes  beautés. 

Télémaque,  grand  opéra  en  trois  actes,  fut  écrit  en  six 
semaines.  L'impératrice  venait  d'accoucher;  et  pendant 
que  le  canon  annonçait  à  tcutes  les  Russies  la  naissance 
d'un  prince,  Boieldieu  reçut  l'ordre  de  commencer  à 
l'instant  même  un  opéra  qui  devait  être  écrit,  répété  et 
joué  au  bout  de  six  semaines ,  ni  plus  ni  moins ,  pour  cé- 
lébrer les  relevailles  de  l'auguste  accouchée.  Il  n'y  a 
qu'un  autocrate  qui  puisse  donner  un  pareil  ordre  ;  l'o- 
tocrate  fut  obéi.  Pendant  que  Boieldieu  écrivait ,  les 
copistes  copiaient,  les  artistes  du  théâtre  apprenaient,  les 
décorateurs  peignaient,  les  tailleurs  coupaient  et  cou- 
saient ;  et  lorsque  Boieldieu  sortit  de  chez  lui ,  son  œuvre 
terminé,  il  alla  au  théâtre,  et  entendit  son  opéra  parfai- 
tement exécuté  à  grand  orchestre.  On  avait  tout  répété 
sans  lui.  Heureux  Boieldieu! 

Comme  nous  l'avons  dit,  après  tous  ces  travaux, 
Boieldieu  eut  le  mal  du  pays  ;  il  revint  a  Paris,  où  de 
nouveaux  succès  l'attendaient. 

La  suite  au  prochain  numéro. 


GUILLAUME  -TELL ,~ 

Second  article. 

Cet  acte  s'ouvre  par  un  chœur  d'une  belle  et  noble 
simplicité.  Une  joie  douce  était  le  sentiment  que  le  com- 
positeur avait  à  peindre,  et  difficilement  on  imaginerait 


DE  PARIS. 


quelque  éhose  de  mieux ,  de  plus  vrai  et  de  plus  déli- 
cat en  même  temps,  que  la  mélodie  qu'il  a  placée  sur 
ces  vers  : 

«  Quel  jour  serein  le  ciel  présage 

«  Célébrons-le  dans  nos  concerls.  » 
Les  harmonies  vocales,  soutenues  d'un  accompagne- 
ment en  style  de  ranz  de  vaches,  respirent  le  bonheur  et 
la  paix.  La  modulation  du  sol  naturel  en  mi  bémol  qui 
se  trouve  vers  la  fin  du  morceau  devient  originale  par 
la  manière  dont  elle  est  présentée ,  et  produit  un  excel- 
lent effet.  La  romance  qui  suit  : 

«  Accours  dans  ta  nacelle.  » 
ne  nous  paraît  pas  a  la  même  hauteur  ;  la  mélodie  n'en 
est  pas  toujours  naïve  comme  il  convient  a  la  chanson 
d'un  pêcheur  d'Underwald;  plusieurs  phrases  sont  enta- 
chées de  ce  style  minaudier  que  les  chanteurs  par  leurs 
broderies  banales  ont  malheureusement  mis  en  circula- 
tion. En  outre,  pourquoi  cet  accompagnement  de  deux 
harpes  pour  le  chant  d'un  suisse?  on  ne  sait  trop.  Guil  • 
laume,  qui  se  taisait  pendant  toute  l'introduction  et  la 
première  strophe  du  pêcheur,  débute  par  un  monologue 
mesuré  plein  de  caractère  ;  c'est  bien  la  l'indignation 
concentrée  d'un  amant  de  la  liberté,  a  l'âme  fière  et 
profonde.  L'instrumentation  en  est  parfaite,  aussi  bien 
que  les  modulations ,  quoiqu'il  se  présente  dans  la  parlie 
vocale  quelques  intervalles  d'une  intonation  fort  diffi- 
cile. Le  défaut  général  de  tout  l'ouvrage  commence  déjà 
a  se  faire  sentir  ici.  Cette  scène  se  prolonge  trop,  et  les 
trois  morceaux  qui  la  composent  n'étant  pas  de  couleurs 
assez  diférentes,  il  en  résulte  une  monotonie  fatigante 
que  vient  encore  augmenter  le  silence  de  l'orchestre 
pendant  la  romance.  En  général,  a  moins  que  la  scène 
ne  soit  animée  par  un  puissant  intérêt  dramatique,  il  est 
rare  qu'il  ne  résulte  pas  (à  l'Opéra)  une  froideur  mor- 
telle de  cette  inaction  des  iustrumens.  Le  théâtre,  en 
outre,  est  si  vaste,  qu'une  voix  seule  partie  du  fond 
n'arrive  a  l'oreille  du  spectateur  que  dépourvue  de  cette 
chaleur  de  vibrations  qui  est  la  vie  de  la  musique,  et 
sans  laquelle  il  est  fort  rare  qu'une  mélodie  puisse  se 
dessiner  nettement  et  avoir  toute  son  action.  Après  une 
sonnerie  de  ranz  en  échos ,  où  quatre  cors  en  sol  et  en 
mi  naturel  représentent  la  trompe  des  pasteurs  helvéti- 
ques ,  un  mouvement  allegro  vivace  vient  réveiller  l'at- 
tention. Ce  chœur,  plein  d'une  verve  passionnée,  serait 
admirable  si  les  vers  exprimaient  le  contraire  de  cequ'ils 
disent  réellement.  11  est  en  mi  mineur,  et  la  mélodie  en 
est  si  pleine  d'agitation  et  d'effroi ,  qu'a  la  première  re- 
présentation,  n'entendant  pas  les  paroles,  comme  cela 
arrive  presque  toujours  dans  les  grands  théâtres,  je  crus 
a  la  nouvelle  de  quelque  catastrophe ,  telle  que  l'assassi- 


nat du  père  Melchtal  tout  au  moins;  cependant,  bien  loin 
de  la ,  le  chœur  chante  : 

«  On  entend,  des  montagnes, 
»  Le  signal  du  repos  ; 
»  La  fête  des  campagnes 
»  Abrège  nos  travaux. 

C'est  la  première  fois  qu'il  est  arrivé  a  Rossini  de  faire 
un  contresens  de  celte  nature.  A  ce  chœur,  qui  est  le 
deuxième  dans  la  même  scène ,  succède ,  après  un  réci- 
catif  obligé,  un  troisième  chœur  maëstoso  ,  remarquable 
surtout  par  une  gamme  du  si  mitoyen  au  si  aigu ,  lancée 
au  travers  de  l'harmonie  par  le  soprano  avec  un  rare 
bonheur.  Mais  l'action  ne  marche  pas  ;  ce  défaut  est 
rendu  beaucoup  plus  sensible  par  un  quatrième  chœur 
d'un  caractère  violent  plutôt  que  joyeux  ,  toujours 
chanté  à  pleine  voix,  instrumenté  constamment  à  plein 
orchestre,  et  accompagné  a  grands  coups  de  grosse 
caisse  sur  chaque  temps  fort  de  la  mesure.  Ce  morceau, 
absolument  inutile  à  l'intérêt  dramatique,  offre  peu 
d'intérêt  sous  le  rapport  musical.  On  a  fait  dans  la  par- 
tition qui  nous  occupe  d'impitoyables  coupures ,  on  se 
serait  bien  gardé  de  rien  ôter  ici,  c'eut  été  trop  raison- 
nable; les  coupeurs  ne  savent  retrancher  que  les  belles 
choses.  Dans  l'opération  de  la  castration  ce  sont  en  effet 
les  parties  nobles  qu'on  enlève.  Ainsi  j  de  compte  fait, 
voilà  quatre  chœurs  avec  tous  leurs  développemens , 
pour  chanter  le  jour  serein,  la  fête  des  campagnes ,  cé- 
lébrer le  travail  et  l'amour,  et  parler  des  cors  qui  se  ré- 
pondent près  des  torrens  qui  grondent.  Une  semblable 
monotonie  dans  l'emploi  des  moyens,  que  n'excusent 
pas  même  les  exigences  du  drame,  dont  la  marche  se 
trouve  ainsi  arrêtée  sans 'but,  est  d'une  grande  mala- 
dresse ,  surtout  en  commençant.  Il  semble  que  l'ouvrage 
ait  été  dominé  en  beaucoup  d'endroits  par  la  fâcheuse 
influence  qui  entraînait  le  compositeur  dans  cette  voie. 
Je  dis  le  compositeur,  parce  qu'un  homme  comme  Ros- 
sini obtient  toujours  de  son  poète  tout  ce  qu'il  veut,  et 
l'on  sait  que  pour  Guillaume -Tell  il  a  demandé  a 
M.  Jouy  une  foule  de  changemens  qui  ne  lui  ont  pas  été 
refusés. 

On  remarque  un  défaut  de  variété  jusque  dans  le  style 
mélodique  ;  de  nombreuses  tenues  sur  la  dominante  se 
font  remarquer  dans  la  vocale  ;  une  tendance  presque 
irrésistible  semble  entraîner.Je  compositeur  vers  le  cin- 
quième degré  de  l'échelle  musicale,  autour  duquel  il 
tourne  avec  une  persistance  fatigante.  Exemples  dans  le 
premier  acte  : 

Pendant  la  fanfare  des  quatre  cors  en  ?ni  bémol,  Ar- 
nold chante  : 


338 


GAZETTE  MUSICALE 


«  Mais  quel  bruit ruais  quel  bruit 

h  Des  tyrans  qu'a  vomis  l'Allemagne 
»  Le  cor  sonne  sur  la  montagne.  » 

Toutes  ces  paroles  sont  sur  une  seule  note,  le  si  bé- 
mol. Dans  le  duo  qui  suit,  Arnold  dit  encore  presqu'en 
tièrement  sur  ce  même  si  bémol ,  dominante  du  ton  de 
mi,  les  deux  -vers  : 

«  Sous  le  fardeau  de  l'esclavage 

»  Quel  grand  cœur  n'est  pas  abattu  ?  » 

Plus  loin ,  après  avoir  modulé  en  ré,  Guillaume  et 
Arnold  disent  alternativement  sur  le  la  naturel,  domi- 
nante du  nouveau  ton  : 

«  Soyons  hommes,  et  nous  vaincrons. 

»  Et  comment  venger  nos  affronts  ? 

«  Tout  pouvoir  injuste  est  fragile.  » 

c'est  a  peine  si  cinq  syllabes  placées  sur  les  notes  ré,  fa 
et  ut  dièze,  aux  désinences  des  phrases,  peuvent  se  faire 
distinguer  a  travers  le  bourdonnement  obstiné  de  cette 
dominante.  Le  ton  de  fa  est  établi  ;  aussitôt  Y  ut,  domi- 
nante, résonne  : 

«  Songe  aux  biens  que  tu  perds  ?  — 
»  Qu'importe  !  —  Quelle  gloire  espérer  des  revers?... 
»  Ton  espérance  ?  —  Est  la  victoire, 
»  La  tienne  aussi,  j'ai  besoin  de  le  croire.  » 

Ailleurs  : 

«  Du  danger  quand  sonnera  l'heure  , 
»  ami  je  serai  prêt.  « 

toujours  sur  la  dominante.   La  fanfare  des  cors  recom- 
mence-t-elle  en  mi  bémol,  Guillaume  s'écrie  : 
«Qu'entends-je?..  c'est  Gésier...  Quoi!  tandis  qu'il  nous  brave 

»  Voudrais-tu,  volontaire  esclave, 
»  D'un  regard  dédaigneux  implorer  la  faveur  ?  » 

Ces  quatre  vers  sont  entièrement  sur  le  si,  dominante. 
Fidèle  h  sa  note  favorite,  Tell  l'emploie  encore  exclusi- 
vement pour  dire  vers  la  fin  du  même  morceau  ; 

«  Entends  au  loin  les  chants  de  l'hyménée  ; 

»  N'attristons  pas  la  fête  des  pasteurs  ; 

«  A  leurs  plaisirs  ne  mêlons  pas  des  pleurs.  » 

Un  aussi  grave  défaut  nuit  immensément  a  l'effet  géné- 
ral de  ce  beau  duo.  Je  dis  beau,  parce  que  malgré  ce 
carillon  de  dominantes  ,  il  est  réellement  admirable  sous 
tous  les  autres  rapports:  l'instrumentation  est  traitée 
avec  un  soin  et  une  délicatesse  remarquables  ;  les  mo- 
dulations sont  variées-,  le  chant  d'Arnold  : 

«  O  Malhilde,  idole  de  mon  âme!  » 
est  d'une  suavité  extrême  ;  beaucoup  d'autres  phrases  de 
Guillaume  sont  pleines  d'accens  dramatiques,  et  à  l'ex- 
ception de  la  musique  du  vers  : 

«  Mais  à  la  vertu  je  me  rends.  » 
tout  est  d'une  grande  noblerse. 


Les  moicîàux  suivans  sont  tous  plus  ou  moins  remar- 
quables. Nous  citerons  de  préférence  le  chœur  en  lami- 
neur : 

«  Hymen  ée , 

»  Ta  journée 

»  Luit  pour  nous.  » 

qui  serait  d'un  effet  neuf  et  piquant,  s'il  était  exécuté 
comme  on  aurait  le  droit  d'exiger  que  tous  les  chœurs  le 
fussent  a  l'Académie  Royale  de  Musique.  L' allegro  pan- 
tomime des  arehers  est  aussi  d'une  grande  énergie;  plu- 
sieurs airs  de  danses  se  distinguent  par  de  fraîches  mé- 
lodies et  un  orchestre  des  plus  soignés.  Le  grand  final 
qui  couronne  cet  acte  nous  paraît  beaucoup  moins  sa- 
tisfaisant. D'abord,  les  tenues  sur  la  dominante  dans  les 
voix  et  dans  l'orchestre,  qui  avaient  cessé  pendant  quel- 
que temps,  s'y  montrent  de  nouveau.  Après  quelques 
exclamations  du  chœur  des  suisses,  on  entend  les  sol- 
dats de  Gessler  : 

«  De  la  justice  voici  l'heure. 
«  Malheur  au  met  rtrier  ! 
»  Qu'il  meure  !  » 

Tout  cela  est  dit  sur  la  note  si  dominante  de  mi  mi- 
neur, qui  déjà  a  été  employée  comme  pédale  par  les 
basses  de  l'orchestre,  pendant  les  dix-neuf  premières 
mesures  du  début  du  morceau.  On  serait  tenté  de  croire 
en  voyant  cette  persistance  du  compositeur  à  revenir  a 
la  plus  usée  et  a  la  plus  monotone  des  formes  musicales , 
qu'il  n'a  agi  ainsi  que  par  paresse.  Il  est  fort  commode 
en  effet  d'écrire  une  phrase  d'orchestre  dont  l'harmonie 
ne  roule  que  sur  les  deux  accords  fondamentaux  du  ton, 
et,  quand  on  a  un  débit  de  paroles  a  faire  la-dessus,  de 
le  placer  sur  la  note  commune  aces  deux  accords,  la 
dominante.  Cela  épargne  au  compositeur  beaucoup  de 
temps  et  de  travail.  A  cette  introduction  succède  une 
prière  : 

ii  Vierge  que  les  chrétiens  adorent.  » 

D'un  mouvement  lent ,  je  dirai  presque  traînant,  ac- 
compagnée d'une  façon  assez  ordinaire,  dont  l'effet  est 
de  suspendre  l'action  et  l'intérêt  musical ,  fort  mal  à 
propos.  Les  à  parte  syllabiques  du  chœur  de  soldats 
pendant  le  chant  des  femmes,  ne  sont  pas  heureux.  «  Les 
vois-tu  tous  tremblans? —  Obéissez!  il  y  va  de  vos 
jours.  »  La  musique  de  ces  paroles  n'est  ni  menaçante, 
ni  ironique;  c'est  tout  bonnement  une  série  de  notes  de 
remplissage  qui  servent  à  compléter  les  accords,  mais 
n'expriment  ni  le  mépris  ni  la  colère.  Quand  enfin  les 
femmes  ont  achevé  leur  longue  prière,  la  fureur  de 
Rodolphe  ,  le  plus  ardent  satellite  de  Gésier,  éclate  avec 
violence.  L'orchestre  se  précipite  en  tumulte,  les  trom- 
bonnes  rugissent,  les  violons  poussent  des  cris  aigus, 
tous  les  instrumens  peignent  a  l'envi  les  horreur  du  pil- 


339 


lage  et  du  ravage  dont  les  Suisses  sont  menacés;  mal- 
heureusement tout  cela  est  calqué  sur  le  final  de  la  Ves- 
tale. Dessin  des  basses  et  des  altos,  accords  stridens  des 
instrumens  de  cuivre,  gammes  incisives  des  premiers 
violons ,  accompagnement  syllabique  du  second  chœur 
sous  un  chant  large  de  soprano ,  tout  est  dans  Spontini. 
Ajoutons  toutefois,  que  la  Stretta  de  ce  cœur  contient 
un  effet  magnifique  dû  en  entier  à  Rossini  ;  c'est  la 
gamme  descendante  syncopée  de  tout  le  chœur  en  oc- 
taves, pendant  que  les  voix  aiguës,  les  flûtes  et  les  pre- 
miers violons  tiennent  avec)  force  l'accord  de  tierce 
majeure  mi  sol,  contre  lequel  les  notes  ré  dièze,  la  et 
fa  dièze  des  voix  inférieures,  viennent  se  heurter  en 
frémissant.  Cette  seule  idée ,  par  sa  grandeur  et  sa  puis- 
sance, efface  absolument  toute  les  parties  antérieures  du 
final  ;  elle  les  fait  complètement  oublier  ;  on  était  fati- 
gué en  commençant,  en  finissant  on  est  ému;  l'auteur 
paraissait  manquer  d'invention ,  il  se  relève  et  vous 
étonne  par  un  trait  inattendu.  Rossini  est  plein  de  ces 
contrastes. 

La  suite  au  prochain  numéro. 


THÉÂTRE   MABTIÇUE. 


Chao-Kang, 

Ballet  chinois  en  4  aclcs ,   de  M.  Henry;   musique   de  M.   Carlini , 

*  décors  de  MM.  Devoir  et  Pourchet. 

■/* 
Les  Chinois  vont  pleuvoir  sur  les  théâtres  de  Paris.  Grands 

et  petits  ,  chacun  va  nous  montrer  le  sien  en  opéra,  en  vaude- 
ville, en  drame,  etc.  Voici  pourtant  M.  Henry  qui  a  taillé  une 
rude  besogne  à  ceux  qui  viendront  après  lui;  plus  adroit  et 
plus  actif,  il  a  su  arriver  le  premier.  A  en  juger  par  une  pre- 
mière représentation  ,  M.  Henry  tient  pour  long-temps  la  vo- 
gue qu'il  a  dignement  su  conquérir  ;  il  sera  difficile  de  la  lui 
arracher. 

Le  sujet  de  Chao-Kang  est  monarchiquement  très-édifiaut. 
C'est  nu  empereur  qu'on  chasse  du  trône,  qu'on  empoisonne, 
et  qui  bientôt  est  restauré  et  se  met  à  trôner  de  nouveau  comme 
si  de  rien  n'était.  Personne  au  reste  n'a  songé  que  ce  ballet 
avait  une  donnée  quelconque,  si  ce  n'est  le  fescur  de  pro- 
gramme, qui  paraît  même  y  attacher  une  grande  importance  , 
car  il  a  fait  un  livret  pompeusement  explicatif;  précédé  d'une 
préface  où  il  expose  gravement  l'ingénieuse  théorie  du  geste 
de  convention,  renouvelé  des  Romains.  Je  vous  recommande 
en  particulier  cette  préface  merveilleuse  ,  qui  certes  n'est  pas 
la  partie  la  moins  bouffonne  du  spectacle.  Laissons  donc  de 
côté  ce  prétendu  programme,  et  contentons-nous  d'affirmer 
qu'il  est  difficile  de  voir  quelque  chose  de  plus  curieux ,  de 
p'us  varié,  de  plus  brillant  et  souvent  de  plus  bouffon  que  les 
richesses  choréograpliiques  que  M.  Henry  a  su  grotipper  au- 
tour de  son  Chao-Kang.  Un  ballet  fait  tout  entier  pour  les 
yeux  ne  se  décrit  pas,  et  bien  moins  encore  celui  où  une  mul- 
titude de  tableaux  .  de  scènes ,  de  danses,  de  décors  ,  se  renou- 
velle pendant  4  actes  d'une   façon   vraiment   étourdissante; 


mais  il  est  aujourd'hui  pour  nous  d'une  vérité  incontestable 
que  de  tous  les  maîtres  de  ballet  connus  ,  M.  Henry  est ,  sans 
contredit,  celui  dont  l'imagination  sait  le  mieux  trouver  de 
nouvelles  et  piquantes  combinaisons  dans  un  sujet  en  appa- 
rence épuisé  et  tari.  Si  M.  Véron  ne  parvient  à  attacher 
M.  Henrv  à  son  théâtre,  il  perd  décidément  toute  sa  réputation 
d'habileté. 

Chao-Kang  est  de  ces  pièces  comme  il  en  paraît  de  loin  en 
loin  ,  auxquelles  la  -vogue  est  nécessairement  acquise;  non  que 
leur  mérite  soit  sans  reproches,  non  qu'elles  doivent  le  jour  à 
une  idée  inexploitée  jusque-là,  mais  seulement  parce  que  leur 
ensemble  tranche  vivement  avec  la  masse  homogène  des  pro- 
ductions contemporaines. 

Continuellement  distrait  par  la  pompe  du  spectacle ,  la  ri- 
chesse des  décors,  la  variété  des  costumes,  et  par-dessus  tout 
par  l'incomparable  habileté  de  la  mise  en  scène,  je  ne  saurais 
parler  au  long  de  la  musique  qui  m'a  généralement  semblé 
gracieuse  et  chantante.  Une  seconde  audition  est  nécessaire 
pour  cela  et  aussi  pour  rendre  à  chacun  selon  son  mérite;  c'est 
ce  que  j'essaierai  de  faire  dans  le  prochain  numéro. 


NOUVELLES. 

+%  M.  Berlioz  va  commencer  une  nouvelle  série  de  concerts 
dont  l'attrait  sera  puissant  pour  tout  ce  qui  s'intéresse  réelle- 
ment aux  progrès  de  l'art  musical.  Un  orchestre  de  cent  trente 
musiciens,  dirigé  par  M.  Girard  ,  exécutera ,  outre  les  compo- 
sitions déjà  connues  de  M.  Berlioz  ,  une  nouvelle  symphonie  en  - 
4  parties  ,  avec  alto  principal  ,  intitulée  Ilarold;  un  trio  pour 
trois  voix  et  orchestre,  sur  des  paroles  de  Victor  Hugo  ;  une 
fantaisie  pour  soprano  et  orchestre  sur  une  ode  orientale  de 
Victor  Hugo  ,  et  une  grande  fantaisie  pour  piano  et  orchestre 
composée  par  M.  Listz  sur  deux  fragmens  du  mélologue  de 
M.  Berliozjpa  Ballade  du  Pêcheur,  et  la  Chanson  des  Brigands. 
Le  premier  concert  aura  lieu  le  9  novembre  prochain  à  deux 
heures.  Le  prix  des  places  sera  le  même  que  celui  des  concerts 
du  Conservatoire.  On  s'inscrit  d'avance  chez  M.  Schlesinger, 
rue  Richelieu  ,  97. 

»**  Ç)i25  francs ,  tel  est  le  chiffre  de  la  recette  delà  -M  3e  re- 
présentation de  Robert-le-Diable,  de  Meverbeer. 

*+  Les  concerts  de  l'hôtel  Lafitte  prennent  consistance  ;  la 
foule  s'y  porte  ,  et  il  est  à  désirer  que  la  nouvelle  salle  soit  bien- 
tôt terminée  pour  contenir  les  amateurs  de  concerts  ,  dont  le 
nombre  augmente  journellement. 

%  M.  Louis  Lacombe,  jeune  pianiste  de  talent,  est  dans  ce 
moment  à  Tienne,  où  il  doit  donner  quelques  concerts. 

*  Toute  l'attention  des  amateurs  de  musique  en  Angle 
icrre  est  portée  dans  ce  moment  sur  la  grande  fête  musicale  de 
Birmingham;  cette  solennité,  dont  le  but  est  d'augmenter  la 
dotation  d'un  hôpital,  et  qui  se  renouvelle  tous  les  trois  ans 
depuis  1784  ,  a  servi  cette  année  à  l'inauguration  de  la  grande 
salle  que  cette  riche  ville  manufacturière  vient  de  faire  con- 
struire pour  les  grandes  assemblées  ,  et  surtout  pour  les  réu- 
nions musicales.  Les  dimensions  en  sont  gigantesques,  mais  si 
bien  proportionnées  d'après  les  règles  de  l'acoustique  ,  qu'on 
peut  saisir  de  tous  les  poinls  de  la  salle  les  modulations  les  plus 
faibles  de  la' voix.  Le  piano  même  y  produit  de  l'effet.  3Iosche- 
Ves  vient  d'y  obtenir  un  succès  d'enthousiasme,  tout  le  fini  de 
son  jeu  a  pu  être  apprécié  dans  cet  immense  local  comme  dans 
un  salon  ordinaire  par  un  auditoire  de  plus  de  3, 5oo  personnes. 
On  avait  choisi  pour  cette  occasion  un  des  nouveaux  pianos  de 
Pierre  Erard.  Une  autre  curiosité  en  fait  d'inslrumens  était  le 
nouvel  orgue,  construit  sur  les  plus  grandes  dimensions  con- 
nues. L'orgue  est  indisp*  nsable  pour  exécuter  les  grandes 
compositions  de  Hacndel  ;  il  se  joint  à  l'orchestre  pour  accom- 
pagner les  chœurs;  c'est  dans  ces  sortes  de  solennités  où  l'on 


340 


GAZETTE  MUSICALE  DE  PARIS. 


réunit  quelquefois  quatre,  cinq ,  et  jusqu'à  six  cents  musiciens, 
qu'il  faut  entendre  les  compositions  de  ce  grand  maître;  nous 
n'avons  en  Franco  aucune  idée  de  l'effet  qu'elles  produisent. 
On  peut  juger  de  l'empressement  des  riches  en  Angleterre 
pour  ces  magnifiques  concerts-monstres ,  par  les  recettes  de 
quatre  oratorios  le  matin  ;  et  de  trois  concerts  le  soir;  elles  se 
sont  élevées,  en  quatre  jours,  à  la  somme  de  trois  cent  qua- 
rante mille  francs  !!!... 

+%  Suivant  le  bulletin  sur  l'acquisition  du  buste  deBoieldieu, 
par  le  ministère  de  l'intérieur,  l'hommage  de  ce  buste  a  été  of- 
fert à  l'Institut. 

+*„  On  parle  à  Rouen  d'ériger  une  statue  à  Boieldieu. 

+%  L'un  de  nos  rédacteurs,  M.  Stœpel  a  offert,  pour  un  con- 
cert au  bénéfice  des  pauvres  de  Saint-Etienne  ,  et  qui  aura  lieu 
le  1er  novembre  ,  ses  beaux  salons  de  la  rue  Monsigny,à  M.  Ju- 
les Janin,  qui  est  aussi  notre  collaborateur  et  toutes  les  gran- 
des notabilités  musicales  ont  témoigné  leur  empressement  à 
concourir  à  cette  bonne  action.  On  cite  de  M.  [iaillot  une  lettre 
pleine  de  modestie.  Nous  rapportons  textuellement  celle  qui  a 
été  écrite  par  Rossiui  pour  accorder  à  Rubini  et  à  Tauibunni  , 
l'autorisation  de  paraître  à  ce  concert. 

u  J'ai  fait  part,  mon  cher  Jules,  à  M.  Robert,  directeur,  et 
à  M.  Sévérini,  régisseur  général  du  théâtre  Italien  ,  de  votre 
demande.  La  permission  à  laquelle  vous  attachez  tant  de  prix 
vous  est  accordée.  M.  Robert  et  M.  Sévéïini  retiennent  quatre 
places  pour  le  concert  qui  aura  lieu,  comme  vous  me  l'indi- 
quez, dans  la  salle  de  51.  Stœpel,  se  réservant  le  droit  de  payer 
Ces  quatre  places  deux  cents  francs.  Je  me  charge  moi-même 
de  prévenir  Rubini  et  Tamburini,  afin  qu'ils  se  rendent  à 
leur  poste  lejour  qui  sera  fixé  pour  le  concert.  Je  suis  très- 
heureux  d'avoir  été  l'intermédiaire  d'une  affaire  qui  vous  ho- 
nore autant  qu'elle  vous  intéresse ,  et  surtout  ,  je  suis 
fier  d'y  avoir  réussi;  car,  je  ne  vous  dissimule  pas  que 
M.  Robert,  ayant  refusé  la  même  faveur  à  tout  le  monde  de- 
puis qu'il  est  directeur  du  théâtre  Ita'ieu,  il  a  fallu  un  motif 
aussi  puissant- que  les  malheurs  de  vos  compatriotes,  et  le  dé- 
sir de  vous  obliger  personnellement ,  pour  lui  faire  transiger 
avec  la  loi  qu'il  avait  dû  s'imposer.  » 

Le  soir  même  où  il  a  reçu  cette  lettre ,  M.  Jules  Janin  l'a  mise 
à  l'encan  au  profit  de  ses  pauvres  compatriotes.  Elle  a  été  ad- 
jugée au  prix  de  cent  un  lianes  à  M.  de  Font-Michel ,  auteur 
de  la  musique  du  Gitano  ,  représenté  avec  succès  à  Marseille. 

+%  Plusieurs  journaux  annoncent  un  opéra  fantastique  de 
M.  Auber,  intitulé  la  Fille  de  L'Air  ,  comme  devant  être  monté 
à  l'Académie  Royale  de  Musique,  après  la  Juive,  de  ftj.  Ha- 
lévy,  et  la  Saint-Barthélémy  (titre  provisoire),  de  M.  Meyer- 
becr,  nous  pouvons  assurer  qu'il  n'en  est  pas  encore  question 
rue  Lopellctii  r. 

+%  Il  y  avait  foule  dimanche  dernier  au  théâtre  des  Arts,  à 
Ptouen  ,  où  l'on  donnait  la  Dame  Blanche,  de  Boieldieu.  Tous 
les  artistes,  portant  un  crêpe  au  bras,  en  signe  de  deuil,  ont 
exécuté  cet  admirable  ouvrage  avec  une  grande  perfection.  Les 
écharpes  noires  que  portaient  les  femmes,  les  babils  de  deuil  , 
dont  s'étaient  revêtus  tous  les  musiciens  de  l'orchestre,  prê- 
taient un  [caractère  solennel  à  cette  représentation.  A  la  fin  du 
dernier  acte ,  le  buste  de  Boieldieu  a  été  apporté  sur  le  théâtre 
au  milieu  de  tous  les  artistes  en  grand  deuil.  Une  allocution 
courte,  mais  pleine  de  sentiment  et  de  dignité,  a  été  prononcée 
par  l'un  des  acteurs  de  la  troupe,  qui  a  ensuite  déposé  sur  le 
front  du  chantre  immortel  une  couronne  de  fleurs.  Deux  au 
très  epuronnes  ont  été  jetées  de  la  salle,  et  le  rideau  s'est 
abaissé  sur  cette  scène  attendrissante,  qui  vivra  long-temps 
dans  le  souvenir  des  Rouennais,  si  justement  fiers  de  compter 
Boieldieu  parmi  leurs  compatriotes. 

.,,%  Le  ministère  de  l'intérieur  vient  d'acquérir  pour  deux 
mille  francs  le  buste  en  marbre  de  Boieldieu  par  Dantan.  Ce 
buste  est,  dit-on,  de  la  plus  grande  ressemblance. 

*x  On  vient  d'accorder  à  M.  Adrien  Boieldieu,  fils  du  cé- 
lèbre compositeur,  une  indemnité  annuelle  de  1200  francs  sur 
les  crédits  des  beaux-arts.> 

***  On  assure  que  l'académie  des  beaux-arts  a  décidé  qu'on 
ajournerait  à  six  mois  la  nomination  du  successeur  de  Boiel- 


lieu.  ,Cette  mesure ,  hommage  rendu  à  la  mémoire  d'un  si 
rand  artiste,  honore  à  la  fois  ceux  qui  l'ont  prise  et  celui  qui 
n  est  l'objet. 


grau 

en  est  l'objet 


Musique   nouvelle, 

PubîL'e  par  Pjccinï. 

Marliani.  Il  Bravo,  opéra  en  deux  actes.  Morceaux  détachés 

avec  accompagnement  de  piano. 
N°  1 .  Cavalina  :  Reo  di  Colpe. 

2.  Duo  :  Ncl  folto  délia  uotte. 

3.  Coro  :  Piu  non  vedra. 

4.  Cavatina  :  Il  Gondolier  tranquillo. 


5.  Terzetlino  :  Cedi  a  miei  prieghi. 

6.  Canzone  :  Il  fasto  e  losplendorc. 
-j.  Duo  :  No  non  sperar. 

8.  Terzetto  :  Quai  sorpresa. 

g.  Pregfrera  :  Quando  il  di  fra  l'ombre  incerto. 
10.  Duelto  :  Odiare  io  non  potrei. 
1  1 .  A  ria  :  Se  nella  tomba  almcno 
•12.  Coro  :  Avrem  vindétla  intera. 
13.  Aria  finale  :  Sospendete  il  colpo  atroce. 


Bruguière.  La  Fiction. 

—  Mère  et  Sœur. 

—  La  Fille  du  pêcheur. 
Duchambge.  La  Prière  au  village. 

—  Le  Page. 
Lhuillier.    La  Questionneuse. 

—  L'Espagnole  et  son  Patron. 
31asini.  Le  Départ  de  l'Helvétie 


4  fr.  5o  c. 

5fr. 

3fr. 
4  fr.  5o  c. 
2  fr.  25  c. 

3fr. 

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4  fr.  5o  c. 

2fr. 
4  fr.  5o  c. 


2fr. 

2 

2 

2 

2 

2 

2 

2 


Abonnement  de   Musique 

D'UN  GENRE  NOUVEAU. 
pour  la  MUSIQUE  INSTRUMENTALE  et  pour  les  PARTITIONS 


L'Abonné  paiera  la  somme  de  5o  fr.  ;  il  recevra  pendant 
l'année  deux  morceaux  de  Musique  instrumentale  ou  une 
partition  et  un  morceau  de  musique ,  qu'il  aura  le  droit  de 
changer  trois  fois  par  semaine  ;  et  au  fur  et  à  mesure  qu'il 
trouvera  un  morceau  ou  une  partition  qu'il  lui  plaira,  dans  le 
nombre  de  ceux  qui  figurent  sur  mon  Catalogue ,  il  pourra  le 
garder  jusqu'à  ce  qu'il  en  ait  reçu  assez  pour  égaler  la  somme 
de  y5  fr.,  prix  marqké,  et  que  l'on  donnera  à  chaque  abonné 
pour  les  5o  francs  payés  par  lui.  De  cette  manière  l'ABONNË 
aura  la  facilité  de  lire  autant  quebon  lui  semblera,  en  dépensane 
cinquante  francs  par  année,  pour  lesquels  il  conservera  pour 
n5  fr.  de  musique. 

L'abonnement  de  six  mois  est  de  3o  francs,  pour  lesquels  on 
conservera  en  propriété  pour  45  fr.  de  musique. Pow  trois  mois 
le  prix  est  de  20  fr.  :  on  gardera  pour  3o  fr.  de  musique.  Eu 
province  ,on  enverra  quatre  morceaux  à  la  fois.  Affranchir. 
N.  B.  Les  frais  de  transport  sont  au  compte  de   MM.   les 

Abonnés.  —  Chaque  abonné  est  tenu  d'avoir  un  Carton 

pour  porter  la  musique.  (Affranchir.) 

Gérant,  MAURICE  SCHLESINGER 


GAZETTE   MUSICALE 

RÉDIGÉE   PAR   MM.    ADAM,    G.    E.    ANDERS ,  BERT0N  (membre    de  l'institut),    BERLIOZ,   CASTIL-BLAZE ,  A.  GUEMER     HALÉVY 

(professeur  de  contrepoint  au  Conservatoire),  Jules  jahin  ,  liszt,  lesueur  (membre  de  l'Institut),  j.  mainzer  marx 
(rédacteur  de  la  gazette  musicale  de  berlin),  d'ortigue  ,  panofka  ,  richard,  j.  g.  setfried' (maître  de  chapelle 
à  Vienne),  F.  stcepel,  etc. ,  etc.  v 


N° 


£3. 


PRIX  DE  l'abONNEM. 

PARIS. 

DÉPART. 

etrang 

fr. 

Fr.       r. 

Fr.       c. 

3  m.     8 

8     75 

9    50 

6  m.  15 

(6     50 

18     .. 

1  an.  30 

53    » 

56    )i 

£»  (gazette  fflusitale  i>g  fîarb 
Paraît    le  DIMANCHE  de  chaque  semaine. 

On  s'abonne  au  bureau  de  la  Gazette  Musicale  de  Paris,  rue  Richelieu,  97; 
et  chez  tous  les  libraires  et  marchands  de  musique  de  France. 

On  reçoit   les  réclamations  des  personnes  qui  ont  des  griefs  à  exposer,  et  les  avis  relatifs  à  la  mnsiqi 
qui  peuvent  intéresser  le  public. 


PARIS.  DIMANCHE  26  OCTOBRE  IS34. 


Les  lettres,  demandes 
et  envois  d'argent  doi- 
vent êlre  affranchis,  et 
adressas  au  Directeur  , 
rue  Richelieu,  97. 


GUILLAUME  -  TELL , 

Troisième  article.  —  2e  acte. 

La  toile  se  lève;  nous  assistons  a  une  chasse  ;  les  che- 
vaux traversent  la  scène  au  galop;  la  fanfare  que  nous 
avions  entendue  déjà  deux  ou  trois  fois  dans  l'acte  pré- 
cédent retentit  de  nouveau,  instrumentée  autrement,  il 
est  vrai,  et  liée  a  un  chœur  d'un  beau  caractère,  mais 
c'est  un  malheur  que  celle  répétition  si  fréquente  d'un 
thème  qui  par  lui-même  est  assez  peu  remarquable.  La 
marche  du  poème  y  obligeait  le  musicien,  voilà  sa  justi- 
fication ;  pourtant,  comme  nous  l'avons  déjà  dit ,  Ros- 
sini  pouvait  obtenir  de  l'auteur  du  libretlo  une  autre 
disposition  dans  l'enchaînement  des  scènes,  de  manière 
a  éviter  d'aussi  nombreuses  chances  de  monotonie.  Il  ne 
l'a  pas  fait  et  s'en  est  repenti  trop  tard.  Poursuivons.  Au 
milieu  du  chœur  que  nous  venons  d'indiquer,  se  trouve 
un  trait  diatonique,  exécuté  a  l'unisson  par  les  cors  et 
les  quatre  bassons,  d'une  énergique  originalité,  et  l'en- 
semble du  morceau  serait  entraînant  sans  le  tourment 
que  causent  a  l'auditeur  doué  d'une  organisation  un  peu 
délicate,  d'innombrables  coups  de  grosse  caisse  frappés 
sur  les  temps  forts,  dont  l'effet  est  d'autant  plus  mal- 
heureux qu'il  fait  ressortir  encore  des  formes  rythmi- 
ques qui  manquent  absolument  de  nouveauté.  Je  sais 
bien  que  Rosfini  répondra  à  cela  :  ces  formes  que  vous 
méprisez  sont  précisément  celles  que  le  public  comprend 
le  plus  aisément  ;  d'accord  ,  mais  si  vous  professez  un  si 
grand  respect  pour  les  habitudes  de  la  foule  ignorante , 


vous  devez  vous  borner  aux  choses  les  plus  communes 
en  mélodie,  en  harmonie,  en  instrumentation.  Vous 
vous  en  étez  gardé  cependant ,  pourquoi  donc  alors  le 
rythme  seul  serait-il  condamné  par  vous  au  vulgarisme? 
D'ailleurs  la  critique  artiste  ne  peut  ni  ne  doit  faire  en- 
trer en  ligne  de  compte  de  semblables  considérations. 
Suis-je,  moi  qui  m'occupe  exclusivement  de  l'art  musi- 
cal depuis  tant  d'années  ,  dans  le  même  cas  que  l'ama- 
teur qui  entend  tous  les  trois  ou  quatre  mois  un  opéra? 
mes  organes  n'ont-ils  pas  acquis  plus  de  délicatesse  que 
ceux  de  l'étudiant  qui ,  chaque  dimanche ,  se  délecte  à 
jouer  des  duos  de  flûte?  suis-je  ignorant  comme  le  mar- 
chand de  la  rue  Saint-Denis?  en  un  mot,  admettez-vous 
en  musique  le  progrès ,  et  dans  la  critique  une  qualité 
qui  la  distingue  de  l'instinct  aveugle ,  le  goût  et  le  juge- 
ment? vous  l'admettez  bien  certainement.  Alors  peu  im- 
porte la  facilité  plus  ou  moins  grande  du  public  à  com- 
prendre les  'choses  nouvelles  !  ceci  est  une  question  de 
résultats  matériels,  une  question  d'industrie,  et  c'est  de 
l'art  que  nous  nous  occupons.  D'ailleurs,  le  public  n'est 
pas  si  stupide  qu'on  veut  bien  le  croire,  a  Paris  surtout  ; 
il  ne  repousse  pas  les  innovations,  quand  elles  lui  sont 
présentées  avec  une  heureuse  franchise;  ceux  qui  lui 
sont  hostiles,  il  est  presque  inutile  de  les  nommer,  ce 
sont  les  demi-savans.  Non,  franchement,  de  pareilles 
raisons  sont  inadmissibles  ;  vous  avez  écrit  un  rythme 
commun,  non  pas  parce  que  le  public  n'en  eut  pas 
adopté  un  autre,  mais  bien  parce  que  c'est  plus  facile  et 
surtout  plus  tôt  fait  de  répéter  ce  qui  a  déjà  été  si  sou- 


;/i2 


GAZETTE  MUSICALE 


vent  employé ,  que  de  chercher  des  formes  plus  neuves 
et  plus  distingués. 

Le  chœur  lointain  de  la  cloche  semble  venir  à  l'appui 
de  notre  opinion,  en  contrastant  avec  le  slvle  de  celui 
qui  le  précède.  Ici  toutest  d'une  pureté,  d'une  fraîcheur 
et  d'une  nouveauté  pleines  de  charmes.  La  terminaison 
du  morceau  présente  même  une  suite  d'accords  d'un  ef- 
fet délicieux,  bien  que  ces  harmonies  se  succèdent  dans 
un  ordre  [prohibé  par  toutes  les  règles  admises  depuis 
l'origine  [des  écoles.  Je  veux  parler  de  l'enchaînement 
d'accords  parfaits  diatoniques  par  mouvement  sembla- 
ble, qui  se  trouve  sous  le  vers  quatre  fois  répété  : 

«  Voici  la  nuit.  » 

Il  est  écrit  de  la  manière  la  plus  incorrecte,  au  dire  des 
magister  de  la  science  musicale,  car  les  basses  sont  con- 
tinuellement à  l'octave  des  premiers  soprani,  et  par 
conséquent  aussi  toujours  a  la  quinte  des  seconds.  A 
l'accord  parfait  majeur  d'ut,  succède  celui  de  si  naturel 
majeur,  puis  celui  de  la  mineur,  et  enfin  celui  de  la  to- 
nique sol.  La  raison  de  l'agréable  effet  résultant  de  ces 
quatre  quintes  et  octaves  successives,  est  d'abord  dans 
le  court  silence  qui  sépare  les  accords  ;  silence  qui 
suffit  pour  les  isoler  l'un  de  l'autre  et  donner  a  chaque 
son  fondamental  l'aspect  d'une  tonique  nouvelle;  en- 
suite dans  la  couleur  naïve  du  morceau,  qui  non-seule- 
ment autorise,  mais  rend  pittoresque  au  plus  haut  de- 
gré cette  infraction  aux  ordonnances  des  anciens.  Bee- 
thoven avait  écrit  déjà  une  semblable  progression  d'ac- 
cords parfaits  dans  la  première  partie  de  la  symphonie 
héroïque;  tout  le  monde  connaît  la  majestueuse  noblesse 
de  ce  passage.  Croyez  donc  à  des  règles  positives  en 
musique!...  A  peine  l'hymne  du  soir  que  nous  venons 
de  citer  s'est-il  éteint  comme  un  gracieux  crépuscule , 
que  nous  voyons  revenir  encore  la  fanfare  des  cors,  et 
avec  elle  l'inévitable  pédale  sur  la  dominante  : 

«  Du  gouverneur  le  cor  résonne  ; 
»  C'est  notre  retour  qu'il  ordonne.  » 

Ces  deux  vers  sont  dits  par  le  chœur  et  le  chef  des 
chasseurs,  en  entier  sur  le  si  bémol.  Les  mêmes  obser- 
vations que  nous  avons  faites  plus  haut  deviennent  ici 
d'une  application  plus  directe  et  plus  forte...  Dès  le 
morceau  suivant,  le  compositeur  prend  un  essor  plus 
élevé;  c'est  un  tout  autre  style.  L'entrée  en  scène  de 
Mathilde  est  précédée  d'uue  longue  ritournelle  double- 
ment intéressante  sous  le  rapport  de  l'harmonie  et  de 
l'expression  dramatique.  C'est  bien  là  une  passion  con- 
tenue et  cette  agitation  fébrile  qui  fait  battre  le  cœur 
d'une  jeune  fille  obligée  de  cacher  son  amour.  Puis  vient 
un  récitatif  d'une  diction  parfaite,  supérieurement  dia- 


logué avec  l'orchestre  qui  reproduit  des  fra^mens  de  la 
ritournelle.   A  cette  introduction  succède  la  romance 
bien  connue  :  «  Sombres  forets.  »  Rossini  a  peu  écrit , 
a  notre  avis,  de  morceaux  aussi  élégans,  aussi  frais, 
d'une  mélodie    aussi  distinguée,   aussi  heureusement 
modulés  que  celui  -  ci  ;  outre  le  mérite  immense  du 
chant  et  de  l'harmonie,  on  y  trouve  un  mode  d'accom- 
pagnement dans  les  altos  et  les  premiers   violons  plein 
de  mélancolie ,  ainsi  qu'un  effet  pianissimo   de  tim- 
balles  au  commencement  de  chaque  couplet,  qui  ex- 
cite vivement  l'attention  de  l'auditeur.  On  croit  en- 
tendre  un  de  ces  bruits  de  la  nature ,   dont  la   cause 
reste  inconnue,  tels  qu'on  en  remarque  par  le  temps  le 
plus  calme  au  milieu  des  bois  ;  un  de  ces  bruits  étran- 
ges qui  redoublent  en  nous  le  sentiment  du  silence  et  de 
l'isolement.  Voilà  de  la  poésie,  voila  de  la  musique, 
voilà  l'art  beau  noble  et  pur,  tel  enfin  que  ses  adora- 
teurs voudraient  le  voir  toujours.  Ce  style  se  soutient 
jusqu'à  la  fin  de  l'acte  où  désormais  nous  allons  mar- 
cher de  merveille  en  merveille.  Dans  le  duo  entre  Ar- 
nold et  Malthide,  si  plein  de  passion  chevaleresque, 
nous  signalerons  seulement  comme  une  tache  une  lon- 
gue pédale  de  cors  et  trompettes  sur  le  sol,  alternative- 
ment tonique  et  dominante ,  dont  l'effet  est  atroce  dans 
certains  momens.  Puis,  nous  reprocherons  au  maestro 
d'avoir  abondé  dans  le  sens   des  anciens  compositeurs 
français,  qui  se  seraient  crus  deshonorés  si ,  quand  il 
était  question  de  gloire  ou  de  victoire  dans  les  paroles, 
ils  n'eussent  fait  entendre  aussitôt  les  trompettes  dans 
l'orchestre.   Ici,  Rossini  nous  a  traités  comme  les  dilet- 
tanti  de  1803,  comme  les  admirateurs  de  Séda:ne  trt  de 
Monsigny,  et  dès  qu'il  a  lu  dans  son  libretto  : 

'c  Retournez  aux  champs  de  la  gloire,     * 

»  Volez  à  de  nouveaux  exploits. 

»  On  s'ennoblit  par  la  victoire. 

»  Le  monde  approuvera  mon  choix.  » 

En  avant  la  fanfare  obligée  ,  aura-t-il  dit,  j'écris  pour 
des  Français.  Il  nous  semble  aussi  que  ce  duo  fort  dé- 
veloppé gagnerait  à  ce  que  le  motif  de  l'ensemble  : 

«  Dans  celle  que  j'aime.  » 
ne  fut  pas  répété.  Le  mouvement  de  ce  passage  étant 
plus  lent  que  le  reste,  il  s'en  suit  nécessairement  deux 
interruptions  qui  brisent  l'élan  général  et  refroidissent  la 
scène  en  la  prolongeant  inutilement.  Mais  dès  ce  moment, 
jusqu'au  dernier  accord  du  second  acte,  ce  défaut  ne  se 
présentera  plus.  Walter  et  Guillaume  surviennent  ; 
Mathilde  s'enfuit;  Arnold  reste  pour  s'entendre  amère- 
ment reprocher  son  amour  pour  la  fille  des  tyrans  de 
l'Helvétie.  Rien  de  plus  beau  que  ce  récitatif,  comme 
expression  et  noblesse  tant  dans  les  voix  que  dans  l'or- 


DE  PARIS. 


343 


chestre.  Deux  phrases  frappent  surtout  par  la  vérité  de 
leur  accent,  celle  de  Walter  : 

«  Peut-être  plus  qu'un  autre 
«  Dois-tu  chercher  a  les  connaître.  » 

Et  l'apostrophe  de  Guillaume  : 
«  Sais-tu  bien  ce  que  c'est  que  d'aimer  sa  patrie?  » 

Enfin  éclate  la  tragique  ritournelle  du  trio.  Ici,  nous 
avouons  que  malgré  notre  rôle  de  critique  et  les  obliga- 
tions qu'il  impose ,  il  nous  est  imposible  de  porter  la 
froide  lame  du  scalpel  au  cœur  de  cette  sublime  créa- 
tion. Analyser?...  quoi?  la  passion,  le  désespoir,  les 
larmes ,  les  cris  d'un  fils  éperdu  apprenant  le  meurtre 
de  son  père?...  Dieu  m'en  garde  !  Faire  de  mesquines 
observations  de  détails ,  chicaner  l'auteur  sur  un  gru- 
petlo,  sur  un  solo  de  flûte,  sur  une  obscure  partie  de 
second  violon?  Oh  non  ;  si  d'autres  s'en  sentent  le  cou- 
rage qu'ils  le  fassent,  pour  moi  il  me  manque  absolu- 
ment. Je  ne  puis  que  m'écrier  comme  la  foule ,  beau  ! 
suberbe  !  admirable  !  déchirant  ! . . . 

Il  faut  pourtant  que  je  ménage  mes  épithètes  admira- 
tives,  car  j'en  aurai  besoin  pour  le  reste  de  cette  acte  qui 
se  soutient  presque  continuellement  a  la  même  hauteur. 
L'arrivée  des  trois  cantons  a  fourni  au  compositeur  l'oc- 
casion d'écrire  trois  morceaux  de  caractères  entièrement 
différens.  Le  premier  chœur  est  d'un  style  fort  et  ro- 
buste qui  nous  indique  un  peuple  de  laboureurs  aux 
mains  rudes,  aux  infatigables  bras.  Au  second,  d'une 
mélodie  douce  et  voilée,  on  reconnaît  les  timides  pas- 
teurs. L'expression  de  leurs  craintes  est  d'une  grâce  et 
d'une  naïveté  ravissantes.  Ceux  du  canton  d'Uri,  les 
pécheurs,  arrivent  en  barques  sur  le  lac  pendant  que 
l'orchestre  imite  aussi  bien  qu'il  soit  possible  a  la  mu- 
sique instrumentale  de  le  faire,  les  mouvemens  et  les 
efforts  cadencés  d'une  troupe  de  rameurs.  A  peine  ces 
derniers  venus  sont  ils  débarqués,  les  trois  chœurs  se 
réunissent  dans  un  ensemble  syllabique ,  chanté  rapi- 
dement à  demi-voix,  accompagné  des  instrumens  à 
cordes  pizzicato  et  de  quelques  accords  sourds  des  ins- 
trumens a  vent. 

«  Guillaume,  lu  le  vois  , 
»  Trois  peuples  à  la  fois 
»  Sont  armés  rie  leurs  droits 
»  Contre  un  pouvoir  infâme.  » 

Celte  phrase ,  dite  d'abord  par  le  chœur  des  pêcheurs 
et  reprise  ensuite  parles  deux  autres  qui  l'entremêlent  de 
leurs  exclamations  et  de  laconiques  a  parte  est  d'une 
grande  vérité  dramatique.  C'est  une  foule,  dont  chaque 
individu  ému  d'espoir  et  de  crainte,  à  peine  a  contenir 
les  sentimens  qui  l'agitent,  où  tous  veulent  parler  et 
s'interrompent   mutuellement.  L'exécution  de  ce   coro 


parlato  est  assez  difficile,  ceci  soït  dit  en  |passant  pour 
excuser  un  peu  les  choristes  de  l'Opéra  qui  le  disent  or- 
dinairement fort  ma1. 

Mais  Guillaume  prend  la  parole,  ils  se  taisent  :  «  Ar- 
rectis  auribus  adstant.  » 

11  les  anime,  il  les  échauffe,  il  leur  apprend  la  mort 
cruelle  de  Melctal,  leur  promet  des  armes  et  leur  de- 
mande enfin  directement  :  «  Nous  seconderez-vous?  » 
(Le  chœur)  :  «  N'en  doutez  pas,  oui ,  tous. —  Prêts  à  vain- 
»  cre?  —  Oui,  tous.  —  Prêts  a  mourir?  —  Oui,  tous.  » 
Alors  unissant  leur  voix,  ils  jurent  d'un  ton  grave  et 
solennel  au  Dieu  des  rois  et  des  bergers  de  se  soustraire 
a  l'esclavage  et  d'exterminer  leurs  tyrans.  Cette  gravité 
en  pareille  circonstance,  qui  eut  été  absurde  s'il  se  fut 
agi  de  Français  ou  d'Italiens ,  est  admirable  pour  un 
peuple  au  sang  froid  comme  le  peuple  Suisse,  dont  les 
résolutions  sont  moins  soudaines  sans  manquer  cepen- 
dant de  fermeté  ni  de  force  pour  les  accomplir.  Le  mou- 
vement ne  s'anime  qu'a  la  fin,  quand  Arnold  apperce- 
vant  les  premiers  rayons  du  soleil ,  s'écrie  :  «  Voila  le 
»  jour,  pour  nous  c'est  un  signal  d'allarmes.  —  (Guil- 
»  laume.)  De  victoire!  —  (Walter.)  Quel  cri  doit  y 
»  répondre?  — (Arnold,  seul.)  Aux  armes!  — (Ar- 
»  nold,  Guillaume,  "Walter  ensemble.)  Aux  armes! 
»  aux  armes  !  »  Tout  le  chœur,  les  personnages ,  l'or- 
chestre et  les  instrumens  de  percussion  qui  n'ont  pas  été 
entendus  depuis  le  commencement  de  l'acte  :  «  Aux 
»  armes!  »  Et  toute  la  masse  instrumentale  de  se  pré- 
citer comme  une  avalanche  dans  un  impétueux  allegro 
sous  un  dernier  et  terrible  cri  de  guerre  qui  s'élance  de 
toutes  ces  poitrines  frémissantes  à  l'aurore  d'un  premier 
jour  de  liberté  ! 

Ah  !  c'est  sublime.  Respirons. 

La  suite  au  prochain  numéro. 

BOIELDIEU. 

(  SUITE  ET  FIN.) 

Boieldieu  arriva  donc  a  Paris  dans  le  courant  de  l'an- 
née i  8 14 . 

A  cette  époque ,  Nicolo ,  compositeur  fécond  et  gra- 
cieux, réussissait  beaucoup  à  l'Opéra-Comique,  et  pen- 
dant plusieurs  années ,  il  s'établit  une  espèce  de  lutte 
entre  ces  deux  maîtres,  au  grand  profit  du  théâtre,  et  a 
la  grande  joie  des  critiques  du  temps  ,  bonnes  gens  que 
nos  écrivains  d'aujourd'hui  doivent  trouver  bien  ridi- 
cules ;  car  ils  aimaient  l' Opéra-Comique,  ils  le  disaient, 
ils  l'imprimaient,  et  ils  rechercheient  avec  empresse- 
ment l'occasion  de  travailler  pour  ce  théâtre. 

L'année  même  de  son  retour  à  Paris,  il  fit  jouer  les 
Deux  paravents  ou  Rien  de  trop ,  petit  opéra  sans  im- 


344 


GAZETTE  MUSICALE 


portance  qu'il  avait  composé  en  Russie.  L'année  sui- 
vante il  écrivit  et  fit  représenter  Jean-de-Paris ,  un  de 
ses  bons  ouvrages  et  un  de  ses  beaux  succès;  il  plaça 
dans  cet  opéra  un  morceau  tiré  de  son  Télémaque.  C'est 
l'air  si  connu  :  Quel  plaisir  d' être  en  voyage,  chanté 
parla  princesse  de  Navarre,  et  qui,  dans  Télémaque, 
faisait  partie  du  rôle  d'Eucharis ,  que  remplissait  made- 
moiselle Philis. 

La  Jeune  Femme  colère ,  dont  nous  avons  déjà  parlé, 
suivit  de  près  Jean-de-Paris.  Le  sujet,  l'intrigue,  les 
caractères  de  cette  comédie  étaient  peu  propres  à  la  mu- 
sique. Cependant  cet  ouvrage  a  deux  morceaux  bien  re- 
marquables et  que  tous  les  amateurs  de  musique  con- 
naissent et  apprécient.  Le  trio,  dans  lequel  un  vieux 
serviteur  et  sa  vieille  épouse  viennent  faire  leurs  adieux 
a  la  jeune  femme  qui  les  a  chassés  ,  est  empreint  d'une 
sensibilité  touchante  et  comruunicalive.  Le  quatuor  dans 
lequel  la  jeune  femme  colère  et  son  mari  demandent  une 
clef  qu'ils  ont  perdue,  est  fait  avec  beaucoup  d'art,  et 
ces  mots  :  la  clef,  la  clef,  sont  rendus  d'une  manière 
heureuse  et  vraie. 

On  donna,  en  1815,  le  Nouveau  Seigneur,  un  de 
ses  ouvrages  de  prédilection .  Cet  opéra  obtint  un  succès 
très-brillant  et  bien  mérité,  et  c'est  à  juste  titre  que 
Boieldieu  lui  assignait  une  place  distinguée  parmi  ses 
compositions.  Les  mélodies  en  sont  toujours  spirituelles, 
gracieuses  et  distinguées;  l'instrumentation  est  partout 
élégante  et  vive.  Le  Nouveau  Seigneur  était  d'ailleurs 
très-bien  exécuté ,  et  Martin ,  comme  chanteur  et  comme 
comédien ,  était  excellent  dans  le  rôle  principal. 

Les  années  qui  suivirent  furent  tristes  pour  les  arts. 
1814,  -18-15  et  -1816,  ne  virent  presque  paraître  que 
des  ouvrages  de  circonstance,  ouvrages  bien  nommés, 
car  ils  survivent  rarement  a  la  circonstance  qui  les  a 
commandés.  En  1814,  on  fit  une  levée  en  masse;  au- 
teurs et  compositeurs  furent  convoqués,  et  Boieldieu 
aussi  dût  prendre  les  armes ,-  c'est-à-dire  la  plume,  con- 
tre l'empereur  Alexandre,  son  protecteur  et  presque  son 
ami ,  et  dont  il  ne  parlait  qu'avec  respect  et  reconnais- 
sance. 

Boieldieu  écrivit  donc  sa  part  de  Bayarda  Mézières, 
opéra  comique  qu'il  composa  en  société  avecChérubini, 
Catel  et  Nicolo,  tandis  que  ses  confrères  Berton,  Le- 
sueur  et  Méhul ,  écrivirent  l'Oriflamme,  pour  l'Acadé- 
mie impériale  de  Musique.  Ces  opéras  renfermaient  de 
beaux  morceaux ,  qui  ne  sauvèrent  pas  l'empire.  Pen- 
dant son  séjour  a  Paris ,  Alexandre  vit  plusieurs  fois 
Boieldieu;  le  souverain  traita  toujours  l'artiste  avec  la 
même  distinction  et  la  même  bienveillance  i  il  l'engagea 
plusieurs  fois  à  retourner  en  Russie ,  pour  qu'il  pût ,  lui 


disait-il ,  achever  de  gagner  sa  pension  ,  et  il  ne  lui  té- 
moigna pas  le  moindre  ressentiment  de  ce  qu'il  avait 
porté  les  armes  contre  lui  dans  Bajard  à  Mézières. 

Il  donna  aussi,  cette  même  année  -1814,  Angëla, 
opéra  comique  en  un  acte,  qu'il  avait  composé  avec  ma- 
dame Gail,  son  élève. 

En  1816,  a  l'occasion  du  mariage  du  duc  de  Berry, 
il  composa  Charles  de  France;  et,  pour  écrire  cet  ou- 
vrage, il  s'associa  un  jeune  compositeur  encore  inconnu, 
dont  il  protégeait  ainsi  les  débuts  dans  la  carrière  si  dif- 
ficile du  théâtre.  Ce  jeune  homme,  c'était  Hérold  !  que 
la  mort  vient  de  frapper  aussi,  jeune  et  si  riche  d'avenir! 
Avant  Charles  de  France  ,  il  avait  donné  la  Fête  du 
Village  voisin ,  composition  élégante  et  spirituelle,  mais 
un  peu  froide. 

Peu  d'années  après,  un  des  chefs  de  l'école  française, 
un  des  soutiens  de  ce  genre  grave  et  sérieux,  de  cette 
musique  que,  si  j'osais,  j'appellerais  consulaire,  car  il 
me  semble  la  voir  s'avancer  fière  et  mâle  ,  précédée  de 
licteurs  et  de  faisceaux  ,  Méhul  vint  à  mourir... 

Méhul  laissait  une  place  vacante  à  l'Institut.  Boiel- 
dieu ,  Nicolo  ,  pouvaient  seuls  prétendre  à  le  rempla- 
cer. L'élection  fut  vivement  disputée;  Boieldieu  l'em- 
porta, et,  pour  célébrer  dignement  sa  nomination,  il 
donna  en  1819  un  de  ses  plus  beaux  opéras,  le  Petit 
Chaperon  Rouge,  dont  le  succès  fut  immense. 

L'année  suivante,  il  refit  presque  entièrement  pour  la 
scène  française  un  de  ses  opéras  représentés  en  Russie , 
les  Voitures  versées.  Cet  ouvrage  eut  une  destinée  pa- 
reille a  celle  de  ma  Tante  Aurore  ;  sifïïée  en  trois  actes, 
cette  pièce  se  releva  en  deux  actes,  jouit  d'une  écla- 
tante faveur,  et  resta  depuis  lors  au  courant  du  réper- 
toire. 

Il  fit  encore  après  deux  ouvrages  de  circonstance, 
Blanche  de  Provence,  pour  la  naissance  du  duc  de  Bor- 
deaux, en  1821  ,  avec  Chérubini  ,  Berton,  Kreutzer  et 
Paè'r,  et  en  1825  ,  pour  le  sacre  de  Charles  X,  Phara- 
mond,  avec  Berton  et  Kreutzer. 

Pharamond  précéda  de  peu  de  temps  son  avant-der- 
nier opéra  et  son  chef-d'œuvre,  celui  de  tous  ses  ouvra- 
ges qui  eut  le  plus  d'éclat  et  de  retentissement,  et  que 
l'orgueilleuse  Italie  elle-même  applaudit  encore,  la 
Dame  Blanche  enfin,  représentée  le  10  décembre  1  825, 
et  qui ,  traduite  dans  toutes  les  langues ,  a  été  exécutée 
sur  tous  les  théâtres  de  l'Europe. 

Les  Deux  Nuits  terminèrent  la  carrière  musicale 
si  brillante  et  si  bien  remplie  de  cet  illustre  et  fécond 
compositeur. 

A  partir  cette  époque  (20  mai  1829) ,  attaqué  d'une 
phthisie  laryngée,  Boieldieu  cessa  d'écrire.  La  maladie, 


DE  PARIS. 


345 


les  souffrances,  détruisaient  lentement  cette  organisation 
si  fine  et  si  délicate.  Il  voyagea,  il  essaya  l'air  doux  et 
tiède  de  la  Provence,  de  l'Italie;  il  alla,  dans  les  Pyré- 
nées, chercher  des  bains,  des  eaux,  dont  il  avait  déjà 
éprouvé  le  salutaire  effet;  mais  ce  fut  en  vain  ;  la  mort 
l'avait  déjà  marqué.  Il  revint  a  Jarcy,  c'était  sa  maison 
de  campagne,  son  jardin,  qu'il  avait  dessiné,  qu'il  ai- 
mait comme  il  aimait  sa  ville  natale,  sa  ville  de  Rouen, 
dont  il  parlait  sans  cesse,  Il  est  mort  le  8  de  ce  mois , 
entouré  de  sa  famille,  dans  les  bras  de  sa  femme,  de  son 
fils  Adrien,  a  qui  il  lègue  toute  la  gloire  de  son  nom, 
le  plus  bel  héritage  qu'un  père  puisse  laisser  à  ses  en- 
fans! 

Ses  funérailles  ont  eu  lieu  a  Paris  le  13  octobre.  Il  a 
eu  pour  cortège  tout  ce  que  Paris  renferme  d'hommes 
distingués;  et  pour  dernier  adieu,  sous  les  voûtes 
d'une  grande  et  noble  église,  le  Requiem  de  Chérnbini  ! 

Boieldieu  a  laissé  vingt  opéras;  deux,  Tëlemaque  et 
Aline  ne  sont  pas  connus  en  France,  où  ils  n'ont  jamais 
été  réprésentés  ni  publiés. 

La  musique  de  Boieldieu  est  toujours  élégante.  La  dis- 
tinction, la  grâce,  la  douceur,  qui  faisaient  le  fonds  de 
son  caractère,  se  retrouvent  dans  tous  ses  ouvrages.  Sa 
musique  est  bonne,  elle  fait  aimer  l'homme  qui  l'a  pensée 
et  écrite;  elle  est  coquette,  elle  cherche  a  plaire. 

Arrivé  h  Paris  pendant  la  période  énergique  musicale 
qui  vît  paraître  les  beaux  ouvrages  de  ses  contemporains, 
Boieldieu  sentit  le  besoin  de  donner  a  son  style  la  force 
et  la  gravité  dont  ses  émules  et  ses  rivaux  avaient  em- 
preint leurs  compositions;  mais  il  y  a  lieu  de  croire  que, 
sans  ces  circonstances,  il  eût  appartenu  plus  long-temps 
a  l'école  purement  mélodique  de  Paèsiello  et  de  Cimarosa. 

Ses  élèves  les  plus  distingués  [sont  MM.  Adolphe 
Adam  et  Labarre.  Comme  professeur  de  piano,  il  a 
compté  dans  sa  classe  MM.  Fétis  et  Zimmerman. 

Tous  ses  confrères  l'aimaient  et  l'ont  pleuré.  MM.  Ché- 
rnbini,  Berton,  Lesueivr.,  Mayerbeer,  Auber,  Rossini, 
Paér,  Caraffa,  etc.,  sont  venus  lui  rendre  un  triste  et 
dernier  hommage.  Les  jeunes  compositeurs  portaient  le 
deuil  d'un  maître  et  d'un  ami.  Son  cœur  sera  porté  a 
Rouen.  Son  corps  est  au  cimetière  du  Père  Laclutise, 
cette  vaste  nécropole  de  tant  d'hommes  illustres;  car 
dès  qu'un  homme  se  distingue  en  France,  il  accourt  a 
Paris;  mais  Paris  est  avare,  il  ne  lâche  point  sa  proie, 
il  ne  la  rend  qu'a  la  terre.  F.  H. 


THEATRE   ITALIEN. 

Encore  la  Gazza  Ladra ,  la  Straniera,  il Barbiere  di  Sii'i- 
glia,  encore  il  Pirata!  pourquoi  pas?  voilà  six  mois  bien 
comptés  que  nous  sommes  privés  de  ces  ouvrages,  et  beau- 


coup d'étrangers  arrivés  depuis  peu  de  temps  à  Paris  ne  les 
ont  jamais  entendus.  Lablache,  Tamburini,  Santini,  trio  de 
basses  unique  au  inonde,  figurent  dans  cet  opéra  ;  mademoi- 
selle Grisi,  Ivanoflo  ténor,  Tenu  tout  exprès  de  Russie  pour 
achever  son  éducation  musicale  en  si  bonne  compagnie,  tien- 
nent les  autres  parties  principales,  et  certes  une  semblable  exé- 
cution a  du  faire  éprouver  de  nouvelles  jouissances  aux  fidèles 
habitués  qui  seraient  en  droit  de  regarder  la  Gazza  Ladra 
comme  une  vieille  pièce.  Quatre  représentations  diatoniques 
ou  consécutives,  si  vous  l'aimez  mieux,  quatre  recettes  aussi 
abondantes  qu'elles  peuvent  l'être  l'ont  démontré. 

La  compagnie  italienne  est  riche  ,  nombreuse ,  brillante  ;  elle 
a  son  côté  faible  pourtant.  Si  nous  la  divisons  en  deux  batail- 
lons ,  si  nous  inscrivons  sur  leurs  enseignes  :  côté  des  hommes, 
coté  des  femmes ,  ainsi  que  cela  se  pratique  au  Conservatoire 
de  Musique,  aux  bains  du  Pont-Neuf  comme  aux  bains  Chi- 
nois, on  verra  clairement  qu'au  Théâtre-Italien 

Du  coté  de  la  barbe  est  la  loute-puissancc. 

Rubini,  Tamburini,  sont  des  voisins  très-incommodes  pour 
une  prima  donna ,  quand  il  ont  fait  merveille  dans  leur  cava- 
line  ,  dans  leur  duo  ,  qu'ils  ont  porté  l'enthousiasme  à  son  der- 
nier dejré  ,  qu'ils  ont  fait  rafle  debravos  et  d'applaudissemens; 
il  faut  nécessairement  que  le  public  fasse  un  effort  et  se  cotise 
pour  offrir  encore  une  part  satisfaisante  à  la  prima  donna.  Il 
est  vrai  que  le  chevalier  Rubini  rivalise  en  galanterie  avec  les 
chevaliers  frauçais  et  veut  bien  placer  quelquefois  à  la  fin  de  la 
pièce  la  cavatine  qui  doit  exciter  les  transports  les  plus  animés  . 
la  bombe  éclate  alors  et  ne  peut  éclabousser  personne  ,  la  can- 
tatrice a  terminé  sa  harangue.  Mademoiselle  Grisi  seule  paraît 
sans  trop  de  désavantage  à  côté  des  trois  colosses  du  chant. 
Madame  Finlc-Lohr  n'a  point  réussi  dans  ses  premiers  débuts 
par  la  Straniera,  la  romance  qu'elle  a  dite  avant  d'entrer  en 
scène  avait  déjà  indisposé  le  public.  La  voix  de  la  débutante 
est  d'un  timbre  désagréable,  et  celte  romance  lancée  à  toute 
force  de  poumons  ne  venait  pas  d'assez  loin  pour  être  modifiée 
par  les  lois  de  l'acoustique.  Le  rôle  d'Alaïde  est  écrit  dans  des 
cordes  fort  élevées  et  criard  ;  il  faut  chanter  un  trio  fort  long, 
assez  mal  bâti,  avec  Rubini  et  Tamburini,  l'épreuve  est  cruelle 
pour  une  chanteuse  médiocre. 

Mademoiselle  Brambilla  doit  se  reontrer  incessamment;  elle 
a  choisi  le  rôle  d'Arsace  dans  Sémiramide.  Une  cantatrice  du 
même  nom  est  depuis  long-temps  connue  en  Italie;  elle  a  chanté 
pendant  plusieurs  années  à  Madrid;  notre  Brambrilla  n'a  de 
commun  avec  elle  que  le  nom;  aucun  lien  de  parenté  ne  les 
unit.  Je  ne  pourrai  parler  de  ce  nouvel  Arsace  que  quand  il 
se  sera  fait  connaître  à  Babvlc  comme  à  Paris.  Un  autre  Arsace 
nous  est  promis  ;  quelle  que  soit  la  destinée  de  mademoiselle 
Brambilla;  que  cette  virtuose  suive  la  marche  ascendante  de 
inademoiselle  Julia  Grisi,  ou  qu'elle  s'accroche  en  chemin  sur 
les  pas  de  madame  Finie  Lohr,  nous  avons  la  certitude  de  voir 
débuter  dans  ce  rôle  capital  mademoiselle  Ida-Bertrand,  élève 
de  Bordoguict  de  Paër.  Cette  très-jeune  virtuose  s'est  fait  re- 
marquer déjà  dans  les  concerts  comme  cantatrice  ,  et  si  Nourrit 
lui  a  donné  des  soins  pour  la  déclamation  et  le  jeu  de  la  scène , 
c'est  pour  modérer  la  fougue  dramatique  de  ce  talent  précoce. 
Nous  avons  une  belle  et  bonne  Sémiramide  ,  nous  'possédons 
un  ,  deux,  trois  Assur  prêts  à  conspirer  contre  elle;  la  fourni- 
ture des  Arsace  est  doublement  préparée;  Sémiramide  ne  sac- 
rait défaillir.  Nous  comptons  sur  Profeti  pour  nous  dire  Belo , 


366 


GAZETTE  MUSICALE 


gran  nume  t'intesi ,  commençant  en  fa  majeur  tt  se  reposant 
sur  le  ré  bémol.  Il  est  déjà  tout  prêt  à  se  coiffer  de  la  mitre 
polironiforrne  d'Oroë. 

//  Matrimonio  Segretto ,  soutenu  par  Lablache,  Rubini, 
Tamburini,  mademoiselle  Grisi,  -va  triompher  d'une  manière 
ravissante.  On  faisait  répéter  le  fameux  duo  des  deux  basses. 
Cette  fois  Tamburini  chantant  la  partie  du  comte  Robinsone  , 
on  voudra  l'entendre  au  moins  une  fois  de  plus.  La  prova 
d'un  Opéra  séria  nous  promet  des  divertissemens  d'une  folle 
gaîté  tous  les  jours  où  la  tragédie  ne  devra  pas  nous  arracher 
des  larmes.  Trois  nouveautés  établies  tout  exprès  pour  notre 
théâtre  italien  défileront  en  six  mois  :  Ernani,  I  Puritani , 
Maria  Stuart,  de  Gabussi,  de  Belliui,  de  Donizelti,  soyez 
surpris  après  cela  que  les  dileltanti  aient  déjà  retenu  toutes  les 
Wes!  P.P.  P. 


Correspondance  particulière. 

Vienne,  27  septembre  1834. 

J'éprouve  le  regret  de  vous  dire  que  Hummel  vient  de  n'ob- 
tenir ici  qu'un  assez  pâle  succès,  tant  pour  sa  manière  déjouer 
que  pour  ses  compositions  nouvelles.  On  ne  pouvait  eu  vérité 
se  défendre  d'un  sentiment  pénible  en  voyant  un  homme  si 
célèbre  ,  jouissant  d'une  fortune  considérable  et  d'une  gloire 
immense  ,  venir,  mu  vraisemblablement  par  l'amour  du  gain  , 
compromettre  et  sa  gloire  et  ses  intérêts,  au  lieu  de  se  reposer 
tranquillement  sur  ses  lauriers,  comme  il  pourrait  le  faire  si 
aisément.  Assurément  la  ville  de  Vienne  reconnaît  hautement 
les  services  qu'il  a  su  rendre  à  une  époque  maintenant  loin  de 
nous;  personne  n'ignore  que  ,  dans  le  temps  de  sa  gloire, 
Hummel  ne  connaissait  point  de  rival  :  mais  ce  qu'on  sait  aussi, 
c'est  qu'aujourd'hui  le  premier  pianiste  d'une  capitale  trouve 
un  antagoniste  dans  la  capitale  voisine.  Hummel  trouva  l'étude 
du  piano  encore  assez  peu  avancée ,  et  par  sa  découverte  de 
difficultés  techniques  presque  entièrement  inconnues  avant 
lui,  ainsi  que  par  le  style  grandiose  des  compositions  qu'il  sut 
Créer  ,  il  é  eva  le  piano  au  rang  des  iustrumens  de  concerts  ;  il 
a  exercé  une  heureuse  influence  sur  les  pianistes  tant  par  les 
leçons  directes  que  par  la  publication  de  sa  méthode.  Tout  cela 
on  le  reconnaît  pleinement.  Hummel  a  su  en  tirer  un  assez 
grand  profit ,  ici  comme  à  l'étranger  ;  et  je  repousse  donc  avec 
force,  au  nom  des  habitans  de  Vienne  ,  toute  espèce  de  repro- 
che d'ingratitude.  Malheureusement,  son  calme  dans  les  passa- 
ges les  plus  difficiles,  ce  calme  que  l'on  regardait  autrefois 
comme  le  comble  de  l'art,  et  que  l'on  offrait  comme  exemple 
à  tous  les  élèves ,  aujourd'hui  les  approches  de  la  vieillesse 
l'ont  fait  dégénérer  en  une  espèce  de  flegme,  qui  laisse  les  audi- 
teurs d'autant  plus  froids  que  t 'exécution  poétique  des  vir- 
tuoses modernes  nous  a  donné  l'habitude  de  voir  suppléer  à  la 
sécheresse  de  son  du  piano  par  le  feu  de  l'exécution,  par  les 
nuances  les  plus  variées ,  et  enfin  par  l'emploi  des  ressources 
diverses  qui  font  paraître  cet  instrument  dans  tout  son  charme 
et  toute  sa  puissance.  Ou  a  remarqué  aussi  avec  peine  que  dans 
ses  traits  chromatiques,  Hummel  fit  usage  des  pédales,  ce  qui 
ne  lui  arrivait  presque  jamais  autrefois,  même  dans  des  passages 
où  l'on  aurait  pu  regarder  comme  beaucoup  plus  convenable 
l'emploi  de  ces  pédales.  La  pédale  una  corda ,  adoptée  avec 
tant  de  succès  par  Moschelès  ,  Chopin  ,  Mendelsohn  et  Thal- 
berg,  est  aussi  une  ressource  qui  manque  entièrement  à  Hum- 


mel. C'est  en  outre  un  point  incontestable  que  la  nouvelle  mé- 
thode italienne  de  chant  a  étendu  sa  bienfaisante  influence 
jusqne  sur  la  musique  instrumentale  ,  qu'elle'  a  introduit  plu- 
sieurs changemens  qui ,  bien  que  peu  nombreux  en  apparence, 
n'en  sont  pas  moins  très  importans  pour  le  goût  et  l'effet  ;  tels 
sont  par  exemple  :  l'appoggiature  exécutée  plus  lentement  et 
avec  plus  de  goût  ;  la  cadence  (dont  une  exécution  vieillie  rap- 
pellerait le  maître  d'école  de  1770);  le  portamento  ;  le  trille 
plus  coquet  et  plus  élégant,  commencé  avec  lenteur,  enflé  avec 
une  percussion  toujours  plus  rapide,  et  terminé  en  mourant; 
cette  autre  nuance  si  riche  d'effet  "du  diminuendo  e  rallen- 
tando,  une  exécution  libre  et  dégagée  ;  la  percussion  marquée 
et  capricieuse  de  quelques  notes  détachées  et  importantes  ;  enfin 
le  feu  de  l'exécution.  Notre  oreille  ainsi  habituée  ne  pouvaij 
plusse  plaire  à  des  traits  surannés.  Hummel  a  joué  un  nouveau 
concerto,  le  cor  enchanté,  d'Obéron  (fantaisie),  un  nouveau 
rondo  (le  Retour  de  Londres),  l'ancien  concerto  en  la  bémol 
majeur,  et,  de  plus  ,  il  a  improvisé  deux  fois.  Il  a  conservé 
toute  son  ancienne  supériorité  lorsqu'il  se  livre  à  son  imagina- 
tion, et  c'est  avec  le  plus  vif  plaisir  que  je  me  vois  à  même  de 
lui  payer  sous  ce  rapport  un  juste  tribut  d'éloges  ;  et  pourtant, 
dans  la  stricte  acception  du  mot ,  ce  qu'il  a  joué  ne  peut  s'appe- 
ler produit  de  l'imagination  ,  mais  seulemeïit  improvisation 
libre.  En  effet,  l'imagination  est  un  don  céleste  ;  c'est  une  fille 
du  génie  qui  daigne  rarement  se  révéler  à  nous  à  heure  fixe 
pour  que  nous  puissions  librement  nous  parer  de  ses  charmes. 
Elle  peut,  il  est  vrai,  exprimer  les  émotions  d'un  cœur  pro- 
fondément touché  ou  les  inspirations  de  l'enthousiasme;  mais 
comment  espérer  la  trouver  chez  un  donneur  de  concerts  que 
peuvent  accabler  la  crainte  ,  la  vanité  ,  l'ambition  ,  l'amour  du 
gain,  le  chagrin  ou  l'épuisement,  et  dont  la  disposition  man- 
que par  conséquent  de  la  couleur  poétique  qui  lui  serait  né- 
cessaire. La  plupart  des  improvisations  reposent  sur  une  con- 
naissance technique  des  formes ,  sur  une  pratique  précoce  qui 
assurent  'pour  toujours  les  moyens  mécaniques,  sans  qu'il  soit 
besoin  d'avoir  recours  à  l'œuvre  de  Czerni  (  l'Art  d'improviser 
sur  le  piano).  L'improvisation  sur  un  thème  donné  dépend  le 
plus  souvent  d'une  mémoire  suffisante  ,  plus  encore  de  la  rou- 
tine et  de  la  connaissance  intime  comme  de  la  pratique,  pour 
ainsi  dire  instinctive,  des  figures  musicales,  conditions  au 
moyen  desquelles  il  devient  facile  de  lier  enlr'elles  les  notes 
saillantes  du  thème  ;  et  dont  tout  pianiste  exercé  se  sentira 
d'autant  moius  gêné  qu'il  y  trouvera  un  frein  salutaire  à  la 
vitesse  souvent  imolontaire  de  ses  doigts.  Certes  j'aimerais  à 
surprendre  en  secret  les  inspirations  du  génie  lorsque  livré  à  la 
solitude  et  affecté  par  quelque  émotion  profonde ,  il  s'aban- 
donne à  uue  véritable  improvisation.  Mozart,  Schubert,  fle- 
ber,  Moschelès,  Mendelsohn,  Chopin,  doivent  sans  aucun 
doute  avoir  plus  d'une  fois  traduit  musicalement  l'expression 
de.leurs  peines  ou  de  leurs  joies  ;  ne  doit-il  pas  en  être  Je  même 
de  notre  Bocklet  qui  voit  aujourd'hui  son  ancienne  popularité 
écrasée  par  les  succès  toujours  croissans  de  Tlialberg?  n'est-q 
pas  certain  qu'il  cherchera  desadoucissemensà  sa  douleur  dans 
l'improvisation  où  il  est  si  habile,  tandis  qu'au  contraire,  mal- 
gré la  faveur  dont  il  a  été  comblé  précédemment ,  son  jeO  est 
trop  souvent  défectueux?  Bocklet  sent  assurément  d'une  ma- 
nière intime  l'esprit  des  compositions  qu'il  doit  exécuter  ,  mais 
ses  moyens  techniques  sont  tiop  faibles ,  et  d'ailleurs  le  mau- 
vais état  de  sa  santé  ne  lui  laisse  pas  assez  de  vigueur  pour 
qu'il   puisse   faire  passer  par   ses   doigts  les  sentimens  qu'il 


DE  PABIS. 


34; 


éprouvé  sans,  aucun  doute.  Tbalberg  ,  au  contraire  ,  Thalberg 
chante,  il  déclame,  il  s'abandonne  à  tous  les  charmes  de  la 
coquetterie,  et  il  sait  tirer  de  son  instrument  les  sons  les  plus 
enchanteurs.  C'est  principalement  à  l'expression  des  chanls 
qu'il  s'attache ,  et,  doué  lui-même  d'une  jolie  voix,  il  la  cultive 
avec  le  plus  grand  soin.  Lorsqu'il  joue  au  piano  le  thème  :  la 
Ci  darem  la  mano  ,  on  ne  peut  s'empêcher  de  croire  entendre 
chanter  le  même  air  ;  les  sons  enflés,  la  passion  intime  et  l'es- 
prit des  paroles,  la  résistance  apparente  deZerline,  sa  défaite 
prochaine,  le  piano  exprime  tout  cela  comme  le  ferait  la  voix 
la  plus  dramatique.  Ce  morceau  seul  suffit  pour  ranger  Thal- 
berg parmi  les  plus  grands  maîlres.  Maintenant  figurez-vous 
un  arlisle  qui ,  à  un  talent  mécanique  le  plus  prodigieux  et  le 
plus  achevé,  joint  encore  une  grâce  incomparable  et  un  calme 
parfait  dans  le  corps  comme  dans  les  doigts,  représentez-vous 
cet  artiste  doué  d'un  extérieur  noble  et  séduisant ,  aussi  distin- 
gué au  physique  que  par  ses  facultés  intellectuelles  ,  gratifiez-le 
de  plus  d'une  position  sociale  entièrement  indépendante ,  et 
vous  aurez  encore  peine  à  vous  faire  une  juste  idée  del'enthou- 
siasme  qui  accompagne  chacune  de  ses  séances.  C'est  à  lui  que 
le  piano  est  redevable  d'avoir  repris  faveur  dans  les  salons  , 
dont  il  a  été  presque  exilé  ainsi  que  toute  musique  instrumen- 
tale, par  le  chant,  qui  avait  tout  envahi.  Les  compositions  de 
M.  Thalberg  se  distinguent  assurément  avec  avantage  des  œu- 
vres de  Herz,  Czerny,  Chanlicu  et  consorts  ,  et  ont  principale- 
ment pour  but  de  ramener  le  public  sur  lequel  il  exerce  une 
influence  extraordinaire  ,  au  goût  de  la  musique  sévère  ;  aussi 
a-t-il  soin  de  choisir  des  morceaux  savans,  qu'il  sait  faire  va- 
loir par  son  inimitable  exécution,  pour  habituer  à  un  mieux 
progressif  le  public  qu'on  a  gâté  par  tant  de  mauvaise  musique. 
Il  eut|,  cet  été  ,  le  malheur  de  cracher  le  sang;  j'aurais  voulu 
que  vous  fussiez  témoin  du  touchant  intérêt  qu'il  a  générale- 
ment inspiré  ;  partout  on  s'entretenait  de  sa  maladie  comme 
d'un  événement  public;  chaque  jour  l'élite  de  la  société  venait 
prendre  des  informations  sur  sa  santé  ,  et ,  après  son  rétablis- 
sement ,  le  jour  où  il  a  reparu  pour  la  première  fois,  lia  reçu 
de  l'assemblée  l'accueil  le  plus  empressé  et  le  plus  cordial.  On 
espère  qu'il  va  se  rendre  incessamment  à  Paris,  et,  malgré  les 
exigences  que  doit  naturellement  faire  naître  un  jugement 
aussi  favorable  que  le  mien  ,  c'est  avec  la  plus  ferme  confiance 
que  j'attends  la  confirmation  de  mon  panégyrique  ,  si  même  on 
ne  trouve  pas  qu'il  a  été  trop  faible. 

Au  mois  de  mars  de  l'année  prochaine  ,  nous  devons  avoir 
une  troupe  italienne  dans  laquelle  on  sejlatte  de  compter  Ru- 
bini,  Donzelii  ;  mesdames  Grisi  et  Malibran  avec  d'autres  ar- 
tistes distingués.  Cette  entreprise  ,  garantie  d'avance  par  le 
beau  monde,  aurait  dit-on  pour  but ,  outre  le  plaisir  qu'on  en 
attend,  de  servir  d'acte  d'opposition  contre  l'ennuyeux  réper- 
toire de  Duport,  et  elle  doit  s'établir  dans  les  commence- 
mens  au  théâtre  de  Joseph-Stadt.  Cependant  cette  petite  salle 
ne  saurait  contenir  qu'un  fort  petit  nombre  d'auditeurs  et  les 
recettes  resteraient  inférieures  aux  dépenses  ;  peut-être  en 
outre,  ces  héros  du  chant  feraient-ils  difficulté  de  paraître  sur 
un  misérable  théâtre  de  faubourg  et  enfin  on  prétend  que  ,  de 
son  côté,  Duport  a  fait  des  propositions  par  suite  desquelles 
on  aurait  définitivement  choisi  le  théâtre  de  la  porte  de 
Carinthie. 

Nous  avons  vu  le  Pré  aux  Clercs ,  et  cet  ouvrage  ,  quoique 
supérieurement  exécuté  par  les  chœurs  et  par  l'orchestre,  n'a 
produit  presqu'aucun  elfet  à  cause  de  la  mesquinerie  de  la  mise 


en  scène.  Les  Deux  Nuits,  de  votre  Boyeldieu,  ont  procuré 
un  vif  plaisir  aux  connaisseurs  qui  se  voient  malheureusement 
dans  la  fâcheuse  position  d'être  obligés  de  lutter  contre  le  goût 
du  public ,  et  même  de  s'en  tenir  à  une  opposition  directe. 
L'engouement  pour  les  valses  fait  ici  de  si  terribles  progrès 
que  le  goût  de  la  bonne  musique  en  est  presque  entièrement 
anéanti.  Comme  on  m'assure  que  l'usage  des  concerts  en  plein 
air  s'est  aussi  établi  chez  vous  ,  je  ne  puis  que  recommander,  à 
vous  comme  au  public  parisien  ,  de  ne  jouir  de  ce  plaisir  qu'a- 
vec la  plus  grande  retenue.  La  valse,  avec  ses  douces  mélodies, 
son  allure  frétillante  et  son  rythme  si  cadencé  ,  représente  vé- 
ritablement en  musique  l'usage  des  excitans  dans  la  vie  ordi- 
naire; or,  la  médecine  et  l'esthétique  doivent  vous  apprendre 
que  l'usage  immodéré  des  excitans  est  mortel  pour  l'esprit 
comme  pour  le  corps.  Vienne,  nous  en  offre  aujourd'hui  un 
déplorable  exemple.  Vienne,  le  bereeau  de  la  musique,  Vienne 
ou  Gluck,  Mozart,  Haydn,  Beethoven,  Weigl,  Hummel, 
Moschelès,  et  mille  autres,  ont  élevé  leur  grandeur,  où  les  pre- 
miers chanteurs  du  inonde  ont  célébré  leurs  triomphes,  cette 
ville  où  au  théâtre,  à  l'église,  dans  les  salons,  on  entendait 
partout  les  accords  d'une  musiquenoble,  sublime  et  puissante, 
Vienne  est  aujourd'hui  sous  le  joug  des  Strauss  et  des  Luuner. 
Les  soirées  de  ces  musiciens  sont  fréquentées  pa;-  la  société  la 
plus  distinguée  ,  et  c'est  à  peine  si  les  marchands  de  musique 
osent  offrir  à  leurs  chalands  autre  chose  que  des  compositions 
analogues  à  celles  de  ces  deux  hommes.  L'effet  tout  matériel 
produit  par  celte  espèce  de  musique  est  suffisamment  constaté 
par  le  grand  nombre  de  dames  qui  s'empressent  à  ver.ir  l'en- 
tendre; le  cercle  de  ceux  dont  le  goût  est  resté  pur  va  toujours 
en' se  rétrécissant,  et  le  pis  est  que  rarement  il  s'élève  une  voix 
puissante  pour  s'opposer  à  ce  débordement.  Nous  avons  pour- 
tant l'espérance  de  voir  bientôt  le  torrent  rentrer  dans  ses  li- 
mites, et  l'illusion  du  public  se  dissiper. 

Malgré  ce  fâcheux  état  de  choses,  Roberl-le-Diable,  de 
Meyerbeer  ,  se  soutient  toujours  avec  succès.  Breiting  (  Ro- 
bert) est  vraiment  un  ehanteur  qui  fait  chaque  jour  de  nou- 
veaux pas  jvers  la  perfection.  Staudigel  (Bertram)  est  doué 
d'une  voix  merveilleuse;  il  est  assurément  la  première  basse 
de  l'Allemagne,  et  madame  Emst  est  une  chanteuse  à  roula- 
des du  premier  mérite.  Le  talent  de  ces  artistes ,  réuni  au  génie 
du  compositeur ,  assure  pour  long-temps  à  cet  ouvrage  un  suc- 
cès brillant  et  durable. 

La  Chiaradi  Rosenberg,àc  Ricci,  n'a  offert  rien  d'intéres- 
sant si  ce  n'est  un  duo  comique  et  un  trio.  Le  Serment,  au 
contraire,  a  beaucoup  réussi  au  théâtre  de  Joseph-Stadt,  et 
malgré  les  ressources  très-bornées  de  ce  théâtre,  on  a  fort 
applaudi  l'exécution  dirigée  avec  le  plus  grand  talent  par  le 
maître  de  chapelle  Conradin  Kreutzer.  Le  directeur  du  théâ- 
tre Royal,  Duport,  vient  de  mettre  cet  opéra  à  l'étude,  et 
presse  les  répétitions  avec  activité. 

Les  attaques  de  Henri  Herz  et  de  ses  imprudens  amis  con- 
tre le  gérant  de  la  Gazette  Musicale,  ont  excité  ici  l'intérêt  gé- 
néral,  et  je  ne  pense  pas  avoir  besoin  d'ajouter  que  Cet  intérêt 
se  concentrait  sur  vous  seul,  car  c'est  vraiment  folie  de  vouloir 
employer  la  force  et  la  violence  pour  contredire  un  jugement 
juste  et  confirmé  depuis  long-temps  par  l'assentiment  de  tous 
les  musiciens.  J'avoue  que  tout  le  inonde  ne  peut  pas  sentir 
d'après  les  règles  de  l'esthétique  ;  j'ajoute  même  qu'il  ne  doit 
pas  en  être  ainsi,  car  dans  ce  cas,   le  musicien  et  le  critique 


34,8 


GAZETTE  MUSICALE  DE  PARIS. 


qui,  à  une  manière  de  sentir  vraie,  joindraient  des  études 
consciencieuses  ,  se  trouveraient  n'avoir  aucun  avantage  sur  la 
masse  du  public.  S'il  arrive  à  un  musicien  d'être  bien  inspiré 
par  le  hasard ,  et  de  produire  à  son  insu  quelques  idées  heu- 
reuses ,  il  ne  lui  sera  pas  plus  permis  de  s'en  glorifier  qu'il  ne 
serait  permis  à  un  homme  qui  aurait  gagné  un  numéro  à  la 
loterie  d'attribuer  le  choix  de  son  numéro  à  la  puissance  de  ses 
facultés  intellectuelles.  Un  tel  musicien  doit  jouir  de  son  bon- 
heur dans  un  modeste  silence,  et  réserver  son  courage  pour  la 
mauvaise  fortune.  Puisqu'il  tire  des  avantages  pécuniaires  de 
l'heureux  hasard  qui  l'a  favorisé,  qu'il  sache  se  borner  là,  et 
qu'il  ne  vienne  pas  ambitionner  une  gloire  qui  ne  lui  appar- 
tient fpas.  Que  M.  Herz  ait  emprunté  aux  compositions  de 
Hummel ,  Ries ,  Kalkbrenner ,  et  surtout  de  liloschelès  beau- 
coup de  passages  (ce  n'est  pas  ce  qu'il  y  a  de  plus  mal  dans  ses 
œuvres),  et  qu'il  les  ait  habillées  de  formes  italiennes  moder- 
nes qui,  à  tout  prendre,  ne  sont  pas  de  son  invention  ,  c'est 
ce  qui  a  été  dit  assez  souvent  en  Allemagne  ;  et  parce  que  la 
critique  fatiguée  de  répéter  toujours  le  même  reproche  a  eu  le 
tort  impardonnable  de  se  taire  un  moment,  et  par  cela  même 
d'augmenter  le  mal  ,  M.  Herz  se  croit  offensé  lorsque  quel- 
qu'un vient  lui  dire  la  vérité  !  Je  ne  veux  cependant  pas  lui 
contester  toute  espèce  de  mérite;  ses  études  contiennent  plu- 
sieurs excellens  'exereices  pour  les  doigts  ;  il  ne  manque  pas 
non  plus  de  goût ,  et  il  semble  avoir  été  créé  tout  exprès  pour 
un  public  sans  prétention.  Après  tout,  peut-on  c-mser  avec 
tout  le  monde  sur  des  sujets  savans,  esthétiques  ,  intéressans, 
qui  présupposent  le  sentiment  et  la  réflexion?  Combien  d'hom- 
mes ne  seraient  pas  condamnés  à  un  éternel  silence  s'il  fallait 
retrancher  de  leur  vocabulaire  :  Comment  vous  portez-vous  ? 
avez-vous  hien  dormi?  ou  bien,  aimez-vous  la  bonne  chère, 
le  bon  vin  ?  et  autres  phrases  analogues.  Les  compositions  de 
Herz  contiennent  des  choees  tout  aussi  intéressantes  ,  tout  aussi 
indispensables  à  ce  genre  de  public  dont  nous  parlons  ,  et  l'on 
y  trouve  parfois  des  jongleries  techniques  ,  triste  résultat 
d'une  pratique  vide  d'idées,  et  plus  propre  à  intéresser  l'œil 
qu'à  charmer  l'oreille.  Je  ne  conseille  pas  à  M.  Herz  de  venir 
à  Vienne  avec  de  telles  prétentions.  La  salle  de  concert  ne  réus- 
sirait que  difficilement  à  couvrir  les  fiais  de  voyage,  et  son  or- 
gueil ne  saurait  manquer  d'être  froissé  par  la  rareté  des  ap- 
plaudissemens.  Tout  au  contraire,  je  pense  qu'il  doit  être  le 
très-bien  venu  dans  beaucoup  de  soirées  dansantes,  s'il  y  joue 
ses  quadrilles  et  ses  galops. 

Il  se  prépare  ici  une  grande  fête  mnsicale  à  laquelle  doivent 
prendre  part  600  musiciens 'environ  ,  et  destinée,  suivant  le 
programme,  à  opposer  une  digue  à  la  tendance  si  frivole  de  la 
musique  nouvelle.  On  doit,  le  6  et  le  9  novembre  ,  exécuter 
l'oratorio  de  Haendel  Belizard ,  nouvellement  instrumenté  par 
Mosel.  A.Z. 


