LIBRARY OF PRINCETON
JUL 6 2005
THEOLOGICAL SEMINARY
FOLIO DQ 458 .F29 1883
Fazy, Henri, 1842-1920.
Genaeve, le parti Huguenot
et le traitije de Soleure
Digitized by the Internet Archive
in 2010 with funding from
University of Ottawa
http://www.archive.org/details/genvelepartihuOOfazy
? 1
GENÈVE
LE PARTI HUGUENOT
ET
LE TRAITÉ DE SOLEURE
(1574 A 1579)
ETUDE HISTORIQUE
PAR
Henri FAZY
Secrétaire-général de l'Institut National Genevois
A.'V EC TT3Sr FOieTEA-IT IDE 1<IICIIEL ROSET
S ^
HENRI GEORG, LIBRAIRE DE L'INSTITUT, CORRATERIE
i
GENÈVE
LE PARTI HUGUENOT
ET
LE TRAITÉ DE SOLEURE
(1574 A 1579)
GENÈVE. — IMPRIMERIE CENTRALE GENEVOISE, RUE DU RHONE, 52
m(^B\^L
â@;^;ff,T.
r
GENEVE
LE PARTI HUGUENOT
ET
LE TRAITÉ DE SOLEURE
(1574 A 1579)
ETUDE HISTORIQUE
Henr[ FAZY
Secrétaire-général de l'Institut National Genevois
-ft."V EC TJIT I=OIî.TR.J^IT IDE 1*<LICIIE3L, ROSET
HENRI GEORG, LIBRAIRE DE L'INSTITUT, CORRATERIE
1883
LIBRARY OF PRINCETON
JUL • 6 2005
THEOLOGICAL SEMINARY
Extrait des Mémoires de l'Institut National Genevois, tome XV
r ■
j
.- . j.-\^ ■ — ..-..
:'":ht
AVANT-PROPOS
Dans une précédente élude (1), j'ai cherché à dépeindre, à l'aide des documents
officiels, la situation périlleuse, dramatique, de Genève après la Saint-Barthélémy,
l'époque héroïque entre toutes où une petite ville, isolée, entourée d'ennemis, osa
noblement offrir l'hospitalité aux proscrits, victimes du fanatisme des Guises, époque
d'incessantes inquiétudes et de légitimes appréhensions, où le danger surgissait de
toute part, du côté de la France comme du côté de la Savoie. Le rôle de dévouement
énergique et de charité que Genève accepta dans ses moments difficiles lui valut dans
le monde une situation exceptionnelle qui a son cachet de grandeur. La petite cité
des bords du lac devint pour les huguenots persécutés comme un phare au milieu
de la tempête, une letraite assurée et bénie, vers laquelle ils tournaient leurs regards
et leurs espérances dans les temps de trouble et de danger.
A la suite de la Saint-Barthélémy, le prestige de Genève ne cesse de grandir dans le
camp protestant, et il m'a paru intéressant de suivre et de retracer, dans tous leurs
détails, les négociations et les rapports qui s'établirent entre Genève et les chefs du
parti huguenot. Lorsque Gondé et Montmorency de Thoré, impliqués dans la
conspiration de La Mole et Coconnas, se virent obligés de fuir, ils vinrent à Genève
chercher l'appui et les conseils de Th. de Bèze; c'est à Genève également qu'ils
demandèrent les ressources dont ils avaient un si pressant besoin. Lorsque l'assemblée
générale de Nîmes envoya ses députés auprès de Condé pour s'entendre avec lui sur
les moyens de pacifier le royaume, ces députés s'arrêtèrent à Genève et soumirent
au Conseil leur projet de pacification rehgieuse, en lui demandant son avis « parce que,
disaient-ils, ils se fient en Messieurs comme en eux-mêmes ».
(1) La Saint-Barlhélemy et Genève, étude historique. Mémoires de l'Institut National Genevois,
t. XIV, 1879.
6 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
Comme on peut le vérifier au cours de ce récit. Th. deBèze fut l'âme des conseils
de Condé, l'inspirateur véritable de sa politique, jusqu'au moment où le jeune prince
tenta la fortune des armes et rentra en France avec ses gentilshommes huguenots et
les soldats du Palatin. C'est Th. de Bèze lui-même qui rapporta à Genève l'un des
exemplaires originaux du traité d'alliance conclu entre Condé, le Palatin et son fils,
le duc Casimir.
Non seulement les chefs du parti huguenot cherchaient souvent asile et protection
derrière les remparts de Genève, mais, dans leurs embarras d'argent, ils avaient recours
à chaque instant au Conseil ou aux particuliers; Condé, Montmorency de Thoré,
Laval, Nemours, et d'autres, contractent successivement des emprunts à Genève et on
se demande comment le Conseil et les particuliers purent faire face à des exigences
sans cesse renouvelées. Le Palatin lui-même dépêche à Genève son « féal et aimé
Pierre Beuttereich » pour obtenir de la Seigneurie un prêt de 10,000 écus et le Conseil
se résigne à lui en prêter 2,000. N'oublions pas le duc d'Alençon, le frère
du Roi de France, qui, au moment de se joindre à Condé, envoie Beauvoir-la-Nocle à
Genève pour y emprunter 2,300 écus.
Genève fut en partie récompensée de ses efforts et de ses sacrifices en faveur
des protestants de France. Après la guerre de 1576, lorsque le traité d'Etigny assura
pour quelque temps la paix religieuse, les huguenots s'employèrent activement à
obtenir l'entrée de Genève dans l'alliance qui unissait la France et plusieurs cantons
suisses. C'était un coup de maître que d'obtenir ainsi de Henri III la garantie de
l'indépendance de Genève, la métropole du calvinisme; les calculs purement politiques
l'emportaient sur les préventions et les passions religieuses ; les conseillers de Henri HI
comprirent que Genève, par sa situation géographique, intéressait directement la
politique française et qu'elle ne pouvait, sans inconvénient, tomber au pouvoir de la
maison de Savoie. Le curieux mémoire de l'ambassadeur Hautefort, publié aux Pièces
jusH/îcatives, indique très exactement quel était l'intérêt français dans la question.
*
L'accession de Genève à l'alliance française ne s'elfectua pas sans rencontrer de
grands obstacles. Le duc de Savoie fut averti du coup qui se préparait et mit tout en
ET LE TRAITE DE SOLEURE 7
œuvre pour contrecarrer le projet; d'autre part, l'avoyer de Lucerne, Louis Pfyfîer,
s'efforça, lui aussi, d'entraver les négociations ; il écrivit directement au Roi et le
projet de traité resta en suspens pendant quelque temps. L'intervention de Condé, de
La Noue et d'autres amis de Genève triompha de tous les obstacles et un projet de
traité tut élaboré sous les auspices des ambassadeurs de France, Hautefort et Sancy.
C'est ce projet qui devint en 1579 le traité de Soleure, l'un des actes les plus impor-
tants du droit public genevois, car il plaça Genève sous la triple sauvegarde de la
France et des cantons de Berne et de Soleure. Genève intervint dans les négociations
préliminaires par deux délégués, Roset et Chevalier. Michel Roset, Tun des magistrats
les plus éminents que Genève ait produits, déploya dans cette occasion toutes les
ressources del'espritleplusdéliéjlaferraetéet en même temps la souplesse d'un homme
d'Etat accompli ; maniant avec une égale habileté la parole et la plume, il réussit à
obtenir en faveur de Genève de notables concessions sur le texte primitif du traité.
Il est pénible de constater que, dans cette circonstance, les négociateurs bernois firent
bon marché des intérêts de Genève et proposèrent sans rougir d'insérer au traité la
réserve « sans préjudice des droits de M. de Savoye s>, ce qui équivalait à la reconnais-
sance des prétentions séculaires de la maison de Savoie; c'était comme un avant-goût
des conférences de Nyon en 1589 oîi les patriciens bernois abandonnèrent traîtreuse-
ment Genève.
Les dispositions du traité, après avoir été minutieusement débattues à Berne et
à Soleure, furent communiquées au Conseil de Genève qui les soumit à son tour à la
Compagnie des Ministres et au Conseil des Deux-Cents; puis, suivant l'antique usage,
le Conseil Général lui-même, le peuple de Genève, fut convoqué à l'Eglise de
St-Germain en séance solennelle pour faire acte de souveraineté et se prononcer sur le
traité, qui fut approuvé par un vote unanime (1).
Au dernier moment, le duc de Savoie tenta un dernier et suprême effort pour
empêcher la ratification du traité par Henri III et par les deux cantons de Berne et
(l) Deux historiens, James Fazy et Gaullieur, affirment que le traité de Soleure ne fut pas
soumis à la ratilication du Conseil Général ; c'est une erreur ; il suffit à cet égard de consulter le
registre du Conseil.
8 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT ET LE TRAITÉ DE SOLEURE
de Soleure. Il fit intervenir le pape qui envoya tout exprès en Suisse un agent confi-
dentiel, l'Evoque de Verceil. Mais les menées de l'Evêque n'eurent aucun résultat et
le 29 août 1579 le traité fut solennellement signé et juré à Soleure.
Le traité une fois signé, il fallut régler compte et récompenser les services très
peu gratuits de plusieurs personnages qui avaient utilement coopéré aux négociations;
le lecteur apprendra sans doute avec quelque surprise que l'avoyer de Berne accepta,
sans trop se faire prier, une bourse contenant cinq cents écus. Le plus mal partagé fut
certainement B. de Grissac, l'un des attachés de l'ambassade de France, qui dut
attendre quelque temps la rémunération de ses services. Le Conseil paraît avoir trouvé
qu'il faisait payer trop cher son concours. Finalement il toucha cinq cents écus,
comme l'avoyer.
Les éléments du présent travail ont été puisés aux Archives de Genève et dans
les écrits du temps. L'impression était déjà fort avancée lorsque j'ai eu connaissance
du récent et précieux ouvrage de M. Ed. Rott, secrétaire de la Légation de Suisse en
France (1); cet ouvrage m'a révélé l'existence de divers documents relatifs au traité
de Soleure et conservés dans les Archives et bibliothèques de Paris; l'énoncé de ces
documents, dépêches, mémoires, etc., indique l'intérêt que la Cour de France attachait
aux négociations du traité de Soleure.
J'accomplis un devoir qui m'est des plus agréables en exprimant ici toute ma
reconnaissance aux personnes qui ont facilité mes recherches, en premier lieu à
MM. Th. Dufour, directeur des archives de Genève, Grivel, Archiviste, et L. Dufour,
sous-archiviste; j'ai également rencontré l'accueil le plus obligeant auprès de MM. Gas,
bibhothécaire, Ph. Plan et Ph. Roget, attachés à la Bibliothèque.
Genève, Août 1883.
Henri Fazy.
(1) Inventaire sommaire des Documents relatifs à fHisloire de Suisse conservés dans les Archives
et bibliothèques de Paris, par Ed. Rorr, secrétaire de la Légation de Suisse en France, V partie,
1444 à 1610, publié par ordre du Conseil fédéral. Berne, 1882.
— <S — I — Bi>riM — r — ©—
GENEVE
LE PARTI HUGUENOT & LE TRAITÉ DE SOLEURE
CHAPITRE l«r
Condé et Thoré, leurs rapports avec Genève. — Séjour de Condé et de Tlioré à Genève
Henri de Bourbon, prince de Condé, est sans contredit l'une des plus énergiques
et des plus nobles ligures du parti huguenot à la fin du XVP siècle ; à peine âgé de
vingt ans, il venait d'épouser Marie de Clèves, lorsque l'effroyable catastrophe de la
Sainl-Barthélemy décapita la Réforme française en lui enlevant Coligny. Tandis que
parents et coreligionnaires étaient frappés de terreur, tandis que Henri de Navarre
faiblissait, Condé seul conserva une attitude fière et digne. Exaspéré de ses résistances,
Charles IX lui dit un jour : « Messe, mort ou Bastille, choisissez. » — « Dieu ne
permette point, mon Roi et mon maître, que je choisisse le premier; des deux autres,
soit à votre discrétion que Dieu veuille modérer par sa Providence. »
Si Condé resta inébranlable devant les menaces du Roi, il céda plus tard aux
instances du ministre Des Rosiers; on obtint par la douceur et la persuasion ce qu'on
n'avait pu obtenir par la contrainte : Condé rentra dans le giron de l'Eglise romaine,
mais sa conversion fut plus apparente que réelle, et il conserva, au milieu de la Cour
légère et corrompue de Charles IX, le culte austère des souvenirs, en manifestant sa
10 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
répugnance pour !a foi nouvelle qu'il avait embrassée à regret (4). Tandis que son
cousin Henri de Navarre acceptait son sort avec plus d'insouciance que de résignation
et se laissait gagner aux plaisirs de la Cour, Gondé se tenait à l'écart et montrait,
par l'austérité de sa vie et par la réserve de son attitude, que la foi des premières
années subsistait dans son cœur et qu'il supportait impatiemment le joug. Gondé
saisit la première occasion favorable pour lever le masque ; il fut impliqué dans la
conspiration de La Mole et Goconnas qui échoua misérablement par la lâcheté du duc
d'Alençon et il se vit obligé de fuir ; il réussit à gagner Strasbourg où les franchises
des villes impériales le mettaient à l'abri de tout danger (2).
Les aveux du duc d'Alençon et de La Mole avaient compromis non seulement le
prince de Gondé et ses coreligionnaires, mais encore nombre de catholiques mécon-
tents, enlr'autres les Montmorency. Tandis que Gondé se réfugiait à Strasbourg
Thoré, le frère de François de Montmorency (3), se dirigeait vers la Suisse; il arriva à
Neuchûtel (4) au mois de juillet 1574 et se préoccupa aussitôt de réunir les gentils-
hommes huguenots pour se concerter avec eux ; en même temps il faisait prier
Th. de Bèze de se rendre auprès de lui, sans doute pour s'entendre avec lui sur un
plan de campagne. Th. de Bèze était un homme d'action autant qu'un théologien et
(1) Dans sa Missive au Palatin (1575), Coudé fait allusion aux angoisses et aux dures épreuves de
cette époque de sa vie : « Ledicl Seigneur roy de Navarre et nous détenus en telle captivité de corps
« et de conscience que nous avions cent fois la mort plus chère que la vie, voyans le service de Dieu
« entièrement exterminé du Royaume de France et nous et le reste de ceux qui s'esloyent opposés à
u un tel effect en si piteux estât que nous ne savions quelle résolution prendre. »
(2) Dans sa Missive au Palatin, déjà citée, Condé raconte en ces ternies sa sortie de France : « Ainsi,
« vous savez comme pour sauver ma vie, le fu coniraincl de me retirer en très grande diligence et me
« venir jetter entre vos bras, pour vous prier très allectueusement d'avoir pitié des Eglises de France
« de mondicl Seigneur frère du Roy et de moy retiré en ce pays d'Allemagne avec mesdicts cousins
« Messieurs Méru et de Tlioré, qui nous retrouvions en si grande perplexité pour le mauvais gouvcr-
« nement de Testât de la France entièrement possédé par (luelipies étrangers. »
(3) Guillaume, Seigneur de Thoré, acquit la réputation d'un vaillant capitaine; il mourut vers
1.594: la Biographie Universelle de MM. F. Didot assure (|u'il resta (idèle au parti de la Cour; c'est une
erreur, puisiju'il se joignit au parti huguenot eliiu'il entra en France en octobre 1575 à la télé d'un
corps d'auxiliaires allemands et de réfugiés français. Suivant M. le duc d'Auinale, dans son Histoire
des Princes de Condé, Tlioré aurait embrassé le protestantisme à Genève, mais nous n'avons trouvé
aucun indice de ce fait dans les documents genevois.
(4) Reg. du Conseil de Genève, séance du 23 juillet.
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE
11
il élail fort disposé à seconder les plus audacieuses entreprises du parti huguenot (1);
cependant, il ne voulut pas partir pour Neuchâtel sans avoir obtenu l'assentiment du
Conseil. L'autorisation qu'il demandait ne lui fut pas accordée (2). Au point de vue
politique, il y avait entre le Réformateur et les magistrats genevois de fréquentes
divergences de vues; Th. de Bèze, dominé par son enthousiasme de sectaire, se
préoccupait uniquement des intérêts généraux de la réforme ; persuadé que Genève
était avant tout la ville sainte de la Réforme, il n'aurait pas craint de la compromettre
lorsqu'il y aurait vu l'intérêt de la religion. Le Conseil, sans méconnaître la gran-
deur de la cause à laquelle le nom de Genève était lié, envisageait les choses à
un point de vue plus étroit, plus local, et évitait de compromettre la petite République
dans les aventures ou les complots. Dans le cas présent, le Conseil crut plus prudent
de retenir Th. de Bèze.
Montmorency de Thoré ne s'arrêta pas longtemps à Neuchâtel ; voyant que
Th. de Bèze ne se décidait pas à venir le rejoindre, il se mit en roule pour Genève où
il arriva le 29 juillet. La présence d'un grand personnage, comme l'était Montmo-
rency de Thoré (3), ne pouvait passer inaperçue ; le Conseil, aussitôt informé, envoya
auprès de lui une délégation composée du Lieutenant de Police et des conseillers
Bernard et Maillet « pour luy faire compagnie, oultre le vin qui luy fust hyer
mandé (4). »
Tout grand seigneur qu'il fût, Thoré était à bout de ressources, lorsqu'il arriva
à Genève ; il ne tarda pas à trouver des gens disposés à lui venir en aide, mais, à cette
époque, l'œil vigilant et soupçonneux de la Seigneurie s'étendait sur les moindres
(1) La doctrine de la Réforme française fut longtemps indécise sur la question capitale de la
Ugitimilc de la résistance. Calvin disait : Résistons spirituellement, sauvons l'âme et laissons le corps.
Bèze n'accepta pas sur ce point les vues de son maître et il reconnut aux Huguenots le droit de résister
par la force à la tyrannie religieuse.
(2) Reg. Cens, séance du 25 juillet 1574: «Th. de Bèze; a esté proposé que ledicl Seigneur
<c de Bèze a faict entendre (jue le Seigneur de Thoré est arrivé à Neuchâtel pour assem-
« hier les gentilhommes français de la Religion et qu'ils désirent (|u'il y aile, ce que totesfois il n'ose
« entreprendre sans le congé de Messieurs, espérant totesfois de le détourner, a esté arresté qu'on luy
« die non et qu'il ne s'en mesle point. »
(3) Condé donne toujours à Thoré le titre de « mon cousin. "
(4) Séance du Conseil du 30 juillet.
12 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
détails de la vie privée ; un particulier n'aurait pas osé prêter de l'argent à un étranger
de marque, sans la permission de Messieurs. Le Conseil, informé de la « nécessité » dans
laquelle se trouvait un Montmorency, accorda l'autorisation demandée (1).
Le Conseil avait nettement refusé de laisser partir Th. de Bèze pour Neucliâlel,
mais, au mois d'août, il reçut de Condé une lettre conçue en termes pressants et qui
le mit dans un sérieux embarras. Le Prince, qui se trouvait à Strasbourg, annonçait au
Conseil une bonne et joyeuse nouvelle : il avait plu à Dieu, écrivait-il, de toucher le
cœur du Roi « pour l'induyre à pacifïier les troubles qui sont en son royaulme et
« donner repos aux Eglises réformées qui, comme vous scavez, ont souffert de longues
a et dures afflictions (2). »
Le Roi avait écrit dans ce sens au Palatin et à d'autres princes allemands ; il
s'agissait de profiter des bonnes dispositions de la Cour, mais Condé se sentait bien
jeune et novice pour conduire à lui seul une négociation aussi délicate ; il lui importait
de s'appuyer de la vieille expérience de Th. de Bèze, et il demandait au Conseil de
Genève de le lui « prester pour peu de jours, à ce que, disait-il, par un bon advis et
« prudent conseil, joint avec celui des autres ministres, qui se trouveront pardeça, et
« autres dignes personnages que j'ay mandés exprès pour l'accompagner, je puisse
a traicter d'une si saincte et louable entreprise. » La lettre de Condé se terminait par
ces mots pleins de cordiale sympathie pour Genève : « Vostre plus affectueux et
« asseuré amy à vous obéir. »
Le Conseil se trouva assez embarrassé : il y avait à ses yeux autant de motifs de
refuser que d'accorder. Condé assurait que la négociation à laquelle Th. de Bèze devait
concourir intéressait directement « l'asseurance et stabilité de Genève », mais, d'autre
part, il était à craindre que le voyage de Th. de Bèze ne compromît la République
aux yeux de la Cour de France. Condé venait d'être proclamé à Milhaud Gouverneur-
Général des protestants et il ne pouvait plus être envisagé par la Cour que comme un
(1) Reg. Cons., séance du 13 août : « S' de Tore : a esté proposé que ledicl S' de Tore trouve
(î gens qui luy prestenl d'argent en sa nécessité, mais que les particuliers ne l'osent pas faire sans la
« permission de Messieurs, arresté qu'on ne les empêche pas. »
(2) Cette lettre est aux Archives de Genève, Porlef. hùt., N» 1952 ; nous la publions aux Piè<:€s
justificatives.
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE JS
chef de factieux. Dans sa séance du 12 août, le Conseil débattit longuenncnl le pour
el le contre, mais il ne put se résoudre à rien. Il avait d'ailleurs un autre sujet
d'inquiétude : on lui annonçait que le nouveau roi de France, Henri III, arrivait à
Chambéry avec un grand nombre d'Italiens et de Savoisiens, « tellement, dit le
« Registre, qu'il est à craindre qu'il n'essaye et attente contre ceste ville, surtout la
« trouvant dépourvue comme elle est ». C'était une crainte chimérique. Henri III
ne songeait à rien moins qu'à assiéger Genève ; il venait de traverser à petites journées
la Haute-Italie, séjournant à Venise, à Ferrare, à Mantoue, à Turin, « s'enivranl
« partout, dit un historien, de spectacles, d'hommages et de voluptés ».
Le 13 août, le Conseil reprit la discussion sur la demande de Condé ; même
hésitation que la veille. D'abord, le Conseil décida d'accorder Th. de Bèze pour quinze
jours au plus ; puis il se ravisa et prit le parti d'attendre l'avis des Ministres. Ces
derniers se montrèrent peu favorables au départ de leur collègue; ils craignaient
apparemment que la présence de Th. de Bèze à Neuchàtel, au milieu des mécontents,
n'excitàl le soupçon ; ils firent valoir un argument caractéristique : le roi de France
avait été averti que Th. de Bèze avait travaillé sous main contre son élection en
Pologne; le Réformateur, en se rendant auprès de Condé, devait inspirer à la Cour de
nouveaux motifs de défiance. Les Ministres déclarèrent néanmoins s'en remettre « à la
« discrétion de Messieurs »; les motifs allégués par les Ministres n'étant pas jugés
suffisants, le Conseil finit par se décider à prévenir Condé que Th. de Bèze se rendrait
auprès de lui « pour les fins par luy requises, asçavoir pour adviser aux moyens de
la paix ». Il fut également convenu que le Réformateur passerait par Beine pour
faire connaître aux Avoyer et Conseil de celte ville les motifs confidentiels de son
voyage.
Th. de Bèze se mit aussitôt en route; il se rendit à Bàle, de là à Strasbourg, où se
trouvait le prince de Condé, mais, à peine arrivé à Strasbourg, il fut en quelque sorte
contraint par le Prince et par l'ambassadeur du Palatin de pousser jusqu'à Heidelberg.
Le Réformateur excédait ainsi les termes du congé qui lui avait été accordé ; c'était
une chose grave à cette époque de stricte el minutieuse discipline ; aussi Th. de Bèze
s'empressa-l-il d'écrire à Genève pour s'excuser el demander une prolongation de
14 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
congé. Condé crul opportun d'écrire lui-même au Conseil pour expliquer ce qui s'était
passé. La lettre du Prince fait apprécier le degré d'influence et la légitime autorité
dont jouissait le savant théologien auprès des chefs du parti huguenot:
« Je ne vous scaurois asses remercier, écrit Condé, du plaisir que m'aves faicl,
« m'octroiant de voir celluy que j'avois si longtemps désiré, duquel j'auroy tel soing,
« Dieu aidant, que bientost le verres sain et sauf. »
Condé ajoute que Th. de Bèze lui est absolument nécessaire pour une semaine
encore et qu'il compte sur la bienveillance du Conseil pour excuser ce léger retard :
« Je m'asseure, dit-il en terminant, que ne me desdirez de cest accessoire, ra'aiant
a accordé le principal, de quoy je vous suis bien fort tenu et en bonne délibération de
« le recognoistre quelque jour, Dieu m'en faisant la grâce (1). »
Quelles furent les décisions prises dans les réunions des Huguenots et des mécon-
tents, réunions auxquelles assistaient Condé, le Palatin, les Montmorency et Th. de
Bèze ? Nous l'ignorons ; il est certain qu'on y discuta longuement les moyens
d'obtenir, de gré ou de force, le redressement des nombreux abus dont souffraient les
Réformés.
Lorsque Th. de Bèze reprit le chemin de Genève, Condé le chargea d'une nou-
velle lettre pour les magistrats de la République. Le Prince s'excusait d'avoir retenu
Th. de Bèze au-delà du terme fixé par le Conseil et il mettait ce retard sur le compte
des graves intérêts qui venaient de se débattre. B s'assurait, écrivait-il, que le Con-
seil ne prendrait pas ce relaid en mauvaise part, si on pouvait arriver à la conclusion
d'une bonne paix. Aussitôt arrivé à Genève, Th. de Bèze demanda audience au Conseil
et lui remit, le 16 septembre, la lettre de Condé, en lui présentant « les recommanda-
tions et offres de bonne volonté » du Palatin; il ajouta que les affaires de Condé
étaient en bonne voie.
Puissamment doué comme orateur et comme écrivain, animé d'une ardente con-
viction, Tii. de Bèze avait acquis d'emblée une légitime influence sur l'esprit et l'ima-
(1) La leurc de Condé, daloe de Strasbourg, le '28 août, est signéi; : « Vostre plus aflcctionné
« ainy à jamais, Henry de lîourhon. » Nous iiublions aux Pièces imtificatives les diverses lettres de
Condé.
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 45
gination du jeune prince; Condé ne pouvait plus se passer de l'appui et des conseils
du Réformateur ; le 22 septembre il écrit de Berne pour donner à Th. de Bèze rendez-
vous à Lausanne. L'entrevue demandée n'eut pas lieu à Lausanne, mais à Genève; en
effet, le 22 septembre, Thoré apporte à Genève la nouvelle de la prochaine arrivée de
Condé, nouvelle inattendue qui dût jeter quelque émoi au sein du Conseil. Condé était
un prince de sang royal, il était en outre le chef reconnu du parti huguenot. A
ce double titre, Genève devait l'accueillir avec des honneurs exceptionnels, mais,
d'autre part, il était difficile d'oublier que le prince était en guerre ouverte avec la
Cour de France et on pouvait craindre que la réception qui lui serait faite indisposât
Henri III et Catherine de Médicis. Quoi qu'il en soit, le Conseil décida de prendre l'avis
de Th. de Bèze sur le cérémonial de la réception a soit en présent ou à l'assiette au
temple. »
Le 24 septembre, le Conseil prend les premières dispositions en vue de l'arrivée du
prince ; il délègue les conseillers Roset, Varro, Bernard et Maillet, pour lui souhaiter la
bienvenue et décide de lui offrir au temple de St-Pierre la place réservée aux anciens
Syndics (1).
Le 27 septembre, le jour même de l'arrivée du prince, le Conseil prit les der-
nières mesures en vue de la réception ; elles sont énumérées dans le registre avec toute
la naïve simplicité de l'époque. Le Conseil discuta s'il se rendrait à cheval à la rencontre
de Condé :
a Arresté, dit le protocole, qu'on n'y aile pas, mays qu'on tire quelques pièces
« d'artillerie sur le lac et au bolvard, où seront aussy et à la porte quelques arque-
« bousiers. Qu'on luy face présent d'un char de vin vieulx, de deux tonneaux d'avoine
a et de la truite, si on en peult avoir, aussy qu'on face chasser à Jussy, et qu'on
« adJGuste, avec les Sieurs déjà nommés, les Sieurs de la Pale et Fabri pour luy aller
a faire la bienvenue et le présent, et à faulte qu'on ne trouve de vin vieux, qu'on luy face
présent de deux barrils de vin de Tage. »
(1) Séance du 24 septembre : « Prince de Condé : d'auliant que ledicl S' Prince doibt arriver IuikIn
« procliain en cesle ville, arresté qu'on commet les Sieurs Roset, Varro, Bernard et Malliei, pour luy
« aller faire la bienvenue et au reste qu'on luy préparc place àSainl-Pierre, au lieu de Messieurs les
,« anciens Syndiques, et sus ce (lu'on rai)orle que le baron de Nemours prétend mener quelques jeunes
« gens de la ville avec luy audevant de M. le Prince, au reste qu'on n'y envoie persone. »
16 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
Condé se montra reconnaissant et satisfait des honneurs et des attentions qui lui
furent prodigués dès son arrivée ; il invita plusieurs magistrats à dîner et ils firent
ensemble une promenade sur le lac. Dans l'intimité, le jeune Prince manifesta toute
raffeclion qu'il éprouvait pour Genève, la capitale, la ville sainte de la Réforme; il fit
aux magistrats « démonstration et bonne amitié (1) »; il leur assura qu'il avait entendu
dire à Henri III, parlant de Genève, « qu'il ne seroit jamais à son ayse qu'il n'eust
exterminé ceste ville ; » mais Condé eut soin d'ajouter que, si une telle menace se
réalisait, il viendrait lui-même au secours de Genève avec trente capitaines. Le
jeune prince avait au surplus le sentiment très net de la situation précaire et périlleuse
dans laquelle se trouvait Genève et il engagea ses hôtes à faire tous leurs efforts pour
entrer dans l'alliance des cantons réformés ; il offrit même de faire une démarche
dans ce sens. Enfin, il demanda l'autorisation défaire imprimera Genève une Déclara-
tion et protestation, indiquant les causes de sa retraite de France. Le Conseil accorda
la permission demandée, après avoir fait examiner le texte par le Lieutenant de police.
Cette Déclaration, qui devait contenir de curieux détails sur les affaires de France,
vit-elle réellement le jour? Nous avons quelque motif d'en douter, car elle n'est citée
dans aucun document de l'époque.
Le Conseil, charmé de la courtoisie de Condé, décida de le « festoyer » officiel-
lement le dimanche 3 octobre, et confia au Contrôleur, au Secrétaire Varro et au
Conseiller Jean Aubert, le soin d'organiser en l'honneur du Prince un banquet de six
tables (2). Il fut également convenu qu'au départ de Condé, le capitaine Maillart lui
ferait escorte jusqu'à Coppet, avec vingt-cinq ou trente des meilleurs cavaliers qu'il
pourrait trouver dans la ville. Roset et Bernard furent aussi délégués par le Conseil
pour «. faire compagnie » au Prince jusqu'à Coppet, mais il paraît qu'ils n'accomplirent
pas cette mission. Condé prolongea jusqu'au 7 octobre son séjour à Genève; en par-
lant, il témoigna tout son contentement de l'accueil qu'il avait reçu et il fil à la
Seigneurie « de grands offres en général et en particulier (.S). »
(1) Reg. (lu Gon.s., séance du 30 septembre.
(2) Rég. (lu Gon.s. , séance du jeudi 30 septembre.
(3) R(îg. Cons., s('aiia',du .''. oclobre. I>e Prince, ;i son iir'|iarl, lui accompagm'; jus(iu'à Cupppl
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 47
Parmi les personnages que le prince de Condé rencontra à Genève, il en est nn
qui s'attacha à sa fortune et qui, à ce titre, mérite une mention spéciale. Peu de jours
avant l'arrivée de Condé, on avait informé le Conseil que le baron de Nemours avait l'in-
tention de conduire quelques jeunes gens de la ville au devant du Prince (1). Ce baron
de Nemours n'était autre, croyons-nous, que Henri de Savoie, fils d'un des grands
capitaines du siècle, Jacques de Savoie, duc de Nemours ; ce dernier avait épousé en
premières noces Françoise de Rohan, qui appartenait au culte réformé ; sous prétexte
de divergence religieuse et feignant des scrupules de conscience, il intenta un procès
à sa femme et obtint, en 1566, l'annulation de son mariage, bien qu'il en fût né un
fils ; ce fils est, selon toute apparence, le Henri de Savoie que nous trouvons à Genève
en 1574, et que le Registre qualifie de baron de Nemours. Tout grand seigneur qu'il
fût, Henri de Nemours était à ce moment fort besogneux et le 4 octobre il s'adressa
au Conseil de Genève pour obtenir un prêt de deux cents écus, sous la caution de
MM. deClervant et de Beauvois; cette somme lui était nécessaire pour qu'il pût partir
avec Condé. Le Conseil consentit à prêter la somme demandée et Nemours se pré-
senta le 24 octobre pour prendre congé de « Messieurs, les remerciant bien fort des
« plaisirs et honneurs qui lui ont esté faicts par eulx, lesquels il offre recognoistre
« quand il plaira à Dieu luy donner les moyens. » Le Conseil remercia à son tour le
jeune seigneur de ses courtoises dispositions et lui recommanda les intérêts de la
République (2).
Eloigné de Genève, Condé n'oublia pas l'accueil plein de cordialité qu'il y avait
reçu. Le 21 octobre il écrivit de Bâle au Conseil pour lui donner de ses nouvelles ; sa
missive, fort courte d'ailleurs, est louchante par les sentiments d'affection qu'elle
par un certain nombre de cavaliers de la ville qui furent indemnisés par le Conseil : « Au reste, » dit le
Rej^islre, « parce que ceux de la ville qui l'ont accompagné jus(|ues à Go[)|)el oui faici quelques frais
« jus(|ues à 23 It'., arresié qu'on les paye. «
(1) Re^. Cons., séance du 24 septembre.
(2) Négligé par son père qui s'était remarié avec Anne d'Esté, Henri de Savoie mena, dii-on, une
vie dissipée : l'historien de Tiiou le (|ualilie fort sévèrement <\c jnvenis secors et tanlo numitie wdignus.
En 1577, il fut emprisonné au cliâieau d'Angouléme. Délivré par Mayenne, il lit plus tard avec Condé
la campagne de 158r). Il mourut en 1590, laissant un bâtard nommé Samuel de Nemours, sieur de
Viileman.
48 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
exprime : « Je vous suplieray, dit-il, très affectionément me contynuer en vos bonnes
grâces et croire que vous n'aurés jamais de meilleur et plus affeclioné amy que moy,
ce comme vous cognoistrés par expérience. » La lettre de Condé fut probablement apportée
à Genève par Montmorency de Thoré, l'un des hommes de confiance du jeune prince ;
dans la même séance où la dépêche fut communiquée au Conseil, Th. de Bèze
demanda pour Thoré l'autorisation « de se retirer en ceste ville, mesmes en logis par-
er ticulier, afin d'estre plus prochain de France. » Ainsi Thoré ne cachait nullement
ses visées : il voulait résider à Genève pour être à proximité de la France et pour être
en situation de profiter des événements qui se préparaient. Le Conseil accorda l'auto-
risation demandée, mais en y joignant une condition assez bizarre, c'est que Thoré
se tiendrait « en logis publicq » ; le but, c'était sans doute de pouvoir surveiller plus
facilement les faits et gestes du seigneur français. Mais Thoré ne voulut pas accepter
cette condition et il demanda le 22 novembre qu'il lui fût permis de séjourner « en
mayson particulière, parce qu'il se crainci au logis public. » Le Conseil revint en arrière
et décida qu'il serait permis à Thoré d'habiter une maison particulière, lorsqu'il aurait
prêté serment de ne rien entreprendre contre l'Etat ou l'Eglise « et ce jusques au
bon plaisir de la Seigneurie. » Ces détails, insignifiants en apparence, offrent de l'in-
térêt au lecteur qui veut pénétrer dans la vie journalière des Genevois du xvi« siècle et
qui veut apprendre à connaître leur caractère devenu défiant et soupçonneux à l'excès
sous l'influence de perpétuelles intrigues. Il y a lieu de remarquer, d'ailleurs, que la
présence de Thoré à Genève était de nature à inspirer certaines inquiétudes: c'était
un politique remuant et un vaillant capitaine, qui ne cessa de lutter et de conspirer
jusqu'au moment où, les armes à la main, il rentra en France par Verdun et l'Argonne
à la tête d'un corps de réfugiés français et d'auxiliaiies allemands.
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 19
CHAPITRE II
Bruits de tentatives contre Genève. — Condé et Th. de Bèze. — Réunion à Baie des délégués des Eglises
réformées de France. — Départ de Th. de Bèze pour Bâle.
Le Conseil de Genève eut à celle époque de sérieux motifs d'être inquiet pour la sé-
curité de la République ; il reçut, en effet, vers la fin du mois de novembre des avis fort
peu rassurants. Un personnage, qui figure au Registre avec le litre de ayant charge du
duc de Savoie ou bien de gouvernement de Salusses, raconta à Th. de Bèze qu'il y avait
« intelligence du costé du Roy contre cesle ville. » De Brosses exprima le désir que le
fait fût signalé au Conseil et il consentit même à ce que son nom fût indique, « afin
qu'il ne luy fust imputé, s'il en advenait quelque chose. » L'avis n'était pas à dédai-
gner, d'autant plus qu'il venait d'un personnage qui se trouvait en rapport à la
fois avec le duc de Savoie et le prince de Condé. Le Conseil prit la décision qu'il pre-
nait habituellement en pareille occasion :
« Arresté, dit le Registre du 29 novembre, qu'on surveille et qu'on observe l'ordre
« qui fusl faict dernièrement pour le regard du guaict. »
Les aris un peu vagues que Th. de Bèze avait communiqués au Conseil net ardèrent
pas à prendre plus de consistance. Le 30 novembre, Michel Rosel, donl le nom paraît
dans toutes les circonstances délicates, exposa au Conseil les faits tels que De Brosses
les avait racontés à Th. de Bèze. Birague, gouverneur pour le Roi en Piémont, avait
proposé à Henri IH do lui livrer Genève ; le Roi n'ayant pas paru favorable à ce
projet, Birague lui fit entendre que, Genève une fois prise, il serait toujours libre,
comme souverain, de déclarer que tout s'était fait sans son aveu et même à son insu.
De Brosses assurait tenir ces propos de la bouche môme du duc de Savoie qui l'avait
chargé d'avertir Genève. Alarmé de ces bruits, le Conseil n'eut rien de plus pressé que
de prévenir Messieurs de Berne.
Le gouvernement bernois remercia de l'avis qui venait de lui être transmis et enga-
gea Genève à veiller avec soin, comme il le faisait de son côté ; il paraît cependant que
20 GENÈVE, LE PAUTI HUGUENOT
Messieurs de Berne n'claienl pas parfailemont convaincus de l'exactitude de ces nou-
velles alaiinaiites : « combien, disaienl-ils, qu'ils n'y adjoustent pas Iby pour plusieurs
considérations. » Mais à Genève les rumeurs inquiétantes reprenaient de plus belle.
On annonça le 9 décembre que Henri III venait de sortir de Lyon ; en efîet, il avait
déjà quitté cette ville le 16 novembre et il avait envoyé aux capitaines huguenots des
bords du Rhône l'ordre de mettre bas les armes. Aussitôt on supposa à Genève que le
Roi s'était mis en roule pour surprendre la ville et on se prépara en conséquence (1).
Le Conseil était encore sans doute sous le coup de ces fâcheuses nouvelles, lorsque
De Brosses repassa par Genève en revenant de faire visite au prince de Condé ; ce person-
nage, ayant manifesté le désir de s'entretenir avec des magistrats de la ville, Michel
Roset fut délégué auprès de lui et De Brosses lui renouvela les déclarations qu'il avait
faites antérieurement ; il raconta que Nemours continuait avec Charles de Birague ses
pralliques contre la ville « tellement, disait-il, que nous avons bien à veiller. » L'entre-
tien entre Roset et de Brosses roula non seulement sur les menées de Nemours et de
Birague, mais aussi sur les prétendus droits que le duc de Savoie invoquait contre
Genève. Selon toute apparence, Roset ne sortit pas fort rassuré de son entrevue avec
De Brosses ; il y avait en elïet autant à craindre du côté de la Savoie que du côté de la
France; la défiance des Genevois, fort naturelle d'ailleurs, se fait jour dans le protocole de
lu séance où Roset rapporta son entretien avec De Brosses : « Arresté, dit le Begistre,
« qu'on soit sus ses gardes cl mesmes contre son Allasse (le duc de Savoie), nonobstant
« CCS advcrtissements (2). »
Pendant toute la durée des guerres de religion, la situation de Genève fut des plus
critiques; la petite Républi(|uc avait non seulement tout à craindie do ses voisins,
mais elle était chaque jour exposée à êtn; compromise par les réfugiés auxquels elle
donnait asile. Au mois de décembre 1574, un certain nombre de réfugiés huguenots,
dont plusieurs avaient été acceptés comme hafjilants, se rendirent du côté de Màcon
et de Cliùlons pour tenter quelque coup de tête ; l'entreprise échoua et les réfugiés
(1) 1 Uii'oii soil sur ses gardes et (ju'on ailvise à la Cliaiiibre des Coiiiples au iiiojcn de faire le
guaicl asseuré de iiuicl. » Séance du 'J décembre.
('2) Séance du 13 décembre.
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 21
reprirent le chemin de Genève. Le Conseil fut aussitôt averti et il comprit qu'il pour-
rait résulter de celle affaire de sérieux embarras pour Genève. La Cour de France
pouvait prendre prétexte de cet incident, insignifiant en apparence, et accuser Genève
de compromettre la sécurité de ses voisins, en fomentant des troubles. Le Conseil
invita le Lieutenant de Police à faire comparaître devant lui les soldais (jui se présente-
raient aux portes de la ville et à les interroger « d'oîi ils viennent et qu'ils esloient
« allés faire et à l'adveu de qui et qui leur a fourni argent ou les a enrollés ». (Séance
du 17 décembre.)
Le 18 décembre, le Conseil se réunit en séance extraordinaire pour s'occuper de
nouveau des réfugiés qui revenaient de l'expédition ; il apprit alors que l'aventure avait
été préparée à Genève par des capitaines français (pii y séjournaient, Briquemaut,
Jarnosse et d'autres ; il apprit, en outre, ce qui était plus grave, que Th. de Bèze avait
eu connaissance de ce coup de tête. Dans cette circonstance, le Réformateur s'était évi-
demment écarté de son devoir et il avait oublié le rôle de réserve et de prudence que
lui imposait sa qualité d'ecclésiastique. Le Conseil confia à Roset la mission délicate
d'adresser quelques observations à Th. de Bèze et de lui « remonstrer qu'il ne doit
consentir à telles choses, moins s'en mesler. » Quant aux capitaines huguenots qui
s'étaient imprudemment mêlés de celte affaire, le Conseil décida de les faire « respondre »
et il fit interdire l'entrée de la ville aux soldats qui revenaient de l'expédition.
Vers la fin de l'année 1574, le Conseil reçut d'importantes nouvelles de Berne et de
Condc. Messieurs de Berne annonçaient qu'ils s'étaient mis d'accord avec leurs alliés
des autres cantons pour envoyer une ambassade auprès du nouveau roi de France ;
l'Ambassadeur dos Ligues devait complimenter Henri III à l'occasion de son récent
avènement et le supplier en même temps d'aviser aux moyens de pacifier son royaume.
Toutefois, l'Ambassade de France avait fait savoir à Messieurs de Berne que « la
« commodité du Roy n'est pas de les ouyr pour le présent pour plusieurs raisons. » Le
gouvernement bernois annonçait en même temps à ses alliés de Genève que le Pape
promettait au Roi 4,000 Italiens pour faire la guerre aux huguenots et que le duc de
Florence prêtait cent mille écus dans le même but.
22 ' GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
Les nouvelles de Berne semblaient annoncer la guerre ; celles de Condé, au
CHiiliairo, laissaienl entrevoir l'éventualité du rétablissement de la paix entre la Cour
et les huguenots. Le 27 ou le 28 décembre, le jeune prince envoya de Bàle à Genève
un exprès porteur de lettres pour le Conseil et pour Th. de Bèze. Il s'agissait du rétablis-
sement du culte réforme en France et dans ce but Condé convoquait auprès de lui
les délégués des principales églises de France, pour aviser aux mesures à prendre. Dans
sa lettre à Th. de Bèze, Condé annonçait que les députés de La Bochelle ciaient déjà
auprès de lui et qu'ils lui avaient exposé l'objet de leur mission :
« El, ajoutait-il, pour ce que c'est chose de telle et si grande importance qu'elle
mérite bien d'estre traicléc en bonne compagnie et qu'il me serait impossible pour
beaucoup de raisons aller par delà, j'ay avisé que le meilleur estoit de nous assem-
bler tous en ce lieu cl de vous mander par cesle lettre de vous y acheminer avecques
ledict Seigneur de Tlioré, vous priant n'en vouloir faire dilliculté et ne vous excuser
sur le congé de Messieurs de Genève, auxquels pareillement j'escripts une lettre de
le vous octroier (1). »
Condé annonçait ensuite la prochaine arrivée des délégués des églises de Langue-
doc et il terminait en priant Th. de Bèze d'envoyer un exprès à Neuchâlel pour
avertir iM. d'Araines et l'engager à se rendre également à Bàle.
Il s'agissait donc d'une réunion solennelle des notabilités du parti huguenot, con-
voquée pour poser les bases d'une pacification religieuse. Pour le succès de l'œuvre,
la présence et la coopération d'un homme d'expérience et d'autorité comme Th. de
Bèze étaient indispensables ; aussi Condé ne se conlenta-t-il pas d'écrire à Th. de Bèze,
il voulut encore s'assurer que le Conseil de Genève ne s'opposerait pas au départ du
Réformateur. Il écrivit donc en même teuips à la Seigneurie « la priauL bien fort de
lui octroier» Th.de Bèze. Condé terminait sa lettre en termes généraux qui attestaient
une certaine confiance dans le succès de l'œuvre entreprise :
« Je prie Dieu, écrivait-il, qu'il nous face la grâce que ccste négociation produise
(1) Arcli. (le Genève. Porlef. hist., N" 1952.
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 23
« quelque bon fruict el que, bénissant les labeurs des gens de bien qui travailleront à ce
« saincl ouvrage, le tout soit à radvancement et exallalion de sa gloire et à vous
« Messieurs, continuer l'heureuse protection et prospérité de vostre Estât. »
Le 31 décembre, le Conseil se réunit en séance extraordinaire pour prendre con-
naissance de la dépèche du prince de Condé. Les magistrats comprirent que la confé-
rence de Bàle qui devait fixer la ligne de conduite et la politique du parti huguenot
avait une extrême importance non seulement au point de vue de la Réforme en géné-
ral, mais encore pour l'avenir de Genève ; ils accordèrent sans retard l'autorisation
demandée (1) et Th. de Bèze se mil en route pour Bàle, au cœur de l'hiver, à une
époque où le moindre voyage présentait de sérieuses difficultés.
CHAPITRE III
Damville proclamé à Nimes protecteur général des protestants et des catholiques unis. — La délégation du
Languedoc s'arrête à Genève en se rendant à Bâie. — Conférence de Bâie. — Programme du parti huguenot.
— Négociations entre le Roi et Condé.
Tandis que Condé appelait auprès de lui Tti. de Bèze, une sourde agitation se ma-
nifestait dans le Midi de la France ; le maréchal de Damville, le plus puissant des
Montmorency, se rangeait du côté des réformés et présidait à Nîmes l'assemblée géné-
rale des prolestants et des catholiques unis ; cette assemblée, qui se montra animée
d'un esprit indépendant et révolutionnaire, reconnut Damville comm^ protecteur général
en l'absence de Condé et organisa une sorte de république fédérative où les deux cultes
rivaux étaient mis sur le pied d'égalité. En même temps, elle décida, d'accord avec
Damville, d'envoyer auprès de Condé des députés chargés de s'entendre avec lui sur
les moyens de pacifier le royaume. Ces députés, que le prince attendait à Bàle dès le
mois de décembre 1574, ne se mirent en route qu'au mois de février 1575.
(1) Reg. Gons. Séance du 31 tléceml)re : a Prince tle ConJé; Tliéodore de Bèze. — DudicI jour,
environ les deux heures, a esté rassemblé le Conseil sus les lellres receues de la pari de M. le prince
de Condé, oscriples de Basie du 27 de ce moys, par lesquelles il prie luy presier encorM.de Bèze
pour aller pardclà, alin d'avoir .son advis el conseil sus le laid de la pacification des égli.ses franeoise.s,
24 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
Suivant leurs instruclions, les délégués du Languedoc drivaient s'arrêter à Genève et
présenter au Conseil une lettre de créance du maréchal de Damville ; celte lettre (1),
datée de Montpellier le 13 février 1575, était conçue dans les termes les plus sympa-
thiques et les plus flatteurs pour Genève (1). Le maréchal rappelait les services rendus
par la République aux réfugiés français « à l'endroict de tous ceulx qui se sont trouvés
affligés et exilés de toute consolation, retraicte et ayde, » et il terminait en offrant
« tout service tant en vostre général que particulier; » il sollicitait également le Con-
seil de montrer pour la négociation de la nouvelle paix religieuse le même zèle dont il
avait fait preuve pour le bien général de la France.
Les députés des Eglises et de V Assemblée générale du Languedoc (c'est ainsi qu'ils
sont qualifiés au Registre) arrivèrent à Genève le 3 mars et demandèrent aussitôt à être
entendus soit en séance du Conseil, soit par une délégation. Le Conseil, leur ayant accordé
audience, ils lui donnèrent lecture de la lettre du maréchal, en déclarant qu'ils
avaient mission de saluer Messieurs de Genève de la part de ceux qui les avaient
envoyés et de les remercier des * bons offices qu'ils ont receu de leur part. »
Les députés exposèrent ensuite sommairement la situation malheureuse et précaire
dans laquelle se trouvait alors le parti huguenot ; cet exposé dût être d'un haut intérêt,
mais le protocole de la séance du Conseil ne nous en donne qu'une pâle et confuse
analyse.
Suivant le récit des députés du Languedoc, le maréchal de Damville avait rap-
porté une impression favorable de sa première entrevue avec le Roi en Piémont, mais
la pernicieuse influence de la Reine-Mère et de ses conseillers n'avait pas tardé à
reprendre l'avantage et le Roi avait recommencé la guerre de plus belle. Sur ces
entrefaites avait eu lieu à Nîmes l'assemblée générale des protestants et des calho
ligues unis; la discussion avait roulé sur trois points principaux :
4" L'union et communion entre les catholiques paisibles et les réformés, a tous
amateurs du royaume et du repos et advancement d'iceluy » ;
pour laquelle les députés de la Rocliclki sont désia arrivés i)ar di>vprs lui et ceulx de Languedoc s'y
devant aussi trouver, a eslé arrcslé (|u'on le luy acorde. «
(1) Arch. de Genève. Porlef. hisl , iN" 1955.
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 25
2" Les arrangements à prendre pour continuer la guerre <c si on ne peut
autrement que par ce moyen parvenir à une bonne paix » ;
3" L'opportunité de demander au Roi une trêve de trois mois (1).
Les délégués racontèrent ensuite au Conseil de Genève les derniers faits de guerre
dans le Midi, la prise d'Aiguemorles etd'Alais, la prise du château de Ventadour, etc. ;
ils s'étendirent assez longuement sur le rôle et l'attitude du maréchal qui, en toute
occasion, se montrait fort prudent et politique, cherchant à fonder une paix durable
entre les protestants et les catholiques de son gouvernement: « Ledict S"" iMareschal,
disaient les délégués, est résolu autant qu'homme du monde de faire que tous soyent
unis et les desloyaux chassés. »
Les députés étaient porteurs d'un projet de pacification religieuse qui avait été
sans doute élaboré par Damville et qui devait être soumis à l'approbation de Condé.
Ce projet devait être tenu absolument secret ; il n'en avait été pris que deux copies,
l'une, restée entre les mains du maréchal, l'autre remise aux députés qui se rendaient
vers Condé; pour plus de sûreté, ils s'étaient juré les uns aux autres de n'en donner
copie à personne, de peur que le Roi n'en fût averti. Les députés prièrent cependant
le Conseil d'examiner le texte de ce projet et de leur donner son avis « parce qu'ils
se fient en Messieurs comme en eux-mêmes ». C'était accorder aux magistrats de
la petite République un témoignage significatif d'estime et de confiance.
Le Conseil répondit en déléguant le syndic Bernard, le Lieutenant de Police et les
conseillers Roset et Maillet, pour examiner le projet de pacification. Certes, il aurait été
pour nous d'un haut intérêt de connaître le résultat de l'examen auquel se livrèrent
les quatre commissairesgenevois ; malheureusement, le Registre ne fournit sur ce point
aucune donnée : il n'en est pas mpins curieux de constater l'action indirecte que les
magistrats de la petite République exercèrent par leurs conseils sur la politique du
parti huguenot.
(1) Si nous comprenons bien le résumé, d'ailleurs obscur et confus, du secrétaire d'Etat, le
maréchal de Damville étaii opposé à cette trêve et voulait simplement la continuation de la guerre;
c'est le prince de Condé qui demandait la Irève.
26 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
Tandis que les députés du Languedoc se concertaient avec le Conseil de Genève,
ils étaient impatiemment attendus à Bâle par Condé, Th. de Bèze et les représentants
des autres communautés réformées de France. Le 28 février, Condé écrivit au Conseil
pour s'excuser d'avoir retenu Th. de Bèze aussi longtemps auprès de lui « d'autant,
« dit-il, que la faulte n'est procédée ne de luy, ny de moi, ains des depputés de
« Messieurs de Languedoc, lesquels nous sommes encores attendans (1) ». Condé
remerciait avec effusion le Conseil de lui avoir permis de consulter le Réformateur
et d'utiliser sa vieille expérience pour le bien des Eghses de France, « lesquelles,
« écrivait-il, et moy avecques elles, vous en demeureront à tousiours redevables,
« pour le recognoistre et principallement par moy, en tous les endroicts qu'il vous
« plaira m'emploier » .
Le 10 mars, Th. de Bèze, de retour à Genève, se présentait au Conseil pour
s'excuser d'avoir ainsi prolongé son absence et pour rendre compte des résultats de
son voyage.
La conférence de Bâle, à laquelle avait coopéré Th. de Bèze, eut pour la cause
protestante des résultats considérables. Elle ranima le courage et les espérances du
parti huguenot et fut le point de départ de nouvelles et légitimes revendications. C'est
à la suite de ces conférences de Bàle qu'on vit arriver à Paris, au commencement d'avril,
les députés du prince de Condé, du maréchal de Damville, les délégués des protestants
de Languedoc, de la Rochelle, de Guienne, de Provence et de Dauphiné, se portant forts
pour toutes les Eglises réformées du royaume. Suivant Henri Martin [Hist. de France,
t. X, p. 486), ils renouvelèrent les requêtes hardies présentées à Charles IX en 4573
et les aggravèrent encore ; ils demandèrent l'exercice public de la religion réformée
par tout le royaume, avec égalité absolue entre la dite religion et la catholique
romaine, toute autre religion étant interdite sous peine de la vie (2) : chambres de
justice mi-parties; châtiment des massacreurs de la St-Barlhélemy : annulation des
sentences rendues contre les victimes du massacre ; mise en liberté et déclaration d'inno-
(1) Lettre du dernier jour de février 1575, vue au Conseil le 10 mars. — Arch. de Genève. Portef.
/iù<., N0 1952.
(2) La notion d'une tolérance réelle, étendue à tous les cultes, n'entrait même pas dans les
cerveaux d'alors; au niouient oii les liuguenols réclamaient l'entière liberté de leur culle, ils deman-
daient à l'Eial de proscrire, sous peine de la vie, toute autre religion que le catholicisme et la Réforme!
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 27
ceiice des maréchaux prisonniers ; décharge temporaire des taxes municipales pour
les associés, à cause de leurs pertes ; paiement par le roi de l'arriéré que les protestants
devaient à leurs auxiliaires allemands, avec octroi de 200,000 écus pour solder leurs
autres dettes ; exemption de tous impôts pour six ans aux provinces poitevines et
aquilaniques, au Languedoc et au Dauphiné ; réunion prochaine des Etats-Généraux ;
réduction des tailles au taux du règne de Louis XII ; remise aux associés de deux
places de sûreté par gouvernement, outre les places qu'ils tenaient déjà.
Comme on le voit, il ne s'agissait plus seulement d'une simple revendication de
la liberté du culte réformé ; les huguenots, unis aux catholiques mécontents, formulaient
tout un programme politique et réclamaient entr'aulres la prochaine convocation des
Etats-Généraux. Henri III se montra fort ébahi de semblables prétentions, mais il ne
se sentait pas en situation de rompre brusquement les négociations, d'autant plus que
les Ambassadeurs d'Angleterre, de Suisse et même de Savoie, l'encourageaient à faire
la paix ; il essaya donc de louvoyer et offrit aux délégués les concessions suivantes : la
liberté religieuse partout, l'exercice du culte dans un lieu clos par bailliage ou séné-
chaussée et dans toutes les villes alors occupées par les Confédérés, sauf Aiguesmorles
et Beaucaire ; quatre places de sûreté ; l'érection de nouvelles Chambres dans les divers
Parlements, où seraient appelés un certain nombre de conseillers huguenots ; l'annu-
lation générale des arrêts rendus à l'occasion de la religion ; la restitution des biens
et honneurs aux enfants de Coligny et autres de mcsmes conditions (1).
Les concessions offertes par Henri III ne satisfirent pas les députés des huguenots
et des catholiques associés : ils se retirèrent en déclarant que leurs pouvoirs ne leur
permettaient pas de traiter à cçs conditions. Les négociations ne furent pas rompues
pour cela et Henri III ne dédaigna pas d'envoyer auprès de Condé un agent confiden-
tiel, Du Cheylar, chargé de le gagner par des promesses et de bonnes paroles. Condé
était fort jeune et il se laissa facilement entraîner à l'espérance. Le 30 mai, il écrivit
au Conseil de Genève pour réclamer de nouveau la présence de Th. de Bèze ; sa lettre
respire une confiance prématurée dans le succès des négociations :
(1) Voy. H. Martin, t. X, p. 487, qui énumère ces conditions d'après les mémoires de Nevers.
28 GENÉYE, LE PARTI HUGUENOT
« Ayant pieu à Dieu, écrit-il, de disposer le cueur du Roy, mon souverain sei-
« gneur, à voulloir continuer la négociation comancée pour parvenir à une bonne
« pacification des troubles qui de si longtennps ont cours en son royaume et d'avoir
« pris en bonne part les très humbles supplications et requestes que je luy avois envoyé
« faire pour toutes les Églises de France et catholiques associés, sur lesquelles sa
« Majesté m'a fait responce par le seigneur du Cheilar, il est très nécessaire de faire
t une conférance sus icelle, en laquelle je désire que M. de Bèze se puisse trouver sur
« l'asseurance quej'ay que sa présence y peull beaucoup servir et pour cesle cause,
« Messieurs, je vous ay bien voulu faire la présente et par icelle vous pryer bien affec-
a. tueusement de vouloir licencier ledict S''de Bèze pour faire ce voyage par deçà. »
Les questions qui allaient se débattre à Bâle étaient si graves et d'une telle impor-
tance pour l'avenir de la Réforme que le Conseil ne pouvait hésiter à laisser partir
Th. de Bèze ; ce dernier fut chargé de préparer lui-même la réponse au prince de
Condé ; il fut entendu qu'on ne limiterait pas la durée de son séjour, mais, pour éviter
ces voyages fréquemment renouvelés, le Conseil exprima le vœu qu'à l'avenir le
Prince prendrait l'avis du Réformateur « par lettres et non de bouche. » Les lettres de
Condé faisaient entrevoir comme probable le rétablissement de la paix religieuse en
France, et le Conseil paraît en avoir conclu qu'il fallait redoubler de prudence à
l'égard de la Cour. On fit arrêter et emprisonner un certain Abel Riveri, prévenu
d'avoir imprimé sans permission la vie de Catherine deMédicis « pleine de détractions » ;
toutefois, comme il reconnaissait sa faute, le Conseil décida de le mettre en liberté,
sous l'obligation de se représenter toutes les fois qu'il en serait requis (1).
A la fin du mois de juin, Th. de Bèze était de retour à Genève, il rapportait de
Bàle une nouvelle lettre de Condé pour le Conseil. Le Prince remerciait les magistrats
genevois d'avoir facilité le voyage du Réformateur, et de lui avoir ainsi permis de
coopérer à « une œuvre tant nécessaire pour la gloyre de Dieu et le repos de la pau-
(1) Séance du 6 juin : « Al)el Riveri, détenu pour avoir imprimé la vie de la Royne-mère de France,
pleine de délraclions, sans congé de la Seigneurie, sus certains exemplaires qui s'en vendoienl icy
piibli(|ui;inciil sans reprension, recognoissans sa faulle, a eslé arresté (|u'on le libère moyennant
subiiiission de se ie(irésenLer lotelois et quanlesel quant aux livres, (ju'on les retienne. »
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE -9
« vre France, où nous avions besoing d'eslre assistés de sa prudence laquelle il a très
« bien desployée en tout ce qui s'y est présenté, grâces à Dieu. » Condé faisait ensuite
le plus éclatant éloge des rares vertus de Th. de Bèze et déclarait que quiconque
serait assez osé pour entreprendre contre sa personne s'attaquerait à l'un de ses plus
grands amis. Il est assez difficile de saisir le motif de cette tirade un peu menaçante,
puisque les magistrats auxquels était adressée la lettre étaient tous des amis et des
admirateurs de Th. de Bèze. En terminant, Condé annonce qu'il a pris des mesures
pour faire rembourser à la République les sommes qu'elle avait avancées pour le
service du parti huguenot; il s'agissait, paraît-il, d'une somme de 13,500 fr. qui était
due à la Seigneurie depuis la garnison de l'an 1567 (1). Condé était fort gêné et il
ne pouvait rembourser de ses deniers une somme aussi considérable, mais il donna à
la Seigneurie une procuration qui devait servir à obtenir une fourniture de sel de
Beaucaire pour un chiiîre équivalent (2). A la fin du mois de juin passèrent par
Genève des Ambassadeurs de Condé qui se rendaient en France pour négocier la paix ;
le Conseil s'empressa de faire vérifier par eux le compte de ce qui était dû à la
Seigneurie pour les frais de garnison de 1567; le chitfre primitif de 13,500 fr. se
trouvait augmenté de près de 4,000 fr., représentant les intérêts courus depuis 1567.
Les agents de Condé prirent à nouveau l'engagement de faire rembourser cette
somme en sel de Beaucaire parles soins du maréchal de Damville(3), mais, selon toute
(1) En 1567, le duc d'AIbe devait passer en Savoie, près de Genève ; Emmanuel Philibert crui le
moment venu de s'emparer de Genève et fit dans ce but de grandes levées de troupes. Dès que le
danger fut connu, on vit affluer à Genève des soldats et gentilshommes huguenots qui venaient offrir
leurs services pour la défense de la cité protestante. Le duc d'AIbe, informé de ces préparatifs, passa
outre et le duc de Savoie se vit, forcé de s'excuser en alléguant que, s'il avait rassemblé des troupes,
c'était uniquement par mesure de précaution à l'occasion du passage de l'armée espagnole.
(2) On lit au Registre du Conseil, séance du 27 juin 1575. «Prince de Condé, —M. de Bèze, estant
« de retour de Basle, a raporté lettres dudicl S'' Prince par lesquelles il remercie Messieurs de ce
« qu'on l'en a accommodé pour le fait de la paix; du reste, luy ayant esté faict entendre par le dit S'
« Prince qu'il estoit dheu quelque argent à la Seigneurie qu'elle a fourny cydevant en temps de
« troubles, il a donné charge au S' de Frankeville de prouvoir à ce (jue ledici paiement se face par
« le moyen du sel, au contenu de la procuration qu'a aporté ledict S' de Bèze et qui a esté icy veue ;
« sus ce arresté qu'on y advise à la Chambre des Comptes, parce qu'il s'agit du debte dheu par M. de
« Mouvans; il y a encore un aultre poinct en ladicle lettre par lequel il prie Messieurs de luy ayder
« en ce que ledici S' de Bèze dira de sa part, en ce que totesfois il a oublié. »
(.■5) Au moment où Condé cherchait à liquider celte vieille dette du parti huguenot, il agissait de
même pour une autre, plus récente, qui rappelait les tragiques souvenirs du siège de Sancerre; il
30 GENÈVE, LE PAHTl HUGUENOT
apparence, celle promesse resla sans effel, car nous n'avons Irouvé dans les Regislres
aucune trace du paienienl de celle créance (1).
Pendanl les dernières années du xvi'' siècle, Genève fut en quelque sorte le
banquier des proscrits et des persécutés du parti huguenot ; sans doute, le Conseil ne
pouvait prendre sur lui de prêter sans intérêt ou sans garantie l'argent de la Répu-
blique, mais il mettait un généreux empressement à venir en aide à ceux que les
persécutions religieuses avaient jetés hors de France et il se laissa entraîner plus
d'une fois à des opérations assez hasardées.
Le 28 juin 1575, Gui Paul de Chaiillon, comte de Laval, le propre neveu de
Coligny, s'adressa au Conseil pour obtenir un prêt de .1000 ou 1200 écus, sous la
caution de Banqueté, banneret de Payerne; le Conseil accorda le prêt demandé, mais,
quelques semaines plus lard, le comte de Laval revint à la charge et demanda 1500
écus au lieu de 1200, en proposant de nouvelles cautions ; c'était un peu abuser de
la bienveillance du Conseil et ce dernier fit quelques difficultés, d'autant plus que les
cautions ne lui paraissaient pas suffisantes. Gui de Laval portail un nom illustre entre
tous; fils aîné d'Andelot, il avait été, après la mort de son père, élevé sous les yeux
de Coligny ; à la Saint-Barthélémy, il s'enfuit avec son cousin Fr. de Coligny ; déguisés
lous deux en écoliers, ils se dirigèrent vers Genève et la Suisse. Gui de Laval s'établit
à Berne d'où il écrivit au Conseil les deux lettres publiées ci-après.
Tandis que Laval cherchait à emprunter 1200 écus, Condé se voyait forcé
d'avoir également recours aux bons offices de ses amis de Genève. Le 7 juillet se
présenlait au Conseil le vidame de Chartres, ce Beauvoir-la-Nocle, qui fut pendant
offrait de payer deux cenls écus que la ville de Sancerre devait encore à Genève, mais il demandait
l'abandon désintérêts arriérés : «A esté proposé, dit le Reg^istre du jeudi 30 juin 1575, (|ue le S' de
« Chelard, ayant charge de M. le Prince de Condé, oll're paier deux cenls escus (jue ceux de Sancerre
« doyvent au change de reste de deux mille escus, en leur quittant les inlérêts, arresté qu'on les leur
« (juicte »
(1) Registre du Conseil, séance de jeudi dernier juin : « Sel, prince de Condé — a esté raporté
'< qu'on a faict vérifier, par les S'" Ambassadeurs de M. le Prince ailans en France pour la paix, la partie
" deue à Messieurs pour la garnison de l'an d567 montant treize mille et cinq cents francs de capital et
« environ quatre mille d'intéresisà cin(| pour cens et qu'ils ont pris charge de faire avoir du sel de
« Beaucaire envers M. le maréchal d'Amviile pour ladicte somme, soubs louteftbis le nom de François
« Villain (l'un des fermiers des sels). »
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 3i
de longues années le conseiller, le confident et l'agent infatigable de Condé (1) ; il
était accompagné de M. de Beauvois qui, dit le Registre, « a présenté les recommen-
dations de Mons'' le Prince ». Le Conseil ne larda pas à être renseigné sur l'un tout
au moins des motifs qui amenaient à Genève ces deux chefs du parti huguenot;
le 14 juillet, Th. de Bèze, qui agissait évidemment sur leurs indications, pria le
Conseil de prêter à Condé 250 écus sur le dépôt de certaines pierreries. Le jeune
prince était évidemment fort gêné, car les pierreries qu'il offrait en gage étaient déjà
affectées à la garantie d'une somme de mille francs qu'il avait empruntée sous la
caution du S'' de Vézines. Le Conseil fit d'abord quelque difficulté, puis se décida à
prêter la somme demandée, en prenant comme cautions les S" de Vézines, de Beau-
vois et de la Fin (2).
Le moment approchait où Condé allait rentrer en France les armes à la main.
