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Full text of "George Peele, 1558-1596?"

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GEORGE  PEELE 

( 1 558- 1696?) 


GEORGE  PEELE 


(1558-1696?) 


PAR 


P.    H.    CH  EFFAUD 

Agr£g6  d 'anglais 
Ancicn  Eleve  de  1'Ecolc  normale  sup4rieui 


"  When  the  wjoe  u  neete  there 
needeth  no  Ivie-bu»h.  Th«  right  coral 
oeedeth  no  colouring  Where  the  matt 
er  itself  bringeth  credit,  the  man 
with  liit  glote  winneth  small  comm 
endation  ". 

(l.riT    Euphaet  ) 


PARIS 
LIBRAIRIE    FfiLIX  ALCAN 

O8,      BOULRVARD       8  A  I  K  T  -  C  E  R  M  A  I  N  ,       Io8 


Tom  droiU  d«  traduclion  rt  de  reproduction  r^»erve«. 


/ft 


CS 


A   MES   PROFESSEURS 


HOMMAGE  RESPECTUEUX 


/  I 


GEORGE    PEELE 


INTRODUCTION 


Les  questions  d'ordre  g£n6ral  que  soulfcve  une 
6lude  de  Peele  ont  616  d6j&  trait6es  par  tous  les  cri 
tiques  :  Ward,  Jusserand  ou  Schelling,  qui  se  sont 
donn6  pour  tAche  de  vulgariser  le  drame  61isab6thain. 
Les  relations  du  dramaturge  et  de  son  epoque,  ses 
rapports  avec  les  auteurs  contemporains,  la  simi 
litude  de  leur  mode  de  vie,  les  caracterisliques  com 
munes  de  leurs  ouvrages,  —  tous  ces  points  ont  6t6 
inggnieusement  mis  en  lumifere  ;  et  1'objet  de  nos 
recherches  s'en  trouve  d'autant  restreint.  Nous  nous 
proposons  simplement  de  faire  ressortir  les  traits  dis- 
tinctifs  de  la  personnalit6  et  de  Toeuvre  de  Peele,  et 
nous  nous  efForgons d'atteindre  ce  but  parl'examen  des 
quelques  documents  accessibles,  et  l'6tude  du  texte. 

Dans  la  partie  biographique  de  noire  travail,  nous 
n'avons  ajout6  que  peu  aux  faits  connus :  nous  nous 

GHEFFAUD.  1 


2  GEORGE  PEELE 

sommes  attaches  surtout  a  rapprocher  et  coordonner 
des  renseignements  jusqu'ici  disperses,  et  a  Stayer 
les  hypotheses  auxquelles  leur  coordination  nous 
amenait  au  moyen  d'informations  tiroes  des  ecrits 
memes. 

La  seconde  partie  de  notre  essai  est  consacr6e  a 
ime  revue  critique  des  pieces  et  poemes,  et  a  la 
discussion  des  questions  connexes :  etat  du  texte, 
date  de  composition,  etc.  Nous  avons  enfin  recherch6 
les  sources  de  chaque  drame,  aussi  consciencieu- 
sement  qu'on  1'avait  tent6  jusqu'ici,  et  avec  plus  de 
succfcs,  croyons-nous,  dans  le  cas  de  T  '  Arraignment 
of  Paris  '  et  de  i  David  and  Bethsabe  '. 

Notre  6tude  de  Foeuvre  de  Peele  se  limite,  d'ail- 
leurs,  aux  productions  qui  sont  ind6niablement 
siennes.  Les  pieces  qu'on  lui  a  attributes,  en  totality 
ou  en  partie,  tripleraient  le  nombre  de  celles  qui  ont 
trouv6  place  dans  les  editions  de  Dyce  ou  Bullen.  Une 
liste  complete  comprendrait :  '  Jack  Straw  ' ;  i  Wily 
Beguiled  ' ;  4  The  Wisdom  of  Doctor  Doddipol  ' ;  l  A 
Knack  to  Know  a  Knave  ' ;  '  Alphonsus  Emperor  of 
Germany ' ;  c  Locrine  ' ;  '  Edward  III ' ;  4  The  Taming 
of  a  Shrew  '  ;  l  The  Troublesome  Reign  of  King 
John  ' ;  '  The  True  Tragedy  of  Richard  III  '  ;  le 
1  Richard  III '  shakespearien  ;  le  premier  '  Henry  VI ' ; 
1  The  First  Part  of  the  Contention  between  the  Houses 
of  York  and  Lancaster  '  et  '  The  True  Tragedy  of 
Richard  Duke  of  York  ',  sur  lesquelles  se  fondent  le 
second  et  le  troisifcme .*  Henry  VI  ' ;  la  premiere  ver- 


INTRODUCTION  3 

sion  de  c  Romeo  and  Juliet  '  et  c  Titus  Andronicus  '. 
line  discussion  d6taille*e  de  I'authenticite'  de  chaque 
drame  nous  entralnerail,  —  surtout  dans  le  cas  des 
pieces  shakespeariennes,  —  a  une  enqu&te  fastidieuse 
et  lente,  trop  souvent  etrangere  a  noire  sujet.  Nous 
espe>ons  seulement  que  notre  <Hude  des  oeuvres  indis- 
cutables  contribuera  a  la  solution  des  questions  liti- 
gieuses,  dans  la  mesure  od  elle  remplira  sa  fin,  et 
mettra  au  jour  les  traits  saillants  du  style  et  de  la 
versification  du  poete,  son  choix  d'images,  et  sa 
m^thode  g6n6rale  de  pens6e. 

Parmi  les  oeuvres  authentiques  du  dramaturge, 
nous  ne  saurions  compter  *  Sir  Clyomon  and  Sir  Cla- 
mides  ',  pifece  de  folk-lore  romanesque,  que  Dyce  lui 
assigna  sur  la  seule  foi  d'une  note  manuscrite,  trou- 
ve"e  dans  un  vieil  exemplaire.  l  Sir  Clyomon  '  est 
maintenant,  d'un  commun  accord,  rejete  du  canon 
de  Toeuvre  peelienne.  Le  vers  de  sept  pieds,  le  dia- 
lecte  dans  lequel  s'expriment  les  personnages  rus- 
tiques,  la  surabondance  diversions  grammaticales, 
le  vocabulaire  archa'ique,  tout  indique  la  main  d'un 
auteur  ant^rieur  a  Peele,  -  -  que  ce  soil  Richard 
Bower,  Richard  Edwards  ou  Thomas  Preston.  Qui- 
conque  prendra  la  peine  d^tudier  la  piece  la  rangera 
sans  hesitation  parmi  les  apocryphes  peeliens  et 
approuvera  la  limitation  de  nos  recherches  a  1'  4  Ar 
raignment  of  Paris  ',  la  l  Battle  of  Alcazar  ', 
1  Edward  I  ',  1'  l  Old  Wives  Tale  ',  et  '  David  and 
Bethsabe '. 


4  GEORGE  PEELE 

Ces  recherches,  remarquons-le  enfin,  sont  quelque 
peu  entrav6es  par  F absence  d'un  texte  bien  6tabli. 
Au  cours  des  derni&res  ann6es,  sans  doute,  on  apubli6 
avec  grand  soin  une  ou  deux  Editions  de  pieces  s6pa- 
r6es ;  mais  il  nous  faut  encore  consulter  le  plus  sou- 
vent  le  texte  modernist,  aux  variantes  incomplfctes, 
de  Dyce  ou  de  Bullen.  Peut-etre  ce  d6faut  d'une  Edi 
tion  vraiment  critique  provient-il  de  la  tardive  recon 
naissance  des  m  Writes  litteraires  de  Peele,  —  due 
elle-m^me  a  Tattitude  d^pr^ciatrice  de  Charles  Lamb 
a  son  6gard.  Quelle  qu'en  puisse  ^tre  la  cause,  nous 
ne  doutons  pas,  cependant,  que  Peele  ne  reprenne 
tot  ou  tard  sa  place  parmi  I'int^ressant  groupe  de  dra 
maturges  qui  illustrfcrent  la  p^riode  pr6-shakespea- 
rienne. 


LA  VIE  DE  PEELE 

(1558-4596?) 


La  premifcre  tentative  faite  pour  Scrire  une  biogra- 
phie  de  Peele  ne  remonte  « |  u '  ,'i  1 691 ,  un  sifecle  presque 
aprfes  sa  mort.  La  brifcvete  des  quelques  lignes  que 
Wood  lui  consacre  alors  dans  ses  l  Athenae  Oxonien- 
ses'  ne  saurait,  dans  ces  conditions,  nous  surprendre. 
Les  sources  d'informationauxquelles  un  contemporain 
eut  puis6  Staient  d6jt\  taries,  et  I'activite  de  Wood  se 
trouvait  ngcessairemen  t  rSduite  h  coordonner  les  quel 
ques  fails  que  pouvaient  lui  fournir  de  consciencieuses 
recherches  dans  les  archives  d'Oxford  ou  chez  les 
libraires  de  Londres. 

Le  soin  qu'il  apporta  h  cette  tAche  ingrate  estd'ail- 
leurs  si  manifeste  qu'aujourd'hui  encore  ses  notes 
concises  r£sument,  ou  peu  s'en  faut,  tout  ce  que  nous 
savons  de  noire  auteur1.  Les  efforts  de  critiques  plus 
modernes,  —  Dyce,  Lammerhirt,  ou  Bullen,  —  n'ont 
iiliculi.  en  somme,  qu^  red^couvrir  les  documents 
sur  lesquels  se  fondait  le  vieil  6rudit,  et,  si  quelques 

4.  Wood.  Athenae  Oxonienses.  ed.  Bliss,  vol.  4.  col.  688. 


6  GEORGE  PEELE 

details  comple'mentaires  ont  e~te"  mis  au  jour,  si  quel- 
ques  traits  ont  e"te"  ajoutes  ca  et  la,  Fesquisse  que 
nous  pouvons  tracer  de  la  vie  de  Peele  n'est  guere 
plus  fouille"e  que  la  sienne. 

Le  hasard,  pourtant,  nous  a  fourni  des  rensei- 
gnements  qu'il  lui  avait  refuse's  sur  la  famille  et  Fen- 
fance  du  dramaturge.  De*couverte  d'ailleurs  assez 
r^cente,  et  due  a  la  publication  par  M.  Lockhart,  en 
1876,  d'une  liste  de  boursiers  de  Christ's  Hospital  et 
de  divers  extraits  du  Court  Book  de  la  fondation  '. 
Quelques-uns  de  ces  extraits  nous  montrent  en  James 
Peele,  —  le  pere  de  Fe"crivain,  —  un  respectable 
citoyen  de  Londres,  membre  de  la  corporation  des 
sauniers,  occupe"  de  1562  a  1585  a  tenir  les  livres  de 
FHopital.  George  et  James  sont  les  seuls  de  ses 
enfants  que  le  Court  Book  mentionne,  mais  les  re- 
gistres  de  paroisse  de  Christ  Church,  Newgate,  nous 
apprennent,  outre  le  nom  de  safemme,  Anne,  Fexis- 
tence  de  trois  filles,  Anne,  Isabel  et  Judith,  respec- 
tivement  marines  en  1565,  1568  et  1575  2. 


4.  A.  W.  Lockhart.  List  of  University  Exhibitioners  from  Christ's 
Hospital.  4566-1875.  London.  4876. 

2.  11  est  assez  curieux  de  remarquer  qu'aucun  des  critiques  de 
Peele  n'a  songe  a  consulter  les  registres  de  Christ  Church,  Newgate, 
—  la  paroisse  dont  Christ's  Hospital  avait  dependu  des  sa  fonda 
tion.  Ces  registres  contiennent  pourtant  d'interessants  details. 
Le  plus  important  est  le  remariage  de  James  Peele.  Sa  premiere 
femme,  Anne,  mourut  en  4579  (v.  Deces.  'July  4  4580  (=  4579) 
Anne,  wife  of  Jeames  Peale  '.),  mais  le  veuvage  de  James  fut,  en 
somme,  assez  court,  si  nous  en  croyons  la  meme  source  d'infor- 
mation  (v.  Mariages.  Nov.  3  4584  (—  4580)  Jeames  Peelle,  dark  of 
the  hospitall,  &  Christian  Widers).  —  Du  premier  lit  naquirent, 
outre  George  Peele,  Jeames  Peele  en  4563  (v.  Baptemes.  '  4563. 


LA  VIE  DE  PEELE 

De  ces  cinq  enfants,  George  seul  nous  interesse. 
Une  tradition,  ge"ne>alement  admise,  veut  qu'il  soil 
n6  en  Devonshire;  mais  rien  n'en  prouve  la  vSracite", 
et  elle  semble  reposer  toute  surle  fait,  --  assez  peu 
probant,  —  que  Peele  fut  immatricule*  a  Broadgates 
Hall,  le  college  favori  des  Studiants  de  Somerset 
et  de  Devon.  A  d6faut  d'autre  ISmoignage,  il  nous  faut 
renoncer  a  Stablir  le  lieu  pr6cis  de  sa  naissance,  et 
nous  contenter  d'en  fixer  la  date  a  15581. 

Qu'il  ait,  du  reste,  vu  le  jour  dans  un  comt6  de 
Touesl  ou  dans  la  cite",  ses  premieres  ann6es,  nous 
en  sommes  surs,  s'6coulerent  a  Londres;  et  nous  le 
voyons  des  7  ans  6peler  ses  premiers  mots  a  l'e*cole 
de  Christ's  Hospital. 

L'Hdpital,  en  effet,  fond6  pour  servir  d'asile  aux 

Jan.3Jeames,  son  of  Jeames  Peele),  Judith  Peele,  marine  en  1575 
(v.  Manages.'  1576  (=1575)  May  19.  John  Jackman,  grocer,  & 
Judyth  Peele,  the  daughter  of  Jeames),  et  probablement  Anne  et 
Isabel  Peele,  dont  les  noces  sont  consignees  dans  les  memes  listes 
(v  manages.  '  1566  (=  1565)  May  14.  John  Alford  &  Anne  Peele '• 
_  i569  (=  4568)  Feb  5.  Mathew  Shakspere  &  Isbell  Peelle).  Ajou- 
tons  que,  comme  M.  Challoner  Smith  1'a  prou\6  dans  le  4  Genea 
logist'  (Av.  1896)  les  dates  des  mariages  (de  1558  4  1584)  et  des 
d6ces  (de  1555  a  1581)  doivent  dtre  antidat^es  d'un  an,  —  ce  que 
nous  avons  fait  dans  chaque  cas.  —  Les  regislres  de  Christ  Church 
nous  donnent  encore  la  date  precise  de  la  mort  de  James  Peele 
sen',  (v.  Deces  'Dec.  1585.  Jeames  Peele,  dark  of  the  Ospy tall) ; 
et  il  est  interessant  de  decouvrir  dans  la  collection  de  '  Marriage- 
Licenses  *  publiSe  par  la  col.  J.  L.  Chester  que  la  seconde  femme 
de  James  se  remaria  a  son  tour.  "  Boswell  Ralph  of  St-Chris. 
topher-le- Stock,  London,  haberdasher,  &  Christian  Peale,  widow, 
of  Christ  Church,  Newgate,  London,  relict  of  James  Peale,  late  of 
same,  salter.  Gen.  Lie.  21  May  1590". 

1 .  Une  deposition  devant  le  tribunal  de  T Universite  d'Oxford  que 
nous  citons  p.  15  repr£sente  Peele  comme  ag6  de  25  ans  en  1583, 
et  il  devint  aise"  de  deduire  de  ce  document  la  date  exacte  de  sa 
naissance. 


8  GEORGE  PEELE 

orphelins  etfils  de  pauvres,  s'elait  dksle  debut  adjoint 
une  6cole,  que  fr^quentaient,  au  temps  de  Peele, 
deux  classes  differentes  d'enfants:  les  "  Howse  Chil 
dren"  ou  membres  de  la  fondation,  et  les  "  Town 
Children",  subdivis6s  eux-memes  en  61eves  payants 
et  en  boursiers  (u  pupils  without  bills").  Tout  porte 
a  croire  que  George,  fils  du  comptable  de  la  maison, 
£tait  au  nombre  de  ces  derniers,  et  qu'il  jouissait 
m&me  de  certains  privileges,  parmi  lesquels  des  dons 
de  livres  semblentles  plus  importants1. 

Son  sejour  a  l'6cole  de  Christ  's  Hospital  se  pro- 
longea,  en  tout  cas,  jusqu'en  Mars  1571/72,  et  nous 
pouvons  assez  ais6ment  y  retracer  le  cours  de  ses 
eludes.  Apres  avoir  appris  ses  lettres  sous  la  ferule 
des  u  Schoolmaisters  for  the  Petties  (ou  Petites) 
ABC  ",  il  regut  de  son  propre  pere  ses  premieres 
legons  d'£criture  et  d'arithmeHique  2,  et  quitta  enfin 
les  classes  primaires  ("  Lower  Skole  ")  pour  les 
classes  secondaires  (u  Upper  Skole  ").  Le  "  Court- 
Book  "  nous  a  conserv^  le  nom  de  son  professeur 
d'alors:  Ralph  Waddington,  et  nous  apprend  de  plus 


1.  "  26  Oct.  1565.  James  Peele  Clerke  is  alowed  bokes  by  order 
of  the  Gouv'nors  for  George  his  sonne  who  is  in  the  Gram  Skole, 
so  farreforthe  as  he  be  diligent  in  his  learning  and  honyst  at  the 
Gounors  plesure  "  et :  "  10  March  1570.  James  Peele  was  grannted 
for  George  his  sonne  soche  bokes  as  from  tyme  to  tyme  he  shall 
nede  duringe  his  abode  here  in  the  gram  skole  according  to  the 
judgement  of  the  Skole  Mr  ". 

2.  Les  livres  de  1'flopital  nous  permettent  d'affirmer  que  le  pere 
de  Peele  remplissait,  outre  les  fonctions  de  comptable,  celles  de 
maitre  d'ecriture.  Dans  la  liste  destraitements,  son  nom  apparait 
en  face  d'une  somme,  assez  minime,  de  £  10. 


LA  VIE  DE  PEELE 

que  Ralph  etait,  -  -  outre  directeur  de 
<  alechiste  de  1'hdpital.  C'est  la  un  fait  digne  d'atten- 
tion.  Des  les  premieres  ann6es,  les  gouverneurs  de 
la  fondation  s'6taient  appliques  a  donner  aux  enfants 
dont  ils  prenaient  a  leur  charge  I'Sducation,  un  ensei- 
gnement  religieux  et  moral  des  plus  stricts;  et  Tesprit 
de  rigidit^  qui  6tait  celui  de  leurslegons  dut  faire  sur 
Peele  une  impression  durable,  —  seule  capable  d'ex- 
pliquer  un  trait  caract6ristique  de  ses  6crits:  leur  Ion 
moral.  "  Proba  est  pagina,  vita  lasciva  n  £crit  Bullen, 
faussant  inge"nieusement  un  vers  de  Martial ;  et  cette 
citation,  plus  6pigrammatique  que  vraie,  contient  pour- 
tant  sa  part  de  ve>ite\  II  est  bien  Evident  que  Peele  ne 
sut,  et  ne  put  jamais  r6gler  int^gralement  sa  con- 
duite  sur  les  principes  de  severe  morality  dont  ses 
jeunes  ans  avaient  6t6  imbus,  mais  il  ne  cessa  jamais 
de  les  regarder  comme  un  noble  idtfal,  digne  d'&tre 
platoniquement  ch6ri  etparfois6l6gammentexprime\ 
Peut-^tre  m6me  eut-il  tent6  de  les  mettre  en  pra 
tique,  s'il  fut  reste  plus  longtemps  sous  Tinfluence 
directe  de  Waddington ;  mais  son  envoi  a  TUniversit^, 
a  quatorze  ans  a  peine,  en  d^cida  autrement.  Get  envoi, 
dti  reste,  6tait  une  faveur,  -  -  faveur  que  les  gouver 
neurs  n'accordaienl  qu'aux  plus  intelligents  de  leurs 
Sieves ;  et  nous  pouvons  voir  un  t^moignage  de 
pr6cocit6  dans  la  minute  qui  mentionne  son  depart 
pour  Oxford  le  29  Mars  1 571/72 !. 

4.  V.  "1571.  March  29.  Horses  ii,  by  order  of  this  court  was 


10  GEORGE  PEELE 

Les  frais  qu'y  occasionna  son  sejour  furent  evidem- 
ment,  quoique  nous  n'en  ayons  pas  la  preuve  formelle  * , 
supports  par  ses  anciens  maltres,  el  il  dut  en  outre 
recevoir  d'eux,  comme  tous  leurs  boursiers  d'alors, 
une  pension  de  "  xnd  weeklie  "et  tous  les  livres  dont 

11  declara  avoir  besoin. 

Cette  aide,  nous  le  verrons,  lui  fut  retiree  en  1579, 
mais  il  avait  d6ja,  a  cette  date,  parcourules  diverses 
Stapes  universitaires,  et  il  nous  est  possible,  grace 
aux  archives 2,  de  le  suivre  a  chaque  stade  successif 
de  sa  carriere  acad^mique.  D'abord  6tudiant  a 
Broadgates  Hall,  comme  le  prouve  une  liste  dresse"e 


hired  for  the  convainge  of  Edward  Harris,  one  of  the  childuren  of 
this  House,  to  Oxford,  what  tyme  George  Peele,  sonne  of  Jeames 
Peele  clerk  of  this  Hospitall  went  thether  also  ". 

1.  Le  document  suivant  pourrait,  a  la  rigueur,  etre  regarde 
comme  une  preuve  de  ce  genre:  "June  15.  4577.  James  Peele 
clerk  of  this  house  being  a  suter  for  somewhat  towrarde  the  charges 
of  his  sonne  George  who  is  now  uppon  goinge  forthe  Bachelor  of 
Arte,  wheruppon  he  is  grannted  the  sum  of  fyve  pounde,  that  is 
iii  £  now  at  this  present  and  xls.  against  Lent  next  what  tyme  the 
same  his  sonne  is  to  fynishe  the  same  degree  ". 

2.  Les  documents  relatifs  a  Peele  se  trouvent  dans  deux  registres : 
le  premier  '  Matriculation  Register '  (Univ.  Oxon.  Arch.  P)  et  le 
1  Register  of  Convocation  &  Congregation  '  (KKq),  qui  contient  les 
noms  des  gradues  et  la  date  d'obtention  des  grades,  d'Avril  4564 
a  Septembre  4584.  — Le  '  Matriculation  Register'  est  un  epais 
folio  de  plus  de  380  pages,  divise  en  plusieurs  chapitres,  —  un 
par  college ;  mais  il  faut  remarquer  que  les  listes  d'etudiants  qui 
viennent  en  tMe  de  chaque  rubrique  ne  sont  point  des  listes 
d'immatriculation.  L'habitude  de  les  traiter  comme  telles  n'a  con 
duit  qu'a  des  erreurs.  En  realite,  elles  enumerent  simplement  les 
noms  de  tous  les  membres  des  colleges  inscrits  sur  les  livres  a 
une  date  determinee,  differente  pour  chaque  college.  La  premiere 
liste,  celle  de  Christ  Church,  est  datee  4564/65  etl'on  alongtemps 
assigne  cette  date  a  toutes  les  autres.  Mais  une  comparaison  avec 
le  registre  de  degres  montre  la  faussete  de  cette  assignation,  et 
la  liste  de  Broadgates  Hall,  par  ex.,  ne  remonte  qu'a  4572-73. 


LA  VIE  DE  PEELE  11 

en  1572/731,  il  obtint  I'annSe  suivante  une  bourse 
deludes  a  Christ  Church  College,  dont  le  Hall  n'etait 
guere  qu'une  dSpendance,  et  devint  Bachelor  of  Arts 
le  12Juin  1577.  La  date  peut  surprendre  tout  d'abord, 
-  ce  grade  s'acqueYant  d'ordinaire  apres  quatre  ans 
de  residence  ;  mais  le  retard  est  justifte  par  une 
circonstance  fortuite:  I'6pid6mie  de  peste  qui  6clata 
en  1576/77  et  entratna  la  dissolution  temporaire  des 
colleges.  Et  si,  par  contre,  Peele  dut  ^courier  d'un  an 
la  pe>iode  deludes  habituellement  requise  pour 
1'obtention  de  la  mattrise  *,  ici  encore  Tanomalie 
apparente  s'explique  par  un  accident  ind^pendant  de 
sa  volonl6.  Une  grave  maladie  de  sa  mere  Tobligea  a 
demander  une  dispense,  qui  lui  fut  --  le  Registre  de 
Convocation  en  fait  foi1  —  imm^diatement  accorded, 

1.  Broadgates  Hall  <  1572  >  P.  fol.  489 
(Aula  Lateportensis)                               (Aula  Latarum  Portarum) 
49.  Peele  G. 

2.  Les  references  &  Peele  dans  le  Registre  de  Convocation  sont 
assez  nombreuses,  et,  lorsque  rapprochees,  se  competent  Tune 
1'autre:  "  Pele  (Peele)  George;  adm.  B.A.  42  June  1577;  det. 
1877/78;  suppl.  M.  A.  2  June,  lie.  6  July  1579,  inc.  1579.  La  pre 
miere  minute,  relevge  dans  une  liste  d'etudiants  ••  admissi  ad 
!••(  lionem  alicujus  libri  logices  "  prouve  que  le  degr6  de  Bachelor 
of  Arts  lui  fut  confere  en  Juin  1577  ;  la  seconde  qu'il  le  compieta 
en  prenant  part  aux  argumentations  appel£es  *  determination ', 
—  argumentations  qui  prenaient  place  au  cours  du  car£me  suivant 
1'admission.  —  Les  references  au  grade  de  Master  of  Arts  sont  simi- 
laires:  la  premiere  mentionne  le  jour  ou  Peele  <4  supplicated", 
c.  a  d.  ou  il  demanda  a  l'Universit6  la  permission  de  prendre  son 
degre*;  la  seconde  nous  apprend  la  date  &  laquelle  il  fut  "  licen 
sed  ",  c'est-a-dire  admis  au  litre  de  Maltre  ;  la  troisieme  enfin  nous 
montre  qu'il  acquit  definitivement  ce  litre  par  sa  participation  aux 
disputes  scolastiques,  nommees  '*  inception". 

2.  Dans  une  liste  de  dispenses,  nous  trouvons  le  nom  de  Peele, 
suivi  de  ces  quelques  mots  latins:  u  necessario  avocatus,  in  Aca- 
demia  diutius  commorari  non  potest.  "  Ce  document  est  date  du 


12  GEORGE  PEELE 

et  lui  permit  de  quitter  rUniversite",  le  2  Juin  1579, 
pour  assister  aux  derniers  moments  d'Anne  Peele. 

Pendant  sept  longues  amides,  il  avait  v6cu  dans  un 
milieu  dont  les  tendances  6taient,  et  de  beaucoup^ 
moins  rigides  que  celles  de  Christ  's  Hospital. 
Oxford  traversait,  a  cette  6poque,  une  crise  d'inertie 
morale  et  intellectuelle1,  due  a  la  fois  a  1'adminis- 
tration  trop  peu  rigoureuse  des  colleges,  a  la  negli 
gence  des  tuteurs  et  autres  autorit6s  universitaires, 
et  a  I'accroissement  graduel  d'une  nouvelle  classe 
d'6tudiants,  —  fils  de  famille  riches,  gais,  bruyants, 
debauches,  plus  disposes  a  rechercher  le  plaisir  que 
1'etude.  Peele  lui-meme  fut-il,  cependant,  affect^  par 
Fatmosphere  de  relachement  moral  dans  laquelle  il 
vivait?  La  question  ne  souffre  pas  de  reponse  precise. 
Tout  au  plus  pouvons-nous  affirmer  que  la  richesse 
de  ses  Merits  en  allusions  classiques,  en  citations 
d'Ovide,  de  Se"neque,  et  d'autres,  prouve  qu'il  apporta 
moins  de  zele  a  F£tude  de  la  logique  et  de  la  philo 
sophic  qu'a  celle,  —  plus  agreeable  et  plus  riante,  — 
de  la  po6sie  et  de  la  fable  antiques.  II  jouit  d'assez 
bonne  heure,  en  tout  cas,  d'une  certaine  reputation 

2  Juin  1579.  La  mort  d'Anne  Peele  suivit  de  pres,  —  fin  juin  (v. 
n.  2  p.  6),  et  George  retourna  immediatement  a  Oxford  pour  y 
prendre  son  degre  le  6  juillet  (v.  note  precedente). 

1.  Les  contemporains  sont  unanimes  sur  ce  point;  consulter 
par  ex. :  4  Leicester's  Commonwealth  '  (lre  ed.  1584):  (ed.  Bur- 
goyne  p.  97-100);  Lyly.  (ed.  Bond,  vol  I.  273-276).  Strype.  Life  and 
Acts  of  John  WhitgifL  Oxford  1822.  3  vol.  i.  610-12.  Annals 
of  the  Reformation  ii  390-394;  Harrison.  Description  of  England. 
Bk  ii.  ch.  3.  p.  777-8  ;  Wood.  History  and  Antiquities  of  Oxford  ii. 
184;  etc.,  etc. 


LA  VIE  DE  PEELE  13 

de  poete,  et  composa,  avant  son  depart  de  1'Univer- 
site\  un  long  pofeme  narratif:  le  4  Tale  of  Troy  \  et 
une  Iphig6nie  adapted  d'Euripide.  De  ces  oeuvres  de 
jounesse  la  premiere  seule  nous  est  parvenue1,  mais 
nous  trouvons  trace  de  la  seconde  dans  quelques  vers 
Lit  ins  du  Dr  Gager  4  in  Iphigeniam  Georgii  Peeli 
Anglicanis  versibus  redditam  '*. 

Parmi  1'amas  de  louangeshyperboliques  que  I'amiti6 
lui  inspire,  deux  vers  me>itent  d'attirer  notre  atten 
tion: 

Oxoniae  fateor  subitum  mirabar  acumen, 
Et  tua  cum  lepidis  seria  mista  jocis. 

Us  nous  laissent  entrevoir  un  agr6able  compagnon, 
au  caractere  aimable,  conciliant,  a  Tesprit  vif,  au 
rire  et  a  la  plaisanterie  faciles,  capable  pourtantd'une 
discussion  se>ieuse,  mais  plus  enclin  peut-6tre  a 
participer  aux  distractions  qu'aux  cxercices  scolas- 
tiques  de  FUniversitS. 

Ais6e,  plaisante,  libre  de  soucis,  telle  nous  devinons, 
la  vie  de  Peele  a  Oxford,  —  et  cependant,  quelque 


1.  Encore  n'en  avons-nous  que  la  version,  probablement  revised, 
publiee  en  4589  a  la  suite  du  '  Farewell  to  Norris  and  Drake '. 

2.  "  Aut  ego  tc  nimio  forsan  complector  amore,  »«d  quia.    si    similes    dignemar    iaude  labores. 

ant  tut  sunt  aptis  carmina  scripU  modis.  quicquid  id  «s(,  mento  vmdicet  iste  liber. 

Nomen  amicitiae  non   me   pudet  usque  fateri;  Ergo  si  quicquam,  quod  parrum  est,  carmine  possim, 

nee  si  forte  relim.  dissimulare  qu«o.  si  quid  judicio  detur,  amice,  meo, 

Oxonin      fateor    sobitnm    mirabar     acumen,  cumque    tui     nimio    non    sim    deceptus   amorc, 

et  tua  cum  lepidis  seria  mista  jocis.  haec  tua  sunt  aplis  carmina  script*  modis. 

Haec  me  suasit  amor,  sed  non  ego  crednlni  ilh  ;  Vireret      Ennpides,     tibi     *•    debere     putaret, 

nee  tibi  plus  dabitur  quam  meraisse  pnt«m  :  ipsa  tibi  grates  Iphigenia  daret. 

«t   foraan  jussit.  sed  non  quia  scribere  jnssit,  Perge,      precor.      priscos      devincire       poeUs 

in  laudes  ibit  nostra  Thalia  tuas  ;  si  priscis.  facile  gratificere  novis  ". 

Suit  un  second  poeme,  aussi  61ogieux,  *  in  eamdem  ' ;  mais  il 
n'ajoute  rien  au  precedent,  et  nous  jugeons  inutile  de  le  repro- 
duire  ici. 


14  GEORGE  PEELE 

charme  qu'il  ytrouvat,  il  resolut  d'y  renoncer  en  1579, 
apr&s  la  mort  de  sa  mere,  et  de  s'installer  pour  un 
temps  a  Christ's  Hospital.  11  dut  bientot,  du  reste, 
abandonner  ce  dessein  devant  1'insistance  mise  par 
les  gouverneurs  a  exiger  son  depart  de  la  maison 
paternelle1.  Nous  ignorons  la  raison  de  cette  insis- 
tance,  mais  nous  sommes  tenths  de  supposer,  avec 
Bullen,  que  les  nouvelles  habitudes  de  Peele  s'accor- 
daient  mal  avec  le  strict  decorum  de  I'^tablissement. 
Que  la  conjecture,  d'ailleurs,  soit  ou  non  fondle, 
nous  le  retrouvons  a  Oxford  d&s  la  Gn  de  1579,  et 
savons  par  un  document  officiel  qu'il  y  sejourna 
jusqu'en  15812.  La  se  borne  notre  information.  Rien 
ne  prouve,  comme  on  Fa  suggSre",  qu'il  enseigna  pour 
se  procurer  quelques  ressources,  ou  qu'il  tenta  de  se 
pre"parer  a  une  carriere  libe~rale  par  1'etude  de  la 
M6decine,  de  la  Th£ologie,  ou  du  Droit.  II  est  plus 
vraisemblable  d'imaginer  qu'il  se  donna  simplement 
pour  tache  de  developper  ses  dons  naturels  de  poete 
etde  dramaturge  et  decida  de  ne  pas  quitter  les  rives 
de  Flsis  avant  de  s'etre  assur6  une  place  pr66mi- 
nente  parmi  les  auteurs  de  son  temps. 

Son  l  Arraignment  of  Paris '  lui  donna  cette  place, 
et,  fidele  a  sa  resolution,  il  se  fixa  a  Londres,  pour  ne 

1.  "  Sept.  191579.  James  Peele  hath  given  his  pmis  to  this  coorte 
to  discharge  his  howse  of  his  sonne  George  Peele  and  all  other 
his  howsold  wch  have  bene  chargable  to  him,  befor  mychellmas 
day  next  cominge  uppon  paine  of  the  gounos  displeasure,  as  to 
their  discressions  shall  seme  convenient  ". 

2.  Cf.  la  deposition  de  Peele  devant  le  tribunal  universitaire 
d'Oxford,  citee  p.  15. 


LA  VIE  DE  PEELE  15 

plus  quitter  la  ville  qu'en  de  rares  occasions.  Le  plus 
long  de  ses  deplacements  fut  provoqu6,  aprfcs  son 
manage  en  1581  ou  82,  par  les  int6r6ts  de  sa  femme 
dans  une  affaire  de  succession.  Mais,  venu  k  Oxford 
pour  d^poser  devant  le  tribunal  universitaire,  en 
mars  15831,  il  fut  incite  adiff£rer  son  depart  par  des 
raisons  d'un  tout  autre  ordre.  Les  *4  fellows  "  de 
Christ  Church  lui  demandferent  de  monter  deux  pieces 
la  tines  du  Dr  Gager,  qu'ils  pr^paraient  en  1'honneur 
d' Albert  Alasco,  —  prince  polonais  recommand6  par 
la  reine  aux  bons  soins  de  I'Uuiversite.  Peele  y  con- 
sentit,  et  Holinshed  nous  a  laisse  dans  ses  chroniques 
un  compte  rendu  des  representations,  qui  semble,  en 
attribuer  le  succfes  autant  a  la  mise  en  scfcne  qu'a  la 
valeur  inlrinsfeque  des  deux  drames  f.  Hatons-nous 


1.  La  deposition  de  Pcele  est  &  la  fois  curieuse  en  elle-mdme, 
par  son  melange  de  latin  et  d'anglais  juridiques,  et  interessante 
par  les  divers  renseignements  qu'elle  nous  fournit.  Elle  me'rite, 
a  ce  double  litre,  d'etre  integra  lenient  reproduite  : 

"  Testis  inductus  ex  parte  Johannis  Yate  super  positionibus  [?] 
ex  heris  [?]  juratus,  in  perpetuam  rei  memoriam  exarninatus 
xxix°  Martii  1583,  — 

Georgius  Peele,  civitatis  Londinensis,  generosus,  ubi  moram 
traxit  fere  per  duos  annos,  et  antea  in  Lniversitate  Oxoniae  per 
novem  annos,  aetatis  \\\  annorum,  testis,  etc. 

Ad  primum  dicit  esse  verum,  for  so  the  executor  Hugh  Christian 
hath  confessed  to  UflMbponent. 

Ad  secundum  dicit  that  he  thinketh  it  to  be  trewe,  for  Home 
hath  tolde  this  deponent  so. 

Ad  tertium  dicit  esse  verum,  for  that  the  land  descended  to 
this  deponent  in  the  right  of  his  wife,  and  that  the  said  Home 
hath  saved  to  this  deponent  that  he  might  make  his  choise  whether 
he  wold  lay  the  band  uppon  the  executor  or  the  heyre  of  the  land, 
being  this  deponent's  wife,  et  aliter  non  habet  deponere,  ut  dicit  ". 

2.  "He  (the  prince)  was  personally  present  with  his  train  in 
the  hall,  first  at  the  playing  of  a  pleasant  comedy  intituled  Ri  vales, 


16  GEORGE  PEELE 

d'ajouter  que  les  efforts  de  Peele  furent  justement  re 
compense"  set  qu'unvieuxlivre  decomptes  nousdonne 
le  chiffre  exact  des  sommes  qui  lui  furent  vers6es  : 

"  To  Mr.  Peele  for  provision  for  the  playes  at 
Christchurche.  xviijli 

The  Chardges  of  a  Comedie  and  a  Tragedie  and  a 
shewe  of  fire  worke,  as  appeareth  by  the  particular 
bills  of  Mr.  Vice-Chancelor,  Mr.  Howson,  Mr.  Maxie, 
and  Mr.  Peele  86h18s2d". 

C'est  la,  malheureusement,  le  dernier  des  docu 
ments  qui  nous  fournisse  sur  la  vie  de  Peele  un 
renseignement  precis.  De  1583  a  la  date  incertaine 
de  sa  mort,  notre  information  devient  de  plus  en  plus 
maigre  et  clairsemee,  et,  qui  pis  est,  les  quelques 
details  venus  jusqu'a  nous  sont,  pour  la  plupart, 
justement  entach6s  de  suspicion.  Une  brochure, 
publi6e  en  1605  environ1,  —  'the  Merry  Jests  of 
George  Peele'2,  —  pretend,  il  est  vrai,  nous  donner 


then  at  the  setting  out  of  a  very  stately  tragedy  named  Dido, 
wherein  the  Queen's  banquet  (with  ^Eneas'  narrative  of  the  des 
truction  of  Troy)  was  lively  described  in  a  marchpane  pattern  . 
there  was  also  a  goodly  sight  of  hunters  with  full  cry  of  a  kennel 
of  hounds,  Mercury  and  Iris  descending  and  ascending  from  and 
to  an  high  place,  the  tempest  wherein  it  hailed  small  confects, 
rained  rosewater,  and  snew  an  artificial  kind  of  snow,  all  strange, 
marvellous  and  abundant"  (Holinshed.  Chronicles.  Vol.  IV,  p.  508. 
ed.  1808.) 

1.  Le  permis  d'imprimer  date  de  decembre  4605  :  "  xiiij  Decem- 
bris.  Frauncis  Fawkner.  Entred  for  his  copie  under  the  handes  of 
the  wardens  a  booke  called  the  Jests  of  George  Peele...  vjd  ". 

2.  •*  Merry  conceited  Jests  of  George  Peele  gentleman,  some 
times  a  student  in  Oxford.  Wherein  is  shewed  the  course  of  hist 
life,  how  he  lived.  A  man  very  well  knowne  in  the  citie  of  London, 
and  elsewhere.  " 


LA  VIE  DE  PEELE  17 

une  histoirc  ve>idique  de  sa  vie  et  nous  narrer  par  le 
menu  ses  fails  et  gestes  "  &  Londres  et  en  tout  autre 
lieu".  Mais  le  contenu  du  mince  quarto  frustre  notre 
nlk'nte.  Les  quatorze  histoires  dont  il  se  compose, 
quelque  joyeuses  et  spirituelles  qu'elles  aient  pu 
jailis  parattre,  frappent  plut6t  aujourd'hui  par  leur 
grossieretS  que  par  leur  esprit,  et  portent  si  profon- 
d6ment  1'empreinte  de  la  tradition  qu'on  se  prend, 
des  les  premieres  pages,  &  douter  de  leur  authenticity. 
L'impression  qu'elles  donnent,  — cette  impression  fa- 
miliere  de  choses  dej£  lues,  —  se  justifie,  d'ailleurs, 
des  qu'on  parcourt,  fut-ce  h«Hivement,  les  recueils  de 
contes  du  siecle  pr6c6dent,  et  qu'on  y  retrouve  les 
m&mes  avenlures  narr6es  avec  les  m&mes  details. 
Telle  anecdote,  —  4  the  Jest  of  George  Peele  at 
Bristow ',  est  adapl6e du  livre  des  4  Mery  Tales,  Wittie 
Questions  and  Quicke  Answeres'  public  en  15671; 
telle  autre,  —  k  how  he  helped  his  friend  to  a  supper', 
-  reproduit  un  passage  des  Hepues  Tranches  de 
Villon2;  telle  aulre  donne  a  Peele  et  &  une  dame 
inconnue  les  rdles  que  jouent,  dans  les  4  Traditions' 
de  Thorn,  Sir  John  Heydon  et  Lady  Cary8.  Bref,  il 
n'est  guere  d'histoire,  dans  tout  le  livre,  qui  n'ait  616 
mainte  foisdite  etredite,  sans  autre  changement 


1.  Lire  la  1288  histoire,  intitule:  ••  How  a  mery  man  devised 
to  cal  people  to  a  playe  ".  Cf.  e*galement  "  Mother  Bunches  Merri 
ment"  (1604). 

•1.  Les  Repues  Franches  de  Villon.  La  maniered'avoir  des  tripes 
pour  diner. 

3.  Voir  la  quatorzieme,  et  derniere,  anecdote,  des  '  Merry  Jests '. 

CHEFFAUD.  2 


18  GEORGE  PEELE 

qu'un  changement  de  nom  et  de  lieu.  Le  nom  ici  est 
celui  dePeele;  lelieu  Londres,  et  quelques  allusions 
a  la  famille,  a  la  personne,  aux  occupations  du 
dramaturge  sont  assez  habilement  introduites  pour 
donner  au  tout  un  air  d'apparente  v^riteA  Mais  ces 
allusions  memes  sont  trop  insignifiantes  ou  trop  impre- 
cises  pour  prater  a  1'opuscule  un  r6el  interet  biogra- 
phique;  et  leur  omission  est  significative  dans  la 
com6die  contemporaine  qui  met  a  la  scene  divers 
Episodes  des  '  Merry  Jests  '2.  L'auteur  de  la  Puritaine 
a  renonc6  au  nom  m&me  de  Peele,  et  c'est  sous  les 
traits  de  Pyeboard3  que  nous  retrouvons  le  pauvre 
etudiant  d'Oxford,  r6duit  par  la  misere,  les  guerres 
et  autres  calamit6s  a  jouer  le  role  ingrat  de  poete  a 
gages,  de  diseur  de  bonne  aventure,  ou  de  pur 
chevalier  d'industrie.  Les  aventures  nous  sont  dites, 


4.  Les  allusions  biographiques  se  reduisent  a  peu  de  chose; 
Peele,  nous  dit-on,  avail  une  barbe  bien  fournie  et  de  bonne  taille, 
une  voix  aux  intonations  feminines ;  il  habitait  pres  de  Blackfriars, 
dans  Bankside,  organisait  a  1'occasion  les  fetes  de  la  cite  (Lord 
Mayor's  Pageants),  et  etait  Fun  des  auteurs  attitres  des  theatres 
de  Londres.  Aucun  de  ces  details  ne  prouve  que  1'auteur  des 
*  Merry  Jests  '  connut  bien  familierement  G.  Peele. 

2.  Comparez :   i  Merry  Jests  ',  2  et  44  et  '  Puritan  '  A.  i.  Sc.  2. 
et  A.  4.  Sc.  2.  —  La  date  de  representation  de  la  Puritaine  peut 
etre  fixee,  grace  au  temoignage  du  texte  meme.  Deux  personnages 
de  la  piece,   George   Pyeboard  et   Captain  Idle  consultent  un 
almanach :  "  Turn  over,  George  "  dit  le  capitaine.  —  George  : 
June,  July;  here,  July;  that's  this  month.  Sunday  43,  yester 
day  44,  to  day  45  ".  L'habitude  des  dramaturges  elisabethains  de  se 
servir,  en  pareil  cas,  de  1'almanach  de  l'anne~e  courante,  est  bien 
connue ;  et  nous  en  pouvons  conclure  que  la  Puritaine  fut  jouee 
en  4H06.  Le  permis  d'imprimer  est  date  du  6  Aout  4607. 

3.  11  est  juste  d'ajouter  que  Pyeboard  semble  un  calembour 
sur  le  nom  de  Peele  ;  car  "  pieboard  "  et  "  peele  "  signifient  tous 
deux  une  pelle  a  four. 


LA  VIE  DE  PEELE  19 

d'ailleurs,  avec  une  verve  et  un  brio  pour  lesquels 
1'auteur  ne  doit  rien  a  son  original,  et  la  pifcce  a  assez 
d'autres  mSrites  pour  en  faire  Tune  des  plus  attrayan- 
tes  parmi  les  comedies  £lisab£thaines.  Mais  quelque 
hommage  que  nous  devions  rendre  a  ses  qualit£s, 
nous  ne  saurions,  malgr6  tout,  voir  en  elle  une  source 
d'information  digne  de  foi. 

C'est  la,  pourtant,  et  dans  le  quarto  de  1605,  que 
les  critiques  ont  puis6  a  1'envi  la  l£gende  de  la  vie 
d6bauch6e,  licencieuse,  ou  tout  au  moins  fort  irr6gu- 
lifcre  de  George  Peele.  Mr.  Saintsbury  seul  s'inscrit 
en  faux  centre  ce  travestissement  des  fails,  et  il  n'est 
pas  superflu  de  r6p6ter  aprfes  lui  que  nul  t6moignage 
precis  ne  nous  permet  de  prendre  a  notre  compte 
1'opinion  habituellement  6mise  sur  I'immoralit6  de 
Peele,  ni  d'unir  son  nom  trop  6troitement  a  ceux  de 
Nashe,  Greene  et  Marlowe. 

Les  deux  questions  sont,  d'ailleurs,  connexes,  car 
rien  ne  semble  avoir  autant  nui  au  credit  de  Peele  que 
sa  pr6tendue  mlimilr  avec  ce  groupe.  Son  oeuvre, 
toutefois,  n'en  porte  que  de  bien  faibles  traces:  la 
seule  allusion  a  Marlowe  qu'elle  contienne  est  un 
simple  hommage  a  son  g£nie  dramatique : 

Marley,  the  Muses1  darling  for  thy  verse, 
fit  to  write  passions  for  the  souls  below, 
if  any  wretched  soul  in  passion  speak ; 

(Hon  of  Gar.  Prol.  v.  61-63) 

le  nom  m&me  de  Nashe  n'est  nulle  part  inentionn6 ; 
et  la  parodie  de  quelques  vers  de  Greene  dans  T  4  Old 


20  GEORGE  PEELE 

Wives  Tale  '  est  une  marque  au  moins  discutable 
d'amitie".  —  Les  deux  ou  trois  documents  contem- 
porains  g6n6ralement  produits  comme  preuves  sont 
tout  aussi  peu  concluants.  Le  fameux  passage  du 
4  Groatsworth  of  Wit',  invoqu6  par  Dyce,  est  adressS 
par  Greene  u  to  those  gentlemen  his  quondam 
acquaintance,  that  spent  their  wits  in  making  plays  " ; 
le  paragraphe  qui  se  rapporte  directement  a  Peele  ne 
t6moigne  pas  de  relations  fort  familikres1;  et  enfin 
les  louanges  de  Nashe  dans  la  preface  du  '  Menaphon  v 
laissent  simplement  supposer  une  certaine  sympathie 
Iitt6raire2.  II  semble  bien  que  le  seul  lien  qui  ait 
jamais  uni  Peele  aux  6crivains  de  son  temps  soit  leur 
commune  indignation  contre  la  parcimonie  des  come- 
diens  pour  qui  ils  composaient  leurs  pieces.  C'est  la 
le  sentiment  qui  transparait  sous  chaque  ligne  du 
*  Groatsworth'3,  et  se  donne  libre  cours  dans  la  page 


1.  "  And  thou,  no  less  deserving  than  the  other  two,  in  some 
things  rarer,,  in  nothing  inferior,  driven,  as  myself,  to  extreme 
shifts,  a  little  have  I  to  say  to  thee  ;   and,  were  it  not  for  an  ido 
latrous  oath,  1  would  swear  by  sweet  St-George,  thou  art  unwor 
thy  better  hap,  sith  thou  dependest  on  so  mean  a  stay  ". 

2.  "  1  dare  commend  him  unto  all  that  know  him  as  the  chief 
supporter  of  pleasance  now  living,  the  Atlas  of  poetry,  and  primus 
verborum  artifex  ". 

3.  "  Base-minded  men,  all  three  of  you,  (Marlowe,  Nashe  & 
Peele)  if  by  my  misery  ye  be  not  warned;  for  unto  none  of  you, 
like  me,  sought  those  burs  to  cleave ;  those  puppets.  I  mean,  that 
speak  from  our  mouths,  those  antics  garnished  in  our  colours.  Is 
it  not  strange  that  1,  to  whom  they  have  been  beholding,  is  it  not 
like  that  you,  to  whom  they  have  all  been  beholding,  shall,  were 
you  in  that  case  that  I  am  now,  be  both  of  them  at  once  forsa 
ken  ?...  Oh,  that  I  might  entreat  your  rare  wits  to  be  employed 
in  more  profitable  courses,  and  let  these  apes  imitate  your  past 
excellence ;  arid  never  more  acquaint  them  with  your  admired 


LA  VIE  DE  PEELE  21 

du  l  Knight's  Conjuring,  Done  in  Earnest,  Discovered 
in  Jest',  ou  Dekker  6voque  les  ombres  des  drama 
turges,  et  nous  convie  £  entendre  leurs  plaintes,  au 
s£jour  m&me  des  bienheureux.  "  Marlowe,  Greene, 
and  Peele  ",  6crit-il  u  had  got  under  the  shades  of  a 
large  vine,  laughing  to  see  Nashe  (that  was  but  newly 
come  to  their  college)  still  haunted  with  the  sharp 
and  satirical  spirit  that  followed  him  here  upon 
earth;  for  Nashe  inveighed  bitterly  (as  he  had  wont 
to  do)  against  dry-fisted  patrons,  accusing  them  of  his 
untimely  death...  Being  demanded  how  poets  and 
players  agreed  now,  4  Troth  '  says  he  l  as  physi 
cians  and  patients  agree,  for  the  patient  loves  his 
doctor  no  longer  than  till  he  get  his  health,  and  the 
player  loves  a  poet  so  long  as  the  sickness  lies  in  the 
twopenny  gallery  when  none  will  come  into  it " .  Get  ex- 
pos6  de griefs,  aussi  justifi6  sans  doute  que  v6h6ment, 
nous  donne  la  clef  de  ce  bref  dialogue  des  morts,  et 
explique  le  choix  de  Peele,  Marlowe,  Greene  et  Nashe 
comme  interloculeurs.  Mais  il  serait  oiseux  de  cher- 
cher  dans  le  rapprochement  de  leurs  noms  sous  la 
plume  de  Dekker  une  preuve  quelconque  d'intimite, 
ou  de  voir  dans  la  vigne  aux  larges  feuilles  que  dScrit 
1'auteur  une  discrete  critique  des  penchants  de  Peele 
pour  la  bonne  chfere,  une  allusion  couverte  &sesexcfcs. 

inventions.  I  know  the  best  husband  of  you  all  will  never  prove 
an  usurer,  and  the  kindest  of  them  will  never  prove  a  kind  nurse ; 
yet,  whilst  you  may,  seek  you  better  masters,  for  it  is  pity  men 
of  such  rare  wits  should  be  subject  to  the  pleasure  of  such  rude 
grooms  ". 


22  GEORGE  PEELE 

Le  temoignage  du  '  Knight 's  Conjuring '  est  aussi 
vague  et  impr£cis  que  ceux  du  c  Groatsworth  of  Wit ' 
et  de  la  preface  du  c  Menaphon',  et,  a  defaut  d'infor- 
mations  plus  explicites,  1'oeuvre  meme  de  Peele  reste 
la  seule  autorite  d'ou  Ton  puisse  tirer  de  vraisem- 
blables  inferences. 

D'utiles  suggestions  sont  deja  fournies  par  1'ordre 
meme  dans  lequel  furent  composees  ou  joules  les 
diverses  productions  de  1'auteur,  —  ordre  qu'on  peut, 
approximativement,  etablir  ainsi : 

(Voir  le  tableau  imprime  a  la  page  suivante). 

Ce  tableau,  quelque  succinct  qu'il  soil1,  nous  donne 
une  id£e,  sinon  complete,  du  moins  correcte  de  la  vie 
de  Peele  a  Londres.  Nous  le  voyons,  pendant  ces 
quinze  annees,  chercher  tantot  dans  le  patronage  de 
quelque  noble,  tantot  dans  le  produit  de  ses  pieces 
ses  moyens  habituels  de  subsistance.  L'importance 
relative  de  ces  deux  sources  de  revenu  varie  d'ailleurs 
avec  la  date.  II  debute,  avec  V  4  Arraignment  of  Paris ' 
et  le  c  Hunting  of  Cupid  ',  sous  les  auspices  d'une 
coterie  bien  en  cour,  la  coterie  sidn6ienne;  et  la 
protection  personnelle  de  Sir  Philip  Sidney  semble 
m6me  probable  a  qui  se  rappelle  qu'il  avait  £t£, 
quelques  ann6es  seulement  avant  Peele,  etudiant  de 
Broadgates  Hall  et  de  Christ  Church  College.  Son 
nom,  en  tout  cas,  reparait  souvent  dans  les  ecrits  de 

4.  On  trouvera,  dans  la  seconde  partie  de  notre  travail,  la  dis 
cussion  des  dates  assignees  dans  ce  tableau  a  tel  ou  tel  ecrit. 