NOUVELLES. 

^  La  \  1  ]e  représentation  de  Roberl-le-Diable  a  été  une 
des  plus  brillantes.  Tout  ce  que  Paris  renferme  de  plus  à  la 
mode  s'était  donné  rendez-vous  à  1  Opéra;  madame  Damo- 
reau  reparaissait  après  une  assez  longue  maladie,  et  son  émo- 
tion, sans  rien  ôter  à  l'admirable  jusiesse  de  son  chant ,  an- 
nonçait cependant  un  peu  d'affaiblissement  dans  sa  voix.  Quant 
à  Levasseur  qui  n'avait  pas  joué  depuis  trois  mois  le  rôle  de 
Bertram,  il  a  paru  sublime.  Nous  devons  des  éloges  à  madame 
Dorus-Gras  dont  le  double  talent  d'actrice  et  de  chanteuse 
grandit  tous  les  jours.  Le  trio  a  produit  un  effet  tel  que  Levas- 


seur, Nourrit  et  madame  Dorus  ont  été  redemandés  à  grands 
cris  après  la  représentation.  La  recette  a  dépassé  g  ,000  francs. 
*^  Aujourd'hui  dimanche  l'Opéra  donne  une  représenta- 
tion extraordinaire  composés  de  la  Tempête,  du  1°  acte  de 
Guillaume-Tell ,  et  du  deuxième  acte  du  ballet-opéra  de  la 
Tentation.  L'orchestre  exécutera  la  fameuse  ouverture  du 
Freischutz  de  Weber. 

+%  Toujours  foule  au  thàtre  Nautique.  Nous  garantissons 
cent  représentations  à  ce  ballet  dont  nous  parlerons  plus  au 
long  dans  notre  prochain  numéro. 

+*+  La  foule  se  porte  à  toutes  les  représentations  des  Bouffes. 
Quel  que  soit  l'ouvrage  que  l'on  nous  donne.  'Lenthousiasme 
des  ddettanti  est  tel ,  que  sans  courir  aucun  danger  ,  l'admi- 
nistration de  ce  théâtre  pourrait  faire  lithographier  l'affiche. 
Aujourd'hui  théâtre  italien:  et  pendant  toute  la  saison  le 
monde  fashionable  de  Paris  ne  manquera  à  la  salle  Favart. 

±*  Madame  Pasta  vient  de  faire  fiasco  à  Bologne.  La  Norma, 
le  chef-d'œuvre  de  Bellini ,  et  il  y  a  peu  d'années  le  triomphe 
de  cette  cantatrice,  lui  a  causé  celte  mésavanture.  Se  retirer  du 
théâtre  ,  c'est  un  bon  conseil  à  donner  à  un  aussi  admirable  ta- 
lent :  Madame  Pasta  arrivée  à  sa  maturité  doit  jouir  des  fruits 
de  ses  peines  ;  elle  possède  les  terres  les  plus  belles ,  et  envi- 
ron 60,000  livres  de  rentes. 

*  Il  parait  certain  que  MM.  Robert  et  Severini ,  directeurs 
du  théâtre  royal  Italien  ,  vont  obtenir  pour  six  ans,  la  direction 
de  l'Opéra  de  Londres. 

+*  Le  marchand  jorain  nommé  Valentin ,  pendant  les  répé- 
titions ,  se  montrera  la  semaine  prochaine  à  i'Opéra-Comique  , 
Le  Libretto  ,  est,  dit-on,  fort  intéressant  et  offre  de  situations 
neuves  et  dramatique.  Quant  à  la  musique  elle  est  due  à  un 
jeune  compositeur  :  il  faut  l'entendre  avant  de  ne  rien  pré- 
juger. 

*  La  Somnambula,  reprise  jeudi  dernier,  a  fait  le  plus 
grand  plaisir.  Rubini  a  chanté  d'une  manière  ravissante,  et 
mademoiselle  Grisi  l'a  parfaitement  secondé. 

%La  huitième  représentation  de  la  Tempête,  accompagnée 
parla  ravissante  Fanny  Elssler,  a  lieu  aujourd'hui  dimanche 
Ce  fait  équivaut  à  un  aveu  de  la  part  du  directeur. 

„%  Le  Chalet  continue  ses  succès  à  l'opéra-comique  :  In- 
chindi  y  est  maintenant  parfaitement  impalronisé,  et  ce  théâ- 
tre possède  en  lui  une  des  meilleures  oasse- tailles. 

+%  Mademoiselle  Francilla  Pixis  a  obtenu  un  brillant  succès 
à  Francfort;  elle  a  chanté  le  3e  acle  d'Othello  en  italien,  et 
quatre  morceaux  ,  dans  un  concert  donné  au  grand  théâtre  de 
cette  ville. 

+*t  Le  conseil  municipal  de  Rouen  a  envoyé  une  députation 
de  trois  de  ses  membres  à  Paris,  pour  aller  chercher  le  cœur 
de  Boïeldieu,  que  la  veuve  du  célèbre  compositeur  a  accordé  à 
la  ville  de  Rouen.  Ce  sont  MM.  Henri  Barbot,  Blanche  et  Le- 
gentil  qui  ont  été  désignés  pour  remplir  celte  mission.  Le  cœur 
de  Boïeldieu  sera  déposé  dans  le  cimetière  Monumental,  où  une 
colonne  sera  élevée  aux  frais  de  la  ville.  Le  conseil  a  voté  pour 
cet  objet  une  somme  de  12,000  francs.  Il  a  été  eu  outre  décidé 
que  la  promenade  désignée  jusqu'ici  sous  le  nom  de  Pelite-Pro- 
vence,  serait  désormais  appelée  cours-Boieldieu. 

*  Le  magasin  de  musique  de  M.  Troupenas  vient  d'être 
acireté  300,000  francs  par  M.  Deloi,  libraire  éditeur  de  la 
France  Pittoresque. 

*.  Nous  recommandons  avec  satisfaction  l'établissement 
pour  la  location  de  pianos,  que  51.  Ferry  de  Boulogne,  vient  de 
former  à  Paris,  rue  de  Bichelieu,  n°  ï00.  On  truuve  dans  ses 
magasins  ,  des  pianos  neufs  des  meilleurs  (acteurs  de  Paris,  tel 
que  de  MM.  Pape ,  Pleyel ,  Pelzold .  Pfeiffer,  Wetzels,  Klepfer, 
etc.-,  lesprix  de  location  sont  modérés.  Un  établissement  de 
ce  genre  ne  peut  manquer  de  réussir. 

*  On  vient  d'engager  à  I'Opéra-Comique  M.  Riquier,  ac- 
teur qui  sort  du  théâtre  de  Lille. 

*  L'opéra  ch'-nois  que  promettent  MM.  Scribe  et  Auber, 
aura  ,  dit-on,  pour  titre  :  le  Chenal  de  Bronze. 

Gérant,  MAURICE  SCHLESINGER 


paris.  —  Imprimerie  il'EVERAT,  rue  da  Cadran 


USICALE 


RÉDIGÉE   PAR   MM.    ADAM,    G.    E.    ANDERS ,  BERTON  (membre    de  l'Institut),    BERLIOZ,   CASTIL-BLAZE ,  A.  GUEMER     HALÉVY 

(professeur  de  coulrepoint  au  Conservatoire),  Jules  janin  ,  liszt,  lesueur  (membre  de  l'Institut),  j.  mainzer,  marx 
(rédacteur  de  la  gazette  musicale  de  berlin),  d'ortigue  ,  panofka  ,  richard,  j.  g.  seyfried  (maître  de  chapelle 
à  Vienne),  f.  stcepel,  etc. ,  etc. 


1"  ANNÉE. 


X 


a. 


prix  de  l'abonnes!. 

PARIS. 

DÉPART. 

ÉTHANG 

fr. 

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3  m.    8 

8     75 

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18    » 

tan.  30 

33    » 

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£a  t&azette  ittusiiial*  i>e  Claris 
Paraît    le   DIMANCHE  de  chaque  semaine. 


On  s'abonne  au  bureau  de  la  Gazette  Musicale  de  Paris,  rue  Richelieu,  97; 
et  chez  tous  les  libraires  et  marchands  de  musique  de  France. 

Ou  reçoit    les  réclamations  des  personnes  qui  ont  des  griefs  à  exposer,  et  les  avis  relatifs  à  la  musiqu 
qui  peuvent  intéresser  le  public. 


PARIS,  DIMANCHE  2  NOVMEBRE  )83'< 


Les  lellres,  demandes 
et  envois  d'argent  doi- 
vent être  affranchis,  et 
adresses  au  Directeur  , 
rue  Richelieu,  97. 


GUILLAUME -TELL, 

4e  article.  —  3e  et  4P  acte. 

Nous  avons  laissé  Arnold  au  désespoir,  ne  respirant 
que  guerre  et  que  vengeance.  La  mort  de  son  père  lui 
imposant  de  nouveaux  devoirs,  l'arrache  brusquement 
au  charme  qui  l'eût  entraîné  peu  a  peu  jusque  dans  les 
rangs  des  ennemis  de  son  pays.  Plein  de  sinistres  pen- 
sées ,  ses  paroles  a  Mathilde  au  commencement  de  l'acte 
suivant,  décèlent  une  sombre  et  farouche  préoccupation. 

«  Je  reste  pour  vtnger  mon  père.   — 
»  Qu'espérez-vous?  —  C'est  du  sang  que  j'espère; 
»  Je  renonce  aux  faveurs  duj>orl; 
»  Je  renonce  à  tout  ce  que  j'aime  , 

u  A  la  gloire,  à  vous-même...  — 
)>  A  moi,  Melctal?  —  Mon  père  est  mort.  » 

L'expression  de  ces  sentimens  tumultueux  règne  dans 
toute  la  longue  ritournelle  qui  précède  et  prépare  l'en- 
trée en  scène  des  deux  amans.  Après  un  court  mais  éner- 
gique récitatif,  où  nous  retrouvons  encore  une  phrase  de 
cinq  mesures  dite  en  entier  par  Arnold  sur  une  seule  note 
le  niî'j  commence  le  grand  air  Agitato  de  Mathilde.  Ce 
morceau  n'est  pas  a  son  début,  aussi  heureux  dans  le 
choix  des  mélodies  et  dans  le  sentiment  dramatique  que 
nous  le  trouvons  a  la  fin.  Il  semble  que  le  compositeur 
l'ait  commencé  de  sang-froid  et  se  soit  animé  peu  à  peu  a 
mesure  qu'il  se  pénétrait  de  son  sujet.  La  première  phrase 
est  ce  que  nous  pourrions  appeler  une  phrase  a  compar- 
titnens  ;  elle  est  de  la  famille  innombrable  des  mélodies 


de  huit  mesures  ,  dont  quatre  sur  l'accord  de  la  tonique 
et  autant  sur  celui  de  le  dominante,  comme  celles  qui 
se  trouvent  au  commencement  de  presque  tous  les  con- 
certos de  Viotti,  de  Rode,  de  Kreutzer  et  de  leurs  imita- 
teurs. Ce  style  qui  se  laisse  deviner  de  fort  loin  aurait 
du,  ce  me  semble,  être  abandonné  définitivement  par 
Rossini  dans  la  composition  de  son  dernier  et  peut  être 
de  son  plus  important  ouvrage.  En  outre ,  les  deux  vers 
qui  suivent  : 

«  Dans  ma  cour  quelle  solitude  .' 
»  Tu  ne  seras  plus  près  de  moi.  » 

sont  loin  d'avoir  été  rendus  en  musique  avec  la  sensibi- 
lité qu'ils  exigent  impérieusement.  C'est  glacial  et  com- 
mun, malgré  une  instrumentation  qui  pourrait  être  moins 
tourmentée  dans  sa  richesse  surabondante.  Comme  pour 
faire  oublier  ce  début  tant  soit  peu  scolastique,  la  péro- 
raison est  admirable  d'originalité  ,  de  grâce  et  de  senti- 
ment. L'imagination  la  plus  exigeante  ne  saurait  deman- 
der au  compositeur  des  accens  plus  vrais  ni  plus  nobles, 
quand  il  fait  dire  a  Mathilde  avec  un  mélancolique 
abandon  : 

«  Sur  la  rive  étrangère 
»  Si  je  ne  puis  à  ta  misère 
»  Offrir  mes  soins  consolateurs, 
»  Mon  âme  te  suit  tout  entière; 
»  Elle  est  fidèle  à  tes  malheurs.  » 

Nous  ne  sommes  pas  aussi  satisfaits  de  l'ensemble  h 
deux  voix  qui  termine  la  scène.  Il  devait  être  déchirant 
comme  l'adieu  de  deux  amans  qui  se  séparent  pour  ne 


350 


GAZETTE  MUSICALE 


plus  se  revoir;  il  n'est,  à  part  la  vocalise  chromatique 

de  Mathilde  sur  le  mot  Melcthal,  que  brillant  et  sur- 

chargéd'instrumens  à  vent,  sans  oppositions  ni  contrastes. 

Malgré  cela  ,  il  est  fort  à  regretter,  ne  fût  ce  qu'à  cause 

des  beaux  élans  d'inspiration  que  nous  avons  signalés  , 

que  cette  scène  soit  aujourd'hui  entièrement  supprimée 

a  la  représentation.  L'acte  commence  à  présent  parle  j  un  opéra  italien  ,  bien  italien,  mais  dans  une  conception 

chœur  des  soldats  de  Gésier,  célébrant  d'une  façon  rude  :  comme  Guillaume  Tell,  où  la  raison  a  droit  de  cité, 

et  fière  le  centième  anniversaire  de  la  conquête  de  la  j  où  tout  n'est  pas  exclusivement  consacré  à  faire  briller 

Suisse  et  son  adjonction  a  l'empire  germain.  Puis  on     les  chanteurs,  un  tel  morceau  est  plus  qu'un  contre- 

danse,  comme  de  raison,  on  trouverait  a  l'Opéra,  pré-     sens,  c'est  un  non-sens.   Le  récitatif  suivant  remplit 


«  Espoir  de  ma  race  , 
»  O  toi  que  j'embrasse, 
»  Porte  au  loin  tes  pas.  » 

il  ne  devrait  que  lui  faire  un  signe  et  prononcer  rapide- 
ment ces  deux  mots  :  Sauve-toi.  S'appesantir  dans  un 
andanle  sur  cette  idée  serait  indifférent  peut-être  dans 


texte  à  ballets  jusque  dans  une  représentation  du  juge- 
ment dernier.  N'importe,  les  airs  de  danse  tout   impré- 
gnés de  tournures  mélodiques  suisses,  sont  d'une  rare  élé- 
gance et  tous  (j'en  excepte  cependant  l'allégro  en  sol 
intitulé  pas  de  soldats)  ont  été  écrits  avec  soin.  C'est  au 
milieu  de  ce  ballet  que  se  trouve  la  fameuse  tyrolienne 
aujourd'hui  populaire,  si  remarquable  par  ses  modu- 
lations et  le  rhylhnie  vocal  qui  lui  sert  d'accompagne- 
ment. AvantRossini  on  n'avait  pas  fait  entendre  au  théâ- 
tre des  successions  immédiates  d'accords  a  l'aspect   de 
toniques  d'un  caractère  tranché,  comme  celle  qu'on  re- 
marque a  la  trente-troisième  mesure,    où  la  mélodie 
arpège  dans  l'accord  majeur  de  si  naturel,  pour  retomber 
aussitôt  dans  celui  de  la  tonique  véritable  sol.  Ce  petit 
morceau  que  Rossini  a  écrit  sans  doute  un  matin  en  dé- 
jeunant ,  a  eu  un  succès  vraiment  incroyable  ,  pendant 
que  des  beautés  d'un  ordre  incomparablement  supérieur 
n'ont  obtenu  qu'un  nombre  assez  restreint  de  suffrages. 
11  est  vrai  que  ces  suffrages  étaient  d'une  toute  autre  na- 
ture que  ceux  qui  avaient  si  bien  accueilli  la  jolie  tyro- 
lienne. Aux  yeux  de  certains  compositeurs,  les  applau- 
dissemens  de  la  foule  sont  utiles  mais  peu  flatteurs,  pour 
ces  artistes  l'opinion  des  esprits  élevés  est  seule  de  quel- 
que prix.  D'autres  au  contraire  ne  font  cas  que  de  la 
quantité,  fort  peu  de  la  qualité.  Comme  les  sauvages  de 
l'Amérique,  avant  que  des  relations  plus  fréquentes  avec 
les  Européens  leur  eussent  appris  la  valeur  des  mon- 
naies, ils  préfèrent  cent  sous  a  une  pièce  d'or. 

Après  les  danses  vient  la  fameuse  scène  de  la  pomme. 
Le  style  en  est  généralement  nerveux  et  dramatique. 
Une  phrase  de  Tell  nous  paraît  d'un  bien  beau  carac- 
tère ,  c'est  sa  réponse  a  l'exclamation  de  Gésier  : 

«  C'est  là  mon  prisonnier.  — 
Guill.    »  Puisse-t-il  être  le  dernier  !  » 

Ce  que  je  crois  au  contraire  absolument  faux  de  sen- 
timent et  d'expression,  c'est  le  mouvement  de  Tell  au 
moment  où,  concevant  des  craintes  pour  son  fils,  il  le 
prend  a  part,  l'embrasse  et  lui  ordonne  de  fuir. 

Au  lieu  de  : 


exactement  les  conditions  que  nous  venons  d'indiquer. 

«  Rejoins  ta  mère,  je  l'ordonne; 
«  Qu'au  sommet  de  nos  monts  la  flamme  brille  et  donne 
u  Aux  trois  cantons  le  signal  des  combats.  » 

Ce  débit  précipité  rend  plus  sensible  encore  le  défaut 
d'expression  dont  on  est  choqué  la  première  fois  que 
cette  même  idée  se  présente.  Mais  quelle  revanche  prend 
le  compositeur  dans  les  touchans  avis  de  Guillaume  à 
Jemmy  : 

«  Sois  immobile  ,  et ,  sur  la  terre ,  • 

»  Incline  un  genou  suppliant.  » 

Comme  l'accompagnement  des  violoncelles  pleure 
admirablement  sous  le  chant  de  ce  père  dont  le  cœur  se 
brise  en  embrassant  son  fils  !  Et  cet  orchestre  presque 
silencieux  ne  laissantentendre  que  àesaccoriispizzicato, 
coupés  par  des  repos  d'une  demi-mesure  !  Et  ces  bassons 
qui  tiennent  pianissimo  de  longues  notes  plaintives  ! 
comme  tout  cela  est  plein  d'émotions,  d'angoisses,  et 
exprime  l'attente  du  grand  événement  qui  va  s'accom- 
plir !  Les  dernières  phrases  du  chant  : 

«  Jemmy!  Jemmy  songea  ta  mère  ; 
«  Elle  nous  attend  tous  les  deux.  » 

sont  d'une  irrésistible  vérité;  cela  arrache  les  entrailles. 
Oh!  les  partisans  du  suffrage  populaire  ont  beau  dire, 
quoique  cette  sublime  inspiration  n'excite  que  de  rares 
et  froids  applaudissemens,  il  y  a  quelque  chose  là  dedans 
de  plus  noble,  de  plus  haut,  de  plus  fait  pour  qu'un 
.homme  s'enorgueillisse  de  l'avoir  produit,  que  dans  une 
tyrolienne  gracieuse,  fût-elle  applaudie  par  cent  mille 
mains  et  chantée  par  les  femmes  et  "les  enfans  de  toute 
l'Europe.  Il  y  a  une  différence  entre  le  joli  et  le  beau  ! 
Affecter  de  se  ranger  du  côté  du  grand  nombre  pour  faire 
valoir  de  petites  gentillesses  au  dépens  de  ce  qui  s'adresse 
aux  sentimens  les  plus  intimes  du  cœur,  s'est  se  montrer 
industriel  habile,  mais  non  pas  artiste  qui  sent  sa  dignité 
et  son  indépendance.  La  première  partie  du  finale  de  ce 
troisième  acte  renferme  un  passage  d'un  admirable  éner- 
gie, qui  toujours  a  été  annihilé  à  l'Opéra  parla  faiblesse 


DE  PARIS. 


des  moyens  de  la  cantatrice:  je  veux  parler  de  cet  éclat 
soudain  qui  e'chappe  à  la  timide  Mathilde. 

«Au  nom  du  souverain  je  le  prends  sous  ma  gai  de. 
»  Quand  toul  un  peuple  indigné  \ous  regarde, 
»  Osez,  osez  l'arracher  de  mes  bras.  i> 

Cette  indignation  est  heureusement  rendue  tant  parla 
voix  que  par  les  instrumens;  c'est  vrai  comme  Gluck  et 
Spontini.Lethèmesyllabiqueduchœurd'hommes«  quand 
l'orgueil  les  égare  »  accompagnant  le  chant  si  ingénieu- 
sement modulé  des  soprani  est  d'un  excellent  effet.  La 
stretta  de  ce  chœur  ne  contient  au  contraire  que  des  cris 
furieux,  que  motivent  les  paroles  il  est  vrai,  mais  qui  ne 
produisent  aucune  émotion  sur  l'auditoire  dont  ils  bru- 
talisent l'ouïe  fort  inutilement.  La  encore,  il  eût  fallu 
peut-être  changer  les  vers  du  libretto ,  car  il  était  fort 
difficile  si  non  impossible  de  dire  :  «  Anathème  a  Gésier  » 
autrement  qu'avec  de  furibondes  vociférations  qui  ne 
comportent  ni  mélodie,  ni  rhythme,  et  empêchent  par 
leur  violence  toute  appréciation  de  l'harmonie. 

Le  quatrième  acte  nous  ramène  les  passions  indivi- 
duelles et  par  conséquent  un  repos  nécessaire  après  le 
le  fracas  de  l'acte  précédent.  Arnold  vient  revoir  la  chau- 
mière déserte  de  son  père;  son  cœur  rempli  d'un  amour 
sans  espoir,  de  projets  de  vengeance,  tous  ses  sens  agités 
par  les  scènes  de  sang  et  de  carnage  toujours  présentes  à 
sa  pensée,  succombent  accablés  sous  le  poid  du  plus  dé- 
chirant contraste.  Tout  est  calme  et  silencieux.  C'est  la 
paix.  C'est  la  tombe.  Et  le  sein  sur  lequel  il  lui  serait  si 
doux  en  un  pareil  moment  de  répandre  les  larmes  de  la 
piété  filiale,  ce  cœur  auprès  duquel  seul  !e  sien  pourrait 
battre  avec  moins  de  douleur,  l'infini  l'en  sépare...  Ma- 
thilde ne  sera  jamais  a  lui La  situation  est  poétique, 

elle  est  d'une  tristesse  poignante  même ,  aussi  a-t  elle 
inspiré  au  musicien  un  air  que  nous  n'hésitons  pas  a  ap- 
peler le  plus  beau  de  la  pièce.  Toute  l'ame  souffrante  du 
jeune  Melchtal  y  est  répandue;  les  plus  douloureux  re- 
tours sur  le  passé  y  sont  peints  avec  de  ravissantes  mé- 
lodies; l'harmonie  et  les  modulations  n'y  sont  employées 
que  pour  renforcer  l'expression  mélodique,  jamais  par 
caprice  musical  ;  l'allégro  avec  chœurs  qui  suit  est  plein 
de  fougue,  il  couronne  dignement  une  aussi  belle  scène. 
Ce  morceau  cependant ,  h  en  juger  par  les  applaudisse- 
mens  qu'il  reçoit,  ne  produit  sur  le  public  qu'un  assez 
médiocre  effet.  C'est  trop  fin  pour  lui  y  les  nuances  déli- 
cates de  celte  nature  lui  échappent  presque  toujours 

Ah!  si  l'on  pouvait  réduire  le  public  a  une  assemblée  de 
cinquante  personnes  sensibles  et  intelligentes,  quel  bon- 
heur alors  de  faire  de  l'art  ! . . .  —  Le  trio  accompagné  des 
instrumens  a  vent  seuls,  et  la  prière  pendant  l'orage ,  qui 
succèdent  a  l'air  dont  nous  venons  de  parler ,  ont  été 


supprimés  avant  la  première  représentation.  Cette  cou- 
pure est  bien  fâcheuse  surtout  à  cause  de  la  prière  qui 
nous  paraît  être  d'un  pîttoresqne  achevé.  D'ailleurs  la 
donnée  musicale  du  morceau  étaitassez  neuve  pour  qu'on 
fit  une  exception  en  sa  faveur.  Sans  doute  il  y  eut,  lors 
de  la  mise  en  scène,  quelques  raisons  de  machines  ou 
de  décors  qui  firent  supprimer  cette  partie  intéressante 
de  la  partition  ;  il  n'y  avait  donc  pas  a  hésiter,  on  sait 
qu'à  l'Opéra  les  directeurs  supportent  la  musique. 

Dès  ce  moment,  jusqu'au  chœur  final,  nous  ne  trou- 
vons plus  guère  que  du  remplissage.  Ce  sont  des  éclats 
d'orchestre  pendant  que  Guillaume  .lutte  sur  le  lac  avec 
la  tempête;  des  fragmens  de  récitatif  entremêlés  de 
chœur,  etc.;  toutes  choses  que  le  musicien  écrit  avec  la 
certitude  qu'on  ne  les  écoutera  pas.  Le  dernier  chœur, 
au  contraire  : 

«  Tout  change  et  grandit  en  ces  lieux... 
«  Quel  air  pur  !  » 

est  une  belle  expansion  harmonique.  Les  ranz  de  vaches 
flottent  gracieusement  sur  ces  larges  accords,  et  l'hymne 
solennel  de  la  liberté  suisse  s'élève  vers  le  ciel,  impo- 
sant et  calme,  comme  la  prière  de  l'homme  juste. 

H.  Berlioz. 


HISTORIQUE  DE  LA  REPRÉSENTATION 

DE 

RUBINI  A  CALAIS. 

Nos  lecteurs  ont  sans  doute  oublié  déjà  une  espèce  de  conte 
fantastique  qui  parut  il  y  a  quelques  semaines  dans  la  Gazette 
Musicale,  sous  le  titre  de  Rubini  à  Calais.  Quoique  le  prétendu 
bénéficiaire  n'y  fut  ni  nommé  ni  désigné  en  aucune  façon  et 
malgré  la  couleur  générale  de  l'article  qui  n'avait  aucun  carac- 
tère sérieux  qui  pût  faire  croire  à  l'authenticité  des  détails,  le 
célèbre  chanteur,  qui  en  était  le  héros,  nous  ayant  assuré  que 
cette  plaisanterie  avait  fait  de  la  peine  à  un  professeur  de  mu- 
sique de  Calais  fort  honorable,  sous  tous  lesrapporls;  qui  s'est, 
en  effet,  occupé  de  monter  cette  représentolion,  nous  nous 
empressons  de  dire  en  peu  de  mots  ce  que  nous  tenons  aujour- 
d'hui de  Rubini  lui-même. 

M.  ***  professeur  de  musique  à  Calais  désirant  faire  quelque 
chose  d'agréable  à  la  Société  philharmonique  de  celle  ville, 
élait  allé  à  Londres  engager  Rubini  pour  un  conçut  qui  devait 
avoir  lieu  à  son  passage,  moyennant  la  somme  de  i2uo  francs 
qu'on  lui  offrail.  Rubini  ne  voulut  accepter  que  1000  francs  el 
promit  de  se  trouver  à  Calais  au  jour  indiqué.  Mais  ses  enga- 
gemens  à  Manchester  l'ayant  retenu  plus  long-temps  qu'il  n'a- 
vait compté,  le  concert  annoncé  manqua  en  effet.  Quand  la 
séance  put  enfin  avoir  lieu,  Rubini  s'étaul  informé  du  chiffre  de 
la  recette  apprit  qu'il  lie  s'élevait  pas  au  dessus  de  1200  francs 
el  que,  par  conséquent,  ses  mille  francs  ajoutés  aux  frais  de  la 
soirée  formeraient  un  total  excédant  de  beaucoup  la  somme 
perçue. 

Le  directeur   du   théâtre   lui  avait    fait  le  malin  même   la 


352 


GAZETTE  MUSICALE 


proposition  de  donner  une  représentation  complète  pour  la 
somme  de  600  francs  ;  Rubini  n'avait  pts  accepté.  Mais  en  pen- 
sant au  déficit  qui  se  trouvait  dans  la  recette  du  conçoit,  il 
réfléchit  qu'un  moyen  excellent  de  le  combler  serait  que  les 
intéressés  allassent  s'arranger  avec  le  directeur  pour  une  repré- 
sentation, promettant  pour  son  compte  de  jouer  gratuitement. 
Ils  y  consentirent,  l'arrangement  eut  lieu  et  la  représentation 
se  passa  à  peu  près  comme  nous  l'avons  raconté.  Bien  loin  que 
le  personnage  imaginaire  que  nous  avons  peint  comme  un 
malheureux  sans  asyle  puisse  offrir  aucun  trait  applicable  à 
M.  ***,  nous  savons  pertinemment  que  la  maison  de  cet  artiste 
distingué  est  toujours  ouverte  à  ceux  de  ses  compatriotes  que 
poursuit  la  mauvaise  fortune.  II  est  donc  impossible  que  per- 
sonne ait  pu  voir  là  dedans  autre  chose  qu'un  jeu  d'esprit  fort 
inoffensif. 

Hector  Berlioz. 


FÊTES  MUSICALES  DE  BRUXELLES. 

(  25  ET  26  SEPTEMBRE.  ) 

A  l'exemple  de  l'Allemagne  et  de  l'Angleterre  ,  la  Belgique 
vient  de  fonder  une  association  qui  a  pour  but  le  progrès  de  la 
musique.  Cette  heureuse  idée  ,  elle  la  doit  à  M.  Fétis  ,  appelé  il 
y  a  environ  dix-huit  mois  à  Bruxelles  pour  y  diriger  le  conser- 
vatoire et  la  musique  particulière  du  roi  Léopold,  grand  ama- 
teur et  compositeur  lui-même.  Une  pareille  institution,  assise 
sur  des  bases  larges  ,  ne  peut  produire  que  des  résultats  fé- 
conds et  heureux  pour  la  prospérité  de  l'art  musical  dans  ce 
pays.  L'association,  cette  conquête  moderne,  dont  l'utilité  est 
incontestablement  établie  pour  l'industrie,  ne  doit  pas  rendre 
de  moins  grands  services  aux  arts  et  particulièrement  à  la  mu- 
sique. C'est  par  elle  qu'on  inculquera  aux  masses  le  goût  de  la 
musique  grandiose  et  poétique  ;  c'est  par  elle  qu'on  excitera  en- 
tre toutes  les  villes  une  noble  émulalion  qui  tournera  au  profit 
delà  généralité.  Le  goût  de  la  musique  est  à  la  vérité  assez  ré- 
pandu dans  la  Belgique  ;  mais  malheureusement  ce  goût  est 
dirigé  presqu'exclusivement  vers  la  musique  de  petite  dimen- 
sion,  sans  portée  artistique,  sans  poésie  en  un  mot;  musique 
industrielle ,  comme  l'a  si  bien  nommée  Berlioz  ,  telles  que  les 
variations  Kaleïdoscopiques ,  les  fantaisies  commandées  par 
les  éditeurs  ,  les  romances  sans  rythme  ni  modulations ,  les 
morceaux  an  anges,  le  déluge  de  valses,  contredanses  et  ga- 
lops dont  l'harmonie  élégante  saute  constamment  de  la  toni- 
que à  la  dominante,  et  remonte  toujours  avec  la  même  élé- 
gance de  celle-ci  à  la  première  ;  toute  musique  enfin  plate  et 
sans  couleur,  où  il  n'v  a  ni  poésie  ni  dignité.  C'est  ce  goût  qui 
attriste  tous  les  vrais  amis  de  l'art  et  qu'il  faut  extirper;  ce 
sont  les  fabricans  de  cette  honteuse  marchandise,  véritable 
poison  qu'on  ne  doit  se  lasser  de  traduire  devant  le  tribunal  du 
public  ,  au  moyen  de  son  organe  habituel ,  la  presse.  Gloire 
donc  à  ceux  qui  travaillent  à  l'extermination  de  pareilles  plati- 
tudes !  gloire  aux  auteurs  de  l'association  belge  !  car  l'accom- 
plissement de  leur  projet  est  certes  un  des  moyens  les  plus 
propres  à  détourner  les  niasses  de  ces  misérables  avortons  ,  de 
les  familiariser  avec  les  chef-d'œuvres  des  plus  grands  maîtres, 
surtout  en  ce  qu'elle  donne  la  faculté  de  les  exécuter  d'une  ma- 
nière digne  d'eux  et  seule  capable  d'en  faire  apprécier  toutes 
les  beautés.  Applaudissons  à  ces  efforts  ,  et  formons  des  vœux 
pour  que  cet  heureux  exemple  soit  bientôt  suivi  par  la  France! 


la  France,  qui  vient  de  perdre  avec  Choron  son  admirable  in- 
stitution de  musique  religieuse  ,  où  l'on  voyait  accourir  tout  ce 
que  Paris  renferme  d'amateurs  éclairés  et  d'artistes  conscien- 
cieux pour  y  étudier  les  chefs-d'eeuvres  des  écoles  italiennes  et 
allemandes.  Maintenant  que  deviendront  pour  nous  toutes  ces 
belles  compositions?  où  sera-t-il  possible  de  les  entendre?  Et 
quand  même  on  le  voudrait ,  où  trouverat-on  les  moyens  de 
les  exécuter,  si  on  laisse  se  perdre  la  tradition  de  cette  exécu- 
tion large  dont  Choron  avait  su  si  bien  inspirer  l'esprit  à  ses 
élèves?  car  autre  chose  est  de  chanter  les  mâles  compositions 
des  Haendel ,  des  Bach,  des  Léo,  des  Porpora,  des  Caris- 
simi,  des  Paleslrina,  des  Scarlatti,  des  Monterende,  dïAlle- 
gri,  et  de  vocaliser  les  cavatincs  à  gargouillades  de  nos  opé- 
ras ultramontains  modernes.  Eh  bien!  tous  ces  chef-d'œuvres 
seront  bientôt  perdus  pour  nous!...  Qu'on  se  hâte  donc  de  pa- 
rer à  l'incurie  ou  à  l'ignorance  de  nos  administrateurs  des 
Beaux  Arts  qui  viennent  de  supprimer  ce  dernier  asile  des 
Haendel  et  autres.  Qu'on  se  hâte  de  former,  à  l'exemple  de  la 
Belgique ,  une  vaste  association  qui  comprendra  toutes  les 
villes  du  royaume  ;  que  chacun  vienne  déposer  aux  pieds  de 
cette  noble  institution  ses  petites  haines  et  ses  rivalités;  alors, 
et  seulement  alors  la  France  acquerra  ce  degré  de  prospérité 
artistique  auquel  elle  est  digne  de  s'élever  ,  et  dont  elle  possède 
dans  son  sein  tous  les  élémens. 

Jetons  un  conp-d'œil  sur  la  première  réunion  de  l'association 
belge.  Si  le  résultat  n'a  pas  toujours  répondu  à  l'attente,  cela 
tient  à  des  causes  que  nous  développerons'plus  loin,  el  surtout 
aux  difficultés  immenses  qui  sont  inséparables  d'une  première 
organisation.  Nous  ne  parlerons  pas  du  service  funèbre  qui  a 
été  célébré  le  23  septembre  à  Sainle-Gudule  ,  et  où  l'on  a  exé- 
cuté le  Requiem  de  Cherubiui ,  nous  n'y  avons  pas  assisté  ;  tout 
ce  que  nous  avons  pu  en  apprendre,  c'est  que  l'exécution  en  a 
été  assez  médiocre.  Il  est  vrai  que  ce  n'était  pas  l'association 
qui  s'était  chargée  de  l'exécution  de  cette  magnifique  composi- 
tion ,  msis  bien  les  musiciei.t  ordinaires  de  l'église.  Pour  notre 
part ,  nous  avons  regretté  beaucoup  que  l'association  ne  se  fût 
pas  occupée  de  cette  œuvre;  c'eût  été  certes  mille  fois  préféra- 
ble à  ce  concert  en  plein  air  an  25,  donton  attendait  des  effets 
merveilleux  ,  mais  qui  a  été  loin  de  les  produire. 

A  ce  concert,  il  n'y  avait  pas  i4oo  musiciens,  comme  on  l'a- 
vait annoncé  d'avance,  mais  600;  c'est  encore  une  réunion 
assez  respectable  pour  obtenir  des  résultats  immenses  partout 
ailleurs  qu'en  plein  air.  Car  je  dirai  avec  Berlioz  «  il  n'y  a  pas 
de  musique  possible  en  plein  air ,  pour  mille  et  une  raisons 
dont  la  moindre  est  qu'on  n'entend  pas.  Non  ,  on  n'entend 
pas  !  on  n'entend  ni  nuances ,  ni  même  un  seul  accord  bien  net, 
bien  complet.  L'harmonie  est  là  sans  force,  sans  puissance;  la 
mélodie  sans  expression,  sans  chaleur  vitale;  toute  idée  poé- 
tique y  est  insaisissable  ,  ou  devient  un  hors-d'œuvre  absurde. 
Tout  se  réduit  et  se  réduira  toujours ,  dans  un  orchestre  en 
plein  air,  à  un  bruit  rythmé  ,  sur  lequel  surnagent  ça  et  là  quel- 
ques lambeaux  de  sautillante  mélodie  que  le  timbre  perçant  de 
la  petite  flûte  fait  entendre  malgré  les  coups  de  tampon  et  les 
beuglemens  c'u  taureau  ophicléide.  »  Nous  établissons  néan- 
moins encore  une  différence  selon  les  lieux.  Ainsi,  par  exem- 
ple, dans  les  concours  de  musique  qui  ont  lieu  fréquemment 
dans  la  Belgique  et  dans  le  département  du  Nord  ,  l'exécution 
qui  a  lieu  ordinairement  sur  une  place  publique ,  est  sans  con- 
tredit beaucoup  moins  incomplète  que  celle  qui  a  lieu  en  plein 
air,  dans  un  lieu  isolé  de  tout  comme  le  Jardin-Botanique  de 


Bruxelles.  Le  cercle  de  maisons  qui  entourcnl  les  places  publi- 
ques aide  au  moins  à  refouler  les  sons  -vers  l'oreille  de  l'audi- 
teur. Nous  savons  bien  que  la  différence  n'est  qu'un  degré  du 
plus  ou  moins  incomplet ,  mais  encore  cette  différence  ne  laisse 
pas  que  d'être  assez  sensible.  Par  cela  seul,  le  concert  monstre 
n'a  donc  pas  produit  l'effet  qu'on  en  attendait.  S'il  nous  était 
permis  de  donner  un  conseil ,  ce  serait  de  renoncer  dorénavant 
à  la  musique  en  plein  air  et  de  la  remplacer  par  un  concert 
dans  un  loeal 'fermé,  où  l'on  ferait  entendre  une  messe  de 
quelque  grand  compositeur;  ou  bien  ,  si  vous  tenez  absolument 
à  votre  concert-»(on.sr/*e,  cherchez  un  emplacement  assez  vaste 
pour  contenir  et  vos  exéculans  et  les  auditeurs.  Sans  cela  vous 
aurez  beau  augmenter  le  nombre  de  vos  musiciens  ,  vous  les 
centupleriez  que  toujours  l'air  seul  absorberait  les  sons  de  la  plu- 
part de  vos  insl rumens  et  que  l'auditeur  devrait  se  contenter 
de  quelques  sifflemens  de  petite  flûte  ou  de  quelques  hurle- 
rai ens  de  trombounes. 

L'exécution  a  été  satisfaisante  à  l'égard  de  certains  mor- 
ceaux ,  et  on  peut  dire  que  l'ensemble  de  ces  morceaux  eût  été 
complet ,  c'est-à-dire  aussi  complet  qne  possible  en  plein  air, 
sans  la  difficulté,  pour  celte  masse  d'exécutans ,  de  saisir  les 
battemens  de  mesure  du  chef  d'orchestre  qui  se  trouvait  placé 
dans  une  trop  grande  obscurité.  L'écho,  composé  pour  deux 
orchestres  par  M.  Félis  ,  est  le  morceau  quia  fait  le  plus  de 
plaisir  et  qui  a  laissé  le  moins  à  désirer  ,  tant  sous  le  rapport 
de  l'effet  que  sous  le  rapport  de  l'e<céculion.  Je  ne  parlerai  pas 
du  mérile  de  la  composition,  il  y  a  eu  tout  autant  de  mérite 
qu'il  peut  y  en  avoir  dans  une  pièce  de  ce  genre  ,  c'est-à-dire, 
autant  démérite  qui! peut  y  avoir  à  coudre  ensemble  quelques 
phrases  de  manière  à  ce  que  chacune  de  ces  phrases  et  même 
chaque  membre  de  phrase  puisse  être  répété  par  les  deux  or- 
chestres alternativement.  Nous  avons  regretté  de  voir  sur  le 
programme  la  belle  ouverture  de  la  Flûte  Enchantée,  chef- 
d'œuvre  de  savoir  et  de  grâce  ;  si  quelque  composition  devait 
être  éloignée  d'une  aussi  énorme  machine,  c'était  bien  celle-là. 
Aussi  l'exécution  y  a  été  ce  qu'elle  devait  être,  lourde,  et 
d'autant  plus  lourde,  que  le  mouvement  de  l'allégro  a  été  trop 
lent.  L'ouverture  de  I/ans  Heiling,  musique  de  Marschener,  ex- 
cepté quelques  longueurs,  contient  de  bonnes  choses,  et  l'exé- 
cution en  a  été  salisfaisanle.  Je  passe  sur  tous  les  pots-pourris 
et  j'arrive  à  la  bataille  (Vittoria)  de  Beethoven.  J'ai  vu  écrit 
sur  le  programme  ,  composée  par  Beethoven;  je  doute  néan- 
moins que  que  Beethoven  ait  composé  cette  symphonie  pour 
deux  orchestres  militaires  ,  je  crois,  au  contraire  ,  qu'elle  a  été 
faite  pour  grand  orchestre  symphonique.  Quoi  qu'il  en  soit, 
nous  aurions  pu  donner  une  analyse  de  cette  œuvre  qui  n'a 
pas  encore  été  exéculée  en  France,  à  cause  de  quelques  souve- 
nirs haineux  qui  s'y  rattachent  ;  niais  il  faut  bien  le  dire,  l'exé- 
cution en  a  été  tellement  faible,  que  nous  n'oserions  entrepren- 
dre une  pareille  lâche,  assez  difficile  déjà  à  une  première  audi- 
tion ,  lorsque  l'exécution  ne  laisse  rien  à  désirer.  Quelle  est  la 
cause  decctle  faiblesse.  Le  manque  de  répétition?  Le  froid  de 
la  brise  du  soir  ?  Peut  être  les  deux  ;  mais  toujours  esl-il  que 
les  adorateurs  de  Beethoven  ont  eu  à  s'affliger.  Ajoutez  tou- 
jours qu'on  n'entendait  pas  ;  impossible  de  distinguer,  au  mi- 
lieu de  ce  brouhaha-, autre  chose  que  quelques  coups  de  grosse 
caisse,  ou  quelques  lambeaux  de  phrases  siffiées  par  les  petites 
flûtes.  Enfin  ,  il  faut  le  dire  une  fris  pour  toutes,  il  n'y  a  pas 
de  musique  possible  en  plein  «(/-.Combien  n'est-il  pas  regret- 
table que  tout  ce  temps  et  ces   frais  n'aient   pas  été  dépenses 


pour  une  cause  meilleure!  Cependant,  ce  dernier  essai  était 
peut-être  nécessaire  pour  convaincre  ses  auteurs  de  l'impossibilité 
de  la  réussite  de  ce  genre  de  musique.  Puissent-ils  être  con- 
vaincus!... 

Flâtons-nous  d'arriver  au  concert  du  26.  Là  au  moins  ,  nous 
entendrons  de  la  musique  et  nous  serons  un  peu  dédommagé 
de  la  myslification  du  monstre-concert  de  la  veille. 

Le  concert  a  commencé  par  l'ouverture  d'Anacréon,  de  Ché- 
rubini.  Cette  composition  ,  connue  de  tout  le  monde,  renferme 
de  belles  choses  ,  mais  n'est  pas  selon  nous  à  la  hauteur  des 
compositions  instrumentales  modernes.  Ce  qui  lui  donne  sur- 
tout un  air  suranné,  c'est  un  trait  de  premier  violon  qui  se 
trouve  vers  la  fin  et  qui  serait  mieux  placé  dans  un  concerto 
que  dans  une  ouverture.  Outre  que  de  semblables  traits  vieil- 
lissent ,  il  est  presqu'impossible  qu'une  virgtaine  de  violons 
exécutent  un  passage  de  ce  genre  avec  uneprécision  telle  qu'on 
n'en  croirait  entendre  qu'un  seul.  Celle  ouverture  a  été  bien 
rendue.  Néanmoins,  je  reprocherai  un  peu  de  mollesse  dans 
les  atlaques  ,  et  c'est  un  reproche  que  je  serai  obligé  de  faire 
plus  d'une  lois.  Malheureusement ,  je  crains  que  cela  ne  tienne 
un  peu  à  l'indolence  naturelle  et  au  caractère  un  peu  apatique 
du  pays. 

Jeviens  à  la  cantate  quia  obtenu  lepremier  prix  au  concours. 
Elle  dénote  en  son  jeune  auteur,  M  Busschop  de  Bruges,  un 
talent  réel  qui  lui  fait  le  plus  grand  honneur.  Plusieurs  parties  , 
Iraitées  de  main  de  maître,  prouvent  qu'il  n'en  est  pas  à  son 
coup  d'essai.  Nous  dirons  même  qu'il  y  a  double  mérite, 
quand  on  peut  faire  de  la  bonne  musique  sur  un  sujet  aussi 
usé  et  sur  des  vers  tels  que  ceux  du  concours.  Nous  ne  les  ci- 
terons pas  ,  car  tout  le  monde  a  pu  en  j  uger  comme  nous  dans 
les  journaux,  nous  nous  contentons  seulement  de  dire  que 
nous  n'y  trouvons  de  comparable  que  les  cantates  de  concours 
de  l'institut.  Et  à  propos  de  l'institut,  que  diront  ces  messieurs 
lorsqu'ils  apprendront  qu'on  ne  s'est  pas  assuré  d'avance  si  les 
concurrens  savaient  faire  quelque  belle  et  bonne  fugue  à  trois 
ou  à  plus  de  sujets,  ou  bien  quelque  canon  à  l'écrevisse  ,  soit 
même  énigmatique  ;  preuve  irrécusable,  selon  eux,  que  l'on  a 
du  génie  et  que  l'on  est  apte  à  faire  de  la  musique  dramati- 
que? Que  diront-ils  du  prix  qui  a  été  adjugé  par  des  musiciens? 
Sans  doute  ils  trouveront  cette  méthode  absurde ,  à  la  bonne 
heure!  Chez  eux,  à  l'institut,  oh!  cela  est  bien  mieux!  là, 
lorsque  le  grand  jour  arrive,  on  assemble  les  peintres  ,  les 
architectes ,  les  sculpteurs ,  les  graveurs  en  médailles  et  en 
taille  douce,  auxquels,  par  faveur  spéciale  sans  doute  ,  on  ad- 
joint les  musiciens  ;  et  là,  tous  ces  peintres,  architectes  ,  sculp- 
teurs ,  graveurs ,  etc. ,  décident  à  la  majorité  des  voix  non 
d'une  médaille  comme  à  Bruxelles  ,  mais  souvent  de  l'existence 
entière  d'un  compositeur.  Cela  est  d'une  absurdité  incroyable, 
n'est-ce  pas  ?  Eh  bien!  cela  se  fait  au  dix-neuvième  siècle,  à 
Paris,  la  ville  la  plus  civilisée  du  monde  !...  Mais  revenons  à  la 
cantale  de  M.  Busschop. 

L'introduction  et  le  premier  récitatif  sont  d'un  beau  carac. 
1ère,  les  couleurs  en  sout  fortes  et  pittoresque.  L'andaiite  qui 
suit  est  d'une  facture  large  ;  une  mélodie  simple  et  expressive  . 
plusieurs  modulations  heureuses,  et  une  instrumentation  élé- 
gante et  nourrie,  font  de  ce  morceau  le  meilleur  sans  contredit 
de  la  cantate.  Vient  après  cela  un  chœur  d'un  beau  style.  Nous 
aimons  moins  le  récitatif  et  le  solo  qui  suivent.  La  mélodie,  qui 
est  une  espèce  de  marche  exécutée  par  le  solo  en  même  temps 
que  par  les  instrunicns  à  vent  dans   le  haut  ,   n'a  pas  le  carac- 


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GAZETTE  MUSICALE 


1ère  de  grandeur  dont  le  reste  de  la  cantate  est  empreint.  Il 
eût  mieux  valu,  selon  nous,  entrelacer  ce  solo  avec  la  reprise 
du  chœur  ;  l'effet  eût  été  plus  chaleureux  ,  et  cela  aurait  donné 
du  mouvement  à  cette  partie  qui  est  un  peu  froide,  à  cause  du 
retour  par  trop  symétrique  du  même  chœur.  Il  est  vrai  que 
les  vers  sont  horriblement  disposés  à  cet  effet;  néanmoins, 
M.  Busschop  a  assez  de  talent  pour  surmonter  un  pareil 
éceuil.  En  résumé  ,  cette  composition  décèle  un  vrai  mérite  ,  et 
prouve  que  son  auteur  est  capable  de  s'élever  plus  haut.  L'exé- 
cution de  la  partie  principale  était  confiée  à  un  amateur  qui  a 
fait  preuva  de  zèle,  mais  dont  la  voix  n'est  pas  assez  forte- 
ment timbrée  pou.'  un  morceau  de  ce  genre.  — Je  ne  puis  m'em- 
pêcher  de  dire  en  passant  combien  c'est  pitié  de  voir  la  ma- 
nière dont  la  plupart  des  journaux  belges  ont  rendu  compte 
de  la  cantate  de  M.  Busschop.  Presque  tous  l'ont  jugée  selon 
leur  couleur  politique;  ils  n'ont  pas  craint  d'abaisser  l'art  pour 
le  mettre  au  niveau  de  l'esprit  de  parti.  Aussi  c'est  la  passion 
qui  a  pu  seule  dicter  une  pareille  critique  ,  car  sans  cela  nous 
serions  obligé  de  l'attribuer  à  une  ignorance  complète  de  l'art. 

Les  morceaux  choisis  du  sublime  oratorio,  le  Messie  de 
Haendel,  ont  été  généralement  bien  exécutés  par  les  280 chan- 
teurs fournis  par  les  principales  villes  de  la  Belgique.  11  y  a 
eu  de  l'ensemble  et  de  la  précision  dans  l'exécution.  Les  nuan- 
ces n'ont  pas  toujours  été  observées,  et  il  manquait  parfois  de 
la  vigueur  :  excepté  ces  petites  taches ,  on  peut  dire  que  le  ré- 
sultat en  a  été  satisfaisant.  Le  solo  de  contralto  a  été  bien  dit 
par  une  jeune  élève  du  conservatoire  qui  possède  une  voix 
pure  et  du  sentiment  musical.  Tous  ces  morceaux  ont  été  vi- 
vement applaudis.  Telle  est  et  sera  toujours  la  puissance  de 
cette  musique  ,  qu'elle  éleclrisera  même  ceux  qui  sont  le  moins 
préparés  à  la  goûter.  Ces  résultats  sont  d'un  heureux  augure 
pou;-  l'avenir  de  l'associalion. 

L'ouverture  héroïque  (Bruxelles  en  "!83o  et  1 83i  )  composée 
par  M.  Daussoigne  Méhul ,  directeur  du  conservatoire  de 
Liège,  ouvrait  la  seconde  partie.  C'est  une  grande  et  belle 
composition,  mais  dans  laquelle  on  est  fâché  de  rencontrer 
quelques  moyens  mécaniques,  telle  que  coups  de  canon  ,  feux 
de  peloton,  etc.;  tout  ce  charlatanisme  peut  aider  à  couvrir  la 
faiblesse  de  quelque  composition  médiocre;  mais  quand  on  a 
du  talent  comme  M.  Daussoigne,  et  qu'on  est  capable  de  faire 
un  morceau  tel  que  son  ouverture,  on  doit  éviter  de  se  servir 
de  pareils  moyens.  Cela  ne  peut  plus  faire  d'effet  que  sur  quel- 
ques badauds  ou  sur  les  bonnes  d'enfans.  Le  quatuor  sans  ac- 
compagnement est  bien  pensé;  la  mélodie  et  l'harmonie  en 
sont  expressives.  Les  voix  se  marient  bien ,  et  la  disposition  en 
est  élégante.  Cette  espèce  d'invocation  ou  prière  contraste  heu- 
reusement avec  l'introduction  et  le  chœur  final  qui  suit.  Le 
chœur  est  plein  de  verve;  il  y  a  surtout  un  dessein  mélodique 
dans  les  ténors  qui  s'enchiîne  avec  la  partie  de  soprano  dont 
l'ensemble  forme  un  effet  charmant.  En  somme ,  c'est  un  beau 
morceau. 

On  a  voulu  dignement  finir  cette  solennité,  et  pour  cela  on  a 
choisi  une  des  plus  sublimes  compositions  du  géant  de  la  mu- 
sique, la  symphonie  en  ut  mineur  de  Beethoven.  Que  dire  de 
cette  œuvre  coloss'ile!  toutes  les  formes  enthou^iastiques  ne 
sont  elles  pas  trop  faibles?  le  vocabulaire  ne  contient  pas  d'ex- 
pression pour  rendre  le  sentiment  qu'elle  inspire.Parlons  de  l'exé- 
cution, et  surloul  tâchons  d'oublier  un  instant  que  nous  l'avons 
entendue  parle  premier  orchestre  du  monde,  relui  du  conser- 
vatoire de  Paris.  A  quelques  nuances  près,  l'introduction  a 


été  bien  rendue,  le  mouvement  a  été  bien  pris;  mais  il  n'en  a 
pas  été  de  même  de  celui  de  l'adagio,  il  était  un  peu  trop  lent, 
ce  qui  a  ôté  à  cette  belle  élégie  une  partie  de  son  caractère  et 
de  sa  naïveté.  Le  sémillant  scherzo  a  élé  bien  dit,  mais  un  peu 
lourdement.  Quand  au  foudrayant  début  du  finale,  il  a  pro- 
duit son  effet  accoutumé,  et  ici  moins  qu'ailleurs  on  s'est  aperçu 
du  manque  de  vigueur.  Cependant,  il  faut  le  dire,  ce  défaut  a 
constamment  dominé  dans  l'exécution  générale.  A  part  ces  lé- 
gères fautes,  l'exécution  a  été  bonne,  et  aussi  bonne  même 
qu'il  était  possible  de  l'obtenir  d'une  réunion  de  250  instru- 
mentistes dont  la  plupart  se  connaissaient  peu  ou  point.  Ajou- 
trz  à  tout  cela  la  difficulté  d'une  première  organisation  ,  et  l'on 
sera  surpris  d'un  résultat  aussi  heureux. 

Le  local  était  bien  disposé  et  décoré  avec  goût;  on  a  été  so- 
bre de  draperies,  et  on  a  bien  fait.  Le  seul  reproche  qu'on 
pourrait  adresser  serait  que  l'estrade  des  exécutans  éta:t  peut- 
être  trop  petite  :  les  musiciens  y  semblaient  un  peu  gênés,  et 
il  est  évident  que  les  habits,  les  robes,  etc. ,  ont  dû  briser  les 
sons  et  les  vibrations  de  manière  à  rendre  beaucoup  inférieur 
à  ce  qu'on  devait  en  attendre  l'effet  d'une  réunion  aussi  nom- 
breuse de  voix  et  d'instrumens. 

Somme  toute,  il  faut  féliciter  l'association  belge  de  ses  ef- 
forts. Le  premier  pas  qu'elle  vient  de  faire  dans  le  progrès  sera 
sans  doute  favorable  aux  destinées  de  l'ait  dans  ce  pays;  nous 
le  désirons  axec  ardeur.  Puisse  ce  noble  exemple  être  imité  par 
la  France  !  (  Vigie.  ) 


THEATRE    1TALI  :s/. 


La  Straniera  ;  la  Prova  d'un  Opéra  séria. 

Madame  Fink-Lohr  a  reparu  deux  fois  dans  la  Straniera,  je  ne 
puis  pas  dire  précisément  qu'elle  ait  pris  une  revanche,  mais 
elle  a  rajusté  bien  des  choses  et  prouvé  qu'elle  ferait  mieux  en- 
core, si  le  public  voulait  l'encourager.  Cette  débutante  pos- 
sède une  belle  et  bonne  voix  de  soprano  ,  elle  peut  attaquer  les 
sons  élevés  sans  craindre  que  l'instrument  refuse  de  sonner. 
Elle  ne  manque  pas  d'agilité,  mais  soit  inexpérience  ou  timi- 
dité les  résultais  sont  toujours  incertains  ,  les  bonnes  choses  se 
rencontrent  bien  près  des  mauvaises,  et  sa  gamme  la  mieux 
articulée,  le  trait  chromatique  le  mieux  attaqué  amènent  d'au- 
tres passages  mal  dirigés  et  d'une  exécution  vicieuse  quoique 
moins  difficiles.  A  la  fin  de  la  Straniera  ,  madame  Fink-Lohr 
nous  a  donné  une  cavaline  qui  n'est  point  de  la  partition  ,  ca- 
vatine  hérissée  de  traits  scabreux  dont  elle  a  dit  une  partie 
avec  bonheur  et  l'autre  faihlement.  Celte cavatine  substituée  au 
bel  air  :  Or  sei pago  ciel  tramendo ,  ne  mérite  pas  tant  d'hon- 
neur, on  l'accepterait  volontiers  s'il  ne  fallait  point  faire  le  sa- 
crifice de  l'air  qu'elle  remplace  et  qui  est  le  meilleur  de  la  par- 
tition. Or  sei  pago  est  à  peu  près  dégarni  de  roulades,  c'est 
une  mélodie  puissante  et  dramatique  ,  d'un  beau  dessin,  d'un 
mouvement  noble  et  passionné;  une  cantatrice  sûre  de  sa  voix 
dans  les  cordes  élevées  doit  toujours  réussir  dans  l'exécution 
de  ce  morceau.  Je  conseille  à  madame  Fink-Lohr  de  nous  le 
rendre,  son  intérêt  et  le  nôtre  le  réclament  également.  Tam- 
burini  a  chanté  délicieusement  sa  romance  Meco  tu  vient  o 
misera!  et  Rubini  comme  à  l'ordinaire  s'est  montré  deux  fois 
ravissant ,  merveilleux  dans  l'air  de  Niobe ,  car  on  le  lui  a  fait 
répéter  et  c'est  avec  la  même  fraîcheur  d'organe  et  plus  de  ri- 
chesse d'orneinens  qu'il  l'a  redit. 

Dans  la  Prova  d'un  opéra  séria,   il  n'y  a  ni  pièce,  ni  mu- 


siquc  ,  les  acleurs  groupés  autour  du  maestro  Campanone  sont 
autant  de  compères  pour  lui  donner  la  réplique  et  recevoir  ses 
burlesques  avis.  Mais  il  y  a  le  spirituel ,  le  réjouissant  Labla- 
che,  pièce  et  musique,  il  improvise  tout  et  sait  tenir  ses  audi- 
teurs dans  un  avis  de  folle  gaîté  dont  les  transports  éclatent  à 
chaque  instant.  L'art  du  comédien  chanteur  n'a  jimais  atteint 
avant  lui  ce  degré  d'intelligence,  d'aplomp,  de  verve  scintil- 
lante, joint  à  la  plus  belle  voix  qu'on  puisse  imaginer  pour 
l'emploi  de  bouffe  comique.  Mademoiselle  Grisi  était  char- 
mante en  négligé  coquet  de  prima  donna  ;  elle  a  très-bien 
chanté  le  fameux  duo  de  Guglielmi ,  et  s'est  fait  applaudir  dans 
sa  cavatine.  Ivauof  nous  a  redit  l'air  qu'il  avait  ajouté  dsns 
VAgnese  et  s'en  est  fort  bien  acquitté.  Santini  a  lutté  de  folie 
et  de  [  uissance  vocale  avec  son  camarade  Lablache.  Succès 
d'enthousiasme, intarissable  gaîté, farce  du  meilleur  goùl,  foule 
immense,  cent  personnes  erraient  dans  les  corridors  et  pour- 
tant elles  n'ont  pas  fait  de  démarches  pour  obtenir  le  rembour- 
sement des  fonds  qu'ils  avaient  avancés  ,  et  que  leur  exclusion 
d'une  salle  comble  leur  donnait  le  droit  de  réclamer;  au  théâtre 
italien,  même  les  corridors  sont  bons  ,  toutes  les  places  y  sont 
fashionable. 

THÉÂTRE  ROYAL  DE   I/'OPÉK.A-COMIQCE. 

Le  Marchand  Forain, 

Opéra  comique  en  trois  actes  ;  paroles  de  MM.  Planard  et  Duport , 
musique  de  M.  Marliani. 

Le  Marchand  Forain  ,  tel  est  le  litre  du  drame  représenté 
vendredi  dernier  à  l'Opéra-Comique;  le  comte  de  Saklorf  s'est 
avisé  de  se  remarier  à  soixante  ans;  le  comte  de  Milder  lui  a 
fait  épouser  sa  sœur  afin  d'avoir  la  direction  de  l'immense  for- 
tune du  beau-frère,  et  de  puiser  à  cette  source  féconde  les  du- 
cats dont  il  a  besoin  sans  cesse  pour  réparer  ses  pertes  au  jeu  , 
ou  payer  les  frais  de  ses  folles  dépenses.  Henri  de  Saldorf  est 
obligé  de  fuir  la  maison  paternelle;  le  comte  l'a  chassé,  mau- 
dit, à  cause  d'un  mariage  d'amour,  et  toute  la  tendresse  du 
vieux  mari  s'adresse  à  Mina ,  petite  fille ,  unique  fruit  de  sa 
nouvelle  union.  Cette  fille  meurt  en  nourrice;  Milder  en  est 
désolé  ,  et,  pour  ne  pas  perdre  les  avantages  d'une  donation 
énorme  faite  par  Saldorf  à  sa  femme  à  l'occasion  du  baptême 
de  Mina  ,  il  s'empresse  de  substituer  un  autre  enfant  du  même 
sexe  à  celui  que  l'on  a  perdu. 

Cette  manœuvre  s'exécute  à  l'aide  d'un  bohémien  ,  nommé 
Valentin  ,  brave  homme  et  millionaire  qui  cache  sa  fortune 
dans  la  valise  et  sous  les  habits  du  marchand-forain.  Le  crédit 
de  Valentin  s'étend  jusqu'au  bout  du  monde,  et  pourtant  il 
n'ose  se  faire  connaître  à  cause  de  sa  proscription  dont  la  race 
bohémienne  est  frappée.  C'est  dans  les  souterrains  d'une  vieille 
abbaie  qu'il  habite  et  reçoit  la  visite  annuelle  de  sa  très-nom- 
breuse lignée.  Vingt  ans  se  passent.  Nous  voyous  au  second 
acte  Mina  fort  heureuse  au  si  in  de  la  famille  Saldorf,  elle  va 
épouser  un  capitaine  de  cavalerie.  Valentin  se  cache  encore;  il 
est  berger  au  château  de  Saldorf,  Milder  a  voulu  s'en  défaire 
pour  se  débarrasser  d'uu  créancier  et  du  témoin  de  la  substitu- 
tion d'enfant.  Ce  Milder,  scélérat  consommé,  vient  au  château 
pour  conclure  le  mariage  de  Mina  qu'il  destine  au  favori  du 
prince.  Madame  de  Saldorf  oppose  sa  parole  donnée  au  capi- 
taine et  la  tendresse  qu'elle  a  pour  sa  fille.  Milder  réplique  en 
avouant  à  la  comtesse  qu'elle  n'a  pas   d'enfant,  et  que  Mina, 


fille  d'emprunt ,  doit  être  sacrifiée  pour  l'intérêt  de  la  famille 
qut  a  bien  voulu  l'adopter. 

Au  troisième  acte,  Valentin  est  saisi,  une  condamnation  à 
mort  menace  sa  tête,  il  demande  à  voir  le  vieux  comte  de  Sal- 
dorf, et  rencontre  chez  lui  Henri ,  devenu  général ,  lui  apprend 
que  Mina  est  sa  fille  qu'il  lui  avait  confiée ,  il  y  a  vingt  ans , 
quand  il  partit  pour  aller  à  la  guerre.  Mina  est  donc  toujours 
madame  de  Saldorf;  tout  le  moude  est  content  excepté  le  traître 
Milder.  Le  comte  n'est  plus  père  ,  mais  il  est  grand  père,  cette 
qualité  convient  mieux  à  son  âge;  je  ne  sais  si  la  comtesse  sa 
femme  accepte  avec  autant  de  résignation  ,  le  titre  de  grand- 
mère  ;  à  Paris  on  dit  boune-maman  ,  par  euphénisure. 

L'action  de  ce  drame  présente  des  situations  dramati- 
ques et  attachantes.  La  partition  de  M.  Marliani  aurait  dû  se 
ressentir  de  l'influence  du  librelto ,  mais  on  voit  que  ce  com- 
positeur a  voulu  faire  vite  et  se  hâter  afin  d'arriver  à  la  fin  de 
sun  œuvre.  On  attendait  beaucoup  mieux  de  l'auteur  duBravo. 
L'ouverture,  ^'introduction  ,  la  queue  du  second  acte,  que  je 
puis  appeler  finale,  sont  d'une  facture  négligée  et  d'une  mélo- 
die fort  ordinaire,  Le  morceau  d'ensemble  en  la  mineur  , 
du  troisième  acte,  serait  très  remarquable  si  le  premier  final 
de  Semiramide  n'était  pas  si  connu.  Je  ne  signalerai  point 
d'autres  réminiscences ,  j'aurais  trop  à  faire.  Le  quatuor  ou 
quintetto  ,  qui  ouvre  le  second  acte,  est  agréable,  et  le  trio  qui 
le  suit  est  fortjoli.  Ce  morceau  a  été  applaudi  franchement  par 
le  public.  Le  duo  chanté  par  Ponchard  et  madame  Casimir  est 
bien  coupé  ,  mais  le  trait  en  imitation  périodique,  attaqué  tour 
à  tour  par  les  deux  parties  vocales  ,  a  été  déjà  chanté  par  Ru- 
bini  et  madame  Grisi  dans  le  Bravo  du  même  auteur. 

Thénard,  qui  avait  fort  bien  joué  le  rôle  de  Valentin  ,  est 
venu  nommer  les  auteurs,  et  de  nouveaux  applaudissemens 
ont  éclaté  Les  autres  personnages  principaux  étaient  représen- 
tés par  Henri ,  Ponchard  ,  Couderc  et  mesdames  Casimir  et 
Massy.  Madame  Casimir  a  touché  faux  plus  d'une  fois;  elle  a 
chanté  pourtant  d'une  manière  brillante  le  trio,  le  duo  et  une 
cavatine  où  les  trilles  abondent.  Malgré  la  faiblesse  de  la  parti- 
tion, le  Marchand  forain  a  obtenu  un  succès  complet  et  fera 
de  bonnes  recettes. 


Chao-Kang, 

4me    REPRÉSENTATION. 

Puisque  nous  avons  promis  à  nos  lecteurs  de  leur  parler  une 
seconde  fois  du  chef-d'œuvre  chorégraphique  de  M.  Henry,  et 
particulièrement  de  la  musique  et  des  acteurs ,  il  faut  bien  tenir 
nos  engageinens,  bien  que  tout  doive  se  borner  à  répéter  nos 
premiers  éloges. 

La  musique,  avons-nous  dit,  est  gracieuse  et  chantante. 
Gracieuse  ,  d'accord  ,  mais  c'est  dansante  qu'il  fallait  écrire. 
Les  airs  de  M.  Carlini  sont  fort  dansans  en  effet ,  et  bien  adap- 
tés aux  situations.  La  phrase  musicale  marche  toujours  si  bien 
d'accord  avec  l'action  chorégraphique  qu'il  semble  que  le  com- 
positeur et  le  maître  de  ballets  n'ont  eu  qu'une  seule  et  même 
pensée.  On  a  remarqué  eu  particulier  le  pas  de  la  gamme,  celui 
des  parasols,  le  galop  des  lanternes  et  le  3e  acte  presque  tout 
entier.  L'instrumentation  de  M.  Carlini  est  très  convenable  et 
sulfisammenl  soignée;  et  si  elle  manque  un  peu  d'éclat ,  c'est 
moins  à  lui  qu'il  en  faut  faire  reproche  qu'aux  architectes  de  la 
salle  Ventadour.  Ces  messieurs  semblent,  eu  effet,  n'avoir  eu 


356 


GAZETTE  MUSICALE  DE  PARIS. 


pour  but  en  édifiant  leur  théâtre  que  la  solution  de  ce  singu- 
lier problème  d'acoustique  :  quarante  musiciens  étant  donnés  , 
leur  construire  un  orchestre  dans  lequel  ils  ne  feront  pas  plus 
de  bruit  que  s'ils  n'étaient  que  douze.  Jamais  problême  n'a  été 
plus  victorieusement  résolu. 

Passons  aux  acteurs.  Nos  confrères  de  tous  les  formats  se 
sont  occupés  à  peu  près  exclusivement  de  distribuer  leurs  élo- 
ges aux  principaux  acteurs  et  danseurs.  Nous  n'en  dirons  donc 
rien  et  les  regarderons  comme  très-suffisamment  loués.  Il  n'en 
est  point  de  même  du  corps  de  ballet  tant  mâle  que  femelle  , 
qu'on  a  traité  avec  trop  peu  de  cérémonie,  tandis  que  c'est  à 
lui  qu'est  dû  réellement  le  succès  de  Chao-Kang.  5'il  est  vrai 
qu'il  est  plus  difficile  de  diriger  une  troupe  de  comédiens 
qu'une  armée  véritable,  M.  Henry  vient  de  nous  prouver  qu'il 
aurait  été  un  bien  grand  général.  Nous  ne  saurions  cependant 
nous  empêcher  d'adresser  à  l'habile  chorégraphe  un  léger  re- 
proche. M.  Henry  a  quelque  peu  exagéré  ,  à  notre  avis,  l'ap- 
plication de  l'obéissance  passive.  La  régularité,  la  perfection 
de  ses  groupes  est  telle  qu'on  voit  trop  la  ficelle  qui  remue  si 
uniformément  cette  multitude  de  jambes  ,  de  bras,  de  têtes,  les 
fi°wans,  en  un  mot,  poussent  trop  loin  la  parfaite  imitation 
du  magotisme.  Malgré  ces  défauts,  Chao-Kang  (que  le  ven- 
deur de  programmes  prononce  Kao-Kang,  et  M.  Stanislas  Ju- 
lien, le  chinois  breveté,  Tchao-Kang),  n'en  demeure  pas  moins 
une  composition  chorégraphique  d'un  mérite  supérieur,  digne 
en  tout  point  de  l'empressement  du  public.  La  4e  représenta- 
tion à  laquelle  nous  avons  assisté  avait  réuni  une  nombreuse  et 
brillante  assemblée ,  et  tout  fait  augurer  qu'il  en  sera  long- 
temps de  même. 

Un  petit  mot  en  finissant  à  M.  Henry  sur  son  grand  uni- 
forme d'empereur.  Le  dessinateur  des  costumes,  fatigué  sans 
doute  de  ses  longues  recherches  pour  atteindre  la  vérité  histo- 
rique, a  terminé  sa  lâche  par  une  bévue.  Il  a  affublé  Chao- 
Kang  d'une  grande  vilaine  robe  rouge  fort  peu  chinoise  ,  ser- 
rée par  une  ceiuture  qui  l'est  encore  moins.  Les  Chinois  heu- 
reusement voyagent  peu  ,  car  s'il  s'en  trouvait  un  à  Paris  ,  il 
rirait  bien  de  l'accoutrement  de  M.  Henry  ;  il  rirait  bien  sur- 
tout en  voyant  un  empereur  chinois  tout  habillé  de  rouge , 
lorsqu'il  était  si  facile  d'apprendre  en  ouvrant  lé  premier 
ouvrage  venu,  que  la  couleur  jaune  est  le  signe  distinclif  du 
pouvoir  suprême  dans  l'empire  du  milieu. 


NOUVELLES. 

+*+  Les  efforts  de  M-  Jules  Janin.  en  faveur  de  ses  pauvres 
compatriotes  ,  les  inondés  de  Saint-Etienne,  ont  été  eourounés 
du  plus  grand  succès.  Tous  les  grands  noms  artistes  de  Paris  , 
mademoiselle  Taglioni  à  leur  tête ,  se  sont  fait  inscrire  sur 
celte  liste  de  bienfaisance.  Voici  enfin  qu'aujourd'huiM.  Slcepel 
annonce  un  concert  pour  mercredi  prochain,  5  novembre, 
pour  lequel  le  Théâtre  Italien  soutenu  de  l'Opéra,  ont  payé 
leur  contingent ,  et  dont  la  recelte  est  destinée  à  soulager  les 
grandes  infortunes.  C'est  Rossini  lui-même  qui  a  arrangé  et 
disposé  le  programme  de  ce  concert  que  nous  donnons  les  pre- 
miers telqu'ila  été  définitivement  arrêté.  i°  Ouverture  d'Obe- 
ron  pour  cinq  pianos  à  quatre  mains  ,  parles  jeunes  élèves 
de  M.  Stœpel;  2°  duo  de  Bellini  ,  chanté  par  Temburini  et 
mademoiselle  Bougart,  son  élève  ;  3°  quintetto  de  Mozart, 
exécuté  par  MM.  Baillot,  Vidal,  Urhan  Mialle  et  JYorblin  ; 
4°  Air  de  Donzinelti ,  chanté  par  madame  Damoreau  ;  — 
5°  Duo  de  Moïse,  chanté  par  MM.  Rubini  et  Tamburini; 
6°  La  É/ochelte  ,  grande  fantaisie  pour  piano,  composée  et 
exécutée  par  M.  Litz. 


DEUXIEME    PARTIE. 

7°  Air  varié  pour  le  violon  composé  et  exécuté  par  M.  Bail- 
\oi  ;  8°  Adélaïde  de  Beethoven  ,  chanté  par  Rubini;  6°  Air  de 
la  Ceuerentola,  ,  chanté  par  madame  Dcgly-Antotiy  ;  io  Duo 
de  Zoraïde,  chanté  par  madame  Damoreau  cl  Rubini;  ii° 
Duo  de  Mosehester;  pour  le  piano  ,  exécuté  par  M.  Litz  et 
mademoiselle  Lambert;  12°  Piomaucas  de  mademoiselle  Puget, 
[Indiana  et  la  Somnambula),  chantées  par  madame  Damoreau. 

Comme  on  voit,  ce  sera  là  une  admirable  soirée  pour  le 
dilettante.  C'est  la  première  fois  que  Rubini  chantera  à 
Paris ,  Y  Adélaïde  de  Beethoven  ;  aussi  le  public,  à  la  seule 
anaonce  de  ce  beau  concert ,  s'est-il  empressé  de  se  faire  iu- 
scriie.  Déjà  nne  grande  partie  de  l'élégante  aristocratie  pari- 
sienne a  fait  retenir  une  plaee  pour  ce  soir  là  ,  le  roi ,  la  reine 
et  le  prince  royal  n'ont  pas  été  des  derniers  à  encourager  le 
noble  désintéressement  de  tant  de  grands  artistes.  Le  concert 
aura  lieu  mercredi  5  novembre,  à  l'institution  musicale  de 
M.  Stœpel ,  rue  Monsigny  .  n°  6. 

On  distribue  encore  des  bille*s  chez  M.  Stœpel ,  rue  Monsi- 
guy ,  n°  6;    chez  M.  Jules  Janin  ,  rue  de  Tournon ,  n°  8  ;  et 
chez  Maurice  Schlesinger  ,  n°  97  ,  rue  de  Richelieu. 
Le  prix  du  billet  est  de  dix  francs. 

+%  M.  Severini  est  parti  pour  Londres,  pour  signer  l'acte 
par  lequel  il  devii  ni  pendant  six  ans  directeur  du  grand  Opéra 
de  cette  ville.  En  Angleterre  le  directeur  paie  aux  propriétaires 
de  la  salle  et  du  privilège  une  somme  de  3oo,ooo  Irancs  environ; 
à  Paris  le  gouvernement  donne  à  M.  Véron  la  belle  salle  de 
l'Opéra,  et  ajoute  une  petite  subvention  de  800,000  francs  ! 

+*+  Le  succès  de  mesdemoiselles  Elslcr  continue  et  aug- 
mente à  chaque  représentation.  Une  bonne  partie  des  brillan- 
tes recettes  de  l'Opéra  est  due  au  talent  de  ces  belles  et  gra- 
cieuses danseuses. 

t*+  Voici  le  programme  complet  du  premier  concert  que 
donnera  M.  Berlioz  dimanche  prochain  6  novembie  à  deux 
heures,  dans  la  salle  des  meuus  plaisir^.  Un  grand  nombre  de 
personnes  ayant  témoigné  le  désir  d'entendre  encore  la  sym- 
phonie fantastique,  elHarold  nécessitant  de  la  part  de  l'orchestre 
des  études  qui  ne  pourront  être  faites  que  pour  le  second  concert, 
l'auteur  a  cru  devoir  se  rendre  au  vœu  desamateurs.  \?  Episode 
delà  vie  d'un  artiste  exécuté  par  cent  trente  artistes  distingués, 
sous  l'habile  direction  de  M.  Girard  ne  peut  que  gagner  à  celte 
nouvelle  épreuve;  on  se  rappelle  l'exécution  foudroyante  de 
l'année  dernière,  il  est  probable  que  celle  qui  se  prépare  lui 
sera  supérieure  encore.  En  outre  M.  Berlioz  a  ajouté  à  son  ou- 
vrage plusieurs  effets  d'orchestre  nouveaux  qui  en  augmente- 
ront sensiblement  l'éclat.  i°  Ouverture  du  Roi Léar,  de  M.Ber- 
lioz; 20  Quatuor  pour  2  ténors  et  basses,  avec  orchestre,  sur 
une  Orientale  de  Victor  Hugo  [Sara  la  baigneuse),  musique 
de  M.Berlioz  (exécuté  pour  la  première  fois.)  Chant:  MM.  Puig, 
Boulanger,  *****  et  Hense.  3°  Fantaisie  pour  le  violon,  sur  la 
romance  de  Richard  Cœur-de-Lion,  composée  et  exécutée 
par  M.  Panofka.  4°  Air  de  la  Donna  delLago,  chanté  par  ma  - 
dame  WilIan-Bordogiii.5°  La  belle  Voyageuse,  légende  Irlan- 
daise pour  quatre  voix  et  orchestre,  musique  de  M.  Berlioz 
(exécutée  pour  la  première  fois).  Chant  :  MM.  Puig,  Boulanger, 
*****  et  Hense.  6°  Episode  de  la  vie  d'un  Artiste,  symphonie 
fantastique  en  cinq  parties,  de  M.  Berlioz.  ire  partie.  Rêve- 
ries; —  Passions.  2e  partie.  Un  bal.  3e  partie.  Scène  aux  champs. 
4e  partie  Marche  du  supplice.  5e  pai  tie.  Songe  d'une  nuit  de 
sabbat.  (Messe  funèbre  burlesque,  parodie  du  Diesirae,  Ronde 
du  sabbat,  la  Ronde  du  sabbat  et  le  Dies  ira?  ensemble). 

On  trouve  des  billets  d'avance  chez  M.  Rély,  au  Conserva- 
toire; M.  Schlesinger,  rue  de  Richelieu,  n°  97,  et]chez  les  prin- 
cipaux marchans  de  musique.  Prix  des  places  :  premières  loges, 
8  fr.;  Secondes,  6  fr.;  Stalles  d'orchestre  et  de  balcon.  6  fr.; 
Rez-de-Chaussée,  5  fr.;  Parterre,  3  fr.;  Amphithéâtre  2  fr. 


AU    NUMERO    44    EST    JOINT  : 

GALERIE  DE  LA  GAZETTE  MUSICALE,  N°  2. 
i|Poriratt  t)e  Moesitti. 

Gérant,  MAURICE  SCHLESINGER 


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RÉDIGÉE   PAR   MM.    ADAM,    G.    E.    ANDERS ,  BERTON  (membre    de  l'Institut),    BERLIOZ,   CASTIL-BLAZE ,  A.  GDEMER ,  HALÉVY 

(professeur  de  contrepoint  au  Conservatoire),  Jules  janin  ,  liszt,  lesueur  (membre  de  l'Institut),  j.  mainzer,  marx 
(rédacteur  de  la  gazette  musicale  de  berlin),  d'ortigue  ,  panofka  ,  richard,  j.  g.  setfried  (maître  de  chapelle 
à  Vienne),  F.  stœpel,  etc. ,  etc. 


1"  ANNÉE. 


Kl' 


£5. 


PRIX  DE  l'aBONNEM. 

PARIS. 

DÉPART. 

ÉTRAKG 

fr. 

Fr.       c. 

Fr.       c. 

3m.     8 

8     75 

9    50 

6m.  15 

16    50 

18     .. 

I  an.  30 

33    » 

36    » 

£a  (iïazttte  lUus'xe&lc  jde  paris 
Paraît    le   DIMANCHE  de  chaque  semaine. 


On  s'abonne  au  bureau  de  la  Gazette  Musicale  de  Paris,  tuc  Richelieu ,  97; 
et  chez  tous  les  libraires  et  marchands  de  musique  de  France. 

Ou  reçoit    les  réclamations  des  personnes  qui  ont  des  griefs  ;i  exposer,  et  les   avis  relatifs  à  la  musique 
qui  peuvent  intéresser  le  public. 


PARIS.  DIMANCHE  SI  NOV3IEBRE  I83Î. 


Les  lciircs,  demandes 
et  envois  d'argent  doi- 
vent êlre  affranchis,  et 
adressas  au  Directeur , 
rue  Richelieu,  97. 


COUP-S'ŒH,    SUR,    LE    BÉVELOPPEMEHT    E1S- 
TOR-1QUE  DE   LA   MUSIQUE   MOBEH.ÏSE . 

L'histoire  de  l'humanité  offre  trois  ères  principales.  Il 
en  est  de  même  de  la  musique  dont  l'histoire  présente 
trois  périodes  distinctes.  Dans  l'enfance  de  l'humanité, 
a  l'époque  où  l'Asie  et  plus  tard  .seulement  l'Egypte  avec 
une  partie  de  l'Europe  était  le  siège  principal  de  la  vie 
humaine,  celle-ci  développait  toutes  ses  forces  clans  une 
unité  non  divisée.  A  cette  époque,  la  musique  est  en- 
fantine, simple,  et  elle  n'apparaît  qu'accompagnée  de 
la  poésie.  Elle  ne  se  montre  alors  que  comme  mélodie 
avec  un  rythme  qui  la  domine,  parce  qu'elle  est  liée  a 
un  langage  prosodie  et  à  la  mimique.  La  musique  n'est 
pas  encore  libre  ;  c'est  encore  un  art  dépendant ,  attaché 
et  soumis  a  un  autre  art.  Et  cet  état  d'enfance  et  de  su- 
jétion de  la  musique  qui  se  borne  a  une  mélodie  simple 
et  rythmée,  on  le  retrouve  encore  aujourd'hui  chez  tous 
les  peuples  dont  la  vie  naturelle  est  restée  dans  l'enfance 
sans  prendre  aucun  développement.  Pendant  la  seconde 
période  déjà  vie  humaine  dont  l'idée  dominante  fut  la 
religion  du  christ',  et  le  siège  principal  l'Europe,  l'hu- 
manité s'éleva  jusqu'aux  sphères  élevées  de  la  vie  intel- 
lectuelle, jusqu'à  la  contemplation  de  Dieu  ,  et  par  suite 
jusqu'à  la  hauteur  de  la  vie  sociale.  La  musique  apparut 
alors  comme  le  langage  des  anges;  céleste  intermédiaire 
entre  Dieu  et  les  hommes,  elle  fut  l'expression  d'une  vie 
spirituelle  et  profondément  passionnée.  La  musique  reli- 
gieuse fit  retentir  ses  puissants  accords,  et  la  musique 
mondaine  s'éleva  jusqu'à  la  peinture  de  sentimens  plus 


purs  et  plus  passionnés.  L'entière  perfection  de  la  musi- 
que ne  devait,  ne  pouvait  briller  librement  que  dans  la 
troisième  période  de  la  vie  humaine,  a  cette  époque  où 
l'harmonieux  développement  de  la  religion  ,  des  sciences 
et  des  arts,  franchissait  les  limites  de  l'Europe  pour  di- 
riger sa  course  victorieuse  sur  toute  la  surface  de  la 
terre. 

Etudier  attentivement  cette  période  principale  qui 
commence  au  quinzième  siècle  et  qui ,  à  l'époque  où 
nous  vivons,  n'a  pas  encore  atteint  ses  dernières  limites, 
nous  instruire  sur  la  vie  et  les  efforts  des  grands  maîtres 
qui  s'y  sont  illustrés,  voilà  quel  est  le  but  que  nous 
nous  proposons  aujourd'hui. 

PREMIÈRE  ÉPOQUE  OU  ÉCOLE  FLAMANDE. 

Après  avoir  vu  presque  tous  les  pays  de  l'Europe  oc- 
cidentale dans  lesquels  la  religion  chrétienne  s'était  éta- 
blie ,  fournir  des  hommes  éclairés  et  voués  au  culte  de  la 
musique,  après  avoir  assisté  au  développement  delà 
musique  considérée  comme  science  et  comme  art ,  déve- 
loppement qui  trouva  de  fidèles  et  puissans  secours  en 
Italie  comme  en  France,  en  Allemagne  comme  dans  les 
Pays-Bas  et  même  jusque  dans  l'intérieur  de  l'Angle- 
terre, après  avoir  examiné  la  nouvelle  musique  cb ré- 
tienne se  débarrassant  peu  à  peu  des  entraves  imposées 
jadis  par  les  anciens  Grecs ,  et  s'élevaut  déjà  a  une  hau- 
teur imposante  par  la  réunion  du  rythme,  de  l'écriture  et 
de  l'harmonie,  nous  trouvons  dans  les  Pays-Bas,  à 
compter  du  milieu  du  quatorzième  siècle  jusqu'à  la  fin 


358 


GAZETTE  MUSICALE 


du  quinzième  les  fondateurs  d'une  école  qui  continue  a 
briller  jusqu'à  la  fin  du  dix-ssptièine  siècle,  et  qui  a  pro- 
duit presque  tous  les  maîtres  dont  les  noms  ont  brillé 
dans  les  grandes  écoles  musicales  de  l'Europe.  Cette 
école  flamande  s'acquit  la  gloire  de  créer  lu  théorie  du 
contrepoint  régulier,  soit  simple,  soit  double,  et  de  pro- 
pager dans  presque  toute  l'Europe ,  par  ses  leçons  et  ses 
efforts,  l'amour  et  la  science  de  la  musique.  C'est  Guil- 
lelmus  Dufay,  né  à  Chyniay  dans  l'Hennegau  ,  que  l'his- 
toire signale  comme  le  plus  ancien  et  le  plus  remarqua- 
ble des  maîtres  de  cette  époque.  Il  fut ,  jusqu'à  l'année 
1432,  chanteur  de  la  chapelle  pontificale  où  l'on  trouve 
encore  plusieurs  inesses  de  ce  compositeur,  qui  sont  une 
preuve  incontestable  que,  dès  celle  époque,  l'art  devait 
avoir  déjà  subi  bien  des  perfectionnemens  dans  les  Pays- 
Bas.  Kiesevetter,  dans  son  histoire  de  la  musique, 
prétend  qu'aujourd'hui  encore  on  pourrait  entendre  avec 
plaisir  les  compositions  de  Dufay,  ainsi  que  quelques- 
unes  de  ses  élèves  ou  de  ses  contemporains  ,  attendu  que 
l'harmonie  en  est  très-pure  et  que  l'effet  en  est  beaucoup 
mieux  calculé  que  dans  les  tours  de  force  de  contrepoint 
si  célébrés  dans  le  siècle  suivant  (I).  Un  homme  aussi 
célèbre  et  plus  connu  encore  aujourd'hui  fut  Ockenheim, 
autre  flamand  qui  florissait  de  14-50  a  -14-80,  et  qui  dès- 
lors  passait  pour  le  plus  savant  des  contrepointistes. 
Nous  ne  nommerons  parmi  ses  nombreux  et  célèbres 
contemporains  ou  successeurs  que  les  sui  vans  :  Obrecht, 
Tinctor  le  fondateur  de  la  vieille  école  napolitaine,  Jos. 
quin-des-Prés,  Henri  Isaac  ( //  Tedesco) ,  Goudinel , 
Guillelmus  Guarnerii  Hycaert ,  Willart,  Gafurius  et 
Goodendach,  qui  tous,  ainsi  que  beaucoup  d'autres, 
professèrent  plus  ou  inoins  long-temps  en  Italie  ou  four- 
nirent exclusivement  cette  contrée  de  leurs  compositions 
pratiques;  car,  jusqu'à  l'année  1509,  il  ne  se  produisit 
aucun  compositeur  italien  de  quelque  importance.  L'es- 
sence des  compositions  musicales  de  cette  époque  avait 
principalement  pour  but  la  perfection  du  contrepoint,  et 
Josquin  fut  celui  dont  les  efforts  amenèrent  surtout  un 
heureux  résultat.  Ses  plus  jeunes  contemporains  et  ses 
successeurs  durent  travailler  à  leur  tour  à  renfermer  peu 
à  peu  cette  science  dans  des  bornes  raisonnables,  et 
leurs  travaux  ne  tardèrent  pas  a  être  couronnés  de  suc- 
cès. L'invention  de  l'imprimerie  de  la  musique  répandit 
au  loin  les  œuvres  musicales  autefois  trop  dispendieuses; 
et  dès-lors  non-seulement  les  maîtres  de  l'Italie ,  mais 
encore  ceux  de  l'Allemagne  et  de  la  France,  purent  tra- 
va'ller  au  même  but  pour  acquérir  la  même  gloire.  En 
Italie,  on  nomme  Constanzo jesta 3  chanteur  de  la  cha- 

(-1  )  Kiesevetter.  Histoire  de  l'origine  et  du  développement  de 
notre  musique  moderne.  Leipzig,  -1834- 


pelle  du  pape,  comme  le  premier  qui  ait  dignement 
mérité  le  nom  de  contrepointiste.  Baini,  le  biographe 
de  Palestrina,  regarde  Constanzo  Festa  comme  le  pré- 
curseur de  Soupheros.  tant  ses  œuvres  se  distinguent  par 
la  noble  simplicité  et  le  charme  gracieux  des  motifs, 
bien  qu'elles  soient  fort  inférieures  aux  compositions  de 
Palestrina  pour  la  hardiesse  et  l'habileté  du  travail.  En 
Allemagne,  on  citait  déjà  avec  distinction  les  noms 
d'Adam  de  Fulda,  Stephen  Malu  et  Hermann  Finck  ; 
mais  Johann  Walter,  Ludwig  Senfl,  Benedictus  Ducis, 
et  Thomas  Stolzer,  devaient  encore  briller  avec  plus 
d'éclat.  La  France  avait  aussi  quelques  grands  maîtres 
tels  que  Capentras,  Leonardo  Barré  et  d'autres.  L'espa- 
gne  même  se  glorifiait  de  son  célèbre  Morales  ,  etc.  C'est 
ainsi  que  tous  ces  maîtres  firent  du  seizième  siècle  une 
des  époques  les  plus  brillantes  dans  l'histoire  de  la  mu- 
sique; et  cela,  non  sculemeut  parce  que  la  musique  re- 
ligieuse atteignit  alors  une  hauteur  jusques  la  inconnue , 
ou  parce  que  la  science  recula  ses  limites  d'une  manière 
extraordinaire,  mais  encore  parce  que  dans  le  même 
temps  la  musique  instrumentale  fit  d'immenses  progrès, 
surtout  pour  ce  qui  touche  le  jeu  de  l'orgue.  C'est  aussi 
a  cette  époque  qu'appartient  l'invention  du  madrigal. 
Le  madrigal  est  généralement  une  courte  poésie  dont  le 
sujet  est  une  peinture  de  l'amour  ou  une  scène  de  la  vie 
pastorale  ;  cette  poésie  se  termine  par  une  pensée  pro- 
fonde ou  par  un  trait  spirituel ,  et  il  est  surtout  remar- 
quable en  cela  qu'il  fournissait  au  compositeur  l'occa- 
sion et  la  facilité  de  chercher  une  mélodie  dont  le  carac- 
tère se  trouvât' en  rapport  avec  le  sens  de  ce  vers,  ce  a 
quoi  on  n'avait  encore  jamais  pensé  dans  la  composition 
des  motets  et  des  messes.  C'est  encore  vers  ce  temps  que 
remonte  la  véritable  chanson  a  plusieure "parties,  dans 
laquelle  on  imitait  les  chants  du  peuple,  et  que  l'on 
écrivait  dans  le  contrepoint  le  plus  simple;  mais  ce 
genre  apparuent  presque  exclusivement  a  Naples,  d'où 
vient  qu'il  a  été  désigné  sous  le  nom  :  vitlanelle  alla 
Napoliianaj,  ou  canzona  villanescha.  Kiesevetter  qui 
peut  se  permettre  des  développemens  plus  étendus  que 
les  nôtres,  caractérise  ainsi  qu'il  suit  cette  époque  qui 
précède  celle  de  Palestrina 

Quoique  l'art  n'ait  subi  aucune  réforme  essentielle , 
les  musiciens  ont  cependant  fait  d'immenses  progrès  en 
habileté  et  en  a-plomb.  Leurs  desseins  ne  manquent 
même  pas  d'une  certaine  grâce.  Les  raffinemens  exagé- 
rés, les  canons  et  les  énigmes  musicales  sont  successi- 
vement passés  de  mode,  de  même  qu'une  grande  partie 
des  subtilités  de  la  théorie  mensurale,  de  sorte  que  la 
lecture  des  partitions  de  celte  époque  n'offre  plus  au- 
cune difficulté. 

La  suite  à  un  prochain  numéro. 


DE  PARIS. 


NECROLOGIE. 


BEAUVARLET-CHARPENTIER  ,   ORGANISTE. 

Nous  exprimions  récemment  dans  cette  feuille  nos  re- 
grets d' artistes  sur  la  décadence  rapide,  ou  pour  mieux 
dire  sur  la  ruine  imminente  de  la  musique  d'église ,  ce 
premier  fondement  de  l'art ,  le  seul  sur  lequel  il  pût 
encore  s'appuyer  aujourd'hui ,  et  se  maintenir  long- 
temps a  la  même  hauteur.  On  dirait  que  le  sort  est  d'in- 
telligence avec  nos  mœurs  et  nos  institutions  pour  accé- 
lérer cette  œuvre  de  destruction  et  d'oubli.  Chaque  an- 
née emporte  successivement  tous  ceux  qui  conservaient 
encore  les  vieilles  traditions,  tous  ceux  qui,  en  nous 
rappelant  si  bien  le  passé,  pouvaient  encore  nous  faire 
croire  a  un  avenir.  Après  avoir  déploré  naguère  la  perte 
irréparable  du  zèle  et  du  talent  de  Choron ,  nous  voilà 
de  nouveau  appelés  aujourd'hui  à  en  annoncer  une  au- 
tre, qui  aura  moins  de  retentissement  sans  doute ,  mais 
qui  ne  laisse  pas  d'être  vivement  regrettable  pour  une 
spécialité  importante  et  trop  négligée. 

Ne  nous  semble-t-il  pas,  à  voir  disparaître  ces  der- 
niers vétérans  de  la  grande  milice  qui  soutenait  le  dra- 
peau de  la  musique  sacrée,  ne  nous  semble-t-il  pas  as- 
sister à  cette  célèbre  messe ,  où  chaque  concertant,  après 
avoir  achevé  sa  partie,  éteignait  sa  lumière,  et  s'éloi- 
gnait dans  les  ténèbres  toujours  croissantes ,  pour  ne 
plus  revenir,  pour  n'être  jamais  remplacé  ?... 

Jacques-Marie  Bcauvarlet-Charpentier,  qui  vient  de 
mourir  à  Paris,  à  l'âge  de  soixante-neuf  ans,  apparte- 
nait a  une  famille  également  distinguée  dans  les  arts  et 
dans  la  littérature,  puisque  la  France  lui  doit  l'habile 
graveur  du  roi,  Beauvarlet,  et  ce  poète  qui  nous  fut 
trop  tôt  ravi,  ce  tendre  et  brillant  Mille  voie,  qui  avait  su 
allier  la  pureté  de  goût  des  deux  derniers  siècles  avec 
les  couleurs  et  les  sujets  plus  sombres,  que  la  poésie  af- 
fectionne aujourd'hui. 

Quant  a  la  musique,  la  branche  de  cette  famille  a  la- 
quelle appartenait  Bcauvarlet-Charpentier,  y  semblait 
exclusivement  vouée.  Son  ayeul  Charpentier  était  un 
des  compositeurs  les  plus  estimés  du  siècle  de  Louis  XIV. 
Il  avait  donné  un  opéra  de  Me'de'e,  qui  obtint  le  suf- 
frage des  connaisseurs  du  temps.  Molière  s'étant  brouillé 
avec  Lully,  qui ,  devenu  directeur  de  l'Opéra,  avait  fait 
par  ordonnance  du  roi  retirer  aux  comédiens  français 
une  partie  de  leurs  symphonistes  et  de  leurs  chanteurs, 
confia  a  Charpentier  la  musique  du  Malade  imaginaire. 
L'éloge  du  caractère  de  Charpentier  est  tout  entier  dans 
l'amitié  que  lui  portait  notre  grand  piète  comique.  Ce 
fut  à  lui,  suivant  les  anecdotes  de  cette  époque,  qu'il 
adressa  cette  réflexion  si  profonde,  arrachée  par  le  trait 


de  probité  d'un  pauvre  mendiant  :  «  Ou  la  vertu  va-t- 
elle  se  nicher  ?  » 

Au  reste,  pour  devenir  un  des  meilleurs  interprètes 
de  l'orgue ,  pour  se  distinguer  dans  la  carrière  des  Bach, 
des  Hœndel ,  des  Links ,  Beauvarlet  trouvait  un  exem- 
ple d'illustration  plus  direct  et  plus  rapproché  de  lui. 
Son  père  avait  acquis  dans  cet  art  une  légitime  re- 
nommée. Il  y  avait  obtenu  le  suffrage  et  l'admiration 
d'unjuge  compétent,  de  Jean-Jacques  Bousseau.  A  Lyon, 
où  Charpentier  le  père  avait  commencé  a  se  faire 
connaître,  l'auteur  du  Dictionnaire  de  Musique  ;\ 'ayant 
entendu  un  jour,  répondit  a  un  de  ses  voisins  qui  lui 
demanda  ce  qu'il  en  pensait  :  «  Ce  que  f  en  pense  ! 
c'est  qu'il  a  trop  de  talent  pour  qu'il  vous  reste.  »  Celte 
prédiction  du  grand  écrivain  se  réalisa  comme  tant  d'au- 
tres; et,  nommé  archevêque  de  Paris,  M.  de  Montazet, 
s'empressa  de  doter  la  capitale  du  monde  d'un  talent 
dont  la  seconde  capitale  de  la  France  était  si  fière. 