Les négociations engagées pour obtenir de Henri III et de Catherine de Médicis une
paix honorable et la tolérance religieuse avaient complètement échoué et le Registre
du Conseil de Genève nous apprend que, dès le mois de juillet 1575, Condé com-
mençait ses préparatifs militaires. En effet, le 15 juillet, Messieurs de Berne écrivent
au Conseil de Genève pour se plaindre de ce que des capitaines' et des soldats
français « se disans venir de ceste ville (de Genève) pour aller au service de M. le
Prince de Condé » traversent en armes leur territoire ; le gouvernement bernois
rappelle à ce propos qu'il est lié à la couronne de France par un traité de paix
perpétuelle et il prie ses combourgeois de Genève de prendre les mesures nécessaires
pour que les huguenots qui se rendent au quartier-général de Condé « fassent leurs
voyaiges et passages de telle sorte et en tel équipage que l'on ne se puisse doubler à
(1) Beauvoir-la-Nocle ne (il à Genève qu'un séjour de courte durée ; au commencement d'août,
il partit pour rejoindre le prince de Condé à Bâle, comme nous l'apprend le Registre du Conseil à la
date du 9 août ; « Vidame de Cliartres ; a esté proposé que il a pris ce matin congé de Messieurs les
« Scyndiques pour se retirer à Basie, remerciant de l'honneur qui luy a esté faict ici et offrant faire
« service à Messieurs. »
(2) M. de Vézines refusa, on ne sait pourquoi, de servir de caution, néanmoins, le Conseil, désireux
de rendre service à Condé, maintint sa décision, en acceptant comme seules cautions MM. de Beauvois
et de La Fin.
32 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
leurendroicld'aulcunespratliques OU sinistres entreprinses, ressentans hostilité (1) ». Ne
doit-on pas reconnaître que le gouvernement de la puissante République de Berne
allait un peu trop lacilement au devant des réclamations de l'Ambassadeur de France
et cette attitude, peu généreuse pour Condé et les huguenots opprimés, neconlraste-
l-elle pas avec les héroïques imprudences de la petite cité de Genève?
Messieurs de Berne ne craignaient pas de laisser entrevoir que, le cas échéant,
ils seraient obligés, à teneur du traité, à'éconduire, autrement dit d'expulser tous les
huguenots qui s'étaient réfugiés chez eux ou dans d'autres villes réformées, « ce que,
ajoutaient-ils, pourra estre prévenu moyennant leur modeste comportement, comme
par rayson ils sont tenus de faire, affin d'oster toute occasion de maulvais soubçon à
leur endroict ». Isolée comme elle l'était, entourée d'Etats hostiles, Genève devait
avant tout ménager ses alliés de Berne; quand l'Avoyer et Conseil de Berne priaient
le magistrat de Genève de prendre un avis en bonne part, il fallait s'incliner. Aussi le
Conseil décida-t-il- le 21 juillet, pour complaire à Messieurs de Berne, que tous les
étrangers qui n'étaient pas liés par « debvoir et serment à la Seigneurie », auraient à
vider la ville dans les vingt-quatre heures, sous peine de l'estrapade, « et ce tant
soldats que aullres ».
Parmi les gentilshommes de l'entourage de Condé, figurait, comme nous l'avons
vu plus haut, un S' de Vézines ; ce personnage était depuis longtemps au service du
parti huguenot et de l'Eglise réformée, mais, au moment où une nouvelle lutte allait
s'engager entre les huguenots et la Cour, il se rendit coupable de certaines démarches
imprudentes ou inconsidérées qui, en temps de troubles civils, sont facilement assimilées
à des actes de trahison ; la preuve de cette singulière défaillance nous est fournie par une
lettre de lui qui est sans contredit un des plus curieux documents de ces temps agités.
Le dimanche 21 août le Conseil fut convoqué en séance extraordinaire et secrète;
étaient présents les Syndics Bernard, Guaict et Pilard, le Lieutenant de police Varro,
les conseillers Châteauneuf, Villet, Chabrey, Roset, Chappuis et Chenelat. Th. de
(1) Lettre de lierne du 15 juillet 1575, Portef. hist., N" 1963. Voy. ci-après le texte de ce
document.
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 33
Bèze, qui avait sans doute provoqué cette séance, raconta qu'il lui était tombé entre
les mains, grâce au S'' de Clervant (1), un paquet de lettres adressées par Vézines
à M. de Hauteforl, Ambassadeur du roi auprès des Ligues. Ces lettres, datées du
15 août, étaient accompagnées d'un mémoire écrit tout entier de la main de
Vézines. De l'examen de ces pièces, il résultait clairement, suivant Th. de Bèze,
que Vézines trahissait l'Eglise de Dieu et révélait à l'Ambassadeur du Roi tous les
secrets que sa position dans le parti huguenot lui permettait d'apprendre. Th. de Bèze
avait comparé ces pièces avec d'autres lettres qui lui avaient été adressées par
Vézines et il demandait au Conseil de constater, après examen, l'identité des deux
écritures. Il s'agissait d'envoyer cette déclaration officielle à Montmorency de Thoré
pour édifier le prince de Condé sur les intrigues qui pouvaient se tramer entre
Vézines et l'Ambassade. Le Conseil vérifia les pièces et accorda à Th. de Bèze le
vidimus et l'attestation demandés : c'est à cette décision que nous devons la conserva-
lion de la lettre et du mémoire de M. Vézines (2).
Aux yeux de Th. de Bèze, Vézines n'était autre chose qu'un traître qui conspirait
à la fois contre l'Eglise et contre Condé. Aux époques troublées, dans les moments de
crise religieuse et politique, les partis ne tolèrent aucune hésitation, aucune compro-
mission ; une démarche imprudente ou inconsidérée suffit pour rendre suspect celui
qui s'y est laissé entraîner. Autant que nous pouvons juger, Vézines ne voulait ni
trahir la cause réformée, ni livrer les secrets de Condé, mais les graves et douloureux
événements, qu'il entrevoyait dans un avenir rapproché, le jetaient dans une cruelle
perplexité. Il était huguenot, mais l'esprit de parti, le fanatisme n'avaient pas étouffé
(1) Le nom de M. de Clervant reparaîtra plus d'une fois dans le cours de ce travail ; c'est un des
chefs huguenots qui jouèrent le rôle le plus actif dans les troubles de celte époque. Suivant la
Biographie générale de MM. Firmin Didot, Claude-Antoine de Vienne, baron de Clervant, était issu
(le la famille des ducs de Bourgogne. Né vers 1505 à Metz, il fut le premier gentilhomme de cette ville
qui embrassa le protestantisme, et l'homme qui, par l'ardeur de son prosélytisme, contribua le plus
aux progrès de la Réforme dans le Nord-Est de la France; il assista en 1575 au traité conclu entre le
Palatin et le Prince de Condé, et amena à ce dernier les deux mille reitres que le duc de Guise battit
près de Château-Thierry; il fut fait prisonnier dans cette affaire. Il mourut quelques années plus lard
sans que l'on sache précisément en quel lieu ni à quelle époque.
(2) Arch. de Genève. Porte f. Iiist., N" 19C5.
34 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
chez lui le sentiment national et patriotique. Il assistait avec angoisse aux préparatifs
de Condé et des nombreux mécontents qui se groupaient autour de lui ; il prévoyait
que, quelques semaines plus tard, le fléau de la guerre civile allait fondre de nouveau
sur son pays et que Condé allait franchir la frontière, entraînant à sa suite les soldats
du Palatin, c'est-à-dire l'étranger. Ce qui devait l'impressionner le plus vivement,
c'était la triste perspective de voir Condé rentrer en France avec l'appui de l'étranger,
avec l'aide de ces reîtres qui avaient si souvent ravagé les plus riches provinces ; son
cœur saignait ; il se sentait frappé dans son patriotisme et, cependant, il sentait que
Condé et ses partisans étaient poussés dans cette voie par une sorte de fatalité :
« J'estime, dit-il dans son mémoire, tous les chefs de nostre parly seigneurs
« d'honneur et bons Français, mais j'ay suspect ce qui peult écheoir en tous hommes,
« tant vertueux et résolus soient-ils, c'est que la nécessité leur suggère de consentir
« à ce qu'ils auroient tousiours réprouvé auparavant. »
La lettre et le mémoire de Vézines révèlent les secrètes angoisses, les dou-
loureuses appréhensions qui devaient assiéger le cœur de nombreux huguenots. Dans
sa lettre, datée de Morges le 15 août, Vézines annonce qu'il va supplier Condé de
renoncer à l'expédition qui se'prépare; il assure que, pour lui, il entend se retirer
a sans plus se mesler que de son fait particulier. » Toutefois il soumet à M. de Hau-
tefort, l'ambassadeur du Roi, une proposition qui avait quelque chose de fort équivoque
et qui l'exposait à passer pour un traître ou un espion. Il otïre à M. de Hautefort de
continuer à s'occuper des affaires de la religion réformée, pour connaître d'autant
mieux les moyens de tendre à la paix. C'était accepter un rôle des plus compromettants
et on serait en droit d'apprécier sévèrement la conduite de Vézines, s'il n'avait pris
soin, dans la même lettre, de nous éclairer sur la véritable portée de ses paroles :
« Cependant, Monsieur, dit-il, afin qu'on ne pense point que je veuille faire
« quelque chose clandestinement, je vous supplieray ne laisser penser à leurs
« Maieslés que je veuille décliner de la fidélité d'homme de bien en ce qui me seroit
« commandé par mondict Seigneur le Prince, car au! tant que je sçny que l'indi-
ce gnation de leurs Maiestés m'importe de la vie et du bien, je considère aussy que la
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 35
« défiance et mauvaise opinion de ceulx de ce party m'importerait de mon honneur. »
La déclaration contenue dans ce passage est d'un iiomme de bonne foi et d'hon-
neur et on en peut inférer que, si Vézines acceptait un rôle compromettant, il ne
croyait nullement trahir ses amis et sa religion.
Vézines avait joint à sa lettre un mémoire détaillé dans lequel il donnait
divers renseignements et répondait aux questions posées par M. de Hautefort ; il y a
dans cet écrit bien des allusions dont nous avons perdu la clef, mais il est intéressant
de constater l'esprit général qui anime l'auteur. Ce que Vézines redoute par-dessus
tout, ce qu'il réprouve, c'est l'alliance de Condé avec l'étranger, notamment avec le
Palatin ; par contre, ce qu'il appelle de tous ses vœux, c'est une paix loyale, acceptée
par la cour et par les huguenots. Il déclare de la manière la plus explicite qu'en
aucun cas il ne prêtera les mains à certaines alliances ou intrigues anti-nationales ;
non seulement, dit-il, il n'y consentira pas, mais il en avertira leurs Majestés et leurs
ministres et au besoin il prendra même les armes « avec ceulx qui s'y vouldroient
opposer. »
C'était sans doute parler en patriote, mais Vézines oubliait trop aisément que
la Reine-Mère et Henri III avaient mis les huguenots hors la loi et que Condé, persé-
cuté, réduit au désespoir, n'avait plus le choix des moyens ; il oubliait surtout que le
prince de Condé n'était pas le premier à faire appel à l'étranger et que Henri III
s'appuyait lui-même sur les Suisses et les reîtres (1).
(1) Les huguenots comprenaient fort bien qu'on pouvait leur reprocher certaines alliances, mais
ils répondaient, non sans raison, qu'ils n'avaient pas été les premiers à entrer dans celte voie funeste.
Nous relevons dans un pamphlet huguenot du temps un passage où l'auteur répond avec une extrême
véhémence aux accusations de ce genre portées par son adversaire Charpentier. En lisant ce passage
plein d'une juste indignation, nul ne contestera les sentiments patriotiques qui animaient le pamphlé-
taire huguenot :
« Dis-moy en conscience (si toutefois tu en as) lesquels des deux ont les premiers amené les armées
« eslrangères en la France, ou les ont encores auiourdliuy avec eux, les nostres ou les tiens? Lesquels
« des deux y ont les premiers mis les Suysses, les Espagnols, les Allemans, les Italiens, les Corses,
« dont elle a esté pillée et saccagée et l'est encore plus fort aujourdhui que iamais? Di franchement,
« Gliarpentier, et ne mens point selon la coutume, et ne tourne point la leste de honte, ni pourregar-
« der ceux que lu veux flatter, di qui des tiens ou des nostres les a premièrement mis ou bien les a
« pour le présent en France?.... Quant à présent et depuis les massacres, nous n'avons pas eu un seul.
36 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
Au moment où Vézines écrivait, l'alliance entre Gondé et le Palatin était déjà
arrêtée en principe et le mémoire résume en quelques mots le programme politique
que les alliés devaient publier en franchissant la frontière de France : liberté aux
villes et peuples de France, une manière de souveraineté à la noblesse et à tous estats
soulagement pourveu qiCils recognoissent l'Empire. Que faut-il entendre par ces mots :
pourveu qu'ils recognoissent l'Empire ? Jamais, ni Condé, ni les Montmorency ne purent
concevoir même la pensée de rendre la France tributaire de l'Empire germanique.
Quoi qu'il en soit, Vézines semble reconnaître lui-même que ses renseignements ne
sont pas puisés à une source parfaitement sûre: « Vous me dires, écrit-il, que les
« premiers propos en ont esté esventés par ung prince que l'on tient n'avoir grand
« esprit et je vous diray que tant moings doibt-on donc penser qu'il l'aye inventé et
« qu'au contraire de l'abondance du cœur la bouche parle. »
Vézines paraît avoir attaché peu d'importance à la capitulation que Condé
allait conclure avec le Palatin ; il savait que le jeune prince était à court d'argent et
il prévoyait que, faute d'être payés, les reîtres allemands se débanderaient au bout de
trois mois ; en outre, il insinue que la discipline sera difficile à maintenir et que les
colonels de reîtres seront peu respectés de leurs troupes.
Le but et la conclusion du mémoire, c'était le rétablissement de la paix entre les
huguenots et la Cour. Vézines désire ardemment la paix, et il offre à M. de Haute-
fort de s'y employer activement. Il annonce à ce propos qu'il est question de l'envoyer
à la diète de Ratisbonne avec une mission de confiance, « pour obtenir, dit-il, de
« homme eslranger en toutes nos armées, ce que tous savent; mais les tiennes ensontencores auiourdhuy
" toutes pleines, ce que tout le monde voit bien. Et ne se contentant pas mesmedu grand nombre qu'ils
« ont mis dernièrement, encores ont dépesché Ghombert et Bassonpierre en Allemagne el plusieurs
■' autres en Suysse el en Italie pour lever une nouvelle armée d'estrangers, et en faire venir davantage ;
a bref pour parachever de ruiner du tout ce pauvre royaume qui ne peut plus respirer. Tellement (lue,
« pour en dire la vérité, les tiens invitent toutes nations plusIosL au misérable convoi et dernières
" funérailles de la France qui se meurt (|ue de luy donner secours ni allégement pour le faire durer el
" vivre. »
(Traitté durjucl on peut apprendre en quel cas il est permis à l'homme chrestien de porter les
armes et par lequel est respondu à Pierre Charpentier par Pierre Fabre, à Monsieur de Lomanie,
baron de Terrideet de Sériniac, traduit du latin, 1576, sans nom de lieu).
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 37
« l'Empereur et des Estais de l'Empire qu'ils se veuUent mesler de moyenner la paix
« en France. » Il est prêta accepter cette mission, afin de prévenir de tout son pouvoir
le mal de la patrie et pour convertir aux idées de paix le plus de gens possible,
« mays, ajoute-t-il, je ne me chargeray d'aultre chose que cela, quoyqu'il me fust
« commandé et néantmoings s'il n'est agréable à leurs Maiestés que j'y aille, en
« estant adverty par vous, je m'en excuseray. »
En terminant, Vézines adresse un pressant appel à la Reine-Mère et à
Henri III, les suppliant de faire des concessions qui pui sent faciliter les négociations ;
il les engage à faire ces concessions, afin d'éviter de plus graves inconvénients. Ce
passage du mémoire est l'un des plus caractéristiques et mérite d'être cité
textuellement :
« Ce seroit ung beau moyen pour remédier à beaucoup d'inconvénients, si leurs
« Maiestés concluoient d'heure la négociation de paix et si tant estoit que, pour la
« nécessité du temps, leurs Maiestés concédassent quelque chose qui leur tournast à
« quelque peu d'incommodité, considérant, s'il leur plaist, que c'est pour leur en
« éviter de plus grandes et mesraes qu'elles ont des serviteurs entre ceulx de nostre
« religion qui moyenneront bien avec le temps que les choses se réparent et remettent
« au gré et contentement de leurs dictes Maiestés. »
Th. de Bèze, qui soumit au Conseil la lettre et le mémoire de Vézines, accusa
sans hésitation ce dernier de trahir Condé et la cause réformée. L'historien impartial
peut-il ratifier ce jugement? De la lecture attentive des deux pièces précitées, il
résulte que Vézines sentit son cœur de patriote se serrer à la pensée des fléaux
qu'une nouvelle guerre religieuse allait déchaîner sur la France ; il éprouva une dou-
loureuse émotion en apprenant que Condé et ses partisans allaient attirer sur leur
pays toutes les calamités de l'invasion étrangère; il crut pouvoir conjurer l'orage et
entra dans ce but en relations avec l'Ambassade de France. Dans sa lettre ou dans
son mémoire demande-t-il quelque chose pour lui, de l'argent ou des honneurs ?
Nullement ; il demande la paix pour la France ; il supplie le roi de faire des concessions,
afin d'éviter les horreurs d'une nouvelle guerre civile ; il otTre de ^entremettre lui-
38 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
même pour faciliter une transaction. Son langage et son attitude sont d'un patriote,
plutôt que d'un sectaire, et rappellent les efforts à la fois si désintéressés et si inutiles
de ces hommes de cœur et d'intelligence qui formèrent sous les derniers des Valois le
parti des Politiques. Mais pour Th. de Bèze, Vézines n'était qu'un traître, parce que
la préoccupation du but théologique et les passions religieuses avaient émoussé chez
l'illustre réformateur le sentiment patriotique ou national. En réalité, Th. de Bèze
n'était ni Français, ni Genevois, il était huguenot ; ce qu'il voulait avant tout, c'était
le triomphe de la Réforme et la grandeur du but lui faisait perdre de vue toute autre
considération.
Les efforts de Vézines en vue d'une transaction pacifique n'obtinrent aucun
résultat, et ses démarches auprès de M. de Hautefort restèrent infructueuses.
Du côté des huguenots, on se préparait activement à la guerre. Aux premiers jours
de septembre, Thoré écrivit de Strasbourg au Conseil de Genève que, « partant pour
« aller en France, il ne l'a voulu faire sans prendre congé de la Seigneurie, les remer-
« ciant de tant de bien et d'honneur qu'il en a receu, offrant luy faire service là où il
aura moyen (1). » Quelques semaines après, Thoré rentrait en France les armes à la
main.
CHAPITRE IV
Missive de Condé au Palatin, — Capitulation conclue entre Condé et le Palatin, — Embarras pécuniaires
de Condé et de Laval. — Genève fait un prêt au Palatin.
Le 48 septembre 1575, Condé adressa de Strasbourg au Palatin une Missive
qui était à la fois un manifeste politique et une déclaration de guerre à la Cour de
France {%. Le but de ce document était d'exposer publiquement les motifs qui obli-
(t) Séance du Conseil du 9 septembre 1575.
(2) Voici le litre exact de ce curieux document que nous n'avons vu cité nulle part : « Missive
de très illustre iirincc, Henry, prince de Condé, duc de Bourbon, etc., envoyée à très illustre prince
.Jean Casinir (sic), conte Palatin du Rhin, duc de Bavière, etc. Escrite de Strasbourg, le 18 de
septembre 1575-1575, sans désignation de lieu. »
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 39
geaienl Condé et ses coreligionnaires à défendre leurs droits par les armes et à
demander l'intervention et l'appui du Palatin. Condé rappelle que les Réformés français
n'ont cessé d'être molestés et persécutés de toute manière et que lui-même a épuisé
« tous les moyens les plus doux et gratieux » pour obtenir justice. Les requêtes et
remontrances au Roi ayant été sans effet, Condé se voit réduit à chercher par les
armes le redressement des abus :
a Voyant, dit-il, que tels remèdes tant s'en faut qu'ils ayent adouci les playes que
« plustost ils les ont aigries et envenimées. Davantage ayant trouvé une très mauvaise
« disposition au corps de l'Estat, il m'a convenu à mon très grand regret de faire
c comme le sage médecin et essayer toute extrémité en un mal extrême, adiouslant le
« cautère des armes à la playe, puisque l'équité de mes très humbles requestes et
« remonstrances ne l'ont peu guérir. Pourquoy m'estant résolu en moi-mesme, pour ne
« voir plus aucune espérance d'amendement par la voye de douceur, de recourir aux
« armes et de mourir plus tost honorablement que de voir plus longtemps le service de
« Dieu foulé aux pieds et ma patrie en un estât si misérable qu'il y a bien peu d'espè-
ce rance qu'elle s'en puisse relever. »
Après cet énergique exorde, Condé supplie le Palatin d'avoir compassion des
pauvres Eglises de France et de prendre en considération le piteux état du
royaume ; il rappelle, avec une passion contenue, les derniers épisodes des troubles
civils, la St-Rarthéiemy et ses horreurs ; il déclare que, pour échapper à une mort
certaine, il s'est vu contraint de prendre la fuite et de se retirer à Strasbourg « avec
ses cousins Messieurs Méru et de Thoré » ; il annonce en outre que Monsieur, frère du
Roi (le duc d'Alençon), se voyant en extrême danger, a pris le parti de se sauver et
qu'il se trouve en armes à ce moment, entouré d'un grand nombre de seigneurs et
de gentilshommes, prêts à tout risquer pour rétablir les choses en bon ordre;
Condé indique ensuite en quelques mots le but de la guerre et les conditions à obtenir
du Roi : l'exercice libre et général de la Religion réformée et la convocation des Etats-
Généraux « pour rétablir l'ordre et police du Royaume, faire administrer la justice
4 comme il appartient, distribuer et conférer les charges, estats, honneurs et dignités
« à ceux qui en sont capables, descharger le poure peuple de la foule et oppression
40 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
a qu'il souffre, punir les massacres et massacreurs, oster aux estrangers, ennemis et
« perturbateurs du repos public, l'administration de Testât et les empescher d'esire
« plus inventeurs des daces (taxes), imposls et subsides intolérables. »
Ce programme de réformes utiles et populaires aurait pu être accepté sans
arrière-pensée par tout bon Français, quelque fût son culte. Condé assumait un beau
rôle en réclamant la convocation des Etats-Généraux et en faisant appel à la repré-
sentation nationale pour rétablir l'ordre et la paix en France. En un mot, Condé ne
se présentait plus comme le chef exclusif d'une secte ou d'un parti religieux, mais
comme le défenseur des droits des Etats-Généraux, comme le vengeur des libertés
perdues, comme le protecteur du pauvre peuple, foulé aux pieds et livré aux exactions
de tout genre. Malheureusement, il y avait une ombre au tableau ; pour accomplir ces
réformes, Condé faisait appel à l'étranger. Condé concluait en suppliant le Palatin de
lui accorder son concours, de prendre en main la défense des opprimés et de
« restituer par la voie de la force le service de Dieu et Testât et royaume de France
« en leur ancienne intégrité et splendeur. » Parmi ceux qui demandaient l'intervention
du Palatin, Condé faisait figurer non seulement ses cousins les Montmorency, mais
encore le propre frère du Roi, le duc d'Alençon.
Le Palatin, qui avait déjà secouru en 1568 les huguenots, répondit favorable-
ment à l'appel de Condé, mais il n'était pas homme à s'embarquer à l'aventure et à
prendre les armes par pur dévouement à la cause réformée. Des négociations s'étaient
ouvertes et elles aboutirent à un traité solennel passé le 27 septembre 1575, dix jours
à peine après la publication de la Missive de Condé ; cette dernière pièce avait été
évidemment rédigée et publiée pour expliquer et justifier le traité qui allait être signé
par Condé et le prince allemand.
Le texte de ce curieux traité est demeuré jusqu'à présent inédit (1); à notre
connaissance, il en existe deux exemplaires originaux, l'un conservé à la Bibliothèque
Nationale de Paris (Colbert, V. 399), l'autre aux Archives de Genève {Porte f. hisl.,
N" 49G8). M. le Duc d'Aumale mentionne incidemment ce traité dans son Histoire des
(1) Nou.s le publions aux Pièces juslificalives d'après l'original des Archives de Genève.
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 41
Princes de Condé, en le qualifiant avec sévérité ; il en parle comme d'un accord
odieux, tout à la fois absurde et inexécutable : « En le lisant, ajoute-t-il, on ne sait
« qu'admirer le plus, ou de l'outrecuidance des prétentions du Palatin, ou de la
(f naïveté avec laquelle il semble recevoir les chimériques engagements de ses
« alliés » (1).
Chacun comprend aisément l'indignation que peut éprouver un bon Français en
lisant un traité qui attirait sur le royaume le fléau de l'invasion étrangère, mais, pour
être juste, on ne saurait oublier que Condé, alors âgé à peine de vingt-trois ans, subissait
l'influence exclusive de son entourage et que le traité avec le Palatin fut conclu non
seulement avec l'approbation expresse des plus grands seigneurs huguenots (2), mais
encore avec l'assentiment du premier prince du sang, du duc d'Alençon, le propre
frère du Roi.
Le traité avec le Palatin, qui servit de préface à la campagne de 1575, mérite
d'être étudié de près et analysé.
Au début, Condé déclare qu'il a très instamment « recerché et prié son cousin
« le duc Jean Casimir, comte Palatin du Rhin, d'avoir pitié du misérable estât de la
« couronne et des Eglises de France et prendre la charge d'y mener et commander
«. une bonne armée. » Le Palatin, accédant à ce désir, s'engage non seulement à
mener et à commander les 6,000 reîtres que les colonels Henri de Stein, Jean de
Rouch et Georges de Derse, ont fournis à Condé par des capitulations distinctes, mais
(1) Histoire des princes de Condé pendant les XVI' et XVIP siècles, par le duc d'Aumale, Paris,
1864, t. II, p. HO.
(2) Dans le préambule du traité, Condé déclare expressément qu'il agit tant en son nom personnel
qu'au nom de ses « très chers et aimés cousins MessieursHenry de Alontmorency, S' d'Anville, Maresclial
« de France et gouverneur pour le Roy en Languedoc, Charles de Montmorency, S' de Méru, colonnel
'< général des Suisses et capitaine de cinquante hommes d'armes de ses ordonnances, Guillaume de
« Montmorency, seigneur de Tlioré, colonel et général de la cavalerie légière en Piémont, aussi capitaine
« de cinquantejhommes d'armes de ses dictes ordonnances, François de Ferrières, prince de Chabanois,
« Vidame de Chartres, des contes de Laval et de tous Français généralement de quelque des deux
«religions, réformée ou catholique. » Condé comptait, on le voit, de nombreux alliés et partisans
dans l'élite de la noblesse française.
42 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
en outre à lever de son chef 2,000 chevaux et 8,000 Suisses (1), en faisant
l'avance des frais de levée et d'enrôlement : le Palatin s'engage encore à fournir du
sien 4 canons, 12 ou 45 pièces de campagne et les munitions nécessaires; il est
toutefois stipulé que le Palatin commandera en sous ordre et que Gondé sera le géné-
ral en chef de l'armée d'invasion.
En accordant à Gondé son concours, le Palatin faisait ce qu'on appelle vulgaire-
ment une bonne affaire ; son appui coûtait cher, comme on en pourra juger par cer-
taines des conditions stipulées dans le traité, conditions que nous allons énumérer :
1° Condé s'engageait à fournir à l'armée d'invasion l'appoint de forces françaises
et autres et à se rencontrer avec ses troupes sur un point qui serait désigné d'un
commun accord. Gondé et le Palatin devaient ensuite s'entendre sur un ordre de mar-
che ets'acheminer ensemble, de manière à opérer leur jonction avec le maréchal de
Damville qui devait amener de son côté dix ou douze mille arquebusiers et deux mille
chevaux. Gondé s'engageait d'autre part à prendre à sa solde les 2,000 reîtres, les
8,000 Suisses et, d'une manière générale, toutes les troupes que le Palatin aurait
levées: « Promectons et nous obligeons, disait la capitulation, de les payer et
« contenter tous pour leur payement avant que de nous ou nos armées séparer l'ung
« l'auUre en quelque sorte et manière que ce soit, soit que ledict S"' Duc ou
« nous mourions ou vivions. »
Gondé assumait imprudemment une lourde responsabilité en prenant à sa
charge la solde de toutes les troupes ; nous verrons plus loin que ses ressources
étaient des plus bornées et qu'il en était réduit, depuis son départ de France, à
compter sur l'emprunt.
2" Gondé s'engageait à ne tenir aucun conseil, à ne traiter aucune affaire
concernant la guerre, à ne signer ni paix, ni trêve, sans le consentement ou en
l'absence du Palatin ; il promettait de môme, que ni lui, ni ses gentilshommes,
capitaines ou soldats, ne se retireraient par troupes ou isolément, sans le plein
(1) « Ou tant Suisses ([u'aullres gens de pied. »
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 43
consentement du Palatin ; en acceptant celte clause, Condé aliénait complètement son
indépendance et faisait du Palatin le chef véritable de l'expédition.
Le 3« article de la capitulation sanctionnait l'alliance, contractée en 1574, sous
les auspices du maréchal de Damville, entre les huguenots et les catholiques paisibles ;
Condé promettait d'exécuter de point en point ce pacte d'association et se faisait fort
d'obtenir que le maréchal de Damville et les seigneurs et gentilshommes de la dite asso-
ciation fissent cause commune avec l'armée d'invasion.
4» Condé s'engageait à payer chaque mois au Palatin, tant que durerait l'expé-
dition, 12,000 écus soleil pour sa table, sa solde et son état ; la solde des serviteurs
du Palatin et les frais d'entretien de ses chevaux devaient être payés à part. En outre,
le Palatin s'étant réservé la charge de colonel du régiment de cavalerie qu'il devait
lever lui-même, Condé s'engageait à lui payer chaque mois la même solde qu'aux
autres colonels. Condé prenait à sa charge toutes les munitions qui devaient être
fournies aux troupes du Palatin et s'engageait à rembourser à son allié le prix de
tout ce qui aurait été consommé en munitions ou perdu en artillerie et chevaux.
Comme on le voit, toutes les charges de la campagne devaient être supportées
par Condé et les huguenots, mais le Palatin, profitant de l'inexpérience du jeune
prince, avait en outre obtenu de lui d'autres concessions que M. le duc d'Aumale qualifie
non sans raison d'exorbitantes. En effet, par l'art. 5 de la capitulation, Condé
s'engageait à ne pas déposer les armes, à ne conclure aucun traité de paix, avant que
le duc Jean Casimir, fils du Palatin, eût été installé par le Roi comme gouverneur et
lieutenant général des villes de Metz, Toul et Verdun, citadelles et dépendances ; cette
concession était faite en reconnaissance, dit le traité, « des grans et indicibles services
« que ledict S"' Duc ha faict cy devant et faict encores à la couronne de France et des
« faveurs qu'il nous monstre par effect. » En réalité, le duc Jean Casimir devait
entrer en possession non seulement du titre, des émoluments et autres avantages de
gouverneur des trois villes, mais il obtenait en outre la jouissance pleine et libre du
temporel des trois évêchés, ces trois évêchés de iMetz, Toul et Verdun, que l'Empire
44 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
convoitait depuis longtemps (1). Cette grave concession, qui entraînait l'aliénation
d'une partie du domaine de la Couronne et du territoire national, était faite à des
conditions fort curieuses : Le Palatin devait prêter serment de « bien et loyalement
servir » le Roi en sa qualité de gouverneur de Metz, Toul et Verdun, comme les
gouverneurs des autres provinces de France. Il devait affecter les fruits du temporel
des trois évèchés à l'entretien de l'Eglise réformée et des Ministres. Il lui était
enjoint de ne mettre en garnison dans les trois villes et leurs citadelles que des
soldats et olficiers français du culte réformé, « lesquels, dit le traité, tant capitaines,
« officiers que soldats ayant tesmoignage, chacun de son Eglise, d'estre de la religion
«; réformée. »
D'autre part, il demeurait entendu qu'une fois la paix conclue, le Palatin jouirait
des émoluments et pensions d'un prince français de sa qualité «. telle qu'il aura
occasion de s'en contenter. » En attendant, Condé lui attribuait une pension de
6,000 écus par an sur les revenus des Eglises du Languedoc.
L'article 6 du traité stipulait qu'à la conclusion de la paix, Condé déposerait à
Metz ou à Strasbourg, au choix du Palatin, une somme de 200,000 écus soleil qui
devait former une sorte de fonds de réserve pour le cas où le Palatin devrait
reprendre les armes en faveur des réformés français ; le Palatin était autorisé à
prélever sur cette somme le montant des pensions qui lui étaient allouées.
Par l'article 7 et dernier, Condé s'engageait solennellement à ne pas « descendre
de cheval, » et à ne conclure ni accord, ni traité, avant d'avoir intégralement remboursé
au Palatin tout ce qui pouvait lui être dû soit du fait des guerres antérieures, soit du
fait de l'expédition qui allait être entreprise. C'était à coup sûr assumer une lourde
lâche, car il y avait un arriére considérable à solder : en premier lieu 100,000 flo-
rins que le Palatin et d'autres princes d'Allemagne avaient fournis pour le voyage
(1) Moyennant cette cession, le Palatin faisait l'abandon d'une somme de 95,000 florins
d'Allemagne due |iour le .secours (|u'il avait autrefois [)rêté au père de Condé et aux Eglises
n-lormées de France; l'obligation du |ircmier des Condcs avait clé reconnue et ratifiée depuis
par le Itoi de Navarre, l'Amiral Coligny et par Henri de Condé lui-même.
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 45
d'un certain colonel Bolzhausen ; puis, 50,000 écus que le Palatin prêtait pour
Condéà la reine d'Angleterre (1) ; enfin 200,000 florins d'une dette qui remontait à la
première campagne de France.
Certes, toutes ces clauses et conditions étaient bien dures pour Condé et ses
amis et elles auraient paru inacceptables à d'autres qu'à un jeune prince proscrit
qui sacrifiait tout au désir de rentrer en France les armes à la main. Comment un
prince français put-il se résoudre à signer une capitulation qui introduisait l'étranger
en France et qui livrait au Palatin trois villes importantes, Toul, Metz et Verdun ?
C'était là sans doute une dangereuse et criminelle concession; malheureusement, on
n'y regardait pas de si près au XVP siècle et les partis en présence, la Royauté elle-
même, ne se faisaient aucun scrupule de faire appel à l'étranger.
Au moment décisif où Condé allié au Palatin se disposait à franchir la frontière
de France, les Registres du Conseil de Genève fournissent de curieux détails sur la
situation et les agissements des huguenots réfugiés. Le 23 août, il est question de
nouveau de Gui de Laval, qui priait instamment le Conseil de lui prêter 1,500 écus.
Le Conseil décide d'abord de ne lui prêter que 1,000 écus, puis, sur les instances des
agents de Laval, il se ravise et prêle 1,200 écus. Le 9 septembre, Montmorency
de Thoré écrit de Strasbourg que « partant pour aller en France, il ne l'a voulu
« faire sans prendre congé de la Seigneurie, les remerciant de tant de bien et d'hon-
« neur qu'il en a receu, offrant luy faire service là oîi il aura moyen. »
Le Registre du 13 septembre nous met au courant des embarras pécuniaires dans
lesquels se trouvait Condé et qui le poussaient sans doute aux résolutions désespérées.
Le jeune prince avait emprunté à divers particuliers de Genève la somme de 10,000
écus ; il avait été obligé, non seulement de fournir des cautions, les S''' de Clervant
et de Vézines, mais il avait en outre laissé en garantie des bijoux évalués à 14,500
écus. Les créanciers, ne pouvant se mettre d'accord sur la personne qui resterait
(1) On ne comprend pas trop pourquoi le Palatin prèlail celte forte somme à la Reine
d'Angleterre pour Condé ; peut-être faut-il croire que le Palalin n'avait pas voulu consentir à
faire directement à Condé l'avance des frais de l'expédition et qu'au lieu de prêter au chef des
huguenots, il avait exigé la garantie de la Reine d'Angleterre.
46 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
dépositaire de ces bijoux, s'adressèrent au Conseil qui les fit déposer dans la
grotte de l'Hôtel de Ville.
Au même moment, le Palatin lui-même dépêchait à Genève son « féal et amé
« Pierre Beuttereich, docteur-ès-loix, à l'effect, disait-il, de traicter choses concer-
« nantes l'establissement de l'honneur et gloire de Dieu et l'augmentation de nostre
« Estât ». En réalité, il s'agissait très prosaïquement d'obtenir de la Seigneurie un
emprunt de 40,000 écus (1). Au premier abord, le Conseil se montra disposé à
accorder le prêt demandé « sur caution suffisante, à raisonnable interest de cinq pour
« cent, suivant les ordonnances du Si-Empire ». Mais on ne se pressa pas de prendre
une décision et le Palatin, qui comptait sur la somme, ne tarda pas à s'impatienter. Il
écrivit au Conseil pour lui rafraîchir la mémoire et le pria de lui « faire tenir promp-
« tement, par les mains du présent noslre commis et député, la somme demandée
« de dix mille escus ou (si commodité ne le porte aultrement) de huict ou pour le
« moins six mille escus pour nous servir, comme dict est. En ce faisant, ajoute-t-il,
« vous nous démonstrerez office de bons voisins, qui nous sera agréable, lequel non
« seulement par caution suffiçante, ains aussi par tous auUres devoirs et moiens
« lascherons de recognoistre en vostre endroict. »
La nouvelle démarche était pressante et il était difficile de refuser au plus influent
des princes protestants d'Allemagne le service qu'il demandait avec tant d'insistance,
mais que faire ? Le Conseil lui-même n'était guère en situation de prêter la somme ;
il décida dans sa séance du 20 octobre de s'excuser auprès de l'Ambassadeur en allé-
guant « la pauvreté de la ville et les charges ». Les S''^ Roset, Maillet et de la
Pale furent chargés de communiquer cette décision à l'agent du Palatin, mais Beutte-
reich se récria et laissa entendre qu'un pareil refus paraîtrait étrange : « Au moings,
« disait-il, si on ne pouvait faire tote la somme qu'on heust faict quelque peu, comme
« deux ou trois mille escus ou en tout cas mille escus.» Le Conseil, se rappelant qu'il
(1) Voy. ci-après les lettres du Palalin à « Messieurs les Sin(li(|ues et Conseil de h Cité de
Genève », la première datée de llcidelbcrji le IC septembre 1575, la seconde du 2 octobre de la même
année.
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 47
s'agissait de la cause commune et craignant sans doute d'indisposer le Palatin, se rési-
gna finalement à prêter 2,000 écus au 5% pour un, deux ou trois ans (1).
A vrai dire, on s'adressait alors au Conseil comme on l'eût fait à un banquier
ordinaire. Au même moment où le Conseil se décidait à prêter au Palatin, Henri de
Savoie, baron de Nemours, demandait à son tour à emprunter mille écus « pour
« s'emploiera la première occasion au service de Dieu et de son Eglise.» Le Conseil, qui
devait être fatigué et impatienté de ces incessantes demandes, refusa net, « parcequ'on
« n'a les moyens, dit le Registre. » Quelques semaines plus tard, le duc d'Alençon,
le propre frère du roi, s'adressait aussi, comme nous le verrons, au Conseil pour
emprunter 2,300 écus.
Entre temps tout se préparait pour l'entrée en campagne de Condé et des hugue-
nots. A la fin d'octobre, Condé écrivit à Genève demandant Th. de Bèze comme aumô-
nier de l'armée qui allait entrer en France, mais le Conseil fit la sourde oreille :
« Arresté qu'on s'en excuse, » dit le Registre. Les magistrats genevois avaient un
double motif pour refuser ; ils ne voulaient pas exposer aux fatigues et aux dangers
de la guerre un homme qui était devenu à Genève à peu près aussi indispensable que
l'avait été Calvin; puis, la présence de Th. de Bèze au quartier général de Condé était
de nature à compromettre gravement la République vis-à-vis de la Cour de France.
On refusa donc, mais le Réformateur, qui ne reculait jamais devant les résolutions
énergiques et qui faisait passer l'intérêt du protestantisme avant toute autre considé-
ration, se présenta en personne, le 1" novembre, au Conseil pour lui demander de
revenir sur sa décision. Le Prince, ayant des choses importantes à lui communiquer,
le priait instamment d'accompagner l'armée en France ou tout au moins de se rendre
auprès de lui ; Th. de Bèze avait pris l'avis de ses collègues qui l'avaient engagé à se
rendre à l'appel du Prince. Le Conseil, qui venait de refuser formellement quelques
(1) a Là dessus d'aullant qu'il s'agit de la cause commune el qu'on a cy devant présenté service et
« beaucoup d'offres à M. le Comte Palatin, arresté qu'on luy preste deux mille escus, et parcequ'on
« iuy a faict entendre qu'on ne se pouvoit obliger à Baslesans les Deux Gens, qu'on les prenne vers les
«. particuliers, commettant les mêmes S"^^ pour luy faire la responce et faire passer l'obligation pour
« ung, deux ou trois ans, et à censé de cinq pour cens ».
48 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
jours auparavant, se laissa fléchir et autorisa Th. de Bèze à s'absenter pendant trois
semaines ou un mois au plus; il fit mieux, il lui donna, pour l'accompagner, une
sorte de héraut ou d'huissier.
CHAPITRE V
Le duc d'Alençon se joint aux mécontents, — 8a Protestation, — Il envoie un émissaire à Genève pour
négocier un emprunt. — Le Conseil tente les premières démarches pour obtenir que Genève soit comprise
dans l'alliance de la France avec les cantons suisses.
Tandis que Condé se disposait à rentrer en France avec l'aide du Palatin, de
graves dissentiments déchiraient la maison de France et la Cour. Le duc d'Alençon
n'avait jamais aimé son frère, qui le traitait fort mal. Apprenant les préparatifs qui se
faisaient à la frontière, il jeta le masque, prit la fuite dans la nuit du 15 septembre
et se réfugia à Dreux, ville de son apanage, où il fut rejoint peu de jours après par le
roi de Navarre. De Dreux il lança une protestation qui était un véritable appel à la
guerre civile. Il déclarait toutefois dans ce manifeste qu'il n'avait nulle intention
d'entreprendre sur l'autorité du Roi, « laquelle, disait-il, nous désirons conserver et
« accroistre de tout noslre pouvoir, mais seulement nous employer de toutes nos
« forces voire jusques à n'espargner nostre vie et biens pour déchasser les perturba-
c teurs du repos public, poursuyvre la iustice de tant de pilleries, larrecins, homicides
« et massacres inhumains et contre tout droit commis et perpétrés au vu et seu d'un
« chacun (1). » Ainsi le duc d'Alençon, comme Condé, s'attaquait, non au Roi, mais
aux étrangers qui gouvernaient et exploitaient la France, à l'ombre de l'autorité
royale. Pour rétablir l'ordre et le règne des lois, il réclamait la convocation d'une
assemblée générale et libre des trois Etats du royaume « convoquée en lieu seur et
« libre et de laquelle tous estrangers soient exclus » ; en môme emps il déclarait
prendre sous sa protection et sauvegarde les Français des deux religions et garantis-
(1) Voir le toxle de cette Protestation dans La Popelinière, «La vraye cl entitVe histoire des troubles
cl choses inéiiiorables advenues tant en France qu'en Flandres et pays circonvoisins depuis l'an mil
cinq cens soixante et deux, à liasle, pour Barthélémy Germain, l.'ÏTO, lo. II, p. 158.»
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 49
sait aux uns et aux autres le libre exercice de leur culte jusqu'à ce que « par les
« Eslats généraux et assemblée d'un saint et libre concile, il soit pourveu sur le fait
a de la religion. »
La Protestation du duc d'Alençon, très habilement rédigée, était de nature à
faire impression sur l'esprit de tous les mécontents, qu'ils fussent catholiques ou
protestants ; la Popelinière, qui est du parti huguenot, ne peut dissimuler son
admiration pour « ce prince d'un naturel généreux, ouvert et vrayement François et
« incompatible avec ceux qui ne prennent plaisir qu'à tyrannie, ruine et désolation ».
Il s'en faut que ces éloges fussent mérités; si le duc d'Alençon se trouvait amené par
les circonstances à prendre le parti des opprimés contre les persécuteurs et à défendre
une cause juste, il n'en était pas moins le digne fds de Catherine de 3Iédicis parla duplicité
de son caractère et le machiavélisme de ses moyens. En même temps que de son plein
gré il se plaçait à la tête des huguenots, il envoyait, suivant de Thou, assurer le Pape
qu'il n'entendait nullement embrasser la cause des prétendus réformés, mais seulement
se servir d'eux pour rétablir la paix et l'ordre dans l'Etal (1).
La Protestation du duc d'Alençon fut tout d'abord envoyée au magistrat de Genève
par le prince de Condé avec une lettre datée de Strasbourg le 20 octobre 1575, dans
laquelle le Prince recommandait à la sollicitude de la Seigneurie la famille de son
médecin particulier. Mais, quelques semaines après, un agent du duc d'Alençon
arriva à Genève et demanda audience au Conseil pour lui remettre à la fois
la Protestation (2) et une lettre autographe. Dans quel but le duc d'Alençon envoyait-
il ainsi à Genève son homme de confiance, le vidame de Chartres, Beauvoir-la-Nocle ?
(1) De Thou, 10. UI, 1. LXI, p. 427 — H. Martin, Histoire de France, lo. X, p. 492.
(2) La Protestation du duc d'Alençon fut imprimée à Genève au mois de décembre par les soins du
jurisconsulte dauphinois Genlillel. Le Conseil autorisa l'impression, mais sous condition que ni le lieu
d'impression ni le nom de l'imprimeur ne seraient indiqués. On lit à ce sujet dans le Registre du Conseil
à la date du 27 décembre : « Gentillet ayant représenté la déclaration de la protestation de M. le duc
« d'Alençon, et icelle ayant esté veue par M. de Béze, arreslé qu'on permet de la faire imprimer sans
« mettre le lieu de l'impression ny de l'imprimeur. » Plus tard, le IC février 157C, un autre iu)primeur,
du nom de Campenon, présenta requête au Conseil pour être autorisé à imprimer <t une lettre qu'on
attribue au duc d'Alençon escrile aux Parisiens. « Cette lettre était, selon toute apparence, un écrit
apocryphe, et le Conseil refusa i'autori.saiion demandée.
50 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
C'était dans le même but que le Palatin y avait envoyé le docteur Beutterich. Le
duc d'Alençon, comme le Palatin, comme Condé et ses amis, avait besoin d'argent et
Genève semblait plus que jamais destinée à jouer le rôle assez ingrat de banquier des
mécontents ou des révoltés.
La Nocle arriva à Genève le 8 novembre, et le lendemain le Conseil était nanti
de la missive du duc d'Alençon, datée du camp de Pontlevoy, le 24 octobre :
« Messieurs mes bons amys, écrivait-il, la longue expérience que ce royaume a
lousiours eu par le passé de vos sincères et bien affectionnées volontés au bien et repos
d'icelluy et l'asseurance qui m'en a aussi esté donnée par les S" de Beauvais-la-Nocle,
son frère, et Davanligny, gentilhommes d'honneur et de vertu, me fait croire et tenir
asseuré qu'elles ne sont en rien diminuées, mais bien plustost acreue et augmentée par
les justes et très équitables moiens et occasions qui se présentent maintenant aquelle
je vous prie affectueusement de vouloir continuer de bien en mieux, non seulement
de vos bons advis et très sages conseils, mais aussi de tous autres moiens et commodités
que Dieu vous a donnés, ainsi que le dict S"" de la Nocle le vous dira de ma part
et de la suffisance duquel ne vous en feray plus long discours ; je vous envoyé la
déclaration que j'ai fête sur ma retraitte d'auprès du Roy, Monseigneur et frère, par
laquelle pourres plus amplement juger et cognoistre l'équité de ma cause, la protec-
tion de laquelle je me tiens asseuré qu'aurès en telle recommandation que la grandeur
du fait le mérite.
« Priant Dieu, Messieurs mes bons Amys, vous avoir en sa très saincle et digne
garde.
« Escrit au camp de Pontlevoy le XXIIII jour d'octobre 1575.
« Vostre entièrement bon amy.
« Françoys (1). »
(I) Arcli. (le Genève. Portefhht., N" 1970.
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 51
La lettre du duc d'Alençon était des plus courtoises et le frère du Roi de France
faisait aux Syndics et Conseil de Genève l'honneur de les traiter sur un pied de
familiarité qui était assurément des plus flatteurs; malheureusement la conclusion de
ces belles phrases, c'était une demande d'argent. Beauvoir exposa au Conseil que le
duc venait de s'allier aux huguenots, que son principal appui était « de ceulx de la
€ Religion ■», et il conclut en priant les magistrats de Genève de prêter au duc 2,300
écus pour qu'il pût faire un voyage auprès de Messieurs des Ligues et des Princes
d'Allemagne. Le Conseil reconnut que la question méritait examen et il décida de
prendre vingt-quatre heures de réflexion : « a esté arresté, dit le Registre, d'aultant
« que ceste matière est importante, qu'on y pense entre cy et demain. »
Le Conseil reprit le 10 novembre la délibération commencée la veille. Le duc
d'Alençon offrait par l'intermédiaire de Beauvoir, en échange d'un prêt de 2,300 écus,
la garantie de ses biens et domaines et de ceux de son trésorier ; il s'engageait en
outre à rembourser la somme au mois de mars de l'année suivante. L'agent d'Alençon
fil habilement ressortir tous les avantages qu'il pouvait y avoir pour Genève à se conci-
lier l'amitié et les bonnes grâces du frère du roi de France ; il insista notamment sur
le fait que, si un traité venait à se conclure, le duc d'Alençon aurait assez de crédit
pour y faire comprendre Genève.
Après mûre délibération, le Conseil reconnulqu'il serait souverainement impolitique
d'indisposer par un refus un prince du sang royal et il se résigna à faire un sacrifice ;
il restait toutefois à déterminer le chiffre : 2,300 écus, c'était pour l'époque une assez
grosse somme et les finances genevoises subissaient de part et d'autre de rudes assauts.
Le Conseil décida donc de réduire à 1,200 écus le montant du prêt : «Arresté, dit le
« Registre, eu esgard des petis moyens de ceste République, qu'on le prie (Beauvoir)
« de se contenter de douze cens escus et au reste, suyvant ses offres, qu'on
« le prie de faire envers Son Excellence que Genève soit comprise en la paix de France
« comme Messieurs des Ligues. »
La réponse du Conseil fut aussitôt communiquée à Beauvoir-la-Nocle qui s'en
montra médiocrement satisfait. L'agent du duc d'Alençon voulait la somme entière et
52 GEiNÈVE, LE PARTI HUGUENOT
il fit valoir que « Son Excellence estoit fort affectionée à ceste ville et qu'elle s'esloit
a confiée qu'on ne luy refuseroit pas cesle somme qu'il dict eslre petite, estant la
a première demande qu'il leur a faicte, estimant que ce sera ung grand bien pour
ceste ville à l'advenir. » En habile diplomate, Beauvoir ajouta, pour se faire bien venir,
que Monsieur, frère du Roi, avait pleine confiance dans les magistrats de la République
et qu'il lui avait donné « commission expresse •» de prendre l'avis du Conseil, avant
d'entrer en négociation avec les Ligues, le Palatin ou l'Empereur. On ne pouvait
flatter d'une manière plus délicate les magistrats d'une humble République qui ne
devait avoir d'autres visées que de conserver son indépendance. Beauvoir concluait en
laissant entendre que, s'il ne pouvait obtenir la somme entière, son voyage serait retardé
et que Son Excellence pourrait en ressentir quelque mécontentement.
Michel Roset, l'un des seuls véritables hommes d'Etat que Genève ait produits, avait
saisi d'emblée tout le parti que Genève pourrait tirer des bonnes grâces du duc d'Alençon;
il caressait l'idée de neutraliser le danger permanent que courait Genève, en opposant la
France à la Savoie. Avant de faire aucune promesse relative au prêt des 2,300 écus, il
demanda à Beauvoir s'il serait possible d'obtenir que Genève fût comprise dans l'al-
liance de la France comme Messieurs des Ligues et que les marchands de Genève
fussent exemptés des nouveaux impôts comme ceux des cantons suisses. Beau-
voir affirma que Genève obtiendrait sans difficulté ces avantages et qu'il se trouverait
aisément une trentaine de « bons gentilhommes» pour en faire la demande.
Le 11 novembre, Roset rendit compte de sa mission ; le Conseil comprit qu'en face
de l'insistance de Beauvoir, il était urgent de céder; il s'agissait avant tout de gagner
la faveur du duc d'Alençon et ce n'était pas la payer trop cher que d'avancer la somme
totale de 2,300 écus.Le Conseil n'en prit pas moins ses précautions; il fut stipulé que
l'engagement serait contracté au nom du duc d'Alençon, de son trésorier particulier,
et de Beauvoir-la-Nocle. Comme le chamjeur ou banquier de la Seigneurie n'avait pas
sous la main les 2,300 écus demandés, on emprunta la somme à un S"' Durand qui
l'offrait pour un an au taux des Edits; en même temps le syndic Bernard et les con-
seillers Roset, Chenelat et Varro, furent chargés de régulariser l'opération à laquelle le
Conseil venait de consentir et ils reçurent le mandat de négocier avec Beauvoir en vue
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 53
du traité. Il fut convenu que Beauvoir écrirait aussitôt au duc d'Alençon pour le prier
de faire comprendre Genève dans le traité de paix qui unissait la France et les Ligues
suisses. Il y a lieu de remarquer qu'à ce moment le duc d'Alençon était en pleine
révolte contre le Roi son frère et que son appui ne pouvait être pour le moment d'une
grande utilité.
Sur ces entrefaites, Th. de Bèze, qui avait été appelé à Strasbourg par Condé, écrivit
au Conseil à la fin de novembre pour s'excuser de prolonger son absence ; la vieille
expérience du Réformateur, l'autorité dont il jouissait, rendaient sa présence fort utile
au quartier-général de Condé. Th. de Bèze ne revint à Genève que vers le milieu de
décembre, apportant des lettres et des documents de la plus haute importance. Il se
présenta au Conseil et lui remit le 20 décembre des lettres du Palatin qui annonçaient
qu'il avait « chargé ledict S^ de Bèze de dire et délivrer à Messieurs quelque chose
« de sa part, s'asseurans de la fidélité et preudhomie d'iceulx et de luy, présentant au
« reste à Messieurs sa bonne affection en tout et partout. y> Bèze avait en effet reçu la
mission de remettre aux Syndics et Conseil de Genève un des exemplaires originaux
du traité qui venait d'être conclu entre l'Electeur palatin, le duc Casimir, son fils, et
le prince de Condé, traité et capitulation « advouées aussy par M. le duc d'Alençon »; cet
exemplaire devait être rendu à Condé, quand ce dernier en ferait la demande ; le
Conseil décida séance tenante de placer ce précieux document dans l'endroit le plus
sûr de l'Hôtel de Ville, « en la crotte en l'arche des sept clefs (1)».
Bèze apportait au Conseil, avec les « recommandations et offres » du Palatin et
de Condé, la nouvelle de l'entrée des Princes en France avec une armée qui, suivant
le Registre, comptait 8,500 reîtres, trois cornettes de volontaires, quelques enseignes
de lansquenets et quelques Wallons, outre les Suisses. Au moment de partir, Condé
écrivit au Conseil pour le remercier de lui avoir envoyé Th. de Bèze et de lui avoir
prêté, par l'intermédiaire du S'' de la Fin, une somme de 250 écus, garantie par le
(1) L'exemplaire (lu irailé ne fui jamais réclamé par Condé et il n'a jamais quitté dès lors l'Hôtel
de Ville de Genève (Archives, Portef. hist., N" 1968). Un autre exemplaire que M. le ducd'Aumale
considère comme l'orii^inal existe à la Bibliothèque nationale, à Paris (Colbert, V. 399) ; voy. Histoire
des Princes de Condé, par M. le duc d'Aumale.
54 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
dépôt de ses bijoux (1). A ce moment, Condé, Montmorency de Thoré et d'autres
gentilshommes huguenots étaient plus gênés que jamais et la guerre ne mil pas un
terme à leurs embarras d'argent ; les dettes qu'ils contractèrent à Genève ne furent
acquittées que bien des années après.
Le Conseil de Genève avait compris le parti avantageux qu'il pouvait tirer de ses
relations avec le duc d'Alençon ; il voulait arriver à garantir du côté de la France
l'indépendance de Genève en obtenant que la République fût comprise dans le traité
d'alliance entre la France et les cantons suisses. La tentative était hardie, car Genève
et ses magistrats n'étaient guère en faveur auprès de Henri III et de sa Cour, mais le
Conseil comptait, pour atteindre son but, sur l'appui du duc d'Alençon et de son
entourage. En effet, Beauvoir-la-Nocle, l'agent d'Alençon, se montra des mieux disposés
à faciliter les démarches et il rédigea en faveur de Genève un mémoire qui devait être
remis au duc par un S"' du Resay, mais, ce dernier n'ayant pu se mettre en route, il
fallut attendre.
Une nouvelle occasion ne tarda pas à se présenter ; à la fin du mois de janvier
1576, le Conseil apprit qu'un personnage qui pouvait inspirer toute confiance se ren-
dait auprès d'Alençon ; il lui fit remettre des dépêches chiffrées pour Montmorency
de Thoré et Beauvoir, en vue de l'alliance. Quelques semaines après, Th. de Bèze fut
(I) a Ledict S' Prince escripl du VllI de ce moys qu'il remercie Messieurs de ce qu'ils ont acordé
« ledici S' de Bèze, proineilanL se reseniir lousiours de tant de biens faicls, entre lesquels il ne veull
« oublier le presl faicl au S'' de la Fin de 250 écus, lesijuels il assigne sur les bagues qu'il a engagées
« en ceste ville, lesquelles recouvrant conime il espère, de brief, Messieurs seront récompensés du prin-
« cipal et intérêts. Arresté qu'on mette ladicte lettre avec lesdictes bagues pour en recevoir le paiement
n (piand on les retirera. » (Séance du 20 déc.)
Le 12 janvier 1576, il fut de nouveau question de ces bijoux de Condé et de Thoré ; de nouveaux
Syndics venaient d'être élus et les Syndics sortant de charge demandaient à être relevés de toute res-
ponsabilité: a Bagues de M. le Prince de Condé et S' de Thoré. Messieurs les anciens Syndiques ont
a icy faict aporter le cofre où sont lesdictes bagues dépositées entre les mains de la Seigneurie pour
« asseurance des créanciers de ceste ville, et lc(iuel on avoil lors dict (|u'on dlieust mettre la bas en la
« crotte en l'arche des sept clefs, où n'ayant peu entrer on la laisse despuis, sans que persone y ayt esté
« dès lors, ayans les clefs esté tousiours à la Chambre, comme ont attesté les Seigneurs et les clefs
« dudict colfret entre mains des deux parties, a esté arresté qu'on le porte à la crotte de Sl-Pierre, de
« laquelle Messieurs les Syndiques ayent les clefs et ainsy en tient-on pour déchargés les anciens
« S" Syndiques. »
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 55
informé qu'on pressait fort la paix en France et le Conseil comprit qu'il n'y avait pas
de temps à perdre ; il chargea le S' Du Resay, qui avait obtenu un sauf-conduit, de
soutenir à la Cour les intérêts de la République et lui fil remettre des instructions
détaillées qui avaient été préparées par Michel Roset (1). Mais le 20 mars, le S'' du
Resay, que le Registre appelle aussi Florent Renard, n'était pas encore parti et pour
cause ; il lui manquait un cheval et le Conseil se vit forcé de lui en acheter un pour
qu'il pût se mettre en route (2).
Du Resay rejoignit en France un autre gentilhomme protestant, De la Fin (3),
et tous deux se mirent en campagne pour obtenir que Genève fût comprise dans
l'alliance ; ils s'en ouvrirent au duc d'Alençon qui, se souvenant du service récemment
rendu par Genève, s-e montra des mieux disposés. Ils écrivirent donc à la Seigneurie
qu'ils espéraient obtenir ce que Genève demandait; ils prévinrent en même temps
le Conseil qu'il pouvait se faire rembourser la somme prêtée au duc d'Alençon et
qu'il serait bon de la « faire recouvrer, attendu que c'est le proufit du trésorier tant
« seulement (4). » La somme fut remboursée, mais quelques mois après, le duc
d'Alençon s'adiessait de nouveau à Genève pour obtenir de l'argent.
CHAPITRE VI
La Campagne de 1576. — Paix d'Etigny. — L'Edit de pacification.
Tandis que le Conseil cherchait à obtenir l'entrée de Genève dans l'alliance
(1) Dans la même séance où furent arrêiées ces instruclions, le Conseil prit une décision relaiive
aux 2,300 écus qui avaient été prêtés au duc d'Alençon : a D'autant qu'on entend que la partie de deux
<s mille trois cens escus qui fui dernièrement prestée au S' de la Nocle pour troys moys a esté rembour-
« sée par MonsMe duc d'Alençon, tellement que de la laisser entre les mains du tlirésorier, on ne faicl
« point de plaisir audicl S' Duc, arresté qu'on essaye de la retirer par le moyen de Jaques Mesiée ou
« autres traffiquansà Paris. »
(2) Séance du 20 mars : Florent Benard, S' du Resay.
(3) Jean de la Fin de Beauvoir, beau-frère de Jean de Ferrières et seigneur de Maligny, gentil-
tiomme protestant de l'Auxerrois.
(4) Séance du 17 avril : « Arresté qu'on y advise et qu'on sollicite ceux qui ont charge, combien
« qu'il a esté raporlé qu'on les en a adverlys. » Le recouvrement de la sonune prêtée au duc d'Alençon
fut confié à un négociant du nom de Mesiée.
56 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
française, les événements avaient marché et la situation du parti huguenot avait
absolument changé.
Condé et Jean Casimir, fils du Palatin, entrèrent en France par la Lorraine au
commencement de janvier 1576; leur armée, qu'on évalue à dix-huit mille hommes,
se composait d'Allemands, de Suisses, et d'environ deux mille réfugiés français. Ils
passèrent près de Langres et de Dijon, s'emparèrent de la petite ville de Nuits qui
avait attendu le canon pour capituler, et gagnèrent à travers le Nivernais la ville de
la Charité, près de laquelle ils traversèrent la Loire (1). De là ils pénétrèrent dans le
Bourbonnais et se dirigèrent vers l'Auvergne qu'ils rançonnèrent. Le duc de Mayenne,
qui commandait l'armée royale, fit preuve d'une incroyable inertie, il côtoyait l'armée
de Condé, sans lui offrir le combat, et il n'essaya même pas d'empêcher la jonction
de Condé avec les troupes du duc d'Alençon et du roi de Navarre. L'armée royale
était si mal commandée et si mal payée qu'elle se livrait à toute sorte de déprédations,
à tel point qu'elle était plus redoutée des paysans que les reîtres de Jean Casimir :
« Par ainsi, dit Cl. Haton (2), ce pays de France était mangé de toutes parts. Mais
«. avoit le camp dudit sieur duc du Maine la renommée de faire plus de domage,
« de ravissements, rançonnements et tous aultres maux que celui desdils reîtres,
« mettant le feu en aulcuns lieux. »
La situation de la Cour était donc des plus critiques et Catherine de Médicis, en
femme clairvoyante et avisée, comprit qu'il fallait traiter à tout prix ; Henri III la
laissa faire ; elle se rendit au quartier général de Condé, à Etigny (3), avec le
maréchal de Montmorency, le cardinal de Bourbon et l'essaim de jeunes dames d'honneur
qui lui servait, en telles circonstances, à faciliter les négociations. Dans les derniers
jours d'avril, la paix fut conclue; c'était, dit Henri Martin, la cinquième depuis
treize ans.
(1) Consulter sur celle campagne de \T>7G l'inléressanl ouvrage de M. A. Challe : Histoire des
guerres du caivinisino et de la Ligue dans l'Auxerrois, le Sénonais, etc. (Auxerre. 1803, to. I, p. 528
et suiv.)
(2) Mémoires de Cl. Haton, p. 827.
(3) Etigny, coiiiiiiiiin' du caiilon de Sens, à 8 kil. de celte ville.
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 57
« A l'instant et tout incontinent après cet accord signé et arrêté, dit un témoin
« oculaire (1), douze trompettes, dont six françaises et six allemandes, avec les
8 tambours de cuivre qu'on bat ordinairement à cheval devant le duc Casimir, en
a signe de paix et de joie, commencèrent à sonner dans la cour du château d'Etigny ;
« trois héraux du Roy, qui estoient tout prêts avec leurs grandes cottes d'armes
« semées de fleurs de lis, se présentèrent aussi à cheval au raiheu de chefs,
« gentilshommes, capitaines, et même d'une grande partie de l'armée là assemblée,
(c Puis, l'un des héraux, pour faire silence, ayant crié par trois fois : Oyez, de par le
« Roij, notre souverain seigneur et maisire ! ung aullre d'entre eulx lut à haulte voix
8 un billet contenant la formule de l'édit sur ce expressément faict et qui fut publié
« par tout le royaume. »
Aussitôt le traité signé, la reine-mère revint à Sens où elle voulut faire chanter
un Te Deum dans la cathédrale, mais le clergé était fort mécontent, et pour cause,
des concessions faites aux huguenots, et le préchanlre de la cathédrale s'opposa
nettement au Te Demi, disant : quia plenam victoriam non habcrnus (parce que nous
n'avons pas remporté une pleine victoire). Néanmoins le Te Deum fut chanté le
lendemain par les chantres du roi, mais en l'absence des chanoines, chapelains et
chantres de l'église, qui ne voulurent pas s'y trouver. L'avenir réservait au clergé une
surprise bien autrement désagréable : trois ans plus tard, Henri III ratifia le traité de
Soleure qui plaçait Genève, la capitale de la Réforme, sous la protection de la France,
de Berne et de Soleure!
Le traité d'Etigny terminait la guerre. Les reîtres du Palatin traversèrent la forêt
d'Othe et remontèrent, en s'éloignant, les vallées du Serein et de l'Armançon, qui
furent livrées au pillage. Le duc d'Alençon fil ses adieux, le 7 juillet, à l'isle-sous-
Monlréal, au duc Jean-Casimir, que le prince de Condé accompagna jusqu'à la fron-
tière de Lorraine ; quant aux reîtres, ils restèrent cantonnés dans ces parages jusqu'au
parfait paiement de leur solde, qui n'eut lieu qu'au mois de septembre.
(1) Recueil des choses jour par jour avenues dans l'armée conduite d'Allemagne en France par
M. le Prince de Condé, p. 107.
58 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
Les conditions de la paix équivalaient pour Henri III à la plus humiliante défaite ;
jamais la royauté ne subit plus complètement la loi du vainqueur qu'en cette occasion ;
c'était une tardive, mais juste revanche de la sanglante journée de la Saint-Barthélémy.
Les massacres, les confiscations, la proscription, loin d'anéantir le parti huguenot,
lui avaient laissé toute sa vitalité et avaient en quelque sorte relevé son opiniâtre et
sombre énergie ; il avait suffi de quatre ans pour intervertir les rôles et les situations,
et pour fournir aux huguenots l'occasion d'imposer la loi à leurs persécuteurs. Rien
ne démontre mieux qu'en matière de croyance, la force brutale est impuissante et
qu'elle détermine d'inévitables réactions. En réalité, ce ne sont ni les massacres, ni les
proscriptions qui anéantirent les huguenots comme parti politique, c'est l'Edit de
Nantes, c'est-à-dire la tolérance.
L'Edit du Roi sur la pacification des troubles du royaume fut publié à'Paris, en
séance du Parlement, le 14 mai 1576 ; une analyse sommaire de cet important docu-
ment permettra d'apprécier toute l'étendue des concessions auxquelles Henri III et
Catherine de Médicis durent se résigner (1).
En premier lieu, une déclaration générale du Roi prescrivait l'oubli «de toutes
« choses passées d'une part et d'autre dès et depuis les troubles » et défendait à tous
ses sujets, de quelque état et qualité qu'ils fussent, de renouveler la mémoire des
luttes antérieures, de s'attaquer, de s'injurier ou de se provoquer par reproche de ce
qui était passé. L'art. 4 consacrait sous la forme la plus large le principe de la
tolérance religieuse, en admettant Vexercice libre, public et général, du culte réformé,
sans restriction de temps ni de personnes ; il n'y avait d'exception que pour Paris,
ses faubourgs et sa banlieue à deux lieues à la ronde. Partout ailleurs les réformés
avaient le droit de bâtir des temples, de faire « presches, prières, chants de Psalmes,
« administration du Baptesme et de la Gène, publication et célébration de mariages,
« escholes et leçons publiques, correction selon ladicte Religion, et toutes autres
(( choses appartenans au libre et entier exercice d'icelle. » Comme on le voit, c'était
(1) Voy. : « Edicl du Roy sur la pacidcalion des troubles de ce Royaume, leu et publié ledlcl
« Seigneur .séant en son Parlemenl, le XIIII lourde May 1576, à Paris, par Ped. More!, imprimeur
« du Roy, l.'STG. »
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 59
la liberté du culle dans l'acceptation la plus complète du mot, puisque la liberté d'en-
seignement, le droit de tenir école et leçons publiques, y était même compris. L'Edit
reconnaissait la légalité des Consistoires et des Synodes provinciaux et généraux, à la
seule condition que les officiers de la couronne y assisteraient.