LA  VIE  DE  PEELE 


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24  GEORGE  PEELE 

notre  auteur,  —  tou jours  accompagne  de  quelqu'une 
de  ces  6pithetes  que  la  reconnaissance  sait  inpirer  a 
un  client  liberalementtraite'.  L' c  Eclogue  Gratulatory ' 
est,  en  partie,  une  ele*gie  pastorale  aux  manes  du 
noble  et  bon  Philisides1;  4  Polyhymnia'  tresse  a  sa 
me*moire  une  nouvelle  guirlande  d'61oges*;  et  louanges 
sont  une  fois  de  plus  rendues,  dans  le  prologue  de 
T  *  Honour  of  the  Garter',  au  g6ne"reux  Sidney, 

famous  for  the  love 
he  bare  to  learning  and  to  chivalry  (v.  36-37). 

Dks  sa  mort  pre~matur6e  a  Zutphen,  cependant, 
Peele  avait  songe"  a  transfe>er  son  hommage  litteraire 
a  un  nouveau  suzerain,  et  dans  1'  '  Eclogue  ',  dans 
'Polyhymnia',  etc.  il  associa  au  nom  de  Sidney  celui 
du  jeune  Essex,  laissant  entendre  ga  et  la  que  le 
"  comte  trois  fois  honorable  ",  e"mule  de  Philisides 
en  courtoisie  et  en  courage,  pourrait  Fetre  aussi  en 
munificence.  Nous  ignorons,  faute  de  documents, 
les  re"sultats  pratiques  de  ces  discrets  appels,  mais 
aimons  a  croire  qu'Essex  se  montra  aussi  prompt  a  y 
repondre  que  le  comte  de  Northumberland  h  payer, 
en  1593,  la  de"dicace  de  1'  'Honour  of  the  Garter*.  Un 

1.  V.  '  Eclogue  Gratulatory '  v.  62  sqq. 

2.  V.  Polyhymnia  v.  221  sqq. 

„,.,.,          ,        ....  (  master  Thomas  Sidney. 
The  eleventh  couple  att.lt  j  masler  Robert  Alexander. 

"  Thus  long  hath  dainty  Sidney  sit  and  seen 
Honour  and  Fortune  hover  in  the  air, 
that  from  the  glorious  beams  of  England's  eye 
came  streaming;  Sidney,  at  which  name  I  sigb, 
because  I  lack  the  Sidney  that  I  loved, 
And  yet  I  love  the  Sidneys  that  survive  ". 

Cf.  aussi  v.  108  sqq. 


LA  VIE  DE  PEELE  25 

livre  de  pavements,  relrouv6  &  Alnwick  Castle,  nous 
conserve  la  preuve  positive  de  cette  Iib6ralil6  : 
u  Delivered  Mr  Warnour  at  my  Lord's  appointment 
to  give  to  one  Geo.  Peele,  a  poet,  as  my  Lord's 
liberality,  £  3  ".  Mais  la  protection  de  Northumberland 
ne  semble  avoir  616  que  temporaire.  Peele,  au  milieu 
de  difficult^  croissantes,  dut  chercber  ailleurs  une 
aide  probl6matique ;  et  le  dernier  document  que  nous 
poss6dons  de  sa  main  est  une  lettre  h  Lord  Burleigh, 
ou  il  implore  humblement  son  patronage. 

Peele,  pourtant,  n'avait  pas  toujours  616  r6duit  h. 
solliciter  aussi  obs6quieusement  la  g6n6rosit6  a!6a- 
toire  d'un  patron.  II  avail  616,  h  plus  d'une  reprise, 
le  poele  choisi  par  la  Cit6  pour  organiser  les  fftles 
et  les  processions  qui  accompagnaient  I'enlr6e  en 
fonctions  d'un  nouveau  maire,  et  avail,  de  1588  h 
1592  tout  au  moins,  tir6  d'appr6ciables  profils  de  la 
produclion  de  ses  pieces  sur  les  diverses  scenes  de 
Londres.  Le  succes  de  sa  4  Bailie  of  Alcazar '  est 
allest6  par  les  nombreuses  menlions  qu'en  fail  le 
Journal  d'Henslowe;  celui  d'1  Edward  I'  par  la  r6- 
impression  en  1599  du  premier  quarlo ;  el  si  1'  '  Old 
Wives  Tale'  el  l  David  and  Belhsabe1  ne  furenl  pas 
aussi  favorablemenl  reQus,  ils  n'en  apporlerenl  pas 
moins  au  dramalurge  leur  quole-parl  de  gain. 

Les  en-l6les  des  diff6renles  pifeces  el  quelques 
renseignemenls  Irouv6s  dans  les  papiers  d'Henslowe 
nous  apprennenl  que  Peele  6crivil  successivemenl 
pour  les  4  Admiral's  Men  '  el  pour  la  Queen  fs  Com- 


GEORGE  PEELE 


pany ',  mais  rien  ne  permet  de  supposer,  —  comme 
on  Pa  fait,  —  qu'il  appartint  comme  acteur  a  Pune  ou 
Pautre  de  ces  troupes,  ni  meme  qu'il  parut  jainais  sur 
la  scene.  On  a  invoqu6,  il  est  vrai,  la  '  Jest  of  George 
Peele  atBristow';  mais  c'est  la,  nousl'avons  vu,  une 
version  nouvelle  d'une  vieille  histoire,  sans  autre 
addition  que  celle  du  nom  de  Peele.  On  s'est  autorise" 
d'un  autre  conte,  en  vers  celui-la,  qui  le  repr6sente 
comme  un  ami  du  come"dien  John  Singer,  et  declare 
qu'ils  "  avaient  souvent  joue"  ensemble  a  Cambridge"; 
mais  le  poeme  date  du  rege  de  Charles  Ier,  et  ne  fait 
que  reproduire  servilement,  et  en  mauvais  vers,  une 
anecdote  des  i  Mery  Jests  and  Wily  Shifts  of  Scogin'1. 
On  a  cherch6  enfin  un  argument  a  peine  plus  valable 
dans  la  lettre  suivante,  qu'un  myste>ieux  W.  P. 
adressa  a  Alleyn,  en  1588  ou  1589  environ  : 

u  Your  answer  the  other  night  so  well  pleased  the 
gentlemen,  as  I  was  satisfied  therewith,  though  to  the 
hazarde  of  the  wager ;  and  yet  my  meaning  was  not 
to  prejudice  Peele 's  credit,  neither  would  it,  though 
it  pleased  you  so  to  excuse  it.  But  being  now  grown 
farther  in  question,  the  party  affected  to  Bentley 
scorning  to  win  the  wager  by  your  denial,  hath  now 
given  you  liberty  to  make  choice  of  any  one  play  that 
either  Bentley  or  Knell  played ;  and  lest  this  advantage 


1.  l  Mery  Jests.,  of  Scogin'  n°  2.  What  shift  Scogin  and  his 
fellows  made  when  they  lacked  money,  (public  c.  1565).  On  trouve 
une  autre  version,  plus  ancienne,  de  la  meme  anecdote  dans  un 
*  Sackfull  of  Newes'  (public  c.  1557.) 


L\  VIE  DE  PEELE  27 

agree  not  with  your  mind,  he  is  contented  both  the 
play  and  the  lime  shall  be  referred  to  the  gentlemen 
here  present.  I  see  not  how  you  can  any  way  hurt 
your  credit  by  this  action ;  for  if  you  excel  them,  you 
will  then  be  famous :  if  equal  them,  you  win  both  the 
wager  and  credit;  if  short  of  them,  we  must  and  will 
say,  Ned  Alleyn  still.  Your  friend  to  his  power.  W.  P  ". 

Le  sens  de  cette  lettre,  bien  qu'obscur,  ne  Test 
pas  assez  pour  nous  cacher  la  teneur  et  1'objet  de  la 
gageure.  Alleyn,  aux  termes  du  pari,  s'engageait  a 
e*galer  Bentley  et  Knell,  —  deux  c6lebres  acteurs 
qui  avaient  alors  cesse*  de  jouer,  —  dans  un  de  leurs 
anciens  r6les ;  mais  il  se  refusait  a  limiter  son  choix 
a  un  r6le  determine*  dans  une  piece  de'termine'e  de 
Peele;  et  c'est  du  credit  de  celui-ci  comme  auteur 
dramatique  qu'il  se  montrait  ainsi  tout  particulie- 
rement  soucieux.  Si  Peele,  d'ailleurs,  avait  jamais  6t6 
rival  d' Alleyn  sur  les  planches,  nous  aurions  plus 
«l'u in-  fois  entendu  parler  de  son  talent;  mais  les  Merits 
contemporains  sont  muets  a  cet  6gard,  et  le  seul 
document  qui  dSsigne  nettement  Peele  comme  com6- 
dien  est  un  faux  de  J.  P.  Collier  qui  le  dit,  —  en  1589 
— ,  soci6taire  de  Blackfriars  Theatre  et  co-partageant 
dans  les  b6neTices  du  dit  theatre1. 

Mais,  loin  d'avoir  jamais  • '•!•'•  aussi  florissante,  la 
situation  de  Peele  fut  toujours  pre*caire,  malgr6  le 


1.  Lire  dans  '  Lord  Ellesmere's  collection  '  le  soi-disant  docu 
ment,  date  Nov.  1589,  et  commencant  par :  *  These  are  to  certifie 
your  Right  Honble  Lordships,  etc.  '. 


28  GEORGE  PEELE 

succes  de  ses  drames.  Dfcs  1592,  Greene  le  repr^sente 
comme  u  r6duit  aux  derniers  expedients  "  (driven  to 
extreme  shifts)  de  par  la  ladrerie  des  com6diens ;  et 
le  fardeau  de  la  misere  ne  semble  dks  lors  que  s'6tre 
alourdi.  Aux  e"preuves  de  1'indigence  s'ajouterent 
bientot  celles  de  la  maladie ;  et  les  derniers  Merits  du 
poete  t6moignent  d'un  desespoir  r£sign&,  d'un  dugout 
de  la  vie  que  justifie  assez  ce  surcrolt  de  misere. 

"  I  laid  me  down,  laden  with  many  cares  ", 

e~crit-il  dans  1'  c  Honour  of  the  Garter'  (v.  7),  et  le 
17  Janvier  1595/96  il  adresse  au  "  tres  honorable  et 
digne  patron  du  Savoir,  Lord  Burleigh,  grand  tr6sorier 
d'Angleterre  "  la  lettre  de  supplication  que  nous  avons 
mentionn6e  deja: 

Salve,  Parens  Patriae,  tibi  plebs,  tibi  curia  nomen 
hoc  dedit,  hoc  dedimus  nos  tibi  nomen,  eques. 

In  these  terms,  right  honourable,  am  I  bold  to  salute 
your  Lordship,  whose  high  deserts  in  our  England 's 
great  designs  have  earned  large  praises  even  from 
Envy's  mouth.  Pardon,  great  patron  of  learning  and 
virtue,  this  rude  encounter,  in  that  I  presume  —  a 
scholar  of  so  mean  merit  —  to  present  your  wisdom 
with  this  small  manual,  by  this  simple  messenger,  my 
eldest  daughter,  and  Necessity  's  servant.  Long 
sickness  having  so  enfeebled  me  maketh  bashfulness 
almost  become  impudency.  4  Sed  quis  psittaco  suum 
^ai'pe  expedivit?  Magister  artis,  ingeniique  largitor, 
venter'.  This  subject  wherewith  I  presume  to  greet 


LA  VIE  DE  PEELE  29 

your  honour,  is  the  History  of  Troy,  in  500  verses  set 
down,  and  memorable  accidents  thereof.  Receive  it, 
noble  Senator  of  England  's  Council-house,  as  a 
scholar's  duty's  signification,  and  live  long  in  honour 
and  prosperity,  as  happy  as  Queen  Elizabeth  's 
gracious  countenance  can  make  you. 

4  Ecce  tibi  minium  magno  pro  mimere  mitto; 
esse  potest  aliquid,  te  capiente,  nihil*. 

Your  Honour's  most  bounden.  George  Peele  ". 
Cette  lettre  fut  de*couverle,  parmi  les  papiers  de 
Burleigh,  dans  un  rouleau  de  notes  sans  inte'rftt,  — 
menaces,  insultes,  satires,  ou  simples  fadaises;  et  il 
est  difficile,  dans  ces  conditions,  d'imaginer  que  la 
demande  de  Peele  fut  jamais  accueillie.  Un  secours 
de  Burleigh  n'eut  d'ailleurs  apport6  qu'un  bref  soula- 
gement  aux  souffrances  et  a  1'indigence  dans  les- 
quelles  ses  derniers  jours  s'6coulerent.  La  mort  y 
mit  bient6t  un  terme,  -  -  comme  nous  1'apprenons 
incidemment  de  Meres  dans  son  l  Palladis  Tamia' 
(1598)1;  —  mais  son  d6ces  passa  inapergu,  et  nous 
ne  pouvons  que  par  conjecture  identifier  Peele  le 
dramaturge  avec  le  George  Peele  dont  le  d6cfcs  est 
mentionn6,  dans  les  registres  de  St-James  Clerken- 
well,  le  9  Novembre  1596*. 

1.  "As  Anacreon  died  by  the  pot"  "  6crit  Meres"  so  George 
Peele  by  the  pox  " ;  mais  ces  quelques  mots  ont  plutdt  i'air  d'un 
grossier  concetto  alliteratit  que  de  Tenoned  ve>idique  d'un  fait 
exact. 

2.  St-James  Clerkenwell.  Liste  d'enterrements:  "  Nov.  91596 
George  Peele,  householder  ". 


L'OEUVRE   DE  PEELE 


Les  Merits  de  Peele  peuvent,  nous  le  verrons,  etre 
date's  avec  quelque  certitude  ;  et  nous  laisserions 
volontiers  a  un  examen  strictement  chronologique  de 
son  oauvre  le  soin  de  re>e"ler  dans  quel  sens  et  sous 
quelles  influences  se  forma  et  se  de"veloppa  son  talent. 
Une  distinction  s'impose,  pourtant,  entre  les  deux 
classes  de  productions  :  drames  et  poemes,  qui 
portent  son  nom  ou  la  trace  inde*niable  de  sa  main. 
Les  poemes  sont,  a  une  ou  deux  exceptions  pres,  des 
pieces  de  circonstance,  de  dates  fort  diff6rentes  sans 
doute,  mais  inspires  par  des  incidents  identiques  — 
processions,  tournois  et  autres  rejouissances  —  ettou- 
jours  empreintes  du  meme  caractere.  Les  drames,  par 
contre,  Merits  les  uns  pour  le  divertissement  royal, 
les  autres  pour  la  scene  populaire,  pr6sentent  dans 
leurs  structure,  motifs,  style  et  versification  assez  de 
varie~t6  pour  encourager  1'hypothese  d'une  Evolution. 
D'une  elude  d6taill6e  de  chaque  piece  depend  le 
succ&s  de  nos  efforts  pour  degager  et  mettre  au  point 


L'CEUVRE  DE  PEELE  31 

cette  hypothfese;  les  pofcmes,  —  en  raison  m&me  de 
leur  uniformity,  —  ne  font  que  dissiper  <$  et  \h 
I'obscuritS  de  quelque  point  secondaire ;  et  nous  nous 
sentons  justifies  k  en  reporter  1'analyse  et  la  discussion 
aprfcs  examen  des  oeuvres  dramatiques  de  notre 
auteur :  T  4  Arraignment  of  Paris  '  et  le  fragmentaire 
4  Hunting  of  Cupid ',  la  l  Battle  of  Alcazar '  et 
4  Edward  I',  1'  4  Old  Wives  Tale*  et,  enfin  4  David 
and  Bethsabe*. 


LA   MISE    EN    JUGEMENT    DE    PARIS* 


L*  4  Arraignment  of  Paris'  est  la  plus  ancienne  de 
ces  pieces,  la  premiere  &  1'impression  comme  h  la 
scfene.  Elle  fut  publtee  en  1584  par  Henry  Marsh, 
sans  nom  d'auteur.  Mais  le  secret  de  1'anonyme  nous 
est  r6v6l6  dfes  1589  par  Nashe,  dans  la  preface  qu'il 
6crit  pour  le  4Menaphon'  de  Greene:  l4  Neither  is 
[Master  Spenser]  the  only  swallow  of  our  summer'* 
dit-il  4<and  Peele's  first  increase,  the  Arraignment 
of  Paris,  might  plead  to  your  opinions  his  pregnant 
dexterity  of  wit  and  manifold  variety  of  invention, 
wherein  (me  judice)  he  goeth  a  step  beyond  all  the 
rest ".  Et  nos  derniers  doutes  sont  dissipSs  par  rattri- 
bution  £  George  Peele  dans  l  England's  Helicon  * 
(1600)  de  deux  extraits  de  T  4  Arraignment',  —  le 
madrigal  de  Colin  (A.  iii.  Sc  I.  v.  1  sqq)  et  la  com- 
plainte  d'OEnone  (A.  iii.  Sc  I.  v.  74  sqq.) 


32  GEORGE  PEELE 

La  representation  de  la  piece  fut,  sans  nul  doute, 
ante>ieure  de  quelques  anne"es  a  sa  publication.  *  La 
Mise  en  Jugement  de  Paris '  appartenait,  si  nous  en 
croyons  le  titre  du  quarto,  aux  "  enfants  de  la  Cha- 
pelle  royale" ;  et  quelques  vers  du  dernier  acte  nous 
apprennent  qu'elle  fut  jouee  le  soir  m6me  d'une  nou- 
velle  annexe,  c'est-a-dire,  au  temps  du  calendrier 
julien,  un  dimanche  Gras : 

The  usual  time  is  nigh, 
when  wont  the  Dames  of  Life  and  Destiny, 
in  robes  of  cheerful  colours,  to  repair 
to  this  renowned  quen  so  wise  and  fair, 
with  pleasant  songs  this  peerless  nymph  to  greet 

(V.  i.  v.  113  sqq.) 

Or  les  enfants  de  la  Chapelle  Royale,  nous  le 
savons  par  ailleurs,  parurent  pour  la  derm'ere  fois  a 
la  cour  en  Aout  1582  (St.  Stephen's  day).  C'est  done 
avant  cette  date  que  F  ;  Arraignment  of  Paris '  dut 
etre  jou£,  et  quelques  critiques  ont  cru  retrouver  la 
trace  de  sa  representation  dans  cette  minute  des 
•Accounts  of  the  Revels'  (1581). 


The  children  of 


the  Queenes  majs- 
tics  Chappell 


A  storie  of  enacted  on  Shro- 

vesondaie  night  wherin  was  ymployed 
xvij  newe  sutes  of  apparell,  ij  new 
hates  of  velvet  xxtle  Ells  of  single  sar 
cenet  for  facinges  bandes  scarfes  & 
girdles,  one  citty.  one  pallace  and 
xviij  paire  of  gloves. 


Mais  les  decors  6nume>6s  dans  ces  quelques  lignes 
respondent  mal  aux  besoins  de  notre  pastorale,  et 


L'OEUVRE  DE  PEELE  33 

Tappellation  la  storie  of  serable,  en  outre,  assez 
inadequate.  Nous  pr6fe"rons  croire  que  T  *  Arrai 
gnment*  est  Tun  des  "  divertissements  "  ainsi  men- 
tionn£s  dans  la  liste  de  payements  (Nov.  1581. 
Oct.  1582): 

41  Declaration  of  the  Chardges...  for  Vplayes,  twoe 
maskes  and  one  fighting  at  Barriers  with  diverse 
Devices  showed  before  her  Majestic...  with  other 
ordinary  Chardges...  (beginning)  the  first  day  of 
November  1581  and  endinge  the  last  day  of  Octo 
ber  1582"; 

et  notre  croyance  s'affermit  lorsque  nous  voyons 
figurer  dans  ces  comptes  un  achat  de  "  fleurs,  fruits 
et  branchages",  —  accessoires  qui  nous  rappellent 
ine'vitablement  les  attributs  de  Flore,  Pomone  et 
Sylvain  dans  notre  piece. 

Mars  1 582  semble  ainsi ,  plut6t  que  Mars  1 581 ,  la  date 
vraisemblable  de  la  representation.  Quoi  qu'ilen  soit, 
d'ailleurs,  la  l  Mise  en  Jugement  de  Paris '  n'en  reste 
pas  moins  la  premiere  oeuvre  de  longue  haleine  d'un 
jeune  poete  de  quelque  vingt  ans;  et,  si  l'6le*gante 
composition  plie  sous  les  eloges  trop  pesants  de 
Nashe,  il  fautadmettre  qu'elle  t6moigne,  —  en  d6pit 
dequelquesde*fauts,  — d'une  maturity  degout,etd'un 
sens  d6ja  fort  averti  des  choses  du  theatre.  Fort 
heureuse  est  la  comparaison  qu'en  fait  Bullen  a  un 
jardin  d'autrefois,  curieusement  dessin^,  et  tout  par6 
des  dons  de  T6t6 ;  et  nous  craignons  seulement  que 
notre  analyse  ne  soit  aussi  impuissante  a  en  conserver 

GHKFFAUD.  3 


34  GEORGE  PEELE 

le  charme  qirun  plan  de  ce  vieux  jardin  a  e>oquer, 
avec  quelques  lignes  noires  et  quelques  taches 
d'encre,  la  couleur  des  plates-bandes  diapre~es  et  la 
grace  des  fleurs  fralches  ^closes. 

Apres  un  prologue  ou  la  deesse  a  la  pomme,  — 
At6,  —  prMit  en  vers  farouches  la  Iragique  destine~e 
de  Paris  et  de  sa  race,  les  dieux  rustiques  de  Flda: 
Pan,  Sylvain  et  Faune  apparaissent,  courbe's  sous  le 
poids  des  presents  qu'ils  destinent,  comme  marque 
de  bienvenue,  a  Junon  et  a  ses  compagnes.  Pomone 
les  rejoint,  les  bras  charge's  de  fruits  odorants,  tout 
dor6s  de  soleil;  et  Flore  seme  de  fleurs  les  prairies 
humides  de  rose"e.  Bientot  les  chants  des  neuf  Muses 
et  un  joyeux  choeur  d'oiseaux  annoncent  1'approche 
des  trois  deesses.  Elles  arrivent,  guid6es  par  Rhanis, 
consentent  aimablement  a  recevoir  les  dons  des  divi- 
nite"s  champetres,  et  reprennent  leur  route  vers  les 
pelouses  e'toile'es  de  fleurs  de  Diane  chasseresse.  — 
Dans  un  bosquet  voisin,  Paris  et  OEnone  echangent 
de  fragiles  serments  d'e'ternel  amour,  et  OEnone 
murmure  sa  joie  et  ses  craintes  en  une  melancolique 
chanson  qu'accompagne  doucement  Paris  sur  ses 
pipeaux  enduits  de  cire. 

Un  soudain  orage  a,  cependant,  forc6  les  dresses 
a  chercher  abri  sous  quelques  chenes  touffus,  et,  a  la 
faveur  des  te~nebres,  At6  fait  rouler  a  leurs  pieds  la 
pomme  d'ordont  1'inscription  fatale  6tincelle:  u  Detur 
pulcherriniffi".  Pallas,  V6nus,  et  la  Reine  des  Dieux 
revendiquent  sur  1'heure  le  prixde  la  beaut6,  et,  inca- 


L'OEUVRE  DE  PEELE  35 

pables  de  r£gler  a  Tamiable  leur  difFe"rend,  s'accordent 
pour  en  remettre  1'arbitrage  au  premier  homme  que 
leur  fera  rencontrer  le  hasard.  —  C'est  P&ris  que, 
pour  son  malheur,  le  destin  conduit  en  ce  lieu.  Con- 
fondu  tout  d'abord,  et  effraye*,  il  tente  de  d6clinerla 
l<\che;  mais  les  dresses  le  pressent  et  le  supplient, 
et,  quand  enfin  il  cede,  s'efforQent  par  des  presents 
d'influer  sur  sa  decision.  Junon  lui  promet  pouvoir  et 
richesses,  et  fait  crottre  h.  ses  yeux  un  arbre  d'or  tout 
couvert  de  couronnes  et  de  diademes.  Pallas  s'efforce 
d'exciter  en  son  £me  le  d6sir  dela  gloire  par  un  de"fil6 
de  chevaliers  aux  armes  e"tincelantes,  qui  caracolent 
devant  lui  au  son  aigu  des  fifres.  Mais  V6nus,  enfin, 
6voque  HSlene  dans  toute  sa  beaut^,  e*vent6e  par  de 
roses  Amours,  et  P&ris,  vaincu,  tend  h  laCyth6reenne 
le  fruit  convoke",  tandis  que  ses  rivales  s'e"loignent, 
menaQantes  et  courrouce*es. 

Le  malheur  s'est  maintenant  abattu  sur  les  vallons 
paisibles  de  1'Ida.  Colin  chante  et  deplore  son  amour 
sans  retour  pour  Thestylis,  et  s'en  va  mourir  aux 
pieds  d'Aphrodite ;  ses  compagnons  en  bergerie, 
Hobbinol  et  Diggon,  denoncent  a  Tenvi  la  funeste 
passion,  etleurs  maledictions  sont  trop  tot  justifies 
par  Tapparition  d'OEnone,  d6laiss6e  et  g6missante. 
Les  lamentations  et  les  pleurs  dont  elle  remplit  les 
bois  sont  entendus.  Us  sont  entendus  par  Mercure, 
que  Jupiter  envoie,  h.  la  requ&te  de  Junon,  pour  citer 
Paris  devant  la  Haute-Cour  d'Olympe.  De  1'incon- 
solable  nymphe  le  dieu  au  caduc6e  apprend  oil 


36  GEORGE  PEELE 

d^couvrir  le  berger,  et  dirige  ses  pas  vers  les  plaines 
d'Aurore,  vers  le  lieu  ou  Paris  passe  d'oisives  heures 
a  la  cour  m£me  de  V6nus.  —  V6nus,  en  effet,  daigne 
lui  t6moigner  sa  faveur,  et  badiner  avec  lui  tandis 
qu'elle  6coute  les  plaintes  des  bergers  de  1'Ida  et  leur 
promet  de  venger  la  mort  de  Colin  sur  Tinhumaine 
Thestylis.  Promesse,  d'ailleurs,  aussitot  tenue  que 
faite  I  Devant  le  cercueil  du  pastoureau,  un  rustre 
tortu  et  contrefait  passe  lentement,  courtis6  par 
rinfortune'e  Thestylis,  mais  insensible  a  sa  beaut6  et 
a  ses  larmes.  Ce  spectacle  met  un  grain  de  tristesse 
dans  Tame  de  Paris,  et  son  trouble  s'accrolt  quand 
Mercure  lui  annonce  la  volont6  des  Dieux  et  ne 
consent  a  le  laisser  libre  qu'a  la  priere  expresse  de 
V6nus. 

Le  jour  de  jugement  et  d'expiation  est  bientftt 
venu,  et  les  dieux  s'assemblent  dans  le  bosquet  de 
Diane.  Paris,  conduit  par  Venus,  apparalt  devant  Zeus 
etles  Olympiens;  e"coute,  impassible,  1'accusation  de 
partiality  ported  contre  lui;  nie  hardiment  la  faute, 
et,  par  unelongue  et  61oquente  plaidoirie,  arrache  un 
acquittement  a  ses  juges.  Les  plaignantes  main- 
tenant  toutefois  leur  appel,  1'affaire  nepeutque  suivre 
son  cours  ;  et  c'est  aux  dieux  qu'6choit  la  charge  de 
prononcer  le  d6licat  verdict.  Jupiter,  partag6  entre 
son  d6sir  d'etre  juste  et  sa  crainte  de  Junon,  reste 
irr^solu  et  perplexe;  Saturne,  Vulcain,  et  les  autres 
partagent  son  embarras  et  son  anxi6t6 ;  et  Fauguste 
ar6opage  se  r6sout  enfin  a  renvoyer  le  jugement  a 


L'CEUVRE  DE  PEELE  37 

Diane  seule,  sous  le  pr^texte,  assez  sp^cieux,  que  la 
pomme  de  Discorde  fut  jet6e  et  trouv6e  sur  1'herbe 
grasse  de  ses  bocages. 

Prudemment  la  divine  chasseresse  lie  les  trois 
rivales  par  les  plus  solennels  serments,  resume  les 
fails,  Inonce  les  conside>ants,  et  tranche  brusque- 
ment  la  difficult^  en  d^cernant  le  fruit  d'or  a  la  chaste 
nymphe  Elisabeth,  dont  la  beaut£  6gale  la  majest6 
etla  sagesse.  Pallas,  Venus,  et  Junon  m6me,  different 
allegrement  a  sa  decision ;  toutrOlympe  se  r^concilie 
pour  applaudir  a  Theureux  choix,  et  les  farouches 
Parques  elles-m&mes  viennent  d^poser  aux  pieds  de 
la  reine  leur  quenouille,  leur  rouet  et  leurs  ciseaux 
funestes. 

Une  aussi  seche  analyse  ne  saurait  rendre  justice 
a  la  grace  harmonieuse  de  la  piece ;  mais  elle  suffit 
tout  au  moins  a  montrer  sur  quelles  donn^es  elle  est 
construite.  Lal^gende  familiere  de  Paris,  habilement 
transform6e  pour  la  plus  grande  gloire  d'Elisabeth, 
en  forme  naturellement  le  cadre;  et  dans  ce  cadre 
le  poete  a  introduit  l'6pisode,  purement  pastoral 
et  idyllique,  de  Tinfortung  Colin  et  de  Thestylis  la 
cruelle. 

Nous  avons  ainsi  deux  actions,  d'importance  in6- 
gale,  adroitement  combiners,  mais  assez  aisSment 
dissociables,  et  dont  les  sources  sont  parfaitement 
distinctes.  De  Tintrigue  principale  il  est  facile  de 
retracer  Forigine  classique  dans  les  H6roides  d'Ovide 
(5,  16,  et  17);  et  Ton  peut  avancer  mainte  preuve 


38  GEORGE  PEELE 

(Time  constante,  etparfois  fort  6troite,  imitation.  Ce 
vers,  par  ex. : 

I  '11  fill  the  woods  with  my  laments  for  thy  unhappy  deed 

(iii.  1.52). 

ne  rappelle-t-il  pas  imm6diatement  Fhexametre  latin : 
Implevique  sacram  querulis  ululatibus  Idam  (V.  v.  53)? 
Les  mots  d'Hobbinol: 

Farewell,  fair  maid,  sith  he  must  heal  alone  that  gave  the  wound; 
there  grows  no  herb  of  such  effect  on  Dame  Nature 's  ground. 

(iii.  i.  66  sq.) 

ne  sonnent-ils  pas  comme  un  6cho  d'Ovide : 

Me  miseram,  quos  amornon  est  medicabilis  herbis  (V.  v.  149). 

ou  encore : 

Quod  neque  graminibus  tellus  fecunda  creandis 
nee  deus,  auxilium  tu  mihi  ferre  potes  (V.  v.  153-4)? 

Enfin     la    pointe    gracieusement    melancolique 
d'OEnone : 

Beguiled,  disdained,  and  out  of  love!  Livelong,  thou  poplar  tree 
and  let  thy  letters  grow  in  length,  to  witness  this  with  me. 

(iii.  1.43  sq.) 

et,  en  fait,  toutes  les  allusions  aux  serments  de  P&ris 
et  au  peuplier  ne  sont-elles  pas  directement  tiroes  de 
la  5e  Epitre?1  Peele,  d'ailleurs,  semble  aussi  familier 
avee  les  traductions  qu'avec  le  texte  m^me  d'Ovide, 
et  Dyce  a  relev6,  dans  le  catalogue  de  16gendes 

1.  Ovide.  Hero'ides.  V.  v.  21  et  suivants. 


L'CEUVRE  DE  PEELE  39 

qu'OEnone  dresse  (A  i.  Sc.  2.  17  sqq.)  d'evidentes 
reminiscences  de  la  dedicace  ecrite  par  Golding  pour 
sa  paraphrase  des  Metamorphoses1.  Mais  il  reste 
encore  a  remarquer  que  le  dramaturge  a  emprunte 
quelques  traits  h  Tun  des  dialogues  de  Lucien,  le 
0ewv  xpt'di;* ;  qu'il  doit  trfes  prohablement  Tid6e  des 
fastueux  tableaux  du  second  acte  a  1'Ane  d'Or  d'Apu- 
lee8, —  livre  auquel  il  aura  de  nouveau  recours  dans 
4  Old  Wivfcs  Tale ' ;  —  et  qu'enfin  les  descriptions 
detaill6es  des  attributs  de  Junon,  Minerve  et  Venus 
reposent  evidemment  sur  Tun  ou  Faulre  des  mytho- 
graphes  Albricius,  Phornutus  ou  Fulgentius,  dont  les 
ffiuvres  etaient  ordinairement  reunies  sous  une  mftme 
reliure  dans  les  editions  du  xvi'  sifecle4. 

Ni  les  aimables  epltres  d'Ovide,  pourtant,  ni  les 
dialogues  mi-sceptiques  de  Lucien,  ni  aucun  livre  de 
reference  myihologique  n'expliquent  les  changements 
apportes  par  Peele  a  la  version  habituelle  de  la  16- 
gende;  et  Ton  fait  generalement  credit  au  pofete  de 

1.  V.  le  rapprochement  fait  par  Dyce  (e"d.  1861.  p.  354  n.  6) 
entre  1'Arraignment  of  Paris  (I.  2.  29  sqq)  et  quelques  vers  de 
Golding. 

2.  Comparez,  e.  g. :  *  Arraignment  of  [Paris  ii.  i.   100-101  et 
Lucien  (ed.  Fritzsche.  Lips.  1829)  xx.  §1.  1.  3-6  ou  'Arraignment 
of  Paris  iii.  1. 125-130  et  Lucien  (id.)  xx.  §  7  1. 12  et  suivantes. 

3.  Lire  toute  la  description  de  la  pantomime  de  Paris  au  10*  livre 
d'Apule~e,  mais  surtout  le  passage  commencant  par  "  Jam  singulas 
virgines...  "(L.  Apuleii  Metamorphoseon  sive  de  Asino  Aureo  liber 
decimus,  cap.  xxxi  etc.) 

4.  J'ai  sous  les  yeux  une  Edition  dat6e  de  1570  qui  renferme : 
C.  Julii  Hygini  fabularum  liber;  Palaephati  de  fabulosis  narratio- 
nibus  liber;  F.  Fulgentii  Mythologiarum  libri  in ;  Phornuti  de 
natura  deorum  speculatio ;  Albricii  de  deorum  imaginibus  liber ; 
etc.  Basileae.  ex  ofiicina  Hervagiana  NDLXX  ". 


40  GEORGE  PEELE 

ring6nieuse  flatterie  du  denouement.  Mr.  Schelling 
imagine,  cependant,  en  decouvrir  Foriginal  dans 
1'oeuvre  de  Gascoigne.  Le  germe  de  1'adroite  adaptation 
du  vieux  conte  a  de  nouvelles  fins  se  trouve,  d'apr&s 
lui,  dans  ces  quelques  lignes  d'un  poeme  satirique, 
4  the  Grief  of  Joy ',  de~die"  a  la  reine  en  1577  : 

This  is  the  Queen  whose  only  looks  subdued 
her  proudest  foes  withouten  spear  or  shield ; 
this  is  the  Queen  whom  never  eye  yet  view  'd 
but  straight  the  heart  was  forced  thereby  to  yield. 
This  Queen  it  is  who,  had  she  sat  on  field, 
when  Paris  judged  that  Venus  bare  the  bell, 
the  prize  were  hers,  for  she  deserved  it  well. 

Mais  le  poeme,  de  la  confession  meme  de  Schelling7 
ne  fut  jamais  imprime7  jusqu'a  nos  jours ;  et  il  est 
difficile  d'admettre  avec  lui  qu'il  put  etre,  —  en  tout 
ou  partie,  —  re~cite  a  Peele  par  quelque  courtisan  a 
la  memoire  fidele  et  tenace.  Une  hypothese  qui 
s'appuie  elle-meme  sur  des  conjectures  est  a  peine 
digne  de  consideration;  et  1'argument  de  Schelling  se 
re~duit  au  seul  fait  que  dans  les  vers  de  Gascoigne 
comme  dans  Y  '  Arraignment '  Elisabeth  se  trouve 
libe~ralement  dot6e  de  toute  la  beaute",  sagesse  et 
majeste"  des  Olympiennes.  La  similitude  de  theme  a, 
sans  doute,  son  inte>et,  mais  si  nous  de~couvrons  le 
me"me  motif  aussi,  sinon  plus,  explicitement  d6velopp6 
dans  un  ouvrage  imprim6,  universellement  connu,  et 
public  deux  ou  trois  ans  seulement  avant  la  piece  de 
Peele,  n'y  aura-t-il  pas  une  presomption,  une  quasi- 
certitude,  que  la  se  trouve  Toriginal  que  nous  cher- 


L'CEUVRE  DE  PEELE  41 

chons?  Or,  c'est  precisSment  le  cas  du  pofcme  latin 
qui  termine  la  deuxifcme  partie  de  l'4Euphues',  et 
conclut  un  panSgyrique  de  1'Angleterre,  dontle  pen 
dant  se  lit  au  5*  acte  de  notre  pastorale1.  II  semble 
inutile  de  chercher  ailleurs  le  prototype  des  flatteries 
de  Peele,  et  nous  pouvons  passer  sans  d61ai  a  la 
discussion  de  I'inlrigue  secondaire. 

Le  1 1 1 1  •  1 1 1 « •  de  cette  intrigue  est  6videmment empruntS 
au  c Shepherd's  Calendar'  de  Spenser  et  en  est, 
somme  toute,  si  consciencieusement  adapts  que  1'argu- 
ment  de  la  premifcre  £glogue  en  forme  le  sommaire 
le  plus  exact:  "  Colin,  a  shepherd's  boy,  complaineth 
him  of  his  unfortunate  love,...  with  which  affection 
being  very  sore  travailed  and  finding  himself  robbed 
of  former  pleasance  and  delights,  he  casteth  himself 
on  the  ground  and  [eftsoons  dieth] ".  Peele,  du  reste, 
ne  pretend  nullement  cacher  cette  dette ;  il  conserve, 
au  contraire,  comme  une  sorte  d'hommage,  les  noms 


1.  "  Pallas,  Juno,  Venal,  cum  nympham  nomine  plenam  "  Jupiter.  Elizabeth  vestras  li  venit  ad  anres, 

tpecurunt.  "  nostra  baec"  quteque  triumphal  "  erit ".  (quam  certe  omnino  coelica  tarba  stupent) 

Contendum  avide:  ale  tandem  regia  Juno,  bane  propham.  et  memo  temper  volt  ease  monarcbam 

"  Eat  mea,  de  magnis  itemma  pelivit  avis",  qiueque  suam,  namque  est  pulcbra.  diserta,  potens. 

"Hoc  leve,    (nee   aperno   tantorum    insignia   patram):  Quod  pulchra  esl.  Veneris,  quod  polleat  arte,  Minervaa, 

ingenio  pollet ;  dot  mea  "  Pallas  ait.  quod  princeps,  Nympham  quid  negetesse  meam  1 

Dolce  Venus  risit,  rultusque  in  lumina  fiiit.  Arbiter  istius,  modo  vis,  certain inis  esto, 

"  Haec  mea  "  dixit  erit,  namquod  ametur  habet.  sin  minus,  est  nullum  lis  habitura  modom". 

Judicio  Paridis,  com  sit  pralata  venustas,  Obstupet  Omnipotent  "  durum  est  quod  poscitis"  inquit, 

ingeniom  Pallas  1  Juno  quid  orget  avos  f  ".  est  tamen  arbitrio  res  peragenda  meo. 

Hoc  Venus :  impatiens  veleris  Saturnia  damni,  Tn  soror  et  conjux  Juno,  filia  Pallas, 

"  Arbiter  in  coelis  non  Paris"  inquit"  erit".  es  quoque,  quid  simulem?  ter  mini  can  Venus. 

Intomuit    Pallia  nunquam   passura    priorem.  Non  tua,  da  veniam.  Juno,  nee  Palladia  ilia  est, 

"  Priamides  Helenem  -  dixit  "  aduller  amet  ".  nee  Veneris.  credat  hoc  licet  alma  Venus. 

Risit.  et  erubuit,  mizto  Cytherea  colore,  Haec  Juno,  baec  Pallas,  Venus  baec,  et  quaeque  Dear  urn, 

"  Judicinm  "  dixit  "  Jupiter  ipse  feral".  divisum  Elizabeth  cum  Jove  numen  babel. 

Aasensere,  Jovem  compellanl  vocibus   ullro  :  Ergo  quid  obstrepitis  t  frustra  contendilis  "  inquit, 

incipft  affari  regia  Juno  Jorem.  "  ultima  TOX  haec  est,  Eliiabelba  mea  eat ". 

Enphues 

Es  Jovis  Elizabeth,  nee  quid  Jove  majus  habendum, 
et,  Jove  teste,  Jovi  es  Juno,  Minerva,  Venus. 

(Euphoes  &  his  England,  Ed.  Bond,  ii  216.) 


42  GEORGE  PEELE 

memes  des  bergers  de  Spenser :  Colin,  Diggon, 
Hobbinol  et  Thenot.  Maint  passage  porte  en  outre  les 
marques  de  Timpression  profonde  que  le  Calendar 
avait  faite  sur  son  esprit.  Dans  le  premier  et  le  troi- 
sieme  actes  on  entend  l'6cho,  faible,  mais  distinct, 
des  poemes  de  Spenser,  et  les  motifs  qui  y  sont  trailed, 
sinon  les  mots  qui  les  expriment,  t6moignent  d'une 
elude  approfondie  des  e"glogues.  Lajoyeuse  reception 
des  trois  dresses,  avec  les  chants  des  d6H6s  champ£- 
tres,  les  hymnes  des  Muses  avec  leur  6cho  d'oiseaux 
gazouilleurs,  rappellent  a  la  m^moire  les  vers  spen- 
se>iens : 

I  see  Calliope  speed  her  to  the  place 

where  my  goddess  shines ; 
and  after  her  the  other  Muses  trace 

with  their  violins. 
Bene  they  bay  branches  that  they  do  wear, 

all  for  Eliza  in  her  hand  to  wear? 

So  sweetly  they  play 

and  sing  all  the  way 
that  it  a  heaven  is  to  hear.  (April  100  sqq.) 

ou  encore : 

And  [tho]  the  birds,  which  in  the  lower  spring 

did  shroud  in  shady  leaves  from  sunny  rays, 

frame  to  thy  song  their  cheerful  chirruping,  (June.  53  sqq). 

tandis  qu'un  vers  du  chant  latin  des  Parques,  au 
5e  acte,  paralt  tir6  de  cette  glose  d'E,  K.  sur  la  U e  6glo- 
gue :  "  The  fatal  sisters,  Clotho,  Lachesis  and  Atropos, 
daughters  of  Erebus  and  the  night,  whom  the  poets 
feign  to  spin  the  life  of  man...  Hereof  cometh  the 


1 


L'OEUVRE  DE  PEELE  43 

common   verse :  l  Clotho  colum  bajulat,   Lachesis 
trahit,  Atropos  occat'.  " 

L'6l6ment  rustique,  ainsi  doming  par  1'influence  de 
Spenser,  se  re*duit  sans  doute  a  la  plus  grande  partie 
du  3*  acte;  mais  1'atmosphere  pastorale  se  glisse  et 
s'insinue  doucement  dans  toutes  les  parties  de 
T  '  Arraignment'.  La  piece  se  pare  de  tous  les  orne- 
ii  it'ii  I  -  habituels  de  la  tradition  bucolique ;  nous  avons 
la  chanson  d'amour  dans  le  l  Lover's  Curse'  (i.  2. 
55  sqq),  la  m6lop6e  dans  la  complainte  d'QEnone 
(iii.  1.  74  sqq.),  et  cette  delicate  babiole  consacr6e 
par  le  temps,  —  le  poeme  a  6cho  — ,  dans  le  lai  de 
Thestylis  (iii.  2.  57  sqq.),  auquel  Peele  Iui-m6me 
ajoute  ing&ument  cette  note:  "  the  grace  of  this 
song  is  in  the  Shepherds'  echo  to  her  verse".  Les 
demi-dieux  de  1'Ida,  qui  plus  est,  different  bien  peu 
des  bergers  du  commun;  et  les  ameres  plaisanteries 
qu'6changent  Pan  et  Faune  au  d6but  de  la  piece  ne 
sont  qu'une  forme  de  la  traditionnelle  lutte  du  patre 
et  du  forestier1.  L'impudente  or^ade  du  quatrieme 
acte  appartient  a  un  type  pastoral  reconnu :  celui  de 
la  nymphe  indiffe>ente  et  froide,  vou6e  au  service  de 
Diane  et  a  une  implacable  chastet6.  Enfin  Faction 
principale  n'esl,  apres  tout,  que  1'histoire  des  amours 
du  berger  Paris  et  d'QEnone,  la  nymphe  rustique  de 
Tlda ;  et  Peele  lui-m&me  reconnalt  le  caractere  r6el 


1.  Cette  lutte  poStique  trouve  son  expression  la  plus  eMSgante, 
et  la  moins  amene,  dans  la  *  Maid 's  Metamorphosis',  dans  la  scene 
entre  Silvio  et  Gremio. 


44  GEORGE  PEELE 

de  sa  pifcce  en  la  nommant,  en  premiere  page  du 
quarto,  u  a  pastoral ". 

Mais  cette  appellation  est  contestee  par  Mr.  Homer 
Smith  dans  un  article  de  la  c  Modern  Language 
Association  Review',  et  par  Mr.  Greg  dans  une  6tude 
plus  approfondie  sur  la  pastorale  en  poSsie  et  au 
theatre.  Mr.  Greg,  en  particulier,  persiste  a  voir  dans 
la  '  Mise  en  Jugement  de  Paris '  ce  qu'il  nomme  une 
u  pi&ce  mythologique  " ;  et  la  question  qu'il  soulfcve 
ainsi  ne  proc&de  pas,  comme  on  serait  tent6  de  le 
croire,  d'un  pur  desir  acad^mique  de  classification. 
Le  changement  de  nom  qu'il  propose  se  rattache  aux 
idees  directrices  de  son  ouvrage  et  a  la  conception 
qu'il  se  fait  de  Involution  du  drame  pastoral  anglais. 
A  ses  yeux,  la  pifcce  de  Peele,  etavec  elle  une  ou  deux 
pieces  de  Lyly:  'Gallathea'  and  ;  Love's  Metamor 
phosis  ',  sont  essentiellement  mythologiques  et  ne 
renferment  qu'accidentellement  des  616ments  buco- 
liques.  Elles  constituent  une  classe  a  part,  et  prScfc- 
dent  la  naissance  du  drame  pastoral  proprement  dit, 
—  naissance  due,  d'aprfcs  lui,  a  une  imitation  con- 
sciente  et  avou6e  de  certains  modeles  italiens1.  Cette 
th^orie  soul&ve,  toutefois,  d'assez  graves  difficult^s. 
Elle  amfcne  a  concevoir  un  type  pur  et  abstrait,  avec 
lequel  ne  cadre  qu'un  fort  petit  nombre  de  pieces,  — 
trois  seulement,  en  fait :  la  4  Faithful  Shepherdess ' 
de  Fletcher,  le  '  Sad  Shepherd'  de  Jonson,  1' l  Amyn- 

1.  L"  Aminta '  du  Tasse  et  le  *  Pastor  Fido  '  de  Guarini. 


L'CEUVRE  DE  PEELE 

tas '  de  Thomas  Randolph,  —  et  oblige  a  ne  voir  dans 
toutes  les  autres  qu'une  longue  s6rie  d'experiences 
incoherentes.  Elle  passe  sous  silence  la  presence 
d'eiements  mythologiques  dans  la  plupart  des  pieces 
du  genre1,  et  ecboue  enfin  dans  tout  effort  pour  suivre, 
dans  Thistoire  de  ce  genre,  la  marche  continue  de 
Involution.  L'examen  des  fails  aboutit  a  une  hypo- 
these  assez  differente  de  celle  que  formule  Mr.  Greg. 
Le  drame  pastoral,  nous  le  croyons,  naquit  d'une 
transformation  graduelle  du  poeme  bucolique  pr6- 
existant ;  et  la  4  iMise  en  Jugement  de  Paris '  nous  offre 
un  exemple  caracteristique  du  processus.  Nous  avons 
vu  a  quel  point  Peele  est  endelte  aux  6glogues  spens6- 
riennes,  et  comment  il  porte  &  la  scene  un  theme  deja 
traite  dans  le  *  Calendar  '.  Si  nous  remarquons  en 
outre  1'union  etroite  des  conventions  mythologiques 
et  pastorales  dans  les  poemes  mernes  de  Spenser,  leurs 
constantes  allusions  aux  divinites,  h6ros  et  legendes 
helieniques,  nous  rejetterons  sans  hesiter  toute  con 
jecture  qui  presuppose  un  disaccord  entre  les  deux 
Elements,  et  nous  conside"rerons  la  piece  de  Peele 
comme  le  premier  anneau  de  la  longue  chalne  d'evo- 
lution  qui  unit  les  eglogues  de  Spenser  aux  efforts 

1.  Dans  la  'Maid's  Metamorphosis'  (4599)  1'am our  d'Apollon 
pour  Eurymene  forme  un  theme  complaisammentdeveloppe" ;  les 
Muses  et  les  Graces  y  jouent  en  outre  un  r6le  de  re'elle  importance, 
bien  qu'accessoire.  Dans  la  '  Careless  Shepherdess '  de  Thomas 
Goffe  (4629)  nous  retrouvons  Apollon,  les  Sibylles  et  le  culte  de 
Pan.  Dans  *  Rhodon  and  Iris '  de  Ralph  Knevet  le  denouement  ne 
pourrait  etre  amende  sans  Taide  aimable  de  Flore,  et  enfin  dans 
la  pastorale  de  '  Florimene'  (4635)  c'est  Diane  qui  denoue  Tenche- 
v^trement  de  multiples  affaires  d'amour. 


46  GEORGE  PEELE 

post6rieurs  des  dramaturges  pour  trailer,  more  pasto- 
rali,  de  la  vie  simple  et  de  1'amour  id6al. 

L'importance  de  1' l  Arraignment'  est  certainement 
accrue  par  sa  date  meme,  par  sa  position  dans 
1'histoire  du  genre,  et  il  etait  utile,  de  ce  fait,  d'in- 
sister  sur  ses  relations  aux  autres  compositions  de  son 
espece;  mais  il  nous  faut  maintenant  tourner  notre 
attention  vers  quelques  aspects  de  la  piece  elle-m6me. 
Si  nous  consentons  pour  un  moment  a  la  traiter 
comme  un  compos6  chimique  et  a  la  require  a  ses 
parties  constituantes,  les  elements  que  nous  d6cou- 
vrons  se  ramenent  a  trois :  l'ele"ment  arcadien  avec 
ses  patres  et  ses  bergeres ;  Ferment  mythologique 
avec  ses  dieux,  deesses  et  demi-dieux;  et  I'6l6ment 
courtisanesque,  introduit  au  5e  acte  seulement, 
lorsque  Diane,  s'avangant  majestueusement  vers  le 
trdne,  u  delivrelapommed'orauxmainsdelaReine". 
Mais  Tint^r&t  de  cette  dissociation  n'est  que  de  rendre 
plus  6vidente  Fhabilet^  de  Peele  a  combiner  les 
divers  elements  pour  en  former  un  tout.  L'analyse  de 
la  piece  nous  a  de"ja  montr6  avec  quelle  aisance  il 
modifie  la  legende  connue  pour  servir  les  fins  parti- 
culieres  d'un  divertissement  de  cour.  II  nous  faut 
ajouter  maintenant  que  le  theme  6tait  judicieusement 
choisi  pour  former  un  cadre  appropri6  a  maintpoeme 
gracieux,  mainte  Elegante  chanson,  et  que  Peele  a  su 
tirer  tout  le  parti  possible  de  son  sujet.  La  joyeuse 
ronde  des  dieux  rustiques,  Fallemande  guerriere  des 
neuf  chevaliers,  d'une  part ;  le  noble  chceur  des  Muses, 


L'OEUVRE  DE  PEELE  47 

le  chant  de  bienvenue  de  Pan,  le  duo  d'OEnone  et  de 
P&ris,  les  couplets  amoureux  de  Colin  et  la  m61op6e 
des  bergers,  de  Fautre,  sont  autant  de  fleurs  que 
Peele  a  brode"es  sur  le  canevas  us6  du  vieux  mythe, 
en  couleurs  harmonieusement  assorties.  L'art  de 
Tauteur  se  fait  plus  visible  encore  dans  le  soin 
qu'il  apporte  £  tresser  et  entrelacer  les  deux  fils 
brillants  de  son  action.  Par  un  balancement  sym6- 
trique  des  deux  groupes  de  personnages  princi- 
paux,  —  Colin  et  Tbestylis;  Paris  et  OEnone, — 
et  par  1'analogie  calcul^e  de  leurs  situations  res- 
pectives,  Peele  r6ussit  non  seulement  h  rehausser 
l'inte>et  sce*nique  de  chaque  intrigue,  mais  encore 
h  assurer  Tharmonieuse  unit6  del'ensemble.  A  cette 
unite"  contribuent  encore  la  discrete  repetition,  de 
scene  en  scene,  d'un  m6me  motif  en  termes  iden- 
tiques,  et  la  dexte>it6  avec  laquelle  les  effets  dra- 
matiques  sont  inscnsiblement  amends.  La  plainte 
d'C^lnone,  par  exemple: 

False  Paris,  this  was  not  thy  vow,  when  thee  and  I  were  one, 
to  range  and  change  old  love  for  new  (iii.  1.  49-50) 

suggere  invinciblement  h  notre  m6moire  Tamoureux 
duo  du  1"  acte.  La  question  anxieuse  de  P&ris: 

But  tell  me,  gracious  goddess,  for  a  start  and  false  offence, 
hath  Venus,  or  her  son,  the  power  at  pleasure  to  dispense  ? 

(iii.  2.  15-16) 

6voque,  elle  aussi,  le  souvenir  de  ses  faux  serments. 
Et,  pour  ne  donner  qu'une  preuve  de  1'adroite  pr6pa- 


48  GEORGE  PEELE 

ration  des  incidents  ulterieurs,  le  po6tique  avertis- 
sement  donn6  par  Ve"nus  a  Paris : 

in  hell  there  is  a  tree, 

where  once  a  day  do  sleep  the  souls  of  false  forsworen  lovers 
with  open  hearts ;  and  thereabout  in  swarms  the  number  hovers 
of  poor  forsaken  ghosts,  whose  wings  from  off  this  tree  do  beat 
round  drops  of  fiery  Phlegethon  to  scorch  false  hearts  with  heat 

(iii.  2.  18  sqq) 

nous  fait  pr6voir  le  jugement  de  Paris  par  les  dieux 
irrit6s,  et  explique  le  sombre  pressentiment  qui  jette 
son  ombre  sur  son  bonbeur  present. 

