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juimi-uu .
GRAMMAIRE
DE LA LANGUE D'OÏL
OU
GRAMMAIKE DES DIALECTES FRANÇAIS
AUX xn« ET xm^ siècles
STJIVTB
D'UN GLOSSAIRE
CONTENANT TOUS LES MOTS DE L ANCIENNE LANGUE QUI SB TROUVENT
DANS l'ouvrage
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G.^Ff^iURGUY.
TROISIEME EDITION.
TOME n.
BERLm, 1882.
W. W E B E R.
PARIS,
MAISONNEUVE Se CH^
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TROISIEME CONJUGAISON.
Les verbes en oir sont ceux qui, dans la langue littéraire,
ont en général conservé le plus exactement les marques de la
conjugaison forte, à laquelle ils appartiennent presque tous.
DEVOIE (v. fo.), debere.
Les dialectes bourguignon et picard assourdirent en o Ve
long radical latin', et obtinrent les formes dovor^ devoir,^ tandis
que le normand conserva cet e, d'où dever, et dans les dialectes
mixtes, deveir.
D'après ces thèmes, on conjuguait le présent de l'indicatif
régulièrement fort:
BOURGOGNE. PICARDIE. NORMANDIE.
doi-, doi-, dei-,
doi-z, doi- s, dei-z,
doi-t, dol-tj \ dei-t,
dev-ons, o^ dev-omes, dev-um,
dev-eiz, dev-es, dev-ez,
doiv-ent doiv-ent deiv-ent
ou ou ou
doi - ent. doi - ent. dei - ent.
Ce tableau donne les formes les plus ordinaires , et, comme
on voit, la première et la seconde personne du pluriel avaient
un e radical, au lieu de Vo primitif, en Bourgogne et en
Picardie. On rejeta très -probablement l'o à ces personnes, parce
(1) Rien n'est plus faux que d'admettre une terminaison infinitive avoir. On pré-
tend , je le sais , faciliter par là aux enfants le mode de conjugaison des verbes en
oir; mais que ev fasse partie du radical ou do la terminaison, je ne vois pas com-
ment ils comprendont mieux le changement de ev en oi à certaines personnes du
prosent de l'indicatif, à la seconde du singulier de l'impératif et au présent du sub-
jonctif. On m'objectera !peut-être encore que le parfait défini est inexpliquablo en
prenant recev, dev, etc. pour radical. Je répondrai que la forme de ce temps est fort
indifférente, puisqu'on le considère dans nos grammaires comme un temps primitif. —
Les grammairiens qui ne reconnaissent que la véritable terminaison oir, tombent dans
une erreur plus gi-ave encore en regardant ev, oi, dans les verbes devoir, redevoir,
et les composés de capere, comme faisant partie de la terminaison. Ev appai'tient au
radical, et oi, qui représente l'e de la syllabe ev devant les terminaisons légères, n'en
peut par conséquent être séparé non plus. Il y a, dans la langue littéraire, syncope
de la consonne terminative du radical aux ti-ois personnes du singulier du présent do
l'indicatif, et à la seconde do l'impératif; voilà tout. (Cfr. mouvoir, vouloir.)
Burguy, Gr. do la langue d'oïl. T. IL Éd. III. 1
"Z DTJ VEKBE.
qu'on craignait que cette large voyelle pleine ne donnât trop
de valeur au radical, et puis l'inaccentuation de Vo favorisait
l'affaiblissement en e. Dès la fin du XII'^ siècle, Ve repoussa
Vo, et, durant tout le XTTT^, les formes en e radical furent,
pour ainsi dire, les seules en usage à ces personnes. Les
provinces du sud -ouest de la langue d'oïl qui faisaient un
fréquent emploi de l'o, comme on l'a déjà observé souvent,
continuèrent à se servir de Vo radical.
Au lieu de deà, deït, deient, on trouve quelquefois, en Nor-
mandie, de%, det^ deeht, c'est-à-dire des formes non renforcées.
Dans la Touraine, le Maine et l'Anjou, on écrivait dai.
Quant à doivent, dotent^ deivent, deient, il faut remarquer que
les textes les plus anciens emploient doient, deient, beaucoup
plus souvent que doivent^ deivent. Boivent^ du reste, s'est fixé
plus tôt en Picardie qu'en Bourgogne; et, d'autre part, deivent
a devancé doivent dans son emploi général. Après 1250, les
formes pleines avaient prévalu, sans toutefois exclure celles où
il y avait syncope du v, surtout en Bourgogne.
Certes , se je nel vange , j'an doi avoii* le tort (Ck. d. S. E, 63.)
Mais par Mahon à cui jo . doi servise,
Ains que soit hiii la bataille conquise
I ferrai je de m'espee forbie. (0. d. D. v. 1714-6.)
Cume li reis le sout e veud les out, parlad al prophète, si li dist:
JDei jo ceste gent ocire , bel père ? (Q. L. d. E. IV, p. 368.)
Hom sui Eollant, jo ne li dei faillir. (Cb. d. E. p. 32.)
Ben dai mûrir pur sue amur. (Ti'ist. II, p. 97.)
Guiteclin, fait il, sire, tu ne doiz pas atandre.
(Ch. d. S. I, p. 106.)
Ice doiz tu savoir touz dis,
Ces oboses sunt senefiance,
Qu'en fera de toi remembrance. (E. d. S. G. v. 914-16.)
Que li dois tu plus demander
Ne mais que sol tes bom deviegne
Et des Eomains sa terre tiegne. (Brut. v. 4887 - 9.)
Des ore fai çou que tu dois. (FI. et Bl. v. 1009.)
Donc me deiz tu por Dieu aidier. (Cbast. XTV. v. 153.)
Sire midt te deiz esforcier . . . (Ben. v. 6673.)
Yeies mult te covient garder.
Ne t'en dez pas aseurer
Del reaume qu'as à tenir
Qu'i ne le fessait à toUr ... (Ib. v. 20459-62.)
Chaitivel et maie est lor conversations, mais pitiet doit om avoir
de la subversion de ton peule. (S. d. S. B. p. 556.)
En ses oyvres doit mostrer li prelaiz ke tôt ceu ne doit om mies faire
qu'il ensaignet à ses disciples estre contraire à lor salveteit. (Ib.p.570.)
DU VEKBE. 6
Vers Damedeu ne doit mms guerroier. (G. d. Y. v. 992.)
Sire, Sire, ne te deit pas huem cuntrester, mais tu deis les
orgueillus abatro e defulor. (Q. L. d. R. HE, p. 301.)
Quan Deus venistes querre , estre vus dait le melz. (Char. v. 168.)
Menbrer vus dait, dame raïne,
Cum je guarri par la meschine. (Trist. II, jd, 106.)
Dont devons nos grant estre entre toz ceaz d'Orient. (M. s. J. p. 497.)
Qai* par celui Seignor que nos devons proier,
Mar direz à Berart qi li doie enuier. (Ch. d. S. I, p. 227.)
De Desier vos devomes canter, (0. d. D. v. 5028.)
Saul nus deprienst felenessement; pur ço si devum depriendre ces
ki sunt de sun lignage, que neis im n'i remaigne en tute la terre de
Israël. (Q. L. d. E. n, p. 201. 2.)
Pui- nostre rei devum nus ben muiir. (Ch. d. R. p. 45.)
Cornent, fait dune li quens, puet estre deturne.
Quant vus li devez fei , humage e iigee ? (Th. Cantb. 27. v. 23. 4.)
Qui est il, Helissant, nel me devez noier? (Ch. d. S. I, p. 112.)
Et d'alti-e part molt les atruevet om pis quant il doient rezoyvre
la cure des ainrmes. (S. d. S. B, p. 556.)
Et par droit doient aleir à perdicion tuit cil ki à sa semblance
(del diaule) parmainent ensemble lui on pechiet. (Ib. p. 525.)
Mais tel manière d'oille ne doivent mies doneir les saiges, car
coment feroient eles à altrui ceu k'eles ne welent mies c'un facet à
aies? (Ib. p. 564.)
Desous moi ai maint chevalier
Et gens qui me doivent chérir. (E. d. M. v. 546. 7.)
Lors li respont li gentis Olivier;
Dist tel parole ke molt fist à proisier:
Tuit chevalier l'en doient tenir chier. (G. d.V.v. 2294-6.)
Mande que bien consentireit
Al rei (que ja nel desvoudreit)
E à François qu'au plait nome
Là ù deivent estre assemble
Yienge: Ce me plàist e agrée. (Ben. v. 6571-5.)
Quant sainz Thomas les het, tuit les deivent hair.
(Th. Cant. p. 43. v. 25.)
Cum il deent plus deffendre qjie travailler. (Roquefort I, p. 334. cl.)
Le présent du subjonctif avait pour formes:
BOURGOGNE.
PICARDIE.
NORMAOT)IE.
doie,
doie, doive,
deie, deive.
doies,
doies, doives,
deies, deives.
doiet, doie,
doiet, doie, doive.
deiet, deive,
doiens,
doiemes, doiomes.
deium.
doieiz,
doies, doiies,
deiez,
doient.
doient, doivent,
deient, deivent.
4 DU VERBE.
Doive n'a pas été employé dans le dialecte bourguignon pur
durant tout le XnP siècle, et ce n'est guère que vers 1285
et 1290 qu'il se montre un peu fréquemment en Picardie.
Avant 1250, au contraire, deive était déjà d'usage en Normandie,
néanmoins deie continua d'y prévaloir jusqu'à la fin de l'époque
qui nous occupe. Il faut en outre observer que les formes en v
n'eurent cours, pour les deux premières personnes du pluriel,
que longtemps après le XIII'' siècle.
Comment que longue demeure
Aie faite dô chanter,
Ore est bien raison et heure
Que m'i doie retorner. (C. d. C. d. C. p. 28.)
Eobers ne vaut mie tant que je vous doie conter plus de lui. (H.
d. V. 510 «ï.)
Certes ne sai que faire deie,
Mais sur tute ren vus désir. (Trist. Il, p. 79.)
Une ne fis evesque sacrer
Nul dunt me deive tant penser. (Ben. v. 39609. 10.)
Es tu tant gentix hom que doies cest mestier
Tenir sanz mesprison, sanz mon pris abaissier?
(Ch. d. S. n, p. 171.)
Biaz fiz, il cuident, tôt de voir,
Que tu doies faire de mi,
A la cort, ton millor ami. (Dol. p. 200.)
Dux, funt il, ce n'a mestier;
Ne co vient mie issi laissier
Sole en travers ceste cite,
Ne n'îes uncor pas de l'ae
Qu'à tel ovre deies eissir,
Nel porriom pas consentir. (Ben. v. 19794-9.)
Vausaus, fait il, laisies vostre vanter;
Porter l'en cuit, cui k'en doie peser,
En l'ost le roi, ke jai n'iert trestorne. (G. d. Y. v. 671-3.)
Bêle, ce dist Partonopeus,
El siècle n'est nus hom carneus
Qui tant vos doie com je doi.
Tant aves mis entente à moi. (P. d. B. v. 6859-62.)
N'i perdrat Caries li i^is ki France tient,
Men escientre, palefreid ne destrer.
Ne mul ne mule que deiet chevalcher. (Ch. d. E. p. 30.)
Cunj que l'ovre deie avenir,
Cest enfant avum fait seisir
Del ducheame. (Ben. V. 11505-7.)
Quant H quens Biertous sot que li Lombart estoient ensi pris, si en fu
moult lies, por chou que il cuide ore moult bien que, por els atendre et
por eus délivrer, lui doive on rendre Cristople. (H.d. V.p.216.XXVU.)
DU VERBE. 5
S'il nos font faire et otiiier par force chose que nous ne dotons,
en non Diu, la force paist le pre, et on doit moult faire pour issir
hors de prison. (Ib. p. 202. XYIY.)
Si sages hom, si gentix sire,
Comme tu es, com osas dire
Que nous doions serf devenir
Qui n'avons apris à servir, (Brut. v. 4019-22.)
Et est contenut, ke pour aide ke nous doiens faire au duc, ne nos
gens, nous ne devons aleir sur fief contiengue, ki mueuve de nous, ne
li dus ne ses gens aussi, pour aide qu'il nous doivent faire. (1287.
J. V. H. p. 450.)
.... Et quant que on porra trouveir ki apartiegne à le parrie de
Liège .... ke nous doyemes tenir del eveske et del église de Liège,
nous le en relèverons et tenrons (1283. J. v, H. p. 421.)
Ja Dex ne le voelle avenir
Qu'ensi vif doionmes périr! (E. d. M. p. 66.)
Où estions nos donc aie
Dont deion estre retorne? (Chast. XYIE. v. 116. 7.)
Et ne savon terme nommer
Combien i deion sejorner.
Et ensorquetot ce nos dit
Un saives hom en son escrit.
Que por l'autre siècle devon
O^Tor comme se quidion
Maintenant de vie sevrer. (Ib. XXIŒ. v. 149-55.)
Puis que tel chose volons faire.
Comment nous poriies retraire
Que vous aidier ne nous doiies. (E. d. M. p. 70.)
Ma fille, vous respondes bien,
Et je ne vous dirai ja rien
Que ne doies faire pour moi. (E. d. 1. M. v. 518-20.)
Ne cuit que por joster refuser me doiez. (Ch.d.S.II,p. 172.)
Jeo ne sui mie si surpris.
Ne si destreis par nule guerre
Que de ceo me deiez requerre. (M. d. F. I, p. 110)
Je trouve, en Bourgogne, dotge au lieu de doïe:
Il s'en doit souiîrir, si nos et li sires de Grance regardons por
droit que il s'en doige suffrir. (1269. H. d. B. H, 33.)
Je passe au parfait défini, qui avait la terminaison uï^ et
je vais indiquer en détail, pour n'y plus revenir, le mode de
flexion des parfaits de cette classe.
BOUEGOGME. PICARDIE. NORMANDIE.
dui, dui, duc, dui,
deûs, deûs, deûs,
duit, dut, dut, diut, dut (dout),
b DU VERBE.
deûmes, deûmes, deûsmes, deûmes.
deûstes, deûstes, deûstes,
durent. durent, diurent. durent (dourent).
Au lieu de ui^ on trouve oi dans quelques verbes. (Voy.
'pouvoir})
Ut, urent étaient souvent remplacés par out, ourent^ surtout
dans les dialectes du Maine, de l'Anjou, du nord du Poitou et
de la Tonraine; ou est, dans ces contrées, la traduction ordi-
naire de Vu normand. Je dois cependant faire observer qu'on
trouve aussi quelquefois ou aux formes qui ont d'ordinaire eu.
(Y. ci -dessous Imp. du subj.)
Dans le Hainaut et la Flandre orientale , on préposait géné-
ralement un i à Vu, vers le milieu du Xlir siècle.
La forme uit est du dialecte pur de la Bourgogne; elle eut
cours jusqu'à la fin du XIII^ siècle; mais, après 1250, on la
voit reculer rapidement devant ut^ qui était la forme de la
plus grande partie du dialecte picard et de la Normandie.
Les verbes de cette classe, qui avaient au radical un e
devant la consonne finale, formaient souvent leur parfait défini
de la même manière que la participe passé, c'est-à-dire que
la consonne finale se syncope et que Ve reste devant Vu à
toutes les formes, excepté à la première personne du singulier,
(cfr. p. 9 t. n.) Ce mode de conjugaison du parfait défini était
surtout en usage dans la Picardie occidentale, l'est de la
Normandie, l'Anjou, le Maine et la Touraine. Les S. d. S. B.
fournissent aussi plusieurs exemples où Ve est conservé, ce qui
semblerait prouver que ce mode de conjugaison a été le primitif
pour les verbes de cette espèce.
Après 1250, il n'est pas rare de trouver un s intercalaire
à la forme ut: ust; ce qui, en certains cas, rend fort difficile
la distinction du parfait défini et de l'imparfait du subjonctif.
Les verbes dont le parfait défini était en m, avaient pour
formes à l'imparfait du subjonctif:
BOUEGOGNE. PICARDIE. NORMANDIE.
duisse, deusse, deusse, deiusse, deuisse, deusse, (dousse),
duisses, deusses, deusses, deiusses, deuisses, deusses,
duist, deust, deust, deiust, deuist, deust,
duissiens, deussiens, deussiemes , deiussiemes, deussium,
deuissiemes,
duissieiz, deussieiz, deussies, deiussies, deussiez,
deuissies,
duissent, deussent. deussent, deiussent, deussent.
deuissent.
DU VERBE. /
La forme msse n'a été en usage que dans la Bourgogne
proprement dite, où elle fut de bonne heure remplacée par eusse,
à l'exception de la troisième personne du singulier, qui conserva
ordinairement uïst jusque dans la seconde moitié du Xin** siècle.
La forme emsse était celle du Hainaut et de la Flandre
orientale, dans la seconde moitié du XIIF siècle: eiusse celle
de l'est de la Picardie, à la même époque.
IJusse avait cours dans la Normandie et toutes les provinces
de la langue d'oïl pour lesquelles je n'ai mentionné aucune
forme particulière. Ousse le remplaçait quelquefois dans les
dialectes qui se servaient de out pour ut. Les provinces en
question connaissent encore aujourd'hui le changement de eu en
ou, très -fréquent dans les dialectes de l'ouest de la langue d'oc.
Tout à la fin du XILP siècle, on trouve les formes incorrectes
deu«^ist, duw^ist, etc. qui devinrent plus tard assez communes.
Au Xin® siècle, on rencontre déjà, en Normandie surtout,
des exemples de usse, c'est-à-dire de la forme avec élision de
1'^, qui a prévalu dans la langue fixée.
Exemples ^
Ke vos dui je faire ke je ne vos fesisse. (S. d. S. B. p. 559.)
Quere vus dui al os le rei
Vostre sennur, ke je ci vei . . . (Trist. Il, p. 108.)
Mais dès c'ime feiz l'oi vestiie (la chemise),
Ce qui jus à la terre entoche,
Ne dui torner vers vostre boche:
Je feisse laid e folie. (Ben. v. 31465-8.)
Bien .xv. cierges avoit fait alumer,
.X. chevaliers avoit fait adouber,
Ke tote nuit fist le conte guarder
Jusc' al demain ke il duit ajorner. (G. d. V. v. 963-6.)
Eois, fait il, .i. damoisiax fut
Ki par noblesce et par vei*tut
Duit bien estre apellez gentiz. (Bol. p. 263.)
Quis furent et pris entreset,
Jugie furent par loi honnieste
Que cascuns diut perdi*e la tieste. (Phil. M. 4333-5.)
Celui endoctrnina h quens
E enseigna que il dut dire;
N'i besoigna seel de cire. (Ben. v. 21083-5.)
Mais si tost conme nos peumes
Ço en fesimes que deusmes. (P. d. B. v. 3819. 20.)
Quant nous deusmes as Sarrasins j ester,
Yi la bataille mervillose mortel,
(1) Je renvoie aux verbes mouvoir j hoire, connaître, gésir, savoir, etc. pour les
preuves des formes q^u'on ne trouvera pas ici.
8 DU VEBBE.
Je m'en tornai, n'i osai demorer. (0. d. D. v. 882-4.)
Ahi! Yseut, bêle figure,
Com âeustes por moi morir
Et je redui por vos périr. (Trist. I, p. 61.)
Cil se coukent qui dormir durent. (E. d. 1. Y. v. 1689.)
A Gaumerei, n'i out tarjance, | Oï messe li reis de France
Le jor qu'il durent assenbler. (Ben. v. 33266-8.)
Quant il moru dolant en furent
Toutes ses- gens, si com il diwent. (PMI. M. v. 268. 9.)
Toz les manjait an tel manière,
Et si me fist de touz mangier,
Par poc ke ne duisse enragier. (Dol. p. 241. 2.)
Or m'estuet armes endoser
Et jou deuisse reposser. (Pliil M. v. 8700. 1.)
Voir je ne m'en donnoie garde
Que je deusse anui avoir. (R. d. 1. V. v. 3934. 5.)
Je cuidoie que tu deusses
Chaiens longhement demeurer. (Ib. v. 5045. 6.)
Funt il: Mais tu deusses venir plus sagement;
D'altre seignur deusses aveir avoement.
(Th. Cant. p. 121. v. 27. 8.)
Et qui seroit nuls ki osast dire k'ele (la creatui-e) por ceste imper-
fection ne duist venir à salveteit? (S. d. S. B. p. 544.)
Haibiers moru par une gierre,
Et Dagobiers si ot sa tierre,
Car il n'avoit feme ne oir;
Ki ses ricies deuist avoir. (PMI. M. v. 1368-71.)
Et pour çou k'il n'avoient oir
Ki leur tiere deuist avoir
Si revint l'onor, ce trueve on,
A lor frère, le roi Charlon. (Ib. v. 12517-20.)
Nous . . . faisons savoir à tous , ke comme . . . . li rois de France , en
sen dit ... . adjoustast et desist ke nobles hom et nos cMers sires Guys
nous acquitast .... de quatre mil mars de Brabançons , por le paine
dont nous encheimes, en l'ocoison dou mariage, ki deiust estre fais de
no fil et de le fille mon seingneur Godefroid .... (1289. J.v. H. p. 512.)
Semblant vont faire e demostrer
Que mult par l'en deust peser:
Si deust il sor tote rien,
Kar rei le fist, ce set l'om bien. (Ben. v. 12813-6.)
Toz jors deust uns preudon vivre.
Se mort eust sens ne savoir.
S'il fust mors, si deust revivre,
Ice doit bien cbascuns savoir. (Eutb. I, p. 89.)
Li quens Eollans nel se doust penser. (Ch. d. E. p. 15.)
DU \^EBE. 9
A loy deussiom nos voirement anzois aleir qu'il venir à nos. (S.
d. S. B. p. 526.)
Bien deussons, si com moi samble,
Ens en un jor issir de vie,
Se la mors fust à droit partie. (FI. et El. v. 722-4.)
Ti-op en est granz vosti-es li torz
C'umquor vos vei ci ajuer
Son cher fiz à deseriter,
Qui ja ne deusseiz faillir
Jor, por vivre ne por morir. (Ben. v. 16199-16203.)
Beussiez dire c'en lor donnast mangons. (A. et A. v. 254.)
Ha! fait il à chelui, maintenant
Ne deuscies pas estre chi. (L. d'I. p. 24.)
Vous me deuissies ensaignier,
Et de vos bons livi'es laissier. (E. d. S. S. v. 1835. 6.)
Nel dusez ja penser par si grant legerie. (Charl. p. 27.)
Ki ço jugat que dousez aler.
Par Charlemagne n'ert guariz ne tensez. (Ch. d. R. p. 15.)
Vos le doussez esculter e oir. (Ib. p. 18.)
Dunkes, solimc sa davant aleie vie, deusseyit il ses paroles cui il
ne pooient entendre penseir, et nel deussent mie por les presenz tlaialz
blameir, mais por sa vie redoteir et ne deussent mie encontre lo flaeleit
juste elleveir. (M. v. J. p. 475.)
Seignors, oez queu desleignance
E quel orguil osent mander,
Qu'il ne deussent sol penser. (Ben. v. 8535 - 7.)
En tôt le mont n'en a ducheaume
Ne terre en siècle ne reaume,
Qu'em le deust vers eus défendre,
Qu'à force ne deussent prendre. (Ib. p. 35261 - 4.)
Et commanda s'ariere garde
Eollant, ki ne s'en prendoit garde
K'il deuissent avoir anui. (Pbil. M. v. 6764-6.)
E depeschad le serpent de araim que Moyses fist faii-e pur ço que
la gent jesque à cel tens li ourent ported révérence plus que faire ne
dussent e fait oblatiuns. (Q. L. d. E. IV. p. 406.)
Le participe passé uit, ut, ud, u, des verbes de la classe qui
nous occupe , remplaçait ordinairement la terminaison latine ïttis.
La flexion, comme je l'ai déjà dit, s'ajoutait au radical après
la syncope de la consonne finale: 'deûf, receud, deû, receû, etc.
L'élision de 1'^, qui représentait la voyelle radicale, était déjà
assez fréquente à la fin du Xn!*" siècle; aujourd'hui elle a
toujours Ueu. Au lieu de w, on trouve ou dans les provinces
qui avaient un défini et un imparfait du subjonctif en ow, au
lieu de u, eu,.
10 DU ^^IRBE.
Yoici des exemples des formes de l'imparfait, du futur et
du conditionnel du verbe devoir. Ce que j'ai dit de l'emploi
de Ve au lieu de o, en Bourgogne et en Picardie, aux deux
premières personnes du pluriel du présent de l'indicatif, s'applique
aux formes de ces temps.
De ci ne me puis eslongier,
Se g'i dévoie ore estre pris,
Les menbres perdre u estre cois. (P. d. B. v. 1212-14.)
Por U est CDU que jeu pensoie
A cest mangier et souspiroie,
Et por içou que ne savoie
Quel part jou querre le dévoie. (FI. et Bl. v. 1331-4.)
Al païs me estoit ariver
Ke jo deveie plus duter. (Trist. II, p. 105.)
Li reis demanda e enquist
Que deveit e que ceo fu. (M. d. P. I, p. 128.)
Sire, se Jliesus me gart d'ire,
Li chastelains moru en mer;
Si com deviens dechà passer.
Qu'il fu trais ou païs delà
D'un quarel si qu'il dévia. (K. d. C. d. C. v. 7964-8.)
Li autre villierent et burent
Qui gaitier celé nuit dévoient
Duscb'al demain que le joui- voient. (R. d. 1. V. p. 85.)
Li reis selonc ce l'apela | Que il esteit et henora.
Et tuit cil qui o lui esteient,
L'enorouent com il deveient. (Cbast. XV9n. v. 11-14.)
Qant lave auras,
Ja mar puis rien atocheras
Fors ce que tu devras mengier. (Ib. XXII. v. 171-3,)
Forment cremoit en son corage
Que quant ses fix ert en eage
Que feme devra espouser.
Que ne s'en puisse déporter (de l'amour da Blanceflour.)
(FI. etBl. V. 275-8.)
J'en penserai si del merir
Ne vous en devrois repentir. (R, d. S. S. v. 303. 4.)
Morir devroie laidement. (R. d. 1. Y. p. 174.)
Contre deus bomes drveroies conbatre;
Es tu venus prendre à Ogier bataille? (O.d.D.v.8736.7.)
Et du me redevroies dire,
Quex bom tu ies et que tu quiers. (Romv. p. 526. v. 5. 6.)
Bien t'en devreies repentir. (Ben. v. 34932.)
Et se il ne le mettoit dans les buit joui*s, et plainte en venoit, il
nos devrait sexante sols d'emende. (1288. M. s. P. n, p. 552.)
DU VERBE. 11
On vous devrait ardoir en cendre
Con laron qui enble par fosse. (Poit. p. 23.)
Bien lor devriens faire le premier avantage. (Ch. d. S I, p. 101.)
Oïr devrions et veoir,
S'il es auques de grant savoir. (E. d. S. S. v. 479, 80.)
Bien li devriez faire ço qu'il vus ad preie. (Th. Cant. p. 5. v. 5.)
Vous vos deveries pener
De vostre ami reconforter. (R. d. C. d. C. v. 7312. 3.)
Por ce si devriiez entendre
A revengier et à deffendre
La terre de promission. (Rutb. I, p. 92.)
Cil le devraient bien par raison commencier. (Ch.d. S.II, p. 37.)
Le V du futur et du conditionnel a-t-il toujours eu le son
de la consonne? Je ne le pense pas; dès le milieu du XLŒ^
siècle, il doit s'être prononcé en voyelle dans une grande partie
de la Picardie, dans la Touraine et l'Anjou, c'est-à-dire dans
celles de nos provinces qui favorisaient le son large eu. Au
XIY® siècle, cette prononciation devint générale, pour ainsi
dire, et plusieurs de nos patois l'ont conservée.
Le composé redevoïr, qui aujourd'hui ne s'emploie que dans
le sens de: Mre en reste, devoir après un compte fait; était
autrefois en usage dans toutes les significations de devoir:
Or s'en redoit en France retomer. (A. et A. v. 102.)
Yoy. ci- dessus redui^ redevroies.
Yoici quelques exemples des formes où Vo du thème dovoir
a été conservé.
Vous doveiz bien estre e&aieie de cel forment qui est avenuz à
vostre peire et à vostre meire. (Eomi^ p. 365.)
Por ceu mismes si vint il petiz à nos, qu'il la miséricorde nos
donast, et ke li miséricorde, ki davant seroit doneie, atemprest lo
jugement ki dovoit venir en la fin. (S. d. S. B. 537.)
Tu me doveroies.^ ce di saint Johans, baptiier et tu viens à mi.
(S. d. S. B. p. 552.)
On trouve enfin des thèmes avec a radical, au lieu de e,
dans le Comté de Bourgogne et la Franche -Comté. Voy. Voir,
futur.
Après l'époque qui nous occupe, on remonta de nouveau
au latin deiere^ c'est-à-dire qu'on rétablit irrégulièrement le b
à côté du V, qui le représentait déjà; d'où les formes: debvoir,
doihs, doiht, delvons^ debvez, doibvent; doibve^ debvoie^ etc.
12
T)TJ \'ERBE.
La conjugaison de devoir peut, en général, servir de para-
digme pour les verbes formés des composés de eapere: con-
cevoir^ faconeevoir) ^ décevoir^ percevoir^ apercevoir, recevoir^ et
pour le vieux mot mentevoir, avec ses composés amentevoir,
ramentevoir. Tous ces verbes appartiennent à la conjugaison
forte.
Cependant ces verbes ont, dans l'ancienne langue, quelques
particularités qui exigent des explications.
L'état de mobilité continuelle où étaient des dialectes au
Xm^ siècle, n'avait pas encore permis de fixer d'une manière
invariable la forme infinitive de cette classe de verbes. A la
fin du XII^ siècle , on trouve quelques exemples où les composés
de eapere ont conservé leur i radical latin: ce sont de purs
latinismes; mais qu'on y fasse bien attention, les bons textes
n'emploient jamais cet i dans les formes où le radical doit être
renforcé. A la même époque et durant tout le XIII^ siècle, en
Bourgogne et en Picardie, ils flottent constamment entre la
quatrième et la troisième conjugaison: recoivre^ recevoir^ recJioivre^
rechevoir^ etc. J'ai expliqué ces formes T. I, p. 205. Rem. 1.
La Normandie n'a connu que recever, recevre^ concever, con-
cevrez etc. qui devinrent receveir, receiveir, receivre, etc. dans
les dialectes mixtes. L'anglo- normand ajoutait un e aux termi-
naisons en er: recevere.
Ce que j'ai dit de rezoivre ou recoivre, recevoir, recever , etc.
s'applique exactement à amentoivre ^ amentevoir ^ etc.
La première personne du présent de l'indicatif n'ayant aucune
flexion, la forme des verbes de cette classe s'y terminait donc
par «?, finale du radical. Le v, en pareille position, se per-
mutait ordinairement en f, on le sait; d'où les formes re%oif,
receif , etc. qui sont très -communes. En Bourgogne et en
Picardie, on retrancha de bonne heure ce / au présent de
l'indicatif, mais on le conserva le plus souvent à la seconde
personne de l'impératif. Le dialecte normand, au contraire,
employa ces formes en / jusque dans le milieu du XIV® siècle.
A la seconde et à la troisième personne du singulier du pré-
sent de l'indicatif, le v se retirait devant la flexion.^
Le dialecte bourguignon écrivait ordinairement les composés
de eapere avec' % médial au lieu de c, quand il les rapportait
à la quatrième conjugaison: rezoivre, conzoivre, etc.; et ce z
reparaît à toutes les formes renforcées. Le dialecte picard
remplace le s ou le c par son ch.
(1) Les exemples d'une forme doij, de devoir, sont fort rares; le /'= v paraît s'être
retiré ici dès les premiers temps de" la langue.
DU YERBE.
13
Yoy. à la p. 6 t. II. une eemarque sur le parfait défini.
Exemples.
Duiikes oïr la repiinse parole , ce est concivoir el cuer l'aparlement
del saint Espir, cm senz failhe nuz ne puet savoir se cil non ki l'at.
(M. s. J. p. 477.)
0 cum est mervillouse li bonteiz et li miséricorde de Deu, ke par
defors enluminet à moens de celestiene clarteit celuy ki ancor nen est
convenaules de rezoivre la lumière par dedenz. (S. d. S- B. p. 556.)
Et si puet mettre son siergant pour recoivre le winnage. (1238.
Th. N. A. I, p. 1007.)
Dont passèrent tout outre sans domage recevoir. (H. d. V. 499*".)
.... Car il savoit bien que Marsiles et Balligans ne li gi-everoient
mie, ains s'apareleroient por rechevoir batesme .... (Cité ds. PMI.
M. I, p. 471.)
Je cuic quant de nous pai'tires
Autel loier emporteres
Com veu li aves rechoivre.
Dist Gerars: Bien puis apercîioivre
Que Mans parlers n'i valt noient. (E. d. 1. Y. p. 213.)
A prendre e recevere. (1268. Eym. I, 2. d. 109.)
E si nel font dedenz le tens devant dit, si puissent les appelanz
adonques retorner à nostre court, e receiver di'eit en nostre court.
(1286. Ib. I, 3. p. 8.)
Pur Deu vos pri, en seiez purpensez
De colps ferir, de receiver e e de duner. (Cli. d. E. p. 46.)
Eaites .c. mulz receivere d'or e d'argent trusset. (Charl, p. 9.)
Tut li baut prince e li meillor
I sunt venu mort reeeveir.
Pout l'om mais gent si deceveir? (Ben. I, v. 1678-80.)
E en la viz out fenestres à plented, pur le jur receivre e la clarted.
(Q. L. d. E. m, p. 247.)
Car se il ne navret l'entencion par sen premier enliortement, si
tend il à la fin dezoivre. (M, s. J. p. 447.)
L'empereres voit bien que Lombart ne le gaitent fors pour décevoir.
(H. d. Y. 509 ^)
Or donques che que tu vels di,
Sans moi dechoivre par tes dis.
Aussi com tu as fait tous dis. (E. d. M. p. 37.)
H parole par grant savoir;
Car sa dame velt dechevoir. (Ib. p. 19.)
Bien poe(e?)z percevoir, se n'estes aveuglez,
La contrée et le leu où il a conversez. (Ch. d. S. II, p. 15.)
Ce vous dirai ge maintenant.
Si que vous dires que di voir,
Se vous vous saves percevoir. (E. d. 1. M. v. 1413-15.)
14 DU VERBE.
Trois manières de sainteit poons apparzoivre en cez trois festes,
et la quarte ne cuiz je mies c'nm puist ligierement troveir ent toz les
sainz. (S. d. S. B. 542.)
Et si nos eswardons la cause de nostre exil, tost par aventure
porons aperzaivre par nostre esprueve mismes cum eovcnaule chose
soit ke nos fussions delivreit maimement par lo Fil. (Ib. p. 522.)
Le liu descuevre où le miel a
Eepus et la liqeur del lait;
S'asaie quel saveur ele ait,
Ensi con se rien n'en seust,
Qu' aperchevoir ne s'en peust
Auchun. (E. d. M. v. 1465 - 70.)
L'an ne doit sa proece mentevoir ne prisier. (Ch. d. S. I, p. 225.)
Por ce c'en ne doit mentevoir
Homme où il n'a point de savoir. (Eutb. Il, p. 124.)
Car M bien set si doit bien dire.
Et des biens a ramenteroir
Conquiei-t on proaice e savoir. (Phil. M. v. 16-18.)
Et des oevres St. Augustin
Ooit volontiers ramentoivre. (Ib. v. 2977. 8.)
Ce vos sai bien ci amenteivre
Dunt li covint mort à receivre. (Ben. v. 10739. 40.)
Ja n'orrez mais amenteveir
Ne n'ert jusqu' à la fin retrait,
Que issi très grant deslei fust fait. (Ib. I, v. 1364-6.)
Pur ço qu'um le seust, amentiveir li oi. (Th.. Cant. p. 85, v. 5.)
Sire, fait il, si jel reeeif,
Sai je meismes m' i deceif,
Que jeo nel aurai dunt tenir
Ne dunt fermer ne dunt garnir. (Ben. v. 11916-9.)
Eespundi Berzellaï: Sire, sire, vielz hum sui de quatre vinz anz,
ne sui aised des ore à ester à cui-t, ne me aperceif pru que est dulz
e que amer. (Q. L. d. E. Il, p. 195.)
Aparceif (Ib. I, p. 78.)
Tu voiz, et par sois, et entens
Le meschief de la sainte terre. (Eutb. I, p. 126.)
Lors fu H bers à mort jugies,
Se ne se perchoit li chevaliers,
U eurs ne l'en fait revenir. (L. d'I. p. 14.)
Tut qyji'aperceit e conoist bien
Perdre poent al aseger
Assez plus tost que gaainnier. (Ben. I, v. 1358-60.)
Ensi soutilment les déchoit. (E. d. M. p. 58.)
Car en sa remembrance conzoit li pechieres espérance de pardon.
(S. d. S. B. p. 554.)
DU VEKBE. 15
Es funz entre , mais rien n'i prent | Fors à s'aime desti'uiement,
N'i receit point del baptestire
Quant ne s'amende, ainceis s'empire. (Ben. I, v. 1535-8.)
Si nos disons ke nos pechiet nen avons, nos decivons nos mismes
et veritez nen est mies en nos. (S. d. S. B. p. 540.)
Car en tant com nos recivons les deleiz, si nos temprons nos moins
des choses ke il ne loist. (M. s. J. p. 503.)
Si est ceste parole clameie repunse , car senz faillie ce k'un pau d'olliz
reçoivent en lui" cuers ne seit la très grant partie des hommes. (Ib.p.477.)
Si tu ton airme aemplis del sostenement de la parole de Deu, et
tu feolment et par tel dévotion cum tu pues, ancor ne soit ele mies
digne, rezois celuy pain ki de ciel dexendit. (S. d. S. B. p. 534.)
Tuit t'unt par mei merci crie,
Que tu lor cors e lur servises
Des or en avant ne despises,
Mais receif les cume tes serfs
Yers tei offenduz e pui'vers. (Ben. v. 8779-83.)
Mais ki me frad juge que jo receive bonement ces ki unt parole à
mustrer , e jo frai dreitui-e a tuz amiablement e dulcement. (Q. L. d.
E. n, p. 173.)
Que il reçoive droit en nostre cort. (M. s. P. I, p. 555.)
Héraut Herfagan a requis ....
Qu'en pais le consente e receive
Si qu'il nel engint ne deceive. (Ben. v. 3G845. 8. 9.)
N'est mes nus qui le ramentoive. (Eutb. I, p. 79.)
Li baron descendirent à la tante tôt droit
Où la bêle Sébile molt doucement ploroit
Et les faiz son seignor sovant amentevoit. (Ch. d. S. II, p. 86.)
Or si vos en volez retraire,
Gel connois bien à cel senblant,
Que vos en alez repentent,
Orainz m'apercui au plorer,
Quant vos de lui volez parler.
Et s'en atendez ma requeste. (P. d. B. v. 6436-41.)
Moult me gaii soef ma plaie
Que je recui en Cornuaille. (Trist. I, p. 219.)
Plus de vingt rois ai conquis en bataille.
Aine mais par nul ne recJiui tel damage. (0. d.D.v. 2970. 1.)
Ma char receut, ne mies la char Adam, c'est celei cui Adans ot
davant la colpe. (S. d. S. B. p. 547.)
Meint malade e meint contreit,
Meint fevros e meint engrotie
Beceut pai* cel oille santie. (St. N. v. 1365 - 7.)
Vint en Ebron od vint cumpaignuns, e David le récent od grant
honur e à cunvivie, lui e ses cnmpaignuns, (Q. L. d. E. II, p. 131.)
16
DU VEKBE.
Puis s'en va son gage porter;
Pépins le rechut sans fauser. (Poit. p. 47.)
Li vesques M fu de bon non,
Yoiant tous, en reciut le don
Ki moult fu Maus (Phil. M. v. 1090-2.)
Entra ens
Segurement, il et ses gens.
Conques om nés perciut en ost. (Ib. v. 4524-6.)
Souvent repairoit en l'ostel
Cheli qui folement se cuevre,
Tant k'il apercJiut toute l'uevre, (L. d'I. p. 19.)
Uns chevaliers de Hielemes qui Lyenars avoit nom, preudom
durement et de grant pooir, perchut l'orgueil et le beubant qui iert
en eulx. (H. d. Y. p. 171. n.)
Mes, par la fei nostre seignur | Jhesu Ciist nostre creatui-
Que par baptesme receumes.
De di-eite créance, e eûmes. (M. d. F. Il, p. 477.)
Et tant de celé guerre eustes
Que .V. plaies en receustes
En la crois ù fustes ficies
Et d'un glave on coste percies. (P. d. L. M. v. 1133-6.)
Ensi soffeist as innocenz à sainteit li martyres qu'il por Deu
receiirent. (S. d. S. B. p. 543.)
Li fol pruveire ne receurent le cbastiement, karDeus les volt ocire
e faire vengement. (Q. L. d. P. I, p. 9.)
Là fors sunt curuz li plusurs e asquanz,
Beceurent les destrers e les forz mulz amblanz. (Cliarl. p. 14.)
Tant i ont endure cil do françoise geste
Que molt sont esmaie et reçurent grant perte.
(Ch. d. S. n, p. 114.;
Si les reciurent vistement
Et combatirent fièrement. (Phil. M. v. 6910. 11.)
Tuit le reciurent à signer,
Et li portèrent grant ounor. (Ib. v. 13581. 2.)
Eranc les perçurent, as armes sont saiUi. (O.d.D.v.7007.)
Li prestres de mal cuer sorrist
Pour la merveille de cel homme
Que chascune des dames nomme;
Onques autrui n'i ramenturent, (L. d'I. p. 13.)
Mult me requist, bel me priât
K'en ma g-uarde vus receasse. (Trist. II, p. 120.)
Jo quidoue que il en eisist e jesquo à mei venist o tucliast ma
liopre do sa main, e à sim Deu feist sa ureisun, e si reehnsse guarisun.
(Q. L. d. R. IV, p. 362.)
DU \t:rbe. 17
Là requistrent le marcMs Boniface qu'il preist la crois , et qu'l pour
Dieu receuzt la seignorie de l'ost, et fust el lieu Thiebaut de Champaigne,
et preist son avoir et ses homes. (Yilleli. p. 14. XXYII.)
C'on ne perciust de son iestre. (Phil. M. v. 28448.)
Dun ne sez que pur ço i vint (devant tei) , qu'il de deceust et seust
tes privetez, e quanques tu fais? (Q. L. d. K. II, p. 131.)
E ne fust pas liverez li argenz par cunte as cliamberlains, mais
receussent e despendissent sui- lur leelted. (Ib. IV, p. 423.)
Si guerpis ta créance et laisse vostre loi,
Avec moi t'an vanras, si recevras ma loi. (Ch. d. S. Il, p. 177.)
Nous avons enconvent, ke nous ne recheverons, ne souferons àreclie-
voir nulle des gens le duc à bourgois, en nos bourgesies.
(1287. J. V. H. p. 450. 1.)
Ci receveront les granz loiers
Qu'avoir doivent bons chevaliers. (Chr. A. N. I, p. 198.)
Qui famé voudroit décevoir
Je li faz bien apercevoir
Qu'avant décevrait l'anemi.
Le deable, à cbamp arami. (Rutb. I, p. 295.)
Mais il n'en aront ja solas,
Ains en sera Jakes decheus,
Tristres , dolens , correchies et mus. (E. d. M. d'A. p. 3.)
Quant Mabons a apercheu
K'il a sa dame decheu
Grant joie a en son cuer mené. (E. d. M. p. 50.)
Cume li reis EzecMas out receud cez lettres , sis out oies , erranment
en alad al temple. (Q. L. d. E. IV, p. 413.)
0 parole brief et plaine , parole vive et fructifianz et digne k'ele tôt
par tôt soit receiie! (S. d. S. B. p. 558.)
Et bien sachiez que qui pour Dieu en cestui besoing morra, s'ame s'en
ira toute florie en paradis, et cil qui vis en escapera, sera tous les jours de
sa vie hounoures et remanteus en bien après sa mort. (H. d. Y. 495 ^.)
Ne ja n'i ert ramanteuz. (Brut. I, XL V 111.)
Le covenant son père li a amanteu. (Ch. d. S. I, p. 137.)
On trouve aussi le participe sans e:
Ignaures, tu nous as bien déchûtes,
Tant con en sommes aperchutes. (L. d'I. p. 18.)
Où voit Gérard, se li ait ramantu. (G. d. Y. v. 317.)
Je ferai enfin remarquer le composé %^ entrerecevoir:
Et quant il fu dedens, tantost
Apres lui l'uisset on reclost,
Et s'en vint où sa dame estoit
Qui en sa chambre l'atendoit,
Et s' entrereçurent en joie. (E. d. C. d. C. v. 4047 - 51.)
Molière s'est encore servi de ramentevoir: Ne ramentevons
rien, et réparons l'offense.
Burguy, Gr. de la langue d'oïl. T. II. Éd. III, 2
lÔ DU VERBE.
CHOIR (v. fo.), cadere.
La forme primitive de ce verbe a été : en Bourgogne , chaor^
et dès la fin du XII® siècle, chaoir; dans le nord -est de l'Ile-
de- France, caoir^ vers le centre et le sud- est de cette même
province, au XIII^ siècle, chaoir^ cheoir ; en Normandie, caer^ en
s'approchant de l'He- de -France et de la Picardie, caeir^ chaer;
dans le Maine, l'Anjou, la Touraine, chaeir^ chaair; dans le nord-
est du dialecte picard, keir; Iceoir, dans le Hainaut, au milieu du
Xm*" siècle; cair et chair, dans le Yermandois ; dans l'ouest de
la Picardie propre, cheir, qui, en passant dans les textes nor-
mands, reprit Va primitif et y devint chair.
Cil mismes M ester vuelt ancor ne lacet il mies la voie, sel co vient
il totevoies chaor por ceu qu'il ne welt esploitier. (S. d. S. B. p. 567.)
Quant il virent lor seignors, lor parenz et lor amis chaoir à lor piez,
si distrent. (YiUeh. 446 ^)
En vait as pies le roi chaoir. (P. d. B. v. 3544.)
Et nos savons ke maintes foiz est moins de pecMet chair en la cor-
ruption de la char ke par taisieble pense pechier en parpenseit orgueEi.
(M. s. J. p. 507.)
Pour chair molt souvent canchielent. (E. d. 1. V. v. 1995.)
Là veist on escus partir
Et haubers rompre et dessartir,
Chevaliers cair et navrer,
Et maint chief de bu desevrer,
Chevaus fuir , lor règnes rotes. (Ib. v. 2854 - 8.)
Esclas vint en a tente devant tous les barons qui là estoient, si
se laist cair as pies. (H. d. V. 496 ^.)
Pouretes faut, mais hontes dure,
Ne puet cheoir par aventure. (E. d. S. S. v. 1553. 4.)
Ja ne sera de tel pooir
Qu'il ne l'estuise jus caoir. (Brut. v. 9812. 13.)
Où voit Turpin, as pies li va caoir. (0. d. D. v. 9357.)
Sacent tout cil M cest escrit veront et oront ke Colars Mouskes a
vendut toutes les escances ki eskeir li doivent ne eskdr li pueent
de signeur Jehan Mousket. (1265. Phil. M. suppl. p. 27.)
Le mantel de son col dessiere,
Si le lait Uoir à la tierre. (Phil. M. v. 18948. 9.)
As pies le roi se lait cheir. (L. d. M. p. 66.)
Le dialecte normand qui, moins que les autres, était porté
à la syncope, nous a conservé quelques exemples avec le d
latin.
Carlles verrat sun grant orguill cadeir. (Ch. d. E. p. 23.)
Baligant veit sun gunfanun cadeir
JEt l'estendart Mahumet remaneir. (Ib. p. 137.)
Du VEEBE. 19
Sui- l'erbe verte le sanc tut cler cadr. (Ib. p. 134.)
N'aveies tu liet l'escripture
Que bien deit chae7' le torment
Sor celui qui pendu despent (Chast, lY, v. 56-8.)
Lait sei chaair jus del cheval. (Ben. v. 16660.)
E tex unt longement poeir
Que l'om veit mult à fais çhaeir. (Ib. v. 20505. 6.)
Je ferai encore mention de la forme cJioier^ qui est de la
seconde moitié du XITE ^ siècle , et des contrées situées au nord
de l'Anjou et de la Touraine, en tirant vers l'Ile-de-France. L'<?
radical provient d'un assourdissement de r«, ordinaire dans ces
provinces.
Se lait choier au pie le roi. (Trist. I, p. 54.)
Le présent de l'indicatif du verbe choir offre une particula-
rité fort remarquable, dans les dialectes où la voyelle radicale
était a ; au lieu de la diphthongaison régulière m devant les ter-
minaisons légères, on voit toujours ïe.
Ainsi aplatissement de Va en e, puis diphthongaison ordinaire
avec t. On eut recours à ce moyen pour distinguer les trois pre-
mières personnes du présent de l'indicatif de celles du parfait
défini et , pour l'uniformité , on admit ïe à la troisième personne
du pluriel. Cependant, comme il n'y avait en ce dernier cas
aucune confusion à craindre , les exemples de la diphthongaison
régulière aï ne sont pas rares.
Le dialecte normand employait e aux mêmes formes, mais
il ne renforçait pas.
Les provinces qui avaient e pour voyeUe radicale , le diph-
thonguaient naturellement en ïe.
Ex.: Filz, se tu chiez en povrete,
N'en deis à Dieu savoir mau gre. (Chast. XYIII. v. 85. 6.)
Ha! biaus fillz, dist h pères, ce ne puet estre; biaus filz, se tu i
chics (dans la chaudière), tu es morz. (R. d. S. S. d. E. p. 32.)
Car cant li hom ne parzoit les blandissemenz del malvais deUt,
si chiet il en la nuit de la très felenesse oevre. (M. s. J. p. 456.)
Li destriers chiet, ne pot le cop porter. (G. d. Y. v. 702.)
Con li oisiaux qui chiet es las. (Poit. p. 9.)
Quant Braiher det, si commença à braire. (0. d. D. v. 11396.)
Li dains ciet mors sans pasmison. (Chr. A. N. m, p. 109.)
Mais onques por sa meskeance
Ne kiet en maie desperance. (Ib. ead. p. 74.)
A poi que il ne chet, fuant s'en est turnet
E si muntet d'elais tuz les marbrins degrez. (Charl. v. 132. 3.)
E mult par en chet des morz. (Ben. v. 33553.)
Li paiens chet cuntreval à un quat. (Ch. d. R. p. 50.)
2*
20 DU VERBE.
Quar cant nos tomons les vitiouses penses es vertuz , si chaons nos
par mi lo sacrefice de la entencion les anemiables batailhes des temptacions
et si en faisons alsi com cuers de noz amis. (M. s. J. p. 455.)
Et cil ki welent devenir riclies chieent ens temptacions et el laz del
dianle. (S. d. S. B. p. 568.)
En çon que ele ensi parloit,
Li rois le regarde, si voit
Les larmes des ix qui li cieent (E. d. 1. M. v. 1305-7.)
Plus tard, on retrancha, devant la terminaison ent^ Ve pro-
venant de l'aplatissement de !'<?, et on obtint la forme chie7it,
qui est générale vers le milieu du XTTT° siècle.
Lai fuit r esters et fors et esbaudis:
Chevalier chient des chevalz arabis. (Gr. d. V. v. 1490. 1.)
En Mueze chient de merveiUouz randon. (Ch. d. E. Litr. XL.)
Cil fuient et cil chaient: costume est de tel dance.
(Ch. d. S. n, p. 83.)
Cil caient envers et adens,
Sampres en i ot quatre cens
Et soixante, en la place mors
Des plus riches et des plus fors. (Brut. v. 7437-40.)
Foudres dieent e feus ardenz. (Ben. U, v. 2073.)
Mainz s'en i sunt les cous bruisez,
Cheent à destre e à senestre. (Ben. v. 28757-8.)
Et avec le d:
Chiedent i fuldres e menut e suvent,
E terremoete ço i ad veirement. (Ch. d. E. p. 56.)
Je citerai enfin la forme normande suivante avec un ï picard
postposé:
Franceiz de tûtes parz espeissent,
Normanz decheient e decreissent. (E. d. E. v. 9266. 7.)
Les plus anciens textes bourguignons emploient quelquefois
au subjonctif la forme chaie, c'est-à-dire qu'ils conservent in-
tacte la voyelle radicale ; mais , le subjonctif se réglant ordinai-
rement sur l'indicatif, on abandonna bientôt tout à fait chaie et
on le remplaça par cMee^ cMe. Le dialecte picard avait chiece,
qui pénétra de fort bonne heure en Normandie. La forme pri-
mitive du dialecte normand était chee^ contractée de chede.
Tenes moi bien que jo ne chie. (P. d. B. v. 9718.)
E cil cessent ki bien sunt es posteiz , ki par la divine amor mettent
arier et entrelaissent les penses des terriens plais , ke li cuers ne chaiet
jus des sovraines choses, quant il est ensongiez es basses. (M. s. J. p. 473.)
Eaisons, qui d'autre pai-t se mist,
Li dist que il d'iloec s'en voise,
Qu'il ne chiee en briquetoise. (E. d. 1. M. v. 418-20.)
jMen escientre, nel me reproverunt
DU VERBE. 21
Que il me chedet cum fist à Gueneliin
De sa main destre que reçut le bastun. (Cli. d. R. p. 31.)
Respont Rollans: Ne placet damne -Deu
Que mi parent pur mei seient blasmet,
Ne France dulce ja clieet en viltet! (Ib. p. 42.)
La gent gart qui li est baiUee,
Que vers Deu ne vers eus n'en cliee. (Ben. v. 41243. 4.)
E si facent, si cum il soient,
Mun comandement senz desdire,
Qu'il n'en clieent vers mei en ire. (Ben. v. 10484.)
Lai le moi porter une pièce,
Ge ne cuit mie que je chiece. (Tabl. et C. IV, p. 244.)
Respundi li poples : Nu fras ; si nus fuium de champ n'entendrunt mie
grant plait ù la meited de nus chieced par terre. (Q. L. d. R. II, p. 185.)
Hum vus deit bien mustrer que ne faciez tel fait
Dunt saint iglise chiece en plus dolerus plait.
(Th. Cant. p. 72, v. 21. 2.)
Et disoit, comme dame fine,
Qu'ele morroit tousjours roine.
Que sa hautaice ne dekiece,
Ensi fu H rois moult grant pièce. (Phil. M. v. 19362-5.)
Dieu proi que il ne m'en mesquieche. (Th. E. M. A. p. 61.)
Le parfait défini avait pour formes : chaï, cai, chei, kai, Icei,
et, à la du fin XHI* siècle, chcu^ dans l'Artois, sur les frontières
de la Picardie et de la Normandie. Plus on avance dans le XIII*
siècle, plus les formes en e radical deviennent fréquentes.
Quant j'oi à Tristran reti*aire
La batalle qne li fis faire.
Pitié en oi, petit falli
Que de l'arbre jus ne chai. (Trist. I, p. 25.)
Il chait jus, tant la teste ot copee. (G. d. V. v. 2682.)
Mahons chai de passion
Devant la congrégation,
Molt oriblement se dejete. (R. d. M. p. 35.)
Lo]"es chaid la sort sui' la Hgnee Benjamin, e refud faite entre cels de
Benjamin, e chaid sur la meignee Metri, e al derain sur Saul le filz Cis.
(Q. L. d. R. I. p. 35.)
Quant le dut prendre (le guant), si li cait à tere. (Ch. d.R.p. 14.)
En orguel mie ne hai
Pour çou s'avoirs li eskai,
Ançois en donoit larghement
Meismement la povre gent. (R. d. 1. M. v. 2429 - 32.)
Quant il est en chambre enti-ez,
La dame li chei as piez,
Estreitement l'ad beisiez. (M. d. F. I, p. 170.)
22 DU VEEBE.
Li reis Alred , ki ert dedenz
Od grant masse de ses parenz,
Kuidra desfendre la cite,
Mais il cheu en infermete. (E. d. R. v. 6502 - 5.)
Cfr, Les resnes luy cheurent des mains , et luy tomba de dessus son
olieval en terre. (Âmyot. ïïom. ill. Pyrrhus.)
Gieres por conforteir vinrent li ami(s ?) , mais il chai/rent en paroles
de chosemenz. (M. s. J. p. 453.)
(Il) l'en chair ent as piez mult plorant; et il lor recMet as piez et
dit que il le fera mult volontiers. (Yilleli. 438''.)
Et li baron lor cheierent as piez. (Yilleli. 446".)
Cil qui cheirent en enfer
(Leur meisti'es en est Lucifer)
Tourmentent en enfer les âmes. (R. d. S. G. v. 2104-6.)
Outre s'en passent, que estref n'i perdirent:
A celé fois ne eavrent il mie. (0. d. D. v. 1798. 9.)
Car andui si arçon rompirent,
Et lès lui à tere Jcavrent. (R. d. 1. M. v. 2759. 60.)
L'imparfait du subjonctif, comme toujours , avait des formes
correspondantes au parfait défini.
Molt est foible bumainne nature:
Ne poi si haute créature
Souffrir, c'a terre ne cheisse,
Non pas pour chou que mal sentisse,
Ja soit chou qu'ensi escumasse
Et laidement me démenasse. (R. d. M. p. 37. 38.)
. . . Si li hopoit ses cevals,
Ki n'est ne chevelus ne caus.
Se il sor le ceval seist,
Ja en tel lieu ne s'aersist
A sele, à crigne, amont, n'aval.
Qu'il ne chaist jus del ceval;
Mais la dame n'en pot chair. (L. d. T. p. 80.)
Onques por çou n'eustes defois
Que li caus sour vous ne Jcaist,
Ja li nons ne vous garesist. (L. d'L p. 12.)
Se chis varies cheist à terre dou cop. (1312. J. v. H. p. 549.)
Mais ançois que li quens keist
Plus de .XXX. pains ocist. (Phil. M. v. 7264. 5.)
Et avec s intercalaire.
En les queles (lettres) est contenue qe nus ne entendioms pas qe,
par tel pardon, ren discheisi{s)t des amendes, qe nus devioms prendi-e
par vostre dit. (1278. Rym. I, 2. p. 168.)
Et nous commenderent que nous vous en cheissiens as pies, et que nous
n'en levissiemes devant que vous le nous aries otroie. (Villeh. p. 8. XVI.)
DU VEBBE. 23
Mult ert hidus as trespassanz,
Qu'il ne chaissent contreval
El dolerus puiz enfernal. (M. d. F. II, p. 464.)
Le futur était: charrai^ carrai^ charai^ cherrai, cher ai ^ et, au
milieu du Xm* siècle, au nord -est de l'Ile - de - France , chierai;
dans le Hainaut, à la même époque, haïrai.
Se il mim dun ne me retaille
E il vers mei ne face faille,
Jeo n'en charrai mie vers lui. (Ben. v. 14586-8.)
He! corone de France, fait il, com or cJieras! (Ch. d. S. II, p. 186.)
Car Diex dist par la bouclie Salmon: Tu cher as en la fosse que
tu as appariUie pour ton frère. (PMI. M. 1. 1, p. 41 c. 1.)
De ci qu'ait Dreues son chastel
N'en charra por liome un quarrel. (Ben. v. 28628. 9.)
Cil qui chara n'ara autre loier
Fors le l'ocire à duel et à pecMe. (R. d. C. p. 94.)
On le doit nommer quant il tonne,
Ja puis ne carra cos en l'estre. (L. d'I. p. 12.)
Li Juif pensent qu'il ferunt :
Joseph, Nychodemus peni-unt
Si coiement c'en nou sara.
Et puis ceste chose cherra. (E. d. S. G. v. 649-52.)
Li quels que soit chiera ancui. (P. d. B. v. 8054.)
Or ne vos en proierons mes.
N'a vos pies n'en chierons à fes. (Ib. v. 6369. 70.)
Nous decarrons et il sordront. (Brut. v. 550.)
Et cil qui seront envai
Et charront là où cil chai
Qui par orgueil perdi sa gi'ace! (Eutb. I, p. 104.)
Desuz mes piez charrwnt. (Q. L. d. E. II, p. 209.)
Conditionnel :
.... S'ot une clef en la main diestre.
En celé ymage si creoient
Turc et paien, et si disoient
Que celé clés jus li kawoit
Quant .i. rois crestiiens venroit. (Phil. M. v. 6491-5.)
Puiz fîst à sez homes veer
Ke kant li or des piez charreit,
Ke ja nul d'els les reprendreit. (E. d. E. v. 8222-4.)
Quant li saetes descendreient,
Desor lor], testes droit charreient,
Et as viaires les ferreient. (Ib. v. 13282-4.)
Por ce ke il par sa mervilhouse poance at porveut ke il, se il
longement estisoient en paiz et en repaus, ne poroient sofîiir les temp-
tations, anz charoient abatut des plaies de le pense. (M. s. J. p. 489.)
24 DU VERBE.
Qu'avis li fu que miouz seroient
Les goûtes ki dedenz cherroient
Qu'en liu ou mestre les peust. (E. d. S. G. v. 565 - 7.)
Imparfait de l'indicatif:
Car de l'un basmes decouroit,
Et de l'autre cresmes caoit (FI. et Bl. v. 625. 6.)
A ces grans chaignes se hurtoit,
Par mi ces boissons s'abaitoit
Et cheoit ansi com uns trons,
Car moult par estoit grans le Ions. (Dol. p. 250.)
Se cMs varies Iceoit à terre du coup. (1312. J. v. H. p. 549.)
Et non poui-quant pour ceu qu'il assembla sans commandement, li
preudomo de l'ost disent qu'il avoit fait un fol hardement, et que nus hom
ne l'en devoit plaindre, se il li mesceoit de ceste emprite. (H. d.V.492^\)
... Et que nus bom ne le deveroit plaindre se li meschaoit de cette
emprise. (H. d. V. p. 171. II.)
Chaioit (E. d. R v. 9138), escJiaioit (Œ 1. L. I, p. 123), sont
des formes incorrectes des bas temps.
Li lais estoit grant et parfons.
Car de valees et de mons
Soisante eves dedens caoient
Et aloc totes remanoient. (Brut. v. 9662 - 5.)
Tant fu li tenz pesmes et forz,
.C. foiz cuidai bien estre morz
Des foudres, qu'entor moi chaoient,
E des arbres qu'il despecoient. (Eomv. p. 529 v. 12-15.)
Là trebuchoent e chaeient,
E cil à pie les occieient. (Ben. v. 37558. 9.)
Les formes du participe passé étaient aussi variées que cel-
les de l'infinitif; on les classera facilement, si on se souvient de
ce que j'ai dit plus haut de ces dernières.
Et si restorassent les murs de Jherusalem ki chaut estoient.
(S. d. S. B. V. 524.)
Et H cuens ot este chaus, et un suen chevalier qui ot nom Johan
de Friaise fu descenduz, si le mist sur son cheval. (Yilleh. 475*.)
Aude l'entant, s'est chaue pamee. (G. d. V. v. 2563.)
E cume ilfud chaud, fièrement cumenchad à braire. (Q. L. d. E. H, p. 213.)
Fait li le coer, si est chaeit avant. (Ch. d. E. p. 86.)
Sur l'erbe verte si est caeit envers. (Ib. p. 88.)
Humles, preianz, agenoilliez,
Li est li quens chaet as piez. (Ben. v. 14171. 2. cfr. E. d.
E. V. 13298.)
Asez l'en est chaait as piez. (Ib. v. 11698. cfr. v. 11794.)
La cite vist mult empirie
Et de bons chiteains widie,
DU VERBE. 25
Maisons gastes, mostiers chaois,
Asses l'a plainte mainte fois. (Brut. v. 8187-90.)
Lendemain chauça et vesti sa mesnie , et fist redrecier ses mesons
qui estoient chaoites. (E. d. S. S. d. R p. 31.)
Or est cheoite entre deus sieles. (E. d. S. S. v. 3903.)
Les vies cites fist renforcMer
Et les mui-s caois rederchier. (Brut. v. 3211. 12.)
Mult vit iglises désertées
Maisons caoites et gastees. (Bb. v. 9840. 1.)
Caries cancelet, por poi qu'il n'est caut (Ch. d. E. p. 139.)
l Ja fust caus quant as arçons se prant. (0. d. D. v. 478.)
l .J. gourle de deniers portoie,
'■ ■ Si m'est cheus en mi la voie. (E. d. M. p. 13.)
Se lor sires estoit occis
Keu sont en maies merchis. (E. d. 1. V. p. 97.)
Keue sui de l'escafaut
Où je cuidoie estre montée. (Bb. p. 148.)
Errament est queus^) pasmes. (Ib. p. 201.)
Se ne fust la sele dorée
Ele fust queue pasmee. (Poit. p. 22.)
L(e?) gant pare du blanc hermine
Li sont choiet sor la poitrine. (Trist. I, p. 101.)
;. Participe présent: chaant (Chast. XXII. v. 180.), caant,
cheant^ etc.
Les composés de choir étaient:
1) Rechoir^ 2) Enchoir , tomber dans; 3) RencJwir^ 4) Déchoir^
5) Meschoir^ mésarriver, tourner à mal, arriver malheur, mal
réussir; 6) Eschoir.
Quant je refui si haut montée,
Je refui si asseuree
l Que ja recair ne quidai. (E. d. 1. M. p. 4685-7.)
1 Si tu i mez entente e paine,
t N'i encharrai mie granment. (Ben. v. 14611. 2.)
l Vit son lignage dechaeir. (E. d. E. v. 13948.)
' Sire, il me va moult mesceant,
Ne vous aroie aconte hui
Tôt le moitié de mon anui. (Poit. p. 29.)
Cfr. Imparfait de l'indicatif.
S'il esquiet une rente à Eeins u à Conloingne,
S'uns preudons la demande, cuidies vos qu'on li donne?
(Eutb. I, p. 237.)
Qui que tisse chascuns desvide;
Li penssers chiet;
(1) Simple variante orthographique pour keu. Queu et keu sont des formes exclu-
sivement picardes,
26
DU VEKBE.
Nul bel eschet ne lor eschiet
N'en pueent mes qu'il lor meschiet,
Ainz lor en poise. (Eutb. I, p. 32.)
S'il evenoit que celé terre eschaist de la contesse Jobanne de Poitiers
à noz .... nos . . . serions tenu de rendre la au roy d'Angleterre.
(1259. Eym. I, 2. p. 50.)
Choïr, dit l'Académie , ne s'emploie qu'à l'infinitif présent et
au participe passé. C'est bien à tort qu'on abandonne la con-
jugaison de ce verbe; il a un substantif, et tomber, qui le doit
remplacer, n'a pas cet avantage. Choïr a du reste de très -beaux
emplois de la synonymie:
Tout va choir en ma main , ou tomber dans la vôtre. (Corneille.)
Quoi qu'n en soit, jusqu'à la fin du XYI^ siècle, choïr a
été employé à tous les temps.
Par où l'on peust comprendre, que les oiseaux qui tombent de l'aii'
en terre, ne cheent pas pour ce que l'air agité par auscune véhémente
concussion se rompe ny se fende. (Amyot. Hom. iU. Pompeius.)
L'Académie et , après elle , tous les lexicographes disent : il
échoit ou il échet; mais ils ne donnent que déchoit. Pourquoi
cette différence? La raison étymologique qui fait écrire et pro-
noncer il échet, existe aussi pour il déchet.
En un austre aage eUe (la science de deviner les choses à advenir)
vient en mespris, et déchet de réputation.) (Amyot. Hom. ill. SyUa.)
Jusqu'au XYII^ siècle, tous les composés de choir ont été
d'un fréquent usage; eschoir^ entre autres, s'employait encore au
XYI^ dans un sens beaucoup plus étendu qu'aujourd'hui.
Estant lors escheute la feste des mystères (Amyot. Hom. ill. Alexandi-e.)
Il escheoit bien des occasions , où il regardoit plus tost à l'utilité publique
(Ib. ead. Agesilaus.) Selon qu'il escherroit par le sort: et luy escheut
la prose grecque. (Ib. ead. LucuUus.) Auquel des deux consuls escher-
roit la province de la Macédoine. (Ib. ead. Paulus Aemylius.)
CHALOm (calere).
Ce verbe , dont la signification est importer , avait pour for-
mes infinitives: chaloir ^ en Bourgogne; caloir, en Picardie; chaler,
chaleir^ en Normandie.
Petit nos puet chaloir que l'an vande les blez. (Ch. d. S. Il, 4.)
Signer, dist il, or vos ires couchier;
Ne puet caloir de chi huimais gaitier. (0. d. D. v. 8882. 3.)
Qui bon conseil ot, s'il nel creit,
Ne pot chalein' puis pro foleit. (Ben. v. 16126. 7.)
Chaloir était un verbe impersonnel; il faisait, au présent de
l'indicatif: chalt, calt^ et par suite du fléchissement du /: chaut,
caut.
DU VERBE. 27
Se il ont grant gent, vous que calt? (Brut. v. 7887.)
L'escu q'il porte laist à terre caïr,
Nel porte plus, ne li caZ# qu'il presist. (O.d.D.v.7747.8.)
Molt le font bien Fi-ançois, veritez est provee;
Mes que chaut, qant lor gent iert vancue et matée?
(Cil. d. S. n, 119.)
S'il ont plus grant gent que nous n'avons, que nous chaut? tant
arons plus grant hounour, et il ne valent riens. (H. d. Y. 495^.)
Si s'en va li honteus mucier
Et li faus s'embat sans hucier,
K'il ne li caut que on li die. (Eutb. N. et E. I, p. 342.)
Quant li bons vesques entendi
Que nus bourgois n'i s'asenti,
Eors li millour et li plus baut.
Des autres moult petit li caut. (Pbil. M. 890-3.)
Subjonctif: chailïe ^ caille.
Dist li abes : Ne vous en chaille. (Eutb. I, p. 316.)
S'il est nomez dux, ce ne chaille. (Ben. v. 9010.)
Ne ne vous caille de savoir
Que je sui ne de quele terre. (E. d. 1. M. v. 4942. 3.)
Li rois a Brien apele,
Prie li a et commande
Que car de venison li quiere.
Ne li caille de quel manière. (Brut. v. 14637-40.)
L'emploi des présents de l'indicatif et du subjonctif de cha-
loir ne répond souvent pas à l'idée que nous nous faisons de
ces temps; on trouve l'indicatif où on attend le subjonctif, et
vice versa. Pour ce qui est du second cas , il s'explique par ce
que j'ai dit de l'emploi du subjonctif dans l'ancienne langue;
cependant, vers la fin du XIII ^ siècle et au XIY^, les exemples
où chaille n'a été mis que pour la rime, sont assez nombreux.
Quant à l'usage de l'indicatif pour le subjonctif, il n'est qu'ap-
parent. On le rencontre dans les provinces qui n'avaient pas
l'habitude de mouiller les /, et ici le présent du subjonctif et
celui de l'indicatif avaient nécessairement la même forme. (Cfr.
ait, autj de aler.
Mes Baudoins est liez et joianz sanz iror:
Ne li chaille qui face ne tristor ne iror.
Bien se tient à paiez de trestot son labor. (Ch. d. S. II, p. 94.)
La mort de Baudoin ne vos chaille plorer,
Mar vos esmaierez tant com porrai durer. (Ib. U, p. 166.)
Mainz bas bom a féru sor duc et sor princier:
Que chaille de parage, s'il est bon chevalier,
Et que n soit meslins as rustes cox baiUier? (Ib. II, p. 172.)
28
DU ^^RBB.
Dame, dist il, et vos que chaut?
La merci Dieu rien ne vos faut,
Sie gardez ce que vos avez,
Et si faites vos volentez.
Et si ne vos chaut dont je l'aie,
Quant nus hom ne vos en aplaie. (Chast. XXI. v. 27 - 32.)
Au lieu de chalt^ chaut ^ on trouve chelt, cheut\ formes assez
rares , il est vrai , mais qu'on doit reconnaître : D y a eu l'apla-
tissement très - ordinaire de Va en e.
De ço qui chelt, quant nul n'en respundiet. (Ch. d.R,p.93.)
Dune se purpense de sa amie
E dit: Ki en cheut si il me ocie. (Trist. Il, p. 97.)
Le parfait défini et l'imparfait du subjonctif avaient poui-
formes: chalut^ chalust, calut^ calust; et l'imparfait du subjonctif
avec s intercalaire: chahist^ chausist; caîsist, causist (u = lj.
On lit à la page 228 du tome premier de cette grammaire:
„Les verbes en îoir^ et toldre, soldre^ avaient, au parfait défini
et à l'imparfait du subjonctif, une forme avec s intercalaire, qui
a pris naissance en Picardie." En y regardant de plus près, je
m'aperçois que cette remarque a besoin de quelques explications
supplémentaires. MM. d'Orelli, Diez , et tous ceux qui les ont
copiés , admettent un parfait défini avec s intercalaire , dont les
formes seraient, à la troisième personne du singulier, chausist,
faulsist, vausist^ vousist. C'est une erreur; chausist^ fauUist
(mieux /«wm^) , vausist, vousist^ sont toujours des imparfaits du
subjonctif. Il est facile de s'en convaincre , si l'on part du point
de vue que suivait la langue d'oïl dans l'emploi de ce temps,
et si l'on compare aux exemples que rapportent NM. Diez et
d'Orelli, ceux que je cite t. L p. 240-42, p. 336, et à l'occasion
de l'imparfait du subjonctif de chaque verbe. (Cfr. encore la remarque
1. 1, p. 243.) MM. Diez et d'Orelli ne donnent du reste aucun
exemple de vausist avec le sens de valoir^ et M. d'Orelli
avait été mieux avisé d'abord en indiquant fausist comme impar-
fait du subjonctif, qu'en suivant M. Diez dans la seconde édi-
tion de sa grammaire. J'ai prouvé l'existence de cette forme
avec s intercalaire à la 2e pers. du sing. du parfait défiai de
faillir; elle est très-fréquente pour vouloir — mais sans troisième
personne du singulier /«îî^m^, vousist — ; poiu* ce qui est de chaloir
et de valoir, je n'en ai trouvé aucune trace: aussi, selon ma
coutume, malgré les imparfaits du subjonctif qui semblent la
supposer, je ne l'admettrai pas touchant ces deux verbes, jus-
qu'à ce qu'on en ait démontré l'existence par des exemples. Je
prie donc le lecteur de vouloir bien corriger en ce sens la
remarque du t. I. p. 228. (Y. toldre, soldre.)
DU VERBE. 29
Ne valt mialz cil que ne valut
Alixandres cui ne chalut
De charité ne de nul bien. (Brut. I, LI.)
Ne 11 chalut du seui-eplus. (Rutb. II, p. 195.)
Ne lur chàlust kel plaist feissent,
Mais ke en paiz se départissent. (E. d. E. v. 9597. 8.)
Tristran, s'a vus parle eusse,
Ne me calsist se puis morusse. (Trist. Il, p. 76.)
Et se il son prou en feist.
Lui ne causist qui i perdist. (Brut. v. 2385. 6.)
Se sul n'eust perdu Guirin
Poi IL chausist de trestut l'ai. (Ben. Il, v. 910. 11.)
Et sacMes que il i avoit assez de ciaus qui bien vousissent que li
corans enmenast les vaissiaus contreval le bras ou li vens, ne leur
chausist comment l'aventure avenist, mais qu'il se départissent de la
conti-ee et alassent leur voie. (YiUeh. p. 77. CIII.)
Imparfait de l'indicatif:
Ne li chaloit s'ele trambloit. (Eutb. Il, p. 214.)
Del escondit ne li caloit
Que sa fille fait li avoit. (E. d. 1. M. v. 625. 6.)
Yoy. Dol. p. 259. K. d. R v. 15958. Brut. v. 12368.
Futur et conditionnel: chalcb'a, chaudra (u^l), chald/roity
chaud/roit; caldra, caudra, caïd/roit, caud/roit.
Ne li chaudra s'en est honiz.
Mais sol que ses cors seit mordriz. (Ben. v. 12013. 4)
Tiebauz, qui à rien el n'entent.
Ne li chaud/reit sol ciel coment
Mais que li dux fust mort u pris. (Ib. v. 20589-91.)
De chaloir on formait recJialoir:
Certes, ne mi ne recausist
Del courouc mon père granment,
Se jou de vos tant seulement
Cuidaisse compaignie avoir. (Chr. A. N. III, p. 109.)
Le verbe chaloir, qui ne nous est parvenu que dans la phrase :
Il ne m'en chaut, était encore d'un fréquent emploi au XYI*
siècle.
Quant à moy, il me semble que pour avoir la vraye félicite, de
laquelle la plus grande partie gist es moeurs, qualitez et conditions
de l'ame, il ne peust chaloir que l'homme soit né en viUe obscure et
de peu de renommée. (Amyot. Hom. ill. Demosthenes.)
MOUVOIR (v. fo.), movere.
Mouvoir avait pour formes : en Bourgogne , movoir; en Picar-
die, mouvoir; en Normandie, muver? mover ; dans les dialectes
mixtes^ moveir.
30 DU VERBE.
Très - anciennement , en Bourgogne, on a rapporté aussi ce
verbe à la quatrième conjugaison : muevre. (Cfr. 1. 1, p. 205 Ke-
marque 1). Muevre se montre de nouveau dans l'Ile-de-France
vers la fin du XHI " siècle ; il provient sans doute ici de l'in-
fluence des formes renforcées et de celles de la Normandie.
La véritable forme du nord de la Picardie, ir, n'a laissé que
de faibles traces de son existence; elle disparut promptement
devant oir.
Après 1250, le normand mw(9r prit souvent l'«« picard : mow«;(9r ^.
Maintenant me covint movoir. (Dol. p. 258.)
Li rois lor a dit tierme et jour.
De mouvoir. (PMI. M. v. 10304. 5.)
Ses chiens ont envoie mover
En .i. espoise .i. fier sengler. (Trist. I, p. 207.)
Maiz quant il li piez mover dut
En sez braies s'empeescba,
Ne peut aler , ainz tresbucha. (R. d. E. v. 9746 - 8.)
Mouver (Ib. v. 9081.)
Demi mort, plat, senz els aidier,
Senz eus moveir ne senz drecier,
Tint mais tut mis au convenir.
Qu'il n'atendent mais le morir, (Ben. Il, v. 2083 - 6.)
Entre les autres fu venues une novele à l'empereor Baudoins dont
il fu molt dolenz , de la contesse Marie sa famé , que il avoit laissie en
Flandres enceinte por ce qu'elle ne pot avec lui movir , qui adonc ère
cuens, et la dame si ajut d'une fille. (Yilleb. 470''.)
Li voiz de l'enfant ki criet ne fait mies à dotteir, anz doit plus
à ceu enmuevre c'un ait pitiet de luy. (S. d. S. B. p. 537.)
Les lèvres muevre ne les denz
Ne font pas la religion.
Mes la bone componcion. (Eutb. Il, p. 216.)
Le présent de l'indicatif de movoir diphthonguait régulière-
ment Va en ue.
L'enfes Eaoul n'a mie sens d'effant,
L'onnor son père va molt bien cbalengant.
Si muet li rois une guerre si grant
Dont mainte dame auront les cuers dolant. (E.d.C.p.37.)
Ele muet d'ilec de randon,
Tantost s'en va en sa meison. (E. d. S. G. v. 1565. 6.)
(1) La langue fixée , qui a admis la forme picarde pour le sens général , a conservé
aussi mouver dans quelques expressions techniques. Le peuple de certaines contrées
se sert encore de mouver au sens de mouvoir.
DU VEKBE. 31
Et se li ai quite tous les liomages qui muevent de la terre d'Es-
truem. (1228. Th. N. A. I, p. 1007.)
Ja saverad li reis Henri asez ù mover sei:
Fi-anceis li muevent guerre (Ben. t. 3. p. 535.)
Impératif:
Ne voz moveiz, liclieor pautonier. (G, d. Y. v. 548.)
De delez moi ne vous mouvez,
Ce que vous dii-ei retenez. (E. d. S. G. v. 2995. 6.)
Présent du subjonctif: mueve:
Se li prie que il le voie
Anchois que de la vile mueve. (E. d. 1. Y. p. 284.)
Puis apela Persans et Esclavons,
Sus lor cors perdre lor comande par non,
Nus ne se mueve por cri ne por tenchon
Dusqu'à celé eure que venir le verront. (0. d. D. v. 9911-4.)
On retrouve ici la variante oe pourw^, que j'ai déjà expli-
quée plusieurs fois:
Nés eschacent ne nés emoevent,
Mais od les branz nuz s'entretrovent. (Ben. v. 5335 - 6.)
Or entent je à qu'il vout traire:
A prendre sei à achaison
Cum vers mei moeve contençon,
Ocire u prendre u desconfire. (Ib. v. 15229 - 32.)
Parfait déiâni : mui, où u n'est que le v latin , devant lequel
on a syncopé Vo. On a cependant quelques exemples oii Vu est
précédé de la voyelle o; mais la combinaison ou qui en résulte,
représente simplement u ou eu. (Y. devoir.)
Amis, tôt aie en talent.
Et ne vueil pas à vos celer.
Ne me mui pas por déporter. (P. d. B. v. 5596-8.)
L'arcevesques d'Everwic, uns sages hom lettrez,
Yus enveiera dous messages privez;
Mes jo mui premerein, M soi les veritez. (Ben. t. 3. p. 610.)
Lendemain par matin se mut de Naples, et cil qui les osteus
dévoient prendre se murent devant, fors que ne sai quant escuyer qui
se levèrent plus matin. (H. d. Y. 498^.)
E od riche compaignie
Mut de Barheflo sa navie. (Ben. v. 15682. 3.)
De nostre terre, li bons abes a dit,
Meusmes nous, il na pas quinze dis. (G. 1. L. II, p. 262.)
Quar il est crestiens tout ausi come vos estes, et bien sait cer-
tainement que vous ne meustes que pour la sainte terre d'outremer.
(YiUeh. p. 43. LXYI.)
Et cil s'acesment, puis ont lor ars tendus,
Les quarriaus traient, les homes ont férus.
32 DU YHRBK.^
Aine ne se mu/rent, car tôt furent de fust.
(0.d.D.v. 8413-5.)
Avec o:
La dame en sa preere demnrad; ses lèvres moût ....
(Q. L. d. R. 1, p. 3.)
Apres H dist : Culvert , mar i moûstes,
De Maliumet ja n'i aurez ajude. (Cli. d. E. p. 52.)
Imparfait du subjonctif:
Ainz i et jut vij anz à ost banie,
K 'il ne s'en muist ne por vant ne por pluie
De siège de Yiane. (G. d. Y. v. 345-7.)
Dont apela le mareschal, et li dist qu'il de là ne se meust dusques
adonc que li castiaus fust refermes. (H. d. Y. 497^.)
Deffier me deussiez vos,
S'il eust querele entre nos,
Ou au mains droiture requerre,
Aincois que me meussiez guerre. (Romv. p. 531, v. 3-6.)
Ne le meussent cinq vilain par poeste. (0. d. D. v. 11846.)
Ses gentils homes moult cremoit,
De ses riceces lor donoit;
Et si les apeloit parens,
Qu'il ne li meuscent contons. (P. d. B. v. 419-22.)
Futur et conditionnel;
Ci oncor pas ne m'en remu.
Qu'ai jor enpris movrai premiers
Od plus de set cenz chevaliers. (Ben. v. 14583-5.)
G'iere ses anemis prochains,
Et si H mouvrai telle guerre.
N'aura si fort lieu en sa terre
Que je ne le voise trouver
Pour honnir et deshonnourer. (E. d. C. d. C. v. 4804-8.)
Jou ne me moverai de chi
Desque vous revenres à mi. (Poit. p. 34.)
Quant d'iluecques remouveras,
Argent ou faille enporteras. (Eutb. I, p. 29.)
D'iluec ne se mouvra il plus
Ainz i sera se seureplus
Qu'il a à vivre. (Ib. I, p. 83.)
Je vuel aler saint Jacque requérir ....
Noumes le jor que nos movrons de ci. (E. d. C. p. 322. 3.)
A la feste de la Toussains
Mouverons, n'i a plus ne mains. (E. d. C. d. C. v. 6230. 1.)
Ja mar pour ce ne vous mouverois, ne ma dame autresi; jou irai
là, se vous volez, et sarai pourquoi il ont ce fait. (H. d. Y. 505*=.)
Et vous ne vous mouvres de chi. (E. d. 1. M. v. 5961.)
Et li bons rois fist sa proiere
DU VERBE. 33
A Dam el Dieu de grant manière,
E dist que de là ne mouvroit
Dusques adont que il auroit
Le liu dédie et sacre
Et en l'ounor de Dieu mondé. (PMI. M. v. 3310-15.)
A tost les noveles oïes,
Que li baron matin movroient
Qui à Paris aler dévoient. (Brut. v. 12507-9.)
Participe passé: meu, meue, et quelquefois déjà mu.
En Flandres vinrent au tierc jor
De Creel, dont erent meu. (R. d. 1. M. v. 4042. 3.)
La nuit sejorna l'ost; au matin est meue,
Qant il virent le jor et l'aube apareue. (Ch. d. S. I, p. 99.)
L'empereres qui estoit mus pour- aller vers Salenique. (H. d. Y. 499 •*.)
Et avec o, comFi.e au parfait défini:
Osz e maisnees fait joster,
Centre le duc en est mx)uz. (Ben. v. 4507. 8.)
Les composés de mouvoir étaient:
1) Removoir, renouveler, rappeler, remuer, retirer, déplacer.
Makommes se part de l'iiermite;
De la parole k'il a dite,
Ne puet remouvoir son corage. (E. d. M. p. 10.)
2) Enmovoir, émouvoir à, exciter à. Yoy. l'infinitif enmuevre.
3) Esmovoir, s'esmovoir, (se resmovoirj émouvoir, exciter, faire
naître; faire lever, dépister (P. d. B. v. 608); mouvoir, avancer,
se retirer.
Un en i ot mult malartos,
Et de palier mult engingnos;
Bien sot muer une raison,
Et esmovoir une tençon. (Brut. v. 2379-82.)
E Abner fud ja esmeuz hors de la cited. (Q. L. d. R. Il, p. 131.)
Tut le quer li fud chalt pas esmeud en tendrur vers sun fiz. (Ib. lU,
p. 237.)
Et quant orent este les tables,
Et servi ainssi con on dut,
Ma dame de Eaiel s'esmut,
Et d'entr les rens se leva ... (E. d. C. d. C. v. 3861 -4.)
Or faut la feste,
Or remainent cbançons de geste;
Si s'en vont nu comme une beste
Quant il s'esmuevent. (Eutb. I, p. 33.)
Eissi sunt les genz départies.
Si se resmut li granz navies. (Ben. v. 31172. 3.)
Esmovoir la main, la lever contre qqn. , comme pour le frapper.
4) Commovoir, mouvoir, émouvoir, agiter, exciter, animer.
Burguy , Gr. de la langue d'oïl. T. H. Éd. III. 3
34 DU VERBE.
Quant Joab vit qu'il ne pout le roi cummoveir vers Abner, eissid fors
e enveiad ses messages tut bâtant après Abner (Q. S. d. E. Il, p. 132.)
Li altre sunt semblant à la pesant et à la dure longe ki tardiement
ensprendent, mais se il une foiz sunt enspris, griement les puet l'om
estaindre; et par ce que il plus tardiement soi eommuevent en asperiteit,
plus fortement gardent lo fou de lur forsenerie. (M. s. J. p. 515.)
Por quoi es tu si commeu? (Brut. v. 14520.)
Et se l'amor de son païs
L'a si eommeu et espris
Que il s'en .veille arreire aler
Et ci ne voille demorer . . . (Chast. XXII. v. 47-50.)
5) Promovoïr.
Quant sainz Paules enstruioit son chier disciple del establissement
des offices de le glise, que il nului ne promovist desordineement az
saintes ordenes, dist. (M. s. J. p. 511.)
MANOIR (v. fo.), manere,
d'où remanoïr, qui est plus ordinaire que le simple.
Ce verbe avait pour formes infinitives : en Bourgogne , (manorj
manoir; en Picardie, manoir; en Normandie, maner; dans les
dialectes mixtes maneir. A dater de 1250 environ, on trouve
mennoir au nord -ouest de l'Ile-de-France, à l'ouest de la
Picardie propre et dans l'Artois. La forme propre du nord du
dialecte picard , manir, nous a été conservée dans quelques textes.
Dès le premier tiers du Xm^ siècle, on trouve sur les fron-
tières de la Normandie, mainére ^ meind/re , au lieu de maner,
maneir. Cette forme qui , du reste , n'a rien d'extraordinaire , a
peut-être été occasionnée par le futur, avec influence des formes
fortes du présent , laquelle se manifeste par Vi ajouté au radical.
Ce qui me porte à cette supposition, c'est que les premiers
textes qui donnent ^naind/re, la traduction des Rois p. ex., n'ad-
mettent cet i qu'aux formes à terminaisons légères; partout
ailleurs Va radical reste intact. Plus tard, les textes qui em-
ploient maindre , conservent i dans toute la conjugaison. Maindre
passa dans l'Ile-de-France, et, dans la seconde moitié du XIII''
siècle, on le rencontre même quelquefois en Champagne.
Manoir en maison est restrcndre soi dedenz les secreiz de la pense.
(M. s. J. p. 474.)
Et com plus creist la science del conseil ke il les choses M périr
covient deguerpisset, plus est awoite la dolurs de ce ke il encor n'a-
tocbet à celés ki permanir doivent. (Ib. p. 493.)
Et si commanda que tout cil ... .
• Ki venroient à Ais manoir,
De tous usages fusent franc. (Phil. M. v. 2530. 3. 4.)
jilult ot illuec grant pitié del pueple de la terre et des pèlerins, et
DU VERBE. 35
mainte lerme ploree , por ce que cil prodom aust si grant ockoison do
remanoir. (Villeli. 441*.)
Jo manderai mes humes, quantque en purrai aver
E iiTai en Espaine, ne purat remaner. (Chaii. v. 229. 30.)
Mais li reis nel volt pas mètre à desfactiun,
Ainz li dist qu'il alast maneir à sa maisun.
(Th. Cantb. p. 8. v. 28. 9.)
En enfer les covint mennoir
Tant com Diex le veut, et ne plus,
Qu'il envoia son fil ça jus
Pour saver l'uevre de son père. (E. d. S. G. v. 136-9.)
Remennoir (Ib. v. 2926) , remenoir (M. d. Fr. Il, p. 127.)
Pharaun le receut unureement ; terre li dunad pur là maindre, resean-
tise e maisun, e de vitaille l'en asist livi-eisun. (Q. L. d. R. m, p. 277.)
Jel fiançai, si ke bien le saveiz;
Je ne vodroie mie estre perjureiz.
Ne puet remaindre por home que soit ueiz,
Ke je n'i aile sor mon destrier armeiz. (G. d.Y. v. 2208-11.)
Le présent de l'indicatif de manoir se conjuguait reguKère-
ment fort : main , mains , maint , manons , maneiz , mainent.
Permains tu encor en ta simpliciteit ? béni Deu e si muer. (M.
s. J. p. 451.)
Por ceu si ne remaint mies ton aim-me en enfer. (S. d. S. B. p. 525.)
Encore le tient on en memore
Pour le signour ki maint en glore. (Phil. M. v. 3434. 5.)
Mains haus prinches i est venus;
N'i remaint hom qui vaille nus. (E. d. M. p. 32.)
Nous, qui el cief del mont manons
En une ille que nous tenons. (Brut. v. 3997. 8.)
S'ensi nel faites amati.
Nos verons en la fin honi.
Et se vos mânes en pechie,
Sel guerpissies por s'amistie.
S'en aies à confession. (P. d. B. v. 4411-15.)
Si vos rendrai apris e sages
Que vos devez croire e coment,
E que Deus sout e donc e rent
A ceus qui en bien estunt e mainent
E qui od juz faiz s'acompaignent. (Ben. v. 23862-6.)
Yoici des exemples pris d'un texte qui donne Vm^jn.ûf maindre:
Celé respundi: Jo main mult bien e à suerted entre mes amis e
od ma cunuissance. (Q. L. d. R. IV, p. 357.)
Cist Ueus ù nus manuns od tei est estreiz. (Ib. ead. p. 365.)
Impératif : remain (Q. L. d. E. n, p. 175. M. et Bl. v. 1633.)
remanez. (E. d. E. v. 12043.)
3*
36 Dtr VEKBE.
Subjonctif: maigne ou meigne:
Beal frère, et il est comande
Que l'en la vende tôt enfin
Ainz que maigne près tel veisin. (Chast. XIV. v. 248-50.)
Pur ço est mielz que remaignes en la cited; si i serras cume nostre
forteresce. (Q. L. d. E. U, p. 186.)
Ju voil qu'il ensi maignet enjosk'à tant ke ju venrai. (S. d. S. B. p. 543.)
Jo quit que d'iloc en avant
N'a nul autre terre ù gent maigne
Entre Comuaille et Bretaigne. (Brut. v. 14628 - 30.)
E priet à Jhesu que celé ewe remaignet. (Charl. v. 790.)
Je dout li païs ne remeigne
En grant doleur et en grant guerre. (Rutb. I, p. 61.)
Venus vos sui priier e dire
Que vos remaignies à ma court. (Chr. A. N. HE, p. 127.)
Li quens, qui ces paroles oï, en est mult joians en son coer; car bien
se cuide toutesvoies délivrer et faire tant que li cbastiel li remaignent.
(H. d. V. 505^)
Dient alquanz que diables i meignent. (Ch. d. R. p. 39.)
La forme de la troisième personne du pluriel du subjonctif
se trouve aussi comme indicatif; mais le plus souvent à la rime.
Voy. Brut, v. 9511. Ben. v. 23955.
Quele est la veie es cieus amunt
U clL maignent qui od Deu sunt,
E queus cele qui là descent
U sunt li doleros torment. (Ben. v. 24301-4.)
Au lieu de mmgne, on rencontre quelquefois magne:
Charles, M son peciet regarde,
.Eeprit à feme Lindegarde,
Pour çou qu'en peciet trop ne magne. (Phil. M. v. 2764-6.)
Le parfait défini, si on l'eût régulièrement renforcé, aurait
été semblable au présent de l'indicatif; on rejeta donc la diph-
thongaison et on le forma de deux manières. On syncopa le s
(mansi) et on adopta la terminaison uï; ou bien on syncopa le
n, puis on rejeta la terminaison et Va s'aplatit en e: mes. Cette
seconde méthode est de beaucoup la plus employée ; l'autre n'eut
guère cours que jusque vers la fin du XII ^ siècle. Lorsque
mamdre fut devenu un peu général, c'est-à-dire après 1250,
on composa un nouveau parfait défini sur cet infinitif: mains.
Le sentiment des bons usages commençait alors à se troubler.
Une fois en sa court manui,^
Et moût de bien ti'ouvai en lui. (R. d. 1. M. v. 5927. 8.)
(1) Manuî, dans un texte de cette époque et Ide ce dialecte, n'est que pour la
rimo.
DIT VERBE. 37
Cest raim vos met ju davant, car il trois ans mamiit en soliteit,
conuiz solement à Deu, et ne mies as homes. (S. d. S, B. fol. 125. r." Y.
Eoquefort. s. v.)
De ce est ke la Scriture tesmonget, ke solement Joseph ki jusko
en la fin permanut^ justes entre ses frères, out sa cotte juske al talun.
(M. s. J. p. 448.)
Li espiriz nostre Signor manut sor luy. (S. d. S. B. p. 563.)
Ne jo ne mes unches en maisim, des le jur que jo menai les fiz Israël
de Egypte jesque cest jui-, mais erred ai en tabernacles e en tentories.
(Q. L. d. E. n, p. 143.)
David s'en partid d'iloc, e mest là ù il truvad asseui- recet en En-
gaddi. (Ib. I, p. 93.)
Et quant celle grant noise remest , li bons dux de Venise . . . monta
el leteri. (ViUeh. 436^)
Cil Eobiers estoit uns bevere,
Uns chevaliers fors tremelere;
Tant fist que riens ne li remest,
Eors qu'uns seus manoirs ù il mest. (Phil. M. v. 17008-11.)
La gentil dame au gent cor avenant
De lui remest ensainte d'un anfant. (E. d. C. p. 4.)
Au lien de la forme remest, on trouve remist dans quelques
textes mormands mélangés:
Ci rout si doleros contenz,
Dunt toz li chans remist sanglenz. (Ben. v. 16294. 5.)
Por le grant espoentement
E por si fait destorbement
De ceus qu'il virent si laidiz
E de lor cors si maubailliz,
Memist lor rage e lor emprise. (Ib. v. 26839-43.)
Mais dans ces mêmes textes, la forme du simple est tou-
jours mest (Y. Ben. v. 38849) , et remest ne leur est pas inconnu.
Et nos remessimes tout seul à seul , moi et vos. (E. d. S. S. d. E. p. 73.)
La troisième personne du pluriel de la forme mes avait
natiu-eUement toutes les variantes des parfaits définis avec s
intercalaire.
E cez en alerent en Damasche , e là mestrent. (Q. L. d. E. HE, p. 278.)
Cil de la ville remestrent mult esbais , et traistrent à la prison où
l'empereres Sursac estoit. (Yilleh. 453''.)
Celé compaigne e celés genz
Dunt Eous se faiseit si dolenz,
Qui remestrent en la travaille
E el fer champ de la bataille . . . (Ben. v. 5477-80.)
Et , comme à la troisième personne du singulier, ï au lieu de e :
(1) Deux lignes plus haut, on trouve la 2epers. du pluriel permanistes.
38 DU \"ERBE.
.lij. fiz remisirent de cel roi
E une bêle file, si corne jeo croi. (Chi-. A. N. I, p. 29.)
Cil qui remesent al camp vif
S'entornerent par mer fuitif. (Bmt. v. 8565. 6.)
Le jor i o maint chevalier ochis,
Dont mainte dame remeisent sans maris. (O.d.D.v. 7020.1.)
Cette diphthongaison ei est picarde - champenoise , du Xm*"
siècle; elle se recontre aussi à la troisième personne du sin-
gulier :
Une grant piesce remeist la chose ensi. (R. d. C. p. 21.)
Maint orfe firent et maint homme morir,
Dont mainte dame remerent sans maiis. (G. 1. L, I, p. 76.)
Ço peise mei ke chà venis
E k'à Lundres ne remainsis. (E. d. R. v. 13035. 6.)
Ge m'en parti comme sages, vos remainsi{s)tes , comme foie, et
descirastes vostre robe. (R. d. S. S. d. R. p. 73.)
Li .vij. sage remeinstrent el bois seint Martin. (Ib. p. 9.)
Yoici enfin une forme qui ne se rattache à aucune des pré-
cédentes, et sur l'authenticité de laquelle il est permis d'avoir
des doutes:
Del mostier issent quant li servise est dit:
A lor ostel mainerent .i. petit,
Et puis montèrent sor les chevax de pris ... (R. d. C.p. 324.)
L'imparfait du subjonctif conservait toujours Va radical; il
eut pour formes, selon les temps et les dialectes: masisse, inas-
sisse ^ maisisse, mansisse , mainsisse.
La force ert soe, si crfimeie.
Se sa volonté ne faseie,
Ke jo jamaiz ne revertisse.
Et toz tems là remainsisse. (R. d. R. v. 11963-6.)
David requist le rei Achis qu'il li Hvrast une de ses citez ù il
masist. (Q. L. d. R. I, p. 107.)
Une chevalier nul n'encontra
Tant cum la lance li dura
Qu'ai cors n'enti-ast sis gunfanons
Ne qu'il remasisf es arçuns. (Ben. n, v. 775-8. cfr. v. 9636.)
Quidez qu'i remassist Bealves
N'autres citez en France ades. (Ib. I, v. 1117. 8.)
E il, verais, jusz, dreiz e sages,
Yout que remassist li damages. (Ib. v. 29405. 6.)
Ne vont qu'il maisist en leece. (Ib. v. 29913.)
Mais ainz eûmes la maison
Que cist mainsist el veisine. (Chast. XIY. v. 246. 7.)
Hai! Yiane! mal feus et mal chai'bonz
Yoz eust arse entor et anviron.
DU VERBE. 39
N'i remainsist ne saule ne donjon,
Kant se conbatent por vos tel dui bairon. (G. d. Y. v. 2500 - 3.)
Li chevaliers si il poist
Tuz jurs sen fin i remansist. (M. d. E. II, p. 481.)
Et s'il vous venoit à talent,
Qu'en cest pais remansisies
Tôt et franc et quite séries. (Brut. v. 586-8.)
Alcuue feiz vus ai e preie e requis
Que vus remansissies el règne saint Denis. (Th. Cant.
p. 97. V. 16. 17.)
Bemainsissiez. (E. d. E. v. 12164.)
.... Que il, por Dieu, eussent pitié et merci de la terre, et qu'il
remansissent. (Yilleh. p. 124. CXVII.)
Bemainsissent. (E. d. E. v. 15942.)
L'imparfait de l'indicatif avait pour formes: manoîe, menoie,
maneie; le futur: manrai et, avec d intercalaire, mandrai; plus
tard maind/rai, mainrai; menrai^ mendrai.
Là ert uns rois qui là manoit
Et tôt le raine em pais tenoit. (Brut. v. 37. 8.)
Quant Pilâtes seut où memioit
Et comment ele à non avoit,
n ha tantost envoie là. (E. d. S. G. v. 1495 - 7.)
Et se ore ne remanoit la bataille de la partie des Blas et des Comains,
bien croi que de la nostre partie ne remanroit ele pas. (H. d. V. 498*'.)
Li message vindrent en Gabaath, ù li reis Saul maneit. (Q. L. d.
E. I, p. 36.)
Se Diex eust consenti que nostre gent fuissent plus tost venu là
quatre jours, tout cil qui manoient de là le Bras eussent este pris.
(H. d. V. 497^)
Muneient (E. d. E. v. 15941.)
E jo aturnerai un lieu à mun pople de Israël e si l'i planterai, e
jo si mandrai od lui e n'iert mais trublez. (Q. L. d. E. II, p. 143.)
E ! Fi'ance dulce, cun hoi remendras guaste ! (Ch. d. E. p. 77.)
Ne remandrat en bois cerf ne daim à fuir. (Charl. p 25.)
Beals doz amis, il est escrit
Que qui maison deit achater, i Que tôt avant doit esprover
Et savoir bien quels teclies a
Son veisin qui après maindra. (Chast. XIY. v. 240-4.)
Bemeindrum. (Ch. d. E. p. 44.)
Yos remanroit de cà à molt riche compaigne. (Ch. d. S. II, p. 101.)
Bemanrez (G. 1. L. I, p. 68.)
.... Soient tous jours franc et en pais.
Si com cil M manront à Âis. (Phil. M. v. 2540. 1.)
Damme, dist il, par le cors saint Eichier!
N'i remanroie por la teste à tranchier. (Ch. d. E. Intr. XLIU.)
h
40 DTJ VEEBE.
S'or li avoit li dus Gerars donee,
Si remainroit la gueiTe. (G. d. Y. v. 1026. 7.)
Et li consaus fu tiex que Tienis de Los .... remainéroit en Ni-
comie atout ses clievaliers et serjans. (Villeh. p. 160. CLXXIY.)
Et distrent que celé chose lor sambloit estre mult longue e mult
perillose, et que il remanroient en l'ysle et en lairoient l'ost aler.
(ViUeh. 446^)
Le participe passé avait trois formes: masu^ mes, manu, qui
dérivent du laùiii mansum, comme les parfaits définis de mansi,
A la fin du XLEI^ siècle , on en trouve une quatrième : ynanèu.
Dedens la vile n'a home remasti,
As murs ne soient por desfendre venu. (R. d. C. p. 58.)
Le bore ont ars, n'i a rien remasu. (Ib. p. 59.)
Berarz de Mondidier est illuec remasu^. (Ch. d. S. I, p. 170.)
Comme variante de ce dernier vers:
Berarz de Mondidier est ou guez remanuz. (Ib. ead.)
Si li mustra dunques le Uu
Où el avait lung tans manu. (M. d. F. H, p. 268.)
Sire, sire, jo e ceste meschine avum mes en une maisun. (Q. L.
d. E. in, p. 235.)
Si sui remese sans mari. (R. d. M. p. 18.)
Manoir avait encore le composé permanoir , parm^indre, etc.
qui signifiait ester, demeurer, persévérer, durer, continuer.
E si en vostre jn^HaQ parmaindre volez, vus e vostre rei ensemble
périrez. (Q. L. d. R. I, p. 41. cfr. p. 78.)
Quant il fu sacre e miz el se,
Deu del ciel en ad loe,
Lur creatur.
Qui parmeint en trinite. (Ben. t. 3. p. 474.)
Yoy. ci -dessus infinitif et parfait défini.
PAEOIR (v. fo.), parère.
La langae actuelle a rejeté ce verbe simple et conservé la
forme inchoptive paraître, à laquelle on rattache aussi le parfait
défini parus et le participe liasse paru, qui, à proprement parler,
appartiennent au radical paroir.
P(«mr (composés : apparoir, comparoir, disparoir), avait poui*
formes à l'infinitif: paroir^ en Bourgogne et dans le sud de la
Picardie; parir, dans le nord -est du dialecte picard ; parer, en
Normandie; pareir^ dans les dialectes mixtes.
En la primiere apparicion volt il apparoir ensemble la Yirgine sa
mère. (S. d. S. B. p. 553.)
Car cil ki est pris al de\dn service doit devant les oez Deu nés
des carneiz penses aparir. (M. s. J. p. 483.)
Tant les ont de maces batus
DU VERBE. 41
Et d'espees et de coutiaiis
Qu'il en font paroir les boiaus. (Phil. M. v. 7611-13.)
Une ne le meudre ne le pire
Ne vont fors porte remaneir,
Ne ne se voudront apareir,
Dedenz les murs s'estèrent quoi. (Ben. v. 19057-60.)
Le présent de l'indicatif de paroïr était régulièrement fort :
Va s'affaiblissait en ^, et, dans la Bourgogne propre et la Cham-
pagne , on diphthonguait cet e avec ï postposé , tandis qu'on le
préposait dans le sud de l'Ile-de-France, la Touraine, l'Orlé-
anais et le Berry. La diphthongaison eï, qui probablement avait
été aussi en usage dans une grande partie de la Picardie, se
perdit de fort bonne heure, et, vers le milieu du XIIF siècle,
les formes en e pur étaient les seules employées dans la Picar-
die, le nord -est de l'Ile-de-France et le nord de la Champagne.
A la même époque , w avait , au contraire , gagné du terrain du
côté de l'ouest, dans l'Ile-de-France.
La Normandie a toujours eu des formes en e pur.
Mais à ceaz M ce funt apeirt li angles. (M. s. J. p. 449.)
Tuit sont fanduit li escut à heon
Et desrompu li hauberc fremilon
Si ke desouz peirent li aqueton. (G. d. Y. v. 2491 - 3.)
Dont granz dois pamt et piert. (Eomv. p. 419. v. 14.)
Arere funt Normant torner;
Ce piert, ne s'i sunt mie feinz. (Ben. v. 21543. 4.)
N'i piert de terre demi pie. (Ib. v. 16495.)
Si come il apiert par les lettres dou devant dit Edward. (1269. Eym.
I, 2. p. 115.)
Eire ne boui'der ne voloit;
A painnes le connoist mais nus:
Il pert que del ciel soit venus. (E. d. M. p. 51.)
Par mi le groz dou piz son confenon li guie.
Si que de l'autre part diupert aune et demie. (Ch. d. S. II, p. 12.)
Passet la noit, si apert le cler jor. (Ch. d. E. p. 142.)
Moult se portent cil ceval bel,
Moult perent délivre et isnel. (P. d. B. v. 7905. 6.)
Lorsque la diphthongaison fut hors d'usage, on reprit quel-
quefois la voyeUe radicale au présent: part^ parent, au lieu de
Mais elle von*oit moult celer
Tôt son coraige à sa seror,
Porquant si part à sa color
Qu'el se tient moult à mal baiUie. (P. d. B. v. 6378-81.)
Présent du subjonctif: peïre {patrej , père , piere , perge , pierge.
Yrois est que vostre outrage paire. (L. d'I. p. 16.)
h
42 DU VEllBE.
Jamais ii'iert jors ke il n'i 2J«*»*<?- (Dol. p. 259.)
Dame, or te pri que à moi père
Ce qu'il à pecheors promist. (Rutb. Il, p. 116.)
Ore i perge s'unques m'ama. (Trist, II, p. 59.')
Et corne vous junez, ne voiliez estre fait tristes com les ypocrites, car
il forfont lour faces qu'il apiergent as homes junantz. (Roquefort, Gloss.
s. V. Forfaire.)
Futur: parra^perra; conditionnel: parroit , perroit ; imparfait
de l'indicatif: par oit.
Et alsi com à lumière serat mostreit tôt ce ke dont aparrat el esgard
de toz, cest jor tornons nos en ténèbres se nos tôt ce ke nos forfaisons,
destruions par pénitence. (M. s. J. p. 457.)
Or i parra qui ci ert pruz. (Ben. Il, v. 2535.)
Ancui ferai ou tas tôt por la soe amor,
Que très par mi la broigne an perra la suor. (Cli. d. S. D,
p. 115.)
Si loerent li roi Carlon
Qui desfendu en laisast son cors ;
Si parroit li drois et li tors. (Phil. M. v. 9443-5.)
Et cil s'en vait oui paroit la boele. (R. d. C. p. 185.)
Tant an ot cravantez par delez .i. roion
Que desor l'erbe vert ne paroit se sanc non. (Ch. d. S. 11,
p. 130.)
Et à trop grant dolor montoie
Les hautes montaignes agues
Qui par oient desor les nues. (Dol. p. 252.)
Parfait défini: paruit , parut -, imparfait du subjonctif: parust ;
participe passé: paruit^ paru.
Et quant ons (lis . nos) eswardemes où il venoit, si nos apparuit uno
mervillouse humiliteiz. (S. d. S. B. p. 526.)
Li benigniteiz et li humaniteiz de Deu nostre salvaor, ce dist li Apost-
les, est apparue. Sa poxance apparut davant en la création des choses,
et sa sapience apparoit el governement des choses ki creeies estoient
Sa poosteiz avoit apparuit as Geus en signes et en miracles. (Ib. p. 536.)
La grant lance li a lez le flanc seelee:
D'autre part an "parut .i. aune mesurée. (Ch. d. S. II, p. 118.)
Dex, à Marie Magdelainne
Vous aparastes tous premiers,
Et puis à vos aposteles chiers. (R. d. 1. Y. p. 250.)
Mais ainz que ptarust li matins
Se fu la danzele endormie. (Ben. v. 31483. 4.)
Ne s'est pas tantost aparus,
Car le seigneur vit en la saUe. (R. d. C. d. C. v. 6567. 8.)
(1) M. Fr. Michel dérive perge du latin pergere, et le traduit par aille. Je ne sais
alors quel sens il attache à ce vers , car le précédent exprime déjà l'idée que donnerait
coluici, en rendant perge par aille.
DU ATSRBE. 43
Et quant li jors est aparus,
Li ber est cauoies et vestus. (P. d. B. v. 1809. 10.)
Participe i)réseiit: parant.
Par là où il s'an vont es \)iQii%mranz la trace. (Ch. d. S.
n, p. 83.)
Celo nuit se reposent, tant que jorz iviparans. (Ib. I, p. 208.)
Sire, perdu avons, dit Berars, duremant:
As eschieles est bien, ce veez, ciparant. (Ib. II, p. 79.)
Car l'emperere au couraige vaillant
Dort molt à aise et molt seuremant
Dedans Yiane jusc'à l'abe aparant. (G. d. V. v. 3785-7.)
Reparoir:
Et au cheval reparoit auques que il avoit este espourounes par
bosoing. (H. d. Y. p. 172. lY.)
Le verbe apparoir a encore été employé par Labruyére : Ne
faire qu'apparoir dans sa maison.
Comparoir, inusité aujourd'hui, même en termes de palais,
s'employait fréquemment au XYI" siècle avec toutes les significa-
tions de comparaître, comme apparoir , avec celles de apparaître.
Cela couvroit grandement ceste deffectuosite ; et qui plus est, faisoit
davantage apparoir la gentillesse de son courage. (Amyot. Hom. ill. Ages.)
(Cleomenes) vuida les rues si bien que personne des ennemys n'y osa
plus comparoir , à cause des Candiots et gentà de traict qu'il y faisoit
tirer. (Ib. ead. Agis et Cleomenes.)
Je crois devoir faire remarquer l'emploi de apparoir et dis-
paroir comme verbes pronominaux. (Cfr. p. 42. 1. 42.)
Mes sire St. Jake en demainne
Une autre nuit, com il dormoit,
S'apara e à lui dissoit:
Biaus fins que fes? (Phil. M. v. 4753-6.)
Cet emploi était encore fréquent au XYP siècle, et, dans
la langue fixée, il s'est même conservé pour apparaître.
Et dict on aussy que la nuict s'apparut à SyUa mesme en songe la
déesse Bellone. (Amyot. Hom. iU. Sylla.)
Cestuy (Titus Latinus) eut une vision en dormant, par laquelle il luy
feut advis que Jupiter s'apparut à luy. (Ib. ead. Cariolanus.)
Les austres disent que toutes ces choses là se font et se disent en
remembrance de l'inconvénient qui advint à Komulus, quand il se
disparut. (Ib. ead. Eurius Camillus.)
Bossuet a dit : Il s'apparaît à lui la belle idée d'une bonne vie.
PLEUYOIR (v. fo.), pluere.
Les formes infinitives de ce verbe étaient: en Bourgogne et
en Picardie, plovoir ; en Normandie, pluver; dans les dialectes
mixtes, pluveir, ploveir. Ce n'est que tout à la fin du XIH"
44 DU \"ERBE.
siècle, que Vo s'assourdit en ou: pïouvoir, forme qui resta fort
longtemps en usage à côté de pleuvoir.
Le V de plovoir (pleuvoir) est une intercalation pour faire
disparaître le hiatus qui existoit dans le radical latin. Cette
intercalation est fort ancienne ; les premiers textes de la langue
d'oïl ne connaissent pas la forme simple.^
Mais la nuis vint, solaus prist à sconser,
Et si commence li airs à obscurer,
Et à pïovoiv et forment à toner,
Et cil esclistre l'un après l'autre aler. (0. d. D. v. 6190 - 3.)
Car tu verras si foudroier,
Yenter et arbres pecoier,
Toner, plovoir et esparcir . . . (Eomv. p. 527, v. 21 -3.)
Beau tens faiseit seri et cler,
Cum senz pluveir e senz venter. (Ben. v. 7678. 9.)
Le présent de l'indicatif faisait pluet, pluevent; ainsi Vo s'y
diphthonguait régulièrement en ue. On pourrait, il est vrai,
expliquer aussi pluet comme dérivant directement du latin pluit,
par suite de l'affaiblissement de Vi en e; cependant je préfère
admettre la diphthongaison , non pas pour rester fidèle au système
que j'expose, mais parce que Vu latin s'est écrit o dès les
premiers temps de la langue , dans la Bourgogne et la Picardie.
(Cfr. le provençal ^/or^, l'italien piôvere^ l'espagnol llover^ le
portugais chover.)
He ! Dex pères, dit il, par cui il pluet et vante. (Ch. d. S. II, p. 3.)
H ont à boivre et à mengier:
Si ne lor chaut c'il pluet ou vente. (Rutb. I, p. 129.)
De l'eve que les nues pluevent,
Por sofÊraite de miUor, boivent. (Chr. A. N. m, p. 56.)
Parfait défini: plut^ (ploutj ; imparfait du subjonctif: pïeust;
futur: plovra; conditionnel: plovroit; participe passé: pieu.
Cel matin plut, si fist molt lait. (E. d. 1. V. v. 1358.)
Ne cuit, c'onqes si fort pleast. (Romv. p. 528, v. 9.)
Et quant onques plus i plorra,
Li pavemens plus clers sera. (P. d. B. v. 829. 30.
La terre est mole, si ot i poi pieu. (R, d. C. p. 109.)
Outre repïovoir^ l'ancienne langue avait les composés:
1) Aplovoir^ tomber comme une pluie, affluer, abonder:
Et cume Absalon fist le sacrefise , ces M od lui furent firent cunjurei-
sun encuntre David. E li poples apluveit de tûtes parz ; e fud e se teneit
od Absalon. (Q. L. d. R. n, p. 174.)
Devert li veit, del autre part,
Le rive de Dieppe vestue
(1) Cfr. au contraire, pluios = pluvieux. (Ben. n, v. 1426.)
DU \t:rbe. 45
De la grant gent qui est venue,
E de par tôt vient e apluet. (Ben. v. 21743-6.)
Le cri fist par la terre aler
Por les gi-anz geudes assembler.
De par tôt i sunt apleues,
Od fauz, od ars e od maçues. (Ib. v. 21374-7.)
Yenir soudain, on ne sait d'où:
Sor ço lor est puis apïeus
Uns diables qui fu perdus. (P. d. B. v. 2497. 8.)
2) Unpiovoir, mouiller:
Ha! sire, ge ne m'en pris garde, et je le fis pour ce que je savoie
bien que vos vendriez toz moilliez, et touz enpleuz. (E.d.S.S.d.E.p.45.)
Si fu Gerars molt bien emplus, (E. d. 1. Y. v. 1359.)
PODYOIR (v. fo.), posse.
Ce verbe a eu pour formes infinitives: poor ^ pooir^ (= po-
tere,^ en Bourgogne et dans le sud de la Picardie; puer, poer^
en Normandie; poeir^ dans les dialectes mixtes; poir ^ dans le
nord -est de la Picardie.
Toutes ces formes syncopent le ^ ^ latin; plus tard, on le
remplaça par v , pour faire disparaître le hiatus qui résultait de
la contraction du radical. Cette intercalation du v ne se montre
que fort tard dans le XIII® siècle, et encore les exemples n'en
sont -ils pas communs; sans compter qu'il est quelquefois assez
difficile de décider si l'on doit lire u ou v. Quant à moi, je
IDcnse que Y ou des manuscrits est, dans la plupart des cas, un
simple assourdissement de l'o, et non pas notre ov.
On à déjà vu plusieurs fois que la première personne du
singulier du présent de l'indicatif des verbes forts ne correspon-
dait pas aux autres formes renforcées. Tel est encore le cas
pour la première personne du présent de pooir: puis.
Puys ou puis était la forme primitive de la Bourgogne et de
la Picardie. Au lieu de puis, on a écrit quelquefois pui (YiUeh.
451*") et, vers le milieu du XIII® siècle, on remplaçait ordinai-
rement, en Bourgogne, le s par x. (Yoy. Substantifs 1. 1, p. 95.)
La Normandie avait puus^ pus ou puz; et, par la raison que
j'ai donnée à l'occasion du présent de trouver, puis devenait ^m«
dans les dialectes soumis en partie à l'influence normande.
La seconde et la troisième personne du singulier, et la troisième
(1) Potesse dans Térence, Lucrèce.
(2) Le t s'était permuté en d. M. Diez cite la forme podibat dans une charte du
yne siècle (Marini pap. dipl. p. 100); les Serments ont podir; le Fragment de Valen-
ciennes, podist (1. 11 verso); et l'on trouve encore poedent iaxis la Chanson de Roland;
Demurent trop, n'i poedent cstre à tens. (p. 72. CXXXVI.)
46
DU VERBE.
du pluriel du présent de l'indicatif de pooir, renforçaient rôgulio-
rement Vo en ue , dans la Bourgogne et la Picardie : pues (plus
lard puez, en Bourgogne), puet^ pueent^ qu'on écrivit souvent
puent, au XITE^ siècle, rejetant ainsi Ve de la diphthongaison.
La Normandie propre avait à ces mêmes personnes: puz, put,
puent; formes qui devinrent poz, pot^ poent, sur les confins do
cette province , au nord et au sud. Ces formes en o avaient
pénétré, à la fin du XIII'' siècle, jusqu'au centre de l'Ile-de-
France. Enfin, de même qu'on vient de voir pois pour puis,
on trouve poet au lieu de puet. Je n'ai rencontré nulle part
poez pour puez; on évitait probablement cette forme, parce que,
dans les dialectes mixtes, elle aurait été tout à fait semblable
à la seconde personne du pluriel.
Ex. Tôt ceu ke ju doner li puys en mes chaitis cors , et assez est se
ju ceu li done. (S. d. S. p. 549.)
Quels grâces puis je rendre de la salveteit de mou airme à celui ki lo
velin de detraction me mat davant? (Ib. p. 557.)
S'il voz en poise, bien m'en^M*a? consirer. (Gr. d.Y. v. 675.)
Par foi, dist il, je voi mervelles,
Qu'à grant painne le puis jou dire;
Je ne m'en puis tenir de rire. (L. d'I. p. 20.)
Sire, dist Carlemaines, nepuus lesser nel die. (Ckarl. p. 29.)
Se Deu ne(n) pense jo murrai.
Ne puz yivre (plus) lungement
A la dolur, al mal que sent. (Trist. II, p. 60.)
Yos savez bien ne pus issir.
Par vos m'en estuet revertir. (Ib. I, p. 47.)
Ocis e mort e enchaucie
Furent François , ceo vos pois bien dire. (Ben. v. 3542. 3.)
Sel pois trover à port ne à passage,
Liverrai lui une mortel bataille. (Ch. d. E. p. 26.)
Et ceu faces tant cum i\ipues par bone conscience. (S. d. S. B. p. 569.)
Baudoin, garde toi!
Trop te puez oblier avec famé de roi. (Ch. d. S. I, p. 120.)
De ço ne lur iert à guaires, kar tu suis puz estre acuntez pur dis
mifie. (Q. L. d. E. n, p. 185.)
Eespundi David : Poz tu me mener là ù ti cumpaignun sunt ? (Ib.
I,p.ll5.)
E SI tu es en iceo pris
Sez de quel tu poz estre fis?
D'aler en enfer e descendre. (Ben. v. 6241 - 3.)
Tant par est tis nons esbauciez
Que mult par te 'poz faire lez. (Ib. v. 6547. 8.)
El chief est fi fontaine de la divine pitiet, ke ne puet estre espusieie.
(S. d. S. p. 562.)
DU VERBE. 47
Mainte chose samble contraire
A Jhesucrist que on puet faire
Molt bien , quant on i a pris garde. (E. d. M. p. 47.)
E dist li emperere: Ore gaberat Ogers,
LiduxdeDenemarcbe, qui tant sepzfitraveiller. (Charl. p. 21.)
Car nuls hume ne me put garir
Tors sulement reïne Tsolt. (Trist. Il, p. 53.)
E si alcuns vait enquerant
Pur que il sunt apele Normant,
Ci pot oïr la vérité. (Ben. I, v. 663 - 5.)
Mais lisant sui e bien le sai,
Kar en l'estoire le trovai,
E creire le pot l'om senz faille,
Que plus dolerose bataille
N'out el règne ne puis ne ainz. (Ib. v. 27958-62.)
Mais or poet cist de fi savoir
Que li plus vaillant del païs
L'en unt auques eu defors mis. (Ib. v. 40240 - 2.)
Dient paien : Issi poet il ben estre. (Ch. d. E. p. 3.)
ILepoons nos dons dotter, puez ke cil est ensemble nos M tôt affait
portet? (S. d. S. B. p. 572.)
Et nos, tant com la corruptions de la char nos apresset, ne poons en
nule manière la clarteit de la divine poance veir ensi com ele est en soi,
senz muance. (M. s. J. p. 478.)
De cest chastiel aurons dangier,
Se nous ne nous poons vengier. (L. d'I. p. 22.)
Geste bataille ben la puum tenir. (Ch. d. E. p. 49.)
Oiez, funt il, cum faite joie
Yos jjoum dire : l'ost s'en fuit. (Ben. v. 19759. 60.)
Savoir poeiz, molt ot le cuer ire. (C. d. Y. v. 2588.)
D'une rien vos p)oez venter
Qu'en tôt le siècle n'a son per. (P. d. B. v. 6429. 30.)
Par vos savoirs s'em puez acorder,
Jo vos durrai or e argent asez. (Ch. d. E. p. 4. cfr.46. 124.)
Quant si compaignon l'ont veu.
Plus tost k'il pueent li ont dit:
Nous avons veu Jhesucrist. (E. d. M. p. 41.)
En nule guise
Ne pueent cil estre rendu. (E. d. 1. Y. v. 84.)
Et jurent Dieu qui se laisa pener
En sainte crois por son peule sauver,
Se Eaoul puent en lor terre trover,
Seurs puet estre de la teste colper. (E. d. C. p. 81.)
.XI. mille chevalers poeent estre. (Ch. d. E. p. 118.
Ja unt il tant del men que il nel poent porter. (Charl. v. 843.)
48 DU VERBE.
A malvais port sunt arivez,
Se or ne se ]poent d'els défendre. (Ben. Il, v. 2340. 1.)
Outre ces formes principales et régulières, on trouve déjà,
dans la seconde moitié du XIII* siècle, le renversement de Vue
en eu^ que la langue fixée a même admis à la première per-
sonne du singulier.
Tu ne me pueus^ navrer si malemant. (0. d. D. v. 11422.)
Et queu femme le peut nonriir. (R. d. S. G. v. 3468.)
Qui gaignier vuet, illuec faire le peut. (H. d. V. p. 224. XXXI.)
Sauf ce que ce mes sires et ma dame de Flandres dessus dit
voloient ralongier le jour dou raport, il le peuent faire selonc ce qu'il lor
plairoit et bon lor sembleroit. (1286. J. v. H. p. 438.)
M. d'Orelli (p. 195) cite une pareille forme, qu'il écrit à
tort pevent. Eu est le renversement de ue ., et c'est de peuent
qu'on forma plus tard notre peuvent^ par l'intercalation eupho-
nique du V. L'éditeur du Eoman du Chastelain de Couci est
tombé dans la même erreur:
Passèrent oultre sans atendre
Quanque ckevaus lor pevent rendre, (v. 1189. 90.)
lis. peuent.
Dans l'exemple suivant, il faudrait peut-être lire aussi peuent
au lieu de povent:
Et les povent chascun an cliangier et muer tos quatre. (1282.
M. et D. i. p. 460.)
Sinon, on doit écrire ou, parce que cette nouvelle forme en
0 reporte nécessairement à un infinitif pouoir^ tout à fait en
accord avec la prononciation un peu large de cette province.
La forme ordinaire du présent du subjonctif était dérivée
de la première personne de l'indicatif puis^ pois: puisse, poisse.
En Bourgogne, on a eu, jusque dans le premier quart du Xm''
siècle, un présent du subjonctif formé par la dipbtliongaison
de Vo radical avec i postposé : poie. Par suite de l'influence
des formes de l'indicatif, Vo s'y changea bientôt en w, et on
voit dans les Sermons de S. Bernard, qui donnent toujours
puist à la troisième personne du singulier, la troisième du
pluriel flotter entre poient (payent) et puient (puyentj . La première
et la seconde personne du pluriel de la forme poie se conser-
vèrent cependant jusque dans le milieu du XTIP" siècle, parce
qu'ici le présent de l'indicatif avait aussi o.
Et il me doinst le jour veoir
Que je puisse pooir avoir
(1) A élire vrai , la forme jiueus conserve le renforcement primitif et admet en même
temps le nouveau; c'est un tâtonnement d'orthographe.
DU VEEBE. 49
Que je vous rende vo servise. (E. d. 1. Y. p. 205.)
Mais ne me puet el cuer entrer
Que j'onques celui puisse amer,
Ne pardoner mon mautalent,
Qui m'a sosduite à essient. (P. d. B. v. 49G3 - 6.)
Puise. (G. d. V. v. 1319.)
Au dessevrer de moi ne sera à ton chois
Quepuisses doner terre Alemanz ne Tiois. (Cli. d. S. II, p. 161 .)
Si tu es entrepris de rien
Qui granment te puisse grever,
Et tu t'en puisses délivrer
Legierement, ne te cliaut mie
D'atendro plus legiere aïe. (Chat. lY, v. 62 - 6.)
Tu vai'oyes k'il (ceux qui se noient) ceos tienent kes tienent, ne
k'il par nule raison ne welent dewerpir ceu où il premiers puyent
mettre lor mains, quel chose ke ce soit, ancor soit ceu tels chose ke
ne lor jmist niant aidier , si cum sunt racines d'erbes , ou altres tels
choses. (S. d. S. B. p. 521.)
De vostre part doit il avoir loier.
Un riche don ou un garnemant chier.
Dont il se puist anl'ostle roi proisier. (G. d. V. v. 998 - 1000.)
Il n'est nule riens en cest mont
Que nus hom puist faire poui- femme
Que je ne face poui- vous, dame. (R. d. 1. M. v. 122-4.)
Dont nus ne se puet tant pener
Que les milliers xmisse nombrer. (P. d. B. 2335. 6.)
Tomer lor puise à maie perte ! (Trist. I, p. 53.)
Beste n'en est ki poisset cuitc à lui. (Ch. d. E. p. 62.)
Quidez vous qu'il vivre poisse ? (E. d. S. p. 10.)
Lo posdomes. (F. d. V. 1. 33 v.) *
En telle manière que nos poiens fere nostre volunte. (1249. Th.
N. A. I, 1042.)
Alons ferir sor ax sonz plus de demorer.
Si que nos imipuissiens cest règne governer. (Ch.d.S.II,p.l08.)
Mes pur ço ke tant nus péchâmes
E de pechie nus encombrâmes,
Le nus estut espenir
Einz ke ci puissuns venir. (M. d. F. Il, p. 477.)
Qui ne lor toudra plainement
Secors, \itaille e entrement
(1) Cet exemple prouve le cas qu'il faut faire de la rcmarquo de M. Diez (II, 184),
touchant les terminaisons ornes , om (um , on) , ons. Om {um , on) , dit - il , se montre
dans le fait, plus tôt que ornes, bien que ce dernier porte l'empreinte d'une plus grande
anciennité. Et comme preuves de l'apparition antérieure de ojn, il cite pêlo - mêle des
formes des Q. L. d. R., du R. d. R. , de M. d. F. et du R. d. S. S. ( ! ! ) Voilà où
l'on en vient, je le répète, en voulant soutenir un système imaginé à priori, et en
no faisant aucune distinction dialectale. Om n'est pas plus ancien qna ornes ou ons;
om, um, ornes, ons existaient simultanément, mais dans différentes provinces.
B u r g u y , Gr. de la langue d'oïl. T. IL Éd . TH. 4
50 DU VERBE.
Tôt, si ne nos preiseront gaire
Riens que nos ja lor puisstim faire. (Ben. v. 19286-9.)
Nus n'avum ne pain ne el que à honuer li poissum présenter.
(Q. L. d. R. I, p. 29.)
Nus et lui en ceste vie
Défende tuz jurz de vilenie
Et de pèche,
Que aver poissom la compainnie
Que seint Tkomas ad deservie
. Par sa bonté. (Ben. t. 3. p. 509.)
Si prenez tout, jel vous otroie et quit.
Dont vous puissiez les soudoiers tenir
Qui vous deffendent, vous et vostre païs. (G.l.L. I, p. 8.)
Cist est voirement cist en cuy nen at nule chose ke desplaiset al
Peire et dont sei oyl payent estre akui-teit. (S. d. S.B. p. 552.).
Car ainsi plaist il à ois mismes, c'est k'il oy paient faire franchement
lor volenteit ensi ke nuls n'en parost. (Ib. p. 556.)
De ceu est ceu ke li altre l'arguent et reprennent et dient k'il
soffrir ne paient la perece de sa tevor. (Ib. p. 567.)
Et quant cil del castiel l'entendent.
Ne sevent que il puissent faire. (R. d. 1. Y. p. 87.)
Nous otrions et volons , ke . . . li cuens de Gelre . . . li ai'cheveske
de Colongne .... puissent aleir et venir par tout en no teiTes segure-
ment et sauvement. (1287. J. v. H. p. 454.)
Suz ciel n'ad gent ki plus paissent en camp. (Ch. d. R. p. 118.)
Le parfait défini avait pour formes : en Bourgogne , poï; dans
l'est de la Picardie propre et le Yermandois, poc; dans le reste
du dialecte picard , peue , peu ; en Normandie , pou. Lorsque l'on
eut renversé la diphthongaison ue du présent de l'indicatif, le
parfait défini picard se trouva être semblable aux formes fortes
de ce temps; et il est à croire que cette identité d'orthographe
hâta l'admission de la forme contracte pus^ comme moj^en de
distinction. Fou a été aussi employé dans le sud de la Cham-
pagne pendant la seconde moitié du XITE^ siècle.
Droit m'en offristes, ce ne puis je noier.
Por l'amendise poi avoir maint destrier. (R. d. C. p. 89.)
Ne pac jou celé pai't aler
Que vous ne me fuissies devant. (R. d. 1. V. p. 22.)
De duel qu'en oi ne peuc mot dire. (El. et El. y. 2739.)
Et saces bien que tes paiens
Ai je conviertis pour lor biens
Quant jou peu, et encor ferai.
Se Dieu plest, tant com je vivi'ai. (Phil. M. v. 5308-11.)
Meis ne peu savoir qu'il devint,
Quel chemin ne quel voie tint. (R. d, S. G. v. 1369. 70.)
DU VERBE. 51
Neporqant plus isnellemant
Que je pou, et en tel manière
Eeving à la maison aiTiere. (Dol. p. 259.)
Pur ço que enveias tes messages pur cunseil demander à Belsebub
le deable de Acliaron, ensement cume Deus ne fust pas en Israël de
qui pous cunseil demander , pur ço del lit ù tu es aculcliiez ne lève-
ras, einz i muiTas. (Q. L. d. E. IV, p. 346. 7.)
Certes repris fut Saulus ; ne pot covrir son malice, ne nel pot denoier.
(S. d. S. B. p. 555.)
