GEORGE PEELE
( 1 558- 1696?)
GEORGE PEELE
(1558-1696?)
PAR
P. H. CH EFFAUD
Agr£g6 d 'anglais
Ancicn Eleve de 1'Ecolc normale sup4rieui
" When the wjoe u neete there
needeth no Ivie-bu»h. Th« right coral
oeedeth no colouring Where the matt
er itself bringeth credit, the man
with liit glote winneth small comm
endation ".
(l.riT Euphaet )
PARIS
LIBRAIRIE FfiLIX ALCAN
O8, BOULRVARD 8 A I K T - C E R M A I N , Io8
Tom droiU d« traduclion rt de reproduction r^»erve«.
/ft
CS
A MES PROFESSEURS
HOMMAGE RESPECTUEUX
/ I
GEORGE PEELE
INTRODUCTION
Les questions d'ordre g£n6ral que soulfcve une
6lude de Peele ont 616 d6j& trait6es par tous les cri
tiques : Ward, Jusserand ou Schelling, qui se sont
donn6 pour tAche de vulgariser le drame 61isab6thain.
Les relations du dramaturge et de son epoque, ses
rapports avec les auteurs contemporains, la simi
litude de leur mode de vie, les caracterisliques com
munes de leurs ouvrages, — tous ces points ont 6t6
inggnieusement mis en lumifere ; et 1'objet de nos
recherches s'en trouve d'autant restreint. Nous nous
proposons simplement de faire ressortir les traits dis-
tinctifs de la personnalit6 et de Toeuvre de Peele, et
nous nous efForgons d'atteindre ce but parl'examen des
quelques documents accessibles, et l'6tude du texte.
Dans la partie biographique de noire travail, nous
n'avons ajout6 que peu aux faits connus : nous nous
GHEFFAUD. 1
2 GEORGE PEELE
sommes attaches surtout a rapprocher et coordonner
des renseignements jusqu'ici disperses, et a Stayer
les hypotheses auxquelles leur coordination nous
amenait au moyen d'informations tiroes des ecrits
memes.
La seconde partie de notre essai est consacr6e a
ime revue critique des pieces et poemes, et a la
discussion des questions connexes : etat du texte,
date de composition, etc. Nous avons enfin recherch6
les sources de chaque drame, aussi consciencieu-
sement qu'on 1'avait tent6 jusqu'ici, et avec plus de
succfcs, croyons-nous, dans le cas de T ' Arraignment
of Paris ' et de i David and Bethsabe '.
Notre 6tude de Foeuvre de Peele se limite, d'ail-
leurs, aux productions qui sont ind6niablement
siennes. Les pieces qu'on lui a attributes, en totality
ou en partie, tripleraient le nombre de celles qui ont
trouv6 place dans les editions de Dyce ou Bullen. Une
liste complete comprendrait : ' Jack Straw ' ; i Wily
Beguiled ' ; 4 The Wisdom of Doctor Doddipol ' ; l A
Knack to Know a Knave ' ; ' Alphonsus Emperor of
Germany ' ; c Locrine ' ; ' Edward III ' ; 4 The Taming
of a Shrew ' ; l The Troublesome Reign of King
John ' ; ' The True Tragedy of Richard III ' ; le
1 Richard III ' shakespearien ; le premier ' Henry VI ' ;
1 The First Part of the Contention between the Houses
of York and Lancaster ' et ' The True Tragedy of
Richard Duke of York ', sur lesquelles se fondent le
second et le troisifcme .* Henry VI ' ; la premiere ver-
INTRODUCTION 3
sion de c Romeo and Juliet ' et c Titus Andronicus '.
line discussion d6taille*e de I'authenticite' de chaque
drame nous entralnerail, — surtout dans le cas des
pieces shakespeariennes, — a une enqu&te fastidieuse
et lente, trop souvent etrangere a noire sujet. Nous
espe>ons seulement que notre <Hude des oeuvres indis-
cutables contribuera a la solution des questions liti-
gieuses, dans la mesure od elle remplira sa fin, et
mettra au jour les traits saillants du style et de la
versification du poete, son choix d'images, et sa
m^thode g6n6rale de pens6e.
Parmi les oeuvres authentiques du dramaturge,
nous ne saurions compter * Sir Clyomon and Sir Cla-
mides ', pifece de folk-lore romanesque, que Dyce lui
assigna sur la seule foi d'une note manuscrite, trou-
ve"e dans un vieil exemplaire. l Sir Clyomon ' est
maintenant, d'un commun accord, rejete du canon
de Toeuvre peelienne. Le vers de sept pieds, le dia-
lecte dans lequel s'expriment les personnages rus-
tiques, la surabondance diversions grammaticales,
le vocabulaire archa'ique, tout indique la main d'un
auteur ant^rieur a Peele, - - que ce soil Richard
Bower, Richard Edwards ou Thomas Preston. Qui-
conque prendra la peine d^tudier la piece la rangera
sans hesitation parmi les apocryphes peeliens et
approuvera la limitation de nos recherches a 1' 4 Ar
raignment of Paris ', la l Battle of Alcazar ',
1 Edward I ', 1' l Old Wives Tale ', et ' David and
Bethsabe '.
4 GEORGE PEELE
Ces recherches, remarquons-le enfin, sont quelque
peu entrav6es par F absence d'un texte bien 6tabli.
Au cours des derni&res ann6es, sans doute, on apubli6
avec grand soin une ou deux Editions de pieces s6pa-
r6es ; mais il nous faut encore consulter le plus sou-
vent le texte modernist, aux variantes incomplfctes,
de Dyce ou de Bullen. Peut-etre ce d6faut d'une Edi
tion vraiment critique provient-il de la tardive recon
naissance des m Writes litteraires de Peele, — due
elle-m^me a Tattitude d^pr^ciatrice de Charles Lamb
a son 6gard. Quelle qu'en puisse ^tre la cause, nous
ne doutons pas, cependant, que Peele ne reprenne
tot ou tard sa place parmi I'int^ressant groupe de dra
maturges qui illustrfcrent la p^riode pr6-shakespea-
rienne.
LA VIE DE PEELE
(1558-4596?)
La premifcre tentative faite pour Scrire une biogra-
phie de Peele ne remonte « | u ' ,'i 1 691 , un sifecle presque
aprfes sa mort. La brifcvete des quelques lignes que
Wood lui consacre alors dans ses l Athenae Oxonien-
ses' ne saurait, dans ces conditions, nous surprendre.
Les sources d'informationauxquelles un contemporain
eut puis6 Staient d6jt\ taries, et I'activite de Wood se
trouvait ngcessairemen t rSduite h coordonner les quel
ques fails que pouvaient lui fournir de consciencieuses
recherches dans les archives d'Oxford ou chez les
libraires de Londres.
Le soin qu'il apporta h cette tAche ingrate estd'ail-
leurs si manifeste qu'aujourd'hui encore ses notes
concises r£sument, ou peu s'en faut, tout ce que nous
savons de noire auteur1. Les efforts de critiques plus
modernes, — Dyce, Lammerhirt, ou Bullen, — n'ont
iiliculi. en somme, qu^ red^couvrir les documents
sur lesquels se fondait le vieil 6rudit, et, si quelques
4. Wood. Athenae Oxonienses. ed. Bliss, vol. 4. col. 688.
6 GEORGE PEELE
details comple'mentaires ont e~te" mis au jour, si quel-
ques traits ont e"te" ajoutes ca et la, Fesquisse que
nous pouvons tracer de la vie de Peele n'est guere
plus fouille"e que la sienne.
Le hasard, pourtant, nous a fourni des rensei-
gnements qu'il lui avait refuse's sur la famille et Fen-
fance du dramaturge. De*couverte d'ailleurs assez
r^cente, et due a la publication par M. Lockhart, en
1876, d'une liste de boursiers de Christ's Hospital et
de divers extraits du Court Book de la fondation '.
Quelques-uns de ces extraits nous montrent en James
Peele, — le pere de Fe"crivain, — un respectable
citoyen de Londres, membre de la corporation des
sauniers, occupe" de 1562 a 1585 a tenir les livres de
FHopital. George et James sont les seuls de ses
enfants que le Court Book mentionne, mais les re-
gistres de paroisse de Christ Church, Newgate, nous
apprennent, outre le nom de safemme, Anne, Fexis-
tence de trois filles, Anne, Isabel et Judith, respec-
tivement marines en 1565, 1568 et 1575 2.
4. A. W. Lockhart. List of University Exhibitioners from Christ's
Hospital. 4566-1875. London. 4876.
2. 11 est assez curieux de remarquer qu'aucun des critiques de
Peele n'a songe a consulter les registres de Christ Church, Newgate,
— la paroisse dont Christ's Hospital avait dependu des sa fonda
tion. Ces registres contiennent pourtant d'interessants details.
Le plus important est le remariage de James Peele. Sa premiere
femme, Anne, mourut en 4579 (v. Deces. 'July 4 4580 (= 4579)
Anne, wife of Jeames Peale '.), mais le veuvage de James fut, en
somme, assez court, si nous en croyons la meme source d'infor-
mation (v. Mariages. Nov. 3 4584 (— 4580) Jeames Peelle, dark of
the hospitall, & Christian Widers). — Du premier lit naquirent,
outre George Peele, Jeames Peele en 4563 (v. Baptemes. ' 4563.
LA VIE DE PEELE
De ces cinq enfants, George seul nous interesse.
Une tradition, ge"ne>alement admise, veut qu'il soil
n6 en Devonshire; mais rien n'en prouve la vSracite",
et elle semble reposer toute surle fait, -- assez peu
probant, — que Peele fut immatricule* a Broadgates
Hall, le college favori des Studiants de Somerset
et de Devon. A d6faut d'autre ISmoignage, il nous faut
renoncer a Stablir le lieu pr6cis de sa naissance, et
nous contenter d'en fixer la date a 15581.
Qu'il ait, du reste, vu le jour dans un comt6 de
Touesl ou dans la cite", ses premieres ann6es, nous
en sommes surs, s'6coulerent a Londres; et nous le
voyons des 7 ans 6peler ses premiers mots a l'e*cole
de Christ's Hospital.
L'Hdpital, en effet, fond6 pour servir d'asile aux
Jan.3Jeames, son of Jeames Peele), Judith Peele, marine en 1575
(v. Manages.' 1576 (=1575) May 19. John Jackman, grocer, &
Judyth Peele, the daughter of Jeames), et probablement Anne et
Isabel Peele, dont les noces sont consignees dans les memes listes
(v manages. ' 1566 (= 1565) May 14. John Alford & Anne Peele '•
_ i569 (= 4568) Feb 5. Mathew Shakspere & Isbell Peelle). Ajou-
tons que, comme M. Challoner Smith 1'a prou\6 dans le 4 Genea
logist' (Av. 1896) les dates des mariages (de 1558 4 1584) et des
d6ces (de 1555 a 1581) doivent dtre antidat^es d'un an, — ce que
nous avons fait dans chaque cas. — Les regislres de Christ Church
nous donnent encore la date precise de la mort de James Peele
sen', (v. Deces 'Dec. 1585. Jeames Peele, dark of the Ospy tall) ;
et il est interessant de decouvrir dans la collection de ' Marriage-
Licenses * publiSe par la col. J. L. Chester que la seconde femme
de James se remaria a son tour. " Boswell Ralph of St-Chris.
topher-le- Stock, London, haberdasher, & Christian Peale, widow,
of Christ Church, Newgate, London, relict of James Peale, late of
same, salter. Gen. Lie. 21 May 1590".
1 . Une deposition devant le tribunal de T Universite d'Oxford que
nous citons p. 15 repr£sente Peele comme ag6 de 25 ans en 1583,
et il devint aise" de deduire de ce document la date exacte de sa
naissance.
8 GEORGE PEELE
orphelins etfils de pauvres, s'elait dksle debut adjoint
une 6cole, que fr^quentaient, au temps de Peele,
deux classes differentes d'enfants: les " Howse Chil
dren" ou membres de la fondation, et les " Town
Children", subdivis6s eux-memes en 61eves payants
et en boursiers (u pupils without bills"). Tout porte
a croire que George, fils du comptable de la maison,
£tait au nombre de ces derniers, et qu'il jouissait
m&me de certains privileges, parmi lesquels des dons
de livres semblentles plus importants1.
Son sejour a l'6cole de Christ 's Hospital se pro-
longea, en tout cas, jusqu'en Mars 1571/72, et nous
pouvons assez ais6ment y retracer le cours de ses
eludes. Apres avoir appris ses lettres sous la ferule
des u Schoolmaisters for the Petties (ou Petites)
ABC ", il regut de son propre pere ses premieres
legons d'£criture et d'arithmeHique 2, et quitta enfin
les classes primaires (" Lower Skole ") pour les
classes secondaires (u Upper Skole "). Le " Court-
Book " nous a conserv^ le nom de son professeur
d'alors: Ralph Waddington, et nous apprend de plus
1. " 26 Oct. 1565. James Peele Clerke is alowed bokes by order
of the Gouv'nors for George his sonne who is in the Gram Skole,
so farreforthe as he be diligent in his learning and honyst at the
Gounors plesure " et : " 10 March 1570. James Peele was grannted
for George his sonne soche bokes as from tyme to tyme he shall
nede duringe his abode here in the gram skole according to the
judgement of the Skole Mr ".
2. Les livres de 1'flopital nous permettent d'affirmer que le pere
de Peele remplissait, outre les fonctions de comptable, celles de
maitre d'ecriture. Dans la liste destraitements, son nom apparait
en face d'une somme, assez minime, de £ 10.
LA VIE DE PEELE
que Ralph etait, - - outre directeur de
< alechiste de 1'hdpital. C'est la un fait digne d'atten-
tion. Des les premieres ann6es, les gouverneurs de
la fondation s'6taient appliques a donner aux enfants
dont ils prenaient a leur charge I'Sducation, un ensei-
gnement religieux et moral des plus stricts; et Tesprit
de rigidit^ qui 6tait celui de leurslegons dut faire sur
Peele une impression durable, — seule capable d'ex-
pliquer un trait caract6ristique de ses 6crits: leur Ion
moral. " Proba est pagina, vita lasciva n £crit Bullen,
faussant inge"nieusement un vers de Martial ; et cette
citation, plus 6pigrammatique que vraie, contient pour-
tant sa part de ve>ite\ II est bien Evident que Peele ne
sut, et ne put jamais r6gler int^gralement sa con-
duite sur les principes de severe morality dont ses
jeunes ans avaient 6t6 imbus, mais il ne cessa jamais
de les regarder comme un noble idtfal, digne d'&tre
platoniquement ch6ri etparfois6l6gammentexprime\
Peut-^tre m6me eut-il tent6 de les mettre en pra
tique, s'il fut reste plus longtemps sous Tinfluence
directe de Waddington ; mais son envoi a TUniversit^,
a quatorze ans a peine, en d^cida autrement. Get envoi,
dti reste, 6tait une faveur, - - faveur que les gouver
neurs n'accordaienl qu'aux plus intelligents de leurs
Sieves ; et nous pouvons voir un t^moignage de
pr6cocit6 dans la minute qui mentionne son depart
pour Oxford le 29 Mars 1 571/72 !.
4. V. "1571. March 29. Horses ii, by order of this court was
10 GEORGE PEELE
Les frais qu'y occasionna son sejour furent evidem-
ment, quoique nous n'en ayons pas la preuve formelle * ,
supports par ses anciens maltres, el il dut en outre
recevoir d'eux, comme tous leurs boursiers d'alors,
une pension de " xnd weeklie "et tous les livres dont
11 declara avoir besoin.
Cette aide, nous le verrons, lui fut retiree en 1579,
mais il avait d6ja, a cette date, parcourules diverses
Stapes universitaires, et il nous est possible, grace
aux archives 2, de le suivre a chaque stade successif
de sa carriere acad^mique. D'abord 6tudiant a
Broadgates Hall, comme le prouve une liste dresse"e
hired for the convainge of Edward Harris, one of the childuren of
this House, to Oxford, what tyme George Peele, sonne of Jeames
Peele clerk of this Hospitall went thether also ".
1. Le document suivant pourrait, a la rigueur, etre regarde
comme une preuve de ce genre: "June 15. 4577. James Peele
clerk of this house being a suter for somewhat towrarde the charges
of his sonne George who is now uppon goinge forthe Bachelor of
Arte, wheruppon he is grannted the sum of fyve pounde, that is
iii £ now at this present and xls. against Lent next what tyme the
same his sonne is to fynishe the same degree ".
2. Les documents relatifs a Peele se trouvent dans deux registres :
le premier ' Matriculation Register ' (Univ. Oxon. Arch. P) et le
1 Register of Convocation & Congregation ' (KKq), qui contient les
noms des gradues et la date d'obtention des grades, d'Avril 4564
a Septembre 4584. — Le ' Matriculation Register' est un epais
folio de plus de 380 pages, divise en plusieurs chapitres, — un
par college ; mais il faut remarquer que les listes d'etudiants qui
viennent en tMe de chaque rubrique ne sont point des listes
d'immatriculation. L'habitude de les traiter comme telles n'a con
duit qu'a des erreurs. En realite, elles enumerent simplement les
noms de tous les membres des colleges inscrits sur les livres a
une date determinee, differente pour chaque college. La premiere
liste, celle de Christ Church, est datee 4564/65 etl'on alongtemps
assigne cette date a toutes les autres. Mais une comparaison avec
le registre de degres montre la faussete de cette assignation, et
la liste de Broadgates Hall, par ex., ne remonte qu'a 4572-73.
LA VIE DE PEELE 11
en 1572/731, il obtint I'annSe suivante une bourse
deludes a Christ Church College, dont le Hall n'etait
guere qu'une dSpendance, et devint Bachelor of Arts
le 12Juin 1577. La date peut surprendre tout d'abord,
- ce grade s'acqueYant d'ordinaire apres quatre ans
de residence ; mais le retard est justifte par une
circonstance fortuite: I'6pid6mie de peste qui 6clata
en 1576/77 et entratna la dissolution temporaire des
colleges. Et si, par contre, Peele dut ^courier d'un an
la pe>iode deludes habituellement requise pour
1'obtention de la mattrise *, ici encore Tanomalie
apparente s'explique par un accident ind^pendant de
sa volonl6. Une grave maladie de sa mere Tobligea a
demander une dispense, qui lui fut -- le Registre de
Convocation en fait foi1 — imm^diatement accorded,
1. Broadgates Hall < 1572 > P. fol. 489
(Aula Lateportensis) (Aula Latarum Portarum)
49. Peele G.
2. Les references & Peele dans le Registre de Convocation sont
assez nombreuses, et, lorsque rapprochees, se competent Tune
1'autre: " Pele (Peele) George; adm. B.A. 42 June 1577; det.
1877/78; suppl. M. A. 2 June, lie. 6 July 1579, inc. 1579. La pre
miere minute, relevge dans une liste d'etudiants •• admissi ad
!••( lionem alicujus libri logices " prouve que le degr6 de Bachelor
of Arts lui fut confere en Juin 1577 ; la seconde qu'il le compieta
en prenant part aux argumentations appel£es * determination ',
— argumentations qui prenaient place au cours du car£me suivant
1'admission. — Les references au grade de Master of Arts sont simi-
laires: la premiere mentionne le jour ou Peele <4 supplicated",
c. a d. ou il demanda a l'Universit6 la permission de prendre son
degre*; la seconde nous apprend la date & laquelle il fut " licen
sed ", c'est-a-dire admis au litre de Maltre ; la troisieme enfin nous
montre qu'il acquit definitivement ce litre par sa participation aux
disputes scolastiques, nommees '* inception".
2. Dans une liste de dispenses, nous trouvons le nom de Peele,
suivi de ces quelques mots latins: u necessario avocatus, in Aca-
demia diutius commorari non potest. " Ce document est date du
12 GEORGE PEELE
et lui permit de quitter rUniversite", le 2 Juin 1579,
pour assister aux derniers moments d'Anne Peele.
Pendant sept longues amides, il avait v6cu dans un
milieu dont les tendances 6taient, et de beaucoup^
moins rigides que celles de Christ 's Hospital.
Oxford traversait, a cette 6poque, une crise d'inertie
morale et intellectuelle1, due a la fois a 1'adminis-
tration trop peu rigoureuse des colleges, a la negli
gence des tuteurs et autres autorit6s universitaires,
et a I'accroissement graduel d'une nouvelle classe
d'6tudiants, — fils de famille riches, gais, bruyants,
debauches, plus disposes a rechercher le plaisir que
1'etude. Peele lui-meme fut-il, cependant, affect^ par
Fatmosphere de relachement moral dans laquelle il
vivait? La question ne souffre pas de reponse precise.
Tout au plus pouvons-nous affirmer que la richesse
de ses Merits en allusions classiques, en citations
d'Ovide, de Se"neque, et d'autres, prouve qu'il apporta
moins de zele a F£tude de la logique et de la philo
sophic qu'a celle, — plus agreeable et plus riante, —
de la po6sie et de la fable antiques. II jouit d'assez
bonne heure, en tout cas, d'une certaine reputation
2 Juin 1579. La mort d'Anne Peele suivit de pres, — fin juin (v.
n. 2 p. 6), et George retourna immediatement a Oxford pour y
prendre son degre le 6 juillet (v. note precedente).
1. Les contemporains sont unanimes sur ce point; consulter
par ex. : 4 Leicester's Commonwealth ' (lre ed. 1584): (ed. Bur-
goyne p. 97-100); Lyly. (ed. Bond, vol I. 273-276). Strype. Life and
Acts of John WhitgifL Oxford 1822. 3 vol. i. 610-12. Annals
of the Reformation ii 390-394; Harrison. Description of England.
Bk ii. ch. 3. p. 777-8 ; Wood. History and Antiquities of Oxford ii.
184; etc., etc.
LA VIE DE PEELE 13
de poete, et composa, avant son depart de 1'Univer-
site\ un long pofeme narratif: le 4 Tale of Troy \ et
une Iphig6nie adapted d'Euripide. De ces oeuvres de
jounesse la premiere seule nous est parvenue1, mais
nous trouvons trace de la seconde dans quelques vers
Lit ins du Dr Gager 4 in Iphigeniam Georgii Peeli
Anglicanis versibus redditam '*.
Parmi 1'amas de louangeshyperboliques que I'amiti6
lui inspire, deux vers me>itent d'attirer notre atten
tion:
Oxoniae fateor subitum mirabar acumen,
Et tua cum lepidis seria mista jocis.
Us nous laissent entrevoir un agr6able compagnon,
au caractere aimable, conciliant, a Tesprit vif, au
rire et a la plaisanterie faciles, capable pourtantd'une
discussion se>ieuse, mais plus enclin peut-6tre a
participer aux distractions qu'aux cxercices scolas-
tiques de FUniversitS.
Ais6e, plaisante, libre de soucis, telle nous devinons,
la vie de Peele a Oxford, — et cependant, quelque
1. Encore n'en avons-nous que la version, probablement revised,
publiee en 4589 a la suite du ' Farewell to Norris and Drake '.
2. " Aut ego tc nimio forsan complector amore, »«d quia. si similes dignemar iaude labores.
ant tut sunt aptis carmina scripU modis. quicquid id «s(, mento vmdicet iste liber.
Nomen amicitiae non me pudet usque fateri; Ergo si quicquam, quod parrum est, carmine possim,
nee si forte relim. dissimulare qu«o. si quid judicio detur, amice, meo,
Oxonin fateor sobitnm mirabar acumen, cumque tui nimio non sim deceptus amorc,
et tua cum lepidis seria mista jocis. haec tua sunt aplis carmina script* modis.
Haec me suasit amor, sed non ego crednlni ilh ; Vireret Ennpides, tibi *• debere putaret,
nee tibi plus dabitur quam meraisse pnt«m : ipsa tibi grates Iphigenia daret.
«t foraan jussit. sed non quia scribere jnssit, Perge, precor. priscos devincire poeUs
in laudes ibit nostra Thalia tuas ; si priscis. facile gratificere novis ".
Suit un second poeme, aussi 61ogieux, * in eamdem ' ; mais il
n'ajoute rien au precedent, et nous jugeons inutile de le repro-
duire ici.
14 GEORGE PEELE
charme qu'il ytrouvat, il resolut d'y renoncer en 1579,
apr&s la mort de sa mere, et de s'installer pour un
temps a Christ's Hospital. 11 dut bientot, du reste,
abandonner ce dessein devant 1'insistance mise par
les gouverneurs a exiger son depart de la maison
paternelle1. Nous ignorons la raison de cette insis-
tance, mais nous sommes tenths de supposer, avec
Bullen, que les nouvelles habitudes de Peele s'accor-
daient mal avec le strict decorum de I'^tablissement.
Que la conjecture, d'ailleurs, soit ou non fondle,
nous le retrouvons a Oxford d&s la Gn de 1579, et
savons par un document officiel qu'il y sejourna
jusqu'en 15812. La se borne notre information. Rien
ne prouve, comme on Fa suggSre", qu'il enseigna pour
se procurer quelques ressources, ou qu'il tenta de se
pre"parer a une carriere libe~rale par 1'etude de la
M6decine, de la Th£ologie, ou du Droit. II est plus
vraisemblable d'imaginer qu'il se donna simplement
pour tache de developper ses dons naturels de poete
etde dramaturge et decida de ne pas quitter les rives
de Flsis avant de s'etre assur6 une place pr66mi-
nente parmi les auteurs de son temps.
Son l Arraignment of Paris ' lui donna cette place,
et, fidele a sa resolution, il se fixa a Londres, pour ne
1. " Sept. 191579. James Peele hath given his pmis to this coorte
to discharge his howse of his sonne George Peele and all other
his howsold wch have bene chargable to him, befor mychellmas
day next cominge uppon paine of the gounos displeasure, as to
their discressions shall seme convenient ".
2. Cf. la deposition de Peele devant le tribunal universitaire
d'Oxford, citee p. 15.
LA VIE DE PEELE 15
plus quitter la ville qu'en de rares occasions. Le plus
long de ses deplacements fut provoqu6, aprfcs son
manage en 1581 ou 82, par les int6r6ts de sa femme
dans une affaire de succession. Mais, venu k Oxford
pour d^poser devant le tribunal universitaire, en
mars 15831, il fut incite adiff£rer son depart par des
raisons d'un tout autre ordre. Les *4 fellows " de
Christ Church lui demandferent de monter deux pieces
la tines du Dr Gager, qu'ils pr^paraient en 1'honneur
d' Albert Alasco, — prince polonais recommand6 par
la reine aux bons soins de I'Uuiversite. Peele y con-
sentit, et Holinshed nous a laisse dans ses chroniques
un compte rendu des representations, qui semble, en
attribuer le succfes autant a la mise en scfcne qu'a la
valeur inlrinsfeque des deux drames f. Hatons-nous
1. La deposition de Pcele est & la fois curieuse en elle-mdme,
par son melange de latin et d'anglais juridiques, et interessante
par les divers renseignements qu'elle nous fournit. Elle me'rite,
a ce double litre, d'etre integra lenient reproduite :
" Testis inductus ex parte Johannis Yate super positionibus [?]
ex heris [?] juratus, in perpetuam rei memoriam exarninatus
xxix° Martii 1583, —
Georgius Peele, civitatis Londinensis, generosus, ubi moram
traxit fere per duos annos, et antea in Lniversitate Oxoniae per
novem annos, aetatis \\\ annorum, testis, etc.
Ad primum dicit esse verum, for so the executor Hugh Christian
hath confessed to UflMbponent.
Ad secundum dicit that he thinketh it to be trewe, for Home
hath tolde this deponent so.
Ad tertium dicit esse verum, for that the land descended to
this deponent in the right of his wife, and that the said Home
hath saved to this deponent that he might make his choise whether
he wold lay the band uppon the executor or the heyre of the land,
being this deponent's wife, et aliter non habet deponere, ut dicit ".
2. "He (the prince) was personally present with his train in
the hall, first at the playing of a pleasant comedy intituled Ri vales,
16 GEORGE PEELE
d'ajouter que les efforts de Peele furent justement re
compense" set qu'unvieuxlivre decomptes nousdonne
le chiffre exact des sommes qui lui furent vers6es :
" To Mr. Peele for provision for the playes at
Christchurche. xviijli
The Chardges of a Comedie and a Tragedie and a
shewe of fire worke, as appeareth by the particular
bills of Mr. Vice-Chancelor, Mr. Howson, Mr. Maxie,
and Mr. Peele 86h18s2d".
C'est la, malheureusement, le dernier des docu
ments qui nous fournisse sur la vie de Peele un
renseignement precis. De 1583 a la date incertaine
de sa mort, notre information devient de plus en plus
maigre et clairsemee, et, qui pis est, les quelques
details venus jusqu'a nous sont, pour la plupart,
justement entach6s de suspicion. Une brochure,
publi6e en 1605 environ1, — 'the Merry Jests of
George Peele'2, — pretend, il est vrai, nous donner
then at the setting out of a very stately tragedy named Dido,
wherein the Queen's banquet (with ^Eneas' narrative of the des
truction of Troy) was lively described in a marchpane pattern .
there was also a goodly sight of hunters with full cry of a kennel
of hounds, Mercury and Iris descending and ascending from and
to an high place, the tempest wherein it hailed small confects,
rained rosewater, and snew an artificial kind of snow, all strange,
marvellous and abundant" (Holinshed. Chronicles. Vol. IV, p. 508.
ed. 1808.)
1. Le permis d'imprimer date de decembre 4605 : " xiiij Decem-
bris. Frauncis Fawkner. Entred for his copie under the handes of
the wardens a booke called the Jests of George Peele... vjd ".
2. •* Merry conceited Jests of George Peele gentleman, some
times a student in Oxford. Wherein is shewed the course of hist
life, how he lived. A man very well knowne in the citie of London,
and elsewhere. "
LA VIE DE PEELE 17
une histoirc ve>idique de sa vie et nous narrer par le
menu ses fails et gestes " & Londres et en tout autre
lieu". Mais le contenu du mince quarto frustre notre
nlk'nte. Les quatorze histoires dont il se compose,
quelque joyeuses et spirituelles qu'elles aient pu
jailis parattre, frappent plut6t aujourd'hui par leur
grossieretS que par leur esprit, et portent si profon-
d6ment 1'empreinte de la tradition qu'on se prend,
des les premieres pages, & douter de leur authenticity.
L'impression qu'elles donnent, — cette impression fa-
miliere de choses dej£ lues, — se justifie, d'ailleurs,
des qu'on parcourt, fut-ce h«Hivement, les recueils de
contes du siecle pr6c6dent, et qu'on y retrouve les
m&mes avenlures narr6es avec les m&mes details.
Telle anecdote, — 4 the Jest of George Peele at
Bristow ', est adapl6e du livre des 4 Mery Tales, Wittie
Questions and Quicke Answeres' public en 15671;
telle autre, — k how he helped his friend to a supper',
- reproduit un passage des Hepues Tranches de
Villon2; telle aulre donne a Peele et & une dame
inconnue les rdles que jouent, dans les 4 Traditions'
de Thorn, Sir John Heydon et Lady Cary8. Bref, il
n'est guere d'histoire, dans tout le livre, qui n'ait 616
mainte foisdite etredite, sans autre changement
1. Lire la 1288 histoire, intitule: •• How a mery man devised
to cal people to a playe ". Cf. e*galement " Mother Bunches Merri
ment" (1604).
•1. Les Repues Franches de Villon. La maniered'avoir des tripes
pour diner.
3. Voir la quatorzieme, et derniere, anecdote, des ' Merry Jests '.
CHEFFAUD. 2
18 GEORGE PEELE
qu'un changement de nom et de lieu. Le nom ici est
celui dePeele; lelieu Londres, et quelques allusions
a la famille, a la personne, aux occupations du
dramaturge sont assez habilement introduites pour
donner au tout un air d'apparente v^riteA Mais ces
allusions memes sont trop insignifiantes ou trop impre-
cises pour prater a 1'opuscule un r6el interet biogra-
phique; et leur omission est significative dans la
com6die contemporaine qui met a la scene divers
Episodes des ' Merry Jests '2. L'auteur de la Puritaine
a renonc6 au nom m&me de Peele, et c'est sous les
traits de Pyeboard3 que nous retrouvons le pauvre
etudiant d'Oxford, r6duit par la misere, les guerres
et autres calamit6s a jouer le role ingrat de poete a
gages, de diseur de bonne aventure, ou de pur
chevalier d'industrie. Les aventures nous sont dites,
4. Les allusions biographiques se reduisent a peu de chose;
Peele, nous dit-on, avail une barbe bien fournie et de bonne taille,
une voix aux intonations feminines ; il habitait pres de Blackfriars,
dans Bankside, organisait a 1'occasion les fetes de la cite (Lord
Mayor's Pageants), et etait Fun des auteurs attitres des theatres
de Londres. Aucun de ces details ne prouve que 1'auteur des
* Merry Jests ' connut bien familierement G. Peele.
2. Comparez : i Merry Jests ', 2 et 44 et ' Puritan ' A. i. Sc. 2.
et A. 4. Sc. 2. — La date de representation de la Puritaine peut
etre fixee, grace au temoignage du texte meme. Deux personnages
de la piece, George Pyeboard et Captain Idle consultent un
almanach : " Turn over, George " dit le capitaine. — George :
June, July; here, July; that's this month. Sunday 43, yester
day 44, to day 45 ". L'habitude des dramaturges elisabethains de se
servir, en pareil cas, de 1'almanach de l'anne~e courante, est bien
connue ; et nous en pouvons conclure que la Puritaine fut jouee
en 4H06. Le permis d'imprimer est date du 6 Aout 4607.
3. 11 est juste d'ajouter que Pyeboard semble un calembour
sur le nom de Peele ; car " pieboard " et " peele " signifient tous
deux une pelle a four.
LA VIE DE PEELE 19
d'ailleurs, avec une verve et un brio pour lesquels
1'auteur ne doit rien a son original, et la pifcce a assez
d'autres mSrites pour en faire Tune des plus attrayan-
tes parmi les comedies £lisab£thaines. Mais quelque
hommage que nous devions rendre a ses qualit£s,
nous ne saurions, malgr6 tout, voir en elle une source
d'information digne de foi.
C'est la, pourtant, et dans le quarto de 1605, que
les critiques ont puis6 a 1'envi la l£gende de la vie
d6bauch6e, licencieuse, ou tout au moins fort irr6gu-
lifcre de George Peele. Mr. Saintsbury seul s'inscrit
en faux centre ce travestissement des fails, et il n'est
pas superflu de r6p6ter aprfes lui que nul t6moignage
precis ne nous permet de prendre a notre compte
1'opinion habituellement 6mise sur I'immoralit6 de
Peele, ni d'unir son nom trop 6troitement a ceux de
Nashe, Greene et Marlowe.
Les deux questions sont, d'ailleurs, connexes, car
rien ne semble avoir autant nui au credit de Peele que
sa pr6tendue mlimilr avec ce groupe. Son oeuvre,
toutefois, n'en porte que de bien faibles traces: la
seule allusion a Marlowe qu'elle contienne est un
simple hommage a son g£nie dramatique :
Marley, the Muses1 darling for thy verse,
fit to write passions for the souls below,
if any wretched soul in passion speak ;
(Hon of Gar. Prol. v. 61-63)
le nom m&me de Nashe n'est nulle part inentionn6 ;
et la parodie de quelques vers de Greene dans T 4 Old
20 GEORGE PEELE
Wives Tale ' est une marque au moins discutable
d'amitie". — Les deux ou trois documents contem-
porains g6n6ralement produits comme preuves sont
tout aussi peu concluants. Le fameux passage du
4 Groatsworth of Wit', invoqu6 par Dyce, est adressS
par Greene u to those gentlemen his quondam
acquaintance, that spent their wits in making plays " ;
le paragraphe qui se rapporte directement a Peele ne
t6moigne pas de relations fort familikres1; et enfin
les louanges de Nashe dans la preface du ' Menaphon v
laissent simplement supposer une certaine sympathie
Iitt6raire2. II semble bien que le seul lien qui ait
jamais uni Peele aux 6crivains de son temps soit leur
commune indignation contre la parcimonie des come-
diens pour qui ils composaient leurs pieces. C'est la
le sentiment qui transparait sous chaque ligne du
* Groatsworth'3, et se donne libre cours dans la page
1. " And thou, no less deserving than the other two, in some
things rarer,, in nothing inferior, driven, as myself, to extreme
shifts, a little have I to say to thee ; and, were it not for an ido
latrous oath, 1 would swear by sweet St-George, thou art unwor
thy better hap, sith thou dependest on so mean a stay ".
2. " 1 dare commend him unto all that know him as the chief
supporter of pleasance now living, the Atlas of poetry, and primus
verborum artifex ".
3. " Base-minded men, all three of you, (Marlowe, Nashe &
Peele) if by my misery ye be not warned; for unto none of you,
like me, sought those burs to cleave ; those puppets. I mean, that
speak from our mouths, those antics garnished in our colours. Is
it not strange that 1, to whom they have been beholding, is it not
like that you, to whom they have all been beholding, shall, were
you in that case that I am now, be both of them at once forsa
ken ?... Oh, that I might entreat your rare wits to be employed
in more profitable courses, and let these apes imitate your past
excellence ; arid never more acquaint them with your admired
LA VIE DE PEELE 21
du l Knight's Conjuring, Done in Earnest, Discovered
in Jest', ou Dekker 6voque les ombres des drama
turges, et nous convie £ entendre leurs plaintes, au
s£jour m&me des bienheureux. " Marlowe, Greene,
and Peele ", 6crit-il u had got under the shades of a
large vine, laughing to see Nashe (that was but newly
come to their college) still haunted with the sharp
and satirical spirit that followed him here upon
earth; for Nashe inveighed bitterly (as he had wont
to do) against dry-fisted patrons, accusing them of his
untimely death... Being demanded how poets and
players agreed now, 4 Troth ' says he l as physi
cians and patients agree, for the patient loves his
doctor no longer than till he get his health, and the
player loves a poet so long as the sickness lies in the
twopenny gallery when none will come into it " . Get ex-
pos6 de griefs, aussi justifi6 sans doute que v6h6ment,
nous donne la clef de ce bref dialogue des morts, et
explique le choix de Peele, Marlowe, Greene et Nashe
comme interloculeurs. Mais il serait oiseux de cher-
cher dans le rapprochement de leurs noms sous la
plume de Dekker une preuve quelconque d'intimite,
ou de voir dans la vigne aux larges feuilles que dScrit
1'auteur une discrete critique des penchants de Peele
pour la bonne chfere, une allusion couverte &sesexcfcs.
inventions. I know the best husband of you all will never prove
an usurer, and the kindest of them will never prove a kind nurse ;
yet, whilst you may, seek you better masters, for it is pity men
of such rare wits should be subject to the pleasure of such rude
grooms ".
22 GEORGE PEELE
Le temoignage du ' Knight 's Conjuring ' est aussi
vague et impr£cis que ceux du c Groatsworth of Wit '
et de la preface du c Menaphon', et, a defaut d'infor-
mations plus explicites, 1'oeuvre meme de Peele reste
la seule autorite d'ou Ton puisse tirer de vraisem-
blables inferences.
D'utiles suggestions sont deja fournies par 1'ordre
meme dans lequel furent composees ou joules les
diverses productions de 1'auteur, — ordre qu'on peut,
approximativement, etablir ainsi :
(Voir le tableau imprime a la page suivante).
Ce tableau, quelque succinct qu'il soil1, nous donne
une id£e, sinon complete, du moins correcte de la vie
de Peele a Londres. Nous le voyons, pendant ces
quinze annees, chercher tantot dans le patronage de
quelque noble, tantot dans le produit de ses pieces
ses moyens habituels de subsistance. L'importance
relative de ces deux sources de revenu varie d'ailleurs
avec la date. II debute, avec V 4 Arraignment of Paris '
et le c Hunting of Cupid ', sous les auspices d'une
coterie bien en cour, la coterie sidn6ienne; et la
protection personnelle de Sir Philip Sidney semble
m6me probable a qui se rappelle qu'il avait £t£,
quelques ann6es seulement avant Peele, etudiant de
Broadgates Hall et de Christ Church College. Son
nom, en tout cas, reparait souvent dans les ecrits de
4. On trouvera, dans la seconde partie de notre travail, la dis
cussion des dates assignees dans ce tableau a tel ou tel ecrit.