Nous  retrouvons  ainsi,  au  cours  de  la  piece,  de 
veritables  leitmotifs,  dont  la  reprise  harmonise  les 
gammes  et  les  tons  les  plus  varies  de  la  composition; 
et  FingSniosite  de  cet  artifice  suffirait  a  justifier  les 
louanges  que  nous  suggere  la  delicate  construction 
de  la  pastorale  peelienne.  Le  seul  reproche  qu'on 
puisse  lui  adresser  justement  sous  ce  rapport  est  le 
manque  trop  manifeste  de  climax.  Le  brillant  pane- 
gyrique  de  FAngleterre  et  de  sa  reine,  dans  la  derniere 
scene,  peut  dit'ficilement  etre  consider^  comme  tel,  et 
rint&ret  de  la  piece  tend  a  languir  apr&s  le  3e  acte,  — 
1'acte  ou  Finfortim6  Colin  se  meurt  d'amour,  et  ou 
OEnone,  abandonnee  de  Paris,  erre,  ceinte  d'une  pale 
guirlande  de  peuplier,  par  les  bois  maudits  de  1'Ida. 

Ce  n'est  point  la,  d'ailleurs,  le  plus  grave  des 
deTauts  de  la  piece.  La  peinture  des  caracteres  y  est 
pauvre  en  couleurs  et  en  nuances.  Colin  estle  berger 
fidele  de  la  tradition  pastorale ;  Hobbinol  et  ses  com- 


L'CEUVRE  DE  PEELE  49 

pagnons  sont  de  bien  p<Ues  arcadiens;  et  Fesquisse 
de  Pan,  Faune  et  Sylvain  est  £  peine  plus  poussSe. 
Parmi  les  personnages  mythologiques,  les  trois 
dresses  seules  beritent  de  la  legende  classique  quel- 
ques  traits  distinclifs:  Junon  r6vele  sa  jalousie  et  son 
aprch'  habituelles;  Pallas  garde  son  attitude  de 
dignit6  calme  et  de  consciente  superiority ;  et  Venus 
sa  gr&ce,  son  Eloquence  subtile  et  douce,  et  la  s6- 
duction  de  son  sourire.  Mais  nous  ne  trouvons  dans 
la  piece  que  deux  caracteres  qui  soient  dessine"s  avec 
quelque  attention  aux  details ;  encore  Involution  de 
leurs  sentiments  est-elle  plutcH  indiquee  que  reel- 
lenient  trac6e.  —  OEnone  n'offre  pas  seulement  & 
notre  imagination  le  charme  de  formes  elegantes 
et  souples,  voiiees  sous  la  blancheur  du  lin,  mais 
1'attrait  plus  deiicat  d'un  caractere  purement  sen 
timental,  assez  ingenu  et  assez  ouvert  pour  nous 
laisser  entrevoir  par  moments  les  mysleres  m&mes 
de  son  coeur.  Dans  son  entretien  avec  P&ris,  la 
joie  d'aimer  et  d'etre  aimee  1'accable  presque ;  et, 
au  milieu  m&me  de  son  bonheur,  s'eieve  un  inde- 
flnissable  pressentiment  qui  lui  fait  choisir,  quand 
P^ris  la  prie  de  chanter,  une  chanson  au  refrain 
inconsciemment  prophetique : 

They  that  do  change  old  love  for  new, 
pray  gods  they  change  for  worse. 

Toutes  ses  craintes  vagues  s'expriment  dans  Tardente 
priere  qu'elle  murmure  contreTinconstance:  "  Sweet 

CHEFFAVD.  4 


50  GEORGE  PEELE 

shepherd'  dit-elle  u  for  OEnone's  sake  be  cunning  in 
this  song";  etlesvoeuxde  Paris,  siprfcs  d'Mre  brisks, 
6veillent  en  nous  comme  une  impression  de  peine. 
Plus  lard,  quand  OEnone  reparalt,  d6daignee,  aban- 
donne"e,  trompee,  se  defiant  de  tout  et  de  tous,  ellen'a 
point  renonc6  a  son  amour,  bien  que  Paris  s'en  soil 
montre"  indigne.  Elle  vit  du  souvenir  de  sa  passion 
ruinSe.  La  haine  ne  trouve  point  de  place  en  son 
coeur  ;  rien  qu'une  douleur  profonde,  un  d6sir  de 
larmes,  et  le  besoin  de  proclamer  et  de  pleurer  son 
infortune  —  Le  caractere  de  Paris  est  un  peu  plus 
complexe.  Nous  voyons  en  lui,  au  premier  acte,  une 
sorte  de  re"plique  d' OEnone ;  —  amoureux  comme  elle 
et  plein  de  pressentiments.  Mais  il  se  montre  bientot, 
sous  la  pression  de  ses  instincts,  capable  d'erreurs 
morales  dans  lesquelles  ne  saurait  tomber  la  douce 
nymphe.  Les  images  de  plaisir  sensuel  qu'e"veillent 
en  lui  les  promesses  de  V6nus  lui  permettent  d'etouffer 
tout  d'abord  les  murmures  de  sa  conscience  coupable ; 
mais  il  lui  faut  bientot  e"quivoquer  avec  lui-meme.  II 
rejette  la  responsabilite'  de  ses  actes,  cherche  refuge 
dans  une  vague  doctrine  d'irre~sistible  fatalisme,  con- 
vainc  a  demi  les  dieux  de  son  innocence  ;  et  pourtant 
son  acquittement  m6me  ne  le  delivre  ni  de  son 
remords  ni  de  son  anxie"te*  pour  Favenir. 

L'int6ret  que  suscite  le  contraste  de  son  inconstance 
et  de  son  repentir  avec  la  fidelite'  d'OEnone  nous  fait 
oublier  combien  de~fectueuse  et  imparfaite  est  1'ana- 
lyse  des  autres  caracteres,  et  nous  empeche  de  cher- 


L'OEUVRE  DE  PEELE  51 

cher  les  seuls  m6rites  de  la  piece  dans  sa  richesse 
imaginative,  sa  grace  lyrique,  la  simplicite  de  son 
style,  et  la  vari6t6  de  sa  versification.  Ce  sont  la,  tou- 
tefois,  d'inte>essantes  qualit^s,  et  trop  e"videntes  dans 
1' l  Arraignment1  pour  avoir  jamais  6chapp6  a  1'atten- 
tion  des  critiques.  Les  multiples  images,  indiffe>em- 
ment  emprunt6es  a  la  po£sie  classique,  ou  aux  obser 
vations  personnelles  de  Peele,  I6moignent  d'une 
fantaisie  Elegante  et  aimable,  parfois  aussi  d'uii 
penchant  un  peu  vif  pour  le  splendide,  d'un  gout  un 
peu  trop  prononc6  pour  Tor  et  tout  ce  qui  brille. 
"Shepherd"  dit Junon 

I  will  reward  thee...  with  heaps  of  massy  gold, 
sceptres  and  diadems  curious  to  behold, 
rich  robes  of  sumptuous  workmanship  and  cost, 
and  thousand  things  whereof  I  make  no  boast: 
the  mould  whereon  thou  treadest  shall  be  of  Tagus  'sands 
and  Xanthus  shall  run  liquid  gold  for  thee  to  wash  thy  hands, 
and  if  thou  like  to  tend  thy  flock,  and  not  from  them  to  fly, 
their  fleeces  shall  be  curled  gold  to  please  their  master's  eye; 

(ii.  1.  130  sqq) 

et,  s'il  nous  faut  louer  la  fermet6  et  la  finesse  du 
dessin,  il  nous  faut  aussi  reconnaltre  que  les  couleurs 
de  ce  tableau  sont  un  peu  brutales  et  voyantes.  Mais 
le  gout  de  Peele  se  montre  habituellement  en  teintes 
plus  dedicates.  Dans  le  paysage  n6cessairement  con- 
ventionnel  et  impr^cis  de  la  pastorale  il  sail  mettre 
Q&  et  \h  une  touche  de  naive  et  fralche  simplicity,  Des 
vers,  gracieusement  pittoresques,  r6velent  en  plus 
d'un  passage  un  r6el  sentiment  de  la  beaut6  naturelle: 


52  GEORGE  PEELE 

Ne'er  doth  the  milk-white  way,  in  frosty  night 

appear  so  fair  and  beautiful  in  sight 

as  done  these  fields,  and  groves,  and  sweetest  bowers, 

bestrew 'd  and  decked  with  parti-coloured  flowers. 

Along  the  bubbling  brooks  and  silver  glide, 

that  at  the  bottom  in  silence  slide, 

the  water-flowers  and  lilies  on  the  banks, 

like  blazing  comets,  burgeon  all  in  ranks;... 

the  dainty  violet  and  the  wholesome  mint, 

the  double-daisy,  and  the  cowslip,  queen 

of  summer  flowers,  do  overpeer  the  green ; 

and  round  about  the  valley  as  ye  pass 

ye  may  not  see  for  peeping  flowers  the  grass,  (i.  1.  52  sqq.) 

La  simplicity  du  style  augmente  le  charme  de  cette 
description,  et  cette  simplicity  est  Tun  des  traits  les 
plus  caracte>istiques  de  Y '  Arraignment'.  C'est  sur- 
tout  par  contraste  avec  Teuphuisme  alors  predominant 
que  la  langue  de  Peele  parait  libre,  aise"e,  naturelle. 
Les  marques  distinctives  de  la  diction  lylyenne,  — 
paral!61isme  ou  antith&se  continuels  des  mots,  proposi 
tions,  phrases  et  paragraphes;  surabondance  de  ques 
tions  oratoires  avec  arguments  pour  et  contre,  —  sont 
totalement  absentes  de  notre  piece ;  et  il  serait  malais6 
d'y  d6couvrir  un  seul  emprunt  al'histoire  surnaturelle 
de  Lyly1.  Les  mani6rismes  qu'on  y  releve  remontent 
plus  haut  que  1'euphuisme,  et  Peele  tire  habilement 

1.  Le  seul  passage  qu'on  serait  tente  de  considerer  comme  une 
reminiscence  de  Lyly  est  le  suivant : 

"  And  whither  wends  yon  tbriveless  swain  ?  like  to  the  stricken  deer, 
Seeks  he  dictaranum  for  his  wound  within  our  forest  here  ! "  (IH-I.  29.) 

(cf.  Lyly.  Euphues.  Bond  i.  208  25  sqq) ;  mais  c'est  la  en  realite, 
une  allusion  aux  vers  de  Virgile.  Eneide  XH  414-6 : 

"  Non  ilia  feris  incognita  capris 
Gramina  (dictamnus),  quum  tergo  volucres  haesere  sagittae". 


L'CEUVRE  DE  PEELE  33 

profit  de  ces  traditionnels  artifices  de  style.  II  sait 
faire  usage  a  propos  de  ('alliteration :  u  the  fairest 
fattest  fawn  in  all  the  chase  "  ou  "  the  painted  paths 
of  pleasant  Ida  " ;  de  la  r6pe*tition  de  quelques  mots 
ou  d'un  vers,  —  r6p6tition  aussi  agre*able  a  1'oreille 
qu'un  refrain  de  chanson  ou  de  ballade ;  il  sait  inter- 
rompre  la  monotonie  d'une  longue  scene  par  de 
breves  et  brillantes  rgparties  (Aiii.  sc.  1.  86  sqq),  ou 
encore  construire  artistement  une  longue  pe>iode 
logique,  ou  les  propositions  secondaires  s'enchatnent 
Tune  a  1'autre  pour  aboutir  a  une  conclusion  substan- 
tielle  et  concise  (A.  iv.  Sc.  1.  Paris 's  Oration  to  the 
Gods).  On  sent  dans  chaque  acte,  dans  chaque  scene 
la  presence  d'un  art  conscient ;  el  ce  m6me  art  se 
retrouve  dans  la  versification  de  la  piece.  Peele  y 
prend  un  Evident  plaisir  a  varier  ses  metres  et  ses 
cadences,  a  passer  de  1'imposant  septenaire  aux 
mesures  les  plus  courtes,  les  plus  agiles  et  les  plus 
I6geres.  Sans  doute  les  "  couplets"  de  7  ou  6  pieds 
prSdominent,  mais  le  vers  blanc  fait  aussi  son  appa 
rition  aux  moments  les  plus  dramatiques  de  Faction, 
—  le  plaidoyer  de  Paris  ou  le  discours  de  Diane,  — 
et  des  vers  souples  de  longueur  et  de  coupe  fort 
diverses,  forment  1'habituel  moyen  d'expression  des 
passages  lyriques.  Nombreux  sont  ces  passages,  — 
chanson  breve  ou  court  poeme,  — et  c'est  en  eux  que 
la  m6lodie  du  vers  peelien  rSsonne  le  plus  harmonieu- 
sement.  Les  meilleurs  devinrent  immSdiatement  popu- 
laires  et  prirent  de  droit  leur  place  dans  les  antho- 


54  GEORGE  PEELE 

logies  contemporaines.  Charles  Lamb  en  a  choisi  un 
pour  1'enchclsser  parmi  les  gemmes  de  la  poe"sie  dra- 
malique  anglaise  ;  et  1'exquise  modulation  de  son 
metre,  1'accord  6troit  du  sens  et  du  rythme,  prouvent 
1'excellence  d'un  morceau  que  nous  ne  pouvons 
register  au  plaisir  de  citer  une  fois  encore : 

OEn.  —  Fair  and  fair  and  twice  so  fair, 

as  fair  as  any  may  be, 
the  fairest  shepherd  on  our  green, 
a  love  for  any  lady. 

Par.  —  Fair  and  fair  and  twice  so  fair, 

as  fair  as  any  may  be, 
thy  love  is  fair  for  thee  alone 
and  for  no  other  lady. 

OEn.  —  My  love  is  fair,  my  love  is  gay, 

as  fresh  as  bin  the  flowers  in  May, 
and  of  my  love  my  roundelay, 

my  merry  merry  roundelay, 

concludes  with  Cupid's  curse: 
they  that  do  change  old  love  for  new 

pray  gods  they  change  for  worse,  (i.  2.  55  sqq.) 

La  note  touched  en  ce  delicieux  poeme  donne  le 
ton  meme  de  toute  de  pi&ce.  Premier  effort  du  talent 
de  Peele,  elle  a  la  fralcheur,  la  verve,  et  toutes  les 
qualit6s,  avec  quelques-uns  des  de~fauts,  d'une  oeuvre 
de  jeunesse.  Combinant  le  charme  artificiel  de  la 
pastorale  avecTa  grace  pure  de  la  16gende  classique 
et  les  attractions  sc6niques  du  masque,  elle  re>ele  un 
poete  de  gout  delicat,  6mu  et  sincere,  un  dramaturge 
encore  inexpe>imente  parfois,  mais  toujours  adroit  et 
ing£nieux ;  et,  bien  qu'elle  perde  a  ne  nous  etre  point 


LOEUVRE  DE  PEELE  65 

pr6sent6e  comme  au  jour  de  la  production,  dans  de 
somptueux  decors,  avec  un  accompagnement  discret 
de  violons  et  de  hautb'ois,  son  6clat  n'en  est  qu'affai- 
bli,  et  elle  brille  encore  a  nos  yeux  des  reflets  capri- 
cieux  et  changeants  de  1'opale. 

LA  POURSUITE  D' AMOUR. 

Peele  6crivit  une  seconde  pastorale,  sous  le  titre 
attrayant  de  la  4  Poursuite  d'Amour '  (the  Hunting  of 
Cupid).  La  pifece  est  malheureusement  perdue ;  mais 
nous  pouvons  n£anmoins  nous  former  une  i<  !«'•.  •  assez 
exacte  de  son  sujet  et  de  son  caractfcre  g6n6ral,  car 
nous  en  retrouvons  d'assez  longs  passages1  dans  deux 
anthologies  du  temps,  —  'England's  Parnassus' 
(1600)  et  England's  Helicon'  (m.  d.);  et  plusieurs 
pages  d'un  cahier  de  notes  de  W.  Drummond  of 
Hawthornden*  sont  en  outre  couvertes  d'extraits  du 
4  Hunting',  —  4l  one  of  the  bookes",  declare  Drum 
mond  "read  anno  1609  be  me  ". 

II  est  presque  certain,  quoiqu'aucun  exemplaire 
ne  nous  soit  parvenu,  que  la  pifece  fut  publi^e.  Les 
citations  de  1'  *  England's  Parnassus'  sont  presque 
exclusivement  empruntSes  a  des  ouvrages  imprimis ; 
il  est,  d'autre  part,  assez  peu  probable  que  Drummond 
possgdat  en  1 609  une  copie  manuscrite  du  l  Hunting ' ; 
et  enfin  les  registres  de  la  Compagnie  des  Libraires 

4.  '  Cupid's  Arrows'  et  *  Coridon  and  Melampus '  song '. 
2.  Maintenant  en  la  possession  de  la  Scottish  Society  of  Anti 
quaries.  Edinburgh, 


56  GEORGE  PEELE 

de  Londres  contiennent,  en  date  du  26  juillet  1591, 
le  permis  d'imprimer  suivant: 

"  Richard  Jones.  Entred  unto  him  for  his  copye  under  th[e 
h]andes  of 

the  Bishop  of  London  and  Master  Watkins  a  booke 
intituled  the  Hunting  of  Cupid  wrytten  by  George  Peele 
Master  of  Artes  of  Oxford  vjd, 

permis  subordonn6  du  reste  a  une  clause  condition- 
nelle,  —  u  that  yf  it  be  hurtfull  to  any  other  Copye 
before  lycenced,  then  this  to  be  voyde  "  —  La  clause, 
sans  doute,  n'6tait  parfois  que  de  pure  forme ;  mais 
elle  se  faisait  rarement  aussi  explicite,  et  suggere  ici 
que  la  '  Poursuite  d' Amour '  remontait  deja,  en  1591 , 
a  plusieurs  annees.  Que  la  piece  fut  contemporaine 
de  T  l  Arraignment '  peut  meme  6tre  vraisembla- 
blement  infe>e  des  similitudes  d'expression,  d'images, 
et  de  reminiscences  classiques  qu'on  peut  relever  dans 
un  abreg6  aussi  succinct  et  incomplet  que  Test  celui 
de  Drummond.  De  telles  similitudes,  en  effet,  ne 
sauraient  etre  accidentelles ;  toute  Fceuvre  de  Peele 
prouve  qu'il  d6passait  difficilement  sa  pens^e,  savait 
mal  exprimer  une  id£e  sous  diverses  formes,  mais 
£tait  au  contraire  trop  enclin  a  se  renter  dans  les 
Merits  d'une  meme  pe>iode ;  et  nous  pouvons,  sans 
grande  crainte  d'erreur,  regarder  le  *  Hunting  of 
Cupid'  comme  une  piece  de  cour  dont  la  production, 
ou  du  moins  la  composition,  suivit  de  pres  celle  de 
1' l  Arraignment '. 

11  est  difficile  d'imaginer  avec  certitude  ce  qu'elait 


L'CEUVRE  DE  PEELE  57 

le  theme  de  la  pastorale.  Drummond,  dans  ses  cita 
tions,  ne  montrait  pas  habituellement  le  moindre 
interSt  pour  Fintrigue  ou  le  plan,  mais  limitait  son 
attention  a  des  particularity's  de  style  et  de  vocabu- 
laire,  et  se  contentait  de  noter,  au  cours  de  sa lecture, 
les  tours  de  phrase,  les  pens6es  brillantes  et  concetti 
po6tiques  qui  le  charmaient,  et  dont  il  faisait,  a  1'occa- 
sion,  usage  dans  ses  propres  poemes.  Cette  meHhode 
nous  explique  pourquoi  ce  qui  nous  reste  du  *  Hunting 
of  Cupid '  n'est  qu'une  se"rie  de  brefs  passages  sans 
cohesion,  desquels  il  est  malais6  de  d£duire  le  sens 
g6ne>al  de  la  piece.  Tout  au  plus  le  titre  et  quelques 
extraits  nous  autorisent-ils  a  soupQonner  que  le  sujet 
6tait  celui  de  la  premiere  idylle  de  Moschus1,  de  cette 
idylle  ou  Eros,  6chappanl  h  la  surveillance  de  sa  mere 
sous  un  dSguisement  pastoral,  s'en  va  d^cocher  ses 
traits  envenim^s  dans  les  valises  paisibles  d'Arcadie. 
Quoi  qu'il  en  soil,  d'ailleurs,  le  theme,  comme  dans 
T  4  Arraignment  \  se  transformait  adroitement  en  une 
flatterie  personnelle  de  la  reine,  dont  la  beaut6  seule 
pouvait  mettre  fin  aux  ravages  fails  parmi  les  bergers 
par  1'espiegle  dieu  d'Amour.  ll  Cupid"  lisons-nous 
dans  Tun  des  extraits, 

enraged  to  see  a  thousand  boys 
as  fair  as  be  sit  shooting  in  her  eyes, 
fell  down,  and  she 
plucked  all  his  plumes  and  made  herself  a  fan. 

La  pointe  est  jolie,  et  forme  un  prelude  appropri6  a 

1.  "Eptu; 


58  GEORGE  PEELE 

de  nouvelles  louanges  de  la  beaut6  el  de  la  vertu 
d'Elisabeth, 

delight  supreme, 

yet  so  far  from  the  lightness  of  her  sex, 
for  she  is  the  bird  whose  name  doth  end  in  X. 

Les  citations  de  Drummond  ne  nous  permettent 
malheureusement  pas  de  pr6ciser  davantage  le  sujet 
de  la  piece,  mais  elles  nous  laissent  entrevoir  plus 
clairement  la  maniere  dont  il  6tait  trait6.  Le  ton  de 
la  4  Poursuite  d' Amour'  6tait  aussi  pastoral  que  celui 
de  la  '  Mise  en  Jugement  de  P&ris':  u  heardgrooms 
and  strawberrie  lasses"  foulaient  une  fois  encore  les 
planches,  et  discouraient  d'amour  en  la  fagon  conven- 
tionnellequ'exigeaient  leursnomsarcadiens,  Coridon, 
Melampus  et  Lycoris ;  et  Peele  rehaussait  leurs  entre- 
tiens  de  ces  ornements  pastoraux  qui  n'avaient  point 
trouv6  place  dans  sa  premiere  production.  Tel  est  le 
chant  dialogu6  dont  1' 4  England's  Parnassus'  nous  a 
garde  le  texte : 

Coridon.  —  Melampus,  when  will  love  be  void  of  fears? 
Melampus.  —  When  jealousy  hath  neither  eyes  nor  ears. 
Coridon.  —  Melampus,  when  will  love  be  thoroughly  shrieved? 
Melampus.  —  When  it  is  hard  to  speak  and  not  believed... 
Coridon.  —  Melampus,  tell  me  when  is  love  best  fed? 
Melampus.  —  When  it  has  suck'd  the  sweet  that  ease  hath  bred. 
Coridon.  —  Melampus,  when  is  time  in  love  ill  spent? 
Melampus.  —  When  it  earns  meed  and  yet  receives  no  rent. 

Nous  avons  la  un  modele  de  la  piece  am6b6e,  dont 
Th6ocrite  et  Virgile  nous  donnent  tant  d'exemples ; 


L'CEUVRE  DE  PEELE  59 

et  les  deux  interlocuteurs  de  notre  pastorale  se  dispu- 
tent,  comme  le  voulait  la  tradition,  une  gageure 
rustique:  u  a  dish  of  damsons  new  gathered  from  the 
trees'*.  La  me'lope'e  amoureuse  faisait,  elle  aussi,  sa 
r6apparition  dans  notre  piece.  II  ne  nous  reste,  il  est 
vrai,  que  deux  vers  de  cette  production,  mais  ils 
suffisent  a  indiquer  une  nouvelle,  sinon  fort  heureuse 
imitation  du  theme  spens6rien  des  infortunes  de 
Colin : 

Hard  heart  that  did  thy  reed  (poor  shepherd)  break, 
thy  reed  that  was  the  trumpet  of  thy  wit. 

Les  palres  que  d6sesperent  leurs  mattresses  ne  sont 
plus,  toutefois,  des  habitants  du  I6gendaire  Ida,  mais 
des  villageois  anglais  id6alise*s  par  le  poete.  La  scene 
est  plac6e,  non  plus  en  Phrygie,  mais  sur  les  falaises 
crayeuses  d' Albion  ;  et  pourtant  les  descriptions 
restent  presque  identiques  a  celles  de  V  l  Arrai 
gnment  ',  comme  ces  quelques  lignes  le  prouvenl 
amplement: 

"  On  the  snowy  brows  of  Albion,  sweet  woods, 
sweet  running  brooks  that  chide  in  a  pleasant  tune 
and  make  quiet  murmur,  laving  the  lilies,  mints  and 
waterflowers  in  their  gentle  glide". 

D'autres  tableaux  de  ce  genre  contribuaient  sans 
doute,  avec  des  pieces  lyriques,  a  temperer  la  mono- 
tonie  de  la  pastorale  conventionnelle.  Drummond  a 
copie"  tout  au  long  1'une  de  ces  poesies  16geres,  et  elle 
est  aussi  artificielle  qu'elle  est  exquise: 


60  GEORGE  PEELE 

What  thing  is  love,  for  (well  I  wot)  love  is  a  thing, 

it  is  a  prick,  it  is  a  sting, 

it  is  a  pretty,  pretty  thing, 

it  is  a  fire,  it  is  a  coal 

whose  flame  creeps  in  at  every  hole ; 

and  as  my  wit  doth  best  devise, 

love's  dwelling  is  in  ladies  'eyes ; 

from  whence  do  glance  love 's  piercing  darts 

that  make  such  holes  into  our  hearts. 

Le  charme  de  ce  chant ;  charme  que  ne  diminue  point 
son  affeterie,  semble  1'avoir  fait  cherir  par  les  6mules 
de  Peele.  On  en  trouve  un  £cho  dans  le  'Mourning 
Garment'  de  Greene,  et  son  'James  IV  y  fait  une 
allusion  directe: 

And  well  I  wot  I  heard  a  shepherd  sing 
that,  like  a  bee,  Love  hath  a  little  sting. 

Les  manuscrits  de  Rawlinson  nous  offrent  une  trans 
cription  nouvelle  du  morceau  entier;  et  six  vers, 
enfin,  en  sont  r6cit6s  par  Cornelia  dans  une  pi&ce 
de  1600,  the  '  Wisdom  of  Doctor  Doddipol'. 

Une  telle  abondance  de  citations  et  de  reminiscences 
semble  un  signe  certain  de  succ&s,  et  nous  trouvons 
dans  ce  succ&s  meme  une  cause  de  plus  pour  regretter 
la  perte  d'une  pikce  qui  6tait  aux  yeux  des  contem- 
porains,  et  serait  probablement  aux  n6tres,  un  digne 
pendant  de  Y  '  Arraignment  of  Paris '. 


La  l  Poursuite  d' Amour '  est  seule  a  combler  une 
lacune  dans  la  carrifcre  de  Peele  entre  son  premier 


L'OEUVRE  DE  PEELE  61 

effort  dramatique  et  sa  c  Battle  of  Alcazar'  en  1588- 
1589.  Elle  marque  la  fin  de  ses  relations  avec  la  cour ; 
et  ses  drames  posterieurs  sont  composes  pour  un 
public  moins  raffing,  sinon  moins exigeant.  Ce  passage 
au  theatre  populaire,  bien  qu'expliqu6  par  des  n6ces- 
sit6s  d'argent,  n'en  est  pas  moins  surprenant  a  plus 
d'un  6gard.  Peele  devait  apprendre  a  satisfaire  des 
gouts  diffe"rents,  —  les  gouts  des  spectateurs  du 
4  Bull '  ou  de  la  4  Rose  ',  —  et  faire,  pour  ainsi  dire, 
un  nouvel  apprentissage  de  dramaturge.  C'est  dans  les 
rues  de  la  Cit6  qu'il  prit  tout  d'abord  contact  avec  ses 
nouveaux  patrons,  les  habitues  des  theatres  lon- 
doniens,  dont  l'inte>&t  s^tendait  volontiers  aux 
spectacles  les  plus  divers.  Peele,  en  tant  que  u  city- 
poet",  organisaau  moins  deux  processions  du  Lord- 
Maire,  —  pour  Woolstan  Dixie  et  Martin  Calthorpe1, 
—  avant  d'offrir  ses  services  aux  com^diens.  II 
apprit  ainsi  a  connattre  par  la  pratique  les  mets,  les 
proce'de's,  qui  avaient  le  plus  de  saveur  pour  ses 
maltres  du  parterre ;  et  il  eul  certainement  tir6  parti 
de  cette  experience  nouvellement  acquise,  si  m&me 
le  l  Tamburlaine '  de  Marlowe,  -  -  phare  qui  alluma 
la  chalne  de  feu,  —  n'avait  enflamm6  son  enthou- 


\ .  La  *  Martin  Galthorpe  Pageant '  est  perdue/mais  nous  trou vons 
trace  de  son  existence  dans  les  registres  des  libraires.  xxvnj0  die 
Octobris  i588 : 

Richard  Jones,  Entred  for  his  copie  uppon  condicon  that  it  maye 
be  lycenced,  ye  device  of  the  Pageant  borne  before  the  Righte 
honorable  Martyn  Calthrop  lorde  majour  of  the  cytie  of  London 
the  29th  daie  of  October  1588.  George  Peele  the  authore, 


62  GEORGE  PEELE 

siasme  etson  Emulation.  Ce  futla,  cependant,  la  cause 
directe  qui  lui  fit  tourner  son  activity  vers  la  scene 
populaire ;  et  son  premier  effort  dans  cette  direction 
futla  'Batailled' Alcazar1. 

LA   BATAILLE   D' ALCAZAR. 

Elle  fut  publiee  en  1594,  sous  ce  titre  longuement 
descriptif:  4*  The  Battell  of  Alcazar,  fought  in  Bar- 
barie,  betwene  Sebastian  King  of  Portugall,  and 
Abdelmelec  King  of  Marocco.  With  the  death  of 
Captaine  Stukeley.  As  it  was  Sundrie  times  plaid  by 
the  Lord  high  Admirall  his  servants.  Imprinted  at 
London  by  Edward  Allde  for  Richard  Bankworth,  and 
are  to  be  solde  at  his  shoppe  in  Pauls  churchyard,  at 
the  signe  of  the  Sunne  ". 

On  ne  retrouve  dans  les  livres  de  Stationers'  Hall 
aucune  trace  d'un  permis  d'imprimer,  et  ce  fait,  joint 
a  quelques  autres  circonstances,  —  la  corruption  du 
texte  en  plusieurs  passages,  et  1'absence  de  Tune  des 
cinq  pantomimes,  —  tend  a  prouver  que  la  version 
que  nous  avons  est  1'une  de  ces  Editions  contrefaites 
si  fr6quentes  a  l'6poque  elisab^thaine. 

Le  nom  de  Peele,  on  1'a  remarqu6,  ne  figure  point 
au  titre ;  mais  I'authenticit6  de  la  piece  est  aussi  peu 
discutable  que  celle  de  F  i  Arraignment'.  Malone  fut 
le  premier  a  1'attribuer  a  notre  auteur,  et  aucun 
critique  ne  s'est  depuis  risqu6  a  douter  d'une  attri 
bution  que  justifient  des  t6moignages  trop  probants. 


L'OEUVRE  DE  PEELE  63 

La  ressemblance  de  plus  d'un  passage  a  telle  ou  telle 
portion  d'une  production  peelienne  reconnue  e"quivaut 
parfois  a  une  identic  litte>ale.  Un  vers  comme  celui-ci : 

On  that  brave  bridge,  the  bar  that  thwarts  the  Thames 
ne  saurait  se  distinguer  de  cette  ligne  du  Farewell : 

To  that  brave  bridge,  the  bar  that  thwarts  her  course ; 

et  ce  n'est  la  qu'un  exemple  parmi  maints  autres.  La 
liste  des  paralleles  dress6e  par  Dyce  et  Lammerhirt 
suffirait  a  authentiquer  la  piece1. 11  est  presque  super- 
flu  d'ajouter  que  les  allusions  classiques  contenues 
dans  la  '  Battle '  sont  toules  familieres  a  Peele  et  se 
retrouvent  dansd'autres  6crits  signed  de  lui  *.  La  seule 
exception  apparente,  aux  derniers  vers  du  ler  acte, 

to  sick  as  Envy  at  cecropia  's  gate 

and  pine  with  thought  and  terror  of  mishap  (i.  2.  85-6) 

fait  allusion  a  un  Episode  du  2e  livre  des  Metamor 
phoses,  et  n'est  qu'un  signe  de  plus  du  penchant  de 
Peele  pour  cet  ouvrage.  Du  reste,  les  caracte>istiques 
usuelles  du  style  peelien,  —  la  r6p6tition  d'un  ou  plu- 
sieurs  mots  avec  addition  d'e~pitheles,  par  exemple, 
—  se  reinvent  dans  chaque  scene  de  la  l  Battle  of 
Alcazar '  et  en  indiquent  clairement  1'auteur.  Enfin  le 
t6moignage  des  contemporains  confirmerait  s'il  en 
6tait  besoin,  cette  indication,  car  six  vers  du  second 

1.  On  peut  trouver  une  liste  a  peu  pres  complete  des  passages 
correspondants  dans  Dyce  (ed.  1861  p.  340)  et  Lammerhirt. 
1.  Comparez  par  exemple : 

Rack  d  let  him  be  on  proud  Ixion  '*  wheel,  '  Ixion  *s  wheel,  proud  Tanial  'a  pining  woe, 

pin'd  let  him  be  with  Tantalus  '  endless  thirst,  Prometheus  '  torment,  and  a  many  moe ; 

prey  let  him  be  to  Tityus  '  greedy  bird,  what  toil  the  toil  of  Sisyphus  doth  ask... 
weary  with  Sisyphus  '  immortal  toil '  BA,  iv.  2,  90.  sqq.  A.  P.  i.  2.  41.  sqq. 


64  GEORGE  PEELE 

acte :  u  We  must  affect  our  country  as  our  parents  ", 
etc.  sont  cit6s  par  P  l  England  's  Parnassus  '  sous 
Pen-t&te  u  Country",  et  assignes  par  1'anthologiste 
h  George  Peele. 

On  peut  observer  que  la  plupart  des  passages  corres- 
pondants  signals  par  les  critiques  se  trouvent  dans  le 
4  Farewell '  (1589)  ou  le  c  Tale  of  Troy '  (m.  d.).  Cette 
circonstance  d6signe  d6ja  1 588  ou  1 589  comme  la  date 
probable  de  composition ;  mais  nous  avons  d'autres 
moyens  de  fixer  cette  date  avec  certitude.  Une  allu 
sion  evidente  a  PInvincible  Armada,  au  2"  acte : 

The  wallowing  ocean  hems  her  (England)  round  about, 

whose  raging  floods  do  swallow  up  her  foes, 

and  on  the  rocks  their  ships  in  pieces  split  (ii.  4.  117  sqq.) 

nous  donne  Aout  1588  comme  Tune  des  limites 
extremes  pour  la  production  de  la  piece,  tandis 
que  1'autre  nous  est  fournie  par  Peele  lui-meme  dans 
ces  vers  de  son  '  Farewell  to  Norris  and  Drake  ' 
(Avril  1589): 

Bid  Mahomet's  pow,  and  mighty  Tamburlaine, 
King  Charlemagne,  Tom  Stukeley,  and  the  rest, 
Adieu  (Farewell,  v.  21  sqq.) 

C'est  la,  comme  Fleay  le  remarque,  une  singuliere 
Enumeration  de  pieces  r^cemment  joue'es  par  la 
troupe  des  c  Admiral's  Men  M,  et  une  confirmation  du 

1.  '  Mahomet's  pow '  designe  fort  probablement  1  *l  Alphonsus 
of  Arragon '  de  Greene;  le  'mighty  Tamburlaine'  n'est  autre, 
nature! lement,  que  la  piece  de  Marlowe  ;  et  «  King  Charlemagne 
est  peut-etre  1' '  Orlando  Furioso '  de  Greene,  joue  a  1'origine  par 
les  acteurs  du  Lord  Admiral. 


L'GEUVRE  DE  PEELE  63 

renseignement  Irouve  au  litre  du  quarto:  u plaid  by 
the  Lord  high  Admirall  his  servants  ".  Les  minutes  du 
Journal  d'Henslowe  qui  se  rapporlent  indeniablemenl 
a  la  '  Bataille  d' Alcazar'  la  classent  pourtant,  en  1592, 
dans  le  repertoire  des  4  Lord  Strange 's  Men ',  cepen- 
dant  qu'un  document  interessant,  —  un  plan  manus- 
crit  avec  noms  d'acleurs  —  lemoigne  d'une  reprise 
en  1598  par  les  comediensdu  Lord  Admiral.  Les  fails 
peuvent,  au  premier  abord,  sembler  quelque  peu 
conlradicloires.  Un  examendes  annales  Ihealrales  du 
temps  dissipe  toute  indecision  et  nous  permel  de 
suivre  1'hisloire  de  noire  piece  de  1588  a  1601.  — 
Lors  des  premieres  representations,  elle  appartenait, 
nous  1'avons  vu,  a  la  troupe  du  Lord  Admiral;  mais 
quelque  temps  apres  1'edit  de  restriction  de  Novem- 
bre  15891,  cette  compagnie  dut  se  disperser  pour 
quatre  ou  cinq  ans,  et,  tandis  que  quelques-uns  de 
ses  acteurs  partaient  pour  une  toume*e  en  Allemagne, 
une  union  etroite  s'effectuait  enlre  les  autres,  — 
parmi  lesquels  Alleyn,  —  et  les  com£diens  de  Lord 
Strange.  Pendant  les  ann£es  suivantes,  les  deux 
Iroupes  n'eurent  pas  d'exislence  separ^e ;  elles  furenl 
conjointement  designers  sous  le  nom  de  l  Lord 
Strange 's  Servants',  et  Alleyn  regarde  par  le  public 
comme  leur  directeur.  Le  repertoire  des  diverses 
troupes,  d'autre  part,  etait  d'habitude  propriete 

1.  Le  6  Nov.  1589  le  Lord-Maire,  John  Hart,  sur  les  instructions 
du  Lord-Tresorier,  interdit  aux  troupes  de  Lord  Strange  et  du 
Lord  Admiral  dejouer  aLondres. 

CHEFFALD.  5 


66  GEORGE  PEELE 

commune,  maisquelques  pieces  appartenaientparfois 
a  tel  ou  tel  acteur,  et  tin  temoignage  precis  nous 
montre  que  c'etait  la  le  cas  de  la  *  Battle  of  Alcazar', 
propriete  particuliere  de  Edward  Alleyn1.  II  apporta 
la  piece  aux  l  Strange 's  Men',  et  comme,  pendant 
cetteperiodeagitee,  la  troupe  ne  donna  pour  ainsidire 
aucune  piece  nouvelle,  nous  ne  saurions  etre  surpris 
de  lui  voir  repre"senter  en  Fe>.  1591/92  et  jusqu'en 
Janvier  1592/93  la  c  Bataille  d' Alcazar  '2.  Durant  la 
peste  de  Londres  (1593-1594)  les  deux  compagnies 
continuerent  a  jouer  de  concert  dans  les  provinces, 
et  a  la  re"ouverture  des  theatres  occuperent  ensemble 
Newington  Butt.  Get  arrangement  cessa  toutefois 
aprfcs  quelques  representations  et  les  Admiral's  Men 
reprirent  leur  independance  sous  la  direction  d' Alleyn. 
La  piece  de  Peele  passa  alors  naturellement  au  reper 
toire  de  la  nouvelle  troupe,  et  dut  a  sa  popularite  de 
reparailre  plusieurs  fois  a  la  scene,  en  1594,  1598 
et  1601.  On  a  jusqu'ici  prete  peu  d'attention  a  la 
reprise  de  1594  ;  mais  il  est  peu  douteux  que  les  refe 
rences,  dans  les  comptes  d'Henslowe,  a  une  piece 
intitulee  '  Mahomet 13  se  rapportent  a  notre  drame, 
—  bien  que  Collier  et  Fleay  y  voient  une  allusion  a 
une  production  perdue  '  the  Turkish  Mahomet  and 
Hiren  the  Fair  Greek  u  et  Mr.  Greg  a  F  c  Alphonsus 

4.  Voir  page  70.  note. 

2.  Henslowe  1'intitule  '  Mulo  Molloco  ',  du  nom  d'un  des  princi- 
paux  personnages  :  Muly  Molloco  ou  Abdelmelec  (v.  B  of  A.  i.  Pr, 
v.  12  et  ii.  2.  v.  52).  Voir  journal  F.  7-8  (20  fev.  1591.  20  ja.  1593). 

3.  Lire :  '  Henslowe's  Diary '  (du  44  aout  1594  au  5  fev.  1594). 

4.  '  The  Turkish  Mahomet '  a  etc  attribue  a  Peele  sur  la  foi  des 


L'CEUVRE  DE  PEELE  07 

of  Arragon '  de  Greene.  La  piece  n'est  pas  marquee 
comme  nouvelle  (ne)  par  Henslowe ;  elle  doit  done 
appartenir,  comme  la  4  Bataille  d' Alcazar '  h  1'ancien 
repertoire  des  l  Lord  Admiral's  Men',  et  remonter 
aii  moins  aussi  haut  que  1590.  Mahamet  est  le  nom 
du  personnage  central  de  notre  drame ;  et,  en  outre, 
reformation  que  nous  fournit  le  Journal  (inventaires 
de  Mars  15981  et  minutes  du  2-4  Aout  160T)  sur  les 
decors  et  accessoires  de  4  Mahomet '  nous  montre 
qu'ils  satisferaient  toutes  les  exigences  d'une  mise  en 
scene  de  la  ;  Battle'.  Us  consistent  en  robes  dejanis-  v 
saires  et  costumes  de  porte-flambeaux,  en  turbans 
turcs,  en  quelques  couronnes  royales  et  en  une 
"  couronne  de  fant6me",  -  -  toutes  choses  qui  ont 
leur  Evident  usage  dans  notre  piece.  Enfin  les  llmem- 
bres  du  Maure  "  et  le  "  chef  du  vieux  Mahomet" 


'Merry  Jests';  mais  nous  avons  vu  que  cet  opuscule  est  une 
source  (['information  indigne  de  confiance.  Nous  ne  savons  rien 
de  la  pioce,  et  les  quelques  allusions  satiriqucs  qu'on  Irouve  dans 
la  litterature  du  temps  (v.  surtout  Shakespeare  4  2  Henry  IV  '.  ii. 
4.  v.  188 ;  et '  Return  from  Parnassus  ')  ne  nous  e"clairent  pas. 

1.  **  The  Enventory  of  the  clownes  Sewtes  and  Hermetes  Sewtes, 
with  dievers  other  Sewtes,  as  followeth,  1598,  the  10  of  March : 

Item,  iiij  genesareyes  gownes,  and  iiij  torchbearers  sewtes. 
Iti-in,  the  Mores  lymes. 
Item,  iiij  Turkes  hedes". 

41  The  Enventory  tacken  of  all  the  Properties  for  my  lord  Admi- 
ralles  men,  the  10  of  Marche  1598 : 
Item  j  wooden  canepie  ;  ould  Mahemets  head. 
Item  iiij  Imperial  crownes  ;  one  playne  crowne. 
Item  j  gostes  crowne ;  j  crowne  with  a  sone  ". 

2.  "  Layd  out  at  the  a  poyntment  of  the  2  of  aguste  1601  fora 
parell  for  Mahewmett  the  some  of  x»  mjd  ". 

u  Pd  at  the  apoyntment  of  the  company  unto  wm  whitte  for 
mackinge  of  crownes  and  other  thinges  for  Mahewmets  the  4  of 
aguste  1601  the  some  of  1« ". 


68  GEORGE  PEELE 

sont,  sans  nul  doute,  les  restes  mutil6s  qu'exhibait  au 
public  la  pantomime  du  4e  acte. 

Now  harden 'd  is  the  hapless  heathen  prince, 

this  Moor,  this  murderer  of  his  progeny ; 

and  to  a  bloody  banquet  he  invites 

the  brave  Sebastian  and  bis  noble  peers,  (iv.  Pr.  1  sqq) 

telles  sont  les  paroles  meme  de  T  "  introducteur  ",  et 
le  Plan  de  15981  nous  r6vele  que  des  assistants 
entraient  en  scene  avecleu  banquet  sanglant", 

(w)th  Dead  mens  heads  in  dishes  & 
(w)th  Dead  mens  bones ; 

c'est  assure"ment  dans  ces  plats  que  les  membres 
d6pec6s  du  Maure  trouvaient  leur  place  la  plus  appro- 
pri6e.  Quant  aux  minutes  de  1601,  avec  leur  men 
tion  de  courormes,  elles  ne  peuvent  que  confirmer 
notre  conjecture  et  6tablir  deTmitivement  Fidentite  de 
1  Mahomet '  et  de  la  '  Battle  of  Alcazar ', 

where  three  bold  Kings,  confounded  in  their  height, 
fell  to  the  earth  contending  for  a  crown,  (i.  Pr.  51-52) 

Lesrecettes  des  representations  de  1594,  en  tout  cas, 
furent  presque  aussi  fortes  que  celle  d'une  piece 
in6dite,  et  ce  signe  de  succes  persistant  engagea  la 
troupe  a  donner  le  drame  une  fois  encore.  A  cette 
reprise  appartient  le  Plan  que  nous  avons  deja  men- 
tionn6,  —  une  de  ces  cartes  de  souffleur  ou  tables  de 
r6pliques  qu'on  pendait  derriere  les  decors  pour 

1.  Ce  plan  a  ete  publie  par  Mr.  Greg,  dans  son  edition  d'Hens- 
lowe's  Diary  (vol.  2),  et  la  date  en  a  ete  ingenieusement  fixee  par 
lui  a  1598. 


L'OEUVRE  DE  PEELE  6» 

indiquer  aux  acteurs  leurs  entries  en  scene  et  leurs 
sorties.  Ce  plan,  fragmentaire  et  mutile*,  nous  indique 
cependant  au  complet  la  distribution  des  r6les,  fixe 
la  date  de  la  reprise  k  la  fin  de  1597  ou  au  debut 
de  1598,  etpermet  de  supposer  que  1'enseigne  Pistol, 
dans  le  second  l  Henri  IV '  de  Shakespeare,  emprun- 
tait  ses  citations  ampoules  aux  representations  alors 
donne"es  h  la  l  Rose1. 

Then  feed  and  be  fat,  my  fair  Calipolis 

s'e*criait-il,  sur  le  ton  m6me  de  Mahamet-Alleyn 
offrant  h  sa  reine  un  morceau  de  viande  crue  h  la 
pointe  de  l'e*pe"e;  et  1'humour  n'6chappait  pas  tout  h 
fait  aux  gens  du  parterre.  Le  ridicule,  pourtant,  ne 
tue  pas  une  pifcce  populaire;  'Mahomet'  ful  joue*  & 
nouveau  en  1 601 ,  et  Henslowe  depensa  alors  3  £  1 2  s. 
4  d.  h  1'acquisition  d'accessoires.  Ben  Jonson  salua 
sa  re*apparition  avec  une  joie  satirique  et  introduisit 
dans  son  4  Poetaster'  quelques  vers  de  la  *  Bataille  ', 
mot  pour  mot,  avec  jeu  de  scene  approprie" : 

"  Enters  Minos  with  Pyrgus  on  his  shoulders  and  stalks 

backwards  and  forwards  as  the  boy  acts. 

Pyrgus.  —  Now  you  shall  see  me  do  the  Moor.  Master,  lend  me 

Tucca.  —  lieu!  'tis  at  thy  service,  boy.  [your scarf. 

Pyrgus.  —  Where  art  thou,  boy?  where  is  Calipolis? 

Fight  earthquakes  in  the  entrails  of  the  earth, 
and  eastern  whirlwinds  in  the  hellish  shades ; 
some  foul  contagion  of  the  infected  heavens 
blast  all  the  trees,  and  in  their  cursed  tops 
the  dismal  night-raven  and  tragic  owl 
breed  and  become  forerunners  of  my  fall. 

(Poetaster  iii  fin) 


70  GEORGE  PEELE 

line  allusion  aussi  sp6cifique  n'a  de  sens  qu'en  tant 
qu'elle  se  rapporte  a  une  pi&ce  alors  surles  planches. 
La  parodie  de  Jonson  donne  ainsi  plus  de  force  a  notre 
hypoth&se.  La  meme  remarque  s'applique  aux  traits 
d£coch6s  par  Marston  (What  You  Will  v.  i)  a  la  malheu- 
reuse  tirade  de  Calipolis ;  et  nous  sommes  in^vita- 
blement  amends  par  les  faits  a  conclure  que  notre 
drame  6tait  bien  le  '  Book  of  Mahomet '  qu'Henslowe 
acheta  finalement  d'Alleyn  pour  la  somme  de  2  livres, 
le  22  Aout  16011. 

Nous  ignorons  le  sort  du  drame  apr&s  cette  date, 
mais  sa  longue  carri&re,  ses  reprises  successives,  et 
aussi  la  parodie  r6p6t6e  de  quelques-unes  de  ses 
scenes,  nous  donnent  un  irrefutable  t6moignage  de 
sa  popularity.  Cette  popularity,  il  faut  1'avouer,  est 
mal  justifies  par  les  nitrites  intrins&ques  de  la  pro 
duction.  11  nous  faut  chercher  ailleurs  les  facteurs  de 
son  succes,  et  laisser  a  F  analyse  le  soin  de  nous  les 
deroiler. 

Violant  les  lois  sacrees  qui  ^tablissaient  en  Bar- 
barie  la  succession  collat^rale,  Muly  Mahamet  s'est 
empar6  de  la  couronne,  a  exi!6  ou  emprisonn6  ses 
oncles,  h^ritiers  legitimes  du  trone,  et  inaugure  son 
r&gne  par  le  meurtre  de  1'un  deux,  Abdelmunen,  et 
de  ses  deux  fils.  A  peine,  pourtant,  la  nouvelle  du 
meurtre  a-t-elle  atteint  Abdelmelec  dans  son  exil 


1.  "  Pd  unto  edward  alleyn  at  the  a  poyntment  of  the  com 
pany  the  22  of  aguste  1601  for  the  Boocke  of  mahemett  the  some 
of  xxxxs ', 


L'OEUVRE  DE  PEELE  7i 

qu'avec  1'aide  de  troupes  e'prouve'es  il  d6barque  pres 
de  Fez,  chasse  Fusurpateur,  et  1'oblige  a  fuir  aux  con- 
fins  du  Maroc  avec  sa  femme  Calipolis  el  quelques 
fiddles  partisans.  Mahamet.  serre"  de  prfcs  par  les 
armies  d'Abdelmelec,  erre,  —  fugitif  affam6,  —  par 
les  deserts  brulantsde  1'Atlas,  et  attend  anxieusement 
Tissue  de  son  ambassade  aupres  de  Se"bastien  roi  de 
Portugal.  Ses  espoirsne  sont  point  d6c,us :  S6bastien, 
enflamm6  al'id6e  de  quelque  glorieux  exploit  contre 
les  Maures,  tent6  en  outre  par  les  promesses  de  Maha 
met,  s'engage  a  lui  prefer  prompt  secours,  dans  le 
double  but  d'accroltre  ses  possessions  et  de  servir  la 
cause  du  christianisme.  -  D'actifs  pr^paratifs  ont 
de*j&  commence  en  Portugal,  quand  Thomas  Stukeley, 
un  noble  exil6  anglais,  parti  de  Rome  avec  quelques 
navires  pour  conque*rir  1'Irlande  au  nom  du  pape,  est 
jete*  par  la  tempfite  dans  la  baie  de  Lisbonne.  Le  roi 
S6bastien,  au  cours  d'une  longue  audience  le  dissuade 
de  donner  suite  a  son  vain  projet,  s'efforce  de  le 
retenir,  et  lui  persuade  enfin  de  prendre  part  al'expe*- 
dition  de  Barbaric.  Des  promesses  d'alliance  sont 
sollicit6eset  obtenuesde  Philippe  II,  et,  comptant  sur 
1'aide  espagnole,  Se"bastien  leve  aussit6t  Tancre.Mais 
le  perfide  Philippe  rompt  ses  engagements,  et  le  roi 
de  Portugal  attend  en  vain  dans  les  eaux  de  Cadix. 
IndomptS,  pourlant,  par  cette  defection,  il  se  refuse 
a  abandonner  son  dessein ;  et  la  flotte,  hissant  la 
voile,  court  sur  les  rives  d'Afrique.  L'expSdition, 
bravement,  mais  inconsidere'ment  conduite,  aboutit 


72  GEORGE  PEELE 

bientot  a  une  de>oute  tragique.  Le  4  aoui  1578, 
S£bastien,  Stukeley  et  sa  bande  d'ltaliens,  unis  a 
Mahamet,  livrent  a  Abdelmelecle  combat  d6cisif.  Les 
Italiens  de  Stukeley  supportent  courageusement  le 
choc,  jusqu'a  Theure  ou  la  fuite  des  Portugais  les 
6crase.  S6bastien  est  tu6 ;  le  Maure  noy6  dans  ses 
efforts  pour  fuir ;  Stukeley,  deja  bless6,  estpoignard6 
par  ses  mercenaires  ;  et  les  I6gitimes  vainqueurs 
terminent  la  piece  par  une  marche  funebre,  tandis 
qu'on  emportele  corps  deS6bastien,  etqu'on  6corche 
le  cadavre  souilie  de  boue  de  Fusurpateur, 

so  to  deter  and  fear  the  lookers  on 
from  any  such  foul  act  and  bad  attempt. 

Ce  sommaire  suffit  a  nous  montrer  que  le  drame 
devait  une  bonne  part  de  son  succ&s  a  son  contenu 
allusif.  Le  roi  de  Portugal  y  jouait  un  role  important, 
etles  scenes  ou  il  paraissait  ne  pouvaient  qu'acqu^rir 
un  vif  interet  du  fait  qu'en  1589  une  flotte  anglaise 
s'armait  pour  une  expedition  en  Portugal,  destin6e  a 
6tablir  sur  le  trone  le  prelendant  don  Antonio.  La 
meme  expedition  6tait  aussi,  dans  1'imagination  des 
Londoniens  tout  au  moins,  une  menace  pour  le  pape 
et  1'Italie.  Les  citadins  patriotes  la  voyaient  deja 
voguer  triomphante  vers  Rome, 

there  to  deface  the  pride  of  Antichrist, 

and  pull  his  paper  walls  and  popery  down  ;  (Far.  v.  25-26) 

et  ils  saluaient  de  leurs  acclamations  chacun  des  sar- 
casmes  Ianc6s  par  Peele  au  catholicisme  ou  a  son 
representant  dans  notre  drame,  1'eveque  irlandais, 


L'OEUVRE  DE  PEELE  73 

"  the  reverend,  lordly  bishop  of  St-Asses  "  (ii.  2.49). 

La  haine  de  1'Espagne,  en  outre,  6tait  encore  dans 
toute  sa  force ;  des  craintes  r^centes  n'avaient  fait  que 
1'accroltre,  et  toute  attaque  directe  centre  la  perfidie 
espagnole  ou  la  duplicite  de  Philippe  6tait  avidement 
accueillie.  Peele  ne  les  6pargna  point  dans  sa  l  Battle ', 
et  il  n'eut  garde  de  n^gliger  non  plus  cet  autre  sti 
mulant  de  Tenthousiasme  populaire,  un  relentissant 
pan6gyrique  de  1'Angleterre,  de  son  noble  peuple,  et 
de  sa  plus  noble  reine. 