Mort l'abatit, ne li pot faire pis. (G. d. Y. v. 507.)
n ne sout que ceo fud, nel out de luign apris,
Ne pout ester sur pez, sur le marbre s'asist. (Charl.p. 16.)
Quis e deschaciez fu assez.
Mais une ne pout estre trovez. (Ben. v. 9620. 1.)
Cis tint quanque ses pères ot,
Moult peut et valu et moult sot. (PMI. M. v. 13997. 8.)
Lonc tens l'avomes espie.
Aine mais avoir ne le peusmes,
Tant agaitier ne le seusmes. (Ben. t. 3. p. 515.)
Nous essaiemmes et veismes
En toutes choses que poimes
Que nus le pourroit essaier. (R. d. S. G. v. 3607-9.)
Onkes contre alz ne nos tenismes.
Ne desfandre ne nos poismes. (Dol. p. 240.)
Primes nus enpoumes conforter e aitier. (Tli. Cant. p. 70. v. 11.)
Là poistes conquerre vostre pris de legier. (Ch. d. S. I, p. 227.)
Kar me faites, fait il, savoir ....
U trovastes defendement
Ne ù eustes arestementj
Com poustes escbaper. (Ben. v. 6016. 19-21.)
Merveille fu que par enbler | Peustes tel chose aiiner,
Quer unques n'en fustes retez.
Que nos seusson, n'escriez. (Chast. XXI. v. 43-6.)
Or ne porent il veoir que mais puist remaindre sans bataille à
ceu que lor anemis sont si près d'eus sur une bruiere. (H. d V. 494^*.)
A mur montent plus tost que porent. (R. d. 1. V. p. 86.)
Es vus à tant un char errant,
Li bovier qui vindrent devant
Ne peuvent l'ome trestornier
Ne les bos peuvent desturbier. (St. N. v. 776 - 9.)
Plus tost k'il peuvent sont retorne. (E. d. M. d'A. p. 14.)
Rasin H reis de Syre e Phacee le fiz Eomelie li reis de Israël
vindrent à Jérusalem , si l'asegierent , mais ne pouvent pas prendre le
rei à celé feiz. (Q. L. d. E. IV, p. 396. 7.)
Au lieu de pot^ on trouve polt^ qui dérive de pollere:
4*
52 DU VERBE.
De kai me jpolt om plus solacier ke del douz nom de salveteit?
(S. d. S.iB. p. 548.)
Le présent a aussi des formes semblables.
Imparfait du subjonctif: peuisse (peuïse^ Th. fr. M. A. p. 109),
peusse {peuse, Trist. I, 108); piisse {puce Trist. II, 53), poisse
pousse.
Sie ne me seroit jemais lions
Que je m'i peuisse acorder,
Ne je ne me puis concorder
Que nous peùissions esti'e ensamble
Par mariaige, cbe ma samble. (R. d. M. p. 23.)
Si m'a conmande et enjoint
Que sans cesser je vous quesisse
Et où que trouver vous peuisse. (R. d. C. d. C. v. 6543-5.)
Sire, fait il, n'ai mais fiance
En rien fors en Deu e en vos,
Cornent je peusse estre rescos. (Ben. v. 33125-7.)
Or vos fail de covant, ma foi vos ai mentie;
Mes se jpoisse vivre, bien l'eusse acomplie. (Ch. d. S. II,p.l33.)
Ne m'a laissie qi vaiUe en seul denier,
Ne bore ne vUle, ne castel ne plaissie,
Ne tant de terre où. je pusse coucher. (0. d. D. v. 3387-9.)
Od cez, si lor amor eusses.
Te di de veir que tu peusses
Totes les terres seignorier
Des munz en çà desqu'en la mer. (Ben. v. 15120-3.)
En kai me poist il plus loer sa benigneteit k'il fesist en ceu k'il
ma char receut? (S. d. S. B. p. 547.)
Et soi mimes avoit il ciTicifiiet al munde ; car teil soi volt il faire
en lui ke li mundes nel poust alsi com mort ameir. (M. s. J. p. 465.)
E ruvad que il esleist quel membre que il volsist que il le poust
mustrer à nostre Seignur. (Q. L. d. R. Il, p. 217.)
Ceci au meins bien cuidions.
Qu'en terre ne venist nus bons
Qui de cors de femme naschist,
De no pooir fuir pouist. (R. d. S. G. v. 3535 - 8.)
Et pour- çou que çou fust estable,
I mist son saiiel delitable
Li rois, pour mious aconfermer
Que nus om nel peuist fauser. (Phil. M. v. 2518-21.)
N'est nus ki le peuist conter
Ki ne convenist mesconter. (R. d. M. p. 34.)
Molt estoient en grief torment,
Et trotoient si durement
Qu'il n'a el mont sage ne sot
DU ^'ERBE. 53
Qui peust ^ soffirir si dm* trot
Une lieuete seulement. (L. d. T. p. 78.)
Bon feroit tel voie trover
Que la peussiens délivrer. (R. d. 1. M. v. 3745. 6.)
N'avum nos gent, force e leisir | Que ço loi pe^issum tolir^
Qu'assis fusses de tûtes parz? (Ben. v. 19282-4.)
Si nos aidez de Rolland li marchis
Par quel mesure le poussum hunir. (Ch. d. R. p. 25.)
Là peuissies où* grans bruis. (L. d'I. p. 17.)
Car à plus bel ne à mellor
Ne peuissies avoir amor. (P. d. B. v. 4921. 2.)
Et ensi avient par grant dispensation ke li bien ki poissent estre
atennueit se il fuissent acomplit, croissent par mi ce ke il sont aiier
mis. (M. s. J. p. 466.)
Senz cest ordre, senz ceste gent,
Ne sai mie com faitement
Li autre périssent dui-er. (Ben. v. 11103-5.)
Si fil que grans noris avoit
Peuissent bien vengier leur père,
Mais il ne vorent par misère. (Phil. M. v. 1403-5.)
Et s'il avenist chose, ke li devant dit procureur ne vosissent u
peuissent le dite cause poursuii- duskes en le fin (1288. J. v.H.p. 474.)
Cunseil quistrent cume poussent e deussent l'arche ariere enveier.
(Q. L. d. R. I, p. 20. cfr. p. 36.)
Je passe aux exemples de l'imparfait de l'indicatif, du futur
et du conditionnel.
Volentiers de rehaiteroie
Ce dist li rois , se jo pooie. (L. d. M. p. 45.)
Li chambellains li dist, por voir.
Se poeie l'ore savoir.
Je le feréie si lier
Qu'il ne nos porreit domagier. (Chast. XXVI. v. 55 - 8.)
Se tu pouoies entraitier
La damoiselle nullement.
Si li di tout hardiement ... (R. d. C. d. C. v. 2970-2.)
Mais il orent si forte tiere
C'en nés pooit vaincre par guerre. (Phil. M. v. 178. 9.)
E s'il li poeit faire ennui,
A ce sereit mult ententis
Toz les jorz mais qu'il sereit vis. (Ben. v. 14240-2.)
S'or li poions par bataille tolir
Cel grant naviUe (0. d. D. v. 315. 6.)
(1) Je trouve puest dans une charte de 1279, J. v. H. p. 404; pnessent, M. d. F.
I, p. 43; etc. Sont -ce des fautes de lecture, ou des formes picardes du présent du
subjonctif, formées, dans la seconde moitié du'XIIIs siècle, d'après l'analogie de celles
de l'indicatif?
54 DU VEKBE.
S'a Karlemaine me poiez acoui'der,
Ainz demain vespre vos en laroie aler. (G. d. V. v. 934. 5.)
Seulement pooient nostre Franc chevaucliier,
Tant comme furent vif li noble chevalier. (Ch. d. S. Il, p. 152.)
Or lor avint un jor eissi
Que tôt lor vivre lor failli,
Fors qu'un poi de ferine aveient
Dont un sol pain faire poeient. (Chast. XV 11. v. 8-11.)
Volontiers à eus palleroient.
S'il ensemble avoir les pouoient. (E. d. S. G. v. 1399 - 1400.)
L'éditeur, M. F. Michel, éciit povoïent ; mais comme on va le
voir , le même texte porte au futur et au conditionnel : pourrai,
pourvoie; ce qui prouve que \oû du manuscrit est un simple
assourdissement de l'o. Ce sont ces formes en ou qui ont donné
naissance aux nôtres , par l'intercalation euphonique du v. Cette
remarque s'applique à la forme pouoies^ citée plus haut, que
Crapelet écrit aussi avec un v: povoies.
Car nule rien tant ne désir,
Dist la vieUe, com mal à faire:
Des or m'en porrai bien refaire. (E. d. 1. Y. p. 29.)
Dune valent mielz Abana e Pharphar , les eves de Damasche , que
tûtes les eves de Israël ii jo me purrai baigner e guarir ? (Q. L. d. E.
IV. p. 362. 3.)
Se ço n'est veir ke jo te di,
Dire porras ke j'ai menti. (E. d. E. v. 15216. 7.)
Mais où porat estre atroveie celé neis ke si granz ondes et si forz
puist sostenir et estre seure en si grant péril? (S. d. S. B. p. 569.)
Il l'aimme tant ne s'en porra garder
Qu'il n'en menjust, ce porra lui peser. (Ch. d.E.Intr.XXVI.)
Set anz i purrat estre , ne serrât remue. (Charl. p. 13.)
Lons tans perrons tenir an pais noz herite(z). Ch. d. S. II, p. 39.)
Oliver frère , cumment le purrum nus faire ? (Ch. d. E. p. 66.)
La pores faire vo désir. (L. d'I. p. 14.)
Tuit morrez à dolor, n'an porrez eschaper,
Se Dexm'amaine cez que je ai fait mander. (Ch. d. S. Il, p. 129.)
Ensi par les vertus devines
Porront de petites rachines
Naistre grans pules crestiains. (E. d. M. p. 47.)
Judas leur mist le jour, pour voir.
Comment il le pourront avoir,
Et en quel liu le trouverunt. (E. d. S. G. v. 299-301.)
Mais je ne povoie retraire
Le maus que trai pour vous et tir ... (E. d. 1. V. p. 22.)
Se bestes le mengoient, g'en poiroie avillier. (Ch. d. S. II, p. 89.)
Ne s ai, fait il, se je vos ottrei | Ce que ci requérez vers mei.
DU VERBE. 55
Ciim j'en porreie vers paiens
Ovrer n'avenger à nul sens. (Ben. v. 23079-82.)
Ne je ne le pourvoie feire. (E. d. S. G. v. 930.)
N'i auras pas tel destorbier
Corn tu porroies or avoir. (Trist. I, p. 51.)
Tu nés purrdes guverner. (M. d. F. Il, p. 386.)
Ha! bêle fille, si ne t'eRpourroies tenir? (E. d. S. S. d. E. p. 47.)
Ke ceste aroit à moilier et à per,
Bien poroit dire de bon ore fu neiz. (G. d. V. v. 741 - 2.)
Nus hom ne porroit pas descrire
Vostre biaute ne bouce dire. (FI. et Bl. v. 731. 2.)
Sa grant valor Ml purreit acunter? (Ch. d. E. p. 21.)
Et qui de lui pourrait trouver
Aucune chose et aporter . : . (E. d. S. G. v. 1159. 60.)
Car tel roïne recouvrer
Ne poriens en tout le mont
De toutes celés qui i sont. (E. d. 1. M. v. 4108-10.)
U ci porrium mais atendre
E le tens gaster de despendre. (Ben. v. 19293. 4.)
Pilâtes est moût vaillanz bons.
Plus que dire ne pourrions. (E. d. S. G. v. 1137. 8.)
Atandez vostre gent, trop vos poise la pance:
Ne porriez monter à cheval sanz grevance. (Ch. d. S. U, 29.)
Ne poriies longhes garir. (E. d. S. S. v. 413.)
Plus purriez conquerre par vostre humilité.
(Th. Cant. p. 72. v. 28.)
Eemenront les contesses o les cors seignoris,
Qar sosfrir ne porr oient l'errer ne les durs lis.
(Ch. d. S. I, p. 87.)
Ainz fist comander que ses genz
Passassent, quant venuz sereient.
Apres lui cum plus tost porreient. (Ben. v. 40384 - 6.)
Et distrent tout premièrement à leur conseil que il iroient par Ba-
biloine , poui" ce que miex pouroient Sarrasins destruire par Babiloine
que par autres terres. (Yilleh, p. 9. XVIII.)
Je citerai en dernier lieu une forme picarde de la fin du
Xm^ siècle, oii Vo est diphthongué avec t:
Mes sires et ma dame de Elandres dessus dit en poirroient dire
lor volonté. (1286. J. v. H. p. 438.)
Cette diphthongaison n'est pas rare. (Cfr. le provençali?oîWa.)
Participe présent:
Mult est poans seint Nicholas. (St. N. v. 1130.)
Cfr. Dunkes cant li tozpoanz Deus soi demostret à nos parmi les cra-
veures de contemplation, ne parolet mie à nos, anz runet. (M. s. J. p. 478.)
Encontre lo juste et lo tôt poant jugeor. (Ib. p. 489.)
56 DIT VEUBE.
Remarquez la locution:
Et je qu'en puis se je m'esmoie. (Eutb. I, p. 6.)
c'est-à-dire je n'en puis mais.
Pouvoir n'avait que deux composés: entrepooir et repooir.
Or repoions l'estor recommancier. (G. d. V. v. 2988.)
ESTOYOIR (v. fo.).
Estovoir, verbe impersonnel, signifiait falloir , convenir, être
important^ être nécessaire. Il n'est pas facile de retrouver l'ori-
gine de ce mot. M. Diez (II, 208) pense que la parfait défini
du verbe ester ^ formé d'après le latin steti^ a donné lieu à un
nouvel infinitif, composé selon l'analogie de la plupart des verbes
à parfait en ui : estovoir ; d'où un nouveau présent régulièrement
renforcé: estuet. Cette interprétation me paraît forcée; je crois
qu'il faut rechercher la racine ^^ estovoir dans l'allemand, et ici
se présente le verbe faible stuoan^ stoivan? stuên^ qui répond
peut-être à toutes les exigences.
Yoici des exemples des différents temps de ce verbe, qui
se conjuguait comme pouvoir, mouvoir.
Mez Olivier, por Deu le droiturier.
Geste bataile vos estuet à laisier. (0. d. Y. v. 1993. 4.)
Mais puis que il (vostre mari) est trespasses.
Et atendu aves asses.
Et que remese estes sans oir,
•J. autre vous estuet avoir. (R. d. M. p. 27.)
Li oel li troblent, si V estuet trebuchier. (R. d. C. p. 77.)
Ci se partent tant bon vassal
De cest siècle senz revertir
A qui les cors estoet partier. (Ben. v. 5318 - 20.)
Si Ebalus se fist irie
Ceo n'estoet mie demander. (Ib. v. 5542. 3.)
A Rou le vunt nuncier e dii*e.
S'il out anguisse e dol e ire
Ceo nen estât ja demander. (Ib. II, v. 753-5.)
En France, à mun reaime m'en estut retumer. (Charl. v. 217.)
Les napes metent sergant et despencier.
Au dois s'asient U vaillant chevalier.
Qui qu'en mengast Ybers Vestut laisier. (R. d. C. p. 76.)
Nus hom ne te puet garantir
Qu'il ne festuise morir. (Brat. v. 1385. 6.)
En vos me met del revenir.
Que moi n'estuisse à duel morir. (P. d. B. v. 7699. 700.)
Que de fait ci entur mei? pur quel te estuce vers ta teiTe aler e
partir de mei? (Q. L. d. R. IH, p. 278.)
DTJ VERBE. 57
Ne ert tant fort le estache ke nel estucet briser,
E le palais verser, vers terre trubucor. (Charl. v. 524. 5.)
Grant paor ont dedanz nés estuese afamer. (Ch. d. S. H, p. 107.)
On lor rendi ... la Pulmach, qui seoit sur un lac d'aiguë dolce, un
des plus fort chastiaus et des meillors que il esteust querre. (Villeli.470«.)
(Puis s'apercbut) que il ont ses messages enveez à Sua le rei de
Egypte pur requerre que il le delivrast del rei des Assiriens, que ne
li estettst cest treud rendre. (Q. L. d. R. IV, p. 401.)
Ne se peust longes desfendre.
Ne V esteust morir u rendre. (P. d. B. v. 8981. 2.)
Et celé claciele^ guardoit
En .i. escrignet k'il avoit
Quanqxi'estevoit à monniage. (PK. M. v. 14375-7.)
Kant vi ke morir Vestuveit. (R. d. R. v. 5891.)
Or m'estovra^ sofrir fortune.
Trop m'aura fait mal et rancune. (Trist. I, p. 15.)
Or m'estevra Maume lacier,
Ki me deuisse solacier;
Or m'estevra escut porter,
Si m'en deuisse déporter . . . (Ph. M. v. 8702-5.)
Et se vous en aves envie.
Déporter m'en estavera. (R. d. 1. V. v. 3044. 5.)
De vostre pecunie frad sun plaisir, sers serrez sil vus estuverad
suffrir. (Q. L. d. R. I, p. 28.)
Ki reis Marsilie de nos ad fait marcbet,
Mais as espees Yestuverat esleger. (Ch. d. R. p. 45.)
. . . Quant il oi et sot l'agait
Qu'Artus avoit contre lui fait;
Vit que combatre li estovroit . . . (Brut. v. 12864-6.)
Ne vos puis lor duel aconter,
Trop m'i estevroit demorer. (P. d. B. v. 7645. 6.)
Les exemples du futur et du conditionnel donnent les
différences dialectales de la forme de ce verbe: estovoir^ estevoïr,
estavoir, estuver; plus tard, Vo s'assourdit en ou: estouvoir\
Le composé restovoir était aussi en usage.
SAVOIR (v. fo.), sapere.
Ce verbe avait pour formes: (savor) savoir^ en Bourgogne
et au sud de la Picardie; savir^, dans le nord- est du dialecte
picard; saver, en Normandie; saveir, dans les dialectes mixtes.
Savir se perdit de très -bonne heure, et fut remplacé partout
(1) Petite clef.
(2) Estouira (P. d. B. V. 6617) est- il exact? On Ut partout ailleurs, dans ce texte,
estevra (v. 9007), etc.
(3) Savir so txouvç déjà dans les Serments,
58 DTJ Verbe.
par la forme en oir. On trouve encore savoer (M. d. F. H, p. 219),
qui n'est qu'une variante orthographique de savoir; saveier (Chast.
Il, V. 50) et saveer (M. d. F. II, p. 448), formes créées pour la
rime d'après l'analogie du verbe voir.
Giers al homme est la voie vepunse , car ensi met il commencement
à sue oevre ke il ne puet savoir l'eissue de le fin. (M. s. J. p. 469.)
Quant li dus le voit sainne en vie
De nule ri^ns n'a tel envie
Comme d'oïr et de savoir
De s'aventure tout le voir. (E. d. 1. V. p. 60.)
Alez à cel crucified,
Saver n non s'il est dévie. (E. d. S. p. 10.)
Li quens EoUans, quant il veit Sausun mort,
Poez saveir que moult grant doel en ont. (Ch. d. E. p. 62.)
Le présent de l'indicatif de savoir était régulièrement fort.
La première personne du singulier a d'abord été sai, en Bour-
gogne et en Picardie, tandis que la voyeUe a se diphthonguait
en ei à la seconde et à la troisième du singulier et à la
troisième du pluriel. Le dialecte normand avait de même,
sans diphthongaison, sa, sez, set, sevent. Le renforcement ei,
comme je l'ai déjà fait observer, était moins stable que ie;
aussi, dès le milieu du Xm^ siècle, trouve -t -on souvent, dans
l'Ile-de-France surtout, des orthographes en e pur, et vers
1300, elles étaient, pour ainsi dire, d'un emploi général.
C'est à cette époque aussi qu'on prit l'habitude d'écrire se au
lieu de s, plutôt pour renforcer le son initial, que par influence
du latin scire.
Au lieu de la diphthongaison ei, on trouve ie à la troisième
personne du singulier, dans plusieurs textes de la Touraine et
de l'Orléanais occidental. Ces provinces, on le sait, conser-
vaient fort souvent les formes normandes, et le renversement
de ei en ie ne provient ici que du besoin de distinguer seit de
savoir^ de seit, troisième personne du singulier du présent du
subjonctif de l'auxiliaire être.
Ju ne me juge mies, dist il, car ju ne me sai de nule chose con-
sachaule. (S. d. S. B. p. 570.)
Mes je ne sai oncor an cest mont hom ne
Par cui il peust estre de son cheval versez. (Ch. d. S. Il, p. 14.)
Uncore en sa jo un ki plus se fait léger
Quant il porte corune entre ses chevalers. (Charl. p. 1.)
Cfr. R. d. L M. v. 1560.
Je suys cil de cuy ta lois anoncet k'il Nazareus serat apeleiz : mais
tu ne seis ancor mies ke ceu soit aemplit. (S. d. S. B. p. 558.)
DU VERBE. 59
Et tu seiz que entraprocier
Se suelent la gent d'un mestier. (Chast. m, v. 127. 8.)
Tu ne se2 mais gésir fors an clians et an bois.
(Cil. d. S. I, p. 148.)
Sez tu que nostre Sires ravirat tun seignur à cest jur de vie?
(Q. L. d. K. IV, p. 347.)
Ses tu, bons rois, por saint Niçois,
Pour coi l'en fait la feste as fols. (E. d. S. S. v. 2346. 7.)
Atant vous en deves tenir,
n seit les choses à venir,
Bien en deves estre asseui-. (E. d. M. p. 44. 5.)
Ço set bom ben que jo sui tis parastres. (Ch. d. E. p. 12.) '
Si unt il fait si faitement
Et si très doderosement
Que hom ne vos siet conter ne dire. (Ben. v. 8638-40.)
Eoi-t s'atorne e fort s'apareille,
A ce entent e à ce veille;
Bien siet sur lui ira li dux,
E si fist il, ne targa plus. (Ib. v. 32484-7.)
Cfr. ib. I, V. 1357: H, v. 461, etc.
Quant nos les pecMez laissons et à justice tendons , si savons nos
dont nos venons, mais nos ne savons ù nos parvenons; bien savons
queil nos fumes Mer, mais nos ne savons queil nos serons demain.
(M. s. J. p. 468. 9.)
Plus ont ja gent que nos n'avons.
Et plus sevent que ne savons. (P. d. B. v. 2389. 90.)
Et savez coment? (Yilleh. 463*.)
Yous saves bien que je voel dire. (L. d'I. p. 9.)
Mais vos veez e savez bien.
Si vos nel poez ti*aïr
E son orguil desavancir.
Qu'il cbascon jor vers vos atise .... (Ben. v. 21055 -8.) ^
Quels cboses est si senz malice cum est li agnels et li colons ? il ne
seyvent à neluy faire mal, il ne seyvent faire grevance. (S. d. S. B. p. 552.)
Poe sevent ores com il m'est avenu. (G. d. Y. v. 3840.)
Or sevent tuit petit e grant
Quel quor avez et quel talant. (Ben. v. 9314. 5.)
Cil ne saivent ke fere, ne saivent ù fuir. (E.d.E.v.799.)
Cette diplithongaisoii aï n'est pas des bons temps de la langue.
(1) En parlant des phrases impersonnelles, M. Diez (III, 181) rappelle le verbe
sedere, et il cite, à cette occasion, la phrase: Ço set hom bien, avec le renvoi Bol, 12,
c'est-à-dire Chanson de Roland, p, 12. Ço set hom hen (et non Uen) se trouve deux
fois dans cette page; mais les deux fois, set est la troisième personne du singulier du
présent de l'indicatif de savoir et non de seoir (sedere). Voici le second exemple:
Ço set hom hen, n'ai cure de manace.
(2) La Chanson de Roland, p. 45. str. LXXXYIH, donne saivez, forme certainement
inexacte d^ns un texte normand de cet âge.
60 DU MîRBE.
On a vu vois pour vai; on trouve de même soi pour sai.
Y. Trist. I, 91.
Le subjonctif présent était d'abord régulièrement fort: saiche^
saiches^ saichet, sachions, sachiez, saichent. Ces formes sont
bourguignonnes; le dialecte picard avait sace^ saces^ sace, sacions^
sacies, sacent; le normand sache ^ saches, etc.
La diphthongaison bourguignonne se troubla de bonne heure.
Au fur et à mesure que le dialecte picard empiète sur celui
de bourgogne, on la voit se perdre dans l'ouest; tandis qu'à
l'est de la Champagne, en Lorraine, en Franche -Comté, elle
avait gagné, vers le milieu du XIII^ siècle, la première et la
seconde personne du pluriel. Au commencement du XIV^ siècle,
les formes non renforcées, qui sont celles de la langue fixée,
étaient, pour ainsi dire, les seules en usage.
Le ch et le c de saiche, sache, sace^ sont Vi épaissi et chuinté
du latin sapiam. Dans la seconde moitié du XIIP siècle, on
trouve quelquefois g au lieu de c, dans l'Ile-de-France.
Dame, dist il, vos dites vérité.
n n'ait si belle an la crestiante.
Ne jusc'ai Eome, ce saichiez par verte,
N'en aillors, ke je saiche. (G. d. Y. v. 1821-4.)
Fisique ne pnet mal garir
Dont jo ne sace à cief venir. (P. d. B. v. 4589. 90.)
Mult me desdaing, mult me mervel
De ce que tu prans tel consel
De prandre contre Eome estrif,
Tant com saces un Eomain vif. (Brut. v. 10927-30.)
Geste merveilluse multitudine de pople que tu as veue te Hverai
à cest jur de ui, que tu saches veirement que jo sui Sires forz e
poestifs. (Q. L. d. E. in, p. 324.)
Petiz enfes est, ki ligierement puet estre apaisanteiz, car nen est
nuls ki bien ne saichet ke li enfes pardonet legierement. (S. d.S.B.p.549.)
Mais li ordenes des continens trespesset à pont, et nen est nuls
ki bien ne saichet ke ceste voie ne soit plus bries et plus legiere et
plus seure. (Ib. p. 567.)
Ainz ke nul le sachet u l'oie,
Arunt il mut de lur buns fait. (M. d. F. I, p. 86.)
Nus des lions ne l'atouca
Por rien que il lor sace faire. (FI. et Bl. v. 956. 7.)
Nus ne maintint, que nos sachons,
Plus jor saintes religions. (Ben. v. 40917. 8.)
Por ceu voil bien , chier freire , ke vos sachiez ke tuit cil enseuent
l'anemin avuertement, ki aucune chose de la sainte Escripture traient
malicieusement et orguiUousement à lor sens. (S. d. S. B, p. 573.)
DU VEEBE. 61
Le plus très biel que vous sachies
Ignaures li prus, l'ensaignies:
C'est cil à cui je sui donnée. (L. d'L p. 9.)
Sire, fait il, çou voel k'aies
Et Blanceflor gre en sades. (FI. et Bl. v. 1475. 6.)
Afublez ça chape de laine,
Que ja nel sachent vos voisins. (Ben. v. 31311. 12.)
Sunez vos graisles que mi paien le sacent. (Ch.d.R.p. 121.)
Impératif: saches, saces, saiches; sacies^ sachez
Sire, funt il, saches e voies,
Apren e reconois e croies .... (Ben. v. 20276. 7.)
Mais ceo sachez, cil de Tolères
Lor en i motont maint en bières. (Ib. v. 28418. 9.)
Amis, par vorite provee
S actes que jou sui ses maris. (Cbr. A. N. lU, 65.)
Este ont an grant paine longoment, ce sachois.
(Cb. d. S. I, p. 105.)
Et sachiez bien, se biauz servirs ne ment ....
(C. d. C. d. C. p. 53.)
Le parfait défini, dérivé de saput, a eu pour formes: en
Bourgogne, saui^ sau^ ensuite soi; en Picardie, seui^ seuc^ seuch^
seu; en Normandie, sii (sui), sou. (Voy. devoir.) Comme à
l'ordinaire, en Picardie, au lieu de «, on écrivait, au XLEI''
siècle, c, ch: seuc, seuch, qui devinrent seu en passant dans
l'Ile-de-France et, en général, dans le nord du dialecte bour-
guignon. La forme bourguignonne primitive saui, sau, ne fut
pas de longue durée ; dès le prrmier quart du XLEP siècle , on
avait permuté au en o: soi. Sapui avait donc subi les chan-
gements: saupi, saui, soi, en Bourgogne; seupi^ seui, en Picardie.
Au milieu du XIII^ siècle, on se servait aussi de sou en
Champagne. (Voy. avoir, parf. déf. t. I, q. 250.)
Il moi plaist ko go ne sau ce ko go demandai, quant moi avint
en si grant subtiliteit aprendre ce ko ge ne sau. (S. Grégoire. Eoque-
fort. s. V. sau.)
Tant que je fui moschins et jovencel.
Soi je molt bien maintenir mon cenbel.
Et de ma lance à droit porter le fer- (R. d. C. p. 229.)
Jakes, li sains de Compostiele,
Toli mes homes la boiele,
Et si m'aveuli de mes ious.
Ne soi que fu tiere ne cious. (Phil. M. v. 12313-6.)
.Vij. anz toz plains i ai jai converse:
Ainz ne sou mais cest chamin par verte. (O.d.V.v. 3645. 6.)
Aine mais ne seuc que fu amour,
Ne meller no m'en voel nul jour. (R. d. 1. M. v. 1771. 2.)
62 DU VEKBE.
Les sept ars tôt premièrement
Apris et seuc parfitement. (P. d. B. v. 4581. 2.)
Ne vi ne seu et si l'enquis. (E. d. S. G. v. 1368.)
(Tu) Ne bien faire ne me seuls. (Phil. M. v. 3067.)
Li rois le sot, molt l'en pesa,
Mander le fist, à lui parla. (L. d. M. p. 45.)
Ignaures, ki cel engien ne sot,
A une d'eles s'en ala. (L. d'I. v. 226. 7.)
Li rois sout s'aise e sa puissance | E vit sa fiere mescliaanco,
Sout Sun esforz e qu'il pout faire. (Ben. v. 6207-9.)
Il ne sout que ceo fud, nel eut de luign apris.
Ne pout ester sur pez, sur le marbre s'asist. (Charl. v. 386. 7.)
Moult seut de consel et de lois. (P. d. B. v. 2485.)
Ensi fist bien , et si nel seut. (Chr. A. N. m, 100.)
A la fin du Xm^ siècle et au XIY®, on diphthongua souvent
les formes sot., seut avec i, de la manière suivante:
Li reis out conseilliers, sisîew^utlurafaire. (Ben. t. 3, p. 588.)
Mais il soit molt bien la contrée. (R. d. S. S. v. 4914.)
Par Perinis, li franc mescMn,
Soit Tiistran novel de s'amie, (Trist. I, p. 145.)
N'on ne setimes que Deus est. (Ben. v. 24334.)
N'eusmes pas longues erre
Que nos fumes si esgare.
Ne seusmes quel part aler,
Tote nuit nos estut foler. (Chast. XYL, v. 29-32.)
Dun ne seustes que l'um lance legierement les darz del mui* e des
kernels? (Q. L. d. R. n, p. 156.)
Yus le soustes e oistes
E vus le uveraine consentistes. (Trist. Il, p. 121.)^
Quant paien sauvent que Juliiens fu pris.
En fuie tornent molt forment entrepris. (R. d. C. p. 307.)
Il virent li gonfanon Saint Marc de Venise en une des tors, et mie
ne sorent qui l'y porta. (Villeh. 452^.)
La chose unt tost faite savoir.
Adunc sorent bien qu'ont dit veir
Li clerzuns. (Ben. I, v. 1333-5.)
Plus savoit la ■s'ielle d' engien
Qu'entre Tessale^, ne Brangien
Ne sourent onques, ce m'est vis. (R. d. 1. V. v. 513-5.)
La nuvele vint al rei des Assyriens, si li dist l'um que pur ço
que il ne sourent la lei al Deu de celé terre , lui- vint sure tele pesti-
lence e tel flael. (Q. L. d. R. IV, p. 403.)
Cume li païsant surent que li reis Nabugodonosor out fait Godolie
maistre de la teiTe . . . (Ib. ead. IV, p 437 ; cfr. I, 88.)
(,1) Yoy. sur co mot la note do M. F. Michel.
DtJ VEEBE. 63
Tant en rentinc et tant en soi,
Tuit autre en seurent vers moi poi. (P. d. B. 4599.600.)
Au lieu de sout^ on trouve solt^ qui peut avoir été formé
d'après l'analogie de volt, vout^ par des copistes qui n'avaient
pas l'habitude des formes en ou; ou confondu avec solt^ dérivé
de saloir. Yoy. Trist. n, p. 37. Ben. t. 3, p. 489, etc.
Imparfait du subjonctif: sausse^ seusse^ seuisse^ sousse. Les
dialectes qui se servaient du parfait défini soï^ avaient pour
formes correspondantes, à l'imparfait du subjonctif: sausse^ seusse.
Sausse, à la troisième personne du singulier surtout, se ren-
contre assez souvent, même à la fin du Xm* siècle. Sousse
est très -rare; les textes qui ne connaissent que sou au parfait
défini, se servent ordinairement de la forme seusse.
Ja deffendu ne lor eusse
Se de par'Diu ne le seusse
Que c'est contre sa volonté. (E. d. M. p. 75.)
Onkes ne vi, ko je seusse,
Père ne mère ke j'eusse. (Dol. p. 288.)
Por ceu ke tu sausses cum granz soit li destroiz ki vient, si vint
davant li humiliteiz si granz. (S. d. S. B. p. 549.)
Il n'est nus hom ki de moire soit neiz,
Que deviser seust les granz bonteiz
Ne la ricliesce des granz palais Hsteiz. (G. d. Y. v. 3357-9.)
Ceo ne purreit nus tant aprendre,
Que certe chose en seust rendre:
Nul ne sont onkes sa laiir (du monde)
Ne s'amplete ne sa grandur. (Ben. I, v. 21 -4.)
Helas! se li bons rois seuist
Sa traïson, il le pendist
Le traïtoui-, le foursene. (Phil. M. v. 7536-8.)
Quant il pcrt la reïne Ysolt
Mûrir desiret, mûrir volt,
Mais sul tant ke il la soiist
Ke il pui- la sue amur murrust. (Trist. Il, p. 90.)
Sanz et savok voloit aprandre
Par coi desfandre ce saust
S'an aucun tans besoing aust. (Dol. p. 211.)
Celi qu'il voit que mix valt et plus set
Doit il doner s'oriflambe à porter
Qui le saust et conduire e guier,
Et en l'ester e venir e aler. (0. d. D. v. 912-5.)
Qui sereit li fols ni desvez,
Hors de sun son e afolez.
Qui alast là où ne sust
Quels mal avenir li dust. (M. d. P. TI, p. 415.)
64 DU VEEBE.
Et por ceu ke nos saussiens ke cist espiritels avenemenz est rece-
leiz, si dist il après: En son ombre viveronz entre la gent. (S. d. S.
B. p. 528.)
E des gestes dun nus parluns,
Poi u nient seussum dire,
Se l'um nés eust fet escrire. (E. d. R. v. 5247-9.)
Mandai vous que tous lies fussies,
Et cettainement seussies
Que ma dame eii saine et hardie
Et de sa porteui-e lie. (R. d. 1. M. v. 4195-8.)
Bien vouroie que seuissies
Mes maus, et que les sentissies. (R. d. C. d. C. v. 5072. 3.)
Et vos saussiez bien mon estre. (Trist. I, p. 225.)
Se seusez que fud amiste. (Ib. II, p. 47.)
Se cil de l'ost ke por lui sont dolent
Seuxent ore com li est avenant,
Molt pluis à aise en fuissent li auquant. (G.d.V. v.3782-4.)
Mieuz vient que par lui le seussent
Que par autrui le conneussent. (R. d. S. G. v. 1293. 4.)
Imparfait de l'indicatif: savoie^ saveie.
Ne Savoie mais rien que me deust grever.
Se Baudoins mes nies poist longues durer. (Cb. d. S. II, p. 149.)
Dame, dist il, quer je saveie
Un boen charme que je diseie. (Chast. XXI, v. 47. 8.)
Mais ke respondoit li hom ki sentoit l'affliction et ne savait ke
paiz fust? (S. d. S. B. p. 546.)
Car, pour la vérité abatre, *
Et pour çou que nous pensions
Vostre maltalent aiions
Se vous saviies cest afaire .... (R. d. 1. M. v. 4232-5.)
Sans et suoui-s lor est meslee
Es iex, si que goûte ne voient
Ne où trouver ne se savaient. (R. d. 1. V. p. 99.)
Les formes primitives du futur et du conditionnel ont été,
dans tous les dialectes, saverai^ saveroie.^ savereie, saveras, etc.
qui se contractèrent de bonne heure en saraï, saroïe^ sareie^
saras^ etc. Les formes pleines continuèrent néanmoins à être
employées, en Normandie surtout. Dès le second quart du
Xin*" siècle, on voit paraître, au sud de la Picardie et dans
le nord de l'Ile-de-France, les formes que nous avons conser-
vées, c'est-à-dire celles où Ve a été syncopé et le v permuté
en «: saurai^ sauroie.
Par mun chef! dist Carie, ço saverai jo uncore. (Charl. v. 51.)
Et dist la vielle: Oïl, molt bien
A dire vous sarai tel rien. (R. d. 1. Y. p. 30.)
Dtr VERBE. 65
A moens en ceu saveras tu k'il nen est mies venuiz por ti à ocire,
mais por ti à salveii". (S. d, S. B. p. 537.)
Saives iiuem es e bien saveras que tu li fras, si que en enfern
descende par occisiun. (Q. L. d. E. m, p. 228.)
Anqui saras com mes fers est agus. (0. d. D, v. 11372.)
Quant le saverat li reis Hugon, grains ert e maris. (Charl.v.601.)
Mais tout adies m'amour aui'a,
Ne ja nus, fors moi, nel saura. (R. d. 1. V. p. 57.)
Dune dist Saul : Faites ci venir les princes e les maistres ; e saverums
par ki cest peccMe est avenuz que de Deu ne poum avoir nul respuns.
(Q. L. d. E. I, p. 50.)
Ensi sarons certainnement
Li quele aimme plus hautement. (L. d'I. p. 9.)
Drois emperere, ne vos esmaiez ci;
Laisiez venir le prou conte hardi.
Lors savereiz tel plait il ont basti,
Par coi sont bien ensamble. (G. d. V. v. 3117-20.)
E piu- quel la venjance Deu ne cesse, dune saverez. (Q. L. d.E. I,p. 20.)
Si vos pri que vos me conteiz
Quanque de lor engiens saureiz. (Chast. X, v. 114. 5.)
K'ensi moi vient en propens
Que pour mal ne pour grevance
Ne sauront ma mesestance. (C. d. C. d. C. p. 58.)
Et por ceu ke ses fiz ne mure,
Le me donast et jel manroie
Tel leu ke bien le saveroie. (Dol. p. 255. 6.)
Dame, fait il, molt volontiers.
S'il vous plaisoit, quel gent ce sont
Saroie que ci passe sont. (L. d. T. p. 80.)
Sire, ce dit Sébile, miaz vos smtr oï'eaprandre. (Ch.d.S.I,p. 107.)
Tôt quanque dire me saur oies. (Eomv. p. 509, v. 1.)
Nulz ne vous saveroit conter
Le déduit qu'il orent la nuit. (E. d. C. d. C. v. 1004. 5.)
Et dit li quens : Je jur sur m'ame,
Se vous mi volies aidier, | Que ja ne saries soushaidier
Que je ne vous fesisse avoir,
Eobes et chevals et avoir. (E. d. 1. Y. p. 29. 30.)
Baveriez vous enseignier
Qui ba nule chose dou sien? (E. d. S. G. v. 1478. 9.)
A la fin du XIEP siècle, on trouve, en Picardie, un assez
grand nombre d'exemples où Va des formes saurai, sawroie,
s'était permuté en e.
Et ki encontre le pais irait, il seroit à punir comme brisieres et
monleres de pais, se ne les seuroent mes sires li veskes, li sires de
Durbuy . . . recepteir en leurs teri'es. (1288. J. v. H. p. 465.)
Burguy, Gr. delalangued'oïl. T. II. Éd. III. 5
66 BtT \^RBE.
Participe passé: scu^ seue.
E quant il vit qu'il ei*t seuz,
As suenz fait prendre lur escuz. (Ben. II, v. 2691. 2.)
Geste chanson n'est pais partot seue. (G. d, Y. v. 3691.)
Resavoir:
Biele fiUe, or soiiez sage et courtoise; vous savez un homme pris avoec
lequel vous vos en alez, qui est auques sauvages: car vous n'entendez
son langage, ne il ne reset point dou vostre. (H. d. V. p. 189, XII.)
Le participe présent du verbe savoir.^ qui faisait déjà sachant
dans l'ancienne langue (non sachanz, S. d. S. B. p. 553), se trouve
plus tard avec la forme scavant, même encore au XYI* siècle.
Phaeton mal aprins en l'art, et ne scavant ensuyvre la ligne eclip-
tique . . . varia de son chemin. (Eabelais Pantagruel. Il, 2.)
YOIR (v. fo.), videre.
La première chose qu'il faut remarquer dans ce verbe , c'est
l'affaiblissement de l'^^' latin en e, de sorte qu'après la syncope
du (^, on eut d'abord le radical ve. Veor^ et, dès la fin du
XIF siècle, veoir^ en Bourgogne; mr, dans le nord et l'est du
dialecte picard; vedey-^ plus tard veer , en Normandie; veeir ^ dans
les dialectes mixtes; veoir., au sud de la Picardie: telles sont
les formes primitives de voir. Après 1250, on diphthongua Ve
radical avec i, dans l'Ile-de-France: veioir; forme qui devint
veier en passant du côté de la Normandie. Enfin Ve radical
subit, au nord de l'Anjou et de la Touraine, en tirant du côté
de l'Ile-de-France, le changement que Ve latin éprouvait souvent
dans ces provinces, c'est-à-dire qu'il s'assourdit en o, d'où
voer^ voier. Yers 1280, ces formes en o se rencontrent dans
toute l'Ile-de-France, mais avec la terminaison oir: vooir. Je
ne pense pas qu'elles y aient passé d'un autre dialecte ; elles y
sont primitives, et proviennent de l'influence de la diphthon-
gaison oi du présent de l'indicatif. A cette époque, les règles
des bons temps étaient pour ainsi dire oubliées; l'on ne savait
plus s'expliquer un e radical en présence de Voi de certaines
formes, et l'on introduisit Vo à l'infinitif. C'est d'après ces
thèmes en o radical que s'est fixée plus tard la conjugaison de voir.
Voier resta très -longtemps en usage dans quelques contrées.
Dont poroies veor un molt horrible monsti-e. (S. d. S. B. p. 562.)
Chascun voloit veor ki seroit esliz. (Yilleh. 463'*.)
D'iluec puet il veoir le mer. (P. d. B. v. 693.)
Car je les voloie veoir. (Dol. p. 256.)
Li monz si est nostre contemplations en oui nos montons por ke
nos soiens eUeveit por veir cez choses M sunt desor nostre floibeteit.
(M. s. J. p. 487.)
DU VERBE. 67
Tant por oir ses cortesies,
Tant por veir ses mananties. (Brut. v. 10022. 3.)
Vus e vostre barnage voil veer volenters. (Charl. v. 309.)
Bien sai conoistre e veer cler
Qu'assez a ci à amender. (Ben. v. 15174. 5.)
Dous cuntes enveia pur s'enferte veeir. (Th. Cant. p. 15, v. 23.)
Guardez amunt devers les porz d'Espaigne,
Veeir poez ; dolente est l'arereguarde. (Ch. d. E. p. 44.)
Or poeiz veioir le biau geu
De quoi li siècles seit servir. (Eutb. I, 122.)
Ysengris fist dedenz garder
Por veîer et por aviser
La forme qui tote i pareit
De la lune qui pleine esteit. (Chast. XX, v. 175-8.)
Qu'on puist el mont ne voer ne trouver. (G. d. C. d. C. p. 22.)
Qu'il voer pousse e beisier. (St. N. v. 1388.)
Et com el pin plus hautement
Les fist monter por eus voier
A lor asenblement le soir. (Trist. I, p. 25.)
AcoTu fu voier cel plait. (Ib. ead. p. 57.)
Eesuscita, c'onques nou seurent
Li Juif ne vooir nou penrent. (E. d. S. G. v. 605. 6.)
Seingnor, or poez vooir de coi mi sii-es m'a toz jorz blasmee et
férue et cbaciee, qu'il creoit sa pie de quanqu'ele disoit. (E. d. S. S.
d. E. p. 57.)
Le dialecte normand fournit quelques exemples où le d n'est
pas encore syncopé:
E tute terre le (Salomun) desirad à vedeir, pur oir de sun savoir.
(Q. L. d. E. ni, p. 274.)
Sin vois vedeir alques de sun semblant. (Ch. d. E. p. 11.)
Ne loinz ne près ne poet vedeir si cler
Que reconoistre poisset nuls hom mortel. (Ib. p. 77.)
Les formes du présent de l'indicatif étaient:
NOEMANDIE.
vei
veis, veiz
voit
veum
yeez
vêlent.
Ainsi, diphthongaison au formes à terminaison légère;
cependant, en Bourgogne et en Picardie, elle n'est pas faite,
comme à l'ordinaire, sur la voyelle radicale de la langue d'oïl,
mais sur celle du latin: t = ai. Quant au langage normand, U
5*
BOUEGOGNE.
PICAEDIE.
voi
voi
vois, voiz
vois
voit
voit
veons
veomes
veeiz
vees
voyent, voient.
voient.
68 DU \t:rbe.
conservait intact Ve radical et le diphthonguait régulièrement
avec «. La Touraine, le Maine et l'Anjou avaient aï: vai.
Mais je voi ke à esgardeir fait ke en cel convive de cez frères,
paist li uns l'altre. (M. s. J. p. 497.)
Yous saves bien et cist baron | Qui chi sont assis environ,
Que Lisiars, que je voi là,
De gageure m'apiela
K'il feroit ses bons de m'amie. (R. d. 1. V. p. 290.)
Bien doi amer, car en mon non
Voi ge raison que doi amer. (E. d. 1. M. v. 1776. 7.)
Del combatre ne vei nul aise. (Ben. I, v. 1981.)
Sire, Sire, auvre les oilz de cest mien servant que il veied ço que
jo vei. (Q. L. d. E. IV, p. 367.)
Quant je vai tut m'est contraire,
Certes, Brengien, ne sai quai faire. (Trist. II, p. 116.)
Pren m'espee, que tu vois cbi. (E. d. 1. V. v. 6503.)
.... Eewarde en ceste crois.
Et si di chou que tu i vois. (Th. F. M. A. p. 64.)
Pilz, d'autre chose de chasti.
Que se tu veiz que deservi
Ait aucuns par sa felonnie
Qu'il seit destruit, ne mètre mie
Ti-op grant entente à lui garir. (Chast. m, v. 157-61.)
Tu veis que jo main, en paleis de cèdre, e l'arche Deu est herbergie
desuz peels. (Q. L. d. E. n, p. 142.)
Tôt ceu voit nostre Sires, et si se coiset. (S. d. S. B. p. 556.)
Et quant il ot tôt ce veu.
N'a gaires Huée atendu.
Quant une dame venir voit
Ki sor .j. sor ronci seoit. (L. d. T. p. 79.)
Ore veit li patriarches Deus i fait vertut,
Tost fait la glas suner par la citet menut. (Charl.v. 196.7.)
Set n'a ne force ne amis.
Si veit par tôt ses enemis. (Ben. v. 7654. 5.)
Tristran à cest conseil se tient,
Un peschur vait ki vers lui vient. (Trist. Il, p. 98.)
En ceu appert bien ke molt est périlleuse lor voie , ke nos tant de
gent i veons périr, dont nos dolor avons, et ke nos si poc i veons de
ceos ki ensi trespessent cum mestiers seroit. (S. d. S. B. p. 566. 7.)
Tenus m'en suix issi com vos vedz. (G. d. V. v. 1399.)
Ne laissiez mie vostre assembleie , si com coustume est az alkanz,
mais conforteiz la, et tant plus com vos veeiz lo jor aprochier. (M. s.
J. p. 467.)
Veez vos outre Eune ces tentes fremoier,
Ces ansaignes de soie vauter et ondoier? (Ch. d. S.I,p. 187.)
DU VERBE. 69
Sire, fait il, por Diu, merchi!
Vous vees qiies est nos fois. (L. d'I. p. 24.)
Car com plus voient lor guerredons , plus delitousement soi painent
del travilliier. (N. s. J. p. 467.)
Si teil gent voyent c'un les soffret et c'un ait pitiet de lor enfar-
meteit, facent por Deu de ceu lor esploit. (S. d. S. B. p. 559.)
Cil qui munterent el dongun | Virent les feus, virent l'arsun,
Veient les armes resplendir
E veient la preie acoillir. (Ben. Il, v. 749-52.)
Veient Jérusalem une citez antive. (Charl. v. 108.)
Le présent du subjonctif se réglait exactement sur celui de
l'indicatif.
Por la grant paor ke j'avoie
Me samble ancor ke je les voie. (Dol. p. 252.)
Quelque péril que jou i voie,
Il convient que je vostre soie. (R. d. 1. N. v. 1761. 2.)
Mais c'est le meuz que je i veie. (Ben. v. 31652.)
Par ce t'en ferai, bien le creies,
Ainz que la Pentecoste veies,
Avoir tes dreiz à ton voleir. (Ib. v. 21976-8.)
V là où nul bume ne voies.
Que nus ne sace où tu soies. (M. d. F. II, p. 395.)
Cil à cuy li cure de ceu à aministrer n'est ancor enjointe, a cuy
om nen at commandeit ancor k'il voiet et k'ii porvoiet à ceos ki les
oylz ont avuerz et niant ne voient. (S. d. S. B. p. 560.)
Cascune nuit est li sermons
Tôt bêlement, sains contençons.
Qu'il onques ne voie s'amie
Trosqu'à cel ore qu'el li die. (P. d. B. v. 4289-92.)
Las! tante lerme en ert ploree
Ainz qu'il veie maiz sa contrée ! (Ben. v. 13415. 6.)
Veied (Q. L. d. R. IV, 367.). Voy. prés. ind. 1°^- pers. sing.
Sire, Sire, avuglez tute ceste gent que il ne veient ne entendent
quel part jes merrai. (Ib. p. 368.)
Le parfait défini eut d'abord, dans tous les dialectes, les
formes: vi, veis] vit^ veimes puis veismes^ veistes^ virent:
Duze cuntes vi ore en cel muster entrer
Oveoc euls le trezime. Une ne 'y^ si formet. (Charl. v. 137. 8.)
Là vos vi primes, beaus amis.
Et i demorai quinze dis. (P. d. B. v. 1377. 8.)
Or di, biele, foi que moi dois,
Veis tu or cel chevalier.
Qui chaiens vint à cheval ier? (R. d. 1. V. v. 2725-7.)
Respundi Joab: Si ivl veis , pur quel hastivement nel oceis? e jo
te dunasse vint sicles d'argent e un baldrei. (Q. L. d. R. II. p. 187.)
70 DU VEKBE.
Il vit, ce dist nostres Sires, un homme ki sor lui mattoit sa main
por ceu k'il récent la vene. (S. d. S. B. p. 560.)
Quant de Franceis les esclieles vit rumpre,
Si apelat Tierri le duc d'Argone . . . (Cli. d. K. p. 137.)
La veimes le caple grief
Et entre vos dels le mescief ... (P. d. B. v. 3767. 8.)
Car nous veismes en la lune toute la some que se je parlasse ne
tant ne quant ... (E. d. S. S. d. E. 97. App.)
Veistes famé mais de si grant biautey? (G. d. V. v. 740.)
Nequedent trois ans a passes
C'autre fois chaiens me veistes. (R. d. M. p. 46.)
Veistes celé grant ewe qui si brut à cel guet? (Cliai-1.
V. 555.)
Les puis e les muntaines virent en Remanie. (Ib. v. 106.)
Si home le regardent, virent le anbrunchier. (Ch. d. S. I,
p. 103.)
On trouve des orthographes avec h, qui nous indiquent la
prononciation des formes où Vc est conservé:
Apres vehimes trespasser
Trois homes par mi celé rue. (Chast. ES, v. 70. 1.)
Au lieu de vît, virent, on renconti-e quelquefois vint, viurent^
dans le dialecte picard de la seconde moitié du XTTT^ siècle
(cfr. viunrent., tiunrent^ de venir ^ tenir).
Quant li rois et cil qui là furent
Viivrent le bras et aperchurent
Que la mains en estoit ostee ... (R. d. 1. M. v. 801 - 3.)
Et, d'après l'analogie d'autres premières personnes du par-
fait défini, vie pour vi:
Encor n'a gaires, c'est vérités provee,
Que je vos vie en tele randonee.
Qui vos donast d'or fin une caree
Ne sonissies à vo cor la mellee. (0. d. D. v. 2264-7.)
Imparfait du subjonctif: veisse., veisses, veist, etc.
Si veirement cume nostre Sire vit devant ki jo sui, se ne fust pui-
le rei Josaphat, jo ne te veisse, ne de tes paroles plait ne tenisse.
(Q. L. d. R. lY, p. 353.)
Si me menbre ore de vos dis
Con jes veisce ci escris. (P. d. B. v. 6093. 4.)
Qi là veist le cortois Guielin
Son cors desfendre contre ses anemis.
De gentil home li peust sovenir. (0. d. D. v. 7111-3.)
Ses veissons corporelement
Ci entre nus suffirir turment,
Trop gi-ant leidesce feriuns.
Se nus ne lur aidissiuns. (M. d. F. lE, p. 467.)
DU VERBE. 71
Se veissum Rollant einz qu'il fust mort,
Ensembl' od M i durriums granz colps. (Cli, d. E. p. 70.)
A lui veer e esgarder
Veissiez gi-ant jent asembler. (Ben. v. 770G. 7.) •
Lai veisiez un ester commancier,
Ke duit torner à mortel ancombrier. (G. d. Y. v. 597. 8.)
Je doutai k'elles ne venissent,
Ne vos pas k'elles me veissent. (Dol. p. 256.)
Et les formes qui dérivent de thèmes en o:
A merveille possiez par li camps mors trover,
E mult les voissiez laidement démener. (E. d. E. v. 4107. 8.)
Donc voissiez chevaliers poindre. (Ib. v. 9105.)
De pareils exemples sont rares et de plus bas temps.
Roquefort (II, p. 707) cite vesùt pour veïsf:
Adairiens {lis. à dairiens) fui-ent amoneies les bestes à Adam, por
ceu qu'il vesist cornent il les apeleroit. (S. d. S. B. fol. 110.)
Impératif: veï^ voi, veons, veum, veeiz. (Gr. d. Y. v. 601), veez
(Charl. V. 95).
Imparfait de l'indicatif: veoie^ veeie.
Ceu saichiez k'an tel leu seoie.
Que defors et dedans veoie. (Dol. p. 256.)
Je leur dis pas nou jugeroie,
Car reison nule n'i veoie. (E. d. S. G. v. 1313. 4.)
Le munt de France ù tu esteies
E ù si riche te veeies
Te di, si nel mescreire mie,
Que sainte iglise segnefie. (Ben. Il, v. 1521-4.)
n ne veoit nule chose, et si avoit les oylz overz. (S. d. S. B. p. 559.)
Tout li descouvri son corage
Pour chou qu'ele le veoit sage. (E. d. M. p. 18.)
Mais Ahia ne veeit gute de viéllesce. (Q. L. d. E. III, p. 291.)
Et la forme où le d n'est pas encore syncopé:
Perdu out la veue, e gute ne vedeit. (Ib. I, p. 16.)
Quant veiez la doleure
Si saviez ben à dreitui^e
Ke jo vendreie la nuit . . . (Trist. II, p. 127.)
Moult duremant s'an mervilloient
Totes les gens ki la veoient,
Mais il n'an pooient plus faire. (Dol. p. 275.)
Le futur avait pour formes: en Normandie, verrai-.^ en
Picardie, verrai^ puis vers la fin du XIII'' siècle, avec une
diphthongaison irrégulière , vierrai, et du côté de la Normandie,
dans l'Artois et la Flandre, veirrai\ en Bourgogne, varai. Cet
a radical pour e paraîtra extraordinaire, mais il était dans les
72 DTJ VERBE.
habitudes du dialecte bourguignon. On le retrouve même, à la
fin du Xm^ siècle , à la première et à la seconde personne du
pluriel du présent de l'indicatif, dans le comté de Bourgogne
et dans la Franche - Comté. J'ai déjà fait mention d'un pareil
emploi de Va à l'occasion de devoir, et aujourd'hui on se sert
souvent encore à^a pour e dans les mêmes contrées ; p. ex. darre^
derrière, darrei^ dernier; varie, verbe; va/r^ vert, ver (vermis),
vers (versus), etc. Yoici des exemples du XIII^ siècle, où a
est radical pour e:
Nos ne davons. (1288. M. s. P. n, 552.)
Nos . . . retenons et davons avoir les deniers. (1292. Ib. ead. 559.)
Tout ainsi comme nos personnenient lou porriens et dariens faù-e.
(1289. Ib. ead. 617.)
Se nos vaons. (1292. Ib. I, 378.)
Yers 1250, on diphthongua irrégulièrement Va du futur varai
avec i: vairai^ dans le sud -est de la Champagne et en Lorraine.
Je passe aux preuves de différentes formes du futur et du
conditionnel.
He! Dex! verrai jou ja abatre
Son orguel ne sa felonnie. (E. d. 1. Y. p. 83.)
Se Garins l'a, France verras honnir. (G. 1. L. Il, p. 1.)
Or varra hon vostre bontei:
Preneiz la croiz, Diex vos atant. (Rutb. I, p. 150.)
Et ke vit ceu, jai ne vairait maix tant ... (G. d. Y. v. 2461.)
Et dist bien que ce est merveille,
Jamais ne verra sa pareille. (L. d. T. p. 77.)
Et cil de nos trois qui veirra
Graignor merveille en son dormant . . . (Chast. XYII, v. 39. 40.)
Sire, fait ele, que dirons,
Quant vostre fil Flore verrons? (FI. et Bl. v. 533. 4.)
Jai plus prudome de Rollan ne vaireiz. (G. d. Y. v. 384.)
Cum plus verreiz lo jor aprocheir. (M. s. J. p. 467.)
Mult en verrez granz maus eissir. (Ben. v. 11513.)
Certes, sire, vos ne me verroiz james. (E. d. S. S. d. E. p. 37.)
Aies i, si verrais les gens. (E. du Eenart. Suppl. p. 215.)
Et sel varunt venant et paut, M gisanz et paissanz ne polt estro
davant veuz. (S. d. S. p. 528.)
Dex, que cil ki ne vous verront
Et vraiement en vous querront ... (E. d. 1. Y. p. 250.)
En lor cuers forment me maldient,
Et moult oreUent et espient.
Quant il ver ont liu d'els vengier
Por moi destruire et esciUier. (P. d. B. v. 2627-30.)
Quant si tormente me vierront. (E. d. S. S. v. 2955.)
Je ne la ver r oie ardoir. (Ti'ist. I, p. 56.)
DU VERBE. 73
Lasse, dist la roïne, q'or ne poi sohaidier!
Rune seroit si basse c'en veîToit le gravier,
Tant q'il vanroit à nos parler et acointier. ((Cli. d. S. I, p. 112.)
Là veries les elemens. (P. d. B. v. 853.)
Je vous mandai, li rois a dit,
De moi meismes fn escrit,
C'a grant lioneur fust maintenue
Tant que verries ma revenue. (E. d. 1. M. 4164-7.)
Odes de Troies, prendes cent chevaliers,
En la montagne là sus les envoies:
Se ja verraient Sarrasins e païens ... (0. d. D. v. 389-91.)
Après le XUÎ^ siècle, on trouve souvent un Mur formé
siu' le thème vooïr, et Eabelais même emploie tantôt verrat^
tantôt voirai. La langue fixée a admis la forme régulière
normande et picarde primitive.
Le participe passé était veu.
Quant sainz Pois ot ceu veut, chier frère , il ne fut mies apermenmes
enlumineiz , anz atendit la main Ananie , car il par aventui'e avoit veut
en son somme k'il devoit venir à lui. (S. d. S. B. p. 560.)
Cume li reis le sout e veud les out, parlad al prophète. (Q. L. d.
R. IV, p. 368.)
Si tost con li sains l'a veu. (E. d. M. p. 8.)
Mais ne serai veiis du roi. (FI. et Bl. v. 946.)
Les principaux composés de voir étaient :
1. Revoir '.
Hoc revàent lor seignor.
Là li mostrent joie e amor. (Ch. A. N. I, p. 231.)
2. Mesvoir ^ voir mal:
Apres revindrent par ici
Dui autre, se je ne mesvi,
La terre lor vi entreovrir
Et celui qui remest saisir. (Chast. XYII, v. 136-9.)
3. Sorvoir ^ examiner, considérer, voir tout d'un coup, à
la fois:
David survit sa ost ; si fist cunestables sur mil chevaliers , e altres
sur cent. (Q. L. d. E. II, d. 185.)
[Igitui- considerato David populo suo , constituit super eos tribunes
et centuriones.]
Bien savez que à tort nos guerroie cist rois:
Alez i sorveoir , se c'est voirs ou gabois;
.xx.M. homes menez o trestot lor bernois.
Se François passent outre, silesreceverois. (Ch. d. S.II,p.44.)
A lui out li dux comande
Que il alast l'ost sorveeir,
74 DU VERBE.
Aprendre e conoisti'e e saveir
Cumbicn i a de chevaliers . . . (Ben. v. 22123 -G.)
De eus i esteit tels la plentez
Que li païs e li régnez
En ert eisi en loinz coverz
Que oilz abaissiez ne overz
N'en poeit surveeir le quart. (Ib. II, v. 1411-5.)
4. Porvoir ^ parvoir ^ examiner, parcourir, voir d'un bout à
l'autre, voir de loin, prévoir, pourvoir, prendre ses mesures.
(Yoy. la préposition par.)
Si li ont prie et requis
Qu'il lor die qu'il a el brief.
Cil le porvit de chief en chief,
Qmt porveu l'ot si lor dit . . . (Chast. XXVII, v. 272-5.)
Si s'a mis en une valee
Que il ot ançois porveue,
Dedens le bois , près de l'issue. ((Brut. v. 406 - 8.)
De parent ert mult enforcies
Et bien cointes et vezies;
De bien loins avant porveoit
Ce que il engignier voloit. (Ib. v. 6638-41.)
Malement devina de mei,
Ki ne sont deviner de sei;
S'il de tôt sont dire voir,
Bien deust sa mort porvew. (E, d. R. v. 11701-4.)
Que plusors choses purveeit
Sovent tôt ceo qu'en aveneit. (Ben. II, v. 1501. 2.)
Car cil M vraiement soi duelt dedenz, parvoit fortement ke l'om
doit par defors faire u laissier. (M. s. J. p. 454.)
Pur ceo nos covient esgarder
E purveer e porpenser.
Que ne seiom del tôt sopris. (Ben. v. 8964-6.)
Et le réitératif reporvoir.
SEOIR (v. fo.), sedere.
Seoir , signifiant être assis , n'est d'usage aujourd'hui qu'aiix
participes présent et passé. L'ancienne langue au contraire en
faisait un fréquent emploi, bien qu'elle connût aussi le composé
asseoir. Au XTEI^ siècle, seoir avait, outre toutes les significa-
tions qu'on lui donne actuellement, celle de être situé.
Les thèmes de l'infinitif de seoir étaient les mêmes que ceux
de veoir^ et tout ce que j'ai dit de ces derniers s'applique
exactement au verbe seoir.
Est ceu dons granz chose si cil jeunet ensemble Crist, ki ensemble
luy doit seor à la taule del Peire? (S. d. S. B. p. 561.)
DU VERBE. 75
Li sires s'ala seoir et la dame se rasist au cliief de la table, en
une cliaiere. (E. d. S. S. d. R. p. 47. 8.)
Or veut aler, or veut seoir, (Chr. A. N. III, 77.)
Et si orent por miex seir
Lor treces fait defors issir
De lor ceveus. (L. d. T. p. 75.)
Tout bielement et tout souef
Vont seir sous une ente aval. (L. d'I. p. 15.)
(Li Sires) le mesaise esdrezce del puldrier ; le povre sache del femier,
od les princes le fait sedeir. (Q. L. d. R. I, p. 7.)
Si out al brief cumendement que il se assemblassent e feissent Naboth
à un des plus onurez lieus sedeir. (Ib. III, p. 331.)
Jo vi nostre Seignur seer^ en sun sied e tute sa maidnee des
angeles fud entur lui. (Ib. p. 337.)
Gart que il puisse estre en estant
De si que seier le comant
Li reis . . . (Chast. XXII, v. 109-11.)
Rien me verra li rois Artus
Soier au cMef sor le Mal Pas. (Trist. I, p. 160.)
Yiegnent sooir, tu le viens bien,
A la grâce îTostre Seigneur. (R. d. S. G. v. 2552. 3.)
Je descendi en l'erboie.
Lez li soer m'en alai. (Th. F. M. A. p. 45.)
Au lieu de seir^ on trouve souvent sïr^ à la fin du XIII"
siècle et au commencement du XIY®.
Ens ou liu saint Coisne doit sir. (Th. P. M. A. p. 118.)
Rire, plourer, parler ou taire,
Ou sir, ou aler ou venir ... (R. d. 1. M. Préf. YII.)
Les formes à terminaison légère du présent de l'indicatif
et la seconde personne du singulier de l'impératif, diphthon-
guaient Ve radical avec ï préposé.
Pur coi , fet il , sies tu lassus
En si grant vent, descens çà jus.
Si siez lez moi en cest abri. (M. d. E. Eab. LII.)
Sire, Sire Deu sur Israël, ki siez sur chérubin, tu es Deu sur
tuz reiz de terre e tu fois ciel e terre. (Q. L. d. R. lY, p. 413.)
Sie tei ici , kar nostre Sires m' ad enveied en Jéricho. (Ib. p. 347. 8.)
(1) n ne faut pas confondre cette forme et les suivantes avec seer , seîer, soier (se-
care) = seier , faucher.
Des uns en frad ses prevoz e cunestables, des altres vileins pur sa terre arer, et
pur ses blez seer , e pur ses armes forgier , e ses curres agreier. (Q. L. d. E. I, p. 27.)
A cel cuntemple, cil de Bethsames seierent furmenz en la valee. (Ib. ead. p 22.)
Puis el tierz an semez e seiez e vignes plantez, e les fruiz à vostre plaisir despen-
dez. (Ib. IV, p. 415.)
Saie e coilli sunt lor pre,
Mult se tenent à malmené. (Ben. v. 17587. 8.)
76 Dtr VERBE.
Soanz el fembrier. Cil siet el fembrier ki viz choses et despitcjs sent
de soi mimes. El fembrier seons quant nos lez oez de la pense rame-
nons , en repentant, à tôt ce ke nos mal avons fait. (M. s. J. p. 450.)
Et siet pn un moult grant ceval
Qui bien covient à tel vasal. (P. d. B. v. 2971. 2.)
Nous l'otrions, puis k'il vous siet. (L. d'I. p. 18.)
En mi le munde siet la terre
Que l'océan aclot e serre. (Ben. I, v. 35. 6.)
Et puis H 4ist: Sire, comment
Es ce que vous ne vous sees ? (E. d. C. d. C. v. 2826. 7.)
Jakes li a dit maintenans :
Ma douce amie, or vous sees;
.1. petit si vous reposes. (R. d. M. d'A. p. 2.)
Sur pâlies blancs siedent cil cevalers. (Cb. d. E. p. 5.)
Après la syncope du d^ la troisième personne du pluriel
était siéent; mais, comme on l'a déjà vu à l'occasion de chieent^
on retrancha Ve radical, et, vers le milieu du XIII® siècle,
l'orthographe sient avait prévalu.
Siéent (v. les composés).
A hautes tables sient li chevalier. (R. d. C. p. 189.)
Cil ont le brief le roi veu;
Grant pièce sient coi e mu. (P. d. B. v. 2877. 8.)
La Normandie propre n'avait aucun renforcement:
Kaunt il la (la corune) met sur sa teste , plus bêlement
lui set. (Charl. v. 16.)
Il seent en la teiTe nostre Segnur. (Eym. I, 3. 115.)
Tout à la fin du XIII'' siècle, on rencontre, dans l'Artois
et à l'ouest de la Picardie proprement dite , la forme seient pour
siéent. Cette transposition de Vi provient sans doute de l'in-
fluence de la forme normande seent., qu'on renforça , selon l'ha-
bitude , avec i postposé , lorsqu'elle passa dans le dialecte picard.
La langue fixée a encore admis la diphthongaison ei à la pre-
mière et à la seconde personne du pluriel , pour éviter le hiatus
qui résultait de la rencontre des voyelles eo et ee.
Or vous lairons à tant de cens ester. Si vous dirons de cens qui
devant Constantinoble seient. (Villeh. p. 74. CL)
Le présent du subjonctif se réglait sur celui de l'indicatif.
Or ne quidies mie qu'il siée
A chiaus du païs ne au roy
Qui pour li demainent desroi. E. d. 1. M. v. 95 - 7.)
Et siece pour siée., de même qu'on a vu chiece poiu: chiee.
Telx ce fait ore baus et joians et lies;
Ains que je isse de la cort Desier
DU YEKBE. 77
Ne que je siece au boire n'ai mengier,
N'i volroit estre por mil livres d'ormier. (0. d. D. v. 4221-4.)
Il me ad dit que si mes fiz . . . tiengent sei en lealted e en verited
do tut lur quer, nen iert jur que de mun lignage ne siece alcuns al
sied real de Israël. (Q. L. d. E. in, p. 227.)
Parfait défini: sis; imparfait du subjonctif: seùse.
Del bain vus membre ù enz jo sis. (Trist. Il, p. 109.)
Sist (F. d. Y. 1. 8, verso).
Sire, mult estes béer,
Sis as en la chaere ù sist marnes Deus. (Charl. v. 156. 7.)
Là sist Macédoine dont Pbelippes fu rois. (H. d. V. 499 ''.)
Bien me membred à une feiz que jo e tu seimes en un curre e
fumes od son père le rei Achab que nostre Sires li pramist. (Q. L. d.
R. lY, p. 377.)
Eusamble sisent M doi roi. (L. d. M. p. 63.)
Bien lisisirewi les armes, si s'an sot bien aidier. (Ch.d.S.I,p.8.)
Se g'i seisse, geo sai bien
Qe tûtes genz mult me huereient. (M. d. F. fabl. L.)
Totes blans palefrois avoient.
Qui si très souef les portoient
Qu'il n'est bom, se sor .j. seist,
Se le palefrois ne veist
Aler, que por voir ne quidast ■
Que li palefrois arestast. (L. d. T. p. 75.)
Imparfait: seoïe, seeïe; futur: serrai^ et, en Bourgogne, sai^ai.
(Cfr. varai^
E Hely sedeit sur le chemin devers l'ost. (Q. L. d. E. I, p. 16.)
D'iqui après à douze lieues seoit la cite de Eodestoc sor mer. Yilleh.
481 ^)
De l'autre part deleiz de roi poissant
Seoif^ Guibors au couraige vaillant. (G. d. Y. v. 3756. 7.)
Tant vos amoie arme et fervesti
Quant vos seies sor le destrier de pris
Ki fu KaUon le roi de Saint Denis. (0. d. D. v. 7784-6.)
Et li destrier sor coi seoient
Molt tost et molt souef ambloient. (L. d. T. p. 76.)
Dune seient les genz le plus à lur super. (Th. Gant. p. 32, v. 26.)
Ju sarai, dist il, el mont del testament, et si serai semblanz al
haltisme. (S. d. S. B. Yoy. Eoquefort. s. v. Ju.)
Mais lès vos ne serrai jou pas ;
A vos pies voel seoir en bas.
Car trop haus bom vos me sanles. (Chr. A. N. IH, p. 126.)
E od lui alez e venez, e il serrad en mun sied. (Q. L. d. E. III, p. 224.)
(1) Seeoit (R. d. R. V. 985) est une forme incorrecte , à laquelle on a laissé IV dq
la terminaison normande (se- eit) et ajouté Voi picard: see-oit.
78 DU VERBE.
Ne mais de chose M m'anuit
Ne me proies, que che seroit
Anuis, puis k'il ne me serroit. (R.d.LV.v.410-12,)
Participe passé: su; participe présent: séant, soïant.
A. la table trouva Jhesum
Avec ses deciples séant (E. d. S. G. v. 240. 1.)
Et estoit dame du chastel
Que on apelloit de Fayel,
Qui biaus estoit et bien seans. (R. d. G. d. G. v. 91 - 93.)
D'un drap od soignes d'orfreis
Out robe chère e ben séante
E à son cors mult avenante. (Ben. v. 17192-4.)
Forz cbasteaus ont, bien clos de pal,
Soiant sor roche , sor haut pui. (Trist. I, v. 3109. 10.)
Séant ^ comme substantif abstrait:
E li cors rest autre feiee
Dresciez tôt droit en sun séant
Od effrei merveillos e grant. (Ben. v. 25097 - 9.)
Seoir se conjuguait souvent avec le pronom se:
Au disner se seoit li rois. (R. d. 1. M. v. 1247.)
Li chevaliers entra el chastel, et trouva le seigneur qui se seoit
sus .i. perron. (R. d. S. S. d. R. App. p. 90.)
Li reis Benadab se seeit à sun cunvivie od les reis ki venuz furent
à sa aïe. (Q. L. d. R. m, p. 324.)
P. Corneille a encore fait usage de se seoir.
Asseoir (assidere), outre les significations qu'on lui donne
aujourd'hui, avait ceUes de être situé, et assiéger (comme le
latin assidere) ^.
Gantiers ont fait ens el pre aseir. (R. d. G. p. 179.)
Por aseer lor forz citez. (Ben. v. 20597.)
Alum aseeier lor chasteaus. (Ib. v. 3595.)
Unques n'i sorent si forte tur
Qu'il ne l'alasseut assaeir. (Ib. v. 4605. 6.)
Cette dernière orthographe est sans doute une analogie kchaeir.
Li rois demande l'aive, s'est assis au mengier;
La roïne (Sébile) à sa d'estre s'assiet.
Lors manda maintenant Dyalas le guerrier,
Dejoste lui Vassist, ne le vot aloignier. (Gh. d. S. Il, p. 168.)
(1) Asseoir s'employait comme terme de musique et de chasse.
Puis sonne son cor et justise,
Si assiet bien les mos de prise, (P. d. B. v. COI. 2.)
Par els sont assis li lévrier,
Et il a pris le liemier. (Ib. v. 1829. 30.)
c'est - à - dire par eux sont mis les lévriers sur la trace , etc.
DU VERBE. 79
L'iaue demandent, %'asieent au souper. (G. d.V. v.915.)
Aseeiz vos, ne faites noise. (Eutb. I, p. 251.)
Sire rei, dist il, mal feistes
Quant 0 tel liome m'aseistes. (Chast. XYHI, v. 43. 4.)
Li baron s'asisent entor. (Brut. v. 8795.)
En la tente le roi s'asisent. (PM. M. v. 26533.)
Apres ce, il chevauchierent à une cite qu'on apele Coronne, qui
siet sour mer, et Vassistrent et n'i sistrent gueres longuement quant
la cite leur fu rendue. (ViUeK. d. 109. CXXXV.)
Les tables furent mises et li tabliers, et les saliers, et li coustel;
et il s'asistrent (R. d. S. S. d. R. p. 47.)
El chef lui asserra corone
Ainz que demain past ore de none. (Ben. I, v. 1783. 4.)
Mais or alumes ces candelles,
Si asserrommes à mangier. (R. de Renart. Suppl. p. 227.)
As deus GuiUaumes unt mande
On que il guerpent la cite,
Ou que demain les asserront^
Tant que par force les prendront. (Ben. v. 38757 -GO.)
Ic'est Fève, ce m'est avis,
Sor que (?) Barbeflo est assis. (Ib. v. 27187. 8.)
Jusqu'à la fin du XYI* siècle, le verbe seoïr et sou com-
posé asseoir conservèrent toutes les significations qu'ils avaient
au xm^
Raseoir :
n se vunt trestout rasooir. (R. d. S. G. v. 1579.)
H ne faut pas confondre le participe présent raseant avec
reseant^ ternie d'ancienne jurisprudence, qui signifie habiter^
demeurer^ avoir son domicile.
(On ne doibt) point trouver nouveau que le peuple d'Athènes ayt
eu si grand seing d'exercer charité envers ces femmes là qui estoyent
resseantes en la viUe. (Amyot. Hom. iU. Aristides.)
Cfr. le substantif reseant^ vassal obligé à résidence.
Desseoir :
Por çou que eles (les larmes) li dessieent. (R. d. 1. M. v. 1308.)
(Cfr. V. 3233.)
Ne vos desplese ne dessiee. (Romv. p. 459, v. 28.)
(1) Quoiqu'on employât asseoir dans le sens à.^assîéger, l'ancienne langue connaissait
aussi assegier , aseger , asejer (adsediare).
Quant Sigebiers ceste oevre sot,
A quanque de gent avoir pot,
Les fist assegier à Tournai. (Phil. M. v. 906-8.)
Laide chose est mult del laisser
E gref chose del raseger. (Ben. v. 4333. 4.)
E cumandad on-anment que l'um la cited avirunast e de plus près Vasejast. (Q. L,
d. R. m, p. 324.)
80 DXJ VERBE.
Emeoir^ enterrer, donner la sôpulture à un cadavre:
Trouvai un homme qui mucet
Un femme en terre et ensiet. (¥. et C. Il, p. 258.)
Ensiet est ici pour enfitct (cfr. 1. 1, p. 248). Ducange a noté
enseu pour enfeu^ sépulcre, tombeau. Suet se trouve deux fois
dans Tristan (I, p. 93) pour fuet.
On trouve enfin porseoir ^ avec la signification de entourer^
enchâsser :
Porsise estojt (la porte) de bones pares
Mult precioses e mult obères. (M. d. F. Il, p. 469.)
YALOm, valere. YOULOIR = volere; veUe (v. fo.).
Les thèmes de l'infinitif de ces deux verbes ont été: en
Bourgogne et en Picardie, valoir, valoir; en Normandie, valer,
vuler; dans les dialectes mixtes, valeir , voleir.
Je n'ai rencontré , en Bourgogne , aucune trace de la termi-
naison or, ni pour valoir ^ ni pour vouloir. Tailler (Trist. Il, 72)
est un thème des bas temps, qui a été fait sur les formes
mouillées des présents de l'indicatif et du subjonctif. Vouloir se
montre dès avant le milieu du XTTT^ siècle, et Vu provient sans
doute ici moins d'un assourdissement de Vo , que de l'influence
des nombreuses formes en ou, dans lesquelles Vu représente l,
qui avait subi son fléchissement ordinaire.
Et puet plus c'uns povres valoir
Qui n'a ne per ne compaignon.
Ne nul ados se de soi nom. (P. d. B. v. 8921 - 3.)
Ne puet li fiz au père valoir .i. esperon. (Ch. d. S. Il, p. 64.)
Qui de proece ne de sens
Les peust valer en lor tens. (Ben. v. 36374. 5.)
Proeisse ne lu pot valer. (Trist. II, p. 96.)
E en France por cens aveir
Qui plus li poeient valei/r. (Ben. v. 36408. 9.)
Ne vos devroie bien valoir. (P. d. B. v. 6348.)
La bataiUe ne puis voleir. (Ben. I, v. 1992.)
Je ne doi pas, Amors, grant mal vouloir
S'a la plus bêle dou mont cuer rent. (C. d. C. d. C. p. 42.)
Les formes du présent de l'indicatif de vouloir sont aussi
compliquées et multiples que les thèmes de l'indicatif sont simples.
Je vais essayer de les classer.
Yoil, wels, welt, volons, voleiz, welent;
telles sont les formes constantes des sermons de saint Bernard.
Wels, welt., welent, donnent lieu à une question très -importante:
Faut -il voir, dans les deux u des manuscrits, un double «^, comme
DU VERBE. 81
le portent le plus souvent les textes imprimés , ou simplement
vu, ainsi que les mêmes textes l'écrivent quelquefois? Don
Mabillon (Nouveau traité de paléographie t. II , p. 283) fait ob-
server que les deux u, bien distingués durant le XI* siècle,
furent au XII* confondus par la complication de leurs branches,
ce qui leur donna la forme du double w. Or, le texte des ser-
mons de saint Bernard est du XII ^ siècle, et la copie que nous
en avons du XIIP; cette circonstance permettrait déjà la con-
clusion que les deux u avec la figure w n'y représentent pas
notre double w, mais vu. A cette raison tirée des règles de
la paléographie établies par les maîtres de la science, il s'en
joint une autre qui ne laisse aucun doute sur la prononciation
des deux u dans les formes weh , weît, welent^ à savoir vu;
c'est que la première personne du singulier, et la première et
la seconde du pluriel sont constamment écrites par un simple
V. Pourquoi cette différence , si w était égal kv? Je n'hésite
donc pas à admettre vuels^ vueït., vueïent^ c'est-à-dire le ren-
forcement régulier de Vo en ue.
La première personne du singulier voil, où Vo radical est
diphthongué avec i postposé, et vuilh pour voil^ dans les Mora-
lités sur Job, sont des exceptions dont j'ai parlé à l'occasion
du verbe mourir (voy. t. I, p. 359). Le Ih de vuilh est indicatif
du son mouillé du /.
Ex.: K'ai ju à faire on ciel senz ti, et senz ti ke mZju sor terre?
(S. d. S. B. p. 525.)
De ce est ke sainz Paules somunt ses disciples, si dist: ^q vuilh ,
fait il, ke vos soiez sage en bien, et simj)le en mal. (M. s. J. p. 442.)
Ne mattre dons mies à nonchaloir la miséricorde de Deu, si tu sentir
ne vuéls sa droiture; mais si tu sentir ne vuels son iror, son desdeing,
sa venjance et sa forsennerie. (S. d. S. B. p. 549.)
Il me vudt assi seure, mais je voil k'il ensi remaignet. (Ib. p. 543.)
Cil mismes ki ester viielt^ ancor ne lacet il mies la voie. (Ib. p. 567.)
Ne volons nos sofîrir nule dolor, et si volons avoir communiteit à la
joye? (Ib.p. 561.)
Estroite est H voie, et cil qui esteir vuelt est à enscombrement à
ceos qui vuélent aleir avant et ki désirent esploitier. (Ib. p. 567.)
Et por ceu covient périr ceos ki repentir ne se vuelent , kar li amors
del peire et li honors del roi aimmet lo jugement. (Ib. p. 524.)
A dater du second quart du XIII'' siècle , on trouve la diph-
thongaison régulière ue à la première personne du singulier, dans
le centre et le nord de la Champagne , et la plus grande partie
de l'Ile-de-France, au sud de l'Aisne: vuel, au lieu de voil,
(1) L'éditeur, M. le Roux de Lincy, écrit ainsi en cet endroit. Wuelt (p. 533).
Burguy, Gr. de la langue d'oïl. T. II, Éd. III. 6
82 DTJ VEBKE.
vuilh. Autour de 1250, on mouilla le l de vuel dans l'Ile-de-
France, d'où vueil qui fut d'un emploi très -fréquent et très-
étendu pendant la seconde moitié du XIIP siècle. Toutefois
voil resta en usage , surtout dans la Bourgogne proprement dite,
le sud de la Champagne et les provinces de l'est.
Ferez, franc chevalier!
Je vuél aller Origni pesoier. (R. d. C. p. 57.)
Si le vos covient il jus mètre,
Puis que je m'en vuél entremetre. (Ben. t. 3, p. 519.)
Baron, dist l'ampereres, cil Sires qu'est sanz fin
Yosdoint si granthonorcomjeîJî^eZ et destin. (Ch. d.S.I,p.65.)
Et vueil et otroie qu'ele soit franche de toutes choses. (1252. H. d.
M. p. 155. Montmirail.)
Ge vueil en Ardenne morir,
Et ne vueil pas tozjors languir, (P. d. B. v. 5599. 6(X).)
Se ce n'est voirs que dist vous ei.
Je vueil et si l'otroierei
Que la teste me soit coupée
Ou à coustel ou d'une espee. (E. d. S. G. v. 1175-8.)
Là fors me voil aler esbanoier. (G. d. Y. v. 407.)
Freire, dist ele, où deveiz chevachier?
— Bêle, as François voil aler tornoier. (Ib. v. 409. 10.)
Au lieu de vueï^ on écrivait voel dans la Picardie.
Foie sui ki tant vous sermon,
Voel jou ensaignier Salemon? (R. d. M. p. 21.)
Jou ne voel mie que vous ne autres puiessiez à droit dire que je
vous faille de convenances. (H. d. V. 503°.)
Dont i voel jou, fait il, aler.
Au marceant voel jou parler. (Chr. d. Tr. UI, p. 125.)
La forme primitive normande de la première personne du
singulier de l'indicatif a été vul.
Jol (?) vul melz asez la mort
Que la vie u la santé. (Trist. U, p. 32.)
Dans les dialectes mixtes, vuiP pour vul; voeill^ voeil.,
voeîl, voel pour vuel, vueil.
Ci ne vuil or plus demorer,
Kar ainz que vienge al definer
En diron plus plenierement. (Ben. v. 7936-38)
Kar contre mei n'unt nul orguil,
Ainceis me funt quanque je vuil
E plus que je ne lor demant. (Ib. v. 24449-51.)
Ademplir voeill vostre comandement. (Ch. d. R. p. 13.)
Mun jugement voel sempres guarantir. (Ib. p. 148.)
Voeil (ib. p. 20. XXXVI), voeïï (ib. p. 84. CLIK.)
(l) Viul (Q. L. d. R. n, p. 188) est sans doute une faute d'impression pour mdl,
DU VEEEE. 83
Entre 1250 et 1260, on voit paraître une nouvelle forme
avec e radical, au lieu de o (ue^ oej: veil ou veîh^ welh, wel;
i et Ih indiquent un l mouillé. Quelques grammairiens, Fuchs
entre autres, pour expliquer ce veil ^ wel^ ont eu recom^s à un
infinitif vêler ^ qu'on aurait formé sur velle. Cette supposition
est sans le moindre fondement. En effet, ne serait -il pas fort
extraordinaire qu'on fût remonté au latin à une époque où l'on
ne l'entendait plus? Admettant même que je me trompe dans
la fixation de l'âge de cette forme, comment se fait -il qu'on ne
rencontre aucune trace de l'infinitif vêler ni antérieurement à
1250, ni pendant la seconde moitié du XIIF siècle? Comment
se fait -il qu'on n'ait pas du moins quelques exemples d'un futur
avec e radical? Voilà les erreurs où l'on tombe quand on n'a
égard ni au temps ni au lieu, en expliquant les formes de la
langue d'oïl.
Veil^ welh^ wel ^ ont été formes sur voil, voel^ par analogie
aux substantifs en oil, qui recevaient la terminaison eil ou el
dans les provinces où m/, wel^ ont pris naissance , c'est-à-dire
au nord -est de l'Ile-de-France et à l'est de la Picardie propre-
ment dite. Ij'emploi fréquent de la première personne du sing.
du prés, de l'indicatif de vouloir comme substantif favorisait ce
mode de formation , et l'on verra ci - dessous la plupart des autres
variantes des substantifs en l final: viols ^ vials , veaU^ vious^
viaus , veaus, viax^ etc.
Ex. Je wel le porcel deser\ir. (E. d. M. d'A. v. 244.)
Ne welh pas morir malement. (N. E. F. et C. I, p. 88.)
Meis de ce ne me iveil je teire. (E. d. S. G. v. 324.)
Et l'autre tierce partie je veil et covient que ele soit donee et des-
pendue aux pauvres. (1271. H. d. M. p. 174.)
Quar je veil savoir et esprover combien il set , de tant de terme corne
ils l'ont tenu à escole. (E. d. S. S. d. E. p. 7.)
Quant au w^ ce n'est plus ici qu'une habitude d'orthographe
picarde qui avait perdu sa véritable valeur.
Je passe aux autres personnes à terminaison légère.
Les formes primitives de la seconde personne du singulier
ont été: vuels^ en Bom'gogne; voels, en Picardie; vuls, en
Normandie.
Vuels , dont on a déjà vu des exemples, resta, il est vrai,
en usage jusqu'à la fin du XIIF siècle; mais, après 1250, il
devient toujours de plus en plus rare et alors on le trouve
ordinairement orthographié vue% (z = Is) et vues.
Les provinces qui avaient remplacé voel par veil^ wel, ad-
6*
■
84 DU VERBE.
mirent veh pour voeh à la seconde personne; et, ce qui n'eut
jamais lieu pour veil, wel^ on en créa une forme forte: vieh,
avec la contraction viex ^ dans les cantons situés au sud -ouest
de ceux où veil avait pris naissance. Veh et vieh gagnèrent
rapidement beaucoup de terrain au sud et à l'est , et par suite
du fléchissement ordinaire de /en u, on obtint les deux nou-
velles formes: veus^ veuz et viens. Dans le Hainaut et la partie
avoisinante de l'Artois, on se servait de viols au lieu de veU,
viels^ et, comme cela se faisait souvent dans la seconde moitié
du Xin^ siècle, on retranchait le /, d'où vios. Il y avait aussi
de ce thème une forme en x et une autre en ou: viox^ vious.
Dans l'ouest de l'Artois et la plus grande partie de la Flandre,
on écrivait vicds, avec la forme contracte viax^ et, par suite du
fléchissement de l, viaus^
La véritable forme normande était vuls., qui devint vols sur
les frontières de la Picardie et de l'Ile-de-France, dans le
Maine, l'Anjou et une partie de la TourainC; où elle était en
usage. Par suite du fléchissement de /; vols produisit vous.
On trouve enfin dans le sud- est de la Normandie, le nord
de l'Orléanais, une partie du Maine et dans le nord de la Tou-
raine, une seconde personne en eals: vcals , d'où veaus.
Cfr. Substantifs F (t. I, p. 87).
Ex. Hervis demande : Qui vueU tu, biaus amins ? (G. 1. L. I, p. 189.)
Vuez te tu plus combattre? vis m'est qui tu recrois.
(Ch. d. S. II, p. 161.)
Tu dis si grant abusion
Que nus ne la porroit descrire,
Qui vues sans tribulation
Gaaignier Dieu por ton biau rire. (Eutb. I, p. 128. 9.)
Or donques chou que tu vels di. (E. d. M. p. 22.)
Dist Gerars: Se tu vels avoir
Merchi, di que tu ies outi-es. (E. d. 1. V. v. 2023. 4.)
Dira que tu viels sormonter. (E. d. S. S. v. 559.)
Et tu viex ravoir ton porchiel! (E. d. M. d'A. p. 12.)
Or viex aler cel terre chalengier
Où tes ancestres ne prist ainz .i. denier.
Et quant por moi ne le viex or laisier,
Cil Damerdiex qui tout a à jugier.
Ne t'en remaint sain ne sauf ne entier! (E. d. C. p. 45.)
Veus tu dédire per ta grant vantarie.
Li dus Gérard k'il n'ait sa foi mantie
Envers Kallon, cuil l'avoit plevie? (G. d. V. v. 1235-7.)
(1) L'emploi de l'a poui- o et e est eucore très - commiui dans plusieurs de nos patois.
DU VERBE. 85
Saches tu bien, se tu le fais,
Toi et les tiens lairai em pais;
Et se ensi ne le veus faire,
Tous vous ferai à la mort traire. (R. d. M. v. 1135-8.)
De chou ne te puet nus garir,
Se conbatre vers moi te vieus. (R. d. 1. V. p. 94.)
Que vieus tu c'en face de toi? (R. d. S. G. v. 1169.)
Jo te conjur en loial foi,
Si com tu tiens t'onor de moi,
Et com tu viols m'onor garder
Et tos nos sairemens sauver.
Que t'envoises et faces pes. (P. d. B. v. 3459 - 63.)
Samble ton frère et, se tu vios,
Ja soie jou ferrans et vious,
A court tierme t'adoberai. (Phil. M. v. 9200-2.)
Se tu me viaJs croistre mes drois
Et se tu bien m'aimes et crois.
De noirs dras te deliverrai,
Et roiax dras te vestirai. (Brut. v. 6661-4.)
Vieign ennuit ou demain , se vials. (Romv. p. 572, v. 29.)
Venqu nous as, mais lai nous vivre.
Quel par que soit terre nous livre ;
Lai nous, se viax, vivre en servage,
Et nous et tôt nostre linage. (Brut. v. 9750-3.)
E est envolupee en un pâlie après le seintefied vestement de chaens
si tul vuls, sil pren, kar ci n'ad altre. (Q. 1. d. R. I, p. 84.)
Se bon cristien es e vols ta fei guarder.
Bien creum e volum qu' en ço veilles ester. (Th .Cant. p. 61 , v. 6. 7 .)
Ordene, Sire, e establis
Le mien petit povre d'espris,
E s'en mei vols rien e atenz,
Pri que apaises ces clemenz (Ben. Il, v. 2159 - 62.)
Si en France t'en vous aler,
Cel ne te poum pas veer,
E sez cum bien nos te siuverom. (Ib. v. 9318 - 20.)
Qui es, fait il, qui si me tiens?
Dune nen est il li chevaus miens?
Que vous? que quers? Ne me merras
Che lès. (Ib.v. 16586-9.)
Mais si tu as rien à main , dune le mei , si veals , cins pains u coo
que tu truveras. (Q. L. d. R. I, p. 83.)
Sire, sire, fist Absalon, quant venir n'i vols, vienge i, si veals,
mes frères Amon. (Ib. II, p. 165.)
Quant rendre ne li poum vif, | Si veaus od farce e od estîif
En alom le cors aporter. (Ben. v. 18848-50.)
86
DU VERBE.
"Se veaus, oies cum tu le poz faire
Contre tôt son nuisement
Qu'il ne sa force ne sa gent
Te poent faire n'engignier. (Ben. v. 21965-8.)
Cette dernière forme veals, veaus, paraît avoir été réservée
d'abord à un emploi particulier , soit comme formule de suppli-
cation, soit comme formule de civilité, à la manière du latin
obsecro: Prodi, me conciliate: do obsecro. (Ter.) Attica mea,
obsecro te, quid agit? (Cic. Att. 13, 13.)
Les variantes de la troisième personne du singulier étaient
les mêmes que celles de la seconde. (Cfr. cependant le par-
fait défini.)
La forme vuelt produisit vuet et vueut: le premier ortho-
graphié d'après la seconde personne , vuez ou vues , où le / avait
disparu; le second formé directement de vuelt par le fléchisse-
ment du l.
Se contre vuet issir, ne voit pas le champ per.
(Ch. d. S. n, p. 107.)
Eecoumanciez novele estoire,
Car Jhesu Criz li rois de gloire
Vos vuet avoir, et maugre vostre
Sovaigne vos que li apostre
N'orent pas paradix por pou. (Rutb. I, p. 123.)
Et si voz mande que vos veingniez à cort, atout son fiU ; quar il vueut
savoir que il set , de tant de tens comme vos l'avez tenu à escole. (R.
d. S. S. d. R. p. 7.)
Voelt fut de plus longue durée que voels, quoique, dans la
seconde moitié du XIIP siècle, son emploi fut restreint à
quelques cantons de l'ouest de la Picardie et aux dialectes
mixtes. (Voy. 1^^® pers.) Voelt produisit voet.
Et pour ce voelt il dire et traitier celé chose . . et voet que li honoui's
que nostre sire fist à l'empereour illoec . . . soit seue communaument
(H. d. Y. 491^)
S'il voelt ostages, il en avérât par veir. (Ch. d. R. p., 4. M!.)
Velt, vielt, violt , vialt, volt^ vealt ^ formés d'après vels^ viels,
viols, viols, vols, veals, donnèrent naissance à veut, vient, viout
et viot, viaut, vout, veaut.
S'auchuns velt oïr ou savoir
La vie Mahommet, avoir
En porra ichi connissanche. (R. d. M. v. 1-3.)
Miez veut morh- à onor en cel pre
K'ai couardie li soit jai atome,
Ke dou foir ait jai sanblant mostre. (G. d. V. v. 2595 - 7.)
DU VERBE. 87
En la forest s'en veut aler
Por le rossegnol escouter. (L. d. T. p. 73.)
Mais qui vielt se vie enlacier,
Et de toutes pars embracier,
Fox est s'il ne laist ses degras. (Y. s. 1. M. p. 18. Y.)
n li aide si com il vient. (R. d. M. v. 195.)
Mors est Herbers, aine tel bai'on ne vi,
De tout son fie vient estre ravesti. (E. d. C p. 36.)
Car SOS ciel n'a si france rien
Com est dame qui violt amer,
Quant Deus la violt à ço torner. (P. d. B. v. 1252-4.)
Et quant Diex violt que sens remagne,
Dont me convient il que ges plagne ? (PMI. M. v. 8104. 5.)
Car M loiaute viout avoir
Ne toi pas autrui son avoir. (Ib. v. 3862. 3.)
Jou et ma tiere à Dagobiert
Sommes, s'il viot nos amis iestre. (Ib. v. 1379. 80.)
Et cis Romains qui tôt viot prendre
Ne me dagne mon home rendre. (Ib. v. 12333. 4.)
Qui vialt oïr et vialt savoir
De roi en roi et d'oir en oir.
Qui cil furent . . . (Brut. I, XLY.)
Et Dex li doint joie et santé.
S'il vialt par sa doce bonté. (Trist. I, p. 219.)
Et se fera por fol sambler.
Que à Ysiaut viaut il parler. (Ib. ead. p. 222.)
Ancor verra plus balt munter,
Sun curaige viaut espruver. (M. d. E. Il, p. 133.)
Ceo que chascuns en volt e sent
Loe l'oevre diversement:
Ceo que l'un volt l'altre desdit. (Ben. I, v. 1213-5.)
Chascun le vont e le desii'e. (Ib. I, v. 1599.)
E quant li dux Hue le veit,
Ne conoist pas ne n'aperceit
Qu'il quiert, qu'il vout ne qu'il demande. (Ib. v. 14125-7.)
N'est riens qu'ele face ne die
Qu'il desvuelle ne contredie;
Quanqu'ele veaut li fait acroire. (Ben. t. 3, p. 517.)
En luxure a de borbe tant
Com doit celui com ors beter
Qui veaut tel borbe borbeter. (Ib. ead. p. 529.)
La forme normande de la troisième personne du singulier
était vult, qui produisit vut.
Kaberdin une part apele.
Demande si anel vult vendre
88 DU VEKBE.
E quel aveir il en vuU prendre
U s'il ad altre marchandise. (Trist. II, p. 67.)
E il resspunt ke il le ad cher,
E sur touz hommes le vut amer
E servir. (Ben. t. 3, p. 623, c. 1.)
J'ai déjà fait observer plusieurs fois que telle ou teUe forme
à l'une des personnes d'un temps n'implique pas nécessairement
la même forme à toutes les autres. Tel est encore le cas pour
la troisième personne. du pluriel du présent de l'indicatif de
vouloir; on n'y trouve que vueîent^ voelent^ vuïent, volent^ velïent^
veulent^ welent.
Mes bien avez oi le dit dou messagier,
Comment Saisne nos mident de la terre chacier.
(Ch. d. S. I, p. 28.)
Quant li empereres voit que Lombart ne voelent assentir à s'amour
. . ., si s'en parti à tant. (H. d. V. 51 1«.)
Ki voelent faire avoir Mahom,
Qui estoit devant sers, leur dame,
Por ses grans dons avoir , à famé. (R. d. M. v. 608 - 10.)
Amor fet cels del tôt foler
Qui vuïent sagement amer. (Chast. XI, v. 175. 6.)
Mais que de Sarazins e de paiens vus gardet
Qui nus volent ^ destrure e sainte cristientez. (Charl. v. 224. 5.)
La fil Herbert welent tenir lor drois. (R. d. C. p. 97.)
Et ce c'onques ne fu veu
Vellent il tesmoignier à voir. (Rutb. Il, p. 76.)
Et se Guis, Aubretins et Rollans ne veulent otrier tele pais, bien
sacent, dist li connestables , que ja por eus ne remanra(s ?)t. (H. d Y.
p. 227. xxxn.)
La première et la seconde personne du pluriel du présent
de l'indicatif avaient régulièrement pour voyelle radicale : o , en
Bourgogne et en Picardie ; u, en Normandie ; mais , vers la fin
du XIIP siècle, la forme wel, weil, qui avait pris une très-
grande extension, finit par s'introduire à ces deux personnes.
Par voisdie et par san nos covient à eiTor,
Se nos an saine vie an volons retorner. (Ch. d. S. Il, p. 149.)
Bataile aureiz, s'atandre la voleiz. (G. d. V. v. 683.)
Puis le dist : Voles vous le prestre ? (R. d. 1. V. v. 6543.)
Tristran dit: Que li vulez'^ vus? (Trist. H, p. 44.)
Vos la vêlez sanz jugement
Ardoir en feu, ce n'est pas gent. (Ib. I, p. 54.)
(1) Vaulent, dans M. d. F. Grael. v. 554, mdiciue une prononciation large de l'o dans
certaines contrées.
(2) Cet u normand était aussi devenu o dans les dialectes qui avaient admis vols,
volt, oolent , pour tmis, etc.
DTJ VEKBE. 89
Ensin con i poez entendre,
Se vos un po vêles aprendre. (N. E. F. et C. I, p. 113.)
L'assourdissement de Vo en ou, à la première et à la seconde
personne du pluriel, ne se montre avec quelque fréquence qu'au
XIV^ siècle.
Malgré le grand nombre de variantes que l'on \àent de lire
pour le présent de l'indicatif de vouloir, la liste n'en est pas
épuisée. Il y a encore plusieurs formes qui exigent des expli-
cations particulières.
Je commence par wïl; wt'Is , vix et vius; mit. Il faut d'abord
distinguer deux wil; l'un qui se rencontre dans les textes anglo-
normands, où l'on doit voir vuil, de même qu'on a lut pour
vut, wnt i^ovLT vunt , tvs i^ouy vus , etc.; et l'autre, dans les textes
où l'on suivait les habitudes d'orthographe picarde. (Voy. plus
haut weïl.)
Les formes wïl, vils^ vilt, sont explicables de trois manières.
La première serait de les rapporter aux formes allemandes du
singulier de l'indicatif du verbe wollen (en v. h.-all. w'éllan., wol-
lan; ail. du moyen -âge wëllen)-^ elles étaient en v. h.-all.: wili.,
ivillu; wilîs., wili; ivilî, wilit ; en ail. d. m.-â.: wil; wilt., wil; ivil.
2^. La seconde personne pourrait avoir été calquée sur le latin
vis et on lui aurait donné le l radical, puis on aurait créé une
première et une troisième personne d'après la seconde. 3^. On
a changé Ve des formes wel, veU, velt^ en «, comme cela avait
lieu très -souvent pour Ve latin, soit long, soit bref, et l'on a
obtenu ivil , vils^ vilt. Le dernier mode de formation est celui
que j'admets comme le plus vraisemblable, les formes wil^ vils,
vilt ne se montrant que dans la seconde moitié du XIIP siècle,
c'est-à-dire à une époque où l'allemand et le latin n'étaient
plus entendus.
El ws ad ce fet entendre,
Ki por mal sout ben rendre,
Jo le countredi;
En totes courz le wil défendre. (Ben. t. 3, p. 621, c. 1.)
Car je wil tout ce que tu veus. (F. et C. IV, p. 279.)
Callot de France, dist Ogiers li senes,
Mult es hardis qi k moi vilx^ parler. (0. d. D. v. 8810. 11.)
Merchie te prie, n'en vilx faire nient. (Ib. v. 10922.)
Mais se tu vius faire à mon devis,
Ke croies Diu ki en la crois fu mis,
Si te rendrai à Kallon au fier vis. (Ib. v. 11310-12.)
(1) Pour ce X, V. les Suljstantifs.
90 DU VERBE.
Se tu femme vix avoir, je te donrai à un roi u à un conte. (F. et
C. I, p. 381.)
Quant Diex le vilt li pères tôt poissant,
Ja contre Diu n'estrai en mon vivant. (0. d. D. v. 11031. 2.)
On a vu plus haut vols, volent, dérivant des formes nor-
mandes vuls ^ vulent. Les copistes picards des plus bas temps
firent subir une nouvelle transformation à vols, volent; ils les
diphthonguèrent avec i postposé: voils^ voilent.
Tu sorquiers mult à mon seignor;
Tolir li voils pris et enor,
Ke li roves son règne rendre,
Come s'il nel osast desfendre. (R. d. R. v. 12001-4.)
E se nus voilent guen-eier.
Bien avum cuntre un chevalier,
Ti'ente u quarante païzans.
Maniables e cumbatans. (Ib. v. 6035 - 8.)
On trouve, à la troisième personne du singulier, le ren-
versement de oe en eo : veolt , au lieu de voelt^ et par suite du
fléchissement de l: veout. (Cfr. doel et deol^ I, p. 91.)
Mult li durrai, s'il veolt, del mien,
E tuz jorz ert mais de mei bien. (Ben. Il, v. 1475. 6.)
Li reis i veolt sa cui't tenir. (Ti'ist. Il, p. 143)
Eisi le fait qu'issi le veout. (Ben. v. 13625)
Vult., dans les Moralités sur Job, est une forme toute latine.
Quar à la foiz vult demesureie irors sembleir justice et dissolue
remissions pieteit. (p. 453.)
A la foiz vult faire ce ke il a porveut. (p. 501.)
Quant à vuole% , qui se lit dans Tristan II, p. 1 1 , c'est une
orthographe fautive provenant du mélange de la vraie forme
normande avec sa dérivée en o radical.
Pur quel me volez vus traïr?
Quel li vuolez vus descouverir?
Je terminerai ce que j'avais à dire sur le présent de l'indi-
catif de vouloir par la question: l^eu, qui s'est fixé dans la
langue littéraire aux trois personnes du singulier et à la troi-
sième du pluriel , provient - il partout du flécliissement du / des
formes vel.^ vels, velt, voilent; ou bien y a-t-il eu quelque part
renversement en eu de Vue des formes vuel, vuels, vuelt, vuelent?
C'est là un point difficile à éclaircir. Yoyons d'abord des exemples.
Quant jou ai moût partout aie.
Et çou que je veul devise. (R. d. 1. M. Préf. VI.)
Belle fille , des que tu ne t'en veuls tenir , or te dirai que tu feras.
(R. d. S. S. d. R. p. 45.)
DU VEKBE. 91
Li roiz t'a miilt sofert, ne te vont mez sofrir;
Toz tems li veiik à tort e mal fere e laidii-,
Veiils li deseriter, veuïs sa terre tolir,
Veuïs li par félonie essillier e honir. (E. d. R. v. 4453-6.)
Car mult la (la feste) veult tenir lioneste. (Brut. v. 8788.)
Au premier coup d'oeil, ces formes semblent prouver le ren-
versement de Vue en eu; mais il ne faut pas perdre de vue
qu'elles appartiennent à des textes picards qui ne connaissent
pas vuel, vuels, etc., ou bien à d'autres dans lesquels l'influence
picarde est prédominante ; qu'elles datent en outre d'une époque
où l'on avait l'habitude de rétablir le / à côté de l'w, que celui-
ci représentait déjà. Cette double considération permet de re-
jeter le renversement de ue en eu, et l'on ne doit voir dans
veul, veuïs, etc. que les formes vel^ vels, devenues ensuite veu,
veus, etc. auxquels on ajouta plus tard un / irrégulier. (Cfr,
Substantifs.)
S'il y a eu renversement de ue en m, et je suis assez dis-
posé à le croire, ce ne peut être que dans les dialectes du sud
de la langue d'oïl où vuels ^ vuelt, vuelent étaient en usage.
Toutefois les cas où le renversement avait eu lieu sont en bien
petit nombre en comparaison de ceux où le / des formes vel,
vels, etc. avait subi son fléchissement ordinaire en w ; et comme
le dialecte de l'Ile-de-France, qui eut une grande prépondérance
dans la formation de la langue littéraire, était principalement
soumis à l'influence picarde, je pense que notre eu du présent
de vouloir doit être rapporté aux formes, veus^ veut^ veulent^
dérivées de vels^ velt^ vellent. La première personne veul a
été créée postérieurement d'après l'analogie de veuls, veult^
veulent.
Le présent du subjonctif de vouloir n'a pas toutes les va-
riantes de l'indicatif; on ne rencontre que voille .^ vuelle^ vueille,
voeille , voelle^ vuille , veille, veulle , ville, correspondants à voil,
vuel, vueil , voeil , voel , vuil ^ veil , vel fveuj ., vil, et une forme
normande en ge dérivée des présents de l'indicatif en o: volge^
vouge. L'impératif était semblable.
Mais ains morrai, par la vertu du ciel,
Et mengerai la car de mon destrier,
Que je le siège voille nul jor laissier. (0. d. D. v. 8328 - 30.)
Si me laissies à esgarder
Tant que jo me voelle mostrer. (P. d. B. v. 1723. 4.)
Voiïles que ceo remaigne mes:
Ne nos seum plus damagant,
Ne haïnos ne malveillant;
Voilles que ait^aiz e quitée
92
DU %^RBE.
D'or en avant en cest règne,
Et jo revoldrai ensement . . . (Ben. II, v. 624-9.)
Que ceu est que tu voeles faire? (H. d. V. 513*^.)
Douz feiz ou treis t'en fai prier
Ainz que li veilles otreier. (Chast. XXII, v. 235. 6.)
S'est que t'en vouges repairier,
Par les pas sunt lur chevalier
E lor serganz, ç'ouns nos dire,
Por nos leidir e desconfire. (Ben. v. 19484-7.)
Por ceu mismes poons nos apenre cornent cil voillet estre receut
de nos M en Belleem volt estre neiz. (S. d. S. B. p. 533.)
Sire Rollan, dit li quens Olivier,
Bien sai que tant com Deus me voile aidier
Ne dout je home que me puist domagier.
Ne ke jai mal me face. (G. d. V. v. 2999-8002.)
Li rois a sa fille amenée.
Al roi Artus l'a présentée
A tote sa volonté faire.
Vaille l'ardoir , vaille desfaire. (L. d. M. p. 66.)
Tant a hurte, l'uis ouvert a
Qu'il se teust, molt li proia
K'elle se vaelle conforter. (E. d. M. p. 36.)
Si'n a pite, mais ne porquant
Ne l'ara pas de K si grant
Qu'ele le vaelle conforter
Par son consel dire et mostrer. (P. d. B. v. 7111-4.)
Trop nos avint grant meschaance
Et trop nos fu pesme et amere
L'eui'e que Dex en fist sa mère.
Car n'oson chose contredire
Qu'ele vuelle faire ne dire. (Ben. t. 3, p. 517.)
Ne quit ja se vuille entremetre
D'eles changier por autres mètre (les lois et les constitutions)
(Ben. V. 8294. 5.)
E si alcuns est que venir n'i vuille, il en murrad. (Q. L. d. R. IV,
p. 383.)
Se mes maris i vient encui,
Qu'il veulle gésir aveuc vous,
Ti'over m'i pora à estrous
Et soufferai chou k'i vaui-a. (R. d. M. d'A. p. 7.)
Que Dex ne vuelle! (1278. M. s. P. I, 366.)
Que Dieu ne veuille! (?) (1278. Ib. I, 364.)
Ja por ce ne te dirai
Que Moriax wille avaine n'orge. (F. et. F. IV, p. 279.)
Suz ciel n'a hume que raeillet hair. (Ch. d. R. p. 49.)
Que il s'en veille arreire alSr. (Chast. XXII, v. 49.)
DU \T]KBE.
93
De entremeins aveir ; kil voldrad clamer emblet, e il volge doner wage
e trover plege à persuir soun apel, dune l'estruverad à celui quil auverad
entremeins, nomer soun guarant, si il l'ad. (L. d. G. p. 181, 25.)
Et de la forme veul:
A peine i a nus tel amor | Ne od parent ne od seignor,
Por que plus tost s'en puisse aler,
Por lui s'i veuge demorer. (Ben. v. 19744-9.) -^
Nous ne somes mie encore à ce venut ne à ce mené que nous voél-
lons si tost perdre cou que nous avons conqueste. (H. d. V. 500'.)
Nous ne sommes mie encore à cliou mené , se Diu plaist , que nos
-voellons encore pierdre ce que nous avons conqueste. (Ib. p. 196, XYII.)
Ou nos vuelliens ou non, nos covient ancontrer
Cez Sarrazins félons, que Dex puist cravanter!
(Ch. d. S. II, p. 149. 50.)
Et se c'est chose ke la voillies'^ mener,
Voz la covient chierement comparer. (Gl. d. V. v. G81. 2.)
Or donc vostre volonté dites;
Mais que me voellies loiaument
Tenir chou que m'aves couvent. (R. d. M. p. 47.)
Se buen nos met en autre voie
Que ne vuelliez le mien servise.
Ce m'en irai au roi de Frise. (Trist. I, p. 125. G.)
E seur ce j'entens que ma dame la reine vous prie par ses lettres,
qe vous li vueilUez faire del grâce , que vous lo devantdit homago vueiï-
liez receivoir per son procureur especial . . . (1278. Eym. I, 2, p. 174.)
E por la criemme que j'en ai
Que ge m'ent espanoirai,
Vos requier je que la (paiz) voiîîeiz
Si que plus ne la destorbeiz. (Ben. v. 24379-82.)
Or voeiïlies donques consentir
Qu'anuit o vous puisse venir. (R. d. G. d. G. v. 2299. 2300.)
E se vos ainsi le fêtes que vos veilliez errer au conseil au(x)
sages , ne croire vostre fils. (R. d. S. S. d. R. p. 33.)
Avec assourdissement de Vo en ou:
Ainsi vous pri je et requier
Que vous me vouilliez conseillier,
De ce que celé gent demande. (R. d. S. G. v. 2454 - 6.)
n covient eswarder quel chose il voillent ke li ministres et li vicaires
de Grist lor comanst, car il endroit d'ols nen eswai'dent mies quels soit
li volenteiz de celui ki sor ois doit comandeir. (S. d. S. B. p. 559.)
Vienent as cans, voient l'avoir
Tel que plus n'en voilent avoir. (Phil. M. v. 30057. 8.)
(1) Ne confondez pas cette forme avec la suivante, qui a la signification de veiller:
Voilhiez et si teneiz en ramenbrance cornent ge par trois ans ne cessai jor et nuit de
somunre chascun de vos en larmes. (M. s. J. p. 47 fi.)
94 DU VEEBE.
Et k'il li voellent par amour
Porter reverenche et honneur. (R. d. M. p. 26.)
Mors est li cuens! Diex en ait l'ame!
Sainz Jorges et la douce Dame
Vuellent prier le sovrain maitre
Qu'en celé joie qui n'entame,
Senz redouteir l'infernal flame,
Mete le boen conte à sa dreste ! (Rutb. I, p. 50.)
Et s'il nous welent acuser,
Qu'il le nous vueilîent demander,
Tantost com le pourruns seisir.
De mort les couvenra morir. (R. d. S. G. v. 653 - 6.)
Je passe au présent de l'indicatif de mloïr.
Valoir n'était pas un verbe fort, bien qu'on trouve, à la pre-
mière personne du singulier du présent de l'indicatif, la forme
vml, qui de prime abord semblerait prouver le contraire. Taïl
appartenait au sud de la Picardie et à l'Ile-de-France, et il ne
se montre que vers le milieu du XIII* siècle ; 1'* indiquait sim-
plement un l mouillé.
Val^ vals^ valt^ valons^ valeiz^ valent, telles sont les formes
primitives du présent de l'indicatif de valoir. Le l subit son
fléchissement ordinaire en u devant le 5 et le ^ de la seconde
et de la troisième personne du singulier, d'oii vaus, vaut. La
forme val devint quelquefois aussi vau dans la Picardie, mais
on lui ajouta le c final: vauc.
Cil li respont plains de grant ire:
Aeure Diu! quant j'en sui sire,
Je vauc miex que li autre asses. (L. d'I. p. 22.)
Car je vaïl miols de cortesie . . .
Que cil que il ont esleu. (P. d. B. v. 9485. 90.)
Venus sui au point del essai
De moi vengier, se je tant vaïl. (R. d. 1. V. v. 5821. 2.)
Tant as, tant valz. (Cité p. M. d'Orelli, p. 207.)
Quar l'en dit et bien l'ai apris:
Tant as, tant vaus, et tant te pris. (Rutb. Il, p. 47.)
Rois, tu vaus miex c'Arcedeclins,
Car tous cis mons vous * est aclins. (Poit. p. 3.)
Et la forme contracte de vah:
Tant as, tant vax et jo tant t'ain. (Brut. v. 1790.)
Belleem voit altretant cum maisons de pain , et Juda valt altretant
cum confessions. (S. d. S. B. p. 534.)
(1) Ce rapide passage du tutoiement au vousoîement était très - fréquent dans l'an-
cienne langue. M. Diez (III, 51) fait observer que le latin du moyen -âge employait
souvent aussi tu et vos envers la même personne. Tu domine mi rex , audiat me cle-
mentia vestra (FI. XXXIV, 474 [a. 985].) Nolui sine consilio vestro ; tu autem dixisti.
(Greg. Tur. 5, 19.)
r
DU VERBE. 95
Et ne vaït riens la force se ele n'est stanceneie par conseil. (M. s.
J. p. 497.)
Kar poi vaut lor defensions
Contre les cuilverz Sarrazins. (Ben. v. 5220. 1.)
Que vaut biautez de dame, s'an jovant ne Famploie?
(Ch. d. S. I, p. 108.)
On trouve la forme valt renforcée avec ï préposé : vïalt. Ce
vïalt^ qui est de la fin du XIIP siècle, n'est très -probablement
que la forme vïalt = vùU, de vouloir^ qu'on a rapportée à valoir^
à cause de Va radical.
C'est li cuens Phelipes de Flandres
Qui mialz valt ne fist Alexandres,
Cil que l'an dist qui tant fu buens;
Mes je proverai que li cuens
Viaït mialz que cist ne fist asez. (Brut. I, L.)
Enfin les formes incorrectes, où le / a été rétabli à côté de Vu.
Que vault chou? (H. d. V. p. 170. n.)
Plus valent mil bon chevalier
Que de malvais .iiij. miUier. (R. d. M. p. 68.)
Mais n'i valent confortement. (FI. et Bl. v. 802.)
Présent du subjonctif: valle, vaille ^ vaïle, vauge.
De mon sei-vice n'ai qui vaile .i. tornois. (R. d. C. p. 30.)
N'a nule el monde qui miols vaille. (P. d. B. v. 798.)
En qel terre sera mais née
Pnie de roi , qui ton cors valle ! (Trist. I, p. 42.)
E vers tuz li aït e vauge
E le maintienge en son poeir. (Ben. v. 17214. 5.)
La première personne du singulier du parfait défini de vou-
loir était: vols, d'où vos^ vous, et la contraction vox. Puis,
comme au présent, des orthographes en au: vauc, vauck
Mais sacies bien tout à estrous
Que mes cuers se tient si à vous
Que je ne vols puis autre avoir
Que j'aperçui vostre savoir. (R. d. 1. M. v. 1999-2002.)
Sire, ge nel vos consentir,
Mes il me fist ses cox sentir. (Dol. p. 189.)
Mes ne lor vaut lors mortes traïsons,
Quar en la fin ert grans li guerredons
Quant on saraqu'ains ne liî;os mentir. (R. d. C. d. C. v. 2624-6.)
Tant le vi(s?) bel qu'il me prist grant pites.
Aine ne le vos ocirre n'afoler
Nourir l'ai fait et tenir en chierte. (R. d, C. p. 312.)
Marcent ma mère o le coraige entier
Yi je ardoir; ce ne puis je noier.
96 DU VERBE.
Pour ceul itant que m'en voux aïrier,
Me feri il d'un baston de poumier; ...
Droi m'en offri; ce ne puis je noier;
Mais je nel vox prendre ne otroier. (Ib. p. 73.)
Quant virent que nou vous jugier,
Si se prisent à couroucier. (R. d. S. G. v. 1315. 6.)
Je vox savoir de lor couvainne. (Rutb. Il, p. 74.)
Quant le trovai, grant ire en oi.
De duel qu'en oi ne peuc mot dire;
En es le pas le vauc ocirre. (FI. et. Bl. v. 2738 - 40.)
Aussi tost corn je vauc mouvoir,
Le vi devant mi apparoir. (R. d. 1. M. v. 4429. 30.)
Au Noël nel vauch otroier. (Ib. v. 537.)
Seconde personne du singulier: volsis , vousis^ voussù, vosù^
vossîs ; vausis.
Les sainz ne poras tu troveir en aiwe en ta tribulation , oui tu ne
voUis avoir companions en ta joie. (M. s. J. p. 513.)
E ui m'as mustred le bien que fait m'as : cume Deus m'out livred
en tes mains, e ocire ne me volsis. (Q. L. d. R. I, p. 95.)
Ne tiens de lui feu n'eritage,
N'onc ne li vousis faire homage. (Ben. v. 21096. 7.)
Tu fus si mauveis que jugier | Ne le voussis ne ce vengier ;
N'en voussis penre vengement,
Ainz t'en pesoit par samblement. (R. d. S. G. v. 1433-6.)
Dame-Dex, sire Père qi tôt as à jugier,
Que jadis te doigna por nos amenuisier,
Qant la Virge pucele vossis acompaignier
A nostre bumanite por les tuens avoier.
Que li cuverz diables avoit pris et loiez. (Cb. d. S. II, p. 145.)
Si li distrent: Or vosis, or convoitas, or auras, et d'or morras.
(R. d. S. S. d. R. p. 54.)
Dont ne te membre del autrier,
Que del graffe de ton graffier
Por li ocirre te vausis.,
Et or penses de ton pais. (FI. et Bl. v. 1623-6.)
On trouve à la troisième personne du singulier: volt, vaut,
vot, voîst., voust , vost., valt, vaut.
Por ceu ke cil Lucifer ki pai* matin leveiz se volt esleveir à la sem-
blance del Haltisme, e ki ewals volt estre à Deu, k'al Fil apartient
propprement, si fut il aparmenmes trabuchiez. (S. d. S. B. p. 522.)
Et ce demostret Jheremies bien et subtilment quant il nos volt
ensengnier queiz choses avenoient en nos, parmi ce ke il recontat cez
choses ki defors astoient faites , quant il dist. (M. s. J. 445.)
Li marchis li volf assez doner terre et d'avoir , por ce qu'il reman-
sist avec lui; il n'en volt point prendre. (Villeh. 471**.)
DU VEEBE. 97
Mais Hieii le faiseit par engin, kar destruire volt e déserter ces
ki soleient Baal cultiver. (Q, L. d. R. IV, p. 383.)
Si tost con li ans fut passes,
La dame .j. jouene bacheler
Propose à prendre; mais celer
A Mahommet ne le vout mie,
Ains s'en est à lui eonsillie. (R. d. M. p. 18.)
.... Desos le castel après,
Avoit rivières et fores,
Où li chevaliers vout aler
Sovent por son cors déporter. (L. d. T. p. 72.)
Einsi le fist il, eisi le vout,
Eisi ravint des que lui plout. (Ben. Il, v. 55. 6.)
Quant il se durent aprismier
Li leus voUt les siens enssengnier. (M. d. F. Il, p. 243.)
Ainsi le voust, ainsi li plust. (R. d. S. G. v. 212.)
Unques ne voiist aveir dou mien.
Fors le cors dou profete rien. (Ib. v. 1359. 60-)
N'a que .iii. mois que il fu adobes:
Puis a .i. roi en bataille mate.
Onques n'an vot tenir les hérites. (R. d. C. p. 312.)
Grans gent i mena de mains lius,
Quar il en vot iestre baillius, (Ph. M. v. 31193. 4.)
Moult hai li rois yrezie, | Pausote et ypocrezie
Et vot se\Ter de sainte glise
Tout leur afaire par devise. (Ib. v. 3078-81.)
Vit le preudoume, cel retint volentier,
En ceste terre ne vost plus repairier.
Toi ne autrui ne daigna aine proier. (R. d. C. p. 07.)
Uns gaians moi et li ravi
Et moi et li aporta ci:
La pucele valt por gesii-.
Mais tendre fu, nel pot soffrir. (Brut. v. 11688-91.)
Artur vit sa gent resortir.
Et cil de Rome resbaldir.
Et le camp contre lui porprendre,
Ne pot ne ne valt plus atendre,
Od sa compaigne vint criant. (Ib. v. 13275-9.)
Gaufrois ses pères n'en valt aine nul paier,
Ains en laissa por le cavage Ogier. (0. d. D. v. 4325. 6.)
La fiUe ne sot que respondre,
D'ire et de honte quida fondre;
Ne pot à son père estriver
Ne il ne la vaut escouter. (Brut. v. 1821-4.)
Quant li rois vit son fil si bel,
Burguy, Gr.ae la langue d'on. T. H. Éd. III. 7
98 DU VERBE.
De son eage damoisel,
Et aperçut que sot entendre,
A letre le vaut faire aprendre. (FI. et Bl. v. 201 - 4.)
Il me remembre de Raoul le marchis
Qui desor lui avoit tex orguel pris,
Qu'à mes cousins vaut lor terre toUir.
Vois ci le leu tôt droit où je l'ocis. (R. d. C. p. 325.)
Dont s'en alla li einpereres viers Constantinoble , por chou que il ne
vaut mie que David fesist nul mauvais plait al Ascre. (H. d. V. p. 187. XI.)
On trouve, dans lés textes normands mélangés, quelques
exemples d'une forme vuolt, vuot, à la troisième personne du
singulier du parfait défini.
Li emperere fut ier as porz passer.
Si s'en vuoU en dulce France alor. (Ch. d. R. p. 107.)
Un poi vus esteit ici lesser,
Al le rei de Engleterre repérer
E à sa gent,
Ki à l'apostoille vuot enveier
Ses sages hommes, à sei deliverer
De encusement. (Ben. t. 3, p. 620, c. 2.)
Je ne suis guère disposé à reconnaître vuolt, vuot: vuot est
sans doute un vout renversé par les copistes ou les éditeurs;
vuolt, une faute de lecture ou de copie pour volt.
Remarquez enfin les formes en ou, dans lesquelles le / a
été irrégulièrement rétabli à côté de Vu.
L'empereriz l'esgarda et le voult faire entendre à soi. (R. d. S. S.
d. R. p. 10.)
Mais nostre Sires qui les desconseillies conseille ne le voult mie
ensi soufrir. (ViUeh. p. 20. XXXVn.)
Première et seconde personne du pluriel: vokimes, vousmes,
vossimes , vausimes ; voUistes , vousistes , vosistes , vausistes.
Nul mal fere ne li volsimes
Fors q'à vos clamer nos venimes. (Dol. p. 190 )
Que ne la volsimes ardoir,
Ains l'avons mise en une nef
Où il n'a ne voiUe ne tref. (R. d. 1. M. v. 4220-2.)
Nos en vousimes repairer.
De ceo eûmes grant désirer. (Ben. I, v. 1421. 2.)
Et quant vos vohistes dormir.
En cest lit venistes gésir. (P. d. B. v. 1409. 10.)
Quant l'apelastes baceler.
De sens le volsistes blasmer. (Ib. v. 2451. 2.)
Je leur ei dist que morz estoit.
Que vous deffeire le feistes
Pour ce que feire le vousistes, (R. d. S. G. v. 1426-8.)
I
DU VEBBE. 99
Vous votissistes au darriens
Soufrir les tourmenz terriens,
Et voussistes la mort soufrir
Et pour nous en terre morir. (R. d. S. G. v, 2753-6.)
Mal vos estoit lie à faUir,
0 lie vosistes mex fuir. (Trist. I, p. 116; cfr. p. 26.)
Por che qu'Ogiers en valt un mot parler,
Dedens vo cartre le vausistes jeter. (0. d. D. v. 9551. 2.)
Vausistes morir à dolor. (F. d. 1. M. v. 1098.)
Formes irrégiilières :
Nous ne vouïsimes pas soufrir. (R. d. S. G. v. 1805.)
Mar i voisistes le franc bairon tochier
Par si grant félonie. (G. d. Y. v. 2747. 8.)
Vos me preistes par le col et me voulsistes baissier. (R. d. S. S. d.
R. p. 73.)
La troisième personne du pluriel avait pour formes:
volrent ^ vourent^ \ \ voldrent^ voudrent^
vorrent , vorent^ \ d'où , avec d intercalaire : > vodrent^
valrent^ vaurent, \ 1 valdrent^ vaudrent;
avec t intercalaire « et r: voUtrent , voustrent , vostrent.
Par son sens et engin que il avoit mult cler et mult bon , les mist
en ce que il loerent et volrent (Villeh. 435*^.)
Li Grieu ne s'osèrent venir ferir eu lor estai; et cil ne volrent
eslongier les lices. (Ib. 453^".)
Tôt coiement s'alerent haubergier;
Le ti-ef Callot volrent de près gaitier. (0. d. D. v. 8903. 4.)
Et quant lor gent orent coru par la terre et il s'en vourent reve-
nir, si troverent les destroiz mult forz. (Villeh. 490^)
A ce soufrir
Ne se voiirrent plus aboennir. (R. d. S. G. v. 2377. 8.)
Celé nuit domagement l'empereres Alexis de Constantinople prist
de son trésor ce que il en pot porter, en mena de ses gens avec lui
qui aller s'en voldrent. (Villeh. 453**.)
A cel cuntemple grant partie de cez de Israël se tindrent à Thebni
le fiz Ginet, sil voldrent rei faire. (Q. L. d. R. m, p. 308.)
La véritable forme normande de ce thème était vuld/rent:
Tant en prengent François cum en vuldrent porter.
(Charl. V. 223.)
Sa volonté e son talent
Li graanterent tôt à faire;
N'i voudrent plus estre contraire.
Par son purchaz, bien le vos sai,
Evesque e arcevesque e lai
E tuit li baron dos François
Voudrent que Lowis fust reis. (Ben. v. 10050-6.)
7*
100 DU VERBE.
Mes or avint en .i. este
Cune torbe d'Egypciens,
De preudommes , "bons crestiens,
Voudrent le sépulcre requerre. (Rutb. II, p. 108.)
Et quant il les vodrent assaillir, si firent plait que il se rendroient.
(Yilleli. p. 129. CLI.)
A honui- les fist cunreer
U ke il vodrent sejurner. (E. d. R. v. 6448. 9.)
N'i valrent estrange orne atraire,
Ne d'estrange orne lor oir faire. (Brut. v. 10066. 7.)
Mais ne se sorent esparg-nier
La bataille valrent percliier. (Ib. v. 13019. 20.)
Toute lor conte l'aventui'e
Et del vregie et des confiesses.
Et ensi comme les engresses
Le vanrent mordrir as coutiaus. (L. d'I. p. 21.)
Et quant il s'en vaurent partir,
Li rois fist cascun départir
Hanas d'or, de madré u d'argent,
Selonc çou qu'estoient la gent. (R. d. 1. M. v. 2349 - 52.)
Cil ne valdrent mie remaindre.
Ne de lor requeste refraindre. (Ib. v. 591. 2.)
De la ville issent andui li chevalier;
Desci à l'ost ne se vorent tardier
Por dire lor noveles. (G. d. V. v. 1061 -3.)
Caus qui se vorent batisier
Fist Karlemaine eu pais laisier,
Et li auti-e furent tôt mort. (PMI. M. v. 4824-6.)
En cliascun ot tant à blasmer
Qu'il nés vorrent de nul loer. (P. d. B. v. 6473. 4.)
David e ses cumpaignuns vindrent tut las, là ù il volstrent lores
demurer. (Q. L. d. R. n, p. 179.)
E ne volstrent pur lui partir. (M. d. F. II, p. 430.)
Mais mult en out poi de leisir,
Kar por ce qu'il ert convertiz
Fu des Norreis en he coilliz:
Ne voustrent plus tenist l'empire. (Ben. v. 28927 - 30.)
A cel conseil se tienent li demoine et li per,
• Puis départi la corz , ni vostrent plus ester. (Ch d. S. I, p. 58.)
Les variantes du parfait défini que l'on vient de lire forment
deux classes bien distinctes : l'une à laquelle appartiennent vols,
volt^ volrent (mit, valrent), et leurs dérivés; l'autre, avec s
intercalaire.
Chose remarquable, le latin volui ne passa pas dans la
langue d'oïl; on retrancha la terminaison ui^ et l'on eut w/,
DU VERBE. 101
dans la Bourgogne. Les exemples les plus anciens que je
connais de cette forme ne remontent pas au-delà du second
quart du XIII^ siècle, et tous la donnent avec un s final.
Quelle est l'origine de cette lettre? C'est sans doute la tra-
duction bourguignonne , ordinaire au XIII® siècle , du c final qui
se trouvait dans la forme picarde. Quant au c, je ne saurais
décider s'il représente Vi de voluï, ou si c'est une analogie
aux nombreux parfaits picards qui prenaient cette finale. (Cfr.
le prov. vole.)
Vols , volt , voiront et leurs dérivés étaient des formes bour-
guignonnes et normandes; le picard avait en général a radical;
toutefois les provinces de l'est de ce dialecte se servaient aussi
des formes en o, ainsi que les cantons qui employaient viols^
violt à l'indicatif^.
Tout à la fin du Xlir siècle, on voit paraître, et d'abord
à la troisième personne du pluriel, des formes avec la termi-
naison ««, par analogie à valoir et aux autres verbes en oir.
Plus tard, dans la Picardie, on trouve un parfait défini avec
eu radical.
Valoir faisait valui au parfait défini.
Tant com jo oi et tant valui
Et tant âmes et prisies fui. (Brut. v. 1991. 2.)
L'on li amaine un bon ceval,
Poi valut mains de Boucifal. (P. d. B. v. 9629. 30.)