LA VIE DE PEELE
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24 GEORGE PEELE
notre auteur, — tou jours accompagne de quelqu'une
de ces 6pithetes que la reconnaissance sait inpirer a
un client liberalementtraite'. L' c Eclogue Gratulatory '
est, en partie, une ele*gie pastorale aux manes du
noble et bon Philisides1; 4 Polyhymnia' tresse a sa
me*moire une nouvelle guirlande d'61oges*; et louanges
sont une fois de plus rendues, dans le prologue de
T * Honour of the Garter', au g6ne"reux Sidney,
famous for the love
he bare to learning and to chivalry (v. 36-37).
Dks sa mort pre~matur6e a Zutphen, cependant,
Peele avait songe" a transfe>er son hommage litteraire
a un nouveau suzerain, et dans 1' ' Eclogue ', dans
'Polyhymnia', etc. il associa au nom de Sidney celui
du jeune Essex, laissant entendre ga et la que le
" comte trois fois honorable ", e"mule de Philisides
en courtoisie et en courage, pourrait Fetre aussi en
munificence. Nous ignorons, faute de documents,
les re"sultats pratiques de ces discrets appels, mais
aimons a croire qu'Essex se montra aussi prompt a y
repondre que le comte de Northumberland h payer,
en 1593, la de"dicace de 1' 'Honour of the Garter*. Un
1. V. ' Eclogue Gratulatory ' v. 62 sqq.
2. V. Polyhymnia v. 221 sqq.
„,.,., , .... ( master Thomas Sidney.
The eleventh couple att.lt j masler Robert Alexander.
" Thus long hath dainty Sidney sit and seen
Honour and Fortune hover in the air,
that from the glorious beams of England's eye
came streaming; Sidney, at which name I sigb,
because I lack the Sidney that I loved,
And yet I love the Sidneys that survive ".
Cf. aussi v. 108 sqq.
LA VIE DE PEELE 25
livre de pavements, relrouv6 & Alnwick Castle, nous
conserve la preuve positive de cette Iib6ralil6 :
u Delivered Mr Warnour at my Lord's appointment
to give to one Geo. Peele, a poet, as my Lord's
liberality, £ 3 ". Mais la protection de Northumberland
ne semble avoir 616 que temporaire. Peele, au milieu
de difficult^ croissantes, dut chercber ailleurs une
aide probl6matique ; et le dernier document que nous
poss6dons de sa main est une lettre h Lord Burleigh,
ou il implore humblement son patronage.
Peele, pourtant, n'avait pas toujours 616 r6duit h.
solliciter aussi obs6quieusement la g6n6rosit6 a!6a-
toire d'un patron. II avail 616, h plus d'une reprise,
le poele choisi par la Cit6 pour organiser les fftles
et les processions qui accompagnaient I'enlr6e en
fonctions d'un nouveau maire, et avail, de 1588 h
1592 tout au moins, tir6 d'appr6ciables profils de la
produclion de ses pieces sur les diverses scenes de
Londres. Le succes de sa 4 Bailie of Alcazar ' est
allest6 par les nombreuses menlions qu'en fail le
Journal d'Henslowe; celui d'1 Edward I' par la r6-
impression en 1599 du premier quarlo ; el si 1' ' Old
Wives Tale' el l David and Belhsabe1 ne furenl pas
aussi favorablemenl reQus, ils n'en apporlerenl pas
moins au dramalurge leur quole-parl de gain.
Les en-l6les des diff6renles pifeces el quelques
renseignemenls Irouv6s dans les papiers d'Henslowe
nous apprennenl que Peele 6crivil successivemenl
pour les 4 Admiral's Men ' el pour la Queen fs Com-
GEORGE PEELE
pany ', mais rien ne permet de supposer, — comme
on Pa fait, — qu'il appartint comme acteur a Pune ou
Pautre de ces troupes, ni meme qu'il parut jainais sur
la scene. On a invoqu6, il est vrai, la ' Jest of George
Peele atBristow'; mais c'est la, nousl'avons vu, une
version nouvelle d'une vieille histoire, sans autre
addition que celle du nom de Peele. On s'est autorise"
d'un autre conte, en vers celui-la, qui le repr6sente
comme un ami du come"dien John Singer, et declare
qu'ils " avaient souvent joue" ensemble a Cambridge";
mais le poeme date du rege de Charles Ier, et ne fait
que reproduire servilement, et en mauvais vers, une
anecdote des i Mery Jests and Wily Shifts of Scogin'1.
On a cherch6 enfin un argument a peine plus valable
dans la lettre suivante, qu'un myste>ieux W. P.
adressa a Alleyn, en 1588 ou 1589 environ :
u Your answer the other night so well pleased the
gentlemen, as I was satisfied therewith, though to the
hazarde of the wager ; and yet my meaning was not
to prejudice Peele 's credit, neither would it, though
it pleased you so to excuse it. But being now grown
farther in question, the party affected to Bentley
scorning to win the wager by your denial, hath now
given you liberty to make choice of any one play that
either Bentley or Knell played ; and lest this advantage
1. l Mery Jests., of Scogin' n° 2. What shift Scogin and his
fellows made when they lacked money, (public c. 1565). On trouve
une autre version, plus ancienne, de la meme anecdote dans un
* Sackfull of Newes' (public c. 1557.)
L\ VIE DE PEELE 27
agree not with your mind, he is contented both the
play and the lime shall be referred to the gentlemen
here present. I see not how you can any way hurt
your credit by this action ; for if you excel them, you
will then be famous : if equal them, you win both the
wager and credit; if short of them, we must and will
say, Ned Alleyn still. Your friend to his power. W. P ".
Le sens de cette lettre, bien qu'obscur, ne Test
pas assez pour nous cacher la teneur et 1'objet de la
gageure. Alleyn, aux termes du pari, s'engageait a
e*galer Bentley et Knell, — deux c6lebres acteurs
qui avaient alors cesse* de jouer, — dans un de leurs
anciens r6les ; mais il se refusait a limiter son choix
a un r6le determine* dans une piece de'termine'e de
Peele; et c'est du credit de celui-ci comme auteur
dramatique qu'il se montrait ainsi tout particulie-
rement soucieux. Si Peele, d'ailleurs, avait jamais 6t6
rival d' Alleyn sur les planches, nous aurions plus
«l'u in- fois entendu parler de son talent; mais les Merits
contemporains sont muets a cet 6gard, et le seul
document qui dSsigne nettement Peele comme com6-
dien est un faux de J. P. Collier qui le dit, — en 1589
— , soci6taire de Blackfriars Theatre et co-partageant
dans les b6neTices du dit theatre1.
Mais, loin d'avoir jamais • '•!•'• aussi florissante, la
situation de Peele fut toujours pre*caire, malgr6 le
1. Lire dans ' Lord Ellesmere's collection ' le soi-disant docu
ment, date Nov. 1589, et commencant par : * These are to certifie
your Right Honble Lordships, etc. '.
28 GEORGE PEELE
succes de ses drames. Dfcs 1592, Greene le repr^sente
comme u r6duit aux derniers expedients " (driven to
extreme shifts) de par la ladrerie des com6diens ; et
le fardeau de la misere ne semble dks lors que s'6tre
alourdi. Aux e"preuves de 1'indigence s'ajouterent
bientot celles de la maladie ; et les derniers Merits du
poete t6moignent d'un desespoir r£sign&, d'un dugout
de la vie que justifie assez ce surcrolt de misere.
" I laid me down, laden with many cares ",
e~crit-il dans 1' c Honour of the Garter' (v. 7), et le
17 Janvier 1595/96 il adresse au " tres honorable et
digne patron du Savoir, Lord Burleigh, grand tr6sorier
d'Angleterre " la lettre de supplication que nous avons
mentionn6e deja:
Salve, Parens Patriae, tibi plebs, tibi curia nomen
hoc dedit, hoc dedimus nos tibi nomen, eques.
In these terms, right honourable, am I bold to salute
your Lordship, whose high deserts in our England 's
great designs have earned large praises even from
Envy's mouth. Pardon, great patron of learning and
virtue, this rude encounter, in that I presume — a
scholar of so mean merit — to present your wisdom
with this small manual, by this simple messenger, my
eldest daughter, and Necessity 's servant. Long
sickness having so enfeebled me maketh bashfulness
almost become impudency. 4 Sed quis psittaco suum
^ai'pe expedivit? Magister artis, ingeniique largitor,
venter'. This subject wherewith I presume to greet
LA VIE DE PEELE 29
your honour, is the History of Troy, in 500 verses set
down, and memorable accidents thereof. Receive it,
noble Senator of England 's Council-house, as a
scholar's duty's signification, and live long in honour
and prosperity, as happy as Queen Elizabeth 's
gracious countenance can make you.
4 Ecce tibi minium magno pro mimere mitto;
esse potest aliquid, te capiente, nihil*.
Your Honour's most bounden. George Peele ".
Cette lettre fut de*couverle, parmi les papiers de
Burleigh, dans un rouleau de notes sans inte'rftt, —
menaces, insultes, satires, ou simples fadaises; et il
est difficile, dans ces conditions, d'imaginer que la
demande de Peele fut jamais accueillie. Un secours
de Burleigh n'eut d'ailleurs apport6 qu'un bref soula-
gement aux souffrances et a 1'indigence dans les-
quelles ses derniers jours s'6coulerent. La mort y
mit bient6t un terme, - - comme nous 1'apprenons
incidemment de Meres dans son l Palladis Tamia'
(1598)1; — mais son d6ces passa inapergu, et nous
ne pouvons que par conjecture identifier Peele le
dramaturge avec le George Peele dont le d6cfcs est
mentionn6, dans les registres de St-James Clerken-
well, le 9 Novembre 1596*.
1. "As Anacreon died by the pot" " 6crit Meres" so George
Peele by the pox " ; mais ces quelques mots ont plutdt i'air d'un
grossier concetto alliteratit que de Tenoned ve>idique d'un fait
exact.
2. St-James Clerkenwell. Liste d'enterrements: " Nov. 91596
George Peele, householder ".
L'OEUVRE DE PEELE
Les Merits de Peele peuvent, nous le verrons, etre
date's avec quelque certitude ; et nous laisserions
volontiers a un examen strictement chronologique de
son oauvre le soin de re>e"ler dans quel sens et sous
quelles influences se forma et se de"veloppa son talent.
Une distinction s'impose, pourtant, entre les deux
classes de productions : drames et poemes, qui
portent son nom ou la trace inde*niable de sa main.
Les poemes sont, a une ou deux exceptions pres, des
pieces de circonstance, de dates fort diff6rentes sans
doute, mais inspires par des incidents identiques —
processions, tournois et autres rejouissances — ettou-
jours empreintes du meme caractere. Les drames, par
contre, Merits les uns pour le divertissement royal,
les autres pour la scene populaire, pr6sentent dans
leurs structure, motifs, style et versification assez de
varie~t6 pour encourager 1'hypothese d'une Evolution.
D'une elude d6taill6e de chaque piece depend le
succ&s de nos efforts pour degager et mettre au point
L'CEUVRE DE PEELE 31
cette hypothfese; les pofcmes, — en raison m&me de
leur uniformity, — ne font que dissiper <$ et \h
I'obscuritS de quelque point secondaire ; et nous nous
sentons justifies k en reporter 1'analyse et la discussion
aprfcs examen des oeuvres dramatiques de notre
auteur : T 4 Arraignment of Paris ' et le fragmentaire
4 Hunting of Cupid ', la l Battle of Alcazar ' et
4 Edward I', 1' 4 Old Wives Tale* et, enfin 4 David
and Bethsabe*.
LA MISE EN JUGEMENT DE PARIS*
L* 4 Arraignment of Paris' est la plus ancienne de
ces pieces, la premiere & 1'impression comme h la
scfene. Elle fut publtee en 1584 par Henry Marsh,
sans nom d'auteur. Mais le secret de 1'anonyme nous
est r6v6l6 dfes 1589 par Nashe, dans la preface qu'il
6crit pour le 4Menaphon' de Greene: l4 Neither is
[Master Spenser] the only swallow of our summer'*
dit-il 4<and Peele's first increase, the Arraignment
of Paris, might plead to your opinions his pregnant
dexterity of wit and manifold variety of invention,
wherein (me judice) he goeth a step beyond all the
rest ". Et nos derniers doutes sont dissipSs par rattri-
bution £ George Peele dans l England's Helicon *
(1600) de deux extraits de T 4 Arraignment', — le
madrigal de Colin (A. iii. Sc I. v. 1 sqq) et la com-
plainte d'OEnone (A. iii. Sc I. v. 74 sqq.)
32 GEORGE PEELE
La representation de la piece fut, sans nul doute,
ante>ieure de quelques anne"es a sa publication. * La
Mise en Jugement de Paris ' appartenait, si nous en
croyons le titre du quarto, aux " enfants de la Cha-
pelle royale" ; et quelques vers du dernier acte nous
apprennent qu'elle fut jouee le soir m6me d'une nou-
velle annexe, c'est-a-dire, au temps du calendrier
julien, un dimanche Gras :
The usual time is nigh,
when wont the Dames of Life and Destiny,
in robes of cheerful colours, to repair
to this renowned quen so wise and fair,
with pleasant songs this peerless nymph to greet
(V. i. v. 113 sqq.)
Or les enfants de la Chapelle Royale, nous le
savons par ailleurs, parurent pour la derm'ere fois a
la cour en Aout 1582 (St. Stephen's day). C'est done
avant cette date que F ; Arraignment of Paris ' dut
etre jou£, et quelques critiques ont cru retrouver la
trace de sa representation dans cette minute des
•Accounts of the Revels' (1581).
The children of
the Queenes majs-
tics Chappell
A storie of enacted on Shro-
vesondaie night wherin was ymployed
xvij newe sutes of apparell, ij new
hates of velvet xxtle Ells of single sar
cenet for facinges bandes scarfes &
girdles, one citty. one pallace and
xviij paire of gloves.
Mais les decors 6nume>6s dans ces quelques lignes
respondent mal aux besoins de notre pastorale, et
L'OEUVRE DE PEELE 33
Tappellation la storie of serable, en outre, assez
inadequate. Nous pr6fe"rons croire que T * Arrai
gnment* est Tun des " divertissements " ainsi men-
tionn£s dans la liste de payements (Nov. 1581.
Oct. 1582):
41 Declaration of the Chardges... for Vplayes, twoe
maskes and one fighting at Barriers with diverse
Devices showed before her Majestic... with other
ordinary Chardges... (beginning) the first day of
November 1581 and endinge the last day of Octo
ber 1582";
et notre croyance s'affermit lorsque nous voyons
figurer dans ces comptes un achat de " fleurs, fruits
et branchages", — accessoires qui nous rappellent
ine'vitablement les attributs de Flore, Pomone et
Sylvain dans notre piece.
Mars 1 582 semble ainsi , plut6t que Mars 1 581 , la date
vraisemblable de la representation. Quoi qu'ilen soit,
d'ailleurs, la l Mise en Jugement de Paris ' n'en reste
pas moins la premiere oeuvre de longue haleine d'un
jeune poete de quelque vingt ans; et, si l'6le*gante
composition plie sous les eloges trop pesants de
Nashe, il fautadmettre qu'elle t6moigne, — en d6pit
dequelquesde*fauts, — d'une maturity degout,etd'un
sens d6ja fort averti des choses du theatre. Fort
heureuse est la comparaison qu'en fait Bullen a un
jardin d'autrefois, curieusement dessin^, et tout par6
des dons de T6t6 ; et nous craignons seulement que
notre analyse ne soit aussi impuissante a en conserver
GHKFFAUD. 3
34 GEORGE PEELE
le charme qirun plan de ce vieux jardin a e>oquer,
avec quelques lignes noires et quelques taches
d'encre, la couleur des plates-bandes diapre~es et la
grace des fleurs fralches ^closes.
Apres un prologue ou la deesse a la pomme, —
At6, — prMit en vers farouches la Iragique destine~e
de Paris et de sa race, les dieux rustiques de Flda:
Pan, Sylvain et Faune apparaissent, courbe's sous le
poids des presents qu'ils destinent, comme marque
de bienvenue, a Junon et a ses compagnes. Pomone
les rejoint, les bras charge's de fruits odorants, tout
dor6s de soleil; et Flore seme de fleurs les prairies
humides de rose"e. Bientot les chants des neuf Muses
et un joyeux choeur d'oiseaux annoncent 1'approche
des trois deesses. Elles arrivent, guid6es par Rhanis,
consentent aimablement a recevoir les dons des divi-
nite"s champetres, et reprennent leur route vers les
pelouses e'toile'es de fleurs de Diane chasseresse. —
Dans un bosquet voisin, Paris et OEnone echangent
de fragiles serments d'e'ternel amour, et OEnone
murmure sa joie et ses craintes en une melancolique
chanson qu'accompagne doucement Paris sur ses
pipeaux enduits de cire.
Un soudain orage a, cependant, forc6 les dresses
a chercher abri sous quelques chenes touffus, et, a la
faveur des te~nebres, At6 fait rouler a leurs pieds la
pomme d'ordont 1'inscription fatale 6tincelle: u Detur
pulcherriniffi". Pallas, V6nus, et la Reine des Dieux
revendiquent sur 1'heure le prixde la beaut6, et, inca-
L'OEUVRE DE PEELE 35
pables de r£gler a Tamiable leur difFe"rend, s'accordent
pour en remettre 1'arbitrage au premier homme que
leur fera rencontrer le hasard. — C'est P&ris que,
pour son malheur, le destin conduit en ce lieu. Con-
fondu tout d'abord, et effraye*, il tente de d6clinerla
l<\che; mais les dresses le pressent et le supplient,
et, quand enfin il cede, s'efforQent par des presents
d'influer sur sa decision. Junon lui promet pouvoir et
richesses, et fait crottre h. ses yeux un arbre d'or tout
couvert de couronnes et de diademes. Pallas s'efforce
d'exciter en son £me le d6sir dela gloire par un de"fil6
de chevaliers aux armes e"tincelantes, qui caracolent
devant lui au son aigu des fifres. Mais V6nus, enfin,
6voque HSlene dans toute sa beaut^, e*vent6e par de
roses Amours, et P&ris, vaincu, tend h laCyth6reenne
le fruit convoke", tandis que ses rivales s'e"loignent,
menaQantes et courrouce*es.
Le malheur s'est maintenant abattu sur les vallons
paisibles de 1'Ida. Colin chante et deplore son amour
sans retour pour Thestylis, et s'en va mourir aux
pieds d'Aphrodite ; ses compagnons en bergerie,
Hobbinol et Diggon, denoncent a Tenvi la funeste
passion, etleurs maledictions sont trop tot justifies
par Tapparition d'OEnone, d6laiss6e et g6missante.
Les lamentations et les pleurs dont elle remplit les
bois sont entendus. Us sont entendus par Mercure,
que Jupiter envoie, h. la requ&te de Junon, pour citer
Paris devant la Haute-Cour d'Olympe. De 1'incon-
solable nymphe le dieu au caduc6e apprend oil
36 GEORGE PEELE
d^couvrir le berger, et dirige ses pas vers les plaines
d'Aurore, vers le lieu ou Paris passe d'oisives heures
a la cour m£me de V6nus. — V6nus, en effet, daigne
lui t6moigner sa faveur, et badiner avec lui tandis
qu'elle 6coute les plaintes des bergers de 1'Ida et leur
promet de venger la mort de Colin sur Tinhumaine
Thestylis. Promesse, d'ailleurs, aussitot tenue que
faite I Devant le cercueil du pastoureau, un rustre
tortu et contrefait passe lentement, courtis6 par
rinfortune'e Thestylis, mais insensible a sa beaut6 et
a ses larmes. Ce spectacle met un grain de tristesse
dans Tame de Paris, et son trouble s'accrolt quand
Mercure lui annonce la volont6 des Dieux et ne
consent a le laisser libre qu'a la priere expresse de
V6nus.
Le jour de jugement et d'expiation est bientftt
venu, et les dieux s'assemblent dans le bosquet de
Diane. Paris, conduit par Venus, apparalt devant Zeus
etles Olympiens; e"coute, impassible, 1'accusation de
partiality ported contre lui; nie hardiment la faute,
et, par unelongue et 61oquente plaidoirie, arrache un
acquittement a ses juges. Les plaignantes main-
tenant toutefois leur appel, 1'affaire nepeutque suivre
son cours ; et c'est aux dieux qu'6choit la charge de
prononcer le d6licat verdict. Jupiter, partag6 entre
son d6sir d'etre juste et sa crainte de Junon, reste
irr^solu et perplexe; Saturne, Vulcain, et les autres
partagent son embarras et son anxi6t6 ; et Fauguste
ar6opage se r6sout enfin a renvoyer le jugement a
L'CEUVRE DE PEELE 37
Diane seule, sous le pr^texte, assez sp^cieux, que la
pomme de Discorde fut jet6e et trouv6e sur 1'herbe
grasse de ses bocages.
Prudemment la divine chasseresse lie les trois
rivales par les plus solennels serments, resume les
fails, Inonce les conside>ants, et tranche brusque-
ment la difficult^ en d^cernant le fruit d'or a la chaste
nymphe Elisabeth, dont la beaut£ 6gale la majest6
etla sagesse. Pallas, Venus, et Junon m6me, different
allegrement a sa decision ; toutrOlympe se r^concilie
pour applaudir a Theureux choix, et les farouches
Parques elles-m&mes viennent d^poser aux pieds de
la reine leur quenouille, leur rouet et leurs ciseaux
funestes.
Une aussi seche analyse ne saurait rendre justice
a la grace harmonieuse de la piece ; mais elle suffit
tout au moins a montrer sur quelles donn^es elle est
construite. Lal^gende familiere de Paris, habilement
transform6e pour la plus grande gloire d'Elisabeth,
en forme naturellement le cadre; et dans ce cadre
le poete a introduit l'6pisode, purement pastoral
et idyllique, de Tinfortung Colin et de Thestylis la
cruelle.
Nous avons ainsi deux actions, d'importance in6-
gale, adroitement combiners, mais assez aisSment
dissociables, et dont les sources sont parfaitement
distinctes. De Tintrigue principale il est facile de
retracer Forigine classique dans les H6roides d'Ovide
(5, 16, et 17); et Ton peut avancer mainte preuve
38 GEORGE PEELE
(Time constante, etparfois fort 6troite, imitation. Ce
vers, par ex. :
I '11 fill the woods with my laments for thy unhappy deed
(iii. 1.52).
ne rappelle-t-il pas imm6diatement Fhexametre latin :
Implevique sacram querulis ululatibus Idam (V. v. 53)?
Les mots d'Hobbinol:
Farewell, fair maid, sith he must heal alone that gave the wound;
there grows no herb of such effect on Dame Nature 's ground.
(iii. i. 66 sq.)
ne sonnent-ils pas comme un 6cho d'Ovide :
Me miseram, quos amornon est medicabilis herbis (V. v. 149).
ou encore :
Quod neque graminibus tellus fecunda creandis
nee deus, auxilium tu mihi ferre potes (V. v. 153-4)?
Enfin la pointe gracieusement melancolique
d'OEnone :
Beguiled, disdained, and out of love! Livelong, thou poplar tree
and let thy letters grow in length, to witness this with me.
(iii. 1.43 sq.)
et, en fait, toutes les allusions aux serments de P&ris
et au peuplier ne sont-elles pas directement tiroes de
la 5e Epitre?1 Peele, d'ailleurs, semble aussi familier
avee les traductions qu'avec le texte m^me d'Ovide,
et Dyce a relev6, dans le catalogue de 16gendes
1. Ovide. Hero'ides. V. v. 21 et suivants.
L'CEUVRE DE PEELE 39
qu'OEnone dresse (A i. Sc. 2. 17 sqq.) d'evidentes
reminiscences de la dedicace ecrite par Golding pour
sa paraphrase des Metamorphoses1. Mais il reste
encore a remarquer que le dramaturge a emprunte
quelques traits h Tun des dialogues de Lucien, le
0ewv xpt'di;* ; qu'il doit trfes prohablement Tid6e des
fastueux tableaux du second acte a 1'Ane d'Or d'Apu-
lee8, — livre auquel il aura de nouveau recours dans
4 Old Wivfcs Tale ' ; — et qu'enfin les descriptions
detaill6es des attributs de Junon, Minerve et Venus
reposent evidemment sur Tun ou Faulre des mytho-
graphes Albricius, Phornutus ou Fulgentius, dont les
ffiuvres etaient ordinairement reunies sous une mftme
reliure dans les editions du xvi' sifecle4.
Ni les aimables epltres d'Ovide, pourtant, ni les
dialogues mi-sceptiques de Lucien, ni aucun livre de
reference myihologique n'expliquent les changements
apportes par Peele a la version habituelle de la 16-
gende; et Ton fait generalement credit au pofete de
1. V. le rapprochement fait par Dyce (e"d. 1861. p. 354 n. 6)
entre 1'Arraignment of Paris (I. 2. 29 sqq) et quelques vers de
Golding.
2. Comparez, e. g. : * Arraignment of [Paris ii. i. 100-101 et
Lucien (ed. Fritzsche. Lips. 1829) xx. §1. 1. 3-6 ou 'Arraignment
of Paris iii. 1. 125-130 et Lucien (id.) xx. § 7 1. 12 et suivantes.
3. Lire toute la description de la pantomime de Paris au 10* livre
d'Apule~e, mais surtout le passage commencant par " Jam singulas
virgines... "(L. Apuleii Metamorphoseon sive de Asino Aureo liber
decimus, cap. xxxi etc.)
4. J'ai sous les yeux une Edition dat6e de 1570 qui renferme :
C. Julii Hygini fabularum liber; Palaephati de fabulosis narratio-
nibus liber; F. Fulgentii Mythologiarum libri in ; Phornuti de
natura deorum speculatio ; Albricii de deorum imaginibus liber ;
etc. Basileae. ex ofiicina Hervagiana NDLXX ".
40 GEORGE PEELE
ring6nieuse flatterie du denouement. Mr. Schelling
imagine, cependant, en decouvrir Foriginal dans
1'oeuvre de Gascoigne. Le germe de 1'adroite adaptation
du vieux conte a de nouvelles fins se trouve, d'apr&s
lui, dans ces quelques lignes d'un poeme satirique,
4 the Grief of Joy ', de~die" a la reine en 1577 :
This is the Queen whose only looks subdued
her proudest foes withouten spear or shield ;
this is the Queen whom never eye yet view 'd
but straight the heart was forced thereby to yield.
This Queen it is who, had she sat on field,
when Paris judged that Venus bare the bell,
the prize were hers, for she deserved it well.
Mais le poeme, de la confession meme de Schelling7
ne fut jamais imprime7 jusqu'a nos jours ; et il est
difficile d'admettre avec lui qu'il put etre, — en tout
ou partie, — re~cite a Peele par quelque courtisan a
la memoire fidele et tenace. Une hypothese qui
s'appuie elle-meme sur des conjectures est a peine
digne de consideration; et 1'argument de Schelling se
re~duit au seul fait que dans les vers de Gascoigne
comme dans Y ' Arraignment ' Elisabeth se trouve
libe~ralement dot6e de toute la beaute", sagesse et
majeste" des Olympiennes. La similitude de theme a,
sans doute, son inte>et, mais si nous de~couvrons le
me"me motif aussi, sinon plus, explicitement d6velopp6
dans un ouvrage imprim6, universellement connu, et
public deux ou trois ans seulement avant la piece de
Peele, n'y aura-t-il pas une presomption, une quasi-
certitude, que la se trouve Toriginal que nous cher-
L'CEUVRE DE PEELE 41
chons? Or, c'est precisSment le cas du pofcme latin
qui termine la deuxifcme partie de l'4Euphues', et
conclut un panSgyrique de 1'Angleterre, dontle pen
dant se lit au 5* acte de notre pastorale1. II semble
inutile de chercher ailleurs le prototype des flatteries
de Peele, et nous pouvons passer sans d61ai a la
discussion de I'inlrigue secondaire.
Le 1 1 1 1 • 1 1 1 « • de cette intrigue est 6videmment empruntS
au c Shepherd's Calendar' de Spenser et en est,
somme toute, si consciencieusement adapts que 1'argu-
ment de la premifcre £glogue en forme le sommaire
le plus exact: " Colin, a shepherd's boy, complaineth
him of his unfortunate love,... with which affection
being very sore travailed and finding himself robbed
of former pleasance and delights, he casteth himself
on the ground and [eftsoons dieth] ". Peele, du reste,
ne pretend nullement cacher cette dette ; il conserve,
au contraire, comme une sorte d'hommage, les noms
1. " Pallas, Juno, Venal, cum nympham nomine plenam " Jupiter. Elizabeth vestras li venit ad anres,
tpecurunt. " nostra baec" quteque triumphal " erit ". (quam certe omnino coelica tarba stupent)
Contendum avide: ale tandem regia Juno, bane propham. et memo temper volt ease monarcbam
" Eat mea, de magnis itemma pelivit avis", qiueque suam, namque est pulcbra. diserta, potens.
"Hoc leve, (nee aperno tantorum insignia patram): Quod pulchra esl. Veneris, quod polleat arte, Minervaa,
ingenio pollet ; dot mea " Pallas ait. quod princeps, Nympham quid negetesse meam 1
Dolce Venus risit, rultusque in lumina fiiit. Arbiter istius, modo vis, certain inis esto,
" Haec mea " dixit erit, namquod ametur habet. sin minus, est nullum lis habitura modom".
Judicio Paridis, com sit pralata venustas, Obstupet Omnipotent " durum est quod poscitis" inquit,
ingeniom Pallas 1 Juno quid orget avos f ". est tamen arbitrio res peragenda meo.
Hoc Venus : impatiens veleris Saturnia damni, Tn soror et conjux Juno, filia Pallas,
" Arbiter in coelis non Paris" inquit" erit". es quoque, quid simulem? ter mini can Venus.
Intomuit Pallia nunquam passura priorem. Non tua, da veniam. Juno, nee Palladia ilia est,
" Priamides Helenem - dixit " aduller amet ". nee Veneris. credat hoc licet alma Venus.
Risit. et erubuit, mizto Cytherea colore, Haec Juno, baec Pallas, Venus baec, et quaeque Dear urn,
" Judicinm " dixit " Jupiter ipse feral". divisum Elizabeth cum Jove numen babel.
Aasensere, Jovem compellanl vocibus ullro : Ergo quid obstrepitis t frustra contendilis " inquit,
incipft affari regia Juno Jorem. " ultima TOX haec est, Eliiabelba mea eat ".
Enphues
Es Jovis Elizabeth, nee quid Jove majus habendum,
et, Jove teste, Jovi es Juno, Minerva, Venus.
(Euphoes & his England, Ed. Bond, ii 216.)
42 GEORGE PEELE
memes des bergers de Spenser : Colin, Diggon,
Hobbinol et Thenot. Maint passage porte en outre les
marques de Timpression profonde que le Calendar
avait faite sur son esprit. Dans le premier et le troi-
sieme actes on entend l'6cho, faible, mais distinct,
des poemes de Spenser, et les motifs qui y sont trailed,
sinon les mots qui les expriment, t6moignent d'une
elude approfondie des e"glogues. Lajoyeuse reception
des trois dresses, avec les chants des d6H6s champ£-
tres, les hymnes des Muses avec leur 6cho d'oiseaux
gazouilleurs, rappellent a la m^moire les vers spen-
se>iens :
I see Calliope speed her to the place
where my goddess shines ;
and after her the other Muses trace
with their violins.
Bene they bay branches that they do wear,
all for Eliza in her hand to wear?
So sweetly they play
and sing all the way
that it a heaven is to hear. (April 100 sqq.)
ou encore :
And [tho] the birds, which in the lower spring
did shroud in shady leaves from sunny rays,
frame to thy song their cheerful chirruping, (June. 53 sqq).
tandis qu'un vers du chant latin des Parques, au
5e acte, paralt tir6 de cette glose d'E, K. sur la U e 6glo-
gue : " The fatal sisters, Clotho, Lachesis and Atropos,
daughters of Erebus and the night, whom the poets
feign to spin the life of man... Hereof cometh the
1
L'OEUVRE DE PEELE 43
common verse : l Clotho colum bajulat, Lachesis
trahit, Atropos occat'. "
L'6l6ment rustique, ainsi doming par 1'influence de
Spenser, se re*duit sans doute a la plus grande partie
du 3* acte; mais 1'atmosphere pastorale se glisse et
s'insinue doucement dans toutes les parties de
T ' Arraignment'. La piece se pare de tous les orne-
ii it'ii I - habituels de la tradition bucolique ; nous avons
la chanson d'amour dans le l Lover's Curse' (i. 2.
55 sqq), la m6lop6e dans la complainte d'QEnone
(iii. 1. 74 sqq.), et cette delicate babiole consacr6e
par le temps, — le poeme a 6cho — , dans le lai de
Thestylis (iii. 2. 57 sqq.), auquel Peele Iui-m6me
ajoute ing&ument cette note: " the grace of this
song is in the Shepherds' echo to her verse". Les
demi-dieux de 1'Ida, qui plus est, different bien peu
des bergers du commun; et les ameres plaisanteries
qu'6changent Pan et Faune au d6but de la piece ne
sont qu'une forme de la traditionnelle lutte du patre
et du forestier1. L'impudente or^ade du quatrieme
acte appartient a un type pastoral reconnu : celui de
la nymphe indiffe>ente et froide, vou6e au service de
Diane et a une implacable chastet6. Enfin Faction
principale n'esl, apres tout, que 1'histoire des amours
du berger Paris et d'QEnone, la nymphe rustique de
Tlda ; et Peele lui-m&me reconnalt le caractere r6el
1. Cette lutte poStique trouve son expression la plus eMSgante,
et la moins amene, dans la * Maid 's Metamorphosis', dans la scene
entre Silvio et Gremio.
44 GEORGE PEELE
de sa pifcce en la nommant, en premiere page du
quarto, u a pastoral ".
Mais cette appellation est contestee par Mr. Homer
Smith dans un article de la c Modern Language
Association Review', et par Mr. Greg dans une 6tude
plus approfondie sur la pastorale en poSsie et au
theatre. Mr. Greg, en particulier, persiste a voir dans
la ' Mise en Jugement de Paris ' ce qu'il nomme une
u pi&ce mythologique " ; et la question qu'il soulfcve
ainsi ne proc&de pas, comme on serait tent6 de le
croire, d'un pur desir acad^mique de classification.
Le changement de nom qu'il propose se rattache aux
idees directrices de son ouvrage et a la conception
qu'il se fait de Involution du drame pastoral anglais.
A ses yeux, la pifcce de Peele, etavec elle une ou deux
pieces de Lyly: 'Gallathea' and ; Love's Metamor
phosis ', sont essentiellement mythologiques et ne
renferment qu'accidentellement des 616ments buco-
liques. Elles constituent une classe a part, et prScfc-
dent la naissance du drame pastoral proprement dit,
— naissance due, d'aprfcs lui, a une imitation con-
sciente et avou6e de certains modeles italiens1. Cette
th^orie soul&ve, toutefois, d'assez graves difficult^s.
Elle amfcne a concevoir un type pur et abstrait, avec
lequel ne cadre qu'un fort petit nombre de pieces, —
trois seulement, en fait : la 4 Faithful Shepherdess '
de Fletcher, le ' Sad Shepherd' de Jonson, 1' l Amyn-
1. L" Aminta ' du Tasse et le * Pastor Fido ' de Guarini.
L'CEUVRE DE PEELE
tas ' de Thomas Randolph, — et oblige a ne voir dans
toutes les autres qu'une longue s6rie d'experiences
incoherentes. Elle passe sous silence la presence
d'eiements mythologiques dans la plupart des pieces
du genre1, et ecboue enfin dans tout effort pour suivre,
dans Thistoire de ce genre, la marche continue de
Involution. L'examen des fails aboutit a une hypo-
these assez differente de celle que formule Mr. Greg.
Le drame pastoral, nous le croyons, naquit d'une
transformation graduelle du poeme bucolique pr6-
existant ; et la 4 iMise en Jugement de Paris ' nous offre
un exemple caracteristique du processus. Nous avons
vu a quel point Peele est endelte aux 6glogues spens6-
riennes, et comment il porte & la scene un theme deja
traite dans le * Calendar '. Si nous remarquons en
outre 1'union etroite des conventions mythologiques
et pastorales dans les poemes mernes de Spenser, leurs
constantes allusions aux divinites, h6ros et legendes
helieniques, nous rejetterons sans hesiter toute con
jecture qui presuppose un disaccord entre les deux
Elements, et nous conside"rerons la piece de Peele
comme le premier anneau de la longue chalne d'evo-
lution qui unit les eglogues de Spenser aux efforts
1. Dans la 'Maid's Metamorphosis' (4599) 1'am our d'Apollon
pour Eurymene forme un theme complaisammentdeveloppe" ; les
Muses et les Graces y jouent en outre un r6le de re'elle importance,
bien qu'accessoire. Dans la ' Careless Shepherdess ' de Thomas
Goffe (4629) nous retrouvons Apollon, les Sibylles et le culte de
Pan. Dans * Rhodon and Iris ' de Ralph Knevet le denouement ne
pourrait etre amende sans Taide aimable de Flore, et enfin dans
la pastorale de ' Florimene' (4635) c'est Diane qui denoue Tenche-
v^trement de multiples affaires d'amour.
46 GEORGE PEELE
post6rieurs des dramaturges pour trailer, more pasto-
rali, de la vie simple et de 1'amour id6al.
L'importance de 1' l Arraignment' est certainement
accrue par sa date meme, par sa position dans
1'histoire du genre, et il etait utile, de ce fait, d'in-
sister sur ses relations aux autres compositions de son
espece; mais il nous faut maintenant tourner notre
attention vers quelques aspects de la piece elle-m6me.
Si nous consentons pour un moment a la traiter
comme un compos6 chimique et a la require a ses
parties constituantes, les elements que nous d6cou-
vrons se ramenent a trois : l'ele"ment arcadien avec
ses patres et ses bergeres ; Ferment mythologique
avec ses dieux, deesses et demi-dieux; et I'6l6ment
courtisanesque, introduit au 5e acte seulement,
lorsque Diane, s'avangant majestueusement vers le
trdne, u delivrelapommed'orauxmainsdelaReine".
Mais Tint^r&t de cette dissociation n'est que de rendre
plus 6vidente Fhabilet^ de Peele a combiner les
divers elements pour en former un tout. L'analyse de
la piece nous a de"ja montr6 avec quelle aisance il
modifie la legende connue pour servir les fins parti-
culieres d'un divertissement de cour. II nous faut
ajouter maintenant que le theme 6tait judicieusement
choisi pour former un cadre appropri6 a maintpoeme
gracieux, mainte Elegante chanson, et que Peele a su
tirer tout le parti possible de son sujet. La joyeuse
ronde des dieux rustiques, Fallemande guerriere des
neuf chevaliers, d'une part ; le noble chceur des Muses,
L'OEUVRE DE PEELE 47
le chant de bienvenue de Pan, le duo d'OEnone et de
P&ris, les couplets amoureux de Colin et la m61op6e
des bergers, de Fautre, sont autant de fleurs que
Peele a brode"es sur le canevas us6 du vieux mythe,
en couleurs harmonieusement assorties. L'art de
Tauteur se fait plus visible encore dans le soin
qu'il apporte £ tresser et entrelacer les deux fils
brillants de son action. Par un balancement sym6-
trique des deux groupes de personnages princi-
paux, — Colin et Tbestylis; Paris et OEnone, —
et par 1'analogie calcul^e de leurs situations res-
pectives, Peele r6ussit non seulement h rehausser
l'inte>et sce*nique de chaque intrigue, mais encore
h assurer Tharmonieuse unit6 del'ensemble. A cette
unite" contribuent encore la discrete repetition, de
scene en scene, d'un m6me motif en termes iden-
tiques, et la dexte>it6 avec laquelle les effets dra-
matiques sont inscnsiblement amends. La plainte
d'C^lnone, par exemple:
False Paris, this was not thy vow, when thee and I were one,
to range and change old love for new (iii. 1. 49-50)
suggere invinciblement h notre m6moire Tamoureux
duo du 1" acte. La question anxieuse de P&ris:
But tell me, gracious goddess, for a start and false offence,
hath Venus, or her son, the power at pleasure to dispense ?