Were  every  ship  (s'e"crie-t-il)  ten  thousand  on  the  seas, 

mann'd  with  the  strength  of  all  the  Eastern  Kings, 

conveying  all  the  monarchs  of  the  world, 

t 'invade  the  island  where  her  highness  reigns, 

'twere  all  in  vain,  for  heavens  and  destinies 

attend  and  wait  upon  her  majesty,  (ii.  4.  103  sqq.) 

Les  sons  de  la  trompette  patriotique  £taient  doux  aux 
oreilles  londoniennes,  el  Peele  en  fait  consciencieu- 
sement  vibrer  le  cuivre.  II  courtise  son  auditoire  en 
portant  de  600  h  tiOOOle  nombre  des  bommes  confies 
par  le  pape  &  Stukeley  pour  conquerir  1'Irlande;  il 
multiplie  son  unique  frigate  en  sept  navires  et  deux 
pinasses  ;  et  jelte  sur  les  6paules  de  1'aventurier  le 
manteau  6clatant  de  Th^roisme.  Sans  doule  une  his- 
toire  imparliale  nous  montrerait  en  lui  un  soldat  de 
fortune,  un  intrigant  sans  envergure,  un  forban, 
presque  un  traltre  a  son  pays.  Mais  comment  uncapi- 
taine  de  pur  sang  britannique  pourrait-il  jouer  un 
r61e  aussi  peu  honorable  parmi^s  Portugais.  Maures 


74  GEORGE  PEELE 

et  Castillans  de  notre  piece?  Peele  le  dote  g6nereu- 
sement  de  la  t6m6raire  bravoure,  de  1'insouciant  esprit 
d'aventure,  de  Fambition  invincible  qui  6taient  le  plus 
propres  a  le  faire  ch6rir  par  Factive  imagination  6li- 
sab6thaine.  C'6tait  la,  6videmment,  d6naturer  les  fails, 
mais  une  erreur  deliber6ment  commise  au  profit  de 
prejug6s  courants  6tait  suffisamment  justified,  aux 
yeux  du  dramaturge,  par  les  acclamations  bruyantes 
qu'elle  etait  sure  de  d6chainer. 

Les  changements  apport6s  a  1'histoire  elaient,  d'ail- 
leurs,  assez  judicieusement  calculus  pour  ne  pas  affai- 
blir  Finteret  que  promettait  a  Fauditoire  la  mise  en 
scene  d'evenements  contemporains1.  De  nombreux 
et  authentiques  details  ^taient'introduits  dans  chaque 
scene  pour  maintenir  dans  Fesprit  des  s^pectateurs  le 
sentiment  de  Iar6alit6,  et  Dr.  Brinsley  Nicholson  a  su 
montrer 2  qu'ils  6taient,  pour  la  plupart,  emprunte's 
a  un  court  ouvrage  latin,  intitule"  ct  Historia  de  bello 
africano;  in  quo  Sebastianus,  Serenissimus  Portu- 
galliae  Rex,  periit...  Ex  Lusitano  sermone,  primo  in 
Gallicum,  inde  in  Latinum  translate  per  Joannem 
Thomam  Freigium  D.  Noribergae  CIODXXC  ".  Toute 
Finformatiou  qu'on  nous  donne  sur  la  malheureuse 
expedition  marocaine,  sur  la  disposition  des  troupes 
ennemies  avant  le  combat,  sur  le  combat  lui-m^me, 
la  mort  miserable  de  Mahamet,  etc.,  est  tiree  de  cet 


1.  "  A  modern  matter  full  of  blood  and  ruth"  (i.  Pr.  50). 

2.  Voir  Peele.  Ed.  Bullen.  vol.  I.  p.  221  sqq. 


L'CEUVRE  DE  PEELE  75 

* 

opuscule.  El  Peele  en  a  complete"  1'etude  par  la  lec 
ture  des  chroniques  d'Holinshed1,  qu'il  suivil  parfois 
d'assez  pres  pour  en  reproduire  les  erreurs  m6mes,  et 
changer  par  exemple  en  Gre*goire  XIII  le  nom  du  pape 
Gre*goire  VII1.  Quant  au  reste  des  materiaux  utilises 
dans  la  pifcce,  on  en  doit  peut-6tre,  avec  Bullen,  faire 
remonter  Torigine  a  de  minces  brochures  depuis 
longtemps  disparues,  mais  plus  probablement  a  la 
tradition  populaire,  reside  claire  apres  une  courte 
<  l»Va.de,  et  toute  disposed  a  aider  Peele  dans  ses  efforts 
pour  id6aliser  les  exploits  discutables  d'un  Thomas 
Stukeley. 

Cette  idealisation,  1'appel  vibrant  fait  au  patriotisme, 
et  les  constantes  aljusions  politiques  de  la  l  Battle  of 
Alcazar7  furent,  e"videmment,  les  agents  les  plus  effi- 
caces  de  sa  vogue ;  mais  il  nous  faut chercher  une  autre  \ 
cause  de  son  succfcs  dans  la  maniere  dont  elle  satis- 
faisait  les  exigences  du  public  d'alors  par  la  magni 
ficence  de  ses  tableaux,  la  rapidite*  de  son  action  et  le 
ton  d6clamatoire  de  son  stylo,  en  un  motparl'adoption 
sans  reserve  de  tous  les  process  marlowesquesj 
L*esprit  df Emulation  dans  lequel  Peele  composa  saT^ 
piece  n'est,  en  fait,  que  trop  Evident.  Les  scenes  de 
conquele  africaine  avec  leurs  peintures  d'6tranges  ^ 
cours  et  d'6tranges  poientats,  et  leur  representation 
des  pompes  glorieuses  de  la  guerre,  certifient  Tin-y 


1.  Ou  plutdt  de  1'histoire  irlandaise  de  Giraldus  Cambrensis 
qu'Holinshed  a  traduite. 

2.  Lire  Holinshed.  vol.  ii.  p.  149. 1.  22-51. 


76  GEORGE  PEELE 

fluence  de  Tamburlaine1,  qu'attestent  encore  la  sura- 

v  bondance  et  le  caractere  sensationnel  des  effets  sc6- 
niques.  Peele  partage  le  gout  de  Marlowe  pour  l'6clat 
et  la  couleur  des  choses  exotiques,  des  robes  imp6- 
riales  broch6es  d'or,  des  lourdes  couronnes,  des  tapis 
de  Turquie  jetes  sous  la  roue  des  cbars,  des  enseignes 

-  froissees  par  le  vent,  des  Maures  au  teint  basane",  des 
bassas  vetus  de  soie  pourpre,  et  des  janissaires  bruns 

,/  6quip6s  pour  la  guerre.  Comme  lui,  il  drape  ses  per- 
sonnages  des  e"toffes  somptueuses  de  1'Orient,  et  il 
habille  son  Mahomet  des  de*froques  6carlates  et  cha- 
marr6es  de  Tamburlaine.  Quant  aux  [effets  sc6niques, 
ils  assouvissent  dans  les  deux  pieces  1'appelit  des  6li- 
sab6thains  pour  Fhorrible.  Chez  Marlowe,  le  heros 
s'entaille  brutalement  le  bras  pour  donner  a  ses  fils 
uneleQon  de  courage;  chez  Peele,  les  ambassadeurs 
maures,  emules  de  Mucius  Sca3vola,  livrent  leurmain 
a  la  flamme  des  torches  pour  prouver  la  v6racit6  de 
leurs  serments.  Faut-il  un  autre  exemple?  La  scene 

v  finale  du  second 'Tamburlaine ',  ou  le  conquerant 
invaincu,  aux  prises  avec  la  mort,  assiste  au  dernier 
triomphe  de  son  arm6e,  trouve  son  parallele  a  la  fin 
du  drame  peelien,  quand  le  cadavre  d'Abdelmelec 


1.  Le  berger  et  conquerant  scythe  est  d'ailleurs  expressement 
mentionne  en  bonne  place  : 

"  Convey  Tamburlaine  into  our  Afric  here, 

to  chastise  and  to  menace  lawful  kings. 

Tamburlaine,  triumph  not,  for  thou  must  die  "  (i.  2.  33). 

et  le  dernier  vers  est  une  reminiscence  de  '  Tamburlaine '  part  2. 
Acte  V : 

•  For  Tambuilaine,  the  scourge  of  God,  must  die". 


L'OEUVRE  DE  PEELE  77 

est  hiss6  sur  le  tr6ne  royal,  pour  conlempler,  comme 
s'il  v6cut  eucore,  la  victoire  de  ses  partisans  et  la 
de"route  de  ses  ennemis.  Ce  n'est  point  a  de  telles 
imitations,  d'ailleurs,  que  se  borne  1'influence  des 
"discours  tragiques"  de  Marlowe.  Plus  d'un  theme 
de  "  Tamburlaine  "  se  voit  repris  et  remani6  dans  la 
c  Battle '.  La  fameuse  tirade  sur  la  *'  suave  jouissance 
d'une  couronne  "  n'a-t-elle  point  son  pendant  dans  les 
paroles  arrogantes  de  Stukeley : 

Then  shall  no  action  pass  my  hand  or  sword 

that  cannot  make  a  step  to  gain  a  crown ; 

no  word  shall  pass  the  office  of  my  tongue, 

that  sounds  not  of  affection  to  a  crown ; 

no  thought  have  being  in  my  lordly  breast, 

that  works  not  every  way  to  win  a  crown  (ii.  2.  69  sqq.)? 

La  moindre  suggestion  n'est-elle  pas  saisie,  utilised 
par  rimagination  de  Peele,  et  ne  tire-t-il  pas  de  ces 
deux  vers : 

And  when  the  princely  Persian  diadem 

shall  fall  like  mellow 'd  fruits  with  shakes  of  death  (1  Tamb.  ii.  1) 

toute  la  pantomime  du  cinquieme  acte  \  la  pantomime 
ou  il  6voque  a  nos  yeux  la  Renomm6e  et  lui  fait 
suspendre  aux  branches  rugueuses  d'un  arbre  les 
couronnes  que  le  vent  jette  a  terre  comme  des  fruits 
trop  murs?  —  Toute  la  piece  porte  ainsi  des  marques 
d'une  imitation  appreciative  de  Marlowe.  --  Nous  en 
trouverons  d'autres  dans  1'examen  de  son  style  et  de 
sa  versification ;  mais  il  n'en  serait  pas  moins  erron6 

1.  *  Battle  of  Alcazar,  Acte  V.  Prol.  v.  11  et  suivants. 


78  GEORGE  PEELE 

de  parler  de  servilit6  ou  de  plagiat.  Une  certaine 
originalit^  se  manifeste  dans  la  structure  dramatique 
de  la  'Bataille  d'Alcazar'.  '  Tamburlaiiie '  en  effet, 
n'est  qu'une  sorte  d'6pop6e  egar^e  dans  les  sentiers 
du  drame.  Son  action  est  justement  critiqued  pour 
sa  monotonie  et  sa  longueur.  C'est  une  serie  de  scenes 
impressionnantes,  une  longue  chaine  de  noeuds  gor- 
diens  que  le  he>os  tranche  un  a  un.  Le  conqu^rant 
scythe  d^passe  d'autant  ses  allies  et  ses  adversaires 
que  le  Pharaon,  dans  une  peinture  6gyptienne,  la 
tourbe  vile  de  ses  ennemis.  Anim6e  par  le  souffle 
ardent  de  Marlowe,  son  6crasante  personnalH6  seule 
unit  Fun  a  1'autre  tous  les  incidents  de  la  piece  et 
assure  Fharmonie  du  tout.  Mais  le  talent  de  Peele 
n'eut  pu  se  hausser  a  une  aussi  puissante  creation; 
conscient  de  cette  incapacity  il  chercha  judicieu- 
sement  I'unit6  de  sa  piece,  non  point  dans  la  peinture 
d'un  caractere  unique,  centre  de  tout  interet,  mais 
dans  une  m6thode  de  construction  diff6rente  et  plus 
essentiellement  dramatique.  Toute  Fintrigue  de  la 
4  Battle  of  Alcazar '  se  base  sur  les  crimes  de  Mahamet 
et  leurs  consequences :  sa  deposition  et  ses  efforts 
pour  regagner  la  couronne.  Ce  n'est  plus  a  un  r6cit 
6pique,  a  une  succession  chronologique  d'6v6nements 
que  nous  avons  affaire,  mais  a  une  crise  provoqu6e  par 
un  crime  initial.  —  Le  juste  chatiment  et  la  mort  du 
criminel  marquent  le  drame  comme  une  u  revenge- 
play  ",  et,  en  fait,  les  efforts  conscients  de  Peele  sem- 
blent  avoir  6t6  d'unir  au  type  du  drame  marlowesque 


L'CEUVRE  1)E  PEELE  79 

la  tragSdie  fataliste,  batie  surdes  modules  s6n6ciens. 
N'e*tait-ce  point  la,  du  reste,  ce  que  nous  pouvions 
attendre  d'un  ancien  (Hudiant  d'Oxford  qui  joignait  a 
sa  juste  admiration  de  la  literature  classique  le  d6sir 
d'adapter  a  ses  fins  tout  ce  que  la  faveur  populaire 
avait  consacre'  d6ja?  La  l  Bataille  d'Alcazar',  a  plus 
d'un  egard,  est  une  pifcce  selon  la  tbrmule  de  Se"nfcque ; 
mais  constater  le  fait  n'implique  pas  que  les  tragedies 
latines  soient  les  modeles  directs  de  Peele.  A  la  date 
<>ii  parut  son  drame,  la  multiplicity  des  imitations 
ante>ieures  rend  impossible  la  distinction  entre 
1'influence  directe  et  indirecle  du  tragique  romain ; 
et  tout  au  plus  peut-on  affirmer  avec  certitude  que  la 
production  peelienne  appartient  au  type  s6ne*cien 
presque  au  m6me  titre  que  l  Tancred  and  Gismunda ' 
et  les  'Misfortunes  of  Arthur'.  Comme  ces  pieces, 
elle  respire  une  atmosphere  chargee  de  sang;  comme 
elles,  elle  se  complalt  a  l'6talage  d'horreurs  lugubres; 
les  fant6mes  y  appcllent  la  vengeance  sur  la  tele  de 
leurs  meurtriers;  les  allusions  mythologiquess'y  bor- 
nent  aux  dieux  d'en  bas  et  a  la  compagnie  infornale 
qu'aime  invoquerSenfcque  :Tantale,Ixion,Sisyphe,ou 
Nemesis  ;  enfm  la  piece  est  dument  pourvue  des  ine*- 
vitables  pantomimes,  aussi  insipides  que  compliqu^es. 
Le  choix  m&me  de  son  sujet  fut  peut-6tre  dict6  par 
une  ressemblance  superficielle  avec  1'Agamemnon  ou 
le  Thyeste.  Quel  qu'en  ait  616  d'ailleurs  le  motif,  ce 
choix  seul  importe ,  et  nul  ne  saurait  contester  que  1'his- 
toire  d'un  usurpateur  meurtrier,  chass6  par  les  pr6ten- 


80  GEORGE  PEELE 

danis  16gitimes  etre"duit  a  courtiserl'aide  6trangere, 
ne  soit  un  puissant  theme  de  trage"die.  Peele,  malheu- 
reusement,  n'a  pas  su  en  d^gager  tout  Finteret  6mo- 
tionnel,  et  ici  encore  la  pauvret6  psychologique  des 
caracteres  estla  cause  premiere  de  son  6chec-  Maha- 
met,  le  heros  de  la  piece,  ne  doit  sa  preeminence 
qu'a  ses  crimes  et  ses  deTaites,  —  source  d'ou  precede 
le  mouvement  de  toute  Fintrigue ;  mais  son  caractere 
n'6volue  pas,  ne  se  de>eloppe  pas  au  cours  de  la  pifcce, 
et  n'est  pas  meme  dessine,  d&s  le  debut,  en  traits 
fortement  distinctifs.  II  ne  se  montre  a  nous  qu'en 
deux  attitudes :  Tune  de  feinte  confiance  et  de  forfan- 
terie  forcen£e,  1'autre  de  d^sespoir  blasph6mateur. 
II  nous  remet  en  Fesprit  tantot  Tamburlaine,  tantot 
Bajazet,  mais  un  Tamburlaine  et  un  Bajazet  qui 
seraient  pauvres  en  passion  r6elle,  sinon  en  rhe"to- 
rique  passionn^e  ;  et  il  n'est,  somme  toute,  qu'un 
vilain  froidement  concii  et  fort  indifferemment  de"- 
peint.  Calipolis,  sa  compagne,  n'a  d'autre  fin  que  de 
repr^senter  Foment  de  conscience  donl  1'absence 
est,  en  lui,  si  manifeste ;  et  dans  la  foule  des  autres 
personnages  S6bastien  et  Stukeley  seuls  se  pr6sentent 
a  nos  yeux  avec  quelque  relief.  Le  reste  se  meut 
f6brilement  sur  la  scene,  —  ombres  presque  aussi 
irre~elles  que  les  fantomes  dont  les  cris  de  "  Vin- 
dicta"  retentissent  dans  les  u  dumb-shows  "  de  notre 
drame.  Nulle  part  Fint6ret  n'est  command^  par 
Faction  et  la  reaction  des  diffe>ents  caracteres,  mis 
r^ciproquement  en  vigueur  par  leur  opposition  m^me. 


L'OEUVRE  DE  PEELE  8i 

L'attention  se  concentre  toute  sur  les  incidents  mate'- 
riels  de  I'intrigue,  et,  dans  1'importance  qu'on  leur 
donne,  la  consideration  de  tous  les  autres  elements 
dramatiques  semble  s'etre  absorbee.  L'intrigue,  qui 
plus  est,  a  la  froideur  seche  d'une  ebauche ;  rien  ne 
nous  reste  que  le  squelette  du  drame,  avec  ses  c6tes 
saillantes  et  ses  os  gr&les,  nu,  decharn6,  —  une  pure 
succession  d'incidents  qui  laisse  a  peine  a  la  passion, 
au  sentiment,  a  la  reflexion  le  temps  ou  la  possibilite 
de  s'exprimer.  Des  meurtres,  des  ambassades,  des 
escarmouches  et  des  batailles,  —  c'est  la  ce  qui 
occupe  presque  entierement  la  pifece,  de  son  expo 
sition  a  son  denouement;  et  la  grandeur  tragique  du 
theme  est  sacrifice  au  plaisir  tentant  d'utiliser  tout 
1'attii  ail  fastueux  et  bruyant  des  pieces  historiques. 
L'importance  disproportionnee  donnee  aux  incidents 
guerriers  de  Faction  nous  engagerait  mftme  a  ranger 
au  nombre  de  ces  pieces  la  4  Battle  of  Alcazar',  si  la 
mise  en  scene  exotique,  la  recurrence  de  motifs  mar- 
lowesques,  et  un  certain  ton  de  determinisme  a  la 
Seneque  ne  nous  rem£moraient  a  chaque  instant  les 
intentions  replies  de  Peele,  ses  efforts  pour  extraire 
de  chaque  type  de  drame  alors  populaire,  et  com 
biner  dans  sa  propre  production,  tous  les  elements 
qui  lui  semblaient  propres  a  gagner  la  favour  de  son 
auditoire. 

C'est  avec  ce  m&me  objel  en  vue  qu'il  fit  du  vers 
blanc  le  metre  de  sa  piece  et  mit  dans  la  bouche  de 
ses  personnages  ces  tirades  redondantes  et  retentis- 

CREFFAUD.  6 


82  GEORGE  PEELE 

sanies  alors  si  che>ies  du  public.  La  l  Bataille  d' Al 
cazar  ',  examinee  au  point  de  vue  de  la  forme,  re>ele, 
comme  on  le  pouvait  pre>oir  une  double  de*pendance. 
A  1'exemple  de  Marlowe  nous  ne  pouvons  qu'imputer 
partiellement  Fenflure  declamatoire  du  style,  quoique 
plus  d'un  passage  extravagant  de  notre  piece  porte 
I'estampille  de  Tamburlaine,  celui-ci  entre  autres : 

Mahamet. 

Such  slaughter  with  my  weapon  shall  I  make 
As  through  the  stream  and  bloody  channels  deep 
Our  Moors  shall  sail  in  ships  and  pinnaces 
From  Tangier  shores  unto  the  gates  of  Fess. 

Mahamet 's  son. 

And  of  those  slaughter 'd  bodies  shall  thy  son 

A  hugy  tower  erect  like  Nemrod's  frame, 

To  threaten  the  unjust  and  partial  gods 

That  to  Abdallas  '  lawful  seed  deny 

A  long,  a  happy  and  triumphant  reign,  (i.  2.55  sqq)1. 

Mais  il  serait  injuste  de  negliger  1'influence  de  S6neque 
sur  la  rhelorique  grandiloquente  de  la  c  Bataille  ' ;  a 
sa  part  doivent  6choir  les  invectives  les  plus  acerbes, 

1.  Gomparez  Marlowe  '  2  Tamburlaine  '.  i.  3 : 

Celebinus.  Amyras. 

No,  madam,  those  are  speeches  fit  for  us,  And  I  would  strive  to  swim  through  pools  of  blood 

for  if  his  chair  were  in  a  sea  of  blood.  or  make  a  bridge  of  murdered  carcasses, 

I  would  prepare  a  ship  and  sail  to  it.  whose  arches  should  be  framed  with  bones  of  Turks 

ere  I  would  lose  the  title  of  a  king.  ere  I  would  lose  the  title  of  a  king. 

La  ressemblance  des  passages  suivants  est  a  peine  moins  frap- 
pante : 

"  Some  foul  contagion  of  th'infected  heaven  'And  all  the  trees  are  blasted  with  our  breaths ' 

blast  all  the  trees  "  BA.  ii.  3.  7-8.  i.  Tamb.  iii.  1. 

"And  Victory,  adorn'dwith  Fortune's  plumes,  "  Fortune  herself  does  sit  upon  our  crest  " 

Alights  on  Abdelmelec's  glorious  crest  i  Tamb.  ii.  2, 

"BA.  ii.  1.6-7. 

"  And  lay  huge  heaps  of  slaughter  'd  carcasses  "  Let  thousands  die,  their  slaughter  'd  carcasses 

As  bulwarks  in  her  way  to  keep  her  back  "  shall  serve  for  walls  and  bulwarks  to  the  rest " 

BA.  ii.  3.  85-6  iTamb.  iii.  3. 


L'OEUVRE  DE  PEELE  83 

les  allusions  multiples  au  monde  infernal,  aux  hiboux, 
corbeaux  et  autres  oiseaux  funestes,  aux  deserts  mau- 
dits,  et  a  ces  antres  d£so!6s  qu'assombrit  1'ombre 
lugubre  de  1'if  et  du  cyprfcs.  —  Limitation  de  Mar 
lowe,  par  contre,  explique  seule  pourquoi  la  4  Battle 
of  Alcazar'  est  6crite,  de  la  premiere  a  ladernifere 
ligne,  en  vers  blancs.  Sans  doute  on  ne  saurait  faire 
gloire  a  Marlowe  d'avoir  introduit  au  th6Atre  le  d6ca- 
syllabeh6roique,  car  Peele  lui-m&ne  en  avait  fait  fort 
bon  usage  dans  son  *  Arraignment ',  mais  11  n'en 
suit  pas  moins  Fexemple  de  son  rival  lorsque,  dans 
le  present  drame,  il  adopte  ce  mfctre  a  1'exclusion  de 
tout  aulre.  Son  vers  blanc,  du  reste,  difffcre  peu  de 
celui  de  l  Tamburlaine ' ;  coulant  et  facile,  il  manque 
encore  de  vari6t6  et  de  souplesse,  —  tant  il  est  pau- 
vre  en  syllabes  hypermStriques  eten  enjambements. 
Peele  cherche  a  obvier  a  cette  monotonie  et  a  com- 
penser  la  perte  de  la  rime  par  divers  effets  de  diction. 
L'alliteration,  la  r6p6tition  des  mftmes  mots  dans  le 
m&me  ordre,  un  exact  parallelisme  de  structure  dans 
les  deux  hemistiches  d'un  vers  ou  dans  des  vers  suc- 
cessifs  sont  les  proc6d6s  auxquels  il  a  le  plus  fr£- 
quemment  recours ;  mais  il  n'h^site  pas  a  Toccasion 
devantdes  formes  plus  savantes,  devant  la  tl  progres 
sion  iterative  ",  parexemple,  qui  consiste  a  reprendre 
au  d6but  de  chaque  vers  les  mots  qui  terminent  le 
precedent : 

And  for  this  deed  ye  shall  be  renown 'd, 
renown  'd  and  chronicled  in  books  of  fame, 


84  GEORGE  PEELE 

in  books  of  fame,  and  characters  of  brass, 
of  brass,  nay,  beaten  gold.  (iii.  4-50  sqq.) 

Enfin  il  s'efforce  de  varier  les  plus  longues  tirades  par 
1'insertion  d'un  m&me  vers  a  intervalles  sensiblement 
r^guliers,  divisant  ainsi  le  tout  en  une  se>ie  de  para- 
graphes,  ou,  si  Ton  nous  permet  1'expression,  une 
se>ie  de  stances  en  vers  libres 

After  the  fight  happy  and  fortunate 

wherein  our  traitorous  Moors  have  lost  the  day, 

and  Victory,  adorn'd  with  Fortune's  plumes, 

alights  on  Abdelmelec  's  glorious  crest, 

here  find  we  time  to  breathe,  and  now  begin 

to  pay  thy  due  and  duties  thou  dost  owe 

to  Heaven  and  Earth,  to  Gods  and  Amurath. 

And  now  draw  near,  and  heaven  and  earth  give  ear, 

give  ear  and  record,  heaven  and  earth,  with  me;... 

our  only  brother  here  we  do  install 

and  by  the  name  of  Muly  Mahamet  Seth 

intitle  him  true  heir  unto  the  crown... 

Lo,  thus  my  due  and  duties  do  I  pay 

to  Heaven  and  Earth,  to  Gods  and  Amurath.  (ii.  1-4  sqq). 

Quelques-uns  de  ces  artifices  de  style,  il  est  vrai,  sont 
aussi  familiers  a  Marlowe  qu'a  Peele ;  mais  la  plu- 
part  sont  particuliers  a  celui-ci,  et  montrent  a  la  fois 
son  originality  comme  versificateur  et  styliste,  et  le 
soin  qu'il  apporta  a  re*diger  et  fignoler  sa  piece. 

En  fait,  le  style  travaille  et  poli  de  la  '  Battle '  est 
le  seul  me>ite  qui  la  puisse  racheter  a  nos  yeux.  Les 
penchants  qu'elle  flatte  sont  des  choses  du  passe" :  les 
hyperboles  d'un  pan£gyrique  n'e"veillent  plus  notre 
patriotisme ;  la  rh6torique  d^clamatoire  ne  provoque 
plus  aujourd'hui  que  nos  sifflets,  une  action  bounce 


L'CEUVRE  DE  PEELE  85 

d'incidents  et  d'atrocit£s  r^pugne  a  notre  imagination  ; 
et  F  analyse  des  caractfcres  dont  nous  nous  soucions 
presque  exclusivement,  fait  trop  manifestement  defaut 
dans  la  '  Bataille  d' Alcazar '  pour  nous  permettre  de 
souscrire  au  jugement  favorable  que  les  contempo- 
rains  semblent  en  avoir  formed 

EDOUARD  I. 

Assure  des  sympathies  du  parterre  pour  des  sujets 
d'histoire,  c'est  £  Fhistoire  que  Peele  demanda  encore 
le  theme  d'un  autre  drame : "  the  chronicle  of  Edward  I, 
surnamed  Longshanks  ".  Mais,  instruit  par  une  plus 
grande  experience  du  th&Hre,  il  abandonna  celte  fois 
les  chroniques  portugaises  ou  marocaines,  et  s'adressa 
aux  annales  nationales  pour  la  maliere  de  sa  nouvelle 
piece. 

Son  lEdouard  T  fut  imprime  en  1593  par  Abel 
Jeffes,  et  une  seconde  edition  parut,  chez  William 
White,  en  1599.  Les  premieres  representations, 
cependant,  avaient  du  pr6c£derde  quelques  ann^es  la 
publication  du  quarto  le  plus  ancien,  et,  quoiqu'il  nous 
faille  laisser  une  certaine  part  a  Timpr^cision,  nous 
en  pouvons  fixer  approximativement  la  date.  Les  auto- 
rit^s  habituelles  ne  nous  prfttent  qu'une  aide  ineffi- 
cace.  Dans  les  Registres  des  Stationers  nous  trouvons, 
sans  doute,  la  mention  des  editions  successives  de 
notre  pifcce1,  mais  ceci  ne  nousfournit  qu'un  u  termi- 

4.  viij°  Die  Octobris  1593.  Abel  Jeffes.  Entred  for  his  copie  under 
th<eh>andes  of  both  the  wardens  an  enterlude  intituled  the  chro- 


86  GEORGE  PEELE 

nus  ad  quern  "  pour  sa  composition ;  et  le  Journal 
d'Henslowe  est  aussi  pauvre  en  information1.  Tout  au 
plus  apprenons-nous  de  lui  que  u  Longshanks  "  fut 
jou6  par  les  ''Admiral's  Men  "  de  Mai  1595  a  Juillet 
1596  et  que  les  droits  de  proprie"te  en  appartenaient 
a  Alleyn  jusqu'en  Aout  1602 a.  Ces  quelques  details  ne 
nous  indiquent  pourtant  pas  l'6poque  de  la  production, 
et  nous  en  sommes  r6duits,  pour  1'etablir,  au  seul 
t^moignage  de  la  piece  m£me.  II  est  ais6  de  voir 
qu'elle  fut  6crite  apres  la  deroute  de  F  Armada,  pen 
dant  ces  ann6es  oh  1'Angleterre,  fiere  d'avoir  humilie' 
1'orgueil  espagnol,  chantait  un  peu  trop  insolemment 
victoire.  Herr  Wilhelm  Thieme  a,  en  outre,  ing^nieu- 
sement  remarqu6 3  que  la  scfcne  on  s'6tale  la  munifi 
cence  d'Edouard  (Sc.  i.  v.  117  sqq.)  faussait  Fhistoire 
pour  glorifier  indirectement  Elisabeth,  dont  la  g6ne>o- 
sit6  se  manifestait  alors  par  des  pensions  aux  marins 
blesses  pendant  la  lutte  contre  1'Espagne.  Ceci  nous 
donne  \  588  comme  "  terminus  a  quo  ",  et  circonscrit 
les  recherches  entre  cette  date  et  1593.  Plus  de  pre"ci- 
sion,  pourtant,  est  n^cessaire  pour  determiner  la  place 
relative  d' l  Edouard  I '  dans  la  carriere  dramatique  de 

nicle  of  king  Edward  the  Firste  surnamed  Longshank  with  his 
Retourne  out  of  the  Holye  Lande,  with  the  lyfe  of  Leullen  Rebell 
in  Wales,  with  the  sinkinge  of  Queen  Elinor  vj*. 

13  Augusti  1599.  William  White.  Entered  for  his  copies  (salvo 
Jure  cujuscunque)  by  assignement  from  Abel  Jeffes.  Edward  Long- 
shankes,  etc. 

1.  Gonsulter  <  Henslowe 'sDiary,  (du  29  aout  1595au9  juil.  1596). 

2.  "  Pd  unto  my  sone  E  A  for  ij  bocke  called  philippe  of  spayne 
&  Longshanckes  the  8  of  agust  1602  the  some  of.  iiijn . 

3.  Peele's  Edward  I  und  seine  Quellen.  Halle  1903. 


L'CEUVRE  DE  PEELE  87 

Peele.  Fleay  1'assigne  approximativement  a  l'anne"e 
1590-91,  en  raison  de  ressemblances  bien  denies 
avec  quelques  vers  de  Polyhymnia  (1590)1 ;  mais  cet 
argument,  bien  que  solide,  ne  serait  pas  concluant  en 
soi  sans  1'appoint  que  lui  apportent  les  allusions  poli- 
tiques  contenues  en  plusieurs  passages.  Ces  deux  vers 
en  effet : 

Her  (England  's)  neighbour  realms  as  Scotland,   Denmark, 

France... 
have  begg'd  defensive  and  offensive  leagues,  (i.  1.  22-23) 

n'admettent  qu'une  interpretation:  en  1590,  le  roi 
d'Ecosse,  Jacques IV,  6pousa,  surles  conseilsd'Elisa- 
beth,  Anne,  fillede  Ferdinand  de  Danemark ;  et  regut 
Tordre  de  la  Jarretiere  en  mfime  temps  qu'Henri 
de  Navarre,  —  alors  occupe"  a  gagner  sa  couronne 
avec  1'aide  de  troupes  britanniques.  Une  reference 
a  ces  e've'nements  contemporains  nous  explique  le 
choix  de  1'ficosse,  du  Danemark  et  de  la  France  dans 
notre  texte.  uWhat  warlike  nation",  6crit  encore 
Peele, 

what  barbarous  people,  stubborn  or  untam'd, 

erst  have  not  quak'd  and  trembled  at  the  name 

of  Britain  and  her  mighty  conquerors?  (i.  1.  16  sqq.) 

2.  Cf.  par  ex. 

"  And  whilst  ibis  ancient  standard  bearer  lives        ,,  To  be  jour  beadsman  now  that  was  your  knight" 
he  '11  be  my  beadsman,  father  if  yon  please  "  Polyhymnia  Sonnet  18. 

E.I.  Sc  i.  128-9. 

"  Renown  'd  Edward,  star  of  England 's  globe  "  "  Britannia's  AUai,  star  of  England  '•  globe  " 
Ei.  Scv.  48.  Pol.  T.  4. 

"  And  sway  the  sword  of  British  Albion.  "  ••  That  sway  the  massy  sceptre  of  her  land  " 
Ei.  Sc  ii.  321.  Pol.  T.  5. 

"  The  damps  that  rise  from  out  the  queachy  plots  "  When  in  the  qneacby  plots  Python  he  slew" 
El.  Se.  7.  77.  Pol.  v.  213. 

"  Hath  won  his  crown,  his  collar,  and  his  spurs  ".  "  He  won  his  knightly  spars  in  Belgia. 

El.  Sc.  1   90. 

"  Dab  on  your  drams,  tanned  with  India  s  sun  "  And  follow'd  dab  of  drums  in  fortune's  grace". 
Ei.  Sc.  1. 107.  Pol.  197-8. 


88  GEORGE  PEELE 

et  on  serait  tent6  de  regarder  ces  quelques  vers 
comme  une  vaine  rodomontade,  si  le  passage  n'6tait 
comment^  et  6lucid6  par  ces  mots  de  1'historieri 
Camden :  u  The  glory  of  Queen  Elizabeth  was  spread 
abroad,  and  her  reputation  extended  far,  having 
obtained  in  1590  of  the  Emperor  of  the  Turks  rest 
and  quiet  for  the  Vaivod  of  Moldavia  who  had  been 
miserably  plagued  and  turmoiled  by  the  Turks,  and  a 
peace  for  the  Polonians  who  were  threatened  by  them 
with  a  sharp  and  dangerous  war'71. 

Ces  allusions  rendent  presque  sure  la  dale  sugge"re"e 
par  Fleay  (1590-91),  et  nous  croyons  probable  que 
la  piece  appartenait  alors,  comme  en  1595,  a  la 
troupe  du  Lord  Admiral2.  La  version  que  nous  en 
poss6dons  prouve,  en  tout  cas,  que  Peele  n'eut  rien 
a  voir  avec  sa  publication ;  la  date  du  premier  quarto 
suggere  m6me  qu'elle  fut  envoy6e  a  1'impression  par 
les  com6diens  lorsque  la  peste  les  obligea  a  quitter 
Londres  pour  les  provinces.  Le  drame,  tel  que  nous 
Favons  dans  1'exemplaire  de  1593,  est  irr6m6dia- 
blement  mutil6 ;  non  seulement  le  texte  en  est  cor- 
rompu,  mais  plusieurs  scenes  sont  maladroitement 


4.  Camden.  The  History  of  Quen  Elizabeth.  4  ed.  London.  4688. 
p.  442. 

2.  Nous  avons  vu  que  ies  "  Admiral's  Men  "  et  les  "  Strange 's 
Men  "  ne  formerent  qu'une  seule  troupe  de  4590  a  1594.  Ceci  auto- 
riserait  Fleay  a  conjecturer,  avec  une  certaine  plausibilite,  que  le 
vers  "  Shake  thou  thy  spear  in  honour  of  his  name  "  est  une 
allusion  a  Shakespeare ;  car  Shakespeare  appartenait  a  cette  date 
a  la  troupe  de  Strange,  et  jouait  habituellement,  nous  dit  John 
Davies,  des  "  r61es  de  roi  ". 


L'OEUVRE  DE  PEELE  89 

d6plac£es,  plusieurs  passages  transports  la  oil  ils 
n'ont  que  faire,  el  le  denouement,  enfin,  est  assez 
de*plorablement  endommage'  pour  n'6tre  qu'un  m£- 
lange  confus  de  pieces  et  de  morceaux.  Quant  au 
quarto  de  1599,  bien  qu'il  corrige  quelques  erreurs 
typographiques  trop  manifestes,  il  en  adopte  impli- 
citement  la  plupart,  en  ajoute  d'autres,  et  n'est, 
somme  toute,  qu'une  servile  relmpression.  Dans  les 
deux  cas  il  est  Evident  que,  si  les  erreurs  de  texte 
peuvent  fctre  impulses  a  1'insouciance  du  copiste  ou  a 
Tignorance  du  compositeur,  une  conjecture  d'ordre 
different  doit  expliquer  les  autres  anomalies  des 
quartos :  et  seul  un  compte  rendu  de*taill6  de  la  pifcce 
peut  mettre  sur  la  voie  d'une  solution  plausible. 

Le  rideau  se  Ifcve  sur  un  retour  de  croisade,  le 
retour  triomphal  du  roi  Edouard  et  de  la  reine 
El6onore.  Grande  est  leur  joie  a  la  vue  de  la  patrie 
anglaise :  noble  leur  gratitude  envers  les  troupes  qui 
ont  affront^  avec  eux  les  perils  de  la  guerre  sainte.  Le 
roi  reQoit  de  Gloucester  les  insignes  du  pouvoir,  et, 
aprfcs  avoir  fix6  le  jour  de  son  couronnement,  s'eioi- 
gne  avec  tout  son  cortege  pour  gouter  les  plaisirs  de 
la  table  et  la  joie  du  repos.  —  Encore  ignorant  de  son 
retour,  Lluellen,  le  rude  chef  Gallois,  se  flatte  de 
deiivrer  son  pays  du  joug  britannique  et  d'^pouser 
bient6t  la  gracieuse  Ellen,  <l  -the  rose  of  Leicester's 
hall  and  bower".  Tout  au  bonheur  de  ce  doux  espoir, 
il  raille  joyeusement  un  moine  qu'il  rencontre  en 
compagnie  peu  canonique;  mais  un  messager  lui 


90  GEORGE  PEELE 

apporte  de  brusques  nouvelles :  Edouard  est  arrive"  a 
Windsor,  la  barque  d'Ellen  a  e"te"  prise,  sur  la  route 
de  Galles,  par  des  vaisseaux  anglais;  et  Lluellen, 
avec  des  serments  de  vengeance,  d6vaste  sur-le- 
champ  la  frontifcre.  —  Pour  6touffer  la  rebellion,  on 
envoie  Mortimer  et  une  arme*e ;  mais  Longshanks 
lui-meme  ajourne  sa  venue  jusqu'au  lendemain  du 
couronnement.  La  solennit6  de  ce  jour  est  rendue 
plus  imposante  encore  par  la  presence  des  nobles 
Scossais  qui  confient  a  Edouard  le  choix  de  leur 
monarque  et  acceptent  Baliol  de  sa  main.  Le  roi  quitte 
alors  la  cour  pour  FOuest  et  termine  aussitot  la  guerre 
par  la  restitution  d'Ellen  a  son  6poux  et  la  promesse 
de  ne  laisser  personne  r6gner  en  Galles  qui  ne  soit  n6 
en  sol  gallois.  Cette  promesse  dissimule,  toutefois,  un 
plan  bien  trame\  Mand6e  par  Longsbanks  k  Carnarvon, 
El6onore  y  accoucbe  bientot  d'un  fils  qui  remplit  les 
conditions  du  traite"  et  regoitl'hommage  des  rebelles. 
La  pacification  serait  ainsi  complete,  si  Lluellen  ne 
s'avisait  de  chercher  refuge  dans  les  forets  pour  y 
vivre  la  vie  bardie  et  irr^guliere  du  hors-la-loi. 
Tandis  qu'il  personnifie  Robin  Hood  et  sa  compagne 
Maid  Marian,  ses  partisans  se  partagent  avec  succ&s 
les  roles  de  Little  John,  Friar  Tuck  et  autres  h6ros 
du  brigandage.  Tous  volent,  pillent,  attaquent,  arr&- 
tent,  rangonnent  et  6trillent  les  voyageurs,  du  plus 
grand  seigneur  au  moindre  manant;  et  le  roi  lui- 
meme,  quoique  vainqueur  de  leur  cbef  en  combat 
singulier,  ne  peut  mettre  fin  a  leurs  exactions  et  & 


L'OEUVRE  DE  PEELE  9i 

leurs  rapines.  —  De  p£nibles  ere'nements,  d'ailleurs, 
1  'uppellent  en  ficosse,  ou  Baliol,  rassemblant  une 
arm6e  h  Berwick,  s'est  inopin£ment  re"volte\  Edouard 
marche  droit  au  repaire,  1'atlaque,  1'emporte  et 
exp^die  Baliol  captif  a  la  Tour  de  Londres.  Au  pays 
de  Galles  aussi,  la  victoire  favorise  la  cause  anglaise : 
Mortimer  taille  en  pieces  la  derniere  bande  et  mas 
sacre  le  dernier  mutin.  Mais  la  Fortune  pretend 
£prouver  encore  la  Constance  d'Edouard.  Aux  dangers 
nationaux  succedent  les  malheurs  domestiques :  la 
reine,  1'Espagnole  E16onore,  a  re>616  son  origine  par 
sa  cruaut6  et  son  orgueil,  et  s'est  Iaiss6e  emporter  au 
meurtre  inqualifiable  de  la  mairesse  de  Londres.  Le 
chatiment,  du  reste,  a  suivi  de  pres  Tassassinat:  la 
terre,  s'entr'ouvrant,  a  englouti  la  reine  a  Charing 
Green  pour  la  rejeter  a  Potter' s-hith,  et  maintenant 
elle  repose,  bris^e  et  g^missante,  sur  son  lit  de  mort. 
Le  roi,  6pouvant6  par  la  nouvelle,  hate  son  retour 
d'ficosse  pour  courirau  chevet  de  son  Spouse.  Sous 
un  d^guisement  eccl^siastique,  il  la  confesse;  et 
apprend  de  sa  bouche  qu'elle  a  souill£  le  lit  nuptial 
avec  son  beau-frere  et  un  moine ;  mais,  respectueux 
de  la  mort,  il  rSprime  sa  douleur  et  sa  colere,  pardonne 
comme  6poux  et  absout  comme  pr6tre,  et  c!6t  le 
drame  par  de  magnanimes  paroles  de  remission. 

L'action ,  on  le  voit  par  cette  analyse,  est  surcharged 
d'incidents  que  le  dramaturge  se  soucie  peu  de  faire 
decouler  logiquement  Tun  de  1'autre ;  et  force  nous  est 
d'arranger  les  scenes  successives  en  trois  series  s6pa- 


92  GEORGE  PEELE 

rees,  de  reduire  la  piece  a  trois  intrigues  distinctes,  — 
traitant  respectivement  des  guerres  d'Edouard,  de  la 
vie  d'E16onore,  et  des  aventures  du  Robin  Hood  gallois . 
Chaque  intrigue,  d'ailleurs,  a  ses  sources  sp£ciales. 
Deux  6rudits  allemands,  Herr  Thieme  et  Herr  Kro- 
neberg,  ont  laborieusement  6tudi6  la  question.  II  est 
inutile  de  les  suivre  dans  le  detail  de  leur  6tude;  il 
suffit  de  rappeler  que  la  source  des  portions  stric- 
tement  historiques  de  notre  piece  a  6t6  trouv6e  par 
eux  chez  Grafton  et  Holinshed,  et  quelques  pas 
sages  particuliers  chez  Stow,  Walsingham  et  Mathew 
of  Westminster.  Cette  partie  de  leur  travail  est  exacte, 
et  nous  n'avons  aucun  motif  pour  revenir  sur  leurs 
conclusions.  II  n'en  est  pas  de  meme  en  ce  qui  con- 
cerne  les  scenes  pseudo-historiques  consacr^es  a 
E16onore.  Tous  supposent  que  Peele  tira  ses  mat^riaux 
de  ballades  intitules  l  A  Warning-Piece  to  England 
against  Pride  and  Wickedness  '  et  '  Queen  Elinor's 
Confession '  mais  nous  ne  saurions  affirmer  que  ces 
ballades  ont  pr6c6d6  la  piece  de  Peele,  car  la  premiere 
ne  fut  imprime^e  par  Thomas  Symcock  que  sous  le 
regne  de  Jacques  Ier,  et  la  plus  ancienne  version  de  la 
seconde  est  dat6e  1685.  II  serait  meme  possible,  a  la 
rigueur,  de  se  passer  de  1'une  et  Fautre.  Les  '  Gesta 
Romanorum'  en  effet,  contiennent  un  passage  qui 
coincide  en  tous  points  avec  le  re~cit  du  meurtre  corn- 
mis  par  E16onore  * ;  et  1'histoire  du  man*  confesseur, 

1.  Voir:  Gesta  Romanorum.  Ed.  Hermann  OEsterley  (Berlin. 
i872)p.  683-279  app.  83. 


L'CEUVRE  DE  PEELE  93 

familiere  aux  conteurs  italiens  ',  se  retrouve  dans  un 
ouvrage  anglais  contemporain :  le  '  Schoolmaster'  de 
Thomas  Twyne  (1576)  *.  II  conviendrait  peut-6tre  de 
chercher  la  la  source  de  notre  seconde  intrigue.  — 
Quant  a  la  troisieme,  l'6pisode  de  Lluellen-Robin 
Hood,  —  elle  paralt  directement  fondle  sur  le  folk 
lore  et  les  cycles  de  ballades  populaires,  bien  qu'il 
soitcurieuxdeconstaterque  tous  les  incidents  en  sont 
plus  ou  moins  identiques  a  ceux  de  la  *  Lytell  Geste  ' 
et  de  la 4  New  Play  of  Robin  Hood ' ,  publie*es  ensemble 
par  W.  Copland  en  1550  environ. 

De  ces  trois  intrigues,  que  I'expos6  des  sources, 
comme  Tanalyse  du  drame,  re"vele  distinctes,  les  deux 
premieres  sontr6ellement,  sinon  6lroitement  r6unies, 
mais  les  aventures  de  brigandage  de  Lluellen  n'in- 
te>essent  pas  immediatement  Faction  propre  de  la 
piece.  Elles  sont  m6me  si  6trangeres  a  1'ensemble  que 
quelques  critiques  lendent  a  les  conside"rer  comme 
de  pures  interpolations.  Leur  style,  cependant, 
est  trop  peelien  pour  nous  permettre  d'accepter  une 
telle  supposition,  et  nous  croyons  fermement  qu'elles 
sont  des  additions  faites  par  Peele  a  sa  premiere  ver 
sion  du  drame.  Si  cette  conjecture  est  vraie,  l'6pi- 
sode  de  Robin  Hood  doit  former  un  tout  inde"pendant ; 
-  on  peut,  en  fait,  1'extraire  de  la  pifcce  sans  porter 

1.  V.  par  ex.  le  Decameron  de  Bocace.  vn,  5;  Bandello  1-9 ; 
Malespini,  92«  conte;  Scala  Cell  fol.  49.  Antonio  Francesco  Doni, 
etc. 

2.  Thomas  Twyne  '  The  Schoolmaster  or  Teacher  of  Table  Phi 
losophic  "  The  4tf>  Bk.  Ch.  8. 


94  GEORGE  PEELE 

atteinte  auxdeux  autres  intrigues.  Son  insertion  dans 
le  texte  doit  en  outre  causer  la  transposition  de  quel- 
ques  scenes  et  la  revision  de  quelques  passages ;  —  la 
transposition  des  scenes  *  a  deja  e"te"  note"e  par  nous, 
et  les  passages  refondus  sont  insouciamment  con 
serve's,  sous  leur  forme  primitive,  a  la  fin  de  la 
derniere  scene8.  Enfin,  il  est  un  fait  qui  confirme 
6trangement  notre  hypoth&se  :  en  deux  ou  trois 
places  la  pifcce  dans  son  etat  actuel  pre~sente  de 
flagrantes  contradictions.  Voici  1'exemple  le  plus 
typique  :  le  roi  declare  a  Sir  David,  Gallois  au  ser 
vice  de  TAngleterre  bien  que  frere  de  Lluellen  : 
u  Sir  David,  you  may  command  all  ample  welcome 
in  our  court  for  your  countrymen  "  Sc.  xm,  1.  37). 
Mais  David  a  deja,  dans  une  scene  pre"ce~dente,  — 
une  des  scenes  d'  ;t  outlawry  ",  — trahi  Edouard  et 
rejoint  son  frere  dans  les  forets  de  Mannock  Deny 
(Sc.  xn,  v.  160  sqq.),  et  les  paroles  du  roi  ne  se 


1.  Sc.  HI,  v.  39-41  et  tirade  d'Eleonore  (74-116) ;  Sc.  xv,  et  pro- 
bablement  aussi  Sc.  in  (117-137). 

2.  Ges  vers  de  la  Sc.  25  (Ed.  Bullen  1,  p.  215  n.  5)  ont  ete  evi- 
demment  remplaces  par  ce  passage  de  la  Sc.  xm  : 

And  Mortimer,  tis  thou  must  haste  to  Wales,  While  -we  with  Elinor,  Glocester  and  the  rest 

And  rouse  that  rebel  from  his  starting-holes,  With  speedy  journey  gather  up  our  forces, 

And  rid  thy  king  of  his  contentious  foe  And  beat  these  braving  Scots  from  out  our  bounds, 

Whilst  I  with  Elinor,  Gloster  and  the  rest  Mortimer,  thou  shall  take  the  rout  in  hand 

With  speedy  journey  gather  up  our  force,  That  revel  here  and  spoil  fair  Cambria, 

And  beat  these  braving  Scots  from  out  our  bounds.  My  queen,  when  she  is  strong  and  well  a  foot' 

Courage,  brave  soldiers,  fates  have  done  their  worst ;  Shall  post  to  London  and  repose  her  there. 

Now,  Virtue,  let  me  triumph  in  thine  aid.  Then  God  shall  send  us  haply  all  to  meet, 

(Sc.  25.  fin.)  And  joy  the  honours  of  our  victories  (Sc.  xm). 

Quelques  autres  vers:  " Again  Lluellen  he  rebels  in  Wales, 
and  false  Baliol "  etc.  seraient  a  leur  place  dans  les  scenes  10,  12 
ou  13  de  notre  drame,  mais  non  point  dans  la  scene  finale,  — 
longtemps  apres  la  decapitation  de  Lluellen  (Sc.  xvm)  et  1'empri- 
sonnementde  Baliol  (Sc.  xxi). 


L'CEUVRE  DE  PEELE  95 

justifient,  la  contradiction  ne  s'explique,  que  si  Ton 
voit  dans  I'^pisode  de  Robin  Hood,  —  comme  nous 
le  proposons,  —  une  se*rie  d'additions  ulte>ieures. 

Ces  additions,  remarquons-le,  consistent  presque 
entierement  en  scenes  comiques,  concues  apres  coup 
pour  6gayer  et  £clairer  le  ton  par  trop  sombre  de 
Faction  principale '.  Sous  sa  forme  originate,  en  effet, 
la  piece  manquait  ;i  peu  pres  totalement  d'ei&nents 
humoristiques  ou  burlesques.  Elle  limitait  son  sujet  a 
la  vie  publique  d'Edouard  I",  a  ses  rapports  avec 
1'ficosse  et  le  pays  de  Galles,  d'une  part;  aux  m6faits 
de  la  reine  Ele"onore,  de  1'autre.  II  semble  nature!, 
dans  ces  conditions,  qu'elle  adoptat  1'esprit  et  la 
methode  des  pieces  historiques  populaires.  Elle  tirail, 
comme  elles,  tout  son  inte>6t,  de  la  peinlure  d'6ve*- 
nements  propres  a  6veiller  le  sentiment  national ;  elle 
employait  les  m&mes  proc6d6s  sc6niques  pour  la 
representation  visuelle  de  son  theme  ;  et  n'h£sitait 
pas  plus  qu'elle  a  mettre  en  scene  des  tableaux  m£lo- 
dramatiques,  dont  la  violence  allait  parfois  jusqu'a 
Tatrocit^.  Elle  s'en  distinguait,  pourtant,  par  plus  de 
consistance  et  de  cohesion  dramatiques.  Peelene  suit 
pas  ses  originaux  avec  une  lidi'-l i I «'•  aussi  servile  que 
ses  pr^d^cesseurs,  mais  traite  le  r£cit  des  chroni- 
queurs  avec  beaucoup  de  liberte  et  quelque  talent. 
Bien  que  les  6v6nements  de  son  action  splendent  sur 


1.  Les  additions  faites  par  Peele  comprendraient :  Sc.  ii  198-307, 
Sc.  VH,  Sc.  viii,  Sc.  xi  1-18  et  85-119,  Sc.  xi,  Sc.  xn,  Sc.  xix,  Sc. 

XXIV. 


96  GEORGE  PEELE 

plus  de  vingt  ann6es,  —  de  1274  a  1296,  —  il  les 
condense  dans  les  limites  d'une  p6riode  relativement 
courte,  et  par  d'adroits  changements  de  temps  et  de 
lieu  donne  a  sa  piece  une  forme  plus  concentred. 
C'est  ainsi  que  le  couronnement  d'Edouard(1274)  et 
1'accession  de  Baliol  au  trone  d'Ecosse  (1296)  sont 
rapproch6s  dans  une  meme  scene ;  que  le  bapteme  du 
prince  deGalles,  et  le  mariage  de  Gloucester  avec  Joan 
of  Aeon,  —  r6ellement  s6pares  par  un  intervalle  de 
plus  de  seize  ans,  —  sont  ramen^s  a  une  date  iden- 
tique.  Partout  Peele  manie  les  donn^es  de  1'histoire 
avec  la  meme  desinvolture ;  d6daignantla  chronologic, 
guid6  seulement  par  son  sens  d'artiste,  il  fagonne  la 
r6alit6  au  gr£  de  ses  besoins  et  impose  d6liber6ment 
aux  incidents  du  regne  d'Edouard  un  ordre  plus  dra- 
matiquement  efficace  que  Fordre  historique. 