En anglo- normand:
Ke ne valout unkes une maille
Endroit de soi. (Ben. t. 3, p. 619, c. 1.)
Les pieres qui es peools furent
Plus de cent livres d'or valurent. (P. d. B. v. 10311. 12.)
N'a sa biaute riens ne valurent
Toutes celés qu'à la cort furent,
Et à feme avoir le vaurra. (Poit. p. 63.)
Cfr. Chaloir, parfait défini, p. 28.
L'imparfait du subjonctif de vouloir avait pour formes: vol-
sisse^ vousisse^ vossisse, vosisse^ valsisse, vausisse.
Car se vos tant porcacisies
Que par engien me veissies
Ains que me voïsisce mostrer,
Tomee seroie al plorer. (P. d. B. v. 1513-6.)
Si vausisse lor faiz escrire,
Trop lunge chose fust à dire. (Ben. v. 37512. 3.)
(1) On trouve des exemples de vînlt, viout, qui semblent être au défini; cependant
ces cas douteux sont en très -petit nombre,
102
DU VERBE.
N'est hons devant cui nel deisse
Et que prouver ne le vousisse. (R. d. S. G. v. 1083. 4.)
Ne m'atandriez mie por .c. livres d'or mier,
Par coi parceussiez que me vossisse aidier. (Ch. d. S. I, p. 251.)
Et pour chou vausisse jou, sire,
Que ses cors fust mis à martire,
Et livres à destruiement. (R. d. S. S. v. 5030-2.)
Comment pensoit nus que tel fait
Vausisse par lettres mander
De celi qui tout commander
Me peust quanques bon li fust? (R. d. 1. M. v. 4301-4.)
J'ai atendu que Deus te voïsist visiter,
Que tu de maie veie voïsisses returner
E tun felun conseil d'entur tei tut ester.
(Th. Cant. p. 59, v. 6-8.)
Mais s'il te venoit à plaisir | Que nous vausisses retenir
Et une partie agardaisses
De ta terre que nous donaisses,
Volantiers te servirions,
Et ti home devendrions. (Brut. v. 3345 - 50.)
Se nostre Sire nos voïsist ocire, il n'oust mie receut lo sacrefice
de noz mains. (M. s. J. p. 482.)
Ne ja partir ne s'en voïsist
Dusques à chou k'il li fesist
Auchun signe de relever,
Ja tant ne li deust grever. (R. d. M. p. 52.)
Ore a tant honte e deshonor
Que meux vousist estre feniz. (Ben. v. 27793. 4.)
De tout ciaus qui laiens estoient n'en et nul qui à ceste chose se
vousist asentir. (H. d. Y. 503^)
Ja coars n'enterra en paradyx celestre.
Si n'est nuns si coars qui bien n'i vouxist estre.
(Rutb. I, p. 140.)
Une fille avoit, si vàlsist
Qu'après sa mort s'onor tenist. (Brut. v. 5930. 1.)
Il n'i ot baron qui voïsist
Que li moines rois devenist,
Orible cose lor sambloit. (Ib. v. 6649-51.)
Il ne valsist pur nul chatal.
Que nule rien U feist mal. (R. d. S. S. v. 3102. 3.)
Si durs eurs m'est tous jors otroies,
C'ainc ne fis ben nul home desous ciel
Qu'au daarrain ne me vausist tricier. (0. d. D. v. 12420-2.)
Se Diex nel vausist garandir,
A cel cop l'eust porfendu. (Poit. p. 50.)
DU VEKBE. 103
Car j'ai, dist il, molt grant joie de chou que je voi que il atendent;
car s'il fesissent semblant de fuir, et Bui-iles vausist apries lui ardoir la
terre , sachiez bien que je n'eusse nulle fiance en nostre repaire. (H. d.
V. p. 178. 9. vn.)
Le texte publié par D. Brial porte:
... Se il feissent sanlant de fuir, et Burille vausist après lui
ardoir sa terre, sachiez bien que je n'eusse nule fiance de nostre
retour (494''.)
Molt fu granz la parole, et troblee la corz,
N'i a cel des messages ne vossist estre aillors. (Ch. d. S. I, p. 47.)
Onques Dex ne vos vot tant prisier ne amer
Que de vostre lignage vossist home sauver
Qui après vostre mort aidast à governer
Le douz pais de Fi-ance, qi tant fait à loer. (Ib. Il, p. 120.)
S'or avenoit que tuit vos vossissiens laissier,
Guiteclins auroit pais à vos, au mien cuidier. (Ib. I, p. 251.)
Ne quida quel volsissiez de rien contralier,
Mais conseillier le règne e partut avancier.
(Th. Gant. p. 72, v. 11. 12.)
Et dist Pilâtes : Je quidoie | Et dedenz mon cuer le pensoie
Que greigneur chose voasissiez
Et, certes, que vous l'eussiez. (R. d. S. G. v. 459-62.)
Sel voz tolli, ou vosissies ou non. (Gr. d. Y. v. 191.)
Bêle , dist il , s'il vus plaiseit.
E icele joie m'aveneit
Que vus me vausisiez amer,
Ne me sariez rien cumander
Ke je ne face à mun pooir. (M. d. F. I, p. 212.)
Quant la messe fu dite , li dux manda par les messages , et que il
requissent à tôt le pueple humblement que il volsissent que ceUe con-
venance fust faite. (Villeh. 435'*.)
Et sachies que li cuers des gens ne fu mie en pais , quar une partie
del ost se travelloit à ce que il se volsissent bien départir, et l'autre partie
se travelloit à ce que il se tenissent ensemble. (Villeh. p. 31. LIV.)
Et il le disoient por ce que il vousissent moult volontiers que li os
se departist, et s'en ralast chascuns en son païs. (Ib. p. 19. XXXVI.)
Ensi a les Lombars assièges, qui mie n'en sont joiant, ains bien
vausissent iestre tous li plus hardis ailleurs que là. (H. d. V. 510'".)
On remarque en outre à ce temps une forme en eu, comme
au parfait défini:
Li chastelains s'est avises
Que la dame eust eu asses
Lieu et temps se elle veusist
Le laissier ens s'il li pleuist. (E. d. G. d. G. v. 2583-6.)
J'ai encore trouvé les formes suivantes:
104 DU VERBE.
Et iço qui li desplaisoit
Voïist voloir en autre endroit. (P. d. B. v. 9973. 4.)
Savoir faisons que comme nous vouïissons que continuellement fut
célébrée une messe en la chapelle . . . (1235. H. d. M. p. 135.)
E si avenoit (que Dex nen veille) qu'il venissent encontre, et il
ne le vouUssent amender . . . (1259. Rym. I, 2, p. 51.)
Lors ot moût grant descorde en l'ost, si come il avoit eu maintes
fois, de ceus qui volissent que l'on se departist, quar il lor sembloit
qu'il durast trop longuement. (Yilleli. p. 62. 3. LXXXIX.)
Voïist, vouïissons, volissent, répondraient au défini volismes:
Au quinzime jour si veismes
Un flueve que passer volismes.
(Vie de S. Brandin. V. Roquefort, s. v. volismes.)
On a vu au défini la forme incorrecte voisistes^ on trouve
de même voisise ((j. d. V. v. 3211) à l'imparfait du subjonctif.
Je signalerai enfin vouîsist, voulsissent, avec un /irrégulier;
voy. E. d. R. V. 7249. 15246.
Les formes de l'imparfait du subjonctif de valoir étaient:
valsisse, vausisse.
En cest païs n'ai ami si cortois
Que vers ces .ii. me valsist .i. balois. (R. d. C. p. 29.)
Icist Cis out un fiz ki out num Saul : pruz fud , e à esliture bon , kar
entre tuz ces de Israël n'out un ki plus valsist. (Q. L. d. R. I, p. 29.)
Li reis respundid que parled out à Naboth de Jezrael que sa vigne
li laissast pui* une altre vigne ki plus valsist, u en argent sun pris
preist ... (Ib. UI, p. 330.)
Or l'a pris Diex en son voiage
Ou plus haut point de son aage,
Que s'on, en ceste région,
Feist roi par élection
Et roi orendroit i fausist,
Ne sai prince qui le vausist ^ (Rutb. I, p. 53.)
N'a mie atendu la viellece
De la roïne, ançois s'adrece
Vers li, et si l'a empainte
Qu'ele la fait et pale et tainte
La coulour, qui estoit si bêle
Rien n'i vausist rose nouvele. (R. d. 1. M. v. 89 - 94.)
L'endemain recovrerent d'un rote de serjans à cheval, mais bien
fust mestiers que il valsissent plus que il ne valoient. (ViUeh. 474'^)
(1) Vousist avec le sens de valoir n'est pas exact, je crois.
S'outre mer n'eust fet estraine
De lui miex en vousist le raisne:
S'en fust la terre plus seure. (Rutb. I, p. loy.)
DU VERBE.
105
Mais ainz que venist al retor,
N'ai départir n'ai congie prendre,
Ne fui-ent si don de rien mendre
Qu'il ne vausissent cent besanz. (Ben. v. 10158-61.)
Je passe au futur de vouloir et de valoir.
VOULOIR: voirai, vourai^ vourrai, voldrai^ voudrai, vorrai^
vorai, vodrai; vaïrai, vaurai^ valdrai, vaudrai.
VALOIR: valrai, varrai, vaurai, vaurrai, valdrai, vaudrai.
Le d est intercalaire. La forme vorrai provient d'une assi-
milation de / à r; et , dans le principe , elle s'écrivait régulière-
ment avec un double r, mais, au XIIP siècle, on orthographia
souvent avec un seul. Quant à vodrai., qui était surtout en
usage dans la Champagne, au milieu du XIII® siècle, il est
assez difficile de dire si c'est la forme voldrai., dont on a
retranché le l; ou bien si le <^ a été ajouté à vorrai^ forme bour-
guignonne, par suite de l'influence des variantes avec d inter-
calaire. Je penche pour la dernière alternative. Voirai^ voldrai,
voud/rai, étaient les formes de l'est de la Picardie et de l'Ile-
de-France. La Normandie ne connaissait que les formes avec
d intercalaire, qui produisirent aussi, dans laTouraine, l'ouest
de l'Orléanais, et les cantons avoisinants, une variante en ou
radical, par suite de la permutation de w en o et du fléchisse-
ment de l; de sorte que la forme actuelle du futur de vouloir
nous vient en même temps du nord et du sud -ouest. On sait
à quelles provinces appartenaient valrai, valdrai, etc. ayant le
sens de vouloir.
Futur de
A la pucele m'en vorrai repairier
Qui mult se haste et pense du coitier. (0. d. D. v. 12443. 4.)
C'a ices jostes me vorai essaier. (G. d. V. v. 209.)
Et dist Gerars, tôt ceu laissiez ester,
Car autre chose ros vodrai demander. (Ib. v. 932. 3.)
De ce et d'autre chose vos vodrai je proier. (Ch. d. S. H, p. 10.)
Mais armes me faites prester;
Que je me voirai aprester. (E. d. 1. V. v. 1743. 4.)
Mais congie vous voirai requerre. (Ib. v. 3546.)
Maistre, fait il, vostre plaisir
Voudrai tôt faire e obéir. (Ben. v. 13928. 9.)
Tout ainsi le croi et crerei,
N'autrement croire non vourrei. (R. d. S. G. v. 2223. 4.)
Des or vos vaurai raconter
Une aventure ke je sai,
Car plus celer ne le vaurai. (R. d. M. d'A. p. 1.)
106
DU VERBE.
Nosti'G Sires ne redemandet mies ceu qu'il doneit at, k'il por ceu ait
moens ; mais por ceu ko tu no perdes tôt ceu ko tu à lui vorras retor-
neir. (S. d. S. p. 503.)
La terre est an ta main, si soit com tu voiras. (Ch. d. S. II, p. 164.)
Au matinnet doit on aler orer
Por le service et la messe escouter,
Tu n'iras pas , ainz voïdras sejonier. (A. et A. v. 2798-800.)
J'en ferai qanque tu voudras
Et qantque tu en loeras. (Chast. XV, v. 163. 4.)
Diex dist: Joseph, quant vouras
Et tu mestier en avéras
A ces trois vertuz garderas,
Q'une chose estre ainsi croiras. (E. d. S. G. v. 939-42.)
Ce dist li rois: qant tu vaïras
Mande tos cels que bons saras. (Brut. v. 7227. 8.)
Done lor tant com tu vauras
Et fai ail mius que tu saras. (Ib. v. 6753. 4.)
Lors se porpanse li nobile guerrier
Qu'à la quitaine vorait ferir premier. (G. d. V. v. 402. 3.)
Quar l'empereres i manda
Qu'avoec aus outre s'en ira,
Et voira iestre cies del ost. (Phil. M. v. 30397-9.)
Là vuldrat il chrestiens devenir. (Ch. d. E. p. 7.)
Qu'il voudra que la ten*e tienge. (Ben. v. 8152.)
Que il t'ameinnent devant toi
Celui qui femme aveques soi
Ne voura avoir ne tenir. (E. d. S. G. v. 2903-5.)
Mes nel te vodra pas soffrir. (Ben. v. 40706.)
Et nous voelle certefiier
Que loi il nous vaurra baillier. (E. d. M. p. 62.)
Si soyez simple, douche, débonnaire et souffrans tant comme vostre mari
vaudra, et si honneres toute sa gent por s'honnour. (H. d. Y. p. 189. XII.)
Nous en vorrons dire et ordener. (1288. J, v. H. p. 481.)
Je e mi home voirons cest plait bastir. (0. d D. v. 1117.)
Car vers vus nus volt faire parjui'er e trichier,
E devant l'apostoUe l'en voldrum chalengier.
(Th. Cantb. p. 25, v. 14. 15.)
Mais ce me dites, se vos plest,
S'ii'es demain en la forest,
Quel \ie volves démener,
En bos u en rivière aler. (P. d. B. v. 1779-82.)
Yos direz ço ko vos voldrez. (E. d. E. v. 11230.)
A aler là où vous voudrez. (Eutb. H, p. 109.)
Je vous donrei ce que vourez. (E. d. S. G. v. 450.)
Cil que vous i vodreiz amer. (Ben. v. 10705.)
I
I
DU VERBE. 107
Là dedens ne lor falent engieii ne mangonne
Desfendre se vorront, s'en lor tramet cembel. (Ch. d. S. I, p. 131 .)
Demander vodront Karle s'il les tient à envers. (Ib. I, p. 60.)
Adont voiront estre délivre. (R. d. 1. V. v. 6286.)
Et les pecheeui's laverunt
Qui à Dieu vouront obéir. (R. d. S. G. v. 362. 3.)
Nous les en devons et prometons à croire de ce qu'il en vourront
dire en bone foi. (1286. J. v. H. p. 438.)
Tant en prengent François cum il en volderimt porter.
(Charl. V. 840.)
E cil qui aler s'en voudrunt
Naïve preste troveront. (Ben. v. 24672. 3.)
Par brief les en ferai semondre
Si orai qu'i valront respondre. (Brut. v. 3971. 2.)
Che senefie que il m'ont desfie,
Et me voiront , se il puent , grever. (0. d. D. v. 8488. 9.)
Dire pueent ce qu'il vauront,
Ja por home mal n'i aront. (Brut. v. 11001. 2.)
Et puis que il vauront aller contre raison, ja puis, che dist, n'aront
aide de lui ne des siens. (H. d. V. p. 227. XXXH.)
Futur de ^^valoir'"'' .
Or me di : que atient à moi | Se mon pères fu contes ou roi
Quant ge nule riens ne voirai? —
Miez que de corduan vorro. (N. R. F. et G. I, p. 89.)
Ne rendrai mie mal por mal
Gomme à mon anemi mortal.
Mes oncles est, ne li fali'ai,
Neu li ai, or li vaurai. (Briit. v. 4870-3.)
Se jo, dist il, vos pui valoir,
Je vous vaudrai à mon pooii\ (Ib. v. 6547. 8.)
Li plus hardi en pleurent de pitié,
Gar très bien sevent, n'i voira amistie. (R. d. G. p. 94.)
Par celé foi que je doi saint Denis,
Jamais en France n'en serai revertis
Si les arai tos mort et desconfis,
Ou jo perdrai que voira ben Paris. (0. d. D. v. 993-6.)
E jo te dui-rai une altre vigne ki plus valdra. ' (Q. L. d. R. III, p. 330.)
Ne recevrunt argent ne or, poi nus valdrad preiere.
(Ghr. d. J. F. Ben. t. 3, p. 538.)
Ne princes nuls nel vaudra
Qui seit ne qui fust cent anz a. (Ben. v. 13805. 6.)
Dès or sousf errai maint asal
D'amors; mes ne me vaudra riens. (R. d. 1. Y. p. 110.)
Adont pensa bien li envers
Que poi li vaurra sa desfense. (Ib. p. 303.)
108 DU VEEBE.
Petit li vaurra sa raison. (R. d. 1. M. v. 662.)
Se cent besanz poon aveir
Sanz pechie, ce saciez de veir,
Miez nos vaudront que ne fereient
Les mil se il nos remaneient
Com vos retenir les volez. (Chast. XV, v. 43 — 7.)
Je passe aiix formes du conditionnel.
Je nel voroie por l'or de Monpellier
Qu'en eusiens la monte d'un denier. (G. d. Y. v. 984. 5.)
Dou tort et de la honte me vorroie vangier. (Ch. d. S. I, p. 28.)
Je nel vodroie por tôt l'or de Paris. (G. d. V. v. 1440.)
Moult miex estre morte volroie
Que la gens de moi mesdesist. (E. d. M. p. 24.)
Toutes les foiz jue je vourroie. (E. d. S. G. v. 2450.)
Perdre voldroie mix Paris la cite,
Chartres et Blois et Flandres la conte,
Qu'il m'escapast por nule adversité. (0. d. D. v. 6215 - 7.)
Kar mei meisme estoet avant aler
Pur mun neud que vuJdreie truver. (Ch. d. E. p. 110.)
Voldereie (ib. p. 113.)
Sire, se Dex ait de moi part,
Vous poes bien de fi savoir | Que ne voiidroie mie avoir
D'Alemaigne l'empereour
Et avoec lui toute s'ounour
En liu de lui. (E. d. 1. V. p. 207.)
De vos est estraiz mis lignages:
Je sui de vos, por ce voudreie
Atomer vos à bone veie. (Ben. v. 24292-4.)
Par vous m'en vàlroie vengier
Et tos ocirre et escillier. (Brut. v. 6967. 9.)
Car, en nulle manière, je ne vauroie que nostre gent feussent decreu
par Lombars. (H. d. V. p. 223. XXXI.)
Et de l'enfant vaurrois oïr. (E. d. 1. M. v. 6137.)
Bêle, fait il, de vostre terre
Vous vaudroie ge moût enquen-e. (Ib. v. 1283. 4.)
Mais or me di, garde nel me celer,
Se tu voldroies encores respasser. (A. et A. v. 2789. 90.)
Et que voudroies tu trover? (Eomv. p. 526, v. 10.)
Que vauroies tu avoir mis.
Et tu fusses mais à toudis
Si bons menestreus con tes père ? (Th. Er. M. A. p. 66.)
Un jour se prist à pourpenser
Que moult se vorroit reposer
Et que mais ne se combatroit
Quar asses travellies cstoit. (Phil. M. v, 4718-21.)
DU VERBE. 109
Et que l'emperere prendroit
Lor omage^ quant il vodroit. (Phil. M. v. 29939. 40.)
Miols voirait estre mors que vis. (P. d. B. v. 4762.)
Li tons, quant se repentiroit
Et voiiroit son pechie guerpir ... (R. d. S. G. v. 188. 9 )
Por ceo l'en voldreit destorber
E lui del tôt deseriter. (Ben. v. 14353. 4.)
Eisi vont e prameteit
Se Damne Deus li consenteit,
Rue le munde voudreit gorpir
E à religion venir. (Ib. v. 8100-3.)
Si s'en pooit vis eschaper
A Rome s'en valroit vanter. (Brut. v. 13255. 0.)
Qui nous vauroit ja la teiTe tolir après si grans travaus que vous
savez que nous y avons eus, trop vous en de^Toit peser. (H. d. V. 500'^)
Se ele ne le veut anchois.
Veut! Dix! que vaudrait ele dont. (R. d. 1. M. v. 1642. 3.)
Avec le sens de valoir:
Mais que vav/roit une brebis
Entre . m . leus de faim rabis? (Pli. M. v. 7648. 9.)
Et mal que mal, encore vauroit il miex que nous en fuissions hors
dou païs. (H. d. V. 501".)
Mes plaindres n'i vaudroit la monte d'un boton.
(Ch. d. S. II, p. 91.)
E s'ele (la terre) esteit d'omes poplee
E gaaigniee e abitee
Que vaudreit ele moins de France? (Ben. v. 0365-7.)
Beaus amis, or nos dites voir.
Par vos le volriemes savoir. (P. d. B. v. 9197. 8.)
Se meisme li Deu celestre
Nous voloient si abaissier,
Si nous valriens nous esforchier.
Car ja par home ne perdrons
Ce que nous tant tenu avons. (Brut. v. 4032-0.)
Poiu- çou que vous nous tenes ciers,
Vaudriiens nous de vous avoir
Hoir pue ce règne doie avoir. (R. d. 1. M. v. 344-6.)
Sire, dient si home, si iert com vos vorrois. (Ch. d. S. I, p. 98.)
Nennil, fait ele, mauves lechierres, vos voudries ore que ge fusse el
puis, mes je n'i sui pas. (R. d. S. S. d. R. p. 37.)
Ains qu'il soit vespres, vos ferai si taisant
Que ne vaurries por tôt l'or d'Oriant
De la pucele eussies pris le gant. (0. d. D. v. 2867-9.)
Ce fu cil qui prophétisa, 1 Qui dedens son cuer avisa
Que vaudries de feme nestre. (R. d. 1. M. v. lllX-13.)
110 BU VEKBE.
Et à lui combatre voroient
Tantos com as ious le veroient. (Phil. M. v. 5696. 7.)
Ne il pas ne vodroient de néant abaissier
(Ch. d. S. II, p. 37.)
Cil li respont sans demorer
Por aler là où j'ai conte
Vouclroient estre en mer monte. (Eutb. Il, p. 109.)
Forme incorrecte : vouldroient ( Villeh. p. 1 0. XX).
Nous . . . faisons savoir à tous . . . ke chil ki adversitei nous vau-
raient, se doient plus douter d'enprendre et de maintenir chose ki nous
fust contraire . . . ke . . . (1201. J. v. H. p. 540.)
Avec le sens de valoir:
Car n'i valroient vaillant une maaille. (R. d. C. p. 43.)
Yoici quelques exemples des formes de l'imparfait de l'indi-
catif de valoir et de vouloir:
Quant cil que je voloie amer
Ne m'a daigne ne velt oïr. (R. d. 1. V. p. 236.)
Et qanque je voleie pris. (Chast. XXI, v. 66.)
Et avec ou radical:
Que, se la vouloie celer.
Par vous le pourroient prouver. (R. d. S. G. v. 1327. 8.)
Et se voloies faire ce que je te demant. (Ch. d. S. H, p. 159.)
Purquoi nel vuleies tu ainz dire ? (M. d. F. II, p. 326.)
Mais del humle enhortement les volait il plus humlement apaisen-
teir , cant il disoit. (M. s. J. p. 476.)
Li dyables l'a conqueste
Ki en faisoit chou k'il volait. (R. d. M. p. 10.)
Quant el vuleit aler cuchier. (B. d. F. I, p. 274.)
Tout ainsi comme il garissoit
Les malades quant il voulait. (R, d. S. G. v. 1301. 2.)
A la fin du XIIF siècle , ou trouve cette troisième personne
et ceUe du pluriel écrites avec deux /. Le redoublement des
consonnes était alors très -ordinaire, comme on l'a déjà pu re-
marquer.
Et si voilait prendre vosti'e famé par force. (R. d. S. S. d. R. p. 16.)
Déshériter nos volies à bellois.
Vus en ares soldées d'achier froit. (0. d. D. v. 6836. 7.)
Dites que li vuliez mander,
E jo m'en irai aprester. (Trist. Il, p. 55.)
Remener an valaient François lor juene roi.
(Ch. d. S. n, p. 116.)
Dont l'ovi-aigne moult plus valoit
Que Fors meismes ne faisoit. (P. d. B. v. 10629. 30.)
Gros fut li anels et pesans,
Muelz valloif de .iiii. besans. (Dol. p. 250.)
DTJ VERBE. 111
Li povres hom s'escondiseit,
Mes qui chaut? Rien ne li vahit (Chast. XV, v. 99. 100.)
Si drap valaient .v.c. mars. (Poit. p. 3.)
Mais bien volissent et mestiers fust qu'il vausisent miels que il ne
valolent. (Villeli. p. 116. CXLI.)
Participe passé: voïu, voulu; — valu.
Participe présent: volant, voillant, vuillant^ vulant;
valant^ vallant, vaillant, et valisant.
Nos Otlies . . . façons scavoir . . . que nos desirans et vuillanslQ accreisse-
ment et multipliement de notre ville de Poligny. (1288. M. s. P. II, p. 551.)
Plus de vaillant dis mile mars
Lui imt ja sa terre empeiriee. (Ben. v. 18275. 6.)
Si que puis n'en perdirent vaillant un denier, de chose qu'il
eussent. (ViUeh. p. 148. CLXYI.)
Ce dist li filz , moût ert vallanz
Li philosophes et savans. (Chast. XIV, v. 251. 2.)
N'auras de gent valissant une paille. (E. d. C. p. 43.)
Les composés de valoir et vouloir n'étaient pas nombreux.
Outre revaloir = valoir de nouveau , rendre la pareille ; revoloir
= vouloir de nouveau, on trouve:
Contrevaloir , égaler en valeiu", équivaloir;
Tu cuides bien e si est faille
Que nus ne te contrevaille. (M. d. P. fabl. LXVII.)
Jamais n'iert hume ki tun cors cuntrevaillet. (Ch. d. R. p. 77.)
Contrevoloir , s'opposer, ne vouloir pas:
Quant Diex joint home et famé, por ce faire le volt
Que tozjors s 'entrefussent loial, ferme et devost:
Mes je vois ore entre eulx loiaute de prevost:
Car quant li uns desvuide, li autre contrevost.
(Testament de J. de Meung. V. Roquefort, s. v.)
Untrevoloir, vouloir mutuellement.
Desvoloir, ne pas vouloir, cesser de vouloir, refuser.
E ce que Deus en apareiUe,
Qui tote sainte ovi'e conseille,
Ne devez desamonester
Ne desvoleir ne destorber. (Ben. v. 11439-42.)
Mais vosti-e lige chevalier
Serrai ù que jo unques seie,
Eisi que riens ne desvoldreie
Que vos pleust à comander. (Ib. II, v. 1972-5.)
„Ce mot fort significatif" n'est donc pas de l'invention de
Malherbe, comme le dit Roquefort (s. v. desvouloir).
L'ancienne langue avait encore deux verbes qui, au présent,
se conjuguaient comme vouloir; ce sont les suivants:
112 DU VERBE.
DOULOIR (dolere), SOULOIR (solere).
Douîoir est resté en usage jusqu'à la fin du XYP siècle, et
La Bruyère le regrettait; souloir se trouve encore dans La Fontaine.
On aimme miels doloir le ventre
Que li bons morsiaus dedenz n'entre. (R. d. M. p. 42. 3.)
Por Dieu fet mult son cors doloir. (Rutb. I, p. 69.)
Ja en feist tôt son voloir
Qui q'apres s'en deust douloir. (Dol. p. 180.)
Trop ai à doleir e à pleindre. (Ben. v. 19399.)
De rien, fait il, plus ne me doil
Que jo faz de son gi'ant orgoil. (Ben. v. 21030. 1.)
He! Oliviers, biaus dous compaing,
Com je vous duel, com je vous plaing. (Phil. M. v. 8074. 5.)
Jo duïl sur tei , chier frère Jonathas , bels e amiables , que jo amoue
si cume la mère sun fiz qui n'ad mais un. (Q. L. d. R. II, p. 123.)
Por çou que jou l'osai veer.
Me bâti si que jou m'en doél. (Chr. d. Tr. m, p. 108.)
Si je m'en dueil et souspir. (G. d. G. d. G. p. 51.)
Tu portes mes dolors , et si te duels por mi. (S. d. S. B. p. 562.)
La voiz li respondi: Que vels?
N'as tu assez? De quoi te ^eZs? (N. R. F. et G. n, p. 245.)
Se li cuers soi daelt vraiement, li visce n'ont encontre point de
longue. (M. s. J. p. 454.)
Gil ki met science met dolor , car il ki ja seit les sovraines choses
cui il encor n'at mie, se duelt tant plus des basses ù il encor est
retenuz. (Ib. p. 493.)
Mult lor en doélt les quors e saigne. (Ben. v. 10536.)
Sire, dist il, forment me doit d'Ogier. (0. d. D. v. 12456.)
Li quens Alains conoist l'ovraigne
Teu dunt le quor li dout e seigne. (Ben. v. 30976. 7.)
De Teleres li dout Iq quor. (Ib. v. 28168.)
Del sien li donra mult, s'il velt,
Gar mult a mal, et mul se delt. (Brut. v. 8915. 6.)
Or le refuse, or le reveut.
Or en souspire, ore s'en deut. (R. d. 1. M. v. 1745. 6.)
Vos seres dame, se Dex violt.
Et saures dont li cuers me diolt,
Et ameres conme jo fas. (P. d. B. v. 7043-5.)
Cfr. ib. V. 4154. 7568. 8273.
Sovant sopire et moult se dialt (Tiist. I, p. 217.)
Gelé qui l'escondit, s'an diaut. (N. R. F. et G. I, p. 65.)
A l'otroier li cuers li dieut. (Romv. p. 457, v. 18.)
Se noz dedenz nos dolons de l'amor del parmanable pais. (M. s. J. p. 453.)
De ce faire ne nous dolons. (R. d. 1. M. v. 3780.)
De Deu aiez beneiçun ki dules ensemble od mei. (Q. A. d. R. I, p. 91.)
DU VEEBE. 113
Dame Avarice et dame Envie
Se duelent moult quant sui en vie. (Eutb. Il, p. 28.)
Et tant désirent plus fortement les permanables choses que il soi
doelent folement avoir travilKiet por les temporeiz. (M. s. J. p. 510.)
Kar mult lor dolent lor eschines. (Ben. v. 20040.)
Nécessaire chose me samblet, chier frère, ke ju la raison de la
sollompniteit ki ui est, vos espoigne, si cum ju soil faire des altres.
(S. d. S. B. V. Eoquefort s. v. soil.)
Dist lor: Seignors, al quer m'en doil.
Plus sui gregiez que je ne soil. (Ben. v. 20176. 7.)
Sire, fait ele, de mentir
Ne vos suel jo mie servir. (P. d. B. v. 6067. 8.)
Or n'amerai je mes là où je sueil. (Th. F. M. A. p. 36.)
Et tu te lèveras bien main,
Si com tu sais, te vestiras. (Dol. p. 184.)
Or soit liez cil ki granz choses suelt désirer, car li granz rewer-
doneres est venuz. (S. d. S. B. p. 532.)
Ce suelt om dire. (Ib. p. 564.)
El horror de la nocturneil vision, cant li songes suet parpenre les
hommes. (M. s. J. p. 481.)
Ja est ço Rollans ki tant vos soelt amer. (Ch. d. R. p. 78.)
E sil frai de Jérusalem cume fait l'ai de Samarie e del lignage
Achab , si la destruirai e abaterai , e aplanierai si cume l'um suit pla-
nier tables de graife. (Q, L. d. E. IV, p. 421.)
Mais ce selt estre l'aventure.
Que cil vit trop qui n'en a cure. (P. d. B. v. 5747. 8.)
Sez, funt li il, que l'om sent dire?
En vain labore e paine e tence
Qui sor père semé semence. (Ben. v. 24460-2.)
Encore est il là où il sielt,
Bien nos conseillera, s'il velt. (Du Segretain, Moine I, p. 244.)
I. pre avoit mervillous et plagnier
Soz Origni, là on sieut tornoier. (E. d. C. p. 56.)
Quanqu' a el siècle precios j Et bon et bel et mervellos,
A la cite vient par la mer.
Et tôt siolt iluec ariver. (P. d. B. v. 1631 - 4.)
Mult a or plus biens qu'il ne siolt. (Ib. v. 6189.)
Qui quiers les voies et les sentes
Où l'en se smî*i,empaluer. (V. s. 1. M. III, p. 17.)
Brengien est venu à Ysolt,
Si li surrist cum faire soit. (Trist. II, p. 121.)
Tristran respunt: Eaïne Ysolt,
Je sui Tristran ke amer vus soit. (Ib. II, p. 123.)
N'i ad beivre fors ewe de funteine
U so?<f aveir cerveise enlasemeine. (Chr. d. J. F. Ben. t. 3, p. 559.)
Burguy , Gr. de la lan^o d'oïl. T. II. Éd. ni. 8
114 DU VERBE.
M. Francisque Michel regarde les trois dernières formes
comme des parfaits définis; quant à moi, j'y vois des présents,
et ils satisfont pleinement au sens.
Voudriiez vous Dieu renoier,
Celui que tant solez proier,
Toz ses sainz et toutes ses saintes? (Rutb. II, p. 82.)
Ja soles vos jugier si voir. (P. d. B. v. 9074.)
Eswarzent ceu cil ki de la volenteit et de l 'oyvre suelent desputeir
et tencier. (S. d. S. B. p. 544.)
Ensi qu'il la veriteit de Deu detienent en menzonge , si cum pluisor
gent suelent faire à la fieye. (Ib. p. 573.)
De ce dist Moyses ke l'om ne gostet de poissons ki scrafes n'ont ; li
peisson ki scrafos ont suelent saiUiir desor les aiwes. (M. s. J. p. 473.)
De Bretaigne treu demandent.
Avoir le soelent, ce nous mandent,
Des autres illes ensement.
Et de France demainement. (Brut. v. 11096-9.)
Empereor et roi et conte
Et duc et prince à cui l'en conte
Romanz divers por vous esbatre
De cels qui se seulent combatre
Ça en aniers por sainte Yglise,
Quar me dites par quel servise
Vous cuidiez avoir paradis. (Rutb I, p. 91.)
Jeo voil, fait il, par vos oïr
Queles églises de cest païs
Soient estre de maire pris. (Ben. v. 6890-2.)
Présent du subjonctif de dotdoir:
Bien est droit que me dueille. (C. d. C. d. C. p. 39.)
Ne cuidiez pas qu'ele s'esjoie
S'ele ne set qu'autres se duelle. (Rutb. II, p. 35.)
Et il n'ert riens dont tant se dueille. (R. d. 1. M. v. 3876.)
Nuls n'est ki duille pui- mei, ne ki nuvele me ported de lui.
(Q. L. d. R. I, p. 86.)
Je n'ai aucun exemple à ma disposition pour le subjonctif
de saloir.
Parfait défini de doloir:
Moult fui navrez destroitemant,
Et moult me dolui dui-emant., (Dol. p. 259.)
Li apostoles le manda
L'empereor, mais n'i aida,
Rien ses mandemens ne valu.
Dont l'apostoles se dolu. (Pliil. M. v. 29919-22.)
Participe passé: dolu.
Et ses pères l'avoit toudis
DU VERBE. 115
Soucouru , noiu'i et valu
Et son frère Aure moult doJu. (PMI. M. v. 17255-7.)
Le verbe soîoir paraît n'avoir eu ni parfait défini , ni parti-
cipe passé ; du moins, je n'en ai rencontré nulle part aucune trace.
Voyez encore: deloie (C. d. G. d. G. p. 102), doloit (Brut.
V. 3597); soloie (Phil. M. 9354), suleie (Gh. d. R. p. 79), soloit
(S. d. S. B. p. 572), solions (R. d. 1. M. v. 7450), soliens (Gh. d.
S. I, p. 48), soliez, soliiez (G. d. Y. v. 3442; Th. Gant. p. 113, 7;
Rutb. I, p. 89), soulies (R. d. G. d. G. v. 4215), soloient (Gh. d.
S. II, p. 152), etc.
Besdoîoir^ consoler, réjouir:
Ja ne deussiez tel dol fera,
Ce vos deust tôt desdoïoir
Que vos selonc vostre voloir
En esclairererez vostre cuer. (R. d. Ren. t. II, v. 16918-21.)
Adouîoir ^ affliger, chagriner, faire de la peine.
Condoloir (se) , partager la douleur de qqn. , témoigner qu'on
prend part à son déplaisir. G 'est à tort qu'on abandonne ce
mot, qui nous est nécessaire.
Je ne m'arrêterai pas aux formes: doeult (Berte aux grans
pies, p. 11), je seul (R. d. 1. M. Préf. YI), etc.; on sait se les
expliquer. Mais je ferai observer que, dans les dialectes de
l'est et principalement du Gomté de Bourgogne , le verbe souloir
avait admis partout, vers la fin du XIII ^ siècle, le renverse-
ment eu de ue^ de la diphthongaison du présent de l'indicatif.
Apres nos leur octroions l'usage en notre bois de Yevre selon Po-
ligny ainsi comme il l'i seuloieid avoir ça ennars (ça en arrière).
(1288. M. s. P. II, p. 552.)
Oiv.florw qui, dans la langae fixée, a adopté le même eu^
excepté au figuré , où la conjugaison régulière s'est conservée à
l'imparfait et au participe présent. Montaigne, au contraire,
disait :
Où la science fleurissoit; di\TLne police lacedemonienne ... si long-
temps fleurissante en vertu et en bonheur. (Essais, II, 12.)
ARDOIR (ardere).
Ce verbe, qui signi^G brûler ^ Iriller ^ étlnceler , s'est conservé
longtemps dans cette phrase populaire: Le feu Saint -Antoine
vous arde! La Fontaine s'en est encore servi : Haro! la gorge
vci^ard! (Le paysan qui avait offensé son seigneur.)
Ardoir était la forme picarde et bourguignonne ; arder , celle
de la Normandie, d'où ardeir^ dans les dialectes mixtes. Dès
8*
I
116 DU VERBE.
le premier quart du XIII *" siècle, arder prit la forme de la
quatrième conjugaison sur les confins de l'Ile-de-France: ard/re.
Le Eoman de Hou fournit or sir , dans la partie interpolée
du texte de Wace , qui a une forte teinte picarde. Arsir pour-
rait avoir été composé, sous l'influence des formes du parfait
défini et de l'imparfait du subjonctif, d'après l'analogie d'un in-
finitif picard ardir. Cependant, quoique très - naturelle , on ne
trouve, pour ce verbe, au XIII® siècle, aucun exemple de la
terminaison infinitive 'ir; oir, er ^ eir ou re s'étaient fixés par-
tout. Or arsir ne date que du commencement du XIY*" siècle,
d'où je conclus que c'est une création tout à fait nouvelle de
cette époque de décadence. L'influence des formes du parfait
défini et de l'imparfait du subjonctif aurait alors aussi déterminé
le changement du d final en s.
Et ki ne saichet ke mult est miez ardoir de la flamme de fièvre
ke de flamme des visées ? (M. s. J. p. 490.)
Et la viUe fist tote fondre, et les tors et les murs et les halz
palais et les riches maisons ardoir et fondre. (Yilleh. 480*.)
Se les choses que dit vos ai
Pour voir, li oes denoier,
Faite(s) m'ardoir, pendre u noier. (R. d. M. p. 45.)
Dune veissiez flambe voler,
Chapeles arder e mostiers. (R. d. R. v. 16223. 4.)
Ceo semble ç^ardeir volt le mimde. (Ben. II, v. 2059.)
Pur quel as fait ardre mes blez? (Q. L. d. R. II, p. 172.)
Li viles fist arsiv , 11 païs vont cunquerre. (R. d. R. v. 1101.)
Présent de l'indicatif:
Las! fait il, se je arch ma dame,
Je sai bien que je perdrai m'ame. (R. d. 1. M. v. 887. 8.)
Avoec i ont mis li Escler^
Une lampe de cristal cler;
Devant la tombe Mahon peut;
n n'a riens dedens, et si rent
Tel clarté k'il sanle qu'ele art.
Elle i fu assise par art. (R. d. M. p. 80. 81.)
Com plus couve li feus , plus art. (Rutb. I, p. 38.)
Li carbuncles art que bien i poet home veer
Cume en mai en estet quant soleil esclarcist. (Charl. p. 18.)
Sire, fet ele, vous ardez, (L. d'H. v. 441.)
Pierres i ad (en l'escut), ametistes e topazes,
Esterminals e carbuncles ki ardent, (Ch. d. R. p. 59.)
Le parfait défini avait une double forme: l'une qui dérivait
directement du latin arsi, l'autre formée sur le radical français.
(1) Voy. la note des éditeurs du R, d. M. touchant le mot Escler.
DU \"ERBE. 117
La ville comencc à esprendre et à aliimer mult durement , et ardit
tote celé nuit. (ViUeh. 462 ^)
Encore fist il plus: il prist trestouz les livres qu'il avoit, si les
ardi. (R. d. S. S. d. E. p. 28.)
Froissait et ses contemporains se servaient surtout de cette
forme.
Quant Johannis oï que li Frans venoient si nés osa attendre, ainz
arst ses engins et se desloja. (Villeh.. 483*^.)
Gasta e arst si désertée
C'uncor est à peine habitée. (Ben. v. 3321. 2.)
La cite prist par traïson,
Tôt craventa tors et donjon,
Arst le palais, destrui(s)t les murs.
Nus hom n'estoit dedens seurs. (Brut. I, XXIV.)
Ma mère arcistes en Origni mostier
Et moi fesistes la tête pecoier. (R. d. C. p. 89.)
Li nostre message les assiégèrent la sus, si arsent la maistre porte.
(H. d. V. 506 ^)
Ensi d'Eneas, dont jou di, | Cis grans linages descend!
Par caus ki de Ti'oies partirent.
Quant Griu V arsent et abatirent. (Pbil. M. v. 158-61.)
Dont recommencèrent la gierre
Li Lombart, et arsent la tierre
Saint Piere od le roi Desiier. (Ib. v. 4150-2.)
Amunt Seine senz demuree
Puia la genz desmesuree
Desqu'à Roem, celé arstrent si
Que unkes riens nule n'i gari. (Ben. I, v. 985-8.)
Si emportèrent l'ydle e la statue Baal hors de sun temple, si
Varstrent (Q. L. d. R. lY, p. 384.)
Imparfait du subjonctif:
Et li feus aluma moût haut, si qu'il sembloit que toute la terre
ardist (Villeh. p. 69, XCY.)
Dame, li senescals a dit.
Commande me fu sans respit
Du roy qu'en .i. four vous arsisse,
Sacies , ou ma vie perdisse. (R. d. 1. M. v. 983 - 6.)
Bien set, se il fust conseuz,
Li rois Varsist por son seignor. (Trist. I, p. 48.)
Autresi les culverz, les chens.
Refirent il puis à Orliens;
Or en orent qu'il ne V arsisse nt
E que il ne la destruississent. (Ben. I, v. 1099-1102.)
Ardraï (R. d. L M. v. 901) — ardra, s'ardra (FL et Bl. v. 616 ;
Rutb. I, p. 264) — (Ben. t. 3, p. 528) etc.
118 DU VERBE.
Participe présent: «r^aw^; participe passé: ars, arse.
Tous jors i durent en ardant
Doi cierge de vertu molt grant,
Dont li candélabre sont d'or. (R. d. M. p. 79.)
Et tenoit bien li frons del feu , si com li aloit ardant, bien de une
lieue do terre. Del domage ne del avoir, ne de la richesse qui là fu
perduz, ne vos porroit nus conter, et des homes et des famés et des
enfanz dont il ot mult d'ars. (Villeh. 456*=.)
Li forz chasteaus fu abatuz,
Ars e versez e tuz desfeiz,
E les granz avoirs pris e traiz. (Ben. v. 3656-8.)
Arse unt la province e esprise. (Ib. v. 5057.)
Les auteurs du XVI ^ siècle, qui faisaient un fréquent usage
de ce verbe, le rapportaient ordinairement à la LV*" conjugaison.
Ardre (Rabelais, Pant. Y, 41) — ard (indicatif) (ib. II, 22) ~
ardoit , ardoyent (Amyot , Hom. ill. Marcellus. Pelopidas) — ars^
arse (ib. ead. Numa Pompilius. Themistocles. — Montaigne III, l).
Je terminerai ce que j'avais à dire sur la troisième conju-
gaison , en citant le verbe. *•
OLOIR (olere),
qui s'est perdu sans laisser aucune trace.
C'est une peaus qui moult miols iolt
Que nule espisce oloir ne siolt. (P. d. B. v. 1073. 4.)
Li font emplastres et entrais
D'un onghement M fu fors trais
D'une boiste ki souef oie, (R. d. 1. V. v. 2121-3.)
Le fluie esgarderent parfunt . . .
Cum les rives d'erbes e de flors
E de divers arbres plusors
Oient suef e dulcement. (Ben. v. 3013. 19-21.)
Bone famé, n'en dot de rien,
E si très sainte e si très note
Que aut plus soef que violete,
Que fleurs de lis ne fresche rose.
Et Dex en lui maint e repose. (Ben. t. 3, p. 526.)
Qant la rose suef oleit. (Romv. p. 419, v. 21.)
Et en iver et en este
I aveit vert herbe à plente,
0 les flors qui soef oleient
De divers fruiz qui creisseient. (Chast. XIX, v. 7 - 10.)
Seignors, dist il, estrange chose j Vos sembler.eit se une rose
Bêle et clere et soef olante
Naisseit d'une espine poignante. (Ib. lU, v. 21-4.)
Cfr. Ben.n, v. 1385. 1526. 1533. 2019, etc. M.d.F. II, p. 192, etc.
DU \^RBE.
119
QUATRIEME CONJUGAISON.
PÂEADIGME DES VERBES FAIBLES DE LA IV^^ CONJUGAISON
dans les h'ois dialectes.
BOURGTJIGNON.
PICARD.
mriNiTir.
NORMAND.
rend-re ^.
rend-re.
PARTICIPE.
Présent.
rend-re , -er ^.
rend-ant.
rend-ant.
Fasse.
rend-ant.
rend-uit, -u.
rend-ut, -u.
INDICATIF.
Présent.
rend-ud, -u.
rend, rent (ren),
renc, rench,
rend (ren),
ren-z,
ren-s.
ren-z.
rend, rent,
rend, rent.
rend.
rend-ons.
rend-omes -ommes.
rend-um,
rend-eiz,
rend-es.
rend-ez.
rend-ent.
rend-ent.
Imparfait.
rend-ent.
rend-oie (-oe),
rend-oie (-oe),
rend-eie,
rend-oies,
rend-oies,
rend-eies.
rend-oit,
rend-oit.
rend-eit.
rend-iens,
rend-imes (-iomes).
rend-ium.
rend-ieiz.
rend-ies,
rend-iez.
rend-oient.
rend-oient.
Parfait défini.
rend-eient.
rend-i,
rend-i.
rend-i.
rend-is,
rend-is.
rend-is,
rend-it, -i,
rend-it, -i.
rend-id, -i.
rend-imes (ismes).
rend-imes (ismes).
rend-imes (ismes),
rend-istes.
rend-istes.
rend-istes,
rend-irent.
rend-irent.
rend-irent.
(1) Ou randre. Voy. 2e conjugaison.
(2) Ere dans l'anglo - normand. V. Ben, t. 3, p. 480, etc,
120
DU VERBE.
BOUEGUIGNON.
rend-rai,
rend-rais, ras,
rend-rait, -rat, -ra,
rend-rons,
rend-reiz,
rend-ront.
rend-roie,
rend-roies.
rend-roit,
rend-riens,
rend-rieiz,
rend-roient.
rend, rent (ren),
rend-ons,
rend-eiz.
rend-e,
rend-es,
rend-et, e,
rend-iens (-ions),
rend-ieiz,
rend-ent.
PICARD.
Futur simple.
rend-rai,
rend-ras,
rend-rat, -ra,
rend-romes,
rend-res,
rend-ront.
NORMAND.
rend-rai, -erai,
rend-ras, -eras,
rend-rad, -ra, -erad,
rend-rum, -erum,
rend-rez, erez,
rend-runt, -erunt.
-era,
Conditionnel présent.
rend-roie,
rend-roies,
rend-roit,
rend-riemes,
rend-ries,
rend-roient.
BIPÉRATIF.
renc, rench,
rend-omes,
rend-es.
SUBJONCTIF.
Pre'sent.
renc-e, rench-e,
renc-es, rench-es,
renc-et, -e,
rench-et, -e,
renc-iemes, rench- reng-ium (ren-jum?),
iemes (-iomes),
renc-ies, rench-ies.
rend-reie, -ereie,
rend-reies, -ereies,
rend-reit, -ereit,
rend-rium, -erium,
rend-riez, eriez,
rend-reient, -ereient.
rend (ren),
rend-um,
rend-ez.
reng-e,
reng-es,
reng-ed, -e.
rend-isse,
rend-isses,
rend-ist,
rend-issiens (issions),
rend-issieiz,
rend-issent.
renc-ent, rench-ent,
Imparfait.
rend-isse,
rend-isses,
rend-ist,
rend-issiemes,
rend-issies,
rend-issent.
reng-iez, reng-ez,
reng-ent.
rend-isse,
rend-isses,
rend-ist,
rend-issium, -issum,
rend-issiez, -issez,
rend-issent.
AHERDEE, AEKDEE (adhaerere),
attacher, joindre, saisir.
Se ke il totes les temporeiz choses despitent, et ne mie solement
por ce ke l'om les doit tost perdre, mais ne s'i vuelent aherdre, mimes
se eles astoient permanables. (M. s. J. p. 510.)
h
DIT VERBE. 121
Mout se fet à sens boen aerdre,
Quer cel ne puet l'en onques perdre. (Chast. prol. v.43. 44.)
Ensi totes voies si ju del tôt renoye l'aperceue falseteit, et si ju
m'aJiert à la veriteit cuy ju avérai deconue. (S. d. S. B. p. 524. 5.)
Naynies passa avant, si Vahert par le doit. (Ch. d. S. II, p. 86.)
Fuions la (la luxui'e) tuit. Mon, fuions!
Ne cuer ne cor n'i apuions,
Qui s'i aart, qui s'i apuie,
Le porcel resemble e la truie. (Ben. t. 3, p. 529.)
Et avec la diplithongaison picarde te, de la seconde moitié
du Xm" siècle:
Si Vahiert par la trece blonde. (Poit. p. 25.)
Si nous à vous nous aerdons. (R. d. 1. M. v. 5666.)
Par mainte fois as nés s'aerdent
Et tant les tienent et demorent
Que as roces el péril corent, (Brut. v. 750-2.)
Les escus guerpissent et perdent.
Bras à bras ensi s'entraherdent^
Tant sacbent et boutent et tirent,
' Et si malement s'entratirent.
Que des hiaumes rompent les las. (E. d. 1. V. v. 1932-6.)
Bone cbose est à mi del tôt ke ju à ti m'alierde. (S. d. S. B. p. 562.)
Parfait défini:
Un fust aerst, si l'embrassa,
E tant s'i tint k'il ai'riva
Ke la gent vint M l'emporta. (R. d. R. v. 15309-11.)
E li fors venim eschausfat.
En le os s'erst, nercir le fist. (Tiist. II, p. 105.)
Imparfait du subjonctif:
Car si le hopoit ses cevals,
Ki n'est ne cbevelus ne caus,
Se il sor le ceval seist,
Ja en tel lieu ne ^'aersist,
A sele, à crigne, à mont, n'aval,
Qu'il ne cbaist jus del ceval. (L. d. T. p. 80.)
Participe passé: ahers, aers^ aherse^ aerse.
Certes, bienaureiz est li membres M del dot ne serat ahers à cest
chief, et kel seurat tôt celé part où il irat. (S. d. S. B. p. 561.)
Barbe noire, grenons torcis
Et le menton aers au pis. (Romv. p. 524, v. 9. 10.)
Et avec la diplithongaison picarde ie^ comme au présent:
Maintenant l'a ahiers li dus. (Poit. p. 8.)
Outre le composé entraherdre , dont on virent de voir un
exemple, on trouve desaherdre.
122 DU VERBE.
En saillant, guenci de travers,
De l'anemi s'est desaers. (Brut. v. 11924. 5.)
A mort i unt livrez lor cors;
Des mui's les unt si desaers,
Tuez e ti-ebucliez envers.
Que n'i a rien del effundrer,
Del abatre ne del entrer. (Ben. v. 19095-9.)
BOIRE (v. fo.), bibere.
Ce verbe était, dans le principe, régulièrement fort; mais
la forme infinitive bovre, bevre^ prit de bonne heure la diph-
thongaison du présent de l'indicatif: boïvre, en Bourgogne et
en Picardie; bevre, en Normandie; beïvre, dans les dialectes
mixtes; baivre, dans le Maine, la Touraine et les cantons ad-
jacents. Après 1250, on trouve enfin les formes contractes
boire et beire^ dont la première est restée dans la langue lit-
téraire.
Vos me nouiistes, se ne puis je noier.
Et me donastes à hoivre et à mengier. (R. d. G. p. 206.)
Ce n'ert pas por hoivre à guersoi;
Ainz avoit soi de nous reembro. (Eutb. I, p. 93.)
Tuit li plus riche chevalier
N'ont que heivre ne que manger. (Ben. v. 8734. 5.)
Je oi sai, si à haivre demandai. (Trist. II, p. 120.)
De si qu'il vint à Saint Denis ne volt mangier ne beire.
(Chr. d. J. F. V. 26.)
Onques n'en oi tel desirier
Ne de boire, ne de mangier, (Brut. v. 11289. 90.)
Qui venus est à la mer boire. (Y. s. 1. M. XLV.)
Le présent de l'indicatif se conjuguait de la manière
suivante :
BOUEGOGNE et PICARDIE.
NORMAM)IE.
boif, boi.
beif, bel,
boi-z, boi -s.
bei-z,
boi-t,
bei-t,
bev-ons, bev-ommes,
bev-um,
bev-eiz, bev-es,
bev-ez.
boiv-ent.
beiv-ent.
c'est-à-dire régulièrement fort, avec aiîaiblissement de Va en e,
dans les dialectes bourguignon et picard , à la première et à la
seconde personnes du pluriel. J'ai expliqué ce changement à
l'occasion de devoir. Impératif de même.
Je bcif de l'eve de mon puis. (N. R. F. et C. II, p. 430.)
DU VERBE. 123
Ne boi mie encor aiwe. (M. s. J. p. 511.)
Et si ne puis avoir séjour
Se je ne ioi, ou dore, ou masque. (Th. F. M. A. p. 101.)
Manjue et hoif et si t'enyvre,
Que mauvais est de pou lassiez. (Rutb. I, p. 131.)
Nuns celé nuit ne boit ne ne manjue,
No boins chevalz n'i ot selle tolue. (G. d. V. v. 3728. 9.)
Partonopens repaire à Blois,
Et siet un jor à son haut dois;
Mais il n'i boit ne ne mangue.
Ne ses iols d'un liu ne remue. (P. d. B. v. 3835-8.)
Ne dort ne beit ne ne manjue,
Que tote la chère a fundue. (Ben. v. 13936. 7.)
Et nous bevons de la fontaine. (Th. E. M. A. p. 112.)
Sii-e Lambert, maingiez et si beveis. (G. d. V. v. 923.)
Eilz e filles perduz avez
Se la mer tote ne bevez. (R. d. R. v. 13361. 2.)
Et li autre par la maison
De vin boivent par contençon. (FI. et Bl. v. 1347. 8.)
Mais trop boivent, n'en sai avant. (P. d. B. v. 7278.)
Tant en beivent qu'à toz jors mais
Aui-a li dux Richart d'eus pais. (Ben. v. 21530. 1.)
Parfait défini: lui.
Tant bui la nuit que je fui yvres. (R. d. 1. M. v. 4437.)
Naie, je ne bui hui de vin! (Th. Er. M. A. p. 62.)
Donkes sainz Johans buit assi lo boyvre de saleveit. (S. d. S.B. p. 542.)
Longemant buit por sa soif restainchier. (G. d. V. v. 2726.)
Por ço ne li fist mal ne bien.
Qu'il n'i manga ne ne but rien. (P. d. B. v. 3845. 6.)
Avec s intercalaire: lust (R. d. S. G. v. 2019).
Je sui roïne, mais le non | En ai perdu par ma poison
Que nos beumes en la mer. (Trist. I, p. 107.)
Bel beivre qu'ensemble beuimes. (Ib. II, p. 57.)
Vus en beustes e je en btii. (Ib. ead. p. 112.)
ïuit cist burent lo boivre de salveteit. (S. d. S. B. p. 542.)
Celé nuit burent et mangierent. (R. d. 1. Y. v. 1345.)
Cume cil malade vindrent al premier chief del ost, entrèrent en
une loge , si i mangèrent e beurent. (Q. L. d. R. IV, p. 372.)
Imparfait du subjonctif:
Kar nostre Sires le defendi que jo n'i beusse ne manjasse. (Q. L.
d. R. III, p. 288.)
Kar sil m'ad cumanded nostre Sire que jo n'i bousse ne manjasse.
(Ib. ead. p. 287.)
Que jo cumandai qui ici ne manjasses ne beusses, tis cors n'iert
pas enseveliz en la sépulture de tes ancestres. (Ib. ead. p. 289.)
124 DU VERBE.
Que atient ce ke il dist des repuns péchiez des alqiianz hommes
et des aoverz à ce ke il avoit defendut lo malade ke il ne beioist aiwe.
(M. s. J. p. 511.)
Si com la meiUor gent qi onques heust vin. (Ch. d. S. I, p. 65.)
Et il envoievent, si apelevent lor trois serors, ke eles manjaissent
et huissent avec eaz. (M. s. J. p. 498.)
Ja de morir garant n'eussent,
Se la mer tote ne heussent. (R. d. R. v. 11845. 6.)
Futur: hevrai, lèverai; conditionnel: hevroie, levreie, levereie.
(Yoy. devoir^ pour Ve radical, en Bourgogne et en Picardie.)
Mangerai sun peisun e hevrai sun claret. (Charl. v. 585.)
Si dist: Propice me seit Deu que jo n'en guste, ne beverai pas
l'ewe que cist unt par entre lur enemis prise e portée , en pour de lur
sanc espandre, e en péril de mort. (Q. L. d. R. II, p. 213.)
Se sanz vilanie veuz beivre,
Garde que ta boche seit seivre
Del morsel que mis i auras,
Quer ja mai' o tel frein bevras. (Chast.XXn,v.l89-92.)
Ja por ce, de vin ne hevra,
Ne plus chaut chaperon n'aura. (Dol. p. 204.)
Nos bevrons de l'autre picier,
Si lairons lui et le plaidier. (P. d. B. v. 3971. 2.)
Mais faites un bel digner à lur oes aturner, e mangerunt e beve-
runt , e puis à lur seignur en irunt. (Q. L. d. E. IV, p. 368.)
Od tei ne irreie, ne pain mangereie, ne ewe ne bevereie. (Ib. m,
p. 287.)
Imparfait de l'indicatif:
De l'eve bevoit au ruissel
Qu'ele n'avoit point de vessel. (Rutb. H, p. 122.)
Li sien mangoient et bevoient
Et moult grant joie demenoient. (P. d. B. v. 3839. 40.)
Quant il mangoient et bevoient,
Li oisel deseure aus cantoient. (El. et Bl. v. 251. 2.)
Od eus manjoent e beveient. (Ben. v. 39030.)
Participe passé:
Quant ot beut li niez l'empereor,
Conte Olivier apelle par vigor. (G. d. V. v. 2749. 50.)
Kar il n'en out de treis jui'z ne de trois nuiz de pain mangied,
ne beud. (Q. L. d. R. I, p. 115.)
Petit i ot mengie et beii de vin frois. (Ch. d. S. II,p. 122.)
Quar il ot ja tel pulsion biute,
Dont il ot pries la mort reciute. (Phil. M. v. 19660. 1 )
Li miez guariz en unt bond itant,
Tuz sunt neiez par merveillus ahan. (Ch. d, R. p. 96.)
DU VERBE. 125
Ces exemples posés, je vais chercher à résoudre plusieurs
difficultés que présente le verbe hoire.
J'ai indiqué ci -dessus la forme lovre^ comme la primitive
bourguignonne et picarde , ce qui paraîtra extraordinaire puisque
les S. d. S. B. donnent déjà hoivre^ infinitif employé substan-
tivement. Je me fonde sur le futur:
Yos baverez mon boyvre, ce dist nostre Sires, à saint Jaike et à
saint Johan. (S. d. S. B. p. 542.)
On voit qu'ici la diphthongaison n'avait pas encore trouvé
place, vu la terminaison lourde'. Les verbes forts de la qua-
trième conjugaison, on le remarquera, renforcèrent, en général,
de fort bonne heure l'infinitif, parce que la terminaison étant
très -brève, on chercha à donner plus de valeur à la forme en
diphthonguant le radical, pour satisfaire à la loi de l'équilibre.
Du reste, à supposer que la forme primitive du verbe hoire
ait été lèvre dans tous les dialectes, cela ne lui enlève pas son
caractère de verbe fort; car Ve radical se trouve toujours sans
renforcement devant les terminaisons lourdes, et l'on s'explique-
rait très -bien l'o«, en Bourgogne et en Picardie, par la diph-
thongaison de Vi latin devant les terminaisons légères (cfr. voir).
Ces diphthongaisons auraient alors donné lieu à un nouvel
infinitif en o radical, qui plus tard se renforça avec i.
Le V du futur et du conditionnel s'est- il prononcé en con-
sonne pendant tout le XIII® siècle? A en juger par l'analogie,
je ne le pense pas; les dialectes de la Picardie, de la Touraine
et des provinces avoisinantes l'ont sans doute changé en u dès
le milieu du XIIP siècle, au plus tard.
Favorisée par le v terminatif, l'influence des formes du
parfait défini et du futur, après le changement de ev en eu, s'il
est vrai qu'il ait existé alors, fit introduire u comme voyeUe
radicale, au lieu de ^, à certains temps. Entre 1250 et 1260,
on voit paraître, en Picardie, l'imparfait huvoie et le futur
luvrai:
Cil homme vivoit sans vilonnie,
Poi huvoit de bon vin sour lie.
Mais aighe ki n'ert pas boidie. (R. d. M. p. 7.)
Et en este, pom- sou déduit,
Si mangeoit .i. poi de bon fruit,
Apries mangior, al miedi,
E buvoit une fois ausi. (Pliil. M. v. 2980-3.)
Tous mangeres à la vespree
(1) Cfr. bovraige: Et dons dist, ci que vos je vig, car cist hovraiges ne puet mie
trespasser si je nel boef. (Roquefort s, v, bouvraige.)
126 DU VERBE.
Pain et tarte, car et poisson,
Et huveres vin affuison (à fuison). (E. d. M. d'A. p. 4.)
Pour ce qui est des deux premières personnes du pluriel du
présent de l'indicatif, où Vu s'est aussi fixe, je ne connais, au
Xm® siècle, aucun exemple qui le porte.
Ces formes en u ne pourraient -elles pas s'expliquer aussi,
en partie du moins, par un souvenir de la forme bovre?
Comme termes de comparaison à ce que je viens de dire,
je citerai:
Sommeliers, o créateurs de nouvelles formes, rendez moy de non
heuvant, heuvcmt. (Rabelais, Gargantua I, 5.)
Beuvez tousjours, vous ne mourrez jamais. (Ib. ead.)
JBeuvent (ib. Pantagruel IV, 43) — heiiviez (ib. Gargantua I, 39) —
heures (ib Pantagruel III, 13) — beuroyt (ib. ead. V, 5.).
Il proposa ""ine couronne en prix à celuy qui heuroit le mieulx.
(Amyot. Hom. ill. Alexandre.)
Le composé le plus fréquent de hoivre ^ est aloivre^ abevre^
plus tard alevrer, aheuvrer^ ahoivrer^ etc. d'où nous avons fait,
par transposition du r, notre mot abreuver. Aboivre^ signifiait
jaire boire ^ désaltérer, enivrer; par extension, imbiber^ pèiétrerj
instruire.
A cels le (le paradis) douent e délivrent
Qui les aboivrent et enyvrent
Et qui lor engressent les pances
D'autrui chatels, d'autrui substances. (Rutb. I. p. 189.)
E li marinier fol e sort,
E ivre e ahevre e lort. (Ben. v. 41059. 60.)
Emboivre, imbiber, tremper, se pénétrer — s'enivrer, être
ivre (sens propre et figuré).
Dont par ert il si deceus
Et de vostre amour embeus. (PL et Bl. v. 2177. 8.)
(Cfr. ib. V. 2239.)
Comme bomme embeu, qui cbancelle et trépigne.
L'ai veu souvent quand il se alloit coucber. (Villon, p. 61.)
La terre embue du sang du juste. (Rabelais, II, 1.)
Voy. le Glossaire aux mots forsboivre^ sorboivre, autant ^ lut.
CLORE (claudere).
Le verbe clore conserva cette forme pendant le XIII^ siècle
tout entier, et ce n'est que dans le XIV*, que l'o s'y assourdit
fréquemment en ou.. Clore avait beaucoup de dérivés, qu'on
voit se mélanger avec les composés de cludere, soit par suite
de l'affinité qui existait entre ces derniers et claudere, soit à
DU VERBE. 127
cause de l'emploi facultatif de Vo et de Vu. Prenons d'abord
quelques exemples de clore.
Il a fait l'uis dm-e sor soi. (P. d. B. v. 2539.)
E fist clorre les portes del temple que l'um n'i entrast. (Q. L. d.
E. lY, p. 400.)
Quar il de lui" greit cloent lur oez encontre la lumière d'entende-
ment (M. s. J. p. 509.)
Cloent la porte et le pont ont sus mis. (0. d. D. y. 6948.)
Quar li amors de droitui*e aoevret un pau après plus largement les
permanables choses en la paiz, cui elo davant clooit en la commotion.
(M. s. J. p. 516.)
Apres li clost l'uis et ferma. (Dol. p. 179.)
Oez pur quele ententiun
Se clostrent après d'envirun. (Ben. I, v. 1025. 6.)
Lors se clostrent li nostre de lices pai* defors. (Villeh.p. 131,CLin.)
Quar li termes vient et aprouclie
Que la mort nous clorra la bouche. (Rutb. I, p. 97.)
Tous clora chius les huis tous .iij.
Qui fait sont de vermeil laiton. (Poit. p. 58.)
L'uis a clos, dou mostier se part. (R. d. M. p. 74.)
Et si ot molt bêle maison
Close de haut mur environ, (L d. T. p. 72.)
Ouvrans et cl/ans à dangier. (Romv. p. 321, v. 8.)
Redore^ refermer.
Et quant très grant joie le prent,
Si s'ovre li cuer et s'estent;
E se redore ne se puet,
Delivrement mûrir l'estuet. (R. d. R. v. 7539-42.)
Pai- -xii. feniestres issoient,
Et apries toutes redooient
Quant il en estoient issu. (Phil. M. v. 2566-8.)
Adore, clorre, fermer; r adore, renfermer. (Y. Roquefort
s. V. radore, rados.)
Dure est la terre, senz mareis,
Entre Argences e Cingeleis,
Dreit vers midi; en teu manière
Vaclot e ceint une rivière. (Ben. v. 33262-5.)
Besdore^ défermer; éclaircir, expliquer.
Ausi voir comme est Evangile
Est ceste chose:
Si vous doit bien estre desclose. (Rutb. II, p. 104.)
Enclore^ enclore, enfermer.
Cume li reis fud venuz à sun palais, ses dis suignantes que Absalon
ses fiz out deshunurees fist enclore, e puis à el(e)s ne aprechad nule feiz,
mais encloses furent e cume vedves jesque à lur mort. (Q. L. d. R. Il, p. 197.)
128 DU VEEBE.
Moult par estoit li lieux plaisans
Et pour déduire delitans,
Car li bois par dales estoit,
La rivière les enclooit. (R. d. C. d. C. v. 1831-4.)
Dites pour quoi ci le meistes
Et pour quoi ceenz V enclossistea ,
Et que vous avoit il meffeit? (R. d. S. G. v. 1955-7.)
Et li rois ....
Lor deffendi qu'il n'asausissent.
Mais là dedens les encïosissent. (Phil. M. v. 26775. 7. 8.)
Melore, éclore — manifester, faire connaître. Je ferai
d'abord observer que ce verbe se trouve employé activement
dans Rabelais: Un pigeon esclouant ses petits.
La dame parlast; mais el n'ose.
Qu'as rois ne soit s'entente enclose. (P. d. B. v. 8737. 8.)
Forsclore.^ exclure, priver, empêcher de fuir, couper, séparer
— fermer, interdire (l'entrée d'un lieu).
Dont se com-urent armer, si montèrent et les fordoent en un
destroit .... car nostre gent se travailloit de iaus aprochier le plus
qu'il pooient et d'eus forclore. (H. d. Y. 506^.)
Trois mile heaumes les forscloent
Qu'il ne s'entreveient ne oent. (Ben. v. 5413. 4.)
De cens qui de proesce unt los
Ne devez mais estre forsclos. (Ib. v. 22206. 7.)
Maintenant lor furent as dos.
Bien les quident aveir forsclos. (Ib. v. 34367. 8.)
Dales ma garderobe après
A un huis qui siet asses près
Pour venir ci priveement.
Il a passe moult longuement
Qu'a este fermes et fourclos. (E. d. C. d. C. v. 2241-5.)
Voltaire fait quelque part la remarque suivante : „0n arrive aux
portes d'une ville fermée, on est quoi?. . . Nous n'avons plus de
mot pour exprimer cette situation. Nos pères disaient forclos; ce
mot très -expressif n'est demeuré qu'au barreau; c'est dommage."
Cfr. les exemples suivants, où les mêmes formes se rat-
tachent à des composés de cludere.
Par iror est la splendors del Saint Espir fors esclose. (M.s. J.p. 513.)
A la p. 465 du même texte, on lit:
Car cil ki or soi gettet parmei ses deseiers de ceste dolor de cuer,
remanrat dont fors enclous de celé sue deventriene feste.
Je crois les deux leçons admissibles.
Floridan et Ellinde n'estoient mie si forcïus, ne privez du doux et
agi'eable regard, ne de gracieuses devises de l'ung et de l'autre, qu'il
ne parlassent et devisassent ensemble. (Roquefort s. v. forclus.)
DU VERBE. 12Ô
Cfr. enfin le substantif enclus, moine (reclus), enceinte.
n n'espargnoit ne clers, ne moines,
Endus^ hermites, ne canoines,
Et les nonains, et les convers,
Qui plus erent à lui ahers. (Roquefort s. v. enclus.)
1. brief aport, sil met ci jus
El senestrier de cest enclus. (Trist. I, p. 119.)
Je ferai encore remarquer que, vers la fin du XIII® siècle,
ces verbes diphthonguèrent quelquefois irrégulièrement Vo et Vu
avec i.
CONNATTKE (v. fo.), cognoscere.
La forme primitive de ce verbe a été: conosi/re, en Bour-
gogne et en Picardie; cunustre^ en Normandie.
Car cil ki sa misère ne conoist, ne puet assi conostre son solaz.
(S. d. S. B. p. 546. Cfr. p. 550.)
Ke ore cunustre ne me volt? (Trist. Il, p. 119.)
Dès avant la fin du XII^ siècle , le dialecte picard remplaça
la forme primitive et correcte par conoistre, où la diphthon-
gaison provient de l'influence des formes renforcées de l'indicatif.
Conoistre s'introduisit un peu plus tard en Bourgogne. La forme
normande cunustre, devint conuistre, cunuistre^ dans les dialectes
mixtes. Au lieu de cunustre, on trouve conustre dans les textes
mélangés.
La variante cognoistre (J. v. H. p. 434), congnoistre (R. d. R.
V. 1036), est de la fin du XIH^ siècle. Elle n'appartint d'abord
qu'à la vie commune; mais, au XrV® siècle^ elle devint très-
ordinaire et on l'employa jusqu'à la fin du XYI^. L'o de
cognoistre s'assourdit en ou, d'où cougnoistre.
Yers 1250, on voit paraître, à l'est de la Picardie, la forme
quenoistre.^ qui s'explique de la manière suivante: On écrivit le
c fort par q (voy. la Dérivation), et l'o devint e par suite de
l'influence de la lettre q(u). Ou bien que représente -t -il simple-
ment g', et y a-t-il eu rejet de Vo? Le patois picard moderne
connaît encore l'élision d'un o inaccentué entre deux consonnes:
cmander, commander, qment^ comment.
(Li visce) ne nos puent conoistre quand nos sûmes dolent.
(M. s. J. p. 454.)
Qar conoistre le yuet Sébile la roïne,
Qi H a pardone mautelant et corine. (Ch. d. S. I, p. 115.)
Li rois tramist al duc message
Pour bien connoistre son corage. (PMI. M. v. 3196. 7.)
Burguy, Gr. do la langue d'oïl. T. n. Éd. m, d
130 BU VERBE.
Au milieu du XITE* siècle, ce redoublement de la consonne
n était ordinaire, en Picardie, à toutes les formes du verbe
conoistre.
E seient traveillez de mésaventures et de enfennetez, e il vuillent
cunuistre e pardun requerre de lur mesfaiz. (Q. L. d. E. m, p. 262.)
Home qui plaide en curt . . . e home li metted sur qu'il ait dit
chose, que il ne voille conustre, se il ne pot derainer per .ii. enten-
dable home del pleidant e veant, que il ne l'aurad dit, recovered a sa
parole. (L. d. G. p. 182, 28.)
Mais conuistre i pout l'un mult tost l'enoloeure.
(Th. Cant. p 121, v. 5.)
Si li faimes tant à savoir
E conuistre e aperceveir. (Ben. I, v. 2073. 4.)
Car si com li muls aveit honte
De quenoistre la vérité,
Que asne l'eust engendre. (Chast. III, v. 100-2.)
Le présent de l'indicatif avait pour formes:
BOUEGOGNE. PICAEDIE. NORMANDIE.
conois, concis, connois, cunuis,
concis, conois, cunuis,
conoist, conoist, cunuist,
conessons, conissons, cunessum, (cunussum?)
conesseiz, conisses, cunessez, (cunussez?)
conoissent. conoissent. cunuissent.
n était donc régulièrement fort. En Bourgogne et en Nor-
mandie, pour la raison que j'ai donnée à l'occasion de devoir^
le second o devenait e aux deux premières personnes du plu-
riel; en Picardie, Ve était représenté par i. Si cet i a été de
suite employé au lieu de o ou de ^, ou s'il date seulement de
l'époque où oi s'était déjà fixé à l'infinitif, c'est ce qu'il est
impossible de déterminer; mais, dès la fin du XII^ siècle, il
était en usage ^. Impératif de même.
Noe conduist l'arche parmei lo péril del duluve, en cui je reconois
aparmemnes la forme de ceos qui sainte église ont à govemeir.
(S. d. S. B. p. 566.)
Mais je connois bien vostre essoigne. (P. d. B. v. 7024.)
Kar ne conuis ne jeo ne vei
Qu'en l'estorie ait rien si bien nun
E doctrine e cognitiun. (Ben. I, v. 2130-2.)
Ben le conuis que gueredun vos en dei
E de mun cors , de teres e d'aveir. (Ch. d. E. p. 132.)
Eait il , tu ne connois la gent. (M. et Bl. v. 1606.)
(1) On a déjà vu Vi picard remplacer quelquefois Ve. bourguignon; cet emploi
do Vi tient peut-être à la nature de Ve muet picard. (Voy. l'Article.) — Le patoia
picard actuel emploie i pour oi, u, ui: pisson, disque ^ edpis.
DU VERBE. 131
Ore , cMer père , vei e cunuis ceste pieee de tiin afublail que tienc
en ma main. (Q. L. d. E. I, p. 94.)
Li quens sait bien qu'il a passez
Guivi'es et serpenz et de malfez;
Des lions connoist bien les traces,
Et lor tesches et lor effaces. (P. d. B. v. 5751 - 4.)
E Eenomee, qui tôt voit
E tôt conuist e aparceit. (Ben. 3215. 6.)
Yeit sun esforz, veit sun poeir,
Conuist r esforz de son savoir. (Ib. v. 4869. 70.)
Mult ad apris ki bien conuist aJian. (Ch. d. E. p. 98.)
Car ce ko nos veons en lumière, ce conissons nos. (M. s. J. p. 458.
•Cfr. p. 487.)
Nous . . . recounissons et avons recouneu, ke nous et no hoir duc
de Braibant tenons et devons tenir del eveske, et del église de Liège,
Hakendeure et toutes les appartenances. (1283, J. v. H. p. 421.)
Vos ki coneisseiz vostre exil. (S. d. S. B. p. 546.)
Cet eï radical est certainement une faute, ou une simple
variante orthographique de ^, comme le prouveront les formes
en e pur qu'on verra plus bas.
Dans le dialecte picard , on trouve d'ordinaire la terminaison
ïes à la seconde personne du pluriel du présent de l'indicatif et
dn l'impératif. Cette diphthongaison provient sans doute de
l'influence des deux s.
Dist Peanda: n'est pas issi,
Yous connissies petit Osgui. (E. d. B. v. 14987. 8.)
Bien connissies le saint Hermite
Qui est hom de haute mérite. (E. d. M. v. 1035. 6.)
Maistres, qu'est che chi qui me lieve?
Yous connissies vous en cest mal? (Th. E. M. A. p. 62.)
Counissies donques la folie. (C. d. C. d. C. p. 26.)
Li visce ne nos conoissent se nos sûmes afflict, car mânes ke il
hurtent lo dolent cuer si resaihent. (M. s. J. p. 453.)
Kar bien conuissent e ben voient
Que rien ne puent perdre od eus. (Ben. v. 28349. 50.)
Présent du subjonctif:
S'est tens que je m'en reconnaisse. (Eomv. p. 323.)
Mais ço c'ore me présentes, '
Yostre merci à cief menés.
Que voie ma dame et m'amie
Sains ço qu'el me connaisse mie. (P. d. B. v. 6863 - 6.)
Ceste bataille ne poet remaneir unkes
Josque li uns sun tort reconuisset. (Ch. d. E. p. 139.)
E il là facent lur pénitence e lur penance , e cunuissent lur pecchied
e lur iniquited e de tut lur quer se prengent à Deu. (Q. L. d. E. III, p. 264.)
9*
132 DU VERBE.
L'^ est Vi que l'on a vus aux deux premières personnes du
pluriel, remplacèrent aussi, en Bourgogne et en Picardie, Vo de
la seconde syllabe, à l'imparfait, au futur et au conditionnel,
où les terminaisons sont lourdes. La Normandie conserva son
u à ces temps; uï, oi, dans les dialectes mixtes. Yers 1250,
Voij venant de l'infinitif conoistre^ s'introduisit aussi au sud de
la Picardie, sans toutefois repousser les formes en e, qui restèrent
en usage dans l'est et le nord du dialecte picard jusque bien
après le XTEI® siècle. A daler de la même époque, oi était,
pour les temps ici en question, la forme ordinaire de l'Ile-de-
France en suivant le cours de l'Aisne, à partir de l'est, et en
remontant vers Beauvais. Cet oi, favorisé par celui de Tou-
raine et des cantons avo:".sinants (oi = ui) , se répandit au sud et à
l'est de la langue d'oïl et finit par devenir la forme prédominante.
lii picard, dont je viens d'indiquer l'usage, a induit plusieurs
grammairiens à admettre un infinitif conistre, qui n'a jamais
existé jusqu'à la fin du XIII^ siècle.
Par ceus où j'ai eu amor,
Où plus conoisseie valor. (Ben. v. 39425. 6.)
Et tu ne me reconnissoies? (Th. P. M. A. p. 107.)
Il savoit bien ke li angele ne pooyent mais repairier à la voie de
paix, car il conessoit bien l'orgoyl Moab. (S. d. S. B. p. 524.)
Et quant ele obliet ce ke ele savoit et conoist ce ke ele ne conis-
soit. (M. s. J. p. 485.)
Bien connissoit cascuns s'ensaigne. (R. d. M. p. 76.)
Kar apertement conoisseit
Qu'à eus soffrir n'aveit esforz. (Ben. v. 27769. 70.)
Toutes les terres quenoissoit,
Et les manières en savoit. (R. d. S. S. v. 1771. 2.)
Ne conoissiez pas la contrée. (Ben. v. 15316.)
Cil qui l'eslection faisoient
Pertonopeus ne connissoient. (P. d. B. v. 9325. 6.)
Cil meismes kil congnoisseient. (R. d. R. v. 594.)
De ce dist sainz Paules: Dont conistrai ge ensi com je sui conuz.
(M. s. J. p. 478.)
Se c'est Ogier, ben le conisterai. (0. d. D. v. 9247.)
Piu* ço entre les genz te cunuistrai e à tun num chanterai.
(Q. L. d. R. n, p. 210.)
Quant jeo conuistrai ma baniere,
Maintenant ert sur eus li huz. (Ben. Il, v. 726. 7.)
Par droit jugement m'en métras
Qant la pramesse quenoistras. (Chast. XX, v. 63. 4.)
De Sun ami bien conustra
JjO bastun, quant ele le verra. (Trist. II, p. 144.)
DU VEKBE. 133
Par sens ferai qu'il y venra,
Que nulz ne le connoisterra. (E. d. C. d. C. v. 5942. 3.)
As armes vous congnoisterons. (Ib. v. 714,)
Comment connoistruns donc celui? (R. d. S. G. v. 310.)
Sin reconistres miols l'outrage
Que me faites ... (P. d. B. v. 6000. 1.)
Savoir si vus le cunustrez. (Trist. Il, p. 118.)
Me connoisteres vérité. (R. d. C. d. C. v. 5272.)
Mais quant il mix connisteront
Sa manière, mix l'ameront. (R. d. 1. M. v. 2343. 4.)
Kar par ce sanc bien quenoistreit
Qel enferte ses pore anreit. (M. d. F. Il, p. 195.)
Sovent avoient fait omages 1 Sovent orent donc ostages
Que des Bretons reconnistroient
Lor fiu et que d'aus les tenroient. (Brut. v. 13843-6.)
Parfait défiiii: conui, connui^ connue fcounui) ^ cunui.
Je sui tos près de jurer au mostier
Moi sissantisme de barons cbevaliers,
Ne vos conui, par le cors saint RicMer ! (0. d.D.v.3976-8.)
Cis aura le pris de l'estour,
Se onques chevaliers connui. (R. d. 1. Y. p. 282.)
Robin, je te connue trop bien
Au canter, si con tu venoies. (Th. P. M. A. p. 107.)
Car bien sai, s'onques le counui. (Romv. p. 318.)
Mar vi l'ure que vus cunui
E vus e Tristran vostre ami. (Trist. Il, p. 1.)
Si coiemant en est an l'ost antreiz
Desoz un arbre k'est foillus et rameiz,
Ke nel conuit nuns hom de meire ney
Del ost le roi de France. (G. d. V. v. 1079-82.)
De voir, senz mençonge e senz ni.
Saint Hues, l'abe de Cloigni,
Conut e sout en un moment
Sa mort e son trespassement. (Ben. v. 40845-8.)
Congnut (R. d. R. v. 1039), counut (M. d. F. Gug. v. 154.)
Yos lettres veimes tout troi,
Ne de çou deceu ne fumes:
Yostre seel bien conneumes. (R. d. 1. M. v. 4212-4.)
Et nous Henris .... recouneumes bien le devantdit Jehan à home.
(1253. Th. N. A. I, p. 1052.)
Soit sainz Johans martres en ayer les engeles, car cil si cum
espiritels créatures conurent plus certement les esperitels signes de sa
dévotion. (S. d. S. B. p. 543.)
Cil conourent l'ovraigne aperte,
Manifestée e descoverte. (Ben. v. 21270. 1.)
134 DU VEEBE.
Imparfait du subjonctif:
Pluis tost k'n pot issi fors coiemant;
Puis se ferit an la prese pluis grant,
Que nel conuist ne Karle ne sa gent. (G. d. V. v. 434-6.)
Grim li out fet changer son non,
Qe par tant nel conuist l'om. (L. d'H. v. 148. 9.)
S'il conneussent l'aiguë là où je la connois,
Mosti'e vos eussent lor force maintes fois. (Ch. d. S. I, p. 98.)
Participe passé: conuit, eonut^ conu^ coneu.
Nos faisons ui, chier freire, l'encommencement de l'Avent, cuy
nous est assois renommeiz et conuiz al munde, si cum sunt li nom
des altres sollempniteiz ; mais li raisons del nom nen est mies pai"
aventure si conue. (S. d. S. B. p. 521.)
Seignors, je ai veues vos lettres; bien avons queneu que vostre
seignor sont li plus baut home qui soient sans corone. (Yilleb. 434**.)
Gerars li a tout comieu
Son grant anui et sa grant perte. (K. d. 1. Y. v. 2383. 4.)
L'avision q'avez veue
Demain poet estre coneue. (L. d'H. v. 457. 8.)
On voit, par les exemples cités, que connaître avait souvent
la signification de faire connaître, avouer.
Le participe présent de connaître joint au verbe faire,
signifiait faire savoir, donner connaissance, avertir:
Nous .... faisons cognissant par ces présentes lettres. (1285.
J. V. H. p. 436.)
Outre reconnoistre , on trouve souvent les composés: 1^ des-
connoistre, ne pas reconnaître, déguiser, travestir, défigurer;
2 ^ mesconnoistre.
Par ceo les descunut li reis,
Si fu en dute e en suspeis. (M. d. P. Elid. v. 237. 8.)
Lors luy compta Tristan comme la playe luy avoit este faicte,
par quoy il estoit tout descongneu. (Trist. II, p. 225.)
Jusqu'à la salle ne fina, si i vint,
Por desconoistre ot son cbaperon mis. (G. 1. L. Il, p. 256.)
E Tristran mult ben se aperceuit
Ke ele del tut le mescunuit. (Trist. Il, p. 130.)
COUDEE (consuere).
Coudre est une forme avec d intercalaire pour cous're, dont
le primitif peut avoir été cosre, cosdre; mais, au XILE'' siècle,
on ne trouve qjae coudre, et, dans le dialecte picard, leudre.
Plus tard on écrivit cousd/re.
Le d de coudre étant intercalaire, les irrégularités de ce
verbe ne sont qu'apparentes.
DU VERBE. 135
Mout saveit bien coudre et taillier. (Chast. XXVI, v. 8.)
Di as enfans dant Gilemer
Ko tu fais l'aiguille enfiler
Dont tu lor dois coudre les mances. (Y. s. 1. M. IX.)
Ses fiUes fist bien doctriner
Et aprendre keudre et filer
Et à ouvrer soie en taulieles. (PMI. M. v. 2850-2.)
Et taillent et Jceusent ses dras. (P. d. B. v. 6270.)
Elourentine séant trouva
Sour une queutepointe asise,
Et si cousoit par grant cointise
Une cote à armer molt riche ....
Or vous sees
Ma damoisiele, et si couses
Et je vous ferai compaignie. (E. d. 1. Y. v. 3603 -6 ; 10 - 12.)
Cil mestres plusors variez ot
Qui couseient ce qu'il taillot. (Chasl. XXYI, v. 3. 4.)
Les exemples du parfait défini que je puis citer, donnent,
comme aujourd'hui, la terminaison t.
Ensi avala li literil, et alla devant l'autel et se mist à genoilz
mult plorant, et il li cousierent la croiz en un grant chapel de coton,
por ce que il voloit que la gent la veissent. (YiUeh. 441 ^.)
Apres ce côtelés se firent
De fueilles, qu'ensemble acousirent. (E. d. S. G.v. 123.4.)
Ce dernier exemple nous fournit le composé acoudre , coudre
à, l'un à l'autre.
Imparfait du subjonctif:
Aincois qu'il cousissent lor manches. (Eomv. p. 583, v. 34.)
Cfr.: Grylippus descousut par dessoubz les coustui-es des sacs oii
l'argent estoit, et en tira de chasque sac une bonne somme, puis les
recousut. (Amyot. Hom. iU. Lysander.)
Participe passé: cousu.
Kar Normanz ki l'orent veu
L'ont parsui e conseu,
As fers de lances l'ont cosu. (E. d. E. v. 13870-2.)
On voit ici coudre employé comme aujourd'hui enfiler^ en
termes d'escrime, et embrocher, dans le discours familier.
Au Keu de coudre.^ on trouve encoudre dans le même sens.
JDescoudre, signifiait séparer ^ découper (Ch. d. E. str. CXLIII.)
CKOIRE (v. fo.), credere.
Le texte des sermons de saint Bernard donne déjà à ce
verbe la forme croire^ qui avait été précédée de crore, en
136 DU \':erbe.
Bourgogne et en Picardie. Le dialecte normand disait crere
et créer; les dialectes mixtes, creire.
Et ke doiens nos croire por kai il vint. (S. d. S. B. p. 526.)
On doit bien croire cliou c'on voit. (R. d. M. p. 41.)
Si crere me volez , tnte en serrez garie. (Charl. v. 713.)
De ceo que dites qu'il ad mande
Ne puis creire que seit vérité
En nule guise. (Ben. t. 3, p. 493.)
E vous prioms que eau^ deus, e un de eaus ensement voiliez créer
en ceo, q'il vous diront, de la nostre part, sor les besoignes avant
nomees. (1283. Rym. I, 2. p. 218.)
Le présent de l'indicatif se conjuguait de la manière
suivante:
BOTmaoGNE et picaudie.
croi, crois, croit, créons, creomes, creeiz, crées, croient.
NORMANDIE.
crei, creis, creit, creum, créez, croient.
Ainsi, aux personnes à terminaison légère, diphthongaison
régulière de Ve radical avec i, dans le dialecte normand; en
Bourgogne et en Picardie de l'o avec ^, puis, comme on l'a
déjà vu pHisieurs fois, affaiblissement de l'o en e devant les
terminaisons lourdes.
Peut-être m'objectera- 1 -on que l'infinitif crore n'a pas
existé, et que croire a été formé d'après les personnes en ai
du présent. Supposé même, ce qui n'est pas, que crere soit
aussi primitif en Bourgogne et en Picardie, ce verbe n'en
conserve pas moins son caractère fort. En effet, comme en
d'autres occasions, la voyelle r^^dicale latine se serait diphthonguée
devant les terminaisons légères, et partout ailleurs on aurait
conservé Ve latin, qui alors avait perdu son ancienne valeur.
Mes ce ne cm je mie que vos soiez tuez. (Ch. d. S.II,p. 155.)
Eespunt li dux: Sire, jo vos en crei. (Ch.. d. R. p. 134.)
Mais tu, par aventure, ne crois mies bien lo tesmoignage saint
Joban. (S. d. S. B. p. 552.)
Se tu me creis, ne feras tu. (Cbast. XX, v. 103.)
Ki en lui croit, H est plus faus que bris,
Tos ses pooirs ne vaut deus parisis. (0. d. D. v. 11320. 1.)
E si vos sai mostrer e dire,
Qui nel (J. C.) creit e si nel crerra,
Ja en son règne n'entera. (Ben. v. 24112-4.)
Se nos créons bien en Dieu, li cbans demourra nostres. (H. d. V.
495 ^)
Si m'en creeiz, par le cors S. Simon,
Pendre feriez as forcbes cel glouton. (G. d. Y. v. 1348. 9.)
DU VERBE. 1.07
Si vous crées ma demoustranche,
Nous end arons bonne venjanclie. (L. d'I. p. 22.)
Mais or croient à moens li gent à lor veue, car li testimoignaige
do Deu sunt devenuit trop creaule. (S. d. S. B. p. 547.)
Escandalizanz un de cez petiz ki en luy croyent. (Ib. p. 557.)
Sed qu'il creient qu'il seit ocis. (Ben. v. 37391.)
Présent du subjonctif: croie ^ creie.
Le parfait défini avait deux formes : crei, crui. La première
était la plus ordinaire.
Se vostres consaus fust creus,
Partonopeus fust sains et drus;
Mais g'en crd mes volontés,
Dont je sui morte et il derves. (P. d. B. v. 6997-7000.)
Ge l'en crui, et si fis que fous. (Trist. I, p. 16.)
Por coi crui ge ma famé? (E. d. S. S. d. E. p. 58.)
Eaoul creis et sa losengerie. (E. d. C. p. 74.)
Pist .i. preudome e saint martir,
Quant il crd de cuer entir. (PMI. M. v. 3820. 1.)
Consel crei, consel ama. (E. d. 1. V. v. 72.)
E vos faites moût mal quant vos le creistes. (Yilleb. p. 97. CXXIII.)
Et il creirent ce qu'il dist. (Brut. v. 429.)
Lnparfait du subjonctif: ereisse, cr eusse.
Je me fi mult en lui et croi.
Se ne m'i creusse et fiaisse,
En nul sens ne li envolasse. (Bol. p. 159. 60.)
Il couvendroit qu'en lui creisses
Et ses conmandemenz feisses. (E. d. S. G. v. 2075. 6.)
Qui creust dons k'il fils de Deu fust? (S. d. S. B. p. 551.)
Certeinnement, que je quidoie
Que vous ne m'en creussiez mie. (E. d. S. G. v. 804. 5.)
Certes, se vous m'en creissies,
Ja ne vous entremesisies. (E. d. 1. V. v. 286. 7.)
La forme ordinaire du fatur est creraï, et, avec transposi-
tion du r, herrai, querrai , en Picardie. Le texte des sermons
de saint Bernard donne déjà croireiz^ et les formes en o^, déri-
vant de l'infinitif croire^ deviennent de plus en plus communes
à mesure que l'on avance dans le XTIP" siècle, sans toutefois
prédominer sur les autres. La forme ereire produisit aussi un
futur creirai^ qui paraît seulement vers la fin du XTEI*' siècle.
Erfin, on a quelques exemples de la même époque, où le r
est précédé d'un s intercalaire. ^
(1) L'intercalation d'un s devant r est assez rare et ne se montre guère que dans
la seconde moitié du Xnie siècle: esraument (R. d. 0. d. C. v. 3710.)
138 DTJ VERBE.
Par Deu! ço dist li escut, ja ne vus en crevai. (Charl. v. 515.)
Yaspasyens dist: Jou ereirai
Et moût volentiers l'aourrei. (R. d. S. G. v. 2081. 2.)
Ja ne querrai nul jor que soie vis
En vostre Deu que penerent Juis. (0. d. D. v. 11317. 8.)
Mes sauve vostre grâce , et sauve vostre parole , et sauve vostre revc-
rance , je ne créerai hui qu'il le s'en penast onques. (R. d. S. S. d. R. p. 16.)
Ja ne faldra
Qui de tôt sa feme herra,
Qu'en la fin ne soit mal baillis. (L. d. M. p. 67.)
Lors a dit que croira dou tôt son loemant. (Ch. d. S. Il, p. 109.)
Cant fu li reis amonestiez
Des evesques sainz ordenez,
Qu'il crerra, ce dit, lor conseilz,
Maintenant fu fait li enveiz. (Ben. v. 22866-9.)
Par son message ra mande
Que por parole nel eresra.
Ne ja ne s'en remuera. (Brut. v. 4638-40.)
Si ju vos ai dit, dist il, les choses terrienes et vos ne créez, coment
croireiz vos si je vos di les celestienes? (S. d. S. B. p. 539.)
Il dist al rei : Ja mar ererez Marsilie. (Ch. d. R. p. 8.)
Très ben s'afice, ja mal le mesquerres. (0. d. D. v. 4889.)
Et cil bon eure seront
Qui par vraie foit me creront. (R. d. M. p. 41.)
Qui en moi vraiement croirunt,
De leur maus repentance arunt. (R. d. S. G. v. 883. 4.)
Dient ke ja ne le Jcerront
Dusk'à tant que il le verront. (R. d. 1. M. v. 6435. 6.)
Là sont les dames qi querront en Jhesu. (0. d. D. v. 13001.)
Certes ja mes ne me crerrunt
Des que ceste aventure saverunt. (M. d. F. Pi-, v. 77. 8.)
Conditionnel: croiroie (G. 1. L. II, p. 220), hreroie (M. d. F. Il,
p. 272), mesquerroie (Th. Fr. M. A. p. 61), creroit (M. s. J. p. 505),
crerreit (F. d. F. II, p. 418), crerroit (Romv. p. 564, v. 2), herroit
(Phil. M. V. 28910), querries (0. d. D. v. 841), herroient (Phil. M.
V. 29873), crereient (M. d. F. n, p. 422).
Et per les apostres la (la patenostre) comandait il à dire à tous
ices qui an lui croroient. (Apec. f. 50, v. 2. c.)
Imparfait de l'indicatif: creoù (P. d. B. v. 3535; Eomv. p. 479,
V. 33; Ch. d. S. I, p. 258), creeïes (Chast. XX, v. 257 ; XIX, v. 134),
creoït (P. d. B. v. 7816; 0. d. D. v. 4519), creeït (Chast. XXII,
V. 32), creioient (St. N. v. 350), etc.
Participe passé: creu.
Jhesucris dit: Tu m'as creu
Thumas , por chou que m'as veu. (R. d. M. p. 41.)
DU VERBE. 139
Les composés de croire étaient:
Acroire : a) croire faussement et sans un fondement raison-
nable.
Quanque m'as dit e fait acreire
Yoil que seit cliose certe e veire. (Ben. v. 18324. 5.)
Cfr. ci -dessous mescroire, et Régime des verbes.
b) donner à crédit, prendre à crédit, prêter, emprunter.
De ces .ii. sages qui furent remes , li uns en fu si larges et si
despenderes, qu'il mestoit en donner tout ce qu'il avoit, et ce qu'il
no pooit meesme avoir, et acreoit en plusieurs leus; li siens n'estoit
veez à nului. (E. d. S. S. d. K. p. 30.)
On doit très "bien paier la gent
De cIlo quant on l'a aereue. (Fab. et C. lY, p. 28.)
Hé! Baudoin, fait ele, malement vos estait.
Ja verrez Saisnes venir sor vostre plait;
Qan q'avez acreu crienz que ja ne vos pait. (Ch. d. S. I, p. 238.)
Nampourquant pas ne se recroient
Ains paient bien cbou k'il acroieïit. (K. d. 1. Y. p. 97.)
S'ot el cMef le heaume lacie.
Et tant i estoit bien assis.
Qu'il ne vous fust mie avis
Q'emprunte n'acreu l'eust. (Romv. p. 506.)
Cfr. Eoquefort s. v., et PMI. de Commines 1. lY, ch. ni: Trois
compagnons de la dite ville, qui hantoient les tavernes, vinrent à un
tavernier à qui ils dévoient, prier qu'il leur accrust leur ecot, et
qu'avant deux jours le payeroient du tout.
Le simple croire avait aussi la signification de vendre à crédit :
N'a bolengier en trestot cest païs
S'il vos créait .xv- pains atamis
Qu'en cuidast estre paies molt à envis.
Car trop vos voi desnues et despris. (Romv. p. 229.)
Concroire, confier.
Sa traisun e sa merveille
Lors dit e concreit e conseille. (Ben. I, v. 1553. 4.)
Ne je n'ai am" si prive
Qui je cest ovre concreisse,
Ne sai home qui la deisse. (Ib. v. 18139-41.)
Mescroire , refuser d'ajouter foi, se défier, se douter, soup-
çonner.
Ne soit nuls M ceu mescroiet et qui de ceu dotet. (S. d. S. B. p. 532.)
Por ce ci n'en parlèrent mie
Et por ce ke il nel savoient
De voir, mes il le mescreoient. (Dol. p. 198.)
Suer, fait la dame, à tant en sui
Que vostre consel mar mescrui. (P. d. B. v. 6969. 70.)
140 DU \'ERBE.
En son cuer dit or croit sa feme
Et meseroit les barons du reigno
Qui li faisoient chose acroire
Que il set bien que n'est pas voire,
Et qu'i la prove à mençonge. (Trist. I, p. 16. 17. Cfr. p. 25.)
L'anel ne set comment mescroire
Ne la vérité comment croire. (E. d. 1. M. v. 6155. 6.)
Descroire ^ ne pas croire, regarder ou traiter comme faux.
Descroire est restrictif,, atténuatif; portée au plus haut point,
l'action de ce verbe n'est toujours que négative. Mescroire ren-
ferme l'expression d'un sentiment affirmatif, positif, qui fait
considérer en mal ce qui en est l'objet.
Bien m'est avis que ne soient de néant descreu. (Ch. d. S. Il, p. 106.)
Cfr.: Quant à telles choses, il y a danger à trop les croire et à
trop les descroire. (Amyot. Hom. ill. Camillus.)
Genz desleie e descreue
S'est ci sor mei trop enbatue. (Ben. v. 10421. 2.)
M'oriflamble portez antre les mescreuz. (Ch. d. S. II, p. 182.)
Mescreuz^ c'est-à-dire mécréants, dans le sens propre du mot.
Notre mécréant est le participe présent du verbe mescroire.
Et, si estoient Saisne et mescreant ançois,
Or sont chrestine et de molt bone fois. (Ch. d. S. Il, p. 122.)
Recroire: a) donner caution; rendre; restituer; accorder la
liberté; ressaisir, dans le droit coutumier; b) avouer, faire
savoir; se lasser, s'arrêter, se dédire, être rebuté, cesser, aban-
donner, se regarder comme vaincu; c) soupçonner, accuser.
Chevalier sire, recréez moi ce brant.
(Agolant. Ed. Bekker. v. 1087.)
Dist li empereres: Bons pièges en demant.
.Xxx. paienz li plevissent leial
Ço dist li reis: E jol vos recrerai. (Ch. d. R. p. 148.)
Li emperere le recreit par hostage. (Ib. p. 149.)
A Eoem droit à sun fillol
Tramet sun message e enveigt
Qui trestot li cent e recreie
Que, se il veut, tant a poeir,
Sil set, qu'il seit à suen voleir. (Ben. v. 7555-9.)
Bien pens faire le me feront,
Ja pour mon dit ne le lairont,
S'aucune chose en moi ne voient
Par quoi de ce voloir recroient. (R. d. 1. M. v. 605-8.)
Langue, qui onques ne recroit
De mesdire, soit maleoite. (Eomv. p. 535, v. 19. 20.)
Tels i a oi este l'orguilz
Qu'à peine les parti la nuiz;
DTJ ^^KBE. 141
Senz ceo que de rien se recreient,
Yont s'en por ce que mais n'i veient. (Ben. v. 4464-7.)
Lasserat Caries , si recrerrunt si Franc. (Ch. d. R. p. 35.)
Cfr. Ben. V. 6692. 23712; Ch. d. S. II, p. 20; 0. d.D. v.6854;
C. d. C. d. C. p. 61 ; R d. 1. M. v. 74, etc.
Eabelais, Amyot, Montaigne, font souvent encore usage de
ce mot.
CROITRE (crescere).
Le t de croître est intercalaire. Ce verbe a eu d'abord la
forme (crasrej erasfre^ dans la Bourgogne propre. En Nor-
mandie, on disait (cresre) crestre; dans le dialectes mixtes,
creistre; en Picardie; croistre^ dès le premier quart du XIII*
siècle.
Nul mal en lui ne laissoit croistre. (R. d. M. p. 7.)
Seignor vassal
Si fait ovre voil comencier
Pur vos plus ereistre e esliaucier. (Ben. I, v. 1616-8.)
Yoyons d'abord des formes en a radical.
Certes, ensi cesset li décors de la grâce lai où li recors nen est,
car al non greit saicliant ne crast nuls bien; anz li tornet en plus
grant dampnation ceu mismes qu'il receut avoit. (S. d. S. B. p. 563.)
Rendons grâces à Deu par cuy nostre solaz habondet et acrast.
(Ib. fol. 74. Roquefort s. v. habondet.)
Ensi acrast assi en mi et dolor et crimor li aasmenenz de la me-
dicine. (Ib. fol. 20. Roquefort s. v. aasmement.)
Dans cette dernière citation acrast signifie, fait accroître.
Altrement ne craisseroient eles mies si bien (les noveles plantesons),
et eles del tôt iroient à mal par la sachor. (S. d. S. B. p. 538.)
Présent: croîs ^ cres ^ creis; parfait défini: crui; participe
passé: creu.
Cant il voient ke la prosperiteiz de cest munde lur creist. (M. s. J.
p. 463.)
Li bien .... creissent parmi ce ke il sont arier mies. (Ib. p. 466.)
Mais par ce est lur desiers atargiez ke il creisset (Ib. p. 466.)
Ces dernières formes supposent un infinitif crestre ou creistre,
qui peut être du dialecte bourguignon ou picard (voy. I, p. 313), et
l'on doit se demander si, hors la Bourgogne probre, le verbe
croître n'a pas eu partout la forme crestre^ dont on aurait fait
plus tard croistre en Picardie, par analogie aux nombreuses
formes en oi de ce dialecte. Je ne saurais répondre positi-
vement à cette question; mais on pourrait admettre crestre,
creistre dans la plus grande partie du dialecte bourguignon, et
142 DtJ VERBE.
croatre^ croistre en Picardie. Cette supposition est conforme aux
usages picards.
Lors os croist moult de cevaliers,
Par cens, par deux cens, par milliers;
Bien sont creu de trente mile. (P. d. B. p. 2315-7.)
Car bien sachiez que en douze grans journées ne croist ne blés,
ne orges , ne vins , ne avoines. (H. d. Y. 493 ^.)
Ausi cum l'ente edefiee
Qui del buen arbre fu trenchee
Creist et foiUist e rent sa flor
E son cher fruit de bon odor,
Autresi fist li dameiseaus. (Ben. v. 12731 - 5.)
Mais al chaple des branz d'acer
Crut li orguiz devers les tieis,
E baissa mult devers François. (Ib. v. 28345-7.)
La mier orut et flot monta
De si q'à lui : grant poour a. (L. d'H. v. 419. 20.)
Li mers enfla, onde levèrent;
Wage crurent et reversèrent. (Brut. v. 2527. 8.)
Car et se il sentoient alcunes diverses choses, droiz fust senz
failhe ke il humiliment les desissent, ke il par lur destempreies paroles
ne creussent les plaies al navreit. (M. s. J. p. 475.)
Et lors tenoient d'Argentille
La meschine, que ert sa fille.
Que ja estot creue et grant
Et bien poeit avoir enfant. (L. d'H. v. 283-6.)
Nous decroistrons et H croistront. (Brut. v. 549.)
Mult vos crestreie oi en cest jor
De fieu riche e de grant honor. (Ben. v. 14446. 7.)
COMPOSÉS.
Acroistre^ accroître.
Li quens garni Cristople et la Serre, et de teles gens qui n'avoient
mie grant volente de acroistre l'honnour de l'enfant. (H. d. Y. 504''.)
Yoy. ci -dessus les formes en a radical.
Deeroùtre^ décroître. Y. plus -haut.
JSscroùtre, sortir; accroître, augmenter, agrandir.
C'est li dolenz, K durfeuz
Qui de noient est escreuz. (F. et C. I, p. 324.)
Des noz avoirs senz nul mentir
Les quide escreistre e enrichir. (Ben. v. 8962. 3.)
Cil que vous i vodreiz amer | E escreistre e alever,
Cil i aura joie e honor,
A celui porterai amor. (Ib. v. 10705-8.)
Por eus amerai lor parenz
E escreistrai mais à ma vie. (Ib. v. 9719. 20.)
DTJ \:EilBE. 143
Parer oistre^ au participe, signifiant: qui a toute sa crois-
sance, grand, développé.
Qant ot pris garnemanz et agrez receuz,
Il estut ou palais larges e para-euz. (Ch. d. S. Il, p. 182.)
Desor toz les François fu plain pie parereuz. (Ib. ead.)
Tant que il eurent douze fiuz
Et biaus et genz et joarcreuz. (E. d. S. G. v. 2845. 6.)
Cist entrèrent en la gastine,
E virent la grant desertine
E la forest grant, parcreue. (Ben. v. 10877-9.)
Tu es forz, parcreuz et gi'anz.
Si porras grant fes porter. (L. d'H. v. 178. 9.)
DIEE (dicere).
Ce verbe n'a eu qu'une seule et même forme dans les trois
dialectes de la langue d'oïl: dire.
Om ne puet jai mies dire ke li prestres soit si cum li peules.
(S. d. S. B. p. 556.)
Le présent de l'indicatif se conjuguait de la forme suivante :
Di, dis, dit — dist, disons, dites — distes, dient.
Impératif: di, disons, dites — distes.
A dater de 1240 environ, la troisième personne du singulier
s'écrivait fréquemment avec s dans la Picardie. Dîtes est la
forme ordinaire de la seconde personne du pluriel; distes se
trouve assez rarement.
Se vos estes ocis, je vos di sanz boisier,
An vostre sole mort an morront .c. millier.
(Cb. d. S. n, p. 152.)
Et je vos di que j'ai amie
Et moult rice et moult debonaire,
Mais nel vos caut d'aillors retraire. (P. d. B. v. 3876-8.)
Ge ne di pas à vostre entente
Que de Tristran j'or me repente. (Trist. I, p. 112.)
JDi al serjant qu'il ait avant. (Q. L. d. E. I, p. 32.)
Di mei, fist Saul à Jonatban, qu'as tu fait? (Ib. ead. p. 51.)
Paien, dist il, il t'est mesavenu
Quant tu médis del digne roi Jbesu. (0. d. D. v. 11338. 9.)
"Willame, dist Boton, tu dis grant avillance. (E. d. E. v. 2175.)
Son ost comande tant qu'il viengent.
Et dit coment il se contiengent. (Een. v. 34455. 6.)
Mais on dist que besoins n'a loi. (P. d. B. v. 6749.)
Mais ne te samblet il dons ke novele chose soit ceu ke nos disons
c'un oygnet lo cMef en la geune? (S. d. S. B. p. 565.)
En Normandie, on disait dïum pour dïsum.
144 DU \'ERBE.
Ne dium que li reis n'ait mesfait e mespris,
Mais il est partut prez de l'amender tuz dis.
(Th. Cant. p. 73, v. 16. 17.)
Tant vus durrad aveir entre or fin e mangun,
E plus encore asez que nus ne vus dium. (Ben. t. 3, p. 586.)
On trouve encore dîmes. Yoy. faire , prés, indic, 1^^® pers.
du plur.)
Nos li diromes nos meimes.
Alon au roi et si li dîmes,
Ou il nous aint, ou il nous hast,
Nos volon son nevo enchast. (Trist. I, p. 31.)
Mais dites moi, je le voel, tos.
Quel gent sont caiens à ostel .... ? (Phil. M. v. 19930. 1.)
Sire, fait il, ne dites rien
Fors nostre honte et vostre bien. (P. d. B. v. 3113. 4.)
Li empereres le mainne en sa chambre par la mein, et li dit li
empereres : or dites. (R. d. S. S. d. R. p. 61.)
E si distes entre vus. (Q. L. d. E. I, p. 35.)
Doneiz nos, ce dient les sottes virgines, de vostre oile. Et por
kai dient eles ceu? (S. d. S. B. p. 564.)
Et il vienent al duc , et li dient (Yilleh. 443 ^.)
Chascune s'en esmervilla | Quant oie la mouviele a.
Dient: Bien estes euree
Quant à lui estes mariée. (E. d. M. p. 53.)
Li chevalier dient et jurent
Conques mais tel jouste ne virent. (E. d. 1. Y. v. 1919. 20.)
Sire, savez que dient vilain an reprovier?
„Selonc tans, trampreure ne fait à desjugier."
(Ch. d. S. n, p. 152.)
Présent du subjonctif: dïe.
De m'amie me demandes.
Et à certes m'en conjures
Que je vérité vos en die. (P. d. B. v. 3873 - 5.)
Dreiz est e biens que je vos die
Ço que ci me retrait la vie. (Ben. v. 7470. 1.)
Ja de ce ne serai estiers
Que je ne die vo plasir. (E. d. 1. Y. p. 12.)
Si m'estuet que je die tout. (Ib. p. 24.)
Et por ceu ke tu or ne dies assi. (S. d. S. B. p. 537.)
Encore te requier e cunjur que ne me dies si voir nun el num
nostre Seignur. (Q. L. d. E. III, p. 336.)
Kar chascuns quide e creit
Que tu n'en dies si veir non. (Ben. v. 25735. 6.)
Molt est granz cist los, mais nen iert mies parfaiz li los ei
tant ke cil vignet ki diet .... (S. d. S. B. p. 543.)
DIT VERBE. 145
Si tu veis qu'il se desdeigne e enquierge pur quei nus si apruchames
al mur e died .... (Q. L. d. E. II, p. 156.)
Or me laissies dire mon samblant,
Puis die chascune son talant. (L. d'I. p. 16.)
Pour çou vous conjur que le voir
Me diies. (R. d. 1. M. v. 6175. 6.)
Si ke il par entencion ne voisent mie en sus de perfection, ne par
orguelh ne contredient à l'ateirement de lur faiteor. (M. s. J. p. 466.)
Le subjonctif âïe se trouve encore dans La Fontaine et
Nolière.
Parfait défini: dïs; imparfait du subjonctif: deïsse, desisse.
(Yoy. quérir.)
■Quant jel vos dis, cumpainz, vos ne deignastes. (Ch. d.R.p.67.)
Ta bûche ad parlée encuntre tei e à tun damage, en ço que tu
deis que l'enuint nostre Seignur oceis. (Q. L. d. R. II, p. 122.)
Or voil de ço respundre qu'en tes lettres desis i. (Th. Gant. p. 76, v. 21.)
Et dit Bernars: Voirement le desis. (G. 1. L. II, p. 26.)
La forme suivante est tout à fait incorrecte:
Li chevalier parla, si deit. (R. d. R. v. 7490.)
Faites le moi, si com désistes. (Ph. M. v. 4817.)
(Nous) desimes et ordenames . . . . ke lidis cuens de Flandres
mesist en no main Lembourg. (1288. J. v. H. p. 479.)
A mei venistes , e me désistes. (Q. L. d. R. I, p. 40.)
Si ore ne sunt aampli li gab que vus déistes,
Trancherai vus les testes odmaspeefurbie. (Charl. v. 645. 6.)
Et en la prison me déistes..
Quant vous ce veissel me rendistes ... (R. d. S. G. v. 2761. 2.)
Li message s'en vont, et distrent que il parleroient ensemble, et
lor en respondront lendemain. (Yilleh. p. 435''.)
Li barum de la terre parlèrent al rei, si li distrent (Q. L. d. R. H, p. 151.)
Et quant li empereres oi ce, si dist que il s'y acorderoit bien,
sauf ceu qu'il voloit savoir qui li cinquisme seroit, et li Lombart disent
qu'n nel sauroit ja. (H. d. Y. 504"^.)
Cist parlèrent ensanle e disent. (Ib. 501 ^.)
Cil l'en disent la vérité
Et offrirent leur carite. (Phil. M. v. 14387. 8.)
Ensi com il dissent, si le firent et vindrent à la cite de Yisoi.
(Yilleh. 483*.)
Li baron firent jugemant,
Et dissent tuit outreemant
Q'ansi com li escris enseigne .... (Dol. p. 220.)
Li conte et li baron et cil qui à els se tenoient parlèrent ensemble,
si disrent. (Yilleh. p. 26. XLYIH.)
(1) Ces formes sont encore en usage dans nos campagnes.
Bur g 11 y, Gr.de la langue d'oïl. T. IL Éd. lU. 10
146
DU VEEBE.
Quant à desistrent^ disistrent^ qu'indique sans preuve aucune
M. d'Orelli, même encore dans la seconde édition^ de sa
grammaire , ce sont de pures inventions de sa part. La langue
d'oïl n'a pas plus connu desidrent , disistrent , que l'infinitif distrer
forgé par Roquefort à l'occasion de distrent.
Se n'i mist onkes contredit
An chose ke je li desisse. (Dol. p. 243.)
Nnle autre chose ne voleie
Ne mais sol desqu'à vos venisse
E ce vos contasse e deisse. (Ben. v. 29188-90.)
Je cuidai que voir me deisses
Et que de mot ne me mentisses. (E. d. M. p. 44.)
S'estoies si hardiz que deisses que non,
Je le te proveroie à loi de champion. (Ch. d.S. H, p. 170.)
Por chou le saint homme proioit
K'il li ddst , se lui pleust,
Pour coi il laidengie l'eust. (R. d. M. p. 9.)
Mais onques ne le porent prendre
K'il desist auchune folie. (Ib. p. 40.)
S'altre le desist, ja semblast gi'ant mençunge.
(Ch. d. R p. 69.)
Ore volroie molt savoir
Que vous me desissies le voir
De vo non et de vostre afaire. (R. d. 1. Y. p. 109.)
E cumandad que il deissent à Amasa, de sa part, que il le freit
maistre cunestahle de tute sa chevalerie el liu Joab.
(Q. L. d. R. II, p. 192.)
Et li rois co mandait adohkes
As barons, et ke il deissent
Jugemant et raison feissent. (Dol. p. 220.)
Michalis fist lire les lettres , et quant elles furent leues , si dist as
messages que il desissent lor volente. (H. d. Y. p. 235. XXXYU.)
(1) Je n'eus connaissance de la Hé édition de la Grammaire de M. d'Orelli (autre-
fois d'Orell) qu'après la publication du premier volume de mon ouvrage. Cette Ile
édition a les mêmes défauts que la 1ère, et, quoi qu'il en dise dans sa ronflante pré-
face, l'auteur a tiré très -peu de fruit dos nombreuses publications qui ont été faites
depuis 1830 , époque où parut la 1ère édition , jusqu'en 1848 , date de la Ile. Les
changements les plus importants qu'il a faits sont de simples reproductions des idées
de M. Diez. Toutefois, pour ce qui est de la lYe conjugaison, qu'il place au second
rang, comme M. Diez, 11 semble avoir un peu perdu de vue son modèle. Ainsi,
M. d'Orelli donne desis , disis, fesi, lisis , etc. comme des formes propres du parfait défini,
et, dans la langue d'oïl, desis, disis, fesi, lisis, etc. n'ont jamais existé de la sorte.
Ensuite, M. d'Orelli attribue sans cesse au parfait défini un thème de la troisième per-
sonne du singulier de l'imparfait du subjonctif; p. ex. mesist , misist, rescosist, rescou-
sist, ochesist , etc. seraient, selon lui, des formes du parfait défini , et elles appartiennent
exclusivement à l'imparfait du subjonctif. (Cfr. chausist, vousist, vausist, fausist, t.
II, p. 28.) Une fois pour toutes, j'ai cru devoir porter l'attention sur ces graves
erreurs, inconcevables de la part d'un observateur aussi fin que M, d'Orelli, parce que
V Altfranz'ôsische Grammatik est citée partout comme une autorité, et souvent à juste
titre.
DU VEKBE. 147
Ail lieu de Ve radical et réguKer , on trouve «, en Picardie,
dans la seconde moitié du XIIP siècle. L'influence des formes
en ï radical, favorisée par l'habitude que le dialecte picard
avait de cettre lettre; la fit introduire à l'imparfait du sub-
jonctif.
Quant Cuenes de Bietune oi ceste response , mult li torna à grant
auoi, et ne se pot tenir que à ce ne disist .... (ïï. d. V. 501''.)
De le quele mise lidit cuens nous requist en le présence de ceaus
ki deseure sont dit , ke nous en disissienmes no dit et ke nous le deter-
minissiens. (1288. J v. H. p. 473.)
Yoici quelques exemples des formes des autres temps, qui
ne donnent Heu à aucune remarque particulière.
Et, se vérité vous disoie. (Phil. M. v. 2554.)
Mes je diseie neirement
Que perdu aveie un serpent. (Chast. XV, v. 193. 4.)
Or sai bien que tôt ce diseies
Por mei traïr que tu veeies. (Ib. XXI, v. 119. 20.)
Tu dissoies k'elle estoit fee. (Dol. p. 273.)
Alsi cum se ele disait. (M. s. J. p. 511.)
Et si disies ne cremies un festu. (0. d. D. v. 11377.)
Et disoient les lettres que ils (?) fussent cru de tout cbe que ils (?)
diroient de par l'empereour. (H. d. V. p. 235. XXXYII.)
Et tuit cil prophète diseient ensement. (Q. L. d. R. III, p. 336.)
Ço que Deu me demusterrad , jol dirrai *. (Ib. ead.)
Mais là avant, quant ge dirai
Ses aventures et devrai. (P. d. B. v. 5733. 4.)
E nos tôt eissi l'otriom
Cum tu dirras sanz nul content. (Ben. v. 25737. 8.)
Si dirons de Bernart le messager cortois. (Ch. d. S. II, p. 122.)
Dont vous estes vous me dires. (R. d. 1. M. v. 4864.)
Qu'en dirreie mes? tant siglerent
Qu'ai port vindrent que désirèrent. (St. N. v. 436. 7.)
Jai de moi nul bien ne diroies. (Dol. p. 249.)'
Que dirriez se li reis .... (Th. Gant. p. 73, v. 25.)
Cist de cui ge ai dit que nuls n'entent, peristerunt senz fin, senz
dote morrunt et ne mie en sapience. (M. s. J. p. 511.)
Tart est dite ceste novele. (P. d. B. v. 6736.)
Yers la fin du XIII ^ siècle, on trouve quelquefois ce parti-
cipe écrit avec un é? irrégulier intercalaire.
Au tierz jour ha à Joseph dist. ((R. d. S. G. v. 3443 ; cfr. v. 1175.)
Le verbe dire, s'employait seul avec la préposition à^ ou
avec être et avoir: estre à dire, avoir à dire , dans le sens de
s'en falloir de, manquer, être de manque.
(1) Je ne m'arrête plus à ce redoublement du r, qui, comme je l'ai déjà fait ob-
server souvent, était surtout propre à la Normandie.
10*
148 DU VERBE.
S'il le trove
Mètre le quide en tel esprove
Que de set anz, senz jor à di/re,
Ne remaindra son dol ne s'ire,
Ne son àesliet ne sa pesance. (Ben. v. 32490-4.)
Del poin me feri à tel ire
Ke quatre denz me sunt à dire. (Trist. H, p. 155.)
Eende li tut le suen, que rien n'en seit à dire.
(Th. Cantb. p. 107, v. 1.)
Et si demande nostre oiant
Ton avoir que tu li ballas,
Et je crei bien que tu l'auras :
Si Dieu plest qui de tôt est sire,
Ja n'en sera denier à dire. (Chast. XIII, v. 178 - 82.)
Là furent si bien sej ornez.
Là orent si lor estoveirs
E lor plaisirs e lor voleirs
Que riens nule n'en ert à dire,
E mult lor deveit bien soffire. (Ben. v. 27817-21.)
Cfr. ib. V. 17096. 23759. 28638, etc.
Ces locutions étaient encore d'un fréquent emploi au XVI*
siècle.
C'est la meilleure munition (les li\Tes) que j'aye trouve à cet humain
voyage ; et plainds extrêmement les hommes d'entendement qui Vont à
dire. (Montaigne. (Essais III, 3 ; cfr. III, 13.)
C'est à cette locution qu'on doit rapporter notre : tl v a lien
à dire = il s'en faut de beaucoup.
Au demeurant, je faisois grand compte de l'esprit, mais pourvev.
que le corps n'en feust pas à dire. (Ib. ead. III, 3.)
n ne faut pas confondre est a dire signifiant il manque .^ etc.
avec est a dire qui répond à notre o! est- a- dire; celui-ci est
toujours précédé du pronom relatif.
Septimius se leiva le premier en pieds qui salua Pompeius en lan-
guage romain du nom d'imperator, qui est à dire, soubverain capitaine.
(Amyot Hom. ill. Pompeius.)
Je ferai enfin remarquer la combinaison suivante, où il faut
bien se garder de voir notre locution actuelle.
De toute cette multitude infinie de combattants qu'ils avoyent il
n'en eschappa que dix mille seulement . . . , et, au contraire, Sylla escript
qu'il ne trouva à dire que quatorze de ses souldards seulement , encores
en revint il deux le soir mesme. (Amyot. Hom. ill. Sylla.)
Yoy. encore faire , locutions.
Je passe aux composés de dire.
DU YEKBE. 149
Contredire, discuter, répondre à une question (v. Roquefort,
Supplément p. 88); désapprouver, contrarier, s'opposer.
Contredist (El. 23.)
Saint Père en a jure , c'on an Pre Noiron prie,
Q'à Gniteclin fera pais et trive escherie,
Tant q' avéra destruite Borgoigne et Lombardie,
Alemaigne et Bavière; ja n'iert qu'où contredie,
Que je par mes grenons n'an prieroie mie. (Ch.d.S.II,p.42.)
Coustentins, qui le cuer ot noble,
Est venus à Coustantinoble ;
Mais cil pas ne le contredirent,
Toutes les portes li ovrirent. (Poit. p. 68.)
Contredite gent^ dans le même sens que la gent à Vaverùer,
a Vanemi^ c'est-à-dire la gent du diable.
Quant EoUans voit la contredite gent
Ki plus sunt neirs que nen est arrement. (Ck. d. K. p. 75.)
Eni/i^edire, interdire. — L'archevêque Henri dit:
Or escoutez, n grant et li petit!
Vez ci de Mez le Loberenc Garin
Qui prent à feme la fille au roi Thieri
De Moriane, Blancheflor au cler vis;
Qui rien i set, por Dieu, die le ci.
Ou se ce non, jamais n'en iert ois,
Ains Yentredi et si l'escomeni. (G. 1. L. II, 9.)
Eefist par tut sun ban crier
E entredire e deveer
Que lerres ne fust consentuz. (Ben. v. 7148-50.)
^"^ entredire ^ se dire l'un à l'autre.
Pluisors paroles s'entredient. (P. d. B. v. 4279.)
Desdire.
Li rois lor acreante , et cil pas nel desdient. (Cb. d. S. II, p. 42.)
Esdire^ qui se trouve, au moins au participe, avec la signi-
fication de interdit (troublé, étonné).
Tuit sunt esdit e esbabï. (Ben. v. 11426.)
Mult unt de Bernart grant merveille.
Que tant quidoent engignos
E vize, e saive, e enartos.
De ceo qu'or est si esbabiz,
E si ateinz e si esdiz. (Ib. v. 14917-21.)
Indire , indiquer , annoncer , convoquer ; faire une imposition.
Il se trouve encore dans Amyot:
Tellement qu'on avoit desja indict l'assemblée du conseil pour des-
liberer des articles ....
Cfr. Roquefort, s. v. indire.
150 DU VEBBE.
Maldwey maudire.
Sa vie het et blasme, et maudit son jovant.
(Ch. d. S. n, p. 167.)
E maldistrent cez ki Deu guerpireient.
(Q. L. d. K. m, p. 302.)
Eemarquez maldire de:
n le maldist du digne roi Jhesu. (0. d. D. v. 7244.)
H les maldist de Deu et de son non. (Ib. v. 7249.)
Mesdire^ dire mal, médire.
N'est pas de mes pours la mendre
Que de mesdire e de mesfaire
Chose qui ne li deie plaire. (Ben. v. 26523 - 5.)
Moult miex estre morte volroie
Que la gens de moi mesdesist,
Ne que auchuns fel en desist
C'avoec moi euissies concilie. (R. d. M. p. 24.)
Je saisis l'occasion que m'offrent maldire et mesdire, pour
faire une remarque générale sur les verbes et les noms com-
posés avec les mêmes préfixes. Tous ceux de nos lexicographes
qui se sont occupés d'étymologie , prétendent que la préfixe mé
des mots médire , méfaire , méfier , méconnaître , mécontent , etc. est
là pour mal^ qu'on retrouve en entier dans les mots maudire
(maldire) ^ maltraiter^ malcontent ^ etc. Cette origine commune
attribuée à deux classes de composés bien distinctes l'une de
l'autre , et par la signification et par la forme , choque le sens
commun, et l'on a lieu de s'étonner que personne n'ait encore
attiré l'attention sur ce point. Outre l'erreur qu'ils ont commise
touchant le plus grand nombre des composés de la préfixe m/,
quelques lexicographes se montrent encore inconséquents avec
eux - mêmes en donnant , en certains cas , une origine différente
à mé. Ils dérivent p. ex. les mots mépris, mépriser^ de minus
pretium., minus pretiare. Pourquoi donc ici minus et autre part
me = mal? Il aurait fallu, du moins, donner les raisons qui ont
déterminé à ne voir pas, dans le mé de mépriser^ le mal qu'on
croit trouver ailleurs.
La préfixe mal (mauj dérive du latin maie; la préfixe mé
tire son origine du latin minus , qui se trouve déjà contracté en
mis dans les écrits latins de la fin du YIII ® siècle : misfacere,
misdicere. Les Espagnols et les Portugais ont conservé la forme
grammaticale primitive de minus dans menos\ les Italiens ont
adopté mis: les Provençaux, Tnens ^ mes; le Français, ines.
Mesj qui s'est maintenu dans les mots où le simple commence
par une voyelle, est, dans le fait, la véritable forme de notre
préfixe , et c'est sans doute faute d'avoir remarqué cette circon-
DU VEKBE. 151
stance, que les lexicographes ont été induits à regarder le mè
moderne comme une autre orthographe de mal (mau).
Conformément à la signification de minus: pas hien, pas
d'une manière convenalle, la préfixe Mé« en s'ajoutant aux mots
simples, leur fait signifier des choses, des actions défectueuses,
méjustes (qu'on me passe le terme), mauvaises, ou prises en
mauvaise part, en sens contraire, ou tout autres qu'elles ne
seraient, exprimées par la radical pur; elle est péjorative, per-
versive , vitupérative. Tel est son caractère général. Mes répond
de, tout point à l'allemand miss (en v. h. -ail. missa^ missi, du
missan, mangeln, felilen), et en partie au grec ôvg.
Quelques philologues allemands ont donné deux origines fort
distinctes à notre mes : dans certains mots , il dériverait de miss ;
dans les autres , de miniu. Cette double étymologie est tout à
fait inutile. Les diverses significations de mes (minus) se déve-
loppèrent de la même façon que celles de l'allemand miss; on
pourrait tout au plus accorder que 7niss a contribué à donner
de l'extension à l'emploi de mes (minus).
La communauté d'origine faussement attribuée à mes et à
ynal devait faire supposer une identité de signification. C'est en
effet ce qui arriva, et peu à peu l'on abandonna, comme inutiles,
un grand nombre de mots en mé. Il serait à souhaiter que nos
jeunes écrivains remissent en honneur la préfixe mé et quelques-
uns de ses nombreux composés de l'ancienne langue , qu'il nous
est souvent impossible de traduire.
Sordire, enchérir; accuser, calomnier.
Se devant lui sui alegie,
Qui me voudroit après sordire? (Trist. I, p. 155.)
E U auctors après nous dist
Que cil qui preudomme sordist
A tort. (Ben. t. 3, p. 34, note.)
Moult sui sordiz de plusors testes.
Pardirej achever de dire, de réciter.
(Een. t. 2, p. 171.)
ESCORRE (excutere).
Ce verbe signifiait enlever^ arracher^ reprendre
délivrer, dégager^ secourir. Escorre , en Bourgogne et en Picar-
die; escurre, en Normandie.
Le composé rescorre, qui s'employait tout à fait dans le
même sens, était d'un usage plus fréquent que le simple.
Et bien set que vos iestes meu por la sainte terre d'oltremer, et
por la sainte croiz et por le sépulcre rescorre. (Yilleh. 449*.)
152 DU VERBE.
Firent tuit cil ki furent paltunier e felun e pesmes de ces ki aled
furent à escurre la preie^ od David: Pur ço que ces n'alerent od nus,
de la preie rien ne lur en durrum. (Q. L. d. E. I, p. 117.)
Eoger a fait ses genz armer,
Si qu'à bref terme, senz demore,
Quit qu'il iront la preie escorre. (Ben. v. 32015 - 7.)
Dans la seconde moitié du XIIF siècle, on trouve escoure,
esceure.
Li Venicien courent a leur vaissiaus et tuit li autre qui vaissiaus
avoient et les commencent à rescoure moult viguereusement dou feu.
(ViUek. p. 69. XCYI.)
A aus s'eslaise, si fiert ens,
Pour resceure lui et ses gens,
Mais trop en i avoit sor lui. (Phil. M. v. 28793 - 5.)
Enfin escolre, rescoïre^ comme on a vu coîre pour corre.
Uter valt sa cite socolre
Et ses amis dedens reseolre. (Brut. v. 8655. 6 ; cfr^ 12430.)
Escolre (ib. I, p. 212, var. a.)
Parfait défini: escos, rescos; escus^ résous; eseous, rescous.
Car bien me manbre ancores de l'atrier,
Kant ma serour bêle Aude à cors ligier
En voHeiz porter sor le destrier.
La merci Deu, le peire droiturier.
Je la rescous au branc forbi d'acier. (G. d.V.v. 2253-7.)
Jonas salvas el poisson noant.
Saint Daniel du lion deglutant.
Les trois enfans en la fornaise ardant
Bescosis, Sire, par ton comandement. (0. d. D. v. 11665 - 8.)
Ja li eusst la teste fors do bu desevree,
Qant sa gent le rescost à bataille fermée. (Ch. d. S. II, p. 119.)
David el jur escust la preie, e quanque li Amalechite en eurent
ported, e ses dous femmes. (Q. L. d. E. I, p. 116.)
Vos rescosistes la roïne,
S'avez este puis en gaudine. (Trist. I, p. 115.)
La troisième personne plurielle suivante est incorrecte:
Od granz maisnies ke il ont
Le rescotrent hardiement. (E. d. E. v. 13481. 2.)
Il faudrait rescostrent, comme dans cet exemple:
Tuit aquiterent le païs,
E recustrent as branz moluz. (Ben. v. 36139. 40.)
Je ne connais, de l'imparfait du subjonctif, que les deux
exemples :
(1) Escorre la proie, enlever, faire, rammasser du butin. — Eescorre ses fies,
relever.
DTJ VEKBE. 153
Dix mille chevalier fist armer
Sis rova tote nuit aler,
Et les prisons adevancissent
Se il pueent sis rescolsissent. (Brut, v. 12510-3.)