(iii. 2. 15-16)
6voque, elle aussi, le souvenir de ses faux serments.
Et, pour ne donner qu'une preuve de 1'adroite pr6pa-
48 GEORGE PEELE
ration des incidents ulterieurs, le po6tique avertis-
sement donn6 par Ve"nus a Paris :
in hell there is a tree,
where once a day do sleep the souls of false forsworen lovers
with open hearts ; and thereabout in swarms the number hovers
of poor forsaken ghosts, whose wings from off this tree do beat
round drops of fiery Phlegethon to scorch false hearts with heat
(iii. 2. 18 sqq)
nous fait pr6voir le jugement de Paris par les dieux
irrit6s, et explique le sombre pressentiment qui jette
son ombre sur son bonbeur present.
Nous retrouvons ainsi, au cours de la piece, de
veritables leitmotifs, dont la reprise harmonise les
gammes et les tons les plus varies de la composition;
et FingSniosite de cet artifice suffirait a justifier les
louanges que nous suggere la delicate construction
de la pastorale peelienne. Le seul reproche qu'on
puisse lui adresser justement sous ce rapport est le
manque trop manifeste de climax. Le brillant pane-
gyrique de FAngleterre et de sa reine, dans la derniere
scene, peut dit'ficilement etre consider^ comme tel, et
rint&ret de la piece tend a languir apr&s le 3e acte, —
1'acte ou Finfortim6 Colin se meurt d'amour, et ou
OEnone, abandonnee de Paris, erre, ceinte d'une pale
guirlande de peuplier, par les bois maudits de 1'Ida.
Ce n'est point la, d'ailleurs, le plus grave des
deTauts de la piece. La peinture des caracteres y est
pauvre en couleurs et en nuances. Colin estle berger
fidele de la tradition pastorale ; Hobbinol et ses com-
L'CEUVRE DE PEELE 49
pagnons sont de bien p<Ues arcadiens; et Fesquisse
de Pan, Faune et Sylvain est £ peine plus poussSe.
Parmi les personnages mythologiques, les trois
dresses seules beritent de la legende classique quel-
ques traits distinclifs: Junon r6vele sa jalousie et son
aprch' habituelles; Pallas garde son attitude de
dignit6 calme et de consciente superiority ; et Venus
sa gr&ce, son Eloquence subtile et douce, et la s6-
duction de son sourire. Mais nous ne trouvons dans
la piece que deux caracteres qui soient dessine"s avec
quelque attention aux details ; encore Involution de
leurs sentiments est-elle plutcH indiquee que reel-
lenient trac6e. — OEnone n'offre pas seulement &
notre imagination le charme de formes elegantes
et souples, voiiees sous la blancheur du lin, mais
1'attrait plus deiicat d'un caractere purement sen
timental, assez ingenu et assez ouvert pour nous
laisser entrevoir par moments les mysleres m&mes
de son coeur. Dans son entretien avec P&ris, la
joie d'aimer et d'etre aimee 1'accable presque ; et,
au milieu m&me de son bonheur, s'eieve un inde-
flnissable pressentiment qui lui fait choisir, quand
P^ris la prie de chanter, une chanson au refrain
inconsciemment prophetique :
They that do change old love for new,
pray gods they change for worse.
Toutes ses craintes vagues s'expriment dans Tardente
priere qu'elle murmure contreTinconstance: " Sweet
CHEFFAVD. 4
50 GEORGE PEELE
shepherd' dit-elle u for OEnone's sake be cunning in
this song"; etlesvoeuxde Paris, siprfcs d'Mre brisks,
6veillent en nous comme une impression de peine.
Plus lard, quand OEnone reparalt, d6daignee, aban-
donne"e, trompee, se defiant de tout et de tous, ellen'a
point renonc6 a son amour, bien que Paris s'en soil
montre" indigne. Elle vit du souvenir de sa passion
ruinSe. La haine ne trouve point de place en son
coeur ; rien qu'une douleur profonde, un d6sir de
larmes, et le besoin de proclamer et de pleurer son
infortune — Le caractere de Paris est un peu plus
complexe. Nous voyons en lui, au premier acte, une
sorte de re"plique d' OEnone ; — amoureux comme elle
et plein de pressentiments. Mais il se montre bientot,
sous la pression de ses instincts, capable d'erreurs
morales dans lesquelles ne saurait tomber la douce
nymphe. Les images de plaisir sensuel qu'e"veillent
en lui les promesses de V6nus lui permettent d'etouffer
tout d'abord les murmures de sa conscience coupable ;
mais il lui faut bientot e"quivoquer avec lui-meme. II
rejette la responsabilite' de ses actes, cherche refuge
dans une vague doctrine d'irre~sistible fatalisme, con-
vainc a demi les dieux de son innocence ; et pourtant
son acquittement m6me ne le delivre ni de son
remords ni de son anxie"te* pour Favenir.
L'int6ret que suscite le contraste de son inconstance
et de son repentir avec la fidelite' d'OEnone nous fait
oublier combien de~fectueuse et imparfaite est 1'ana-
lyse des autres caracteres, et nous empeche de cher-
L'OEUVRE DE PEELE 51
cher les seuls m6rites de la piece dans sa richesse
imaginative, sa grace lyrique, la simplicite de son
style, et la vari6t6 de sa versification. Ce sont la, tou-
tefois, d'inte>essantes qualit^s, et trop e"videntes dans
1' l Arraignment1 pour avoir jamais 6chapp6 a 1'atten-
tion des critiques. Les multiples images, indiffe>em-
ment emprunt6es a la po£sie classique, ou aux obser
vations personnelles de Peele, I6moignent d'une
fantaisie Elegante et aimable, parfois aussi d'uii
penchant un peu vif pour le splendide, d'un gout un
peu trop prononc6 pour Tor et tout ce qui brille.
"Shepherd" dit Junon
I will reward thee... with heaps of massy gold,
sceptres and diadems curious to behold,
rich robes of sumptuous workmanship and cost,
and thousand things whereof I make no boast:
the mould whereon thou treadest shall be of Tagus 'sands
and Xanthus shall run liquid gold for thee to wash thy hands,
and if thou like to tend thy flock, and not from them to fly,
their fleeces shall be curled gold to please their master's eye;
(ii. 1. 130 sqq)
et, s'il nous faut louer la fermet6 et la finesse du
dessin, il nous faut aussi reconnaltre que les couleurs
de ce tableau sont un peu brutales et voyantes. Mais
le gout de Peele se montre habituellement en teintes
plus dedicates. Dans le paysage n6cessairement con-
ventionnel et impr^cis de la pastorale il sail mettre
Q& et \h une touche de naive et fralche simplicity, Des
vers, gracieusement pittoresques, r6velent en plus
d'un passage un r6el sentiment de la beaut6 naturelle:
52 GEORGE PEELE
Ne'er doth the milk-white way, in frosty night
appear so fair and beautiful in sight
as done these fields, and groves, and sweetest bowers,
bestrew 'd and decked with parti-coloured flowers.
Along the bubbling brooks and silver glide,
that at the bottom in silence slide,
the water-flowers and lilies on the banks,
like blazing comets, burgeon all in ranks;...
the dainty violet and the wholesome mint,
the double-daisy, and the cowslip, queen
of summer flowers, do overpeer the green ;
and round about the valley as ye pass
ye may not see for peeping flowers the grass, (i. 1. 52 sqq.)
La simplicity du style augmente le charme de cette
description, et cette simplicity est Tun des traits les
plus caracte>istiques de Y ' Arraignment'. C'est sur-
tout par contraste avec Teuphuisme alors predominant
que la langue de Peele parait libre, aise"e, naturelle.
Les marques distinctives de la diction lylyenne, —
paral!61isme ou antith&se continuels des mots, proposi
tions, phrases et paragraphes; surabondance de ques
tions oratoires avec arguments pour et contre, — sont
totalement absentes de notre piece ; et il serait malais6
d'y d6couvrir un seul emprunt al'histoire surnaturelle
de Lyly1. Les mani6rismes qu'on y releve remontent
plus haut que 1'euphuisme, et Peele tire habilement
1. Le seul passage qu'on serait tente de considerer comme une
reminiscence de Lyly est le suivant :
" And whither wends yon tbriveless swain ? like to the stricken deer,
Seeks he dictaranum for his wound within our forest here ! " (IH-I. 29.)
(cf. Lyly. Euphues. Bond i. 208 25 sqq) ; mais c'est la en realite,
une allusion aux vers de Virgile. Eneide XH 414-6 :
" Non ilia feris incognita capris
Gramina (dictamnus), quum tergo volucres haesere sagittae".
L'CEUVRE DE PEELE 33
profit de ces traditionnels artifices de style. II sait
faire usage a propos de ('alliteration : u the fairest
fattest fawn in all the chase " ou " the painted paths
of pleasant Ida " ; de la r6pe*tition de quelques mots
ou d'un vers, — r6p6tition aussi agre*able a 1'oreille
qu'un refrain de chanson ou de ballade ; il sait inter-
rompre la monotonie d'une longue scene par de
breves et brillantes rgparties (Aiii. sc. 1. 86 sqq), ou
encore construire artistement une longue pe>iode
logique, ou les propositions secondaires s'enchatnent
Tune a 1'autre pour aboutir a une conclusion substan-
tielle et concise (A. iv. Sc. 1. Paris 's Oration to the
Gods). On sent dans chaque acte, dans chaque scene
la presence d'un art conscient ; el ce m6me art se
retrouve dans la versification de la piece. Peele y
prend un Evident plaisir a varier ses metres et ses
cadences, a passer de 1'imposant septenaire aux
mesures les plus courtes, les plus agiles et les plus
I6geres. Sans doute les " couplets" de 7 ou 6 pieds
prSdominent, mais le vers blanc fait aussi son appa
rition aux moments les plus dramatiques de Faction,
— le plaidoyer de Paris ou le discours de Diane, —
et des vers souples de longueur et de coupe fort
diverses, forment 1'habituel moyen d'expression des
passages lyriques. Nombreux sont ces passages, —
chanson breve ou court poeme, — et c'est en eux que
la m6lodie du vers peelien rSsonne le plus harmonieu-
sement. Les meilleurs devinrent immSdiatement popu-
laires et prirent de droit leur place dans les antho-
54 GEORGE PEELE
logies contemporaines. Charles Lamb en a choisi un
pour 1'enchclsser parmi les gemmes de la poe"sie dra-
malique anglaise ; et 1'exquise modulation de son
metre, 1'accord 6troit du sens et du rythme, prouvent
1'excellence d'un morceau que nous ne pouvons
register au plaisir de citer une fois encore :
OEn. — Fair and fair and twice so fair,
as fair as any may be,
the fairest shepherd on our green,
a love for any lady.
Par. — Fair and fair and twice so fair,
as fair as any may be,
thy love is fair for thee alone
and for no other lady.
OEn. — My love is fair, my love is gay,
as fresh as bin the flowers in May,
and of my love my roundelay,
my merry merry roundelay,
concludes with Cupid's curse:
they that do change old love for new
pray gods they change for worse, (i. 2. 55 sqq.)
La note touched en ce delicieux poeme donne le
ton meme de toute de pi&ce. Premier effort du talent
de Peele, elle a la fralcheur, la verve, et toutes les
qualit6s, avec quelques-uns des de~fauts, d'une oeuvre
de jeunesse. Combinant le charme artificiel de la
pastorale avecTa grace pure de la 16gende classique
et les attractions sc6niques du masque, elle re>ele un
poete de gout delicat, 6mu et sincere, un dramaturge
encore inexpe>imente parfois, mais toujours adroit et
ing£nieux ; et, bien qu'elle perde a ne nous etre point
LOEUVRE DE PEELE 65
pr6sent6e comme au jour de la production, dans de
somptueux decors, avec un accompagnement discret
de violons et de hautb'ois, son 6clat n'en est qu'affai-
bli, et elle brille encore a nos yeux des reflets capri-
cieux et changeants de 1'opale.
LA POURSUITE D' AMOUR.
Peele 6crivit une seconde pastorale, sous le titre
attrayant de la 4 Poursuite d'Amour ' (the Hunting of
Cupid). La pifece est malheureusement perdue ; mais
nous pouvons n£anmoins nous former une i< !«'•. • assez
exacte de son sujet et de son caractfcre g6n6ral, car
nous en retrouvons d'assez longs passages1 dans deux
anthologies du temps, — 'England's Parnassus'
(1600) et England's Helicon' (m. d.); et plusieurs
pages d'un cahier de notes de W. Drummond of
Hawthornden* sont en outre couvertes d'extraits du
4 Hunting', — 4l one of the bookes", declare Drum
mond "read anno 1609 be me ".
II est presque certain, quoiqu'aucun exemplaire
ne nous soit parvenu, que la pifece fut publi^e. Les
citations de 1' * England's Parnassus' sont presque
exclusivement empruntSes a des ouvrages imprimis ;
il est, d'autre part, assez peu probable que Drummond
possgdat en 1 609 une copie manuscrite du l Hunting ' ;
et enfin les registres de la Compagnie des Libraires
4. ' Cupid's Arrows' et * Coridon and Melampus ' song '.
2. Maintenant en la possession de la Scottish Society of Anti
quaries. Edinburgh,
56 GEORGE PEELE
de Londres contiennent, en date du 26 juillet 1591,
le permis d'imprimer suivant:
" Richard Jones. Entred unto him for his copye under th[e
h]andes of
the Bishop of London and Master Watkins a booke
intituled the Hunting of Cupid wrytten by George Peele
Master of Artes of Oxford vjd,
permis subordonn6 du reste a une clause condition-
nelle, — u that yf it be hurtfull to any other Copye
before lycenced, then this to be voyde " — La clause,
sans doute, n'6tait parfois que de pure forme ; mais
elle se faisait rarement aussi explicite, et suggere ici
que la ' Poursuite d' Amour ' remontait deja, en 1591 ,
a plusieurs annees. Que la piece fut contemporaine
de T l Arraignment ' peut meme 6tre vraisembla-
blement infe>e des similitudes d'expression, d'images,
et de reminiscences classiques qu'on peut relever dans
un abreg6 aussi succinct et incomplet que Test celui
de Drummond. De telles similitudes, en effet, ne
sauraient etre accidentelles ; toute Fceuvre de Peele
prouve qu'il d6passait difficilement sa pens^e, savait
mal exprimer une id£e sous diverses formes, mais
£tait au contraire trop enclin a se renter dans les
Merits d'une meme pe>iode ; et nous pouvons, sans
grande crainte d'erreur, regarder le * Hunting of
Cupid' comme une piece de cour dont la production,
ou du moins la composition, suivit de pres celle de
1' l Arraignment '.
11 est difficile d'imaginer avec certitude ce qu'elait
L'CEUVRE DE PEELE 57
le theme de la pastorale. Drummond, dans ses cita
tions, ne montrait pas habituellement le moindre
interSt pour Fintrigue ou le plan, mais limitait son
attention a des particularity's de style et de vocabu-
laire, et se contentait de noter, au cours de sa lecture,
les tours de phrase, les pens6es brillantes et concetti
po6tiques qui le charmaient, et dont il faisait, a 1'occa-
sion, usage dans ses propres poemes. Cette meHhode
nous explique pourquoi ce qui nous reste du * Hunting
of Cupid ' n'est qu'une se"rie de brefs passages sans
cohesion, desquels il est malais6 de d£duire le sens
g6ne>al de la piece. Tout au plus le titre et quelques
extraits nous autorisent-ils a soupQonner que le sujet
6tait celui de la premiere idylle de Moschus1, de cette
idylle ou Eros, 6chappanl h la surveillance de sa mere
sous un dSguisement pastoral, s'en va d^cocher ses
traits envenim^s dans les valises paisibles d'Arcadie.
Quoi qu'il en soil, d'ailleurs, le theme, comme dans
T 4 Arraignment \ se transformait adroitement en une
flatterie personnelle de la reine, dont la beaut6 seule
pouvait mettre fin aux ravages fails parmi les bergers
par 1'espiegle dieu d'Amour. ll Cupid" lisons-nous
dans Tun des extraits,
enraged to see a thousand boys
as fair as be sit shooting in her eyes,
fell down, and she
plucked all his plumes and made herself a fan.
La pointe est jolie, et forme un prelude appropri6 a
1. "Eptu;
58 GEORGE PEELE
de nouvelles louanges de la beaut6 el de la vertu
d'Elisabeth,
delight supreme,
yet so far from the lightness of her sex,
for she is the bird whose name doth end in X.
Les citations de Drummond ne nous permettent
malheureusement pas de pr6ciser davantage le sujet
de la piece, mais elles nous laissent entrevoir plus
clairement la maniere dont il 6tait trait6. Le ton de
la 4 Poursuite d' Amour' 6tait aussi pastoral que celui
de la ' Mise en Jugement de P&ris': u heardgrooms
and strawberrie lasses" foulaient une fois encore les
planches, et discouraient d'amour en la fagon conven-
tionnellequ'exigeaient leursnomsarcadiens, Coridon,
Melampus et Lycoris ; et Peele rehaussait leurs entre-
tiens de ces ornements pastoraux qui n'avaient point
trouv6 place dans sa premiere production. Tel est le
chant dialogu6 dont 1' 4 England's Parnassus' nous a
garde le texte :
Coridon. — Melampus, when will love be void of fears?
Melampus. — When jealousy hath neither eyes nor ears.
Coridon. — Melampus, when will love be thoroughly shrieved?
Melampus. — When it is hard to speak and not believed...
Coridon. — Melampus, tell me when is love best fed?
Melampus. — When it has suck'd the sweet that ease hath bred.
Coridon. — Melampus, when is time in love ill spent?
Melampus. — When it earns meed and yet receives no rent.
Nous avons la un modele de la piece am6b6e, dont
Th6ocrite et Virgile nous donnent tant d'exemples ;
L'CEUVRE DE PEELE 59
et les deux interlocuteurs de notre pastorale se dispu-
tent, comme le voulait la tradition, une gageure
rustique: u a dish of damsons new gathered from the
trees'*. La me'lope'e amoureuse faisait, elle aussi, sa
r6apparition dans notre piece. II ne nous reste, il est
vrai, que deux vers de cette production, mais ils
suffisent a indiquer une nouvelle, sinon fort heureuse
imitation du theme spens6rien des infortunes de
Colin :
Hard heart that did thy reed (poor shepherd) break,
thy reed that was the trumpet of thy wit.
Les palres que d6sesperent leurs mattresses ne sont
plus, toutefois, des habitants du I6gendaire Ida, mais
des villageois anglais id6alise*s par le poete. La scene
est plac6e, non plus en Phrygie, mais sur les falaises
crayeuses d' Albion ; et pourtant les descriptions
restent presque identiques a celles de V l Arrai
gnment ', comme ces quelques lignes le prouvenl
amplement:
" On the snowy brows of Albion, sweet woods,
sweet running brooks that chide in a pleasant tune
and make quiet murmur, laving the lilies, mints and
waterflowers in their gentle glide".
D'autres tableaux de ce genre contribuaient sans
doute, avec des pieces lyriques, a temperer la mono-
tonie de la pastorale conventionnelle. Drummond a
copie" tout au long 1'une de ces poesies 16geres, et elle
est aussi artificielle qu'elle est exquise:
60 GEORGE PEELE
What thing is love, for (well I wot) love is a thing,
it is a prick, it is a sting,
it is a pretty, pretty thing,
it is a fire, it is a coal
whose flame creeps in at every hole ;
and as my wit doth best devise,
love's dwelling is in ladies 'eyes ;
from whence do glance love 's piercing darts
that make such holes into our hearts.
Le charme de ce chant ; charme que ne diminue point
son affeterie, semble 1'avoir fait cherir par les 6mules
de Peele. On en trouve un £cho dans le 'Mourning
Garment' de Greene, et son 'James IV y fait une
allusion directe:
And well I wot I heard a shepherd sing
that, like a bee, Love hath a little sting.
Les manuscrits de Rawlinson nous offrent une trans
cription nouvelle du morceau entier; et six vers,
enfin, en sont r6cit6s par Cornelia dans une pi&ce
de 1600, the ' Wisdom of Doctor Doddipol'.
Une telle abondance de citations et de reminiscences
semble un signe certain de succ&s, et nous trouvons
dans ce succ&s meme une cause de plus pour regretter
la perte d'une pikce qui 6tait aux yeux des contem-
porains, et serait probablement aux n6tres, un digne
pendant de Y ' Arraignment of Paris '.
La l Poursuite d' Amour ' est seule a combler une
lacune dans la carrifcre de Peele entre son premier
L'OEUVRE DE PEELE 61
effort dramatique et sa c Battle of Alcazar' en 1588-
1589. Elle marque la fin de ses relations avec la cour ;
et ses drames posterieurs sont composes pour un
public moins raffing, sinon moins exigeant. Ce passage
au theatre populaire, bien qu'expliqu6 par des n6ces-
sit6s d'argent, n'en est pas moins surprenant a plus
d'un 6gard. Peele devait apprendre a satisfaire des
gouts diffe"rents, — les gouts des spectateurs du
4 Bull ' ou de la 4 Rose ', — et faire, pour ainsi dire,
un nouvel apprentissage de dramaturge. C'est dans les
rues de la Cit6 qu'il prit tout d'abord contact avec ses
nouveaux patrons, les habitues des theatres lon-
doniens, dont l'inte>&t s^tendait volontiers aux
spectacles les plus divers. Peele, en tant que u city-
poet", organisaau moins deux processions du Lord-
Maire, — pour Woolstan Dixie et Martin Calthorpe1,
— avant d'offrir ses services aux com^diens. II
apprit ainsi a connattre par la pratique les mets, les
proce'de's, qui avaient le plus de saveur pour ses
maltres du parterre ; et il eul certainement tir6 parti
de cette experience nouvellement acquise, si m&me
le l Tamburlaine ' de Marlowe, - - phare qui alluma
la chalne de feu, — n'avait enflamm6 son enthou-
\ . La * Martin Galthorpe Pageant ' est perdue/mais nous trou vons
trace de son existence dans les registres des libraires. xxvnj0 die
Octobris i588 :
Richard Jones, Entred for his copie uppon condicon that it maye
be lycenced, ye device of the Pageant borne before the Righte
honorable Martyn Calthrop lorde majour of the cytie of London
the 29th daie of October 1588. George Peele the authore,
62 GEORGE PEELE
siasme etson Emulation. Ce futla, cependant, la cause
directe qui lui fit tourner son activity vers la scene
populaire ; et son premier effort dans cette direction
futla 'Batailled' Alcazar1.
LA BATAILLE D' ALCAZAR.
Elle fut publiee en 1594, sous ce titre longuement
descriptif: 4* The Battell of Alcazar, fought in Bar-
barie, betwene Sebastian King of Portugall, and
Abdelmelec King of Marocco. With the death of
Captaine Stukeley. As it was Sundrie times plaid by
the Lord high Admirall his servants. Imprinted at
London by Edward Allde for Richard Bankworth, and
are to be solde at his shoppe in Pauls churchyard, at
the signe of the Sunne ".
On ne retrouve dans les livres de Stationers' Hall
aucune trace d'un permis d'imprimer, et ce fait, joint
a quelques autres circonstances, — la corruption du
texte en plusieurs passages, et 1'absence de Tune des
cinq pantomimes, — tend a prouver que la version
que nous avons est 1'une de ces Editions contrefaites
si fr6quentes a l'6poque elisab^thaine.
Le nom de Peele, on 1'a remarqu6, ne figure point
au titre ; mais I'authenticit6 de la piece est aussi peu
discutable que celle de F i Arraignment'. Malone fut
le premier a 1'attribuer a notre auteur, et aucun
critique ne s'est depuis risqu6 a douter d'une attri
bution que justifient des t6moignages trop probants.
L'OEUVRE DE PEELE 63
La ressemblance de plus d'un passage a telle ou telle
portion d'une production peelienne reconnue e"quivaut
parfois a une identic litte>ale. Un vers comme celui-ci :
On that brave bridge, the bar that thwarts the Thames
ne saurait se distinguer de cette ligne du Farewell :
To that brave bridge, the bar that thwarts her course ;
et ce n'est la qu'un exemple parmi maints autres. La
liste des paralleles dress6e par Dyce et Lammerhirt
suffirait a authentiquer la piece1. 11 est presque super-
flu d'ajouter que les allusions classiques contenues
dans la ' Battle ' sont toules familieres a Peele et se
retrouvent dansd'autres 6crits signed de lui *. La seule
exception apparente, aux derniers vers du ler acte,
to sick as Envy at cecropia 's gate
and pine with thought and terror of mishap (i. 2. 85-6)
fait allusion a un Episode du 2e livre des Metamor
phoses, et n'est qu'un signe de plus du penchant de
Peele pour cet ouvrage. Du reste, les caracte>istiques
usuelles du style peelien, — la r6p6tition d'un ou plu-
sieurs mots avec addition d'e~pitheles, par exemple,
— se reinvent dans chaque scene de la l Battle of
Alcazar ' et en indiquent clairement 1'auteur. Enfin le
t6moignage des contemporains confirmerait s'il en
6tait besoin, cette indication, car six vers du second
1. On peut trouver une liste a peu pres complete des passages
correspondants dans Dyce (ed. 1861 p. 340) et Lammerhirt.
1. Comparez par exemple :
Rack d let him be on proud Ixion '* wheel, ' Ixion *s wheel, proud Tanial 'a pining woe,
pin'd let him be with Tantalus ' endless thirst, Prometheus ' torment, and a many moe ;
prey let him be to Tityus ' greedy bird, what toil the toil of Sisyphus doth ask...
weary with Sisyphus ' immortal toil ' BA, iv. 2, 90. sqq. A. P. i. 2. 41. sqq.
64 GEORGE PEELE
acte : u We must affect our country as our parents ",
etc. sont cit6s par P l England 's Parnassus ' sous
Pen-t&te u Country", et assignes par 1'anthologiste
h George Peele.
On peut observer que la plupart des passages corres-
pondants signals par les critiques se trouvent dans le
4 Farewell ' (1589) ou le c Tale of Troy ' (m. d.). Cette
circonstance d6signe d6ja 1 588 ou 1 589 comme la date
probable de composition ; mais nous avons d'autres
moyens de fixer cette date avec certitude. Une allu
sion evidente a PInvincible Armada, au 2" acte :
The wallowing ocean hems her (England) round about,
whose raging floods do swallow up her foes,
and on the rocks their ships in pieces split (ii. 4. 117 sqq.)
nous donne Aout 1588 comme Tune des limites
extremes pour la production de la piece, tandis
que 1'autre nous est fournie par Peele lui-meme dans
ces vers de son ' Farewell to Norris and Drake '
(Avril 1589):
Bid Mahomet's pow, and mighty Tamburlaine,
King Charlemagne, Tom Stukeley, and the rest,
Adieu (Farewell, v. 21 sqq.)
C'est la, comme Fleay le remarque, une singuliere
Enumeration de pieces r^cemment joue'es par la
troupe des c Admiral's Men M, et une confirmation du
1. ' Mahomet's pow ' designe fort probablement 1 *l Alphonsus
of Arragon ' de Greene; le 'mighty Tamburlaine' n'est autre,
nature! lement, que la piece de Marlowe ; et « King Charlemagne
est peut-etre 1' ' Orlando Furioso ' de Greene, joue a 1'origine par
les acteurs du Lord Admiral.
L'GEUVRE DE PEELE 63
renseignement Irouve au litre du quarto: u plaid by
the Lord high Admirall his servants ". Les minutes du
Journal d'Henslowe qui se rapporlent indeniablemenl
a la ' Bataille d' Alcazar' la classent pourtant, en 1592,
dans le repertoire des 4 Lord Strange 's Men ', cepen-
dant qu'un document interessant, — un plan manus-
crit avec noms d'acleurs — lemoigne d'une reprise
en 1598 par les comediensdu Lord Admiral. Les fails
peuvent, au premier abord, sembler quelque peu
conlradicloires. Un examendes annales Ihealrales du
temps dissipe toute indecision et nous permel de
suivre 1'hisloire de noire piece de 1588 a 1601. —
Lors des premieres representations, elle appartenait,
nous 1'avons vu, a la troupe du Lord Admiral; mais
quelque temps apres 1'edit de restriction de Novem-
bre 15891, cette compagnie dut se disperser pour
quatre ou cinq ans, et, tandis que quelques-uns de
ses acteurs partaient pour une toume*e en Allemagne,
une union etroite s'effectuait enlre les autres, —
parmi lesquels Alleyn, — et les com£diens de Lord
Strange. Pendant les ann£es suivantes, les deux
Iroupes n'eurent pas d'exislence separ^e ; elles furenl
conjointement designers sous le nom de l Lord
Strange 's Servants', et Alleyn regarde par le public
comme leur directeur. Le repertoire des diverses
troupes, d'autre part, etait d'habitude propriete
1. Le 6 Nov. 1589 le Lord-Maire, John Hart, sur les instructions
du Lord-Tresorier, interdit aux troupes de Lord Strange et du
Lord Admiral dejouer aLondres.
CHEFFALD. 5
66 GEORGE PEELE
commune, maisquelques pieces appartenaientparfois
a tel ou tel acteur, et tin temoignage precis nous
montre que c'etait la le cas de la * Battle of Alcazar',
propriete particuliere de Edward Alleyn1. II apporta
la piece aux l Strange 's Men', et comme, pendant
cetteperiodeagitee, la troupe ne donna pour ainsidire
aucune piece nouvelle, nous ne saurions etre surpris
de lui voir repre"senter en Fe>. 1591/92 et jusqu'en
Janvier 1592/93 la c Bataille d' Alcazar '2. Durant la
peste de Londres (1593-1594) les deux compagnies
continuerent a jouer de concert dans les provinces,
et a la re"ouverture des theatres occuperent ensemble
Newington Butt. Get arrangement cessa toutefois
aprfcs quelques representations et les Admiral's Men
reprirent leur independance sous la direction d' Alleyn.
La piece de Peele passa alors naturellement au reper
toire de la nouvelle troupe, et dut a sa popularite de
reparailre plusieurs fois a la scene, en 1594, 1598
et 1601. On a jusqu'ici prete peu d'attention a la
reprise de 1594 ; mais il est peu douteux que les refe
rences, dans les comptes d'Henslowe, a une piece
intitulee ' Mahomet 13 se rapportent a notre drame,
— bien que Collier et Fleay y voient une allusion a
une production perdue ' the Turkish Mahomet and
Hiren the Fair Greek u et Mr. Greg a F c Alphonsus
4. Voir page 70. note.
2. Henslowe 1'intitule ' Mulo Molloco ', du nom d'un des princi-
paux personnages : Muly Molloco ou Abdelmelec (v. B of A. i. Pr,
v. 12 et ii. 2. v. 52). Voir journal F. 7-8 (20 fev. 1591. 20 ja. 1593).
3. Lire : ' Henslowe's Diary ' (du 44 aout 1594 au 5 fev. 1594).
4. ' The Turkish Mahomet ' a etc attribue a Peele sur la foi des
L'CEUVRE DE PEELE 07
of Arragon ' de Greene. La piece n'est pas marquee
comme nouvelle (ne) par Henslowe ; elle doit done
appartenir, comme la 4 Bataille d' Alcazar ' h 1'ancien
repertoire des l Lord Admiral's Men', et remonter
aii moins aussi haut que 1590. Mahamet est le nom
du personnage central de notre drame ; et, en outre,
reformation que nous fournit le Journal (inventaires
de Mars 15981 et minutes du 2-4 Aout 160T) sur les
decors et accessoires de 4 Mahomet ' nous montre
qu'ils satisferaient toutes les exigences d'une mise en
scene de la ; Battle'. Us consistent en robes dejanis- v
saires et costumes de porte-flambeaux, en turbans
turcs, en quelques couronnes royales et en une
" couronne de fant6me", - - toutes choses qui ont
leur Evident usage dans notre piece. Enfin les llmem-
bres du Maure " et le " chef du vieux Mahomet"
'Merry Jests'; mais nous avons vu que cet opuscule est une
source (['information indigne de confiance. Nous ne savons rien
de la pioce, et les quelques allusions satiriqucs qu'on Irouve dans
la litterature du temps (v. surtout Shakespeare 4 2 Henry IV '. ii.
4. v. 188 ; et ' Return from Parnassus ') ne nous e"clairent pas.
1. ** The Enventory of the clownes Sewtes and Hermetes Sewtes,
with dievers other Sewtes, as followeth, 1598, the 10 of March :
Item, iiij genesareyes gownes, and iiij torchbearers sewtes.
Iti-in, the Mores lymes.
Item, iiij Turkes hedes".
41 The Enventory tacken of all the Properties for my lord Admi-
ralles men, the 10 of Marche 1598 :
Item j wooden canepie ; ould Mahemets head.
Item iiij Imperial crownes ; one playne crowne.
Item j gostes crowne ; j crowne with a sone ".
2. " Layd out at the a poyntment of the 2 of aguste 1601 fora
parell for Mahewmett the some of x» mjd ".
u Pd at the apoyntment of the company unto wm whitte for
mackinge of crownes and other thinges for Mahewmets the 4 of
aguste 1601 the some of 1« ".
68 GEORGE PEELE
sont, sans nul doute, les restes mutil6s qu'exhibait au
public la pantomime du 4e acte.
Now harden 'd is the hapless heathen prince,
this Moor, this murderer of his progeny ;
and to a bloody banquet he invites
the brave Sebastian and bis noble peers, (iv. Pr. 1 sqq)
telles sont les paroles meme de T " introducteur ", et
le Plan de 15981 nous r6vele que des assistants
entraient en scene avecleu banquet sanglant",
(w)th Dead mens heads in dishes &
(w)th Dead mens bones ;
c'est assure"ment dans ces plats que les membres
d6pec6s du Maure trouvaient leur place la plus appro-
pri6e. Quant aux minutes de 1601, avec leur men
tion de courormes, elles ne peuvent que confirmer
notre conjecture et 6tablir deTmitivement Fidentite de
1 Mahomet ' et de la ' Battle of Alcazar ',
where three bold Kings, confounded in their height,
fell to the earth contending for a crown, (i. Pr. 51-52)
Lesrecettes des representations de 1594, en tout cas,
furent presque aussi fortes que celle d'une piece
in6dite, et ce signe de succes persistant engagea la
troupe a donner le drame une fois encore. A cette
reprise appartient le Plan que nous avons deja men-
tionn6, — une de ces cartes de souffleur ou tables de
r6pliques qu'on pendait derriere les decors pour
1. Ce plan a ete publie par Mr. Greg, dans son edition d'Hens-
lowe's Diary (vol. 2), et la date en a ete ingenieusement fixee par
lui a 1598.
L'OEUVRE DE PEELE 6»
indiquer aux acteurs leurs entries en scene et leurs
sorties. Ce plan, fragmentaire et mutile*, nous indique
cependant au complet la distribution des r6les, fixe
la date de la reprise k la fin de 1597 ou au debut
de 1598, etpermet de supposer que 1'enseigne Pistol,
dans le second l Henri IV ' de Shakespeare, emprun-
tait ses citations ampoules aux representations alors
donne"es h la l Rose1.
Then feed and be fat, my fair Calipolis
s'e*criait-il, sur le ton m6me de Mahamet-Alleyn
offrant h sa reine un morceau de viande crue h la
pointe de l'e*pe"e; et 1'humour n'6chappait pas tout h
fait aux gens du parterre. Le ridicule, pourtant, ne
tue pas une pifcce populaire; 'Mahomet' ful joue* &
nouveau en 1 601 , et Henslowe depensa alors 3 £ 1 2 s.
4 d. h 1'acquisition d'accessoires. Ben Jonson salua
sa re*apparition avec une joie satirique et introduisit
dans son 4 Poetaster' quelques vers de la * Bataille ',
mot pour mot, avec jeu de scene approprie" :
" Enters Minos with Pyrgus on his shoulders and stalks
backwards and forwards as the boy acts.
Pyrgus. — Now you shall see me do the Moor. Master, lend me
Tucca. — lieu! 'tis at thy service, boy. [your scarf.
Pyrgus. — Where art thou, boy? where is Calipolis?
Fight earthquakes in the entrails of the earth,
and eastern whirlwinds in the hellish shades ;
some foul contagion of the infected heavens
blast all the trees, and in their cursed tops
the dismal night-raven and tragic owl
breed and become forerunners of my fall.
(Poetaster iii fin)
70 GEORGE PEELE
line allusion aussi sp6cifique n'a de sens qu'en tant
qu'elle se rapporte a une pi&ce alors surles planches.
La parodie de Jonson donne ainsi plus de force a notre
hypoth&se. La meme remarque s'applique aux traits
d£coch6s par Marston (What You Will v. i) a la malheu-
reuse tirade de Calipolis ; et nous sommes in^vita-
blement amends par les faits a conclure que notre
drame 6tait bien le ' Book of Mahomet ' qu'Henslowe
acheta finalement d'Alleyn pour la somme de 2 livres,
le 22 Aout 16011.
Nous ignorons le sort du drame apr&s cette date,
mais sa longue carri&re, ses reprises successives, et
aussi la parodie r6p6t6e de quelques-unes de ses
scenes, nous donnent un irrefutable t6moignage de
sa popularity. Cette popularity, il faut 1'avouer, est
mal justifies par les nitrites intrins&ques de la pro
duction. 11 nous faut chercher ailleurs les facteurs de
son succes, et laisser a F analyse le soin de nous les
deroiler.
Violant les lois sacrees qui ^tablissaient en Bar-
barie la succession collat^rale, Muly Mahamet s'est
empar6 de la couronne, a exi!6 ou emprisonn6 ses
oncles, h^ritiers legitimes du trone, et inaugure son
r&gne par le meurtre de 1'un deux, Abdelmunen, et
de ses deux fils. A peine, pourtant, la nouvelle du
meurtre a-t-elle atteint Abdelmelec dans son exil
1. " Pd unto edward alleyn at the a poyntment of the com
pany the 22 of aguste 1601 for the Boocke of mahemett the some
of xxxxs ',
L'OEUVRE DE PEELE 7i
qu'avec 1'aide de troupes e'prouve'es il d6barque pres
de Fez, chasse Fusurpateur, et 1'oblige a fuir aux con-
fins du Maroc avec sa femme Calipolis el quelques
fiddles partisans. Mahamet. serre" de prfcs par les
armies d'Abdelmelec, erre, — fugitif affam6, — par
les deserts brulantsde 1'Atlas, et attend anxieusement
Tissue de son ambassade aupres de Se"bastien roi de
Portugal. Ses espoirsne sont point d6c,us : S6bastien,
enflamm6 al'id6e de quelque glorieux exploit contre
les Maures, tent6 en outre par les promesses de Maha
met, s'engage a lui prefer prompt secours, dans le
double but d'accroltre ses possessions et de servir la
cause du christianisme. - D'actifs pr^paratifs ont
de*j& commence en Portugal, quand Thomas Stukeley,
un noble exil6 anglais, parti de Rome avec quelques
navires pour conque*rir 1'Irlande au nom du pape, est
jete* par la tempfite dans la baie de Lisbonne. Le roi
S6bastien, au cours d'une longue audience le dissuade
de donner suite a son vain projet, s'efforce de le
retenir, et lui persuade enfin de prendre part al'expe*-
dition de Barbaric. Des promesses d'alliance sont
sollicit6eset obtenuesde Philippe II, et, comptant sur
1'aide espagnole, Se"bastien leve aussit6t Tancre.Mais
le perfide Philippe rompt ses engagements, et le roi
de Portugal attend en vain dans les eaux de Cadix.