Get  effort  pour  ecrire  une  reuvre  coherente  mar- 
quait  un  progres  d^fini  sur  des  pieces  comme  les  i  Vic 
tories  of  Henry  V  '  ou  le  '  Troublesome  Reign  of  King 
John  '.  — Le  soin  apporte  a  la  peinture  des  caracteres 
en  marquait  un  autre ;  et  la  Peele  se  d^passait  lui- 
meme.  On  aurait  tort,  il  est  vrai,  de  chercher  dans 
4  Edouard  I'  une  analyse  subtile  etfouill6e.  Les  touches 
dedicates  qui  se  pressent  sous  la  brosse  d'un  drama 
turge  consomme  sont  refusers  au  pinceau  de  Peele. 
Mais,  si  le  nornbre  des  couleurs  dont  il  dispose  est 
Hmit6,  elles  lui  suffisent  h  camper  sur  la  toile  ses  per- 
sonnages,  a  leur  donner  une  individualit6  propre,  a 
les  doter  de  pens^es,  de  sentiments,  et,  lorsqu'ils  agis- 


L'CEUVRE  DE  PEELE  97 

sent,  de  raisons  plausibles  pour  justifier  leurs  actes. 
Lluellen,  parexemple,longtempsirr6solualar^volte, 
est  poussS  a  une  rupture  soudaine  par  les  affresd'un 
amour  frustrS.  Sous  la  pression  d'un  grief  personnel, 
il  donne  libre  cours  a  sa  haine  de  race,  et  ddsormais 
poursuit  jusqu'fc  la  mort  une  politique  d'opposition 
constante  aux  efforts  unificateurs  d'Edouard.  Dans 
cette  lutte,  la  force  brutale,  rintr6pidit6  t6m6raire, 
une  certaine  vaillance  irr^fl^chie  seraient  ses  seules 
armes,  s'il  ne  subissait,  a  regret,  I'influence  de  son 
frfcre  David.  Mais  Sir  David  incarne,  pour  ainsi  dire, 
la  mauvaise  foi  galloise,  alors  traditionnelle  sur  la 
scfene  anglaise.  Ces  quelques  mots  de  lui : 

Not  too  much  prowess,  good  my  lord,  at  once, 
some  talk  of  policy  another  while  (Sc.  IV  7-8) 

donnent  la  clef  de  son  caractfere.  Vil  et  abject  est  le 
r6le  qu'il  joue  a  la  cour  d'Edouard,  ou,  toujours  obs6- 
quieux  et  souple,  il  rSussit  a  gagner  la  confiance  du 
souverain,  et  lui  extorquerles  secrets  dont  il  fait  part, 
sous  main,  a  ses  complices.  Son  r6el  patriotisme  est 
a  peine  une  excuse  a  sa  duplicit6,  et  son  dernier  trait 
de  perfidie,  —  haute  trahison  ou  peu  .s'en  faut,  — 
trouve  aux  mains  du  bourreau  une  recompense  m6- 
rit£e.  —  Baliol,  roi  d'Ecosse,  est,  et  de  beaucoup, 
un  plus  honorable  rebelle.  Sans  doute,  il  viole  la  foi 
jur£e;  mais  sa  faute  procfcde  de  nobles  motifs.  Con- 
vaincu  que  1'ficosse  souffre  sous  la  tyrannic  anglaise, 
il  cherche  dans  une  guerre  d'ind^pendance  le  bien- 

CHEFFAUD.  7 


98  GEORGE  PEELE 

6tre  etla  prosp&rite  de  son  pays.  C'est  ail  grand  jour, 
d'ailleurs,  qu'il  de"fie  1'Angleterre ;  son  cartel  est  sans 
Equivoque ;  la  lutte  qu'il  livre  loyale  et  Tranche;  et  il 
salt  garder  jusque  dans  la  deTaite  une  attitude  de 
dignit6  calme  et  sereine. 

II  serait  oiseux  de  multiplier  les  exemples  pour 
montrer  que  dans  l  Edouard  I '  les  personnages  secon- 
daires  monies  ont  leurs  traits  distinctifs,  et  ne  sont 
plus,  comme  dans  la  l  Bataille  d' Alcazar ' les  rouages 
obscurs  du  m6canisme  dramatique.  Le  progres  fait  par 
Peele  est  incontestable,  et  devient  plus  manifeste 
encore  quand  nous  reportons  notre  attention  vers  les 
deux  principaux  dramatis  personse :  Edouard  et  El6o- 
nore.  Peut-etre  leur  portrait  est-il  encore  dessine  h 
gros  traits,  peint  en  teintes  trop  crues ;  peut-6tre  ne 
doit-il  son  relief  qu'a  un  contraste  assez  artificiel 
d'ombres  et  de  lumieres.  Mais  ces  imperfections  sont 
largement  compense~es  par  I'int6r£t  que  provoque  en 
nous  1'opposition  continue  de  deux  irr6conciliables 
personnalit6s.  —  Edouard  nous  apparalt  tel  que  les 
chroniqueurs  le  de~crivent :  u  a  man  of  a  stout  courage, 
that  never  failed  in  any  danger  or  adversity,...  and 
commonly  achieved  any  enterprise  he  took  in  hand  "  * ; 
mais,  en  de"pit  de  cette  energie,  en  d6pit  de  ses  qualit6s 
vraiment  royales,  peut-6tre  £  cause  d'elles,  le  Destin 
le  choisit  express^ment  pour  sa  victime.  II  s'attaque 
h  lui  sous  toutes  les  formes  de  Fingratitude  et  de  la 

1.  Grafton's  Chronicle,  or  History  of  England  (1569).  Ed.  1809. 
ii.  p.  308. 


L'CEUVRE  DE  PEELE  99 

rebellion,  sous  le  masque  m&me  de  Finfortune  domes- 
tique.  Lluellen,  Baliol  se  levent  en  armes  centre  lui. 
David,  qu'il  aime  tendrement,  le  trahit.  Sa  femme, 
»•  nf  in .  se  rend  coupable  a  son  e"gard  des  transgressions 
les  plus  odieuses ;  et  pourtant  nul  de  ces  coups  de  la 
Fortune  ne  peut  Fabattre ;  il  reste  jusqu'a  la  derniere 
scene  aussi  stoKquement  magnanime  qu'il  est  injus- 
tement  miserable. 

En  face  de  cette  6quanimit6,  de  cette  grandeur 
d'ame,  la  nature  d'ElSonore  paralt  plus  farouche 
encore  que  Peele  ne  Fa  peinte.  Elle  est  animge, 
domin£e,  emport6e  par  une  passion  unique:  Forgueil; 
mais  cet  orgueil  qui  tralne  a  sa  suite  la  cruaut6  et  le 
crime.  Derriere  ses  acteslesmeilleurs,  il  se  dissimule 
et  se  glisse;  quand,  au  retour  de  Palestine,  elle  pro- 
digue  For  aux  soldats  qui  ont  vers6  leur  sang  pour  la 
croix,  nulle  piti6  r6elle  ne  la  guide ;  ce  qu'elle  veut, 
c'est  surpasseren  munificence  le  roi  et  tous  ses  nobles 
r6unis:  u  Bethink  thee,  Elinor,  "  s'6crie-t-elle,  "  of 
a  gift  worthy  the  King  of  England 's  wife  and  the  King 
of  Spain's  daughter;  and  give  such  a  largess  that  the 
chronicles  of  the  land  may  crake  with  record  of  thy 
liberality  ".  Femme  du  roi  d'Angleterre  et  fille  du  roi 
d'Espagne !  voila  les  deux  titres  qui  justifient  a  ses 
yeux  son  arrogance  et  sa  superbe.  Elle  doit  a  la 
noblesse  de  sa  naissance,  a  la  grandeur  de  sa  con 
dition  d'6blouir  tous  les  yeux  par  sa  splendeur  et 
d'e'clipser  les  autres  reines  de  la  chr6tient6  par  sa 
majest6  et  sa  gloire.  Trop  de  luxe  dans  le  costume 


iOO  GEORGE  PEELE 

ou  la  demeure  de  ses  sujets,  trop  d'apparat  dans  leurs 
plaisirs,  est  un  crime  capital  a  ses  yeux,  et  la 
mairesse  de  Londres  paie  de  la  mort  la  pompe  qu'elle 
d£ploie  au  jour  du  bapt^me  de  son  premier-n^.  Le 
coeur  hautain  d'E16onore  est  pourtant  adouci  par  sa 
propre  maternit6.  La  caresse  de  bras  a  fossettes,  de 
doigts  menus,  le  sourire  d'yeux  innocemment  ind6cis 
eveillent  en  elle  des  tre~sors  irisoupQonn6s  de  ten- 
dresse.  "  Ned,  art  thou  come,  sweet  Ned",  murmure- 
t-elle  a  son  royal  6poux,  "welcome,  my  joy! 

Thy  Nell  presents  thee  with  a  lovely  boy: 

Kiss  him  and  christen  him  after  thine  own  name, 

puis,  dorlotant  1'enfant  "  There  is  a  boy,  I  warrant 
you,  will  hold  a  mace  as  fast  as  ever  did  father  or 
grandfather  before  him  (Sc.  X.  20  sqq.)  Mais  un 
incident,  insignifiant  en  soi,  rappelle  trop  t6t  la  reine 
a  sa  vraie  nature.  Les  barons  gallois,  en  guise  d'hom- 
mage,  apportent  humblement  au  jeune  prince  le 
traditionnel  manteau  de  frise,  —  present  trop  grossier 
pour  cette  reine  altiere:  u  Fie,  fie !  "  crie-t-elle  u  for 
God's  sake,  let  me  hear  no  more  of  it.  If  Wales  have 
no  more  wit  or  manners  than  to  clothe  a  King's  son 
in  frieze,  I  have  a  mantle  in  store  for  my  boy  that 
shall,  I  trow,  make  him  shine  like  the  sun  and  per 
fume  the  streets  where  he  comes.  "  (Sc.  X.  167  sqq). 
L'orgueil,  une  fois  r6veil!6,  acquiert  un  irresistible 
ascendant  sur  une  femme  affaiblie  encore  par  les 
douleurs  de  1'enfantement.  II  devient  anormal,  mor- 


L'OEUVRE  DE  PEELE  101 

bide,  et  la  pousse  &  formuler  de  folles  requites  que  le 
roi  e*carte  avec  douceur.  Mais  aucune  force  humaine 
ne  saurait  e"touffer  une  passion  coupable  que  la  mater- 
nit6  n'a  pu  tempe'rer  qu'un  instant.  II  faut  qu'une 
puissance  plus  haute  intervienne  et  6crase  la  pe"che- 
resse  avec  le  pe*che\  La  main  de  Dieu  s'abat  lourde- 
ment  sur  ElSonore.  Severe  est  l^preuve  par  ou  elle 
passe,  et  elle  en  sort  mise'rablement  brise"e.  Brise*e, 
mais  moralement  r6g6ne're'e ;  car  nul  sentiment  ne 
subsiste  en  son  coeur  que  le  sens  de  sa  culpability  et 
un  profond  remords,  aucun  de"sir  que  Tanxi6t6  de  con- 
fesser  ses  fautes  les  plus  secretes ;  et  les  derniers 
mots  humbles  qu'elle  murmure  de  ses  Ifcvres  mou- 
rantes  nous  re*concilient  presque  avec  elle : 

0  pray,  for  pity,  pray,  for  I  must  die. 
Remit,  my  God,  the  folly  of  my  youth! 
Farewell,  farewell,  commend  me  to  my  King, 
commend  me  to  my  children  and  my  friends, 
and  close  my  eyes,  for  death  will  have  his  due 

(Sc.XXV,  105  sqq.) 

II  reste  a  re*pe*ter  apres  tant  d'autres  que  la  repre*- 
sentation  d'Cle*onore  comme  une  reine  hautaine  et 
criminelle,  rachet6e  a  la  derniere  heure  par  un 
miracle,  denature  la  re*alile*  historique  et  porte  la 
marque  des  penchants  anti-  espagnols  de  la  multitude. 
Toutefois  s'il  nous  faut  reprocher  a  Peele  d'uliliser 
sans  scrupuleles  pr6jug6s  populaires,  nous  ne  devons 
point,  dans  noire  indignation  morale,  oublier  que  le 
caractere  d'Ele*onore  pre*sente  de  replies  qualit6s  dra- 


102  GEORGE  PEELE 

matiques  et  constitue  une  elude  imparfaite,  mais  ori- 
ginale,  de  la  passion  d'orgueil.  Peele,  sans  doute, 
exc&de  la  force  de  son  talent  quand  il  cherche  a 
sonder  les  profondeurs  du  pe*ch6  et  du  repentir, 
mais  ses  efforts  prouvent  au  moins  qu'il  en  6tait  venu 
a  regarder  F  analyse  psychologique  comme  un  des  fac- 
teurs  les  plus  importants  de  la  mise  en  scene  de 
Thistoire. 

Notre  discussion  de  la  piece  justifie  maljusqu'icila 
sev&rite  de  la  critique  envers 4  Edouard  I' ;  et  pourtant 
cette  se've'rite'  se  comprend.  Peele  commet  lagrande 
faute  artistique  d'introduire  dans  sa  composition  des 
scenes  comiques  essentiellement  elrangeres  a  son 
esprit.  Sur  les  de"sastreux  effets  de  cette  insertion  nous 
reviendrons  plus  tard,  mais  il  convient  d'abord  de 
determiner  la  valeur  propre  de  ces  scenes .  Nous  savons 
deja  comment  elles  sont  rattach^es  a  1'action  princi- 
pale :  Peele  a  simplement  transfere"  a  Lluellen  les 
aventures  traditionnelles  de  Robin  Hood,  et  tent6  de 
donner  aux  bois  de  Mannock  Deny  un  peu  du  renom 
le"gendaire  des  foretsde  Sherwood.  L'id6e,  a  vrai  dire, 
etait  assez  heureuse ;  Robin  Hood  elait  un  des  he*ros 
de  la  ballade  populaire,  un  personnage  favori  des 
"  morris  dances  "et  des  jeuxde  mai;  son  histoire  e"tait 
souvent  cont6e,  au  coin  de  feu,  tandis  que  les  pommes 
rotissaient  sous  la  cendre,  et  Peele  1'avait  probable- 
ment  entendue  lui-meme  des  levres  de  quelque  che- 
vrotante  commere.  Son  imagination  avait  e*t6  charm£e 
par  d'agrdiables  peintures  d'une  vie  aventureuse  et 


L'CEUVRE  DE  PEELE  103 

libre  sous  la  verte  feuill^e ;  des  visions  de  Robin  dans 
son  justaucorps  de  laine  verte,  de  Maid  Marian,  che- 
veux  flottants  et  jupe  trouss^e,  flottaient  devant  ses 
yeux ;  et  il  s'avisa  de  redire  1'histoire  familiere,  sous 
forme  d'intermfede,  a  son  auditoire  londonien.  Comme 
dans  les  ballades,  le  hardi  brigand  et  sa  joyeuse  bande 
violent  la  paix  du  Roi,  tuent  son  gibier,  d£pouillent 
ses  sujets  ;  coin  mo  dans  les  ballades,  le  roi,  revetu  de 
la  bure  paysanne,  s'en  va  chercher  dans  la  forfct  1'au- 
dacieux  rebelle,  le  rencontre,  le  deTie,  etlebat;  et 
c'est  encore  des  ballades  que  nous  viennent  les  figures 
secondairesqui  traversentla  scfcne  :  fermiers,  potiers, 
pr&tres  et  colporteurs.  La  description  de  leurs  aven- 
tures  impliquait  naturellement  1'usage  de  tous  les 
proc6de*s  habituelsde  la  farce :  d^guisements,  baston- 
nades,  dialogues  aux  grasses  re"parties,  chansons 
joyeuses.  Peele  n'a  Iaiss6  6chapper  nul  de  ces  moyens 
d'exciter  le  rire.  Une  difficult^,  pourtant,  Farr&tait; 
il  ne  pouvait  transfe'rer  au  sombre  chef  Gallois  tous 
les  traits  que  la  tradition  pr&tea  Robin  Hood  ;  mais  il 
se  tira  d'affaire  en  dotant  de  la  jovialit6  et  de  tout 
Tenjouementde  Robin  uneautre  personnage  que  Lluel- 
len,  Friar  David  ap  Tuck.  —  Frere  David  fournit  l'6te- 
ment  r^ellement  comique  de  la  piece.  Son  manteau 
gris  de  frauciscain  recouvre  un  aimable  drdle,  apte 
repr6sentant  du  catholicisme  tel  que  Peele  et  ses  con- 
temporains  le  comprenaient.  David,  de  son  propre 
aveu,  n'est  qu'un  pauvre  moine,  un  pauvre  homme  de 
Dieu,  ^  but  as  good  a  fellow  as  any,  legs,  feet,  face 


104  GEORGE  PEELE 

and  hands,  and  heart,  from  top  to  toe  of  right  shape 
and  Christendom ;  and  he  loves  a  wench  as  a  wench 
should  be  loved  " .  Inutile  d'ajouter  que  sa  religion  n'est 
qu'hypocrisie,  qu'il  fr6quente  Fauberge  plut6t  que 
F^glise,  chante  un  chant  a  boire  mieux  qu'un  psaume, 
r6ve  moins  dejeuner  que  de  remplir  sabouteille  etsa 
besace  de  gateaux  et  de  vin  muscat.  Sans  doute  ilfait 
quelques  concessions  a  la  dignit6  de  sa  profession :  il 
se  tonsure,  jure  par  la  messe  et  entrem&le  ses  paroles 
de  quelques  mots  latins.  Mais,  a  cela  prfcs,  il  ne  vaut 
pas  mieux,  peut-Mre  moins,  —  que  le  plus  profane  des 
p6cheurs.  Gourmand,  ivrogne  et  tant  soitpeu  paillard, 
il  est  encore  irritable,  emporte',  enclin  a  terminer  une 
discussion  par  quelques  moulinets  de  son  redoutable 
gourdin,  et  connalt  enfin  trop  de  manieres  de  se  pro 
curer  de  1'argent  dont  la  plus  honne"  te  et  la  plus  com 
mune  est  (comme  pour  Panurge)  "  par  fac,on  de  lar- 
recin  furtivement  fait  ".  De  tels  errements,  toutefois, 
sont  presque  pardonnables  chez  le  chapelain  d'une 
bande  de  proscrits;  et  Friar  David  ap  Tuck  reste, 
malgre  tout,  un  gredin  sympathique,  dont  les  pires 
actions  sont  rachet^es  par  un  atome  d'humour  — 
M6me  dans  la  peinture  de  son  caractere,  pour  tant, 
Peele  descend  trop  souvent  jusqu'a  la  farce  grossiere 
et  cherche  Fhilarite  dans  des  plaisanteries  trop  libres. 
C'est  la  un  d^faut  apparent  dans  toutes  les  scenes 
comiques,  —  non  pas  le  plus  apparent,  n6anmoins. 
Elles  sont  passibles  de  plus  graves  reproches,  que 
justifie  leur  insertion  maladroite  dans  le  texte  original. 


L'OEUVRE  DE  PEELE 


Malgr6  les  efforts  de  Peele,  ellesprennent,  au  contact 
des  scenes  de  combat  ou  de  meurtre,  un  air  d6sagr6a- 
blement  sombre,  un  aspect  d'6vidente  irre*alit6,  qui 
leur  6tent  tout  pouvoir  de  convaincre  et  de  plaire.  La 
soudaine  transformation  de  Lluellen,  Rice  ap  Mere 
dith,  Ellen,  etc.  en  personnages  a  la  Robin  Hood 
alteredefac.  on  si  brusque  et  si  irrationnelle  leurs  carac- 
teres  que  le  spectateur  en  reste  d6concert6  et  con- 
fondu.  Enfin  Interpolation  de  Tun  ou  1'autre  des 
passages  burlesques  en  des  points  assez  fortuits  de 
Tintrigue,  derange  1'ordre  logique  des  incidents, 
<ir-t  ni  i  I  I  YM||]  il  i  IMV  et  Tinlerd6pendance  des  parties,  et 
bouleverse  la  structure  dramatique  de  toute  la  pifcce. 
Ainsi  s'expliquerimpressionded6sespe>ante  confu 
sion  faile  par  *  Edouard  1  '  lorsqu'bn  le  lit  dans  son  en 
semble.  Son  style  etsa  versification,  qui  plusest,  sont 
malchoisispourlaisser  a  1'ouvrage  une  unit6  au  moins 
apparente,  car,  si  les  portions  se>ieuses  de  la  piece 
sont  presque  uniform6ment6crites  en  vers  blancs,  les 
parties  comiques  en  sont  re"dig6es  tantdt  en  prose,  tan- 
t6t  en  melres  de  quelques  pieds.  Ces  mesures  courtes 
et  agiles,  trop  nombreuses  peut-6tre  et  monotones  de 
rythme,  n'en  m6ritent  pas  moins  quelque  louange; 
elles  developpent  des  motifs  de  ballade  dans  le  metre 
m6me  de  ce  genre  populaire,  et  sont  parfois  polies 
avec  tant  de  soin  qu'on  devine  le  plaisir  de  Peele  au 
cliquetis  sonore  de  leurs  rimes1.  Quant  a  la  prose, 

1.  Lire,  par  exemple:  Sc.  viii.  v.  i  24  132. 


i06  GEORGE  PEELE 

malgre  la  condamnation  de  Collier  dans  ses  "  Annals 
of  the  Stage",  elle  est  ais£e,  coulante,  616gante 
quoique  simple,  etles  images  qui  Foment  s'accordent 
bien  avec  les  id6es  familifcres  qui  s'y  trouvent  expri- 
m6es.  Le  vers  blanc,  par  contre,  est  trop  souvent 
ampoule,  encombr6  de  figures  et  de  tropes,  surcharge 
de  souvenirs  mythologiques  et  de  citations  latines  ou 
italiennes.  Exception  faite  d'un  plus  grand  pourcen- 
tage  de  rimes,  il  est  presque  identique  a  celui  de  la 
*  Bataille  d' Alcazar '  et  rappelle  encore  par  sa  struc 
ture  le  vers  de  Marlowe.  A  cette  ressemblance, 
cependant,  se  r6duit  dans  '  Edouard  1\  1'influence 
qui  dominait  1'autre  drame.  Une  ou  deux  r6mini- 
scences  de  Tamburlaine,  il  est  vrai,  se  retrouvent 
parmi  ses  images1 ;  quelques  vers  en  semblent  em- 
prunt6s  a  4  Edouard  II'2;  mais,  dans  sa  conception 
g6n6rale  et  le  traitement  de  son  sujet  la  piece  se  s6pare 
nettement  du  type  de  drame  marlowesque.  Cecin'im- 
plique  pas,  d'ailleurs,  qu'elle  montre  plus  d'origi- 
nalite  que  la  c  Bataille '.  Elle  fournit,  au  contraire,  un 
exemple  aussi  valide  du  talent  imitateur  etassimilatif 
de  Peele,  et  se  modele  simplement  sur  des  originaux 
differents,  —  les  pieces  historiques  alors  en  vogue. 
La  I6gere  superiority  dramatique  que  lui  donnait  sur 

1.  Cf. '  Edward  1 '  Sc.  vi.  18  sqq.  et  <  2  Tamburlaine '  1. 3.  39  sqq. 

2.  Comparez: 

"  Not  Caesar  leading  through  the  streets  of  Rome  "  As  Caesar  riding  in  the  Roman  street 

the  captive  kings  of  conquer  'd  nations  "  with  captive  kings  at  his  triumphant  car  " 

Ei.  Sc.  1  91-2.  Eii.  1. 1. 

"  And  rouse  that  rebel  from  his  starting  holes  "  And  march  to  fire  them  from  their  starting  holes  " 

Ei.  Sc.  25.  En.  iii.  2. 

"  Hence,  feigned  weeds !  unfeigned  is  my  grief "  "  Hence,  feigned  weeds  !  unfeigned  are  my  woes ' ' 

Ei.  Sc.  25-123.  En.  iv.  6. 


LCEUVRE  DE  PEELE  107 

elles  un  judicieux  emploi  des  sources  a  disparu  lorsque 
des  Elements  Strangers  ont  6te"  introduits  dans  un  tout 
de\j£  complete.  Sous  sa  forme  actuelle  notre  drame 
apparalt  deTectueux  en  construction,  pauvre  en  unit6 ; 
la  presence  d'un  certain  iiilnvf  psychologique  ne 
suffit  nullement  h  compenser  ces  imperfections ;  bref, 
dans  son  propre  genre,  l  Edouard  I '  s'61feve  h  peine 
au-dessus  du  niveau  des  oeuvres  ant£rieures,  et  ajoute 
aussi  peu  au  renom  de  son  auteur  que  cette  •  Bataille 
d' Alcazar',  dont  il  semble  avoir  partagS  le  succfcs. 

UN   CONTE   DE   VIE1LLE   FEMME. 

Avec  •  Edouard  1 '.  Peele  dit  adieu  pour  un  temps 
h  Thistoire  et  aux  chroniqueurs,  et,  laissant  derriere 
lui  "les  falaises  crayeuses  d'Albion  "  mit  b  la  voile 
pour  les  royaumes  de  la  faerie.  II  en  rapporta  T  l  Old 
Wives  Tale  \  —  d&icieux  melange  de  fantaisie  dedi 
cate,  de  satire  etde  r£alisme  souriant1. 

11  est  difficile  d'en  fixer  exactement  la  date ;  mais 
nous  pouvons  heureusement  en  circonscrire  la  periode 
de  production  dans  de  certaines  limites.  La  pifece,  en 
effet,  emprunte  son  canevas  et  quelques  details  &  un 
court  roman  public  par  Greene  en  1588 :  4  Perimedes 
the  Blacksmith'2.  Elle  est  en  outre  endett6e  h  un 

1.  Le   permis  »1  impression  est  consign^  dans  les  Livres  des 
Libraires,  en  date  du  17  'Avril  1595 :  "  xvij°  die  Aprilis  1595.  Raphe 
Uancocke.  Entred  for  his  Copie  under  the  handes  of  bothe  the 
wardens  a  booke  or  interlude  intituled  a  pleasant  conceipte  called 
the  owlde  wifes  tale  vjd  ". 

2.  Dans  les  deux  la  fern  me  d'un  forgeron  charme  de  ses  contes 
d'attentifs  auditeurs  qui  ont  refuse  de  passer  la  veillee  a  jouer  aux 


108  GEORGE  PEELE 

6crit  post6rieur  de  Greene,  son  c  History  of  Orlando 
Furioso'  (c.  1591)1,  dont  elle  reproduit  quatre  vers 
avec  de  16geres  variations.  Elle  contient  encore  quel- 
ques  reminiscences  d'une  trag^die  anonyme  l  Soliman 
and  Perseda'2,  joue~e  aux  environs  de  1590.  Enfin, 
elle  se  rattache,  comme  nous  le  verrons,  a  la  guerre 
,de  pamphlets  Iivr6e  aux  Harveys  par  Lyly,  Nashe,  et 
autres  —  guerre  qui  n'6clata  se>ieusement  qu'a  cette 
meme  date.  II  appert  done  de  1'ensemble  des  temoi- 
gnages,  pris  cumulativement,  que  Y  l  Old  Wives  Tale  T 
ne  pouvait  6tre  6crit  avant  1591.  —  II  est  6galement 
plausible  d'admettre  que  cette  anne"e  m&me,  ou  la 
suivante,  en  vit  la  composition.  La  seule  allusion 
politique  que  contienne  la  com^die,  —  une  attaque 
contre  les  pr&tres  espagnols,  qu'elle  d6crit  comme 
41  moines  ind6finis  et  gredins  infmis  "  —  indique  une 
6poque  ou  I'animosit^  6tait  exasp6r6e  contre  le  catho- 
licisme  et  1'Espagne.  Tel  6tait  precis^ment  le  cas 
en  1591,  date  ou  une  s6rie  de  complots  encourages 
par  Philippe  II,  provoqua  une  severe  proclamation 
royale  "  for  remedy  of  the  treasons  which  under 
pretext  of  religion  had  been  plotted  by  Seminaries  and 
Jesuits,...  sent  secretly  into  the  Kingdom  "3.  II  serait, 

cartes,  et  nous  retrouvons  dans  les  deux  des  personnages  affuble's 
de  noms  identiques :  Sacrapant,  Delia,  etc. 

4.  Gf. :  Peele.  *  Old  Wives  Tale '  v.  885  sqq :  Greene.  '  Orlando 
Furioso  '  Sc.  i.  v.  73  sqq. 

2.  La  serie  d'interjections :  "  0  coelum !  o  Terra !  o  Maria !  o  Nep 
tune  "  (0.  W.  T.  10),  par  exemple,  est  empruntee  a  '  Soliman  and 
Perseda '  (iv.  3.  67). 

3.  Voyez :  Galendar  of  State  Papers.  Oct.  18. 1591.  Proclamation 
by  the  Queen. 


LCEUVRE  DE  PEELE  10ft 

pourtant,  imprudent  de  tirer  des  inferences  de  ce 
seul  fait,  si  des  documents  additionnels  ne  pouvaient 
6lre  produits.  Mais  nous  trouvons  au  litre  du  quarto 
1'utile  renseignement  que  la  piece  de  Peele  fut  repre 
sented  par  les  comediens  de  Sa  Majeste.  Or  nous  avons 
la  certitude,  d'une  part,  que  le  theatre  des  "  Queen's 
Men"  dut  fermer  ses  portes  en  Juin  1592  par  ordre 
du  "  Privy  Council  " ' ;  de  1'autre,  que  1'  l  Old  Wives 
Tale"  n'appartenait  pas  h  son  repertoire  lorsqu'il 
rouvrit  en  1594s.  Nous  sommes  ainsi  n£cessairement 
amends  &  conclure  que  la  comedie  fut  jou6e  pendant 
les  premiers  mois  de  1592,  au  plus  tard,  et  compos6e 
entre  le  debut  de  1591  et  cette  date. 

C'est  done  une  production  de  la  maturite  de  Peele, 
et  il  importe  d'insister  sur  ce  fait,  pour  faire  pifcce 
aux  assertions  de  ces  critiques  qui  pretendent  y 
relever  toutes  les  caracteristiques  d'une  oeuvre  de 
jeunesse.  L' ;  Old  Wives  Tale '  est,  &  leurs  yeux,  une 
insignifiante  babiole,  doue*e  d'assezde  gr^tce  aimable 
pour  se  recommander  £  un  auditoire  d'enfants,  et 
Bullen  seul  se  risque  £  sugg£rer  que  la  com6die 


1.  A  la  suite  de  d6sordres  qui  prirent  place  le  11  Juin  1592,  le 
"  Privy  Council"  interdit,  le  23,  la  representation  de  toute  piece  & 
Londres  et  dans  les  alentours.  Permission  de  jouer  fut  cependant 
accorded  a  la  troupe  de  Strange,  —  mais  a  elle  seule,  —  en  Aout. 
Elie  nVu  put  d'ailleurs  profiler,  en  raison  de  la  peste,  avant  De- 
cembre.  Elle  joua  alors  de  Dec.  1592  a  Kev.  1593,  mais  dut  bientot 
fermer  son  theatre,  par  crainte  d'infection,  jusqu'a  Paques  1594. 

2.  En  Avril  1594  la  troupe  de  la  Reine  et  la  troupe  de   Sussex 
jouerent  ensemble  a  la  '*  Rose  ",  —  le  theatre  d'Henslowe.  Ceci 
explique  pourquoi  nous  retrouvons,  dans  ses  comptes,  des  traces 
de  leur  repertoire  commun  (F.  9.) 


110  GEORGE  PEELE 

pourrait  avoir  aussi  son  charme  pour  des  spectateurs 
adultes.  Nous  Fadmettons  d'autant  plus  volontiers  que 
nous  sommes  ported  a  voir  dans  cette  pifcce  la  plus  u 
se"duisante  peut-Mre,  et  en  tout  cas  la  plus  spirituelle  l\ 
de  toutes  celles  que  nous  avons  de  Peele.  Lui  faire 
justice,  toutefois,  est  malais6,  et  nous  esp6rons  seu- 
lement  que  notre  analyse  prosa'ique  ne  la  i^pouillera 
point  de  tout  son  nitrite. 

Trois  joyeux  pages  ont  perdu  leur  route  dans  les 
bois,  et  mi-amus6s,  mi-effray6s  par  cette  m6saven- 
ture,  s'efforgent  dene  pasperdreen  meme  temps  leur 
gaiet6.  La  fatigue  commence  pourtant  a  les  accabler, 
quand  paralt  fort  a  propos  un  forgeron.  Us  le  helent, 
Fassaillent  d'avides  questions,  et  Clunch  (c'est  la  le 
nom  de  1'artisan)  les  emmene  hospitalierement  a  sa 
pauvre  hutte,  ou  il  fait  de  son  mieux,  avec  Madge  sa 
femme,  pour  les  bien  accueillir.  Epuis6s  comme  ils 
le  sont,  ils  s'endormiraient  de  grand  coeur,  mais  il  n'y 
a  place  que  pour  un  dans  le  lit  de  Clunch,  et  Madge 
entreprend  de  tenir  les  deux  autres  e"veilles  par  le 
r6cit  d'un  vieux  conte  d'hiver.  Rapprochant  son 
escabeau  du  feu,  elle  s'essuie  la  bouche  du  coin  de 
son  tablier,  place  sur  ses  genoux  ses  deux  mains 
ridges,  et  commence  ainsi: 

II  y  avail  une  fois  en  Thessalie  un  enchanteur 
nomme*  Sacrapant,  le  plus  habile  et  le  plus  savant 
qu'on  eut  su  voir.  11  pouvait  tout  faire  et  se  changea 
en  un  grand  dragon  pour  enlever  De"lie,  la  fille  du 
roi,  qu'il  enferma,  tout  eplore"e,  en  son  noir  chateau. 


L'CEUVRE  DE  PEELE  iii 

Par  sa  magie  aussi,  il  savait  donner  aux  hommes  les 
formes  et  les  apparences  les  plus  di verses ,  et  il  trans- 
forma  le  jeune  et  bel  Erestus  la  nuit  en  un  ours,  le  jour 
en  un  vieillard,  1'obligeant  h  vivre  au  carrefour  d'une 
for&l  et  &  parler  par  6nigmes  a  lout  venant. 

Lampriscus  un  jour  vint  a  lui ;  et  Lampriscus  6tait 
un  veuf  qu'affligeait  amferemenl  le  sort  de  ses  deux 
till.'- :  car  Tune,  quoique  belle  comme  le  lys,  6tait 
irritable  comme  la  gufcpe,  et  1'autre,  toule  remplie 
qu'elle  IVil  de  bonl£et  de  douceur,  gtait  laide,  contre- 
faite  et  bossue.  11  se  rendit  done  auprfes  du  vieillard  de 
laforfct,  etlui  conta  son  cas.  u  Envoie-les  "  dit  Eres 
tus  "  au  Puits  de  la  Vie ;  elles  y  d6couvriront  leur  des- 
tin6e,  —  et  des  maris  "  ;  sur  quoi  Lampriscus  revint 
chez  lui  et  envoya  Zantippe  et  Celanta  au  lieu  dit. 

Pendant  ce  temps,  le  roi  de  Thessalie  avail  exp6di6 
tous  ses  sujets  a  la  recherche  de  sa  fille,  tant  el  tant 
qu'il  ne  restail  auprfes  de  lui  que  ses  deux  til-,  le  g£ant 
fanfaron  Huanebango,  Corebus  le  sot,  et  un  pauvre 
chevalier  nomm£  Eumenides. 

Les  deux  frferes  s^armferent  tout  d'abord  pour  la 
d£livrance  de  la  princesse.  Us  cheminferenl  loin,  bien 
loin,  plus  loin  encore,  el  parvinrent  enfin  au  carrefour 
de  la  for&l,  ou,  las  d'avoir  tant  march6,  ils  s'arr^tferent 
pour  demander  conseil  a  Erestus.  <4Essayez  votre 
souffle  a  toute  flamme  "  futla  rSponse  '*  carlorsqu'un 
peu  de  feu  s'6teindra,  vous  verrez  se  r^aliser  vos  voeux 
les  plus  chers.  Essayez  volre  souffle  a  toute  flamme  ". 
Ainsi  instruits,  les  deux  frferes  r6p6tfereut  leur  legon, 


H2  GEORGE  PEELE 

et  partirent  pour  le  noir  chateau  de  Sacrapant.  Aleurs 
yeux  brilla bieriiot  laflamme  ardente  qui  e"taitle  signe 
et  la  cause  de  son  pouvoir.  Us  soufflerent,  mais  ils  ne 
r^ussirent  pas  a  F6teindre,  parce  qu'homme  mortel 
ne  le  pouvait,  et  Sacrapant  les  enchanta,  les  forgant 
a  piocher  sans  cesse,  tandis  qu'un  esprit  les  piquait 
d'un  aiguillon  pointu1. 

Alors  le  g6ant  Huanebango  ceignit  son  e"p6e  a  deux 
mains,  jurant  de  d^couvrir,  delivrer,  et  6pouser  la 
princesse.  II  s'eii  fut,  et  Corebus  s'en  fut  avec  luL 
Ensemble  ils  arriverent  prfcs  du  vieillard  de  la  for6t, 
qui  tira  Corebus  par  la  manche  et  lui  dit:  "  Ecoute- 
moi,  6coute-moi ;  il  sera  sourd  quand  tu  ne  verras  plus ; 
la  richesse  peut-etre...  "  mais  ils  6taient  trop  presses 
pour  chercher,  trop  sots  pour  comprendre,  le  sens  de 
ses  paroles,  et  ils  continuerent  leur  route  jusqu'au 
noir  chateau.  Trois  fois  ils  en  firent  le  tour,  puis  ten- 
terent  d'entrer  ;  et  dans  ce  moment  un  roulement  de 
tonnerre  assourdit  Huanebango,  T6clat  d'un  e"clair 
aveugla  Corebus,  d'affreuses  Furies  les  saisirent,  et  ils 
furent  jet6s  incontinent  au  Puits  de  Vie.  —  La,  apres 
avoir  travers6plainesetbois,  haies  et  fosses,  Zantippe 
et  Celanta  etaient  arriv6es.  Zantippe  la  premiere  plon- 
gea  sa  cruche  dans  1'eau  de  la  citerne,  et  une  t£te  d'or 
s'6leva  en  chantant :  ;t  De  tes  doigts  fins,  douce  fille, 
peigne-moi  et  chaque  cheveu  sera  un  6pi,  chaque  e"pi 

1.  Toute  cette  partie  de  la  piece  renferme  un  parallele  au 
1  Gomus '  de  Milton.  Les  ressemblances  et  les  differences  de  la 
comedie  de  Peele  et  du  masque  miltonien  ont  e!6  etudiees  en  detail 
par  M.  W.  Sampson  *  Milton's  Minor  Poems'. 


L'OEUVRE  DE  PEELE  113 

une  gerbe  d'op" ;  mais  elle  la  frappa  de  sa  cruche,  et 
Huanebango  Smergea,  tach6  de  boue,  tout  ruisselant, 
et  c'6tait  l'6poux  qu'elle  dut£pouser,  pour  6tre  mal- 
heureuse  h  jamais.  Alors  Celanta  s'assit  sur  la  mar- 
gelle  et  la  tele  remonta,  chantant  le  m6me  refrain. 
Doucement  elle  lacaressa,  doucement  elle  la  peigna, 
et  voyez !  des  pieces  d'or  tomberent  dans  son  giron  et 
Corebus  apparut.  Aveugle  il  ne  pouvait  voir  salaideur ; 
et  il  l'6pousa,  pour  la  rendre  heureuse  ct  jamais. 

Cependant  la  princesse  D61ie  restait  prisonniere,  et 
le  pauvre  chevalier  Euinenides,  dernier  de  tous,  d^sira 
partir.  II  quitta  la  Thessalie  et  s'en  vint  au  carrefour 
de  la  forei  u  Dieu  vous  garde  mon  pere  ".  dit-il  dou- 
cemenl  au  vieillard,  et  lui  demanda  son  horoscope, 
4lMonfils'\r6partitlevieillard/4jevoisdanstes  traits 
ton  bonheur.  Va,  distribue  I'aumftne,  donne  ce  que  tu 
possfcdes,  et  les  os  des  raorts  se  leveront  fi  ton  appel. 
Adieu!  "  Eumenides  remercia  alors  le  vieillard,  et 
reprit  sa  route.  II  arriva  ainsi  a  un  village  ou  il  vit  une 
foule  assemble.  Etonn6,  il  en  demanda  la  cause  et 
il  apprit  qu'on  refusaitla  sepulture  a  un  cadavre  parce 
que  le  d^funt,  un  homme  du  nom  de  Jack,  n'avait 
Hen  laissS  pour  payer  la  defense.  Le  chevalier  en 
prit  piti<$,  et,  vidant  sa  bourse,  le  fit  enterrer  £  ses 
frais,  puis  il  remonta  en  selle  et  partit,  L'ombre  de 
Jack,  cependant,  fut  si  6mue  de  gratitude  qu'elle  se 
leva  de  la  tombe  et  le  rattrapa  sur  la  route,  lui  offrant 
humblement  ses  services.  Eumenides  accepta,  ettous 
deux  chevaucherent  de  compagnie,  chevaucherent 

GUEFFAUU.  8 


114  GEORGE  PEELE 

jusqu'au  chateau  de  Sacrapant.  Dans  ce  moment  Jack 
eleignit  la  flamme  ardente ;  Jack  trancha  la  tete  du 
magicien  ;  Jack  pronon^a  les  mots  cabalistiques ;  et 
Erestus  cessa  de  parler  par  6nigmes,  les  deux  freres 
cesserent  de  piocher,  et  les  portes  du  chateau  s'ou- 
vrirent  toutes  grandes.  Alors  Jack  conduisit  sonmaltre 
a  la  chambre  ou  Delie  dormait  d'un  sommeil  enchant^ 
sur  un  lit  en  broderie  d'or  et  d'argent,  et  lui  ensei- 
gna  les  prieres  qui  rompent  les  charmes ;  sur  quoi  la 
princesse  s'e"veilla,  et  donna  sa  main,  son  coeur  et  sa 
foi  aEumenides;  1'ombre  reconnaissante  s'evanouit 
d'un  bond  dans  le  sol,  et  tous  rentrerent  en  Thessalie 
pour  y  cele"brer  le  mariage  de  la  fille  du  roi  et  de  son 
fidele  chevalier. 

Telle  est  la  teneur  du  conte  que  la  vieille  femme  se 
prend  a  dire,  et  qu'elle  terminerait  sans  doute,  si  les 
personnages  de  son  histoire  n'apparaissaient  en  scene 
et  n'yjouaient  eux-memes  leurs  roles.  Madge  n'a  plus 
qu'a  rester  assise  et  6couter.  Mais  n'est-ce  point  la 
tache  trop  lourde  pour  une  bavarde?  Elle  ne  peut 
s'empecher  de  faire,  quand  Foccasion  s'en  pr6sente, 
quelques  commentaires,  que  les  joyeux  pages  com- 
pletent  a  leur  tour  par  de  gaies  ou  d'impertinentes 
saillies. 

Nous  avons  ainsi,  pour  ainsi  dire,  une  'c  piece  hors 
de  la  pi&ce  " ;  et  cette  particularity  de  structure 
merite  notre  attention  comme  1'un  des  exemples  les 
plus  anciens  et  les  plus  curieux  d'un  proc6d6  longtemp^ 
familier  aux  dramaturges  6lisabe"thains.  L'entrela- 


L'OEUVRE  DE  PEELE  i!5 

'.** 

cement  des  deux  pieces  tdmoigne  d'une  habilete"  con 
tinue  et  prouve  amplement  le  soin  artistique  apport6 
par  Peele  a  la  composition  de  sa  com6die.  Toute  l'6ten- 
due,  pourtant,  n'en  peut  6tre  comprise  qu'apres  exa- 
men  attentif  de  la  pifcce  proprement  dite,  —  la  repr6- 
sentation  dramatique  du  conte  de  Madge.  Lorsque 
ce  r6cit  romanesque  est  iso!6  de  ce  qui  1'entoure,  on 
>  upercoit  vite  que  toute  Faction  en  roule  sur  Fusage 
neTaste  que  fait  Sacrapantde  ses  pouvoirs  magiques; 
FenU'vement  de  D61ie,  la  transformation  d'Erestus  en 
un  vieillard  prophe"  tique  sont  les  deux  faits  d'ou  de*coule 
la  se>ie  d'incidents  la  plus  importante,  —  Fintrigue 
principale,  si  le  terme  n'est  point  par  trop  ambitieux. 
En  dehors  de  cette  intrigue,  —  qui  se  r^duit  aux  aven- 
tures  successives  des  deux  freres,  d'Huanebango  et 
d'Eumenides,  tous  r^solus  cilib6rer  la  priricesse  thes- 
salienne,  et  tous  guides  par  Favis  tfriigmatique 
d'Erestus,  —  il  ne  reste  que  les  deux  ou  trois  scenes 
consacr^es  a  Lampriscus  et  a  ses  filles ;  et,  quelque 
ind6pendante  que  puisse  paraltre  cette  intrigue  acces- 
soire,  elle  n'en  a  pas  moins  sa  source  dans  une  pre 
diction  d'Erestus  et  se  voit  en  outre  relier  a  l'6pisode 
central  par  le  mariage  de  Celanla  et  Zanlippe  avec 
Corebus  et  Huanebango.  Simple  nous  apparall  done, 

uX  • 

somme  toute,  la  trame  dont  est  ourdie  la  fine  produc 
tion  de  Peele,  et  peu  nombreux  les  fils  qui  la  com- 
posent,  Mais  Us  sont  si  savamment  tiss6s,  tresses, 
qu'il  devient  fort  difficile  de  les  d^brouiller.  Aussi  la 
plupart  des  critiques  ont-ils  abandonne"  la  delicate 


116  GEORGE  PEELE 

t£che,  et  se  sont-ils  contends  d'exprimer  le  regret  que 
la  pi&ce  fut  si  complique"e.  Elle  Test,  sans  doute,  mais 
d'une  complication  volontaire,  simple  moyen  dont  use 
Peele  pour  atteindre  ses  fins,  pour  faire  croire  a  ses 
auditeurs  qu'ils  e"coutent,  sous  un  toil  de  chaume,  un 
long  conte  d'hiver,  dit  par  une  antique  bavarde.  Si 
Madge  nous  contait  elle-m6me  1'histoire  de  bout  en 
bout,  elle  tr6bucherait  a  maint  detour,  s'6carterait 
sans  cesse  du  droitchemin,nous  entrainerait  souvent 
dans  les  me'andres  de  ses  souvenirs  et  de  ses  oublis. 
Elle  se  montrerait  tantot  prolixe,  tan  tot  absurdement 
concise,  et  son  r6cit  donnerait  plus  d'une  fois  une 
impression  de  confusion  malhabile.  C'estcette  impres 
sion  meme  que  Peele  s'efforce  de  conserver,  dans  de 
raisonnables  limites,  en  changeant  h  tout  instant  la 
scene,  en  multipliant  ses  personnages,  en  accelerant 
son  action,  enaccumulant  les  incidents  sur  une  courte 
periode,  et,  grace  a  ces  artifices,  il  re*ussit  plus  qu'a 
demi  a  nous  persuader  que  nous  entendons  re"ellement 
le  caquet  loquace  d'une  commere  de  village. 

Ce  caquet  n'est  pas,  du  reste,  aussi  na'if  et  naturel 
qu'on  serait  tente"  de  le  croire  tout  d'abord.  L'histoire 
d'enchantement  de  Madge,  avec  son  ge"ant,  son  magi- 
cien  et  sa  princesse,  est  une  combinaison  adroite 
d'ele"ments  emprunt^s  par  Peele  au  folk-lore  de  son 
temps,  et  on  peut,  aujourd'hui  encore,  trouver  des 
paralleles  populaires  a  quelques-uns  de  ses  motifs.  II 
semble  que  la  vieille  campagnarde  pr^tende  conter 
1'bistoire  de  l  Childe  Rowland  ',  mais  l  Jack  the 


L'OEUVRE  DE  PEELE  H7 

Giant-Killer'  peut  aussi  revendiquer  ses  droits,  el 
plusieurs  Episodes  de  la  pifcce  ressemblent  singulifc- 
rement  a  des  incidents  des ;  Three  heads  of  the  Well", 
du  'Thankful  Dead',  du  ;Red  Ellin',  et  autres  le"- 
gendes  qu'on  peut  encore  lire  dans  les  4  English  Fairy 
Tales'  de  Mr.  Jacobs  ou  les  l  Illustrations  of  Scotland ' 
de  Jamieson.  II  n'y  a  qu'un  passage,  dans  notre  com6- 
die,  qui  n'est  pas  base  sur  la  tradition  populaire,  mais 
sur  des  reminiscences  classiques.  II  a  trait  a  la  g6n6a- 
logie  de  Sacrapant,  et  lui  donne  pour  mere  Meroe", 
une  sorciere  qu'Apul£e  fut  le  premier  a  animer,  et 
a  douer  de  pouvoir  magique,  dans  son  '  Ane  d'Or1. 
Mais,  a  cette  exception  presv£'est  au  folk-lore,  eta  lui 
seul,  que  Peele  est  redevable  pour  ses  mat£riaux. 

La  maniere  dont  il  les  utilise  est  la  plus  adequate 
el  la  plus  appropriee  a  son  theme.  La  forme  de  }' c  Old 
Wives  Tale '  nous  rappelle  constamment  celle  de  la  | 
<lcante-fable".  Commece  genre  decomposition,  c'est , 
un  r£cit  en  prose  qu'inlerrompt  c?i  maiut  intervahV  une 
se>ie  plus  ou  moins  longue  de  vers ;  et  le  style  affiche 
davantage  encore  celle  similitude.  Simple,  r^alisle, 
parfois  m^me  vulgaire,  il  s'enlrem&le  de  phrases 
rythmiques,  de  proverbes  et  de  dictons,  ou  de  tor- 
mules  comme  le  fameux  "  fee-fa-fum  "  qui  se  retrouve 
dans  tant  decontes  anglais.  Quoique  sans  recherche, 
il  n'est  pas  sans  ornement.  Lisez  la  description  que 


1.  Ce  conte  semble  une  version  du  l  Tale  of  the  Three  kings  of 
Colchester '  que  Dyce  mentionne,  sans  autre  details,  dans  son 
edition  de  Peele. 


118  GEORGE  PEELE 

fait  Lampriscus  de  ses  deux  filles ;  c'est  un  excellent 
exemple.  "  Neighbour"  dit-il  aErestus,  u  by  my  first 
wife,  whose  tongue  wearied  me  alive,  and  sounded 
in  my  ears  like  the  clapper  of  a  great  bell,...  you  have 
heard  me  say  I  had  a  handsome  daughter '.  —  l  True, 
neighbour'.  —  '  She  it  is  that  affects  me  with  her 
continual  clamours,  and  hangs  on  me  like  a  bur :  poor 
she  is,  and  proud  she  is,  as  poor  as  a  sheep  new- 
shorn,  and  as  proud  of  her  hopes  as  a  peacock  of  her 
tail  well-grown'.  -  -  l  Holily  praised,  neighbour;  as 
much  for  the  next'.  -  -  '  By  my  other  wife,  I  had  a 
daughter  so  hard-favoured,  so  foul,  and  ill  faced, 
that  I  think  a  grove  full  of  golden  trees,  and  the 
leaves  of  rubies  and  diamonds,  would  not  be  a  dowry 
answerable  to  her  deformity  ".  (1.  224  sqq.)  Des 
images  qui  abondent  en  ce  passage,  la  plupart  sont 
des  comparaisons  usuelles,  tirees  de  la  vie  domestique 
ou  de  la  nature  familiere ;  quelques-unes  portent  la 
marque  de  cette  magnificence  un  peu  voyante  vers 
laquelle  incline  Timagination  populaire  lorsqu'elle  se 
donne  libre  cours ;  mais  toutes  sont  en  harmonie  avec 
le  ton  general  du  conte,  que  Peele  a  voulu  faire  sien 
dans  cette  piece. 

Le  style  et  la  versification  sont,  apr&s  tout,  Fel6- 
ment  le  plus  important  de  F  l  Old  Wives  Tale '.  C'est 
par  1'usage  qu'ils  font  de  la  langue  et  du  m&tre  que 
les  dramatis  persons  sont  le  plus  ais^ment  reconnais- 
sables:  les  deux  freres  s'expriment  en  vers  blancs, 
Erestus  en  enigmes  rimees,  Huanebango  en  prose 

V 


L'CEUVRE  DE  PEELE  119 

grandiloquente,  et  Eumenides  en  prose  aussi,  mais 
naturelle  et  sans  appreM.  N'elait  cette  difference,  il 
serait  difficile  de  les  distinguer,  car  leurs  caracteres 
sont  aussi  sommairementdessine's  qu'il  convientdans 
mi  conte  de  fe*es.  Un  magicien  pervers,  une  dame 

w  fcro^MX^ 

malheureuse,  deux  freres  aimants,  un  g6ant  vantard, 
et  un  amant  fiddle,  —  ainsi  Fanalyse  d^finit  les  prin- 
cipaux  personnages,  et  saurait  mal  ajouter  un  seul 
trait  a  cette  breve  description.  —  Ceci  n'est  vrai, 
hatons-nous  de  le  dire,  que  des  portions  romanesques 
de  la  piece,  dontl'inte>&treposaitassez  naturellement 
sur  une  succession  rapide  d'incidents  surprenants  et 
vane's,  plut6t  que  sur  une  subtile  analyse  des  carac 
teres.  Par  contre,  les  scenes  r6alistes  qui  precedent, 
ou  interrompent,  Faction  romanesque  t6moignent 
d'une  observation  souvent  fine  de  la  nature  humaine. 
Madge  et  Clunch  sont  deux  figures  vivantes  de 
paysans,  que  1'art  de  Peele  nous  pr6sente  avec  quelque 
relief.  Clunch  est  un  forgeron  bien  en  chair,  aux 
larges  muscles,  aux  traits  gros  et  rudes,  mais  e*clair6s 
par  deux  yeux  gris  bon-enfant.  C'est  un  homme  aux 
manieres  un  peu  brusques,  affable  pourtant,  et  hospi- 
talier;  habile  aussi,  et  savant,  —  de  Tavis  des  voisins 
tout  au  moins,  —  parce  qu'il  a  appris  un  peu  plus  que 
ne  comportait  son  metier,  a  lu  quelques  livres  a  ses 
heures  de  loisir  et  en  a  retenu  plus  d'un  mot  long  et 
sonore  dont  il  aime  user,  et  abuser,  a  Toccasion. 
Quant  a  Madge,  c'est  une  petite  vieille,  proprette  et 
meliculeuse,  d'une  provenance  a  satisfaire  le  mari  le 


120  GEORGE  PEELE 

plus  exigeant,  (Tune  activity  a  faire  honte  a  la  meil- 
\  leure  des  m6nag&res.  Ses  yeux  sont  un  peu  obscurcis, 
maintenant;  ses  joues  ridees  et  ses  cheveux  gris; 
mais  elle  a  encore  les  sourcils  fort  noirs  et  les  dents 
saines,  et  elle  reste  presque  aussi  alerte,  remuante  et 
vive  qu'aux  plus  beaux  jours  de  sa  jeunesse.  Nous 
reconnaissons  en  elle,  et  en  Clunch,  des  gens  de  la 
campagne,  peints  sur  le  vif,  aussi  re" els  que  diffterents 
du  type  conventionnel  du  paysan,  --  repr6sent6  par 
Hob  et  Lob  dans  '  Cambyses '  ou  par  Hodge  dans 
1  Gammer  Gurton'.  On  en  pourrait  dire  autant,  du 
v  reste,  des  autres  villageois  de  notre  piece ;  ici  nous 
entendons  un  couple  de  manants  se  quereller  dans  un 
cimetiere  avec  un  fossoyeur  et  un  marguillier;  la 
nous  voyons  1'accorte  hotesse  d'une  auberge  villa- 
geoise ;  et  tous  ces  personnages  nous  sont  pre"sent6s, 
sinon  avec  autant  de  details ;  du  moins  avec  le  meme 
humour,  que  le  forgeron  et  sa  femme. 