L'art. 9, l'un des plus curieux de l'Edit, reconnaissait comme valides les mariages
des prêtres et personnes religieuses contractés pendant les troubles, mais il privait en
partie du droit d'héritage les enfants issus de ces unions : « Déclarons néanmoins, ajoute
« l'Edit, que les enfants issus desdils mariages pourront succéder seulement aux meu-
« blés, acquests et conquests immeubles de leurs pères et mères ; ne voulans que
« lesdits Religieux et Religieuses proies puissent venir à aucune succession directe
ce ni collatérale. »
Les articles 11 et 17 consacraient expressément l'égalité politique de tous les
Français, catholiques et réformés. L'Edit prescrivait de ne faire aucune distinction,
pour le regard de la Religion, quant à l'admission dans les Universités, les collèges,
écoles, hôpitaux et maladeries, etc. Pareillement l'Edit déclarait les réformés et les
catholiques unis capables de « tenir et exercer tous estats, dignités, offices et charges
« quelconques, royales, seigneuriales, ou des villes de nos dicts Royaume, pais, terres
et seigneuries ».
C'était là sans contredit de très larges concessions, les plus larges qu'il fût possi-
ble d'obtenir, si on tient compte de l'état des esprits et du caractère intolérant des
institutions de l'époque. Mais les articles de l'Edit ne constituaient pas par eux-mêmes
une garantie suffisante contre le retour des persécutions et des abus ; il importait que
la Royauté donnât aux protestants, par des actes formels et par des garanties efficaces,
la mesure de sa bonne foi. Sous ce rapport, l'Edit de 1576 donnait des gages impor-
tants : les articles 18 et suivants instituaient des Parlements mi-pariie protestants et
catholiques, à Paris, Montpellier, Grenoble, Bordeaux, Aix, Dijon, Rouen et en Bre-
tagne. Le roi de Navarre, le prince de Condé, le maréchal de Damville et tous les
autres seigneurs, gentilshommes ou roturiers, qui avaient été poursuivis pendant les
troubles, étaient réintégrés dans leurs gouvernements, charges, états et offices royaux.
60 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
tels qu'ils en jouissaient avant la St-Barthélemy. A l'art. 32 le Roi déclarait hypocrite-
ment que « les désordres et excès faicts le 24 d'aoust et jours suivans en conséquence
« dudit jour, à Paris et en aultres villes et endroits de son Royaume étaient advenus
« à son très grand regret et déplaisir. » Tous les arrêts et jugements rendus pour
cause de religion contre des réformés étaient cassés et annulés : les plus illustres
victimes des troubles, Coligny, Montgommery, Montbrun, Briquemault, et Cava^nes,
étaient nominativement réhabilités.
L'Edit ne se bornait pas à cette tardive et juste réparation ; le Roi s'infligeait à
lui-même une cruelle humiliation el déclarait à la face du peuple français, qu'il répu-
tait et tenait son «très cher et très amé frère le duc d'Alençon pour son bon frère,
« son très cher et très amé beau-frère le roi de Navarre pour son beau-frère et bon
« parent et son très cher et bien amé cousin le prince de Condé pour son parent,
« fidèle subiect et serviteur. » Par une amère dérision, le Palatin et le duc Jean-Casimir
son fils, qui avait envahi le territoire français étaient aussi reconnus « bons parents,
« voisins et amis ». Enfin, pour accentuer encore son repentir et l'humiliation de sa
défaite, le roi déclarait que « la levée et sortie des Suysses mesmes des comtés de
« Neufchaslel el Vallangin, et autres des cantons, quels qu'ils soient, n'avoit esté faicte
« que pour son service. » Bizarre situation que celle d'un Prince qui se résigne à dire
que des troupes levées contre lui ont été enrôlées pour son service !
Henri III s'engageait en outre à convoquer dans le délai de six mois les Etats-
Généraux, qui devaient être tenus à Blois, selon les bonnes, anciennes et louables
coutumes du Royaume.
Enfin, pour prévenir toute trahison et pour ne pas se livrer sans garanties, les
huguenots et leurs alliés les Catholiques unis se firent «bailler en garde» huit villes
et places fortes : Aiguemortes et Beaucaire en Languedoc; Périgueux et le Mas de
Verdun en Guyenne; Nyons et Serre en Dauphinô ; Issoire en Auvergne et Seyne la
Grand-Tour en Provence.
Tel est, esquissé et résumé à grands traits, l'Edit de pacification, autrement dit
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 61
la Paix de Monsieur, qui porte la date du 14 mai i576 et qui fut solennellement
publié et enregistré à Paris (1).
CHAPITRE VII
Premières démarches pour obtenir l'entrée de Genève dans l'alliance entre la France et les Cantons suisses. —
Le duc d'Alençon demande à emprunter 3,000 écus. — Refus du Conseil. — Le duc d'Alençon mécontent
néglige l'affaire du traité.
La paix de Monsieur, en relevant la situation des huguenots, eut pour Genève
d'heureuses conséquences. Deux gentilshommes, qui avaient l'oreille du duc d'Alençon,
les Seigneurs de Beauvoir et De la Fin, se firent auprès de lui les avocats de Genève ;
les délégués des Eglises réformées du royaume se joignirent à eux pour demander que
Genève, la métropole du calvinisme, fût comprise dans le traité de la Couronne de
France avec les Ligues suisses. La proposition paraît avoir été accueillie sans trop de
surprise ; on objecta toutefois que Messieurs de Genève n'avaient fait aucune démarche
positive et directe. M. du Rezay, qui se montra toujours dévoué aux intérêts de
Genève, écrivit aussitôt au conseiller Bernard en recommandant qu'on fît une prompte
démarche par l'intermédiaire de l'Ambassade de France en Suisse ou qu'on envoyât
des députés à la Cour.
Ici se dressait un obstacle. Le traité de combourgeoisie interdisait à Genève
d'entrer en alliance ou même de nouer des relations avec un prince étranger sans le
consentement de Messieurs de Berne. Il fallait donc obtenir ce consentement. Le
Conseil écrivit au Gouvernement bernois pour le prévenir de son intention de
participer à l'alliance française et pour le prier de lui prêter son appui ; on avisa en
même temps l'Ambassadeur de France, Bellièvre (2), et le Syndic Bernard fut chargé
(1) Il fut imprimé à peu près en même temps à Genève qu'en France, comme l'indique l'extrait
suivant du Registre du 28 mai : « Paix de France, Jean Gorniée a requis luy permettre de pouvoir
« faire imprimer les articles de la paix sus ceulx qui ont estes aportés imprimés de Lyon où ils furent
« publiés, a esté arresté qu'on luy acorde. »
(2) Jean de Bellièvre, seigneur de Hautefort, avait succédé en 1575, comme Ambassadeur en
Suisse, à son frère Pomponne de Bellièvre, qui avait suivi le duc d'Anjou en Pologne.
62 GENÈVE, LE PArxTI HUGUENOT
d'écrire confidentielleuient à du Rezay pour le prier de continuer ses bons offices
auprès du duc d'Alençon.
Ces diverses démarches aboutirent ; quelques jours après, Bellièvre répondit qu'il
se rendait à Berne pour conférer du (railé avec les principaux membres du Conseil.
En même temps M. de Mûlinen écrivait au premier Syndic que l'occasion était
excellente et qu'il s'emploierait volontiers au succès de l'entreprise. De son côté,
du Rezay mandait à Rosel et à Bernard qu'il avait été question de Genève dans
une récente conférence à laquelle assistaient la Reine-Mère et le duc d'Alençon avec
d'autres princes et seigneurs ; que, dans cette réunion, tout le monde avait approuvé
l'idée de faire entrer à Genève dans l'alliance perpétuelle de la France avec Messieurs
des Ligues, el qu'il avait été résolu de confier à Bellièvre de Hauteforl, Ambassadeur
aux Ligues, le soin de mener à bonne fin cette négociation. Du Rezay, qui n'avait
pas reçu la derrière lettre du Conseil, ajoutait toutefois qu'il avait fait différer toute
dépêche de l'Ambassade de France jusqu'au moment où il aurait reçu les instructions
précises de Genève. Le Conseil répondit aussitôt à du Rezay en le mettant au courant
de ce qui avait été fait et il saisit l'occasion de recommander les intérêts de Genève
au duc d'Alençon, à Messieurs de Limoges et de Bellièvre ; il chargea en même temps
Beauvoir-la-Nocle et De la Fin de se porter garants de la Seigneurie auprès du Roi.
Les amis que Genève comptait à la Cour de France ne perdaient pas leur temps.
Au mois de juin 157G, le Conseil apprend par du Rezay qu'il a été décidé au Conseil
Privé du Roi de « recevoir les combourgeois de ceux de Berne en la paix de France et
par « conséquent cesle ville » ; quelques jours plus tard, le 3 juillet, le même S'' du
Rezay annonce que le Roi a envoyé une dépêche à son Ambassadeur aux Ligues
pour lui recommander l'affaire de Genève. En même temps le duc d'Alençon écrivait
lui-même au Roi pour lui recommander chaudement Genève (4).
Tandis qu'à la Cour de France on s'intéressait aussi vivement à la sécurité de
Genève, le duc de Savoie intriguait sourdement à Berne. L'Avoyer de Miilinen, qui
était en correspondance quotidienne avec Roset, lui écrivit au commencement de
septembre, pour le prévenir que les négociations engagées par «. le Savoyen » avec les
(1) Séance du Conseil du 2C juillet : a Paix de France, ont esté veues lettres du S' du Rezay par
« lesquelles il adVertii que M. le Duc a escript au Roy pour caste ville bien amplement, y
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 63
cantons étaient dirigées tout entières contre Genève « et que, si on veult reprendre les
« derniers erremens oiî on en est denaeuré, qu'il y a espérance d'y revenir et qu'on
« y pense bien. •» Le Conseil, désireux de connaître le fond des choses, décida de
« sonder ung peu mieulx » de Mùlinen et de lui recommander de nouveau l'affaire
de l'alliance.
Le duc d'Alençon, qui ne perdait aucune occasion de protester de son dévouement
à la République, n'oubliait pas non plus Genève, lorsqu'il avait besoin d'argent. Le
5 novembre, du Rezay, qui était le secrétaire particulier du duc, se présenta au
Conseil avec une lettre demandant qu'on prêtât au duc pour un an ou six mois tout
au moins, la somme de 3,000 écus ; du Rezay, qui était muni d'une procuration
régulière, fit valoir que le duc d'Alençon s'emploierait utilement pour soutenir à la Cour
les intérêts de Genève; il profita môme de l'audience que le Conseil lui avait accordée
pour exposer en détail les efforts tentés en faveur de Genève. Il ressort de cet exposé
qu'en effet le duc d'Alençon et son secrétaire du Rezay avaient tenté diverses démar-
ches pour faire comprendre Genève dans l'alliance. Du Rezay raconta que la proposi-
tion avait été présentée à un conseil de cabinet auquel assistaient la Reine, les S''* de
Rellièvre (1) et de Limoges, et l'Evêque Morvilliers ; l'idée fut fort bien accueillie par
les assistants qui la déclarèrent « bonne et utile pour le royaume, » et on décida
d'aviser aux moyens de la mettre à exécution. Les S"^^ de Limoges, Morvilliers, Rel-
lièvre, Beauvoir et du Rezay lui-même se réunirent donc pour aviser ; une seule
objection fut émise par Rellièvre ; il fit remarquer qu'il n'était guère raisonnable que
le Roi « déclairast son cœur » en faveur de Genève, lorsque personne ne se présentait
pour traiter au nom de cette ville. Finalement il fut décidé que l'affaire serait négo-
ciée directement par l'Ambassadeur de France auprès des Ligues et que le Roi lui en
écrirait. Ce mode de procédure devait entraîner nécessairement des longueurs et du
Rezay en exprima ses regrets, ajoutant qu'il ne dépendait pas de lui que les choses ne
fussent plus avancées, car, disait-il, « il n'est moings affeclioné à cest République que
« s'il en fust né citoyen. »
(1) Il s'agit ici non de Jean de Bellièvre, seigneur de Hautefort, alors Ambassadeur en Suisse, mais
de son frère Pomponne de Bellièvre, chancelier de France.
64 GENÈVE, LE PARTl'"lIUOUENOT
Le Conseil remercia, comme il le devait, l'agent du duc d'Alençon de toute la
peine qu'il se donnait pour soutenir les intérêts de Genève et il décida d'avancer la
somme réclamée, à moins toutefois que du Rezay ne se contentât d'une moindre somme.
On commença donc par offrir 2,000 écus au lieu des 3,000 demandés et du Rezay, qui
était fort accommodant, promit d'écrire au duc pour l'amener à se contenter de cette
somme. Mais en même temps, le Conseil, qui tenait avant tout à ménager le duc
d'Alençon, décida de ne pas « marchander » pour les 3,000 écus, si le duc insistait (1).
N'ayant pas obtenu d'emblée ce qu'il demandait, du Rezay se décida à frapper à
une autre porte ; il se rendit à Berne, mais Messieurs de Berne n'étaient pas d'humeur
prêteuse et ils lui répondirent par un refus péremptoire, prétextant qu'ils venaient de
refuser également « quelque petite somme » à l'Ambassadeur du Roi (2). Du Rezay
revint donc à Genève comme il en était parti, mais entre temps le Conseil avait appris
par un courrier venant de Lyon que le duc d'Alençon était en train de faire sa paix
avec le Roi et la Reine-Mère ; cette nouvelle refroidit les bonnes dispositions du
Conseil et, lorsque du Rezay se présenta pour rappeler la promesse antérieure, il lui
fut répondu assez sèchement que, s'il n'y avait rien de nouveau, la Seigneurie tiendrait
sa parole (3). Le nouveau ne se fit pas attendre; le Conseil, ayant appris de source
certaine que le duc d'Alençon venait de se réconcilier avec le Roi, répondit par un
(1) Si l'on en juge par le Registre de la séance du G novembre, il paraît que le duc d'Alençon
n'éiait pas des plus scrupuleux, (|uand il s'agissait de s'acquitter envers ses créanciers ; la République
lui avait prêté précédemment 2,300 écus et il ne lui avait remboursé celte somme ([u'à raison de 3
francs l'écu.
(2) « Parce mesmes, dit le Registre du 10 novembre, (lu'ilsse doublent de quelque chose du coslé
» de Bourgogne où on veull lever gens " .
(5) Le Registre du Conseil nous apprend, à la date du 18 novembre, que le duc d'Alençon vcnaii
lie donner au S' de la Violette une mission conlidentiellc pour l'Italie el ([u'il l'avait chargé en particulier
de voir le duc de Savoie pour lui dire « tout ce ([u'on trouvera bon pour le bien de Genève ». M. de la
Violette passa par Genève el eut à celle occasion une audience du Conseil : « Duc d'Alençon, Savoie.
« On s'est assemblé exlraordinairement parceque le S'' de la Violette est arrivé de France el est icy
'< mandé par M. de la Fin (|ui a charge de Son Excellence (le duc d'Alençon) d'aller en Italie, notamment
•< en i)assant par devers son Altesse de luy dire de la pari de Monsieur tout ce (ju'on trouvera estre bon
« pour le bien de cesie ville laquelle il désire conserver et pourlanl est passé par deçà pour sçavoir
« la volonté de Messieurs: a esté arreslé (pi'on le remercie cl puisipi'ainsi est, (ju'on le prie de recom-
« mander la ville à Sun Altesse de la pari de. Son Excellence el Iny (aire enlendi'(î comme il la chérit ».
ET LE TRAITE DE SOLEURE 65
refus catégorique, lorsque du Rezay se présenta pour toucher les 3,000 écus (1).
Poliment éconduit à Berne et à Genève, l'agent du duc d'Alençon retourna en
France raconter sa déconvenue à son maître. A partir de ce moment, le duc d'Alençon
ne se soucia plus ni de Genève, ni du traité, et il s'écoula plusieurs mois avant que les
négociations fussent reprises.
Les succès des huguenots et des catholiques mécontents, qui avaient abouti à
l'Edit de pacification, avaient naturellement donné quelque sécurité aux Genevois
mais, à la fin de l'année 1576, des nouvelles sinistres parvinrent au Conseil; on rapporta
que la Reine-Mère avait envoyé à Genève des émissaires pour nuire à la ville et pour
y mettre le feu ; le Conseil donna ordre aux dizeniers et aux autres officiers de quartier
de rechercher activement les nouveaux-venus et les étrangers.
'S*-
Au mois de février 1577, le Conseil reçut des avis plus inquiétants encore, car
ils faisaient soupçonner une trahison. Un Genevois, Anselme Caille, revenant de Lyon,
raconta avoir entendu dire à un personnage qui désirait ne pas être nommé que la
Reine-Mère savait tout ce qui se faisait à Genève par le moyen de gens qu'elle y
entretenait ; le même personnage ajoutait, ce qui était plus grave, que l'un des membres
du Conseil révélait tout à un ministre et, par les indiscrétions de ce ministre, toutes
les décisions du Conseil étaient transmises à la Cour. On rapportait en outre que le duc
de Savoie tramait une nouvelle entreprise contre la ville et qu'il employait dans ce
but quatre bourgeois de Genève qui s'étaient donnés à lui. Le personnage qui fournissait
ces renseignements promettait de faire ses efforts pour découvrir les traîtres et livrer
leurs noms. Tout porte à croire qu'il n'y avait rien de fondé dans ces vagues rumeurs,
mais on conçoit aisément quel trouble, quelle terrible défiance de semblables bruits
devaient jeter dans les relations journalières; qu'on se représente une séance du
Conseil oii se produisaient ces dénonciations et où chacun des membres, interrogeant
(1) « Séance du 27 novembre: Duc d'Alençon, S^ du Resay — Sus ce que le dict S'' du Resay
« requierl lui délivrer les trois mille cous en prest pour ledict S"^ Duc, suyvanl la parole à luy baillée cy
" devant, a esté arresté, d'aultant qu'on lient pour certain que ledict S' Duc s'est rengé au costé du Roy,
« qu'on révoque ladicte promesse, s'excusant aussy sus ce qu'on a mandé à Basic qu'on vouloit rédimer
« environ dix mille cscus, oullre ce (jue nous avons à craindre en ce passage des Espagnols «.
60 GENÈVE, LE PARTF HUGUENOT
du ret^ard son voisin, se demandait quel était le irailre : « Arreslé, dit à ce propos le
a Registre, qu'on soit sus ses gardes et qu'on veille pour découvrir tels donneurs
« d'advertissemenls. »
Au milieu de ces bruits alarmants, le Conseil sentait plus que jamais combien il
importait que la République fût comprise dans le traité d'alliance entre la France et
les cantons et il ne négligeait aucune occasion favorable pour atteindre ce but. Le
Seigneur de Beauvoir ayant annoncé qu'il allait rejoindre le Roi de Navarre (1), le
Conseil lui confia une double mission : en premier lieu d'obtenir le remboursement de
tout ou partie des sommes prêtées par Genève aux églises de France, puis de tenter
de nouvelles démarches pour le traité. On lui remit dans ce double but une procu-
ration régulière qui lui permettait de négocier au nom de la République ; il fut en môme
temps chargé de lettres de créance pour le Roi de Navarre, le prince de Condé, le
maréchal de Damville, le vicomte de Turenne, et pour les églises réformées de France ;
le Conseil, en leur recommandant Beauvoir, les priait de prendre en mains les intérêts
de la République, mais il fut entendu en même temps que ces lettres, toutes confi-
dentielles, ne seraient remises qu'en cas de nécessité ; le Conseil craignait sans doute
d'éveiller les soupçons ou d'exciter la défiance de la Cour.
La mission de Beauvoir n'eut pas lieu de suite ; ce gentilhomme reconnut qu'il
courrait de grands dangers en se rendant à ce moment auprès du Roi de Navarre et il
renonça momentanément à son voyage, se bornant à envoyer son secrétaire à Bergerac,
oii se trouvaient alors le Roi de Navarre, le prince de Condé et le duc de Montpensier.
Beauvoir ne put se mettre en route que six mois plus tard : le 11 novembre 1577, il
(1) Pour entreprendre son voyage, le S' de Beauvoir dût demander au Conseil un prêt de 500 ccus
el offrit de « s'ol)ligcr avec sa femme, laquelle ne bougera point de la ville jusques à ce que ceste pariic
'< soit paiéc ny ses enfanls; a esté arreslé, dit le Registrcd'auitanl (ju'il est homme d'autliorilé et crédit,
.< qu'on les luy preste " (Séance du 20 avril 1577). Mais, dès le lendemain, Beauvoir recul de l'argent
de France el il remboursa la somme qui lui avait été avancée (séance du 29 avril) : « S'^ de Beauvoir,
.. dcble dtieu à la Seigneurie par les Eglises. A esté proposé qu'il a receu argent par ung sien homme
'( nouvellemcnl arrivé de France, lellemenl ([u'il est presl à rendre les ciiK] cens escus à luy prcslés dont
'. il se sent aultani obligé iiue s'il les heusl gardé tout le temps, s'olTranl faire service à Messieurs el
'< tout ce (|u'il pourra,'mesme envers le Boy de ii'rance et aullres S'" du la Religion. Arreslé qu'on le
« prie d'avoir cesle ville en recommandation, mesmes de soliciter par tous moyens le paiement des
« soimiii's (leues à la Seigneurie par les Eglises. »
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 67
prit congé du Syndic Varro « offrant, dit le Registre, faire service à la Seigneurie en
« ce qu'il luy plaira l'eraploier, mesmes au faict pour lequel on luy bailla lettres et
i< procure, d Le Conseil remercia Beauvoir de ses offres et lui remit les pièces qui lui
étaient nécessaires pour l'accomplissement de sa mission (i).
A ce moment Beauvoir se trouva mêlé à un curieux incident qui nous fait con-
naître les procédés haineux et perfides employés contre Genève par le duc de Savoie.
Beauvoir avait un frère, le Seigneur de la Fin, dont il a été question plus haut et qui
était attaché à la maison du duc d'Anjou ; ce de la Fin, en séjour à Ripaille, eut de
fréquentes audiences du duc de Savoie. Dans une de ces entrevues. De la Fin s'exprima
en termes bienveillants à l'égard de Genève ; le duc l'interrompit brusquement en lui
disant qu'il était vraiment bien bon de se soucier tant de cette ville, car il y avait peu
de crédit. De la Fin, fort surpris, répliqua à S. A. qu'il estimait au contraire y avoir
du crédit et que les Genevois lui portaient de l'amitié, comme ils l'avaient montré en
l'accueillant avec humanité pendant les persécutions. Mais le duc de Savoie, conti-
nuant ses insinuations, lui assura qu'un des principaux personnages de la Ville, qui
avait été précédemment employé aux affaires d'Etat, avait tout mis en œuvre pour le
faire expulser de Ripaille, où Messieurs de Genève ne le voyaient pas de bon œil ; au
dire du duc de Savoie, les Genevois accusaient De la Fin de tramer quelque entre-
prise contre eux. Le duc, en agissant ainsi, n'avait qu'un but, c'était d'indisposer contre
Genève De la Fin et Beauvoir. De la Fin, très froissé des soupçons qu'on cherchait
à faire planer sur lui, chargea son frère de demander des explications. Beauvoir se
présenta au Conseil accompagné de deux gentilshommes de ses amis ; à la séance
(i) Beauvoir était, comme le S' de Clervant, un des amis et des auxiliaires du prince de Condé ;
tous deux furent obligés de se mettre en avant pour aider Condé dans ses embarras pécuniaires, comme
en témoigne le Registre du 9 septembre 1577 :
« S' de Clervant, S' de Beauvoir. — Estant proposé que M. le Prince de Condé, ayant passé obli-
« gation de 1,000 écus au S' Lucas Guebert, de Basle, sous la caution du S' Lochmann et les S''" de
« Clervant et de Vesines contre-caution, il demande estre maintenant payé et des intéresls en trois ans.
« Surquoy, le S' de Beauvoir [)rie prester ladicie somme de 150 pour les intéresls et 100 pour le voyage
(I (lu'il faut faire, ollVant de s'en constituer respondant, arresté, pour le» obligations qu'on a audict
« S' de Clervant, encor qu'il soit redevable d'aillieurs de six ou sept cens escus, qu'on les preste audict
« S' de Clervant, si on ne peult mieux faire. »
68 GENÈVE, LE PAUTI HUGUENOT
assistait enlr'autres Michel Roset, alors lieutenant de police, qui avait été plus particu-
lièrement désigné par les paroles du duc de Savoie. Tous les membres du Conseil et
Michel Roset lui-même déclarèrent sans hésiter qu'ils n'avaient jamais tenu le langage
qui leur était attribué; Roset rappela qu'il avait eu des conférences officielles avec le
président iMilliet, de Chambéry, mais qu'il s'en était tenu strictement à ses instruc-
tions et qu'il n'avait pas prononcé un seul mot qui pût être interprété dans un sens
défavorable à De la Fin. Le Conseil s'empressa de communiquer à Beauvoir le résultat
de l'enquête & avec démonstration de tote la faveur et plaisir qu'on pourroit faire
« audict S"" De la Fin, comme il l'a aperceu cy devant, aussy luy tesmoigner que tant
« en fault que Messieurs ayent quelque sinistre opinion de Monseigneur le Duc
'( d'Anjou, qu'au contraire ils sont prests de luy faire très-humble service, comme ils
« ont faict cy devant. » Beauvoir remercia chaleureusement le Conseil des assurances
qui venaient de lui être données et témoigna sa joie de pouvoir transmettre une
aussi heureuse nouvelle à son frère, qui, de son côté, se chargerait de renseigner son
maître, le duc d'Anjou, sur les intentions véritables du Conseil (1). En terminant,
Beauvoir assura que lui et son frère resteraient toujours les serviteurs de la
Seigneurie. Rentré en France, Beauvoir tint sa promesse et montra qu'il était tout
dévoué aux intérêts de Genève; il joignit ses efforts à ceux d'autres gentilshommes
protestants pour obtenir que l'indépendance et la sécurité de Genève fussent garanties
par la France.
CHAPITRE VIII
le Conseil tente de nouvelles démarclies pour obtenir l'alliance et la garantie de la France.— Intrigues du duc de
Savoie. — Mission de Roset à Berne.— L'Avoyer de Lucerne, Pfjiïer, écrit au Roi contre le traité, — Le
Conseil achète le concours de B. de Grissac, secrétaire de l'Ambassade de France.
La question de l'alliance française ne cessait de préoccuper le Conseil ; c'était
alors l'idée dominante de Michel Roset, l'homme éminent qui dirigea pendant près
(I) Aussi bien, ajoulaii Beauvoir, le Duc d'Anjou pouvait avoir reçu à ce sujet (juelque faux
rapport que De la Fin se chargerait de déinenlir « et par ce moyen, disait-il, avec la maladie il portera
" l'emplaslre. »
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 69
d'un demi-siècle les affaires de la République. Au mois d'avril 1578, Roset s'entretint
longuement de son projet avec le Irucheman de l'Ambassade de France, Ballhasard
de Grissac, qui lui donna les plus grandes espérances en lui affirmant que le Roi était
des mieux disposés pour Genève. Th. de Bèze, qui n'était étranger à aucune négocia-
tion politique, se préoccupait, lui aussi, des moyens de faire garantir la sécurité de
Genève du côté de la France ; le 22 avril il proposa au Conseil de profiter dans ce but
du départ de deux gentilshommes français, Clervant et Du Lac, qui se rendaient auprès
du Roi de Navarre. Une assemblée de délégués des églises réformées de France était
convoquée à Bergerac pour le 25 juin ; Th. de Bèze demandait qu'on saisît cette occa-
sion pour solliciter le remboursement des sommes dues à la Seigneurie par les églises
et il proposait que le Roi de Navarre fût instamment prié d'intercéder auprès de
Henri III en faveur de Genève. Le Conseil suivit cet avis et décida d'écrire au Roi de
Navarre, au prince de Condé et à La Noue (1).
Henri de Navarre, comme tous les chefs du parti huguenot, avait l'œil constamment
fixé sur Genève. La Noue l'ayant prévenu qu'on parlait d'entreprises nouvelles contre
la République, Henri de Navarre s'empressa d'écrire à Lesdiguières « aultant affec-
« lueusement qu'il a peu, d'y avoir l'œil et d'y apporter tout le soing et diligence qui y
« est requise, suyvant les advis qu'on lui donneroit, tenant totes choses prestes et en
« estât ; de sa part il n'y veult espargner aucun des moiens que Dieu luy a mis en
« main et a desia prié quelques gentilshommes estans auprès de lui et aultres qui
« sont par les provinces et se tenir prests et y mener le plus de forces qu'ils pourront,
« s'il en est besoing. »
Henri de Navarre ne se contenta pas d'une simple lettre ; il envoya Clervant
auprès de Lesdiguières qui leva aussitôt mille hommes d'infanterie et deux cents che-
vaux pour venir au secours de Genève ; dans le cas où ces troupes ne pourraient pas
passer librement, elles avaient ordre de « se ruer sus la Savoye. »
(1) Le Conseil arrêta le 23 avril la teneur des lettres destinées au roi de Navarre et le 24 le S' de
Clervant, qui était chargé sans doute de remettre ces lettres en mains propres, prit congé du Conseil en
mettant sa personne ei ses biens au service de la République et en offrant en cas de danger d'amener à
Genève « gens de cheval el de pied. »
70 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
Pour obtenir l'alliance française, le Conseil ne se contenta pas de solliciter l'appui du
roi de Navarre ; il sollicita en même temps l'intervention de Messieurs de Berne, en leur
annonçant qu'il était bruit de nouvelles entreprises contre Genève. On répondit de Berne en
priant le Conseil d'envoyer des délégués pour conférer; Michel Boset et Ami Varro, aussitôt
désignés, partirent pour Berne; ils eurent une entrevue avec l'Avoyer de Mùlinen (1) et lui
demandèrent si les négociations pour l'alliance avaient quelque chance de réussir.
L'Avoyer, qui était fort dévoué aux intérêts de Genève, répondit qu'il venait de s'entre-
tenir tout au long de cette affaire avec le trucheman de l'Ambassade de France;
Balthasard de Grissac avait reconnu qu'il serait avantageux de faire comprendre
Genève dans le traité avec la couronne de France et il avait offert de porter lui-même
les propositions à la Cour. L'Avoyer de Mùlinen concluait en énonçant l'idée qu'une
demande formelle devait être présentée dans ce sens par les cantons.
Le 23 juin, le Conseil reçut les nouvelles les plus encourageantes. Beauvoir, qui
se trouvait à la Cour, écrivait à Th. de Bèze pour lui annoncer que la dépêche relative
à l'alliance avait été non seulement soumise à la signature du Boi, mais qu'elle était
déjà en route.
Sur ces entrefaites, le duc de Savoie, qui avait été informé des négociations entamées,
ne restait pas inactif; il mit tout en œuvre pour contrecarrer les projets d'alliance. Il
fit valoir auprès de Messieurs de Berne que, tout en ayant sur Genève des droits
incontestables, il ne les soutiendrait pas par les armes, mais par les voies de droit,
offrant de soumettre le litige à leur appréciation. Mais, en fin matois, il ajoutait que,
puisque d'autres souverains avaient des vues sur Genève, il était prêt, « afin que pis
« n'advienne, » à entrer en plus étroite aUiance avec Messieurs de Berne, pour veiller
de plus près à la protection de Genève. C'était assurément une protection peu rassu-
rante que celle du duc de Savoie, quand il s'agissait de Genève ! Malgré les observations
du duc de Savoie, le gouvernement de Berne écrivit au Boi qu'il était prêt à s'entendre
avec lui pour la protection de Genève. On annonçait d'autre part que le Chancelier de
(1) Béai Louis de Miilinen, Avoyer de Berne ; il fui envoyé auprès de Henri III pour le compliinen-
Icr sur son avènement au Irône. Voy. Fragments historiques de la ville et République de Berne, Neucliàtel
1737, 2'"" partie, p. 154 et suiv.
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 71
France engageait le Roi à accepter les ouvertures de Messieurs de Berne : c'était d'un
heureux augure.
Quelques jours plus tard, ces nouvelles favorables furent pleinement confirmées.
L'Avoyer de Miilinen écrivit à Roset que M. de Haulefort allait arriver en Suisse
avec les pleins pouvoirs pour traiter; l'Avoyer de Berne recommandait toutefois le
plus grand secret, afin que le duc de Savoie ne se doutât de rien (1). Le 13 juillet
l'Avoyer de Miilinen revient à la charge et transmet à Michel Roset des nouvelles plus
précises. L'Avoyer annonce qu'il ne s'est pas contenté de négocier auprès de la Cour de
France, mais qu'il a vivement sollicité Messieurs de Fribourg et de Soleure de s'entendre
avec la France et le gouvernement Bernois pour garantir Genève. Ces ouvertures ont
rencontré de part et d'autre le meilleur accueil. Tout faisait supposer que le Roi consen-
tirait à accepter Genève dans l'alliance perpétuelle ; pour le cas où il serait nécessaire de
mettre garnison à Genève, il devait être stipulé que Berne fournirait les troupes et la
France le montant de la solde, « tellement, dit le Registre, qu'eulx et nous seront
déchargés île l'argent et n'auront qu'à fournir gens à leur plaisir. » Les négociations
étaient donc en bonne voie, mais, avant d'aller plus loin, l'Avoyer désirait connaître
exactement les intentions et les vœux des Genevois et il priait Roset de les lui
indiquer. Le Conseil délégua aussitôt Michel Roset pour se rendre à Berne auprès de
Miilinen.
En passant par Payerne, Roset se rencontra avec le banneret Banqueté qui lui
communiqua des lettres de l'Avoyer de Fribourg; ce dernier annonçait son départ
pour Lucerne oïi devait avoir lieu ane journée entre les députés des sept cantons, pour
aviser à la défense de Genève (2). Au-delà de Moral, Roset rencontra M. de Vézines
qui lui donna d'excellentes nouvelles; on n'attendait plus que l'arrivée de l'Ambassadeur
de France pour pousser vigoureusement les négociations en faveur de Genève.
(1) Au même moment, un ihéologieu de Zurich, Guallcr, informait Tii. de Bèze que « le roy
« s'efforeoit grandement que les Bernois el aullrcs cantons receussent ceste ville, promettant pour ce
sa foy et son pouvoir ». (Séance du Conseil du 8 juillet.)
(2) Il est peu |)rol)able que cette journée ait eu lieu : c'est précisémentde Lucerne que partit la
plus vive opposition au traité de Soleure.
72 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
Aussitôt arrivé à Berne, Rosel eut une entrevue avec l'Avoyer de Mùlinen qui le
mit au courant des négociations pendantes entre le gouvernement bernois et l'Am-
bassade de France ; l'Avoyer avait pris en main les intérêts de Genève : il avait écrit
soit à l'Ambassadeur de Hautefort, soit à son frère le Chancelier, et à d'autres seigneurs
de la Cour de France pour leur recommander l'affaire du traité; ces ouvertures avaient
été bien accueillies et on avait répondu que le Roi était prêt à comprendre Genève et
le Pays de Vaud dans le traité de paix perpétuelle; le Roi offrait en outre de main-
tenir à ses frais, en cas de nécessité, une garnison à Genève ; M. de Hautefort allait
arriver avec pleins pouvoirs pour traiter.
De retour à Genève, Michel Roset rendit compte de sa mission dans la séance du
Conseil du 28 juillet; les renseignements qu'il donna étaient des plus favorables et tout
semblait annoncer une heureuse issue des négociations (1). Mais on avait compté
sans les intrigues de quelques fanatiques.
Au mois de septembre 1578, le Conseil reçut des avis inquiétants de Vézi-
nes (2) qui se trouvait à ce moment en France. Ce personnage annonçait que le
colonel Pfyffer, de Lucerne, avait écrit au Roi pour s'opposer au traité; Pfyffer déclarait
que lui et d'autres bons catholiques avaient appris avec regret son intention de prendre
Genève sous sa protection, « ce qu'ils ne pouvoient estimer, attendu l'importance du
fait, par lequel il attireroit l'inimitié de tous bons catholiques et notamment du
Pape ».
(1) Au niomem où s'ciigageaienl les négociations avec la France, le Conseil semait la nécessité de
surveiller de très près les publications qui pouvaient compromettre Genève. Le 17 juillet on lui soumet
un ouvrage intitulé : Mémoires de France; Varro et Chevalier sont désignés pour l'examiner et noter
■< ce (jui est à osier des blasnies et calomnies contre le Roy, la Roine, etc. » Le 7 août, l'imin-imeur
Ëustache Vignon revient à la charge pour obtenir l'autorisation, mais le Conseil décide de la refuser
.. d'aultanl qu'il est tout plein <rinvectives et qu'il ne se pcult rcirencher, comme il offre, que l'histoire
u ne soit manrjué, joingt que la Seigneurie n'en pcult recevoir (|ue dommage et reproches ■>.
(2) M. (le Vézines avait recouvré toute la conliance du Conseil qui lui avait avancé 100 écus
au moment de son départ pour la France. Vézines était pour le Conseil une sorte de négociateur
ollicieux, d'agent conddentiel, qui le renseignait sur les dispositions de la Cour ; c'est ce qui ressort
du passage suivant des Registres, à la date du 28 juillet :
« A esté proposé que, suyvant ce (|ui avoit esté parlé audict S' de Vézines par le S' Bernard au
"nom de la Seigneurie et (|ue, s'il voioil (iii'il lusl bon (|u'il .illasi ou à la Cour ou Irouver M. de
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 73
L'Avoyer Pfyffer était sans contredit le seul Suisse de son temps qui put se croire
autorisé à parler aussi librement au Roi de France ; à Dreux, simple capitaine des
Enfants perdus, \\ avait rendu possible la victoire des catholiques; plus tard, en 4569,
il avait, à la tête de 6,000 Suisses, sauvé du milieu de l'armée des réformés Catherine
de Médicis, le Roi Charles IX, ainsi que toute la maison royale, et les avait ramenés
heureusement de Meaux à Paris (1). Celui qui rend de tels services acquiert le
droit de se faire écouter ; la lettre de Pfyffer fit impression sur l'esprit du Roi et le
projet de traité resta en suspens pendant quelque temps.
Mais, tandis que l'Avoyer de Lucerne travaillait à empêcher le traité, les chefs
du parti huguenot offraient spontanément leurs services pour appuyer auprès du Roi
la demande d'alliance. Le prince de Condé, le vaillant La Noue, écrivaient des lettres
« pleines de bonne volonté à s'emploier pour la Seigneurie envers le Roy pour faire
(f entrer ceste ville en la paix de France dont ledict S"" Prince promet d'escrire au Roy
« quand Mess" l'en requerront. »
A ce moment, un Genevois, Claude Colladon (2), se rendait précisément auprès
de Condé ; le Conseil le chargea de remettre au Prince une dépêche dans laquelle il le
remerciait de son intérêt et de ses offres et le priait « d'y continuer de plus en plus » (3).
« Bellièvre à Grenoble, il a escript tant à luy qu'audict S' Roset, qu'il ne peult aller à Grenoble pour
<i éviter que ledict S' de Bellièvre ne le découvre, mays qu'il y satisfera par lettre : au reste qu'il s'en
« ira à la Court, là où il poussera les afaires, et les prie de luy faire prester cent escus sus cédule el
« promesse de les rendre, a esté arresté qu'on les luy preste et que ce soient lesdicts S" Roset et
« Bernard ou l'ung- d'eux, de l'argent totesfois de la Seigneurie i.
(1) Louis Pfyffer, qui fut surnommé le Roi des Suisses, fut 54 ans Avoyer de Lucerne. « Il fut un type
(1 des qualités et des vices du condottiere suisse au XVI'' siècle ; promiititude d'action et persévérance,
« énergique fidélité à sa foi religieuse, mais les mœurs et la vénalité d'un courtisan. » (Galerie suisse,
par Eug. Secrétan, to. I, p. 4C5 et suivantes.)
(2) Claude Colladon, fils de Germain Colladon et de Christophia Trembley, s'établit en France el
devint dans la suite conseiller du Roi et maître des requêtes (1599). (Voir les Notices généalogiques ùe
Galiffe, art. Colladon.)
(.") N'oublions pas un détail caractéristique qui peint l'époque : «D'aullanl, dii le Rei;islre, qu'on
74 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
Parmi les personnages qui offrirent de s'employer au service de Genève figure le
secrétaire de l'Ambassade de France, Balthasard de Grissac; le Conseil, qui ne dédai-
gnait aucun auxiliaire, autorisa Roset à promettre à Grissac « honneste récom-
« pense au cas que la chose réussisse. » Roset eut l'occasion de rencontrer Grissac en
Vallais et lui fit aussitôt des ouvertures, lui promettant que le Conseil ne se montrerait
ni oublieux, ni ingrat ; Grissac répondit fort courtoisement qu'il était des mieux
disposés, qu'il n'avait aucun doute sur le succès des négociations et que la chose
se ferait dès que M. de Hautefort serait arrivé. Grissac ajouta que, si les menées contre
Genève avaient continué, le Roi aurait offert une garnison dont il aurait payé les frais
de trois mois en trois mois. Roset ayant demandé ce qu'on entendait faire pour Genève,
Grissac répondit que l'intention du Roi était de faire alliance avec Berne, Soleure et
Genève, et de comprendre Genève dans l'alliance perpétuelle : « A Solleurre, disait
Grissac, ses Seigneurs ont respondu en Petit et Grand Conseil qu'ils entreront en
« alliance avec Berne et Genève et qu'on ne changera point, quand tous les Papistes
« debvroient crever. » En terminant, Grissac assura Roset qu'il s'intéresserait au succès
de la négociation et il ajouta que le but serait facilement atteint, car le Roi avait
lui-môme à cœur le succès de cette affaire.
Ainsi, malgré l'intervention hostile de l'Avoyer Pfyffer, les choses prenaient une
excellente tournure et tout semblait annoncer que Genève, conslammenl menacée du
côté de la Savoie, allait du moins être garantie du côté de la France.
Au mois de novembre, M. de Hautefort, Ambassadeur de France en Suisse, passa
par Genève, se rendant à son poste. Roset lui fit visite et l'entretint longuement de
la question de l'alliance ; Hautefort se montra d'abord un peu réservé, assurant sim-
plement que, si l'occasion se présentait pour lui d'être agréable au Conseil, il la saisi-
rait avec empressement; puis, devenant plus exphcite, il déclara qu'il avait mission
de s'occuper activement de l'alliance et que le Roi lui-même désirait expédier rapide-
« entcnii Icdicl S' Colladon n'avoir i,^ranil moyen pour s'en rclourncr par devers ledicl S' Prince, a
.< •■sléarn'st(;(iu'on Iny fournisse dix escus pour faire son voyage» Les dix écus furent offerlji à
CI. Colladuii, mais il ne voulut pas les accepter. (Voir une noie en marge du Registre du «J octobre 1.578.)
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 75
ment celle affaire, avant qu'elle fût ébruitée. Hautefort ajoulail que, pour maintenir
le Roi dans ses bonnes dispositions, le Conseil ferait bien d'empêcher la publication,
à Genève, de tout écrit injurieux pour la famille royale (i).
Grissac, le secrétaire de l'Ambassade de France, avait promis ses bons offices,
mais, comme on l'a vu, il n'entendait pas travailler uniquement pour les beaux yeux
du Conseil; non seulement il tenait à une rémunération en bonnes espèces sonnantes,
mais il voulait que la récompense lui fût garantie par un titre authentique. Un ami de
Grissac, Polier, se présenta un jour auprès de Roset et lui exposa que Grissac ne
pouvait se contenter de la promesse verbale qui lui avait été récemment faite au nom
de la Seigneurie, « qu'esloit de luy faire honeste présent et recognoissance au cas que
« ceste ville soit comprinse en la paix de France ou qu'il y ait alliance au contentement
« de la Seigneurie. »
Suivant Polier, ce n'étaient là que de simples paroles qui n'engageaient personne et
il lui fallait quelque chose de plus positif, la promesse écrite d'une somme déterminée.
Polier ajoutait, pour faire valoir son ami, qu'il pouvait être très utile ou beaucoup
nuire, quand bien même l'Ambassadeur travaillerait de son côté à la réussite des
négociations. Le Conseil comprit qu'en pareil cas il ne fallait pas lésiner ; il y allait
du succès de l'entreprise ; il s'exécuta de bonne grâce et autorisa Michel Roset à
promettre 1,000 et même 1,500 écus pour Grissac et 500 écus pour Polier. Roset fut
chargé de suivre à cette petite négociation et il fut convenu que la promesse serait
faite par Roset en son privé nom, mais sous la garantie de la Seigneurie.
Roset s'acquitta de sa mission, mais il rencontra quelque difficulté, car le Sei-
gneur Jean Polier était un personnage assez méticuleux, et il fallut plusieurs entrevues
(1) Quelques jours après l'entrevue (le Roset avec M. de Hautefort, le Conseil eut l'occasion de
montrer sa déférence pour la famille royale, à l'occasion du passage du comte de Vaudemont, beau-
frère du roi de France : « A esté raporté, dit le Registre du 24 novembre 1578, qu'il (le comte de
Vaudemont le jeune) arriva byer en ceste ville, venant du Piémont, estant beau-frère du Roy de
France, tellement qu'on luy lit honneur, luy faisant présenter du vin et une grosse truicie par le
sieur David Chappuis ei par le Saultier, dont il remercia, et au reste estant proposé qu'il désire aller
aujourd'luiy par ville pour la veoir et estant mis en délibération si on luy fera faire compagnie par
quelque Seigneur, arresté (lu'on s'en déporte, pour éviter qu'il ne demande à veoir la forteresse, b
76 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
enlre les deux négociateurs pour arriver à être d'accord sur les conditions du marché.
Roset avait rédigé un premier projet, mais Polier le trouva trop ample. Roset en
rédigea un second et le Conseil y ajouta, comme condition, que Grissac serait tenu de
restituer le titre dans les six mois, à supposer que la promesse n'eût pas d'effet. Là-
dessus de nouvelles difficultés surgirent : Polier déclara que Grissac n'accepterait
pas celte condition et qu'en outre, il serait peu satisfait de la somme « si petite qu'on
« luy promet. » Finalement, le Conseil battit en retraite et consentit, pour gain de
paix, à supprimer la clause relative à la restitution de l'acte.
De tout temps et en tout pays, il s'est rencontré des hommes peu scrupuleux,
qui ont fait trafic des services qu'ils pouvaient rendre, mais ce qui s'est rarement vu,
c'est la corruption d'un agent diplomatique qui se fait délivrer la promesse écrite
d'une récompense pécuniaire. Le Conseil ne voulut pas, cela se comprend, intervenir
directement dans cette singulière tractation : ce fut Mic'iel Roset qui reçut pleins pou-
voirs dans ce but et on peut lire tout au long, au Registre du 25 novembre 1578, le
texte de l'acte authentique par lequel Roset s'engagea à récompenser de 1,000 écus
d'or, somme considérable pour l'époque, les services de Balthasard de Grissac, secré-
taire du Roi auprès des Ligues suisses ; ce curieux document mérite d'être cité en
entier :
« Teneur de la promesse baillée au Seigneur Pollier pour le Seigneur Baltasard
« par le Seigneur Roset.
« Je, Michel Roset, citoyen et conseiller de Genève, soubsigné, comme ainsy
« soit que, pour raison des machinations puis naguères descouvertes sur ceste ville,
« aucuns féaux aniys et bons voysins d'icelle ayent si soigneusement pourveu aux
a moyens de pouvoir rompre et dissiper à l'advenir toutes malheureuses entreprises
« qu'ils sont entrés en espérance que non seulement aucuns cantons des Ligues, mays
a aussy la Maieslé royale et très chrestiennc, se trouveront en volonté et affection de
« dresser certain accord, convention, ligue, confédération ou autre traicté utile, hono-
(( rable et nécessaire pour ladicte ville et pour la défense et conservation de la liberté
« d'icelle, auquel effet le S'' Baltasard de Grissac, secrétaire et truchemant de
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 77
a sadicte Maiesté aux Ligues, sus tous les autres, travaille beaucoup et se monstre
« fort affectionné, au moyen de quoy mes Seigneurs et supérieurs auront tousiours
« mémoire de tels bons et dignes offices envers leur chose publique, en contempla-
« lion desquels, suyvant leur commandement et tant au nom de mes dicts Seigneurs
« qu'en mon propre et privé nom, je promets au dict S'' de Grissac, avenant et au cas
« que ledict accord, convention, ligue et confédération ou autre traiclé dont cidessus
« est faite mention se face et accomplisse pour le bien, profit et utilité de ladicte
4 ville, conservation de la liberté d'icelle et avec le bon et aggréable consentement de
« mes dicts Seigneurs et Supérieurs, un don, présent ou recognoissance de mille escus
« d'or, voire plus, demeurant toutefois ledict plus à la discrétion de mes dicts Seigneurs,
« lesquels d'ailleurs ne prétendent demeurer ingrats envers Mons' le secrétaire PoUier,
« ains recognoistre dignement ses peines et labeurs, le tout sous l'obligation de
« tous et chascun mes biens. En tesmoing de quoy j'ay signé et cacheté la présente
« de ma main et de mon sceau. A Genève ce XXV novembre 1578. »
En même temps que Roset s'engageait vis-à-vis de Grissac et de Polier, le Con-
seil couvrait par une décision régulière la responsabilité de son mandataire et acceptait
pour lui toutes les conséquences de l'engagement qui venait d'être signé (1).
CHAPITRE IX
Négociations préliminaires, - Le Conseil envoie à Berne Roset et Chevalier. — Projet de traité, - Observations
du Conseil sur le projet
Les promesses du Conseil ne pouvaient que stimuler le zèle de Grissac et de
Polier. Le fait est que peu de temps après les négociations entrèrent dans une phase
nouvelle.
(1) La conlrepromesse, remise par le Conseil à Michel Roset, ligure au Registre à la date du
25 novembre sous la forme suivante :
« Nous Syndiques et Conseil de Genève scavoir faisons comme auiourdlmy datte des présentes,
N° Michel Roset, noslre bien aymé citoyen et frère conseillier, ayt, par nostre commandement et
suyvant nos arnésts d'hier et d'auiourdhuy, fait la promesse ci-après dessus de mot à mol ténorisée; au
78' GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
Au commencement de l'année 1579, l'Avoyer de Miilinen, qui suivait cette affaire
avec intérêt, écrivit à Rosel que l'Ambassadeur du Roi négociait le traité avec Mes-
sieurs de Berne et de Soleure. Le secrétaire de l'Ambassade qui venait de passer à
Berne annonçait que les gouvernements des deux Républiques avaient déjà dressé des
articles en vue du traité et Polier estimait que c'était « à bon escient » (1).
D'autre part, un personnage qui, suivant le Registre, avait « le maniement des
« afaires de Suisse », M. de la Chaise, passa au mois de mars à Genève et déclara aux
conseillers Roset et Chevalier qu'un nouvel Ambassadeur allait arriver en Suisse avec
des instructions précises pour négocier le traité. De la Chaise ajoutait, ce qui était
fort rassurant, que Genève n'avait rien à craindre du côté de la France, à moins
toutefois que ce ne fù\. de quelque particulier (2).
Ces nouvelles favorables ne tardèrent pas à se confirmer ; à la fin du mois de
mars, l'Ambassadeur de France écrivit lui-même à Roset qu'il avait « charge expresse
« et réitérée du Roi de ne partir des Ligues que l'afaire de ceste alliance ne soit
« conclu et enasseuré. »
S' Baltasard de Grissac, secrétaire et trucliemand du Roy aux Ligues, et au S' Jean Polier, secrélaire
de Sa Majesté. Et d'autant que le tout a esté fait pour le bien de nostre Ré|)ubli(|ue el (|ue le dicl
S' Roset ne fait que prester son nom par meure délibération de nostre Conseil, nous avons promis et
promettons de satisfaire à forme et au contenu de ladicte promesse envers lesdicts S" de Grissac et
Polier et de garder etgarentir ledict S' Roset de toutes fâcheries, dommages et intéresls et despens,
qu'il pourroit souffrir pour raison de ladicte promesse. En foy de quoy avons donné les présentes sous
nosire sceau commun et seing de nostre secrétaire ce XXV nov. 1578. »
(1) A ce moment le Conseil évitait avec le plus grand soin tout ce qui pouvait porter ombrage à la
Cour de France. Le 3 mars il décida de faire saisir un livre intitulé le Don patriote, qui se vendait dans
la ville et qui contenait des injures à l'adresse du frère du Roi :
« Livre intitulé le Bon patriote. — Estant proposé qu'on vend en ceste ville ledict livre contenant
« ])lusieurs oultrages contre Monsieur frère du Roy, lequel on n'a voulu permettre d'imprimer icy, a
4 esté arresté qu'on le saisisse. »
Pareillenienl, le 4 mai, un nommé Lois Durozu ayant demandé la permission d'imprimer « l'Histoire
« ecclésiastique de totes les Eglises réformées de France, commençant despuis le Roy Francoys, pre-
« mier, offrant faire imprimer la |)remière feuille hors ceste cité, a esté arresté qu'on le refuse el qu'on
« l'aile imprimer aulln; part. »
(2) « Sinon (pie ce fussent de quehpies particuliers, comme de faict il a entendu (ju'il estoit parly
n de Piedmond trois capitaines, l'ung desquels nommé Annibal, a charge de lever en Provence sezc
« compagnies, tellement (ju'il sera bon de veiller tousiours. (Reg. Cons. Séance du 24 mars 1579.)
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 79
Le gouvernement bernois, qui s'était constitué comme le protecteur et le garant
de Genève, se chargea de négocier avec l'Ambassadeur du Roi. De son côté, le Conseil
de Genève envoya à Berne deux commissaires, Roset et Chevalier, avec mission de le
renseigner exactement sur la marche des négociations.
Dès le début, des difficultés surgirent. La France ne voulait pas entendre parler
d'accorder aux commerçants genevois l'exemption des droits de douane, et, d'autre part,
elle exigeait que Genève prît l'engagement de ne pas accueillir les ennemis rebelles du
Roi. Cette dernière condition était inacceptable ; c'était contester à Genève l'une des
prérogatives essentielles de la souveraineté ; c'était obliger le Conseil à refuser l'asile
aux victimes des persécutions religieuses, car on traitait de rebelles ceux qui suivaient
un autre culte que celui du Prince. Les commissaires annoncèrent en outre qu'en cas
de guerre le Roi était disposé à fournir à ses frais une garnison de cinq enseignes qui
seraient prises dans les deux villes de Berne et de Soleure ; en cas de siège, le Roi
devait payer h Berne 16,000 écus par mois et il devait faire l'avance du premier
mois.
Ces divers points offraient ample matière à contestation ; le Conseil chargea le
Syndic Bernard de donner de nouvelles instructions aux commissaires de Genève, en
insistant sur deux points, l'un d'ordre matériel, l'autre d'ordre moral: l'exemption des
droits de douane et la reconnaissance du droit d'asile. Pour obtenir ces deux conces-
sions, le Conseil était prêt à bien des sacrifices ; il décida donc que les commissaires
à Berne pourraient promettre en son nom à Grissac et à d'autres ce qu'ils jugeraient
convenable.
Avant de raconter les négociations qui suivirent, analysons le traité qui se discu-
tait entre l'Ambassade de France et les gouvernements de Berne et de Soleure.
Le traité ne concernait pas exclusivement Genève. Le premier article stipulait
que « les pays appartenants aux Seigneurs de Berne et à eux délaissés par les accords
« cy devant faits entre Monsieur le duc de Savoye et eux » seraient compris dans la
paix perpétuelle existant entre la Couronne de France et les Ligues suisses. Le pays
de Vaud était ainsi au bénéfice de celle garantie.
80 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
Puis venait le tour de Genève ; il était stipulé que, « pour les raesmes considéra-
« lions que dessus et en faveur et contemplation desdits Seigneurs de Berne et
« Soleure, » la ville de Genève et son territoire seraient compris dans le traité de
paix perpétuelle, « à la charge que les habitans d'icelle se comporteroient envers Sa
« Majesté et la Couronne de France, avec le respect qu'il appartient et qu'il est porté
« par ledict traité de paix perpétuelle. »
Ainsi, ce n'était pas Genève qui obtenait directement la faveur d'être comprise
dans le traité, c'était Berne et Soleure qui intervenaient pour elle. Berne avait pris
de longue date l'habitude de traiter Genève en simple client, en pupille.
Le projet de traité stipulait formellement que les Genevois ne jouiraient en
France d'aucune exemption des droits de gabelle, péage et autres, et qu'ils seraient
assimilés aux sujets du Roi, au point de vue du commerce et des impôts.
Le traité prévoyait ensuite le cas oii Berne et Soleure, agissant pour la sûreté de
Genève, jugeraient nécessaire d'y envoyer une garnison. Cette garnison suisse qui pou-
vait s'élever jusqu'à 1,500 hommes, devait être soldée des deniers du Roi de France.
Comme après tout Genève était la première intéressée au traité, il semble que les
Syndics et Conseil de la République auraient dû être admis à dire leur mot en pareil
cas. Mais les promoteurs du traité avaient soigneusement évité toute clause qui aurait
pu placer Genève sur un pied d'égalité vis-à-vis de ses puissants protecteurs. C'était
l'Ambassadeur de France et les délégués des cantons qui avaient seuls à décider dans
quel cas Genève devait être occupée militairement et on ne faisait pas même l'honneur
aux Genevois de les consulter sur une mesure qui les intéressait au premier chef.
Le traité étant essentiellement dirigé contre le duc de Savoie qui convoitait
Genève, les parties contractantes se garantissaient réciproquement aide et protection
pour le cas où aucun Prince ou potentat viendrait « à mouvoir guerre » soit contre
les Seigneurs de Berne et Soleure, soit contre Sa Majesté très chrétienne. Si les
cantons de Berne et de Soleure étaient attaqués, le Roi était tenu de les aider de
10,000 écus par mois pendant toute la durée de la campagne. En revanche, si le Roi
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 81
de France était attaqué, les cantons étaient tenus de le secourir avec une armée de
six mille hommes.
Le traité contenait en dernier lieu plusieurs obligations qui étaient imposées à
Genève en échange de la garantie : ces obligations étaient ténorisées comme suit dans
le projet de traité :
« Et pour bénéfice du bien que ladicte ville de Genève recevra du Roy par le
« moyen de ladicte protection, elle sera ouverte et libre à tous les subiects de Sa
« Maiesté, tant pour le regard du trafiîq et aultres affaires qu'ils y pourroient avoir
« que aussy pour le passage des gens de guerre qu'elle pourroit avoir à tirer desdictes
« Ligues ou à envoler de France delà les monts, lesquelles gens de guerre passans à
« la file sans désordre et avec tote modestie y seront receus et logés et à iceulx admi-
« nistrés vivres et aultres choses nécessaires en payant raisonnablement. »
« Comme aussy ne sera donné aucun passage ny retraicte en ladicte ville de
« Genève aux ennemis de Sa Maiesté et Couronne de France. »
Le projet de traité fut transmis au Conseil de Genève, qui l'examina et le discuta
avec le plus grand soin. Les observations du Conseil portèrent sur huit points différents
et elles révèlent une remarquable pénétration chez les magistrats qui dirigeaient
alors les affaires de la République. Comme on le verra, ces observations portaient
parfois sur des nuances et des détails de rédaction, mais chaque observation avait sa
valeur et il est facile de saisir le but que se proposait le Conseil.
En premier lieu, le traité pariait à plusieurs reprises de la «défense &i protection
«. de la ville de Genève». Ce terme de protection avait quelque chose d'humiliant
pour une République souveraine et le Conseil demanda qu'il fût remplacé par « ayde
« ou secours » .
En second lieu, le Conseil revint sur la question de l'exemption des droits de
péage et demanda l'intervention de Messieurs de Soleure pour obtenir celte exemption.
82 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
Le traité stipulait que « la ville et cité de Genève avecq son territoire », serait
comprise dans l'alliance perpétuelle ; le Conseil demanda qu'on substituât les mots :
(c avec ses terres et seigneuries » au mot territoire. La différence de rédaction semble
légère au premier abord, mais en réalité elle avait une certaine importance : Genève
n'était pas une simple ville libre, c'était une seigneurie féodale comme les Républiques
italiennes.
« S'il advient, disait le projet, que, pour la conservation de la ville de Genève,
« lesdicts S""^ de Berne et Solleure soient contraincts de mettre garnison dans ceste
« ville, sadicte Maiesté en ce cas sera tenue de souldoier ladicte garnison à ses frais
« et despens. » Suivant cette rédaction, les hautes parties contractantes, la France,
Soleure et Berne, étaient seuls juges des cas où Genève devrait recevoir garnison ;
c'était le point de vue des Bernois, qui traitaient plus ou moins Genève en ville vassale.
Le Conseil, qui se résignait difficilement à ce rôle subordonné, proposa très
habilement une autre rédaction, qui semblait à première vue parfaitement identique :
« S'il advient que, pour la conservation de la ville de Genève, lesdicts S'"' de
« Berne et Soleure soient occasionés (raccorder garnison. »
D'après celte nouvelle rédaction, il demeurait sous-entendu que Genève avait à
demander la garnison et que Berne et Soleure seraient « occasionés de l'accorder ».
Celui qui avait rédigé cet amendement de rédaction, sans doute Roset lui-même, était
à coup sûr un habile diplomate, rompu aux finesses du métier.
D'après le projet, c'étaient l'Ambassadeur de France et les délégués des deux
Cantons qui décidaient, à la majorité des voix, de l'occupation de Genève. Le principal
intéressé n'était pas même consulté. Le Conseil réclama à juste titre que Genève pût
faire entendre sa voix dans la délibération qui devait décider de l'occupation par une
garnison.
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 83
En échange du secours qui lui était garanti, Genève était tenue, aux termes du traité,
d'accorder aux sujets du Roi ce que nous appelons aujourd'hui le libre établissement,
ainsi que le droit de faire le commerce ; elle était en outre tenue d'accorder le libre
passage aux troupes que le Roi pourrait enrôler en Suisse ou envoyer delà les monts;
enfin, Genève ne devait accorder ni passage ni asile aux ennemis de Sa Majesté. Sur
ces points délicats, le projet de traité était rédigé comme suit :
« Et pour bénéfice du bien que ladicte ville de Genève recevra du Roi par le
« moyen de ladicte protection, elle sera ouverte et libre à tous les subieclsde Sa Majesté
« tant pour le regard du traffiq et aultres affaires qu'ils y pourroient avoir que aussi
« pour le passage des gens de guerre qu'elle pourroit avoir à tirer des dictes Ligues
« ou à envoler de France delà les monts, lesquelles gens de guerre, passans à la
« file, sans désordre et avec lote modestie, y seront reçeus et logés et à iceulx
« administrés vivres et aultres choses nécessaires en payant raisonnablement.
« Comme aussy ne sera donné aucun passage ny retraicte en ladicte ville de Genève
« aux ennemis de Sa Maiesté et Courone de France. »
Cet article du projet n'était point indifférent ; il accordait à la Cour de France
des droits dont l'exercice pouvait devenir dangereux pour l'indépendance de Genève.
N'osant repousser l'article lui-même, le Conseil chercha du moins à l'atténuer dans la
forme . Le nouvel article qu'il proposa est finement rédigé, de manière à sauvegarder
en quelque mesure les droits d'une République souveraine. Il n'y est pas dit que la
ville de Genève sera ouverte à tous les sujets de Sa Majesté, « mais que la ville donnera
« libre accès » aux sujets de Sa Majesté. C'était bien au fond le même sens, mais avec
une nuance délicate qui ménageait les droits souverains de la République. Quant au
passage des gens de guerre, il était stipulé que la Seigneurie en serait préalablement
avertie ; c'était une réserve des plus naturelles, car il importait de tout point que
Genève ne pût être considérée comme une ville absolument ouverte, une sorte de ville
tributaire que les troupes françaises auraient le droit de traverser sans même donner
avis. Voici d'ailleurs la rédaction que proposait Genève :
84 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
« Pour recognoissance du bien que ladicle ville de Genève recevra du Roy par le
« moyen dudicl secours et défense, elle donnera libre accès es subiects de Sa Majesté
« pour y traffiquer honnestement et donnera aussy passage aux gens de guerre de sa
a dicte Majesté qu'elle pourroit avoir à tirer des dictes Ligues ou a envoier de France,
« delà les monts, ayant la Seigneurie premièrement esté adverlie, lesquelles gens de
« guerre passeront à la file et selon qu'il sera advisé par ladicte Seigneurie heu esgard
« au temps et à la saison, et se comporteront sans désordre, avec tote modestie et
« leur seront administrés logis et vivres et aultres choses nécessaires en payant
« raisonablement. »
Restait encore une très grave question à régler. Dès les premiers symptômes des
persécutions religieuses, Genève s'était noblement exposée à l'inimitié de ses voisins,
en accordant asile et protection aux réformés proscrits ; elle était ainsi devenue la
ville du Refuge et elle mettait son orgueil et son honneur à conserver ce redoutable
privilège. Or, le traité portait que Genève n'accorderait ni passage ni asile aux ennemis
du Roi de France. Comment fallait-il interpréter ces mots ? Les réfugiés huguenots
devaient-ils être considérés comme compris sous cette désignation générale d'ennemis
du Roi ? Dans ce cas le projet de traité devenait inacceptable pour Genève. Les com-
missaires furent donc chargés d'obtenir des éclaircissements sur ce point, de telle
sorte que l'article du projet ne pût pas être appliqué aux réfugiés pour cause de
religion.
Telles étaient les modifications fort importantes que les commissaires de Genève,
Roset et Chevalier, devaient soumettre aux négociateurs du traité. Pour atteindre le
but, pour obtenir tout au moins une partie de ce qu'il demandait, Roset déploya une
habileté consommée; tour à tour ferme et souple, sachant céder à temps lorsqu'il
sentait l'inutilité de ses efforts, il se montra à la hauteur de la tâche qui lui était
confiée .
ET LE TRAITÉ DE SOLEUUE 85
CHAPITRE X
Négociations de Roset et Chevalier avec Hautefort et Sancy, Ambassadeurs de France, et avec le gouvernement
bernois. — Les délégués genevois obtiennent diverses modifications au projet rie traité.
La mission que Roset et Chevalier avaient à remplir était loin d'être facile ;
l'Ambassade de France, Berne et Soleure s'étaient mis d'accord sur les clauses du
traité et les simples délégués d'une petite République comme Genève avaient peu de
chances de se faire écouter. Mais les négociateurs genevois étaient habiles et persévé-
rants ; ils ne se laissèrent pas rebuter par les difficultés.
Henri III, auquel on avait fait comprendre l'importance du traité, s'était décidé à
envoyer en Suisse un nouvel Ambassadeur avec ses instructions et les pleins pouvoirs
pour traiter. Le nouvel Ambassadeur, qui était ainsi adjoint à M. de Hautefort, était Nicolas
Harlay de Sancy, l'un des esprits les plus déliés de son temps, l'auteur du Discours
sur l'occurrence des affaires, le même que d'Aubigné a mis en scène dans la Confession
catholique de Sancy. Harlay de Sancy était issu d'une branche cadette de la maison
de Harlay qui avait embrassé la communion protestante ; il s'était fait catholique en
i572 pour échapper à la Saint-Barthélémy, mais il n'avait pas tardé à revenir à la
religion réformée. D'abord conseiller au Parlement de Paris, puis maître des requêtes,
il avait été admis au Conseil du Roi, malgré sa qualité de huguenot. Le choix de
Sancy pour négocier le traité fut heureux pour Genève, car le nouvel Ambassadeur se
montra bienveillant et il y a lieu de croire qu'il contribua efficacement à aplanir
certaines difficultés suscitées par le gouvernement bernois (1).
(1) La mission de Sancy en 1579 a passé presque inaperçue; Xa France prolestante [k\:\.. Sancy)
rappelle cependant qu'il apposa sa signature au bas du traité de Soleure. Dix ans plus tard, en 1589,
Sancy revint en Suisse et réussit à lever une armée de plus de 12,000 hommes qu'il amena à Henri III.