IndomptS, pourlant, par cette defection, il se refuse
a abandonner son dessein ; et la flotte, hissant la
voile, court sur les rives d'Afrique. L'expSdition,
bravement, mais inconsidere'ment conduite, aboutit
72 GEORGE PEELE
bientot a une de>oute tragique. Le 4 aoui 1578,
S£bastien, Stukeley et sa bande d'ltaliens, unis a
Mahamet, livrent a Abdelmelecle combat d6cisif. Les
Italiens de Stukeley supportent courageusement le
choc, jusqu'a Theure ou la fuite des Portugais les
6crase. S6bastien est tu6 ; le Maure noy6 dans ses
efforts pour fuir ; Stukeley, deja bless6, estpoignard6
par ses mercenaires ; et les I6gitimes vainqueurs
terminent la piece par une marche funebre, tandis
qu'on emportele corps deS6bastien, etqu'on 6corche
le cadavre souilie de boue de Fusurpateur,
so to deter and fear the lookers on
from any such foul act and bad attempt.
Ce sommaire suffit a nous montrer que le drame
devait une bonne part de son succ&s a son contenu
allusif. Le roi de Portugal y jouait un role important,
etles scenes ou il paraissait ne pouvaient qu'acqu^rir
un vif interet du fait qu'en 1589 une flotte anglaise
s'armait pour une expedition en Portugal, destin6e a
6tablir sur le trone le prelendant don Antonio. La
meme expedition 6tait aussi, dans 1'imagination des
Londoniens tout au moins, une menace pour le pape
et 1'Italie. Les citadins patriotes la voyaient deja
voguer triomphante vers Rome,
there to deface the pride of Antichrist,
and pull his paper walls and popery down ; (Far. v. 25-26)
et ils saluaient de leurs acclamations chacun des sar-
casmes Ianc6s par Peele au catholicisme ou a son
representant dans notre drame, 1'eveque irlandais,
L'OEUVRE DE PEELE 73
" the reverend, lordly bishop of St-Asses " (ii. 2.49).
La haine de 1'Espagne, en outre, 6tait encore dans
toute sa force ; des craintes r^centes n'avaient fait que
1'accroltre, et toute attaque directe centre la perfidie
espagnole ou la duplicite de Philippe 6tait avidement
accueillie. Peele ne les 6pargna point dans sa l Battle ',
et il n'eut garde de n^gliger non plus cet autre sti
mulant de Tenthousiasme populaire, un relentissant
pan6gyrique de 1'Angleterre, de son noble peuple, et
de sa plus noble reine.
Were every ship (s'e"crie-t-il) ten thousand on the seas,
mann'd with the strength of all the Eastern Kings,
conveying all the monarchs of the world,
t 'invade the island where her highness reigns,
'twere all in vain, for heavens and destinies
attend and wait upon her majesty, (ii. 4. 103 sqq.)
Les sons de la trompette patriotique £taient doux aux
oreilles londoniennes, el Peele en fait consciencieu-
sement vibrer le cuivre. II courtise son auditoire en
portant de 600 h tiOOOle nombre des bommes confies
par le pape & Stukeley pour conquerir 1'Irlande; il
multiplie son unique frigate en sept navires et deux
pinasses ; et jelte sur les 6paules de 1'aventurier le
manteau 6clatant de Th^roisme. Sans doule une his-
toire imparliale nous montrerait en lui un soldat de
fortune, un intrigant sans envergure, un forban,
presque un traltre a son pays. Mais comment uncapi-
taine de pur sang britannique pourrait-il jouer un
r61e aussi peu honorable parmi^s Portugais. Maures
74 GEORGE PEELE
et Castillans de notre piece? Peele le dote g6nereu-
sement de la t6m6raire bravoure, de 1'insouciant esprit
d'aventure, de Fambition invincible qui 6taient le plus
propres a le faire ch6rir par Factive imagination 6li-
sab6thaine. C'6tait la, 6videmment, d6naturer les fails,
mais une erreur deliber6ment commise au profit de
prejug6s courants 6tait suffisamment justified, aux
yeux du dramaturge, par les acclamations bruyantes
qu'elle etait sure de d6chainer.
Les changements apport6s a 1'histoire elaient, d'ail-
leurs, assez judicieusement calculus pour ne pas affai-
blir Finteret que promettait a Fauditoire la mise en
scene d'evenements contemporains1. De nombreux
et authentiques details ^taient'introduits dans chaque
scene pour maintenir dans Fesprit des s^pectateurs le
sentiment de Iar6alit6, et Dr. Brinsley Nicholson a su
montrer 2 qu'ils 6taient, pour la plupart, emprunte's
a un court ouvrage latin, intitule" ct Historia de bello
africano; in quo Sebastianus, Serenissimus Portu-
galliae Rex, periit... Ex Lusitano sermone, primo in
Gallicum, inde in Latinum translate per Joannem
Thomam Freigium D. Noribergae CIODXXC ". Toute
Finformatiou qu'on nous donne sur la malheureuse
expedition marocaine, sur la disposition des troupes
ennemies avant le combat, sur le combat lui-m^me,
la mort miserable de Mahamet, etc., est tiree de cet
1. " A modern matter full of blood and ruth" (i. Pr. 50).
2. Voir Peele. Ed. Bullen. vol. I. p. 221 sqq.
L'CEUVRE DE PEELE 75
*
opuscule. El Peele en a complete" 1'etude par la lec
ture des chroniques d'Holinshed1, qu'il suivil parfois
d'assez pres pour en reproduire les erreurs m6mes, et
changer par exemple en Gre*goire XIII le nom du pape
Gre*goire VII1. Quant au reste des materiaux utilises
dans la pifcce, on en doit peut-6tre, avec Bullen, faire
remonter Torigine a de minces brochures depuis
longtemps disparues, mais plus probablement a la
tradition populaire, reside claire apres une courte
< l»Va.de, et toute disposed a aider Peele dans ses efforts
pour id6aliser les exploits discutables d'un Thomas
Stukeley.
Cette idealisation, 1'appel vibrant fait au patriotisme,
et les constantes aljusions politiques de la l Battle of
Alcazar7 furent, e"videmment, les agents les plus effi-
caces de sa vogue ; mais il nous faut chercher une autre \
cause de son succfcs dans la maniere dont elle satis-
faisait les exigences du public d'alors par la magni
ficence de ses tableaux, la rapidite* de son action et le
ton d6clamatoire de son stylo, en un motparl'adoption
sans reserve de tous les process marlowesquesj
L*esprit df Emulation dans lequel Peele composa saT^
piece n'est, en fait, que trop Evident. Les scenes de
conquele africaine avec leurs peintures d'6tranges ^
cours et d'6tranges poientats, et leur representation
des pompes glorieuses de la guerre, certifient Tin-y
1. Ou plutdt de 1'histoire irlandaise de Giraldus Cambrensis
qu'Holinshed a traduite.
2. Lire Holinshed. vol. ii. p. 149. 1. 22-51.
76 GEORGE PEELE
fluence de Tamburlaine1, qu'attestent encore la sura-
v bondance et le caractere sensationnel des effets sc6-
niques. Peele partage le gout de Marlowe pour l'6clat
et la couleur des choses exotiques, des robes imp6-
riales broch6es d'or, des lourdes couronnes, des tapis
de Turquie jetes sous la roue des cbars, des enseignes
- froissees par le vent, des Maures au teint basane", des
bassas vetus de soie pourpre, et des janissaires bruns
,/ 6quip6s pour la guerre. Comme lui, il drape ses per-
sonnages des e"toffes somptueuses de 1'Orient, et il
habille son Mahomet des de*froques 6carlates et cha-
marr6es de Tamburlaine. Quant aux [effets sc6niques,
ils assouvissent dans les deux pieces 1'appelit des 6li-
sab6thains pour Fhorrible. Chez Marlowe, le heros
s'entaille brutalement le bras pour donner a ses fils
uneleQon de courage; chez Peele, les ambassadeurs
maures, emules de Mucius Sca3vola, livrent leurmain
a la flamme des torches pour prouver la v6racit6 de
leurs serments. Faut-il un autre exemple? La scene
v finale du second 'Tamburlaine ', ou le conquerant
invaincu, aux prises avec la mort, assiste au dernier
triomphe de son arm6e, trouve son parallele a la fin
du drame peelien, quand le cadavre d'Abdelmelec
1. Le berger et conquerant scythe est d'ailleurs expressement
mentionne en bonne place :
" Convey Tamburlaine into our Afric here,
to chastise and to menace lawful kings.
Tamburlaine, triumph not, for thou must die " (i. 2. 33).
et le dernier vers est une reminiscence de ' Tamburlaine ' part 2.
Acte V :
• For Tambuilaine, the scourge of God, must die".
L'OEUVRE DE PEELE 77
est hiss6 sur le tr6ne royal, pour conlempler, comme
s'il v6cut eucore, la victoire de ses partisans et la
de"route de ses ennemis. Ce n'est point a de telles
imitations, d'ailleurs, que se borne 1'influence des
"discours tragiques" de Marlowe. Plus d'un theme
de " Tamburlaine " se voit repris et remani6 dans la
c Battle '. La fameuse tirade sur la *' suave jouissance
d'une couronne " n'a-t-elle point son pendant dans les
paroles arrogantes de Stukeley :
Then shall no action pass my hand or sword
that cannot make a step to gain a crown ;
no word shall pass the office of my tongue,
that sounds not of affection to a crown ;
no thought have being in my lordly breast,
that works not every way to win a crown (ii. 2. 69 sqq.)?
La moindre suggestion n'est-elle pas saisie, utilised
par rimagination de Peele, et ne tire-t-il pas de ces
deux vers :
And when the princely Persian diadem
shall fall like mellow 'd fruits with shakes of death (1 Tamb. ii. 1)
toute la pantomime du cinquieme acte \ la pantomime
ou il 6voque a nos yeux la Renomm6e et lui fait
suspendre aux branches rugueuses d'un arbre les
couronnes que le vent jette a terre comme des fruits
trop murs? — Toute la piece porte ainsi des marques
d'une imitation appreciative de Marlowe. -- Nous en
trouverons d'autres dans 1'examen de son style et de
sa versification ; mais il n'en serait pas moins erron6
1. * Battle of Alcazar, Acte V. Prol. v. 11 et suivants.
78 GEORGE PEELE
de parler de servilit6 ou de plagiat. Une certaine
originalit^ se manifeste dans la structure dramatique
de la 'Bataille d'Alcazar'. ' Tamburlaiiie ' en effet,
n'est qu'une sorte d'6pop6e egar^e dans les sentiers
du drame. Son action est justement critiqued pour
sa monotonie et sa longueur. C'est une serie de scenes
impressionnantes, une longue chaine de noeuds gor-
diens que le he>os tranche un a un. Le conqu^rant
scythe d^passe d'autant ses allies et ses adversaires
que le Pharaon, dans une peinture 6gyptienne, la
tourbe vile de ses ennemis. Anim6e par le souffle
ardent de Marlowe, son 6crasante personnalH6 seule
unit Fun a 1'autre tous les incidents de la piece et
assure Fharmonie du tout. Mais le talent de Peele
n'eut pu se hausser a une aussi puissante creation;
conscient de cette incapacity il chercha judicieu-
sement I'unit6 de sa piece, non point dans la peinture
d'un caractere unique, centre de tout interet, mais
dans une m6thode de construction diff6rente et plus
essentiellement dramatique. Toute Fintrigue de la
4 Battle of Alcazar ' se base sur les crimes de Mahamet
et leurs consequences : sa deposition et ses efforts
pour regagner la couronne. Ce n'est plus a un r6cit
6pique, a une succession chronologique d'6v6nements
que nous avons affaire, mais a une crise provoqu6e par
un crime initial. — Le juste chatiment et la mort du
criminel marquent le drame comme une u revenge-
play ", et, en fait, les efforts conscients de Peele sem-
blent avoir 6t6 d'unir au type du drame marlowesque
L'CEUVRE 1)E PEELE 79
la tragSdie fataliste, batie surdes modules s6n6ciens.
N'e*tait-ce point la, du reste, ce que nous pouvions
attendre d'un ancien (Hudiant d'Oxford qui joignait a
sa juste admiration de la literature classique le d6sir
d'adapter a ses fins tout ce que la faveur populaire
avait consacre' d6ja? La l Bataille d'Alcazar', a plus
d'un egard, est une pifcce selon la tbrmule de Se"nfcque ;
mais constater le fait n'implique pas que les tragedies
latines soient les modeles directs de Peele. A la date
<>ii parut son drame, la multiplicity des imitations
ante>ieures rend impossible la distinction entre
1'influence directe et indirecle du tragique romain ;
et tout au plus peut-on affirmer avec certitude que la
production peelienne appartient au type s6ne*cien
presque au m6me titre que l Tancred and Gismunda '
et les 'Misfortunes of Arthur'. Comme ces pieces,
elle respire une atmosphere chargee de sang; comme
elles, elle se complalt a l'6talage d'horreurs lugubres;
les fant6mes y appcllent la vengeance sur la tele de
leurs meurtriers; les allusions mythologiquess'y bor-
nent aux dieux d'en bas et a la compagnie infornale
qu'aime invoquerSenfcque :Tantale,Ixion,Sisyphe,ou
Nemesis ; enfm la piece est dument pourvue des ine*-
vitables pantomimes, aussi insipides que compliqu^es.
Le choix m&me de son sujet fut peut-6tre dict6 par
une ressemblance superficielle avec 1'Agamemnon ou
le Thyeste. Quel qu'en ait 616 d'ailleurs le motif, ce
choix seul importe , et nul ne saurait contester que 1'his-
toire d'un usurpateur meurtrier, chass6 par les pr6ten-
80 GEORGE PEELE
danis 16gitimes etre"duit a courtiserl'aide 6trangere,
ne soit un puissant theme de trage"die. Peele, malheu-
reusement, n'a pas su en d^gager tout Finteret 6mo-
tionnel, et ici encore la pauvret6 psychologique des
caracteres estla cause premiere de son 6chec- Maha-
met, le heros de la piece, ne doit sa preeminence
qu'a ses crimes et ses deTaites, — source d'ou precede
le mouvement de toute Fintrigue ; mais son caractere
n'6volue pas, ne se de>eloppe pas au cours de la pifcce,
et n'est pas meme dessine, d&s le debut, en traits
fortement distinctifs. II ne se montre a nous qu'en
deux attitudes : Tune de feinte confiance et de forfan-
terie forcen£e, 1'autre de d^sespoir blasph6mateur.
II nous remet en Fesprit tantot Tamburlaine, tantot
Bajazet, mais un Tamburlaine et un Bajazet qui
seraient pauvres en passion r6elle, sinon en rhe"to-
rique passionn^e ; et il n'est, somme toute, qu'un
vilain froidement concii et fort indifferemment de"-
peint. Calipolis, sa compagne, n'a d'autre fin que de
repr^senter Foment de conscience donl 1'absence
est, en lui, si manifeste ; et dans la foule des autres
personnages S6bastien et Stukeley seuls se pr6sentent
a nos yeux avec quelque relief. Le reste se meut
f6brilement sur la scene, — ombres presque aussi
irre~elles que les fantomes dont les cris de " Vin-
dicta" retentissent dans les u dumb-shows " de notre
drame. Nulle part Fint6ret n'est command^ par
Faction et la reaction des diffe>ents caracteres, mis
r^ciproquement en vigueur par leur opposition m^me.
L'OEUVRE DE PEELE 8i
L'attention se concentre toute sur les incidents mate'-
riels de I'intrigue, et, dans 1'importance qu'on leur
donne, la consideration de tous les autres elements
dramatiques semble s'etre absorbee. L'intrigue, qui
plus est, a la froideur seche d'une ebauche ; rien ne
nous reste que le squelette du drame, avec ses c6tes
saillantes et ses os gr&les, nu, decharn6, — une pure
succession d'incidents qui laisse a peine a la passion,
au sentiment, a la reflexion le temps ou la possibilite
de s'exprimer. Des meurtres, des ambassades, des
escarmouches et des batailles, — c'est la ce qui
occupe presque entierement la pifece, de son expo
sition a son denouement; et la grandeur tragique du
theme est sacrifice au plaisir tentant d'utiliser tout
1'attii ail fastueux et bruyant des pieces historiques.
L'importance disproportionnee donnee aux incidents
guerriers de Faction nous engagerait mftme a ranger
au nombre de ces pieces la 4 Battle of Alcazar', si la
mise en scene exotique, la recurrence de motifs mar-
lowesques, et un certain ton de determinisme a la
Seneque ne nous rem£moraient a chaque instant les
intentions replies de Peele, ses efforts pour extraire
de chaque type de drame alors populaire, et com
biner dans sa propre production, tous les elements
qui lui semblaient propres a gagner la favour de son
auditoire.
C'est avec ce m&me objel en vue qu'il fit du vers
blanc le metre de sa piece et mit dans la bouche de
ses personnages ces tirades redondantes et retentis-
CREFFAUD. 6
82 GEORGE PEELE
sanies alors si che>ies du public. La l Bataille d' Al
cazar ', examinee au point de vue de la forme, re>ele,
comme on le pouvait pre>oir une double de*pendance.
A 1'exemple de Marlowe nous ne pouvons qu'imputer
partiellement Fenflure declamatoire du style, quoique
plus d'un passage extravagant de notre piece porte
I'estampille de Tamburlaine, celui-ci entre autres :
Mahamet.
Such slaughter with my weapon shall I make
As through the stream and bloody channels deep
Our Moors shall sail in ships and pinnaces
From Tangier shores unto the gates of Fess.
Mahamet 's son.
And of those slaughter 'd bodies shall thy son
A hugy tower erect like Nemrod's frame,
To threaten the unjust and partial gods
That to Abdallas ' lawful seed deny
A long, a happy and triumphant reign, (i. 2.55 sqq)1.
Mais il serait injuste de negliger 1'influence de S6neque
sur la rhelorique grandiloquente de la c Bataille ' ; a
sa part doivent 6choir les invectives les plus acerbes,
1. Gomparez Marlowe ' 2 Tamburlaine '. i. 3 :
Celebinus. Amyras.
No, madam, those are speeches fit for us, And I would strive to swim through pools of blood
for if his chair were in a sea of blood. or make a bridge of murdered carcasses,
I would prepare a ship and sail to it. whose arches should be framed with bones of Turks
ere I would lose the title of a king. ere I would lose the title of a king.
La ressemblance des passages suivants est a peine moins frap-
pante :
" Some foul contagion of th'infected heaven 'And all the trees are blasted with our breaths '
blast all the trees " BA. ii. 3. 7-8. i. Tamb. iii. 1.
"And Victory, adorn'dwith Fortune's plumes, " Fortune herself does sit upon our crest "
Alights on Abdelmelec's glorious crest i Tamb. ii. 2,
"BA. ii. 1.6-7.
" And lay huge heaps of slaughter 'd carcasses " Let thousands die, their slaughter 'd carcasses
As bulwarks in her way to keep her back " shall serve for walls and bulwarks to the rest "
BA. ii. 3. 85-6 iTamb. iii. 3.
L'OEUVRE DE PEELE 83
les allusions multiples au monde infernal, aux hiboux,
corbeaux et autres oiseaux funestes, aux deserts mau-
dits, et a ces antres d£so!6s qu'assombrit 1'ombre
lugubre de 1'if et du cyprfcs. — Limitation de Mar
lowe, par contre, explique seule pourquoi la 4 Battle
of Alcazar' est 6crite, de la premiere a ladernifere
ligne, en vers blancs. Sans doute on ne saurait faire
gloire a Marlowe d'avoir introduit au th6Atre le d6ca-
syllabeh6roique, car Peele lui-m&ne en avait fait fort
bon usage dans son * Arraignment ', mais 11 n'en
suit pas moins Fexemple de son rival lorsque, dans
le present drame, il adopte ce mfctre a 1'exclusion de
tout aulre. Son vers blanc, du reste, difffcre peu de
celui de l Tamburlaine ' ; coulant et facile, il manque
encore de vari6t6 et de souplesse, — tant il est pau-
vre en syllabes hypermStriques eten enjambements.
Peele cherche a obvier a cette monotonie et a com-
penser la perte de la rime par divers effets de diction.
L'alliteration, la r6p6tition des mftmes mots dans le
m&me ordre, un exact parallelisme de structure dans
les deux hemistiches d'un vers ou dans des vers suc-
cessifs sont les proc6d6s auxquels il a le plus fr£-
quemment recours ; mais il n'h^site pas a Toccasion
devantdes formes plus savantes, devant la tl progres
sion iterative ", parexemple, qui consiste a reprendre
au d6but de chaque vers les mots qui terminent le
precedent :
And for this deed ye shall be renown 'd,
renown 'd and chronicled in books of fame,
84 GEORGE PEELE
in books of fame, and characters of brass,
of brass, nay, beaten gold. (iii. 4-50 sqq.)
Enfin il s'efforce de varier les plus longues tirades par
1'insertion d'un m&me vers a intervalles sensiblement
r^guliers, divisant ainsi le tout en une se>ie de para-
graphes, ou, si Ton nous permet 1'expression, une
se>ie de stances en vers libres
After the fight happy and fortunate
wherein our traitorous Moors have lost the day,
and Victory, adorn'd with Fortune's plumes,
alights on Abdelmelec 's glorious crest,
here find we time to breathe, and now begin
to pay thy due and duties thou dost owe
to Heaven and Earth, to Gods and Amurath.
And now draw near, and heaven and earth give ear,
give ear and record, heaven and earth, with me;...
our only brother here we do install
and by the name of Muly Mahamet Seth
intitle him true heir unto the crown...
Lo, thus my due and duties do I pay
to Heaven and Earth, to Gods and Amurath. (ii. 1-4 sqq).
Quelques-uns de ces artifices de style, il est vrai, sont
aussi familiers a Marlowe qu'a Peele ; mais la plu-
part sont particuliers a celui-ci, et montrent a la fois
son originality comme versificateur et styliste, et le
soin qu'il apporta a re*diger et fignoler sa piece.
En fait, le style travaille et poli de la ' Battle ' est
le seul me>ite qui la puisse racheter a nos yeux. Les
penchants qu'elle flatte sont des choses du passe" : les
hyperboles d'un pan£gyrique n'e"veillent plus notre
patriotisme ; la rh6torique d^clamatoire ne provoque
plus aujourd'hui que nos sifflets, une action bounce
L'CEUVRE DE PEELE 85
d'incidents et d'atrocit£s r^pugne a notre imagination ;
et F analyse des caractfcres dont nous nous soucions
presque exclusivement, fait trop manifestement defaut
dans la ' Bataille d' Alcazar ' pour nous permettre de
souscrire au jugement favorable que les contempo-
rains semblent en avoir formed
EDOUARD I.
Assure des sympathies du parterre pour des sujets
d'histoire, c'est £ Fhistoire que Peele demanda encore
le theme d'un autre drame : " the chronicle of Edward I,
surnamed Longshanks ". Mais, instruit par une plus
grande experience du th&Hre, il abandonna celte fois
les chroniques portugaises ou marocaines, et s'adressa
aux annales nationales pour la maliere de sa nouvelle
piece.
Son lEdouard T fut imprime en 1593 par Abel
Jeffes, et une seconde edition parut, chez William
White, en 1599. Les premieres representations,
cependant, avaient du pr6c£derde quelques ann^es la
publication du quarto le plus ancien, et, quoiqu'il nous
faille laisser une certaine part a Timpr^cision, nous
en pouvons fixer approximativement la date. Les auto-
rit^s habituelles ne nous prfttent qu'une aide ineffi-
cace. Dans les Registres des Stationers nous trouvons,
sans doute, la mention des editions successives de
notre pifcce1, mais ceci ne nousfournit qu'un u termi-
4. viij° Die Octobris 1593. Abel Jeffes. Entred for his copie under
th<eh>andes of both the wardens an enterlude intituled the chro-
86 GEORGE PEELE
nus ad quern " pour sa composition ; et le Journal
d'Henslowe est aussi pauvre en information1. Tout au
plus apprenons-nous de lui que u Longshanks " fut
jou6 par les ''Admiral's Men " de Mai 1595 a Juillet
1596 et que les droits de proprie"te en appartenaient
a Alleyn jusqu'en Aout 1602 a. Ces quelques details ne
nous indiquent pourtant pas l'6poque de la production,
et nous en sommes r6duits, pour 1'etablir, au seul
t^moignage de la piece m£me. II est ais6 de voir
qu'elle fut 6crite apres la deroute de F Armada, pen
dant ces ann6es oh 1'Angleterre, fiere d'avoir humilie'
1'orgueil espagnol, chantait un peu trop insolemment
victoire. Herr Wilhelm Thieme a, en outre, ing^nieu-
sement remarqu6 3 que la scfcne on s'6tale la munifi
cence d'Edouard (Sc. i. v. 117 sqq.) faussait Fhistoire
pour glorifier indirectement Elisabeth, dont la g6ne>o-
sit6 se manifestait alors par des pensions aux marins
blesses pendant la lutte contre 1'Espagne. Ceci nous
donne \ 588 comme " terminus a quo ", et circonscrit
les recherches entre cette date et 1593. Plus de pre"ci-
sion, pourtant, est n^cessaire pour determiner la place
relative d' l Edouard I ' dans la carriere dramatique de
nicle of king Edward the Firste surnamed Longshank with his
Retourne out of the Holye Lande, with the lyfe of Leullen Rebell
in Wales, with the sinkinge of Queen Elinor vj*.
13 Augusti 1599. William White. Entered for his copies (salvo
Jure cujuscunque) by assignement from Abel Jeffes. Edward Long-
shankes, etc.
1. Gonsulter < Henslowe 'sDiary, (du 29 aout 1595au9 juil. 1596).
2. " Pd unto my sone E A for ij bocke called philippe of spayne
& Longshanckes the 8 of agust 1602 the some of. iiijn .
3. Peele's Edward I und seine Quellen. Halle 1903.
L'CEUVRE DE PEELE 87
Peele. Fleay 1'assigne approximativement a l'anne"e
1590-91, en raison de ressemblances bien denies
avec quelques vers de Polyhymnia (1590)1 ; mais cet
argument, bien que solide, ne serait pas concluant en
soi sans 1'appoint que lui apportent les allusions poli-
tiques contenues en plusieurs passages. Ces deux vers
en effet :
Her (England 's) neighbour realms as Scotland, Denmark,
France...
have begg'd defensive and offensive leagues, (i. 1. 22-23)
n'admettent qu'une interpretation: en 1590, le roi
d'Ecosse, Jacques IV, 6pousa, surles conseilsd'Elisa-
beth, Anne, fillede Ferdinand de Danemark ; et regut
Tordre de la Jarretiere en mfime temps qu'Henri
de Navarre, — alors occupe" a gagner sa couronne
avec 1'aide de troupes britanniques. Une reference
a ces e've'nements contemporains nous explique le
choix de 1'ficosse, du Danemark et de la France dans
notre texte. uWhat warlike nation", 6crit encore
Peele,
what barbarous people, stubborn or untam'd,
erst have not quak'd and trembled at the name
of Britain and her mighty conquerors? (i. 1. 16 sqq.)
2. Cf. par ex.
" And whilst ibis ancient standard bearer lives ,, To be jour beadsman now that was your knight"
he '11 be my beadsman, father if yon please " Polyhymnia Sonnet 18.
E.I. Sc i. 128-9.
" Renown 'd Edward, star of England 's globe " " Britannia's AUai, star of England '• globe "
Ei. Scv. 48. Pol. T. 4.
" And sway the sword of British Albion. " •• That sway the massy sceptre of her land "
Ei. Sc ii. 321. Pol. T. 5.
" The damps that rise from out the queachy plots " When in the qneacby plots Python he slew"
El. Se. 7. 77. Pol. v. 213.
" Hath won his crown, his collar, and his spurs ". " He won his knightly spars in Belgia.
El. Sc. 1 90.
" Dab on your drams, tanned with India s sun " And follow'd dab of drums in fortune's grace".
Ei. Sc. 1. 107. Pol. 197-8.
88 GEORGE PEELE
et on serait tent6 de regarder ces quelques vers
comme une vaine rodomontade, si le passage n'6tait
comment^ et 6lucid6 par ces mots de 1'historieri
Camden : u The glory of Queen Elizabeth was spread
abroad, and her reputation extended far, having
obtained in 1590 of the Emperor of the Turks rest
and quiet for the Vaivod of Moldavia who had been
miserably plagued and turmoiled by the Turks, and a
peace for the Polonians who were threatened by them
with a sharp and dangerous war'71.
Ces allusions rendent presque sure la dale sugge"re"e
par Fleay (1590-91), et nous croyons probable que
la piece appartenait alors, comme en 1595, a la
troupe du Lord Admiral2. La version que nous en
poss6dons prouve, en tout cas, que Peele n'eut rien
a voir avec sa publication ; la date du premier quarto
suggere m6me qu'elle fut envoy6e a 1'impression par
les com6diens lorsque la peste les obligea a quitter
Londres pour les provinces. Le drame, tel que nous
Favons dans 1'exemplaire de 1593, est irr6m6dia-
blement mutil6 ; non seulement le texte en est cor-
rompu, mais plusieurs scenes sont maladroitement
4. Camden. The History of Quen Elizabeth. 4 ed. London. 4688.
p. 442.
2. Nous avons vu que ies " Admiral's Men " et les " Strange 's
Men " ne formerent qu'une seule troupe de 4590 a 1594. Ceci auto-
riserait Fleay a conjecturer, avec une certaine plausibilite, que le
vers " Shake thou thy spear in honour of his name " est une
allusion a Shakespeare ; car Shakespeare appartenait a cette date
a la troupe de Strange, et jouait habituellement, nous dit John
Davies, des " r61es de roi ".
L'OEUVRE DE PEELE 89
d6plac£es, plusieurs passages transports la oil ils
n'ont que faire, el le denouement, enfin, est assez
de*plorablement endommage' pour n'6tre qu'un m£-
lange confus de pieces et de morceaux. Quant au
quarto de 1599, bien qu'il corrige quelques erreurs
typographiques trop manifestes, il en adopte impli-
citement la plupart, en ajoute d'autres, et n'est,
somme toute, qu'une servile relmpression. Dans les
deux cas il est Evident que, si les erreurs de texte
peuvent fctre impulses a 1'insouciance du copiste ou a
Tignorance du compositeur, une conjecture d'ordre
different doit expliquer les autres anomalies des
quartos : et seul un compte rendu de*taill6 de la pifcce
peut mettre sur la voie d'une solution plausible.
Le rideau se Ifcve sur un retour de croisade, le
retour triomphal du roi Edouard et de la reine
El6onore. Grande est leur joie a la vue de la patrie
anglaise : noble leur gratitude envers les troupes qui
ont affront^ avec eux les perils de la guerre sainte. Le
roi reQoit de Gloucester les insignes du pouvoir, et,
aprfcs avoir fix6 le jour de son couronnement, s'eioi-
gne avec tout son cortege pour gouter les plaisirs de
la table et la joie du repos. — Encore ignorant de son
retour, Lluellen, le rude chef Gallois, se flatte de
deiivrer son pays du joug britannique et d'^pouser
bient6t la gracieuse Ellen, <l -the rose of Leicester's
hall and bower". Tout au bonheur de ce doux espoir,
il raille joyeusement un moine qu'il rencontre en
compagnie peu canonique; mais un messager lui
90 GEORGE PEELE
apporte de brusques nouvelles : Edouard est arrive" a
Windsor, la barque d'Ellen a e"te" prise, sur la route
de Galles, par des vaisseaux anglais; et Lluellen,
avec des serments de vengeance, d6vaste sur-le-
champ la frontifcre. — Pour 6touffer la rebellion, on
envoie Mortimer et une arme*e ; mais Longshanks
lui-meme ajourne sa venue jusqu'au lendemain du
couronnement. La solennit6 de ce jour est rendue
plus imposante encore par la presence des nobles
Scossais qui confient a Edouard le choix de leur
monarque et acceptent Baliol de sa main. Le roi quitte
alors la cour pour FOuest et termine aussitot la guerre
par la restitution d'Ellen a son 6poux et la promesse
de ne laisser personne r6gner en Galles qui ne soit n6
en sol gallois. Cette promesse dissimule, toutefois, un
plan bien trame\ Mand6e par Longsbanks k Carnarvon,
El6onore y accoucbe bientot d'un fils qui remplit les
conditions du traite" et regoitl'hommage des rebelles.
La pacification serait ainsi complete, si Lluellen ne
s'avisait de chercher refuge dans les forets pour y
vivre la vie bardie et irr^guliere du hors-la-loi.
Tandis qu'il personnifie Robin Hood et sa compagne
Maid Marian, ses partisans se partagent avec succ&s
les roles de Little John, Friar Tuck et autres h6ros
du brigandage. Tous volent, pillent, attaquent, arr&-
tent, rangonnent et 6trillent les voyageurs, du plus
grand seigneur au moindre manant; et le roi lui-
meme, quoique vainqueur de leur cbef en combat
singulier, ne peut mettre fin a leurs exactions et &
L'OEUVRE DE PEELE 9i
leurs rapines. — De p£nibles ere'nements, d'ailleurs,
1 'uppellent en ficosse, ou Baliol, rassemblant une
arm6e h Berwick, s'est inopin£ment re"volte\ Edouard
marche droit au repaire, 1'atlaque, 1'emporte et
exp^die Baliol captif a la Tour de Londres. Au pays
de Galles aussi, la victoire favorise la cause anglaise :
Mortimer taille en pieces la derniere bande et mas
sacre le dernier mutin. Mais la Fortune pretend
£prouver encore la Constance d'Edouard. Aux dangers
nationaux succedent les malheurs domestiques : la
reine, 1'Espagnole E16onore, a re>616 son origine par
sa cruaut6 et son orgueil, et s'est Iaiss6e emporter au
meurtre inqualifiable de la mairesse de Londres. Le
chatiment, du reste, a suivi de pres Tassassinat: la
terre, s'entr'ouvrant, a englouti la reine a Charing
Green pour la rejeter a Potter' s-hith, et maintenant
elle repose, bris^e et g^missante, sur son lit de mort.
Le roi, 6pouvant6 par la nouvelle, hate son retour
d'ficosse pour courirau chevet de son Spouse. Sous
un d^guisement eccl^siastique, il la confesse; et
apprend de sa bouche qu'elle a souill£ le lit nuptial
avec son beau-frere et un moine ; mais, respectueux
de la mort, il rSprime sa douleur et sa colere, pardonne
comme 6poux et absout comme pr6tre, et c!6t le
drame par de magnanimes paroles de remission.
L'action , on le voit par cette analyse, est surcharged
d'incidents que le dramaturge se soucie peu de faire
decouler logiquement Tun de 1'autre ; et force nous est
d'arranger les scenes successives en trois series s6pa-
92 GEORGE PEELE
rees, de reduire la piece a trois intrigues distinctes, —
traitant respectivement des guerres d'Edouard, de la
vie d'E16onore, et des aventures du Robin Hood gallois .
Chaque intrigue, d'ailleurs, a ses sources sp£ciales.
Deux 6rudits allemands, Herr Thieme et Herr Kro-
neberg, ont laborieusement 6tudi6 la question. II est
inutile de les suivre dans le detail de leur 6tude; il
suffit de rappeler que la source des portions stric-
tement historiques de notre piece a 6t6 trouv6e par
eux chez Grafton et Holinshed, et quelques pas
sages particuliers chez Stow, Walsingham et Mathew
of Westminster. Cette partie de leur travail est exacte,
et nous n'avons aucun motif pour revenir sur leurs
conclusions. II n'en est pas de meme en ce qui con-
cerne les scenes pseudo-historiques consacr^es a
E16onore. Tous supposent que Peele tira ses mat^riaux
de ballades intitules l A Warning-Piece to England
against Pride and Wickedness ' et ' Queen Elinor's
Confession ' mais nous ne saurions affirmer que ces
ballades ont pr6c6d6 la piece de Peele, car la premiere
ne fut imprime^e par Thomas Symcock que sous le
regne de Jacques Ier, et la plus ancienne version de la
seconde est dat6e 1685. II serait meme possible, a la
rigueur, de se passer de 1'une et Fautre. Les ' Gesta
Romanorum' en effet, contiennent un passage qui
coincide en tous points avec le re~cit du meurtre corn-
mis par E16onore * ; et 1'histoire du man* confesseur,
1. Voir: Gesta Romanorum. Ed. Hermann OEsterley (Berlin.
i872)p. 683-279 app. 83.
L'CEUVRE DE PEELE 93
familiere aux conteurs italiens ', se retrouve dans un
ouvrage anglais contemporain : le ' Schoolmaster' de
Thomas Twyne (1576) *. II conviendrait peut-6tre de
chercher la la source de notre seconde intrigue. —
Quant a la troisieme, l'6pisode de Lluellen-Robin
Hood, — elle paralt directement fondle sur le folk
lore et les cycles de ballades populaires, bien qu'il
soitcurieuxdeconstaterque tous les incidents en sont
plus ou moins identiques a ceux de la * Lytell Geste '
et de la 4 New Play of Robin Hood ' , publie*es ensemble
par W. Copland en 1550 environ.
De ces trois intrigues, que I'expos6 des sources,
comme Tanalyse du drame, re"vele distinctes, les deux
premieres sontr6ellement, sinon 6lroitement r6unies,
mais les aventures de brigandage de Lluellen n'in-
te>essent pas immediatement Faction propre de la
piece. Elles sont m6me si 6trangeres a 1'ensemble que
quelques critiques lendent a les conside"rer comme
de pures interpolations. Leur style, cependant,
est trop peelien pour nous permettre d'accepter une
telle supposition, et nous croyons fermement qu'elles
sont des additions faites par Peele a sa premiere ver
sion du drame. Si cette conjecture est vraie, l'6pi-
sode de Robin Hood doit former un tout inde"pendant ;
- on peut, en fait, 1'extraire de la pifcce sans porter
1. V. par ex. le Decameron de Bocace. vn, 5; Bandello 1-9 ;
Malespini, 92« conte; Scala Cell fol. 49. Antonio Francesco Doni,
etc.
2. Thomas Twyne ' The Schoolmaster or Teacher of Table Phi
losophic " The 4tf> Bk. Ch. 8.
94 GEORGE PEELE
atteinte auxdeux autres intrigues. Son insertion dans
le texte doit en outre causer la transposition de quel-
ques scenes et la revision de quelques passages ; — la
transposition des scenes * a deja e"te" note"e par nous,
et les passages refondus sont insouciamment con
serve's, sous leur forme primitive, a la fin de la
derniere scene8. Enfin, il est un fait qui confirme
6trangement notre hypoth&se : en deux ou trois
places la pifcce dans son etat actuel pre~sente de
flagrantes contradictions. Voici 1'exemple le plus
typique : le roi declare a Sir David, Gallois au ser
vice de TAngleterre bien que frere de Lluellen :
u Sir David, you may command all ample welcome
in our court for your countrymen " Sc. xm, 1. 37).
Mais David a deja, dans une scene pre"ce~dente, —
une des scenes d' ;t outlawry ", — trahi Edouard et
rejoint son frere dans les forets de Mannock Deny
(Sc. xn, v. 160 sqq.), et les paroles du roi ne se
1. Sc. HI, v. 39-41 et tirade d'Eleonore (74-116) ; Sc. xv, et pro-
bablement aussi Sc. in (117-137).
2. Ges vers de la Sc. 25 (Ed. Bullen 1, p. 215 n. 5) ont ete evi-
demment remplaces par ce passage de la Sc. xm :
And Mortimer, tis thou must haste to Wales, While -we with Elinor, Glocester and the rest
And rouse that rebel from his starting-holes, With speedy journey gather up our forces,
And rid thy king of his contentious foe And beat these braving Scots from out our bounds,
Whilst I with Elinor, Gloster and the rest Mortimer, thou shall take the rout in hand
With speedy journey gather up our force, That revel here and spoil fair Cambria,
And beat these braving Scots from out our bounds. My queen, when she is strong and well a foot'
Courage, brave soldiers, fates have done their worst ; Shall post to London and repose her there.
Now, Virtue, let me triumph in thine aid. Then God shall send us haply all to meet,
(Sc. 25. fin.) And joy the honours of our victories (Sc. xm).