II  plane  sur  toutes  les  scenes  rustiques  de  F '  Old 
Wives  Tale '  un  air  de  r6alit6  aimable  qui  fait  d'elles 
un  repoussoir  efficace  aux  autres  parties  de  la  pikce. 
La  constante  combinaison  du  r6alisme  et  du  roma- 
j  nesque,  en  faisant  ressortir  le  contraste  de  chaque 
616ment,  est  apte,  pourtant,  a  jeter  quelque  discredit 
sur  le  plus  artificiel  des  deux  et  a  6veiller  a  ses  d6pens 
notre  sens  du  ridicule.  C'6tait  la,  pr^cisement,  Feffet 
que  Peele  recherchait  de  propos  d^lib^re,  et  qu'il 
sut  produire.  Sa  com6die  arrivait  juste  au  moment  de 
la  vogue  th^atrale  des  chevaliers  amoureux,  dames 


L'OEUVRE  DE  PEELE  121 

infortun^es  et  sorciers  criminels ;  elle  parodiait  avec 
ironie  les  d^fauts  les  plus  apparents  de  ce  type  de 
drarae,  —  I'accumulation  irr6f!6chie  d'6pisodes,  la 
confusion  due  a  cette  multiplicity,  et  le  prodigue 
emploi  du  coup  de  theatre  et  de  la  surprise.  L* 4  Old 
Wives  Tale '  est  uu  impertinent  d6fi  aux  fantaisies 
h^roiques  du  romanesque,  une  critique  enjou^e  de 
ces  pieces  qui  aimaient  trailer  des  aventures  les  plus 
extravagantes.  Toutes  ses  scfcnes  devaient,  naturel- 
lement,  contenir  de  nombreuses  allusions,  claire- 
ment  intelligiblesaux  contemporains.  Elles  (Schuppent 
aujourd'hui  a  la  perception,  mais  nous  pouvons  encore 
discerner  qu' c  Orlando  Furioso '  et  l  Soliman  and 
Perseda f  Staient  au  nombre  des  pieces  rail!6es  par 
Peele,  et  que  le  rdle  d'Huanebango  dtait,  pour  une 
bonne  part,  une  parodie  du  h6ros  romanesque:  le 
fantastique  chevalier-errant. 

11  enlre  pourlant  dans  le  caractfcre  de  ce  rodomont 
braillard  des  trails  qui  y  semblent  inlroduils  pour  ri- 
diculiser,  non  poinl  un  type  g6n£ral  de  h6ros,  mais  une 
personnalil^  bien  d6finie.  II  n'est  gu^re  difficile,  d'ail- 
leurs,  de  deviner  centre  qui  Peele  prtftendait  diriger ses 
amfcres  moqueries :  il  fait  d^biter  par  Huanebango  quel- 
ques-uns  des  fameux  hexamfctres  anglais  d'Harvey : 

0  that  I  might,  but  I  may  not,  woe  to  my  destiny  therefore ! 
Kiss  that  I  clasp,  but  I  cannot,  tell  me,  my  destiny,  wherefore !. 

[(675-676). 

4.  Gf.  G.  Harvey.  *  Three  proper  and  witty  familiar  letters,  etc'. 
Encomium  Lauri : 

•  O  that  I  might,  but  I  may  act,  wo«  to  my  destiny  therefor* 


122  GEORGE  PEELE 

et  met  ainsi,  sous  la  caricature  qu'il  dessine,  le  nom 
de  son  original.  II  est  peu  douteux,  enve>it6,  que  son 
4  Maitre  Bango '  repr6sente  Gabriel  Harvey  comme  le 
voyaient  ceux  de  ses  contemporains  qui  lui  6taient 
hostiles.  Non  content  de  tourner  en  derision  ses 
absurdes  efforts  pour  introduire  les  metres  classiques 
dans  la  poesie  anglaise,  et  de  le  f!6trir  comme  faiseur 
de  vers  maladroit,  Peele  Fattaque,  et  aussi  aprement, 
comme  prosateur.  11  rit  de  ses  lourdes  p6riodes  con- 
tourn6es,  de  sa  rh6torique  pompeuse,  de  son  6trange 
vocabulaire,  des  mots  qu'il  forge,  des  6pithetes  qu'il 
frappe  a  son  coin,  il  condamne,  avec  autant  de  verve 
que  Nashe,  son  "  charlatanisme  de  mots"  et  ses 
u  empietementssurle  franc-alleu  du latin  ".  "  Voyez- 
vous  cet  homme?  "  dit  un  personnage  de  la  piece  en 
montrant  du  doigt  Huanebango  ctvous  n'imagineriez 
pas  qu'il  courrait  un  ou  deux milles  aprks  un  gateau. . . 
m'a-t-il  pourtant  assez  demand^  un  morceaii  de 
celui-ci,  m'accablant  de  tant  de  '  substances  super- 
fantielles  '  et '  foisons  de  la  terre  '  que  je  ne  savais  ce 
qu'il  me  voulait  dire  " .  Nous  ne  le  savons  pas  non  plus, 
bien  souvent,  mais  remarquons  que  le  langage  par 
trop  affect^  d'Huanebango  imite  la  maniere  d'Harvey 
dans  les  *  Three  proper  and  witty  familiar  letters  to 
Senior  Immerito  ',  et  que  le  feu  et  le  soufre,  le  ton- 
nerre  et  les  Eclairs  dont  il  etoffe  ses  discours  sont  une 
allusion  tardive,  mais  directe,  a  la  '  short  but  sharp 
disquisition  ou  earthquakes"  qui  rendit  Gabriel  si 
profond£ment  ridicule  aux  environs  de  1580.  Jus- 


L'OEUVRE  DE  PEELE  123 

qu'ici,  cependant,  la  satire  de  Peele  peut  a  peine  6tre 
accused  d'acrimonie.  Elle  devient  plus  violente  lors- 
qu'elle  passe  de  Toeuvre  a  la  personue  d'Harvey.  Peele 
ne  manque  pas,  naturellement,  de  lui  rappeler  ses 
parents,  les  humbles  cordiers  de  Saffron  Walden : 
Huanebango  sevante  sans  cessedesage"ne"alogie,  jure 
par  Thonneur  de  sa  maison,  parle  de  sa  c^lebre  Iign6e, 
et  nomme  ses  anc^tres,  son  grand-pere  Polimackero- 
placidus  et  son  pere  Pergopolineo,  —  deux  mots 
(remarque  Fleay)  qui  suggerent  h  une  oreille  anglaise 
des  calembours  tels  que  ceux-ci  u  Polly  make-a-rope- 
lass  "  et  u  Perg-up-a-line-oh !  "  La  vanit6  bien  connue 
d'Harvey,  ses  allures  dictatoriales  et  blessantes,  son 
insupportable  entfetement  s'affirment  en  outre  pres- 
que  a  chaque  ligne  de  son  rdle1.  Ses  espoirs  de  pro 
motion  a  la  cour  sont  bafou6s;  FiHalage  qti'il  aimait 
faire  de  son  intimit£  avec  les  grands s,  d'unc  pnHendue 
parent^  avec  Sir  Thomas  Smith3,  est  plaisamment 
rail!6.  Bref,  toutes  ses  faiblesses  sont  stigmatis6es,  et 
le  portrait  ne  saurait,  dans  ses  grandes  lignes,  6lre 
autreque  le  sien.  La  ressemblance  sY'tend,  d'ailleurs, 


4.  V.  par  ex.,  "  If  she  be  mine,  as  I  assure  myself  the  heavens 
\\ill  do  somewhat  to  reward  my  worthiness,  she  shall  be  allied 
to  none  of  the  meanest  gods  "  etc.  ('296  sqq),  ou  bien  : 

"  I  \\ill  follow  my  fortune  after  mine  own  fancy,  and  do  accor 
ding  to  mine  own  discretion  "  (321 -2),  ou  encore  : 

"  Here  is  he  that  commandeth  ingress  and  egress  with  his  wea 
pon,  and  will  enter  at  his  voluntary,  whosoever  saith  no  ".  (572). 

2.  "  t  have  abandoned  the  court  and  honourable  company,  to  do 
my  devoir  against  this  sore  sorcerer  ",  etc.  (289  sqq.) 

3.  "  Indeed  1  had  a  cousin  that  sometime  followed  the  court  ", 
(205). 


124  GEORGE  PEELE 

jusqu'aux  plus  menus  details.  Harvey,  par  exemple, 
avail  un  teint  mat  dont  il  etait  passablement  fier.  II 
nous  dit  de  lui-meme  dans  les  '  Gratulationes  Val- 
denses ' 

Atra  coma  est :  color  et  fortasse  subitalus  *, 

que  Nashe  commente  ainsi :  u  II  a  la  couleur  basan6e 
du  lard  ranee  ou  de  la  morue  skche  ".  Ce  teint  basan6 
est  aussi  celui  d'Huanebango;  u  Sur  ma  foi!  "  s'e"crie 
Zantippe  u  quel  graisseux  gaillard  est-ce  la?  l'a-t-on 
trempe  dans  la  boue,  au  fond  du  puits?  "  —  Harvey 
e"tait  un  homme  de  haute  taille ;  Huanebango  est  un 
ge"ant.  Harvey  e"tait  bon  escrimeur,  et  s'en  piquait2, 
et  Huanebango  ne  traverse  pas  la  scene  sans  son  e"pee 
a  deux  mains3,  "  la  meilleure  6pee  "  declare  Madge 
11  que  Dieu  aitjamais  dou6e  de  vie  ".  Enfin  on  ne  sau- 
rait  objecter  que  la  ridicule  sentimentality  et  les  gro 
tesques  amours  d'Huanebango  soient  des  traits  qui 
ne  conviennent  pas  au  portrait  d'Harvey.  Nous  savons 
par  ailleurs  qu'il  6tait  de  temperament  amoureux, 
ais^ment  captive"  par  les  belles,  et  que  seuls  son 
manque  d'humour  et  de  bon  sens  ou  son  excessive 
vanite  lui  faisaient  essuyer  honte  sur  honte,  refus  sur 


1.  Xatpe  vel  Gratulationum  Valdensium  Libri  quatuor  (1578). 

2.  "  You  may  term  me  an  old  fencer  "  ecrit-il  "  indeed  I  was 
once  John  Burlegh's  scholar". 

3.  Nous  trouvons  une  allusion  similaire  dans  le  '  Pierce  Pen 
niless  '  de  Nashe,  —  allusion  dont  les  termes  rappellent  ietran- 
gement  le  sarcasme  de  Peele  : 

"  An  old  fencer  (i.  e.  Harvey),  flourishing  about  my  ears  his  two-hand  sword 
of  Oratory  and  Poetry,  peradventure  shakes  some  of  the  rust  of  it  on  my 
shoulders,  but  otherwise  strikes  me  not  but  with  the  shadow  of  it,  which 
is  no  more  than  a  flap  with  the  false  scabbard  of  contumely  ". 


L'CEUVRE  DE  PEELE  125 

refus.  Nashe  nous  informe  m6me  que  la  cause  pre 
miere  des  hexametres  anglais  de  Gabriel  fut  son  affec 
tion  pour  Kate  Widdows,  la  femme  du  sommelier  de 
St-John's  College ;  et  il  est  naturel  que  ce  soit  sous 
Tempire  demotions  identiques,  —  son  amour  pour 
Zantippe,  —  que  Bango  d6bite  sa  tirade  hexam6- 
trique : 

1  Mill  id,!,  phileridos,  pamphilida,  florida,  flortos; 

dub  dub-a-dub,  bounce,  quoth  the  guns,  with  a  sulphurous 

[huff  snuff: 

\\;iked  with  a  wench,  pretty  peat,  pretty  love,  and  my  sweet 

[pretty  pigsnie, 

just  by  thy  side  shall  sit  surnamed  great  Huanebango : 
safe  in  my  arms  will  I  keep  thee,  threat  Mars,  or  thunder] 

[Olympus  (v.  667  sqq.) 

N'est-ce  point  la  un  ensemble  de  te~moignages  suffi- 
sants  pour  nous  faire  assimiler  Huanebango  et  Har 
vey  ',  et  nous  faire  appliquer  a  T  l  Old  Wives  Tale '  ce 
que  Nashe  disait  de  la  com6die  latine  de  Pedantius : 
14  under  one  of  the  chief  parts,  the  firking  finicaldo 
fine  Gabriel  is  full  drawn  and  delineated  from  the  sole 
of  the  foot  to  the  crown  of  his  head  ".  Nous  pourrions 
remarquer  encore  qu'Huanebango  est  pourvu  par 
Peele  d'un  inseparable  compagnon,  Corebus.  Ce 
Corebus  n'est,  dans  la  l^gende,  qu'un  sot  qui  veut 
d£nombrer  les  vagues  de  la  mer  alors  qu'il  ne  peut 

4.  Nous  pourrions  ajouter  quelques  de* tails  secondaires.  Ces 
mots  d'Huanebango,  par  exemple.  «*  Fair  lady,  if  thou  wert  once 
shrined  in  this  bosom,  I  would  buckler  thee  haralantara  "  (330-1) 
semblent  faire  allusion  4  ce  vers  des  Grat.  Vald.  m. 

••  T»r»UnUr»  quid  si    |  terribilis  tuba  nunc  resonel ',  etc, 


126  GEORGE  PEELE 

compler  jusqu'a  cinq;  mais  dans  notre  piece  nous 
trouvons  d'excellentes  raisons  de  croire  qu'il  repre"- 

\  sente  Richard  Harvey,  un  des  freres  de  Gabriel.  Ce 
que  nous  savons  de  Richard  se  r6duil  a  peu :  c'6lail, 
nous  dil-on,  un  pretre  de  campagne,  qti'un  penchant 
pour  1'astrologie  avail  pouss6  a  publier  des  predictions 
irre'alisees1,  qu'une  incartade  avail  une  fois,  a  Cam 
bridge,  fail  mellre  aux  ceps2,  et  qu'une  maladie  des 
yeux  rendail  presque  aveugle3.  Chacun  de  ces  derails 
trouve  sa  place,  mulalis  mulandis,  dans  la  com6die 
de  Peele :  son  Corebus  esl  un  mananl  au  cerveau 
faible,  qui  se  fait  forl  de  re"soudre  les  6nigmes  el  de 

'  pr6dire  1'avenir,  se  vante  d'avoir  introduit  dans  sa 
paroisse  la  u  culture  du  ceps"4,  et  se  voit  finalemenl 
frappe"  de  c6cit6  par  Sacrapanl.  Des  allusions  aussi 
d£finies  ne  peuvenl  s'expliquer  par  une  coincidence 
accidenlelle ;  elles  nous  poussenl  a  admellre  que  Peele 
donnail  une  parl  6gale,  dans  son  animosil£,  aux  deux 

1.  "  An  astrological  discourse  upon  the  great  notable  conjunc 
tion  of  the  two  superior  planets,  Saturn  and  Jupiter,  which  shall 
happen  the  28t[l  day  of  April  4583,  etc.  written  newly  by  Richard 
Harvey,  At  London.  1582  ". 

2.  "  There  was  a  show  made  of  the  little  Minnow  his  Brother, 
Dick,  at  Peterhouse,  called '  Duns  furens.  Dick  Harvey  in  a  frenzy' 
whereupon  Dick  came  and  broke  the  College  glass-windows,  and 
Doctor  Perne  (being  then  either  for  himself  or  Deputy  Vice-Chan- 
cellor)  caused  him  to  be  fetched  in  and  set  in  the  Stocks  "  Nashe. 
'  Pierce  Penniless '. 

3.  "  1  squirt  ink  into  his  decayed  eyes  with  iniquity  to  mend 
their  diseased  sight...  The  ecclesiastical  dunce,  instead  of  reco 
vering  waxes  stark  blind  thereby  ".  Id. 

4.  Nous  nous  sommes  risques  a  remplacer  par  un  jeu  de  mots 
sur i  ceps '  le  jeu  de  mots  anglais  sur  '  stocks  '  et  '  stock  '.  Le  texte 
de  Peele  porte :  "  1  have  given  the  parish  the  start  for  the  long 
stock  "  (284). 


L'CEUVRE  DE  PEELE  1*7 

membres  les  plus  marquants  de  la  famille  des  Harveys. 
II  nous  est  impossible  aujourd'hui  de  comprendre 
la  nature  exacte  de  cette  animosit£,  mais  nous  sora- 
mes  encore  a  m&me  d'en  d6couvrir  les  causes.  En 
1589  avail  paru  le  4  Menaphon '  de  Greene,  augment^ 
d'une  preface  de  Nashe.  qui  contenait  une  critique 
g£ne>ale  de  la  literature  du  temps  et  classait  Peele  ! 
et  Greene  parmi  les  figures  les  plus  6minenles  de  cette 
literature.  Le  nom  des  Harveys  n'elait  pas  mftme 
nn Mil i»ii nr.  et  Richard  paratt  avoir  ressenti  une  aussi 
d£daigneuse  omission.  Dans  1'avant-propos  d'un  ou- 
vrage  qu'il  publia  en  1590:  l  the  Lamb  of  God'  il 
invectiva  Nashe  et  ajouta  avec  quelque  dtfpit:  "  Let 
not  Martin,  or  Nashe,  or  any  other  piperly  make-play 
or  make-bate  presume  overmuch  of  my  patience  as  : 
of  simplicity,  but  of  choice  ".  Cette  phrase  pouvait 
£tre  regarded  comme  une  attaque  contre  tous  les 
Scrivains  et  auteurs  dramatiques  de  Londres ;  et  Nashe 
ne  manqua  point  de  Tinterpreter  dans  ce  sens.  11 
semble  que  Peele  fit  de  m&me  et  que  les  parties 
satiriques  de  T  *  Old  Wives  Tales'  furent  sa  r^ponse 
a  Tattaque  supposee  de  Hichard.  Peut-6tre  avait-il, 
du  resle,  d'autres  motifs  de  prendre  les  armes  contre 
les  Harveys.  11  <Hait  en  1590-1591  a  la  solde  de  la 
Cour,  charg4  d'organiser  les  fetes  d'anniversaire  de 
la  reine1;  et  cette  circonstance  le  mil  fort  proba- 
blementen  rapports  avec  Lyly,  le  po^tefavori  d'alors. 

1.  '  Polyhymnia,  etc.  1590. 


128  GEORGE  PEELE 

Or,  Lyly  etait  en  guerre  ouverte  avec  Gabriel  Harvey 
qu'il  avait  deja  vilipende  dans  son  opuscule:  "  Pap 
with  an  Hatchet",  et  Peele  ne  pouvait  faire  mieux 
pour  se  concilier  sa  faveur  et  celle  de  ses  puissants 
patrons  que  de  porter  Harvey  a  la  scene  sous  les  traits 
risibles  d'un  vantard  au  cerveau  vide  et  aux  phrases 
sonores.  Mais,  quelles  qu'aient  6t6  les  raisons  de  son 
attaque,  cette  attaque  n'en  reste  pas  moins  un  fait 
patent,  et  il  nous  faut  regarder  la  pi&ce  de  Peele 
comme  un  element  jusqu'ici  msoupQonn6  de  1'affaire 
Lyly,  Nashe,  etc.  centre  Richard  et  Gabriel  Harvey. 
Dans  son  Edition  des  oeuvres  de  Nashe,  Mr.  Mac 
Kerrow  conjecturait  Fexistence  d'anneaux  interm6- 
diaires  dans  la  longue  chalne  d'inimiti6  qui  relie  le 
'Lamb  of  God'  de  Richard  (1590)  a  la  r6ponse 
tardive  de  Greene  dans  l  A  Quip  for  an  Upstart 
Courtier'  (1592).  Nous  inclinons  a  penser  quel' '  Old 
Wives  Tales  '  est  1'un  de  ces  anneaux  ;  et  ses  scenes 
contiennent  assez  de  satire  acerbe  pour  justifier  et 
corroborer  cette  hypothkse. 

DAVID  ET  RETHSABEE. 

II  ne  semble  pas,  cependant,  que  Peele  ait  pris 
plus  ample  part  a  la  querelle,  car  le  seul  drame  poste"- 
rieur  que  nous  ayons  de  lui:  l  David  and  Rethsabe', 
n'y  fait  pas  la  moindre  allusion,  ni,  d'ailleurs  a  au- 
cun  6v6nement  contemporain.  Fleay,  il  est  vrai,  voit 
"  en  Rethsabe  et  en  David  Elizabeth  et  Leicester,  la 


L'OEUVRE  DE  PEELE  1*9 

premiere  femme  de  Leicester  en  Urie,  et  en  Absalon 
Marie  reine  d'Ecosse".  Mais,  m&me  si  nous  admel- 
tons  que  le  travestissement  d'allusions  politiques  par 
changement  de  sexe  n'6tait  pas  inconnu  au  th&Hre 
6lisab6lhain,  il  nous  est  difficile  de  croire  qu'une 
diffamation  calomnieuse  de  Leicester,  ou  quelque 
41  scandal  about  Queen  Elizabeth"  se  soil  jamais 
exprime^  ouvertement  sur  la  scfcne  publique.  II  nous 
est  6galemenl  impossible  de  donner  notre  assen- 
timent  k  I'inference  que  tire  Fleay  de  la  prStendue 
presence  dans  le  drame  d'un  dessein  all6gorique,  h 
savoirqu'ilful  compost  vers  1588.  Desdocuments  plus 
valables  nous  sont  n6cessaires  pour  en  fixer  la  date. 
L'en-t&te  du  vieux  quarto  ne  fournitque  de  maigres 
informations.  Outre  le  litre  m6me,  il  ne  donne  que  le 
nom  derimprimeur:  Adam  Islip,  et  1'annde  de  publi 
cation:  1599.  L'unique  edition  du  temps  est  done 
posterieure  h  la  mort  de  Peole;  mais  le  permis  d'im- 
primer  avail  616  accord£  bien  ant6rieuremenl,  dbs  le 
mois  de  Mai  1594,  el  la  minute  qui  s'y  rapporle  dans 
les  regislres  des  Libraires  nous  aide  h.  determiner 
Tune  des  limites  de  composilion  de  la  pifcce '.  L'aulre 
esl  moins  ais6menl  dlablie.  Le  drame  de  Peele,  nous 
le  verrons,  conlienl  des  passages  direclemenl  imil6s 
de  I'o3uvre  d'un  pofele  religieux  franc;ais :  Guil- 
laume  Saluste  du  Barlas,  —  plus  pr6cis6menl  de 
quatre  livres  de  sa  seconde  semaine  (Eden,  Artifices, 

SAdun  Islip. 
F.ntre"  for  hi.'cop.e  under  th<e  h>andes  of  bothe 
the  wardens  a  book  called  the  book  of  David  and  Beths»b«  vj«. 

CllEFFAUO.  9 


130  GEORGE  PEELE 

Arche,  et  Trophies)  dont  le  dernier  parut  seulement 
en  1591  \  De  la  d6coule  naiurellement  la  conclusion 
que  le  '  David '  de  Peele  dut  etre  compose  apres  cette 
date.  L'emprunt  d'une  longue  comparaison  (sc.  viii. 
v.  59  sqq)  au  premier  livre  de  la  '  Fairy  Queen '  de 
Spenser 2  ne  peut  que  confirmer  cette  conclusion ;  et, 
si  enfin  nous  tenons  compte  du  fait  que  les  theatres 
de  Londres  furent  clos  de  Juin  1592  a  Paques  15943, 
nous  pourrons  donner  1591  ou  1592  comme  la 

4.  Les  poemes  de  du  Bartas  furent  publics  respectivement : 

f  Triomphe  de  la  foi. 

La  Muse  Chretienne  5  Judith  en  1574. 

r  Uranie, 
La  Premiere  semaine  en  1579. 

(  Eden.  Imposture.  Furies.  Artifices. 
La  Seconde  semaine  >  en  jgg^ 

(1"  et  2«  jours).         ^     Arche   Babylone.  Colonies.  Colonnes. 

(     Vocation.  Peres.  Lois.  Capitaines. 

La  Seconde  semaine   i  1591 

(3*  et  4-  jours).        £     Trophees.  Magnificence.  Schisme.  Decadence. 

L'oeuvre  du  poete  protestant  trouva  un  immediat  succes  aupres 
du  public  anglais.  Le  premier  Iraducteur  ne  fut  autre  que  Jacques 
IV  d'Ecosse,  et  a  partir  de  4584,  les  traductions  se  succederent 
pendant  un  demi-siecle.  Les  paraphrases  anglaises  que  Peele  pou- 
vait  connaitre  sont  les  suivantes  : 

4584.  Uranie  or  Heavenly  Muse  Jacques  IV. 

4585.  Judith  Tho.  Hudson. 
4585.  Uranie  or  Heavenly  Muse  (2e  edit.)  Jacques  IV. 
4588.  Portion  de  la  <  First  Week  '  (perdue)                Sir  P.  Sidney. 
4594.  The  Furies                                                          Jacques  IV. 

A  Canticle  of  the  Victory  of  ivry  J.  Sylvester. 

The  First  Week  (permis  d'impression  de) 

probablement        J.  Sylvester. 
4592.  Triumph  ot  Faith;  sacrifice  of  Isaac  ;  shipw 
reck  of  Jonas  J.  Sylvester. 
11  est  a  remarquer  que  la  '  Seconde  semaine  '  ne  fut  pas  traduite 
avant  4596. 

2.  Peele.  '  David  &  Bethsabe '  Sc.  viii.  v.  59  sqq.     Spencer. '  Fairy  Queen '  BK.  i.  c.  5.  st.  2. 

"  As  when  the  sun,  attir  'd  in  glistering  robe,         "  At  last,  the  golden  oriental  gate 

comes  dancing  from  his  oriental  gate,  of  greatest  heaven  gan  to  open  fair  ; 

and  bridegroom  like  hurls  through  the  gloomy  air     and  Phoebus,  fresh  as  bridegroom  to  his  mate, 

his  radiant  beams,  such  doth  king  David  shows",     came  dancing  forth,  shaking  his  dewy  hair 

add  hurlSd  his  glistering  beams  through  gloomy  air1 

3.  Voir  note  4,  page  409. 


L'OEUVRE  DE  PEELE  134 

pe>iode  pendant  laquelle  la  piece  fut  presque  indis- 
cutablement  e*crite  et  repre"sent6e ' . 

Elle  est,  en  tout  cas,  la  derniere  des  productions 
dramatiques  de  Peele;  ceci,  a  deTaut  d'autre  Evidence, 
nous  serai t  amplement  prouv6  par  sa  diction,  son 
metre,  en  un  mot  sa  forme  ge'ne'rale,  qui  tous  sug- 
gerent  la  main  d'un  artisan  experiments.  Conside're'e 
par  la  plupart  des  critiques  comme  Toeuvre  la  ineil- 
leure  de  notre  dramaluge,  elle  a  616  1'objet  de  louan- 
ges  vives,  parfois  enthousiastes ;  et,  avec  quelques 
restrictions,  nous  nous  rallierons  al'elogieuse  opinion 
habituellement  formulae. 

La  piece  tire  son  sujet,  comme  le  litre  1'indique, 
de  sources  scripturales,  et  suit  de  si  pres  le  r6cit  du 
Vieux  Testament  que  1'analyse  n'en  peut  6tre  plus 
convenablement  donnee  que  dans  le  style  rn6me  de 
la  Bible  : 

II  arrivaque  David,  se  promcnant  sur  la  leirasse  de 
son  palais,  vit  une  femme  qui  se  baignait  dans  le  jar- 
din  de  sa  maison;  et  cette  femme  etait  fort  belle. 

Le  roi  envoya  done  savoir  qui  elle  6tait  etCusai  lui 
dit  que  c'Stait  Bethsab6e,  femme  d'Urie,  II6theen. 

Alors  David,  ayant  envoy^  Cusai,  la  fit  venir,  et 
quand  elle  fut  venue,  il  dormit  avec  elle,  et  elle  conQut. 

C'6tait  le  temps  ou  les  rois  ont  accoutum6  d'aller  a 


4.  Nous  ignorons  au  repertoire  de  quelle  troupe  appartenait 
4  David  and  Bethsabe ' ;  et  il  semble  impossible  de  savoir  si  cette 
minute  du  Journal  d'Henslowe  (Worcester's  Men's  Accounts)  se 
rapporte  a  notre  piece : 

••  Octr.  1602 ;  Pd  (or  poleyes  and  workmanship?  (or  to  hange  Absalome  xiiij  ". 


132  GEORGE  PEELE 

la  guerre,  et  Joab,  Urie,  avec  tout  Israel  assie~geaient 
Rabbath,  cit6  des  Ammonites.  Mais  David  demeura 
ci  Jerusalem, 

Et  il  envoya  des  courriers  a  Joab  avec  ordre  de  lui 
dire:  Envoie-moi  Urie.  Et  Joab  le  lui  envoya. 

Au  meme  temps,  Amnon,  le  fils  de  David,  congut 
une  passion  pour  sa  scaur  Thamar.  L'amour  qu'il 
avait  pour  elle  devint  si  excessif  qu'il  lerenditmalade, 
et  il  la  fit  prier  de  venir,  pour  lui  appreter  .£  manger 
et  lui  preparer  quelque  chose  de  sa  main. 

Thamar  alia  done  a  Fappartement  de  son  frere 
Amnon.  Elle  prit  de  la  farine,  la  petrit  et  la  delaya, 
et  fit  cuire  le  tout  devant  lui ;  mais  apr&s  qu'elle  le  lui 
eut  pr^sente",  il  se  saisit  d'elle  et  lui  fit  violence. 

Alors  Thamar,  ayant  mis  de  la  cendre  sur  sa  tete  et 
de"chir6  sa  robe,  s'en  alia  en  jetant  de  grands  cris,  et 
Absalon,  son  frere,  concut  une  grande  haine  contre 
Amnon. 

Le  roi  David  s'en  affligea  fort,  et  il  ordonna  a  Absalon 
de  ne  parler  en  aucune  sorte  &  son  frere,  parce  qu'il 
vengerait  lui-meme  le  tort  fait  a  Thamar. 

Cependant  Urie  e"tait  venu  au  palais  du  roi,  et 
David  lui  recommanda  d'aller  en  sa  maison,  pour 
couvrir  son  adultere.  II  le  fit  venir  pour  manger 
et  boire  a  sa  table,  et  il  Fenivra,  mais  Urie  passa  la 
nuit  devant  la  porte  du  palais  et  ne  retourna  point 
chez  lui. 

Alors  David  envoya  a  Joab  une  lettre  6crite  en  ces 
termes :  Mettez  Urie  a  la  tete  de  vos  gens  ou  le  com- 


L'CEUVRE  DE  PEELE  133 

hat  sera  le  plus  rude,  etfaites  ensorte  qu'il  soil  aban- 
donn6  et  qu'il  y  pSrisse. 

Joab,  continuant  done  le  siege  de  la  ville,  mil  Urie 
vis-a-vis  le  lieu  ou  il  savait  qu'6taient  les  meilleures 
troupes  de  1'ennemi,  et  quelques-uns  des  gens  de 
David  perirenl,  entre  lesquels  Urie,  H6th6en. 

Mais  Bethsab6e,  la  femrae  d'Urie,  enfanta  un  fils,  - 
et  cette  action  qu'avait  faite  David  d6plutau  Seigneur. 

Le  Seigneur  envoya  done  Nathan  a  David  pour  lui 
dire :  Pourquoi  avez-vous  m6pris6  mes  paroles  jus- 
qu'a  commettre  le  mal  devant  mes  yeux?  Vous  avez 
fait  perdre  la  vie  a  Urie,  H6th6en ;  vous  lui  avez  616 
sa  femme  et  Tavez  prise  pour  vous ; 

C'est  pourquoi  l'6pe"e  ne  sortira  jamais  de  votre 
maison.  Je  vais  vous  susciter  des  maux  qui  nattront 
de  votre  propre  maison.  Le  fils  qui  vous  est  n6  aussi 
va  certainement  perdre  la  vie. 

Et  le  Seigneur  frappa  1'enfant  que  la  femme  d'Urie 
avail  eu  de  David,  et  le  septieme  jour  il  mourut. 

Quand  il  vit  que  1'enfant  6tait  mort,  David  se  leva 
de  terre,  prit  de  1'huile  de  parfum,  et  s'en  etant  oint, 
entra  dans  la  maison  du  Seigneur  et  1'adora. 

Et  il  consola  sa  femme  Bethsab6e,  dormilavec  elle, 
et  en  eut  un  fils  qu'il  appela  Salomon. 

Puis  il  rassembla  tout  le  peuple,  et  marcha  contre 
Rabbath,  et  aprfes  quelques  combats  il  la  prit. 

Mais  pendant  que  David  6tait  sous  Rabbath,  Amnon 
fit  tondre  ses  brebis  dans  Baal-hazor,  et  invita  tous 
les  enfants  du  roi  a  venir  chez  lui. 


134  GEORGE  PEELE 

Et  Absalon,  quand  Amnon  commenQa  a  etre  trou 
ble  par  le  vin,  le  frappa  et  le  tua;  et  aussit6t  tous  les 
enfants  du  roi,  se  levant  de  table,  monterent  chacun 
sur  leur  mule  et  s'enfuirent. 

11s  e*taient  encore  en  chemin  quand  le  bruit  vint 
jusqu'aux  oreilles  de  David  qu'Amnon  £tait  mort, 
parce  qu'Absalon  avait  resolu  de  le  perdre  depuis  le 
jour  qu'il  avait  fait  violence  a  sa  soeur  Thamar. 

Le  roi  se  leva  aussitot,  d6chira  ses  vetements,  se 
jeta  par  terre,  et  tous  ses  officiers  qui  6taient  pres  de 
lui  d^chirerent  leurs  vetements. 

Mais  le  coeur  du  roi  penchait  encore  vers  Absalon,  et 
Joab  le  fit  mander.  II  se  presenta  done  devant  le  roi, 
et  se  prosterna  a  terre  devanl  lui,  et  le  roi  le  baisa. 

N6anmoins  Absalon  s'insinua  dans  les  affections 
d'Israel.  11  se  forma  une  puissante  conspiration ;  etla 
foule  du  peuple  croissait  de  plus  en  plus. 

Le  roi  dut  faire  hate  pour  s'e"chapper  et  tous  ses 
officiers  avec  lui,  et  il  monta  la  colline  des  Oliviers, 
nu-pieds,  latete  couverte,  et  en  pleurant. 

Alors  Absalon ,  suivi  de  tout  Israel,  passa  le  J  ourdain. 

Aussitot  David,  ayant  fait  la  revue  de  ses  gens, 
e"tablit  sur  eux  Joab,  Abisai  et  Etha'i  pour  les  com 
mander,  et  il  leur  dit :  Conservez-moi  mon  fils,  mon 
fils  Absalon. 

L'arm6e  marcha  ainsi  en  bataille  contre  Israel,  et 
la  bataille  fut  donne"e  dans  la  foret  d'Ephraim. 

Absalon  e*tait  monte"  sur  une  mule,  et  comme  il 
passait  sous  im  grand  chene  fort  touffu,  sa  chevelure 


L'OEUVRE  DE  PEELE  135 

s'embarrassa  dans  les  branches  d'un  arbre,  et  il 
demeura  suspendu  entre  le  ciel  et  la  terre. 

Joob  le  vit  en  cet  e*tat,  et,  prenant  en  sa  main  trois 
dards,  lui  en  pergale  coeur.  Et  tous  les  gens  d'Israel 
s'enfuirent  chacun  dans  leur  tente.  Alors  Joab  dit  a 
Cusai:  Allez  et  annoncez  au  roi  ce  que  vous  avez  vu. 
Cusai  lui  fitune  profonde  r6ve>ence  et  se  mit£courir. 

Cependant  David  6tait  assis  entre  les  deux  portes 
de  la  ville,  avec  Bethsab6e  et  Salomon.  Et  Bethsab6e 
se  baissa  profond6ment  et,  adorant  le  roi,  elle  dit: 
Mon  Seigneur,  jurez  &  votre  servante  que  Salomon 
r^gnera  aprfcs  vous  etqu'il  sera  assis  sur  votre  trdne. 

Le  roi  lui  jura  et  lui  dit:  Salomon  votre  fils  sera 
assis  en  ma  place  et  r^gnera  sur  lout  Israel. 

Mais  alors  la  sentinelle  qui  6tait  sur  les  murailles 
au  hautde  la  porte  vit  un  homme  qui  courait,  et  Cusai 
parut. 

Mon  fils  Absalon  est-il  en  vie?  lui  dit  le  roi;  et 
Cusai  lui  re"pondit:  Que  les  ennemis  de  mon  roi,  et 
lous  ceux  qui  se  soulevent  centre  lui  pour  le  perdre 
soient  trailers  comme  il  1'a  6t£. 

Le  roi,  e*tant  done  saisi  de  douleur,  se  couvrit  la 
face  et  se  mit  a  pleurer,  criant:  Mon  fils  Absalon, 
Absalon,  mon  fils,  mon  fils! 

Et  bientdt  Joab  entra  dans  la  ville  avec  les  hommes 
de  Juda ;  mais  la  victoire  fut  changed  en  deuil  dans 
toute  I'arm6e  parce  que  tout  le  peuple  savait  que  le 
roi  6tait  afflig6  de  la  mort  d'Absalon. 

Alors  Joab,  etant  entr6  au  lieu  ou  6tait  le  roi,  lui 


136  GEORGE  PEELE 

dit:  Venez  pr6sentement  vous  montrer  a  vos  servi- 
teurs;  parlez-leur  et  t6moignez-leur  la  satisfaction 
que  vous  avez  d'eux,  car  je  vous  jure  que  si  vous  ne 
le  faites,  vous  n'aurez  pas  cette  nuit  un  seul  homme 
aupres  de  vous. 

Et  Bethsabee  lui  dit :  Quittez  ce  deuil ;  allez  vous 
asseoir  a  la  porte  de  la  ville.  Et  le  roi  alia  s'asseoir  a 
la  porte  de  la  ville ;  se  montrant  a  ses  serviteurs,  il 
leur  parla ;  et  tous  les  cosurs  de  son  peuple  se  rejoui- 
rent. 

Le  c  David  and  Bethsabe  '  de  Peele  emprunte,  on  le 
voit,  ses  donne"es  au  2e  livre  de  Samuel,  et  n'est  en 
certains  endroits  qu'une  paraphrase  dramatique  des 
chapitres  xi  et  suivants1.  II  reste,  de  la  premiere  a  la 
derniere  scene,  tres  pres  de  son  original  et  en  adopte 
parfois  la  phras^ologie  menie.  Mais,  tandis  que  le 
re*cit  du  Vieux  Testament  est  quelqtie  peu  diffus  et  ne 
pre"sente  qu'une  longue  se>ie  d'episodes  propres  a 
illustrer  la  vie  de  David,  le  drame  de  Peele  offre  dans 
Fensemble  plus  de  cohesion  et  de  fini,  parce  que  les 
incidents  en  sont  moins  nombreux  et  paraissent  unis 
par  une  id6e  centrale.  David,  en  c6dant  a  sa  passion 
adultere  pour  Betbsab6e,  devient  pour  elle  le  meur- 
trier  d'Urie,  et  de  cet  adultere,  de  cet  homicide 
de"coule  toute  une  serie  de  crimes :  le  viol  de  Thamar, 
le  meurtre  d'Amnon,  la  trahison  d'Absalon,  qui  for- 


1.  Herr  Bruno  Neitzel  (George  Peele 's  David  and  Bethsabe. 
Halle  1904)  adresse  une  liste  complete  des  passages  bibliques  imi- 
tes  par  Peele. 


L'CEUVRE  DE  PEELE  137 

ment  les  themes  successifs  de  la  piece.  Ge*n6ralement 
parlant,  les  premiers  incidents  etles  derniers  se  trou- 
vent  dans  la  double  relation  de  cause  a  effet,  et  de 
p6ch£  k  chatiment.  Ce  rigide  enchalnement  interne 
donne  h  la  composition  de  Peele  une  unit6  qui  est  plus 
ou  moins  absente  de  I'histoire.biblique.  C'est  la,  du 
point  de  vue  dramatique,  un  ind£niable  progres,  dont 
le  me>ite,  cependant,  ne  peut  6tre  entierement  attri- 
bu6  a  Tinge* niosit£  du  dramaturge.  Les  Episodes 
avaient  <l<-j;i  616  choisis  et  iso!6s  pour  1m .  le  lien  qui 
les  re"unit,  indissolublement  attach^  par  du  Bartas 
dans  une  partie  de  sa  •  Seconde  Semaine  '  intitul6e 
*  les  Trophies'.  La  conception  g6ne>ale  du  drame 
peelien,  —  1'expiation  d'un  p6ch6  par  d'infinis  mal- 
heurs,  -  -  esl  aussi  celle  du  poeme  franc.ais,  et  s'ex- 
prime  clairement  dans  ces  vers,  que  nous  voyons 
adapter  et  d6velopper  dans  4  David  and  Bethsabe ': 

Tu  as  brassg  la  mort  a  Tinnocent  Urie; 
tu  Tas  fait,  6  cruel ;  mais  aussi  la  tuerie, 
I'horrible  parricide,  et  lasche  trahison, 
hoftes  perp6tuels,  honniront  ta  maison... 
Chez  toi  le  frere  ira,  d'un  nom  parent  baiser 
sa  detestable  ardeur  sur  sa  soeur  apaiser... 
TOD  sang  centre  ton  sang descochera  sa  rage; 
ton  fils  te  soustraira  de  Jacob  le  courage; 
pour  te  desar^onner  armera  tes  vassaux 
et  te  donra,  f^lon,  assaux  dessus  assaux. 
Tu  serviras,  battu,  d'example  aux  autres  roys. 
(Ed.  1601.  T.  2.  p.  103.  Du  B.  2«  S.  Troph  v.  1029  sqq.) 

De  \h  Peele  a  tir6  la  notion  qui  forme  la  base  de 
toute  son  reuvre,  et  sa  dette  ne  se  borne  pas  a  cet 


138  GEORGE  PEELE 

emprunt.  Nous  avons  des  preuves  surabondantes 
qu'au  moment  ou  il  6crivait  il  6tait  sous  1'influence 
directe  du  poete  huguenot.  INous  pourrions  men- 
tionner  que  dans  les  limites  assez  elroites  de  son 
drame,  on  retrouve  les  caracteristiques  familieres  de 
du  Bartas:  son  penchant  pour  les  pointes  et  les  con 
cetti,  pour  le  cliquetis  de  mots  sonores,  son  habitude 
de  forger  des  noms  ou  adjectifs  composes1 ,  son  accu 
mulation  de  connaissances  astronomiques  d'ordre 
anti-copernicien ;  mais  il  est  inutile  d'insister  sur  une 
ressemblance  de  details  lorsque  nous  trouvons  en 
deux  portions  diff^rentes  de  '  David ',  —  1'exposition 
et  le  denouement,  —  de  longs  passages  exclusivement 
inspires  par  la  l  Seconde  Semaine',  quelquefois  tra- 
duits  mot  pour  mot.  La  description  du  jardin  de 
Bethsab6e,  avec  sa  richesse  de  details  pittoresques, 
est  mode!6e  sur  celle  du  Paradis  Terrestre  dans  FEden 
de  du  Bartas.  Dans  ces  deux  descriptions  correspon- 
dantes,  sans  doute,  Fordre  des  elements  est  I6ge- 
rement  modifi6,  et  il  est  d'autres  differences,  car  Peele 
tantot  amplifie,  et  tantot  condense ;  mais  le  parallele 
n'en  reste  pas  moins  frappant  et  nous  trouvons  ga  et 
la  des  vers  presque  litteralement  traduits.  Ce  "  cou 
plet",  par  exemple; 

Let  all  the  grass  that  beautifies  her  bower 

bear  manna  every  morn  instead  of  dew.  (Sc.  i.  44-5.) 


1.  Par  exemple :  praise-note ;  inside-bark ;  new-hewn  ;  fire-per 
fumed  ;  fever-sick ;  combat-blow ;  much-too-forward ;  tragic-hued ; 
etc.,  etc. 


L'CEUVRE  DE  PEELE  139 

r6pfcte  les  mots  de  du  Bartas: 

Si  je  dis  qu'au  matin  des  champs  la  face  verte 
6toit,  non  de  rose"e,  mais  de  manne,  couverte. 

(2*  Sem.  1"  J.  v.  73-74.) 

Get  autre  alexandrin  frangais  : 

Le  bruit  de  cent  ruisseaux  semond  le  doux  sommeil  (id.  v.  43.) 

devance  les  vers  si  souvent  cit6s  de  Peele : 

Seated  in  hearing  of  a  hundred  streams 

that  with  their  murmur  summon  easeful  sleep 

(DuB.  Sc.  1.  v.  95-6.) 

Et  nous  pourrions  auSsi  justement  comparer  ces  deux 
distiques: 

Lending  her  praise  notes  to  the  liberal  heavens, 
struck  with  the  accents  of  archangel's  tunes 

(Du  B.  Sc.  1.  v.  31-2.) 

Et  marians  leurs  tons  aux  doux  accents  des  Anges 
chantoieut  et  1'heur  d'Adam  et  de  Dieu  les  louanges. 

(2'S.  lerJ.  v.86-7.) 

ou  ces  deux  morceaux  descriplifs : 

Au  long  dun  clair  ruisseau,  dont  la  brillante  areine 

est  de  fin  or  d'ophir,  les  cailloux  de  rubis, 

1'onde  de  pur  argent,  le  rivage  de  lis, 

et  qui  des  plis  glissants  de  sa  source  sacrge, 

gazouillard,  labyrinthe  une  flairante  pre"e.  (id.v.  477  sqq.) 

That  precious  fount  bear  sand  of  purest  gold ; 
and,  for  the  pebble,  let  the  silver  streams 
play  upon  rubies,  sapphires,  chrysolites; 
the  brims  let  be  embraced  with  golden  curls 
of  moss  that  sleeps  with  sound  the  waters  make 

(Du  B.  Sc.  i.v.  37  sqq.) 

La  scfcne  d'oiices  exemples  sont  tir6s  conserve,  tou- 


140  GEORGE  PEELE 

tefois,  une  certaine  originality  ne  fut-ce  que  dans 
1' arrangement  de  sa  matiere.  Mais  dans  le  dernier  acte 
du  drame,  Peele,  apparemment  fatigue"  d'adapter  et 
d'imiter,  se  contenie  de  rendre  en  anglais  un  long 
extrait  d'un  autre  chant  de  la  4  Seconde  Semaine'. 
Cetle  partie  de  sa  piece,  si  Ton  s'en  souvient,  consiste 
en  un  dialogue  moralement  dogmatique,  au  cours 
duquel  David  enseigne  a  son  fils  Salomon,  autantque 
mortel  le  peut  faire, 

the  skill 
and  holy  secrets  of  God's  mighty  hands.  (Sc.  xv.  71-2). 

Or,  tout  ce  dialogue  n'est  qu'une  traduction  honne'te 
et  fidele  d'une  portion  des  c  Artifices ',  ou,  cependant, 
Adam  et  Seth  tiennent  la  place  de  David  et  de  Salomon . 
II  serait  trop  long  de  citer  ici  en  entier  les  passages 
paralleles,  et  il  nous  faut  les  rejeter  en  un  appendice ' ; 
mais  nous  pouvons  au  moins  choisir  un  specimen 
typique,  propre  a  montrer  sous  son  vrai  jour  la 
m^thode  de  Peele.  Voici  done,  a  la  suite  Tun  de 
Fautre,  son  texte  et  celui  de  du  Bartas : 

A  secret  fury  ravisheth  my  soul 
lifting  my  mind  above  her  human  bounds 
and,  as  the  eagle,  roused  from  her  stand 
with  violent  hunger  towering  in  the  air, 
seizeth  her  feathered  prey,  &  thinks  io  feed, 
but,  seeing  then  a  cloud  beneath  her  feet, 
lets  fall  the  fowl,  and  is  emboldened 
with  eyes  intentive  to  bedare  the  sun 

1.  Voir  Appendice,  page  176  sqq. 


L'OEUVRE  DE  PEELE  141 

and  styeth  close  unto  his  stately  sphere ; 
so  Solomon,  mounted  on  the  burning  wings 
of  zeal  divine,  lets  fall  his  mortal  food 
and  cheers  his  senses  with  celestial  air, 
threads  in  the  golden  starry  labyrinth 
and  holds  his  eyes  fixed  on  Jehovah's  brows 

(D&B.  Scxv.  v.  117  sqq). 

II  est  soudain  poussg  d'une  fureur  secrette, 
non  comme  le  M£nade  qui  rouant,  furieux, 
palist,  rougit,  panthele,  ulcere  sans  courroux 
ses  membres  jusqu'aux  os,  et  si  ne  sent  ses  coups, 
ains  comme  1'Aigle  perd  sa  branche  accoustumge 
et,  ramant  par  les  airs  d'une  gasche  empennge, 
void  sous  ses  pieds  la  nue,  et  fait,  audacieux, 
d'un  d'il  ferme  cligner  du  clair  soleil  les  yeux, 
de  im  im-  Adam,  mont£  sur  les  ardentes  ailes 
du  seraphique  amour,  perd  les  choses  mortelles, 
se  paist  du  doux  ether,  fend  les  ronds  estoillez 
et  tient  dessus  le  front  de  Dieu  ses  yeux  collez, 

(Du  Bart.  Artif.  v.  573  sqq). 

La  marche  que  du  Barlas  imprime  h  son  d6velop- 
pement  est  soigneusement  suivie  par  Peele,  et  il  se 
contente  (comme  dans  le  passage  que  nous  avons 
choisi  h  dessein)  d'abrtfger  parfois  une  comparaison 
ou  de  dSvelopper  et  expliquer  une  image.  Dans  1'en- 
semble,  n6anmoins,  le  plan  general  et  les  details 
d'expression  se  correspondent  exactement,  el  la  dif 
ference  la  plus  grande  enlre  le  pofcme  frangais  et  sa 
traduction  anglaise  est  une  difference  de  mfclre,  — le 
vers  blanc  se  substituant,  dans  la  copie,  aux  alexan- 
drinsde  Toriginal. 

Cette  dette  de  Peele  envers  le  pofcte  des  l  Semaines  * 
merite  d'autant  plus  d'arrfeter  notre  attention  qu'elle 


142  GEORGE  PEELE 

nous  permet  de  reviser  quelques-uns  des  jugements 
ordinairement  formulas  sur  l  David  and  Bethsabe '.  II 
nous  faut  ^carter  Fhypothkse  de  Ward  et  Fleay  qui 
tous  deux  supposentun  prototype  dramatique,  —  quel- 
que  vieux  myslere  maintenanl  perdu.  II  nous  faut  reje- 
ter  les  assertions  gratuites  de  Sir  Sidney  Lee,  qui 
imagine  de  problematiques  ressemblances  entre  la 
piece  de  Peele  et  le  c  David  combattant  etc. '  de  Des 
Masures1.  II  nous  faut  enfin  ramener  a  leur  juste 
valeur  les  eloges  d6cern6s  par  la  critique  allemande, 
sous  pr^texte  d'originalit6,  aux  scenes  finales  de  notre 
drame. 

Non,  en  verit6,  il  n'y  aguere  d'originalit6  dans  son 
sujet ;  et  il  la  faut  chercher  bien  plutot  dans  la  maniere 
donl  ce  sujet  meme  est  trait6.  '  David  et  Bethsab6e ' 
est,  a  plus  d'un^gard,  Faboutissementnaturel  de  Tex- 
p6rience  dramatique  de  Peele.  Construit  sur  les  lignes 
d'un  "  drame-chronique",  il  traite  simultan^ment, 
comme  '  Edouard  1',  de  la  vie  privet  et  de  la  vie 
publique  d'un  roi,  mais  il  est  en  meme  temps,  comme 
la  '  Bataille  d' Alcazar  ',  une  tentative  pour  combiner 
la  pifcce  historique  avec  la  trag6die  classique.  L'his- 
toire  de  David,  telle  que  Peele  nous  la  raconte,  est 


4.  Deux  vers  seulement  dans  les  trois  pieces  de  Des  Masures 
(David  Combattant ;  David  Fugitif ;  David  Triornphant)  pourraient, 
a  la  rigueur.  etre  rapproches  d'un  passage  de  Peele : 

"  Dois-je  prendre  Asahel  qui,  en  la  plaine  large, 
Leger,  vole  des  pieds  comme  un  sauvage  daim" 

(David  Fugitif  1876-7);  cf.  '  D.  and  B.  Sc  ix  v.  28  sqq.  Mais  la 
ressemblance  fortuite  s'explique  aisement  par  ce  fait  que  les 
deux  poetes  ont  puise  a  la  meme  source,  2  Samuel,  ii.  48. 


L'CEUVRE  DE  PEELE  143 

un  veritable  theme  a  la  S6neque  ou  Ton  voit 
une  maison  royale  vou6e  a  la  ruine  par  les  crimes 
de  son  chef,  mais  oil  la  conception  d'Ate  est 
remplac£e  par  celle,  plus  approprie*e,  de  Fire  de 
Jehovah.  Le  drame  entier  est  doming  par  la  colere 
divine  que  provoque  la  transgression  de  David,  — 
r&paprc'*  du  h£ros  — ;  et  ses  Episodes  principaux  ne 
sont  que  les  effets  successifs  de  cette  colere.  En  d6pit 
d'une  surabondance  de  motifs,  Tid6e  centrale  reste 
toujours  en  pleine  lumiere  et  la  m  oral  i  16  en  est  tir6e 
a  tous  les  moments  critiques  de  Faction  et  dans  les 
choeurs  de  la  piece1.  L'effort  Evident  de  Peele  est  de 
repr^senter  les  ravages  que  peut  faire  le  pe*ch6  dans 
une  ame  humaine,  puis  hors  de  Tame  ou  il  a  pris  nais- 
sance;  de  montrer  comment  il  altere,  pervertit  ou 
d6truit  les  sentiments  les  plus  forts  et  les  plus  nalurels, 
comment  il  rompt  les  liens  entre  frere  et  soeur,  fils  et 
pere ;  et  quelle  longue  trainee  de  malheurs  et  de 
crimes  il  laisse  toujours  derriere  lui. 