Cette seconde mission, qui eut pour résultat de tirer Henri III du plus grand embarras, a été racontée
par Sancy dans son Discours sur l'occurrence de ses affaires (1589-lCOO) ; ce discours a été réimprimé,
avec des notes intéressantes, par M. A. Poirson, dans ses Mémoires et documents nouveaux, relatifs à
l'histoire de France à la fin du XVI« siècle, Paris 1868.
86 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
Aussitôt arrivés à Berne, Roset et Chevalier eurent une audience de Sancy et de
Hautefortet leur soumirent les changements demandés par le Conseil de Genève. Les
ambassadeurs accueillirent avec courtoisie les deux commissaires genevois, en les
assurant de leur bon vouloir ; ils ajoutèrent qu'ils auraient été heureux de faire plus
pour Genève, mais que, pour le moment, il n'était pas possible d'aller plus loin. Quant
aux termes employés dans le traité, les Ambassadeurs de France dirent qu'il ne fallait
pas s'en faire souci, attendu que le traité n'était pas conclu directement avec Genève,
mais entre la France, Berne et Soleure :
« Au reste, ajoutaient MM. de Sancy et de Hautefort, le Roi, en rendant à Genève
« le service de la garantir, mérite bien quelques égards. Pensez-y bien et n'empêchez
« pas, pour une discussion de mots, une affaire de si grande importance. Puis n'oubhez
« pas que vous faites partie de l'Empire ; si le duc de Savoie voulait vous citer au
« tribunal de l'Empire, vous n'auriez d'autre soutien que Messieurs de Berne et n'est-
« il pas bien nécessaire qu'un monarque puissant, comme le Roi de France, ail
a l'occasion de se mêler de vous défendre. Considérez bien le tout. »
Les commissaires genevois répondirent avec tact et habileté, mais en se permet-
tant un petit mensonge diplomatique : ils prétendirent qu'ils n'avaient aucun mandat
pour traiter et que leurs supérieurs, les Syndics et Conseil de Genève, n'avaient pas
encore connaissance du projet :
« Nous n'avons, dirent-ils, aucun mandat pour discuter les termes du traité, car
« nos supérieurs, les Syndics et Conseil, n'en ont pas encore connaissance (1). Mais,
a. désireux de voir aboutir une œuvre aussi excellente, nous agissons en fidèles serviteurs,
« en cherchant à prévenir les difficultés qui pourraient s'élever. Nous osons donc vous
« demander de ne pas vous arrêter aux mots, puisque, de part et d'autre, les inten-
« tions sont bonnes et que les mots peuvent parfois engendrer des disputes. Nous
« avons obtenu communication du traité, quoiqu'il ne soit pas conclu directement
a avec nos Seigneurs, mais, puisqu'il les concerne, notre devoir comme magistrats et
(1) C'était inexact, puisque Roset et Chevalier étaient précisément ciiargés par le Conseil d'obtenir
des modifications au traité.
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 87
« nos désirs personnels nous engagent à vous signaler les dangers que nous y décou-
« vrons et nous ne pouvons que vous prier très affectueusement de nous prêter votre
« attention et de nous accorder un favorable accueil. »
Le langage, simple et digne, des négociateurs genevois ne pouvait convaincre du
premier coup les Ambassadeurs français; ils déclarèrent d'abord maintenir ce qu'ils
avaient dit précédemment, mais finirent par ajouter que, puisqu'on était d'accord sur
le fond, on s'entendrait bien sur les termes.
Ainsi Hautefort et Sancy paraissaient des mieux disposés; en réalité, l'obstacle
venait du gouvernement bernois qui était ballotté entre diverses influences, comme
nous le verrons plus tard ; il fallait donc essayer de convaincre et de gagner les délégués
bernois. Roset et Chevalier se rendirent auprès d'eux pour leur recommander les
intérêts de Genève. L'Avoyer de Diesbach le prit d'assez haut :
« Le traité est entre nous, dit-il, non avec vous ; peut-être même ne sera-t-il pas
« nécessaire de faire aucun autre traité; quand on viendra à vous pour traiter, alors
ft ce sera pour vous le moment d'accorder ou de refuser. »
Autant valait dire aux délégués genevois qu'ils se mêlaient de ce qui ne les
regardait pas. Roset et Chevalier ne laissèrent percer aucune mauvaise humeur et
répondirent avec fermeté :
« Nous en parlons bien pour nous, en notre nom personnel, mais nous croyons
« que vous ne pouvez, ni ne devez, ni ne voulez faire avec la France un accord par
« lequel vous donnerez avantage sur nous ; nous croyons au contraire que vous désirez
« nous aider à la conservation de nos libertés et franchises. »
L'Avoyer de Diesbach s'aperçut sans doute qu'il avait été trop loin et il termina
l'entretien par des paroles plus encourageantes :
« Nous ferons tout ce que nous pourrons, vous y allez de bien près. »
88 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
Aussitôt après, Diesbacli et Tillier s'abouchèrent avec les Ambassadeurs de France,
pour discuter les modifications demandées par Roset et Chevalier. La conférence dura
plus d'une heure ; à l'issue, Roset et Chevalier furent appelés et les Ambassadeurs de
France s'attachèrent, en présence des délégués bernois, à lever, à réfuter les objections
de forme qui avaient été émises par les Genevois.
Il fut question en premier lieu du terme de protection qui revenait à plusieurs
reprises dans le traité et que Genève repoussait ajuste titre comme une sorte d'atteinte
à son indépendance. Les Ambassadeurs s'efforcèrent de démontrer que ce terme
n'avait pas toute la portée qu'on lui attribuait; ils firent valoir en particulier que les
protestants ne craignaient pas d'appeler le roi Henri \e\ir prolecteur, ce qui n'impli-
quait aucun droit du roi de France sur eux. Ils insistèrent sur le fait qu'il y aurait à
la Cour des gens qui feraient tout pour empêcher la ratification du traité et que les
Genevois devaient éviter avec soin toute démarche pouvant compromettre le succès
des négociations.
Malgré toutes les observations, les remontrances et répliques, comme dit une
dépêche, les commissaires genevois restèrent inébranlables et ils déclarèrent finalement
qu'ils n'avaient pas en mains les pouvoirs nécessaires pour accepter cette rédaction.
Devant les représentants d'une puissance de premier ordre, le langage des deux Gene-
vois fut énergique et fier :
« Nous ne croyons point, dirent-ils, que nos supérieurs, qui, réduits à toute
« extrémité, se sont excusés envers le grand roi François I de ne pas accepter une
« semblable protection, consentiraient aujourd'hui à souffrir la moindre tache sur la
« liberté que Dieu leur a donnée et qu'ils donneraient ainsi aux adversaires et contre-
« pralùjueurs le plaisir de se moquer d'eux. Il y aurait plus de louange pour le Roi de
« faire les choses libéralement et vertueusement qu'en portant atteinte en quelque
« manière à ce qu'il promet de conserver. »
Les paroles fermes et élevées de Roset firent impression. Le terme de protection
(lui lui tenait à cœur fut remplacé par conservalion. Les mois mettre garnison furent
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 89
également remplacés par accorder garnison. Le traité portait que la ville de Genève
serait ouverte aux sujets du Roi; sur ce point comme sur les précédents, les obser-
vations des Genevois furent accueillies et on modifia comme suit la rédaction : « les
« sujets du Roi auront passage libre et sûr pour traffîquer ».
Quant aux gens de guerre pour lesquels la France demandait libre passage, il fut
également tenu compte des réclamations de Genève et il fut stipulé ce qui suit ; « La
« Seigneurie en sera premièrement advertie pour donner ordre heu esgard à la qualité
« d'ycelle pour n'estre susprys ny surchargés. »
Sur la grave question du droit d'asile, les Ambassadeurs de France donnèrent aux
délégués genevois les assurances les plus formelles et les plus encourageantes; ils
déclarèrent, en présence des Seigneurs de Berne, que les mots ennemis du Roi n'étaient
nullement applicables aux réfugiés huguenots, considérés par le Roi comme ses bons
et fidèles sujets, au même titre que les catholiques. Hautefort ajouta que, de nombreux
huguenots s'étant retirés de France après la Saint-Barthélémy, plusieurs cantons
furent d'avis qu'on pouvait réclamer à leur sujet auprès de Messieurs de Berne, mais
l'Ambassade de France n'en fil rien, sachant bien que les traités ne le comportaient
pas et qu'ils visaient exclusivement « ceux qui entreprennent, portent armes et machi-
« nent hostilité (1)». Au surplus, les Ambassadeurs de France ajoutaient qu'il ne fallait
avoir aucun doute, ni aucune inquiétude à cet égard, et priaient qu'on n'ajoutât rien au
texte du traité, afin de ne pas excéder leurs instructions.
Comme on en peut juger par ce qui précède, les délégués genevois avaient obtenu
gain de cause sur plusieurs points ; sur d'autres ils furent moins heureux ; ainsi les
Ambassadeurs français ne voulurent pas consentir à substituer les ternies de « la
ville et cité de Genève avecq ses terres et Seigneuries » à ceux de « la ville et cité de
Genève avec son territoires. Ils laissèrent entrevoir que le changement désiré offrirait
(1) Cette dernière explication donnée par M. de Hautefort n'était pas des plus rassurantes : il en
résultait (jue la sécurité de l'asile était garantie aux victimes qui écliappaienl à un massacre, mais rien
n'empêchait l'Ambassade de ii'rance de réclamer l'extradition des luiguonots ijui avaient pris les armes
pour défendre leur liberté relij^ieuse.
90 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
des inconvénients et ils ajoutèrent que d'ailleurs le duc de Savoie avait des droits de
souveraineté sur certaines terres des environs de Genève. Les Ambassadeurs avaient
ainsi parfaitement deviné les motifs pour lesquels Genève demandait un changement
de rédaction.
Les Genevois désiraient être représentés à la conférence ou à la délibération qui
devait décider de l'envoi de la garnison; il était bien naturel, semble-t-il, que les prin-
cipaux intéressés eussent voix au chapitre. Mais les Ambassadeurs français et les délégués
bernois en avaient résolu autrement; ils repoussaient celte concession sous prétexte
qu'ils ne traitaient pas directement avec Genève et que d'ailleurs Genève devait être
considérée comme partie demanderesse se présentant devant un tribunal; il demeura
donc établi que Genève, en cas de danger, demanderait garnison et que les commis-
saires des cantons décideraient seuls de la question. On maintenait ainsi Genève dans
une position subordonnée qui ne convenait guère à une république indépendante,
mais en tout ceci apparaissait clairement le dessein des patriciens bernois qui voulaient
imposer à Genève une sorte de sujétion morale.
Du reste, il faut bien dire que 3îessieurs de Berne se souciaient médiocrement
des intérêts et de l'indépendance de Genève, car ils eurent le triste courage de proposer
aux Ambassadeurs français d'insérer au traité la réserve « sans préjudice des droits
« de M. de Savoye. » C'était implicitement reconnaître le bien fondé des prétentions
de la maison de Savoie, c'était d'un trait remettre en question l'indépendance môme
de Genève, fruit de longs efforts et de luttes héroïques. Heureusement pour Genève,
les Ambassadeurs de France repoussèrent la proposition des Bernois, non sans doute par
suite d'un généreux scrupule en faveur de Genève, mais simplement parce qu'ils ne vou-
laient à aucun prix faire les affaires du duc de Savoie. La réserve ne fut donc pas insérée
dans le traité, mais il fut entendu qu'on dirait aux envoyés de Savoie et de Genève
« qu'ils advisent de s'accorder pendant les troys moys que le Roy a de temps à res-
« pondre. » Il était puéril de supposer qu'une querelle qui durait depuis tant d'années
pourrait se régler ainsi en trois mois. Les Genevois pouvaient craindre que ce délai
de trois mois ne facilitât de nouvelles intrigues ou ne fît naître des difficultés imprévues,
mais les Ambassadeurs de France s'empressèrent de rassurer Rosel et Chevalier
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 91
et leur affirmèrent qu'ils n'avaient aucune arrière-pensée ni l'intenlion de retarder la
signature du traité, mais qu'il fallait donner à l'un deux, M. de Hautefort, le temps
de se rendre auprès de la Reine-Mère ; ils ajoutèrent : « Ce que le Roy a promys, il
« le tiendra. »
Les délégués de Genève avaient parfaitement compris toute la portée de la réserve
qui avait été proposée par Messieurs de Renie. Réserver les droits du duc de Savoie,
c'était en une certaine mesure les reconnaître et il est difficile de concevoir que les
Rernois aient fait aussi bon marché des droits et des intérêts de Genève, leur allié.
Il est malheureusement évident que le duc de Savoie avait su se ménager des intelli-
gences dans le gouvernement bernois ; cela résulte très clairement de certains propos
rapportés dans les dépèches de Roset.
Roset et Chevalier se rendirent auprès de l'Avoyer Steiguer pour chercher à lui
démontrer tout le préjudice que la réserve des droits du duc de Savoie pouvait causer
à Genève. L'Avoyer répondit qu'il voudrait que Genève se mît d'accord avec le Duc,
afin que la querelle fût une fois terminée. « Quant à la réserve, ajouta-t-il, il a été
décidé de la formuler, mais elle ne figurera pas dans le traité.» Au cours de la conver-
sation, l'Avoyer ne dissimula en aucune manière ses sentiments intimes ; il déclara
aux deux Genevois que ces négociations, « cest affaire de France » ne lui avaient
jamais plu (1), et qu'il n'avait jamais donné son adhésion au traité, que d'ailleurs il
avait toujours présents devant les yeux les défauts du Roi. Steiguer concluait en insi-
nuant que a si on povoit accorder avec le Duc, il pourroit bien faire valloir Genève. »
C'était, on en conviendra, un bien triste langage pour un magistrat républicain.
C'était en quelque sorie donner à Genève le conseil de céder et de renoncer à son
indépendance (2). Mais les deux délégués genevois n'étaient pas hommes à se laisser
(1) « Sinon qu'il a dil à Messieurs les Bourgeois: Dieu vous en doient joye. » (Voir dépêche de
Roset el Clievalier, aux documents.)
(2) L'atliliide de l'Avoyer Steiguer s'explique par certains faits personnels ; dans sa jeunesse,
Steiguer avait séjourné à Ghambéry et il avait été fort bien accueilli à la Cour du Duc de Savoie ; plus
lard^ une fois entré dans la vie publique, il fut chargé de diverses missions auprès du Duc ; il avait
92 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
gagner ou décourager, ils rappelèrent à l'Âvoyer que, si on n'avait pu s'entendre avec
le duc de Savoie dans les précédentes journées, la faute n'en était nullement impu-
table aux Genevois qui avaient toujours désiré vivre en paix avec leurs voisins ; les
obstacles venaient de la maison de Savoie qui persistait dans ses injustes prétentions.
Rosel et Chevalier firent ressortir combien il était imprudent de formuler, surtout par
écrit, des réserves en faveur de la maison de Savoie. Les « Savoyens » s'en prévau-
draient contre Genève et Berne n'en retirerait aucun avantage. L'Avoyer, s'apercevant
que ses conseils n'obtenaient aucun succès, battit légèrement en retraite et s'efforça
de rassurer ses interlocuteurs ; il leur déclara que la réserve ne figurerait point au
traité, mais dans un acte distinct, et il les engagea même à s'adresser à M. de Diesbach
pour que cette malheureuse clause fût complètement supprimée. M. de Diesbach se
montra fort conciliant; lorsque les délégués genevois lui eurent exposé le but de
leur visite, il ne fit pas de difficulté pour retirer la phrase qui blessait les Genevois et
qui pouvait servir de point d'appui aux prétentions de la maison de Savoie ; il donna
immédiatement des ordres pour que la réserve fût supprimée. Malheureusement, l'avis
de M. de Diesbach ne fut pas suivi et Roset dût revenir sur ce point délicat.
Le même jour Roset et Chevalier eurent une dernière audience de Hautefort, qui
se montra des plus bienveillants pour eux et pour Genève. Il leur annonça qu'il avait
remis au gouvernement bernois une note relative au mot ennemis contenu dans le
traité ; puis il les engagea à user de toute leur influence pour que le traité fût accepté
par Genève sans discussion ; il leur fit comprendre qu'il rencontrait lui-même beaucoup
d'obstacles, de traverses, dans les négociations, et que le duc de Savoie, les cinq
cantons catholiques, mettraient tout en œuvre pour empêcher la ratification du traité.
Il leur montra que les secrètes menées avaient déjà obtenu un premier résultat, puis-
que Berne avait proposé d'insérer dans le traité une réserve en faveur des droits de la
maison de Savoie ; dans le langage du diplomate français, il était aisé de démêler les
sentiments d'irritation qui animaient alors le Roi de France contre le duc de Savoie.
Hautefort fit remarquer à ce sujet que « le Duc, qui avait reçu tant de bienfaits du
ainsi contracté des aniiliés el subi des iniluences (|ui cxpliiiuenl ses dispositions favorables à la
Savoie.
ET LE THAITÉ DE SOLEURE 93
« Roi, ne lui avait pas fait l'honneur de le réserver dans son traité avec les cinq
« cantons». Le Roi ne faisait ainsi que rendre au duc la pareille, en refusant d'accepter
aucune réserve dans le traité avec Rerne et Soleure (1),
Hautefort, en terminant, recommanda instamment aux deux Genevois d'éviter
avec soin tout ce qui pourrait occasionner des discussions nouvelles et il manifesta
même le désir que Roset retournât à Genève pour renseigner le Conseil et aplanir
toute difficulté. Sur ce dernier point, Roset et Chevalier s'excusèrent de ne pouvoir
acquiescer au désir exprimé par l'Ambassadeur; en effet, ils étaient tenus de pour-
suivre leur voyage en Suisse, pour s'acquitter d'une mission dont ils étaient chargés
auprès des cantons, en vue d'une prochaine Journée.
Le lendemain, avant leur départ, Roset et Chevalier revirent une dernière fois les
Ambassadeurs de France ; ces derniers promirent de remettre au Conseil, en passant
par Genève, le double du traité, tel qu'il avait été amendé. Au dernier moment. Haute-
fort exprima une fois encore ses regrets de ce que Roset ne pouvait pas retourner à
Genève pour préparer le terrain ; en outre, il recommanda spécialement aux délégués
genevois «d'entretenir Mess" de Soleure, troys ou quatre qu'ils sont, et le secrétaire»,
afin qu'ils ne se laissent pas influencer par les plaintes ou les menaces des
cantons catholiques. En autres termes, Hautefort, connaissant le côté faible de certains
magistrats, engageait les délégués à gagner ou à conserver, par des cadeaux, l'appui
bienveillant des Soleurois. L'Ambassadeur prit soin d'ajouter que Ralthasard de Grissac
pouvait leur être d'un grand secours et qu'il jouissait à Soleure d'un crédit considérable.
Au moment où l'Ambassadeur donnait ce conseil à Roset, Grissac entra dans la
salle où se trouvaient réunis Hautefort et les deux délégués genevois. L'Ambassadeur
de France, s'adressant à Grissac, lui demanda son avis :
— « Je disais à M. le Syndic qu'il serait bon d'entretenir les principaux de Soleure,
afin qu'ils ne se laissent pas détourner par les sollicitations des cinq cantons, soUicita-
tions qui ne se feront pas attendre : qu'en dites-vous ? »
(1) Ainsi, par une étrange anomalie, ce turent les Ambassadeurs de France qui se trouvèrent
défendre les intérêts de Genève contre Messieurs de Berne qui en faisaient bon marché.
94 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
— a Puisque vous daignez me demander mon avis, répondit Grissac, je vous le
dirai en toute franchise; à mon avis, dès que Messieurs de Berne ont accepté le traité,
il n'y a pas lieu de craindre que les Seigneurs de Soleure se laissent manier ou
entraîner par les cinq cantons et ainsi Messieurs de Genève pourront éviter de la
dépense. Cependant, puisque M. Roset se rend à Zurich, il aura l'occasion de voir
M. de Mùlinen (1) et ils aviseront ensemble. »
— « Vous savez, reprit M. de Hautefort, combien les cinq cantons sont irrités
contre ceux de Soleure à cause de leur alliance particulière avec les Seigneurs de
Berne et vous n'ignorez pas qu'ils en ont fait des chansons, dans lesquelles ils accusent
les Soleurois de vouloir devenir luthériens, ce qui fâche fort les Soleurois. Il faudrait
donc veiller du côté de Soleure. Toutefois, conclut M. de Hautefort, vous connaissez
mieux cette affaire que moi. »
A la suite de cet entretien, Roset et Chevalier prièrent instamment Hautefort de
les aider de sa haute influence et de ses recommandations auprès des cantons catho-
liques. L'Ambassadeur répondit qu'il y avait deux personnages auxquels on pourrait
s'adresser, a mais, ajouta-t-il, celui de Lucerne (sans doute l'Avoyer Pfyffer) est
« inaccessible de ce costé. »
En écrivant au Conseil de Genève, Roset rendit compte dans les meilleurs termes
de ses relations avec les Ambassadeurs de France : « Ou nous sommes bien trompés,
« écrivait-il, ou ils sont affectionnés à ceste affaire. » En effet, les deux Ambassadeurs
avaient témoigné aux délégués de Genève des égards tout exceptionnels, les invitant à
leur table et les traitant comme des égaux. Evidemment, les délégués genevois avaient
su habilement gagner l'estime et les bonnes grâces des deux Ambassadeurs.
Après le départ des Ambassadeurs de France, Roset et Chevalier se rendirent à
l'Hôtel de Ville de Berne et obtinrent une dernière audience de l'Avoyer. Ils lui exposè-
rent de nouveau combien ils regrettaient que le gouvernement bernois eût formulé des
réserves en faveur de la maison de Savoie et les eût communiquées aux Ambassadeurs
(1) M. de Mulinen était alors en séjour à Baden.
ET LE TKAITÉ DE SOLEURE 95
français. Roset disait avec raison : « puisque le Roi ne voulait introduire aucune réserve
dans ce traité, pourquoi Messieurs de Berne en insèrent-ils une dont le gouvernement
royal n'a que faire. Au surplus, il aurait suffi de faire cette réserve verbalement, sans
la formuler par écrit. » En somme, Messieurs de Berne ne s'étaient pas comportés en
cette occasion en fidèles alliés et corabourgeois et le langage des délégués genevois
n'était pas exempt de reproches légitimes (1).
L'Avoyer s'efforça de rassurer ses interlocuteurs et d'atténuer l'importance du
procédé dont ils se plaignaient ; il leur affirma que le document contenant la réserve
serait retiré; enfin il chercha à expliquer la condescendance de Berne pour la Savoie
par des scrupules assez peu compréhensibles.
Après celte audience, la mission de Roset et de Chevalier à Berne était terminée,
mais leurs instructions leur prescrivaient de se rendre ensuite à Soleure, à Zurich et à
Bàle, pour préparer le terrain en vue d'une prochaine journée.
CHAPITRE XI
Hautefort et De la Chaise à Genève. — Mission de Roset et Ciievalier à Soleure, Zurich, Schaffhouse et Bâie. —
Démarche de l'Avouer Pfyfîer contre le traité, — Roset et Chevalier rendent compte de leur mission.
Tandis que Roset et Chevalier partaient pour Soleure, les Ambassadeurs de France,
Hautefort et De la Chaise (2), se dirigeaient vers Genève; ils y arrivèrent le 23 mai
et aussitôt le Conseil délégua trois de ses membres avec le Premier Syndic pour les
complimenter et leur « tenir compagnie. » L'entretien porta naturellement sur le traité
(1) a Nous ne pouvons, tlisaienl-iis, ([ue nous ne le (l'Avoyer de Berne) requérions de tant faire
« que ces escrils ne s'esventent point, sinon ([u'il fut possible de les retirer, veu que le préjudice qu'ils
« nous font en cela retumbe sur eulx, pource que nostre Estât est tellement conioint au leur que
« l'avantage que M. de Savoye pourroit gagner sur Genève luy réussiroit certainement à fondement
« pour réintégrande de totcs ses (lucrelles et actions contre eulx, nonobstant totes lettres et seaux.»
(2) Sancy, qui était resté à Berne, ne tarda pas à retourner à Soleure, où était le siège de l'Am-
bassade.
96 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
qui venait de se négocier, et le Premier Syndic exposa aux deux Ambassadeurs les
griefs de Genève, notamment pour les péages; il leur fit remarquer que le Pays de
Vaud jouissait de l'immunité douanière, tandis que Genève n'avait pu l'obtenir ; le
maintien des barrières commerciales ne pouvait avoir d'autre effet que de dépeupler
Genève, tandis qu'au contraire le Roi de France avait intérêt à la voir peuplée et
florissante, « pour se pouvoir mieulx garder, suyvant son intention. » Le Premier
Syndic insista vivement sur ce point, jusqu'à mettre en doute que le peuple consulté en
Conseil Général voulût, dans ces conditions, ratifier le traité (1).
Les Ambassadeurs répondirent que, si le Pays de Vaud jouissait de l'immunité
douanière, c'était comme terre sujette de Berne, et que d'ailleurs Genève pouvait pré-
tendre dans la suite à des avantages semblables, même à de plus importants. Pour le
moment, dirent-ils, nous n'avons pu faire mieux, attendu que notre mandat était
limité (2). Ils promirent enfin d'envoyer le traité à Genève, lorsque le Roi l'aurait
approuvé.
En résumé, les deux Ambassadeurs firent preuve des ^meilleures dispositions à
l'égard de Genève et déclarèrent au Premier Syndic, comme ils l'avaient déclaré à
Roset et à Chevalier, qu'ils avaient refusé d'accepter la réserve proposée par Messieurs
de Berne en faveur du duc de Savoie et que Messieurs de Soleure avaient pris le
même parti. En terminant, ils exhortèrent les magistrats genevois à ne pas se mon-
trer difficiles ou exigeants pour l'acceptation du traité, d'autant que plus tard ils
pourraient obtenir mieux en négociant à nouveau avec Berne et Soleure
Tandis que les Ambassadeurs de France séjournaient à Genève, Roset et Cheva-
lier, partis de Berne le 20 mai, étaient arrivés à Soleure ; ils y reçurent la visite de
(1) Les questions changem peu ; celte question des douanes et des péages qui intéresse si sérieu-
sement la Genève contemporaine préoccupait au même degré nos ancêtres.
(2) Selon toute apparence, les Bernois n'appuyèrent que très mollement les réclamations de
Genève pour les péages ; en effet, Roset, rendant compte de sa inission en Suisse, raconta au Conseil,
(séance du C juin 1.^79) ipi'il avait vu à lîcrne M. de t'Iervant et que ce dernier avait fort bien aperçu
« que les S" de Iterne n'avoient pas fort pressé l'article de rcxemption des péages, d'autant ([u'on leur
a dit que ccuix (lui se fasclieroicnt à Genève se retireront en leur pais. »
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 97
l'Avoyer et de quelques autres magislrals. Roset, qui cherchail en toute occasion à
étendre les relations de Genève, demanda à l'Avoyer de Soleure s'il ne serait pas op-
portun de conclure une alliance particulière entre Berne, Soleure et Genève. L'Avoyer
répondit « qu'il faudroit faire quelque chose, » mais qu'il fallait ajourner toute
nouvelle négociation, jusqu'au moment où les intentions du Roi seraient connues.
Le 22 mai, Roset et son collègue arrivèrent à Baden, en Argovie, et s'empressè-
rent de faire visite à un ami dévoué de Genève, à l'Avoyer de Miilinen, qui était en
séjour aux bains. Ils lui racontèrent en détail les négociations qui venaient d'avoir lieu
et les obstacles qu'ils avaient rencontrés. Miilinen leur confia que le Duc de Savoie
était fort irrité du succès des négociations et leur fit part d'une conversation toute
récente qu'il avait eue avec l'envoyé de Savoie, M. de Jacob ; ce dernier lui ayant
reproché d'avoir été le promoteur du traité « dont son maistre esloit bien fasché, »
M. de Mùlinen lui avait répondu que le traité n'avait d'autre but que de garantir la
sécurité de Genève : « D'ailleurs, avait ajouté Mùlinen, ne pensez pas que ceux de
« Genève soient disposés à se rendre à Son Altesse, ils se rendraient plutôt à
« d'autres. »
— « A qui, reprit M. de Jacob, au Roi de France? Nous le voudrions, car il ne
« faudrait que deux tours de chambre pour avoir Genève du Roi lui-même ; on a eu
« de lui bien d'autres places. »
Cette déclaration de l'envoyé de Savoie n'était pas rassurante pour Genève. Les
délégués Roset et Chevalier jugèrent inutile de la relever et se bornèrent à demander
à Miilinen s'il était opportun de solliciter pour Genève un traité de combourgeoisie
avec Zurich et Soleure. Miilinen les dissuada de tenter une démarche dans ce sens,
en leur apprenant qu'il avait déjà traité ce sujet avec un conseiller de Zurich qui
avait fort mal accueilli ses ouvertures.
De Bade, Roset et Chevalier poussèrent jusqu'à Zurich oîi ils présentèrent dès le
premier jour leurs lettres de créance au bourgmaitre Brôhl ; le 25 mai ils furent reçus
98 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
en audience par le Conseil. Ils exposèrent l'objet de leur mission et demandèrent que
la Seigneurie de Zurich leur accordât le trésorier Thomann comme arbitre pour la
journée qui devait statuer sur les différends de Genève avec le Duc de Savoie. Le Con-
seil fit le meilleur accueil aux deux délégués et leur accorda l'objet de leur demande,
en ajoutant que « où ils pourroient gratifier Messieurs de Genève, ils le feroient
« volontiers. » L'accueil bienveillant qui fut fait aux deux Genevois était d'un heureux
augure pour l'avenir ; en effet, trois ans plus lard, Michel Roset revenait à Zurich pour
conclure et signer un traité de combourgeoisie au nom de Genève.
De Zurich, Roset et Chevalier se rendirent à Schaffhouse, puis à Râle ; dans ces
deux villes ils rencontrèrent le meilleur accueil, A leur retour, les deux délégués s'ar-
rêtèrent de. nouveau à Soleure ; arrivés le 1"'' juin, ils eurent aussitôt une conférence
avec l'Ambassadeur du Roi, Sancy, qui leur raconta un nouvel incident survenu à
l'occasion du traité. L'Avoyer Pfyffer, de Lucerne, lui avait écrit pour se plaindre
amèrement de ce qui avait été fait en faveur de Genève (1). L'Avoyer blâmait ouverte-
ment ceux qui s'étaient mêlés des négociations du traité ; il ajoutait qu'ils seraient
désavoués par le Roi et que les cinq cantons catholiques enverraient incessamment
des Ambassadeurs à la Cour pour protester contre le traité. Comme nous l'avons
indiqué plus haut, Pfyffer était alors non seulement le chef de l'Etat de Lucerne,
mais encore le personnage le plus considérable de la Suisse catholique. « Les
« Confédérés, dit Vulliemin, ne connaissaient pas d'exemple d'un homme qui se fût
« élevé si haut par les richesses, la gloire et l'amitié des têtes couronnées. Aussi les
« étrangers le nommaient-ils le Roi des Suisses (2). »
Pfyffer était un personnage qu'il fallait ramener à tout prix, afin d'éviter de
nouvelles complications. L'Ambassadeur de France s'était donc empressé de lui expé-
dier son secrétaire Vallier pour tâcher de calmer son ressentiment. Lorsque Vallier
réussit à le rencontrer, l'homme d'Etat lucernois était en état d'ivresse, et l'entretien
(1) Sous le litre de : Ludwig Pfyffer und seine Zeil, M. de Segesser vient de raconter en détail
la carrière de l'iiommc d'Etat lucernois.
(2) Hist. de la ConC. suisse, par Jean de Millier, continuée par Monnard et Vulliemin, le. Xtl,
p. 142.
ET LE TRAITE DE SOLEUIIE 99
s'engagea dans les conditions les plus fâcheuses. Vallier chercha à faire comprendre à
son interlocuteur que le Roi n'avait nullement traité avec Genève, mais seulement
avec Berne et Soleure, et dans l'intérêt de l'alliance que la Couronne de France vou-
lait maintenir avec les Ligues Suisses :
« Le Roi, disait Vallier, n'entend nullement par ce traité favoriser la religion
« réformée, vu qu'il n'y a prince au monde qui ait fait autant de sacrifices pour la
« défense de la religion catholique, s'étant trouvé à cinq ou six batailles et ayant tout
a risqué pour elle. Après la St-Barthélemy, lorsque M. de Savoie insinua aux Seigneurs
« de Berne et d'autres cantons que le Roi voulait s'emparer de Genève, lorsque le
c( même duc de Savoie offrit de participer à la défense de la ville, en contribuant à la
« solde d'une garnison suisse, cette proposition venant de M. de Savoie ne vous parut
« point étrange ; pourquoi donc la repoussez-vous aujourd'hui qu'elle vient du Roi ?
« Qui vous a comblé de ses bienfaits? Faites attention. Monsieur Pfyfïer, que, si les
« cantons catholiques envoient auprès du Roi une ambassade contre ce traité, c'est
« vous seul qui en porterez toute la responsabilité ! Si vous trouvez d'ailleurs quelque
« avantage à suivre un autre parti que celui du Roi, faites-le, mais, si vous voulez
« continuer à servir le Roi, ne cherchez point à entraver ce qui se fait dans l'intérêt
« de la France. A vous parier franchement, le Roi a toujours le moyen d'avoir des
« amis, et, s'il faut qu'il se passe des uns, il en trouvera d'autres. L'alliance de la Cou-
« ronne de France est aussi nécessaire aux cantons qu'au Roi lui-même. Quant aux
« soupçons que vous cherchez à faire planer sur ceux qui se sont mêlés du traité,
« rappelez-vous que ces derniers sont aussi bons catholiques que d'autres et à ceux
« qui diraient le contraire on pourrait aisément prouver qu'ils se trompent. »
Le langage très vif de Vallier n'était pas fait pour calmer l'Avoyer de Lucerne. Il
répondit avec emportement que les cantons enverraient une Ambassade en France,
quoiqu'il en fût, et il ajouta: puisqu'on a des préférences pour Berne et Soleure, les
autres cantons aviseront.
Sur ce ton l'entretien ne pouvait aller bien loin; Vallier quitta l'Avoyer et partit
]00 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
aussitôt pour Schwylz et Zug ; il s'entretint avec les principaux personnages de ces
deux cantons et les trouva bien disposés, malgré les intrigues des envoyés de Savoie.
Au retour, Vallier repassa par Lucerne et fut tout étonné de trouver que l'humeur de
l'Avoyer avait complètement changé; il s'était radouci et il s'excusa d'avoir été
violent quelques jours auparavant, ajoutant que l'Ambassade dont (il avait parlé ne
serait pas envoyée.
L'irritation de l'Avoyer Pfyffer s'était calmée, mais les cantons catholiques,
excités par dessous main, ne tardèrent pas, comme nous le verrons, à entreprendre
une véritable croisade contre le traité de Soleure.
Après avoir pris congé de Sancy, Roset et Chevalier quittèrent Soleure pour
retourner à Genève. Dans les environs de Berne ils firent la rencontre de Glervant,
l'un des agents les plus zélés des réformés français ; il leur raconta que Messieurs de
Berne n'avaient guère insisté pour obtenir en faveur de Genève l'exemption des
péages, parce qu'ils supposaient que « ceux qui se fascheroient à Genève se retireront
a en leur pais, s c'est-à-dire sur territoire bernois. Glervant ajouta qu'il avait entendu
dire à Diesbach que « ceux de Genève se faisoient croire qu'ils étoient gens de guerre,
« mais qu'ils ne l'estoient ». Ges propos, qui coïncident avec d'autres faits de même
nature, attestent qu'il y avait dans le gouvernement bernois un groupe d'hommes poli-
tiques qui se souciait fort peu de l'indépendance ou des intérêts de Genève.
A Berne, Roset eut une dernière entrevue avec Steiguer qui lui annonça que le
gouvernement bernois n'attendrait pas l'expiration du délai de trois mois demandé
par l'Ambassade de France et qu'il écrirait incessamment au Gonseil de Genève pour
obtenir son adhésion au traité de Soleure.
Le 6 juin, Roset et Chevalier étaient de retour à Genève et rendaient compte au
Conseil du résultat de leur mission. Par son habileté, mêlée de souplesse et de fermeté,
Roset avait aplani bien des difficultés et réussi à améliorer un traité qui allait devenir
l'une des bases essentielles de l'indépendance de Genève.
ET LE TRAITE DE SOLEURE
101
CHAPITRE XII
Le gouvernement bernois communique le traité au Conseil de Genève. - Préavis demandé à la Compagnie des
Ministres.
A partir des premiers jours de juin, le Conseil de Genève attendit avec une
impatience compréhensible la dépêche de Berne qui devait le nantir officiellement du
traité.
Le 11 juin, le Conseil discute s'il y a lieu de faire quelque démarche « parcequ'on
« n'a point de nouvelles de Berne, encore qu'on disoit qu'ils manderoient par deçà ».
La dépêche ne se fit attendre que quelques jours; en effet, le 22 juin au matin, le
Conseil fut convoqué d'urgence pour prendre connaissance de la dépêche si impa-
tiemment attendue et qui était arrivée la veille au soir (1). Messieurs de Berne pré-
sentaient le traité comme ayant été conclu uniquement à leur « requeste et sollicita-
tion », ils assuraient qu'ils étaient certains de l'adhésion du Roi et annonçaient
leur intention de soumettre à la journée de Baden le texte du traité, ainsi que les
motifs qui les avaient déterminés à le conclure. Ils priaient le Conseil de Genève de
leur transmettre le plus promptement possible son avis sur le traité. A la dépêche
officielle était jointe une lettre particulière de l'Avoyer de Miilinen pour Michel Roset ;
l'Avoyer engageait vivement les magistrats genevois à accepter le traité tel quel :
« Autrement, disait-il, vous aurez bien peu d'amis. »
Avant de rien décider, le Conseil voulut prendre l'avis de deux hommes qui,
dans des sphères différentes, lui inspiraient le plus de confiance, l'un théologien,
Th. de Bèze, le second jurisconsulte éminent, CoUadon. Tous deux furent aussitôt
mandés et ils prirent connaissance des articles du traité qui furent recomms passables
et acceptables sous deux réserves :
(1) Elle existe aux Arch. de Genève, Port. hist. ^"2001.
102 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
i" Que les relii^ionnaires français qui se retireraient à Genève ne seraient point
considérés comme ennemis du Roi et que les portes de la ville leur resteraient
ouvertes :
2° Qu'on réglerait ultérieurement à quelles conditions les papistes seraient admis
dans la ville.
Il fut également décidé d'écrire à Berne pour l'exemption des impôts et péages
en France.
Non content d'avoir l'approbation de Th. de Bèze et de Colladon, le Conseil
décida de « communiquer (le traité) pour le faict de la conscience à la Compagnie
« des Ministres ». Le Conseil prenait rarement une mesure de quelque importance
sans consulter la Compagnie des Pasteurs et il en résultait un certain amoindrissement
de l'autorité civile au profit du corps ecclésiastique.
Le texte du traité fut donc communiqué à la Compagnie et le même jour, à
sept heures du soir, le Conseil se réunit de nouveau pour entendre le préavis de la
Compagnie. Tous les Pasteurs de la Ville et quelques-uns de la campagne assistaient
à la séance. Th. de Bèze porta la parole au nom de ses collègues; le Registre du
Conseil nous a conservé le résumé de son discours:
« Messieurs les Ministres, dit Th. de Bèze, ne se sont nullement dissimulé la
« gravité de la question qui leur a été soumise, mais ils hésitent à se prononcer
« d'une manière catégorique; en effet, si d'une part ils ne peuvent méconnaître
« l'action divine qui se déploie pour notre protection, d'autre part ils ne peuvent
« oublier à qui on a affaire. Chacun sait que le Roi en veut à la religion réformée et
« plus particulièrement à cette ville ; il est donc impossible de se fier à lui. Toutefois,
« il faut prier Dieu qu'il bénisse les effets, comme il le peut faire, et qu'il fasse
« tourner à bien de coupables intentions.
« Les Ministres rappellent ensuite qu'il y a à Genève une jeunesse dont on connaît
« les défauts ; ils craignent que cette jeunesse ne profile du traité pour s'oublier et se
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 103
« livrer à la dissipation ; ils supplient donc que, si le traité est ratifié, la jeunesse soit
« tenue en bride- Quant au Roi, il a encore les mains teintes du sang de nos frères et
« Messieurs les Ministres se feraient scrupule d'avoir affaire avec lui, mais pour le pré-
ce sent, il s'agit simplement de savoir si Genève acceptera ce qui a été traité entre le
« Roi d'une part, Messieurs de Berne et Soleure d'autre part. En réalité, Messieurs les
« Ministres ne voient pas qu'il y ait lieu en bonne conscience de s'opposer au traité ;
a toutefois, ils estiment qu'il y a quatre points qui demandent à être examinés de près,
« car ceux avec lesquels on a affaire peuvent interpréter les choses à leur avantage. En
« présentant ces observations, ils ne cherchent nullement à élever des obstacles, mais à
a obtenir que les articles soient modifiés avec le concours de Messieurs de Berne. Nous
« ne saurions oublier d'ailleurs que nous sommes liés par une sorte de pacte ou d'al-
« liance ayec les Eglises réformées de France qui sont de véritables colonies de l'Eglise
« de Genève et les articles conçus en termes généreux doivent être formulés de telle
« façon qu'ils ne puissent être mal interprétés par les fidèles de ces Eglises. »
« L'article premier du traité dit que les habitants de Genève se comporteront envers
« le Roi « avec le respect qu'il appartient. » Cela est bon et suivant la parole de Dieu,
« mais nous savons comment ces termes sont compris en France et nous craignons
« que, sous le manteau d'une telle disposition, on ne réclame autre chose que le res-
« pect dû au Roi. Nous prions donc qu'on ajoute à l'article premier les mots suivants
« qui en précisent le sens : que ce soit sans préjudicier à la sainte et raisonnable liberté,
« octroyée parla parole de Dieu.
« A l'article deuxième il est dit que Genève est reçue dans l'alliance « en Testât
« qu'elle est de présent. » Il est certain que ces mots « en Testât » comprennent
« tout ; toutefois nous aimerions qu'ils fussent rendus plus clairs encore, si c'est pos-
« sible, et nous désirerions qu'on ajoutât : « assavoir tant en la liberté que religion. »
«En troisième lieu, pour la garnison, il semble qu'il conviendrait de déterminer à
« quelles conditions on laissera entrer dans la ville des soldats papistes, afin qu'il n'en
« résulte aucun préjudice pour la religion . »
-104 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
« Comme dernier point, Messieurs les Ministres prient qu'il soit clairement spé-
« cifié que ceux de la religion ne sont pas compris sous le titre d'ennemis du Roi.
« Voilà, dit en terminant Th. de Bèze, ce que nous avons pu faire en un si bref
« délai et sans préjudice de l'opinion de nos frères absents. »
Les autres Ministres, appelés à émettre leur opinion, s'exprimèrent tous dans
le même sens que Th. de Bèze.
Après avoir entendu le préavis de la Compagnie des Pasteurs, le Conseil décida
de convoquer le Conseil des Deux Cents pour lui soumettre le traité.
Le mardi 23 juin, dans la matinée, « Messeigneurs du Grand Conseil dict des
a Deux Cens » s'assemblèrent et le Premier Syndic exposa, dans un remarquable dis-
cours, l'importante question sur laquelle Genève devait se prononcer. A propos des
anciennes alliances de la République, il rappela qu'en 1558 les Bernois avaient promis
de faire entrer la Seigneurie dans la paix perpétuelle qui existait entre la Couronne de
France et les cantons suisses. Malheureusement, ce projet n'avait pu se réaliser par
suite des guerres de religion et de la haine qu'inspirait le nom seul de Genève. Dès
lors plusieurs entreprises avaient été préparées contre la sécurité de la ville ; une
entr'autres, « plus chaude que jamais, » avait été tramée l'année précédente ; neuf à
dix mille hommes s'étaient réunis de tous les points du royaume pour surprendre
Genève, lesquels, « dit le Premier Syndic, Dieu combattit pour nous de loing et avant
« qu'aprocher se mirent en roule et en effroy ».
A la suite de cette tentative avortée, Genève avait adressé des plaintes aux
Bernois et à d'autres cantons. Messieurs de Berne avaient pris l'affaire en main et
s'étaient plaints au Roi de France et au Duc de Savoie, qui avaient déclaré qu'ils ne
savaient pas le premier mot de ce complot. Pour prouver leur bonne foi, tous deux
avaient offert de se concerter avec Messieurs de Berne dans le but d'empêcher que
Genève tombât entre les mains de l'étranger. Mais, tandis que le Duc de Savoie avait
laissé l'affaire en suspens, le Roi de France avait charge son Ambassadeur, Ilautefort,
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 105
de suivre aux négociations, qui avaient eu pour résultat la conclusion d'un traité entre
les envoyés de France d'une part, les gouvernements de Berne et de Soleure de l'autre.
Après avoir ainsi exposé l'état des négociations, le Premier Syndic fit observer
que, pour deux motifs essentiels, le traité n'avait pu être communiqué plus tôt au
Conseil des Deux Cents ; en premier lieu, Hautefort avait instamment prié que le
traité restât secret jusqu'au moment où le Roi en aurait été nanti ; en second lieu, il
était à remarquer que le traité était conclu non pas avec Genève, mais en faveur de
Genève, entre la France, Berne et Soleure. Peut-être même le traité serait-il resté
secret quelque temps encore si deux jours auparavant Messieurs de Berne n'avaient
pas envoyé un exprès chargé de demander l'adhésion formelle de Genève.
Le Premier Syndic déclara ensuite que le Conseil aurait vivement désiré un traité
plus avantageux pour Genève, mais, pour le moment et malgré les bons offices de
Berne, il était impossible d'obtenir mieux. Cependant M. de Hautefort avait laissé
espérer que, dans la suite, Genève obtiendrait l'exemption des péages et impôts en
France, immunité dont jouissaient déjà Messieurs des Ligues. Mais, ajouta le premier
Syndic, « il y a matière de louer Dieu en ce qu'ayant les Francoys pour ennemys,
« comme ils le monstrèrent l'an passé et au lieu qu'on avoit à craindre qu'ils ne
« dressassent siège contre la ville, le Roy s'en déclaire maintenant amy, estant dict par
« ledict traicté perpétuel qu'il ne souffrira passer personne par sus ses terres pour nous
« nuyre, mays s'oblige à secours et à consigner argent là où les gens se lèveront et en
« oullre permet à ses subiets de nous venir au secours; il contracte avec deux cantons
« et aullres qui se vouldront joindre, tellement qu'il est à espérer qu'il le tiendra ».
Après cet exposé général, le premier Syndic passa en revue les principales clauses
du traité, en insistant sur celles qui pouvaient soulever quelque objection :
« Nous promettons de respecter le Roi, disait le premier Syndic, il n'y a rien là que
de raisonnable et nous l'avons bien fait jusqu'à présent. Quant au droit de passage que
nous accordons aux Suisses se rendant en France, nous l'avons déjà accordé précé-
demment, quoique nous ne fussions liés par aucun traité ; d'ailleurs, nous ne pour-
14
106 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
rions refuser le passage à Messieurs des Ligues sans nous déclarer leurs ennemis et les
ennemis du Roi. Le traité nous interdit de donner asile aux ennemis du Roi ; il était
à craindre que le Roi n'entendît par là les réfugiés pour la religion, mais, pour dissiper
nos craintes, les Ambassadeurs du Roi ont déclaré par écrit, à Rerne, que ces termes
ne s'appliquent nullement aux réformés. Suivant celte déclaration, «les ennemis sont
« ceulx qui se joignent avec les princes estrangiers ou qui se bandent contre la cou-
«ronne. Aussy ceulx de la religion ne sont tels, car le Roi les a déclairés par son édict
« perpétuel ses bons et loiaulx subiects, comme aussy ils vivent sous l'obéissance du
« Roi ».
Le premier Syndic insista en terminant sur les deux avantages essentiels qu'of-
frait le traité : en cas de guerre, la garantie d'un corps d'occupation entretenu aux
frais du Roi ; en temps de paix, le droit de trafiquer librement en France. Le premier
Syndic conclut en priant « la compagnie d'y bien penser et adviser ».
Aussitôt après ce discours, les conseillers du CC exprimèrent successivement leur
avis sur le traité qui fut approuvé à l'unanimité; il fut en outre décidé de convoquer
pour le lendemain le Conseil général, afin de soumettre le traité à sa ratification
souveraine.
Le mercredi 24 juin, dans la matinée, le Conseil général, convoqué au son de la
grosse cloche, se rassembla, à l'issue du sermon, dans le temple de St-Germain. La
séance s'ouvrit, suivant l'usage, par la prière, puis un des magistrats présents exposa
devant le peuple tous les avantages résultant du traité; il donna lecture des articles du
traité, des lettres de Berne et de la réponse que Messieurs du Petit et Grand Conseil
proposaient d'adresser au gouvernement bernois « portant acceptation, avec la décla-
a ration qu'on n'entend pas faire préjudice tant soit peu, ny en tout, ny en partie, à la
religion. »
Lorsque cet exposé fut terminé, l'objet de la réunion fut mis en délibération et
la parole fut offerte à qui la demanderait « pour approuver ou contredire cest advis».
Aucune opposition ne se manifesta et le traité fui ratifié par le Conseil général :
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 107
« Ainsy, dit le Registre, après avoir rendu grâces à Dieu, le peuple s'est retiré paisi-
« blement, dont Dieu soit loué éternellement. »
N'y a-t-il pas quelque grandeur dans le spectacle de ce petit peuple de Genève
se réunissant en Conseil Général pour exercer sa souveraineté et pour ratifier un traité
qui venait d'être négocié par les délégués de deux républiques et par les Ambassadeurs
de France !
CHAPITRE XIII
Intrigues du Duc de Savoie et du Pape. — Ratification du traité par Henri 111. — Genève délègue Roset et Varro
à Soleure. — Le traité est définitivement signé et ratifié à Soleure.
Tandis que le peuple genevois ratifiait le traité de Soleure, le duc de Savoie
s'agitait et intriguait pour empêcher que le Roi de France donnât son adhésion. A la
fin du mois de juin, le secrétaire d'Etat de Bàle écrivit confidentiellement à Roset que
le vi-bailli d'Aoste s'était récemment rendu à Berne, afin de se renseigner sur l'exis-
tence du traité ; aussitôt qu'il avait été suffisamment instruit, il était reparti en poste
pour rejoindre le duc de Savoie. On sut bientôt à quoi s'en tenir sur les intentions du
duc. Le 4 juillet, Vézines écrivit à Th. de Bèze que la ratification du traité rencontrait
à la Cour de grandes difficultés, « d'aultant, disait-il, que le duc de Savoye y a de
« grands fauteurs : totesfois, ajoutait Vézines, il entend que le Roy ne laissera de le
« ratifier »
Non content d'intriguer à la Cour de France, le duc fit intervenir le Pape, qui
expédia en Suisse l'évêque de Verceil pour tâcher d'empêcher la ratification du traité.
L'évêque se rendit aussitôt à Baden où se tenait une yoMraée; il arriva en grande pompe,
ce qui, dit-on, scandalisa plusieurs, et il se logea dans une maison qui avait autrefois
porté l'enseigne « du renard qui presche aux poules », ce qui provoqua naturellement
de piquantes allusions. L'envoyé du Pape se mit aussitôt en campagne pour obtenir
l'intervention des cinq cantons cathohques. Ces derniers tentèrent en effet une
408 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
démarche, mais l'Ambassadeur de France leur répondit sèchement que le Roi, son
maître, ne reviendrait pas sur une parole donnée et qu'il avait constamment refusé
d'écouter l'Ambassadeur de Savoie, MM. de Guise et de Nemours, qui le suppliaient
« de se déporter de Genève, à cause que tous les maux qui sont advenus en son
8 roiaume procèdent de ceste ville ».
A l'instigation de l'évêque de Verceil, les délégués des cinq cantons firent égale-
ment des démarches auprès du gouvernement de Soleure pour lui persuader de
renoncer au traité, mais ils échouèrent; les Soleurois répondirent bravement «qu'ils
<i ne se desjoindroient d'avec Messieurs de Berne (1)».
Ainsi, les intrigues de l'évêque de Verceil et les menées du duc de Savoie avaient
misérablement échoué.
Le 3 août, Anselme Caille, arrivé la veille de Fribourg, raconta à Genève qu'il
avait vu, entre les mains de l'Avoyer de Miilinen, des lettres du Roi à son Ambassa-
deur déclarant qu'il ratifierait le traité « qui qui s'y oppose et luy dheust-il coster
« cincquanle mille hommes. »
Enfin, le 17 août, Michel Roset, revenant de Berne, apporta au Conseil l'heureuse
nouvelle que le traité de Soleure avait été dûment ratifié par Henri III. L'Ambassa-
deur de France avait montré à l'Avoyer de Mûlinen des lettres de la Cour, du 28 juillet,
annonçant la ratification comme un fait accompli. A cette occasion, Mûlinen avait
raconté à Roset que l'Ambassadeur de France s'était montré plein de sollicitude
pour Genève ; pour réduire au silence les cantons catholiques, Sancy avait été
jusqu'à menacer leurs chefs les plus influents de ne plus leur payer leurs pensions,
puisqu'ils étaient devenus les instruments du Duc de Savoie ; il leur avait prouvé
d'ailleurs que le Duc n'avait nullement le droit de se plaindre du traité, attendu qu'il
avait offert lui-même de prendre avec Messieurs de Berne les mesures nécessaires
(1) En apprenant que le gouvernement de Soleure avait résisté aux réclamations des cinq cantons,
le Conseil de Gencve dôcida de l'en remercier ofliciellement (séance du 27 juillet 1579), mais, comme
on craignait fort d'indisposer les Bernois, on décida de ne rien faire avant d'avoir pris l'avis de M. de
Miilinen.
ET LE TRAITÉ DE SOLEUBE 109
pour la protection de Genève ; pour achever de les convaincre, Sancy avait commu-
niqué aux cantons catholiques des lettres où le duc de Savoie mandait à son agent,
qu'il ratifiait «les articles proposés touchant Genève». A quel litre le Duc de Savoie
et les cantons catholiques pouvaient-ils protester contre le traité, lorsque le Duc lui-
même avait manifesté le désir de signer un traité semblable? L'argumentation de
l'Ambassadeur de France était sans réplique et, combinée avec les menaces relatives
aux pensions, elle produisit le meilleur effet sur les gouvernements des cinq cantons.
Les confédérés de Zoug furent les premiers, dit-on, à « se repentir», et ils prièrent
Sancy « d'aller faire ung tour par devers eulx. »
Vers le 20 août, Sancy passa par Genève ; il eut une entrevue avec le SyndicBernard
et lui confirma de vive voix la nouvelle de la ratification, en lui montrant la dépêche
qui l'annonçait, « contenant que la ratification estoit faicle, ne c'esloit que de la coucher
« en parchemin et la porter au Roi pour la signer ». Dans le cours de la conversation,
l'Ambassadeur se montra fort confiant et communicatif et témoigna tout son regret de
la réserve que Messieurs de Berne avaient proposée en faveur des prétentions de la
maison de Savoie ; il ajouta que, pour atténuer l'effet de cette réserve, il ferait stipuler
au traité qu'il s'agissait des droits anciens de la maison de Savoie, de ceux qu'elle
prétendait posséder de son chef et par voie héréditaire, non de ceux que les ducs de
Savoie prétendaient avoir acquis de l'évêque de Genève ou autrement (1).
En quittant Genève, Sancy prit la route de Grenoble où se trouvaient alors
Catherine de Médicis et Henri III, mais, arrivé près de Chambéry, il fut obligé de
rebrousser chemin. M. de Hautefort lui écrivait de retourner en toute hâte à Berne et
à Soleure pour procéder à l'échange des ratifications. Le Roi ayant approuvé le traité,
il importait d'en finir au plus vite, d'autant plus que le Duc de Savoie, qui se trouvait
alors à Grenoble auprès de la Reine-Mère, mettait tout en œuvre pour faire révoquer
(1) Dans la séance du Conseil où le Syndic Bernard et Roset rendirent compte de leurs entrevues
avec l'Ambassadeur du Roi, il est de nouveau question du prince de Gondé et de l'emprunt qu'il avait
contracté quelques années auparavant : a Ont esté veues lettres dudict S' Prince par lesquelles il prie
« faire surcoir la vente de ses bagues engagées en ceste ville vers certains particuliers pour I,HOécus
« jusques à la foire de Pasques de Francfort, a esté arresté qu'on leur en parle ».
110 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
le traité. Le Duc était si irrité de voir le Roi s'interposer entre Genève et lui qu'il s'en
prenait à tout le monde et à Grenoble même, il attaqua « à paroles » M. de Hautefort,
qai lui répondit sur le même ton. Hautefort jugeant, en homme avisé, que rien ne
valait un fait accompli, pressait M. de Sancy de revenir sur ses pas et de hâter la
signature du traité, « afin que ce soit chose irrémédiable ».
Sancy reprit donc le chemin de Genève, mais il eut soin de se faire précéder par
Balthasard de Grissac qui arriva à Genève dans la matinée du 22 août, et qui fit aus-
sitôt prévenir le Conseil de sa présence. Roset fut délégué pour recevoir et compli-
menter B. de Grissac, qui exprima l'avis que le Conseil devait immédiatement désigner
ses mandataires pour participer à la ratification du traité. Roset objecta, non sans
raison, que, le traité ayant été conclu entre le Roi et les deux cantons, Genève n'y
intervenait qu'indirectement; si on voulait que Genève s'engageât elle aussi, par ser-
ment, il fallait que l'invitation partît à la fois du Roi et des deux cantons. Grissac
reconnut que c'était une question à examiner et qu'il convenait de s'entendre à ce
sujet avec Sancy qui, disait-il, « est bien affectionné (1) ».
Sancy arriva à Genève le môme jour ; il reçut aussitôt la visite de Bernard et de
Roset et confirma ce qui leur avait été dit par Grissac; il leur déclara que des
délégués de Genève devaient assister à l'échange des ratifications et prêter serment au
même titre que les Ambassadeurs de France, de Berne et de Soleure.
Pendant la durée des négociations du traité de Soleure, Genève avait été main-
tenue dans une sorte de dépendance humiliante, comme si le traité ne la concernait
en aucune manière ; ses puissants protecteurs entendaient bien veiller à sa sécurité,
mais ils se souciaient peu de la consulter. En signant au traité, Genève se relevait au
rang d'Etat 'souverain et indépendant ; le Conseil accepta donc avec empressement
l'invitation que lui adressait Harlay de Sancy et désigna deux délégués, Michel Roset et
(1) Sancy a élé scvèreincnt jugé à cause de la léi^èrelé et de la versatilité de son caractère, mais il
est juste de reconnaître qu'il se montra loyal et bienveillant dans ses premiers rapports avec Genève;
il est vrai que, dans ce cas, l'intérêt de la France et celui de Genève étaient identiques.
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE lil
Ami Varro (1), qui se mirent en route munis d'une procuration régulière et des pleins
pouvoirs nécessaires pour prêter et recevoir le serment (2). Roset et Varro arrivèrent
à Berne le 25 août; l'ami le plus dévoué de Genève, Mûlinen, venait de partir pour
Soleure avec M. de Diesbach, dans le but de s'entendre sur la forme du serment.
Les deux magistrats genevois s'adressèrent donc à l'Avoyer Steiguer, lui montrèrent la
procuration dont ils étaient porteurs et lui demandèrent si les délégués bernois avaient
reçu les pleins pouvoirs pour le serment. Steiguer répondit que les délégués ne pou-
vaient agir sans en référer, mais que, si le cas était urgent, le Conseil des CC pourrait
se réunir le lendemain et désigner deux députés pour le serment.
Roset et Varro abordèrent dans la même entrevue le sujet le plus délicat : la
question de la réserve que Berne avait stipulée en faveur de la maison de Savoie.
L'Avoyer Steiguer répondit qu'il s'en était longuement entretenu avec Mûlinen et
s'efforça de prouver aux deux délégués que la réserve ne pouvait porter aucun préju-
dice à Genève ; il ajouta que, d'ailleurs, on n'y pouvait rien changer, attendu que les
Savoisiens en étaient déjà informés. Roset et Varro ne se tinrent pas pour battus et
cherchèrent à obtenir que le texte de la réserve fût modifié, mais l'Avoyer répondit
d'une manière évasive à leurs observations.
Le lendemain, soit le mercredi 26 août, Roset et Varro furent admis au
Conseil des CC, devant lequel ils exposèrent en détail l'objet de leur mission; ils
racontèrent que l'Ambassadeur de France, désireux de conclure au plus vite le traité,
les avait priés de se trouver le jour même à Soleure, mais qu'ils n'avaient rien voulu
faire sans prévenir Messieurs de Berne, que d'ailleurs ils avaient reçu un mandat
relativement à la réserve des droits de M. de Savoie, réserve qui était fort grave ; ils
(1) Noble Ami Varro, seigneur de Choulex, du CG en 1552, conseiller en 15C9, syndic en 1573,
mourut à l'âge de 67 ans, le 19 décembre 1593. (Voir Notices généalogiques de Galiffe, art. Varro.)
(2) Séance du 22 août 1579. — Chose étrange, au moment où Genève obtenait la protection
ofTicielle du Roi de France, le Conseil recevait de divers côtés les avis les moins rassurants, notamment
du célèbre jurisconsulte Hotman ; on lit au Registre du 25 août : a Fran. Ottoman, adverlissemens.—
« Aussy ont esté receus divers adverlissemens tant d'Allemagne que de Neufcliastel que ce traicté avec
« le Roy n'est que pour nous trahir et que le Roy a juré d'exterminer ceste ville. »
•H 2 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
ajoutèrent que les Savoisiens faisaient grand bruit de quelques bulles et rescrits récem-
ment obtenus de l'Empereur, du Pape et du prétendu évêque de Genève, et ils conclu-
rent en renouvelant auprès du CG la réclamation qu'ils avaient présentée la veille à
l'Avoyer; pour le cas où il serait impossible d'annuler la réserve, ils demandèrent
qu'elle s'appliquât exclusivement aux droits que le Duc pouvait tenir de son père.
Le même jour dans l'après-midi, l'Avoyer Steiguer et d'autres membres du Conseil
communiquèrent aux délégués genevois la réponse du gouvernement bernois. En pre-
mier lieu, les envoyés bernois, qui se trouvaient à Soleure, étaient invités à attendre
l'arrivée de deux nouveaux délégués, chargés de prêter serment au nom de la Répu-
blique de Berne. En second lieu, on donnait aux mômes délégués toute liberté de réduire
la portée de la réserve et d'agir pour le mieux.
Roset et Varro avaient ainsi obtenu du gouvernement bernois tout ce qu'ils pou-
vaient raisonnablement espérer; ils se mirent en route pour se rendre à Soleure, où
ils arrivèrent le mercredi soir 26 août. A peine arrivés, ils eurent un entretien avec
les envoyés bernois, auxquels ils exposèrent ce qui venait de se passer à Berne ; de
leur côté, les deux Bernois annoncèrent à Roset et à Varro qu'ils avaient reçu de
nouvelles instructions, avec les pouvoirs les plus étendus pour la conclusion définitive
du traité.
Le jeudi 27 août, Roset et Varro furent appelés auprès des délégués de Berne
et de Soleure et Mûlinen leur demanda s'ils avaient les pouvoirs nécessaires pour
prêter serment au nom de Genève ; il leur demanda en même temps si le traité était
agréable aux Genevois ou s'ils avaient quelque observation à présenter ; en terminant,
Mûlinen communiqua aux deux délégués la formule du serment, telle qu'elle avait été
rédigée par l'Ambassadeur de France, et les pria de répondre sur ces divers points.
Les délégués genevois se retirèrent quelques instants pour se mettre d'accord
sur les termes de leur réponse ; une fois rentrés auprès des envoyés de Soleure et de
Berne, ils leur exposèrent qu'ils étaient autorisés à prêter et à recevoir le serment ;
que la Seigneurie de Genève acceptait le traité dans toutes ses dispositions; qu'en ce
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 113
qui concernait spécialement la forme du serment, ils ne proposaient aucun change-
ment ; ils demandaient toutefois que la déclaration générale des droits de la maison
de Savoie fût limitée «à la combourgeoisie et au vidomat, » conformément au départ
de Baie et à d'autres traités qui réservaient formellement ces deux points.
Après avoir entendu ces observations, les délégués de Berne et de Soleure se
retirèrent à leur tour pour délibérer. A ce moment, où tout semblait d'accord, surgit
une difficulté inattendue qui faillit remettre tout en question. En effet, les Bernois ne
tardèrent pas à revenir, en annonçant que Messieurs de Soleure refusaient péremptoi-
rement de prêter aucun serment aux délégués de Genève. Pour expliquer cet étrange
refus, les Soleurois invoquaient les motifs suivants : ils étaient liés par un traité qui
leur interdisait de contracter alliance ou combourgeoisie avec qui que ce fût sans le
consentement des autres cantons. Les cinq Etats catholiques, ayant eu vent des négo-
ciations du traité de Soleure, avaient tout fait pour l'empêcher, mais le gouvernement
de Soleure s'était prévalu du fait qu'il ne contractait nullement avec Genève, mais
seulement avec le roi de France et avec Berne. Les Soleurois déclaraient, en consé-
quence, qu'ils prêteraient serment aux représentants du Roi et de Berne, mais qu'ils
s'abstiendraient de toute relation avec ceux de Genève. En outre, ils s'opposaient à
ce que la procuration de la Seigneurie de Genève figurât au traité.
L'attitude des Soleurois en cette circonstance était blessante et les deux Genevois
durent être péniblement affectés de celte difficulté nouvelle surgissant au moment où
ils croyaient toucher au port. Mais Michel Roset était de ces jhommes admirablement
trempés qui ne se laissent pas décourager et qui finissent par atteindre le but à force
de persévérance. Les deux Genevois se rendirent auprès de l'Ambassadeur de France
et lui exposèrent qu'ils ne pourraient prêter serment si la procuration du Conseil
ne figurait pas dans le traité ; en effet, c'était cette pièce seule qui leur conférait les
pouvoirs nécessaires pour prêter serment. L'argument était irréfutable; l'Ambas-
sadeur de France le reconnut et promit d'en parler aux commissaires des deux villes.
Après avoir gagné Sancy à leur cause, les deux délégués se rendirent auprès de
l'Avoyer de Mùiinen qui promit également d'user de son iniluenre auprès des Soleurois.
114 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
Mùlinen et son collègue firent en effet de louables efforts pour triompher des scru-
pules et de l'opposition des Soleurois; ceux-ci finirent par consentir à ce que la pro-
curation de Genève fût insérée dans le traité, mais par contre ils refusèrent obstinément
de prêter serment aux délégués de Genève.
Le 28 août, deux patriciens bernois, Hans Rudolf de Bonstetten et Hans Rudolf
Wurstemberg, arrivèrent à Soleure avec une procuration régulière pour le serment.
Rien ne s'opposait plus dès lors à l'échange des ratifications et le samedi 29 août
l'Ambassadeur de France, les délégués de Berne, Soleure et Genève, se réunirent à
l'Hùtel de Ville. Les représentants du Roi de France, de Berne et de Soleure, se prêtèrent
mutuellement serment, puis les Soleurois se retirèrent et on fit entrer les deux Genevois,
auxquels le secrétaire de Berne donna lecture de la formule du serment ainsi conçue :
« Nous promettons et jurons, au nom du Dieu vivant, de garder et observer invio-
« lablement tout le contenu, chascun entant qu'il nous touche, au traicté que nous
« avons ouy, sans aulcune faute ny variation. »
Les Ambassadeurs et délégués, debout, tête nue et la main levée, répétèrent, après
le secrétaire, chaque mot de la formule du serment, puis les deux Genevois prêtèrent
serment entre les mains de l'Ambassadeur du Roi et des Seigneurs de Berne. Aussitôt
après, l'Ambassadeur de France et les délégués de Berne s'avancèrent et prêtèrent
successivement le serment entre les mains des deux Genevois : « Et ainsy, ajoute
« Roset dans son rapport au Conseil, se sont respectivement congratulés, louans Dieu
« et le prians bénir le totaige. »
Elle était enfin accomplie l'œuvre à laquelle Roset avait travaillé avec tant de
persévérance et d'habileté (1). L'indépendance de Genève était désormais placée sous
(1) Quoique le traité de Soleure fût des plus avantageux pour Genève et qu'il eût été réguliôrenienl
approuvé par le Conseil Général, il l'ut apprécié de diverses manières, comme on en peut juger par
l'extrait suivant du Registre du Conseil à la date du 8 septembre : « D'autant que plusieurs parlent
'( diversement du traité fait entre le Roy et Messieurs des deux villes concernant ceste ville, estant veu
'< un mémoire des articles dudicl traicté, a esté arresté (|u'on en l'ace plusieurs doubles, les(|uels on
« pourra communiiiui-r, selon (pic l'occasiou se présentera, aliu (|u'ou saiclie au vray le contenu dudict
'( traicté. »
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 415
la triple garantie de la France, de Berne et de Soleure. Roscl diîl éprouver un senti-
ment de joie inlense et de légitime orgueil en voyant ses patients efforts couronnés
par le succès, mais il y avait une ombre au tableau.