Sous  les  yeux  d'un  tel  maître, son  fils  formé,  suivant 
l'expression  de  Bossuet,  par  les  leçons  vivantes  et  par  la 
pratique  j  prouva  bientôt  que  l'héritage  paternel  ne  de- 
vait pas  dépérir  entre  ses  mains.  La  révolution  vint  ar- 
rêter l'essor  de  son  précoce  talent  ;  les  églises  étaient 
fermées ,  les  citants  avaient  cessé! 

Ne  trouvant  plus  d'orgue  où  se  poser,  la  main  de 
Beauvarlet  saisit  une  épée;  il  courut  à  la  frontière  re- 
pousser les  ennemis  de  la  France.  Mais ,  après  avoir 
payé  son  tribut  à  l'amour  de  la  patrie,  il  ne  tarda  pas  à 
revenir  à  l'amour  de  son  art.  Ce  fut  à  Nantes  qu'il  re- 
commença d'abord  à  le  cultiver.  Les  maisons  les  plus 
honorables  de  la  ville  lui  furent  bientôt  ouvertes.  Parmi 
ses  compositions,  on  remarqua  plusieurs  chants  patrioti- 
ques, où,  dans  les  inspirations  de  l'artiste,  se  retrouvait 
encore  l'énergie  du  citoyen  et  du  soldat. 

Quand  l'ordre  fut  rétabli,  dès  qu'il  y  eut  tolérance 
pour  la  religion,  on  se  souvint  que,  pendant  les  excès 
de  l'anarchie  révolutionnaire  ,  Beauvarlet  avait  préservé 
plusieurs  orgues  d'une  destruction  presque  inévitable. 
En  faveur  de  ce  service,  le  clergé  lui  pardonna  ceux 
qu'il  avait,  les  armes  à  la  main,  rendus  au  pays;  et  on 
accorda  à  la  reconnaissance  pour  le  sauveur  des  orgues 
un  poste  qu'on  eût  peut-être  refusé  à  la  supériorité  de 
de  l'organiste.  11  fut  donc  appelé  à  Paris  afin  d'y  rem- 
plir, à  l'église  Saint-Paul,  une  place  qui  était  pour  lui 
un  véritable  patrimoine,  d'autant  plus  légitime  qu'en  y 
retrouvant  les  souvenirs  de  la  longue  célébrité  de  son 
père,  il  y  retrouvait  aussi  les  premiers  titres  de  la 
sienne. 

A  la  rare  perfection  de  son  talent  comme  exécutant , 
il  joignit  un  mérite  distingué  comme  compositeur.  Nous 


GAZETTE  MUSICALE 


ne  citerons  ici  que  pour  mémoire  un  petit  opéra  {les 
Jeunes  aveugles),  donné  par  lui  sur  une  scène  secon- 
daire; c'est  le  seul  ouvrage  dramatique  qu'il  ait  produit 
et  sans  doute  une  délicatesse  de  bon  goût  l'empêcha 
d'imiter  cet  auteur  du  dix-hutième  siècle  : 

Qui  dînait  de  l'église  cl  soupait  du  théâtre. 

On  ne  peut  attribuer  son  prompt  et  définitif  éloigne 
ment  de  la  scène  qu'à  un  scrupule  de  ce  genre ,  et  non  à 
la  stérilité  de  son  imagination,  quand  on  parcourt  les 
nombreux  morceaux  détachés  qu'il  a  publiés  soit  pour 
le  piano,  soit  pour  le  chant. 

Mais  c'est  surtout  dans  la  spécialité  où  il  excellait 
par  son  jeu,  que  nous  aimons  encore  à  le  voir  se  signaler 
par  ses  productions.  Elles  sont  considérables,  et  nous 
mentionnerons  au  premier  rang  sa  méthode  qui  jouit 
d'une  haute  estime  parmi  les  artistes  qui  ont  fait  entrer 
l'étude  du  plus  beau  des  instrumens  dans  le  cercle  de 
leurs  connaissances  musicales. 

L'héritage  de  talent  que  Beauvarlet  Charpentier  avait 
reçu  de  son  père,  il  l'a,  dit-on,  fidèlement  transmis  à 
son  fils.  Nous  faisons  des  vœux  pour  que  ce  jeune 
adepte  ne  se  laisse  pas  décourager  par  l'insouciance  ac- 
tuelle, nous  ne  dirons  pas  pour  les  progrès,  mais 
pour  la  conservation  de  sou  art.  Puisse-t-il  contribuer 
r>ar  d'heureux  efforts  à  empêcher  la  prescription  de 
s'établir  contre  la  musique  d'église,  dont  tôt  ou  tard  un 
gouvernement  plus  éclairé  finira  par  reconnaître  l'im- 
portance ! 

ïpbigénie  en  Tauride. 

Ce  n'est  pas  sans  raison  que  cet  opéra  passe  pour  le 
chef-d'œuvre  deGluck.  Il  nous  semble  en  effet  que  dans 
aucune  autre  partition,  le  vieil  athlète  de  la  musique 
dramatique  n'a  montré  une  force  de  pensée  aussi  grande 
et  aussi  soutenue.  En  examinant  cette  énergique  et  som- 
bre conception  d'un  profond  génie,  deux  éceuils  sont  a 
éviter;  le  premier,  le  plus  dangereux  peut-être,  est  le 
penchant  qui  pourrait  entraîner  a  juger  une  production 
de  1777,  suivant  les  lois  qui  régissent  aujourd'hui  le 
monde  musical ,  sans  tenir  compte  des  progrès  immen- 
ses des  exécutans,  d'après  lesquels  ce  qui  était  imprati- 
cable au  temps  de  Gluck  est  aujourd'hui  d'une  extrême 
facilité,  sans  penser  que  1rs  perfectionnnemens  de  l'art 
sont  dus  en  grande  partie  à  l'observation  ,  et  que  par 
conséquent,  la  somme  des  nôtres  doit  être  naturelle- 
ment plus  considérable  que  celle  qu'avait  pu  recueillir 
au  siècle  dernier  le  compositeur  allemand.  Le  second 
écucil  dont  nous  aurons  aussi  à  nous  éloigner,  serait 
l'enthousiasme  irréfléchi,  qui  porte  tout  artiste  impres- 


sionnable et  fidèle  aux  objets  de  son  culte,  a  ne  voir  que 
des  beautés  dans  les  ouvrages  auxquels  il  dût  ses  pre- 
miers élans  d'admiration,  et  dont  il  fût  ébloui  à  un  âge 
où  le  défaut  d'expérience  le  mettait  dans  l'impossibilité 
d'avoir  des  notions  axactes  sur  l'état  véritable  de  l'art 
contemporain.  S'il  arrivait  que  la  supposition  d'un 
excès  d'enthousiasme  pour  Gluck  parut  absurde  aujour- 
d'hui, je  répondrais  par  le  récit  historique  de  mes  pro- 
pres impressions ,  qu'on  ne  croira  pas  facilement  quoi- 
que je  ne  l'exagère  en  rien.  Quand  j'arrivai  a  Paris,  en 
1 820,  je  n'avais  jamais  mis  les  pieds  dans  une  salle  de 
spectacle;  je  ne  connaissais  la  musique  instrumentale  que 
par  les  quatuors  de  Pleyel  dont  les  quatre  amateurs, 
composant  la  Société  philarmonique  de  ma  ville  natale, 
me  régalaient  tous  les  dimanches  après  la  messe  parois- 
siale, et  je  n'avais  d'autre  idée  de  la  musique  dramati- 
que que  celle  que  j'avais  pu  me  former  en  parcourant 
un  recueil  d'anciens  airs  d'opéra  arrangés  avec  accom- 
gnement  de  guitare.  Dans  le  nombre  de  ces  morceaux 
ainsi  réduits  se  trouvaient  deux  scènes  à1  Orphée  qui 
devinrent  bientôt  l'objet  de  ma  prédilection.  Entendre 
un  orchestre  complet ,  lire  une  grande  partition  ,  tout 
cela  n'était  alors  pour  moi  que  des  rêves  que  je  n'espé- 
rais pas  voir  un  jour  se  réaliser.  Ma  passion  naissante 
pour  Gluck  se  développa  tout  à  coup  prodigieusement 
à  la  lecture  de  la  Notice  biographique  sur  le  célèbre 
compositeur  qui  parut  à  cette  époque  dans  la  Biogra- 
phie Universelle.  La  description  de  l'orage  d' Iphigénie  , 
celle  des  danses  des  Scytes,  la  Dissertation  sur  le  som- 
meil d'Oreste,  me  faisaient  palpiter  d'un  ardent  désir 
d'entendae  toutes  ces  merveilles;  et  quand  mon  père 
eût  décidé  que  j'irai  à  Paris  pour  y  continuer  mes  études 
médicales,  je  ne  surmontai  l'horreur  que  m'inspirait  les 
travaux  anatomiques ,  qu'en  songeant  a  l'Opéra  où  je 
pourrais  enfin  comtempler  Gluck  dans  toute  sa  gloire. 

Mon  attente  fût  long-temps  trompée;  cependant, 
après  trois  mois  de  séjour  dans  la  capitale,  je  n'avais 
pas  encore  vu  figurer  sur  l'affiche  le  nom  d'un  opéra 
de  Gluck.  Chaque  matin,  je  courais  pâle  d'atteute  de- 
vant la  place  Cambrai  ,  l'heure  ou  l'afficheur  devait 
iii'apporter  un  désapointement  nouveau ,  et  après  avoir 
vu  placarder  :  le  Rossignol,  ou  le  Devin  de  village, 
ou  les  Prétendus  j,  ou  le  Ballet  de  Nina,  je  m'en  re- 
tournais en  accablant  de  malédictions  Lebrun  ,  Rous- 
seau, Lemoine,  Pertuis  et  le  directeur  de  l'Opéra. 

Je  logeais  alors  avec  un  de  mes  camarades  d'études 
(aujourd'hui  médecin  fort  distingué),  à  qui  j'avais  fait 
partager  jusqu'à  un  certain  point  mon  fanatisme  musi- 
cal. On  sait  que  le  spectacle  de  Opéra  s'annonce  toujours 
deux  fois,  ce  qui  donne  à  l'administration  la  latitude 


DE  PARIS. 


361 


de  changer,  au  jour  de  la  représentation,  la  pièce  affi- 
chée la  veille.  Un  matin,  je  m'approchai  machinale- 
ment des  affiches  ,  sans  que  l'intérêt  qui  m'y  amenait 
d'ordinaire  existât  cependant,  puisque  le  jour  précédent 
j'avais  vu  s'élever  triomphant  Rossini,  encore  accom- 
pagné des  Pages  du  duc  de  Vendôme.  Après  avoir  jeté 
un  coop-d'œil  indifférent  sur  le  théâtre  Français  ,  10- 
péra-Comique  es  le  Vaudeville,  je  regarde  l'Opéra, 
comptant  retrouver  le  nom  que  j'y  avais  vu  figurer  la 
veille Loin  delà,  tout  était  changé mes  ge- 
noux commencèrent  a  trembler,  mes  dents  a  claquer,  et 
pouvant  a  peine  me  soutenir,  je  me  dirigeai  vers  mon 
hôiel  saisi  d'une  espèce  de  vertige.  —  «  Qu' as-tu?  me 
dit  R*****,  en  me  voyant  rentrer  tout  défait  et  mon 
»  mouchoir  devant  le  nez;  es-tu  tombé?...  tn  saignes... 
»  Que  t'esl-il  arrivé?  parle  donc.  —  On  joue...  on 
»  joue...  ce  soir...  Jphig...  I phi  génie  en  Tauride.  — 
»  Ah!...  »  Et  nous  restâmes  tous  les  deux  muets, 
étourdis,  suffoqués,  anéantis  h  l'idée  que  nous  allions 
le  soir  même  voir  le  chef-d'œuvre  de  Gluck.  R*** 
cependant  ne  saigna  pas  au  nez.  J'ai  oublié  de  dire 
qu'avant  ce  grand  jour,  j'avais  trouvé  le  moyen  de 
m'introduire  a  la  Bibliothèque  du  Conservatoire  où  j'a- 
vais appris  par  cœur  d'un  bout  a  l'autre  la  fameuse  par- 
tition. Décrire  ce  que  j'éprouvai  en  la  voyant,  repré- 
senter n'est  pas  en  mon  pouvoir  ;  je  dirai  seulement  que 
l'effet  de  ces  sombre  mélodies  se  continua  long-temps 
après,  et  que  j'en  pleurai  toute  la  nuit;  je  me  tordais 
dans  mon  lit,  chantant  et  sanglottant  tout  a  la  fois  , 
comme  un  homme  sur  le  point  de  devenirfou.  La  grande 
vogue  de  Rossini  commençait  précisément  a  cette  épo- 
que ;  ses  admirateurs  ,  aussi  fanatiques  clans  leur 
genre,  que  je  pourais  l'être  dans  le  mien  ,  étaient  pour 
moi  l'objet  d'une  haîne  et  d'une  horreur  a  peine  croya- 
bles. S'il  eût  été  alors  en  mon  pouvoir  de  mettre  un 
baril  de  poudre  sous  la  salle  Louvois  et  de  la  faire 
sauter  pendant  la  représentation  de  la  Gazza  ou  du 
Barhiere  avec  tout  ce  qu'elle  contenait,  a  coup  sûr  je 
je  n'y  eusses  pas  manqué.  Le  lecteur  peut  bien  penser 
que  mon  sang  s'est  singulièrement  refroidi  et  que  mes 
opinions  musicales  se  sont  beaucoup  modifiées;  cepen- 
dant l'influence  des  premières  impressions  est  telle  et 
mon  admiration  pour  Gluck  est  encore  si  grande,  que 
je  crois  qu'il  sera  prudent  a  moi,  en  analysant  celui  de 
ses  ouvrages  qui  m'a  le  plus  frappé,  de  me  tenir  en 
garde  contre  les  souvenirs  de  unes  et  l'entraînement 
ii réfléchi  de  l'autre. 

(  La  suite  au  numéro  prochain.  ) 


CONCERT 

AU    BÉNÉFICE    DES    INONDÉS    DE    SAINT-ÉTIENNE. 

La  saison  des  concerts  ne  pouvait  assurément  s'ouvrir 
plus  dignement  et  d'une  maeière  plus  brillante  que  par 
cette  fête  musicale  qui,  à  un  but  si  noble,  réunissait  en 
même  temps  les  plus  beaux  élémens  de  succès.  Puisse 
ce  commencement  être  d'un  bon  augure  pour  l'avenir. 
Tous  les  morceaux  que  nous  avions  annoncés  ont  été 
exécutés,  tous,  a  l'exception  d'un  seul,  le  duo  de  piano, 
qui  a  dû  être  retranché  par  suite  d'une  indisposition  de 
mademoiselle  Lambert. 

Si  maintenant  nous  disons  que  des  artistes  tels  que 
Baillot,  Rubini,  Tamburini,  List  et  celte  autre  virtuose 
si  aimable  et  si  distinguée,  madame  Damoreau,  ont 
excité  un  enthousiasme  universel,  que  de  plus  le  pu- 
blic, bien  que  pressé  et  étroitement  dans  les  immenses 
salons  de  M.  Stœpel,  est  cependant  resté  jusqu'à  la  der- 
nière note  en  donnant  de  son  admiration  les  témoigna- 
ges les  plus  expressifs,  certes  nous  nous  ferons  aisément 
comprendre  et  nous  n'aurons  rien  dit  de  nouveau  pour 
les  amis  des  arts.  Nous  nous  contenterons  donc  de  si- 
gnaler deux  particularités  qui  nous  ont  paru  dignes 
d'attention.  Nous  voulons  parler  de  l'ouverture  d' Obe- 
ron,  exécutée  sur  cinq  pianos  par  dix  élèves  de  M.  Fran- 
çois Stœpel,  la  plupart  enfans  de  dix  a  douze  ans,  et  du 
chant  de  madame  Degli  An  ton  i.  L'ouverture  si  difficile 
A'Oheron  a  été,  nous  devons  le  dire,  exécutée  par  ces 
vingt  mains  enfantines  avec  une  précision  et  un  ablomb 
admirables,  et  surtout  avec  une  observation  si  fine  et  si 
détaillée  des  moindres  nuances  artistiques,  qu'on  aurait 
pu  croire  entendre  un  seul  artiste  profondément  pénétré 
de  son  sujet.  C'est  assurément  faire  le  plus  bel  éloge 
possible  du  professeur  ainsi  que  de  sa  méthode,  et  nous 
ne  doutons  pas  qu'un  établissement  qui  produit  des  ré- 
sultais si  désirables,  puisqu'il  procure  économie  de 
temps  et  d'argent  dans  l'étude  de  la  musique,  n'attire 
puissamment  les  nombreuses  familles  qui,  comme  nous, 
voient  dans  l'étude  de  ce  bel  art  uu  des  complémens  les 
plus  importans  et  les  plus  nécessaires  de  toute  bonne 
éducation. 

Madame  Degli  Antoiii,  qui  doit,  dit-on,  débuter  a 
l'Opéia-Italien,  réunit  a  une  voix  très-belle  une  méthode 
excellente  et  un  chant  des  plus  expressifs.  Sa  tenue  est 
en  outre  gracieuse  et  animée,  de  sorte  que  nous  croyons 
pouvoir  féliciter  la  direction  du  Théâtre-Italien  sur  l'ac- 
quisition qu'elle  vient  de  faire  de  cette  aimable  artiste. 

(1)  Parmi  les  jeunes  e\éculans,  nous  avons  [particulière- 
ment remarqué  mesdemoiselles  Lia  ,  Francisca  et  Crémieux. 


362 


GAZETTE  MUSICALE 


APHORISMES. 

ESTÉTIQUE. 

On  désigne  généralement  ainsi  la  théorie  du  goût , 
et  par  ce  mot  goût  on  entend  cette  faculté  intellectuelle 
qui  permet  d'apprécier  dignement  le  beau  et  le  sublime, 
soit  dans  l'art,  soit  dans  la  nature.  Or,  si  cette  appré- 
ciation, comme  toute  autre  opération  de  l'esprit,  repose 
sur  des  lois  primitives  ,  et  si  c'est  a  la  philosophie  qu'il 
appartient  de  rechercher  ces  lois  ,  il  s'en  suit  que  l'es- 
thétique n'est  autre  chose  que  la  science  des  lois  primi- 
tives et  originaires  qui  doivent  guider  l'esprit  humain 
dans  la  critique  du  beau  et  du  sublime.  En  outre , 
comme  le  beau  et  le  sublime  sont  les  sources  d'un  sen- 
timent de  plaisir  qu'eux  seuls  peuvent  produire,  on  peut 
encore  définir  l'esthétique  de  la  manière  suivante  :  elle 
est  la  science  des  conditions  primitives  du  plaisir  dés- 
intéressé que  nous  font  éprouver  nos  perceptions  soit  in- 
times, soit  extérieures. 


Revue  Critique. 

Ottavo  concerto  in  modo  di  scena  cantante  per  ilviolino 
con  accompag/iamento  d'orcliestra  or  di  piano  com- 
posto  da  Luigi  Spohr.  Op.  4-7.  Paris,  chez   Richaut. 

Cette  composition  est  une  de  ce  les  qui  méritent  une  ana- 
lyse détaillée  tant  pour  le  fond  dos  idées  que  pour  la  forme 
dont  on  les  a  revêtues.  Nous  avons  étéjusqu'ici  habitués  à  voir 
les  concertos  divisés  en  trois  parties,  dont  la  première  est  or- 
dinairement un  allegro  subdivisé  lui-même  en  trois  solos  cou- 
pés par  de  courts  tutti,  et  dont  la  seconde  partie  forme  un 
adagio  qui  généralement  conduit  à  un  Jinale  auquel  les  com- 
positeurs ont  toujours  donné  la  forme  d'un  rondo  ou  celle 
d'une  polonaise.  Cette  forme  a  été  religieusement  conservée 
par  tous  les  compositeurs  qui  ont  écrit  des  concertos  pour  le 
violon  ou  pour  le  piano;  et  un  bien  petit  nombre  seulement 
ont  osé  s'en  écarter.  Parmi  ses  novateurs  je  citerai  principale- 
ment Weber  qui  a  donné  à  son  grand  morceau  de  concert 
une  forme  toute  nouvelle,  et  Louis  Spohr,  le  seul  des  composi- 
teurs pour  le  violon  qui  ait  renoncé  à  l'ancien  usage,  en  créant 
ce  nouveau  concerto  auquel  il  donne  le  nom  de  scène  de 
chant.  Nous  avons  en  main  la  partition  de  ce  morceau  ;  il 
nous  sera  donc  facile  d'entrer  dans  quelques  détails.  L'intro- 
duction (allegro  mollo)  forme  un  premier  tutti  plein  de  vi- 
gueur et  dont  le  théine  principal  très-heureusement  trouvé 
prête  à  des  développemens  étendus  ;  après  ce  tutti,  le  violon 
principal  débute  par  un  récitatif  coupé  de  temps  à  autre  parle 
motif  principal  du  tutti  que  remplace  le  quatuor.  On  ne  peut 
que  donner  des  éloges  à  la  manière  dont  est  traitée  ici  la  partie 
de  violon.  Le  récitatif  est  empreint  d'un  caractère  élégiaque, 
et  l'auteur  a  su  tirer  le  plus  grand  p  rli  de  l'idée  principale  du 
tutti,  pour  en  varier  l'expression  et  l'amener  progressivement 
à  une  teinte  de  plus  en  plus  passionnée,  jusqu'à  ce  qu'enfin  , 
après  quelques  traits  fort  remarquables  dans  lesquels  le  violon 


principal  trouve  suffisamment  l'occasion  de  briller,  le  récitatif 
se  termine  en  amenant  à  un  délicieux  adagio  dont  l'accompa- 
gnement très-habilement  travaillé  porte  la  vie  et  la  fraîcheur 
dans  la  mélodie  principale,  remarquable  aussi  par  son  allure 
mélancolique.  Tout  à  coup  apparaît  un  morceau  à  2/4  en  la 
bémol  majeur,  écrit  dans  un  mouvement  passionné,  et  dans 
lequel  les  premiers  violons  exécutent  le  dessin  priucipal,  tan- 
dis que  le  violon  récitant  chante  largement  sur  la  quatrième 
corde  et  revient  au  chant  majestueux  de  Vadagio  après  quel- 
ques "phrases  vives  et  précipitées  sur  lesquelles  l'orchestre 
brode  un  accompagnement  du  plus  grand  effet.  Nous  devons 
louer  fans  restriction  celte  forme  aussi  neuve  que  belle,  car 
nous  sommes  forcés  de  reconnaître  que  les  plaintes  des  ama- 
teurs sont  généralement  fondées  lorsqu'ils  prétendent  qu'un 
concerto  en  trois  parties  ennuie  généralement ,  attendu  que 
dans  la  plupart  de  ces  compositions  on  ne  retrouve  aucune 
unité  dans  les  trois  frngmens.  Il  arrive  très-fréquemment  dans 
des  morceaux  de  ce  genre  que  le  premier  et  le  dernier  solo  ont 
entr'eux  si  peu  de  rapports  et  de  liaison  que  chacun  d'eux  peut 
être  exécuté  isolément,  tandis  qu'au  contraire  dans  le  grand 
et  véritable  concerto  en  mi  bémol  de  Beethoven,  tout  le 
inonde  reconnaîtra  l'unité  qui  domine  toute  l'œuvre.  Il  de- 
vient donc  de  la  plus  grande  importance  pour  un  concerto  de 
ce  genre ,  que  l'exécutant  joue  les  trois  parties  de  suite",  car 
alors  le  concerto  n'est  autre  chose  qu'une  symphonie  pour  un 
instrument  solo  et  l'orchestre,  autrement  dit,  une  peinture 
de  caractère  que  personne  n'a  le  droit  de  rogner,  et  qui  doit 
être  représentée  sans  la  moindre  interruption  ou  le  moindre 
changement. 

C'est  aussi  sous  ce  point  de  vue  qu'il  faut  considérer  le  con- 
certo qui  nous  occupe.  C'est  une  peinture  musicale  moins  éten- 
due il  est  vrai  qu'un  concerto  ordinaire  ,  mais  qui  satisfait  aux 
exigences  les  plus  sévères  de  la  critique.  Sans  vouloir  peindre 
par  des  paroles  des  idées  que  nous  croyons  devoir  laisser  juger 
par  l'auditeur,  nous  remarquerons  seulement  qu'on  retrouve 
dans  cette  nouvelle  production  de  M.  Spohr  ce  même  caractère 
élégiaque  qui  distingue  le  reste  de  ses  compositions,  si  ce  n'est 
qu'ici  il  a  employé  des  couleurs  plus  vives  et  plus  passionnées 
que  de  coutume,  ce  qui  donne  un  nouveau  charme  à  ce  der- 
nier morceau.  Après  ces  courtes  réflexions,  nous  nous  faisons 
un  devoir  de  retourner  à  notre  analyse.  La  reprise  de  Vadagio 
est  du  meilleur  effet  ,  parce  que  la  mélodie  en  est  douce  et  ten- 
dre, et  forme  ainsi  un  point  de  repos  que  les  traits  animés  qui 
précèdent  ont  su  faire  désirer.  Après  un  court  récitatif  en  dou- 
bles cordes  ,  l'orchestre  attaque  un  allegro  rempli  d'énergie, 
dont  !e  violon  principal  ne  tarde  pas  à  s'emparer.  Jusqu'à  pré- 
sent le  violon  principal  n'avait  eu  que  du  chant,  mais  il  se 
lance  alors  dans  des  traits  de  bravoure  qui  sont  ici  entièrement 
à  leur  place.  Dans  une  œuvre  ainsi  disposée,  on  sent  tout  le 
charme  de  semblables  traits  qui  passent  inaperçus  dans  de  si 
nombreuses  compositions ,  et  qui  finissent  même  par  inspirer 
le  dégoût .  parce  que  l'oreille  n'entend  pas  autre  chose.  Q^.and 
ce  passage  brillant  est  termine,  l'auteur  ramène  encore  une 
fois  le  motif  du  premier  récitatif,  et  cela  forme  une  très-agréa- 
ble liaison  entre  les  difficultés  qui  précèdent  el  le  morceau  qui 
suit.  Le  compositeur  déploie  dans  cette  dernière  partie  toutes 
ses  ressources  de  virtuose  violoniste;  ses  traits  sont  des  plus 
brillans  et  sa  cadence  finale  produit  le  plus  grand  effet. 

Pour  résumer  notre  jugement  sur  cet  ouvrage,  nous  nous 
bornerons  donc  à  ceci  :  la  forme  est  nouvelle  et  unie;  les  traits 


de  mélodie  sont  mélancoliques  et  caractérisés  ;  les^  traits  sont 
brillaus  sans  être  trop  difficiles,  et  ils  n'ont  aucune  analogie 
avec  les  traits  parfois  pesans  qu'on  retrouve  dans  beaucoup 
d'autres  productions  du  même  compositeur;  l'instrumentation 
est  soignée  et  remarquable  comme  on  avait  le  droit  de  l'atten- 
dre de  M.  Spohr;  en  un  mot,  le  tout  forme  une  œuvre  remar- 
quable et  un  morceau  à' effet  pour  le  violon. 


24  Récréations  courtes,  faciles  et  brillantes,  sur  des 
mélodies  françaises  et  étrangères,  par  Charles  Chau- 
lieu.  Chaque  récréation  :  50  centimes. 

Oui ,  cinquante  centimes  !  Un  de  nos  plus  célèbres  écono- 
mistes disait  à  la  tribune  :  Y  a-t-il  du  bon  marché  pour  de  la 
mauvaise  marchandise? 


Plaisanterie  musicale  pour  la  flûte,  avec  accompa- 
gnement, de  quatuor  ou  piano,  par  Tulou;  ceuv.?  68; 
prix  :  2  fr.  50  c. 

M.  Tulou,  en  homme  d'esprit,  a  donné  le  titre  de  plaisante- 
rie à  son  œuvre;  mais  le  public  ne  goûtera  guère  les  plaisante- 
ries dans  le  genre  de  celles  que  M.  Tulou  vient  de  lui  offrir. 

Grand  solo  de  concours    pour   flûte   et  quatuor  ou 
piano,  par  Tulou;  œuvre  69.  Prix  :  2  fr.  50  c 

C'est  un  morceau  brillant,  mais  sans  conséquence;  il  laisse 
loin  derrière  lui  les  compositions  gracieuses  que  M.  Tulou  a 
livré  autrefois  à  l'avidité  des  flûtistes. 


Variations  sur   la  Stramera ,  par    J.-B.    Duvernoy. 
Op.  66.  Prix  :  1  fr.  50  c. 

Le  jeune  auteur  arrivé  à  l'œuvre  66  a  grand  besoin  pour  se 
faire  une  réputation  de  livrer  au  public  au  moins  un  bon  ou- 
vrage. Avec  la  meilleure  volonté  et  toute  indulgence  envers 
les  jeunes  artistes,  nous  n'oserions  recommander  aux  amateurs 
ses  variations  sur  la  Straniera;  c'est  un  ouvrage  complètement 
manqué. 

NOUVELLES. 

+  *  La  commission  de  non-surveillance  de  l'Opéra  remplit, 
on  ne  peut  mieux,  ses  devoirs.  Depuis  un  an  ce  théâtre  n'a  donné 
aucun  opéra  nouveau,  et  la  Juive  ne  sera  pas  prèle  pendant  tout 
le  temps  [que  M.  Véron  fera  de  l'argent  avec  des  vieilleries 
pompeusement  annoncées  tt  avec  Robert  le  Diable ,  dont  cha- 
que représentation  produit  toujours  plus  de  9000  fr. 

*,*  Nous  aurons  l'Opéra-Allemand  ,  vers  la  fin  du  mois,  au 
théâtre  Ventadour.  Plusieurs  artistes  sont  déjà  arrivés;  on  en 
attend  beaucoup  d'autres.  Nous  donnerons  dans  notre  pro- 
chain numéro  les  noms  de  tous  les  chanteurs  et  cantatrices  en- 
engagés  pour  cet  hiver. 

t*+  Plusieurs  centaines  d'élèves  de  première  force  sortis  du 
Conservatoire,  attestent  le  talent  de  M.  Zimmermann.  Cet 
habile  artiste  qui  n'a  jamais  cessé  de  travailler  pour  le  bien- 
être  de  l'art ,  et  qui  depuis  trois  ans  réunit  chez  lui  chaque  se- 
maine l'élite  des  artistes  de  Paris  pour  faire  de  la  bonne  ;nu- 


sique ,  a  donné  jeudi  dernier  une  soirée  en  honneur  de  son 
maître,  le  grand  et  célèbre  compositeur  dont  la  France  musi- 
cale porte  le  deuil.  Tout  ce  que  nous  y  avons  entendu  exécu- 
ter avec  une  rare  perfection  était  de  Boieldieu.  Dans  le  grand 
nombre  d'artisles  qui  assislaientà  cette  solennité,  nous  avons 
remarqué  MM.  Rossini,  Meyerbecr ,  Auber,  Halevy,  Cho- 
pin ,  Ililler,  Rubini,  etc.  etc. 

+%  Les  pensions  acquises  à  titre  onéreux  par  les  artistes  de 
l'Opéra-Comique,  viennent  d'être  inscrits  au  grand-livre  de  la 
delte  publique.  Le  total  de  ces  pensions  s'élève  à  'l5o,ooo  fr. 
par  année.  L'arrière  doit  être  payé  ces  jours-ci.  C'est  avec  plai- 
sir que  nous  annonçons  crt  acte  de  justice  si  tardif,  dû  à  l'in- 
fatigable activilé  de  M.  Mitouflet.  Un  assez  grand  nombre  d'ar- 
tisles est  redevable  à  cet  habile  avoué  de  gain  de  cause  dans  les 
procès  les  plus  douteux. 

+*,.  M.  le  maire  de  Rouen  a  commandé  le  buste  de  Boieldieu 
pour  la  somme  de  3,ooo  fr.  à  M.  Dantan  jeune.  Ce  portrait  du 
célèbre  compositeur  que  la  ville  de  Rouen  s'honore  d'avoir  vu 
naître,  est  destiné  au  Musée  de  cette  ville,  on  dit  que  M.  Dan- 
tan sera  également  chargé  d'exécuter  un  buste  en  marbre  de 
Boieldieu  [.our  la  ville  de  Marseille. 

+*,  Un  journal  dont  les  rédacteurs  se  disent  musiciens ,  ap- 
pell. ■  l'auteur  de  la  Sylphide  :  Slrinoshoeffer.  Il  nous  semble 
que  M.  Schneitzhofer  a  trop  souvent  fait  preuve  de  talent  pour 
qu'il  soit  permis  à-un  écrivain  ,  ne  fut-il  que  pianiste;  d'igno- 
rer son  nom. 

Le  Marchand  Forrain  continue  à  attirer  beaucoup  de 
e  à  rOpéra-Comi.;ue.  Nous  répétons 
gent  est  dû  à  MM.  Planard  et  Paul  Duport. 


monde  à  l'Opéra-Comiijue.  Nous  répétons  que  ce  succès 


& 


t*t  On  assure  qu'il  y  a  un  grand  rôle  pour  Inchindi  dans 
l'opéra  chinois  que  promet  M.  Auber.  C'est  une  preuve  nou- 
velle que  l'habile  compositeur  sait  tirer  parti  de  tous  les  avan- 
tages que  la  nouvelle  administration  met  à  sa  disposition. 

*+  Chao-Kang  continue  ses  succès.  Les  danses,  la  musi- 
que et  les  costumes  de  ce  ballet  chinois,  égaient  quatre  fois  par 
semaine  un  public  nombreux  accouru  à  l'appel  du  théâtre 
Ventadour. 

+%  Le  théâtre  de  Bruxelles  monte,  en  ce  moment ,  un  opéra 
intitulé  :  Philippe  cC Arleweldl  ;  poème  et  partition  tout  y  sera 
du  terroir;  la  pièce  est  attribuée  au  général  Niellon,  et  la  mu- 
sique à  un  compositeur  belge  ,  nommé  Nichelot. 

+*+  Ou  vient  de  recevoir  à  l'Opcra-Comiquc  une  pièce  en 
trois  actes,  intitulée  :  le  Chevalier  noir,  qu'on  attribue  à 
M.  Melcsville  ;  la  musique  est,  dil-on  ,  confiée  à  M.  Despréaux. 

*+  C'est  le  3"!  octobre  que  le  cœur  de  Boieldieu  a  été  remis  à 
M.  H.  Barbet  par  M.  le  docteur  Boucher-du-Gaâ  ,  en  son  cabi- 
net,  rue  Taitbout;  n°  6.  Le  cœur  préparé  au  dento-chlorure 
de  mercure  (sublime  corrosif)  et  paifaitcmant  disséché,  a  été 
renfermé  dans  une  forte  boite  en  plomb,  soudée  de  toutes 
parts,  et  entourée  d'une  croix  en  ruban  noir,  scellé  de  deux 
sceaux  de  cire.  Cette  boite  en  plomb,  renfermée  dans  unebeitc 
d'argent ,  avec  une  copie  du  procès-verbal  d'acceptation  par  la 
villa  de  Rouen  ,  de  ce  don  précieux  ,  doit  rester  déposée  à  1  hô- 
tel-de-ville ,  jusqu'au  jour  ou  les  derniers  honneurs  seront  ren- 
dus ii  Boieldieu  â  la  cathédrale,  avant  la  translation  au  cime- 
tière monumental ,  où  doit  être  érigé  le  mausolée  qui  doit  la 
renfermer.  Des  chariots  du  mobilier  de  la  couronne  pot  tenta 
Rouen  des  riches  tentures,  mises  à  la  disposition  du  comité  de 
souscription,  pour  pouvoir  donner  à  cette  funèbre  solennité 
toute  la  potnpe  dont  elle  est  susceptible.  On  annonce  que, 
Ponchard  doit  représenter  l'Opéra-Comique  à  celte  cérémonie. 
Des  députes  de  l'institut,  du  Conservatoire  et  delà  Commis- 
sion dramatique  s'y  rendront  aussi. 

*i  Madame  Amélia  Masi  vient  de  quitter  Rouen  oit  »lle  a 
donné  des  représentations  fort  suivies.  Cette  cantatrice  va  se 
rendre  à  Calais  où  elle  est  attendue  avec  impatience. 

+*4  Les  six  premiers  morceaux  de  la  partition  du  Cheval  de 
Bronze,  ont  été  dit-on,  déjà  donnés  à  la  copie  par  M.  Auhcr. 

+*+  M.  Solomé  qui  avait  été  sur  le  point  d'accepter  la  direc- 
tion des  théâtres  de  Bruxelles,  vient  d'y  renoncer,  les  clauses 
de  l'engagement  lui  ayant  paru  trop  onéreuses. 


364 


GAZETTE  MUSICALE  DE  PARIS. 


+%  Le  concert  de  M.  Berlioz  a  lieu  aujourd'hui  dimanche  , 
au  Conservatoire,  rue  Bergère,  il  est  probable  que  l!affluence 
sera  grande,  car  presque  toutes  les  loges  et  stalles  sont  loués. 

+*+  L'Opéra-Comique  annonce  pour  mardi  prochain ,  une 
représentation  au  bénéfice  d'un  artiste  ;  elle  se  composera  de  la 
quatrième  représentation  du  Marchand  Forain  et  du  Chalet , 
entre  les  deux  pièces  :  Concert  composé  de  l'ouverture  de 
Zampa,  Concerto  pour  violon  ,  par  Rovelli ,  et  variations  bril- 
lantes de  Meyseder,  exécutés  par  madame  Fillipowicz,  élève 
de  Paganini  ;  — Air  du  Barbier  chanté  par  mademoiselle  Le- 
brun ,  et  duo  de  Sémiramide ,  chanté  par  M.  Inchindi  et  ma- 
demoiselle Lebrun.  C'est  plus  qu'il  n'eu  faut  pour  remplir  la 
petite  salle  de  la  Bourse.  Le  prix  des  places  n'est  pas  aug- 
menté. 

+*t  Le  théâtre  Vantadour  s'occupe,  en  ce  moment,  d'une 
pièce  en  un  acte  intitulée  :  la  Mascarade.  C'est  un  ouvrige 
que  M.  Henri  a  fait  représenter,  il  y  a  long-temps,  à  l'étranger, 
et  auquel  ressemble  beaucoup,  dit-on,  le  Bal  de  Gustave. 

+%  L'affaire  du  théâtre  de  Biuxelles  est  enfin  terminée  ;  la 
direction  est  confiée  à  M.Bernard,  qui  exploitera  en  même 
temps  les  théâtres  d'Anvers  et  de  Bruxelles. 

+%  M.  Mira  ,  qui  a  dirigé  1rs  bals  masqués  de  l'Opéra  l'hi- 
ver dernier,  vient  d'obtenu  du  directeur  de  l'Académie  royale 
de  musique  le  privilège  de  tous  les  autres  bals,  tant  que  le 
théâtre  restera  sous  l'administration  actuelle. 

+,f+  La  Prova  d'un  opéra  Séria  a  obtenu  un  succès  prodi- 
gieux au  Théâtre-Italien.  Lablaclie  à  fait  pouffer  de  rire  les  di. 
lettanti,  qui  de  bonne  heure  avaient  encombré  la  salle  du  Théâ- 
tre Italien. 

%  Blangini,  connu  par  d'élégantes  compositions  musicales, 
publie  aujourd'hui  sa  biographie,  qui  se  rattache  indirectement 
à  l'histoire  contemporaine,  à  cause  de  la  position  qu'il  a  toujours 
occupée  dans  la  haute  société. 


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POUR    LE    PIANO 

PAR  L.   BE  BEETHOVEN. 

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et  op.  1 02,  deux  Sonates  pour  piano  et  violoncelle  ou  violou. 
Liv.  16  :  Op.  96.  Sonate,   pour  piauo  et  violon  ;  Variations  , 

pour  piano  et  violon,  it  Rondeau  pour  piano  et  violon. 
Liv.  -17  :  Op.  28,  33,  4g,  81  et  101.  Sonates  piauo  seul. 

Le  prix  de  souscription  pour  chaque  livraison   est  de  8  fr. 
net.  L'ouvrage  complet  se  composera  de  22  livraisons. 

Les  trios  et  duos  sont  gravés  en  partition ,  et  néanmoins  les 
parties  séparément  pour  en  faciliter  l'étude  et  l'exécution. 


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Tulou.  Le  Bouquet  de  Bal,  fantaisie  pour  la  flûte  avec  ac- 
compagnement de  piano  ou  quatuor.         10  fr.  et  7  Ir.  5o  c. 

Camus.  Cavatincs  italiennes  avec  les  ornemens  et  les  points 
d'orgues,  chantées  par  mesd.  Grisi,  Mahbrau,  et  MM.  Iva- 
nof ,  Rubini  et  Tamburini,  arrangés  pour  la  flûte  avec  ac- 
compagnement de  piano.  Nos  1  et  3,  Anna  Bolena;  n°  3,  // 
Pirata.  Chaque.  5  fr. 


Cottignies.  Op.  31  ■  Fantaisie  romantique  pour  flûte  avec  ac- 
compagnement de  quatuor  0:1  piano.         7  fr.  5oo.  et  10  fr. 

—  Op.  32.  Variations  brillantes  sur  le  théine  original  de 
II.  Herz,  pour  flûte,  avec  accompagnement  de  quatuor  ou 
piauo.  7  fr.  5o  c.  et  10  fr. 

—  Op.  35.  Nocturnes  pour  flûte  et  piano.  7  fr.  5o  c. 

A.  Adam.  Le  Chalet  (morceaux  détachés  avec  accompagne- 
ment de  piano. 

Ouverture.  5  f.  5o  c. 

N°1.  Air  chanté  par  M.  Couderc.  4  5o 

1.  Couplets  suisses  chantés  par  madame  Pra- 

dher.  2         » 

3.  Air  chanté  par  M.  Inchindi.  3  -5 

4-  Chanson  militaire  par  M.  Inchindi.  3  75 

4  (bis).  La  même,  pour  voix  de  lenor.  3  75 

5.  Duo  chanté  par  madame  Pradhcr  et  M.  Cou- 

derc. 5         » 

6.  Duo  chanté  par  MM.  Inchindi  et  Couderc.     5         « 

7.  Romance  chantée  par  madame  Pradher  et 

M.  Couderc.  2       5o 

8.  Trio  chantépar  madamcPradher  et  MM. In- 

chindi et  Couderc.  6         » 


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Musicale  de  Pari:. 


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bert- le- Diable ,  par  Charles  Czerni; 

2e  L'v.  Caprice  brillant  sur  Ludovic ,  de  Hérold 
et  Halévy,  par  Charles  ÇJiaulieu  ; 

5e  Liv.  Vienne  et  Berlin.  Valses,  Cotillon  et 
Galops  favoris  de  l'Allemagne,  par  Strauss,  Weller  et 
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Gérant,  MAURICE  SCHLESINGER 


GAZETTE   MUSICALE 

RÉDIGÉE   PAR   MM.    ADAM,    G.    E.    ANDERS ,  BERT0N  (membre    de  l'IOSlUut),    BERLIOZ,   CASTIL-BLAZE ,  A.  GUEMER , HALÉVY 

(professeur  de  contrepoint  au  Conservatoire),  Jules  janin  ,  liszt,  lesueur  (membre  de  l'Institut),  j.  mainzer,  marx 
(rédacteur  de  la  gazette  musicale  de  berlin),  d'ortigue  ,  panofka  ,  richard,  j.  g.  seyfried  (maître  de  chapelle 
à  Vienne),  F.  stœpel,  etc.,  etc. 


1"  ANNÉE. 


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PARIS. 

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£»  (Sasttte  iHxxe'ttaïe  ï>*  ^Jaris 
Paraît    le   DIMANCHE  de  chaque  semaine. 


On  s'abonne  au  bureau  de  la  Gazette  Musicale  de  Paris,  rue  Richelieu  ,  97; 
et  chez  lotis  les  libraires  et  it.archands  de  musique  de  France. 

)u  reçoit   les  réclamations  des  personnes  qui  ont  des  griefs  à  exposer,  et  les  avis  relatifs  à  la  musîmi 


ont  des  griefs  à  ejp 
l  intéresser  le  public 


PARIS.  DIMANCHE  IC  NOVEMBRE  (834. 


Les  lettres,  demandes 
et  envois  d'argent  doi- 
vent êlre  affranchis,  et 
adressés  au  Directeur , 
rue  Richelieu,  97. 


Iphîgénie  en  Tauride. 


1er  acte. 


rticle 


On  voit,  au  premier  coup  d'œil,  que  cet  ouvrage  est 
du  petit  nombre  de  ceux  que  les  auteurs  écrivent  avec 
passion.  Le  sujet  en  effet  ne  pouvait  être  mieux  choisi 
pour  faire  ressortir  tout  les  richesses  pathétiques  du  gé- 
nie de  Gluck  ;  c'était  un  thème  admirable  pour  la  sombre 
et  puissante  imagination  qui  déjà  avait  produit  Alceste, 
l'acte  des  enfeis  dans  Orphée,  le  caractère  d'Hidraot 
dans  Armidezl  les  merveilleuses  scènes  du  dénoûment 
d' Ip'a'géiiie  en  Auliàe.  Aussi  le  musicien  s'empare-t-il 
dès  le  début  de  l'attention  de  l'auditeur.  Au  lieu  d'é- 
crire une  ouverture,  comme  on  n'eût  jamais  avant  lui 
osé  s'en  dispenser,  il  nous  fait  assister  en  commençant  à 
une  scène  de  calme  ;  la)  nature  est  en  repos,  les  froides 
ondes  de  la  mer  Noiie  se  balancent  mollement,  aucun 
orage  ne  gronde  sur  cette  plage  [sauvage  et  désolée 

Etait-il  possible  de  donner  a  ce  tableau  musical  plus 

de  grandeur  et  de  vérité? Les  moyens  que   Gluck 

avait  a  sa  disposition  étaient- ils  suffisans  pour  cela? 

A  ces  deux  questions  nous  ne  pouvons  nous  empêcher 
de  répondre  par  l'affirmative.  Oui,  l'esprit  va  beaucoup 
au-delà  ;  la  contemplation  de  ce  sommeil  momentané 
des  élémens  pouvait  être  rendue  avec  une  majesté  in- 
comparablement supérieure  aux  gracieuses  ondulations 
de  la  mélodie  de  Gluck.  Toutefois  il  faut  convenir  qu'il 
y  a  un  charme  extrême  dans  cet  amiante  si  simple  et  si 
court.    Le  chant  en  est  pur,  l'harmonie  naturelle,  les 


basses  bien  dessinées;  ajoutons  en  outre  qu'il  s'y  trouve 
un  effet  d'instrumentation  qui  n'a  pas  été  imité  depuis , 
cJest  une  tenue  pianissimo  des  deux  trompettes  a  l'unis- 
son sur  la  dominante.  Cet  instrument  que  l'on  n'em- 
ploie guère  que  dans  le  forte  ou  le  mezzo  forte ,  donne 
par  son  timbre  mordant  un  caractère  particulier  à  cette 
pédale,  et  augmente  sensiblement  à  son  entrée  l'intérêt 
musical  du  morceau.  L'allégro  qui  suit  est  intitulé  : 
Tempête.  11  roule  presque  entièrement  sur  l'opposition 
d'une  mesure  forte  a  une  mesure  piano,  et  les  dessins 
des  instrumens  a  cordes  ne  consistent  qu'en  des  gammes 
ascendantes  d'une  octave  à  l'autre,  dont  la  persistance 
finit  à  la  longue  par  fatiguer.  Signalons  cependant  un 
admirable  trait  épisodique.  Quelques  mesures  avant 
l'entrée  d'Iphigénie  ,  les  basses  tiennent  le  fa  dièze  tre- 
molando;  les  violons  s'agitent  dans  les  sonswf,  sol, 
septième  et  neuvième,  pendant  qu'au-dessus  de  toute 
l'harmonie  les  petites  flûtes  serpentent,  en  suivant,  h  la 
quarte  supérieure  (qui  devient  une  onzième  par  le  tim- 
bre aigu  de  l'instrument  ) ,  la  marche  des  premiers  vio- 
lons. Il  résulte  de  cette  étrange  disposition  des  parties 
un  effet  déchirant  et  sauvage,  aussi  heureux  qu'inat- 
tendu. On  est  surpris  de  ne  pas  entendre  de  tronibonnes 
dans  un  morceau  de  cette  nature;  Gluck,  en  les  réser- 
vant exclusivement  pour  la  scène  des  Euménides  qui  ne 
vient  qu'au  second  acte,  a  fait  preuve  d'une  grande 
force  de  volonté;  mais  peut-être  aussi  a-t-il  donné  dans 
ce  cas  une  extension  exagérée  à  son  système.  Certes  il 
est  beau  de  savoir  ménager  ses  ressources  ,  et  les  réser- 


366 


GAZETTE  MUSICALE 


ver  pour  les  occasions  les  plus  importantes  ;  mais  il  ne 
faudrait  pas  pourtant  en  être  si  avare  que  des  scènes  de 
la  nature  de  celle  qui  ouvre  l'opéra  d'Iphigénie  fussent 
privées  de  leurs  auxiliaires  les  plus  puissans.  C'est  faire 
ressortir  un  coin  du  tableau  en  condamnant  tout  le  reste 
a  une  demi-obscurité.  A  coup  sûr,  s'il  y  a  un  moment 
où  les  cris  des  trombonnes  puissent  être  bien  placés,  c'est 
dans  une  tempête;  Beethoven  l'a  bien  prouvé.  Malgré 
cette  économie  extrême  dans  l'instrumentation  ,  malgré 
le  nombre  excessif  des  gammes  ascendantes  des  instru- 
mens  a  cordes,  malgré  un  défaut  assez  sensible  de  grands 
contrastes ,  ce  morceau  émeut  profondément.  Je  crois 
que  l'harmonie  et  la  vérité  d'expression  des  parties  vo- 
cales en  sont  la  cause.  Peu  de  musiciens  ont  su  tirer  un 
plus  grand  effet  de  l'accord  de  septième  diminuée.  Gluck 
l'emploie  avec  une  grande  habileté,  tantôt  complet, 
tantôt  privé  d'une  de  ses  notes  intermédiaires.  Rare- 
ment il  met  à  la  basse  le  ton  fondamental:  l'aspect  sous 
lequel  il  présente  cet  accord  le  plus  volontiers  est  celui 
de  son  second  renversement,  dont  l'accent  est  incompa- 
rablement plus  sinistre.  On  ne  saurait  douter  que  cette 
disposition  de  l'harmonie  ne  soit  le  résultat  d'une  inten- 
tion spéciale  du  compositeur.  Le  choix  des  paroles  sous 
lesquelles  la  septième  diminuée  se  trouve  ainsi  renversée 
le  prouve  évidemment.  Exemples  :  a  l'entrée  d'Iphi- 
génie  : 

«  Grands  Dieux,  soyez-nous  secourables  !  » 

l'accord  est  la  dièze,  ut  dièze,  mi,  sol;  la  basse  frappe 
le  toi; 

«  Détournez  vos  foudres  vengeurs,  u 

l'accord  est  mi  dièze  _,  sol  dièze ■>  si,  ré;  la  basse  frappe 
le  si; 

«  Si  ces  bords  cruels  et  sinistres.  » 

l'accord  est  re' dièze, fa  dièze  j,  la,  ut;  la  basse  frappe 
le  la; 

«  Sont  l'objet  de  votre  courroux.  » 

l'accord  est  la  dièze  ,  ut  dièze ,  mi ,  sol;  la  basse  frappe 
encore  le  toi.  En  d'autres  occasions,  il  arrive  bien  que  le 
son  grave  de  l'accord  se  trouve  placé  dans  les  parties 
inférieures;  mais  alors  on  peut  remarquer  que  l'harmo- 
nie ne  se  compose  pas  entièrement ,  pour  les  disson- 
nances,  de  septièmes  diminuées  (comme  dans  les  pas- 
sages que  nous  venons  de  citer),  il  y  a  un  mélange  de 
septièmes  dominantes  qui  démontre  clairement  que  le 
compositeur  a  voulu  adoucir  son  expression  harmonique 
en  lui  conservant  cependant  encore  une  certaine  àpreté. 
Le  retour  du  calme  nous  paraît  beaucoup  mieux  rendu 
et  plus  satisfaisant ,  sous  tous  les  rapports ,  que  ce  qui 
précède.  La  dégradation  des  tons  y  est  supérieurement 


ménagée  ;  l'orchestre,  tout  en  continuant  son  rôle  d'ac- 
teur principal ,  accompagne  pourtant  fort  bien  la  voix 
d'Iphigénie,  et  permet  d'entendre  chaque  mot.  Ceci 
n'est  pas  d'une  médiocre  importance,  il  faut  bien  le 
dire  ;  pour  quiconque  ne  peut  entendre  ou  comprendre 
les  paroles ,  Gluck  doit  être  le  plus  ennuyeux  et  le  plus 
insupportable  des  compositeurs.  La  transition  du  chant 
mesuré  au  récitatif  est  si  habilement  conduite  dans  toute 
la  fin  de  ce  morceau ,  qu'on  s'en  aperçoit  a  peine.  Bien 
des  compositeurs  prendraieut  cette  observation  pour  une 
critique  pleine  d'ironie;  mais  en  tenant  compte  des  idées 
que  Gluck  s'était  formées  du  chant  dramatique  (idées 
qui  nous  semblent  justes  en  grande  partie),  il  importait 
essentiellement  qu'Iphigéuie  ne  parût  pas  terminer  un 
air,  au  moment  où  l'orchestre  achève  son  tableau  musi- 
cal. Elle  observe  le  retour  du  calme  et  doit  se  garder 
peut-être  plus  encore  de  donner  a  sa  diction  des  formes 
musicales  trop  prononcées ,  que  de  chanter  simplement 
au  travers  de  l'orchestre  des  notes  de  remplissage  sans 
accent  ni  mélodie.  C'est  une  double  difficulté  qu'un 
sentiment  exquis  ?de  l'expression  pouvait  seul  faire  sur- 
monter, et  Gluck  l'a  vaincue,  presque  sans  y  songer, 
tant  il  était  dans  sa  nature  d'être  avant  tout  expressif  et 
vrai! 

Les  deux  pages  de  récitatif  qui  suivent ,  où  s'établit 
un  dialogue  entre  Iphigénie  et  deux  prétresses  cory- 
phées, ne  produisent  qu'une  monotonie  glaciale ,  comme 
il  arrive  toujours  quand  on  fait  chanter  seuls  des  cho- 
ristes. Puis  ces  bouts  de  rôles  ainsi  conçus ,  ne  sont-ils 
pas  au  moins  aussi  ridicule  en  musique  aujourd'hui,  que 
nous  le  paraissent  en  litérature  dramatique  les  confi- 
dentes de  tragédies  dans  l'ancienne  école  du  théâtre 
français  ?  Les  choristes  sont  faits  pour  chanter  des 
chœurs  ;  toutes  les  fois  que  vous  voudrez  leur  confier 
des  rôles  individuels,  quelque  faciles  qu'ils  soient,  vous 
êtes  sûr  de  faire  rire  l'auditoire  ou  tout  au  moins  de  le 
fatiguer.  Le  temps  viendra  peut-être  où  les  chœursseront 
exécutés  par  des  artistes  doués  d'une  belle  voix  et  habi- 
les chanteurs,  mais  ce  temps  n'était  pas  encore  arrivé 
pour  Gluck  ,  il  ne  l'est  pas  pour  nous  :  en  attendant  cet 
âge  d'or  de  la  musique,  il  est  prudent  de  ne  confier  des 
récitatifs  ou  solos  importans  qu'a  des  artistes  que  leurs 
études  ont  mis  dans  le  cas  de  pouvoir  les  exécuter  d'une 
manière  convenable.  L'instant  d'ennui  causé  par  la  con- 
versation des  coryphées  est  bien  vite  oublié  dès  qu'Iphi- 
génie  a  repris  la  parole. 

Nous  ne  connaissons  rien  de  plus  étonnant  que  ce 
récitatif  obligé,  si  justement  célèbre  sous  le  nom  du 
songe  d'Iphigénie.  On  ne  sait  ce  qu'il  faut  le  plus  admi- 
rer, ou  de  l'incroyable  profondeur  dramatique  du  rôle 


DE  PARIS. 


de  l'actrice  ou  de  la  vérité  de  celui  de  l'orchestre. 
D'abord  les  instrumens  a  cordes  frappent  quatre  fois  sur 
la  note  fa  dieze  a  l'octave  et  a  l'unisson.  La  tonalité  de 
fa  dieze  est  donc  pour  ainsi  dire  établie,  quand  sur  les 
mots  :  Celte  nuit ,  elle  change  d'une  façou  inattendue 
pour  rentrer  dans  la  tonalité  de  re  par  l'accord  de 
quinte  diminuée  à' ut  dieze  renversé.  Ici  le  frisson  com- 
mence a  se  faire  sentir. 

i  J'ai  revu  le  palais  de  mon  père.  » 
Plainte  de  l'orchestre. 

«  J'allais  jouir  de  ses  embrassemens  , 

»  J'oubliais  en  ces  doux  momens 

«  Ses  anciennes  rigueurs  et  quinze  ans  de  misère.  » 

Aux  mots  quinze  ans ,  deux  lourds  accords  dissonans 
fortement  plaqués,  expriment  bien  le  poids  immense  de 
douleurs  dont  le  souvenir  vient  accabler  la  malheureuse 
fille  du  roi  de  Mycènes.  Plus  loin,  après  avoir  décrit  le 
palais  de  son  père  embrasé  par  la  foudre ,  elle  se  tait  un 
instant  ;  les  hautbois  et  les  flûtes  ,  qu'on  n'a  point  en- 
core entendus,  laissent  échapper  un  soupir  doulou- 
reux ; 

«  Du  milieu  des  débris  fumans, 
»  Sort  une  voix  plaintive  et  tendre.  » 

Second  soupir  ; 

«  Jusqu'au  fond  de  mou  cœur  elle  se  fait  entendre.  « 

Trait  rapide  et  bref  de  tous  les  instrumens  a  cordes  a 
l'unisson  ; 

«  Je  vole  à  ces  tristes  accens.  « 

Second  trait  plus  haut  d'un  ton  que  le  précédent  ; 

«  A  mes  yeux  aussitôt  se  présente  mou  père.  » 

Accord  fort  et  sec,  frappé  par  les  altos  et  les  basses  , 
auquel  répondent  les  violons  par  deux  notes  piano  en 
octaves  et  en  succession  de  sixte.  Ces  notes  isolées,  par- 
tant de  différens  points  de  l'orchestre,  peignent  avec 
une  vérité  inouïe,  l'étonnement,  l'effroi  subit,  la  stu- 
péfaction. «  Sanglant,  »  même  effet,  plus  haut;  «  percé 
de  coups,  »  même  effet,  plus  haut,  «  et  d'un  spectre 
inliumain,  »  même  effet,  plus  liant  d'une  tierce  ; 
«  fuyant  la  rage  meurtrière,  »  même  effet,  encore  plus 
haut.  Frissonnement  de  tout  l'orchestre  ;  «  Ce  spectre 
affreux,  >j  le  frémissement  des  instrumens  continue, 
pendant  que  la  voix  manque  a  Iphigénie  ,  qui  s'arrête 
épouvantée  de  ce  qu'elle  va  dire;  enfin,  elle  s'écrie  pré- 
cipitamment :  «  C'était  ma  mère.  »  Sur  le  mot  mère , 
grand  accord  diminué  et  fort  de  tout  l'orchestre.  Silence. 
«  Elle  m'arme  d'un  glaive,  »  trait  pianissimo,  court  , 
très  rapide.  «  Et  disparait  soudain,  »  même  trait,  plus 
bas;  «  Je  veux  juir;  on  me  crie  :  'Âiréter!  c'est  Oreste.  » 


Sur  ce  dernier  hémistiche  arrête  ,   grands  accords  syn- 
copés de  toute  la  masse  instrumentale.  Silence... 

«  Je  vois  un  malheureux  et  je  lui  tends  la  main. 
»  Je  veux  le  secourir,  un  ascendant  funeste 
»  Forçait  mon  bras  à  lui  percer  le  sein.  » 

Deux  accords  brefs.  Elle  tombe  sur  l'autel.  Prodi- 
gieux !  admirable!  sublime!  inaccessible!  écrasant! 
cela  confond  ,  on  ne  peut  respirer  ;  je  me  rappelle  même 
qu'un  jour  a  l'Opéra ,  la  cantatrice  ayant  admirablement 
rendu  la  nuance  du  crescendo  de  la  voix  sur  les  mots  : 
«  Plaintive  et  tendre ,  »  je  poussai  un  cri  terrible  qui  fit 
éclater  de  rire  toute  la  salle.  Quelques  lecteurs  vont  en 
faire  autant,  sans  doute  ;  ma  foi ,  tant  pis  pour  eux. 
(  La  suite  au  numéro  prochain.  ) 


KING'S  THEATRE  DE  LONDRES. 

M.  Severini  est  revenu  de  Londres  sans  avoir  terminé  :  la 
nomination  du  directeur  du  King's  théâtre  pour  la  saison  pro- 
chaine est  encore  reculée;  mais  tout  fait  présumer  que  ce  sera 
M.  Laporte  qui  en  restera  encore  en  possession  pendant  deux 
années.  Voici  ce  qu'on  lit  à  ce  sujet  dans  le  Courrier  des 
théâtres. 

La  gestion  de  M.  Laporte,  le  directeur  titulaire  actuel ,  n'a 
été  heureuse  que  dans  ses  premières  années.  Elle  ne  l'est  plus, 
et  son  état  est  tel  qu'après  une  lutte  pénible  contre  d'innom- 
brables créanciers  ,  M.  Laporte  a  enfin  perdu  sa  liberté.  Il  est 
à  Londres  dans  la  prison  réservée  aux  débiteurs  embarrassés. 
De  là  ,  cependant ,  il  correspond  avec  tout  le  monde ,  fait 
tête  à  l'orage,  discute  ses  .intérêts  passés,  présens  et  à 
venir  ,  signe  même  des  engagemens  ,  et  réclame  la  direction 
du  King's  théâtre,  aux  termes  de  son  bail  de  trois  années,  qui 
en  a  encore  deux  à  courir.  Il  paraît  que,  pour  s'assurer  cette 
dernière  possession  ,  sur  trois  mille  louis  dont  il  était  redeva- 
ble pour  son  loyer,  M.  Laporte  en  aurait  donné  mille  ,  croyant 
bien  que  cette  somme  était  imputable  sur  cette  seule  dette. 
Mais  les  syndics  des  créanciers  (car  la  location  de  la  salle  ap- 
partient aux  victimes  de  plusieurs  faillites)  auraient  reçu  ces 
mille  louis  ,  non  pas  comme  à-compte  sur  le  prix  du  loyer  de 
M.  Laporte  ,  mais  comme  provision  sur  d'autres  dettes  de  cet 
.administrateur.  Si  Cette  dernière  prétention  était  reconnue  par 
les  tribunaux,  qui  sans  doute  vont  être  appelés  à  en  décider  , 
le  mauvais  état  des  affaires  de  M.  Laporte  l'empêchant  de 
fournir  une  nouvelle  somme  par  forme  d'à-compte  sur  le  mon- 
tant de  son  bail ,  la  possession  de  ce  bail  lui  échapperait, 
et  l'on  pourrait  choisir  un  autre  directeur.  Si,  au  contraire  , 
les  magistrats  admettent  que  les  mille  louis  sont  réellement  un 
à-compte  sur  le  prix  du  loyer,  il  y  aura  engagement  synnllng- 
malique ,  reconnu  par  les  parties  elles-mêmes  ,  entre  M. 
Laporte  et  les  syndics  locateurs;  et  ce  dernier,  maître  du  bail, 
le  deviendra  tout  naturellement  de  l'exploitation. 

Mais  en  Angleterre  les  procès  commencent  et  finissent  rare- 
ment. Ou  en  cile  qui  durent  depuis  un  demi-siècle,  et  dont  la 
conclusion  n'est  pas  même  probable.  Plusieurs  des  théâtres  de 
Londres  sont  noyés    de  procès,  sans  que  les  directeurs  qui 


368 


GAZETTE  MUSICALE  DE  PARIS. 


occupent  ces  localités  y  trouvent  le  moindre  obstacle  à  leurs 
travaux. 

Tel  était  donc  l'état  de  la  question  lorsqu'après  la  saisie  de 
la  personne  de  M.  Laporte ,  les  syndics-chambres  ont  eu 
l'idée  d'ouvrir  un  concours  pour  l'admission  d'un  nouveau 
directeur.  Nous  avons  dit  ceux  qui  se  sont  présentés.  De  ce 
nombre  étaient  MM.  Robert  et  Severini  ,  qui  sont  chez  nous 
à  la  tête  du  Théâtre-Italien.  Leur  offre  a  prévalu.  Aussitôt  , 
pour  mieux  s'entendre  sur  les  détails  et  bien  connaître  la  situa- 
tion générale,  M.  Sévérini  est  parti  pour  Londres.  Là  ,  il  s'es 
convaincu  de  l'impossibilité  de  se  charger  de  la  direction  du 
King's  théâtre  ,  sans  courir  les  chances  fort  alarmantes  d'un 
procès  dont  M.  Laporte  et  ses  ayant-cause  seraient  les  parties 
les  plus  actives.  Ces  obstacles  ne  sont  pas  même  les  seuls  op- 
posés à  la  prudence  pleine  de  probité  de  MM.  Robert  et  Seve- 
rini. Celui-ci  revient  donc",  et  les  choses  en  sont  là. 

Pour  justifier  la  réserve  de  M.  Sévérini  en  cette  occasion  , 
nous  allons  produire  un  document  d'après  lequel  on  jugera 
combien  il  y  a  lieu  de  s'inquiéter  des  recelles  dans  une  exploi- 
tation qui  exige  les  dépenses  suivantes  : 

Premiers  sujets  (chants)  et  choristes,  10,000  liv.  sterl. 

Danseurs ,  y  compris  le  corps  de  ballet ,  8,000 

Loyer  du  théâtre  ,  1 1 ,000 

Orchestre,  7,200 

Eclairage ,  1 ,5oo 

Chauffage  du  théâtre  ,  200 

Service  militaire  et  de  police,  200 

Billets,  200 

Averlissemens ,  '20 

Régie  du  théâtre,  600 

Figurans ,  200 

Copie  de  la  musique ,  J0° 

Dépenses  légales ,  20° 

Ouvreuses  de  loges ,  20° 

Costumes  et  habilleurs  ,  56o 

Mises  en  scène  et  décorations  ,  6bo 

Blanchissage ,  00 

Balayage  du  théâtre  (quatre  hommes  à 
5  schellings  par  jour  ,  et  autres  dé- 
penses) ,  I0° 
Machinistes,  "2° 
Portier ,  3o 
Serviteurs,  4° 
Surveillant ,  3o 
Menues   dépenses,   taxes,   assurance, 

réparations  ,  etc.  ,  environ  r,ooo 


Total. 
C'est-à-dire  environ  1,062,750  fr. 

Recettes. 
Montant  des  souscriptions    pour   l'an- 
née i834, 
Recette  au  bureau , 


Représentation  au  bénéfice  de  Laporte, 


42,5io  liv.  sterl. 


26,000  liv.  sterl- 

l5,000 

4 1  ,ooo 
1,000 


42,000 


Total. 
C'est-à-dire  environ  i,o5o,ooo  fr. 

De  sorte  que,  pour  avoir  exposé  nécessairement  un   capital 


d'un  million  soixante-deux  mille  sept  cent  cinquante  francs  , 
le  directeur,  à  qui  les  jours  et  les  nuits  n'ont  pas  suffi  pour 
gouverner  comme  il  faut  son  entreprise,  source  de  tant  d'in- 
quiétudes et  de  tourmens  ,  obtient  en  résultat  une  perte  de 
douze  mille  sept  cent  cinquante  francs  ! 

Celte  affaire  ,  si  elle  n'est  améliorée  et  rendue  plus  facile 
sous  l'aspect  financier,  ne  peut  donc  convenir  qu'à  deux  per- 
sonnes :  un  honnête  homme  résolu  à  s'y  ruiner  ,  ou  un  fripon 
qui,  n'ayant  rien  à  perdre  ,  se  décidera  à  tous  les  sales  moyens 
pour  y  gagner  quelque  chose. 


CONCERT  DE  M.  BERLIOZ. 

C'est  avec  plaisir  que  nous  avons  vu  la  saison  musi- 
cale s'ouvrir  par  deux  concerts  remarquables ,  dont  cha- 
cun offrait  un  genre  d'intérêt  particulier.  Après  avoir  été 
charmés  mercredi  dernier  dans  les  salons  de  M.  Stœpel, 
par  les  meilleurs  morceaux  de  musique  allemande  et 
italiennne,  exécutés  avec  une  rare  perfection  les  dilettanti 
ont  rencontré  des  jouissances  plus  vives  encore  au  con- 
cert donné  par  M.  Berlioz,  dans  la  salle  du  Conserva- 
toire ,  et  qui  a  commencé  par  l'ouverture  du  Roi  Lear , 
de  ce  compositeur.  Cette  ouverture  est  une  de  ces  œu- 
vres dont  on  sent  toujours  mieux  le  mérite  a  mesure 
qu'on  les  approfondit  davantage,  et  nous  nous  réservons 
d'en  dire  notre  opinion  après  que  nous  l'aurons  encore  en- 
tendue plusieurs  fois. — Les  deux  quatuors  de  chant  avec 
accompagnement  d'orchestre ,  le  premier  sur  une  orien- 
tale de  Victor  Hugo  (Sara  la  baigneuse)  ;  et  le  second  : 
La  Belle  voyageuse  >  légende  irlandaise,  ont  captivé 
l'intérêt  de  l'assemblée  par  la  conduite  originale  des 
voix,  et  la  manière  dont  ces  quatuors  ont  été  chantés 
par  MM.  Puig,  Hense  et  Boulanger.  Indépendamment 
de  ces  compositions  de  M.  Berlioz  et  de  sa  symphonie 
fantastique  dont  nous  parlerons  a  la  fin  de  cet  article,  ce 
concert  offrait  un  autre  atlrait ,  le  début  de  M.  Panojka 
et  de  Mme  JVillan-Bordogm.  Nous  nous  plaisons 
a  constater  le  succès  de  ces  deux  talens  remarqua- 
quables.  M.  Panofka  a  exécuté  une  fantaisie  écr'te  pour 
le  violon,  sur  cet  air  favori  de  Grétry,  qui  est  devenu 
national  :  Une  Fièvre  brûlante.  Le  choix  du  thème  de- 
vait faire  pressentir  que  cette  fantaisie  ne  serait  pas  sur- 
chargée de  ces  difficultés  dont  la  plupart  des  œuvres  de 
nos  virtuoses  sont  saturées  ;  et,  en  effet,  M.  Panofka 
nous  a  fait  entendre  une  composition  qui,  bien  qu'analo- 
gue au  thème  et  remplie  de  sentiment,  ne  manque  néan- 
moins ni  de  brillant  ni  de  variété.  Dès  l'introduction  , 
où  le  violon  exécute  un  chant  noble  et  d'une  belle 
instrumentation ,  le  public  a  témoigné  sa  satisfaction 
par  de  vifs  applaudissemensbien  mérités  par  l'exécution 
grandiose,  pure  et  passionnée  de  la  cantilène  et  la  préci- 


sionde  la  cadence.  Les  variations,  dont  la  première  porte 
l'empreinte  d'un  sentiment  élevé ,  et  dont  la  seconde  est 
d'une  grande  difficulté,  et  a  doubles  cordes  avec  des 
coups  d'archet  tout  particuliers,  ainsi  que  l'adagio,  sont 
fort  remarquables.  La  variation  finale,  où  les  premiers  vio- 
lons de  l'orchestre  répètent  le  thème  ,  pendant  que  le 
violonsolo  se  livre  à  de  brillans  passages,  a,  de  même  que 
le  Coda,  excitédeviis  applaudissemens,  qui  ont  redoublé 
au  moment  où  le  jeune  et  modeste  artiste  s'est  retiré. 
Notre  opinion  sur  le  mérite  de  M.  Panofka  s'accorde  en- 
tièrement avec  celle  qu'un  des  critiques  allemand  des  plus 
célèbre,  M.  le  professeur  Marx,  à  Berlin,  exprimait  déjà 
sur  son  compte  en  "1829,  dans  la  Gazette  musicale  de 
Berlin.  Il  disait  alors  :  «  Tous  ceux  qui  ont  enlendu 
»  M.  Panofka  ont  apprécié  la  vigueur  et  la  beauté  des 
»  sons  qu'il  sait  tirer  de  son  violon,  la  hardiesse  et  la 
»  chaleur  qu'il  met  dans  son  exécution  ;  tous  désirent 
»  l'entendre  bientôt  de  nouveau.  » 

Après  la  fantaisie  de  M.  Panofka,  Mme  Willan- 
Bordogni  a  chanté  un  air  de  la  Donna  ciel  lago.  Une 
belle  méthode ,  beaucoup  de  facilité  et  de  vigueur  d'ex- 
pression sont  les  qualités  que  nous  reconnaissons  avec 
plaisir  à  cette  artiste.  Sortie  de  l'école  célèbre  de  son 
père,  douée  d'un  beau  mezzo-soprano ,  elle  sait  donner 
un  essor  tout  particulier  à  sa  voix,  et,  accueillie  avec 
beaucoup  de  faveur  par  l'assemblée  entière ,  elle  mérite 
de  prendre  rang  parmi  les  cantatrices  distinguées. 

La  seconde  partie  du  concert  se.  composait  de  la  sym- 
phonie fantastique  de  Berlioz.  Nous  le  dirons  hardi- 
ment :  nous  plaignons  les  auteurs  et  les  amateurs  qui 
ont  été,  cette  fois,  privés  d'entendre  ce  chef-d'œuvre. 
Pour  nous  ,  nous  l'avions  déjà  entendu  quatre  fois  ; 
mais  ,  jamais  il  n'avait  été  exécuté  avec  autant  de  feu , 
avec  autant  d'enthousiasme  ,  par  l'excellent  orchestre  du 
Conservatoire.  11  serait  superflu  de  chercher  à  analyser 
celte  symphonie  ;  faire  un  examen  analytique  de  l'idée 
fondamentale  toute  poélique,  et  de  la  dernière  exécu- 
tion si  parfaite  de  cette  composition,  est,  en  effet,  une 
chose  aussi  impossible  que  d'analyser  la  symphonie 
Eroica  de  Beethoven. 

Comment,  en  effet ,  donner  une  idée  exacte  de  cette 
instrumentation  neuve,  originale  et  grandiose?  Com- 
ment rendre  cette  impression  poélique  de  terreur  que 
cause  la  marche  du  supplice?  Comment  peindre  avec  des 
paroles  la  délicieuse  scène  aux  champs?  Comment,  en- 
fin ,  décrire  le  bal  et  toutes  les  sensations  que  le  composi- 
teur a  exprimées  dans  cette  partiede  son  œuvre?  Se  livrer 
a  cette  analyse,  ce  serait  nous  le  répétons,  ce  serait  entre- 
prendre unechose  impossible.  Nous  dirons  donc  seulement 
que  si  l'on  a  le  désir  d'entendre  une  composition  gran- 


diose, véritablement  poétique,  pleine  d'originalité  et  em- 
preinte des  vrais  caractères  de  la  musique,  on  doit  s'em- 
presser d'aller  entendre  cette  symphonie.  Berlioz  s'y 
montre  un  compositeur  grand  et  original  dont  on  doit 
attendre  beaucoup.  Il  ne  nous  reste  donc  à  parler  que  de 
l'effet  que  cette  symphonie  a  produit.  Jamais  elle  n'a- 
vait encore  été  exécutée  avec  autant  de  verve,  de  préci- 
sion et  d'ensemble.  Honneur  à  l'excellent  directeur  d'or- 
chestre, M.  Girard  !  Honneur  à  tous  les  artistes  de  l'or- 
chestre ,  qui  ont  su  comprendre  cette  création  de  Ber- 
lioz dans  toutes  ses  nuances  qu'ils  ont  rendues  avec 
un  merveilleux  talent.  Le  public  électrisé  a  redemandé, 
au  milieu  des  plus  vifs  applaudissemens,  la  marche  du 
supplice  que  l'orchestre  à  de  nouveau  exécutée  comme 
un  seul  vistuose  ,  et.,  après  avoir  témoigné  le  désir  de 
voir  M.  Berlioz,  il  lui  a  prodigué  les  plus  bruyantes 
marques  de  satisfaction ,  quand  ce  compositeur  a  paru 
sur  l'estrade  de  l'orchestre.  Ainsi  s'est  terminé  un  con- 
cert qui  était  une  véritable  fête  musicale.  M.  Berlioz  en 
donnera  encore  deux,  dont  le  premier  aura  lieu  diman- 
che âo  novembre;  on  n'y  entendra  que  des  composi- 
tions toutes  nouvelles  de  ce  génie  musical. 


PROJET  D'ERECTION 

D  UN     MONUMENT     EN     BRONZE    A    LA     MÉMOIRE     DE 
CH.    M.     DE    WEBER. 

Les  artistes  allemands  qui  se  trouvent  en  grand  nom- 
bre à  Londres  ont  conçu  le  projet  d'élever  un  monu- 
ment en  bronze  à  la  mémoire  de  Ch.  M.  de  Weber. 
On  lit  h  cet  égard  dans  une  feuille  anglaise  :  «  A  moins 
que  les  restes  de  Weber  ne  soient  réclamés  par  sa  fa- 
mille, ou  que  toute  l'Allemagne  ne  tienne  à  honneur  de 
revendiquer  ses  droits  sur  les  dépouilles  mortelles  de 
son  illustre  compatriote,  nous  ne  doutons  pas  de  l'exé- 
cution du  projet  des  artistes  allemands  réunis  a  Londres; 
car  ils  se  flattent  avec  raison  que,  non  seulement  tous 
leurs  concitoyens  élablis  en  Angleterre  voudront  con- 
courir a  son  accomplissement,  mais  qu'ils  recevront 
aussi  des  fonds  de  la  part  des  nombreux  admirateurs  du 
génie  de  Weber  qui  sont  répandus  en  Allemagne  et  dans 
les  autres  pays  où  l'on  a  déploré  sa  mort  précoce.  Jus- 
qu'à présent,  les  restes  du  célèbre  compositeur  sont  tou- 
jours déposés  dans  le  caveau  de  la  chapelle  de  Sainte- 
Marie,  à  Mooifield,  nia's  sans  aucune  marque  de  dis- 
tinction, et  renfermés  dans  trois  cercueils  dont  Je  poids 
menace  de  fouler  bientôt  les  cendres  de  cet  immortel  ar- 
tiste. Afin  de  prévenir  ce  fâcheux  événement,  il  est 
question  de  changer  cet  état  de  choses ,  et  même  de 
transporter  le  cercueil  dans  un  autre  lieu  ;  mais  rien  n'est 


GAZETTE  MUSICALE 


encore  décidé  sur  ce  point.  Le  dessin  et  l'entière  exécu- 
tion du  monument  ont  été  confiés  à  M.  Charles  Hertler 
de  Breslau  ,  artiste  distingué,  qu'un  voyage  entrepris 
dans  l'intérêt  de  la  science  et  de  son  art  a  conduit  de- 
puis peu  a  Londres,  et  qui  a  promis  de  seconder  de  tous 
ses  moyens  l'accomplissement  du  projet.  Parmi  les  sous- 
criptions déjà  reçues,  se  trouvent  celles  de  MM.  Mosche- 
ler,  Mendelsohn  Bartholdi,  de  madame  Stockhausen,  de 
M.  Mangold,  maître  delà  chapelledu  grand-ducideHesse, 
a  Darmstadt,  celle  de  madame  Dulken,  professeur  de 
piano  distinguée,  à  Londres,  etc.  Pour  l'Allemagne,  c'est 
à  Berlin ,  le  libraire  et  éditeur  de  musique ,  M.  Schle- 
singer  qui  se  charge  de  recevoir  les  souscriptions  et  de 
tenir  le  public  au  courant  des  progrès  de  l'entreprise , 
a  laquelle  tous  les  journaux  sont  invités  à  s'intéresser  par 
la  publication  du  projet  des  artistes  allemands  de  Lon- 
dres.» —  A  Paris,  une  liste  de  souscriptions  sera  ouverte 
chez  M.  Maurice  Schlesinger,  97,  rue  de  Richelieu. 


APHORISMES. 

N°  2.  —  GOUT. 

On  distingue  le  goût  matériel  de  celui  qui  est  pure- 
ment intellectuel  :  ce  dernier  s'étend  a  la  critique  du 
beau  et  du  sublime  dans  l'art  ou  dans  la  nature.  Mais, 
d'une  part,  l'expérience  démontre  que  le  goût  intellec- 
tuel se  manifeste  aussi  diversement  que  le  goût  matériel, 
ce  qui  a  fait  qu'on  a  voulu  étendre  a  cette  espèce  de 
goût  l'ancien  proverbe  :  de  gustibus  non  est  disputan- 
dum  (1). 

D'un  autre  côté ,  l'expérience  enseigne  encore  que 
le  goût,  ou  ,  si  l'on  veut,  les  jugements  portés  d'après 
les  lois  de  l'estétique  peuvent  donner  lieu  a  de  nom- 
breuses disputes ,  sans  qu'il  soit  aisé  de  fixer  le  terrain 
d'une  manière  précise,  parce  qu'il  faut  toujours  faire  la 
part  du  temps  ,  du  lieu  ,  ainsi  que  de  l'organisation  in- 
dividuelle des  critiques  opposés.  On  reconnaîtra  donc 
qu'il  faut  diviser  le  goût  en  deux  catégories  :  le  goût 
instinctif,  et  le  goût  cultive'.  Par  le  premier,  on  en- 
tend cette  disposition  matérielle  qui  nous  porte  vers  une 
appréciation  du  beau  et  du  sublime;  par  le  second  ,  on 
désigne  la  même  disposition  plus  ou  moins  développée 
par  l'expérience  et  la  pratique.  C'est  ainsi  que  l'on  assi- 
gne au  goût  les  diverses  épithètes  de  rude,  grossier, 
opposées  a  celles-ci  -.fin  ,  délicat ,  ou  formé.  On  peut 
donc  dire  de  tel  homme  qu'il  manque  absolument  de 
geiit,  quoiqu'il  ne  puisse  arriver  a  personne  d'être  tota- 
lement privé  d'une  certaine  disposition  a  apprécier  le 

(•))  Il  ne  faut  pas  disputer  des  goûts. 


beau  et  le  sublime.  Le  sauvage  le  plus  grossier  a  une 
espèce  de  goût  qui  lui  est  propre;  aussi  devrait- on  di- 
viser l'absence  de  goût  en  absolue  et  relative.  La  pre- 
mière ne  peut  se  rapporter  qu'aux  animaux ,  et  la  seconde 
a  cette  espèce  d'hommes  qui  se  rapprochent  de  la  brute. 
Le  goût  diffère  du  génie  en  ce  que  celui-ci  crée ,  tandis, 
que  l'autre  se  borne  a  juger.  Mais ,  de  même  que  le  goût 
peut  exister  sans  s'allier  au  génie ,  de  même  aussi  ce 
dernier  n'est  pas  nécessairement  uni  avec  le  goût  ;  ou, 
en  d'autres  termes ,  il  peut  très  bien  arriver  qu'une 
grande  puissance  créatrice  ne  se  trouve  pas  accompa- 
gnée d'un  goût  délicat  et  épuré. 


Revue  Critique. 

Rondo  militaire  sur  un  air  du  Serment,  d'Auber, 
pour  le  piano,  par  Henry  Herz.  Op.  69;  prix  : 
7  fr.  50  c. 

Cette  ncuvellc  production  de  M.  Herz  ne  contient  absolu- 
mont  rien  de  nouveau,  à  moins  qu'on  ne  veuille  regarder 
comme  nouveautés  certaines  progressions  passablement  vi- 
cieuses que  l'auteur  eût  dû  éviter  par  pitié  pour  nos  oreilles.  A 
part  cela,  cet  ouvrage,  comme  tous  ceux  publiés  récemment 
par  ce  compositeur,  est  totalement  dépourvu  de  jfraîcheur  et 
d'éclat ,  et  même  de  ce  soin  qu'on  ne  pouvait  méconnaître  dans 
ses  premières  œuvres  ;  et  du  reste  il  ne  pouvait  en  être  autre- 
ment. Lorsqu'avec  ses  œuvres,  bien  calculées  pour  le  piano,  et 
dans  lesquelles  règne  constamment  une  seule  et  mêmejcouleur, 
bien  appréciée  du  reste  par  tous,  parce  qu'elle  est  à  la  portée  du 
vulgaire ,  M.  Herz  fut  parvenu  à  se  faire  un  certain  nom ,  il  se 
trouva  bien  venu  auprès  des  marchands  de  musique,  qui  virent 
en  lui  un  arrangeur  adroit  et  jouissant  de  la  faveur  du  public, 
et  par  la  même  occasion,  le  compositeur  ne  tarda  pas  à  s'aper- 
cevoir qu'il  suivait  la  véritable  route,  la  seule  qui  pût  le  mener 
à  une  prompte  réussite,  autrement  dit,  à  la  fortune.  C'est  à 
celte  spéculation  si  prosaïque  ,  si  contraire  à  toute  idée  d'ar- 
tiste, [que  la  plupart  des  productions  de  M.  Herz  doivent  le 
jour.  Que  doit  faire  la  critique?  doit-elle  traiter  tous  ces  ar- 
rangemens  ,  indignes  avortons  de  l'avarice,  comme  des  com- 
positions véritables  ?  Ces  pâles  et  insipides  produits  de  l'amour 
du  gain,  doit-elle  s'en  occuper  comme  d'oeuvres  inspirées  par 
l'âme  et  le  talent?  Suivre  une  telle  ligne  ne  serait-ce  pas  imiter 
ceux  qui  s'aviseraient  d'arracher  les  dents  d'un  mourant  pour 
l'empêcher  de  mordre  personne  avant  sa  mort?  Nous  croyons 
mieux  faire  en  indiquant  le  véritable  point  de  vue  sous  lequel 
doit  être  considéré  un  tel  écrivailleur ,  ainsi  que  les  causes  qui 
ont  pu  contribuera  le  faire  réussir.  Par  ce  moyen,  nous  pour- 
rons laisser  dans  l'oubli  plusieurs  morceaux  d'un  compositeur 
qui  se  copie  lui-même ,  et  nous  nous  faciliterons  les  moyens 
d'examiner  des  ouvrages  où  l'on  voit  briller  un  avenir.  Parmj 
les  jeunes  artistes  qui  font  des  efforts  sérieux  ,  il  en  est  tels  qui 
méritent  une  semblable  distinction,  puisqu'au  milieu  de  l'apa- 
thie générale  ils  u'ont  pas  craint  de  rechercher  dans  la  nature 
les  lois  sublimes  de  ce  beau  idéal  qui  brille  dans  les  œuvres  des 
grands  maîtres. 


C'est  encore  aujourd'hui  une  question  intéressante  que  celle 
de  savoir  comment  les  arrangerons  de  Czerny  et  de  Herz  ont 
pu  être  accueillis  avec  une  faveur  aussi  incroyable,  dans  un 
moment  où  Beethoven  léguait  à  l'univers  ses  dernières  compo- 
sitions pour  le  piano,  tandis  que  le  génie  de  Schubert  créait 
pour  le  même  instrument  des  p  eiutures  si  animées ,  dans  un 
moment  enfin  où  l'ill  ustre  auteur  du  Frejschulz  suivait  aussi 
une  route  si  différente,  H  ne  manque  pas  de  personnes  qui  ré- 
pondront à  celte  question  en  accusant  le  goût  corrompu  du 
public.  Nous  allons  de  notre  côté  exprimer  des  idées  que  nous 
croyons  plus  près  de  la  vérité. 

Lorsque  Beethoven  parut,  le  piano  était  encore  un  instru- 
ment presque  nouveau,  dont  la  puissance  de  son  et  la  richesse 
harmonique  représentaient  à  son  oreille  un  orchestre  tout  entier. 
Son  habileté  extiaordinaire  pour  cette  époque  le  mettait  aisé- 
ment à  même  de  s'abaudonner  à  toutes  les  ressources  de  son 
génie,  et,  dans  ses  sonates  pour  le  piano  ,  il  a  reproduit  une 
partie  du  nouveau  monde  créé  par  sa  colossale  imagination  ; 
mais  il  arriva  souvent  que  ce  qu'il  écrivait  pour  le  piano  ne 
pouvait  produire  aucun  effet  parce  que  cela  était  contraire  au 
caractère  de  l'instrument  ;  et  comment  en  eût  il  été  autrement , 
puisque  le  mécanisme  qu'il  possédait,  il  le  devait  à  l'étude  du 
clavecin  et  à  ses  compositions  pour  l'orgue.  Weber  et  Schu- 
bert le  suivirent  de  plus  ou  moins  près  dans  cette  manière  d'é- 
crire pour  le  piano.  Tandis  que  Beethoven ,  avec  sa  riche  et 
poétique  imagination,  retrouvait  dans  le  piano  l'idée  de  tous  les 
autres  instrumens,  Clemenli,  plus  calme  et  plus  réfléchi , 
voyait  là  un  instrument  encore  entièrement  neuf,  entièrement 
inco  nnu  ,  et  qui  réclamait  une  théorie.  C'est  par  là  que  Cle- 
menli a  droit  à  notre  reconnaissance,  c'est  par  là  que  sa  gloire 
sera  durable.  Une  fois  la  route  tracée ,  on  reconnut  le  véritable 
caractère  de  l'instrument ,  et  l'on  dut  se  rendre  compte  des 
conditions  nécessaires  pour  obtenir  un  son  pur  et  propre  à  ren- 
dre un  chant  suave.  Et  quel  est  l'homme  dans  le  monde  entier 
qui,  après  avoir  entendu  les  compositions  de  Field  dignement 
exécutées,  puisse  mettre  en  doute  que  le  piano  soit  un  instru- 
ment chantant?  Que  l'on  essaie  de  reproduire  sur  d'autres  in- 
strumens ces  gracieuses  mélodies  et  leur  délicieux  effet  !  on  n'y 
parviendra  pas!  Cela  seul  prouverait  l'excellence  de  l'instru- 
ment auquel  ces  mélodies  doivent  lejour. 

Quand  les  élèves  de  démenti ,  de  même  qu'en  Allemagne 
Humel  (qui  dans  ses  oeuvres  n'est  fidèle  ni  au  système  de 
Clementi ,  ni  à  celui  de  Beethoven  ,  et  que  l'on  pourrait  appe- 
ler l'homme  du  juste-milieu),  ainsi  que  Moschelès,  eurent  pro- 
curé au  piano  tous  les  perfectionnemens  désirables  ,  Czerny  et 
Herz  trouvèrent  tout  préparé  un  style  qu'ils  modifièrent  à  leur 
manière,  ou  plutôt  qu'ils  affaiblirent.  C'est  à  cette  manière 
de  traiter  l'instrument  qu'ils  doivent  pour  la  plus  grande  par- 
tie le  bonheur  qui  a  accompagné  leurs  arrangemens.  Là  ,  rien 
n'est  perdu  ,  et  les  passages  les  plus  difficiles  sont  de  nature  à 
faire  briller  l'exécutant  un  peu  studieux  pour  s'en  rendre  maî- 
tre ;  mais  aussi  celte  propriété,  dont  ils^ont  plutôt  hérité  qu'ils 
ne  l'ont  acquise  par  eux-mêmes  ,  c'est  le  seul  bon  côté  de  leurs 
œuvres,  dans  lesquelles  on  ne  saurait  retrouver  nulle  trace  des 
poétiques  efforts  des  J.-B.  Cramer,  des  John  Field,  des  Fer- 
dinand Ries,  des  J.-N.  Hummel ,  des  Ign.  Moschelès,  des 
Louis  Berger  ,  et  des  Chopin. 

On  a  dit  que  M.  Herz  avait  bien  compris  son  époque  :  oui 
certes;  il  en  a  dignement  chanté  la  sécheresse  ,  et  la  foule  l'a 
applaudi.  Qu'il  tâche  de  la  comprendre  encore  aujourd'hui  ; 


qu'il  se  garde  bien  de  confondre  l'aurore  avec  le  couchant ,  et 
par-dessus  tout  qu'il  pardonne  à  ses  contemporains  d'avoir 
placé  sur  sa  tête  un  laurier  dont  il  n'était  pas  digne. 

{Nouvelle  Gazette  Musicale  de  Leipzic.  N.  fo.) 


NOUVELLES. 

J*,  L'Opéra  jouit  dans  ce  moment  d'une  vogue  telle  qu'un 
spectacle  de  nécessité  a  produit  vendredi  dernier  plus  de 
6;ooo  francs  de  recette. 

+%.  Moïse  a  produit  au  Théâtre  italien  un  effet  prodigieux. 
Lablache  s'est  surpassé  dans  un  air  de  Paccini,  qu'il  a  inter- 
callé  vers  la  fin  de  l'opéra,  et  que  le  public  enthousiasmé  a 
voulu  entendre  une  seconde  fois.  Cet  ouvrage  a  fait  cette  se- 
maine trois  abondantes  recettes. 

+%  Pour  satisfaire  à  l'empressement  des  dilettanti  qui  ne 
peuvent  trouvor  place  aux  représentations  ordinaires  du  théâ- 
tre Italien ,  on  annonce  pour  aujourd'hui  dimanche  ,  par  ex- 
traordinaire ,  une  représentation  somposée  de  :  la  Prova  d'un 
Opéra  séria  et  II  Barbiere ,  réduit  en  un  acte.  La  salle  sera 
trop  petite  ! 

*  Avant  le  Cheval  de  bronze,  que  doit  précéder  le  Che- 
valier noir,  l'Opéra-Comique  donnera  la  Sentinelle  perdue  , 
opéra  eu  un  acte,  dont  la  poème  est  attribué  à  M.  de  Saint- 
Georges  ,  et  la  musique  à  M.  Rifaut,  qui,  dans  la  place  qu'il 
occupe  à  l'Opéra-Comique  ,  a  rendu  tant  de  services  aux  au- 
teurs et  aux  compositeurs  ses  confrères. 

+**  A  l'Opéra-Comique  te  Marchand  Forain  et  le  Chalet 
attirent  beaucoup  de  monde.  Mardi  dernier  ces  deux  pièces 
réunies  ont  produit  une  recette  de  5,ooo  francs.  On  a  entendu 
dans  la  même  soirée  deux  morceaux  exécutés  par  madame  Fi- 
lipowitz,  sur  le  violon ,  avec  un  rare  talent  et  une  pureté  de  son 
remarquable. 

A  Incessamment  le  théâtre  Ventadour  donnera  une  repré- 
sentation au  bénéfice  de  M.  Henry,  composée  d'une  pièce  nou- 
velle intitulée  :  le  Condamné  pour  opinion  politique,  dans  la- 
quelle la  célèbre  tragédienne  anglaise  ,  madame  Smithson-Ber- 
lioz  ,  remplira  le  rôle  principal. 

+*+  Voici  le  programme  du  deuxième  concert  que  M.  Ber- 
lioz donnera  dimanche  23  novembre  dans  la  salle  du  Conser- 
vatoire, rue  Bergère.  Tous  les  morceaux  exécutés  dans  ce 
concert  sont  nouveaux,  et  n'ont  jamais  été  exécutés  aupara- 
vant :  PREMIÈRE   PARTIE  : 

Fantaisie  romantique,  pour  soprano  et  orchestre,  sur  une 
Orientale  de  Victor  Hugo,  musique  de  M.  Berlioz.  Chanté  par 
mademoiselle  Falcon. —  Solo  de  violon,  par  M.  Ernest. — 
Les  Ciseleurs  de  Florence  ,  trio  avec  chœurs  et  orchestre  ,  de 
M.  Berlioz.  Chanté  par  MM.  Puig,  Boulanger  et  ***.  —  Grande 
Fantaisie  fantastique,  sur  deux  thèmes  de  M.  Berlioz  {la  Bal- 
lade du  Pécheur  et  la  Chanson  de  Brigands) ,  composée  et 
exécutée  par  M.  Listz.  —  Romance  avec  orchestre  ,  de  M.  Ber- 
lioz, chantée  par  mademoiselle  Falcon.  —  Ouverture  de  ff 'a- 
verley ,  de  M    Berlioz,  dcuxième  partie  : 

Harold,  symphonie  en  quatre  parties,  avec  un  alto  princi- 
pal, de  M.  Berlioz.  —  \'c  Partie.  Harold  aux  Montagnes, 
scène  de  mélancolie,  de  bonheur  et  de  joie.  —  2e  Partie.  Mar- 
che de  Pèlerins  chantant  la  Prière  du  soir.  —  3e  Partie.  Séré- 
nade d'un  Montagnard  des  Abruzes  à  sa  maîtresse.  —  4e  Par" 
lie  Orgie  de  Brigands.  —  L'alto  sera  joué  par  M.  Urhau.  — 
L'orchestre  composé  de  plus  de  100  musiciens,  sera  dirigé  par 
M.  Girard,  l'habile  chefd'orchestre  du  théâtre  Nautique. 