Morte m'eust et essilliee,
Car il m'a toute combrisiee,
Ses mes puceles ne venissent,
Et s'eles ne me rescousissent,
N'eschapaisse por nul pooir. (Dol. p. 189.)
Imparfait de l'indicatif:
Gels qui caoient rescooit. (Brut, v. 12375.)
Et traioient as nos, qui rescooient le feu, et en y ot de bleciez.
(ViUeh. 45S*.)
Présent du subjonctif:
U il les garnisse u rescoe. (R. d. R. v. 9517.)
Participe passé: escos, escus^ escous.
Mult fut grant joie à cels de l'ost de Reniers de Trit qui ère
rescous de prison. (Villeh. 484 ^)
Et aumosnes et orisons
Les âmes des bons compaignons
Qui par bien fere sont rescosses
Et des deables mains escosses. (Brut, I, VLVn.)
Hauz criz crient e angoissus.
De nule part ne sunt résous. (Ben. I, v. 1727- 8.)
Si unt oi escosse la preie
Que tote la terre en rogeie. (Ib. V. 27301. 2.)
On trouve aussi escols:
Que par son bien faire furent rescols. (Yilleli. 472^.)
Et si serons par lui rescols. (Brut, v. 8725.)
E se jo sui rescols par toi. (Ib. v. 4624.)
Les seules formes du présent de l'indicatif à ma connais-
sance, sont:
Ainz seisit le lou et l'aërt
Tant que cil vient cui il ansert
Et que sa proie li rescolt. (Brut, I, XLYII.)
Ke vos n'escoez vos avoirs,
Grant reprovier iert à vos eirs. (R. d. R. v. 7819. 20.)
Eoquefort, au mot esqueure^ cite la forme esqueut, comme
appartenant à la racine excutere. Yoici l'exemple qu'il en donne :
Car li sengler se revencba
Come fiere et orgueilleuse beste.
Contre Adonis esqueut sa teste.
Ses dens en l'aine li llati.
Son groing estort, mort l'abati.
154 DU VERBE.
Esqueut est la troisième personne àM YQihQ esquelUr , escoilUr
(v. cueillir). EscoilUr signifiait prenâ/re son élan^ donner Vélan^
V essor ^ brandir;^ et esqueut sa teste contre Adonis veut dire:
il donne l'élan à sa tête (il élève et laisse retomber sa tête)
contre Adonis. Je préfère cette leçon à celle de Méon: escout
= secoue (v. 15950); esqueut est beaucoup plus expressif.
Cependant il paraît que, vers la fin du XIII* siècle, le verbe
escourre avait pris la signification de lancer, frapper. Y. Ren.
t. III, p. 96, V. 22390; Çluill. Guiart. t. n, p. 253.
Escorre avait aussi la signification de faire sortir en secouant^
secouer^ examiner , fouiller^ approfondir.
J'ai ci asses me bourse escouse.
(Eomv. p. 318. Th. Fr. M. A. p. 93.)
Escous en a tote la flor. (Berte, p. 194.)
Et Ysengrin escout la teste,
Et recMne et fet lede cbiere. (Een. t. I, p. 42.)
Dites lui bien, c'en est la summe,
Que ja ne serom mais si home.
C'est mais tôt escos e baie,
N'il à nos sire n'avoe. (Ben. v. 9200 - 3.)
E doibt le fourier battre et escourre le liet et mettre à point la
chambre. (Mém. d'Olivier de la Marche II, p. 494.)
Vos qui estes en la pousiere , escoez vos et siloez , car veez ci nostre
Signer M vient atot la Salveteit. (S. d. S. B. p. 5S1.)
M. Diez cite encore le Yerhe secorre-Çsuccuteie)^ toutefois
sans en donner aucun exemple, et M. d'Orelli le copie, en
ajoutant que ce verbe est rare. Le provençal avait secoter^
secodre. Je ne connais aucun exemi^le de l'infinitif secorre., ni
du participe secos.^ qui remonte au XIII^ siècle; mais plus tard
on trouve souvent secous:
Sans estre esbransle ne secous. (Cl. Marot UI, p. 44.)
Ce mot a-t-il été formé de succussus, sans qu'on ait admis
le verbe succutere dans la langue d'oïl, et est-ce une création
postérieure au XIII^ siècle? Notre verbe secouer dérive -t-il du
prétendu verbe secorre., ou bien de escorre, escourre, escotier,
dont on a retranché ou plutôt transposé Ve. qu'on croyait peut-
être prosthétique? (V. Dérivation G.) Secous alors ne serait -il
pas le même mot que escous? Je n'ai jusqu'à présent aucun
moyen de résoudre ces questions assez importantes pour l'histoire
de notre verbe secouer.
Yoici cependant une forme qui semble prouver que l'on se
servait, au XIII*" siècle déjà, de escouer pour secouer, au lieu
de escoure:
(1) On trouve à la page 328 du t. T, un exemple où esquielt a le sens à' apercevoir,
remarquer.
DU VERBE. 155
Grans fu li cols, molt fist à resoignier:
Si Yescoua quil fist agenollier. (R. d. C. p. 102.)
ECRIRE (scribere).
Ecrire^ autrefois escrivre, escrievre (?) ^ escrire^ avec un e
prosthétique.
Et cuy om ne puet par parole descrivre. (S. d. S. B. p. 525.)
Pierres Anfors qui fist le livre,
Mostra qu'il deveit sens escrivre. (Chast. pr. v. 103. 4.)
Pour ce qu'il fist ung novel livre
Où sa vie fist toute escrivre. (E. d. 1. R. Il, v. 354.)
Escrivere (Chr. A.-N. I, 62), en anglo- normand.
Ses brefs fist escrire en latin. (Ben. v. 28665.)
Adont lor veissies escrire. (FI. et Bl. v. 259.)
Avantage ai en cest labur
Que al soverein e al meiUur
Escrif, translat, truis e rimei
Qui el mund seit de nule lei. (Ben. I, v. 2157 - 60.)
Escrivez en livre ceo ke vos veez. (Q. L. d. R. Intr. XVI.)
Que est ce ke il desor descrist lo mérite des renfuseiz, quant il dist.
(M. V. J. p. 511.)
E Samuel mustrad al pople quel servise il deust faire al rei, e en
livre Vescrist, e en trésor le mist. (Q. L. d. R. L p. 35.)
Lor graffes sont d'or et d'argent,
Dont il escrisent soutiument. (FI. et Bl. v. 263. 4.)
E escrirent e ramembrerent.
Par moralité escriveimt. (M. d. F. II, p. 59.)
Escristrmt (Fab. et C. lY, p. 59.)
Ce que il dist que il escriverait les .iij . nons senefie ....
(Apec. f. 6, V. 1. c.)
Et encore ces formes du défini, qui sont de la seconde
moitié du XTTT^ siècle.
Cil Felices estudia.
Fant c'un livre escriut et fina
Contre la loi de Jhesu Christ. (PMI. M. v. 3092-4.)
Et cest afaire et cest estorie
Escriut il et mist en memorie. (Ib. v. 9588. 9.)
Escriut = escrivt?
Imparfait du subjonctif:
Apres ceo commanda Nostre Seignor à seint Johan qu'il escrivist
à.... (Q. L. d. R. Intr. XYI.)
Participe passé: escrïû, de scriptus.
De cuy est escrit. (S. d. S. B. p. 525.) — Eh bien séant e bien
escrite. (Ben. I, v. 2162.) — De fin or, ù escrit estoit. (FI. et Bl. v. 471.)
156 DU VERBE.
Et comme au parfait défini:
S'i trouva escriut le pecie
Ki Charlon avoit entecie. (Phil. M. v. 3996. 7.)
Dès le XI Y® siècle, on remplaça par ^ le «; de la forme
escrivre^ d'où escripre, qu^ se trouve encore dans Kabelais,
Montaigne, etc. Mais les écrivains de ces âges commirent une
faute en rétablissant, à certaines formes, le «; à côte du p:
escripci (Froissart), escripvoit (Kabelais), etc. Froissart emploie
aussi le parfait latin scripsi^ escripsi; l'imparfait escripsois^ etc.
FAIKE (v. fo.), facere.
Faire est -il un verbe fort? Je n'hésite pas à répondre
affii-mativement; mais il passa de fort bonne heure à la conju-
gaison faible. Le Fragment de Yalenciennes ^, le Chant d'Eulalie
donnent déjà l'infinitif renforcé faire, au lieu de fare; les
Sermons de saint Bernard portent également faire. A dater
du Xn^ siècle, nous trouvons, en Normandie, fere, qui n'est
peut-être pas l'orthographe primitive de cette province. (Cfr.
plus bas les présents et l'impératif.) Pendant la seconde moitié
du Xm^ siècle, la îovmQ fere était très -répandue dans l'He-
de- France et tout l'ouest de la langue d'oïl, où, par suite de
l'influence normande, Yai prenait un son plus fermé, qu'on
représenta dans l'écriture. On rencontre aussi la forme mitoyenne
feire.
La forme primitive fare nous a été conservée dans Tristan
(II, p. 128):
Si vus fare le puussez.
Je ne vois pas pourquoi M. d'Orelli se fait un scrupule
d'admettre fare^ tandis qu'il reconnaît l'authenticité d'autres
formes qui ne se trouvent non plus que dans ce texte , où , soit
dit en passant , il semble découvrir plus de fautes qu'il n'y en
a véritablement. La prosodie normande et anglo -normande
diffère un peu de celle des autres provinces.
Voidrent la faire diavle servir. (Eln. 4.)
Faire (F, d. Y. 1. 30. 8.)
Cornent puet nuls dire k'il soit si appresseiz de sa malvestiet ki
por bien à faire ne se puist drecier. (S. d. S. B. p, 554.)
Mahommes arrière repaire,
Ki tant barat set dire et faire. (K. d. M. p. 74.)
(1) L'assertion des Bénédictins que les notes tironiennes ont cessé d'être employées
en France a\i IXe siècle, a fait fixer l'âge de ce Fragment au IXe siècle. Cette
assertion est erronnée , et je prouverai ailleurs par d'autres inductions que le Frag-
ment de Valenciennes ne remonte pas au-delà du Xe siècle.
DU VEKBE. 157
Meis à nul fuer
N'en osast feire nul semblant. (E. d. S. G. v. 202. 3.)
Païen respundent: Nus le devuns ben fere.
(Ch. d. E. p. 131.)
Je n'ai qu'engagier ne que vendre.
Que j'ai tant eu à entendre
Et tant à fere. (Eutb. I,' p. 13.)
Cfr. le provençal far, fair, faire; ancien espagnol far;
italien fare.
La première personne du singulier du présent de l'indicatif
appartenait à la conjugaison faible: fa%, fas, en Bourgogne et
en Normandie; fac, fach, en Picardie. (Voy. mourir?) Ce n'est
que dans la seconde moitié du XIII ^ siècle, que l'on trouve
fais, faich; toutefois ces formes étaient encore, à la fin du siècle,
bien moins en usage que les autres dans les poèmes; mais les
chartes en fournissent un assez grand nombre d'exemples, ce
qui semblerait prouver qu'elles étaient d'un emploi plus fréquent
dans le langage ordinaire. On a aussi des exemples de fa.
La seconde personne de l'impératif fit, au contraire, de
très -bonne heure fai, et s'écrivit souvent fais., surtout dans
l'Ile-de-France, dès le milieu du XIII® siècle. On a cependant
des exemples de fa. (Y. prés, du subj. 2^ pers.)
Mais jeo vos faz un requerrement. ('Ben. v. 11443.)
E s'il parmaint en sa malice vers tei, si jo nel te faz saveir, icel
mal vienge sur mei que il pensed à tei. (Q. L. d. E. I, p. 78.)
Bien a .vij. ans, par le cors saint Eichier,
Ne me senti si fort ne si legier,
Com je fas ore, por mes armes baillier. (E. d. C. p. 148.)
Eigure d'orne sai muer
Et l'un en l'altre retomer;
L'im fas bien à l'altre sambler
Et l'uns fas bien à l'altre per. (Brut, v. 8931 - 4.)
Jo Watiers sires d'Avesnes fac savoir à tous ciaus qui sunt et qui
venrunt, que (1238. Th. N. A. I, p. 1007.)
Cil le (le tans) perdent qui ne font rien
Moult plus que jo ne fac le mien. (P. d. B. v. 81. 2.)
Celé qui j'ainc an bonne foy,
Autant u plus que je fach'^ moi. (E. d. 1. M. v. 1917. 8.)
Je vous fach savoir que ma dame
S'est délivrée d'un enfant. (Ib. v. 3002. 3.)
Et encor vous fa ge certain. (Ib. v. 5082.)
Meis je fais bien à touz savoir. (E. d. S. G. v. 3495.)
Et pour chou ahis faicli entendant. (E. d. S. S. v. 1991.)
(1) On voit qu'alors Jarre s'employait, comme aujourd'hui, pour un autre verbe
qu'on ne veut pas répéter.
158 DU YEBB-E.
Eespimdi li reis: L'umbre piiet logierement avant alor, mais fai
la, si te plaist, ariere returner. (Q. L. d. E. lY, p. 417.)
Amis, fait il, /ai moi venir
Ton père, se tu l'as ancor. (Dol. p. 207.)
Conforte moi de mes dolors,
Et bonement me fais secors. (P. d. B. v. 5403. 4.)
On a vu je voû pour je vais; on trouve de même je fois
pour je fais, mais, à ma connaissance, fois ne se montre pas
au XIII* siècle, ou du, moins est-ce fort tard. Fois était encore
en usage au XYI* siècle. ^
Si le papier de mes scbedules beuvoit aussi bien que je foys, mes
crediteui-s auroient bien leur vin quand on viendroit à la formule de
exiber. (Eab. Garg. I, 5.)
Si les aultres se regardoient attentifvement , comme je fois, ils se
trouveroient , comme je fois, pleins d'inanité e de fadeze.
(Mont. Essais IH, 9.)
Seconde et troisième personnes du singulier du présent de
l'indicatif: faù, feiz, fez^ fes; fait^ feit, fet; c'est-à-dire
régulièrement fortes dans le principe. L'orthographe fais, fait
se conserva assez intacte en Bourgogne et dans les provinces
au sud de la Normandie, qui employaient ai pour ei.
Et comant puet çou avenir ^
Que tu fais les cignes venir
. A toi (Dol. p. 287.)
Si li demandet: Eeis magnes, que fais tu? (Ch. d. E. p. 139.)
Geste appaiicions nostre Signer clarifiet ui cest jor et H devocions
et li henoremenz des rois lo fait dévot et honraule. (S. d. S. B. p. 551.)
Li reis fait faire une fertere, unkes melde ne fud,
Del plus fin or d'Arabie i out mil mars fundud. (Charl. v. 198. 9.)
Et où est il? feit li empereres. (E. d. S. S. d. E. p. 52.)
Il n'est riens , fet ses amis , que je ne face pour vos. (Ib. p. 69.)
Eeis, fet li fols, mult aim Ysolt. (Trist. Il, p. 104.)
La première personne du pluriel , qui , dans les Sermons de
saint Bernard, se trouve déjà renforcée, se présente souvent
encore sous sa véritable forme dans des textes postérieurs, et
mêmes dans des chartes de la fin du XIII* siècle. Impératif
semblable.
Et por ceste conissance faisons nos ui ceste feste de l'Aparicion.
(S. d. S. B. p. 550.)
Solunc la nature l'apelet ele (l'Ecriture) home là ù ele dist; Faisons
un home à nostre ymagene et à nostre semblant. (M. s. J. p. 456.)
La mort de Baudoiîi lor faisons comparer. (Ch. d. S. Il, p. 149.)
D'une de nous fasons nous prestre. (L. d'I. p. 8.)
(1) Plusieurs de nos patois ont foire au lieu de faire.
►
DU VERBE. 159
Nos Alis de Savoie .... fassons et ordonnons nostre testament en
cette manière: premièrement fassons et etaublissons . . . . (1277. M. s. P.
I, p. 360.)
Et nos Alix .... façons scavoir. (1278. Ib. I, p. 363.)
La première personne du pluriel présente encore la forme
fesum, en Normandie; fesomes, dans l'Ile -de -France surtout,
lorsque les orthographes en e furent prédominantes.
Fesomes (Roman du Renaît).
Fesum bargaine, fesum change. (Trist. II, 103.)
On a vu plus haut la forme dîmes; on rencontre de même
faunes. Quelle est l'origine de dîmes et de famés? Ces formes
seraient- elles des contractions de disomes, faisomes? Non; car,
bien que l'exemple cité à l'occasion de dîmes soit précédé de
dîromes^ faîmes, qui est une formation tout à fait semblable,
ne se montre d'ordinaire que dans des textes où l'on employait
la terminaison um ou ses équivalents cm, ums, uns. Dîmes et
faîmes dérivent des formes latines correspondantes, qu'on traita
comme sumus, c'est-à-dire que l'on affaiblit simplement en e
Vu de la syllabe us, par suite de l'analogie qui existait entre
la seconde personne du pluriel d^être et celles des verbes dîre,
faîre, tirées aussi directement du latin: estes: dîtes, faîtes-., et
non d'après le mode de formation usuel de la langue d'oïl:
dîseîz., faîseîz. Pour faîre, il y avait en outre l'analogie de la
troisième personne du pluriel qui exerçait son influence: sont:
font; aussi faîmes est -il beaucoup plus commun que dîmes.
Dîmes ^ faîmes ., sont des formes du Maine, de l'Anjou et de la
Touraine. Faîmes se répandit promptement en Normandie, s'il
n'y est pas primitif aussi, tandis que dîmes était remplacé par
dîum dans cette province.
Au lieu de faîmes ., on écrivit fomes^ dans l'Ile-de-France,
au commencement du XIV ^ siècle. (Y. le Roman de la Rose.)
Cette orthographe en o, au lieu de <?«, est due, sans doute, à
l'influence de fesomes et font.
Faîmes s'employait naturellement aussi à l'impératif.
Yos ne nos poez pas fuii-;
Kar nos vos faimes or sentir
Que buies peisent, ne s'est liez
Cil qui les traine od ses piez. (Ben. v. 2905 - 8.)
E si vos faimes bien certains
Qu'onques sis pères ne sis aives,
(1) C'est de ce fomes qu'est dérivée la forme fons employée encore aujourd'hui
dans plusieurs patois. Cfr. sons pour somes.
160 '* DTJ VERBE.
Sis ancestres ne sis besaives,
A home sus cil ce ne liront
Ne homage ne li offrirent. (Ib. v. C742-6.)
E pur ceo si vos en garnis
Que conseil prenion salvable;
Si faimes aliance estable
E covenant ferm e entier
De nos securre e entraidier. (Ib. v. 8967-71.)
Faimes que teus seit mes li tens.
Que sor nos n'ait plus graverons. (Ib. v. 26719. 20.)
La seconde personne du pluriel du présent de l'ndicatif,
qui reçut une terminaison légère, prit part à la conjugaison
forte dès les plus anciens temps. Impératif de même.
Faites vost alsmosnes. (F. d. V. v. 1. 30.)
Ke faites vos, signer roi, ke faites vos? (S. d. S. B. p. 550.)
Plus tard feïtes j fêtes ^ et même f estes, faistes.
A Bron dist: Sire, or vous hastez,
S'en feites ce que vous devez. (E. d. S. G. v. 2935. 6.)
Ou vos ne parlez james à moi, ou vos fêtes ma volante. (K. d. S.
S. d. R. p. 68.)
Se vos ainsint ne le f estes, comme vos dites. (Ib. ead.)
Faistes de li vostre seignur. (R. d. R. v. 7388.)
Troisième personne du pluriel: font^ en Bourgogne et en
Picardie; funt^ en Normandie. (V. la Dérivation.)
Totevoies celei persécution tient il por plus cruyere et plus griement
la sent ke sei propre ministre li font. (S. d. S. B. p. 556.)
J'ai chamberieres et serghans
Ki bien font mon commandement. (R. d. M. p. 18.)
Les cuntrez i redi-escent e les muz funt parler. (Charl. p. 11.)
Vient il? funt il. Oil, fait Robert, veirement.
(Th. Cant. p. 121, v. 25.)
Le présent du subjonctif se réglait sur la première personne
du présent de l'indicatif, c'est-à-dire qu'il ne diphthonguait pas
la voyeUe radicale: face, en Bourgogne et en Normandie;
faehe, en Picardie. Mais, dans la seconde moitié du XIU^
siècle, on trouve des formes renforcées, lorsque fais, faich se
furent introduits à la première personne du singulier du présent
de l'indicatif.
Sire, dist il, ke wels tu ke je /ace? (S. d. S. B. p. 558.)
Que vols tu que jo te face'^ (Q. L. d. R. lY, p. 369.)
Or n'i aura plus atendu,
Que je ne fâche un cointe dru. (R. d. S. S. v. 2504.)
Lors fa samblant de toi drechier.
Si que faciles tout trebuchier. (Ib. v. 2690. 1.)
DU VERBE. 161
Jo requier que tu faces mun message al rei, kar à tei ne purrad
rien escundire , que il me duinst à femme Abisag de Sunam. (Q. L. d.
R. ni, p. 229.)
Meneiz joye , vos qui encuviz gi'anz choses , car li filz de Deu est
dexenduz à nos, por ceu qu'il nos facet heretiers de son règne. (S. d.
S. B. p. 531.)
n cange couleur en sa fâche
Souvent, et ne set que il fâche. (E. d. M. p. 10.)
Proiet li ait et comandeit
Que, por s'amor et por sa graice,
Que des chaaignes d'or li faisse
.1. hanap moult isnelement. (Dol. p. 279.)
S'autres siècles n'est, donques viaus
Ait ci li cors toz ses aviaus
Et faiche quanque li délite. Y. s. 1. M. XXXV.)
Sire , font cil à Joffroi , que voles vos que nos faciemes ! nos ferons
ce qu'il vos plaira. (Villeh. p. 122. CXLYH.)
E sachies que bien apartient
Que fâchons autres festeletes. (Th. F. M. A. p. 120.)
Faciest (F. d. Y. 1. 28. v.)
Dames, ja ne seres si crueux
Que vous fachies si grant pechiet. (L. d'I. p. 17.)
. . . Que dous tels chardenals li fadez enveier
Que bien puissent partut lier et deslier. (Th. Ct. p. 40, v. 18, 19.)
Ne souferra la gentillece
Que ja fades rien fors noblece. (P. d. B. v. 1507. 8.)
Mais ce pre à toz e requier
Que vos la li faceiz esposer. (Ben. v. 20187. 8.)
Ma desirance e mis poeirs.
C'est que vos facez seignor novel
D'un fiz que j'ai . . . (Ib. v. 31635-7.)
N'os querrai plus, si cum je crei;
Mais de cest me facez ottrei. (Ib. v. 29241. 2.)
A l'occasion de cette dernière citation , je relèverai une erreur
qui s'est glissée dans le premier volume de cette grammaire.
J'ai indiqué une double forme pour l'impératif de quelques verbes ;
ouir p. ex., ferait, selon l'explication donnée à la p. 368 du t. I;
o«, oons, oez^ ou oies, oions^ oiez. Les formes oies, oions, oiez,
de même que le facez cité ci -dessus, appartiennent au présent
du subjonctif. (Y. t. I, p. 239. Remarque a)
A cui que il facent acuel,
Od mon cuer jugeront mi oel. (P. d. B. v. 9139. 40.)
Parfait défini: ^.
Tote ceste oevre fis jo si
C'en ne m'i vit ne ne m'oï. (P. d. B. v. 1387. 8.)
Burgu y, Gr. ao la langue d'oïl. T. II. Éd. m. H
I
162 DU VERBE.
Je li fis char de buef mangier. (R. d. S. S. v. 1763.)
Pères du ciel, fait il, merci,
Qui feis que tes filz nasqui | Por sauver li humaine gent
Que /"m par ton loemement. (P. d. B. v. 5396-9.)
Oi ai ta preiere, e la requeste que tu me feis. (Q. L. d. R. III, p. 267.)
(Dex) Et Adan fesis de ta main.
Puis fesis sa moillier Evain. (R. d. 1. V. p. 242.)
Tu ki fesis et estoile luisant.
Et home et feme fesis à ton talent. (0. d. D. v. 10958. 9.)
Hai! dist la dame, mal fessis,
Qant maintenant nés oceis. (Dol. p. 277.)
Et voleiz savoir cum longe parole il fist brief, et cum brief il la
fist? (S. d. S. B. p. 585.)
Au prestre vint, se fist .j. ris. (L. d'I. p. 9.)
Vous saves bien de fi , ^ans faille.
Que l'autrier fesimes fremaiUe
Entre moi et l'enfant Gerart. (R. d. 1. Y. v. 732-4.)
Overte avons tote la porte arier.
Et le grant pont fesimes abaissier. (0. d. D. v. 8240. 1.)
Unkes moleste ne lur feimes, ne unkes ne perdirent rien par nus.
(Q. L. d. R. L p. 97.)
Sire, mei e ceste femme feimes cuvenant que nus mun fiz mange-
rium à un jur e le suen al altre. (Ib. IV, p. 369.)
Quant de nus tui'nastes, grant outrage feistes. (Charl. v. 686.)
N'onques , nul jor ne me feistes lie. (G. d. G. d. G. p. 36.)
Gar vos remembre du fort ester pesant
Que vos fesistes desus un gariUant. (0. d. D. v. 485. 6.)
Vous fesistes, jeo quit, cel ploit. (M. d. F. I, p. 102.)
Fisient (F. d. V. 1. 24. v. Ead. 1. 27. etc.).
Si firent une assaillie cil de la tor de Galathas. (Villeh. 450'^.)
A preechier molt entendirent.
Par toutes teiTes s'espandirent,
Maintes gens crestiienner firent. (R. d. M. p. 42.)
Sire, ensi se rendirent, puis lor fisent li nostre jurer sour sains
que jamais encontre vous ne se meteroient ne en chastel ne aillom-s.
(H. d. V. 506 ^)
A une liue, ci com j'oi noncier,
Del ost Raoul se fisent herbergier:
Loiges i fisent aprester et rengier. (R. d. G. p. 83.)
E tant parlèrent e tant fistrent
Qu'il la li dona à moillier
E qu'il la li fist noceier. (Ben. v. 41804-6.)
Imparfait du subjonctif: feùse, femse.
Kar si veirement cmne Deu vit ki est Deu de Israël, ki defendud
m'ad que jo ne feisse cest mal, si tu ne fusses de plus tost venue en-
DU VERBE. 163
cuntre mei, ne remasist à Nabal, jesque le matin, neis le chien de
sa maisun. (Q. L. d. E. I, p. 101.)
Sel me looient totes gens
Ne me venroit ja en corage
Que je feisce tel oitrage.
Dont seroie plus viols d'un chien. (P. d. B- v. 4264-7.)
Mes cuers n'est mie si aquis
Que je, pour la vostre complainte,
Qui moût est anieuse et fainte,
Fesisse la vostre requeste. (R. d. 1. V. v. 466-9.)
S'il se volsist à no loi atorner.
Je le fesisse à honor esposer
Lui et s'amie, et ses laissasse aler. (0. d.D. v. 3063-5.)
Bel père , si li prophètes te deist que grant chose e grevuse feisses,
faire la deusses. (Q. L. d. E. IV, p. 363.)
Fesist (F. d. V. 1. 11. v.)
Ou por kai volt il estre Criz apelez, si por ceu non k'il fesist
purir le juf davant la fazon del oie? (S. d. S. B. p. 531.)
Ne te samblet il dons ke cil facet plus grief persécution ke ne
fesist li Geus ki son sang espandit ... ? (Ib. p. 555.)
Li quens Eeinaut aveit tant fait
Qu'à son plaisir li feist plait
Si ne fust uns decevemenz | E uns trop laiz traissementz,
Par quel li quens Eeinauz fu pris. (Ben. v. 29541 - 5.)
Nel remua de son estai premier
Ne que feist ime tor de mostier. (0. d. D. v. 10037. 8.)
Et s'il advenist que enfens, qui fuist ou pain de se père et se
mère, meffisist, on ne porroit riens demander le père ne le mère.
(1312. J. V. H. p. 551.)
Cette forme picarde, où l'on voit un ï qu'on a déjà rencontré
souvent pour d'autres voyelles, n'est pas de bons temps.
Et nous vous ferons tôt son avoir baillier, et vous jurerons seur
sains et le vous ferons as autres jurer, que nous, en aussi bone foi vous
servirons en l'ost, come nous feissions lui. (Villeh. p. 12. XXIV.) >
(Joo) Pensoe cest nosti-e seignor
En feissum empereui*,
Corune eust el chef assise. (Ben. I, v. 1807 - 9.)
Et se ne fust la traissons
Que Mares fist, s'en eussons
La fin veue de l'ester,
U plait fesissons à honor. (P. d. B. v. 3773-6.)
Por Deu vos pri, ke se laisa dressier
En sainte crois por son pueple essaucier,
Ke ceste guerre feissiez apaier. (G. d. V. v. 2298 - 300.)
(1) Le texte do D. Brial donne faisîssims (4381)), où la diplithongue ai est fautive.
IX*
164 DU VEKBE.
Que faites vos? por quel vivez,
Que vos Richart ne décevez
Par aucun art soprisement
Dunt il ne se gardast neient,
Que les Bretons e les Normanz
Fuissiez vers vos apendanz? (Ben. v. 21018-23.)
Et si aloient tôt plus tost
Que ne fesissies les galos
Sor le plus haut ceval d'Espaignc. (L. d. T. p. 75. 6.)
E feissent dous humes' avant venir ki Nabotk acusassent e sur lui
testemoniassent que il out mesparled de Deu meime e del rei. (Q. L.
d. E. ni, p. 331.)
Et fist faire nés et galies
Pour garder toutes ses parties.
Que li paien d'estrange tierre
Ne li feissent par mer gierre. (Phil. M. v. 3282-5.)
Zakarie lues remanda
L'apostoles et commanda
A tous les barons de la tiere.
Pour le pais ester de gierre.
Qu'il fesisent roi de celui
Ki bien aidast soi et autrui . . . (Phil. M. v. 2030-5.)
Et pour ce ne demoroit mie qu'il(s?) n'en fesissent asses par celé
porte ou par autres. (YiUeh. p. 50. LXXIV.)
L'imparfait se trouve orthographié fesoie et faisoie dans les
S. d. S. B. Fesoie ^ est plus correct q^xQ faisoie , puisque le pre-
mier se rapproche davantage de la forme primitive du verbe
faire: Ve représente Va qui s'est affaibli devant la terminaison
lourde. Faisoie date d'une époque où la véritable conjugaison
de faire était déjà troublée. L'orthographe en ai radical fut
prédominante pendant tout le XIII^ siècle, surtout en Cham-
pagne, à l'est du dialecte picard, et dans le Maine et l'Anjou.
Dans l'Ile-de-France, on trouve fort souvent fesoie vers la fin
de l'époque qui nous occupe. Feseie était la forme normande.
Les orthographes en a pur et en ei ne sont pas rares et s'ex-
pliquent facilement par ce que j'ai dit de l'infinitif.
Si m'aït Deus, grant di*oit avoient.
Quant jo faisoie c'uns vilains
Les avoit si tes en ses mains ... (P. d. B. v. 2564-6.)
Ja ne fesoie je mie, se por li chastier non, et por lui espoanter.
(R. d. S. S. d. E. p. 37.)
(1) On voit que la prononciation que nous donnons à faisais, etc. est tout à fait
fondée en raison, et que l'orthogi-aphe fesais, etc. combattue par les grammairiens
comme une innovation fautive , est aussi ancienne que la langue et même plus exacte
que l'autre.
DU \ERBE.
165
Mais mult ère poi coveitos
De faire en plus que je feseie. (Ben. v. 29186. 7.)
Et ke fesoit li Fil quant il por luy à vengier veoit si enmeut le
Peires k'il à nule créature n'en espargnievet? (S. d. S. B. p. 523.)
Et por ceu, dist il meismes k'il ades faisait ceu ke plaisivet à luy.
(Ib. p. 552.)
Adonc li manbrait de la feie
K'à famé ot prise et espousee,
Cui il trovait à la fontaine,
Cor li faissoit soffrir tel poinne. (Dol. p. 287.)
Et se aulcuns y facoit fourg, nos le devons faire ester. (1482. M.
et D. i. p. 463.)
Ces derniers exemples montrent ce qu'était devenue la pro-
nonciation du 8.
E cil distrent ke bien faseit,
E ke bien fere le poeit. (E. d. R. v. 641. 2.)
Leenz eut un veissel moût gent,
Où Criz feisoit son sacrement. (R. d. S. G. v. 395. 6.)
Et fessait li uns de lui son talent. (R. d. S. S. d. R. p. 68.)
Trop seroient peu no cuer tendre
Se nous faisiens celi ardoir
Qui donne nous à son avoir. (R. d. 1. M. v. 3742-4.)
Se vous nul mal li faisiies,
A tous jours m'amor perderies. (Ib. v. 2393. 4.)
Li François grant duel en faisaient. (P. d. B. v. 3783.)
Normanz se faseient nomer. (R. d. R. v. 129.)
La forme primitive du futur et du conditionnel a été ferai,
feroie, en Bourgogne et en Picardie; Va s'est affaibli en e de-
vant la terminaison fortement accentuée. En Normandie, on
n'écrivait même pas cet e , le radical se syncopait et l'on avait
frai, freie. Après 1250, on rencontre des exemples avec a
radical; mais ce sont des exceptions qui tiennent à des parti-
cularités de prononciation dont j'ai déjà eu l'occasion de parler.
En Franche- Comté, en Lorraine, dans ime partie de la Cham-
pagne, on avait même introduit ai à ces temps.
Neporqant je ferai vostre commandemant. (Ch.d. S. I, p.217.)
Respundi Jonathas: Tut ço que te plaist /raî. (Q. L. d. R. I, p. 77.)
Cunuistre me frai e oir. (Trist. Il, p. 136.)
Jure que tu ne defferas
Le temple, et que tu ne feras
Nul mal n'a moi n'a mes amis. (R. d. M. v. 1093-5.)
E quant Deu ces biens te frad, de mei tue ancele te memberad,
e bien me fras. (Q. L. d. R. I, p. 100.)
Por ceu nos covient joie avoir de eeu qu'il en nostre natui-e est
venuz, car or nos ferat il legierement pardon. (S. d. S. B. j). 549.)
166 DU VERBE.
Car parmi vostro paine doit l'om penseir comment il ferrât ceaz à cui
il soi correcerat, se il soffret ke cil en cui il at joie soient ci si dure-
ment afflit ; u cornent ferrât il ceaz à cui il ferai juste jugement, se il si
cruciet li mimes ceaz cui il nui'rist piement chastiant. (M. s. J. p. 475.)
J'ai cité ce dernier exemple pour faire ressortir la différence
d'orthographe qui existe entre le futur de ferir et celui de fait^e.
Mais ki me frad juge que jo receive iDonement ces ki unt parole
à mustrer, e jo frai droiture à tuz amiablement e dulcement. (Q. L. d.
E. n, p. 173.)
E fra en puis si grant honur. (Trist. U, p. 77.)
A Diu se rent et au saint Piere
Qu'il li doinst bone nuit entière;
Si far a il, mien ensient,
Se l'aventure ne nous ment. (R. d. M. d'A. p. 8.)
Nos lor ferons noz trez et noz tantes voidier. (Ch. d. S. I, p. 187.)
Nus vus frum ruer sun chief aval del mur. (Q. L. d. R. Il, p. 200.)
Et volons qu'un chacun d'aux se tienne por paye par non de hoirs,
de telle partie com nos li fairons, et donrons par nos lettres. (1278.
M. s. P. I, p. 360.)
Mais ore un char nuvel nus frez. (Q. L. d. E. I, p. 21.)
Bien croi loialment le feront. (R. d. 1. M. v. 2587.)
Qar, se le refusoie, je feroie folor. (Ch. d. S. Il, p. 88.)
Je nel far oie por estre demanbreiz. (G. d. V. v. 2634.)
Je fereie
Par mon engien et par mon art
Que petite en sereit sa part. (Chast. XX, v. 108-10.)
Et tout ensi com tu as fait des autres, savons nous bien que tu
fer oies de nous. (Villeh. p. 141. CLX.)
Si'n creistreit tant ta seignorie
Qu'à tei en fereies aclins
Toz les autres règnes voisins. (Ben. v. 20478-80.)
Ta conscience ne te remorderad, ne tu n'en pluiTas, pui- cest pecchied
que tu freies se de mun mari te venjasses. (Q. L. d. E. I, p. 100.)
Agoulans à s'ost en râla | Et à tous ses barons proia
K'il se fesisent baptisier:
Si feroit il sans detriier. (Phil. M. v. 5406 - 9.)
Ne ja por chou ne feriemes deloiaute de requerre après nostre rai-
son , fust hui ou demain , se nous en poiesmes venir en point. (H. d.
V. p. 202. XIX.)
E si nus requeistes, ke nus vus feissons à savoir, quel ayde nus
vus frions. (1282. Eym. I, 2, p. 202.)
Musarz estes, ce m'est avis,
Por foui me feriez tenir. (Chast. Xm, v. 80. 1.)
Sis unt laisez: qu'en fereient il el? (Ch. d. E. p. 114.)
Participe passé: fait^ plus tard feit^ fet.
DU VERBE. 167
Fait (F. d. V. 1. 31. v.)
La pais que j'ai feite al evesque davant dit. (1240. H. d. Veid p. 14.)
An Xni* siècle, faïre s'employait dans le sens de se porter,
de la manière suivante :
Lors li dist la dame: Comment
Le faites vous, biau très dous sii'e ? (E. d. C. d. C. v. 3488. 9.)
Puis demande sans atargier
Comment Gerai'S li biaus le fait,
Qui joie et bonne aventure ait ! (E. d. 1. V. p. 40.)
Il li demandent de lur piere.
Cornent le fesoit lur miere. (L. d'H. v. 562. 3.)
Qui est ce, dit la belle, qui m'a araisonee?
Damoisele, vo gaite oui voz maus desagree.
Comment le faites vous? Estes vous repassee.
(Gautier d'Aupais.)
M. Francisque Michel cite cet exemple et les précé-
dents à la p. 40 de son édition du R. d. 1. Y. ^
Fus -tu en France? — Dame, oil.
— Veis mon fil? Quel le fait il?
— Dame, moût bien, et s'est si prous
Que il vaint les tournois trestous. (E. d. 1. M. v. 3371-4.)
On a déjà eu souvent l'occasion de remarquer qu'on se ser-
vait du verbe faire à la place du verbe dire dans les façons de
parler: dit -il, dis -je, etc. Les écrivains suivii-ent cet usage
avec plus ou moins de rigueur jusqu'à la fin du XYI® siècle;
nos paysans l'ont conservé, et les poètes comiques qui les ont
fait parler, s'y ont conformés. On a cherché depuis à faire
revivre cet emploi de faire, et on en trouve de nombreux
exemples dans les romanciers du XLX® siècle.
Faire avec la préposition à et suivi d'un infinitif, s'employait
à peu près dans le sens de être digne , mériter ; falloir.
C'est Guinemans qui tant fait à proisier. (G.d.Y.v.260.)
Tu faiz à mesprisier,
Se soffres que il past de cà sanz ancombrier. (Ch.d.S.n,p.43 )
Et voit le fronc del ost .i. liue estandu:
Ne fait à mervoillier se paor a au. (Ib. II, p. 106.)
Si Baudoins ot dote, ne fait mie à Nasmer,
Qui il voit venir Saisnes que il ne pot amer. (Ib.II, p. 107.)
Mult fait à amer iteus sire. (Ben. v. 15589.)
Si bien li lerres vait embler,
Fait il pur ce à acuser
Si l'om nel pot trover al ovre? (Ib. v. 25656-8.)
(1) Cette tournure s'est conservée dans la langue anglaise.
168 DU VEEBE.
Ne fait mie sire à prisier
Qui en pais se fait baut et fier. (Brut. v. 4836. 7.)
Cette tournure se retrouve en provençal: Ela no /ai/ pas
à lîasmar.
Cfr. plus bas régime des verbes.
Cette locution était encore d'un fréquent usage au XYI*
siècle.
Plus faict Ci louer le scavoir bieu user des biens que des armes:
et plus encores faict à révérer le non les appeter que le bien en user.
(Amyot. Hom. ill. Coriolanus.)
En eslisant et prenant ce qui faict principalement à noter. (Ib. ead.
Paulus Aemylius.)
Faire joint à que et à un nom, donne lieu à une locution
elliptique fort en usage aux XII ^ et Xm^ siècles, et plus tard
encore.
Et por ce si fait que sage, qui se tient devers le mielx. (ViUeh. 459*'.)
c'est-à-dire: Et por ce si fait ce que feroit un sage, celui qui etc.
De çou fist il que mal senes. (Phil. M. v. 1213.)
Li fil Herbert n'ont pas fait que félon,
Nen vostre cort forgugier nés doit on. (E d. C p. 37.)
Mais tu feiz certes que malvais rois. Ib. p. 234.)
Si fereiz que preu et que sage. (Eutb. I, p. 118.)
S'il ne te tue , il fera trop que îasches. (A. et A. v. 2242.)
Cfr. le provençal:
Corn no ces auzes retraire
Quant ces faitz que deschauzitz. (Beiirand de Born.)
JDïre , dans les mêmes conditions , donnait Heu à une locution
semblable.
Or ne laira que il ne die
Que sages a dit Loemers.
Vos aves dit que hacelers. (P. d. B. v. 2426-8.)
Ore avez dist ke cm'teis. (E. d. E. v. 15817.)
Biaus sire, vous dites que sages. (Eutb. H, p. 81.)
n existe encore un grand nombre de locutions où entre le
Yerbe faïre, mais je ne pourrais les citer ici sans outrepasser
les bornes de cet ouvrage. On trouvera ces locutions dans
mon Dictionnaire étymologique et comparé des dialectes de la
langue d'oïl ^.
(1) Tous nos dictionnaires écrivent, au lieu de avoir à faire de, avoir affaire de,
c'est-à-dire avoir besoin de; ce qui est une singulière faute. Il faut voir, dans
cette locution, le verbe faire et non le substantif affaire; c'est ce dont on se con-
vaincra en la comparant attentivement à cette autre: n'avoir que faire d.e, c'est-à-
dire n'avoir pas besoin de.
Si Cato ... n'a que faire de Eome, certainement Rome a à faire de Cato, et
aussy ont tous ses amis. "(Amyot. Hom. ill. Cato d'Utique.)
DU VERBE. 169
Y. Kaynouard, Lex. rom. m, p. 261 col. 2. touchant l'emploi
du verbe^ faire pour exprimer l'action de la copulation.
COMPOSÉS.
1. For sf aire, for faire, forfaire, nuire, outrager, offenser;
encourir la perte de quelque chose , être passible d'une amende,
d'une peine, pour un crime, un délit, être condamné.
Ensi comença la guerre, et forfist qui forfaire pot et par mer et
par terre. (Villeh. 457 *.)
Ensemble avum estet e anz e dis;
Ne m'fesis mal, ne jo nel te forsfis. (Ch. d. R. p. 79.)
Rollans me forfist en or e en avoir
Pur que jo quis sa mort e sun destreit. (Ib. p. 145.)
Citeains i mist et borjois,
Si lor dona preceps et lois
Que pais et concorde tenissent.
Et noiant ne se forfesissent. (Brut. v. 1292-4.)
Trestot au doble aura d'eus plait
De quanqu'il li auront forfait. (Ben. v. 22670. 1.)
Là se forfist de mort Mares. (P. d. B. v. 3811.)
Forfait est de membres. (L. d. G. p. 180, 19.)
Soient forfait envers le rei de .vi. lib. (Ib. p. 187, 45.)
Yoici un exemple où forfaire est pris en bonne part, dans
le sens de mériter.
La roïne le baise, que molt bien s'an refait;
Et il li volontiers , par bien l'avoit forfait. (Ch. d. S. I, p. 236.)
Forfaire signifiait enfin altérer, déguiser.
Car il forfont lour faces qu'il apiergent as homes junantz [exter-
minant enim faciès suas]. (Roquefort, s. v. forfaire.)
2. Contrefaire, contrefaire, imiter; déguiser; être difforme.
Molt ot bien par ses armes son samblant contrefait.
(Ch. d. S. I, p. 236.)
La seconde totirmire de cet exemple très - significatif est l'affirmative de la première,
et, dans les deux cas, faire a exactement la même valeur et le même sens. —
La confusion qui s'est faite du verbe faire, dans la locution avoir à faire de,
avec le substantif affaire, provient d'un usage orthographique de l'ancienne langue.
On joignait d'ordinaire la préposition à l'infinitif; ainsi prennent adesrengier = prennent
h desrengier, avoir afaire ^=^ avoir à faire, etc.; et, à l'époque de confusion qui
commence à la fin du XTTTe siècle, redoublement du / par attraction, parce que
sans doute on a cru voir, dans le mot afaire, une espèce de composé de /aire avec
la préposition à. Un cas semblable se présente à l'occasion du verbe savoir, dans
les formules: c'est à savoir, faire à savoir, laisser à savoir; qu'on trouve orthogra-
phiées c est, faire, laisser asavoir , assavoir; et personne jusqu'ici n'a prétendu créer
un verbe assavoir.
Ceo est assaver. (1270. Eym. I, 2. p. 114.)
A toutes genz qui ont savoir
Fet Rustebues bien asavoir. (Rutb. H, p. 1.)
lisep : à savoir.
Voy. Régime des verbes.
170 DTJ VERBE.
3. Des faire, deffaire^ défaire; détruire; perdre; empêcher,
changer.
Jure que tu ne defferas
Le temple. (E. d. M. p. 47.)
Se je vous ai de riens mesfait je le vous desferai. (Joinville p. 25.)
Celé qui puet estre provee
Desfaite est et en fu jetée. (FI. et Bl. v. 2075. 6.)
Cfr. : Dinocrates ne leur donna pas le loisir de le faire mourir par
justice, car il se deffeit Luy mesme; et touts ceulx qui avoyent este
d'advis qu'il falloit faire mourir Philopoemen , se deffeirent aussy eulx
mesmes. (Amyot. Hom. ill. Philopoemen.)
Le participe se trouve souvent au sens de décomposé., difforme.
Un malade out en l'ancien . . .
A. merveille par fu desfait ...
Ainz ne veistes tant si lait.
Ne si hoçu, ne si desfait. (Trist. I, p. 57. 58.)
Sire Artus, rois, je sui malades,
Bociez, meseaus, desfait et fades. (Ib. I, p. 177.)
Cff. le provençal:
Desfach d'uelhz e de cara que parlar non podia (Y. d. S. Honorai)
— Los contrafagz e los lehros e'is desfag de lur membres. (Eayn.
Lex. Eom. ni, p. 275.)
4. Mes faire, meffaire, méfaire, offenser, faire offense.
Mais Deus rendre à ces M mesfunt sulunc lur malice. (Q. L. d.
E. II, p. 133.) [Eetribuat Dominus facienti malum juxta malitiam suam.]
Je croy que ja n'i mefferes. (E. d. C. d. C. v. 3473.)
Nous avons or este si aisse
Et or nous metes en malaisse;
Qui vous a riens meffuit ne dit? (E. d. M. d'A. p. 6.)
On conseille au roi de Hongrie d'épouser sa propre fille,
il répond:
Signer, ce dist li rois, pour voir,
Sacies pour riens ne le feroie;
Ti'op durement me mefferoie. (E. d. 1. M. v. 360-2.)
Qu'il n'afiert à roi ne à conte.
S'il entent que droiture monte.
Qu'il oscille homme, c'en ne voie
Que par droit escillier le doie;
Et se il autrement le fet.
Sachiez, de voir, qu'il se mes fet. (Eutb. I, p. 72.)
5. Mal/aire, maufaire, mal faire.
Un autre fort chastel ferma
Et oit jorz qu'iloc sejorna.
Contre les reneiez Judas
Qui de maufaire ne sunt las. (Ben. v. 38721-4.)
DU VERBE. 171
Maufeisiez de eus si laidir,
Trop par les voliez honir. (Ben. v. 16604. 5.)
La convoitise del monde qui tant a maufait nés laissa mie en pais.
(Villeh. p. 100. CXXVI.)
6. Parfaire, parfaire (achever, terminer).
Tun purpos e ta volente
Parface il par sa bunte. (M. d. F. II, p. 439.)
Puis que il eut parfait ce dit
Vint à sa maison, car petit
De voie jusque là avoit. (E. d. C. d. C. v. 2627-9.)
Cfr.: Car la où l'on estimoit chascun desdicts ouvrages debvoir à
peine estre parachevé en plusieurs aages, et plusieurs successions de
vies d'hommes les unes après les austres, tous feui-ent entièrement
faicts et parfaicts dedens le temps que dura en vigueur le crédit et
l'aucthorite d'un seul gouverneur. (Amyot. Hom. ill. Pericles.)
S'en refaire s'est dit dans le sens que nous attribuons à
s'en donner (à coeur joie).
Car nule rien tant ne désir,
Dist la vielle, com mal à faire:
Des or m'en porrai bien refaire. (R. d. 1. V. p. 29.)
LIEE (légère).
La forme primitive de ce verbe a été leire, qui se contracta
en lire, dès le commencement du XHI*" siècle.
Le présent de l'indicatif a fait, dès les plus anciens temps:
lei, H, lis; leis, lis; leit , lit\ list; îeisons, lisons; leiseiz, liseiz;
leient, lient, lisent (?). La consonne s, étrangère à la racine,
provient d'une permutation du g latin , analogue à celle qu'éprou-
vait le Cj comme on l'a vu dans les verbes faire, dire, gésir.
Le parfait défini était lis ou lui; l'imparfait du subjonctif
leisse ou leusse; le participe passé leit, lit, leut, lut.
Lequel qu'il vosist escleire. (S. d, S. B. Voy. Eoquefort s. v. naître.)
Tant a à esïire entendu. (Chast. XXIV, v. 13.)
Perte i unt faite, ço vos retrai
Si cum jeol Us e cum jol sai,
Mulz milliers d'omes, senz mentir
Ne voldrent unques l'enchauz gerpir, (Ben. v. 2455-8.)
Quant il a tout ainsi escrit,
Devant ses compaignons les Ut. (R. d. 1. M. v. 3013. 4.)
Le brief li porie et puis le Ust. (P. d. B. v. 2849.)
Molt avons plus de ceos ki enseuent cel aveule dont nos leisons en
l'Ewangile, k'il ne facent cest nostre vovel apostle. (S. d. S.B. p. 558.)
Mais esUsons le bon François,
Qui est estables en nos lois. (P. d. B. v. 9025. 6.)
172 DU VERBE.
Yoici la même forme sans s:
Apres nos elions nostre sépulture en l'eynglise de Chier-Leu.
(1277. M. s. P. I, 360.)
Dan chapelain, lisiez le brief,
Oiant nos toz, de chief en cMef. (Trist. I, p. 123.)
Va, si parole à David, si li di que il eslised de trois choses quele
que il volt mielz que jo li face. (Q. L. d. R. II, p. 217.)
Perdu en a le don; mais .i. autre en eslise. (Ch.d.S.I, p. 41.)
Et selonc Tescrit que jou lui. (Dol. p. 222.)
La chartre lui, ben en sai la devise. (0. d. 0. v. 4170,)
Desous .i. aubespin .i. petit m'acointai:
Escrist en parkemin .i. livret i trovai;
Si lue dusqu'à la fin : mult durement l'amai. (Eutb. I, p. 232.)
Ne leisis tu dons onkes ceu k'escrit est, por ceu qu'il les nurisset
en la faim? (S. d. S. B. p. 565.)
Li capelains errant les (les lettres) liut. (Phil.M.v.4608.)
Jo juerai devant nostre Seignur qui vcCeslist e plus m'out chier que
vostre père e tut sun lignage. (Q. L. d. R. n, p. 142.)
Et les altres choses cui nos onkes ne leisimes de celui Juda.
(S. d. S. B. p. 533.)
Li un(s?) eslistrent le chanceler. (Ben. t. 3, p. 469.)
E ruvad que il esleist quel membre que il volsist que il le poust
mustrer à nostre Seignur. (Q. L. d. R. H, p. 217.)
Et si dexendit por ceu qu'il à sun ues Vesleisist. (S. d. S. B. p. 533.)
Ce avons nos dit par treble entendement, ke nos à l'anoiouse
anrme métissions devant diverses drecies, et de ce ke miez li semble-
roit en elhiist. (M. s. J. p. 448.)
Ja n'en atendist le tierc jor
Qu'ele n'esleust le meUor. (P. d. B. v. 8651. 2.)
Nous avons leit en autre leu. (S. d. S. B. Yoy. Roquefort, s. v. leire.)
Et qant lit furent li escrit. (Trist. I, p. 122.)
JE^ilit furent li message. (Yilleh. 454''.)
Qant li evangeiles fu lis. (Ben. v. 30066.)
Ainz que fust lite la peiaus. (Ib. v. 22659.)
Li cyrografes fut leus
Et li covans reconeus. (Dol. p. 220.)
Et puis la lettre desploia,
De chief en chief lute li a. (R. d. C. d. C. v. 8069. 70.)
On trouve enlïre, au Heu de eslïre (ellire), dans ce passage
de Dolopathos:
Dist k'il faisoient grant folie,
Que si très perillouse vie
Et si dolerouse enlisaient, (p. 234.)
Le Roman de Rou donne Itère à la rime. (v. 14479.)
DU VERBE. 173
LOIRE (v. fo.) , licere.
Ce verbe a sans doute existé d'abord sous la forme îisir^
lesïr, losïr, ou lïre, lere^ lore (?); plus tard on le renforça et
l'on eut, en Bourgogne et en Picardie: loisir ou loire; en
Normandie: îesir ou 1ère, d'où leisir ou leire, dans les dialectes
mixtes. (Y. plaire et cfr. taire, gésir?) Notre substantif loisir
est l'infinitif de ce verbe ^.
Si l'on laus ceste gloire loire,
Il n'en font une grant estoire
Nés don chanclie de la chaiTue,
Por coi il n'ont autre mimoire. (Rutb. I, p. 248.)
Présent de l'indicatif; loist^ leist^ liât; du subjonctif: leise^
loise; parfait défini: lut; imparfait du subjonctif: leust.
Cant il ne lur loist mie entendre à eaz, si lur plaist ravir avec
eaz ceaz à oui il sunt acompangniet. (M. s, J. p. 466.)
Mais sainz Paules, à oui totes choses îoisent ne soi met desoz la
posteit de nule d'eles. (Ib. p. 472.)
Ha! sire, pour Diu! ne vous poist.
Que plus séjourner ne me loist. (R. d. 1. V. v. 5000. 1.)
Kar leist à faire damage à altre pnr pour de mort. (L. d. G. 184. p. 38.)
Haute est mult l'ovre e la matire,
Et si i aurait trop à dire,
E mei ne Ust pas demorer,
Car mult i a de el à parler. (Ben. I, v. 179-82.)
Et quant lui loist faire ce ke li plaist, si penset ke bien loiset
kanke lui plaist. (M. s. J. p. 472.)
Nés li parlers en est vilains.
Mais à parler en loise au mains,
Por ce qu'à faire pas ne plaise
Et por baïr si cuisant aise. (Ben. t. 3, p. 529.)
Luise, dans l'exemple suivant, est la forme loise écrite avec
un u normand, au lieu que la véritable forme de la Normandie
devrait être leise, dont je n'ai pas d'exemple.
Recevez les vostre merci,
Et sis me faites bien garder
Tant que mei luise retomer
De Mech où je sui esmeuz. (Chast. XIII, v. 208-11.)
Cil del chastel point ne s'i feignent,
Lor enemis as cbans empoignent;
Si ne lor lut, tant i tornassent
Que lor abatuz en levassent. (Ben. v. 28358-61.)
(l) La plupart de nos lexicographes font dériver très - maladroitement loisir du latin
otium, dont en aurait formé oisir, puis, en préposant l'article, loisir!!
174 DU VERBE.
Oiant tos ciaus qu'iSstre là Uut. (Phîl. M. v. 4609.)
n me requist ententivement ko li ïeust aler en Bethléem. (Q. L.
d. E. I, p. 80.)
Confession li leust demander. (Ch. d. R. Inti-. XXVI.)
Je n'ai pas d'exemple du participe passé: leu (?).
Ne avez vous point leu quoi David fist quant il familla et coos
qui ovec luy estoient: corn il entra la maison Dieu et maungea les pains
de proposition que ne Usoit à li raaunger. (Roquefort, s. V. lisait.)
Buer seroit née qui à tel ch.evalier
Seroit amie et espouse à mollior;
Qui le loroit acoler et baisier
Miex li volroit que boivre ne mengier ! (R. d. C. p. 219.)
Remarquez la locution loïst à savoir, qui répond au latin
scilicet. (Voy. Roquefort, s. v. dessovre.)
Le verbe loïre était eocore d'un fréquent emploi au XYI®
siècle.
METTRE (mittere).
Ce verbe a eu pour formes: mattre^ dans la Bourgogne
proprement dite, la Franche -Comté, la Lorraine et une partie
de la Champagne; mètre, dans les autres provinces. Dès le
milieu du XIII'' siècle, on écrivit maître.^ au lieu de mètre, dans
les provinces où Ye se pronoçait très -large, dans le Hainaut
et la Flandre orientale surtout. Cette orthographe pénétra plus
tard jusque dans l'Ile-de-France; c'était aussi celle de la Lor-
raine, de la Franche -Comté et du Comté de Bourgogne vers
1300^. Maître, en ce dernier cas, ne représentait sans doute
pas mètre quant à la forme ; c'était une diphthongaison de matre.
On voit enfin paraître, à la même époque, mestre et mectre.
Eswarzent et si saichent c'un ne doit ne l'un ne l'atre mattre à
nonchalor quant om lo puet faii-e. (S. d. S. B. p. 544.)
Nul ne doit maître porc en lad. forest, fors que notre homme de
la ville de. P. (Poligny), sauf ce que nos eu y poons matre en notre
conduit. (1292. M. d. P. II, p. 558.)
Pour celé guerre maître à fin. (Phil. M. v. 2179.)
Et fist li dus faire un sarku
A sun oes et maître en .i. liu,
Et cascun jour veoir l'aloit. (Ib. v. 15168-70.)
Si commande la table à mètre. (R. d. 1. Y. v. 483.)
Por ço voel, par envoiseure,
En escrit mètre une aventure. (P. d. B. v. 69. 70.)
Et force n'i voust mestre mie. (R. d. S. G. v. 411.)
Li anpereres la fist mestre el feu, et la fist ardoir. (R. d. S. S. d. R. p. 76.)
(l) Les Bourguignons disent encore je mai, tu mai, ai 7)iai,
DU \EBBE. 175
Présent de l'indicatif: 7nat, met^ en Picardie, mech^ mec;
maz^ mez, mes; mat, met; matons , metons; mateiz, meteiz^ metes;
matent, metent — et les variantes en ai radical. — Impératif:
met, etc.
Ju ki ne sai assi cum niant et ki alkes cuyde savoir, ne me puys
coisier, anz m'abandone et mat avant effronteiement et sottement.
(S. d. S. A. p. 553.)
Car je y met cuer et corps et désir. (R. d. C. d. C. v. 840.)
M'ounor, mon cors, m'ame et ma vie
Mech hm en vostre avoerie. (Poit. v. 544. 5.)
Respundi li prophètes: Met devant le pople, si mangerat. (Q. L.
d. R. ly, p. 361.)
Met les ensanlle , amiraus gentis hon. (0. d. D. v. 2543.)
Urrake, dist il, est ce voir, | U te me mes en faus espoir
Que ma dame face pardon
A son serf de sa traïsson? (P. d. B. v. 6057-60.)
Si ne te mez en sa manaie. (Ben. v. 21119.)
Se tu nos mez hors de prison. (St. N. v. 526.)
Et s'il me mait en prison jouste soi. (J. d. B. v. 294.)
Li chevaliers au filz l'empereor met pie à terre. (R. d. S. S. d. R. p. 76.)
Si lur dist: Metums nus en fuie hastivement, que Ahsalon ne vienge.
(Q. L. d. R. n, p. 174.)
Vos ki coneisseiz vostre exil, et ki nel matteiz mies en obli, oiez,
car de ciel vos est venue le aiue. (S. d. S. B. p. 546.)
Atant se metent li trahitour à la voie apries nos chevaliers.
(H. d. V. p. 209, XXIII.)
Mors est, n'i a cel ne le plagne.
Mais sour le conte de Canpagne
Maitent sa mort tout li baron. (Pliil. M. v. 28131-3.)
Présent du subjonctif: matte, mette, mete, mèche, mece, maice.
Respundid David al prophète: Jo sui mult en destreit, mais mielz
est que jo me mette en la manaie e as mains nostre Seignur. (Q. L.
d. R. II, p. 217.)
Robin, vens tu que je le (le chapelet) mèche
Seur ton chief par amourete ? (Th. Fi-. m. â. p. 108.)
Par nos te mande et te desfant.
Et sacent tuit chertainement.
Que en France ton pie ne metes
Ne ja de ce ne t'entremetes . . . (Brut. v. 12120-3.)
Il covient ke devant totes altres choses nos mattet lo nom de sal-
veteit li engles de gi-ant consoil. (S. d. S. B. Roquefort, s. v. matre.)
A paines prent ele onques pain,
Que li dus n'i mèche sa main. (Poit. p. 8.)
S'en prions à Dieu bonement
Que s'anne mece à sauvement., (Chr. A. N. III, viij.)
176 DU VERBE.
Cil Diex ki fist pardon Longis
Maice vostre arme en paradis. (Phil. M. v. 9234. 5.)
En pareis les metet en seintes flurs ! (Ch. d. R p. 85.)
Et qui nos toz mete en son règne ! (Romv. p. 424, v. 33.)
Ensi ke nos en nule manière ne maitiens en négligence les péchiez
d'entermeteit et de nonsachance. (S. d. S. B. Eoquefort, s. v. matre.)
Li rois por amor Dieu le voir
Lor ciet as pies et si lor prie
Qu'il le mecent en lor navie. (Chr. A. N. p. 78.)
Je lo qu'il mechent en estui
Lor lanches et lor escus nues. (E. d. 1. V. v. 5979. 80.)
Parfait défini: mis.
Quant jo en mon consel le mis,
Haut le levai et fis justise. (P. d. B. v. 2552. 3.)
Rien seustes où je le mis. (R. d. S. G. v. 2272.)
"Vrais Dex, qui le mont esteras,
Et l'air de la terre eslevas
Et el chiel les angeles mesis,
Esperitelment les fesis,
A grant merveille furent biel. (R. d. 1. V. p. 242.)
Mult te devreit bien remenbrer
Quel otreiance tu feis , | Ne savoir que tu prameis
De la corone e del reaume. (Ben. v. 37147 - 50.)
De la bataille jor meis
E à cel jor terme assois. (R. d. R. v. 13051. 2.)
Sis descunfist e à glaive en ocist, e en fuie les mist (Q. L. d. R.
I,p.74.
La reyne mist el batel,
Haveloc tint souz son mantel. (L. d'H. v. 101. 2.)
E par coste cuvenance meimes mun fiz à quire, sil manjames.
(Q. L. d. R. IV, p. 369.)
Vaspasyens leur demanda:
Eu il morz ainçois qu'il fust là,
Et se vous avant l'oceistes
Et puis en la tour le meistes?
— Nennil; meis fonnent le batimes
Et puis là dessouz le meismes
Pour les folies qu'il disoit
Et que à nons touz respondoit. (R. d. S. G. v. 1984-90.)
Vos me meistes à escole. (R. d. S. S. d. R. p. 73.)
Moult mesistes France à segur
Quant conquesistes Somegur. (P. d. B. v. 9259. 60.)
En croix vos mistrent li mal Jui félon. (G.d. V.v.2841.)
Sor ces six mistrent lor affaire entièrement. (Villeh. 434*^.)
Li fil Herbert orent le liu molt chier.
DU VERBE. 177
Mai*seiit i misent qui fu mère Bernier,
Et .G. nonains por Damerdieu proier. (R. d. C. p. 59.)
Nostre message i vmrent, et li Griplion les misent dedens le bourc
sans autre noise faire. (H. d. Y-. 505 ''. 506*.)
Par pluisors fois i missent paine;
Mais aine n'i orent bone estraine. (P. d. B. v. 8947. 8.)
Si misrent mineurs par desous teiTe, pour le mur faire verser.
(Yilleh. p. 116. CXLII.)
Leur oistes vous unques dire
Pour quoi le mirent à martire? (E. d. S. G. v. 1069. 70.)
Imparfait du subjonctif: mesisse , meisse.
Si bien avisée vous croy
Que pas ne cuidies qu'endroit moy
A telle amour je me meisse. (E. d. C. d. C. v. 5113-15.)
Ja de ço ne m'entremesisse,
N'en estudie ne me mesisse,
Si ne fust pur vosti-e prière. (M. d. F. II, p. 412.)
Por ceu commandet om à Ananie k'il sa main mesist sor saint Pol,
mais cil, si cum saiges, et ki bien estoit apris, ne volt mies aparmenmes
faire ceste cbose. (S. d. S. B. p. 560.)
Lendemain li dis que le suen fiz meissums à quire, e ele si l'ad musced.
(Q. L. d. E. lY, p. 369.)
Ne devriez, pour mil mars d'or, penser
Qu'i meissions trois deniers menées. (G. 1. L. I, p. 6.)
Mais miex est que en aventure
Nous metons, que tel créature
Et qui tant nous a fait de biens
Mesissons en si fors liions. (E. d. L M. v. 3787 - 90.)
En mi les près, par d'autre part,
Se vous i meissies esgart,
Yeissies en .1. lieus
Les gTans caudieres sur les feus. (Ib. v. 7815-8.)
Certes, se vous m'en creissies,
Ja ne vous entremesisies. (E. d. 1. Y. p. 18.)
Ja meissent Berart en maie sospecon
Qant François le secorrent à coite d'esperon. (Ch. d. S. I, p. 143.)
Eova qu'il se mesissent eramment el retur. (Th. Gant. p. 112, v. 18.)
Le texte des M. s. J. , publié par M. Leroux de Lincy , donne
la forme metissiens , au lieu de meissiens ou mesùsïens. Je ne
suis pas à portée de vérifier l'authenticité de cette orthographe ;
mais quand même le manuscrit porterait metissiens, on devrait
regarder le t comme fautif. (Voy. cette forme dans un exemple
cité t. 2, p. 172, L 25.)
Le futur et le conditionnel du verbe mettre se trouvent
souvent écrits: materai, meterai, mater oie , meteroie; cependant
Burguy, Gr. de la langue eVoïl. T. H. Éd. III. 1^
178 DU VERBE.
matrai, métrai, matroie, metroie, sont plus ordinaires après le
milieu du XIIF siècle.
Mais ju lairai or ester lo los , et si materai avant les periz ki sunt
en ceste voie. (S. d. S. B. p. 567.)
Jou meterai toute ma terre
Contre la soie. (E. d. 1. V. p. 17.)
Com je vous métrai en couvent. (R. d. 1. M. v. 5836 ; cfr. 917.)
Puet c'estre que cist rois me matra an prison.
(Ch. d. S. II, p. 85.)
Où entrastes hors vus mettruns. (M. d. F. Il, p. 445.)
Quant il vus mettrunt en turment. (Ib. ead. p. 441.)
Ço est encuntre lur ydles e lur fais deus, kis meterunt à plur e à
plainte e à desfaciun. (Q. L. d. R. Il, p. 139.)
Sachies de fi que pour desfendre
I meteroie le mien cors. (R. d. 1. Y. v. 1654. 5; cfr. 4460.)
Ja n'i mettroie vaillant un angevin. (G. 1. L. I, p. 7.)
S'avenoit cose que l'eusses tocMe,
Jamais en France ne metroies le pie. (0. d. D. v. 4275. 6.)
Tu en metreies bien tel uit
En la boche com je serai. (Chast. XIX, v. 72. 3.)
Et li castelains Hues lor dist qu'oncques de chou ne feussent en
doutance, que ja n'i meteroient les pies. (H. d. Y. p. 209, XXIII.)
Cil vous metroient el torment. (FI. et Bl. v. 1034.)
Imparfait de l'indicatif: metoïe (R. d. 1. Y. v. 2245), mettoïe
(R. d. C. d. C. V. 3936), meteïe (Chast. XXI, v. 60), etc.
Participe passé: mïs.
Par lor gre se départent, au retor se sont mis. (Ch. d. S. I, p. 154.)
Remarquez les expressions:
Mettre jus: a) mettre bas, à bas, poser, déposer.
Mangierent ambedui ensamble . . .
Et la dame en une ele moi-t
Et puis tantost l'a mise jus. (Poit. p. 8.)
b) abolir, éteindre.
Le comte feit crier que il mectoit jus touts les subsides , impositions,
quatriesmes et autres debittes; et pareillement avoit fait mectre jus à
Peronne et à Mondidier.
(Mém. de Jacques du Clercq , 1. Y, ch. XXX. Ed. Buchon.)
Mettre jus V oreille , se coucher.
Si s' endormi, ne fu mervelle,
Des qu'ele ot jus mise l'orelle. (Roi Guillaume, p. 57.)
Le peuple de certaines provinces dit encore dans le même
sens: se mettre sur Vm'eille.
Mettre sus, sur, établir, réparer; lever (0. d. D. v. 6948);
charger qqn. de qqch., imputer; s'en rapporter à un arbitre.
DU VERBE. 179
Tous le bestans de nos dous meteroie
Sor la belle k'ensi nos ait melleit. ("W. A, L. p. 51.)
Car sus autre dame nel meteroie. (Ib. ead.)
Des ke sor vos ai vdse la tenson. (Ib. ead.)
Mettre en ne ou en ni, nier, s'inscrire en faux.
Cfr. Eissi cmn retrait li Latins,
De veir, senz mençonge e senz ni. (Ben. v. 40844. 5.)
Mettre à un, risquer, hasarder (jouer à quitte ou à double.)
Va, dist li il, cum que t'en prenge,
Si te combat e si nos venge ;
Met tôt à un, qu' eissi le voil.
Si fai remaindre cest orguil. (Ben. v. 32010-3.)
Des composés de mettre, je citerai:
Démettre, écarter, empêcher, détruire, sauver, excepter.
Por ce vos di qu'en cest escrit
Aura maint bien et maint mal dit:
L'un et l'autre meti'ons en leti'e
Por faire bien et mal demetre. (P. d. B. v. 129-32.)
Se vous voles, nous l'i métrons:
Ensi de mort le demetrons. (E. d. 1. M. v. 3755. 6.)
Tote fu l'ovre od tant démise. (Ben. v. 20844.)
Qu'eissi le voleit le rei Herout,
Que tuit fussent en renc assis
Et H dizains fust sol demis. (Ib. v. 34081 - 3.)
Asez est fels ki entr'els se démet. (Ch. d. E. p. 116.)
Cfr. le passage suivant où se desmettre a la signification de
se conformer, s'abaisser.
Il fault se desmettre au train de ceulx avecques qui vous estes , et
par fois affecter l'ignorance. (Montaigne , Essais III, 3.)
Admettre, avancer tête baissée, se baisser, s'ébattre, s'élancer.
Je le voi là, ce m'est avis,
Lez le fosse tout ademis. (E. d. Een. I, p. 218.)
Cfr. ibid. t. m, p. 326, v. 28761.
Al tierc trestor fort s'ademet.,
Si lor ocit le bel Sauret,
Nief Somegur et fils son frère. (P. d. B. v. 2221-3.)
Il s'ademet, par grant vertu,
Fiert le sodan sor l'elme agu,
Que une gi-ande partie en trence. (Ib. v. 9869-71.)
François m'enchausent : vez les toz ademis. (G. d. V. v. 1481.)
Tant a aie et sus et jus
Que droit au manoir est venus,
Puis s'est devers le bosquet mis.
Et vers l'uisset s'est ademis. (E. d. C. d. C. v. 2439-42.)
12*
180 DU VEBBE.
La signification ^ademetre^ dans le passage suivant, est la
même que celle de demetre.
Li une al autre creantera
A cheli ù premiers venra,
K'en cel vregie terme li mèche
Et nous toutes sans ademetre,
Et si faisons savoir le jour,
Toutes i serons sans séjour. (L. d'I. p. 13.)
Admettre, confisquer. V. Eoquefort, supplém. s. v.
Esdemettre, s'élancer avec violence, bondir, abandonner.
Sun bon ceval i ad fait esdemetre. (Oh. d. E. p. 63.)
Entremettre , entremettre, tenter de, mêler, donner ses soins;
s'employait ordinairement avec le pronom réfléchi, comme
aujourd'hui.
Li apostoille se est entremis. (Ben. t. 3, p. 623.)
Quant hom mix vaut et il doit vivre,
Dont t'entremes de lui ocirre. (FI. et Bl. v. 757. 8.)
Ele apelat un suen varlet
Puis si le dit ore fentremet
Que mis cisnes seit bien gardez,
E ke il eit viande asez. (M. d. E. I, p. 342.)
Cfr. : Il (Lycurgus) a à bon droict surmonte la gloire de tous ceulx
qui se sont jamais entremis d'escrire ou d'establir le gouvernement
d'auscun estât politique. (Amyot. Hom. ill. Lycurgus.)
Au temps mesme qu'il (Selon) s'entremettoit plus avant du maniement
de la chose publicque , et qu'il composoit ses loyx. (Ib. ead. Selon.)
Entremettre s'est employé aussi dans le sens de dïscofitïnuer,
interrompre^ cesser, au lieu de intermettre.
(Le roy Numa) pensa, qu'il falloit que ses subjects ne veissent ny
n'ouyssent rien du service divin par manière d'acquit, en faisant austre
chose , ains vouloit qu'ils entremeissent toute austi'e besongne. (Amyot.)
Hom. ill. Numa Pompilius.) ^
Au lieu de ^''entremettre , on trouve ^''enmettre.
Car ne m'est vis qu'en aies tort
Quant ci vos enmetes si fort. (P. d. B. v. 3565. 6.)
Malmettre , maltraiter ; dissiper , tomber en ruine ; déshonorer,
avilir.
Gardeiz k'il soit et retenus et pris.
Mais k'il ne soit ne blesciez ne malmis. (G. d. Y. v. 528. 9.)
Si la gerpun qu'ele ne seit prise,
Tute nostre ovre en ert malmise. (Ben. v. 4331. 2.)
Or vos volez del tôt maumettre. (Ib. v. 14552.)
Mesmettre, se mettre mal, faire un mouvement nuisible.
DU \TEEJ3E. 181
Mais kant ce vint à l'asenblee,
Une wespe s'est desseuree,
Si puint le cMrf par les costez
Et il sailli si effreez
Qu'il se mesmit vileinement
Et la bende desrimt e fent. (M. d. E. H, p. 244.)
Pramettre , promettre , promettre.
Plus grant chose n'os puis ne maire
Offrir, iwamettre hq doner. (Ben. v. 9057. 8.)
Promatoît (S. d. S. B. p. 546.)
Berart de Mondidier l'avoit Karles promise. (Ch. d. S. I, p. 41.)
Il ne faut pas confondre ce mot avec ^remettre , qu'on trouve
plus tard et qui signifie préserver, mettre avant tout à Tahri,
préférer à tout.
Reinettre, fondre, disparaître, s'anéantir.
Lor puins tordent dedens lor tentes
Les dames ki molt sont dolentes,
li vif lour mors amis regretent,
En lai'mes de doloui- remetent. (R. d. M. p. 76.)
La caroigne ont molt honorée
Et de très chier bausnie embasmee,
Que porrir ne puist ne remetre. (Ib. p. 78.)
Cfr. Eoquefort s. v. remetre.
On trouve, dans la Ch. d. R., demïse employé dans le même
sens que remise.
Issi est neirs cume peiz ki est démise, (p. 58.)
Tramettre, v. ci -dessous les verbes composés avec la pré-
fixe très.
MOUDRE (v. fo.) , molere.
La forme primitive de ce verbe a été moire, qui prit un d
intercalaire : moldre. Mais dans quelques provinces , en Picardie,
dans le nord de l'Ue - de - France et de la Champagne surtout,
au lieu d'introduire le d, on assimila la lettre / au r, et l'on
eut morre, qu'on trouve écrit moins régulièrement more. A
l'ouest de la Picardie , de l'Artois et en Flandre , on remplaçait
Vo de morre par au, d'où maurre, maure., formes qui passèrent
dans l'Ue -de -France pendant la seconde moitié du XIIP siècle.
Vers 1250, moldre subit aussit un changement; il perdit son /,
principalement au centre et au sud de la Champagne : modre,
qui, à son tour, donna naissance à une forme en au: maudre.
Enfin le l de moldre éprouva son fléchissement ordinaire en
u: moudre.^ forme très -rare au Xni® siècle; et Vo de morre
182 DU VERBE.
s'assourdit en ou: mourre. Au XIV" siècle, apparaît mieurre.
Yoy. Koquefort, supplém. s. v. mïeure.^
Li dus ot puch, corde, selle et trallier,
Molin et for, et ble en son gemier;
Quant il velt moire, par soi le va cargier. (0. d. D. v. 8347-9.)
Fist de sanc saillir plein boisel,
Par le champ en cort le ruisel,
Si c'un molin en peust moldre. (Ben. t. m, p. 371.)
Tant i ferra . chascuns dou bon branc acerin,
Que dou sanc de lor cors porront modre moHn.
(Ch. d. S. I, p. 210; cfr. n, p.66.)
Et s'il advenoit que gie n'ausse assez fors et molins à Collomiers,
il ferrent morre et cuire au regard .... (1231 ? H. d. M. p. 128.)
.... De morre ne de cuire à nos molins et à nos forgs. (1292. M.
s. P. n, 558.)
On voit , par ce dernier exemple , qu'à la fin du XEI" siècle,
la forme morre avait acquis une grande extension.
Il a molt ble chi devant vous
Que doivent maure devent vous. (R. d. M. d'A. p. 2.)
Les formes du présent de l'indicatif de ce verbe se rappor-
taient toutes à l'infinitif m,oIre , et diphthonguaient régulièrement
Vo en ue , qu'on renversa plus tard en eu , d'où l'infinitif meurre,
mieurre^ dont j'ai parlé ci -dessus. — L'imparfait de l'indicatif
était: moîoie; le parfait défini: molui; le participe passé: 7noîu^
moulu; le futur et le conditionnel avaient des formes correspon-
dantes à celles de l'infinitif.
Seignor, j'ai encor ti-ois molins
Molanz farine , mueïent tuit. (F. et Cent. I, p. 244.)
A Aleus estoit il manniers,
Le ble moloit il . . . (E. d. M. d'A p. 1.)
De maintes viles i ot gens
Qui au molin moloient sovent. (Ib. p. 2.)
Mais vous morres qant jou porrai. (Ib. ead.)
Il i cuiront tuit et marrant. (H. d. M. p. 128.)
Et est à scavoir que li borjois de CoUomiers cuiront et mourront
à mes fors et à mes molins par autel marcbie cum as autres. (D). ead.)
Mouses ot ja moulut grant piecbe. (R. d. M. d'A. p. 2.)
Moldre avait aussi la signification: emoudre, aiguiser, affiler,
comme le composé esmold/re.
Tuit aquiterent le païs
E rescustrent as branz moluz. (Ben. v. 36139. 40.)
Li vos haubers n'a pas mon colp tenu,
(1) La conjugaison actuelle de moudre est un mélange des formes moldre et moire.
DU VEEBE. 183
Et si disies ne cremies un festu
Ne fier, n'espie, tant par fust esmolu. (0. d. D. v. 11376-8.)
Li fers en fu Ions et agus
Et bien trançans et esmolus. (Brut. v. 14699. 700.)
NAITRE (v. fo.), nasci.
La forme primitive de ce verbe a sans doute été, nascre,
naxre^^ d'où, avec t intercalaire, nastre. La Normandie propre
pourrait avoir eu nascer.
Por ceu volt il en ten-e dexendre et ne volt mies solement dexendre
en terre et nastre, anz volt assi estre conuiz. (S. d. S. B. p. 550.)
Par suite de l'influence des formes renforcées de l'indicatif,
on introduisit, dès le premier quart du XIEI^ siècle, la
diphthongaison ai à l'infinitif: naistre^ qui prit les variantes
orthographiques neutre^ nestre. Nestre en quelques cas qui se
rapportent aux provinces limitrophes de la Normandie, peut
dériver aussi de nastre^ par l'affaiblissement de Va.
Cil qi à naistre sont plaindront ceste jomee. (Ch. d. S. Il, p. 132.)
Quant pour homme si soutiument
Veut en terre neistre de mère
Sanz nule semence de père. (E. d. S. G. v. 3600-2.)
E cens qui de nos sunt à nestre. (Ben. v. 3198.)
Le présent de l'indicatif se conjuguait d'abord régulièrement
fort: naïs^ nais^ naist., nassons^ nasseïz, naissent; mais les deux
premières personnes du pliu'iel prirent la diphthongaison aussitôt
qu'elle se fut introduite à l'infinitif. Il va de soi que les formes
neistre, nestre, étaient aussi représentées à l'indicatif.
Nekedent li naist encor de le ancieneteit de vie ce ke il soffret.
(M. s. J. p. 483.)
Il avient sovent que par l'eslection dou prier neissent grant escandre.
(Roquefort, s. v. prior.)
L'isle qui nest en la mer, qui n'avient pas sovent, est à celui qui
la porprant. (Ib. s. v. nestre.)
La forme pure, c'est-à-dire sans diphthongaison, se conserva
assez longtemps au futur, cependant naistrai fneistrai., nestraij
était la forme ordinaire au milieu du XIII® siècle.
Jamais ne naistra nus hom teus. (P. d. B. v. 3528.)
Tuit cil qui al siècle nastront. (Ben. v. 25609.)
Cil M sunt ne e nasterunt. (R. d. E. v. 7012.)
Ains nestront tuit en vie glorieuse. (C. d. C. d. C. p. 86.)
(1) Roquefort, s. v. naistre, cite un exemple de St. Bernard où se trouve la forme
naixre, qui ne me semble pas exacte; car à l'époque où l'on écrivait et prononçait
naxre, l'infinitif n'avait pas de diphthongaison , puisque le même texte porte encore
nastre.
184 DU VEKBE.
Parfait défini: nasqui fnasqi, naski) ; en Picardie, naschi.
Lasse! fait ele, pur quei nasqui? (Trist. Il, p. 115.)
Qant je nasqi de mère, ce fu grant tenebror.
(Ch. d. S. II, p. 148.)
(Glorious Deus M)
Dedans la virge preis anuntion,
Si en nashis en guise d'anfanton,
En Beliant, ke de fi le seit on. (G. d. V. v. 2827-9.)
Tu dis ke samedi nasJcis. (R. d. E. v. 13063.)
Dès celé eure que tu naschis. (R. d. S. G. v. 3326.)
Car al terme que il nasqui
Morut la mère, et il vesqui. (Brut. v. 131. 2.)
Ne nasqui plus large almosnier. (Ben. v. 20934.)
A que faire nasquimes nos ? (Ib. v. 24332.)
Ha! douce riens cruels, tant mar vos vi,
Quant pour ma mort nasquites sanz merci. (G. d. G. d. G. p. 43.)
Participe passé: neït, ne, et, par analogie au parfait défini,
nascut, nascu, surtout dans la Normandie, le Maine, l'Anjou
et la Touraine. (Cfr. le provençal nat et nascut^ Nascut gagna
plus tard du terrain, et, après le XUI® siècle, on le trouve
même avec la forme nasqui.
Et as pastors assi anoncet li engeles grant joye de ceu que li
Salveires estoit neiz. (S. d. S. B. p. 548.)
Neiz suix de Gènes, filz au comte Rainier. (G. d. V. v. 91.)
Vallès fu nés de la payene. (FI. et Bl. v. 169.)
Je ne sai où ele fu née. (R. d. 1. M. v. 1549.)
Liez ert li duc del champ vencu.
Liez est del eir qui est nascu. (Ben. v. 9752. 3.)
Qui porreit dignement parler | Ne enquen-e ne porpenser
Savoir coment d'eternau fu
Goeternaus de lui nascu? (Ib. v. 24003-6.)
Deus del père senz tens nascuz. (Ib. v. 24021.)
Pour les composés: ainsne ^ mainsne, malne, voy. les Adverbes
ains.^ moins, et le Glossaire.
L'ancienne langue avait le verbe
IRAISTRE (irasci),
qui était sans aucun doute un verbe fort et se conjuguait
exactement comme naître; c'est ce que prouvent les formes
suivantes, Iraistre signifiait irriter, mettre en colère, ou bien
rendre triste.^ chagrin.
Mais encor le fera iraistre
L'aloe et molt fort dementer. (R. d. 1. V. v. 3906. 7.)
Mort m'a qui si l'a fet irestre. (Roquefort, s. v. irestre.)
Mais tant vos voil dire e mostrer,
DU \^RBE. 185
Por amor del père le lais,
Qu'en autre sen ne m'en irais, (Ben. v. 13156-8.)
Si n'i out une puis autre plait
Mais del eissir senz demorance,
Od grant pour e od dotance
Que li dux od eus ne s'iresse. (Ib. v. 10496-9.)
Iraissez e ne vuillez peecher. (Eayn. Lex. rom. ni, 575. 1. o.)
Quant au participe passé, on trouve deux formes: irascut
et ireit^ trie, ire ^ dont la signification est absolument la même,
et l'on doit se poser la question: Irascut et ireit sont -ils, comme
neit et naseut, des formes d'un seul verbe; ou bien irascut
est- il le participe passé d^iraïstre, et ireii firie, ire) , celui du
verbe irer^ qui se montre aussi au XIIF siècle? J'admets la
première hypothèse, c'est-à-dire que «mi( et «V«;stfw^ appartiennent
au verbe iraistre. Ireit a été formé de iratus^^ comme neit de
natus; et irascut, de même que naseut^ d'après les radicaux des
verbes /m«a, nasci, d'un participe équivalent à ^V«sc^^ws , nascitus
(cfr. nasciturus) ,^ selon l'analogie du verbe vivre. (Cfr. henescut^
vencut?)
Le verbe iraistre (irascre , iraxre^ ir astre) paraît n'avoir pas
été très -populaire; car, au Xlir siècle, il tombait déjà en
désuétude : l'infinitif est peu commun , les autres formes très -
rares, à l'exception de celles du participe passé, qui étaient
d'un fréquent emploi et passèrent aux âges suivants. C'est à
cette circonstance, sans doute, qu'on doit la création d'un
nouveau verbe, foi'mé d'après l'analogie du participe ireit et
des autres mots de la même famille {iror, iros^ etc.). Le verbe
irer (prov. irar; anc. esp. , port, irar; it. irare) ne se montre
en effet que vers la seconde moitié du XIII* siècle.
Je dois encore faire observer que le participe irascut ne se
restreint pas à l'ouest de la langue d'oïl, comme le participe
naseut.
Ne volt le rei d'Escoce irer en nule guise. (Ben. t. 3, p. 562.)
Et quant il plus i perdent, et il plus s'en irent (R. d. R. v. 1692.)
Raoul le voit, le quer ot irasqii. (R. d. C. p. 58.)
Cil Gantiers fu fiers et irascus. (Ib. p. 174.)
Par ma fei ! dist li reis, mult m'aveiz irascud. (Charl. v. 53.)
Crient vers lui seit mult irascuz,
Mult enchaeiz e offenduz. (Ben v. 9430. 1.)
Li reis l'entent , forment s'en est ire. (Ib. t. 3, p. 560.)
Cil M le cuer ot irascu
De bon signeur k'il a perdu
Par mort qui maint home a irie. (Cité ds. R. d. C. p. 175.)
Sire quens, funt il, n'os plaigniez
Ne ne seiez vers nos iriez. (Ben. v. 5581. 2.)
186 DU VEEBE.
OCCIEE (occidere).
Ce verbe s'orthographiait ordinairement ocire, dans la Nor-
mandie; ocMre et ochirre^ dans le dialecte picard; occirre, au
nord de l'Ile-de-France et à l'est de la Picardie propre; octre,
dans le dialecte bourguignon. Yers le milieu du XIII* siècle,
en Bourgogne et en Champagne, on remplaçait d'ordinaire le c
par ss au participe passé, ce qui n'implique aucune différence
de prononciation. (Cfr. le provençal aucir , aussir ^ ausir). A
la fin du XIII'' siècle , " on voit paraître , à l'ouest de la Picardie,
dans l'Artois, la forme ocierre^ occiere^ qui passa dans l'Ile-
de-France, où eUe était fort en usage au commencement du
XIY^ siècle. Un peu plus tard, on prit l'habitude de rapporter
aussi ocire à la seconde conjugaison, et la forme de ce verbe
flotta longtemps entre occire et occir. ^
Celi ki la mort Saul me nunciad, ki quidout que nuvele ki mult
me ploust portast, jol fiz prendre e ocire. (Q. L. d. E. II, p. 135.)
Sire empereres, dist li Danois Ogiers,
Ben me poes ochire et detrenchier. (0. d. D. v. 118. 9.)
Car il quidoient sor France gaagnier,
Kallon ochirre e François detrenchier. (Ib. v. 1076. 7.)
Et par si soit fais li recors
S'il me puet occirre et conquerre,
Que vous et toute vostre terre
Seres à son commandement.
(E. d. 1. V. V. 1656-9; cfr. E. d. M. p. 66.)
Si com Diex le volt , si se deconfisent li Grieu , et les comencierent
à batre et à ocire. (YiUeh. 472 «; cfr. E. d. C. p. 187.)
Un Engleiz a li dus veu,
A li ociere a entendu. (E. d. E. v. 13910. 1.)
Occierre (E. d. 1. E. v. 12085.)
Les exemples suivants donneront une idée de la manière
dont se conjuguait le verbe ocire.
Jai l'eust mort ossis et affole,
Com li escrie: Frans hom, ne m'ocieiz. (G. d. V. v. 774. 5.)
Les miens ocient
Sauz ce que pas ne me desfient. (Eutb. I, p. 78.)
Tout à fait qui li un les abatoient, sont aparilHe li autre qui les
ocUent. (H. d. V. 495 ^)
Et s'il est ensi toutes voies que nous nous entreochions en tel
manière, dont n'y a il plus mais que nous tout avant renoions Nosti-e
Signour. (Ib. 501^)
(1) Si l'on trouve ocir dans des textes du Xin« siècle, on à tout lieu de douter de
l'authenticité de la forme, à moins que ces textes n'aient été écrits sur les frontières
de la langue d'oc,
DU VEKBE. 187
E por ceo qu'il s'entretoleient,
Soventes feiz s'entreoscieient. (Ben. I, v. 545. 6.)
Jo meime Vocirai ja devant tei. (Q. L. d. R. Il, p. 187.)
Nel odres mie, par m'ame. (L. d'I. p. 24.)
Si tul veis, pur quel hastivement nel oceis. (Q. L. d. R. II, p. 187.)
.J. de mes frères oceis a l'espee. (R. d. C. p. 224.)
Cil qui tant biens faisoit, tu Yocesis sans faille.
(Roquefort, s. v. ocesis.)
Il la perdit el bruel soz la ramee
En la bataile ke molt fut redoutée,
Lai où Voeist Maucon.de Yalfondee. (G. d. V. v. 2679-81.)
Renier mon frère oceistes osi. (R. d. C. p. 222.)
Une altre compagnie s'en embla par terre, et si s'en cuida aler par
Esclavonie, et li païsant de la terre les assalirent et en ocistrent assez.
(Villeb. 444 d.)
Je ne quit mie qu'il le rendist pour cent mil besans d'or que il ne
Vocheist. (H. d. Y. 494 d.)
La reyne grant poour out | Et li prodoms qi la gardout
Que le cbastel sus eus preist
Et le fiz le roi occcist. (L. d'H. v. 83-6.)
Mais Saul enveiad ses bûmes , la nuit , à la maisun David , qu'il le
guardassent e retenissent e le matin oceissent. (Q L. d. R. I, p. 74.)
S'il fust en terre il Voeeissent
Quar il ocient
La gent qui vers aus s'umelient. (Rutb. I, p. 206.)
Si vit qu'en voie et par cemin
Ne remanoient crestiien
Que n'ocesisent li paien. (Phil. M. v. 10255-8.)
Et s'aucuns preudom i alast,
Ki la foi Dieu lor anonçast,
D Vocesisent maintenant. (Ib. v. 28205-7.)
Par le cors Deu, miez vodroie estre ossis
Et ke il fust escourchiez trestoz vis. (G. d. V. v. 2058. 9.)
Ont li Persant à la mort mise
Trestoute lor gent et occise. (R. d. M. p. 76.)
Quant Jofrois Martiaus fu ochis. (Phil. M. v. 18444.)
Le verbe ocïre s'employait au figuré, pour dire faire de la
peïne , tourmenter.
Partonopeus a son délit,
Li parlers de lui moult m^ocit;
Car il a tos biens de s'amie:
Jo n'en ai rien qui ne m'ocie. (P. d. B. v. 1873 - 6.)
Moult Vodt qu'il li a mesfet. (Ib. v. 7423.)
Au XYr siècle encore, le verbe occïre était, pour ainsi
dire, exclusivement employé pour tuer.
188 DU VERBE.
(Cato) ayant de longue main résolu de ^'occire soy mesme, il prenoit
tant de peine , et se travailloit avecques si grande sollicitude pour les
austres, affin qu'après les avoir mois en seurete de leurs vies, il se
despeschast luy mesme de la sienne. (Amyot. Hom. ill. Cato d'Utique.)
Eemarquez encore, dans cette phrase, l'emploi réfléchi du
verbe dépêcher = se défaire de.
Les composés diocire étaient:
Rocire, tuer à son tour, tuer encore, tuer une seconde fois.
Eollant ocistrent Tur, moi rociront Escler. (Ch. d. S. H, p. 120.)
Puis que Diex, por destruire pechie, volt perdre vie,
Qui pèche, il le rocist, ce semble, et crucefie.
(Eoquefort, s. v. rocir.)
S^entreocïre^ se tuer mutuellement. Y. ci -dessus.
Parocire^ achever de tuer, assassiner, assommer.
E les hummes Joab pois l'abatirent del chaidne, sil par ocistrent.
(Q. L. d. E. n, p. 187.)
Ore sunt amdiu mort abatuz
Et Ereward et U Breton,
Eaol de Dol avoit à non;
Mes Abselin le paroceist. (Chr. A. N. I, p. 26.)
PAITEE (v. fo.), pascere.
Ce verbe a eu, comme naître, les formes pastre, paùtre,
peistre, pestre.
Si demanderai ju Saint Benoit trois pains dont je vos poie pastre.
(S. d. S. B. Eoquefort, s. v. pastre.)
Si laissiez paistre un petit vos destriers. (A. et A. v. 946.)
Senz sei moveir ne senz aidier,
Senz sei ne paistre ne seignier,
Eissi cum l'estoire remembre,
Vesqui eissi desqu'em setembre. (Ben. v. 20086-9.)
De sa vie esteit commencement
De vivre tut diz honestement
Senz vilenie
De vestir e pestre poure gent. (Ben. t. 3, p. 474.)
Présent indicatif:
Dont font li filh convives par les maisons, cant chascune vertuz
solunc son pooir paist la pense. (M. s. J. p. 497.)
De la viande celestiel
Nus peist nostre Sire del ciel. (M. d. F. II, p. 481.)
Il li donet à mangier , quar il lo paist de la science de sa parole.
(M. s. J. p. 511.)
Quant plus l'esgardent, plus leur plest;
Del esgarder cascuns se paist (E. d. 1. M. v. 2335. 6.)
DU VERBE. 189
La maie garde pest le leu.* (Fabliau de la Grue.)
Qu'ele meisme les (les pauvres) pessoit. (Eutb. Il, p. 207.)
Au cheval out este la sele,
De l'erbete paisoit novele. (Trist. I, p. 81.)
Parfait défini : pauï, pau, peuï, peuch, peue, peu, pot. (Yoy.
savoir, parf. déf.)
Qant Jou eu soif et faim et froit
Jou trouvai ton ostel destroit:
Ne m'escaufas , ne me peuis. (Phil. M. v. 3064. 5 )
Disons nos dunkes celui avoir esteit avec soi ki s'en alat en une loin-
taine contreie ki deguastat la parzon cui il avoit prise , ki aerst en celé
contreie à un des citains ki paut les pors, lesquels il verroit mangier
les legims, et si auroit fain. (S. Grégoire. Eoquefort, s. v. parson.)
Vortiger mult les onora,
Et bien les pot' et abevra. (Brut. v. 6759. 60.)
Imparfait du subjonctif:
Mes sires a une levriere que il a plus cliiere que riens née ; il ne
soufferroit pas que nus de ses seijanz la ramuast de joste le feu, ne que
nus la peust se il non. (R. d. S. S. d. R. p. 45.)
Participe passé: paut, peut, peu; part, présent: paissant.
E sel varunt venant et paut, ki gisanz et paissanz ne polt estre
davant veuz. (S. d. S. B. p. 528.)
François del esgarder ont bien lor oilz peuz. (Ch. d. S. Il, p. 182.)
Ançois furent à grant délit
Bien ji^eit et s'orent bon lit. (Rutb. Il, p. 203.)
Ces exemples montrent que paistre signifiait manger, nourrir,
faire paître., repaître, donner à manger., rassasier. Dans l'exemple
de la Ch. d. S. , paître est employé au figuré où nous disons
repaître., bien que les poètes classiques se soient encore servis
de paître en ce sens, p. ex. :
Mais la dame voulait paître encore ses yeux
Du trésor qu'enfermait la bière.
(La Fontaine. La Matrone d'Ephèse.)
Se paistre., qui ne se dit aujoud'hui que des oiseaux car-
nassiers, s'est dit de l'homme jusqu'à la fin du XIIP siècle:
Mon appétit est accommodable indifféremment de toutes choses de
quoi on se paùt. (Montaigne , III, 5. )
L'exemple tiré du E. d. 1. M., donne se paistre au figuré,
(1) Ce vers est devenu proverbe.
(2) L'éditeur du R. de Brut, M. Leroux de Lincy, dérive yjof ^epotare, et il traduit
ce vers: Il leur donna bien à boire. De cette façon, abevra n'est pas rendu, ou bien
il faut admettre que Wace a exprimé doux fois la même idée, l'ot est la 3 « pers. sing.
du parf. déf, de paistre, tout aussi bien que la variante peut indiquée par M. Leroux
de Lincy , et qui'l fait également dériver de potare.
190 Dtr VERBE.
OÙ nous mettrions se repaître. Cet emploi de se paisi/re s'est
également maintenu dans la langue jusqu'après la Kenaissance,
et il explique l'usage de ce verbe dans nos locutions: 8e paître
de vent^ de chimères.
PLAIEE (v. fo.), placere.
La forme primitive de ce verbe a été plasir ou plare , d'où,
de fort bonne heure, par suite de l'influence des formes ren-
forcées de l'indicatif: /plaisir., plaire; puis pleisir., pleire., plesir,
plere. Il est assez difficile de décider si plasir a précédé flare^
ou si les deux formes ont eu cours simultanément; cependant
les formes du futur et du conditionnel semblent prouver, sinon
l'existence de^/«re, du moins l'admission mentale de la syncope
du c. Quoi qu'il en soit plasir., plaisir est beaucoup plus
commun que ploA-e., /plaire^ jusqu'à la fin du Xm^ siècle, et
les premiers exemples de la forme contracte se montrent sur
les confins de la Normandie. Plaire^ plere passèrent promptement
dans le langage de l'He - de - France , qui nous les a transmis.
L'infinitif plaisir est resté dans notre substantif homonyme.
(Cfr. l'esp. placer^ le port, prazer.^ l'ital. piacere?)
Cument purrad il à sun seignur plasir mielz que par noz testes
trancher? (Q. L. d. R. I, p. 112.)
Senz foi ne puet l'om plaisir à Deu. (M. s. J. p. 499.)
On devfoit tenir à avule
Ki de nous .ij. devroit coisir,
Se miex ne dévoie plaisir. (R. d. 1. V. p. 150.)
Ne reduta mie à suffi-ir
Peine e turment pur Deu pleisir. (M. d. P. Il, p. 437.)
Cest ovre te devreit mult plaire. (Ben. v. 21177.)
Flaisier, à la rime. (R. d. 1. M. v. 550.)
Cfr. du reste 2* conjugaison.
„ Le présent de l'indicatif se conjuguait d'abord régulièrement
fort: plas (cfr. faire) ou plais, plais, plaist^ plasons., plaseiz,
plaisent. Je ne puis, il est vrai, donner aucun exemple de
plasons , plaseiz ; mais l'infinitif plasir ne permet pas de douter
de l'authenticité de ces formes. Du reste, je ferai remarquer
que les deux premières personnes du pluriel se présentent, en
général, plus rarement que les autres.
E s'il dit que jo ne li plais, prest sui, face de mei tut sun bon.
(Q. L. d. R. n, p. 176.)
Mais tu ne plais pas as princes del ost. (Ib. I, p. 113.)
Mais il me plaist assi eswardeir la voie de son auvert avènement.
(S. d. S. B. p. 528.)
DU VERBE, 191
Si terre lur plout à destniire,
Ore lur replaist plus à estruire
E à noblement ratomer. (Ben. v. 7068 - 70.)
En un lointain reaume , si Deu pleist, en irrez. (Cliarl. v. 68.)
Moult nos plest bien, ce dient tuit. (P. d. B. v. 6489.)
Mais cant il taisieblement pensent ke il les biens ne font se par ce
non solement ke il à Deu plaisent (M. s. J. p. 463.)
La forme primitive du subjonctif a été place, eu Bourgogne
et en Normandie ; plache , en Picardie. (Cfr. faire.) Mais avant
la fin de la première moitié du XIII" siècle, on trouve des
exemples de plaise.^ c'est-à-dire de la forme renforcée; sans
que toutefois place ait cessé d'être en usage.
Ne place dam le Dieu que james me soit reprove que je fuye de
camp et laisse l'empereor. (Villeh. 475 *.)
Ço respunt Guenes : Ne placet dane - Dou ! (Ch. d. E. p. 15.)
Jai Deu ne plaice, ne le ber S. Moris. (G. d. Y. v. 1511.)
Ne place à Deu, Gerars li respondi. (Ib. v. 3550.)
Osmunt loe, joist e baise
N'oï chose qui plus li plaise. (Ben. v. 14117. 8.)
Biaus sire Diex, dit il, plaise vous que nous hui nous puissions
vengier des Blas et des Comains , s'il vous vient à plaisir. (H. d. V. 494'".)
Le parfait défini de plâtre se formait de placui, de la même
manière que les parfaits définis de savoir, avoir de sapui^ hahui;
c'est-à-dire que placui avait subi les changements ^/ae«c«, pletici,
plaui^ plau, pleui^ pleuc, ploi (pluij , plu, plou.
Car por ceu ke li mundes ne pooit Deu conostre en sa sapience,
si plaid à Deu k'il par la sottie de prédication fesist salz les creanz.
(S. d. S. B. p. 550.)
Revenir m'en voel à mon conte.
Qui ensi me trait et reconte
Que tant pleut au roi la meskine ... (R. d. 1. M. v. 1491 - 3.)
Car Nostre Seigneur ainsi pleut. (R. d. S. G. v. 1684.)
Puis, vesqui tant qu'il ot le poil flori;
Et quant Dieu plot, del ciecle départi. (R. d. C. p. 4.)
Ne lor plot plus à sej orner,
D'ilueqes se voiront torner. (Dol. p. 281.)
Al abe e as monies pZt*<multsaconpaignie. (Th. Ct. p. 90, 15.)
Ecclesial religion
E sainte conversation
Li plout sor autres desiers. (Ben. v. 8042-4.)
Mais David amad l'altre fille Saul, ki fud apelee Micol; et la nuvele
vint à Saul, e mult li plout. (Q. L. d. R. I, p. 71.)
Pur ço si apelad celé terre Chabul , kar nient ne liploiU. (Ib. lïï, p. 269.)
E ti reis Yram vint veer sa terre e ces chastels , mais nient ne li
pleurent. (Ibid.)
192 DU VEKBE.
Des (queiz) li pluisor en plus secreio vie plaurent à lui- faiteor.
(Dial. de S. Grégoire , I.)
Celés lor plurent, coles pristrent. (R. d. R v. 14134.)
Après le XI^^ siècle, on trouve des exemples d'imparfait
défini formé sur l'infinitif plaisir. (Y. Froissart.)
Imparfait du subjonctif:
Quant li rois vit Gerart venir ] Et si bielement maintenir,
Bien li fist , et miels li pïeust
Se Gerars gagnie eust. (R. d. 1. V. p. 38.)
Et cil respont: Biaus signors, volontiers:
Car pïeust ore à Diu le droiturier
Que je eusse un des menbres trancliies,
Mais qu'eussons le gentil chevalier. (G. d. D. v. 10094-7.)
Je ne poroie chose faire
Qui vous pïeuist ne deuist plaire
Que moult volontiers ne feroie. (R. d. C. d. C. v. 4913-5.)
Je passe aux formes de l'imparfait de l'indicatif, du fiitiu*
et du conditionnel.
U tôt ce ko (de) la moie occupation desplaisoit à moi.
(S. Grégoire. Dial. I.)
E s'il vous xJÏaisoit à savoir. (R. d. 1. V. p. 89.)
Mes tant li pleiseit la chançon
Que nule rien ne l'en sevrast
Tant comme la chançon durast. (Chast. YI, v. 20 -8.)
Segnor, dist il, se vos plesoit. (P. d. B. v. 6483.)
Bespunt li esquiers: Ya, e fai ço que tei plarrad, e jo partut te
siwerai. (Q. L. d. R. I, p. 46; cfr. II, p. 126.)
Si vous, à ta Danesche gent
M' envoie là où tei plarra,
Saches ja ne me pèsera. (Ben. v. 10238 - 40 ; cfr. v. 22335.)
Dunt il en purra faire tut ço que li plerra. (Th. Ct. p. 92, v. 30.)
Or, dites ce que il vous plaira. (Yilleh. p. 5. XI.)
E quanque lur plarreit tut prendreient e tut l'enmerreient.
(Q. L. d. R. m, p. 323.)
Seigneui'S baron, pleroit il vous entendre
Bone chançon bien fête pour aprendre ? (Phil. M. Intr. CLIX.)
Mult plaireit al duc son pris
Se en bataille l'aveit conquis. (Ben. v. 34735. 6.)
PRENDRE (prehendere).
Les formes de ce verbe se sont toutes dégagées de l'ancienne
forme latine contracte prendere; elles peuvent être rapportées
à trois classes fort distinctes. 1 ^. On syncopa le r radical et
le d (v. Dérivation p. 40): penre; c'est la forme bourguignonne,
DU VEEBE. 193
qui, plus tard, s'écrivit ^«^wr^ en Champagne. 2^. On syncopa
simplement Ve de la terminaison, et l'on eut prendre. Prendre
était la forme de la Picardie et de la Normandie. Dans cette
dernière province, on a dit aussi prender; en anglo - normand
prendere. Au XIII ^ siècle , on écrivit prandre dans l'Artois et
la Flandre (cfr. p. 84), orthographe qui fut aussi admise en
Champagne, lorsque la forme picarde s'y introduisit. 3^. Yers
le milieu du XIIP siècle, dans le sud du dialecte picard et le
nord de l'Ile-de-France, on syncopa le c? de la forme prend/re^
d'où prenre.
Car ne fut mies covenaule chose ke tuit aussent tôt affait dit, por
cou ke ceu nos deleitast , ke nos de pluisors puissions penre diverses
choses et rendre à un chascun tels grâces cuni droiz fust. (S. d. S. B. p. 548.)
Mais ensemble la pure intencion est assi mestiers ke li conversa-
tions soit telle k'il n'i ait ke repowe, ensi qu'il soit forme et examples
da vie à ses sozgeiz. (Ib. p. 570.)
Penre disons nos à la foiz por tolir. (M. s. J. p. 507.)
Si m'aïst Deus, vos panseiz grant folie,
Ke cuidiez panre ceste cite garnie
Par tel essaut ne par tel envaie. (G. d. Y. v. 1757-9.) J
Sou me vuet consantir Jhesu vo creator,
Cui loi je doi tenir et panre sanz demor. (Ch. d. S. II, p. 183.)
Conseil prisent quel jugement
Il poront ptrenâ/re de chelui
Ki lor a fait honte et anui. (L. d'I. p. 25.)
Qu'od jent semunse , od ost mandée,
Fiere, hardie e bien armée,
Vienge en France Humi plaissier,
Prend/re, destruire e eissillier. (Ben. v. 18148-51.)
Nos chalonjons et cil calange,
Qui tôt porra prand/re, si prange. (Brut. v. 11184. 5.)
Car bien seit que li rois Karles asamble a
Molt grant gent por li prandre se le pooir en a.
(Romv. p. 345, v. 18. 19.)
• Vaches et bues et xwenre et retenir. (G. 1. L. I, p. 167 ;
cfr. M. d. F. II, p. 372.)
La première personne du singulier du présent de l'indicatif
de prendre offre les formes: pren^ pran, praig , prenc^ preng , et,
à la fin du XIII ^ siècle, dans l'Ile-de-France, 'preing, (Cfr.
tenir, venir ^ t. I, p. 385 et p. 216.)
L'avantage pran je , ja nel qier refuser. (Ch. d. S. Il, p. 173.)
Se je repraig le tiers, Dex n'an fera néant. (Ib. II, p. 168.)
Et dist li uns : Jel prenc en main
Ke je le te ferai avoir. (L. d'I. p. 20.)
Burguy , Gr. de la langue d'oïl. T. IL Éd. III. 1 3
194 DÎT VERBE.
Quant on me fiert d'un roit espieu tranchant,
Z'enpreng vengance molttost au riche branc. (R. d. C. p. 193.)
Se je preing autre , Dex , de moi qu'iert il dont ! (A. et A. v. 1771.)
Cfr. E. d. R. V. 14331; R. d. 1. M. v. 1631. 2415: H. d.Y.513*';
Poit. p. 61; Rutb. I, p. 133. etc.
La seconde personne du singulier de l'impératif était d'ordi-
naire: pren, pran.
Pren mun hastun en ta main , si t'en va. (Q. L. d. R. IV, p. 858.)
Passe Mont (jeu, pran Lombardie. (Brut. v. 11198.)
La seconde et la troisième personne du singulier du prés, de
l'indicatif faisaient régulièrement ^r^wz^ pranz, prens , prent, prant.
Por quel prenz tu mes bues? por quoi? (Chast.XX, v.47.)
Se tu la teste à un cop ne me prens. (0. d. D. v. 11566.)
Et dist qu'ele a aillors à faire,
Et prent congie de sa seror. (P. d. B. v. 6760. 1.)
Puis prant le blanc destrier, à Sébile le baille. (Ch.d.S.I,p.l22.)
Les trois personnes du pluriel du présent de l'indicatif, et
naturellement les deux de l'impératif, avaient pour formes:
1^ prenons, preneù, prennent, correspondantes à prenre et à
penre, car, au présent, le r rentre dans le radical; 2^ prendons,
prende%, prendes, pren dent, ou prandons^ prandes, etc. dérivant
de prendre, prandre; 3^ enfin, dans la Normandie, le Maine,
l'Anjou et la Touraine, mwsfQnt pernwn , pernom , pernez ^ pernent,
par transposition de la lettre r, fréquente dans ces contrées.
Ne prenons nos assi grant solaiz ci ... ? (S. d. S. B. p. 550.)
Sacies, à estrous le perdrons
Se hastiu consel n'en prendons. (El. et Bl. v. 291. 2.)
Nous le vous loons
Et sur nous l'affaire prendons. (R. d. 1. M. v. 355. 6.)
Prendons garde de com grant force il fut, cui li amors de tant
oir n'enclinat à avarisce d'eritage. (M. s. J. p. 443.)
Tel cunseil ore enpernum , senz estrif de atie. (Ben. t. 3, p. 538.)
Mais vos ne faites pas issi.
Par haut consel prendes mari. (P. d. B. v. 9403. 4.)
Que faites vous, boni nous ont,
Prendes les moi, mar en iront. (Brut. v. 12170. 1.)
Pernez m'as braz, si me drecez en séant. (Ch. d. R. p. 109.)
Lors dist Adam, dame, prenez
Geste brebis, si la gardez. (R. d. Ren. I, p. 3.)
Car li aguaitant visce prendent la face des vertuz , mais anemiable-
ment nos fièrent. (M. s. J. p. 453.)
Atant se prendent à consillier,
A ce consel en sont aie. (R. d. M. d'A. p. 14.)
Yenent en Jerico , palmes i pernent aset. (Charl. v. 242.)
►
DU VERBE. 195
Par mi les bêles praeries
Fernent Franceis herbergeries. (Ben. v. 15858. 9.)
De ceu est ceu ke li altre l'arguent et reprennent. ((S. d. S. B. p. 567.)
Atant ez vos que les guetes viennent de la vile, si le prannent,
en ce que cueuvre feu sonoit. (R. d. S. S. d. E. p. 37.)
L'ancienne langue formait le présent du subjonctif de prendre
de la manière suivante. (Voy. plus bas les verbes en . . . ndre
et t. I tenir ^ venir.)
Guidiez vos or que la croix preingne
Et que je m'en voize outre meir ... ? (Rutb. I, p. 127.)
Puis que merci ne m'i daigne valoir,
Ne sai où nul confort preiçjne. (C. d. G. d. G. p. 43.)
Jo m'ocirai por soie amor,
Ains que je prenge altre segnor. (P. d. B. v. 7077. 8.)
Mielz est que tu prenges dous talenz. (Q. L. d. R. IV, p. 364.)
Or em parlon, si te loon
Que tu tôt pr anges et tôt aies. (Brut. v. 2430. 1.)
Geste faceon levet li vrais cristiens por ceu ke nuls ne xwaignet
abuissement en lui , mais li ypocrites la defiguret quant il choses sin-
guliers enseut et k'en us ne sunt mies. (S. d. S. B. p. 564.)
Ne soit si bardiz qi à force la praigne. (Gh. d. S. I, p. 62.)
Glorious Deus , preigne vos an pitié
Des .ij. barons, où tote est m'amistie,
Ke il ne soient boni ne vergoignie. (G. d. Y. v. 2430-2.)
Le bien prainge l'en quant l'en puet,
G'on ne le prent pas quant l'en vuet. (Rutb. II, p. 62.)
Ne ja por riens c'en li apragne,
Ne laira Harpins ne la pragne. (Poit. v. 912. 3.)
Mais tôt avant comande al ame
Son cors repragne isnelement. (Ben. t. 3, p. 521.)
E! Raous sire, por Dieu le droiturier.
Pitié te pregne: laisse nos apaissier. (R. d. G. p. 120.)
Pour c'est il bon que nous alons | Au roi et de cuer li prions
Qu'il pregne feme à nostre los. (R. d. 1. M. v. 214-6.)
Sui je des autres si partiz
Que riens ne prenge ne riens n'aie? (Ghr. A. N. I, p. 290.)
Frange. (Brut. v. 11185. V. l'infinitif.)
Nul n'i vendra qui ne prengum,
Nil ne lèvera que nel sacbom. (R. d. S. p. 28.)
Por ceu ke il les loe de lour labour et de leur pacience, nos semont
il que nous preignons examples. (Apec. f. 3, v. c. 1.)
Distrent as autres: N'est pas gent
Que vers le duc prenion content. (Ben. v. 24487. 8.)
Estre i poriez .xxxvij. anz passeiz,
Ainz ke preignies la maistre fermeté. (G. d. V. v. 3230. 1.)
196 DU VERBE.
Mes consaus est que vos pregnies
Cel qu'ai tornoi ert miols proisies. (P. d. B. v. 6755. 6.)
Nous loons que vous le prengies , et moult vous en prions. Villeh.
p. 26. XLVm.)
Mais une chose voz voil je bien monstrer,
Que ne preingniez compaingnie à Hardre. (A. et A. v.561. 2.)
Karles li ampereres as François sovant prie
Que praignent vaingement de la gent maleie
Qui ont mort Baudoin an bataille arramie. (Ch. d. S.II, p. 188.)
Dans la Bourgogne et la Franche -Comté, on voit paraître,
à la fin du XIII" siècle, des formes en oï radical, au lieu de
ei, ai. Le patois bourguignon se sert souvent encore de oï
pour aï.
Apres nos volons que nul ne pr oigne sur lui discort, escot de
taverne; et cil qui le prendroit ou diroit, seroit en emande de dix
sols. (1288. M. s. P. I, p. 552.)
Le présent du subjonctif du verbe prendre offre enfin des
formes où le d radical est conservé; mais elles sont bien moins
fréquentes que les autres, et puis, au pluriel, il est quelque-
fois assez difficile de déterminer si elles appartiennent au sub-
jonctif ou à l'indicatif. Au milieu du XIII'' siècle, on les ren-
contre surtout dans le nord- est de l'Ile-de-France.
Ne soies mie assidueiz al homme irons, que tu par aventure n'a-
prendes ses voies et si prendes scandele à ta anrme. (M. s. J. p. 513.)
Il plore et crie à Dieu merci . . .
Qu'il prende de lui garde et cure. (P. d. B. v. 681. 3.)
Doucement li a conmande . . .
Que il l'euvre et préside son cuer. (R. d. C. d. C. v. 7595. 7600.)
Je vuel c'a mouiller le prendes. (Poit. p. 64.)
Li haut home ne vostre honor
Loent que vos prendes segnor. (P. d. B. v. 4985. 6.)
La forme primitive du parfait défini a été prïs; mais, dès la
seconde moitié du XIII^ siècle, on rétablit souvent le n\ prïns.
Si li reis me demande, dis que jo pris cunge à tei d'aler en Beth-
léem hastivement, pur uns festivals sacrefises que mi parent i funt.
(Q. L. d. R. I, p. 78.)
Je Idi, prins, sire, par tel devisement
S'il vous seoit et venoit à talant. (G. 1. L. I, p. 122.)
Et dist : Sire , qui char presis
En la Yirge et de H nasquis. (R. d. S. G. v. 2433. 4.)
Glorieus sire, que formas(t?) tôt le mont,
Dedens la Virge presis anontion. (0. d. D. v. 226. 7.)
Li miens chiers fi'eres qui France a à garder
Te donna armes, j?mis les comme ber. (R. d. C. p. 139.)
DU VERBE. 197
Pur quel as fait cunjureisim encimtre mei, tu e le fiz Ysaï, epreis
cunseil de nostre Seignur pur li. (Q. L. d. E. I, p. 87.)
Et feme en Norguege prensis. (Brut. v. 2823.)
E prist cunseil de nostre Seignur pur lui , e viande li dunad e la
spee Goliath. (Q. L. d. E. I, p. 87.)
Yesoi ses letres et son seel d'ormier.
Turpins les prist, la cire fist brisier. (0. d.D.v.9477.8.)
Fors de la chambre contre le roi issit:
Li empereres entre ses bras la print. (G. 1. L. Il, p. 3.)
On voit , dans cette dernière citation , print en rime avec un
mot en i pur, ce qui fournit une preuve évidente que les formes
en n radical ne sont pas primitives. (Cfr. Subst. t. I, p. 81. c.)
IjOis prinst Hardrez congie li maus traîtres. (A. et A. v. 308.)
Ici le s est conservé à côté du n additif.
Les clés presimes, aine ne s'i sot gaitier. (O.d.D.v.8239.)
Car tant fist en nostre os li glos,
Con cil qui ert sire de tos,
Que quant à vos presimes jor,
Trestuit faiUirent lor segnor. (P. d. B. v. 3787 - 90.)
Selunc ço ke feit nus avum,
La pénitence ke preimes . . (M. d. F. Il, p. 477.)
A voz Eranceis un cunseill en presistes. (Ch. d. E. p. 9.)
Mes dites oùpreistes celroxetl'esprevier. (Ch. d. S. I,p. 224.)
Lors prisent conseil que il iroient vers Blaquie pour requerre la force
et l'aide d'un hait home qui avoit nom Esclas. (H. d. Y. 491 *".)
Il prissent Durendal, s'espee, et son cor, et puis s'en alerent plus
tost que il porent vers l'ost Carlon. (Cité ds. Phil. M. I, 472.)
A la fin Cordeille prisrent
Et en une carte le misrent. (Brut. v. 2109. 10.)
Lor marcheandises vendirent.
Autres rechargierent et prirent. (E. d.M.p. 11.)
Ensi fina la chose , et de faire les Chartres pristrent lendemain jor,
et furent faites et devises. (Villeh. 436''.)
Defors la ville pi'inrent à chevauchier. (Ch. d. E. Int. XLIV.)
Jusqu'à la salle nep^'insrent onques fin. (G. 1. L. I, p. 115.)
De prinrent, on forma plus tard prinâ/rent^ par l'intercalation
ordinaire du d. Prinrent et prindrent sont encore les formes
dont se servent le plus souvent Montaigne et Eabelais.
Quand les geans entreprindrent guerre contre les dieux , les dieux au
commencement se mocquarent de telz ennemys. (Eabelais. Pant. III, 12.)
Imparfait du subjonctif: preisse, presisse^ prmsse^ prensisse,
prinsisse.
Or ne sai femme en cest règne.
Se ma levriere m'eust morte,
N'en p-esisse justiche forte. (E. d. S. S. v, 2659-61.)
198 DU VERBE.
En ce fu lor consaus assis,
Que jo presisce à mon avis
Segnor por bontés et por mors,
Non por grans fies ne por honors. (P. d. B. v. 1345-8.)
Mult volontiers en preisse la venjance,
Par Dieu le creator. (C. d. C. d. C. p. 61.)
Zaienayer t'enhortat li fel et 11 nonfeaules sers, ke tu par larencin
2)resisses la royal corone. (S. d. S. B. p. 536.)
Oste e fai remaindre lepechied que jo preiai que venist sur mei,
se venjance en preisses de mun marid. (Q. L. d. R. I, p. 100.)
Ki dont oïst com il s'est démentes,
Il n'est nus hom qui n'eupresist piteis. (0. d. D. v. 10408. 9.)
Il n'a el monde paien ne sarrasin.
Cil les veist, cui peitie n'en prisist. (R. d. C. p. 253.)
Une vois devine li dist
Laiast ceste oire , autre prensist (Brut. v. 15220. 1.)
La forms suivante est une innovation de la fin du XIII® siècle:
Son viaire taint et changa
Et si bien se deffigura
Hors de son conmunal estour
C'on ne l'aperceust nul jour
Qui moult près ne s'enprenist garde. (R. d. C. d. C. v. 6616-20.)
On la retrouve souvent dans le Roman de la Rose.
Et por ceu mismes créât il des l'encommencement les hommes , ki
cel leu presissent en leu des engeles. (S. d. S. B. p. 524.)
E ceus qui dedenz sunt enclos
Ne furent unques puis si os
Que d'els i preissent défense. (Ben. v. 11876-8.)
Le futur et le conditionnel offrent naturellement toutes les
variantes des thèmes de l'infinitif.
Aude panrai, se il vos vient an gre. (G. d. V. v. 3074.)
Si ne sai se je dorm ou veil,
Ou se je pens,
Quel part je penrai mon despens
Par quoi puisse passer le tens. (Rutb. I, p. 16. 7.)
Jou prendrai vo seror à famé. (Poit. p. 64.)
Il lor dist: Signer, non ferai,
Jamais femme ne prenderai. (R. d. 1. M. v. 225. 6.)
Dyalas, dit li rois, avec moi an vanras
An la cit de Tremoigne, où baptesme panras.
(Ch. d. S. IL p. 164.)
Ten veissel o mon sanc penras. (R. d. S. G. v. 2469.)
Un veel od tei prendras. (Q. L. d.R. I, p. 58.)
Por ce fut dit al serpent: Ele penrat garde à ton chief et tu aguai-
teras son talun. (M. s. J. p. 446.)
DU VEKBE. 199
Enseigne nous comment l'aruns
Et comment nous le prenderons. (R. d. S. G. v. 287. 8.)
Nos en penrons conseil à nos amis. (G. 1. L. I, p. 72.)
Ja par asalt nul jor ne les prendres. (0. d. D. v. 7600.)
Je n'anpanroie mie trestot le mont à gre. (Ch.. d. S. II, p. 98.)
Je la pem'oie voUentiers, non envis. (G. 1. L. II, p. 41.)
Trop par prendreie hontos don
Por querre lor destruction. (Ben. v. 16700. 1.)
Et humanité i prendroies. (R. d. 1. V. v. 5229.)
Li jugemens Diu si parfons
Est que nus hom n'i prendrait fons;
Et qui le poroit encerchier? (R d. M. v. 219-21.)
Mes, se il le puet panre an iceste anvaïe,
N'an panroit nul avoir que solement la vie. (Ch. d. S. Il, p. 7.)
Devant un an ne la panriez mie. (G. d. Y. v. 1762.)
11 dient que se la pais ne poet en tel manière venir , qu'il prende-
roient deus homes et li empereres deus, et cil quatre prenderoient le
cinquième. (H. d. 7. 504^.)
Puet bien estre ke clers plusur
Si prenreient sor eus mun labur. (M. d. E. II, p. 401.)
Imparfait de l'indicatif: prenoie^ prendroie, perneie.
Ne me daigneroient servir
Se je te prennoie à signour. (R. d. M. v. 548. 9.)
Tant que par sort, à quelque peine,
D'une vez costume anciene
Perneit l'om tute la jovente,
Et si meteit l'om grant entente. (Ben. I, v. 551 - 4.)
Al arcevesque grant pitié en prendoit. (0. d. D. v. 9363.)
Et vos honie reseries
Se vos un recréant prendies. (P. d. B. v. 9579. 80.)
Qar se il prendoient garde de com grant force il (l'adversaire) est,
il ne murmurroient mie de ce ke il sofîrent par defors. (M. s. J. p. 489.)
Il m'ert avis tôt autresi
Que dui angre céans veneient
Qui entre lor bras me preneient. (Chast. XVII, v. 95 - 7.)
Participe passé, d'abord prïs'^^ puis prins.
Pais ne acorde ne trive n'en fu prinse. (A. etA. v. 287.)
Y. les composés.
Participe présent: prenant^ prendant^ pernant.
Li dus de Moriane aloit,
El tans que Morpidus vivoit,
(1) Prece pour pre.se, dans Aucassin et Mcolette (I, 413.). Cfr. le provençal près,
presa. Quant à free, qu'on trouve au même endroit, c'est sans doute une faute de
lecture.
200 DU VEKBE.
Par mer leà rivages gastant
Et les rices homes ^rendant. (Brut. v. 3439-42.)
Hommes prenant et raimbrant. (Ib. I, p. 164, var. b.)
Le verbe frenâ/re^ suivi de la préposition a et d'un infinitif,
se disait très -souvent pour se mettre a ^ commencera. La langue
fixée a conservé cette tournure , mais elle se sert du verbe pro-
nominal: se prendre a fleurer., se prend/re à travailler.
Vers le chastel ^îrewi à alefr. (E.d.C.d. C.v.430.)
Jours prenait- ja à esdairier. (Ib. v. 1048.)
A la roïne prist à dire. (R. d. S. S. v. 5035.)
Des espees prist à ferir
Si que le feu en fist saillir. (Ib. v. 2420. 1.)
Devant le jor prist à toner. (Trist. I, p. 195.)
Adunc prist l'aube à reelarzir. (Ben. v. 22348.)
Cil est montez en son destrer,
Ela lime prist à raer. (Ib. v. 35489. 90.)
Vers son père prent à aler. (E. d. 1. M. p. 7131.)
Des composés de prend/re , je citerai :
Desprendre., séparer, tirer; priver, déposséder, dénuer; dé-
couvrir, surprendre (Ordonnances des Rois des France, I, p. 537).
J'estoie nus et despn'is
Avant de toute courtesie; (Fab. et C. I, p. 108.)
Alques despris et suffraitus
E plein d'angoisse e rancurus
S'essiloent pur melz avoir
Tut par force, par estoveir. (Ben. I, v. 629-32.)
En cestes trois (cites) a trois églises
Qui or sunt povres e desp'ises;
Mais mult furent en grant lionor. (Ib. v. 6903-5.)
Je ne connais de desprendre ^ signifiant séparer^ tirer., aucun
exemple qui remonte au XII F siècle; en voici du XYP:
Or à un esprit si indocile , il fault des bastonnades ; il fault rebattre
et reserrer à bons coups de mail ce vaisseau qui se desprend, se des-
coust, qui s'échappe et desrobbe de soy. (Montaigne. Essais, III, 12.)
Pythagoras a faict dieu un esprit espandu par la nature de toutes
choses, d'où nos âmes sont desprinses. (Ib. Il, 12.)
Ensprendre., esprendre — emprendre., enprendre., amprendre.
Ces différentes formes se trouvent avec la signification de allu-
mer., enflammer., embraser., éprendre. (Y. le (jlossaire.)
A savoir fait ke les alkanz ensprent tost irors et tost les guerpist
(M. s. J. p. 514.)
Li altre sunt semblant à la pesant et à la dure lenge ki tardiement
ensprendent , mais se il une foiz sunt enspris, griement les puet l'om
estaindre. (Ib. p. 514. 5. Cfr. Eoquefort, s. v. ensprmdre.)
DU TEKBE. 201
En cuir de cerf font la baron covrir,
Font une bière, le vassal i ont mis,
Et environ trente cierges espris. (G. 1. L. Il, p. 247.)
Li mes et les cbandoiles mises
Es chandeliers totes esprises. (Eomv. p. 458, v. 10. 11.)
Le soir vieUerent chascun .i. sierge espris. (E. d. C. p. 324.)
Car aidier doit Karlon de saint Denise
Contre Agolant, que Dieu n'aime ne prise,
Qui a sa terre embrasée et esprise;
Devers Calabre l'ont ja tote porprise. (R. d'A. p. 2, c. 2.)
Très fine amors qui tout mon coeur esprent. (Rayn. L. R. IV, p. 633.)
Cfr. : Toutesfois il y en a qui donnent une austre dérivation et inter-
prétation de ce mot de carmenta, qui est plus vraysemblable, comme
si c'estoit à dire, carens mente, qui signifie bors de sens, pour la fureur
qui esprend ceux qui sont inspirez d'esprit propbeticque. (Amyot. Hom.
ill. Romulus.)
Por escheveir le feu qui tout ades emprant. (Rutb. 1, p. 146.)
Moult grant pitié Vemprent. (Berte, p. 69.)
Pitié Vemprist, si lor dona
Une verge. (R. d. Ren. I, g. 3.)
Il li empristrent la coliere de son cheval de feu grejois. (Joinville, p. 58.)
Emprendre^ enprendre, signifiait en outre allïer^ engager,
lïgtcer; choisir., fixer ^ entreprend/re , commencer.
hmpris me sui al rei de France
Por Normendie avoir demeine
Tant cum de là en départ Soigne
Mei e mun eir senz parçonnier. (Ben. v. 14577-80.)
Solez e aquitez le vu
Dunt vers mei e vers mun nevo
Estes par serrement empris,
Si que n'en seit plus termes pris. (Ib. v. 16984-7.)
Ci oncor pas ne m'en remu.
Qu'ai jor enpris movrai premiers
Od plus de set cenz chevaliers. (Ib. v. 14583-5.)
Ne ne s'en sunt trois si enpris,
Si esforciez ne si amis
Que l'uns i puisse al autre aidier. (Ib. v. 14768-70.)
Que contre tei devers eus l'aient
Enpris jurez à lor partie,
Del tôt en force e en aïe. (Ib. v. 14362-4.)
Enpris jurez à lor partie c'est-à-dire lié par serment à leur parti.
Bien est foulz et mauvais qui teil voie iCemprent (Rutb. I, p. 146.)
Errant a une dame emprise
Ceste chancon mignotement. (R. d. C. d. C. v. 991. 2.)
Puis que ma dame de Champagne - -
202
DU VERBE.
Vialt que romans à feire anpreigne,
Je Vanprendrai mult volentiers. (Brut. I, XXXVIII.)
Ce n'est pas vasselages d'eriprendre hardement,
On puet tenir à fol celui qui ce enprent. (Ch.d.S.I,p. 128.)
Em'pernam (Ben. Il, v. 250), enpernanz (ib. v. 2652), enprm-
dans (P. d. B. v. 2385), etc. pour dire entreprenant.
Esprendre signifiait encore admirer.
Adonc avoit ung chevalier au dehors du toumoy esgardant et
esprenant la laine de son> pis , la force de ses membres et la puissance
de son cheval. (Perceforest. Cité par M. d'Orelli p. 232.)
Entreprendre^ entreprendre, commencer; surprendre, attraper;
étonner, embarasser, déconcerter.
Ou à ses hoirs qui entrepr enrôlent la besoigne devantdite. (1265.
H. d. B. n, 29.)
S'ensi se tient com il a entreprins,
Mieudres de lui ains en cheval ne sist. (G. 1. L, H, p. 193.)
Aus bois se traient, iluec cuident garir,
Mais ne puet estre, car trop sunt entrepris. (Ib. I,p.l66.)
Entrepris sui et enganes. (FI. et Bl. v. 1756.)
Et vit le morsel en la corde,
Mais n'a talent que il i morde,
Einz jui-e qu'il i fera prendre
Son conpaignon et entreprendre. (R. d. Een. t, 2, p. 321.)
Là veissiez plorer mainte haute marchise,
Qui devant son seignor estoit mate et conquise.
Nule n'en quiert merci : tant se sent enitrepme. (Ch. d.S.I,p. 135.)
Quar celui cui li adversiteiz entreprent desporveut, troevet alsi
com dormant ses anemis. (M. s. J. p. 515.)
Cil fu malement entrepris
Quer povres hom a poi amis. (Chast. XTV, v. 127. 8.)
Ensi avint ke par un jor
Eu entrepris à lairechin. (M. d. F. Il, p. 308.)
Cfr. Entreprendre régissant un verbe à l'infinitif, sans
l'intermédiaire d'une préposition:
Si aulcun de vous entreprent combattre contre ceulx cy, je vous
feray mourir cruellement. (Rabelais. Pant. II, 29.)