La procuration des commissaires de Soleure contenait la réserve expresse que
Soleure entendait n'avoir rien à faire avec Genève et ne voulait être lié à celte ville
ni par traité, ni par serment. Cette réserve était offensante pour Genève : Roset et
Varro en furent très affectés et se rendirent auprès de l'Ambassadeur pour s'en
expliquer avec lui. Sancy chercha à les rassurer et leur répondit « qu'il n'y avoit en
a. cela tant de mal qu'ils cuidoient » ; il leur montra que Soleure, canton catholique,
était placé dans une situation délicate vis-à-vis de ses alliés, mais que, malgré tout,
les Soleurois exécuteraient loyalement le traité.
Roset et Varro se rendirent ensuite auprès des délégués bernois qui cette fois
prirent très chaudement en mains les intérêts de Genève. Mùlinen « remontra » aux
Soleurois que les termes de la procuration impliquaient plutôt de l'hostilité que de
l'amitié. Les remontrances du délégué bernois produisirent un effet inattendu. Les
Soleurois répondirent que, pour complaire à M. de Mùlinen, ils retrancheraient de la
procuration la clause blessante pour Genève ; ils firent mieux ; ils prièrent les deux
délégués genevois de ne pas prendre en mauvaise part ce qui s'était passé, ajoutant
que la clause avait été insérée non par hostilité pour Genève, mais « pour certaines
raisons qu'ils ont avec leurs alliés ». Ils déclarèrent en terminant que, le jour où les
circonstances l'exigeraient, Genève les trouverait « prests et affectionnés », comme ils
l'avaient promis au Roi et à Messieurs de Berne.
Ces loyales explications firent la meilleure impression sur les deux délégués
genevois qui, de leur côté, promirent que Genève ne se nionlrerail pas ingrate.
La mission de Roset et de Varro était terminée ; ils avaient aplani bien des diffi-
cultés et prêté au nom de Genève le serment exigé par le traité. Avant de quitter
116 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
Soleuiv, ils firent une dernière visite à l'Ambassadeur du Roi pour le remercier de son
précieux concours. Sancy leur fit le meilleur accueil et leur dit que, si jamais il se
trouvait appelé auprès du Uoi, il ne manquerait pas de lui recommander Genève et de
lui montrer combien l'indépendance et la sécurité de cette ville importaient à la
France. ^
De Soleure, Roset et Varro reprirent le chemin de Berne, puis de Genève; le
5 septembre, ils rendirent compte de leur mission en séance du Conseil et demandèrent,
suivant l'usage, décharge de leur mandat, ce qui leur fut accordé.
- CHAPITRE XIV
Le Conseil de Genève récompense les services de Mulinen, Grissac, etc. — Nouvelles intrigues des cantons
catlioliques. — Le canton de Zurich est associé au traité de Soleure.
Pendant toute la durée des négociations du traité de Soleure, Sancy s'était mon-
tré des plus bienveillants pour Genève, mais, en diplomate habile, il entendait tirer
parti de l'attitude qu'il avait prise ; il savait que les conseils de Genève étaient écoutés
avec déférence par les Eglises réformées de France et, aussitôt le traité signé, il
demanda l'intervention de Genève pour apaiser les troubles du Dauphiné. Dès le
1" septembre, il écrivit au Conseil une lettre commençant en ces termes :
« Magnifiques Seigneurs,
« Ayant entendu comment les Eglises réformées du Dauphiné et spécialement le
« S'' Desdiguières marche lentement au faict de la paciffication de ceste province, j'ay
« estimé qu'il n'y avoit personnes en ce monde plus propres pour les admonester de
« leur devoir envers Dieu, leur prince naturel, et leur patrie, que vous, desquels ils ont
« receu en leurs afflictions tant de courtoisies qu'ils ne pourront prendre qu'en bonne
f( part les remonstrances que vous leur vouldrès faire. »
Ilarlay de Sancy priait ensuite le Conseil de députer auprès de Lesdiguières et
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE H 7
des Eglises réformées du Dauphiné quelque personnage notable chargé de leur faire
connaître les bonnes dispositions du Roi à l'égard de Genève et de leur représenter
« le tort qu'ils feroient à leur réputation s'ils vouloyent aujourd'hui, seuls de tout le
« Royaulme, nourrir et fomenter ce feu de guerre civile, lequel est, par la grâce de
« Dieu, estainct par tout ailleurs et ne se peult, ce semble, rallumer que par leur
« faulte et mauvaise volunté. »
Sancy avait en outre donné des instructions particulières à son secrétaire Vigier,
porteur de la dépêche; d'après ces instructions, le secrétaire devait se borner à
demander que le Conseil écrivît à Lesdiguières et aux Eglises réformées, mais il ne
devait pas insister sur l'envoi d'un délégué.
Il était très adroit de réclamer ainsi les bons offices du Conseil auprès de Lesdi-
guières ; chacun sait que les Eglises réformées de France éprouvaient à l'égard de
Genève les sentiments de fdiale déférence et de respect que les colonies peuvent
ressentir pour leur métropole. Il était donc à présumer que Lesdiguières et les
Huguenots du Dauphiné tiendraient compte des avis de Genève. D'autre part, il y
avait lieu de considérer qu'en intervenant ainsi dans les affaires de France, le gouver-
nement genevois sortait de ses attributions et assumait une certaine responsabilité ;
en un mot, il se mêlait de ce qui ne le regardait pas. Dans les cas difficiles on avait
volontiers recours aux lumières et à l'expérience de Th. de Bèze ; le Conseil fit donc
appeler le Réformateur et lui soumit la question. Le préavis de Th. de Bèze paraît
avoir été favorable, car, après l'avoir consulté, le Conseil décida d'écrire aux Eglises
réformées du Dauphiné dont les délégués devaient se réunir à La Mure. La lettre
destinée à ces Eglises fut aussitôt rédigée, et le Conseil tint une nouvelle séance le
même jour dans l'après-midi pour approuver le contenu. La rédaction proposée fut
trouvée « trop ample et trop générale » et le Conseil décida de la revoir et de la
modifier «sus tout à l'endroicl out il est dict et parlé dudict mareschal de Bellegarde.»
Mais en réalité cette lettre n'était pas destinée à parvenir à son adresse ; lorsqu'elle
dût être expédiée en Dauphiné, Lesdiguières était en Piémont ; quant à l'assemblée
des délégués des Eglises réformées, elle n'eut pas lieu; enfin, un gentilhomme réformé,
118 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
M. de Cugi (1), fit remarquer non sans raison que celle lettre pourrait compromettre
la Seigneurie et il donna le conseil fort sage de ne pas l'expédier à Lesdiguières,
a d'aultant, disait-il, qu'il la pourroit monstrer au maréchal de Bellegarde qui en
« seroit indigné contre ceste ville. » L'avis de M. de Cugy prévalut et les lettres du
Conseil ne furent point remises.
Au XVP siècle les services politiques et diplomatiques de la nature la plus
relevée se récompensaient à beaux deniers comptant et les personnages les plus en vue
acceptaient sans rougir une somme d'argent en échange de leurs bons offices. Le
7 septembre 1579, le Conseil discuta la rémunération à accorder à divers personnages
qui avaient coopéré au traité de Soleure. A tout seigneur, tout honneur; on commença
par s'occuper de l'ancien Avoyer de Mûlinen auquel on avait fait des promesses très
précises. Le Conseil décida de lui offrir 500 écus ; c'était pour l'époque une très grosse
somme et de Mûlinen n'avait pas à se plaindre. On décida ensuite d'offrir 25 écus à
chacun des Avoyers en charge et au secrétaire de Soleure ; au S'' Schuwaller (?) 12 écus,
enfin, au secrétaire de Berne, Dachselhoffer, 15 écus (2). Le Conseil ne se contenta
pas de ces témoignages très positifs de sa reconnaissance ; à la fin du mois de
décembre de la même année, il fut proposé « qu'il seroit bon de mander quelques
« chappons gras aux principaulx seigneurs de Solleure pour quelque recognoissance
«des plaisirs qu'ils ont faits; arresté, ajoute le Registre, qu'on leur en mande une
« beste chargée avec d'orenges et une lettre que le S'' Roset escrira pour les entretenir,
« attendant qu'on aile par delà pour les recognoistre plus amplement. »
Les Soleurois firent le meilleur accueil aux présents du Conseil de Genève et le
(1) /Vinié de Glane, SfcleCugieel Eurre, l'un des amis et des compagnons d'armes de Lesdiguières,
fui employé par ce dernier dans diverses négociations ; il fui envoyé nolamment auprès de Catherine
de Médicis pour Irailer de la paix (1579). fl avait épousé en premières noces une (ille de Montbruii el
en deuxièmes Anloinelte de Massues- Vercoiran. — Consulter sur le S'' de Cugy les Actes el Corres-
pondance du Connétable de Lesdiguières, publiés par MM. le coiiile Douglas et J. Roman, to. f,
Grenoble 1878.
(2) Dans la même séance du 7 scpletnbre, le Conseil décide d'accorder une gratilicalion de dix
écus, fort justifiée d'ailleurs, au savant jurisconsulte llotman, l'auteur de la Fraiico-Gallia, pour un
avis de droit concernant le dillérend entre Genève el le Duc de Savoie.
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE H9
secrétaire d'Etat répondit par une lettre de remerciements conçue dans les meilleurs
termes; il reconnaissait que les récentes négociations n'avaient pas entièrement réussi
au gré des Genevois, mais il priait le Conseil de croire que les Seigneurs de Soleure
étaient animés d'excellentes intentions et qu'ils avaient dû à regret se conformer à la
maxime de Cicéron «qu'il fault en telle façon aider à un estât qu'on ne nuise point
« à l'autre ».
Le Conseil avait ainsi décidé de récompenser largement les services des Bernois
et des Soleurois; il lui restait à indemniser Balth. de Grissac, auquel Roset avait promis
la somme de mille écus pour le cas où le traité se conclurait. A la fin de l'année
1579, Grissac fit rappeler la promesse qui lui avait été faite ; ce fut Polier, un agent
de l'Ambassade, qui fut chargé par Grissac de rafraîchir la mémoire de Michel Roset.
Il fallait donc s'exécuter, mais le Conseil voulut y mettre le temps : « Arresté, dit le
<i Registre du 16 novembre, qu'on l'entende (B. de Grissac) encor plus pariiculière-
« ment, assavoir ledicl S'' Varro, qui est son familier ». En réalité, le Conseil trouvait
que mille écus, c'était bien cher, d'autant plus que Grissac n'avait pu obtenir pour
Genève une faveur essentielle, l'exemption des douanes. Grissac attendit assez patiem-
ment, mais, au mois d'avril 1580, Roset, qui se disposait à partir pour Berne et pour
Soleure, rappela au Conseil qu'il s'était personnellement engagé pour la somme de
mille écus vis-à-vis de l'agent français ; or il pouvait rencontrer en voyage Balthasard
de Grissac, et il demandait ce qu'il devait lui offrir ; là-dessus le Conseil décide « qu'il
« accorde avecluy comme il pourra ».
Quelques jours après, Roset se mettait en route pour accomplir sa nouvelle
mission; il s'agissait de remettre en mains propres les cadeaux et gratifications que
la République offrait aux Bernois et Soleurois. Roset se rendit en premier heu à Berne
et se présenta auprès de l'Avoyer de Mûlinen, auquel il offrit une bourse contenant
500 écus, « après avoir fait les recommandations de la part de Messieurs et fait
« entendre la confiance que Messieurs avoyent en sa bonne volonté et en son amitié
« à l'advenir ». L'Avoyer fit naturellement quelques difficultés; il objecta qu'il n'avait
besoin d'aucune récompense, ayant agi et négocié dans l'intérêt de Berne, mais il finit
par accepter, afin, dit-il, qu'on ne prît pas son refus en mauvaise part. Roset profita
120 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
des bonnes dispositions de l'Avoyer pour aborder un autre sujet qui lui tenait à cœur ;
il importait à Genève d'obtenir l'alliance de Zurich et Rosel pria Mùlinen de lui prêter
son concours dans ce but. L'Avoyer répondit qu'à la dernière journée Berne avait
demandé aux treize cantons de recevoir comme alliés ses territoires conquis (le Pays de
Vaud, etc.), mais qu'il ne l'avait pas encore obtenu ; il ajouta qu'on n'avait nullement
perdu l'espérance d'y arriver, et que Berne chercherait à obtenir la même faveur
pour Genève.
De Berne Roset se rendit à Soleure ; sa première visite fut pour le secrétaire
d'Etat auquel il offrit des tasses, des pièces d'argenterie, que le digne fonctionnaire
accepta après les excuses d'usage. Ayant ainsi préparé le terrain, Roset demanda au
secrétaire si le gouvernement de Soleure était toujours dans les mêmes dispositions à
l'égard de Genève ; il lui fut répondu que les Soleurois « estoient autant ou plus
affectionnés que jamais. »
Le lendemain, Roset obtint audience du Conseil et le remercia, au nom de Genève,
d'avoir participé au traité. Les Soleurois se montrèrent affables et courtois et décla-
rèrent qu'en se joignant au traité, ils l'avaient fait « de bonne volonté » ; ils ajoutèrent
qu'en cas de danger, ils seraient des premiers à secourir Genève.
A Soleure, Roset avait encore une dernière tâche à remplir, c'était la plus délicate
et la plus désagréable ; il se rendit auprès de Grissac et chercha à lui faire comprendre
que le Conseil de Genève était médiocrement satisfait du traité, qu'il espérait mieux
et qu'il avait compté notamment sur l'exemption des péages. Roset ajouta que, si
Genève avait obtenu gain de cause sur ce dernier point, le Conseil lui aurait fait
volontiers quelque bon présent, mais pour le moment, il ne pouvait lui offrir que
200 écus, « en attendant qu'on face davantaige ». Grissac, qui comptait sans doute
sur les mille écus promis, dût faire la grimace ; il répondit que la somme offerte était
bien petite et qu'il avait le moyen de rendre encore bien des services à la ville. II
s'ensuivit une scène de marchandage qui n'avait rien de bien édifiant. Grissac deman-
dait au moins COO écus, tandis que Roset affirmait ne pouvoir dépasser 500 écus ;
selon toute apparence, on s'arrêta au chiffre réclamé par Grissac. Mais ce dernier ne
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE i^\
loucha la récompense promise que dans le courant de l'année suivante (1). Il continua
du reste à servir secrètement les intérêts de la République. A Zurich, il recommanda
officieusement au bourgmestre d'entrer en alliance avec Genève (2). Plus tard, lorsqu'il
eut l'occasion de retourner en France, il offrit ses services auprès de la Cour pour
obtenir l'exemption des douanes (3). Ajoutons qu'il profitait de sa situation officielle
pour renseigner le Conseil sur les dispositions de la Cour de France à l'égard de
Genève (4).
(1) Reg. du Cons. Séance du H juillet 1582; No., Baltasard deGrissac.— D'auUantqu'il se présente
commodité de faire entendre audict S"" de Grissac la bonne volonté de Messeigneurs, ayant fait entendre
au S' Roset que, s'il plaist à mesdicts seigneurs luy délivrer les six cens escus (|ui lui ont esté promis,
il fera telle quictance el si ample qu'il leur plaira.
Séance du 4 septembre 158-2 ; Baltasard de Grissac — Suyvant ce que fust dernièrement arresté,
a esté arresté qu'on mande audict Baltasard qu'on ira bien tosl par delà et <|u'on luy portera ce qu'on
luy a promis.
(2) Reg. Cons. séance du 1" septembre 1581. — Baltasard de Grissac, Zurich — a rescript audict
S' Roset qu'ayant esté à Zurich, comme il luy avoit promis, il a recommandé aft'ectueusement le fait de
l'alliance au S' bourgmaistre dont il a bonne espérance : au reste luy mande qu'il est prest de faire
bonne quittance et décharge à Messieurs de l'argent qu'on luy a promts, arresté qu'on le paye à la
première oportunité qu'on ira pardelà.
24 octobre 1581. Baltasard de Grissac— Traicté avec le Roy, alliance avec Zurich.— Monsf Roset
a rapporté avoir parlé au Seigneur Baltasard de Grissac qui s'en va à Grenoble qui luy a dict que
Mons' de Mulhunen (Miilinen) luy avoit escritque Messeigneurs sedoutoientde ceste arrivée du duc du
Maine estant au Dauphiné, dont ayant adverli tant le duc contre M. de Hautefort ils ont asseuré par
lettres lesdicts seigneurs de Berne qu'il n'y a aucune chose à craindre et sont bien marris qu'il se
sème tels bruits pardeça. Parlant plus oultre audict S' de Grissac, notamment de la réserve des actions
du duc contenue au traicté faict avec le Roy, ledict de Grissac luy dit que les S" de Mandelot et de
Hautefort estoieni à Soleure pour le renouvellement des alliances avec les cantons et qu'il espéroit que
les affaires succéderoient bien pour Messieurs et s'asseuroil qu'il trouveroit moyen défaire oster ladicte
réserve pour le moings qu'il y emploiera tout son crédit. Dit aussy avoir esté à Zurich et que, parlant
aux principaux dudict lieu, il les a trouvés bien affectionnés à ceste République et inclinans à la rece-
voir en alliance, à quoy aussy il aidera de son pouvoir. Ledict S' Roset luy a promis à son retour de
luy faire délivrer la partie qui luy a esté promise.
(3) Reg. Cons. Séance du 25 décembre 1581. — Estant proposé que maintenant (jue le S' Baltasard
de Grissac s'en va en France avec les Ambassadeurs des Ligues, il oll're de s'emploier pour Messieurs
envers le Roy pour faire exempter ceste ville des péages en France, comme lesdicts S" des Ligues, et
qu'il seroit bon que M. Roset en escrivit à M. de Hautefort qui va à la Cour, a esté arresté qu'il en
escrive, selon la lettre ([ui a esté icy veue.
(4) Reg. Cons. Séance du 20 février 1582. « Baltasard de Grissac, France. — M. le Lieutenant a
122 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
La conclusion définitive du traité de Soleure n'empôcha pas de nouvelles menées
contre Genève. Les cantons catholiques, dirigés par le colonel Pfyffer, ne pouvaient se
résigner à l'idée de voir la capitale du calvinisme protégée et garantie par la France, et
par Berne et Soleure. En 1582, une ambassade des cantons catholiques se rendit à Paris :
elle avait pour mission, entr'autres, de travaillera obtenir que le Roi revînt sur le traité
de Soleure, mais les tentatives échouèrent et la Cour de France se montra décidée à
respecter ses engagements (1). En cela, Henri III fit preuve d'habileté et de clair-
voyance ; il sut faire céder ses passions religieuses devant la raison d'Etat, devant
l'intérêt supérieur, évident, du Royaume. Il lui en coûtait sans doute de prendre sous
sa protection un foyer d'hérésie, comme Genève l'était à ses yeux, mais il lui importait
avant tout que Genève ne devînt pas la proie du duc de Savoie. Ses conseillers,
les Sancy. les Hautefort, lui avaient fait comprendre l'importance exceptionnelle de
Genève, pour la sécurité de ses relations avec les Ligues Suisses. C'est dans ce sens que
Henri III écrivait le 13 mars 1582 à ses deux Ambassadeurs en Suisse, Mandelot et
Hautefort:
<t En premier lieu, encores qu'il fust à souhaiter que la ville de Genève eust esté
longtemps ja réduicte en cendres pour la semence de mauvaise doctrine qu'elle a
espendue en plusieurs endroicts de la chrestienté, dont se sont ensuiviz infinis maulx,
ruines et calamités, et plus en mon royaume que en nul aultre endroict, néantmoings
estant assize en telle assiette qu'elle est, elle ne pourroit estre réduicte en l'obéissance
monstre des lettres qu'il a receu dudicl S' Baliasard, par lesquelles il luy mande avoir esté parlé à la
Court de ce dont on avoit escrit à M. de Hautefort, assavoir de l'exemption des péages, mays il ne scail
ce qui en a esté dict : au demourant, que le Roy se pleinl de l'impression qui se fait en ceste ville de
certains livres, comme du secret des finances de France, du miroir de la France, a esté arresté ([ue
M. le Lieutenant recommande derechef ce faict audict Raltasard et (ju'on luy escrive que Mess"' ne
savent que c'est de ces livres. »
(1) Reg. Cons. séance du 7 mars 1582: « Paix avec la France, traicté de France. Ont esté icy veues
lettres de M. de Vozines contenant (|uo les Ambassadeurs des cantons papistes qui ont esté ces jours à
la (>our de hYance avoient charge d'Inster (|ue le Roy se déportas! du traicté faict avec Rerne et Solleurre
pour le rcg;inl de Genève, mays que cela a esté rejeté. Il estime qu'ils feront mesme instance quant ce
viendra au rcnouvclloment de, ralliance avec les Suisses, donnant advis (|ue les amys trouveroient bon
que, pour prévenir ce rcnmomcnt, il seroit bon ijue Messieurs, par le moyen desdicts S"" de lîerneet
de Solleure, attirassent audict traicté les S" de Fribourg. »
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 123
de quelque prince que ce soyt de mes voisins, qui ne tint en grande subjeclion les
sieurs des Ligues et ne les réduisit comme çn sa mercy ; demeurant en sa puissance
— tenant le pas de l'Ecluse qu'il fortiffieroit incontinant — d'empescher que je ne les
puisse secourir à leur besoing, ni que eulx peussent venir à mon secours et service
quand je les appeleroys (i).»
Le traité de Soleure ouvrit pour Genève une ère nouvelle; sans doute ce traité
n'eut pas pour effet de désarmer la maison de Savoie et de détruire ses prétentions
séculaires, mais Genève, jusqu'alors isolée, obtint une sorte de garantie internationale,
précieuse sauvegarde de son indépendance. Dès lors, à Paris, comme à Berne et à
Soleure, on surveilla d'un œil jaloux et inquiet les menées ou les entreprises du duc
de Savoie. Plus tard, en 1605, ie canton de Zurich, le second des cantons réformés en
importance et en influence, apposa sa signature au bas du traité de Soleure, ajoutant
ainsi sa garantie à celle de la France, de Berne et de Soleure. A diverses reprises et
notamment en 1640, il fut question de la mise à exécution des clauses du traité de
Soleure, et une lettre de M de Reffuge, Ambassadeur de France, nous apprend qu'il
avait reçu l'ordre de Leurs Majestés, « de mettre à part trente neuf mil livres pour estre
d consignées et employées suivant et à la forme du traicté de SoUeurre ». Il est juste de
reconnaître que ce traité, fruit de patientes négociations, constitue l'une des bases
essentielles de l'indépendance de Genève. L'histoire doit donc un souvenir reconnais-
sant aux patriotes zélés et intelligents et en première ligne à l'illustre Michel Roset,
à ceux qui eurent l'habileté d'opposer la France à la Savoie et d'obtenir la sécurité
de Genève par l'antagonisme des intérêts. En se contrecarrant et se surveillant
mutuellement, les puissants voisins de Genève, le Roi de France, le Duc de Savoie, et
les patriciens de Berne, consolidèrent l'indépendance de Genève.
(1) Lettre de Henri III à Mandelol et Hauleforl, citée par M. Ed. Rott, Henri IV, les Suisses et la
Haute Italie, p. 156 et 157 note.
Des arguments de niéiiie ordre sont exposés tout au long dans une curieuse Relation, rédigée par
HauLefort, Ambassadeur de France en Suisse, relation que nous publions aux Pièces justificalives.
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE ''^^
PIÈCES JUSTIFICATIVES
1 MTinW I
I
Lettre du prince de Condé au Conseil de Genève
(Arch. de Genève, Portef. hist. n" 1952;
A Magnificques Seigneurs Messieurs les Syndiques et Conseil de Genève.
Magnifiques Seigneurs,
Ayant rcceu advertissement de plusieurs endroicts comme il a pieu à Dieu toucher
le cœur du Roy mon Seigneur pour l'induyre à paciffier les troubles qui sont en son
Royaume et donner repos aux Églises réformées qui, comme vous scavez, ont souffert
de longues et dures aftlictions, mesmes ayant sa Majesté escript 'pour cet effect à
M. le Comte Palatin, Electeur de l'Empire, et autres Princes de la Germanie, j'aybien
voulu vous faire part d'une si bonne et joyeuse nouvelle, comme à ceux que je say
estre singulièrement affectionnés au bien de nostre France et particulièrement au repos
et tranquillité de nos pauvres Églises, et d'autant que, pour la négociation d'une
affaire de telle importance et qui touche l'asseurance et la stabilité de vostre estât, j'ay
besoing de conseil, j'ay bien voulu vous prier. Magnifiques Seigneurs, me prester, pour
peu de jours, Mons' de Resze, pasteur et ministre de vostre Eghse, à ce que, par son
bon advis et prudent conseil joint avec celui des autres ministres qui se trouve-
ront par deçà, et autres dignes personnages que j'ay mandés exprès pour l'accom-
pagner, je puisse traicler d'une si saincle et louable entreprise, suyvant ce que
126 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
VOUS entendrez plus amplement par M" Viret, ministre de mon Eglise, lequel j'ay
envoyé exprès par devers vous et n'estant la présente pour autre elTect, je feray fin
par mes affectionnées recommandations à vos bonnes grâces. Priant Dieu vous main-
tenir, Magnifiques Seigneurs, en sa saincte et digne garde.
De Strasbourg, ce 2" de août 4574.
Vostre plus affectionné et asseuré amy à vous obéir,
Henry de Bourbon.
II
Le Prince de Condé au Conseil de Genève.
(Arcli. de Genève, Porlef. hisl. n° 1952.)
Messieurs,
Je ne vous scaurois asses remercier du plaisir que m'aves faict, m'octroiant de
voir celluy que j'avois si longtemps désiré, duquel j'auray tel soing, Dieu aidant, que
bien tost le verres sain et sauf. Cependant, aiant entendu par luy le terme que luy
avies préfix pour ce que vous estimiez qu'il me deust trouver à Basle, je suis
contrainct vous advenir que ce terme s'est trouvé si court que, sans l'allonger d'une
sepmaine pour le plus, son voiage me seroit rendu du tout inutille ; ce que sachant
estre fort contraire à l'intention que vous aves eue de me faire ce plaisir de me
l'envoier, attendu mesmenient qu'il n'est question que de la négociation de la paix,
je vous prie bien fort ne trouver mauvais de m'accorder volontairement la prolon-
gation d'une sepmaine, ce que icelluy ne m'a voulu octroier, sinon que par une
manière de contraincte, pour ne vouloir en rien ouUrepasser vostre permission.
Surquoy luy aiant promis que je luy serois garent envers vos Seigneuries, je m'assure
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 427
que ne me desdirez de cesl accessoire, m'aiant accordé le principal, de quoy je vous
suis bien fort tenu et en bonne délibération de le recognoistre quelque jour, Dieu
m'en faisant la grâce, lequel je supplie.
Messieurs, vous tenir et tout vostre Estât en bonne et saincte prospérité es corps.
A Strasbourg, 28« jour d'aoust 1574.
Vostre plus affectionné amy à jamais,
Henry de Bourbon.
III
Le prince de Condé au Conseil de Genève.
(Arcli. (le Genève, Portef. hist. n» 1952.)
Messieurs,
S'en retournant Mons'' de Besze vers vous, je ne l'ay voulu laisser partir sans
l'accompagner de la présente et par icelle vous remercier bien fort du plaisir que vous
m'avez faict de me le presteren ung tel et si urgent besoing, comme celuy pour lequel
il est venu me trouver et qui regarde le bien et profiît de l'Eglise de Dieu, vous priant
croire que sa présence par deçà, laquelle a de beaucoup servi, et la peine qu'il a prinse,
me sera tousiours en telle souvenance que j'en recognoistray une perpétuelle obligation
envers vous et au demeurant m'excuser et luy aussy de ce que je l'ay plus longuement
retenu que vous ne luy en avies donné delicense, car, s'estant les affaires rendues de
plus difficille disculion que nous ne cuidions, il a esté nécessaire qu'il demeurast
jusques à une nnalle résolution, ce que, je m'assure, vous ne prendrés de mauvaise
part, mais que vous serez bien aise, quand nos affaires par ung bon conseil pourront
succéder à une bonne paix et heureuse fin, et en ceste opinion remectant sur la dis-
crection dudict S"" de Besze à vous dire Testât de mes nouvelles, je finiray par prier le
128 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
Créateur, Messieurs, vous donner en toute heureuse prospérité l'heureux repos et
prospérité de vostre estât.
Escript à Basle ce H'"*' jour de septembre 1574.
Vostre plus affectionné et meilleur amy à vous obéir,
Henry de Bourbon,
IV
Le Prince de Condé au Conseil de Genève.
(Arcli. (le Genève, Portef. hisl. n° 1952.)
Messieurs,
Puis qu'il vous a desia pieu me faire ceste faveur que de m'aider du conseil de
Mons"" de Besze pour le bien et service des églises de Dieu, et ne doubtant poinct
que vous ne soies bien contens de me le prester encores pour quelques jours, je vous
en ay bien voulu faire la requeste et, par la présente, vous prier bien affectueusement,
Messieurs, luy vouloir permettre qu'il me vienne trouver à Lausanne, où j'espère
arriver sabmedi au soir, moiennant la grâce de Dieu ; m'assurant donc que vous ne
m'en refuserez, attendu le besoing que j'en ay et l'utilité qu'apportera ce petit voiage,
je ne vous feray ceste plus longue, fors après m'estre affectueusement recommandé à
vos bonnes grâces prier le Créateur vous continuer. Messieurs, les siennes tressaincles.
Escript à Berne ce 22^ jour de septembre 1574.
Vostre plus fidelle et affectionné amy à jamais.
Henry de Bourbon.
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 129
Le prince de Condé mi Conseil de Genève.
(Arch. de Genève, Porlef. hisl. n° 1952.)
Messieurs,
Pour ce que je scay que vous serez bien aise d'entendre mon retour pardeça en
bonne santé et aussy pour vous faire savoir de mes nouvelles, j'ay advisé envoyant ce
porteur pardelà de vous faire la présente par laquelle je vous suplieray très affec-
tionément me contynuer en vos bonnes grâces et croire que vous n'aures jamais de
meilleur et plus affectionné amy que moy, comme vous congnoistrez par expérience;
touteffois que me ferez ce bien d'en faire preuve sur ceste asseurance, après m'estre
très afïectionément recommandé à vos bonnes grâces, je priray Dieu,
Messieurs, vous donner en parfaicte santé bonne et heureuse vye.
De Balle ce 21» octobre 1574.
Vostre plus fidelle amy à jamais.
Henry de Bourbon.
VI
Le Prince de Condé au Conseil de Genève.
(Arch. de Genève, Porlef. hisl. n" 1952.)
Messieurs,
Aiantencores nécessairement affaire del'advis et conseil de Mons"' de Besze, lequel
ne sp peult rommuniquer par loltres, d'autant que c'est cliose qui concerne le bien
130 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
de la paix et le restablissemenl des églises de Dieu en France, je me suis tant promis
des elïects de voslre bonne volonté que vous ne serez pas marris de me le prester
pour quelque temps et c'est pourquoy luy escrivant présentement de me venir trouver
pour cest effect, je n'ay pas voulu oublier de vous demander son congé, vous priant
bien fort le luy octroier, afin qu'avecques mon cousin Mons'' de Thoré il s'achemine
en sa bonne compagnie. Les depputez de Messieurs de la Rochelle sont désia arrivés
en ce lieu et j'attens ceulx des autres provinces de France dans peu de jours ; je prie
Dieu qu'il nous face la grâce que ceste négotiation produise quelque bon fruict et
que, bénissant les labeurs des gens de bien qui travailleront à ce sainct ouvrage, le
tout soit à l'advancement et esaltation de sa gloire et à vous, Messieurs, continuer
l'heureuze protection et prospérité de vostre estât, me recommandant lousiours à vos
bonnes prières.
Escript à Basle ce 27« jour de décembre 4574.
Vostre plus affectionné amy.
Henry de Bourbon.
VII
Le prince de Condé à Th. de Bèze
(Arcli. (le Genève, Portef. hist. n" 1952).
Monsieur de Besze.
J'escripts présentement à mon cousin Mons' de Thoré comme les depputés de la
Rochelle arrivèrent hier au soir et que ce jourd'huy ils m'ont proposé la charge qu'ils
avoient et pource que c'est chose de telle et si grande importance qu'elle mérite bien
d'estre traictée en bonne compagnie et qu'il me seroit impossible pour beaucoup de
raisons aller par delà, j'ay avisé que le meilleur estoit de nous assembler tous en ce
lieu jet de vous mander par ceste lettre de vous y acheminer avecques ledict S'' de
ET LE TRAITÉ DE SOLEUi'.E 131
Thoré, vous priant n'en vouloir faire difficulté et ne vous excuser sur le congé de
Messieurs de Genève, auxquels pareillement j'escripts une lettre de le vous octroyer.
Ce que, je m'assure, ils feront d'autant plus volontiers qu'ils jugeront le faict en soy
en estre très digne ; les dicts depputés m'ont assuré avoir dépesché, auparavant que
partir de leur pais, homme exprès en Languedoc avecques passeports fort amples, pour
pareillement envoier yci de leur part, qui me faict croire qu'ils ne tarderont poinct à
s'y rendre. Selon la délibération que vous ferés de vostre parlement et du jour que
vous prandrez, je vous prie faire passer ce lacquais par Neufchastel pour en advertir
Mons' d'Araines et luy mander le jour que vous por.rrés arriver, afin qu'il s'y veuille
rendre, selon ce que je luy mande, adjoustant dans vostre lettre ung petit mot de per-
suasion pour plus l'encourager; sans ceste occasion j'avois délibéré vous mander
bien amplement de beaucoup de choses, mais j'en réserverai le discours à nostre pre-
mière veue. Cependant, me recommandant tousiours à vos bonnes prières, je supliray
de ma part le Créateur vous donner. Monsieur de Besze, avecques sa pristine grâce, ce
que plus désirés.
Escript à Basic ce 27"= jour de décembre 1574.
Vostre plus fidelle et affectionné amy à jamais.
Henry de Bourbon.
VIII
Le maréchal de Damville au Conseil de Genève.
(Arch. de Genève, Portef. Hisl. n° 1955)
Aux Magnifiques Seigneurs, Messieurs les Sindics et Conseils de Genesve,
Messieurs,
L'Assemblée généralle des Eglises Réformées de France, calholi(iues unis, et moi,
envoyons nos depputés présens porteurs, suyvant la volonté du Roy et passeports par
132 GENÈVE, LE PARTI HUCUENOT
Sa Majesté octroyés, pour entendre de Monseigneur le Prince de Condé les moyens de
parvenir à une bonne et seure pacifficalion des troubles de ce pauvre et désolé
royaulme, et parce qu'avez tousiours monstre par effect l'affection qu'aves au bien et
soulagement de tous vos frères en religion, ayant usé non seullement envers eux, mais
à l'endroict de tous ceulx qui se sont trouvés affligés et exilés de toute consolation,
reiraicte et ayde, j'ay bien voulu faire la présente pour vous tesmoigner de la charge
que j'ay donnée aux dicts depputés de vous veoir de ma part et vous offrir en mon
nom, comme je faicts par la présente, tout service, tant en vostre général que parti-
cullier, vous asseurant que m'y trouvères tousiours disposé, ainsy que les etïects vous
feront congnoistre, le temps m'en produisant l'occasion, estant de mon debvoir de
recongnoislre les faveurs que aves desparties aux miens, et pour la fin je vous supliray
que en tout ce que pourres servir pour l'advancement d'ung si sainct œuvre que celluy
que vont négotier les dicts depputés, vous y employer avec telle affection que aves
tousiours monstre avoir au bien général de la France ; remettant le surplus à leurs
suffisances, je finiray par mes bien affectionnées recommandations à vos bonnes grâ-
ces, priant Dieu, Messieurs, vous donner en parfaicte santé longue et heureuse vye.
De Montpellier, ce 13 Février 1575,
Vostre plus affectionné et parfaict amy à vous faire service,
DE Montmorency.
IX
Le prince de Condé au Conseil de Genève.
(Arcli. de Genève, Portef. hisl. n" 1952)
Messieurs,
Vous m'excuseres bien, s'il vous plaist, si j'ay retenu par deçà Mons'' de Besze plus
longuement qu'il ne désiroit et que je n'espérois, d'autant que la faulle n'est proccdée
ET LE TKAITÉ DE SOLEURE 133
ne de luy ny de inoy, ains des depputez de ftlessieiirs de Languedoc, lesquels nous
sommes encores atlendans, et combien que ceste négociation, en laquvîlle nous travail-
lons et que nous ne pouvons bonnement conclure en l'absence et sans l'advis desdicts
depputés, méritasl bien la présence dudict de Besze, touteffois la craincle qu'il a eue
d'avoir trop demeuré et moy de vous desplaire a esté cause que je me suis consenti à
s'en retourner et que je n'ay voulu faillir de vous faire par luy ce mot de lettre pour
vous remercier bien affectueusement du plaisir que m'aves faict de me le prester,
ensemble du bon conseil et secours qu'il a donné pour le bien des églises de France,
lesquelles, et moy avecques elles, vous en demeureront à tousiours redevables, pour
le recognoistre et principallement par moy en tous les endroicls qu'il vous plaira
m'emploier, ce que je feray tousiours dans si bon cœur que je prie le Créateur vous
conserver, Messieurs, et tout vostre estât en très-heureuse et saincle prospérité.
Escript à Basle, ce dernier jour de février 1575.
Vostre plus affectionné amy à iamais,
Henry de Bourbon.
Au dos de la lettre on lit: lettres de M. le Prince de Condé touchant M. de Bèze,
veues ce 10 mars 1575.
Le prince de Condé au Conseil de Genève.
(Arch. de Genève, Portef. hisl. n" 1952)
Pour responce à la lettre que vous m'avez escripte du 25"»« du mois passé en
faveur de vos deux citoiens y dénommés, je vous diray que vous ne me requerres
jamais de chose, quelque importante qu'elle soit, dont je ne vous gratiffie tousiours
très volontiers et de bon cœur, m'ayans vous mesmes les premiers tellement oblige et
134 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
en tant de façons rendu vostre redevable que je serois par trop ingrat, si je ne m'ac-
quitois de quelque recognoissance. J'escripts présentement à mon cousin, Monsieur le
Mareschal de Dampville, pour leur faict, selon que j'ay estimé leur affaire le désirer,
estant certain qu'il ne fauldra d'y pourvoir, en sorte que vous -et vos dicts citoiens
aurez occasion de vous en contenter, qui est, Messieurs, tout ce que je vous en puis
dire et l'endroict où, après m'estre bien fort recommandé à vos bonnes grâces, je
priray le Créateur vous donner en toute heureuse prospérité l'augmentation des siennes
très sainctes.
Escript à Basle, ce 6"'^ jour de mars 4575.
Vostre plus afïectionné amy à iamais,
Henry de Bourbon.
Au dos on lit : lettres de M. le Prince de Condé touchant le sel veues ce 17 mars
1575.
XI
Le Prince de Condé au Conseil de Genève.
(Arch. de Genève, Portef. hist. n» 1952)
Messieurs,
Ayant pieu à Dieu de disposer le cueur du Roy, mon souverain seigneur, à voul-
loir continuer la négociation comancée pour parvenir à ane bonne pacification des
troubles qui de si longtemps ont cours en son royaume et d'avoir pris en bonne part
les très humbles supplications et requestes que je luy avois envoyé faire pour toutes
les Eglises de France et catholicques assosiés, sur lesquelles Sa Maiesté m'a faict res-
ponse par le sieur du Cheilar, d est très-nécessaire de faire une conférance sur icelle,
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 435
en laquelle je désire que Mons"" de Bèze se puisse trouver, sur l'asseurance que j'ay que
sa présence y peult beaucoup servir et pour ceste cause, Messieurs, je vous ay bien
voulu faire la présente et par icelle vous pryer bien affectueusement de vouloir licen-
cier ledict s'' de Bèze pour faire ce voiage par deçà et m'asseurans que la congnoissance
que vous aves de l'importance de cest affaire vous invitera asses de l'accorder, je ne
m'estendray davantaige et, après ra'estre de très bon cueur recommandé à vos
bonnes grâces, je prieray Dieu, Messieurs, qu'il vous augmente les sciences très
saincles en très bonne santé et longue vye.
Escript à Basle ce 30">" de may 1575.
Voslre plus fulelle et affectionné amy à iamais,
Henry de Bourbon.
XII
Le Prince de Condé au Conseil de Genève.
(Arcii. de Genève, Portef. hist. n» 1952)
Messieurs,
Je ne puis que très affectueusement vous remercier de la bonne et saincte
affection que vous me faicles en maintes sortes congnoistre que me portes mesme en
ce que, suyvant la prière que je vous avois faicte, vous avez licencyé Mons'' de Bèze
de faire ce voiage pour se trouver en une œuvre tant nécessaire pour la gloyre de
Dieu et repos de la pauvre France, où nous avions besoing d'eslre assistez de sa
prudence, laquelle il a très bien desployée en tout ce qui s'y est présenté grâces à
Dieu, vous asseurant, Messieurs, qu'oulire la recommandation généralle que ses rares
vertus ont engravu (sic) aux cueurs de tous les gens de bien, j'en ay pour mon parti-
culier une plus singulière, suyvant laquelle je feray congnoistre à quiconque sera
136 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
si ozé d'allenler en sa personne qu'il se sera adressé à l'un de mes plus grands amis,
et d'autanl que pai' luy j'ay entendu qu'il vous est deu quelque somme de deniers que
vous aves cy-devant preste pour le service de ce parti, j'ay faict dépescher un pouvoir
bien ample au s'' de Franqueville, pour faire que vous en soies remboursés par les
moyens èsquels vous luy ferez ouverture, vous priant aussy bien affectueusement,
Messieurs, de m'ayder en ce que ledict s' de Bôze vous fera entendre de ma part et
me faire ce bien de croyre que vous n'aurés jamais prince qui de meilleure volonté
employé tout ce qui sera jamais en sa puissance, que je feroy en toutes occasions où
j'en auray le moyen pour vous le faire esprouver à vostre contentement avec l'ayde de
Dieu, lequel je supplie. Messieurs, qu'il vous augmente ses sainctes grâces et vous
maintienne longuement en toute prospérité et santé bonne et heureuse vie.
Escript à Basle ce 22™^ jour de juing 1575.
Vostre plus affectionné et meilleur amy,
Henry de Bourbon.
XIII
UAvoyer et Conseil de Berne au Conseil de Genève.
(Arcli. lie Genève, Portef, hist. n" 1965)
Aulx Nobles, Magnifficques Seigneurs, Sindicques etConsfil de la cité de Genève,
nos singuliers amis, bons voysins, très chers et féaulx combourgeois.
Nobles, Magnifficques Seigneurs, singuliers amys, bons voysins, très chers et féaulx
combourgeois, à vostre bonne grâce bien affectueusement nous recommandons, ayants
heu advertissement d'aulcungs nos ballifs et officiers comme soit que plusieurs capi-
taines et souldats François, se disants venir de vostre cité pour aller au service de
Mous' le Prince de Gondé, prennent leur chemin par sus nos terres et pays et y passent
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 137
en équipaige de gens d'armes, nous n'avons, en considération de la paix perpétuelle
d'entre la Coronne de France et ce pays des Ligues establies, par laquelle lespassaiges
suspects sont interdicts, joinct aullres conséquences, peu ny dheu dissimuler de vous
adverlir de cela et par mesme moyen bien affectueusement vous prier et requérir, si
ainsi est que aulcuns capitaines et soldats françois se fussent retirés en vostre ville et
à présent s'en vouidroyent départir, pour aller au service de qui que ce soit par sus
nos terres et pays, qu'il vous plaise leur remonstrer et donner ordre à ce qu'ils fassent
leurs voyages et passaiges de telle sorte et en tel équipaige que l'on ne se puisse
doublera leur endroict d'aulcunes praticques ou sinistres entreprinses ressentans hosti-
lité et que tant l'Ambassadeur de Sa Royalle Majesté que nos bien aymés alliés et
confoedérés des aultres cantons des Ligues ne puissent prendre par ce occasion (comme
aultrement seroit à craindre il pourroit advenir) de leur interdire ledict passage et
nous sommer en vertu du dict traicté de paix, de faire le mesme, voire aussy de
esconduire tous ceulx qui jusques à présent se seroient réfugiés rière nous et aullres
villes de la Religion réformée, ce que pourra estre prévenu moyennant leur modeste
comportement comme par rayson ils sont tenus de faire, affin d'oster toute occasion
de maulvais soubçon à leur endroict, vous priant de prendre cest advertissement de
nous (comme il ne se faict à aultre que à bonne intention) à la bonne part, et à ces
fins prierons le Créateur, Nobles, Magnifficques Seigneurs, vous tenir en sa saincle et
très digne garde.
De Berne ce 15 de juillet 1E75.
L'Advoyer et Conseil de la Ville de Berne.
XIV
Copie d'une lettre et d'un mémoire de M. de Vézines, adressés à M. de Haute for t.
(Arcli. de Genève, Pertef. hisl. n" 1965)
€ Copie d'une lettre missive du S-" de Vézines de laquelle la susperscripiion estlelle
438 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
A Monsieur, Monsieur de Haultefort, conseiliier du Roy en son privé Conseil et
Ambassadeur pour sa Majesté aux Ligues, et la soubscription : vostre humble et
obéissant serviteur, Vézines, estant cachetée des armoiries d'iceluy, en cire
rouge. »
Monsieur,
Je suys demeuré en suspens jusques à ceste heure qu'il est requis que je prenne
résolution au faict dont je vous ay escript. Mon intention seroit de supplier Mon-
seigneur le Prince de Condé et ceulx de ce pariy de ne me plus commander aucun
affaire concernant ceste guerre et que je me veux retirer sans plus me mesler que de
mon faict particulier, vous suppliant sentir si Leurs Maiestés auront pour agréable que
j'en use ainsy ou bien si, avec leur permission, je continueray à entendre des afaires
de la Religion pour tant mieux voir les moyens de tendre à la paix et jecter les afaires
hors de la patrie, qui a lousiours esté mon but et mon désir. Cependant, Monsieur,
afin qu'on ne pense point que je veuille faire quelque chose clandestinement, je
vous supplieray ne laisser penser à Leurs Maiestés que je veuille décliner de la
fidélité d'homme de bien en ce qui me seroit commandé par mon dict S' le Prince,
car, aultant que je scay que l'indignation de Leurs Maiestés m'importe de la vie et du
bien, je considère aussi que la défiance et mauvaise opinion de ceulx de ce party
m'imporleroit de mon honneur, qui t'ait que je vous prie humblement que, ces choses
ne demourant sauves, me moyennes que Leurs Majestés me tiennent pour tel que je veux
demourer, ascavoir leur très humble et très obéissant subiet et serviteur et comme
pour tel elles me cognoistront peuU estre bien tost et je m'en sentiray d'aultant vostre
tenu el obligé de vous faire service que cest afaire m'est cher et important, dont je
m'acquiteray de mesme affection que je salue vos bonnes grâces de mes très humbles
recommandations et que je prie Dieu, Monsieur, vous donner très heureuse et longue
vie.
De Morges ce 15* d'aoust.
Copie du mémoiri'. c/r M de Vézines.
ET LE TRAITÉ DE SOLEUKE 139
J'ay faict tout le debvoir qu'il m'a esté possible pour recouvrer la lettre dont
m'avies commandé vous envoier copie, ce que ne m'a esté possible, mays ceux qui
l'ont veue m'ont asseuré qu'elle est de Monsieur le Chancelier, adressée à Monsieur le
Cardinal de Pelve, portant ces mots : Nous sommes contraincts de faire la paix, et quant
à moy, je la conseille, mays nous ne désisterons point d'avoir bon pied et bon œil.
Je n'ay jamais ouy mal parler du S"^ duquel m'aves escript, sinon que comme
d'homme affeciioné au party qu'il tient et vous puys asseurer que luy ou aultre que ce
fust que nous auroit faict tous les maux du passé, qu'il ne laissera d'estre loué, aymé
et estimé de nous, s'il se monstre à ceste heure tant amy de la patrie que d'en vou-
loir sauver les remanans de la ruyne de tous les deux partis. Or scait-on bien que ledict
S"" y a bon moyen et crédit.
On m'a faict entendre qu'on parle du mariage de Monseigneur le Duc d'Alençon
avec Mademoiselle d'Orenges, mays que le Prince d'Orenge, n'estimant que ce soit de
bon escient pour plusieurs considérations, n'y met pas aussy de sa part grand
fondement.
On nous a mandé que ceste remonstrance a esté faicte au Roy, ascavoir qu'il
n'aye pointa faire paix avec ses subiets, et que le nom de paix et l'observation des droicts
militaires envers eulx présuppose la guerre avoir esté légitime, ce que ne convient
aux perduels, pirates et aultre telle manière de gens, et là dessus a on mis en délibé-
ration de prattiquer l'eft'ect de ceste remonstrance sus Mons"^ de Montbrun, sus le
secrétaire Abraam pris sus mer vers St-Malo et aultres prisonniers, chose qui déses-
père ceulx de nostre party qu'on veuille nécher (?) de bon pied^à ceste paix et les
faict disposer au pis faire.
Je ne puys bonnement vous dire quels sont nos moyens et nos adresses pour
dresser une forte armée, comme nous faisons, mays, bien que j'estime qu'en cela nous
dépendons de personnes qui n'ayment nostre patrie, avec lesquels il est à craindre
que la nécessité et le désespoir ne facent capituler choses esiranges, je n'y ay esté
appelle, dont je suys bien ayse pour le regard de ne me mesler en choses telles et marry
pour ne me pouvoir opposer au mal, si tant est qu'il s'en prépare pour la patrie ;
140 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
tant s'en faull (|ue je voulusse consenlir à tels dosseiiigs (|ue non seulomenl j'en voul-
drois advenir leurs Maiestés et leurs ministres, mays mesnnes prendre les armes avec
ceulx qui s'y vouldroient opposer.
J'estime tous les chefs de nostre party seigneurs d'honneur et bons François,
mays j'ay suspect ce qui peult échoir en tous hommes, tant vertueux et résolus
soient-ils, c'est que la nécessité leur suggère de consentir à ce qu'ils auroiont lousiours
réprouvé auparavant.
Si vous n'eussies heu cest advis comment des plus grands princes d'Allemaigne
font estât de souffrir que l'on meine et eulx-mêmes pousser tant de reiltres en France
que ils y puissent donner la loy, je n'eusse faiUy de le vous donner ; considères donc
que, nous dressans une armée d'Allemans, le Roy une aultre, et puys ung ou plusieurs
princes d'Allemaigne une aultre, qui auront toutes raesme desseing et intelligence,
qu'il leur sera facile de venir à leur fin.
Vous aves entendu comment ils se proposent d'offrir liberté aux villes et peuples
de France, une manière de souveraineté à la noblesse, et à tous estats soulagement,
pourveu qu'ils recognoissent l'empire. Vous me dires que les premiers propos en ont
esté esventés par ung prince que l'on tient n'avoir grand esprit et je vous diray que
tant moings doibl-on donc penser qu'il l'aye inventé, et qu'au contraire de l'abon-
dance du cœur la bouche parle.
Il ne se fault pas beaucoup arrester aux capitulations ne en l'aulhorité des
colonels qui y conduiront les soldats allemans, car, au bout de troys moys, ils seront
quicles de leur serment par la faulte de paye en tous les deux partis et ne faudront
lors de demander en se mutinant tout ce qui est dheu à leur nation, tant du vieux que
du nouveau, chose qui ne se peult pour ceste heure payer ; d'aultre part, leurs colonels
ne seront pas de beaucoup respectés, quant les plus grands princes de la Germanie
commanderont aux soldats faire quelque chose qui mesme leur ameneroit utilité.
Mays je croy que les colonels, mesme quelque affeclionés qn'ils soient, ne différe-
roient d'obéir à la volonté de leurs princes, cela advenant.
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 141
J'enlends qu'il se doibl trouver ung agent de la Royne d'Angleterre à la Diète de
Ratisbone pour traicter de quelque chose d'importance avec les Allemands ; si cela a
lieu, il est cer'ain qu'il n'y aura rien qui tende au profit de nostre France.
On prétend m'envoier à ladicle Diète pour obtenir de l'Empereur et des eslasls
de l'Empire qu'ils se veullent mesler de moyenner la paix en France, ce que je feray
volontiers, tant pour empêcher le mal de la patrie de mon pouvoir, si tant est qu'il
s'y prépare, que pour en besogner tant plus de gens à ung si bon œiivre que nostre
paix, mays je ne me chargeray d'aullre chose que cela, quoy qu'il me fust commandé,
et néantmoings, s'il n'est agréable à leurs Maiestés que j'y aille, en estant adverty
par vous, je m'en excuseray.
Ce seroit ung beau moyen pour remédier à beaucoup d'inconvénients si leurs
Maiestés concluoient d'heure la négociation de paix et si tant estoit que, pour la
nécessité du temps, leurs Maiestés concédassent quelque chose qui leur tournast à
quelque peu d'incommodité, considérant, s'il leur plaist, que c'est pour leur en éviter
déplus grandes, et mesmes qu'elles ont des serviteurs entre ceulx de nostre religion,
qui moyenneront bien, avec le temps, que les choses se réparent et remettent au gré
et contentement de leurs dictes Maiestés.
Vous verres la lettre que je vous escris pour faire veoir à leurs Maiestés, si le
trouvés bon, et pareillement pourrés extraire de ce présent billet ce que verres eslre
convenable leur estre mandé el, ce faisant, user de vostre prudence pour ne point
gaster celuy qui vons est serviteur et fidèle amy, me renvoiant ce présent billet, quant
Taures leu, s'il vous plaist.
Je ne scay quelle excuse vous faire de vous envoier cest escrit ainsy brouillé el
obscur ; je vous diray seulement que je vous heusse volontiers récité en présence le
contenu d'iceluy, y adjouxtanl les expositions nécessaires, mays il n'est nullement
commode, ny expédient pour cesle heure. J'attendray icy quatre jours de vos nouvelles
et plus, si je puys ; je vous prie humblement m'en mander le plus tost que sera
possible et, quant aures heu responce de la Court, m'escrire aussy, s'il vous plaist, au
442 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
lieu OÙ je vous feiay entendre que j'atlendray de vos nouvelles. Je vous supplie
humblement de recommander ma famille qui est en France en la protection de vos amys.
Déclaration du Conseil.
Nous, Syndiques et Conseil de Genève, savoir taisons à tous ceux qu'il apartiendra,
comme aujourdhuy nostre bien aymé Spectable Théodore de Bèze, ministre de la
Parolle de Dieu en nostre cité, nous a présenté les lettres cydessus ténorisées qu'il nous
a dict estre escriles et soubscrites de la main du S"^ de Vézines et cachetées de son
seau en cyre rouge, estans décloses avec certains articles et mémoires de la mesme
escriture qui estoyent au paquet desdictes lettres qui luy sont tombées entre
mains, nous suppliant et humblement requérant de les vérifier et conférer avec deux
lettres missives à luy escrites par ledict S' de Vézines, l'une du 16® et l'aultre du 20'
de ce moys, qu'il nous a pareillement exibées et du totage luy oultroier nos lettres
testimoniales, ensemble copie et vidimus desdictes lettres et mémoires pour s'en
servir où il luy sera requis et expédient. Nous, à sa requesle inclinans, attestons et
déclairons par ces présentes qu'ayans veu, tenu et leu au long l'original de ladicle
lettre, datée du 15« du présent moys, ensemble les mémoires sus escrites, nous avons
trouvé le tout estre escript d'une mesme main et lettre et cachetées d'ung semblable
seau et cachet que celles que ledict Spectable de Bèze nous a dict et affermé luy avoir
esté escrites par le dict S'' de Vézines, l'escriture et seau duquel il recognoist très
bien. Et pourtant avons faict faire desdictes lettres du 15"= de cedictmoys et mémoires
susdicts le présent extraict et vidimus, auquel foy soit adjouxtée, comme au propre
original, duquel il a esté tiré et collationé de mol à mot en nostre présence et remis
audict Spectable de Bèze, ayans lotesfois retenu pardevers nous l'original des susdictes
lettres du 16^ et 20' de ce moys pour servir où et quand requis sera. En foy de quoy
avons donné les présentes soubs nostre seau, cachet et le seing manuel do nostre secré-
taire d'Eslal soubsigné, ce vingt-deuxième d'Aoust mil cincq cens septante cincq,
secret, uts'*.
Par mesdicts Soigneurs Syndiques et Conseil secret.
Gallatin.
ET LE TRAITÉ DE SOLELRE 143
XV
Gui de Laval au Conseil de Genève.
(Arcli. (le Genève. Portef. hist. n" 1906).
Aux Manifiques fsicj et vertueux Seigneurs, Messieurs les Scindicques ei Conseil
de Genève, à Genève. ■
Messieurs,
Vous m'aves par infinys bons lésmoignages tant de foys faict connoistre la bonne
volonté et atTection que vous portes rie longtemps à nos maisons et à moy parliculliè-
rement, que je ne feray dilTiculié de vous déclairer le besoing que j'ay maintenant
d'estre accommodé de quelque somme de deniers, attendant qu'il m'en vienne de mes
terres et revenu, d'oîi j'espère en estre secouru de brief, encores que je soys (puys
qu'il piaist à Dieu) un peu eslongné des lieux où sont mes moyens. Voylà pourquoy tant
plus hardiment je me suys adressé à vous et par la présente vous ay bien voulu sup-
plier de me prester quinze cens escus, si tant vostre commodité le peut porter, de
laquelle, avecque l'obligation myenne, bonne et seure, que je vous en feray, je vous
bailleray deux bons respondans, tels que vous nommera Slons'' du Resay, lequel j'ay
pryé s'entremettre de cest affaire, pour la bonne affection qu'il me porte. En quoy,
Messieurs, vous me ferez ung plaisir si grand que vous m'obligerez beaucoup à vous
tous, espérant (comme Dieu m'a donné le moyen et la volonté de le recongnoistre et
m'en revenchir) que j'y ferai devoir du mesme cœur qu'en cest endroit, je vous
présenterai mes humbles et bien affectionnées recommandations à vos bonnes grâces
et supplye Dieu vous donner à tous en parfaicte santé. Messieurs, avec ses conti-
nuelles grâces et bénéditions, heureuse, prospère et longue vye.
Escripl à Berne ce XVIIP jour d'aousl 1575.
Vostre bien obéissant et plus affectionné amy à vous servir.
Guy de Laval.
444 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
XVI
L'Avoyer et le Conseil de Berne au Conseil de Genève.
(Arch. (le Genève, Portef. hist. n" 1963).
Nobles, Magniffîcques Seigneurs, singuliers amys, bons voysins, 1res chers elféaulx
combourgeois, ayants esté advertis de la pari de Mens"' le Duc de Savoye par ambassadeur
exprès, pource par devers nous délégué, de certaines assemblées de gens de guerre,
assérées eslre continuellement faicles en vostre ville, et notamment ces jours passés,
d'une compagnie de cavallerie, soubs la conduicte du seigneur de Cugiez, qui seroit
passée par sus les Estats de Son Altesse, sans son congé, ne permission, ny de ses
officiers et gouverneurs de ses provinces et sans aussy aulcung advertissement
préallable, aux fins qu'il nous pleust vous en faire quelques remonstrances pour vous
en depporter, d'aultant que ce seroit chose de maulvaise conséquence et redondante
au mespris de Son Altesse, aussy du tout contrevenante au traicté d'accord et mode
de vivre entre Sadicle Altesse et vous estably, joinct que cela pourroit causer à
Sadicte Altesse une altération de la bonne volonté des Princes et potentats circonvoi-
sins envers luy, quand ils se vouldroienl persuader ou concepvoir opinion de luy que
ces choses se feissent par son consentement, joinct aultres raisons par ledict Seigneur
délégué plus amplement sur ce propos alléguées, du ressentiment que Son Altesse en
pourroii avoir, si adce n'estoit pourveu. Nous, désirants le repos et tranquillité de vos
et de nos Estats, avons bien voullu de bonno part vous adverlir de cela et parmi ce
bien affectueusement vous prier que, ces choses considérées et les amiables remon-
trances que ja cy devant vous ont esté à ce mesme propos faictes, il vous plaise y
adviser et donner ordre ad ce que rien ne soit faict ou entrepris en vostre ville dont
encombrier et fascherie vous en pourroit advenir cy apprès et à vos voysins, car vous
avez bien à considérer, sellon vos prudences, quelle en seroit la conséquence, ce que
vous prions eschever {pour esquiver) autant que possible et n'encourir ceste maulvaise
opinion et renom qu'on pourroit ou vouldroit avoir et se persuader de vous qu'auriez
voullu donner occasion à cesluy-cy ou aultre d'entreprendre aulcune chose contre
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE i45
les Estais d'autruy ou consentir à aulcunes entreprises ressentans hoslillilé ou con-
travention aulx traictés d'accord sus-mentionnés, ains que en tout et partout il vous
plaise vous comporter si bien et gralieusemenl avecq vos voisins et notamment avec
sadicte Altesse et ses Estais que par raison elle en puisse avoir bon contentement elle
reveoir (comme elle s'en est déclairée) par continuation de mesme bonne corres-
pondance de bonne amytié et voisinanceà vostre endroict, dont quant ad ce nousremec-
tants sus vostre prudence accoustumée, en nous confiant de mesme que prendres
cesle nostre amiable remonstrance à la bonne part, ne ferions cestesplus longues ains,
apprès vous avoir présenté nos bien affectionnées recommandations à vos bonnes grâces,
nous prierons cependant le Créateur,
Nobles, Magnifficques Seigneurs, singuliers amys, bonvoysins, Irèscliers elféaulx
combourgeois, vous tenir en sa saincte et très digne garde.
De Berne ce pénultie«me d'Augst 1575.
L'Advoyer et Conseil de la Villp de Berne.
XVII
Le Palatin au Conseil de Genève.
(Arch. (le Genève, Porîe/'. hisl. irl821)
Messieurs les Sindiques et Conseil de la Cité de Genève.
Friderich, par la grâce de Dieu, comte Palatin du Bliin, prince Electeur du Saincl
Empire, Duc de Bavières.
Messieurs,
Nous avons dépêché avec instniclion el procuration suffisante nostre féal et amé
146 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
Pierre BeuUerich, docleur es loix(l), porteur de cestes, par devers vous, à l'effect de
traiter avec vous choses concernantes l'establissement de l'honneur et gloire de Dieu
et l'augraenlation de nostre estai, auquel adiousterez foy, comme si nous estions en
personne, et de ce vous prions, que sera l'endroit oîj prierons le Créateur qu'il vous
tienne en sa sainte sauvegarde.
De Heidelberg, ce le 16* jour de seplentibre anno 1575.
Frédéric, Electeur Palatin.
XVIII
Traité iV alliance entre le Palatin et le prince deCondé.
(Arch. (le Genève. Portef. hist. n" 1968)
Nous Frederich, conte Palatin du Rhin, prince Electeur du Sainct-Empire, duc
de Bavières, confessons, comme ainsi soit que nostre cousin le Prince de Condé,
comme chef esleu des Eglises réformées en France, ayt contracté avecq nostre fils le
duc Casimir, conte Palatin, et ses associés ensemble, et arresté deux contracls, comme
de mot en mot s'ensuit :
Nous, Henry de Bourbon, prince de Condé, duc d'Anguien, pair de France,
marquis de Conty et des isles Contii, conte de Soissons, d'Anisi et de Valerérii fsicj,
gouverneur et lieutenant général pour le Roy en ses pays de Picardie, Boullenois,
Artois, Cales, et pays nouellemeni reconquis, chef esleu des Eglises réformées en
(1) Le D' P. Beulricli étail, l'un des agents de confiance du Palatin. En i'ilG il fui chargé d'une
importante mission auprès de la Républi{iue de Berne. En apparence il avait à négocier la réunion des
KKlises rcforini'cs de la Suisse avec celles de la Confession d'Augsbourg, mais en réalité il devait clier-
clier à provo(iuer une levée de troupes on faveur des Huguenots. Beiitricli réussit dans sa mission et
plusieurs olliciers bernois levèrent à la hâte un corps de volontaires pour se joindre aux Huguenots.
(Voy. los Fragments historiques de la Ville et République de Berne, 2" partie, p. 155.)
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 147
France et de leurs associés pour la défension de ladictc couronne et religion réfor-
mées, tant en nostre persone et nom qu'au nom et de la part de nos très chers et
amés cousins, Messieurs Henry de Montmorency, S'' d'Anville, mareschal de France et
gouverneur pour le Roy en Languedoc, Charles de Montmorency, S'' de Méru, colonnel
général des Suisses et capitaine de cinquante hommes d'armes de ses ordonnances,
seigneur de Thoré, colonel et général de la cavallerie légière en Piémont, aussi capi-
taine de cincquante hommes d'armes de ses dictes ordonnances, François de Ferrières,
prince de Chabanois, visdame de Chartres, des contes de Laval, et de tous aultres
seigneurs, gentilshommes, citoyens, bourgeois, et de tous François généralement de
quelque des deux religions, réformée ou catholique, et de quelque estât qu'ils soient,
alliez, confédérés et intéressés de ladicte confession et de nos vassaulx et subiects
mesmes. Confessons, en vertu de ceste nostre capitulation et obligation, que, pour
nous et tous les susdicts, avons très instamment recerché et prié Monsieur nostre
cousin le duc Jean Casimir, conte Palatin du Rhin, duc de Bavières, de vouloir avoir
pitié du misérable estât de la Couronne et des Eglises de France, et prendre la charge
d'y mener et commander une bonne armée soubs nous, comme soubs le chef esleu
tant par les Eglises réformées de France que par les catholiques leur associés, tant
pour les secourir contre la tirannie d'aulcuns que pour y restablir une bonne et ferme
paix tant nécessaire au royaume et honnorable au Roy. Or, d'aultant que iedict Duc,
nostre cousin, comme prince chrestien, voisin et particulier amy de la Couronne de
France, à luy desia bien fort obligé et redevable, entendant à nostre très iuste requeste
pour servir à Dieu et son église et à la conservation de ladicte couronne et en général
au repos de la Chrestienité, nous a accordé et promis cy-dessoubs, non-seulement de
mener et commander les six mil reustres que les colonnels Henry de Stein, Jean de
Bouch et George de Derse, nous ont accordé par la retenue et capitulation faicte entre
nous et eux, mais aussi de lever pour nous et nostre service deux mil chevaux
d'avantaige et huict mil Suisses ou tant Suisses qu'aultres gens de pied, en advançant
de ses moyens les deniers pour ladicte levée, voire amener avec soy et du sien
quatre cannons, douze ou quinze pièces de campaigne et munitions, et finalement d'estre
sous nous général de ceste armée, tant des dicts six mil reustres que des aultres gens
de cheval et de piedt qu'il aura levés, comme aussy de ceulx qui se vouldroient
148 GENÉVt:, LE l'Al'.Tl HUHUENOT
Joindre on ladicle armée audicl S' Duc soubs la charge de qui que ce soit, pour ensem-
bleuienl avec son artillerie les mener et commander pour nostre service le mieux qui
pourra, aulx conditions mises sy dessoubs. Pour ce est-il que nous, en qualité que
dessus, promectons, et nous faisons fort, fermement et irrévocablement, en parole et
foy de Prince, par serment corporel, pour nous et pour tous les susdicts en général et
espécial et pour tous nos et leurs boires, successeurs, associés, subiects et serviteurs,
les articles qui s'ensuivent :
Premièrement, promectons et nous obligeons de nous fortiflier de forces françoises
et aultres, tant qu'il nous sera possible, à présent et à l'advenir, et nous trouver à la
place monstre qui sera advisé par ensemble pour de là nous acheminer ensemblement
avec ledict S"" Duc où il sera résolu par commun advis, affin de ioindre à ladicte armée
les forces de Mons'' nostre cousin, le Mareschal d'Anville, ascavoir dix ou douze mil
chevaulx François pour le moings. Promectons et nous obligeons de recevoir à nostre
solde et de nos associés de l'une et l'aultre religion, tant ledict S'' Duc nostre cousin
et ceulx qui seront avec lui mesmes les deux mil reustres, huict mil Suisses ou aultres,
ceux qu'aulront charge de l'artillerie pionière et généralement tous ceulx qu'il aura
levé pour nostre service avec les colonnels et estats, tout ainsi comme les six mil
reustres que nous avons levé, comme dict est, luy en faisant expédier retenue et capi-
tulation en nostre nom à ce requis, selon qu'il aura accordé avec ceux qui par luy
seront levés. Promectons et nous obligeons de les payer et contenter tous pour leur
payement avant que de nous ou nos armées séparer l'ung de l'aultre en quelque sorte
et manière que ce soit, soit que ledict S"" Duc ou nous mourions ou vivions.