+%  La  commission  de  la  souscription  du  mouument  de 
Boieldieu  vient  d'adresser  une  circulaire  à  messieurs  les  direc- 
teurs des  théâtres  lyriques  des  départemens,  et  à  messieurs  les 
présideus  des  sociétés  philharmoniques  pour  les  engager  à  se- 
conder les  efforts  des  artisles  de  Paris,  soit  par  la  voie  des  re- 
présentalious  théâtrales,  soit  par  celle  des  souscriptions  indi- 


GAZETTE  MUSICALE 


visuelles,  soit  enfin  par  celle  d'un  concert  public  donn;  au 
profit  de  la  souscription.  Nous  ne  douions  pas  qu'on  ne  s'em- 
presse de  répondre  à  celte  généreuse  invitation. 

*  Un  ballet  joué  au  théâtre  de  la  Pergola  sous  le  litre  de 
là  Foresta  Perigliosa  ,  n'a  été  que  médiocrement  applaudi. 

+*+  Lestocq  vient  d'être  représenté  avec  succès  sur  le  théâtre 
d'Amiens. 

*  L'Opéra-Comique  donnera  le  Cheval  de  Bronze ,  de 
Scribe  et  d'Auber,  \ers  le  20  décembre. 

+*t  Mme  Mainvieille-Fodor,  vient  d'être  soumise  à  une  opé- 
ration douloureuse  que  M.  le  docteur  Cnweilhier  a  pratiquée 
avec  bonheur.  Il  s'agissait  de  s'opposer  aux  progrès  d'une  hu- 
încur  fistulaire  qui  aurait  pu  mettre  en  danger  les  jours  de  la 
malade.  Vers  le  milieu  du  mois  ,  Mme  Fodor  sera  en  état  de 
retourner  à  Fontainebleau  où  elle  a  fixé  son  domicile. 

%  Pa°anini  se  trouve  actuellement  à  la  magnifique  V Ma 
Crayonna-,  dont  il  a  l'ait  l'acquisition,  et  qui  est  située  dans 
les  états  de  Panne.  Le  marquis  de  Negro,  célèbre  poêle  génois, 
qui  est  venu  passer  l'automne  à  Parme  où  il  a  vu  son  compa- 
triote Paganini ,  vient  de  lui  adresser  une  ode  fort  belle  qu'il  a 
fait  imprimer,  et  qui  est  digne  ,  dit-on,  du  louange  cl  du  louan- 
geur. 

+%  Avignon  ,  Toulouse  et  Montpellier  ont,  payé  leur  tribut 
à  la  mémoire  de  Boieldieu,  dans  trois  représentations  extraor- 
dinaires auxquelles  le  public  a  souscrit  avec  empressement. 

+*+  Arnal  se  trouvait  dernièrement  au  balcon  du  théâtre  Ita- 
lien; Tamburini ,  Lablache  ,  mademoiselle  Grisi  chantaient. 
Un  importun  maudit  était  assis  auprès  de  lui  et  ne  cessait  de 
fredonnera  ses  oreilles.  Enfin  Arnal  n'y  tient  plus.  Sa  mau- 
vaise humeur  s'exhale  en  un  seul  mol,  ii  est  vrai,  mais  expres- 
sif s'il  fut  jamais.  Monsieur  se  trouve  incommodé,  dit  le  fâ- 
cheux ,  oserai-je  bien  demander  la  cause  de  son  mécontente- 
ment ?  Eh  ne  voyez-vous  pas,  monsieur,  que  j'encage  contre 
ces  diables  de  chanteurs  qui  depuis  le  commencement  de  la 
soirée  m'empêchent  de  vous  entendre. 


Musique   nouvelle , 

A  paraître  incessamment  chez  Maurice  Schles  iager 
MORCEAUX  SUR  LES  MOTIFS 

DE 

CHAO-KANG   : 


Kalkbrenner.  Galop  des  Lanternes. 

—  Deux  airs  de  ballets.  Nos  1  et  2.  Chaque. 


5 
6 

Adam.  Mosaïque.  6         » 

—  Enfantillage.  5         » 

Duvernois.  Deux  Rondos.  Chaque.  5         » 

Cottignies.  Trois  fantaisies  pour  flûte.  5         « 

Contredanses  pour   tous  les  instrumens  arrangées  par  Tol- 
becque  et  Musard. 

Publiée  par  Henri  Lemoiue. 

J.    Dejazet  et    Devezac.    Duo    pour    piano    et   violoncelle. 

7  fr.  5o  c. 
Ch.  Merz.  Valses,  galops  et  masourkas.  5        » 

C.  L.  Rhein  (Op.  41).  Variations  sur  Malhikle  de  Chabran. 

7  fr.  5o  c. 

Publiée  par  Po.  Pelit. 

Louis  N...  (Op.  19).  Fantaisie  pour  piano  et  violon  avec  basse 
ad  libitum  sur  la  romance  :  Au  revoir,  Louise.  g  fr. 

Publiée  par  Deloye. 

Vigneres-  Air  varié  pour  la   flûte  avec  accompagnement  de 
quatuor  ou  piano. 

Publiée  par  Prilipp  et  C,e. 

J.-B.  Duvernois,  (Op  65.)  Deux  thèmes  variés  pour  le  piano. 
Chaque.  5  fr.      » 


Publiée  par  Ri.hault. 

Urhan  {Ch.).  A  elle  ,  lettres  pour  le  piano ,  avec  l'épigi 


aphi 


t  Peut-être  dans  la  foule 


4  fr.  5o  c. 


Nous  rendrons  incessamment  compte 'de  cet  ou- 
vrage très-remarquable. 

Publiée  par  Dclabante. 

T.  Labarre.  L'Aspirant  de  Marine,  opéra  comique 

eu  un  acle.  Partition.  75 

Parties  d'orchestre.  j5 

—  L'AspiranldeMarine.Ouverturepourorchestre.  -12 
Millier.  L'aspirant  de  Marine,  arrangé  pour  deux 

violons.  7 

—  L'Aspirant  de  Marine,  ouverlure  pour  deux  vio- 

lons. 3 


5o 


5o 


Lud.  Leplus.  L'Aspirant  de  Marine,  pour  deux 

flûtes.  7 

—  L'Aspirant   de  Marine,   ouverture  pour   deux 

flûtes,  3 

J.-P.  Pixis.  Op.  120.   Les  trois  Clochettes,  avec 

orchestre.  18 

—  Op.  120.  Id.  pour  piano,  violon,  alto-basse.         12 

—  Op.  12) .  Fantaisie  militaire,  avee  orchestre.  18 

—  Op.  121.  Id.  pourpinnoav.  violon,  alto  et  basse.  12 

—  Op.  118.  Quatrième  Irio,  pour  piano,  violon  et 

violoncelle.  1 2 


Abonnement  de   Musique 

D'UN  GENRE  NOUVEAU. 

pour  la  MUSIQUE  INSTRUMENTALE  et  pour  les  PARTITIONS 

D'OPÉRA. 

L'Abonné  paiera  la  somme  de  5o  fr.  ;  il  recevra  pendant 
l'année  deux  morceaux  de  Musique  instrumentale  ou  une 
partition  et  un  morceau  de  musique  ,  qu'il  aura  le  droit  de 
changer  trois  fois  par  semaine  ;  et  au  fur  et  à  mesure  qu'il 
trouvera  un  morceau  ou  une  partition  qu'il  lui  plaira,  dans  le 
nombre  de  ceux  qui  figurent  sur  mon  Catalogue ,  il  pourra  le 
garder  jusqu'à  ce  qu'il  en  ait  reçu  assez  pour  égaler  la  somme 
de  75  fr.,  prix  marqué,  et  que  l'on  donnera  à  chaque  abonné 
pour  les  5o  francs  payés  par  lui.  De  cette  manière  l'ABONNE 
aura  la  facilité  de  lire  autant  que  bon  lui  semblera,  en  dépensane 
cinquante  francs  par  année,  pour  lesquels  il  conservera  pour 
75  fr.  de  musique. 

L'abonnement  de  six  mois  est  de  3o  francs ,  pour  lesquels  on 
conservera  en  propriété  pour  45  fr.  de  musique. Pour  trois  mois 
je  prix  est  de  20  fr.  ;  on  gardera  pour  3o  fr.  de  musique.  En 
province  ,on  enverra  quatre  morceaux  à  la  fois.  Affranchir. 
N.  B.  Les  frais  de  transport  sont  au  compte   de  MM.   les 

Abonnés.  —  Chaque  abonné  est  tenu  d'avoir  un  carton 

pour  porter  la  musique.  (Affranchir.) 


Errata. 

N°45.  Page  358,  ligne  29,  lisez  :  Goudimel ,  Guilelmus 
Guarncrii,  Hycaert,  Willaert;  et  sur  la  colonne  suivante, 
ligne  4  >  au  lieu  de  :  Soupheros ,  lisez  :  son  héros.  Ligne  9  de 
la  même  colonne,  au  lieu  de  :  Stephen  Malu,  lisez  :  Stephen 
Mahu.  Page  361 ,  ligne  5  ,  au  lieu  de  :  s'élever  triomphant 
Rossini,  lisez  :  s'élever  triomphant  le  Rossignol. 

Gérant,  MAURICE  SCHLESINGER 


d'EVERAT.  rue  du  Cadrai,    b"l<J 


GAZETTE   MUSICALE 

RÉDIGÉE   PAR   MM.    ADAM,    G.    E.    ANDERS ,  BERTON  (membre    de  l'Institut),    BERLIOZ,   CASTIL-BLAZE ,  A.  GUEMEB ,  HALÉYY 

(professeur  de  contrepoint  au  Conservatoire),  Jules  janin  ,  liszt,  lesueur  (membre  de  l'Institut),  j.  mainzer,  marx 
(rédacteur  de  la  gazette  musicale  de  berlin),  d'ortigue  ,  paxofka  ,  richard,  j.  g.  setfried  (maître  de  chapelle 
à  Vienne),  F.  stœpel,  etc. ,  etc. 


1"  ANNEE. 


If    47. 


PRIX  DE  L  ABONNEM. 


PARIS. 

DÉPART. 

ÉTRAKG 

fr. 

Fr.       v. 

Fr.        c. 

3m.     8 

8     75 

9      50 

6  m.  15 

16    50 

18     .. 

1  an.  30 

33    « 

36      n 

£a  (fjfazette  iltusijcal*  i>e  \iavis 
Paraît    le   DIMANCHE  de  chaque  semaine. 

On  s'abonne  an  bureau  de  la  Gazette  Musicale  de  Paris,  rue  Richelieu,  97; 

cîiez  MM.    If  s  directeurs  des   Postes,   aux  boréaux  des  Messageries, 

et  chez  tous  les  libraire^  et  Marchands  de  musique  de  France. 

)u  reçoit    les  réclamations  des  personnes  qui  ont  des  griefs  à  exposer,  et  les  avis  relatifs  à  1; 
qui  peinent  intéresser  le  nublic. 


PARIS.  DIMANCHE  23  NOVEMBRE   1834. 


Nonobstant  les  supplé- 
mens,  romances ,fac  li- 
mite de  Tëcriture  d'au- 
teurs célèbres  et  la  galerie 
des  artistes  ,  MM.  les 
abonnis  de  la  Gazette 
Mu  icule  de  Paris ,  re- 
<  everont  le  premier  de 
chaque  mois  un  morceau 
de  musique  de  piano. 

Les  lettres,  demandes 
et  envois  d'argent  doi- 
vent êlre  affranchis,  et 
adressés  au  Directeur  , 
rue  Richelieu,  97. 


COUP-D'ŒIÏ.    SUR.    LE    DEVELOPPEMENT    HIS- 
TORIQUE  DE   LA   MUSIQUE   MODERNE  (1). 
ÉPOQUE    ITALIENNE    (1560-1720). 


(&tolt    Romaine. 

Jusqu'à  présent  notre  attention  s'est  portée  exclusi- 
ment  sur  l'école  flamande  ainsi  que  sur  le  nombre  impo- 
sant de  grands  maîtres  qui  l'ont  illustrée,  et  nous  avons 
vu  ces  artistes  répandre  partout  l'ait  et  la  science  de  la 
musique.  Ce  sont  maintenant  les  Italiens  chez  lesquels 
nous  allons  trouver  l'art  poussé  a  son  plus  haut  point 
de  perfection  et  de  popularité;  car  maintenant  la  Flan- 
dre, cette  antique  et  glorieuse  patrie  de  l'art  musical, 
n'est  plus  représentée  que  par  trois  grands  noms  :  Or- 
lando  di  Lasso,  Ciprian  de  Bore,  Philippe  de  M.ons. 
Mais  à  la  tète  de  cette  époque  si  remarquable,  à  laquelle 
nous  donnerons  de  préférence  le  nom  d'Ecole  italienne, 
se  place  sans  contredit  Giovanni  Pierluigi  da  Palastri- 
na,  né  en  1524  ,  dans  la  petite  ville  de  Palestrina  ,  près 
de  l'ancienne  Pranesta  aux  environs  de  Rome.  En  1540, 
et  par  conséquent  dans  la  seizième  année  de  son  âge , 
comme  il  annonçait  les  plus  belles  dispositions  pour  la 
musique,  ses  parens  l'envoyèrent  se  former  à  Rome  où 
les  musiciens  étrangers ,  espagnols ,  français  et  flamands 
jouissaient  alors  d'une  haute  estime.  Parmi  ces  derniers 
se  trouvait  Claude  Goudimel  de  Bourgogne,  qui  diri- 
geait a  Rome  une  école  de  musique  dont  sont  sortis, 
(i)  Voir  Yerrata  relatif  au  premier  article. 


entre  autres  artistes  célèbres,  Aniinuccia  et  G.  M.  Na- 
nini.  C'est  a  ce  compositeur  distingué  (décapité  depuis 
a  Lyon ,  dans  l'année  1572  ,  comme  huguenot.  )  qu'ap- 
partient, suivant  les  preuves  fournies  par  Baini,  l'hon- 
neur d'avoir  été  le  maître  de  Palestrina.  En  1551,  Pa- 
lestrina fut  appelé  a  la  cbapelle  pontificale  créé  par  le 
pape  Jules  II  dans  la  basilique  de  Saint-Pierre  du  Vati- 
can ,  et  il  y  fut  nommé  magister  pueiorum  puis  magis- 
ter capellœ.  En  1554-,  il  publia  son  premier  ouvrage 
consistant  en  un  volume  de  messes,  qui  lui  valut  l'estime 
des  connaisseurs  et  la  faveur  du  papeJulesII,  par  lequel 
il  fut  placé,  en  1555,  au  nombre  des  chanteurs  de  la  cha- 
pelle pontificale.  Il  prit  possession  de  cette  dernière  place 
en  renonçant  a  celle  de  maître  de  chapelle  a  l'église  de 
Saint-Pierre  du  Vatican.  Mais  ce  protecteur  de  Pales- 
trina mourut  quelques  mois  après,  et  la  faveur  de  Mar- 
cellus  II  ne  put  lui  être  d'un  grande  utilité  parce  que  ce 
pape  lui-même  mourut  a  son  tour,  après  un  règne  de 
vingt-un  jours  seulement.  Paul  IV  monta  alors  sur  le 
siège  pontifical,  et,  malheureusement  pour  notre  Pales- 
trina, le  nouveau  pape  vint  a  trouver  mauvais  que, 
parmi  les  chanteurs  de  la  chapelle,  il  s'en  trouvât  plu- 
sieurs qui  non-seulement  étaient  étrangers  aux  ordres 
spirituels ,  mais  qui  même  étaient  engagés  dans  les 
nœuds  du  mariage.  Palestrina,  qui  s'était  marié  précé- 
demment, fut  donc  renvoyé  avec,  une  faible  pension,  de 
la  chapelle  pontificale  ,  l'année  même  où  il  y  était  entré 
(<555),  et  lui  ainsi  que  sa  famille  fussent  devenus  la 


374 


GAZETTE  MUSICALE 


proie  du  besoin  si  on  ne  lui  eût  bientôt  offert  une  place 
tout  nouvellement  vacante  à  l'église  Saint- Jean  de  La- 
tran ,  place  qu'il  accepta  avec  reconnaissance  malgré  la 
modicité  des  appointemens,  et  qu'il  remplit  avec  zèle 
jusqu'à  l'année  1561 ,  où  on  lui  conféra,  a  Sainte-Marie 
Majeure  ,  une  autre  place  un  peu  plus  productive.  Pen- 
dant tout  ce  temps,  Palestrina  n'était  pas  resté  inactif, 
bien  qu'il  ne  livrât  a  l'impression  aucun  de  ses  ouvrages. 
Tout  a  coup,  en  1660,  ses  Improperia,  qu'il  exécuta  le 
Vendredi-Saint  dans  son  église  excitèrent  une  attention 
si  vive  et  si  générale  que  le  pape  Pie  IV  lui  en  demanda 
une  copie,  et  ce  sont  les  mêmes  qu'on  exécute  encore 
tous  les  Vendredis-Saints  dans  la  chapelle  du  pape.  Pa- 
lestrina fit  hommage  au  même  pape,  dans  l'année  1562, 
d'une  messe  a  six  voix  sur  les  syllables  ut,  ré,  mi,  fa, 
sol,  la,  et  cette  messe,  surtout  le  cmcifixus,  plurent 
extrêmementau  souverain  pontife  ainsi  qu'aux  cardinaux. 
Mais  une  autre  circonstance  devait  bientôt  donner  un 
nouveau  relief  a  l'immense  talent  de  Palestrina.  Au  con- 
cile de  Trente,  qui  fut  convoqué  en  1562,   après  un 
ajournement  de  dix  années,  on  en  vint  a  regarder  comme 
nécessaire  une  réforme  dans  la  musique  religieuse.  Les 
pères  trouvaient  un  grand  sujet  de  scandale  dans  la  réu- 
nion de  paroles  profanes  et  licencieuses  avec  la  musique 
sacrée ,  car  alors  encore  existait  la  coutume  si  vicieuse 
de  composer  des  messes  sur  des  paroles  mondaines  et  trop 
souvent  frivoles.  Mais  le  principal  reproche  concernait 
la  composition  musicale  en  elle-même,  et  l'on  se  plai- 
gnait surtout  qu'au  milieu  des  desseins  de  conlre  point , 
à  travers  le  dédale  des  canons  et  des  fugues,  les  textes 
saerés  devinssent  souvent  tout-a-fait  inintelligibles.  On 
fut  sur  le  point  de  décider  qu'à  l'avenir  la  musique  fi- 
gurale  sérail  bannie  de  l'église  ;  l'apologie  de  quelques  lé- 
gats (non  impedias  musicam)  jointe  a  des  représentations 
que  l'empereur  Ferdinand  fit  faire  par  son  ambassadeur, 
adoucirent  le  courroux  des  pères,  et  l'on  remit  a  la  fin 
du  concile  les  dispositions  a  prendre  sur  l'amélioration 
du  chant  religieux.  Dans  l'année  1565,  le  pape  nomma 
enfin  une  commission  de  huit  cardinaux  pour  applanir 
cette  difficulté,  et  on  leur  adjoignit  huit  membres  de  la 
chapelle  pontificale.  Dans  celte  assemblée,  on  convint 
tout  d'abord  que  les  chansons  mondaines  seraient  pro- 
scrites des  messes  et  des  motets.  On  eut  plus  de  peine  à 
s'entendre  sur  l'exigence  des  cardinaux  qui  voulaient 
que  les  paroles  sacrées  fussent  récitées  sans  interruption 
ni  répétition ,  de  manière  a  ce  qu'on  pût  aisément  les 
comprendre,  ce  a  quoi  les  chanteurs  répondirent  tout 
naturellement  que  c'était  une  demande  a  laquelle  il  était 
impossible  de  satisfaire,  attendu  que  l'essence  de  la  musi- 
que harmonique  consistait  précisément  dans  les  imitations 


et  les  fugues,  et  que  vouloirse  priverde  ces  ressources,  c'é- 
tait prétendre  anéantir  la  musique,  qu'ainsi  la  demande 
des  cardinaux  était  inadmissible  surtoutpour  des  composi- 
tions de  longue  haleine.  On  s'entendit  enfin  sur  un  point; 
l'on  convint  de  faire  un  essai  dans  un  style  noble  et 
simple  tout  a  la  fois,  et,  a  cet  effet,  on  élut  Palestrina  dont 
les  Improperia  et  la  messe  ut,  ré,  ini,  fa,  sol ,  la  avaient 
frappé  l'attention  des  cardinaux.  Il  écrivit  en  consé- 
quence,-  d'après  le  plan  qui  lui  était  tracé ,  trois  messes 
à  six  voix,  et,  dès  la  première  épreuve,  la  question  fut 
déclarée  résolue.  La  troisième  de  ces  messes  fut  surtout 
regardée  comme  la  meilleure  et,  en  conséquence ,  à  la 
première  solennité  religieuse,  qui  suivit  cette  épreuve, 
elle  fut  exécutée  aux  acclamations  unanimes  en  présence 
du  pape  et  des  cardinaux  (1  ). 

Le  pape  donna  a  Palestrina  une  preuve  non  équivo- 
que de  satisfaction  puisqu'il  le  nomma  compositeur  de  la 
chapelle  pontificale  ;  celte  place  ainsi  que  celle  de  maître 
de  chapelle  à  Saint-Pierre  du  Vatican  qu'il  avait  rési- 
gnée bien  contrairement  a  ses  intérêts,  dans  l'an- 
née 1555,  et  que  la  mort  d'Animuccia  venait  de  rendre 
vacante,  fut  pour  le  grand  homme  une  espèce  de  com- 
pensation aux  longues  privations  qu'ils  avait  eu  souffrir. 
C'est  vers  cette  époque  que  Palestrina,  conjointement 
avec  G.  M.  Nanini  ,_son  ami  et  condisciple  sous  Goudi- 
mel,  ouvrirent  à  Rome  cette  école  célèbre  qui  a  produit 
plusieurs  compositeurs  distingués,  que  depuis  Nanini 
continua  a  diriger,  et  dont  l'esprit  s'est  conservé  pen- 
dant de  longues  années ,  principalement  dans  la  chapelle 
du  pape.  Palestrina  termina  sa  glorieuse  carrière  dans 
l'année  1594.  Sa  mort  se  trouve  consignée  a  la  date  du 
2  février  159-4,  sur  le  registre  de  la  chapelle  papale  par 
la  note  suivante  écrite  de  la  main  du  chanteur  Gamboce  : 
«  Ce  malin  est  mort  le  très-éininent  musicien,  M.  Gio- 
»  vanni  Pierluisci  notre  cher  collègue  et  maître  de  cha- 
»  pelle  de  l'église  Saint-Pierre ,  où  son  convoi  a  été  ac- 
»  compagne  non-seulement  par  tous  les  musiciens  de 
»  Rome,  mais  encore  par  une  immense  multitude  de 
»  peuple,  pendant  que  le  collège  en  totalité  chantait  le 
»  libéra  me  domine.  » 

Palestrina  repose  dans  l'église  Saint-Pierre  au  pied  de 
l'autel  Saint-Simon  et  Judas  ,  et  sur  sa  tombe  se  trouve 
celte  inscription  :  «  Johannes  Petrus  Aloysius  Prœnes- 

(1)  Nous  avons  emprunté  ces  détails  à  l'estimable  ouvrage 
de  Baini,  et  nous  leur  avons  donné  quelque  étendue  parce  qu'ils 
rectifient  pleinement  la  version  ordinaire  sur  la  Missa  papœ 
Marcelli.  C'est  celte  messe  qui,  réunie  à  quelques  autres, 
forma  un  volume  que  Palestrina  dédia  en  ]56y  au  roi  d'Espa- 
gne Philippe  II,  sous  le  titre  :  Missa  papœ  Marcelli-,  voulant 
par  ce  titre  témoigner  un  sentiment  de  gratitude  envers  son 
auguste  protecteur,  le  pape  Marcellus  II. 


»  tinus  musicœ  princeps!  »  Voici  la  liste  de  ses  œuvres 
dont,  après  sa  mort,  un  grand  nombre  a  été  livré  a  l'im- 
pression par  les  soins  de  son  fils.  Douze  livres  de  messes 
a  quatre,  cinq  et  six  voix  (Baini  en  possède  un  treizième 
et  un  quatorzième  livre,  tous  deux  inédits).  Un  livre 
de  messes  a  huit  voix  ;  deux  livres  de  motets  a  quatre 
voix  et  cinq  livres  de  motets  à  cinq  voix.  Un  livre  d'of- 
fertorium  (  68  numéros).  Deux  livres  de  litanies,  sans 
compter  plusieurs  compositions  détachées  de  ce  genre 
contenues  dans  divers  recueils;  un  livre  d'hymnes  pour 
toutes  les  fêtes  de  l'année;  un  livre  de  magnificat  pour 
cinq  et  six  voix  ;  un  autre  livre  de  magnificat  à  huit  voix; 
un  livre  de  lamentations;  deux  livres  de  madrigaux  a 
quatre  voix  ;  deux  livres  de  madrigaux  religieux  a  cinq 
voix ,  abstraction  faite  de  madrigaux  détachés  qu'on 
peut  trouver  dans  différais  recueils.  En  outre,  le  digne 
père  Baini  possède  trois  volumes  de  motets,  un  livre  de 
litanies  et  enfin  deux  livres  de  lamentations,  !e  tout  en- 
core inédit. 

Le  premier  recueil  des  madrigaux  publié  en  1581 
contient  quelques  chants  d'amour  ;  mais  le  second  qui 
parut  dans  l'année  de  sa  mort  renferme  des  compositions 
plus  sévères  dans  lesquelles  la  poésie,  qui  exprime  tou- 
jours une  piété  pure,  mystique,  ardente,  une  espérance 
céleste  et  une  entière  confiance  en  Dieu,  est  revêtue  de 
mélodies  qui  semblent  l'écho  divin  d'un  monde  plus 
élevé,.  Ce  sont  les  dernières  inspirations  d'une  âme  pieuse, 
sainte  et  divine,  qui  se  consacre  tout  entière ;a  Dieu  et 
a  l'espoir  d'une  vie  plus  sublime.  Le  madrigal  était  a 
cette  époque  la  seule  forme  usitée  dans  les  chants  d'une 
nature  élevée;  les  paroles  se  composaient  de  seize  vers 
environ  et  étaient  chantées  par  un  nombre  de  voix  obli- 
gées qui  n'était  pas  moindre  de  quatre  et  qui  n'excé- 
dait pas  sx. 

Le  madrigal  est  né  des  chants  psalmodiés  a  contre- 
point figuré,  accompagnés  par  l'orgue,  et  a  son  tour 
c'est  lui  qui  a  donné  naissance  au  motet.  Le  prince  Ge- 
sualdo  da  Venosa  ,  contemporain  dePalestrina,  porta  le 
madrigal  a  un  haut  point  de  perfection  ;  les  madri- 
gaux ,  bien  que  les  mélodies  en  soieut  encore  graves  et 
solennelles,  furent  bientôt  dans  toute  l'Europe  les  chants 
favoris  des  hommes  comme  des  femmes.  Alessandro 
Scarlatti  fut  celui  qui  donna  à  ce  genre  son  entière  per- 
fection. On  cite  comme  un  des  plus  beaux  madrigaux  a 
quatre  voix  celui  de  Palestiina  :  «  Alla  riva  del  Tebro, 
giovinelto  vitkV  io  vago  pastore  »  et  on  peut  le  trouver 
imprimé  dans  le  Saggio  fondamentale  de  Martini.  La 
littérature  abonde  en  panégyriques  aussi  justes  que  spiri- 
tuels sur  le  talent  incomparable  dont  Palestiina  sut  don- 
ner tant  de  preuves.  Le  savant  et  respectable  père  Mar- 


tini, dans  l'ouvrage  que  nous  venons  de  citer,  apprécie 
ainsi  qu'il  suit  le  mérite  de  Palestrina  :  «  Ce  grand 
homme  n'avait  pas  seulement  1  e  mérite  d'avoir  étudié 
tous  les  grands  maîtres  qui  l'avaient  précédé  depuis  deux 
siècles;  il  savait  encore,  ce  qui  est  bien  plus  digne  d'ad- 
miration ,  s'approprier  toutes  les  ressources  les  plus  va- 
riées de  leur  art  et  de  leur  invention ,  mais  après  leur 
avoir  imprimé  le  cachet  de  son  génie  particulier.  La- 
borde  compare  le  style  de  Palestrina  avec  l'ordre  des  co- 
lonnes toscanes  qui  produisent  sur  notre  âme  un  effet  si 
puissant  par  le  mélange  de  grandeur  et  de  simplicité  qui 
les  distingue. 

Si  nous  voulons  maintenant ,   en  thèse  générale  ,  ju- 
ger Palestrina  comme  artiste,  il  faut  nous  rappeler  avant 
tout  qu'il  n'avait  alors  a  sa  disposition  ni  récitatif,  ni 
airs  comme  dans  nos  messes  et  nos  oratorios.  Le  réci- 
tatif, inventé  seulement  à  sa  mort ,  ne  dut  sa  perfection 
qu'a  Allessandre  Scarlatti  et  a  Perti  ;  et  quant  a  Varia  , 
ce  furent  Cesti  et  Cavalli  qui ,  vers  le  milieu  du  XVIIe 
siècle,  tournèrent  leurs  recherches  de  ce  côté.  Aussi, 
dans  les  œuvres  de  Palestrina  lui-même ,  le  texte  resta- 
t-il   toujours  subordonné  aux  finesses  du  contre-point. 
D'accompagnement  instrumental  ,  il  ne  pouvait  encore 
en  être    aucunement  question.   Quel  petit  nombre  de 
lessources  étaient  donc  a  la  disposition  de  notre  grand 
maître  !    et  cependant ,  quels   immenses  effets  n'a-t-il 
pas  su  produire  !  Le  style  de  Palestrina  se  distingue  par 
la  forée  et  l'élévation ,  comme  celui   de  Léo  brillait , 
un  siècle  plus  tard  ,   par  la  grâce  enchanteresse  de  ses 
mélodies  unies  librement  a  l'harmonie.  Chez  Palestrina, 
ce  que  l'on  trouve  le  plus  souvent,  se  sont  des  suites 
d'accords  simples,   purs,  que  n'interrompt  qu'un  petit 
nombre  de  dissonnances  préparées ,  et  que  relève  rare- 
ment une  marche  chromatique.  Et  pourtant  on  se  trom- 
perait fort  si  on  se  persuadait   que  toutes  ses  œuvres 
sont  écrites  dans  le   style  qui ,   dans  la  messe  Papœ 
Marcelli,  parvint  a  réconcilier  les   cardinaux  avec  la 
musique  Jigurale.  Le  biographe  de  Palestrina  remarque 
même  qu'il  n'écrivit  plus  une  seule  autre  messe  dans  le 
même  style.  11  avait  étudié  a  fond  toutes  les  finesses  de 
l'école,  et  il  n'a  pas  manqué  de  les  mettre  en  œuvre  ; 
mais  ce  qui  fait  son  principal  mérite,  c'est  qu'au  mi- 
lieu des  entraves  qu'il  s'étaient  évidemment  imposées  , 
il  procède  constamment  avec  une  allure  libre  et  dégagée 
qui  ne  laisse  jamais  soupçonner  la  moindre  gène  ou  le 
moindre  embarras.  «  Partout,  dit  Burney  dans  son  his- 
toire générale  de  la  musique  ,  partout  ,  chez  Palestrina  , 
brille  le  feu  du  génie,  malgré  les  embarras  si  gênans 
du  plein-chant ,  du  canon  ,  de  la  fugue ,  des  inversions, 
et  de  tous  ces  autres  empèchemens  si  propres  à  refroidit;, 


376 


GAZETTE  MUSICALE 


pour  ne  pas  dire  a  glacer  tout  autre  que  ce  grand  com- 
positeur. »  On  peut  admirer  comme  des  modèles  de 
simplicité  musicale  ses  improperia,  une  partie  de  ses 
psaumes  de  vêpres,  ses  litanies  et  ses  lamentations. 
Parmi  ceux  de  ses  morceaux  où  il  a  eu  plus  recours  aux 
finesses  de  l'art  et  qui  peuvent  passer  pour  des  chefs- 
d'œuvre  du  genre  ;  nous  citerons  particulièrement  sa 
messe  en  canon  intitulée  Adfugam  ;  la  strophe  finale 
de  son  hymne  inimitable ,  dans  laquelle  le  cantus  firmus 
est  traité  dans  le  style  le  plus  sévère,  en  canon  à  deux 
voix,  tandis  que  les  autres  parties  entièrement  indépen- 
dantes imitent  entr' elles  les  divers  membres  de  la  phrase; 
ou  bien  encore  cet  offertoiïum  :  «  Tribularen  si  nesci- 
rem,  »  dans  lequel  une  voix  intermédiaire  fait  entendre 
un  thème  assez  court  qui,  de  sept  pauses  en  sept  pau- 
ses ,  monte  d'un  degré,  a  cinq  reprises  différentes,  en 
descendant  par  le  même  procédé  (  le  même  jeu  se  trou- 
vant répété  dans  sept  autres  parties  et  précisément  dans 
le  même  ordre  ) ,  tandis  que  les  autres  voix  exécutent 
entr' elles  une  foule  de  traits  fugues.  La  messe  du  pape 
Marcellus  elle-même  renferme  une  foule  d'imitations 
dont  messieurs  les  commissaires  spirituels  ne  soupçon- 
naient assurément  par  l'existence,  étrangers  qu'ils 
étaient  aux  mystères  de  l'art. 

(  La  suile  au  numéro  prochain.) 


FETE  FUNEBRE 

EN  L'HONNEUR  DE  BOYELOIEU,  A  ROUEN. 

Un  étranger  qui  serait  arrivé  à  Rouen  le  jeudi  1 5  no- 
vembre au  matin  sans  avoir  été  prévenu  de  ce  qui 
allait  s'y  passer,  eût  été  grandement  surpris  de  l'aspect 
que  présentait  cette  ville.  La  garde  nationale  et  la  troupe 
de  ligne  sous  les  armes,  l'hôtel-de-ville  et  la  cathéirale 
toutes  tendues  de  noir,  une  population  se  pressant  dans 
les  rues  étroites  qui  avoisinent  le  lieu  de  la  cérémonie, 
toutes  les  cloches  mises  en  branle,  toutes  les  autorités  sur 
pied  pouvaient  faire  penser  qu'il  s'agissait  de  célébrer  la 
mémoire  d'un  souverain  ,  d'un  des  puissans  de  la  terre  : 
cependant  l'air  de  curiosité  répandu  sur  tous  les  visages 
ne  laissait  place  a  la  manifestation  d'aucune  mauvaise 
passion  :  pas  de  ces  rires  indécens,  de  ces  plaisanteries 
déplacées,  comme  nous  en  avons  entendu  si  souvent  dans 
des  cérémonies  du  même  genre,  m&is  qui  alors  étaient 
célébrées  poiirdes  hommes  dont  le  pouvoir  avait  fait  tout 
le  mérite.  L'hommage  rendu  à  un  simple  citoyen  avait 
quelque  chose  de  touchant  qui  excitait  une  vive  sympa- 
thie dans  le  peuple;  car  il  n'est  pas  de  profession,  quel- 
que obscure  qu'elle  soit,  d'où  il  ne  soit  permis  de  s'élan- 
cer pour  se  faire  un  nom  dans  les  arts  où  il  n'y  a  d'autre 


aristocratie  que  celle  du  talent,  et  où,  au  contraire,  une 
humble  naissance  est  souvent  un  tilre  de  gloire.  Il  me 
semble,  en  effet,  qu'Haydn,  que  Boïeldieu,  admis  dans 
l'intimité  et  traités  avec  déférence  par  des  têtes  couron- 
nées, devaient  se  dire  avec  orgueil  :  Mon  père  n'était 
qu'un  pauvre  charron  de  village,  ma  mère  tenait  une  pe- 
tite boutique  de  mercerie  à  Rouen.  Les  Rouennais  ont 
parfaitement  compris  que  ces  honneurs  rendus  à  leur  il- 
lustre concitoyen  les  honoraient  eux-mêmes.  Cela  atteste 
un  grand  progrès  :  la  meilleure  réponse  à  faire  à  ceux  qui 
prétendent  que  le  commerce  et  les  arts  sont  incompati- 
bles est  l'exemple  d'une  ville  toute  commerçante  sen- 
tant si  bien  l'illustration  que  fait  rejaillir  sur  elle  le  grand 
musicien  qui  est  né  dans  ses  murs. 

Une  chapelle  ardente  était  élevée  sous  le  péristile  de 
l'hôtel-de-ville.  Le  cœur  de  Boïeldieu  était  déposé  sur  un 
riche  catafalque.  A  dix  heures  et  demie  précises  le  cor- 
tège se  mit  en  marche  pour  la  cathédrale.  Les  brâjicards 
du  catafalque  étaient  portés  par  MM.  Arnédée  Méreaux, 
Fournier,  (ami  deBoïtldieu),  Andrieu,  premier  ténorjdu 
théâtre  de  Rouen,  et  Nicololsouard,  frère  du  célèbre  com- 
positeur de  ce  nom,  et  aussi  artiste  du  théâtre  de  Rouen. 
Les  coins  du  drap  étaient  portés  par  MM.  Henri  Barbet, 
membre  de  la  chambre  des  députés  et  maire  de  Rouen, 
Dibbon,  Thomas,  président  de  la  Société  libre  d'émula- 
tion, Duputel,  président  de  l'académie  de  Rouen,  et 
MM.  Zimmerman,  Martin,  Sevvrin  et  A.  Adam,  tous 
quatre  invités  par  la  ville  de  Rouen  a  assister  a  cette 
pieuse  cérémonie.  Pendant  le  traget  de  l'hôtel  de  ville  a 
la  cathédrale,  la  musique  de  la  ligne  et  de  la  garde  natio- 
nale exécutait  des  symphonies  appropriées  à  la  circon- 
stance. A  l'entrée  de  l'église,  l'orchestre  fit  entendre  une 
marche  funèbre  de  M.  Berton,  et  la  marche  de  Beetho- 
ven connue  sous  le  nom  de  marche  pour  la  mort  d'un 
héros.  Vint  ensuite  l'admirable  messe  de  Chérubin! , 
fort  convenablement  exécutée  par  les  amateurs  et  les  ar- 
tistes de  la  ville  réunis  ;  puis  l'air  des  Chevaliers  de  la 
Fidélité ,  arrangé  en  trio  avec  des  paroles  latines  par 
M.  Panseron.  La  décoration  intérieure  de  la  cathédrale 
était  la  même  que  celle  de  l'église  de  Saint-Denis  aux 
obsèques  de  Louis  XVIII.  Toutes  les  tentures  avaient 
été  prêtées  par  l'administration  des  Menus-Plaisirs.  Cette 
belle  église  gothique  offrait  un  coup-d'  œil  magnifique. 
Honneur  au  clergé  de  Rouen  ,  qui  a  mis  tant  de  bonne 
volonté  dans  cette  circonstance  qu'on  en  avait  eu  a  dé- 
plorer de  mauvaise  a  Paris;  tous  les  archevêques  ne  se 
ressemblent  pas,  grâce  au  ciel,  et  il  en  est  qui  savent 
apprécier  la  reconnaissance  et  le  génie.  Dans  le  long  tra- 
jet qui  sépare  l'église  du  cimetière  monumental,  on  dut 
passer  par  le  théâtre.  La  était  le  buste  de  Boïeldieu  cou- 
ronné de  cyprès;  M.  Salomé,  directeur  du  théâtre,  re- 


DE  PARIS. 


mit  entre  les  mains  d'un  des  commissaires  le  dernier  ou- 
vrage de  Boïeldieu,  la  partition  des  Deux-Nuits,,  dédiée 
à  la  ville  de  Rouen,  pour  être  portée  devant  le  cata- 
falque. Alors  se  déployèrent  huit  grandes  bannières 
noires  où  étaient  écrits  en  lettres  d'argent  les  titres  des 
principaux  opéras  de  Boïeldieu.  Ces  bannières  prirent 
place  dans  le  cortège.  Eu  ce  moment,  la  musique  com- 
mença à  faire  entendre  des  airs  de  Boïeldieu.  Par  un  ha- 
zard  remarquable  ;  le  premier  qu'on  exécuta  fut  l'air  : 
Tournez  fuseaux  légers  de  la  Dame-Blanche ,  le  même 
qu'on  entendit  a  Paris  au  cimetière  du  Père-Lacbaise,  au 
moment  où  le  cercueil  descendait  dans  la  tombe  ;  et  cette 
circonstance  produisit  une  vive  émotion  sur  ceux  qui 
avaient  assisté  a  la  première  cérémonie. 

Il  est  bien  d'observer  ici  la  parfaite  convenance  qui  se 
fit  remarquer  dans  les  moindres  détails  de  ce  qu'on  fit  à 
Rouen  pour  honorer  la  mémoire  de  Boïeldieu.  Si  quel- 
quefois on  a  l'occasion  de  blâmer  l'intolérance  sacer- 
dotale, il  n'est  pas  moins  juste  de  convenir  qu'il  est  des 
croyances  et  même  des  préjugés  qu'il  faut  savoir  respec- 
ter. Ainsi ,  tout  ce  qui  pouvait  se  rattacber  au  souvenir 
du  théâtre  fut  éloigné  avec  soin  tant  que  durèrent  les  cé- 
rémonies de  l'église,  et  ce  n'est  qu'au  sortir  delà  cathé- 
drale, qu'eurent  lieu  et  la  remise  de  la  partition,  et  le  dé- 
ploiement des  bannières,  et  l'exécution  des  airs  d'opéras. 
Cette  preuve  de  tact  et  de  goût  fut  parfaitement  sentie. 
Le  cortège  prit  alors  l'apparence  d'une  marche  triom- 
phale :  c'est  ainsi  qu'il  passa  devant  la  promenade  qu'on 
vient  de  décorer  du  nom  de  cours  Boïeldieu ,  puis  de- 
vant la  modeste  maison  où  s'écoula  l'enfance  de  notre 
célèbre  compositeur.  Un  spectacle  imposant  se  déploya 
à  l'arrivée  au  cimetière  monumental.  Toutes  les  hau- 
teurs environnantes  étaient  couvertes  d'une  immense  po- 
pulation accourue  de  dix  lieues  a  la  ronde.  Cette  foule 
bigarée  formait  un  contraste  magique  avec  le  cortège  noir 
et  silencieux  qui  se  déployait  a  ses  regards  étonnés;  joi- 
gnez a  cela  un  temps  magnifique,  une  des  plus  belles  vues 
qui  existent  au  monde,  Rouen  a  nos  pieds  avec  ses  mai- 
sons noires  et  antiques,  et  les  tours  et  les  flèches  orgueil- 
leuses de  ses  églises,  la  Seine,  serpentant  a  travers  les  ad- 
mirables campagnes  qu'elle  féconde,  un  tel  tableau  de- 
vait survivre  a  [cette  solennité.  M.  H.  Burbet  commanda 
sur-le-champ  a  M.  Bellangé,  qui  assistait  a  la  cérémonie, 
de  reproduire  cet  effet  unique  sur  la  toile,  l'assurant  qu'il 
achèterait  le  tableau  pour  son  compte  si  la  ville  n'en  fai- 
sait pas  l'acquisition. 

Au  cimetière,  plusieurs  discours  furent  prononcés,  et 
on  chanta  un  trio  sans  accompagnement  dont  les  paro- 
les et  la  musique  avaient  été  composés  exprès  par  M.  Ber- 
ton.  Ce  morceau,  très-simple  et  d'une  mélodie  pure,  fut 


parfaitement  exécuté  par  trois  amateurs  dont  je  regrette 
de  ne  pouvoir  citer  les  noms,  et  produisit  beaucoup  d'ef- 
fet; il  est  digne,  et  de  celui  qui  l'a  composé,  et  de  celui 
a  qui  il  s'adresse  :  ce  sont  bien  les  adieux  de  Berton  a 
Boïeldieu. 

Là  devait  se  terminer  la  cérémonie  ;  mais  un  incident 
vint  encore  la  prolonger,  et  y  jeter  un  nouvel  intérêt. 
Le  peuple  qui  remplissait  le  cimetière  voulut  voir  le  cœur 
de  Boïeldieu  ,  et  ne  se  contenta  pas  qu'un  des  commis- 
saires le  lui  montrât  élevé  dans  ses  mains  ;  il  fallut  qu'il 
redescendît  tout  le  champ  du  repos,  montrant  a  la  foule 
empressée  ce  dernier  reste  d'un  grand  homme.  C'était  un 
noble  et  touchant  spectacle  que  celui  de  cette  immense 
population  se  découvrant  avec  respect  devant  cette  triste 
relique  ;  il  fallait  voir  des  hommes  presque  déguenillés 
se  disant  entre  eux  :  «  C'était  l'auteur  de  la  Dame-Blan- 
che! !  »  Et  ces  vieillards  s'approchant  pour  lire  les  mots 
gravés  sur  la  boîte  d'argent,  s'écriant  avec  orgueil  :  «  Né 
a  Rouen  !  »  Puis  se  disant  entre  eux  :  «  C'était  cepen- 
dant ce  petit  Boïel  qui  était  si  gentil ,  que  nous  avons 
vu  si  enfant  !  Qui  nous  aurait  dit  qu'il  dût  finir  avant 
nous?  »  —  puis  petit  a  petit  la  foule  s'écoula  silencieuse 
et  recueillie,  sans  le  moindre  désordre,  et  ne  se  doutant 
pas  du  sublime  exemple  qu'elle  venait  de  donner  par  cet 
hommage  éclatant  a  un  artiste. 

Nous  serions  injustes  si  nous  ne  rendions  pas  toute  la 
justice  qu'ils  méritent  à  ceux  qui  ont  dirigé  cette  belle 
cérémonie.  M.  Henri  Barbet  a  le  premier  droit  à  nosre- 
mercimens.  11  est  impossible  de  mettre  plus  de  grâce  et 
d'aménité  que  n'en  a  employé  ce  fonctionnaire  envers 
tous  les  artistes  qui  se  sont  prêtés  a  cette  entreprise. 
MM.  Amédée  Méreaux  et  Gaugain  ont  déployé  un  zèle 
inimaginable  pour  amener  un  résultat  dont  les  personnes 
seules  qui  ont  assisté  a  cette  magnifique  cérimonie  peu- 
vent se  faire  idée. 

Si  les  Rouennais  sont  fiers  de  compter  Boïeldieu  au 
nombre  de  leurs  compatriotes,  il  n'est  pas  maintenant 
un  artiste  qui  ne  s'honorerait  d'avoir  reçu  le  jour  dans 
une  cité  qui  sait  ainsi  apprécier  le  vrai  mérite. 

Adolphe  Adam. 

Iphigénie  en  Tauride. 

•1er  acte.  —  3mo  article. 

«  O  songe  affreux!  nuit  effroyable! 
»  O  douleur!  ô  mortel  effroi! 
»  Ton  courroux  cst-il  implacable  ? 
a  Entends  nos  cris,  ô  ciel!  apaise-toi. 

Ce  chœur  est  d'un  beau  caractère  dans  son  auda- 
cieuse simplicité.  Il  est  en  effet  sans  mélodie  et  sans  des- 


GAZETTE  MUSICALE  DE  PARIS. 


sins  d'accompagnement.  Gluck  s'est  borné  a  des  accords 
plaqués  dans  les  voix  et  dans  l'orchestre,  se  contentant, 
pour  le rhythme  de  suivreceluiquelameilleuredictiondes 
paroles. indiquait.  Il  présente  aussi  une  singularité  que 
les  professeurs  nommeront,  comme  toujours,  une  ex- 
travagance, il  commence  en  mi  mineur,  et  finit  en  la. 
Ceci  ri  est  pas  permis. . 

Le  récitatif  qui  suit  est  énormément  trop  long  ;  d'ail- 
leurs le  mode  d'accompagnement  adopté  par  l'auteur  con- 
tribue a  en  augmenter  la  monotonie.  Ce  sont  des  tenues 
à  quatre  parties  clans  les  instrumens  à  cordes.  Il  faut 
avouer  qu'on  ne  pourrait  guère  imaginer  quelque  chose 
deplusdésavantageuxpourle|chanteurct  de  plus  fatiguant 
pour  l'auditeur.  Cette  harmonie  stagnante  finit  au  bout 
de  fort  peu  de  temps  par  faire  naître  un  besoin  de  som- 
meil presque  irrésistible.  C'est  cependant  ainsi  que  Gluck 
accompagne  tous  les  récitatifs  ordinaires  :  il  ne  quitte  les 
tenues  que  lorsque  la  scène  s'anime  et  que  le  dialogue 
prend  assez  d'intérêt  pourjse  rapprocher  du  récitatif  oblige. 
Nous  avons  vu  plus  haut  comment  il  sait  alors 
faire  perler  l'orchestre.  Enfin  vient  le  premier  air  :  «  0 
toi  qui  prolongeas  nos  jours,  »  c'est  bien  beau  ,  bien  no 
ble,  bien  pénétrant.  L'accord  de  quarte  augmentée, 
placé  sur  le  mot  :  je  l'implore  ,  est  d'un  sens  dramatique 
profond  :  il  s'agit  de  faire  sentir  qu'Ipbigénie  demande 
la  mort  comme  l'unique  faveur  qu'elle  puisse  désormais 
espérer  ;  cette  nuance  ne  pouvait  échapper  à  un  homme 
comme  Gluck,  et  il  a  su  la  faire  ressortir  avec  son  habi- 
leté ordinaire.  Le  reste  de  la  phrase  est  magnifique,  c'est 
la  douleur  antique  dans  toute  sa  majestueuse  beauté.  La 
seconde  partie  de  l'air  tourne  un  peu  au  récitatif,  l'ac- 
compagnement en  est  assez  ordinaire  ;  on  remarque  seu- 
lement une  gradation  bien  sentie  sur  les  deux  derniers 
vers  : 

«  J'ai  vu  s'élever  contre  moi 

»  Les  dieux,  ma  patrie  et  mon  père.  •> 

La  voix  jusqu'au  mot  patrie,  observe  un  crescendo,  et 
retombe  tout-a-coup  comme  étouffée  par  les  larmes  sur 
les  mots  «  et  mon  père.  »  La  cadence  se  fait  en  ut  dièze 
mineur,  donnant  ainsi  tout  l'avantage  possible  au  retour 
du  thème  primitif  qui  est  en  la. 

Après  un  second  chœur  de  prêtresses,  écrit  seulement 
a  deux  parties,  comme  le  premier,  mais  accompagné 
par  des  accords  soutenus  d'instrumens  a  vent ,  au  milieu 
desquels  se  font  remarquer  les  gémissemens  des  bassons, 
la  scène  change  et  s'anime  enfin  d'une  vie  nouvelle.  Le 
farouche  roi  de  la  Tauride ,  Thoas ,  vient  consulter 
îphigénie  sur  les  moyens  de  la  délivrer  des  terreurs  qui 
l'obsèdent.  Ce  rôle  comme  tous  ceux  que  Gluck  a  écrits 
pour  la  voix  de  basse,  est  a  peu  près  inexécutable  aujour- 


d'hui. Il  roule  constamment  dans  les  cordes  hautes ,  ut 
dièze,  ré,  mi,  fa  dièze,  et  même  sol;  or,  ces  deux  der- 
nières notes  n'existent  réellement  pas  dans  l'étendue  na- 
turelle de  la  basse.  On  justifie  mal  le  compositeur  en 
disant  que  le  diapason  de  son  temps  était  d'un  ton  plus 
bas  que  le  nôtre  ;  cette  raison  n'empêche  pas  que  tout  ne 
soit  encore  trop  haut  pour  pouvoir  être  chanté  par  une 
voix  ordinaire.  Le  diapason  était  plus  bas,  soit,  mais 
tout  ce  que  vous  y  gagnez  ,  c'est  que  les  sol  deviennent 
des  fa,  et  les  fa  dièzes  des  mi. 

Il  est  plus  probable  que  Gleck  n'a  écrit  ainsi  que  pour 
obtenir  ces  sons  forcés  de  basse,  qui  ont ,  lorsque  le 
chanteur  peut  les  donner  avec  adresse ,  un  caractère  de 
férocité  tous  particulier.  Ce  timbre  âpre  et  rude  est  très- 
avantageux  dans  certains  cas;  on  conçoit  que  le  compo- 
siteur se  soit  laissé  entraîner  a  en  tirer  parti.  Mais  de  la, 
sont  venus  les  cris  qui  pendant  si  long-temps  ont  rendu 
ridicule  certaine  partie  de  l'exécution  vocale  a  l'Opéra: 
de  la  ,  résultait  également  un  autre  inconvénient ,  c'est 
que  les  chanteurs  n'exerçaient  leur  voix  que  depuis  lemé- 
dium  jusqu'aux  notes  élevées,  perdaient  ainsi  a  la  lon- 
gue tous  leurs  sons  graves,  et  devenaient  incapables  de 
chanter  un  air  écrit  pour  le  véritable  diapason  de  la 
basse,  quand  l'occasion  s'en  présentait.  L'air  de  Thoas, 
dont  nous  allons  nous  occuper,  est  remarquable  sous 
rapport.  La  voix  ne  parcourt  que  l'étendue  d'une  dix- 
ième diminuée,  depuis  le  mi  dièze  du  médium,  jusqu'au 
sol  naturel  haut;  de  telle  sorte  qu'une  vraie  basse  pour- 
rait le  chanter  d'un  bout  a  l'autre  a  l'octave  inférieure 
avec  infiniment  moins  de  difficulté  que  tel  qu'il  est  écrit. 
La  suite  au  prochain  numéro. 


Revue  Critique. 

Vingt-cinq  Caprices   pour    le   piano,   composés  par 
M.  Bertini  jeune.  Op.  94. 

Cet  ouvrage,  complément  des  études  caractéristiques 
du  même  auteur,  sera  publié  en  six  livraisons  de  vingt 
à  vingt-cinq  planches  au  prix  de  2  fr.  50  c.  la  livrai- 
son, etc.,  etc. 

Voici  un  titre  qui  captive  notre  attention,  en  ce  qu'il  nous 
annonce  d'un  côté  une  œuvre  d'art ,  et  de  l'autre  une  mar- 
chandise. Nous  regrettons  d'être  forcés  d'avouer  que  cette 
double  recherche  est  loin  de  nous  avoir  conduits  aux  résultats 
les  plus  satisfaisans  ;  une  chose  tout  au  moins  nous  paraît  cer- 
taine ,  c'est  que  M.  Bertini  est  un  peu  plus  fort  en  arithmé- 
tique qu'en  logique,  mais  qu'à  tout  prendre  il  n'est  bien 
avancé  dans  aucune  de  ces  deux  branches  de  la  science.  Nous 
expliquons  notre  pensée. 

M.  Bertini  donne  le  nom  de  Caprices  à  la  composition  qui 


nous  occupe.  Musicalement  parlant,  un  Caprice,  tout  le  monde 
le  sait,  est  un  morceau  qui,  par  la  forme  comme  par  le  fond  , 
se  distingue  des  créations  musicales  ordinaires  et  régulières  ; 
une  composition  dans  laquelle  la  gaielé  montée  jusqu'à  l'i- 
vresse se  change  soudain  en  chagrin  ou  en  humeur  fantasque  ; 
où  une  tendre  et  rêveuse  mélancolie  fait  place  tout  à  coup  à 
des  idées  terribles  et  heurtées  ;  une  composition  enfin  où  au- 
cune situation  de  l'âme  ne  parvient  à  se  développer  libre  et 
complète,  mais  où  les  nuauces  les  plus  opposées  et  les  plus 
contraires  se  combattent  mutuellement  pour  se  faire  place 
tour  à  tour.  Un  tel  morceau  devra  donc  se  distinguer  aussi 
par  un  changement  fréquent  des  formes  extérieures,  que 
ces  changemens  portent  soit  sur  la  mélodie  ou  l'harmonie, 
soit  sur  le  rythme  ,  soit  enfin  sur  le  mouvement  ;  ceci  est  une 
vérité  incontestable  ,  s'il  est  bien  prouvé  que ,  pour  parvenir  à 
une  expression  variée,  il  faut  avant  tout  varier  les  moyens  d'ex- 
pression. 

Or,  dans  toute  l'œuvre  de  M.  Bertini ,  nous  rencontrons 
toujours  et  partout  un  ordre  tellement  constant,  tellement 
immuable  dans  les  formes  extérieures,  soit  de  mélodie  ou 
d'harmonie  ,  soit  de  rhythme  ,  soit  de  mouvement ,  et  il  en  ré- 
sulte une  telle  uniformité ,  ou  plutôt  une  telle  unité  de  tons 
dans  l'expression,  que,  pour  une  semblable  composition  ,  le 
titre  de  Caprice  est  celui  qui  peut  le  moins  convenir.  En  outre 
comment  de  véritables  caprices  pourraient-ils  servir  de  complé- 
ment à  des  études  caractéristiques?  c'est  ce  qui  est  pour  nous 
chose  tout-à-fait  incompréhensible.  C'est  ici  que  la  logique  de 
M.  Bertini  nous  paraît  singulièrement  en  défaut.  Le  côté  ca- 
ractéristique d'une  œuvre  de  l'art  nous  paraît  résider  avaut 
tout  dans  le  développement  complet  et  détaillé  d'une  idée  im- 
portante ou  dans  la  peinture  exacte  d'une  situation  de  l'âme, 
de  telle  sorte  que  l'ensemble  général  et  ses  parties  les  plus  mi- 
nimes sdient  empreints  d'un  cachet  particulier  qu'on  ne  puisse 
méconnaître,  de  manière  enfin  à  ce  que  le  tout  soit  dans  un 
rapport  parfait  avec  les  moindres  détails.  Maintenant,  ces  qua- 
lités, comment  les  rendre  compatibles  avec  la  nature  si  libre  , 
si  indépendante,  si  variée  du  caprice?  c'est  là  ce  que  nous 
ne  pouvons  concevoir.  Et  en  outre,  ces  prétendus  Caprices, 
qui,  nous  le  dirons  en  passant ,  sont  d'une  assez  médiocre  dif- 
ficulté ,  comment  peuvent-ils  servir  de  complément  aux  études 
caractéristiques,  ouvrage  presque  constamment  remarquable, 
par  des  difficultés  beaucoup  plus  importantes  et  par  une  con- 
ception bien  autrement  élevée  ?  Quant  à  ce  qui  touche  le  talent 
d'arithméticien  que  nous  nous  plaisons  à  reconnaître  en  M.  Ber- 
tini,  nous  dirons  seulement  que,  d'après  son  titre,  nous  ne 
croyons  pas  sa  méthode  désavantageuse  puisqu'il  a  trouvé  de 
vendre  pour  un  prix  très-modique  (?.  fr.  5o  c.)  vingt  ou  vingt- 
cinq  pages  de  musique  ,  sans  cependant  donner  aux  acheteurs 
une  plus  grande  quantité  de  marchandise  que  ne  le  comporte 
la  modicité  du  prix.  Avec  une  légère  addition  des  signes  usités 
de  répétition,  en  supprimant  presque  toutes  les  terminaisons 
trop  longues  ou  trop  fastidieuses,  et  en  retranchant  un  pendu 
luxe  de  l'impression,  les  vingt  ou  vingt-cinq  pages  eussent  pu 
fort  aisément  être  réduites  à  dix  ou  douze,  et  l'ensemble 
de  l'œuvre  y  eût  gagné  d'être  débarrassé  d'une  foule  de  lon- 
gueurs fort  ennuyeuses.  Reste  une  autre  question,  celle  de 
savoir  s'il,  est  avantageux  pour  l'art  en  général  de  réduire  à 
presque  rien  le  prix  des  œuvres  musicales.  Nous  n'entrepren- 
drons pas  aujourd'hui  de  la  résoudre.  Nous  serions  charmés 
que  M.  Bertini,  qui ,  comme  artiste,  a  fait  le  premier  pas  dans 


celte  carrière ,  daignât  expliquer  publiquement ,  pour  l'instruc- 
tion et  l'exemple  des  autres,  ses  idées,  qu'avant  tout  nous  ne 
pouvons  nous  empêcher  de  regarder  comme  quelque  peu  in- 
compréhensible. 

Nous  nous  empressons  maintenant  de  donner  à  nos  lecteurs 
quelques  détails  plus  précis  sur  celte  œuvre  en  elle-même.  La 
première  livraison  contient  quatre  Caprices ,  dont  trois  sont 
écrits  en  3/8  et  un  en  12/8.  Le  mouvement  de  la  valse  est  donc 
celui  qui  domine.  Considérés  comme  valses,  ces  caprices  sont 
réellement  fort  jolis,  fort  animés  et  surtout  très-dansants,  et  en 
dépit  de  plusieurs  traits  des  plus  vulgaires,  il  se  trouve  quel- 
ques pensées  nouvelles  remarquables  p3r  l'invention,  principa- 
lement pages  2  et  3,  les  deux  dernières  et  les  deux  premières 
lignes  ;  page  y,  lignes  4,  5,  6;  page  -16  toute  entière   Mais  pour 
tout  ce  qui  est  grâce,  expression  vive  et  passionnée,  ou  autres 
qualités  analogues,  on  n'en  trouve  nulle  trace  dans  celte  livrai- 
son. Lei  quatre  numéros  de  la  deuxième  livraison  se  recom- 
mandent par  une  plus  grande  variété  de  rhylhme,  et  par  plus  de 
grandeur  dans  la  disposition  générale.  Le  premier  mouvement 
du  cinquième  numéro  est  celui  qui  nous  a  particulièrement  plu. 
C'est  un  morceau  plein  d'intérêt  pour  la  forme  et  pour  le  fond. 
Nous  sommes  moins  satisfaits  du  deuxième  mouvement ,  qui , 
dans  sa  constante  uniformité  ,  n'offre  rien  de  nouveau  ni  d'a- 
gréable, et  qui  n'est  en  aucun  rapport  avec  la  pensée  princi- 
pale. Le  sixième  Caprice  n'est  encore  qu'une  valse  assez  heu- 
reuse,  de  même  que  le  numéro  8,  en  observant  .toutefois  que 
la  forme  principale  des  deux   morceaux ,  quoique   conservée 
d'un  bout  à  l'autre  avec  beaucoup  d'hahilclé,  ne  présente  ce- 
pendant rien  de  gracieux  ni  d'original.  Nous  sommes  plus  con- 
tents du  numéro  7  sous  le  double  rapport  du  travail  et  de  l'in- 
vention. Nous  distinguerons  sous  les  mêmes  points  de  vue  le 
numéro  g,  qui  'ne  ^manque  pas  d'une  _vive  expression  carac- 
téristique, bien  qu'on  puisse  lui  reprocher  de  l'uniformité  ainsi 
qu'une  certaine  absence  de'grace  et  de  légèreté.  Le  numéro  "10 
est  encore  un  autre  exercice  en  forme  de  valse.  La  basse  ,  quel- 
que peu  triviale ,   est  traitée  avec  un  certain  ait,  mais  la  même 
figure  est  conservée  d'un  bout  à  l'autre  du  morceau,  c'est-à- 
dire  pendant  six  pages,  de  sorte  qu'elle  finit  par  être  des  plus 
fatigantes  pour  l'oreille.   Le   numéro  \\  ne  manque  pas    d'o- 
riginalité ,    et  il    est  souvent   bien  travaillé  ;  mais  ici   encore 
on  prouve  une  basse  trop  raide;   tandis  que  le  chant   de  la 
droite  est  loin  d'avoir  assez  d'importance  pour  faire  disparaître 
l'uniformité  de  la  basse.  Le  douzième  Caprice  forme  un   fort 
joli  scherzo,  et  peut  être  considéré  comme  un  gracieux  complé- 
ment à  l'ensemble  de  l'œuvre.  Maintenant ,  s'il  nous  faut  résu- 
mer notre  opinion  sur  cette  publication  de  M.  Bertini,  nous  le 
ferons  aiusi  qu'il  suit  :  M.  Bertini  vient  de  prouver  encore  une 
fois  qu'il  veut  et  qu'il  peut  faire  mieux  que  la  foule  des  compo- 
siteurs; c'est  un  homme  qui  écrit  avec  habileté  pour  le  piano, 
qui  sait  au  mieux  relever  la  valeur  de  ses  pensées  musicales  par 
toutes  ressources  possibles,  et  qui  sait  surtout  produire  dis  ef- 
fets neufs  et  remarquables  par  d'ingénieuses  combinaisons  du 
rhythme.Mais  ses  idées  comme  ses  images  manquent  de  ce  feu 
sacré  et  de  cette  fraîcheur  poétique  qui  vont  droit  à  l'amc.  Ses 
œuvres  ne  peuvent  ni  loucher  ni  animer  ,  et  c'est  grand  dom- 
mage ,   car  ce  sont  là  de  ces  qualités  qui  ne  s'acquièrent  pas, 
la  nature  seule  peut  les  donner,  et  elle  ne  peut  faire  à  uu  ai  tiste 
aucun  don  plus  riche  ou  plus  précieux. 


3'SO 


GAZETTE  MUSICALE 


NOUVELLES. 

t*^.  Aujourd'hui  dimanche,  à  l'Opéra  ,  la  116e  représentation 
de  R,)be/-t-le-T>iable.  M.  Véron  a  préparé  une  petite  place  dans 
son  énorme  coffre-fort  pour  recevoir  10,000  francs. 

+%  Mardi  prochain  ,  25  novembre,  l'Opéra-Italien  donnera 
un  opéra  nouveau,  Erncini ,  expressément  écrit  pour  ce  théâ- 
tre par  M.  Gabussi ,  jeune  compositeur  connu  dans  le  monde 
fashionable  par  des  duos  italiens  que  les  salons  de  Paris  ont 
applaudis  l'hiver  dernier. 

^^  On  annonce  pour  la  semaine  prochaine  à  l'Opéra-Co- 
mique  la  première  représentation  de  la  Sentinelle  perdue.  Le 
même  jour,  mademoiselle  Annette  Lebrun  débutera  dans  le 
rôle  de  madame  de  Melval ,  dos  Voitures  versées. 

+*t  Pas  de  belle  fête  sans  Robert-le- Diable  ;  c'est  partout 
comme  à  Paris.  Pour  célébrer  l'arrivée  de  l'empereur  de  Rus- 
sie à  Berlin  on  a  donné  au  grand  Opéra  le  chef-d'œuvre  de 
Meyerbeer,  il  est  inulile  de  dire  que  la  représentation  a  été  des 
plus  brillantes,  et  que  l'ouvrage  a  obtenu  un  succès  d'enthou- 
siasme. 

»%  Aujourd'hui  dimanche,  au  Conservatoire,  concert  de 
M.  Berlioz.  Toutes  les  notabilités  musicales  se  trouveront  dans 
la  salle  pour  juger  les  nouvelles  compositions  de  M.  Berlioz. 

+%  Les  cours  de  M.  Slœpel ,  rue  Monsigny,  n°  6,  sont  fort 
suivis  cette  année.  Il  est  curieux  de  voir  des  enfans  de  six  à 
douze  ans  exécuter  sur  douze  pianos  des  ouvertures,  avec  verve 
et  goût.  Les  progrès  des  élèves  de  ce  professeur  sont  remar- 
quables, et  nous  ne  saurions  assez  recommander  cette  utile 
institution  aux  parens  qui  veulent  faire  de  leurs  enfans  de  bons 
musiciens. 

<%  On  a  exécuté  cette  semaine ,  Jdans  les  salons  Laffitte  et 
aux  concerts  Musard  ,  une  ouverture  composée  des  principaux 
motifs  de  Robert- le-Diable.  Cet  ouvrage  n'a  pas  produit  d'ef- 
fet rue  Laflilte,  et  a  obtenu  un  succès  d'enthousiasme  aux  con- 
certs Musard.  Nous  ne  pouvons  en  accuser  l'orchestre  de  ce 
premier  établissement.  11  est  composé  de  jeunes  gens  de  beau- 
coup détalent.  La  faute  en  est  à  M.  Mohr,  excellente  clari- 
nette ,  mais  très-mauvais  chef  d'orchestre,  et  qui  devrait  cé- 
der cette  place  à  un  artiste  plus  expérimenté. 

£%  L  Athénée  musical  va  reprendre  le  cours  de  ses  concerts: 
l'orchestre  sera  dirigé  par  M.  Grasset.  Le  président  de  cette 
société  est  M.  Onslow  ,  que  nous  regretlons  de  ne  pas  voir  à 
Paris.  L'Institut  a  déjà  marqué  sa  place. 

+*+  Pour  le  carnaval  prochain,  on  a  engagé  MM.  Schober- 
lechner,  Bonfiglii  (tenorj,  Ronconi.  On  donnera  AnnaBolena 
et  un  opéra  nouveau  de  Mercadante. 

***  Zampa  ,  de  Hérold  ,  a  été  représenté  à  Turin  ,  au  théâtre 
Çarignan ,  par  Ronconi  (bariton),  Basadouna  (ténor),  ma- 
dame Roser  Balfe  (soprano).  Cet  ouvrage  a  obtenu  un  grand 
succès  malgré  la  faiblesse  extrême  des  chanteurs  qui  tous,  à 
l'exception  de  Ronconi,  ont  fait  fiasco.  —  La  Parisina  ,  de 
Donizetti,  a  été  représentée  au  même  théâtre.  Ce  n'est  pas  un 
grand  ouvrage;  mais  avec  une  meilleure  exécution  cet  ouvrage 
aurait  pu  se  soutenir  pendant  quelque  temps,  car  il  contient 
plusieurs  petits  morceaux  bien  calculés  pour  le  succès. 

*V  M.  Hauman,'violonisle  belge,  qui  s'est  déjà  fait  entendre 
à  Paris  ,  donne  en  ce  moment  des  concerts  très-suivis  au  grand 
théâtre  de  Lyon. 

*%  On  a  représenté  ces  jours  passés  à  Strasbourg  un  opéra- 
comique  dont  la  musique  est  du  chef  d'orchestre,  nommé 
M.  Jupin.  Nous  applaudissons  à  cette  émancipation  de  l'art  dans 
les  provinces. 

+%  Nous  sommes  heureux  d'annoncer  que  la  direction  des 
beaux  arts ,  en  reconnaissance  des  importans  services  rendus 
aux  études  musicales  par  M.  Choron,  vient  d'accorder  à  sa 
veuve  une  pension  de  1  ,200  francs.  M.  et  madame  ÎNicou  Cho- 
ron s'occupent  très-activement  de  l'ouverture  des  cours  lyriques 
qu  ils  ont  annoncés.  Elle  n'est  retardée  que  par  les  distribu- 
tions du  local.  La  classe  peu  fortunée  sera  admise  à  ces  cours, 
comme  elle  l'était  au  Conservatoire  de  la  rue  de  Vaugirard, 
ressource  précieuse  pour  nos  artisans  ,  parmi  lesquels  se  mani- 
feste quelquefois  de  grandes  dispositions  pour  le  chant,  sans 
qu'elles  ptûssentêtre  cultivées.  Ainsi  le  zèle  généreuxdeM.  Cho- 


ron semble  s'être  transmis  à  ses  enfans  ,  dont  la  première  am- 
bition est  de  soutenir  dignement  la  célébrité  de  son  nom,  seul 
héritage  qu'il  leur  ait  légué;  espérons  que  l'autorité  supérieure 
se  déciderajenfiu  à  encourager  ces  deux  entreprises  si  utiles  pour 
la  propogation  de  la  musique  dans  la  capitale. 

+%  Le  grand  duo  de  Beethoven,  pour  piano  et  violon,  dédié 
à  Kreutzer,  que  MM.  List  et  Urhan  devaient  exécuter  pendant 
une  messe  basse  à  l'église  Saint- \'incent  de  Paul  ,  hier  samedi 
jour  de  la  sainte  Cécile,  ne  sera  exécuté  que  lundi  24,  à  onze 
heures.  Les  répétitions  du  concert  de  M.  Berlioz  ayant  empê- 
ché ces  messieurs  de  pouvoir  être  libre  à  cette  heure. 

+%  On  a  représenté  le  12  novembre,  à  Toulouse,  Axel, 
opéra  comique  en  un  acte ,  dont  la  musique  est  l'œuvre  d'un 
de  nos  jeunes  compatriotes,  M.  Justin  Cassaux.  Malgré  un 
poème  absurde  (c'est  une  épisode  de  la  guerre  de  trente  ans)  , 
dépourvu  de  toute  situation  dramatique,  malgré  des  longueurs 
et  des  défauts  dans  la  musique,  qui  décèlent  les  débuts  d'un 
jeune  homme  ,  et  par  conséquent  l'inexpérience  de  la  scène  , 
l'ouvrage  a  obtenu  un  plein  succès. 


-  Op. 

piano 

-Op. 
-Op. 
-Op. 

-  Op. 
-Op. 
-Op. 


Op. 

Op. 


—  Op.  13 


Op.  1 


Op. 
Op. 
Op. 
Op 


-  up.  17 


Musique   nouvelle , 

Publiée  par  Maurice  Schloinger. 

Ouvrages  pour  le  piano  composés  par 

FRÉDÉRIC  CHOPIN. 

2.  La  Ci  Darenila  Mano  ,  de  don  Juan,  vaiié  pour  le 

7  fr.  50  c. 
Avec  accompagnement  d'orchestre.         45  fr. 

6.  Cinq  Mazurkas,  danses  polonaises.       5  fr. 

7.  Quatre  idem.  idem.  5  fr- 

8.  Premier   trio   pour  piano  ,  violon  et   violoncelle. 

-12  fr. 

q.  Trois  nocturnes.  6  fr. 

•lu.  Douze  grandes  éludes.  18  fr. 

11.  Premier  concerto  pour  piano  seul.     12  fr. 

idem.  avec  accompagnement  d'orchestre. 

2\  fr. 

12.  Variations   brillantes   sur   le    rondo   favori   :   Je 
vends  des  scapulaires,  de  Ludovic.       6.  fr. 
Fantaisie   sur  des  airs  nationaux   polonais   pour 
piano  seul.  7  fr.  50  c. 
Avec  accompagnement  d'orchestre.  15  fr. 
Krakowiak.  Grande  ronde  de  concert  pour  piano 
seul.                                                             7  fr.  50  c. 
Avec  accompagnement  d'orchestre.  15  fr. 
Trois  nocturnes.                                      6  fr. 
Grand  rondo  ,  pour  piano  seul.              7   fr.    50  c. 
Quatre  mazurkas  idem.                          6  fr. 


18.  Grande  valse  brillante  idem. 

Publiée  par  Delabaule. 


6  fr. 


F.  Hun te/i.  Op.  63.  Premier  quadrille  varié  pour 
le  piano. 

Osborne.  Op.  13.  Variations  sur  la  valse  du  comte 
de  Gallemberg. 

Lebel.  Souvenirs  de  don  Juan  ,  en  deux  livraison. 
Chaque. 

F.  Hiller.  Op.  14.  Trois  caprices.  Chaque. 

T.  Labarrc.  Op.  67.  Trois  duos  sur  la  Révolte  au 
Sérail,  pour  harpe  et  piano.  N°  1  ,  l'Alham- 
bra;  IN0  2,  le  Bain;  N°  3,  le  Camp.  Chaque. 

—  Op.  69.  Duo  pour  harpe  et  piano  sur  l'Aspirant 

de  Marine. 

—  Op.  68.   Fantaisie  sur  l'Aspirant  de    Marine, 

pour  la  harpe. 


50 
50 


Ci-joint  un  supplément  contenant  : 

&t«tli<ma ,  composée  et  beHée  à  iiutirti ,  par  ©iuJtu 

Ctlaig. 

Gérant,  MAURICE  SCHLESINGEfi 


:  ,l'EVERAT.  rue  du  Cadrai 


Supplément  au  47e  numéro.  GAZETTE    MUSICALE    DE     PARIS.  l^anuce 25 novembre  1834. 

SICILIANA. 

Composta  c  detiicata  ail'  Esimio   Rubllll  . 

Dal    suo   amico 

Giulio     Alafy  . 

Prix:  2Î 

Paris  ,  chez    Maurice  Schlesinger,  rue   de  Richelieu   IN. 97. 


Métro:  /  =  92 


PIANO  FORTE 


ITE.J 


ïtt 


nfffrffflffffiTTffT-fffrfrifr. 


Oh  so  _  a  _  ve  mammo  _  Jet  _  ta  che  ti       mostri  a  me  si      bel  _    Iaseifimma   _    gine       di      quella  che  ncl 

-*— i — k-t— i — fcn h  ,   i — l. 


,  -f-^ — ' 1 Ie — m— ■    ^ 

■■«    mi  pm_se  amor.  Tu  vez_zo_  saeal  pardi- let  _  taspiri   un  fia_to   lu_sin_ghie  _  ro  e  ri_diia_mi  almiopen. 


sie_ro  la    re  _  gi_na  del  mio       cor,       e    ri_chia_mi    al     mio     pensie_ro    al       mio       pen sie-roAh!    la   re_ 


2.  S  trotta 


Comea     te  do  mille      ba  ci  colmio    labbro  inamo  _  ra-to  potes- s' io  sul  vol_toa_ma_to  un  soi 


baccio    almen  stampar 


potess ,     io  sul    Iab     _    bro    ama  _    to 


un     soi 


bacçio  almen  stampar  benchèa  quel  de   di       fu  -  ga  _  ci  fosse  il       ter_mi_ne      con  _  gmn   _    to    con   un 


se  _    co  _Io       quel     pun_to  mi      ve  _  dresti        tu   can  _  ffiar,    con      un       se  _    co_lo     quel      pun  _  to    con      un 
rail  ■>  ^jgpiQ  Tempo. 


_  co_lo    quel      pun_to  Ali!    Mi  ve  _  dresti     mi      ve  -    dresti       tu       can    _    giar 


can      _     ffiar....        Ali!  la    lara      la      la  la    la  ra      la        la    la  ra       la      la    la    la  ra 


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GAZETTE   MUSICALE 


RÉDIGÉE   PAU   JIM.    ADAM,    G.    E.    ANDERS ,  BERTON  (membre    de  l'Institut),    BERLIOZ,   CASTIL-BLAZE ,  A.  GUEMER , HALÉVY 

(professeur  de  contrepoint  au  Conservatoire),  Jules  janin  ,  liszt,  lesueur  (membre  de  l'Institut),  j.  mainzer,  marx 
(rédacteur  de  la  gazette  musicale  de  berlin),  d'ortigue  ,  panofka,  richard,  j.  g.  setfried  (maître  de  chapelle 
à  Vienne),  r.  stœpel,  etc. ,  etc. 


ANNÉE. 


ff 


iS. 


PRIX  DE  L  ABONNES!. 


PARIS. 

DÉPART. 

ÉTRAKG 

fr. 

Fr.      c. 

Fr.      c. 

3  m.    8 

8  rs 

9   50 

6m.  15 

16    50 

18    » 

)  an.  30 

33    .. 

36    « 

€a  Oaïïitc  ititueisalt  J>*  $arts 
Paraît   le  DIMANCHE  de  chaque  semaine. 

©n  s'abonne  au  bureau  de  la  Gazette  Musicale  de  Paris,  rue  Richelieu  ,  97; 

chez  MM.   les  directeurs  des  Postes,  aux  bureaux  des  Messageries, 

et  chez  tous  les  libraires  et  marchands  de  musique  de  France. 

>n  reçoit   les  réclamations  des  personnes  qui  ont  des  griefs  à  exposer,  et  les  avis  relatifs  à  fa  musiqu 


PARIS,  DIMANCHE  50  NOVEMBRE  1834. 


Nonobstant  les  supple'- 
mens,  romances,yac  si- 
mile  de  l'écriture  d'au- 
teurs célèbreset  la  galerie 
des  artistes  ,  MM.  les 
.ibonnis  de  la  Gazette 
Mu  icale  de  Paris,  re- 
ceveront  le  premier  de 
chaque  mois  un  morceau 
de  musique  de  piano. 

Les  lettres,  demandes 
et  envois  d'argent  doi- 
vent être  affranchis,  et 
adressas  au  Directeur  , 
rue  Richelieu,  97. 


STANCES 

PRONONCEES    AU    CERCLE    DES    BEAUX-ARTS  ,    A    MARSEILLE, 
A  L'OCCASION    DE    LA   FÊTE  FUNÈBRE    EN    HONNEUR    DE    BOIELDIEU, 

PAR    MÉRY. 

Novembre!...  Triste  mois  ,  où  les  morts  ont  leur  fête  ! 

Où  l'automne  flétrit  l'artiste  et  le  poêle', 

Comme  l'herbe  du  champ,  le  pampre  des  raisins, 

Et  les  jetle  glacés  sous  les  cyprès  -voisins  ! 

C'est  le  mois  où  l'on  meurt ,  lorsqu'on  reçut  dans  l'ame 

Le  rayon  des  beaux-arts,  cette  homicide  flamme 

Qui  dévore  l'artiste  et  ne  pardonne  pas  , 

Et  s'éteint  avec  lui  le  jour  de  son  trépas. 

Tant  que  l'été  rayonne,  une  vive  lumière 

Semble  rendre  l'arliste  à  sa  vigueur  première  , 

Et  quand  la  feuille  roule  au  vent  froid  de  l'hiver , 

Il  meurt,  et  Dieu  le  livre  à  l'insulte  du  ver  ! 

Maintenant  usez-vous  à  créer  des  merveilles  ; 
Desséchez  votre  joue  au  flambeau  de  vos  veilles; 
Etreignez  les  beaux-arts  dans  vos  bras  amoureux; 
Même  avant  d'en  jouir  vous  périrez  sur  eux; 
Car  vous  n'aurez  jamais  ,  sous  de  verdoyans  dômes , 
Cette  belle  vieillesse  accordée  à  tant  d'hommes, 
Ces  vieux  ans  où  l'on  meurt  au  comble  de  ses  vœux 
Entouré  ,  comme  un  roi ,  d'enfans  et  de  neveux. 

Et  nous  qui  survivons ,  depuis  bien  des  années, 
A  tant  de  noms  éteins  ,  tant  de  gloires  fanées, 
Oracles  que  le  monde  écoutait  à  genoux  , 
Avant  le  terme  écrit  tous  tombés  devant  nous  , 
Nous  laisserions  passer  leur  convoi  funéraire 
Sans  murmurer  un  mot  de  plainte  ou  de  prière , 


Sans  élever  la  voix  contre  la  voix  du  sort, 

Et  demander  raison  à  l'immortelle  mort  ? 

Non  !  chez  nous  les  beaux-arts  ont  planté  leur  bannière  : 

A  l'artiste  tombé  de  sa  couche  dernière 

Nous  porterons  en  chœur,  autour  de  son  cercueil , 

Un  consolant  tribut  d'harmonie  et  de  deuil  ; 

Et  puis  ,  qui  les  connaît  les  secrets  du  grand  terme  ? 

Qui  sait  si  l'âme  fuit  à  l'heure  oii  l'œil  se  ferme  ? 

Si  les  ombres  des  morts,  pour  charmer  leurs  douleurs  , 

Ne  planent  pas  sur  ceux  qui  leur  donnent  des  pleurs? 

Qui  sait  si  ce  soir  même,  au  milieu  du  silence, 

Lorsque  vers  Boïeldieu  sa  musique  s'élance  , 

Oui ,  qui  sait  s'il  n'est  point  arrivé  sur  nos  pas 

Un  auditeur  de  plus  que  nous  ne  voyons  pas  ? 

Ah  !  nous  ignorons  tout  !  Dans  le  doute  où  nous  sommes, 

Le  certain  c'est  qu'il  faut  honorer  les  grands  hommes  ; 

Soit  que  l'ombre  arrivée  à  son  céleste  port 

Prête  ,  en  riant,  l'oreille  aux  hymnes  de  sa  mort , 

Soit  qu'un  dernier  hommage  offert  aux  nobles  âmes 

Dans  quelque  artiste  enfant  rallume  d'autres  flammes, 

Et  qu'une  seule  larme  au  génie  expirant 

Lui  donne  un  successeur  que  le  destin  nous  rend. 

Ici ,  surtout  ici ,  dans  la  ville  où  l'on  chante , 

Où  l'art  est  honoré  d'une  faveur  touchante, 

Où  la  vive  jeunesse  attise  de  sa  main 

Le  foyer  allumé  sur  un  autel  germain  ; 

Où  l'on  a  tout  compris,  depuis  la  baicarolle 

Que  chante  le  pêcheur  dans  un  facile  rôle  , 

Jusqu'à  l'immense  abîme,  où  Beethoven-le-Grand 

Fait  couler  à  pleins  bords  sou  lyrique  torrent: 

Oui,  c'est  ici,  surtout ,  que  des  hommages  tristes 

Doivent  environner  la  tombe  des  artistes! 

Car  sous  notre  beau  ciel,  où  rien  n'est  engourdi , 


382 


GAZETTE  MUSICALE 


Toule  corde  s'échauffe  aux  rayons  du  midi  ; 

Car  le  jour  n'est  pas  loin ,  quoique  l'heure  soit  lente , 

Où  l'art  fécondera  notre  terre  brûlante , 

Où  Marseille  verra  de  glorieux  enfans 

Pour  remplacer  les  morts  se  lever  triomphans; 

Où  portant  aveceux,  pour  enseigne  complète , 

La  plume  ,  le  burin,  la  lyre,  la  palette, 

Un  nouveau  bataillon  de  Marseillais  épars 

Ira  faire  à  Paris  le  dix  août  des  beaux  arts  ! 

Les  beaux-arts  sont  à  vous  !  Triste  ou  joyeuse  fête  , 
Son  archet  à  la  main  ,  Marseille  est  toujours  prête  : 
Elle  ouvre  son  église  aux  funèbres  convois  ; 
Elle  a  fendu  sa  voûte  avec  quatre  cents  voix  (1)  ; 
Son  puissant  requiem,  le  jour  qu'elle  l'entonne, 
On  croit  que  le  Ciel  s'ouvre  et  que  la  foudre  tonne  ; 
Le  formidable  chœur  sort  des  rangs  épaissis 
Si  grand,  que  Dieu  l'entend  sur  la  nuée  assis  : 
Au  sentier  des  besux-arts  sa  bannière  guidée 
Toujours  marche  en  avant  vers  quelque  noble  idée  : 
Boïeldieu  mort,  voilà  nos  oichestres  en  deuil 
Réunis  ,  et  de  loin  saluant  son  cercueil  : 
Quel  Requiem  faut-il  à  la  douleur  publique  ? 
Cette  enceinte  aussitôt  devient  la  basilique 
Où  la  corde  et  l'airain  vous  prêtant  leur  appui 
Seconderont  des  chants  qui  nous  parlent  de  lui. 
Le  programme  du  soir,  c'est  l'histoire  suivie 
En  heureux  échelons  marqués  dans  notre  vie  ; 
Il  n'est  pas  un  seul  air  qui  ne  rappelle  à  tous 
D'harmonieux  instans  et  des  plaisirs  bien  doux  ; 
Soit  que  nous  retrouvions  nos  plus  fraîches  années 
Aux  notes  que  le  temps  n'a  point  encor  fanées , 
Au  chant  de  Zoraïme  ,  à  l'orchestre  riant 
Arrivé  de  Bagdad,  la  cité  d'Orient; 
Soit  que  nous  remontions  à  notre  plus  bel  âge 
En  écoutant ,  ce  soir,  la  Fête  du  Village; 
Ou  qu'un  doux  souvenir  bien  plus  récent  encor 
Nous  ramène  en  Ecosse  ,  au  son  joyeux  du  cor, 
Avec  la  Dame  Blanche,  au  pied  de  la  tourelle 
D'où  Boïeldieu  jeta  tant  de  grâces  sur  elle  : 
Mélodieux  tribut  que  l'on  paie  aujourd'hui 
Au  grand  homme  qui  meurt,  en  l'empruntant  à  lui; 
Car  c'est  avec  ces  airs  de  gracieux  mélange 
Que  l'orchestre  français  entonne  sa  louange  ; 
C'est  ainsi  qu'on  répond  à  son  funèbre  adieu  : 
Voilà  le  Requiem  digne  de  Boïeldieu  ! 

MÉRY. 


DES  SOCIÉTÉS  PHILHARMONIQUES 

DANS   LE  MIDI  DE   LA   FRANCE. 

Toute  pensée  qui  tend  a  resserrer  les  liens  sociaux 
parmi  les  hommes,  alors  même  qu'elle  n'a  pas  une  uti- 
lité directe  et  pratique,  ne  peut  être  que  civilisatrice  et 
morale.  Qandla  musique  ne  serait  qu'une  distraction  et 
un  plaisir,  elle  serait  encore  un  élément  puissant  de  so- 

(1)  Allusion  au  Requiem  de  Clierubini ,  exécuté  à  Marseille ,  zn 
mémoire  de  Beethoven. 


ciabilité,  par  cela  seul  qu'elle  a  le  privilège  d'agir  sur 
es  masses,  de  réunir  une  foule  d'individus  dans  des  im- 
pressions et  des  sentimens  communs,  et  de  leur  procurer 
des  jouissances  simultanées  qui  ne  manquent  pas,  après 
tout,  d'un  attrait  intellectuel.  Je  ne  sais  si  je  dois  à  l'a- 
mour d'un  art  préféré  une  de  ces  illusions  aussi  natu- 
relles à  l'âge  où  je  suis  qu'elles  sont  regrettables  lorsque 
les  années  et,  il  faut  bien  ajouter  aussi,  l'expérience,  vien- 
nent à  jeter  leur  prisme  désenchanteur  au-devant  des 
choses  de  la  vie;  mais  je  ne  pourrais  m'imaginer  que  la 
mésintelligence  et  l'antipathie  pussent  se  glisser  jamais 
entre  des  personnes  qui  depuis  long  -  temps  ont  l'ha- 
bitude de  chanter  ensemble.  11  y  a  dans  la  musique  une 
telle  force  d'union,  qu'elle  polit  et  adoucit  ce  qu'il  y  a  de 
rude  et  d'âpre  a  la  surface  de  chaque  individualité.  Elle 
provoque  a  l'expansion  et  a  la  franche  expression  des  sen- 
timens spontanés,  parcetle  sorte  d'ivresse  qu'elle  commu- 
nique aux  sens  et  a  l'ame.  Si  l'on  me  montrait  un  chœur 
ou  un  orchestre  composé  d'habiles  artistes  qui  eussent 
partagé  les  mêmes  études  et  les  mêmes  succès,  s'enten- 
dant,  se  devinant  sur  un  geste  et  un  signe,  par  suite 
d'une  vieille  accoutumance,  j'affirmerais  que  ces  gens-lâ 
s'aiment  les  uns  les  autres  d'après  le  seul  indice  de  la 
perfection  constante  de  leur  exécution.  Si,  au  contraire, 
cette  exécution  devenait  tout  d'un  coup  molle  et  né- 
gligée, si  la  parfaite  harmonie  cessait  d'exister  parmi 
eux,  je  parierais  que,  pour  expliquer  ce  phénomène  de 
solution  de  continuité,  qui ,  au  reste,  ne  saurait  être  que 
momentané,  il  faudrait  en  rechercher  la  cause  dans 
un  principe  indépendant  de  ce  qui  tient  à  la  science 
et  l'habileté.  Je  crois  que  le  bon  et  ingénieux  Choron 
était  mû  par  une  pensée  profondément  sociale  et  de 
haute  portée  politique  lorsqu'il  se  mettait,  avec  son 
infatigable  ardeur ,  a  la  recherche  d'une  méthode 
pour  former  les  mœurs  du  peuple  en  lui  apprenant  à 
chanter.  Un  peuple  qui  chante  est  un  peuple  content,  et 
par  conséquent  un  peuple  moraL  Je  crois  également,  avec 
Hector  Berlioz,  que  la  meilleure  manière  d'entretenir  la 
discipline  parmi  les  soldats,  d'en  faire  des  êtres  humains 
et  réguliers,  en  les  sauvant  de  l'oisiveté  et  de  la  débau- 
che, serait  de  les  rendre  musiciens  au  moyen  d'un  ensei- 
gnement collectif.  Depuis  quelque  temps  on  parle 
beaucoup  du  progrès  musical  qui  s'est  fait  parmi  nous. 
Les  artistes  étrangers  de  distinction  qui  arrivent  chaque 
année  à  Paris  sont  forcés  de  le  reconnaître ,  en  même 
temps  qu'ils  y  contribuent.  Soyez  sûr  que  ce  progrès  cor- 
respond aux  progrès  de  l'esprit  public,  et  ce  double  mou- 
vement, éminemment  social  en  ce  qu'il  est  à  la  fois  mo- 
ral et  artistique,  nos  provinces  méridionales  viennent 
d'en  constater  l'universalité,  en  établissant  en  certaines 


villes  des  Comités  d'art  et  des  Sociétés  philharmoniques. 

Les  amis  des  arts  doivent  fonder  de  grandes  espéran- 
ces sur  ces  Sociétés ,  non  pas  tant  a  cause  des  ressources 
que  présente  le  pays  où  elles  se  sont  formées  (elles  y  sont 
plus  bornées  peut-être  qu'ailleurs) ,  mais  à  cause  de  ce 
sentiment  vif  et  pénétrant,  de  ce  goût  intelligent  et  de 
cet  enthousiasme  natif  et  sincère  qui  distingue  la  popu- 
lation. A  cet  égard,  il  importe  d'autant  plus  de  caracté- 
riser ce  goût  et  ce  sentiment  de  l'art ,  dans  les  pays  du 
Nord  et  dans  les  contrées  méridionales,  que  la  meilleure 
méthode  et  les  procédés  les  plus  sûrs  pour  obtenir  tous 
les  résultats  possibles,  doivent  être  basés  sur  cette  exacte 
notion  et  cette  connaissance  première. 

A  Paris,  le  peuple  n'est  pas  musicien.  Les  musiciens 
se  rencontrent  parmi  les  gens  lettrés,  dans  le  nombre  de 
ceux  sur  lesquels  la  civilisation  a  agi  d'une  influence  di- 
recte. Le  goût  musical  n'y  est  pas  un  goût  naturel,  niais 
acquis.  Il  ne  vient  pas  de  l'éducation,  il  vient  de  l'ins- 
truction. C'est  une  culture  travaillée,  apprêtée,  factice, 
de  serre-chaude,  de  luxe  et  de  bon  ton.  Une  dame  de  la 
Chaussée-d'Antin  donne  un  piano  et  un  maîlre  de  mu- 
sique a  sa  fille,  comme  elle  donne  un  tilbury  a  son  fils, 
et  comme  elle  se  donne  a  elle-même  un  cachemire.  L'art 
est  une  chose  de  mode  et  de  vanité  qui  peut  bien  jeter 
son  lustre  sur  les  dehors  de  l'existence,  mais  qui  ne  tient 
par  aucun  lien  au  nœud  intime  de  la  vie.  Voila  pour- 
quoi l'examen  est  toujours  superficiel ,  la  critique  indul- 
gente, l'enthousiasme  sans  élan  et  réservé;  c'est  que 
chacune  de  ces  choses  est  réglée  par  les  convenances.  La 
froideur  du  public  parisien  a  l'égard  d'un  auteur  ou  d'un 
acteur  inconnu  prouve  encore  son  inaptitude  native  :  il 
attend  que  le  mot  d'ordre  parte  de  quelque  supériorité 
adoptée.  Tout  ce  qu'on  peut  dire  de  ce  public,  c'est  que, 
s'il  est  incapable  le  plus  souvent  d'apprécier  les  beautés 
d'un  ordre  élevé  et  profond,  il  a  du  moins  par  fois  l'es- 
prit de  s'ennuyer  juste. 

Dans  le  Midi,  c'est  l'inverse  :  l'instruction  et  la  civi- 
lisation de  ce  pays  tuent  le  sentiment  de  l'art  ;  le  peuple 
seul  y  est  musicien.  La  nature,  qui,  a  Paris,  n'a  rien 
fait  pour  l'organisation  musicale  de  l'homme,  développe, 
en  Provence,  dans  les  individus,  un  instinct  sûr,  naïf 
et  vrai,  et  qui  se  présenterait  quelquefois  sous  la  forme 
de  talent  ou  de  génie,  si  la  routine,  le  petit  esprit  de  sys- 
tème et  les  moyens  artificiels  d'instruction  a  l'action  des- 
quels il  est  soumis  ne  finissaient  par  l'éteindre,  l'étouf- 
fer, ou  du  moins  par  le  fausser,  l'abrutir  au  point  de 
le  rendre  monstrueux  et  barbare.  Mais  lorsqne  ce  goût 
pour  la  musique  est  développé  par  une  méthode  claire, 
rationnelle  et  bien  ordonnée,  comme  a  Marseille,  a  Aix, 
et  dans  toutes  les  villes  qui  sont  en  progrès  ;  lorsque  cet 


enseignement  est  combiné  de  manière  à  féconder  ce  qu'il 
y  a  dans  l'élève  de  natif,  d'originel,  de  propre  au  cli- 
mat, par  les  principes  et  les  connaissances  qu'on  lui  fait 
acquérir  :  alors  l'étude  de  la  musique  est  comme  l'étude 
des  langu.-  s  pour  certaines  personnes  ;  les  notions  des  ac- 
cords viennent  se  ranger  d'elles-mêmes,  comme  dit  No- 
dier, sous  les  perceptions  du  sens  intelligent,  en  sorte 
qu'apprendre  n'est  plus  que  se  souvenir. 

J'ai  déjà  eu  l'occasion  de  dire  plusieurs  fois  que  Mar- 
seille était,  sous  le  rapport  du  sentiment  et  de  l'intelli- 
gence de  l'art,  une  ville  plus  avancée  que  Paris.  Avant 
de  revenir  sur  ce  sujet,  il_faut  que  je  me  débarrasse  d'une 
pensée  qui  me  poursuit  et  m'offusque. 