Mesprendre^ arriver mal à quelqu'un, l'offenser; commettre
un délit; se tromper.
He! gentix rois de France, or voi que mesprenez;
Trop avez vilain cuer, que ne vos prent pitiez
De ceste lasse dame qi tant a de durtez. (Ch. d. S. H, p. 155.)
Dame , fait li empereres , et vous meismes i venrez ; et se il ne nous
laissent ens , il me semble que il mesprendent trop. (H. d. V. 505 ^.)
Et non mie poui- ceu que pour riens mespresissent envers iaus,
ains lor monstroient ... (Ib. 514*=.)
DU VERBE. 203
Selonc decrez et loi oui je
Que tei baron ont tort jugie:
Bien i pueent avoir mespris,
Je cuit qu'il aient antrepris. (Dol. p 210.)
E si li est de ren avis
Que il unt encountre li mespris,
Il le amendrount. (Ben. t. 3, p. 622 )
De ce que dient que pouere esteit
Quant vint au rei, ne dient mie dreit,
Mes unt mespris. (Ib. ead. p. 623.)
Cfr. : Et qu'elle punist ceulx qui auroyent mespris en cest endroict.
(Amyot. Hom. ill. Bemosthenes.)
Quant elles (les Vestales) viennent à mesprendre contre les dieux,
elles perdent toute la franchise qu'elles ont pour la révérence du service
des dieux. (Ib. ead. Tiberius et Gains.)
Porprendre^ parprendre^ prendre de force, s'emparer, usurper,
revager; investir, entourer; comprendre, contenir; circonvenir.
Hailas ! cMer sii'e Deus , ke ferons ke cil sunt U primier en ta
persécution, qui en ta glise ont porpris les signeries et les bonors?
(S. d. S. B. p. 556.)
Mais que ajuet ce ke nos avons dit comment li irors parprent la
pense, se nos ne disons cornent l'om la doit apaisanteir. (M. s. J. p. 515.)
Porprise (R. d'A. Y. plus haut esprendre).
De la cuntree unt purprises les pai'z. (Ch. d. E. p. 129.)
Les Bretons ont ariere mis
Et tôt le camp sor els porpris.
Artur vit sa gent resortir
Et cil de Rome resbaldir,
Et le camp contre lui porprendre . . . (Brut. v. 18273-7.)
Si fu porpris ]i avirons. (Ben. v. 5714.)
Et vit Englois sor la montagne.
Qui pourprendoient la campagne. (Phil. M. v. 17416. 7.)
Ardane ert moult grans à cel jor.
Et porprendroit moult en son tor. (P. d. B. v. 499. 500.)
Ki porpris sunt de pechiet. (S. d. S. B. fol. 10.)
Li dus Gérard les conduisoit devant
Sor un destrier ke les sans li porprant. (G. d. V. v. 464. 5.)
Porprendre y dans ce dernier exemple, a la signification de
donner les devans. (Y. la préposition por).
Sor prendre, sosprendre , plus tard soprendre^ sousprendre, sou-
prendre et, en Picardie, sauprendre, surprendre, tromper, sou-
mettre, surpasser, vaincre.
Embrases est de s'amor et sosprins. (G. 1. L. Il, p. 4.)
Les iols a gros, vairs et rians.
Bien envoisies et sovprendans. (P. d. B. v. 559. 60.)
204 DU \^RBE.
De vos disent tantes bontés,
Tant buenes mors, tantes beautés,
Et ensement la gentelise,
Que sempres fui de vos souprise. (P. d. B. v. 1365 -8.)
C'Amors l'ot sousprise et dechute. (R. d. 1. V. v. 3176.)
De pour a le quor sopris. (Ben. v. 16384.)
Que par leui* avoir veulent tous leurs amis souprendre. (Fabliaux,
Jubinal, I, p. 128.)
Il estoit saupris d'-amor. (Fabl. et C. I, p. 381.)
SOLDEE (solvere).
Soïdre signifiait livrer^ délivrer^ acquitter^ payer ^ délier^ al-
soudre^ donner la solution^ résoudre. Ce verbe offre les mêmes
variantes que mold/re (moudre), et les explications que j'ai
données touchant les thèmes de ce dernier , s'appliquent de tout
point à soïdre. Le composé alsoldre^ qui se trouve ordinaire-
ment orthographié <z«5oldre, ««oldre, signifiait absoudre ^ délier^
dégager^ livrer ., délivrer.
Ne devez as prelaz défendre u comander
U ^asoldre cestui u de cestui damner. (Th. Ci p. 68, v. 11. 2.)
Por tel travail, por tel mise,
Li fist avoirs mult aporter
E mult par l'en fist présenter:
SoudreX^x). voleit mult e rendre. (Ben. v. 10870-3 •,cfr. 41238.)
Et si li feroit soii're et rendre
Quan c'on i pot tolir et prendre. (Phil. M. v. 12263. 4.)
Je ne l'ai de quoi %aure. (Fabl. et C. m, p. 200.)
Dites, combien voudrez vous saurre? (Ib. ead.)
Feisuns le donc en teu meunière
Qu'il ne puist repeirier arrière.
Ne palier à ceus n'eus vooir
Qui de lui assourre unt pooir ... (R. d. S. G. v.3629-32.)
Se sainte Yglise escommenie,
Li Frère pueent bien assaudre,
S'escommeniez a que saudre. (Rutb. II, p. 60. 1.)
Le présent de -l'indicatif offre les formes «o/, soil. De prime
abord, soil semble prouver que soïdre était un verbe fort;
cependant cette forme n'est pas primitive , elle ne remonte guère
au-delà du milieu du XIII ^ siècle, et Vi indique simplement un
son mouillé du l. Soil appartenait au sud de la Picardie et à
l'Ile-de-France.
Et je vous assoil, de Diu, de tous les pechies que vous oncques feistes,
jusques au point d'ore. (H. d. Y. p. 182. VIII.)
Or tien vingt sous que j'ai ci en me borse , si sol ten buef. (Fabl. et C)
Dtr VERBE. 205
A dreit se sout cil e aquite
Qui solum le fait rent la mérite. (Ben. v. 3599. 600.)
Di à mes amis, à ces trois,
Ke ne prestres ne Dex n^assout,
Chehu qui se dete ne sout
Ains que tu l'aies pris à quois. (V. s. 1. M. p. 25.)
Iju de sout représente le /, qui a subi son flécliissement
orjdinaire.
Solez e aquitez le vu. (Ben. v. 16984.)
Ti'op ledement tuit cil s'endetent
Et si se tuent et alblent,
Quant riens promettent et nel soïïent. (Fabl. et C. II, p. 420.)
Présent du subjonctif: solie^ soïlle.
Les evesques le me unt mande,
Que toleit unt ma dignete
Que jo les asoille. (Ben. t. 2, p. 494.)
N'est si chaitis, Dex nel asolle,
S'ele l'en veut un poi requierre. (Ib. ead. p. 516.)
Mais ce li requiert par amor
Qu'il le li quit e soille e rende.
Si que del suen rien n'i despende. (Ib. v. 36555-8.)
Ains proi Dieu qui el cuer m'a mis
Que ce lor soille k'ai pramis.
Qu'il lor doinst longe vie, et grâce
De bien vivre tôt lor espace. (V. s. 1. M. p. 17.)
(Li reis vus mande)
Et que les evesques del païz
Que sunt en sentence miz
Asolliez. (Ben. t. 3, p. 493.)
Le parfait défini faisait sols et sov^.
E à tut li respundid li reis, e solst ses demandes e ses questiuns.
(Q. L. d. E. III, p. 271.)
La forme solui^ qui est celle de la langue fixée, existait-
elle déjà au XIIP siècle? Je ne saurais résoudre cette question
d'une manière satisfaisante, vu que je n'ai rencontré aucun
exemple de solui remontant à cette époque, et, je le répète,
les analogies ne donnent pas la moindre certitude.
Y. toldre^ parfait défini.
Le participe passé avait deux formes bien distinctes: 1** soh^
sous et, par suite de la syncope du /, sos; en Picardie, saus
pour sous; 2'' solu.
Ensement ad asoïs les moines del covent. (Th. Cant.p. 117, v. 3.)
Mieus est, dist il, li premiers cols,
A cestui ai son loier sols. (Brut. v. 9578. 9.)
206 DIT VERBE.
Et (je) m'en tieng à sois et à paiet. (1288. .T. v. H. p. 472.)
Que si cum il unt deservi
Lut seit rendu, sous e meri. (Ben. v. 4558. 9.)
Si donc li est sous e renduz
Sis aveirs, si ravera sa terre. (Ib. v. 40290 1; cfr. 34547.)
Qant il furent a-sso^trestuit de main sacrée. (Ch. d. S. Il, p. 57.)
Puis s'est assaus de tous ses fais.
Dont il se sent cel jour confes. (E. d. 1. M. v. 6889. 90.)
Par bel latin ades a chascun puint solu. (Th. Gant. p. 43, v. 29.)
Quar à la foiz vult demesureie irors sembleir justice et dissolue re-
missions pieteit. (M. s. J. p. 453.)
S'irons le joedi absolu
De nos pechies estre absolu
Là où l'apostoile sera. (R.-d. 1. M. v. 5809-11.)
Absolu m'a de mes pechies. (E. d. 1. E. v. 11309.)
Asokït (Th. Gant. p. 117, v. 29), assoloït (Yilleh. p. 33, LV),
assoldrm(R. d. R. v. 11968), assaudrons (H. d. V. 502 '^), etc.
Persoldre^ pursoldre (persolvere) , payer.
E s'il ne pot avoir guarant ne testimoine , si perdrad e pursoldrad.
(L. d. G. p. 181, 25.)
Je citerai enfin les exemples suivants, comme termes moyens
de comparaison entre la langue d'oïl et la langue fixée, tant
en ce qui concerne la conjugaison de soidre et de ses com-
posés, que par rapport à leur emploi.
Infinies personnes ont essaye de corriger (les tables chronicques)
jusques aujourd'huy et n'ont pourtant jamais sceu soudre et accorder les
contrarietez et répugnances qui y sont. (Amyot. Hom. ill. Solon.)
Toutesfois on trouva qu'il y avoit plus grand nombre de ceulx qui
Vabsouloyent que d'austres. (Ib. ead. Gicero.)
Le peuple non seulement Vabsolut de toutes les charges et impu-
tations qu'on proposa contre luy, ains . . . (Ib. ead. Demosthenes.)
Ledict Panurge solut très bien le problème. (Eabelais. Pant. II, 16.)
(Les juges) n'abandonnèrent point Demosthenes à ses ennemys,
encores qu'ils feussent lors beaucoup plus puissants que luy . . . ains
V absolurent. (Amyot. Hom. ill. Demosthenes.)
(Les nuées se résolurent en brouees et emplirent toute la plaine
d'un brouillas obscur. (Ib. ead. T. Q. Elaminius.)
Yoila vostre problesme solu et résolu, faictes vous gens de bien
là dessus. (Rabelais. Pant. Y, prol.)
A la fin ils (Pelopidas et Epaminondas) feurent tous deux absouz.
(Amyot. Hom. ill. Pelopidas.)
Sans exception ne ambages tu me has apartement dissolu toute crainte
qui me povoit intimider. (Eabelais. Pant. III, 27.)
Si par vous mon double n'est dissolu, je le tiens pour insoluble. (Ib,
ead. m, 30.)
DU \t:rbe. 207
(On) estima qu'il (Ciceron) fust pour se joindre au party de Caesar,
et est certain qu'il feut en très grande perplexité , ne scachant comment
s'en résoudre, et en grande détresse dans son entendement. (Amyot.
Hom. ill. Oicero.)
Que Cicero, pero d'éloquence, traicte du mespris de la mort; que
Seneque en traicte aussi: celuy là traisne languissant et vous sentez
qu'il vous veut resouldre de chose de quoy il n'est pas résolu. (Mon-
taigne, n, 31.)
SORDRE (surgere).
Ce verbe signifiait sourdre^ surgir., jaillir.^ lever ^ soulever.,
élever , se lever , venir , arriver , naître. Il avait pour formes :
sordre^ en Bourgogne et en Picardie; surd/re^ en Normandie.
Sordre^ surdre ont été formés de surgere (surg're) par la syn-
cope du g: surre^ sorre^ d'où, avec intercalation ordinaire du
d: surdre., sordre.
Il vivoit ancor quant om li forât et les mains et les piez , por ceu
k'il de lui mismes fesist axordre (assui'gere) quatre fontaines à nostre
nés ki ancor sommes vif. (S. d. S. B. p. 540.)
Si en pon-oit sordre tel guen-e
Qui en essil metroit la terre. (Brut. v. 5962. 3.)
Su/rdre i vit gi-ant péril e mult mortal desrei.
(Th. Cant. p. 23, v. 25.)
Dès le milieu du XIIP siècle, Vo s'assourdit souvent en
ou: sourdre.
Bien que ce verbe fût d'un emploi très-fréquent, je ne l'ai
rencontré qu'aux troisièmes personnes des différents temps.
Yoici leurs formes:
Présent de l'indicatif: sort^ sou7^t^ surt^ où il y a change-
ment du d final en ^ (v. t. I, p. 216), surd., sordent., sur dent.
Merveillanz furent del oïr
E en gi'ant crème de soffrir
E d'endurer si fiere ovraigne
Cume vers eus surt e s'engraine. (Ben. II, v. 385 - 8.)
E de celé ymage sourt oies. (Phil. M. v. 10980.)
Ensi s'est partie de court
La maie dame ù biens ne sourt. (R. d. 1. M. v. 2421. 22.)
Por un destruit en sordent set. (Ben. v. 20545.)
Desor li sordent mult contraires
E trop s'empire li afaires. (Ib. v. 32764. 5.)
Venir s'en volt li emperere Caries
Quant de paiens li surdent les enguardes *. (Ch. d. R. p. 115.)
Présent du subjonctif: sorde., surde.
(1) Le texte porte enguardent.
208 DU VEKBE.
Mes il t'en puet moût bien aidier
Sanz ce que l'en sorde encombrier. (Chast. I, v. 43. 44.)
Ne vout vers tei baïne aveir
Ne noise n'i vout esmoveir
Dunt i sorde dissension,
Estrif ne gerre ne tençon. (Ben. v. 12049-.52 ; cfr. v. 26371.)
Parfait défini: sorst^ surst: sorstrent^ sursirent — sordi^ fonné
d'après le thème de la langue d'oïl.
Une bataille surst vers ces de Israël, e David vint en champ,
encuntre lez Philistiens. (Q. L. d. E. I, p. 74.)
Et sorst plentes de bons vasals. (P. d. B. v. 468.)
E eus e leur cite garnirent.
Grand noise i surst e grant effrei;
Chascun i out pour de sei. (Ben. I, v. 1336-8.)
Dune nos surst Eurus li venz
Od neifs, od pluies, od tormenz. (Ib. II, v. 1705. 6.)
Al asemblee des douz genz
I sorst grant noise e granz contenz. (Ib. II, v. 499. 500.)
N'i sorstrent puis autre- content
Ne mauvoillance ne mesfait
Qui mi seient dit ne retrait. (Ib. v. 24743-5.)
Sursirent, e a viles e as champs, ime manière de sui-iz, à la
destructiun del païs, e fud la confusiun grande par tute la cite.
(Q. L. d. E. I, p. 18.)
Cfr. R. d. E. V. 5977. 7833. 8439. 12986. etc.
Mes après la mort de son père,
Li sordi guerre moult amere. (Dol. p. 193.)
Imparfait du subjonctif: sorsïst, sursîst ^ sursissent^ smsissent^
sordïstj sor dissent.
Por estre plus certains e mères
E qu'il n'i sorsist encombrier,
Eevout l'ovre plus esforcier. (Ben. v. 36515-7.)
Il i ot si grant plente de tos biens comme on poroit soushaidier
por cors d'omme aasier, et tout ausi com on les puisast en une fon-
taine où il soursissent. (H. d. Y. p. 188. XII.)
Imparfait de l'indicatif: sordoit^ sordoient (Yilleh. p. 149,
CLXVI; Eomv. p. 583, 25), sourdoient (Villeh. 485*), surdeient
(Ben. II, V. 71), etc. — Futur: sourdera (E. d. S. G. v. 3180),
sordront (Brut. v. 850), sur dr ont (Ben. II, v. 2362), etc.
Participe passé: sors., sorse — surs., surse.
Ici rest teus afaires sors
Dunt mainte lance fu croissie
E dunt maint d'eus perdi la vie. (Ben. v. 21571-3.)
Par qui ceste no vêle est soi'se. (Trist. I, p. 54.)
DU VERBE. 209
Dunt sunt sorses les mauvoillances. (Ben. v. 34690.)
Participe présent: surdanf, sordant, sourdant (R. d. C. d. C.
V. 5177.)
La langue d'oïl fournit quelques exemples où le d est rem-
placé par g:
Les dames sourgent toutes pars
De courouc et d'ire enflammées. (L. d'I. p. 15.)
Une fontaine sorgoit lès un vivier. (O.d D.v.4610.)
Ce g est- il une réminiscence du latin? Y a-t-il eu change-
ment de la lettre intercalaire ^ en la primitive latine qui avait
été syncopée?
Je citerai le composé resordre, qui signifiait jaillir , sourd/re
de nouveau^ resortir , revenir à^ se relever, renaître, être ressuscité.
Saintefie de oile e de creisme,
Yiveiz son Deu, à lui servir,
Que leiaument puissez morir
E resordre al jui' perillos
Là ù Deus ait merci de vos. (Ben. v. 24314-8.)
Devant le jugement quant li cors resordront. (Eutb. I, p. 104.)
Pur ceo ne resurdrivnt li felun el juise. (Trist. II, p. 241, c. 1.)
Dedenz le puiz s'en avala
James par lui ne resordra. (Chast. XX, v. 197. 8.)
Quer se totes choses croies,
En plusors leus t'assoupereies
Dont ne resordreies noient
Sans avoir en grant marement. (Ib. ead. v. 257 - 60.)
Ce m'a fait resourdre en santé. (R. d. C. d. C. v. 3065.)
Il est à regretter que le verbe sourdre vieillisse, car il est
fort significatif et très -utile.
Cfr. : L'eau qui y sourd. (Amyot. Hom. iU. Lysander.)
(Auprès de DjTrachium) y a un parc sacre aux nymphes , là où ... .
sourdent par cy par là des bouillons de flu qui fluent continuellement
(Ib. ead. Sylla.)
Et ceUe tant enviée puissance .... leur apparut alors esvidemment
avoir este le rempart salutaire de la chose publicque, tant il sourdit et
se descouvrit, incontinent après son deces (de Pericles) au gouvernement
de leurs affaires , de con-uption et de méchanceté. (Ib. ead. Pericles.)
Comme doncques les Romains eussent la guerre en levant contre le
roy A-utiochus . . . . , il leur en sourdit une austre en occident du costo
des Hespaignes. (Ib. ead. Paulus Aomylius.)
La liqueur sourdante d'icelle fontaine. (Rabelais. Pant. V, 42.)
Mais en la Grèce , et aux environs d'icelle , ces meschancetez com-
(1) La pennutation de r/ en d ou t et, vice versa, de d, t an g, peut avoir lieu
quand le premier s'est affaibli en un son sifflant.
Burguy, Gr. de la langue d'oïl, T. II. Éd. III. 14
210
DU VERBE.
mencerent de reclief à se renouveller et à se ressourdre plus que jamais.
(Amyot. Hom. ill. Theseus.)
SUIVRE.
Ce verbe dérive de sequere pour sequi. (Cfr. t. I mourir
et naître de nasci [nascere], iraistre d'irasci [irascere].)
Roquefort, MM. Diez et d'Orelli donnent à ce verbe
les formes segre, sigre\ seguir , suigre, mais sans en citer un
seul exemple, de sorte qu'il est impossible de savoir sur quelle
autorité ils se fondent pour les établir. Seguir^ segre sont des
formes provençales, qui n'ont jamais dépassé la frontière des
dialectes mélangés de la langue d'oc et de la langue d'oïl. Si
l'on en rencontre quelques exemples isolés dans les textes de
contrées situées un peu plus vers le nord, on doit les attribuer
à des inadvertances de copistes qui avaient d'autres habitudes
de prononciation et d'orthographe. Je rejette segre ^ sigre, seguir,
suigre comme formes pures de la langue d'oïl. (Y. ci -dessous
le participe passé).
Sevré ^ seure^ sievre, sieur e^ suir, suire, sivre, sivir, sievir^ siure,
sirre, soivre^ sure, sore , telles sont les orthographes qu'offrent,
pour le verbe suivre, les textes publiés. Je dis „les textes
publiés", parce que les manuscrits, on le sait, ne distinguent
pas le V de Vu; toutefois le v et Vu sont admissibles, mais il
faut établir des distinctions.
Sevré est la forme primitive de la Bourgogne et de la Nor-
mandie; sivir ^ celle de la Picardie; sivre^ dans le nord de la
Champagne et le nord- ouest de l'Ile-de-France. Le i? se per-
muta d'abord en voyelle aux trois personnes du singulier du
présent de l'indicatif, et, dès le premier quart du XIII ^ siècle,
ce changement se propagea sans doute à l'infinitif, dans les
dialectes qui favorisaient les sons larges, dans la Touraine,
l'Orléanais, le sud de la Picardie, plus tard en Champagne;
de là seure ^ siuir^ siure.
Dans les cantons où les formes en i radical étaient en con-
tact avec celles en e , on introduisit Vi au radical des dernières
et l'on obtint les nouveaux thèmes: sievre ^ sieur e. Du moins,
je ne pense pas que suivre soit un verbe fort, et que les formes
à terminaison légère des thèmes en e aient d'abord renforcé Ve
avec i préposé , puis que cet i ait été admis à l'infinitif; car le
dialecte picard qui favorisait surtout la diphthongaison ie , ne
connaissait pas les thèmes en ^, et le dialecte bourguignon n'a
jamais diphthongué Ve de sevré ^ seure avec i préposé.
DU VERBE. 211
A la fin du Xm* siècle, les dialectes de l'Artois, de la
Flandre et du Hainaut, admirent Vu dont il vient d'être
question, tout en conservant la terminaison in sievir ou
sieuir f?J.
Quant à suir ^ forme de l'est de la Picardie propre et du
nord -est de l'Ile-de-France, au milieu du XIII ° siècle, il pro-
vient du contact des formes seure et siuir: le son eu s'est con-
tracté en w, et la terminaison picarde ir a été conservée au
nouveau radical. SiMr produisit, à son tour, un verbe de la
quatrième conjugaison, par suite de l'influence des autres ortho-
graphes qui y rapportaient notre verbe: sui-re. C'est de ce
dernier thème que dérive immédiatement la forme de la langue
littéraire, par la réintercalation du «;; mais suivre, dont on ne
trouve aucun exemple au XIII* siècle, n'était pas encore la
forme fixe même au temps de Marot; on se servait aussi de
suivir , qui est un mélange du radical sui et des formes picardes.
Suivir paraît dans le premier quart du XIV *" siècle.
A la même époque à peu près où suir s'introduisait dans la
langue d'oïl, on trouve sure, au lieu de seure, en Champagne.
Sîire s'est -il formé sous l'influence de suir, ou est-ce une créa-
tion propre? J'admets la seconde hypothèse.
Sore n'est qu'une autre orthographe de sure. Soivre est une
diphthongaison irrégulière de la seconde moitié du XIII® siècle;
elle a sans doute été créée par analogie aux verbes en oivre.
Sirre et même sir sont des formes rares des bas temps, qu'on
peut considérer comme incorrectes, si l'on ne préfère les ex-
pliquer par la remarque que les sons vocals dérivés repassent
souvent à leurs simples : siure , siuir seraient alors les primitifs
de sirre, sir.
Dans les exemples suivants, je conserve l'orthographe ad-
mise par les éditeurs, bien que souvent je ne la croie pas
exacte ; mais toutes les suppositions qu'il serait possible de faire
pour et contre les diverses leçons que fournit un seul et même
texte ne donneraient une pleine certitude.
Car la majesteit no la poosteit, ne la sapience ne poons nos enseure,
ne mestiers ne nos est mies ke nos l'enseuiens. (S. d. S. B. p. 536.)
Quant nos la veriteit del hystoire avons gardée , ce ke nos oons char-
neilment poons nos ensieure spiritueilment. (M. s. J. p. 495.)
(Dune cumandat Joiada que) si alcuns la (Athalie) volsist sieure, que
erranment fust ocis. (Q. L. d. E. lY, p. 387 ; cfr. Ben. v. 21763.)
Kar siure nel pourent. (Ib. I, p. 116; cfr. Ben. y. 4647. 34379.)
E ço que l'um nel volt siei-re, (Ib. I, p. 56; cfr. Ben. v. 15440; L. d.
T. p. 78; Phil. M. I, p. 472.)
14*
212 DU VERBE.
Ci remaindrunt mi chevalier
A tôt ton bon enseure e faire. (Ben. v. 11945. 6.)
Cerf e bisse sont sivre e prendre
E grant sengler e fer atendre. (Ib. v. 17403. 4.)
Li empereres ne vost pas sivre tant.
(R. d. C. p. 233; cfr. H. d. Y. p. 116. CXLI.)
Li cuens Loeys s'en issi des premiers à la soe bataille , et comence
li Comains à porsevre. (Villeh. 474 '^.)
Oublie ai chevalerie,
A sevré cort e baronie. (Trist. I, p. 105.)
Cascuns del duc sivir estrive. (Phil. M. v. 17413.)
Sire . . . hastez vous un poi plus tost de sivir nos deus batailles. (H.
d. V. 510 ^)
Et de requerre et de pourchacier, poursivir et attaindre et rechevoir
la paine . . . (1288. J. v. H. p. 475.)
Car Marsiles et Baligans apparelloient lor oire por lui sievir. (Cité
ds. Phil. M. I, p. 471; cfr. H. d. Y. 497 'ï.)
A pie est : ne les puet seure ne anchaucier. (Ch. d. S. Il, p. 145.)
Mais ne voiront à lui venir,
N'il n'en pot .i. sol aconsure
Onques nés finait de por sure . . . (Dol. p. 277.)
A ses amis vertus suir
Commanda et pechie fuir. (R. d. M. p. 39.)
Tant par l'a fait suir et dechacher. (0. d. D. v. 3368.)
Et pour la dite mise poursuir duskes en le fin . . . (1288. J. v. H. p. 473.)
Et cil li ensaigna quel part
Il porra les trahitours suire;
Très bien les porra aconsuire
S'un petit esforchier se velt. (R. d. 1. Y. p. 211.)
Li autre sirre nés osèrent. (Trist. I, p. 193.)
Tost ferai soivre le François. (P. d. B. v. 9146.)
Conformément à ces thèmes de l'infinitif, le verbe suivre se
conjuguait de la manière suivante.
Présent de l'indicatif et impératif:
Au moins enxui A. pou la trace.
Par quoi li boen ont los et pris. (Rutb. I, p. 131.)
Respundi nostre Sire : Pursiu les , senz dute les prendras , sis ociras.
(Q. L. d. R. I, p. 115.)
Passe , passe : si me sieu. (Ib. lY, p. 377.)
Cil ki tnpursieus est cume uns chiens morz u une pulce. (Ib. I, p. 95.)
Por kai me porseus tu? (S. d. S. B. p. 555.)
Mais veons jai ceu ke seut après. (Ib. p. 525.)
Apres icez les seut molt bêle compaignie. (Ch. d. S. Il, p. 60.)
Apres sieut (M. s. J. p. 498.) — De ce siut après. (Ib. p. 499.)
Mais, qui chaut, par tut les ensiut,
E les dechace e les consiut^
DU \TKBE. 213
Cum funt li chien le cerf alasse
Qui del tut estanclie e aclasse. (Ben. I, v. 847 - 50.)
Car cM me siut mes anemis Ogiers. (0. d. D. v. 4697.)
Partonopeus les suit de près. (P. d. B. v. 2030.)
S'il nous atendent si ferons,
Et se il fuient sis suions. (Bmt. v. 12914. 5.)
Suies moi, jo ferai la voie. (Ib. v. 13285.)
Et or, ke plus grief chose est, porseuent cil mismes Crist, ky de
luy sunt apeleit cristien. (S. d. S. B. p. 555.)
Es cuers des elliz naist li premiers des Mens ki après sieuent, li
savoirs. (M. s. J. p. 499.)
Son bon ceval, le noir, le bel,
Enmaine od soi et ses lévriers,
Et il le suient volentiers. (P. d. B. v. 1956 - 8.)
Breton qui les suient as dos
Ne lor laient avoir repos. (Brut. v. 9418. 9.)
Au dos le siuent tel cinq cent chevalier
Qui tôt le heent de la teste trancher. (0. d. D. v. 8996. 7.)
Nostre gent les sievent de si près, que poi s'en faut qu'il ne les
ateignent. (H. d. V. 507^)
Présent du subjonctif:
Porquant les rois pas n'en foi-spart,
Que jo n'en sive lor esgart. (P. d. B. v. 9141. 2.)
Namporquant mie ne remaint
K'il ne les sive de randon. (R. d. 1. V. v. 2935. 6.)
Eepaire s'en, n'est qui V parsieue. (Ben. v. 22178.)
E ducement le vos requier.
Qu'en cestes choses m!ensuiez. (Ib. v. 39416. 7.)
Et lors fait crier par tote la ville que il le sievent à tel besoing.
(ViUeh. 487^)
Parfait défini et imparfait du subjonctif:
Mais Karles le sivi tantost
A quank'il pot mener en ost. (Phil. M. v. 5088. 9.)
E une partie del ost que Deus out tuched les quers , le sewi. (Q. L.
d. R. I, p. 35.)
E sewid les maies traces sun père. (Ib. III, p. 297.)
Il levât sus, si me siuvi. (Trist. Il, p. 124.)
Par moi sivistes le saingler
Qui vos amena vers la mer. (P. d. B. v. 1383. 4.)
Il enseuirent hui lo conduit de la novele estoile. (S. d. S. B. p. 550.)
Johannis se desloja, si chevaucha arrière vers son païs. Ensi le suivent
par cinq jornees, et il ades s'en ala devant als. (Villeh. 483**.)
Le moine et la famé aconsurent (N.E.F.etC.II,p.420.)
Et ses gens sivirent apries.
De lui aidier prest et engries. (Phil. M. v. 17466. 7.)
214 DU VEKBE.
Cume Roboam vit que il fud afermed en siin règne , nostre Seignur
guerpid e sa lei, e sa gent sewirent lur rei. (Q. L. d. R. m, p. 295.)
Guides tu ke cil porseuissent solement Crist, ki son très saint cors
cloficlierent en la croix, et nel porseuist mies cil ki encontre sainte
église, ki est ses cors , forsennevet par felenesse haine ? (S. d. S. B. p. 555.)
Et mande l'empereor Baudoin qui il le porseust. (Villeli. 475 *.)
Je porseisse, à la rime. iChast. XXVII, v. 98.)
Imparfait de l'indicatif:
Car .j. larron fessier sivoie. (R. d. 1. V. v. 1198.)
Et se Cheldric là le suioit,
Plus asseur se combatroit. (Brut. v. 9366. 7.)
En fut tome et cil après
Qui la suoit tost et de près. (Dol. p. 291.)
jSTostre empereres le siuoit de plus près. (0. d.D.v.9004.)
Au veneeui- qui le sieveit. (M. d. F. II, p. 214.)
Od sis cent armes les suioient. (Brut. v. 12542.)
Sueimt li dus kel part k'il tort. (R. d. R. v. 13774.)
Futur et conditionnel:
Ju te seurai tôt celé part où tu iras. (S. d. S. B. p. 562.)
Jo en irai, e cungie prendrai de mun père e da ma mère, e puis te
siwerai. (Q. L. d. R. III, p. 322.)
L'esgart suirai de vostre cort,
Conment qu'à bien n'a mal me tort. (P. d. B. v. 3555. 6.)
Mor, tu me fuis, jou te siurai. (FI. et Bl. v. 773.)
Or verra, ce dist, quil suira
Et qui od lui en ost ira. (Brut. v. 9121. 2.)
Vos le siurez à la feste seint Michel. (Ch. d. R. p. 2.)
Si m'afiez la vostre fei
Qe vus James ne me sivrez. (M. d. F. H, p. 212.)
Tuit te suiront et sergant et piétaille. (R. d. C. p. 43.)
A vivre et à morir vos seuront bonement. (Ch. d. S. Il, p. 109.)
Qui un homme suiroit. (1312. J. v. H. p. 550.) — Suroît. (Ib. ead.)
E que tut sun plaisir siwereient. (Q. L. d. R. lY, p. 380.)
Et qu'il 'sivroient Joffroi de Yille-ïïardoin. (Villeh. p. 115. CXL.)
Le participe passé se présente sous les formes suivantes :
seffut, seut, suï, soït, sivi , seui, suit. L'admission du thème
segut semble, au premier abord, me mettre en contradiction
avec moi-même, puisque j'ai rejeté, pour la langue d'oïl, les
infinitifs en g; maU il n'en est rien, car segut est une dériva-
tion propre du latin secutus , dont le c a été permuté en g. Du
reste, la forme segut se restreint aux pro\dnces du sud- ouest
de la langue d'oïl; elle n'a jamais pénétré plus avant que la
Touraine. Seut, forme de Bourgogne et de Normandie, a été
formé de secutus, par la syncope du c. Je n'ai rencontré sott
DU VERBE. 215
que dans la Chronique de Ducs de Normandie. Les autres
thèmes correspondent à des formes infinitives expliquées plus
haut.
Fors del gue fu li reis eissuz;
Mais ne fu gaires parseguz. (Ben. v. 21532. 3.)
Tant vint des lor à garisun
Cum eschapa par esperon;
Assez fui-ent puis parsoiz,
Ce me reconte li escriz. (Ib. v. 19936 - 9.)
Tant soit Karles seuz c'en le truist et ataigne. (Ch. d. S. I, p. 62.)
Puis a l'autre frère suii. (Brut. v. 13729.)
Participe présent: seuant, sivant, suiant, siuant^ suant.
S'aloient grant joie menant
Et les autres après suant. (L. d. T. p. 77.)
Et doit estre fais ces rapors dedans ces deux mois ensuians. (J. v.
H. p. 438; cfr. Ch. d. E. p. 46.)
Le bisclaveret li vet situant. (M. d. E. Biscl. v. 162.)
Car Talons ore tuit skiant. (P. d. B. v. 5912.)
Montaigne et d'autres auteurs emploient suivre au lieu de
poursuivre, continuer (un discours).
11 ne feut jamais , suyvis-ie^ que je n'eusse cet honneur que de com-
muniquer à toutes celles (imaginations) qui vous venoient à l'entendement.
(Montaigne. Lettre à Monseigneur de Montaigne.)
On a déjà trouvé le plus grand nombre des composés de
suivre; je puis donc être très -bref en les rassemblant ici pour
indiquer leur signification.
Consuivre, poursuivre, atteindre, rejoindre.
Plus tost qu'il pot en la fuie c'est mis,
Et Berneçons l'enchauce par aïr.
Quant ne le pot consivir ne ferir,
Il et sa gent se sont el retor mis. (E. d. C. p. 308.)
Cui il consut à cop, ne leva puis d'un mois. (Ch.d.S.n,p.ll7.)
Aconsuivre, atteindre, rejoindre, rattraper, accomplir.
Parmi son elme bien fu aeonseus. (E. d. C. p. 175.)
Et si tost com ele en voit liu
S'en fuit vers le mons de Mongiu,
Et el fu dusque là seue,
Mais ne fu pas aconseue. (P. d. B. v. 334 - 7.)
Mais ja par son gre nel saura
Duskes à tant que il aura
Sa volonté aconseue. (E. d. 1. M. 2025-7.)
ensuivre, suivre, poursuivre, imiter, ressembler.
Siunt après lui chevalchie,
JE}nsem l'unt od granz maisnees. (Ben. v. 8649. 50.)
216 DU VERBE.
For suivre, par suivre, poursuivre, persécuter, tourmenter.
Mausuivre, mal venir, mal advenir, c'est-à-dire mal réussir.
(Mém. d'Olivier de la Marche, t. II, p. 183; 1. I, ch. XXYL)
S' entresuivre , se suivre à la file.
Cfr. : Depuis qu'une fois la convoitise d'amasser or et argent se feut
coulée dedans la ville de Sparte, et qu'avecques la possession de la
richesse se suivit aussi l'avarice et la chichete . . . Sparte se trouve
incontinent destituée de plusieurs grandes et honnorables preeminances.
(Amyot. Hom. ill. Agis et Cleomenes.)
Comme sont les effects de la vertu , lesquels , en les oyant ou lisant,
impriment es coeurs une affection et un zèle de les ensuivre. (Ib. ead.
Pendes.)
Timocreon composa lors les vers qui s'ensuivent à l'encontre de luy
(Themistocles). (Ib. ead. Themistocles.)
Mais au demeurant qu'il eust sagement preveu les faustes que fai-
soyent ces capitaines athéniens , l'esvenement qui en ensuivit incontinent
après le tesmoigna évidemment. (Ib. ead. Alcibiades.)
La vengeance s'eyi ensuit après. (Ib. ead. Comp. de Selon avec P.
V. Publicola.)
TAIRE (v. fo.) , tacere.
Les explications que j'ai données au sujet du verbe plaire^
s'appliquent de tout point à taire. Ainsi nous avons la forme
primitive tasir ou tare, d'où taisir ^ taire, puis teisir , teire, tesir,
tere. Outre ces formes, on trouve teiser sur les frontières de
la Normandie , thème qui peut avoir été précédé de taser (taiser,
teiser), (Cfr. le provençal ^«z^r , taiser, tai%er ; l'italien tacere?)
Je n'ai aucun exemple des formes non renforcées de l'in-
finitif; voici les autres:
Nequedent toisir et cessier poons nos encorplus subtilement encerchier,
quar taisii's est rastrendre la pense en sus de la voiz des terriens desiers.
(M. s. J. p. 473.)
Ne vont la chose plus taisir. (Ben. v. 34878.)
Ki Deus ad done en science
De parler la bone éloquence,
Ne s'en doit taisir ne celer. (M. d. F. I, p. 42.)
Car si son estuide entrelait
Tost i puet tel chose teisir
Qui mult vaudroit plus à pleisii". (Brut. I, XXXVII.)
Di tost coment te fut aviz
De ceo dunt ainz teiser le fiz. (E. d. S. p. 16.)
De ce taire n'out quor ne seing. (Ben. v. 34885.)
Et quant Judas, qui de pute eire
Estoit, les vit ainsi touz teire. (R. d. S. G. v. 277. 8.)
»
DU \^RBE. 217
Puis qu'il coviont vérité tere,
De parler n'ai je mes que fere. (Eutb. I, p. 188.)
Pour ce qui est des formes des différents temps, je vais en citer
quelques exemples qui correspondent également à celles de plaire.
Tant vos en di, si ne vos tes,
Que volontiers les escMvast
Pot cel estre, se il osast. (Ben. v. 22145-7.)
Mesfait as en maint liu, dunt encore me tes. (Th Ct. p.64,v.l5.)
Tais , fet ele, mauves goupix. (M. d. F. II, p. 255.)
Teiz tei, ja mar en parleras. (R. d. R. v. 7055.)
Il se test, em bas resgarde,
De palier .j. petit se tarde. (R. d. M. p. 24.)
Li rois se taist et cil s'en vont. (P. d. B. v. 2839.)
Si lor cria: taisies, taisies. (Bmt. v. 10998.)
Et celé dit, testez vos en. (Romv. p. 470, v. 2.)
Car du bien qu'il sevent se taisent. (R. d. 1. M. v. 19.)
Parolent qant deivent cesser
E tesent qant devreient parler. (M. d. P. Il, p. 242.)
Si me vaut mix que je me taise
Que racontaisse ma mesaise. (R. d. 1. M. v. 4871. 2.)
N'il n'est mie drois c'en se taise
De ramembrer cose qui plaise. (Ib. v. 37. 8.)
Cest ovre mande que l'om tace
Eissi que Tiebauz ne la sace. (Ben. v. 21184. 5.)
Apres sieut: Ne fis dunkes dissemblant? ne moi tou ge dunkes?
[Nonne dissimulavi? nonne silui?] (M. s. J. p. 471.)
En après nos mostret il queilz il fut en la boche, quant li dist:
Ne moi tou go dunkes ? (Ib. p. 473.)
Bien avint ke nuls de ceos ne se taut del douz nom del Salvaor,
car ceu fut maismement à mi plus grant mestiers. (S. d. S. B. p. 548.)
Gerars se teut, mot ne parla. (R. d. 1. Y. v. 6442.)
Quant li reis out tôt escolte
E cil se tout ki out parle. (R. d. R. v. 1568. 9.)
Mais ceu dont li altre engele se taurent fut reserveit al nostre.
(S. d. S. B. p. 548.)
Tôt li devineor se tarent
Et à Merlin dire ne sorent. (Brut. v. 7687. 8.)
Quant ot clie dit, et puis se teurent,
A painnes respondre li seurent. (R. d. M. p. 67.)
François se teurent, li rois dist son corage. (0. d.D. v.3511.)
Si que tantost con le connurent.
Pour la doute de lui se turent. (R. d. S. G. v. 273. 4.)
Ils respondent: Nous nous tairons. (R. d. 1. M. v. 4829.)
Mult affliz et longement tauz. (S. Grégoire. Dial. I.)
Hiamunt parla: bien se sunt tuit ten. (R. d'A. p. 1, c. 1.)
218 DU VERBE.
Sire, bien est la chose seue,
Qui ne pot mais estre teue. (Ben. v. 12067. 8.)
TOLDRE (tollere).
Tolère signifiait Uer , enlever^ arracher; il resta en usage
jusqu'à la fin du XYI^ siècle. C'est peut-être à tort que, par-
tant du latin, je rapporte ce verbe à la quatrième conjugaison;
car tolir (plus tard tolUr\ sa forme ordinaire durant tout le
temps de son emploi, le faisait rentrer dans notre seconde con-
jugaison. Cependant on trouve, quoique rarement, le thème
toldre, qui peut dériver directement du latin tollere ftolre^ et,
avec d intercalaire, toldre) comme le provençal tolre, toldre;
ou bien toldre est une nouvelle création due à l'influence des
futurs avec d intercalaire. La seconde de ces deux hypothèses
est celle que j'admets comme la plus vraisemblable; car on ne
rencontre nulle part tolre ^ dans la langue d'oïl, et nos plus
anciens monuments ne connaissent pas told/re.
Ad une spede li roveret tolir lo chief. (Eul. v. 22.)
N'i a .i. qi ne voille Baudoin tolir yie. (Ch.d.S.n,p.24.)
Bien nous loist ce par droit tenir
Que il soient as nos tolir. (Brut. v. 11110. 1.)
Qu'il voloient sa tiere toldre. (Phil. M. v. 29936.)
Le présent de l'indicatif se conjuguait de la manière suivante :
toi, et, avec l mouillé, toïl — tols, d'où tos, taus — toit,
tout.^ tot^ tant — tolons — tolei% — tolent — Enfin les formes
irrégulières: touh, toult, etc. (Cfr. vouloir?)
Impératif: tol^ tolons^ tolei%.
Mais par celui c'on apele Jhesu,
Se ne te toil le chief de sor le bu,
Je ne me pris vallisant .i. festu. (R. d. C. p. 171.)
Toi, toi tei, fist li prophètes à Giezi. (Q. L. d. E. IV, p. 358.)
Va li Evereus asegier
Celé li toi, si la me baille. (Ben. v. 21969. 70.)
Tu li tols toutes ses honors,
Tu prens le miols, le pior laisses. (P. d. B. v. v. 5442. 3.)
Di moi poui' quoi tu ies si fos.
Que ceste tiere nos tos
U tes anciestres ne tes avies,
Ne tu, ki tant ies vious et savies,
N'euis onques vaillant .i. pois. (Phil. M. v. 5296-300.)
Quant doit avoir en son jovent
Joie, tu li taus soutiument. (PL et Bl. v. 759. 60.)
Tu prens le dormant en son lit,
¥
UU VERBE. 219
Tu toids au riche son délit,
Tu fais biaute devenir fiens. (V. s. 1. M. XVII.)
Il liet lo fort, et se li toit ses vaissels. (S. d. S. B. p. 537.)
Mais cant il promet les plus granz choses, si toit il mimes les
plus petites. (M. s. J. p. 446.)
S'onor li tout, rien ne l'en lait. (Ben. v. 15656.)
Qui plus te het que riens qui seit.
Qui t'onor, ton lieu e ton droit
Te tout de tote Normendie. (Ib. v. 21930-2.)
Qant Baudoins l'antant, si mue son talant;
Ire li tôt son duel, de coi il avoittant. (Ch. d.S. II, p. 147.)
Li leus saut d'un buisson, 1 Se li tant .i. moton
Ançois que nus le voie. (Th.. Fr. M. A. p. 37.)
Alons, alons Eome conquerre.
Si tolons as Eomains la terre. (Brut. v. 11303. 4.)
Ne pais, ne foi ne nous tenes,
Nostre trou nous retolez. (Ib. v. 6348. 9.)
Toz jors vuelent sanz doner prendre,
Toz jors achatent sans riens vendre.
Il toleni, l'en ne lor toit rien. (Rutb. I, p. 219.)
Ne viellece ne jonete
Ne tolent la Dieu volonté. (R. d. 1. M. v. 109. 10.)
Et avec / mouillé:
Samblant faisoit que la volsist laidir,
Quant si home li toillent. (A. et A. v. 1136. 7.)
Présent du subjonctif:
Ja ne te toudra dous bordaus
Jeo ne li toille treis chasteaus. (Ben. v. 11950. 1.)
Si com l'ostoirs garde sa proie,
Quant famine U rueve et proie.
Qu'autres ne viegne M H toile. (Phil. M. v. 7630-2.)
NuUui ne toille à soun seinour sun dreit servise pur nul relais,
que il li ait fait en arere. (L. d. G. p. 184, 34.)
La forme ordinaire du parfait défini était toli.
Par moi te mande li vassaus Aimeris
Que envers toi n'ait ancore pais quis
De son cheval ke tu ier li tollis. (G. d. V. v. 515-7.)
A qui tu Escoce tolis. (Brut. v. 2424.)
Hisboseth erranment la mandad, si la tolid à Phalthiel sun banin.
(Q. L. d. R. n, p. 130.)
Fors fuit l'aubers, un millor ne demant:
Rois Eneas le toli Elinant
Par devant Troies en la bataile grant. (G. d. V. v. 2091 - 3.)
Rois Loeys fist le jor grant folaige.
Que son neveu toli son eritaige. (R. d. G. p. 10.)
220 DU VERBE.
Nus li tuUsmes l'ensaigne flambiant. (0. d. D. v. 784.)
Aymerias o le couraige fier,
Gui vos toUstes l'autre jor son destrier. (G. d. V. v. 2250. 1.)
Sissons toUistes au cortois Berangier. (G. 1. L. I, p. 130.)
Enqui refu granz li estotz à la porte, et la tor tolircnt par force,
et les pristrent laienz. (Yilleli. 451 *.)
Que del col me toUrent la targe belvoisine. (Ch. d. S. I, p. 127.)
Outre cette forme ordinaire du parfait défini, on en trouve
une en w«, et, à la troisième personne du singulier, tokt (?),
tost, tout. La terminaison uï est très -ancienne; mais tost^ tout
ne datent, que du dernier quart du XIII^ siècle. Tost, tout sont
des analogies à soist (soldre) et surtout à voist, vost^ vout (vouloir).
Chil qui tans livres et tans mars
Del avoir par le monde epars
Tolut à destre et à senestre. (V. s. 1. M. XL VI.)
•Bien a fet des ke il li plout;
Ceo pert as terres k'il lor tout. (E. d, E. v. 9551. 2.)
Mes pères fu rois de la ten-e
Que mes oncles me tout par guerre
Grant tort avoit et mespris a
Quant de la mort me desfia. (Brut. v. 4866-9.)
La dame prist à regarder:
Amours li tost si le parler.
Ou paours qui au cuer li touche,
C'un tout seul mot n'ist de sa bouche. (E. d. C. d. C. v. 174-7.)
Les formes de l'imparfait du subjonctif correspondaient à
celles du parfait défini, mais toïsisse, tosisse se montrent plus
tôt et plus souvent, au XIII ^ siècle, que les correspondants
du parfait défini. Ces anomalies, assez fréquentes dans notre
vieille langue, ont déjà été expliquées trop souvent pour que
j'aie besoin d'y revenir ici.
Un poi de rasuagement
Li tolist auques la dolui-,
Dunt il ot pale la colur. (M. d. F. I, p. 80.)
Plus en a mort de la moitié;
Ja n'en laiast aler un pie,
Se la nuit oscure ne fust
Et se li bois ne li tolust. (Brut. v. 9324-7.)
Il n'aroit oir qui lor nuisist.
Ne qui la terre lor tolsist. (Ib. v. 9189. 90.)
Tant n'eurent dyable pooir
La chartre ne lor tosissies
Et que vous ne la rendissies
Celui dont l'ame ert envaïe
Se ne fust vostre grant aïe. (R. d. 1. M. v. 5752-6.)
DU VERBE.
221
i
Futur: tolrai^ tour ai ^ taurai^ torrai'^ (assimilation de / à r),
tourrai^ par suite du fléchissement de Vo, et, avec d intercalaire,
toldrai^ toud/rai; conditionnel: tolroie^ tour oie, etc. (Cfr. vouloir.)
Si te tairai le moniage,
Si te randrai ton eritage. (Brut. v. 6665. 6.)
Et dist Ogiers: Le cief vos tapirai jus. (0. d. D. v. 1852.)
La premeraine refusée
Taurai jou le cief al espee. (Poit. p. 59.)
Jo susciterai mal sm- tei de ta maisun meime, e tolderai tel tes
femmes devant tes oilz. (Q. L. d. E. II, p. 159.)
Mais ma merci e ma miséricorde ne li toldrai pas, si cum jo fis
à Saul, que jo ai remued sur tei. (Ib. ead. p. 144.)
Qui n'i sera, très bien t'aficbe
Que lor tondras lor birete. (Trist. I, p. 156.)
Nos terres, ce dist, nous tolra
Et à Rome pris nos manra. (Brut. v. 11178. 9.)
Se il puet esploitier la teste li taura. (Romv. p. 345, v. 13.)
Voz champs, voz bones vignes, voz divers, toldra e à ses serfs
les durra. (Q. L. d. R. I, p. 27.)
Ja par esforz qui en lui seit
Ne vos tondra plein pe d'onur. (Ben. II, v. 306 - 7.)
Jai, se Deu plaist, ke tôt ait à jugier.
Ne l'an toreiz valisant un denier
Tant comje puise monter sor mon destrier. (G.d. V.v.1317-9.)
Et que vous riens ne me tourrez. (R. d. S. G. v. 1546.)
For quel ne con faiterement
La tondreiz à un innocent
Pour doner la à un sathan.
Ces dels aura tosjors od lui,
Auques li toîront son anui.
Ensi nos teiTes nous torront
U tous aservir nous voiront.
Ensemble ont lur consail pris
Q'au valet sa femme tondront. (L. d'H, v. 688. 9.)
La tere, ce dist, li tolroit
Et s'il pooit, il l'ociroit. (Brut. v. 4481. 2.)
Se de Melans venoit à som,
Constantinoble li toroit
Et sa volente en feroit. (Phil. M. v. 29892-4.)
E près tut le reaime li toldreit fors un lignage k'il li larreit.
(Q. L. d. R. m, p. 277.)
Porpensa sei qu'il li toudreit
Par aucun engien, s'il poeit. (Chast. XV, v. 65. 6.)
(Ben, V. 15088-90.)
(P. d. B. V. 1853. 4.)
(R. d. M. V. 1622. 3.)
(1) Dans la seconde moitié du XlIIe siècle, on trouve souvent toi'ai, au lieu d©
tori'ai, orthographe qui, à vrai dire, doit être considérée comme incorrecte.
222 DU VERBE.
Tant de paroles omies
Et de ma dame et d'autre gent
Qu'il vous toldroient le talent
Dont vous me dites vo voloir. (E. d. 1. M. v. 1966-9.)
Imparfait de l'indicatif: toloïe (Poit. p. 63), tolnes (R. d. 1. M.
V. 4935), etc.
Le participe passé avait pour formes: toloit, toïeit; tolu;
teus, à la rime. (Trist. I, 99).
L'on ne tient mie ce de droit
Que l'on a par force toloit. (Brut. v. 11108.9; cfr.v.8857.)
Nekedent si soi esjoist li malignes enemis de ce ke il les at alcune
chose toloit. (M. s. J. p. 500.)
Cil ki serunt remeis serunt toloit fors d'eas. (Ib. p. 511.)
Se combati od cel seignor
Qui si li out toleit s'onor. (Ben. v. 7592. 3.)
Kar la cite nos est toleite. (Ib. II, v. 895.)
Kant entre auz .ij. descendit une nue
Qui as barons ait tolu la veue, (G. d. Y. v. 3023. 4.)
Au dyable fa retolus
Par repentir Theophylus. (E. d. M. p. 68.)
Au valet ont sa femme tolue. (L. d'H. v. 698.)
Cfr. : Dieu sera juste estimateur de nostre différent, lequel je
supplye plustost par mort me tollir de ceste vie , et mes biens desperir
devant mes yeulx, que par moy ny les miens en rien soit offense.
(Eabelais, Garg. I, 46.)
Par leur vol, ilz (les pies et les geais) tollissoyent la clairte du
soleil aux terres subjacentes. (Ib. Pant. IV, Ane. prol.)
Tu la tolluz la romaine bannière.
Qu'on avoit faict au traict du parchemin. (Ib. Garg. I, 2.)
(Il) s'esclata de rire encormement, continuement, que l'exercice de la
râtelle luy tollut toute respiration, et subitement mourut. (Ib. Pant. IV, 17.)
COMPOSÉS.
Bestoldre^ destolïr , ùter^ arracher, détourner, empêcher, retenir.
Cunte ne duc ne li roi corune
Ne se poent de la mort destolir. (Ben. t. 3, p. 459.)
Le mal voudreit mult destolir
Qu'en paiz fust la crestientez. (Ib. v. 20692. 3.)
Nis pur poi qu'il nel orent ocis e abatu
Del bastun de la cruiz; mais Deus l'ad destolu.
(Th. Gant. p. 139, v. 29. 30.)
Bataille i ert, se il ne s'en destolt. (Cli. d. E. p. 125.)
Dans l'exemple suivant, destolu signifie (fcarté.
D'une part l'a mené en un liu destolu. (Berte, p. 168.)
Hetollïr, retoldre, enlever encore d^ nouveau,
DU VERBE. 223
Li derompt tote la maille,
Et si li retout son escu. (N. R. Fab. et C. II, p. 24.)
Et se tu vas rien parlognant.
Que si nel faces com jo mant.
Mont Giu à force passerai,
Bretaigne et France retolrai. (Brut. v. 10975-8.)
Maltolu^ mautoîu^ pris par force et contre justice, ravi.
(Yoy. Roquefort, s. v.)
Cfr.: Toîte^ impôt, taxe; maletoUe, maltôte, tributum quod
injuste et maie tollitur; toi (L. d. Gf. 175, 3), privilège dont un
seigneur jouissait dans l'étendue de sa terre, et qui consistait
à être exempt de toute taxe et de tous droits pour le trans-
port, l'achat et la vente des marchandises et denrées. Cette
signification de toi n'est cependant pas la primitive, il signifia
d'abord taxe sur les denrées et les marchandises, ordinairement
tonlieu dans la langue d'oïl, en basse latinité tolenium.
TRAIRE (v. fo.), trahere.
Le thème primitif de ce verbe n'a pas encore été retrouvé;
les plus anciens textes connus de la langue d'oïl portent déjà
traire. Comme faire , le verbe traire passa donc de fort bonne
heure à la conjugaison faible. Toutefois il nous est parvenu
assez d'exemples des formes non renforcées, qui plus tard
prirent aussi l'e de la diphthongaison régulière , pour ne laisser
aucun doute sur le caractère fort de trai/re ftrarej. Cfr. l'es-
pagnol traer, l'italien trarre.
Les thèmes de l'infinitif étaient les mêmes que ceux de
faire (v. ce verbe): traire., treire, trere.
Cumandad que l'um enseignast as fiz as Judeus traire de arc.
(Q. L. d R. II, p. 122.)
Quant tout li crestiien linage
Aurai fait à durte mort traire. (R. d. M. p. 46.)
D'un arbaleste ne poet traire un quarrel. (Ch. d. R. p. 88.)
Se commença à estrangier
Et treire à la foïe arrier. (R. d. S. G. v. 225. 6.)
Et vist celui si bien aider
Que il les fet tuz trere arere. (L. d'H. v. 736. 7.)
Présent de l'indicatif (et impératif): tras., très, puis trai.,
trei; trais., treis., très; trait., treit, tret ; traons., puis traions;
traeiz, puis traiez; traient., treient. (Q>f£. faire.)
De corrouz et d'anui, de pleur et d'amistie
Est toute la matière dont je iras mon ditie. (Rutb. I, p. 136.)
A tesmoing (j')en trai nostre Sire. (R. d. M. p. 30.)
224 DU VERBE.
Or irai de là un poi aricrc. (P. d. B. v. 10679.)
Ausi ciimme d'une partie
Laisse, que je ne retrei mie ... (R. d. S. G. v. 3501. 2.)
Conment tu trais rasoir de casse
Pour chiaus rere qui n'ont que prendre. (V. s. 1. M. XX.)
Sor les estriers s'afiche de randon,
Et trait l'espee dont à or fuit li pon,
Et fiert le roi desus son elme an son. (G.d. V.v.1573-5.)
Apres ce li demanderas
En quel liu li cuers le treit plus. (E. d. S. G. v. 3120.1.)
Lorl li gita ses braz au col, et il se fret anieres Elle le prent
par le menton ... (R d. S. S. d. R. p. 10.)
De tôt traion Dex à garant. (R. d. R. v. 14047.)
Traes vus en sus, fist Saul à tut le pople, une part. (Q, L. d.
R. I, p. 51.
Watraez pas sor vos ceste gent sanz créance. (Cli, d. S. Il, p. 102.)
Traes vous , fait Merlins , en sus. (Brut. v. 8349.)
Alez, fait il, traiez mon fil de la jeoille, si le destruiez. (R. d. S.
S. d. R. p. 15.)
Por ceu voil bien , chier frère , ke vos sachiez ke tuit cil enseuent
l'anemin avuertement, ki aucune chose de la sainte Escripture traient
maUciousement et orguillousement à lor sens. (S. d. S. B. p. 573.)
Tantost li traient fors le hauberc girone. (Ch. d. S. II, p. 34 )
Sajetes traient, pieres ruent. (R. d. M. p. 74.)
Ces terres trcstout vraiement
Se treient devers occident. (R. d. S. G. v. 3125. 6 )
Présent du subjonctif:
De mes avoirs pren, tant en aies
Que de cest grant péril me traies. (Ben. v. 16650. 1.)
Ceu di ju, chier frère, car je doz k'entre nos ne soit aucuens ki
cuist estre enlumineiz par songe solement, ensi k'il jai ne voillet mies
soffere ligierement c'un lo tracet à la main, anz voillet estre condui-
sieres d'altmy. (S. d. S. B. p. 560.)
Par tant doit l'om soniousement penseir quand li péchiez commencet
à blandir com à grant mort il traiet la pense. (M. s. J. p. 456.)
Convient que toute ceste gent
Se treie devers occident. (R. d. S. G. v. 3353. 4.)
Parfait défini: frm's; imparfait du subjonctif: traisisse^ traisse.
Mais ore dirras ces paroles à David de la moie part: Jo te trais
de là ù tu guardas les berbiz que tu fusses ducs sur mun pople de
Israël. (Q. L. d. R. n, p. 143.)
Et à ton mal, en cest païs,
Paiens et Saisnes atraisis^. (Brut. v. 7753. 4.)
(1) L'éditeur du Roman de Brut, M. Le Roux de Lincy , écrit à tort a traisîs, prenant
traisis pour le participe do traire et a, pour l'auxiliaire avoir. Outre que traire n'a
jamais eu de participe traisis, le composé atraîre convient beaucoup mieux au sons.
DU VERBE. 225
L'ame dou cors fii en enfer
Et brisa la porte d'enfer;
Tes amis tressis de leans. (Eiitli. H, p. 21.)
Pour chou revint à lui après
Jhesu, et de lui se traist près,
Et dist ... (K. d. M. p. 41.)
Jehan l'oncle Anfelise,
Que Torques par amors traist puis à son servise,
Qant fu régénérée à loi de sainte église. (Ch. d. S. I, p. 253.)
Et les plus senez de celé citée prendront une veale del arment,
que ne trahint jug, ne ne trencha la terre par sook. (Deuteronome.
Roquefort, s. v. veale).
C'est à tort que quelques philologues ont pensé que le h de
cette forme et semblables était primitif dans la langue d'oïl, et
que traù, traist, etc. étaient des syncopes de trahis, trahist , etc.
Les formes en h médial datent toutes d'une époque où la
prononciation commençait à s'altérer, et on introduisit cette
lettre pour l'indiquer aux yeux.
Nos trassimes la viez cotte, mais nos que peise nos tant l'avons
plus malement revestie. (S. d. S. B.)
Cette forme a induit Eoquefort à admettre un verbe trassir,
qui n'a jamais existé. C'est la forme primitive avec s inter-
calaire; plus tard on admit au radical Vi qui s'était fixé à
l'infinitif. Les deux s sont une réminiscence du x latin.
Droit en ynfier vous en alastes,
Dous Dex; les portes en brisastes
Si en traisistes vos amis.
Que dyable i avoient mis. (E. d. 1. Y. 5310-13.)
Le umbre veistes ke je vi,
Si vus en traisistes arere. (Trist. H, p. 128 ; cfr. I, 233.)
Droit à infer fu vos chemin tenant,
Eors en traistes vos amis maintenant. (0. d. D. v. 11662.3.)
Vos me tresistes vers vos .iii. foiz. (R. d. S. S, d. R. p. 73.)
Et le vendredi matin si traistrent les nés et les galies et les autres
vaissials vers la ville si com ordene ère. (Villeh. 460^.)
Od ce que mult fu dreiz li venz,
Traistrent les veiles, si siglerent.
Au rei des ceus se comanderent. (Ben. v. 37031-3.)
Et li Elament orent Galisse,
Braibençon traisent en Venise. (Phil. M. v. 6294. 5.)
Moult des Normans, jel sai de fi.
Se traisent au roi par afi.
Et il entra eu Normendie. (Ib. v. 16464-6.)
Par les piez me traissent à terre. (Dol. p. 261.)
Burguy , Gr. de la langue d'oïl. T. H. Éd. III. 1 5
226 DU VERBE.
Si se trairent arriéres et passèrent la montaigne d'autre part devers
Nique. (YiUeh. p. 161. CLXXV.)
Lorsque les formes du parfait défini eurent été altérées dans
leur prononciation primitive , probablement par suite surtout de
l'influence des orthographes en e pour «e, on écrivit très, trest,
trestrent , au lieu de trais , traist , traistrent , qui étaient devenus
trais ^ traist, traistrent.
Vos me preistes par le col, et me voulsistes baissier. Je me ires
arriéres, sanz parler. Vçs me déistes ... (E. d S. S. d. R. p. 73.)
L'autrier i très une dure jornee;
Tant i souffri de noif et de gelée
Que n'i dormi de si qu'en l'ajornee. (E. d'A. p. 4, e. 1.)
En sus se irestj et si cria
Si durement qe l'esveilla. (L. d'H. v. 439. 40.)
Li seneschaus se regarda,
Vers lui se trest^ si l'acola. (Ib. v. 871. 2.)
Il se trestrent ariere, e il esteit muntez
Sur un grant cheval blanc . . . (Th. Cant. p. 36, v. 13. 4.)
Si me fiasse tant en mei,
E je m'en osasse entremetre.
Ce qu'en truis escrit en la letre
En retraisisse chèrement. (Ben. v. 23644 - 7.)
Son avoir ne traisist uns cars
K'il avoit ensamble aiine. (R. d. 1. V. p. 162.)
Sire Raoul, valroit .i. rien proiere .
Que .i. petit vos traisisies ariere. (R. d. C. p. 54.)
Tos les sergans et les archers
Et les vaillans arbalesters
Mist des deus pars, fors de la presse,
Qu'il traisissent à la traverse. (Brut. v. 12790-5.)
Tel fais amaine de cauch et de moilon
Ne le traissent quatre destrier gascon. (0. d.D.v. 10556. 7.)
Yoici quelques exemples des formes de l'imparfait de
l'indicatif, du futur et du conditionnel:
Mais s'un petit te traioies en ça
De mort no vêle mes cors t'avestira. (R. d. C. p. 133. 4.)
Et entroient es barges , et traioient à nous. (YiUeh. p. 70. XCVI.)
Et cil d'ultre mer assailleient.
Et bien sovent se retraeient. (R. d. R. 13191. 2.)
Si U dist : Va, si m'aporte les saetes que jo ci trarrai. (Q. L. d.
R. I, p. 81.)
Ge mêlerai mes clés es franges del tablier, si me lèverai, si trerai
tout adonc à moi. (R. d. S. S. d. R. p. 47.)
Le lait métras devant mun hus,
Puis te trairas un po en sus. (M. d. F. II, p. 272.)
DU VEEBE. 227
Encontre saint iglise ad este lungement,
Mais des ore trarra à sun delivrement. (Th. Ct. p. 59, v. 16. 7.)
En quel partie qu'il vourra
Et lau li cuers plus le trerra. (R. d. S. G. v. 3115. 6.)
Treira. (Ib. v. 3360.)
E trarum enz un ewe, si que neis une pen-ette n'en seit truvee.
(Q. L. d. R. II, p. 182.)
De li aillors vos retrarrom. (Ben. v. 24958.)
Eendreiz en l'eve s'aime al moine,
Fors l'en trarreiz tornez en vie
E si que vos nel soprengiez mie. (Ib. v. 25761-3.)
Plus lonc que ne trairoit uns ars
S'est eslongies li uns del autre. (R. d. 1. V. v. 1897. 8.)
Et quant l'empereriz vit ce qu'elle ne treroit parole de lui, ne
qu'il ne diroit mot. (R. d. S. S. d. R. p. 10.)
Et devisèrent entriaus que li les treroient. (H. d. V. 507'*.)
A lor cliasteaus sus s'en trairoient (Trist. I, 30.)
Participe passé: ù'aïf, treït, tret.
Em paradys, dont puis maint a
Avoec lui trait de ses amis,
Et en sa gloire avoec lui mis. (R. d. M. p. 17.)
Par une vaute sousterine
Entra en la cambre perine,
L'iaume lachie, l'espee truite. (L. d'I. p. 23. 4.)
Naymes la trete; si l'a Karlon livrée. (R. d'A, p. 4, cl.)
Les exemples précédents montrent que le verbe traire
signifiait: tirer, retirer, traîner, entraîner, attirer, extraire,
ari'acher, mener, prendre — lancer des flèches, lancer, jeter.
— Se traire, se rendre, se placer quelque part.
Traire signifiait encore couper^ frapper de taille.
Il tint Certain, si le fiert par devant.
Amont en l'iaume l'a consuit en traiani. (Fierabras, p. 179.)
Je vous trairai à m'espee le chief. (G. 1. L. I, p. 130.)
Traire, joint à quelques mots, formait des locutions con-
sacrées, dont voici les principales:
Traire mal, paine, maie vie., soulîrir, avoir de la peine.
Dont j'ai trait lonc tans maie me. (R. d. 1. M. v. 6174.)
Car n'ert apris de nul mal traire. (P. d. B. v. 660.)
Pur avoir pris traist mainte paine. (Ben. v. 7630.)
Grant fu la joie e li reveaus
Entre la grant gent citaaine.
Qui le jor orent trait la paine. (Ib. v. 18969-71.)
Traire à chef, à fin., achever, venir à bout, mener à fin.
Mais del desfaire e del ester
En voil par ton conseil ovrer,
15*
228 DU VERBE.
E sil voudrai tôt à chef traire
Cum tu le me loeras faire. (Ben. v. 15180-3.)
Que n'a sos ciel mais chevaler
Qu'à tel péril n'a teu meschief
Traisist mais si faite ovre à chef. (Ib. v. 21629-31.)
Se de ce champ traien(t) paien à fin
Jamais en France n'orra(i) messe à matin. (Fierabr., p. 171, c. 2.)
Cfr. : Par ce vient bien à chiefde qanq'il entreprant. (Ch. d. S. I, p. 94.)
Traire des jih , travailler à l'aiguille.
An chambre à or se siet la belle Beatris;
Gaimente soi forment, en plorant trait ces fis. ("W.A.L.p. 1.)
Traire avant ^ augmenter.
K'il gairt son prix et se lou traice avant. (Ib. p. 31.)
Traire a la geste., tenir des qualités , des vertus , de sa race, etc.
Voit le Gerars; toz li mua li fron,
K'il traioit à la geste. (Fierabras, p. 166, cl.)
Aymerit nies, cuer aveis de bairon,
Bien traies à la geste. (Ib. p. 167, c. 1.)
COMPOSÉS.
Attraire, atraire, attii'er, entraîner, décider à, amener, se
procurer, ramasser, gagner, préparer, avancer.
A coignies tranchanz vont le bois trabuchier;
Plus atr aient sor Rune que ne lor fu m^stier. (Ch. d. S. H, p. 43.)
Et li Eomain les asalirent
Qui de lor gent mult i perdirent,
Car li Breton les atraioient
Al bois et si les ocioient. (Brut. v. 12326-9.)
Mais onques ne le peuc atraire
A çou, que ele se doutast
Tant, que son anui me contast. (R. d. 1. M. v. 6238-40.)
Quant Brutus ot sa cite faite
Et de sa gent grant masse atraite. (Brut. v. 1289. 90.)
Bien faire atreit la boenne fin. (R. d. 1. M. v. 3912.)
Ne soufera qu'aies dolor,
Ne coures, nire, ne soufraite,
Despuis qu'aures s'amor atrete. (P. d. B. v. 4396-8.)
Je di fortune est non voianz . . .
Les uns atret, les autres boute. (Rutb. I, p. 88.)
Gaainz, labors et noreture,
N'ahanages n'anz planteis
Ne les deffent d'estre chaitis.
De qxjLQjitqu'atreient les esnuent. (Ben. v. 26692-5.)
U se il la cuvenance me volt afiancier,
Ke fist le cunestable de Werc avant ier,
Senz guamisun atraire e senz rien esforcier. (Ib. t. 3, p. 552.)
DU VERBE. 229
Cfr. : Geste dame avoit beaucoup de grâce pour attraire un homme
à l'aymer. (Amyot. Hom. ill. Pompeius.)
(La parole) de Tyberius au contraire, (estoit) plus doulce et plus
attrayante à pitié. (Ib. ead. Tiberius et Gaius.)
Detraire, décrier, médire, calomnier — traîner, jeter à bas,
dehors, enlever; traîner de côté — tirer, arracher, déchirer,
mettre en pièces, écarteler.
Et tôt ensi ot ceos kel loent, cum ceos kel laidangent, tôt ensi ot
ceos kel losengent, cum ceos kel detr aient, anz nen ot ne les uns, ne
les altres, car il est morz. (S. d. S. B. Roquefort, s. v. detraire.)
Et la vielle l'a retret jus,
Moult le detret et sache et tire. (Fab. et C. III, p. 157.)
Que si chaiel la detrairimt
E forz de l'uis la bouterunt. (M. d. F. n, p. 88.)
Mais ele briement dit li a
Qu'ele ainçois se lairoit detraire
Qu'ele pust ja jour son cuer plaire. (E. d. 1. M. v. 2386-8.)
Pendus seres e detrais à somiers. (0. d. D. v. 6084.)
S'il ont este (li martir) por Dieu deffet,
Eosti, lapide ou detret . . . (Eutb. I, p. 11.)
Si que par force le restuet
Escorchier u des oilz desfaire
U à chevaus rumpre e detraire. (Ben. v. 20520-2.)
El rocher ot deux lions braire,
Huée se volt laissier detraire. (P. d. B. v. 5754. 5.)
Ses biaux cevex tire et détruit. (Poit. p. 21.)
Cfr.: (Le sénat) tascha de rappeler par honneurs et par présents
les armées qu'il avoit autour de luy, et luy distraire ceste si grande
puissance, disant qu'il n'estoit plus besoing de force pour la deffense
de la chose publicque. (Amyot. Hom. iU. Cicero.)
Entraire^ tourner, avoir du penchant, incliner.
Poi entrait à bonne nature. (E. d. S. S. v. 215.)
Estraire, extraire, faire paraître, mettre au jour, faire descendre,
former l'origine de qqn. ; au participe, extrait, issu, descendu.
Les dames dient k'il doit faire
Une loi nouviele et estraire
Par le commandement de Diu,
Chi après en tans et en Uu. (E. d. M. p. 54.)
Nous vous faisons assavoir qu'il ne nous convient pas ores à retraire
qui nous somes, ne d'où nous somes venus, e de quels gens estrais.
(Eoquefort, s. v. estrais.) Y. t. II, p. 108, 1. 27. Poit. v. 764.
Fortraïre, tirer, mettre dehors; éloigner, retirer, enlever
subtilement, séduire, suborner.
Se li fortraist celeenient
Bien grant partie de sa gent,
230 DU VERBE.
Par promesse et par mètre ostage
D els francir de lor culvertage. (P. d. B. v. 227-30.)
Une famé qui haoit une autre famé, par ce qu'elle lui fortraioit
son baron. (Roquefort, s. v. fortraire.) V. mestraire.
Maltraire, maltraiter, mal recevoir; souffrir, peiner.
Mestraire^ mal tirer, jouer à faux, tricher au jeu.
Mors en une heure tôt fortrait,
Qui ne pert nul giu par mestraire. (V. s. 1. M. XXVÏÏ.)
Sovent nos mesjeue et mestraif. (Ben. t. 3, p. 517.)
Sempres i eust mereau mestrait
E à Gui teu damage fait
Qui ne fust pas del an entier
A restorer sain ne léger. (Ib. v. 36566-9.)
M. F. Michel explique mereau mestraire^ par jouer vilain jeu.
Portraire, former, représenter, dessiner, peindre.
Li sorcil, qui estoient brun,
Et estoient si bel chascun,
Gom s'il fussent de main portret. (Romv. p. 591. 2.)
A grant mervelle fu bien faite
Et moult soutiument portraite
Par menue neelure. (PL et Bl. v. 447 - 9.)
Mettre en évidence, étaler, déployer.
Sor Mahomet font un engien portraire
Dont tôt li ost resplendist et esclaire. (Agolant, v. 650. 1.)
Retraire , retirer, se retirer, retenir, détourner, s'abstenir,
renoncer, ne pas accomplir un voeu , etc. ; dire , exposer, retracer,
rapporter, raconter; avoir les inclinations de sa race.
Car adies l'esgarda el vis.
Chascun sambla et fu avis
Qu'ele ne pot ses iex retraire.
Asses vous poroie retraire
De ses regaxs et de s'amour. (R. d. 1. "V. p. 158.)
Et quant l'empereres Alexis vit ce , si commença ses genz à retraire.
(ViUeh. 453-^.)
Mais ensi est k'el n'en puis faire:
Lacie m'aves, n'en puis retraire. (FI. et Bl. v. 2267. 8.)
Unkes de mal faire ne se voleit retraire. (Ben. t. 3, p. 583.)
Quant des veus voles retraire. (P. d. B. v. 4177.)
Bien sunt de par le duc semuns
Qu'à Roem viengent senz retraire
Tuit prest de sun servise faire. (Ben. v. 8453-5.)
^ans retraire ^ signifie sans appel, sans y manquer.
Car vo grans sens et vo biautes
Vostre manière, vo nobletes,
Et le bien qu'a Diex en vous mis,
DU VERBE. 231
Font que je sui vos vrais amis
Et serai, dame, sans retraire. (E. d. C. d. C. v. 199-203.)
Car ele est trop de grant francise,
Ele est tant franco et debonaire,
Ne se poroit longes retraire
De vos amors por nule rien. (P. d. B. v. 6072-5.)
Tant ot en son cuer de pitié,
De charitei et d'amistie
Que nuns nel vos porroit retraire. (Rutb. I, p. 52.)
Kar me seit or dit e retrait
Quel tort jeo vos aveie fait. (Ben. v. 2883. 4.)
Ne pueent as vilains retraire
Por noreture qu'il en aient,
A lor gentillece retraient. (Eoi Guillaume , p. 94.)
Cfr. : Ayant perdu une bataille à la contrée des Orcyniens . . .
par trahison de l'un de ses gents; ... il ne donna jamais le loisir au
traistre de se saulver de vistesse , et de se pouvoir retraire devers les
ennemys. (Amyot. Hom. ill. Eumenes.)
n jecta en terre ... un cuir tout sec et retraict de grande seiche-
resse. (Ib. ead. Alexandre.)
Pour retourner à Pendes , estant encores jeune il redoubtait fort
le peuple, poui' ce qu'il sembloit retraire un peu de visage à Pisistratus.
(Ib. ead. Pericles.)
Sortraire., séduire, corrompre, débaucher.
El li a conte de son fils,
Del cune dusqu'en la raïs,
Con une fee l'a sortrait,
Et con i vient tos sels et vait.
Et sel desfent de li veoir. (P. d. B. v. 4353-7.)
Sostraire, soustraire, détourner, ravir; se sostraire.
Kar pur voir si il i ussent cumpaignie, lur quers del servise Deu
sustrarreient e à deables e ydles servir les attrarreient. (Q. L. d. R. III,
p. 275.) V. 1. 1, p. 226, 1. 19.
VAINCRE (v. fo.), vincere.
Le thème primitif de ce verbe a été v encre , dont on renforça,
avec i postposé, Ve radical, devant les terminaisons légères;
mais 1'^* s'introduisit de bonne heure à l'infinitif, et, par suite,
vencre passa à la conjugaison faible, sous les formes vemcre,
vaincre.
Li visce ki nos rubent , se nos malement somes liet , ne nos puent
vencre , se nos bonement somes dolent. (M. s. J. p. 453.)
Dont repenrunt il lur cors ki ci les aidout vencre, et en cel
jugement acquerront l'entreie del céleste règne. (Ib. p. 491.)
Se me pues veincre em bataille campel, (0, d. D, v. 1359.)
232 DIT VEKBE.
En estiu- pur veincre la gcnt. (M. d. F. H, p. 437.)
Nos esteura vaincre u morir. (P. d. B. v. 2421.)
Au lieu de veincre , on trouve souvent veintre dans plusieurs
textes publiés; p. ex. dans la Chanson de Roland, p. 86, v. 3. 5;
veintrat, p. 29 v. 19 ; veintrum, p. 48 v, 24, p. 62 v. 1 ; dans les
Quatre Livres des Eois, I, p. 13, veintereient ; dans la Chronique
des Ducs de Normandie, vemtre, I, v. 493, II, v. 442, 4247,
4760, 6098, 6159, 23029, 26178, 30739; veintrai, v. 23596,
etc. etc. Ce t est -il correct? Je le crois, bien que souvent
il soit difficile de distinguer les lettres c et ^ dans l'écriture
de nos anciens monuments. On a quelques autres exemples
du changement de c en ^, et, au contraire, de t en c.
Yoici quelques exemples des formes de veincre.
Se tu me vains al espee tranchant,
Toute ma terre aras à ton commant. (R. d. C. p. 98.)
S'il vaint, il aura le ligance
De tôt le roiame de France. (P. d. B. v. 2811. 2.)
Dunkes à penseir fait ke la envoisure des biens ne nos soi*plantet
cant nos venquons les malz. (M. s. J. p. 448.)
Ne purquei les choses menors
Prennent e venquent les plus gi'anz. (Ben. I, v. 252. 3.)
Dont veissies pule frémir.
Homes et femes fors issir,
Saillir sor mur et sor maisons.
Et reclamer Deu et ses nous,
Que cil venque qui pais lor tiegne.
Si que mais guerre ne lor viegne. (Brut. v. 10278-83.)
Feres, fait il, bon crestien.
Que ne vos venquent li paien ! (P. d. B. v. 2189. 90.)
Des que tu Cesio venquis. (Brut. v. 2423.)
N'ere mais amie ne drue
A home nul s'a celui non
Qui orains vainqui le lion. (Poit. p. 29.)
Au roi Gunter se combati
Et as Danois, sis venqui. (L. d'H. v. 31. 2)
La bataille vanqirent androit none sonant. (Ch. d. S. Il, p. 78.)
Puis leur a dit se il vencoit
Que à cascuns son fief croistroit. (Bmt. v. 12486. 7.)
Se ma dame ma vaineoit. (C. d. C. d. C. p. 26.)
Certes je vaincrai le tornoi. (P. d. B. v. 7535.)
Qui vencus iert, si soit deshonores,
Et qui vaincra s'en ait les hérites. (0. d. D. v. 4542. 3.)
Sire, fait il, bataille aurons.
Et, se Deu plaist, bien le vaincrons. (P. d. B. v. 2379. 80.)
Li hai'di vaincront les coars. (Ib. v. 2360.)
DU VERBE. 233
Bien se fioit qui'il le vaiiicroU. (P. d. B. v. 9532.)
Dont il veincroit son enemi, (L. d'H. v. 1053.)
Que sans dotance les vaincroient. (Brut. v. 12665.)
Et jai at vencuit lo pechiet en sa propre personne , quant il l'umaine
nature receut senz totes taiches de pecMet. (S. d. S. B. p. 537.)
Mez il furent veincii, et en fuie tornerent. (R. d.R. v.1054.)
Si souvent que vaincue suy. (R. d. G. d. G. v. 3529.)
Ge m'est avis que jo i soie
E que jo ja vainqus les voie. (Brut. v. 11301. 2.)
N'en court de bataille venchu. (R. d. S. G. v. 927.)
Ge ne vos rende sempres coi et vendm. (R. d'A. p. 1, c. 1.)
Ce ch pour c fort a déjà été expliqué fort souvent.
Vainqant (Gh. d. S. H, p. 79).
Remarquez le composé sor vaincre, vaincre, subjuguer, dominer,
triompher.
Guide me tu sorvaincre'^ tu as le san perdu. (Gh. d. S. n, p. 162.)
YIYRE (vivere).
Le verbe vivre faisait, au parfait défini, avec affaiblissement
de IV en e, vesquï, veski^ vesqi, vescJii (sk, squ, sch, se === x),
au participe vescu, veschu^ et, vers la fin du XIIP siècle,
vesqui (Y. naître)
Li bons de\Toit vivre à loisir. (P. d. B. v. 5439.)
Bien cuidai vivre sans amour
Des ore en pais tout mon ae. (G. d. G. d. G. p. 25.)
E or sai ben n'avons guaires à vivere. (Gh. d. R. p. 75.)
Kar por seint eghse maintenir,
Youdrat u vivere u moiir
A honour. (Ben. t. 3, p. 623, c. 1.)
Gertes c'est grans desloiautes
Que jou vif et vous lestes mors. (Phil. M. v. 8641. 2.)
D'aler à li or ai quis l'achoison
Dont je morrai; et si je vif, ma vie
Yaudra bien mort. (G. d. G. d. G. p. 90.)
Vif e règne paisiblement,
Geo ottrei e voil, tei e ta gent. (Ben. II, v. 643. 4.)
Or meismes lai où il en luy , et en ayer luy vit plus bienaurousement
(S. d. S. B. p. 554.)
Suffi-e que jo vive si cume jo ai este od tun père, od tei, si te plaist,
sen-ai. (Q. L. d. R. II, p. 177.)
Quar il covient que cil sols vivet bestialment ki par humaine raison
ne soi atempret. (M. s. J. p. 513.)
Pour la miudré dame ki vive
A fait et rimee ceste oevre. (R. d. 1. Y. v. 6639. 40.)
Unques puis qu'il vesqui nul jor
234 DU VEKBE,
Ne fist al duc si servir non
Od quor do bone ©ntention. (Ben. v. 10068-70.)
Tant com il vesqui et raina
Tos autres princes sormonta
De cortoisie et de proesce. (Brut. v. 9262-4.)
Enpres cest fet rois Aelsis
Ne vesquit mes qe quinze dis. (L. d'H. v. 1091. 2, cfr. 1084.)
Cette orthographe en t finale était très -rare, et n'appartient
pas aux bons temps. ■
Et quant plus ensamble veskirent
Et tant plus bonne amour maintinrent. (E. d. 1. V. v. 6632. 3.)
Nuls biens ne me peust venir
A nul jor mais que jeo vesquisse
Se issi malement vos perdisse. (Ben. v. 6026-8.)
Mult ère à ceo volenterif
Cum vesqueisse contemplatif. (Ib. v. 11249. 50.)
Vesqueisse est sans doute une analogie à queisse et autres
formes semblables.
Ja ne poi geo merci avoir
Que jeo vesquisse dusqu'au soir. (M. d. F. Il, p. 378.)
Vequisse (?) (G. 1. L. n, 240.)
E veirement le sai que si Absalon vesquist, tuz i fussums morz, e
ço te plarreit. (Q. L. d. R. n, p. 191.)
D'euz toz en fust icist la flors,
Se fust que longement durast,
Qu'il vesquist plus e qu'il regnast. (Ben. v. 30013-5.)
Et sanz doute, se il veschist
Vaspasien, se il vousist
Garessist de sa maladie
Ne fust si granz ne si antie. (E. d. S. G. v. 1063 - 6.)
Dont sont il mort? Par foi, ce enten ge,
Car s'il vescuissent, ja Eenars
N'euist corone ... (R. d. Een. IV, p. 61.)
Vivaient (M. s. J. p. 465) , vivrai (P. d. B. v. 6102); Poit p. 29;
Th. F. M. A. p. 40), viverai (Trist. H, p. 104), viveras (Q. L. d. R.
IV, p. 416), viverad (ib. I, p. 81 ; Ch. d. R. p. 153), vivrons (Ben.
V. 24979), vivreiz (ib. v. 24369), viveront (Fabl. et C. I, p. 285),
vivreie (Trist. II, p. 79), viveroie (R. d. C. d. C. v. 8117), vivreit
(Ben. V. 15357), etc. etc.
Diex, pour qui j'ai vesqui en terre. (N. E. F^ et C. Il, p. 289.)
On lit dans les S. d. S. B. p. 554:
Quant sainz Polz fut convertiz , si devint ministres de ceste conver-
sion par tôt lo munde, car il mainte gent convertit à Deu par l'office
de prédication, za en ayer quant il ancor estoit en char, et s'il donkes
ne veskivet jai mies selonc la char.
DTJ YEBBH. 235
Cette forme veskivet, reconnue par Koquefort , est une faute
de copiste. La construction et le sens de la phrase repoussent
l'imparfait de l'indicatif; on doit remplacer veshivet par veshist,
c'est-à-dire par la troisième personne du singulier de l'imparfait
du subjonctif.
La forme suivante est également incorrecte:
Dunkes bien est demostreit, quand la terre des païens est ramem-
breie, ke li bieneurous Job viscat entre les félons. (M. s. J. p. 441.)
Vivre s'employait souvent avec le pronom se au sens de
se nourrir, se sustenter.
E la vitalle de coi nos nos vivron. (E. d'A. p. 5, c. 2.)
Afin d'éviter des redites, j'ai réservé, pour en parler en
commun, deux classes de verbes qui font partie de la quatrième
conjugaison : ceux en . . . ndre et ceux en uire ^
A. Voyons d'abord les verbes en . . . ndre , qui , dans le
principe , dérivaient tous de primitifs latins en n^ere.
Dans l'ancienne langue, on avait l'habitude d'écrire ^n, lorsque
la nasale n , simple ou redoublée , était suivie d'un i ou d'un g
adouci (fj; puis, souvent encore, on diphthonguait avec i la
voyelle précédente, en Bourgogne et en Picardie; p. ex.
Campania, Champaigne , etc. Aujourd'hui ce gn a le son de nj\
et, au treizième siècle, il en était sans doute déjà ainsi, puisque
les auteurs allemands du moyen -âge écrivaient Schampanje, etc.
Néanmoins la place du son guttiu-al doit avoir été celle que lui
donne l'ancienne ortliographe , et le ^ se prononçait alors comme
n nasal , d'où , avec assimilation des consonnes ^ ^ gn = ngn. En
fixant ainsi la prononciation de gn, on se base: 1 ^ sur ce
que les mêmes assimilations nasales se retrouvent avant le gn
de l'ancienne langue latine, lequel a également pour nous le
son nj^ mais que les Eomains prononçaient ngn (cfr. singnum
des inscriptions) ; 2 ^ sur les nombreuses orthographes en ngn
(1) Je me sers des dénominations ndre, uire, pour éviter des circonlocutions; mais
je n'entends pas dire que ndre, uire soient des terminaisons.
(2) On a vu, à l'article Dérivation, que très -souvent les consonnes produisent un
changement des voyelles. Le cas contraire a lieu aussi, c'est-à-dire que certaines
voyelles influent sur les consonnes, a) Le son de la consonne est déterminé par la
voyelle suivante , p. ex. c sonne autrement devant a que devant i. b) Le renforcement
des voyelles et l'assimilation de la 2« et 3e espèce (v. Dérivation) influent sur la con-
sonne suivante, quand celle-ci est une liquide, c'est-à-dire qu'on la redouble. On
a vu p. ex. ai'mme, de amer, faillir, après que Vi se ftit introduit dans le radical, etc.
Cet usage n'était cependant pas une règle générale.
236 DU VERBE.
de la langue d'oïl K (V. Wackernagel , Altfranzôsische Lieder
und Leichen, pp. 164-7.)
Les observations qu'on vient de lire étaient nécessaires pour
expliquer l'orthographe primitive de nos verbes en ndre, c'est-
à-dire gnre, en Bourgogne et en Picardie.
Et si ne porras mies atignre (attingere) à lei. (S. d. S. B. p. 528.)
Certes , forz est amors si cum morz , et dure si cum enfers chariteiz,
dont tu leis en un altre leu, ke les granz awes ne poront mies estignre
(exstinguere) la chariteit. (Ib. p. 569.)
Estignre, plus tard estaindre^ esteindre, signifiait éteindre,
ne pouvoir plus respirer, étouffer, mourir, détruire.
Si est épris ne puet estaindre. (E. d. 1. M. v. 475.)
Si tu à la parsomme vis de foit ensi k'il ne covignet mies pîaignre
(plangere) ke tu ayes oblieit ton pain à maingier. (S. d. S. B. p. 534.)
Ancor te di plus , ne mies solement oygnre (ungere), anz lo (lo chief )
covient nés engraissier. (Ib. p. 565.)
Oignre, plus tard oindre^ signifiait oindre, frotter, enduire;
flatter, s'insinuer. On verra plus bas le composé enoind/re
(inungere), oindre, frotter, enduire.
Dès la fin du XII* siècle , on fit l'intercalation ordinaire du
d entre *^ et r, et l'on n'écrivit plus le y, d'où ndre.
La Normandie orthographiait ngre^ nger, et le g se conserva
même encore après qu'on eût intercalé le d.
E requist le rei de Moab que sis pères e sa mère fussent entur lui,
dès ci qu'il soust que Deus li freit ki Tout fait enuingdre à rei sur
Israël. (Q. L. d. R. I, p. 85.)
Avant d'aller plus loin, il faut se demander: Les verbes en
ndre dont la voyelle radicale était a ou o, doivent -ils être comptés
parmi les verbes forts? Les plus anciens thèmes auxquels il
est possible de remonter nous les montrent déjà tous renforcés,
néanmoins il nous est resté quelques formes qui permettent de
répondre affirmativement à cette question. Ici , comme partout,
le renforcement des formes à terminaison légère a passé au
thème de l'infinitif, mais ce passage doit avoir eu Heu dès la
seconde moitié du XII* siècle.
Quant aux verbes en ndre qui avaient « pour voyeUe radicale,
le son de 1'^* devant w, favorisé par l'analogie à ceux en a
radical, fit introduire, selon les provinces, a ou e au thème de
l'infinitif, et cette diphthongaison irrégulière passa aux autres
formes. On remplaça même assez souvent Vai ou Vei par ot;
(1) Cette remarque fournit en même temps l'explication complète des orthographes
n, ng, gn, ngn, g, pour indiquer le sou nasal.
DU VERBE. 237
toutefois ces formes irrégulières en oi appartiennent, pour la
plupart, à la seconde moitié du XUI*" siècle.
Yoici quelques exemples des infinitifs en ndre.
Lascher, faindre ne resortir
Ne se volait de Deu servir. (Ben. v. 8894. 5.)
Ne volez pas celer ne faindre
A quei l'om pot à vos ateindre. (IL. v. 9312. 3.)
Faindre^ feindre (ûngere) signifiait dissimuler, déguiser, feindre,
tromper, — et comme verbe réfléchi, se faire passer pour, se
cacher, se ménager, travailler nonchalamment.
Ce violt que soit li siens mestiers
De vos çaindre premiers l'espee. (P. d. B. v. 2014. 5.)
Çaindre (cingere) avait le sens de ceindre, revêtir, être revêtu.
Composés: acaindre, enceindre, entourer, environner, enclore.
De^aindre, ôter une ceinture.
Granz colz se donent es escus de quartier
Desoz les boucles les font fraindre et brisier. (G. d. V. v. 2357. 8.)
Homs ne doit freindre ne desjoindre
Cels q'asembler velt Diex et joindre. (N. R. F. et Cil, p. 34.)
Fraindre (frangere) signifiait rompre , briser, casser, séparer ;
enfreindre.
Composés: Fsfraindre^ effraindre, détruire, rompre, briser,
Befraindre ^ ^ réprimer, réfréner, renoncer, rabattre, apaiser,
modérer, soulager.
Ainz que lor dol puissent refraindre. (Ben. v. 28803.)
Cil ne valdrent mie remaindre.
Ne de lor requeste refraindre. (Brut. v. 591. 2.)
Enfraind/re^ enfreindre.
En la chambre revint arrière
Que le feu desteindre cuida. (Chast. XXIII. v. 98. 9.)
Besteindâ-e ^ avait la signification de éteindre, calmer.
En Eencesvals à EoUant irai juindre.
De mort n'aurat guarantisun pm* hume. (Ch. d. R. p. 37.)
Joindre (jungere) signifiait joindre , unir, lier; engager un
combat, assaillir.
(1) n ne faut pas confondre , comme cela est souvent arrivé , le verbe refraindre
avec refréner (refraenare) , tenir en bride, arrêter.
Qu'autresi cume riens desvee
Qui ne pot estre refrénée,^
Les vait desmenbrer e ocire. (Ben. v. 38713-5.)
Ço li respunt le cunte : Refrénez cel talent. (Ib. t. 3, p. 546.)
Cfr. ajrener, arrêter, retenir, mettre un frein.
Lor mautez savait ajrener,
Vengier , apaisier e dampner. (Ben. v. 17431 . 2.)
238 DTJ VERBE.
Composés: Conjomdre , conpimlre ^ réumr, contracter. Des-
joindre, dejoindre, disjoindre. Enjoindre^ enjoindre. Ajoindre.
Plaindre se doit, qui est batus. (Romv. p. 531.)
Plaindre j plaindre, regretter, gémir, soupirer, lamenter.
Composés: Compïaindre^ plaindre, gémir, lamenter, avoir
du chagrin. Desplaindre ^ plaindre fort.
Dont moult m'a fait pâlir et taindre. (R. d. C. d. C. v. 3156.)
Taindre (tingere) signifiait teindre, colorer, changer de couleur,
avoir l'air blême, défait, défiguré.
Cil qui poindre dévoient. (H. d. V. 495**.)
Poindre (pungere) avait le sens de piquer, aiguillonner,
stimuler, exciter, poindre; donner des éperons à un cheval,
aUer au galop, en toute hâte, s'élancer.
Composés: Repoindre. Apoindre^ donner des éperons, se
hâter, s'empresser.
On trouvera plus bas des exemples d'un verbe empeindre^
empeindre , dans lequel il faut bien se garder de voir un composé
de poindre, bien que la seconde moitié du XIIP siècle fournisse
des formes en oi , au lieu de ««, ei radical. Empaind/re dérive
de impingere; il signifiait heurer, fi'apper, pousser, élancer, lancer,
jeter — heurter contre quelque chose — embarrasser.
Je citerai enfin le verbe straindre., serrer, resserrer, mettre
à l'étroit , étrangler ; qui disparut de bonne heure et fut remplacé
par le composé estraindre (exstringere), étreindre, serrer, resserrer,
presser, réduire, restreindre. A la même racine appartenaient
encore: a) Bestraind/re (destringere) , arrêter, réprimer, punir
avec sévérité, forcer, opprimer, tourmenter, maltraiter, contraindre
par saisie des biens.
En tele manière que il nous devoit destraindre par son chastel et
guerroier. (H. d. V. 508 ^)
hj Restraind/re (restringere), restreindre, resserrer, retirer, replier.
S'eslaissa li cuor e tant crut,
Ne pout restreindre quant il dut. (R. d. R. v. 7545. G.)
c) Astraindre^ astreindre.
A la fin du Xm^ siècle et au commencement du XIV®,
l'influence des formes qui avaient gn , fit créer des infinitifs où
cette combinaison se retrouve ; mais comme la prononciation du
gn s'accordait mal avec re^ on rapporta ces nouveaux thèmes
à la première conjugaison.
Le présent de l'indicatif des verbes en ndre se conjuguait
d'abord de la manière suivante, p. ex.:
plaing , plainz, plaint^ plagnons, pïagneiz^ plaignent^
DU VEKBE. 239
c'est-à-dire que la première personne du singulier n'ayant
aucune terminaison, le g conservait la place qu'il avait dans
le latin; qu'on syncopait le ^, comme les autres consonnes,
devant les terminaisons s (%) et t de la seconde et de la troisième
personnes du même nombre ; qu'enfin on écrivait gn au pluriel
pour la raison que j'ai donnée ci -dessus.
Le présent du subjonctif s'écrivait gn pour la même cause.
Au lieu de ng ^ à la première personne du singulier du
présent de l'indicatif, on orthographia souvent en ^, dès le
milieu du XIII^ siècle. (Voy. tenir.)
Après l'introduction de la forme ndre^ on conjugua quel-
quefois comme si le d eût été radical, c'est-à-dire qu'on le
conserva à toutes les formes oii l'on admettait la consonne
finale. Cette méthode est celle que suit le texte des oeuvres
de S. Grégoire. (Cfr. prendre.)
Dex! dist la dame, que le mont a sauve,
Or ne j^laing pas ce que lui ai donne. (R. d. C. p. 161.)
En recordant ma grant folie ....
Me plaing .vij. jors en la semaine
Et par reson. (Ruteb. I, p. 30.)
Et ge me plaig, si ai reson. (Romv. p. 531.)
Quant tu avéras, dist il, geuneit, oing ton chief. (S. d. S. B. p. 563.)
Dist nostre Seignui* à Samuel : Lieve , si Venuing ; cist est mis esliz.
(Q. L. d. E. I, p. 59.)
Tôt ton message à ce estreing
Qu'à jeter l'en essaiereies. (Ben. v. 15203. 4.)
Tôt le poeir de lor noisance,
Od la vertu de ta puissance
Fraing e abat, este e confunt. (Ib. v. 13249-51.)
Dame, dist il, pas ne me faing,
N'en moi n'a orguel ne desdaing. (P. d. B. v. 1209. 10.)
Ha! fortune! chose legiere.
Qui onis devant et poins derrière,
Comme es marrastre! (Rutb. I, p. 82)
Nostre Signer oynt cil ki en toz leus est sa bone odors. (S. d. S. B.
p. 563.)
E qui enfraint la pais le rei en Merchenelae , cent solz les amendes.
(L. d. G. p. 174. 1.)
Qu'en .ij. moitiez li fremt le col. (Chr. A. N. I, p. 26.)
Tant se porront dedenz deffendre
Cum il i auront que mangier,
Qu'entors les doves deu teiTer
Cort Lisle e aceint de toz liez. (Ben. v. 33845-8.)
Le destrier point des espérons doreiz. (G. d. Y. v. 630.)
Fous est qui le feu esteint sofle. (Ben. v. 15362.)
240 DU VERBE.
Si bien Venpaînt Geris li viex floris,
Que Berniers a les esti-iers guerpis. (E. d. C. p. 135.)
Jofroiz li Angevins an la presse s'anpainf. (Ch. d. S. I, p. 201.)
Et avec oi pour ai:
Enpoint le bien , si l'ait fait trabucMer. (G. d. V. v. 270.)
Qant le voit Guiteclins , d'ire taint comme pois. (Ch. d. S. I, p. 201.)
Joouse porte droite là où a grant luor,
Sovantes foiz la tadnt de vermeille color. (Ib. II, p. 147.)
Car amors ne se faint niant. (P. d. B. v. 6812.)
Ainssi ses grans sens li destraint
Li feus d'amours et li estaint. (R. d. C. d. C. v. 803. 4.)
Adont estruint li quens son conseil entre lui et ses Lombars. (H. d.
V. 501^)
Mais alsi com nos nos compîainâons à nostre Sanior , quant nos cez
choses avons oïes, et nos li disons .... (M. s. J. p. 491.)
Quantes foiz nos rastrendons les turbilhous movemenz del corage
desoz la vertut de mansuetudine. (Ib. p. 513.)
Maintes foiz turnons nos mimes les visées el usage de vertuz , se
nos nos astraindons encontre eaz par fort estude. (Ib. p. 455.)
Foignons avant plus sommes nos .iii. tans. (R. d. C. p. 153.)
Et nous aussi ne nous faignons. (Renart le Nouvel, t. IV, p. 174.)
Poignes , François : demandeiz M feri. (G. d. V. v. 494.)
Ne pour chose dont vous vous doutez de lui, ne destraingez auques do
plait; mais, pour Dieu, restraingez vostre coer entre vous. (H. d. V.501*.)
Et veïr les angeles montanz et descendanz est esgardeir les citains
del sovrain païs , et aperzoivre u par com grant amor il soi adjoindent
à lur faite desor ceaz, u par com grant compassion de cariteit il
descendent à nos floibeteiz. (M. s. J. p. 480.)
Isnelement ceignent lur branz. (Ben. v. 5248.)
Ceingnent espees del acer vianeis. (Ch. d. R. p. 39.)
Ceinent espees enheldees d'or mier. (Ib. p. 149.)
Çaingnent espees od les brans vienois. (0. d. D. v. 6799.)
Chaignent espees , es cevaus sont saillis. (Ib. v. 7828.)
H li deslacent son vert elme à or mier.
Puis li descaignent son bon branc qu'est d'acier. (R. d. C. p. 62.)
Rune et mi anemi m'açaignent de toz lez. (Ch d S. Il, p. 19.)
Cil del chastel point ne s'i feignent,
Lor enemis as chans empeignenf. (Ben. v. 28358. 9.)
Ja li volsist la teste rooignier.
Quant au rescorre pognent mil chevalier. (0. d. D. v. 3309. 10.)
Jofrois et Miles de Braibans repeignent chascun à la soie (eschiele).
(H. d. Y. 495«.)
Karles sona .i. cor por sa gent ralier,
Et li baron apoignent à la voiz por aidier. (Ch. d. S. II. p. 138.)
Si s'entreviennent par tel forche
DU VERBE. 241
Que tout aussi comme escorche
Esclicent les lanches et fraignent. (R. d. 1. V. v. 5528-30.)
Li .j. fuient tout esperdu,
Li autre cachent et ataingnent,
Tant bon cheval illuec estaingnent.
(Ib. V. 6057-9; cfr. P. d. B. v. 4504.)
De ceu est ceu ke li altre l'arguent et reprennent et dient k'il
soffrir ne puient la perece de sa tevor , cuy il assi cum par uns avvillons
destraignent et bottent assi cum à lor mains. (S. d. S. B. p. 567.)
Pai- lor dois cans les fols ataignent. (Brut. v. 741 ; cfr. Villeh. p. 209.)
Mais quant l'a trait vers ses orelles,
Cierges estingnent et candelles. (P. d. B. v. 1113. 4.)
Pitusement plurent andui,
Plangent lur bone companie
K'isi bref ment ert départie. (Trist. II, p. 52.)
Dont encor s'en plagnent les armes. (Phil. M. v. 1915.)
Mult crem qu'ai départir m'en plaingne. (Ben. v. 10420.)
Si avient à la foiz ke la pense plus haitie, soi joindet un pau plus
largement al rait de son esgardement. (M. s. J. p. 484.)
Urake li dist qu'il le çaigne (l'espee). (P. d. B. v. 6831.)
Que Melior li çaingne espee. (Ib. v. 6899.)
Li altres geunet par rancor et par impascience, et à cestui est
mestiers k'il son chief oignet. (S. d. S. B. p. 565.)
Rainelet, il convient c'en oigne
Ten pauc, lieve sus .j. petit. (Th. Fr. M. A. p. 64.)
Ors ne lion n'est, ne beste sauvage.
Qui tel folz est ne fraigne son voloir
De fere mal et ennui et damage. (C. d. C. d. C. p. 100.)
Et totevoies ne lait il mies por ceu k'il ne requieret ke nos Voigniens
(nostre chief). (S. d. S. B. p. 563.)
Je vous commande à tous, en nom de pénitence, que \ous poig mes
encontre les anemis Jhesu Christ. (H. d. V. p. 182. VIII.)
N'i targent plus ne ne feignent.
Qu'es gi'anz undes de mer s'enpeignent. (Ben. v. 27315. 16.)
Le parfait défini des verbes en J7,dre se conjuguait de la
manière suivante:
oms, oinsis^ oinst, oinshnes, oinsistes^ oinstrent^ oinsent^ etc.
et l'imparfait du subjonctif correspondant:
oinsisse^ oinsisses, oinsist^ omsissiens^ oïnsùsieiz, oinsissent.
E nostre Sire te manded ces paroles : Jo te emiins à rei siu- Israël
e de Saul de délivrai. (Q. L. d. R. H, p. 159.)
Quant tu fus humbles e petiz , Deus te fist chief sur tut sun pople de
Israël ; Deus te enuignst à rei , sur son pople de Israël. - (Ib. I, p. 55.)
Il Voinst davant toz les altres et si assemblât sor luy toz les oygnemenz
de benigneteit, de mansuetume et de suaviteit. (S. d. S. B. p. 563.)
Burguy, Gr. delalangiied'oïl. T. IL Éd. m. 16
242 DU VERBE.
Mazelainne (Madeleine)
De ses larmes plorant lava
Les pies Jhesu k'il ot moult biaus,
Et resua de ses cheviaus,
Et puis les oinst d'un ongement
Qu'ele avoit gardet longement. (Phil. M. v. 10709-13.)
Cume ço oïd li poples, forment s'en plainst e plurad. (Q. L, d. E. I, p. 36.)
E ateinst l'unime Deu, si i parlad desuz un arbre ù il le truvad.
(Ib. in, p. 288.)
Tout son afaire a atourne,
En France vint, et moult se plainst
Del roi Eioart qui si Vatainst. (Phil. M. v. 19792-4.)
Maudit tute sa destinée
E l'ure qu'om li ceinst espee
E l'ure qu'il fu chevalier. (Ben. v. 5431-3.)
Geri li sainst le branc forbi d'acier
Qui fu Raoul le nobile guerrier. (R. d. C. p. 149.)
.... Et il Vestrainst par les costes. (P. d. B. v. 1288.)
Et furent mult destroit et mult irie, et mult se plainstrent de cels
qui avoient faite la mellee entre l'empereor et le marcMs. (ViUeli.466''.)
Pesa lor mult, assez le plainstrent. (Ben. v. 12797.)
Et bien s'i prouva li soudans,
Quar à nos gens fîst moult de bien.
Ne de lui ne se pïainsent rien. (Phil. M. v. 22924 - 6.)
Al cors du mort porter espeissa la medlee,
Quer Alemanz i poinstrent come gent desvee. (R. d. R. v. 4007. 8.)
Chil as quels il fu commande poinsent premiers, et li autres l'esgar-
derent, si com drois fu. (H. d. Y, p. 183. IX.)
Bien les chacierent et ataintrent,
Qui d'ax abatre ne se faintrent. (Brut. v. 12638. 9.)
Mirmande, un chastel orgoillos,
E vers eus mult contralios,
Ceinstrent d'environ e d'entor. (Ben. v. 29615-7.)
Deus me enveied jesque à tei, que jo fenuignsisse rei sur sun pople
de Israël. (Q. L. d. R. I, p. 53.)
Li espiriz nostre Signer manut sor luy; et cornent dotteroit nuls
k'il nel oinsist? (S. d. S. B. p. 563.)
Li archevesques mors estoit | Qui enoindre le roi devoit;
N'i ot altre qui Venoinsist,
Et qui sa main mettre i volsist. (Brut. v. 6681-4.)
Quant veit li reis Henris qu'il nel purra aveir,
Quida qu'il se fainsist tut pur lui deceveir. (Th.Cant.p. 15,v. 21.2.)
Le meillor hume e le plus sage
E le plus eslit chevalier
Qui une i ceinsist brant d'acer . . . (Ben. II, v. 946-8.)
DU \t:rbé. 243
Mlle, dist il, je vos ai mariée
Au millor home qui aine çainsist espee. (0. d. D. v. 2515, 6.)
Drois empereres au coraige vaillant.
Je ne volroie, por l'onor de Mellant,
Qu'autres que je en çainssist ja le brant. (R. d. C. p. 193.)
Et mostiers fut ke ele andous cez choses conjoinsist ensemble.
(M. s. J. p. 442.)
Dune cumandad que il la enpeinsissent aval de cel solier, e il si
firent. (Q. L. d. R. IV, p. 378.)
Et avec d (cfr. prendre) :
Qui voies fosseroit, ou terre d'autrui, et on se pîaindist, il en
seroit à xl s. (1312. J. v. H. p. 551.)
Et elle estoit si fine belle,
Que n'avoit dame ne pucelle
Ens el païs qui Vataindist. (R. d. ,C. d. C. v. 151-3.)
Le participe passé des verbes en ndre se terminait en nt.
Et totevoies ne redottet mies à oygnre Marie Madalene cest chief,
jai soit ceu ke li Pères l'aust oynt si largement. (S. d. S. B. p. 562.)
Nostre Sire me seit propice , que jo mal ne li face , kar il est reis
enuinz par nostre Seignur. (Q. L. d. R. I, p. 94.)
Si avint chose ke une femme aportat lo corselet de son fil ki astoit
estinz. (Dial. de S. Grég. I.)
Je voi vos garnemanz tainz et ansanglântez. (Ch.d.S.II,p.l55.)
Puis a chaint le sien branc demainne.
Que milloui- ne pooit avoir. (R. d. 1. Y. v. 1772. 3.)
A paines porai le tissu
Deviser dont ele estoit çainte. (R. d. 1. M. v. 2216. 7.)
Si disons et tesmoingnons , ke coli mardi li dis dus fu del tout en
defaute de faire chou ke nous li aviemes engoint (1288. J.v. H. p. 478.)
Sa gorge fu et maigre et tainte,
Sa grant biautez fut tote estainte. (Dol. p. 276.)
Bien nous ont monstre tuit li saint
Qui tant furent por Dieu destraint,
Ke ce que Dex dist n'est pas fable,
Ne ce n'est contrueve ne faint
Chou que sainte Escripture paint
De mort, de vie parmanable. (Y. s. 1. M. XXXYIII.)
D'or e d'azur, de inde e de bief
I ont mainte bêle ovre peinte.
De tantes parz fu l'ovre aceinte
Qu'en nule, ce quit bien e pens,
N'out tant fait en si poi de tens. (Ben. v. 26077-81.)
Ogiers a trait Certain sa bone espee.
Et fiert un autre sus la targe dorée,
Qu'en deus li a e frainte e tronçonee. (0. d.D.v. 5085-7.)
10*
244 DU VERBE.
. . . Thodres li Ascres . . . avoit trives à l'empereour Henri et ne li
avoit mie bien tenues, ains les avoit enfraintes. (Villeli. p. 150. CLXVII )
Outre ce participe régulier de la langue d'oïl , le verbe fraindre
en avait un second qui dérivait directement du latin fractus.
Et cil le fiert si en l'escu
Que il li a frait et fendu. (P. d. B. v. 3015. 6.)
M'espee est fraite joste le heux devant. (G. d. V. v. 2629.)
Naymon l'a frète, que très bien l'asena. (Agol. v. 574.)
Les autres formes des verbes en ndre n'exigent aucune
remarque particulière, les quelques exemples suivants suffisent
à en donner une idée.
Imparfait de l'indicatif:
Gérard encontre, ki apoignoit vers li. (G d. Y. v. 1661.)
Et del aguilon le poignoit (E. d. S. S. v. 1266.)
Entre le^ mors navres gisoit
Et de paor là se fagnoit (Phil. M. v. 7750. 1.)
Jai aloient par le boscaige,
Et bestes et oisiax prenoient.
Au philosophe repairoient
Qui d'aus norrir ne se fingnoit. (Dol. p. 276.)
K'ele (la lumière) straindoit les cuers ... (S. Grégoire. V. Eoquefoi-t,
s. V. straindre.)
Li autres des sages estoit chiches et si avers qu'il ne vouloit riens
despendre ; et si angeleus que tout ce qu'il avoit il gardoit et estreignoit
moult durement. (R. d. S. S. d. R. p. 30.)
Des espérons le destraingnoit,
Et du chevestre le feroit. (R. d. Ren. t. I, p. 9.)
Et li Romain les encauçoient
Qu'à lor pooir les destragnoient. (Brut. v. 12252. 3.)
La gent qui aucun mal avoient
S'en oignaient si garissoient. (S. N. v. 1360. 1.)
Futur et conditionnel avec d intercalaire:
Tant cum je mais ceindrai espee
Cum me peust il plus bonir? (Ben. 15235.6.)
En non Dieu, nies, je vos saindrai l'espee. (R. d. C. p. 143.)
E se li reis m'a point el gras.
Certes jeo joindrai lui el maigre. (Ben. v. 15383. 4.)
Et jo te musterai que tu iras, e quel que jo te musterai à rei
emiinderas. (Q. L. d. R. I, p. 58.)
E si Venuingderas que ducs seit sur mun pople de Israël. (Ib. I, p. 30.)
De ceo nel mescreez vos mie;
Mult volontiers, se il poeit,
Ja ce sachiez , ne s'en feindreit. (Ben. v. 15331 - 3.)
Celé nuit devisèrent lor batailles , et ordenerent liquel poinderoient
premerains, se ceu venoit al assembler. (H. d. Y. 493'^.)
DU VERBE.
245
Participe présent:
Devant les autres vait poignant Aymeris. (G. d. Y. v. 1492.)
Si s'entrecorent à vigor,
Eomain vont cà et la pognant. (Brut. v. 12561. 2.)
Qui donques fust là à cel point, adonques peust veoir . . . l'empereour
qui vait ses batailles ordenant et destraignant de l'une partie. (H. d.
V. 494 ^)
Tôt soavet en estraignant
L'a reboutee sor l'enfant. (P. d. B. v. 1275. 6.)
Et por ce ke pluisor lo désirent et nekedent ne parvinent mie de
ci ke à la haltece de celé perfection, si dient il en complaindant à
droit. (M. s. J. p. 465.)
Cfr.: Comme font les leons, qui sans auscunes armes ne feignent
point de s'aller ruer au milieu d'un troupeau de bestes timides.
(Amyot. Hom. iU. M. Cato.)
Ses familiers et amys le (Solon) tançoyent, disants qu'il seroit
bien beste si, pour crainte du nom seulement d'estre appelle tyran, il
feignait d'accepter la monarchie, laquelle devient incontinent juste
royaulte, si celuy qui la prend est homme de bien. (Ib. ead. Solon.)
(Cato) ne feignit point d'entrer en picque et en querelle avecques le
grand Scipion, qui pour lors, encores qu'il feust jeune, contendoit avecques
l'aucthorite , puissance et dignité de F. Maximus. (Ib. ead. M. Cato.)
Brisson , courant contre Alexandre , se feignit en la coui'se. (Mon-
taigne. Essais, m, 7.)
Ce qui poinct , touche et esveille mieulx que ce qui plaist. (Ib.
ead. ni, 8.)
La maladie se sent; la santé peu ou point; ny les choses qui nous
oignent, au prix de celles qui nous poignent. (Ib. ead. III, 10.)
On se sera peut-être étonné de n'avoir pas vu figurer craindre
parmi les exemples que je viens de citer au sujet des verbes
en ndre. J'avais, pour l'omettre, une fort bonne raison: Pen-
dant toute la durée de la langue d'oïl, craindre s'est conjugué
d'une manière propre, fort différente de ceUe des verbes en ndre.
CEAINDKE (v. fo.)
dérive du latin tremere. Après le changement du t initial en c,
ce verbe prit les formes cremir^ dans le nord et l'est du
dialecte picard; cremer^ crernre, en Normandie; cremeir.^ dans
les dialectes mixtes. Quant au thème primitif bourguignon,
la forme cremmoir des M. s. J. permet de conclure à cremor.
De cremre^ on forma crembre par l'intercalation ordinaire du h
entre m et r. En quittant la Normandie, le m, qu'affectionnait
cette province, devint n, et alors la combinaison nr prit sa
lettre intercalaire, c'est-à-dire d^ d'où crend/re.
246 DU VEBBE.
L'influence des formes renforcées des présents fit introduire
Vi de la diphthongaison dans ces deux derniers thèmes, et
l'on eut criemhre^ criendre.
Pendant la seconde moitié du XIII® siècle, criemhre se ren-
contre dans toute l'Ile-de-France et même en Champagne.
Pour ce qui est de la partie ouest et sud -ouest de la première
de ces provinces, criembre peut y avoir passé des dialectes
voisins; mais ce thème a une origine propre dans l'est et en
Champagne. Le futur et le conditionnel faisaient ici, après
l'introduction de l'f de la diphthongaison au thème de l'infinitif,
criemrai ^ criemroie^ et, avec intercalation du h, criemlrai^ criem-
hroie, d'où l'on forma, par analogie, le nouvel infinitif criemhre.
Après 1250, on trouve les orthographes crimbre, crinâre;
puis, vers 1300, creindre. Creindre provient d'une nouvelle
diphthongaison de la forme crendre. Comme je l'ai déjà fait
observer plusieurs fois, cette diphthongaison avec i postposé
est fréquente dans l'ouest de la Picardie et l'Artois, pendant
la seconde moitié du XIII*' siècle. C'est de ces thèmes crindre^
creindre, que se développa, par analogie aux verbes en ndre^
la conjugaison que nous avons adoptée. Toutefois les anciennes
formes de craindre, que je vais citer, restèrent encore en usage
longtemps après le XIII* siècle.
Faute d'avoir remarqué les transformations successives et
tout à fait normales qu'éprouva de latin tremere^ quelques philo-
logues, se fondant sur ce que les verbes en ndre dérivent d'un
primitif latin en ngere^ ont pensé que tremere n'était pas la
racine de craindre^ et ils l'ont cherchée à tort dans les idiomes
celtiques ^.
Yoici quelques exemples des différents thèmes de craindre:
Quar el esgardement de la divine grandece aprent l'om corn
humilement l'om doit cremmoi/r sa venjance. (M. s. J. p. 489.)
Se vous me voles afranchir
Ne vous estuet de riens cremir. (E. d. M. p. 25.)
Cremir doivent lur princes paien e cristien. (Th.Cant.p.81,v.3)
Devom plus cremer e doter. (M. d. F. U, p. 415 ; cfr. 414.)
Kar chascuns riches hum, qui Deu ne volt cremeir,
Aheve sur sa gent custume à sun voleir. (Th. Cant. p. 83, v. 2. 3.)
(1) On a encore objecté que tremere se retrouve sous la forme tremîr dans l'an-
cienne langue. Cela est relativement vrai, c'est-à-dire suivant que l'on étend plus
ou moins les limites do l'ancienne langue. Tremir est une création 'postérieure à la
langue d'oïl, il date d'une époque où l'on avait perdu de vue l'origine de craindre.
Le nouveau dérivé de tremere, tremir, s'employait, du reste, dans un sens différent
de celui de craindre; on s'en servait surtout pour exprimer l'idée de trembler, fris-
sonner, frémir.
DU VEKBE. 247
Mult est musars qui Dieu ne croit
Et cil mauves qui se recroit
De celui Seignor criemhre et croire
Qui nule foiz ne set recroire
D'acroistre cels qui en lui croient. (Eutb. Il, p. 160.)
Mult funt à crendre les seraines
Car de félonies sunt plaines. (Brut. v. 753. 4.)
E senz Deu criendre e senz raison. (Ben. v. 40658.)
Qui se fait et erimbre et amer. (Y. s. 1. M. Vin.)
Le présent de l'indicatif de craindre se conjuguait régulière-
ment fort en Bourgogne et en Picardie; ainsi
criem, criens, crient^, cremons, cremeiz, criement;
plus tard: cretm, creins, creint, cremons et creimons, cre-
meiz et creimeiz, creiment.
Par suite de l'influence de la seconde et de la troisième
personnes du singulier, et des thèmes de l'infinitif en ndre^ le
son nasal s'introduisit souvent à la première personne du
même nombre, dès le milieu du XIII* siècle, et, pour le
mieux marquer, on orthographia même ng. Cette orthographe,
l'admission successive du n à d'autres formes, celles du sub-
jonctif qui étaient souvent en ge, rendirent l'analogie avec les
verbes en ndre plus palpable et favorisèrent aussi l'admission
de craindre parmi les verbes de cette classe. Le dialecte nor-
mand ne diphthonguait pas.
Impératif: criem, cremons, cremeiz.
Yoici des exemples des présents et de l'impératif:
Chi vient une beste salvage,
Mult me criem que mal ne vous face. (Poit. p. 25.)
Je criem que n'avienge entre nos
Com entre un rei qui France tint
Et un soen fableor avint. (Chast. IX, v. 124-6.)
Si senz garde remaint, jo creim que ele soit perdue.
(Charl. V. 322; cfr. M. d.F. Biscl. 35.)
Fait i aurai maint lait pechie
Dunt crem Deus seit vers mei irie. (Ben. v. 11257. 8.)
N'i remaint dame qui n'i vienge.
Las! ja n'en tornerunt mais, ce crien ge. (Ib.I, v. 1681. 2.)
Le n final de ce dernier exemple paraît être pour la rime
avec vienge, mais la consonne initiale du pronom sujet placé
après exige le son nasal.
Hastez vous tost, car je me crieng morir. (G. 1. L. I, p. 114.)
(1) Les formes criens, crient, où le m est remplacé par w, prouvent entre autres,
que dès les plus anciens temps, le wi a pris le son nasal devant une consonne.
248 DU VEKBE.
Ne criem, ne dote, ne t'esmaies. (Ben. v. 39525.)
Comme son signor puis celé eure
De cuer l'aimme, crient et honeure. (R. d. M. p. 50.)
Qui ainme Dieu et sert et doute
Volontiers sa parole escoute:
Ne crient maladie ne mort. (Rutb. I, p. 48.)
Sours est Carlles, ne erent liume vivant. (Ch. d. R. p. 22.)
En la vile, denz la cloison,
Là où li reis sont plus fort place,
Que mais ne crienge lor manace,
Fist faire tors, portaus e murs . . . (Ben. v. 37960-3.)
Cfr.: Ibid. I, v. 497; H. v. 689. 4221. 12195. 12235. 22879.
29582. 34431, etc.
Metons arrière dos la paour de nostre Signour, en tel manière que
nous de mal faire ne le cremons. (H. d. V. 503*".)
De ço somes espoente,
Mult en creimon estre esgare. (R. d. R. v. 10888. 9.)
Onques de moi ne vous cremez, (H. d. V. 503 «.)
Ahi las e chaitif! dites mei que cremez?
Cremez vus que vus toille li reis vos poestez ? (Th. Cant. p. 8, v. 21. 2.)
Suer, dist Urrake, ne crèmes. (P. d. B. v. 9719.)
en se criement de son morir. (FI. et Bl. v. 400.)
Mai(s) or criement que ocis soie
Por ce que il ne m'ont veu
Puis que li rois u castel fu. (Brut. v. 9002-4.)
Mais nepuroc lor genz conreient.
Tant n'i crement ne ne s'efîreient
Qu'il ne facent lor establies. (Ben. v. 8670-2.)
Toz jorz crement que lor déserte
Sur les cous lor chee e reverte. (Ib. v. 22476. 7.)
Assalt ne creiment , ne traire , ne lancbier. (0. d. D. v. 3448.)
Lor parenz crânent encunti'er. (R. d. R. v. 15493.)
Le parfait défini avait trois formes : les deux premières,
dérivant des thèmes primitifs en m final, cremi et eremui; la
troisième, crens^ criens.^ creins, formée sur les thèmes en 7id/re,
par analogie déjà aux verbes que j'ai réunis sous cette déno-
mination.
L'imparfait du subjonctif avait des formes correspondantes:
cr émisse^ cremusse^ crensisse^ criensisse^ creinsisse.
La forme du défini eremui parait ne remonter pas au-delà
du dernier tiers du XUI^ siècle, et sa correspondante de
l'imparfait du subjonctif est extrêmement rare.
Pecchied ai en ço que n'ai tenu le cumandement Deu e tes paroles^
pur ço que jo crem,i e obéi al pople. (Q. L. d. R. I, p. 56.)
Le diex d'amors onc ne cremut. (R. de la Rose, v. 6913.)
DU VERBE. 249
Si s'enfui li quens de Cartres,
Qui cremi le duc et ses cartres. (Phil. M. v. 15640. 1.)
Quant vit Osmunt si travaillie,
Si en-ant, si abesoigne,
Dota e crienst. merveilla sei. (Ben. v. 14077-9.)
Dota e crienst, si out sospeçon
Que ce fust sa destruction. (Ib. v. 17940. 1.)
Mais cil qui Deu cr émirent e qui Forent ame,
En unt od giief suspir celeement plure. (Th. Ct. p. 29, v. 24, 5.)
Mult le cremurent tuit e loingtain e veizin. (R. d. R. v. 2292.)
Li fiz Amon s'apercburent qu'il eurent mespris vers David, si se
criemstrent. (Q. L. d. R. Il, p. 152; cfr. III, p. 237.)
Mult l'en crienstrent, mult le dotèrent,
De lui mesfaire se gardèrent. (Ben. v. 17695. 6.)
Qui creinstrent que Rous fust venus. (Ib. v. 5901.)
Se je lui veoir ne cr émisse,
Riens plus volontiers ne veisse. (R. d. 1. M. v. 5971. 2.)
Si n'en crensisse estre blasme,
N'i eust rien de la tor rendre. (Ben. v. 32227. 8.)
Quant l'aventure oentdel moine | E cum li dus la testemoine,
N'i out un sol ne s'en crensist
E sa foie ovre n'en gerpist. (Ib. v. 25928-31.)
Sempres les criensist comparera (Ib. v. 28521.)
N'i ot baron qui il criensissent,
Ne por qui rien faire volsissent. (Brut. v. 8971. 2.)
U k'il volsissent la preissent
Seurement, rien ne cremissent. (R. d. R. v. 14716. 7.)
Imparfait de l'indicatif:
Ne sai , feit il , mais je cremeie
Que de la nef getez sereie. (M. d. F. Il, p. 326.)
Por ço se cremoit et doutoit.
Et en ses cambres se muçoit. (P. d. B. v. 417. 8.)
Tes serfs mis mariz est morz, e bien le sens que pruzdum ert e
que il cremeit Deu. (Q. L. d. R. IV, p. 355.)
Normant ne altre ne creimeit. (R. d. R. v. 10960.)
Li vos haubers n'a pas mon colp tenu,
Et si disies ne cremies un festu
Ne fier, n'espie, tant par fust esmolu. (O.d.D.v. 11376-8.)
Li autre remestrent en Constantinople en grant mesaise com cil
qui cremoient perdre la terre. (YiUeli. 478"=.)
Qant ère iriez mult se cremeient
Seur tute rien trop me duteient. (M. d. F. II, p. 111.)
Por ço dotoent e eràneient
K'à lor parenz se cumbatreient. (R. d. R. v. 15498. 9.)
Futur et conditionnel:
250 DU VERBE.
Adonc si ne crendras neient. (Ben. v. 15563.)
Ja mar crend/rez nul hume à mun vivant. (Ch.d.R.p.31.)
Mult les criendrunt Engleis, Peitevin et Normant.
(Th. Cant. p. 168, v. 19.)
Baron, dist Baudoins, j'an criemhroie aviler.
(Ch. d.S. n, p. 108; cfr. p. 182.)
Se si tost m'an fuioie, j'an criemhroie avillier. (Ib. Il, p. 152.)
Crendreit, si la chose ert oïe,
Torne li fust. à coardie. (Ben. v. 25168. 9.)
Tuit crendreient estre eissillie. (Ib. v. 30656.)
Participe passé: cremut^ crent^ crient.
Dunt del tôt fust aseurez
E forz e crenz e redutez . . . (Ben. v. 17751. 2.)
De totes choses est cremiiz. (Chast. prol. v. 123.)
Franc, dist Eollans, bonne gent honorée,
Sor toutes autres cremue et redoutée,
Com voz voi hui de seignor esgaree! (Ch. d. E.Intr.XXI.)
On voit par les exemples qui précèdent, que le verbe cremir
s'employait avec le pronom se, non pas comme aujourd'hui
pour signifier se redouter, avoir peur de soi, se redouter ré-
ciproquement, mais dans la signification que nous donnons à
craindre.
Le verbe geindre , dont nous nous servons encore quelquefois,
avait eu pour forme primitive gémir .^ gemer = gémir, déplorer.
Gémir (v. fo.) , dérivé de gemere , a subi les mêmes transforma-
tions que cremir; il se conjuguait de la même manière que ce
dernier, excepté qu'il n'a pas eu de forme en oir et que le par-
ticipe passé faisait gémi (mais aussi gent , gient). Ainsi gémir et
geindre sont primitivement un seul verbe, dont on a fait plus
tard deux verbes fort distincts dans leur conjugaison.
Parfont sospire et gient après
Bas et soef , et gist en pes. (P. d. B. v- 1241.)
Mult s'alentist et aperece,
Vers les espérons plie e gient,
Qu'à peine sor les piez se tient. (Ben. v. 28467 - 9.)
Jure e patible e noise e gient. (Ib. v. 21880)
Qui armes baille à ennemi
S'il meurt, ne doit estre gémi. (Robert, t. II, p. 363.)
Epreindre (exprimere), empreindre (imprimere), etc. ont encore
passé de la môme façon que craindre, geindre dans la conjugai-
son des verbes en ndre. Voilà pourquoi j'ai dit au commence-
ment de cet article que, dans le principe, les verbes en ndre
dérivaient tous de primitifs latins en ngere.
DU VERBE. 251
B. Je viens aux verbes en uire, qui dérivent de primitifs
latins en ucere^ ocere^ uere.
Quant à leur conjugaison : les verbes en uire forment , dans
la langue d'oïl, deux classes fort distinctes: a) Les uns se con-
juguaient de la même manière qu'aujourd'hui, c'est-à-dire qu'aux
XIF et Xm*" siècle, on employait le s (= c) comme dans la
langue fixée , à l'exception toutefois que cette lettre se montre
aussi à l'infinitif; l) les autres rejetaient complètement le s.
a) Nuire (nocere) , luire (lucere) , et leurs composés , appar-
tiennent à la première subdivision.
Nuire (v. fo.)
a eu pour forme primitive, en Bourgogne et en Picardie, nosir;
en Normandie, nure. Nosir ne fut pas de longue durée; on
introduisit de bonne heure u au radical , en partie par analogie
au verbe luisir, en partie par suite de l'influence des formes
renforcées des présents; d'où nuisir. Nure devint nuire et même
noire (v. trouver) sur les confins des dialectes normand et picard,
normand et bourguignon. Plus tard nure reparut comme une
variété de nuire.
Bernier l'oï, si commence à rougir.
Signor, fait il, penseiz de moi nuisir? (R. d. C. p. 192)
Qui 0 Deu se veut bien tenir,
N'est rien qui li puisse noisir. (Chast. pr. v. 185. 6.)
Qui sen forfait en tel manière
Venistes aidier as Waucreis
Pur noire niei e mes Daneis. (Ben. v. 2886-8.)
Maint engin pur mei nuire sovent avant mis unt. .
(Th. Cant. p. 79, v. 6.)
Il ne peuent nure n'aidier. (Fabl. et C. lY, 172.)
Le présent de l'indicatif se conjuguait sans doute régulière-
ment fort: nuis (v. mourir), nues, nuet , nosons, noseiz, nuesent;
mais , dès la fin du XIII'' siècle , la diphthongaison ui s'était
introduite à l'infinitif et elle passa rapidement à toutes les formes.
Cil qui nuist nuese ancore , et qui est justes soit saintifieis ancores.
(Apec. f. 48. r. c. 2.)
Des corages d'esgaiemenz
Qui mult nuisent à foies genz. (Ben. v. 12753. 4.)
Jusq'an terre le fondent et les motes deffont,
Que ne nuisent an l'ost qant c'iert que passeront.
(Ch.d.S.n,p.55.)
Parfait défini: nui; imparfait du subjonctif: neusse.
Mais lor orgoel, jo croi, lor nut,
Et cil vainquit qui vaincre dut. (Brut. v. 9145. 6.)
252 DU VERBE.
Ne lor nut tant nord est ne bise
Qu'en Danemarche n'arivassent
Qiieu mer orrible qu'il trovassent. (Ben. v. 27552. 4.)
Cfr. Chast. XH, v. 242; R. d. E. v. 10244, etc.
Si ke li rois ne le seust
Et que de riens ne nous neust. (R. d. 1. M. v. 3747. 8.)
N'estre n'en deit, qu'il nos neust
Mult volontiers , se il peust. (Ben. v. 9204. 5.)