Secondement, promectons comme dessus que sans ledict S'' Duc nostre cousin, ni
sans son sceu et consentement, ni sans sa présence ou de ceux qu'il y ordonnera,
nous ne tiendrons aulcuns conseils, ny traicterons aulcune chose concernante ceste
guerre, soit recepte ou desboursement des deniers ou entreprises, ou batailles ou
irefves ou assiégements ou compositions ou paix, soit avec nos associés ou estrangiers
ou ennemis ou avec le Roy mesme ou personne du monde, et n'endurerons qu'aulcunes
de ces choses soit laide par aultres, sans que ledict S-- Duc y soit présent et
consentant, ou qu'en absence il se déclare eslre consentant par les siens, comme
ET LE THAITÉ DE SOLEUUE 149
aussi nous ne permelrons aulcunennenl que Prince, S'» gentilhommes, capitaines ou
soldat de nos années que joindrons avecq la sienne, se retirent par irouppes ou seuls
en leurs maisons ou aultre part sans plein consentement duJict S"^ Duc, nostre cousin.
Tierceraent, promectons, en qualité que dessus, particulièrement pour nosdicts
associés catholiques, comme aussi nous soubsignés faisons et promectons, de n'attenter
à jamais rien contre rassocialion faicte l'an 1574, au jour de mois, etc., d'entre
lesdicls associés et ceulxde la Religion réformée, ains de l'exécuter de poinct en poinct
et conserver et ayder à iamais, aussi bien ceux de la dicte Religion réformée que
ceulx de la leur, afïin que la paix publique soit guardée et que l'exercice de ladicte
religion réformée soit guardée et faict avec ses appendances et deppendances, sans
rupture d'icelle paix en repos et également partout sans exception de lieux, personnes
et temps, Ûnalement d'estre ennemis jurés à iamais des massacreurs et conseilliers
des massacres et ne se trouver oncques en aulcun conseil du faict contraire à cest
article, comme nous, prince de Condé, promectons aussi, en qualité que dessus, de la
part de ceubc de la Religion réformée, respectivement ratifions et confermons par ceste
la susdicte association, comme pareillement nous nous faisons fort pour les absens de
faire, quant nous serons entré au Royaulme de France, que le S'' Mareschal d'Anville
et tous Princes, S" gentilshommes et aultres de ladicte association et qui si poulroient
ioindre confermeront à part ceste article, jurant qu'il ne feront aulcun iraicté à part,
ne se sépareront de nous et de luy, ny consentiront à la paix que cest article de la
Religion soit obtenu du Roy et deuement asseuré.
Quartement, nous promectons, comme dessus, de payer par chascun mois audict
S"^ Duc et à ses hoirs, tant que ceste expédition durera, soit qu'il meure ou vive, pour
sa table, sa solde et son estât, douze mil escus sol et luy seront souldoyés à part ses
serviteurs et les chevaulx qu'il bailera signés par liste, comme de coustume. Seconde-
ment, d'aultant qu'il lève deux mil chevaux en réservant la charge et estât du colonnel
pour soy, comme dict est, promectons de luy donner à part par moys tel estât et solde
de colonnel de deux mil chevaulx, comme ung des aultres colonnel aura.
Tiercement, s'il y a Prince ou Ducs auprès de luy, leur sera par nous faict et
450 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
payé leur eslat et solde à pari et honnestemenl. Quartement, après que les munitions
par luy amenées fauldronl. nous en fournirons d'aultres et singulièrement luy payeront
son artillerie, la munition, les chevaulx et aultres choses y appartenantes, qu'il pourra
avoir employé ou perdus, ou, si bon luy semble, la laisse à nous pour le prix, tout
selon la cédule, taxe et bon compte qu'il nous en baillera.
Quintemenl, pour recognoissance telle qu'elle que pouvons faire asteur des grans
et indicibles services que ledict S'' Duc ha faict cy-devant et faict encores à la Cou-
ronne de France et des faveurs qu'il nous monstre par effect, particulièrement nous
promectons et nous obligeons de ne quicter les armes et ne bouger d'avec ledict S'' Duc
Casimir, ny faire accord ou paix, qu'il ne soit préalablement installé par le Roy gou-
verneur et lieutenant général pour sa Majesté es villes de Metz, Thon et Verdun, et
les citadelles et deppendances et non sf ulement en l'entreténement et traictement que
le gouverneur y a et doibt avoir, mais aussi en la jouissance pleine et libre du tem-
porel des Eveschés des dictes trois villes, sa vie durant, sans que le revenu des dicts
Eveschés soit en rien obligé à la déduction des debtes faictes et créés les guerres
passées ou qui s'en feront en ceste guerre à nostre service, fors et excepté la somme
de quatre-vingt quinze mil florins d'Allemaigne qu'on doibt audict S'' Duc Casimir du
voiaige qu'il a faict en France pour secourir feu Monseigneur nostre Père et les Eglises,
selon l'obligation de feu nostre dict Père, ratifïié depuis de par le Roy de Navarre
d'asteur et nous, Prince de Condé, et feu Amiral de France, conte de Colligni, et ce
aulx charges qui s'ensuivent :
Premièrement, ledict S'' Duc fera serment de bien et loyalement servir le Roy en
la sus-dicte charge de gouverneur, comme les aultres gouverneurs des Provinces de la
France ont accoustumé de faire, sans toutefois aulcunement charger sa conscience
contre sa Religion, ains au contraire il sera tenu d'entretenir les ministres qui seront
dedans le pays des fruicls du temporel des Eglises dcsdicts Eveschés, y dressant l'exer-
cice de la Religion réformée avec toutes ses appendanccs et deppendances sans
exception des lieux, temps ou personnes.
Secondement, ne mectrc garnisons èsdicls trois villes ny es citadelles et aultre
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 151
villes deppendantes d'icelles et desdicls Eveschés que naturels François, lesquels tant
capitaines, officiers que soldats, ayent tesmoignage, chacun de son Eglise d'estre de
la Religion réformée et feront serement de garder lesdictes places tant pour la seurté
de ceulx de la Religion réformée et de leurs associés que pour la nostre et celle dudict
S"" Duc comme nostre associé et y estant aussi à ceste fin, ascavoir pour l'establisse-
ment de la seurté de la paix installé, sans toutefois que ceste article s'entende de sa
court et des gens qu'il aura à l'entour de soi, lesquels il poira avoir et prendre d'aultre
nation. Et en oultre promectons qu'alhors, quant la paix se fera, luy ferons avoir
pensions et entretenement de prince de sa qualité, telle qu'il aura occasion de s'en
contenter. En attendant, à présent luy assignons la pension de six mil escus par an,
des Eglises en Languedoc, selon le pouvoir qu'en avons d'elles.
Pour le sixiesme, que non seullement telles pensions soient certaines, mais aussi la
seurté de la paix qu'espérons par la grâce de Dieu obtenir du Roy soit plus ferme et
que nous, avec tous nos associés et alliés, soient tant plus asseurés d'estre secourus
au besoing. Promectons comme dessus de mectre incontinent, et alhors quant l'on
fera la paix, la somme de deux cens mil escus sol en la ville de Metz ou de Strasbourg,
à choix dudict S' Duc nostre cousin, pour lesdictes deux choses, ascavoir affin qu'il y ayl
argent contant pour pouvoir secourir nous ou nos associés et successeurs, quant il sera
besoing, et secondement, affin que d'icelle somme ledict S"" Duc se paye ses pensions,
dont sera faict une obligation à part du contenu de cest article, y estans expressément
spéciffiés lesdictes pensions avec pouvoir que ledict S' Duc les en poIra lever chacun an
sans aultre procuration ou pouvoir.
Au septiesme, nous promectons, en qualité que dessus, de ne départir l'ung de
l'aultre, ny faire paix aulcunement, devant que toutes et chascunes sommes et
debtes suivantes, selon les obligations qu'on aura d'icelles ne soyent payés ou
ceulx ausquels l'on doibt assez asseurés et contents, singulièrement devant tous
et tous les sommes qu'on doibt et devra au dict S'' Duc et Mons'^ le Prince Elec-
teur son Père, ascavoir les deniers que ledict S' Duc aura avancé et déboursé en
ceste guerre pour les dicls deux mil reustres, pour les Suisses et aultres gens de
guerre et pour l'arlellerie et munition, comme dict est dessus, et généralement pour
^52 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
les aiiltres frais qu'il aura faict pour l'année présente, selon les comptes qu'il en
baillera, puis après la solde et paiement tant dudict S' Duc que de l'armée qu'il mènera
à ceslheur. Tiercemenl, les cent mil florins que Mons. le Prince Electeur Palatin et
aultres Princes d'AUemaigne ont fournis pour le voiage du colonel Bolzhausen. Quar-
tement, les cincquante mil escus que ledicl S' Electeur preste asteur à la Royne
d'Engleterre pour nous, selon nostre quilance el obligation. Quintement, ferons
qu'il ne perde, ains qu'on luy paye les deux cens mil florins et tant de mil qu'on
doibt aussi, encoires pardessus les sus dictes quatre vingts et quinze mil florins audict
S"" Duc nostre cousin et à ses gens de son susdict voiaige en France. Enfin ferons
payer aulx gens de feu Mons'' nostre cousin le Duc de Deux Ponts qui se trouveront
en cesle année la reste de leur solde. Que si ledict S"" Duc venoit à mourir en ce
voiaige, nous serons tenus et obligés pour tout en tout ce que dessus de poinct en
poinct à ses héritiers ou tels successeurs qu'il nommera ou laira par escript, ou
s'il n'aura personne nommé, à ceux que Mons'' l'Electeur son Père fera nommer alhors.
Comme aussi sy et quant nous venons à mourir, néantmoings nos héritiers et succes-
seurs el tant les Eglises réformées de France que tous nos associés catholiques,
Princes, Seigneurs, gentilshommes, bourgeois el aultres, de quelque condition et
qualité qu'ils soient adhérans astheur à ceste cause ou qu'il s'y pourroienl joindre,
ne serons moins que nous mesmes en tout et par tout à ce que dessus obligés audict
S'' Duc et, le cas advenant de sa mort, au susdicts successeurs. Et pour plus grande
asseurance de tout ce que dessus nous promeclons sainctement pour nous et tous
les susdicts Princes, Seigneurs, Gentilshommes et en général tant pour toutes les
Eglises réformées que pour nos associés catholiques, tous et chescun solidement, de
ne descendre de cheval, ensemble de n'entendre iamais à aulcun traicté de paix,
composition ou accord, sans que premièrement et préalablement ledict S' Duc ne soit
entièrement payé ou satisfaicl et contenté, nous obligeons très estroictement et jurant
solemnement observer, exécuter, accomplir et entretenir et faire garder exactement de
poinct en poinct ceste présente capitulation, selon sa forme et teneur, et n'y contre-
venir directement ou indirectement, soubs obligation, engaigemenls et hipotèque
entières de nos personnes, de nostre foy, nom, honneur et réputation, ensemble de
tous et cliascunes nos biens, tant meubles qu'innieubles, noms, voix cl actions.
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE iSS
présens et advenir. Nous soubmectons, en cas de contravention, d'estre tenu et réputé
par tous peuples et nations de la terre d'estre perfides, desloyaux, ingrats et
indignes de négocier à jamais avec les princes et gens d'honneur de la Ghrestienté,
estans content et prions mesnne tous magistrats de luy assister en ce cas contre nous,
tout ainsi que nous nous sommes obligés aususdicls trois clonnels (pom- colonels).
En foy de quoy et asseurance, nous Prince de Condé, Charles de Montmorency, s'' de
Meru, François de Ferrière et aultres, avons, avecq bonne et meure délibération de
France et bonne volonté et propos délibéré, sans estre circonvenu ou contrainct, icy
mis et apposé nos seings de nos mains propre, ensemble nous Prince de Condé le
cachet de nos armes.
Et nous, Jean Casimir, conte Palatin du Rhin, duc de Bavières, confessons que
noslre dict cousin Mons"^ le Prince de Condé ha convenu, en qualité que dessus, avec
nous et faict toute teste présente capitulation de poinct en poinct, comme dessus,
laquelle nous acceptons par ceste, promeclons et nous obligeons soubs semblable
obligation que dessus et pareille à celle dudict Sieur Prince en parole et foy de Prince,
par serment solennel, d'observer, exécuter, accomplir et entretenir par la grâce de
Dieu tout ce à quoy nous sommes obligés en vertu d'icelle, suivant ce que précède : le
premier article et le contenu du cinquiesme, ascavoir que non seulement mènerons et
commanderons sous ledict Prince, comme chef esleu tant par les Eglises réformées
de France que par les catholiques, leur associes, les six mil reustres que luy sont
accordés par lesdicts trois colonnels, mais lèverons aussi pour son service d'avaintaige
deux mil reustres, huict mil Suisses on aultres gens de piedt, leurs avançans, de nos
moyens, les deniers pour ladicte levée, qu'amènerons avecq nous quatre canons,
douze ou quinze pièces de campaigne et munitions et que servirons audict S"^ Prince
pour général de ceste armée et des aultres que nous polrions lever ou qu'il se
vouldroient ioindre avecq nous pour avec nostre artellerie les mener et commander
sous luy pour son service et le favoriser, comme luy avons dit de bouche d'avantaige à
conditions cy-dessus mises.
Item, quant nous serons installés, selon le contenu du cincquiesme article, tant
au gouvernement des trois villes Metz, Thou et Verdun, et es citadelles et dépendances
154 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
d'elles, qu'en la jouissance pleine et seure du temporel des Eveschés es dicts trois
villes, nous ferons serment de bien et loyaulment servir le Roy en la susdicte charge
de gouverneur comme de coustume, sans contrevenir à nostre Religion, ains d'enre-
tenir les ministres du pays du temporel des Eglises et y dresser l'exercice de la
Religion réformée avec ses appendances et deppendances, sans exception et respect
des lieux, temps ou persones. Puis après, de ne mectre guarnison esdicts trois villes,
ny es citadelles eiaultres villes dépendantes et desdicts Eveschés que naturel François,
lesquels, tant capiteines, officiers que soldats, ayent tesmoignaige, chascun de son
Eglise, d'estre de la Religion réformée, et facent serment de garder les dicts places tant
pour la seurté de celui de ladicte religion et de leur associés que pour celle dudict
S'' Prince et la nostre mesme, affm que nous les guardions pour l'establissement de
la seureté de la paix, tellement toutefois que, pour nostre court et ceux qui seront à
l'entour de nous, nous puissions prendre, avoir et retenir serviteurs de nostre nation
ou aullre.
En foy de quoy et asseurance de n'enfreindre aulcun des susdicts poincts, ains les
accomplir et les faire garder entièrement, avons, après les avoir bien diligemment
considéré, icy apposé le seing de nostre main, ensemble le cachet de nos armes, et,
pour plus grande seurté, nous, toutes les deux parties, avons ainsi faict, signé et sellé
trois exemplaires de ceste capitulation, desquelles une sera tant valable que toutes les
trois; deux en retiendra ledict S' Duc et une nous, pour chascun s'en servir, quant il
sera requis. Ainsi faict et accordé ce vingt-septiesme jour de Septembre l'an mil cinq
cens-soixante-quinze.
Nous, Henri de Bourbon, prince de Condé, etc., chef esleu tant par les Eglises
réformées de France que par les catholiques nos associés, ayans contracté avecq
Mons' nostre cousin le Duc Jean Casimir, comte Palatin du Rhin, duc de Bavières,
pour nous assister et secourir en la conservation de la couronne et des églises réfor-
mées de France, suyvant la capitulation réciproque faicte là dessus, ayans aussi
considéré qu'il est très raisonnable et prouffitable de recongnoislre les faveurs
que non seulement ledict S' Duc nous monstre à cesl heure, mais aussy les aultres
grands plaisirs du passé pour lesqueles les Eglises réformées, voire la couronne de
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 455
France etlous fidèles serviteurs d'icelle,sont grandement obligésà Monsieur noslre cousin
l'Electeur conte Palatin, son père, et à luy mesmes, et de nous unir tant plus en toute
syncère et entière correspondance, confessons, promettons et nous obligeons saincte-
ment, fermement et irrévocablement, pour nous, nos successeurs, hoirs, alliés et
associés, de quelque religion, réformée ou catholicque, qu'ils soient, le cas advenant
que, depuis ceste nostre expédition, Monsieur l'Electeur conte Palatin, nostre dict
cousin, ayt affaire de secours de le venir trouver à sa demande en personne et bien
accompaigné de Seigneurs de nostre parti avec six mil harquebuziers et deux mil
chevaulx françois à nos despens troys mois durant ; comme aussy Monsieur l'Electeur
sera tenu et promect, le cas aussy advenant, que despuis après ceste noslre expédition
et mesmes la paix faicte, nous ayons pour nous, les Eglises réformées et associés,
affaire de secours de nous faire retenir et souldoyer à ces despens et les faire conduire
par Monsieur le Duc Casimir son fils, nostre cousin, où il sera de nous requis et que
la nécessité le requerra, ung mois durant, six mil chevaulx, reustres allemands. Mais,
au cas que, pendant la présente expédition, la nécessité des aftaires dudict Seigneur
Electeur conte Palatin rappelasl ledici Seigneur Duc Casimir son (ils par deçà, luy
sera permis sans luy donner ou faire donner empeschement, ains plus tost avecques
nostre conduicle et seureté, se retirer avec sa maison et ce qu'il aura levé et amené
de forces en l'armée et luy sera alhors faict payement ou donné asseurance dont il soit
content, de ce qui luy sera deus et au gens de guerre qu'il aura levés. Toutefois, si,
durant ceste expédition, le faix de la guerre et la plus grande force de l'ennemy tombe
sur le Palalinat, nous serons tenus d'aller avecq nos associés et nos forces, quand et
quand et ensemblemeiii secourir ledict Seigneur Electeur et le Palalinat, pour en
divertir l'ennemi et faire pour luy, comme nous vouldrions faire pour nous mesmes.
D'avantaige, la paix se faisans, nous, nos successeurs, alliés et associés, serons
tenus de conduire ledict S"" Duc Jean Casimir et son armée, ensemble leur bagage et
tout ce qu'ils auront avec eulx en lieu de seureté et ceulx qui le demanderont aulx
liontières et sur le fond de l'Empire sans que force ou dommaige aulcun leur soit faict.
Et quant au temporel des Eveschés des trois villes de Metz, Thou et Verdun, et de
leurs deppendaiices, d'aultanl que nostre dicl cousin le duc Jean Casimir en désire
156 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
estre bien eclaircy, pour ce qu'il pourroil advenir que le fils de Monsieur nostre cousin,
le duc de Lorraine, en seroil en possession, nous entendons le cinquiesme article de
la susdicte capitulation en ceste sorte qu'en ce cas nous ferons que le fils de nostre
dict cousin Monsieur le Duc de Lorraine soit aultrement pourveu, affin que ledict
S"" Duc Jean Casimir soit (sans en avoir aulcun querelle avec la maison de Lorraine
ou aultres) installé au gouvernement desdicts trois villes, citadelles et deppendances,
eten lajouissance des rentes, revenus et biens des Eveschés d'icelles et de leurs apparte-
nances. Et s'il advenoil qu'il en fust par aulcuns, mesmes par le Roy, molesté, troublé
ou forcé en ladicte possession, nous, nos successeurs, alliés, associés, et générallement
tous ceulx es noms desquels nous procédons, de l'une et de l'aultre religion, serons
obligés, à sa demande, de leur secourir, ayder et maintenir par tous nos moyens et
forces, à nos despens, comme aussi de tenir et garder tous et chacuns les susdicts
articles inviolablement et les faire confirmer et jurer parnos associés, princes et aultres,
. quand nous serons entrés en France.
En tesmoignaige et asseurance de quoy, nous, prince de Condé, etc., et Charles
de Mommorency, seigneur de Méru, etc., avons signé de nos mains deux originaulx
de ceste obligation et y faict apposer le cachet de nos armes. Faict le 27^ jour du
mois de Septembre l'an de grâce mil cinq cens soixante et quinze.
Tout ce que dessus est par nous, prince de Condé, faict et accordé sans en rien
préiudicer à la capitulation qui fust hier passée et arrestée entre nous et Mous'' nostre
Cousin le duc Jean Casimir, faict l'an et jour que dessus.
Henry de Bourbon.
Charles de Mommorency.
Auquel contracts nous sommes comprins, et pour ce nous confessons, par la
présente, qu'en cas la paix fust faicte en France et les dictes capitulations fussent de
poinct en poinct entièrement accomplis, que lors en cas de nécessité et que la paix ne
fust tenue à ceulx de la Religion réformée, nous ferons secourir les Eglises pour leur
ET LE TIIAITÉ DE SOLEURE 157
déCension par la conduicte de nostre dicl fils le Duc Jean Casimir avec force de six
mil reustres allemands, lesquelles nous ferons lever et entretenir par ung mois, à nos
despens, à condition que puis après ils seront souldoyés des Eglises et leurs associés,
et au cas qu'ils nous secourassent aussi, comme la sucscripte obligation contient.
D'avantaige, qu'ils envoyent alhors, quand ils auront besoing dudict nostre secours,
gens de qualité, avec asseurances suffisiantes pour la reste du payement des deux
aultres mois et ung mois de retraicte, si mieulx ne peult eslre capitulé avec les dictes
reustres et qu'ils ne traictent ou facent aulcune paix ou composition sans que ce que
nous aurons desboursé pour ladicle levée et solde d'ung mois nous soit payé ou deueu-
ment asseuré du Roy et de ceulx qu'auront rompus la paix. Tout en bonne foy et
parole de Prince. En tesmoignage de quoy, Frederich, conte Palatin, avons subsigné la
présente et cacheté de nostre cachet. Le 27 de Novembre l'an 1575.
Federicu Electeur Palatin.
La copie du traité était accompagnée d'une lettre d'envoi du Palatin ainsi conçue :
A Messieurs nos bons amis les Sindicqs de la Ville de Genève.
Messieurs,
Le S' de Bèze ha charge de moy de vous dire et délivrer quelque chose de ma
part. Parquoy m'asseurant tant de voslre fidélité et prudhommie que de la sienne,
ne feray cesle plus longue, ains, vous présentant ma bonne afi'eclion en tout et partout,
prieray Dieu, Messieurs, de vous avoir en sa saincte garde. Escriple à Heydelberg ce
premier jour de Décembre l'an 1575.
Frédéricii Electeur Palatin.
158 GENÈVE, LE rAPxTl HUGUENOT
XIX
Le Palatin aux Syndics el Conseil de Genève.
(Arch. de Genève, Porlef. hist. n° 1821.)
Messieurs les Syndiques el Conseil de la Cité de Genève.
Très chers el bien aymés,
Nous vous as.seurons qu'auras desia entendu par le rapport de nostre cher et
féal conseiller, Pierre Beuterich, docteur ès-loix, les causes qui nous esmeuvent de
faire provision de quelque bonne somme de deniers pour les emploier à l'utilité de
nos duchés et terres. Et sur ceste nostre demande nous a esté vostre responce fort
agréable, par laquelle, sans faire aultre difficulté, aves aulicl (1) nostre conseiller
déclaré que vous estiez prest de nous faire tenir la somme requise sur caution suffi-
sante à raisonnable intérest te cinq pour cent, suivant les ortonnances lu St Empire,
puisque la présente nécessité le requiert ainsy, mais, d'aultant que depuis n'avons reçeu
tu tict nostre consellier aulcune finalle résolution, craignans ou qu'il ne soit par
aultres affaires empesché ou que vous, paravanture, n'ayez cependant trouvé quelque
aultre empeschemenl ou difficulté pour ceste cause (d'aultant que cest affaire nous
importe), n'avons voulu failler de vous requérir derechef par la présente que veulliez,
comme bons voisins el aniys, suyvant l'espérance qu'avons conceue de vous, nous
(aire tenir promptement, par les mains du présent noslre commis et député, la somme
demandée de dix mille escus, ou (si votre commotité ne la porte aultrement) le huict
ou pour le moins six mille escus, pour nous en servir, comme dict est. En ce faisant,
vous nous démonslrerez office de bons voisins, qui nous sera agréable, lequel, non
(1) Pour audicl; celle erreur d'orthographe, qui résulled'un défaut de prononcialiori, se reproduit
Iréquemiiient dans le resle de la lellre : W pour de, tu pour du, elc.
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 159
seulement par caution suffîçanté, ains aussi par tous aultres tevoirs etrnoiens, tasche-
rons te recognoistre en vostre endroict, ausquels sontjmes et temeurons, comme à nos
amys et bons voisins, prests à demonstrer toute faveur.
De Heydelberg, ce 2 d'Octobre l'an 1575.
Frédéric Electeur Palatin.
XX
Le Prince de Condé au Conseil de Genève.
(Arcli. de Genève, Porlef. hisl. n" 1952)
Messieurs les Scindics et Conseil de Genève.
Messieurs,
Ayant retenu W Mare, présent porteur, pour mon appolhicaire, je n'ay voulu
oublier à vous faire la présente pour vous pryer bien affectueusement que, pendant son
absence, sa famille, laquelle reste dans vostre ville, vous soit tellement recommandée
qu'en ma faveur vous la gratiffîez en tout ce qu'il vous sera possible, ce que je m'asseure
que vous ferez de tant plus volontiers que je croy que vous serez bien aises qu'il face
service à l'armée que j'espère de brief conduyre en France, et n'eslans ceste présente
à autre fin que pour me recommander à vos bonnes grâces, je prieray Dieu, Messieurs,
qu'il vous maintienne longuement en très bonne santé longue et heureuse vye.
Escript à Strasbourg ce 20 jour d'Octobre 1575.
Vostre plus affectionné et meilleur amy à iamais.
Henry de Bourbon.
Je vous envoyé la protestation que Monseigneur le Duo a faicle depuis son parte-
menl de la Cour.
460 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
XXI
Le Duc d'Alençon au Conseil de Genève.
(Arch. (le Genève, Porlef. hisl. 11° 1970.)
Messieurs mes bons amys,
La longue expérience que ce royaume a tousiours eu par le passé de vos sincères
et bien affectionnées volontés au bien et repos d'icelluy et l'asseurance qui m'en a
aussi esté donnée par les S" de Beauvais, La Nocle son frère, et Davantigny, gentils-
bommes d'honneur et de vertu, me fait croire et tenir asseuré qu'elles ne sont en rien
diminuées, mais bien plustost acreue et augmentée par les justes et très équitables
moiens et occasions, qui se présentent maintenant, aquelles je vous prie affectueuse-
ment de vouloir continuer de bien en mieux, non seulement de vos bons advis et
très sages conseils, mais aussi de tous autres moiens et commodités que Dieu vous a
donnés, ainsi que ledict S' de la Nocle le vous dira de ma part et pour la suffisance
duquel ne vous en feray plus long discours ; je vous envoyé la déclaration que j'ay
faicte sur ma retraitte d'auprès du Roy, Mon Seigneur et frère, par laquelle pourres
plus amplement juger et cognoislre l'équité de ma cause, la protection de laquelle je
me tiens asseuré qu'aures en telle recommandation que la grandeur du fait le
mérite, priant Dieu, Messieurs mes bons amys, vous avoir en sa très saincte et digpe
garde.
o
Escrit au camp de Pontlevoy le 24'" jour d'Octobre 1575.
Voslre entièrement bon amy.
Françoys.
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 161
XXII
Gui de Laval au Conseil de Genève.
(Arch. de Genève, Portef. htst. n" 19CC;
Messieurs les Magnificques Seigneurs, Messieurs les Scindicqs et Conseil de la
Ville el cité de Genève.
Messieurs,
Vous m'aves par cy devant faict ceste faveur de m'accorder libérallemeni par
forme de prest la sonnme de douze cens escus sol, laquelle je pensois trouver entre
les mains de ma seur, Madamoiselle de Laval, mais j'ay entendu que celuy qui avoit
accordé d'estre fiance pour moy s'est rendu si dificile envers les arriefiances pour
avoir demandé d'eulx plusieurs conditions déraisonnables, qu'ils n'ont voulhi s'obliger à
luy. Cependant le secours qu'il vous avoil pieu de m'accorder demeure sans effect et
moy en grand peyne pour me trouver en plus de nécessité que je n'estois lors, qui me
faict envoler devers vous le S'' de la Vallière avec ceste lettre pour vous supplier bien
humblement, Messieurs, que, me continuant ceste mesme première faveur, il vous
plaise de m aider de ladicte somme de douze cens escus sol, soubs la caution du
S"' de Cugy, trop plus responsable que le premier qui vous avoil esté nommé et par
l'obligation que le dict S' de La Vallière vous en fera avec luy en mon nom, suyvant
le pouvoir qu'il en a de moy, qui, avec tant d'aultres biens faicls el honneur que j'ay
receus de vos Magnificences, vous demeureray infiniment obligé de cestuy cy pour vous
obéir et faire service, quand il plaira à Dieu m'en donner les moiens, comme j'en ay
la vollonté, avec laquelle je le supplieray en cest endroict. Messieurs, qu'il vous
accroisse en toute prospérité pour tousiours servir à sa gloire, me recommandant bien
humblement à vos bonnes grâces.
De Berne le 18 Novembre 1575.
Vostre bien humble et afiectionné à vous faire service.
Guy de Laval.
162 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
XXIII
Le Valatin au Conseil de Genève.
(Arcli. (le Genève, Portef. hisl. n" 1821)
A Messieurs les Syndiques et Conseil de la Ville de Genève, nos bons amis.
Fridcfich, par la grâce de Dien conle Palatin du Rhin, Electeur du Sainct Empire,
Duc de Bavire, aux Syndiques et Conseil de la Ville de Genève, saint
Messieurs,
Me faisant Monsieur de Bèze, qui est auprès du vous, ce plaisir de m'envriior par
deçà aucune fois par messagiers exprès des pacques venants du camp de mon très cher
fds le duc Jean Casimir, qui est en France, et luy faisant pareillement tenir les miens
(|ue je luy envoie, à quoy il luy fault faire sans double aucune fois des grands frais,
pourtant, afin qu'il ne luy manque en argent pour ce faire, je vous ay bien volu prier
de luy advancer des deniers en mon nom, autant que la nécessité le requerra. Et ce
taisant, m'obligerez non seulement au remboursement qui sera fait par moy, sans
deslay, desdicts deniers qu'aures desploier pour moy, mais à une gratitude par tous
bons offices et partout où le temps et l'occasion me le permettiay. Priant nostre bon
Dieu, Messieurs, vous maintenir lousiours en bon estât et en sa saincte et digne garde.
De Heydelberg ce 17^ jour de Mars l'an 1576.
(Sans signature)
ET LE TRAITÉ DR SOLEURE '^^^
XXIV
Le Ducd'Alençon au Conseil de Genève.
(Arch. (le Genève. Porlcf.hisl. n" 1970).
A Messieurs mes bons amys, les conseillers et communiaulié de la ville de
Genefve.
Messieurs mes bons Amys,
S'en allant par delà le S^ de Cornaton, présent porteur, je vous ay bien voulu
escrire la présente pour vous remercier autant affectueusement que faire je puis, des
bons offices qu'il vous a tousiours pieu faire et démonstrer en ce qui cesl offert et
présenté pour le bien et advancement de mon service, dont je me sens tellement
obligé envers vous que vous pouvez vous asseurer ne vous estre iamais employé pour
prince qui le scache mieulx recongnoistre, soyt en général ou particulier, que je feray
en tout ce qui s'offrira pour vous, ainsy que pourrez, plus amplement congnoistre par
les effects, qui me gardera vous en faire autre persuasion, vous priant de vouloir con-
tinuer en cesle affection et bonne volonté et d'avoir tousiours pour recommandé ce qui
me touchera, comme j'auray aussi de ma part tout ce qui vous appartiendra.
Priant Dieu, Messieurs mes bons amys, vous avoir eu sa trèssaincte et digne
earde.
o
Escript à Chastillon sur Seyne le 13 de Juing 1576.
Vostre bien bon amy,
Françoys
16^
t GENEVE, LE PARTI HUGUENOT
XXV
Le Duc (ÏAlençon au Conseil de Genève.
(Arcli. de Genève, Porlef. hisl. n" 1970)
A Messieurs les Gouverneurs de Genève.
Messieurs,
Aiant entendu que ceulx qui tiennent en gaige les bagues du S'^ de Thoré, mon
cousin, pour la partie d'onze mil cinq cens escus, qui luy fust prestée à Genève pour
faire la levée des reitres, sont en propos de vendre les dicts bagues, parceque le terme
du desgaigement est escheu, désirant retarder ladicte vente, tant pour ce que s'estant
ainsi libérallement exposé mondict cousin pour le bien commun de ce party, il n'est
raisonnable qu'il porte une si grande perte que pour n'avoir moien si prompt de les
retirer, je vous ai faict la présente pour vous pour le plus affectueusement qu'il m'est
possible employer tellement vostre crédit et faveur en cest endroict pour l'amour de
moy, que ceulx qui ont lesdictes bagues en surseent la vente jusques à la fin du moys
d'Octobre prochain, dans lequel je me promets leur faire donner toute satisfaction et
si me revancheray particullièrement de ceste courtoisie en tous les endroicts on ils me
vouldront requérir de m'employer pour eulx et vous, aussi d'aussi bon cueur que je
vous prye et le Créateur vous avoir, Messieurs, en sa saincte et digne garde.
De Bourges ce 8^ jour d'Aoust 1576.
Vostre amy.
Franco YS.
ET LE TUAiTÉ DE SOLEURE 165
XXVI
Le Palatin au Conseil de Genève.
(Arch. (le Genève, Portef. hhl. n° 1821)
Messieurs les Syndiques et Conseil de la Ville de Genève.
Messieurs les Syndiques et Conseil de la Ville de Genève, j'envoie vers vous mon
loyal et fidèle conseillier, le S-^ Jehan Guillaume Bolzheim, docteur en droict, pour
quelque mien affaire, vous priant le vouloir ouïr et adiouster foy, comme à moy
mesme, à ce qu'il vous dira de ma part, qui me sera fort agréable et à recognoistre
en pareil cas où l'occasion s'offre. Priant nostre Dieu, Messieurs, vous augmenter ses
grâces et maintenir en sa saincte garde et protection.
De Heydelberg ce 4 de Septembre l'an 1576.
Frédéric Electeur Palatin.
XXVII
Le Duc d'Alençon au Conseil de Genève.
(Arch. de Genève, Portef. hist. n° 1970).
Aux Magnificques Seigneurs, Messieurs les Sindiques et Conseil de la Ville de
Genève-
Magnificques Seigneurs,
Désirant recouvrer quelque somme d'argent pour estre employée vers vostre
quartier en certains affaires qui m'importent grandement, me confyanl de vostre
Ige GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
bienveillance et sur l'espérance que j'ay de vous, j'ay advisé, pour l'asseurance de
l'amityé et bonne volunlé que me portiez, de vous envoyer les S" de Rezé, nion secré-
taire, et de Matharet, ou l'un d'eux, porteur de la présente, pour vous prier, comme
je fais le plus affectueusement que je puis, de me prester pour ung an. entier, sy faire
pouvez, ou à tout le moings pour six moys, la somme de trois mil escus d'or soleil,
et icelle délivrer es mains desdicts S''^ de Rezé et de Matharet ou tous deux, s'ils y vont,
ausquels j'ay passé procuration et pouvoir spécial pour icelle recepvoir et prandre,
soyt en prest pur et simple ou à constitution de rente, sy besoing est, sur tous et
chacuns mes biens, pour satisfaire aux affaires pour lesquels je désire tirer ceste
commodité de vous et vous asseurer, outre que je ne fauldray de vous faire rendre
ladicte somme au temps qui sera convenu entre vous, je me senliray infinyment tenu
du plaisir que vous me ferez en ce faisant et que je m'employeray, comme j'ay desja
bien commencé, pour conduire l'affaire dont vous m'aves escript et faict parler, de
telle façon que vous en aurez contentement, comme plus particuUièrement vous
entendrés par les dessusdicts porteurs, ausquels me remectant, je prieray Dieu vous
donner, Magnifiques Seigneurs, en toute prospérité ce que plus désires.
Du Plessis-les-Tours, le vingtiesme jour d'Octobre 1576.
Vostre bien bon amy.
Françoys.
XXVIII
Roset el Chevalier aux envoyés de France, Haute fort et Sancy.
Copie.
(Arcli. de Genève, Portef. hisl. a" '2010)
Messeigneurs,
Ceux qui ont à requérir bénéfice d'aulruy n'ayant autre entrée doivent pour le
moins garder tous les ropi'cls (|tii soiiL les plus conveiiiiblcs, qui lait (juu, iw pouvans
ET LE TRAITÉ DE SOLEUKE 167
pour certains esgards que vos prudences scauront trop bien considérer, nous addresser
à vous, comme nous eussions désiré, pour vous faire les recommandations de nos
supérieurs et vous prier d'une chose qui leur est de grande importance et de petite
conséquence à Sa Majesté, nous avons usé de l'opportunité du Seigneur de Grissac
que nous avons rencontré icy et luy avons remonstré ce que nous avons entendu ces
iours en caste ville des bons moyens proiectés pour la seurté de nostre ville, et d'autant
qu'en iceux avons apperceu un point qui enlève presque toute la' iouissanceet douceur
de ceste négoliation à ceux de nostre dicte ville, nous désirerions de trouver à cela
quelque bon expédient. Et à cest efïect avons advisé de vous envoyer le S'' Caille,
présent porteur lldelle à nos Seig'^^S tant pour nous excuser de ce que dessus que pour
vous requérir très affectueusement qu'il vous plaise, suyvant vos heureux commen-
cemens, nous aider, secourir et favoriser en ce besoing, dont nous espérons que
n'aures iamais occasion de vous repentir, ny eschéanl dommage qui soit pour Sa
.Maiesté. Et laisseres à nos Seigneurs de quoy louer Dieu et conserver la mémoire
d'un tel bénéfice. Surquoy, nous recommandant bien humblement à vos bonnes grâces,
Mt^sseignenrs. prierons Dieu vous donner en bonne santé longue et heureuse vie.
De Berne ce 13* May 1579.
XXIX
BeUièvre et Harlay, ambassadeurs de France, à Rosct et Chevalier.
(Arcti. lie Genève, Portef. hist. n° 2009)
-Messieurs Roset et Chevallier, ambassadeurs de la ville de Genève, à Berne.
Messieurs,
Pour responce à la lettre qu'il vous a pieu nous escrire par le Seigneur Callier
et à ce qu'il nous a dict de voslre part, principalement pour le regard du commerce
168 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
et de l'exemption que vous désyreries estre accordée à Messieurs les habilans de vostre
ville, nous vous dirons que Messieurs les Ambassadeurs de la Ville et Canton de Berne
nous avoient déjà faict là-dessus toutes les remonslrances et instances que vous
mesmes nous auries sceu faire, comme aussi nous leur avons de nostre part franche-
ment et ouvertement déclairé ce qui estoyt à nostre pouvoir; vous priant de croire
que, si nous eussions estimé qu'il nous eust esté loysible de passer oultre, nous l'au-
rions faict et le ferions encores de bon cœur, mais il ne vous serviroyt de rien non
plus que à nous, et si seroyt plus lost occasion de faire rompre tout avec plus de
mescontenlement et de préjudice de toutes les parties ensemble. Ce n'est pas que nous
ne considérions asses ce qui nous a esté fort bien déduit par ledictS'' Caillié du peu de
riches marchands que vous avez en voslre dicte ville et par conséquent du peu d'in-
térêts qui en reviendroyt aux droicls du Roy ou à ses subiects, mais vous pouvez
penser que pourtant il n'est pas aisé d'en rendre si tost chascun capable ; mesraement
que l'on diroyt tousiours que, au moyen deladicte exemption, les facultés de la ville ne
fauldroient avec le temps d'augmenter et par mesme moyen ledict interest. Cependant
ce traiclé se trouveroyt interrompu, en danger de ne pouvoir jamais plus estre reprins
ne renoué. Qui est la cause que nous vous prions de ne vous arrester à ladicte diffi-
culté ne aultre quelconque pour les raisons que nous avons touchées audict S'" Cailler
et que, par vos prudences, vous pourrez assez considérer. Je, de Haultefort, estoys
délibéré de partir précisément demain, néantmoins, affin de donner un peu plus de
loysir à Messieurs de Berne et à vous de vous résouldre entièrement, je différeray
jusques à samedy prochain, ne m' estant possible de le faire davantaige pour divers
respects, et croyez, s'il vous plail, que cest tout ce que nous vous pouvons dire ou faire
en cest endroict. A tant nous nous recommandons très affectueusement à vos bonnes
grâces, en priant Dieu qu'il vous donne, Messieurs, très longues et heureuses vies.
De Solleurre, ce 13* jour de May 1579.
Vos bien affectionés amys à vous faire plaisir et service
Bellièvre.
De IIarlay.
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 169
XXX
Roset et Chevalier au Conseil de Genève.
(Arch. de Genève, Porlef. hist. n° 2010)
Magnifiques et très honorés Seigneurs,
Depuys nostre dernière dépesche par Bramerel, vostre serviteur, nous tenions
main à pouvoir départir d'ycy, nnais l'Amb"' de son Altesse s'advisa, disant qu'il ne
nous pouvoit bailler les lettres aux Cantons qu'en recevant les vostres, et puysqu'il
pendoit encor d'adviser et respondre par nous sur le secrétaire et sur le point des
Seigneurs de Berne, qu'il falloit attendre la résolution, et cependant nous signa et
cacheta le despart, dont avons cy devant envoyée la minute ; pendant cela arrivarenl
les Seigneurs de Diespach et Dillier (Tillier), revenans de Soleure, ayans conclu avec
les Ambassadeurs de France et avec les S''* de Soleure ; ce fut samedy bien tard. Le
lendemain, après le sermon, les Seigneurs s'assemblarent extraordinairemenl pour
entendre ces nouvelles, dont on ne nous volui rien découvrir, fors ce qu'en avions
auparavant aperceu, estimant que Messieurs de deçà, ayans le toulveu, nous commu-
niqueroient ce qui nous concerne. Il estoit arrivé encor un nouvau Ambassadeur de
Savoye, qui est homme d'âge, viballi d'Augste, homme d'aparence et a son parler
bénin, tardif et advisé, et qui scait allemand; lesquels deux nous avoient fait convier
au diner, dont les avions remerciés pour affaires. Mons'' l'Advoyer Steiguer fut avec
eulx, es devis duquel nous aperceumes depuys qu'il se falloit bien peu fier au Roy
et que leurs bourgeois en parloient fort et qu'il seroit bon de faire avec M'' de
Savoye. Nous remontrions qu'il falloit se servir prudemment de tôles pièces et que, si
nous avions les articles, nous en pourrions parler plus ouvertement. Il nous parloit
du retranchement ou réserve à nostre préiudice et de l'article de ne retirer les
ennemys que s'il s'enlendoit de la religion et seroit chose pernilieuse. Nous remon-
trions nostre désir sur les péages et commerce et que c' estoit peu au Roy et de
l'autre point qu'on ne le passeroit jamais en ceste intelligence. I.e requérions
-170 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
de s'ayder à ce que les choses fussent bien entendues. Il nous dit, quant au premier,
qu'il n'estoit pas possible de l'obtenir, au second qu'on y adviseroit. Le lendemain
furent tenus les Deux Cens. Au sortir, le S"" de Diespach nous fit compagnie, lequel
nous dit que ce matin avoit esté faite chose d'un très grand dommage à une
ville de Genève et estoit fort fasché et que tout esioit renversé sans cause et sans
raison et qu'on avoit prins terme de troys moys à respondre ; cependant ceux de
Soleurre avoient prins à se résoudre aujourd'huy, comme ils auront fait, et que eulx
et l'Amb'' prendroient en fort mauvaise part ce délay et que ce n'est pas avec le Roy
de France qu'il se faut ainsin porter. On a requys ceux de Soleurre. lisse sont joints à
requérir le Roy. Le Roy a tout accordé ce qu'on luy a demandé, hors mys ce point
des péages, et maintenant ou remontre qu'il ne faut pas négotier avec luy. L'Amb. de
Savoye a grand crédit et qu'il veoit bien que tout est rompu, luy remontrant que
peult estre que non est, mays qu'il pourroit servir à obtenir ce point des péages. Il
me dit : non fera, mais rompra tout. Nous prenons prétexte sus ce que les Amb. ont
réservé de raporter au Roy et d'envoyer les dépêches, lettres et seaux de France
dedans troys moys. Mais cela s'entend, si nous y consentons des deux coslés, Rerne et
Soleure, car quant au Roy, il est passé. Et ne scavons cognoitre l'occasion, quand elle
est à la porte, (nous dîmes) : Le pourrions-nous pas veoir que c'est pour adviser plus
outre et nous ayder en quelque chose. (Il dit) : il faudra bien que vous le voyez, car
cela vous concerne, parle/.-en à Mons"" l'Advoyer Steiguer. Iceluy S' Advoyer demeura
bien tard avec les S'^^ de Savoye et, à son retour, monta à cheval et s'en alla à Munt-
zigen. Ledict S"^ de Diespach fut lieutenant, lequel nous priâmes de nous faire avoir la
doble. Il promit d'en parler au Conseil. Sur le soir, lûmes vi.siter les Seigneurs de
Savoye pour les remercier du convoy et saluer le nouveau venu, et, après certains bons
propos, le S"" de Jacob réiouy nous disoit que nous n'estions pas encore Françoys.
Nous luirespondîmes qu'il fait bon ne se haster pas trop en choses de conséquence et
pleut à Dieu que dès longtemps fussions de bon accord. Il nous dit que son Altesse ne
pourroit souffrir qu'autre y vint mettre la main et n'usoit que de moyens amiables,
ayant conquys avec l'espée au commencement ; et puys dit : Je crçy que s'il estoit
question d'avoir prince, encor aymeries-vous mieux Son Altesse, prince tout humain
1 1 véritable, tenant sa paroilu, que les Françoys. Nous luy respondîmes (jue nos
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 171
Seigneurs n'auroient point reculé à tous bons moyens, mais qu'on leur avoil tousiours
demandé ce qu'ils n'accorderont jamais, ny vent ny fumée, et au surplus qu'il n'y a
point de choix ny de l'un ny de l'autre et qu'on se peut passer de parler de cela ;
Dieu nous a gardés jusqu'aujourdhuy. — Bien, dit-il, on verra qui aura droit; il s'agit
de cela, nous sommes en bons termes : vous aurez affaire à un bon et bien affectionné
seigneur, lequel en est party devostre ville; c'est M. 31illet (1) qui s'y trouvera.
Le mardy nous arriva après diner vostre messagier et sur le soii' le S'' Anselme
Callie avec vos lettres. Or avions-nous décoverl par le menu que cela estoit advenu
en Deux-Cens, c'est que, sur une remontrance faite par M. l'Advoyer, le Conseil
s'estoit trouvé au point de rompre tout, mais encor pour attendre la journée, qu'on
avoit prys le terme de troys moys. Quelques uns des principaux de vos bons amys nous
advertirent, disans : ne vous fiez pas en chacun. M. de Jacob parle par la bouche de
quelques uns. Nous avons donc fait diligence pour obtenir la copie du traité. M. de
Diespach (estant absent M. Steiguer l'advoyer qui s'en estoit allé à Muntzigen où il a
demeuré jusqu'au vendredi) nous promit d'en parler en Conseil, mais il nous bailla pour
responce que Messieurs avoient dit qu'il en falloit premièrement encor conférer avec
Messieurs de Soleure, devant que le nous délivrer. Nous luy dîmes par avanlure, l'ayans
veu en lieu que nous ne povons maintenant que nous taire : pourrions-nous dire ou faire
quelque chose qui serviroil à ne rompre pas chose de si grande importance. Il en reparla
donc le Jeudy, si que l'original et sa translation nous a esté mys entre mains et en
avons prins copie, comme verrez. L'original est en françoys, signé par les deux Ambas-
sadeurs. Nous y avons trouvé principalement à redire ce qui est en huit articles à part,
dont nous avons parlé particulièrement et fait remontrances au possible, ensemble
qu'un tel œuvre fut de si près considéré qu'on ne perdit pas l'occasion. Cependant
nous fumes par devers les Amb" du Duc, disans avoir receue responce de nos Seigneurs
par laquelle ils avoienl aggréé ce que avoit esté convenu entre eulx et nous
lochanl la journée, afiin de ne la retarder, et nous avoient envoyées lettres par les
(1) Louis Millet, baron de Faverges et de Clialles, ne à Ghaiiibéry le 26 Juin 1527, iiiorL à Moncalier
le 12 Février 1599, fut premier président du Sénat de Savoie en 1571, Chancelier de ce duclié en 1580.
11 fui chargé d'iniporlanles ambassades auprès du Roi de France el des cantons suisses. C'est de lui (jue
descendent lesconiles de Faverges, les marquis de Clialles et ceux d'Arvillars.
17:2 r.E.NÉVE, LE PAItTI HUGUENOT
cantons de Lucenic, Ury, Schwilz, lesquelles eslions prests leur délivrer en recevant
celles qu'ils ont promys nous délivrer aussi. Mais que nos Seigneurs entendoisnt
d'avoir acceptée ceste journée pour estre tenus à la forme de celle deNion et nous
chargeoient de les requérir très affectueusement de prier avec nous les Mag. S'^ leurs
alliés et les nostres de vouloir accorder deux de leur nombre pour ayder et assister.
Qu'il leur pleut donc de vouloir à cela condescendre, affin qu'estans dépeschés icy,
nous puissions passer plus outre. Quant au secrétaire, puys qu'il ne leur a pieu en
avoir un neutre, que nos Seig'^, ne se voulans arrester à cela, nous ont donné charge
d'en choisir un pour eulx, à quoy nous adviserons. Ils nous ont respondu par réitérées
raisons ne pouvoir condescendre à cela du moyen de Berne, estants prests de nous
bailler leurs lettres et qu'ils ne nous cacheroient pas qu'il s'agissoit principalement
entre autres d'ung point qu'est celuy de nostre combourgeoisie, auquel Messieurs de
Berne, ny les leurs,'^ine povoient pas assister et que les autres Seigneurs n'y pren-
droient pas plaisir et, pour le dire court, n'y povoient faire autre sans la volonté de
son Altesse qui estoit loing et pourtant nous prioient (si ne voulions rompre ceste
amiable procédure qu'il nous pleut passer outre). Nous répliquâmes à tout et les priâmes
d'y penser. Ils dirent qu'ils avoient tout pensé et d'aullant que nous n'avions pas
haste à cause de l'autre affaire, nous remismes l'affaire au lendemain. Cependant
ledict S'' de Jacob dit qu'il me vouloit dire quelque chose à part, qu'il avoit receue
une lettre de M. le Président Millet, par laquelle il l'advertissoit que l'entreprise de
l'année passée estoit reprise plus fort et chaude que jamais. 11 lisoit dans la lettre
qu'il povoit remontrer au bon seigneur de pardeça que le moyen d'empêcher tout
cela seroit le bon accord qui se pourroit faire et me prioitden'en dire rien, autrement
qu'il diroit non, me demandant si nous en scavions rien. Je le remerciay et que mes
Seigneurs avoient bien heu quelque advys cy-devant et n'estoit pas ignorans de beaucoup
de délibérations dont Dieu les préserveroit et les renverseroit sur la teste des entre-
preneurs. Néanmoins qu'ils n'en faisoient pas bruit jusqu'à ce qu'ils en puissent parler
seuremcnt par noms et surnoms, selon les moyens que Dieu leur donne d'estre
adveriys plus que les entrepreneurs ne peuvent estimer. Si que j'espère qu'ils ne
seront pas surprys, que ce seroit la meilleure chose du monde d'ung bon accord et
intelligence, mais qu'ils ne s'y accommodent jamais, en demandans ce que ne pouvons
ET hK TRAITÉ DE SOLEURE 473
accorder ; pleul à Dieu que dès longtems son Altesse se fut accordé et déporte, tant
de grands affaires et entreprises, qu'on aura peyne d'esteindre, ne se fussent pas ainsin
avancés. Il nous voulut convier au souper, mais nous le remerciâmes. Le noveau
Amb'', nous exagérant la bonté de Son Altesse, disoit que luy prince souverain s'accom-
modoit aniiablement pour traiter du sien en ceste manière si douce, laissant les autres
voies et grands moyens qu'il a en main, que nous y devions bien penser. Nous res-
pondimes que nos Seigneurs, souverains par la grâce de Dieu en leur estât, avoient à
le remercier de ce bon vouloir et que, de leur part, ils ne s'accommodoient pas moins
à tûtes journées, désireux, après la faveur de Dieu, de la bonne paix d'ung prince
voisin, tant y a qu'ils n'estiment pas tenir de l'autruy. La dessus M. de Jacob dit: Il
se verra, nous sommes en bon chemin.
Le mescredy de matin, leur fisraes tenir vos lettres et receumes les leurs, leur
déclairans que, puys qu'il ne leur plaisoit de requérir les Seigneurs de Berne, il faudroil
prier Dieu qu'il bénit la procédure sans cela. Mons"" de Diespach nous avoit conseillé
de n'y insister plus. Nous advisàmes d'envoyer le S'' Anselme Callie à Soleurre, pour
requérir les Amb. de voloir ayder à l'article. Le S"" Balthasard estoit de cest advys,
combien qu'il n'en espérast pas beaucoup. Il leur escrivit et nous aussi et estoit
merveilleusement fâché de ce délay, disant que tout s'en alloit rompre, qu'il y avoit
gens à la Court, M. de Guise et M. de Ennemours (Nemours), qui en feroienl bien
leur profit. Ledict S'' Callie revint le lendemain et nous raporla lettres et son raporl,
tochant sa diligence, comme il plaira à vos Seig'* de l'entendre. Nous l'avons aussi
employé à parler es Seigneurs plus de près tochant l'empêche de la conduite navale,
comme il vous raportera ; nous espérons qu'ils suspendront la défence qu'ils en
avoient desja faite et disent que le mal, s'il y en ha, est venu de Genève. Le S'' Bail,
me dit qu'il ne failoit pas craindre qu'il y eut de la trahison en ce traité, car le Roy
n'y enveloperoil pas ceux de Soleure, et quant à luy, qu'il avoit parlé au Roy, n'y
estant que M. de Bellièvre en la chambrete, où le Roy appuyé, dit que, puys que
Mons'' de Savoye, son oncle, en avoit besogné ainsin, d'avoir détourné ses Suysses
après soy, qui n'estoit pas selon qu'il luy avoit escript du passé, qu'il ne pourroit ou
il s'en ressentiroit et que ce n'est autre chose sinon que le Roy luy veut aprendre
qu'il en scait bien à luy. Et qui heut sceu les difficultés que font ceux-ci, on heul
174 GENÈVE, LE PAHTI HUGUENOT
traité avec vous à Genève, mais il n'est pas àlempsmaintenani, parcequ'on se dégoûtera
et les adversaires entreviendront. Que si nous n'aydons à faire passer cecy, nous
attirons plus de mal que ne pourrions croire, qu'il voudroit qu'il luy lieust costé
500 écus et ne s'en estre jamais meslé, pour le malheur qui en surviendra. Que nous
ne nous devons arrester à ce point des péages, car le temps vient que nous obtiendrons
plus que cela. Il faut commencer, c'est une belle entrée. 11 nous a fait veoir le traité
tout au long, avant que nous l'heussions obtenu et nous interprétoit les difficultés en
bonne part.
N'ayans donc loysir de vous escrire et l'ecevoir responce, nous avons fait
diligence vers plusieurs particuliers des Bourgeois pour les informer ; ledict S'" Ballh.
a esté devant le Conseil pour réadviser sur le fait en advouant les négotiations de
leurs Amb. sans tel délay et a obtenu que samedy on tiendrait les Deux Cens pour y
adviser. Ce mesme jour avons esté devant le Conseil avant que les Deux Cens fussent
assemblés et les avons remerciés de tant de peynes et fait entendre le refus de leurs
commys, les avons priés de vostre part de leur secrétaire pour nostre part, veu qu'ils
n'en ont voulu un neutre, les avons remerciés de la communication du traité, sur
lequel n'avions point de charge, parceque vos Seigneurs n'en avoient pas notice à cause
du bref temps ; ainsin ne le povions accepter ny refuser. Cependant, comme estans
icy de la part de nos Seigneurs, nous avions diligemment considéré tout le contenu ;
et, combien que le traité estoit comprys, non avec nos Seigneurs, mais avec les deux
nobles cantons, Berne et Soleure, par les sens du Roy, si qu'il sembleroit n'estre à
nous d'en dire, néanmoins, entant qu'il pouvoit concerner une cité de Genève, pour
l'amour de laquelle il leur plaisoit tant faire et veu qu'il estoit conceu à perpétuité,
nous avions notez quelques points et passages en iceluy, lesquels il nous sembloit
pouvoir estre aysément amendés, lesquels leur voulions déclairer, espérans en cela ne
déplaire à nos Seigneurs (sans les astraindre ny obliger aucunement, comme n'ayans
notice de cecy). Qu'il leur pleut donc nous entendre bénignement, non comme si
voulions donner advys ou instruction à leurs Seigneurs trop plus advisés, mais comme
ceux qui ne peuvent éviter par devoir de tesmoigner le désir qu'ils ont que les choses
soient tellement considérées au commencement qu'il n'en puisse sourdre, s'il est
possible, différent ny mésintelligence à l'advenir. Làdessus leur avons déclairé les huit
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 175
passages coltés en l'escript, dont leur avons laissé copie. Puys les avons requys d'y
ayder et tenir main à l'amendement d'yceux. Les avons en outre très expressément
requis de vouloir tellement embrasser cest affaire qu'il ne leur eschappe pas, comme
il y ha à craindre pour un si long terme de troys moys ; qu'il leur plaise de considérer
en cecy la grand gloyre de Dieu, en ce qu'il fait venir les grands persécuteurs de son
Eo-lise et en vouloir estre raainteneurs contre leur intention pour brider des autres
persécuteurs et ennemys, selon ses promesses : la consolation et édification des Eglises
réformées tant en France qu'ailleurs, en ce que, considérans cesl œuvre, elles prendront
courage, voire plusieurs seront rendus plus hardys à se déclairer et maintenir de ceste
religion, voyans comme Dieu en besogne à la fin; la louange qui les suit en cecy,
d'autant que ung chacun dira de la prudence que Dieu a donné à leurs Seigneurs,
par le moyen desquels tel œuvre aura heu avancement es temps si troblés ; le
profit et seurté qui en revient aux deux villes, terres et pays, en ce que, pour le moins,
on aura lettres et seaux de telles promesses par lesquelles tacitement tout le passé et
les quérimonies qu'on heut peu soubsonner à l'advenir tochant les faits des particuliers
de leurs terres et de Genève au regard du Roy seront abbatus et ensevelys et par ce
moyen nos adversaires tenus en plus grand debvoir, mais notamment leur plaise se
resouvenir de ce qu'ils s'en sont cy devant tant sentys chargés du secours de Genève.
Et maintenant que Dieu présente un moyen pour les alléger, que leur prudence le
veuille apréhender de telle sorte qu'à la gloire de Dieu il n'eschape point, pour ne
donner à nos adversaires ce contentement. En ceci n'ayans point de charge, comme
avons dit, nous les requérions de preuvoir le danger des entreprises qui se sont mani-
festées cy-devant, es lesquelles peuvent encores eslre sur le bureau et plus chaudes
que jamais, suyvanl les advys, lesquelles, aydant Dieu, pourroient par ce moyen estre
renversées, et en général faire tellement qu'eux et nos Seigneurs ayons à louer Dieu
et à déservir tels bénéfices.
A dîner, les S" Steiguer, Diespach et Manuel, nous ayans fait compagnie, nous
ont respondu que Messieurs, ayans entendue nostre proposite, nous ont accordé le
secrétaire pour nostre party, puys que les autres n'en ont pas volu un neutre ; qu'ils
ont aussy passé en leur Grand Conseil il'accepter ce traité et d'y Hiire corriger les
476 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
points et passages que nous avons notés, autant qu'il sera possible, et en parleront
avec les Ambassadeurs qui doivent venir icy, lesquels ils interrogueront s'ils entendent
pas qu'en ce mot ennemys ne sont comprys ny entendus ceux qui seroient réfugiés
pour la Religion. Quant aux péages, qu'ils en ont fait leur possible, mais cy après
s'ayderont, eulx et tous les alliés qui participeront à ce traité, pour le nous faire
obtenir, s'il plait à Dieu, et qu'il y a partout commencement ; de ce qui se fera ils en
advertiront nos Seigneurs, Cependant qu'il y a quelcung qui a mys en avant que nous
ne devons pas laisser d'accorder avec Mons'' de Savoye, ce qui leur semble que nous
devons faire, affin de nous oster ceste vieille querelle de dessus les espaules.
Les Amb. de Savoye sont départys d'ycy et nous avons advisé d'attendre encor
es Amb. de France pour estre icy pendant la correction, s'il est possible, afin d'y
tenir main, si les moyens se présentent. Cela nous pourra relarder de troys ou quatre
jours, puys passerons outre aydant Dieu. C'est ce, Magnificques Seigneurs, que jusques
à ce samedy avons peu faire, moyennant l'ayde du Seigneur, auquel soit gloire et à
vos Seigneuries contentement et prospérité. Le S'' Anselme Callie, qui à la vérité est
rendant debvoir affectionné et dextre et qui a veu et sceu pendant son séjour, vous
pourra informer du totage plus particulièrement, dont n'heussions fait si long discours,
n'estoit pour satisfaire au désir que vos Seigneuries peuvent avoir d'entendre les choses
par le menu pour tant mieux adviser sur ce qui escherra pendant nostre absence. Et
à tant nous recommandons très humblement à vos bonnes grâces et prierons, présen-
tans nostre debvoir et très humble service.
De Berne, ce 1G de May 1579.
Vos très humbles citoiens et Ambassadeurs.
RosET. — Chevalier.
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 17'
XXXI
Roset et Chevalier au Conseil de Genève.
(Arcli. (le Genève, Portef. hisl. n» 2010.)
Magnifiques et très honorés Seigneurs,
Depuys le dépari du Sire Anselme Callié, nous avons attendus les S" Amb''' de
France, qui dévoient arriver d'heure à autre, et cependant fait toute diligence pour
recommander la correction par nous requise. Les dicts S" sont arrivés hier au soir
un peu devant souper ; nous les avons visités, salués et remerciés, leur recommandant
aussi lesdicts 8 articles; ils nous ont respondu fort humainement de leur bonne
volunté et que, tant s'en faut qu'ils heussent voulu retenir quelque chose de leur
puissance, que plustôl ils y voudroient mettre davantage, s'il esloit possible, soubs le
bon plaisir du Roy, mais nous prient de croire que, pour le présent, il n'est possible
de passer plus outre. Quant aux mots, que ce n'est pas si grand cas, veu que ce n'est
pas avec nous qu'on contracte, et quand ce viendra à nous, que nous regardions bien
es termes desquels nous accorderons les uns avec les autres. Au reste, que le Roy,
faisant ce grand bien d'asseurer et d'ayder, mérite pour le moins quelque respect,
qui profitera toujours plus que de nuire ; que nous y pensions bien et n'empêchions
pas une chose de si grande conséquence pour des mots ; une autre raison, dira-il, que
nous sommes de l'Empire ; si le Duc nous vouloit nous amener devant l'Empire, que
nous n'avons aucun refuge, ny appuy, que des Seigneurs de Rerne,et n'est-il pas bien
besoing qu'ung si grand Roy ayt occasion de s'en mesler; considérez bien le tout.
Nous luy avons respondu qu'icy nous n'estions pas chargés de nos Supérieurs, car ils
n'avoient encores sceu lesdicts termes, mais comme leurs fidèles serviteurs, désireux
qu'un si bon œuvre puisse obtenir bon effet, nous avions taché de prévenir ce qui le
pourroit empêcher; si les requérions de ne s'arrester pas es mots, puysque l'intention
est bonne et veu que les mots peuvent engendrer des disputes; qu'ayans heu commu-
nication du traité, oncor qu'il ne soit fait avec nos Seigneurs, néanmoins, pnys (ju'il
178 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
les concerne, nous ne pouvons, pour nostre devoir el le désir que nous avons,
ùbmettre de remontrer les dangiers que nous y voyons et les prier très affectueuse-
menl d'y vouloir entendre et nous favoriser. Ils ont persisté, disans néanmoins enfin
que, puys qu'on estoit d'accord de la substance, on s'accorderoit bien des mots.
Le lendemain, mardy au matin, nous avons advertys les Seigneurs commys, qui
avoient à s'assembler avec lesdicts S" Ambassadeurs pour ladicte correction, leur
monstrans l'importance desdicts mots, leur faisans entendre que nous n'estimons pas
que nos Seigneurs y consentent jamais. M. de Diespach nous a respondu : ce traité
est entre nous, non avec vous, peut-estre ne sera-il pas besoing d'en faire point
d'autre et, quant on parlera à vous pour traiter, lors ce sera à vous d'accorder ou
refuser. Nous luy avons respondu : nous en parlons bien pour nous, mais nous croions
bien que vous ne puissiez, ny devez, ny veullez faire accord, par lequel vous donniez
avantage sur nous, mais nous avder à la conservation de nos libertés et franchises.
Enfin, il a dit : Nous ferons tout ce que nous pourrons ; vous y allez de bien près.
Tanlost après, ils sont venus lesdicts S'= de Diespach et Tillier, qui ont esté plus
d'une heure avec lesdicts S''=' françoys, puys, suyvant ce qu'avions requis ledict Dies-
pach d'estre ouys, s'il y escheoit quelque doute, pour soutenir nos raisons, ils nous
ont appelés, fait asseoir, et nous avoir beaucoup remontré en présence desdicts
S" de Berne sui- ce mot protection, et que les estais appellent bien nostre protecteur
et les protestans le Roy Henry aussi protecteur, mais ce n'est pourtant à en dire qu'il
ayt acquis droit sur iceux ; qu'il y a plusieurs gens à la Court qui s'efforceront de
remuer cest affaire, que, de nostre part, nous n'y donnions empêche ; fin après plusieurs
remontrances et répliques et finale déclaration que nous n'avons point de consente-
ment et si ne croyons point que nos Supérieurs, qui, en l'extrémité de leurs affaires,
s'estoient excusés envers le grand Roy Françoys de telle protection, volussenl
auiourdhuy souffrii' la moindre tasche sur la liberté que Dieu leur a donnée, ny donner
aux adversaires et conlrepratiqueurs plaisir de se moquer d'eulv ; qu'il y auroit plus
de louange pour le Roy d'avoir fait les choses libéralement el vertueusement qu'en
déroganl en quelque manière ù ce qu'il semble qu'on promet de conserver, ils ont
accordé de changer ce moi protection \i conservation, \v mol nirltre (jarnison à acronler
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE i79
garnison, le mot : la ville sera ouverte aux suhiets du Roy à les subiects auront -passage
libre et seur pour trafiquer ; le passage des gens de guerre, la Seigneurie en sera
premièrement advertie pour donner ordre heu esgard à la qualité d'ycellc pour n'estre
snrprys ny surchargés. Quant aux ennemys, nous ont respondu devant les S'» de Berne
qu'ils n'y entendoient ceux de la Religion,, lesquels le Roy lient et a déclairé pour ses
bons et fidèles subiets, comme les catoliques ; disant ledict S' de Bellièvre que cy
devant plusieurs s'estans retirés de France après la St-Barthélemy, les autres cantons
estoient d'advys qu'il en fit instance vers Messieurs de Berne, mais il ne l'a l'ait,
scacliant bien que le traité de paix ne s'estendoit pas jusques là, mais seulement sui'
ceux qui entreprennent, portent armes et machinent hostilité; au reste, nous scavons
en quel estât est le Roy et voyons comme c'est qu'il négotie avec les deux villes.