La  laugue  provençale,  cette  langue  si  spirituelle,  si 
naïve,  si  énergique,  si  imagée,  aussi  riche  et  plus  flexi- 
ble que  le  français,  plus  expressive  et  aussi  harmonieuse 
que  l'italien,  cette  langue  dor.t  M.  Raynouard  a  re- 
cueilli les  monumens,  qu'un  célèbre  critique  allemand, 
W-  Schlegel,  a  apprise  et  sur  laquelle  il  a  écrit 
un  traité,  cette  langue  se  perd  de  jour  en  jour.  Il  est 
même  évident  pour  moi  que  le  sentiment  de  cette  déca- 
dence a  inspiré  et  dirigé  les  travaux  de  ces  deux  savans. 
Une  pareille  langue,  avec  ses  idiomes  variés,  qui  lui  prê- 
tent comme  autant  de  physionomies  particulières,  ne 
peut  subsister  qu'autant  que  les  relations  de  ceux  qui  la 
parlent  restent  resserrées  dans  le  cercle  étroit  du  ha- 
meau ,  du  village  ou  de  la  commune.  Plus  les  commu- 
nications se  multiplient,  plus  elle  s'efface  et  disparaît  de- 
vant le  flot  de  la  civilisation  qui  lui  apporte  la  langue 
nationale,  laquelle  tend  à  devenir  générale  dans  notre 
patrie,  comme  au-dehors  elle  tend  à  devenir  universelle. 
Il  y  a  trente  ans,  le  français  que  parlaient  les  gens  ins- 
truits de  nos  contrées  méridionales  n'était  guères  que  la 
traduction  littérale  du  patois  vulgaire;  maintenant  le 
patois  des  paysans  adopte  les  tours  et  se  plie  aux  in- 
flexions de  la  langue  française  :  et  le  poète  provençal  le 
plus  distingué  aujourd'hui ,  M.  Dieouloufet,  a  trop  d'é- 
légance et  d'apprêt  clans  son  style  pour  que  ses  poésies, 
coulantes  et  gracieuses  d'ailleurs,  puissent  être  considé- 
rées autrement  que  comme  du  patois  francisé.  Hé  bien, 
la  pensée  qui  me  préoccupe,  la  voici  :  c'est  que  cette  lan- 
gue, éminemment  musicale,  s'en  allant,  qui  sait  si  elle 
n'emportera  pas,  a  la  longue,  avec  elle,  ce  goût  et  ce  sen- 
timent pour  la  musique  innés  chez  les  Provençaux , 
et  si  les  bienfaits  toujours  croissans  de  la  civilisation  eu- 
ropéenne, sous  le  point  de  vue  artistique,  pourront 
compenser,  pour  mes  compatriotes,  la  perte  qu'aura  en- 
traînée la  mort  de  leur  langue-mère? 

J'avais  besoin  de  dire  cela,  bien  que  j'espère,  au  fond, 
que  mes  craintes  ne  sont  qu'imaginaires.  Rien,  jusqu'à 


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GAZETTE  MUSICALE 


présent  du  moins ,  ne  les  justifie.  Je  crois  pouvoir  affir- 
mer que  le  mouvement  artistique  qui  se  fait  dans  les  tê- 
tes méridionales  est  plus  animé  que  jamais.  Allez  à  Mar- 
seille et  dans  les  cités  environnantes  :  la.  vous  entendrez 
le  soir,  la  nuit  même,  des  chœurs  d'hommes  à  deux ,  à 
trois,  a  quatre  parties,  circulaut  dans  les  rues,  se 
grossissant  a  chaque  amateur  ^qu'ils  rencontrent,  jus- 
qu'à ce  qu'enfin  l'heure  avancée  force  les  virtuoses 
a  se  détacher  les  uns  des  autres ,  et  a  regagner  chacun 
son  logis  en  solo.  Et  ce  ne  sont  pas  la  de  ces  désoeu- 
vrés qui  sortent  gris  du  cabaret,  défaillants  d'excès 
et  de  fatigue,  qui  hurlent  et  vocifèrent  dans  l'ivresse.  Ce 
sont  de  paisibles  citoyens,  de  joyeux  ouvriers  qui  ren- 
trent chez  eux  après  la  journée,  le  calme  dans  le  cœur, 
la  mélodie  sur  les  lèvres.  L'aspect  seul  de  Marseille  a 
quelque  chose  de  musical.  Voyez  cette  belle  population 
qui  s'agite  et  sourit,  cette  ville  expansive  qui  parle  et 
qui  chante.  On  dirait  qu'on  ne  pénètre  dans  les  maisons 
que  pour  y  dormir;  que  rien  ne  s'y  fait  en  secret,  que  les 
affaires  se  traitent  a  haute  voix  dans  la  rue.  Marseille 
possède  en  ce  moment  Mansui,  dont  on  a  dit,  à  la  mort 
de  Dusseck,  que  Dusseck  allait  revivre  en  lui;  Mansui 
qui ,  le  premier,  a  apporté  et  fait  connaître  en  France 
les  œuvres  de  Beethoven  pour  le  piano.  Allez  à  Mar- 
seille, et  demandez  a  Mansui  de  vous  jouer,  avec  ses 
belles  études  qu'on  dirait  écrites  par  Cramer,  la  sonate 
en  si  mineur  de  Clementi,  qu'on  dédaigne  peut-être  à 
Paris,  et  qui  pourrait  être  signée  :  Beethoven.  Autour  de 
Mansui  se  groupent  plusieurs  jeunes  amateurs  plus  ar- 
tistes qu'une  foule  de  Parisiens  qui  font  profession  d'être 
artistes  et  qui  ne  sont  pas  même  amateurs.  Parmi  ces 
messieurs,  dont  je  veux  taire  les  noms,  vous  trouvez 
des  théoriciens,  des  instrumentistes,  des  littérateurs-mu- 
siciens d'un  rare  talent.  Us  vous  feront,  quand  vous  vou- 
drez, au  milieu  d'un  dîner  chez  Segond,  une  biographie 
complète  des  compositeurs  étrangers  les  moins  connus. 
Ce  sont  ces  messieurs  qui  ont  fondé  dans  leur  ville  une 
Sociélé  desjConcerts  et  un  Cercle  des  arts  où  l'on  exécute 
depuis  quinze  ans  les  symphonies  de  Beethoven1,  les 
messes  et  les  ouvertures  de  Cherubini.  Bientôt  les  Mar- 
seillais leur  devront  de  pouvoir  apprécier  les  composi- 
tions des  deux  principaux  représentons  delà  jeune  école, 
Heitor  Berlioz  et  Henri  Reber.  Et  si  vous  croyez  que  ces 
messieurs  sont  des  professeurs  de  musique,  détrompez- 
vous  ;  ce  sont,  en  partie,  des  avocats,  des  négocians,  des 
gens  que  leur  profession  semblerait  circonscrire  dans  les 
intérêts  de  la  vie  positive.  Et  puis,  mêlez-vous  au  peu- 
ple ;  entrez  dans  les  chantiers,  dans  les  ateliers,  dans  les 
manufactures,  et  là  vous  entendrez,  non  ces  airs  de  re- 
but, ces  niaises  chansonnettes  de  l'Opéra-Comique  et  du 


Vaudeville  ,  que  les  orgues  de  Barbarie  colportent 
dans  les  boutiques  et  les  échoppes ,  mais  de  belles ,  de 
grandes  mélodies  de  Robert-le- Diable,  qui  est  allé  aussi 
électriser  la  population  marseillaise  ;  de  belles  et  grandes 
mélodies  de  Freyschutz  et  de  Guillaume-  Tell ,  et  jus- 
qu'aux accens  de  Beethoven.  N'oublions  pas  non  plus 
qu'un  des  principaux  journaux  de  Marseille  possède  un 
feuilleton  musical  qui  ferait  honneur  à  un  de  nos  grands 
journaux  quotidiens  ;  surtout  n'omettons  pas  de  dire 
qu'un  jeune  compositeur,  M.  de  Fontmichel,  vient  de 
faire  recevoir  un  ouvrage  à  l'Opéra-Comique  sur  la  seule 
recommandation  du  _succès  que  cet  opéra,  IlGitano, 
avait  obtenu  sur  le  giand-lhéâtre  de  celte  ville,  et  que 
deux  Marseillais,  MM.  Bénédit  et  Boisselot,  sont  au- 
jourd'hui comptés  parmi  nos  jeunes  artistes  les  plus 
estimés. 

Puisque  je  parle  de  Marseille,  je  veux  racconter  une 
impression  dont  j'aime  a  me  retracer  le  souvenir  :  je  ne 
sors  pas  de  mon  sujet.  Dans  le  courant  du  mois  d'octobre 
dernier,  je  revenais  de  Marseille  à  Aix  une  après- 
midi.  A  mon  arrivée  dans  cette  dernière  ville,  un  orage 
violent  se  déclara,  et  me  força  de  chercher  un  asile  dans 
le  cabinetlittéraiiedeM.  Aubin,  a  l'extrémité  du  Cours. 
L'orage  cessa  au  bout  d'une  heure,  et  je  voulus  sortir 
pour  continuer  mes  courses  en  ville.  Je  fus  arrêté  a  l'en- 
trée même  du  cabinet  littéraire  par  le  spectacle  d'un  so- 
leil couchant  magnifique.  Rien  n'était  splendide  comme 
la  perspective  de  ce  soleil,  dont  les  rayons  enluminaient 
de  mille  couleurs  d'épais  nuages,  se  jouaient  dans  l'éther 
limpide,  et  se  glissaient  a  travers  le  feuillage  des  arbres 
éloignés.  Ce  qui  me  frappa  le  plus  en  ce  moment,  ce  fut 
de  .voir  toute  la  population  du  Cours  sortir  de  ses  maga- 
sins pour  venir  contempler  ce  tableau.  Elle  resta  la, 
muette  de  surpiise  et  d'admiration,  jusqu'à  ce  que  la  dé- 
gradation insensible  des  nuances  eût  formé  le  crépus- 
cule. Je  ne  pense  pas  qu'ailleurs  que  dans  le  midi  de  la 
France  les  gens  du  peuple  laissent  là  leurs  affaires  pour 
aller  considérer  un  effet  du  soleil  couchant  ;  d'où  je  con- 
clus que  le  peuple  dont  je  parle  est  essentiellement  ar 
tiste.  Ce  pays  doit  produire  des  peintres,  des  architectes, 
des  poètes,  des  musiciens;  et  s'il  n'en  est  pas  ainsi,  il 
faut  penser,  ainsi  que  je  l'ai  dit,  que  les  circonstances 
favorables  de  développement  lui  manquent  presque  tou- 
jours. Rien  n'est  plus  propre  que  les  méthodes  routi- 
nières, employées  généralement  dans  les  petites  localités 
de  ces  contrées,  à  pétrifier  les  organisations,  et  à  les  ren- 
dre à  la  fois  incorrigibles  et  incapables  de  progrès. 

Il  y  a ,  en  outre ,  des  exemples  de  passion  malheu- 
reuse pour  la  musique.  Je  n'en  ai  connu  qu'un  seul, 
mais  j'affirme  qu'il  en  vaut  dix  ;  et  j'avoue  ici  avec  peine 


DE  PARIS. 


que  c'est  mon  propre  pays  qui  me  l'a  fourni.  J'entends 
par  passion  malheureuse  pour  la  musique  une  fré- 
nésie, une  véritable  rage  de  notes  et  de  sons  qui  s'em- 
pare violemment  de  certains  individus  que  j'appellerai 
anti-musicaux,  et  qui  ont  été  tellement  disgraciés  de  la 
nature  qu'ils  sont  nés  avec  un  goût  faux,  avec  une  voix 
fausse  et  une  oreille  fausse ,  sans  que  l'art  ni  l'exercice 
aient  jamais  pu  rectifier  leur  organisation.  J'ai  rencontré 
une  fois  un  de  ces  êtres  ainsi  conformés,  condamné  a 
trouver  le  plus  grand  charme  de  sa  vie  à  racler  du  vio- 
lon du  matin  au  soir  et  du  soir  au  matin ,  en  dépit  des 
locataires,  dont  il  écorchait  les  oreilles,  et  qu'il  forçait  a 
décamper,  et  du  propriétaire,  désespéré  de  voir  sa  maison 
devenue  solitaire  comme  celle  du  Lépreux.  Quittait-il 

un  instant  son  instrument,  le  lieutenant  P était  le 

meilleur,  le  plus  doux,  le  plus  spirituel  même  des  hom- 
mes. Le  reprenait-il,  le  diable  n'y  aurait  pas  tenu.  Un 
jeune  amateur,  très -fort  de  ma  connaissance,  alla  un 
jour  dans  la  ville  qu'il  habitait,  et  comme  il  y  était  pré- 
cédé d'une  certaine  réputation  musicale  (il  ne  faut  pas 
être  très-habile  pour  se  faire  une  renommée  dans  ces  con- 
trées), le  lieutenant  P***  donna  en  son  honneur  une 
soirée  de  quatuors  le  jour  même  de  son  arrivée.  Or,  vous 
saurez  que  chez  lui  on  n'exécutait  d'autre  musique  que 
les  opéras  de  Rossini  arrangés  en  quatuors.  C'était  la, 
avec  les  quatuors  d'Ignace  Pleyel,  ce  que  l'on  appelait 
de  la  musique  chantante.  Ceux  de  Haydn  et  de  Mozart 
étaient  étiquetés  musique  savante,  et  ceux  de  Beethoven, 
musique  extravagante.  Beethoven  extravagant  !  soit.  — 
En  vérité,  ces  gens-là  voudraient  nous  faire  croire  qu'ils 
n'ont  jamais  fait  de  folies  de  leur  vie,  qu'ils  ont  constam- 
ment et  régulièrement  fait  leurs  quatre  repas  pendant 
quarante  ans  de  suite,  que  le  lendemain  ressemble  tou- 
jours à  la  veille,  qu'ils  se  sont  toujours  conduits  d'après 
les  règles  strictes  du  bon  sens;  en  un  mot,  ils  semblent 
supposer  que  l'homme  est  essentiellement  un  animal  rai- 
sonnable.—  Mais  revenons.  Quoiqu'on  ne  jouât,  chez  le 
lieutenant***  d'autre  musique  que  celle  de  Rossini , 
cependant,  ce  soir-là  la,  première  œuvre  de  quatuors  de 
Beethoven  parut  sur  le  pupitre,  et  cela  en  considération 
du  jeune  amateur.  On  proposa  la  partie  de  premier  vio- 
lon à  l'étranger.  Celui-ci,  voyant  qu'il  était  devenu  le 
point  de  mire,  n'osa  se  r'squer,  et  accepta  le  second  vio- 
lon. On  jouait  le  quatuor  en  la  majeur  à  six-huit.  On 
en  était  au  délicieux  andanle  en  ré  avec  variations.  Les 
autres exécutans,  c'est-à-dire,  le  premier  violon,  l'alto  et 
le  violoncelle,  s'évertuaient  à  qui  appuierait  le  plus  fort  sur 
la  corde,  et  à  qui  dominerait  les  autres.  Le  nouveau  venu 
jouait  tout  bonnement  pianissimo,  comme  le  signe  pp. 
l'indiquait.  Le  lieutenant,  qui  ne  jouait  pas,  était  de- 


debout  derrière  lui ,  suivant  attentivement  sa  partie,  et 
donnant  de  temps  en  temps  des  marques  d'impatience. 
Les  autres  spectateurs  (vous  diriez  peut-être  les  audi- 
auditeurs ,  moi  j'ai  de  bonnes  raisons  pour  dire  les  spec- 
tateurs), les  autres  spectateurs  donc  étaient  rangés  du 
côté  opposé  ;  parmi  eux  se  trouvait  un  guitariste , 
jeune  homme ,  du  reste ,  heuroueement  organisé.  Le 
maître  de  la  maison  s'approche  de  ce  dernier  : —  «  Ce 
»  monsieur  joue  trop  piano,  lui  dit- il;  on  ne  l'en- 
»  tend  pas  :  prenez  votre  'guitare,  et  venez  doubler 
■»  sa  partie.  »  Le  guitariste  obéit ,  il  [avança  une  chaise, 
s'assit  à  côté  du  second  violon  eu  lui,  donnant  sans  façon 
un  coup  de  genou  pour  obtenir  un  peu  de  place,  accor- 
da sa  guitare  tandis  que  le  quatuor  continuait  toujours, 
et  se  mit  à  pincer  avec  l'ongle  des  notes  sèches ,  maigres 
et  grêles,  que  l'autre  s'efforçait  découler  et  de  filer  le 
plus  doucement  possible.  Exécutans  et  assistans  prirent 
cela  avec  le  plus  grand  sérieux  du  monde.  Rien  n'était 
plus  simple  et  plus  naturel.  Le  lieutenant  ***  ,  frap- 
pant sur  l'épaule  du  guitariste,  dit  avec  l'aplomb  d'une 
ignorante  candeur  :  «  Maintenant  cela  va  bien  ;  on  en- 
»  tend  cette  partie.  »  L'étranger  se  prêta  de  bonne  grâce 
à  cette  naïve  mystification.  Inutile  d'ajouter  que  le  vir- 
tuose auxiliaire  put  à  peine  arracher  trois  notes  dans  la 
rapidité  du  finale  mais  on  rejeta  la  faute  sur  le  compo- 
siteur, qui  avait  oublié  de  doigter  son  œuvre  pour  la  gui- 
tare. 

Cela  se  passait  en  l'an  de  grâce  1828,  dans  une  petite 
ville  du  comtat  Venaissin;  et  vous  me  croirez,  j'espère, 
sur  parole,  lorsque  je  vous  aurai  appris  que  l'amateur 
en  question  n'était  autre  que  moi ,  qui  vous  parle. 

Encore  un  fait  qui  prouvera  ce  que  deviennent  dans 
ces  contrées  certains  individus  abandonnés  à  leur  seul 
instinct  et  privés  d'instruction.  — Un  bourgeois  d'un 
petit  village  près  deCavaillon  vint  en  cette  ville  mon- 
trer à  un  amateur  un  petit  orgue  qu'il  avait  fait  lui- 
même  pour  se  désennuyer.  La  première  idée  de  l'ama- 
teur fut  d'ouvrir  l'instrument,  afin  d'en  examiner  le  mé- 
canisme intérieur.  I!  trouva  le  procédé  ingénieux  et  l'exé- 
cution satisfaisante.  Ensuite,  portant  la  main  sur  le  cla- 
vier pour  en  essayer  le  son ,  il  fut  tout  surpris  de  voir 
que  le  clavier  ne  se  composait  que  des  tons  naturels;  les 
dièzes  et  les  bémols  manquaient  totalement.  —  «  Mais, 
»  lui  dit-il,  vous  avez  oublié  les  touches  noires;  je  ne 
»  vois  là  que  les  touches  blanches.  »  — Voici  textuelle- 
ment la  réponse  du  villageois  :  —  «  Oh!  pour  ces  notes- 
»  là,  moi,y'e  lien  use  pas.  »  Le  pauvre  homme  se  con- 
tentait déjouer  la  gamme  en  ut  majeur,  Ah!  vous  dirai- 
je,  maman,  ou  quelque  autre  air  de  même  force.  Hé 
bien,  cet  homme-là  avait  peut-être  du  génie!  On  ne 


GAZETTE  MUSICALE  DE  PARIS. 


peut  contester  du  moins  qu'il  n'eût  du  goût  pour  la  mu- 
sique, et  le  goût  suppose  presque  toujours  des  disposi- 
tions. 

Ce  sont  ces  dispositions  et  ce  goût  que  les  artistes  et 
et  les  amateurs  du  département  de  Vaucluse  s'effor- 
cent aujourd'hui  de  favoriser  en  fondant  une  société 
philharmonique  Idépartementale.  Cette  province  est  fé- 
conde en  sujets  heureux  autant  qu'elle  est  riche  de  sou- 
venirs. Là  aussi  se  sont  perpétuées  quelques  familles  mu- 
siciennes, dont  plusieurs  subsistent  encore,  et  au  sein  des- 
quelles les  maîtrises  ont  entretenu,  même  au-delà  de  leur 
suppression,  la  culture  d'un  art  favori.  Les  familles  des 
Fialon,  desBonaud,  des  Derrive,  etc.,  y  ont  acquis  une 
sorte  de  célébrité ,  comme  en  Allemagne,  l'ancienne  et 
illustre  famille  des  Bach,  et,  tout  récemment,  celles  des 
Borner  et  des  Muller.  Du  reste  il  suffirait,  pour  l'hon- 
neur de  la  contrée,  de  dire  que  mon  excellent  maître,  pa- 
rent et  ami,  Castil-Blaze  y  a  vu  le  jour,  ainsi  que  son 
père.  Déjà,  grâce  au  soins  de  MM.  Astruck  et  E.  M. 
Jouve,  la  symphonie  en  ut  mineur,  l'ouverture  d'OZ>e- 
rou  et  d'autres  grandes  œuvres  ne  sont  plus  des  mer- 
veilles ignorées  du  public  vauclusien.  Le  zèle  de  la  mé- 
tropole a  réveillé  le  zèle  des  villes  circonvoisines.  Ca- 
vaillon  a  suivi,  la  première,  l'exemple  donné  par  le 
chef-lieu  du  département.  Apt  se  dispose  à  suivre  l'élan, 
et  a  donné  son  adhésion  par  l'organe  de  M.  Jouve. 
Nous  applaudissons  de  toutes  nos  forces  à  l'idée  créatrice 
de  ces  pacifiques  associations  ;  et,  pour  faire  apprécier, 
avec  leurs  avantages,  les  bases  sur  lesquelles  elles  sont 
fondées,  comme  aussi  pour  exciter  le  zèle  des  princi- 
pales villes  du  royaume,  nous  ferons  connaître  les  vues 
aussi  nobles  qu'éclairées  que  le  président  de  la  société 
philharmonique  c!e  Cavaillon ,  M.  Valère-Martin,  vient 
de  communiquer  à  ses  compatriotes  dans  une  lettre  adres- 
sée au  directeur  du  journal  du  département. 

«  Que  la  société  centrale  travaille  de  tout  son  pou- 
»  voir  à  établir  des  réunions  semblables  dans  toutes  les 
»  villes  du  département...,  c'est  une  condition  essen- 
»  tielle  de  son  existence.  En  effet ,  si  nous  admettons 
»  qu'elle  perd,  année  commune,  deux  de  ses  membres , 
»  il  est  probable  que  toutes  les  sociétés  que  j'appellerai 
»  ses  suffragantes  perdront  aussi  annuellement  deux 
»  des  leurs  au  profit  de  la  métropole,  lesquels  rempla- 
»  ceront  les  membres  sortis,  sans  perte  aucune,  puis- 
»  qu'ils  entreront  tout  formés.  Ainsi  nul  obstacle  n'ar- 
»  rètera  les  progrès  de  la  société  centrale.  Mais  on  con- 
»  çoit  que,  privée  d'un  pareil  secours,  elle  serait  à 
»  chaque  instant  menacée  dans  son  existence,  ou  que, 
»  se  soutenant  avec  beaucoup  de  peine ,  elle  n'attein- 
»  drait  jamais  le  but  qu'elle  se  propose.  Les  diverses  so- 


»  ciétés,  groupées  autour  de  celle  d'Avignon,  dont  elles 
»  feraient  comme  autant  de  fractions ,  formeraient  avec 
»  celle-ci  une  association  départementale  ;  de  plus ,  elles 
»  seraient  des  écoles  en  quelque  sorte  préparatoires  où 
»  s'exerceraient  la  plupart  des  sujets  dont  la  société  cen- 
»  traie  devra  se  recruter.  Elles  correspondraient  avec 
»  cette  dernière,  l'informeraient  de  leur  état  respectif, 
»  et  lui  fourniraient  au  besoin  telle  voix  ou  tel  instru- 
»  mentiste  qui  lui  manquerait.  Ce  système,  dont  je  vous 
»  soumets  l'aperçu,  étant  tout  à  l'avantage  de  la  société 
»  principale,  celle-ci  doit  s'attacher  avec  persévérance 
»  à  fonder  ces  réunions,  en  leur  prêtant  toutes  les  res- 
»  sources  dont  sont  privées  ordinairement  les  petites 
»  villes 

»  Votre  journal  a  exprimé  avant  moi  le  désir  devoir 
»  se  réaliser  le  projet  d'une  association  philarmonique 
»  vauclusienne,  dans  le  but  d'obtenir  les  mêmes  résul- 
»  tats  que  les  sociétés  de  l'Allemagne  et  des  pays  voi- 
»  sins.  Je  crois  que  nous  sommes  encore  loin  delà.  l'Al- 
»  lemagne  est  en  haleine ,  et  nous  nous  réveillons  d'un 
»  long  sommeil.  Les  élémens  d'une  grande  exécution 
»  sont  en  son  pouvoir;  les  nôtres  sont  à  naître  en  par- 
»  tie.  Je  conviens,  monsieur,  que  nous  avons,  sur  nos 
»  voisins  d'outre-Rhin,  l'avantage  d'être  réunis  sous  les 
»  mêmes  lois,  d'obéir  aux  mêmes  idées,  de  parler  le 
»  même  langage  ;  mais  il  n'y  a  pas  leur  unité  dans  nos 
»  entreprises ,  et  surtout  nous  manquons  de  leur  persé- 
»  vérance.  Qu'on  ne  croie  pas  néanmoins  que  je  fasse 
»  ressortir  ces  inconvéniens  pour  refroidir  un  noble 
»  zèle.  Cette  pensée  est  loin  de  moi  :  mes  actes  sont  là 
»  pour  en  témoigner.  Je  voudrais,  au  contraire,  le  sti- 
»  muler,  le  soutenir,  ce  zèle  en  butte  au  haineux  défi 
»  de  cette  portion  paralysante  de  la  société  qui  cherche 
»  à  flétrir  dès  sa  naissance  toute  idée  heureuse  et  fé- 
»  conde,  et  qui,  comme  on  le  dit,  ne  veut  faire  nilais- 
»  ser  faire.  Tandis  que  les  dénigreurs  s'en  vont  poussant 
»  des  cris  stupides ,  fondons  cette  association  sur  de  so- 
»  lides  bases;  éclairons-nous  de  la  saine  critique,  et 
»  étudions  surtout  le  public  auquel  nous  nous  adres- 
»  sons,  afin  de  nous  mettre  à  sa  portée.  Pour  cela,  il 
»  faut  que  le  Comité  de  musique  compose  son  répertoire 
»  avec  intelligence  et  discernement.  Comment,  en  effet, 
»  pourrait-on  faire  l'éducation  musicale  du  public,  si 
»  l'on  commençait  par  lui  faire  entendre  de  la  musique 
>•  qu'il  ne  comprend  pas?  H  y  a  ici  deux  écueils  à  évi- 
»  ter  :  le  premier,  c'est  de  ne  lui  donner  que  des  mor- 
»  ceaux  trop  surannés ,  ce  qui  s'opposerait  à  l'avancë- 
»  ment  de  son  éducation;  le  second,  c'est  d'avoir  un  ré- 
»  pertoire  composé  de  morceaux  d'un  goût  trop  mo- 
»  derne  :  le  public  n'en  pourrait  saisir  les  beautés,  parce 


3SÎ 


»  qu'il  y  serait  arrivé  sans  gradation.  Je  voudrais  que 

»  vos  concerts  devinssent  une  sorte  de  cours  historique 

»  de  musique,  qui,  faisant  passer  par  degrés  l'auditoire 

»  d'un  style  à  un  autre,  lui  rendît  jsensible  la  filiation 

»  qui  existe  entre  tel  et  tel  genre,  tel  et  tel  auteur,  telle 

»  et  telle  école.  Vous  comprendrez,  monsieur,  ma  pen- 

»  sée  sans  qu'il  me  soit  nécessaire  de  la  développer. . .  » 

Joseph  d'Ortigue. 


A  M.  LE  REDACTEUR  DE  LA  GAZETTE  MUSICALE. 


UNE    SOIREE    MUSICALE    A   PARIS. 

Ne  vous  effrayez  pas,  mon  ami,  en  me  voyant  disposé  à 
vous  parler  d'une  soirée  musicale  !  Ne  craignez  pas  de  m'enten. 
dre  vous  raconter  que  je  me  suis  trouvé  invité  à  passer  la  soirée 
chez  madame  de  ***,  et  cela  par  un  billet  ^bien  élégant ,  vous 
savez...  un  de  ces  billets  fashionables  où  on  lit  tout  au  bas  de 
la  page  cet  avis  jeté  là  en  passant ,  avec  une  négligence  de  bon 
ton  :  on  fora  de  la  musique.  Rassurez-vous,  mon  intention 
n'est  pas  de  vous  décrire  toutes  les  brillantes  toilettes  des  jolies 
femmes,  de  vous  rapporter  les  bons  mots  plus  ou  moins  spiri- 
tuels de  leurs  adorateurs,  ni  de  vous  détailler  tous  les  airs  va- 
riés ,  galops  ,  contredanses  ou  romances  et  autres  chefs-d'œu- 
vre exécutés  ,  suivant  l'usage ,  au  milieu  d'une  bonne  causerie 
en  chœur!  Non  mon  ami,  c'est  d'une  toute  autre  soirée  que  je 
prétends  vous  entretenir,  et  la  pensée  que  mon  compte-rendu 
pourra  peut-être  servir  de  base  pour  quelqu'une  des  nombreu- 
|  ses  soirées  qui  se  préparent ,  me  fait  espérer  que  vous  voudrez 
bien  m'accorder  une  petite  place  dans  votre  estimable  journal^ 

«  Si  vous  n'avez  rien  de  mieux  à  faire  ,  venez  me  voir  dans  la 
soirée,»  me  dit  l'autre  jour  notre  ami  Hiller  placé  dans  une 
loge  à  côté  de  la  mienne,  au  concert  Berlioz;  et  au  jour  dit , 
ma  modeste  pendule  ne  manqua  pas  de  me  rappeler  ma  pa- 
role. 

Reçu  dans  le  salon  de  mon  ami  avec  cette  bonne  et  bien- 
veillante cordialité  allemande  que  vous  connaissez,  je  me  trou- 
vai réuni  avec  le  doyen  respectable  de  l'art  musical,  l'illustre 
Chérubiui;  non  loin  de  lui ,  j'aperçus  Meyeibeer,  le  plus  heu- 
reux et  le  plus  grand  de  nos  compositeurs  dramatiques  ;  plus 
loin ,  Baillot,  ce  p.-ince  des  violonistes  français;  puis,  notre 
spirituel  et  jovial  Chopin  ;  puis,  le  grave  et  profond  Hiller, 
notre  aimable  hôte  si  remarquable  |par  ses  vastes  connaissan- 
ces musicales  et  ses  idées  élevées  sur  l'art;  puis  enfin,  une 
foule  de  dames  et  de  messieurs  faisant  cercle  autour  de  Chéru- 
bini  et  prêtant  une  oreille  attentive  aux  saillies  spirituelles  et 
piquantes  de  l'aimable  vieillard. 

Cependant,  on  ouvre  un  magnifique  piano  de  Pape,  et  le 
violon  aux  sons  enchanteurs  abandonne  sa  soigneuse  enve- 
loppe ;  qu'est-ce  que  nous  allons  jouer?  une  sonate  de  S.  Bach! 
Oui  mon  ami,  oui,  tout  autant.  Et  le  divin  Baillot  entame 
l'adagio  de  la  3"  sonate,  et  notre  Hiller,  tout  enthousiasmé 
d'exécuter  les  œuvres  de  son  maître  chéri,  avec  le  secours 
d'un  si  puissant  auxiliaire ,  accompagne  d'une  main  frémis- 
sante de  joie  le  chant  céleste  de  la  suave  mélodie,  tandis  que 
dans  le  vigoureux  allegro  qui  vient  ensuite ,  l'énergie  de  son 


jeu  pénètre  tous  les  cœurs  des  plus  nobles  et  des  plus  sublimes 
idées.  Etre  témoin  d'une  telle  lutte,  contempler  deux  artistes 
de  cette  trempe,  l'un  dans  tout  le  feu  d'une  bouillonnante  jeu- 
nesse, l'autre  dans  toute  la  vigueur  de  l'âge  mur,  les  admirer 
dans  les  nobles  efforts  que  fait  chacun  d'eux  pour  faire  briller 
son  rival ,  assister  à  uu  pareil  spectacle ,  se  repaître  de  ces 
émotions ,  il  y  a  là ,  mon  ami ,  tout  un  monde  de  bonheur  !  Et 
Baillot,  et  Hiller,  nous  donnèrent  ainsi  deux  sonates  de  l'im- 
mortel Bach ,  et  tous  les  assistans  se  sentaient  pénétrés  d'une 
joie  d'admiration  et  d'un  enthousiasme  indicible.  C'est  ainsi 
que  se  termina  la  première  partie  du  programme  non  im- 
primé ,  non  écrit  même ,  de  notre  soirée.  Et  la  seconde  partie 
commença.  Vous  croyez  peut-être  que  ce  fut  par  un  air  de 
Lodo'iska,  ou  par  un  duo  des  Deux  Journées,  ou  par  un  trio 
de  Marguerite  d'Anjou  ,  ou  enfin  par  la  grande  scène  de  Ro- 
bert-le-Diable  ?  Non  ,  mon  ami ,  rien  de  tout  cela.  Avec  de  tels 
artistes  on  oublie  aisément  tous  ces  petits  égards  de  société. 
Baillot  et  Hiller  exécutèrent  la  grande  sonate  pour  piano  et 
violon  dédiée  par  Beethoven  à  son  ami  Kreutzer.  Vous  me  dis- 
pensez sans  doute  de  vous  redire  ce  qui  a  déjà  été  répété  en 
chœur  par  des  milliers  de  voix,  sur  ce  chef-d'œuvre  de  compo- 
sition musicale.  Mais  ce  que  je  ne  puis  taire,  ce  que  je  ne  peux 
passer  sous  silence ,  c'est  la  manière  dont  ce  chef-d'œuvre  a  été 
exécuté,  c'est  cet  enthousiasme  presque  délirant  qui  inondait 
tous  les  assistans;  c'est  cette  joie  céleste  qui  les  embrasait  tous , 
c'est  cette  ivresse  divine  qui  s'emparait  de  tous  les  esprits.  11 
n'y  a  qu'un  Baillot  dans  le  monde  !  Ce  mécanisme  si  savant 
uni ,  non  pas  seulement  au  goût  le  plus  pur  ou  au  sentiment  le 
plus  exquis  ,  mais  encore  à  une  inspiration  vraiment  poétique 
qui  fait  planer  du  vol  de  l'aigle  ce  génie  puissant  et  l'élève  jus- 
qu'à des  régions  dont  l'esprit  attentif  des  auditeurs  n'auraient 
pas  même  pu  pressentir  la  hauteur  ;  ces  admirables  qualités  , 
ces  dons  si  rares  du  ciel,  lui  ont  depuis  long-temps  assuré  une 
place  d'honneur  parmi  le  petit  nombre  des  élus  d'Apollon.  Il 
est  digne  de  sa  gloire  ;  il  est  heureux  de  ses  impressions  d'ar- 
tiste, et  il  faut  plaindre  ceux  qui  n'ont  pu  contempler  ainsi 
que  nous  ses  traits  illuminés  comme  d'un  rayon  céleste, 
pendant  qu'il  remporte  dans  le  domaine  de  l'art  quelque 
noble  et  sublime  victoire.  Quant  à  notre  ami  Hiller,  je  n'ai 
nul  besoin  ,  je  pense  ,  de  vous  vanter  ici  son  talent.  Il  a  trouvé 
sa  récompense  dans  les  embrassemens  fraternels  que  se  sont 
prodigués  les  deux  rivaux,  vers  la  fin  de  la  délicieuse  séance, 
après  laquelle  tout  le  monde,  assurément,  regagna  sa  de- 
meure, l'esprit  agité ,  comme  le  mien,  par  des  sentimens  de 
joie  cl  de  bonheur. 

Telle  est  la  soirée  musicale  à  laquelle  j'ai  assisté  à  Paris  le 
24  novembre  1834. 

François  Stoepei,. 


NOUVELLES. 

.*+  Aujourd'hui  dimanche,  double  fête  extraordinaire  à 
l'Opéra  :  Robert-le-Diable  ,  et  mesdemoiselles  Fanny  et  Thé- 
rèse Elslcr,  qui  danseront  un  pas  nouveau  au  second  acte. 

*  Nos  lecteurs  nous  sauront  gré  de  ne  pas  leur  faire  l'ana- 
lyse ae  la  soi-disant  nouvelle  partition  de  M.  Gabussi.  H  leur 
suffira  de  savoir  quErnani  a  été  donné  deux  fois  cette  se- 
maine aux  Italiens,  et  restera  probablement  pour  toujours  ou- 
blié. Que  dire  en  effet  d'un  ouvrage  admirablement  exécute 
par  des  chanteurs  tels  que  Rubini ,  Tamburini,  Santtni  et 
mademoiselle  Gn«,et  qui  n'obtient  point  de  succès? 


585 


GAZETTE  MUSICALE 


J%,  Cette  semaine  nous  avons  vu  à  l'Opéra  :  Robert-le-Dia- 
ble ,  la  Sylphide ,  et/a  Tempête.  Chiffre  rie  la  recelte  :  23,200f. 
C'est  le  théâtre  priviligié  de  la  haute  société  et  de  la  bourgeoi- 
sie ;  toutes  les  bourses  lui  paient  leur  tribut. 

*„  On  répète  toujours  à  l'Opéra ,  avec  activité,  la  Juive. 
On  dit  des  merveilles  de  cette  nouvelle  partition  de  M.  Ha- 
lévy. 

M\  L'Opéra-Comique  nous  prépare  plusieurs  nouveautés 
dont  une  la  Sentinelle  perdue  pour  lundi  prochain.  En 
attendant,  le  Marchand  Forain  et  le  Chalet  attirent  beaucoup 
de  monde  à  ce  théâtre. 

»%  Rien  de  nouveau  sur  l'ouverture  définitive  du  théâtre 
Allemand.  Qui  va  piano  va  sano. 

+.%  On  dit  que  M.  Henry,  le  maître  de  ballets  par  excel- 
lence ,  est  engagé  à  l'Opéra  pour  composer  un  ballet.  Cet 
honneur  ne  pouvait  lui  manquer  après  le  succès  de  Chao- 
Kang,  succès  d'argent  qui  augmente  à  chaque  représen- 
tation. 

*  On  écrit ,  de  Munich  ,  que  mademoiselle  Francilla  Pixis 
a  débuté  le  1 5  de  ce  mois  au  théâtre  royal,  et  a  obtenu  un  suc- 
cès immense  ;  après  avoir  chanté  un  grand  air  italien  et  plu- 
sieurs romances  de  M.  Dcssauer ,  qui  ont  excité  de  bien  vifs 
applaudissemens,  modemoiselle  Pixis  a  fini  la  soirée  par  le 
3e  acte  de  Romeo  e  Jiulietta;  bien  secondée  par  madame  Has- 
sclt  ,  elle  a  été  vivement  applaudie  et  comme  cantatrice  et 
comme  actrice.  Toute  la  cour  assistait  à  cette  belle  représen- 
tation ,  et  le  roi  ainsi  que  la  reine-mère  joignirent  leurs  ap- 
plaudissemens à  ceux  du  nombreux  auditoire  qui,  à  la  fin  du 
spectacle,  redemandait  à  grand  cris  les  deux  cantatrices. 
M.  Pixis  a  également  eu  <-a  part  de  gloire  dans  cette  soirée;  il 
a  fort  bien  joué  le  rondo  a-sec  les  clochettes  de  sa  composition  , 
et  le  public  lui  a  donné  les  marques  les  plus  flatteuses  de  sa 
satisfaction.  Monsieur  et  mademoiselle  Pixis  partiront  inces- 
samment pour  l'Italie. 

+%  Mademoiselle  Smithson  montre  un  talent  fort  remar- 
quable dans  :  Une  heure  d'un  Condamné ,  qui,  réuni  à  C/iao- 
Kang,  produit  d'excellentes  receltes  au  théâtre  Nautique. 

*%,  Lafont ,  notre  célèbre  violon ,  est  en  ce  moment  à  Ber- 
lin ;  il  y  obtient  les  plus  brillans  succès.  Dans  un  concert  donné 
dans  les  appartemens  de  l'impératrice  de  Russie,  momentané- 
ment à  Berlin,  ce  virtuose  s'est  fait  entendre  ainsi  que  M.Ganz 
(violoncelle),  et  Taubcrt  (pianiste).  Pour  témoigner  sa  satis- 
faction, Sa  Majesté  leur  a  lait  remettre  des  tabatières  d'or  or- 
nées de  diamans.  Depuis  long-temps  pareille  chose  n'est  arri- 
vée aux  artistes  étrangers  qui  viennent  à  Paris  et  qui  ont  l'hon- 
neur d'être  appelés  aux  Tuileries.  Est-ce  manque  de  goût ,  ou 
parcimonie? 

**„  Le  concert  Musard  continue  ses  succès.  L'ouverture  de 
Roberl-le -Diable ,  arrangement  habile  de  plusieurs  motifs 
saillans  de  cet  opéra  ,  est  exécuté  avec  une  perfection  remar- 
quable ,  et  augmente  encore  la  vogue  dont  cet  établissement 
jouit  en  ce  moment. 

^^  Nous  recommandons  aux  mères  de  famille  les  cours  de 
piano  de  mademoiselle  Meschyn.  Cet  excellent  professeur, 
élève  distinguée  de  M.  Kalkbrenner,  donne  aussi  des  leçons 
particulières.  Les  cours  ont  lieu  rue  Baffault,  n"  19,  deux  fois 
par  semaine.  Prix  de  souscription  par  mois  :  25  frans ,  paya- 
bles d'avance. 

+%  Robert-le-Diable  vient  d'être  représenté  à  Toulon.  Cet 
admirable  opéra  a  été  accueilli  par  un  immense  succès. 

.%,  Les  directeurs  de  tous  les  théâtres  de  Paris  s'occupent  en 
ce  moment  d'un  projet  d'affichage  original.  Les  seize  affiches 
seraient  réuuies  en  une  seule.  Seize  compartimens  égaux  de 
différentes  couleur  permettraient  à  l'œil  de  distinguer  sur-le- 
champ  le  théâtre  dont  on  voudrait  connaître  le  spectacle.  On 
assure  que  les  administrateurs  trouveraient  dans  ce  nouveau 
mode  une  grande  économie. 

+-%  On  lit  dans  un  journal  :  Pour  faire  attendre  moins  impa- 
tiemment la  première  représentation  de  la  Juive,  on  prépare 
à  l'Opéra  un  haliet  on  un  acte  dont  le  titre  est  encore  un  mys- 
tère. Mademoiselle  Taglioni  doit  y  remplir  le  principal  rôle. 
Nous  pouvons  assurer  que  cette  nouvelle  est  dénuée  de  fonde- 
ment ,  et  que  rien  ne  sera  monté  à  l'Opéra  avant  l'ouvrage  de 
M.  llaléw. 


+*t  Voici  le  programme  du  troisième  et  dernier  concert  que 
donnera  cette  année  M.  Berlioz  au  Conservatoire.  Il  aura  heu 
dimanche  prochain  7  décembre  à  deux  heures.  L'affluence  a 
été  telle  au  dernier  qu'on  a  refusé  plus  de  cent  cinquante  per- 
sonnes aux  stalles  et  parterre.  Les  amateurs  qui  voudront  être 
surs  de  leurs  places  feront  donc  bien  de  se  hâter.  On  trouve 
comme  à  l'ordinaire  des  billets  chez  M.  Schlesinger,  rue  de 
Richelieu  97,  et  chez  M.  Rety,  au  Conservatoire.  —  i°  Ouver- 
ture des  Francs-Juges ,  de  M.  Berlioz  ;  2"  les  Ciseleurs  de  Flo- 
rence, trio  avec  choeur  et  orchestre,  de  M.  Berlioz  (exécuté 
pour  la  première  foisl;  3°  Andante  pour  le  piano ,  composé  et 
exécuté  par  M.  Chopin  ;  4°  Air  chanté  par  mademoiselle  Bou- 
cault;  5°  Ouverture  du  Roi  Lear,  de  M.  Berlioz;  6"  Air  italien 
chanté  par  madame  Gny-Sainlville;  7°  Harold,  symphonie  en 
quatre  parties,  de  M.  Berlioz  (l'alto  sera  joué  par  M.  TJrhan). 
\ re  partie  :  Harold  aux  montagnes  ,  scènes  de  mélancolie  ,  de 
bonheur  et  de  joie.  2e  partie.  Marche  de  pèlerins  chantant  la 
prière  du  soir.  3e  partie  :  Sérénade  d'un  montagnard  des 
Abruzes  à  sa  maîtresse.  4"  partie  :  Orgie  de  Brigands. 

*%  La  grande  symphonie  fantastique  de  Hector  Berlioz 
en  partition  de  piano  ,  arrangée  par  Liszt,  vient  de  paraître. 
Nous  rendrons  compte  de  cette  importante  publication. 

+%  Spontini  s'occupe  du  second  et  troisième  acte  de  Agnes 
de  JJohenstauffen.  Il  y  a  trois  ans  que  le  premier  acte  de  cet 
opéra  a  été  représenté  à  Berlin. 

+%  Aujourd'hui  a  deux  heures,  grand  concert  dans  les  sa- 
lons Laffitte,  donné  par  monsieur  et  madame  Willent  Bordo- 
gni.  On  y  entendra  MM.  Tilmant ,  Dorus,  Barbet ,  Boulan- 
ger, et  les  bénéficiaires.  Prix  des  places  :  5  francs. 

■*,+  On  annonce  que  madame  Clara  Margueron,  de  l'Opéra- 
Comique,  vient  de  contracter  un  engagement  pour  le  théâtre 
de  Marseille. 

+%  Le  giand  théâtre  de  Lyon  vient  de  faire  sa  réouverture 
par  le  Barbier  de  Séville,  de  Rossini.  Dans  cet  opéra,  on  à 
applaudi  M.  Fouchet,  ténor  que  nous,  avons  vu  à  l'Opéra-Co- 
mique. 

+*+  Mademoiselle  Annette  Lebrun  devait  faire  son  premier 
début  à  l'Opéra-Comiquc ,  dans  les  Voitures  versées,  mais 
une  indisposition  d'Hébert  empêchant  déjouer  cette  pièce  ,  ou 
y  a  substitué  le  Concert  à  la  cour. 


L'abondance  des  matières  nous  oblige  de  remettre 
notre  article  sur  le  concert  de  M.  Berlioz  au  prochain 
numéro. 


Musique  nouvelle  , 


A.  Ropicquet.  Op.  "14.  Yalse  favorite,  dansée  par  mademoi- 
selle Elsler,  à  l'Opéra,  dans  Gustave,  arrangée  pour  le 
piano  ,  avec  accompagnement  de  violon.  4  fr.  50  c. 

Czerhy.  Op.  24y.  Souvenirs  de  la  Somnambula.  "Trois  fantai- 
sies élégantes  sur  des  motifs  favoris  des  opéras  deBellini, 
pour  le  piano.  Nos  1,  2  et  3.  Chaque  :  6  fr.     « 

Publiée  par  J.  Meissonoier. 

Musard.  Madrid ,  2e  quadrille  espagnol  pour  le  piano. 

4  fr.  5o  c. 

Publiée  par  Schonenberger. 

Le  Chalet.  Partition  et  parties  séparées  chaque  :  100  fr.  » 

—  Ouverture  à  grand  orchestre.  10  » 

—  Ouverture  pour  le  piano.  5  » 
Adam.  Op.  92.  Mélange  sur  le  Chalet,  pour  le  piano. 

6  fr.     u 
Ropiquet.  Op.  8.  Introduction  et  variation  sur  un  thème  ori- 
ginal dédié  à  Paganini ,  pour  le  violon  ,   avec  accompa- 
gnement de  piano.  6  fr.     » 

Op.  9.  Le  Divertissement,  six  thèmes  variés  pour  le  violon 

"seul.  Deux  suites.  Chaque  :  5  fr.     » 

Gérant,  MAURICE  SCHLESINGEE. 


GAZETTE   MUSICAL 

mm  &JUB&0* 

RÉDIGÉE    PAR   MM.    ADAM,    G.    E.    ANDERS ,  BERTON  (membre    de  l'Institut),    BERLIOZ,   CASTIL-BLAZE ,  A.  GDEMER ,  HALÉVY 

(prqfesseur  de  contrepoint  au  Conservatoire),  Jules  janin  ,  liszt,  lesueur  (membre  de  l'Institut),  j.  mainzer,  marx 
(rédacteur  de  la  gazette  musicale  de  berlin),  d'ortigue  ,  panofka  ,  richard,  j.  g.  seyfried  (maître  de  chapelle 
à  Vienne),  F.  stœpel,  etc. ,  etc. 


1"  ANNÉE. 


M* 


A9. 


PRIX  DE  L  ABO.NNEM. 


PARIS. 

DÉPART. 

ÉTRAHG 

fr. 

Fr.       c. 

Fr.       c. 

3  m.     8 

8     75 

9    50 

6m.  15 

16     50 

18    .. 

\  an.  30 

33    » 

36    « 

£x  (ftaxtite  iHuercaU-  Tt>e  |)arts 
Paraît   le  DIMANCHE  de  chaque  semaine. 

0n  s'abonne  au  bureau  de  la  Gazette  Musicale  de  Paris,  rue  Richelieu ,  97; 

chez  MM.    les  directeurs  des  Poslcs,   aux  bureaux  des  Messageries, 

et  chez  tous  les  libraires  et  marchands  de  musique  de  France. 

>n  reçoit    les  réclamations  des  personnes  qui  ont  des  griefs  à  exposer,  et  les  avis  relatifs  à  la  muslqu- 
qui  peu\ent  intéresser  le  public. 


PARIS.  DIMANCHE  7  DECEMBRE  I83'i. 


Nonobstant  les  supplé- 
mens,  romances ,yac  si- 
mile  de  récriture  d'au- 
teurs célèbres  et  la  galerie 
des  artistes  ,  MSI.  les 
abonnis  de  la  Gazelle 
Mu  icale  de  Paris ,  re- 
cèleront le  premier  de 
chaque  mois  un  morceau 
de  musique  de  piano. 

Les  lettres,  demandes 
et  envois  d'argent  doi- 
vent être  affranchis,  et 
adressés  2U  Directeur  , 
rue  Riclielieu,  97. 


Iphigénie  en  Tauride. 

3mt  et  dernier  article. 

L'air  de  ïhoas  en  si  mineur  est  un  modèle  ^expres- 
sion grandiose  et  terrible.  L'accompagnement  tremu- 
lando  des  contrebasses,  pendant  que  !e  reste  de  l'or- 
chestre frappe  ce  hythme  sinistre ,  employé  depuis  avec 
tant  de  bonheur  par  Mozart ,  pour  l'entrée  de  la  statue 
de  don  Juan,  est  d'un  admirable  sentiment  dramatique. 
L'éclat  soudain  de  tous  les  instruirons  sur  le  vers  : 
«  Je  crois  voir  sous  mes  pas  la  terre  s'entrouvrir!  » 
produit  un  effet  incroyable ,  si  l'on  considère  avec  quelle 
modération  ce  passage  est  instrumenté.  A  ce  morceau, 
succède  sans  aucune  interruption  le  chœur  des  Scytcs. 
Le  ton  de  ré  majeur ,  dans  lequel  il  est  écrit ,  lié  h  celui 
de  si  naturel  mineur,  clonne  à  ce  chant  sauvage  une 
force  de  tonalité  prodigieuse.  Ici,  pour  la  première  et 
dernière  fois ,  Gluck  a  employé  les  petites  flûtes ,  les 
cymbales  et  le  tambour  de  basque.  En  voyant  entrer  en 
scène  cette  troupe  de  cannibales,  aboyant  une  harmonie 
heurtée  et  syllabique,  pendant  que  le  bruit  métallique 
tics  cymbales  semble  résulter  du  cliquetis  de  la  forêt  de 
haches  que  brandissent  les  Scytcs  et  qu'on  voit  s'agiter 
dans  l'air,  il  est  diffici'e  de  ne  pas  éprouver  un  saisisse- 
ment profond. 

Le  second  chœur  :  «  Il  nous  fallait  du  sang  »  est 
d'un  style  plus  large  et  plus  bru  tal  encore,  s'il  est  pos- 
sible. 11  roule  constamment  clans   1rs  tons  de  ré  majeur 


«naturel  mineur,  fa  dièze  mineur.  Les  phrases  en  sont 
lourdes  et  grossières;  on  dirait  d'un  chœur  de  bouchers 
ivres.  L'horreur  tragique,  excitée  a  d'un  si  haut  degré 
par  les  voies,  ne  diminue  point  quand  l'orchestre  seul 
se  fait  entendre.  Le  ballet  des  Scythes  est  universellement 
admiré,  et  certes  c'est  ajuste  titre.  Cet  air  léger  et  stac- 
cato, accompagné  d'un  triangle  et  exécuté  pianissimo 
par  tous  lesinstrumens,  pendant  que  des  danseurs  à  l'as, 
pect  hideux  passent  rapidement  sur  la  scène  comme  des 
ombres,  fait  frémir.  Le  genre  fantastique  se  montre  la 
dans  toute  sa  puisssance.  Il  ne  faut  pas  le  dire  trop 
haut  :  quelques  admirateurs  de  Gluck  seraient  capables 
de  nous  traiter  de  blasphémateurs  ,  et  de  regarder  l'épi - 
thè'e  maudite  accolée  a  l'une  de  ses  œuvres  comme  une 
insulte  grave. 

An  second  acte,  nous  assistons  aux  douloureux  débats 
d'Oreste  et  de  Pyladc.  Les  deux  héros  grecs  chantent 
chacun  un  air  où  le  caractère  sombre,  désespéré,  de 
l'un  contraste  admirablement  avec  la  résignation  douce 
et  triste  de  l'autre.  Que  trouverait-on  parmi  les  modernes 
de  plus  ravissant  de  mélodie  ,  de  plus  vrai  et  de  plus 
tendre  que  le  morceau  :  «  Unis  dès  la  /dus  tendre  en- 
fance? »  La  phrase  surtout:  «  La  mort  même  est  une 
'faveur,  puisque  le  tombeau  nous  rassemble  »  arrache 
1  presque  toujours  des  larmes  réelles  au  chanteur  chargé  du 
rôle  de  Pylade. 

Mais  une  scène  d'une  bien  autre  portée  se  prépaie. 
Pylade  a  été  arraché  des  bras  de  son  ami.  Oicste,  accablé 


390 


GAZETTE  MUSICALE 


de  douleur  et  de  rage ,  après  quelques  blasphèmes  con- 
vulsifs,  tombe  dans  un  accablement  profond. 

«  Où  suis-je?...  A  l'horreur  qui  m'obsèrle 

«  Quelle  tranquillité  succède  ? 

»  Le  calme  rentre  dans  mon  cœur!... 

»  Mes  maux  ont  donc  lassé  la  colère  céleste!... 

»  Je  touche  au  terme  du  malheur... 

»  Vous  laissez  respirer  le  parricide  Oreste 

»  Dieux  justes!  ciel  vengeur! 

»  Oui ,  oui ,  le  calme  rentre  dans  mon  cœur.  » 

On  ne  sait  comment  exprimer  son  admiration  a  l'aspect 
de  ce  magnifique  contre- sens.  Oreste  s'endort;  l'orches- 
tre s'agite  sourdement;  l'acteur  parlede  calme,  et  les  vio- 
lons glapissent  de  petites  plaintes  syncopées  auxquelles 
les  basses  répondent  par  des  coups  sourds ,  rhythmés  de 
deux  en  deux  mesures  au  commencement  du  morceau,  et 
de  trois  en  trois  vers  la  fin,  pendant  qu'à  travers  ces  pul- 
sations fébriles  ,  le  timbre  mordant,  mais  triste,  des 
altos  gronde  une  sorte  d'accompagnement  qu'on  pour- 
rait difficilement  caractériser  avec  des  paroles ,  l'auteur 
l'ayant  écrit  dans  un  rhythme  mêlé  de  notes  syncopées  et 
de  notes  détachées  qu'on  n'avait  jamais  entendu  aupa- 
ravant ,  et  qui  depuis  lors  n'a  été  reproduit  nulle 
part.  «Oreste  ment,  disait  Gluck:  il  a  tué  sa  mère. 
«  Le  chœur  des  Furies  pendant  le  sommeil  du  par- 
ricide est  tine  conception  étonnante  de  grandeur  in- 
fernale ;  le  travail  des  voix  est  presque  constamment 
dessiné  sur  des  gamines  ascendantes  et  descendantes  de 
trombonnes  d'un  effet  prodigieux.  Cet  acte  se  termine 
d'une  manière  qu'on  trouverait  aujourd'hui  bien  mala- 
droite, par  un  andante  moderato  qui  va  toujours  en 
decrescendo.  Iphigénie  fait  un  retour  sur  elle-même;  elle 
repasse  dans  sa  mémoire  tous  ses  malheurs  passés  ;  elle 
pleure  avec  ses  femmes  et  sort  de  la  scène  a  pas  lents,  les 
yeux  baissés ,  pendant  que  l'orchestre  s'éteint  en  mur- 
murant les  dernières  phrases  de  sa  noble  plainte. 

Oh!  que  c'est  ennuyeux!  que  c'est  froid!  que  c'est 
monotone!  diraient  aujourd'hui  bien  des  gens;  quec'est 
beau!  que  c'est  noble  !  que  c'est  vrai  !  que  cette  douleur 
est  majestueuse  !  comme  le  cœur  est  serré  par  ce  tableau 
de  l'abandon  et  de  l'isolement  de  la  triste  fille  du  roi  de 
Mytènes!  diraient  quelques  autres:  et  nous  ne  pourrions 
nous  empêcher  d'être  de  l'avis  de  ces  derniers. 

Tout  le  reste  est  a  cette  hauteur.  Le  duo  entre  les  deux 
amis,  le  récitatif  obligé  d'Oreste  furieux,  l'air  suppliant 
de  Pylade  «  Ahl  mon  ami,  f  implore  ta  pilie'»  son  élan 
héroïque  «  Divinité  des  grandes  âmes  »  Le  grand  air 
d'Iphigénie,  si  dramatiquement  accompagné  par  les  basses 
pendant  un  remolo  continuel  des  seconds  violons  et  altos, 
tout  cela  est  merveilleux  de  passion  de  mélodie,  de  force 


de  pensée,  tout  cela  saisit  et  entraîne;  on  ne  sait  si  l'effet 
résidte  de  la  poésie  ou  de  l'action,  ou  de  la  pantomime 
ou  de  la  musique,  tant  cette  dernière  est  intimement 
unie  à  la  pantomime,  à  la  poésie  et  à  l'action.  Etquand, 
à  côté  des  grands  traits  que  nous  venons  de  citer ,  on 
trouve  l'expression  du  calme  religieux  portée  au  point 
où  nous  l'admirons  dans  le  chœur  des  prêtresses  «.Chaste 
Jille  de  Latone»  quand  on  entend  ces  hymnes  sublimes , 
empreints  d'une  mélancolie  antique  qui  reporte  l'audi- 
teur au  milieu  des  temples  de  l'ancienne  Grèce ,  on  ne 
se  demande  point  :  Gluck  est-il  un  poète,  un  dramatiste 
ou  un  musicien?  mais  on  s'écrie:  Gluck  est  un  grand 
homme. 

Hector  Berlioz. 


TBÉATBE  ETABÏ1SHE. 


La  dernière  heure  d'un  Condamné, 

Scène  pantomine  tragique  de  M.  Henri ,  musique  de  M.  Pugni. 

Ce  fut  un  grand  événement  dans  le  monde  littéraire 
et  dramatique,  que  l'arrivée  de  la  troupe  anglaise 
amenée  par  M.  Laurent  en  1827.  Un  essai  infructueux 
dans  le  même  genre  ,  tenté  quatre  ou  cinq  ans  aupara- 
vent  à  la  Porte-St. -Martin  ,  avait  fait  concevoir  de  vé- 
ritables craintes  pour  le  début  des  artistes  de  Drury- 
Lane  et  de  Covent-Garden.  Mais  en  quatre  ans  l'esprit 
public  fait  bien  des  progrès ,  et  aulieu  d'accueillir  les 
Anglais  avec  des  sifflets  et  des  huées,  comme  le  parterre 
de  la  Porte-St. -Martin  l'avait  fait  naguère ,  ce  furent 
des  larmes,  des  applaudissemens ,  des  cris  d'enthou- 
siasme et  d'étonnemeut ,  tels  que  n'en  avait  sans  doute  en- 
core jamais  entendus  la  froide  salle  de  l'Odéon.  La  pre- 
mière représentation  à'Hamlet ,  donna  lieu  a  une  scène 
des  plus  rares  et  des  plus  intéressantes;  elle  n'a  jamais 
été  connue  du  public  ;  nous  croyons  que  l'occasion  est 
venue  de  la  publier.  Charles Kemble  en  arrivant  a  Paris, 
comptait  jouer  Romeo  pour  son  début  ;  mais  où  trouver 
une  Juliette?  »  Vous  n'avez  pas  de  Juliette?  dit-il  au 
directeur,  impossible  de  monter  Romeo.  Il  faut  com- 
mencer par  Hamlet;  le  rôle  d'Ophelia  n'est  rien  ;  nous 
le  donnerons  à  Miss  Smithson.  «  Ce  plan  fut  adopté  a 
la  grande  consternation  de  la  jeune  actrice,  qui  se  croyait 
absolument  incapable  de  jouer  Ophelia  ,  suivant  les  con- 
ditions voulues  par  les  traditions  théâtrales.  11  faut  vous 
dire,  au  risque  de  n'être  pas  cru  ,  qu'Ophélia,  ce  per- 
sonnage si  naïf,  si  modeste ,  si  tendre,  si  mélancolique, 
si  voilé ,  cette  création  divine  du  plus  grand  génie  dra- 
matique, était  ordinairement  joué  par  cequ'on  appelle  en 
Angleterre  une  cantatrice.  Pourquoi,  s'il  vous  plaît?  — 


parce  que  dans  les  dernières  scènes  de  folie  de  la  malheu- 
reuse fille  de  Polonius,  elle  chante  plusieurs  anciennes 
ballades,  dont  les  paro'es  offrent  par  intervalles  quel- 
ques allusions  plus  oiunoins  directes  aux  souffrances  qui 
ont  déchiré  son  cœur  et  altéré  sa  raison.  En  conséquence 
une  demoiselle  a  la  voix  agile,  était  en  possession  de- 
puis longues  années  de  venir  se  placer  sur  le  devant  du 
théâtre,  commeune  prima  donna  italienne,  et  dérouler  son 
tissu  de  douleurs  en  interminables  roulades  et  cadences 
qui  lui  valaient  d'autaut  plus  d'applaudissemens ,  qu'elles 
étaient  plus  révoltantes  d'absurdité. 

0  Shakespeare  !  voila  bien  ce  que  t'appelles  dans  ton 
Hamlet ,  déchirer  de  la  passion  comme  un  lambeau  de 
vieille  e'toffe  :  Est-il  possible  de  porter  plus  loin  l'outrage 
au  sentiment  poétiqueetau  sens  commun  !  MissSmithson/ 
qui  n'est  pas  une  cantatrice ,  se  voyait  donc  forcée  de  ten- 
ter une  épreuve ,  dont  toutes  ses  devancières  n'avaient  tiré 
gloire  qu'âla  faveur  d'une  vocalisation  brillante. [Dans  son 
désespoir,  elle  offrit  une  semaine  de  ses  appoinlemens  à 
chacune  des  autres  actrices  qui  composaient  la  troupe 
de  M.  Laurent,  pour  jouer  Ophelia  a  sa  place,  mais 
aucune  ne  voulut  accepter  ,  chacune  était  offensée  qu'on 
n'eut  pas  jeté  les  yeux  sur  elle  la  prcmièie.  Forcée  de  se 
dévouer,  Miss  Smithson,  après  bien  des  larmes,  accepta 
le  rôle,  qu'elle  regardait  comme  au-dessus  de  ses  forces, 
et  s'enferma  une  journée  pour  travailler.  Le  soir,  quand 
sa  mère  vint  ouvrir  la  chambre  d'études ,  dont  elle 
l'avait  priée  d'emporter  la  clef,  elle  la  trouva  bien  chan- 
gée :  son  visage  rayonnait  ;  au  lieu  des  larmes  qui  Je  ma- 
tin remplissaient  ses  yeux,  un  feu  extraordinaire  leur 
donnait  un  éclat  inconnu,  sa  personne  avait  un  aspect 
nouveau,  plus  noble,  plus  assuré,  en  quelque  sorte 
prophétique,  en  un  mot  tel  que  sa  mère  ne  l'avait  jamais 
observé  :  c'était  l'aspect  du  génie  dans  l'ivresse  de  sa  vic- 
toire. Une  composition  sublime  venait  de  naître,  celle 
du  rôle  d'Ophélia,  de  l'Ophelia  de  Shakespeare,  de  la 
lille  bien-aimée  du  plus  grand  des  poètes ,  dont  de  ri- 
dicules traditions  nous  avaient  voilé  jusqu'ici  les  ineffa- 
bles traits.  Mais  ce  qu'il  y  a  de  bien  remarquable  dans 
cette  circonstance,  c'est  que  MissSmithson,  bien  cer- 
taine qu'on  ne  la  laisserait  pas  jouer  Ophelia  comme  elle 
l'entendait,  avait  en  même  temps  appris  le  rôle  suivant 
les  us  et  coutumes  de  la  routine  théâtrale.  De  sorte  que 
le  lendemain  a  la  répétition,  en  la  voyant  suivre  assez 
bien  le  mode  d'exécution  adopté  par  toutes  les  actrices , 
on  se  félicitait  d'avoir  eu  confiance  dans  cette  jeune  per- 
sonne peu  connue ,  dont  le  talent  n'avait  jamais  encore 
été  mis  en  évidence  ;  et  la  représentation  fut  fixée  au 
lendemain. 

Pendant  toute  la  durée  de  la  dernière  répétition,  Miss 


Smithson  avait  été  d'une  docilité  parfaite.  On  lui  disait  : 
«  Vous  prenez  cette  posture  »  ,  elle  la  prenait  ;  «  vous 
vous  placez  à  droite  »  ,  elle  s'y  plaçait  ;  «  vous  avancez, 
vous  reculez  » ,  elle  avançait  et  reculait.  Tout  était  bien , 
on  était  enchanté.  Mais  le  soir  de  la  représentation  ar- 
rivé, l'artiste  exécuta  son  plan.  L'Ophelia  qui  s'avança 
aux  regards  effrayés  de  toute  la  troupe  et  aux  yeux  émer- 
veillés du  public ,  n'était  pas  l'Ophelia  que  l'on  connais- 
sait ;  je  le  crois  bien ,  c'était  la  véritable ,  celle  que  le 
poète  rêva  j  celle  qu'il  caractérise  complètement  par  ce 
peu  de  mots  : 

K  Thonght  and  afliction  ,  passion  ,  hell  its  elf 
»  She  turns  to  favour,  and  to  pretliuess  (i).  » 

Quelle  témérité  ,  quelle  impertinence  !  oser  ainsi  fou- 
ler aux  pieds  les  traditions  !  Miss  Smithson  pouvait  lire 
ces  reproches  dans  les  yeux  de  tous  ses  camarades.  Quand 
vint  le  quatrième  acte ,  la  scène  de  folie ,  le  triomphe 
des  cantatrices  qui  roucoulent  si  agréablement  le  déses- 
poir et  l'égarement,  elle  osa  bien  davantage  :  elle  inter- 
rompit sa  douloureuse  chanson  par  une  scène  muette 
h  laquelle  nul  ne  s'attendait;  puis,  agenonillée  devant  le 
voile  noir  tombé  de  sa  tête ,  croyant  pleurer  sur  le  lin- 
ceul de  son  père  ,  elle  laissa  échapper  ce  sanglot  déchi- 
rant qu'aucune  langue  humaine,  qu'aucun  effort  de  l'art 
musical  lui-même  ne  saurait  rendre,  et  sortit  de  la  scène 
au  milieu  du  frémissement ,  des  pleurs  et  des  applaudis- 
semens  de  rassemblée,  (car  il  y  a  toujours  en  pareil  cas 
des  malheureux  qui  trouvent  la  force  d'applaudir). 
Etonnée  de  ce  murmure  confus,  et  ne  sachant  s'il  expri- 
mait le  blâme  ou  l'approbation ,  l'actrice  ,  éperdue  de 
craintes  de  toute  espèce ,  se  retourne  vers  un  acteur  qui 
se  trouvait  près  d'elle  dans  la  coulisse:  «  Mon  Dieu,  mon 
Dieu ,  que  disent-ils  ?  sont-ce  des  marques  d'approbation 
ou  de  mécontentement?  —  Ce  qu'ils  disent!  vous  avez 
un  succès  immense.  Ma  foi ,  continuez.  » 

Ainsi  rassurée  et  autorisée  a  être  encore  sublime ,  elle 
rentra  pour  la  dernière  scène  de  folie,  ses  cheveux  bi- 
zarrement ornés  de  brins  de  paille  et  une  corbeille  de 
plantes  sauvages  a  la  main.  Sa  distribution  de  fleurs  au 
roi ,  a  la  reine  et  à  son  frère  Laèrtes  produisit  un  éton- 
nement  profond  ;  la  manière  surtout  dont  elle  laifsa 
échapper  ces  mots  :  »  Je  voulais  vous  donner  quelques 
violettes,  mais  elles  se  sont  tontes  fanées  a  la  mort  de 
mon  père,  «  fit  éclater  des  sanglots  a  peine  contenus  jus- 
que là.  Et  quand,  après  avoir  exhalé  vers  le  ciel  la  der- 
nière phrase  de  sa  triste  complainte,  d'une  voix  douce 
connue  le  soupir  d'un  ramier  mourant,  elle  murmura  : 
«  Paix  a  son  ame,  et  a  toutes  les  âmes  chrétiennes!  Je 

(•))  La  rêverie,  la  douleur,  la  passion,  l'enfer  lui-même, 
prennent  en  elle  du  charme  et  de  la  grâce. 


392 


GAZETTE  MUSICALE 


le  demande  a  Dieu  »  ;  la  salle  présenta  un  aspect  impos- 
sible a  décrire.  Un  de  nos  grands  poètes,  qui  était  pré- 
sent, fut  même  si  violemment  ému,  que  forcé,  de  quitter 
sa  loge  pour  éviter  de  se  donner  en  spectacle  au  parterre, 
il  ne  put  assister  au  reste  de  la  représentation. 

Ainsi  éclairée  sur  la  nature  et  l'élévation  des  facultés 
dont  elle  était  douée,  Miss  Smithson  aborda  sans  crainte 
les  rôles  de  Juliette ,  de  Jane  Shore,  de  Cordelia ,  de 
Belvidera,  deDesdeniona,  etc.,  et  chacun  sait  les  succès 
qu'elle  y  obtint.  Toutefois,  s'appuyant  sur  les  suffrages 
unanimes  du  public  français ,  elle  osa  demander  d'exé- 
cuter ces  différais  rôles  tels  qu'elle  les  concevait. 

N'est-ce  pas  une  chose  admirable  et  tout-a-fait  carac- 
téristique de  voir  le  génie  ,  aux  pieds  de  la  routine  ter- 
rassée ,  lui  demandant  humblement  la  permission  d'user 
de  sa  victoire  ? 

La  conséquence  de  l'originalité  incontestable  du  talent 
de  Miss  Smithson  était  difficile  à  prévoir.  Son  jeu  ne 
ressemblant  en  aucune  façon  a  celui  des  acteurs  français, 
en  France  on  ne  manqua  pas  de  dire  :  C'est  l'école  an- 
glaise; le  public  et  les  artistes  anglais,  surpris  de  ne  pas 
retrouver  la  copie  de  leurs  modèles  favoris  ,  s'écrièrent 
a  leur  tour:  C'est  V école  française ,  elle  imite  les  ac- 
teurs de  Paris.  Bien  loin  d'en  copier  aucun  cepen- 
dant ,  Dieu  sait  le  nombre  de  ceux  et  surtout  de  celles 
qui  ont  fait  leur  profit  de  ses  effets  les  plus  remarqua- 
bles. Mais  c'est  une  des  lois  cruelles  auxquelles  ne 
peuvent  se  soustraire  les  novateurs  dans  tous  les  genres  : 
ils  profitent  peu  de  leurs  créations ,  d'autres  savent  se 
les  approprier,  les  gaspiller  et  en  faire  de  l'or. 

Mais  venons  a  la  pièce  nouvelle,  dans  laquelle  nous 
avons  revue  Miss  Smithson  au  théâtre  Ventadour.  Le 
mot  pièce  est  peut-être  bien  ambitieux,  c'est  plutôt  srène 
ou  fragment  qu'il  faudrait  dire,  car  en  vérité  cet  acte 
est  si  court,  si  peu  développé,  si  dépourvu  d'invention, 
qu'on  voit  bien  que  M.  Henry  a  été  pris  au  dépourvu ,  et 
n'a  pas  eu  le  temps  de  composer  quelque  chose  de  plus 
digne  de  son  beau  talent.  Un  colonel  de  cavalerie  est 
condamné  à  mort;  sa  femme,  anéantie  par  la  douleur  et 
l'insomnie,  est  assoupie  sur  une  chaise,  près  du  berceau 
de  son  enfant.  Un  geôlier  apporte  la  sentence  au  moment 
où  la  femme  du  condamné  se  réveille  ;  elle  saisit  le  fatal 
écrit.,  le  parcourt  rapidement,  et  tombe  évanouie.  Quand 
elle  recouvre  ses  sens,  la  raison  l'a  abandonnée  ;  elle  mé- 
connaît son  mari ,  le  repousse ,  éclate  de  rire  au  moment 
où  les  gardes  viennent  le  conduire  a  la  mort,  s'assied 
d'un  air  féroce  près  de  son  enfant ,  qu'elle  indique  vou- 
loir défendre  avec  rage  contre  quiconque  voudrait  le  lui 
enlever  ;  cédant  ensuite  a  son  affreux  désespoir,  elle  es- 
saie de  s'étrangler  avec  ses  cheveux  ,  quand  le  geôlier  , 


l'homme  vertueux  et  sensible,  comme  il  en  faut  toujours, 
la  force  de  voir  son  enfant  qui  sommeille.  A  cette  vue , 
ses  mains  crispées  se  desserrent ,  ses  cheveux  retombent , 
elle  berce  son  fils  en  gémissant  et  s'endort  de  nouveau , 
au  milieu  de  ses  rires  convulsifs  et  de  ses  larmes  amères, 
quand  le  roulement  lugubre  du  tambour  vient  la  rendre 
aux  angoisses  les  plus  douloureuses.  Elle  se  lève,  suit 
d'un  oreille  épouvantée  chaque  son  qui  parvient  jusqu'à 
elle ,  et  tombe  enfin  en  poussant  un  cri  déchirant ,  au 
moment  où  une  décharge  de  mousqueterie  annonce  que 
tout  est  fini.  Le  succès  de  Miss  Smithson  dans  un  genre 
où  elle  est  privée  du  puissant  moyen  de  la  parole  et  de 
tous  les  avantages  d'un  organe  admirable  est  d'autant 
plus  flatteur  pour  son  amour  propre ,  qu'elle  n'avait  joué 
la  pantomime  qu'une  seule  fois,  dans  la  Muette  a  l'Opéra, 
pour  un  bénéfice.  Elle  a  été  constamment  pathétique, 
sans  rien  perdre  de  la  grâce  de  ses  poses ,  et  redemandée 
à  grands  cris  à  la  fin  de  la  représentation ,  elle  est  venue 
un  peu  tard  recevoir  les  bravos  de  toute  la  salle.  Il  est 
juste  de  dire  que  M.  Henry,  dans  un  autre  genre  et  par 
d'autres  moyens ,  l'a  fort  bien  secondée. 

La  musique  que  M.  Pugni  a  composée  a  cette  occa- 
sion ne  manque  ni  de  charme  ni  d'expression  ;  plu- 
sieurs morceaux  sont  instrumentés  avec  talent.  L'air  qui 
précède  la  marche  funèbre ,  sur  lequel  la  folle  berce  son 
enfant ,  est  bien  en  scène  et  d'une  mélodie  simple  et  tou- 
chante. Pourquoi  sommes-nous  obligés  de  reprocher  au 
compositeur  une  ouverture  du  style  le  plus  commun,  et 
totalement  en  opposition  avec  le  caractère  passionné  et 
tragique  que  comportait  une  scène  aussi  sombre?  On 
pardonne  volontiers  d'être  absurde  aux  gens  qui  sont 
constamment  a  cent  lieues  de  la  vérité;  mais  quand  on 
sait  être  expressif  dans  un  enchaînement  de  scènes  diffé- 
rentes ,  comme  l'a  été  M.  Pugui,  on  est  en  droit  d'exi- 
ger de  l'auteur  qu'il  le  soit  dans  son  ouverture,  et  tou- 
jours et  partout. 


THEATRE  H.DYAL  EE  fOP^P.A.COBÎIDgE. 


La  Sentinelle  perdue, 

0[)éra  eu  un  acte;  paroles  de  M.  de  Saint-George,  musique 
de  M.  Rifaut. 

Un  vaudeville  joué  vers  1821  ,  sur  le  théâtre  de  la 
Porte-Saint-Martin,  vaudeville  ayant  alors  pour  titre: 
La  petite  Annette,  si  j'ai  bonne  mémoire,  vient  d'être 
arrangé  en  opéra  et  représenté  sur  notre  seconde  scène 
lyrique.  Comme  le  plus  grand  nombre  de  nos  lecteurs 
n'a  pas  gardé  le  souvenir  de  cette  bagatelle  dramatique, 
je  dois  leur  en  faire  connaître  le  sujet. 


DE  PARIS. 


André,  soldat  de  la  garde  impériale,  a  été  placé  en 
sentinelle  sur  un  pont,  près  d'un  moulin,  par  son  ser- 
gent-major Marengo,  qui  est  aussi  son  parrain  ,  son  tu- 
teur. Marengo  l'aimait  beaucoup  et  lui  mit  la  pipe  a  la 
bouche  a  un  âge  où  les  enfans  préfèrent  la  douceur  des 
dragées  au  suc  un  peu  trop  amer  du  tabac.  Le  régiment 
a  quitté  le  pays,  battant  en  retraite,  et  l'on  a  oublié  de 
relever  la  sentinelle  de  son  poste  avancé.  André  n'a  pas 
bougé;  il  est  en  pays  ennemi,  en  Allemagne,  et  les 
bonnes  gens  qui  l'entourent  ont  bien  voulu  lui  permeitre 
de  continuer  sa  faction  avec  armes  et  bagjge,  chose  qui 
paraîtrait  au  moins  singulière  tout  autre  part  que  dans 
un  opéra-comique.  Enfin ,  l'auteur  le  veut  ainsi ,  je  ne  le 
chicanerai  point.  \  Trois  mois  après,  le  régiment  revient 
près  du  moulin;  Marengo  le  précède;  il  apprend  avec 
surprise  que  son  pupille  André  mène  une  vie  assez  douce 
au  moulin  et  qu'il  va  se  marier  a  Laura  ,  fille  du  meu- 
nier. Marengo  s'empresse  d'adresser  un  billet  à  son  pro- 
tégé, pour  l'avertir  du  danger  qui  le  menace.  André,  ne 
répondant  plus  a  l'appel  depuis  trois  mois,  a  été  consi- 
déré comme  déserteur,  el  si  le  régiment  le  saisit,  il  sera 
puni.  Le  fiancé  de  Laura  trouve  ce  billet  sur  la  table,  au 
moment  de  signer  son  contrat  de  mariage  ;  il  quitte  la 
noce  et  va  se  poster  en  faction  sur  le  pont.  Là ,  fidèle  à 
sa  consigne,  il  croise  la  baïonnette  contre  son  beau-pèie, 
contre  Laura  même,  qui  voudraient  passer  pour  aller 
avertir  le  général  autrichien.  Les  Français  vainqueurs, 
annoncés  par  des  coups  de  canon,  arrivent  enfin  et  re- 
trouvent André ,  la  sentinelle  perdue,  au  lieu  même  où 
ils  l'avaient  laissée.  Le  déserteur  supposé  prouve  sa  pré- 
sence au  corps  par  la  constance  qu'il  a  mise  a  garder  le 
poste  qu'on  lui  avait  confié.  Marengo  va  relever  André 
avec  les  cérémonies  d'usage;  tout  le  monde  le  félicite, 
l'embrasse;  André  épouse  sa  bien-aimée  Laura. 

Tel  est  le  tableau  militaire,  troupier,  si  l'on  aime 
mieux  ,  donné  a  M.  Rifaut  pour  le  mettre  en  musique. 
Le  vaudeville  a  pris  des  formes  plus  robustes  sous  la 
main  du  compositeur,  qui  l'a  gonflé  d'une  ouverture  et 
d'une  introduction  assez  bruyantes.  La  scène  de  séduction 
entre  la  petite  fille  et  le  factionnaire  est  d'un  bon  effet; 
le  duo  est  bien  posé  ;  la  mélodie  laisse  pourtant  à  désirer. 
Les  couplets  d'André,  calqués  sur  les  bouffonneries  de 
Charles  Plantade,  deLhudlier,  sont  au-dessous  du  genre 
de  l' opéra-comique.  On  a  beaucoup  applaudi  un  chœur 
en  mouvement  de  valse.  La  musique  de  M.  Rifaut  est 
bien  faite  ;  mais  on  ne  me  trouvera  pas  sévère  si  je  dis 
qu'elle  manque  d'invention.  C'est  encore  un  succès  que 
nous  avons  a  constater.  G.  I.  K. 


FETE  DE  SAINTE  CECILE. 

Cette  solennité  musicale  a  é(é  célébrée  lundi  dernier  ,  24  cou- 
rant, et  aussi  dignement  que  de  coutume,  dans  l'église  de  St.  -Vin- 
cent-de-Paule.  Beethoven  ,  Litz  et  Urkan  (le  fondateur  de  celte 
fêle  tout  artistique)  en  faisaient  les  frais  :  aussi  l'affluence  des 
fidèles  était-elle  considérable.  C'est  qu'eu  effet  il  ne  s'agissait 
de  rien  moins  que  d'entendre  le  grand  duo  de  Beethoven  pour 
piano  et  violon,  dédié  à  Kreutzer  et  exécuté  par  MM.  Listz  et 
IL  han!  Une  telle  réunion  de  talens  consciencieux  n'est  déjà  pas 
chose  assez  commune  pour  que  les  vrais  amateurs  hésitent  à  en 
jouir;  c'est  probablement  pour  cela  qu'une  heure  avant  le  com- 
mencement du  morceau  ,  il  n'était  plus  possible  de  trouver 
une  place  dans  l'église. 

Ces  expressions  de  morceau  et  d'église,  ainsi  rapprochées  au 
hazard  ,  me  rappellent  certaines  observations  critiques  que  j'ai 
recueillies  au  passage ,  et  que  je  consigne  ici  dans  toute  leur 
force. 

Quelques  personnes  donc  (il  est  vrai  qu'elles  n'étaient  pas  les 
mieux  placées)  murmuraient  les  mots  d'inconvenant,  de  scan- 
daleux même,  si  j'ai  de  bonnes  oreilles  :  elles  étaient  choquées 
de  la  présence  d'un  piano  dans  une  église  ;  puis  le  choix  du 
morceau  .  —  De  la  musique  profane  pendant  la  célébration  de 
la  messe:  le  recueillement  des  fidèles  devait  en  être  considéra- 
blement troublé  ;  enfin  cet  appareil  tout  mondain  de  concert , 
quesais-je?  C'est  terrible,  en  vérité,  que  voulez-vous  répondre 
à  des  gens  qui  trouvent  inconvenant  de  faire  de  la  musique 
pour  fêter  une  musicienne?  scandaleux  de  faire  entendre  un 
piano  dans  une  église,  où  l'on  entend  habituellement  un  orgue? 
Le  choix  du  morceau  n'est-il  pas  bien  condamnable,  quand,  de 
tous  les  majestueux  et  sublimes  morceaux  de  Beethoven ,  le 
duo  en  question  est  peut-être  le  plus  majestueux  et  le  plus  su- 
blime? —  Mais  ,  c'est  de  la  musique  profane...  Comment  l'en- 
tendez-vous, s'il  vous  plait?  Sciait-ce  seulement  par  hazard 
que  vous  n'y  trouvez  ni  les  mots  de  Kyrie  eleison  ,  ni  ceux  de 
Sanctus ,  Sabaofh?  et  si  les  mots  seuls  font  pour  nous  la  mu- 
sique, que  de  musique  saccée,  à  votre  compte,  aurait  paru  pro- 
fane au  religieux  Beethoven  !  Quant  au  trouble  considérable 
apporté  au  recueillement  des  fidèles  ,  pendant  la  célébration  de 
la  messe  ,  oh!  de  grâce,  ne  le  mettez  pas  sur  la  conscience  de 
nos  trois  artistes.  Hélas  !  le  recueillement  n'est  pas  une  habitude 
dans  nos  temples:  et  j'ai  vu  telle  cérémonie  ,  telle  orthodoxe  du 
cube  catholique  causer  plus  de  distraction  aux  fidèles  que  ne 
l'a  fait  l'exécution  du  grand  duo.  D'ailleurs  la  grande  musique, 
bien  loin  de  distraire,  absorbe  l'aine,  la  fait  se  concentrer  en  elle- 
même;  puis,  peu-à-peu  l'élève,  et  l'ame,  qui  s'élève  ,  remonte 
nécessairement  jusqu'à  son  créateur.  Quelques  lignes  collées  à 
la  porte  de  quelques  magasins  de  musique  ,  ou  perdues  dans  les 
annonces  de  quelques  journaux,  pour  faire  savoir  que  Listz  et 
Urhan  joueraient  un  duo  de  Beethoven  :  quel  appareil  de  con- 
cert! quelle  pompe  toute  mondaine  ! 

J'aime  mieux  croire,  pour  l'honneur  du  jugement  de  ces  cri- 
tiques retardataires  et  mal  placés  ,  que  leur  dépit  seul  parlait 
en  ce  moment.  INon,  la  musique  profondément  religieuse  de 
Beethoven  ne  sera  jamais  inconvenante  dans  une  église  ;  non, 
le  piano  el  le  violon  ne  seront  jamais  scandaleux  dans  une 
église,  quand  ils  y  réuniront  leurs  accords  pour  fêter  l'harmo- 
nieuse patronne  qui,  la  première,  a  introduit  des  instrumens 
dans  l'église.  C'est  principalement  à  ce  titre  que  Sainte  Cécile  a 
droit  aux  hommages  de  tous  les  instrumentistes.  Pourquoi  donc 


3g4 


GAZETTE  MUSICALE 


île  tous  ces  artistes  ,  Urhan  est-il  le  seul  qui  pense  à  la  fête  de 
Sainte  Cécile  ?  Oh  !  c'est  que  Urhan  ,  homme  et  artiste  à  part  , 
fait  précisément  de  la  Sainte  Cécile  une  fête  tout-à-fait  à  part , 
oh  il  peut  rendre  un  hommage  public  à  l'art  dont  il  nourrit 
religieusement  le  culte  dans  son  âme;  c'est  que,  pour  fêter 
Sainte  Cécile,  il  faut  nécessairement  une  église,  et  que  seulement 
dans  une  église  il  ose  étaler  ces  admirables  pages  de  son  Bee- 
thoven ,  que  le  monde  ne  veut  pas  ou  ne  sait  pas  lire.  Serait-ce 
donc  au  scintillement  coquet  des  lustres ,  au  frôlement  de  la 
moire  et  du  satin,  au  gazouillement  de  nos  dandys  en  gants 
jaunes ,  aux  molles  odeurs  de  ces  houquets  factices ,  les  trois 
quarts  du  maintien  de  nos  belles  de  salon  ,  qu'on  irait  faire  en- 
tendre les  mâles  accents  ,  les  soupirs  mélancoliques  ,  les  phrases 
éloquentes,  les  transports  si  vrais,  si  tendres,  si  passionnes 
d'une  âme  plus  qu'humaine  ?  Oh  !  que  Urhan  a  bien  raison  de 
préférer  une  église!  Remarquez  bien  ensuite  qu'il  ne  prétend 
imposer  le  joug  de  son  goût  à  qui  que  ce  soit  :  sa  fête  ,  il  la  cé- 
lèbre pour  lui  et  comme  il  l'entend  ;  il  n'y  invite ,  il  n'en  re- 
pousse personne:  il  prévient  seulement,  que  tel  jour,  à  telle 
heure  ,  on  exécutera  tel  morceau  de  Beethoven  dans  telle  église  : 
Alors,  comme  une  église  est  ouverte  à  tout  le  monde,  entrera 
qui  voudra  ,  ou  mieux  ,  qui  pourra.  Mais  comme  ,  d'un  autre 
coté ,  toute  manifestation  d'approbation  ou  d'improbation  est 
défendue  dans  une  église,  comprendra  et  jouira  tout  bas  qui 
pourra  ,  s'ennuiera  et  blasphémera  tout  bas  qui  voudra  :  chacun 
en  aura  toujours  pour  son  argent.  Or,  maintenant,  si  dans  cette 
foule  Uihan  a  le  bonheur  de  rencontrer  quelques  âmes    qui 
comprennent  la  sienne  et  qui  jouissent  à  l'unisson  de  celte  ad- 
mirable musique ,  si  libéralement  offerte  ,  eh  bien  ,  ce  sont  tou- 
jours quelques  hommages  de  plus  facilement  rendus  à  cegénie 
de  Beethoven.  Urhan a-t-il  le  malheur  de  ne  pouvoir  pas  se  faire 
comprendre?  il  lui  est  facile  de  s'en  consoler,  puisqu'il  l'ignore; 
parvient-il  enfin  h  convertir  à  la  grande  école  une  ame  égarée 
long-temps  à  la  suite  de  la  musique  mondaine?  celte  concession 
est  un  Douvel  acte  méritoire,  dont  lui  tiendra  compte  le  dieu 
de  l'harmonie.  Cette  manière  d'envisager  l'art  a  bien  aussi  son 
mérite  :  pour  sa  noblesse  et  le  désintéressement  au  moins,  elle 
n'est  pas  de  son  siècle. 

Aussi  pour  s'aider  dans  cette  espèce  d'apostolat  musical, 
Urhan  a-t-il  grand  soin  de  s'adjoindre  des  artistes  aussi  digues 
que  lui  de  la  hauteur,  de  la  sainteté  presque  de  leur  mission  : 
Cette  année  c'était  Lis'z  ,  le  grand  pianiste  ,  qui  prêtait  son  aide 
à  Urhan,  et  Dieu  sait  quelle  aide!  Il  faut  croire  que  le  lieu  même, 
la  circonstance  et  l'amitié  prêtaient  à  Listz  leur  triple  inspira- 
tion ,  leur  triple  enthousiasme  ;  car  jamais  ,  et  nous  en  appelons 
au  souvenir  de  tous  ceux  qui  ont  eu  le  bonheur  de  l'entendre 
lundi  dernier,  non,  jamais  Beethoven  n'avait  trouvé  un  aussi 
éloquent  interprète.  Ainsi,  qui  jamais  a  rendu  et  qui  rendra 
jamais  avec  cette  désespérante  perfection  sa  ravissante  poésie 
du  premier  morceau  ?  Ne  comprenez-vous  pas  la  lutte  impuis- 
sante d'une  ame  aux  prises  avec  une  force  inconnue  et  tenace 
qui  l'embrasse  ,  qui  l'étreint,  qui  l'abat ,  qui  ne  la  laisse  se  re- 
lever que  pour  l'abattre  encore ,  pour  la  dompter  enfin  ?  ne 
vous  sen liez-vous  pas  touché  des  plaintes  de  cette  ame  qui,  n'en 
peut  mais,  qui  cède  parce  qu'il  faut  céder,  mais  qui  semble 
demander  pourquoi  d'une  voix  incertaine  et  tremblante?  ce 
qu'exprime  si  heureusement  cette  petite  phrase  mélancolique 
et  monotone  ,  qui  revient  toujours  après  le  tonnerre  des  plus 
larges  accords  ! 

Et  l'andante  ,  que  de  suavité  !  que  de  grâce  !  que  de  sérénité 


céleste  dans  ce  thème  ,  si  admirablement  varié  pour  le  piano  et 
pour  le  violon,  qui  se  répondenteomme  deux  gémissantes  voix  ! 
n'est-ce  pas  la  plus  douce  prière  de  l'abattement ,  l'hymne  le 
plus  touchant  delà  résignation  et  de  l'espérance  ? 

Et  comme  celte  ame  un  moment  subjuguée,  se  relève  indépen- 
dante, heureuse  et  fièredans  ce  finale,  empreint  de  tant  de  verve 
et  de  lant  d'originalité  !  C'est  un  chant  de  triomphe  ,  commencé 
sur  la  terre  ,  et  qui  va  finir  dans  le  ciel.  Toutes  les  idées  sont 
colossales  dans  Beethoven,  dans  ce  géant  dj  la  musique;  il  faut 
cirait  donc  un  orchestre  entier  pour  exprimer  tout  ce  qu'il  confie 
au  seul  piano  et  au  seul  violon  ;  mais  comme  ces  deux  instru- 
mens  grandissent  sous  le  talent  de  Listz  et  de  Urhan  ,  on  peut 
se  flatter  ,  après  les  avoir  entendus,  d'avoir  compris  Beethoven 
autant  qu'il  était  donné  au  piano  et  au  violon  de  le  faire  com- 
prendre •  aussi  honneur  ,  trois  fois  honneur  et  reconnaissance  à 
Listz  et  à  Urhan  ,  qui  nous  ont  initiés  aux  merveilles  de  cet  ad- 
mirable chef-d'œuvre  !  Courage!  nobles  i  hampions  de  l'art  !  à 
l'œuvre  sans  relàohe  !  vos  travaux  porteront  leurs  fruits  ! 


SECOND  CONCERT  DE  M.  BERLIOZ. 

Nous  ne  prétendons  point  ici  faire  l'analyse  de  la 
symphonie  exécutée  dimanche  dernier  au  Conservatoire. 
Nous  venons  seulement  constater  un  nouveau  triomphe 
d'Hector  Berlioz.  Oui,  nouveau  triomphe,  bien  qu'une 
première  audition  soit  insuffisante  pour  que  le  public , 
les  artistes,  les  musiciens  eux-mêmes,  puissent  pénétrer 
le  sens  d'une  vaste  composition  ;  nouveau  triomphe, 
bien  que  l'orchestre  n'ait  pas  eu  le  temps  de  rendre  l'exé- 
cution digne  de  lui  et  digne  de  l'ouvrage.  Mais  la  foule 
est  venue,  et  la  foule  a  été  attentive,  sympathique,  et 
elle  a  su  faire  la  part  des  circonstances  dont  nous  ve- 
nons de  parler.  Mais  un  morceau  a  été  applaudi  avec 
fureur  et  redemandé  avec  acclamation.  Ce  morceau, 
exécuté  hier,  est  aujourd'hui  célèbre.  Dans  les  salons, 
dans  les  foyers ,  partout  où  l'on  se  rassemble,  l'on  en- 
tend parler  de  la  Marche  des  Pèlerins;  partout  l'on 
s'extasie  sur  l'effet  de  ce  rythme  mystérieux,  de  cette 
prière  a  laquelle  les  arpèges  de  l'alto  principal  prêtent 
une  couleur  si  religieuse,  et  de  cette  cloche  que  l'on  en- 
tend d'abord  dans  le  lointain,  dont  le  son  devient 
toujours  plus  fort  et  plus  distinct  a  mesure  que  les  moi- 
nes avancent  au  monastère,  et  qui ,  lorsqu'ils  sont  en- 
trés dans  la  chapelle,  finit  par  résonner  seule,  en  laissant 
toutefois  parvenir  a  l'oreille  le  murmure  d'une  psalmo- 
die grave  avec  ses  interruptions  et  ses  pauses.  Quel  en- 
thousiasme ne  produira  pas  ce  morceau  et  le  suivant, 
la  Sérénade,  tous  deux  si  frappansjde  vérité  et  saisissans 
de  couleur,  lorsque  les  exécutans,  débarrassés  d'une 
préoccupation  insupportable  et  continuelle,  libres  d'une 
gêne  matérielle,  et  maîtres  de  leurs  parties ,  seront  tout 
entiers  sous  l'influence  des  sentimens  qui  les  domine- 
ront ,  et  lorsqu'ils  seront  devenus  les  interprètes  d'une 


DE  PARIS. 


395 


pensée  devenue  leur  propre  pensée!  Le  public  n'a  pas 
tout  compris,  il  est  vrai,  mais  ce  qu'il  a  compris  lui  ré- 
vèle la  portée  de  ce  qu'il  a  à  comprendre,  et  du  connu 
il  arrivera  a  l'inconnu. 

Nous  reviendrons  sur  cette  symphonie.  Nous  la  mé- 
diterons, nous  l'étudierons  avec  conscience,  et  nous  tâ- 
cherons de  saisir  la  pensée  de  l'auteur  dans  toutes  les  par- 
ties de  son  œuvre.  Pour  le  moment,  nous  ne  pourrions 
que  hasarder  des  conjectures  sur  le  premier  morceau,  et 
surtout  sur  le  quatrième,  l'Orgie  de  brigands ,  dans  les- 
quels, a  travers  des  torrens  d'une  harmonie  encore  obs- 
cure et  nuageuse,  nons  avons  cru  entrevoir  d'étincelan- 
tes  beautés  et  découvrir  des  traits  d'une  expression  vi- 
goureuse et  vraie,  tels  que  cette  terreur  qui  saisit  les  bri- 
gands au  milieu  de  leur  fête  et  de  leur  joie  frénétique, 
lorsqu'un  bruit  de  pas,  entendu  autour  d'eux,  leur  fait 
craindre  une  surprise  fatale.  Mais  nous  pouvons  dire 
dès  a  présent,  sans  crainte  de  nous  tromper,  que  si  Ber- 
lioz semble  particulièrement  doué  de  la  faculté  de  pein- 
dre les  scènes  sombres  et  terribles ,  il  trouve  dans  des  ta- 
bleaux plus  calmes  de  sereines  inspirations,  des  couleurs 
qui  reposent,  des  images  fraîches  aux  nuances  veloutées. 
Les  mélodies  du  premier  allegro,  les  solo  de  cor  anglais 
et  d'alto  principal,  dans  la  Sérénade,  justifient  cette  ob- 
servation. 

Nous  parlerons  aussi  de  cette  fantaisie  sur  l'Orientale 
de  Victor  Hugo,  la  Captive,  chef-d'œuvre  de  mélodie,  de 
science  et  d'instrumentation  ,  comme  la  romance  tirée 
du  roman  de  Marie, est  un  chef-d'œuvre  de  douce  mélan- 
colie et  de  simplicité.  Quant  a  l'ouveiture  de  Waverley, 
rendue  avec  beaucoup  de  feu  par  l'orchestre ,  nous 
avouons  qu'elle  ne  nous  avait  jamais  produit  autant  d'ef- 
fet que  dimanche  dernier.  Il  y  a  loin  de  cette  ouverture  a 
celles  des  Francs-Juges  et  du  Roi  Léar  ;  mais  elle  est 
digne  de  les  précéder. 