Quelques autres vers: " Again Lluellen he rebels in Wales,
and false Baliol " etc. seraient a leur place dans les scenes 10, 12
ou 13 de notre drame, mais non point dans la scene finale, —
longtemps apres la decapitation de Lluellen (Sc. xvm) et 1'empri-
sonnementde Baliol (Sc. xxi).
L'CEUVRE DE PEELE 95
justifient, la contradiction ne s'explique, que si Ton
voit dans I'^pisode de Robin Hood, — comme nous
le proposons, — une se*rie d'additions ulte>ieures.
Ces additions, remarquons-le, consistent presque
entierement en scenes comiques, concues apres coup
pour 6gayer et £clairer le ton par trop sombre de
Faction principale '. Sous sa forme originate, en effet,
la piece manquait ;i peu pres totalement d'ei&nents
humoristiques ou burlesques. Elle limitait son sujet a
la vie publique d'Edouard I", a ses rapports avec
1'ficosse et le pays de Galles, d'une part; aux m6faits
de la reine Ele"onore, de 1'autre. II semble nature!,
dans ces conditions, qu'elle adoptat 1'esprit et la
methode des pieces historiques populaires. Elle tirail,
comme elles, tout son inte>6t, de la peinlure d'6ve*-
nements propres a 6veiller le sentiment national ; elle
employait les m&mes proc6d6s sc6niques pour la
representation visuelle de son theme ; et n'h£sitait
pas plus qu'elle a mettre en scene des tableaux m£lo-
dramatiques, dont la violence allait parfois jusqu'a
Tatrocit^. Elle s'en distinguait, pourtant, par plus de
consistance et de cohesion dramatiques. Peelene suit
pas ses originaux avec une lidi'-l i I «'• aussi servile que
ses pr^d^cesseurs, mais traite le r£cit des chroni-
queurs avec beaucoup de liberte et quelque talent.
Bien que les 6v6nements de son action splendent sur
1. Les additions faites par Peele comprendraient : Sc. ii 198-307,
Sc. VH, Sc. viii, Sc. xi 1-18 et 85-119, Sc. xi, Sc. xn, Sc. xix, Sc.
XXIV.
96 GEORGE PEELE
plus de vingt ann6es, — de 1274 a 1296, — il les
condense dans les limites d'une p6riode relativement
courte, et par d'adroits changements de temps et de
lieu donne a sa piece une forme plus concentred.
C'est ainsi que le couronnement d'Edouard(1274) et
1'accession de Baliol au trone d'Ecosse (1296) sont
rapproch6s dans une meme scene ; que le bapteme du
prince deGalles, et le mariage de Gloucester avec Joan
of Aeon, — r6ellement s6pares par un intervalle de
plus de seize ans, — sont ramen^s a une date iden-
tique. Partout Peele manie les donn^es de 1'histoire
avec la meme desinvolture ; d6daignantla chronologic,
guid6 seulement par son sens d'artiste, il fagonne la
r6alit6 au gr£ de ses besoins et impose d6liber6ment
aux incidents du regne d'Edouard un ordre plus dra-
matiquement efficace que Fordre historique.
Get effort pour ecrire une reuvre coherente mar-
quait un progres d^fini sur des pieces comme les i Vic
tories of Henry V ' ou le ' Troublesome Reign of King
John '. — Le soin apporte a la peinture des caracteres
en marquait un autre ; et la Peele se d^passait lui-
meme. On aurait tort, il est vrai, de chercher dans
4 Edouard I' une analyse subtile etfouill6e. Les touches
dedicates qui se pressent sous la brosse d'un drama
turge consomme sont refusers au pinceau de Peele.
Mais, si le nornbre des couleurs dont il dispose est
Hmit6, elles lui suffisent h camper sur la toile ses per-
sonnages, a leur donner une individualit6 propre, a
les doter de pens^es, de sentiments, et, lorsqu'ils agis-
L'CEUVRE DE PEELE 97
sent, de raisons plausibles pour justifier leurs actes.
Lluellen, parexemple,longtempsirr6solualar^volte,
est poussS a une rupture soudaine par les affresd'un
amour frustrS. Sous la pression d'un grief personnel,
il donne libre cours a sa haine de race, et ddsormais
poursuit jusqu'fc la mort une politique d'opposition
constante aux efforts unificateurs d'Edouard. Dans
cette lutte, la force brutale, rintr6pidit6 t6m6raire,
une certaine vaillance irr^fl^chie seraient ses seules
armes, s'il ne subissait, a regret, I'influence de son
frfcre David. Mais Sir David incarne, pour ainsi dire,
la mauvaise foi galloise, alors traditionnelle sur la
scfene anglaise. Ces quelques mots de lui :
Not too much prowess, good my lord, at once,
some talk of policy another while (Sc. IV 7-8)
donnent la clef de son caractfere. Vil et abject est le
r6le qu'il joue a la cour d'Edouard, ou, toujours obs6-
quieux et souple, il rSussit a gagner la confiance du
souverain, et lui extorquerles secrets dont il fait part,
sous main, a ses complices. Son r6el patriotisme est
a peine une excuse a sa duplicit6, et son dernier trait
de perfidie, — haute trahison ou peu .s'en faut, —
trouve aux mains du bourreau une recompense m6-
rit£e. — Baliol, roi d'Ecosse, est, et de beaucoup,
un plus honorable rebelle. Sans doute, il viole la foi
jur£e; mais sa faute procfcde de nobles motifs. Con-
vaincu que 1'ficosse souffre sous la tyrannic anglaise,
il cherche dans une guerre d'ind^pendance le bien-
CHEFFAUD. 7
98 GEORGE PEELE
6tre etla prosp&rite de son pays. C'est ail grand jour,
d'ailleurs, qu'il de"fie 1'Angleterre ; son cartel est sans
Equivoque ; la lutte qu'il livre loyale et Tranche; et il
salt garder jusque dans la deTaite une attitude de
dignit6 calme et sereine.
II serait oiseux de multiplier les exemples pour
montrer que dans l Edouard I ' les personnages secon-
daires monies ont leurs traits distinctifs, et ne sont
plus, comme dans la l Bataille d' Alcazar ' les rouages
obscurs du m6canisme dramatique. Le progres fait par
Peele est incontestable, et devient plus manifeste
encore quand nous reportons notre attention vers les
deux principaux dramatis personse : Edouard et El6o-
nore. Peut-etre leur portrait est-il encore dessine h
gros traits, peint en teintes trop crues ; peut-6tre ne
doit-il son relief qu'a un contraste assez artificiel
d'ombres et de lumieres. Mais ces imperfections sont
largement compense~es par I'int6r£t que provoque en
nous 1'opposition continue de deux irr6conciliables
personnalit6s. — Edouard nous apparalt tel que les
chroniqueurs le de~crivent : u a man of a stout courage,
that never failed in any danger or adversity,... and
commonly achieved any enterprise he took in hand " * ;
mais, en de"pit de cette energie, en d6pit de ses qualit6s
vraiment royales, peut-6tre £ cause d'elles, le Destin
le choisit express^ment pour sa victime. II s'attaque
h lui sous toutes les formes de Fingratitude et de la
1. Grafton's Chronicle, or History of England (1569). Ed. 1809.
ii. p. 308.
L'CEUVRE DE PEELE 99
rebellion, sous le masque m&me de Finfortune domes-
tique. Lluellen, Baliol se levent en armes centre lui.
David, qu'il aime tendrement, le trahit. Sa femme,
»• nf in . se rend coupable a son e"gard des transgressions
les plus odieuses ; et pourtant nul de ces coups de la
Fortune ne peut Fabattre ; il reste jusqu'a la derniere
scene aussi stoKquement magnanime qu'il est injus-
tement miserable.
En face de cette 6quanimit6, de cette grandeur
d'ame, la nature d'ElSonore paralt plus farouche
encore que Peele ne Fa peinte. Elle est animge,
domin£e, emport6e par une passion unique: Forgueil;
mais cet orgueil qui tralne a sa suite la cruaut6 et le
crime. Derriere ses acteslesmeilleurs, il se dissimule
et se glisse; quand, au retour de Palestine, elle pro-
digue For aux soldats qui ont vers6 leur sang pour la
croix, nulle piti6 r6elle ne la guide ; ce qu'elle veut,
c'est surpasseren munificence le roi et tous ses nobles
r6unis: u Bethink thee, Elinor, " s'6crie-t-elle, " of
a gift worthy the King of England 's wife and the King
of Spain's daughter; and give such a largess that the
chronicles of the land may crake with record of thy
liberality ". Femme du roi d'Angleterre et fille du roi
d'Espagne ! voila les deux titres qui justifient a ses
yeux son arrogance et sa superbe. Elle doit a la
noblesse de sa naissance, a la grandeur de sa con
dition d'6blouir tous les yeux par sa splendeur et
d'e'clipser les autres reines de la chr6tient6 par sa
majest6 et sa gloire. Trop de luxe dans le costume
iOO GEORGE PEELE
ou la demeure de ses sujets, trop d'apparat dans leurs
plaisirs, est un crime capital a ses yeux, et la
mairesse de Londres paie de la mort la pompe qu'elle
d£ploie au jour du bapt^me de son premier-n^. Le
coeur hautain d'E16onore est pourtant adouci par sa
propre maternit6. La caresse de bras a fossettes, de
doigts menus, le sourire d'yeux innocemment ind6cis
eveillent en elle des tre~sors irisoupQonn6s de ten-
dresse. " Ned, art thou come, sweet Ned", murmure-
t-elle a son royal 6poux, "welcome, my joy!
Thy Nell presents thee with a lovely boy:
Kiss him and christen him after thine own name,
puis, dorlotant 1'enfant " There is a boy, I warrant
you, will hold a mace as fast as ever did father or
grandfather before him (Sc. X. 20 sqq.) Mais un
incident, insignifiant en soi, rappelle trop t6t la reine
a sa vraie nature. Les barons gallois, en guise d'hom-
mage, apportent humblement au jeune prince le
traditionnel manteau de frise, — present trop grossier
pour cette reine altiere: u Fie, fie ! " crie-t-elle u for
God's sake, let me hear no more of it. If Wales have
no more wit or manners than to clothe a King's son
in frieze, I have a mantle in store for my boy that
shall, I trow, make him shine like the sun and per
fume the streets where he comes. " (Sc. X. 167 sqq).
L'orgueil, une fois r6veil!6, acquiert un irresistible
ascendant sur une femme affaiblie encore par les
douleurs de 1'enfantement. II devient anormal, mor-
L'OEUVRE DE PEELE 101
bide, et la pousse & formuler de folles requites que le
roi e*carte avec douceur. Mais aucune force humaine
ne saurait e"touffer une passion coupable que la mater-
nit6 n'a pu tempe'rer qu'un instant. II faut qu'une
puissance plus haute intervienne et 6crase la pe"che-
resse avec le pe*che\ La main de Dieu s'abat lourde-
ment sur ElSonore. Severe est l^preuve par ou elle
passe, et elle en sort mise'rablement brise"e. Brise*e,
mais moralement r6g6ne're'e ; car nul sentiment ne
subsiste en son coeur que le sens de sa culpability et
un profond remords, aucun de"sir que Tanxi6t6 de con-
fesser ses fautes les plus secretes ; et les derniers
mots humbles qu'elle murmure de ses Ifcvres mou-
rantes nous re*concilient presque avec elle :
0 pray, for pity, pray, for I must die.
Remit, my God, the folly of my youth!
Farewell, farewell, commend me to my King,
commend me to my children and my friends,
and close my eyes, for death will have his due
(Sc.XXV, 105 sqq.)
II reste a re*pe*ter apres tant d'autres que la repre*-
sentation d'Cle*onore comme une reine hautaine et
criminelle, rachet6e a la derniere heure par un
miracle, denature la re*alile* historique et porte la
marque des penchants anti- espagnols de la multitude.
Toutefois s'il nous faut reprocher a Peele d'uliliser
sans scrupuleles pr6jug6s populaires, nous ne devons
point, dans noire indignation morale, oublier que le
caractere d'Ele*onore pre*sente de replies qualit6s dra-
102 GEORGE PEELE
matiques et constitue une elude imparfaite, mais ori-
ginale, de la passion d'orgueil. Peele, sans doute,
exc&de la force de son talent quand il cherche a
sonder les profondeurs du pe*ch6 et du repentir,
mais ses efforts prouvent au moins qu'il en 6tait venu
a regarder F analyse psychologique comme un des fac-
teurs les plus importants de la mise en scene de
Thistoire.
Notre discussion de la piece justifie maljusqu'icila
sev&rite de la critique envers 4 Edouard I' ; et pourtant
cette se've'rite' se comprend. Peele commet lagrande
faute artistique d'introduire dans sa composition des
scenes comiques essentiellement elrangeres a son
esprit. Sur les de"sastreux effets de cette insertion nous
reviendrons plus tard, mais il convient d'abord de
determiner la valeur propre de ces scenes . Nous savons
deja comment elles sont rattach^es a 1'action princi-
pale : Peele a simplement transfere" a Lluellen les
aventures traditionnelles de Robin Hood, et tent6 de
donner aux bois de Mannock Deny un peu du renom
le"gendaire des foretsde Sherwood. L'id6e, a vrai dire,
etait assez heureuse ; Robin Hood elait un des he*ros
de la ballade populaire, un personnage favori des
" morris dances "et des jeuxde mai; son histoire e"tait
souvent cont6e, au coin de feu, tandis que les pommes
rotissaient sous la cendre, et Peele 1'avait probable-
ment entendue lui-meme des levres de quelque che-
vrotante commere. Son imagination avait e*t6 charm£e
par d'agrdiables peintures d'une vie aventureuse et
L'CEUVRE DE PEELE 103
libre sous la verte feuill^e ; des visions de Robin dans
son justaucorps de laine verte, de Maid Marian, che-
veux flottants et jupe trouss^e, flottaient devant ses
yeux ; et il s'avisa de redire 1'histoire familiere, sous
forme d'intermfede, a son auditoire londonien. Comme
dans les ballades, le hardi brigand et sa joyeuse bande
violent la paix du Roi, tuent son gibier, d£pouillent
ses sujets ; coin mo dans les ballades, le roi, revetu de
la bure paysanne, s'en va chercher dans la forfct 1'au-
dacieux rebelle, le rencontre, le deTie, etlebat; et
c'est encore des ballades que nous viennent les figures
secondairesqui traversentla scfcne : fermiers, potiers,
pr&tres et colporteurs. La description de leurs aven-
tures impliquait naturellement 1'usage de tous les
proc6de*s habituelsde la farce : d^guisements, baston-
nades, dialogues aux grasses re"parties, chansons
joyeuses. Peele n'a Iaiss6 6chapper nul de ces moyens
d'exciter le rire. Une difficult^, pourtant, Farr&tait;
il ne pouvait transfe'rer au sombre chef Gallois tous
les traits que la tradition pr&tea Robin Hood ; mais il
se tira d'affaire en dotant de la jovialit6 et de tout
Tenjouementde Robin uneautre personnage que Lluel-
len, Friar David ap Tuck. — Frere David fournit l'6te-
ment r^ellement comique de la piece. Son manteau
gris de frauciscain recouvre un aimable drdle, apte
repr6sentant du catholicisme tel que Peele et ses con-
temporains le comprenaient. David, de son propre
aveu, n'est qu'un pauvre moine, un pauvre homme de
Dieu, ^ but as good a fellow as any, legs, feet, face
104 GEORGE PEELE
and hands, and heart, from top to toe of right shape
and Christendom ; and he loves a wench as a wench
should be loved " . Inutile d'ajouter que sa religion n'est
qu'hypocrisie, qu'il fr6quente Fauberge plut6t que
F^glise, chante un chant a boire mieux qu'un psaume,
r6ve moins dejeuner que de remplir sabouteille etsa
besace de gateaux et de vin muscat. Sans doute ilfait
quelques concessions a la dignit6 de sa profession : il
se tonsure, jure par la messe et entrem&le ses paroles
de quelques mots latins. Mais, a cela prfcs, il ne vaut
pas mieux, peut-Mre moins, — que le plus profane des
p6cheurs. Gourmand, ivrogne et tant soitpeu paillard,
il est encore irritable, emporte', enclin a terminer une
discussion par quelques moulinets de son redoutable
gourdin, et connalt enfin trop de manieres de se pro
curer de 1'argent dont la plus honne" te et la plus com
mune est (comme pour Panurge) " par fac,on de lar-
recin furtivement fait ". De tels errements, toutefois,
sont presque pardonnables chez le chapelain d'une
bande de proscrits; et Friar David ap Tuck reste,
malgre tout, un gredin sympathique, dont les pires
actions sont rachet^es par un atome d'humour —
M6me dans la peinture de son caractere, pour tant,
Peele descend trop souvent jusqu'a la farce grossiere
et cherche Fhilarite dans des plaisanteries trop libres.
C'est la un d^faut apparent dans toutes les scenes
comiques, — non pas le plus apparent, n6anmoins.
Elles sont passibles de plus graves reproches, que
justifie leur insertion maladroite dans le texte original.
L'OEUVRE DE PEELE
Malgr6 les efforts de Peele, ellesprennent, au contact
des scenes de combat ou de meurtre, un air d6sagr6a-
blement sombre, un aspect d'6vidente irre*alit6, qui
leur 6tent tout pouvoir de convaincre et de plaire. La
soudaine transformation de Lluellen, Rice ap Mere
dith, Ellen, etc. en personnages a la Robin Hood
alteredefac. on si brusque et si irrationnelle leurs carac-
teres que le spectateur en reste d6concert6 et con-
fondu. Enfin Interpolation de Tun ou 1'autre des
passages burlesques en des points assez fortuits de
Tintrigue, derange 1'ordre logique des incidents,
<ir-t ni i I I YM||] il i IMV et Tinlerd6pendance des parties, et
bouleverse la structure dramatique de toute la pifcce.
Ainsi s'expliquerimpressionded6sespe>ante confu
sion faile par * Edouard 1 ' lorsqu'bn le lit dans son en
semble. Son style etsa versification, qui plusest, sont
malchoisispourlaisser a 1'ouvrage une unit6 au moins
apparente, car, si les portions se>ieuses de la piece
sont presque uniform6ment6crites en vers blancs, les
parties comiques en sont re"dig6es tantdt en prose, tan-
t6t en melres de quelques pieds. Ces mesures courtes
et agiles, trop nombreuses peut-6tre et monotones de
rythme, n'en m6ritent pas moins quelque louange;
elles developpent des motifs de ballade dans le metre
m6me de ce genre populaire, et sont parfois polies
avec tant de soin qu'on devine le plaisir de Peele au
cliquetis sonore de leurs rimes1. Quant a la prose,
1. Lire, par exemple: Sc. viii. v. i 24 132.
i06 GEORGE PEELE
malgre la condamnation de Collier dans ses " Annals
of the Stage", elle est ais£e, coulante, 616gante
quoique simple, etles images qui Foment s'accordent
bien avec les id6es familifcres qui s'y trouvent expri-
m6es. Le vers blanc, par contre, est trop souvent
ampoule, encombr6 de figures et de tropes, surcharge
de souvenirs mythologiques et de citations latines ou
italiennes. Exception faite d'un plus grand pourcen-
tage de rimes, il est presque identique a celui de la
* Bataille d' Alcazar ' et rappelle encore par sa struc
ture le vers de Marlowe. A cette ressemblance,
cependant, se r6duit dans ' Edouard 1\ 1'influence
qui dominait 1'autre drame. Une ou deux r6mini-
scences de Tamburlaine, il est vrai, se retrouvent
parmi ses images1 ; quelques vers en semblent em-
prunt6s a 4 Edouard II'2; mais, dans sa conception
g6n6rale et le traitement de son sujet la piece se s6pare
nettement du type de drame marlowesque. Cecin'im-
plique pas, d'ailleurs, qu'elle montre plus d'origi-
nalite que la c Bataille '. Elle fournit, au contraire, un
exemple aussi valide du talent imitateur etassimilatif
de Peele, et se modele simplement sur des originaux
differents, — les pieces historiques alors en vogue.
La I6gere superiority dramatique que lui donnait sur
1. Cf. ' Edward 1 ' Sc. vi. 18 sqq. et < 2 Tamburlaine ' 1. 3. 39 sqq.
2. Comparez:
" Not Caesar leading through the streets of Rome " As Caesar riding in the Roman street
the captive kings of conquer 'd nations " with captive kings at his triumphant car "
Ei. Sc. 1 91-2. Eii. 1. 1.
" And rouse that rebel from his starting holes " And march to fire them from their starting holes "
Ei. Sc. 25. En. iii. 2.
" Hence, feigned weeds ! unfeigned is my grief " " Hence, feigned weeds ! unfeigned are my woes ' '
Ei. Sc. 25-123. En. iv. 6.
LCEUVRE DE PEELE 107
elles un judicieux emploi des sources a disparu lorsque
des Elements Strangers ont 6te" introduits dans un tout
de\j£ complete. Sous sa forme actuelle notre drame
apparalt deTectueux en construction, pauvre en unit6 ;
la presence d'un certain iiilnvf psychologique ne
suffit nullement h compenser ces imperfections ; bref,
dans son propre genre, l Edouard I ' s'61feve h peine
au-dessus du niveau des oeuvres ant£rieures, et ajoute
aussi peu au renom de son auteur que cette • Bataille
d' Alcazar', dont il semble avoir partagS le succfcs.
UN CONTE DE VIE1LLE FEMME.
Avec • Edouard 1 '. Peele dit adieu pour un temps
h Thistoire et aux chroniqueurs, et, laissant derriere
lui "les falaises crayeuses d'Albion " mit b la voile
pour les royaumes de la faerie. II en rapporta T l Old
Wives Tale \ — d&icieux melange de fantaisie dedi
cate, de satire etde r£alisme souriant1.
11 est difficile d'en fixer exactement la date ; mais
nous pouvons heureusement en circonscrire la periode
de production dans de certaines limites. La pifece, en
effet, emprunte son canevas et quelques details & un
court roman public par Greene en 1588 : 4 Perimedes
the Blacksmith'2. Elle est en outre endett6e h un
1. Le permis »1 impression est consign^ dans les Livres des
Libraires, en date du 17 'Avril 1595 : " xvij° die Aprilis 1595. Raphe
Uancocke. Entred for his Copie under the handes of bothe the
wardens a booke or interlude intituled a pleasant conceipte called
the owlde wifes tale vjd ".
2. Dans les deux la fern me d'un forgeron charme de ses contes
d'attentifs auditeurs qui ont refuse de passer la veillee a jouer aux
108 GEORGE PEELE
6crit post6rieur de Greene, son c History of Orlando
Furioso' (c. 1591)1, dont elle reproduit quatre vers
avec de 16geres variations. Elle contient encore quel-
ques reminiscences d'une trag^die anonyme l Soliman
and Perseda'2, joue~e aux environs de 1590. Enfin,
elle se rattache, comme nous le verrons, a la guerre
,de pamphlets Iivr6e aux Harveys par Lyly, Nashe, et
autres — guerre qui n'6clata se>ieusement qu'a cette
meme date. II appert done de 1'ensemble des temoi-
gnages, pris cumulativement, que Y l Old Wives Tale T
ne pouvait 6tre 6crit avant 1591. — II est 6galement
plausible d'admettre que cette anne"e m&me, ou la
suivante, en vit la composition. La seule allusion
politique que contienne la com^die, — une attaque
contre les pr&tres espagnols, qu'elle d6crit comme
41 moines ind6finis et gredins infmis " — indique une
6poque ou I'animosit^ 6tait exasp6r6e contre le catho-
licisme et 1'Espagne. Tel 6tait precis^ment le cas
en 1591, date ou une s6rie de complots encourages
par Philippe II, provoqua une severe proclamation
royale " for remedy of the treasons which under
pretext of religion had been plotted by Seminaries and
Jesuits,... sent secretly into the Kingdom "3. II serait,
cartes, et nous retrouvons dans les deux des personnages affuble's
de noms identiques : Sacrapant, Delia, etc.
4. Gf. : Peele. * Old Wives Tale ' v. 885 sqq : Greene. ' Orlando
Furioso ' Sc. i. v. 73 sqq.
2. La serie d'interjections : " 0 coelum ! o Terra ! o Maria ! o Nep
tune " (0. W. T. 10), par exemple, est empruntee a ' Soliman and
Perseda ' (iv. 3. 67).
3. Voyez : Galendar of State Papers. Oct. 18. 1591. Proclamation
by the Queen.
LCEUVRE DE PEELE 10ft
pourtant, imprudent de tirer des inferences de ce
seul fait, si des documents additionnels ne pouvaient
6lre produits. Mais nous trouvons au litre du quarto
1'utile renseignement que la piece de Peele fut repre
sented par les comediens de Sa Majeste. Or nous avons
la certitude, d'une part, que le theatre des " Queen's
Men" dut fermer ses portes en Juin 1592 par ordre
du " Privy Council " ' ; de 1'autre, que 1' l Old Wives
Tale" n'appartenait pas h son repertoire lorsqu'il
rouvrit en 1594s. Nous sommes ainsi n£cessairement
amends & conclure que la comedie fut jou6e pendant
les premiers mois de 1592, au plus tard, et compos6e
entre le debut de 1591 et cette date.
C'est done une production de la maturite de Peele,
et il importe d'insister sur ce fait, pour faire pifcce
aux assertions de ces critiques qui pretendent y
relever toutes les caracteristiques d'une oeuvre de
jeunesse. L' ; Old Wives Tale ' est, & leurs yeux, une
insignifiante babiole, doue*e d'assezde gr^tce aimable
pour se recommander £ un auditoire d'enfants, et
Bullen seul se risque £ sugg£rer que la com6die
1. A la suite de d6sordres qui prirent place le 11 Juin 1592, le
" Privy Council" interdit, le 23, la representation de toute piece &
Londres et dans les alentours. Permission de jouer fut cependant
accorded a la troupe de Strange, — mais a elle seule, — en Aout.
Elie nVu put d'ailleurs profiler, en raison de la peste, avant De-
cembre. Elle joua alors de Dec. 1592 a Kev. 1593, mais dut bientot
fermer son theatre, par crainte d'infection, jusqu'a Paques 1594.
2. En Avril 1594 la troupe de la Reine et la troupe de Sussex
jouerent ensemble a la '* Rose ", — le theatre d'Henslowe. Ceci
explique pourquoi nous retrouvons, dans ses comptes, des traces
de leur repertoire commun (F. 9.)
110 GEORGE PEELE
pourrait avoir aussi son charme pour des spectateurs
adultes. Nous Fadmettons d'autant plus volontiers que
nous sommes ported a voir dans cette pifcce la plus u
se"duisante peut-Mre, et en tout cas la plus spirituelle l\
de toutes celles que nous avons de Peele. Lui faire
justice, toutefois, est malais6, et nous esp6rons seu-
lement que notre analyse prosa'ique ne la i^pouillera
point de tout son nitrite.
Trois joyeux pages ont perdu leur route dans les
bois, et mi-amus6s, mi-effray6s par cette m6saven-
ture, s'efforgent dene pasperdreen meme temps leur
gaiet6. La fatigue commence pourtant a les accabler,
quand paralt fort a propos un forgeron. Us le helent,
Fassaillent d'avides questions, et Clunch (c'est la le
nom de 1'artisan) les emmene hospitalierement a sa
pauvre hutte, ou il fait de son mieux, avec Madge sa
femme, pour les bien accueillir. Epuis6s comme ils
le sont, ils s'endormiraient de grand coeur, mais il n'y
a place que pour un dans le lit de Clunch, et Madge
entreprend de tenir les deux autres e"veilles par le
r6cit d'un vieux conte d'hiver. Rapprochant son
escabeau du feu, elle s'essuie la bouche du coin de
son tablier, place sur ses genoux ses deux mains
ridges, et commence ainsi:
II y avail une fois en Thessalie un enchanteur
nomme* Sacrapant, le plus habile et le plus savant
qu'on eut su voir. 11 pouvait tout faire et se changea
en un grand dragon pour enlever De"lie, la fille du
roi, qu'il enferma, tout eplore"e, en son noir chateau.
L'CEUVRE DE PEELE iii
Par sa magie aussi, il savait donner aux hommes les
formes et les apparences les plus di verses , et il trans-
forma le jeune et bel Erestus la nuit en un ours, le jour
en un vieillard, 1'obligeant h vivre au carrefour d'une
for&l et & parler par 6nigmes a lout venant.
Lampriscus un jour vint a lui ; et Lampriscus 6tait
un veuf qu'affligeait amferemenl le sort de ses deux
till.'- : car Tune, quoique belle comme le lys, 6tait
irritable comme la gufcpe, et 1'autre, toule remplie
qu'elle IVil de bonl£et de douceur, gtait laide, contre-
faite et bossue. 11 se rendit done auprfes du vieillard de
laforfct, etlui conta son cas. u Envoie-les " dit Eres
tus " au Puits de la Vie ; elles y d6couvriront leur des-
tin6e, — et des maris " ; sur quoi Lampriscus revint
chez lui et envoya Zantippe et Celanta au lieu dit.
Pendant ce temps, le roi de Thessalie avail exp6di6
tous ses sujets a la recherche de sa fille, tant el tant
qu'il ne restail auprfes de lui que ses deux til-, le g£ant
fanfaron Huanebango, Corebus le sot, et un pauvre
chevalier nomm£ Eumenides.
Les deux frferes s^armferent tout d'abord pour la
d£livrance de la princesse. Us cheminferenl loin, bien
loin, plus loin encore, el parvinrent enfin au carrefour
de la for&l, ou, las d'avoir tant march6, ils s'arr^tferent
pour demander conseil a Erestus. <4Essayez votre
souffle a toute flamme " futla rSponse '* carlorsqu'un
peu de feu s'6teindra, vous verrez se r^aliser vos voeux
les plus chers. Essayez volre souffle a toute flamme ".
Ainsi instruits, les deux frferes r6p6tfereut leur legon,
H2 GEORGE PEELE
et partirent pour le noir chateau de Sacrapant. Aleurs
yeux brilla bieriiot laflamme ardente qui e"taitle signe
et la cause de son pouvoir. Us soufflerent, mais ils ne
r^ussirent pas a F6teindre, parce qu'homme mortel
ne le pouvait, et Sacrapant les enchanta, les forgant
a piocher sans cesse, tandis qu'un esprit les piquait
d'un aiguillon pointu1.
Alors le g6ant Huanebango ceignit son e"p6e a deux
mains, jurant de d^couvrir, delivrer, et 6pouser la
princesse. II s'eii fut, et Corebus s'en fut avec luL
Ensemble ils arriverent prfcs du vieillard de la for6t,
qui tira Corebus par la manche et lui dit: " Ecoute-
moi, 6coute-moi ; il sera sourd quand tu ne verras plus ;
la richesse peut-etre... " mais ils 6taient trop presses
pour chercher, trop sots pour comprendre, le sens de
ses paroles, et ils continuerent leur route jusqu'au
noir chateau. Trois fois ils en firent le tour, puis ten-
terent d'entrer ; et dans ce moment un roulement de
tonnerre assourdit Huanebango, T6clat d'un e"clair
aveugla Corebus, d'affreuses Furies les saisirent, et ils
furent jet6s incontinent au Puits de Vie. — La, apres
avoir travers6plainesetbois, haies et fosses, Zantippe
et Celanta etaient arriv6es. Zantippe la premiere plon-
gea sa cruche dans 1'eau de la citerne, et une t£te d'or
s'6leva en chantant : ;t De tes doigts fins, douce fille,
peigne-moi et chaque cheveu sera un 6pi, chaque e"pi
1. Toute cette partie de la piece renferme un parallele au
1 Gomus ' de Milton. Les ressemblances et les differences de la
comedie de Peele et du masque miltonien ont e!6 etudiees en detail
par M. W. Sampson * Milton's Minor Poems'.
L'OEUVRE DE PEELE 113
une gerbe d'op" ; mais elle la frappa de sa cruche, et
Huanebango Smergea, tach6 de boue, tout ruisselant,
et c'6tait l'6poux qu'elle dut£pouser, pour 6tre mal-
heureuse h jamais. Alors Celanta s'assit sur la mar-
gelle et la tele remonta, chantant le m6me refrain.
Doucement elle lacaressa, doucement elle la peigna,
et voyez ! des pieces d'or tomberent dans son giron et
Corebus apparut. Aveugle il ne pouvait voir salaideur ;
et il l'6pousa, pour la rendre heureuse ct jamais.
Cependant la princesse D61ie restait prisonniere, et
le pauvre chevalier Euinenides, dernier de tous, d^sira
partir. II quitta la Thessalie et s'en vint au carrefour
de la forei u Dieu vous garde mon pere ". dit-il dou-
cemenl au vieillard, et lui demanda son horoscope,
4lMonfils'\r6partitlevieillard/4jevoisdanstes traits
ton bonheur. Va, distribue I'aumftne, donne ce que tu
possfcdes, et les os des raorts se leveront fi ton appel.
Adieu! " Eumenides remercia alors le vieillard, et
reprit sa route. II arriva ainsi a un village ou il vit une
foule assemble. Etonn6, il en demanda la cause et
il apprit qu'on refusaitla sepulture a un cadavre parce
que le d^funt, un homme du nom de Jack, n'avait
Hen laissS pour payer la defense. Le chevalier en
prit piti<$, et, vidant sa bourse, le fit enterrer £ ses
frais, puis il remonta en selle et partit, L'ombre de
Jack, cependant, fut si 6mue de gratitude qu'elle se
leva de la tombe et le rattrapa sur la route, lui offrant
humblement ses services. Eumenides accepta, ettous
deux chevaucherent de compagnie, chevaucherent
GUEFFAUU. 8
114 GEORGE PEELE
jusqu'au chateau de Sacrapant. Dans ce moment Jack
eleignit la flamme ardente ; Jack trancha la tete du
magicien ; Jack pronon^a les mots cabalistiques ; et
Erestus cessa de parler par 6nigmes, les deux freres
cesserent de piocher, et les portes du chateau s'ou-
vrirent toutes grandes. Alors Jack conduisit sonmaltre
a la chambre ou Delie dormait d'un sommeil enchant^
sur un lit en broderie d'or et d'argent, et lui ensei-
gna les prieres qui rompent les charmes ; sur quoi la
princesse s'e"veilla, et donna sa main, son coeur et sa
foi aEumenides; 1'ombre reconnaissante s'evanouit
d'un bond dans le sol, et tous rentrerent en Thessalie
pour y cele"brer le mariage de la fille du roi et de son
fidele chevalier.
Telle est la teneur du conte que la vieille femme se
prend a dire, et qu'elle terminerait sans doute, si les
personnages de son histoire n'apparaissaient en scene
et n'yjouaient eux-memes leurs roles. Madge n'a plus
qu'a rester assise et 6couter. Mais n'est-ce point la
tache trop lourde pour une bavarde? Elle ne peut
s'empecher de faire, quand Foccasion s'en pr6sente,
quelques commentaires, que les joyeux pages com-
pletent a leur tour par de gaies ou d'impertinentes
saillies.
Nous avons ainsi, pour ainsi dire, une 'c piece hors
de la pi&ce " ; et cette particularity de structure
merite notre attention comme 1'un des exemples les
plus anciens et les plus curieux d'un proc6d6 longtemp^
familier aux dramaturges 6lisabe"thains. L'entrela-
L'OEUVRE DE PEELE i!5
'.**
cement des deux pieces tdmoigne d'une habilete" con
tinue et prouve amplement le soin artistique apport6
par Peele a la composition de sa com6die. Toute l'6ten-
due, pourtant, n'en peut 6tre comprise qu'apres exa-
men attentif de la pifcce proprement dite, — la repr6-
sentation dramatique du conte de Madge. Lorsque
ce r6cit romanesque est iso!6 de ce qui 1'entoure, on
> upercoit vite que toute Faction en roule sur Fusage
neTaste que fait Sacrapantde ses pouvoirs magiques;
FenU'vement de D61ie, la transformation d'Erestus en
un vieillard prophe" tique sont les deux faits d'ou de*coule
la se>ie d'incidents la plus importante, — Fintrigue
principale, si le terme n'est point par trop ambitieux.
En dehors de cette intrigue, — qui se r^duit aux aven-
tures successives des deux freres, d'Huanebango et
d'Eumenides, tous r^solus cilib6rer la priricesse thes-
salienne, et tous guides par Favis tfriigmatique
d'Erestus, — il ne reste que les deux ou trois scenes
consacr^es a Lampriscus et a ses filles ; et, quelque
ind6pendante que puisse paraltre cette intrigue acces-
soire, elle n'en a pas moins sa source dans une pre
diction d'Erestus et se voit en outre relier a l'6pisode
central par le mariage de Celanla et Zanlippe avec
Corebus et Huanebango. Simple nous apparall done,
uX •
somme toute, la trame dont est ourdie la fine produc
tion de Peele, et peu nombreux les fils qui la com-
posent, Mais Us sont si savamment tiss6s, tresses,
qu'il devient fort difficile de les d^brouiller. Aussi la
plupart des critiques ont-ils abandonne" la delicate
116 GEORGE PEELE
t£che, et se sont-ils contends d'exprimer le regret que
la pi&ce fut si complique"e. Elle Test, sans doute, mais
d'une complication volontaire, simple moyen dont use
Peele pour atteindre ses fins, pour faire croire a ses
auditeurs qu'ils e"coutent, sous un toil de chaume, un
long conte d'hiver, dit par une antique bavarde. Si
Madge nous contait elle-m6me 1'histoire de bout en
bout, elle tr6bucherait a maint detour, s'6carterait
sans cesse du droitchemin,nous entrainerait souvent
dans les me'andres de ses souvenirs et de ses oublis.
Elle se montrerait tantot prolixe, tan tot absurdement
concise, et son r6cit donnerait plus d'une fois une
impression de confusion malhabile. C'estcette impres
sion meme que Peele s'efforce de conserver, dans de
raisonnables limites, en changeant h tout instant la
scene, en multipliant ses personnages, en accelerant
son action, enaccumulant les incidents sur une courte
periode, et, grace a ces artifices, il re*ussit plus qu'a
demi a nous persuader que nous entendons re"ellement
le caquet loquace d'une commere de village.
Ce caquet n'est pas, du reste, aussi na'if et naturel
qu'on serait tente" de le croire tout d'abord. L'histoire
d'enchantement de Madge, avec son ge"ant, son magi-
cien et sa princesse, est une combinaison adroite
d'ele"ments emprunt^s par Peele au folk-lore de son
temps, et on peut, aujourd'hui encore, trouver des
paralleles populaires a quelques-uns de ses motifs. II
semble que la vieille campagnarde pr^tende conter
1'bistoire de l Childe Rowland ', mais l Jack the
L'OEUVRE DE PEELE H7
Giant-Killer' peut aussi revendiquer ses droits, el
plusieurs Episodes de la pifcce ressemblent singulifc-
rement a des incidents des ; Three heads of the Well",
du 'Thankful Dead', du ;Red Ellin', et autres le"-
gendes qu'on peut encore lire dans les 4 English Fairy
Tales' de Mr. Jacobs ou les l Illustrations of Scotland '
de Jamieson. II n'y a qu'un passage, dans notre com6-
die, qui n'est pas base sur la tradition populaire, mais
sur des reminiscences classiques. II a trait a la g6n6a-
logie de Sacrapant, et lui donne pour mere Meroe",
une sorciere qu'Apul£e fut le premier a animer, et
a douer de pouvoir magique, dans son ' Ane d'Or1.
Mais, a cette exception presv£'est au folk-lore, eta lui
seul, que Peele est redevable pour ses mat£riaux.
La maniere dont il les utilise est la plus adequate
el la plus appropriee a son theme. La forme de }' c Old
Wives Tale ' nous rappelle constamment celle de la |
<lcante-fable". Commece genre decomposition, c'est ,
un r£cit en prose qu'inlerrompt c?i maiut intervahV une
se>ie plus ou moins longue de vers ; et le style affiche
davantage encore celle similitude. Simple, r^alisle,
parfois m^me vulgaire, il s'enlrem&le de phrases
rythmiques, de proverbes et de dictons, ou de tor-
mules comme le fameux " fee-fa-fum " qui se retrouve
dans tant decontes anglais. Quoique sans recherche,
il n'est pas sans ornement. Lisez la description que
1. Ce conte semble une version du l Tale of the Three kings of
Colchester ' que Dyce mentionne, sans autre details, dans son
edition de Peele.