Nous n'avons à faire doute de cela, prians qu'on n'y adjouxte rien pour n'excéder
pas leurs instructions, qu'ils adviseront avec les S'* de Berne de quelque autre provi-
sion. Quant au mot de territoire, ne l'ont voulu outrepasser, disans que cela a certain
regard et que le mot est bien grand, mais encor sont-ils bien ayses de pouvoir
respondre qu'ils n'ont pas fait cela pour empêcher les droits d'autruy, mais pour
garder le passage qu'est Genève et son territoire; que le Duc a quelque souveraineté
en certaines terres. N'ont voulu que Genève fut présente à la délibération tochant la
garnison, car ils ne traitent avec nous ; que ceux qui demandent ne peuvent estre
juges. Que Genève demandera garnison, eulx des Cantons adviseront s'ils la bailleront;
et ainsin des péages, qu'il ne se peut taire pour le présent, mais, selon qu'on se
comportera, qu'on obtiendra cela et choses plus grandes ; avec les S" de Berne, ils
déduisent tochant les capitaines de secours de 6,000 hommes, lesquels capitaines
les S''^ de Berne veulent baliier et semble qu'ils s'accorderont. Les S'^' de Berne leur
ont demandé que dans le traité il fut dit: sans préjudice des droits de Monsieur de Savoye.
Ils l'ont refusé, comme ils debvoient ; cela avoit bien esté mys en avant au dernier
Conseil, mais le plus porta seulement de le dire à nous, les Amb. de Genève, et de
dire aux Savoyens qu'ils advisent de s'accorder pendant les troys moys que le Roy a
de temps à respondre. Les dicls S" Amb. nous ont dit que ce n'est pas terme pour
dilayer, mais pour ce qu'il faut que ledict S' de Hauteforl s'en aile vers la Royne-Mère ;
il a niyeux ayiué avoir du lonips plus que moins ; cf-pendant il dépêchera et que ce que
180 GENÈVE, LE PAUTl HUGUENOT
le Roy a piomys, il le tiendra. Ledicl S' de Hautefortet La Chaise s'en vont à Genève,
et pour ce que nous présuposons vos honneurs et caresses et les offres qu'ils pourront
faire au réciproque, par aventure se pourroit obtenir davantage, s'ils ont pouvoir,
mais, pour n'excéder pas nostre vocation, ayans advertys vos Seigneuries de ce qui
se passe et de leur allée par delà, nous entendrons cy-après au surplus de nostre
voyage, aydant Dieu, lequel nous prierons vouloir bénir et protéger vostre Mag. Estât
en toute prospérité, et vous demeurans très humbles serviteurs, comme debvons,
nous recommanderons très humblement à vos bonnes grâces et prières.
De Berne, ce Mardy 19 de May 1579.
Vos très humbles serviteurs et Arab".
RosET. — Chevalier.
XXXII
Rosel et Chevalier au Conseil de Genève.
(Arcli. de Genève, Portef. hisl. n" '2010)
Magnifiques et très honorés Seigneurs,
Après le despari de bon. Jaq. Gradelle et Guicheslre, vos bourgeois, par lesquels
avons escript à vos Seigneuries, nous avons entendu comme Mess" de Berne, par la
responce qu'ils ont balliée de la part des Deux Gens, leur ont dit et ballié par escript,
entre autres points qu'ils entendent que cecy ne préjudicie point à la décision amiable ou
par le droit des différens de Genève avec M. de Savoye. Nous avons remontré à M. l'Advoier
Steiguer le préjudice qu'ils se font et à nous en cela. Il nous a dit qu'il voudroit
que fussions d'accord avec M. de Savoye, autrement nous aurons touiours cesle
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 181
querelle el qu'il a esté ainsin arreslé. Toteffois on ne le met point en l'instrument et
que cest affaire de France ne luy a jamais pieu, et qu'il ne nous cachera pas qu'il n'y
a jamais consenty, sinon qu'il dit à Messieurs les Bourgeois : Dieu vous en doient joye.
Qu'il a touiours la qualité de ce Roy devant les yeux, et que, si on pouvoit accorder
avec le Duc, qu'il pourroit bien faire valloir Genève. Nous luy avons remontré qu'il
veoit bien qu'il n'a pas tenu à Messieurs nos Seigneurs es journées passées et que, si
on povoit accorder encor de présent, on le désire, mais la difficulté vient de la part
de Son Altesse qui insiste à ce que nous ne devons pas et qu'ils ne dévoient soubs
correction ballier telles réserves, surtout par escript, veu qu'aussi bien on ne laissoit
pas de suyvre et qu'ils nous en avoient parlé et que les Savoyens l'entendans prendront
corage el s'efforceront de faire tant pys, et que cela ne leur profite de rien. Il nous a
répliqué que cela ne sera pas au traité, mais en une responce à pari, et que n'en ayons
point de crainte, que nous parlions à M. deDiespach.affin qu'il la retire. Sur cela nous
avons parlé audict S^ de Diespach et luy avons remontré l'inconvénient que nous y
apercevons et l'avons prié de retirer ledict escript. Il a mandé incontinent pour le
retirer.
Après souper, le S'' de Hautefort nous a dit qu'il avoit ballié es Seigneurs de
Berne une déclaration du mot des ennemys, comme il s'entend, el le pourrons veoir
et qu'on leur fait en cecy beaucoup de traverses, que nous avons à y penser comme
pour nous, affm qu'il n'y entrevienne interruption, car les cinq cantons et M. de Savoye
remueroient tant pour empêcher ou renverser cecy qu'on aperçoit bien ses menées, car
on leur a fait une réserve, combien que le Roy n'ait rien voulu réserver au Traité, n'en
ayant aussi point d'occasion, car le Duc, qui a tant receuz de biens du Roy en son Traité
avec les cinq cantons, n'a pas fait l'honneur au Roy de le réserver, qu'est la cause que
le Traité de présent est couché simple et sans réserve de personne. Cependant il faut
passer outre ; que nous avons bien à ne donner point d'occasion de nostre part en
nous arrestant à cecy ou à cela ; qu'il seroit bon que je retournasse à Genève pour
informer Messieurs à ce qu'on n'y face difficulté. Nous luy avons respondu que, dans le
Traité tel qu'il est, nos Seigneurs ne sont pas introduits pour consentir, ny autrement,
et qu'il s'agiroit de faire l'Alliance ou bourgeoisie avec les deux cantons, Berne et
Soleurre, pour mettre en pratique ce que porte le premier Traité. Il faudroil donc,
185 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
dit-il, que cela se dépeschal, afliri que rien ne demeure en arrière. Je luy ay dit: Nos
Seigneurs n'ont pas encor heu communication de tout cecy et ne s'en pourront pas
résoudre si tost, s'il est question de bailler quelque consentement, et quoy qu'il en
soit, pourront trop mieux adviser sur le totage par leur prudence, voire sans nous,
qui aussi ne pourrions abandonner la charge expresse que nous avons d'aller aux
Cantons pour la journée establie. Après il nous a dit qu'il y falloit penser cesle nuit et
qu'il nous prioii de parler de matin à luy avant son desparl.
Mescredy de grand malin, nous avons veu entre les mains de M. de Diespach
l'escript de la responce ou réplique que les Amb. leur ont baillée, dont avez ici la
copie. Nous luy avons demandé s'il estoit pas expédient de faire quelque autre traité
avec Mess" de Soleurre et eulx, suyvant ce traité, après que vos Seig'^' l'auront veu
s'il vous aggrée. Il nous a respondu que par avanture ne sera il pas de besoing, sinon
accepter cela, pour ce qu'il se craint que, si cest atlaire revenoit plus en leur Grand
Conseil, que tout ne fut à néant à cause des grandes traverses qu'on y donne sans
raison. Item que Mess"'* de Soleurre peut-estre ne prendront pas plaisir pour le présent
de faire plus grand bruit à cause des cinq cantons, mais il y faudra adviser. Nous
avons parlé à M''* les Amb. de France au point de leur départ, lesquels nous ont
promys vous délivrer à Genève le double du traité, ainsin qu'il a esté corrigé. Mons'' de
Hautefort dit qu'il voudroit bien que je retournasse à Genève ; toteilois, puys que
nostre commission tendoit autre pari, qu'il avoit pensé qu'il faudroit peut-estre attendre
M. de MuUinen, qui a négolié tout cecy, et qu'il faudroit adviser de ce qui sera
expédient ; cependant que nous ferions bien d'entretenir Mess" de Soleurre troys ou
quatre qu'ils sont et le secrétaire, aiBn qu'ils soient fermes, si ces cantons les recer-
chent et qu'ils ne prennent pas occasion sur le changement et correction qu'on a faite
et qu'en cela le S'' Baltasard a grand crédit et intelligence et a beaucoup iravallié.
Puys entrant le S"" Balt., a dit devant luy : « Je disoys icy à Mons"^ le Sindique qu'il
seroit bon d'entretenir les principaux de Soleurre, aflîn que, pendant ces choses, ils ne
se détornent par les sollicitations des cinq cantons que j'aperçoys survenir ; qu'eu
dites-vous. » Il respond ; « Puys qu'il vous plaît de m'interrogucr, je prendray la
hardiesse de vous en dire mon advys, que, puys que Mess'* de Berne ont baillé leur
seau ou soit acceptation, il ne laul pas craindre ipic les S''" de Soleurre se laissent
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 183
manier aux cinq cantons et ainsin Mess-^^ de Genève pourront éviter de la dépence.
Cependant M"' s'en va à Zurich et verra M'' de MuUinen pour adviser plus autre. » Lors
M. de Hautefort a dit : « Vous scavez bien comme les cinq cantons veulent mal à ceux
de Soleurre à cause de leur particulière conionction faite avec les S"^^ de Berne et qu'ils
en ont faites des chansons, les chargeans de vouloir devenir lutériens, ce qui fasche
fort lesdicts Soloduroys. Toteffois, vous cognoissez mieux cesl atïaire. » Nous l'avons
requys de nous ayder de leurs bonnes recommandations envers ceux des Cantons
Papistes. Il nous a respondu qu'il y en ha deux esquels on pourra parler, mais celuy
de Lucerne est inaccessible de ce costé. M. de Sancy a promys de s'y employer. Ledict
S^ de Sancy accompagne le S"^ de Hautefort jusques à Fribourg et le S'' Baltasard aussi.
Ou nous sommes bien trompés, ou ils sont affectionnés à cest affaire. En devys de
table je demanday particulièrement à M. de Hautefort du mariage de M' avec celle
d'Hespagne. Il dit qu'il en estoit quelque bruit et de celle d'Angleterre. Je luy demanday:
et si le mariage d'Hespagne se faisoit, les deux royaumes seroient-ils pas conioints et
unys pour s'entre ayder. Il me dit : « Non pas, quand le Roy mesme l'auroit prinse.
Car ces deux estats, France et Hespagne, ne craignent ny ne regardent que l'ung sur
l'autre. C'est le mal qu'ils nous ont fait pour nous tenir petis ; mais, après nostre
minorité, nous commençons à le cognoître. Ils nous ont broillés, nous scavons bien,
si nous voulions, quel il fait au Pays-Bas. Nous scavons bien les mescontentemens de
leurs estats. Ils ont osté Constance à ce pays des Ligues. Nous scavons bien en quelle
manière ils les gouvernent et les plaintifs de ceux de Constance et ce qu'on leur ha
respondu. Tout a son temps. )^
Je luy ay demandé s'il prétendoit parler de ce traité à vous, mes Très honorés
Seigneurs. Il m'a respondu que non pas, sinon à quelcun et à M. de Bèze, car il désire
qu'il soit secret. Je luy ay dit : « Les Savoyens le scavenl. » Respond : « Ils se vantent
de le scavoir de Genève. » Je luy ay respondu : « Il n'est possible. •» «-ie vous dii-ay,
dit-il, les traversiers d'ycy leur auront tout conté, puys vous auront fait ce bien de les
instruire de dire que c'est devostre ville qu'ils l'ont aprins. » M. de la Chaise m'a dit
qu'à Zurich il a ces jours parlé à M. Gualter, de Zurich, qui a trouvé cest affaire fort
bon et. a espérance que Mess"'- dudict lieu y entendront facilement. Ils nous oi.l conviés
484 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
les troys repas qu'ils ont esté icy. Après leur départ, nous avons encor parlé à M. l'Ad-
voyer en la maison de ville, luy remontrans le déplaisir que nous avons pour nos Sei-
gneurs de ce qu'outre ce qui est assez déclairé en leurs traités avec Monsiew de Savoye
en nostre mode de vivre et es Abscheids, il leur plait de faire ces réserves et les mettre
es mains des S'^ Amb" françoys, qui en pourra faire bruit en plusieurs lieux et donner
occasion aux grands d'en parler, en lieu qu'ils désirent et nous induisent touiours de
l'assoupir et mesmes qu'ils creignent la succession des grands et puys qu'en ce Traité le
Roy ne vouloit rien réserver, pourquoy luy font-ils une réserve de laquelle il n'a que
faire. Il suffisoit, si ainsin leur heut pieu, d'en avoir parlé, sans la mettre par escript;
et d'autant que nous en sommes en peyne, encor qu'ils facent cela sans nous en dire ny
communiquer, nous ne pouvons que nous ne le requérions de tant faire que ces escripts
ne s'esventent point, sinon qu'il fut possible de les retirer du tout, veu que le préiu-
dice qu'ils nous font en cela retumbe sur eulx, pour ce que nostre Estât est tellement
conioint au leur que l'avantage que M. de Savoye pourroit gagner sur Genève luy
réussiroit certainement à fondement pour réinlégrande de totes ses querelles e< actions
contre eulx, nonobstant totes lettres et seaux ; qu'il luy pleut nous y donner quelque
bon advys.
Il nous a respondu en substance qn'il ne s'en fera point de traité, que le mesme
escript qu'on leur avoil baillé, ils l'ont retiré ou le retireront. Le traité est net, sans
réserve, mais ils ont bien voulu dire pour leur honneur, afTm qu'il ne leur fut reproché
et qu'il ne peut nuire, n'estant ni scelé, ni signé, et ne demeurant pas en leurs
mains.
S'il sembloit à vos Seigneurs, après avoir ouy le S'' Amb. de France, et totes ces
choses considérées, qu'il fut bon ou de remercier en Conseil ou de requérir les
S" de Berne et Soleurre de quelque alliance ou Bourgeoisie, selon que nous pourrions
décovrir estre expédient ou nécessaire, après avoir parlé particulièrement à Soleurre
es S'* principaux, à Baden, à M. l'Advoier de Mullinen et es autres endroits où nous
allons, et il vous plaisoit nous envoyer une lettre de créance pour Berne, une autre
pour Soleurre, et nous instruire de vostre bon vouloir, nous nous en acquiterons,
aydant Dieu, au retour, pour éviter autrfs frays et voyages, entendans néanmoins que
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 1 Î<IJ
VOS Seigneuries veulent bien qu'en tout cela nous puissions avoir esgard à ce que
nous pourrons avoir aperceu pour faire plus ou moins ou laisser le tout selon ies
occurrens. I.e nnessager pourroil attendre à Soleurre, au logis de la Tour, où pourrons
eslre de retour, s'il plail au S^ d'auiourdhuy en dix jours. A tant, Magnificques el très
honorés Seigneurs, répétons noslre debvoir et très linmhle service, prians le tout
puissant qu'il luv plaise vous (aire prospérer et tenir en sa sainte garde.
De Berne, ce mescredy 20 de May 1579.
Vos très humbles serviteurs et Amb.
RosET. — Chevalier
XXXTH
Roset à IJanlpforl.
Copie
(Arch. lie Genève. Portef. Iiifl. n' 2010)
Monseigneur.
Depuis voslre départ nous avons obtenu des Magnificques S""" des Cantons que
les arbitres nommés se Irouveroient pour le 28 de Juing au lieu de Nion. mais
depuis il a pieu à Mons"" le Duc de Savoye de dilaier ladicte journée jnsques au second
d'Aousl prochain, à quny nos Seig"^^ n'ont peu contredire, vpu que la journée est
amiable. Cependant quelqu'un des gentilshommes de Savoye a dit que son Allesse
avoit dépesché pardevers le Roy pour luy remontre la grande el pernitieuse importance
de cest affaire el 1^ requérir de proveoir tout cela en se déporliiil de telles faveurs,
54
180 fiENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
si qu'ils sont plpjns d'espérancp de faire que le tout s'esvente, cornu e une mine bien
rencontrée par les défendeurs, à la confusion et desplaisance de ceux qui s'en sont
meslés ; or, combien que je ne face aucun doute de vostre grande prudence et que ne
soyes adverti de cela et d'autres choses plus outre, je n'ay cependant voulu obmettre
de vous en donner ce mot d'advis à toute adventure, comme l'on dit, comme vous
tenant et sachant tr^s affectionné ot désireux à tout ce que concerne le bien, seurié
et succès de la couronne et de ses confins et serviteurs. Et sur ce, me recommandant
très humblement à vos bonnes grâces, je prierai le Seigneur qu'il luy plaise, etc.
Le 17 Juing 1579.
XXXIV
LAvoycr et. le Conseil de Berne au Conseil de Genève.
(Arcli. (le Genève, Portef. hist. n" 2noi)
Nobles, Magniflicques Seigneurs, singuliers Amys, bons voysins,
très chers et féaulx combourgeois,
Vous aurez entendu du rapport qu'auront faict les Seigneurs Scindicques Roset et
vostre secrétayre d' Estai (suyvant ce que les avons priés) tout ce qu'a esté convenu et
iraicté entre Messieurs de Haullefort et de Harlai, ambassadeurs de la Royalle Majesié
de France, et pour la part d'icelle, nos très chers alliés et combourgeois de Saleure
et nous, sur la requesle et solicitation que leur avions ci-devant faicte, de nous vouloir
soublever et assister à vous secourir en cas de nécessité contre ceulx qui vouldroient
entreprendre sur vous, attendu la grandissime charge, à nous incombante, de vous
pouvoir deffendre seuls contre les forces et grande puissance de vos ennemys, nous
asseurans que l'aurez trouvé très salulaire et grandement requis pour la conser-
vation, utilité et repos do nos commungs estats, voire tel que ceste béningne présen-
tation de Sadicio Majesté et <Ih nos combourgeois ne doibi, ny penlt ostro refusée.
ET LE TRAITÉ DE SOLEUKE 187
mais, d'aultant que jusques à présent n'avons encore receu de vous aulcune lesponce
et que sommes certains que sa Majesté l'advouera et trouvera bien uggréable, mesmes
que la journée de Baden est prociiaine, à laquelle sommes résolue déclairer à
nos alliés la convention dudict Traiclé et les raisons que nous ont mheues de
pourchasser ladicte assistance deffensive, aussy de les prier généralement d'y vouloir
entrer, comme espérons qu'aucungs d'iceulx y condescendront, nous vous prions de
le vouloir aussy librement accepter, prenant sur ce prompte résolution, nous envoyer
icelle par ce présent messager, pour ce seul respect envoyé par devers vous, affin que,
suyvamment, nous puissions dépesclier nos délégués à ladicte journée avecq telle
charge qu'il sera requis. Surquoy attendant voslre désirée responce, prierons
cependant le Créateur vous tenir,
Nobles, Magnifficqucs Seigneurs, singuliers Aniys, bons voysins, Irèscheis et leaulx
combourgeois, en sa saincte garde.
De Berne, ce 18* de Jning 1579.
L'Advoyer et Conseil de la Ville de Berne.
XXXV
Les députés des Eglises réformées de France au Conseil de Genève.
(Arch. de Genève, Portef. hisl. n" 2014)
Très honorés et iVJagnificques Seigneurs,
Estans asamblés en ceste ville par le mandement du roi de Navarre, soubs
l'autorité et permission du Roy nostre souverain, pour et au nom de toutes les Eglises
réformées de France, Monseigneur le Prince de Condé, présent en ladicte assamblée,
nous a remonstré qu'il est redevable à beaucoup de personnes en plusieurs grandes et
notables sommes de deniers, par luy empruntées, pendant qu'il csloit hors de royaume,
188 GENÈVE, LE l'AUTI HUGUENOT
et emploiées au profit et pour la detïence desdictes églises aux guerres passées, dont
Son Excellence nous a représenté l'estat, auquel sont comprises les parties deues à
quelques bourgeois et habitants particuliers de vostre ville par ledict Seigneur Prince,
montant à la somme de onze cens cinquante un escus, pour laquelle ses créditeurs
ont de Ses bagues en gaige. Surquoy jugeans estre bien raisonnable et juste que
lesdictes Eglises payent ladicte somme en l'acquêt et descharge dudict Seigneur Prince,
nous l'avons comprise et enclose en la somme de vingt-deux mil escuts sol, que nous
lui avons accordée et imposée sur nos églises, au nom desquelles nous vous suplions
bien humblement, Très honorés et Magniffiques Seigneurs, vouloir, par vostre crédit,
laveur et autorité, moyener envers les susdicls créditeurs qu'ils sursoient et attandenl le
payement de ladicte somme de onze cens cinquante un escus sol de la prochaine foire
de Francfort en ung an, vous promettans et à eulx aussi faire nostre plain et entier
debvoir envers nosdictes églises par nos remonstrances, interpellations et dilligences, à
ce qu'elles fournissent dans le terme susdict audict Seigneur Prince, ladicte somme de
vingt deux mil escuts, et luy donnent, en ce faisant, moyen de contanter ses susdits
créditeurs et leur payer ce qui leur est deu, espérans qu'elles n'y feront faulte, ains
agréeront ladicte imposition et département par nous faict. El sur ce nous assurans de
vostre bonne volonté et sincère afection envers ledict Seigneur Prince et toutes nos
Eglises et que ne nous desvierés la bien humble requeste que nous vous faisons pour
ce regard, nous prions Dieu vous avoir.
Très honorés et Magnilicques Seigneurs, eu sa saincte et digne garde et maintenir
vostre Estât en toute prospérité.
De Montauban, ce 25' jour de Juillet 1579.
Vos très humbles et afectionnés serviteurs, les députés des Eglises réformées de
France et au nom d'iceulx,
Calvet,
Commis à la garde des actes et procès-verbal de leur assemblée.
ET LE TRAITÉ DE SOLEUUE "18''
XXXVI
Le prince de Condé au Conseil de Genève.
(Arch. de Genève, Purtef. hist. n° 1952.)
Messieurs,
N'ayant ou la commodilé de pouvoir acquiter la parlye de 1151 écus, de
laquelle j'ay esté secouru par aucuns particuliers de vostre ville sur des bagues qui
sont encores en leurs main^ pour ladicle somme de 1151 écus, j'ay pensé qu'après
avoir employé d'ailleurs tous mes moyens pour le service de nostre parly, il estoit
raisonnable que le général recongneusl que les grandes despences et debtes que j'ay
créées en ma retraicte en Allemaignes ont esté pour le service de tout, ce qui a esté
très bien considéré et pour ceste cause l'assemblée tenue en ceste ville de Monlauban
par permission du Roy, mon souverain, m'a accordé la somme de. . . . pour l'acquit
desdictes debtes par moy deues, en laquelle ceste partie est comprise, comme vous
verrez par les lettres que lesdictes églises vous en escriveni, qui me faicl vous supplier
qu'en me continuant tousiours ceste bonne volonté que vous m'avez taict paroistre,
vous veuillez avoir agréable que ladicle somme soit payé dans la foyre de Francfort
en un an et vous asseurer que ceste nouvelle obligation m'estreindra encores plus à
recercher les moyens de m'en pouvoir acquicter par quelque agréable occasion,
laquelle ne se présentera si tost que je la désire et en ceste asseurance je supplie que
le Créateur vous donne, Messieurs, très bonne santé, longue et heureuse vye.
De Montauban ce 26 Juillet 1579.
Vostre plus affectionné et meilleur amy à iamais.
Henry de Bourbon.
190 GEiNÉVE, LE PARTI HUGUENOT
XXXVII
Traité de Soleiire pour la protection de Genève (').
(Arcli. (le Genève, Portef. hisl. n» 2016)
Au nom de la saincte Trinité, amen. A tous présens et advenir. Comme ainsi
soit, que l'une des principales choses que le Très Chrestien Roy de France et de Poloigne
Henry, troisiesme de ce nom à présent régnant, se soit proposée dès son advenement à
la Coronne, ayt esté, à l'exemple de ses prédécesseurs Roys, de désirer et pourchasser
tout ce qu'il eslimeroit pouvoir servir à la conservation du repos et seureté de Testât
de ses très chers grands amys alliés et confédérés les seigneurs des Ligues de Suisse,
et à l'entretènement de l'ancienne amitié, alliance et bonne intelligence, qui a cy
devant esté entre ses dicts prédécesseurs et est encores de présent entre sa Majesté et
les dicls Seigneurs des Ligues ; et considérant qu'il ne se pourroit faire aucune entre-
prinse sur la moindre des places, appartenantes ou alliées du corps en général des
dictes Ligues, ou en particulier d'aucuns cantons d'icelles, sans apporter quelque
trouble à leur commune unyon et bonne intelligence, avec affoiblissement de leur
dict Estât, detant plus, si telle nouveaulté advenoit pourla surprinse ouoccuppation de
place de telle importance comme est la ville et cité de Genève allyée des
seigneurs de la ville et canton de Berne, pour estre icelle ville de Genève
l'une des clufs et principal boulevart du pays desdictes villes et qui peult tenir
le passage libre et ouvert entre sadicle Maieslé et lesdicts Seigneurs des Ligues
et ayant entendu que, pour obvier aulx entreprinses et dessaings qui se pouvoient
faire sur icelle pour la surprendre et faire changer de mains et par conséquent clorre
et interdire ce passaige qui de tout temps a esté libre et lesdicts Roys de France et
seigneurs des Ligues, les seigneurs des villes et cantons de Berne et Solleurre, consi-
dérans le peu de moyen que ladicte ville de Genève auroit de subsister d'elle mesme
(1) Le lexlc de ce traité a déjà été publié par Spon, Hist. de Genève, i. Il, p. 205 et suiv., nous
croyons utile néanmoins ik: le reproduire, allenilui|iril est irèslmiuemnienl cilédans leprésenl liavail.
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 191
en Testai qu'elle est de présent, estoient délibérés de faire entre eulx quelque traicté
particulier pour la conservation et deffense d'icelle ville, pour le bien et seureté com-
mune de toutes les Ligues, Sa dicte Majesté ayant esté par eux requise d'y entrer (a estimé,
à l'exemple de ses prédécesseurs qui ont tousiours esté très prompts d'embrasser tout
ce qui s'est présenté pour le bien et repos des dictes Ligues) de ne les en devoir
esconduire, ains au contraire s'efforcer par tous moyens de rendre et tenir à iamais
ledict passaige libre et asseuré au bénéfice et seureté des pays, terres et seigneuries
desdicts Seigneurs des Ligues. Pour à quoy parvenir Sadicte Majesté, par advis et meure
délibération de son conseil, en auroit dès l'année passée mil cinq cent soixante dix
huict envoyé ses lettres patentes signées de sa main et de Monsieur Biularl, l'un de ses
conseilliers et secrétaires d'Estat, en dacte du dixième jour de Juillet, portant pouvoir et
procuration spéciale à Monsieur Messire Jehan de Bellièvre, S' de Haultefort, conseiller
au Conseil privé de Sa Maiesté, premier président en Daulphiné et son ambassadeur
en cedict pays des Ligues, de traicter, convenir et négocier avec les Cantons ou alliés
des dicls Seigneurs des Ligues en général ou particulier et adviser avec eulx de tout
ce qui pourroit servir à la continuation et fortifiication du repos général d'icelles et
spécialement de ce qui pourroit toucher à la conservation de ladicte ville et cité de
Genève et territoire d'icelle en Testât qu'elle se retrouve à présent et empescher les
entreprinses qui se pourroient faire sur icelle par quelques personnes ou potentats que
ce soit sans nul excepter. Et pour cest effect accorder au nom de sadicte Maiesté
tout tel secours, faveur, ayde et adsistance pour ce regard qu'il seroit trouvé expédient
et nécessaire, de sorte que ladicte ville puisse demeurer et se maintenir ainsi qu'elle
est de présent et de ce en passer par ledict S"" de Haultefort au nom de sadicte
Maiesté telles promesses et obligations qu'il verroit bon estre. Ainsi que plus à
plain le contiennent lesdicles lettres que sa Majesté luy en a depuis particulièrement
escriptes. Ledict S'' de Haultefort désirant satisfaire au désyr et affection que nobles et
magnifiques Seigneurs, les S''' des Villes et Cantons de Berne et Solleurre, ont
démonslré avoir à la conservation de ladicte ville et cité de Genève et à la requeste
qu'ils en ont faicte à sa Majesté au commun bénéfice, repos et seureté de tous les
pays des Ligues, après en avoir par diverses fois traicté et négocié avec eulx et consi-
déré ce qui faisoil sur ce à considérer seroit enfin, par Tadvis et en présence de
195 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
Monsieur de ITarlay, seigneur de Sancy, baron de Monlglal, conseiller et maistre des
requestes ordinaire diidict Seigneur Très Chrestien et Amb. pour sa M'^ ausdictes
Ligues, après le dicl S*" de Haullefort lumbé d'accord avecq lesdiclsSeignours de Berne
el de Solleurre des conditions cy après déclarées qui ont semblé nécessaires, pour la
deffence et conservation de ladicle Ville, cité et territoire de Genève, en Testât qu'elle
se retrouve à présent. C'est à scavoir :
En premier lieu que, pour satisfaire à la requeste que lesdicts S''* de Berne el
Solleurre en ont faicte à Sa Maiesté Très chreslienne et à l'opinion qu'ils ont qu'il
importe grandement à leur bien et repos et de tout le général des Ligues que les
pays appartenans ausdicts Seigneurs de Berne et à eulx délaissez par les accords cy
devant faicts entre Monsieur le duc de Savoye et eulx soyent compris en ladicte paix
perpétuelle qui est entre la Coronne de France et le général desdictes Ligues. Il a
esté accordé qu'iceux pays délaissés par le dict S'' Duc de Savoye ausdicts Seigneurs
de Berne seront et demeureront compris en ladicte paix perpétuelle aux mesmes
qualités et conditions des aultres pays appartenans d'ancienneté ausdicts Seig" de
Berne, tout ainsi que si elles estoienl icy désignées et spéciffiées par le menu. Pour
les mesmes considérations que dessus et en faveur et contemplation desdicts
seig'^5 de Berne el Soleurre, a esté aussi accordé que ladicte ville et cité de Genève
avec son territoire sera comprise audicl traiclé de paix perpétuelle, à la charge que les
habitans d'icelle se comporteront envers sa Maiesté et la Coronne de France avec le
respect qu'il appartient et qu'il est porté par ledict Iraicté de paix perpétuelle. Sans
néanlmoins que, par le moyen de ladicte compréhension, les habitans d'icelle ville de
Genève jouyssent d'aucune exemption des droicts de gabelles, péaiges et autres subsides
et imposts, pour raison du traffîcq et marchandise qu'ils feront en France, ains se
contenteront lesdicts habitans d'estre traictés comme les propres subiects du Roy
pour raison dudict commerce, péaiges, gabelles et imposts, tant pour l'achapt el
débitement des denrées et marchandises que pour les droicts d'entrée et sortie
d'icclles, ensemble pour la liberté d'aller, venir el négocier par le Royaulme de
France, terres et seigneuries de son obéissance. El s'il intervient quelque différent
entre les subiects de sadicte Maif^sté et les particuliers de. ladicle ville de Genève, le
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 193
demandeur sera tenu de poursuivre son droict par devant le juge ordinaire et au
domicile du déffendeur tant d'une part que d'aultre, mais s'il escheoyt aucune
difliculté ou différent sur le faicl de la garnison ou du secours dont sera parlé cy
après, le Roy en sera au droict de marche suivant et à la forme du traicté de la paix
perpétuelle. S'il advient que, pour la conservation de ladicte ville de Genève, lesdicls
Seigneurs de Berne et Soleurre soient contraincls{\) de mettre garnison dans icelle,
Sadicte Majesté en ce cas sera tenue de soldoyer ladicte garnison à ses frais et
despens jusques au nombre de cinq compaignies de gens de guerre de la nation de
Suisses, si tant en est besoing pour la seurté de ladicte ville, chascune desdictes cinq
compagnies composée de trois cens hommes qui seront payés à raison de treize cens
escus de quatre testons pièce pour moys pour chascune compaignye et ce seulement
pour le temps et au prorata des jours qu'elles auront servy pour la nécessité qui
se présentera, oultre cinq jours pour l'aller et aultres cinq jours pour le retour. Mais,
affîn que l'on ne face entrer le Roy en despence inutile et superflue pour ladicte
garnison, il a esté accordé que, Ihors qu'il conviendra la mectre, la délibération s'en
fera avec l'Ambassadeur de Sa Majesté ausdictes Ligues, lequel y aura sa voix comme
un des Cantons qui seront entrés en ce traicté et sera faicle la résolution de bonne
foy selon la pluralité des voix. Et pour ne demeurer court de ce qu'il fauldra pour
soldoyer ladilte garnison, et que, à faute de deniers, il n'advienne quelque inconvé-
nient à ladite Ville, et par conséquent ausdicts Seigneurs des Ligues, a esté accordé :
que sa Majesté sera tenue de faire consigner es mains des Seigneurs de la Ville et
canton de Soleurre la somme de treize mil escus de quatre testons pièce, à quoy
monte la solde de cinq compaignies cy dessus accordées pour ladicte garnison, pour
deux mois entiers. Et s'il advenoit que ladicte ville de Genève (ust assiégée par qui
que ce soit, et que, pour la secourir, lesdicts Seigneurs de Berne et Soleurre et
aultres Cantons, qui entreront en ce Traicté, fussent contraincts dresser une armée,
en ce cas Saditte Majesté sera tenue de les secourir et ayder de la somme de quinze
mil escus de quatre testons pièce par chascun mois pour tout secours tant
et si longuement qu'il y aura armée en campaigne pour la deffence de ladicte
ville moyennant lesquels 15 mille escus par mois, sadicte Majesté demeurera
(1) Le mol est souligné et remplacé en marge par aient occasion.
194 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
deschargée du payement des cinq compagnies cy dessus accordées pour la garnison
de ladicle ville, à compter du jour que ladicte armée sera en campaigne pour la
deffense d'icelle. El afiin que lesdicls Seigneurs de Berne et Soleurre et autres
cantons, qui entreront en ce présent Traicté, ayent plus de moyen de se fortifier et
dresser une plus belle armée pour le secours de ladicte Ville, quand le besoin y sera ;
si aucuns des subjecls de Sadicte Majesté les veulent venir ayder et secourir, il ne leur
sera aucunement defîendu ny empesché par Sadicte Majesté, ny par ses ministres et
officiers. Que si, à l'occasion ou en hayne de la deffense et conservation de ladicte
Ville de Genève, aucun Prince ou Potentat venoyt à mouvoir guerre contre lesdicts
Seigneurs de Berne et Soleurre et aultres cantons, qui pourront cy après entrer en
ce Traicté ou aucun d'iceulx, en ce cas, Sa Majesté sera tenue les ayder et secourir
de la somme de dix mil escus de quatre testons pièce par moys, tant et si longue-
ment qu'ils auront armée en campaigne, pour raison de ladicte querelle. Comme
aussi en cas pareil, si quelqu'un venoyt à mouvoir guerre contre Sa Majesté Très
Chrestienne, à l'occasion de laditte deffense et conservation de Genève, lesdits
Seigneurs de Berne et Soleurre et aultres cantons qui y entreront seront tenus do
secourir Saditte Majesté jusques au nombre de six mil hommes de guerre de laditte
Nation, si tant elle en a besoing, en faisant les levées et soldoyant les compaignies
suivant et à la forme des Traiclés d'Alliance queSaMajesléa desja avec aucuns cantons
desdittes Ligues. Et pour recongnoissance du bien que ladicle Ville de Genève recevra
du Roy, par le moyen de ladicle delfense et conservation, les Subjecls de Sa Majesté
auront seur et libre accès en icelle, tant pour le regard du trafficq et aultres affaires
qu'ils y pourroyenl avoir, que aussi pour le passaige des gens de guerre passans à la
Ole sans désordre et avec toute modestie, ils seront receus et logés, et à iceulx
administré vivres et aultres choses nécessaires, en payant raisonnablement, et seront
pour cest effect les Seigneurs de ladicle ville premièrement adverlis du passaige
desdicts gens de guerre, attendu la qualité de ladicle Ville à ce qu'ils ne soyent surpris
ou surchargés. Comme aussi ne sera donné aucun passaige, ny retraicte en ladicle
ville de Genève aulx ennemys de Sa Majesté et coronne de France. Et en oultre a
esté (licl et accordé, que le présent Traicté durera et tiendra ;\ perpétuité, de mesme
quo la Paix per[)éluelle, sans que par cy après il puisse eslrc faicl, d'une part ny
ET LE TRAITÉ DE SOLEUUE i95
d'aullre, aucune chose au préjudice d'iceluy ; aiiis sera inviolablemenl entretenu et
gardé par Saditle Majesté et par lesdits Seigneurs de Berne et SoUeurrc et autres
Gantons et Alliés desdictes Ligues, qui par cy après y pourront entrer, de poinct en
poinct, selon sa forme et teneur, sans aller jamais au contraire en quelque sorte et
manière que ce soit, se réservant néantmoins ledit Seigneur de Haultefort de faire
entendre à Sa Majesté tout le contenu cy dessus pour en avoir son bon plaisir, et
l'ayant agréable, d'en envoyer auxdicts Seigneurs de Berne et Soleurre dans trois mois
prochains lettres et seaulx de Saditle Majesté, et Ihors seront prestes, d'une part
et d'aultre, les serments en tel cas requis et accoustumés ; en tesmoing de quoy,
lesdits Seigneurs de Haultefort et de Sancy ont signé les présentes de leurs mains,
et à icelles faict mettre le scel de leurs armes, comme aussi lesdits Seigneurs de
Berne et Soleurre les ont pareillement signées et à icelles faict raectre et apposer
leurs seaulx le huictiesme jour de May, l'an de grâce mil cinq cens soixante dix neuf.
S'ensuyt la teneur des lettres patentes de Sa Majesté Très Chrestienne portant
pouvoir audict Seigneur de Haultefort de faire et traicter le contenu cy dessus.
Henry, par la grâce de Dieu Roy de France et de Poloigne, à nostre amé et
féal conseiller en nostre privé Conseil, président en nostre Court de Parlement de
Daulphiné et ambassadeur ordinaire près les Seigneurs des Ligues de Suisse,
M"" Jehan de Bellièvre, seigneur de Haultefort, salut et dileclion. Comme l'une des
principales choses que nous nous soyons proposées, dès la première congnoissance que
Dieu nous a donnée des affaires de nostre Royaulme, spécialement depuis que nous
sommes parvenus à la Couronne d'iceluy, ayt esté de chérir, aymer et avoir en
singulière recommandation l'Amilié, Alliance et Confédération, que ja dès long-
temps nos Prédécesseurs Boys ont eue et continuée, et par tant d'années
inviolablement observée, avec nos très chers et bons Amis Alliés et Confédérés les
Seigneurs des Ligues de Suisse et Grisons, et à l'exemple de nos Prédécesseurs,
désirer et pourchasser tout ce que nous estimerons pouvoir servir à la conservation
du repos et seurlé de l'Etat et commune alliance desdits Seigneurs des Ligues, en
intention de n'y espargner nos moyens n'y nostre propre personne, quand le cas le
requerroit ; et considérant qu'il ne se pourroit faire nulle entreprise sur la moindre
19(3 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
des Places appartenantes ou allyées du corps en général desdicles Ligues, ou en
particulier d'aucuns Cantons d'icelles, sans danger de quelque grand trouble à leur
commune unyon et bonne intelligence ou affoiblissement de leur dict Estât, que ne
pourrions entendre qu'avec nostre grand regret et desplaisir. De tant plus, si telle
nouveaullé advenoit par la surprise d'une place de telle importance, comme est la
Ville de Genève, allyée de nos très chers et bons Amis Allyés et Confédérés les
Seigneurs de la Ville et C-anton de Berne, et l'une des clefs et principaulx Boulevards
dudit Pays des Ligues, sur laquelle Ville nous ayans aucuns desdits Seigneurs des
Ligues fait entendre que puis quelque temps ont esté faictes plusieurs entreprises au
préjudice du repos d'icelle; et que, pour y obvier, les Seigneurs des Cantons et Pays
plus voisins de laditte Ville de Genève estoyent délibérés de faire entre eux quelque
particulier Traicté, pour la protection et deifence d'icelle, nous requérans d'y vouloir
entrer, à l'exemple de nosdils Prédécesseurs qui ont tousjours esté prompts d'embrasser
tout ce qui s'est présenté pour le bien, repos et tranquillité desdicts Seigneurs des
Ligues et de leur Pays ; à quoy ne voulant delïaillir, nous pour ces causes et autres
grandes et dignes considérations, à ce nous mouvans, vous avons, de l'advis de
nostre Conseil, auquel ce faict a esté bien et meurement délibéré, commis, ordonné
et depputé, commectons, ordonnons et députions, donné et donnons plein pouvoir,
aulhorité et mandement par ces présentes, de vous assembler, une et aullant de fois
qu'il sera besoing en tel lieu ou lieux qu'il sera advisé, avec tel nombre de person-
naigcs d'un ou de plusieurs Cantons ou alliés desdicts Seigneurs des Ligues, qui
vouidront entrer en traicté général ou particulier, pour la protection et deffence de
ladicte Ville de Genève, et avec eulx adviser de tout ce qui pourra servir à la
continuation et fortifiication du repos général desdictes Ligues et de nostre dicte
amitié et commune intelligence et en spécial traicter, convenir et négocier avec
lesdicts députés de ce qui pourra toucher à la conservation de la dicte Ville de Genève
et territoire d'icelle, en Testât qu'elle se retrouve à présent, et empescher les
entreprises qui se pourroyent faire sur icelle, par quelques personnes ou potentats
que ce soyt, sans nul excepter, accorder pour nous et en nostre nom tout le secours,
faveur, ayde et adsistance pour ce regard qu'il sera avec lesdicts députés trouvé
expédient et nécessaire, de sorte qu'elle puisse demeurer et se maintenir, ainsi qu'elle
ET LE TRAITÉ DE SOLEUUE 197
est de présent, au bénéfice et seurté des pays, terres et eslats desdicts Seigneurs des
Ligues ; et de ce passer pour nous et en nostre nom telles promesses et obligations
que vous verrez bon estre, et générallemenl de faire par vous en cest endroict dire,
gérer, promectre, accorder et négocier tout ce que nous ferions et faire pourrions, si
présens en personne y estions, jaçoit que le cas requist mandement plus spécial que
ces présentes, par lesquelles promettons en bonne foy et parolle de Roy, avoir
agréable, tenir ferme et stable à tousjours, ce que par vous sera fait, dict, négocié,
promis et accordé pour ce regard, sans jamais y contrevenir en quelque manière que
ce soit, et le tout ratifier toutes les fois qu'en seront requis. En lesmoing de quoy nous
avons signé ces présentes de nostre main, et à icelles faict mectre nostre scel.
Donné à Paris le dixiesme jour de Juillet l'an de grâce mil cinq cens soixante-dix-
huit. Ainsi signé Henry et audessoubs, par le Roy estant en son Conseil, Brulart, et
scellé sur simple queue du grand sceau de Sa Majesté en cire jaulne.
Henry, par la grâce de Dieu Roy de France et de Pologne, à tous présens et
advenir, salut. Comme cy devant et de long temps, nos très chers et grands Amys,
.Mlyés et Confédérés, les Seigneurs des Villes et Cantons de Berne et de SoUeurre, sur
les bruicts qui ont par diverses fois couru de plusieurs entreprises et desseings sur la
ville de Genève, fussent entrés en opinion, qu'icelle venant à changer de mains, la
paix et tranquillité généralle de tous les pays des Ligues en pourroii estre beaucoup
altérée, pour estre icelle ville l'une des clefs et boulevards desdits pays des Ligues, et
d'ailleurs Allyée par ancienne combourgeoisie avec lesdits Seigneurs de Berne, ils nous
auroyent faict entendre que, pour obvier à telles entreprises (dont le seul bruit troubloit
grandement leur repos), ils estoient délibérés de faire entre eux quelque Traicté pour
maintenir et conserver laditte Ville de Genève en Testât qu'elle se retrouvoit, comme
chose qu'ils estimoient des plus importantes et nécessaires, non seulement au bien et
seureté commune de toutes lesdittes Ligues, mais aussi à la conservation et entretene-
ment de l'ancienne amitié et alliance, qui est entre nous et elles, nous requérans que
à cesle occasion, à l'exemple de nos Prédécesseurs Roys, qui ont tousjours esté très
prompts d'embrasser tout ce qui s'est présenté pour le bien et repos d'icelles Ligues,
nous voulussions entrer avec eux audit Traicté ; à quoy ne voulans défaillir pour l'an-
cienne amitié et bienveillance que nous leur portons, après avoir par diverses fois mis
198 GEiNÈVE, LE PARTI HUGUENOT
l'airaire en délibération ; nous aarions envoyé nos lettres patentes en datte du dixiesnie
jour de Juillet mil cinq cens soixante dix huit à nostre amé et féal conseiller en nostre
Conseil privé, premier président en Daulphiné et Ihors nostre Ambassadeur auxditles
Ligues, le Seigneur de Haultefort, portant pouvoir exprès de traicter avec lesdicts
Seigneurs des Ligues en général, ou avec aucuns Cantons ou Allyés d'icelles en parti-
culier, qui y vouidroient entrer, de ce qu'ils jugeroient et adviseroient estre propre et
nécessaire, pour la conservation et deffense de laditte ville de Genève et territoire
d'icelle, en Testât qu'elle se retrouve de présent, et empescher les entreprises qui se
pourroient faire sur icelle, au préjudice du repos desditles Ligues, par quelques
personnes ou Potentats que ce soit. Et pour cest effect accorder par ledit Sieur de
Haultefort en nostre nom tel secours, faveur, ayde et adsistance (ju'il seroit trouvé
expédient et nécessaire pour la continuation et fortification du repos général des
dictes Ligues et de nostre amitié et commune intelligence avec icelles, suivant
lesquelles nos lettres de pouvoir et aultres lettres, mémoires et instructions que nous
en aurions depuis envoyées audici sieur de Haultefort; après en avoir par diverses fois
traicté et négocié avec lesdicts Seigneurs des villes et cantons de Berne et de
Solleurre, nos très chers et grands amis, alliés et Confédérés, iceluy Sieur de Haul-
tefort, par l'advis et en présence de nostre amé et féal conseiller en nostre dit Conseil
et nostre Ambassadeur après luy auxdittes Ligues, le Sieur de Sancy, seroit enfin
demeuré d'accord avec lesdits Seigneurs de Berne et de Solleurre, soubs nostre bon
plaisir, des articles cy après déclarés et insérés de mot en mot.
Scavoir faisons, que nous, après avoir veu et meurement considéré tous lesdits
articles ainsi faicls et accoidés en nostre nom par lesdits Sieurs de Haultefort et de
Sancy, nos ambassadeurs susdits, avec lesdits Seigneurs des Villes et Cantons de Berne et de
Solleurre, et les ayans bien agréables, avons iceulx loués, approuvés et ratiffiés, louons,
approuvons et ratiffions par ces présentes, selon qu'ils sont couchés et escripts cy
dessus, tout ainsi que si par nous en personne ils avoient été faicts et accordés, et
partant avons promis et pi'omettons en bonne foy et parole de Roy, tant pour nous
que pour nos successeurs roys à perpétuité, tenir, garder et inviolablement observer
tout le contenu on iceulx de poinct en poinct, selon leur forme et teneur, sans jamais
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 199
aller, ny permettre qu'il soit allé de nostre part au contraire, directement ou indirec-
tement, en quelque sorte et manière qne ce soit. Mandant et ordonnant pour cesl
effect audit Sieur de Sancy, à présent nostre ambassadeur auxdittes Ligues (auquel
nous en donnons tout pouvoir par cesdicles présentes), de faire et prester pour nous,
en nostre nom et sur nostre foy et conscience à l'endroict desdicls Seigneurs de Berne
et de Solleurre et aultres Cantons ou alliés desdicts Seigneurs des Ligues qui vouldront
entrer audict traiclé, le serment en tel cas requis et accoustumé ; Et de mesmes le
recevoir pour et en nostre nom desdicts Seigneurs de Berne et de Solleurre, et autres
Cantons que besoing sera pour l'enlrelénement desdicts articles et traicté, selon et
ainsi qu'il a esté promis et convenu en iceulx faisant et accordant. El d'aultant que
nous avons esté advertis par lesdicts Sieurs de Haultefort et de Sancy, nos ambas-
sadeurs susdicts, qu'en faisant la conclusion desdicts traicté et articles, les Seigneurs
de ladicte ville et Canton de Berne avoient en leur Conseil faict expresse réserve que
le droict et action que nostre très cher et très amé oncle le Duc de Savoye prétend
sur icelle ville de Genève seroit décidé amiablement et par justice, là où les
parties se sont assignées, ne voulant cedder à aucun aultre en amityé, affection et
bonne volunté envers nostre dicl oncle, nous avons dict et déclairé que nous avons
ladicte réserve pour bien agréable ; voulons et entendons que de nostre part elle ayt
lieu, en la mesme forme et manière que lesdicts S'* de Berne l'ont laicte et résolue
en leurdict Conseil, en faisant et accordant ledict traicté. En tesmoing de quoy nous
avons signé ces présentes de nostre propre main et à icelles faict mectre nostre scel.
Donné à Paris au mois d'Aoust l'an de grâce mil cinq cens soixante dix neuf et de
nostre règne le sixiesme. Ainsi signé Henry, et plus bas : Par le Roy, Brulart.
Nous Béat Ludovic de Mulinen, ancien advoyer, Nicolas de Diesbach, Hans
Anthony Tillier, boursier du petit conseil, Vincent Tachselhoifer, secrétaire, Hans
Rudoiff de Bonsteten, Hans RudolffWurslenberger, au nom du Grand Conseil, depputés
de la Ville et Canton de Rerne ; Et nous Urs Sury, Urs Ruchty, nouveau et ancien advoyer,
Steffan Schualler banderet, Urs Rudoiff boursier, Petler Manslyb, aedile du Petit
Conseil, Jehan Jacques de Stal, secrétaire, BalthesarddeCrissach, Ulrich Volgelsang,
Pelter Brunner, Jeronimus Kalleaberg, du Grand Conseil, aussi deppules de la Ville
et Canton de Solleurre. Scavoir faisons qu'après avoir esté leue en nos Cantons devant
200 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
noslre Grand et Petit Conseil, la ratification du Traicté dernièrement faict entre le
Roy de France noslre très redoublé Seigneur, allyé et Confoedéré, pour la conser-
vation et deffense de la Ville de Genève, nous avons eu charge de nos Seigneurs et
Supérieurs de remercier 1res humblement Sa Majesté de ce qu'il luy a pieu se
déclarer tellement affectionné au bien et repos de ces Ligues, que d'avoir voulu
ratidier ledicl Traicté, avec la réserve que la Ville et Canton de Berne, en faisant la
conclusion dudil Traicté, auroit expressément faicte ; assavoir que le droit et action,
que Monsieur le Duc de Savoye, comme héritier des feus Ducs de Savoye ses
prédécesseurs, prétend sur ladicte Ville de Genève, seroit décidé amiablemenl ou par
justice, là où les parties se sont assignées ; et avons eu aussi commandement de
nosdits Seigneurs et Supérieurs de jurer en leur nom ledicl Traicté ; El partant, nous
les depputés susdicts, au nom et comme ayans pouvoir de nos Seigneurs et Supérieurs,
avons juré et promis par nos serments accouslumés, jurons el promeclons par ces
présentes, tant pour nous que pour nos successeurs à perpétuité, tenir, garder et invio-
lablement observer tout ce qui est contenu audict traicté et accord, de poinct en poinct,
sans jamais aller ny venir au contraire, el d'aultant qu'en faisant icelui traicté, nous
nous serions faict forts que la Ville de Genève accepleroit tout ce que en iceluy conlracl
nous aurions promis à Sa Majesté, qui les peull concerner, nous avons iceluy traicté
et accord communicqué aux Seigneurs Scindicques et Conseil de ladicte Ville de
Genève, lesquels l'ont accepté dès le vingl-qualriesme de Juing dernier passé ; et
avons, nous depputés de la Ville et Canton de Berne, estimé qu'entant que ledict
traicté peull loucher et concerner ladicte Ville de Genève ils deussenl faire serment de
le garder aussi inviolablement de leur part et de poinct en poinct observer selon sa
forme et teneur ; pour à quoy satisfaire, lesdicls Seigneurs de Genève ont dépuUé
nous Michel Rozet el Amy Varro, conseillers el anciens Scindiques de ladicte ville de
Genève, pour en leur nom venir jurer ledicl traité à qui il appartiendra, el en vertu du
pouvoir à nous donné par nos Seigneurs et Supérieurs, nous députtés susdicts de ladicte
ville de Genève, jurans au nom de Dieu, avons promis à Monsieur de Sancy, ambas-
sadeur de Sa Majesté 1res Chreslienne en ce pays des Ligues el à mesdicts Seigneurs les
Députtés de Berne, nos Très Chers Combourgeois, de garder el inviolablement observer
ledicl traicté entant qu'à nous louche et peull loucher, sans jamais aller au contraire
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 201
en quelque forme et manière que ce soit. Et d'aultre part, nous Nicolas de Hariay.
seigneur de Sancy, ambassadeur pour Sa Majesté aux Ligues de Suisse, promectons
el jurons pour et au nom de Sadicte Majesté, aux susdicts Députés des trois villes,
suivant le pouvoir spécial à nous donné, transcript en la ratiffication que nous avons
mise es mains de Messieurs de Berne et de Solleurre, tant pour sa Majesté de présent
que pour ses successeurs Roys à perpétuité, tenir, garder et inviolablement observer le
contenu audict traicté de poinct en poinct, selon sa forme et teneur, sans jamais aller
de la part de Sa Majesté au contraire, directement ou indirectement, en quelque
forme et manière que ce soit ; comme aussi, nous députtés de Berne, promectons
et jurons comme dessus aux susdicts députtés de Genève d'observer ledict contract
envers eulx inviolablement, selon que cy dessus nous avons promis et juré ; en
tesmoing de quoy nous. Ambassadeur susdicl de sa Majesté Très Chrestienne, avons
faicl sceller le présent acte du scel de nos armes; et nous, susdicts députtés des Villes
de Berne et Solleurre, du scel et armes de nosdictes villes et cantons ; et nous, susdicts
députtés de ladicte ville de Genève, avons pareillement faict sceler le présent acte
du scel de nos Seigneurs et Supérieurs, lequel nous avons seulement mis entre les
mains de mondict Seigneur l'Ambassadeur de Sa Majesté très Chrestienne et de
Messieurs de Berne ; et avons tous, selon qu'il est porté cy devant, laict transcrire à
la fin de ces présentes les pouvoirs à nous donnés, dont et de toutes lesquelles
choses nous, susdict ambassadeur de Sa Majesté et deppuiés susdicts, avons chascun
retiré ung acte à pan pour nous servir en tant que raison. Faict à Solleurre le vingt
neufiesme jour d'Aoust l'an de grâce mil cinq cens soixante dix neuf.
Ensuyt te pouvoir donné par Messieurs de Berne à leurs députtés.
Nous, le Lieutenant et Conseil de Berne, faisons scavoir par la présente, comme
ainsi soyt que entre le Roy de France d'une part, el nos chers et bien aymés allyés,
combourgeois et frères de la Ville de Solleurre, et nostre Petit et Grand Conseil de
te
202 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
Berne d'aultre pari, il ayt esté dressé, convenu et raiiftié au nom de Dieu certains
articles pour la defïence de la .Ville de Genève et conservation du passaige libre de
France en ces pays et de ces pays en France, sans que pour fin de celte négociation
il faille aullre chose que de jurer et faire serment solennel de garder et observer
purement, simplement et inviolablement, les uns envers les aultres, le contenu
desdicts articles ratiffiés. Nous à ces raisons ayons dépeschés à Solleurre Nobles et
Spectables Monsieur Béat Ludovic de Melunen, nostre cher ancien Advoyer, Monsieur
Niclaus de Diesbach, Monsieur Ilans Tillier nostre boursier, nos aymés conseillers,
pour et en nostre nom : Vincens Tachselhoiïer nostre secrétaire d'Estat, Noble Hans
Rudolff de Bonsleten, et Hans Rudolff Wurstenberger, de la part de nostre Grand
Conseil dict les Bourgeois, avec charge et plain pouvoir de satisfaire pour entière
définitive de ce pourparler aux solemnités en tel et semblable cas requises, leur
donnons derechef, au nom du Dieu vivant, la puissance du serment et tout pouvoir
de conclurre en la forme que Monsieur l'Ambassadeur de Sa Majesté, nosdicts bien
aimés AUyés, Combourgeois et Frères de la Ville de Solleurre et nosdicts députés
adviseront, promectant par la présente d'approuver et avoir pour agréable tout ce que
nosdicts députés feront, suivant ce nostre pouvoir, en forme et de mesme que si ung
chascun de nous particulièrement en eussions faict le serment. En foy de quoy y
avons faict apposer le sceau secret de nostre ville ce vingt huictiesme jour d'Aoust
mil cinq cens soixante dix neuf.
Ensuyt le pouvoir donné par Messieiirs de Solleurre à leurs députtés.
Nous le Lieutenant, Petit et Grand Conseil de la Ville et Canton de Solleurre,
faisons scavoir à tous par ces présentes lettres, comme ainsi soit que cy devant il
auroit esté dressé quelque traicté pour l'asseurance et conservation de la Ville de
Genève, à ce qu'elle soit ung libre passaige d'entre la Coronne de France et le Pays
des Ligues, entre nos chers Alliés, Combourgeois et Frères de la Ville et Canton de
Berne et nous, et que, à la très humble requeste de nous lesdicles deux villes, il
ET LE TRAITÉ DE SOLEUhE 203
auroil pieu au Roi de France, nostre 1res redoublé Seigneur, Allyé et Confédéré,
d'entrer audict traicté et de le tenir pour agréable, ayant là dessus Sadicte Majesté
donné plain pouvoir et charge aux Magnifiques et Nobles Seigneurs Monsieur de
Haultefort, conseiller au privé Conseil de Sa Majesté, Premier Président en la Court
de Parlement de Daulphiné, et pour Ihors Ambassadeur en ce Pays des Ligues, et à
Monsieur de Harlay, seigneur de Sancy, aussi conseiller audict Conseil Privé, et à
présent Ambassadeur en ces Ligues, après ledict Seigneur de Haultefort, de contracter
avec les Députtés desdictes deux villes, pour l'asseurance et conservation delasusdicte
Ville de Genève, aucuns articles que lesdicts Seigneurs Ambassadeurs auroient
acceptés soubs le bon plaisir de.Sa Majesté, el que pour mectre en effect ceste négo-
ciation. Sa Majesté en auroyt envoyé l'approbation et ratifficatiou dudict contrat, signé
de sa main et scelé de son sceau à mondict Seigneur de Sancy avec charge et pouvoir
exprès de le confirmer et jurer avec les. députlés de nosdicts Alliés, combourgeois et
frères de la Ville de Berne et les nostres. A ceste cause et pour effectuer ceste négo-
ciation, nous avons,- de nostre part, en cest endroict, nommés et ordonnés, nommons
et ordonnons, pour résouldre ledict traicté par ces présentes, Nobles Honnorables,
Prudens el Saiges Seigneurs Urs Sury et Urs Ruchty, nos deux Advoyers, Steffan
Schualler, Banderet, Urs Rudolff, boursier, Petter Manslyb, tous de nostre Petit
Conseil, ensemble nostre Aymé et féal Secrétaire d'Estat Jehan Jacques de Sial, avec
Ulrich Vogelsang, Ballhezard de Grissach, Petter Brunner el Jerominus Kallenberg,
tous de nostre Grand Conseil, auxquels nous avons donné plain pouvoir et charge de
convenir avec ledict Seigneur de Sancy, au nom de Sa Majesté, et avec les depputés de
nosdicts alliés, combourgeois et frères de la Ville de Berne dudict faict, et de jurer et
confirmer en nostre nom avec serment solennel ledict traicté de poinct en poincl,
suivant la teneur de la ratifficatiou de Sa Majesté Très Chrestienne, ayans toutes fois
expressément réservé que pour ceste heure nous n'entendions de contracter avec
aucuns autres que avec Sadicte Majesté et nosdicts Alliés de Berne, ainsi que nous
pouvons faire légitimement et sans repréhension quelconque pour l'asseurance et
prospérité des deux estais ; parquoy nous promectons, pour nous et nos successeurs
à perpétuité, de tenir pour agréable et d'observer fermement et inviolablemenl tout
ce qui sera faict et résolu en cest endroict par nosdicts députtés, sans jamais aller,
204 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
faire, dire ne venir au contraire, ny permettre qu'il y soit contrevenu, en manière
quelconque, ains que le tout sera tidellemcnt et syncerement observé, tenu et gardé en
vertu des présentes lettres que nous avons faict sceller du scel de nostre ville le
veudredy après la Sainct-Barlliélemy mil cinq cens soixante dix neuf.
(Signé) Von Staal.
Ensuyt le pouvoir donné par Messieurs de Genève à leurs députtés.
Nous Sindicques et Conseil de Genève, par meure délibération de nostre Conseil et
suivant la déclaration par nous déjà faicte et passée en nostre Conseil Général le vingt
quatriesme de Juin dernier, dès Ihors envoyée aux magnifiques, puissans et très
honnorés Seigneurs de Berne, nos bons voisins, très chers et singuliers arays et féaulx
combourgeois, portant l'acceptation du traicté qu'il a pieu à la Majesté du Roy Très
Chrestien faire, par Messieurs ses Ambassadeurs au Pays des Ligues, le huictiesme de
May, an présent, avec lesdicts Magnifiques Seigneurs nos très chers Combourgeois de
Berne et les Magnifiques, puissants et très honnorés Seigneurs de la Ville de Soleurre,
nos bons voisins, très chers et singuliers amys, en nostre faveur, et pour la seurlé et
conservation de nostre cité et territoire d'icelle, estans informés de la loyaulté, suffi-
sance et expérience de Nobles Michel Rozet et Amy Varro, nos bien aymés Citoyens,
Conseillers et anciens Scindicques, avons à iceulx ensemblement ou, à faulte de l'un
d'eulx, séparément, donné et donnons par ces présentes plain pouvoir, charge et
procuration expresse pour et en nostre nom promeclre et confirmer par serment
solemnel, au nom du Dieu vivant, Icdict traicté entant qu'il nous concerne, tant à
Sadicte Majesté, par la stipulation de Mons. de Ilarlay, seigneur de Sancy, baron de
Montglat, conseiller et maistre des Requestes ordinaire de Sadicte Majesté, de présent
son Ambassadeur audict Pays des Ligues, que auxdicts Magnifiques et puissants
Seigneurs de Berne et Solleurre, et réciproquement le recevoir et stipuler d'iceux,
pour et au nom de nostre dicte Cité et République, avec et soubs toutes les promesses,
clauses et obligations en ce nécessaires et expédientes, et en général de faire et
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 205
négocier tout ce que requis sera en cest endroict, et tout ainsi que nous pourrions
faire, si nous y adsistions en nos propres personnes, pronieclans d'avoir pour agréable
tout ce que sera faict par nosdicls Procureurs et Députés, en ce que dessus par ces
présentes, données à Genève sous nostre sceau et le seing de nostre secrétaire d'Estat,
ce vingt-deuxiesme d'Aoust mil cinq cens septante neuf.
Par mesdicts Seigneurs Syndicques et Conseil,
(Signé) Gallatin.
S'ensuit la teneur des lettres de V Acceptation dudict traicté par Messieurs de Genève.
Magnifficques, Puissans et très honnorés Seigneurs, singuliers Amys et féaulx
Combourgeois, nous nous recommandons de bien bon cueur à vos bonnes grâces,
Magnifficques Seigneurs, sur le traicté qui a esté dressé entre les Seigneurs Ambassa-
deurs de la Royalle Maieslé de France et vos Magnifficences, et les Magnifficques Sei-
gneurs de Soleurre, ainsi qu'il a esté couché, selon une copie qu'il pleust à Mons^de
Haultefort délivrer en passant par cesle cité, nous heussions piéça respondu, n'estoit qu'il
havoit instament prié de tenir l'affaire secret; maintenant que Vos Seigneuries estiment
estre convenable que nous prenions résolution, ainsi qu'il vous a pieu nous escripre
par vos lettres du dix huictiesme de ce mois ; après Dieu tout puissant, nous remer-
cions très alïectueusement Vos Seigneuries et Messieurs vos alliés de Saleurre du
grand soing et très louable affection de laquelle vous aves considéré et cerché la
conservation de nostre Estât et de la commune patrie, espérans, moyennant la grâce
du Souverain et la continuation de vos bonnes faveurs, que la bienveillance de la
Majesté Royale de France croistra de plus en plus envers nous, pour nous alléger de
la réserve que nous désirons n'estre poinct audict traicté, toucliant le privilège de
péages de France; en ceste confiance nous acceptons, entant qu'il nous concerne, le
contenu dudict traicté, nous asseurans bien que Vos Magnifficences n'entendent pas
et ne vouldroient, comme de nostre part nous n'entendons, ny ne vouldrions aulcune-
menl préjudicier, à nostre commune religion, en tout ny en partie, tant peu que ce
206 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
soit, ny comprendre, ny entendre soubs ce mot de ne retirer les enneniys de Sa
Majesté et Couronne de France, ceulx qui se retireroient pour la religion ; ainsi,
Magnifficques Seigneurs et très chers Combourgeois, nous prierons Dieu qu'il luy plaise
de bénir de plus en plus vos bons conseils à sa gloire et à l'enlretenement de la tran-
quililé publique et de noslre perpétuelle combourgeoisie, vous présentant pour
revenche le très affectionné et fidelle service que nous vous debvons de nostre petit
pouvoir, et prians le Créateur vous maintenir, Magnifficques Seigneurs et très chers
Combourgeois, en sa saincte et digne garde et protection.
Donné ce vingl-quatriesme de Juing mil cinq cens septante neuf. — Soubscript.
Les Sindicqiies, Petit, Grand et Général Conseil de Genève, vos
bons voisins, amys et combourgeois.
Lesdictes lettres d'acceptation ont esté icy escrites et insérées du commandement
de Messieurs les Advoyer et Conseil de la Ville de Berne par moy soussigné leur
secrétaire d'Eslal, en faveur des Seigneurs de Genève.
V. Daghselhoffer.
XXXVIII
Harlay de Sancy au Conseil de Genève.
(Arch. de Genève, Porlef. hist. n« 2009)
Magnificques Seigneurs,
Ayant entendu comme les Eglises réformées du Daulpliiné et spécialement le
S'' Desdiguières marche lentement au faict de la paciification de cesle province, j'ay
estimé qu'il n'y avoit personnes en ce monde plus propres pour les admonester de leur
devoir envers Dieu, leur prince naturel et leur patrie, que vous, desquels ils ont receu
Et LE TRAITÉ DE SOLEURE 207
en leurs afiïicllons tant de courtoisies qu'ils ne pourront prendre qu'en bonne part les
reraonstrances que vous leur vouldres faire. Je vous supplye donc, par les honnestes
offres que dernièrement il vous pleuct me faire, que, pour donner occasion au Roy
d'augmenter de jour en jour la bonne affection que vous avez congneue de Sa Maiesté
en vostre endroict par la defTense et conservation qu'il a maintenant entreprise de
vous, vostre ville et vostre estât, contre tous les Princes et Potentats de la Chrestienlé,
vous vueillez dépulter quelque notable personnaige d'entre vous vers le S"" Desdiguières
et les églises Réformées de Daulphiné pour leur faire entendre la bonne volunté du
Roy en vostre endroict, et le tort qu'ils feroient à leur réputation, s'ils vouloyent
aujourd'huy, seuls de tout le Royaulme, nourrir et fomenter ce feu de guerre civile,
lequel est par la grâce de Dieu estainct partout ailleurs et ne se peuh, ce semble,
rallumer que par leur faulte et mauvaise volunté. J'ay donné charge au S'' Vigier,
présent porteur, de vous en dire davantaige, auquel je vous prie adiouxter pareille foy
que à moy mesme.
Priant Dieu, Magnificques Seigneurs, vous donner très longues et heureuses vies.
De Soleurre ce premier jour de Septembre 1579.
Vostre bien humble et affectionné serviteur et amy.
De Harlay.
XXXIX
Condé au Conseil de Genève.
(Arch. de Genève, Portef. hist. n° 1952.)