On  se  demande  quelquefois  par  quels  procédés  le  com- 
positeur qui  ne  joue,  comme  Berlioz,  d'aucun  instru- 
ment obtient  les  effets  extraordinaires  d'instrumenta- 
tion qui  abondent  dans  ses  symphonies.  A  cela  on 
peut  répondre  par  un  seul  mot  :  Je  génie.  Or  le  gé- 
nie ne  s'apprend  pas.  On  ne  l'acquiert  pas  au  moyen 
d'une  méthode.  Le  génie  est  une  révélation.  Ber- 
lioz ne  joue  d'aucun  instrument,  a  la  vérité;  mais  il 
joue  de  tous  à  la  fois,  c'est-à-dire  que  son  instrument, 
c'est  l'orchestre,  et  de  même  que  l'instrumentiste  n'a  pas 
besoin  de  mettre  les  doigts  sur  son  piano  ou  d'emboucher 
la  clarinette  pour  avoir  l'idée  des  différens  timbres  qui 
correspondent  aux  différentes  notes  aux  perceptions  des- 
quelles il  rapporte  ses  mélodies,  de  même  aussi  les  effets 
d'orchestre  se  révèlent  instinctivement,  soudainement  et 


sans  effort  a  l'instrumentaliste,  comme  le  peintre  conçoit 
un  tableau  dans  son  imagination  avec  ses  contrastes 
d'ombres  et  de  lumières. 

Berlioz  a  déjà  plus  de  renommée  que  tels  ou  tels  com- 
positeurs, auteurs  de  plusieurs  opéras  qui  n'ont  manqué 
ni  d'exécutans  ni  de  prôneurs  ;  et  pourtant  les  portes  du 
théâtre  lui  sont  encore  fermées,  Isolé  de  toute  coterie,  il 
a  pris  à  partie  le  public,  et  a  obtenu  au-dehors  de  bril- 
lans  succès.  Seul,  il  s'est  fait  une  scène,  des  drames,  un 
orchestre.  Mais  ,  dira-t-on  peut-être,  ce  n'est  pas  que 
nous  contestions  le  talent  du  jeune  artiste ,  mais  vous 
avouez  que  le  public  a  peine  a  comprendre  sa  musique  ; 
c'est  précisément  pour  cela  que  nous  n'en  voulons  pas. 
—  Oui ,  nous  admettons  que  la  musique  de  Berlioz  con- 
trarie les  habitudes  du  public.  Cependant  vous  voyez 
que  le  public  s'y  fait.  Et  puis,  de  ce  qu'un  artiste  n'est 
pas  compris,  faut-il  couclure  que  les  moyens  de  se  faire 
comprendre  doivent  lui  être  refusés?  Du  reste,  le  théâtre 
change  la  question.  Au  théâtre,  le  poème  est  un  inter- 
prète suffisant  de  la  musique.  Vous  avez  dans  les  ballets, 
dans  les  décors,  dans  les  chanteurs,  de  brillans  acces- 
soires et  des  compensations  certaines.  Oui,  le  public  n'ap- 
préciera pas  tout  d'un  coup  le  mérite  d'un  opéra  écrit 
par  l'auteur  de  la  Symphonie  fantastique.  Mais  il  se  trou- 
vera la  encore  quelque  Marche  du  supplice,  quelque 
Prière  des  Pèlerins  qui  l'électrisera.  Peut-on  dire  que 
le  public  apprécie  aujourd'hui  toutes  les  beautés  d'un 
Don  Giovani,  d'un  Guillaume-Tell,  d'un  Rohert-le- 
Diable?  Assurément  non,  et  voyez  pourtant  le  succès, 
la  vogue  opiniâtre  de  ces  ouvrages  !  Chaque  jour  le  jeune 
artiste  recrute  dans  le  public  une  masse  formidable  con- 
tre laquelle  vous  ne  pourrez  bientôt  plus  résister.  Croyez- 
nous,  n'attendez  pas  qu'il  vous  force  la  main  ;  il  vous 
sera  plus  glorieux  de  la  lui  tendre. 


NOUVELLES. 

♦  Aujourd'hui  troisième  et  dernier  concert  de  M.  Hector 
Be*  lOZ.  Nous  ne  doutons  que  la  salle  du  Conservatoire  ne  soit 
remplie  de  bonne  heure  d'amateurs  avides  d'écouter  avec  un 
silence  religieux  la  indique  do  ce  jeune  et  déjà  célèbre  compo- 
siteur. Mademoiselle  Heinefetter  vient  d  arriver  a  Pans  pour 
remplir  une  promesse  faite  à  M.  Berlioz.  Nous  1  entendrons  au- 
jourd'hui même  ;  elle  chantera  un  air  de  Domzetti. 

*  On  parle  déjà  beaucoup  dans  les  salons  d'une  nouvelle 
scèVe  en  forme  de  romance  ,  de  M.  Meyerbeer :  le  Moine. Ce 
morceauqui  fera  époquescra  incessamment  publie  dans  1  Hom- 
mage aux  Dames,  album  de  chant. 

*  Aux  Bouffes  ,  toujours  même  affluence  ;'il  est  impossible 
deVouver  place  à  ce  théâtre,  où  les  plus  brillantes  toilettes 
sont  de  rigueur  cette  année. 

•  M.  Strauss,  le  compositeur  et  exécutant  de  valses  de 
Vienne,  qui  jouit  d'une  .grande  renommée  pour  ce  genre  de 
musique,  est  dans  ce  moment  à  Berlin;  il  y  est  arrive  avec  son 
orchestre  composé  do  trente  personnes. 


396 


GAZETTE  MUSICALE  DE  PARIS. 


t.*+  Le  théâtre  Naulique  nous  a  fait  entendre  hier  soir  pour 
la  première  fois  une  partie  des  chœurs  du  théâtre  Allemand, 
qui  ont  produit  un  effet  magique.  Si,  comme  tout  le  fait  espé- 
rer, la  troupe  allemande  se  compose  d'artistes  habiles,  l'hiver 
ne  pourra  manquer  d'être  productif  à  ce  théâtre  qui  mérite  , 
sous  tous  les  rapports,  des  encouragemens   du  gouvernement. 

%  Robert-le-Diable  vient  d'être  représenté  à  Calais  avec 
le  sucrés  que  M.  Meyerbeer  est  accoutumé  à  obtenir  partout 
aujourd'hui.  Les  acteurs,  le  décorateur,  ont  eu  également  droit 
au*  applaudisssmens  du  public. 

+%  Un  petit  ballet  en  deux  actes,  de  la  composition  de 
M.  Henri,  sera  mis  à  l'étude  à  l'Académie  Royale  de  Musique 
aussitôt  que  ce  théâtre  nous  aura  montré  la  Juive,  d'Halévy, 
que  l'on  répète  avec  activité. 

+%  La  117e  représentation  de  Robert  à  l'Opéra  a  pro- 
duit 9^88  fr.,  et  l'on  a  renvoyé  plus  de  5oo  personnes  qui  n'ont 
pu  trouver  place  dans  la  vaste  salle  de  l'Opéra. 

+.*.  M.  Serda,  qui  est  dans  ce  moment  à  Bruxelles,  est  en- 
gagé à  l'Opéra  pour  le  mois  d'avril  prochain.  Ce  théâtre  pos- 
sédera alors  les  deux  plus  brillantes  basse-tailles  français. 

»%  Les  amateurs  de  musique  d'Orléans  viennent  de  fonder 
un  institut  musical.  Deux  cours  de  musique,  dont  un  gratuit, 
seront  professés  d'après  la  mélhode  de  Choron.  Un  troisième 
cours  de  chant  et  de  vocalisation  sera  ouvert  incessamment. 
Des  classes  d'instrument  seront  créées  plus  tard ,  suivant  les 
ressources  de  la  Société,  qui  ne  consistent  que  dans  les  sous- 
criptions des  amateurs.  Nous  espérons  que  le  gouvernement, 
et  surtout  le  maire  de  la  ville  d'Orléans  accorderont  appui  et 
protection  à  un  établissement  aussi  utile. 

*%  Les  musiciens  de  Lille  ont  célébré  la  Sic  Cécile  d'une  ma- 
nière inusitée.  Au  lieu  de  faire  chanter  une  graud'messe  , 
comme  ils  en  avaient  l'habitude,  ils  se  sont  réunis  an  nombre 
de  plus  de  cent ,  et  ont  parcouru  les  principales  rues  de  la  ville 
en  exécutant  des  pas  redoublés  avec  un  ensemble  et  un  accord 
qu'on  était  loin  d'attendre  d'une  aussi  grande  réunion.  Arrivés 
sur  la  grande  place,  ils  ont  exécuté  avec  une  verve  extraordi- 
naire l'ouverture  de  la  Muette  et  la  valse  de  Robert-le-Diable 
Le  public  ,  qui  était  accouru  en  foule ,  a  témoigné  par  des  ap- 
plaudissemens  tout  le  plaisir  qu'il  éprouvait. 

k*  On  parle  au  théâtre  de  la  Bourse  d'un  ouvrage  en  trois 
actes,  le  Duc  de  Guise  à  Nuples ,  dont  le  poème  est  attribué 
à  M.  Théodore  Anne,  connu  dans  la  littérature  par  plusieurs 
■vaudevilles  et  quelques  livres  politiques,  et  la  musique  à  M.  Ri- 
faut,  l'auteur  de  celle  de  la  Sentinelle  perdue. 

*%  L'Opéra-Comique  a  reçu  cette  semaine  un  ouvrage  dont 
la  musique  est  d'un  jeune  compositeur  de  Boulogne,  le  poème 
de  M.  Villain-Saint-  Hilaire.  Cet  ouvrage  avait  déjà  été  reçu 
par  le  comité  de  ce  théâtre  sous  l'administration  de  M.  Paul. 

*%  MM.  Sowinsky  et  Piobrechls  donnent  en  ce  moment  de 
brillans  concerts  à  Caen.  Ces  artistes  habiles  parcoureront  une 
partie  de  la  France  avant  de  revenir  à  Paris. 

+*+  Il  est  question  du  prochain  début  à  l'Opéra  de  made- 
moiselle Zélie  Pierson,  sœur  de  la  charmante  Louise  Pierson  , 
sitôt  enlevée  à  son  art;  cette  jeune  personne  a  subi  vendredi 
dernier  un  examen  en  présence  de  MM.  "Véron  ,  Duponchel  et 
Coraly.  Elle  s'en  est  acquittée  de  façon  à  donner  les  plus 
grandes  espérances. 

*%  Madame  Filippowicz  ,  qui  récemment  a  obtenu  beau- 
coup de  succès  à  l'Opéra-Comique,  et  qu'ait  justement  appréciée 
comme  violon  de  premier  ordre,  vient  de  quitter  Paris  ;  elle 
donnera  des  concerts  à  Lille,  Arras  ,  Bruxelles  et  Amsterdam. 

t*+  Pour  les  débuts  de  mademoiselle  Brambilla  nous  verrons 
incessamment  la  Semiramide. 

^Les  soirées  musicales  de  M.Zimmermann  prennent  chaque 
mois  un  essor  plus  grand.  Jeudi  dernier  nous  y  avons  en- 
tendu,  le  grand  septuor  de  Muminel,  exécuté  avec  lalenl  par 
M.  Cholet;  un  duo  chanté  par  H.  Nourrit  et  MUe  Falcon  ;  un 
concerto  de  Chopin ,  joué  avec  une  perfection  rare  par  un  en- 
fant de  10  ans,  le  petit  Goréat,  élève  de  M.  Zimmermann  ;  on 
a  particulièrement  remarqué  et  applaudi  une  fantaisie  pour  le 
violon  sur  Ecco  rident::  .'e  Rossiui ,  composé  et-exécutépar 
M.  P.inofk.i ,  dont  nous  avons  déjà  parlé  lors  de  son  brillant 
début  au  premier  concert  de  M.  Berlioz.  Un  quatuor,   chanté 


par  MM.  Dupont  Piog,  Prévost  et  Derivis;  mérite  des  éloges, 
ce  morceau  remarquable  est  de  M.  Clapisson  ;  nous  l'enga- 
geons beaucoup  aie  publier,  et  nous  nous  ferons  un  devoir 
d'en  faire  une  analyse  détaillée. 

■*+  Les  débuts  de  mademoiselle  Anuette  Lebrun  à  l'Opéra- 
Comique  donnent  les  plus  belles  espérances.  Que  cette  jeune 
et  jolie  personne  continue  à  travailler  ,  et  elle  sera  une  canta 
trice  de  premier  ordre 

+*+  Strasbourg  ,  du  28 noembre.  —  Une  nombreuse  et  bril- 
lante société  s'était  réunie,  mercredi  dernier,  à  la  reprise  de 
Robert-le-Diable,  donnée  au  bénéfice  de  M.  Julien.  Cette  a f- 
fluence ,  qui  n'a  manqué  à  aucune  des  représentations  de  cet 
opéra ,  était  un  nouvel  hommage  rendu  à  la  sublime  partition 
de  Meyerbeer,  au  luxe  de  la  mise  en  scène  ,  aux  efforts  de  tout 
genre  faits  par  le  directeur,  M.  Brice,  pour  que  l'exécution  fût 
digne  de  l'ouvrage,  et  enfin  du  talent  de  M.  Julien,  dont  la 
voix  se  déploie  avec  tant  de  charme  et  d'éclat  dans  le  rôle  de 
Robert.  Les  autres  sont  tous  remplis  d'une  manière  distinguée. 
La  voix  ronde  et  sonore  de  M.  Roy,  l'intelligence  |avec  laquelle 
il  a  saisi  la  sombre  physionomie  de  Bertram  ;  le  brillant  ,  la  lé- 
gèreté, l'articulation  parfaite  de  Mme  Valmont  ;  la  mélhode 
exquise  de  Mlle  Ferrant!,  ;et  le  tmbre  pur  de  son  organe;  le 
chant  souple  et  facile  de  M.  Lange  :  voi'à  des  élémens  de  succès 
inconlestaibes,  qui  nous  prome'tent  une  suite  de  brillantes 
sobées.  Les  danses  fantastiques,  les  décors  du  troisième  et  du 
cinquième  actes,  el  généralement  la  Iraîcheuret  la  richesse  des 
costumes,  attestent  qu'on  a  voulu  nous  séduire  aussi  bien  par 
les  yeux  que  pur  l'aine  et  les  oreilles. 

Pour  paraître  le  13  décembre  chez  Maurice   Sehlesinger  : 


ILB   IBilILie, 


ETRENNES     AUX      PIANISTES, 

Contredanses ,  Valses  et  Galops  ,  composés  pour  le  piano ,  par 

K.ALKHRENNER  ,   F.  HUNTEN,  DESSVUER.    REISSIGER  ,  ALARY  , 
LANNER  ,  STRAUSS  ,  MUSARD   ET  TOLBECQUE. 

Elégamment  relié,  tranche  dorée.      Net.      1 5  fr. 
Relié  en  soie,  tranche  dorée.   .     .     Net.     ao  fr. 

CET  ALBUM  CONTIENDRA  : 

Tolbecque.  Les  Salous  de  Paris  ,  quadrille  et  valse.  —  Des- 
sauer  Galop  Bohémien.  —  **'*.  Galop  polonais.  —  Strauss. 
Galop  de  Vienne;  galop  avec  clochette. —  F.  Hunten.  Ga 
lop  parisien.  —  Reissiger.  Galop  Saxon.  —  Strauss.  A  la  plus 
Belle  ,  nouvelles  valses  favorites  de  Vienne.  —  Kalkbrenner. 
Valse  brillante.  —  F.  Hunten.  Coblentz,  valse  favorite.  — 
Alarj.  Valse  favorite  de  Milan.  —  Lanne^.  Ne  m'oubliez  pas, 
cotillons  et  galops  ;  Claire,  valse  favorite  de  Vienne.  —  Mu- 
sard.  Quadrille  Anglais  et  valse. 

HOMMAGE    AUX   DAMES, 

9,,,e     ANNÉE. 

Recueil  dei5   Romances  et  Nocturnes  inédits,  avec  accompa- 
gnement de  piano,  composés  par 

ADAM,    ALART,  BELT.IKI,  CARAFA  ,  FEREOL  ,  HALEVY,  LEJEY-MILAND  , 
MEYERBEER,  MARMONTEL  ,  PAER  ET  QUESNEL. 

Elégamment  relié,  doié  sur  tranche.     Net.     i5fr. 
Relié  en  soie,  tranche  dorée.   .     .     .     Net.     20  fr. 

CET  ALBUM  CONTIENDRA  : 

Meyerbeer.  Le  Moine.  —  Halévy.  La  Maîtresse  duJBaridit. 

—  Adam.  Oh!  crue  je  hais  ma  pension.  —  Paer.  La  Confes- 
sion. —  Béllini.  Il  rimprovero Carafa.  Son  g/i  ocehi  di. 

—  Alaiy.  Jane  Shore,  et  Nocturne  italien.  —  Féréol.  Chante 
le  repos  el  la  dame  an  collier  d'or.  —  Lejey-lrfiland.  Les  Clo- 
ches du  soir  et  le  jeune  Enfant.  —  Q»esnel.  Pas  d'amour  et 
fais-toi  Corsaire.  —  Marmontel.  —  L'Elégante  des  bords  du 
Missouri. 

MM.  les  abonnés  recevront  avec  le  N°  49  de  la 
Gazette  Musicale  :  Le  Galop  des  Lanterne  de  Chao- 
Kang,  arrangé  pour  le  piano,  par  Kalkbrenner. 

Gérant,  MAURICE  SCHLESINGEB. 


GAZETTE   MUSICALE 

RÉDIGÉE    PAR   MM.    ADAM,    G.    E.    ANDERS ,  BERTON  (membre    (le  l'Inslitlll),    BERLIOZ,   CASTIL-BLAZE ,  A.  GUEMER  ,  HALÉVY 

(professeur  de  crulrepoint  au  Conservatoire),  Jules  jasin  ,  liszt,  lesceur  (membre  de  l'Institut),  j.  mainzer,  marx 
(rédacteur  de  la  gazette  musicale  de  berlik),  d'ortigue  ,  pa.nofka  ,  richard,  j.  g.  seyfried  (maître  de  chapelle 
a  Vienne),  f.  stœpel.  etc. ,  etc. 


1"  ANNÉE. 


n°  50. 


PRIX  DE  l'aBONNEM. 

PARIS. 

DÉPART. 

ÉTRAMG 

f.-. 

Fr.       r. 

Fr.       c. 

S  m.    8 

8  rs 

9     50 

6m.  15 

(6     50 

18      .. 

lan.30 

33    .. 

36    » 

£h  (Sazette  iïtueicale  X>e  sparts 
Paraît   le  DIMANCHE  de  chaque  semaine. 

On  s'abonne  au  bureau  de  la  Gazette  Musicale  de  Paris,  rue  Richelieu,  97^ 

chez  MM.    les  directeurs  des   Postes,  aux  bureaux  des  Messageries, 

et  chez  tous  les  libraires  et  n  archands  de  musique  de  France. 


Ou  reçoit   les  réclamations  dei 


qui  oui  des  griefs  à  exposer,  et  les  avis  relatifs  à  la  musîc[ii> 
vent  intéresser  le  public. 


PARTS.  DIMANCHE  U  l-ECEMBRE  1834. 


Konobslant  les  suppld- 
mens,  romances,  fac  sir 
mile  de  l'écriture  d'au- 
teurs célèbres  et  la  galerie 
des  artistes  ,  MM.  les 
abonnis  de  la  Gazette 
Mu  haïe  de  Paris ,  re- 
(cveronl  le  premier  de 
chaque  mois  un  morceau 
de  musique  de  piano. 

Les  lettres,  demandes 
et  envois  d'argent  doi- 
vent être  affranchis,  et 
adressés  au  Directeur , 
rue  Richelieu.  97. 


L  HOMME   VERT, 

COMTE       FANTASTIQVE  , 

Jpûr  ilt.  1  3amn, 

Ceci  est  une  aventure  tirée  des  Mémoires  d'un  musi- 
cien. Les  détails  de  cette  histoire  sont  simples  et  si  tou- 
chans,  que  je  les  ai  tous  réunis  pour  1<  s  rendre  tels  que 
je  les  aiappiis  et  reçus;  aux  musiciens  jeunes  et  vieux, 
qui  nous  lisent  réunis  qu'ils  sont  par  l'amour  de  l'art, 
cette  belle  et  innocente  passion. 

—  J'étais  encore  un  enfant,  mais  un  enfant  de  seize 
ans  (c'est  le  musicien  allemand  qui  parle),  que  déjà  je 
me  croyais  un  maître.  J'étais  si  jeune  !  et  parce  que  déjà 
mon  violon  résonnait  sur  l'archet  en  mille  accords,  je 
croyais  n'avoir  presque  plus  rien  a  faire.  Heureuse  pré- 
somption de  l'âge!  Mon  père,  qui  était  un  musicien  de  la 
vieille  roche,  était  lier  de  moi,  non  pas  comme  un  maître 
est  fier  de  son  élève,  mais  comme  un  père  est  fier  de  son 
fils.  Du  reste,  je  travaillais  la  nuit  et  le  jour.  Mon  vio- 
lon était  ma  vie  ,  et  je  m'abandonnais  d'autant  plus  a 
cette  ardeur  musicale,  que  je  croyais  déjà,  moi-même  ce 
pauvre  commençant,  que  chaque  jour  j'allais  atteindre  à 
la  perfection. 

Cependant  je  n'étais  pas  le  seul  obsédé  de  la  même 
passion  dans  notre  petite  ville  allemande.  Plusieurs  jeunes 
maîtres  comme  moi  s'abandonnaient  a  la  même  frénésie 
musicale.  Nous  eûmes  bientôt  arrangé  un  quatuor,  le 
quatuor,  ce  rêve  de  tout  musicien  qui  commence! 


Toute  la  rue  venait  trois  à  quatre  fois  par  semaine  chez 
mon  père  écouter  nos  quatuors.  Nous  donnions  a  tous 
nos  voisins  autant  et  plus  d'harmonie  qu'ils  n'en  pou- 
vaient prendre  dans  une  soirée.  Us  nous  écoutaient,  ils 
nous  louaient,  ils  nous  admiraient,  ils  nous  applaudis- 
saient; ils  faisaient  merveilleusement  leur  partie  dans  les 
concerts  de  notre  éducation  musicale.  Pour  ma  part,  je 
ne  crois  pas  qu'en  aucun  temps  de  ma  vie  j'aie  joué  du 
violon  avec  plus  d'amour  et  plus  d'orgueil. 

Un  soir  d'automne,  1  air  était  doux  et  limpide,  le  ciel 
était  calme,  la  terre  tournait  sur  elle-même  avec  un  mou- 
vement plus  lent  que  de  coutume,  et  nos  violons  se  res- 
sentaient de  tout  ce  calme  si  doux ,  quand  tout  à  coup, 
au  milieu  du  vaste  salon  de  mon  père  où  nous  donnions 
nos  concerts,  nous  vîmes  entrer  un  homme  de  l'appa- 
rence la  plus  étrange.  Il  portait  de  petites  culottes  étroites 
d'une  coupe  fort  antique  et  de  couleur  violette,  pauvre 
velours  usé  et  qui  avait  perdu  son  éclat;  ses  bas  de  laine 
étaient  bleus  et  a  carreaux  ;  ses  souliers ,  très-recouverts, 
étaient  ornés  d'agraffes  en  argent.  Tout  ce  costume,  déjà 
si  bizarre,  était  complété  par  un  habit  vert  perroquet, 
et  rehaussé  par  de  larges  etflamboyans  boulons  en  acier; 
au-dessus  de  cet  habit  on  vovait  une  immense  cravate 
noire,  et  au-dessus  de  la  cravate  une  tète  mélan- 
colique :  cette  tète  était  ornée  de  longs  cheveux  bou- 
clés. Cet  homme  était  sans  sourire,  mais  ses  yeux  étaient 
vifs  et  ardens.  Il  entia  chez  mon  père  sans  se  faire  an- 
noncer, puis,  voyant  dans  le  coin  de  la  salle  une  petite 


GAZETTE  MUSICALE 


place  -vide  a  côté  de  la  jolie  Nanrel,  ma  couùne,  il  fut 
s'asseoir  à  cette  place,  après  quoi,  prenant  un  air  atten- 
tif, il  prêta  l'oreille  au  quatuor. 

Mais  la  présence  de  cet  étranger  nous  avait  tous  frappé 
de  je  ne  sais  quelle  peur  immense  et  inexplicable.  A  peine 
il  fut  assis  à  côté  de  la  jolie  Nanrel ,  que  la  mesure  man- 
qua à  nos  quatre  violons.  En  vain  mon  père  accourut  à 
notre  secours,  et  mon  pèrec'était  un  habile  musicien,  rien 
n'yfit;  tout  le  quatuor  fut  dérangé.  Alors  l'étrangerse  leva 
et  vint  a  moi,  et  d'un  air  sévère  :  «  Jeune  homme,  me  dit- 
il  ,  votre  ardeur  vous  emporte  trop  loin  ;  vous  êtes  atta- 
ché à  un  archet  trop  fougeux  pour  vous  ;  c'est  la  un 
instrument  qu'il  ne  faut  pas  toucher  à  l'improviste ,  de 
peur  de  se  brûler  les  doigts.  »  Puis  se  tournant  vers  mes 
trois  confrères,  il  adresse  a  chacun  d'eux  des  paroles  de 
reproche,  avec  un  air  de  doute  sur  leur  avenir  d'artiste , 
qui  rendait  ces  paroles  bien  cruelles.  Pour  moi,  j'avoue 
que  je  sentis  un  froid  mortel  circuler  dans  mes  veines, 
quand  je  vis  l'air  méprisant  de  l'étranger  :  je  me  croyais 
si  fort  un  excellent  violon  1  Cependant  l'homme  vert  ra- 
massa mon  archet  que  j'avais  laissé  tomber,  il  prit  mon 
violon  de  mes  mains,  et  il  se  mit  a  en  jouer.  Alors  je  me 
sentis  plus  humilié  que  jamais. 

Mais  aussi  quelle  verve!  et  quel  jeu  admirable!  et 
quels  accords  venus  du  ciel  !  et  quelles  plaintes  harmo- 
nieuses tirait  l'étranger  de  mon  violon  !  On  eût  dit  qu'une 
âme  invisible,  cachée  dans  ce  bois  sonore,  étaitsubitement 
réveillée  par  un  rayon  venu  d'en  haut.  Jamais,  non ,  ja- 
mais, même  dans  mes  songes  d'été,  je  n'avais  rêvé  cet 
idéal  !  Oui ,  à  coup  sûr  c'était  un  esprit  invisible  et  char- 
mant qui  chantait  dans  mon  violon  obéissant  aux  doigts 
de  l'homme  vert. 

Quand  l'étranger  eut  déposé  son  instrument,  on  l'é- 
coutait  encore.  Aux  premières  notes  qu'il  avait  laissé 
tomber  de  son  archet,  toute  l'assemblée  s'était  levée  d'un 
mouvement  unanime;  et  maintenant  qu'elle  n'écoutait 
plus,  elle  applaudissait  de  ce  murmure  silencieux  qui 
vaut  mieux  que  les  plus  bruyans  bravos  de  ce  monde. 
Mon  père  fut  le  premier  qui  prit  la  main  de  l'étranger,  et 
qui  lui  adressa  de  respectueuses  paroles  de  bien-venue. 
L'homme  vert  cependant,  rendu  a  toute  sa  modestie  na- 
turelle, rougissait  de  tant  d'hommages.  La  foule  enfin 
prit  congé,  et  nous  restâmes  seuls,  mon  père,  moi  et 
l'homme  vert. 

Nous  savions  que  dans  notre  bonne  petite  ville  il  y 
avait,  ce  même  mois  de  septembre,  une  réunion  de  grands 
maîtres  allemands  qui  devaient  former  un  savant  et  utile 
congrès  musical;  naturellement  nous  fûmes  persuadés 
que  l'homme  vert  était  un  maître  nouvellement  arrivé 
pour  l'assemblée,  et  mon  père  s'empressa  de  lui  offrir 


l'hospitalité  de  sa  maison  :  l'homme  vert  accepta  en  nous 
tendant  la  main.  Le  voilà  donc  notre  hôte;  le  voila  assis 
a  notre  table,  assis  a  notre  foyer  domestique  comme  le 
frère  de  mon  père.  Simple,  et  bon,  et  savant,  Dieu  le 
sait  !  Surtout  son  grand  et  inépuisable  sujet  de  conver- 
sation, c'était  la  facture  des  instrumens,  et  les  meilleures 
combinaisons  a  employer  pour  arriver  a  des  résultats  in- 
croyables et  tout  nouveaux;  une  fois  sur  ce  sujet, 
l'homme  vert  ne  tarissait  plus. 

Voila  la  vie  que  nous  menions  depuis  quinze  jours, 
entourant  notre  bon  hôte  de  tous  les  soins  qu'il  méritait, 
prêtant  l'oreille  a  ses  leçons ,  et  le  bénissant  dans  notre 
caîurde  tous  ses  conseils  quand  il  nous  disait  :  «  Jeunes 
gens,  aimez  la  musique  ;  c'est  le  pain  des  âmes  ;  la  mu- 
sique nous  fait  mieux  connaître  le  but  de  la  vie  ;  c'est 
l'immortalité  de  la  terre.  »  Ainsi  parlait-il.  Mais  si  par 
hasard  survenait  un  étranger,  notre  savant  ami  s'en- 
fuyait dans  le  jardin.  Il  aimait  a  être  seul ,  ou  du  moins 
à  être  seul  avec  nous.  Un  jour  cependant  arriva  chez 
mon  père  un  de  ses  amis  nommé  Kurz,  riche  marchand 
de  bois  des  environs.  Ce  bonhomme  Kurz,  a  vrai  dire, 
n'était  guère  homme  à  mon  goût.  Il  était  riche,  il  était 
généreux;  il  ne  savait  que  vendre  cher  et  acheter  a  bas 
prix  ;  c'était  un  homme  comme  tous  les  hommes  ;  moins 
que  rien,  pour  moi  fils  d'artiste  et  qui  n'aimais  que  les 
artistes.  A  l'aspect  du  marchand  de  bois,  l'homme  vert 
sortit  àlahâte;  mais  Kurzl'avait  déjà  entrevu  et  reconnu; 
et  le  suivant  des  yeux:  «  Quel  homme  avez- vous  recueilli 
chez  vous,  »  dit-il  à  mon  père;  »  vous  avez  là  un  singu- 
lier hôte,  sur  ma  parole,  et  ma  foi  j'aurais  plutôt  parié 
qu'il  était  au  fond  de  l'eau  que  dans  votre  maison.  » 
Ainsi  parla  M.  Kurz. 

—  Vous  le  connaissez  donc,  s'écria  mon  père  avec 
une  curiosité  mal  déguisée? 

— Si  je  le  connais!  dit  M.  Kurz.  Il  along-temps  habité 
mon  village  ;  il  a  nom  Beze,  il  est  charpentier  de  son 
état:  mais  c'est  un  homme  fantasque  qui  s'occupe  fort 
peu  des  choses  de  ce  monde.  11  y  a  quelque  temps 
que  l'orgue  de  notre  petite  église  ayant  perdu  le  son ,  la 
commune  résolut  d'avoir  un  orgue  tout  neuf  ;  aussitôt 
votre  hôte,  Beze,  vint  nous  proposer  ses  services.  Il  se 
chargeait  de  construire  l'orgue  tout  seul  à  ses  frais;  il 
ne  demandait  que  les  matériaux.  Il  avait  l'air  si  con- 
vaincu, et  son  offre  était  d'ailleurs  si  acceptable,  qu'elle 
fut  acceptée.  Le  voilà  donc  qui  se  met  à  l'ouvrage;  il 
arrange,  il  dérange,  il  prépare,  il  appartient  à  son  œuvre 
corps  et  âme;  il  y  passe  la  nuit,  il  y  passe  le  jour,  il  en 
perd  le  boire  et  le  manger.  Enfin  son  œuvre  est  achevée. 
L'orgue  résonne  dans  l'église,  et  jamais  on  n'avait  vu  n'en 
de  plus  beau.  On  arrive  de  toutes  parts  pour  admirer  ce 


chef-d'œuve.  Nous  accourons  tous  nous  autres  les  nota- 
bles de  l'endroit;  tout  le  village  est  dans  l'attente.  Beze 
cependant  nous  explique  le  mécanisme  de  son  instru- 
ment; il  entre  dans  les  plus  minutieux  détails  ;  il  poursuit 
chacune  de  ses  démonstrations.  En  même  temps,  pour 
dernière  démonstration,  il  se  met  a  l'orgue  et  il  en  joue. 
Nous  étions  tout  oreilles  et  tout  silence,  et  nous  enten- 
dions a  peine  mille  sons  confus  et  sans  aucun  sens.  Aus- 
sitôt le  vieil  organiste  de  la  paroisse,  hors  de  lui,  sort 
des  rangs,  impatient  de  nous  montrer  son  savoir  faire 
sur  cet  instrument  si  noble  et  si  beau  ;  mais  l'instrument 
est  rebelle  a  toute  mélodie.  Alors  mille  brocards  de  pieu, 
voir  surle  malencontreux  ouvrier  :  d'une  commune  voix 
son  orgue  est  déclaré  détestable.  Enfin  grand  tumulte 
dans  l'église.  Beze  cependant  n'en  fut  pas  intimidé;  il 
sortit  en  jetant  sur  nous  un  regard  ironique,  et  comme 
s'il  avait  fait  un  chef-d'œuvre  méconnu.  Voila,  mon 
cher  ami ,  l'hôte  illustre  que  vous  recevez  chez  vous  ! 

Ainsi  parla  M.  Kurz  ,  avec  cette  facilité  empesée  d'un 
ignorant  qui  se  sent  assez  d'argent  pour  s'élever  jusqu'à 
la  fatuité.  Je  ne  sais  pas  ce  que  dit  ensuite  ce  marchand  ; 
il  m'aurait  été  impossible  d'entendre  parler  ainsi  plus 
long-temps  de  mon  ami  ;  j'entrai  dans  le  jardin  pour  le 
rejoindre.  En  effet,  il  était  au  jardin,  a  sa  place  accou- 
tumée,surle  gazon,  aupied  du  grand  pommier,  le  visage 
tourné  vers  le  soleil  couchant.  Quand  il  m'eut  aperçu, 
il  me  fit  signe  d'approcher.  «Voyez,  me  dit-il  d'une 
voix  émue,  comme  le  soleil  se  couche  la-bas  dans  toute 
sa  splendeur;  eh  bien,  le  moindre  nuage  peut  obscurcir 
cet  éclat  de  feu.  Telle  est  l'histoire  de  l'homme  de  génie; 
les  propos  d'un  ignorant  peuvent  le  ternir  un  instant, 
mais  aussi  le  premier  souffle  chasse  le  nuage  d'un  jour.» 

J'étais  profondément  ému  de  ces  mélancoliques  pa- 
roles; je  voulus  rassurer  mon  ami.  «  Oh  !  me  dit-il,  je 
ne  crans  rien  ;  mon  àme  ne  peut  pas  être  troublée  par 
le  vulgaire;  je  sais  bien  que  le  progrès  n'est  pas  chose  si 
facile,  et  qu'attendre  est  tout  en  ce  monde.  L'exemple  de 
nos  pères  nous  a  été  inutile;  toute  perfection  est  assurée 
d'être  repoussée  par  les  hommes  ;  tirez-les  de  la  routine, 
ils  feront  le  signe  de  la  croix  comme  s'ils  avaient  vu 
l'Ante-Cbrist  !  Mais  après  Dieu  le  temps  est  le  maître.  Ce 
bel  orgue  que  j'ai  construit,  ce  grand  ouvrage  de  mes 
mains,  possède  une  âme  ,  mais  il  faut  un  homme  qui 
réveille  cette  àme  endormie.  C'est  l'histoire  du  cheval 
d'Alexandre,  qui  n'a  pu  être  monté  que  par  Alexandre. 

En  même  temps  le  soleil  jetait  un  demi'  r  adieu  à  tout 
le  paysage;  la  lumière  s'en  allant  par  degrés,  remontait 
au  ciel  en  glissant  légèrement  sur  les  montagnes.  «  Mon 
ami,  reprit  l'homme  vert,  qu'importe  d'ailleurs  l'âme 
insensible  d'un  instrument  de  bois  ou  de  plomb,  quand 


on  pense  à  l'âmeimmortelle?  eh  !  que  d'âmes  errantes  s'en 
vont  lâ-bas  dans  celte  enveloppe  de  rosée,  embaumée  par 
le  parfum  des  fleurs  ! 

Et  quand  la  nuit  fut  venue  :  «  Allons,  me  dit-il, 
allons,  mon  fils,  jouer  du  violon.  » 

Peu  à  peu  cependant  notre  ville  s'animait  d'une  foule 
nouvelle.  L'heure  du  concours  musical  étant  venue, 
les  maîtres  accoururent  en  foule  de  toutes  parts.  C'était 
dans  toute  la  ville  à  qui  leur  donnerait  l'hospitalité  la 
plus  digne  à  tous  ces  grands  noms.  La  musique  est  l'or- 
gueil et  le  bonheur  de  notre  Allemagne  chérie  !  Chaque 
grand  musicien  nouveau  venu  était  reçu  comme  un  roi  ; 
son  entrée  était  un  triomphe  véritable;  nous  nous  por- 
tions sur  le  passage  de  tous  ces  maîtres  pour  les  voir, 
pour  les  applaudir.  Nous  vîmes  arriver  tour  a  tour  les 
maîtres  célèbres;  Grawun,  l'inépuisable  génie  qui  puisa 
toutes  ses  inspirations  dans  son  cœur;  Fursch  et  Hasse, 
ses  deux  compagnons  fidèles  ;  le  grand  Téléman ,  que 
nous  avait  confié  sa  bonne  ville  de  Hambourg;  puis  le 
jeune  Gasmann  ,  dont  l'Allemagne  pressentait  la  gloire 
fu'.ure;  enfin,  nous  vîmes  arriver  une  lettre  de  Gluck 
lui-même,  absent  malgré  lui  de  cette  fête  des  arts  , 
Gluck  exprimait  a  ses  élèves  combien  il  se  reprochait 
son  absence.  Sa  lettre  se  terminait  par  le»  vœux  les  plus 
sincères  pour  les  progrès  de  l'art  allemand.  Enfin  se 
forma  dans  notre  petite  ville  le  cercle  le  plus  intéres- 
sant et  le  plus  curieux  des  plus  grands  maîtres  de  notre 
âge. 

Ces  grands  hommes  étaient  en  même  temps  les  plus 
simples  et  les  meilleurs  des  hommes.  Leurs  conférences 
étaient  plus  que  publiques;  elles  avaient  lieu  dans  le 
plus  vaste  salon  de  la  meilleure  auberge  de  la  ville ,  a 
l'enseigne  de  Sainte  Cécile,  et  la  on  pouvait  venir  les 
entendre  et  les  voir  tant  qu'on  voulait.  Moi,  tout  ti- 
mide, je  ne  manquais  pas  a  cette  grande  fête.  Je  me 
glissais  entre  les  tables,  je  me  cachais  dans  un  coin;  et 
la,  pendant  des  heures  entières,  j'écoutais  ces  discours 
merveilleux  et  je  contemplais  ces  nobles  visages.  De 
temps  a  autre  les  maîtres  interrompaient  leurs  conver- 
sations pour  s'offrir  les  uns  les  autres,  quelques  grands 
verres  d'un  vieux  vin  allemand  qui  leur  réjouissait  le 
cœur. 

Un  soir,  qu'ils  étaient  tous  réunis,  et  que  j'étais  a  mon 
poste  a  les  entendre,  la  conversation  vint  a  tomber 
sur  l'Homme  vert.  Chacun  répéta  ce  qu'il  avait  entendu 
dire  d'un  musicien  mystérieux  qui  se  cache  h  tous  les 
regards.  «  Par  le  ciel,  dit  Grawun,  il  ne  sera  pas  dit  que 
nous  ne  ferons  pas  connaissance  avec  un  homme  de  génie 
qui  se  cache;  faisons-le  venir,  enfans  ;  qu'il  soit  des 
nôtres;  qu'il  parle  avec  nous,  qu'il  boive  avec  nous, 


400 


GAZETTE  MUSICALE 


qu'il  partage  notre  conversation  et  nos  plaisirs.  »  j 
Alors  moi,  tout  humblement,  je  m'avançai  au  milieu  ; 
du  groupe.  «  Mes  maîtres,  dis-je  humblement,  l'homme 
dont  vous  parlez  est  en  effet  un  grand  musicien,  un  gé- 
nie qui  se  cache;  mais  vous  aurez  beau  l'inviter,  il  ne 
voudra  pas  venir.  »  Alors  tout  étonnés  ils  répètent  : 
Il  ne  voudra  pas  venir!  Et  mille  questions  se  pressaient 
l'une  et  l'autre.  Moi,  les  voyant  attentifs,  je  leur  ra- 
contai l'histoire  de  l'orgue  du  village  voisin;  et  com- 
ment personne  n'en  pouvait  jouer,  et  comment  c'était 
là  un  grand  sujet  de  reproche  et  un  grand  chagrin  pour 
mon  ami. 

Quand  les  maîtres  eurent  entendu  cette  histoire,  ils 
furent  saisis  d'une  grande  ardeur.  «  Mes  amis ,  dit  Gra- 
wuu,  demain  matin  de  bonne  heure,  jour  de  dimanche, 
nous  irons  voir  cet  orgue  qui  ne  veut  pas  chanter.  Par 
le  roi  David  !  cela  serait  étrange  si  un  instrument  quel- 
conque résistait  a  tant  de  maîtres  réunis  ! 

A  ces  mots  Hasse  et  Fursch  applaudirent.  Téléman 
ajouta  qu'il  réfléchirait  au  moyen  de  ramener  au  pied  de 
son  orgue  le  mystérieux  ouvrier  qui  l'avait  fait,  mais  le 
jeune  Gasmanu  s'écria  en  poussant  un  soupir  :  «  Mes 
amis,  il  y  a  un  homme  dans  le  monde  qui  tirerait  des 
sons  de  la  pierre.  Mais  où  es-tu,  notre  maître  divin, 
Emmanuel  Bacli  ?  » 

Ils  se  donnèrent  rendez-vous  autour  de  l'orgue  pour 
le  lendemain  matin. 

Le  lendemain,  le  plus  beau  jour  se  levait  sur  la  petite 
église  qui  renfermait  l'orgue  du  maître  charpentier, 
lorsque  deux  hommes  a  pied  entrèrent  dans  l'église 
par  la  porte  du  cimetière.  L'un  de  ces  deux  hommes 
était  dans  la  force  de  l'âge  ;  on  voyait  sur  son  large  front 
la  profondeur  de  ses  pensées;  son  grand  œil  Lieu  brillait 
d'un  éclat  doux  et  calme  :  celui  qui  l'accompagnait  était 
un  jeune  homme  vif  et  bon,  et  d'un  frais  visage  épanoui. 
«  Maître,  disait-il,  pourquoi  vous  arrêter  ainsi  en  che- 
min? la  réunion  des  maîtres  sera  finie  quand  vous  arri- 
verez—  Mon  fils,  dit  l'autre,  une  voix  a  mon  cœur  me 
pousse  à  entrer  dans  cette  église.  N'as-tu  pas  entendu 
hier  ce  qu'un  voyageur  nous  racontait  d'un  orgue  mys- 
térieux que  nul  encore  ne  peut  toucher;  ce  voyageur 
appelait  cet  orgue  le  travail  du  délire,  le  ciel  m'envoye 
pour  savoir  si  ce  n'est  pas  le  produit  du  génie.  Entrons 
donc,  mon  enfant;  prie  le  ciel  tout  bas  ;  je  vais  accom- 
pagner sur  cet  orgne  ta  prière  du  matin. 

Ils  rentrèrent.  Le  maître  fut  se  recueillir  assis  devant 
l'orgue  dont  son  élève  défendit  la  porte.  Bientôt  l'église 
se  remplit  de  fidèles  qui  venaient  entendre  la  messe  du 
dimanche;  bienlôt  les  maîtres,  fidèles  au  rendez- vous 
qu'ils  s'élaient  donné  la   veille,  vinrent  h  l'église;  et, 


comme  le  prêtre  était  à  l'autel,  ils  se  mirent  a  genoux 
en  priant.  Tout-a-coup,  un  bruit  descendu  du  ciel 
fait  retentir  la  petite  église  ;  les  sons  les  mieux  nour- 
ris, des  sons  divins,  s'exhalent  de  cet  orgue  muet  jus- 
qu'alors. Les  fidèles  restent  interdits,  comme  s'ils  en- 
tendaient un  ange;  les  maîtres  relèvent  la  tête,  chacun 
cherchant  quel  est  celui  d'entr'eux  qui  touche  l'orgue, 
et  ils  s'épouvantent  en  se  retrouvant  tous  à  genoux  à 
la  même  place;  le  prêtre  lui-même  est  saisi  d'une  se- 
crète terreur.  Cependant ,  l'orgue  touché  par  un  génie 
inspiré  était  tour  a  tour  grave,  sublime,  mélancolique, 
passionné,  plaintif;  tantôt  flûte,  tantôt  tonnerre,  tan- 
tôt louange  a  Dieu,  tantôt  terreur  des  hommes;  on 
écoutait,  on  admirait,  on  restait  prosterné! 

Dans  cette  foule  un  homme  seul  levait  la  tête ,  c'était 
l'homme  vert!  Il  était  près  de  l'autel,  appuyé  contre 
un  pilier,  et  il  regardait  son  orgue,  son  ouvrage  animé, 
ou  plutôt  il  regardait  le  ciel.  A  la  fin,  sa  pensée  était 
donc  manifestée  aux  hommes!  a  la  fin,  sa  révélation 
était  donc  complète!  Il  ne  pleurait  pas,  il  ne  priait 
pas,  il  écoutait  a  peine ,  il  se  croyait  le  jouet  d'un  rêve; 
il  était  le  plus  heureux  de  toute  cette  heureuse  foule  at- 
tendrie, passionnée  ,  quand  il  vit  que  tous  les  regards 
étaient  fixés  sur  lui  avec  orgueil;  il  sortit  de  l'église 
d'un  pas  rapide,  et  la  messe  continua. 

Quand  la  grande  messe  fut  achevée  ,  les  maîtres  se 
pressèrent  a  la  porte  de  l'orgue  pour  savoir  quel  était 
l'ange  qui  en  avait  touché  ainsi.  —  La  porte  s'ouvrit. 
—  Ils  s'écrièrent  tous  :  —  Emmanuel  Bach  !  —  Em- 
manuel Bach! 

C'était  lui-même  Emmanuel  Bach!  Mes  amis,  dit- 
il  ,  bonjour.  Voici  votre  frère  arrivé.  Mais  où  est 
l'homme  de  génie  qui  a  fait  cet  orgue,  où  est-il  que  je 
l'embrasse,  ou  plutôt  que  je  me  jette  a  ses  pieds?  On 
répondit  a  Emmanuel  que  cet  homme  était  invisible, 
et  les  maîtres  ajoutèrent  :  - —  Viens  déjeûner,  notre 
maître,  à  l'enseigne  de  Sainte-Cécile? 

Le  soir  venu,  Emmanuel  Bach  et  Grawn  se  pro- 
menaient dans  le  jardin  de  mon  père.  Ils  cherchaient  ; 
ils  appelaient  mon  ami  l'homme  vert.  A  la  fin ,  ils  le 
trouvèrent  sous  son  arbre  favori;  mais  dans  quel  état, 
ô  ciel  !  la  tète  de  mon  pauvre  ami  était  penchée  contre 
le  tronc  de  l'arbre,  son  œil,  encore  ouvert ,  cherchait 
vaguementles  derniers  rayons  dusoleil,  ses  mains  étaient 
étendues  sur  ses  genoux,  et  aucun  mouvement  de  son 
cœur  n'annonçait  qu'il  respirât. 

Je  me  précipite ,  Emmanuel  Bach  se  précipite ,  Grawn 
tient  la  tête  de  mon  ami,  on  l'appelé!  alors  il  ouvre 
les  yeux ,  ses  mains  se  dilatent  comme  s'il  voulait  jouer 
de  l'orgue,  puis  apercevant  les  maîtres  étrangers  :  — 


&0I 


Ah!  dit-il,  vous  ici,  mes  maîtres,  ah!  vous  ici,  Em- 
manuel Bach ,  vous ,  mou  Dieu  de  ce  matin ,  ah  !  par- 
donnez-moi si  je  ne  vous  reçois  pas  avec  tout  respect  ; 
je  n'en  puis  plus ,  l'émotion  m'a  tué,  je  succombe  sous 
le  bonheur,  je  suis  écrasé  par  le  son  de  mon  bel  orgue. 
—  Je  meurs. 

Les  deux  maîtres  se  placèrent  près  du  pauvre  char- 
pentier. —  Oui,  dit-il,  je  puis  mourir;  Grawn  à  ma 
gauche,  Emmaunel  Bach  h  ma  droite!  puis  se  tournant 
vers  moi,  il  me  tendit  la  main.  —  Adieu,  mon  fils,  me 
dit-il  ;  vous ,  mes  maîtres ,  bénissez-moi  ! 

Le  dernier  rayon  dn  beau  soleil  emporta  l'ame  de 
mon  ami  dans  le  nuage  rose,  le  doux  crépuscule  tom- 
bait sur  ce  noble  visage  comme  un  filet  argenté,  et, 
dans  le  lointain,  tout  faisait  silence  pour  écouler  une 
simple  et  pieuse  mélodie  mortuaire  qui  s'échappait  de 
la  fiûte  enchantée  de  Grawn.  J.  Jakin. 


DE  L'IMPOT    PRïLEVE  SUR   LA  MUSIQUE, 

SOUS  LE  NOM  DE  DROIT  DES  INDIGENS. 

Lorsque  le  temps  sera  venu  où  la  profession  de  mu- 
sicien pourra  être  exercée  librement,  quand  les  mains 
qui  aujourd'hui  serrent  la  gorge  des  compositeurs ,  et 
leur  permettent  a  peine  de  respirer  ,  auront  été  forcées 
de  lâcher  prise ,  on  ne  croira  pas  que  l'injustice  révol- 
tante dont  ils  sont  victimes  ail  pu  jamais  exister.  Nos 
sages  de  la  chambre  des  députés  ont  fait  une  loi  qui  au- 
torise le  vol  et  la  spoliation.  Je  le  prouve  ;  a  l'époque  où 
la  question  du  droit  des  pauvres  sur  les  recettes  des  spec- 
tacles, bals  et  concerts  a  été  agitée,  les  directeurs  des 
nombreux  théâtres  de  Paris  se  réunirent  pour  défendre 
leur  cause  et  ils  firent  si  bien  que  le  droit  des  indigens 
fut  réduit ,  pour  eux  ,  au  onzième  de  la  recette.  Mais 
les  concerts  n'eurent  pas  de  représentant,  personne  ne 
les  protégea  contre  la  générosité  des  gens  qui  savent  si 
bien  faire  l'aumône  avec  le  bien  d'autrui.  En  consé 
quence  pendant  qu'on  n'exigeait  de  l'art  dramatique 
que  leonzièmede  ses  recettes,  on  extorqua  a  la  musique 
le  quart  des  siennes,  et  cela  sans  faire  entrer  le  moins 
du  monde  en  ligne  de  compte  les  frais  énormes,  inévi- 
tables pour  le  moindre  concert.  Ainsi  pour  les  séances 
du  conservatoire,  le  gouvernement  accorde  bien  la  salle 
gratuitement,  mais  il  n'y  en  a  pas  moins  un  déboursé  de 
250  francs  pour  les  ouvreuses ,  les  garçons  d'orchestre , 
le  fumiste,  le  lampiste,  le  bois,  l'éclairage,  les  pompiers 
et  la  garde  municipale;  viennent  ensuite  les  affiches  , 
programmes  et  billets  dont  l'impression  coûte  150  fr.; 
la  copie,  qui  va  de   150.  a  200  francs  par  concert,  et 


les  exécutans.  Car  enfin  ils  faut  qu'ils  vivent  aussi, 
et  depuis  que  les  directeurs  ont  imaginé  de  donner600fr. 
par  an  a  un  excellent  violon  ,  les  artistes  sont  bien  forcés 
de  tirer  de  leur  talent  tout  le  parti  possible.  De  sorte 
qu'une  orchestre  complet,  payés  au  taux  le  plus  bas  pour 
un  concert  et  deux  répétitions  ,  ne  peut  coûter  moins"de 
1000  francs.  Que  sera-ce  si  le  compositeur  veut  faire  en- 
tendre un  chœur;  les  frais  s'élèveront  aussitôt  de  5  ou 
600  cent  francs.  Mais  je  suppose  que  par  économie,  il 
renonce  a  l'exécution  de  toute  musique  chorale,  quoi- 
qu'il en  eut  pu  résulter  peut-être  un  avantage  immense 
pour  l'avenir  de  sa  carrière ,  l'addition  des  sommes  que 
nous  avons  énmnérées  plus  haut  nous  donnera  toujours 
un  total  de  1500  francs.  Une  recette  égale  à  cette  somme 
est  assez  belle  pour  un  concert,  il  n'arrive  pas  toujours 
qu'elle  aille  au-de-la  ;  d'après  la  loi,  le  fermier  du  droit 
des  indigens  pourra  cependant  venir  vous  demander 
575  francs,  que  vous  serez  obligé  de  lui  donner  quoique 
vous  n'ayez  pas  un  soude  bénéfice.  C'est  une  spoliation, 
rien  de  moins.  C'est  demander  aux  compositeurs  la  bourse 
ou  la  vie,  absolument  comme  pourraient  le  faire  les  hé- 
ros de  la  forêt  de  Bondy  :  Oui,  la  bourse  ou  la  vie,  car 
la  vie  d'un  artiste  est  dans  la  publicité  de  ses  œuvres,  et 
quand  il  ne  lui  reste  d'autre  alternative  que  de  demeurer 
inconnu  en  gardant  ses  partitions  en  porte-feuille,  ou  de 
se  laisser  dépouiller,  souvent  de  son  strict  nécessaire, 
pour  obtenir  l'exhibition  publique  de  ces  compositions, 
pour  peu  qu'il  ait  de  sang  artiste  dans  les  veines ,  il 
n'hésitera  pas.  Cette  loi  est  tellement  absurde,  tellement 
monstrueuse,  que  le  régisseur  du  droit  des  indigens 
n'ose  pas\n  faire  exécuter.  Il  se  contente  presque  tou- 
jours d'une  somme  que  le  donneur  de  concert  lui  paye 
d'avance,  et  qui  pour  l'ordinaire  est  moindre  que  celle 
a  laquelle  il  aurait  droit  de  par  la  loi.  —  De  quoi  vous 
plaignez  vous  donc  alors ,  me  dira-t-on.  —  Je  me  plains 
de  ce  que  la  possibilité  d'être  aussi  rudement  imposés 
existe  pour  les  compositeurs;  que  ce  soit  de  575  francs 
ou  de  la  moitié  de  cette  somme,  peu  importe,  ils  n'en 
sont  pas  moins  dépouillés  indignement  du  fruit  de  leurs 
travaux,  quand  la  recette  du  concert  dépasse  les  frais,  et 
de  leur  nécessaire,  quand  les  dépenses  ne  sont  pas  couver- 
tes. D'ailleurs,  voici  une  autre  circonstance  où  la  loi 
étant  appliquée  plus  strictement  devient  plus  oppressive 
et  plus  injuste.  Je  veux  parler  des  concerts  donnés  dans 
les  théâtres.  Le  régisseur  du  droit  des  pauvres  refuse  en 
ce  cas  d'entrer  dans  aucun  arrangement  préliminaire  et 
exige  non  pas  le  quart  (il  ne  l'ose  pas  encore),  mais  le 
huitième  delà  recette  brute.  Si  l'on  me  demande  pour- 
quoi la  faveur  accordée  aux  concerts  de  la  rue  bergère 
est  refusée  a  ceux  de  la  rue  de  Monsigny ,  je  répondrai 


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GAZETTE  MUSICALE 


que  je  l'ignore  complètement.  Tout  ce  que  je  sais  c'est 
que,  pour  la  fête  musicale  qui  doit  avoir  lieu 
au  théâtre  Venta  Jour  avec  trois  cents  musiciens,  les  dé- 
penses seront  de  4500  francs,  que  si  la  recette  n'est 
qu'égale  a  cette  somme,  au  lieu  du  huitième  qu'il  compte 
prélever,  le  régisseur  des  indigens  n'aura  pas  un  sou. 
Il  m'intentera  un  procès;  je  le  perdrai;  tant  mieux,  je 
voudrais  qu'on  allât  jusqu'à  me  condamner  a  six  mois 
de  prison  ;  il  serait  curieux  de  voir  au  centre  de  la  civi- 
lisation ,  chez  le  peuple  qui  se  dit  le  plus  policé  de  l'Eu- 
rope ,  et  qui  parle  de  liberté  jusqu'à  se  désarticuler  la 
mâchoire ,  il  serait  curieux,  dis-je,  de  voir  emprisonner 
un  homme  qui,  n'ayant  point  de  superflu,  refuse  de  faire 
des  aumônes  de  1000  francs ,  et  résiste  a  un  brigandage 
égal  dont  on  voudrait  le  rendre  victime,  par  la  raiso  n 
unique  qu'il  est  musicien  au  lieu  d'être  peintre  ,  com- 
positeur au  lieu  d'être  poète  ou  sculpteur.  Quelle  mora- 
lité trouvez-vous  d'ailleurs  dans  cette  charité  forcée?  Que 
dirait-on  si ,  rencontrant  M.  ***  d  ins  la  rue,  vous  alliez 
le  prendre  au  collet  et  lui  arracher  de  vive  force  le  hui- 
tième de  l'argent  qu'il  aurait  sur  lui  ,  ou  son  habit,  s'il 
avait  parhasard  oublié  sa  bourse,  en  lui  disant  :  c'est  pour 
les  pauvres.  On  dirait  qu'il  vaut  mieux  vivre  chez  les 
Tartares  qu'au  milieu  d'un  peuple  où  l'on  est  exposé  à 
de  pareilles  vexations.  Eh  bien,  si  une  chose  semblable 
arrivait,  j'affirme  que  la  justice  et  la  morale  publique  se- 
seraient  moins  insolement  outragées ,  qu'elles  ne  le  sont 
dans  l'acte  qui  ravit  a  un  artiste  pauvre ,  le  misérable 
produit  de  tant  de  pénibles  labeurs ,  de  si  cruelles  in- 
somnies; j'affirme  que  l'opinion  des  honnêtes  gens  serait 
moins  évidemment  foulée  aux  pieds,  qu'elle  ne  l'est  par 
une  loi  qui,  non-seulement  permet,  mais  ordonne  de 
prendre  à  un  homme  le  quart  ou  le  huitième  d'un  béné- 
fice que  trop  souvent  il  n'a  pas  fait ,  et  qui  par  consé- 
quent n'existe  pas  !!  !  L.  F. 


Bévue  critique. 


Hymnes  sacrées  de  Klopstock,  mises  en  musique  pour 
4  voix,  par  J.  Meyerbeer. 

Tel  est  le  titre  d'un  ouvrage  que  le  hasard  nous  a  fait  rencon- 
trer et  dont  nous  tenons  à  rendre  compte  à  nos  lecteurs ,  tant 
à  cause  du  mérite  réel  qui  le  distingue ,  que  par  suite  du  vif 
intérêt  qui  s'attache  tout  naturellement  au  nom  célèbre  de  l'au- 
teur, M.  Meyerbeer,  et  de  la  musique  religieuse!  Meyerbeer, 
le  créateur  de  Robert  le  Diable,  du  Crocinto,  de  Marguerite 
d'Anjou  ,  à' Emma  di  Resburgo  ,  etc.,  etc.,  et  d'un  autre  côté 
Klopstock  ,  ce  poète  sublime,  au  génie  si  mystique  !  Meyerbeer 
et  de  la  musique  savante  ,  s'écrieront  les  diletlanti  ?  Et  nous  ne 
pourrons  mieux  leur  répondre  qu'en  les  renvoyant  au  litre 


ci-dessus  ,  auquel  nous  pourrions  ajouter  encore  ceux  de  cin- 
quante psaumes  ou  de  mainte  autre  composition  sacrée  ;  et  ce 
que  nous  pourrons  affirmer  en  outre,  c'est  que  Meyerbeer 
n'est  devenu  un  si  grand  compositeur  dramatique ,  que  parce 
qu'avant  tout  il  est  un  grand  maître  dans  le  style  religieux, 
puisque  ce  genre  exige  précisément  les  études  sévères  qui  pa- 
raissent indispensables  au  compositeur  dramatique,  et  sans 
lesquelles  il  n'y  a  point  de  véritable  musicien  ,  dans  la  stricte 
acception  du  mot.  La  présente  livraison  contient  quatre  hym- 
nes échappées  à  la  plume  pieuse  du  croyant  Klopstock,  elle 
compositeur  nous  paraît  les  avoir  destinées  principalement  à 
être  exécutées  avec  le  religieux  recueillement  du  foyer  domes- 
tique, plutôt  qu'avec  l'éclat  d'une  pompeuse  solennité.  Elles 
sont  simples  ,  graves  ,  d'une  vérité  d'expression  parfaite  ;  outre 
la  disposition  musicale  qui  révèle  le  grand  maître,  on  y  trouve 
cette  grâce  si  originale  que  donne  une  croyance  calme  et  sin- 
cère ;  à  côté  des  plus  riches  modulations  est  placé  le  chant  le 
plus  gracieux ,  et  l'on  y  admire  enfin  des  combinaisons  mélo- 
diques ou  harmoniques  si  naturelles  et  en  même  temps  si 
pleines  d'art,  que  l'on  ne  saurait  donner  trop  d'éloges  à  cette 
œuvre  dans  son  entier.  Quelle  vérité  de  sentiment  et  quel  art 
dans  l'expression  le  compositeur  n'a-t-il  pas  répandus  sur  ces 

mots  : 

<<  Wenu  ich  einsl  von  jenem  Schlutnmer  (l  ) 

a  'Welcher  Todt  heisst  aufsteh  , 

«  XJnd  von  dièses  Lebens  Kummer 

»  Frey  den  schœnen  Morgen  seh  ! 
Quelle  vérité  et  quel  naturel  lorsque  le  chœur  repète  ces  pa- 
roles acco  npagnées  par  des  accords  graves  et  majestueux! 
Et  quand  \ienl  ce  qui  suit  : 

»  O  dauû  wach  ich  auders  auf  (2)  !  » 
On  entend  alors  une  imitation  en  contre-point  pleine  de  mou- 
vement ,  et  qui  peint ,  avec  la  vérité  la  plus  fidèle  ,  l'idée  d'une 
consolante  espérance.  Nous  admirons  tout  particulièrement  le 
numéro  3  qui  commence  par  une  invocation  à  trois  voix 
d'hommes ,  et  dans  lequel  les  beautés  musicales  les  plus  rares 
se  trouvent  jointes  à  l'expression  la  plus  vraie  comme  la  plus 
énergique.  Ici ,  comme  dans  toute  cette  œuvre  ,  M.  Meyerbeer 
a  su  réunir  l'expression  dramatique  et  la  grâce  délicate  qu'on 
lui  connaît  avec  toute  la  dignité  et  la  gravité  que  réclame 
avant  tout  la  musique  religieuse.  Partout  on  reconnaît  le 
grand  musicien  et  en  même  temps  l'homme  sensible  et 
religieux.  Puissent  de  nombreuses  productions  du  même 
genre  se  répandre  promptement  en  France.  De  Semblables 
œuvres  offrent  assurément  le  moyen  le  plus  assuré  de  popu- 
lariser l'art  divin  de  la  musique,  tout  en  la  ramenant  à  sa 
forme  la  plus  noble  et  la  plus  aimable. 

Variations  brillantes,  et  Finale  a  la  hongroise, 
pour  le  piano,  sur  la  cavatine  favorite  de  Mathilde 
de  Skabran^  par  H.  Herz.  Op.  77.  Prix  :  7  fr.  50  c. 

L'introduction  commence  par  un  allégro  moderato  de  huit 
mesures,  en  ré  mineur  ,  qui,  bien  que  la  pensée  ne  soit  rieu 
moins  que  neuve,  pouvait  cependant  promettre  quelque  chose 
de  bien  ;  mais  le  compositeur  a  préféré  remplacer  ce  motif  par 

(1)  Lorsque  je  m'éveillerai  de  ce  sommeil  que  l'on  appelle  la  mort, 
et  que  délivré  de  la  douleur  de  cette  vie ,  je  verrai  la  belle  matinée  ! 

(2)  Oh  !  alors  ,  je  m'éveillerai  tout  autre. 


DE  PARIS. 


Z,Oi 


un  autre  en  si  mineur,  qui  n'a  aucun  rapport  avec  le  premier 
et  qui  est  pourtant  loin  d'être  dénué  de  charme.  Il  consiste  en 
notes  tenues  par  la  partie  supérieure  accompagnées  en  triolets, 
pendant  douze  mesures,  par  des  accords  de  la  basse.  Yicnt  en- 
suite dans  l'intérêt  du  contraste,  un  trait  formé  avec  les  notes 
de  l'accord  de  septième  diminuée  de  ré  dièze  qui  produit  l'effet 
d'un  véritable  éclair,  puis  nous  trouvons  une  suite  d'accords 
scientifiques  parmi  lesquels  malheureusement  les  fausses  rela- 
tions ne  manquent  pas,  mais  dont,  à  ce  qu'il  paraît,  M.  Herz 
se  trouve  pleinement  satisfait.  Tout  ceci  est  suivi  d'une  autre 
pensée,  autrement  dit,  du  chant  de  la  basse  accompagne  par 
arpegges  de  la  main  droite,  et  se  terminant  pp  et  Icntissimo 
pour  faire  place  encore  à  une  autre  idée  qui  à  vrai  dire  est  un 
peu  calquée  sur  le  thème  et  comme  lui  eu  ré  mineur.  On  voit 
que  M.  Herz  est  riche  en  idées.  Toutes  celles  que  nous  venons 
de  détailler  remplissent  deux  pages  et  n'ont  pas  le  moindre 
rapport  les  unes  avec  les  autres.  Vient  alors  le  thème  se  com- 
posant delà  célèbre  cavaline,  remarquablement  bien  arrangée 
pour  le  piano.  La  première  variation  en  triolets  est  riche  en 
sauts  et  en  bonds  des  plus  étranges  et  elle  doit  paraître  bien 
belle  quand  elle  est  exécutée  avec  les  manœuvres  convenables 
des  bras,  de  la  tête  et  des  mains. 

La  deuxième  variation  est  presque  majestueuse,  et  n'est  pas 
dépourvue  de  cet  effet  que  la  foule  admire  si  volontiers.  Dans 
la  troisième  variation,  des  passages  très-ordinaires  de  la  basse 
alternent  avec  des  passages  chromatiques  tout  aussi  insignifiaus 
pour  la  main  droite,  si  bien  que  nous  devons  encore  leur  préfé- 
rer de  beaucoup  les  deux  variations  précédentes.  Dans  la  qua- 
trième variation,  M.  Herz  a  donné  a  son  imagination  un  essor 
plus  libre  que  de  coutume.  Elle  présente  plusieurs  passages 
qui  ne  sont  pas  dépourvus  de  charme,  quoiqu'elle  soit  con- 
stamment basée  sur  les  suites  harmoniques  du  thème  répétées 
jusqu'à  satiété. 

Le  final  forme  un  allégro  à  la  hongroise.  Nous  ne  pouvons 
dérider  si  c'est  bien  là  du  hongrois  de  bon  aloi.  Tout  ce  que 
nous  pouvons  sffirmer  ,  c'est  que,  dans  tout  le  cours  du  mor- 
ceau, nous  n'avons  absolument  rien  trouvé  de  neuf,  de  beau  on 
d'original.  En  revanche  nous  pouvons  appliquer  à  ce  finale  le 
titre  d'une  comédie  anglaise:  Much  ado  abouL  notliing.  (1) 


NOUVELLES. 

\*  Les  répétitions  de  La  Juive  d'Halevy  se  poursuivent  avec 
activité  à  l'Opéra.  Trois  actes  ont  déjà  été  répétés  généralement, 
et  l'orchestre  et  les  artistes  en  sont  émerveillés.  Suivant  toute 
apparence,  la  première  représentation  aura  lieu  vers  le  15 
janvier. 

%*  La  direction  de  l'Académie  royale  de  musique  vient, 
dit-on  ,  de  rejeter  deux  programmes,  calqués  sur  le  genre  des 
pantomimes  italiennes  et  qui  avaient  pour  titres  :  Sardanapale 
et  la  Selle  Arsenne. 

*  *  L'espace  nous  manquant  pour  donner  l'analyse  détaillée 
de  la  nouvelle  symphonie  de  M.  Berlioz,  nous  sommes  obligés 
de  remettre  l'insertion  de  cet  article  au  prochain  numéro  de  la 
Galette  musicale.  Constatons,  en  attendant,  un  fait  déjà 
maintes  fois  observé  ,  mais  qu'on  ne  saurait  trop  répéter ,  c'est- 
à-dire  que  des  compositions  d'une  nature  aussi  élevée  ont  besoin 
de  plusieurs  exécutions  pour  être  comprises  et  des  artistes,  in- 
terprètes du  compositeur,  et  du  public  qui  l'écoute.  L'orchestre, 
qui  avait  manqué  d'assurance  à  la  première  exécution  d'Haro.'d, 
s'est  élevé,  à  la  seconde,  au  plus  haut  degré  de  verve  et  de 
puissance.  L'effet  produit  par  plusieurs  parties  de  ce  magnifique 
poème  musical  a  été  de  nature  à  dédommager  amplement  son 

(t)  Beaucoup  de  bruit  pour  rien. 


auteur  des  peines  et  des  soins  innombrables  que  sou  exhibition 
a  dû  lui  router.  La  salle  entière  était  tlcctrisée.  A  dimanche  les 
détails.  M11'  Heinefetter,  qui  se  faisait  entendre  à  Paris  pour  la 
première  fois  depuis  son  retour,  et  que  l'on  dit  engagée  au 
Théâtre-Italien,  a  obtenu,  dans  celle  séance,  un  beau  succès, 
qu'une  voix  d'une  grande  pureté  et  un  sentiment  musical 
exquis   lui  ont  bien  mérité. 

*.»*  M.  Adolphe  Adam  vient  de  recevoir  une  tabatière  en  or 
de  la  princesse  Marie  à  qui  il  avait  offert  la  dédicace  de  la  par- 
tition du  Chalet. 

%f  GliPuritani,  opéra  séria  de  Bellini  ,  sont  sur  lé  point  de 
faire  leur  apparition  à  la  salle  Favart.  Nous  souhaitons  an 
maestro  ilalien  de  s'être  élevé  à  la  hauteur  d'un  des  plui  admi- 
rables chefs-d'œuvre  du  romancier  écossais. 

%*  L'Opéra-Comique  commence  à  donner  .  tous  les  samedis* 
des  soirées  vraiment  musicales.  A  celle  qui  a  eu  lieu  hier, 
M.Inchindi,  M,le  Lebrun  et  M.  Panofka  ,  ont  prouvé  qu'i's 
étaient  dignes  des  applaudissemens  que  le  public  leur  prodigue 
ordinairement,  et  dont  ils  ont  recueilli  une  ample  moisson. 

%*  Attendons  un  second  rôle  avant  de  juger  MUe  Brambilla 
qui  a  débuté  dans  Semiramis,  au  Théâtre-Italien.  Mllc  Grisi 
était  admirable  dans  le  rôle  difficile  de  la  Sémiramide,  elle  a 
été  redemandée. 

%*  On  parle  dans  les  coulisses  de  l'Opéra  d'un  examen  gé- 
néral des  classes  de  danse,  qui  a  eu  lieu  devant  M.  Véron  et 
les  sommités  de  l'art  chorégraphique. On  y  a  distingué  M11"  Ma- 
ria, Fitz-James  et  Pierson ,  qui,  pour  la  grâce,  l'aplomb,  la 
légèreté,  font,  dit-on,  beaucoup  d'honneur  au  professeur  ae 
perfectionnement  ,  M.  Barré.  Le  corps  diplomatique  tressaillera 
de  joie  à  celte  importante  nouvelle. 

V  On  attend  à  Lille  Cbolet  et  Mllc  Prévost  qui  doivent  y  dé- 
buter ,  le  1 5  de  ce  mois. 

%*  Génot,  qui  était  déjà  chef  des  chœurs  à  l'Opéra-Comique, 
vient  d'y  être  appelé  aux  fonctions  de  régisseur  de  la  scène. 

%*  Ou  s'occupe  déjà,  à  l'Opéra-Comique,  des  décors  et  des 
costumes  du  Cheval-de-Bronze,  que  ce  théâtre  promet  pour 
la  fin  de  janvier. 

*+*  On  annonce  que  le  théâtre  Ventaclour  veut  payer  son 
tribut  de  bienfaisance  à  l'infortune  des  Polonais.  Anlony  et  un 
opéra-comique  composeront  le  spectacle,  sans  doute  avec  une 
des  productions  indigènes  du  terroir. Drame,  musique  et  danse, 
c'est  la^trinité  de  l'art  invoquée  à  l'appui  d'une  bonne  œuvre 
toute  nationale. 

* \*  Le  6  de  ce  mois  ,  jour  de  la  Saint-Nicolas,  une  grande 
messe  a  été  chantée  dans  la  chapelle  de  l'école  normale  primaire, 
de  l'Académie  de  Paris,  par  les  élèves-maîtres.  O  salutaris, 
de  l'italien  Bennelti,  a  surtout  produit  un  très-bel  effet.  Nous 
ne  saurions   mentionner  avec   trop  d'éloges  ces  rares  efforts 


pour  remettre  en  vigueur  et  populariser  la  musique  d'église  ,  à 
laquelle  se  rattache  par  un  lien  si  étroit  la  prospérité  de  l'art  en 
général. 

%*  Nous  avons  annoncé  qu'on  avait  joué  sur  le  théâtre  de 
Strasbourg  un  opéra  dont  la  musique  était  de  M.  Jupin  ,  chef 
d'orchestre  du  théâtre  de  cette  ville.  Le  poème  est  une  pièce  du 
Gymnase,  la  Vengeance  italienne  ou  le  Français  à  Florence. 

%+  Voici  le  programme  du  concert  que  M.  Ernst  donnera, 
le  23  de  ce  mois,  dans  les  salons  de  M.  Stoepel,  6,  rue 
Monsigny.  Première  partie  :  i  Duo,  ehanté  par  MM.  Boulanger 
et  Lanza.  —  2  Amiante,  composé  par  M.  Ernst,  suivi  d'une 
Polonaise  de  Mayseder,  exécutés  par  M  Ernst.  — 3  Roman- 
ces, chaulées  par  M.Richelmi.  —  <}.  Solo  de  flûte  ,  par  M.  Do- 
rus.  —  5.  Duo  chanté  par  M"'e  Degli-  Antony  et  Mlle  Ducros. 
—6. Duo  pour  piauo  et  violon,  sur  des  motifs  du  Pré-au-C.lercs, 
composé  et  exécuté  par  MM.  C.  Schunke  et  Ernst.  —  7.  Air 
chanté  par  M.  Lanza.  Deuxième  partie-  —8.  Si  tu  ne  vieus: 
ariette  composée  par  M.  Ernest ,  chantée  par  M.  Boulanger.— 
9.  Invitation  à  la  valse(va!se  dramatique  pour  le  piano),  com- 
posée et  exécutée  par  M.  C.  Schunke.  —  10.  Air  italien,  chante 
par  Mmc  Degli-Antony.  —.11.  Grande  fantaisie  pour  le  violon, 
composée  et  exécutée  par  M.  Ernst.  —  12.  Duo,  chanté  par 
Mrac  Dcgli-Antoni  et  Mllc  Ducros.  On  trouve  des  billets  :  chez 
MM.  Schlesiuger,  97,  rue  Richelieu  ;  Pacini,  Lauucr,  etc. 


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GAZETTE  MLSICALE  DE  l'ATUS. 


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imprimés  en  partition  et  les  parties  séparément. 

Il  sera  publié  le  1"  et  le  15  de  ebaque  mois  une  livraison  des  quatuors   de  Haydn,  et  des  œuvres  de  Beethoven  et 
Moschf.les  pour  le  piano.  Les  livraisons  payées  d'avance  seront  envoyées  h  domicile. 


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Publiée  par  Maurice  Schlesinger. 

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de  contredanses,  composé  pour  le  piano,  avec  accompa- 
gnement de  flageolet,  cornet  à  pistons  ,  violon  et  basse. 

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deBiscbop.  4  fr.  50  c. 

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—  Op,     ni.  Les  charmes  de  la  valse.  4  fr-  50  c. 

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gauntlet  de  Wcdtar-Scolt.  6  fr. 

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Op.     90.  Grande  marche  sur  l'entr'acte  du  Colporteur. 

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Op.  110.  Souvenirs  de  Robert-le-Diable ,  fantaisie  bril- 
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Kalkbrenner  et  Lafont.  Op.  111.  Duo  et  variations  sur  des 
motifs  de  Robert  le  Diable,  piano    et    violon. 

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Le  même  ,  par  Franchomme  ,    pour  piano  et  vio- 
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Op.  114.  Bluelte  musicale  sur  la  ronde  bachique  des  dé- 
mons de  la  Tentation.                          5  fr. 

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Op.  120.  Grandes  variations  brillantes  sur  une  mazurka 

de  Frédéric  Chopin.  7  fr.  50  c. 

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Lanner.  Valses  de  la  Comète,  pour  le  piano.  4  fr.  5o  c. 

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/''.  lluntcn.  Op.  70.  Le  charme  des  jeuues  pianistes. 


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taire accompagné  de  choeurs.  20  fr. 


Publiée  par  A.  Romagnébi. 

Récréations  vocales,  ou  Collec'ion  de  douze  morceaux  de 
chant,  parmi  lesquels  huit  ont  été  tirés  des  œuvres  AeHaydn, 
Mozart,  Rossini,  Vf'eber,  et  arrangés  à  trois  voix  égales, 

PAR  AUGUSTE  PANSERON, 

AUTEUR   DES    QUATRE    AUTRES    PIECES    DE    LA    COLLECTION. 

Les  paroles  onlété  composées  spécialement  pour  les  jeunes 
personnes ,  de  manière  à  pouvoir  être  chantées  dans  les  réu- 
nions de  famille  et  les  maisons  d'éducation. 

La  collection,  formée  de  quatre  livraisons  de  trois  numéros 
chacune,  parait;  de  mois  en  mois,  à  dater  du  1er  novembre. 
Les  deux  premières  livraisons  sont  en  vente.  Chaque  livraison 
est  marquée  6  francs. 

Prix  des  quatre  livraisons  par  souscription  :  10  francs  payés 
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Publiée  par  Delahante. 

Masini.  La  Jolie  fille.  2  fr. 

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A  MM.  les  colonels  des  régimens  d'infanterie. 

M.  C.  F.  Muller,  à  Berlin,  jouissant  à  juste  titre  d'une 
grande  renommée  comme  compositeur  de  musique  mililaire, 
publiera  incessamment  uue  nouvelle  livraison  de  marches  mili- 
taires et  pas  redoublés  pour  grande  musique  militaire.  Le  prix 
de  souscription  est  un  ducat  (11  francs).  MM.  les  marchands 
do  musique  ne  recevront  point  d'exemplaires  de  ectouvrrage  , 
qui  ne  sero  imprimé  qu'au  nombre  des  souscriptions  arrivées 
avant  le  tirage.  MM.  les  colonels  des  régimens  sont  priés  d'a- 
dresser leurs  ordres  à  l'éditeur  soussigné  en  joignant  un  effet 
sur  un  banquier  de  Berlin,  et  les  exemplaires  leur  parvien- 
dront ausjitot  la  publication. 

HAYN,  libraire  à  Berlin. 

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part. S'adresser  rue  Faydeau ,  n°  30. 

Gérant,  MAURICE  SCHLESINGEE. 


ifEVERAT.  rue  du  Cadr. 


GAZETTE   MUSICALE 

RÉDIGÉE    PAR   MM.    ADAM,    G.    E.    ANDERS ,  BERT0N  (membre    de  l'Institut),    BERLIOZ,   CASTIL-BLAZE,  A.  GUEMER     HALÉW 

(professeur  de  contrepoint  au  Conservatoire),  Jules  jamin  ,  liszt,  lesueur  (membre  de  l'Institut),  j.  mainzer  marx 
(rédacteur  de  la  gazette  musicale  de  berlin),  d'ortigue  ,  panofka ,  richard,  j.  g.  seyfried  (maître  de  chapelle 
a  Vienne),  f.  stœpel,  etc. ,  etc. 


1"  ANNÉE. 


N' 


51. 


PRIX  1>E  L  AIIONNEM. 


PARIS. 

DÉPART. 

ÉTRAHG 

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1  an.  30 

33    .. 

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€a  <&azette  iïtttsisale  î>*  $)aris 
Paraît    le   DIMANCHE  de  chaque  semaine. 


On  s'abonne  au  bureau  de  la  Gazette  Musicale  de  Paris  ,  rue  Richelieu ,  97; 

chez  MM.    1rs  directeurs  des   Posles,  aux  bureaux  des  Messageries, 

et  chez  tous  les  libraires  et  marchands  de  musique  de  France. 

)u  reçoit    les  réclamations  des  personnes  qui  ont  des  griefs  à  exposer,  et  les  avis  relatifs  à  la  musique 
qui  peuvent  intéresser  le  public. 


PARIS.  DIMANCHE  21  DÉCEMBRE  (834. 


Nonobstant  les  supplé- 
mens,  romances,  Jac  si- 
mile  de  l'écriture  d'au- 
teurs célèbres  et  la  galerie 
des  artistes  ,  MM.  les 
abonnés  de  la  Gazelle 
Mu  icale  de  Paris ,  re- 
ceveront  le  premier  de 
chaque  mois  un  morceau 
de  musique  de  piano. 

Les  lettres,  demandes 
et  envois  d'argent  doi- 
vent être  affranchis,  et 
adressés  au  Directeur  , 
rue  Richelieu,  97. 


lUDUQS  \7MI  SIBIBVIIKDWBE!» 

ESQUISSE  BIOGRAPHIQUE. 

Louis  van  Beethoven ,  le  dernier  grand  maîtrejdécédé, 
qui  a  reculé  les  limites  de  l'art  musical  en  portant  la  mu- 
sique instrumentale  à  son  plus  haut  point  de  perfection, 
et  qui  n'a  pas  encore  été  dépassé  dans  jla  carrière;  Louis 
van  Beethoven  _,  né  le  i  7  décembre  i  770 ,  a  terminé  ses 
jours  le  26  mars  1827. 

Lorsque  l'on  entreprend  de  parler  de  ce  grand  artiste, 
on  reconnaît  aussitôt  qu'il  serait,  moins  embarrassant 
d'écrire  un  livre  tout  entier  sur  son  compte  que  de  lui 
consacrer  seulement  quelques  pages. 

Il  serait,  du  reste,  aussi  aisé  que  superflu  de  faire  l'é- 
loge d'un  artiste  qui  tient  si  fortement  ses  contemporains 
sous  le  charme  de  ses  puissantes  créations.  Toutefois,  le 
moment  où  ces  chefs-d'œuvres  ont  été  [conçus  est  préci- 
sément encore  trop  rapproché  de  nous  pour  qu'il  soit 
facile  de  s'en  former  une  idée  bien  exacte,  de  saisir  la 
véritable  physionomie  de  l'artiste,  et  de  lui  assigner  son 
rang  parmi  ses  grands  devanciers.  Peut-être,  cette  en- 
treprise n'aurait-elle,  cependant,  rien  d'impossible  pour 
un  homme  de  l'art  qui  s'y  livrerait  sans  aucune  préven- 
lion,  si,  même,  l'esprit  le  plus  juste  et  le  plus  ferme  n'était 
pas  nécessairement  troublé  par  ce  conflit  d'opinions  con- 
iradictoires,  de  tendances  et  d'efforts  en  sens  inverse  qui 
caractérise  notre  époque  comme  il  marque  toute  époque 
île  création:  peut-être,  disons-nous,  cette  entreprise  se- 


rait-elle couronnée  du  succès,  si  les  idées  nouvelles  et 
les  vieilles  opinions  si  tenaces  ne  se  disputaient  le  terrain 
de  la  science  musicale,  si  jeune  encore  d'ailleurs,  et  si, 
enfin,  il  ne  résultait  pas  de  cet  état  de  choses,  même 
chez  les  hommes  doués  d'une  capacité  supérieure,  uu  tel 
combat  entre  leurs  sensations  et  leur  raisonnement  qu'ils 
n'osent  pas  se  fier  à  leur  jugement.  D'un  autre  côté  , 
comment  pourrait-on  s'entendre  sur  le  mérite  d'un  ar- 
tiste, alors  surtout  que  cet  artiste  est  un  contemporain, 
quand  les  idées  sur  l'art  et  sur  l'histoire  de  l'art  sont 
encore  loin  d'être  arrêtées  ?  Au  milieu  d'une  telle  incer- 
titude sur  les  idées  premières  ,  on  ne  saurait  aller  jusqu'à 
une  démonstration  dont  il  reste  encore  a  la  philosophie 
de  l'art  a  poser  les  prémisses ,  et ,  dans  cette  situation , 
l'on  ne  peut  fournir  sur  les  grands  maîtres  que  de  sim- 
ples esquisses  biographiques  sans  preuves  rigoureuses  a 
l'appui  des  opinions  que  l'on  est  conduit  a  émettre  sur 
leurs  œuvres. 

La  vie  extérieure  de  Beethoveu  s'est  écoulée  d'une 
manière  encore  plus  simple  et  plus  obscure  que  celle  de 
la  plupart  des  maîtres  de  son  rang.  Fils  d'un  ténor  delà 
chapelle  de  l'Electeur  de  Cologne,  il  fnt,  dès  sa  plus 
tendre  enfance,  à  portée  d'entendre  tous  les  jours  de  la 
musique  excellente,  et  il  était  aisé  de  remarquer  les  vives 
impressions  qu'il  en  recevait.  Ayant  eu  de  bonne  heure 
des  maîtres  aux  frais  de  l'Électeur,  il  n'avait  encore  que 
8  ans,  et  l'on  admirait  déjà  son  talent  sur  le  violon  ;  à 
l'âge  de  M  ans,  il  se  distinguait  également  par  la  ma- 


400 


GAZETTE  MUSICALE 


nièredontil  exécutait  les  études  de  Bach,  connues  sous  le 
titre  le  Clavecin  bien  tempéré  de  Bach  ;  a  13  ans,  il  avait 
écrit  plusieurs  sonates.  Lorsqu'il  eut  atteint  sa  22e  an- 
née, son  protecteur  l'envoya  a  Vienne,  où  il  reçut  les 
leçons  deJos.  Haydn,  qui  lui  fit  connaître  les'onvrages  de 
Hœndel,  et  celles  d'Albreehtsberger  pendant  les  absences 
de  Haydn.  C'est  alors  que  commença  sa  carrière  d'artiste. 
Déjà,  ses  compositions  étaient  applaudies;  mais  elles 
étaient  aussi  l'objet  de  critiques  plus  ou  moins  sévè- 
res. Ainsi,  le  spirituel  J.  S.  Reichard  ne  pouvait 
s'accorder  avec  Beethoven  sur  la  manière  dont  celui-ci 
avait  conçu  son  Adélaïde,  une  de  ses  premières  compo- 
sitions, et  qui,  selon  Reichard,  était  plutôt  un  air 
a  due  caratteri  qu'un  Lied  (1).  Haydn  lui-même,  as- 
sure-t-on,  avait  fondé  des  espérances  plus  grandes  sur  le 
talent  d'exécution  que  sur  le  talent  décomposition  de  son 
élève  :  ce  qui,  néanmoins,,  paraît  hors  de  doute,  c'est 
qu'a  celte  époque,  ce  dernier  excitait  déjà  l'intérêt  le 
plus  vif  par  ses  fantaisies. 

Beethoven  remplissait  alors  ses  heures  de  loisir  par 
l'étude  des  langues  étrangères  et  par  la  lecture  des  meil- 
leurs poètes.  Sous  l'influence  d'un  penchant  solitaire,  il 
paraît  s'être  approprié  dans  ses  lectures  beaucoup  de  pen- 
sées par  le  tour  particulier  que  son  esprit  original  le  por- 
tait à  leur  donner.  Ainsi,  par  exemple ,  il  adopta  au 
nombre  de  ses  locutions  familières  quantité  de  bons  mots 
ou  de  traits  épigrammatiques  répandues  dans  les  anec- 
dotes de  la  gazette  musicale  de  Leipzig,  traits  auxquels 
le  fil  de  ses  observations  semble  avoir  continué  à  se  rat- 
tacher en  silence,  et  il  en  advint  que  ses  réflexions  du- 
rent souvent  être  incompréhensibles  à  tous  ceux  qui  n'a- 
vaient pas  lu  ces  anecdotes  absolument  dans  les  mêmes 
termes  que  lui.  On  cite  de  lui  plus  d'un  propos  qui  prou- 
vent combien  sa  pensée  était  empreinte  de  raison  ,  de 
noblesse  et  d'élévation.  Toutefois,  le  trait  prédominant 
de  son  caractère ,  même  hors  du  domaine  de  la  musique, 
paraît  avoir  été  un  goût  décidé  pour  cette  vie  intime  , 
isolée,  paisible  et  mystérieuse,  qui  rattache  bien  ça  et  la 
ses  ressorts  à  des  points  saillants  de  la  vie  extérieure  , 
rnaisjqui,  cependant,  en  réalité,  reste  étrangère  au  monde 
positif. 

C'est  ainsi  que  la  vie  de  Beethoven  s'écoulait  au 
milieu  de  ses  distractions  presque  studieuses  et  de  ses 
travaux  artistiques,  auxquels  il  se  livrait,  depuis  1801  , 
avec  la  plus  grande  activité.  Son  domicile  était  fixé  à 
Vienne,  qu'il  ne  quittait  en  général  que  pour  faire  quel- 

(i)  Nos  lecteurs  doivent  maintenant  être  familiarisés  avec  ce 
dernier  genre  de  compositions  allemandes  ,  qui  tient  le  milieu 
entre  la  romance  et  les  airs  d'opéra.  M.  Dessauer  a  publié  à 
Paris  plusieurs  Lied  très-remarquables. 


ques  courtes  absences  comme  pour  aller  aux  eaux  ou,  plus 
tard,  pour  habiter  momentanément  la  campagne  pen- 
dant l'été.  Lorsqu'en  1809  il  fut  appelé  à  diriger  la 
chapelle  royale  de  Hesse-Cassel ,  l'archiduc  Charles  se 
joignit  a  d'autres  de  ses  amis  pour  retenir  au  milieu  d'eux, 
en  lui  faisant  une  pension,  cette  dernière  gloire  de  l'art 
allemand.  C'est  ainsi  qu'à  l'exception  de  la  place  d'orga- 
niste qu'il  avait  remplie  dans  sa  jeunesse,  Beethoven 
demeura  toute  sa  vie  sans  emploi  fixe  et  dans  une  entière 
liberté  de  vivre  à  son  gré. 

Celte  position,  si  éventuelle  d'ailleurs ,  lui  permettait 
de  suivre  entièrement  son  penchant  pour  la  retraite,  et 
il  y  fut  encore  poussé  par  un  commencement  de  [surdité 
dont  il  fut  atteint  en  1810,  surditéqui  augmentant  peu- 
à-peu  jusqu'à  le  priver,  enfin,  totalement  del'ouïe,  acheva 
de  le  détacher  de  toutes  relations  sociales  et  d'isoler  son 
génie  d'artiste  de  toute  influence,  de  toute  distraction  du 
monde  extérieur.  Dès  ce  moment,  les  souvenirs  qui  lui 
restaient  de  l'empire  des  sons,  s'emparèrent  exclusive- 
ment de  son  imagination,  et,  voltigeantsans  cesse  autour 
de  lui  comme  des  êtres  immatériels,  rendirent  sa  vie 
intime  toujours  plus  mystérieuse  pour  les  profanes,  mais 
toujours  plus  féconde  pour  ceux  dont  l'âme  sympathi- 
sait avec  la  sienne.  On  aurait  dit  que  quelque  chose  de 
cette  existence  toute  de  mystère  était  répandu  sur  sa 
personne.  Partout  où  il  se  montrait,  dans  les  rues  ou  dans 
les  champs,  lafoule  des  joyeux  Viennois  devenait  paisible 
et  l'on  regardait  comme  à  la  dérobée  et  avec  une  sorte  de 
respect  religieux  cet  homme  que  l'on  voyait  cheminer  si 
profondément  absorbé  en  lui-même.  Un  sentiment  qui 
s'était  répandu  jusquesdans  les  classes  les  plus  inférieures, 
éloignait  de  sa  personne  toute  espèce  de  bruit  ou  tout  en- 
tourage inconvenant.  C'est  ainsi  qu'une  bande  de  char- 
bonniers le  rencontrant  un  jour,  tous  s'arrêtèrent  d'un 
commun  accord  et  demeurèrent  silencieusement  courbés 
sous  le  poids  de  leurs  fardeaux,  jusqu'à  ce  que  le  respec- 
table rêveur  les  eût  dépassés.  Même  de  la  part  des  classes 
élevées,  les  témoignages  de  considération  se  multipliaient 
à  son  égard. — Cependant,  au  milieu  de  ces  marques  gé- 
nérales d'estime,  le  travail  et  la  tension  continuelle  de 
son  esprit  épuisèrent  ses  forces  physiques  plutôt  encore 
que  cette  extrême  activité  intellectuelle  :  il  mourut  à 
l'âge  de  57  ans  d'un  état  complet  de  faiblesse,  qui  avait, 
pris  le  caractère  de  l'hydropisie. 

Ses  premiers  œuvres ,,  notamment  ses  variations  pour 
le  piano,  ses  sonates  ,  trios  ,  quatuois ,  concertos  et  ses 
premières  symphonies  (  en  ut  et  en  ré  majeur  )  ap- 
partiennent ,  quant  à  leurs  caractères  principaux  ,  à  la 
tendance  que  Jos.  Haydn  et  Mozart  avaient  imprimée  à  la 
musique  instrumentale.  Beethoven  paraît  avoir  éprouvé 


DE  PARIS. 


40" 


d' abord  un  penchant  sympathique  pour  la  fraîcheur ,  la 
sérénité  et  la  teinte  souvent  humoristique  des  composi- 
tions de  Haydn ,  en  même  temps  qu'il  semble  avoir  été 
entraîné  par  la  suavité  et  les  tendres  inspirations  qui 
abondent  dans  celles  de  Mozart.  Cette  tendance  imitative 
de  Beethoven  continue  a  se  J montrer  dans  une  partie  de 
ses  autres  ouvrages,  tels  que  ses  4e  et  8e  symphonies  (en 
si  B  mol  majeur  et  en  fa  majeur) ,  ses  merveilleux  trios 
(en  si  B  mol  majeur,  ceuv.  97)  et  beaucoup  de  ses  sonates. 
Mais,  si  le  génie  de  Haydn  et  de  Mozart  inclina  de  bonne 
heure  vers  les  compositions  dramatiques  et  la  musique 
d'église  (de  sorte  que  beaucoup  de  leurs  œuvres  de  piano 
ressemblent,  comparativement  à  leurs  autres  ouvrages  , 
a  des  productions  dues  simplement  au  caprice  et  à  des 
inspirations  momentanées),  Beethoven  suivit ,  lui,  une 
autre  direction.  Son  habitude  de  s'isoler  des  scènes  du 
monde,  par  suite  de  laquelle  il  demeurait  également 
étranger  au  théâtre  ainsi  qu'aux  formes  et  aux  lois  du 
drame  et  de  l'église,  cette  habitude  l'amena  a  préférer  le 
domaine  de  la  musique  instrumentale,  et  à  s'attajher  , 
dès-lors,  au  piano,  orchestre  complet  et  qui  convient  si 
bien  aux  solitaires.  Ses  compositions  pour  cet  instru- 
ment devinrent,  avec  les  quatuors  qui  s'y  rattachent,  la 
principale  et  la  véritable  sphère  de  son  talent  Créateur. 

Le  résultat  extérieur  de  ce  penchant  de  Beethoven 
pour  le  piano  fut  un  luxe  extraordinaire  d'exécution,  une 
grande  convenance  dans  la  manière  de  traiter  l'instru- 
ment, une  intelligence  parfaite  de  son  caractère  et  de  ses 
ressources,  qualités  que  nous  ne  trouvons  que  ça  et  là 
chez  Haydn  et  pi  us  rarement  encore  chez  Mozart ,  et  a 
l'égard  desquelles  Dussec  et  le  prince  Louis-Ferdinand  de 
Prusse  sont  les  principaux  devanciers  et  émules  de  Bee- 
thoven. Sous  la  main  de  ce  dernier,  les  figures  devinrent 
plus  larges  et  plus  riches;  les  accords  plus  pleins  et  plus 
harmonieux  au  moyen  de  combinaisons  ingénieuses  et 
non  purement  mécaniques  ;  la  mélodie  plus  nette,  plus 
saillante  et  plus  diversement  nuancée  a  l'aide  de  super- 
positions d'octaves  et  de  l'arrangement  intelligent  des 
voix  accessoires;  la  phrase,  enfin,  plus  nombreuse  et  plus 
claire  par  la  conduite  parfaite  des  voix,  souvent  disposées 
soit  dans  le  goût  du  quatuor,  soit  clans  celui  de  l'orches- 
tre. On  ne  saurait  nier  que  le  grand  perfectionnement 
qu'a  reçu  le  piano,  et  le  progrès  général  dans  la  partie 
technique  de  l'exécution  n'aient  eu  une  grande  influence 
sur  les  développemens  du  talent  de  Beethoven.  Mais  il 
est  facile  de  reconnaître  que  ces  développements  ne  se 
réduisaient  pas  à  un  progrès  matériel  et  éventuel.  Le 
moindre  examen  suffit,  au  contraire,  pour  se  convaincre 
qu'un  riche  génie  artistique  s'est  épanché  dans  ses  com- 
positions ,  et  a  su  élever  le  piano  a  sa  hauteur  pour  en 


faire  l'organe  le  plus  propre  a  rendre  ses  inspirations.  La 
vérité  de  ce  fait  devient  surtout  sensible  si  l'on  compare 
des  sonates  de  Mozart  avec  les  premières  petites  sonates 
de  Beethoven  (par  exemple,  celles  des  œuvres  2  et  10) 
et,  ensuite,  ces  dernières  avec  des  sonates  postérieures 
du  même  auteur  appartenant  a  la  même  tendance  (  celles 
des  œuvres  53  et  90),  ou  bien  encore  les  concertos  de 
piano  de  Mozart  avec  les  premiers  concertos  que  Beetho- 
ven a  écrits  dans  un  style  imitatif;  si,  enfin ,  on  rappro- 
che ces  derniers  avec  les  concertos  plus  grands  que  Bee- 
thoven a  composés  plus  tard,  comme,  par  exemple,  celui 
en  mi  B  mol  (ceuv.  73). — Il  est  certain  que,  du  temps 
même  de  Beethoven,  ainsi  qu'après  sa  mort ,  des  progrès 
remarquables  ont  été  faits  dans  la  partie  technique  de 
l'art  de  jouer  du  piano  et  que  certains  passages  de  ses 
compositions  ont  été  notamment  surpassés  en  difficultés 
et  en  richesse  ;  mais  on  ne  sache  pas  que  l'on  ait  décou- 
vert de  nouvelles  ressources  à  cet  instrument  ou  que  l'on 
ait  seulement  ouvert  au  jeu  de  bravoure  une  voie  plus 
spirituelle  ou  plus  artistique  et  d'un  meilleur  goût , 
!  quelques  estimables 'que  soient  d'ailleurs  sons  d'autres 
points  de  vue  les  efforts  des  artistes  qui  ont  survécu  à 
Beethoven. 