118 GEORGE PEELE
fait Lampriscus de ses deux filles ; c'est un excellent
exemple. " Neighbour" dit-il aErestus, u by my first
wife, whose tongue wearied me alive, and sounded
in my ears like the clapper of a great bell,... you have
heard me say I had a handsome daughter '. — l True,
neighbour'. — ' She it is that affects me with her
continual clamours, and hangs on me like a bur : poor
she is, and proud she is, as poor as a sheep new-
shorn, and as proud of her hopes as a peacock of her
tail well-grown'. - - l Holily praised, neighbour; as
much for the next'. - - ' By my other wife, I had a
daughter so hard-favoured, so foul, and ill faced,
that I think a grove full of golden trees, and the
leaves of rubies and diamonds, would not be a dowry
answerable to her deformity ". (1. 224 sqq.) Des
images qui abondent en ce passage, la plupart sont
des comparaisons usuelles, tirees de la vie domestique
ou de la nature familiere ; quelques-unes portent la
marque de cette magnificence un peu voyante vers
laquelle incline Timagination populaire lorsqu'elle se
donne libre cours ; mais toutes sont en harmonie avec
le ton general du conte, que Peele a voulu faire sien
dans cette piece.
Le style et la versification sont, apr&s tout, Fel6-
ment le plus important de F l Old Wives Tale '. C'est
par 1'usage qu'ils font de la langue et du m&tre que
les dramatis persons sont le plus ais^ment reconnais-
sables: les deux freres s'expriment en vers blancs,
Erestus en enigmes rimees, Huanebango en prose
V
L'CEUVRE DE PEELE 119
grandiloquente, et Eumenides en prose aussi, mais
naturelle et sans appreM. N'elait cette difference, il
serait difficile de les distinguer, car leurs caracteres
sont aussi sommairementdessine's qu'il convientdans
mi conte de fe*es. Un magicien pervers, une dame
w fcro^MX^
malheureuse, deux freres aimants, un g6ant vantard,
et un amant fiddle, — ainsi Fanalyse d^finit les prin-
cipaux personnages, et saurait mal ajouter un seul
trait a cette breve description. — Ceci n'est vrai,
hatons-nous de le dire, que des portions romanesques
de la piece, dontl'inte>&treposaitassez naturellement
sur une succession rapide d'incidents surprenants et
vane's, plut6t que sur une subtile analyse des carac
teres. Par contre, les scenes r6alistes qui precedent,
ou interrompent, Faction romanesque t6moignent
d'une observation souvent fine de la nature humaine.
Madge et Clunch sont deux figures vivantes de
paysans, que 1'art de Peele nous pr6sente avec quelque
relief. Clunch est un forgeron bien en chair, aux
larges muscles, aux traits gros et rudes, mais e*clair6s
par deux yeux gris bon-enfant. C'est un homme aux
manieres un peu brusques, affable pourtant, et hospi-
talier; habile aussi, et savant, — de Tavis des voisins
tout au moins, — parce qu'il a appris un peu plus que
ne comportait son metier, a lu quelques livres a ses
heures de loisir et en a retenu plus d'un mot long et
sonore dont il aime user, et abuser, a Toccasion.
Quant a Madge, c'est une petite vieille, proprette et
meliculeuse, d'une provenance a satisfaire le mari le
120 GEORGE PEELE
plus exigeant, (Tune activity a faire honte a la meil-
\ leure des m6nag&res. Ses yeux sont un peu obscurcis,
maintenant; ses joues ridees et ses cheveux gris;
mais elle a encore les sourcils fort noirs et les dents
saines, et elle reste presque aussi alerte, remuante et
vive qu'aux plus beaux jours de sa jeunesse. Nous
reconnaissons en elle, et en Clunch, des gens de la
campagne, peints sur le vif, aussi re" els que diffterents
du type conventionnel du paysan, -- repr6sent6 par
Hob et Lob dans ' Cambyses ' ou par Hodge dans
1 Gammer Gurton'. On en pourrait dire autant, du
v reste, des autres villageois de notre piece ; ici nous
entendons un couple de manants se quereller dans un
cimetiere avec un fossoyeur et un marguillier; la
nous voyons 1'accorte hotesse d'une auberge villa-
geoise ; et tous ces personnages nous sont pre"sent6s,
sinon avec autant de details ; du moins avec le meme
humour, que le forgeron et sa femme.
II plane sur toutes les scenes rustiques de F ' Old
Wives Tale ' un air de r6alit6 aimable qui fait d'elles
un repoussoir efficace aux autres parties de la pikce.
La constante combinaison du r6alisme et du roma-
j nesque, en faisant ressortir le contraste de chaque
616ment, est apte, pourtant, a jeter quelque discredit
sur le plus artificiel des deux et a 6veiller a ses d6pens
notre sens du ridicule. C'6tait la, pr^cisement, Feffet
que Peele recherchait de propos d^lib^re, et qu'il
sut produire. Sa com6die arrivait juste au moment de
la vogue th^atrale des chevaliers amoureux, dames
L'OEUVRE DE PEELE 121
infortun^es et sorciers criminels ; elle parodiait avec
ironie les d^fauts les plus apparents de ce type de
drarae, — I'accumulation irr6f!6chie d'6pisodes, la
confusion due a cette multiplicity, et le prodigue
emploi du coup de theatre et de la surprise. L* 4 Old
Wives Tale ' est uu impertinent d6fi aux fantaisies
h^roiques du romanesque, une critique enjou^e de
ces pieces qui aimaient trailer des aventures les plus
extravagantes. Toutes ses scfcnes devaient, naturel-
lement, contenir de nombreuses allusions, claire-
ment intelligiblesaux contemporains. Elles (Schuppent
aujourd'hui a la perception, mais nous pouvons encore
discerner qu' c Orlando Furioso ' et l Soliman and
Perseda f Staient au nombre des pieces rail!6es par
Peele, et que le rdle d'Huanebango dtait, pour une
bonne part, une parodie du h6ros romanesque: le
fantastique chevalier-errant.
11 enlre pourlant dans le caractfcre de ce rodomont
braillard des trails qui y semblent inlroduils pour ri-
diculiser, non poinl un type g6n£ral de h6ros, mais une
personnalil^ bien d6finie. II n'est gu^re difficile, d'ail-
leurs, de deviner centre qui Peele prtftendait diriger ses
amfcres moqueries : il fait d^biter par Huanebango quel-
ques-uns des fameux hexamfctres anglais d'Harvey :
0 that I might, but I may not, woe to my destiny therefore !
Kiss that I clasp, but I cannot, tell me, my destiny, wherefore !.
[(675-676).
4. Gf. G. Harvey. * Three proper and witty familiar letters, etc'.
Encomium Lauri :
• O that I might, but I may act, wo« to my destiny therefor*
122 GEORGE PEELE
et met ainsi, sous la caricature qu'il dessine, le nom
de son original. II est peu douteux, enve>it6, que son
4 Maitre Bango ' repr6sente Gabriel Harvey comme le
voyaient ceux de ses contemporains qui lui 6taient
hostiles. Non content de tourner en derision ses
absurdes efforts pour introduire les metres classiques
dans la poesie anglaise, et de le f!6trir comme faiseur
de vers maladroit, Peele Fattaque, et aussi aprement,
comme prosateur. 11 rit de ses lourdes p6riodes con-
tourn6es, de sa rh6torique pompeuse, de son 6trange
vocabulaire, des mots qu'il forge, des 6pithetes qu'il
frappe a son coin, il condamne, avec autant de verve
que Nashe, son " charlatanisme de mots" et ses
u empietementssurle franc-alleu du latin ". " Voyez-
vous cet homme? " dit un personnage de la piece en
montrant du doigt Huanebango ctvous n'imagineriez
pas qu'il courrait un ou deux milles aprks un gateau. . .
m'a-t-il pourtant assez demand^ un morceaii de
celui-ci, m'accablant de tant de ' substances super-
fantielles ' et ' foisons de la terre ' que je ne savais ce
qu'il me voulait dire " . Nous ne le savons pas non plus,
bien souvent, mais remarquons que le langage par
trop affect^ d'Huanebango imite la maniere d'Harvey
dans les * Three proper and witty familiar letters to
Senior Immerito ', et que le feu et le soufre, le ton-
nerre et les Eclairs dont il etoffe ses discours sont une
allusion tardive, mais directe, a la ' short but sharp
disquisition ou earthquakes" qui rendit Gabriel si
profond£ment ridicule aux environs de 1580. Jus-
L'OEUVRE DE PEELE 123
qu'ici, cependant, la satire de Peele peut a peine 6tre
accused d'acrimonie. Elle devient plus violente lors-
qu'elle passe de Toeuvre a la personue d'Harvey. Peele
ne manque pas, naturellement, de lui rappeler ses
parents, les humbles cordiers de Saffron Walden :
Huanebango sevante sans cessedesage"ne"alogie, jure
par Thonneur de sa maison, parle de sa c^lebre Iign6e,
et nomme ses anc^tres, son grand-pere Polimackero-
placidus et son pere Pergopolineo, — deux mots
(remarque Fleay) qui suggerent h une oreille anglaise
des calembours tels que ceux-ci u Polly make-a-rope-
lass " et u Perg-up-a-line-oh ! " La vanit6 bien connue
d'Harvey, ses allures dictatoriales et blessantes, son
insupportable entfetement s'affirment en outre pres-
que a chaque ligne de son rdle1. Ses espoirs de pro
motion a la cour sont bafou6s; FiHalage qti'il aimait
faire de son intimit£ avec les grands s, d'unc pnHendue
parent^ avec Sir Thomas Smith3, est plaisamment
rail!6. Bref, toutes ses faiblesses sont stigmatis6es, et
le portrait ne saurait, dans ses grandes lignes, 6lre
autreque le sien. La ressemblance sY'tend, d'ailleurs,
4. V. par ex., " If she be mine, as I assure myself the heavens
\\ill do somewhat to reward my worthiness, she shall be allied
to none of the meanest gods " etc. ('296 sqq), ou bien :
" I \\ill follow my fortune after mine own fancy, and do accor
ding to mine own discretion " (321 -2), ou encore :
" Here is he that commandeth ingress and egress with his wea
pon, and will enter at his voluntary, whosoever saith no ". (572).
2. " t have abandoned the court and honourable company, to do
my devoir against this sore sorcerer ", etc. (289 sqq.)
3. " Indeed 1 had a cousin that sometime followed the court ",
(205).
124 GEORGE PEELE
jusqu'aux plus menus details. Harvey, par exemple,
avail un teint mat dont il etait passablement fier. II
nous dit de lui-meme dans les ' Gratulationes Val-
denses '
Atra coma est : color et fortasse subitalus *,
que Nashe commente ainsi : u II a la couleur basan6e
du lard ranee ou de la morue skche ". Ce teint basan6
est aussi celui d'Huanebango; u Sur ma foi! " s'e"crie
Zantippe u quel graisseux gaillard est-ce la? l'a-t-on
trempe dans la boue, au fond du puits? " — Harvey
e"tait un homme de haute taille ; Huanebango est un
ge"ant. Harvey e"tait bon escrimeur, et s'en piquait2,
et Huanebango ne traverse pas la scene sans son e"pee
a deux mains3, " la meilleure 6pee " declare Madge
11 que Dieu aitjamais dou6e de vie ". Enfin on ne sau-
rait objecter que la ridicule sentimentality et les gro
tesques amours d'Huanebango soient des traits qui
ne conviennent pas au portrait d'Harvey. Nous savons
par ailleurs qu'il 6tait de temperament amoureux,
ais^ment captive" par les belles, et que seuls son
manque d'humour et de bon sens ou son excessive
vanite lui faisaient essuyer honte sur honte, refus sur
1. Xatpe vel Gratulationum Valdensium Libri quatuor (1578).
2. " You may term me an old fencer " ecrit-il " indeed I was
once John Burlegh's scholar".
3. Nous trouvons une allusion similaire dans le ' Pierce Pen
niless ' de Nashe, — allusion dont les termes rappellent ietran-
gement le sarcasme de Peele :
" An old fencer (i. e. Harvey), flourishing about my ears his two-hand sword
of Oratory and Poetry, peradventure shakes some of the rust of it on my
shoulders, but otherwise strikes me not but with the shadow of it, which
is no more than a flap with the false scabbard of contumely ".
L'CEUVRE DE PEELE 125
refus. Nashe nous informe m6me que la cause pre
miere des hexametres anglais de Gabriel fut son affec
tion pour Kate Widdows, la femme du sommelier de
St-John's College ; et il est naturel que ce soit sous
Tempire demotions identiques, — son amour pour
Zantippe, — que Bango d6bite sa tirade hexam6-
trique :
1 Mill id,!, phileridos, pamphilida, florida, flortos;
dub dub-a-dub, bounce, quoth the guns, with a sulphurous
[huff snuff:
\\;iked with a wench, pretty peat, pretty love, and my sweet
[pretty pigsnie,
just by thy side shall sit surnamed great Huanebango :
safe in my arms will I keep thee, threat Mars, or thunder]
[Olympus (v. 667 sqq.)
N'est-ce point la un ensemble de te~moignages suffi-
sants pour nous faire assimiler Huanebango et Har
vey ', et nous faire appliquer a T l Old Wives Tale ' ce
que Nashe disait de la com6die latine de Pedantius :
14 under one of the chief parts, the firking finicaldo
fine Gabriel is full drawn and delineated from the sole
of the foot to the crown of his head ". Nous pourrions
remarquer encore qu'Huanebango est pourvu par
Peele d'un inseparable compagnon, Corebus. Ce
Corebus n'est, dans la l^gende, qu'un sot qui veut
d£nombrer les vagues de la mer alors qu'il ne peut
4. Nous pourrions ajouter quelques de* tails secondaires. Ces
mots d'Huanebango, par exemple. «* Fair lady, if thou wert once
shrined in this bosom, I would buckler thee haralantara " (330-1)
semblent faire allusion 4 ce vers des Grat. Vald. m.
•• T»r»UnUr» quid si | terribilis tuba nunc resonel ', etc,
126 GEORGE PEELE
compler jusqu'a cinq; mais dans notre piece nous
trouvons d'excellentes raisons de croire qu'il repre"-
\ sente Richard Harvey, un des freres de Gabriel. Ce
que nous savons de Richard se r6duil a peu : c'6lail,
nous dil-on, un pretre de campagne, qti'un penchant
pour 1'astrologie avail pouss6 a publier des predictions
irre'alisees1, qu'une incartade avail une fois, a Cam
bridge, fail mellre aux ceps2, et qu'une maladie des
yeux rendail presque aveugle3. Chacun de ces derails
trouve sa place, mulalis mulandis, dans la com6die
de Peele : son Corebus esl un mananl au cerveau
faible, qui se fait forl de re"soudre les 6nigmes el de
' pr6dire 1'avenir, se vante d'avoir introduit dans sa
paroisse la u culture du ceps"4, et se voit finalemenl
frappe" de c6cit6 par Sacrapanl. Des allusions aussi
d£finies ne peuvenl s'expliquer par une coincidence
accidenlelle ; elles nous poussenl a admellre que Peele
donnail une parl 6gale, dans son animosil£, aux deux
1. " An astrological discourse upon the great notable conjunc
tion of the two superior planets, Saturn and Jupiter, which shall
happen the 28t[l day of April 4583, etc. written newly by Richard
Harvey, At London. 1582 ".
2. " There was a show made of the little Minnow his Brother,
Dick, at Peterhouse, called ' Duns furens. Dick Harvey in a frenzy'
whereupon Dick came and broke the College glass-windows, and
Doctor Perne (being then either for himself or Deputy Vice-Chan-
cellor) caused him to be fetched in and set in the Stocks " Nashe.
' Pierce Penniless '.
3. " 1 squirt ink into his decayed eyes with iniquity to mend
their diseased sight... The ecclesiastical dunce, instead of reco
vering waxes stark blind thereby ". Id.
4. Nous nous sommes risques a remplacer par un jeu de mots
sur i ceps ' le jeu de mots anglais sur ' stocks ' et ' stock '. Le texte
de Peele porte : " 1 have given the parish the start for the long
stock " (284).
L'CEUVRE DE PEELE 1*7
membres les plus marquants de la famille des Harveys.
II nous est impossible aujourd'hui de comprendre
la nature exacte de cette animosit£, mais nous sora-
mes encore a m&me d'en d6couvrir les causes. En
1589 avail paru le 4 Menaphon ' de Greene, augment^
d'une preface de Nashe. qui contenait une critique
g£ne>ale de la literature du temps et classait Peele !
et Greene parmi les figures les plus 6minenles de cette
literature. Le nom des Harveys n'elait pas mftme
nn Mil i»ii nr. et Richard paratt avoir ressenti une aussi
d£daigneuse omission. Dans 1'avant-propos d'un ou-
vrage qu'il publia en 1590: l the Lamb of God' il
invectiva Nashe et ajouta avec quelque dtfpit: " Let
not Martin, or Nashe, or any other piperly make-play
or make-bate presume overmuch of my patience as :
of simplicity, but of choice ". Cette phrase pouvait
£tre regarded comme une attaque contre tous les
Scrivains et auteurs dramatiques de Londres ; et Nashe
ne manqua point de Tinterpreter dans ce sens. 11
semble que Peele fit de m&me et que les parties
satiriques de T * Old Wives Tales' furent sa r^ponse
a Tattaque supposee de Hichard. Peut-6tre avait-il,
du resle, d'autres motifs de prendre les armes contre
les Harveys. 11 <Hait en 1590-1591 a la solde de la
Cour, charg4 d'organiser les fetes d'anniversaire de
la reine1; et cette circonstance le mil fort proba-
blementen rapports avec Lyly, le po^tefavori d'alors.
1. ' Polyhymnia, etc. 1590.
128 GEORGE PEELE
Or, Lyly etait en guerre ouverte avec Gabriel Harvey
qu'il avait deja vilipende dans son opuscule: " Pap
with an Hatchet", et Peele ne pouvait faire mieux
pour se concilier sa faveur et celle de ses puissants
patrons que de porter Harvey a la scene sous les traits
risibles d'un vantard au cerveau vide et aux phrases
sonores. Mais, quelles qu'aient 6t6 les raisons de son
attaque, cette attaque n'en reste pas moins un fait
patent, et il nous faut regarder la pi&ce de Peele
comme un element jusqu'ici msoupQonn6 de 1'affaire
Lyly, Nashe, etc. centre Richard et Gabriel Harvey.
Dans son Edition des oeuvres de Nashe, Mr. Mac
Kerrow conjecturait Fexistence d'anneaux interm6-
diaires dans la longue chalne d'inimiti6 qui relie le
'Lamb of God' de Richard (1590) a la r6ponse
tardive de Greene dans l A Quip for an Upstart
Courtier' (1592). Nous inclinons a penser quel' ' Old
Wives Tales ' est 1'un de ces anneaux ; et ses scenes
contiennent assez de satire acerbe pour justifier et
corroborer cette hypothkse.
DAVID ET RETHSABEE.
II ne semble pas, cependant, que Peele ait pris
plus ample part a la querelle, car le seul drame poste"-
rieur que nous ayons de lui: l David and Rethsabe',
n'y fait pas la moindre allusion, ni, d'ailleurs a au-
cun 6v6nement contemporain. Fleay, il est vrai, voit
" en Rethsabe et en David Elizabeth et Leicester, la
L'OEUVRE DE PEELE 1*9
premiere femme de Leicester en Urie, et en Absalon
Marie reine d'Ecosse". Mais, m&me si nous admel-
tons que le travestissement d'allusions politiques par
changement de sexe n'6tait pas inconnu au th&Hre
6lisab6lhain, il nous est difficile de croire qu'une
diffamation calomnieuse de Leicester, ou quelque
41 scandal about Queen Elizabeth" se soil jamais
exprime^ ouvertement sur la scfcne publique. II nous
est 6galemenl impossible de donner notre assen-
timent k I'inference que tire Fleay de la prStendue
presence dans le drame d'un dessein all6gorique, h
savoirqu'ilful compost vers 1588. Desdocuments plus
valables nous sont n6cessaires pour en fixer la date.
L'en-t&te du vieux quarto ne fournitque de maigres
informations. Outre le litre m6me, il ne donne que le
nom derimprimeur: Adam Islip, et 1'annde de publi
cation: 1599. L'unique edition du temps est done
posterieure h la mort de Peole; mais le permis d'im-
primer avail 616 accord£ bien ant6rieuremenl, dbs le
mois de Mai 1594, el la minute qui s'y rapporle dans
les regislres des Libraires nous aide h. determiner
Tune des limites de composilion de la pifcce '. L'aulre
esl moins ais6menl dlablie. Le drame de Peele, nous
le verrons, conlienl des passages direclemenl imil6s
de I'o3uvre d'un pofele religieux franc;ais : Guil-
laume Saluste du Barlas, — plus pr6cis6menl de
quatre livres de sa seconde semaine (Eden, Artifices,
SAdun Islip.
F.ntre" for hi.'cop.e under th<e h>andes of bothe
the wardens a book called the book of David and Beths»b« vj«.
CllEFFAUO. 9
130 GEORGE PEELE
Arche, et Trophies) dont le dernier parut seulement
en 1591 \ De la d6coule naiurellement la conclusion
que le ' David ' de Peele dut etre compose apres cette
date. L'emprunt d'une longue comparaison (sc. viii.
v. 59 sqq) au premier livre de la ' Fairy Queen ' de
Spenser 2 ne peut que confirmer cette conclusion ; et,
si enfin nous tenons compte du fait que les theatres
de Londres furent clos de Juin 1592 a Paques 15943,
nous pourrons donner 1591 ou 1592 comme la
4. Les poemes de du Bartas furent publics respectivement :
f Triomphe de la foi.
La Muse Chretienne 5 Judith en 1574.
r Uranie,
La Premiere semaine en 1579.
( Eden. Imposture. Furies. Artifices.
La Seconde semaine > en jgg^
(1" et 2« jours). ^ Arche Babylone. Colonies. Colonnes.
( Vocation. Peres. Lois. Capitaines.
La Seconde semaine i 1591
(3* et 4- jours). £ Trophees. Magnificence. Schisme. Decadence.
L'oeuvre du poete protestant trouva un immediat succes aupres
du public anglais. Le premier Iraducteur ne fut autre que Jacques
IV d'Ecosse, et a partir de 4584, les traductions se succederent
pendant un demi-siecle. Les paraphrases anglaises que Peele pou-
vait connaitre sont les suivantes :
4584. Uranie or Heavenly Muse Jacques IV.
4585. Judith Tho. Hudson.
4585. Uranie or Heavenly Muse (2e edit.) Jacques IV.
4588. Portion de la < First Week ' (perdue) Sir P. Sidney.
4594. The Furies Jacques IV.
A Canticle of the Victory of ivry J. Sylvester.
The First Week (permis d'impression de)
probablement J. Sylvester.
4592. Triumph ot Faith; sacrifice of Isaac ; shipw
reck of Jonas J. Sylvester.
11 est a remarquer que la ' Seconde semaine ' ne fut pas traduite
avant 4596.
2. Peele. ' David & Bethsabe ' Sc. viii. v. 59 sqq. Spencer. ' Fairy Queen ' BK. i. c. 5. st. 2.
" As when the sun, attir 'd in glistering robe, " At last, the golden oriental gate
comes dancing from his oriental gate, of greatest heaven gan to open fair ;
and bridegroom like hurls through the gloomy air and Phoebus, fresh as bridegroom to his mate,
his radiant beams, such doth king David shows", came dancing forth, shaking his dewy hair
add hurlSd his glistering beams through gloomy air1
3. Voir note 4, page 409.
L'OEUVRE DE PEELE 134
pe>iode pendant laquelle la piece fut presque indis-
cutablement e*crite et repre"sent6e ' .
Elle est, en tout cas, la derniere des productions
dramatiques de Peele; ceci, a deTaut d'autre Evidence,
nous serai t amplement prouv6 par sa diction, son
metre, en un mot sa forme ge'ne'rale, qui tous sug-
gerent la main d'un artisan experiments. Conside're'e
par la plupart des critiques comme Toeuvre la ineil-
leure de notre dramaluge, elle a 616 1'objet de louan-
ges vives, parfois enthousiastes ; et, avec quelques
restrictions, nous nous rallierons al'elogieuse opinion
habituellement formulae.
La piece tire son sujet, comme le litre 1'indique,
de sources scripturales, et suit de si pres le r6cit du
Vieux Testament que 1'analyse n'en peut 6tre plus
convenablement donnee que dans le style rn6me de
la Bible :
II arrivaque David, se promcnant sur la leirasse de
son palais, vit une femme qui se baignait dans le jar-
din de sa maison; et cette femme etait fort belle.
Le roi envoya done savoir qui elle 6tait etCusai lui
dit que c'Stait Bethsab6e, femme d'Urie, II6theen.
Alors David, ayant envoy^ Cusai, la fit venir, et
quand elle fut venue, il dormit avec elle, et elle conQut.
C'6tait le temps ou les rois ont accoutum6 d'aller a
4. Nous ignorons au repertoire de quelle troupe appartenait
4 David and Bethsabe ' ; et il semble impossible de savoir si cette
minute du Journal d'Henslowe (Worcester's Men's Accounts) se
rapporte a notre piece :
•• Octr. 1602 ; Pd (or poleyes and workmanship? (or to hange Absalome xiiij ".
132 GEORGE PEELE
la guerre, et Joab, Urie, avec tout Israel assie~geaient
Rabbath, cit6 des Ammonites. Mais David demeura
ci Jerusalem,
Et il envoya des courriers a Joab avec ordre de lui
dire: Envoie-moi Urie. Et Joab le lui envoya.
Au meme temps, Amnon, le fils de David, congut
une passion pour sa scaur Thamar. L'amour qu'il
avait pour elle devint si excessif qu'il lerenditmalade,
et il la fit prier de venir, pour lui appreter .£ manger
et lui preparer quelque chose de sa main.
Thamar alia done a Fappartement de son frere
Amnon. Elle prit de la farine, la petrit et la delaya,
et fit cuire le tout devant lui ; mais apr&s qu'elle le lui
eut pr^sente", il se saisit d'elle et lui fit violence.
Alors Thamar, ayant mis de la cendre sur sa tete et
de"chir6 sa robe, s'en alia en jetant de grands cris, et
Absalon, son frere, concut une grande haine contre
Amnon.
Le roi David s'en affligea fort, et il ordonna a Absalon
de ne parler en aucune sorte & son frere, parce qu'il
vengerait lui-meme le tort fait a Thamar.
Cependant Urie e"tait venu au palais du roi, et
David lui recommanda d'aller en sa maison, pour
couvrir son adultere. II le fit venir pour manger
et boire a sa table, et il Fenivra, mais Urie passa la
nuit devant la porte du palais et ne retourna point
chez lui.
Alors David envoya a Joab une lettre 6crite en ces
termes : Mettez Urie a la tete de vos gens ou le com-
L'CEUVRE DE PEELE 133
hat sera le plus rude, etfaites ensorte qu'il soil aban-
donn6 et qu'il y pSrisse.
Joab, continuant done le siege de la ville, mil Urie
vis-a-vis le lieu ou il savait qu'6taient les meilleures
troupes de 1'ennemi, et quelques-uns des gens de
David perirenl, entre lesquels Urie, H6th6en.
Mais Bethsab6e, la femrae d'Urie, enfanta un fils, -
et cette action qu'avait faite David d6plutau Seigneur.
Le Seigneur envoya done Nathan a David pour lui
dire : Pourquoi avez-vous m6pris6 mes paroles jus-
qu'a commettre le mal devant mes yeux? Vous avez
fait perdre la vie a Urie, H6th6en ; vous lui avez 616
sa femme et Tavez prise pour vous ;
C'est pourquoi l'6pe"e ne sortira jamais de votre
maison. Je vais vous susciter des maux qui nattront
de votre propre maison. Le fils qui vous est n6 aussi
va certainement perdre la vie.
Et le Seigneur frappa 1'enfant que la femme d'Urie
avail eu de David, et le septieme jour il mourut.
Quand il vit que 1'enfant 6tait mort, David se leva
de terre, prit de 1'huile de parfum, et s'en etant oint,
entra dans la maison du Seigneur et 1'adora.
Et il consola sa femme Bethsab6e, dormilavec elle,
et en eut un fils qu'il appela Salomon.
Puis il rassembla tout le peuple, et marcha contre
Rabbath, et aprfes quelques combats il la prit.
Mais pendant que David 6tait sous Rabbath, Amnon
fit tondre ses brebis dans Baal-hazor, et invita tous
les enfants du roi a venir chez lui.
134 GEORGE PEELE
Et Absalon, quand Amnon commenQa a etre trou
ble par le vin, le frappa et le tua; et aussit6t tous les
enfants du roi, se levant de table, monterent chacun
sur leur mule et s'enfuirent.
11s e*taient encore en chemin quand le bruit vint
jusqu'aux oreilles de David qu'Amnon £tait mort,
parce qu'Absalon avait resolu de le perdre depuis le
jour qu'il avait fait violence a sa soeur Thamar.
Le roi se leva aussitot, d6chira ses vetements, se
jeta par terre, et tous ses officiers qui 6taient pres de
lui d^chirerent leurs vetements.
Mais le coeur du roi penchait encore vers Absalon, et
Joab le fit mander. II se presenta done devant le roi,
et se prosterna a terre devanl lui, et le roi le baisa.
N6anmoins Absalon s'insinua dans les affections
d'Israel. 11 se forma une puissante conspiration ; etla
foule du peuple croissait de plus en plus.
Le roi dut faire hate pour s'e"chapper et tous ses
officiers avec lui, et il monta la colline des Oliviers,
nu-pieds, latete couverte, et en pleurant.
Alors Absalon , suivi de tout Israel, passa le J ourdain.
Aussitot David, ayant fait la revue de ses gens,
e"tablit sur eux Joab, Abisai et Etha'i pour les com
mander, et il leur dit : Conservez-moi mon fils, mon
fils Absalon.
L'arm6e marcha ainsi en bataille contre Israel, et
la bataille fut donne"e dans la foret d'Ephraim.
Absalon e*tait monte" sur une mule, et comme il
passait sous im grand chene fort touffu, sa chevelure
L'OEUVRE DE PEELE 135
s'embarrassa dans les branches d'un arbre, et il
demeura suspendu entre le ciel et la terre.
Joob le vit en cet e*tat, et, prenant en sa main trois
dards, lui en pergale coeur. Et tous les gens d'Israel
s'enfuirent chacun dans leur tente. Alors Joab dit a
Cusai: Allez et annoncez au roi ce que vous avez vu.
Cusai lui fitune profonde r6ve>ence et se mit£courir.
Cependant David 6tait assis entre les deux portes
de la ville, avec Bethsab6e et Salomon. Et Bethsab6e
se baissa profond6ment et, adorant le roi, elle dit:
Mon Seigneur, jurez & votre servante que Salomon
r^gnera aprfcs vous etqu'il sera assis sur votre trdne.
Le roi lui jura et lui dit: Salomon votre fils sera
assis en ma place et r^gnera sur lout Israel.
Mais alors la sentinelle qui 6tait sur les murailles
au hautde la porte vit un homme qui courait, et Cusai
parut.
Mon fils Absalon est-il en vie? lui dit le roi; et
Cusai lui re"pondit: Que les ennemis de mon roi, et
lous ceux qui se soulevent centre lui pour le perdre
soient trailers comme il 1'a 6t£.
Le roi, e*tant done saisi de douleur, se couvrit la
face et se mit a pleurer, criant: Mon fils Absalon,
Absalon, mon fils, mon fils!
Et bientdt Joab entra dans la ville avec les hommes
de Juda ; mais la victoire fut changed en deuil dans
toute I'arm6e parce que tout le peuple savait que le
roi 6tait afflig6 de la mort d'Absalon.
Alors Joab, etant entr6 au lieu ou 6tait le roi, lui
136 GEORGE PEELE
dit: Venez pr6sentement vous montrer a vos servi-
teurs; parlez-leur et t6moignez-leur la satisfaction
que vous avez d'eux, car je vous jure que si vous ne
le faites, vous n'aurez pas cette nuit un seul homme
aupres de vous.
Et Bethsabee lui dit : Quittez ce deuil ; allez vous
asseoir a la porte de la ville. Et le roi alia s'asseoir a
la porte de la ville ; se montrant a ses serviteurs, il
leur parla ; et tous les cosurs de son peuple se rejoui-
rent.
Le c David and Bethsabe ' de Peele emprunte, on le
voit, ses donne"es au 2e livre de Samuel, et n'est en
certains endroits qu'une paraphrase dramatique des
chapitres xi et suivants1. II reste, de la premiere a la
derniere scene, tres pres de son original et en adopte
parfois la phras^ologie menie. Mais, tandis que le
re*cit du Vieux Testament est quelqtie peu diffus et ne
pre"sente qu'une longue se>ie d'episodes propres a
illustrer la vie de David, le drame de Peele offre dans
Fensemble plus de cohesion et de fini, parce que les
incidents en sont moins nombreux et paraissent unis
par une id6e centrale. David, en c6dant a sa passion
adultere pour Betbsab6e, devient pour elle le meur-
trier d'Urie, et de cet adultere, de cet homicide
de"coule toute une serie de crimes : le viol de Thamar,
le meurtre d'Amnon, la trahison d'Absalon, qui for-
1. Herr Bruno Neitzel (George Peele 's David and Bethsabe.
Halle 1904) adresse une liste complete des passages bibliques imi-
tes par Peele.
L'CEUVRE DE PEELE 137
ment les themes successifs de la piece. Ge*n6ralement
parlant, les premiers incidents etles derniers se trou-
vent dans la double relation de cause a effet, et de
p6ch£ k chatiment. Ce rigide enchalnement interne
donne h la composition de Peele une unit6 qui est plus
ou moins absente de I'histoire.biblique. C'est la, du
point de vue dramatique, un ind£niable progres, dont
le me>ite, cependant, ne peut 6tre entierement attri-
bu6 a Tinge* niosit£ du dramaturge. Les Episodes
avaient <l<-j;i 616 choisis et iso!6s pour 1m . le lien qui
les re"unit, indissolublement attach^ par du Bartas
dans une partie de sa • Seconde Semaine ' intitul6e
* les Trophies'. La conception g6ne>ale du drame
peelien, — 1'expiation d'un p6ch6 par d'infinis mal-
heurs, - - esl aussi celle du poeme franc.ais, et s'ex-
prime clairement dans ces vers, que nous voyons
adapter et d6velopper dans 4 David and Bethsabe ':
Tu as brassg la mort a Tinnocent Urie;
tu Tas fait, 6 cruel ; mais aussi la tuerie,
I'horrible parricide, et lasche trahison,
hoftes perp6tuels, honniront ta maison...
Chez toi le frere ira, d'un nom parent baiser
sa detestable ardeur sur sa soeur apaiser...
TOD sang centre ton sang descochera sa rage;
ton fils te soustraira de Jacob le courage;
pour te desar^onner armera tes vassaux
et te donra, f^lon, assaux dessus assaux.
Tu serviras, battu, d'example aux autres roys.
(Ed. 1601. T. 2. p. 103. Du B. 2« S. Troph v. 1029 sqq.)
De \h Peele a tir6 la notion qui forme la base de
toute son reuvre, et sa dette ne se borne pas a cet
138 GEORGE PEELE
emprunt. Nous avons des preuves surabondantes
qu'au moment ou il 6crivait il 6tait sous 1'influence
directe du poete huguenot. INous pourrions men-
tionner que dans les limites assez elroites de son
drame, on retrouve les caracteristiques familieres de
du Bartas: son penchant pour les pointes et les con
cetti, pour le cliquetis de mots sonores, son habitude
de forger des noms ou adjectifs composes1 , son accu
mulation de connaissances astronomiques d'ordre
anti-copernicien ; mais il est inutile d'insister sur une
ressemblance de details lorsque nous trouvons en
deux portions diff^rentes de ' David ', — 1'exposition
et le denouement, — de longs passages exclusivement
inspires par la l Seconde Semaine', quelquefois tra-
duits mot pour mot. La description du jardin de
Bethsab6e, avec sa richesse de details pittoresques,
est mode!6e sur celle du Paradis Terrestre dans FEden
de du Bartas. Dans ces deux descriptions correspon-
dantes, sans doute, Fordre des elements est I6ge-
rement modifi6, et il est d'autres differences, car Peele
tantot amplifie, et tantot condense ; mais le parallele
n'en reste pas moins frappant et nous trouvons ga et
la des vers presque litteralement traduits. Ce " cou
plet", par exemple;
Let all the grass that beautifies her bower
bear manna every morn instead of dew. (Sc. i. 44-5.)
1. Par exemple : praise-note ; inside-bark ; new-hewn ; fire-per
fumed ; fever-sick ; combat-blow ; much-too-forward ; tragic-hued ;
etc., etc.
L'CEUVRE DE PEELE 139
r6pfcte les mots de du Bartas:
Si je dis qu'au matin des champs la face verte
6toit, non de rose"e, mais de manne, couverte.
(2* Sem. 1" J. v. 73-74.)
Get autre alexandrin frangais :
Le bruit de cent ruisseaux semond le doux sommeil (id. v. 43.)
devance les vers si souvent cit6s de Peele :
Seated in hearing of a hundred streams
that with their murmur summon easeful sleep
(DuB. Sc. 1. v. 95-6.)
Et nous pourrions auSsi justement comparer ces deux
distiques:
Lending her praise notes to the liberal heavens,
struck with the accents of archangel's tunes
(Du B. Sc. 1. v. 31-2.)
Et marians leurs tons aux doux accents des Anges
chantoieut et 1'heur d'Adam et de Dieu les louanges.
(2'S. lerJ. v.86-7.)
ou ces deux morceaux descriplifs :
Au long dun clair ruisseau, dont la brillante areine
est de fin or d'ophir, les cailloux de rubis,
1'onde de pur argent, le rivage de lis,
et qui des plis glissants de sa source sacrge,
gazouillard, labyrinthe une flairante pre"e. (id.v. 477 sqq.)
That precious fount bear sand of purest gold ;
and, for the pebble, let the silver streams
play upon rubies, sapphires, chrysolites;
the brims let be embraced with golden curls
of moss that sleeps with sound the waters make
(Du B. Sc. i.v. 37 sqq.)
La scfcne d'oiices exemples sont tir6s conserve, tou-
140 GEORGE PEELE
tefois, une certaine originality ne fut-ce que dans
1' arrangement de sa matiere. Mais dans le dernier acte
du drame, Peele, apparemment fatigue" d'adapter et
d'imiter, se contenie de rendre en anglais un long
extrait d'un autre chant de la 4 Seconde Semaine'.
Cetle partie de sa piece, si Ton s'en souvient, consiste
en un dialogue moralement dogmatique, au cours
duquel David enseigne a son fils Salomon, autantque
mortel le peut faire,
the skill
and holy secrets of God's mighty hands. (Sc. xv. 71-2).
Or, tout ce dialogue n'est qu'une traduction honne'te
et fidele d'une portion des c Artifices ', ou, cependant,
Adam et Seth tiennent la place de David et de Salomon .
II serait trop long de citer ici en entier les passages
paralleles, et il nous faut les rejeter en un appendice ' ;
mais nous pouvons au moins choisir un specimen
typique, propre a montrer sous son vrai jour la
m^thode de Peele. Voici done, a la suite Tun de
Fautre, son texte et celui de du Bartas :
A secret fury ravisheth my soul
lifting my mind above her human bounds
and, as the eagle, roused from her stand
with violent hunger towering in the air,
seizeth her feathered prey, & thinks io feed,
but, seeing then a cloud beneath her feet,
lets fall the fowl, and is emboldened
with eyes intentive to bedare the sun
1. Voir Appendice, page 176 sqq.
L'OEUVRE DE PEELE 141
and styeth close unto his stately sphere ;
so Solomon, mounted on the burning wings
of zeal divine, lets fall his mortal food
and cheers his senses with celestial air,
threads in the golden starry labyrinth
and holds his eyes fixed on Jehovah's brows
(D&B. Scxv. v. 117 sqq).