Messieurs,
Estant arrivé près de moy Colladon, mon secrétaire, il m'a asseuré de la conti-
nuation de vostre bonne volonté envers moy, de laquelle, encor que je n'aye iamais
doublé pour en avoir receu trop de preuves, si est-ce que ie ne puis nyer que ceste
208 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
nouvelle ne m'ayt esté autant agréable qu'aultre qu aye receu de long temps ; c'est
pourquoy ie luy ay commandé de passer par voslre ville et, vous visitant de ma part,
vous asseurer aussi que iamais ne départîtes tesmoignage de bonne affection à Prince
qui s'en tienne plus obligé pour à toutes occasions employer mes moyens et ce qui en
dépend en la recognoissance d'un tel bien. J'ay commandé audict Colladon vous
discourir de Testât de nos aflaires, desquels il est bien instruict pour en avoir veu la
conduite et assisté aux délibérations et conclusions qui en ont esté prinses. Je me
contenteray donc de ce peu pour prier Dieu qu'il vous préserve à l'encontre des
desseings de vos ennemis et bénie, Messieurs, vos conseils pour sa gloire et conser-
vation de vostre estât, me recommandant affectueusement à vos bonnes grâces.
Escript à Nismes le 30 jour du mois de Mars 1581.
Vostre bien affectionné et meilleur amy.
Henry de Bourbon.
XL
Condé au Conseil de Genève.
(Arch. de Genève, Porte f. hist. n» 1952)
Messieurs,
Par vostre lettre du deuxiesme de ce mois qui m'a esté rendue trois sepmaines
après, j'ay esté adverti en général de la singulière assistance qu'aves receue de Dieu
qui vous a délivrés du danger auquel esties prests de tumber par les desseings de vos
ennemis (1), chose qui m'a autant résiouy que nouvelle que j'eusse peu entendre
d'ailleurs et donné occasion avec ample argument d'en rendre grâces à celuy qui est
(1) Il s'agit (lu coinplol (i"Aiitoint! Larcliier, ounli à l'insligalion du duc de Savoie.
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 209
aulheur de vostre délivrance, de la quelle serai bien aise d'entendre les particularités
pour avoir tant plus de matière de résiouissance, comme aussi de vous donner meilleur
et plus certain advis en la perplexité que vous peut avoir apporté la machination de
ceux qui ne cesseront de vous dresser des embusches pour essayer de vous surprendre,
vous 'priant croire que ce sera tousiours de fort bonne volonté que ie m'employray
pour vostre conservation iusques à n'y espargner ma propre personne, comme ie vous
l'ay souvent tesmoigné de bouche et par lettres, qui se trouveront véritables en la
nécessité. Cependant, si vous apperceves que le mal continue et que l'ennemy vous
presse, je n'en seray sitost adverti que ie ne vous assiste de tout ce qui dépendra de
moy, c'est-à-dire et de moyens et d'hommes affectionnés et capables de s'opposer à
la violence qui vous pourroit estre faicte. En cesle asseurance que ie vous prie prendre
de moy, je me recommanderay bien affectionnément à vos bonnes grâces, priant Dieu
qu'il vous continue, Messieurs, les siennes très sainctes et vous préserve contre tous
les pernicieux conseils et desseings de vos ennemis.
A S' Jehan d'Angély, le 24 jour de May.
Vostre plus affectionné et meilleur amy.
Henry de Bourbon.
XLI
Condé au Conseil de Genève.
(Arch. de Genève, Portef. hisl. n» 19.52)
Messieurs,
M'acheminant de Pau en ce pais pour quelques mienes affaires, oultre l'envye
que j'avoy de scavoir au vray Testât et disposition des vostres, le Roy de Navarre me
commanda de m'en informer bien particulièrement sur vostre différend avecq Mon-
sieur le Duc de Savoye, dont ayant sceu le succès [ihis paisible que l'on n'avoit espéré
210 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
par les nouvelles certaines que mon cousin Mons"' de Chastillon en a receues, j'en ay
loué et remercyé Dieu comme le meilleur de vos amys et qui n'a rien tant désiré que
de pouvoir servir à les amener à si heureuse fin, car nonseuUement en cest endroict,
mais aussi en tout aultre je vous tesmoigneray toujours avecq beaucoup de contente-
ment combien sont véritables et entières les premières offres de mon amylié et bonne
vollonté, m'asseurant tant de la vostre que, pour satisfaire à l'attente et du Roy de
Navarre et de moy, vous prendres la peine de me donner advis bien exprès comment
le tout a réuscy entre ledict S"" Duc de Savoye et vous, dequoy je vous prie, bien
résolu de m'en resjoyr d'advantaige quand j'en apprendray par vous mesmes les
nouvelles et que de ceste heure vous joyssies de la tranquillité que moy sur tous
aullres vous souhaitte et pour le maintien de laquelle je m'employray toute ma vye
aultant franchement qu'après mes plus affectionnées recommandations à vos bonnes
grâces et m'estre remys sur le S"' de Vaqueresse à vous dire comment je me porte, je
supplye le Créateur vous tenir continuellement, Messieurs, en sa très saincte et très
digne sauvegarde.
A Montpellier, ce 28* jour de Septembre 4582.
Votre plus affectionné et meilleur amy à iamais.
Henry de Bourbon.
En marge : Messieurs, j'espère dans peu de temps vous envoyer homme exprès
qui vous discourra particulièrement Testât de nos affaires.
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 211
XLII
Condé au Conseil de Genève.
(Arch. de Genève, Portef. hist. n" 2049 )
Messieurs,
Sachant la dépesche que mon cousin Mons"^ de Chastillon vous faicl présentement
par le S'' de Roûault, je suis très aise de me trouver icy à propos pour vous en rendre
par mes lettres l'effect aultant recommandable que je le luy désire et congnoy qu'il en a
besoing soit pour le regard de l'adveu qu'il vous prie luy moyenner sur la levée qu'il a
faicle en votre faveur, le delïault duquel sans doubte le pourroit mettre en beaucoup
de peine, soit pour son remboursement très raisonnable des grands frais et despences
nécessaires auxquelles ladicte levée l'a réduict. Je vous priray doncq de toute mon affec-
tion luy donner tel contentement sur l'une et l'aultre de ses demandes qu'estimant
très bien employée la dévotion qu'il a eue prompte de servir à la conservation de
vostre estai et repos, il puisse avecq plus de moyens et d'occasion continuer au mesme
désir et les aultres en occurence semblable (dont je supplye nostre Seigneur vous pré-
server) se monstrer et rendre de pareille vollonté, par ceste recongnoissance, en laquelle
m'asseurant bien que vous entrerez et pource que mondict cousin vous en requiert
avecq raison et qu'en vostre endroict j'accompagne sa prière et la miene, je ne l'esten-
dray d'advantaige, affm de vous dire que les nouvelles certaines de l'accord de vostre
différend avecq Monsieur le Duc de Savoye m'ont, comme à l'ung de vos meilleurs et
plus certains amys, esté très agréables et ne désire rien tant que d'en scavoir la
continuation par vous mesmes, de quoy si vous prenez la peine de m'advertir aux
commodités qui s'en offriront, je ne seray moings songneux d'employer celles que
j'auray de vous escripre et cependant vous trouvères tousiours en moy la mesme
disposition à tout ce qui regardera vostre aise, repos et contentement, de laquelle je
vous ay cy devant rendu tesmoignage et de bouche et par mes lettres, mais en cest
212 GENÈVE, LE TARTI HUGUEiNOT
en droicl je clorray la présente de mes très affectionnées recommandations à vos bonnes
grâces, après avoir supplyé nostre Seigneur qu'il vous donne,
Messieurs, en santé l'heureux accroissement des sienes très sainctes.
A Montpellier, ce 18"'« jour d'Octobre 1582.
Vostre très affectionné et meilleur amy.
Henry de Bourbon.
XLIII
Condé au Conseil de Genève.
(Arch. de Genève, Porlef. hist. n" 1952)
Messieurs,
Encor que de long temps j'aye occasion de m'asseurer de vostre bonne amitié et
m'en tenir vostre obligé, toutefois la démonstration que vous continues de m'en faire
par vos lettres presques ordinaires et communication de Testât de vos affaires me
contrainct de vous testifier, comme de nouveau, que ie vous suis plus affectionné que
iamais pour m'employer à tout ce qui concerne vostre bien et repos ; j'espère que, par
la prudence de Messieurs des Ligues, vos dilTérenls se termineront en bonne paix et
à vostre contentement; s'il en advient aultrement, je vous prie croire qu'au besoing ic
vous serviray avec mes amys, et s'il ne lient qu'à exposer ma personne, je ne recu-
leray poinct pour la défense de vostre ville à laquelle Dieu a si abondamment départi
de ses grâces qu'elles ont découlé iusques à touts ceux dedeça qui font profession de
mesme religion et ne peuvent moins que par Temploy de ce qui est en eux user de
recognoissance cl gratitude à l'endroicl des instruments desquels Dieu s'est servi pour
leur monstrer le chemin de vérité. Je vous ay une obligation particulière que ie ne
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 215
mectray jamais en oubli, qui esl cause que particulièrement et derechef ie m'offre à
vous franchement et de mesme volonté qu'après vous avoir présente mes bien affec-
tionnées recommandations, je supplie le Créateur, Messieurs, vous conserver en bonne,
longue et asseurée paix, pour le repos de vostre Eglise et des nostres.
A St-Jehan d'Angely, le 4 Juillet 1583.
Vostre plus affectionné et meilleur amy à iamais.
Henry de Bourbon.
XLIV
Condé au Conseil de Genève. ■
(Arch. de Genève. Porlef. hist. n° 1952)
Messieurs,
Retournant en vostre ville ce porteur, envoyé vers moy par le S"" Juge, comme il
m'a présenté de vos lettres, je ne veulx luy permettre de partir sans les mienes et
m'excuser de ne vous avoir plustost faict responce à faulte de commodité. J'ay veu ce
que ledict S'' Juge m'escripl touchant le faict de mes bagues et entendu les propo-
sitions de cedict porteur. Pour en résouldre une fin, je vous prie de croire, Messieurs,
que je désire infiniment de le veoir bien salisfaict tant en considération de luy mesme
de qui avecq juste occasion je suis amy qu'en faveur de vostre recommandation, dont
et en cesl endroicl et en tout aultre je feray tousiours beaucoup d'estime pour m'y
employer à bon escient. J'ay faict certaines ofîres à ce porteur qu'il n'a voulu
accepter, mais la raison et commodité de mes affaires ne me permettans de passer
plus oultre sur l'attente de la responce que m'en fera ledict trésorier, je vous priray
apprendre de mes nouvelles par cedict porteur et croire que les vostres bonnes
214 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
m'arriveronl tousiours fort agréables, mais encor plus les moyens qu'il plaira à Dieu
me donner à l'aclvancemenl de vostre bien, repos et conseivation. En l'espérance
desquels je le supplye qu'il vous continue, Messieurs, ses très dignes grâces et très
sainctes bénédictions.
A Pau ce IS-^ jour d'Octobre 1583.
Vostre plus affectionné et meilleur amy à iamais
Henry de Bourbon.
XLV
Coudé au Conseil de Genève.
(Arch. (le Genève, Portef. hist. n" 1952)
Messieurs,
Les advertissemens ordinaires que me donnes de Testât de vos affaires me font
assez cognoistre la continuation de vostre amitié en mon endroict ; c'est pourquoy à
toutes occasions ie désire vous asseurer de la mienne et vous en promoctre les effects
tels que pouves espérer de moy, qui n'oublieray jamais l'obligation que ie vous ay avec le
général de nos Eglises et particulièrement à cause de l'honnesle et amiable accueil
que m'aves aullre fois faicl en volsre ville. Croyez donc, Messieurs, qu'il n'y a Prince
en France ny ailleurs qui de meilleure volonté que moy employé ses moyens, crédict
et propre personne, pour vostre soulagement, estant bien marry d'un costé de ne
venir vostre estât plus paisible et de l'aullre ioyeux d'entendre vostre résolution
louable à la conservation de ce qui à la vérité doibt estre entre les hommes plus cher
et précieux que la vie, mesmement quand le service de Dieu y est conioinct, ce qui
me faicl espérer que l'issue des ennuys et traverses qu'on vous donne auiourd'huy
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 215
sera heureuse pour vous et honteuse pour les ennemis, lesquels vous sont communs
avec nous et avec tous ceux qui font profession Je la vraye religion.
Messieurs, je supplie le Créateur qui ainsi soit et qu'après avoir délivré et vous
et nous d'une longue oppresse, il donne aux uns et aux aultres pleine liberté de le
louer, avec augmentation de ses sainctes grâces, me recommandant bien affection-
nément aux vostres meilleures.
A St-Jean d'Angély, le 4 Mars 1584.
Vostre phis affectionné et meilleur amy à iamais.
Henry de Bourbon.
XLYI
Condé au Conseil de Genève.
(Arch. (le Genève, Portef. hist. n" 1952)
Messieurs,
Tant de preuves que j'ay cy devant receues de vostre amytié me font croire que
vous serez touiours bien aises d'en continuer les effects semblables en mon endroict
et non moings de ceulx que j'affectionne. Avecq ceste persuasion, je vous prie aultant
affectionnément qu'il m'est possible d'avoir pour l'amour de moy en recommandation
particulière la damoiselle de Marlinville, petite fille de feu Madamoiselle Des Marais
et niepce du S"^ des Marais, chef de mon conseil, et lequel j'employe ordinairement
en mes affaires. J'ai sceu que sadicte niepce est de longtemps retirée en vostre ville
et que le S^ de Juranville, au préjudice de quelques instances pendantes par devant le
Magistrat de vostre Républicque, est après pour l'en distraire, soubs ombre de quelques
procédures faicles par deçà; vous m'obligerez beaucoup, Messieurs, si à ma prière vous
216 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
empeschez qu'il ne le puisse faire ny par force, ny par surprise, et quand en toute
autre chose vous favoriserez à bon escient ceste demoiselle, car ce sera une recon-
gnoissance louable du zelle que ladicie damoiselle Des Marais, sa mère, a lousiours
tesmoigné à l'advancement de la relligion et gloire de Dieu sans aulcune espargne
de ses moyens et par telle gratification dont vous userez à la fille en ma faveur, ledict
S"" des Marais s'appercevra. de plus en plus combien je l'ay agréable, qui me faict vous
en redoubler la recommandation et les mienes bien affectionnées à vos bonnes
grâces, après avoir supplyé le Créateur qu'il vous donne, Messieurs, en santé l'heu-
reux accroissement des sienes très saincles et très dignes.
A S' Jehan d'Angély le 20* jour de Mars 1584.
Vostre plus affectionné et meilleur amy à iamais.
Henry de Bourbon.
XLVII
Condé au Conseil de Genève.
(Arch. (le Genève, Porte f. hist. n" 1952)
Messieurs,
La mesme religion de laquelle nous faisons profession nous enseigne asses la
conionclion qui doibt estre entre nous, mais, puisque nos ennemis nous l'apprennent
davantage par leurs desseings qu'ils bastissent tous les jours pour nous ruiner tous
à la fois, cela nous doibt occasionner d'estreindre plus fort le lien d'amitié et union
comme le plus asseuré moyen, selon les hommes, de nostre conservation ; ce que je
dy. Messieurs, afin de vous tesmoigner par la présente le semblable que par mes
précédentes et vous prier croire que i'ay merveilleusement à cœur vostre bien, repos,
accroissement et contentement, tenant pour certain que, si Dieu vous continue,
comme je l'en prie ardemment, une tranquillité, il vous fera aussi la grâce de
l'employer à l'advancement de sa gloire pour triompher au milieu de vos ennenn's.
ET LE TRATTÉ DE SOLEURE 217
Si pour y parvenir vous estimes que mes moyens y puissent apporter de la facilité,
je les vous offre volontairement avec ma personne, de laquelle ie vous serviray de
toute l'affection que pouves attendre et vous promettre d'un Prince désireux de vous
veoir sortis des perplexités qui vous travaillent de long temps, à quoy il semble par
vos dernières lettres que Dieu vous présente une ouverture qui ne sera iamais si
seure ny si prompte que ie la vous souhaitte, Messieurs, priant Dieu que, malgré vos
adversaires, il conserve et accroisse vostre Estai, vous faisant prospérer de plus en
plus à son honneur, vostre soulagement et utilité de nos Eglises qui y ont intérest,
A S* Jehan d'Angely le 24« jour de Mars 1584.
Vostre plus affectionné et meilleur amy à iamais.
Henrv de Bourbon.
XLVIII
Belation dressée par le Sieur de Haute fort, ambassadeur de France, des prétentions du
duc de Savùye sur Genève et des deffences de ceux de Genève, dressées lors du
retour du Roy de Pologne l'an i514, ensemble des poursuittes que le Duc de Savoie
en faisait en la Chambre Impériale et des raisons qui s'avançaient pour empesc/irr
que Genève ne fust comprise en Varticle du Traité.
(Arcli. (le Genève. Mémoires, actes et traités de la République de Genève avec la France, la Suisse et
la Savoye. toine 104, page 04 et suivantes.)
Sommaire discours des prétentions des très illustres ducs de Savoie sur la
ville franche et impériale de Genève.
Les Sieurs Ducs demandent sur Genève la haute souveraineté comme vicaire
d'Empire, puis le vidomnal, tiercement la cassation de toutes les alliances traitées
entre Genève ou autres villes et Seigneurs quelsconques.
218 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
Leurs fondemens sont deux bulles de vicariat d'Empire, y estant expressément
mentionnée Genève octroyée à la maison de Savoye, asscavoir à Amé cinquième,
appelé le comte Vert, et aux siens par l'Empereur Charles quatrième l'an 1366 et
1367.
Confirmations dudit vicariat par l'Empereur Maximilian premier, 1504 et 1530.
Une sentence donnée par le Pape Léon dixième l'an 1515 en laveur du duc Charles
ayant du Duc à présent régnant contre Pierre de la Baume, évesque de Genève.
Deux sentences des Cantons, l'une donnée à Payerne l'an 1531, l'autre à Lucerne
1535.
La ville de Genève au contraire remonstre que tousjours, depuis que les Romains
conquirent les Allobroges, elle a esté ville franche et a tousjours continué en ses
franchises et libertés, mesmes durant les Rois de Bourgongne et pour preuve de cela
monstre les marques engravées en pierre très antique dès le temps de l'Empereur
Marc Aurèle, par lesquelles appert que dès lors elle estoit Colonie romaine appelée
CÂvitas Aequestrum, et par conséquent immédiatement deppendante de l'Empire
Romain alors florissant, estant appellée Colonia Aequestris par Pline, lib. 4" cap. 17*,
ayant veseu sous l'Empereur Vespasien (Ij.
Monstre aussi l'Aigle Impérial, marque des villes franches impériales, plus
ancienne que la Maison de Savoie n'ayant commencée que l'an 998 ou, comme les
autres veuUent, 994, plantée au plus haut du portail du principal Temple du dit
Genève.
Allègue d'avantage comme peu à peu estant survenues les tempestes de l'incli-
nation de l'Empire romain et les Evesques de Genève, auxquels les peuples du Dioceze
avoient eu reffuge, comme on scait ostre advenue en plusieurs grandes villes du
Monde, voire mesme à Rome, estans peu à peu d'administrateurs précaires devenus,
(1) L'auteur (Ju mémoire commet la morne erreur (jue il'aulres écrivains du temps; c'est à Nyon
et non à Genève qu'il faut clierclier la Colonie Equestre. Les historiens du XVI""' siècle ont été induits
en erreur par diverses inscripiions lrans|iortécs de iN'yon à Genève.
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 219
avec certaines convenances avec leurs peuples, souverains en k'ur diocèze, où il y
avoil quelques comtes et barons, lesquels aussy peu à peu d'officiers estoient devenus
sieurs héréditaires.
Les Comtes de Genevois, grands seigneurs du costé desdits, appelés, comme nous
avons dit, par les Romains Aequestres, aequestres ab acquis, estoit vassal dudit
Evesque, ce qui appert par la reconnaissance dudit Sieur Comte de l'an 1124,
spéciffiant tous les droits de régales et souveraineté, entre lesquels la cité a de tous
temps fait forger et battre monnoye, non seullement d'argent, mais de pur or et dont
s'en trouvent encores de fort antiques, et de mesme la liberté de la pesche sur le lac
et sur le Rbosne soit de poisson, ou mesme de l'or que porte ledict fleuve sortant
du Lac.
Plus produit à celte fin trois bulles de Frederich Barberousse :
La première de l'an 1153 déclarant ce que dessus ;
La seconde de l'an 1162 estant un jugement donné en faveur dudit Evesque
contre le Duc Berthod de Zeringen et Amé comte de Genevois, condamnés en leur
présence en plaine assistance impérialle, où ils reconnurent aussi leur faute pour
avoir par surprise ledit Berthodde impélré un tel vicariat qu'a depuis aussi impelré le
comte Verd, de Charles 4, portant d'avantage laditte condamnation une très ample
déclaration de loutte prééminence audit Evesque, Eglise et cité.
La 3" de l'an 1186, par laquelle tout le fief de Guillaume, comte de Genevois,
est confisqué à raison de lélonie par luy commise, dont puis après ledit comte
appoincta avec le dit Evesque.
Item produit une déclaration de Thomas, comte de Morienne, duquel sont issus
les très illustres Ducs de Savoye, que jamais ne mouveroit querelle ny ne prétendroit
rien sur les régalles de Genève l'an 1211.
"S"
Plus les hommages faits à l' Evesque et Eglise de Genève dudit comté de Genevois
220 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
par les coniles de Savoye de l'an 1305, 1346, 1405, en laquelle dernière reconnois-
sance est spéciffié l'hommage lige preslé par Amé huicUesme du nom et premier
Duc de Savoye, de la Baronnie de Treny ou Terny, Remilly, Montfalcon, les Eschelles,
Ballaison et autres terres et seigneuries. Item plusieurs reconnoissances des Sieurs de
Gex en divers temps.
Item sentence de confiscation de fief contre Girard, baron de Ternier, pour
félonnie contre l'Evesque son seigneur, de l'an 1398.
Item les confirmations des susdittes Bulles de Fréderich par plusieurs Papes des
années 1157, 1160, 1180, 1183, voire mesme par ledict Amé huitième, premier Duc
de Savoye, lorsqu'il estoit Pape, appelé Foelix quintu.s, 1444.
Item une grâce faite à un criminel par l'Evesque à la requeste mesme du Duc
Louis l'an 1453.
Item plusieurs actes des jugements capitaux donnés par les Scindics et Conseil
de Genève, remettant les prisonniers condamnés par eux entre les mains du Vidame
avec commandement de faire exécuter leur sentence ; iceluy la remettoit au chastelain
de Gaillard, luy commandant de faire exécuter au gibet de Genève leur sentence de
point en point.
Item les territoires demandés par les Ducs de Savoye pour pouvoir tenir leur
conseil dans la Ville quand ils venoient pour y faire séjour.
Item, plusieurs acquêts tant de privilèges que de terres vendues à la ville de
Genève louée par les Ducs de Savoye avec rémission perpétuelle expresse de tout
droit de fief, directe domaine, meremixte empire, toute supériorité et ressort quelconque
qu'il y pourroit avoir.
Plus une bulle de l'Empereur Sigismond l'an 1420 defïendant au Duc de Savoye
d'attenter aucunement sur les régales de Genève.
llem une letlre de l'Empereur Charles cinq en datte de l'an 1540 et par couse-
ET LE TRAITÉ DE SOLEUKE 221
quenl n'ignorant pas l'Estal auquel esloit lors, et est aujourd'hui la ville de Genève
ainsy intitulée : honorabilibus noslris et imperii sacri fidelibus sindicis, consulibus et
civibus, imperialis civitalis noslrae Gebennensis.
Et quant à l'octroy du vicariat impetré par le susdit comte Verd l'an 1367, la
ville de Genève y repond péremptoirement, opposant à icelle la révocation expresse
qu'en fit le même Empereur sur la complainte de l'Evesque Ardutius en plaine assis-
tance impériale et par forme de pragmatique sanction, déclarant ledit mesme
Empereur que en cet endroit il avoit esté surpris, anéantissans par termes exprès et
signifficatifs de tous droits de ce qu'il avoit octroyé audit Sieur comte son cousin, luy
deffendant de contrevenir à cette révocation sous peine de son indignation et de mil
marcs de pur or, estant ladilte révocation de l'an 1867 et depuis confirmée par le
Pape Sixte l'an 1483, répétant aussy les dites Bulles de Frédericli Barberousse ; ce
qui met aussi à néant toutes confirmations subreptices de la bulle, ainsy révoquée
solemnellement selon les anciennes Bulles et autres documens.
Quant à la sentence du Pape Léon dixième, outre ce qu'il n'estoit juge compétant
de cette affaire, et ne pouvoit aucunement déroger auxdittes Bulles Impérialles, ny
mesme aux confirmations de tant de Papes ses prédécesseurs, tout cela se fist par
une menée du duc Charles, ayant fait saisir les bénéfices de Suze et de Pignerol
appartenans à Pierre de la Baume, Evesque de Genève, pour l'intimider et faire qu'il
ne s'opposast trop vivement à la procédure de Rome, craignant de ne jouir de ses
bénéfices, mais tant s'en fallust que cela ne sortist effect que au contraire Pierre de la
Baume se fit bourgeois et compagnon de la communauté de Genève à rencontre dudit
Sieur Duc, comme il appert par bons instrumens.
Quant à la sentence de Payerne, pour ce qu'il n'y avoit personne suffisamment
instruit de la part de l'Evesque sur le fait de la souveraineté, il n'en fut rien expres-
sément déterminé, mais en fut ledit Sieur Duc tacitement assez débouté, ayant esté dit
que l'alliance de Genève avec Berne et Fribourg tiendrait, ce qu'ils n'eussent jamais dit
ou que par provision, s'ils n'eussent tacitement jugé lesdits de Genève avoir droit de
souveraineté pour pouvoir contiacler alliance, et qui plus est, lui ledit Sieur Duc
222 genéviî:, le pakti huguenot
Cliarles condamné aux despens do vingt raille escus pour la guerre par luy laite contre
la ville et l'Evesque de Genève, depuis paies réallement par luy.
Quant à la sentence de Lucarne, ceux de Genève n'y comparurent jamais, ny en
persone ny par autruy, et ce non par leur faute, mais d'autant que les passages
estoient clos et espiés jour et nuit par ledit Sieur Duc de Savoye depuis Genève jusques
près de Berne et qui plus est, ceux de Genève advertis de ladilte sentence déclarèrent
incontinant après à Badden ausdits Sieurs Cantons qu'ils ne pouvoient accepter
aucunement laditte sentence, qui n'estoit qu'une aimable composition et non pas
un jugement diffinitif par compromis, attendu qu'elle desrogeait ouvertement à laditte
sentence dePayerne, acceptée de part et d'autre, à laquelle ils se lenoient, dont lesdits
Sieurs des Ligues se contentèrent, et partant n'est laditte sentence d'aucun poids.
Appert par tout ce que dessus que les Ducs de Savoie, au lieu d'avoir aucune
souveraineté ny jurisdiction sur Genève, doivent l'hommage du comté de Genevois et
d'autres terres à la souveraineté d'icelle et quant ils y auroient eu droit autrefois ils
en sont descheus par infinies félonnies et usurpations toutes manifestes.
Quant au vidonnat :
Lesdits Sieurs Ducs de Savoye prétendent que le Vidonne ayt esté un juge
ordinaire ordonné par eux, comme Lieutenant pour exercer la Justice ordinaire au
nom d'eux, comme souverains seigneurs.
Au contraire, il se prouve que le vidonnat estoit un oflice épiscopal qui se
conféroit par l'Evesque en possession précaire, comme autres offices ecclésiastiques,
pour exercer la justice civille et ordinaire en première instance, d'autant que l'Evesque
estoit Sieur temporel et spirituel, ainsy que les causes vrayement ecclésiastiques se
démenoient devant l'officialité ayant toutes fois eslendu ses ailes comme chacun scait
qu'il est advenu aillieurs jusques à ce que les Princes y ont donné ordre et de ce
vidonnat, devant mesmes que les Evesques fussent sieurs temporels, ayans toutefois
grands privilléges tant pour leur clergé et leurs domestiques que pour ceux qui volon-
tairement se rapporteroient à eux de leurs différens, comme il se veoid par plusieurs
ordonnances impériales des Emjirreurs Ghicsliens au titre de... Kjnscujiall audieucm.
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 228
Il est porté expressément au grand décret en la distinction au 39 chap., vol. et
chap. Diaconum. Et qu'ainsy soit ou fait apparoir par bons instruments que les
vidones ont esté devant qu'il fust jamais mention de ce différend avec les Comtes de
Savoye.
Item que les Evesques ont tousjours appelé les vidones leurs vidones.
Item, que le \idonal ayant esté usurpé par le comte de Savoye Amé, ainsy que
autres droits sur leurs Evesques, sous prétexte de certains despens qu'il disoit avoir
faits pour secourir Guillaume Evesque pour lors, contre un comte de Genevois, ce
rebellant contre ledit Evesque son Sieur, par accord fait, ledit vidonat fut inféodé audit
comte Amé pour sa vie seulement, dont illuy fist foy et hommage et à condition que
les Evesques successeurs dudit Guillaume trouvassent cela bon, asscavoir au cas que
ledit Amé survesquit ledit Evesque Guillaume comme il advint, et ne fut ledit Amé
accepté, ains rejette par l'Evesque Amé successeur dudit Guillaume, dont il advint
beaucoup de différends lesmoignans l'usurpation des susdits comtes et mainti nant
Ducs de Savoye. D'avantage il conste que les appellations dudit vidonnat alloient à
Vienne et finallement à Rome, si besoin estoit.Tesmoignage irréfragable que le vidonnat
estoit un Lieutenant de l'Evesque et non pas de M. le Duc de Savoye, lequel au
contraire querellant le vidonnat quand iceluy appartiendroit, ce que non se confesse
vassal de l'Evesque.
Par mesme moyen il se trouvera lesdits comtes et ducs de Savoye, quand ils ont
tenu ledit vidonat, avoir esté niesmement sujets des Scindics et Conseil de Genève
qui commandoient audit vidonne l'exécution de leur sentence criminelle.
Et pour monslrer que ce vidonnat n'est aujourd'hui pourchassé pour dignité
ne pour proffit qu'il y ait en cet office, il se prouve par bons documents et irréfragables
que le vidonne, ayant le serment à l'Evesque, ne pouvoit rien juger que sommairement
et sans aucune escriture s'il n'esloit question de quelque depposition de tesmoins; que
aucun ecclésiastique ne peut procurer, plaider, ne donner advis en la Cour du vidonat
hors mis qu'en cause de bien grande conséquence, le vidonne appellast deux chanoines
avec cinq citoyens.
224 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
Que l'Evesque poiivoit viiider les causes luy mesme soit présent ou absent le
vidonne ; qu'il ne prenoit rien pour son sceau, mais seulement avoit les amandes de
trois sois et le tiers amandes de soixante sols de Savoie, dont il esloit comptable
à l'Evesque et non à Chambéry, sinon quand les Ducs de Savoye estans les Evesques
de Genève de leur maison quelquesfois aagés de huict à dix ans, en ont fait à leur
vouloir.
Le vidonat, dont si mal fondé, n'a jamais esté et n'est aujourdhuy prétendu par
les ducs de Savoye sinon pour s'en servir comme d'un estrier pour monter en selle.
Lesdits sieurs Ducs, n'ayans nul droit au pétitoire dudit office, se fondent sur la
dilte sentence de Payerne de l'an i5M par laquelle la réintegrande en auroit esté
adjugée au feu Duc Charles pour avoir prouvée sa possession, quoy qu'elle fust de
malefoy, comme dit est, la dilte réintegrande depuis confirmée plus amplement par
la sentence de Lucerne l'an 1535.
La ville de Genève advoue que la ditte réintegrande luy fut adjugée et que la ditte
sentence fut acceptée de part et d'autre, mais on adjoute qu'il y avoit une queue et
condition, laquelle seule fut cause que la ville de Genève accepta la ditte sentence.
Quant à laditte réintegrande luy estant réservé le pétitoire, assavoir que devant toutes
choses ledit Sieur Duc donneroit bonne et suffisante assurance à la ville de Genève de
ne rien attenter sur icelle, après avoir esté réintégré sauf le pétitoire. A quoy tant s'en
faull qu'il obeist qu'au contraire il leur fit la guerre qui dura un an et demy et
plus, où fut exercée toute manière de cruauté, dont la ville de Genève demande
encore les intérests inestimables.
De cela s'ensuit que tant s'en fault que les Sieurs Ducs de Savoye se puissent
ayder de laditte réintegrande, qu'au contraire, estant venu par la seule faute dudit feu
Duc Charles qu'il n'ait esté réintégré, il en est descheu et la ville de Genève au
contraire establie en juste possession depuis laditte année et auparavant montant plus
de cinquante ans.
Oui [)lus est, quand la réintegrande appartiendroit audit Sieur Charles, s'il vivoit,
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 225
en vertu de la dilte sentence, si est-ce que ses successeurs ne s'en peuvent ayder s'ils
ne monstrent qu'ils ayenl esté pourveus dudit office, ou continué en la possession
d'icelle par les Evesques de Genève, attendu, comme nous avons cy-dessus monstre,
que ledit office estant épiscopal n'a jamais esté tenu qu'en possession précaire et non
successionnaire.
Quant à la sentence de Lucerne, il a esté dit qu'ayant esté baillée sans partie et
par forme de composition amiable, laquelle n'a esté acceptée, mais inconlinant
refusée par ceux de Genève, entre autres raisons, parcequ'elle repugnoil à celle de
Payerne acceptée par les dittes deux parties, elle n'est d'aucun poids ny valeur.
Quant à la troisiesme demande desdits Sieurs Ducs, asscavoir que toutes les
alliances de Genève, avec quelsconques que ce soient, soient déclarées de nulle valeur,
et soient cassées et annullées, elle est vuidée par deux raisons péremptoires.
La première, pour ce que la souveraineté appartient à Genève, représenlant
aujourd'huy son Evesque et son Eglise outre les libertés anciennes de la ville e't
communauté très amples, ausquelles les Evesques mesmes n'ont peu préjudicier, il
s'ensuit qu'elle a peu et peut contracter alliance telle que bon luy semble, ne contre-
venant point aux droits de l'Empire dont elle deppend immédiatlement. La deuxième,
pour ce que par la dilte sentence de Payerne acceptée et produite maintenant par la
maison de Savoie, il est dit que l'alliance que Genève avoit lors avec Berne et Fribourg
et qu'elle a encores maintenant avec Berne, tiendra nonobstant les deffences alléguées
alors par les Ambassadeurs du feu duc Charles.
Et quant à ce que l'on pourroit dire que Genève allègue les droits de son Evesque
et non chose qui luy appartienne, on répond que cela suffit pour exclurre les prétentions
du duc de Savoye, et que si quelqu'un se veult dire Evesque de Genève, on a des
exceptions fort péremptoires pour luy répondre devant juge compétant.
Quant la ville de Genève seroit paisible à Monsieur le duc de Savoye, à peine que
le passage des Ligues en fust plus libre ne plus au commandement du Roy qu'il est
226 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
aujourdhuy. Et tel party pourroit-il prendre qu'il le seroit encores moins n'estant pas
à croire qu'il eust moyen de la tenir sans l'ayde de quelque autre plus grand Prince,
mais elle nous serviroit bien de barre pour nous clorre le passage d'Italie et empes-
cher la venue du secours des dittes Ligues, s'il la remeltoit à Monsieur le Duc de
Savoye, comme il y a apparence qu'il le feroit plus tost qu'à nul autre. Et encores
d'avantage si en reprenant les brisées de l'Empereur Charles le Quint et Duc Charles
dernier déceddé, on venoit à faire eschange des pais de Savoie et de la ditte ville
avec le Roy d'Espagne.
Ce qui nous doit plus faire redouter cecy est que le dit Roy d'Espagne ne scauroit
faire un plus grand coup soit pour réunir et lier les pais qu'il a de ça et de là les
monts, soit pour s'avantager sur le Royaume de France.
Parce qu'en ce faisant il acquerroit un passage, pour aller du fond de l'Italie
jusques au fond des Pais Bas, sans presque marcher que sur le sien.
Il se seroit mis entre deux de nous et des Suisses pour empescher nostre mutuel
secours et venir plus aysément à bout des prétentions qu'il a contre l'un et l'autre, il
nous garderoit de pouvoir plus aller prendre ses Estais de delà les monts par le
derrière et de les luy troubler ainsy que nous avons fait par cy devant, si que les
Princes et Potentats d'Italie seroient tous à sa mercy.
Il y a d'avantage qu'estant ainsy le Roy d'Espagne jette entre deux, il nous auroit
tout à coup mis à descouvert et rendu sujets à garnisons près de cent lieues de lizières,
asscavoir depuis les monts qui séparent la rivière de Saône ju'^ques à la source d'icelle,
la ville de Lion, et la France de l'Italie jusques à la ditte ville de Lion, toute laquelle
eslendue de pais se trouve aujourd'huy couverte par le moyen de l'alliance des Suisses
et dellivrée desdittes garnisons.
Et ladessus fait à considérer que, sans laditle ville de Genève, l'Espagnol mesme
ne s'oseroit asseurer des pais de Savoye, ne garder que toutes les fois que nous serons
d'accord avec lesdits Suisses ou partie d'iceux on ne les luy puisse pareillement
enlever.
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 227
De sorte que tout ainsy que, si ledit Espagnol pouvoil recouvrer lesdils Pais de
Savoie avec laditte ville de Genève, il n'y a récompense qu'il n'en deust bailler, aussy
esl-ii à croire que sans laditte ville, il ne voudra entendre audit païs de Savoye, mesnies
qu'elle est aujourd huy trop plus forte et mal aysée à recouvrer qu'elle n'estoit lors du
traité d'entre lesdits Empereur Charles le quint et le duc Charles dernier décédé.
Il nous sera encores plus aysé, estant, comme dit est, d'accord avec les dits
Suisses d'enlever à mon dit Sieur de Savoye ses païs, toutes les fois que nous voudrions,
tandis que la dilte ville demeurera en l'Estat qu'elle est. Là où si par aucun moien,
elle tombait en ses mains, il se pourroit après dire estre comme émancipé et hors de
subjection de la couronne de France et desdits Suisses ensemble. Et ce pour les
raisons et par les moiens que j'ay autrefois remonstrés, entre autres, en fortiffiant le
pas de l'Escluse ce qu'il ne peut nullement faire, sans qu'il tienne quant et quant
la ditte ville de Genève.
D'oîi il adviendroit qu'au lieu de ce qu'aujourd'huy, il fault que ledit Sieur de
Savoye bon gré mal gré qu'il en aye par manière de dire respecte la couronne de
France et se garde de l'otfencer, il n'en feroit plus sinon ce qui luy plairoit, s'estant
une fois ainsy emparé de la ditle ville.
Si l'on veult dire que le Roy mesme aura moyen de s'accommoder avec mon dit
Sieur de Nemours, à cela se peut répondre qu'outre ce qu'il n'y a apparence que ledit
Seigneur le voulust faire contre le gré de Monsieur de Savoye, pour ne se priver d'une
de l'espérance qu'il a d'une si belle succession. Il convient aussy considérer que le
Roy ne scauroit entendre à la ditte ville sans se rompre d'un costé avec les Bernois et
les autres cantons protestants et de l'autre avec mondit sieur de Savoye, et sans pai-
mesme moyen mettre toutes les Ligues en combustion, qui seroit se priver entièrement
du fruit et utilité de toute l'alliance qu'il a avec les dittes Ligues, tant pour le regard
de ce que la ditte alliance sert de rempart et boulevart à une si grande estendue du
Royaume, que aussy pour raison du secours que l'on a accoustumé d'en tirer, sans
lequel secours nous n'avons point estimé depuis 80 ans en ça d'avoir une armée asses
complète ne asseurée.
228 GENÈVE, LE PARTI HUGUE^OT
Au surplus, je ne veoy point de quoy l'occupalion de laditte ville serviroil au Roy,
si ce n'est pour se vanger de ce qu'elle a esté la première et ordinaire retraite des
Luthériens de France et depuis le lieu où est forgé une partie des troubles et séditions
qui ont eu cours en ce Royaume depuis dix-sept ou dix-huit ans. Mais il ne faut point
douter que tandis qu'il y aura des malcontans, s'ils n'auront plus de refuge à Genève,
ils ne lairront de l'avoir ailleurs, el partant, où ils se trouveront; ils bastiront tous-
jours de mesme des conspirations, et y feront imprimer des livres diffamatoires,
tesmoins les villes de Rasle, de Strasbourg, Heydelberg et les terres du Prince de la
Petite Pierre (1), en tous lesquels lieux, toutes les susdittes choses se sont semblable-
ment faites lorsque les chefs desdits fugitifs s'y sont trouvés.
Tant est que jusquesicy les habitans de la ditteville de Genève el rétugiés en icelle
n'ont jamais ozé entreprendre de donner le moindre empeschement ou destourbier
au passage des Ligues, soit pour aller en Italie, ou en revenir, soit pour raison des
forces que l'on a fait venir en France, quelques desplaisirs qu'ils en eussent, voire
que quelquefois ils ayant esté en allarme de nous, et n'y a pas apparence qu'ils
l'ozenl faire non plus à l'advenir, pourveu que nous conservions la paix perpétuelle
avec les Rernois, et ne se peut faire ou entreprendre chose contre la France que
désormais ne se puisse aussy bien faire et entreprendre en une infinité d'autres
endroits, n'y ayans aujourd'huy que trop de Genève tant dedans que dehors le Royaume.
Donc reste à peser si nous aymons mieux que la ditte ville demeure en l'Estat
qu'elle est, asscavoir entre les mains des gens les plus mal conditionnés du monde,
mais toutes fois qui n'ont autre moyen de nous nuire, sinon de s'y assembler pour
faire des complots et imprimer des livres diffamatoires ou bien qu'elle tumbe entre
les mains d'un prince, pour bon el amy qu'il soit, lequel, quand il voudra, nous puisse
nuire, attendu que les hommes meurent el leurs volontés peuvent changer en un moment.
El cela semble avoir esté la raison pour laquelle le feu Roy François le Grand fil ce
qu'il peut, lorsqu'il y envoya le S'' de Veres pour garder, que le Roy Charles dernier
décédé (que Dieu absolve) commanda premièrement à mon frère el puis à moy de
(1) La Petite-Pierre, en allemand Liitzelstein, à 20 kilonièlres N.-N.-O. de Saverne, autrefois
chef-lieu d'un comté.
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 229
faire et procurer que les cantons calh. ou aucuns d'eux se voulussent joindre aux
Bernois pour prendre ensemble la protection de la ditte Ville, estant Sa Majesté con-
tente que la ditte ville fust par certain moyen comprise en la paix perpétuelle, ce qui
eusl esté le moyen de contenir dès lors en avant les habitans de la ditte ville, et d'em-
pescher qu'ils n'eussent plus à se faire les mauvais offices qu'ils y ont depuis continué,
car ils s'en fussent gardés, tant pour se conserver en laditte paix perpétuelle que pour
n'irriter lesdils cantons catholiques, surtout ceux qui leur sont plus voisins, parce
qu'ils les eussent veillés de plus près, et eussent eu occasion de les reprendre et
réprimer toutes les fois qu'ils se fussent esgarés.
Pour les mesmes raisons le Roy de présent, à son retour de Poulongne, trouva
bon que j'empeschasse que mondit Sieur de Savoye n'en vinst point à bout, comme il
prétendoit et estoil lors après.
L'article de la ville de Genève est couché de sorte qu'il semble n'y pouvoir
estre contredit avec raison et partant qu'il n'y devra avoir difficulté, parceque
Monsieur de Savoie ne requiert pas que l'on ne puisse faire alliance avec laditte
ville sinon avec cette condition, asscavoir que premièrement il n'aye fait vuider par
Justice, ou par appoinctement, le différend qu'il a avec les habitans d'ycelle ville de
Genève.
Au surplus, que y venant ledit Seigneur par Justice, il n'y a rien craindre pour les
dits habitants, parcequ'il ne se trouvera aucun droit sur iceux, dont il n 'y a apparence
qu'il puisse non plus rien obtenir par appoinctement.
Mais avec supportation il ne se faut pas arrester là, parcequ'ayant ledit Seigneur
le fait de la dite ville tellement à cœur que sans doute le principal but auquel il
tend est d'en pouvoir venir au dessus, et d'ailleurs estant Prince, si accord et advisé
comme il est, il n'est pas à croire qu'il se contentast du dit article, sinon qu'il vit
bien celuy estre suffisant pour parvenir à son intention. Comme à la vérité, si la chose
passe de la sorte, il semble qu'il luy sera plus facille d'en venir à bout par forme de
justice que l'on ne cuyde.
230 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
La raison est parceque, se trouvant tous les cantons privés par le moyen dudit
article de pouvoir emparer la ditle ville s'entremettre d'icelle, ledit Seigneur pourra
appeler les habitants par devant la Chambre de l'Empire pour estre (comme elle
mesme se dit) ville impéiiale là où il luy sera aysé d'obtenir jugement contre eux,
quel bon droit qu'ils puissent avoir et ce au moien de la faveur qu'il aura envers les
Princes de l'Empire, d'un costé par la recommandation du Pape, du Roy Philippes
et de l'Empereur, et de l'autre pour le peu de bonne volonté que les Potentats
d'Allemagne qui sont de la confession d'Augsbourg portent à la ville de Genève, à
cause de la diversité de la Religion d'icelle.
Or si ledit Sieur obtient une fois jugement en la ditte Chambre Impérialle, les
Cantons après ne seront pas seullement bridés de ne pouvoir faire aucun port ou
faveur à la ditte ville, ains aussy se trouveront chargés d'assister son Altesse au
recouvrement de ce qui luy aura esté adjugé par les Juges compélans des parties,
et quoy que ce soit il y en aura plusiem^s lesquels ne le feront que trop volontiers.
Et voilà comme ledit Sieur à peu de semblant sera venu audessus de ses desseins
sans presque que l'on s'en soit apperceu.
Encores seroit-il à craindre que, se sentant ledit Seigneur court de droit ou bien
pour fortiffier celuy qu'il a desja, il ne se vouUust prevalloir de celuy de l'Evesque,
lequel on tient estre mieux fondé, car ce a esté la ruse dont ceux de la maison
d'Austriche se sont autresfois prévalus contre plusieurs des Cantons acquérans ainsy
le droit que les ecclésiastiques avoient sur iceux cantons dont l'exemple pourroit
après redonder sur tel, qui n'y pense pas, et me doute fort que cecy ne soit plus à
faire, ainsi que ledict Seigneur se sera desjà fait cedder ledit droit du dit Evesque.
Il reste doncques à considérer si lesdits Sieurs des Cantons ou aucuns d'iceux
ont interest que cela n'advienne point, affin que si ainsy est qu'ils y ayent interest,
ils s'en gardent par toutes voyes raisonnables et accoustumées.
Quant à l'inlerest des cantons de Berne et Fribourg, il est tout apparent parceque
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 231
la ditte ville seroit à cavallier à tous les pais qu'ils ont autresfois conquis sur ledit
Sieur Duc et comme un esperon au flanc de tout le surplus de leurs Estats.
Quant au général des Cantons, leur inlerest est semblablement très grand pour
plusieurs raisons dont il suffira remarquer celte cy qu'il semble très évidente.
Asscavoir que tenant le dit Seigneur d'un costé laditte ville, et de l'autre fortiffiant
le pas de Lescluse, il seroit après en son pouvoir d'empescher lotallemenl le mutuel
secours d'entre la Couronne de France et le pais des Ligues aussy bien que la force
de celuy de France. Et pourroit leJict Sieur audit cas empescher ledit mutuel
secours d'autant plus hardiment que tenant ces deux passages, il n'auroit plus à
craindre que les Suisses luy pussent courir sus, ne l'endommager.
Voire se pourroit-il dire avoir mis des ceps aux pieds des dits Sieurs des Ligues,
mesmement qu'ayant entre ses mains laditte ville, il en feroit son principal fort et
boulevart deçà les monts et sa ville capitalle.
Or ie donne à penser si le feu Empereur Charles le Quinl, qui fut un si sage et
si avisé Prince, eust envié de faire un eschange avec feu Monsieur de Savoye, et de
prendre les païs d'iceluy de deçà les monts encores qu'il n'eust laditte ville, en luy
donnant une bonne récompense en Italie et afiin de se mettre entre les deux Estats
de France et des Ligues, asscavoir Mons"" son successeur le devra vouloir faire encores
plus fort, pouvant par mesme moyen recouvrer la ditte ville de Genève avec laquelle
le surplus est plus tenable et sans icelle de beaucoup moindre important.
Par ce moyen l'Espagnol avoit gaigné d'un costé un grand avantage sur le
François de luy avoir couppé chemin au secours qu'il a jusques ici tiré des Ligues,
qui est le plus grand, le plus prompt et le plus asseuré que ledit François puisse
avoir.
Et de l'autre il cuyderoit par mesme moyen pouvoir après plus aisément fuier
des Ligues, voire sans coup férir asscavoir en fomentant tant seulement les dissentions
de la Religion, et les faisant venir aux mains, ce que advançanl il estimeroit n'avoir
232 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
plus à les redoubler, et si peut estre attenteroit de venir audessus de ses vieilles
prétentions.
Il est doncques bien requis aux Cantons et particulièrement à ceux de Berne et
de Fribourg, d'y pourveoir sans laisser faire à Monsieur de Savoye par voyes occultes
et indirectes, ce qu'ils ne voudroienl permettre à la descouverte.
Car ils auroient un jour trop de regret qu'il leur fust reproché de s'eslre ainsy
laissés endormir par un beau prétexte de paroles.
El si l'on dit que ce seroit chose injurieuse aux Sieurs des Cantons de s'opposer
à la voye de Justice.
A cela se peut repondre que puisqu'ainsi est que ledict Sieur Duc est mal fondé
en ses prétentions sur la dilte Ville et que le transport qui se pourroit faire faire par
l'Evesque seroit contre le droit lequel improuve l'aliénation des choses contentieuses
aux personnes plus puissantes, comme est ledict S'' Duc, et partant qu'il ne peut rien
gagner sur ceux de la ditte ville sinon par injustice et faveur, il s'ensuit qu'il sera
juste auxdits Cantons d'obvier par tous moyens à ce que la ditte injustice ne se fasse
attendre mesme que cela importe à la seureté de leur liberté et de leur Estât, et que
ce sera sans l'injure d'autruy, ne se pouvant pas dire que l'on fasse tort au dit Duc,
puisqu'il se trouve n'y avoir point de droit.
XLIX
Translation de la déclaralion envolée par Messieurs de la Ville et Canton de Zurich à
Sa Majesté très Chrestiennc pour estre receus et entrer au traicté fait à Soleiirre
en Van i579 pour la conservation de Genève.
(Arcli. de Genève, Traités publics pour la République de Genève, tome 1, page 412 et suivantes.)
Au nom de la Saincte Trinité, père, fils et Saint-Esprit, Amen ! Nous, Bourg-
maistre, Petit et Grand Conseil appelle les Deux Cens, de la Ville de Ziirich,
ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 23.S
recognoissons et scavoir faisons par les présentes que comme ainsi soit que en l'an
dernier passé mil cinq cens soixante et dix neuf ung iraicté et convention ait été
faicte soubs certaines conditions et pour des causes d'importance entre l'eu très
illustre, très puissant et très chreslien prince et seigneur, Henry troisième de ce nom,
Roy de France et de Polongne, d'heureuse mémoire, et les sages, prudents et
honorés Bourgmaistres et Conseils des deux villes Berne et Soleurre, nos féaux et très
chers alliés et confédérés, concernant la tuition et conservation de la ville de Genève
et du territoire qui lui appartient. Auquel traicté auroit esté réservé que les autres
cantons des Ligues et leurs Alliés y pourroient aussi entrer et veu que nous considé-
rons combien il importe à la louable communaulté des Ligues qu'une ville de Genève
demeure au mesme estre et estât qu'elle est de présent, et que la paix, repos et bon
estât de laditte communaulté des Ligues ne se pourroit par aucun moyen plus tost
troubler que si laditte ville de Genève, laquelle est une clef et le principal boulevart
du pays des Ligues, venoit à tomber en autres mains et en la puissance d'un Prince
ou Potentat, quelqu'il fut, soit par force ouverte, surprinse ou autre moyen. A cette
occasion, de nostre pure et franche volonté et avec meure délibération, pour le désir
que nous avons avec les susnommés, nos très chers Alliés de Berne et de Soleure,
d'aider à tout ce qui peut servir pour le commun bien et repos, conservation et
tuition de laditte Ville de Genève, laquelle nous est aussi conjoincte par alliance, et
ce avec le gracieux vouloir et consentement de Très illustre, très puissant et très
chrestien Prince et Seigneur Henry quatrième, Pioy de France et de Navarre, nostre
très clément seigneur et allié, et le sceu de nosdits Très cheis Alliez de Berne et de
Soleurre ; Nous sommes entrés audit traitté fait en laditte année mil cinq cents
soixante et dix neuf, et l'avons receu pour nous et nos successeurs, et l'acceptons
par vertu des présentes, tellement que nous y soyons et voulons estre comprins,
obligez et adstraints à tous les points, clauses et conditions, portées par iceluy traicté,
ne plus ne moins que si, dès le commencement et au temps que ledit traité a été fait,
nous y avions esté comprins et nommés, promettans par ces présentes sur nos biens,
foy et honneur, de garder et observer de poinct en poinct à tous jour mais ledit
traitté en tout son contenu, fidèlement et sans fraude. En foy et en tesmoignage de
quoy nous avons fait attacher manifestement à ces présentes le grand sceau de nostre
234 GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT
ville. Fail le vingt huitième d'Aoust que l'on conte mille six cens et cinq depuis la
naissance de nostre seigneur et sauveur Jésus-Christ.
Ensuit la teneur des lettres patentes de Sa Majesté Très chrestienne, par lesquelles
est approuvée la déclaration des Seigneurs de la ville et canton de Zurich et iceux
receus au traitté de l'an 1579.
Henry, par la grâce de Dieu Roy de France et de Navarre, à tous ceux qui ces
présentes lettres verront, salut ; Comme, suivant le traitté fait en l'année mille cinq
cents soixante et dix neuf, entre le feu Roy dernier décédé, nostre très cher et très
honoré Seigneur et frère, et nos très et grands amis, alliez et confédérés, les Advoyers
des villes et cantons de Berne et Soleurre, touchant la protection et conservation de la
ville de Genève et de leur territoire, auquel traicté il estoit réservé à nos très chers
et grands amis alliés et confédérés les autres cantons et leurs coalliez de pouvoir
entrer. Nos très chers et grands amis, alliés et confédérés, les Bourgmaislres, Conseil et
Grand Conseil composé de deux cens de la ville et canton de Zurich, ayenl fait expédier
leurs lettres patentes soubs le gros sceau de leurs villes, par lesquelles ayans considéré
qu'il importoit grandement à toute la Suisse que laditte ville de Genève demeurast au
mesme estât et condition quelle est à présent, ils ayent résolu et désiré, tant pour eux
que pour leurs successeurs, d'accepter ledit traicté et y estre comprins, à la charge
d'entretenir tous les poincts, clauses et conditions portées par iceluy, et qu'au cas que
laditte ville de Genève, qui est la clef et le principal boulevart du pais de Suisse, veint
à estre assaillie et en hazard de tomber au pouvoir ou domination d'un Prince ou
Potentat quel qu'il fust, soit par la force ouverte, usurpation ou autre voye,ilsapporte-
royent volontairement tout ce qui pourroit servir en général pour le repos publicq et
conservation de ladicte ville de Genève, le tout avec nostre gré et consentement et le
sceu des dits cantons de Berne et Soleurre qui y sont entrés et y ont aussi esté
comprins. Scavoir faisons que nous, ayans veu l'acceptation dudit traicté de laditte
année mille cinq cens soixante et dix neuf faille par nosdits alliés de Zurich et la
déclaration qu'ils ont faille pour ce regard par leurs dites lettres patentes, avons dit
et déclairé, disons et déclarons par ces présentes pour ce signées de nostre main,
que nous avons ladille acceptation dudict traicté et entrée en iceluy par nos dits alliés
ET LE TRAITÉ DE SOLEUnE 235
de Zurich bien agréable, la louons, approuvons et rattifions, et les y avons receu et
recevons par cesditles présentes, en la mesme sorte et manière et tout ainsi que si du
commencement que ledit traicté a esté fait, ils y eussent esté nommés et comprins,
car tel est nostre plaisir. En tesmoing de quoy nous avons fait mettre nostre scel à
ces dittes présentes. Données à Paris le douzième jour de Décembre l'an de grâce
mille six cens et cinq et de nostre règne le dix septième, signé Henry, et sur le reply,
par le Roy, de Neufville, et scellées sur double queue de cire jaulne.
Nous, Conrad Grosmann, bourgmeistre, et Jehan Escher, trésorier et du Petit
Conseil de la ville et Canton de Zurich, scavoir faisons qu'après avoir esté leu en
nostre canton devant nostre Grand et Petit Conseil le trailté fait en l'an mille cinq
cens soixante et dix neuf par feu Très hault, Très puissant et Très excellent Prince
Henry troisième. Très chresiien Roy de France et de Pologne d'heureuse mémoire,
pour la conservation et deffense de la ville de Genève, ensemble la déclaration et
patentes dernièrement envoyées à nos Seigneurs et supérieurs par Très hault, Très
puissant et Très excellent prince, Henry quatrième, Roy de France et de Navarre,
nostre très redoubté Seigneur, dallées à Paris le douzième jour de Décembre mille six
cens cinq, signées Henry, et plus bas, de Neufville, et scellées du grand scel de
saditte Majesté en cire jaulne, nous avons eu charge de nosdiis seigneurs et supérieurs
de remercier très humblement sa Majesté de ce qu'il lui a pieu se déclarer tellement
affectionné au bien et repos des Ligues que de les avoir voulu recepvoir audicl Traicté,
et avons eu aussi commandement de nos Seigneurs et Supérieurs de jurer en leur
nom ledit trailté. El partant, nous députés susdits, au nom et comme ayans pouvoir
de Nos Seigneurs et Supérieurs, avons promis et juré par nos serments accoustumés,
jurons et promettons par ces présentes, tant pour nous que pour nos successeurs à
perpétuité, à Monsieur de Caumartin, ambassadeur du Roy, pour et au nom de sa
Majesté et des Roys successeurs d'icelle, à nos très chers alliés les Seigneurs Saguer,
advoyer, et Scharner, conseiller au petit Conseil du Canton de Berne, pour et au nom
de leurs Seigneurs et Supérieurs, et à nos très chers alliés de Soleurre et Genève,
tenir, garder et inviolablemenl observer tout ce qui est contenu au dit traicté et accord,
sans jamais aller ny venir au contraire, et d'autant qu'il auroit esté jugé convenable
qu'entend que ledit traicté louche et concerne ladille ville de Genève, les Seigneurs
536 GENÈVE, LE PAIITI HUGUENOT ET LE TRAITÉ DE SOLEURE
d'icelle ville deussenl aussi faire serment de le garder inviolablenienl de leur part et
de poinct en poinct l'observer selon sa forme et teneur, pour à cela satisfaire, lesdits
Seigneurs de Genève ont député Nous Jehan Sarrasin, Docteur es droit, conseiller et
ancien sindic de la ditte ville de Genève, pour en leur nom venir jurer ledit traicté.
Et en vertu du pouvoir à nous donné par nosdits Seigneurs et Supérieurs, jurans au
nom de Dieu, avons promis à mondit Seigneur de Caumartin, ambassadeur de Sa
Majesté au pais des Ligues et ausdils Seigneurs députés de Zurich, nos très chers
Alliés et Confédérés, de garder et inviolablement observer ledit traicté, entant qu'il
touche et peut loucher nosdits Seigneurs et Supérieurs, sans jamais aller au contraire
en quelque forme et manière que ce soit. Et d'autre part nous, Louys Lefèvre, seigneur
de Caumartin, conseiller du Roy en ses Conseils d'Etat et privé et son ambassadeur
aux Ligues suisses, promettons et jurons au nom de Saditte Majesté auxditts
Seigneurs de Zurich tenir et garder le conleiai audit traicté de poinct en poinct selon
sa forme et teneur. En tesmoing de quoy, nous, Ambassadeur susdit de sa Majesté
Très chrestienne, avons signé et fait sceller le présent acte du scel de nos armes et
nous susdits députés des villes de Zurich et Genève, l'avons signé et fait sceller du scel
de nos Seigneurs et Supérieurs. Desquelles choses nous, susdit Ambassadeur de sa
Majesté et Députés susdits, avons chacun retiré un acte à part pour nous servir entant
que de raison. Fait à Badden ce second jour de Juillet mille six cens six. Signé
Lefeure, Conratt Grosuian, Burgemeister, Johannes Escher de Zurich, Sarasin, et
scellé des sceaux dudit S'' de Caumartin, des Seigneurs de Zurich, et des Seigneurs
de Genève.
Tous les actes sus copiés ont été par nous soussignés collationnés comme par
notre verbal à la première page-
G. Grenus. — M' Trembley.
^-^tî-^Ofi^zJ^ ty^-.
TABLE DES MATIÈRES
19
38
Pages
Avant-Propos.
Chapitre I". — Condé et Thorc, leiiis rapports mec Genève. — Séjour de Condé et de Tlwré à
Genève ^
Chapitre II. — Bruits de tentatives contre Genève.— Condé et Th. de Bésc.— Réunion à Bâle des
délégués des Eglises reformées de France. — Départ de Th. de Bè::e pour Bâle ....
Chapitre III. — Damville proclamé à Nitnes protecteur général des protestants et des catholiques
unis.— La délégation du Languedoc s'arrête à Genève en se rendant à Bdle. — Conférence de
Bâle. Programme du parti huguenot. — Négociations entre le Roi et Condé. — Préjjaratifs
militaires de Condé. — M. de Vélines et ses relations avec l'Ambassade de France .... 23
Chapitre IV. — Missive de Condé au Palatin. — Capitulation conclue entre Condé et le Palatin.
— Embarras pécuniaires de Condé et de Laval. — Genève fait un prêt au Palatin ....
Chapitre V. — Le duc d'Alençon se joint aux mécontents. — Sa protestation. — Il envoie un
émissaire à Genève pour négocier un emprunt. — Le Conseil tente les premières démarches
pour obtenir que Genève soit comprise dans Valliance de la France avec les cantons suisses . 48
Ch/lPITheW. — La campaijne de 1576. — Paix d'Etigny. — L'Edit de pacification .... 55
Chapitre VII. — Premières démarches pour obtenir l'entrée de Genève dans l'alliance entre la
France et les cantons suisses. — Le duc d'Alençon demande à emprunter 3,000 écus. — Refus
du Conseil. — Le duc d'Alençon mécontent négli'je l'affaire du traité 61
Chapitre VIII. — Le Conseil tente de nouvelles démarches pour obtenir l'alliance et la garantie de
la France. — Intrigues du due de Savoie. — Mission de Roset à Berne. — L'avoyer de
Lucerne, Pfyffer, écrit au Roi contre le traité.— Le Conseil achète le concours de B. de Grissac.
secrétaire de l'Ambassade de France "°
Chapitre IX. — Négociations préliminaires. — Le Conseil envoie à Berne Roset et Clievalier. —
Projet de traité. — Observations du Conseil sur le projet ''
Chapitre X. — Négociations de Roset et Chevalier avec Hautefort et Sancy, ambassadeurs de
France, et avec le Gouvernement bernois. — Les délégués genevois obtiennent diverses modifi-
cations au projet de traité
Chapitre XI. — Hautefort et De la Chaise à Genève. — Mission de Roset et Chevalier à Soleure,
Zurich, Schaffhouse et Bâle. — Démarche de l'avoyer Pfyffer contre le traité. — Roset et
Chevalier rendent compte de leur mission "^
Chapitre Xll. — Le Gouvernement bernois communique le traité au Conseil de Genève. — Préavis
demandé à la Compagnie des Ministres '"'
Chapitre XIII. — Intrigues du duc de Savoie et du Pape. — Ratification du traité par Henri III.
— Genève délègue Roset et Varro à Soleure. — Le traité est définitivement signé et ratifié à
Soleure '
Chapitre XIV. — Le Conseil de Genève récompense les services de Midinen, Grissac, etc. —
Nouvelles intrigues des cantons catholiques. — Le canton de Ziirich est associé au traité de
Soleure
85
107
116
PIÈCES JUSTIFICATIVES
Page*
I. — Lettre du prince de Conde' au Conseil de Genève 125
II. — Le prince de Condé au Conseil de Genève 126
III. — Le prince de Conde' au Conseil de Genève 127
IV. — Le prince de Condé au Conseil de Genève 128
V. — Le prince de Condé au Conseil de Genève 129
VI. — Le prince de Condé au Conseil de Genève 129
^'II. — Le prince de Condé à Th. de Bèze 130
VIII. — Le maréchal de Damville au Conseil de Genève 131
IX. — Le prince de Condé au Conseil de Genève 132
X. — Le prince de Condé au Conseil de Genève 133
XI. — Le prince de Condé au Conseil de Genève 134
XII. — Le prince de Condé au Conseil de Genève 135
XIII. — L'Avoyer et le Conseil de Berne au Conseil de Genève 136
XIV. — Copie d'une lettre et d'un mémoire de M. de Vézinea, adressés à M. de Hautefort . 137
XV. — Gui de Laval au Conseil de Genève 143
XVI. — L'Avoyer et le Conseil de Berne au Conseil de Genève 144
XVII. — Le Palatin au Conseil de Genève 145
XVIIl. — Traité d'alliance entre le Palatin et le prince de Condé 146
XIX. — Le Palatin aux Syndics et Conseil de Genève 158
XX. — Le prince de Condé au Conseil de Genève 159
XXI. — Le duc d'Alençon au Conseil de Genève 160
XXII. — ■ Gui de Laval au Conseil de Genève 161
XXIII. — Le Palatin au Conseil de Genève 162
XXIV. — Le duc d'Alençon au Conseil de Genève 163
XXV. — Le duc d'Alençon au Conseil de Genève 164
XXVI. — Le Palatin au Conseil de Genève 165
XXVII. — Le duc d'Alençon au Conseil de Genève 165
XXVIll. — Roset et Chevalier aux envoyés de France, Hautefort et Sancy 166
XXIX. — Bellièvre et Harlay, ambassadeurs de France, à Roset et Chevalier 167
XXX. — Roset et Chevalier au Conseil de Genève 169
XXXI. — Roset et Chevalier au Conseil de Genève 177
XXXII. — Roset et Chevalier au Conseil de Genève 180
XXXIII. — Roset à Hautefort f^cqpie) 185
XXXIV. — L'Avoyer et le Conseil de Berne au Conseil de Genève 186
XXXV. — Les députés des Eglises réformées de France au Conseil de Genève 187
GENÈVE, LE PARTI HUGUENOT ET LE TRAITÉ DE SOLEURE 239
Pages
XXXVI.— Le prince de Condé au Conseil de Genève 189
XXX VIL — Traité de Soleure pour la protection de Genève 190
XXXVIII. — Harlay de Sancy au Conseil de Genève 206
XXXIX.— Condé au Conseil de Genève 207
XL. — Condé au Conseil de Genève 208
XLI. — Condé au Conseil de Genève 209
XLII.— Condé au Conseil de Genève 211
XLIII. — Condé au Conseil de Genève 212
XLIV. — Condé au Conseil de Genève 213
XLV. — Condé au Conseil de Genève 214
XLVI. — Condé au Conseil de Genève 215
XLVII. — Condé au Conseil de Genève 216
XLVIII. — Relation dressée par le sieur de Hautefort des prétentions du duc de Savoie sur
Genève et des deffences de ceux de Genève, etc 217
XLIX. — Déclaration du Gouvernement de ZUrich pour être compris dans le traité de Soleure 232
f
**-S\'S*
Chez H. GEORG, libraire de l'Institut, à GENEVE
Du même auteur
Procès de Jérôme Bolsec. 74 pages in-4°, 1865 Fr. 5
Procès dogmatique intenté à Çenève, en 1551, contre un ancien carme parisien, qui
niait la prédestination.
Genève sous la domination romaine. Notice archéologique. In-4° avec six
planches, 1868 Fr. 5
Les six planches reproduisent les trente-quatre inscriptions romaines existant à
Genève etdans les environs.
Procès de Valentin Gentilis et de Nicolas G allô. 102 pages in-4°, 1878 . . . Fr. 5
Procès dogmatique intentié à Genève, en 1558, contre deux antitrinitairei italien*.
La Saint-Bar th'elemy et Genève. Etude historique. 131 pages in-4°, 1879 . . Fr. 5
Le mémoire est suivi de quarante-deux documents inédits.
(IKNKVK. — IMl'RIMlîRIK CENTRALK (lENEVOISK, RUE OU RHÔNE
m.^ 3482TC,. ^ w ■ - --^^
Princeton Theological Seminary Libraries
012 01355 7
54