Cfr. noisissent (v. 1. 1, p. 353, 1. 3.)
Participe passé: neu.
Mult ont grève , mult ont neu. (Rutb. I, p. 199.) .
Neu (v. t. II, p. 107, 1. 29.)
Zuire
avait les formes luïsïr et Im're^ qui probablement avaient été
précédés de lusïr^ lure; mais on ne retrouve aucun exemple de
ces derniers. Zuïre signifiait luïre, brûler.
Governale vit une cbarire
En une lande îuire arrire. (Trist. I, p. 82.)
Ainz est la meson si obscure
C'en ni verra ja soleil luire. (Rutb. II, p. 35.)
Escuz e helmes reïuisir. (R. d. R. v. 9091.)
Si cum li lumière ke luist en ténèbres. (S. d. S. B. p. 525.)
Cuntre le ciel sur tuz les altres luist,
Siet el ceval qu'il cleimet Sait Perdut. (Ch. d. R. p. 62.)
Plus reluist que carbons par nuit. (Poit. p. 41.)
L'elme li freint ù li carbuncle luisent
Trencbet le cors e la cheveleure. (Ch. d. R. p. 52.)
Par la lune qui cler raiout
Et luiseit dedenz la maison. (Cbast, XXI, v. 12. 13.)
Enmei la malvaise et perverse genz entre cui vos luisiez si com
lumières el monde. (M. s. J. p. 441.)
Lusanz (Charl. p. 11) ; relusant (t. I, p. 387, 1. 4) ; luisant (t. II, p. 162).
Remarquez encore les composés t/ransluire^ tresluire, être
transparent, reluire; entreluire, luire à demi, luire à travers
plusieurs choses.
h) La seconde subdivision des verbes en uirc comprenait
duire (ducere) et ses composés; les dérivés du simple latin
struere, qui n'a pas été admis dans la langue d'oïl.
Duire signifiait conduire, diriger, guider, instruire, enseigner,
apprendre, s'instruire, convenir, plaire, appartenir, ajuster,
caresser, échapper.
Aduire, amener, conduire, emmener, emporter, saisir —
participe passé: porté à, accoutumé, instruit.
Conduire j conduire, mener, guider, protéger.
DU VERBE. 253
Aconduire^ amener.
Déduire j se déduire^ desduire ^ se divertir, s'amuser, se réjouir;
s'occuper de quelque chose, se donner du mouvement.
Esduire j écarter, éconduire, éloigner; s'esduire^ échapper.
Entreduire, introduire, enseigner, former, rendre sage.
Sosduire , séduire , engager subtilement qqn. à qqc. , amener,
adroitement qqn. à ses fins.
Surduïre, séduire, débaucher.
Réduire fse)^ se rassembler, se réunir
Réduire y remettre, reconduire, ramener.
Enduire^ induire, amener — enduire — faire entrer, enfoncer.
Enstruire, estruire^ instruire, instruire à fond, initier.
Estruire, construire, édifier.
Bestruire, détruire, ruiner, consumer, mettre à mort. (Y. t,
n, p. 68, 1. 23.)
Pmdedruire , détruire de fond en comble.
Construire^ construire, établir.
Bien sout esprevier divire e ostour e falcon. (R. d. R. v. 3825.)
Je vuel enti'e mes voisins estre
Et moi déduire et solacier. (Rutb. I, p. 130.)
n avint jadis , en ceste vile , par .i. jor qui est apelez le roi des die-
menches , c'est le jor de la Trinité , que tuit chevalier se doivent déduire
sor lor chevaus et pendre les escuz au(s) cos. (R. d. S. S. d. R. p. 17.)
E venud fud de Rogehm pui- cunduire le rei vers le flum. (Q. L.
d. R. II, p. 194.)
Devis e parti e espars
Se sunt pur le païs destruire
E pur le grant aveir aduire. (Ben. I, v. 1052 - 4.)
Ne s'en se vent mais si esduire
Qu'à cinc cenz d'eaus senz pui'loignier
N'en facent les testes seignier. (Ib. v. 16147-9.)
Encor querra force e aïe
A pardestruire Normendie
E à vengier sa grant dolor. (Ib. v. 16678-80.)
Si terre lur plout à destruire.
Ore lur replaist plus à estruire
E à noblement ratorner. (Ib. v. 7068-70.)
Uire a-t-il été la forme primitive de ces verbes? Tout ce
que l'on a vu jusqu'ici des thèmes primitifs de nos verbes per-
met déjà de répondre négativement à cette question, et l'on a
en outre des exemples de ure^ qui a précédé uire^ (dedure^
Trist. n, p. 115 destrure^ Charl. v. 226); mais ces exemples ne
se rencontrent que dans des textes normands ou dans ceux où
l'influence normande est notoire. Les plus anciens monuments
254 DU VERBE.
bourguignons et picards portent déjà uire^ ce qui prouve que
uire a disparu de fort bonne heure dans ces deux dialectes.
Vire s'établit promptement aussi en Normandie.
Les exemples suivants donneront une idée de la manière
dont ces verbes se conjuguaient.
Ki ço duit e governet ben deit estre poant. (Chaii. v. 97.)
H n'ainment joie ne déduit;
Qui lor done, si les déduit,
Et les solaoe , et les conforte. (Rutb. H, p. 70.)
Et Baudoins retome an la cite antie,
Biau s'anvoise et déduit avecques sa maisnie. (Ch. d. S. Il, p.. 103.)
Conoist que Lowis s'en fuit,
Que de la bataille s'esduit. ( Ben. v. 16398. 9.)
Cil à cui tu paroles te sosdut et enchante. (Ch. d. S. I, p. 239.)
Cette orthographe en u pur dans un texte champenois de
cet âge, me paraît fort douteuse. On en a de semblables qui
sont encore plus nouvelles, je le sais; mais d'ordinaire elles se
trouvent à la rime.
Or entendes, segnor trestuit,
Con faitement il le sosduit. (P. d. B. v. 4367. 8.)
En iteu sen n'en tel manière
N'oï une mais faire preiere
Que je me destruie e ocie. (Ben. v. 16690-2.)
Si famine vient en la terre, u corrumpuz seit li airs e pestilence
descunfise e destruie les blez. (Q. L. d. E. III, 262.)
Si comanda sor tote rien
L'enfant à garder par maistrie
Sor lur menbres e sor lor vie.
Qu'il n'enchapt ne qu'il ne fuie
Ne que Osmunt ne l'en esduie. (Ben. v. 13716-20.)
I velt q'avec sei le reteingne,
Des ars Ventreduie et enseigne. (Dol. p. 159.)
Senz autre terme qui'n seit pris
dmduium là nostre navie. (Ben. v. 3876. 7.)
Cist enchaucent, li autre fuient
Qui n'unt leisir que de els s'esduient. (Ib. H, v. 2745. 6 ;
cfr. t. I, p. 185, 1. 23.)
Par droite force et par destroit
Od les armes qu'il conduioit . . . (Bnit. v. 12318. 9.)
Quand sainz Paules enstruioit son chier disciple . . . (M. s. J. p. 511.)
Homes et femes ocioient,
Tote la teiTC destruioient. (L. d. M. p. 54.)
Joffrois li marechaus de Champagne chevaucha devant et les con-
duist, (Villeh. 476'^.)
Li emperere en tint sun chef enbrunc,
Si duist sa barbe, afaitad sun gernun. (Ch. d. E. p. 9 ; cfr. p. 3 1 .)
Î)XJ VERBE. 255
Dune prist l'arcevesque en sa main,
Si acondidst le conte Alain
Au duc por faire son voleir. (Ben. v. 31206-8.)
Et corrurent par tôt le païs, et gaaignerent grans gaainz, et
destruistrent une cite qui avoit nom Aquile. (Yilleh. 485*^.)
Li Deu az genz de par la terre ne pourent encuntrester à mes
ancestres, ens destruistrent tute Gozam, e Aran, e Eeseph, e les fiz
Eden M mestrent en Thelassar. (Q. L. d. R. IV, p. 412.)
Si destruisent Bruges et Gant . . .
Et parmi Hainau s'en alerent
Droit à Condet, là sejornerent
De la tiere destruisent moult . . . (Pliil. M. v. 12822. 5-7.)
Kar à nus dut estre manded primerement que nus nostre seignui*
le rei cunduissuns à sun paleis. (Q. L. d. R. Il, p. 196.)
Mais jo te conduirai avant del flum. (Ib. p. 195.)
Desti'uisissent (t. II, p. 117, 1. 44).
Qu'à grant dolor destruiriez
Si tost cum plus tost pomez. (Ben. v. 16696. 7.)
Ensi com cil m'a enditie
Qui le (l'esprevier) m'a afaitie et duit,
Si l'emporteres por déduit. (R. d. 1. Y. v. 2459-61.)
Cil sont duit de gi-anz cox recevoir et doner. (Cli. d. S. II, 72.)
Nus ne se pot vis escaper
S'il ne fust bien duit de noer. (R. d. R. v. 10379. 80.)
Duit e sage sunt del mestier. (Ben. v. 33516.)
Le cop par grant vertu conduit.
Par mi le pel li a enduit
Le fier trenchant plus d'une espane. (R.d.l.V.v. 4874-6.)
Li graindre anemi Diex si sunt li renoie,
Quant il sunt à mal faire aduit et avoie.
(Test, de J. d. Meung., v. 641. 2.)
Souduit (v. t. I, p. 272, 1. 25.) Sosduite (v. t. Il, p. 49, 1. 5.)
Estruis (v. t. I, p. 156, 1. 29.)
Par tes grans tribulations
Sera la loys Jhesu destruite,
Et la malvaise lois estruite. (R. d. M. v. 154-6.)
Yers le milieu du XIII^ siècle, ce mode de conjugaison
commença de se troubler; en Picardie et en Bourgogne, on
introduisit le s , qui nous est resté. Cependant les cas où s est
employé doivent encore être considérés comme de rares ex-
ceptions.
Li dus Gérard les conduisoit devant. (G. d. Y. 464.)
Cfr. : . . . Comme si l'on ne debroit pas former les moeurs des enfants,
et les dMire et addresser dès et depuis leur naissance à une mesme fin.
(Amyot. Hom. ill. Comp. de Lycurgus avec Numa Pompilius.)
256 DU VERBE.
Ce que ceux là faisoyent par vertu , je me duis à le faire par com-
plexion. (Montaigne. Essais, III, 10.)
L'exemple de Grus ne duira pas mal en ce lieu. (Ib. ead. m, 6.)
H luy voulut donner l'abbaye de Bourgueil, ou de Saint Florent,
laquelle mieulx luy duiroit, ou toutes doux s'il les prenoit à gre.
(Rabelais. Garg. I, 52.)
Par telles escarmouches , ils en devindrent plus hardis , plus agguer-
ris , et mieulx duicts aux armes qu'ils n'estoyent auparavant. (Amyot.
Hom. ill. Pelopidas)
Et duisant aux armes les souldards qu'il avoit rallies. (Ib. ead.
Demetrius.)
Or allez de par Dieu qui vous conduye. (Rabelais. Pant. V, 47.)
Laquelle nouvelle entendue, sortirent au devant de luy tous les
habitants de la ville en bon ordre, et en grande pompe triumphale,
avec une liesse divine, et le conduirent en la ville. (Ib. ead. II, 31.)
Puisque vous l'avez accorde, il le vous fault suppoi"ter patiemment,
et ne perdre pas le courage pour cela, vous réduisants en mémoire
que vos ancestres, par le passe, ont quelquefois donne la loy aux
austres. (Amyot. Hom. ill. Phocion.)
Les jeunes gents es lieux où ils se reduisoyent ensemble pour
s'esbattre aux exercices de la personne. (Ib. ead. Mcias ; cfr. Lycurgus.)
Il (Furius Camillus) induisit les hommes, qui n'estoyent point
mariez, à espouser les femmes vefves. (Ib. ead. Furius Camillus.)
Theoxena ne peut estre induicte à se remarier , en estant fort poui'-
suyvie. (Montaigne. Essais, II, 27.)
Notre verbe cuire (coquere) paraît avoir flotté entre les deux
classes des verbes en uïre^ cependant le mode de conjugaison
actuel était le plus répandu au XIII® siècle. Cuïre était souvent
employé pour hrûler^ en parlant du supplice du feu.
Cuire (v. t. II, p. 182, 1. 13 et 14).
Lendemain li dis que le suen fiz meissums à qiiire. (Q. L. d. R. IV,
p. 369.)
Au gastel qui coeit alai,
Dou feu le trais et sil menjai,
Auques ert cruz, mes que chaleit? (Chast. XVII, v. 136-8.)
Cuisiez del polment à noz ovriers. (Dial. de S. G.)
Que fas-je donc? Sanz plus parler,
Je vueil qu'il y voit tout nu piez,
Si que les plantes li cuisez
Et ardez toutes. (Th. Fr. M. A. p. 273.)
Que la lasse d'ame cuira
En enfer. (Rutb. II, p. 2.)
Cuiront (v. t. H, p. 182, 1. 34. 35).
Des garez en i out de qtdz, (Ben. v. 26825.)
DTT VERBE. 257
Enfin hruire mérite quelques observations particulières. Ce
verbe, qui se montre aussi sous la forme Iruir^ avait deux
significations: l'' Iruire^ 2"* Irûler. M. Diez, après Ménage,
dérive hruire du latin rugir e^ en admettant que le h est peut-
être dû à l'influence de l'allemand hrausen; mais il ne s'explique
pas sur hruire = Irûler^ ce qui semble prouver qu'il regarde
hruire^ dans ses deux significations, comme deux verbes diffé-
rents. Quoi qu'il en soit, je crois que M. Diez se trompe en
rapportant Iruire à rugire. Bruire = hruire et hrûler , dérive
d'une seule racine , et elle appartient aux langues germaniques.
Il est de la même famille que l'allemand hrauen^ hraten (vieux
hrihan^ hrahan^ brûler), affiliés à hrennen. Ces mots ont dé-
signé primitivement l'idée de bruire, pétiUer, mugir dans
l'action de brûler, et ensuite le brûler même. Brauen signifia
d'abord le bruit que fait la chose qui cuit, qui rôtit; hrausen^
dont parle M. Diez, est une extension de forme de ce verbe
et sert à présent à designer le son que produit la chose en
cuisson, tandis que hrauen = cuire, ne s'emploie plus que pour
le cuire de la bière (brasser). Brauen^ en anglo - saxon inmw;
hraten, rôtir, en anglo-saxon hraedan, hredan, rôtir; hrastlian,
brûler, bruire, mugir, rompre; hrennen, faire de la chaleur,
préparer par la chaleur, briller, en gothique hrinnan, en anglo-
saxon hyrnan, brûler, hernan, allumer^.
Yoici quelques exemples de ce verbe.
Trestoute tierre en deuroit 'bruire. (E. d. S. S. v. 1670.)
Ferai les espines hruir,
Avant que nus i puist venir. (E. d. 1. M. v. 933. 4.)
Brut (v. t. n, p. 70, 1. 12).
Et la chandele jus chai.
Tôt mist en cendre et tôt 6rm. (Chast. XXIII, v. 95. 6.)
Et les nues tôt mesle mesle
Getoient^ noif et pluie et gresle,
Li tonoirre et li vent bruioient,
Si que trestot l'air destruioient. (Eomv. p. 529, v, 8-11.)
H leur respont qu'ele est hruie. (E. d. 1. M. v. 1035.)
De maie flame soit hruie! (Poit. p. 19.)
Bruant (v. 1. 1, p. 132, 1. 10).
(1) Pour ce qui est de la terminaison re, rien n'empêche d'y voir une imitation
de la fonne latine rugire, à laquelle on préposa de bonne heure un b (brugit pour
rugit , dans la L. d. Alam.) , moins sans doute pour créer une onomatopée , que par
suite de l'influence allemande. — Si l'on ne veut pas reconnaître que bruire, dans
ses deux significations, était uu seul et même verbe, on devra toujours admettre
l'origine indiquée pour bruire = brûler , qui nous est resté dans brouir et bruir.
L'occitanien braouzi = brauzir prouve que la racine a eu un o long ou au pour
voyelle radicale.
(2) Le texte porte gesoient, qui ne donne aucun sens.
Burguy , Gr. de la langue d'oil. T. H. Éd. m. 17
258 DtJ VEEBE.
APPENDICE.
I. L'ancienne langue avait une conjugaison périphrastique
complète de la forme active. On la faisait en joignant ét/re^
aller ^ venir ^ au participe présent d'un verbe quelconque. Cette
réunion de deux verbes sert à exprimer certaines idées secon-
daires que ne rend pas le verbe simple ; on évite ainsi l'emploi
d'autres parties du discours, et la brièveté y gagne.
a) Le participe présent joint à Urc exprime la persévérance
de l'action. Cette tournure était d'un fréquent usage. dans la
langue d'oïl; Marot l'emploie encore assez souvent; aujourd'hui
elle est vieillie.
Y. les exemples t. I, p. 96, 1. 13; p. 185, 1. 30; p. 190,
1. 8; t. n, p. 47, 1. 12; p. 91, 1. 41; p. 207, 1. 30; etc. etc.
V) Aller avec le participe présent exprime une action con-
tinue. A la fin du XVI* siècle, cette tournure tombait déjà en
désuétude, et depuis on ne l'employa plus guère qu'au sens
propre, c'est-à-dire p. ex. que il va lisant^ signifie il va et il
lit; ou bien, selon Ménage, au sens impropre, pour exprimer
la continuité de l'action. Aller avec un participe présent pré-
cédé de la préposition m, exprime une idée de progression ^
Y. les exemples t. I, p. 76, 1. 11 et 13; p. 129, 1. 5;
p. 135, 1. 29; p. 148, 1. 4; p. 163, 1. 23; p. 217, 1. 23;
p. 222, 1. 36; p. 288, 1. 29; p. 387, 1. 6; t. n, p. 47, 1. 9;
p. 200, 1. 1; etc. etc.
c) La combinaison de venir avec le participe présent est
trop ordinaire dans la langue fixée pour que j'aie besoin de m'y
arrêter.
IL La langue, dans son développement progressif , cherche
à individualiser les idées et à distinguer de plus en plus les
formes qui servent à les exprimer. La plupart des verbes étant
devenus transitifs, le besoin se fit sentir de désigner d'une
manière bien marquée la signification intransitive qu'on leur donna,
et la langue créa la forme refléchie. Pour se faire une idée
juste de la valeur de cette forme, il est nécessaire de la com-
parer aux formes correspondantes des autres langues. Le moyen
du grec n'est, dans le principe, qu'une forme réfléchie : tvtzto-
liai équivaut à tvtitco fie. Le passif se développa ensuite du
moyen. Les verbes déponents du latin sont aussi composés avec
le pronom réfléchi (r = se^ pour les trois personnes), et, comme
en grec , la signification passive s'est dégagée plus tard de la
signification réfléchie.
(1) Je ferai observer en passant que le verbe aller sert à exprimer 1« futur: j» vais
travailler.
DU VEEBE. 259
La, forme passive ^ déjà très-défectueuse en latin, n'a pas de
formes particulières pour ses temps dans les langues romanes.
Nous avons recours, pour former le passif, au participe passé
et au verbe être , que les Latins employaient à plusieurs temps,
p. ex. : je suis aimé , fêtais aimé etc. ; mais il faut bien observer
que je suis aimé répond au latin amor , et non pas à amatus sum.
Ainsi sum est pour le présent, e^-am, pour l'imparfait, /we, pour
le parfait défini, etc.
Être sert encore à former les temps composés de la forme
active des verbes intransitifs, et à conjuguer les verbes réflé-
chis, parce que la signification de ces derniers, comme on vient
de le voir, se rapproche beaucoup de celle des verbes passifs.
La forme réfléchie sert aussi à exprimer l'action de plusieurs
sujets les uns sur les autres: se hattre^ se toucher. Souvent,
pour exprimer avec plus de clarté ce sens réciproque^ on ajoute
Vun Vautre^ ou un des adverbes réciproquement ^ mutuellement, ou
l'on place le mot entre avant le verbe. On a déjà pu remar-
quer que ce dernier moyen était celui dont se servait presque
exclusivement l'ancienne langue. Yoyez le Glossaire aux mots
entracoler, entrafler^ entr aider, entramer ^ entraprocher ^ entr as-
sembler^ etc.
On trouve , dans l'ancienne langue , un grand nombre de
verbes conjugués avec le pronom réfléchi, que la langue fixée
rejette le plus souvent. Les verbes de cette espèce sont d'or-
dinaire ceux qui expriment un mouvement corporel ou le repos.
Au contraire, beaucoup de verbes réfléchis perdent le pronom,
sans que, pour tout autant, leur signification en soit changée.
Ainsi on disait s'aller., s'en aller ^ s en issir ^ se disner; se dor-
mir , coucher et se coucher , laver , etc. Enfin beaucoup de verbes
dont l'ancienne langue faisait encore usage dans leur emploi
primitif, n'ont été admis par la langue fixée que sous la forme
réfléchie, p. ex. moquer.
Car dure et mauvaise seroie
S'a essient je vous moquoie. (R. d. C. d. C. v. 2189. 90.)
Il ne dengna pleurer, tant eust de hachie,
Ains en moquoit les autres et tanchoit à la fie . . .
(Eierabras p. III, c. 2.)
On trouve encore mocquer un mal^ dans Ronsard.
Dans la langue d'oïl, beaucoup plus souvent qu'aujourd'hui,
l'infinitif prenait une signifiation passive.
Plus ont paor de mort que de mètre an prison. (Cli. d. S.I,p.39.)
c'est-à-dire ils ont plus peur de la mort que d'être mis en prison,
(Y. t. n, p. 47, 1. 44.)
17*
260 DU VERBE.
On exprime souvent les temps du passif par la forme active
avec le pronom réfléchi: ees fruits se vendent = venduntur ^ c'est-
à-dire vendunt se; ainsi il y a décomposition exacte du latin. Il
est bon de remarquer que cela n'a lieu qu'aux troisièmes per-
sonnes.
Enfin le passif peut encore être rendu par on: on dît =
dicïtîir.
III. La langue se sert de la forme tmpersonelle du verbe,
quand on affirme dans la phrase une action sans un sujet de
l'action. Ainsi, en disant ïl pleut, nous affirmons une action
sans nous représenter un être comme le sujet de cette action.
Cependant nous sommes accoutumés à regarder toute action
comme l'action d'un être, et, lors même que nous ne nous
représentons aucun sujet de l'action, nous désignons un sujet dans
la phrase au moyen du pronom personnel neutre de la troi-
sième personne. Ce pronom, qui sert simplement à compléter
la forme de la phrase, prend le nom de sujet grammatical,
pour le distinguer du sujet logique, au moyen duquel on
désigne un être comme le sujet de l'action.
Les verbes impersonnels étaient beaucoup plus nombreux
dans l'ancienne langue qu'aujourd'hui. Nous avons perdu entre
autres: ïl ajorne, ïl avesprït^ ïl anuite ^ ïl afiert^ ïl fm'Jahelïst^
ïl me membre, ïl loïst, etc.
Pour indiquer simplement l'existence d'un objet, on se sert
de ïl est (étaït^ fut) et de ïl y a. Touchant ïl y a, dans l'an-
cienne langue, voy. t. I, p. 258.
Il sunt quatre manières del mal d'idropisie. (Th.Caiitb.p.l70,v. 13.)
J'ai déjà parlé des phrases impersonnelles: être beau, laïd,
tart, vis, mestïer. (Y. t. I, p. 258. 273. 274.)
Le sujet grammatical, que nous exprimons toujours, se sous-
entendait souvent dans l'ancienne langue. Notre n importe, reste
a sa/ooïr, plût a Dieu sont des restes de cet usage.
IV. Eemonter aux premiers temps de la langue , déterminer
la forme du régime de chaque verbe et la comparer à celle du
latin, poursuivre cette recherche de siècle en siècle, fixer l'é-
poque où il s'est fait un changement et indiquer, autant que
possible, les nuances de signification ou autres causes qui ont
amené ce changement: ce serait là un travail aussi intéressant
qu'utile, mais trop étendu pour trouver place dans cette gram-
maire. Yoici quelques exemples de verbes auxquels la langue
d'oïl donnait un régime différent de celui qui a été admis par
la langue fixée.
DU VEEBE. 261
Consentir , verbe actif, ne s'emploie aujourd'hui qu'au palais
et dans le langage diplomatique. Corneille aime à donner à ce
verbe un complément direct.
Du moins César l'eût fait, s'il l'avait consenti.
C'est le souvenir d'un ancien usage, v. 1. 1, p. 403, 1. 31. Mais
aussi consentir à qqch.^ v. t. I, p. 66, 1. 34. Consentir qqch. à
qqn., v. t. I, p. 300, 1. 2; consentir à qqn., v. t. I, p. 65, 1. 31.
Y. le Glossaire pour la signification.
Croire avec un complément direct ou indirect (préposition en).
Y. t. I, p. 237; p. 278, 1. 13; p. 74, 1. 42; t. H, p. 136-38.
Gauchir (guenchir), aujourd'hui intransitif, s'employait autre-
fois transitivement.
Pur ço atendi iluec, ne volt la mort guenchir. (Th.Cantb.p.l45,v.9.)
Gémir qqch.
Pour ce à terre cy m'asserray.
Et mon pechie cy gemiray
Amèrement. (Th. F. M. A. p. 467.)
Mocquer qqn. Y. ci -dessus II.
On trouve quelquefois prier à qqn.
Pria leur qu'il li pardonaissent. (E. d. 1. M. v. 6811.)
Sembler, ressembler qqn. Y. t. Il, p. 85, 1. 13.
Par tels paroles vus resemblez enfant. (Ch. d. R. p. 69.)
Ressembler qqn. se trouve encore dans Eabelais, Amyot et
Montaigne.
Il blasmoit et hayssoit neantmoins le plus asprement qu'il est pos-
sible ceulx qui le ressembloyent. (Amyot. Hom. ill. Marcus Crassus.)
Servir qqn. et h qqn. Y. t. I, p. 74, 1. 43; p. 231, 1. 31;
p. 235, 1. 28; p. 127, 1. 10; p. 129; p. 183, 1. 25; etc. Cfr.:
Un grant coutel à quisinier,
Qui sert de la car despicier,
A sour le dreceoir trouve. (R. d. 1. M. v. 681 - 3.)
(Les Lacedaemoniens) estimoyent tous , qu'ils n'estoyent point nays
pour servir à eulx mesmes , ains pour servir à leur païs. (Amyot. Hom.
ill. Lycurgus.)
V. L'infinitif peut se joindre à un autre membre de la phrase
au moyen d'une préposition, alors il remplace en général le
gérondif ou le participe futur passif du latin. Il tient en outre
la place du supin, du participe futur actif et de l'infinitif de la
langue latine. La littérature romaine n'offre aucun exemple de
l'infinitif joint à une préposition.
Dès les plus anciens temps de la langue d'oïl, on trouve
devant l'infinitif les mêmes prépositions qu'aujourd'hui; mais
leur emploi différait en bien des cas de celui que l'usage mo-
derne a consacré, Yoici quelques exemples de ces différences,
262 DU VERBE.
Nous disons désirer faire ou de faire; l'ancienne langue con-
naît la première construction, mais elle se servait de la. prépo-
sition à au lieu de la préposition de dans la seconde. Désirer
à faire était plus ordinaire que désirer faire.
Nous desirons moût à dis
Pour coi il l'a faite morir. (R. d. 1. M. v. 4113. 4.)
Qu'il desiroit moult à savoir
Dou penser la dame le voir. (R. d. C. d. C. v. 4155-7.)
V. encore t. I, p. '50, 1. 10; p. 280, 1. 35; p. 181, 1. 42;
t. n, p. 67 , 1. 29 ; etc.
Commander à au lieu de commander de:
Puis commanda la table à metti'e. (E. d. C. d. C. v. 2665.)
n commanda l'uis à fremer. (R. d. S. S. v. 1217.)
Commencer à et jamais commencer de:
Comenceai tuz cels à murdrir
Qu'il avoit pris por lui servir. (St. N. v. 1218. 9.)
Cfr. t. I, p. 51 , 1. 9; E. d. C. d. C. v. 6754; E. d. M. p. 55.
59; L. d'I. p. 25, etc. — et le synonyme prendre à t. II, p. 200.
Savoir à:
. J. jor manda li rois tout son bamage , pour ceste merveille savoir,
se aucuns li saurait à dire que ce porroit senefier. (R. d. S. S. d. R.
App. p. 99.)
Menacer à:
Ains le manachent à tuer. (R. d. S. S. v. 2129.)
Que le manace li Danois à tuer. (0. d. D. v. 8675.)
Penser, suivi d'un infinitif, signifiant être sur le point de^
s'employait avec de dans l'ancienne langue.
Et li baron penser eni de monter. (R. d. C. p. 13.)
La langue d'oïl offre un assez grand nombre' d'exemples de
pour a devant un infinitif, au lieu de four, et alors le pronom
régime se place entre les deux prépositions. C'est tout à fait
l'allemand um . . . zu.
Y les exemples t. I, p. 131, 1. 22 ; t. n, p. 39, 1. 46 ; p. 165,
1. 3; etc.
Or ne dotteir mies, k'il venuiz est por vencre cez dous anemins
et por ti à délivrer ^ et del un et del atre. (S. d. S. B. p. 537.)
(1) Le texte porte adelivrer; mais c'est une simple faute typographique, comme
le prouve le por ti à délivrer qui se trouve 6 lignes plus haut.
CHAPITRE VII.
DE L'ADVERBE.
Les parties invariables du discours ont éprouvé de grands
changements dans les langues romanes. La plupart des formes
latines ont été abandonnées, sans doute parce que la valeur
des sons composants était trop minime pour être rendue d'une
manière efficace dans une nouvelle création. Mais ces pertes
ont été amplement réparées , soit en admettant de nouveaux
radicaux, soit par dérivation ou par composition des mots
existants.
Les adverbes latins dérivent de certains cas des autres par-
ties du discours, p. ex. multum^ partim^ foras (accusatif), tuto^
cito, gratis (ablatif), domi^ Tieri^ (locatif); ou bien ils ont été
formés au moyen de terminaisons dérivatives adverbiales : e, ter
(iter, avec la voyelle de liaison), tïm, sîm^ tus ^ cus^ ti (u-ti),
ta (î-ta). Les langues romanes ont conservé en partie la
qremière espèce de dérivation; la seconde a été rejetée, bien
pue l'on trouve quelques terminaisons qui semblent se rapporter
au même principe, p. ex., en français, à genoiïlonsj à reculons^
etc., où om indique la position du corps ou la manière dont
s'opère un mouvement.
La formation adverbiale la plus importante des langues ro-
manes se fait au moyen du substantif latin mens , qui se joint
comme simple suffixe aux mots dont on veut former un adverbe.
Mens se montre déjà souvent en latin avec la signification que
lui ont attribuée les langues romanes, p. ex.: Bona mente
factum, ideo palam; mala, ideo ex insidiis (Quint. Y, 10, 52).
Une autre preuve certaine de l'origine de notre terminaison
ment^ c'est que l'adjectif auquel on la joint est toujours mis au
féminin. Les adjectifs generis communis font seuls une ex-
ception apparente à cette règle; cependant on perdit souvent
de vue l'usage suivi à l'égard du féminin des adjectifs de cette
264 DE l'adverbe.
espèce, pour se conformer à la loi générale de la formation
des adverbes en ment. Mens s'employa d'abord à l'égard des
êtres animés, puis on en étendit l'emploi aux êtres inanimés.
Au lieu de ment, on écrivait, au XIII^ siècle, w^nt^ dans
une partie de la Champagne et en Lorraine.
La finale /des adjectifs de cette terminaison, subissait son
fléchissement ordinaire en u: loialment , loiaument (t. I, p. 154,
1. 17; p. 272, 1. ^"è) , morteument (Ben. 38321).
Les adjectifs qui avaient / ou ^ pour finale, perdaient sou-
vent cette lettre, P. ex. de vassal^ grant , on forma vassaïm^ntj
grantment (Phil. M. v. 4556), qui devinrent vassaument (Ben.
V. 37283), vassmnent, granment (Ben. v. 37905), d'où enfin gram-
ment, par attraction. Ces formes proviennent des usages ortho-
graphiques dont j'ai parlé à l'article du substantif. Au lieu de
nm ou mm des formes adverbiales dérivées d'adjectifs en t final,
on trouve um dans les textes anglo- normands surtout, et en
général dans ceux où l'influence normande est notoire: errau-
ment (Ben. v. 37058), soufisaument (Eym. I, 2. p. 51).
Les adverbes en ment dérivés d'un adjectif generis communis
en / final, se formaient d'ordinaire, dans la Bourgogne et la
Picardie , en rejetant simplement le /: Irief: Iriement (t. I,
p. 153, 1. 18). Cependant, au Xlir siècle, il n'est pas rare de
voir le/ conservé: Irief ment (Eutb. U, 82). En Normandie, le
/ final était généralement maintenu: grefment (Ben. v. 39316).
H serait inutile de donner ici des exemples détaillés, vu
qu'il y a un grand nombre d'adverbes en 7nent dans les citations
des chapitres précédents. Le Glossaire indique du reste la page
et la ligne où ils se trouvent.
Je ferai seulement observer encore que les adverbes en ment^
comme d'autres adverbes , s'employaient , dans l'ancienne langue,
pour l'adjectif: Comment es tu si polrement (Roquefort).
Le degrés de comparaison des adverbes se formaient de la
même manière que ceux des adjectifs.
Dans beaucoup de cas où nous emploierions aujourd'hui le
superlatif, l'ancienne langue se servait du comparatif.
Y. t. I, p. 309, 1. 2; p. 386, 1.40; t. II, p. 51, 1. 37;
p. 134, 1. 2; etc.
Le matin, li reis fist faire un brief e mandad à Joab qu'il meist
TJrie là ù li esturs fust jo?ms forz en la bataille. (Q. L. d. E. Il, p. 156.)
Et le jouel bien tost aray
Qu'elle garde plus chierement. (Th. R M. A. p. 452.)
265
Quant nous plaçons le superlatif après son substantif, nous
sommes obligés de répéter l'article; p. ex.: l'omme le plus
présomptueux. Il n'en était pas ainsi dans la langue d'oïl.
Yai, met ma selle soi mon corant destrier,
Et si m'aporte mes garnemans 'j^lus chier. (G. d. Y. v. 405. 6.)
Plus chier = les plies chers.
J'ai parlé, au chapitre des adjectifs, du renforcement du super-
latif par le mot très; le même cas se présente pour les adverbes
Cascuns a sa confesse dite
Au plus très bêlement qu'il seut,
E au plus très briefment qu'il peut.
(Fabl. et C. I, 214. Cité par M. d'OreUi.)
Cfr.: Sa femme vit molt dolouser.
Et molt très durement plorer. (E. d. S. S. v. 1319. 20.)
Ne poet muer que il nel plaigne:
E si fait il amèrement
E si très dolerosement
Que par poi qu'il n'esrage vis. (Ben. v. 19003-6.)
Mieux, pis, plus, voy. ci- dessous.
Yoici quelques-uns des principaux adverbes de la langue
d'oïP. On trouvera les autres dans le Glossaire.
A Bandon.
Je profite de l'occasion que m'offre à landon, pour expliquer
plusieurs mots qui ont la même origine: han, lanal, lannir
(handirj. Tous ces termes dérivent de l'allemand hannen, lann.
Bannen dérive du gothique landvjan^ faire signe, indiquer par
signes, faire entendre (bandva, bandvo, signe); land/vjan devint
hanvjan, qui, à son tour, donna naissance à hannan, lannen
(nn = nv , par assimilation). Bannen signifie proclamer, ordonner
décréter, défendre, chasser, bannir; toutes significations qui dé-
coulent facilement l'une de l'autre et de la primitive. Cela posé,
nous avons l'explication des formes de la basse latinité handum^
lannum, et de celles en d ou sans d de la langue d'oïl.
Ban (DC. bandum = ail. band, signe, signe militaire, dra-
peau) signifiait étendard, enseigne, drapeau.
Ban (v. h. - al. pan pannes , al. m. - a. ban bannes) a eu les
significations : 1 ^ Juridiction d'un magistrat ou d'un ecclésiastique,
d'un seigneur; 2^ Étendue du territoire sur laquelle le magistrat
(1) Les formes dialectales des adverbes, des conjonctions et des prépositions ne
reposant d'ordinaire que sur quelques lettres dont les rapports mutuels ont déjà été
indiqués fort souvent, il serait inutile de répéter ici ces explications. Je ne m'arrê-
terai qu'aux formes qui présentent des différences fort marquées.
ou le seigneur avait pouvoir; 3^ Proclamation, mandement du
pouvoir pour faire connaître, ordonner ou défendre quelque
chose; 4^ Proclamation faite pour convoquer les gens de guerre,
et, par suite, pour désigner les troupes convoquées sous les
drapeaux; 5^ Publication d'un jugement, sentence d'un juge,
condamnation à une amende, et surtout condamnation à l'exil.
L'adjectif banal s'employait en parlant des choses à l'usage
desquelles la seigneur, était en possession d'assujettir ses vas-
saux dans l'étendue de son fief, pour retirer d'eux certains droits,
certaines redevances. (Y. Ban 2^.)
Bannir , hanir (bandir , en provençal) signifia d'abord procla-
mer, permettre ou défendre quelque chose par ban, accorder
un droit; convoquer les gens de guerre; condamner à une
amende, à une peine, et surtout à l'exil; confisquer, saisir.
Le substantif landon (DC. abandum) signifiait proclamation,
mandement, autorisation, permission, pouvoir de faire quelque
chose; par extension, pouvoir d'agir à sa volonté (v. Eom. de
la Rose v. 5845; Chron. de B. du GuescHn I, p. 41). Delà la
locution adverbiale à landon, à ban; à volonté, à discrétion.
Mettre, donner quelque chose a landon^ mettre, livrer quelque chose
sans réserve, à discrétion; être a landon, être à discrétion, à
l'abandon; laisser quelque chose a landon a quelqu'un^ l'en laisser
le maître absolu. A landon prit encore les significations libre-
ment, promptement, en toute hâte, avec rapidité, sans retard,
fortement, tout à fait.
On s'habitua de bonne heure à réunir la préposition à et le
substantif landon, et l'on obtint ahandon, auquel on donna de
nouveau la préposition à: h abandon. Alandon produisit ahan-
doner , abandonner, livrer, se livrer sans retenue à quelque
chose, désirer vivement, passionnément.
Va, si li di qu'il vigne à mei
M'amor li métrai à handun. (M. d. F. I, p. 488.)
Le nostre prennent à handon
Senz nul autre defension. (Ben. v. 8194. 5.)
Kar il ne sunt fi ne certain
D'aveir nule defension:
Eissi ert la terre à handon. (Ib. v. 33085-7.)
Brehus cevalche à force et à handon. (0. d. D. v. 9846.)
Li rois fu ocis el doignon,
Et trestuit si fil à handon,
Fors seul Helain qu'en escapa. (P. d. B. v. 285 - 7.)
Grant cop h done sor l'escu à handon,
Ke il li perce et fant desci an son. (G, d. Y, v. 1563. 4.)
DE l'ad\t:rbe. 267
Y. les exemples il, p. 81, 1.26; p. 131; 1.25; p. 221,1.44;
p. 338,1. 36; p. 408,1. 27; etc.
E lerrai les destrers aler à lur handun. (Charl. p. 21.)
Cfr. : Qui tute lur larreit en handun la rivière. (Th. Cantb. p. 166, v. 24.)
Mais tost s'en parte à habandon. (Fab. et C. I, p. 70.)
Cette orthographe en h initial se trouve assez souvent. Yoy.
0. d. D. V. 9844. 9917. etc.
Li rois de France a l'escu pris,
Si s'est devant les autres mis:
Ahandones est de joster,
Qu'il violt faire de soi parler. (P. d. B. v. 8661-4.)
Tex se fait ore de guerre abandonne,
Se l'empereres estoit là ai'outes,
Ja n'i mestroit .i. denier monee. (G. 1. L. I, 81.)
V. R d. C. d. C V. 380 ; W. A. L. p. 57; etc.
Pour terminer, je citerai l'adverbe ahandoneement ^ àbatidon-
neement, impérieusement, d'un air d'autorité (DC. ahandommre) ;
sans réserve, tout à fait.
On tient plux chier la chose desirree,
Ke ceu c'om ait ahandoneement. (W. A. L. p. 47.)
V. Eaynouard Lex. Il, p. 178, c. 1.
Adenz, adens, adent,
proprement les dents contre terre (as denz) — prosterné, le
visage contre terre.
E il tant tost cume il cunut Helye, chaïd adent devant lui, si li
dist: Es tu ço, mis sires Helye? (Q. L. d. E. III, p. 314.)
L'un gist sur l'altre e envers e adenz. (Ch. d. K. p. 65.)
A cest pense a fait maint tor
Par son lit enverse et adens. (Ben. t. 3, p. 763.)
Sus la terre gisent adenz
Mil en i unt les cors sanglenz. (Ib. v. 16568. 9.)
Sus le plancher se jut adenz. (Ib. H, v. 2101.)
Y. 1. 1, p. 347, 1. 5; t. n, p. 20, 1. 17.
AdeSj adïeSj
dérive du latin ad ipsum. E signifiait incontinent, aussitôt,
sans interruption, sans cesse, toujours. Adies était la forme
picarde.
Sostignent assi nostre Signer en tote pacience et si soient ades en
oreson et en prière. (S. d. S. B. p. 560.)
r—S'une fois en chiet bien, fols est cil qui s'atent
Que il l'en doie ades cheoir si faitement. (Ch.d.S.I,128.)
Aniables et tost tornes
Est li viellars . . .
Il est adies plains de rihote. (R. d. M. p. 21.)
268 DE l'adverbe.
Sire, fait ele, or atant pes,
De ce reparlerons ades. (P. d. B. v. 1777. 8.)
Or le querez donques ades. (R. du Ren. m, p. 85.)
On renforçait la signification de cet adverbe , en lui prépo-
sant, tout, trestout.
Moult aves longes sis en pes:
Si aves pense tôt ades. (P. d. B. v. 3861. 2.)
Ades . . . ades signifiait tantôt . . . tantôt.
A genoillons == à genoux.
Les formes de cette locution adverbiale étaient les mêmes
que celles du mot genou. On trouve: S. K. le genuil (Q. L. d.
R m, 322), al genoul (Phil. M. v. 18969), P. R. as génois (P. d.
B. V. 1296), lor genoz (S. d. S. B. p. 551), de devant ses genuih
(Ch. d. R. p. 85), à genoilz (Ben. Il, 267), vers les jenoiz (ib.
V. 37444), etc. De même:
Devant le roi s'asiet à genoillons. (R. d. C. p. 26.)
Chascuns à genillons se ploie. (R. d. M. v. 1434.)
Y. Ben. v. 25070; Rutb. I, p. 268 ; Chr. A. N. I, p. 42; etc.
AlJces^ algues, auques^ alches , auches,
d'abord pronom (v. t. I, p. 171), fut de bonne heure employé
comme adverbe, avec la signification un peu, quelque peu, assez
passablement.
A tant cessad David à pursieure Absalon, kar algues fud le dol ame-
sured e atempred de la mort Amon. (Q. L. d. R. Il, p. 167.)
Robert fu dus emprez sun frère,
Ki aïkes traist as murs sun père. (R. d. R. v. 7453. 4.)
Et si vus plest à escoter
Sa dulce vie veil mustrer
Aïkes verrement. (Ben. t. 3, p. 461.)
Quant il furent d'eus auques près. (Ben. v. 28755.)
Porz fu la tor e haut li mur
Auques i furent aseur. (Ib. v. 29485. 6.)
Se il vit longes et auques puet durer,
Mult sara ben son anemi grever. (0. d. D. v. 7597. 8.)
Si parlèrent tant ensemble que li conestables s'amolia auques. (H. d.
V. 511^)
Li fromaches fu auques mox. (R. du Ren. I, v. 7249.)
Cume il out mangied , alches fud cunfortez e avigurez. (Q. L. d. R. I
p. 115.)
Oza estendid sa main vers l' arche, si la tint pur ço que li buef
eschalcirrouent e alches l'enclinerent. (Ib. Il, p. 140; cfr. p. 167; III,
p. 282.)
Li reis , fist dune Reinalz auches iriement,
T'a mande . . . (Th. Cantb. p. 138, v. 11.)
269
Alsi, ami = altresi, autresi,
Ahi, forme primitive de notre aussi, dérive du latin aliud
sic] altresi vient de aîterum sic et signifie de même, pareillement.
Par l'umbre de mort alsi entend l'om la mort de la char. (M. s. J. p. 458.)
Li cner des renfuseiz sunt àlsi. en amertume, car lur malvais deseier
les afflient. (Ib. p. 465.)
Si vos proient comme à seignor que vos vos y metez àlsi. (Villeh. 467 ®.)
De ceo te prie ici chascuns,
Ausi tuz li poples comuns. (Ben. v. 8214. 5.)
Croi le père et le fil ausi
Et si croi le st. esperi. (Pliil. M. v. 5962. 3.)
Au Lieu de aussi, où l'on redoubla le s lorsque l'on confondit
la prononciation du s et du double s, on orthographia sou-
vent ossi.
En Bourgogne, dans les plus anciens temps, on écrivait assi^
par assimilation.
Et tu assi, 0 tu hom, tu vois lo lairon et si cours ensemble lui.
(S. d. S. B. p. 523.)
De alsi , au^si^ on forma alsiment , ausiment, aussi, de même,
pareillement.
Ke il alsiment la mort ki anaises à trestoz est poine, amevet alsi
com entreie de vie. (Dial. d. S. Gr. I.)
Guiteclia ai perdu, Baudoin ausimant. (Ch. d. S. Il, p. 167.)
La forme picarde suivante, de la seconde moitié du XITE^
siècle, est -elle une altération de ausiment, ou bien faudrait -il
lire ansement? (Y. plus bas esement)
Tout ausement comme li ciers
Euit devant les ciens en travers. (Phil. M. v. v. 7348. 9.)
A un altre tens , altressi por une cause , del monstier par lo comant
del abeit ki vint après son maistre Honorait s'en alat Libertins à Ra-
venne. (Dial. de S. Gr. I.)
Et Oliviers refiert lui autresi. (G. d. Y. v. 851.)
Eenforcé avec tout:
De cest siècle est sanz mençonge
Tout autresi comme de songe. (Chast. XXIY, v. 53, 4.)
Y. altresi (Serments, t. I, p. 20, 1. 2) 1. 1, p. 271, 1. 24; autressi
p. 278, 1. 5; autresi t. LE, p. 142, 1. 12 ; etc.
Her, er j hier ^ ier — ersoir — Valtrer^ Vautrer, Valtrier, Vautrier.
Her^ er, ier , du latin heri, hier; — hersoir , ersoir ^ herseir,
ier soir., erseir (herisero), hier soir; — (li) Valtrer., Vautrer , Val-
trier, Vautrier., l'autre jour.
Ne veil hui pas si jeûner
Comme ge fis er, par seint Jaques . . . (E. duRen. III, p. 91.)
Je ne manjai très avant er. (Ib. p. 131.)
270 DE l'adverbe.
Dont me revient çou, douce Dame,
Que devant hier estoie dame
De la riens que je plus amoie. (R. d. 1. M. v. 4603 - 5.)
E mes sires me guerpi pur ço que ier e avant ier enmaladie.
(Q. L. d. R. I, p. 115.)
Ma dame de Coucy hersoir
Me manda que je y alaisse. (R. d. C. d. C. v. 674. 5.)
Jo si nen ai filz ne fille ne lieir;
Un en aveie , cil fut ocis herseir. (Ck. d. R. p. 106.)
Quant vint ersoir que prime m'endormi. (R. d. C p. 328.)
Herberjai les ersair en mes cambres perines. (Charl. v.631.)
Li altrer fut ocis le bon vassal RoUans. (C. d. R. p. 123.)
Par Dieu, lechieres, trop estes prisantier
Râler i viex; batus i fus Vautrier. (R. d. C. p. 84.)
Yoici un exemple où Vautrier est employé pour un temps
assez long. Le roi d'Ecoce est en France où il a déjà rem-
porté le prix dans quelques tournois etc. ; il y reçoit une lettre
de sa patrie et il en dit le contenu à ses chevaliers:
Se me mandent mi consiUier,
Que avoec li (la reine) laissai Vautrier,
Que leur- reface isnelement
Savoir mon bon et mon talent. (R. d. 1. M. v. 3257 - 60.)
Cfr. ibid. v. 3409; Ruteb. I, p. 213.
Amont — aval.
Le premier de ces adverbes signifie amont , en haut; l'autre
aval; en bas, bas.
Kar si cbevaus par tôt foleie.
Primes amunt et puis aval. (Ben. v. 16395. 6.)
Menés fu amont et aval. (R. d. C. d. C. v. 3331.)
Y. encore t. I, p. 401, 1. 32 ; t. n, p. 22, 1. 31; etc.
De même: contremont, en amont, contremont, en liaut;
eontreval, en aval, en bas.
Le fist haut cuntremont voler. (R. d. R. v. 5757.)
Et montent contremont le mur par force. (Yilleh. 461 ^.)
Tote plaine sa lance l'abat ou gue parfont,
La teste eontreval et les jambes amont. (Ch. d. S. I, p. 168.)
Ckntreval (t II, p. 19, 1. 44 ; p. 23, 1. 2.)
Les mêmes mots employés comme prépositions:
Amunt Seine (t. Il, p. 117, 1. 26.)
De par le roi le vont criant
Li hiraut eontreval la vile. (R. d. 1. M. v. 2910. 11.)
Aine ne fu veus si grans deus
Qu'il demainent aval la vile. (Ib. v. 4370. 1.)
Li roi et li baron conira-a? la rivière. (Ch. d. S. I, p. 83.)
Y. t. I, p. 325, 1. 29; t. n, p. 166, 1. 16 ; etc.
271
Jnqui, enqui^ enlci — iqui^ ilci — qui.
Adverbe de lieu , qu'on employait quelquefois en composition
pour désigner le temps. Il dérive du latin eccu' lue. (Cfr. le
prov. et l'esp. aqiii; l'ital. qui^
Li autre .ij. s'an fuient, n'ont cure de sermon;
N'arrastassent enqi por tôt For de Dijon. (Ch. d. S. I, p. 229.)
L'aloete chanta et enqi et aillors. (Ib. Il, p. 174.)
Lors se herberja en la ville il et sa gent, et enqui sejorna tant que
l'empereres Baudoin vint. (Villeh. 465*.)
Ensi sejorna iqui par deux jors . . . Lors se parti de celo cite à toz
ses gaains, et chevaucha à une altre cite long de qui à une j ornée.
(Ib. 485^)
Et vindrent à la cite d' Archadiople , si se herbergierent enz, enqui
sej ornèrent un jor, et d' enqui murent, si s'en alerent à une altre cite
appellee Burgarofle. (Ib. 473.*'.)
Ez vos atant grant aleure
Le chastelain, par aventure.
Qui toz souz par anqui venoit. (Dol. p. 291.)
Une eve rade descendoit par enki. (0. d. D. v. 7207.)
Ceval li baiUent, si l'enmainent d'enki. (Ib. v. 7551.)
Il lor jureroient sor sainz loialement que dès enqui en avant, à quele
eure que il les somonroient dedenz les quinze jors , que il lor donroient
navie à bone foi. (ViUeh. 446 ^.)
Sauf ce qu'il a retenu tote la terre et les fies qu'il tenoit d£S enqui
en amont. (1233. M. s. P. I, 341.)
AnZj anSj aïnz, ams^ eïnz^ eins^ enz — anzoïs^ ancoz's, anchois^
anceïs, aincois^ ainehois^ etc.
Anz, ans, etc. sont des dérivés du latin ante'^; anzois , an-
cois, etc. de ante i'psum'^. Anz, anzois signifiaient avant, au-
paravant, plutôt., mais., au contraire. (Y, la conjonction.)
Nos ne wardons mies ceste jeune per nos, anz la wardent assi tuit
cil ki en l'uniteit de la foit sunt assambleit. (S. d. S. B. p. 561.)
A luy deussions nos voirement anzois aleir qu'il venir à nos. (Ib.
p. 526.)
Ne por ceu ne tolut nule chose , anz donat anzois donnes as hommes
(Ib. p. 533.)
Je vous diroie tel merveille
C'ains ne fu oïe d'oreille. (E. d. M. p. 53.)
Kar pus ne dotad nul péril,
Mnz ont le secle tôt dis vil,
Deques à la mort. (Ben. t. 3, p. 622.)
(1) Le s paragogique que l'on voit ici , se retrouve dans un grand nombre d'autres
particules. Nos plus anciens monuments ne le connaissent pas encore.
(2) Cet ipsuvt qui s'ajoutait à beaucoup de mots, doit être considéré comme neutre
ou comme adverbe.
272
Li vileins à sa famé dit
C'unques mais de ses elz ne vit
Nul pre faukie si igaument.
Celé respunt hastiwement,
Ainz fu od les forcez tranciez.
Dist li vileinz: Ainz fu fauciez.
Ainz est, fist la feme , tonduz. (M. d. F. II, p. 380.)
La bataille est merveilluse e pesant.
Ne fut si fort enceis ne puis cel tens. (Cli. d. E. p. 131.)
Mais à ce ne tendoient il point du droit , ancois le voloient il tenir
à loi oes tout proprement. (H. d. V. 498*=.)
Unques enceis ne s'en partirent. (Ben. I, v. 1842.)
Atant li manniers se repaire,
Main anchois ot dit à sa feme
Qu'ele pense de sa parente. (E. d. M. d'A. p. 5.)
L'ancienne langue se servait de qui ains ains pour dire à
Venvi Vun de Vautre^ de la même manière que nous employons
a qui mieux mieux , que la langue d'oïl connaissait aussi ; mais,
à ce qu'il semble , la signification de qui ains ains était un peu
différente de celle de qui mieux mieux. Qui ains ains renferme
l'idée d'une priorité de situation.
Puis cume vint à la bataille , la descunfiture turna sur Israël ; et fuirent
tuit M emz einz, chascuns à sun tabernacle. (Q. L. d. E. I, p. 15.)
Auberis siuent qui ains ains longuement. (Eomv. p. 218.)
Et cil des vissiers saillent fors et vont à la terre, qui ainz ainz,
qui mielz mielz. (Villeb. 452*^.)
Moult tirent entr 'els qui midis miols. (P. d. B. v. 3339.)
Cette gémination sert simplement à ajouter à l'idée exprimée
par le mot répété.
E crut la noize e li criz , e de luinz l'oïrent mielz e mielz. (Q. L.
d.E.I, p.47.)
Cfr.: Il ne demandent mie chascuns qui doit aler devant, mais qui
ainçois peut, ainçois arrive. (Yilleli. 450*^.)
Remarquez encore:
Corn ainz Tarez toUi, ainz sarez à repos. (E. d. E. v. 2601.)
c.-à-d. (le) plus tôt (que) vous l'aurez toli, plus tôt etc.
Ains est souvent suivi de la particule de; c'est le de pour
que du comparatif.
Et se vous en l'uisset entres
Ains de lui mot ne parleres. (E. d. C. d. C. v. 4329. 30.)
C'est de cet adverbe ains et du participe passé de naître
que dérive notre mot aîné: anneit sans le s paragogique de la
forme «W2, ans; ainsneit., ainsnes, einzned (Q. L. d. R. I, p. 309).
Del anneit frère. (M. s. J. p. 499.)
Deus beaus fiz out de son seignur;
273
Joufrei Martel fu li ainznez,
E Helyes l'autre puisnez. (Ben. v. 42144 - 6.)
S'ot d'une autre- feme .ij. fins:
Theobiers ot non li ainsnes,
Et Theoderis li mainsnes. (Phil. M. v. 691-3.)
Ainsne = né avant les autres , plus tôt né , premier né —
M«w5w^ = moins âgé, puîné, cadet — comme ^m««^, né après
les autres, puîné. (Y. Moins ^ Puis.)
Remarquez encore le composé ainsunhes.
De ce dist sainz Pieres : Tems est ke li jugemenz commencet à la
maison Deu , et se li justes serat ainsimJces salz ù apparront li fel et li
pecheor. (M. s. J. p. 474.)
Dans les textes picards, on trouve souvent l'adverbe ains
confondu avec anc^ aïnc = jamais. Cela vient de ce qu'on rem-
plaça, au XIIP siècle, le s final de aïm par le c picard, si
ordinaire en pareille position.
Yoici quelques exemples de ane, mne, enc, qu'on écrivait
aussi ainqvss^ ainhes.
Ne fu teus honi aine puis ses jors. (P. d. B. v. 158.)
E la meillor clievalerie
Qu'ewc fu seu ne oïe. (Ben. I, v. 1179. 80.)
Entr'aus dient tôt li baron
(y aine si cortois leu ne vit on. (L. d. M. p. 61.)
Je ne vos serf mie de losengier,
Ains vos aim, sire, plus que nul chevalier.
Aine ne vos vi un boort commencier. (Eierabras p. 158, c. 2.)
Ferai qviainques mais ne fist rois. (R. d. 1. M. v. 4328.)
Et s'ainJces de riens li fausai,
Ja n'i puisse je recouvrer. (Romv. p. 287.)
Raynouard (Lex. rom. t. II, p. 80) en parlant de anc, qui
correspond à l'adverbe français , prétend que ce mot dérive de
unqicam. La forme du mot anc , aine ^, répugne à cette déri-
vation, de plus il existe un dérivé de unquam (ital. unqua , un-
que; prov. oncas; langue d'oïl oncques, onkes), qui prouve la
fausseté de l'interprétation de Raynouard au sujet de l'origine
de anc, aine, enc. Roquefort confond ains et aine. Il faut,
je crois, chercher la racine de ane, ainc^ dans le latin «(^ hanc
se. horam.
Ensi, ansi^ einsi^ ainsi ^ insi, ensinc , ensinques^ angine, einsinc^
ainsinCy ainsint^ einsint.
Toutes ces formes représentent notre adverbe ainsi. On a
(l) Si même on admettait le changement de o en a pour le provençal (cfr. ara do
oro), on n'a aucun précédent qui permette cette suppositioa à l'égai-d de la langue
d'oïl. Cfr. en outre l'Italien anco , anche.
Burguy, Gr. de la langue d'oïl. T. II. Éd. UI. 18
274
déjà beaucoup discuté sur l'origine de ce mot: Ménage le fait
venir de in sic; d'autres le dérivent de adeo sic, aeque sic;
M. Diez enfin propose ante sic. La racine adeo sic ne mérite
pas qu'on y pense. Ante sic se justifierait peut-être en admet-
tant les significations avant tout, surtout de cette manière^ juste-
ment de cette manière; cependant je crois cette dérivation trop
recherchée. Eeste à se décider entre in sic et aeque sic. La
signification du latin aeque concorde fort bien avec celle de notre
mot; toutefois le n fait quelque difficulté. On ne peut admettre
que le qu ou c final {aeque se serait contracté en ec) s'est per-
muté en n ; cela arrive en espagnal , mais pas en français , que
je sache. Il faut donc supposer que la finale que (c) a été
apocopée et n intercalé. C'est ce que j'admets. In sic ne ré-
pond pas aussi bien, quant au sens, à notre ainsi.
Tôt ensi cum il visibles vint une fieie en char , por faire la salveteit,
enmei la terre, ensi vient il en espirit et nient visibles, chascim jor,
por saneir l'aii'me d'un chascun. (S. d. S. B. p. 527. 8.)
S'ensî est, certes nos ne sommes mies digne de la compaignie de
cest chief. (Ib. p. 561.)
Ansi alai .ij. jors antiers. (Dol. p. 252.)
In8% cora dessus devise l'avons. (1262. H. d. B. II, p. 27.)
Guidiez vos toz jors dnsi faire? (Ruteb. I, p. 119.)
Ne croi pas à muable chose
Se la sentense en ai esclose :
-Ew.s* vint servages avant. (R. d. M. p. 30.)
La chartre fu délivrée as messages ; ensi pristrent congie à l'empereor
Sursac et tornerent en l'ost arrière. (Villeh. 454*^.)
Et tuit cil qui vindrent en la chace, qu'il porent retenir, si les
mistrent en lor bataille, et ceste chace si fu entre none et vespres
ensinqiies retenue. (Ib. 475".)
Or a la dame ainsinc voscu. (Ruteb. Il, p. 185.)
Amsmt (v. t. n, p. 160, 1. 21.)
Au Heu de ensi, on employait:
JEissi , issi, isi, issiques^ issinc , issint.
Eisi, puis eissi, issi, etc. est la même forme que la pré-
cédente, sans le n intercalaire. (Cfr. l'ancien espagnol ansi
et la nouvelle forme asi; le portugais assim; le provençal
aissi). C'est probablement à l'influence de la forme eissi, qui
appartenait à la Touraine et aux cantons environnants, que
l'on doit en grande partie l'introduction de Vi dans ensi (einsi,
puis ainsi).
Les out trestoz eisi vencuz. (Ben. v. 3843.)
Tôt dsi a Rou conseil pris. (Ib. v. 3897.)
Mais Saul issi nel fist, e en ço vers Deu mesprist (Q, L. d. R. I, p. 44.)
275
Se vos issi partes de moi. (P. d. B. v. 4219.)
Des que isi est, i entendez. (Ben. v. 6133.)
Honni somes se nos lesson
A lui issiques defoler. (R. d. Ren. I, p. 231.)
Antan^ entan — oan, ouan, uan foivanj — maisoan^ mesoan.
Atan dérive de ante annum; oan^ de hoc annum. Le premier
signifie Vannée passée ^ ci -devant^ aidrefois; le second, cette an-
née , dernièrement , désormais , jamais. Maisoan , mesoan , composé
de mais (v. ce mot) et de oan^ signifiait h V avenir, un jour.
Rabelais s'en est encore servi.
Les perdrys nous mangeront les aureilles mesouan, (Garg. I, 39.)
Sacent tout . . . que Jehans le Beghins a vendut h Gillon Mousket
xiij. verghes de warance, ki siéent deriere sa maisson, ki fut antan
plantée sour le tiere ki fut Gerart le Quatit. (1276. Charte de Tournay
citée dans Phil. M. Suppl. p. 27. 8.)
Anten nos vint dire uns Norois
Que sains segnor erent François. (P. d. B. v. 2489. 90.)
Se chasouns endroit soi c'en fust si entremis,
Ancor oaneust Charles mult moins d'anemis. (Ruteb. I, p. 147.)
Oan mais ne m'ert reprove
Que par moi aiez fest folie. (Trist. U, p. 32.)
Nos quidons ben ne soit oan baillies. (0. d. D. v. 9097.)
Vos n'irez pas uan de mei si luign. (Ch. d. R. p. 10.)
(Y. Ben. v. 18756. 19382. etc.) ♦
Orthographié auan (O.d.D.v.9091); aioan{R. d. 1. M. Préf. VHI.)
Cfr.: Voit Castel-Fort sus la roche séant, . . .
Et Mont-Che^Tel que il ferma Vautr'an. (0. d. D. v. 6429. 31.)
Apermesmes, apermismes^ aparmenmes , aparmannes ^ aparmain.
Cette locution dérive de ad per metipsissimum (tempus), et
signifie h V instant^ tout de suite, sur le cha'mp.
Car apermisines que li scels fut brisiez , si vint apermemes après li
amers departemenz et li triste discorde. (Roquefort, s. v. aparmain.)
Et dist Gantiers : Aparmain le saurez. (R. de Roncevaux, 32.)
Sire reis, ço t'ai ajmrmannes escrit. (Th. Cantb. p. 64, v. 16.)
V. t. I, p. 220, 1. 5; t. II, p. 96, 1. 41; p. 117, 1. 19.
Assez, asez^ asseiz^ aseiz, asses (ad satis).
Je ne cite cet adverbe que pour faire remarquer les com-
binaisons suivantes:
Li leus a vulentiers jui'e
Flus assez k'il n'unt demande. (M. d. E. II, p. 188.)
Raous vos nies ot molt le cuer entort,
Mais aseiz plus vos voi félon et fort. (R. d. C. p. 134.)
Baptizet sunt asez plus de .c. mille. (Ch. d. R. p. 142.)
L'eve qui sanz corre tornoie
18*
I
276 DE l'adverbe.
Assez plus tost .i. home noie
Que celle qui ades decort. (Ruteb. I, p. 248.)
Moult est Lien fête par devant,
Assez miex que n'est par dei-riere. (Ib. Il, p. 29.)
Plus assez ^ assez plus, assez mieux ^ signifiaient beaucottp plus,
heaucoup mieux.
Yoy. aset (t. II, p. 194), c'est-à-dire la forme primitive avant
l'introduction du « (z = ts).
Dans la seconde moitié du XIIP siècle, paraissent aussi les
locutions cf assez, qu^ assez, qui, à vrai dire, sont, comme les
combinaisons précédentes, des renforcements du comparatif.
D'assez fut d'un fréquent emploi jusqu'à la fin du XYI^ siècle.
Li homs est pire que desvez
Mes la famé vault pis d'assez. (Romv. p. 384.)
Pou d'espoirs en sorcuidance
Me fait douloir plus qu'assez. (Trouv. Artés. p. 127.)
Le de et le que sont ceux du comparatif.
Buer — mar.
Dès le commencement du moyen -âge, on avait dit lona hora
= à la bonne heure, par bonheur; maïa hora, à la maie heure,
par malheur. Toutes les langues romanes admirent ces expres-
sions. L'ancien français disait en hone heure ou hone heure .^ en
maie heure ou maie heure , puis on se servit simplement de hone
(R. duRen. I, p. 108, v. 2858), maie, auxquels on donna ordinaire-
ment les formes Jor, plus tard huer avec diphthongaison de Va,
mar. Le r final est un reflet de celui de hora et sert à rap-
peler ce mot sousentendu. Buer signifiait heureusement, bien,
à propos; vmr^ mal, malheureusement, mal à propos, à tort.
Com huer fuit neiz qui en tal ost ira
Por tel pardon conquerre ! (G. d. V. v. 4012. 3 )
Urrake, je sui vostre sers,
Bueft' i passase jo les mers. (P. d. B. v. 6083. 4.)
Baruns, esveilliez vus. Bm' vus fud anuitie
Tele chose ai oie, dunt jo vus frai liaitie. (Ben. t. 3, p. 610.)
Y. t. n, p. 174, 1. 9.
Et jure Dieu qui soufri passion
Mar 1 prist Raoul de la terre le don. (R. d. C. p. 82.)
Je sui celé qui mar fui née. (P. d. B. v. 4753.)
Quides le tu chacier de France,
Ja mar en auras espérance
Ne s'en ira mie fuiant. (Bon. v. 21104-6)
(1) La forme mare, pour mar, qui se montre plusieurs fois dans la Ch. de R. , est
un« simple habitude orthographique anglo - normande.
DE LAD^TÎRBE. 277
Je n'irai mie , ja mar en douterez. (G. 1. L. I, p. 102.)
Mar est bailliz , e mal li vait. (Ben. v. 26925.)
Y. t. I, p. 303, 1. 30 ; p. 332 , 1. 22 ; t. n, p. 3 , 1. 9 ; p. 27,
1. 41; p. 133,1. 26; etc.
Deus ! com mar fu de ço qu'il trice ! (P. d. B. v. 4474.)
On voit ici mar employé avec être; il n'en est pas moins
adverbe, mais il signifie malheureux ^ à plaindre.
^sèment, esstment, ensement^ ansement, ainsiment.
Roquefort rapporte à tort l'adverbe ensement à ememhle-
ment (s. e. v.). Ces deux adverbes n'ont rien de commun. La
forme primitive de ensement a été esement^ essement et esstment;
le n n'est qu'intercalaire. JEsement est un dérivé de ipse = ro-
man <9^*, eis, es, La forme provençale correspondante était
epsamen^ eissamen.^ et quelquefois ensament. Esement, ensement.,
signifiaient pareillement, de même, de la même manière.
E les saintes e leiz ensement. (Ben. I, v. 887.)
Variante : esement t. lU, p. 400, c. 2.
En icel meisme tens , essiment vint Bucillenus avoc les François es
contreies de Campangne. (Dial. de S. Grég. I.)
Si le prendront , ceu dient , quant il dormira en son lit , et ense^nen
s'en vengeront ensi qu'il ont enpense. (H. d. V. 518''.)
Cil com sunent e buglent e sunent ensement
Cumme taburs utoneires u grant cloches qui pent. (Charl. v, 358. 9.)
Si com lions que fains destraint
Ocit bestes quanqu'il ataint,
Tôt ansement li bons rois fait. (Brut. v. 13299-801.)
Por ce fu Dieux lor boens amis
Et li autre saint ansiment. (Ruteb. I, p. 128.)
Ayer, ayere, arrière, ariere, ariers .^ airier, arere, erriere., errier —
dater e, dariere., derrier., derier. — Avant, davant^ devant.
(Y. les prépositions aux mots riere, en%)
Arrière s'employait comme adverbe avec la signification de
ci -dessus., ci -devant^ soit seul, soit en combinaison avec p en,
(Cfr. l'article suivant.)
Arrière., avec les verbes, signifiait de nouveau, de retour (qm
lieu d'où l'on était parti), en arrière.
Ayer était la forme bourguignonne, qui disparut de bonne
heure.
0 cum bienaurouse aveuleteit! por kai li oil aveulent sainement en
la conversion , ki za en ayer estoient malement enlumineit en la préva-
rication. (S. d. S. B. p. 559.)
Paien la firent lonc tans sai en arier. (G. d. Y. v. 3468.)
Çay en arriers (1269. (M. s. P. II, 597) — gai m arrière (1285. Ib,
11,684.)
278
Quant il welt ayere raleir. (S. d. S. B. p. 567.)
CoDgie prent l'apostoiles, maintenant s'an repaii'e,
Erriere s'an rêva, que il plus n'i atarde. (Ch.d S. 1,79.)
Lors ert de France reis Henris,
Eissi cum arere vos dis. (Ben. v. 32139. 40.)
Y. ça en arrière t. Il, p. 114, 1. 22 ; cha en arrière 1. 1, p. 380,
1. 10 ; %ai en ayer t. Il, p. 1 98, 1. 7 ; ça ennars t. II, p. 115, 1. 27 ;
et les exemples t. I, p. 288, 1. 4 ; p. 309, 1. 30 ; p. 312, 1. 27 ; t. n,
p, 41, 1. 24; p. 51, 1. 3; p. 53, 1. 14 et 24; etc. etc.
Il estoit voyi'ement dàvant. (S. d. S. B. p. 546.)
Alez avant, g'irai après. (E. d. Een. 1. 1, p. 117.)
Et devant et derier vont tant Saisnes tuant
Que parmi la jonchiere font de cors pavement. (Ch. d. S. Il, 113.)
Gels derier ne pot parmi fendre
Et cels davant n'osa atendre. (Brut. v. 4715. 6.)
Il est darere od celé gent barbée. (Cb. d. E. p. 128.)
Tant comme il est devant la gent
Mes par darrier n'en fet neient. (Cbast. pr. v. 147. 8.)
Za davant correspondait à m en ayer.
Et Criz pai'olet en la salme et si dist: je suis dist il, fichiez et lum
de la meir, nos fumes jai za davant luns de paradis, mais or sommes
nos luns de meir. (S. d. S. B. Eoquefort, s. v. lum.)
Et la davant:
Ceu doiens nos or encercbier , selonc l'ordene ke nos là davant pro-
posâmes. (Ib. p. 526.)
Davant s'employait pour à V avance, d'avance.
Quar cil davant notet soniousement les malz ki avenir li puent, atend,
voilanz en aguaiz , les assalz de son anemi. (M. s. J. p. 515'.)
Avant signifiait aussi plus tard., dans la suite; plus bas.
Et partout li fisent homages.
Cil ki tien-e vorrent tenir
A en avant et maintenir. (Pb. M. v. 4421. 3.)
Henris, ce retrait li escriz,
Eefu de Warewic puis quens fait,
Si cum avant sera retrait. (Ben. v. 32079-81.)
Devant s'employait dans le même sens que notre avant.
Je vieng de ci près besoingnier,
Si ne fui puis des devant hier
A ma maison : or y revois. (E. d. C. d. C. v. 2571 - 3.)
Çà^ ci. — Là.
Ça , dérivé de ecce hac , avait la forme za , %ai , puis m/,
««*, en Bourgogne; ça., en Normandie; cha^ en Picardie. Ci
dérive de ecce hic , et s'écrivait chi en Picardie. Ci s'employait
le plus souvent pour ici. Là , vient de illac , et s'est écrit lai
DE l'adverbe. 279
en Bourgogne. On trouve quelquefois ila^ correspondant à ici^
qui nous est resté.
Voici quelques exemples de ces mots, seuls ou combinés
avec d'autres.
Et ceste voye doyens nos molt diliantrenient querre lai où nos poyens
dignement aleir encontre luy. (S. d. S. B. p. 527.)
Por ceu k'il delivrement poient corre et zai et lai. (Ib. p. 569.)
Qui aucune fois faisoit célébrer ilà mesmes. (H. d. M. p. 135.)
Tor là ton vis et çà ton dos,
Ge monterai comme vaslet . . .
Ysent la bêle chevaucha,
Janbe de çà, janbe de là. (Trist. I, p. 187.)
Les guaites Saul s'aperceurent ki esteient en Gabaa Benjamin, e virent
l'ocisiun de chà, les morz gésir e les vifs chà e la fuir. (Q. L. d. E.I,p.47.)
De çà remenrai tant que là outre seront. (Ch. d. S. II, p. 55.)
Li anchiien sont de lui près;
Apres sont li jone baron
De chà et de là environ. (R. d. M. p. 55.)
Elduine tint del Hombre en là,
Et Cadualan rena de çà. (Brut. y. 14475 - 6.)
Cil chevalier furent par le jardin
Çà dis, çà trente, là quarante, Zà vint. (G.l.L.n,p.l54.)
D'Ynde la grignor par de là
Dusk'à septentrion de chà. (R. d. 1. M. v. 5513. 4.)
Que chi n'en trouvères vous rien. (R. d. 1. V. v. 1598.)
Tous aves bien oï pieca,
.Xxv. ans a en es çà
Que Baudoins li preus, li bons, . . .
Se fu pour l'amour Dieu croisies. (Phil. M. v. 24463-5. 8.)
Cfr. loc. prép. : Et quanque de chà mer avoit. (R. d. S. S. p. 3.)
De là la mer (t. I, p. 369, 1. 15); de là le bras (t. II, p. 120, 1. 30.)
Y.t. I,p. 193,1. 34; p. 233,1. 12; p. 286,1. 7; p. 292, 1.16;
p.294, 1.4;p.301, 1. 33;p.331, 1. 15. 28; p. 335,1. 40; p. 369,
1. 16. 19; etc. etc.
Là était souvent suivi de l'adverbe où (t. II, p. 23, 1. 28 ; p. 46,
1. 37) , et on les trouve contractés sous la forme 2au.
Li boens pescherres s'en ala . . .
En la ten*e iau il fu nez,
Et Joseph si est demeurez. (R. d. S. G. v. 3456. 9. 60.)
Et Iau li sans couloit l'a mis. (Ib. v. 564.)
V. ib. V. 633. 2504. 3116, etc.
Pour en finir avec là ow , je dirai qu'il ne s'employait pas
seulement pom- le lieu. On s'en servait, comme conjonction,
à l'égard du temps, dans le sens de au moment g^ue^ tan-
dis que.
280 DE l'ad\t;rbe.
Là il il vunt einssi pallant
Deus chiens virent venir curant. (M. d. F. II, p. 388.)
Ci puet on veoir dou felun
Qui velt trichier sun conpaingnun;
n meismes est encunbrez
Là il li autre(s) est délivrez. (Ib. p. 266.)
Remarquez l'expression :
Tant le jeta (l'anelet) de toi en moi
Qu'il est venus devant le roy. (E. d. 1. M. v. 6089. 90.)
de ci de là, de Vun h Û autre.
Caenz, caienz, caiens, chaiens, caians , cean%, ceenz, ceienz. —
ZaenZy laienz, laiens, laians, leanz, leen%, leienz, leinz.
Ces deux adverbes sont composés de ca, la et de enz, em
v. les prépos.). Ils signifiaient céans, ici dedans — la, là dedans.
Beax filz, ne soiez si dolenz;
Venez caienz entre nez genz. (P. d. B. v. 5287. 8.)
Son de note, ne cri d'oisiel
N'ierent mais chaiens chier tenu. (R. d. 1. V. v. 1372. 3.)
Karlemaines me tient ceanz an sa prison.
Et bien pflet de moi faire son voloir et son bon,
(Ch. d. S. II, p. 165.)
Dux Naymes est à pie, sanz cheval, an la pree;
Leanz an la cite an lieve la huée. (Ib. II, p. 178.)
Quatre jors ont demene tuit
Laiens grant feste et grant déduit. (R. d. M. p. 53.)
De laians issir ne pooie.
N'i avoit c'une soûle entrée
Et celle estoit moult bien fermée. (Dol. p. 245.)
V. ceienz (Chast. IX, v. 67), caiens (Yilleh. p. 454"; R d. C.
p. 189), caians (Brut. v. 11240), ceenz (Charl. v. 756); laenz (Ben.I,
v. 1559), leenz (Ruteb. n, p. 43), leinz (Trist. H, p. 150.2), etc.
Certes — à certes — par certes.
Certes (variante picarde chertés) était un dérivé du latin
certus, qui signifiait certes, assurément. Le composé à certes
signifiait certainement, sérieusement, de propos délibéré, instam-
ment, et, après le XIIP siècle, il prit encore la signification
de avec certitude.
Certes li planteiz et li habondance des choses temporels avoit ameneit
l'obliement et la besoigne des permenanz. (S. d. S. B. p. 527.)
Certes vers moi mesprenes
Qui sui en vostre justice. (Romv. p. 250.)
Chertés molt m'atraisistes
Jonet* à chel mestier. (Ib. p. 294.)
(1) Le texte porte jo nec, ce qui ne donne aucxin sens.
DE l'adverbe. 281
Dedens Pavie ai je certes este,
Et Desier certes vi je asses,
Lui et Ogier le Danois d'outre mer,
Et vo message certes lor ai conte. (0. d. D. v. 4770-3.)
Dont cuide Ogier qe il desist à certe. (Ib. v. 11796.)
De lui envaïr n'est nus leus
De nos, n'a certes ne à gens. (Ben. v. 20617. 8.)
Garins fu el palais, qui à certes juait. (Romv. p. 351.)
Moult set famme, et moult est hardie
D'outraige faire et de follie;
Puis c'a certes s'an aiitremet.
Plus volontiers aimme et si fet
D'une mensonge ke d'un voir
Et la follie c'un savoir.
N'est hons vivans M tant seust
Que famé ne le deceust.
S'a certes pener s'an voUoit. (Dol. p. 274.)
Trop à certes m'en apelez,
Fet ele, si le vos dirai. (Romv. p. 470.)
Par certes vos n'en irez mie. (R. d. Ren. I, p. 93.)
Dans quelques traductions bibliques, on trouve acertes, comme
conjonction, pour le latin autem. Au lieu de l'orthographe
acertes, ces traductions écrivent quelquefois adecertes.
Dieu li comanda et dist : maungues de chescune fust de paradis, si
ne maunges acertes de fust de science de bien et de mal. (Roquefort,
s. V. fust.)
Si vos adecertes ne voiliez, soit feu issu de chimenee et devorge
les cèdres du Liban. (Ib. s. v. chimenee.)
De certes^ on fit certement == certainement., avec certitude.
Et qui mult quident certement
Que terre tienge hautement. (Ben. v. 17203. 4.)
Quant Flores s'amie ot nomer
Et de li certement parler.
De la joie tos s'esbalsi. (FI. et Bl. v. 1315-7.)
Cwm, (?om, con., corne, comme .^ conme., coume, cun. — Cument.,
cornent, conmenty comment., coument.
Cum^ etc. dérive du latin quomodo. De com^ on forma avec
la terminaison ment., l'adverbe coment (quomodo — mente).
Quand on fait une demande directe, on emploie aujourd'hui
comment; l'ancienne langue se servait aussi de comme dans ce
cas. Pour le discours indirect, nous employons comme et com-
ment, mais comme est d'ordinaire mis pour indiquer le degré,
comment, la manière. La langue d'oïl n'observait pas toujours
cette distinction. Comme aujourd'hui, on se servait de çom
282 ' DE l'adverbe.
dans les exclamations, emploi qui s'explique par la distinction
que je viens de mentionner.
Lorsqu'on voulait déterminer approximativent une idée de
quantité, on se servait de eomme (= environ, presque).
0 cum douz reconciliement et cum douce amendise ! (S. d. S. B.p.549.)
Amis, com as -tu non? (R. d'Alex, p. 399.)
Qui atendre osera
Cou li avient, s'on voit que ses biens fais
Le deserve , grant werredon aura. (Romv. p. 292.)
Helas! fait il, con sui lionis,
Et con sui par Mares traïs! (P. d. B. v. 2541. 2.)
Pis n'aura conme se fust m'ame. (R. d. M. d'A. p. 5.)
Lessez gésir les morz tut issi cn.iil sunt. (Ch. d. R. p. 94.)
Por elle en paroi comme ires. (Romv. p. 249.)
Tout ausi coume Farsui'e
Fait kanqu'ele ataint bruir. (Ib. p. 262.)
Il perdit aussi comme tout son sens. (Clironiques de S. Denis.)
Cornant m'an fuirai je? dist Karles au vis fier,
Cornant porra ce estre tant com je soie antier ? (Ch. d. S n, p. 152.)
Oies coument il l'en avint. (Phil. M. v. 14326.)
Puis li demande: Comment vos est, amis?
Dist Beneois : Mult ben, la Deu mercis. (0. d. D. v. 6905. 6.)
Deus set asez cument la fins en ert. (Ch.. d. R. p. 149.)
Si m'esmerveil conment peut avenir. (Romv. p. 253.)
Faites de moi çou qu'il vous plest:
Je vous ai dit comment il est. (R. d. 1. M. v. 4251. 2.)
c'est-à-dire: Je vous ai dit la chose telle qu'elle est, ce qu'il
en est.
Les formes coume, coument, sont de la seconde moitié du
Xni^ siècle. Cum a d'abord été commun aux dialectes bour-
guignon et normand; mais dès le commencement du XIII*
siècle, com s'était fixé en Boiu-gogne. C'est dans le dialecte
picard que eoti prit naissance. Au Heu de comme, les manu-
scrits écrivent souvent comm quand le mot suivant commence
par e.
Com, conjonction, régissait souvent le subjonctif.
Après plus . . ., la phrase comparative commence souvent
I)ar comme au lieu de que.
Que li charbons seui- (lis. sos) la cendre
N'art pas plus co vertement ^
Con fait li las qui atent. (Romv. p. 864.)
(1) Le texte poète: N'ait pas plus contenement , vers qui ne convient nullement
au sens. (V La Borde II, 218.)
DE L'AD^^;EBE. 283
Dementre^ dementres^ demettres, endementre — dementiers^
Dementre dérive de dum intérim, comme le prouve la forme
provençale domentre. On confondit de bonne heure do avec de^
de là notre forme. Le pléonasme qui se trouve dans la réunion
de dum et intérim ne repousse pas la dérivation indiquée;
il est tout à fait populaire. JDementiers vient de dum interea.
Cette locution signifie pendant ce temps là, dans V intervalle ^ sur
ces entrefaites.
Ses messages tost li tramete
E tant dementres s'entremete
De faire assembler la navie . . . (Ben. v. 36716-8.)
Eous demeures qu'iloc esteit
Vit le mostier Saint Beneeit. (Ib. v. 5071. 2.)
La bataille est aduree endementres. (Ch. d. R. p. 55.)
Li batiaus vient endenientiers,
Dusc'al rivage n'arresta. (R. d. 1. M. v. 1192. 3.)
Mais li honurez reis de France Loewis
Endementieres s'est durement entremis
Que il fesist le rei e saint Thomas amis.
(Th. Ctb. p. 96, V. 16-8.)
Y. andementiers (t. I, p. 288, 1. 21), endementier (t. I, p. 346,
1. 39), etc.
Au lieu de endementiers , on trouve entrementiers.
Nekedent entrementiers nus n'usa en son non de l'usage k'il avoit
ou pré. (Roquefort, s. v.)
Enfin, il y a quelques rares exemples d'une forme entre-
mente, et il s'agirait de savoir si elle est correcte ou si le r
a été omis. Dans le premier cas, il faudrait le dériver de
interea mente.
Dons, dont, donc^ donkes , dune, dunhes, donques, dunches —
adonc, adunc, adonqiies.^ adunques, adont — idonc, idonques.
Ces mots sont des dérivés du latin tune. Adonc (ad tune),
idonc (in tune) doivent être regardés comme les formes primi-
tives, et donc, comme ime forme abrégée de celles-là. En
partant du point de vue contraire, le d de donc n'est pas
explicable , tandis que le changement en ^ du ^ devenu médial
par la composition est tout à fait selon les lois de la dérivation.
Quelques philologues ont voulu voir dans donc un dérivé du
latin de unquam; mais l'idée du mot donc repousse une pareille
étymologie. Adonc, idonc, donc signifièrent d'abord alors, et c'est
de l'idée de temps que se développa la signification conclusive
de donc. (Cfr. le vh.-all. danne = tum et ergo.)
Yoici des exemples des divers emplois de ces mots.
I
284 DE l'adverbe.
Dune (Fragm. de Val. 7. v").
Et molt fil convenaule chose et à droite ke dons venist li permenau-
leteiz quant la temporaliteiz avoit plus grant force. (S. fl. S. B. p. 527.)
En joiose prospérité
Ert dune la ten-e e le païs. (Ben. v. 38818. 9.)
Se Baudoins ot ire, donques ne la desploie;
Ne voit or tans ne leu. (Ch. d, S. II, p. 58.)
Donques lor vint deus batailles de nos gens qui les secoururent.
(H. d. V. 510M
E li deniers saint Piere fu dunkes retenuz. (Th. Ctb.p. 53, v. 26.)
.... Or voil dunches savoir. (Ib. p. 83, v. 12.)
Selonc la coustume et la guise
Ki ou païs adone estoit. (R. d. M. p. 6.)
Adont comence li conrois à j ester. (0. d. D. v. 7905.)
Adunques li a mult enquis
Savoir que l'en esteit avis. (Ben. v. 7790- 1.)
L'altre respond: Iduncme aidez. (Ib. t. 3, p. 462.)
Idune plurerent .c. mille chevalers. (Ch. d. R. p. 149.)
On trouve dès donc, de datte , pour dire dès lors.
Un petit nos recontet sainz Lucaz del enfance nostre Signer , maiîj
dès dons enjosk'à cest trentisme an non atroz ju nule chose de luy.
(S. d. S. B. p. 553.)
Mais dès dune furent costumier
E sunt uncor des cors gaitier. (Ben. v. 25272. 3.)
Et de ces trois mille livres li dus devant dis doit acquerre hyero-
tage dedens Liège, et de done en avant leveir la rente achetée de ces
trois mille livi'es. (1286. J. v. H. p. 442.)
Cfr. la préposition tres^ tries.
Donc — donc, donc — ore, s'employaient pour tantôt —
tantôt.
Juste Saine ala tant musant
Dime ariere e dune avant,
Ke Richart fu à la fenestre . . . (R. d. R. v. 7189-91.)
Issi traverse l'aventure,
Dont est soes et ore est dure. (P. d. B. v. 3303. 4 ; cfr. v. 723^)
Un poi s'estut pensive et morne;
Dont vait avant, qï dont retome,
Et dont s'asiet et dont se Heve. (Ib. v. 8623-5.)
Donkes cil ki saiges welt estre devignet sos por ceu k'il saiges
soit. (S. d. S. B. p. 550.)
Nomme le dont, quant est si gens. (L. d'I. p. 11.)
Les Romains avaient les particules num, ne., an pouTj
indiquer l'interrogation. Les langues romanes ne les ont p^
admises ; mais la langue d'oïl se servait de donc dans la phrase
interrogative , pour traduire à peu près le numquid latin.
285
Ne sont dons li fil des princes prince, et roi li fil des rois? (S, d.
S. B. p. 522.)
Dum ne vint sor niei liez e baut
Od sa force li quens Tiebaut
Gaster ma terre à tel dolor? (Ben. v. 22984-6.)
Qu'avez vos fait del duc Eichart?
Dun nel m'amenez vos pris? (Ib. v. 27332. 3.)
Donf^ dunt — unt — où.
Dont, proprement d-ont^ dérive du latin de unde et signifie
d'où. Il avait plusieurs variantes, que j'ai citées t. I, p. 1G2.
Unt., dérivé de unde., s'unissait à la préposition pm': <par unt -^
par où, par quel moyen. Unt ne se montre guère que dans les
textes normands. Où., du latin uhi, remplaça plus tard dont
fd''oùJ; il avait les variantes w, en Normandie, o, dans les
dialectes mixtes.
Or me redittes, s'il vos plait, vérité:
Dont estez vos et de kel parante. (Gr. d. V. v. 1809. 10.)
Don venez vos, dist il, Justamonz l'alosez ? (Ch. d. S. Il, p. 14. )
Si me dites donc vos venez.
Qui vos estes et où alez. (P. d. B. v. 7793. 4.)
Dont es, dont \dens, que demandes, que quiers? (O.d.D.v.9395.)
David reparlad al bacheler ki la nuvele portad, si enquist dunt il
fust. (Q. L. d. E. II, p. 121.)
N'ai beu ne vin ne el par unt l'um se poisse enivrer. (Ib.I,p.4.)
Mais rocliiers e derubes esteient merveillus puignanz e tranchaiiz
par unt Jonathas dut venir al ost. (Ib. I, p. 45.)
E uns charmes truvad par unt il soleit asuager les mais. Unes
cunjui'eisuns truvad par unt l'um pout deable del cors de hume jeter.
(Ib. III, p. 241.)
Li plus orgoillos se porpense
Far unt il se purra foir
Ne del ester senz mort eissir. (Ben. v. 30993-5.)
Voy. encore Q. L. d. R. III, p. 304; Ben. v. 18646. 28606;
M. d. F.; Lai du Fresne v. 179; Eliduc v. 176; etc. Dans
Tristan I, p. 180, L 15, il faut lire par ont au lieu de par oui.
En cel Ueu ù tu sen-as. (Q. L. d. R. Il, p. 175.)
Yunt les ferir là o il les encuntrent. (Ch. d. R. p. 137.)
Dans l'ancienne langue déjà et même avec plus de liberté
qu'aujourd'hui, oîi s'employait pour le datif du pronom relatif.
Et por la sainte croiz où Jhesus fu penez. (Ch.d.S.II,p.l55.)
Je n'ai conseil for vos, où me puisse fiier. (Ib. p. 89.)
Ses amis apela et cez où plus se fie. (Ib. p. 7.)
Le duc Rollan où tant ait baronie. (G. d. Y. v. 1304.)
Je rappellerai encore l'emploi de où pour le temps. (Cfr. là oti.)
Où voit Rollan, si l'an ait apelle. (G. d. V. v. 663.)
286 DE l'adverbe.
Les exemples de cette espèce sont innombrables.
Remarquez enfin où que dans les phrases où l'on généralise
l'idée de lieu.
Où que che soit, ou près ou loing. (R. d. 1. V. v. 2164.)
A tuz ces chevals truverent furre e provende ù lie fust li reis.
(Q. L. d. R. m, p. 240.)
Par tut ù lCi\ seroient troveit. (J. v. H. p. 452.)
Ehevos^ eihevos^ cylcevos, elîevos^ eisvos^ ezvos, esvos , evos^ estesvos.
estevos^ estivos^ estesleavos, estelevos^ etc.
Ehevos est un compose de ehe, dérivé de eccum^ et de vos,
pronom de la 2*" personne du plur. (cfr. l'italien eccomi, eccoti^
eccoïo^ etc.). Ellevos se décompose en e -lie- vos. La voyelle
initiale e provient, par apocope, du latin ee ou du roman ehe;
le second membre de la composition est le pronom le^ dont on a
redoublé le l après la syncope du c et peut-être pour l'indiquer;
enfin vos est le pronom de la 2^ personne (cfr. l'espagnol ele.,
elo, ela = ec-le^ ec-lo^ ec-la). Eis.^ es^ e% (ej ù.q^ autres formes
dérivent de ecce; vos est de même le pronom de la 2® personne,
et /^, /^5, celui de la 3^ du sing. et de plur. De es^ e% on
créa un pluriel avec flexion verbale: es-tes-vos; m2à.^ on employa
bientôt cette forme pour les deux nombres , tout en retranchant
quelquefois le s de estes quand on rapportait la forme à un
singulier. Estivos n'est qu'une altération de estesvos. Il va de
soi, que vos prenait ses formes dialectales.
Au lieu de ez, es on trouve l'orthographe aie, as dans la Ch. d.R.
Aisli un angle ki od lui soelt parler (p. 95.)
Aisvos le caple e dulurus e pesmes (p. 132.)
Atant asvos Guenes e Blanchandrins (p. 17.)
La signification de ces adverbes était voilà (voici), le^ la
voilà, les voilà.
ÉJcevos ke cist vient saillanz ens montaignes. (S. d. S. p. 528.)
EyJcevos cist vient saillanz ens montaignes. (Ib. ead.)
Cylcevos uns bers vient. (Ib. ead.)
Ce eylcevos , s'il est exact , paraît être une forme composée de
cy et de eke , de sorte qu'elle contiendrait deux fois le même radical.
Ellevos li Sires passet, granz espirs et forz, abatanz les monz.
(M. V. J. p. 487.)
Encore parlevet cil et ellevos uns altres entranz enz. (Ib. p. 502.)
A ces paroles eisvos poignant Aller
Et Anseis ... (0. d. D. v. 10048. 9.)
Atant ezvos un chevalier menbrey. (G. d. V. v. 725.)
Estesvous venu .j. message. (E. d. M. v. 1828.)
Esteslesvos venuz au chaple demanois. (Ch.d.S.II,p.l61.)
E estelevus Deu ad dune l'esperit de mencunge à tuz tes prophètes
ki ci sunt. (Q. L. d. R. HI, p. 337.)
287
Estlesvus li fiz le rei entrèrent. (Ib. II, p. 167.)
On voit ici est au lieu de estes.
On employait aussi simplement ez, es ou ezle, ezles.
Es l'arcevesque qi monta les degrés,
Li rois le voit, si l'en a apele. (0. d. D. v. 9516. 7.)
A tant ez les messages qi ne sont pas frarin,
L'apostole saluent et li font grant anclin. (Ch. d. S.I,p.65.)
François corent as armes, c^?es aparoilliez. (Ib. I, p. 243.)
Dès le XIII *" siècle, on commença de remplacer ces formes
par une composition du verbe voir et de ci, la., çà: vois., voiz^
vees ., veez.^ ves^ vez ci., çà., là., d'où notre voici ^ voilà.
He, Baudoin! fet ele, trop te puez atardier;
Fo^>c^■ sor toi venir la gent al aversier. (Ch, d.S.II,p.22.)
Ne goi venir avril ne may:
Vezci la glace. (Euteb. I, p. 27.)
Vescha mon frère en dolerous péril. (0. d. D. v. 7127.)
Vesclii la gent le roi de Saint Denis, (Ib. v. 7152.)
Encore.
Encore avait deux formes principales : ancore , dérivé de hanc
7wr«m = jusqu'à cette heure, et uncore., de unqimm hora. Ces
deux formes prirent des variantes orthographiques que les
exemples suivants feront connaître.
Ancore me coyse ju des altres choses. (S. d. S. B. p. 527.)
Uncore le mande l'un que il plege truse. (L. d. G. 45.)
N'out uncor pas lor deslei fin. *(Ben. v. 38692.)
Ne fu unquore autre lou pris. (Ib. v. 3424.)
E ancore ii devant dit rois de France donra . . . (1259. Rym. 1,2, p. 45.)
Bealz fiz, onqiwr te veil conter
D'un autre dont oï parler. (Chast. XIV, v. 255. 6.)
Qu'oncor te veut auti-e rien faire. (Ben. v. 13477.)
Enqtiores (1288. M. d. B. Plœrmel. p. 1086).
Quant l'antant Baudoins, onques ne fu si liez;
Qar onqor n'estoit mie de sire refroidiez. (Ch.d.S.I,p.244.)
En morront cent qui aincores sunt vis. (G. 1. L. I, p. 214.)
A la belle dirais ke je seux eincor vis. (W. A. L. p. 9.)
Remarquez encore avec le subjonctif, où nous mettrions
encore que:
Aneor ait il grant gent, n'est mie asseurez. (Ch.d.S.II,p.50.)
Enne: n'est- ce -pas? vraiment, donc.
Enne est sans aucun doute un composé de et, particule
interrogative (voy. la conjonction et), et de la négation ne.
Malvais chetif, c'avez vous fait? Enne savez vous que je estoie
là ù vos fesistes cest mal ? (Jeu de St. Nicolas p. 262.)
Enne poroit bien avenir
Que li rois perdus revenroit. (Roi Guillaume p. 128.)
Bien dis, fait Renars. Enne voire.
Fait Isengrin ... (R. du Ren. IV, p. 23.)
I
288 DE l'ad\t:rbe.
De là ennement: vraiment, en vérité.
Ma dame, pous plaist il dancer?
Et grant mercy, se me dist elle,
Ennement je ne puis aller. (Coquillart. Roqiiefoi-t, s. v.)
En%, ensj
dérivé de ïntus, signifiait dedans. (Cfr. ens, préposition.)
En une cambre l'enmena:
Quant il fu ens , Fuis si ferma. (L. d. M. p. 65.)
Lendemain furent enz traites les nés et les vaissiels et les galies
et les vissier. (Villeh. 451 ^.)
Entrât en un muster de marbre peint à volte,
Là ens ad un alter de sancte paternostre. (Cbarl. p. 5.)
Il voloient moi et mon enfant de toute nostre terre deshireter pour
le marcbis mettre ens. (H. d. V. 504*.)
Ensorquetot^ enseurquetout , ensurhetut^ ensurchetut etc. (insuper
quae oninia),
locution adverbiale qui signifiait par dessus tout.^ outre cela., de
plus:, surtout.
Comment ossas, sains mon congie,
En ma cite mètre ton pie,
En la cite ne el castel.
Sains mon congie, sains mon apel.
Et em mon lit ensorquetout? (P. d. B. v. 1149-53.)
Ensurquetut si ai jo vostre soer. (Ch.. d, R. p. 13.)
(Il) mandèrent à lor seignor et l'empereor que il les secorust, que
se il n'auroient secors il ne ne porroient tenir, et ensoi'quetot si
n'avoient point de viande. (Villeh. 489*.)
E nous defendun que l'un christien fors de la terre ne vende
n^ ensurchetut en paismune*. (L. d. G. p. 185, 41.)
Entresait ^ entreseit., entreset.
Quelle est l'origine de cette locution ? La forme provençale
astrasag ^ astrasach, .^ nous met sur la voie, en faisant voir que
Ven di entresait est la préposition «w, tout comme Va d'atrasag est
la préposition ad. Reste donc tresait^ trasag., qui sont des
dérivés de transactum^ du verbe transigere: pousser à travers.
On a voulu exprimer avec ce mot un manque de tous égards,
une non -observance de formalités.
Entresait signifia sans détour., certainement., inopinément^ de suite.
Lors dist qu'il veult tout entrerait
Plus tost qu'il poet la mer passer. (R. d. C. d. C. v. 7548. 9.)
(1) Paismune est une faute; il faut lire paîsinîme ou pa'inime (v. Assises de Jéru-
salem t. II, p. 161), c'est-à-dire pays habité par les païens, les infidèles, nom
sous lequel on désignait tous les peuples qui n'étaient pas chrétiens ensorquetot les
musulmans.
289
Mais al partir de Sornegur,
Li est avis qu'à mal eur ,
L'avoit acointie ne veu,
Quant entresait Fa si perdu. (P. d. B. v. 3745-8.)
Car tuit saurons quanqu' avons fait
Quant veue sui entresait. (Ib. v. 4675. 6."!
Parmi les flans le sodan prent
Si entresait qu'il le soprent. (Ib. v. 8843. 4.)
Nostre sires velt entresait
Que uns seus hom .x. femmes ait. (R. d. M. p. 75.)
Dist ne se movra entreseit
D'avec ces genz que Diex si peit
De la grâce dou Seint Esprist. (R d. S. 0. v. 2697-9.)
Mes je voel trestout entreset
Sans nul si que vous demeures. (R. d. C. d. C. 486. 7.)
Dune dist al duc: Vezci le rei
E sa grant ost environ sei . . .
Ce quident bien tôt entreshet | Que ja contr'eus n'aiez recet
Ne défense n'arestement. (Ben. v. 21344. 5. 8-50.)
Quant il furent tout assemble,
Vaspasyens ha demande
Que il unt dou prophète feit:
Savoir le vient tout entreseit. (R. d. S. G. v. 1789-92.)
Entrues (inter hoc ipsum),
signifiait pendant ce temps, dans ce temps, en ce moment.
Entrues li pape s'acouça
D'un mal M al cuer li toça. (Phil. M. v. 2190. 1.)
Entrues est Berengiers levez. (Fabl. et C. III, p. 351.)
Envis^ enviz., à envis (invitus).
Envis signifiait malgré soi, contre son gré, à regTet; diffi*
cilement, à peine.
Quant il de moi se départi,
Envis quidasse que parti
M'eust tel jeu à si brief tens. (R. d. 1. M. v. 3865-7.)
Eyvvis le fist Randulf, mais nel osa veer. (Th. Ctb. p. 33, v. 15.)
Si baron l'ont d'iluec tôt à force torne;
Molt l'a fait à enviz, n'an doit estre blasme:
Ou proverbe dit on que force paist le pre. (Ch. d. S. II. p. 121.)
Et dist Ogiers: Yolentiers, non envis. (0. d. D. v. 7348.)
Qui là descent, moult puet estre esbahis,
Le remonter feroit il à envis. _ (Gr. 1. L. I, p. 38.)
A envis se peut onques félonie celer. (R. d. R. v. 4257.)
Yoj. P. d. B. V. 335; Ben. v. 32410. 24578. 24898; R. d. 1.
M. V. 3012; Brut v. 5226; etc.
Burguy , Gr. de la langue d'oïl. T. II. Éd. III, 19
290 DE l'adverbe.
Entor — environ.
Hntor dérive de in et de tornus. Envirm se disait pour
environ, autour, tout autour. On dérive ordinairement environ
de in gyrum, comme virer de gyrare. Ce changement du g en
V n'est guère possible, et la racine vir n'appartient sans doute
pas à la langue latine. Pline (33, 3, 12.) indique déjà les
mots viriae., viriola^ qui contiennent aussi la racine vir^ comme
celtiques. (Cfr. Humboldt, Ûb. d. Urbew. Hispaniens, p. 78. 9.)
Eichars de Normandie, o lui si compaignon,
Yont recerchant les rans antor et anvvron. (Ch. d. S. Il, p. 63.)
La cites est tote assise environ. (G. 1. L. I, p. 175.)
Eissi est close cVenviron
Tresqu'en Germanie vient e dm-e. (Ben. I, v. 274. 5.)
Cfr.: E cil quiderent d^ environ.
Que ce ne fu si eschar non. (Ben. v. 40781. 2.)
A escient.
Cette locution adverbiale , qui signifiait avec intention, sciem-
ment ^ nous est restée sous la forme à Ion escient, sciemment,
tout de bon, sans feinte, sérieusement. Elle est composée de
la préposition à et du substantif scient, de sciens, auquel on
préposa e: escient. Scient, escient signifiait science, sens^ esprit,
avis, sentiment., discernement.
Maistres oi de grant essient. (P. d. B. v. 4577.)
E que tuit cil se merveillerent
Qui aveient entendement,
Sen e raison e escient. (Ben. v. 17360-2.)
Y. t. I, p. 104, 1. 19; p. 364, 1. 44 — par le mien esciant
(Ch. d. S. n, p. 150), mien ensciant (R. d. C. d. C. v. 3236), tel
essient (M. d. P. I, p. 546) — et cfr. l'adjectif essientos (Brut.
V. 8054) = sage, prudent, avisé, etc. La Ch. d. R. donne à
escient la forme escientre. Y. t. LE, p. 4, L 39 ; p. 20, 1. 44.
On trouve assiantre dans les S. d. S. B.
Et si vos wardeiz désormais k'aucuens de vos ne tignet à. petit
cum petit assiantre forfacet. (p. 557.)
Escientre, aux endroits cités, est un véritable substantif,
tandis que assiantre (a-siantre) représente la locution à escient.
La forme assiantre permet- elle d'admettre un adverbe scientre,
composé sous l'influence de scienter, auquel on aurait préposé
la préposition à, par analogie à la locution à escient? Oserait-
on: à l'égard de escientre, dire que l'adverbe escientre a été
employé plus tard comme substantif, toujours par analogie à
escient? Ce sont là des problèmes dont la solution complète
me paraît difficile. (Cfr. soventre, et le glossaire s. v. nuitantre.)
291
N'est dreit ke pur pramesse face tel hardement
Qu'il destruie la terre le viel rei à scient. (Ben. t. 3, p. 542.)
Por Mez ne por trestout l'avoir
Ne volroie je dit avoir
A escient faus jugement. (R. d. 1. V. v. 5418-20.)
Bien surent cil tut à scient^. (M. d. F. I, p. 152.)
Ocis l'eust, sacMes à esciant,
Mais Diex et drois aida Berneçon tant,
Lez le coste li va le fer frétant. (R. d. C. p. 121.)
Espoir j espeïrj
première personne du singulier prés. ind. du verbe espérer,
employée adverbialement, avait la signification: peut-être, vrai-
semhlalîement , probablement.
Aimme ore une pucelle dont il me fabloia,
Que il onques ne vi, espoir, ne ne fera. (Romv.p.362, v. 14. 5.)
Et dist: Merciers, aies avant
Devant vous ci droit à Faiel,
Espoir as tu aucun jouel
Qui faura no dame et sa gent. (P. d. C. d. C. v. 6641 - 4.)
V. t. I, p. 229, 1. 41. 2 ; p. 401, 1. 26 ; p. 402, 1. 2 ; etc.
A estros, à estrous, h estrus.
Cette locution adverbiale dérive de ad et extrorsum, formé
par analogie à introrsum ou introrsus, et comme le contraire de
cet adverbe. Introrsum signifiant du côté de V intérieur, dedans;
extrm'sum a été pris pour du côté de l'extérieur, au figuré sans
réserve, sans arrière pensée. A estros signifiait sans détour,
franchement; à l'instant, sur -le -champ, aussitôt, promptement;
définitivement.
Et que lor dites à estros
Que cestui prendres à espous. (P. d. B. v.4999. 500.)
Et sacies bien tout à estrous
Ce que je vous requier et prie
Çou est sans penser vilonnie. (R. d. 1. M. v. 1936-8.)
Car il tout à estrous beoit
Comment les peust engignier. (R. d. S. G. v. 3728. 9.)
Mais dès or nos targe à estros
Qu'autre conrei ne prenz de nos. (Ben. v. 15532. 3.)
Car à estros mal li estait. (P. d. B. v. 8496.)
Ge vos di bien tôt à estrox,
Certes trop estes orgellox. (R. du Ren. III, p. 69.)
Y. t. I, p. 238, 1. 26; t. H, p. 92, 1. 39, p. 95; 1. 31;
p. 194,1. 26; etc.
De estros, on forma estroseement , estrousement.
(1) Le texte porte ascïent.
19*
292 DE l'adverbe.
Si l'eninainent tôt estrousement pris — qu'il se jette tôt estrosee-
ment de la presse. (Auc. et Nie. p. 389.)
Cfr. : A la parestrusse , Samuel od Saul en alad. (Q.L.d.R.I,p.57.)
Mes à la parestrusse dirrad que mar me vit. (Ben. t. 3, p. 555.)
A la parestrusse^ à la fin (finalement). Parestrusse = par-
estrmse, ce qui suppose un par estros.
La langue d'oïl employait si fait^ com fait , en guise de
pronoms indéterminés, le premier pour dire tel^ le second,
quel. On en peut voir des exemples t. I, p. 354, 1. 29; p. 395,
1. 13; t. II, p. 37, 1. 26; p. 47, 1. 29; etc.
Onques si faites (pieres) ne vit on. (L. d. M. p. 49.)
De là les locutions adverbiales si faitement: de telle manière,
ainsi; com faitement: de quelle manière, comment.
Alez tost, si le faites prendre,
Si le faites ardoir ou pendre,
Ou sel castiez si faitement
K'essanple i prengnent si parent. (M. d. F. II, p. 251. 2.)
Partonopeus reconte al roi
Toutes ses coses en secroi,
Com faitement il a erre,
Et ù il a tant demore. (P. d. B. v. 10021-4.)
Et dient tôt, tant mal i furent.
Quant si faitement morir durent. (FI. et Bl. v. 2931. 2.)
Et puis qu'il est si faitement. (R. d. C. d. C. v. 8081.)
Mais que me dies t'aventure,
Par quel guise et con faitement
Tu venis chi si soutieument. (M. d. F. I, p. 564.)
On trouve encore issi., eisi^ ensi faitement; et, au lieu de
faitement faiterement. P. ex. : Issi faiterement (M. d. F. II, p. 445),
eisi faiterement (Ben. v. 10131), si faiterement (ib. v. 16382), etc.
Y. t. n, p. 53, 1. 17; p. 59, 1. 13; p. 221, 1. 26; etc.
A la fois — toutefois.
Les langues romanes rendent les adverbes numéraux sem^l^
Us, ter.1 etc. par un nombre cardinal et un substantif. La langue
d'oïl nous offre les formes fie^ voie(sJ^ dans le composé toute-
voies., foie y foiz.^ fiée., fieie, feiee^ feie. Le provençal le sert de
V€t% (vice); l'italien, de ma (via: voie). H s'agit de savoir si
toutes les formes citées de la langue d'oïl dérivent de via , dont
le V s'est permuté en /, ou bien si vice j est aussi représenté,
avec la même permutation du v en /. Je crois qu'il faut
admettre partout la racine via, fa. VoiefsJ^ foie, foiz donnent
clairement via, fia après la diphthongaison de 1'/; fie est une
DE l'adverbe. 293
forme sans diphthongaison , avec affaiblissement de Va en e;
fiee^ une syncope de jiede (tierce jiede Q. L. d. R. I, p. 11),
extension de la forme fia , comme le fiata italien. Les autres
variantes se rangent facilement autour de celles-là.
A la foie^ foi%^ etc. répond, pour la forme, à notre à la
fois, mais il avait la signification de parfois^ quelquefois, de
temps à autre ^ et répété: tantôt — tantôt.
A savoir fait ke la pense est à la fois greveie d'engresse temp-
tacion es prosperiteiz , et à la foiz soffii'ons nos adversiteiz par defors
et dedenz nos lasset li assalz de temptacion. (M. s. J. p. 451.)
En trois manières moinet la sainte Escriture l'oninie : à la foiz par
la nature, à la foiz par le pechiet, à la foiz par la floibeteit. (Ib.p. 456.)
Et avoc eaz muèrent lur trois serors, car à la foie est par les
flaieaz turbee la cariteiz, par la cremor la sperance, par les questions
la foiz. (Ib. p. 504.)
A la feie Engleiz rusèrent, \M à la feie retomerent,
E cil d'ultre mer assailleient,
E bien sovent se retraeient. (R. d. R. v. 13189-92.)
A une foiz se trouve avec la signification de à la fois^ ôm
même coup. A une voie^ t. I, p. 292, 1. 28.
Dame, faites vo volonté,
Ou de morii-, ou de santé
Donner à moi à ime fie. (R. d. C. d. C. v. 525 - 7.)
On disait à celé foiz ^ a ceste foiz, pour cette fois (v. t. II,
p. 51, 1. 45 ; E. d. Ren. II, p. 83, v. 11832).
Une locution adverbiale semblable se faisait avec le mot
tor == tou/r.
Li rois respont, en Dieu amor
Por vos li pardoing à cest tor. (R. d. Ren. Il, p. 83.)
Et de même à la fois^ à sa fois^ à son tour.
Si n'est nulz biens, combien qu'il tarde,
Qui à la fois ne monte en bault. (R. d. C. d. C. v. 1267.)
Yoici quelques exemples de toutevoies == toutefois.
Une chose est totevoies où li apostles et li engeles se concordent
ki de la naissance de Crist parolent : c'est el nom del Salvaor. (S. d.
S. B. p. 548.)
Mult fu contraliez de cil qui volsissent que l'ost se depai*tist , mes
totesvoies fu fais li plaiz et otroiez. (Villeh. 440^.)
Tuteveies lancent et traient
E mult escient d'els e plaient. (Ben. I, v. 1741. 2.)
Y. t. I, p. 171, 1. 40; p. 216, 1. 27; p. 227, 1. 10; t. II, p. 36,
1. 17; etc.
Fuer^
avec les variantes /wor, feory fem, dérive du \z^ forum ^ et
294
signifiait prix^ taux^ valeur (L. d'I. p. 98). De là les locutions
adverbiales : a fuer de , en guise de , à la manière de ; h nul
fuer^ a nesun fuer^ à nul prix, en aucune manière, aucunement.
Et quant li marcheanz revint,
A fuer' de sage se prova. (Fabl. et C. III, 216.)
Mais s'il seust çou à nul fuer
Que cil eust vers lui boisie,
Nel eust pas laiens laissie. (FI. et Bl. v. 1926-8.)
Ice ne soefre ,à nul fuer
Ne n'endure nul gentil quer. (Ben. v. 17537. 8.)
Mais ne voudreit à nul for
Que ce remasist qu'il vos mande. (Ib. v. 12410. 1.)
Y. t. I, p. 182, 1. 9; p. 240, 1. 21 ; p. 336, 1. 23 ; t. II, p. 157,
1. 1; etc.
Le mot fuer s'est conservé dans notre locution au fur et a
mesure^ à fur et à mesure, à fur et mesure,
Gaires.
Cet adverbe, qui signifiait leaueoupy hien^ est devenu peu
à peu notre gueres, guère. On a fait différentes suppositions
touchant l'origine de gaires. On l'a successivement dérivé du
latin 'parum^ varium.^ valide, avare; du provençal gram-en; de
l'allemand gar. Les quatre premières étymologies sont au-des-
sous de tout examen.
Granren, ganren^ c'est-à-dire grand'chose, d'où beaucoup,
a été proposé par Eaynouard. Cela est très -ingénieux; mais,
quant à la forme, granren et gaires sont bien éloignés l'un de
l'autre (v. plus bas). Du reste, supposant même cette dériva-
tion exacte pour le provençal, le serait -elle pour la langue
d'oïl? Cette dernière a -t- elle eu un granren^ ganren? Non,
que je sache. On serait donc forcé d'admettre que le gaires de
la langue d'oïl a été emprunté au provençal; supposition qui
paraîtra fort hasardée, si l'on fait attention que tous les
dialectes de la langue d'oïl se sont servis de cet adverbe dès
les plus anciens temps, et sans que la proximité ou l'éloigne-
ment de la langue d'oc influe sur sa fréquence.
La dérivation de l'allemand gar a été faussement établie sur
une simple petite ressemblance de son: ni la forme de gar,
ni sa signification primitive: préparé, achevé^ ni même les
significations dérivées : entièrement, complètement^ qu'emploie déjà
Ottfried ,|_ne concordent à la forme et à la signification primitives
de gaires.
Durant tout le XIII ^ siècle , l'orthographe ordinaire de notre
adverbe a été gaires; le texte des S. d. S. B. fournit waires^
l'anglo- normand avait guaures., on trouve en outre les variantes
295
guires, guieres^ et, vers le dernier tiers du XIII ** siècle seule-
ment, notre forme actuelle commence à devenir fréquente.
Remarquons encore que l'italien a guari^ et que le patois actuel
de la Lorraine se sert de vouer e^ voue^ ouâ^ celui de la Picardie
de wh^e. Toutes ces formes nous reportent à une racine alle-
mande en w initial, ou à une racine celtique en gw {=w^ v).
Si la signification primitive de gaires avait été l'intensitive,
nous aurions l'ancien haut -allemand «^»n = versus, qui nous
fournirait, par la transposition de l'e, la racine cherchée. Wari
aurait été pris adverbialement, et les significations véritable-
ment, vraiement, fort, très, beaucoup découlent sans difficulté
l'une de l'autre. Mais le rapport est renversé ; l'idée de nombre,
de quantité a été la primitive, et il faut, je crois, remonter à
la racine allemande à laquelle appartient le gothique vair homo,
dont se sont développés plusieurs mots exprimant l'idée en
question, ou à la racine celtique gwer (intimement liée à la
racine gwâr par quelques-unes de ses significations), qui se
retrouve dans le kymri gwerin = viri, multitude.
Ancor nen est waires ke nos avons celebreit la feste de sa nativi-
teit . . (S. d. S. B. Eoquefort s. v.)
S'eust gaires, ce quit e crei,
D'iteus compaignons oue sei,
A peine fust del champ partiz. (Ben. v. 33718-20.)
Sis plus domaines chamberlens,
Ainz que passast gaires de tens . . .
Li rocistrent à grant deslei. (Ib. v. 31914. 5. 8.)
Por Diu menoit si dure vie;
Car toz honnis estre cnidast,
Se son cors gaires reposast. (R. d. M. p. 7.)
A une mult grieve chose aprendre,
Nel covenait gaires entendre;
Kar mult l'aveit tost retenue. (Ben. v. 20900-2.)
Ainz que H jorz fust gaires granz. (Ib. v. 4409.)
Ne chevaliers n' autres aidis
N'avez vos gaires, ceo m'est vis. (Ib. v. 2901. 2.)
La paiz fu afermee, ki gaires ne dui'a. (R. d. R. v. 901.)
Mais ne puis gaires bien parler,
Por ce me covient à haster. (L. d. T. p. 80.)
Guires (M. d. F. Il, 391), guïeres (ib. II, 191), guaures (Ben.
I, V. 1862).
Cfr. le Glossaire s. v. guersoi.
Notre adverbe naguère n'est autre chose que ne a guère (ne
a = n n'y a; V. t. I, p. 256. 7).
Uns entrad, n'ad guaires, el paveillun le rei, pur li ocire.
(Q. L. d. R. 1, 104.)
296 DE l'advekbe.
Chers dux, e ù est dune le vo,
Les seiTemenz c'unquor n'a gaires
Li feis SOI- les saintuaires
De ta main destre, mun valant? (Ben. v. 14525-8.)
Veistes vos, nel nos celez,
Guillaume passer par ici ? . . .
Oïl, fait il, uncor n'a gaires. (Ib. v. 33047. 8. 52.)
Kemarquez la locution: n'être gaires de^ pour dire n'importer
guère, faire peu de ca§ de, ne s'inquiéter pas de.
Vous cantes et je muir d'amer:
Ne vous est gaires de mes maus. (R. d. 1. V. v. 3141. 2.)
Ne li est mais gaires de moi,
De moi ketif ne li est cure. (R. d. 1. V. p. 156, note.)
Ne m'est gaires d'altrui manace. (R. d. R. v. 11387.)
On employait peu de la même manière et avec une signi-
fication semblable.
Cfr.: Nous ne voyons ni gueres loing, ny giieres arrière. (Mon-
taigne. Ess. III, 6.)
Ceulx du païs qui n'avoyent point encores de familiarité et de
cognoissance avecques Agesilaus, parloyent peu et non gueres souvent
à luy. (Amyot. ïïom. ill. Lysander.)
Un personnage qui n'estoit pas de gueres gi-ande qualité . . .
advertit les tribuns militaires d'une chose qui meritoit bien qu'on y
pensast. (Ib. ead. Furius Camillus.)
La maison dont estoit Themistocles n'a pas gueres ayde à sa gloire.
(Ib. ead. Themistocles.)
Les austres (gualeres) qui n'estoyent pas gueres moins de deux cent,
furent toutes prinses et emmeinees captifves. (Ib. ead. Alcibiades.)
Hïiïy hot, îiï^ oï, — demain, deniein.
Hui, etc., dérivé de hodie, signifiait aujourd'hui; demain,
composé de la préposition de et de main (= matin) dérivé du
latin mane^ n'a jamais varié dans sa signification.
Et à ma dame, à cui je sui,
Me requeres demain u hui. (P. d. B. v. 10281. 2.)
Hier tant se valt, chà venis, e ui en viens od nus ki en fuiums.
(Q. L. d. R. n, p. 175.)
Chascun jor li mondes empire,
Hui est mauves et demain pire. (Dol. p. 155.)
Feluns François, hoi justerez as noz. (Ch. d. R. p. 47.)
Oi n'en perdrat France dulce sun los. (Ib. p. 48.)
Sel voles (à lui jouster), grandement s'onnoui'
En acroistera hui cest jour. (R. d. C. d. C. v. 1625. 6.)
On disait aussi: cest jour de hui (v. t. Il, p. 60, 1. 29), al jour
de hui., d'où aujourd'hui. On trouve en hui (R. d. R. v. 12652)
297
pour aujourd'hui. B^ui matin (t. I, p. 315, 1. 1) signifiait (aujour-
d'hui matin) ce matin.
En Champagne , dans la seconde moitié du XIII^ siècle , on
a dit hue pour hui (t. I, p. 262, 1. 22).
De hui et de mais (voy. ce mot) on forma huiniais^ maishui,
dès aujourd'hui, aujourd'hui, désormais, encore.
Or n'i a plus, li jorz est près,
Si nos traium vers eus uimes. (Ben. v. 22324. 5.)
Veez sor nos venir la gent al aversier:
Huimais devez panser de vostre duel vangier. (Ch. d. S. Il, p. 138.)
As fils Herbert em prist Euoul tel plait,
Com vos orrois en la chançon huimais. (R. d. C. p. 3.)
Dame, dist il, bien est saison
Dès kidmes que nos nos dormons. (Chast. XXI, v. 85. 6.)
Par seinte croix ! fet li empereres mes filz ne morra meshiii. (R. d.
S. S. d. R. p. 68.)
Mais nous ne pescerons maishui, (R. d. 1. M. v. 4899 ; cfr. v. 6135.)
Huemais (t. I, p. 272, 1. 11.)
Un autre composé fort en usage de hui, était anchui (= anc-
hui; pour anc, Y.ains)^ ce jour, aujourd'hui, et, par extension,
avant peu, quelque jour. Cet adverbe se présente sous les
formes: ancui, encui^ ancoi^ encoi, anqui., enqui^ enquoi, ancue.
Que anchui verres avenir. (R. d. 1. Y. v. 1738.)
Faites ancui vos bries escrire. (P. d. B. v. 4990.)
Se je m'en vois encui par nuit. (R. d. M. d'A. p. 3.)
Encui orrunt autres noveles
Ainz que li soleiz se resconst. (Ben. v. 9251. 2.)
Se tu conquiers ancue le duc Rollant. (G. d. V. v. 2932.)
Uns des barons del escuele
Le servi, cui Dieus destourbier
Doinst! qu'il avint grant encombrier
A la damoisele pai- lui.
Ainsi com vous orres aficui (R. d. 1. M. v. 300-4.)
Jncoi (Romv. p. 316), encoi (Ch. d.R. p. 46), enquoi (ib. p. 47),
mqui (ib. p. 108), anqui (0. d. D. v. 11469), etc.
Je citerai encore ici les adverbes anuit, ennuit (a-nuit), cette
nuit, aujourd'hui; anquenuit .^ enquenuit (anque-nuit) , cette nuit.
Anque est probablement le même mot que anc^ qu'on vient de
voir dans ancui; on a sans doute écrit que au lieu de t?, pour
faciliter la prononciation du son guttural devant le n.
Od la lime série anuit eschilguaitiez. (Ben. t. 3, p. 536.)
M'avisions d' anuit iert par tans esprovee. (Ch. d. S. Il, p. 178.)
Ne le rendroie à home qui soit vis,
Ains le pendrai cwmit o le matin. (0. d. D. v. 2116. 7.)
298 DE l' ADVERBE.
Bien sai quans anuit le sara,
Que demain congie me donra. (R. d. C. d. C. v. 4663. 4.)
Ennuit (t. II, p. 85, 1. 20.)
Et se vos anquenuit songiez
Mauves songe, si remanez. (Romv. p. 535.)
Quar enquenuit dedenz mon lit,
Feroiz de moi vostre délit. (Fabl. et C. I, p. 250.)
Tsnel le fas^ ùnelement — ignel le pas^ ignelement — en es le
pas — ehalt pas.
Les quatre premières de ces formes ont leur racine com-
mune dans l'adjectif isnel: agile, prompt, vif, rapide, léger.
Isnel'^ dérive du v. h. -ail. snel (aujourd'hui sclinell) belliqueux,
prompt, rapide, auquel on a préposé ^, au lieu de e. Par
syncope du «, on eut inel et ignel (gn = ngn = nj. Isnel le pas
(pas = passus) , isnelement^ etc., signifiaient promptement , vite,
sur-le-champ, à l'instant même.
En es le pas est composé de la préposition en^ du substantif
pas et de es dérivé de ipsum^ que nous avons déjà vu souvent;
il avait la même signification que isnel le pas.
Chalt pasj chaut pas, proprement à^mi pas chaud., était en-
core une combinaison qui exprimait la même idée que isnel
le pas.
Isnel ou inel le pas fut défiguré plus tard en isnele pas, inele
pas, ignele pas; mais il faut remarquer qu'on disait régulière-
ment, sans l'article, isnel (inel, ignel) pas.
Isnel le pas l'orez cessa. (St. N. v. 260.)
Tuit se lievent isnel le pas. (Ruteb. I, p. 323.)
Isnelement montait sor un destiier. (G. d. V. v. 69.)
A&anchi est isnielement. (R. d. M. v. 754.)
Ignel pas (Ben. t. 3, p. 504), ignele pas (E. d. S. p. 16), inele
pas (Ruteb. II, p. 77), isnele pas (Chast. XXY, v. 44), ignelement
(Ben. t. 3, p. 601), etc.
Isnel s'employait adverbialement:
Venez tost et isnel. (R. d. C.)
Que m' endormi en es le pas. (Ruteb. II, p. 66.)
Cil respondit ke bien savoit
C'ossis ne les avoit il pas;
Mais bien cuidoit c'an es lo pas
Qu'il les laissait , morir deussent. (Dol. p. 277.)
Pur ço chalt pas cumandad que l'um meist sa sele , tost fud mise
e cil muntad. (Q. L. d. R. m, p. 288.)
(1) M. d'Orelli dérive isnel à'ignitus! Comment la terminaison latine Uus aurait-elle
pu produire el? Cfr. l'italien snello.
DE l'adverbe. 299
Atant prist Helyes sun mantel , sil pleiad , e ferid en l'eve, et li flums
chalt pas se devisad. (Q. L. d. E. IV, p. 348.)
Voy . encore ibid. I, p. 1 11 ; II, p. 150, p. 218 ; III, p. 325 ; chaut
pas (Trist. H, p. 98), etc.
Cfr. : Un jor qu'au palais ert venu,
Aveit iloc pris un lion.
Ce ne sai pas, chèvre u multon.
Dévorée fust en eis Tore
Quant cist Tosteins li corut sui'e. (Ben. v. 36185-9.)
Dont s'acorda en es cel an
Li rois al conte Galeran. (Phil. M. v. 18164. 5.)
Fn eis Vore = à l'heure même , à l'instant même — : en es
cel an, dans cette année même, dans la même année.
Au Heu de ïsnel, isnel pas, etc., on trouve enhel curs^ en-
helement dans les Dial. de S. Grégoire.
Et li oz del duc ci devant dit par enhel curs parvint al fluet. (Dial. I.)
Enheîement estendit sa destre , si mist encontre lui l'ensenge de la
croiz. (Ib. ead.)
Far enhel curs = anhelo cursu ; etihelement == anhela mente.
Iluc^ iloc^ ilec^ ikiques ^ iloques, ileques^ iîuec, iloec^ ïltieqmSj
ïlueches ^ iloeques^
formes dérivées du latin ilUc^ illuc, les cinq dernières avec diph-
thongaison. Ces adverbes, qui signifiaient /«, s'écrivaient aussi
avec deux l et la finale paragogique ques était souvent encore
précédée d'un c.
Wiluc (Q. L. d. K. m, p. 247.)
A Caunterebire est de iluc aie. (Ben. t. 3, p. 625.)
Kai' Danois sunt si d'ire espris
De ceo que tant unt iloc sis,
C'ui, s'il poent, lo mosterunt. (Ben. v. 4415-7.)
Moult oi'ilec gi-ant pitié au pueple de la terre et as pèlerins. (ViUeh.
p. 21. XL.) "
D'ileques Joseph se toui'na. (K. d. S. G. v. 473.)
Iluec ne volt demorer plus. (L. d. T. p. 73.)
Marchander s'en vont em Perse;
Willuecques vont as Indiiens. (E. d. M. p. 11.)
Car saint Thomas aveit ilueches ovoec sei. (Th. Ctb. p. 113, v. 2.)
Au' lieu' de ces formes , on trouve ïlau dans le Eoman de Eou.
7/«î*'^dérive probablement de ïllac , et Vu provient peut-être d'une
imitation ^de' la forme lau = là ù. (Yoy. là.)
D'ilau murent, là repairierent. (E. d. E. v. 435.)
(Cfr. ib. V. 493. 941. 4575. 7220 etc.)
L'ancienne .langue avait aussi cïlec (ecc' illic).
Li' autre dient: Nous avuns
Cilec un de nos compeignuns. (E. d. S. G. v, 3685. 6.)
300 DE l'adverbe.
Outre ces formes, on trouve les suivantes:
Luec^ aloc^ aluec^ eluec^
dont jusqu'ici personne n'a encore fait mention.
Litec est un adverbe de lieu qui dérive du latin locu8 , hco^
de même que l'ancien adverbe de lieu italien loco, répondant
au latin hic (Brunetto Tes. éd. Zannoni p. 90. 221). Aloc^ aîuec
et, par suite de l'aiîaiblissement de Va en e, eîuec^ sont des
composés du même îocus^ avec la préposition ad (ad locum).
A Beruic s'en retourna,
Que .iij. jours liiec ne séjourna. (R. d. 1. M. v. 2937. 8.)
Volontiers par luee revenra. (Ib. v. 3163.)
Quant oe entent,
Lueques ne se va alentant. (Ib. v. 3189. 90.)
Tant que sa nés fu aprestee:
A Dan, lueques ert aancree. (Ib. v. 4061. 2.)
V. ib. V. 3185; loeques; v. 1137. 2296. 3845. etc.
Quand el enfern dune a salit,
Fort Satanan alo venquet. (Passion d. J.-C. str. 93, éd. Diez.)
V. allô, ib. str. 103; à! alo, ib. str. 50.
Mist en un bois, solonc un tertre,
Qui aloc estoit à senestre. (Brut. v. 12720. 1.)
Qu'ot ferut el coste aluec. (Pbil. M. v. 30870.)
Mes par cel cbant ben entendi
Ke près d'eifwec ot sun ami. (Trist. II, p. 150.)
Jai, ja,
du latin jam^ répondait à son dérivé déjà (de-ja), et signifiait
en outre désormais^ un jour ^ jadis ^ jamais. Jai servait de par-
ticule affirmative.
Mais tens est jai ke nos eswardiens lo tens quant li Salveires vint.
(S. d. S. B. p. 527.)
L'aisnee d'une amor parloit
A sa seror que moult amoit,
Qui fuja entre deus enfans,
Bien avoit passe deus cens ans . . . (FI. etBl. v. 49-52.)
Ne ja si grant dun ne dunast
K'asez petit ne li semblast. (R. d. R. v. 7587. 8.)
Dites moi dont vos estes née
Et que ici vos a menée:
Celé respont: Jel vos dirai
Que ja de mot ne mentirai. (L. d. M. p. 47.)
A ja: à jamais.
De là ja-dis, avec s paragogique, de jam diu.
Virgilles fu jadis à Romme ;
En cest siècle n'ot plus sage homme. (R. d. S. S. v.3924. 5.)
De ja et de mais (v. plus bas) on forma jamais.
DE l'adveebe. 301
Cfr. : 'Ta Dieu no plaise, dict il, que je sois jamais assis en siège
de gouverneur. (Amyot. Hom. ill. Aristides.)
Il estoit ,ja sur le soir quand il y arriva. (Ib. ead. Coriolanus.)
Tu ne me persuades jamais en jouant , ny ne me persuaderas encores
ja en promettant. (Ib. ead. Demosthenes.)
J'ay este contrainct de recouiir comme humble suppliant à ton fouyer,
7ion ja pour saulver et asseurer ma vie , mais pour (Ib. ead.
Coriolanus.)
Quand le soir feut venu et qu'il (Cicero) se voulut retirer en sa mai-
son , passant par la place , le peuple le reconvoya nùn ja plus en silence
sans mot dire, ains avecques grandes clameurs à sa louange et batte-
ments de mains par tout où il passoit. (Ib. ead. Cicero.)
Jus — sm.
Jus dérive du latin deorsum (de - vorsum de verto) , qiii de-
vint de bonne heure jusum, josum. — Sus vient de susum pour
sursum (sub- vorsum). Jus signifiait en bas^ à bas, à terre; sus
avait la signification dessus^ debout, en haut. On employait
souvent sus et jus avec un verbe exprimant l'idée d'un mouve-
ment corporel, pour dire qà et là, de côté et d^ autre, 'partout^
aller et venir dans un endroit.
Et fiert Ernaut sor son elme à or mier.
Que flors et pieres en fait jus trebuchier. (R. d. C. p. 102.)
Or seons jus, (R. d, C. d. C. v. 5757.)
Tant ala sus et jus harpant
Et de la cite aproçant,
Que cil del miu- l'ont entercie,
Si l'ont à cordes sus sacie. (Brut. v. 9348-51.)
Ne fiert Engleis ki sus remaigne. (R. d. R.)
Sus salent, si se vont requerre. (R. d. 1. V. p. 91.)