II est soudain poussg d'une fureur secrette,
non comme le M£nade qui rouant, furieux,
palist, rougit, panthele, ulcere sans courroux
ses membres jusqu'aux os, et si ne sent ses coups,
ains comme 1'Aigle perd sa branche accoustumge
et, ramant par les airs d'une gasche empennge,
void sous ses pieds la nue, et fait, audacieux,
d'un d'il ferme cligner du clair soleil les yeux,
de im im- Adam, mont£ sur les ardentes ailes
du seraphique amour, perd les choses mortelles,
se paist du doux ether, fend les ronds estoillez
et tient dessus le front de Dieu ses yeux collez,
(Du Bart. Artif. v. 573 sqq).
La marche que du Barlas imprime h son d6velop-
pement est soigneusement suivie par Peele, et il se
contente (comme dans le passage que nous avons
choisi h dessein) d'abrtfger parfois une comparaison
ou de dSvelopper et expliquer une image. Dans 1'en-
semble, n6anmoins, le plan general et les details
d'expression se correspondent exactement, el la dif
ference la plus grande enlre le pofcme frangais et sa
traduction anglaise est une difference de mfclre, — le
vers blanc se substituant, dans la copie, aux alexan-
drinsde Toriginal.
Cette dette de Peele envers le pofcte des l Semaines *
merite d'autant plus d'arrfeter notre attention qu'elle
142 GEORGE PEELE
nous permet de reviser quelques-uns des jugements
ordinairement formulas sur l David and Bethsabe '. II
nous faut ^carter Fhypothkse de Ward et Fleay qui
tous deux supposentun prototype dramatique, — quel-
que vieux myslere maintenanl perdu. II nous faut reje-
ter les assertions gratuites de Sir Sidney Lee, qui
imagine de problematiques ressemblances entre la
piece de Peele et le c David combattant etc. ' de Des
Masures1. II nous faut enfin ramener a leur juste
valeur les eloges d6cern6s par la critique allemande,
sous pr^texte d'originalit6, aux scenes finales de notre
drame.
Non, en verit6, il n'y aguere d'originalit6 dans son
sujet ; et il la faut chercher bien plutot dans la maniere
donl ce sujet meme est trait6. ' David et Bethsab6e '
est, a plus d'un^gard, Faboutissementnaturel de Tex-
p6rience dramatique de Peele. Construit sur les lignes
d'un " drame-chronique", il traite simultan^ment,
comme ' Edouard 1', de la vie privet et de la vie
publique d'un roi, mais il est en meme temps, comme
la ' Bataille d' Alcazar ', une tentative pour combiner
la pifcce historique avec la trag6die classique. L'his-
toire de David, telle que Peele nous la raconte, est
4. Deux vers seulement dans les trois pieces de Des Masures
(David Combattant ; David Fugitif ; David Triornphant) pourraient,
a la rigueur. etre rapproches d'un passage de Peele :
" Dois-je prendre Asahel qui, en la plaine large,
Leger, vole des pieds comme un sauvage daim"
(David Fugitif 1876-7); cf. ' D. and B. Sc ix v. 28 sqq. Mais la
ressemblance fortuite s'explique aisement par ce fait que les
deux poetes ont puise a la meme source, 2 Samuel, ii. 48.
L'CEUVRE DE PEELE 143
un veritable theme a la S6neque ou Ton voit
une maison royale vou6e a la ruine par les crimes
de son chef, mais oil la conception d'Ate est
remplac£e par celle, plus approprie*e, de Fire de
Jehovah. Le drame entier est doming par la colere
divine que provoque la transgression de David, —
r&paprc'* du h£ros — ; et ses Episodes principaux ne
sont que les effets successifs de cette colere. En d6pit
d'une surabondance de motifs, Tid6e centrale reste
toujours en pleine lumiere et la m oral i 16 en est tir6e
a tous les moments critiques de Faction et dans les
choeurs de la piece1. L'effort Evident de Peele est de
repr^senter les ravages que peut faire le pe*ch6 dans
une ame humaine, puis hors de Tame ou il a pris nais-
sance; de montrer comment il altere, pervertit ou
d6truit les sentiments les plus forts et les plus nalurels,
comment il rompt les liens entre frere et soeur, fils et
pere ; et quelle longue trainee de malheurs et de
crimes il laisse toujours derriere lui.
C'6tait la une conception hautement artistique el
moralement 6lev6e, dont la mise en oeuvre d^pendait,
toutefois, de Tanalyse psychologique, — trop souvent
deTectueuse dans les 6crits de Peele. Tel n'est pas,
heureusement, le cas pour l David and Bethsabe ', ou
presque tous les caracteres sont bien contrasted et
ing6nieusement d6peints. Leur representation, sans
doute, repose encore trop sur les incidents mate>iels
4. Voir surtout Sc. in. v. 440 sqq ; 4« choeur; Sc. v. v. 46 sqq ;
Sc. viii. v. 4-13.
144 GEORGE PEELE
de 1'intrigue et reste subordonn6e a la mise en scene
de 1'histoire ; mais, bien qu'entrave ainsi par les fers
d'un plan pr6d6termin6, Peele r6ussit a animer ses
personnages d'une vie plus r6elle qu'il n'avait su le
faire jusqu'alors.
David prend justement, dans sa trag6die, le r61e de
protagoniste, et le jeu tumultueux de ses passions, —
sensualit^, douleur, amour paternel, colere, et
remords — nitrite bien une minutieuse attention. —
Le roi a la harpe glisse insensiblement a la faute,
plutot qu'il ne la commet. La faveur constante que
Dieu lui a montre^e, 1'approbation donn£e a tous ses
actes, ontrelache en lui le sens de la responsabilite ;
et il reste aveugle a la honte de sa passion pour
Bethsabee, — la femme d'autrui. Le crime incestueux
d'Amnon lui dessille cependant les yeux ; il entrevoit
une ressemblance entre 1'erreur morale de son fils et
la sienne, apergoit leur origine commune dans d'ini-
ques app6tits et s'efforce, assez faiblement, d'6chap-
per aux sables mouvants du p6che\ II ne fait, toute-
fois, que s'y enfoncer plus avant, et recourt enfin au
meurtre d'Urie, — stratageme d6sespe>6 pour dissi-
muler Fadultere. Maintenant trop conscient d'avoir
viole les lois divines et humaines, il abandonne tout
controle sur les e>6nements, laisse ses capitaines
livrer ses batailles, — les batailles du Seigneur — ,
et, volontairement captif en son palais, attend le cha-
timent inevitable. Du sommeil de sa passivit6 Fapre
voix de Nathan le reveille, proph^tisant la mort du
L'OEUVRE DE PEELE HS
fils que Bethsab^e congut. L'enfant meurt, et David,
sur d'avoir expi6 la faute par cette perte cruelle, renalt
aussit6t a Faction. Son espoir est implacablement
frustr6 par la colere divine. Sans doute, il triomphe
des Ammonites et de Rabbath ; mais a 1'heure meine
de la victoire, il apprend qu' Absalon a tu£ Amnon, et
il retombe dans sa pesante inertie. II souffre que les
affaires de 1'fitat soient dirige'es, que sa propre con-
duite lui soit dieted, par ses lieutenants; il rappelle,
sur les instances de Joab, lecoupable Absalon, et, par
cette marque de faiblesse, prepare lui-m&me la rebel
lion de son fils. Abattu, humilie par ce dernier coup,
— le plus rude qui le puisse frapper, — il s'abaisse
jusqu'a trouver unejoie amere aux pires insultes de
ses ennemis, jusqu'a accepter comme son du les
menaces et les maledictions de Semei. La r6volte
d'Absalon souleve a peine sa juste colere. A Tapproche
de la bataille, Taffection paternelle chasse de son coeur
tout sentiment hostile, et il adjure patheHiquement ses
^ens d'Spargner, ne fut-ce que pour lui, le fils qu'il
aime encore. Cette priere, pourtant, n'est pas enten-
due, et il se r^volte sous la douleur :
Hath A lisa 1 on sustained the stroke of death?
Hence, David, walk the solitary woods.
There let the winds sit sighing till they burst!
And let them toss thy broken lute to heaven,
even to his hand that beats me with the strings.
0 Absalon, Absalon ! 0 my son, my son !
Would God that I had died for Absalon ;
but he is dead! ah! dead! (Sc. XV. v. 165 sqq).
GUBFFAUD. IO
146 GEORGE PEELE
Les mots lui manquent; il soupire et sanglote ; d6chi-
rani ses veiements, il se jette a terre, et reste 6tendu
sur le sol de sa tente, immobile et prostr6, jusqu'au
moment ou les douces paroles de Bethsab6e ealment
comme un baume les cuisantes douleurs de son ame
blessee.
La femme d'Urie est ainsi habilement r&ntroduite
a la derniere scene pour consoler 1'homme qui Fa
en trainee an malheur; et son pardon est, enfin, le
signe que la colere de Dieu a cess6 de poursuivre le
coupable.
C'est a juste titre d'ailleurs que Bethsab6e devient
1'interprete de la divine c!6mence. Elle reste pure
m6me dans le p6ch6, — victime, plutot que complice,
des transgressions de David. De toute sa force elle
s'oppose a sa passion, r6siste a ses flatteries, a ses
prieres, et ne cede qu'a son commandement expr^s.
Meme alors, elle n'ob^it qu'avec un coeur afflig6 et
deplore secretement le mal dont sa beaut6 est cause.
La mort d'Urie, la perte soudaine de son enfant la
peuvent seules pousser a crier 1'aveu d^chirant de sa
douleur cached:
Mourn, Bethsabe, bewail thy foolishness,
thy sin, thy shame, the sorrow of thy soul!
No comfort from the ten-string 'd instrument,
the tinkling cymbal, or the ivory lute;
nor doth the sound of David 's kingly harp
make glad the broken heart of Bethsabe.
0, what is it to serve the lust of Kings 1 (Sc. V. v. 1 sqq).
Instrument passif de la luxure royale, il lui en faut
L'OEUVRE DE PEELE 147
cependant supporter lesfunestes consequences ; mais
la foi en Dieu , la confiance en sa justice la soutiennent
dans ses epreuves; et le Seigneur recompense son
attente en lui donnant enfin un Bis qui porte toutes
les marques de sa faveur: Salomon.
Peele s'est prudemment abstenu de donner a
Bethsabee un r6le trop important. Sa purete ne sent
qu'a accentuer les erreurs de David; et elle disparalt
quand le roi se fraie, a travers la douleur, une voie
vers la redemption. Le personnage avec qui David est
alors contrast^ est Absalon, Absalon dont 1'orgueil,
1'opiniatrete et 1'ingratitude sont les traits les plus
saillants. — Fier de sa beaute, de la force de son
adolescence, confiant en sa sagesse, persuade, bien
A tort, de la faveur de Jehovah, il suit sans les con-
trdler toutes les suggestions de ses penchants. Sa
premiere infraction aux ordres de David — le meurtre
(1 Amnon h Baal-hazor — regoit un immediat pardon ;
et il meprise 1'indulgence de son pere comme un
signe d'incapacite. Son ambition denature prend
ainsi sa source dans un acte de bienveillance qui eut
du provoquer sa gratitude. Deja haissable a nos yeux,
il accrolt notre horreur par son attitude arrogante et
froide, ses efforts hypocrites pour rejeter 1'odieux de
sa rebellion sur Dieu lui-m&me.
1 am the man • • dit-il " God made to glory in ,
when by the error of my father's sin,
he lost the path that led into the land
wherein our chosen ancestors were blest, (Sc. iv. v. 64 sqq).
148 GEORGE PEELE
et cette justification suffit a elouffer la voix de sa con
science ; mais la r6elle faiblesse de la confiance qu'il
affecte apparalt bientot dans les plaintes qu'il exhale
avec son dernier souffle, sous le ch&ne touffu
d'Ephraim :
0 give me once again my father 's sight,
that, shedding tears of blood before his face,
the ground may witness and the heavens record
my last submission sound and full of ruth (Sc. xm. v. 37 sqq).
Un repentir impost par le Destin reste, pourtant,
toujoursentach6 de suspicion etle remords d'Absalon,
quoique v6h6ment, nous laisse insensibles a toute
compassion et a toute pitie*.
Absalon, Bethsab6e, David sont les trois person-
nages les plus importants de notre drame, et Peele
a justement consacr6 a leur representation les res-
sources de son talent. Son analyse s'6tend, toutefois,
jusqu'aux caracteres secondaires. Joab nous apparait
comme un Israelite au coeur droit, a la volont6 forte,
ferme conducteur d'hommes, toujours indulgent a
une premiere faute, mais inexorable a toute rechute ;
Urie comme un robuste et brave soldat, qu'enno-
blissent un sentiment rigide du devoir et une in^bran-
lable foi en Dieu et en son roi ; Cusa'i, enfin, comme
un serviteur fidele, d6vou6 a David corps et ame,
sans autre loi morale que les commandements de
son maltre. Bref, sur la large toile de ' David and
Bethsabe ', chaque figure se de~tache, distincte, peinte
avec plus ou moins de details, mais toujours exacte-
L'GEUVRE DE PEELE 149
ment proportioned & son importance relative. —
Le seul reproche auquel Peele s'expose, sous ce rap
port, est d' avoir mis dans la bouche de ses person-
nages un langage trop souvent incompatible avec
leur situation, leur condition, oil leur £ge. Tous les
4 dramatis personae ' — rois, soldats, pr&tres, — et
nirnif le jeune Salomon s'expriment dans le m6me
style recberch6 et orn6. Le r6sultat estparfois d^plai-
sant et propre h. influencer d6favorablement le juge-
ment que la critique doit porter sur la diction de la
pifcce.
Si, toulefois, nous nSgligeons ses 6videntes imper
fections comme moyen d'expression dramatique, il
nous faut reconnaltre ses mSrites inlrinsfeques. Sous la
forme harmonieuse et diverse du vers blanc, elle se
r6vfcle toujours 6l6gante, polie, quelquefois impo-
sante, constamment enrichie d'images et de tropes.
Peele a prodigu6 dans son V David et Bethsab6e '
toute la richesse de sa fantaisie po6tique ; le lyrisme
se r^pand dans chaque fibre, dans chaque veine de sa
structure; et une abondance de m6taphores et de
comparaisons en fait presque une s6rie ininterrompue
de figures. La plupart sont du type spens^rien, et
quoique souvent heureuses, sont trop longues pour
que nous les puissions citer ' ; mais quelques-unes
sont condenses en peu de vers, comme cette gra-
cieuce peinture de Bethsab6e:
1. Voir, par exemple, Sc. H. 46-52 ; Sc. vi. 408-112; Sc. xi. 131-
135; Sc. XIH. 7-10.
183 GEORGE PEELE
Brighter than inside bark of new-hewn cedar,
sweeter than flame of fire-perfumed myrrh,
and comelier than the silver clouds that dance
on Zephyr's wings. (Sc. i. v. 55 sqq).
Peele semble s'&tre plu £ la beaut6 sensuelle qu'of-
fraientcertaines situations de son intrigue, etfestonne
chacune de ces scenes d'une guirlande de descriptions
aux couleurs et aux parfums exotiques *. Comme le
voulait son sujet, il s'efforce d'incorporer dans son
drame les fastueuses images du Cantique des Can-
tiques ou de quelques Psaumes, et r^ussit souvent a
communiquer a ses vers un peu de leur orientale
splendeur. Des reminiscences de tous les livres du
Vieux Testament donnent a la piece un ton scriptural
bien approprie 2 ; effet auquel contribuent encore le
frequent usage de laparabole, si familier a rimagina-
tiqn hebraique, et Finsertion dans le texte de noms
propres bibliques. Leur constante presence, 1'art avec
lequel ils sont introduits dans les limites du vers mon-
trent que Peele les aimait pour leurs qualit^s sonores ;
et dans des vers comme ceux-ci :
And Jonathan, Abinadab and Melchisua
water 'd the dales and deeps of Askaron
with bloody streams that from Gilboa ran
in channels through the wilderness of Ziph (Sc. vn, v. 27 sqq).
4. Lire, entre autres, 1'invocation de Bethsabee au Zephyr et la
description de 1'ete par Absalon.
2 Les exemples abondent : <4 Fairer than Isaac's lorer at the
well " (Sc. i. 54) ou :
"God, in the whizzing of a pleasant wind
shall march upon the tops of mulberry-trees " (Sc. XH. 16-17) ou encore :
" As whilom he was good to Moses 'men
by day the Lord shall sit within a cloud" etc. (Sc. xn. 19 sqq.)
Neitzel, op. cit., a signale la plupart des reminiscences bibliques.
L'OEUVRE DE PEELE 15i
nous entendons une note faible, mais distincte, des
melodies futures : de I'harmonieux entrelacement de
noms bibliques qui, longtemps apres, devait prater
une majestueuse dignite" a I'epope'e de Milton1.
Le seul fait qu'une telle comparaison soit possible
plaide en faveur du g6nie de Peele, et est en lui-
ni6me un eloge sur lequel nous laisserions volontiers
sa piece. Mais il reste une difficile question a r6-
soudre : • David and Bethsabe ' constitue-t-il un
tout, ou n'est-il qu'un long fragment? Un examen
attentif laisse peu de doute sur la re*ponse; toute
une s6rie de fails semble de"montrer que nous avons
seulement une partie de 1'oeuvre de Peele. Son drame
porte, h premiere vue, la marque distinctive des
productions inacheve"es : un disaccord trop frequent
entre les divers Episodes qu'il prSsente. II y a,
dans ses quinze scenes, quatre ou cinq contradic
tions absolues, dont deux, les plus frappantes, —
peuvent 6tre Isoldes comme exemples typiques.
Klles se suivent, d'ailleurs, de pres dans notre texte.
Scene vi, la ffcte champfttre ou pe>it Amnon est
donn^e par Amnon m£me, et non par Absalon, comme
on 1'avait originairement projet6 ; et dans la 7* scene,
bien que le meurtre n'ait provoqu6 ni la vengeance
de David ni le bannissement d'Absalon, une veuve
1. Nous pourrions citer d'autres vers encore ; e. g.
" Even from the valleys of Jehouphat
Up to the lofty mounts of Lebanon" (Sc. iii. T. 55-4)
ou bien : •• The dew that on the hill of Hermon falls
rains not on Sion's top lofty towers ;
the plains of Gath and Askaron rejoice " (Sc. v. T. 6 §q<i). ete.
152 GEORGE PEELE
de Th6cu6, sur le conseil de Joab, s'adresse au roi en
ces termes:
Call home the banished that he may live
and raise to thee some fruit in Israel, (Sc. vn. v. 148-9)
implorant ainsi le rappel d'une sentence qui n'a jamais
6te prononcee. Ces inconsequences, et d'autres ana
logues ', sont ddjaassez significatives. Mais nous pou-
vons invoquer d'autres arguments, signaler par exem-
ple la presence dans le quarto d'un court fragment
absolument Stranger au contexte2, etmentionner que
le dernier choeur de la pi&ce reste inintelligible si
Ton n'admet pas Thypothfcse d'une suite, perdue ou
jamais £crite:
Now, since this story lends us other store
to make a third discourse of David 's life,
adding thereto his most renowned death
and all their deaths that at his death he judged,
here end we this, and what here wants to please
we will supply with treble willingness.
Le passage est difficile a expliquer, mais si nous le
comprenons correctement, il signifie que Peele avail
4. Remarquez 1'entree soudaine de Thamar, a la Sc. m(v. 30)
et la mention qu'elle fait d'un episode (v. 34) ignore de nous ; ou
encore 1'invraisemblable invitation d'Absalon a Amnon, contre qui
il vient de proferer des menaces de mort (Sc. in. v. 426 sqq. et
452 sqq. surtout 468).
Z. " What boots it, Absalon, unhappy Absalon,
sighing I say, what boots it, Absalon,
to have disclos 'd a far more worthy womb
than"...
(imprime, dans le quarto, apres le 2e choeur, — i. e. quand Absa-
on a de"ja ete tue par Joab).
L'OEUVRE DE PEELE 153
CODQU son drame comme une sorte de trilogie tra-
gique, traitant successivement du p6ch£ de David, de
son expiation, et de sa redemption. Les deux pre
mieres parties sont venues jusqu'ci nous sous les litres
(donnas en t&te du quarto) des l Amours de David et
de la belle BethsabSe ' et de la l Trag<§die d'Absalon '.
La troisieme resta inachev£e ; et pourtant quelques
mots du choeur et diverges indications relevSes dans
les dernieres scenes nous permettent d'en imaginer
le contenu. Base*e sur le ler Livre des Rois, elle eut
renferme la r6volte de Joab et d'Adonias, leur fin
malheureuse, la mort e"difiante de David, et enfin
1' accession au tr6ne de Salomon, dont la vertu, la
purete et la sagesse etaient le symbole du pardon
definitif de Jehovah et du renouvellement de sa faveur
& la race de David1.
L'achfcvement de la piece sur ces donne"es eut pu
seul de*gager toute la grandeur tragique de son theme.
Mais dans I'etat m&me ou elle a •'•!.'• Iaiss6e par son
auteur, ou du moins ou elle nous est parvenue, nous
pouvons discerner la noblesse de sa conception et
mesurer 1'habilete artistique avec laquelle cette con-
1. Ces episodes sont prepares dans les Ue et 15e scenes. Les
promesses explicites faites par David a Salomon sont introduces
dans le texte pour motiver la r^volte d'Adonias (un ills plus Ag6
de David) dont le nom apparait en t^te de la scene, quoiqu'il ne
joue aucun r6le dans le drame. II faut en outre constater que Peele
s'ecarte quelque peu de la Bible en rendant plus directes et plus
\iolentes les menaces de Joab au roi, avec Tintention e"vidente de
justifier la mort imminente de Joab — une des " deaths that at his
death he (David) judged".
154 GEORGE PEELE
ception estr6alisee. ' David etBethsabee' prend inde-
niablementle pas sur les autres productions de Peele,
et doit sa preeminence non point a son vers, quoique
doux et plaisant, ni a son style, quoique riche en
images delicates ou somptueuses, mais a la majeste
de ses eftets sceniques, a son pathetique, a ses traits
de sensibilite emue, en un mot a sa peinture des
caracteres, qui 1'eievent, — malgre toutes ses imper
fections, — du niveau d'un poeme dramatique a celui
d'un drame reel.
LES POEMES.
4 David et Bethsabee ', la meilleure contribution de
Peele au theatre elisabethain, fut aussi la derniere.
Ses ecrits posterieurs sont des poemes intitules c The
Honour of the Garter ' ou c Anglorum Feriae ' ; et la
mention de ces compositions nous amene a la derniere
section de notre travail : 1'etude des oeuvres purement
poetiques de Peele.
Les poemes dont nous avons a traiter ont ele Merits
a presque tous les stages de sa carriere, de 1579
a 1595. Us pr6sentent, n^anmoins, un aspect 6tran-
gement similaire, du sans doute au fait qu'ils sont
tous, — sauf le c Tale of Troy ' et la l Praise of Chas
tity ' — des specimens de poesie adulatrice. Comme
tels, ils contiennent plus d'un detail qui peut avoir sa
valeur pour 1'historien, mais ajoutent peu au renom
de Peele. Le merite d'un poeme, generalement par-
L'CEUVRE DE PEELE 15o
lant, est en raison inverse de Tiniest qu'il offre a
l'e>udit. Une pifece de vers courtisanesque est essen-
liellement une piece de circonstance, el qui ne peut
pas d6passer les limites de la circonstance qui l'a fait
naltre. L'anniversaire d'une reino, 1'installation de
quelques chevaliers de la Jarretiere sont choses qui
inte>essent d'autant moins le grand public qu'elles
inte*ressent plus les personnes dont la naissance a
6*16 ce*l6br6e ou qui ont 6t6 1'objet d'une distinction
honorifique. De*gager de ces incidents des pens6es et
des sentiments <!' in I i-iv I commun qui puissent trans
former la piece de circonstance en un poeme veritable
est une tache difficile etardue; et quoique, dans ce
genre, Peele ait t£moign£ quelque talent, il n'avait
pas assez de ge*nie pour triompher completement de
tous les obstacles.
Le 'Tale of Troy' et la 4 Praise of Cbastity ' sont
les deux seuls poeines qui n'aient point a porter le
fardeau de flatteries conventionnelles. Ceci ne veut
point dire, d'ailleurs, qu'ils soient meilleurs que le
reste ; — 1'inverse serait plut6t vrai. - - Le l Tale of
Troy', bien que public* en 1589!, est une oeuvre de
jeunesse1, un exercice de versification sur le theme
ISgendaire des guerres troyennes, et il est clair qu'a
Theure ou il fut compost, les aptitudes de Peele
1. Une edition revue, mais & peine corrigee, parut en 1604 sous
un format r6duit (4 pouce 1/2).
•2. Voir la d^dicace du ' Farewell to Norrisand Drake ': " Whe-
reunto I have annexed an old poem of mine own, the tale of
Troy ", etc.
156 GEORGE PEELE
n'avaient pas atteint leur complet d^veloppement. 11
demandait encore presque servilement une inspiration
aux auteurs classiques qu'il venail d'6tudier, ou aux
Merits contemporains qui 1'avaient s6duit. L'insertion
de details pastoraux dans le conte mythologique doit
ainsi 6tre attribute a une imitation du l Shepherd's
Calendar ' de Spenser, dont Peele reproduit textuel-
lement un vers1; tandis que Fair m6die>al plut6t
qu'he!16nique de ses personnages montre 1'influence
de ce chaucerianisme qui avait pris, pour un temps,
la tyrannie d'une mode dans la litte>ature 6lisa-
bethaine. Mais le ' Tale of Troy' est, avant tout, un
epitome versifie d'un livre des Metamorphoses
d'Ovide, le 13% et de quelques-unes de ses H6ro'ides,
5, 16 et 17. Tantot paraphrase et tantot traduction,
c'est une version anglaise du texte latin, abr6g6e en
presque toutes ses parties, I6gerement d6velopp6e sur
quelques points, et completee a 1'aide de fragments
de 1'Eneide ou d'autres sources moins nobles : Dares
Phrygius ou Dictys Cretensis. Peu, trfcs peu d'addi-
tions sont originales, mais il faut reconnaltre, a la
louange de Peele, qu'elles contiennent les meilleures
images du poeme. La description dela flotte grecque
quittant Aulis
as shoots a streaming star in winter's night (v. 257)
ou la peinture de la joie de Paris,
4. " And tuned his pipe unto the water fall " (T. of T. v. 70) ;
cf. Spencer. Sh. G. April, v. 36 " And tuned it unto the water
fall".
L'CEUVRE DE PEELE r>7
as blithe as bird of morning 's light in May (v. 190)
montrent Peele sous son jour le plus favorable. De
tels passages, cependant, sont rares et courts, et,
dans 1'ensemble, le l Tale of Troy ' est un r6cil rabo-
teux et in£gal en pentametres rim6s, et ressemble h
une mosaique moderne faite de fragments antiques
maladroitement raccord6s.
La l Praise of Chastity M, quoique bien plus courte,
est plusriche en beaux vers et en images brillantes,
et le reproche auquel elle est exposed est d'ordre
plut6t moral que litte>aire. Peele a orn6 le plaisir
sensuel de ses plus attrayantes couleurs pour rendre
d'autant plus grand le triomphe de la vertu. II imagine
qu'il suffit de nous assurer de la victoire finale, sans
s'apercevoir que de trop complaisantes peintures
du p6ch6 vont directement & Tencontre de ses
intentions. Mais nous pouvons peut-£tre pardonner
Terreur psycbologique qu'il a commise en d^crivant
trop chaleureusement les charmes de la beaule\ en
raison de ce vers exquis :
Her dainty hand made music with her lace (v. 71)
Tous les poemes de Peele se rachelent ainsi par
des passages d'une incontestable beaut6, qui nous
engagent b. les lire malgr6 Tinsipidit6 de leur matiere.
En 6tudier un 6quivaut h les connaltre tous, et nous
ne pouvons guere les differencier que par leurs titres
1. La • Praise of chastity ' fut publi^e, en 1593, dans 1'anthologie
intitule ' The Phoenix Nest ' (permis d'imprimer. 8 Oct. 1593).
158 GEORGE PEELE
— 4 Pageant Woolstan Dixie ', l Descensus Astreae ',
1 Farewell to Norris and Drake ', ; Eclogue Gratu-
latory ', ' Polyhymnia1, c Honour of the Garter' et
1 Anglorum Feriae'1, — ou par cette circonstance
accidentelle qu'ils furent Merits, les uns pour les f&tes
de la Cit6, les autres pour les galas de la Cour.
Ceux que Peele composa en quality de u city-poet "
contiennent simplement les diverses tirades des per-
sonnages qui figuraient dans les processions, mais
aucune description des ce>e*monies m£mes, comme
ce fut plus tard la coutume au temps de Monday et de
Chettle. Lespoemes, cependant, nous apprennent que
la pompe d6ploye"e lorsque Dixie ou Web entrfcrent
en fonctions 6tait pr6cis6ment semblable a celle
qu'6talfcrent ces fetes solennelles jusqu'au jour de
leur suppression. Nous avons les memes chars et les
memes estrades, la meme repr6sentation de person-
nages mythologiques ou allegoriques : — Thalie,
1. Nous avons a dessein omis de cette liste les ' Speeches at
Theobalds " comme entaches de suspicion. 11s furent pour la pre
miere fois imprimes par J. P. Collier d'apres trois manuscrits
tombes en ses mains (?), le premier en 1833, les autres aune date
ulterieure. Mais ces poemes se rapportent a des incidents (retraite
de Lord Burleigh a Theobalds, apres la mort de sa mere, de sa
femme, et de sa fille, etc.) qui se trouvent mentionnes longue-
ment dans les ' Progresses of Queen Elizabeth etc ' de Nichols
(vol. ii. The Hermit's Oration al Theobalds. Io94. penned by Sir
Robert Cecil) et peuvent avoir et6 construits sur ces donnees
par Je faussaire litteraire qu'etait Collier. Leur forme, d'ailleurs,
est si peu peelienne que le ' Gardener's Speech' et le ' Molecat-
cher's Speech' ont ete attribues a Lyly par son dernier editeur,
Mr. Bond. II semble, en tout cas, preferable de reserver notre
jugement, en 1'absence des manuscrits decouverts (?) par J. P.
Collier.
L'OEUVRE DE PEELE 159
Agla6 , Clio, Magnanimity Loyaute\ etc., — les mftmes
flatteries a Tadresse du maire de Londres, etles habi-
tuels calembours sur son nom1. 11 nous faut, toute-
fois, supplier a la raret6 des traits descriptifs pour
reconstituer le d6cor de ces rejouissances publiques
et imaginer la procession traversant les rues de la cit6 :
des pages d'abord et des joueurs de fifre pour d6blayer
la route ; puis de pr6tendus sauvages excites par le
bruit des petards et 1'odeur de la poudre ; les trom-
pettes et les musiciens de la < • i I > • ; les membres des
corporations avec leurs longues robes et leurs capu-
chons noirs et rouges; les officiers du sheriff; (les
officiers du Maire; et enfin le Maire lui-m&me, v&tu
de pourpre, une lourde chalne d'or sur la poitrine,
accompagn6 par ses raassiers, et suivi de tous les
6chevins.
La splendeur de ces pompes municipales semble,
pourtant, n'avoir fait qu'un indifferent appel a 1'ima-
gination de Peele. 11 se sentait plutdt attir6 vers les
jeux guerriers, — joules et tournois — qui rehaus-
saient les ffctes de la Cour ; et ses vers nous commu-
niquent plus d'une fois les agr6ables impressions qui
avaient 6t6 les siennes a ces spectacles. Nous applau-
dissons avec lui aux prouesses d'6quitation des che-
4. * Pageant Woolstan Dixie ' v. 534.
" For London '* welfare and her worthiness ;
dixi".
1 Pageant William Web' (Descensus Astreae) v. 2 et 9-10.
'•How Time hath turned his restless wheel about,
and weav 'd a web
for your con tent".
160 GEORGE PEELE
valiers; nous partageons Finte>et qu'il prend aux
devises de leurs boucliers, aux ornements cisel6s de
leurs armures, aux housses brod^es de leurs coursiers,
au jeu de la lumiere sur les cuirasses d'acier, sur les
casques 6tincelants et la pointe brillante des lances.
Nous voyons les chevaux piaffer, s'6brouer, se cabrer ;
nous entendons le son aigu des clairons et des trom-
pettes, et le choc terrible, au milieu de Farene, quand
les armures se froissent et se heurlent, et les lances
se brisent en 6clats.
De telles descriptions remplissent plus qu'ci moiti6
les po&mes de circonstance de Peele, etla similitude
des peintures qu'ils contiennent tous rend impossible
un compte rendu distinct de chacun d'eux. Mieux
vaut, semble-t-il, les jeter en masse dans le creuset
de Fanalyse, et les require a leurs elements consti-
tuants.
De ceux-ci le plus important est, naturellement, la
flatterie, — flatterie al'adresse des commandants de la
flotte anglaise : Drake ou Norris, a 1'adresse des sei
gneurs de la cour : Sir Henry Lee, Cumberland, etc.,
des favoris de la reine : Burleigh ou Essex, mais surtout
a 1'adresse de 1'incomparable Elisabeth elle-meme. II
serait oiseux d'6nume>er ici tous les compliments
et toutes les epithetes qui lui sont prodigu6s, mais
il est inte>essant de constater que, dans 1'adula-
tion dont elle est Tobjet, nous retrouvons pour ainsi
dire une quantite variable et une quantity constante.
La premiere se r^soud en allusions politiques qui dif-
LCEUVRE DE PEELE 161
ferent avec la date du poeme. C'est ainsi que dans les
jours paisibles de 1585 ou 1590 la reine est ce16br6e
comme 1'universelle pacificatrice ; qu'aprfes ses vic-
toires sur 1'Espagne, elle devient la glorieuse impe"-
ratrice du monde,
over whose throne the enemies of God
have thundered their vain successless braves, (Farewell. 68-69)
et qu'en 1595, — 1'annge des complots du Catho-
licisme anglais centre sa vie ', — elle s'entend glori-
fier comme ointe du Seigneur et deTenseur de la foi,
by miracles preserv 'd
from perils imminent and infinite, (Angl. Per. 18-19)
- Quant a la quantity constante, elle consiste en
toutes ces formules de louange hyperbolique qui
furent employees a tour de rdle par chaque poete 6li-
sabeHhain. Si tous les personnages que Peele trans-
forme en pane"gyrisles de la reine 6taient ranges en
procession, leur cortege serait aussi long que dispa
rate. En t&te marcherait la Renomm6e u cloth 'd in
falcon's feathers to the ground" (Hon. of Gar. 54),
puis deTilerait une 16gion imposante de chevaliers, sur
des montures richemenl caparagonn^es, et suivis
d'une foule d'hommes d'armes, d'6cuyers etde pages
aux Iivr6es 6carlates. Derriere, a une allure plus
lente, une troupe de bergers, — de bergers, non,
4. Les attentats criminals de Roderigo Lopez, medecin de la
reine et de Patrick Cullen. par ex., furent machines par desr^fu-
gies catholiques anglais. V. Camden. ed. 4688. p. 484 sqq.
CHEFFAUD. ix
102 GEORGE PEELE
mais de nobles deguis6s comme tels, et conduisant
de leurs houlettes d'or un troupeau symbolique de
moutons enrubann6s. Enfin, pr6c6d6es par le parfum
de la myrrhe et du baume,
dancing and singing sweetly as they go,
three naked virgins, deck'd in garlands green,
(Hon of Gar. 64-65)
les trois Graces, Ii6es par des chatnes de fleurs, escor-
t6es d'un essaim d'Amours auxjoues roses. Et c'esta
Windsor que cet 6clatant cortege dirigerait allfcgre-
ment ses pas, pour y trouver et y adorer la Reine
Vierge,
under a canopy of crimson bysse,
spangled with gold, and setwith silver bells. (Hon of Gar. 64-65)
Nous devinons les r6v6rences et les courbettes, nous
entendons les paroles d'humble flatterie, mais jugeons
inutile de les rep^ter avec autant de complaisance
que Peele.
II y a pourtant un 6l6ment plus noble dans son adu
lation ; un peu de sinc6rit6 en rachete le ton g6n6ra-
lement artificiel. Dans quelques vers nous d6couvrons
d'bonorablesraisonsa son attitude enthousiaste envers
la cour, — le sentiment que la souveraine est la Dame
Id6ale de ses po&tes en m6me temps que le chef de
FEtat. Ses ardents 61oges sont en partie une expression
du loyalisme, du r6el patriotisme, dont les notes
sonores retentissent dans son ' Farewell to Norris
and Drake'. Ce patriotisme, comme toute passion
L'OEUVRE DE PEELE 163
yiolente, est agressif, — dirige" d'abord centre les
ennemis h 1'orgueil ambitieux, qui oserent menacer
Elisabeth de leur Armada,
shipped for fight,
to forage England plough 'd the Ocean up,
and slunk into the Channel that divides
the Frenchmen's strand from Britain's fishy towns
(H. of G. 12 sqq.)
Mais la haine de Peele n'est pas limited & 1'Espagne.
II soupire & la pense*e que 1'Angleterre a pu aban-
donner la lutte centre la France ; il se rdjouit de voir
les lions des armes britanniques s'orner de nos fleurs
de lys ; il aime & r6p6ter les noms d'Edouard III et
du Prince Noir, & rappeler les siecles de guerre, ou les
troupes anglaises apprenaient le fram;ais par la me*-
thode la plus directe,
went to school to put together towns,
and spell in France with fescues made of pikes (H. of G. 125-6)
De sauvages sarcasmes de ce genre sont lance's a la
France, £ 1'Espagne, a tous les pays catholiques en
g£ne>al ; et nous ne saurions nous elonner de cette
violence, car Tanimosit^ de Peele reposait h la fois
sur des prejug£s de race et de religion. Un ton de
protestantismeopiniatre, intransigeant, estmanifeste
dims tous ses poemes, et parfois m^me imporluu. 11
d6guise la Superstition en pr6tre, Tlgnorance en
moine, et leur fait all6goriquement empoisonner les
sources pures du bonheur britannique ; il parle de
I'ltalie comme des u ^curies d'Augias", de Rome
164 GEORGE PEELE
comme du "siege de 1'avarice a triple tiare", et
accumule les invectives sur les supp6ts d6test6s du
papisme qu'il abhorre.
De telles marques d'intolerance cadrent mal avec
nos gouts modernes ; mais nousne saurions nous faire
les censeurs des convictions de Peele. Nous n'avons
qu'a juger la forme litte>aire qu'il leur donne, et, de
ce point de vue, il faut reconnaitre que, dans ses
Eclats de patriotisme vehement ou d'enthousiasme
orthodoxe, il sait donner h la passion toute son elo
quence ettoutesa force. — Lavigueurn'estpas,pour-
tant, le ton dominant de ses poemes; 1'impression
qu'ils laissent est plutot une impression de grace et
de douceur. Ecrits, comme ses drames, en vers blancs
coulants et faciles, en un style a la fois elegant et
simple, ils font honneur a ses qualit6s techniques
d'6crivain. L' c Eclogue Gratulatory' n'est qu'une
exception, une experience malheureuse danslalangue
demi-archaique de Spenser; mais les autres, — et
surtout 1' ' Honour of the Garter ' et i Anglorum
Feriae '*, — sont parmi les meilleurs specimens de
1. Nous ajouterions volontiers < Polyhymnia ' ou tout au moins
le beau " sonnet " qui clot le poeme i
" His silver locks time hath to silver turn 'd " etc. ;
mais Mr. Bond, op. cit., revendique le poeme comme ecrit par
Lyly, sur la foi d'une certaine similitude d'expression avec les
03uvres lylyennes. Nous ne croyons pas que les ressemblances
qu'il signale (v. i et Endim. ii. 3-30; v. 7 et Euph. ii. 209 36,
Camp. iv. 3-8; v. 10 et Euph. i. 224-5, 32-38, etc.) suffisent pour
priver Peele du credit d' avoir compose ce petit chef-d'oeuvre, et
faisons simplement la part du doute en resistant au desir de le
citer.