Ces  mélodies  plus  chantantes,  plus  puissantes,  plus 
intimes;  cet  accroissement  d'harmonie,  ce  riche  déve- 
loppement de  toutes  les  ressources  du  piano  ,  tout  cela 
exigeait  un  aggrandissement  du  cadre  de  la  composition, 
une  disposition  plus  grandiose  des  masses  ,  une  combi- 
naison et  plus  variée  et  plus  profonde  des  thèmes  et  des 
motifs,  et  c'est,  en  effet,  dans  l'arrangement  extérieur 
des  masses  ,  dans  le  développement  plus  large  de 
,res  idées  que  se  montre  le  second  progrès  de  Beetho- 
ven. Pour  s'en  convancre,  il  n'y  a  qu'à  comparer  sa 
deuxième  symphonie  avec  sa  première  ou  bien  avec  les 
symphonies  de  Haydn  et  de  Mozart.  On  ne  conçoit  pas 
même  qu'une  sonate  comparable  à  la  sienne  en  si  bémol 
majeur  (œuvre  106) ,  sous  le  rapport  du  développement 
et  de  la  richesse  d'exécution,  aurait  pu  être  écrite  par 
l'un  de  ses  devanciers.  Le  morceau  solo  de  piano  le  plus 
remarquable  de  Mozart,  si  riche  en  belles  pensées  et 
dont  les  deux  parties  offrent  un  si  grand  caractère  d'u- 
nité, se  compose  cependant  de  deux  parties,  qui,  mal- 
gré l'unité  du  ton  fondamental ,  n'ont  pu  se  fondre  en 
un  seul  tout. 

Ce  que  nous  venons  de  signaler  de  remarquable  dans 
le  talent  de  Beethoven  sous  le  rapport  extérieur,  a  aussi 
imprimé  quelque  chose  de  plus  intime  aux  œuvres  de  ce 
grand  compositeur.  Ses  pensées,  la  manifestation  de  ses 
sentimens  en  deviennent  plus  grandioses,  plus  puissan- 
tes, plus  entraînantes;  pour  le  fixer  et  l'attacher  souvent 


40S 


GAZETTE  MUSICALE 


si  long-temps ,  un  thème  devait  nécessairement  être 
senti  plus  profondément  par  l'artiste  ;  une  sensation  sur 
laquelle  il  s'était  si  long-temps  arrêté,  devait  se  produire 
ensuite  d'une  manière  plus  claire  et  plus  forte,  et  c'est 
ainsi  que  les  compositions  de  Beeihoven  grandissaient  et 
prenaient  ce  caractère  d'unité  que  l'on  trouve  encore  rare, 
ment  et  presque  jamais  d'une  manièie  complète  dans  les 
œuvres  de  ses  devanciers.  On  ne  peut  même  pas  nier  que 
cette  absorption  dans  ses  pensées ,  cet  abandon  total  avec 
lequel  il  se  livrait  à  ses  sentimens  intimes ,  n'aient  sou- 
vent conduit  Beethoven  dans  ses  compositions  jusqu'à 
l'insaliété,  a  tel  po  nt  qu'il  ne  savait  pas  finir;  qu'en 
écrivant  il  joignait  a  une  inspiration  profonde  une  autre 
inspiration  plus  profonde  encore,  et  que  les  sens  de  ses 
auditeurs  se  fatiguent  plus  vite  que  le  désir  toujours  sa- 
tisfait de  leur  ame  ne  s'épuise.  Ce  qu'il  faut  admirer 
aussi  dans  ce  grand  maître ,  c'est  que  jamais  ce  torrent 
de  sentiment  ne  rompt  la  digue  d'une  forme  sagement 
choisie  par  l'artiste ,  et  ne  s'élargit  qu'en  se  conformant 
toujours  strictement  aux  règles.  La  sonate  en  si  bémol 
majeur,  dont  nous  avons  déjà  fait  mention  ,  quelques- 
uns  des  derniers  quatuors  et  notamment  le  premier  mor- 
ceau de  la  neuvième  symphonie  offrent  la  preuve  de 
cette  assertion . 

Par  cette  manière  large  et  grandiose  de  raviver  sans 
cesse  le  thème  et  le  développement  des  motifs ,  de  faire 
briller  chaque  motif  par  de  nouveaux  tours ,  toujours 
plus  riches  et  plus  profonds,  Beethoven  était  naturelle- 
ment conduit  a  pénétrer  si  avant  dans  les  replis  de  son 
inépuisable  imagination  et  a  en  tirer  des  combinaisons 
tellement  neuves  et  souvent  même  tellemeut  imprévues, 
que,  parfois,  elles  doivent  paraître  bizarres  au  musicien, 
à  qui  les  secrets  de  l'art  ne  sont  pas  encore  suffisamment 
dévoilés.  La  plupart  de  ses  derniers  œuvres  sont  remplis 
de  ces  tours  nouveaux,  et  montrent  comment,  en  par- 
tant du  genre  de  Haydn  et  de  Mozard,  Beethoven,  tou- 
jours conséquent  dans  sa  marche  avec  lui-même,  s'est 
avancé  d'un  pas  hardi  dans  la  rorte  profonde  qu'il  s'é- 
tait creusée.  Sous  le  rapport  de  l'originalité,  nous  cite- 
rons comme  sa  production  la  plus  riche  et  la  plus  incom- 
parable ses  variations  (œuvre  120),  dans  lesquelles  il  est 
parti  des  idées  les  plus  tendres  pour  aller  jusqu'à  la  spécu- 
lation minutieuse,  jusqu'à  une  dialectique  obstinée  d'un 
sentiment  toujours  progressif,  morceau  où  il  se  met  au- 
dessus  de  toutes  les  formes  admises. 

La  plupart  des  œuvres  de  Beelhoven  que  nous  avons 
analysées  jusqu'ici ,  font  déjà  de  lui  un  artiste  tellement 
original,  tellement  différent  de  ses  devanciers,  que  nous 
pouvons,  dès  ce  moment,  le  suivre  dans  les  autres  ré- 
gions de  sa  sphère  d'action,  sans  avoir  a  craindre  de 
perdre  de  vue  sa  physionomie  caractéristique. 


Cette  richesse  et  celte  profondeur  qui  sont  le  type  de 
ses  compositions  pour  le  piano  ,  nous  les  retrouvons,  en 
effet,  dans  ses  compositions  d'orchestre,  et,  en  raison 
de  la  puissance  des  moyens,  elles  y  apparaissent  encore 
à  un  degré  supérieur  et  avec  un  nouveau  caractère  de 
grandeur. 

Beelhoven  a  su  y  répandre  plus  abondamment  cette 
force  et  ce  riche  coloris  dont  le  piano  lui  avait  laissé  en- 
trevoir les  formes  immatérielles.  Ici  il  se  plonge  dans  les 
accords  ,  il  lie  les  voix,  les  sépare  et  les  réunit  encore  : 
c'est  la  réalité  de  ce  qu'il  n'avait  pu  que  pressentir  au 
piano.  Son  génie  puise  toujours  plus  profondément  a  la 
source  des  sons;  de  nouvelles  clartés  se  montrent  à  lui  , 
le  silence  de  la  profondeur  où  il  est  descendu,  devient 
toujours  plus  mystérieux^  l'allure  des  voix  toujours  plus 
aisée  et  plus  hardie;  il  poursuit '-enfin  ses  succès  dais 
celte  nouvelle  carrière  jusqu'à  ce  que  (et  notamment 
dans  la  neuvième  symphonie)  il  y  ait  aussi  atteint  a  la 
perfection,  c' est-a-dire  jusqu'à  ce  que  les  voix,  mar- 
chant d'abord  chacune  librement,  comme  si  elle  n'était 
là  que  pour  elle  seule ,  se  confondent  ensuite ,  toujours 
avec  une  merveilleuse  aisance,  pour  ne  former  qu'un 
admirable  tout...  une  polyphonie  à  laquelle  on  ne  peut 
comparer  que  celle  de  Sébastien  Bach,  bien  qu'elle  soit 
née  d'une  toute  autre  manière.  Bach  rassemble  voix  sur 
voix  ;  les  lois  du  double  contrepoint  lui  fournissent  son 
point  de  départ,  et  le  guident  dans  sa  route;  il  consi- 
dère l'harmonie  comme  un  moyen  qui  se  développe  de 
lui-même.  Beethoven  s'attache  à  étendre  la  donnée  har- 
monique ,  et  il  en  fait  un  tissu  toujours  plus  libre  et  plus 
riche  ;  l'harmonie  fait  sa  base,  de  laquelle  il  part  sous  la 
direction  d'une  voix  principale  ;  cependant,  souvent  , 
l'émancipation  ou  le  développement  de  chaque  voix  est 
le  but  vers  lequel  il  tend,  quelquefois  même  à  son  insçu  ; 
suivant  l'occasion  ,  il  fait  servir  à  cette  tendance  les  for- 
mes du  double  contrepoint,  d'où  il  arrive  que  là  où  elles 
devraient  être  le  but  (comme  dans  le  finale  de  la  sonate, 
œuvre  ilO  et  ailleurs)  ,  elles  ne  sont  pas  portées  dans 
ses  ouvrages  à  ce  point  de  perfection  que  l'on  devait  at- 
tendre^ du  génie  de  cet  artiste.  — ■  Une  seule  chose  ne 
se  trouve  pas  dans  les  œuvres  de  Beethoven;  c'est  cette 
naïveté  enfantine  ,  cette  sérénité  semblable  à  la  pureté 
d'un  ciel  azuré ,  qui  sont  propres  à  l'instrumentation  de 
Haydn.  Beelhoven  se  plaisait  davantage  à  nous  conduire 
dans  la  région  des  orages  ou  à  nous  faire  respirer  l'air 
balsamique  d'une  nuit  indienne. 

C'est  ainsi ,  comme  nous  venons  de  le  raconter,  qu'il 
s'était  identifié  avec  son  inonde  instrumental  ;  qu'il  s'é- 
tait fait  de  ses  inslrumens  ses  organes  de  prédilection  ; 
qu'il  se  sentait  plus  de  liberté  dans  leur  sphère  et  plus 
d'affinité  avec  eux  qu'avec  les  êtres  humains  ;  tel  que 


DE  PARIS. 


409 


le  Brame  ,  dont  l'esprit  abstrait  s'attache  de  préférence 
aux  nombreux  phénomènes  du  règne  animal  et  du 
règne  végétal ,  et  qui ,  dans  ses  contemplations  fantasti- 
ques, perd  presque  de  vue  l'espèce  humaine.  11  suit  de 
là  que  la  musique  vocale  ne  pouvait  devenir  aussi  fami- 
lière à  ce  maître  que  la  musique  instrumentale.  Toute- 
fois, un  esprit  comme  le  sien  devait  aussi  faire  de  pré- 
cieuses découvertes  dans  cette  partie  de  l'art,  et  il  n'est 
pas  permis  a  un  chanteur  de  ne  pas  connaître  ses  airs  sur 
les  paroles  de  Gellert,  son  recueil  de  chansons  dédié  aux 
absens  et  beaucoup  d'autres  morceaux  de  chant  de  sa 
composition.  Mais  les  qualités  intimes  de  la  voix  hu- 
maine et  les  propriétés  musicales  du  langage  ne  pa- 
raissent pas  s'être  révélées  à  lui  comme  on  aurait  pu  le 
croire  à  l'égard  d'un  tel  artiste.  On  voit  qu'une  grande 
partie  de  sa  musique  vocale  ne  lui  a  pas  été  inspirée  par 
les  paroles;  mais  qu'il  a  ,  pour  ainsi  dire,  transporté  sur 
celles-ci  les  inspirations  d'une  musique  libre;  souvent,  le 
charme  de  ses  chants  est  rompu  et  contrarié  par  la  pa- 
role ;  souvent ,  ils  sont  contraires  a  la  nature  de  la  voix  ; 
souvent,  enfin,  comme  dans  Fidelio  ,  l'orchestre  do- 
mine la  musique  vocale ,  ou  les  voix  (comme  dans  sa 
dernière  messe  en  ré  majeur,  cenvre  23),  se  confondent 
pour  former  un  chœur  qui  présente  un  tout  a  côté  de 
l'orchestre.  Ainsi ,  quant  aux  premières  époques  de 
Beethoven,  sa  première  messe,  son  oratorio  (/e  Christ 
au  mont  des  Oliviers),  son  opéra  Ele'onore  (retouchée 
sous  le  nom  de  Fidelio),  sont  sans  doute  remplis  du 
plus  profond  génie  musical,  et  notamment  son  opéra 
peut  être  considéré  comme  la  création  dramatique  la 
plus  parfaite  depuis  Mozart  ;  toutefois,  en  entrant  pro- 
fondément dans  l'essence  tde  la  musique  vocale  et  du 
chent  dramatique,  on  trouvera  dans  ces  œuvres,  d'ail 
leurs  si  admirables,  plusieurs  imperfections  qu'on  ne  se 
sent,  du  reste,  le  courage  de  relever  qu'en  s'appuyant 
sur  les  ouvrages  des  grands  devanciers  de  Beethoven. 

Averti  peut-être  par  son  inslinct  sur  la  nature  de  son 
talent,  Beethoven  se  retira  d'autant  plus  profondément 
dans  sa  solitude  enchantée.  Ce  que,  avec  sa  surdité  sur- 
tout, il  ne  pouvait  trouver  dans  les  liaisons  sociales,  son 
monde  a  lui ,  ses  voix  le  lui  offraient  ;  il  le  sentait  dans 
ses  instruments.  Sa  musique  sur  Egmont,  son  ouverture 
de  Coriolan  lui  traduisirent  mieux  les  poètes  que  n'eus- 
sent pu  faire  ses  chants.  Ses  sensations  si  profondes 
tournèrent  en  un  état  habituel.  Jamais  on  n'a  mieux 
rendu  les  adieux  sans  fin  d'un  couple  amoureux,  le  vide 
de  la  solitude,  ee  bonheur  plein  delarmeset  de  transports 
a  la  fois  de  deux  âmes  qui  se  disent  réciproquement  :  «je 
te  retrouve»  ,  que  Beethoven  ne  l'a  fait  dans  sa  sonate 
(œuv.  81):  les  adieux,   l'absence  et  le   retour.  C'est 


d'une  manière  non  moins  admirable  qu'il  a  su  peindre, 
dans  sa  symphonie  en  ut  mineur,  cette  lutte  d'un  esprit 
vigoureux  et  sensible  qui,  après  "s'être  relevé  de  son 
abattement  par  un  regard  jeté  vers  le  ciel  et  être,  néan- 
moins ,  retombé  dans  les  sombres  accès  de  son  scepti- 
cisme, parvient,  par  un  dernier  effort,  au  triomphe  le 
plus  éclatant  de  ses  doutes.  Une  page  de  son  histoire  in- 
time nous  est  fournie  par  sa  sonate  (quasi  fantaisie ,  en 
ut  mineur  n"2,  œuv.  27),  écrite  par  lui  au  mo- 
ment où  il  se  trouva  déçu  dans  un  tendre  sentiment 
auquel  il  fut  obligé  de  renoncer.  Ceux  dont  le  cœur  res- 
sent pour  Beethoven  cette  sympathie  sans  laquelle  les 
arts  en  général  ne  sauraient  être  bien  compris,  recon- 
naîtront facilement  dans  la  sonate  œuv.  5  et  dans  d'au- 
tres de  ses  ouvrages  de  pareilles  manifestations  de  sen- 
tiinens  déterminés  et  les  dispositions  de  l'ame  du 
compositeur  au  moment  où  il  écrivait ,  alors  même  qu'il 
n'a  pas  eu  soin  d'avertir  le  public  de  ces  dispositions  par 
des  suscriptions  expresses  comme  celles  que  portent 
l'œuvre  81 — 26  ,  son  avant-dernier  quatuor  et  quelques 
autres  de  ses  compositions. 

Nous  ne  venons  de  tracer  qu'un  portrait  bien  impar- 
fait de  la  physionomie  originale  de  Beethoven  et  qu'une 
analyse  également  incomplète  de  ses  œuvres.  Toutefois, 
nous  osons  nous  flatter  d'avoir  fourni  dans  cette  esquisse 
simple  et  rapide  quelques  traits  ,  quelques  données  pro- 
pres à  mieux  faire  apprécier  le  génie  de  cet  immortel  ar- 
tiste, qui,  jusqu'aux  derniers  moments  de  sa  carrière , 
s'est  illustré  par  d'éclatans  travaux  et  par  son  amour  re- 
ligieux et  passionné  pour  un  ait,  dont,  nous  le  répétons, 
ses  heureux  efforts  ont  incontestablement  agrandi  le 
domaine.  A.  Marx. 


DU    MOUVEMENT  MUSICAL 

A  PARIS. 

Jamais,  depuis  que  les  Français  s'occupent  d'art,  on 
n'a  observé  chez  eux  un  tel  empressement  a  accueillir 
tout  ce  qui  peut  favoriser  les  développemens  de  la  mu- 
sique. C'est  une  fureur,  une  rage;  on  n'entend  parler 
de  toutes  parts  que  de  nouveaux  établissemens  qui  s'é- 
lèvent, d'associations  d'artistes  qui  se  forment,  de  ten- 
tatives pour  l'introduction  de  Topera  allemand,  de  con- 
certs périodiques  et  isolés, de  nouveaux  journaux  de  mu- 
sique, de  publications  a  bon  marché,  de  débuts  de  chan- 
teurs ,  etc.,  etc.  A  quoi  aboutira  tout  ce  remue-ménage? 
—  Je  ne  sais  —  toujours  y  a-t-il  un  avantage  pour  les 
musiciens  a  ce  que  le  public  s'occupe  d'eux ,  et  s'en  oc- 
cupe avec  autant  d'ardeur.  Voyons  cependant  ce  qu'il  y 
a  de  réellement  artiste,  ou  tout  au  moins  de  musical  , 


MO 


GAZETTE  MUSICALE 


dans  cette  multitude  de  tentatives  faites  au  nom  de  l'art 
sublime  de  Mozart  et  de  Beethoven. 

L'une  des  plus  remarquables  dont  on  parle  en  ce  mo- 
ment, sous  la  dénomination  de  Gymnase  musical ,  pré- 
tend se  fonder  sur  des  bases  nouvelles,  a  l'aide  demoyens 
qui  n'ont  pas  encore  été  mis  en  pratique,  et  n'avoir  au- 
cune analogie  avec  les  concerts  créés  jusqu'à  ce  jour. 
Les  entrepreneurs  font  bâtir  a  cet  effet,  dans  un  des  plus 
beaux  quartiers  de  Paris ,  une  salle  susceptible  de  rece- 
voir de  onze  à  douze  cents  personnes,  dont  toutes  les 
places,  numérotées  et  divisées  en  stalles,  pourront  être 
louées  en  tel  nombre  que  ce  soit  par  représentation  ou 
pour  toute  la  durée  de  la  saison  musicale.  L'orchestre 
sera  nombreux  et  choisi,  et  dirigé  par  un  compositeur 
distingué  qui  a  fait  ses  preuves  depuis  long-temps.  Des 
chœurs,  également  dirigés  par  un  maître  habile,  com- 
pléteront l'ensemble  de  ces  concerts.  Le  choix  des  mor- 
ceaux nouveaux ,  exécutés  au  Gymnase  musical ,  sera 
déterminé  par  un  jury  formé  de  tout  ce  que  la  capitale 
renferme  de  grands  compositeurs.  Indépendamment  de 
la  musique  nouvelle  et  de  celle  des  maîtres  célèbres,  on 
soumettra  au  public  des  partitions  d'opéras  étrangers  et 
inédits  qui  n'auront  jamais  été  entendus  a  Paris.  On 
fouillera  les  archives  de  notre  musique  et  celles  de  tous 
les  peuples,  pour  faire  revivre  de  l'oubli  les  composi- 
tions les  plus  saillantes  et  les  plus  originales.  Les  ro- 
mances mêmes  y  seront  admises.  Hâtons-nous  d'ajouter 
que  l'indulgence  des  fondateurs  du  Gymnase  musical  ne 
s'étend  pas  plus  loin ,  et  que  la  contredanse  n'y  figurera 
point. 

Les  chanteurs  et  instrumentistes  trouveront  ainsi  un 
moyen  facile  de  faire  apprécier  leurs  talens ,  sans  être 
obligés ,  comme  aujourd'hui,  de  monter  a  grand'  peine 
un  mauvais  concert  qui  n'attire  personne,  et  où  ils  sont 
pour  l'ordinaire  fort  mal  secondés.  Enfin  les  directeurs 
ne  visent  a  rien  moins  qu'à  donner  a  leur  établissement 
le  rang  intermédiaire  entre  l'Opéra  et  les  Bouffes. 

Nous  faisons  des  vœux  sincères  pour  que  ce  plan 
puisse  être  réalisé  dans  toutes  ses  parties;  mais,  franche- 
ment, il  nous  paraît  fort  douteux  qu'on  y  parvienne. 

Comment  composer  un  grand  itt  bon  orchestre,  quand 
les  théâtres  ont  déjà  tant  de  peines  a  y  parvenir?  Les 
concerts  de  MM.  Masson  et  Musard  n'ont-ils  pas  enlevé 
tout  ce  qu'il  y  avait  à  Paris  d'instrumentistes  capables 
en  disponibilité?  —  On  en  fera  venir  de  province.  — 
Soif,  mais  les  musiciens  de  province,  quel'e  que  soit  la 
réputation  dont  quelques  -  uns  jouissent  dans  leurs  dé- 
partemens,  seront-ils  en  état  d'exécuter  la  musique  ins- 
trumentale moderne,  dont  les  difficultés  effraient  même 
les  musiciens  de  Berlin,  de  Vienne  et  de  Paris?  —  Puis 


quel  est  ce  compositeur  distingue'  qui  a  fait  ses  preuves 
depuis  loug-lempsj  auquel  doit  être  confiée  la  direction 
de  l'orchestre?.-....  Il  est  permis  de  penser  que  si  son 
nom  pouvait  être  une  recommandation,  on  se  fût  bien 
gardé  de  le  taire.  La  difficulté  d'avoir  des  chœurs  sup- 
portables sera  plus  grande  encore.  Il  n'y  aurait  d'autre 
moyen  de  la  vaincre,  que  d'envoyer  dans  le  midi  de  la 
France ,  où  les  belles  voix  sont  assez  communes,  d'aller 
en  chercher  même  en  Allemagne  et  en  Italie.  Mais  quel- 
les dépenses  !  Il  faudrait  bien  des  actionnaires  pour  les 
couvrir.  Les  trouvera-t-on ?  Dieu  le  veuille!  mais  c'est 
peu  probable.  L'idée  de  passer  en  revue  la  musique  de 
toutes  les  époques,  a  l'imitation  des  concerts  historiques 
de  M.  Fétis,  est  excellente,  et  c'est  une  chance  réelle 
de  succès.  Nous  en  voyons  braucoup  moins  dans  le  pro- 
jet de  faire  entendre,  après  un  examen  préalable  dit 
jury,  les  compositions  nouvelles  des  auteurs  qui  com- 
mencent. Le  public  s'intéresse  peu  a  de  pareils  concours, 
et  il  aime  tout  autant  qu'ils  se  fassent  a  huis  clos  qu'en 
sa  présence.  Le  titre  de  Gymnase  justifie  cependant  toute 
espèce  d'essai;  mais,  encore  une  fois,  le  public  qui 
pnie  n'accorde  pas  la  moindre  importance  aux  mots,  c'est 
aux  choses  qu'il  s'attache  ;  et  si  on  lui  donne  de  pâles 
compositions  d'écoliers ,  vous  aurez  beau  dire  que  votre 
institution  est  un  gymnase,  la  caisse  restera  vide.  Nous 
ne  pouvons  donc  que  recommander  a  la  direction  une 
extrême  réserve  sur  cet  article ,  d'autant  plus  que  les 
décisions  d'un  jury,  quel  qu'il  soit,  en  matière  d'art, 
sont  rarement  heureuses. 

Dans  tous  les  cas,  c'est  toujours  une  excellente  idée 
que  celle  qui  a  porté  les  chefs  de  l'entreprise  à  faire  bâ- 
tir une  salle  de  concert  sur  le  plan  de  celle  de  la  rue 
Bergère  (la  seule  réellement  bonne  à  Paris).  Les  artistes 
qui  ne  peuvent  obtenir  l'autorisation  de  se  faire  enten- 
dre aux  Menus-Plaisirs,  pendant  la  meilleure  saison  de 
l'année ,  à  cause  du  privilège  accordé  a  la  société  du 
Conservatoire,  pourront  s'adresser  au  Gymnase  musical. 

Il  est  question  dans  ce  moment-ci  d'une  autre  entre- 
prise, qui,  bien  que  formée  par  une  association  d'artis- 
tes célèbres  pour  la  plupart,  ne  nous  semble  pas  avoir 
le  moindre  élément  de  succès.  Le  Cercle  musical,  tel  est 
le  titre  adopté  parla  nouvelle  société.  Litz,  Chopin, 
Bertini ,  Labarre,  Brod,  Franchomme,  Cuvillon ,  Ge- 
raldi,  tels  sont  les  noms  que  l'on  remarque  sur  la  liste 
de  ses  fondateurs.  Le  lieu  des  séances  n'est  pas  encore 
définitivement  arrêté.  Il  a  beaucoup  été  question  de  la 
salle  humide,  obscure  et  enfumée  de  la  rue  Chantereine. 
Nous  regardons  un  pareil  choix  ,  s'il  est  conservé,  comme 
du  plus  funeste  augure.  D'ailleursnous  ne  voyons  guère 
le  but  que  se  propose  la  société  du  Cercle  musical.   Ces 


DE  PARIS. 


411 


concerts  seront  sans  orchestre ,  ou  a  peu  près  ;  il  n'y  aura 
aucun  effet  de  niasse.  En  ce  cas ,  tout  se  réduisant  a  des 
soli,  à  des  duos,  trios,  quatuors  ou  quintetti ,  il  est  dif- 
ficile de  croire ,  malgré  la  supériorité  incontestable  de 
plusieurs  des  artistes  que  nous  venons  de  nommer,  a  un 
succès  de  longue  durée;  il  est  plus  difficile  encore  de 
comprendre  l'avantage  qui  résultera  pour  chacun  des 
associés  d'une  semblable  communauté  de  biens  et  de  ta- 
lens.  Supposons  que  l'un  d'eux  eût  voulu  donner  un 
concert  :  assurément  aucun  des  autres  n'aurait  refusé 
d'y  prendre  part,  s'il  en  eût  été  prié.  Que  gagnent-ils 
donc  tous  à  se  constituer  en  société?  l'avantage  seule- 
mens  de  pouvoir  éluder  les  poursuites ,  souvent  fort  im- 
portunes ,  des  bénéficiaires  qui  battent  le  pavé  de  Paris, 
et  d'avoir  la  faculté  de  congédier  ceux  qui  viennent  de- 
mander un  solo  de  piano,  de  violon  ,  de  hautbois  ou  de 
violoncelle ,  avec  ce  peu  de  mots  :  «  Bien  désolé  de  ne 
«  pouvoir  vous  être  agréable,  mais  je  fais  partie  du  Cer- 
»  cle  musical,  et  des  engagemens  d'honneur  interdisent 
»  à  tous  les  membres  de  cette  société  de  jouer  ailleurs 
«  que  dans  les  concerts  qu'elle  donne.  »  Attendons  les 
résultats  

La  direction  du  théâtre  Ventadour  fait  des  efforts  in- 
croyables pour  réaliser  la  promesse  qu'elle  a  faite  depuis 
si  long-temps  aux  admirateurs  de  Weber  et  de  Beetho- 
ven, de  leur  rendre  Oberon  ,  le  Freischûtz  et  Fidelio. 
Les  chœurs  sont  presque  complets;  ils  ont  même  déjà  été 
admis  a,  faire  leurs  preuves.  Diverses  productions  voca- 
les de  l'école  allemande,  chantées  sans  accompagnement 
dans  les  entr'actes  de  Chao-Kang,  ont  prouvé  que  la 
supériorité  des  choristes  d'outre-Rhin  ne  pouvait  être 
contestée.  Il  y  a  dans  leur  exécution  de  la  chaleur,  de 
la  précision  et  un  sentiment  sérieux  de  l'art  qu'on  cher- 
cherait on  vain  dans  les  masses  chantantes  de  nos  théâ- 
tres lyriques.  Plusieurs  acteurs  delà  troupe  engagée  par 
M.  Strunz  sont  également  arrivés;  ils  attendent  sans 
doute  impatiemment  le  moment  de  débuter.  A  quand 
donc  l'ouverture? 

M.  Crosnier,  de  son  côté ,  ne  s'endort  pas  ;  les  pièces 
nouvelles  se  succèdent  avec  rapidité  a  l'Opéra-Comique, 
et  les  concerts  ajoutés  aux  représentations  du  samedi,  en 
augmentant  a  l'intérêt  du  spectacle,  ne  pourront  qu'exer- 
cerla  plus  heureuse  influence  sur  l'éducation  deshabitués 
du  théâtre  de  la  Bourse  ,  en  les  accoutumant  a  des  for- 
mes musicales  plus  larges  et  plus  variées  que  celles  dont 
on  les  berce  depuis  longues  années:  A  la  dernière  de  ces 
soirées  musicales,  le  violon  de  M.  Panofkn  a  fait  sensa- 
tion. Le  jeu  de  cet  artiste  est  plein  d'un  charme  mélan- 
colique et  tendre  qu'on  ne  trouve  pas  chez  beaucoup  de 
ses  rivaux  ;  ses  chants  ont  de  la  suavité,  de  l'élégance, 


et  ses  traits  ne  manquent  ni  de  prestesse  ni  d'éclat.  Pon- 
chard,  dans  le  même  concert,  a  chanté  avec  l'admira- 
ble sensibilité  qu'on  lui  connaît,  deux  romances  assez 
peu  originales,  sur  lesquelles  l'ame  du  chanteur  a  su  ré- 
pandre la  chaleur  et  le  coloris  qui  leur  manquaient.  La 
nature  est  une  marâtre  bien  sotte  et  bien  ingrate,  on  ne 
peut  en  disconvenir,  en  voyant  un  artiste  tel  que  Pon- 
chard  a  peu  près  dépourvu  de  l'organe  dont  il  pourrait 
faire  un  si  merveilleux  usage.  Dernièrement  encore,  à 
la  reprise  de  Zémire  et  Azor,  il  a  su  rendre  aux  chants 
de  Grétry  une  fraîcheur  dont  on  ne  les  aurait  pas  crus 
susceptibles;  son  air  favori  :  «  Du  moment  qu'on  aime  » 
lui  a  valu  deux  salves  d'applaudissemens  de  bon  aloi. 
Mais  ce  n'est  pas  tout  d'avoir  des  chanteurs  et  des  solis- 
tes remarquables  pour  donner  des  concerts ,  les  morceaux 
d'ensemble  de  voix  et  d'instrumens  sont  de  rigueur  au- 
jourd'hui. M.  Crosnier  s'abstient  cependant  de  mettre 
en  évidence  ses  chœurs  et  son  orchestre;  il  faut  croire 
qu'il  a  de  fort  bonnes  raisons  pour  cela.  Mais  il  est  pro- 
bable qu'il  médite  d'importantes  améliorations  dans  l'exé- 
cution des  masses ,  sans  quoi  il  serait  impossible  d'ajou- 
ter foi  au  bruit  qui  circule  depuis  quelques  jours  de  la 
mise  en  scène  du  Freischûtz.  Les  chœurs  de  Weber  con- 
fiés aux  choristes  de  l'O^éra-Comique  !!!!  Dans  l'état 
actuel  de  ce  théâtre,  cela  serait  curieux.  Et  l'orchestre, 
avec  ses  cinc[  violons  de  chaque  côté,  essayant  la  fou- 
droyante ouverture Oh!   non,  jamais,  ce  serait 

trop  fort. 

Les  débuts  n'ont  pas  été  très-heureux  sous  la  nouvelle 
administration.  Mademoiselle  AméliaMasi,  après  avoir 
obtenu  a  son  apparition  une  espèce  de  succès,  s'est  mise, 
aux  représentations  suivantes,  a  chanter  tellement  faux, 
que,  malgré  sa  jolie  figure  et  le  bon  accueil  qu'elle  avait 
reçu  le  premier  jour,  elle  a  dû  quitter  la  partie.  Made- 
moiselle Lebrun  possède  un  fort  beau  contralto  qu'elle  a 
beaucoup  exercé  dans  les  traits,  fort  peu  dans  le  chant 
soutenu  ,  et  qui  ne  trouvera  pas  de  quelque  jemps  l'oc- 
casion de  paraître  avec  avantage  à  l'Opéra  -  Comique , 
puisqu'il  n'y  apas  un  véritable  rôle  de  contralto  dans  tout 
le  répertoire.  D'ailleurs,  malgré  sa  belle  voix  et  sa  jolie 
figure,  nousnous  croyons  en  conscience  obligés  de  lui 
donner  le  mêmeconseil  quele  signor  Astuccio  lui  adresse 
dausle  Concert  à  la  Cour,  celui  detravailler  encore  deux 
ou  trois  ans  avant  de  s'aventurer  dans  un  rôle  important. 
Les  dëbutans  chanteurs  ont  beaucoup  mieux  réussi  que 
ces  clames.  Inckindi  en  première  ligne;  sa  belle  basse  si 
pleine,  si  mordante,  deviendra  de  jour  en  jour  plus 
utile.  Puis  Couderc,  second  ténor,  qui  ne  manque  ni 
d'aplomb  ni  d'intelligence.  Et  enfin  Jansenne  ,  dont  la 
voix  un  peu  voilée  possède  pourtant  un  principe  d'émo- 


415 


GAZETTE  MUSICALE 


tion  qui  donne  à  son  exécution  un  charme  aussi  rare  que 
réel,  pourront  rendre  de  grands  services  au  théâtre  qui  a 
eu  le  hon  esprit  de  se  les  attacher. 

A  l'Opéra,  rien  de  nouveau.  On  monte  lentement  la 
Juive,  dont  l'immense  partition  nécessite  des  répétitions 
innombrables.  Et  tout  le  reste,  en  attendant,  est  sacrifié 
aux  deux  danseuses  reines,  mademoiselle  Taglioni  et 
mademoiselle  Elssler.  La  Tempête .,  la  Révolte  au  Sé- 
rail, ou  le  nouveau  bal  masqué  de  Gustave  ,  forment  le 
fond  du  répertoire,  à  l'aide  de  quelque  acte  sublime  de 
Guillaume  Tell  ou  de  la  / '  estale,  qu'on  fourre  sur  l'af- 
fiche comme  supplément ,  et  qu'on  exécute  avec  une  né- 
gligence scandaleuse.  Rossini  et  Spontini  doivent  être 
bien  flattés  d'être  ainsi  traités,  comme  des  amis  de  la  mai- 
son avec  lesquels  on  n'a  pas  besoin  de  se  gêner.  L'autre 
jour  on  donnait  le  second  acte  de  Guillaume  Tell,  et 
tout  y  était  exécuté  avec  un  laisser-aller  si  dédaigneux, 
que  le  machiniste  lui-même  n'a  pas  cru  nécessaire  de 
rester  a  son  poste,  de  sorte  qu'à  la  fin  de  la  scène  sur  le 
Gruili,  quand  Arnold  s'écrie:  «  Voicilejourl  »  la  toile 
du  fond  est  demeurée  immobile  et  le  soleil  n'a  pas  paru. 
Madame  Dabadie  a  joué  pour  la  première  fois  le  rôle 
ingrat  et  difficile  de  dona  El  vire  dans  Don  Juan,  et, 
a  part  quelques  sons  douteux  dans  les  cordes  hautes,  il 
faut  lui  rendre  la  justice  de  dire  qu'elle  s'en  est  tirée  gé- 
néralement à  son  honneur.  Mademoiselle  Fakonfait  des 
progrès  sensibles  ;  il  est  désormais  évident  que  sur  el!e 
repose  l'avenir  de  la  musique  dramatique  à  l'Opéra.  Nous 
l'engageons  seulement ,  dans  l'intérêt  de  sa  voix  et  de  la 
dignité  de  son  talent,  à  ne  point  forcer  outre  mesure 
certains  sons;  ceUe  habitude  une  fois  prise,  elle  en  vien- 
drait à  crier,  et  il  serait  trop  tard  pour  se  corriger.  Je 
voudrais  voir  mademoiselle  Falcon  essayer  le  rôle  si  no- 
ble et  si  beau  à'Ipkigénie  en  Tauride;  mais,  pour  une 
pareille  tentative,  il  faudrait  un  acteur  qui  n'est  plus  à 
l'Opéra,  et  un  esprit  artistique  dont  la  direction  est  fort 
dépourvue.  On  profanerait  le  chef-d'œuvre  du  vieux 
Gluck  avec  autant  de  sang-froid  qu'on  en  met  à  mutiler 
les  compositeurs  modernes.  Ainsi  paix  à  sa  cendre;  je 
retire  ma  proposition.  La  vogue  de  Robert-le-Diable  ne 
ralentit  point,  la  1  19"  représentation  a  encore  produit 
une  recette  de  9,600  fr. 

Il  nous  reste  a  parler  des  publications  a  bon  marché  , 
dont  les  affiches-monstres,  larges  comme  les  portes  d'une 
cathédrale,  couvrent  les  murs  de  Paris.  Jadisla  musique 
se  payait  au  prix  marqué;  les  éditeurs  se  bornèrent  en- 
suite a  faire  la  remise  d'un  tiers ,  on  ne  payait ,  il  y  a 
quelques  jours,  que  la  moitié;  désormais  les  plus  belles 
pages  de  Beethoven  ,  deWeber,  de  Mozart,  de  Hutumel 
etdeMosthelès,  se  vendront  pour  un  sou;  nous  en  vien. 


drons  a  avoir  la  musique  pour  rien,  et  quand  on  n'en 
voudra  plus,  il  y  aura  des  gens  qui  poursuivront  les 
passans  dans  les  rues  pour  en  bourrer  leurs  poches  de 
vive  force.  Oh  !  c'est  une  belle  chose  dans  les  arts  que 
la  popularité  ! (i). 


GRANDE  FETE  MUSICALE  DE  VIENNE. 

JOURNÉES    DES    S    ET    6    NOVEMBRE    1854. 

Dans  le  cours  du  mois  de  novembre  dernier,  le  co- 
mité du  Conservatoire  avait,  par  l'organe  des  feuilles 
publiques,  invité  les  artistes  et  les  amateurs  de  musique 
à  donner  par  leurs  concours  plus  d'éclat  à  l'exécution 
projetée  de  l'oratorio  Balsazar,  cette  grande  composi- 
tion de  HEendel.  Cet  appel  répandit  tout  a  coup  une 
nouvelle  vie  dans  le  monde  musical  ;  car  on  ne  saurait 
dire  jusqu'à  quel  point  la  manie  des  walses  a  fait  dégé- 
nérer dans  ces  derniers  temps  le  sentiment  musical  des 
Viennois  et  rendu  la  plupart  d'entre  eux  incapables  de 
goûter  une  musique  plus  large  et  plus  compliquée  que 
celles  de  morceaux  de  danse.  Cependant,  nous  sommes 
à  même  de  dire  à  l'honneur  des  habitans  de  Vienne 
que,  non-seulement  le  nombre  immense  d'exécutans 
qu'on  désirait  réunir ,  se  trouva  promptement  au  com- 
plet par  suite  de  l'invitation  du  Conservatoire,  mais 
encore  qu'il  s'est  présenté  un  tel  surnombre  que  l'on 
aurait  pu  organiser  simultanément  deux  fêtes  musicales 
également  brillantes.  Cette  circonstance  a  fait  connaître 
de  nouveau  les  grandes  ressources  que  Vienne  possède 
sous  ce  rapport  :  il  est  vrai  que  l'on  cesse  de  s'en  étonner 
si  l'on  considère  qu'indépendammentd'un  grand  nombre 
d'églises  qui  ont  toutes  un  orchestre  et  des  chœurs 
excellens ,  il  existe  dans  cette  ville  une  foule  de  sociétés 
[ihilotechniques;  plus  la  chapelle  impériale,  cinq  théâ- 
tres, ie  Conservatoire  et  un  nombre  incalculable  d'ar- 
tistes et  d'amateurs  qui  se  sont  tous  empressés  d'offrir 
leurs  services.  D'un  autre  côté,  le  but  accessoire  de 
cette  solennité,  qui  était  démettre  un  frein  au  goût 
déraisonnable  du  jour,  et  le  désir  de  relever  à  l'étranger  la 
renommée  de  Vienne,  quelque  peu  déchue  sous  le  rap- 
port musical,  ont  donné  aux  esprits  une  impulsion 
extraordinaire  et  excité  un  enthousiasme  qu'augmentait 
encore  le  choix  du  chef-d'œuvre  destiné  a  être  exécuté. 
Le  manège  impérial  a  paru  le  local  le  plus  convenable 
pour  cette  grande  fête.  C'est,  en  effet,  une  des  salles 
les  plus  imposantes  que  l'on  puisse  voir,  et  qui  peut 
contenir  plus  de  5,000  personnes  :  elle  était  comblé  aux 
deux  représentations.  Toutes  les  notabilités,  la   famille 

(\)  Sjus,  être  tout  à  fait  du  même  avis  sur  tous  les  points  avec 
notre  spirituel  collaborateur  ,  nous  nous  faisons  un  devoir  d'in- 
sérer cet  article.  (Ci-joint  Supplément.) 


»E  PARIS. 


413 


impériale  eu  tête ,  s'y  étaient  rendues  ;  un  grand  nombre 
d'étrangers  étaient  également  accourus ,  soit  du  dehors, 
soit  des  provinces  de  l'empire. 

La  direction  suprême  de  l'orchestre  et  des  chœurs 
avait  été  confiée  au  célèbre  Weigl ,  ce  vétéran  de  l'art , 
qui  s'est  acquitté  de  sa  tache  avec  tant  de  prévoyance, 
avec  une  activité  si  juvénile  et  avec  un  talent  si  remar- 
quable que  ce  corps  immense  de  834-  exécutans  a  marché 
avec  un  ensemble  et  une  précision  qui  ont  excité  un  en- 
thousiasme général.  Voici  la  liste  des  différentes  voix 
et  la  composition  de  l'orchestre  : 
4  Voix  solo, 

150  Soprani, 

121  Contr'altes, 

126  Ténors, 

-150  Basses-tailles. 


351   Chanteurs  et  cantatrices. 

59  Premiers  violons, 

59  Seconds  violons , 

40  Altos, 

40  Violoncelles, 

50  Contre-basses, 

12  Flûtes, 

12  Haut-bois, 

12  Clarineltes, 

12  Bassons, 

12  Cors, 

6  Trompettes, 

5  Timballes , 
6  Trombonnes. 


50 j  Inslrumens, 

Les  effets  produits  par  cette  masse  d'exécutans  ont  été 
on  ne  peut  plus  imposans  et  celui  des  chœurs  a  réellement 
eu  quelque  chose  de  colossal.  Malgré  la  différence  qui 
existe  entre  le  style  de  Hœndel  et  le  style  moderne,  tous 
les  auditeurs  ontétéémus  par  le  genre  noble  et  grave  de 
sa  composition,  et  tous  ont  été  attendris  par  le  caractère 
pur  et  naïf  de  ses  mélodies.  —  C'est  en  1744  que 
Hœndel  composa  cet  oratorio  qui,  dans  la  partition  ori- 
ginale, consiste  en  65  numéros.  Pour  accommoder  cette 
grande  œuvre  a  notre  époque,  tache  qui  avait  été  entre- 
prise et  exécutée  par  le  conseiller  de  la  cour,  M .  de 
Mosel,  ce  musicien  distingué  avait  eu  a  remplir  trois 
conditions  importantes  :  c'était  ,  d'abord ,  de  renfor- 
cer l'instrumentation  si  débile  du  temps  dont  il  s'agit, 
et  d'y  faire  entrer  la  partie  de  l'orgue  ,  qui  y  manque 
pour  ainsi  dire  totalement;  en  second  lieu  d'élaguer 
avec  tact  et  mesure  ce  que  la  partition  de  Hujiulel  offrait 


de  trop  suranné;  et,  en  troisième  lieu,  de  traduire  le 
texte  anglais  d'une  manière  appropriée  a  la  musique, 
chose  non  moins  difficile  que  les  deux  premiers  points. 

Quant  a  l'instrumentation  ,  il  serait  superflu  de  dé- 
montrer la  nécessité  de  l'enrichir,  puisque  les  opéras 
qui  ne  datent  que  de  25  ans,  et  auxquels  on  reprochait 
alors  d'être  trop  bruyans ,  nous  paraissent  déjà  trop  fai- 
blement instrumentés  :  il  n'y  a  plus  que  la  grosse  caisse 
qui  ait  encore  le  pouvoir  d'agirsurnotre  tympan  endurci. 
En  ce  qui  concerne  la  partie  de  l'orgue,  Hœndel  joignait 
a  son  vaste  talent  de  compositeur,  le  mérite  d'être  un 
des  meilleurs  organistes  de  son  temps  ;  et ,  a  la  grande 
jouissance  de  ses  contemporains ,  il  exécutait  lui-même  , 
lorsqu'on  donnait  un  de  ses  oratorios,  la  partie  de 
l'orgue  qui  servait  de  base  a  l'ensemble.  (On  sait  qu'il 
a  écrit  15  concertos  pour  l'orgue).  Cette  partie  est  encore 
aujourd'hui  exécutée  en  Angleterre,  telle  que  Hœndel 
l'a  écrite;  mais  évidemment  insuffisante,  elle  a  besoin 
d'être  renforcée  et  complétée.  Le  sort  de  toute  œuvre 
dont  l'auteur  a  trop  largement  payé  tribut  à  la  mode, 
est  toujours  de  vieillir  de  bonne  heure  :  un  laps  de  20  ou 
de  50 années ,  n'est,  en  effet,  qu'un  moment  fugitif  en 
comparaison  de  la  durée  solide  qui  est  acquise  à  un 
chef-d'œuvre  exempt  de  ce  défaut ,  et  l'on  verra  bientôt 
tomber  dans  un  entier  oubli  bien  des  compositeurs  que 
l'on  porte  actuellement  aux  nues  et  notamment  beaucoup 
d'auteurs  de  la  trop  futile  école  italienne.  Celte  Némésis 
esthétique  qui  venge  ainsi  le  bon  goût ,  n'épargne  pas 
même  les  classiques,  lorsque,  cédant  aux  circonstances, 
ils  ont  pris  en  trop  grande  considération  les  exigences  de 
leur  époque  ;  et  c'est  ce  que  nous  voyons  arriver  au- 
jourd'hui a  l'égard  de  ffendel ,  de  Gluck  et  de  Mozart  , 
quoique  d'ailleurs,  cette  remarque  ne  puisse  s'appli- 
quer qu'à  un  petit  nombre  de  leurs  compositions.  —  La 
tâche  de  l'arrangeur  de  l'oratorio  de  Hamdel  (  pour  en 
revenir  a  la  fête  musicale  de  Vienne)  consistait  donc, 
au  résumé,  à  élaguer  ce  qui  ,  dans  cet  ouvrage,  portait 
trop  évidemment  l'empreinte  du  temps  passé  ,  à  eu  con- 
server seulement  les  parties  essentielles  et  a  donner 
ainsi  a  l'ensemble  un  caractère  homogène,  un  caractère 
d'unité.  Quelques  grandes  que  fussent  les  difficultés  de 
ce  travail,  M.  deMoscl,  déjà  si  avantageusement  connu 
par  l'arrangement  de  la  musique  de  Samson  et  de 
Jephta,  s'en  est  acquitté  avec  un  rare  talent,  et  l'ora- 
torio de  Hœndel  ,  épuré  et  complété  par  ses  soins,  est 
désormais  un  chef-d'œuvre  irréprochable. 

La  forme  de  cette  composition  est  toute  dramatique  ; 
on  la  place  néanmoins  au-dessous  de  Jephta  et  de  Judas 
Maccabœus.  Le  détail  des  beautés  qu'elle  renferme, 
dépasserait  les  bornes  étroites  d'un    article   de  journal. 


Siipiti'ni  m. 


1,1  h 


GAZETTE  MUSICALE 


Le  génie  de  Haendel  y  éclate  d'une  .manière  admirable. 
On  a  redemandé  avec  enthousiasme  un  des  chœurs. 
L'ensemble  de  cet  ouvrage  est  empreint  d'une  teinte 
tant  soit  peu  romantique,  qui  lui  donne  un  charme 
particulier,  et  le  rend  encore  plus  intéressant  aux  par- 
tisans de  la  tendance  musicale  de  nos  jours.  Les  chan- 
teurs chargés  dessolis  se  sont  spécialement  distingués  : 
c'étaient  madame  Kraus-Wranitzki ,  mademoiselle  Ho- 
nig,  MM.  Lutz  et  Reggla.  C'est  justice  que  de  citer  les 
noms  de  ces  estimables  artistes. 

A.  L*** 


CORRESPONDANCE . 

Vienne,  le  1 0  décembre. 

Notre  existence  musicale  devient  de  plus  en  plus  animée.  Pour 
mettre  un  peu  d'ordre  dans  les  nouvelles  que  j'ai  à  vous  com- 
muniquer, je  commencerai  par  faire  mention  chs  concerts  des 
artistes  russes  que  vous  avez  eus  à  Paris,  et  dont  le  genre  de 
musique  n'a  pas  été  goûté  dans  notre  capitale.  Il  faut  convenir 
qu'il  y  a  ,  en  effut,  quelque  chose  qui  répugne  ,  dans  une  mu- 
sique qui  a  été  enseigné  à  l'aide  du  knout ,  et  où  les  exécutans, 
comme  s'ils  étaient  transportés  dans  la  Sibérie  musicale,  sont 
condamnés  pour  toute  leur  vie  à  ne  jamais  faire  entendre  qu'un 
seul  ton. 

Nous  avons  été  dédommagés  par  M.  Levy,  le  jeune,  qui, 
dans  un  concerto  de  cor  ,  a  charmé  tous  ses  auditeurs  par  les 
notables  progrès  qu'il  a  encore  faits  dans  son  art.  A  M.  Levy 
a  succédé  M.  Lacombe,  dont  la  grande  habilité  mécanique  sur 
le  piano  a  obtenu  beaucoup  d'applaudisseineus  :  puisse-t-il  ne 
pas  trop  s'attacher  à  ce  genre  de  mérite,  et  ne  pas  grossir  le 
nombre  de  ces  soi-disant  merveilles  musicales  qui  n'ont  pas 
tardé  à  tomber  tous  dans  l'oubli. 

MM.  Jansa ,  Ilolz,  Linke  et  Lindhaker  ont  fait  des  progrès 
sensibles  dans  l'art  d'exécuter  le  quatuor,  et  il  est  permis  de 
croire  qne  l'influence  du  taleut  que  montrent  dans  ce  genre  les 
célèbres  frères  Millier  ,  n'est  pas  étranger  à  cette  amélioration. 
Tous  les  quinze  jours  ,  une  société  d'artistes  et  d'amateurs  se 
réuuit  ici  pour  exécuter  exclusivement  la  musique  de  Beetho- 
ven ,  ses  quatuors  ,  ses  trios ,  ses  sonates  solos  ,  ses  mor.ccau'c 
de  chants  ,  en  un  mot  tout  ce  qu'a  écrit  ce  célèbre  compositeur. 
A  la  dernière  séance,  une  de  ses  sonates  a  été  rendue  d'une  ma- 
nière parfaitement  conforme  à  son  génie,  par  M.  Fischhof, 
dont  la  verve  et  l'habilité  ont  enlevé  tous  les  suffrages. 

Les  acteurs  Wild  et  Pock  continuent  à  charmer  les  viennois; 
le  premier  dans  un  nouvel  et  trèi-bon  opéra  de  Conrad  Kreutzer 
intitulé  :  Le  bivouac  de  Grenade. 

Les  compositions  de  Chopin  commencent  à  être  en  vogue 
malgré  les  petites  cabales  de  gens  dont  la  lourde  médiocrité  ne 
peut  pardonner  à  ce  jeune  auteur  le  caractère  grandiose  et  la 
tendance  élevée  de  ses  compositions.  Le  sentiment  noble  qui 
respire  dans  les  œuvres  de  celte  artiste  ,  ne  peut  manquer  de  le 
mettre  tout  à-fait  à  la  mode  au  détriment  de  MM.  Herz  et 
Czerny. 

P.  S.  Je  sors  à  l'instant  du  concert  que  le  Conservatoire  a 
donné  pour  célébrer  la  mémoire  de  Goethe  et  de  Beethoven. 
En  voici  le  programme  :  Ouverture  de  Léonore,  le  calme  de  la 


nier  et  l'heureuse  navigation ,  suivi  de  choeurs  ,  musique  de 
Beethoven;  ouverture,  entr'actes,  airs  et  mélodrames  jpour  la 
tragédie  d'Egmont  de  Goethe. 

Le  public  a  été  saisi  d'admiration  en  voyant  avec  quel  art  le 
génie  de  Beethoven  a  su  s'associer  aux  hautes  inspirations  de 
Goethe.  On  ne  peut  que  sentir  une  pareille  musique;  en  rendre 
par  des  paroles  les  effets  et  l'émotion  qu'ils  produisent ,  c'est 
vouloir  entreprendre  l'impossible.  D.   A. 


M.  Joseph  d'Ortigue  nous  prie  de  publier  la  lettre  sui- 
vante qui  lui  a  été  adressée. 

AvignoD,  5  décembre  1834. 
Monsieur, 

Dans  le  no  4.8  de  la  Gazelle  Musicale,  nous  avons  lu  avec 
un  véritable  intérêt,  un  article  signé  de  vous,  ayant  pour  litre: 
Des  sociétés  philharmoniques  dans  le  midi  de  la  France.  En 
rendant  justice  à  nos  intentions  et  en  louant  nos  efforts,  vous 
excitez  notre  zèle  et  faites  un  acte,  pour  lequel  les  musiciens  de 
Vaucluse  vous  doivent  des  remercîmens.... 

Cependant  en  me  rendant  l'interprète  <le  la  reconnaissance 
des  membres  de  la  société  philharmonique  d'Avignon,  je  dois 
relever  une  inexactitude  qui  s'est  glissée  dans  ce  que  vous  dites 
sur  nous;  voici  vos  paroles  :  Déjà,  grâce  aux  soins  de  MM.  As- 
truc  et  E.  M.  Jouve,  la  symphonie  en  ut  mineur ,  l'ouverture 
d'Oberon  et  d'autres  grands  œuvres  fie  sent  plus  de  s  merveil- 
les ignorées  du  public  Vauclusien. 

Il  est  vrai  que  nous  avons  puisé  dans  les  trésors  de  la  haute 
science  musicale  ,  mais  nos  essais  et  nos  éludes  ,  n'ont  été  d  i 
rigés  que  par  M.  Astrnc  notre  chef  d'orchestre,  aux  talens  seul 
duquel  et  aux  soins  assidus  et  éclairés  de  notre  administration 
nous  devons  nos  succès. 

M.  Jouve,  qui  jouit  d'ailleurs  de  toule  notre  estime,  n'a  pu 
prendre  aucune  part  à  nos  travaux,  puisqu'il  habite  la  ville 
d'Apt. 

Vous  croirez  ,  Monsieur  ,  que  cette  observation ,  qui  n'a  rien 
de  désobligeant  pour  M.  Jouve  ,  n'est  dictée  que  par  le  dés'r  de 
rendre  à  chacun  la  justice  qui  lui  est  due.  Cette  justice,  \ou 
le  savez,  est  la  récompense  la  plus  flatteuse  des  travaux  de  l'ar. 
tiste,  surtout  quand  elle  lui  est  décernée  en  présence  du  public. 

J'espère  que  vous  serez  assez  bon  pour  faire  mention  de  ma 
réclamation  dans  le  plus  prochain  numéro  de  la  Gazelle  Musi- 
cale. 

Veuillez  me  croire  avec  la  plus  haute  estime  ,  Monsieur  ,  voire 
très-humble  et  très-obéissant  serviteur  ; 

Le  président  de  la  société  philharmonique  d'Avignon  , 
M.  de  Ribiers. 


NOUVELLES. 

v+*  L'académie  royale  des  Beaux-Arts  (Institut  de  Fiance)  , 
dans  sa  dernière  séance,  a  nommé  M.  Meyerbeer  associé  étran- 
ger. Ce  célèbre  compositeur  était  déjà  depuis  plusieurs  années, 
membre  correspondant  de  cette  classe  de  l'Institut. 

%*  L'Opéra  vient  de  recevoir  un  ballet  de  M.  Henri;  ce 
transfuge  de  la  chorégraphie  de  la  salle  Ventadour  passe  , 
dit-on,  bannières  déplovées,  dans  le  camp  de  la  rue  Lepelletier. 
Le  titre  du  nouveau  ballets  :  Le  Siège  de  Calais. 

*+*  Le  bruit  court  que  l'Opéra-Comique  a  l'intention  de 
glisser  dansson  répertoire  le  chef-d'oeuvre  de  Webcr,  le  Freys- 


415 


chùtz,  si  long-temps  défiguré  à  l'Odéon  sous  le  litre  de  Robin 
des  bois.  De  nouveaux  chœurs  seront  engagés  pour-  cet  ou- 
vrage ,  et  l'orchestre  renforcé.  La  nouvelle  administration  de  ce 
théâtre  neuéglige  aucun  moyen  pour  rendre  à  l'Opéra-Comique 
l'ancienne  faveur  dont  il  jouissait  à  si  juste  titre. 

*+*  M.  Berlioz  donnera  un  quatrième  concert  aux  Menus- 
Plaisirs,  dimanche  prochain.  On  y  entendra  cette  fois  ses  deux 
grandes  symphonies  :  La  Fantastique^  Harold  séparées  par 
un  intermède  piquant  dont  la  composition  n'est  pas  encore  ar- 
rêtée. Ons'inscritd'avancechezM.Rety,  auConsGrvaloire,  chez 
M.  Schlcsinger  et  chez  M.  Paccini ,  boulevard  des  Italiens.  Le 
prix  des  places  est  le  même  qu'aux  concerts  précédens  de 
M.  Berlioz. 

%*  Voici  le  programme  de  la  matinée  musicale  que  M.  Fran- 
çois Stœpel  donnera,  rue  Monsigny,  ri.  6,  le  jeudi  i5  décem- 
bre i834,  à  2  heures  :  Grand  duo  pour  2  pianos,  composé  pnr 
M.  Fr.  Listz  et  exécuté  par  M.  Chopin  et  l'auteur  ;  deux  ro- 
mances :  Le  Pécheur  Napolitain,  musique  de  M.  Thys,  et  Ma 
Normandie,  paroles  et  musique  de  M.  Bérat ,  chantées  par 
M.  Richelmi;  solode  violon,  composé  etexéculé  par  M.  Erueit; 
air  de  Niobé  ,  de  Paccini,  chanté  par  Mlle  Heinef'elter  ;  impro- 
visation sur  l'orgue  expressif,  par  Mad.  de  La  Hye  ;  air  italien, 
chanté  par  Mad.  Degli-Antony;  duo  pour  le  piano  à  4  mains, 
de  Moscheles,  exécuté  par  MM.  Chopin  et  Listz  ;  air  italien  , 
chanté  par  Mad.  Degli-Antony  ;  improvisation  sur  l'orgue  ex- 
pressif, par  Mad.  de  La  Hye;  variations  sur  l'air  du  Garçon 
suisse ,  chantées  par  Mlle  Heincfclter.  Le  prix  des  billets  est 
de  5  fr.  On  les  trouve  chez  SI-  Maurice  Schlcsinger,  97,  rue 
Richelieu. 

%*  Mme  Francilla  Pixis  continue  ses  brillans  succès  à  Munich 
Elle  a  reparu  le  1 1  de  ce  mois  dans  le  Capuletti  et  Montecchi. 
Notre  correspondant  nous  mande,  que  la  jeune  cantatrice  a 
surpassé  toutes  les  espérances  ;  elle  a  été  rappcllée  quatre  fois 
dans  la  même  soirée  ,  chose  presque  inouïe  dans  les  annales  du 
héâtre  de  cette  capitale.  Madame  Harselt  fsoprano)  ,  M.  Bayer 
(  premier  ténor  )  et  M.  Lenzl  (  première  basse  -  taille  ) , 
chœurs  et  l'orchestre  conduits  par  l'habile  dire  leurM.  Morald, 
n'ont  rien  laissé  à  désirer  à  cette  représentation,  à  laquelle  toute 
la  cour  assistait.  La  salle  était  comble  ,  c'est  un  très-beau  suc- 
cès pour  cette  jeune  cantatrice. 

++*  Ali  Baba  de  Cherubini  vient  d'être  représenté  <,vec 
succès  au  théâtre  royal  de  Dresde. 

*+*  Un  petit  journal  sans  conséquence,  annonce  que  la  Re- 
vue Musicale,  passe  en  d'autres  mains  ;  M.  Edouard  Fétis  fils, 
nous  prie  d'annoncer,  que  celte  nouvelle  est  éronnée,  et  qu'il 
continuera  l'année  prochaine,  le  journal  publié  par  lui. 

*+*  On  annonce  la  mort  de  Zingarelli,  si  célèbre  par  l'opéra 
As  Roméo  et  Juliette.  Nous  avons  recules  journaux  d'Italie  jus- 
qu'au fi  décembre,  il  ne  font  aucune  mention  de  cet  événement . 

*+*  M.  Louis  Schunke,  jeune  pianiste  de  beaucoup  de  talent, 
et  un  des  principaux  rédacteurs  de  la  nouvelle  gazette  musicale 
de  Leipzig,  rient  de  mourir. 

*+*  No-.is  lisons  dans  la  nouvelle  gazette  musicale  de  Liep- 
zig,  journal  plein  d'intérêt,  et  qui  est  aujourd'hui  au  premier 
rang  parmi  les  journaux  de  musique  publiés  en  Allemagne  : 

»  On  assure  que  Haydn  a  voyagé  en  Hongrieavcc  une  bande 
»  de  Bohémiens,  jusqu'à  l'âge  de  4ïi.  ans» — Nous  donnons  ce 
fait  curieux  sans  en  garantir  la  véracité. 

*t*  Le  Lièittfto italien  va-t-il  devenir  aussi  aristocratique  par 
ses  auteurs  ,  que  par  l'auditoire  auquel  il  est  destiné  ?  on  attti- 
bucau  comte  Popoloceluideg7i  .Pi/n'Énn;,  la  première  nouveauté 
que  nous  offrira  le  théâtre  Favart. 

\*  Il  est  depuis  long-temps  question  de  restaurer  la  s'.llede 
l'Académie  royale  de  musique.  On  fixe  maintenant  l'époque  de 
cette  grande  régénération  au  carnaval  prochain.  Pourvu  que  ce 
ne  soit  pas  une  mystification  de  circonstance! 

*t*  La  société  philotechniquc  a  tenu  dimanche  dernier  sa 
séance  trimestrielle.  A  près  avoir  eu  tendu  un  rapport  des  poésies, 
des  dissertations  critiques  et  littéraires,  l'assemblée  a  eu  pour 
indemnité  de  fort  jolies  romances  de  M.  Thys,  chantées  avec 
beaucoup  de  goût  par  M.  Richelmi  et  quelques  échantillons  de 


la  verve  tant  soit  peu  aventureuse  et  bizarre  qui  caractérise  la 
musique  de  M.  Monpou. 

*+*  Il  n'est  rien  qui  inspire  plus  d'intérêt  et  de  sympathie 
que  de  voir  les  talens  se  continuer  ou  se  remplacer  dans  la 
même  famille  ;  la  fille  d'un  des  plus  illustres)  philologues  ita- 
liens, du  commentateur  de  Dante,  mademoiselle  Biagioli  , 
Eromet  de  soutenir  dans  la  carrière  musicale  l'héritage  de  célé- 
rité que  lui  a  légué  son  père.  Sa  brillante  exécution  sur  le  piano 
obtient  en  ce  moment  beaucoup  de  succès  aux  concerts  de 
M.  Musard. 

*  *  Les  tribunaux  viennent  de  prononcer  la  séparation  de 
corps  demandée  par  Mmc  Cinti-Damoreau  contre  son  mari.  Un 
mauvais  plaisant  disait:  Mmc  Damoreau  ne  courrait  aucun  risque 
en  s'adréssant  aux  juges;  elle  était  bien  sûre  de  ne  pas  manquer 
de  voix. 

*J*  On  vient  de  représenter  à  Venise  au  théâtre  Benedetto  , 
un  opéra  de  Paccini:  Fidanzoti.  Ce  faible  ouvrage  a  obtenu 
du  succès,  ce  qui  prouve  jusqu'à  quel  poiut  l'Italie  est  pauvre 
de  compositeurs.  MmeGiacase,  prima  donna,  Tati  (tenor)  et 
Léonardi  (basse)  ont  puissamment  contribué  à  la  réussite  de  ce 
nouveau  chef-d'œuvre!  du  très-savant  Paccini. 

%*  Le  i5novembredernier,le  chanteur  Tombolini,  jadis  l'idole 
des  dilettanti  de  Berlin,  à  modestement  célébré,  au  milieu  de 
sa  famille  et  de  quelques  amis  le  cinquantième  anniversaire  de 
son  séjour  dans  celte  ville.  Il  e-,1  né  en  l'année  1766,  à  Ferma, 
dans  les  états  de  l'église.  Il  vint  le  i5  novembre  1784,  à  Ber- 
lin, où,  quelques  jours  après,  il  chanta  devant  irédéric-le- 
Grand,  qui  fut  très -satisfait  de  son  talent.  f)ès-lors,  il  continua, 
sans  interruption,  à  chanter  au  grand  théâtre  italien,  jusqu'à 
la  fin  de  l'année  1809.  En  1815,  il  se  faisait  encore  eutendre 
dans  les  concerts. 

*  *  On  vient  de  représentera  Londres,  sur  le  théâtre  Covent- 
Garden,  le  Masque  Rouge,  dont  le  sujet  est  emprunté  au  Bravo 
de  Cooper  :  la  musique  est  celle  que  Marliani  a  composée 
pour  le  ihéâire  italien  de  Paris;  elleaétéarrangéepar  M.Cookc, 
pour  être  adaptée  au  drame  anglais,  usage  horrible  des  anglais, 
qui  ont  déjà  défigurée  de  la  même  façon,  la  musique  du  Frei.s- 
chutz,  celle  de  la  Fldte  enchantée,  de  Mozart ,  de  Robert-le- 
Diable,  de  Meyerbeer,  ainsi  que  d'autres  belles  partitions. 
.Malgré  l'arrangement  qu'elle  a  subi,  la  musique  de  Marliani 
et  la  magnifique  mise  en  scène  de  la  nouvelle  pièce,  ont  excité 
les  plus  vils  applaudisscmeus,  ainsi  que  les  chanteurs  et  les 
cantatrices  qui  ont  figuré  dans  ce  drame.  L'exécution  du  Bravo 
a  eu  lieu  sur  la  scène  même.  Le  Times  observe  à  ce  sujet  que  , 
bien  qu'on  ait  fait  preuve  de  beaucoup  d'adresse  daus  la  mise 
en  scane  de  cet  acte  sanglant,  on  aurait  cependant  mieux  fait 
de  le  supprimer.  Aussi,  cette  scène  a-t-elle  donné  lieu  à  des 
marques  d'improbation,  et  l'on  assure  (chose  assez  surprenante 
de  la  part  des  Anglais  si  avides  de  toutes  sortes  de  spectacles) 
qu'elle  ne  sera  pas  reproduite  aux  futures  représ. ntationc. 

*+*  La  faculté  de  philosophie  de  Leipzig, àdécernélediplôme 
de  docteur,  honoris  causa,  à  M.  Marschner.  maître  de  la  cha- 
pelle royale  à  |Hanovie,  auteur  de  «  la  Juive  et  le  Templier, 
opéra  que  le  théâtre  Nautiqne  nous  promerincessamment. 

%*  La  société  philotechnique  de  la  Thuringe,  invite  les  ama- 
teurs de  l'art  musical,  par  l'organe  delà  Gazette  d'état  de 
Prusse,  à  souscrire  pour  l'érection  d'un  monument  à  la  mé- 
moire de  Ilandel,  monument  qui  doit  être  construit  sur  le  mo- 
dèle de  celui  de  Westminster. 

%*  La  première  représentation  de  la  Somnambule  de  Bel- 
lini,  a  été  fort  orageuse  au  théâtre  Josephstadt  de  Vienne.  Le 
ténor  a  paru  si  mauvais  au  public,  que  chaque  fois  qu'il  voulait 
chanter,  c'était  le  signal  d'une  explosion  de  rires  bruyans,  de 
cris  et  d'applaudissemens  ironiques  :  le  tapage  était  assourdis- 
sant. Cependaut,  les  autres  acteurs,  déconcertés  par  cette  scène, 
ne  faisant  guères  mieux  que  leur  malencontreux  camarade,  la 
salle  finit  par  prendre  gaiement  la  chose,  et  cette  singulière  re- 
présentation en  deviut  on  ne  peut  plus  amusante.  La  pièce  ne 
put  aller  jusqu'à  la  fin,  que  par  l'intelligence  du  directeur  de 
l'orchestre  qui  eut  le  soin  de  sauter  un  certain  nombre  de  mor- 
ceaux, pour  arriver  plue  vile  au  finale.  L'autorité  ayant  fait  au 
ténor  la  défense  de  re|  arailrer  l'administration  du  théâtre  s'est 
empressée  de  lui  donner  sou  congé. 


41G 


GAZETTE  MUSICALE  DE  PARIS. 


SOCIÉTÉ  POUR  LA  PUBLICATION  A  BON  MARCHÉ  DE    MUSIQUE  CLASSIQUE. 

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Il  sera  publié  le  8  et  le  22  de  chaque  mois  une  livraison  des  quatuors  de  Beethoven  et  de  Mozart  pour  instrumens 
cordes,  et  des  œuvres  de  Weber  et  Humme!  pour  le  piano. 


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Maurice  de  Raoulx.  Fantaisie  pour  la  guitare ,  sur  :  Je  ne 

vous  aime  plus ,  de  Panseron;  la  Brise  du  matin  et  la 
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V arney.  Souvenir  d'une  Reine  ,  romance  pour  piano  et  guit. 

_Mi.ga,barcarole  k  Wem.     2  et  1 . 

—  L'Amour  guéri,  romance  VY™'     o       ]' 

—  L'Elixir,  chansonnette  ldem-     L  et  1- 
F.  Berat.  L'Doigt  coupé  ,  chanson  normande  Idem.     2  et  1 . 

N'en  parlons  plus  ,  romance  nouvelle  Idem.     2  et  1 . 

Paris,  ie  te  fais  mes  adieux ,  romance  nou- 
velle Idem-     2  eH- 

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Urhan.  Les  Regrets  ,  romance  pour  le  piano.  3  fr.     » 

Reber.  Op.  1 .  Ouintclto  pour  deux  -violons  ,  alto  et  deux  vio- 
loncelle. 7fr.  5oc. 

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—  Op.  4.  Grand  quatuor  pour  deux  violons,  alto  et  violon- 

1    11  Q  lr.     » 


—  Op.  7.  Quatuor   pour  deux  violons  ,   alto   et   violoncelle. 

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Nous  rendrons  compte  des  œuvres  de  M.  Reber,  qui  sont 
d'une  haute  portée  ,  et  promettent  un  grand  avenir. 

Publiée  par  Maurice   Schlesinger  : 

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Contredanses  ,  Valses  et  Galops  ,  composés  pour  le  piano,  par 

K.ALK11RENNER,   F.  HCNTEN,  DESSAUER,    REISSIGER  ,  ALARY  , 
LAKKEB  ,  S.TRAUSS  ,  MUSARD  ET  TOLBECQUE. 

Elégamment  relié,  tranche  dorée.     Net.      i5  fr. 
Relié  en  soie,  tranche  dorée.  .     .     Net.     20  fr. 

CET  ALBUM  CONTIENDRA  : 

Tolbecque.  Les  Salons  de  Paris  ,  quadrille  et  valse.  —  Des- 
sauer  Galop  Bohémien.  —  ***.  Galop  polonais.  —  Strauss. 
Galop  de  Vienne;  galop  avec  clochette.  —  F.  Hunten.  Ga- 
lop parisien.  —  Reissiger.  Galop  Saxon.  —  Strauss.  A  la  plus 
Belle,  nouvelles  valses  favorites  de  Vienne.  — Kalkbrenner. 
Valse  brillante. — F.  Hunten.  Coblentz,  valse  favorite.  — 
Alary.  Valse  favorite  de  Milan.  —  Lanner.  Ne  m'oubliez  pas, 
cotillons  et  galops;  Claire,  \alse  favorite  de  Vienne.  —  Mu- 
sard.  Quadrille  Anglais  et  valse. 

HOMMAGE    AUX  DAMES, 

9me     ANNÉE. 

Recueil  dei5  Romances  et  Nocturnes  inédits,  avec  accompa- 
gnement de  piano,  composés  par 

MEYERBEER,  PAER  ,    HALEVY,  RELL1NI  ,  CARAFA  ,  ADAM,    ALARr  , 
FÉRÉOL,  LEJEY-MILANP  ,  MAr.MONTEL    ET  QDESNEL. 

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Relié  en  soie,  tranche  dorée.  .     .     .     Net.     20  fr. 

CET  ALBUM  CONTIENDRA  : 

Meyerbeer.  Le  Moine.  —  Halévy.  La  Maîtresse  du  Bandit. 

—  Adam.  Oh!  que  je  hais  ma  pension.  —  Paer.  La  Confes- 
sion. —  Bellini.  Il  rimprovero Carafa.  Son  gli  occhi  di. 

—  Alary.  Jane  Shore,  et  Nocturne  italien.  —  Féréol.  Chante 
le  repos  et  la  dame  au  collier  d'or.  —  Lejey-Miland.  Les  Clo- 
ches du  soir  et  le  jeune  Enfant.  —  Qiiesnel.  Pas  d'amour  et 
fais-toi  Corsaire.  —  Marmontel.  —  L  Elégante  des  bords  du 
Missouri. 

Gérant,  MAURICE  SCHLESINGEE. 


GAZETTE   MUSICALE 

RÉDIGÉE   PAR  MM.    ADAM,    G.    E.    ANDERS ,  BERTON  (membre    de  l'Institut),   BERLIOZ,  CASTIL-BLAZE  ,  A.  GUEMER     HALÉVY 

(professeur  de  contrepoint  au  Conservatoire),  Jules  janin  ,  liszt,  lesuecr  (membre  de  l'Institut),  j.  maixzer  marx 
(rédacteur  de  la  gazette  musicale  de  berlin),  d'ortigue,  panofka  ,  richard,  j.  g.  seyfrieo' (maître  <le  chapelle 
à  Vienne),  f.  swepel,  etc.,  etc. 


1"  ANNÉE. 


V 


52. 


PRIA  DE  L  ABONNE)!. 


PARIS. 

DÉPART. 

ÉTBABG 

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3m.    8 

8     75 

9    50 

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lan.30 

35    >. 

36    » 

£a  dSazutU  iïïusicalf  hg  paris 
Paraît    le   DIMANCHE  de  chaque  semaine. 

©n  s'abonne  au  bureau  de  la  Gazette  Musicale  de  Paris,  rue  Richelieu,  i)7; 

chez  MM.    les  directeurs  des   Postes,  aux  bureaux  des  Messageries, 

et  chez  tous  les  libraires  et  marchands  de  musique  de  France. 

)n  reçoit  les  réclamations  des  personnes  qui  ont  des  griefs  à  exposer,  et  les  avis  relatifs  à  la  musïqu 
qui  peuvent  intéresser  le  public. 


PARIS,  DIMANCHE  28  DECEMBRE  1834. 


i: 


Nonobstant  lessupplé- 
mens,  romances ,fàc  li- 
mite de  l'écriture  d'au- 
teurs célèbres  cl  la  galerie 
dos  artistes  ,  MM.  les 
abonn  !s  de  la  Guzetfe 
Mu  icide  de  Paris '  re- 
< evcronl  le  premier  de 
chaque  mois  un  morceau 
de  musique  de  piano. 

Les  lclires,  demandes 
et  envois  d'argent  doi- 
vent être  affranchis,  cl 
adressés  au  Directeur , 
rue  Richelieu,  97. 


MM.  les  souscripteurs  à  la  Gazette  musicale 
dont  l'abonnement  finit  le  3i  décembre,  sont 
prié  de  le  renouveller,  s'ils  ne  veulent  point 
éprouver  de  retard  dans  l'envoie  du  Journal. 
Il  suffira  d'envoyer  un  bon  sur  la  poste  ou  de 
donner  avis  par  lettre  affranchie  ;  on  fera  traite 
sur  les  personnes  qui  s'abonneront  au  moins 
pour  six  mois.  Il  sera  joint  au  ï"  Numéro  de 
Janvier  une  entame  sur  une  valse  inédite  de 
Meyerbeer j,  par  Leidersdorf.  —  Le  2e  Numéro 
contiendra  le  Portrait  de  M.  Lablache. 


I. 


Dans  la  salle  de  la  célèbre  taverne  de  Londres  «  the 
good  ffoman»  _,  City,  Fleetstreet,  N°  77,  était  assis 
dans  son  large  fauteuil,  les  mains  croisées  sur  le  ventre, 
John  Farrerij  le  maître  de  la  maison,  qui  attendait  ses 
hôtes. 

Il  était  sept  heures  du  soir  ;  c'était  le  moment  où  se 
rendaient  régulièrement  chez  lui  les  habitués,,  les  doyens 
de  cette  respectable  taverne,  et  Tom ,  son  premier  gar- 
çon ,  se  tenait  près  de  la  porte ,  un  cruchon  de  porter 
mousseux  a  la  main ,  pour  recevoir  ainsi  le  premier  en- 


trant, comme  c'était  encore  l'usage  à  Londres  en  l'an- 
née \  1A\ . 

Immédiatement  devant  John  Farren  ,  était  placée  de- 
bout mistriss  Bess'  (abréviation  d'Élisaheth),  «  sa  bonne 
femme  » ,  ses  maigres  bras  appuyés  sur  ses  hanches]  et 
le  rouge  de  la  colère  sur  ses  joues,  ordinairement  d'un 
jaune  pâle. 

«  Est-ce  donc  bien  vrai,  maître  John  ,  lui  disait-elle 
d'un  ton  criard?  est-ce  donc  bien  possible  que  vous  son- 
giez sérieusement  à  jeter  notre  Ellen  (abréviation  d'Éléo- 
nore),  notre  unique  enfant,  à  la  tête  de  cet  aventurier 
allemand,  qui  a  l'air  de  n'avoir  pas  de  quoi  manger?  » 

«  Jeter  à  la  tète?  répondit  tranquillement  John  Far- 
ren; non,  mistriss  Bess';  mais  Ellen  aime  le  jeune 
homme,  et  God  dam!  c'est  un  brave  garçon,  bien 
tourné,  honnête,  adroit,  laborieux » 

«  Et  pauvre  comme  un  rat  d'église ,  reprit  mistriss 
Bess',  en  coupant  la  parole  à  son  mari  ;  et  personne  ne 
sait  au  juste  ce  qu'il  est,  votre  brave  garçon  !  » 

«  Ah!  son  compatriote ,  le  maître  Haendel,  dit  que 
ce  jeune  homme  promet  quelque  chose  d'extraordi- 
naire. » 

«  Oui-da  !  laissez-moi  donc  tranquille  avec  votre  mon- 
sieur Haendel  !  ne  voila-t-il  pas  un  homme  bien  distin- 
gué? n'est-il  pas  bien  considéré  votre  monsieur  Hrendel, 
depuis  qu'il  a  gâté  ses  affaires  auprès  de  Sa  Majesté?  a 
la  bonne  heure,  dans  le  temps  qu'il  lui  était  permis  d'en- 
trer tous  les  jours  dans  Carlton-House ,  je  ne  dis  pas; 


418 


GAZETTE  MUSICALE 


mais  maintenant  qu'il  en  a  été  banni  par  suite  de  ses 
manières  hautaines,  est-il  autre  chose  qu'un  musicien 
ambulant  ordinaire?  » 

«  God  dam  !  s'écria  alors  John  Farren  avec  une  cer- 
taine véhémence  ;  retenez  votre  mauvaise  langue ,  mis- 
triss  Bess'  !  et  respectez  le  maître  Hœndel  que  j'estime 
autant  qu'aucun  homme  de  la  vieille  Angleterre! —  et 
puisqu'il  rend  bon  témoignage  de  Joseph,  je  sais  ce 
que  j'aurai  a  faire.  Avez-vous  compris,  mistriss  Bess'?» 

«  Très-bien,  et  faites  comme  vous  voudrez;  mais  je 
vous  en  préviens,  vous  compterez  sans  votre  hôte.  » 

«L'hôte,  c'est  moi  !  répondit  John  avec  un  léger  sou- 
rire, et  vous,  Bess',  vous  êtes  ma  bonne  femme  dont 
j'ai  fait  peindre  le  portrait  sur  mon  enseigne,  quand 
vous  étiez  encore  jeune  et  jolie.  » 

La  «bonne  femme»  s'apprêtait  a  la  riposte,  quand 
la  porte  s'ouvrit  pour  donner  entrée  a  deux  hommes  de 
fort  bonne  mine.  Tom  se  saisit  rapidement  d'une  se- 
conde cruche,  les  posa  toutes  les  deux  sur  la  table  ronde 
placée  au  milieu  de  la  salle,  et  prit  une  attitude  d'obéis- 
sance, pendant  que  mistriss  Bess',  jetant  un  regard  de 
mauvaise  humeur  sur  les  deux  étrangers ,  sortit  de  l'ap- 
partement. 

«  Eh  bien  !  s'écria  l'aîné  des  deux  convives,  homme 
d'une  taille  presque  colosf aie,  et  dont  la  figure  belle  et 
expressive  recevait  encore  plus  d'éclat  du  feu  extraor- 
dinaire qui  brillait  dans  ses  yeux  ;  eh  bien  !  maître  John , 
comment  cela  va-t-il  ? 

«  Très-bien ,  monsieur  Hœndel ,  répondit  ce  dernier  ; 
et  d'autant  mieux  que  vous  arrivez  juste  a  point  pour 
faire  taire  ma  «  bonne  femme.  » 

«  Le  vieux  dragon  a-t-il  encore  grondé?  » 

«  Vous  savez  que  c'est-là  son  habitude.  » 

«  Sans  doute,  je  le  sais  bien;  mais,  de  par  Dieu,  si 
elle  était  ma  femme,  je  l'enfermerais  dans  l'armoire  aux 
soufflets  de  l'orgue  de  Saint-Paul,  et  lui  ferais  bourdon- 
ner aux  oreilles  un  air  qui  lui  ôterait  pour  toujours  l'en- 
vie de  grommeler.  » 

Maître  John  se  tint  le  ventre  en  riant  de  toutes  ses 
forces  de  la  cure  imaginée  par  son  hôte  chéri ,  tandis  que 
Hœndel,  après  avoir  remis  sa  caune^et  son  chapeau  au 
garçon,  s'assit  a  côté  de  son  compagnon,  homme  d'une 
taille  moyenne  et  d'un  extérieur  aussi  simple  crue  mo- 
deste; ce  n'était  qu'en  regardant  bien  le  coin  de  ses 
yeux,  d'une  expression  d'ailleurs  fort  douce,  que  l'ob- 
servateur pouvait  y  découvrir  l'indice  d'une  grande  fi- 
nesse et  d'un  penchant  a  la  satire;  le  nom  de  cet  homme 
c't;iit  William  Hogarth,  et  il  passait  pour  un  bon  pein- 
tre de  portraits. 

«Vous  croyez  donc,    dit  Hœndel  a  celui-ci,   en  le 


fixant  attentivement  ;  vous  croyez  donc  que  ce  Bedford 
ferait  quelque  chose  pour  mon  Messie ,  si  je  lui  faisais 
un  doigt  de  cour?  » 

«  Je  ne  veux  pas  que  vous  lui  fassiez  la  cour ,  répli- 
qua Hogarth,  en  appuyant  sur  les  mots;  c'est  une  chose 
que  je  n'exigerai  pas  de  vous,  et  il  n'est  pas  dans  les 
trois  royaumes  un  seul  brave  garçon  qui  voulût  vous  y 
engager  ;  dites-lui  votre  affaire  tout  bonnement  et  en 
peu  de  mots ,  et  soyez  sûr  qu'il  emploiera  toute  son  in- 
fluence pour  que  vous  puissiez  faire  exécuter  dignement 
votre  ouvrage.  » 

«  Mais  n'est-ce  pas  une  chose  a  devenir  fou,  s'écria 
Hœndel  avec  emportement,  que  d'être  dans  le  cas  de  sol- 
liciter les  bonnes  grâces  d'un  original  comme  S.  A.  le 
duc  de  Bedfort ,  pour  vous  faire  entendre  le  meilleur, 
oui ,  Dieu  le  sait ,  William  !  le  meilleur  ouvrage  que 
j'aie  encore  écrit?  Malédiction!  Encore  si  cette  Altesse 
y  entendait  quelque  chose  !  mais  le  duc  se  connaît  en 
musique  comme  ce  malotru  du  Yorkshire  qui ,  dans  le 
temps,  a  tellement  massacré  mon  Saiil,  que  je  n'ai  pu 
m'empêcher  de  le  rosser  d'importance.  »> 

«  Eh  bien ,  reprit  Hogarth  avec  gaîté  ;  depuis  28  ans 
que  vous  habitez  l'Angleterre,  n'avez-vous  pas  encore 
remarqué  combien  peu  la  protection  d'une  Altesse  igno- 
rante est  dans  le  cas  de  nuire  à  une  véritable  œuvre  ar- 
tistique? Vous  me  connaissez,  Hœndel,  et  vous  savez 
que  je  ne  déteste  rien  comme  l'adulation  vis-à-vis  de 
qui  que  ce  soit  ;  mais  je  puis  vous  assurer  que  si  je  ne 
voulais  me  tenir  en  bons  termes  qu'avec  ceux  qui  sont 
capables  de  juger  mes  ouvrages,  God  dam!  je  devrais 
m'eslimer  trop  heureux  de  trouver  assez  de  portaits  a 
faire  pour  pouvoir  soutenir  ma  femme  et  mes  enfants  : 
il  faudrait  alors  renoncer  a  toute  distraction  et  même  à 
prendre  mon  verre  de  punch  dans  ce  club  où  vous  vous 
êtes  si  bien  amusé.  Vous  le  savez  aussi  bien  que  moi  : 
le  talent,  le  génie  des  arts  et  l'argent  nécessaire  pour 
pouvoir  les  cultiver,  se  trouvent  rarement  ou  presque 
jamais  dans  la  possession  du  même  individji.  Rendons 
grâces  au  ciel  de  ce  que  les  niais  ou  les  simples  ont  en- 
core assez  de  bonhomie  pour  ne  pas  nous  envier  notre 
lot,  et  pour  nous  abandonner  les  miettes  de  leurs  fes- 
tins. » 

Pendant  que  Hogarth  philosophait  ainsi,  Hœndel  avait 

appuyé  ses  deux  bras  sur  la  table  et  posé  sa  tête  sur  ses 

mains.  Sans  lever  les  yeux  et  sans  changer  d'altitude, 

il  murmurait  tout  bas  :  Les  choses  resteront-elles  tou- 

I  jours  ainsi,  et  ne  viendra-t-il  jamais  le  temps  où  l'artiste 

'  pourra  jouir,  dans  toute  sa  pureté,  du  plaisir  qu'il  pro- 

I  cure  aux  autres  par  ses  ouvrages?  —  Hogarth  !  continua- 

t-il  en  élevant  tout-à-coup  la  voix  avec  feu  et  en  regar- 


419 


dant  fixement  son  ami  ;  Hogarth,  voudrais-tu  quitter 
ton  pays  pour  exercer  ton  ait  sur  une  terre  étran- 
gère? » 

«  God  dam!  répondit  Hogarth;  pas  pour  le  inonde 
entier.  » 

«  Voilà,  répliqua  Hœndel  avec  plus  de  vivacité 
encore;  tu  as  persévéré,  et  tu  recueilles  aujourd'hui  le 
fruit  de  ta  fidélité  à  ton  pays.  Moi,  je  quittai  le  mien 
précisément  au  moment  où  une  nouvelle  vie  semblait 
devoir  s'y  répandre  dans  les  arts.  Oh!  sans  doute,  ce 
germe  s'y  est  heureusement  développé  !  que  ne  pourrais- 
je  y  réaliser  avec  les  dons  que  le  ciel  m'a  départis  !  — 
Si  mes  compatriotes  ont  accompli  quelque  chose  de 
grand,  c'est  sans  moi,  pendant  que  je  m'évertue  ici 
uniquement  a  faire  comprendre  a  vos  imbéciles  de  chan- 
teurs et  de  ménétriers  j  ce  que  c'est  que  la  musique. — 
Ah  !  si  je  n'en  étais  déjà  à  ma  cinquantième  année,  dès 
demain  je  regagnerais  mon  pays  a  toutes  jambes!  Que  le 
Ciel  me  confonde ,  si  je  n'aimerais  pas  mieux  y  être  pâ- 
tre que  d'être  ici  directeur  du  théâtre  de  Haymarket  ou 
même  maître  de  chapelle  de  Sa  Majesté  Britannique,  qui 
se  délecte,  avec  toute  la  valetaille  de  la  cour,  des  chants 
d'un  maudit  castrat  a  la  mode! — Hogarth!  vous  de- 
vriez faire  un  tableau  représentant  cet  eunuque  et  les 
femmes  de  Londres  en  adoration  devant  lui ,  et  lui  ten- 
dant leurs  offrandes.  » 

«  C'est  déjà  fait,  répliqua  Hogarth  en  riant;  mais, 
chut  !  ne  voilà-t-il  pas  nos  amis  ? 

La  porte  s'ouvrit  de  nouveau,  et  successivement  en- 
trèrent messire  Tyers,  le  propriétaire  du  Vauxhall , 
l'abbé  Dubos,  le  docteur  Benjamin  Hvaldy  et  Joseph 
Wach,  jeune  allemand  qui,  sous  la  direction  de  Hœndel, 
se  consacrait  à  l'étude  du  chant,  et  que  suivait  miss 
Ellen  ,  la  fille  de  la  maison.  Masler  John  se  leva  de  des- 
sus son  siège;  Tom  servit  le  porter,  et  ou  entendait  ré- 
sonner au  dehors  la  voix  de  la  «  bonne  femme  a  ,  qui 
se  querellait  avec  ses  domestiques. 

II. 

Hœndel  fit  un  signe  d'amitié  à  son  élève.  Eh  bien  ! 
lui  dit-il ,  où  en  es-tu  de  ta  partie  ?  avances-tu  ,  et  pour- 
rai-je  bientôt  te  la  faire  répéter? 

«  Je  travaille  beaucoup,  monsieur  Hœndel,  répondit 
Joseph,  et  ce  ne  sera  pas  faute  de  bonne  volonté  si  je  ne 
m'acquitte  pas  bien  de  ma  tâche;  il  faut  seulement  que 
vous  ayez  un  peu  de  patience  avec  moi.  » 

«  Hum  !  murmura  Hœndel;  puisque  j'en  ai  eu  si  long- 
temps avec  les  idiots  de  ce  pays-ci,  je  n'en  manque- 
rai pas,  sans  doute,  si  tôt  pour  toi.  Mais  laissons  cela 
jusqu'à  demain  malin,  et,  en  attendant,  cause  à  ton 
aise  avec  ta  bien-aimée.  » 


Oh!  monsieur  Hœndel ,  s'écria  Ellen  d'un  air  à  la 
fois  boudeur  et  comique;  il  paraît  que,  selon  vous, 
Joseph  ne  doit  être  mon  «  sweet  heart  »  que  lorsqu'il 
n'a  rien  de  mieux  à  faire?  » 

«  Ce  serait,  sans  doute,  ce  qu'il  y  aurait  de  plus  con- 
venable, petit  lutin,  dit  Hœndel  en  riant;  mais  il  est 
difficile  de  prêcher  des  amoureux;  votre  père  le  sait  par 
expérience  ;  n'est-il  pas  vrai ,  mon  vieux  John?  » 

John  Farren  répondit  _,  avec  un  léger  sourire ,  en  s'in- 
clinant  :  «  C'est  juste;  mais  puisque  l'on  dit  qu'il  n'est 
pas  bon  que  l'homme  reste  seul,  je  tiens  pour  le  proverbe 
qui  veut  que  l'on  se  marie  de  bonne  heure,  et  je  cite 
pour  preuve  mon  propre  mariage  et  mon  enseigne  «  the 
good  Woman.  » 

Tout  le  monde  se  prit  à  rire ,  excepté  Ellen  et  Joseph, 
déjà  trop  absorbés  dans  leur  conversation  pour  avoir  pu 
entendre  le  discours  du  vieux  John. 

«  Monsieur  Hœndel,  dit  l'abbé  Dubos  en  prenant  la 
parole;  savez-vous  bien  que  je  n'ai  pu  dormir  toute  la 
nuit  dernière,  parce  que  votre  chœur  «  La  gloire  du  Sei- 
gneur  se  révèle  »  retentissait  toujours  à  mes  oreilles  ?  Je 
suis  d'avis  que  votre  gloire  à  vous  se  révélera  aussi  par 
votre  Messie,  dès  que  vous  réussirez  à  le  faiie  exécuter. 
Malheureusement,  le  lord-archevêque  paraît  aussi  se  dé- 
clarer contre  cette  représentation.  » 

Hœndel  rougit,  comme  cela  lui  arrivait  toujours  lors- 
qu'il entrait  en  colère  :  «Le  lord-archevêque,  répéta-t- 
il  ;  aha  !  le  lord-archevêque  ;  c'est  encore  là  un  beau  ser- 
viteur de  D'eu  !  N'est-il  pas  venu  m' offrir  de  me  com- 
poser un  texte  pour  mou  Messie,  et  quand  je  lui  eus 
tranquillement  demandé  s'il  me  croyait  païen  et  étran- 
ger à  la  Bible ,  ou  s'il  se  flattait  de  faire  un  texte  meilleur 
que  les  Saintes  Ecritures,  ne  s'est-il  pas  avisé  de  me  tour- 
ner le  dos  et  de  s'en  aller  crier  à  la  cour  que  j'étais  un 
ingrat  et  grossier  personnage?  —  Eh  bien  !  cela  y  est  ar- 
rivé fort  à  propos  !  » 

(c  C'est  qu'en  effet,  observa  prudemment  John  Farren, 
il  ne  fait  pas  bon  manger  des  cerises  avec  les  grands 
seigneurs.  » 

«  Je  croyais,  murmura  Handel ,  que  ce  proverbe  n'a- 
vait cours  que  sur  le  continent;  mais  je  vois  que,  mal- 
heureusement ,  il  est  également  de  mise  dans  le  pays  de 
la  liberté.  » 

«Le  bien  et  le  mal  se  trouvent  toujours  réunis  sur  cette 
terre,  dit  en  souriant  Benjamin  Hvaldy;  et  à  cet  égard 
la  proportion  est  presque  partout  la  même.  Il  faut  pren- 
dre le  monde  tel  qu'il  est,  mon  cher  Hœndel!  Conve- 
nez, du  reste,  que  jamais  vous  ne  vous  sentez  plus  haut 
placé  au-dessus  du  vulgaire,  que  jamais  vous  n'êtes 
plus  convaincu  de  votre  mérite  que  lorsqu'apt'ès  avoir 


rtïo 


GAZETTE  MUSICALE 


long-temps  lutté  contre  les  cabales  de  l'ignorance,  vous 
parvenez  a  faire  exécuter  un  de  vos  ouvrages  ;  alors, 
vous  voyez  même  vos  ennemis  subjugés  par  votre  ta- 
lent' et  forcés  de  l'admirer.  » 

«  Je  ne  me  moque  pas  mal  de  l'admiration  des  fous 
et  des  lâches,  s'écria  Handel  courroucé.  »  Mais  Benja- 
min ,  toujours  occupé  a  le  calmer ,  reprit  :  «  Mon  ami , 
tout  homme  qui  est  encore  capable  d'admirer  ce  qui  est 
bon  et  beau ,  ne  saurait  être  aussi  méchant  que  les  appa- 
rences semblent  quelquefois  l'indiquer.  Le  cœur  de 
l'homme  renferme  un  certain  je  ne  sais  quoi ,  qui ,  a 
moins  qu'il  ne  l'en  arrache  violemment,  empêche  même 
l'être  le  plus  dégradé  de  tomber  entièrement  dans  l'a- 
bîme. Ce  quelque  chose,  je  ne  puis  vous  le  définir  bien 
au  juste;  mais  ['art,  et  surtout  la  musique,  sont  la  meil- 
leure pierre  de  touche  pour  reconnaître  si  l'homme  n'a 
pas  entièrement  renoncé  à  lui-même.  » 

«  Ce  que  vous  dites,  observa  messire  Thiers,.  est 
très-vrai,-  pour  moi,  j'aime  passionnément  la  musique, 
et  je  pense,  ajouta-t-il  en  s'adressant  a  Hœndel,  comme 
votre  illustre  compatriote,  le  grand  réformateur  Luther, 
pour  qui  l'homme  dont  l'ame  est  insensible  au  merveil- 
leux charme  de  la  musique  n'est  qu'une  espèce  de  brute. 
Mais,  cher  Hœndel ,  ne  jugez  pas  trop  sévèrement  mes 
braves  compatriotes  ;  les  dons  du  ciel  sont  répartis  di- 
versement, et  si  mes  compatriotes  n'ont'pas  encore  fait, 
dans  le  délicieux  art  de  la  musique,  autant  de  progrès 
que  les  vôtres ,  ils  possèdent  d'autres  qualités.  » 

«  Vous  êtes  depuis  long-temps  en  Angleterre,  ajouta 
l'abbé  Dubos,  et  vous  y  avez,  sans  doute,  éprouvé  bien 
des  contrariétés,  notamment  de  la  part  de  ceux  dont 
vous  aviez  besoin  pour  faire  exécuter  vos  ouvrages. 
Mais ,  s'il  est  vrai ,  mon  bon  Hœndel ,  que  vous  ayez  eu 
souvent  a  vous  plaindre  de  la  cour  et  des  grands;  s'il 
est  vrai  que  nos  musiciens  et  nos  chanteurs  soient  moins 
habiles  que  ceux  de  votre  pays;  si,  enfin, nous  ne  sommes 
pas  organisés  de  manière  a  saisir  et  a  comprendre  tout 
ce  qu'il  y  a  de  sublime  dans  vos  oeuvres,  n'est-il  pas 
également  certain  que  le  peuple  britannique  a  fait  de 
vous  son  favori,  son  idole?  Le  nom  de  Handel  n'est-il 
pas  prononcé  par  la  bouche  du  loyal  John  Bull  avec  au- 
tant d'affection  et  d'estime  que  celui  de  l'orateur  le  plus 
illustre  du  Parlement?  Eh  bien!  mon  cher  maître,  s'il 
en  est  ainsi ,  sachez,  au  moins  une  fois ,  pour  l'amour 
de  ce  brave  John  Bull,  vous  prêter  un  peu  aux  circons- 
tances; montrez- vous  une  fois  un  peu  plus  flexible,  afin 
que  nous  entendions  votre  Messie.  Vous  ne  perdrez 
rien  pour  cela  de  votre  dignité,  et  n'en  serez  pas  moins 
le  bon  et  loyal  allemand  que  nous  avons  toujours  estimé 
en  vous.  » 


«  God  dam  !  s'écria  Hogarth  :  c'est  bien  ce  que  je  lui 
ai  dit  aussi.  Et  nous  de  même,  crièrent  a  leur  tour 
Thiers  et  Hvaldy.» 