Puis s'en levad e par celé chambre sus e jus alad. (Q. L. d. R. IV, p. 359.)
Et s'en to,ui'ne vers le bos droit,
Et tant et sus et jus et là
Que la damoiselle encontra. (R. d. C. d. C. v. 3006-8.)
On trouve cependant sus et jus employé avec d'autres verbes,
p. ex.:
Et sus et jus tant li monstra
Que la dame li ottroia. (R. d. C. d. C. v. 2765. 6.)
Sus ou palais an prist à repairier. (G. d. V. v. 1975.)
Puis est montée sus el palais voltis. (R. d. C. p. 204.)
Grans fu la cors sus el palais plagnier. (Ib. p. 189.)
Dans les exemples semblables aux trois derniers, on a sou-
vent considéré sus comme une préposition. C'est une erreur;
il faut lire repairier su^, monte sus, fu sus (la cors fu grans el
palais plagnier en haut). Cfr. prép. ens, et issir fors, aller en-
contre, etc. La plupart des prépositions sont en même temps
302 DE i/adverbe.
des adverbes de lieu et peuvent, en cette qualité, se joindre im-
médiatement à l'idée exprimée par le verbe , sans influence sur
un cas quelconque de la phrase.
Mettre jus avait souvent la signification de mettre de côte\
conserver.
Les adverbes jus^ sus^ servaient à former les composés
suivants :
Allez , dist il , errant là jus
Avec Joseph d'Arymathye. (E. d. S. G. v. 502. 3.)
Ce fu cd meismes Jhesus
Qui 0 nous conversa çà jus
Et qui les miracles feisoit. (Ib. v. 2189-91.)
0 lui enmiena ses amis
Lassus ou ciel, en paradis. (Ib. v. 3521. 2.)
Li cuers le conte est à Citiaux
Et l'arme là sus en sains ciaux. (Ruteb. I, p. 59.)
On voit, par ces trois derniers exemples, que cà jus s'em-
ployait pour notre ici- bas et là sus (lassus, par attraction),
pour notre là -haut.
Lassus = ci -dessus.
Mimes à la foiz, si com nos lassus avons dit, tremblent li juste
en lui" bones oevres et plorent continuedment ke il par alcune repunse
error ne desplaisent à Deu. (M. s. J. p. 470.)
Tes sires ert mis audejus,
Et tu seras tout audesus. (R. d. S. S. v. 2694. 5.)
An sus, en sus: à quelque distance , décote, à l'écart, loin
— ensuite, après — en haut.
An sus se trait por la joste esgarder. (G. d. V. v. 762.)
En sus au partir del forfait
Se sunt h Aleman retrait
Auques en loinz de la cite. (Ben. v. 18972-4.)
Tirez aveit ses dras en sus
Si cum puceles unt en us. (Ib. v. 31228. 9.)
Y. t. n, p. 224, 1. 14, 1. 17; p. 226, 1. 45; etc.
Zues.
Lues signifiait aussitôt, tout de suite , à V instant. Il dérive
de locus, loeo, comme le prouvent les formes luego des l'es-
pagnol, logo du portugais, luec du provençal, et la variante
luec de la langue d'oïl.
(Il est question d'un chapon ,,ricement atomes por mengier." Hérodes
avait juré que si ce chapon ne reprenait pas ses plumes et ne remontait
pas à la perche en chantant, il ne croirait pas J.-C. :)
Vertus feistes, biaus pères, roi amant,
Il ot luec eles et plumes et vivant. (O.d.D.v. 11624. 5.)
303
Tote ta terre te serra lues rendue. (0. d. D. v. 10315.)
Ses mains et ses iex lieve au ciel,
Diu commencha à proier lues. (R. d. M. p. 60.)
Et je li eue lues en couvent. (R. d. 1. M. v. 4433.)
Lueus (0. d. D. v. 11293).
Cfr. plus haut Itiec.
Mais^ dérivé du latin magis^ a d'abord signifié plus, devan-
tage. Employé pour le temps, il avait la signification ^/w«, en-
core; plus Imigtemps, jamais^ désormais. De là 7ie — mais, ré-
pondant à notre ne — plus.
Heriçone sunt li destrier
De saettes od fers d'acer;
Treis cenz en unt perduz e mais. (Ben. v. 21728 - 30.)
Od treis cenz chevaliers e mais
Assist à mangier el palais. (Ib. v. 19206. 7.)
Si avoit moult de gent li rois
A son mangier, et .iiij. mes
Avoient sans plus et non mes. (Phil. M. v. 2963-5.)
Fui, fait ele, ne dire mais. (Romv. p. 567, v. 13.)
Il ne seut mais où aler. (R. d. 1. M. v. 5531.)
Rou li a demande, se mez le cumbatreit. (R. d, R. v. 1128.)
Sens et savoir, or et argent,
A chou entendent mais le gent:
Tolu sont et remes li don,
Et nus hom n'ert wms guerredon. (L. d'I. p. 5.)
Dame, dist il, por Deu, merci!
Ne plores mais, je vos en pri. (L. d. M. p. 49.)
Par fei! je ne sai mais que dire. (Ben. v. 16767.)
V. t. n, p. 112, 1. 15.
Cil qi çà t'anvoia avoit de toi anvie,
Ne voloit que durast mais en avant ta vie. (Ch. d. S. II, p. 12.)
Avant, arrière encore ala,
Et puis de chà et puis de là
Aussi con s'il riens n'en seust,
Wonques mais este n'i eust. (R. d. M. p. 76.)
De bisclaveret fu fet li lais.
Pur remembrance à tout dis mais. (M. d. E. Bise, v.317.8.)
Et remanra à tos jors mais la guerre. (R. d. C. p. 224.)
A toz ses jors mais , 1. 1, p. 353, 1. 7.
Telz chevaliers ai/nz mais ne fu veu
El bernaige de Erance. (G. d. Y. v. 321. 2.)
JVe mais — que signifiait seulement, excepté ., hùrmis, si non.
On employait aussi mais que sans ne., ou ne mais sans que,
dans le même sens.
h
304
Fi'anceis se taisent, ne mais que Guenelun
En piez se drecet, si vint devant Carlun . . . (Ch.d.R.p.9.)
Tuz sunt ocis cist franceis chevalers,
Ne mes seisante que Deus i ad esparniez. (Ib. p 66.)
Prenons bataille à .i. jor ademis,
Que n'i ait home qui de mère soit vis,
Ne mais que .ij. qui diront el païs
Li qeus de nous en escera ocis. (E. d. C. p. 167.)
Ne sofri qu'en li feist rien
Ne mais tôt enor et tôt bien. (Ben. v. 38839. 40.)
Cfr. t. II, p. 146, 1. 9.
K'iront o lui mais ke .vij. chevalier. (G. d. Y. v. 3449.)
La dame fu en la forest,
Mes que de nuit ne prent arest. (Ruteb. Il, p. 121.)
Yoici quelques exemples de la locution n^e^i pouvoir maù^
regardée aujourd'hui comme familière.
Malvais est , mes il n'en puef mais,
Quer ses lignages est malvais. (Chast. m, v. 111. 2.)
Qant je aim ce qui n'aime mei
Je n'eu puis mes; si puis: comment? (Ib. XI, v. 150. 1.)
Quant veit que faire li estot,
Par estoveir (har mais n'en puet),
Dotose e od grant suspeçon
En est alee al duc Huun. (Ben. v. 17083-6.)
Mânes ^ manois^ maneis^ manais^ menois^ demanois^ àemaneù (de
manu ipsum) — maintenant^ de maintenant.
On a regardé maintenant comme le participe du verbe main-
tenir; c'est une erreur. Maintenant est un composé de in manu
tenen^^ tenant dans la main, de là tenir prêt, sans ]3réparation,
sans retard.
Les locutions adverbiales mânes ^ mxnintenant signifiaient aussi-
tôt.^ sur-le-chamf ^ h V instant^ promptement .^ incontinent.
Quant nos ramenons à nostre cuer les malz cui nos avons faiz,
mânes en somes hontous et griement dolent; mânes fruitet el corage la
turbe des penses, si nos atriublet la dolors et deguastet li angoisse.
(M. s. J. p. 459.)
Ce ferai jurer à mes rois
C'omage li feront matiois, (P. d. B. v. 2717. 8.)
Quant dite fu o célébrée (la messe),
Maneis, senz autre demuree,
Unt la bière e le cors assis
Là ù il deveit estre mis. (Ben. I, v. 1699-1702.)
Quant Danois voient Tost de France,
Manais, senz autre demorance,
Se sunt arme e eus garniz. (Ib. v. 3747-9.)
DE l'adverbe. 305
Li uns al autre le va menois conter. (G. 1. L. I, p. 11.)
Et quant il vindrent, demanois
La messe oïrent, si s'armèrent. (E. d. 1. M. v. 2686. 7.)
At Aleman, Saisne et Tiois
Yienent al socors demanois. (P. d. B. v. 2345. 6.)
As armes saillent demaneis. (Ben. v. 12951.)
Hai! dist la dame, mal fessis
Quant maintenant nés oceis. (Dol. p. 277.)
Se aucuns me convie o sei,
Dei li meintenant otreier
Ou je m'en dei faire preier. (Chast. XXIl, v. 220-2.)
Le roi maintenant salua,
Et en apries l'araisonna. (R. d. S. S. v. 2059. 60.)
Et li deist de maintenant. (Ib. v. 87.)
On trouve aussi tôt, trestot maintenant:
Lors prist la dame par la main
Tout maintenant le chastelain. (E. d. C d. C. v. 169. 70.)
Maismement.
Maismement dérive du latin maxime; il signifie 'principalement .^
surtout. Il ne faut pas confondre, comme l'a fait Roquefort,
ce maismement avec meismement dérivé de meisme.
Nécessaire est voyrement une chose et maismement nécessaire, car
ceste est li très bone partie ke tolue nen iert mie. (S. d. S. Eoquefort,
s. e. V.)
Yoy. S. d. S. B. p. 543 ; t. n, p. 217, 1. 31.
Dune fu sovent li dus requis
Puis dei evesque de Paris
E de Eaol maismement. (Ben. v. 17681-3.)
Maement (M. s. J. p. 471.)
Mieux.
Cet adverbe avait toutes les variantes que l'on a vues aux
substantifs en / final: mieh^ miels, miez, mieuz (mieulz), mieus^
miex (mielx); meh.^ meuz (s), mex (melx); meilz; mils, miu^,
mis., mix (milx); miols, mious , mios , miox; mials, miaz, miaus
(x, z), miax (mialx), muelz^ muez; meaus, meax.
Car ele voit miez en quantes choses ele astoit discordeie de le règle
de veriteit. (M. s. J. p. 479.)
Qu'à maint homme avient mainte fois
Que il fait miex autrui esplois
Et miels garde les autrui biens
Souvent que il ne fait les siens. (E. d. M. p. 22.)
Et que mielz valoit cil domages à soffrir que la perte d'Andrenople
(Villeh. 489«.)
Si se sauroient miextjS aidier de la terre. (Villeh. p. 49, LXXIII.)
Mais nepurquant si est il asez melz, (Ch. d. E. p. 68.)
Burguy, Gr. de la langue d'oïl. T. II. Éd. III, 20
306
Ne sereit tis quers meuz assis. (Ben. v. 24885.)
La dolente volt mex mentir
Qe pur voir dire mort soufrir. (M. d. F. Il, p. 190. 1.)
Meus (Trist.I, p. 29), m7s(Brut.v. 13719), mius (ib.v. 10255),
mix (R.d.Ren.IV,p.429), mis (O.d.D.v. 381), milx (ib.v. 5891),
mielx (Yilleh. 440" ) , ndoîs^ mious^ mios (Phil.M.v. 14491.2. 12274),
mieuh (ib. v. 20372), mieulz (Ben. v. 5452), mieuz (ib.v. 5574),
miaz (Ch. d. S. I, p. 215), miauz , miaux (R. d. 1. Y, v. 456. 1110),
miax (Brut. v. 10797. 8), muez (Dol. p. 156), etc. etc.
Moins (Minus).
Moins, dont la forme primitive bourguignonne a été moens,
présente encore les variantes meins^ mains.
Si Deus nen espargnat mies les engeles orguillous, cum moens
espargnerat il à ti ki vers es et porreture. (S. d. S. B. p. 523.)
De ti, chier sire, parfaiz ceu ke ju moens ai de mi. (Ib. p. 549.)
Mains dote ore l'aive q'il n'avoit fait devant. (Ch. d.S.I,p. 124.)
Nequedent, se mains convenable
Estoit à moi que ne deust,
U en soi mains nobleche eust. (R. d. M. p. 28.)
S'il ont le droit et nos le tort,
Serons nos dont por ço mains fort. (P. d. B. v. 2479. 80.)
Si n'atendi ne plus ne mains. (R. d. C. d. C. v. 4545.)
Kar asez meins i suffisist. (R. d. R. v. 7489.)
Au mains qu'il onques puet demeure. (R. d. 1. M. v. 2598.)
K'ainc puis ne fu un jur u nuit qu'il eust pes,
Que il ne fust batuz cinc feiz u quatre ades
U trois à tut le mains. (Th. Cantb. p. 96, v. 3-5.)
Mon.
Cette particule signifie assurément, sans contredit, en vérité,
effectivement., ainsi. L'origine de mon., en normand mun, a déjà
donné bien de la besogne aux étymologistes. On l'a succes-
sivement dérivé de ^€)v, num, numquid, modo., admodum; mais,
soit à cause du sens, soit à l'égard de la forme, toutes ces
étymologies n'ont pas la moindre apparence de vérité. M. Diez
(n, 399, note 2) se demande si mon ne serait pas l'adverbe
munde. Quant à la signification, on pourrait, au besoin, se
ranger à l'opinion du savant professeur; pour la forme, au
contraire, la racine munde est, selon moi, plus que probléma-
tique. En effet, pourquoi le dialecte normand, qui favorisait
extrêmement la lettre d et qui s'en servait encore comme finale
j)lus d'un siècle après que les autres dialectes eurent rejeté leur
t., pourquoi le dialecte normand, dis -je, ne connaît -il pas de
viund? Comment se fait -il que le t final, très -fixe en Bour-
t)E L ADVERBE.
307
gogne jusquà l'année 1230 environ, n'ait laissé aucune trace
dans ce mot? On ne prétextera sans doute pas le voile qui
couvre l'origine de 7non pour expliquer une pareille apocope du
d ou du t; ce serait une simple échappatoire; il faudrait avant
tout prouver que ce voile existait déjà aux XII'' et XIII ^ siècles.
La seule raison plausible en faveur du rejet de d ou de t serait
qu'on a senti le besoin de distinguer mww^ = monde, en Nor-
mandie, wow^ = montagne , mont, en Bourgogne et en Picardie,
de la particule mund^ mont. Cependant je ne la crois pas
valable, parce que ces scrupules orthographiques ne datent
guère des premiers temps de la langue.
Mon^ mun dérive, selon moi, du gothique muns (subst. masc,
plur. muneii).^ opinion, pensée, dessein, projet, volonté, soin,
prévoyance ; ou du moins de la racine mun qui se retrouve,
entre auti'es, dans les mots suivants: munan^ croire, estimer,
penser, juger, considérer — ga-munan^ se souvenir, se rappeler
— munan (verbe faible), prendre un parti, se décider, vouloir
— gamunds^ souvenir, mémoire, conscience — a. h. -a. him\m.igôn^
affirmer par serment d'une manière solennelle. Mon répond
exactement, et pour la forme et pour le sens, à la racine que
je propose.
Eous est à ire e à mesaise ...
En treis manières est dotis . . .
Saveir s'en Dace turt ii nun
Sur le rei traitui' felun . . .
U saveir mun s'il aut en Fi-ance
Senz plus targer, senz demorance,
U saveir mun si celé Anglee
Que de morz a ensanglantée
Gastera plus ne destruira . . . (Ben. Il, v. 1334 . . . 48.)
Demande li coment ce vait,
Ne saveir mun por quel forfait
Li dux l'a eu si por vil
Que loinz l'ait chascie en eissil. (Ib. v. 17675-8.)
y. ibid. V. 3283. 29157. 36494. etc. ; Th. Cantb. p. 124, v. 30.
Emoi, fait ele, dit aves
Que mon voloir n'i esgardes.
Bien sai que se ne faites mon,
U mal gre vos en sace u non.
Ne vos ne soles pas mentir
Por dire à home son plaisir. (P. d. B. v. 9043 - 8.)
Mes tenez a'^os, si oiez mon
Que dedenz cest brief ici a. (R. d. Ren. III, p. 79.)
Ce sera mon , cascuns respont. (Ib. IV, p. 224.)
20*
308 DE l'ad\t:rbe.
A folie me font entendre.
A folie, voir, ce font mon;
Car je n'i voi nule raison. (E. d. 1. M. v. 459-61.)
Sire, dist ele, clie soit mon! (Ib. v. 6527.)
S'est teus? — Cest mon. (Th. F. M. A. p. 81.)
Or n'i a fors que del huchier
Nos voisins. — Certes ce n'a mon. (Fabl. et C. HE, 45.)
H a plus cuer que un lion.
Cil respondent que ce a mon. (N. R. F. et C. I, p. 228.)
Eabelais, Amyot, Montaigne font encore un fréquent usage
de cette particule.
Tu penses à quelque cbose, Pbocion — Ce fais mon, certes,
respodict il. (Amyot. Hom. ill. Pbocion.)
Un médecin vantoit à Mcocles son art estre de grande auctorite:
Yraiment, c'est mon, dict Mcocles, qui peult impunément tuer tant
de gents. (Montaigne. Essais II, p. 37.)
Les geograbes de ce temps ne faillent 'pas d'asseurer que mesbuy
tout est trouve, et que tout est veu. Scavoir mon, si Ptolemee s'y est
trompe aultresfois, sur les fondements de sa raison, si ce ne serait pas
sottise de me fier maintenant à ce que ceulx cy en disent. (Ib.II, 12.)
Enfin on retrouve ça mon dans Molière:
Ça mon vraiment ! il y a fort à gagner a fréquenter vos nobles.
(Bourg, gent. m, 3.)
Ça mon, ma foi! j'en suis d'avis, après ce que je me suis fait.
(Mal. im. I, 2.)
Il faudrait proprement écrire ça mon.
Molt, mult, moût, mut, moult.
(Cfr. t. I, p. 181.)
Malt signifiait beaucoup, lien, très.
Li dux de Venise qui ot nom Henris Dendole, et ère mult sages et
mult prouz, si les bonera mult, et il les autres gens, et les virent
mult volontiers. (Villeh. 434*.)
Fist Saul à David: Beneit seies tu, bel fiz David, e certeinement
mult fais, e plus fras, mult poz ore, e plus purras. (Q.L.d.R.I, p. 106.)
Armans a non, si est moult fiers,
Moult grans et moult buens cevaliers. (P.d.B. v.8101.2.)
Ançois quart jor le comparra moût cMer ! (E. d. C.p, 76.)
Corne celui qui moût le vodroit et moût le désire. (1283. Eym. I, 2,
p. 218.)
Jeo vus aim mut parfitement. (M. d. F. Grael. v. 116)
E doner mult poi à mangier. (Ben. v. 29585.)
Mult près des murs de Chaelons. (Ib. v. 29643.)
Amoneste unt mult plusor
Conte Robert qu'à paiz entende. (Ib. v. 29970. 1.)
Yout la cite mult meuz gerpir
Qu'il i veist la gent morir. (Ib. v, 30280. 1.)
DE l'adverbe. 309
Les textes de la seconde moitié du Xin*" siècle fournissent
une forme mont pour molt. Il y a eu permutation de l en n ^.
Dex les a mont honorez. (Bible Guiot v. 1763.)
Remarquez l'emploi suivant de mult:
Mult l'onure, mult la chérie,
Sovent li plaist mult que la voie. (Ben. v. 4153. 4.)
JVeSj nets, nis. '
Cet adverbe composé de la négation et de ipsum^ répond
ordinairement à notre même^ et mème^ bien que sa signification
primitive, encore en usage au Xin° siècle, ait été 'pas même.
(Çfr. nesun t. I, p. 181).
n at mis el soloil son tabernacle, por ceu qu'il receleiz ne soit,
nés al oil ki torbeiz est. (S. d. S. B. p. 547.)
JVes contre moi, por Dieu amor
Me doi ge penner de s'annor. (P. d. B. v. 6501. 2.)
Plus erent cortois et vaillant,
Neis li povre païsant
Que chevalier en autres règnes. (Brut. v. 10779-81.)
E neis à mei quierent mal e mort. (Q. L. d. E. III, p. 321.)
Alad querre David neis sur les rochiers e les derubes ii à peine
nule bestiole pout cunverser. (Ib. I, p. 93.)
Je n'en perdra nés le fer d'une lance. (R. d. G. p. 32.)
A plus hardi est tel paour venue
Ke il ne porent dire nés Deu aue. (G. d. V. v. 3026. 7.)
JVis la chevesce de sun frein
li fu coupée en sun cheval,
Que del chef li chai aval. (Ben. v. 16367-9.)
N'i remaneit rien à rober
JVts les vignes à estreper. (Ib. v. 35647. 8.)
OU = ouï.
Dans l'introduction de cet ouvrage, j'ai dit que l'on donnait
le nom de langue d'oè7 à l'idiome roman du nord de la France,
et de langue à' oc, à l'idiome roman du midi. On a émis
diverses opinions sur l'origine de ces deux désignations, ainsi
qu'on peut le voir dans les Recherches de Pasquier I, 13 ; dans
Ménage, article Languedoc; et dans Du Gange, article Lingua.
Ges deux derniers se rangent à l'avis des auteurs qui pensent
que la langue d'oè7 et la langue d'oé? ont été ainsi appelées de
la manière d'énoncer l'affirmation: oïl dans le nord et oc dans
le midi. Aujourd'hui cette opinion est généralement reçue.
(1) La pennutation de n en l avait aussi lieu, on le sait, et l'on trouve, à la même
époque, un molt pour mnni := monceau, amas. Voy. Gr. d. V. V. 2444 et cfr. ib. v. 1C89;
B. d. C. d. C. V. 1442. 1745. etc.
310
Oïl est une forme composée de l'adverbe primitif d'affirma-
tion 0 et du pronom de la troisième personne «7, ainsi o-iV.
On dérive ordinairement l'adverbe o et son correspondant
provençal oc, du latin hoc (v. Raynouard, Lex. rom. s. v. oc;
Diez, Gramm. II, 401); mais cette interprétation est erronnée.
M. J. G^rimm (dramm. III, 768) prétend que oc, o ne sont pavS
empruntés au latin, et je serais assez porté à le croire. La
différence de forme qui existe entre l'adverbe négatif {no et
non noc) et l'adverbe' affirmatif du provençal, le manque d'un
verbe français dérivé de la particule d'affirmation: teUes sont
les raisons sur lesquelles M. Grimm se fonde pour rejeter la
dérivation de hoc. J'ajouterai à cela que si o était un dérivé
de hoc^ le c latin aurait certainement été traduit dans le dialecte
picard, et on ne trouve nulle part la moindre trace d'un c.
M, J. Grimm essaie de dériver oc de l'allemand ja ih (ich);
mais il avoue lui-même que cette interprétation de oc n'est
pas satisfaisante. Quant à moi, je n'ai aucune conjecture soMe
à faire sur l'origine de l'adverbe o, oc.
OU n'a pas toujours eu la prononciation que j'indique; on
le trouve souvent monosyllabe. Par l'assourdissement de l'o
en ow, oil produisit ouil^ qui nous a donné notre oui. Outre
oxiil^ on rencontre les variantes: oal, ouail., ol^ odil ^ awil (Roquef.
suppl. s. V.)
Karles l'entant, ne dist nen o ne non. (G. d. V. v. 1596.)
Je n'en sai plus ne o ne non. (L. d'I. p. 30.)
Que il ne puet dire o ne non. (R. d. 1. M. v. 4258.)
0 ne se montre que dans les locutions de ce genre.
Viens tn ci en amur e en pais? Respundi Samuel: 01. (Q. L.
d. R. I, p. 58.)
Dun nen as tu plus fiz? Respundi Ysai: 01, un petit ki guarded
noz berbiz. (Ib. I, p. 59.)
Et ne dist plus ne 61 ne non. (P. d. B. v. 7502.)
Est çou Amours? Oïï, je cuit. (R. d. 1. M. v. 1537.)
Et se l'en demandant loi vait
Se le bien firent qu'il ont fait.
N'en dient oal ne nenil,
Mes Dex le set, seignors, font il. (Chast. pr. v. 157 - 60.)
E liverunt mei li burgeis de Ceila e ces M od mei sunt en la main
Saul? Respundi nostre Seignur : OaZ , il te liverunt. (Q.L.d.R. I,p.90.)
Ouailj pour .iiij. deniers le livre. (Romv. v. 317.)
(1) On réunissait de la même manière non et il: nenil. L'ancienne langue avait
aussi une combinaison semblable de o, non et de je, tu. nos, vos, sans qu'il en soit
résulté des mots particuliers. Môme procédé en allemand , voy. Grimm, IIT, 7(35, H.
DE l'ad\t:rbe. 311
Or aves fait tos vos talens,
Est-ce vos nus amendemens ?
Odil, dame, fait il, si grans,
Qu'à tos jors en serai joians. (P. d. 13. v. 1313-6.)
Cfr. ibid. v. 6129. 7380. etc.
Yels tu faire mon conseil? — Certes, dame. ouil. (R. d. S. S. d. E.
p. 43. 4.)
Onhes, unices, onques, unques, unches^ unc^ onc.
Cet adverbe, dérivé du latin unquam^ signifie jamais. Il
s'est conservé jusqu'à nos jours (onc, onques ou oncques);
cependant il a vieiÛi et on n'oserait guère l'emploj^er que dans
le style marotique et dans la poésie badine.
Mule cose non la povret omque^ pleier. (Eul. v. 9.)
Mais ki conuit otilces lo sen nostre Signer, ou ki fut onTces ses
consilliers? (S. d. S. B. p. 522.)
Et li alquant sunt ki les Mens de ceste vie aiment, mais unices
n'i parvinent. (M. s. J. p. 510.)
Une ne dotai chastel plus k'un mulon de fain. (R. d. R. v. 1247.)
La sajette Jonathas, fist David, unches ariere ne turnad e la spee
Saul en vain al fuerre ne repairad. (Q. L. d. R. Il, p. 123.)
Yoy. unches, Th. Cantb. p. 79, v. 30; Ch. d. E. p. 25, 57. etc. ;
on/ces, t. I, p. 278, 1. 16; onques, t. I, p. 103, 1. 6. 9. 24; p. 279,
1. 1 ; t. II, p. 311, 1. 25 ; unques, t. I, p. 104, 1. 21 ; p. 285, 1. 19;
one, t. n, p. 96, 1. 21 ; etc. etc.
L'ancienne langue avait aussi nonques, dérivé de nunquam;
mais les exemples en sont rares. Nunquam , dans les Serments ;
nonque, Eul. v. 13.
Remarquez le composé avisunhes == à vis (latin vix) unhes,
à peine.
Et por ce ke la humaine pense, par com grant vertut ke unkes
soit, soi ait estendue, conoist avisunkes poies choses des deventrienes.
(M. s. J. p. 488.)
Et ke encor plus gries chose est, quant ge turbleiz des granz
fl-uez sui porteiz, avisonkes pois ge ja veoir lo port cui je ai laissiet.
(Dial. de S. Grég. L)
Ore, ores, or.
Ore, dérivé de hora, signifiait maintenant, présentement,
actuellement, il est temps de, tantôt, or.
Se trestoutes les gens del mont,
Qui onques furent et or sont. (FI. et. Bl. v. 1779. 80.)
(1) M.Hoffmann de Fallersleben a lu omqi; il a pris pour un i le signe d'abréviation
qui se trouve après le n. V. X3 de la même cantilène, il faut également lire nonque,
au lieu de nonqi.
312 DE l'adveiibe.
Ne vont, ne ore ne autres feiz,
Que de lui vos desfianceiz. (Ben. v. 9164. 5.)
Or de bien faire, por Diu de majesté. (Fierabras p. 168, c. 1.)
S'or estez prouz , or vos arait mestier. (G. d. V. v. 2293.)
Or est assez, li dux Hervis a dit.
Or aus églises, aus chevaus, aus roncins. (G. 1. L. I, p.9)
li esters est si perellos.
Et si divers, et si guiscos.
Et à cascun .de tel manière,
(y ore est avant et ore ariere ;
Or est desus, ore est desos. (P. d. B. v. 3293-7.)
Dans l'exemple suivant, ^re à la signification de notre
prochain:
Ma dame, si vous lo encore
Que à Chauvigni jeudi ore
Aies as noches liement. (E. d. C. d. C. v. 2743 - 5.)
D'on-es en altre, à altres^ signifiait de temps à autre.
Tant les ont aies porsivant
D'ores à aïtres ataignant. (Brut. v. 8671. 2.)
D'ores en altre s'est tornez. (E. d. E. v. 11010.)
Ore entrait dans la composition de plusieurs locutions , dont
quelques-unes nous sont restées.
Lares ^ lors (illa hora), lors, alors.
Lores levad li reis de terre ù il giseit. (Q. L. d. E. II, p. 160.)
Quar tôt cil qui lores moroient
Sempres à infier s'en aloient. (PMI. M. v. 10600. 1.)
Et lors envoya li empereres chevaliers avant pour savoir se Lombart
avoient le pont desfait. (H. d. Y. 509 ^)
Dès ore (de ex hora), dès ore mais (de ex hora magis), ore
mais^ avec la même signification que dès ore mais, d^ore en
avant (de hora in ab ante), dès ore en avant (de ex hora in
ab ante) , dorénavant.
Dès ore cumencet le plait de Guenelun. (Ch. d. E. p. 143.)
Dès ore vous dirai ma vie. (FI. et Bl. v. 2251.)
Des ore mais m'aures à compaignon
As colz de la bataile. (G. d. V. v. 1646. 7.)
Dès or mais me cuidoie déduire et reposer
Oiseler an rivière et an forest berser,
Et mon cors par conseil de mires délivrer:
Or m'estuet derechief mon corsrenoveler. (Ch. d. S. II, p. 129.)
Diex, qui ensi le puet bien faii*e.
Le consaut! qu'ele ara or mais
Asses et painnes et esmais. (E. d. 1. V. v. 1088-90.)
Or poons nous veoir comment
Il enverra d'ore en avant. (E. d. C. d. C. v. 2648, 9 )
313
D'or en avant el grant fer de ma lance
Est vostre mort escrite sans faillance. (R. d. C. p. 71.)
Y. t.I,p. 389, 1. 7; t. n, p. 15,1. 17.
De ore et de ams , on avait formé oraïns , orain% , or ans , il
y a peu de temps, tout à l'heure, naguère.
Sire , fait cil , dont aies prendre
Les armes d'un mort chevalier
Qui là gist desous cel lorier,
C'orains al assambler occis. (R. d. 1. V. v. 4464-7.)
Et si n'en puis mon cuer tenser
Que tous jours ne pense à celi
Qui tant me pleut et abeli
Orains et ier et cascun jour. (R. d. 1. M. v. 1532-5.)
Del of&'e que feis oranz par folestez,
Or vos est à cest point molt bien guerredonez. (Ch. d. S. II, 175.)
V. or ans ^ G", d. Y. v. 187; orain%^ P. d. B. v. 6626; orains^
il). V. 8505. 8566. 8590. etc.
Remarquez enfin or endroit^ orend/roites ^ maintenant, à cet
instant , de suite , justement. Répété, orendroit s'employait comme
notre tantôt — tantôt.
Quar qui me metroit à l'essai
De changier ame por la moie,
Et je à l'eslire venoie,
De toz cels qui orendroit vivent . . .
Si penroie ainz l'ame de lui . . . (Ruteb. I, p. 66.)
Je vos promet et vos afi,
Se vos failliez Dieu orendroit,
Qu'il vos faudra au fort endroit. (Ib. I, p. 118.)
Ou pren t'espee orendroit, ci m'ocis. (R. d. C. p. 204.)
Et dist Primaut, je m'i acort
Qu'il soient venduz orendroit. (R. d. Ren. t. I, p. 140.)
Mais oi'end/)'oites vous renomme
Renommée plus que nul homme. (R. d. M. p. 56.)
Famé se chainge en petit d'eure:
Orendroit rit, orendroit plore.
Or chace, or fuit, or het, or aimme. (Dol. p. 186.)
On disait en petit d^ore^ en po d^ore^ à po d^ore^ pour en
peu de temps (brevi).
Si avint il qu'en iMit d'ore, (Phil. M. v. 23564.)
Mes assez en po d'ore ot son conte desfait. (Ch. d. S. I,p. 237.)
Mainte tante i ot lors à j}0 d'ore fichie. (Ib. II, p. 47.)
Pour exprimer l'dée du présent, Montaigne se servait de
la composition asture = à cette heure.
Moi asture, et moi tantost, sommes bien deux; mais quand meil-
leur, je n'en puis rien dire. (Montaigne. Essais III, 9.)
314
l*ar^ per.
Cette particule n'est que la préposition par (v. plus bas);
elle servait à ajouter à la signification des mots auxquels elle
était jointe ou à donner plus de force à l'idée exprimée dans
la phrase.
Oncles , dist il , com tu par ies gontis. (Romv. p. 236.)
Quant la roïne a ce veu
Que par ce nel a deceu
Dont par est ele trop dolente. (Dol. p. 177.)
Ansi par estoit parvertis,
Maint preudome ait à tort tueit. (Ib. p. 233.)
Eichars de Normendie, qi tant par est prodom. (Ch. d. S. Il, p. 90.)
Si très par ert grant lor esmais. (Ben. v. 38304.)
Mult par est proz Pinabel de Sorence. (Ch. d. E. p. 151.)
Trop par porreit granz mais venir
Par délivrer vos, ce vei bien. (Ben. v. 16709. 10.)
Poc^ pau^ poi^ po ^ pou^ pouc ^ peu.
Toutes ces formes dérivent de paucus et signifient peu. Pour
l'explication des permutations qu'éprouva pauc^ v. avoir., savoir^
pouvoir^ parfait défini.
Et por ceu k'il legiers est et petiz ne fait mies poc à preisier.
(S. d. S. B. p. 549.)
De ce est ke un pau après siut. (M. s. J. p. 480.)
Mais il en eut pau de déduit. (E. d. 1. M. v. 4076.)
Soris ki n'a c'un trau poi dure. (L. d'I. p. 19.)
MichaeUs oï qu'il estoient à si pou de gent en la terre. (ViUeh. 471 '".)
Et pouc lor soit du blâme de la gent. (W. A. L. p. 62.)
Cfr. gaires^ petit.
On trouve quelquefois peu employé comme adjectif.
Veit sa jent est morte e vencue
E mult est mais poie s'ajue. (Ben. v. 16386. 7.)
Y. t. II, p. 311,1. 31.
A poi y par un poi., par poi, por poi., signifiaient à peu de
chose près, peu s'en faut, presque.
Qant ne la voi à po ne deve. (Trist. I, p. 219.)
E à bien poi tote perdue. (E. d. E. v. 497.)
Qant l'antant Baudoins, per 2?o n'est anragiez. (Ch. d. S. II, p. 17.)
Et vos ai par .i. po à terre crevante. (Ib. Il, p. 34.)
Même locution avec petit:
Par À. petit nel a à la terre verse. (Ib. H, p. 33.)
y. petit.
En poi de terme , en peu de temps. — En si peu de jour
(R. d. 1. M. V. 806) avec la même signification que en si poi d'ore.
Remarquez enfin cum pau he soit, tant peu que ce soit.
DE l'adverbe. 315
Se il, cum pau Jce soit, ne vivoient à lui (al inunde) senz failhe,
il nés amaist mie à son oes. (M. s. J. p. 465.)
Cfr. petit ^ où il y a des exemples de pol en opposition avec
ffrant.
Petit — Grant.
Dans les articles précédents, on a vu le mot petit remplacer
l'adverbe feu^ dont il avait la signification. Il s'agit maintenant
d'indiquer son origine. Quelques lexicographes ont dérivé petit
de petilus. La terminaison iîus prouve de prime abord la faus-
seté de cette interprétation. M. Diez propose, comme racine
&é petite ^^petitum^ Erbetenes, Bettel, Kleinigkeit." C'est là une
étymologie sans le moindre fondement. D'autres enfin ont essayé
de rattacher fetit à la racine peth, qui est celle de notre mot
'pièce (v. plus bas); mais ils n'ont pas pris en considération un
grand nombre de formes soit de la langue d'oïl et de ses divers
rameaux, soit des autres langues romanes; formes qui ont une
étroite liaison avec petit et dont la voyelle radicale i ne permet
pas d'admettre une racine en e radical. La racine de petit se
trouve dans le kymri pid^ pointe. Ainsi l'idée primitive des
mots de cette famille a été celle de quelque chose de grêle ^ de
menu^ à^ effilé. Les exemples suivants prouvent, entre autres, la
justesse de cette interprétation, soit quant à la forme, soit
quant au sens. Provençal pitar ^ becqueter; ancien français
apiter^ toucher de la pointe des doigts; pite, espèce de petite
monnaie; ancien italien pitetto^ petit; wallon piti, petit; vieux
français ^^^m^, très petit, chétif; vil; etc. Mais, m'objectera -
t-on sans doute, qu'est-ce que la terminaison it? Le français
ne connaît pas de diminutifs en it. On a écrit petit au lieu de
petet , par euphonie ; comme les italiens disent aujourd'hui petitto^
tandis que l'ancienne forme était pitetto. Cfr. encore le dimi-
nutif petitet., qui régulièrement aurait été petetet^ forme insup-
portable à l'oreille.
Grant ^ dérivé de grandis.^ s'employait comme adverbe avec
la signification de leaucoup.
Curuz de rei n'est pas gius de petit enfant:
Qu'il comence à hair, seit pur pui u pur grant,
Ja mais nel amera en trestut sun vivant. (Th. Gtb. p. 19, v. 16 - 8.)
A la parfin se porpensa
Que son conpere proiera
Que por Dieu li doint, s'il conmande,
Ou poi ou grant de sa viande. (R. d. Een. I, p. 37.)
Quer me dites que je ferai.
Se petit ou moût mengerai. (Çhast. XXII, v. 269. 70.)
316
Petit redotent Saisne et lor ruste fierté. (Ch. cl. S. 1, p. 247.)
S'est si povres com dites, laissiez li gaaignier;
Quar de petit de chose se porra acointier. (Ib. II, p. 10.)
Del colp fu si Bernecons esperdus.
Parmi la boche li est li sans oorus:
Por .i. petit ne chei estendus. (R. d. C. p. 175.)
Cfr. ore, poc.
Le diminutif petitet signifiait un peu^ fort peu^ très peu.
Ne demora d'Un petitet. (Trist. I, p. 75.)
De la dame vos voldrai dire
Un petitet de sa beauté. (Fabl. et C. IV, p. 408.)
Pièce — Pieça, piecha^ — Pose.
J'ai dit, dans l'article précédent, que pièce était d'origine
celtique, et j'ai indiqué le kymri peth comme sa racine. De
peth.^ fragment, morceau (breton ^^z^ pec'K)^ la basse latinité fit
petia., petius, petium^ et c'est de ces formes en ti (== ci) que les
langues romanes dérivèrent les leurs. Les mots rapiécer^ rapie-
ceter (Imâ. repeciatus, peciatus), se rapportent à la même
racine^. Pièce ^ une pièce se disait pour quelque temps On
employait encore dans le même sens: grant pièce ^ bonne pièce.,
une pièce de tens. Piega et la forme picarde piechay ne sont
rien que pièce a^ pieche a = il j ^ longtemps. On dit encore,
dans le langage du peuple: Il y a un bout de temps, un bon
bout de temps. Pose, dérivé de pausa, signifiait longtemps et
s'employait de la même manière que pièce.
Tu as pièce le roi hai.
Que me donra se jol ocis ? (Brut. v. 8449. 50.)
De juste cel pui avaient,
Une pièce suis i estent,
Mult s'esmerveilla où il fu. (M. d. F. II, p. 461.)
Quant li rois ot unepieclie demene son duel. (Phil. M. I, p. 472.)
Si vint en France et en Bretaingne:
Grant pièce i a este chierie. (Ruteb. I, p. 106.)
Une grant pièce fu ensi. (L. d. M. p. 44.)
D'une grant pièce après n'i fu .i. mbz sonez. (Ch. d. S. Il, p. 39.)
E eust dure li debas par aucune pieche te tens. (1281. Rym. 1, 2, p. 193.)
Cfr.: Veir avez dit, leissuns ensi
Cum il a este grant tens a . . . (M. d. F. fab. 6.)
Nos te volum, funt il, mustrer
Que ne nos as tu reconte
Iceo que Charles t'a mande
(1) Piza ," piça , dans Tristan; souvent picsa, durant la seconde moitié du XIIIc
siècle. V. Ruteb. I, p. 42.
(2) Rapetasser a une origine latine; il dérive de pittacium, Imâ. pitacium.
DE l'adverbe. 317
Pieca par dous sons chevaliers. (Ben. v. 7505 - 8.)
Et cil qui l'ont reconneu
Qui piecha nel orent veu,
Sont molt joiant quant il le voient,
Que piecha veu nel avoient. (R. d. 1. V. v. 6084-7.)
Pïeee avec un temps passé, au lieu du présent.
A lendemain cou raconta
Al roi Popin kil ascouta.
Et si n'i ot estet pièce ot. (PMI. M. v. 2246 - 8.)
On disait encore à pièce '^, en pièce ^ en grant pièce.
Ains ne veistes plus plaisant . . .
Ne ne verres, cequit, en pièces. (R. d. C. d.C.v. 1117. 8.)
Si grant peur a et si grant ire
A au cuer qu'en grant pièce dire
Ne li puet çou qu'au cuer li gist. (R.d.l.M.v.4185-7.)
De pièce = de longtemps ; de pieqa , depuis longtemps.
Ne poeit Fom le jor choisir.
Ne ne fit l'om de pièce puis. (Ben. v. 25015. 6.)
Bien sai que ceste destinée
Me fu vouée de piecha. (R. d. 1. Y. 1102. 3 )
A chef de pièce signifiait à la fin.
Al chief de pièce veit l'escrit. (M. d. F. I, p. 344.)
Lungement i eut sejome,
E Fi-ance pose en paiz este.
Quant Rou à Roem ariva. (R. d. R. v. 745-7.)
El sarkeu unt li cors porte,
K'il ot grant pose ainz apreste. (Ib. v. 5919. 20.)
Bretun remestrent deshaitie.
De grant pose ne furent lie. (Ib. v. 6923. 4.)
Et, comme pour pièce ^ pose <?, contracté en posa.
Des custoumes lur ad maunde,
E que encrist l'ad trove
Pose ad de Roume. (Ben. t. 3, p. 623.)
En France, à mun realme, m'en estut retumer;
Posât que jo n'i fui, si ai mult demurret,
E ne set mis barnages quel part jo sui turnet. (Charl. p. 9.)
Pis (pejus).
Je n'ai à faire remarquer que la forme peix^ dont on se
servait dans le Comté de Bourgogne et les provinces voisines,
durant la seconde moitié du Xm*' siècle.
Dans l'ancienne langue, comme aujourd'hui, la forme du
superlatif s'employait substantivement avec le sens d'un sub-
(1) On trouve, dans P. d. B. v. 313, un à pièces, qui paraît signifier à pcc7u'.
D'où vient alors pihces? Si la signification péché est exacte, ne vaudrait -il pas mieux
lire à pecîes, forme de notre mot péché dans rDe- de -France?
3l8 DE l'ad\t:rbé.
stantif abstrait (neutre), et les adverbes 'pis et mieux (voy. ce
mot) se mettaient déjà pour pire et meilleur.
Si mal fu ains, or est mult jÀs. (Brut. v. 1945.)
Por ce ai par moi un consel pris,
TJ face miols, u face <pis. (R. d. 1. V. v. 2871. 2.)
. . . Dame, se esties morte
Li affaires en vanroit 'pis. (E. d. C. d. C. v. 2740. 1.)
Vis fist que devant fet n'avoit,
Quar du pis fist qn'ele savoit. (Ruteb. Il, p. 112.)
Noz . . . lour devons cbescun an . . . cent et trois livres de tele
menoie come il corra communaiment en l'arcevescliee de Besançon , soit
qu'elle vaille peix que telle que court au joui* de hui, soit que elle
vaiUe muelz. (1301. M. et D. p. 467.)
On voit par ces exemples que pis s'employait quelquefois
où nous nous servirions de moins.
Plus.
J*lu8j qui avait la variante pluis (t. II, p. 64, 1. 17; p. 134,
1. 2), en Champagne, dans la seconde moitié du XIII* siècle,
s'employait très-souvent pour le 'plus.
Gentis rois, dit la dame, por Deu qi maint là sus.
Je vos commant la rien el monde que j'aim plus.
(Ch. d. S. I, p. 85.)
Molière, Racine, Bossuet ne se faisaient encore aucun scru-
pule de dire plus poiu- le plus.
Je rappellerai ici l'expression satis plus, où plus doit être
considéré comme une espèce de substantive neutre, fonction
que ce mot a quelquefois. Sans plus, dont nous nous servons
pour indiquer l'exclusion d'un plus quantitatif, s'employait, dans
l'ancienne langue, pour l'exclusion de toute extension quanti-
tative et de toute gradation qualitative.
Cuer et cors doi avoir sousfrant
De çou sans plus c'osai coisir
Amer en si haut lieu vaillant. (Romv. p. 275.)
Or savoient ices noveles
.liij. sanz plus de ses damoiseles. (Ruteb. Il, p. 171.)
Ses compaignes furent batues
Sanz plus de chemises vestues
Por le demorer qu'eles firent
Puis que son messagier oïrent. (Ib. p. 180.)
Por oc, poruee, porvec ., puroc, pourvouec, por eue, pruec, proec,
pruech: pour cela, donc.
Cet adverbe est un composé du pronom o, oc dérivé du
latin hoc^ et de la préposition ^or. Le pronom o = ce., cela, se
lit dans les Serments: in o quid; et on le retrouve encore fort
►
î)E l'advekbê. âtÔ
tard non - composé dans les chartes de quelques provinces : s'il
0 fasset (Coût, de Berry, p. 99. Ed. Thaumassière). La Canti-
lène sur Ste. Eulalie a poro (v. 11 et 20), forme que porte aussi
le Fragment de Yalenciennes : E poro si vos avient (1. 27 v"*).
La finale uec pour oc est une diphthongaison de l'o^, et les
formes pruec^ proec , pruech représentent une contraction de
poruec.
Poroc, poruec, etc. peut quelquefois remplir le rôle d'une
conjonction, de même que por ce. (Y. la Conjonction par ce
que.) Souvent il était suivi de que et signifiait pour que,
pourvu que.
En la demonstrance de si mervilhous signe, avec la foid de la
femme soi assemblât la vertuz del un et del alti-e, etporvec aesme ge
ke Libertins pot cez choses. (S. Grég. Dial. I.)
Pm'vec soies sonious , ke tu ne soies feruz del serpent. (Ib. fol. 113. v**.)
Sains om fu et de bone vie . . .
poi'uec en fu
Li rois dolans quant il moru. (Phil. M. v. 2806. 8. 9.)
Dist li rois, com t'as grant envie
Sour ce chaitif où jou t'envie
Que tu le me voises pourhuec. (E. d. Een. lY, 71.)
Où vas, dist il? Esta ileuc.
Por qoi, fait il? Pai' foi poreuc. (Ib. I, p. 261.)
Proec que^ fins cuers qui bet à haut hounour
Ne se porroit de tel cose desfendre,
Pour ce, dame, ne m'en deves reprendre. (Eomv. p. 258.)
Car il novise sont dou fait.
Non mie pruech ^^.'ensi ne vait
Que teus se melle de Eenart
Qui n'en siet .... (E. d. Een. lY, p. 115.)
Et celé qui m'iert à corage,
Pruec qu'ele soit de haut parage,
S'iert ma famé et jou ses maris. (Poit. p. 53.)
Cfr. neporoc, conjonction.
Pues, puis, poiz, pois^
dérive de post. Cet adverbe signifiait puis^ après. (Y. prépos.
et conj.)
A qui l'om fist puis meinte gerre. (Ben. v. 24929.)
Maint gentil homme iQTnd. puis à pesance. (E.d. C.p.33.)
Pois l'arche sur le char aseez. (Q. L. d. E. I, p. 21.)
(1) Les poètes faisaient ordinairement hic et hoc (nominatif et accusatif) longs.
Cela semble contredire la règle do la diphthongaison que j'ai établie (t. I, p. 25);
cependant hic et hoc sont brefs par eux - mêmes , et il est probable que le peuple avait
conservé cette prononciation. (V. Schneider, p. 666 et suiv.)
(iJ) Le texte porte pro et que, ce qui ne donne aucun sens,
320 DE l'ad\t:rbe.
Quant Beatris lou voit son cuer ait rehaitie;
Pues li ait son voloir et son boen enchairgie. (W.A.L.p.3.4.)
jFVo, 'prou^ pru, preu^ prod^ prcmt.
Ces formes sont celles d'un adverbe répondant au latin satis ;
il avait les significations: assez ^ suffisamment^ heaucoup, abon-
damment. Quelle est l'origine de pro^ prou., etc.? Avant de
répondre à cette question, je dois faire observer qu'il se trouve,
dans l'ancienne langue, un substantif dont les formes étaient
les mêmes que celles • de notre adverbe , et qu'on a quelquefois
regardé le substantif et l'adverbe comme identiques ; qu'il existe
en outre un adjectif ^ro^^ prud, prod., que M. Diez, entre autres,
rapporte à la racine du substantif ^ro. (Gram. rom. Il, 47, note 2.)
Yoyons ce qu'il peut y avoir de vrai dans ces diverses
opinions.
Le substantif pro^ prou^ etc. signifiait profit, hénéfice., avan-
tage , gain. Je pense avec M. Diez qu'il dérive de la particule
latine pro employée substantivement. Les formes pro , pru , prou^
preu s'adaptent fort bien à pro ; mais comment expliquer le d et
le t de prod., prout? Oserait -on admettre l'influence du latin
prodesse? Ou bien est-ce simplement une finale ajoutée pour
donner au mot une forme substantive plus ordinaire? L'in-
fluence de prodesse me paraît plus vraisemblable , l'addition d'une
finale étant contre les lois générales de la dérivation. Quoi qu'il
en soit, les formes en ^ et c? sont les primitives.
A nul pro ne lui puet venir. (Chast. 2« trad. XXII.)
Plus ala li soen ^roî* ke li vostre querant. (R. d. R. v. 3412.)
Aius est d'un chevalier si preu
Qu'en maint lieu fist d'armes mnpreu. (R. d. C. d. C. v. 59. 60.)
Li est avis que paiz aquerre
Al pru del poeple e de la terre,
Est tut le mielz qu'il puissent faire. (Ben. v. 3109-11.)
Mais mânes ke la raisons repairet al cuer, mânes soi rapaisentet
la granz noise, et alsi com anceles soi rapressent taisieblement à lur
Gomandeie oevre , quant les penses soi atoment à alcun prout. (M. s.
J. p. 496.)
Ben l'avez fait, mult grant pro<^ i avérez. (Ch.d. R.p.28.)
Y. encore t. I, p. 156, 1. 21; p. 173, 1. 10; p. 238, 1. 19;
p. 329,1. 16; etc.
L'adjectif prot., prud, prod n'a rien de commun avec le sub-
stantif pro. C'est faute d'avoir remarqué la forme primitive de
cet adjectif, que M. Diez a été induit à le rapporter à la racine
pro; il écrit pro., tandis qu'il faut orthographier prot ou pi'od^
comme on le verra tout à l'heure. La même inadvertance a
fait que Raynouard (Lex. Rom. t. IV, p. 659 s. v. pros) s'est cru
DE L'AmTîRBE. 321
autorisé à dériver prot de prohus. Roquefort a rencontré juste
en cherchant l'origine de prot dans le latin prudens.
L'adjectif ^ro^, prod est^ dans le principe, le même mot
que nous retrouvons en comj)Osition dans prodhom; c'est de la
même signification de prudem^ attribuée au prod de prodhom,
que l'on est parti pour l'adjectif prot^ dont nous avons fait preux.
Prudens^ qui sait, qui connaît — qui a l'expérience des choses;
de là prudent, sensé, sage, utile, capable, brave, généreux,
vaillant; — voilà à peu près la manière dont les significations
de p^ot ont dû se développer.
Comparons maintenant les formes de prod en composition
(t. I, p. 79), à celles de prot {t final pour ^, en Bourgogne et
en Picardie), prod employé seul.
Qui mult ère sage e proz. (ViUeh.)
Chascuns dist que je sui si proz
Et que j'ai tant sens et savoir. (R. d. Een. I, p. 206.)
Saul s'aperceut que pruz fud David e vaillanz e de plus l'eschiwid.
(Q. L. d. E. I, p. 71.)
De lor seinnur ke moût est pruz. (Ben. t. 3. p. 619. c. 2.)
On n'a pas oublié que le z équivaut à ts en Bourgogne,
à ds en Normandie.
Si n'est il mes nule Lucrèce . . .
M prode famé nule en terre. (R. de la Rose v. 86. 95.)
Pendant la seconde moitié du XIII ^ siècle, le dialecte picard
fit subir à prot les changements ordinaires dans les mots de
cette espèce, c'est-à-dire que le t ayant disparu, on écrivit,
par analogie, eu au lieu de o, ou^ d'où preu^ qui nous est
resté.
L'orthographe preux ^ que nous suivons, provient d'un abus
dont j'ai donné l'explication au chapitre des substantifs; et
M. Diez (1. c.) a tort de faire remonter l'origine de la finale x
à la lettre s du provençal pros.
Yoilà pour la forme; quant à la signification, voyez encore
Ch. d. R. CCXXXYI, v. 13 ; III, v. 3; CCXXII, v. 2; etc.
Ces comparaisons prouvent, je crois, l'identité de prod en
composition et de prot, prod , employé seul. Or il n'y a aucun
doute à élever contre la dérivation p^^od de prudents; forme et
signification sont en parfait accord.
On m'objectera sans doute avec M. Diez (1. c.) que les formes
provençales pro , pros == preux , sont contraires à la dérivation
défendue par moi. Comment cela? D'abord, ce que ne dit pas
M. Diez, on trouve, aujourd'hui encore, l'orthographe proz (z = d).
La variante pro peut dériver directement de prody prot par
B ur g 11 y, Gr. de la langue d'oïl. T. II. Éd. III. 21
322 DE l'adverbe.
l'apocope du d ou. t final ; ou bien ; ce cpii est plus vraisemblable,
le z (= d) de proz, étant tombé devant le s de flexion, on a
formé le nouveau radical pro aux cas obliques. Quant au ^ro#,
indéclinable , la finale s y représente bien moins le s de flexion
qu'un souvenir du z = d radical , qui avait été retranché pour
la facilité de la prononciation.
Le féminin italien prode nous reporte également à un
masculin en d final. En comparant cette forme à celles de la
langue d'oïl, on voit de prime abord que M. Diez a eu tort
de la regarder comme irrégulière, en tant que le d y serait
intercalaire. Apocopée au masculin, l'euphonie exigeait qu'on
conservât cette finale au féminin.
Je ferai observer en passant que notre prude n'est autre
chose que la forme normande pour prode, dont la signification
primitive était sa^e, vertueuse, pudique.
Les formes adverbiales: provençal prozamen^ italien prode-
mente, langue d'oïl prozement^ ajoutent une nouvelle preuve à
la déduction précédente. A côté de prozamen^ prozement ou
prosement^ on a, il est vrai, proosamen, proosement ou prouse-
ment., qui ne s'adaptent pas, à cause du redoublement de la
voyeUe o, aux formes adjectives citées. Mais ne serait- il pas
permis d'expliquer ou, oo, par un souvenir du latin providens,
providenter ?
Venons enfin à notre adverbe pro. Les formes prod, proid
ne permettent pas de le dériver de proie ^ comme quelques
philologues l'ont proposé, bien que, pour le sens, rien ne
s'oppose à cette étymologie. Et puis, pourquoi chercher au
loin ce qu'on a sous la main? La langue d'oïl et toutes les
langues romanes fournissent assez d'exemples d'un substantif
emplyoyé adverbialement, et rien ne s'oppose à admettre l'identité
de pro substantif et de pro adverbe. Formes et signification
concordent on ne i^eut mieux ^.
Quant la parole ont pru dure. (Ben. I, v. 1945.)
Grant joie li fait li pomiers
Qu'il a trove si faitement
Assez en quit e pro en prent. (Ib. v. 25347-9.)
Ne s'en saveit pas pro aidier. (Ib. v. 36934.)
Li bons osbercs ne li est guarant prod. (Ch. d. R. p. 50.)
Ki tant ne set nel ad prod entendut. (Ib. p. 81.)
Cfr. le Dictionnaire de l'Académie s. v. prou.
(1) Le provençal pro = prou est aussi identique avec le substantif: le catalan
prou, au contraire, peut dériver de probe (u = b). (V. Eavn. Lex. rom s. v. pro.
IV, 64.)
323
Quant: quand.
Quant ^ dérive du latin quando^ s'écrivait généralement par
lin t final; cependant quelques textes qui favorisent la lettre d,
les M. s. J. p. ex., donnent aussi l'orthographe quand.
Quant jure l'auras et promis. (E. d. M. p. 47.)
Qant vos poes si revenes. (R. d. M. d'A. p. 9.)
Quand la terre des païens est ramembreie. (M. s. J. p. 441.)
Quant s'employait quelquefois dans le sens du latin quon-
iam, quia.
Quant il est vostre huem liges, il \n.is deit fei porter,
E tenir en tuz lius vostre honur e guarder. (Th. Cantb. p. 27. v. 26. 7.)
Randon.
Randon^ force, violence, impétuosité; randonee^ impétuosité;
randoner, courir, s'empresser, aller avec impétuosité, prendre
un violent élan sur quelque chose, pousser vivement; randir,
s'approcher, s'avancer avec impétuosité, presser vivement. On
a voulu dériver randon^ etc. de l'allemand remien ., mais le d étant
organique et non intercalaire, cette dérivation est tout à fait
impossible. D'autres ont considéré la lettre n comme inter-
calaire et, selon eux, randon appartient à la même famille que
le vieux français rade. Rade^ se rapporterait ou à la racine
germanique hrad dont dépendent, dans divers dialectes, des
formes adjectives et adverbiales qui expriment l'idée de rapidité.,
agilité; — ou à la racine celtique gradh : gallois grad = subitus,
festinus; irabundus; graide^ celeritas, etc. Cette racine est très-
étendue dans les langues celtiques, mais randon ne s'y rapporte
pas^. La lettre n n'est pas plus intercalaire que le d.
Randon est un dérivé du v.h.-all. rand, rant, bord, extrémité
(islandais raund, rond^ ancien norois rond). De rand^ les pro-
vençaux firent randa = bord d'une chose , qui n'a pas été admis
dans la langue d'oïl, et de randa., la locution a randa: près,
entièrement, violemment, d'une manière pressante. Toutes ces
significations découlent facilement de la primitive, et je les
signale pour l'explication de celles des dérivés français de rand.
Le premier dérivé immédiat de rand., pour la langue d'oïl, est,
d'un côté , randir (cfr. le bas - saxon anranden , atteindre à qqch.,
s'étendre jusqu'à qqch.) et, de l'autre, randon avec les dérivés
randoner ^ randonee.
(1) M. Diez dérive rade de rapîdus. Il a raison de remonter au latin: mais il
aurait dû dériver de rahidus, comme le prouve le mot espagnol raudo (u==b), qui
équivaut à notre rade. Du reste , pour le sens , rahidus convient aussi mieux , rade
signifiant impétueux, fougueux.
21*
324
Partonopeus la vait ferir
Quanque cevals li \met randir,
Et li soclans vait ferir lui. (P. d. B. v. 8051-3.)
Randon servait à former les locutions adverbiales: de et à
randon^ avec force et violence, impétueusement, rapidement,
soudainement — de et a grant randon — de tel randon.
Va s'ent Ogiers à coite d'esperons,
Sus Broiefort qui li cort de randon. (0. d.D. v. 6440.1.)
Sor les estriers s'afiche de randon. (G. d. V. v. 1573.)
Le Franceiz point de grant radon. (E. d. E. v. 9194.)
Le sanc li saut à grant randon. (E. d. Een. I, p. 239.)
Vers lui en vient volant de tel randon. (Merabras LY. c. 2.)
Yoj. Eaudonee (P. d. B. v. 8048; Ben. t. 3, p. 549; R. d. C.
p. 72; etc.).
Li borgois ont la grant cloche sonee
Et la petite tôt d'une randonee. (Ben. I, p. 529. c. 2.)
Randoner (G. d. Y. v. 8048; Ben. t. 3, p. 543; R. d. R. v.
3975; R. d. Ren. HI, p. 99. 193; etc. etc.).
Sempres ^ sempre.
Dérivé de semper , cet adverbe perdit de bonne heure sa
signification primitive toujours^ pour prendre celle de aussitôt^
incontinent., sur-le-champ.
M. d'Orelli cite l'exemple suivant, où seinpres signifie tou-
jours: Sempres ert mol com pelice. (Fabl. et C. lY, p. 390.)
Tôt afeltre l'amaine ci
Sempres à le lune luisant. (P. d. B. v. 5530. 1.)
Mais au desfendre fu ocis,
Et li castiax fust sempre pris. (Brut. v. 8981. 2.)
Quant pris furent li serement,
Sempres maneis tôt eraument
Apela li reis ses barons. (Ben. v. 17243-5.)
Sempres courut la renommée
En Yermendois par la contrée. (E. d. C. d. C. v. 6966. 7.)
Adubez vus : sempres avérez bataiUe. (Ch. d. E. p. 121.)
Senoc, senuec^ etc.: sans cela.
Cet adverbe est un composé de la préposition sens^ avant
l'introduction du s paragogique (v. la préposition) , et du pronom
0, oc, (v. poroc?)
Par foi, bien estes senuec
Et des deniers et de l'amie. (Eab. et C. I, 370.)
Il n'en venra raie senoec
Si con je pens et adevin. (Th. Fr. M. A. p. 192.)
DE l'adveebe. 325
Tant,
atant — itant., à itant^ aitant — de tant — par tant — très-
tant — entretant — aitant — altretant.
Nous avons vu tant perdre peu à peu sa forme variable,
pour prendre celle qui lui est restée dans la langue fixée (voy.
t. I, p. 191). Tant signifiait tant, autant, beaucoup, si, telle-
ment. Atant ^ signifiait à ce point, alors; aussitôt, à présent.
Atant a encore été employé par La Fontaine (Calendr. des
Yieillards). Itant, tant, autant; — h itant^ alors, en ce
moment; — de ta^it^ d'autant, en conséquence; — par tant
(per tantum, par autant), par conséquent, partant; — tr estant
était un renforcement de tant; — entr étant (inter tantum)
signifiait pendant ce temps, sur ces entrefaites; — aitant^
autant.^ d'abord usité avec le même sens que son primitif tamt^
s'en est séparé de bonne heure poiu' prendre la signification
que nous lui donnons encore.
Tant li promet, tant l'espoente,
Tant met en lui traïi* s' entente,
Tant l'a par losenge encante,
Toute en fera sa volente. (P. d. B. v. 4423 - 6.)
La douce rienz qui tant est bien aprise. (C.d. C. d. G. p. 65.)
E il pluveit tant fort qu'il ne voleit cesser. (Th. Cantb. p. 32, v. 28.)
On voit par ces derniers exemples, et on a déjà pu le
remarquer souvent, que l'emploi de tant., par rapport à s%
n'était pas réglé comme aujourd'hui.
Quant eles entrent el mostier,
Tôt l'en veissies esclairier
Tant por les pieres, tant por l'or,
Tant por la beauté Melior. (P. d. B. v. 10723-6.)
Eemarquez la réunion de tant et de seulement:
Nonpourquant encor gaitera
Deus nuis ou trois tayit seulement. (R. d. C. d. C. v. 4419. 20.)
Et li ai promis et promet foi et lealte et service comme à ma dame
à sa vie tant seulement, et à la moie . . . (1276. M. s. P. II, p. 601.)
Cfr. la locution conjonctive:
Li rois i est venus matin
Et Mares, qui nel puet amer;
8€ul tant qu'il le voit moult li coste. (P. d. B. v. 2893. 6. 7.)
Seul est là pour seulement , emploi très-fi'équent dans l'an-
cienne langue:
Sol une nuit sont en un leu. (Trist. I, 70.)
Tant com plus == d'autant plus, tant plus:
Tant com plus près du port serons,
Plus tost ces noveles saurons. (R. d. 1. M. v. 4117. 8.)
326 DE l'ad\'eiibe.
En tant de, suivi des mots tens, ore^ s'employait pour
désigner im court espace de temps:
Unques ne quit que tante lerme
Fust mais en tant de tens ploree. (Ben. v. 27763. 4.)
Derompent sei à si grant fes
Que nule genz n'oïstes mes
En tant d'ure si maubaillie. (Ib. v. 28412-4.)
Atant une arme vint al lit. (P. d. B. v. 1121.)
Moult s'en puet bien tenii- atant. (Ib. v. 2970.)
liant savoni bien que li muuz
Est tuz egaus e tuz rounz. (Ben. I, v. 29. 30.)
Atant uns bom lor aparut
Qui en la nief od els estut,
Et itant at à els parlie. (St. N. v. 256-8.)
E li dus l'arena e poiz li dist itant:
Jo ferai volentiers du tut vostre cornant. (R. d. E. v. 2328. 9.)
Mais d'iiant sui esbabis. (C d. C. d. C. p. 49.)
Samuel ces paroles bien escultad, e à Deu meisme les mustrad,
ki la requeste lur otreiad ; e Samuel à itant les cungead , puis chascuns
al suen turnad. (Q. L. d. E. I, p. 28.)
Sun espirit aitant rend. (Trist. II, p. 85.)
Eist tant que li monz touz le seut,
Et de tant plus grant joie en eut. (E. d. S. G. v.3841. 2.)
E que plus ert malades, de tant plus l'anguissa.
(Tb. Cantb. p. 15, v. 18.)
Par tant covient ke la pense soi eUievet ensi de sa saineteit, ke
ele soniousement soi abaisset en bumiliteit, et par tant cant il disoit
del saint home ke il à un test raoit la purreture. (M. s. J. p. 450.)
Mais de luxure ont par tant tuit bonté, ke tuit ensemble conoissent
que ele est laide. (Ib. p. 507.)
Se le truant mentoit, que tr estant le batroient
Que jusques à un an les costes li deudroient. (Eoi Guillaume p. 187.)
.lij. jours a laiens demeure.
Entretant le lèvent et baingnent. (E. d. 1. V. v. 4987. 8.)
As Bretons pais et trive prisent,
Entretant à Guermont tramisent. (Brut. v. 13859. 60.)
Et se vesques muert entretant^
Li rois a tôt le remanant. (Pbil. M. v. 1110. 1.)
E restore aitant chevaliers cume ocis i furent de ta privée maignee.
(Q. L. d. E. m, p. 326.)
Hysboseth dist aitant com hom de confusion. (M. s. J. p. 444.)
On a vu altr étant déclinable; mais, la plupart du temps, il
s'employait comme adverbe. (V. t. I, p. 192.)
Mais li Breton s'entrorgillerent
Et sa semonce desdaignerent,
DE l'ad^t:rbe. 327
Por ce q'altre si franc estoient
Et altretant ou plus avoient. (Brut. v. 9107 - 10.)
En tôt li mond n'a altretant
De si fort gent ne si vaillant
Corne vos estes asemblez. (R. d. E. v. 12585-7.)
Kemarquez enfin tant ne . . . = a quel point que.
. . . Por vostre anel que je portoie.
Jamais mère tel ne donra
A son fil: tant ne l'amera. (FI. et Bl. v. 3228-30.)
Je porterai ici l'attention sur les corrélatifs:
Qztantes fois = combien de fois.
liantes fois = tant de fois.
A savoir nos est que nos, quant la Scriture dist: Tu, Sire, juges
totes choses en paiz, tantes foiz nos enforceons de repairier à la sem-
blance de nostre faiteor, quantes foiz nos rastrendons les turbilhous
movemenz del corage desoz la vertut de mansuetudine. (M.s. J.p.513.)
Tant et quant ==- peu et beaucoup ; de toute manière , de
son mieux;
Ne tant ne quant = ni peu ni beaucoup , nullement , rien
du tout; en aucune manière.
E se il vait plain pie avant,
U pie, u pas, u tant u quant^
Aut li deables, si la prenge
Sainz cuntredit e sainz chalenge. (R. d. R. v. 5616-9.)
Las qui bien trente anz ai este
En ce reclus en povrete,
Où j'ai Dieu sei'vi tant et quant,
Onques ne me fist nul semblant
Qu'il seust que je fusse nez. (N. Fab. et G. II, 211.)
Cfr.: Et cist rois Guiteclins si est fiers et puissans,
Plus de .XXX. rois a desoz lui mescreans,
Ne poons pas à lui assambler atanquans:
Por ce m'estuet mander toz mes arriéres bans . . . (Ch. d. S. I, p. 150.)
Yar. à tant quan%, à tans quans.
Chier Sire , quels chose est li hom que tu ne tant ne quant lo preises,
ou li filz del ome ke tu ton cuer ternes à luy. (S. d. S. B. p. 547.)
Li uns est sour l'autre verses,
Chascuns se gist tous enverses;
Ne tant ne quant ne se remuent. (R. d. 1. V. v. 1942-4.)
Entr'iaus s'assist, fist biel samblant,
Ne s'esmaia ne tant ne quant. (R. d. S. S. v. 754. 5.)
Bien ot Deu à garant.
Conques mal ne li firent ou cors ne tant ne qant. (Ch. d. S. I, p. 123.)
Pour éviter des répétitions, je citerai ici les corrélatifs
conjonctionnels qv>ant plus — tant plus = plus — plus.
328 DE l'advekbe.
Et quant je plus sui loinz de sa contrée,
Tant est ses cuers plus près de ma pensée. (R. d.C. d.C.)
Ces corrélatifs s'exprimaient encore des diverses manières
suivantes :
Car de tant cum il est or plus legiers, de tant serat il ci après
plus gries. (S. d. S. B. p. 549.)
Corn plus ot de mal, plus fu liez. (De l'Ermite qui s'enivra.)
Quar corn plus dure et plus s'esgaie. (Pyramus et Tisbé.)
Et qu'il plus torne , plus s'enlace. (R. d. Ren. I, v. 5087.)
Quant plus l'esgardent , plus lur plest. (R. d. 1. M. v. 2335.)
Quant plus la connoissent , plus l'aiment. (Ib. v. 2441.)
Tandû.
Tandis dérivé de tamdiu^ s'employait adverbialement pour
pendant ce temps. Les exemples suivants prouveront qu'on a
confondu quelquefois dis, venant de diu, où le s est additif,
avec dis signifiant jow , et pris tan pour le pronom tant.
Ses mires fist li rois venii-
Pour lui et li lupart garir.
Trives requist Renart tandis
Viers le roi sans plus quinse dis.
Volontiers li rois li donna.
Tandis Renars se rehourda .... (R. d. Ren. lY, p. 271.)
Et vos pores veoir tans dis
Et son gent cors et son cler vis. (P. d. B. v. 6855. 6.)
En Engleterre erent tanz dis
Li dui seneschal que jo vus dis,
Que li bons reis laissie i out,
Kar en genz plus ne se fiout. (Ben. v. 38187 - 90.)
Cfr. : Oit jorz les tint li dux assis ;
Assauz i out entre tans dis
Pesmes, grejos e dui'S e fiers
Des geudes e des esquiers. (Ben. v. 37703-6.)
et la conjonction:
Tanz dis qu^en cui'e e en penser
Esteit li dux de mer passer. (Ib. v. 36866. 7.)
Tos j'ors — tos dis — tos tans.
(Pour les variantes voy. tout t. I, p. 195.)
Tos jors^ tos dis signifiaient toujours; le premier seul nous
est resté. Tos tans voulait proprement dire en tout temps, et,
par extension, toujours.
Car c'est li drois nous del vilain,
Qu'il soit tos jors de bone main
Vers celui de cui a peor
Tant que de mal faire ait laisser. (P. d. B. v. 2661-4.)
DE L ADVERBE.
329
Tu iez suers, espouze et amie
Au roi qui toz jors fu et ère. (Ruteb. II, p. 9.)
Si prierat tu:2 jurz por noz peccez. (Cii. d. R. p. 73.)
E tis nums seit magnified tuz dis, que l'um die que li Sire des
oz , li Sires puissanz , est Deu sur Israël. (Q. L. d. E. Il, p. 145. 6.)
Caries mi sire nus est guarant tuz dis. (Ck. d. E. p. 49.)
Ne ja à son vivant ne lor sera requis
Auti'ement que lor père le servirent toz dis. (Ch. d. S.I,p. 74.)
Li vergiers est tos tcms floris. (FI. et Bl. v. 2021.)
Com Diex nostre sires fera,
Qui toz tens fu, iert et sera. (Chast. XXV. v. 52. 3.)
Car il l'avoit tos tans amee
Et ele li fu creantee. (Brut. v. 57. 8.)
Par totens doblent li félon encontre eaz mimes. (M. s. J. p. 509.)
Tuz tens. (Ch. d. R. p. 72.) i
I>el tût en tôt.
Bel tût en tôt signifiait tout à fait; suivi d'une négation, il
avait le sens de pas du tout., nullement.
Que moi et tôt le mien metroi
Du tôt en tôt en ton esgart. (Een. I, p. 194.)
Dans rois, fait il, foi que vous doi.
Bel tôt en tôt pas nel otroi. (El. et Bl. v. 2761. 2.)
Tost.
L'origine de cet adverbe, notre tôt^ est fort douteuse. On
l'a fait venir du kymri tost^ qui signifie prompt., vif; du grec
^oôç; du latin cito^ subito j adesto, tostus] du v. h. -ail. tursticlîho.
M. Diez (II, 392) enfin propose tot-cito^ en rappelant tout- à -
Vheure^ tout- à -coup. Le participe tostus est celle de toutes ces
étymologies qui me paraît la plus probable (cfr. plus haut chalt
pas)^ quoique la signification de tôt cito convienne aussi fort
bien; mais tôt cito présente des dificultés pour la forme. Tost
signifiait vite, promptement.
Grant aleure e tost s'en vait.
Mais neporquant mult crent agait.
La planche vont mult tost passer,
Qu'aillors ne poeit tant doter. (Ben. v. 25552-5.)
Tost mue tens, tost mue afaire. (Ib. v. 17822.)
Tost orent .j. grant cerf trove,
Tost l'orent pris et descopie. (L. d. M. p. 46.)
S' on ne met au retenir cure,
Tost est aie, che m'est avis.
Chou c'en a en lonc tans aquis. (R. d. M. p. 20.)
Dans la seconde moitié du XIII* siècle, on trouve la va-
riante tos:
Se li rois l'ot, tos iert venus. (Phil. M- v. 7493,)
330
Tantost signifiait aussitôt ^ au pîustot^ proniptement. (Voy. la
Conjonction.)
Onques puis n'eûmes voisin
Qui od nous guerre ne prensist
Et qui tantost ne nous venquist. (Brut. v. 6502-4.)
Ne confondez pas ce tantost avec tant tost = si vite, si
promptement
E li reis enquist clialt pas pur quei tant tost fussent repaired.
(Q. L. d. E. in, p. 345.) '
Tempre.
Tempre dérive de temperi. Temperius^ dit Du Cange, pro
temporius , ciii opponitur serius. Tempre signifiait de bonne heure,
du matin, promptement.
Al matin tempre al ajoui'ner
Se vot li chastelains lever. (R. d. C. d. C. v. 813. 4.)
Lendemain bien tempre au matin
S'apresta et mist au chemin. (Ib. v. 2769. 70.)
Ne pense à el tempre ne tart. (Ib. v. 3744.)
Car le servise Deu tempre u tart n'obliad. (Th. Cantb. p. 30, v. 24.)
De là temprement = promptement , en diligence.
Et puis li dist: Dame, sachies
Que temprement sera heties,
Et que il vous venra voir. (R. d. C. d. C. v. 2919-21.)
Rom. d. Renart. t. IV, p. 24.
Trop.
La racine immédiate de cet adverbe est le substantif de la
basse latinité troppus = grex (v. Du Cange s. e. v.) Quelle est
l'origine de troppus? Les uns voient dans troppus l'allemand
trupp; mais on ne peut guère admettre cette dérivation, car
jusqu'ici on n'a pas su expliquer exactement l'origine de trupp
par les idiomes germaniques. Les autres ont eu recours au cel-
tique, et, selon eux, troppus et ses dérivés romans (en fi-an-
çais: trope; tropel aujourd'hui troupeau^ d'où atropeler^ trop)^
ainsi que les formes correspondantes des idiomes allemands
dérivent de cette source. Le seul mot celtique auquel troppus
pourrait se ratacher avec quelque vraisemblance est torf^ torv^
qui, en effet, signifie troupe. Cependant la forme torf^ torv^
ne se rapproche pas plus de troppus que le latin ttirha^ qu'on
a proposé depuis longtemps comme racine du mot litigieux.
Pour moi, j'admets la dérivation de turla. On sait que plu-
sieurs peuplades allemandes ne pouvaient pas distinguer le l
du p (c'est encore aujourd'hui le cas) et elles auront prononcé
ttirpa au lieu de turha. Puis, par le rapprochement du /• à la
331
consonne initiale, turpa devint trupa^ et finalement truppus^
tro'ppus. Yoilà comme je m'explique le changement de turla en
troppus. Quant à la différence du genre, il y a des analogies qui
prouvent , au moins, qu'une pareille transformation est possible.
Peut-être m'objectera - 1 - on la futilité de la cause pour un
si grand changement. Je la reconnais; mais on doit avouer
aussi que des causes plus futiles encore ont produit de bien
plus grands effets dans les langues.
Quoi qu'il en soit, trop signifia d'abord leaucowp^ en parlant
des choses qui se peuvent compter; puis il passa à la signi-
fication de beaucoup = lien , fort , très , extrêmement ; et enfin il
prit le sens qu'il conserve encore.
Et ce fait il à trop de gent
Senz prendre salaire n'argent. (Th. F. M. A. p. 297.)
Jou sai bien
Que vous l'amiez sor toute rien,
Et il trop vous, comme celui
Ki cuer et cors ot mis en lui. (Phil. M. v. 26721 - 4.)
Jenz fu e fort, large e plenier
E trop resembla chevalier. (Ben. v. 19194. 5.)
Sire , Hsies souvent ce livre , car ce sont trop bones paroles. (Join-
ville p. 97.)
Robins n'est pas de tel manière.
En lui a trop plus de déduit. (Th. F. M. A. p. 104.)
Li chastelains tr(yp mieux amast
Que de deus jours ne fust souper. (R. d. C. d.C. v. 230. 1.)
Il est trop mieulx tailliez de servir .i. bouvier
Qu'il ne soit de veoir jouster ne tournoier.
(XIV^ siècle. Bertr. d. Guesclin. v. 350. 1.)
Plus sui de vos courecies et ires
Que de mon mal dont je ai trop ases. (Romv. p. 203.)
Trop sunt fort gent, trop sunt sachant,
Trop sevent d'armes li Normant. (Ben. v. 19318. 9.)
Vïas — vealsj veaus^ vials^ viaus^ max.
M. d'Orelli regarde ces formes comme identiques et il les
dérive du latin vimx; M. Diez (II, 392. 412) les distingue, sans
pouvoir retrouver l'origine de viaus^ qu'il traduit par igitur ; moi
enfin, j'ai rangé veals^ veaus parmi les formes de vouloir (t. H,
p. 83. 4. 7). Erreur de tous côtés.
Vias dérive de mvax et signifiait vite ^ promptement^ sur-le-
champ , à V instant même.
Veals^ veaus ^ viaus ^ viax^ etc. sont des dérivés du'!latin vel
dans sa signification de meme^ aussi ^ et le s final est parago-
gique. Veals ne répond pas à V igitur latin, mais à saltem; il
332 DE l'ada'erbe.
signifiait au moins ^ du tuoïns. On préposait souvent si à ces
formes, de la siveaïs^ siveaus^ etc., si au moins, si seulement.
La rencontre de la forme primitive veh , dans la chanson de
saint Alexis , m'a mis sur la voie des erreurs que je viens de
relever. Néanmoins, si l'on considère la ressemblance des
formes dialectales de vouloir et de veïs , au XIIP siècle , on est
tenté de croire que l'on a fini par les confondre en partie. Quoi
qu'il en soit, les formes veals^ veaus doivent être retranchées du
nombre de celles de" vouloir^ et les exemples 7. 8, 14, 15, 16
de la page 85, et 1*^'" de la page 86 du t. Il, trouvent ici leur
place.
Une dernière remarque qui prouve encore la différence
d'origine des formes vias, viaus, c'est que vins est d'ordinaire
dissyllabe et viaus monosyllabe.
Or tost, fait il, Max nies, adobez vos vias. (Ch. d.S.I,p.l78.)
Or en voies! viaz! viaz! (Ben. t. 3, p. 521.)
Mal del eure que je fui née.
Quant ne moru iluec vias
Qu'il me tenist veaus en ses bras ! (P. d. B. v. 6986. 8.)
S'en sordroit vias maus esplois. (Ib. v. 7184.)
Mais Deus m'en face aucun reles,
Et doinst veaus une carite
De baisier et d'estre acole. (Ib. v. 7582 - 4.)
Mes se Diex fust assez cortois,
Tant m'eust viaus preste s'aïue. (Fabl. et C. I, 144.)
NEGATION.
La négation primitive non, dérivée de wo?^, qui aujourd'hui
ne sert plus que comme négation d'une particule on d'un nom,
s'employait aussi, dans l'ancienne langue, avec les verbes, mais
seulement quand ces verbes complétaient la réponse négative. En
pareille occasion, le verbe était d'ordinaire faire ^ mis pour un
autre verbe qu'on ne voulait pas répéter. Partout ailleiu-s , on
se servait déjà de ne {n'J ; les Serments, la cantilène sur S**" Eu-
lalie font seuls exception, ils ont dans tous les cas la négation
pleine non'^.
Ce ne , qui tient la place du non et du nec latin , est assez
difficile à dériver. Devant les voyelles , on verra plus bas nen
pour ne et ni. Nen = non a-t-il précédé partout ne; en d'autres
termes non a-t-il, comme le pronom personnel, éprouvé le chan-
gement de 0 en e, et ne7i == ni dérive- 1- il de nec? Je ne sau-
rais décider cette question.
(1) Le Fragment de Valenciennes emploie ne.
T)E l'adyebbe. 333
Remarque. La plupart des éditeurs écrivent à tort 'n'en ou ne
n' pour nen. L'on trouvera, dans les citations de cet ouvrage,
quelques erreurs pareilles qui me sont échappées lors de la cor-
rection; le lecteur voudra bien les rectifier.
Au lieu de non., ne., on ti'ouve nu, no dans les réponses ou
avec le verbe /««W. Ce nu est une syncope normande de nun,
et no, d'ordinaire, une forme dialectale mélangée poiu* nu. Je
dis d'ordinaire , parce que no se rencontre quelquefois dans les
dialectes qui ne connaissent que non. Il ne faut pas confondre
le nu == nun avec la forme contracte nu = ne lu (t. I, p. 135) ^
Toutes les langues cherchent à renforcer la négation , et cela
se fait de deux manières : 1 ^ on redouble la négation ^ ; 2 ^ on
réunit la négation avec une expression positive , qui quelquefois
tombe peu à peu au rang de simple adverbe et ne prend plus
l'article. Ces expressions positives étaient fort nombreuses dans
l'ancienne langue; elles donnaient à la rime une grande variété
et rendaient souvent l'idée très - pittoresque. Je n'essaierai pas
d'énumérer ici ces expressions , mais je ferai observer que quel-
ques-unes paraissent avoir été employées de préférence dans
telle ou telle province, que d'autres ont eu cours seulement
durant une certaine époque, sans que toutefois il soit possible
de fixer des bornes à cet égard.
Les expressions positives servant à renforcer la négation,
dont je m'occuperai ici, sont les suivantes:
1^ Pas, dérivé de passus, désigne une très -petite mesure,
quantité, etc. On employa ^«« si fréquemment, qu'il perdit peu
à peu toute sa valeur; il ne sert plus que de complément à la
négation , de sorte que ne pas représente la négation pleine , le
non latin. Pas n'a par lui-même aucune signification, cependant
les anciens auteurs, ceux du XYF siècle et leiu-s successeurs
immédiats du XVir, se servent de pas sans ne dans la phrase
interrogative. Au XIII^ siècle, pas avait la variante païs dans
tout l'est du dialecte bom-guignon et en Bourgogne même.
2 ^ Foi/d est dérivé de punctum. Comparé à pas , il exprime
une négation absolue. Comme pas^ on le trouve employé
sans ne.
3^ Mïes^ mie^ dérivé de mica: miette, a la même valeur que
(1) J'ai cité là , par erreur , un exemple tiré des Q. L. d. R. , où nu est négation et
non pas forme contracte pour ne lu.
(2) Nos grammaires latines posent en règle que deux négations dans la même phrase
forment une affirmation. Mais comme il y a un grand nombre d'exemples où les deux
négations se renforcent , on a eu recours au grec et à différents moyens spécieux pour
eipliqiier ces prétendues exceptions. Si l'on avait censulté l'usage delà langue popu-
laire, on n'aurait pas eu besoin de se donner tant de peine en pure perte.
334 DE l'adverbe.
pas, avec la négation; il dit plus que ne, mais du reste il
équivaut au latin non. Quelques ouvrages emploient de préfé-
rence mies à pas , p. ex. la traduction des S. d. S. B. Mie est au-
jourd'hui familier et l'on ne s'en sert guère que dans quelques
expressions consacrées.
4^ JSfeant (de nec ou ne ens), avec les variantes weiatw^, nient^
naienZj neiant^ noiant, noians^ neent^ nent^ signifiait rien f quelque
chose) ^ néant. Néant renforçait la négation de manière à don-
ner à peu près le sens de notre nullement. J'indiquerai plus
bas les autres emplois de ce mot.
5^ Rien, dérivé de res., joint à la négation, s'employait dans
le même sens que neant^.
6^ Goutte^ du latin gutta, se rencontre beaucoup plus sou-
vent dans l'ancienne langue que dans la moderne.
7^ Gens, giens = point. Cette particule exclusivement attri-
buée au provençal {gens^ ges, aujourd'hui ges, gis) et au catalan,
se trouve aussi dans la langue d'oïl. On a dérivé gens du gé-
nitif partitif gentium , qui , chez les Eomains , servait a renforcer
certains adverbes de lieu, et aussi minime, de sorte que non gens
serait l'équivalent de non gentium = vnimmQ gentium. Je préfé-
rerais dériver gens du latin genus : non gens = non genus , c'est - à-
dire pas la manière, pas l'ombre d'une chose. Toutefois cette
étymologie ne me paraît pas satisfaisante; peut-être faut -il
chercher l'origine de gens dans les idiomes celtiques.
Giezi li servanz le prophète Helyseu se purpensad , si dist : Mis sii'es
ne volt giens prendre de Naaman ; mais si veirement cume Deu vit, après
lui currai e queque seit i prendrai. (Q. L. d. E. IV, p. 364.)
Mult l'avait escrie , e nel dist giens en bas. (Th. Canteb. p. 29. v. 3.)
Au lieu de non , on avait encore nenil (variantes nenal, nanal)
qui a été expliqué ci -dessus, et naie , dérivé du vieux norois
nei^ gothique ne.
Afin d'éviter des répétitions, je m'occuperai ici de la conjonc-
tion ni. Ni, dérivé de nec^ avait les formes ne, ni dans la lan-
gue d'oïl. Les trouvères firent toujours usage de ne de préfé-
rence à ni, et ne appartient sans aucun doute au premier temps
de la formation de la langue. Il est permis de croire que ni
(1) M. J. Grimm (III, 748.) veut voir dans ne rien une combinaison due à l'influence
de l'allemand n-eo — wiht =- nicht irgend ein Ding. — Schlegel avait déjà admis,
en général, une influence germanique touchant la manière dont les langues romanes
expriment la négation. Les peuples romans ont reçu leur métliode du latin; p. ex.
nihil n'est rien que ne hilum, nemo est égal à ne homo {hemo, en ^'ieux latin) etc. etc.
On trouve souvent, même dans le latin écrit, des expressions semblables à celles-ci:
flocci pendere, pili facere, avec et sans non; et la langue du peuple était sans doute
fort riche à cet égard.
DE l'ad%t:kbe. 335
provient souvent des fautes de copistes, cependant des manu-
scrits , du reste fort corrects , portent bien clairement ni, et l'on
ne peut nier son authenticité. Ne, que l'on trouve écrit ned de-
vant une voyelle dans la cantilène sur S**' Eulalie, et nen, en
pareille position, dans des textes postérieurs , resta fort longtemps
en usage. Robert Estienne traduit encore nec par ne^ mais il
admet déjà ni devant ne^ adverbe de négation.
L'ancienne langue se servait de ne == nec^ au lieu de et dans
les phrases interrogatives, et dans les incidentes qui expriment
une idée négative, dubitative ou indéterminée. Cependant il
arrive quelquefois que ne est employé d'une manière tout à
fait positive dans les plirases incidentes, c'est-à-dire que les
auteurs l'ont confondu' avec et. Ce sont des inadvertances.
La syntaxe de la négation n'ayant jamais beaucoup varié,
je me contenterai de faire quelques remarques que les exemples
suivants éclairciront.
Ne (n') = ni demande comme aujourd'hui une seconde néga-
tion. Il est fort rare qu'on la sousentende.
Les pronoms négatifs et les adverbes avaient également
besoin de la demi -négation, bien qu'on ait des exemples de
sa suppression, surtout quant ces pronoms ou ces adverbes
sont placés avant le verbe.
Ja et mais , qui remplacent notre jamais , aine et oncques de-
mandent la demi -négation (v. ces mots). H en est de même
de fors et de si non qui ont la signification de notre que
restrictif (nisi).
La vieille langue employait ne dans les phrases principales
affirmatives , quand on ne voulait pas appuyer sur la négation ;
dans les phrases conditionnelles après si^ quant, qui.
En général, pas ayant encore, en grande partie du moins,
sa valeur primitive dans la langue d'oïl, la demi-négation suf-
fisait souvent où nous ajoutons pas. Ce ne pour ne pas s'est
même conservé jusqu'à la fin du XVr siècle. On trouve ordi-
nairement ne au lieu de ne pas dans les répliques de peu d'é-
tendue , devant les substantifs sans article , qui sont déterminés
par les propositions accessoires suivantes.
Après les verbes qui expriment l'idée de ne pouvoir s'empê-
cher ^ s'abstenir de quelque chose, après peu s'en faut, la langue
d'oïl employait ne.
Non lo stanit. (Serm.)
La polie sempre non amast lo Deo menestier. (Eln. v. 10.)
Que ferai dont? je la penrai.
Penrai! que di ge? non ferai. (R d, 1. M. v. 1547. 8.)
336
Callos li fel est vors moi parjures;
Il m'afia qu'il n'i scroit gardes:
De traïson le puis ben apeler.
Puis dist après : Non fait , par vérité. (0. d . D. v. 8929 - 32.)
Cil respondirent : non dé von ■
Quar no arcevesqui avon
Qui a son sie à Carlion. (Bioit. v. 14282-4.)
Vos m'avez oblie à dire
En quel majiiere mengier dei
Se je mainjuz devant le rei.
Bel fiz, non ai, quer en toz tens
Deiz mengier par tôt en un sons. (Chast. XXII, v. 160-4.)
Est ele bêle, beaus amis?
— Ne sai, dame, je vos plevis.
— Cornent est ce que nel saves,
Quant veue l'aves asses?
Par foi, ma dame, non ai pas. (P. d. B. v. 3889-93.)
Li evesches respundi: Nun fis. (Q. L, d. R. I, p. 11.)
Eespundi la pulcele: Nu faire, bel frère, nu faire tel sotie encuntre
lei e encuntre raisun. (Ib. II, p. 163.)
Ja Deus ne voille que mais face
Chose qu'à nul jor vos desplace 1
No ferai jeo: n'en ai corage. (Ben. v. 2953-5.)
Par foi, fait ele, no ferai. (P. d. B. v. 5997.)
Et por kai ne seroit commune à toz cristiens li jeune de Crist? Por
kai nen enseuroient li membre lor cMef ? (S. d. S. B. p. 561.)
Et nen est mies sottie, s'il en ceste digniteit se welt glorier. (Ib. p. 526.)
Ne farrat li persécutions al cristien nen (= ni) à Crist assi. (Ib. p. 555.)
Por vos rant quitte Lanbert le ben-uier,
K'il w'ait perdut nen armes, ne destrier,
Nen autre chose ke vaille un soûl denier. (G. d. Y. v. 1162-4.)
Yoy. d'autres exemples de ces nen t I, p. 46. 220. 263. 265.
272. 285. 303. 304. 334. etc. etc.
A la foiz ne il malmet l'entencion, ne il engingnet en la voie, mais
la fin de la bone oevre enlacet. (M. s. J. p. 445.)
C'est là un des rares exemples où la seconde négation est omise.
Ses tu, bons rois, por saint Niçois,
Pour coi l'en fait la feste as fols?
Naie, dist il, par saint Denis . . . (H. d. S. S. v. 2348-50.)
Dit nos qui s'en alout od lui.
— Naie, certes, unques n'i fui. (Ben. v. 28562. 3.)
Feres m'en vous lait ni anui?
Nenil, ja ne diras tel mot. (L. d'I. p. 20.)
Est ce tes fis, as le tu engenret?
sire, par sainte charité, (R. d. C. p.311,)
DE l'adverbe. 337
E portout il un esperver?
— Va! nenaî, fol, ainz ert armez. (Ben. v. 28559. 60.)
E cist qui parjurer vos fait.
Quidez por meillor vos en ait?
Nanal, qu'il ne vos crera ja mais,
N'o vos w'aura trêve ne pais,
S'aveir en poeit leu e tens. (Ib. v. 14556-60.)
Tu ne dexens mies, si cum je voi, solement en terre, mais nés
ausi en enfer, et ne mies si cum vencuz, mais ausi cum cil ki fraus
est entre les morz. (S. d. S. B. p. 525.)
Ce texte porte toujours mies^ mais la plupart écrivent sans s.
Ne vos merveillez mie se li termes est Ions, car il eo vient mult
penser à si grant chose. (Villeh. 435''.)
Ce we sai pas ne ne vei mie
S'il pensout ja félonie
Quant il le laissa en tenanoc. (Ben. v. 36644-6.)
Si ras terres d'entor sei
Qu'il n'i a home fors sol tei.
Al grant esforz qu'il pot mener,
Qui 2ms li osast contrester. (Ib. v. 20453-6.) ^
Vus n'estes J^as evesque: le sul nun en portez;
Ço que à vus apent, un sul puint ne guardez. (Th. Cant. p. 8. v. 24.5.)
Mais pur si grant pramesse n'i met un puint s'entente.
(Ib. p. 73. V. 2. cfr. p. 15. v. 2, p. 44. v. 30.)
Sire, dist il, je non ferai,
Sachois , point ne vus en dirai ... (R. d. S. S. v. 3058. 9.)
Puis me ge 2^oint fier en toi? (Ib. v. 3128.)
Mors, je t' envoi à mes amis,
JVe mie conme à anemis,
Ne conme à gent que je point hace. (V. s. 1. M. IV.)
A la fosse vont erranment.
Que il nul point n'i demorerent. (FI. et Bl. v. 987. 8.)
JVesfreiz n'ert ne point dotanz. (Ben. v. 25074.)
Mais ja d'aillors secors n'auront,
Ne quident pas que point en aient,
Mult se criement e mult s'esmaient. (Ib. v. 34426-8.)
JV'aveit règne pas longement. (Ib. v. 26660.)
Ne Ycsqui pas puis longement. (Ib. v. 32047.)
Outre le Humbre s'en passèrent.
Là où granment ^^as ne dotèrent. (Ib. v. 38971. 2.)
Car el qu'il ne pensoit disoit. (R. d. C. d. C. v. 7103.)
Ne nuls nul mandement ne tenist ne guardast
Que pape u l'arcevesque Thomas i enveiast. (Th. Cantb. p. 54.)
(1) Cet exemple et quelques uns des suivants sont destinés à montrer comment pas
et point ont passé de leur signification propre à l'usage qu'on en fait actuellement.
Burguy, Gr. do la langue d'oïl. T. IL Éd. III. 22
338
A partir de la signification primitive des mots, il y a là
trois négations de suite. Cela se retrouve souvent dans l'ancienne
langue.
Deus est si dreituriers, ne poet faire /brs dreit. (Th. Cantb. p .116. v. 7.)
Ne se puet tenir qu'il ne voie
Sa dame quant le poet veoir. (R. d. C. d. C. v. 424. 5.)
Que ja mais secors n'auront
D'ome vivant ne de vitaille.
Ne peut estre queu ne lor faille:
Si fist ele par tens assez. (Ben. v. 33857 - 60.)
. . ..E crient qu'il ne seit autre feiz essilliez. (Th. Cantb. 133. v. 29.)
Kar il ne crienstrent pas nostre Seignur, ne ne guarderent pas
ses cumandemenz ne sa lei, ne ço qu'il out cumanded as fiz Jacob,
nummeement que pour tî'eussent des deus avuiltres e que il nés
aurassent, e que ne lur sacrefiassent. (Q. L. d. E IV, p. 405.)
JV'en set que croire ne que faire. (R. d. C. d. C. v. 4247.)
De tel chose ne sai que faire. (Chast. XIV, v. 113.)
Et se me voules fianchier
Que vous envers moy pourchacier
Ne vorres riens ma déshonneur (R. d. C. d. C. v. 2249 - 51.)
Einz fu si esbloiz qu'il ne vit nule gouste , ne nulle clarté. (R. d.
S. S. d. R. p. 76.)
Dame, dist il, w'oes vous goûte? (R. d. M. v. 820.)
De tote rien qui muert et sèche
Mors mostre ke noiens est tout. (V. s. 1. M. XXIX.)
Quant sentance est donee noiansest deplusquerre. (Ruteb.I,p.l44.)
Tuz li poples i est turbez
E morz e à neient turnez. (Ben. II, v. 123. 4.)
Fuions nus en hastiwement
Se nus i demouruns noient
N'i aura ja un seul de nous
Qui SOS la coe n'en ait dous. (M. d. F. H, p. 245.)
Se nus i demouruns noient, c'est-à-dire proprement si nous
y demeurons quelque chose, si nous tardons.
Sire, fait il, por niant an parleiz. (G. d. V. v. 2206.)
Par niant signifiait en vain.
Pur neient me tiens en teu paine. (Ren. v. 11757.)
At perdut la lumière des nient veables choses. (M. s. J. p. 484.)
Et par tant ke la pense est az nient coustumeies choses ravie.
(Ib. p. 485.)
Ceo dit la lettre e U escriz
Que Noe out li velz trois fiz:
Sem, Japhet e Cham, nent plus. (Ben. I, v. 353-5.)
E! Bemier, ce dist li quens chaele,
Ne viex pas droit, s'en pren amende bêle, •
DE l'advekbë. 339
Noient por ce que je dout rien ta guère,
Mais por ice que tes amis vuel estre. (R. d. C. p. 70.)
Li sire n'a. nient en sa ten-e. (Ruteb. I, p. 72.)
Jo w'i sai noient d'altre droit. (Brut. v. 2419.)
Kar ço pensout e ço voleit
Aler en Engleterre droit,
Nent h cheval, mais tut à pe. (Trist. II, p. 90.)
De néant et de moins ^ nous avons fait néanmoins.
Que fait il an no terre? por coi i esta tant?
Qant il ne s' an avance de petit ne de grant,
^'il n'i essaut chastel ne tor ne desrubant. (Ch. d. S. I, p. 163.)
Por coi me faites ne batre ne ferir. (Romv. p. 206.)
Et si ne voit dedens (la nef) nulul
Qui la conduie ne ne maine. (R. d. 1. M. v. 1186. 7.)
Se vous outrage ne folie
Li disiies, à vilonnie
Le vous poroit on atourner. (Ib. v. 4817-9.)
Retenu fu Héraut e pris;
Mais au duc Guillaume a tramis
Por faire li saveir cel plait
Ne où li est ne cum li vait. (Ben. v. 36546-9.)
Que mal ait duc, prince ne rei
Qui laisse sa gent entor sei
Morir de faim e de mesaise .... (Ib. v. 17529-31.)
Et quant il velt ne boivre ne mengier.
Sa table met , n'a autre despensier. (0. d. D. v. 8359. 60.)
Se tu veus terre ne manoii"
.Vautre cose que puisse avoir.
Se il est en ma roiaute
Tu l'auras à ta volonté. (L. d. M. p. 45.)
Ainssi pensoit et repensoit.
Si que petit but ne menga. (R. d. C. d. C. v. 3820. 1.)
En totes les manières .... que vos lor saurez loer ne conseiller,
que il faire ne soffi.ii- puissent. (Yilleh. 435*.)
Remarquez encore la locution n avoir que faire;
Mes après i ont grant dehait,
Quer tel sorvint as napes traire,
Dont il n'i eussent que faire,
Ce fu li mariz qui revint. (Chast. IX, v. 18-21.)
De la vois w'auroit il que faire,
Car autant li vausist de braire. (R. d. S. S. v. 2041. 2.)
22
CHAPITRE yill.
DE LA PRÉPOSITION.
Les langues romanes ont abandonné plusieurs prépositions
latines, p. ex. al, cis , ex^^ ob, prae^ etc.; mais elles ont rem-
placé ces pertes en combinant entre elles diverses prépositions,
et en employant comme telles des substantifs, des adjectifs, des
participes et des adverbes.
J'ai déjà fait remarquer que plus les cas tombèrent en déca-
dence, plus les prépositions se développèrent. On en étendit
beaucoup l'emploi, et, à cet égard, les langues romanes ont
naturellement fait un grand pas sur le latin. Yoici les diffé-
rences qui méritent une attention particulière. 1^ La préposi-
tion et le nom régi par elle peuvent former une espèce d'unité,
de façon que tous deux se placent sous le même rapport de
dépendance: avee de la viande^ les pays d'outre mer. 2^ On
réunit deux prépositions poiu' désigner le rapport avec plus de
précision et rendre l'intuition aussi sensuelle que possible:
passer par devant la maison^. 3^ La préposition peut être
suivie d'un adverbe, ce qui arrive fort rarement en latin:
après demain. 4^ L'infinitif des verbes s'unit avec beaucoup de
facilité aux prépositions; l'infinitif devient alors un véritable
substantif sans perdre les propriétés du verbe. On exprime de
cette manière les rapports les plus variés des phrases. P. ex. :
Il a été renvoyé pour avoir mal parlé ; il faut réfléchir avant de
parler; il lui est ^QYOvé ju>squ'à mourir pour lui, etc. etc.^.
A.
Cette préposition représente a, ah., ad de la langue latine.
Outre cet «, les langues d'oc et d'oïl avaient ah (vaiiantes ap,
«mJ, am., aujourd'hui emh ., en provençal): ah Ludher (Serm.),
(1) Ex s'est cependant maintenu dans quelques composés: dks = de ex; desenz =
de ex ante.
(2) Cet usage existait en germe dans la langue populaire latine, p. ex. ex ante
diem.
(a) On a en latin quelques rares exemples de cet usage.
DE LA PREPOSITION. 341
ad^ devant une voyelle: ad unç spede (S*^ EulaHe), et, paral-
lèlement à ces formes, od, ot^ o (v. plus bas). M. Diez
(II 405.) suppose avec raison que ah dérive de apud^ comme
cal (cap) de caput. Eaynouard pense que ah existe encore
dans notre préposition à , en tant qu'elle signifie avec , au moyen
de. Cette supposition est juste.
Les principales significations de a étaient les suivantes : avec^
au moyen de, auprès de^ contre^ devant^ vers, envers, de, en^ dans,
par, durant, pour, à F effet de, en qualité de, comme, selon,
d'' après, sur.
Aprenneiz, dist il, à (latin a) mi, ke je suys suels et humles de
cuer. (S. d. S. B. p. 553.)
A avec cette signification principale du latin a, ah, est
assez rare.
Le col li rumpt à ses deus meins.
De ceo fist il ke trop vileins. (M. d. F. Laus. v. 115. 6.)
Cet h employé devant le nom d'un instrument qui sert à
exécuter une action, remplace l'ablatif instrumental latin.
Dune m'estuet à doel mm-ir. (M. d. F. Giig. v. 408.)
A, employé de cette façon avec un substantif abstrait, indique
les circonstances qui accompagnent une action; il répond au
latin cum.
L'escut li freint ki est ad or e à flur. (Ch. d. R. p. 53.)
Cfr.: Chandelier à branches; — l'Aurore aux doigts de rose.
Si'n vont Urrake et Persewis
A Melior od le doue ris. (P. d. B. v. 6915. 6.)
E od barnage e od richece,
Passa la mer à son seignor
Qui mult l'ama de grant amor. (Ben. v. 38494-6.)
Quant il fu venus en ae
A chevalier l'unt adoube. (M. d. F. Yw. v. 469. 70.)
Icil fu à rei coronez. (Ben. v. 26145.)
Que Lohers fu levez à rei. (Ib. v, 20125.)
Père est Deus apelez e diz
A droit, kar il a Deu à fiz. (Ib. v. 23883. 4.)
Une seror avez, à moiUier la demant. (R. d. E. v. 2319.)
Androgeus n'em pot faire el
Qui le roi sot à si cruel. (Brut. v. 4495. 6.)
A fol e à mauves s'encuse
Que ceste requeste refuse. (N. Fabl. et'C. Il, p. 188.)
n vos fait tenir à cruel
Por son forfait et non por el. (P. d. B. v. 2687. 8.)
A Renart de rien ne tenciez. (R. d. Ren. Il, p. 256.)
A cest secle ad pris congé. (Ben. t. 3. p. 496.)
4 nne voiz tuz s'escrioient. (M. d. F. H, p. 458.)
342 DE LA PKEPOSITION,
Cai' certes s'il n'est autre vie, | Entre ame à home et ame à truie
N'a donques point de différence. (V. s. 1. M. XXXIV.)
Ki se faiseit amer à tus. (M. d. F. Lanv. v. 225. 6.)
Et faii-e à tote gent hair. (P. d. B. v. 2692.)
Brichemer fu cMef de la rote,
A lui s' encline la cort tote. (R. d. Ren. 1. 1, p. 338.)
S'aime seit es cens coronee,
Qui tanz hauz faiz od son grant sens
Fist à sa vie- e à son tens. (Ben. v. 25277 - 9.)
Mes il meismes les va queri'e
A plain e à bois et à terre. (R. d. Ren. I, p. 335.)
Briens parti de sa soror
Qui por lui ert à grant paor. (Brut. v. 14733. 4.)
C'est ja mult doleros torment
Qu'à vivre à crieme e en dotance. (Ben. v. 22479. 80.)
Nous ferons à vos volontés. (R. d. S. S. v. 2399.)
E à glaive faire mûrir. (Ben. v. 22965.)
Ki à force l'en ad menée. (M. d. F. II, p. 72.)
Dieux! dist li chevaliers, à qui sui je assenez?
(B. du Guesclin v. 465.)
Por faire as bestes dévorer,
A leus, à lions u à ors. (P. d. B. v. 9452. 3.)
Antrer vuel an sa terre à mon barnage fier. (Ch. d. S. I, p. 13.)
A .X. mile homes est en no terre entrez. (R. d. C. p. 79.)
Jo t'en muverai un si grant contraire
Ki durerat à trestut ton edage. (Ch. d. R. p. 12.)
Rendirent tôt par estoveir
E cors e vies à avoir. (Ben. v. 27772. 3.)
Or de rechef sunt repairrie
A destruire le remanant. (Ib. I, v. 1936. 7.)
Or poez savoir que mult de cels del ost alerent à veoir Constanti-
nople. (Villeh. 455».)
Ainsi que s'ils estoient nés seulement à boire et à manger. (Al.
Chaitier p. 316.)
A la terre entre deus eschames
S'asiet sa qeue entre ses james. (R. d. Ren. H, p. 12.)
M escu estroer, al eaume pecoier,
A derompre les ners et à la char tranchier,
Porrez apercevoir com faiz sui chevalier. (Cîh. d. S. H, p. 172.)
Remarquez les locutions: a Dieu soyez c'est-à-dire Dieu soit
avec vov^ — à Bieu congie c'est-à-dire à la garde de Dieu.
A Dieu soyez, je m'en revois. (N. F. et C. H, 349.)
Par eUipse on a dit à Dieu, d'où nous avons composé notre
substantif adieu.
Or tost, fait il, à Dieu congie. (M. d. F. Ep. v. 218.)
DE LA PRÉPOSITION. 343
Cfr. : Si on la luy vouloit bailler à femme. (Amyot. Hom. ill. Cimon.)
Quand il (Sylla) dit qu'il estoit mieulx né à la fortune qu'à la
guerre, il semble qu'il . .*. . (Ib. ead. Sylla.)
Nous sommes nayz à quester la vérité. (Montaigne III, 8.)
Les empereurs tiroient excuse à la superstition de leurs jeux et
montres publiques , de ce que leur auctorite despendoit aulcunement . . .
de la volonté du peuple romain. (Ib. III, 6.)
Comme elle (la nature) nous a fourny des pieds à marcher, aussi
a eUe de prudence, à nous guider en la vie. (Ib. m, 13.)
C&tte antipatie que j'ai à leur art (des médecins) m'est héréditaire.
(Ib. n, 37.)
J'escris mon livre à peu d'hommes et à peu d'années. (Ib. m, 9.)
C'est tousjours gaing de changer un mauvais estât, à un estât
incertain. (Ib. m, 9.)
Qui ne vit aulcunement à aultruy , ne vit gueres à soy. (Ib. III, 10.)
Ce qu'on me veult proposer, il fault que ce soit à parcelles. (Ib.
n, 17.)
Se laisse gouverner au plus sage. (Amyot. Hom. iU. Comp. de
Pericles avec Fabius Maximus.)
Od, ot^ 0.
J'ai cité plus haut, en passant, la forme od^ avec les
variantes ot^ o, parallèle à dh^ ad. Od a la même origine que
ah, c'est-à-dire qu'il dérive de apud; le d n'est dû qu'au
souvenir du d de la forme latine, comme le prouve la variante
ob pour ah dans la Yie de saint Léger (str. XXY. v. 2.). Cfr.
t. 1, p. 49. 1. 29.) La signification principale de od était avec.
Sire, grant marement ai oud pur amur nostre Seignur de ço que
li fiz Israël unt enfrainte la cuvenance que il ourent fermée od lui.
(Q. L. d. E. in, p. 321.)
Si fait à savoir que li ancien enfooient lur morz od lur richeces.
(M. s. J. p. 468.)
n dit: Ma dame, od moi venes. (R. d. M. p. 36.)
Là ù ma terre est plus demeine
Seez em paiz e od amor. (Ben. Il, v. 1828. 9.)
Rolland e Oliver en ad ot sei amenez. (Charl. p. 3.)
Q'autrement ne voloient o le roi demorer. (Ch. d. S. II, p. 95.)
Un escuier o lui avoit
Ki son bercerie portoit. (L. d. M. p. 48.)
La forme suivante n'est sans doute que eue (ove), dont Ve
a été omis. (Voy. avec.) Cependant ce peut être aussi un
assourdissement de la forme o.
Autres ou li, ne sai quanz
Countes e barouns vaillaunz
I alerent. (Ben. t. 3. p. 620. c. 2.)
Od signifiait quelquefois à.
344 DE LA PRÉPOSITIOI^.
Une kievre vuleit aler
Là ù pasture pust truver;
Ses chevrax apela od li,
Si lur preia et deffendi (M. d. F. H, 365.)
Atot^ atout, atut.
A signifiant auc^ se joignait son vent avec tot^ qui perdit
sa variabilité. Atot avait la même signification que la préposition
simple. Cette combinaison n'est pas des premiers temps de la
langue ; elle paraît avoir pris naissance vers le second quart
du Xni^ siècle. Le texte de Villehardouin, p. ex ne fait pas
encore un composé de à = avec et de tôt ; tôt est toujours ici
le pronom indéterminé et variable.
L'empereres Morchuflex oï dire les novelles que cil estoient issus
del ost, et partit par nuit de Constantinople à grant partie de sa gent,
et lors se mist en un agait où cil dévoient revenir; et les vit passer
à tûtes lor proies et à toz lor gaains. (Villeh. 458*.)
Chevax de garde li a .xxx. dones,
Et convoier atot mil turs armes,
Et il meismes le convoia asses. (E. d. C. p. 314.)
Fu il ço qu'orains me tendi
Sa lance atot le gonfanon. (P. d. B. v. 8590. 1.)
Premier ne demandèrent c'un pou de repostaille,
Atout .i. pou d'estrain ou de chaume ou de paille. (Euteb.I,p. 176.)
Atotj qui eut sa grande vogue dans le XIY^ et le XY*
siècles, était encore d'un fréquent usage au XYI^.
Et neantmoins ne s'osoit atout cela présenter à la bataille. (Amyot.
Hom. ill. Pompeius.)
Eegardez pourquoy celuy là s'en va courre fortune de son bonneur
et de sa vie atout son espee et son poignard. (Montaigne. III, 10.)
Un manoeuvre des miens, atout ses mains et ses pieds, attira sur
soy la terre en mourant. (Ib. III, 12.)
Atout laquelle ... (Ib. II. 12.)
Avec.
Cette préposition est un composé de la préposition romane
ahj dont j'ai parlé ci -dessus, et du latin hoe. (Cfr. semiec = sme
boc: sans cela; <poruec = ^ra hoc: 'pour cela^ donc?). Avec avait
les variantes: avoc, avoques., avoec^ avocques, avoech, avuec,
avueques, aveue, ove (oue), ovoc, ovoques^ ovoec, auveques (auvec-
ques), auvec.^ oveque., awech.^ avec, aveques, uoc. Les formes en
0 initial dérivent de od , o.
Avec s'employait quelquefois adverbialement, et il signifiait
alors outre ceîu, de même.
Adont fait aporter le fruit
Li estes Baires por déduit.
DE LA PRÉPOSITION^. 345
Puns de grenat, figes et poires;
Et avoec fu moult boins li boires. (FI. et Bl. v. 1685-8.)
Rois sui d'Espangne, si en aras ton don,
Et Gloriande avoques te donrons. (0. d. D. v. 1931. 2.)
Avoee s'en mesla jalousie.
Désespérance et derverie. (Romv. p. 323.)
Yoici des exemples des différentes formes de avec^ préposition.
Vos estes mort et vostre vie est avoc Crist repunse en Deu. (M. s.
J. p. 468.)
Li empereres commanda à quarante chevaliers qu'il fuissent aparille
pour aler avoeqiies lui , et bien autres soixante qui entrèrent avoec tous
les quarante maugre tous ciaus qui les portes gardoient. (H d. V. 503 *.)
Vous ires avuec mon maistre. (R. d.M. d'A. p. 3.)
Li Elamenc vienent aveuc li. (R. d. C. d. C. v. 683.)
Sun bastun porta avuec soi. (St. N. v. 759.)
Et en tiesmongnage de chou ay ge pendut men saiiel à ces pré-
sentes lettres avoech le saiiel mon chier segneur. (1277. Charte de Tour-
nay. Phil. M. Intr. CCCX.)
Tut issi cume Deu ad este ove tei, mun seignur, si seit il od
Salomun. (Q. L. d. R. IH, p. 224.)
Ove li ad auques demore. (Ben. t. 3. p. 620.)
Li reis vait cunseillier oue sa barunie. (Ib. t. 3. p. 542.)
Ovoc Tristran en cel endroit. (Trist. I, p. 31.)
Tient se il ovoc mei ? vait nus il guerreiant. (Ben. t. 3. p. 591 .)
E, tant come nous serons en nostre pèlerinage ovoqes le roy do
France, nous li obeierons en bone foi. (1269. Rym. I, 2. p. 113.)
Oveque la gent k'il meneit. (R. d. R. v. 9023.)
Car saint Thomas aveit ilueches ovoec sei. (Th.Cantb. p. 113. v. 2.)
.X. chevaliers a auvec lui menez. (R. d. C. p. 51.)
Auveques lui est .i. vasals montez. (Ib. p. 171.)
A Loon est auvecques ses amis. (Ib. p. 324.)
Et demeura aveques aus. (R. d. S. G. v. 54.)
Awech mon chier signeur. (1289. J. v. H. p. 495.)
Vait s'en li reis AViUame uoc son grant barnage. (Ben. t. 3. p. 556.)
Cette dernière forme n'est sans doute qu'une aphérèse de ovoc.
Avec signifiait quelquefois ehe%.
Vostre merchi, cel huis ouvres,
Et avoec vous me recheves. (R. d. S. S. v. 2199. 200.)
Anz^ ansj ain%^ ains^ em%, eins., en%.
Cette préposition dérive du latin ante et signifiait avant. (Cfr.
l'adverbe.)
Ainz un an trespasse. (R. d. R. v. 3263.)
Et vait bien ains jors al mostier. (P. d. B. v. 7994.)
Tant l'unt sa gent bien secoru
Qu'ému midi fu le champ vencu. (Ben. II, v. 2263. 4.)
Enz l'anuitant furent tuit enz. (Ib. v. 37030.)
346 DE LA PllÉPOSITION.
A la fin du XIII*" siècle, aiigoù se trouve aussi employé
quelquefois comme préposition.
Du même mot ante joint à ab, on forma avant (ab ante) ;
puis on préposa de à ce dernier, d'où davant^ plus tard devant.
Devant et avant s'employèrent longtemps indifféremment.
Bossuet dit encore devant le déluge (Hist. univ. S'' part.); Pascal,
devant ce temps (Sur l'amour).
Lieu de avant dist. , (Frag. de Yalenc. 37. v°.)
Ne mies solement davant Dieu, mais nés assi davant les homes
(S. d. S. B. p. Eoquefort s. v.)
Si tu demandes ce k'est qu'il aportat, il aportat davant totes les
altres choses la miséricorde. (S. d. S. B. p. 538.)
E pis que nuls ki devant lui oust ested devers nostre Seignur
uverad. (Q. L. d R ni, p. 309.)
A la foiz gettet devant noz oez l'ymagene de discrétion et si per-
mainet à laz d'indiscrétion. (M. s. J. p. 454.)
De ce dist bien davant nos uns sages hom. ( Ib. p. 514.)
Tôt dreit à lui tienent la veie:
Senz nul autre porloignement
Sunt davant lui en un moment. (Ben. v. 25697-9.)
Le fis ardoir devant le jour. (E d. 1. M. v. 937.)
Devant avait quelquefois la signification du latin prae.
Mais par tant k'ele amoit une femme sainte nonain en cel meisme
monstier devant les altres. (S. Grég. Eoquefort. s. e. v.)
Remarquez la forme dedavant^ dedevant. Cette composition,
quoique tout à fait semblable à notre dedans (voy. ens) n'a jamais
été d'un fréquent emploi.
Les plus hauz primes dAlemaigne
E les meillors de sa compaigne
A fait dedavant sei venir. (Ben. v. 19286-70.)
Dedevant lui sa muiller Bramimunde
Pluret e criet, mult forment se doluset.
(Ch. d. E. p. 100; cfr. p. 85. 126.)
Contre — vers.
Contre dérive du latin contra; vers, de versus. — Contre
signifiait contre (souvent pour le temps), vers, vis-à-vis, en com-
paraison de, à la rencontre, au-devant. Encontre (en -contre),
composé de contre , s'employait dans le même sens que le simple.
Contre et encontre se disaient également des intentions , des des-
seins pacifiques et hostiles. Vers n'avait pas la signification que
nous lui donnons aujourd'hui, on s'en servait pour envers et
contre. Ainsi vers signifiait vers, envers , contre , en comparaison de,
et le composé envers (en -vers) avait le sens de vers.^ envers
DE LA PREPOSITION. 347
contre^ du côté de^ auprès, en comparaison de. Vers avait encore
les composés: avers (a-versj en comparaison de, à côte de;
devers (de -ver s); vers, devers, du côte de, envers. Devers se
joignait souvent à la préposition par: par devers^ encore usité
aujourd'hui en style de pratique: par devers le juge, et dans la
locution: par devers soi. Quant à l'orthographe ver^ qu'on trouve
quelquefois, c'est sans doute une faute des copistes.
Yseut s'est contre lui levée. (Trist. I, 151.)
Li emperere le vit, si est encuntre lui levet. (Charl.p. 6.)
Boin est, fait il, que nous alons
A Beruic contre le roy. (E. d. 1. M. v. 4098. 9.)
Droit à Lyons qui soi le Eosne sist
Vint l'apostoiles contre Charlon son fil. (G. 1. L. I, p. 3.)
Quant el l'oï, mut en fu lie;
Cuntre lui s'est apareillie. (M. d. F. Elid. v. 957. 8.)
Là nos atendent li ange en chantant
Contre vos âmes vont grant joie menant. (Agol.p. 185. c. 2.)
Contre le doue tans de mai. (Romv. p. 285.)
Ancontre le tens novel. (W. A. L. p. 74.)
AUer contre raison, (t. Il, p. 107. 1. 19.)
Nous warderons les devantdis cytains, de force, encontre l'eveske
et les dites eglyses de Liège, et encontre leur aiies, ki les aideront
encontre les dis citains, ens es cas dexeui*dis. (1286. J. v. H. p. 442.)
Encontre la pasche est venuz. (M. d. T. Il, p. 420.)
L'uns point ancontre l'autre par granz enemistiez. Ch. d. S.n,p. 139)
SebUe la roïne, qi tant ot de biaute,
Ancontre le roi vient jusq'au maistre degré (Ib. Il, p. 154.)
n est avis à lor paroles que, si vos ne faisiez ce qu'il vos man-
dent, que il seroient encontre vos. (Villeh. 468*.)
Et H baron et les autres genz alerent encontre lui, et le reçurent
à grant honor come lor seignor. (Ib. ead.)
Wencontre lui ne parleront. (L. d. M. p. 44.)
Jamais n'ert hume ki encuntre lui vaille. (Ch. d.R.p. 15.)
Si hom pèche vers altre, à Deu se purrad accorder, e s'il pèche
vers Deu, ki purrad pur lui preier? (Q. L. d. R. I, p. 8. 9.)
Droit ver Jehan retorne maintenant. (R. d. C. p. 108.)
(Plaie) Vers qui ne puet herbe ne jus. (Fab. et C. lY, 327.)
Plus avez nostre honor volue
E vers tote gent défendue
Que nus que seit, ce sai je bien. (Ben. et 20575-7.)
E mult out vers Deu grant amor
E vers toz ceus qui al servise
S'erent donez de saint iglise. (Ib. v. 29894-6.)
Vers le conte sunt mult mari. (Ib. 29952.)
Charles fu engres vers lui. (Ib. 41901.)
348 DE LA mÉPOSITIOÎ^.
Dame, pour Dieu, ne soiez mie contre mon droit, car donques
feriez vous grant desloiaute vers moi et vers vous. (H. d. V. 503''.)
Li quens Estases se parti
De Douve, et moult s'en aati
Viers le roi, et moult iries fu. (Phil. M. v. 17680-2.)
Et dit que clerc ne sevent mie
Vers chevaliers un tôt seul as. (Fabl. et C. IV, 361.)
Yoy. t. II, p. 63. L 2.
E la dame "li demanda
Pur qu'il palloit ensi vers li. (M. d. F. Il, p. 209.)
Cfr. crier vers qqn. t. I, p. 89, 1. 30.
Quel grâce averoit il envers son signer? (S. d. S. B. p. 557.)
Car ja, si m'ait Diex, envers vous ne ferai vilounie, si vous tout
avant ne le faites envers moi. (H. d. V. 503®.)
Cil out envers lé rei grant ire. (Ben. v. 41640.)
Ses .ij, mains jointes anvers le ciel tendi. (E.d.C.p.327.)
Envers celé part s'en ala. (L. d. M. p. 51.)
Je sui tos près ichi à deraisnier
Et de conbatre vers un suel chevalier
Menverslui (Ogier) s'il s'en ose drechier. . . ((O.d.D.v.4336-8.)
Envers s'espee ne pooit valoir arme. (Ib. v. 2962.)
Que neifs ert pale e flors de lis
Avers la soe grant blancbeor. (Ben. v. 31237. 8.)
Sis cors parut si très bien faiz
Qu'avers le suen esteient laiz
Toz cens .. . (Ib. v. 31450-2.)
Au droit n'en iert plus devers mei,
Ceu saches bien, que devers tei. (Ib. v. 25690. 1.)
Deves le vent mist l'escu en chantel. (Fierabras LVIII. c. 2.)
Ce deves pour devers est sans doute une faute du copiste ou
de lecture; ves, deves appartenaient à la langue d'oc.
Guardez amunt devers les porz d'Espaigne. (Ch. d, E. p. 44.)
Devers Ardene veeit venir .xxx. urs. (Ib. p. 99.)
On a vu plus haut dedavant^ on trouve de même dedevers.
Mil en laissent dedevers destre,
E mil e plus devers senestre. (Ben. v. 19858. 9.)
Cfr. Ib. 34345. 40103. etc.
Et se nous avons mains de gens par dévier s nous que il n'ont, nos
avons Deu par dévier s nous en la nostre aide. (H. d. Y. p. 175. 6. V.)
Jakenes Bliaus qui fu nés par devers Blaveguines. (H. d. Y. 507".)
Bes.
Cette préposition dérive de de ex et non de de ipso , comme le
disent Eaynouard, M. Diez (II, p. 494) et après lui M. d'Orelli.
Des est une composition exclusivement prépositive, et ipse ne
sert à former que des mots qui s'emploient comme adverbes.
DE LA PREPOSITION. 349
La signification primitive de dès est: à partir d'un point quel-
conque de l'espace, ce point y -compris. La langue moderne
considère la chose d'une autre façon , surtout quand dès a rap-
port au temps ; elle ne songe guère qu'au commencement de la
ligne dans l'espace ou dans le temps.
Dès avait la variante doïs à l'est du dialecte bourguignon,
^ durant la seconde moitié du XIII'' siècle.
Le chastel qui siet sui' la mer, des l'une mer jusques al autre.
(Joinville, 108.)
Tôt ce que nos et notre femme avions dois la Soune jusques à la
Jou. (1251. M. s. P. L 348.)
Je vous di deseui' ma créance
Que ceste dame des enfance . . . (Ruteb. Il, 161.)
^^ Des quant summes nus si parent? (M. d. F. H, 290.)
P- En.
Cette préposition dérivée de tn^ avait les variantes an^ am^
em (Cfr. en, pronom indéterminé).
La différence que nous établissons entre e7i et dans (voy. ci-
dessous ens) n'était pas la même dans l'ancienne langue; celle-
ci se fondait davantage sur la signification : en était l'expression
générale, dans se rapportait plus spécialement à l'intérieur d'un
objet.
Outre l'usage que nous faisons de en, on l'employait pour
indiquer l'extérieur d'une chose; et bien plus souvent qu'aujour-
d'hui , d'une manière abstraite , avec beaucoup de verbes. Dans
ce dernier cas, la signification fondamentale de repos ou de
mouvement était très -marquée, et avec l'idée de mouvement,
en désignait le but, comme la préposition à.
Les principales significations de en étaient: en, dans, à, sur,
de, en qualité de, comme, entre, parmi, par, selon, durant.
Chascuns va an sa terre et an son chasement. (Ch. d. S. I, p. 23.)
En la terre de Logres esteient
Et mut suvent la damaeeient.
En la Pentecoste en este
I aveit H reis sejume. (M. d. F. Lanv. v. 9-12.)
S'm l'an meismes n'a secours. (Ruteb. I, p. 113.)
He se puet apaier ne soit toz jorz am plor. (Ch. d. S. H, p. 169.)
Euriaut fait em prison mètre. (R. d. 1. V. v. 4123.)
Puis sunt muntez en lur curanz destrers, (Ch. d. R. p. 149.)
Puis est en un cheval montez. (Ben. v. 19199.)
En ceval monte, prist l'escu et l'espie. (0. d.D.v.8252.)
Mais c'est folie en ce doter
Que Deus vont en chascon ovrer. (Ben. v. 25426. 7 .)
Li chevaliers ad graunte
Q,u'en lui- cunseil femme prendra. (M. d. F. Fr. v. 328. 9.)
350 DE LA PREPOSITION.
Assez en a dure le plait
E li contenz e li estris
Tant qu'en tei nos en sommes mis. (Ben. v. 25731-3.)
Cfr. t. n, p. 178 mettre sm.
En lui ot nobille vassal. (R. d. C. d. C. v. 1112.)
Cet emploi de en avec avoir impersonnel est très -ordinaire.
Qui as paiens en vait en messagier. (Fierabras LVI. c. 2.)
Ne se esleezcent en mei li mien enemi. (Rayn. L. r. m, 122.)
Salve mei en la tue miséricorde. (Ib. ead. p. 121.)
Anuunciez en pueples. (Ib. ead.)
Un tel manière n'en tel guise. (R. d. Ren. II, p. 6.)
JEn rbonur de vos , nobles reis. (M. d. F. Il, p. 44.)
Rois doit estre moult dreturiers
En justice roides et fiers. (Ib. Il, p. 134.)
Or sai de voir qa'en mon vivant
Ne fis chose qui vausist tant. (R. d. Ren. III, p. 16.)
Tote s'entente e son poeir
Ert en aquerre or e argent. (Ben. v. 27829. 30.)
Endroit^ endreit.
End/roit, du latin in directum^ s'employait tantôt avec de, tan-
tôt sans de. Endroit signifiait «^^r«, vis-à-vis.^ auprès^ quant <?,
pour, à V égard de., environ, justement (du temps).
Notre substantif endroit n'est autre chose que ce mot ; il
signifie donc proprement ce qui est situé vis-à-vis ou devant
les yeux. Contrée dérive de même de contre.
Chascuns saisi de la terre endroit soi tant com li plot. (Yilleh. 464**.)
De ceo te requert e semunt
Chascuns cum père e sire e rei,
E je toz premers endreit mei. (Ben. v. 13251 - 3.)
Et chascuns androitsoi sonmautelant pardone. (Ch.d.S.I,p.78.)
Endroit de moi vous puis je dire. (Ruteb. I, p. 77.)
Androit de moi me samble que soit musarderie. (Ch. d. S. Il, 99.)
Nous gisions si à estroit qu? mes piez estoient endroit le bon
conte Perron de Bretaigne , et les siens estoient endroit le mien visage.
(Joinville. Cité p. M. d'OreUi.)
Endreit cel tens e cel termine. (Ben. v. 27125.)
Endroit le vespre uns valles vient. (P. d. B. v. 5509.)
Cfr.: Chascuns ot duel et honte pour endroit sa moillier.
(Ch. d. S. I, p. 131.)
Yariante: par endroit.
Endroit s'employait comme adverbe et signifiait directement,
en plein.
Garir se quidoit en fuiant, | Et il le fiert en ateignant ;
Nel par ataint pas endroit., mes
Porquant la quisse el plus espes,
DE LA PREPOSITION. 351
Desriers la hanche, a conseue. (P. d. B. v. 5789-93.)
Ici ou là endroit: directement^ justement ici, là.
Ici endroit gist un cors saint. (E. d. Een. I, p. 178.)
Si voil iloec endreit gésir. (R. d. E. v. 7284.)
Eoquefort a admis avec raison que, dans les combiiiaisons
de cette espèce, le mot endroit était destiné à ajouter à l'idée
d^ici, là; c'est ce que prouve le vers suivant, où illec rem-
place endroit.
Ci ilïeques en gist le cors. (E. d. Een. I, p. 178.)
Cfr. tôt droit le leu (n, 98.).
Uns, anz, enz: dans.
Ens dérive de intus. Au chapitre de l'Article (t. I, p. 55),
j'ai parlé d'une forme ens , qu'on regarde ordinairement comme
la préposition dont je m'occupe ici, et je crois avoir prouvé
par un assez grand nombre d'exemples que c'était simplement une
forme composée de l'article. Ens a été primitivement adverbe.
Car vous gires ens en mon lit. (E. d. M. d'A. p. 7.)
Guiteclins de Sessoigne descendi anz oupre. (Ch.d.S.I,p. 145.)
Le confenon de soie anz ou cors li repont. (Ih. I, p. 168.)
Jambes levées Vdbati enz ou prey. (G d. Y. v. 772.)
Ens el chemin .i. petit s'aresta. (E.d. C.p. 113.)
Preus est Ogiers et chevaliers ites,
Ens en cest mond ne seroit tes troves. (O.d.p.7573. 4.)
Qu'il iert aies ens en un bois cachier. (Ib. v. 8262.)
Cfr. issir fors, corir sur, etc.
n paraît qu'au lieu de rapporter ens à son verbe, on prit
peu à peu l'habitude de le joindre au mot suivant, et alors on
le considéra comme une préposition. Mais on n'employa pas la
forme du régime direct de l'article; on conserva celle du régime
indirect que demandait la construction primitive avec ens adverbe.
Dans cette opération, on ne s'inquiéta pas ou plutôt on ne
s'aperçut pas du pléonasme que la nouvelle préposition faisait
avec les formes composées de l'article (al = à le , el = en le, etc.).
TeUe est, je crois, l'explication de l'emploi pléonastique de ens
devant le régime indirect de l'article dans les citations suivantes.
Si asauciez la loi Deu et son non,
Vos en arois molt riche gueredon
Et les vos airmes en aront mantion
Avockes lui enz ou, ciel. (G. d. ^. v. 3048-51.)
Par sainte révélation
Conut l'occise e vit le trait
Enz el hore que ce fu fait. (Ben. v. 40858-60.)