C'6tait  la  une  conception  hautement  artistique  el 
moralement  6lev6e,  dont  la  mise  en  oeuvre  d^pendait, 
toutefois,  de  Tanalyse  psychologique,  —  trop  souvent 
deTectueuse  dans  les  6crits  de  Peele.  Tel  n'est  pas, 
heureusement,  le  cas  pour  l  David  and  Bethsabe ',  ou 
presque  tous  les  caracteres  sont  bien  contrasted  et 
ing6nieusement  d6peints.  Leur  representation,  sans 
doute,  repose  encore  trop  sur  les  incidents  mate>iels 

4.  Voir  surtout  Sc.  in.  v.  440  sqq ;  4«  choeur;  Sc.  v.  v.  46  sqq ; 
Sc.  viii.  v.  4-13. 


144  GEORGE  PEELE 

de  1'intrigue  et  reste  subordonn6e  a  la  mise  en  scene 
de  1'histoire  ;  mais,  bien  qu'entrave  ainsi  par  les  fers 
d'un  plan  pr6d6termin6,  Peele  r6ussit  a  animer  ses 
personnages  d'une  vie  plus  r6elle  qu'il  n'avait  su  le 
faire  jusqu'alors. 

David  prend  justement,  dans  sa  trag6die,  le  r61e  de 
protagoniste,  et  le  jeu  tumultueux  de  ses  passions,  — 
sensualit^,  douleur,  amour  paternel,  colere,  et 
remords  —  nitrite  bien  une  minutieuse  attention.  — 
Le  roi  a  la  harpe  glisse  insensiblement  a  la  faute, 
plutot  qu'il  ne  la  commet.  La  faveur  constante  que 
Dieu  lui  a  montre^e,  1'approbation  donn£e  a  tous  ses 
actes,  ontrelache  en  lui  le  sens  de  la  responsabilite ; 
et  il  reste  aveugle  a  la  honte  de  sa  passion  pour 
Bethsabee,  —  la  femme  d'autrui.  Le  crime  incestueux 
d'Amnon  lui  dessille  cependant  les  yeux ;  il  entrevoit 
une  ressemblance  entre  1'erreur  morale  de  son  fils  et 
la  sienne,  apergoit  leur  origine  commune  dans  d'ini- 
ques  app6tits  et  s'efforce,  assez  faiblement,  d'6chap- 
per  aux  sables  mouvants  du  p6che\  II  ne  fait,  toute- 
fois,  que  s'y  enfoncer  plus  avant,  et  recourt  enfin  au 
meurtre  d'Urie,  —  stratageme  d6sespe>6  pour  dissi- 
muler  Fadultere.  Maintenant  trop  conscient  d'avoir 
viole  les  lois  divines  et  humaines,  il  abandonne  tout 
controle  sur  les  e>6nements,  laisse  ses  capitaines 
livrer  ses  batailles,  —  les  batailles  du  Seigneur  — , 
et,  volontairement  captif  en  son  palais,  attend  le  cha- 
timent  inevitable.  Du  sommeil  de  sa  passivit6  Fapre 
voix  de  Nathan  le  reveille,  proph^tisant  la  mort  du 


L'OEUVRE  DE  PEELE  HS 

fils  que  Bethsab^e  congut.  L'enfant  meurt,  et  David, 
sur  d'avoir  expi6  la  faute  par  cette  perte  cruelle,  renalt 
aussit6t  a  Faction.  Son  espoir  est  implacablement 
frustr6  par  la  colere  divine.  Sans  doute,  il  triomphe 
des  Ammonites  et  de  Rabbath ;  mais  a  1'heure  meine 
de  la  victoire,  il  apprend  qu' Absalon  a  tu£  Amnon,  et 
il  retombe  dans  sa  pesante  inertie.  II  souffre  que  les 
affaires  de  1'fitat  soient  dirige'es,  que  sa  propre  con- 
duite  lui  soit  dieted,  par  ses  lieutenants;  il  rappelle, 
sur  les  instances  de  Joab,  lecoupable  Absalon,  et,  par 
cette  marque  de  faiblesse,  prepare  lui-m&me  la  rebel 
lion  de  son  fils.  Abattu,  humilie  par  ce  dernier  coup, 
—  le  plus  rude  qui  le  puisse  frapper,  —  il  s'abaisse 
jusqu'a  trouver  unejoie  amere  aux  pires  insultes  de 
ses  ennemis,  jusqu'a  accepter  comme  son  du  les 
menaces  et  les  maledictions  de  Semei.  La  r6volte 
d'Absalon  souleve  a  peine  sa  juste  colere.  A  Tapproche 
de  la  bataille,  Taffection  paternelle  chasse  de  son  coeur 
tout  sentiment  hostile,  et  il  adjure  patheHiquement  ses 
^ens  d'Spargner,  ne  fut-ce  que  pour  lui,  le  fils  qu'il 
aime  encore.  Cette  priere,  pourtant,  n'est  pas  enten- 
due,  et  il  se  r^volte  sous  la  douleur  : 

Hath  A  lisa  1  on  sustained  the  stroke  of  death? 
Hence,  David,  walk  the  solitary  woods. 
There  let  the  winds  sit  sighing  till  they  burst! 
And  let  them  toss  thy  broken  lute  to  heaven, 
even  to  his  hand  that  beats  me  with  the  strings. 
0  Absalon,  Absalon  !  0  my  son,  my  son ! 
Would  God  that  I  had  died  for  Absalon ; 
but  he  is  dead!  ah!  dead!  (Sc.  XV.  v.  165  sqq). 

GUBFFAUD.  IO 


146  GEORGE  PEELE 

Les  mots  lui  manquent;  il  soupire  et  sanglote  ;  d6chi- 
rani  ses  veiements,  il  se  jette  a  terre,  et  reste  6tendu 
sur  le  sol  de  sa  tente,  immobile  et  prostr6,  jusqu'au 
moment  ou  les  douces  paroles  de  Bethsab6e  ealment 
comme  un  baume  les  cuisantes  douleurs  de  son  ame 
blessee. 

La  femme  d'Urie  est  ainsi  habilement  r&ntroduite 
a  la  derniere  scene  pour  consoler  1'homme  qui  Fa 
en  trainee  an  malheur;  et  son  pardon  est,  enfin,  le 
signe  que  la  colere  de  Dieu  a  cess6  de  poursuivre  le 
coupable. 

C'est  a  juste  titre  d'ailleurs  que  Bethsab6e  devient 
1'interprete  de  la  divine  c!6mence.  Elle  reste  pure 
m6me  dans  le  p6ch6,  —  victime,  plutot  que  complice, 
des  transgressions  de  David.  De  toute  sa  force  elle 
s'oppose  a  sa  passion,  r6siste  a  ses  flatteries,  a  ses 
prieres,  et  ne  cede  qu'a  son  commandement  expr^s. 
Meme  alors,  elle  n'ob^it  qu'avec  un  coeur  afflig6  et 
deplore  secretement  le  mal  dont  sa  beaut6  est  cause. 
La  mort  d'Urie,  la  perte  soudaine  de  son  enfant  la 
peuvent  seules  pousser  a  crier  1'aveu  d^chirant  de  sa 
douleur  cached: 

Mourn,  Bethsabe,  bewail  thy  foolishness, 

thy  sin,  thy  shame,  the  sorrow  of  thy  soul! 

No  comfort  from  the  ten-string 'd  instrument, 

the  tinkling  cymbal,  or  the  ivory  lute; 

nor  doth  the  sound  of  David 's  kingly  harp 

make  glad  the  broken  heart  of  Bethsabe. 

0,  what  is  it  to  serve  the  lust  of  Kings  1  (Sc.  V.  v.  1  sqq). 

Instrument  passif  de  la  luxure  royale,  il  lui  en  faut 


L'OEUVRE  DE  PEELE  147 

cependant  supporter  lesfunestes  consequences ;  mais 
la  foi  en  Dieu ,  la  confiance  en  sa  justice  la  soutiennent 
dans  ses  epreuves;  et  le  Seigneur  recompense  son 
attente  en  lui  donnant  enfin  un  Bis  qui  porte  toutes 
les  marques  de  sa  faveur:  Salomon. 

Peele  s'est  prudemment  abstenu  de  donner  a 
Bethsabee  un  r6le  trop  important.  Sa  purete  ne  sent 
qu'a  accentuer  les  erreurs  de  David;  et  elle  disparalt 
quand  le  roi  se  fraie,  a  travers  la  douleur,  une  voie 
vers  la  redemption.  Le  personnage  avec  qui  David  est 
alors  contrast^  est  Absalon,  Absalon  dont  1'orgueil, 
1'opiniatrete  et  1'ingratitude  sont  les  traits  les  plus 
saillants.  —  Fier  de  sa  beaute,  de  la  force  de  son 
adolescence,  confiant  en  sa  sagesse,  persuade,  bien 
A  tort,  de  la  faveur  de  Jehovah,  il  suit  sans  les  con- 
trdler  toutes  les  suggestions  de  ses  penchants.  Sa 
premiere  infraction  aux  ordres  de  David  —  le  meurtre 
(1  Amnon  h  Baal-hazor  —  regoit  un  immediat  pardon ; 
et  il  meprise  1'indulgence  de  son  pere  comme  un 
signe  d'incapacite.  Son  ambition  denature  prend 
ainsi  sa  source  dans  un  acte  de  bienveillance  qui  eut 
du  provoquer  sa  gratitude.  Deja  haissable  a  nos  yeux, 
il  accrolt  notre  horreur  par  son  attitude  arrogante  et 
froide,  ses  efforts  hypocrites  pour  rejeter  1'odieux  de 
sa  rebellion  sur  Dieu  lui-m&me. 


1  am  the  man  •  •  dit-il  "  God  made  to  glory  in , 

when  by  the  error  of  my  father's  sin, 

he  lost  the  path  that  led  into  the  land 

wherein  our  chosen  ancestors  were  blest,  (Sc.  iv.  v.  64  sqq). 


148  GEORGE  PEELE 

et  cette  justification  suffit  a  elouffer  la  voix  de  sa  con 
science  ;  mais  la  r6elle  faiblesse  de  la  confiance  qu'il 
affecte  apparalt  bientot  dans  les  plaintes  qu'il  exhale 
avec  son  dernier  souffle,  sous  le  ch&ne  touffu 
d'Ephraim : 

0  give  me  once  again  my  father 's  sight, 

that,  shedding  tears  of  blood  before  his  face, 

the  ground  may  witness  and  the  heavens  record 

my  last  submission  sound  and  full  of  ruth  (Sc.  xm.  v.  37  sqq). 

Un  repentir  impost  par  le  Destin  reste,  pourtant, 
toujoursentach6  de  suspicion  etle  remords  d'Absalon, 
quoique  v6h6ment,  nous  laisse  insensibles  a  toute 
compassion  et  a  toute  pitie*. 

Absalon,  Bethsab6e,  David  sont  les  trois  person- 
nages  les  plus  importants  de  notre  drame,  et  Peele 
a  justement  consacr6  a  leur  representation  les  res- 
sources  de  son  talent.  Son  analyse  s'6tend,  toutefois, 
jusqu'aux  caracteres  secondaires.  Joab  nous  apparait 
comme  un  Israelite  au  coeur  droit,  a  la  volont6  forte, 
ferme  conducteur  d'hommes,  toujours  indulgent  a 
une  premiere  faute,  mais  inexorable  a  toute  rechute ; 
Urie  comme  un  robuste  et  brave  soldat,  qu'enno- 
blissent  un  sentiment  rigide  du  devoir  et  une  in^bran- 
lable  foi  en  Dieu  et  en  son  roi ;  Cusa'i,  enfin,  comme 
un  serviteur  fidele,  d6vou6  a  David  corps  et  ame, 
sans  autre  loi  morale  que  les  commandements  de 
son  maltre.  Bref,  sur  la  large  toile  de  '  David  and 
Bethsabe ',  chaque  figure  se  de~tache,  distincte,  peinte 
avec  plus  ou  moins  de  details,  mais  toujours  exacte- 


L'GEUVRE  DE  PEELE  149 

ment  proportioned  &  son  importance  relative.  — 
Le  seul  reproche  auquel  Peele  s'expose,  sous  ce  rap 
port,  est  d' avoir  mis  dans  la  bouche  de  ses  person- 
nages  un  langage  trop  souvent  incompatible  avec 
leur  situation,  leur  condition,  oil  leur  £ge.  Tous  les 
4  dramatis  personae  '  —  rois,  soldats,  pr&tres,  —  et 
nirnif  le  jeune  Salomon  s'expriment  dans  le  m6me 
style  recberch6  et  orn6.  Le  r6sultat  estparfois  d^plai- 
sant  et  propre  h.  influencer  d6favorablement  le  juge- 
ment  que  la  critique  doit  porter  sur  la  diction  de  la 
pifcce. 

Si,  toulefois,  nous  nSgligeons  ses  6videntes  imper 
fections  comme  moyen  d'expression  dramatique,  il 
nous  faut  reconnaltre  ses  mSrites  inlrinsfeques.  Sous  la 
forme  harmonieuse  et  diverse  du  vers  blanc,  elle  se 
r6vfcle  toujours  6l6gante,  polie,  quelquefois  impo- 
sante,  constamment  enrichie  d'images  et  de  tropes. 
Peele  a  prodigu6  dans  son  V  David  et  Bethsab6e ' 
toute  la  richesse  de  sa  fantaisie  po6tique ;  le  lyrisme 
se  r^pand  dans  chaque  fibre,  dans  chaque  veine  de  sa 
structure;  et  une  abondance  de  m6taphores  et  de 
comparaisons  en  fait  presque  une  s6rie  ininterrompue 
de  figures.  La  plupart  sont  du  type  spens^rien,  et 
quoique  souvent  heureuses,  sont  trop  longues  pour 
que  nous  les  puissions  citer ' ;  mais  quelques-unes 
sont  condenses  en  peu  de  vers,  comme  cette  gra- 
cieuce  peinture  de  Bethsab6e: 

1.  Voir,  par  exemple,  Sc.  H.  46-52 ;  Sc.  vi.  408-112;  Sc.  xi.  131- 
135;  Sc.  XIH.  7-10. 


183  GEORGE  PEELE 

Brighter  than  inside  bark  of  new-hewn  cedar, 
sweeter  than  flame  of  fire-perfumed  myrrh, 
and  comelier  than  the  silver  clouds  that  dance 
on  Zephyr's  wings.  (Sc.  i.  v.  55  sqq). 

Peele  semble  s'&tre  plu  £  la  beaut6  sensuelle  qu'of- 
fraientcertaines  situations  de  son  intrigue,  etfestonne 
chacune  de  ces  scenes  d'une  guirlande  de  descriptions 
aux  couleurs  et  aux  parfums  exotiques  *.  Comme  le 
voulait  son  sujet,  il  s'efforce  d'incorporer  dans  son 
drame  les  fastueuses  images  du  Cantique  des  Can- 
tiques  ou  de  quelques  Psaumes,  et  r^ussit  souvent  a 
communiquer  a  ses  vers  un  peu  de  leur  orientale 
splendeur.  Des  reminiscences  de  tous  les  livres  du 
Vieux  Testament  donnent  a  la  piece  un  ton  scriptural 
bien  approprie 2 ;  effet  auquel  contribuent  encore  le 
frequent  usage  de  laparabole,  si  familier  a  rimagina- 
tiqn  hebraique,  et  Finsertion  dans  le  texte  de  noms 
propres  bibliques.  Leur  constante  presence,  1'art  avec 
lequel  ils  sont  introduits  dans  les  limites  du  vers  mon- 
trent  que  Peele  les  aimait  pour  leurs  qualit^s  sonores  ; 
et  dans  des  vers  comme  ceux-ci : 

And  Jonathan,  Abinadab  and  Melchisua 

water  'd  the  dales  and  deeps  of  Askaron 

with  bloody  streams  that  from  Gilboa  ran 

in  channels  through  the  wilderness  of  Ziph  (Sc.  vn,  v.  27  sqq). 

4.  Lire,  entre  autres,  1'invocation  de  Bethsabee  au  Zephyr  et  la 
description  de  1'ete  par  Absalon. 

2  Les  exemples  abondent :  <4  Fairer  than  Isaac's  lorer  at  the 
well "  (Sc.  i.  54)  ou  : 

"God,  in  the  whizzing  of  a  pleasant  wind 

shall  march  upon  the  tops  of  mulberry-trees  "  (Sc.  XH.  16-17)  ou  encore  : 
"  As  whilom  he  was  good  to  Moses  'men 
by  day  the  Lord  shall  sit  within  a  cloud"  etc.  (Sc.  xn.  19  sqq.) 

Neitzel,  op.  cit.,  a  signale  la  plupart  des  reminiscences  bibliques. 


L'OEUVRE  DE  PEELE  15i 

nous  entendons  une  note  faible,  mais  distincte,  des 
melodies  futures :  de  I'harmonieux  entrelacement  de 
noms  bibliques  qui,  longtemps  apres,  devait  prater 
une  majestueuse  dignite"  a  I'epope'e  de  Milton1. 

Le  seul  fait  qu'une  telle  comparaison  soit  possible 
plaide  en  faveur  du  g6nie  de  Peele,  et  est  en  lui- 
ni6me  un  eloge  sur  lequel  nous  laisserions  volontiers 
sa  piece.  Mais  il  reste  une  difficile  question  a  r6- 
soudre  :  •  David  and  Bethsabe  '  constitue-t-il  un 
tout,  ou  n'est-il  qu'un  long  fragment?  Un  examen 
attentif  laisse  peu  de  doute  sur  la  re*ponse;  toute 
une  s6rie  de  fails  semble  de"montrer  que  nous  avons 
seulement  une  partie  de  1'oeuvre  de  Peele.  Son  drame 
porte,  h  premiere  vue,  la  marque  distinctive  des 
productions  inacheve"es :  un  disaccord  trop  frequent 
entre  les  divers  Episodes  qu'il  prSsente.  II  y  a, 
dans  ses  quinze  scenes,  quatre  ou  cinq  contradic 
tions  absolues,  dont  deux,  les  plus  frappantes,  — 
peuvent  6tre  Isoldes  comme  exemples  typiques. 
Klles  se  suivent,  d'ailleurs,  de  pres  dans  notre  texte. 
Scene  vi,  la  ffcte  champfttre  ou  pe>it  Amnon  est 
donn^e  par  Amnon  m£me,  et  non  par  Absalon,  comme 
on  1'avait  originairement  projet6 ;  et  dans  la  7*  scene, 
bien  que  le  meurtre  n'ait  provoqu6  ni  la  vengeance 
de  David  ni  le  bannissement  d'Absalon,  une  veuve 


1.  Nous  pourrions  citer  d'autres  vers  encore ;  e.  g. 

"  Even  from  the  valleys  of  Jehouphat 

Up  to  the  lofty  mounts  of  Lebanon"  (Sc.  iii.  T.  55-4) 
ou  bien  :  ••  The  dew  that  on  the  hill  of  Hermon  falls 

rains  not  on  Sion's  top  lofty  towers  ; 
the  plains  of  Gath  and  Askaron  rejoice  "  (Sc.  v.  T.  6  §q<i).  ete. 


152  GEORGE  PEELE 

de  Th6cu6,  sur  le  conseil  de  Joab,  s'adresse  au  roi  en 
ces  termes: 

Call  home  the  banished  that  he  may  live 

and  raise  to  thee  some  fruit  in  Israel,  (Sc.  vn.  v.  148-9) 

implorant  ainsi  le  rappel  d'une  sentence  qui  n'a jamais 
6te  prononcee.  Ces  inconsequences,  et  d'autres  ana 
logues  ',  sont  ddjaassez  significatives.  Mais  nous  pou- 
vons  invoquer  d'autres  arguments,  signaler  par  exem- 
ple  la  presence  dans  le  quarto  d'un  court  fragment 
absolument  Stranger  au  contexte2,  etmentionner  que 
le  dernier  choeur  de  la  pi&ce  reste  inintelligible  si 
Ton  n'admet  pas  Thypothfcse  d'une  suite,  perdue  ou 
jamais  £crite: 

Now,  since  this  story  lends  us  other  store 
to  make  a  third  discourse  of  David 's  life, 
adding  thereto  his  most  renowned  death 
and  all  their  deaths  that  at  his  death  he  judged, 
here  end  we  this,  and  what  here  wants  to  please 
we  will  supply  with  treble  willingness. 

Le  passage  est  difficile  a  expliquer,  mais  si  nous  le 
comprenons  correctement,  il  signifie  que  Peele  avail 


4.  Remarquez  1'entree  soudaine  de  Thamar,  a  la  Sc.  m(v.  30) 
et  la  mention  qu'elle  fait  d'un  episode  (v.  34)  ignore  de  nous ;  ou 
encore  1'invraisemblable  invitation  d'Absalon  a  Amnon,  contre  qui 
il  vient  de  proferer  des  menaces  de  mort  (Sc.  in.  v.  426  sqq.  et 
452  sqq.  surtout  468). 

Z.  "  What  boots  it,  Absalon,  unhappy  Absalon, 

sighing  I  say,  what  boots  it,  Absalon, 
to  have  disclos  'd  a  far  more  worthy  womb 
than"... 

(imprime,  dans  le  quarto,  apres  le  2e  choeur,  —  i.  e.  quand  Absa- 
on  a  de"ja  ete  tue  par  Joab). 


L'OEUVRE  DE  PEELE  153 

CODQU  son  drame  comme  une  sorte  de  trilogie  tra- 
gique,  traitant  successivement  du  p6ch£  de  David,  de 
son  expiation,  et  de  sa  redemption.  Les  deux  pre 
mieres  parties  sont  venues  jusqu'ci nous  sous  les  litres 
(donnas  en  t&te  du  quarto)  des  l  Amours  de  David  et 
de  la  belle  BethsabSe '  et  de  la  l  Trag<§die  d'Absalon '. 
La  troisieme  resta  inachev£e ;  et  pourtant  quelques 
mots  du  choeur  et  diverges  indications  relevSes  dans 
les  dernieres  scenes  nous  permettent  d'en  imaginer 
le  contenu.  Base*e  sur  le  ler  Livre  des  Rois,  elle  eut 
renferme  la  r6volte  de  Joab  et  d'Adonias,  leur  fin 
malheureuse,  la  mort  e"difiante  de  David,  et  enfin 
1' accession  au  tr6ne  de  Salomon,  dont  la  vertu,  la 
purete  et  la  sagesse  etaient  le  symbole  du  pardon 
definitif  de  Jehovah  et  du  renouvellement  de  sa  faveur 
&  la  race  de  David1. 

L'achfcvement  de  la  piece  sur  ces  donne"es  eut  pu 
seul  de*gager  toute  la  grandeur  tragique  de  son  theme. 
Mais  dans  I'etat  m&me  ou  elle  a  •'•!.'•  Iaiss6e  par  son 
auteur,  ou  du  moins  ou  elle  nous  est  parvenue,  nous 
pouvons  discerner  la  noblesse  de  sa  conception  et 
mesurer  1'habilete  artistique  avec  laquelle  cette  con- 


1.  Ces  episodes  sont  prepares  dans  les  Ue  et  15e  scenes.  Les 
promesses  explicites  faites  par  David  a  Salomon  sont  introduces 
dans  le  texte  pour  motiver  la  r^volte  d'Adonias  (un  ills  plus  Ag6 
de  David)  dont  le  nom  apparait  en  t^te  de  la  scene,  quoiqu'il  ne 
joue  aucun  r6le  dans  le  drame.  II  faut  en  outre  constater  que  Peele 
s'ecarte  quelque  peu  de  la  Bible  en  rendant  plus  directes  et  plus 
\iolentes  les  menaces  de  Joab  au  roi,  avec  Tintention  e"vidente  de 
justifier  la  mort  imminente  de  Joab  —  une  des  "  deaths  that  at  his 
death  he  (David)  judged". 


154  GEORGE  PEELE 

ception  estr6alisee. '  David  etBethsabee'  prend  inde- 
niablementle  pas  sur  les  autres  productions  de  Peele, 
et  doit  sa  preeminence  non  point  a  son  vers,  quoique 
doux  et  plaisant,  ni  a  son  style,  quoique  riche  en 
images  delicates  ou  somptueuses,  mais  a  la  majeste 
de  ses  eftets  sceniques,  a  son  pathetique,  a  ses  traits 
de  sensibilite  emue,  en  un  mot  a  sa  peinture  des 
caracteres,  qui  1'eievent,  —  malgre  toutes  ses  imper 
fections,  —  du  niveau  d'un  poeme  dramatique  a  celui 
d'un  drame  reel. 

LES  POEMES. 

4  David  et  Bethsabee  ',  la  meilleure  contribution  de 
Peele  au  theatre  elisabethain,  fut  aussi  la  derniere. 
Ses  ecrits  posterieurs  sont  des  poemes  intitules  c  The 
Honour  of  the  Garter '  ou  c  Anglorum  Feriae ' ;  et  la 
mention  de  ces  compositions  nous  amene  a  la  derniere 
section  de  notre  travail :  1'etude  des  oeuvres  purement 
poetiques  de  Peele. 

Les  poemes  dont  nous  avons  a  traiter  ont  ele  Merits 
a  presque  tous  les  stages  de  sa  carriere,  de  1579 
a  1595.  Us  pr6sentent,  n^anmoins,  un  aspect  6tran- 
gement  similaire,  du  sans  doute  au  fait  qu'ils  sont 
tous,  —  sauf  le  c  Tale  of  Troy  '  et  la  l  Praise  of  Chas 
tity  '  —  des  specimens  de  poesie  adulatrice.  Comme 
tels,  ils  contiennent  plus  d'un  detail  qui  peut  avoir  sa 
valeur  pour  1'historien,  mais  ajoutent  peu  au  renom 
de  Peele.  Le  merite  d'un  poeme,  generalement  par- 


L'CEUVRE  DE  PEELE  15o 

lant,  est  en  raison  inverse  de  Tiniest  qu'il  offre  a 
l'e>udit.  Une  pifece  de  vers  courtisanesque  est  essen- 
liellement  une  piece  de  circonstance,  el  qui  ne  peut 
pas  d6passer  les  limites  de  la  circonstance  qui  l'a  fait 
naltre.  L'anniversaire  d'une  reino,  1'installation  de 
quelques  chevaliers  de  la  Jarretiere  sont  choses  qui 
inte>essent  d'autant  moins  le  grand  public  qu'elles 
inte*ressent  plus  les  personnes  dont  la  naissance  a 
6*16  ce*l6br6e  ou  qui  ont  6t6  1'objet  d'une  distinction 
honorifique.  De*gager  de  ces  incidents  des  pens6es  et 
des  sentiments  <!'  in  I  i-iv  I  commun  qui  puissent  trans 
former  la  piece  de  circonstance  en  un  poeme  veritable 
est  une  tache  difficile  etardue;  et  quoique,  dans  ce 
genre,  Peele  ait  t£moign£  quelque  talent,  il  n'avait 
pas  assez  de  ge*nie  pour  triompher  completement  de 
tous  les  obstacles. 

Le  'Tale  of  Troy'  et  la  4  Praise  of  Cbastity '  sont 
les  deux  seuls  poeines  qui  n'aient  point  a  porter  le 
fardeau  de  flatteries  conventionnelles.  Ceci  ne  veut 
point  dire,  d'ailleurs,  qu'ils  soient  meilleurs  que  le 
reste  ;  —  1'inverse  serait  plut6t  vrai.  -  -  Le  l  Tale  of 
Troy',  bien  que  public*  en  1589!,  est  une  oeuvre  de 
jeunesse1,  un  exercice  de  versification  sur  le  theme 
ISgendaire  des  guerres  troyennes,  et  il  est  clair  qu'a 
Theure  ou  il  fut  compost,  les  aptitudes  de  Peele 

1.  Une  edition  revue,  mais  &  peine  corrigee,  parut  en  1604  sous 
un  format  r6duit  (4  pouce  1/2). 

•2.  Voir  la  d^dicace  du  '  Farewell  to  Norrisand  Drake  ':  "  Whe- 
reunto  I  have  annexed  an  old  poem  of  mine  own,  the  tale  of 
Troy  ",  etc. 


156  GEORGE  PEELE 

n'avaient  pas  atteint  leur  complet  d^veloppement.  11 
demandait  encore  presque  servilement  une  inspiration 
aux  auteurs  classiques  qu'il  venail  d'6tudier,  ou  aux 
Merits  contemporains  qui  1'avaient  s6duit.  L'insertion 
de  details  pastoraux  dans  le  conte  mythologique  doit 
ainsi  6tre  attribute  a  une  imitation  du  l  Shepherd's 
Calendar '  de  Spenser,  dont  Peele  reproduit  textuel- 
lement  un  vers1;  tandis  que  Fair  m6die>al  plut6t 
qu'he!16nique  de  ses  personnages  montre  1'influence 
de  ce  chaucerianisme  qui  avait  pris,  pour  un  temps, 
la  tyrannie  d'une  mode  dans  la  litte>ature  6lisa- 
bethaine.  Mais  le  '  Tale  of  Troy'  est,  avant  tout,  un 
epitome  versifie  d'un  livre  des  Metamorphoses 
d'Ovide,  le  13%  et  de  quelques-unes  de  ses  H6ro'ides, 
5,  16  et  17.  Tantot  paraphrase  et  tantot  traduction, 
c'est  une  version  anglaise  du  texte  latin,  abr6g6e  en 
presque  toutes  ses  parties,  I6gerement  d6velopp6e  sur 
quelques  points,  et  completee  a  1'aide  de  fragments 
de  1'Eneide  ou  d'autres  sources  moins  nobles :  Dares 
Phrygius  ou  Dictys  Cretensis.  Peu,  trfcs  peu  d'addi- 
tions  sont  originales,  mais  il  faut  reconnaltre,  a  la 
louange  de  Peele,  qu'elles  contiennent  les  meilleures 
images  du  poeme.  La  description  dela  flotte  grecque 
quittant  Aulis 

as  shoots  a  streaming  star  in  winter's  night  (v.  257) 
ou  la  peinture  de  la  joie  de  Paris, 

4.  "  And  tuned  his  pipe  unto  the  water  fall "  (T.  of  T.  v.  70) ; 
cf.  Spencer.  Sh.  G.  April,  v.  36  "  And  tuned  it  unto  the  water 
fall". 


L'CEUVRE  DE  PEELE  r>7 

as  blithe  as  bird  of  morning  's  light  in  May  (v.  190) 

montrent  Peele  sous  son  jour  le  plus  favorable.  De 
tels  passages,  cependant,  sont  rares  et  courts,  et, 
dans  1'ensemble,  le  l  Tale  of  Troy '  est  un  r6cil  rabo- 
teux  et  in£gal  en  pentametres  rim6s,  et  ressemble  h 
une  mosaique  moderne  faite  de  fragments  antiques 
maladroitement  raccord6s. 

La  l  Praise  of  Chastity  M,  quoique  bien  plus  courte, 
est  plusriche  en  beaux  vers  et  en  images  brillantes, 
et  le  reproche  auquel  elle  est  exposed  est  d'ordre 
plut6t  moral  que  litte>aire.  Peele  a  orn6  le  plaisir 
sensuel  de  ses  plus  attrayantes  couleurs  pour  rendre 
d'autant  plus  grand  le  triomphe  de  la  vertu.  II  imagine 
qu'il  suffit  de  nous  assurer  de  la  victoire  finale,  sans 
s'apercevoir  que  de  trop  complaisantes  peintures 
du  p6ch6  vont  directement  &  Tencontre  de  ses 
intentions.  Mais  nous  pouvons  peut-£tre  pardonner 
Terreur  psycbologique  qu'il  a  commise  en  d^crivant 
trop  chaleureusement  les  charmes  de  la  beaule\  en 
raison  de  ce  vers  exquis : 

Her  dainty  hand  made  music  with  her  lace  (v.  71) 

Tous  les  poemes  de  Peele  se  rachelent  ainsi  par 
des  passages  d'une  incontestable  beaut6,  qui  nous 
engagent  b.  les  lire  malgr6  Tinsipidit6  de  leur  matiere. 
En  6tudier  un  6quivaut  h  les  connaltre  tous,  et  nous 
ne  pouvons  guere  les  differencier  que  par  leurs  titres 

1.  La  •  Praise  of  chastity '  fut  publi^e,  en  1593,  dans  1'anthologie 
intitule  '  The  Phoenix  Nest '  (permis  d'imprimer.  8  Oct.  1593). 


158  GEORGE  PEELE 

—  4  Pageant  Woolstan  Dixie ',  l  Descensus  Astreae ', 
1  Farewell  to  Norris  and  Drake ',  ;  Eclogue  Gratu- 
latory  ',  '  Polyhymnia1,  c  Honour  of  the  Garter'  et 
1  Anglorum  Feriae'1,  —  ou  par  cette  circonstance 
accidentelle  qu'ils  furent  Merits,  les  uns  pour  les  f&tes 
de  la  Cit6,  les  autres  pour  les  galas  de  la  Cour. 

Ceux  que  Peele  composa  en  quality  de  u  city-poet " 
contiennent  simplement  les  diverses  tirades  des  per- 
sonnages  qui  figuraient  dans  les  processions,  mais 
aucune  description  des  ce>e*monies  m£mes,  comme 
ce  fut  plus  tard  la  coutume  au  temps  de  Monday  et  de 
Chettle.  Lespoemes,  cependant,  nous  apprennent  que 
la  pompe  d6ploye"e  lorsque  Dixie  ou  Web  entrfcrent 
en  fonctions  6tait  pr6cis6ment  semblable  a  celle 
qu'6talfcrent  ces  fetes  solennelles  jusqu'au  jour  de 
leur  suppression.  Nous  avons  les  memes  chars  et  les 
memes  estrades,  la  meme  repr6sentation  de  person- 
nages  mythologiques  ou  allegoriques :  —  Thalie, 


1.  Nous  avons  a  dessein  omis  de  cette  liste  les  '  Speeches  at 
Theobalds  "  comme  entaches  de  suspicion.  11s  furent  pour  la  pre 
miere  fois  imprimes  par  J.  P.  Collier  d'apres  trois  manuscrits 
tombes  en  ses  mains  (?),  le  premier  en  1833,  les  autres  aune  date 
ulterieure.  Mais  ces  poemes  se  rapportent  a  des  incidents  (retraite 
de  Lord  Burleigh  a  Theobalds,  apres  la  mort  de  sa  mere,  de  sa 
femme,  et  de  sa  fille,  etc.)  qui  se  trouvent  mentionnes  longue- 
ment  dans  les  '  Progresses  of  Queen  Elizabeth  etc '  de  Nichols 
(vol.  ii.  The  Hermit's  Oration  al  Theobalds.  Io94.  penned  by  Sir 
Robert  Cecil)  et  peuvent  avoir  et6  construits  sur  ces  donnees 
par  Je  faussaire  litteraire  qu'etait  Collier.  Leur  forme,  d'ailleurs, 
est  si  peu  peelienne  que  le  '  Gardener's  Speech'  et  le  '  Molecat- 
cher's  Speech'  ont  ete  attribues  a  Lyly  par  son  dernier  editeur, 
Mr.  Bond.  II  semble,  en  tout  cas,  preferable  de  reserver  notre 
jugement,  en  1'absence  des  manuscrits  decouverts  (?)  par  J.  P. 
Collier. 


L'OEUVRE  DE  PEELE  159 

Agla6 ,  Clio, Magnanimity  Loyaute\  etc.,  — les mftmes 
flatteries  a  Tadresse  du  maire  de  Londres,  etles  habi- 
tuels  calembours  sur  son  nom1.  11  nous  faut,  toute- 
fois,  supplier  a  la  raret6  des  traits  descriptifs  pour 
reconstituer  le  d6cor  de  ces  rejouissances  publiques 
et  imaginer  la  procession  traversant  les  rues  de  la  cit6 : 
des  pages  d'abord  et  des  joueurs  de  fifre  pour  d6blayer 
la  route ;  puis  de  pr6tendus  sauvages  excites  par  le 
bruit  des  petards  et  1'odeur  de  la  poudre ;  les  trom- 
pettes  et  les  musiciens  de  la  <  •  i  I  >  • ;  les  membres  des 
corporations  avec  leurs  longues  robes  et  leurs  capu- 
chons  noirs  et  rouges;  les  officiers  du  sheriff;  (les 
officiers  du  Maire;  et  enfin  le  Maire  lui-m&me,  v&tu 
de  pourpre,  une  lourde  chalne  d'or  sur  la  poitrine, 
accompagn6  par  ses  raassiers,  et  suivi  de  tous  les 
6chevins. 

La  splendeur  de  ces  pompes  municipales  semble, 
pourtant,  n'avoir  fait  qu'un  indifferent  appel  a  1'ima- 
gination  de  Peele.  11  se  sentait  plutdt  attir6  vers  les 
jeux  guerriers,  —  joules  et  tournois  —  qui  rehaus- 
saient  les  ffctes  de  la  Cour  ;  et  ses  vers  nous  commu- 
niquent  plus  d'une  fois  les  agr6ables  impressions  qui 
avaient  6t6  les  siennes  a  ces  spectacles.  Nous  applau- 
dissons  avec  lui  aux  prouesses  d'6quitation  des  che- 

4.  *  Pageant  Woolstan  Dixie '  v.  534. 


"  For  London  '*  welfare  and  her  worthiness ; 
dixi". 


1  Pageant  William  Web'  (Descensus  Astreae)  v.  2  et  9-10. 

'•How  Time  hath  turned  his  restless  wheel  about, 

and  weav  'd  a  web 

for  your  con  tent". 


160  GEORGE  PEELE 

valiers;  nous  partageons  Finte>et  qu'il  prend  aux 
devises  de  leurs  boucliers,  aux  ornements  cisel6s  de 
leurs  armures,  aux  housses  brod^es  de  leurs  coursiers, 
au  jeu  de  la  lumiere  sur  les  cuirasses  d'acier,  sur  les 
casques  6tincelants  et  la  pointe  brillante  des  lances. 
Nous  voyons  les  chevaux  piaffer,  s'6brouer,  se  cabrer ; 
nous  entendons  le  son  aigu  des  clairons  et  des  trom- 
pettes,  et  le  choc  terrible,  au  milieu  de  Farene,  quand 
les  armures  se  froissent  et  se  heurlent,  et  les  lances 
se  brisent  en  6clats. 

De  telles  descriptions  remplissent  plus  qu'ci  moiti6 
les  po&mes  de  circonstance  de  Peele,  etla  similitude 
des  peintures  qu'ils  contiennent  tous  rend  impossible 
un  compte  rendu  distinct  de  chacun  d'eux.  Mieux 
vaut,  semble-t-il,  les  jeter  en  masse  dans  le  creuset 
de  Fanalyse,  et  les  require  a  leurs  elements  consti- 
tuants. 

De  ceux-ci  le  plus  important  est,  naturellement,  la 
flatterie,  —  flatterie  al'adresse  des  commandants  de  la 
flotte  anglaise :  Drake  ou  Norris,  a  1'adresse  des  sei 
gneurs  de  la  cour :  Sir  Henry  Lee,  Cumberland,  etc., 
des  favoris  de  la  reine :  Burleigh  ou  Essex,  mais  surtout 
a  1'adresse  de  1'incomparable  Elisabeth  elle-meme.  II 
serait  oiseux  d'6nume>er  ici  tous  les  compliments 
et  toutes  les  epithetes  qui  lui  sont  prodigu6s,  mais 
il  est  inte>essant  de  constater  que,  dans  1'adula- 
tion  dont  elle  est  Tobjet,  nous  retrouvons  pour  ainsi 
dire  une  quantite  variable  et  une  quantity  constante. 
La  premiere  se  r^soud  en  allusions  politiques  qui  dif- 


LCEUVRE  DE  PEELE  161 

ferent  avec  la  date  du  poeme.  C'est  ainsi  que  dans  les 
jours  paisibles  de  1585  ou  1590  la  reine  est  ce16br6e 
comme  1'universelle  pacificatrice ;  qu'aprfes  ses  vic- 
toires  sur  1'Espagne,  elle  devient  la  glorieuse  impe"- 
ratrice  du  monde, 

over  whose  throne  the  enemies  of  God 

have  thundered  their  vain  successless  braves,  (Farewell.  68-69) 

et  qu'en  1595,  —  1'annge  des  complots  du  Catho- 
licisme  anglais  centre  sa  vie ',  —  elle  s'entend  glori- 
fier  comme  ointe  du  Seigneur  et  deTenseur  de  la  foi, 

by  miracles  preserv  'd 
from  perils  imminent  and  infinite,  (Angl.  Per.  18-19) 

-  Quant  a  la  quantity  constante,  elle  consiste  en 
toutes  ces  formules  de  louange  hyperbolique  qui 
furent  employees  a  tour  de  rdle  par  chaque  poete  6li- 
sabeHhain.  Si  tous  les  personnages  que  Peele  trans- 
forme  en  pane"gyrisles  de  la  reine  6taient  ranges  en 
procession,  leur  cortege  serait  aussi  long  que  dispa 
rate.  En  t&te  marcherait  la  Renomm6e  u  cloth 'd  in 
falcon's  feathers  to  the  ground"  (Hon.  of  Gar.  54), 
puis  deTilerait  une  16gion  imposante  de  chevaliers,  sur 
des  montures  richemenl  caparagonn^es,  et  suivis 
d'une  foule  d'hommes  d'armes,  d'6cuyers  etde  pages 
aux  Iivr6es  6carlates.  Derriere,  a  une  allure  plus 
lente,  une  troupe  de  bergers,  —  de  bergers,  non, 

4.  Les  attentats  criminals  de  Roderigo  Lopez,  medecin  de  la 
reine  et  de  Patrick  Cullen.  par  ex.,  furent  machines  par  desr^fu- 
gies  catholiques  anglais.  V.  Camden.  ed.  4688.  p.  484  sqq. 

CHEFFAUD.  ix 


102  GEORGE  PEELE 

mais  de  nobles  deguis6s  comme  tels,  et  conduisant 
de  leurs  houlettes  d'or  un  troupeau  symbolique  de 
moutons  enrubann6s.  Enfin,  pr6c6d6es  par  le  parfum 
de  la  myrrhe  et  du  baume, 

dancing  and  singing  sweetly  as  they  go, 
three  naked  virgins,  deck'd  in  garlands  green, 

(Hon  of  Gar.  64-65) 

les  trois  Graces,  Ii6es  par  des  chatnes  de  fleurs,  escor- 
t6es  d'un  essaim  d'Amours  auxjoues  roses.  Et  c'esta 
Windsor  que  cet  6clatant  cortege  dirigerait  allfcgre- 
ment  ses  pas,  pour  y  trouver  et  y  adorer  la  Reine 
Vierge, 

under  a  canopy  of  crimson  bysse, 

spangled  with  gold,  and  setwith  silver  bells.  (Hon  of  Gar.  64-65) 

Nous  devinons  les  r6v6rences  et  les  courbettes,  nous 
entendons  les  paroles  d'humble  flatterie,  mais  jugeons 
inutile  de  les  rep^ter  avec  autant  de  complaisance 
que  Peele. 

II  y  a  pourtant  un  6l6ment  plus  noble  dans  son  adu 
lation ;  un  peu  de  sinc6rit6  en  rachete  le  ton  g6n6ra- 
lement  artificiel.  Dans  quelques  vers  nous  d6couvrons 
d'bonorablesraisonsa  son  attitude  enthousiaste  envers 
la  cour,  — le  sentiment  que  la  souveraine  est  la  Dame 
Id6ale  de  ses  po&tes  en  m6me  temps  que  le  chef  de 
FEtat.  Ses  ardents  61oges  sont  en  partie  une  expression 
du  loyalisme,  du  r6el  patriotisme,  dont  les  notes 
sonores  retentissent  dans  son  '  Farewell  to  Norris 
and  Drake'.  Ce  patriotisme,  comme  toute  passion 


L'OEUVRE  DE  PEELE  163 

yiolente,  est  agressif,  —  dirige"  d'abord  centre  les 
ennemis  h  1'orgueil  ambitieux,  qui  oserent  menacer 
Elisabeth  de  leur  Armada, 

shipped  for  fight, 

to  forage  England  plough 'd  the  Ocean  up, 
and  slunk  into  the  Channel  that  divides 
the  Frenchmen's  strand  from  Britain's  fishy  towns 

(H.  of  G.  12  sqq.) 

Mais  la  haine  de  Peele  n'est  pas  limited  &  1'Espagne. 
II  soupire  &  la  pense*e  que  1'Angleterre  a  pu  aban- 
donner  la  lutte  centre  la  France ;  il  se  rdjouit  de  voir 
les  lions  des  armes  britanniques  s'orner  de  nos  fleurs 
de  lys ;  il  aime  &  r6p6ter  les  noms  d'Edouard  III  et 
du  Prince  Noir,  &  rappeler  les  siecles  de  guerre,  ou  les 
troupes  anglaises  apprenaient  le  fram;ais  par  la  me*- 
thode  la  plus  directe, 

went  to  school  to  put  together  towns, 
and  spell  in  France  with  fescues  made  of  pikes  (H.  of  G.  125-6) 

De  sauvages  sarcasmes  de  ce  genre  sont  lance's  a  la 
France,  £  1'Espagne,  a  tous  les  pays  catholiques  en 
g£ne>al ;  et  nous  ne  saurions  nous  elonner  de  cette 
violence,  car  Tanimosit^  de  Peele  reposait  h  la  fois 
sur  des  prejug£s  de  race  et  de  religion.  Un  ton  de 
protestantismeopiniatre,  intransigeant,  estmanifeste 
dims  tous  ses  poemes,  et  parfois  m^me  imporluu.  11 
d6guise  la  Superstition  en  pr6tre,  Tlgnorance  en 
moine,  et  leur  fait  all6goriquement  empoisonner  les 
sources  pures  du  bonheur  britannique ;  il  parle  de 
I'ltalie  comme  des  u  ^curies  d'Augias",  de  Rome 


164  GEORGE  PEELE 

comme  du  "siege  de  1'avarice  a  triple  tiare",  et 
accumule  les  invectives  sur  les  supp6ts  d6test6s  du 
papisme  qu'il  abhorre. 

De  telles  marques  d'intolerance  cadrent  mal  avec 
nos  gouts  modernes ;  mais  nousne  saurions  nous  faire 
les  censeurs  des  convictions  de  Peele.  Nous  n'avons 
qu'a  juger  la  forme  litte>aire  qu'il  leur  donne,  et,  de 
ce  point  de  vue,  il  faut  reconnaitre  que,  dans  ses 
Eclats  de  patriotisme  vehement  ou  d'enthousiasme 
orthodoxe,  il  sait  donner  h  la  passion  toute  son  elo 
quence  ettoutesa  force.  — Lavigueurn'estpas,pour- 
tant,  le  ton  dominant  de  ses  poemes;  1'impression 
qu'ils  laissent  est  plutot  une  impression  de  grace  et 
de  douceur.  Ecrits,  comme  ses  drames,  en  vers  blancs 
coulants  et  faciles,  en  un  style  a  la  fois  elegant  et 
simple,  ils  font  honneur  a  ses  qualit6s  techniques 
d'6crivain.  L' c  Eclogue  Gratulatory'  n'est  qu'une 
exception,  une  experience  malheureuse  danslalangue 
demi-archaique  de  Spenser;  mais  les  autres,  —  et 
surtout  1'  '  Honour  of  the  Garter '  et  i  Anglorum 
Feriae  '*,  —  sont  parmi  les  meilleurs  specimens  de 


1.  Nous  ajouterions  volontiers  <  Polyhymnia '  ou  tout  au  moins 
le  beau  "  sonnet  "  qui  clot  le  poeme  i 

"  His  silver  locks  time  hath  to  silver  turn  'd  "  etc. ; 

mais  Mr.  Bond,  op.  cit.,  revendique  le  poeme  comme  ecrit  par 
Lyly,  sur  la  foi  d'une  certaine  similitude  d'expression  avec  les 
03uvres  lylyennes.  Nous  ne  croyons  pas  que  les  ressemblances 
qu'il  signale  (v.  i  et  Endim.  ii.  3-30;  v.  7  et  Euph.  ii.  209  36, 
Camp.  iv.  3-8;  v.  10  et  Euph.  i.  224-5,  32-38,  etc.)  suffisent  pour 
priver  Peele  du  credit  d' avoir  compose  ce  petit  chef-d'oeuvre,  et 
faisons  simplement  la  part  du  doute  en  resistant  au  desir  de  le 
citer. 


L'OEUVRE  DE  PEELE  i«S 

vers  blanc  non  dramatique  ante>ieur  a  Milton.  Le 
cours  e"gal  et  doux  de  leur  metre  compense  la  vanit6 
de  leur  contenu  ;  et  quelques  passages  heureux, 
d'ordre  pastoral  ou  he>oique,  temperent  la  monotonie 
de  leurs  flatteries  interminables.  Tantdt  une  simple 
expression  uthesweet  transparent  air",  "the  golden 
morning  "  ou  '4  thes  ilver-winding  waves  ",  Sveille  en 
notre  esprit  une  sensation  plaisante.  Tantdt  nous 
trouvons  une  fralche  peinture  de  paysage: 

Even  at  that  time  did  I  take  my  rest, 
in  sight  of  that  fair  castle,  that  overlooks 
the  forest  one  way,  and  the  fertile  vale 
water'd  with  that  renowned  river  Thames, 
old  Windsor  castle  (H.  of  G.  v.  16  sqq); 

tant6t  la  description  soigneusement  polie  d'un  che 
valier, 

all  arm'd  in  sables,  with  rich  bandalier 
that  baldrick-wise  he  wore,  set  with  fair  stones 
and  pearls  of  Ind,  that  like  a  silver  bend 
show'd  on  his  varnish  1d  corselet  black  as  jet,... 
and  plumes  as  black  as  is  the  raven 's  wing 
that  from  his  armours  borrow 'd  such  a  light 
as  boughs  of  yew  receive  from  shady  stream  ; 

(Pol.  v.  71  sqq.); 

et  dans  des  vers  comme  ceux-ci  nous  sentons  que  le 
poete,  meme  dans  son  rdle  de  flagorneur  a  gages, 
savait  discerner  1'aspect  poetique  et  la  beaute  pitto- 
resque  des  choses  qu'on  le  payail  pour  louer. 


166  GEORGE  PEELE 


CONCLUSION. 

Les  pofcmes,  en  tout  cas,  nous  6clairent  a  plus  d'un 
£gard  sur  les  gouts  de  Peele.  Leur  richesse'  eft 
descriptions  de  carrousels  et  de  joutes,  de  tournois 
ou  de  batailles  leur  donnerait  un  ton  presque  exclu- 
sivement  h6roi'que,  si  les  allusions  aux  ev6nements 
contemporains  n'6taient  souvent  couvertes  d'une  sorte 
de  voile  pastoral.  Tels  qu'ils  sont,  ils  t6moignent  a  la 
fois  de  1'enthousiasme  pour  la  vie  active,  de  Tadmi- 
ration  pour  les  hauts  faits  d'armes,  et  du  vif  pen 
chant  pour  le  charme  conventionnel  de  la  bucolique 
qu'on  retrouve  dans  tous  les  Merits  de  Peele. 

II  est  tentant,  sans  doute,  de  parler,  comme  on  1'a 
souvent  fait,  de  la  souplesse  de  son  talent,  de  traiter 
comme  masques  la  l  Mise  en  Jugement  de  Paris '  et  la 
4  Poursuite  d' Amour ' ;  la  4  Bataille  d'Alcazar '  comme 
une  trag^die  de  vengeance  et  de  sang ;  c  Edouard  I ' 
comme  une  pi&ce  historique,  l  David  et  Bethsab6e 7 
comme  un  mystfcre  attard6,  et  le  '  Conte  de  Vieille 
Femme '  plus  ou  nioins  comme  une  comSdie  roma- 
nesque.  Mais,  si  nous  essayons  de  classer  ces  produc 
tions,  nous  voyons  bientot  qu'a  1'exception  de  la 
derniere,  elles  appartiennent  aux  deux  types  de  la 
pastorale  et  du  u  drame-chronique".  Que  les  traits 
caracteristiques  de  la  pastorale  se  trouvent  dans 
T  '  Arraignment '  et  le  '  Hunting ',  nous  nous  sommes 
d^jaefforces  de  le  montrer.  Le  faitque  Peele  a  brod6 


L'CEUVRE  DE  PEELE  167 

ses  scenes  rustiques  sur  un  canevas  mythologique  ne 
I'empfeche  nullement  de  preserver  les  marques  distinc- 
iives  du  genre ;  et  quelques  touches  demotion  sin 
cere  ou  de  simplicity  naive  furent  tout  son  apport  a 
une  tradition  qu'il  respecta,  dans  Tensemble,  tres 
fidelement.  Ses  relations  avec  le  drame  historique 
sont  un  peu  plus  complexes.  l  Edward  I '  seul  re*poud 
en  tous  points  a  une  stricte  definition  des  pieces  de 
cette  olasse.  Le  melange  du  tragique  et  du  comique, 
I'enchatnement  moins  rigoureux  des  Episodes,  une 
diction  plus  libre,  une  rhe'torique  moins  serre*e,  r6- 
velent  une  adhesion  6troite  au  type  reconnu.  La 
parent^  rtfelle  de  la  '  Battle  of  Alcazar '  et  de  l  David 
and  Bethsabe  '  a  ce  m&me  type  ne  saurait  pourtant 
&tre  m^connue,  quoique  rendue  moins  6vidente  par 
Fintroduction  d'^l^ments  Strangers  dans  leur  con 
ception  ou  leur  structure.  La  *  Bataille  d'Alcazar'  est 
avant  tout  une  piece  historique  sur  un  sujet  tire* 
d'annales£trangeres;4  David  'un  "  drame  chronique" 
sur  un  theme  bibiique ;  mais  tous  deux  tentent  une 
combinaison  du  drame  s6ne*cien  avec  les  compositions 
moins  61abore*es  du  theatre  populaii-e.  Frustre^e  dans 
le  premier  cas  par  une  imitation  coucomilante  de 
Marlowe,  cette  tentative  r^ussit  mieux,  et  de  beau- 
coup,  dans  le  second ;  et  elle  mtfrite  qu'on  s'y  arr^le, 
parce  qu'elle  diff^renciel'ceuvre  de  Peele  de  celle  de 
ses  contemporains.  Tout  en  faisant  appel  aux  sym 
pathies  habituelles  de  son  public,  il  s'efforga  d'intro- 
duire  dans  ses  compositions  des  616ments  plus  nobles 


168  GEORGE  PEELE 

emprunt^s  &  la  tradition  classique,  et  Ton  peut  voir  la 
im  effort  pour  communiquer  au  drame  irr£gulier  du 
peuple  un  certain  sens  de  Tordre  et  de  la  forme  artis- 
tiques.  L' l  Old  Wives  Tale',  bien  que  different  en 
caractere  de  toutes  ses  autres  productions,  dSfinit 
plus  clairement  son  attitude  a  l'6gard  des  pieces  de 
son  temps.  Parodie  des  drames  romanesques,  il  ridi- 
culise  espifcglement  ceux  monies  de  leurs  defauts  que 
Sidney  critiquait  dans  sa  '  Defence  of  Poesy ',  —  leur 
manque  absolu  de  proportion,  leur  surabondance 
d'incidents,  et  la  confusion  qui  en  r^sulte  —  et  defend 
ainsi  indirectement  la  position  interm6diaire  prise  par 
Peele  entre  la  raideur  contrainte  de  l'6cole  pseudo- 
classique  et  la  licence  sans  limites  des  dramaturges 
populaires. 