Hœndel  demeura  encore  quelques  moments  silencieux 
en  regardant  ses  amis  d'un  air  assez  sombre;  mais,  tout- 
a-coup,  sa  physionomie  changea  d'expression,  le  sourire 
parut  sur  ses  lèvres ,  et  alors  il  s'écria  d'une  voix  forte  : 
«  Palsambleu!  vous  avez  raison  après  tout,  mes  vieux 
amis  ;  vous  avez  raison;  voici  ma  main  ;  demain  matin  je 
vais  chez  le  duc ,  et  vous  entendrez  le  Messie  j  quand 
mêmetous  les  imbécillesdes  trois  royaumes  etdu  continent 
voudraient  s'y  opposer.  Tom!  un  autre  cruchon!  » 

De  bruyans  applaudissemens  accueillirent  cette  dé- 
claration. John  Farren  fit  même  un  bond  de  joie;  mais 
le  plus  content  fut  Joseph  qui  dit  doucement  à  sa  maî- 
tresse :  «  Oh!  chère  Ellen,  s'il  réussit,  nos  vœux  sont 
accomplis;  il  m'en  a  donné  sa  parole.  » 

III. 

Le  lendemain,  suivant  sa  promesse,  Hœndel  monta 
en  carosse,  et  se  rendit  chez  le  duc  deBedford.  Son 
Altesse  donnait  ce  jour-là  un  grand  déjeûner,  et  la  moi- 
tié delà  cour  se  trouvait  rassemblée  chez  lui.  Cepen- 
dant, dès  que  les  laquais  eurent  reconnu  Hœndel,  ils 
s'empressèrent  d'en  instruire  leur  maître. 

Le  duc  de  Bedford  n'était  rien  moins  que  connaisseur 
en  matière  de  musique;  mais  il  aimait  le  faste ,  tenait  a 
la  réputation  de  protecteur  des  arts,  et  faisait  consister 
son  plus  grand  bonheur  à  se  montrer  ,  sous  ce  rapport , 
plus  empressé  et  aussi  généreux  quelle  roi. 

Mettre  le  grand  artiste  allemand  sur  la  liste  de  ses 
protégés ,  c'était  depuis  long-temps  son  plus  vif  désir, 
sachant  très-bien  que  ce  n'était  pas  la  défaveur  du  roi 
qui  avait  éloigné  Hœndel  de  Carllon-House.  Le  roi  esti- 
mait, au  contraire,  d'autant  plus  le  compositeur  étran- 
ger qu'il  savait  apprécier  son  mérite,  et  qu'il  rendait 
pleinement  justice  a  son  génie.  Mais  le  caractère  libre 
et  énergique  de  Hœndel  n'avait  pu  se  plier  au  ton  et  aux 
manières  si  strictement  observées ,  non  -seulement  à 
Carllon-House,  mais  encore  dans  les  grands  cercles  de 
la  capitale ,  et  ses  relations  avec  la  cour  et  la  noblesse 
avaient  ainsi presqu'entièrement  cessé.  Toutefois,  sa  re- 
nommée allait  toujours  croissant.  Son  oratorio  Satil,  qu'il 
avait  fait  exécuter  l'année  précédente,  d'abord  à  Lon- 
dres, puis  dans  les  grandes  villes  des  Royaumes-Unis  , 
avait  fait  reconnaître  en  lui  un  maître  consommé  dans 
l'art  des  tons.  Le  roi  avait  été  ravi  de  cet  ouvrage;  la 
cour  et  la  noblesse  feignaient  du  moins  de  partager  son 
admiration  ;  mais  c'est  surtout  dans  les  rangs  du  peuple 
que  le  nom  de  Hœndel  était  célèbre.  A  peine  le  duc  eut- 


421 


il  appris  l'arrivée  de  ce  maître,  qu'il  s'empressa  d'aller 
au-devant  de  lui,  et  de  le  prendre  amicalement  par  la 
main  pour  le  conduire  sans  cérémonie  au  milieu  de  ses 
nobles  convives.  Mais  Hœndel,  le  remerciant  de  l'hon- 
neur que  S.  A.  voulait  lui  faire,  dit  au  duc  qu'il  était 
seulement  venu  pour  lui  demander  un  un  acte  de  com- 
plaisance. 

«  C'est  très-bien,  maître  Hœndel,  répondit  le  duc 
en  souriant;  allons  causer  dans  mon  cabinet.  »  Hœndel 
suivit  le  duc,  a  qui  il  fit  connaître  son  désir,  en  lui  di- 
sant laconiquement  «  qu'il  serait  obligea  S.  A.  de  vou- 
loir bien  ramener  au  bon  sens  l'archevêque  et  le  lord- 
maire  de  Londres  ,  afin  qu'ils  n'entravassent  pas  davan- 
tage l'exécution  de  son  Messie,  surtout  à  l'égard  du  lo- 
cal qu'il  avait  choisi;  car,  ajouta-t-il  énergiquement, 
de  par  tous  les  diamres  !  c'est  bien  moi  qui  dois  savoir 
le  mieux  où  ma  musique  fera  le  plus  d'effet.  » 

Leduc  fut  entièrement  de  l'avis  de  Hœndel ,  et  lui 
promit  d'user  de  toute  son  influence  pour  faire  cesser 
et  pour  prévenir  tous  les  obstacles  qui  pourraient  encore 
s'opposer  à  la  représentation  du  Messie. 

Hœndel  fut  charmé,  moins  encore  peut-être  de  cette 
promesse  ,  que  de  la  manière  toute  gracieuse  dont  elle 
lui  fut  faite  parle  duc,  habituellement  poli  sans  doute, 
mais  aussi  irès-fier. 

«  Maintenant,  maître  Hœndel,  dit  le  duc,  venez 
aussi  avec  moi  au  'salon.  Il  ya,  je  le  sais  bien,  plus 
d'une  figure  que  vous  ne  verrez  pas  avec  plaisir;  mais 
vous  y  trouverez  un  de  vos  braves  compatriotes,  que 
j'ai  engagé  pour  ma  chapelle  ;  il  s'appelle  Kellermann , 
et,  suivant  les  connaisseurs .,  il  a  un  beau  talent  sur  la 
flûte.  » 

«  Comment,  s'écria  joyeusement  Hœndel,  ce  brave 
garçon  est  à  Londres  et  au  service  de  votre  Altesse?  a 
la  bonne  heure!  Je  vous  suis,  monseigneur,  votre  salon 
fût-il  rempli  d'orang-outangs.  » 

«  Oh!  il  n'y  en  manque  pas,  répondit  gaîment  le 
duc,  en  avançant  avec  Hœndel  vers  le  salon;  mais  vous 
y  verrez  aussi  quelque  bonne  poularde  rôtie.  » 

Un  mouvement  se  manifesta  dans  tout  le  salon  lors- 
que l'illustre  maître  de  la  maison  y  entra  en  conduisant 
Hœndel  parla  main. 

Le  duc,  après  avoir  rapidement  présenté  l'artiste  al- 
lemand a  la  société ,  fit  signe  a  son  compatriote  Keller- 
mann ,  et  Hœndel,  sans  s'imposer  la  moindre  gêne,  em- 
brassa son  ancien  ami  avec  toute  l'effusion  de  la  joie  et 
toutes  les  démonstrations  de  la  cordialité.  Cette  scène 
paraissait  faire  plaisir  au  duc  de  Bedford,  et  il  laissa  les 
deux  amis  se  livrer  avec  abandon  au  bonheur  de  se  re- 
voir, bien  que  l'idole  du  grand  monde  de  Londres,  il 


signor  Farinelli ,  placé  auprès  du  'piano ,  toussât  plu- 
sieurs fois  légèrement  pour  faire  connaître  qu'il  était 
prêt  à  chanter ,  et  pour  engager  Kellermann  a  venir 
l'accompagner. 

Celui-ci  s'en  aperçut  enfin,  serra  la  main  de  Hœndel 
en  souriant,  retourna  a  sa  place,  prit  sa  flûte,  et  il  si- 
gnor Farinelli,  après  avoir  toussé  encore  plusieurs  fois, 
se  mit  a  chanter  un  air  sentimental  d'une  voix  douce  et 
claire. 

Rien  ne  répugnait  davantage  a  Hœndel ,  homme  de 
caractère  et  si  énergique  dans  ses  œuvres ,  que  le  chant 
d'un  castrat,  et  tout  le  luxe  d'ornemens  dont  Farinelli 
embellissait  son  chant ,  n'était  à  ses  yeux  qu'une  profa- 
nation de  la  nature  et  de  l'art  musical.  Cependant,  quel- 
qu'htimeur  qu'il  ressentît  de  la  doucereuse  manière  du 
malheureux  italien ,  il  ne  put  s'empêcher  de  rire  inté- 
rieurement des  transports  que  fit  éclater  son  auditoire  : 
les  hommes  tournaient  les  yeux  et  soupiraient  de  ravis- 
sement ;  les  ladies  se  pâmaient  :  «  Sweet!  Sweet!  » 
disaient  les  unes ,  tandis  que  d'autres  répondaient  :  «  yes, 
indeed!  »  en  fermant  les  yeux  et  en  oubliant  leur  ré- 
serve ordinaire. 

Il  signor  Farinelli  termina  son  morceau.  Les  plus 
vifs  applaudissemens  furent  sa  récompense  :  Handel  pen- 
sait a  son  élève  Joseph. 

Farinelli  ayant  appris  la  présence  d'il  signor  Aendel, 
dont  le  nom  n'était  pas  inconnu  en  Italie ,  témoigna  le 
désir  de  faire  sa  connaissance,  et  le  duc  voulut  se  don- 
ner le  plaisir  de  les  présenter  l'un  a  l'autre.  «  J'ai  ap- 
pris, dit  Farinelli,  en  mauvais  anglais  a  Hœndel ,  igno- 
rant que  celui-ci  sût  l'italien  :  J'ai  appris  que  il  signor 
Aendel  avait  fait  la  mousique  d'oun  opéra ,  il  Messia. 
Y  a-t-il  dans  cet  opéra  une  partie  pour  le  célèbre  signor 
Farinelli ,  je  veux  dire  per  moi? 

Hœndel  regardait  avec  de  grands  yeux ,  des  pieds  à  la 
tête,  cette  singulière  figure,  parée,  comme  une  femme, 
de  dentelles  et  de  pierreries  ;  enfin,  il  lui  répondit  d'un 
ton  bref,  et  en  prenant  les  cordes  les  plus  basses  de  sa 
voix  :  No  ->  signora. 

Farinelli  recula  de  quelques  pas  ;  les  hommes  étouf- 
fèrent avec  peine  un  rire  bruyant  qui  était  sur  le  poiut 
de  leur  échapper ,  et  les  ladies  se  détournèrent  en  rou- 
gissant. Handel  prit  congé  de  l'assemblée  et  se  retira. 

Arrivé  dans  le  corridor ,  il  rencoutra  Hogarth  qui  lui 
montra,  en  riant ,  une  esquisse  représentant  toute  la  ré- 
union que  Hœndel  quittait,  faisant  éclater  ses  transports 
en  écoutant  le  chant  de  Farinelli.  «  Par  ordre  du  duc,  » 
dit-il  tout  bas  a  Hœndel.  —  C'est  une  perfidie  de 
l'Altesse,  répondit  celui-ci  d'un  ton  assez  sérieux.  Le 
peintre  satirique  fit  un  mouvement  des  épaules. 


Sil[ylHii    ni 


£22 


GAZETTE  MUSICALE 


IV. 


Assis  solitairement  dans  sa  petite  chambre ,  Hsendel 
était  absorbé  dans  sa  partition,  dont  il  examinait,  une 
dernière  fois,  attentivement  chaque  note  ;  tantôt  sou- 
riant à  la  vue  d'un  passage  qui  lui  avait  réussi,  tantôt 
devenant  sérieux  en  trouvant  un  autre  dont  il  n'était 
pas  satisfait  ;  réfléchissant,  raturant  et  substituant  une 
phrase  a  une  autre.  Enfin,  ses  regards  s'arrêtèrent  sur 
le  dernier  «  Amen  »  ;  ils  s'y  reposèrent  long-temps , 
bien  long-temps,  jusqu'à  ce  qu'une  larme  tombât  sur  le 
feuillet.  «  Cette  note,  dit-il  alors  d'un  ton  recueilli, 
cette  note  est  peut-être  la  meilleure  de  toutes.  0  toi  ! 
esprit  puissant  et  sublime,  accepte  l'offrande  de  cet  ou- 
vrage ;  reçois  mes  actions  de  grâces,  seigneur  !  c'est  toi 
qui  m'as  permis  de  le  faire.  » 

Il  ferma  la  partition ,  fit  quelques  tours  dans  sa  cham- 
bre, et  s'assit  ensuite  dans  son  fauteuil ,  les  mains  croi- 
sées, pour  se  livrer  a  une  douce  rêverie  sur  le  temps  de 
sa  jeunesse...  pour  rêver  a  son  pays. 

C'est  ainsi  que  le  trouva  Kellermann ,  quand  il  vint 
le  chercher,  sur  le  soir,  pour  l'emmener  a  la  taverne. 

Hœndel  l'accueillit  avec  la  cordialité  d'un  homme 
attendri  par  de  doux  souvenirs.  Long-temps  ils  causè- 
rent ensemble  delà  patrie,  de  leur  art  et  des  maîtres 
distingués  qui  vivaient  alors  en  Allemagne.  Enfin,  ils 
partirent  pour  la  taverne,  où  les  attendaient  leurs  com- 
muns amis. 

«  Eh  bien.,  la  paix  est  donc  faite,  s'écria  gaiement 
Hogarth ,  en  voyant  entrer  Hœndel  ;  est-ce  que  mon  con- 
seil n'était  pas  bon?  Le  Duc  n'a-t-il  pas  été  bien  avec 
toi ,  et  n'es-tu  pas  un  aussi  brave  garçon  qu'auparavant?» 

Hœndel  répondit  d'un  mouvement  de  tète,  en  sou- 
riant avec  bonhomie ,  et  prit  sa  place  accoutumée  auprès 
de  la  table  ronde. 

«  Oui,  continua  Hogarth  ,  ton  affaire  est  maintenant 
faite,  —  et  tu  n'a  plus  à  t'inquiéter  de  rien  ;  mais  moi , 
pauvre  diable,  j'ai  éprouvé  un  vilain  échec  pour  mon 
dernier  ouvrage.  » 

(c  Toi  !  lui  dit  Hœndel  avec  étonnement  ;  toi ,  dont  la 
réputation  augmente  de  jour  en  jour? 

«Oui,  joliment,  reprit  Hogarth  avec  humeur;  on 
vient  de  se  moquer  de  moi  d'une  bonne  façon.  Tu  te 
souviens,  sans  doute,  que,  dans  le  tems  où  l'on  vendit 
ici  à  l'enchère  la  Léda  du  Corrège  pour  -10,000  guinées, 
je  dis  que  si  l'on  voulait  me  donner  une  somme  pareille, 
je  me  faisais  fort  de  fournir  un  ouvrage  qui  vaudrait  ce- 
lui du  peintre  italien.  Lord  Grosvenor  me  prit  au  mot. 
Je  me  mets  a  l'œuvre;  je  néglige  d'autres  travaux  pour 
me  livrer  a  mon  entreprise,  et,  après  une  année  d'ap- 


plication constante,  mon  tableau  est  achevé.  Je  l'apporte 
à  sa  Seigneurie;  il  réunit  tous  les  amis  pour  l'examiner, 
et  tous  —  comme  je  viens  de  te  le  dire  —  se  mettent  a 
rire ,  et  déclarent  que  mon  ouvrage  ne  vaut  rien  ;  si  bien 
qu'il  ma  fallu  le  remporter  et  essuyer  encore  chez  moi 
les  brocards  de  ma  femme. 

Tout  le  monde  sç  mit  â  rire,  excepté  Hœndel  qui, 
après  avoir  gardé  quelques  momens  le  silence  ,  dit  a 
son  ami  :  Hogarth  !  tu  es  un  brave  garçon,  mais  souvent 
passablement  niais  !  Tu  n'es  pas  en  état  de  juger  les  maî- 
tres italiens,  d'abord  parce  qu'ils  ont  une  tout  autre  ma- 
nière que  la  tienne,  et,  en  second  lieu,  parce  que  tu  ne 
connais  pas  précisément  leurs  meilleurs  ouvrages.  Si  tu 
avais  été ,  comme  moi ,  en  Italie  et  notamment  a  Rome, 
où  l'on  voit  briller  les  grandes  créations  de  Raphaël  et 
de  Michel- Ange,  tu  les  vénérerais  comme  je  vénère  les 
anciens  compositeurs  italiens  de  musique  sacrée.  Les  pein- 
tres modernes  ressemblent  plus  ou  moins  dans  leur  genre 
au  signor  Farinelli.  » 

«  Soit!  s'écria  Hogarth,  je  ne  veux  pas  te  contredire 
sur  ce  point  :  dis-nous  plutôt  si  tu  es  content  de  tes  chan- 
teurs et  de  tes  musiciens  ;  pense-tu  qu'il  ne  s'acquitte- 
ront pas  trop  mal  de  leur  tâche  ? 

«  Trop  mal ,  non  !  répondit  Hœndel  ;  je  les  ai  fait  tra- 
vailler comme  des  nègres ,  et  Joseph  m'a  bien  secondé 
pour  leur  faire  apprendre  leurs  parties.  Le  premier  so- 
prano est  furieusement  médiocre,  ce  qui  me  chagrine  à 
cause  de  quelques  morceanx.  » 

En  ce  moment,  Joseph  Wach  se  montra  à  la  porte, 
et  dit:  un  mot,  je  vous  prie,  Monsieur  Hœndel  !  » 

«  Eh  bien,  qu'est-ce  donc?  demanda  Hœndel  en  s'en 
allant.  Ses  amis  se  regardèrent  en  souriant,  et  JohnFar- 
ren  fit  un  mouvement  de  joie  dans  son  grand  fauteuil. 

Joseph  avait  pris  Hœndel  par  la  main,  et  l'avait  en- 
traîné rapidement  dans  sa  chambre,  où,  a  la  grande  sur- 
prise de  ce  dernier,  il  rencontra  la  jolie  Ellen. 

«  Eh  bien,  que  me  voulez-vous  donc?  dit  Hœndel , 
dont  la  physionomie  commençait  à  se  rembrunir.  Que 
faites- vous  si  tard  dans  la  chambre  de  ce  jeune  homme , 
Miss  Ellen?  » 

«  Il  va  vous  le  dire  lui-même  ,  répondit  Ellen  en  rou- 
gissant, et  Joseph,  se  hâtant  de  prendre  la  parole,  dit  a 
Hœndel  :  Ne  pensez  pas  de  mal  d'Ellen,  cher  maître  ;  ce 
que  nous  avons  fait  ensemble,  nous  pouvons  l'avouer 
devant  le  monde  entier.  —  «  Eh  bien  ,  parle  alors,  »  re- 
prit Hœndel  avec  vivacité.  Joseph  continua  :  «  Tout 
ce  que  je  suis  et  tout  ce  que  je  sais,  c'est  à  vous,  mon 
maître  chéri,  que  je  le  dois.  Quand  je  fus  sans  appui, 
c'est  vous  qui  prîtes  soin  de  moi,  et,  pour  faire  de  mm 
un  artiste  vraiment  estimable,  vous  avez  sacrifié  bien 


DE  PARIS. 


423 


des  heures,  pendant  lesquelles  rems  eussiez  pu  créer 
beaucoup  de  belles  choses...  » 

«  Eh  bien,  fou  que  vous  êtes  !  s'écria  Hœndel  en  riant 
avec  bonhomie  ;  crois-tu  donc  que  ce  n'est  pas  créer  quel- 
que chose  que  de  former  un  bon  chanteur? 

«  Soit!  répliqua  Joseph;  mais  je  vous  dois  tout  » 

«  Cela  n'est  encore  pas  vrai ,  répondit  Hœndel  ,  ton 
talent ,  tes  dispositions  naturelles  ,  tu  les  dois  a  Dieu.  » 

«  Oui ,  mais  tout  le  reste  c'est  a  vous  que  j'en  suis  re- 
devable. » 

«  Et  quand  cela  serait ,  après  ? 

«  Eh  bien,  mon  cher  maître,  j'avais  souvent  remar- 
qué avec  un  vif  regret  la  peine  immense  qu'il  vous  fal- 
lait prendre  avec  des  chanteurs  et  des  cantatrices  mé- 
diocres, parce  que  leur  méthode  ne  convenait  pas  a  l'exé- 
cution de  vos  ouvrages  ,  pour  les  mettre  sur  une  meil- 
leure voie » 

«  Ah ,  sans  doute ,  c'est  la  une  de  mes  misères  !  dit 
Hœndel  en  soupirant.  » 

«  J'ai  donc  voulu  essayer,  continua  Joseph  ,  de  for- 
mer une  chanteuse  a  votre  gré  et  dont  vous  pussiez  être 
entièrement  satisfait  ;  je  crois  l'avoir  amenée  maintenant 
an  point  qu'elle  pourrait  hasarder  de  se  faire  entendre 
devant  vous  ;  —  la  voilà  ,  ajouta-t-il ,  en  montrant 
Ellen. 

Hœndel  ouvrit  de  grands  yeux  ,  et  regarda  avecéton- 
nement  la  jeune  fille  ,  en  disant  :  Ellen  !  — 

«  Oui ,  moi  ,  cher  Monsieur  Hœndel  !  s'écria  Ellen 
en  fixant  à  son  tour  sur  lui  ses  beaux  yeux ,  dans  les- 
quels brillaient  la  candeur  de  son  âme  et  l'affection 
qu'elle  portait  au  protecteur  de  Joseph.» 

«  Peut-elle  chanter  devant  vous,  maître?  dit  alors 
celui-ci.  » 

«  Oui ,  certainement ,  répondit  Hœndel  en  s'asseyant  ; 
je  suis  curieux  de  voir  quel  élève  tu  as  su  former.  » 

Joseph  sauta  joyeusement  au  piano;  Ellen  se  plaça  h 
côté  de  lui,  et  commença  a  chanter. 

Quel  ne  fut  pas  l'étonnement  de  Hœndel,  lorsque, 
dans  le  morceau  chanté  par  Ellen  ,  il  reconnut  un  des 
airs  les  plus  importants  de  son  Messie,  dont  l'exécution 
devait  avoir  lieu  le  surlendemain  ,  cet  air  si  merveilleu- 
sement beau  :  «  Je  sais  que  mon  sauveur  existe  !  »  Et, 
quant  à  !a  manière  dont  Ellen  exécuta  ce  morceau,  le 
lecteur  pourra  en  juger  quand  je  lui  aurai  dit  que,  lors- 
qu'elle eut  fini  ,  Hœndel  était  immobile  sur  sa  chaise, 
un  doux  sourire  sur  les  lèvres,  et  ses  grands  yeux  si  vifs, 
remplis  des  larmes  d'une  profonde  et  religieuse  émotion. 
Bientôt,  il  respira  avec  force,  se  leva,  baisa  Ellen  sur 
le  front  cl  sur  ses  yeux  où  brillaient  aussi  des  larmes,  et 


lui  demanda  d'un  ton  plein  de  douceur  :  N'est-il  pas  vrai» 
Ellen  j  ma  chère  enfant ,  n'est- il  pas  vrai  que  vous  chan- 
terez après  demain  a  la  représentation  de  mon  ouvrage? 
«0,  sans  doute,  mon  maître,  mon  père!  —  s'écria  la 
jeune  fille  en  sanglotant  et  en  jetant  ses  bras  autour  du 
cou  de  Hœndel ,  pendant  que  Joseph,  faisant  éclater  les 
plus  vifs  transports ,  chantait  avec  toute  l'expression  de 
la  joie  : 

Réveille-toi ....  réveille-toi  aux  chants  du  bonheur  ! 

ô  triomphe  ! ô  doux  ravissement! 

V. 

«  Amen.»  Cette  parole,  accompagnée  de  sons  célestes, 
retentissait,  le  surlendemain,  dans  les  vastes  détours  de 
la  cathédrale  de  Londres .,  et  expirait  doucement  dans 
ses  angles  les  plus  éloignés.»  Amen  »  répéta  a  voix  basse 
Hœndel ,  en  posant  sur  son  pupitre  la  baguette  avec  la- 
quelle il  avait  dirigé  l'orchestre.  Inexécution  de  son  im- 
mortel chef-d'œuvre  avait  réussi  au-delà  de  toute  attente. 
11  avait  produit  l'effet  le  plus  puissant  sur  le  nombreux 
auditoire ,  ainsi  que  sur  tous  les  chanteurs  et  musiciens 
de  l'orchestre.  La  gloire  de  Hœndel  était  désormais  im- 
périssable. 

En  sortant  de  l'église,  Hœndel  trouva  un  équipage 
qui,  par  les  ordres  du  roi.,  l'attendait  pour  le  conduire 
a  Carlton-House. 

Ce  fut  entouré  de  toute  sa  cour  que  George  H  reçut  le 
maître  allemand. 

Bravo ,  maître  Hœndel ,  s'écria-t-il  du  ton  le  plus  bien- 
veillant, quand  celui-ci  parut  a  ses  yeux  ;  il  faut  être 
juste  et  reconnaître  que  vous  nous  avez  fait  un  don  pré- 
cieux dans  votre  Messie  ;  c'est  une  œuvre  parfaite.  » 

«Fous  trouvez j,  Sire?»  répondit  Hœndel,  en  regardant 
joyeusement  le  roi.» 

«  Je  vous  le  repète,  répliqua  Georges  ;  et  maintenant, 
dites  ce  que  je  pourrais  faire  pour  vous  en  remercier? 

—  Eh  bien  !  que  votre  Majesté  emploie  d'une  manière 
avantageuse  lejeunehommequi  a  si  heureusement  chanté 
la  partie  du  ténor,  et  je  lui  en  aurai  une  grande  obliga- 
tion. Ce  jeune  homme  est  mon  élève,  et  lui  aussi  a  formé 
une  écolière  qu'il  aspire  a  épouser;  c'est  la  belle  Ellen, 
fille  du  vieux  John  Farren,  et  quia  elle-mêmemontré  tant 
de  talent  dans  la  représentation  de  mon  Messie  ;  le  père 
consent  à  ce  mariage,  mais  la  mère  s'y  oppose  d'autant 
plus  que  Joseph  Wach  n'a  pas  encore  d'emploi ,  et  votre 
Majesté  sait  bien  qu'il  est  difficile  de  lutter  contre  la  vo- 
lonté des  femmes. 

«  Vous  êtes  dans  l'erreur,  maître  Hœndel,  répondit 
eu  souriant  George,  je  ne  connais  pas  ces  difficultés-là; 


Ultt 


GAZETTE  MUSICALE 


quant  a  Joseph ,  il  est,  dès  aujourd'hui,  attaché  à  notre 
chapelle  en  qualité  de  premier  Ténor.  » 

«  En  vérité?  s'écria  avec  joie  Hœndel.  Eh  bien  !  j'en 
remercie  Votre  Majesté  de  tout  mon  cœur,  et  je  la  féli- 
cite de  cette  excellente  acquisition.  » 

George  garda  quelques  instans  le  silence  ;  puis  il  re- 
prit, dans  la  pensée  que  Hœndel  voudrait  peut-être  lui 
offrir  de  nouvean  ses  propres  services  :  «  Maître  Hœndel, 
n'avez-vous  rien  a  me  demander  pour  vous-même?  je 
serais  fort  aise  de  faire  quelque  chose  pour  vous  person- 
nellement., puisque  vous  nous  avez  procuré  un  si  bel 
amusement  par  votre  Messie.  » 

•  Virement  choqué  de  ce  mot  «  amusement  »  ,  Hœndel 
devint  rouge  de  colère,  et  répliqua  d'une  voix  forte  : 
«  Sire ,  je  n'ai  pas  voulu  amuser  Votre  Majesté ,  mais  la 
rendre  meilleure  par  cet  ouvrage.  » 

Toute  la  cour  fut  interdite. 

Le  roi  recula  d'un  pas  et  regarda  avec  surprise  le 
maître  audacieux;  mais,  tout  a  coup  il  éclata  de  rire, 
et,  se  rapprochant  de  Hœndel.,  il  lui  dit  :  «  Vous  êtes  et 
vous  demeurerez  toujours  un  rude  personnage j  Hœndel! 
mais  aussi  (lui  frappant  d'une  manière  bienveillante  sur 
l'épaule)  un  honnête  et  brave  garçon!  Allez;  faites  ce 
que  vous  voudrez  ;  nous  resterons  bons  amis.  »  Puis , 
ayant  congédié  Hœndel  d'un  signe  amical  et  gracieux , 
celui-ci  se  retira ,  remercia  Dieu  quand  il  eut  tourné  le 
dos  à  Carlton-House .,  et  courut  a  sa  chère  taverne. 

Est-il  nécessaire  de  dire  quels  transports  excita  dans 
le  cœur  des  deux  amans  la  bonne  nouvelle  dont  Hœndel 
était  porteur?  d'ajouter  qu'il  fut  étouffé  d'embrassemens? 
John  Farren  attira  de  force  «  sa  bonne  femme  »  dans 
ses  bras,  et  l'embrassa  vertement,  malgré  son  opposi- 
tion, en  criant  gaiement  :  «  God  dam,  Bess!  il  faut  que 
nous  soyons  d'accord  aujourd'hui ,  toutes  les  cloches  de 
la  vieille  Angleterre  dussent-elles  en  sonner  le  tocsin!  » 

Pendant  dix  ans  encore.,  Hœndel  parcourut  l'Angle- 
terre, en  créant  de  nouveaux  chefs-d'œuvre.  Lorsque 
enfin,  dans  sa  dernière  année ,  sa  vue  s'obscurcit,  alors 
ce  fut  Ellen  qui  le  soigna  avec  une  tendresse  filiale,  et 
son  mari  écrivit  sous  la  dictée  du  maître  ses  dernières 
compositions. 

Sous  les  voûtes  de  Westminster  s'élève  orgueilleuse- 
ment le  magnifique  mausolée  en  marbre  qui  a  été  érigea 
la  mémoire  de  Hœndel.  Le  temps  pourra  le  détruire! 
mais  il  durera  toujours  le  monument  que  ce  maître  s'est 
élevé  lui-même  par  ses  hautes  et  religieuses  inspirations, 
en  créant...  le  Messie. 

(Nouvelle  Gns  tte  m-suale  de  Lepzig,  traduit  par  M.  du  Mont.) 


TROISIEME  CONCERT  DE  M.  BERLIOZ. 

Il  faut ,  lorsqu'on  veut  rendre  compte  d'un  concert 
de  Berlioz ,  se  résoudre  a  paraître  tenter  une  chose  pres- 
que absurde,  depuis  que  M.  Fétis  fils  (qu'il  faut  bien  se 
garder  de  confondre  avec  son  père ,  savant  musicien , 
créateur  de  la  Reçue  musicale ,  ainsi  que  d'une  foule 
d'ouvrages  recommandables)  a  prouvé  nettement,  par 
les  raisonnemens  les  plus  péremptoires ,  qu'un  tel  con- 
cert est  une  des  plus  risibles  monstruosités  de  notre 
époque.  Qu'on  se  figure  un  concert  sans  musique  , — 
car  M.  Fétis  fils  soutient  que  Berlioz  n'est  nullement 
musicien  !  Qu'on  se  représente  cinq  cents  personnes  ap- 
partenant ,  ou  du  moins  paraissant  appartenir  à  la  race 
humaine,  s'imaginant  toutes  entendre  de  la  musique, 
allant  même  jusqu'à  se  persuader  que  cette  musique  les 
émeut  profondément,  et  payant  leur  plaisir  imaginaire 
par  les  applaudissemens  les  plus  frénétiques  ;  qu'on  se 
figure  cette  foule  abusée  par  l'erreur  la  plus  grossière, 
pendant  qu'au  milieu  de  toute  la  multitude ,  un  homme, 
un  seul ,  possède  assez  de  bon  sens  pour  apprécier  le 
tout  a  sa  juste  valeur,  et  nous  rire  au  nez  a  nous  tous 
pauvres  fous!  Cet  homme,  c'est  M.  Fétis  fils,  à  qui, 
certes  ,  des  idées  métaphysiques  sont  bien  loin 
d'être  étrangères,  puisqu'il  sait  très- bien  cet  axiome  : 
Qu'un  homme  «  qui  adopte  des  manières  ou  des 
vues  entièrement  différentes  de  celles  des  autres 
hommes,  n'est  point  un  original,  mais  bien  un  mania- 
que. «Tout  cela  peut  paraître  fort  étrange;  mais  M.  Fé- 
tis fils  démontre  ad  oculos  qu'il  a  parfaitement  ra'son.  11 
prouve  très-pertinemment  que  M.  Berlioz  est  «  un 
romantique  en  observateur  qui,  depuis  quinze  ans, 
parle  avec  les  littérateurs  de  Shakspeare,  Goethe, 
Alighieri ,  avec  les  peintres  de  Van-Dyk  ,  Holbein  et 
Durer;  avec  les  aichitectes,  des  merveilles  d'élégance 
et  de  hardiesse  qui  brillent  dans  les  cathédrales  et  dans 
les  hôtels- de -ville  de  la  Flandre  et  de  la  Norman- 
die. »  Voila  donc  tout  le  public  de  ses  concerts  com- 
posés exclusivement  de  peintres  ,  de  littérateurs  et  d'ar- 
chitectes romantiques ,  et  applaudissant  a  des  folies  qu'il 
a  la  simplicité  de  prendre  pour  de  la  musique.  Mais  une 
preuve  bien  autrement  convaincante  que  toutes  les  au- 
tres, c'est  que  M.  Berlioz  applique  à  toutes  ses  compo- 
sitions des  noms  romantiques .  Nous  le  demandons , 
n'est-ce  pas  là  une  démonstration  bien  claire,  et  ces  rai- 
sonnemens ne  sont-ils  pas  bien  justes  et  bien  profonds? 
Mais  ce  n'est  pas  tout.  M.  Fétis  fils  parle  aussi  en  musi- 
cien. Il  soutient  que  la  musique  de  Berlioz  n'est  nulle- 
ment originale,  qu'elle  se  borne  a  être  étrange.  «  Il  ne 
marche  pas  (c'est  M.  Fétis  fils  qui  parle)  dans  les  voies 


DE  PARIS. 


4)5 


frayées  parWeber  et  Beethoven.  »  —  «  Il  n'y  a  qu'une 
prétention  frappante  à  l'imitation  delà  manière  des  deux 
maîtres,  et  il  n'y  a  rien  de  nouveau  que  l'exagération  de 
formes  de  style  déjà  connues.»  — Il  n'a  point  été  possible 
aM.  Fétis  fils  «de  trouver,  dans  l'espace  dedeuxheures, 
une  idée  mélodique  développée  pendant  une  durée  de 
vingt  mesures.  »  M.  Fétis  fils  dit  tout  cela  et  bien 
d'autres  choses  encore,  et,  si  ce  n'était  pas  bien 
connu  de  tout  le  monde,  non  -  seulement  qu'il  n'est 
pas  musicien ,  mais  encore  qu'il  est  entièrement  étran- 
ger à  la  moindre  connaissance  en  musique,  si  ce  n'était 
pas  une  vérité  devenue  triviale  que  M.  Fétis  fils,  voulant 
faire  de  la  critique  musicale,  a,  pour  remplir  cette 
mission ,  tout  autant  de  vocation  qu'un  danseur  pour 
parler  astronomie,  il  nous  serait  assurément  très-facile  de 
prouver  tout  cela  d'après  les  paroles  mêmes  de  M.  Fétis, 
fils.  Mais  nous  ne  croyons  pas  que  cela  en  vaille  lapeine; 
aussi  n'avons-nous  relevé  ce  bavardage  que  pour  mon- 
trer que  nous  reconnaissons  toute  la  difficulté  de  notre 
position ,  au  moment  où  nous  voulons  développer  nos 
idées  sur  Berlioz  au  sujet  duquel  nous  n'entendons  nulle- 
ment adopter  cette  ridicule  pensée  qu'il  n'est  pas 
musicien  et  que  sa  musique  n'est  pas  delà  musique,  bien 
que  nous  ne  prétendions  le  comparer  ni  à  Weber  ni  à 
Beethoven. 

On  peut  distinguer  en  général  trois  différons  genres 
de  conceptions  ou  de  créations  musicales  que  nous 
pourrions  ainsi  classer  :  le  genre  purement  musical ,  — 
le  genre  prétendu  imitatif  —  et  le  genre  poétique.  Dans 
les  compositions  purement  musicales,  le  compositeur  se 
borne  a  se  dire  :  Je  vais  faire  une  symphonie  qui  com- 
mencera par  un  allégro  brillant;  viendra  ensuite  un 
adagio  gracioso,  puis  un  scherzo  comme  on  en  fait  au- 
jourd'hui ,  et  pour  terminer,  un  finale  alla  polacca. 
Quant  au  rhytbme  et  à  la  tonalité,  leur  choix  dépendra 
peut-être  des  circonstances  les  plus  insignifiantes.  La 
longueur  ainsi  que  la  forme  extérieure  pourront  être 
empruntées  à  un  ouvrage  célèbre  du  même  genre.  On 
joint  a  tout  cela  les  contrastes  les  plus  forts  que  l'on 
peut  trouver,  et,  s'il  est  possible,  des  mélodies  agréa- 
bles qu'on  oppose  aux  masses  bruyantes  de  l'orchestre. 
Si  maintenant  il  arrive  qu'on  reconnaisse  ça  et  la  dans 
l'ouvrage  quelques  traces  d'une  conception  gracieuse  , 
comme  cela  doit  arriver  naturellement  ,  parce  qu'on 
ne  pourra  jamais  méconnaître  un  certain  charme  dans 
des  notes  combinées  entre  elles  avec  ordre  et  naturel,  la 
composition  est  alors  achevée ,  le  chef-d'œuvre  terminé. 
Que  cette  sorte  de  création  artistique  ne  mérite  qu'un 
rang  bien  inférieur  ,  et  qu'elle  doive  même  presque 
être  considérée  comm:  indigne  de  ce  titre  d'honneur, 


c'est  un  point  sur  lequel  nous  croyons  qu'il  est  inutile 
de  nous  arrêter. 

Le  second  genre  des  conceptions  musicales  ,  le 
genre  imitatif  ,  procède  de  la  manière  suivante  :  Le 
musicien  se  figure  un  voyageur  qui  tantôt  gravit  une 
montagne  et  rencontre  sur  sa  route  d'effroyables  pré- 
cipices ,  tantôt ,  au  doux  murmure  d'un  ruisseau ,  au 
sein  d'une  molle  oisiveté,  prête  une  oreille  attentive 
au  chant  joyeux  des  oiseaux;  qui  tout  a  coup,  au  mi- 
lieu d'une  furieuse  tempête,  admire  la  grandeur  et  la 
puissance  de  la  nature  ,  ou  bien,  a  la  chute  d'un  beau 
soleil  d'été,  rêve  qu'il  est  de  retour  dans  sa  patrie,  sur 
le  seuil  de  la  chaumière  où  il  a  reçu  le  jour.  Le  compo- 
siteur nous  peint  alors  par  le  mouvement  de  son  ryth- 
me, la  marche  plus  ou  moins  précipitée  du  voyageur, 
au  moyen  d'un  crescendo  bien  gradué  ,  il  représente  la 
hauteur  delà  montagne;  les  précipices  sont  exprimés  par 
de  piquantes  combinaisons  harmoniques  ou  par  l'inter- 
ruption soudaine  de  la  marche  musicale,— le  murmure 
des  ruisseaux  et  le  chant  des  oiseaux  est  traduit  par  le 
bourdonnement  des  violons  et  les  traits  gracieux  de  la 
flûte,  et,  plus  on  s'est  rapproché  de  la  nature,  plus  on 
a  représenté  avec  fidélité  ces  différentes  circonstances 
avec  le  seul  secours  des  sons,  plus  aussi  on  se  flatte  d'a- 
voir approché  de  la  perfection.  Haydn  et  Hœndel  lui- 
même  fournissent  plusieurs  exemples  de  pareilles  obser- 
vations. Nous  n'avons  pas  besoin  de  dire  que  nous 
n'accordons  à  ce  genre  de  création  qu'une  place  se- 
condaire et  que  nous   le  rejetons   même   entièrement 

I  quand  le  compositeur  ne  se  renferme  pas  dans  la  pein- 
ture d'une  idée  esthétique  vraiment  belle.  Nous  accor- 
dons au  contraire  la  plus  grande  estime  a  ce  troisième 
mode  de  composition  où  le  musicien  s'échauffe  sur  une 
grande  idée  esthétique,  s'en  pénètre  sous  toutes  ses 
faces  les  plus  diverses,  pour  nous  révéler  ensu.te  par  ses 
accords  les  sentimens  qui  ont  enflammé  son  imagination, 
de  manièreà,  éveiller  en  nous  les  mêmes  sentimens,  a  nous 

I  éleveravec  lui  jusqu'à  la  hauteurde  ses  idées,  à  nous  faire 
monter  comme  lui  jusqu'au  comble  de  l'enthousiasme  , 

J  à  nous  faire  souffrir  de  sa  propre  douleur,  de  manière 

|  enfin  a  ce.  que  nous  gémissions  comme  lui  dans  toutes 
les  angoisses  du  désespoir.  C'est  la  précisément  ce  qui 
caractérise  la  manière   de  Berlioz.   Ce  compositeur  est 

I  poète  avant  tout,  sa  riche  imagination ,  sa  profonde  sen- 
sibilité lui  fournissent  des  idées  si  nettes  ,  si  vives  et  si 
vraies,  son  génie  artistique  donne  une  telle  sûreté  au 
choix  qu'il  fait  parmi  les  plus  riches  trésors  du  langage 
musical,  que,  sans  peindre  précisément,  il  réussit,  par 
une  frappante  vérité  d'expression,  à  nous  émouvoir  de  ce 
qui  l'a  ému  lui-même,  a  nous  remplir  des  idées  qui  1  ont 


426 


GAZETTE  MUSICALE 


inspiré.  Et  si  parfois,  il  descend  jusqu'au  second  genre  de 
composition  que  nous  avons  appelé  imitatif,  si  de  temps  à 
autre,  il  fait  choix  de  moyens  tout  matériels  pour  don- 
ner plus  de  force  a  l'expression  ,  il  trahit  encore  un  sen- 
timent si  tendre  et  si  délicat,  il  fait  preuve  d'un  goût  si 
fin  que  ces  digressions  mêmes  conservent  un  puissant 
intérêt  sous  le  rapport  de  l'art.  Qu'on  se  rappelle  seule- 
ment sa  marche  du  supplice ,  ou  sa  marche  des  pèle- 
rins, ou  encore  sa  sérénade  du  montagnard.  Maintenant, 
si  nous  devons  reconnaître  à  M.  Berlioz  un  rang  si  élevé 
comme  poète  musical,  rang  dont  M,  Fétis  fils  n'a  pas 
même  su  pressentir  l'existence,  nous  n'en  avons  pas 
moins  a  constater  d'importantes  observations  sur 
ce  qui  touche  la  facture  de  ses  œuvres.  Une  com- 
position musicale  doit,  comme  toute  autre,  former 
un  tout,  c'est-à-dire  consister  en  différentes  parties  qui 
bien  coordonnées  entre  elles  puissent  prises  même  isolé- 
ment rappeler  l'idée  fondamentale  de  telle  sorte  qu'un  fil 
commun  a  toutes  les  tienne  constamment  dans  le  rapport 
le  plus  étroit  et  le  plus  intime.  Or ,  l'esprit  ou  cette  idée 
fondamentale  qui  anime  le  tout  consiste  dans  les  créa- 
tions musicales  en  ce  qui  touche  les  combinaisons  mélo- 
diques et  harmoniques.  Leur  unité  intime  forme  le  fil 
qui  met  en  rapport  les  parties  diverses  ;  c'est  le  rythme 
le  retour  régulier  de  différentes  combinaisons  de  la  me- 
sure qui  produit  l'idée  de  l'ordre  extérieur,  ou  plutôt 
cet  ordre  lui-même. 

Cette  unité  dans  les  combinaisons  mélodiques  et  har- 
moniques et  cet  ordre  que  produit  le  rhythme  vérita- 
ble, on  regrette  de  ne  pas  les  rencontrer  toujours  dans 
les  œuvres  de  Berlioz  et  c'est  précisément  ce  défaut  qui , 
aux  yeux  d'hommes  ignorans  en  musique ,  comme 
M.  Fétis  fils,  par  exemple,  fait  disparaître  la  richesse 
d'harmonie  et  la  beauté  de  la  mélodie  pour  ne  laisser 
voir  qu'un  désordre  cahotique  ou  une  entière  pauvreté 
de  motifs  mélodiques.  Une  œuvre  seule  de  Berlioz  four- 
nirait aisément  ample  matière  à  des  volumes  entiers  pour 
un  compositeur  qui,  profondément  versé  dans  les  secrets 
et  les  ressources  du  contrepoint,  saurait  reproduire  l'idée 
la  plus  simple  sous  toutes  les  formes  et  toutes  les  combi- 
naisons possibles,  sans  que  cependant  cette  idée  toujours 
neuve  cessât  d'être  constamment  la  même.  C'est  là  un 
malheur  de  notre  époque  :  on  méprise  les  éludes  sévères 
de  nos  ancêtres  et  on  préfère  se  perdre  dans  des  rêve- 
ries sans  horison  plutôt  que  de  s'assujettir  à  une  régu- 
larité indispensable.  Nous  avons  la  conviction  qu'il  suf- 
firait de  ce  point  de  vue  pour  ramener  sur  le  chemin  le 
plus -sût  de  la  gloire  un  artiste  dont  la  France  devrait 
se  montrer  fière,  tandis  que  l'envie  acharnée  et  une  im- 
placable méchanceté  le  poursuivent  de  leurs   tra:ts  et 


que  la  sottise  cherche  impudemment  à  l'éloigner  de  la 
lice. 

Voilà  quelles  sont  nos  idées  générales  sur  la  musique 
de  Berlioz.  Quant  à  ce  qui  touche  l'exécution  nous  nous 
bornerons  à  dire  qu'elle  a  été  des  pins  satisfaisantes , 
quoique  les  nuances  n'aient  pas  toujours  été  rendues 
avec  une  grande  perfection  d'exactitude.  Nous  ajoute- 
rons en  outre  que  M.  Urhan  a  joué  cette  fois  son  solo 
beaucoup  mieux  qu'au  dernier  concert  ;  et.  en  effet ,  de 
tels  ouvrages  veulent  être  étudiés  avec  le  plus  grand 
soin  dans  leur  ensemble  comme  dans  leurs  détails. 
Nous  devons  des  éloges  tous  particuliers  à  mademoiselle 
Heinefetter  qui  a  chanté  un  air  fort  difficile  avec  le  plus 
grand  art  et  un  beau  talent  d'expression  ;  aussi  a-t-elle 
reçu  du  public  des  marques  non  équivoques  du  succès 
le  plus  flatteur.  Nous  en  dirons  autant  de  M.  Boulanger 
qui ,  en  exécutant  un  morceau  de  la  composition  de 
M.  Berlioz  a  montré  qu'outre  une  voix  remplie  d'ex- 
pression et  une  belle  méthode  de  chant ,  il  possède  en- 
core la  faculté  de  comprendre  l'esprit  de  la  composition 
que  l'on  confie  à  son  talent. 

Pour  terminer,  M.  Chopin,  ce  compositeur  si  spirituel 
et  pianisteinimitable  dansson  genre,  a  exécuté  un  adagio 
de  sa  composition.  C'est  un  morceau  qui,  dans  sa  com- 
binaison avec  ce  qui  précède  et  ce  qui  suit ,  doit,  sans 
aucun  doute,  produire  un  fort  bel  effet  II  est  très-bien 
arrangé  et  fort  riche  en  nuances  délicates;  de  sorte 
qu'il  présenta  des  contrastes  bien  saillans  avec  les  masses 
colossales  de  l'orchestre  de  M,  Berlioz.  P.   R. 

SOIREE  MUSICALE  DE  M.  H.  ERNST. 

(23  décembre  ;  dans  les  salons  de  M.  F.  Stœpel.) 
MATINÉE  MUSICALE  SE  M.  FRANÇOIS  STŒPEL. 

(25  décembre.) 

Bien  que  le  système  des  soirées  musicales  entre  peu 
dans  nos  idées  sur  l'art  et  sur  la  manière  de  le  cultiver  , 
quelque  peu  d'importance  que  nous  attachions  par  con- 
séquent à  rendre  compte  de  ces  réunions,  nous  devons 
cependant  faire  une  exception  à  l'égard  de  celles  que 
nous  venons  de  nommer  ;  car  toutes  les  deux  ont  été  re- 
marquables tant  par  l'exécution  parfaite  des  morceaux 
du  programme  que  par  le  rendez- vous  que  s'y  étaient 
donné  les  artistes  les  plus  distingués  de  la  capitale. 

Dans  la  soirée  du  25  décembre,  c'est  surtout  M.  Ernst 
qui  a  brillé  par  son  rare  talent  sur  le  violon.  A  une  fa- 
cilité extraordinaire  sur  son  instrument ,  il  joint  une 
exécution  si  noble  et  si  caractéristique,  une  expression 
si  délicate  et  si  pénétrante,  que  nous  n'hésitons  pas  à  le 
placer  à  côté  des  plus  grands  artistes  de  nos  jours.  Nous 


DE  PARIS. 


427 


le  voyons  aussi,  comme  compositeur,  sur  une  excellente 
route;  bien  que  la  nature  même  des  morceaux  solos  et 
leur  forme  actuelle  ne  favorisent  guère  la  composition 
de  quelque  œuvre  importante  de  ce  genre ,  nous  serions 
même  tentés  de  dire  qu'elles  s'y  opposent  tout  a  fait. 

Après  M.  Ernst,  nous  devons  faire  une  mention  toute 
particulière  de  M .  Charles  Schunke.  Depuis  long-temps 
cet  artiste  est  connu  dans  le  monde  musical  comme  l'un 
des  virtuoses  les  plus  habiles ,  et  son  exécution ,  pleine 
d'expression ,  a  aujourd'hui  quelque  chose  de  si  sympa- 
thique, de  si  communicatif,  que  l'auditoire  l'a  écouté 
avec  le  plus  vif  intérêt  dans  le  charmant  duo  composé 
par  lui  et  M.  Enist  sur  quelques-uns  des  motifs  du  Pré- 
aux-Clercs. —  M.  Dorus  s'est  tenu  a  la  hauteur  de  ces 
deux  artistes  dans  un  solo  de  flûte.  —  A  la  tête  de  la 
partie  de  chant  figurait  madame  Degli-Antoni.  Indé- 
pendamment de  ce  que  cette  cantatrice  possède  une  voix 
fraîche  et  d'une  grande  étendue,  sa  méthode  est  excel- 
lente et  son  chant  si  vrai,  si  puissant,  que  madame  De- 
gli-Antoni nous  paraît  naturellement  destinée  au  chant 
dramatique;  nous  avons  peine  à  concevoir  comment 
l'opéra  italien,  si  magnifiquement  monté  en  voix 
d'hommes,  mais  si  pauvre  en  voix  de  femmes,  ne  cher- 
che point  à  se  l'attacher.  —  Mademoiselle  Ducros  et 
messieurs  Boulanger  et  Lanza  ont  contribué  d'une  ma- 
nière tout  a  fait  digne  d'éloges  à  cette  soirée  où  il  y  avait 
foule. 

Toutefois,  sous  le  rapport  de  l'art,  la  matinée  de 
M.  Stoepel  nous  a  paru  mériter  un  intérêt  plus  vif.  Mes- 
sieurs Liszt  et  Chopin  l'ont  ouverte  d'une  manière  bril- 
lante par  le  grand  duo  a  quatre  mains  de  Moscheles, 
pour  le  piano.  Nous  croyons  superflu  de  dire  que  ce 
morceau  j  l'un  des  chefs-d'œuvre  du  compositeur,  a  été 
exécuté  avec  une  rare  perfection  de  talent  par  les  deux 
plus  grands  virtuoses  de  notre  époque  sur  le  piano. 
Le  brillant  dans  l'exécution  joint  à  une  délicatesse  ache- 
vée ,  une  élévation  soutenue,  le  contraste  de  la  vivacité 
la  plus  entraînante  et  de  la  sérénité  la  plus  calme,  de  la 
légèreté  la  plus  gracieuse  et  du  sérieux  le  plus  grave; 
on  ne  peut  espérer  l'habile  mélange  de  toutes  ces  nuan- 
ces que  de  la  part  de  deux  artistes  placés  à  ia  même 
hauteur  et  doués  au  même  degré  du  sentiment  profond 
de  leur  art. 

Les  suffrages  les  plus  bruyans  ont,  mieux  que  nous 
ne  pourrions  le  faire  par  nos  paroles,  témoigné  a  MM. 
Liszt  et  Chopin  a  quel  point  ils  ont  charmé  leur  audi- 
toire, qu'ils  ont  une  seconde  fois  électrisé,  en  exécutant 
le  duo  pour  deux  pianos,  composé  par  M.  Liszt  Cette 
composition  est  un  ouvrage  d'une  grande  portée ,  et  que 
nous  ne  nous  sentons  pas  en  état  d'apprécier  en  détail 


après  une  seule  audition.  Considéré  dans  son  ensemble, 
nous  y  avons  admiré  de  belles  mélodies  qui  sortent  du 
genre  vulgaire,  beaucoup  de  combinaisons  jharmoniques 
également  riches  et  originales ,  des  effets  qui  font  le 
plus  grand  honneur  au  talent  de  composition  de  M.  Liszt, 
et  qui  ne  peuvent  être  produits  que,  par  une  imagina- 
tion aussi  féconde  et  aussi  chaleureuse  que  la  sienne.  Il 
est  naturel ,  on  le  conçoit  aisément,  que  le  mérite  et  le 
charme  d'une  telle  production  ne  soient  d'abord  com- 
pris et  senti  que  par  le  petit  nombre  ;  toutefois ,  les 
denx  artistes  se  sont  atthé,  par  leur  exécution,  d'unani- 
mes applauuissemens.  M.  Ernst  a  fourni  de  nouvelles 
preuves  de  son  talent,  en  jouant,  sur  le  violon,  'un  solo 
que  M.  Liszt  a  accompagné,  a  l'improviste,  avec  son 
habileté  ordinaire.  En  terminant  nos  réflexions  sur  la 
partie  instrumentale ,  nous  ferons  encore  (mention  de 
madame  de  la  Hye,  qui  a  joué  une  improvisation  sur 
l'orgue  expressif,  et  qui ,  en  développant  avec  beau- 
coup dégoût  et  de  facilité  toutes  les  ressources  de  cet 
instrument ,  a  montré  qu'elle  joignait  h  de  solides  con- 
naissances musicales  l'imagination  d'une  improvisa- 
trice. Dans  la  partie  du  chant  se  sont  successivement 
distingués  M.  Richehni ,  Mlle  Heinefetter  et  Mme  De- 
gli-Antoni. Le  talent  aimable  de  M.  Richelmi  est  connu 
depuis  long-temps,  et  lui  a  valu  de  nouveaux  témoi- 
gnages de  satisfaction  de  la  part  du  public.  Mlle  Heine- 
fetter qui,  il  y  a  déjà  quatre  ans  ,  charmait  les  habitués 
du  théâtre  italien ,  tant  par  la  rare  beauté  de  sa  voix  que 
par  son  chant  si  expressif,  nous  a  paru  digne  de  pren- 
dre aujourd'hui  rangpanni  les  premières  cantatrices  de 
notre  époque.  Depuis  son  premier  séjour  à  Paris , 
Mlle  Heinefetter  a  chanté  avec  le  plus  grand  succès  sur 
les  théâtres  des  principales  villes  d'Italie  ;  elle  arrive  de 
Saint- Pé:ersbourg  pour  s'en  retourner  en  Italie.  Voilà 
encore  une  grande  artiste  que  l'opéra  italien  n'a  pas  su 
conserver  ;  et  nous  pouvons  d'autant  moins  nous  em- 
pêcher de  lui  en  vouloir  beaucoup  ,  qu'il  suffirait  d'un 
rhume  de  Mlle  Grisi  pour  interrompre  les  représenta- 
lions.  Mme  Degli-Antoni  a  chanté  deux  airs  avec  tout 
le  charme  de  sa  belle  voix  et  de  sa  belle  méthode  ;  les 
vifs  applaudissements  du  public  ont  dû  prouver  a  cette 
cantatrice  qu'il  rendait  justice  a  son  mérite. 


NOUVELLES. 

%*  M.  Gliysest  revenu  à  Paris,  et  se  propose  de  douner  plu- 
sieurs concerts. 

%*  Jeudi  dernier ,  MM.  Ernst  et  Schunke  ont  obtenu  un 
brillant  succès  à  l'Opéra-comique,  où  ils  ont  joué  un  duo,  pour 
piano  et  violon  sur  un  motif  du  Pré  aux  Clercs. 

%*  Le  théâtre  de  la  Bourse  va  monter,  pour  le  carnaval  ,  un 
ouvrage  en  un  acte,  attribué  a  la  collaboration  de  MM.  Planard 
et  Bat  ton. 


628 


GAZETTE  MUSICALE  DE  PARIS. 


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Moschelès  pour  le  piano  ;  et  le  8  et  le  22  de  chaque  mois  une  livraison  des  œuvres  de  Beethoven  et  Mozart  pour 
instrumens  à  cordes,  et  des  œuvres  de  Weber  et  Hummel  pour  le  piano.  Les  livraisons  payées  d'avance  seront 
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TABLES  DU  PREMIER  VOLUME  DE  LA  GAZETTE  MUSICALE  DE  PARIS. 


ANNÉE  1834. 


TABLE  ALPHABÉTIQUE  DES  MATIÈRES: 


Académie  Royale  de  musique.  Voy.  Théâtres. 

—  —  des  beaux  arts.  Voy.  Con- 
servatoire. 

Analyse  de  Guillaume  Tell. 

—  cVIphige'nie  en    Tauride.  Voyez 
ces  mots. 

Annonces  de  Musique  nouvelle  et  de  littérature 
musicale. .  1  8,  26,  34,  42  ,  50  ,  66 ,  74 ,  82 , 
90,  98,  108,  124,  132,  140,148,  156, 
164,  188,  196,212,  220,  228,  236,  252, 
260,  275,  284,292,300,307,316,  524, 
539  ,  365,  371  ,  380  ,  387  ,  396  ,  404  ,  416, 
421. 

Aphorismes,  Eslétique.  3G2. 
—  Goût.  370. 

B. 

Ballade  (sur  la).  78. 
Biographie,  kécrologie,  etc. 

Baillot,  par  M.  Panofka.  189. 

Beauvarlet  Charpentier.  559. 

Beethoven  (Louis  Van),  esquisse 

biogr. ,  par  A.  Marx.  405. 

Bcnnati  (mort  de)  90. 

Boïeldieu  (sur  la  mort  de)  par  M 
F.  Halevy.  325. 

—  Notice  Biogr.  par  M.  Ha 
levy.  354  ,  343. 

—  (  Sur  la  fête  funèbre  en 
rhon.de),  par  M.  A.Adam. 
377. 

—  Stances  en  son  honneur, 
par  M.  Mcry.  581 . 

Choron.  265,  269. 

—  I  Sur  le  service  funèbre  de) 
par  M.  H.  Berlioz.  2S5. 

—  MonseigneuiTArchevéque 
de  Paris.  533. 

—  (Pension'alaveuvede)580. 
Gluck     par  M.   II.    Berlioz.  173, 

181. 

Haendel,  (parallèle  entre  G.  F.  ) 
et  J.  S.  Bach.  259. 

Hillcr  (Ferdinand).  287. 

Mozart,  par  M.  J  Mainzer.  128, 
135. 

Onslovv  (Genrge),  par  M.  Fr. 
Stoepel ,  av.  port.  149. 

Sponlini(  de),  et  du  caracièrc  de 
ses  compositions  dramati- 
ques, par  M.  Fr.  Stoepel. 
519. 

Siadler.  16. 

Thévenard,  parM.Casti!-B!azc.  51 . 


Canon,  (lettre  de  M.  Bcrton  avec  un)énig- 
matique.  297. 
—  (dcs)deM.Chérubini,  par  M.  Halevy.  75. 
Chant  (méthode  de),  liée  à  une  théorie  géné- 
rale de  la  musique,  par  M,  J.  Mainzer.  199. 
Chapelle  (la)  Sixtine  a  Rome,  par  M.  J.  Mainzer. 
11  ,  22.28,  38. 
—       (sur  la)    Impériale   de  Saint-Péters- 
bourg. 218. 
Censure   théâtrale.  — Lettre   de  M.  Cave. — 
Protestation  de  la  commission  dramatique. 
233.  Autre  protestation  de  la  nouvelle  com- 
m  ssion  dramatique.  267. 


Concerts  du  conservatoire. —  1"  concert.  41 
2»  —  57. 
3e  —  72 
Sur  la  4P séance,  par  M 
J.  d'Ortigues.  88 
Sur  les  5,  6,  et  7e  con- 
certs, par  M.  H, 
Berlioz.  133. 

—  de  l'Athénée  musical.  66. 

—  40°  concert.  —  Histoire  de  cet  établis- 

sement. 138. 

—  Pour  les  inonlés  de Saint-Étienne.  356 

361. 

—  de  l'association  musicale  Belge.  292. 

—  (5e)   Philarmonique  de   Londres.  171. 

—  Spirituels  de  Vienne.  146. 

—  de  M.   Berlioz— 1"  concert.  356,  368. 

2e        —       371,394. 
3e        —       388,  403, 
*424, 

—  de  M.  Buteux.  155. 

—  de  M11"  Bertrand.  131. 

—  de  M.  Ernst.  426. 

—  de  M""  Filipovvitz.  131. 

—  (2e  et  dernier)  de  M.  Ghys.  106. 

—  de  M.  Haumann.  154. 

—  de  M.  Herz.106. 

—  (sur  un)  chez  M.  Hiller,  par  M.  Stoe- 

pel. 387. 

—  de  M.  Lafont.  90. 

—  de  M."lc  Mayer.  131. 

—  de  M.  Moschelen,  a  Londres.  180. 

—  (»•  rie)  des  frètes  Muller,  par  M.  Cas- 

til-Blaze.  80. 

—  deM.Osborne.  106. 

—  de  M.  Panscron.  131. 

—  deM.Profoti.  122. 

—  de  M.  Rhein.  131. 

—  de  M.  Schmidt.  89. 

—  de  M.  Schunkc.  131. 

—  de  M,  Servais.  151. 

—  de  M.  Stoepel.  426. 

—  de  Mm°  Slcckhatiscn.  81. 
Voyez  feus  JMusicales» 

Concours   de   Musique   et   voyage   d'Italie    du 
Lauréat ,  par  M.  H.  Berlioz.  35. 
—       Musical  à  Bruxelles.  236. 
Conservatoire  de  Musique.   Concours  et  Prix. 

196,  265.  —  F  oyez  Concerts. 
Conlraviola-Paganini.  220. 
Correspondance  d'Avignon,    lettre   adressée    à 
M.  d'Ortigue.  414. 

—  de  Bordeaux.  137.  171. 

—  de  Dijon.  130. 

—  de  Marseille.  123. 

—  d'Aix-la-Chapelle.  179. 

—  de  Berlin.  57,  123,  137,  156. 

—  de  Milan.  179. 

—  de  Saint-Pétersbourg.  21  8. 

—  de  Turin.  214. 

—  de  Vienne.  116,  347,  414. 
lettre  de  M.  Bertnn  de  l'Institut, 

avec   un    canon   énigmatique. 
197. 
lettre    de   Puganini    au    Journal 
des  Doluus.301. 

E. 

Enseignement  musical.  Ecole  de  M.  F.  Stoepel. 
30,  315, 

—  Mutuel.  198. 

'  C'e»t  par  cireur  que  cet  article  pyi  îe  la  3<guaUire  P.  K 


Exécution  musicale.  Liszt,  F.  Hiller,  Chopin  et 

Berliui;  par  Guéraer.  4. 
Exposition  des  produits  de  l'industrie  française. 

Facteurs  d'instrumens,  statistique  des  expo- 

sans.  153. 

—  Premier  article.  —  Orgue  expressif ,  histoire 
de  ses  perfectionnemens.  —  M.  Muller,  par 
M.  Anders.  165. 

—  Deuxième  article.  —  Improvisateur  méca- 
nique de  M.  Glon.  185. 

Troisième  article. — Orgue-Cabias  av  pi.  197. 

—  Quatrième  article.  —  Pianos.  Ërard  ,  Pape  , 
Pleyel.  224. 

—  Cinquième  article.  —  Pianos.  Roller  et  Blan- 
chet,  Eder,  Cluesmann.  245. 

—  Sixième  article.  —  Pianos.  Hertz,  Mercier, 
Langrcnrz,  Wetzels  ,  Kriegclstein  ,  Bell, 
Richler,  Taurin  ,  Boissclot.  261 . 

Médailles  décernées  aux  facteurs  de  pianos.  236. 

—  Note  sur  la  discussion  entre  messieurs  Pape  et 
Erard    relativement  à  la  médaille  d'or.    298. 


Fêles   musicales  de  santé  Cécile,  à  Paris.  393. 

—  D'Aix-la-Chapclle.74116,170 

—  DeBruxelles.  552. 

—  DeLaHaye.  212, 

—  De  Birmingham.  359. 

—  De  Londres    en    l'honneur    de 

Uaenlel.211  ,  234. 

—  DcVienne.  412. 


Gazette  Musicale.  —  La  rédaction  au  public.  1 . 

—  (  Rencontre  entre  M.  Billard  et  le  gérant 
de  la).  99. 

—  Procès  avec  M.  Hers.  140,  141. 
Guillaume  Tell  de  Rossini  (  analyse  du  ) ,  par 

M.  H.  Berlioz.  52t>,  556,  341  ,  549. 


Impôt  (  de  1'),  prélevé  sur  la  musique  soin  le 

nom  de  droit  des  indigens.  401 . 
Instruira  ns.  —  Voyez  eontraviola ,  lyre ,  orgue , 

piano  ,  tam-tam,  vina  rt  exposition. 
Instrumentation   (sur  1'  ),  par  M.  J.  Mainzer. 

67,91. 
Iphigénie  en  Tauride  de  Gluck  (  analyse  de  1'  ) . 

par  M.  H.  Berlioz    561,365,577,389. 


Lyre  d'Apollon  (  sur   ta  )  instrument  inventé 
par  M.  Schmidt.  89. 

M. 

Maladie  musicale  (  singulier  eus  de  ).  276. 

Matinée  musicale.  Voyez  concert. 

Musique  (  sur  la  )  sacrée,  par  Hoffmann.  20:. 

—  (  la  )  chez  les  anciens  romains.  256. 

—  (  coup-d'œil  sur  le  développement, his- 

torique   de    la  )    moderne.  —  Ecole 
flamande.  557. — Ecole  romaine  573 

—  (  De  la)  cl  de  la  poésie  nation  ah  s  pal 

J.  Mainzer.  75.  85,  112. 

—  Et  poésie  nationales  du  Daiicniarrk ,  r!i 

la  Norwègo,    de   la    Suède ,  etc.   par 
J.  Mainzer.  277. 

—  (La  )  sur  les  côtes  d'Arri<|ue.  250. 

—  (La)  en  chine  par  Seyfried.  19U. 

—  in?trunïcntn!e  (essai  sur  la  pné  ique   !  ! 
ta  )  par  F.  Stoepel.  527. 


Ilpp'.r'mi  lit 


uo 


GAZETTE  MUSICALE 


IV. 

Nouvelles  de  Paris,  8,  17,  26,  34,  42,  49,  58, 
66,  74,  82,90,  97,  107,  116,  124,  132, 
140,  148,  156,164,  188,  196,  204,  212, 
22o,  236  ,  252 ,  260  ,  268  ,  275 ,  284  ,  292, 
300 ,  307,  3 1 6  ,  323  ,  339,  348 ,  356  ,  363 , 
371 ,  380  ,  587,  396 ,  403 ,  41 4  ,  427. 

Nouvelles  des  Déparlemens ,  42,  49,  66,  74, 
82,  90,  108,  (23,  132.  140,  171,  196,  204, 
220  ,  252 ,  268 ,  275 ,  292 ,  300 ,  307,  31 6 , 
323 ,  339 ,  348 ,  363  ,  371 ,  380 ,  387,  396 , 
403. 

Nouvelles  étrangères,  8  ,  (7,  26,  34,  42,  49  , 
56,  57,  58,  66,  74,  82,  97,  107,  116, 
123,  124,  132,  140,  146,  148,  156,  164, 
171,  179,  188,  196,212,220,  236,  252, 
268 ,  275 ,  284  ,  292 ,  300  ,  307,  31 6  ,  323 , 
339,  348,  363,371,380,  387,  396,  414. 

o. 

Opéra  (de  l'origine  de  1').  Fragment,  294. 
Opéra.  Voy.  Théâtres. 
Orgue  (origine  de  1')  ,15^. 
Orgue-Cabias,  197. 
Orgue  expressif,  165. 


Paris  (du  mouvement  musical  à),  409. 
Pianos  (rapport  de  l'institut  sur  les)  de  Pape, 

46. 
Polémique.  — La  critique  et  M.  H.  Herz,  104. 

—  sur  un  article  de  la  Revue  Musi- 
cale, 18u. 

—  Réplique  a  un  article  de  la  Revue 
Musicale ,  253. 

—  Sur  un  article  de  la  Revue  Musi- 
cale relatif  à  M.  Rerlioz,  424. 

Procès  et  plaidoyer  du  frère  de  Rameau,  309. 

—  de  la  Gazette  Musicale,  140,  141. 

—  de  Rossini  avec  la  liste  civile,  129. 

—  entre  MM.  Véron,  Crosnier,  Cerfbeer, 
et  M.  Masson  de  Puitneuf  sur  l'exécu- 
tion des  ouvertures  d'opéra  ,  204. 

—  Jugement  du  tribunal  de  commerce,  qui 
condamne  M. Masson  de  Puitneuf,  273. 

Q. 

Quintes  cl  les  octaves  défendues  (sur  les);  par 

Fr.  Siocpel,59,  70,  94. 
Quintes  et  les  octaves  cachées  (sur  les);  par  le 

même,  251 . 

R. 

Revue   critique.  —  Littératcre  musicale.  — 
Théorie.  —  Ouvrages  élé- 
mentaires, etc. 
Berthé,  12.  Libretti,  274. 
Kreizsclimer.    Idée    sur   une 
théorie  de  la  musique,  216. 
Gérard.    Traité    d'harmonie  , 
idem.        . 

Czerny   Etude  de  la  vélocité 
p.  piano,  op.  299,  97. 

—  L'art     d'improviser , 
op.  200,  45. 

—  L'art    de    préluder , 
op.  300,  61. 

Ilunlcn.  Méfhode  p.  le  piano. 

op.  60,  121. 

Gasse.    Méthode   de   violon , 
178. 

Instruction  pour  jouer  de  la 
guitare  enharmonique. 331 . 
Chaut. 

Garaudé.  Messe  à  trois  voix  , 
274. 

Bfssems.  Mélodies  dramati- 
ques, P.1 . 

Berlioz,  9  mélodies,  169. 

Coussemakcr,   5  chansonnet- 
tes, 195. 
—       6  mélodies,  132. 


critique.  Dessauer.  La  mer,  lied  ,219. 

—  Le  retour  des  pro- 
mis, 187. 

—  Romance  italienne, 
65. 

Glacser.  Romance,  idem. 
Hiller.  Vous!  lied,  163. 
Labarre.  6  romances,  1 07. 

—  6  chasses,  25. 
Lambert.   Trio   et  romance , 

203. 

Lhuillier.  Romances  et  chan- 
sonnettes ,  1 88. 

Lavaiune.  5  chants  à  quatre 
voix,  299. 

Masset.  3  romances,  203. 

McyerBeer.  A  une  jeune  mère , 
207. 

—  Hymnes      sacrés , 
402. 

Paer.  Romance,  259. 

Piano. 
Ancot.    Souvenirs    polonais , 
op.  40,291. 

—  Souvenirs  suédois , 
op.  42  .  306. 

—  Fantaisie  sur  la  Ré- 
volte, op.  43,  300. 

Bertini.  Variations  de  concert, 
op.  69,  283. 
25  caprices,  op.  94, 
378. 
Blahetka.   Pièce   de   concert, 

op.  25,  203. 
Chaulicu .  Copies  sur  Ludovic, 
op.  152,291. 
Vingt  -  quatre    ré- 
créations, 363. 
Chopin.  Variations  brillantes 
sur  Ludovic^  3ô. 

—  Fantaisie,  op.  13, 
194. 

—  4  mazourkas.  op.  17, 
210. 

—  Ktakowiak ,  grand 
rondo,  250. 

—  Gr.  valse,  op.  18, 
260. 

—  La  ci  darem,  op.  2. 
Concerlo,op.l  1 ,304. 

Czerny.     Souvenir    théâtral , 
op.  247,  219. 
Fantaisie  sur  Robert 
le  diable,  251 , 

—  Rondo  et  var.  a  qua- 
tre mains,  op.  2:2, 
283. 

Duvernoy.  Var.  sur  la  Stra- 

niera,  op.  66,  363. 

Fessy.  Rondo  brillant,  291. 

H.  Herz.  Fantaisie  et  var.  sur 

Otcllo,  5. 

—  Var.  à  4  m.  sur  le 
Philtre,  13. 

—  Rondo  militaire  sur 
le  serment,  op.  69  , 
48,  370. 

—  6galopsbrillants,73. 

—  2"  concerto,  op.  74, 
257. 

—  Var.  6ur  le  Pré  aux 
Clercs,  op.  76,  321 . 

—  Var.  sur  Mathilde, 
op.  77,  402. 

J.  Herz.  Var.  brill.  op.  24 , 
299. 

—  Grand  rondo  sur  Lu- 
dovic, 26. 

Hiller.       La  danse  des  Fées, 
op.  9,  26. 

—  La  sérénade,  op  11, 
33. 


critique.       —         6    suites    d'études, 
287. 
Hummel.  24  gr.  études,  op. 

125,  17. 
Hunten  (F).  4  rondos,  25. 

—  Fantaisie  sur  Ludo- 
vic, 33. 

—  3  airs  variés,  op.  55, 
139. 

—  —  op.  65, 
283. 

Hunten  (W).  Beautés  du  Re- 
venant, 139. 
Kalkbrenner.  Var.   brill.  op. 
120,  53. 
—  Thème  de  Nor- 

ma  ,   varié,  op. 
122,  97. 
Fantaisie    et    var. 
op.  123,275. 
Keller.  3  Valses ,  ibid. 
Lavainne.  Gr.  rondo  ,  op.  9  , 
299. 

—  Ouverture  à  4  m. 
op.  10,  ibid. 

—  Gr. fantaisie, op.  ib. 
Lemoine.  Valse  du  Revenant, 

138. 

—  17°  bagatelle  sur 
Ludovic,  139. 

Méreaux.   Fantaisie,   op.   41 , 

211. 
Moschelcs     et     Mendelshon. 

—  Variai,  brill.  sur 
Peciosa,  a  /j  mains, 
123. 

Pixis.  2e  caprice  sur  Ludovic, 
op.  125,  33. 

—  3  airs  italiens,  op.  124, 
48. 

—  Impromptu  à  4  m.  sur 
le  Revenant,  139. 

—  3  caprices  sur  le  Reve- 
nant, 203. 

Schubert.  4  polonaises  a  4  m. 

op.  75,  283. 
Schilling.  Variât,  brill.   op.  1 , 

152. 

—  Rondo  ,  op.  3,  203. 
Sowinski.  Air  des  légions  pob-n. 

op.  31,  33. 

—  Morceau  de  salon ,  op. 
26,  49. 

—  Mélange  sur  Anna  Bo- 
lena,  90. 

—  Lcsregrets,à4m.l39. 

—  Fantaisie  sur  la  Slra- 
niera,  291. 

Stoepel.  5  airs  nationaux  ,  op. 
34.  —  3  airs  écossais, 
op.  37,  251. 
Strauss.    Tivoli   de   Vienne, 
Valses,  2S3. 

PIANO  ET  VIOLOM  ,  OU  TIOLOKCELLE,  etc. 

Osborne.  Fantaisie  brill.  16. 
Rogier.    2°    nocturne  concer- 
tant, 283. 
Ghys.  Introd.  et  variât.  152. 
Schunke.   5  fantaisies  p.  piano 
et   violoncelle,   65. 
Rosenheim.  Trio  pour  piano, 
violon    et    violon- 
celle, 331 . 

VIOLOM. 

Spohr.  Études,  14?. 

—  5e  concerto  ,  562. 
Rode.  12  études,  16. 

—  Variations,  idem. 

—  Vacations  et  finale  sur 
nel  Cor,  65. 

Ernst.   Introd.    et  variât,    sur 
Ludovic ,  ibid. 


DE  PARIS. 


Revue  critique.  Gulir.  Souvenirs  de  Paganini, 
concerto,  251. 

TRIOS-QUATUORS. 

Reber.   Trio.  —  5    quatuors, 

290. 
Lambert.  3  quatuors,  204. 

VIOLONCELLE. 

Dotzauer.  4  rondinos,  65. 
Franchomme.    Thème    varié , 
29. 

FLUTE. 

Cotlignies.     Fantaisie     sur    le 
Serment,  219. 

—  2  fantaisies  sur  le 
Revenant,  211. 

Tulou.  Plaisanterie  musicale, 
363. 

—  Gr.  solo  de  concours,    Théâtre 
ibid. 

Walkiers.  Fantaisie  sur  Ludo- 
vic, 90. 

—  Les  Souvenirs,  trois 
duos  de  brod,  283. 

S. 

Synagogue  juive  (Vienne  et  la)  pendant  le 
années  1826,  27  et  28;  par  M.  J.  Mainzer, 
125-143. 

Société  philharmonique  de  Dijon,  130. 

—  du  midi  de  la  France,  382 ,414. 

Soirée  musicale.  Voy.  Concert. 

Somnambulisme  musical,  2/6. 

Statue  vocale  de  Memnon  (sur  la)  ;  par  M.  An-  j 
ders,  117. 

Tams-tams  (procédé  des  Chinois  pour  fabri- 
quer  les)  et  les  cymbales  ;  par  StanislasJulien . 
—  Observations  de  M.  Darcet  sur  ce  pro- 
cédé, 161. 


.  —  Académie    royale     de     Musique. 
Don  Juan,  de  Mozart,  83,  102. 
La  Tempête ,  ballet,  301 . 
MM.  Véron  et  Meycr  Béer,  324. 
Italien.  Don  Giovanni ,  7,97. 
La  Straniera,  5i . 
Musé,  42. 

Il  bravo,  de  Marliani ,  47. 
Représentation     au      béné  ce     de 

M"0  Ungher,  67. 
Programme  de  la  saison,  284. 
Ouverture ,  324. 
Sur  les  chanteurs,  346. 
La  Straniera-la  Prova  ,  354. 


i.     Ernani ,  de  Gabussi ,  387. 
de  l'Opéra-Comique.  Le  Revenant, 

de  M.  Gomis,  14,  24. 

Une  bonne  fortune,  de  M.  Adam 
32. 

Lestocq,  de  M.  Auber,  176. 

L'Aspirant  de  Marine,  de  M.  La- 
barre,  192. 

Un  caprice  de  Femme ,  de  M.  Pacr, 
243. 

Le  Fils  du  Prince ,  de  M.  de  Feltre 
281. 

Le  Chalet,  de  M.  Adam,  314. 

Le  Marchand  Forain,  de  M.  Mar- 
liani, 355. 

La  Sentinelle  perdue,   de  M.  Ri- 
faut,  592. 
Nautique.    Ouverture.    Les  Omîmes, 

Guillaume  Tell,  musique  de 
M.  Strunz,  193. 

Le  nouveau  Robinson ,  musique 
de  M.  Janssens,  267. 

Chao-Kang,  musique  de  M.  Car- 
Iini ,  339,  355. 

La  dernière  heure  d'un  condamné, 
musique  de  M    Pugni,  390. 

(de  l'utilité  d'un)  allemand  à  Pa- 
ris, 213. 

de  Bordeaux,  171. 

de  Calais,  351 . 

de  Douay.  Paul  1".,  op.  en  3  a., 
musique  de  MM.  Lefebvre,  Luce 
et  Borezy,  108. 

de  Lyon,  324. 

de  Marseille.  El  Gitano,  op.  en 
4  a.,  musique  de  M.  Fontmichel, 
123. 

de  Strasbourg.  Robert  le  Diable, 
396. 

de  Toulouse.  Axel.  op.  en  1  a., 
musique  de  M.  Cassaux,  380. 

de  Londres  King's  theater,  367. 

Covent-Garden,  415. 

V. 

—  Le  dîner  deBcelhoven,  conte  fantat- 
M.  tique;  par  J.  Janin,  1,  9. 

Hoffmann,  conte  fantastique,  par 
le  même,  99,  109. 

L'homme  vert,  conte  fantastique; 
par  le  même,  397. 

Le  suicide  par  enthousiasme,  nou- 
velle; par  M.  II.  Berlioz,  230, 
237,  248,  255. 


Variétés.      Haendel,  conte,  417. 

Alibaba  et  sainte  Cécile,  19. 

Adolphe  Nourrit  à  Lyon  ,  241 . 

Opéras  du  Carnaval  en  Italie,  47. 

Liste  des  théâtres  sur  lesquels  Ro- 
bert le  Diable  a  été  représenté 
196. 

Liste  des  maîtres  de  chapelle  du 
Vatican,  d'après  Baini,  163. 

Paganini  et  l'enlèvement,  214. 

Réponse  de  M.  Paganini,  227. 

Acrostiche  anglais  sur  M.  Paganini, 
293. 

Songe  de  CI].  M.  YVeber,  écrit  par 
lui-même,  27. 

Projet  d'un  monument  en  bronze» 
la  mémoire  de  cet  artiste,  369. 

Un  bénéûciaire  et  Rubini  à  Calait  ; 
par  H.  Berlioz,  317. 

Historique  de  la  représentation  de 
Rubini  à  Calais  ;  par  M.  H.  Ber- 
lioz ,  551 . 
Vina  (la),  guitare  indienne,  214. 

PLANCHES    ET    MUSIQUE. 

Improperia    de   Palestrina.  —  Fragmens    de 

l'œuvre  70  de  H.  Herz.  (Suppl.  au  n°.  2.) 
Romance  de  Glaeser.  — Romance  italienne  de 

M.  Dessauer.  (Suppl.  au  n°.  8.) 
Canoni  a  3  voci  composti  da  Cherubini  (  fac 

simile).  (Suppl.  au  n°  10.) 
A  une  jeune  mère,  de  M.  Mayer  Béer.  (Suppl. 

an  n°.  13.) 
Portrait   de   M.   G.    Onslow;   par  Vigneron. 

(Suppl.  au  n°.  19.) 
Vous!  lied;  par  F.  Hiller.  (Snppl.  an  n°.  20.) 
Monologue    d'Asteria   dans   le   Télémaque    de 

Gluck.  (Snppl.  au  n°.  22.) 
Le  Retour  des  Promis,  de  M.  Dessauer.  (Suppl. 

au  n°.  23.) 
La  Vina,  guitare  indienne.  —  Orgue  Cabias , 

exemple  de  notation.  —  Valse  composée  par 

M.  J.  P.  Pixis.  (Suppl.  au  n°  25.) 
La  Mer.   Lied;   par  M.   Dessauer.  (Suppl.  au 

n°  27.) 
Galop  de  Kalliwoda.  —  Tableau  explicatif  des 

quintes  et  octaves  cachées.  (Suppl.  au  n°.29.) 
La   Confession.    Romance    de    M.    Paer   (  fac 

simile.)  (  Suppl.  au  n".  52.) 
Canon  énigmatique  ;  par  M.  Berton  (fac  simile). 

p.  508. 
Portrait  de  Rossini.  (Suppl.  au  nD.  44.) 
Siciliana  composta  da  G.   Alary.  (Suppl.   au 

n°.  47.) 


TABLE  ALPHABETIQUE  DES   NOMS. 


Adam  (Adolphe),  32,  31,  244,  314,  324,  377, 

403. 
Ancot(L),  291,  300,  306. 
Anders(G.  E.),  117,  165. 
André  (A),  196. 
Arnaud,  262. 
Artot,  148. 
Auber,  8,  73,  176. 
Bach(J.  S.),  82,  123,239. 
Baillot,  17,  189. 
Baini,  23,  163. 
Barnett  (Joh),  300. 
Beauvarlet-Charpcntier,  359. 
Beethoven,  1,  9,  41,  43,  58,  88,  134,  i05. 
Bell,2ti2. 

Belleville-Oury  (Mme),  97. 
Bcllini,  8.  17,  31,54,56,  116,  137,  415. 
Benoît,  524. 
Bennati,  90. 
Berlioz,   54,   55,    153,   169,   175,   181,230, 

237,248,   255,  304,  317,   526,336,341, 


349,  356,   361,   565,  368,  371,  57",  388, 

589,  594,  405,  424. 
Berr,  244. 
Berthé(L),  274. 
Bcrlini(H),  4,  283,  378. 
Berton,  42,  46,  74,  297. 
Berton  Dis ,  26. 
Bertrand  (Mlle  A  ),  131,  196. 
Bertrand  (Mlle  I.),  66. 
Bessems ,  81 . 
Biagioli  (Mlle),  415. 
Billard,  99. 

Blahetka(Mlle),  66,  203,275. 
Blangini ,  364. 
Bohrcr  (Anton),  188. 
Boïeldieu,    17,    49,73,  252,292,307,  324, 

325,  351,   340,  345  347,  348,  363,371, 

377,  381 . 
Boïeldieu  fils,  540. 
Boisselot,  196,265. 
Bordogni  (Mlle),  42,  368. 


Boresy,  108. 

Borghese,  116. 

Braham,284. 

Brambilla,  403. 

Brcucr,  524. 

Brofferio,  276. 

Busschop ,  555. 

Buteux ,  155. 

Cabias,  197. 

Carafa,  73. 

Carlini,  355,  539. 

Cassaux  (J.),  280. 

Castaing  (E.-J.-M.),  164. 

Castil-Blaze ,  51,80. 

Cave,  235. 

Chauiieu,  291,  263. 

Chelard,  220. 

Cherubini  ,  19,  26,  57,  75,  133,  415. 

Choppin,  4,  33,  I  94,  210,  251,  26u,  304,  427. 
|Chorm,  49,  140,  220,  252,  260,263,269, 
|      285,  333,  380. 


38 


GAZETTE  MUSICALE 


Cinti-Damorcau  (Mme),  548,  415. 

Clapisson,  596. 

Clucsmann,  245. 

Collet,  196. 

Cottignies,  196,  211,219. 

Coussemaker,  152,  195. 

Cramer,  8. 

Cristofali ,  225,  255. 

Czerny,  45,  61,  97,  219,  251,  285. 

Dabadie,  551. 

Damoreau  (Mme).  Voyez  Cinti-Damoreau. 

Darcet,  161. 

Daussoigne-Méhul,  564. 

Degli-Antoni  (Mme),  307,  427. 

Dessauer,  65,  187,  219. 

Donizetti,8,  17,  18,  49,  107,  116,  124,516, 

580. 
Dorus ,  8 . 

Dorus-Gras  (Mme),  316. 
Dolzaner,  65. 
Dumas ,  204. 
Duvernoy,  565. 
Eder,  245. 
Eichhorn,  82. 
Elwart,  196. 
Erard  ,  224,  256,  298. 
Erlbach ,  256. 
Ernst,  17,  65,  426. 
Falcon  (Mlle),  264,  316. 
Fargucil,  324. 
Feltre,281,524. 
Fercol ,  524. 
Fesca,  58. 
Fessy ,  291 . 

Féïis,  180,  195,253,  275,  352. 
Félisfils,  425. 
Feuillet  (Mme),  82. 
Filippovvicz  (Mme) ,  131  ,  396. 
Finck-Lohr  (Mme) ,  354. 
Folz  (les  frères),  164. 
Fonlmiche),  123,504. 
Ferget,  49. 
Franchomme,  219. 
Gabuesi ,  587. 
Gabrieli,  8,  65. 
Garaudé,  274. 
Garcia  (Mme  Manuel),  90. 
Gasse,  178. 
Gérard,  216. 
Ghys,  106,  152,427. 
Ginestet,  58. 
Giorgio  di  Roma  ,  164. 
Girard,  213. 
Glaescr,  8,  65. 
Glon,  185. 

Gluck,  42,  181 ,173,  273,  361,  365,  377,  589. 
Gomis,  14,  42. 
Grasset,  380. 
Grisi(Mlle  J.),7,  34. 
Guémer ,  4. 
Gubr ,  251 . 

Haendel,58,  74,  211,  234,  239,  554,  417. 
HalcVy,  8,  19, 75,  75,  525. 
Hanssens ,  267. 
Hardingham,  256. 
Harlmann  (Mlle  Caroline),  268. 
Haumann,  154,  580. 
Ilninefetlcr ,  18,  427. 
Hérold  ,  8,  580. 
sHerz(H),  5.  13,  48,   75,  104,  106,  124,  140 
141,257,  261,  521,347,  570,  402. 
Herz  (J),  26,  299. 
Hetsch  (L),  8. 

Hilier  (F),  4,  26,  35,  74,  165,  237,  5S7. 
Hoffmann ,  206. 
Hummel  (F.-N  ),  17,  3,46. 
Hunten  (F),  25,  35,  159,  285. 
Hunten(W),  139. 
Hyc  (Mme  de  la),  427. 
Inchrndi,2l2,  314. 
.Tanin  (J.),  1,  9,  67,99,  109. 
Jansscns,  267. 


Jelensperger,  204. 

Julien  (Stanislas),  161. 

Jupin ,  230,  403. 

Kalkbrcnner,  33,  97,  275. 

Kcller  (Cbarles),  275. 

Kretsclimer(A),  216. 

Kreutzer  (Conrad),  414. 

Kriegelslein,  262. 

Lablache,  34,  371 . 

Labarrc,  25,75,82,107,  192. 

Lacombe,  559. 

Lagarin,  57. 

Lal'ont,  90,588. 

Lambert  (G),  203,204. 

Langrenez,  261. 

Lanza ,  90. 

Lavainc  (F),  299. 

Lebrnn  (Mlle  Annettc),  51  6,  3i;6. 

Lee ,  500. 

Lefebvre ,  1C8. 

Lemoine,  158.  139. 

Lepin  ,  90. 

Lcsage ,  307. 

Lhuillicr,  188. 

Lichtenstein ,  8  ,  123. 

Liszt,  4,395,  427. 

Lobe,  8. 

Lccwe,  17,  42. 

Luce,  108. 

Lulli,  500. 

Mainvielle-Fodor  (Mme),  572. 

Mainzer  (J),   11,    22,  28,    58,    67,91, 
155,  188,199,277. 

Malibran,26,  122,  130,  164,  179,   188, 
212   324. 

Marliani,  34,  47,  355,  415. 

Martini  ,  62! 

Marscbner ,  8,  415. 

Marx  (A.\  405 

Masi  (Mlle  A.  ,  164,  196,  2U4,  22U,  268, 
563. 

Masset,  8,  203. 

Maycr(Mlle),  124,151. 

Mayer  (Cari.),  218. 

Maurcr,  284. 

Mazas,  89. 

Mazoni,  148. 

Mendelsouéhn-Bartlioldy,  123. 

Mercadante,  116. 

Mercier,  265. 

Mereanx(A),  42,211. 

Mery,  381. 

Mcyer  Béer,  42,  49,  56,  i  07,    187,   211, 
324)347,396,402,  114. 

Miltitz ,  8. 

Moniot(A.),  137. 

Montai,  164. 

Moschcles,  123,  180. 

Mozart,  7,  57,  83,  88,  89,  97,  102,  128, 

Millier   (les  quatre  frères),  56,  66,  74,  81 
96,  97. 

Muller,  165. 

Negri  (Benoît),  164.  , 

Ncumann,  17. 

Nicou-ChoroD ,  580. 

Nourrit  (A\  241 . 

Onsloiv,  154,  149,  380. 

Onipue  (J.  d'),  88,  585,  414. 

Osbornc.  (G.-A.1,  10,  106. 

Pacini,  26,49,  415. 

Pacr,  213,  259. 

Paganini ,  8,  54,  82,  214,  220,  227,  292 
507,  572. 

Palazzezi,  307. 

Pal-strina,  22. 

Pancliioni,  152. 

Panofka  (Henri),  116,  189,558. 

Panseron,  151. 

Pape,  46,  225,  256,  298. 

Pasta^Mmc),  179,  236,  331  ,  348. 

Peignai  (Mlle\  49. 
Tlacct,  196.  ' 


Pleyel ,  226,  236. 

Pixis,  33,  48,  139,  196,  203. 

Pixis  (MlleFrancilla),41,236,244,252,  348, 

388,415. 
Pcek,  316. 
Pott,74. 
Profeii,  122. 
Pugni,  196,  244,  390. 
Quiney,  200. 
Rameau  (le  frère  de),  309. 
Raupach ,  82. 
Reber  (Henri),  290. 
Reissiger,  292. 
Rhoin,  131. 
Ricci,  107,244. 
Richelmi,  138. 
Richter,  262. 
Ries,  74,  220. 
Rifaut,3H2. 
Riquier,  348. 
Robrechls,  396. 
Rode|P),  16,65. 
Roger  ,A\  283. 
Roller  et  Blanchct,  236,  245. 
Ronzi-Debegnis  (Mme),  516. 
Rosenlieiin,  321,  331. 
RosMni,   42,  57,   129,  211,  284,  331,   326, 

336,  341,  349. 
Rousselot,  57. 
Rubini,7,  32,  316,  351. 
Rungenliagen,  123. 
128,    Salieri,  297. 

Schilling  (A),  132,  203. 
196,    Sclileiermacher;  82. 
Suhlesinger,  82. 
'Smidi(A),  8,  89. 
!  Schneider  (F),  140. 
'  Schnei'.zolfcer,  301. 
1  Schroeier,  222,  2~>3. 
276,    Schubert,  283. 
ichuliz,  7. 
JSchunke(C),  63,  131,  429. 
Schunke  (Louis),  415. 
|Serda,396. 
Sere  (Mme  del),  316. 
Servais,  66,  132,  154. 
JSeyfried,  96,  157,  190. 
jSiboni,  132. 
j  Silbermann  ,  222. 
!  Skramp  ,   8. 

jSowinski  (A),  33,  49,  90,  139,  291,396. 
1  Spagnoletli,  324. 
2a2,    Spohr,  147,362. 
;Spontini,34,319. 
i  Stadler,  16. 

j  Stockhausen  (Mlle),  8,26,  74,  81 . 
IStoepel,   30,    41,42,49,57,59,70,72,94, 
|      149,169,231,287,315,519,327,340,  426. 
135.    Stranss,283,395. 
»,  90,  'SlTunz,  194,213,300. 
|Sudre,212. 
i  Tamburini,  7,  74. 
Taurin ,  262. 
Thalberg,347. 
Thevenard  ,51. 
Tilmant ,  8. 
Tombolini,  415. 
Troupenas  ,  348 
jTulou,  363. 
(Urhan,393. 

'Ungher,  (Mlle)  7,  8,  42,  67,  122,  164,  292. 
Vieuxlemps  (H),  57. 
|Vogt,  74. 
YValkiers,  90,  283. 
;Watson  (miss),  214,  227. 
j  Wcber(ch.m.de),  27,369. 
jWcigl,  413. 
i  Wetzels,  262. 
j  Weastone(Ck),  98. 
i  Willens-Bordogni.  — Vovez  Bordo^ni. 
;  Wolffram,  8,  82. 
Zimmermann  ,  365,  396. 


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