On préposa de à an%, ans, enz, ens, d'où danz, dans, denz,
dens. Denz se joignit à son tour avec de, d'où dedanz^ eto,
352 DE LA TREPOSinON.
Bedanz se mettait souvent pour danz ; il s'employait comme
préposition et comme adverbe. Cet usage a duré fort long-
temps : Molière , La Fontaine , Pascal , Bossuet , donnent encore
un complément à dedans. Il est vrai qu'on leur a reproché cela
comme un solécisme ; mais c'est un solécisme posthume. Je ne
vois pas sur quelle autorité on se fonde pour restreindre dedans
au rôle d'adverbe. Cette remarque s'applique à <?^««w«, dessous.
Les malvaises penses ne cessent de tumoier dedenz eles les noises
des temporeiz choses , mimes cant eles oisouses sunt. (M. s. J. p. 473.)
Eissi en cel tens que vos oez,
Par tôt denz les affinitez
De Normandie ont pais entière. (Ben. v. 34234 - 6.)
Dedenz et por tôt acomplir
E defors por tôt garantier
Eissi que dedenz sa puissance. (Ib. v. 23949-51.)
Dedenz les murs s'estèrent quei. (Ib. v. 19060.)
Or ne m'en chalt que l'en me tiengne
Ver u oisel, mais que jeo viengne
Dedenz la fiente d'un cheval. (M. d. F. Il, p. 283.)
Dedans Yiane est li quens Olivier. (0. d. V. v. 397.)
Si connoist il et cuer et cors
Et par dedcns et par defors. (Ruteb. I, p. 52.)
Unsemhle.
EnsemUe , dérivé de ïn simul, s'employait comme adverbe et
comme préposition. Outre sa signification actuelle, ensemble,
adverbe, avait celle de en même temps. De ensemble, on forma
ensemblement. Ensemble^ préposition, était cependant fort sou-
vent suivi de od ou avec. La forme primitive de ce mot a été
ensemle , d'où , avec l'intercalation ordinaire du b entre m et /,
ensemble. Ensemble donna naissance à ensenle, ensanle.^ par suite
de la permutation de m en n.
Yoyez des exemples de ensemble ., adverbe, t. I, p. 88, 1. 7;
p. 190, 1. 26. etc.
Qu'ensanble li a tel mescine
Qui de biauté vaut la roïne. (M. d. F. Grael. v. 633. 4.)
Ci ai ma chambre et ma chapele
Ensanble od mei ceste pucele. (Ib. Gug. v. 355. 6.)
Ensanlle od lui dux Namles à la bai-be. (0. d.D. v. 3498.)
Y. t. L p. 192, 1. 13; p. 234, 1. 31 ; p. 400, 1. 44; t. n,
p. 3 , 1. 21. etc.
Entre .^ antre.
Inter est la racine de cette préposition , qui , outre la signi-
fication qu'elle a aujourd'hui, prenait souvent ceUe de conjointe-
ment j ensemble, h la fois.
DE LA PRÉPOSITION. 363
Molt fu la corz pleniere antre midi et none. (Ch. d. S. I, p. 78.)
Yielz-hom sui, n'ai mestier des ore de grevance;
Antre ma gent serai et an ma connoissance. (Ib. II, p. 102.)
Entre les prisons e la preie
Valurent dens cenz mile mars. (Ben. v. 22065. 6.)
Siex chenz e seisante homes, de cels k'il ont menez,
I perdi en un jor entre morz e nafrez. (E.d.E.v.4852.3.)
Le jor n'ara de pain que un quartier,
Et plain hanap entre eve et vin vies. (O.d.D.v. 9580. 1.)
Einsi furent dune trei entre els dous e le rei. (Th. Cantb. p. 113. v. 4.)
Entre lui et Gobert s'en vont.
Que plus de compagnie n'ont. (R. d. C. d. C. v. 7364. 5.)
Apres se metent ou chemin
Entre Hersent et Ysengrin. (R. d. Ren. I, p. 21.)
Entre moi et vos somes ci
Tôt sol à sol en cest repère. (Ib. ead. p. 135.)
Entor — Environ.
Yoy. les adverbes p. 290. Entor et environ s'employaient
poiir désigner des rapports de lieu et de temps. On mettait
souvent entor où nous nous servirions àJenviron.
Subitement, ce dist sainz Lus, vint antor luy li lumière de ciel.
(S. d. S. B. p. 554.)
Qant Karles ot ses homes antor lui râliez. (Ch. d.S.ÏÏ,p.l39.)
Et cil qui furent entor le marchis le sosteindrent. (Villeh. 491 ^.)
Antor son col sa chaanete. (Dol. p. 278.)
Entor un an après ces choses. (Rec. des Hist. d. France VI, 139.)
Entour vespres. (Roquefort, s. v. Atineusement.)
Pur ço David d'iloc s'en tumad od tuz ses cumpaignuns, entur sis
cenz que il i out. (Q. L. d. R. I, p. 90.)
Saisne s'arment à force parmi la praierie,
Et Baudoins sa gent anviron soi ralie. (Ch. d. S. II. p. 126.)
Environ la feste de la Purcification. (Miracles de St. Louis.)
Kemarquez qu'on disait aussi environ de:
Environ de la dite demoiselle de Boui-gogne estoit parle de
plusieurs mariages pour elle. (Comines I, 357.)
On employait d'' entour comme préposition après un substantif.
Tous ses chevaliers d'entour lui. (JoinviUe.)
Au lieu de environ^ on trouve par environ:
Et les filz de Aaron verseront son sank par enviroun del altier.
(Roquefort s. v. past.)
Estre.
Cette préposition dérivée du latin extra ^ signifiait hors,
excepte', outre ^ contre.
Burguy, Gr. de ]a langue doïl. T. IL Éd. III, 23
354 DE LA PRÉPOSITION.
E à sa quesine furent asis, chascun jur, dis bues gras de guarde
e vint M veneient de la cumune pasture, e cent multuns, estre la
veneisun de cers , e de cheverols (Q. L. d. R. HI, p. 239. 40.)
E estre ices i out treis milie e treis cenz ki maistre forent sur
l'ovre e sur les overiers. (Ib. III, p. 245.)
.Xiiij. et XX .m. homes s'an vont parmi cel raine
De riclie baronie, estre la gent vilaine. (Ch. d. S. I, p. 81.)
Trois (gardes) en a el cief d'un estage.
Estre le maistre le plus sage. (FI. et Bl. v. 1905. 6.)
Eois Sornegui- a moult grant gent,
Estre le secors qu'U atent. (P. d. B. v. 2329-30.)
A se gent par se poeste
Le fera faire estre lor gre. (Ib. v. 9013. 4.)
Fors.
Fors, dérivé de /om«, foris (D. C. s. v. foras), est la forme
primitive de notre mot hors. On trouve à ce mot les variantes :
foers^ foer, fur. Le XLŒ* siècle offre déjà des exemples de
hors.
Ja de vous fors bien ne diront. (R d. M. v. 571.) •
Et en mon lit n'a fors la paille. (Ruteb. I, p. 3.)
Que plus vos aim ke hom ke soit ne,
Fors Karlemaine, le fort roi corone. (G. d. Y. v. 3068. 9.)
Onques borne, fors vos, n'amai. (L. d. M. p. 47.)
Suz cel n'ad gent que Caries ait plus cbere,
Fors cels de France kiles règnes cunquerent. (Cb. d. R. p. 117.)
Fors était souvent suivi de la préposition de ou de que.
De trestotes lor autres bierres
Ne lor est fors de celé gaires. (Ben. v. 18985. 6.)
C'en n'i démena autre bruit
* De toumoier ne de jouster,
Fors de danser et caroUer,
Et de bien donner à mengier. (R. d. C. d. C. v. 3892-5.)
E li rois d'Angleterre ne doit ces deniers despendre fors que el
servise Deu ou del église. (1259. Rym. I, 2. p. 51.)
Si aucun ait derriers sa maison autre maison en laquelle il n'ait
entrée de rue fur que par la maison devant, il soit quitte de paier les
deniers des toises pour celé maison. (1292. M. s. P. LE, p. 559.)
Car fors que pour bien ne le fis. (R. d. C. d. C. v. 4825.)
Ne de nule autre amor joie n'atent
Fors he de]i^ ne sai ce c'iert jamais. (Ib. v. 7387. 8.)
Remarquez encore les combinaisons:
Livre l'ont a la damoisele
Por çou qu'ele estoit sage et bêle,
A norrir et à maistroier,
J^^ors seulement de alaitier. (FI. et Bl. v. 179-82.)
I
DE LA PRÉPOSITION. 355
Et d'autre part del bras saint Jorge ne tenoient fors que seulement
le cors de la cite del Espigal. (YiUeh. p. 127. 8. CL.)
Car au plus quoiement qu'il pot
Se départi de sa maison,
Fors tant qu'il dist à se garçon
Qu'il l'atendit sus l'ajourner. (R. d. C. d. C. v. 4024-7.)
Fo?^s était souvent adverbe; il signifiait hors, dehors.
Si escit foers de la civitate. (Fragm. d. Yalenc. 8.)
Fors issirent sor le gravoi. (L. d. M. p. 62.)
Cunseil pristrent que fors istreient,
E fors al plein les atendreient. (R. d. R. v. 6655. 6.)
Fors as pleins clians nos volent traire. (Ben. v. 19806.)
On préposa de à fors^ d'où defors: dehors, hors, préposition
et adverbe.
E ces de Jabes erranment à cels defors mandèrent: Le matin à
vus vendrum, e en vostre merci nus metrum. (Q. L. d. R. I, p. 37.)
Il li ensengerent un cercle en la terre defors lequel il n'osast en
uule manière lo piet forstraire. (S. Grég. v. Roquefort.)
Defors la ville se logent enz es preiz. (G.d. V. v. 3911.)
Quant il furent defors la porte. (Yilleh. 457 'K)
Li clarteiz de Deu vint entor luy par defuers, dont il ancor ne
pooit estre enlumineiz par dedenz. (S. d. S. B. p. 555.)
n sevent ke la pense , cant ele est par defors apresseie del blan-
diant ensongement, soi derivet alcune foiz volontiers az deforaines
choses. (M. s. J. p. 463.)
Un autre composé de fors était forsmis^ d'oii notre hormis.
Ne ne poons nous, ne nostre enfant aiwer celui qui encontre ceste
pais ii-oit, forsmis le evesque de Liège. (1284. J. v. H. p. 431.)
Mis est le participe de mettre (fors mettre): En est fuers
mis (1301. M. et D. i. p. 467.)
Joste., j ouste ^ juste.
Joste dérive du latin juxta; il signifiait proche de, près de.,
le long de.
TraveilHe furent et pêne
En .j. bois joste Duveline. (L. d. M. p. 54.)
Li rois a Ydel apele,
Se l'assist joste son coste. (Ib. p. 61.)
Joste les autres s'est couchiez. (Chast. XVII, v. 77.)
Tant le mainne une fausse voie
K'il vinrent à une posterne
Ki estoit jouste une cisterne. (R. d. 1. V. v. 2602-4.)
L'apostoliesl'asietjMSieluierramment. (Th.Cantb.p. 43. v. 11.)
n va son fil acoler et baisier;
Joste la face li vit le sanc raier. (R. d. C. p. 73.)
Composés: dejoste, par dejoste.
23*
366 DE LA PREPOSITION.
Aiglente fu à la fenestre
De la plus haute tour perine;
Dejouste li fu Flourentine ... (R. d. 1. V. v. 4162-4.)
En la grant ille s'en vint toz eslaisiez,
Dedans s'asist dejoste le rochier. (G. d. V. v. 1904. 5.)
Dejouste lui la fille au sor Geri. (R. d. C. p. 251.)
Les denz en la coe 11 bote,
Que il li a rompue tote,
Et par dejoste le crépon
N'i remest que le boteron. (R. d. Ren. H, p. 264.)
Au lieu de Joste, on employa plus tard le participe présent
de joindre: joignant^ joindant. L'exemple suivant montre de
quelle manière joignant en est venu à jouer le rôle de prépo-
sition.
Li cops trespasse jognant desus la teste. (0. d. D. v. 11850.)
Yoy. Roquefort Suppl. s. v. Vaussure.
Lez, les, leiz , leis — Enooste.
Lez est le substantif lez (latus): eôté^ flanc (d. d. Y. v. 163.
Ben. V. 22251 etc.), qu'on employa comme préposition, pour dire
à coté , près de^ auprès de.
L'ancienne langue avait une composition avec le mot caste
(costa), dont la signification était la même: encoste.
Or fu Geris lez l'oriere del bos. (R. d. C. p. 132.)
Les lui fu li dus Naymes, qi molt ot le cuer fin. (Ch.d.S.Lp.65.)
Sonjai un songe mirabilous et fier,
Ke il estoit aleiz esbanoier
Leiz la rivière sor un courant destrier. (G, d. Y. v. 1899 - 1 901 .)
Ensi en vait grant ambleure
Envers la forest à droiture,
Les la rivière par le pre
U avoit flors à grant plente. (L. d. T. p. 74.)
Lez à lez ou lez et lez (Y. et conjonction) signifiait à coté
Vun de Vautre, côte à côte.
Hoc dedens fu enteres
Joste son frère, les à les. (Brut. v. 9241. 2.)
Et troverent l'empereor Alexis et l'empereor Sursac son père seans
en deux chaieres lez à lez. (Yilleli. 457^.)
Lors cbevaucbent ensamble bêlement lez et lez. (Ch. d. S. I, p. 174.)
Ilueques fu abatus Beneois
Deles les bares encoste le marois. (0. d. D. v. 6871. 2.)
Composés: delez^ dales, dedelez, par delez — dencoste.
Deleiz le roi s'est Rollan acouteiz. (G. d. Y. v. 1227.)
Un jour cbevauçoit un chemin
Dales Eayel par un matin. (R. d. C. d. C. v. 427. 8.)
Qant le voient gésir dedelez .i. rochier. (Ch. d. S. LE, p. 90.)
DE LA PRÉPOSITIOÎT. , 357
Ains se siet aussi que pasmes,
Et ses senescaus dedéles. (E. d. 1. M. v. 4259. 60.)
D'autre par cort li Eones par deleiz. (G. d. V. v. 3229.)
Près de Fere par dales Oise. (R. d. C. d. C. v. 1827.)
Car li bois par dales estoit. (Ib. v. 1833)
Si s'est dencoste Fuis assis. (R. d. C. d. C. v. 2446.)
Ses armes ot dencoste lui cochie. (0. d. D. v. 9224.)
Maigre.
Maigre, formé de l'ad'ectif mal et du substantif greit, gre
(.î^ratus), prit de bonne heure la forme maugre, par suite du
iléchissement de la lettre l. Amyot, Montaigne, Kabelais
emploient encore maugre.
Maigre se joignait aux pronoms mien^ nostre^ tien, vostre^
sien., lor, et formait ainsi une locution spéciale, qui signifiait
malgré moi, nous toi^ vous^ lui., eux.
Maigre aus tos est en arcon saillis. (0. d. D. v. 7496.)
Mes Herupois chevauchent, li noble chevalier,
Qui lor feront le siège tôt maugre ax laissier. (Ch. d. S. Il, p. 153.)
Maugre le hontos rei de France. (Ben. v. 14098.)
Que maigre sien li en convient foïr. (G. 1. L. II, p. 138.)
Ainz me combatrai maugre vostre. (Romv. p. 480. v. 13.)
Mes ge t'aurai ja tost basti
Tel plet que trestot maugre toen
T'estoura fere tôt mon boen. (Ib. p. 480. v. 18-20.)
Et vouloit corrompre le lit
Sou père, maleoit gre tien. (Dol. p. 185.)^
Je profite de l'occasion que m'offre maigre, pour citer la
locution mal gre en aie je, etc., que nous avons conservée dans
notre malgré quHl en ait.
J'en (de la terre) conqueiTai au fer e al achier,
Si en arai que mal gre en aies. (0. d. D. v. 1535. 6.)
Pour lui rescoure en vienent plus de mil;
Le cheval print, mau gre en aient il. (G. 1. L. I, p. 173.)
Oltre, ultre., outre.
Oltre, dérivé du latin ultra, s'employait comme adverbe et
comme préposition; il signifiait outre, au-delà.
Et quant li empereres fu outre, si monta sur un sien cheval fen-ant.
(H. d. V. 510^)
Empeinst le ben, tut le fer li mist uUre,
Pleine sa hanste , el camp mort le tresturnet. (Ch. d. R. p. 50.)
Et s'en passe oltre od sen espie. (P. d. B. v. 3005.)
Oltre s'en passe sains fraiture. (Ib. v. 3009.)
(1) Le texte porte rien au lieu de tien, ce qui ne donne aucun sens.
358 DE LA PRÉPOSITION.
Abatu l'a, si est passes
Très parmi els, loing oltre es près. (Ib. v. 8327. 8.)
Ultre Saine passa, si asist la cite. (R. d. R. v. 2150.)
Quant il fn ultre l'ewe, sor la rive s'estut. (Ib. v 4589.)
La Chr. d. D. d. N. donne la forme utre, qui peut être une
faute pour ultre ^ ou bien Vu provient d'une traduction de Vou
(outre) en u normand.
Ja cil qui uire Seigne iront (v. 19300.)
P<9r, 'par.
Cette préposition dérivée du latin per , est notre ipar. Fer
est la forme des Serments, du Fragment de Yalenciennes ; elle
se conserva dans la Bourgogne propre et dans l'est du dialecte
bourguignon (Comté de Bourgogne,» Franche -Comté, Suisse)
jusque bien après le XIII* siècle. La cantilène sur S*^ Eulalie
porte ^«r, qui fut prédominant dans les deux autres dialectes
de la langue d'oïl et qui finit par se fixer dans le français.
H se combat en sa conversation et per paroles et per exemples en
la bataille k'il fait encontre lo pechiet. (S. d. S. B. p. 537.)
Ensaigniez per homme. (Ib. 559.)
Par .i. juesdi matin, ore que prime sone,
Ezvos .i. chevalier qi à force esperone. (Ch. d, S. II, p. 105.)
Raoul parole par grant humeliance. (R. d. C. p. 71.)
Dont pensèrent en quel manière
Le pori'oient arrière mètre?
Ne par doner ne par prometre,
N'en pooient venir à chief. (Dol. p. 197. 8.)
Cfr. por.
Pat moi, toi, soi., etc. signifiaient souvent pour moi, toi., etc.
Contr'eus furent tuit li tr'ei rei,
Od lor granz genz chascon par sei. (Ben. v. 27954. 5.)
Eissi s'en sunt li trei conrei
Tuit devise, chascon par sei. (Ib. v. 28242. 3.)
Yole par toi et si t'aie. (M. d. F. II, p. 373.)
c'est-à-dire vole pour toi seul et t'aide.
Tout ensi la roïne par soi se dementa. (Romv. p. 351.)
On a déjà eu nombre de fois l'occasion de remarquer
l'emploi de per., par dans les contrats et dans les traités: par
moi ne par autrui, etc.
Une combinaison assez remarquable est celle de par avec
la préposition de postposée.
Par de treis parz les assaillirent
E par treis lieus les envaïrent. (Ben. v. 27956. 7.)
Karles li rois de France, qi lor vient en aïe.
S'est ambatuz an l'ost par del autre partie. (Ch d. S. Il, p. 126.)
DE LA PRÉPOSITION. 359
Voy. par entre t. Il, p. 124, 1. 14.
De par. Cette combinaison très -ordinaire dans l'ancienne
langue , ne s'est conservée que dans les formules : de par le roi,
la loi^ la justice. Les uns regardent ce par comme une pré-
position, les autres comme une altération du mot part. A qui
donner raison?
La langue d'oïl et la langue d'oc^ employaient, il est vrai,
de part (de parte) où nous mettrions de par.
0 petite Belleem, mais jai magnilieye de part nostre Signer, cil
ki faiz est en ti, t'at magnifieit, cil qui petiz est devenuz de grant.
(S. d. S. B. p. 532.)
Samuel li prophètes vint à Saul de part Deu, si li dist. (Q. L. d.
R. I, p. 53.)
Dedenz la maisun vus serrez
Tant de bons messages aurez,
De part Deu à vus parlerunt
E si vus reconforterunt. (M. d. F. II, p. 436.)
Mais, à côté de de part.^ et même beaucoup plus souvent
que ce dernier, on trouve, au XIII* siècle, la formule de par.
Sire, nos somes à toi venu de par les hais barons de France qui ont
pris le signe de la croiz por la honte Jesu Chiist vengier. (Villeh.435*.)
Vous gardes de par moi la vile. (Phil. M. v. 867.)
Grigois estoit de par son père
Et Ti-oyens d£ par sa mère. (Brut. v. 191. 2.)
Par se dit entre autres de l'agent médiat, si j'ose m'exprimer
ainsi, par qui l'action passe, pour ainsi dire. Cet agent peut
être auteur de l'action ou bien servir d'intermédiaire passif: le
peuple excité par Mirabeau — il est étranger par sa mère.
Seignor, je sui emperere par Dieu et par vos. (Villeh. 455^.)
Cfr. t. I, p. 391, 1. 1.
En comparant ces significations de par à celles que de par
a dans les exemples cités, on reconnaîtra sans doute l'identité
des deux formes.
Il faut donc admettre que de part ^ disparut de bonne heure
et qu'on lui substitua la préposition composé de par. L'habitude
(pie l'on avait de préposer de à un grand nombre de particules,
aura favorisé la composition de par.
Le substantif mei.^ mi^ joint aux prépositions per , par et
en a formé les composés: a) parmei, parmi: par le miUeu, au
miUeu, à travers, par, de, moyennant, au moyen de — b) eumei.,
enmi: au milieu.
(1) Le provençal moderne se sert encore de part.
(2) On rencontre des exemples de la formule de 'part jusqu'au XVIe siècle; mais
relativement h de par, ce sont de très -rares exceptions ou plutôt des archaïsmes.
360 DE LA niÉPOSITlON.
Si tu trespesses parmei lo feu, ju me tenrai àti. (S.d.S.B.p.562.)
Li saint homme, à la foiz de ce dont il soffrent amenuissement
de lur deseiers, ont plus granz guains parmei ce ke li altre encon-
vertissent. (M. s. J. p. 466.)
Mais par tant despitent li renfuseit les elliz , que li ellieut tendent
à la nient veable vie parmei la veable mort. (Ib. 512.)
De ce est dit parmei Salomon: Cil ki crient Deu ne met rien en
négligence. (Ib. ead.)
Ensi Moyses, el désert ensengiez del angele, aprist comandement,
lo queil il ne conut pas parmei homme. (Dial St. Grég. I.)
Ne ne puet en nule manière
Li cuers veoir fors parmi eus (yeux). (R. d.l.M.v. 1432. 3.)
n (li Salveires) vint, si cum ves mismes saveiz bien, ne mies al
encommencement del tens , ne enmei lo tens , mais en la fin. (S. d. S.
B. p. 527.)
Mais enmi eus se lance e cole. (Ben. v. 18767.)
Yoy. d'autres exemples de ces prépositions t. I, p. 813, 1. 12;
p. 825, 1. 11; p. 329, 1. 14 et 1. 22; p. 354, 1. 39; p. 356, 1. 6;
p. 373, 1. 37 ; p. 391, 1. 38 ; t. II, p. 55, 1. 43, p. 76, 1. 7 ; p. 96,
1. 43; p. 130, 1. 32; p. 177, 1. 29 etc. etc.
Plusieurs éditeurs ont écrit par mï, en mi, et j'ai conservé
quelquefois, mais à tort, cette orthographe dans mes citations.
Parmi partomes le gaaing. (FI. et Bl. v. 1562.)
Parmi signifie ici par moitié', et peut-être serait -il mieux
d'écrire en deux mots.
Cfr. très,
Por, pour, pur.
Por dérive du latin pro par transposition de la lettre r.
Pro est encore dans les Serments. Dans la basse latinité, on
confondit per et pro, de là \dent p. ex. que l'italien et le pro-
vençal ont per == pour. • La langue d'oïl offre quelques traces
de cette confusion, c'est-à-dire qu'elle emploie quelquefois ^«r
au lieu de pour et vice versa.
0 naissance plaine de sainteit, honoraule al munde, amiaule as
hommes, par lo grant bénéfice qu'il receut en ont. (S. d. S.B. p. 580.)
Deus i fist gi'ant vertut pur amui- Carlemaigne. (Charl. v. 791.)
Por la chalor ota son mantel gris. (R. d. C. p. 64.)
Je ne sai com plus ricement
Péuist on dame recevoir,
Ne pour biaute, ne pour avoir,
Ne pour nule autre signorie. (Phil. M. v. 31256-9.)
Uns suis d'elspur le lei ne volt un mot tinter. (Th. Cantb. p. 23, v. 10.)
Pur = à cause de, en considération de (du roi, etc.).
E coment vus quereie ne mal ne dcshonur?
DE LA PKEPOSITION. 361
Qui jo tienc e dei faii'e pu7' rei e piw seigniir
E de tut le reaume e rei e successui-. (Ib. p. 126, v. 6-8.)
Quant la gent saint Thomas les oirent venir,
Cuni hevhiz 2mr lous s'en pristrent à fuir. (Ib. p. 144, v. 11. 12.)
Ne les porent unques fléchir
Por prametre ne por offrir. (Chr. A. N. I, p. 253.)
Et per ce faire ele obligea. (1261. H. d. B. II, XXYI.)
Pur les oils Deu ; — par les oils Deu. (Th. Cantb. p. 14, v. 5. 10. 17.)
La préposition par servait surtout dans les serments, ce-
pendant pour la remplace quelquefois.
E li reis enveiad pur sa fille Thamar. (Q. L. d. K. II, p. 163.)
Pur ses aidanz a envoie. (M, d. F. Il, p. 243.)
Va por lo fol, si lo m'amoine. (Trist. I, p. 227.)
Le pour de ces derniers exemples se pourrait traduire par
chercher., quérïr. On le trouve fréquemment dans ce sens.
L'ancienne langue avait deux mots différents pour exprimer
l'idée de notre préposition près: pro'p, dérivé du latin ^ro^^ ^ et
près ^ de pressus.
Prop avait les variantes prof^^ proef^ pruef, prouf, preuf^
pref (L. d. Gr. §. 42.) preu. Il s'employait aussi comme adverbe,
et signifiait proche., près, auprès.
L'arcevesque est amiable
En sa parole mult estable
Et prof e loin. (Ben. t. 3. p. 487.)
Normendie ert bien prof destruite e confundue.
(Th. Canteb. p. 166. v. 1.)
Mes puis est la chose empeire,
Et ben proef tute amenuse. (St. Nicholay. p. 303.)
Puis si le sieut de preu en preu. (R. d. Een. p. 294.)
Composés: aprop, aprof , etc., enpruef: après.
Que si alter veinged apref (L. d. G. §. 6.)
Gent à cheval e gent à pie
Prouf de Drewes unt chevalchie. (R. d. R. v. 6618. 9.)
Si se merveille que il ait
Ki pruef de li itant se trait. (Trist. II, 26.)
Apruef mei lungement vivrez. (Ib. II, p. 78. cfr. 79.)
E enpruef li Kaherdin
Yenqui les altres par engin. (Ib. II, p. 38.)
Près n'avait d'autre variante que pries, en Picardie, puis
dans l'Ile-de-France. Pres^ adverbe, signifiait près, presque.
Ne près ne loin. (M. s. J. 560.)
Dont il ot pries la mort reciute. (Phil. M. v. 19661.)
(1) Pour ce*/, cfr. cfief, sei/ de caput, sepcs.
362 DE LA PEÉPOSITION.
Ja soit ce ke nos j^res en toz lius péchons en pensant , en parlant,
en ovrant. (M, s. J. p. 471.)
C'est de ce près joint à qice^ que dérive notre presque.
Le tref Callot voiront de près gaitier. (0. d. D. v. 8904.)
I^es , préposition , s'employait ordinairement avec de , cepen-
dant on a des exemples où ce dernier est omis.
L'an secunt que li ber icel eissil sufPri
E qu'il oui près dous anz este a Punteigni. (Th. Cantb. p. 87, v. 26, 7.)
E il a ja od nus près de dous anz este. (Ib. p. 88, v. 27.)
Hierbergierent à une vile,
Pries d'mie citet, ki là fu. (Phil. M. v. 19850. 1.)
Les composés de près étaient: après ^ après, près de; en
après, après, ensuite; — enpres, empres, anpres, auprès, près
de, après.
Adv. Andui se sont d'ilec torne
Kenart devant et il après. (R. d. Ren. I, p. 43.)
Nequedent en après lui" plaist par assentement. (M. s. J. p. 452.)
Car cant la cariteiz vient (Prép.) après lo cremor, si est la culpe, ki
premiers eretrelenquiepar cremor, en après descalchie par lo proposement
de la pense. (Ib. p. 494.)
Et en après son anel li commande. (G. d. V. v. 4035.)
Forment l'abaia le gaignon,
Bmpres se reschigne e abaie. (Ben. v. 28507. 8.)
Del eve but, empres enfla,
Taint et noircist, sempres fina.
Et tôt cil qui del eve burent
Prép. Empres la mort al roi morurent. (Brut. v. 9229-32.)
Sa feme aptries lui s'en ala. (Phil. M. v. 20375.)
Apres se trouve avec le sens de juxta (voy. joste).
E li poples Deu vint encuntre; a api'es la pierre de Adjutorie se
alogierent, e lur tentes i tendirent, {...juxta lapidem adjutoiii.)
(Q. L. d. R. I, p. 14.)
Ha ! ki me porterad del ewe de la cisteme après la porte de Beth-
léem? ( .... in Bethlehem juxta portam. (Ib. II, p. 212.)
Là fu partot e là ala
Où Jesu Crist plus conversa
Nuz piez, la haire enpres sa char. (Ben. v. 31722-4.)
Enpres la mort , si cum jeo vei. (Ib. v. 27473.)
Anpres iço i est Neimes venud. (Ch. d. R. p. 31.)
Por sa proece et por ses mors
Orent li roi, enpres ses jors,
Marovels lonc tans à somom
Por ramenbrance del baron.
Enpres lui ses fils Childeris
Eu fors rois et poesteis. (P. d. B. v. 437-42.)
DE LA PKÉPOSITION. 363
Quant i voli-es, beaus fils, aler?
— Demain, fait il , enpi'es disner. (Ib. v. 3909. 10. cfr. 4145.)
Puis , pues , poù , poïs.
Puis , dérivé du latin post (cfr. adverbe) ; conserva longtemps
la signification que nous donnons à son composé depuis.
Comme son signor puis celé eure
De cuer l'aimme. (R. d. M. p. 50.)
Et sy croy qu'elle va pensant
Un petitet no convenant
Puis les joustes del autre fois. (R. d. C. d. C. v. 2227-9.)
Poiz Reliant ne poiz Olivier,
N'out en terre tel cbevaHer. (R. d. R. v. 14061. 2.)
Ras^ res (rasus) — à ras — ras à ras.
Mes nel toucba, la Deu merci,
Mon seignor Yvain fors que tant,
C'a res son dos li vient glaçant,
Si qu'ambedeus les espérons
Li trencha à res des talons. (Romv. p. 546.)
Ensi s'en alerent res à res des murs de Constantinople. (Villeh. 449 *■.)
De Joiouse le fiert .i. cop tant roidement,
Bes et res des espaules la teste o l'eame prant. (Cli. d. S. II, p. 150.)
Cfr-. et conjonction.
Rier^ riere.
Rier^ dérivé de rétro, est le simple de nos mots arrière
(a -riere) derrière (de -riere). Par l'affaiblissement de Va en e, la
langue d'oïl avait fait erier , eriere pour arier , ariere. Le texte
des S. d. S. B. emploie les formes a^er, aiere , daiere; il y a là
syncope du r. Ayer , daiere , se retrouvent de loin à loin dans
les textes bourguignons du XILE* siècle. JEn ayer signifiait
6'/^^s, auprès.
0 cum bienaourous li cuers, obiers Sires, en ayer cui tu feras
mansion. (S. d. S. B.)
Ancor nen ay je mies en ayer mi cbose, que ju vos poie mettre
davant. (Ib.)
Adam mismes se volt covrir contre nostre Signor, de la femme
par cui il avoit pecMet, assi cum il par daiere son dos se volsist
eschuir de la seette. (Ib.)
Si tu quiers en ayer s Deu lor meritte por kai il soient coroneit , dons
quier assi en aijer Herode lo forfait por kai il furent ocis. (Ib. p. 548.)
Yoy. 1. 1, p. 339, L 25.
Yint as Lunbars , rier lui les a laissies. (0. d. D. v.4683.)
Bier lui regarde et vit maint chevalier. (Ib. v. 5877.)
Derrière mon dos. (Dial. de St. Grég. I.)
Tu nen as nule bunte, ariere dos l'as mise. (Th.. Cantb. p. 80, v. 30.)
364
DE LA PREROSITION.
Sans.
Dérivée de sine^ cette préposition a eu poiu: forme primitive
sens, sen%, et, plus tard, dans les cantons où e se prononçait
très -ouvert: sans. Ces formes se diphthonguèrent avec i: seins,
seinz, sains ^ sain%. Le * final est additif.
Jhesu ne vient mies senz salveteit, ne Criz 8enz onction, ne li
filz de Deu senz glore. (S. d. S. B. p. 531.)
A Saint Quentin vinrent sens demorer. (E. d. C. p. 319.)
Que mort l'al^at sdmz altre descunfisun. (Ch. d. E. p. 74.)
L'enor dou ciel et de la terre
Que nus ne puet sanz sens conquerre. (Chast. pr. v. 69. 70.)
Sains trecerie et sains desvoi. (PMI. M. v. 28504.)
E Eou saimz mescreance plusors feiz le veinqui. (E. d. E. v. 1104.)
Segont^ second — Selon.
Segont^ du latin sccundum^ paraît n'avoir pas été d'un fré-
quent emploi dans la langue d'oïl-, du moins, les exemples en
sont fort rares et ils appartiennent presque tous aux provinces
voisines de la langue d'oc, où segont étoit fort en usage. On
remplaça secundum par un dérivé de longum: long^ lonc^ lune,
qui paraît s'être mélangé avec secundum, d'où selonc^ selunc.
Au lieu de selonc, on trouve solonc^ solunc^ sulunc. Ces formes
représentent simplement un changement de la syllabe se en so,
su, auquel on était habitué , p. ex. sojorner, sojorner, sujurner.
M. d'Orelli prétend dériver solonc^ sulunc de sul longum; il
aurait dû avant tout expliquer la signification qu'on peut attri-
buer à suh longum, car ce n'est pas facile à découvrir. Outre
selonc^ selunc^ solonc, solunc, sulunc^ on trouve solum, solom,
sulon, selum et même selume, en anglo - normand ; puis les
formes contractes som , son, sun.
Selonc signifiait selon ^ le long^ à côté — long avait le sens
de le long., selon.
Segont droit et segont la costume d'Orliens. (Eoqueforts. x.forhanier.)
Secong raison m'avez vaincu. (Ib. s. v. dru.)
De ces montaignes isseit et vint il racine Jesse, selonc ceu ke li
prophète dit. (S. d. S. B. p. 528.)
Selonc la forme et la manière des lettres. (1288. J. v. H. p. 471.)
Cist fist ço que à Deu plout sulunc ço que sis pères out uvered,
e n si fist. (Q. L. d. E. lY, p. 395.)
Loenges m'en convenra faire
De lui, selonc mon examplaire. (E. d. M. p. 49.)
Or est la Manequine à aise,
Selonc l'anui et le mesaise
Que ele avoit devant eue. (E. d. 1. M. v. 1347 - 9.)
DE LA PRÉPOSITION". 3G5
Vers la mer s'en va cevauchant
Et selonc la mer esbatant. (Ib. v. 5009. 10.)
François selonc la rive alumerent maint fu. (Ch. d. S. I, p. 207.)
Selonc la voie il s'est couchiez. (R. d. Een. I, p. 294.)
Mist en un bois, solonc un tertre
Qui aloc ostoit à senestre. (Brut. v. 12720. 1.)
Selonc la roce fu descendus Ogiers. (0. d, D. v. 5998.)
Solon Naymon avoit si près passe. (Fierabras LYIII. cl.)
Nel dient pas sulum Breri. Trit. II, p. 40.)
Solum la costume e son les leis
Qu'en Danemarche unt li Danois. fBen. v. 4157. 8.)
Isnelement, sulon son poeir. (Ib. v. 4502.)
Donna terres selum sun buen. (Ib. v. 6991.)
Selume les obligacions avant fêtes entre le avantdit rey e le avantdit
cunte e nus. (1278. Rym. I, 2. p. 170.)
Sum la mérite le loijer. (Ben. v. 16422.)
E dist som son poeir
Ne faudreit ja jor à son eir. (Ib. v. 15676. 7.)
Kar nortli e man, som lur usage,
Yenz est e hom en cest language. (Ib. I, v. 671. 2.)
Son vos poeirs e son voz sens. (Ib. Il, v. 363.)
Gent aturnez sun lor usage. (Ib. Il, v. 1873.)
Qu'il lor rendoit cens demorance
Lonc le pechie la penitance. (Euteb. I, p. 52.)
Et condampne lonc lor meffait. (R. d. Een. IV, p. 442.)
Lonc çou que j'orai me tenrei. (Ib. IV, p. 451.)
Lune un alter bêlement l'enterrèrent. (Ch. d. E. p. 144.)
Zone ne serait -il pas quelquefois une aphérèse de selonc?
Sous.
Cette préposition dérive du latin subtus. Le Fragment de
Yalenciennes a sost (1. 14.), une traduction de la Bible south
(Roquefort s. v. Detestabletez). Cfr. l'italien sotto, le provençal
sotz. Aux Xn^ et XIIP siècles, les formes de som étaient:
SOZj sos^ sous^ suz.
Sos une cloie s'est mucies. (L. d. M. p. 51 )
0 ton nevo soz cel pin fui. (Trist. I, p. 22.)
Suz la cite, en une pree
Tendirent trefs e pavillons. (Ben. v. 9113. 4.)
Suz les chapes aiez muscees
Les espees e les coignees
E les cuteaus Ions, granz, d'acer. (Ib. T, v. 1653-5.)
De soz, on forma desoz, en préposant de. JDesoz avait la
signification du primitif soz.
Et li dux de Venise . . . commanda la rive à aproichier qui desoz les
murs et desoz les tors estoit. (Villeh. 452 *=.)
366 DE LA PREPOSITION.
Et par grant haltece de cuer sternissent et les biens et les malz del
munde desoz lor piez. (M. s. J. p. 464.)
Et ja soit ce ke eles defors ne facent riens , nekedent si travailheut
eles dedenz soi mimes desoz lo faihs de lassant repous. (Ib. p. 473.)
Adv. Ke cil n'oset pas estre dessovre ki n'aurat apris estre dessiiz.
(Dial. St. Grég. I.)
On trouve aussi dedesoz^ comme on a vu dedevant^ dedeles^ etc.
Lur chevals laisent dedesuz un olive,
Dui Sarrazinpar les resnes les pristrent. (Cli.d.R.p.l04.)
Par desoz.
Tôt droit par desoz un auvant. (N. R. E. et C. I, p. 16.)
Sur.
Le latin super est la racine de notre préposition «wr, qui a
eu pour formes: sovre (Eul. v. 12), sore^ déjà dans le Fragm.
de Yalenciennes 1. 11; sor ^ en Bourgogne; sour^ seur^ seure^ trois
formes nées dans le dialecte picard et qui pénétrèrent de bonne
heure dans l'Ile-de-France; enfin 5«<r, «wr^, en Normandie. Au
XIIP siècle, sore^ seure., sure., s'employaient surtout quand sur
était mis adverbialement. Les formes en e final doivent être
dérivées de supra.
Adv. Il lor vont seure, ses assalent. (El. et Bl. v. 89.)
Il traist l'espee, sore li est corn. (R. d. C.)
Seure li court, s'i l'a féru. (Phil. M. v. 5838.)
Dans les deux derniers exemples et semblables , il faut bien
se garder de considérer sore., seure comme une préposition; la
construction est: Il traist l'espee, (il) li est coru sore., de même
qu'on disait gésir ens , issir fors , etc.
Que vif maufe li corent soi'e. (P. d. B. v. 1120.)
Quant l'arcevesque veit que tuit li cui-ent sure.
(Th. Canteb. p. 101, v. 1.)
Cfr. adv. su^.
Prép. Lo mantel mettre sw lo viaire est covrir la pense dele con-
sidération de sa floibeteit. (M. s. J. p. 488.)
De celui ki sor ois doit comandeir. (S. d. S. B. p. 559.)
Del destre pie l'a tout desestrive,
Et sor la crupe del destrier acHne. (R. d. C. p. 159. 60.)
E li apellur jurra sur lui. (L. d. Œ §. 16.)
Lor eschieles ordene ont
Et sour les chevaus monte sunt. (R. d. M. p. 73.)
Par nos seremains ke nous avons fait solempnement sour les sains
ewangiles , touchies de nos mains. (1291. J. v. H. p. 540.)
Et touttes ces choses devantdites, promettons nous, seur no sairement,
à warder et à tenir, seur la paine devantdite. (1283. Ib. p. 425.)
Seur nous soit ses sans espanduz,
Seur nos enfanz granz et menuz ! (R. d. S. G. v. 423. 4.)
DE LA PREPOSITION. 367
Composé : desor , qui s'employait dans le même sens que le
simple.
Adv. Maintes foiz, si com nos avons là desor dit. M. s. J. p. 469.)
Là desor = ci- dessus.
Loquel fais de dessovre venant. (Dial. de St. Grég. I.)
Cfr. desoz. Voy. t. I, p. 373, 1. 1.
Prép. Es portes serat tes pecMez et desm' toi serat ses talenz et
tu aras saniorie sor lui. (M. s. J. p. 460.)
Eaoul Toi , desor ces pies sailli. (R. d. C. p. 27.)
Desour une coûte vermeille
Fu li rois Loeys tous sens. (R. d. 1. V. v. 719. 20.)
Mais desour toutes , che me samble,
En a Aiglente plus parle. (Ib. v. 2721. 2.)
Je vous di deseur ma créance. (Ruteb. Il, p. 161.)
L'ewe beneite jetteront
Desur lui, aqres l'amenèrent. (M. d. E. II, p. 434.)
Tôt par desœ- le port. (ViUeli.)
A côté des formes sor^ sour^ sur^ etc.; on trouve, avec la
même signification, m«, qui nous est resté dans quelques for-
mules , comme locution prépositive : en sus de^ et dans le com-
posé dessus. Sus^ préposition simple^, est surtout une forme
du Berry , de la Touraine , d'une partie de l'Anjou et du sud de
l'Orléanais ; provinces d'où elle passa dans l'Ile - de - France , qui
nous l'a transmise.
A la fin du XIII* siècle, l'emploi de sm avait déjà acquis
une grande extension; et les copistes de cette époque mirent
très-souvent sm au lieu de «or, sour^ sor^ que portait l'original.
On peut se convainre de ce fait en comparant les divers ma-
nuscrits d'un même texte.
D'ordinaire, on regarde sus comme une altération de sur;
mais sus et sur n'ont rien de commun quant à leur origine.
Sus dérive de susum; on l'a déjà vu figurer parmi les adverbes.
(Yoy. jai-sus?)
Assise sus dous granz quarreaus. (Ben. v. 25062.)
Devant l'autel sus les degroz. (Ib. v. 25228.)
Qu'il estoit ja sus l'anuitier. (R. d. C d. C. v. 5539.)
Far sus les morz passent li vif. (Ben. v. 5326.)
E si soefre paisiblement
Que cist aient seignorement
Dedesus tei. (Ib. v. 39515-7.)
Bedesus^ comme on a vu dedesoz^ dedevers^ etc. Remarquez
aussi la différence d'orthographe entre ce sus et «02, qui, dans
(1) Je dis préposition simple , pour la distinguer momentanément de la locution
prépositive en sus de.
368 DE LA PEÉPOSITION.
les mêmes provinces, s'écrivait ordinairement avec u. Le 2 de
m% représente le ts: su(J)t(««)s.
Si ke il par entencion ne voisent mie en sus de perfection. (M. s. J.
p. 466.)
Si avient il or en grant partie, quant noz deventrainetez sunt par
deleit ravies en sus des noises des temporeiz desiers. (Ib. p. 468.)
Car vraiement nostre pense ne puet en nule manière estre ravie en la
force de la deventriene contemplation, se ele premiers n'est soniousement
endormie en sus deï frinte .des temporeiz desiers. (Ib. p. 481.)
E s'en fuient en sus de li. (M. d. F. H, p. 342.)
Ces dernières citations, que je pourrais multiplier à l'infini,
sont encore une preuve de la différence d'origine de sur et de
sus: sus y conserve bien clairement sa signification locale pri-
mitive, et puis les trois premières sont tirées d'un texte qui
ne connaît d'ailleurs que sor.
Soventre^ soentre^ suentre.
M. Diez dérive soventre de sequente^ et il cite à l'appui de
cette opinion le provençal seguentre (voy. Eayn. V, 180.), le
grison suenter. Ce dernier répond exactement à soentre^ suentre^
dont M. Diez paraît n'avoir pas eu connaissance^.
Soventre s'employait comme adverbe et comme préposition;
il signifiait a'pres^ d'après, selon — à la suite.
Adv. L'espee nue an la loge entre.
Le forestier entre soventre,
Grant erre après le roi acort. (Trist. I, p. 97.)
Tant est alez qu'eu lur terre entre;
Une davant ne puis ne suentre
Ne fu si livrée a dolur. (Ben. v. 2489-91.)
Tel li fait joie e bel semblant
Qu'el munt n'a rien sos ciel vivant
Qu'il vousist plus aveir soentre
Trait od ses mains le quor del ventre. (Ib. v. 14858-61.)
S'enseigne escrie, et el camp entre;
Si compaignon en vont soentre. (P. d. B. v. 3449. 50.)
La damoisele enpres lui entre.
Et li autre vienent soantre. (Ib. v. 5881. 2.)
Anascletus en la voie entre
n va^ avant et cil soantre. (Brut. v. 433. 4.)
Prép. Soventre li cbevalchent e Breton e Normant. (R. d. E. v. 3989.)
Alons soentre cels qui fuient
Qui mon fie et les vos destruient.
(1) Le provençal avait aussi soentre. (Ray. Lex. rom. VI, 15. c. 2.)
(2) Le texte porte ve, qui n'est rien; il faut lire ou vet ou va. L'éditeur du R. de
Brut nous apprend en outre dans une note qu'il ne comprend pas bien ce vers. II est
cependant fort clair: Il va devant et (ceux-ci) les autres à sa suite, après lui,
DE LA PREPOSITION. 369
Quant li rois ot un pou este
Et u ses liomes ot parle
Soentre les fuitis alast,
Ja por l'enferte nel laiast. (Brut. v. 9171-6.)
D'une dame veve, Mabile,
Ot en sognentage une fille:
Soentre la mère ot à non. (Phil. M. v. 2760 - 2.)
Se devisèrent en la soume
Que soentre la loi de Roume
Ti-aitast on la crestiente. (Ib. v. 3471-73.)
Très, tries.
Cette préposition dérivée du latin trans , signifiait derrière;
proche j près, auprès; dès^ depuis. Aujourd'hui nous n'emplo-
yons très que comme adverbe.
Por ensuire les granz compaignes
Laissent très eus set cenz enseignes,
Enz entremi eus les escrient. (Ben. v. 19852-4.)
Partonopeus luit tries se gent. (P. d. B. v. 2217.)
Tries les rens les voit assambler. (Ib. v. 8761.)
La dame le prent, si l'enmaine
Desor le lit à la meschine,
Très im dossal qui por cortine
Pu en la chambre apareilliez. (M. d. F. Gug. v. 366-9.)
Donne li a si grant colee
Que très le chief li est coulée
L'espee desi en la terre. (R. d. 1. V. v. 1830 - 2.)
Et desous son pooir le mist
Très Mongui jusques à la mer. (Ph. M. v. 602. 3.)
Très icele oure ke je ci vos devis
Fuit en Viane cil Juis Joachis. (G. d. Y. v. 2035. 6.)
Le cors h trenchet très l'un costet qu'ai altre. (Ch. d. R. p. 59.)
Très l'aube crevant
Jusques à miedi sonnant. (R. d Ren. t. lY, p. 201.)
Cest plait nous va Karaheus bastissant.
S'il le puet faire très cest pas en avant,
Ne nos laira de terre demi gant. (0. d. D. v. 2302-4.)
Bataille atent , mandée l'a très ier. (Ib. v. 2390.)
On employait très dont pour dire dès lors (cfr. adverbe donc).
A Tors, el mostier saint Martin,
Guerpi Mahom et Apolin,
Et mescrei la foie loi
Et pris la crestiene foi:
Très dont me heent mi parent,
N'ainc puis n'eue d'als veir talent,
Très dont ai vescu de soldée,
Si l'ai sovent cier comperee. (P. d. B. v. 7821-8.)
Burguy, Gr. delalangued'oïl. T. IL Éd. lU. 24
370 DE LA PREPOSITION.
Tre8 dont en avant — dès lors en avant, dorénavant.
Si se jurèrent feaute
A porter ires dont en avcmt,
Et lors se vont entrebaisant. (Phil. M. v. 1G215-7.)
Cfr. plus haut très cest pas en avant. (0. d. D.)
Le Kom. de Renart oifre la variante trers (II, p. 110), ce r|ui
semble indiquer ici un mélange de rïeres, rere, avec très.
On préposait très à diverses particules pour en renforcer la
signification; mais, en bien des cas, très ne s'incorporait pas
tellement au mot auquel il était joint, qu'il ne conservât quel-
que chose de sa propre signification. Confrontez, p. ex.
Ala li dux très devant l'amire. (0. d. D. v. 2559.)
Esvos Bernier e sa route qui vint.
Très devant lui vait un paien ferir. (E. d. C. p. 308.)
Si s'en passent très par devant Constantinople , si près des murs
et des tours que à maintes de lor nés traist on. (Yilleh. 448*.)
Pur ço, tu e ti cumpaignun très par matin vus en alez. (Q. L. d.
E. I, p. 113.)
Andui s'abatent très enmi le garais. (E. d. C. p. 101.)
Mort le tresturnent très enmi un guaret. (Ch. d. E. p. 54.)
Dont s'arouterent très parmi un larris. (0. d. D. v. 603.)
Mais morteument fu encontrez,
Kar très parmi les deus costez
Li a passe li dux s'enseigne. (Ben. v. 21406-8.)
Très avait le composé detres (de - très) : derrière.
Adv. Mal a devant, detries noauz. (Ben. v. 19890.)
Prép. Les mains detres le dos liées. (Ben. v. 27169.)
Ça detries vos sunt tel H brait
Que tous cinc cenz en i travaillent
Des voz qui à la mort baaillent. (Ib. v. 16563-5.)
S'arere guarde avérât detres sei mise. (Ch.d.E.p.23.)
Sun lit unt, veant tuz, enz el mustier porte,
Detriesle grant autel e fait e aturne. (Th. Cantb.p. 31, v. 7.8.)
L'idée de jusque s'exprimait de diverses manières dans l'an-
cienne langue. Je vais les passer en revue.
1) Decï (de ci) , descï (dès ci), desi^ dessi^ deschi «î, en —
deci, desci que.
Qar Karles i manda qanq'à lui fu aneliu
Dès le chief de Calabre deci an Costantin,
Dès Espaigne la grant d^ci à saint Bertia
Qi tient àDanemarche où croissent li sapin. (Ch. d. S. II, p. 65.)
Chevaliers i a mis dou miaz de son roion
Trestoz coverz de fer deci à l'esperon, (Ib. II, p. 51.)
DE LA PRÉPOSITION. 371
Endroit le cuei- sous la mamiele
Le trenchant coiitiel apointa,
Desi au manclie li bouta
El cors, illuecques l'a mordrie. (R. d. 1. V. p. 192.)
Besci es dens l'a tout fendu. (Ib. v. 2889.)
Il plore et maine grant dolor,
Tote la nuit, desd al jor. (P. d. B. v. 749. 50.)
Ains amerai toutes encore
Si que j'ai fait desci à ore. (L. d'I. p. 18.)
Dessi à Rains ne se va atargant. (0. d. D. v. 10273.)
Nostre consaus nous apporte que nous volons avoir toute la tierre
de Duras, descM à la Maigre. (H. d. V. p. 198. XVIII.)
Or n'a baron deci que en Ponti,
Ne li envoit son fil ou son nourri. (R. d, C. p. 21.)
Dès le major desci qu'au mendre
N'i out en qui n'eust deshet. (Ben. v. 35544. 5.)
E il en unt en gre servi,
C'avum veu deci que ci. (Ib. v. 8570. 1.)
On trouve aussi quelquefois simplement eï que dans le même
sens:
Ne se feist pas coroner,
Por rien qu'em li seust loer.
Ci que sa femme fust venue. (Chr. A. N. I, 221.)
2) Tant que.
Et come il venissent en celé terre, Abraham s'en vaist la terre
tant que al noble val. (Roquefort s. v.)
Je ferai remarquer en passant que tant qu'à se disait quel-
quefois pour quant à..
3) Busqué , jusque.
Les formes primitives de notre préposition jusque ont été
d'usque^ desque., dérivées de de usque. On trouve encore le
simple usque dans la passion de J. -C. str. 96. p. 19. (éd. Diez)
et quelques autres anciens monuments. De dusque^ desque^ on
forma jusque ou avec o , josque , ce qui n'implique aucune dif-
férence, et jesque (cfr. jus de deorsum, deosum; jour de diur-
num; et, pour l'emploi de de touchant la direction vers un but,
la prépositon devers?) Au lieu de que^ on trouve des ortho-
graj)hes en X-, c, ch, qu'on sait s'expliquer.
Si avoient les ganbes nues
Busc'sLS génois, et tos les bras
Avoient desnues de dras
Buse' as coûtes molt laidement. (L. d. T. p. 78.)
Si covient à Dieu reson rendre
De quanques fist dusqu'k la mort. (Ruteb. I, p. 38.)
2^*
372 DE LA PRÉPOSITION.
E descunfist l'ost as Philistiens dès Gabe desque Gazar. (Q. L. d.
R. II, p. 139.) .
Besqu'k celé eure qu'en iert vengemens pris. (R. d. G. p. 22.)
De la matinée jws^e à l'avespreo est li pechierres fors trenchiez;
quar dès lo commencement juslce à la fin de sa vie lo navrent les
oevres de sa félonie. (M. s. J. p. 509.)
Quant il out ço eslit, nostre Sires enveiad pestilence en Israël,
dès le matin jesque al ure que l'um soleit faire sacrefise al vespre ; si
en mururent del pueple , dès Dan jesque Bersabee setante milie liumes.
(Q. L. d. R n, p. 217.)
Gesqucs al rei Gormond n'areste. (Phil. M. Intr. t. II, p. XI.)
On voit ici un s additif, comme dans nombre d'autres par-
ticules. Cette orthographe en s final était très - ordinaire dans
la seconde moitié du XIII ^ siècle.
Enz el verger l'enmeinet josg'al rei. (Ch. d. R. p. 20.)
Jusch'h demain enquerons terme. (R. d. S. S. v. 930.)
Au lieu de Jusque^ le texte des S. d. S. B. porte ordinaire-
ment enjoshe^ c'est-à-dire que la préposition en est encore pré-
posée à la composition.
EnjosFk ti mismes vai encontre Deu ton signor. (S. d. S. B. p. 528.)
Sire, el ciel est ta miséricorde et ta veritez enjosk'k nues. (Ib. p. 536.)
Cist montent enjosk'k ciel et si dexendent enjosk'h. en enfer. (Ib. p. 569.)
Ce dernier exemple semble prouver qu'on regardait enjosha
comme un seul mot, puisqu'il est encore suivi de en (cfr. le
provençal juscas).
A côté de ces formes , on rencontre :
4) Trusque, trosque, tresque^ entresque.
M. Diez a dérivé trusque^ trosque^ tresque^ du latin introus-
que^ et M. d'Orelli i)ense que la variante entresque justifie plei-
nement la dérivation du savant professeur. La forme et le sens
de ces mots concordent au radical proposé, cela est vrai; né-
anmoins je suppose une autre origine à tresque^ trosque , trus-
que^ entresque.
On vient de voir deci = de ci^ desci^=dh ci ^ etc. signifiant y?^-
que. On se souvient aussi que très s'employait avec le sens de
des., depuis. De même que la préposition de des composés deci.,
desci sert à désigner la direction vers un but, très., qui avait
pris la signification de des (= de ex), s'employa de la même
manière, d'où tresci^ tresci que et enfin simplement tresque. Par
suite de l'influence des formes en o et en w de jusque , on écri-
vit ensuite trosque., trusque.
Quant à entresque, il s'est formé, par le même procédé, de
eni/ji^e ci que.
DE LA PRÉPOSITIOK". 373
Le s de tresque s'explique déjà par celui de très; quant à
celui cCentresque^ il ne fait aucune difficulté. S Qtc^ on l'a déjà
\ii nombre de fois, s'écrivaient l'un pour l'autre, de \h très -si-
que^ entre -si -que pour très -ci- que ^ entre -ci- que ^ comme des-
si-que pour des - ci- que ^ etc.
Les citations suivantes fournissent la preuve de la dériva-
tion que je propose.
Il attendirent trcmi quart jor que il lor ot mis. (Villeh. 435 *.)J
A cel message fu eslis li cuens Hues de Saint Pol et Joffrois li
mareschaus de Champaigne, et clievaucherent tresci à Pavie en Lom-
bardie. (Ib. 439 «.)
Ensi porprist le feu dessus le port à travers tresci qiie parmi le
plus espes de la ville, trosque en la mer d'autre part. (Ib. 456''.)
Va feiir .i. paien sor son heaume d'acier,
Ti'estot l'a porfandu antred ou braier. (Cli. d. S. II, p. 62.)
Yoy. t. I, p. 235, 1. 14.
N'ot plus bel chevalier antreci qk Baudas. (Ib. I, p. 178)
Manda ses homes de par tôt son roion,
De Saint Orner dessi à Carliom;
Et de Poitiers entresi qu'k Digon,
Ne remest il chevalier ne prodon
Qu'il ne soit prest du servise Kallon. (O.d.D.v.9851-5.)
Toute fremist entreci qu'sni talon. (Eomv. p. 238, v. 17.)
Une circonstance encore parle en faveur de mon opinion,
c'est que les formes tresque, trosque^ trusque^ entresque^ ne sont
pas des premiers temps de la langue, comme desque^ dusque^
qu'on pourrait également décomposer en des ci que^ dessique^
si desque n'avait précédé des ci que == jusque. Desci., tresci, etc.
ne remontent pas au-delà de 1240 ou 1230. Le Eoman de R
d. C. emploie encore desci, dans sa signification primitive, à
côté de dusque.
En .i. batel se sont en Sainne mis;
Ains n'aresterent desd dusqu'k Paris, (p. 253.)
Yoici quelques exemples de tresque^ trusque^ trosque^ entresque.
Icele nuit est chascuns reposeiz,
Tresc'al demain ke li jors parut cleirs. (G. d. V.v. 3213. 4.)
Que Asye prent son comencement
Dès midi tresqu'en Orient. (Ben. I, v. 225. 6.)
Venu en sont trosqii'al rivage. (Phil. M. v. 101.)
Si l'a tenut .i. an trestot antier
Trosqu'h .i. jor que vos sai devisier. (E. d. C. p. 280.)
Cfr. P. d. B. V. 414. 1446. 2254. 5238. 5803. etc.
Dont naissoit li blanque gorgete
TrusJc'siS espaules sans fosete. (Romv. p. 321, v. 27. 8.)
374 DE LA PRÉPOSITION.
L'osberc li rumpt entresque à la charn. (Ch. d. R. p. 50.)
Tel saut feistes qu'il n'a home
De Ck)stentiii entresqu'k Rome
Se il le voit n'en ait hisdor. (Trist. I, p. 115.)
N'a chevalier en son roiaume
Ne d'Eli d'antresqu'en Dureaume
S'il voloit dire que . . . (Ib. I, p. 108.)
Ce dernier exemple, où l'on voit de préposé à antresqtte, est
une novelle preuve en faveur de la composition atitre ci que.
Cfr. la conjonction diisque.
CHAPITRE IX,
DE LA CONJONCTION.
En considérant le rôle important que la Conjonction joue
dans la phrase, on trouvera sans doute les données suivantes
bien sèches et bien mesquines. Je sens cette imperfection mieux
que personne , mais je ne pouvais m'étendre davantage sans sor-
tir des limites que je me suis prescrites. Il aurait fallu, avant
tout , faire une classification des différentes espèces de phrases,
vu que les distinctions établies dans nos grammaires françaises
sont, à cet égard, d'une imperfection désolante. Puis j'aurais
eu à expliquer les combinaisons grammaticales que chacune de
nos conjonctions sert à opérer, leur synonymie, et, pour rendre
le travail complet, j'aurais été forcé d'établir des comparaisons
entre la langue d'oïl et la langue fixée. C'est un ouvrage
entier à faire. Comme à l'ordinaire, je me suis donc restreint,
en général, à la partie étymologique.
A ce que: afin que; comme ^ pendant que.
En ce que: pendant que — parce que.
Qu'il te gai'de e deffende de tous maulx, par especial de mourir
en pechie mortel, à ce que nous puissions une fois, après ceste mor-
telle vie, estre devans Dieu ensemble. (Joinville.)
A ço qu'il al pruveire parlad, merveillus tumiût en l'ost levad.
(Q. L. d. E. I, p. 47.)
Cfr. : Et nous n'avons mie mestier de perdre nos homes , quar trop
en avons petit à ce que nous en avons à faire. (Villeh. p. 40. LXII.)
à ce que = pour ce que.
A ço qu'a siglent leement
Levé li chlaz. (Trist. II, p. 80.)
En çou que ele ensi parloit
Li rois le regarde, si voit
Les larmes des ix qui li cieent. (R. d. 1. M. v. 1305 - 7.)
En ce qu'éles passoient la porte, si troverent la dame sor le pont.
(R. d. S. S. d. R. p. 20.)
376 DE LA C0NJ0NCTI03S'.
Il s'en partirent; et en ce qu il avalèrent les degrez de la sale, et
il entrèrent en la rue, le cri lieve de la gent qui pitio avoient du
yallet qui alloit à sa destmction. (Ib. p. 24. 5.)
Car quant nos requérons lo repaus de la permanable pais, u en
ce Ice nos n'entendons voisousement u en ce Jce nos ne savons humile-
ment, si somes nos alsi com el numbre del robileu. (M. s. J. p. 496.)
Ans^ ains^ etc. — An^ois^ aineois^ etc.
(Cfr. Adverbe, Préposition.)
Cette conjonction adversative signifiait mais^ mais hien^ mais
lien plutôt; elle resta en usage jusqu'au XYI* siècle. Il est à
regretter que la langue fixée l'ait rejetée. On a déjà vu quel-
ques exemples de ains^ conjonction, au chapitre de l'adverbe ^.
La sapience ne gist mie en la deforaineteit des choses, anz s'ata-
pist es choses nient veables. (M. s. J. p. 467.)
n ne dort pas, ançois semelle,
Et or se dort et dont s'evelle. (P. d. B. v. 721. 2.)
Ains que , anzois que , ains comme = antequam.
Mais ainz que levast le soleil
Furent il es nefs par matin. (Ben. I, v. 1276. 7.)
Einz qu'il seit en l'isle venu. (Trist. Il, p. 62.)
Ains que .viij. jors passes eust
Mahons à sa dame revient. (R. d. M. p. 19.)
Anzois lie li humaniteiz fust apparue , si estoit receleie li benigneteiz.
(S. d. S. B. p. 546.)
Gieres anzois ke ele manjoust sospiret ele, cai" premiers gemist ele
es tribulations. (M. s. J. p. 470.)
Anchois fc'issies de cest repaire.
Ares guerredon d'omme faus
Con trahitres et desloiaus. (L. d'I. p. 16.)
Ençois que cil assaut commençast, le samedi matin s'en vint un
mes bâtant en Constantinople. (Villeh. 487**.)
Un poi ainceis que jorz parust. (Ben. Il, v. 704.)
Elas, tant ai dolour,
Ains con puis joie avoir d'amour. (Romv. p. 265.)
Al ains que signifiait aussitôt que , le plut tôt que.
Congie prist et sa voie tint
Et al ainz que il pout revint. (Chast. XIII, v. 35. 6.)
Com ains avait la même signification.
El chastel vint aim il ains pot. (R. d. R. v. 8476.)
Aine que. Cfr. Adverbe p. 273.
(1) Je saisis cette occasion pour faire une remarque qui a été omise au chapitre fie
l'adverbe. Soit pour ménager l'espace, soit pour éviter des répétitions, j'ai souvent
indiqué , hors de leur lieu , les divers emplois d'une particule. Ensuite , en ce qui con-
cerne les adverbes et les conjonctions, un grand nombre des premiers s 'employant enmêmô
temps comme conjonctions , il est souvent difficile de tirer la ligne de démarcation où
une telle particule cesse d'être adverbe pour prendre le rôle d'une conjonction.
DE LA CONJONCTIOÎf. 377
Or oies mervoUes de Deu,
Ki pour le roi vaillant et preu,
Faisoit miracles et vertus,
Aine qu'il fust à se gent venus. (Pliil. M. v. 3390-3.)
AIsï^ auszj aussi com et que.
Mais vos morrciz si com homme, alsi coin se elo overtement
disoit si com pecheor. (M. s. J. p. 456.)
Mais alsi com nos nos complaindons à nostre Sanior, quant nos
cez choses avons oïes. (Ib. p 491.)
Alsi savons nous bien que tu feroies de nos alsi com tu as fait
des autres. (Yilleli. 482 ^)
Icis, alsi îce nos avons dit, quant il en Aurelie ot cure de sa
herde, en ses jors fut uns hom d'onorable vie del mont ki Argentiers
est apeleiz. (Dial. St. Grég.)
Dunkes cil ki sunt en amertume d'anrme convoitent del tôt morir
al munde, ke alsi Jce il riens ne quierent el munde, alsi nés ait li
siècles dont tenir. (M. s. J. p. 465.)
Plus tard, alsï com, que prit à peu près la signification de:
presque, pour ainsi dire.
Ainsi que, ensi que, eissi que, issi ke.
Cette conjonction signifiait ainsi que, de façon que, de sorte
que, afin que. Plus tard on lui donna le sens de om moment que.
Car ainsi plaist il à ois mismes , c'est k'il or poient faire franche-
ment lor volenteit ensi Tce nuls n'en parost. (S. d. S. B. p. 556.)
Se nos allons en Surie , l'entrée del iver ert quant nos y vendrons,
ne nos ne perrons ostoier; ensi que ert la besoigne nostre Signer per-
due. (Villeh. 455''.)
Quant Eenier de Trit le sot en la ville, si dota que il ne le ren-
dissent à Johannisse, ensi que s'en issi à tant de gent com il pot et
s'esmut à une jornee. (Ib. 479®.)
Par droit besoig e par destrece
Estut Aulrez le tôt gerpir
Eissi qiiil l'en covint foïr. (Ben. v. 27785 - 7.)
.... Et la présence de cens ke le roy de Engleterre i enverra iil
jor et au leu avaunt nomez, issi k'il pussent veer ke cestes choses
seiunt en bone foy acomplies. (1289. Rym. I, 3. p. 57.)
Car.
Dérivé du IsLimquare, ce mot a eu pour formes: quar, har,
car, quer (cuer, Trist. I, 140). Outre l'emploi que nous faisons
de car, l'ancienne langue s'en servait dans les phrases impéra-
tives et optatives. Nous remplaçons de car par une particule
conclusive (donc).
Karles estoit à Aiz plains de duel et de rage,
Quar tuit li sont failli et prive et sauvage. (Ch.d.S.I,p. 64.)
378 DE LA C02ÎJONCTI02Î.
Or n'en deit nus aveir pitié,
Quer il fu mort par malvestie. (Chast. XI, v. 111. 2.)
Quer qui sens a, si est montez
A totes les autres bontez. (Ib. prol. v. 57. 8.)
Cette forme quer est normande-picarde , de la seconde moitié
du Xm* siècle.
Naaman li cunestables de la chevalerie al rei de Sirie esteit huem
de grant afaire, e mult henurez de sun seignur; kar nostre Sires out
fait grant salud par lui en, Sirie. (Q. L. d. R. IV, p. 361.)
Geste pulcele parlad à sa dame, si li dist: Ha! Ica/t' fust mis sires
od le prophète ki est en Samarie, pui* veir tut en sen-eit guariz del
mal dunt il est travailliez. (Ib. ead.)
Damoisele, vos avez tort.
Car fussiez vos à lui au port
0 il arriva hui matin ! (Trist. I, p. 232.)
Eoïne note et pure,
Quar me pren en ta cure
Et si me médecine. (Euteb. II, p. 100.)
Cumpainz Eollant, l'olifant car sunez. (Cli.d.E.p.42.)
Dunt vus vient il, kil vus dona?
Kar me dites kil vus bailla. (M. d. F. Fr. 433. 4.)
Douce dame, car m'otroiez pour De
Un douz regart de vous en la semaine. (G. d. G. d. G. p. 56.)
Baron, dist li ainznez, et qar me conseilliez. (Gh. d. S. II, p. 96.)
Sires damoisiaus, quar chantes,
Pai' amors si vous confortes. (E. d. 1. V. v. 3324. 5.)
Eois, car chevalche; porquoi es alentis? (0. d.D.v. 305.)
Car se trouve quelquefois comme terme d'affirmation.
Quant une altre ancele l'ot veut , si dist à ceos ki lai encore estei-
vent: car cist est de ceos. (Eoquefort.)
Combien que: combien que ; autant que ; quoique , bien que.
Et por ce ke chascuns , combien Jce il unkes ait en ceste vie esploi-
tiet, sent ancor l'aguilhon de sa corruption. (M. s. J. p. 483.)
Ne veut covrir plus son deslei
Ne sa maute ne sa nonfei,
Cumhien que il s'en fust celez. (Ben. v. 30386 - 8.)
Combien que c'est chose assez accostumée. (Gomines.)
Corn que: quelque que, de quelque manière que (comment que);
comment que.
Gar davant la fazon del onction de Grist ne porat esteir nule enfer-
metez de cuer, cum envieziee ^'ele soit. (S. d. S. B. p. 532.)
Cum que li afaires seit laiz,
Ne cum qu'il seit vers tei mesfaiz,
Prie à genoilz de bon corage
Cum à seignor (Ben. v. 23153 - 6.)
DE LA CO:?f JONCTION. 379
Mais, cwm que seit ne ciim avienge
Gart que le chastel puis ne tienge. (Ib. v. 29331. 2.)
Quar cil ki, cornent Jce soit, esgardent l'avènement de la diviniteît,
eissent ja alsi com fors del habitacle de la char. (M. s. J. p. 488.)
Je di que nus hons
Comment que très bien die ou face
Tant soit boins, ne biaus, ne parfais,
C'on ne sace à dire en ses fais. (E. d. 1. M. Préf. VU.)
Mais nonpoui'quant pour moi déduire,
Comment ke il me doie nuire,
Enprendrai l'estore à rimer. (Phil. M. v. 44 - 6.)
Que ja tant com soie vis
N'isterai de sa baillie.
Comment que soie baillis. (Romv. p. 298.)
De ce^ de ce est ke^ de coi,
signifiaient d'où vient que^ voila pourquoi.
Et de ce semble à saint Paule ke . . . (M. s. J.)
Et de ce avient à la foiz ke li homme ki après l'orguelh chient en
luxure , ont . . . (Ib. p. 507.)
De ce dist bien li espouse ki sospiroit el desier de son espous.
(Ib. p. 466.)
De ce est Jce ceste visions est apeleie nocturneiz. (Ib. p. 479.)
Anzois desimes nos ke l'om devoit par lo ciel entendre l'air, de ce
est ke nos disons li oiseal del ciel. (Ib. p. 500.)
Deei que^ desci que^ dessi que^ deci adont que^ deci atant
que: jusqu'à ce que.
Desi ke en Bretaine sont. (R. d. R» v. 427.)
Au message creantet ont
K'eles jamais ne mangeront
Desci gw'eles poront savoir
S'il est u mors u vis por voir. (L. d'I. p. 25.)
Ains ne fina d'esperoner
Dessi k'H vint as cols donner. (R. d. 1. M. v. 2751. 2.)
Et si s'afiche bien et jure
C'ariere ne retornera
Deci adont que il aura
Le rossegnol que il n'avoit
Oï .j. an passe estoit. (L. d. T. p. 74.)
Ded atant que prime sonne. (N. R. F. et C. I, 323.)
Ce dont à muser me donna
Que huimais aise n'en seray
Desy atant que le saray. (R. d. C. d. C. v. 3946-8 ; cfr. 4208.)
Des que, simplement, dans le même sens. (Y. L. d. G.
p. 184, 35).
380 DE LA CONJOI^CTIOS'.
Bementrea^ demcntiers que — cndementres ^ endementiers que: tan-
dis que.
Bementres qiio^ lui sejorna,
Maint riche aveir li présenta. (Ben. v. 30748. 9 ; cfr. 10839.)
Demcntiers que li plais dura,
Graelent pas ne s'ublia. (M. d. F. I, p. 534.)
Endementres ke là irai ... (R. d. E. v. 12063,)
Endemcntiers que l'empereres Alexis fu en celé ost, si ravint une
mult grant mésaventure en Constantinople. (Villeh. 456 ''.)
Andemantiers qu'il parolent ainsis,
Esvos la dame qui de la chambre issi. (R. d. C. p. 321.)
Dès que: dès que; aussitôt que; depuis que.
Sacies que il les vengeront
Dès que lui et aise en aront. (Brut. v. 535. 6.)
Dès qu'ele l'ocoison saura,
S'ele puet, oblier li fera . . . (FI. et Bl. v. 325. 6.)
Et ce fu li tiers feus en Constantinople dès que li Franc . . . vin-
drent el pais. (Villeh.)
Devant que — devant ce que — 'par devant ce que.
Comme on a vu devant pour avant ^ on trouve devant que
pour avant que , et même far devant que dans le même sens.
Devant ce ^ que et avant ce que signifiaient simplement avant que.
Ne me puis an mon cuer trover nule raison
Que pardoner li puisse ne ire ne tançon
Devant que je l'aie féru sor le blazon. (Ch. d. S. II, p. 31.)
Ja de cest camp vis ne fuirai
Devant que venqus les arai. (Brut. v. 13289. 90.)
Mais ço li mandad que devant li ne venist devant ço que il li menast
Micol la fille Saul ki out ested femme David. (Q. L. d. R. Il, p. 130.)
Quant me fera Dieu ceste grâce que veoir le puisse une fois, avant
ce que la mort me prengne? (Roquefort.)
Honors et terres assez nos donries
Si con faisies à poures soldoiers,
Tar devant ce que en prison fussies. (0. d.D.v. 10250-2.)
Dusque; jusque^ josque; jesque; tresque^ trosque^ etc.
(Cfr. jusque, préposition.)
Ains nel crei li rois dusque l'ot esprove. (R. d'A. p. 339, v. 8.)
. . . Quant li Judeu mainent en fuillees , en monument e remenbrance
que il mestrent lunges à mesaise, en loges e en fuiUees, jesque Deu les
mist en terre de promissiun, en certaine statiun. (Q. L. d. R. I, p. 2*.)
(1) Cette intercalation du pronom ce se faisait après les prépositions dès, avant,
devant j jusqu^à, après, pendant, sans, pour, par. T[ ne nous est resté de cet ancien
usage que jusqu'à ce que, par ce que.
DE LA CONJONCTION. 381
En France dulce le voeil aler querant,
Ne finerai en trestut mun vivant
Jusqu'il seit mort u tut vif recréant. (Cli. d. R. p. 103.)
Quant Menelax ot Troie assise
Aine n'en torna tresqu'il l'ot prise. (Brut. I, XXIII.)
Au lieu de ces formes simples , on employait encore des com-
binaisons semblables aux suivantes:
Dont apiela le maresclial , et li dist que il ne se meust treschUidont
que li castiaus fu refremes ensi comme il estoit devant. (H. d. V. p. 186. XI.)
Querons lor qu'il le nos aient à conquerre et nos lor respiterons
les trente mille mars d'argent que il nos doivent, trosque adonc que
Diex les nos laira conquerre ensemble nos et els. (Villeli. 440*^.)
0 cum est bienaurouse li conscience où tels manière de lute est ades,
enjosk'atant ke ceu ke morz est soit absorbit par la vie et enjosJc'atant
ke li crimors soit esveudiee ki en partie est et li leece encomenst ke
paifeite est. (S. d. S. B. Roquefort suppl. auros.)
Doneies lur sunt unes blanches stoles , et dit lur est k'eles reposas-
sent encore un poi de tens, des atant ke li numbres de lur peirs sers
et de lur frères soit acomplis. (St. Grég. Dïal. Roquefort stoîe.)
Trosque^ tresque^ s'employaient pour dès que, aussitôt que.
C'est encore une preuve pour l'origine que j'attribue à ces
formes.
Qui dame trice u qui li ment,
Trosqu'ele l'aime loiaument.
Cil soit par tôt le mont trecies,
Et mal venus et mal ti-aities. (P. d. B. v. 5475 -8.)
Mais tresque vus, amis, l'orrez (ma mort)
Jo sai bon que vus en murrez. (Trist. II, p. 76; cfr. p. 84.)
Tresque premiers remirai sen viaire. (Romv. p. 299.)
L'idée de dès que , depuis que, aussitôt que , s'exprimait encore
par très dont que.
Qui faite m'a si grant honeui'
Que par sa debonairete
M'a jetée de povrete
Très dont ^'escapai de la mer? (R. d. 1. M. v. 1856-9.)
Car très dont que premiers vo vi
Et que vostre biaute choisi. (R. d. C. d. C. v. 3515. 6.)
Et la fu Jacop entières
Très dont k'il fu à fin aies. (Phil. M. v. 11036. 7.)
Bemarquez enfin très çou que = dès, depuis que.
Si comme cil ki soujounie
I ot lonc tans
Très çou fc'il ot vencu Jaumont. (Phil. M. v. 4578. 9; 82.)
Très che que jou l'esgardai. (Romv. p. 286.)
382 DE LA CONJONCTION.
Entrues que^ entreus que: pendant que.
Et ses mençongnes li disoit,
Entrues que ses gens combatoient,
Ki la mort proçaine atendoient. (Phil. M. v. 9671-3.)
Hyi-aus crioient ja lacMes,
Eitrnes qu'il en la viUe entroit. (R. d. C. d. C. v. 3268. 9.)
Ef^ e: et.
Les Serments donnent à cette conjonction la forme et-, le
Fragment de Yalencienries, et, e; la cantilène sur S*^ Eulalie et
(un seul exemple et devant une voyelle). Les monuments des
âges suivants offrent j^resque sans exception et^ dans les dia-
lectes bourguignon et picard ; e , dans le dialecte normand et les
provinces immédiatement soumises à son influence. La position
devant une voyelle ou devant une consonne n'a aucune influence
sur la forme de et , tandis qu'en provençal on écrivait e devant
les mots qui commencent par une consonne, et devant ceux
qui commencent par une voyelle.
Et bien moi ramembret ke je droites choses ai fait. (M. s. J. p. 483.)
Et en estant raparilhat les oez. (Ib. p. 485.)
Regehons et aorons en la soveraine Triniteit. (S. d. S. B. p. 522.)
Et si nos eswardons la cause de nostre exil. (Ib. ead.)
E levèrent un cri Saul e ces ki furent od lui. (Q. L. d. R. I, p. 47.)
E encuntre Deu ne pécherez. (Ib. I, p. 50.)
Et ne se place d'ordinaire que devant le dernier membre
d'une énumération, cependant pour appuyer, on peut, comme
en latin, le répéter devant chacun de ces membres.
Et in adjudha et in cadhuna cosa. (Serments.)
Cors est li ciez et la terre et la meirs , et totes les veables choses ....
(M. s. J. p. 484.)
L'emploi de la conjonction et ne se restreignait pas à la
liaison des phrases ; elle servait souvent d'intermédiaire au pas-
sage de la compellation ^ à la demande , à l'exclamation ou à
la réponse.
Sire père, fait il, e vus que m'en loez? (Th. Cantb.p.14,1. 19.)
Comment as tu en non? Ne me le celés ja;
Et tes frères ensement, où tant de biaute a.
Et Régnant respondi : et on le vous dira. (Fierabras III.)
Amis, dist il, e jel otrei. (R. d. R. v. 7287.)
Nous disons; tête à tête^ mot à mot ^ seul a seul^ près à près^
etc. L'ancienne langue se servait , dans ce cas , de à et de et.
Onques rien n'i laissa por nule coardie
Que ce que li rois mande mot et mot ne lor die. (Ch.d.S.II,p.46.)
(1) On me permettra d'employer le substantif compellation, puisqu'on s© sert de
l'adjectif c(m]pellaHf>
DE LA CONJONCTION. 383
E li dux lor conte e retrait
La grant merveille eissi trestot
Cum il li avint, mot à mot. (Ben. v. 25215-7.)
Ben se desfent li Danois et sa gent
Que per à per n'i perdist il noiant ;
Maistantivienent Angevin et Normant. . . (O.d.D. v.7989-91.)
Bras à bras furent longuement. (R. d, 1. M. v. 6510.)
Petit e petit est venuz à repentance. (Th. Cantb. p. 93, v. 12.)
Atant une anne vint al lit,
Pas por pas, petit et petit. (P. d. B. v. 1121. 2.)
E furent il dui sul e sul al champ. (Q. L. d. R. III, p. 279.)
Par doîis et dous tant solement. (Chast. X, v. 60.)
En ordre viengent un et un. (Ib. XIII, v. 173.)
Li harunz manda un e un. (R. d. R. v. 11282.)
Près à pi'es vienent lor conrei,
Desoz les heaumes mu e quei. (Ben. v. 33478. 9.)
Jamais joui* ne serai restans
En .j. leu .ij. nuiz près à près;
Ains cerquerai et lonc et près
Tant que jou en sarai nouviele. (R. d. 1. V. v. 4282-5.)
Gters^ gieres.
Conjonction conclusive signifiant ainsi, done, e^est pourquoi.
Giers doit dériver de ergo de la manière suivante : de erg on fit
ierg^ puis Vi devint/, d'où/^r, ger., qu'on diphthongua de nou-
veau en gier., et, avec s additif, giers. Oiers ne se trouve du
reste que dans quelques-uns des plus anciens monuments de
la langue d'oïl.
Giers mult devons estre sonious ke pau ne soit de noz biens et ke
il ne soient senz discussion. (M. s. J. p. 447.)
Gieres de totes parz nos vient devant la sovraine mezine. (Ib. p. 506.)
Ja soit ce que., ja soit que.
Cette locution conjonctive est restée longtemps en usage au
palais, sous la forme ja^oit que. La Harpe a blâmé J. B. Rous-
seau de s'en être encore servi. Ja soit ce que., ja soit que signi-
fiaient quoique., hien que. Inutile de dire que le présent du
subjonctif soit pouvait être remplacé par l'imparfait fust.
Car cil ki après lo visce de lor malvoisdie repairent az ploremenz,
ja soit ce Jce il pris soient, nequedent ne muèrent mie. (M. s. J p. 446.)
Ja seit iço que il nostre Seignur cultivassent, à ces ydles servirent
que les genz cultivèrent dunt il furent venuz. (Q. L. d. R. IV, p. 404.)
Ja feust ce ^'il ne feussent mie venuz . . . (Rym. I, 2. p. 320.)
Ja soit fc'il li ait anoie. (R. d. M. p. 48.)
On trouve encore y^ soit ce chose que., tout soit que et même
tout., employé seul, dans le même sens. Tout ^ouv quoique est
de la fin du Xm^ siècle.
384 DE LA CONJONCTION.
Lues que: dès que: aussitôt que.
Mais lues qu'il furent fors issu
Cil del ost i sunt acoru. (Bmt. v. 13575. 6.)
Tout maintenant la compaignie,
Lues que la parole a oie,
Li proie (R. d. M. p. 28.)
Mais ce vos prueve
* Que Dex sans faille o eus n'est pas,
Qui juge les ihaus et les bas
lAies qu'il issent de ceste esprueve,
Et rendent l'ame ou vies ou nueve
Qui tos les biens et les maus troeve,
Lues g^'ele ost venue au trespas. (V. s. 1. M. XLII.)
Mais^ 7neis^ mes ^ mex.
Ne nos covient donkes mies resteir , et molt moens nos covient ancor
rewardeir ayere , ou nous ewier as altres , mais mestier nos est ke nos
corriens et ke nos nos hastiens en tote bumiliteit. (S. d. S. B. p. 567.)
Ensi ko tu ne quieres mies ta glore , mais la seye. (Ib. p. 563.)
Sire, touz jours vous ei ame;
Meis n'en ai pas à vous palle. (R. d. S. G. v. 801. 2.)
Mex nos cuens de B(orgogne) en porriens retenir en cest cas ti'ois
mille livres. (1291. M. s. P. I, p. 377.)
Mais formait avec que une locution conjonctive , dont la signi-
fication était pourvu que.
Et vostre volente ferons
Mais que nous partissons tout .iij.
Au gaaig. (R. d. 1. M. v. 4830-2.)
Il ne lor cbaut, mes qu'il lor plese,
Qui qu'en ait paine ne mesese. (Ruteb. I, p. 193.>
Mais or n'i ait nul contredit
Ains me prestes armes nouvieles.
Moi ne caut, ou laides ou bieles,
Mais que fors soient et serrées. (R. d. 1. V. v. 1752-5.)
Se or le m'ofre, ja refuser nel quier,
Et pardonrai trestot, par saint RicMer;
Mais que mes oncles puisse à toi apaier. (R. d. C. p. 90.)
Mânes que: aussitôt que.
Mânes ke il out entremelleit de la gi-evance dele enferteit, si
mostrat il par sonuonte de discrétion, par com grant songe l'om doit
enquerre les pecMez. (M. s. J. p. 511. 2.)
Mais mânes ke la raisons repairet al cuer, mânes soi rapaisentet
la granz noise. (Ib. p. 496.)
DE LA CONJONCTION. 385
N'es que — ne que,
signifiaient non plus que, pas plus que.
Ne li grevoient cop d'espee
Nés que englume fait martel. (E. d. C. d. C. v. 3306. 7.)
Je ne méfie en eulx nés qu^en oysel volant. (Bert.Guescllnv. 11104.)
Li hauberz ne li vaut ne que feist cendax. (Ch. d.S. II, p. 114.)
Voyez une orthographe neques (Ib. p. 140), qui est incorrecte.
Des yex dou cuer ne veons gote,
Ne que la taupe soz la mote. (Euteb. I, p. 245.)
Il n'a ne créance ne foi
Ne que chiens qui charoingne tire. (Ib. I, p. 217.)
Mes ne valut ne que devant. (Ib. II, p. 118.)
Que ne durent terme n'espace,
Ne que la fleur des champs qui passe. (Th. Fr. M. A. p. 306.)
Kichart, ne que espuchier
Puet on la mer d'un tamis,
Ne vous vauroit mais caitis
C'en ne puet musart castoier. (Eomv. p. 327.)
Ces phrases comparatives où les deux membres sont égale-
ment niés (ne ... ne que), se trouvent rarement renversées
comme dans le dernier exemple , où ne que est dans le premier
membre.
Cfr. le latin non . . . non (aliter) quam au sens de non . . . non
magis, que la langue d'oïl rendait encore par ne . . .ne (7mnt)
plus eom.
NeJcedent, nequedent. — Por quant. — Neporquant^ nonpor quant .,
nampwquant. — Portant. — Nonportant.
Toutes ces formes signifiaient pourtant, cependant, néanmoins.
Nequedent se décompose en ne -que -dent., et dent est une altéra-
tion de dont (Cfr. le provençal nequedonc Lex. Rom. lY, 313, que
Raynouard dérive très -faussement de nequando). Por quant -■=
por -quant est le corrélatif de portant = por -tant. (Yoy. l'adverbe.)
Ellevos en ta main est, mais nequedent l'anrme de lui garde.
(M. s. J. p. 448.)
Et cant il saiUient en paroles de ramponnes, si perdent la cause
de pieteit par cui il erent là venut; et nékedent ce ne fout il mie par
maie entention. (Ib. p. 475.)
Nequedent par lo main puet la prosperiteiz , et par lo vespre li
adversiteiz de cest munde estre signifie. (Ib. p. 509.)
S'ame en infier grant painne a:
Nequedent la gent forsenee
Guident que el ciel soit montée. (E. d. M. p. 78.)
Al disme an fu Hector ocis:
S'en estut mal à ses amis,
Burguy, Gr. de la langue d'oïl. T. II. Éd. III. 25
386 DE LA CONJONCTION.
Parquant moult bien se desfendirent
Et grans esters as Grius rendirent. (P, d. B. v. 247 - 50.)
Mes à char nel tocha par maie destinée,
Porqant si bien l'ampaint q'il l'abat an la pree. (Ch. d. S. II, p. 118.)
Purquant pur celé messe que il indue canta
Li evesques de Lundres, qui pur le rei parla.
Par devant l'apostolie puis l'en acusa. (Th.Cantb.p. 17,v.26-8.)
Yoy. Ben. v. 36395. R d. M. p. 67. E. d. C. p. 87. etc.
Mais neporquant , se leus estoit,
Sens et mémoire d'orne avoit. (L. d. M. p. 51.)
Nel puet nomer, et neporquant
Balbie l'a en souglotant. (P. d. B. v. 7245. 6.)
Ne porent à terre venir,
Ne en Normendie revertir,
E nepurquant si prez se tindrent.
Que en l'isle de Gersui vindrent. (E. d. E. v. 7933-6.)
Namporquant je pris miex savoir
C'avoir. (E. d. 1. Y. v. 4. 5.)
Cfr. V. 1979. L. d'I. p. 19. etc.
La syUabe initiale de la forme namporquont représente une
altération de non, dont le n final s'est permuté en m devant
le p. (Cfr. neporoc.)
NeporoG, neporhueo, nepuroc^ namporoc^ etc.
s'employaient dans le même sens que les locutions conjonc-
tives précédentes. (Cfr. poroc^ adverbe.)
Nonporhuec por lo test puet l'om entendre la fragiliteit de nostre
mortaliteit. (M. s. J. p. 449.)
Nonporhuec par les ténèbres puent estre signifiiet li repuns
jugement. (Ib. p. 457. 8.)
Et namporoc, s'en ai grant paine. (Brut. v. 11823.)
La forme suivante prouve que le syUabe initiale nmn est
une altération de nom pour non (cfr. namporquant).
Nomporoc bien les consilla. (Brut. v. 3353.)
E nepio^'oc nen out haut home
Dès Alemaigne desqu'à Eome,
Qui ne desirast chèrement
Le suen sage seignorement. (Ben. v. 41721-4.)
E nepuroc quant il voleient,
Del un Hu al autre veneient. (M. d. F. II, p. 473.)
Pai' foi! asses le dehaignon;
Nonpruec me sanle il trop vaillans.
Peu parliers et cois et chelans.
Ne nus ne porte meilleur bouque. (Th. Fr. M. A. p. 81.)
Partant Ice, portant Ice: parce que.
Cest jor ne reètuieret mie Deus et nel alume mie de lumière, quand
DE LA CONJONCTION. 387
il en la venjance del dairien jugement ne choset mie, partant 7ce nos
l'avomes vengiet par repentance. (M. s. J. p. 457.)
Dunkes partant Tce li anrme sentet tost son pecMet, et restrendet en
repentant sa tyrannie desoz sasengnerie, soit dit adroit... (Ib.p.461.)
Dunkes, partant Jce des aerienes poesteiz vient la flamme d'envie en-
contre la netteit de noz penses , si vient li fous del ciel az berbiz. (Ib. p. 501.)
Je lui dis que bien en estoie certains , et le croi fermement , pour-
tant que ma mère le m'avoit dit par plusieurs fois. (JoinviUe.)
Fues qice, puis que ^ pois que: depuis que; dès que, puisque.
Ke poroie ju dotteir, puez ke li Salveires est venuiz en ma maison?
(S. d. S. B. p. 548.)
Quels chose puet estre plus nondigne, et ke plus facet à haïr et
plus griement à vengier, ke ceu ke li hom s'esliecet désormais sor
terre, pues fc'il voit ke Deus est devenuiz petiz. (Ib. p. 535.)
Sulunc tûtes les ovres que fait unt, poi que jos menai hors de
Egypte , desqu'à cest jur. (Q. L. d. E. I, p. 27.)
Puis Jce famé enprent une chose.
Moult à enviz dort ne repose,
Tant k'ele en puist à chief venir,
Que q'apres en doie avenir. (Dol. p. 171.)
Puis que Diex eut establies les lois,
Par nule guère ne fu si grans effrois. (K. d. C. p. 97.)
C'est grant pitiés et grant doleur
Quant jentil femme pert s'oneur.
Puis qu'elle Yoëlle à bien entendre. (E. d. l.M.v.5117-9.)
Japuis qu'ilert sacrez, n'ert à vos lois suzmis. (Th. Cantb. p. 14, v. 23.)
Puis que somes ansamble, s'or estoie .i. bergier
Ou gaite de chastel ou ribaut ou fomier.
Si vos covient à moi, ce m'est vis, tornoier... (Ch. d.S.lI,p. 171.)
Et il jura que puis que Lombai-t ne voelent enviers lui faire pais
ne accorde, que il saura se Lombart aront pooir contre lui. (H. d. V.
p. 221. XXIX.)
Mais je lairai le duel ester,
Poui' vous me voirai conforter.
Puis Jce hebregies estes chi. (E. d. 1. Y. v. 1643-5.)
On voit que puis que s'employait: a) quand on voulait
indiquer dans la phrase subordonnée le moment après lequel
le contenu de la phrase principale se réaliserait; h) quand on
désignait la durée à partir d'un moment déterminé; enfin c)
pour exprimer l'idée de causalité.
A poi que -ne; à petit que -ne: peu s'en faut que ne.
Li maronier l'ont escrie.
Et de lor aviron gete;
Li uns l'a d'un baston féru:
A poi Jfc'il ne l'ont retenu. (L. d. M. p. 52.)
25*
388 DE LA œNJONCTION.
Et Lorois, qui les esgarda,
A poi que il ne s'en pasma. (L. d. T. p. 79.)
Salerez est clieuz, dus Naymes chancelez,
A petit que il ^'est do tôt desafautrez. (Ch. d. S. II, p. 174.)
Ondisait aussi ^or ou par pot, petit que-ne^ ou avec l'article
indéterminé por un poi y petit que -ne. (Cfr. Adverbe).
Por ce que ou par ce que: parce (j^ue.
La première de ces combinaisons est la plus fréquente dans
l'ancienne langue; eUe resta en usage jusqu'à la lin du XVI*
siècle. J'ai déjà parlé dé la confusion de per et pro; j'ajouterai
ici que la raison immédiate de l'emploi de pour que dans les
phrases causatives se trouve déjà dans le latin.
Pa/r ce que nous donne la cause et le motif, il répond au
latin quia et quod. Por ce que, pa/r ce he^ por que et par que^
servaient aussi pour notre afin que^ pour que.
Par ce Tce la fumeie tuerblet l'oelh, si at nom la confusions de
nostre pense fuineie. (M. s. J. p. 459.)
Et par ce ke nos veons ce ke fait est, nos merveilhons nos del
force del faiteor. (M. s. J. p. 478.)
Mais la raihnable créature, par ce ke ele est faite al ymagene de
son faiteor, est gardeie ke ele à nient ne- trespasset. (Ib. p. 485.)
Car li set filh ne puent parvenir à la perfection del numbre de dis,
se tôt ce ke il font n'est en foid et en sperance et en cariteit; et par
ce ke cest habundance de vertuz ki devant s'en vat, siet plaintive pense
de bones oevres , vient à droit après. (Ib. p. 495.)
Dunkes diet l'om ù il demorat, par ke ses los creisset, cant il fut
bons entre les malvais. (Ib. p. 441.)
Si guerroieront lor segnor:
Per ço qu^il orent bone aïe
Desdegnierent sa segnor ie. (P. d. B. v. 174-6.)
Et por kai dient eles ceu? Por ceu Jfc'eles en lor vaissels nen ont
poent d'oile. (S. d. S. B. p. 564.)
Pur ço que tu as oud fiance al rei de Syiie, e nient en nostre
Seignuj, li oz de Syiie te est eschapez. (Q. L. d. HE, p. 304.)
Por que (Ei-agm. de Val. 1. 12 v«).
Quar quand li bon ont mal et li mal bien , pues cel estre l'om entent
ke ce soit por ce ke li bon se il ont alcun mal fait, en rezoivent ci la
paine , por ke il plus plainement soient delivreit de la permanable damp-
nation; et li mal truisent ci lur biens cui il font por ceste vie, pai' ke
il en l'altre soient plus delivrement trait az tormenz. (M. s. J. p. 463.)
Je rappellerai ici les combinaisons par ce et por ce^ por quoi
et par quoi, qui signifiaient (c^estj pour cela (que) , (c^est) pour qvM.
Par ce est dit ù li sainz hom demoroit, ke li mérites de sa vertut
soit expresseiz. (M. s. J. p. 441.)
Par ce siut bien après. (Ib. p. 505.)
DE LA CONJONCTION. 389
Pot ceu voil bien, cMer frère, ke vos sachiez ke tuît cil enseiient
l'anemin avuertement ... (S. d. S. B. p. 573.)
Atant entendid Jonathas que sis pères out estrussed que David
oci reit. Pur ça de la table à grant ire levad, e al jui- de pain ne
gustad. (Q. L. d. K. I, p. 81.)
Pour quoi, par quoi étaient tout aussi indépendants dans leur
emploi que por ce^ et on les trouve souvent après un point au
commencement d'une phrase.
C'est aux XIY^, XY^ et XYI® siècles, que 'pour quoi et par
quoi eurent leur grande vogue.
Por quoi s'employait encore pour pourvu que. (Fabl. et C.
n, p. 152.) Je dirai en passant que por que se trouve avec le
même sens. (E. d. 1. M. v. 5603.) Cfr. Adverbe 'poroo.
Que.
Cette conjonction doit dériver de quid., ainsi que le prouvent
les formes quid des Serments, et qued (devant une voyelle) de
la cantiïène sur sainte Eulalie v. 14. 27. Le pronom quid
serait donc devenu d'abord pronom relatif abstrait, c'est-à-dire
qu'il n'aurait plus eu de genre , puis il aurait pris le rôle d'une
conjonction.
Outre ce que^ il y en a im qiui sert à lier le second membre
de la phrase comparative; il répond au latin quam (ut, ac, atque).
Que est -il ici le même que l'autre ou dérive -t-il de quam?
La conjonction que (quod) peut être supprimée, soit que
grammaticalement les deux phrases soient séparées c'est-à-dire
que le verbe de la seconde est à l'indicatif; soit que les deux
phrases soient grammaticalement unies, c'est-à-dire que le verbe
de la seconde est au subjonctif. Cette dernière suppression du
que était encore en usage au XVI *" siècle.
Quant l'arcevesque vit, tuit se tindrent al rei. (Th. Cantb. p. 102, v. 1 .)
Jamais en cort ne séries troves
Corne traitres ne fussies demostres. (0. d. D. v. 4526. 7.)
Garde plus ne li faces mal. (Ben. v. 25655.)
Par sainte obédience defent nés (les leis) tiengiez mie.
(Th. Cantb. p. 23, v. 30.)
Je porterai l'attention sur une ellipse semblable du que
comparatif devant une phrase complète.
Fi, fi, plus puent ne fait fienz. (Fab. et C. I, p. 284.)
Miex vault prendre, ce m'est avis.
Ne face atendre le cuidier. (Eomv. p. 381.)
On se souvient que de remplaçait que après le comparatif;
ce de peut également être supprimé, surtout devant les noms
de nombre, après plus.
390 DE LA CONJONCTION.
Fiers e hardiz plus leoparz,
Od les glaives les esboelent. (Ben. v. 22375. 6.)
Paien d'Arabe s'en turnent plus .c. (Ch. d. R. p. 137.)
Que avait le sens exact ou approximatif de: afin que, pour
que, parce que^ vu que , de manière que, de sorte que.
Filz, esgarde com li formiz
Porchace son vivre en este,
Que en Mver en ait plante. (Chast. prol. v. 192-4)
Ses homes fist. Artus armer
Et ses batailles ordoner;
Quel hore que Romain venissent
Que prestement les recoiUissent. (Brut. v. 12708-11.)
Sa victoire i fist mètre, escrire et seeler,
A bêles letres d'or dou meillor d'outremer:
Ce fist il que li Saisne s'i poissent mirer;
Sovantes foiz avoient telant de révéler. (Ch. d. S. Il, p. 189.)
Por ce que sermoner me grieve,
Le prologue briefment achieve,
Que ma matire ne desti-uie. (Ruteb. n, p. 158.)
A la curt en ala sainz Thomas li bons prestre,
E pristles armes Deu, gweseurs peust estre. (Th. Cantb. p. 20, v. 27. 8.)
L'autrier .i. jor jouer aloie
Devers l'Auçoirrois saint Germain,
Plus matin que je ne soloie,
Que ne Hef pas volontiers main. (Ruteb. I, p. 213.)
Adonques traist l'espee g'il se voloit ocire. (Ch. d. S.II,p. 148.)
E mistrent grant paine à la ville prendre ; mais ne poet estre , que
la ville ère mult fort et mult bien garnie. (Villeh. 479*".)
Affuble toi que trop es nus. (Fab. et C. I, 378.)
Li preudon fu viex devenu
Que viellece l'et abatu,
Qu'diXL baston l'estuet sostenii*. (Ib. t. IV, p. 479.)
Que — que: et — et, soit — soit.
M. Diez (m, 73.) range ce que -que parmi les pronoms.
Pour s'expliquer que -que de cette manière, il faut considérer
que comme un pronom neutre , et on ne peut partir de ce point
de vue sans faire violence au génie delà langue d'oïl. M. Diez
s'est probablement laissé tromper par la comparaison d'un
emploi assez extraordinaire de l'allemand welches., was. Que -que
répond exactement, pour le sens, au latin qua-qua: Qw(?dominus,
qua advocati (Cic. Att. 2, 19). La permutation de qu^ en que
n'a en outre rien que de fort naturel ; aussi regardé -je qice-que
comme une simple traduction du latin qua-qua.
En trente leus esteit l'occise
Del englesche gent entreprise;
DE LA œiïJONCTION. 391
Qu'en cler sanc d'eus, que en boeleC,
Qu'en piez, qu'en mainz, que en cervele,
I entroent, ce sui lisant,
Desqu'as chevilles li Normant. (Ben. v. 27255-60.)
An .viij. jors plains, ce saicMes, sans tai'gier.
Que d'un que d'autre orent .xxx. millier. (R.d.C. p.331.)
Bien en ont .xxx., que mors, que confondus,
Et bien .l., que pris, que retenus. (Ib. p. 152.)
E furent bien mil chevalier,
Qu£ d'une part, que d'auti-e, au mains. (Romv. p. 497.)
De pite eurent bien leur part.
Que poui" leur dame, que pour lui.
Qui par traison ont anui. (R. d. 1. M. v. 5406-8.)
Que que, coi que: au moment que, pendant que.
Que g'ansi vont disant, vers lui sont aprochie. (Ch. d. S. I, p. 254 ;
cfr. II, 78. 79.)
Et que que il s'esmerveiUoit
Fors de lu forest issir voit
liij .XX. dames tôt alsi. (L. d. T. p. 77.)
Aucune foiz sa robe ardoit
Que que vers le ciel regardoit. (Euteb. II, p. 214.)
Coi que la biele se gaimente,
Gerars revint de pasmison. (R. d. 1. V. v. 2085. 6.)
Coi que les pucieles contendent,
Li Saisne lor chevaus destendent
Quant voient abatu Gontart. (Ib. v. 2754-6.)
Se — Si.
Je réunis ces deux formes afin de les mieux différencier. Se
dérive du latin si; c'est notre conjonction si. (Italien et portu-
gais 8e\ provençal et espagnol si.) La forme primitive de se
paraît avoir été si; mais, déjà à la fin du XLE® sièle, on voit
tantôt si, tantôt se; puis se devient général, sans doute poui*
le différencier de si, adverbe et conjonction. Cependant si ne
disparut pas entièrement, mais les exemples qu'on en trouve au
Xm* siècle, doivent être le plus souvent considérés comme des
fautes des copistes (cfr. né). On trouve même si pour se et se
pour si. En ÎTormandie, si se maintint un peu plus longtemps
que dans les autres dialectes.
Dans les conjurations et dans les serments^ on se servait du
subjonctif après se , qui reste cei)endant conditionnel. Se JDieus
me consaut , me saut., etc. sont des phrases qui reviennent à
chaque instant.
Si dérive du latin sic; il avait divers emplois que je vai^
chercher à expliquer.
392 DE LA CONJONCTION.
Si avait la fonction de simple copule , comme notre et On
l'employait en poésie et en prose, mais surtout dans le récit.
Les auteurs du XY*" siècle en faisaient encore usage. Si s'em-
ployait d'ordinaire quand le sujet des phrases restait le même;
il se plaçait au commencement de la phrase, immédiatement
avant le verbe , à moins qu'il n'y eût des pronoms qu'on prépose
toujours a ce dernier ou des négations.
E il en despit del rei asistrent les cieus, e les clops, e les leprus
as kernels de la cited, si distrent al rei. (Q. L. d. R. n, p. 136.)
E l'um le nnnciad al rei que il ert venuz, si vint devant le rei,
si aurad à terre le rei, puis si li dist. (Ib. m, p. 223.)
La seconde phrase a -t- elle un nouveau sujet, on l'unit à
la première par et.
E cil de Gadre vindrent encuntre David e il les saluad. (Ib. ead.)
Cependant, à la fin du Xm® siècle siu-tout, il n'est pas
rare de voir figurer si pour et, quant les sujets sont différents.
C'est une extension abusive de l'emploi de m, occasionnée sans
doute par la fréquence de ce mot.
On rencontre souvent et où si aurait pu trouver place.
C'était, en certains cas, pour varier les formes; autre part, la
négation semble avoir de l'influence sur l'emploi de et.
E David guastout tute la terre , e n'i laissad vivre home ne femme.
(Q. L. d. E. I, p. 107.)
E li Philistien s'asemblerent e vindrent en terre de Israël, si
s'alogierent en Sunam. (Ib. ead. p. 108.)
Fort souvent la conjonction et prenait sa place ordinaii'e
devant le si.
Oiez chançon, et si nos faites pais. (R. d. C. p. 3.)
Jo te liverai tun enemi , e si li fras quanque te plarrad. (Q. L. d.
R. I, p. 93.)
Si, et si servaient en outre de conjonctions adversatives.
Si, adverbe, remplaçait, en nombre de cas, le composé
ainsi, et il n'est pas rare qu'on le puisse traduire par aiissi.
Bien moins souvent que les autres langues romanes, le
provençal et la langue d'oïl faisaient usage de si (= sic,
synonyme diHta) comme adverbe d'affirmation. D'ordinaire, on
l'employait en opposition immédiate avec non, et quand il
s'agissait de répondre à une assertion négative ou à une demande
qui exprime le doute. Cependant ce n'est pas une règle fixe,
et, dans les plus anciens temps surtout, on voit souvent dil où
si pourrait figurer.
Je ne parle pas de si adverbe de comparaison (Yoy. tant).
DE LA CONJONCTION. 393
Et se ceu ne li est mies asseiz , se li donrai ancor avec ceu lo sien
cors misnies , car cil est del mien cors , et si est miens. (S. d. S.B. p. 549.)
Si Criz donat son propre sanc por lo rachatement des aim'mes , ne
te samblet il . . . (Ib. p. 555.)
Et por ceu ke li nons et li malice des porseuors soit lonz de nos, si
vos prei ju . . . (Ib. p. 557.)
Mais nen est ancore mies asseiz se li seijanz lait .... (Ib. ead.)
E puis, si te plaist, cunge me dune que jo repaire à ma cited.
(Q. L. d. R. n, p. 195.)
Se nos par lo jor entendons la joie del délit, à droit est dit de
ceste nuit. (M. s. J. p. 462.)
Se uns mors et uns vis astoient en un liu, ja soit ce ke li mors
ne veist lo vif, si verroit li vis lo mort. (Ib. p. 465.)
Pour coi vous estes revenu
Ne sai, se vous ne le me dites. (R. d. M. p. 55.)
Se jo ne sui fille de roi,
Si sui je fiHe à rice conte,
Si me covient garder de honte. (P. d. B. v. 10216-8.)
Povre sont tuit et jo si sui. (Ib. v. 2583.)
Li rois respont: Or soit dont si. (Ib. v. 2795.)
Partonopeus nel fait pas si. (Ib. v. 7608.)
Lez fu donques, n'out este si. (St. N. v. 1408.)
Hon dit: Ce que tu tiens, si tien;
Ci at boen mot de bone escole. (Ruteb. I, p. 126.)
Mais ele n'a pas cuer si droiturier
K'à moi n'afiei-t; si ne puis jou kuidier
K'en li ne soit et pites et mercis. (Romv. p. 277.)
Quer mult le redotoent e s* l'amoent tuit. (R. d. R. v. 2294.)
Dou domage des morz est dui-ement iriez.
Si n'est pas ancor tant de gent afabloiez
Que il n'ait bien ancor .x.m. chevaliers. (Ch. d. S. Il, p. 139.)
Biaus fiuz, jou vueil, si vous en pri. (R. d. S. G.v. 1740.)
Ki fuir porent, si fuirent. (R. d. R. v. 7655.)
Mais j'aim. miex por noient servir
A li et morir en amant.
Que de toutes autres joir;
Si m'en facent amoui'S joiant. (Romv. p. 276.)
Mais or ne puis plus soustenir
Sie grief fais, ne nus n'eust tant
Soufert nel convenist morir,
S'il n'amast esragiement. (Ib. p. 275.)
Qui riches est s'a parente. (Ruteb. I, p. 226.)
Dans les deux exemples précédents, on voit que Ve de se
et Vi de si pouvaient être élidés, quoiqu'ils ne le fussent pas
toujours, quand le mot suivant commençait par une voyelle. ,
394 DE LA CONJONCTION.
Sire, dist li valiez, non ferons — Si ferons, dit li pères. (R. d.
S. S. d. R p. 31.)
Dame, je crois bien qu'il est vostre filz, mes il n'est mio filz de
vostre seingneur. — Sire, si est, dist la roïne. — Non est, dame, et
se vos ne me dites autre chose, je m'en ii'ai. (Ib. p. 26. 7.)
Eemarquez les locutions:
Gandins esgarde son ami.
Et sus et jus et si et si (P. d. B. v. 8265. 6.)
Car il n'en poroit à cief traire.
Tant fort le gardent si ami.
Ne s'ociroit ne si ne si. (Ib. v. 5464-6.)
Pour exprimer la possibilité de la manière , on se sert de
comme si. Dans l'ancienne langue on pouvait retrancher le se (si).
Et ensi repairent à lur propres afaires corn eles unkes ne s'en
partissent. (M. s. J. p. 496.)
Remarque. Notre comme sert surtout à joindre à la phrase
principale l'incidente qui exprime une égalité qualitative ou une
ressemblance, et alors on lui donne quelquefois pour corrélatif
démonstratif l'adverbe ainsi; mais, en général, la langue moderne
n'oppose à comme aucun corrélatif. L'ancien français employait
volontiers dans l'incidente les corrélatifs correspondants à s/c,
ita, taïis^ etc., et même il redoublait souvent le corrélatif
démonstratif, c'est-à-dire qu'il le mettait dans la phrase prin-
cipale et le répétait dans l'incidente qui était préposée à cette
dernière.
Si com se traduit par comme et que.
Sire , ce dit li dus , si comme vos commandez. (Ch. d. S. Il, p. 156.)
Sempres si cum fu arivez
En Engleterre, reis Alvrez
Eeprist le règne senz content. (Ben. v. 27926-8.)
Si fist l'on si cum il le dist. (Ib. v. 22492.)
Prometons nos loiament à tenir et faire tenir par nos aidans et
nos aloies toutes choses desusdites , tout si com il le dira et l'ordenera.
(1288. J. V. H. p. 468.)
Si ke : de manière que , tellement que.
Quant li poil sunt raseit, si rémanent les racines en la char et si
receissent si Jce à retrenchier font. (M. s. J. p. 483.)
Dous anz estut Absalon en Jérusalem si qu'il ne vint devant le rei.
(Q. L. d. E. II, p. 171.)
Cume li pruveire furent eissud del saintuarie, une nieule levad
par cel temple, si que li pruveire ne pourent ester, ne le servise faire
pur la nieule e pur l'oscurted. (Ib. v. 259.)
Yers la fin du XIII^ siècle, on trouve quelques exemples
où si que a la signification de ai7isi que, comme.
DE LA CONJONCTION. 395
Mes pour couvrir son couvenant
Se maintint en celle vespree
Si qu'elle estoit acoustumee. (R. d. C. d. C. v. 6793 - 5.)
Far si que: pourvu que.
Moût desiroit, se il peust
Par si que honte n'en eust
Qu'il peust des tournois partir
Et vers Escoce revertir. (R. d. 1. M. v. 4003-6.)
Biaus amis, vostre anel vous rent:
Car par lui ne voel pas garir
Par si que vous voie morir. (FI. et Bl. v. 2806-8.)
Agoulans vit que la cite
Ne pot tenir à sauvete,
Si manda trives à Carlon,
Par si que tout si compagnon
Peuissent de la ville issii*
Tôt sauvement, pour aus garir,
Quar il se viout à lui combattre. (Phil. M. v. 5264-70.)
Si là que: jusqu'à ce que.
Cette locution conjonctive n'est pas très -ordinaire; elle
paraît être une altération de de ci là que.
Regardèrent le dos Moyse, si là qu^il fust entrez en la tentorie.
(Exode. V. Roquefort.)
Se (si) — non.
Se (si) — non répond au latin nisi. On séparait d'ordinaire
les deux membres de la composition.
Que entent om par lo test, se la vigor non de desti*enzon, et par
lo venin la maie pense? (M. s. J. p. 449.)
Et là si a un flum qui fiert en la mer, que on n'y puet passer se
par un pont de pierre non. (Villeh. 451 ''.)
N'i remest se M enfes non,
Qui tut sul gardoit la meison. (St. N. v. 1186. 7.)
Cfr. : Nulz ne vient al Père se par moi w'est. (M. s. J. p. 486.)
2ant corn: tant que, aussi longtemps que.
Raoul donnastes autrui terre en baillie.
Vos li jurastes devant la baronie
Ne li fauriez tant com fussies en vie. (R. d. C. p. 218.)
Tôt mon roiame ai ame poi
Tant corne jo perdu vos oi. (P. d. B. v. 9277. 8.)
Tant que: jusqu'à ce que.
Si se tem'ont en nostre loi
Tant qu'il nos aient pris al broi. (P. d. B. v. 9017. 8.)
396 DE LA CONJONCTION.
De legier laisse poire et maire,
Et famé et enfans et sa terre,
Et met por Dieu le cors en guerre,
Tant que Dieux de cest siècle l'oste. (Ruteb. I, p. 48.)
Secorez la, c'or est mostiers
N'atendez pas tant que vous emble
La mors l'ame. (Ib. I, p. 93.)
Maint dui' estor, mainte bataille,
Lor tindrent puis ades e mais,
Tant que la terre fu en pais. (Ben. v. 39060 - 2.)
Tantost (= tant tost) eom , tantost que — sitost com , sitost que :
aussitôt que.
Atant s'en turnad la dame e vint en la citet de Thersa, e tant tost
cume ele mist le pie en sa maisun , li enfes mui'ut. (Q. L. d. R. III, p. 293.)
Tantost comme li empereres ot ainsint commande à ses serjanz , il
fu faiz. (R. d. S. S. d. R. p. 12.)
Et tantost comme en eut mengie,
Poui'pensa soi qu'il ot pechie. (R. d. S. G. v. 117. 8.)
Tantost que venir le verray,
A vous venray par un sentier,
Bien le saray adevancier. (R. d. C. d. C. v. 4326-8.)
Mais foi ke doi toz mes amis.
Droite vanjance t'an ferai.
Tantôt Jce revenus serai (DoL p. 227.)
Sitost comme il fu repentans. (R. d. 1. M. v. 5747.)
CHAPITRE X,
DE L'INTERJECTION.
Avoï, (aoi, aè\ dans les refrains).
Cette interjection sert en général à exprimer l'étonnement,
avec une idée de contrariété, de mécontentement, d'irritation.
L'on a émis diverses opinions sur son origine. M. Diez (II,
p. 413) dit: „avoi^ d'où notre allemand du moyen -âge avoy,
proprement ha voi^ itaUen eh via (= voie), ei was^ proprement
ei weg}'- M. F. Michel (Chanson de Roland, Closs. s. v. aoi) se
demande si aoi (avoi) ne serait pas une altération du mot anglo-
saxon apeg^ maintenant away en anglais. M. Cénin (Ch. d.
Eoland p. 340) traduit avoi par à voie! allons! en route! F.
Wolf (Ueber die Lais p. 189) trouve dans a/voi un refrain
d'église: evovae^. D'autres enfin ont pris avoi pour Vevoe
classique.
Avoi me paraît tout simplement être une composition de ha
ou ah interjectif et de w^, du verbe voir. L'espagnol a une
interjection tout à fait identique dans afé=ave, c'est-à-dire
a-ve: a interjectif et ve = vide. (Y. Diez p. II, p. 387.)
Avoi! sire, che dist Gerars;
Puis que mesires Lisiars
Velt gagier, por moi ne remaigne. (R. d. 1. V. v. 288 - 90.)
Copes moi la teste. — Avoi! biaus père, ce ne ferai ge mie.
(E. d. S. S. d. R. p. 32.)
Avoi! dist li père, beals filz . . . (Chast. XXII. v. 255.)
Quant à lui vindrent si chadaine
E li meillor de sa compaigne,
Tuit plein d'esmai e de contraire
De ce que H dux voleit faire:
Avoi! funt il, sire, entent nos... (Ben. v. 21778-82.)
(1) La dérivation d'evwoe est tout à fait impossible; ce mot n'aui-ait jamais pu
produire qvJeooe, trissyllabe.
398
Avoi! font il, franc duc corteis,
Qu'est ce dunt tu nos aparoles?
Tôt apertement nos afoles. (Ib. v. 23528-30.)
Havoi! sire rois, vos pour coi
Aves çou dit. (Ben. IV, p. 79.)
Avoi! lion, ocies Floire. (FI. et Bl. v, 948.) '
Avois ! chastelains , et comment
Quidies vous estre si secres
Que je ne sache où vous âmes? (K, d. C. d.C. v.5095-7.)
Dehait, mal dehait.
Le simple de ce mot est hait^ qui signifiait plaisir, satis-
faction^ gré, joie^ allégresse^ bonne disposition de T esprit ou du
corps ^ courage. De là le verbe haiter, haitier^ encourager, con-
forter, ranimer le courage, faire plaisir, réjouir, au participe,
dispos, en bonne santé; dehait, déplaisir, chagrin, mauvaise
disposition de l'esprit ou du corps, abattement, maladie; d'où
dehaiter^ dehaitier. Il nous est resté souhait^ désir secret; sou-
haiter. Hait dérive du vieux norois heit = votum , promissum,
d'où s'est développée la signification désir, voeu, qu'on retrouve
dans la locution à hait, à souhait, au gré de ses désirs, et
dans souhait.
Neu curent pas tel hait en l'ost ne hier ne avant hier. (Q. L. d.
R. I, p. 15.)
[Non enim fuit tanta exultatio heri et nudius tertius.]
Or quit qu'à mult maie aise sunt
Cil te la tor desus d'amont:
N'en devaient, n'a eus ne vait
Nus qui lor dunt confort ne hait. (Ben. v. 32508-11.)
Car nus hom n'ert ja tant iries
S'auques i est ne soit haities. (P. d. B. v. 1104. 5.)
U Jonathas le fiz Saul vint à lui, sil cunfortad e haitad en Deu.
(Q. L. d. R. I, p. 91.)
Bien sot au roi aler entor
A guise de losangeor.
Un jor trova le roi haitie
Si l'a à consel afaitie. (Brut. v. 7007 - 10.)
Quant il ot la lettre leue,
La couleur li est revenue.
Et se commence à rehaitier. (R. d. C. d. C. v. 2889-91.)
Por le deshet, por le contraire
N'i veut longe demore faire. (Ben. v. 32594. 5.)
Que monte cis diols et ceste ire
Qui nos deshaite et vos empire? (P. d. B. v. 4953. 4.)
Remarquez encore haitement = hait.
399
Haitement pemez e confort. (Ben. H, v. 1869.)
Et faisoit sovent faus bries faire
Por moi à haitement atraire. (P. d. B. v. 10033. 4.)
Cfr. t. I, p. 127, 1. 9; p. 148, 1. 35; p. 235, 1. 29; brocher ad
eït. t. I, p. 324, 1. 25, etc.
On disait aussi mal dehait et, par opposition, hon hait.
Pour qui lono temps eut mal dehait
Tout celui jour fu en hon hait. (R. d. C. d. C. v. 2417. 8.)
Dehait ou mal dehait s'employait comme interjection.
Déhait qui chant mes que soies garie. (Fierabras LXVIII, c. 2.)
Souvent on disait, en prenant dehait pour un substantif:
dehait ait., cent dehez ait., mdl déhait ait!
Dehe ait que puis le crendreit ! (Ben. v. 9103.)
Dient François: Dehet ait ki s'en fuit! (Ch. d. R. p. 41.)
Cent dehes ait qui ja mes vous faudra ! (Agol. v. 596.)
Mal déhait ait ke nos doue a maingier ! (G. d. Y. v. 3460.)
On trouve enfin l'orthographe dahait., dahe, qui est certaine-
ment altérée. (O. 1. L. I, p. 275, 283.)
Diva.
Cette interjection se montre plus tard sous la forme dea,
et nous l'avons conservée dans om-da, n^nm-da. Diva expri-
mait une invitation pressante, une prière, et quelquefois un
reproche.
Ménage dérive diva (dea) de vri rbv Jia de ou vr] ôrj.
M. F r. Michel propose diva i. e. Maria (Charl. p. 74. s. v. diva)^
comme racine de diva. Diva explique, selon M. P. Paris, par
dis valet = die puer (0. 1. L. I, p. 295, II, p. 23. cfr. ib. II, p. 155.).
Ces étymologies ne sont basées sur rien de solide.
M. Chabaille (Kom. du Eenart Suppl. p. 16 note) écrit di,
va au Ueu de diva , et il voit dans cette locution un gallicisme
qui peut se traduire par allons, dis; parle, Je t'en prie. H a eu
tort d'écrire di., va, et diva n'est sans doute pas un gallicisme
à la manière dont il l'entend; mais il a rencontré juste en
décomposant diva en di et va.
Va est l'impératif àJ aller, qui s'employait souvent dans le
même sans que diva.
Lesse, va, tost les chiens aler. ^ (R. d.Ren.I,p.47.v.l220.)
Qui es tu, va, qui vas par ci? (Ruteb. Il, p. 101.)
Ce va se retrouve encore dans le provençal moderne. (Yoy.
Honorât, Dict. prov. franc, s. v. vai, va, vaine.)
(1) L'éditeur ponctue maladroitement: Lesse, va tost, les clùens aler.
400 DE l'interjection.
On préposa ensuite à va l'impératif de âdre, di\ sans doute
pour renforcer la signification de va. C'est ce que prouve le
vers suivant où di est répété.
Et tu, àiva di. fax noienz,
Tu ne sai pas vaillant un pois. (Ruteb. I, p. 335.)
Yoici quelques exemples de cette interjection.
Diva! fetlerois, garde se tu me porras garir. (R.d.S.S. d.R.p, 39.)
Divai, fait il, car nos viele un son. (Fierabrasp. 166,c.2.)
On voit ici va avec la forme bourguignonne: vat; nouvelle
preuve en faveur de l'origine que j'attribue à dïva.
Li termites tost li respont:
Diva! cil Dex que fist le mont
Il vus donst voire repentance. (Trist. I, p. 70.)
Diva! fet il, où sont aie
Les âmes que je te lessai. (Fabl. et C. m, p. 294.)
Diva! conte, qu'as tu trouve? (R. d. C. d. C v. 4064.)
Dea faust il que vous austres parliez aussy de la guerre, qui
ressemblez proprement aux casserons ? (Amyot. Hom. iU. Themistocles.)
Pourquoy non dea ? (Montaigne Ess. ni, 5.)
JSaro^ harou, hareu.
Du Gange, Ménage, Eoquefort, etc. font dériver cette
iterjection de „/î« et de Eaoul^ à cause de Raoul, premier duc
de Normandie , qui se rendit célèbre et cher à ses sujets , par
son amour pour la justice et sa sévérité à la rendre," M. Diez
(n, 414.) semble se ranger à la même opinion, ce qui m'é-
tonne fort de la part de cet iUustre linguiste ; il aurait dû voir
que l'interjection ha n'est ici nullement à sa place. Je ne parle
pas de l'invraisemblance qu'il y a à faire passer si lestement
cette interjection normande dans les autres provinces.
Haro., de même que les verbes liaroder^ harer ou ha/rier., dé-
rivent des idiomes germaniques. Haro et haroder ont leur ra-
cine dans le v. h. -ail. herot = hue, en vieux saxon herod {(jvimm.
m, p. 179.174.); harer ^ harier., ont la leur dans la forme simple
hera et hara., dont la signification est la même que celle de
herot (Grimm, ib. p. 178.). Ainsi haro signifie tout simplement
ici! venez gàl Haroder signifiait crier haro. Harier^) avait le
sens de agacer^ harceler., défier., provoquer au combat.
Ha/ro fut plus tard employé comme substantif dans le sens
de m, clameur., tumulte,
Harou, harou! he aidiez moi! (M. d. F. H, p. 114.)
'(1) Cfr. le verbe faible du v. h, -ail. harên, crier, appeler, Indi suachanti trahtin
in managi linteô , hwemu deisu harèt , wërahman sînan , afur quidit. rKero , - version
interlinéaire de la Eegula St. Benedicti. Introduction.) [Et quaerens dominus in mul-
titudine populi , cui haec clamât, operarium suum, iteram dicit.J
DE l'inteejection. 401
Hareu, hareu! ki est deu
A mon enfant. (W. A. L. p. 80.)
La noise et le haro monta, et tant que plusieurs gens en furent
efîrîiyes. (Froissart. I, XCIX.)
Je mors, je poins, j'argue et puis harie. (Roquefort s. v. harier.)
Un sanglier ay hui tant cliacie
Que j'ay toutes mes gens laissie
Et me sui ou bois esgare;
Tant ay fort le sanglier hare. (Th. F. M. A. p. 582.)
Passe avoit deux cents ans que ils ne se fussent guerroies et haries,
(Froissart. LV.)
On a dit aussi harï (R. d. 1. Rose) pour haro. (Cfr. Roquefort
s. V. haro.)
Cfr. Du Gange s. v. haro.
Hélas!
Heïas se compose de hai^ ha et de las. Las^ de lassus^ s'em-
ploie encore aujourd'hui comme interjection (voy. le Dict. de
l'Académie s. v.) ; mais , dans l'ancienne langue , il était variable.
Las^ adjectif, signifiait las^ malheureux^ miser aile. Quant à ^««,
ha^ il représente certainement le latin ai (eu) et le h n'est qu'un
signe muet. (Yoy. plus bas hai.)
Si fist que las,
Quant fu al ovre senz mester. (Ben. t. 3, p. 492.)
He lasse moy! (P. d. B. v. 5681.)
Lasse! que porrai devenir? (Ruteb. I, p. 310.)
Lasse! fait ele, com est foie
Qui home croit por sa parole. (P. d. B. v. 4689. 90.)
Hailas! chier sire Deus, ke ferons ke cil sunt U primier en ta per-
sécution, qui en ta glise ont porpris les signeries et les honors?
(S. d. S. B. p. 556.)
Alas! dist il, je sui honiz. (Chast. XXII. v. 163.)
Allas! cum fait dol d'Aquitaine! (Ben. I, v. 1071.)
Halas! fait il, dolanz, chetis,
Qui dedenz mei t'esteies mis. (M. d. F. Il, p. 242.)
Quand las n'était pas employé comme interjection , on le fai-
sait souvent suivre de la préposition de.
Quant issi do cors, molt gémi
Et dolosa la lasse <^'ame,
Et molt reclama nostre Dame. (Ben. t. 3, p. 513.)
De lasj on forma le substantif laste (Berte a. g. p. p. 64),
lassitude, chagrin.
Waij guai.
Cette interjection traduit le latin vae (grec oval), mais eUe
n'en dérive pas, comme le prouvent le w et le ffu, qui repré-
Burguy , Gr. de la langue d'ofl. T. n. Éd. III. 26
402 DE l'interjection.
sentent le w allemand. Wai , guai ont en effet leur racine dans
le gothique vai! v. h. -ail. w%; anglo-saxon vea^ va. (Italien,
espagnol, portugais: guai!)
Wai à ti, ki onkes tu soies, ki vuels repairier al brau et retor-
neir à ce ke tu as vomit! (S. d. S. B.)
Wai celui par qui vient escanles d'escunbrier ! (Th. Cantb. p. 79, v. 5.)
De ce dist la Scriture des dampneiz: (xuai à ceaz ki ont perdue
la soffrance. (M. s. J. p. 448.)
Dont uns sages dist bien : Guai al pecheor entrant en la terre par
dous voies ! (Ib. p. 494.)
C'est de cette interjection que dérive notre otmia.
Haï.
Rm^ forme que nous avons vue plus haut (s. v. hélas), s'em-
ployait avec le pronom Me: haimi^ aimi^ puis hemi., ainmi. Ces
interjections exprimaient la plainte.
Hait cume as ested ui glorius. (Q. L. d. R. II, p. 141.)
Haimi ! sire, por Diu mierchi . . . (R. d. Ren. lY, p. 79, v. 2182.)
Hemi! dist elle que m'avient. (R. d. C. d. C. v. 5669.)
Aymi! j'atendoie mercy. (Ib. v. 3443.)
Ammi! corn m'aves ahontee! (Ib. v. 5812.)
Aj ah^ ahi — 0, oA, oihi.
Ces interjections, comme la précédente, servaient pour la
plainte.
Al terre à pleindre, doleruse. (Ben. I, v. 1113.)
Ahil dist ele, fel traiter. (Chast. XXŒ. v. 191.)
Alfhiï Tristran, si grant dolors
Sera de vos (Trist. I, p. 42.)
Ohil Jésus! dhiî bel sire. (R. d. S. p. 12.)
Ohil Ysolt, ohil amie,
Hom ki ben aime tart ubhe. (Trist. Il, p. 123.)
Cfr. Kahai (R. d. Ren. t. lY, p. 239.)
Keu.
Heu , comme hailas , servait pour la plainte , et on le trouve
même en composition avec las: heuïas. Heu était en outre une
exclamation d'horreur, d'effroi.
Grant hide en a et grant freor
Heul fet il, frère, heul
Dites moi tost, se lou savez,
Quel maladie vous avez. (N. R. F. et C. H, 23.)
Hu,
exclamation de moquerie , de mépris , de colère , ou cri pour
effrayer, épouvanter. C'est la racine de husr^ huard^ criard,
DE l'interjection. 403
huette^ hulotte et petit duc. Il se pourrait cependant que ce
dernier dérivât immédiatement du h. -ail. Mwo^ chouette.
Veez le fol! Im! hu ! hu! hu! (Trist. Il, 101.)
Hu! hu! faite ele, vilanaille,
Chien arage, pute servaille. (Ib. p. 246. c. 2.)
Su n'a été emprunté à aucune langue , quoiqu'il se retrouve
dans les idiomes germaniques et dans le celtique; c'est une
onomatopée.
Kemarquez l'expression: lever le hu sur quelqu'un.
On jurait par le corps, par le sang, par la chair, etc. de
Dieu , par la mort de J. - C. , par les clous de la croix , etc. etc. ;
de là les interjections: par^ por Dieu^ mort Bieu^ le cor Dieu^
la car Dieu^ etc. qu'on changea en par hieu^ mor hieu (aujourd'hui
morbleu), cor lieu (corbleu), car lieu^ etc. par respect pour le
nom de Dieu.
Dame, fait il, par vo merchi,
For Biu cor m'emportes de clii. (R.d.l.V.v. 2099. 2100.)
Le mort et les claus a jure
Que maintenant sera vengies. (Ib. p. 262.)
Par le car biu! mar i fut fait. (L. d'I. p. 13.)
Por le cuer hieu la moie cope. (R. d. Ren. Il, 23.)
Par le cuer he, sire Coart. (Ib. ead. p. 62.)
On voit que les formes du mot Dieu se reproduisaient dans
la transformation hieu.
Roquefort cite le mot wacarme comme une interjection
française, et M. Diez (H, 413.) l'admet aussi. C'est une
erreur; la langue d'oïl, n'a jamais connu d'interjection wacarme.
Œ G-uiart dit déjà que ce mot est belge (Y. DC. s. v. Wa-
charmen). Les vers suivants confirment en quelque sorte cette
donnée.
Marnent seut, si cria waskarme!
Hiere Renart goude kenape. (R. d. R. IV, p. 239, v. 2882. 3.)
Wacarme est en effet l'interjection néerlandaise wacJiarme^
qui répond à l'aUemand weli armer. C'est de wacharme que
dérive notre substantif vacarme^ comme le fait fort justement
observer M. Diez (1. c.)
26*
Halle s/S. (Allemagne), Imprimerie de l'Orphelinat.
^
^
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-\y.
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c
l'
PC
2818
B8
1882
V.2
Burguy, Georges Frédéric
. Grammaire de la langue
d • oll
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