La  nouveaut6,  d'ailleurs  relative,  de  cette  position 
constitue  le  seul  titre  de  Peele  a  un  peu  d'originalite. 
Partout  ailleurs,  son  manque  d'invention  n'est  que  trop 
Evident.  La  rSceptivite"  et  1'imitation  6taient  les  traits 
les  plus  saillants  de  son  temperament  litt^raire,  et  dans 
les  deux  stages  de  sa  carrifcre,  —  qu'il  6crivlt  pour  la 
cour  ou  pour  les  com6diens  de  Londres,  —  il  ne  sut 
jamais  entifcrement  se  dSgager  de  Tinfluence  d'autrui. 
A  la  cour,  composant  ses  pieces  pour  I'amusement 
d'une  reine  e*rudite  et  d'une  soci6t£  que  dominaient 
tyranniquement  des  gouts  classiques  et  arcadiens.  il 
suivit  le  sillage  de  la  mode  en  dramatisant  Fidylle 
pastorale  r6cemment  mise  en  vogue  par  Spenser. 
L'imaginations6duite  paries  visions  dories  de  beaute" 


L'CEUVRE  DE  PEELE  169 

delicate  et  sensuelle  que  lui  offraient  ses  themes  buco- 
liques,  il  fit  rSsonner  une  fois  encore  les  m61odieux 
pipeaux  des  p&tres,  evoqua  la  gr&ce  des  nymphes 
rustiques  endormies  k  1'ombre  des  h&tres,  berce*es 
par  le  bruissement  monotone  des  brebis  paissantes,  et 
sut  ainsi  flatter  les  platoniques  aspirations  d'une 
noblesse  blase'e  vers  une  vie  de  simplicite  et  d'inno- 
cence.  —  Trfes  diffe>entes  6taient  les  exigences  du 
public  londonien,  et  rindiffe>ence  absoluedes  specta- 
teurs  aux  amours  et  aux  douleurs  des  bergers  et 
pastourelles  1'incita  k  chercher  d'autres  themes,  plus 
sensationnels,  des  scenes  de  bataille,  de  meurtre  et 
de  sang.  Mais  le  changement  n'6quivalait  qu'k  un 
passage  de  1'influence  de  Spenser  &  celle  de  Marlowe, 
de  S6neque  et  du  drame  historique  ;  et,  quels  que  fus- 
sent  ses  modules,  la  me"thode  de  travail  de  Peele  resta 
essentiellement  la  m^ino. 

II  serait  pourtant  exage>6  de  le  repr6senter  comme 
un  servile  imitateur.  II  se  montra  aussi,  jusqu'k  un 
certain  point,  capable  de  creer.  Le  choix  de  ses  sujets 
te"moigne  d'un  sens  dramatique  averti.  C'est  Toeil 
d'un  artiste  qui  a  choisi  dans  le  cycle  des  16gendes 
troyennes  le  jugement  de  Paris  et  dans  la  vie  de 
David  l^pisode  de  son  amour  pour  Bethsabe"e.  L'in- 
trigue  du  l  Conte  de  Vieille  Femme '  est  en  soi  extrfc- 
mement  attrayant,  et  le  sujet  m&me  de  la  '  Bataille 
d' Alcazar '  ou  d' 4  Edouard  I '  n'est  point  d6nu6  d'in- 
te>6t.  II  faut  faire  ^galement  credit  h  Peele  de  quelque 
adresse  et  dexte>ite*  dans  le  traitement  de  ses  sources. 


170  GEORGE  PEELE 

Qu'il  fit  usage  du  mythe  classique  ou  de  la  tradition 
populaire,  ou  qu'il  utilisat  les  mat6riaux  moins  mania- 
bles  de  Fhistoire,  il  prouva  par  un  judicieux  proceeds 
de  selection  et  de  coordination  qu'il  n'etait  pas  igno 
rant  de  la  perspective  et  de  la  sym^trie  litt^raires,  et 
qu'il  s'efforc,ait  toujours  d'atteindre  une  certaine  har- 
monie  et  unit6  d'effet. 

Toute  son  oeuvre  est  ainsi  contr616e  par  une  sorte 
de  faculty  critique,  a  Finfluence  de  laquelle  il  nous 
faut  aussi  attribuer  les  modifications  apport6es  a  la 
structure  dramatique,  les  progrfcs  faits  d'une  pi&ce  a 
1'autre  dans  la  representation  des  caractfcres. 

En  ce  qui  touche  la  construction,  il  serait  t6meraire 
de  g&aeraliser,  puisque  nul  des  drames  ne  nous  est 
parvenu  dans  un  6tat  parfaitement  satisfaisant.  II  y 
aurait  quelque  difficult^,  du  reste,  a  parler  d'un 
progr&s  de  Fincoherent l  Edward  I '  sur  1' '  Arraign 
ment '  aux  proportions  616gantes.  On  peut,  toutefois, 
remarquer  dans  toute  la  carri&re  de  Peele  une  ten 
dance  graduelle  bien  definie  vers  une  plus  grande 
complexity  de  plan.  Tandis  que  1' '  Arraignment  of 
Paris'  et  la  4  Battle  of  Alcazar'  ne  contiennent  en 
somme  qu'une  action,  '  Edward  I  '  montre  la  jux 
taposition  d'un  Episode  amoureux  et  d'une  intrigue 
politico-militaire,  augment^e  de  scenes  comiques; 
1  David  and  Betbsabe '  pr^sente  une  abondance  de 
motifs  plus  logiquement  relics  Fun  a  1'autre ;  et  F ;  Old 
Wives  Tale',  enfin,  prouve  chez  son  auteur  un  reel 
pouvoir  pour  d^velopper  et  condenser  un  argument 


L'OEUVRE  DE  PEELE  171 

complique\  A  tout  prendre,  on  pourrait  dire  que  te 
dramaturge  se  familiarise  insensiblement  avec  sa 
melhode  de  polymythie,  —  mSthode  essenliellement 
inconnue  de  Marlowe  ou  de  Greene,  —  et  combine 
de  plus  en  plus  adroitement  plusieurs  actions  dans  les 
limites  d'une  seule  pifcce. 

Le  progres  de  1'analyse  psychologique  est  encore 
plus  manifeste.  L'inaptitude  a  concevoir  fortement 
les  r6alit6s  de  la  vie  qui  causait  une  certaine  g£ne 
dans  les  scenes  de  la  *  Mise  en  Jugement '  ou  de  la 
4  Bataille  d' Alcazar',  disparalt  dans  les  pieces  post6- 
rieures.  c  Edouard  I '  r6vele  deja  un  effort  vers  une 
representation  plus  s6rieuse  des  caracleres;  dans 
4  David  et  Bethsab6e  *  les  personnages  principaux 
Emergent  des  ombres  indistinctes  du  fonds  et  se 
de"tachent  nettement  a  nos  yeux,  —  individuality's 
replies  et  vivantes,  —  et  quoique,  m&me  dans  ce 
drame,  Peele  ne  r6ussisse  point  a  faires  siennes 
toutes  les  ressources  du  palh6tique,  son  manque 
de  vigueur  et  de  passion  ne  peut  nous  empftcher  de 
reconnaltre  Tam^lioration  constante  de  sa  technique 
de  la  premiere  a  la  derniere  de  ses  compositions. 

La  sympathie  qu'il  montre  invariablement  a  ses 
personnages  magnanimes  et  vertueux  est  digne  d'at- 
tention.  Dans  tous  ses  drames  le  thfeme  est  trait6 
avec  ferveur  morale.  On  n'y  rel&ve  aucune  trace  de  ce 
pardon  hatif,  inconside>6,  du  vice,  ou  de  ces  repen- 
tirs  soudains  et  faciles  du  p6cheur  qu*on  trouve,  par 
exemple,  dans  le  4  James  IV '  ou  le  '  Looking  Glass ' 


172  GEORGE  PEELE 

de  Greene.  L'idee  de  retribution  est  le  leitmotif  qui 
reparaltdans  tousses  6crits;  et  la  reconciliation,  dans 
son  c  David  ',  du  principe  de  redemption  et  de  celui 
d'expiation  n'ajoute  qu'une  touche  chretienne  au  fata- 
lisme  retributif  qu'il  avait  herite  de  Senfcque.  Son 
reuvre  n'est  jamais  entacheede  cynisme,  d'indecence 
ou  de  suggestions  immodestes,  et  sa  notable  purete, 
1'insistance  qu'elle  met  a  rester  morale,  la  distinguent 
de  celle  des  dramaturges  contemporains  qui,  —  Kyd 
excepte,  —  s'embarrassaient  peu  de  tels  scrupules. 

De  fermes  croyances  religieuses,  une  foi  anglicane 
prolixe,  un  patriotisme  aussi  z616  qu'intolerant,  tels 
sont  les  sentiments  qui  semblent  avoir  trouv6  le  plus 
de  faveur  auprfcs  de  Peele.  Us  se  pr&taient,  malheu- 
reusement,  a  des  de"veloppements  lyriques  ?plutot  que 
dramatiques,  et  Peele  a  trop  souvent  cede  a  la  tenta- 
tion  d'inserer  dans  ses  pieces  de  longues  tirades  sur 
ces  themes  favoris,  —  tirades  qui,  malgre  tous  leurs 
merites  poetiques  et  oratoires,  restaient  nettement 
etrangeres  a  1'essence  du  drame. 

Ce  n'est  point  la,  d'ailleurs,  la  seule  concession 
qu'il  fit  au  lyrisme.  Ses  manierismes  les  plus  frap- 
pants:  alliteration,  repetition  d'un  mSme  mot  ou  rap 
prochement  de  mots  semblables,  gout  avere  pour 
toutes  les  formes  de  reiteration  et  de  paralielisme,  — 
prouve  sans  doute  le  soin  qu'il  apporta  a  la  compo 
sition  de  ses  pieces,  mais  enlerent  trop  souvent  a  son 
style  toute  efficacite  dramatique.  L'impropriete  de  la 
diction  est  accrue  encore  par  le  maniement  du  metre. 


L'CEUVRE  DE  PEELE  173 

Peele  garda  jusqu'a  la  fin  une  attitude  ambigue,  — 
hesitant  sans  cesse  entre  le  vers  blanc  que  la  mode 
le  pressait  d'adopter,  et  le  vers  rim6  vers  lequel 
1'entratnait  son  inclination  personnelle.  Sa  l  Bataille 
d'Alcazar  '  et  son  4  David '  sont  les  deux  seules  pieces 
entierement  Scriles  en  vers  he>o*ques  avec  un  faible 
pourcentage  de  rimes ;  mais  dans  ses  autres  produc 
tions  les  pentameires  alternent  avec  toute  une  vari6t6 
de  mesures,  —  surtout  de  courts  metres  lyriques; 
—  ou  s'entremfclent  tout  au  moins  de  nombreux  * 4  cou 
plets  "  rim6s —  Levers  blanc  lui-meme,  d'ailleurs,  est 
peu  dramalique.  Pauvre  en  enjambements,  pauvre  en 
syllabes  hyperm^triques,  il  est  presque  d£pourvu  de 
toute  souplesse,  et  par  ses  qualities  im-mes ,  son  aisance 
rythmique,  sa  douceur  harmonieuse,  la  belle  ordon- 
nance  de  ses  figures,  il  se  voit  interdire  d'exprimer 
ad6quatement  la  passion,  parce  que  la  passion  est, 
avant  tout,  irr6guliere,  violente  et  d6sordonn6e. 
L'abondance  de  u  lyrical  in terbreatbings",  — chants 
ou  poemes  intercal^s  dans  la  piece  pour  le  charme 
musical  de  leurs  vers,  —  arrete  encore  le  derelop- 
pement  de  Faction  ou  des  caracteres.  Enfin  1'effet  du 
dialogue  est  aflaibli  par  la  profusion  m&me  des 
images  qui  pr6tendent  Torner.  La  fantaisie  de  Peele 
se  condense  rarement  en  figures  brfcves  et  ardentes ; 
elle  s'6taleplut6tenm6taphores  ^tendues,  enlongues 
comparaisons ;  et  cette  tendance  indique  un  esprit 
incapable  de  subordonner  ses  images  a  l^motion 
qu'elles  devraient  illustrer.  Le  poete,  du  reste,  n'he- 


174  GEORGE  PEELE 

n'h^site  jamais  a  sacrifier  Finterei  dramatique  pour 
introduire  quelque  morceau  descriptif  propre  a  pro- 
clamer  son  amour  de  la  couleur  ou  de  la  forme.  La 
scene  initiate  de  l  David',  —  gracieux  tableau  de 
Bethsab6e  au  bain  —  est  un  exemple  typique.  Un 
corps  souple  et  blanc  qui  brille  sous  Fonde  endia- 
mant6e  de  la  source  ou  s'entrevoitparmi  les  branches 
jalousement  touffues  du  bosquet,  un  rayon  oblique  de 
soleil  dans  Tor  de  la  chevelure,  —  la  vision  passe 
devant  nos  yeux.  Mais  Peele  s'attarde  trop  complai- 
samment,  comme  encbaln6  par  la  magie  de  la  grace ; 
et  semble  encore  irr^solu  a  engager  Faction  propre  du 
drame.  A  chaque  instant  son  imagination  est  ainsi 
enflamm^eparun  sentiment  d6licatde  ce  qui  est  beau 
dans  la  nature.  Une  prairie  toute  diapr6e  de  fleurs,  le 
cours  paisible  d'une  riviere,  la  fralcheur  ensoleil!6e  du 
matin  Farretent  et  le  s6duisent ;  et,  tandis  qu'il  les 
peint  amoureusement  en  vers  exquis,  il  oublie  pour 
un  temps  le  dessein  et  le  developpement  de  sa  piece. 
II  y  a  peu,  dans  son  oeuvre,  de  melaphores  emprunt^es 
a  la  vie  bumaine;  la  nature,  et  surtout  la  nature  ina- 
nim6e,  —  cieux,  Stoiles,  mer,  fleurs  et  gemmes,  — 
lui  fournissent  le  plus  grand  nombre  de  ses  images. 
Copiers  parfois  des  classiques  et  trait6es  alors  com 
me  des  ornements  un  peu  factices,  elles  t£moignent 
plus  souvent  d'une  observation  fine  et  pen6trante,  et 
donnent  a  sa  po6sie  une  richesse  de  couleur,  une 
6l6gance  gracile,  un  charme  insaisissable  qui  tous 
attestent  la  sinc6rit6  de  ses  dons  lyriques. 


L'CEUVRE  DE  PEELE  178 

De  tels  dons,  cependant,  servent  aussi  peu  au  dra 
maturge  que  la  grace  du  style  et  la  m6lodie  da  vers 
—  les  deux  aulres  qualit^s  dominantes  de  roeuvre  de 
Peele.  Qualites  si  manifestos,  en  fait,  que  dans  une 
appreciation  g6n£rale  de  son  talent,  ses  r^elles  apti 
tudes  dramatiques  sont  n6cessairement  obscurcies 
par  ses  m6rites  d'6crivain,  de  styliste,  et  de  pofcte.  Ce 
serait  la,  si  nous  parlions  d'un  successeur  de  Shakes 
peare,  une  condamnatiou  sans  appel;  mais,  au  temps 
de  Peele,  le  drame  anglais  etait  encore  en  voie  de 
croissance  et  devolution,  et  avail  avant  toutbesoin 
d'un  exemple  de  forme.  Par  1'agencement  des  mots, 
1'habile  combinaison  des  phrases,  I'ing&iieux  arran 
gement  des  p6riodes,  Peele  contribua  a  donner 
cet  exemple  autantau  moinsque  Greene,  Marlowe  ou 
Lyly,  et  il  m6riterait,  fut-ce  pour  cette  seule  raison, 
d'etre  c. » 1 11  [ »t  .'•  parmi  les  figures  les  plus  £minentes  de 
la  premifere  p^riode  ^lisab^thaine. 


APPENDIGE 
PEELE  ET  DU  BARTAS 

Peele.  David  $-  Bethsabe.  Sc.  XV. 

BETHSABE 

What  means  my  lord,  the  lamp  of  Israel 
From  whose  bright  eyes  all  eyes  receive  their  light, 
To  dim  the  glory  of  his  sweet  aspects 
And  paint  his  countenance  with  his  heart's  distress? 
Why  should  his  thoughts  retain  a  sad  conceit, 
When  every  pleasure  kneels  before  his  throne 
And  sues  for  sweet  acceptance  with  his  Grace? 
Take  but  your  lute,  and  make  the  mountains  dance, 
Retrieve  the  sun's  sphere  &  restrain  the  clouds 
10    Give  ears  to  trees.,  make  savage  lions  tame 
Impose  still  silence  to  the  loudest  winds. 
And  fill  the  fairest  day  with  foulest  storms 
Then  why  should  passions  of  much  meaner  power 
Bear  head  against  the  heart  of  Israel? 

DAVID 

Fair  Bethsabe,  thou  mightest  increase  the  strength 

Of  these  thy  arguments  drawn  from  my  skill 

By  urging  thy  sweet  sight  to  my  conceits 

Whose  virtue  ever  serv'd  for  sacred  bain 

To  cheer  my  pinings  past  all  earthly  joys; 

But,  Bethsabe,  the  Daughter  of  the  Highest, 

Whose  beauty  builds  the  towers  of  Israel, 

She  that  in  chains  of  pearl  &  unicorn 

Leads  at  her  train  the  ancient  golden  world — 


Al'l'liNDICE  177 


Du  Barlas.  La  Seconde  Semaine.  Les  Artifices. 


II  (Tubal)  fait  sur  ce  modele  un  lutli  harmonieui, 
qui  meine  au  bal  les  monts, 

retrograde  les  cicux 

oreille  les  foists,  les  lions  dessauvage, 
impose  aux  vents  silence  et  sereine  Torage. 

(Du  B.  2-  Sem.  Art.  503  II). 


Saincte  fille  du  ciel, 

dgesse  qui  ramenes 
1'antique  siecle  d'or, 

CHKFFAUD.  ia 


178  GEORGE  PEELE 

The  world  that  Adam  held  in  Paradise, 

Whose  breath  refineth  all  infectious  airs 

And  makes  the  meadows  smile  at  her  repair,  — 

She,  She,  my  dearest  Bethsabe, 

Faire  Peace,  the  goddess  of  our  graces  here, 

Is  fled  the  streets  of  fair  Jerusalem 

NATHAN 

55     Let  Salomon  be  made  thy  staff  of  age, 
Fair  Israel's  rest,  and  honour  of  thy  race. 

DAVID 

Tell  me,  my  Salomon,  wilt  thou  imbrace 
Thy  father's  precepts  graved  in  thy  heart, 
And  satisfy  my  zeal  to  thy  renown 
60    With  practice  of  such  sacred  principles 
As  shall  concern  the  state  of  Israel. 

SALOMON 

My  royal  father,  if  the  heavenly  zeal 
Which  for  mywelfare  feeds  upon  your  soul 
Were  not  sustained  with  virtue  of  mime  own,  — 
If  the  sweet  accents  of  your  cheerful  voice 
Should  not  each  hour  beat  upon  my  ears 
As  sweetly  as  the  breath  of  heaven  to  him 
That  gaspeth  scorched  with  the  summer's  sun 
I  should  be  guilty  of  unpardoned  sin 
70     Fearing  the  plague  of  Heaven  &  shame  of  earth; 
But  since  I  vow  myself  to  learn  the  skill 
And  holy  secrets  of  his  mighty  hand 
Whose  cunning  tunes  the  music  of  my  soul 
It  would  content  me,  father,  first  to  learn 
How  the  Eternal  framed  the  firmament, 
Which  bodies  lead  their  influence  by  fire, 
And  which  are  filled  with  hoary  winter's  ice, 


What  sign  is  rainy  and  what  star  is  fair, 
Why  by  the  rules  of  true  proportion, 


APPENDICE  17» 

qui,  belle,  rass6renes 
1'air  trouble  de  tromjons; 

qui  fais  rire  les  champs 

0  Paix,  heureuse  Paix,  tu  sois  la  bienvenue, 
Vierge  depuis  vingt  ans  aux  Gaulois  inconnue, 

(Du  Bartas.  2"  Sem.  Les  Artifices.  1.  1  ff.) 

Seth,  qui  tient  du  saint  Abel  la  place, 
Baston  de  sa  vieillesse,  et  gloire  de  sa  race. 

(Du  Bartas.  2«  Sem.  id.  1.  518  f.) 


II  (Seth)  parle  en  ceste  sorte:  "0  pere,  si  le  zele 
Qui  te  ronge  pour  moi  d'une  ardeur  cternelle 
Ne  m'etait  point  conu :  si  tu  ne  me  conois 
D'un  ml  sans  fin  veillant :  si  ta  prudente  voix 
Ne  batoit  nuit  et  jour  mon  oreille  apprentice 


Je  craindroys  d'encourird'un  importun  le  vice: 


et  me  contenteroys  d'avoir  appris  comment 
1'Eternel  sur  ce  tout  vouta  le  firmament. 
Quels  corps  sont  pleins  de  feu, 

quels  corps  sont  pleins  de  glace 
et  comme  il  faut  encore  quc  mes  moeurs  je  compasse. 

(Du  Bartas.  id.  537  ff.) 

quel  signe  est  pluvieux,  quelle  6toile  est  sereine, 
comme  le  ciel  se  meut:  comme  en  un  juste  cours 


180  GEORGE  PEELE 

80    The  year  is  still  divided  into  months, 

The  months  to  days,  the  days  to  certain  hours. 


What  fruitful  race  shall  fill  the  future  world, 

Or  for  what  time  shall  this  round  building  stand, 
What  magistrates,  what  kings  shall  keep  in  awe 
Mens's  minds  with  bridles  of  the  eternal  law 

DAVID 

Wade  not  too  far,  my  boy,  in  waves  too  deep! 
The  feeble  eyes  of  our  aspiring  thoughts 
Behold  things  present  &  record  things  past, 
But  things  to  come  exceed  our  human  reach 
90     And  are  not  painted  yet  in  angels  eyes: 

For  those,  submit  thy  sense  and  say  "Thou  power 
That  art  now  framing  of  the  future  world. 
Knowest  all  to  come, 

not  by  the  course  of  heaven 
By  frail  conjectures  of  inferior  signs, 
By  monstrous  floods,  by  flights  &  flocks  of  birds, 
By  bowels  of  a  sacrificed  beast, 
Or  by  the  figures  of  some  hidden  art, 
But  by  a  true  and  natural  presage 
Laying  the  ground  and  perfect  Architect 
100     Of  all  our  actions  now  before  thine  eyes 
From  Adam  to  the  end  of  Adam 's  seed 


0  Heaven,  protect  my  weakness  with  thy  strength 
So  look  on  me  that  I  may  view  thy  face 
0  Sun,  come  dart  thy  rays  upon  my  moon 
That  now  mine  eyes,  eclipsed  to  the  earth 
May  brightly  be  refined  and  shine  to  heaven 
Transform  me  from  this  flesh,  that  I  may  live, 
Before  my  death,  regenerate  with  thee  ! 
110     0  thou,  great  God,  ravish  my  earthly  sprite 


APPENDICE  181 

fan  divise  en  ses  mois, 

et  le  mois  en  ses  jours. 

(Du  Bartas.  id.  523  ft.) 
M.tis  ta  bont6  me  donne  et  le  soin  et  le  coeur 
De  nVenqu6rir  de  toi  du  bonheur  et  malheur 
qui  talonne  nos  ans:  quelle  race  f^conde 
doit  peuplerl'univers:  que  deviendra  le  Monde: 
combien  doit-il  durer : 

quels  Magistrals,  quels  Hois 
Tiendront  serfs  les  humains  sous  la  bride  des  loix! 


Mon  Ills  (respond  Adam)  Tocil  de  nostre  pens6e 
Void  la  chose  prgsente  et  revoid  la  passe"e 
Nous  cele  qui  nous  suit  si,  rendu  plus  qu'humain 
II  ne  la  lit  au  front  du  Trois  fois-Souverain 


Toy  done  qui  seul  conois  toutes  choses  futures 
Vii  par  le  cours  du  ciel, 

par  foibles  conjectures 

Par  des  poincts  acouplez,  par  le  vol  des  oiseaux 
Ou  par  le  tremblement  des  consultez  boyaux  : 

Ains  d'une  prescience  et  certaine,  et  parfaite 
Gomme  estant  du  futur  1'  Agent  et  le  Pro  fete. 


Devant  qui  les  trois  temps  coulent  enscmblement 
A  qui  1'Eternite"  semble  moins  qu'im  moment : 
0  Dieu, 

regarde  moy,  a  fin  que  je  regarde 
le  iniroir  de  ta  face,  0  Soleil,  vien,  et  darde 
tes  rais  dessus  ma  Lune,  afin  qu'ores  mes  yeux 
eclipsent  vers  la  terre,  et  luisent  vers  les  cieux. 
Retire-moidu  corps  afin  qu'beureux  je  vive 
Au  ciel  avanl  ma  mort.  0  ma  vie, 

0  ma  vie,  r'avive 


182  GEORGE  PEELE 

That  for  a  time  a  more  than  human  skill 
May  feed  the  organons  of  all  my  sense, 
That  when  I  speak,  I  may  be  made  by  choice 
The  perfect  echo  of  thy  heavenly  voice ! 

SALOMON 

A  secret  fury  ravisheth  my  soul 


Lifting  my  mind  above  her  human  bounds, 
And,  as  the  eagle,  roused  from  her  stand 

120    With  violent  hunger,  towering  in  the  air 

Seizeth  her  feathered  prey,  and  thinks  to  feed, 
But,  seeing  then  a  cloud  beneath  her  feet, 
Lets  fall  the  fowl,  and  is  emboldened 
With  eyes  intentive  to  bedare  the  Sun 
And  styeth  close  unto  his  stately  sphere 
So  Salomon,  mounted  on  the  burning  wings 
Of  zeal  divine,  lets  fall  his  mortal  food 
And  cheers  his  senses  with  celestial  air 
Treads  in  the  golden,  starry  labyrinth 

130    And  holds  his  eyes  fix'd  on  Jehovah's  brows 

DAVID 

257  Then  happy  art  thou,  David's  fairest  son 
That,  freed  from  the  yoke  of  earthly  toils 
And  sequestered  from  sense  of  human  sins 

260    Thy  soul  shall  joy  the  sacred  cabinet 
Of  those  divine  ideas  that  present 
Thy  changed  spirit  with  a  heaven  of  bliss 


APPENDICE  183 

pour  im  temps  mon  esprit : 

et  fais  qu'i  cette  fois 
Je  soy  comme  1'Echo  de  ta  ce"leste  voix. 


II  est  soudain  pouss6  d'une  fureur  secrette 
Non  comme  le  M6nade,  ou  le  chastre*  Curete, 
Qui  dansant,  qui  bavant,  qui  rouant,  furieux, 
Sous  ses  sourcils  tremblants  les  torches  de  ses  yeux, 
Horrible  de  grimasse,  horrible  de  parole, 
Ne  comprend  le  Daemon  qui  forcen6  1'afTole : 
Paslit,  rougit,  panthele,  ulcere  sans  courroux 
Ses  membres  jusqu'aux  os  et  si  ne  sent  les  coups 

Ains  comme  TAigle  perd  sa  branche  accoustume"e 
Et  ramant  par  les  airs  d'une  gasche  emplumde, 

Void  sous  ses  pieds  la  nue, 

et  fait,  audacieux, 
D'un  oeil  ferme  cligner  au  fier  Soleil  les  yeux: 

De  mesme,  Adam  guinde"  sur  les  ardantes  ailes 
Du  se"raphique  amour,  perd  les  choses  mortelles 
Se  paist  du  doux  &ther : 

fend  les  ronds  estoillez 
et  tientdessus  le  front  de  Dieu  ses  yeux  collez. 

(Du  Barlas.  id.  547  IT.) 
Voy,  voy  comme  il  (Ilenoc)  s'exerce  a  souflfrir  la  lumiere 

Comme  libre  du  joug  des  corporelles  loix, 
Et  se*questr6  des  sens 

il  vole  quelquefois 
dans  le  saint  cabinet  des  Id£es  plus  belles, 

Ayant  la  Foy,  le  Jeusne  &  TOraison  pour  ailes: 
Comme  a  certains  moments,  bien  qu'hoste  de  ce  lieu 
Sainct  il  possede  tout,  sent  tout,  void  tout  en  Dieu: 
Comme  pour  quelque  temps  montant  de  forme  en  forme 


i8i  GEORGE  PEELE 


Then  thovi  art  gone !  ah,  thou  art  gone,  my  son  ! 
To  heaven,  I  hope,  my  Ahsalon  is  gone 


Thy  soul,  there  placed  in  honour,  of  the  saints 
Or  angels,  clad  with  immortality, 
Shall  reap  a  sevenfold  grace  for  all  thy  griefs, 
Thy  eyes,  no  more  eyes,  but  shining  stars, 
Shall  deck  the  flaming  heavens  with  novel  lamps 
270    There  shalt  thou  taste  the  drink  of  seraphins 
And  cheer  thy  feelings  with  archangels 'food 
Thy  day  of  rest,  thy  holy  Sabbath  day 
Shall  be  eternal.  And,  the  curtain  drawn 
Thou  shalt  behold  thy  sovereign  face  to  face 
With  wonder  knit  in  triple  unity, 
Unity  infinite  and  innumerable. 


APPENDICE  1S3 

Kn  la  forme  de  Dieu,  heureux,  il  se  transforme. 

Vois  comme  le  Tout-beau,  qui  bnilant  d'amitie" 

Pour  ses  rares  beautez  le  veut  non  par  moiti6, 

Ains  tout,  et  pour  tousjours,  dresse  a  son  Tout  1'eschelle 

Qui  conduit  d'ici  bas  a  la  gloire  6tcrneIIc 

C'est  done  fait,  tu  t'en  vas?  tu  t'en  vas  donq  a  Dieu 

Adieu,  mon  fils  Henoc,  adieu,  mon  fils,  adieu! 
Vy  la- ha  lit  bien-heureux.  Ja  ton  corps  qui  se  change 
En  nature  d'Esprit,  ou  bien  en  forme  d'Ange, 
Vest  rimmortalit6. 

Ja  tes  yeux,  non  plus  yeux 
I )«'•(•(. rent  flamboyants  d'astres  nouveaux  les  cieux. 
Tu  bumes  a  longs  traits  la  boisson  nectar6e: 

Ton  sabat  est  sans  fin. 

La  courtine  tiree 
Tu  vois  Dieu  front  a  front 

et  sainctement  uni 
Au  bien  triplement  un,  tu  vis  en  Tinfini 

(Du  Bartas.  id.  653  ff.) 


BIBLIOGRAPHIE 

A.  -EDITIONS: 

a)  DES  OEUVRES  COMPLETES. 

The  Works  of  George  Peele:  now  first  collected,  with  some 
account  of  his  writings,  and  notes :  by  the  Rev.  Alexander  Dyce 
A.  B.  London.  W.  Pickering.  1828.  2  vols. 

The  Works  of  George  Peele,  collected  and  edited...  by  the  Rev. 
Alexander  Dyce.  A.  B.  2«  Edition.  London.  W.  Pickering.  1829. 
2  vols. 

The  Works  of  George  Peele,  collected  and  edited...  by  the  Rev. 
Alexander  Dyce.  vol.  111.  London.  W.  Pickering.  1839. 

The  Dramatic  and  Poetical  Works  of  Robert  Greene  &  George 
Peele,  with  memoirs  of  the  authors  and  notes,  by  the  Rev.  Alexan 
der  Dyce.  London.  Routledge.  1861.  1  vol. 

Plays  and  Poems  by  George  Peele,  with  an  introduction  by 
Henry  Morley.  London.  Routledge.  1887.  (Contents:  The  Arrai 
gnment  of  Paris.  David  and  Bethsabe.  The  Old  Wives  Tale.  — 
Polyhymnia.  Anglorum  Feriae.  Farewell.  Eclogue  Gratulatory. 
Honour  of  the  Garter)  4  vol. 

The  Works  of  George  Peele,  edited  by  A.  II.  Bullen.  B.  A. 
London.  J.  C.  Nimmo.  1888.  2  vols. 

b).   DE  PIECES  OU  POEMES  SEP ARKS 

/.  Pieces. 

The  Araygnement  of  Paris  A  Pastorall.  Presented  before  the 
Queenes  Majestic,  by  the  Children  of  her  Chappell.  Imprinted  at 
London  by  Henrie  Marsh.  Anno  1584.  4  to. 

The  Famous  Chronicle  of  King  Edward  the  first,  sirnamed 
Edward  Longshankes,  with  his  returne  from  the  holy  land.  Also 
the  life  of  Lluellen  rebell  in  Wales.  Lastly  the  sinking  of  Queene 
Elinor,  who  sunck  at  Charingcrosse,  and  rose  againe  at  Potters- 
hith,  now  named  Quenehith.  London.  Printed  by  Abell  Jeffes,  and 
are  to  be  solde  by  William  Barley,  at  his  shop  in  Orations  slreete. 
1593.  4  to. 

The  famous  Chronicle  of  King  Edward  the  first,  sirnamed  Long 
shankes,  with  his  returne  from  the  holy  land.  Also  the  life  of 
Lluellen  rebell  in  Wales.  Lastly  the  sinking  of  Queene  Elinor, 
who  sunck  at  Charingcrosse,  and  rose  againe  at  Potters-hith,  now 
named  Quenehith.  Imprinted  at  London  by  William  White  dwel 
ling  in  Cow  Lane.  1599.  4  to. 


188  GEORGE  PEELE 

The  battell  of  Alcazar,  fought  in  Barbarie,  betweene  Sebastian 
King  of  Portugall,  and  Abdelmelec  King  of  Marocco.  With  the 
death  of  Captaine  Stukeley.  As  it  was  sundrie  times  plaid  by  the 
Lord  high  Admirall  his  servants.  Imprinted  at  London  by  Edward 
Allde  for  Richard  Bankworth,  and  are  to  be  solde  at  his  shoppe 
in  Pouls  Churchyard  at  the  signe  of  the  sunne.  1594.  4  to. 

The  Old  Wives  Tale.  A  pleasant  conceited  comedie,  played  by 
the  Queenes  Majesties  players.  Written  by  G.  P.  Printed  at  London 
by  John  Danter,  and  are  to  be  sold  by  Raph  Hancocke  and  John 
Hardie.  1595.  4  to. 

The  Love  of  King  David  and  Fair  Bethsabe.  With  the  Tragedie 
of  Absalon.  As  it  hath  ben  divers  times  played  the  stage.  Written 
by  George  Peek.  London.  Printed  by  Adam  Islip.  1599.  4  to. 

David  and  Bethsabe. 

Hawkins  (Thomas)  The  origin  of  the  English  Drama.  Oxford 
4773.  3  vols.  (vol.  2) 

Edward  the  First. 

J.  Dodsley.  A  select  collection  of  Old  Plays,  with  additional 
notes  et  corrections  by  the  late  Isaac  Reed,  de  the  editor.  London 
1827.  12  vols.  (vol.  XL) 

David  et  Bethsabe. 

John  S.  Keltie.  The  Works  of  the  British  Dramatists,  carefully 
selected  from  the  best  editions  by  John  S.  Keltie.  F.  S.  A.  Scot. 
London  1875.  1  vol. 

Edward  1. 

Th.  Donovan.  English  Historical  Plays  arranged  for  acting  by 
Th.  Donovan  1896.  2  vols.  (vol.  2). 

David  et  Bethsabe. 

J.  M.  Manly.  Specimens  of  the  Pre-Shakespearean  Drama.  With 
an  introduction,  notes  and  a  glossary  by  John  Matthews  Manly. 
Boston.  1900.  2  vols.  —  (vol.  2). 

The  Old  Wives  Tale. 

C.  M.  Gayley.  Representative  English  Comedies,  under  the 
general  editorship  of  Charles  Mills  Gayley.  New  York  1903. 1  vol. 
(The  '  Old  Wives  Tale',  edite  par  F.  B.  Gummere). 

The  Arraignment  of  Paris. 

Oliphant  Smeaton.  The  Arraignment  of  Paris.  A  Play  written  by 
George  Peele.  Edited  with  a  preface,  notes,  and  glossary  by 
0.  Smeaton.  London.  1905. 

The  Battle  of  Alcazar. 

Franck  Sidgwick.  The  Battle  of  Alcazar  (Printed  for  the  M  alone 
Collection)  London  1907. 

David  and  Bethsabe  et  The  Old  Wives  Tale. 

Ashley  Thorndyke.  The  Minor  Elizabethan  Drama.  London 
1910.  2  vols. 

Vol.  I.  Pre-Shakespearean  Tragedies,  '  David  &  Bethsabe '. 

Vol.  II.  Pre-Shakespearean  Comedies,  'The  Old  Wives  Tale'. 


bIBLIOGRAPHIE  189 

2.  Poemes. 

The  Device  of  the  Pageant  borne  before  Woolstone  Dixie.  Lord 
Maiorof  the  Citie  of  London.  An.  1585.  October  29.  Imprinted  at 
London  by  Edward  Allde.  1585.  4  to. 

The  Device  of  a  Pageant,  borne  before  M.  William  Web,  Lord 
Mayor  of  the  Citie  of  London,  on  the  day  he  took  his  oath,  being 
the  29th  of  Oct.  1591.  \Vhereunto  is  annexed  a  Speech  delivered 
by  one  clad  like  a  sea-nymph,  who  presented  a  Pinesse  on  the 
water,  bravely  rigd  and  mand,  to  the  Lord  Maior,  at  the  lime  he 
took  barge  to  go  to  Westminster.  Done  by  G.  Peeie,  Maister  of 
Arts  in  Oxford.  Printed  for  William  Wright.  4  to. 

A  Farewell.  Entituled  to  the  famous  and  fortunate  Generalls 
of  our  English  forces:  Sir  John  Norris  and  Syr  Frauncis  Drake 
knights,  and  all  their  brave  and  resolute  followers.  \Vhereunto  is 
annexed:  A  Tale  of  Troy...  Doone  by  George  Peele.  Maister  of 
AH-  in  Oxforde.  At  London  printed  by  J.  C.  and  are  to  be  solde 
by  William  Wright  at  his  shop  adjoining  to  St  Mildreds  church 
in  Hie  Poultrie  Anno  1589.  4  to. 

The  Tale  of  Troy:  by  G.  Peele  M.  of  Arts  in  Oxford.  Printed  by 
A.  H.  1604. 

An  Eclogue  Gratulatorie.  Entituled  To  the  right  honorable  and 
renowned  Shepheard  of  Albions  Arcadia:  Robert  Earle  of  Essex 
and  Erse,  for  his  welcome  into  England  from  Portugal!.  Done  by 
George  Peele.  Maister  of  Arts  in  Oxon.  At  London.  Printed  by 
Richard  Jones,  and  are  to  be  Solde  at  the  Signe  of  the  Rose  and 
Crowne  over  against  the  Faulcon.  1589.  4  to. 

Polyhymnia.  Describing  the  honourable  triumph  atTylt,  before 
her  Majestic,  on  the  17  of  November  last  past,  being  the  first  day 
of  the  three  and  thirtith  yeare  of  her  llighnesse  raigne.  With  sir 
Henrie  Lea,  his  resignation  of  honour  at  Tylt,  to  her  Majestic, 
and  received  by  the  right  honorable,  the  Earle  of  Cumberland. 
Printed  at  London,  by  Richard  Jhones.  1590.  4  to. 

Speeches  to  Queen  Elizabeth  at  Theobalds  1591.:  1)  '  The  Hermit's 
Speech',  public  par  J.  P.  Collier  dans  son  4  History  of  English 
Dramatic  Poetry'  1833  vol.  i  pp.  283-4;  2)  -The  Gardener's  Speech' 
et  3)  'The  Molecatcher's  Speech',  imprimes  pour  la  lre  fois  par 
A.  Dyce,  dans  le  3«  vol.  des  ceuvres  de  Peele  d'apres  des  manu- 
scrits  pretes  par  Collier. 

The  Honour  of  the  Garter.  Displaied  in  a  Poeme  gratulatorie. 
Entitled  to  the  worthie  and  renowned  Earle  of  Northumberland. 
Created  Knight  of  that  Order,  and  installed  at  Windsore.  Anno 
Regni  Elizabethae  35  Die  Junii  26.  By  George  Peeie,  Maister  of 
Arts  in  Oxenford.  At  London.  Printed  by  the  Widdowe  Charle- 
wood,  for  John  Rusbie  and  are  to  be  sold  at  the  West  Doore  of 
Paules.  [1593].  4  to. 

Anglorum  Feriae,  Englandes  Hollydayes,  celebrated  the  17th  of 
November  last,  1595,  beginninge  happyly  the  38  yeare  of  the 
raigne  of  oursoveraigne  ladie  Queene  Elizabeth.  Ry  George  Peele 


190  GEORGE  PEELE 

Mr  of  Arts  in  Oxforde  (imprim6  pour  la  lre  fois  a  quelques  exem- 
plaires  par  Mr  Fitch,  d' Ipswich.  1830.  4  to). 

4  Pageant  Woolstone  Dixie  '. 

Reimprimee  dans  la  '  Survey '  de  Stow  (edit.  Strype).  folio. 
1720.  Livre  V.  pp.  136-137. 

Reimprime  dans  la  '  Harleian  Miscellany '.  1808.  vol.  10.  pp.  68 
sqq.' 

Reimprime  dans  les  l  Progresses  of  Queen  Elizabeth'  de  Nichols, 
1788.  vol.  ii.  pp.  221.  sqq. 

3.  Vers  detaches,  extraits,  etc. 

Lines  addressed  to  Thomas  Watson.  Prefixed  to  the  '  EKATOM- 
IIA0IA'.  1582 

The  Phoenix  Nest.  1593.  Reimprime  dans  1' '  Heliconia '  de  Park, 
vol.  ii.  London  1815.  3  vols.  vol  ii.  p.  17-22.  G.  Peele's  «  Praise 
of  chastity '. 

England's  Parnassus.  1600.  Reimprime  dans  1"  Heliconia'  de 
Park.  vol.  iii.  London  1815.  3  vols. 

Vol.  iii.  p.  44.  Country  (Rat.  of  Ale.  ii.  2.  42  ff.) 

Vol.  iii.  p.  95.  Fame  (Hon.  of  the  Ga.  172  if.) 

Vol.  iii.  p.  214.  Love  (Hunting  of  Gup.  Cupid's  Arrows) 

Vol.  iii.  p.  236.  Man  (Dav.  &  Beth.  1st  Chorus  3  ff.) 

Vol.  iii.  p.  247.  Misery  (Hon.  of  the  Ga.  246  ff.) 

Vol.  iii.  p.  297.  The  division  of  the  day  natural.  Mane.  (Hon.  of 
the  Ga.  422  ff.) 

Vol.  iii.  p.  404.  The  division  of  the  day  natural.  Vesper.  (Hon. 
of  the  Ga.  1  ff.) 

Vol.  iii.  p.  405.  The  division  of  the  day  natural.  Noctis  initium. 
(Hon.  of  the  Ga.  21  ff.) 

Vol.  iii.  p.  457.  Of  Renown.  (Hon.  of  the  Ga.  50  ff.) 

Vol.  iii.  p.  475.  Descriptions  of  Beauty.  (Dav.  &  Beth.  Sc.  1.  54  ff.) 

England 's  Helicon  1600.  A  collection  of  lyrical  and  pastoral 
poems.  Edit,  par  A.  II.  Bullen.  London  1897.  1  vol. 

P.  50.  Coridon  &  Melampus'  song  (Hunting  of  Cupid). 

P.  251.  Colin,  the  enamourd  Shepherd,  singeth  the  passion  of 
Love(Arraig.  of  Paris,  iii.  1.  1-16). 

P.  252.  QEnone's  complaint,  in  blank  verse  (Arraignment  of 
Paris,  iii.  1.  75-85.) 

William  Drummond  ofHawthorden.  Volume  manuscrit  d'extraits 
appartenant  a  la  Society  of  Scottish  Antiquaries.  Edinburgh. 
Fragments  du  '  Hunting  of  Cupid  '.  1609. 

Belvidere,  or  the  Garden  of  the  Muses.  1610. 

Charles  Lamb.  Specimens  of  English  Dramatic  Poets.  London. 
1808. 

B.  —  MENTIONS  CONTEMPORAINES,  ETC. 

Nashe  (Thomas').  Works,  edited  from  the  original  texts  by  R.  B. 
Mac  Kerrow.  London.  1904.  5  vols. 


APPENDICE  191 

Vol.  iii.  Epistle  prefixed  to  Greene's  '  Menaphon  *  (1589) 
pp.  310  ff. 

Greene  (Robert).  The  life  and  complete  works  of  R.  Greene,  edited 
by  Alexander  B.  Grosart  (Huth  Library).  London  1881-83.  8  vols. 

Vol.  7.  A  Groatsworth  of  wit  bought  with  a  Million  of  Repen 
tance  (1592). 

Meres  (Francis).  [A  comparative  discourse  of  our  English  poets, 
with  the  Greek,  Latin,  and  Italian  poets,  from]  Palladis  Tamia. 
NVit  's  Treasury.  R  compression  (liaslewood's  Ancient  critical  essays 
upon  English  poets  and  poesy.  Vol.  ii.  pp.  147-158).  London.  1815. 
2  vols. 

Vol.  ii.  pp.  153  et  157. 

Merrie  conceited  Jests:  of  George  Peele  Gentleman,  sometimes  a 
Student  in  Oxford.  \Vherein  is  shewed  the  course  of  his  life,  how 
he  lived:  a  man  very  well-knowne  in  the  Citie  of  London,  and 
elsewhere...  London,  Printed,  by  G.  P.  for  F.  Faulkner,  and  are 
to  be  sold  at  his  Shop  in  Southwarke,  neere  Saint  Margarets  Hill. 
'.  4  to.  [reimprime  en  1809,  et  par  Dyce  et  Bullen  dans  leurs 
Editions]. 

The  Puritaine  or  the  Widdow  of  Watling  sheet...  Printed  at 
London  by  G.  Eld.  1607.  4  to  (C.  F.  Tucker-Brook.  The  Shakes 
peare  Apocrypha.  Oxford  1908  pp.  219-248). 

Dekker  (Thomas).  A  Knight's  Conjuring,  Done  in  Earnest,  Disco 
vered  in  Jest.  From  the  original  tract  printed  in  1607.  Ed.  par 
Edw.  F.  Rimbault.  (Percy  Society  Publicat.  vol.  1)  London  1842. 

The  Registers  of  Christ  Church  Xew gate.  Edit,  par  Willoughby 
A.  Littledale.  M.  A.  (Harleian  Society.  Register  Section  n°  21). 
London  1891. 

The  Registers  of  St.  James  Clerkenwell.  Ed.  par  R.  Hovenden. 
(Harleian  society.  Register  Section.  n°-  9,  10,  13,  17,  19,  20) 
London  1884-1894. 

London  Marriage -Licences.  152M809  collected  by  Col.  J.  Fogter. 
London  1887. 

A.  W.  Lockhart.  List  of  University  Exhibitioners  from  Christ's 
Hospital  1566-1875.  London.  1"  ed.  1876.  2«  ed.  1885. 

Register  of  the  University  of  Oxford. 

Vol.  1.  edite  par  C.  \V.  Boase.  Oxford.  1884. 

Vol.  2  (part  1,  2  etc.)ed.  par  A.  Clark,  Oxford.  1887-1889. 

Henslowe's  Diary. 

a)  The  Diary  of  Philip  Henslowe  from  1591  to  1609.  Ed.  by 
J.  P.  Collier  (Shakespeare  Society).  London.  1845  1  vol. 

6)  Henslowe's  Diary.  Edited  by  Walter  VV.  Greg.  M.  A.  Lon 
don.  1904-1907.  3  vols.  Part  1.  Text  —  Part  2.  Commentary  — 
Part  3.  Papers  being  Documents  complementary  to  Hensl.  's  Diary. 

Accounts  of  the  Revels. 

a)  Extracts  from  the  accounts  of  the  Revels  at  Court  in  the  reigns 
of  Queen  Elizabeth  and  King  James.  Edited  by  Peter  Cunningham 
(printed  for  the  Shakespeare  Society).  London.  1842.  1  vol. 


192  GEORGE  PEELE 

6)  Documents  relating  to  the  Office  of  the  Revels  in  the  time 
of  Queen  Elizabeth.  Edited  by  A.  Feuillerat.  (Materialen  zur 
Kunde  des  alteren  Englischen  Dramas)  Louvain  1908.  1  vol. 

A  Transcript  of  the  Registers  of  the  Company  of  Stationers  of 
London.  1554-1640.  Edited  by  Edward  Arber.  London  1875.  4  vols. 

Vol.  ii  1576-1595  et  vol.  iii  1595-1620. 

Calendar  of  State  Papers.  Domestic  Series  of  the  reign  of 
Elizabeth  (1581-1590;  1591-1594;  1595-1597),  preserved  in  Her 
Majesty's  Public  Record  Office.  London.  1865-1869. 

G.  —  CRITIQUE 

a)  Monographies  et  articles  de  revue. 

The  AthenoBum.  London.  July  2  1881  John  H.  Ingram.  George 
Peele  at  Christ's  Hospital. 

A.  Richard  Lammerhirt.  George  Peele.  Untersuchungen  iiber 
sein  Leben  und  seine  Werke.  Rostock.  1882. 

Archiv  fur  das  studium  des  Neueren  Sprachen  und  Litteraturen. 
Braunschweig.  85  Band.  1890.  Emil  Penner.  Metrische  Untersu 
chungen  zu  George  Peele. 

Englische  Studien.  XVII  Band,  1892.  R.  Sprenger.  Kleine  Bemer- 
kungen  zu  neuenglischen  Dichtungen.  iZu  George  Peele 's  'Love 
of  David  et  Bethsabe '. 

XV1I1  Band  1893.  J.  M.  Manly.  On  some  proposed  emendations. 

Modern  Language  Notes.  Baltimore  Vol.  viii.  No  4.  April  1893. 
Felix  E.  Schelling.  The  sources  of  Peele 's  '  Arraignment  of  Paris'. 

The  Bibliographer.  New  York.  Vol.  ii.  No  3.  March  1902.  G.  C. 
D.  Odell.  George  Peele. 

The  Ox  ford  Point  of  View.  Vol.  ii.  No  5.  Feb.  1903.  A.  R.  Bayley. 
A  note  on  George  Peele  dramatist. 

Wilhelm  Thieme.  Peele 's  *  Edward  I'  und  seine  Quellen.  Halle 
1903. 

Erich  Kroneberg.  George  Peele 's  'Edward  1'  lena  1903. 

Bruno  Neitzel.  George  Peele 's  ;  David  and  Bethsabe '  Halle  1904. 

Max  Dannenberg.  Die  Verwendung  des  biblischen  Stoffes  von 
David  und  Bathseba  in  englischen  Drama  (G.  Peele 's  l  David  and 
Bethsabe',  Ch.  W.  Wynne  'David  and  Rathshua',  St.  Phillips 
'The  Sin  of  David')  Konigsberg.  1905. 

6)  Critique  generate. 

W.  Winstanley.  The  Lives  of  the  most  Famous  English  Poets 
of  the  Honour  of  Parnassus.  1686.  p.  97. 

Anthony  a  Wood.  Athenae  Oxonienses.  1691.  (New  edition  by 
Phil.  Bliss.  London  1813-1820)  vol.  i.  fol.  688  ff. 

G.  Langbaine.  An  account  of  the  English  Dramatic  poets.  1691. 
p.  401. 

W.  Oldys.  Langbaine 's  Account  ac.  with  MS.  notes  by  W.  Oldys. 
1727.  p.  401. 

W.  M.  Chetwood.  The  British  Theatre,  containing  the  Lives  of 


BIBLIOGRAPHIE  litt 

tin1  Mndisli  Dramatic  Poets  willi  an  account  of  all  their  plays. 
i756.  p.  47. 

John  Berkenhout.  BiographiaLitteraria;  or  a  biographical  history 
of  literature.  Vol.  i.  from  the  beginning  of  the  5th  to  the  end  of 
the  46 lh  cent.  London  1777.  p.  403-4. 

Isaac  Reed.  Biographia  Dramalica.  Originally  compiled  by 
•I.  K.  Raker,  continued  by,  I.  Reed.  London.  1812  3  vols.  vol  i. 
p  564  f. 

Thomas  Campbell.  Specimens  of  the  British  Poets.  London  1819. 
1  roll.  \ol  I  p.  440  IF. 

Thomas  Warton.  The  history  of  English  poetry  from  the  close 
of  the  44th  cent,  to  the  commencement  of  the  48lh  century.  Lon 
don.  4  vols.  4824. 

J.  P.  Collier.  The  History  of  English  Dramatic  Poetry  to  the 
tin  it-  of  Shakespeare  and  Annals  of  the  Stage  to  the  Restoration. 
London.  1831.  3  vols.  vol.  iii.  494  ff. 

&  Chambers  Cyclopaedia  of  English  Literature.  Edinburgh. 
•J  \«»ls.  1844.  vol.  i.  478  ff.  (New  edition  by  David  Patrick.  London 
1904.  3  vols.  vol.  i.  p.  324  IT.) 

George  L  Craik.  A  Compendious  history  of  English  Literature 
and  of  the  English  Language  from  the  Norman  Conquest.  London. 
1861.  2  vols.  i.  p.  487489. 

//.  Tame.  Hisloire  de  la  Lillerature  Anglaise.  5  vols.  T.  2. 
Paris.  1863. 

J.  P.  Collier.  Bibliographical  Catalogue.  London.  1865.  2  vols. 
vol.  ii. 

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TABLE  DES  MATIERES 


INTRODUCTION 4 

LA  VIK  I,F.  PKKLE  (1558-1596?) 5 

L'OEUVRE  DE  PEELE 30 

4  La  Mise  en  Jugement  de  Paris' 31 

4  La  Potirsuite  d'Amour' 55 

'La  Ratailled'AIcazar' 62 

'Edouardl' 85 

'Un  Conte  de  Vieille  Femme' -107 

'David  el  Bethsab6e' 128 

Les  po^mes 154 

CONCLUSION 166 

APPENDICE  :  Peele  et  Du  Bartas 176 

BlBLIOGRAPHIE.                                                                                                       .       •  187 


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Cheffaud,  P.  H. 
George  Peele 


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