L'OEUVRE DE PEELE i«S
vers blanc non dramatique ante>ieur a Milton. Le
cours e"gal et doux de leur metre compense la vanit6
de leur contenu ; et quelques passages heureux,
d'ordre pastoral ou he>oique, temperent la monotonie
de leurs flatteries interminables. Tantdt une simple
expression uthesweet transparent air", "the golden
morning " ou '4 thes ilver-winding waves ", Sveille en
notre esprit une sensation plaisante. Tantdt nous
trouvons une fralche peinture de paysage:
Even at that time did I take my rest,
in sight of that fair castle, that overlooks
the forest one way, and the fertile vale
water'd with that renowned river Thames,
old Windsor castle (H. of G. v. 16 sqq);
tant6t la description soigneusement polie d'un che
valier,
all arm'd in sables, with rich bandalier
that baldrick-wise he wore, set with fair stones
and pearls of Ind, that like a silver bend
show'd on his varnish 1d corselet black as jet,...
and plumes as black as is the raven 's wing
that from his armours borrow 'd such a light
as boughs of yew receive from shady stream ;
(Pol. v. 71 sqq.);
et dans des vers comme ceux-ci nous sentons que le
poete, meme dans son rdle de flagorneur a gages,
savait discerner 1'aspect poetique et la beaute pitto-
resque des choses qu'on le payail pour louer.
166 GEORGE PEELE
CONCLUSION.
Les pofcmes, en tout cas, nous 6clairent a plus d'un
£gard sur les gouts de Peele. Leur richesse' eft
descriptions de carrousels et de joutes, de tournois
ou de batailles leur donnerait un ton presque exclu-
sivement h6roi'que, si les allusions aux ev6nements
contemporains n'6taient souvent couvertes d'une sorte
de voile pastoral. Tels qu'ils sont, ils t6moignent a la
fois de 1'enthousiasme pour la vie active, de Tadmi-
ration pour les hauts faits d'armes, et du vif pen
chant pour le charme conventionnel de la bucolique
qu'on retrouve dans tous les Merits de Peele.
II est tentant, sans doute, de parler, comme on 1'a
souvent fait, de la souplesse de son talent, de traiter
comme masques la l Mise en Jugement de Paris ' et la
4 Poursuite d' Amour ' ; la 4 Bataille d'Alcazar ' comme
une trag^die de vengeance et de sang ; c Edouard I '
comme une pi&ce historique, l David et Bethsab6e 7
comme un mystfcre attard6, et le ' Conte de Vieille
Femme ' plus ou nioins comme une comSdie roma-
nesque. Mais, si nous essayons de classer ces produc
tions, nous voyons bientot qu'a 1'exception de la
derniere, elles appartiennent aux deux types de la
pastorale et du u drame-chronique". Que les traits
caracteristiques de la pastorale se trouvent dans
T ' Arraignment ' et le ' Hunting ', nous nous sommes
d^jaefforces de le montrer. Le faitque Peele a brod6
L'CEUVRE DE PEELE 167
ses scenes rustiques sur un canevas mythologique ne
I'empfeche nullement de preserver les marques distinc-
iives du genre ; et quelques touches demotion sin
cere ou de simplicity naive furent tout son apport a
une tradition qu'il respecta, dans Tensemble, tres
fidelement. Ses relations avec le drame historique
sont un peu plus complexes. l Edward I ' seul re*poud
en tous points a une stricte definition des pieces de
cette olasse. Le melange du tragique et du comique,
I'enchatnement moins rigoureux des Episodes, une
diction plus libre, une rhe'torique moins serre*e, r6-
velent une adhesion 6troite au type reconnu. La
parent^ rtfelle de la ' Battle of Alcazar ' et de l David
and Bethsabe ' a ce m&me type ne saurait pourtant
&tre m^connue, quoique rendue moins 6vidente par
Fintroduction d'^l^ments Strangers dans leur con
ception ou leur structure. La * Bataille d'Alcazar' est
avant tout une piece historique sur un sujet tire*
d'annales£trangeres;4 David 'un " drame chronique"
sur un theme bibiique ; mais tous deux tentent une
combinaison du drame s6ne*cien avec les compositions
moins 61abore*es du theatre populaii-e. Frustre^e dans
le premier cas par une imitation coucomilante de
Marlowe, cette tentative r^ussit mieux, et de beau-
coup, dans le second ; et elle mtfrite qu'on s'y arr^le,
parce qu'elle diff^renciel'ceuvre de Peele de celle de
ses contemporains. Tout en faisant appel aux sym
pathies habituelles de son public, il s'efforga d'intro-
duire dans ses compositions des 616ments plus nobles
168 GEORGE PEELE
emprunt^s & la tradition classique, et Ton peut voir la
im effort pour communiquer au drame irr£gulier du
peuple un certain sens de Tordre et de la forme artis-
tiques. L' l Old Wives Tale', bien que different en
caractere de toutes ses autres productions, dSfinit
plus clairement son attitude a l'6gard des pieces de
son temps. Parodie des drames romanesques, il ridi-
culise espifcglement ceux monies de leurs defauts que
Sidney critiquait dans sa ' Defence of Poesy ', — leur
manque absolu de proportion, leur surabondance
d'incidents, et la confusion qui en r^sulte — et defend
ainsi indirectement la position interm6diaire prise par
Peele entre la raideur contrainte de l'6cole pseudo-
classique et la licence sans limites des dramaturges
populaires.
La nouveaut6, d'ailleurs relative, de cette position
constitue le seul titre de Peele a un peu d'originalite.
Partout ailleurs, son manque d'invention n'est que trop
Evident. La rSceptivite" et 1'imitation 6taient les traits
les plus saillants de son temperament litt^raire, et dans
les deux stages de sa carrifcre, — qu'il 6crivlt pour la
cour ou pour les com6diens de Londres, — il ne sut
jamais entifcrement se dSgager de Tinfluence d'autrui.
A la cour, composant ses pieces pour I'amusement
d'une reine e*rudite et d'une soci6t£ que dominaient
tyranniquement des gouts classiques et arcadiens. il
suivit le sillage de la mode en dramatisant Fidylle
pastorale r6cemment mise en vogue par Spenser.
L'imaginations6duite paries visions dories de beaute"
L'CEUVRE DE PEELE 169
delicate et sensuelle que lui offraient ses themes buco-
liques, il fit rSsonner une fois encore les m61odieux
pipeaux des p&tres, evoqua la gr&ce des nymphes
rustiques endormies k 1'ombre des h&tres, berce*es
par le bruissement monotone des brebis paissantes, et
sut ainsi flatter les platoniques aspirations d'une
noblesse blase'e vers une vie de simplicite et d'inno-
cence. — Trfes diffe>entes 6taient les exigences du
public londonien, et rindiffe>ence absoluedes specta-
teurs aux amours et aux douleurs des bergers et
pastourelles 1'incita k chercher d'autres themes, plus
sensationnels, des scenes de bataille, de meurtre et
de sang. Mais le changement n'6quivalait qu'k un
passage de 1'influence de Spenser & celle de Marlowe,
de S6neque et du drame historique ; et, quels que fus-
sent ses modules, la me"thode de travail de Peele resta
essentiellement la m^ino.
II serait pourtant exage>6 de le repr6senter comme
un servile imitateur. II se montra aussi, jusqu'k un
certain point, capable de creer. Le choix de ses sujets
te"moigne d'un sens dramatique averti. C'est Toeil
d'un artiste qui a choisi dans le cycle des 16gendes
troyennes le jugement de Paris et dans la vie de
David l^pisode de son amour pour Bethsabe"e. L'in-
trigue du l Conte de Vieille Femme ' est en soi extrfc-
mement attrayant, et le sujet m&me de la ' Bataille
d' Alcazar ' ou d' 4 Edouard I ' n'est point d6nu6 d'in-
te>6t. II faut faire ^galement credit h Peele de quelque
adresse et dexte>ite* dans le traitement de ses sources.
170 GEORGE PEELE
Qu'il fit usage du mythe classique ou de la tradition
populaire, ou qu'il utilisat les mat6riaux moins mania-
bles de Fhistoire, il prouva par un judicieux proceeds
de selection et de coordination qu'il n'etait pas igno
rant de la perspective et de la sym^trie litt^raires, et
qu'il s'efforc,ait toujours d'atteindre une certaine har-
monie et unit6 d'effet.
Toute son oeuvre est ainsi contr616e par une sorte
de faculty critique, a Finfluence de laquelle il nous
faut aussi attribuer les modifications apport6es a la
structure dramatique, les progrfcs faits d'une pi&ce a
1'autre dans la representation des caractfcres.
En ce qui touche la construction, il serait t6meraire
de g&aeraliser, puisque nul des drames ne nous est
parvenu dans un 6tat parfaitement satisfaisant. II y
aurait quelque difficult^, du reste, a parler d'un
progr&s de Fincoherent l Edward I ' sur 1' ' Arraign
ment ' aux proportions 616gantes. On peut, toutefois,
remarquer dans toute la carri&re de Peele une ten
dance graduelle bien definie vers une plus grande
complexity de plan. Tandis que 1' ' Arraignment of
Paris' et la 4 Battle of Alcazar' ne contiennent en
somme qu'une action, ' Edward I ' montre la jux
taposition d'un Episode amoureux et d'une intrigue
politico-militaire, augment^e de scenes comiques;
1 David and Betbsabe ' pr^sente une abondance de
motifs plus logiquement relics Fun a 1'autre ; et F ; Old
Wives Tale', enfin, prouve chez son auteur un reel
pouvoir pour d^velopper et condenser un argument
L'OEUVRE DE PEELE 171
complique\ A tout prendre, on pourrait dire que te
dramaturge se familiarise insensiblement avec sa
melhode de polymythie, — mSthode essenliellement
inconnue de Marlowe ou de Greene, — et combine
de plus en plus adroitement plusieurs actions dans les
limites d'une seule pifcce.
Le progres de 1'analyse psychologique est encore
plus manifeste. L'inaptitude a concevoir fortement
les r6alit6s de la vie qui causait une certaine g£ne
dans les scenes de la * Mise en Jugement ' ou de la
4 Bataille d' Alcazar', disparalt dans les pieces post6-
rieures. c Edouard I ' r6vele deja un effort vers une
representation plus s6rieuse des caracleres; dans
4 David et Bethsab6e * les personnages principaux
Emergent des ombres indistinctes du fonds et se
de"tachent nettement a nos yeux, — individuality's
replies et vivantes, — et quoique, m&me dans ce
drame, Peele ne r6ussisse point a faires siennes
toutes les ressources du palh6tique, son manque
de vigueur et de passion ne peut nous empftcher de
reconnaltre Tam^lioration constante de sa technique
de la premiere a la derniere de ses compositions.
La sympathie qu'il montre invariablement a ses
personnages magnanimes et vertueux est digne d'at-
tention. Dans tous ses drames le thfeme est trait6
avec ferveur morale. On n'y rel&ve aucune trace de ce
pardon hatif, inconside>6, du vice, ou de ces repen-
tirs soudains et faciles du p6cheur qu*on trouve, par
exemple, dans le 4 James IV ' ou le ' Looking Glass '
172 GEORGE PEELE
de Greene. L'idee de retribution est le leitmotif qui
reparaltdans tousses 6crits; et la reconciliation, dans
son c David ', du principe de redemption et de celui
d'expiation n'ajoute qu'une touche chretienne au fata-
lisme retributif qu'il avait herite de Senfcque. Son
reuvre n'est jamais entacheede cynisme, d'indecence
ou de suggestions immodestes, et sa notable purete,
1'insistance qu'elle met a rester morale, la distinguent
de celle des dramaturges contemporains qui, — Kyd
excepte, — s'embarrassaient peu de tels scrupules.
De fermes croyances religieuses, une foi anglicane
prolixe, un patriotisme aussi z616 qu'intolerant, tels
sont les sentiments qui semblent avoir trouv6 le plus
de faveur auprfcs de Peele. Us se pr&taient, malheu-
reusement, a des de"veloppements lyriques ?plutot que
dramatiques, et Peele a trop souvent cede a la tenta-
tion d'inserer dans ses pieces de longues tirades sur
ces themes favoris, — tirades qui, malgre tous leurs
merites poetiques et oratoires, restaient nettement
etrangeres a 1'essence du drame.
Ce n'est point la, d'ailleurs, la seule concession
qu'il fit au lyrisme. Ses manierismes les plus frap-
pants: alliteration, repetition d'un mSme mot ou rap
prochement de mots semblables, gout avere pour
toutes les formes de reiteration et de paralielisme, —
prouve sans doute le soin qu'il apporta a la compo
sition de ses pieces, mais enlerent trop souvent a son
style toute efficacite dramatique. L'impropriete de la
diction est accrue encore par le maniement du metre.
L'CEUVRE DE PEELE 173
Peele garda jusqu'a la fin une attitude ambigue, —
hesitant sans cesse entre le vers blanc que la mode
le pressait d'adopter, et le vers rim6 vers lequel
1'entratnait son inclination personnelle. Sa l Bataille
d'Alcazar ' et son 4 David ' sont les deux seules pieces
entierement Scriles en vers he>o*ques avec un faible
pourcentage de rimes ; mais dans ses autres produc
tions les pentameires alternent avec toute une vari6t6
de mesures, — surtout de courts metres lyriques;
— ou s'entremfclent tout au moins de nombreux * 4 cou
plets " rim6s — Levers blanc lui-meme, d'ailleurs, est
peu dramalique. Pauvre en enjambements, pauvre en
syllabes hyperm^triques, il est presque d£pourvu de
toute souplesse, et par ses qualities im-mes , son aisance
rythmique, sa douceur harmonieuse, la belle ordon-
nance de ses figures, il se voit interdire d'exprimer
ad6quatement la passion, parce que la passion est,
avant tout, irr6guliere, violente et d6sordonn6e.
L'abondance de u lyrical in terbreatbings", — chants
ou poemes intercal^s dans la piece pour le charme
musical de leurs vers, — arrete encore le derelop-
pement de Faction ou des caracteres. Enfin 1'effet du
dialogue est aflaibli par la profusion m&me des
images qui pr6tendent Torner. La fantaisie de Peele
se condense rarement en figures brfcves et ardentes ;
elle s'6taleplut6tenm6taphores ^tendues, enlongues
comparaisons ; et cette tendance indique un esprit
incapable de subordonner ses images a l^motion
qu'elles devraient illustrer. Le poete, du reste, n'he-
174 GEORGE PEELE
n'h^site jamais a sacrifier Finterei dramatique pour
introduire quelque morceau descriptif propre a pro-
clamer son amour de la couleur ou de la forme. La
scene initiate de l David', — gracieux tableau de
Bethsab6e au bain — est un exemple typique. Un
corps souple et blanc qui brille sous Fonde endia-
mant6e de la source ou s'entrevoitparmi les branches
jalousement touffues du bosquet, un rayon oblique de
soleil dans Tor de la chevelure, — la vision passe
devant nos yeux. Mais Peele s'attarde trop complai-
samment, comme encbaln6 par la magie de la grace ;
et semble encore irr^solu a engager Faction propre du
drame. A chaque instant son imagination est ainsi
enflamm^eparun sentiment d6licatde ce qui est beau
dans la nature. Une prairie toute diapr6e de fleurs, le
cours paisible d'une riviere, la fralcheur ensoleil!6e du
matin Farretent et le s6duisent ; et, tandis qu'il les
peint amoureusement en vers exquis, il oublie pour
un temps le dessein et le developpement de sa piece.
II y a peu, dans son oeuvre, de melaphores emprunt^es
a la vie bumaine; la nature, et surtout la nature ina-
nim6e, — cieux, Stoiles, mer, fleurs et gemmes, —
lui fournissent le plus grand nombre de ses images.
Copiers parfois des classiques et trait6es alors com
me des ornements un peu factices, elles t£moignent
plus souvent d'une observation fine et pen6trante, et
donnent a sa po6sie une richesse de couleur, une
6l6gance gracile, un charme insaisissable qui tous
attestent la sinc6rit6 de ses dons lyriques.
L'CEUVRE DE PEELE 178
De tels dons, cependant, servent aussi peu au dra
maturge que la grace du style et la m6lodie da vers
— les deux aulres qualit^s dominantes de roeuvre de
Peele. Qualites si manifestos, en fait, que dans une
appreciation g6n£rale de son talent, ses r^elles apti
tudes dramatiques sont n6cessairement obscurcies
par ses m6rites d'6crivain, de styliste, et de pofcte. Ce
serait la, si nous parlions d'un successeur de Shakes
peare, une condamnatiou sans appel; mais, au temps
de Peele, le drame anglais etait encore en voie de
croissance et devolution, et avail avant toutbesoin
d'un exemple de forme. Par 1'agencement des mots,
1'habile combinaison des phrases, I'ing&iieux arran
gement des p6riodes, Peele contribua a donner
cet exemple autantau moinsque Greene, Marlowe ou
Lyly, et il m6riterait, fut-ce pour cette seule raison,
d'etre c. » 1 11 [ »t .'• parmi les figures les plus £minentes de
la premifere p^riode ^lisab^thaine.
APPENDIGE
PEELE ET DU BARTAS
Peele. David $- Bethsabe. Sc. XV.
BETHSABE
What means my lord, the lamp of Israel
From whose bright eyes all eyes receive their light,
To dim the glory of his sweet aspects
And paint his countenance with his heart's distress?
Why should his thoughts retain a sad conceit,
When every pleasure kneels before his throne
And sues for sweet acceptance with his Grace?
Take but your lute, and make the mountains dance,
Retrieve the sun's sphere & restrain the clouds
10 Give ears to trees., make savage lions tame
Impose still silence to the loudest winds.
And fill the fairest day with foulest storms
Then why should passions of much meaner power
Bear head against the heart of Israel?
DAVID
Fair Bethsabe, thou mightest increase the strength
Of these thy arguments drawn from my skill
By urging thy sweet sight to my conceits
Whose virtue ever serv'd for sacred bain
To cheer my pinings past all earthly joys;
But, Bethsabe, the Daughter of the Highest,
Whose beauty builds the towers of Israel,
She that in chains of pearl & unicorn
Leads at her train the ancient golden world —
Al'l'liNDICE 177
Du Barlas. La Seconde Semaine. Les Artifices.
II (Tubal) fait sur ce modele un lutli harmonieui,
qui meine au bal les monts,
retrograde les cicux
oreille les foists, les lions dessauvage,
impose aux vents silence et sereine Torage.
(Du B. 2- Sem. Art. 503 II).
Saincte fille du ciel,
dgesse qui ramenes
1'antique siecle d'or,
CHKFFAUD. ia
178 GEORGE PEELE
The world that Adam held in Paradise,
Whose breath refineth all infectious airs
And makes the meadows smile at her repair, —
She, She, my dearest Bethsabe,
Faire Peace, the goddess of our graces here,
Is fled the streets of fair Jerusalem
NATHAN
55 Let Salomon be made thy staff of age,
Fair Israel's rest, and honour of thy race.
DAVID
Tell me, my Salomon, wilt thou imbrace
Thy father's precepts graved in thy heart,
And satisfy my zeal to thy renown
60 With practice of such sacred principles
As shall concern the state of Israel.
SALOMON
My royal father, if the heavenly zeal
Which for mywelfare feeds upon your soul
Were not sustained with virtue of mime own, —
If the sweet accents of your cheerful voice
Should not each hour beat upon my ears
As sweetly as the breath of heaven to him
That gaspeth scorched with the summer's sun
I should be guilty of unpardoned sin
70 Fearing the plague of Heaven & shame of earth;
But since I vow myself to learn the skill
And holy secrets of his mighty hand
Whose cunning tunes the music of my soul
It would content me, father, first to learn
How the Eternal framed the firmament,
Which bodies lead their influence by fire,
And which are filled with hoary winter's ice,
What sign is rainy and what star is fair,
Why by the rules of true proportion,
APPENDICE 17»
qui, belle, rass6renes
1'air trouble de tromjons;
qui fais rire les champs
0 Paix, heureuse Paix, tu sois la bienvenue,
Vierge depuis vingt ans aux Gaulois inconnue,
(Du Bartas. 2" Sem. Les Artifices. 1. 1 ff.)
Seth, qui tient du saint Abel la place,
Baston de sa vieillesse, et gloire de sa race.
(Du Bartas. 2« Sem. id. 1. 518 f.)
II (Seth) parle en ceste sorte: "0 pere, si le zele
Qui te ronge pour moi d'une ardeur cternelle
Ne m'etait point conu : si tu ne me conois
D'un ml sans fin veillant : si ta prudente voix
Ne batoit nuit et jour mon oreille apprentice
Je craindroys d'encourird'un importun le vice:
et me contenteroys d'avoir appris comment
1'Eternel sur ce tout vouta le firmament.
Quels corps sont pleins de feu,
quels corps sont pleins de glace
et comme il faut encore quc mes moeurs je compasse.
(Du Bartas. id. 537 ff.)
quel signe est pluvieux, quelle 6toile est sereine,
comme le ciel se meut: comme en un juste cours
180 GEORGE PEELE
80 The year is still divided into months,
The months to days, the days to certain hours.
What fruitful race shall fill the future world,
Or for what time shall this round building stand,
What magistrates, what kings shall keep in awe
Mens's minds with bridles of the eternal law
DAVID
Wade not too far, my boy, in waves too deep!
The feeble eyes of our aspiring thoughts
Behold things present & record things past,
But things to come exceed our human reach
90 And are not painted yet in angels eyes:
For those, submit thy sense and say "Thou power
That art now framing of the future world.
Knowest all to come,
not by the course of heaven
By frail conjectures of inferior signs,
By monstrous floods, by flights & flocks of birds,
By bowels of a sacrificed beast,
Or by the figures of some hidden art,
But by a true and natural presage
Laying the ground and perfect Architect
100 Of all our actions now before thine eyes
From Adam to the end of Adam 's seed
0 Heaven, protect my weakness with thy strength
So look on me that I may view thy face
0 Sun, come dart thy rays upon my moon
That now mine eyes, eclipsed to the earth
May brightly be refined and shine to heaven
Transform me from this flesh, that I may live,
Before my death, regenerate with thee !
110 0 thou, great God, ravish my earthly sprite
APPENDICE 181
fan divise en ses mois,
et le mois en ses jours.
(Du Bartas. id. 523 ft.)
M.tis ta bont6 me donne et le soin et le coeur
De nVenqu6rir de toi du bonheur et malheur
qui talonne nos ans: quelle race f^conde
doit peuplerl'univers: que deviendra le Monde:
combien doit-il durer :
quels Magistrals, quels Hois
Tiendront serfs les humains sous la bride des loix!
Mon Ills (respond Adam) Tocil de nostre pens6e
Void la chose prgsente et revoid la passe"e
Nous cele qui nous suit si, rendu plus qu'humain
II ne la lit au front du Trois fois-Souverain
Toy done qui seul conois toutes choses futures
Vii par le cours du ciel,
par foibles conjectures
Par des poincts acouplez, par le vol des oiseaux
Ou par le tremblement des consultez boyaux :
Ains d'une prescience et certaine, et parfaite
Gomme estant du futur 1' Agent et le Pro fete.
Devant qui les trois temps coulent enscmblement
A qui 1'Eternite" semble moins qu'im moment :
0 Dieu,
regarde moy, a fin que je regarde
le iniroir de ta face, 0 Soleil, vien, et darde
tes rais dessus ma Lune, afin qu'ores mes yeux
eclipsent vers la terre, et luisent vers les cieux.
Retire-moidu corps afin qu'beureux je vive
Au ciel avanl ma mort. 0 ma vie,
0 ma vie, r'avive
182 GEORGE PEELE
That for a time a more than human skill
May feed the organons of all my sense,
That when I speak, I may be made by choice
The perfect echo of thy heavenly voice !
SALOMON
A secret fury ravisheth my soul
Lifting my mind above her human bounds,
And, as the eagle, roused from her stand
120 With violent hunger, towering in the air
Seizeth her feathered prey, and thinks to feed,
But, seeing then a cloud beneath her feet,
Lets fall the fowl, and is emboldened
With eyes intentive to bedare the Sun
And styeth close unto his stately sphere
So Salomon, mounted on the burning wings
Of zeal divine, lets fall his mortal food
And cheers his senses with celestial air
Treads in the golden, starry labyrinth
130 And holds his eyes fix'd on Jehovah's brows
DAVID
257 Then happy art thou, David's fairest son
That, freed from the yoke of earthly toils
And sequestered from sense of human sins
260 Thy soul shall joy the sacred cabinet
Of those divine ideas that present
Thy changed spirit with a heaven of bliss
APPENDICE 183
pour im temps mon esprit :
et fais qu'i cette fois
Je soy comme 1'Echo de ta ce"leste voix.
II est soudain pouss6 d'une fureur secrette
Non comme le M6nade, ou le chastre* Curete,
Qui dansant, qui bavant, qui rouant, furieux,
Sous ses sourcils tremblants les torches de ses yeux,
Horrible de grimasse, horrible de parole,
Ne comprend le Daemon qui forcen6 1'afTole :
Paslit, rougit, panthele, ulcere sans courroux
Ses membres jusqu'aux os et si ne sent les coups
Ains comme TAigle perd sa branche accoustume"e
Et ramant par les airs d'une gasche emplumde,
Void sous ses pieds la nue,
et fait, audacieux,
D'un oeil ferme cligner au fier Soleil les yeux:
De mesme, Adam guinde" sur les ardantes ailes
Du se"raphique amour, perd les choses mortelles
Se paist du doux &ther :
fend les ronds estoillez
et tientdessus le front de Dieu ses yeux collez.
(Du Barlas. id. 547 IT.)
Voy, voy comme il (Ilenoc) s'exerce a souflfrir la lumiere
Comme libre du joug des corporelles loix,
Et se*questr6 des sens
il vole quelquefois
dans le saint cabinet des Id£es plus belles,
Ayant la Foy, le Jeusne & TOraison pour ailes:
Comme a certains moments, bien qu'hoste de ce lieu
Sainct il possede tout, sent tout, void tout en Dieu:
Comme pour quelque temps montant de forme en forme
i8i GEORGE PEELE
Then thovi art gone ! ah, thou art gone, my son !
To heaven, I hope, my Ahsalon is gone
Thy soul, there placed in honour, of the saints
Or angels, clad with immortality,
Shall reap a sevenfold grace for all thy griefs,
Thy eyes, no more eyes, but shining stars,
Shall deck the flaming heavens with novel lamps
270 There shalt thou taste the drink of seraphins
And cheer thy feelings with archangels 'food
Thy day of rest, thy holy Sabbath day
Shall be eternal. And, the curtain drawn
Thou shalt behold thy sovereign face to face
With wonder knit in triple unity,
Unity infinite and innumerable.
APPENDICE 1S3
Kn la forme de Dieu, heureux, il se transforme.
Vois comme le Tout-beau, qui bnilant d'amitie"
Pour ses rares beautez le veut non par moiti6,
Ains tout, et pour tousjours, dresse a son Tout 1'eschelle
Qui conduit d'ici bas a la gloire 6tcrneIIc
C'est done fait, tu t'en vas? tu t'en vas donq a Dieu
Adieu, mon fils Henoc, adieu, mon fils, adieu!
Vy la- ha lit bien-heureux. Ja ton corps qui se change
En nature d'Esprit, ou bien en forme d'Ange,
Vest rimmortalit6.
Ja tes yeux, non plus yeux
I )«'•(•(. rent flamboyants d'astres nouveaux les cieux.
Tu bumes a longs traits la boisson nectar6e:
Ton sabat est sans fin.
La courtine tiree
Tu vois Dieu front a front
et sainctement uni
Au bien triplement un, tu vis en Tinfini
(Du Bartas. id. 653 ff.)
BIBLIOGRAPHIE
A. -EDITIONS:
a) DES OEUVRES COMPLETES.
The Works of George Peele: now first collected, with some
account of his writings, and notes : by the Rev. Alexander Dyce
A. B. London. W. Pickering. 1828. 2 vols.
The Works of George Peele, collected and edited... by the Rev.
Alexander Dyce. A. B. 2« Edition. London. W. Pickering. 1829.
2 vols.
The Works of George Peele, collected and edited... by the Rev.
Alexander Dyce. vol. 111. London. W. Pickering. 1839.
The Dramatic and Poetical Works of Robert Greene & George
Peele, with memoirs of the authors and notes, by the Rev. Alexan
der Dyce. London. Routledge. 1861. 1 vol.
Plays and Poems by George Peele, with an introduction by
Henry Morley. London. Routledge. 1887. (Contents: The Arrai
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Polyhymnia. Anglorum Feriae. Farewell. Eclogue Gratulatory.
Honour of the Garter) 4 vol.
The Works of George Peele, edited by A. II. Bullen. B. A.
London. J. C. Nimmo. 1888. 2 vols.
b). DE PIECES OU POEMES SEP ARKS
/. Pieces.
The Araygnement of Paris A Pastorall. Presented before the
Queenes Majestic, by the Children of her Chappell. Imprinted at
London by Henrie Marsh. Anno 1584. 4 to.
The Famous Chronicle of King Edward the first, sirnamed
Edward Longshankes, with his returne from the holy land. Also
the life of Lluellen rebell in Wales. Lastly the sinking of Queene
Elinor, who sunck at Charingcrosse, and rose againe at Potters-
hith, now named Quenehith. London. Printed by Abell Jeffes, and
are to be solde by William Barley, at his shop in Orations slreete.
1593. 4 to.
The famous Chronicle of King Edward the first, sirnamed Long
shankes, with his returne from the holy land. Also the life of
Lluellen rebell in Wales. Lastly the sinking of Queene Elinor,
who sunck at Charingcrosse, and rose againe at Potters-hith, now
named Quenehith. Imprinted at London by William White dwel
ling in Cow Lane. 1599. 4 to.
188 GEORGE PEELE
The battell of Alcazar, fought in Barbarie, betweene Sebastian
King of Portugall, and Abdelmelec King of Marocco. With the
death of Captaine Stukeley. As it was sundrie times plaid by the
Lord high Admirall his servants. Imprinted at London by Edward
Allde for Richard Bankworth, and are to be solde at his shoppe
in Pouls Churchyard at the signe of the sunne. 1594. 4 to.
The Old Wives Tale. A pleasant conceited comedie, played by
the Queenes Majesties players. Written by G. P. Printed at London
by John Danter, and are to be sold by Raph Hancocke and John
Hardie. 1595. 4 to.
The Love of King David and Fair Bethsabe. With the Tragedie
of Absalon. As it hath ben divers times played the stage. Written
by George Peek. London. Printed by Adam Islip. 1599. 4 to.
David and Bethsabe.
Hawkins (Thomas) The origin of the English Drama. Oxford
4773. 3 vols. (vol. 2)
Edward the First.
J. Dodsley. A select collection of Old Plays, with additional
notes et corrections by the late Isaac Reed, de the editor. London
1827. 12 vols. (vol. XL)
David et Bethsabe.
John S. Keltie. The Works of the British Dramatists, carefully
selected from the best editions by John S. Keltie. F. S. A. Scot.
London 1875. 1 vol.
Edward 1.
Th. Donovan. English Historical Plays arranged for acting by
Th. Donovan 1896. 2 vols. (vol. 2).
David et Bethsabe.
J. M. Manly. Specimens of the Pre-Shakespearean Drama. With
an introduction, notes and a glossary by John Matthews Manly.
Boston. 1900. 2 vols. — (vol. 2).
The Old Wives Tale.
C. M. Gayley. Representative English Comedies, under the
general editorship of Charles Mills Gayley. New York 1903. 1 vol.
(The ' Old Wives Tale', edite par F. B. Gummere).
The Arraignment of Paris.
Oliphant Smeaton. The Arraignment of Paris. A Play written by
George Peele. Edited with a preface, notes, and glossary by
0. Smeaton. London. 1905.
The Battle of Alcazar.
Franck Sidgwick. The Battle of Alcazar (Printed for the M alone
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David and Bethsabe et The Old Wives Tale.
Ashley Thorndyke. The Minor Elizabethan Drama. London
1910. 2 vols.
Vol. I. Pre-Shakespearean Tragedies, ' David & Bethsabe '.
Vol. II. Pre-Shakespearean Comedies, 'The Old Wives Tale'.
bIBLIOGRAPHIE 189
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The Device of the Pageant borne before Woolstone Dixie. Lord
Maiorof the Citie of London. An. 1585. October 29. Imprinted at
London by Edward Allde. 1585. 4 to.
The Device of a Pageant, borne before M. William Web, Lord
Mayor of the Citie of London, on the day he took his oath, being
the 29th of Oct. 1591. \Vhereunto is annexed a Speech delivered
by one clad like a sea-nymph, who presented a Pinesse on the
water, bravely rigd and mand, to the Lord Maior, at the lime he
took barge to go to Westminster. Done by G. Peeie, Maister of
Arts in Oxford. Printed for William Wright. 4 to.
A Farewell. Entituled to the famous and fortunate Generalls
of our English forces: Sir John Norris and Syr Frauncis Drake
knights, and all their brave and resolute followers. \Vhereunto is
annexed: A Tale of Troy... Doone by George Peele. Maister of
AH- in Oxforde. At London printed by J. C. and are to be solde
by William Wright at his shop adjoining to St Mildreds church
in Hie Poultrie Anno 1589. 4 to.
The Tale of Troy: by G. Peele M. of Arts in Oxford. Printed by
A. H. 1604.
An Eclogue Gratulatorie. Entituled To the right honorable and
renowned Shepheard of Albions Arcadia: Robert Earle of Essex
and Erse, for his welcome into England from Portugal!. Done by
George Peele. Maister of Arts in Oxon. At London. Printed by
Richard Jones, and are to be Solde at the Signe of the Rose and
Crowne over against the Faulcon. 1589. 4 to.
Polyhymnia. Describing the honourable triumph atTylt, before
her Majestic, on the 17 of November last past, being the first day
of the three and thirtith yeare of her llighnesse raigne. With sir
Henrie Lea, his resignation of honour at Tylt, to her Majestic,
and received by the right honorable, the Earle of Cumberland.
Printed at London, by Richard Jhones. 1590. 4 to.
Speeches to Queen Elizabeth at Theobalds 1591.: 1) ' The Hermit's
Speech', public par J. P. Collier dans son 4 History of English
Dramatic Poetry' 1833 vol. i pp. 283-4; 2) -The Gardener's Speech'
et 3) 'The Molecatcher's Speech', imprimes pour la lre fois par
A. Dyce, dans le 3« vol. des ceuvres de Peele d'apres des manu-
scrits pretes par Collier.
The Honour of the Garter. Displaied in a Poeme gratulatorie.
Entitled to the worthie and renowned Earle of Northumberland.
Created Knight of that Order, and installed at Windsore. Anno
Regni Elizabethae 35 Die Junii 26. By George Peeie, Maister of
Arts in Oxenford. At London. Printed by the Widdowe Charle-
wood, for John Rusbie and are to be sold at the West Doore of
Paules. [1593]. 4 to.
Anglorum Feriae, Englandes Hollydayes, celebrated the 17th of
November last, 1595, beginninge happyly the 38 yeare of the
raigne of oursoveraigne ladie Queene Elizabeth. Ry George Peele
190 GEORGE PEELE
Mr of Arts in Oxforde (imprim6 pour la lre fois a quelques exem-
plaires par Mr Fitch, d' Ipswich. 1830. 4 to).
4 Pageant Woolstone Dixie '.
Reimprimee dans la ' Survey ' de Stow (edit. Strype). folio.
1720. Livre V. pp. 136-137.
Reimprime dans la ' Harleian Miscellany '. 1808. vol. 10. pp. 68
sqq.'
Reimprime dans les l Progresses of Queen Elizabeth' de Nichols,
1788. vol. ii. pp. 221. sqq.
3. Vers detaches, extraits, etc.
Lines addressed to Thomas Watson. Prefixed to the ' EKATOM-
IIA0IA'. 1582
The Phoenix Nest. 1593. Reimprime dans 1' ' Heliconia ' de Park,
vol. ii. London 1815. 3 vols. vol ii. p. 17-22. G. Peele's « Praise
of chastity '.
England's Parnassus. 1600. Reimprime dans 1" Heliconia' de
Park. vol. iii. London 1815. 3 vols.
Vol. iii. p. 44. Country (Rat. of Ale. ii. 2. 42 ff.)
Vol. iii. p. 95. Fame (Hon. of the Ga. 172 if.)
Vol. iii. p. 214. Love (Hunting of Gup. Cupid's Arrows)
Vol. iii. p. 236. Man (Dav. & Beth. 1st Chorus 3 ff.)
Vol. iii. p. 247. Misery (Hon. of the Ga. 246 ff.)
Vol. iii. p. 297. The division of the day natural. Mane. (Hon. of
the Ga. 422 ff.)
Vol. iii. p. 404. The division of the day natural. Vesper. (Hon.
of the Ga. 1 ff.)
Vol. iii. p. 405. The division of the day natural. Noctis initium.
(Hon. of the Ga. 21 ff.)
Vol. iii. p. 457. Of Renown. (Hon. of the Ga. 50 ff.)
Vol. iii. p. 475. Descriptions of Beauty. (Dav. & Beth. Sc. 1. 54 ff.)
England 's Helicon 1600. A collection of lyrical and pastoral
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P. 50. Coridon & Melampus' song (Hunting of Cupid).
P. 251. Colin, the enamourd Shepherd, singeth the passion of
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NVit 's Treasury. R compression (liaslewood's Ancient critical essays
upon English poets and poesy. Vol. ii. pp. 147-158). London. 1815.
2 vols.
Vol. ii. pp. 153 et 157.
Merrie conceited Jests: of George Peele Gentleman, sometimes a
Student in Oxford. \Vherein is shewed the course of his life, how
he lived: a man very well-knowne in the Citie of London, and
elsewhere... London, Printed, by G. P. for F. Faulkner, and are
to be sold at his Shop in Southwarke, neere Saint Margarets Hill.
'. 4 to. [reimprime en 1809, et par Dyce et Bullen dans leurs
Editions].
The Puritaine or the Widdow of Watling sheet... Printed at
London by G. Eld. 1607. 4 to (C. F. Tucker-Brook. The Shakes
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a) The Diary of Philip Henslowe from 1591 to 1609. Ed. by
J. P. Collier (Shakespeare Society). London. 1845 1 vol.
6) Henslowe's Diary. Edited by Walter VV. Greg. M. A. Lon
don. 1904-1907. 3 vols. Part 1. Text — Part 2. Commentary —
Part 3. Papers being Documents complementary to Hensl. 's Diary.
Accounts of the Revels.
a) Extracts from the accounts of the Revels at Court in the reigns
of Queen Elizabeth and King James. Edited by Peter Cunningham
(printed for the Shakespeare Society). London. 1842. 1 vol.
192 GEORGE PEELE
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of Queen Elizabeth. Edited by A. Feuillerat. (Materialen zur
Kunde des alteren Englischen Dramas) Louvain 1908. 1 vol.
A Transcript of the Registers of the Company of Stationers of
London. 1554-1640. Edited by Edward Arber. London 1875. 4 vols.
Vol. ii 1576-1595 et vol. iii 1595-1620.
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TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION 4
LA VIK I,F. PKKLE (1558-1596?) 5
L'OEUVRE DE PEELE 30
4 La Mise en Jugement de Paris' 31
4 La Potirsuite d'Amour' 55
'La Ratailled'AIcazar' 62
'Edouardl' 85
'Un Conte de Vieille Femme' -107
'David el Bethsab6e' 128
Les po^mes 154
CONCLUSION 166
APPENDICE : Peele et Du Bartas 176
BlBLIOGRAPHIE. . • 187
CHARTRES. — IMPRIMEHIE DURAND, RUE FULBERT.
BINDING LIST MAY I
Cheffaud, P. H.
George Peele
PLEASE DO NOT REMOVE
CARDS OR SLIPS FROM THIS POCKET
UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY